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1
p. 133-135
RONDEAU DE MADAME DESHOULIERES à une de ses Amies.
Début :
Et puis, Madame, fiez-vous aux Hommes. A parler / Contre l'Amour voulez-vous vous defendre ? [...]
Mots clefs :
Amour, Coeur, Hommes, Beau sexe
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texteReconnaissance textuelle : RONDEAU DE MADAME DESHOULIERES à une de ses Amies.
Etpuis,
Madame, fiez -vous auxHommes.
GALAN T. 97
mes. Aparler finceremétauſſi
bien dans voſtre beau Sexe
que dans le noftre , il y a toû- jours à riſquer ; maisla veuëdu ☐ peril n' pas qu'on ne s'y expoſe , &on ne ſe defend pas d'aimer quand on veut. La complaiſance , les petits foins,
les manieres tendres , autant
d'écüeils pour la liberté. C'eſt ce qu'a dit fort agreablement - l'Illuſtre Madame des Houlie
res dans ce Rondeau que je
vous envoye.
RONDEAU
DE MADAME DESHOVLIERES
à une de ſes Amies.
Ontre l'Amourvoulez-vous
vous defendre ?
Empefchez - vous & de voir &
d'entendre
Tome V. I
98 LE MERCVRE
Gens dont le cœur s'exprime avec
esprit.
Il en est peu de ce genre maudit ,
Et trop encor pourmettre uncœur encendre.
Quand une fois il nous plaiſtde
nous rendre
D'amoureux ſoins, qu'ils prennent un air tendre ,
On lit en vain tout qu'Ovide
écrit
Contre l'Amour.
De la raiſon on ne doit rien attendre;
Trop de malheurs n'ont ſçeu que
trop apprendre Qu'elle n'est rien dés que lecœur
agit;
Lafeule fuite, Iris, nous garantit,
C'estleparty le plus utile àpredre Contre l'Amour.
Madame, fiez -vous auxHommes.
GALAN T. 97
mes. Aparler finceremétauſſi
bien dans voſtre beau Sexe
que dans le noftre , il y a toû- jours à riſquer ; maisla veuëdu ☐ peril n' pas qu'on ne s'y expoſe , &on ne ſe defend pas d'aimer quand on veut. La complaiſance , les petits foins,
les manieres tendres , autant
d'écüeils pour la liberté. C'eſt ce qu'a dit fort agreablement - l'Illuſtre Madame des Houlie
res dans ce Rondeau que je
vous envoye.
RONDEAU
DE MADAME DESHOVLIERES
à une de ſes Amies.
Ontre l'Amourvoulez-vous
vous defendre ?
Empefchez - vous & de voir &
d'entendre
Tome V. I
98 LE MERCVRE
Gens dont le cœur s'exprime avec
esprit.
Il en est peu de ce genre maudit ,
Et trop encor pourmettre uncœur encendre.
Quand une fois il nous plaiſtde
nous rendre
D'amoureux ſoins, qu'ils prennent un air tendre ,
On lit en vain tout qu'Ovide
écrit
Contre l'Amour.
De la raiſon on ne doit rien attendre;
Trop de malheurs n'ont ſçeu que
trop apprendre Qu'elle n'est rien dés que lecœur
agit;
Lafeule fuite, Iris, nous garantit,
C'estleparty le plus utile àpredre Contre l'Amour.
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Résumé : RONDEAU DE MADAME DESHOULIERES à une de ses Amies.
Le texte est une correspondance mettant en garde une dame contre les dangers de l'amour. L'auteur reconnaît que les femmes, malgré leur finesse, sont vulnérables en matière de sentiments. Il souligne que la conscience du danger ne suffit pas à empêcher les gens de tomber amoureux. Les attentions et les tendresses sont décrites comme des pièges pour la liberté. L'auteur cite un rondeau de Madame des Houlières, qui explore la difficulté de se défendre contre l'amour. Le rondeau se demande si éviter de voir et d'entendre des personnes spirituelles peut protéger contre l'amour, mais conclut que ces personnes sont trop nombreuses pour être évitées. Une fois que l'on s'abandonne à des soins amoureux, les conseils contre l'amour deviennent inutiles. La raison est impuissante face aux sentiments du cœur. La fuite est présentée comme la meilleure stratégie pour se protéger de l'amour.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 253-274
Suite des Nouvelles de la Guerre. [titre d'après la table]
Début :
Je reprens la Levée du Siege de Charleroy, dont j'ay [...]
Mots clefs :
Ennemis, Troupes, Siège de Charleroi, Prince d'Orange, Billet, Marquis de Montal, Duc de Villa-Hermosa, Campagne, Gand, Armée, Comte de Soissons, Hommes, Canon, Lieutenant, Place, Régiment, Chevaux
3
p. 3-76
CONVERSATION ACADEMIQUE, Dans laquelle il est traité des bonnes, & des mauvaises qualitez de l'Air. A Madame la Comtesse de C. R. C.
Début :
Vous m'avez témoigné, Madame, que l'Entretien Académique, dont [...]
Mots clefs :
Air, Docteur, Corps, Vent, Chevalier, Abbé, Pays, Vents, Feu, Hommes, Marquis, Terre, Feu, Lieu, Lieux, Président, Temps, Dieu, Âme, Esprit, Maisons, Qualité, Conversation académique, Raison, Manière, Éléments, Eau, Couleur, Froid, Maladies
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texteReconnaissance textuelle : CONVERSATION ACADEMIQUE, Dans laquelle il est traité des bonnes, & des mauvaises qualitez de l'Air. A Madame la Comtesse de C. R. C.
CONVERSATION
ACADEMIQUE,
Dans laquelle il eſt traité des ,
bonnes , & des mauvaiſes
litez de l'Air.
qua.
AMadame la Comteſſe de C. R. C.
V
Ous m'avez témoigné,
Madame , que l'Entretien
Académique , dont je vous fis
part au mois d'Avril de l'année
1680 , ne vous avoit point déplû,
& vous m'avez mefme demandé
tant de fois des nouvelles de cet
illuftre Abbé , chez qui l'on parla
du fommeil de l'aprefaînée, que
je crois encore vous faire plaifir
7
A ij
4
Extraordinaire
en vous apprenant fon retour,
& ce qui s'eft dit dans une autre
Converfation , où je me ſuis auffi
heureufement trouvé que la premiere
fois. Il y avoit longtemps
que nous n'avions veu cet Abbé
dans la Province ; mais quoy
qu'il foit infirme , il ne laiffe pas
d'entreprendre des Voyages pénibles
pour le fervice du Roy, &
de fes Amis , & d'agir comme s'il
fe partoit bien. Je vous avoue
que fa patience eft merveill‹ uſe;
mais en pratiquant cette excellente
vertu , il croit arriver à
toutes les autres. Pour vous,
Madame , qui ne pouvez foufrir
de retardement à tout ce que
vous fouhaitez , je m'imagine
déja que vous eftes impatiente
de fçavoir fur quoy a roulé noſtre
Entretien.
du Mercure Galant.
S
Je vous diray donc qu'eſtanc
alle voir cet illuftre Abbé , je le
trouvay avec la Troupe choisie,
qui ne l'abandonne pas quand il
eft en ce Païs , & un Confeiller
qui fortit quelque temps apres
que je fus arrivé. Comme ce
Confeiller eft d'une grande pref
tance , cet Homme , dit M' le
Marquis , a l'air d'un veritable
Magiftrat. Oüy , repliqua l'Abbé
, c'eft un Juge fort entendu
dans fa Charge , & plein de
courage pour la juftice , & pour
les intérefts de fa Compagnie. Il
porte cela fur fon vifage , dit le
Chevalier , il n'y a qu'à le voir.
On a quelquefois de la peine à
le retenir , tant il a de feu & de
vivacité , ajoûta le Préfident.
Cette chaleur , dit le Docteur,
7
A iij
6 Extraordinaire-
>
eft un effet de fon tempérament,
qui eftant fanguin le rend
violent & prompt. Il eft vray
que nous devons beaucoup à
noftre complexion , dit l'Abbé ;
& fi l'heureuſe naiffance fait les
bonnes moeurs , il est encore
vray , pour en revenir à l'air dont
nous parlions , qu'il contribuë
extrémement à la fortune des
Hommes. Ifabelle , Reyne d'Eſ
pagne , difoit ordinairement que
la bonne mine leur fervoit d'une
Lettre de recommandation affez
ample. En effet , quand une Perfonne
bien faite vient à nous , fon
air nous prévient d'abord en fa faveur
; & le Duc de Guife , parlant
dans fesMémoires de l'Action hé !
roïque qu'il fit à Naples, lors qu'il
appaifa tout feul une troupe de
du Mercure Galant. ブ
Séditieux , ce Prince dit que les
Gens de qualité ont un je ne.
fçay- quoy dans le vifage , qui fait
peur à la Canaille. Jules Céfar
paroiffant devant les Soldats mutinez
, les ärrefta d'une feule parole
; & Augufte étonna les Lé.
gions d'Antoine par fa préſence .
Dans le temps des Guerres deParis
, le Garde des Sceaux Molé,
en fe montrant fur les Degrez
du Palais , defarma & appaifa le
Peuple qui le cherchoit pour
s'en défaire . Ileft donc conſtant
qu'il y a un certain air dans les
Perfonnes , & un certain caractere
fur le vifage , qui nous infpire
de l'eftime , de la crainte , & de
la venération . Comme auffi il
y
a un certain air , & un certain caradere
qui nous cauſe de la dé-
A iiij
& Extraordinaire
fiance , de l'averfion , & du mé.
pris. De - là viennent ces viſages
favorables , ou malencontreux ,
dont la mine . feule femble nous
annoncer d'abord quelque bonheur
, ou quelque malheur à venir.
Tel eftoit Montagne , qui
fur le fimple crédit de fa préfen- .
ce , & de fon air , nous affure que
des Perfonnes qui ne le connoiffoient
pas , fe fioient en luy , foit
pour leurs propres affaires , ou
pour les fiennes , & que mefme
dans les Païs Etrangers , il en
avoit tiré des faveurs rares &
fingulieres. Il fait quelques petits
contes fur le fujet des chofes qui
luy estoient arrivées , qui font
affez remarquables .
L'Abbé ayant ceffé de parler;
ne peut- on pas ajouter à tous
du Mercure Galant .
9
ces Exemples , dit le Marquis ,
la bonne mine du Roy , fa taille,
fon grand air , & ce caractere
plein de majeſté , & de fageffe
qui l'accompagne toujours ?
C'eft par- là qu'il terraffe les Ennemis
, auffibien que par la force
de fes Armes , & qu'il s'attire
les refpects , & l'amour de tous
ceux qui l'envifagent . On a eu
bien raifon de mettre entre les
Fremieres maximes de regner,
qu'il falloit pour remplir dignement
la Royauté , le port , la
taille , & la bonne mine , qui ne
font autre chofe que le bon air
qui charme par des vertus fe.
crettes de l'ame. Car il ne faut
pas s'imaginer que le corps luy
tienne lieu d'une honteufe prifon
, c'eſt un Temple où cette
10 Extraordinaire
petite Divinité fe plaiſt davanta
ge, plus il eft pur & net au dedans,
& beau & magnifique au dehors.
Neantmoins Scaron a dit ,
Souvent un vilain corps loge un
noble courages
Et c'eft un grand menteur fouvent
que le vifage.
Oh, pour Scaron , interrompit
le
Chevalier qui n'avoit poinɛ
encore parlé , & dont j'admirois
le long filence , il n'avoit garde
de s'expliquer autrement. Il ef
toit trop intereffé à défendre le
party de la laideur , & de la di
formité , car il n'avoit pas le
viſage plus beau que le corps,
& chacun fçait comme il eftoit
fait ; mais M' de Corneille a dit
bien plus vray que M' Scaron ,
quand il affure que tout le mon
du Mercure Galant. 11
de veut eftre beau , & bien fait,
Et quefinous eftions artifans de nous
mefmes,
On ne verroitpar tout que des beautez
Suprémes.
Cela dépend de Dieu , & non
pas de nous , dit l'Abbé, Ipfefecit
nos, & non ipfi nos. Il s'eft réſervé à
luy feul , le fecret de la nailfance
des Hommes , & l'a rendu impénétrable
à leur curiofité . Nous
ne fçaurions donc connoiftre
pourquoy celuy.cy a un air qui
plaiſt , & celuy là un air qui rebute
& qui dégoufte ; mais M ' le
Docteur , dites - nous un peu à
le bien prendre , ce que c'eft que
l'air , car les Orateurs, les Poëtes,
& les Philofophes en parlent diverſement.
L'air , répondit ce Docteur,
12 Extraordinaire
peut eftre confideré en trois manieres,
comme Elément , comme
Température , & comme Mode
ou Maniere . Pour moy , je croy
que c'est l'expreffion des autres
Élémens , & du mouvement , de
to s les Corps , qui participe à
toutes leurs bonnes ou mauvaiſes
- qualitez. Ainfi l'on dit , l'air du
temps , l'airdu feu , prendre l'air,
pour dire recevoir cette tranfpiration
des corps dans fa fource,
& dans toute fon , étendue . On
donne ordinairement le nom
'd'air à toute cette Matiere li
quide & tranfparente dans la.
quelle nous vivons , & qui eft ré .
pandue de tous coftez à l'entour
du Globe , compofé de la terre
& de l'eau. En effet , quelques
Philofophes prétendent que les
du Mercure Galant.
13
Cieux font fluides , comme un
grand air vague & fpatieux,
dans lequel les Etoiles & les
Planetes fe promenent comme
les Poiffons dans la Mer , & les
Oifeaux dans les Nuës ; & le
Philofophe de Cour ( car enfin
il faut raifonner à la mode aujourd'huy
) cet Autheur , dis-je,
veut que les Cieux foient fluides,
& de la nature d'un air tres.fub
til , & tres- purifié . Les Anciens
ont auffi confondu les mots de
Ciel , & d'Air , en parlant de la
Partie que nous voyons ; & l'on
dit tous les jours , apres la Sainte
Ecriture , les Oiseaux du Ciel ,
ils volent dans le Ciel , pour dire,
les Oifeaux de l'air , ils volent
dans l'air. En effet , l'air entre
dans la compofition du Ciel , &
14
Extraordinaire
le Ciel femble eftre un air con
denfé. Un Moderne a eu raiſon
de dire , que l'air eft un étrange
& admirable compofé , & que
pour le bien connoiftre , il faudroit
connoiftre auparavant la
nature de tous les Corps qui entrent
dans fa compofition. Comment
donc le concevoir dans
cette fimplicité qui luy eſt neceffaire
pour eftre Elément ? Car
dans la compofition où il fe trouve
prefque toujours , par le mélange
des autres Elemens , & de
tous les Corps qui s'exhalent.
continuellement de la Terre , on
ne peut dire précisément ce que
c'eft . Le Philofophe de Cour,
dénie à l'air le nom & la qualité
d'Elément , & dit que par fa
fubtilité il eft feulement fembla
du Mercure Galant,
ble au premier Elément des Car
réfiens. Quelques autres difent
que c'est une portion de la
Matiere premiere , débrouillée
& purifiée par la Lumiere. La
penſée de cet Ancien eft jolie,
qui difoit que l'Air eftoit la vître.
rie de l'Univers , par où les Crea.
tures voyent tous les Objets
comme dans un Miroir , par la
refléxion de cetteLumiere. C'eft
luy qui conferve les couleurs invifibles
qui peignent tous les
Objets dans nos yeux , quoy qu'il
foit fans couleurs , puis que tous
les Objets tranfmetent leurs efpeces
en luy , ce qu'ils ne pour
roient pas faire s'il avoit quelque
couleur , comme nous voyons
tout rouge , ou tout jaune , dans
un verre qui eft peint de la fort,
16 Extraordinaire
›
Un Philofophe moderne dit que
l'air n'eft pas vifible , parce qu'il
eft trop délié ; mais qu'autant
qu'on le peut voir par la refpiration
, ou par les Arquebules à
vent , il eft de couleur grifatre,
A propos de la couleur de l'Air,
s'écria le Chevalier , en regar.
dant le Marquis , ne vous fouvient-
il point de ce prétendu Sor
cier , qui nous difoit un jour qu'il
avoit veu le Vent , & qu'il eftoit
rouge , jaune , & bleu ? Il eſt
beaucoup de femblables Viſionnaires
, répondit le Marquis , &
je croy qu'il s'en trouve auffi
parmy les Philofophes ; mais
laiffons parler M' le Docteur, car
il a fans doute de belles chofes à
nous dire . Apres un modefte
fous-rire , le Docteur reprit fon.
du Mercure Galant.
17
Difcours de la forte.
Les Philofophes donnent à
l'Air des figures bien diférentes,
& le mettent en tant de postures,
qu'il eft impoffible de le connoiftre
tel qu'il eft en effet. Quel
ques- uns difent
que les goutes
d'eau & de rolée, qui tombent de
l'air eftant rondes , cer Elément
eft de figure ronde , parce que
les parties doivent avoir l'inclination
du tout , mais en verité, je
trouve cette raifon badine , car
hors la Terre , les autres Elémens
qui font toujours dans l'agitation
, & dans le mouvement ,
n'ont point de figures certaines
& naturelles , Encore s'il eft vray
que la Terre tourne, il faut croire
qu'elle en change de temps en
temps puis qu'elle s'éboule , &
Q. d'Octobre 1683. B
18 Extraordinaire
s'écorne ſouvent , comme par
lent ceux qui fuivent cette opi- .
nion . Ainfi on diſpute fort inutilement
, fi la Terre eft ronde,
ou fphérique ; fi le Feu eft ovale,
ou pyramidal ; fi l'Eau eft plate,
ou fphérique , & fi l'Air eft
rond , ou triangulaire. Les Cartéfiens
difent que le fecond Elément
, auquel ils donnent le nom
d'Air , n'eft autre choſe que les
parties de leur Matiere fubtile,
qui pour eftre plus groffieres s'ar
rondiffent fans ceffe , que l'Air
le plus groffier a la proprieté de
fe dilater beaucoup , & qu'il fe
mefle aisément avec la Matiere
fubtile. Quelque autre affure
qu'il eft droit , quand il eft lenr,
c'eft à dire, dans fa gravité , mais
que lors qu'il eft furieux & turdu
Mercure Galant.
19
•
bulent , & fi vous voulez tourbillon
, il eft un peu courbé , &
d'une figure circulaire , mais je
croy qu'il n'a point d'autres figures
que celles du corps qui le
renferme. Quoy que fa couleur
foit inperceptible , comme nous
avons dit,il eft neantmoins tranf
parens , parce que les parties eftant
toûjours en action , laiffent
un grand vuide entre elles , & ce
vuide eft remply des rayons des
Corps lumineux. L'air que nous
refpirons eft vifible , parce que
ce font les fumées du coeur que
l'air extérieur codenſe & épaiffit,
quand il eft froid ; & plus la Perfoune
eft d'une complexion forte
& robufte , & plus elle pouffe
d'air quand elle eſt agirée ,
principalement en Hyver qu'il
Bij
20 Extraordinaire
·
fort de la bouche à gros flocons.
Pour fon odeur, les Philofophes
que j'ay déja citez , affurent
qu'elle eft fouvent mauvaiſe.
Enfin il eft chaud , humide , &
leger ; mais quelques Modernes
prétendent , qu'il eft froid , &
pelant ; & d'autres , qu'il n'eft
froid , ou chaud , que felon les
divers mouvemens qu'il foufre.
Ainsi, lors qu'on dit qu'il peut
devenir feu , on veut dire qu'il
peut s'échaufer jufqu'à ce fupré
me degré de chaleur, Quoy qu'il
nous paroiffe leger , il ne laiffe
pas d'eftre eftimé pefant , jufque.
là que Reid , docte Medecin , a
démontré qu'il ne l'eft pas moins
que la Terre , mais il eſt certain
qu'il eft médiocre en pefanteur,
plus pefant que le Feu , & plus
du Mercure Galant. 21
leger que l'eau . Pour ſa hauteur, -
finous en croyons M' Rohaut,
elle eft de plus de quatre mille
cinq cens quatre - vingts toifes ;
& il tient qu'il n'y a point de
Montagne affez haute
pour nous
élever au deffus de la plus haute
furface de l'Air, ou de la premiere
Région . Je me fouviens pourtant
, interrompit le Préfident,
que M' Bary raporte dans fa Phy
fique, qu'en Angleterre on monte
d'un certain Tertre jufqu'à
une certaine hauteur , où il n'y a
plus d'air , & qu'à moins d'y
porter des Eponges humectées,
on y meurt. Cela fe peut , reprit
le Docteur , & tout ce que
nous diſons icy , n'eſt pas fi pofitif
qu'on ne le puiffe contre.
dire ; mais pour continuer à vous
22 Extraordinaire
parler de cet Element , on ne
peut changer la veritable confiftence.
Il ne reçoit aucun mélange
, & comme tel , l'Air eft
appellé Elément , mais que celuy
que nous fouflons , que nous
refpirons , que nous voyons , &
qui nous environne , ne foit
qu'un mefme air , exempt d'aucun
mélange , cela ne le peut
foûtenir. L'air que nous refpirons
eſt un ſoufle vital , compofé
de noftre ame & du mouvement
de noftre corps . Celuy que
nous reſpirons , & qui nous en
vironne , eft compofé des vapeurs
, & du mouvement des
corps extérieurs qui nous approchent
; & celuy qui tient
lieu d'Elément , eſt une fubftance
extrémement deliée qui fe
du Mercure Galant.
23 1
fourre par tout , & qui remplit
tous les lieux , d'où les corps fe
def uniffent . Mais M' le Docteur
, dit le Marquis , quelle diférence
mettez- vous entre le
Vent , & l'Air pris comme Elément
? Car felon moy , le Vent
eft un Air agité , & l'Air eft un
Venten repos. Tous les Philofophes
modernes définiffent le
Vent une agitation fenfible de
l'Air , & felon M¹ Bary , le Vent
n'eft autre chofe qu'une agitation
d'air , plus ou moins notable.
L'Air eft encore toûjours
le fujet du Vent , & une de fes
caufes efficientes. Enfin il fert
de Théatre à ces merveilleux
Tourbillons . Ceux qui difpofent
des Vents ( car il y en a qui les
retiennent , & qui les lâchent
24
Extraordinaire
quand il leur plaift , ) ceux -là,
dis - je , obfervent les diférentes
qualitez de l'Air ; & je me ſouviens
d'avoir leu dans Théophrafte
, que les Brachmanes
avoient deux Tonneaux remplis
de Vent , qu'ils ne bouchoient
jamais que l'Air ne fuft fec , &.
tranquille , & qu'ils ne débouchoient
que lors qu'il eftoit hu
mide & tempeftueux . Je fçay,
continua le Marquis , qu'on dit
tous les jours , que les Vents
chaffent & purifient l'Air , mais
cela s'entend de ce que les parties
les plus groffieres de l'Air fe
fubtilifent , & fe raréfient par
cette agitation , & voila ces
Vents qu'il a pleu aux Pilotes
de nommer de noms barbares &
inconnus , felon les lieux où cet
Air
du Mercure Galant. 25
Air eft plus ou moins dans l'agitation
. En verité voſtre Philofophie
eft jolie , s'écria le Che
valier en riant , & elle feroit bien
reçeuë de l'Univerfité . Le Philofophe
de Cour ne raifonne pas
plus férieufement que vous fur
cette matiere , & j'aime autant
voftre Air agité , qui eft l'opinion
de Pline , que fon Météore
composé de deux fou
fres diférens & ennemis , que le
froid condenſe fi fort , que le
Météore creve par cette contrarieté
, & fait le grand fracas
que nous entendons .
Mais pourquoy , Mr le Che.
valier, reprit le Marquis, ne voulez
-vous pas que fous le bon plaifir
de M' le Docteur , je parle du
Vent à ua fantaiſie ? Ne fçavez-
Q. d'Octobre 1683. C
26 Extraordinaire
vous pas que c'eſt une des choſes
inconnues dans le monde ? Quelques-
uns en attribuent la pro.
duction au Soleil , les autres , au
combat que font les atomes ;
les autres , aux vapeurs , & aux
exalaifons ; & enfin il y en a d'autres
qui m'ont fait penfer , que
l'Air fe meut de foy - mefme ; car
je ne fuis fi vifionnaire
que
pas
vous le croyez , ny fi ridicule
fur le fujet des Vents , que celuy
qui difoit que c'eftoient les éter.
nuëmens de ce grand Animal
que nous appellons le Monde,
comme l'Air eftoit fon haleine &
fa refpiration . Cette imagination
eftoit bien digne de Rabelais
, qui dit que le Vent eft le
foufle de Gargantua . Dieu en
´eft l'Autheur , au fentiment d'un
du Mercure Galant.
27
Prophete, & il peut auffibien le
former de l'Air , que d'une autre
matiere. Quoy que Pline que
vous venez de citer , reconnoiffe
plufieurs fortes de Vents , comme
les Vents de Mer & de Terre,
tout cela n'est que l'Air , qquuiiaaggiitt
ou fur l'Eau , ou fur la Terre. Cer
Autheur veut encore que le Vent
foit un efprit vital , par lequel la
Nature produit toutes chofes .
Et ce Vent , ou cet Air dont nous
parlons , ne font- ils pas les mefmes
? Si cela eft , répondit le
Chevalier , je ne m'étonne plus
que les Cavales d'Andaloufie engendrent
par le Vent ; car l'Air
ou le Vent , eft un tréfor qui contient
toutes les femences , fi nous
en croyons Anaxagore . Et ne
croi t-ce point par cette raiſon
C ij
28 Extraordinaire
que nous appellons un Cheval
viſte, un Coureur , & que nous
difons , aller comme le vent ?
Car les Chevaux qui naiffent du
vent , & de telles Cavales , font
je m'imagine d'admirables Coureurs
pour leur legereté & leur
viteffe , & pareils aux Chevaux
volans , dont parle noftre Pline;
mais à l'endroit que vous avez
cité , il compare l'agitation du
Vent dans la nature , à une Femme
groffe , & dit que cet efprit
vital, remuë dans fes flancs com.
me un Enfant dans le ventre de
fa Mere . Ne voila- t-il pas une
belle origine des Vents ? Je ne
puis encore m'empeſcher derire,
qu nd il nous dit qu'ils font plus
mols que fermes. Quoy , les
Vents ont de la molete , eux
du Mercure Galant. 29
3
J.
J
1
1
qui font fi refolus qu'ils attaquent
les plus durs Rochers , &
les Baftimens les plus inėbranlables
, qui arrachent les Forefts ,
qui renverfent les Montagnes ?
Non , non. Je croy que leur tempérament
eft froid & fec , ce qui
marque leur force , & leur courage.
Vous badinez toujours ,
M le Chevalier , interrompit
l'Abbé . Il eft constant qu'il
y a des Vents chauds , & des
Vents humides . Ouy ; mais , reprit
le Chevalier , ce n'eft pas en
eux-mefies qu'ils font tels , mais
par accident , & felon les lieux
où ils fouflent , & la Saifon qu'ils
fe mettent en Campagne . Je
croy que M' le Chevalier a raifon
dit le Marquis , car
quand on dit, ce vent -là amenera
>
C iij
30 Extraordinaire
de la pluye , ce n'eft pas qu'il
foit pluvieux de fa nature , mais
c'cft qu'il amene , & fait tomber
les vapeurs qui fe réſolvent en
pluye. L'Air eft donc un veritable
Caméleon , capable de
toutes fortes d'impreffions . Tout
froid qu'il eft, il devient feu , felon
les divers mouvemens qu'il fou-
Ale ; mais ce qui eft admirable, eft
que ces vents ou ces impreffions
d'Air , comme nous les avons
appellez , ont leur révolution
jufte & périodique , de quatre
ans en quatre ans , vers le commencement
de la Canicule .
Quoy que je m'en tienne à
l'opinion de l'Ecole , dit le Do-
&teur , voyant que le Marquis
s'eftoit teú , qui eft que l'Air
n'eſt pas le Vent , il eſt neantdu
Mercure Galant. jr
moins le Pere des Vents , & le
crible de la Nature , comme
parle un Ancien , mais un Moderne
l'appelle avec plus de raifon
, le Compagnon du Soleil,
parce qu'il concourt avec luy à
la creation de toutes chofes , &
à la formation des plus merveil
Jeux Phénomenes de la Nature .
Il infpire ce que la Lumiere vivifie
, il purifie ce qu'elle dore , &
fert avec elle à éclairer tout l'Univers.
Anaximenés difoit que
Pair eftoit l'efprit du Monde , &
qu'il eftoit à l'Univers ce que
l'ame eft au corps ; que toutes
chofes eftoient engendrées de
l'air , & fe réfolvoient en air.
Enfin on peut dire de l'Air , ce
que S. Paul a dit de Dieu , In quo
vivimus , movemur, & fumus, I
C iiij
32
Extrardinaire
nous fait voir les objets , mais il
nous donne encore l'oüye , &
l'odorat, Par fon moyen nous
fentons , & nous entendons.
Tous nos Inftrumens , & toutes
nos Chanſons , ne font qu'un air
mefuré & harmonieux. Il anime
les uns , il infpire les autres . Une
Chanfon s'appelle un Air , parce
que c'est un Mode , ou une façon
de chanter , mais encore par
ce qu'il faut de l'air pour le chanter
, & que la Mufique rend cet
air harmonieux par les diférentes
notes qui le compofent. En effet,
l'air agité par la voix ,frape agreablement
nos oreilles , ce qui a fait
dire à un Ancien , qu'une belle
Ode , qui eft la mefme chofe
qu'une belle Chanſon , eftoit un
air qui voloit dans les oreilles. II
du Mercure Galant.
33
y a des Païs mefme où l'air fait
les belles Voix , & où tous les
Hommes chantent bien. Vous
demeurerez d'accord de cette
verité , puis que felon Ariftote,
la Voix & les Inftrumens ne font
qu'une répercuffion de l'air infpiré
.
L'air eft encore un excellent
médiateur entre l'eau & le feu.
Il corrige celuy - cy , & tempere
celle- là. Il eſt naturellement
Amy de la Terre , mais ce qui
releve davantage la nobleffe de
cet Elément , c'est que quelques
Philofophes ont crû que fe Dieu
unique & fouverain n'eftoit
autre que l'Air. Le Docteur
ayant ceffé de parler , comme
s'il n'euft eu plus rien à dire ; Oh
je me doutois bien que les An-
>
34
Extraordinaire
ciens en avoient fait un Dieu,
reprit le Chevalier ; mais moy,
je vous dis que c'eſt un Démon
en fubtilité , & en malice , qui
rend tous les corps agiles , & qui
penetre toutes chofes , fans les
rendre plus pefantes lors qu'il les
remplit. C'est un grand faifeur
de Fufées, & de Feux d'artifices,
qui forme les Méteores , & qui
les renferme dans fon fein ,
mais c'eſt auffi un grand tireur
de quinte effences , qui fçait
diftiler avec le feu élémentaire ,
les influences & les proprietez
occultes des Etoiles , & des Planetes
. Peu s'en faut que je ne
l'appelle Soufleur & Charlatan ;
mais enfin il eft le mieux logé de
tous les Elémens , puis qu'il ha.
bite dans trois regions diférentes,
·
du Mercure Galant.
33
& que le Feu , l'Eau & la Terre
demeurent toûjours où Dieu les
a placez . Il devoit ce me femble ,
avoir quatre Régions , afin de
partager les quatres Saifons de
l'année . Ileft chaud dans la haute
région proche du Feu élémentaire
. I eft plus fraichement dans
Ja moyenne , & d'une maniere
plus temperée dans la baffe , puis
que cette Région eft tantoft
chaude , & tantoft froide. Pline
qui connoiffoit cet Elément , &
qui peut eftre en avoit reçeu
quelque incommodité , dit qu'il
eft caufe de tous les malheurs qui
arrivent aux Hommes , & le
compare à un Sujet rebelle qui
fait fans ceffe la guerre à la Nature
. Les Vents qui font les
Soldats de l'Air , font tous les
36
Extraordinaire
ravages qu'il leur commande , &
ne fe retirent jamais de la meflée
fans eftre chargez de butin.
Toute la Compagnie ne pút
s'empefcher de rire de ce qu'avoir
dit le Chevalier ; mais l'Abbé
prit la parole , & s'adreffant au
Docteur d'un air plus férieux,
Mais noftre ame n'eft - elle point
de la nature de l'air , puis que
felon la penſée d'un Ancien , l'air
& l'efprit ne font qu'une mefine
chofe ? Pour moy je croy que
noftre ame eft un air tres fubtil,
& foit qu'elle anime nos corps,
ou qu'elle s'en fépare , elle en a
toute la reffemblance autant
qu'elle peut eftre viſible. Lors
que je la confidere comme fenfitive
ou animale , ou comme immortelle
, je n'en puis avoir naAu
Mercure Galant.
37
turellement d'autre idée . Diogenes
eftoit de voſtre ſentiment,
répondit le Docteur ; & Héraclite
& les Stoïciens eftoient en.
core de cette opinion. Ils vouloient
que noftre ame fuft une
évaporation d'humeurs inceffamment
coulantes , ou un vent.
L'efprit des Infectes , difent les
Chymiftes , eft la plus pure por
tion de l'air , & cette pure portion
de l'air eft le lien qui unit
l'ame avec le corps. L'ame des
Vegétaux eft auffi aërienne , &
c'est pourquoy le corps qu'elle
anime veut toujours s'élever en
l'air. La fainte Ecriture expri
mant de quelle maniere le pre
mier Homme fut animé , dit que
Dieu luy foufla dans le corps un
eſprit de vie. Or qu'eſt- ce qu'une
38
Extraordinaire
evaporation , qu'un vent , qu'un
foufle , finon l'air que nous ref
pirons , ou quelque chofe qui luy
reffemble ? Mais vous fçavez que
M'l'Evefque de Meaux , dans ce
beau Difcours qu'il a fait fur
l'Hiftoire Univerſelle , nous défend
de croire que noftre ame
foit un air fubtil , ny une vapeur
déliée ; parce que le foufle que
Dieu infpire , & qui porte en luymefme
fon image , n'eft ny air
ny vapeur. Je fçay cela , dit
l'Abbé , & d'autres Docteurs me
l'ont appris , mais nous ne parlerons
pas icy fur les Bancs . Quoy
qu'il en foit , reprit le Docteur,
l'air contribue non feulement à
toutes les belles qualitez du
corps & de l'efprit ; il infpire &
regle tous les mouvemens de l'adu
Mercure Galant.
39
me , ce qu'il eft facile de faire
voir , fi nous le confiderons.com.
me température .
L'éloquent Evefque que je
viens de citer , dit que les Elemens
furent alterez par le deluge,
& que l'air chargé d'une humi
dité exceffive , fortifia les principes
de cette corruption ; & ily a
bien de l'apparence que la Nature
fe fentit la premiere de la
corruption des Hommes , qu'elle
fut affoiblie , & qu'il demeura en
elle- mefme une impreffion éternelle
de la vangeance Divine.
Mais enfin , pour que l'air foit fa
lubre , il faut qu'il foit temperé,
ny trop groffier , ny trop fubtil.
Ainfi l'on dit une bonne température
d'air , une bonne contitution
d'air. Sa fubtilité ne
40 Extraordinaire
tait pas fa bonté , il eft auffi dana
gereux trop fubtil , que trop grof
Ler. C'est pourquoy dans la fupérieure
Region , où il eft dans
fa plus grande fubtilité , nous n'y
pourrions pas vivre. Cette fubti
lité rend fes parties trop aiguës,
& trop penétrantes ; & les lieux
trop élevez font contraires aux
poitrines foibles , & délicates. Un
Voyageur nous affure , qu'allant
voirun Hermite fur le Mont Ararath
, dans l'Arménie , il monta
jufques à la Region de l'air, où fe
forment les nuages ; que la plufpart
de ces nuages eftoient obfcurs
& épais , les autres extrémement
froids & pleins de neige,
& qu'il y fût mort , s'il y eût demeuré
encore un quart d'heure.
Lors que l'air eft trop groffier ,
du Mercure Galant.
fes parties trop épaiffes & trop
maſſives engraiſſent & tuënt la
poitrine , & les parties où elles
s'attachent par le moyen de la
refpiration. Il faut donc laiffer
l'air groffier aux Pituiteux , & le
fubtil aux Mélancoliques . Pour
moy , dit le Chevalier , j'aime à
reſpirer le grand air. Outre que
je m'en porte mieux , il me rend
F'efprit plus gay & plus agreable ;
il me donne mefme des penſées
plus nobles & plus relevées , & je
Vous affure que j'y trouve quel--
que chofe de divin & de ſurna.
turel , que je reifens viſiblement
en moy - mefme . Vous eftes du
naturel des Arbres , interrompir
le Préfident , qui aiment beau
coup l'air , ou plûtôt comme ces
Peuples de Siam qui l'adorent, &
2. d'Octobre 1683. D
•42
Extraordinaire
qui n'ont point d'autre tombeau
apres leur mort ,,
que
d'eftre
fuf
pendus
en l'air. Mais
je fuis bien
aife
que
vous
foyez
reconcilié
avec
cet Elément
, depuis
tantôt
.
Il ne s'agir
plus
de nôtre
querelle
,
reprit
le Chevalier
. Je l'aime
quand
il me fait
du bien
, mais
je ne fuis point
Aëriſte
, & je ne
Louhaite
pas que
mes
funérailles
fe faffent
en l'air . Je n'aime
pas
non
plus
ces airs voraces
, qui ren
dent
les Peuples
faméliques
, &
qui
tuënt
la poitrine
, comme
nous
a dit M' le Docteur
, mais
un air comme
celuy
de l'Egypte
,
qui infpire
la fobrieté
& l'abftinence
. Les
Hermites
de l'ancienne
Thebaide
eftoient
de vô.
tre gouft
, dit l'Abbé
, ils avoient
choify
exprés
ce lieu -là pour
leur
du Mercure Galant.
43
1
-
retraite ; auffi eſt- cè un vray païs
d'Hermites. Je vous avouë ma
foibleffe , reprit le Chevalier , ce
n'eft point par le meſme efprit
quej'aime le grand air ; mais c'eft
que je fuis tout différent de moymefme
dans les lieux bas ., obfcurs
&
defagreables ; au lieu que
les belles vûes , les belles Maifons
, les belles Perfonnes , me
charment , & me donnent une
nouvelle vie. Toutes ces chofes
nous infpirent je ne fçay quel air
doux & tendre , qui nous rend de
belle humeur , & de bonne compagnie.
Je ne puis refpirer l'air de ces riches
Plaines ,
Qu'échauffent les Zéphirs , de leurs
tiédes baleines ;
Je ne puis de ces Prez voir l'émail
précieux ,
44
Extraordinaire
Ou tant de vives fleurs éblouiffent
Les yeux i
Entendre de ces caux l'agreable mur.
mure ,
·Contempler de ces Bois la verte chevelure
,
Que je ne fois touché de quelque
fainte horreur,
Et ne fente les traits d'une fainte
furcur.
Cela m'arrive dans tous les
beaux Lieux dont parle ce Poëte,
& principalement en celuy - cy ,
où il me femble que ma vûë s'ë.
chauffe , où vôtre vûë , qui eft
proprement vôtre air , m'anime
& me donne plus d'efprit que je
n'en ay d'ordinaire. Qu'est - ce
qu'un beau jour , pourſuivit - il,
qu'une continuation d'air, que le
Soleil dore & purifie , qui fait
du Mercure Galant. 45
naître & anime toutes choſes ?
Qu'eft.ce auffi qu'une fale journée
, qu'une continuation d'air
corrompu , pareil à ce vilain
brouillard dont parle Ovide dans
fes Metamorphofes , qui eft l'origine
de la pefte , & des maladies
contagieufes ,
PrincipioCalum fpißä caligine terras
Preffit.
Qu'eft ce, dis-je, qu'unejournée
trifte & pluvieufe , finon un
air épais & fumeux , qui veut fuffoquer
toute la Nature , & qui la
rend afinatique , & fans refpiration
, fi j'ofe parler de la forte devant
un Docteur , qui veut qu'on
foit ferieux jufque dans les plus
petites chofes , quand il s'agit de
Philofophie Apres qu'on eut
applaudy d'une maniere un peu
46
Extraordinaire
railleufe à ce que le Chevalier ve
noit de dire , le Docteur repris
ainfi .
Chaque lieu a fon air , qui a
fes proprietez différentes , &
quelquefois merveilleufes. Juvenal
dit que dans une certaine
Contrée de l'Espagne , l'air y
teint naturellement la laine des
Brebis d'une tres belle couleur
, & qui eftoit fort estimée
chez les Romains . Les Peuples
qui habitent divers Climats , ont .
auffi diverfes qualitez . Icy l'air
rend les Hommes triftes & melancoliques
, là gays & éveillez ;
icy fobres , là gourmans , icy lâches
, & ' à genéreux ; icy chaftes,
là débanchez. On attribue le
long âge des Suédois à la pureté
de l'air qu'ils refpirent dans les
du Mercure Galant.
47
Montagnes dont ce Royaume eft
remply. Il y a auffi des Lieux ,
comme Aiguemorte en Languedoc
, où l'on ne vieillit guere , à
caufe de l'intempérie de l'air.
Mais bien plus , ceux qui en ref-
#pirent un autre que le natal,
prennent les moeurs & les complexions
desPeuples avec lesquels
ils habitent. Il eft vray , dit le
EMarquis, & Voiture écrit galamment
à Mademoiſelle Paulet , en
parlant de l'Affrique, où il eftoit,
Ne vous étonnez pas de m'ouir dire
des Galanteries fi ouvertement , l'air
de ce Pais m'a déja donné je ne
Seay quoy de felon , qui fait queje
Vous crains moins ; & quand je
traiteray deformais avec vous , fai-
Les état que c'est de Turc à More.
Vous fçavez , continüe- t- il , que
48
Extraordinaire
l'Afrique eft le Pais de l'Amour , des
emportemens & des violentes paffions
; ainfi il rend les Gensfélons,
amoureux & emportez.
Vous eftes toûjours galant,
M' le Marquis , reprit le Docteur,
mais l'Autheur de la Recherche
de la Verité eft affez de vôtre
fentiment. Il prétend que l'air
fait le mefme effet en nous , que
le fuc des viandes dont nous tirons
notre nourriture . Or chacunfçit
les incommoditez qu'on
reçoit des méchantes viandes que
l'on prend , & combien elles alté
rent le tempérament & la fanté.
Mais cet Autheur va encore plus
loin . Il dit que l'air penétre les
poulmons , & s'infinue dans le
fang , ce qui aporte un tres- grand
changement à nos humeurs & à
nos
du Mercure Galant.
49
de la difnos
inclinations , & que
férence de l'air qu'on refpire en
différens Climats , vient la diffé
rence des efprits . Là où il eft groffier,
gras & pefant, les Hommes y
font plus mous , plus ftupides , &
plus mélancoliques , là où il eſt
pur, fubtil & délié , les Hommes
y font plus enjoüez , plus fpirituels
, & plus agiles. Mais, interrompit
le Préfident , ne peut-on
pas dire que comme il y a quatre
Elémens , qui composent le tempérament
de tous les Hommes ,
il y a auffi quatre fortes d'Efprits , il-y
par raport à ces quatre Elémens ,
les Ignez , les Aériens , les Aquatiques
, & les Terreftres , qui font
encore divifez chacun en deux
ordres. Il y a ceux qui font animez
du feu qui fait briller les
2. d'Octobre 1683. E
So
Extraordinaire
Aftres , ils font courageux , harë
dis , habiles , aimables & bienfaifans
; & ceux qui brûlent du feu
qui embrafe les Cométes , font
malicieux , ambitieux , & cruels.
Il y a ceux qui reffemblent aux
caux pures & claires des Fontaines
, ils font nets , doux & paifi.
bles , les autres , comme ces eaux
croupiffantes & fangeufes des
Marais , font lents , pareffeux,
fales , malicieux & couverts . Les
Terreftres font quelquefois comme
ces belles Plaines fleuries &
tapiffées de verdure , ils font feconds
, agreables , fermes & folides
; les autres qui font plus fouterrains
, font avares , opiniâtres,
impudens , & brûlans. Et pour
1: s Aérins dont vous avez parlé,
les uns font affables , complaifans,
!
du Mercure Galant.
5%
inventifs , agiffans , & de belle
humeur , & de ce genre font les
Perfonnes de Cour, les honneftes
Gens , les jolies Femmes , enfin
les Gens de qualité , d'honneur,
& tous ceux qui compofent ce
qu'on appelle le beau Monde , &
qui font propres à la Converfa.
tion ; ceux- là avec raifon font du
grand air , & font tout de bon
air . Mais ceux qui dégenérent
font grands mangeurs , grands
rieurs , vains flatteurs & diffolus,
pour les autres ; femblables à Pair
agité , à cet air obfcur & nuageux
, qui produit les orages &
les tempeftes , ils font coléres,
ombrageux , impatiens , incon
ftans & brouillons . Ce que vous
venez de dire eft parfaitement
beau,répondit le Docteur, j'ay lu
E ij
32
Extraordinaire
quelque chofe de femblable ; mais
le tour que vous y avez donné
mele fait paroître tout nouveau.
Je fçay peu de Gens qui fe fervent
de leur lecture auffi bien que
vous. Mon Dieu , M` le Docteur,
reprit le Préfident , ne me loüez
pas tant d'un peu de memoire, qui
pour le petit fervice qu'elle me
rend aujourd'huy, me fait tous les
jours mille fupercheries . Le Doc.
teur, pour ne pas pouffer plus loin
le Compliment , reprit ainfi la
parole.
La diverfité de l'air fait la diverfité
des maladies , & on peut
voir là- deffus le Livre qu'Hyppocrate
en a fait. L'air eft quel
quefois fi corrompu , qu'il fait
mourir les Créatures qui le refpirent.
Il y a des Régions où les
du Mercure Galant.
$3
animaux mefme ne peuvent vivre
, & il n'arrive jamais de gran .
des peftes, qu'il n'en meure bean .
coup dans les lieux où eft la contagion.
Perfonne n'ignore fur ce
fujet la délicateffe des Aeurs , &
fur tout des Oeillets, qui meurent
au méchant air. Mais peut- cftre
ne fçavez- vous point , que les
Peuples du Japon font fi prévenus
que l'air eft mal fain , & contraire
à l'Homme , qu'ils ne fouf.
frent pas que leur Dairo ou Empereur
foir jamais découvert à
l'air. Mais bien plus , il y a des
Hommes fidélicats, qu'ils diftinguent
l'air d'une mefine rüe , &
qu'ils affurent que celuy de la
main droite eft plus pur que celuy
de la main gauche , & qui féparent
ainsi l'air en marchant , avec
E iij
34
Extraordinaire
une grande fubtilité . Cette re.
marque eftoit digne de moy , interrompit
le Chevalier ; mais je
veux vous dire quelque chofe de
plus veritable & de plus folide ,
touchant la corruption de l'air.
Vous avez lû les Mémoires de
Pontis , cependant je croy que
vous ne ferez pas fâchez que je
vous faffe reffouvenir d'un accident
fort remarquable
, que raporte
cet Autheur. Il dit qu'apres
qu'on eut levé le fiege de Louvain
, l'Armée cft : nt allée pour
fe rafraîchir vers Ruremonde , it
s'y éleva une fi furicufe tempefte,
avec de fi grands tourbillons, que
comme ce Païs eft extrémement
fablonneux , on n'y refpira pendant
plufieurs jours que du fable
au lieu d'air. Cinq ou fix mille
du Mercure Galant.
S$
Hommes en furent étouffez fubi.
tement , ou moururent -en trespeu
de temps , par I.s maladies
que leur caufoit cette grande corruption.
Non feulement l'air
qu'on refpiroit par le nez , mais
celuy qu'on avaloit avec les viandes
, qui en eftoient toûjours fort.
affaifonnées , formoit une espece
de contagion , qui gâtoit les par
-ties de ceux qui en eftoient attaquez
, il falut que l'air natal chaffât
cet air malin , & redonnât aux
Troupes la fanté qu'il leur avoit
fi étrangement alterée.
Le changement d'air fait de
grands effets , reprit le Docteur,
mais s'il a fes avantages , il a auffi
fes incommoditez . A moins
que
la maladie qu'on a contractée , ne
vienne principalement de l'air où
E iiij
56 Extraordinaire
l'on eft , le changement n'y fait
rien de bien , & fouvent du mal ,
lors qu'il eft une qualité oppoſée
ouà la maladie ou au tépérament
du Malade. Mais il eft admirable
que l'air , qui vivifie toutes les
Créatures , les empoifonne , ou
par fa qualité naturelle , ou par la
malice des Hommes , qui ont
trouvé l'invention de le corrompre,
auffi -bien que les autres Elemens.
Mais enfin , il eft toûjours
bon d'éviter le méchant air , puis
qu'on en attire beaucoup plus
qu'on n'en pouffe , & que prefque
tout l'air qu'on refpire , paffe
&fe convertit en nourriture . L'air
de la Campagne eft auffi plus
pur & plus fain que celuy des Villes
, car outre toutes les vapeurs
des ordures & des immondices,
du Mercure Galant .
59م و
I
5
les Morts qu'on y enterre , y rendent
l'air gras , épais & corrompu
; ce qui caufe de grandes & de
fâcheufes maladies ' , qui fait les
perfonnes languiflantes & de pâle
couleur . Platon qui en connoiffoit
les accidens , veut par fes
Loix que les Cimetieres feient
fituez en forte que les Vivans ne
puiffent eftre incommodez du
mauvais air des Morts . Les Grecs
& les Egyptiens eftoient fort délicats
en cela , ayant des Ifles
éloignées & defertes , où ils faifoient
porter les corps des défunts
. Pour moy , dit le Marquis ,
j'aurois voulu fur tout demeurer
dans l'ifle de Delos , où il eftoit
défendu d'accoucher, & d'enterrer
les Morts . Ce lieu eftoit fans
doute bien agreable & bien fain,
58
Extraordinaire
car l'un ne contribue pas moins
que l'autre à l'infection de l'air.
Vous avez raifon , dit le Docteur,
& ceux deDelos obfervérét cette
loy depuis une furieufe pefte dont
ils furent affligez , qui ne procédoit
que de la puanteur des tombeaux
Les Romains défendoient
de brûler les morts dansla ville , &
Augufte ordonna que ce fût pour
le moins deux milles loin des mu
railles . On remarque meſme dans
l'antiquité , qu'il n'y a eu que les
Tarentins qui ayent enterré les
Morts dans leur Ville , apres que
l'Oracle leur ayant promis beaucoup
d'heureux fuccés , s'ils de.
meuroient avec le plus grand
nombre , ils crûrent que cela devoit
s'entendre des Morts. Mais
la Religion Chrétienne , qui prêdu
Mercure Galant. 59
che la mort & les fouffrances , n'a
pas eu ces égards pour les Fidel .
les ; à joindre que les Prieres pour
les Morts , & la venération pour
leurs Reliques , ont authorifé
cette coutume. Les Corps des
Saints ne fçauroient eftre trop
e prés de nous ; & les autres , dont
les Ames ont besoin de nos fe.
cours fpirituels , feroient peuteftre
negligez , fi les tombeaux
ne nous faifoient reſſouvenir de
leurs neceffitez . Et de plus , dit
le Préfident , les Corps Saints
font tous de bonne odeur , & ils
exhalent quelquefois une douce
vapeur , qui furpaffe les parfums
les plus exquis . Ileft vray , dit le
Chevalier, plufieurs Autheurs en
ont raporté témoignage ; mais
le nombre de ces Corps eft petit,
60 Extraordinaire
& pour un Saint combien de....
Tout beau , dit le Docteur , retirons-
nous de là , cet air nous
feroit contraire , prenons - le autre
part. Vous avez raiſon , dit
l'Abbé , je n'aime pas volontiers
à m'entretenir de Religion , dans
des converfations un peu familieres
, & auffi libres que le font les
nôtres.
Le grand air eft perilleux pour
les convalefcens qui fortent d'un
petit air , ou d'un air renfermé ;
ce n'eft pas qu'un air trop tranquille
eft auffi mal fain , parce
qu'il peut plus aisément fe charger
& s'alterer , que celuy qui eft
agité. C'est pourquoy on dit
l'air pour eftre bon , doit eftre
tantôt mû par le Zéphir qui le
rafraîchit , & tantôt comprimé
que
du Mercure Galant.
par l'Aquilon , qui le purge . L'air
de la Mer guérit de plufieurs maladies
, mais il en donne plufieurs
autres à ceux mefme qui y font
naturalifez ; & on affure que cet
air eft fi corrofif, que les Oiſeaux
qui fréquentent la Mer , ont le
plumage prefque tout rouge.
Mais l'air temperé & purifié d'une
certaine maniere , conferve la
fanté , & la redonne à ceux qui
l'ont perdue. Il prolonge la vie,
& fert mefme de nouriture à quel.
ques Oifeaux ,dit le Préfident . Les
Aftchomes qui font une espéce
d'Hommes , qui n'ont point de
bouche , fe nourriffent de bonnes
odeurs , comme ils meurent s'ils
en fentent de mauvaiſes . Le Caméleon
& les Pluviers vivent
d'air , & il ne faut pas s'en éton62
Extraordinaire
ner , puis que la vie ne confifte
qu'en ces deux qualité de l'air,
qui font le chaud & l'humide.
Si le feu nourrit la Salamandre,
pourquoy l'air qui a des qualitez
bien plus nutritives , ne peut - il
pas nourrir des Oifeaux , à moins
qu'on ne veüille dégraiffer l'air,
& en féparer la rofee , qui n'eft
pas moins une fubftance de cet
Elément , que des vapeurs de la
terre. Ce que vous venez de dire
eft bien imaginé , repartit le Doc
teur ; mais puifque les Pluviers &
les oifeaux deParadis vivent d'air ,
c'est encore une des crédulitez de
Pline . L'air eft bien l'élément des
Oiſeaux, & le lieu qu'ils habitent,
mais il ne peut pas nourir un corps
folide d'une viande fi creufe .
Si on ne trouve point d'alimens
du Mercure Galant
C
E groffiers dans l'eftomac de ces
Qifeaux , c'eft qu'ils la digérent
promptement , qu'ils mangent
peu , & des chofes fort delicates.
Le Caméleon vit de vermine;
mais comme il aime extraordinai.
rement le grand jour , & qu'il devore
le bel air , comme l'on dit,
cela fait croire qu'il vit par la ver
tu de cet Elément . Mais vous fçavez
, reprit le Préfident , combien
l'air que les Enfans foufflent,
& les Perfonnes qui font bien
compofées , eft doux & falubre.
Il en fort un fi grand nombre d'ef
prits , qu'ils communiquent
une
nouvelle
e à ceux qui le refpirent
; & c'est la raifon pourquoy
on a dit que ceux qui enfeignent,
& qui paffent leur vie avec la Jeunede,
vivent plus long- temps que
64
Extraordinaire
les autres , & ont la couleur beaucoup
meilleure. Il en eft au contraire
de ceux qui fréquentent
des Perfonnes mal faines , & qui
ont les parties gâtées, parce qu'el
les communiquent leurs indifpofirions
& leurs maladies. On ne
trouva point de meilleur expédient
pour éloigner le Cardinal
Pancirole d'aupres le Pape Innocent
X. qu'en gagnant fon Medecin
, qui affura fa Sainteté que
ce Cardinal eftoit pulmonique,
& que fon haleine eftoit dange .
reufe & nuifible à fa fanté , par les
fréquens entretiens qu'ils avoient
enfemble .
Le Loup a l'haleine fi mauvaife
, qu'on a raifon d'appeller cet
animal un cloaque animé , mais
la malignité de fon haleine eſt ſi
du Mercure Galant.
65
1
fubtile & fi penétrante , qu'il n'y
a point de chair qu'elle ne corrompe.
Cette Fille dont parle
Galien, qui vivoit de napel , avoit
P'haleine bien pernicieufe , interrompit
le Chevalier , puis qu'elle
faifoit mourir ceux qui l'apro .
choient. Cette autre que cite Albert
le Grand , qui vivoit d'Aragnées
, ne l'avoit pas meilleure,
dit le Marquis ; mais que dirons.
nous de ces haleines excellentes,
dont l'air eft fi doux & agréable ,
continua- t-il? Je me fouviens toûjours
de cette délicate expreffion
du Comte de Buffy parlant d'une
Belle, L'air qu'elle fouffle eft plus
pur que celui qu'elle refpire . Quel
avantage , quel charme pour moy
qui n'aime rien tất, qu'on ne ſente
rien!Mais comme il y en a qui ont
Q. d Octobre 1683.
F
66 Extraordinaire
la fueur parfumée , pour ainfi dire,
' il y en a auffi qui ont la refpiration
admirable , & qui reſſem.
blent aux Abeilles , tout ce qu'el
les mangent & qu'elles prennent
fe convertit en miel , & enfucre,
Mixtura quadam & proprietate fpiritus
fui, & quafi conditura fui.
Elles forment de l'ambrofie &
du nectar dans leurs entrailles , &
de là vient la bonté & la douceur
de leur baleine . Tel eftoit Alexandre
le Grand , dit le Préfident
; mais comme il y a peu de
Perfonnes de cette nature, & qui
ayent toutes les qualitez du tempérament
adpondus , comme parlent
les Medecins , il n'y a point
de choſes au monde où l'on puiffe
s'apliquer plus utilement dans un
Etat , qu'à empêcher la corrup
du Mercure Galant. 67
tion de l'air , ſoit qu'elle vienne
par la méchante haleine des Malades
, par l'infection des immondices
& des ordures qu'on laiffe
amaſſer dans les Villes , ou par
l'inclémence des faifons . On a
donc eu raiſon autrefois de féparer
les Ladres d'avec les autres,
& encore aujourd'huy d'interdire
l'entrée des Villes à ceux qui
viennent des Lieux foupçonnez.
de la pefte , ou de quelque autre
maladie contagieufe , comme la
petite vérole , & tant d'autres
maladies qui fe communiquent
par la corruption de l'air.
Comme le Préfident fait bâtir
à la Campagne , il n'oublia pas à
demander plufieurs avispour rendre
une Maiſon auffi faine qu'agreable
, & là - deffus le Docteur
Fij
68 Extraordinaire
auquel la Compagnie avoit toû
jours deferé , parla de la forte.
Ce n'eft pas d'aujourd'huy
qu'on a de la peine à bien s'habi
tuer. Les Anciens avoient diffé
rentes opinions fur ce fujet . Ils difoient
qu'il ne falloit point choifir
les lieux trop gras , trop bas
& trop humides , parce qu'ils
eftoient mal fains . Ils ajoûtoient
qu'on ne connoiffoit pas toujours
la bonté de l'air d'un Païs , par la
couleur & la bonne difpofition
des Habitans , parce qu'il y en a
qui fe portent bien dans l'air mê .
me de la pefte. Il y a encore des
lieux qui ne font fains qu'en de
certaines faifons de l'année, & qui
font dangereux dans d'autres.
Mais afin qu'un lieu foit jugé
fain, il faut pour le moins en avoir
du Mercure Galant.
79
J
Pexpérience une année entiere.
Les Maifons expofées au Midy,
dans les Païs chauds , font mal
faines , on y devient bilicux &
languiflans , & fujets à des fiévres
tres aigües . Dans les Païs froids,
lesMailons qui font tournées vers
le Septentrion , rendent ceux qui
les habitent fujets aux fluxions &
paralifies. Les Maifons qui regardant
l'Occident , dans les Païs
humides , caufent des foiblefles
d'eftomac & des ulcéres. Les
Maifons qui font placées du côté
de l'Orient , dans les Païs fecs,
rendent les jointures débiles , con
denfent les humeurs , &
> engendrent
de grandes obftructions.
Et où bâtirons.nous donc , s'écria
le Chevalier , puis que dans tous
les cantons du Monde il n'y a que
"
70
Extraordinaire
と
maladies , & pas un lieu qui foit
fain La terre ? eft donc inhabitable.
Non pas , M' le Chevalier,
reprit le Docteur , chaque Païs a
fon terroir , fes eaux , fes afpects
& fes vents , qui luy font ou nui
fibles ou falutaires , il ne faut que
les bien choisir , & alors il n'y a
point de lieu qui ne puiffe eftre
fain , au moins pour les naturels
du Païs , & il n'y a que les Voyageurs
, qui en puiffent recevoir
quelques incommoditez.
Pline qui a écrit fort au long
fur la maniere de bâtir les Maifons
de Campagne , pour les rendrefaines
& logeables , dit que fi le
Climat eft chaud , l'ouverture
doit regarder le Nort ; s'il eft
froid, elle doit regarder le Midy,
& s'il eft temperé, elle doit regar
du Mercure Galant. 71
[
1
der le Levant. Cela eft bon , interrompit
l'Abbé , mais je vou .
drois fçavoir s'il eft neceffaire
pour avoir le bon air , de percer
un Bâtiment par quantité de hau
tes & pleines croifées , comme on
fait aujourdhuy , ou de l'ouvrir
feulement par des feneftres médiocres
, comme on faifoit autrefois.
Ileft aifé de remarquer par
tous les vieux Châteeux , tant dehors
que das le Royaume, que nos
Peres n'aimoient pas le grand air
pour leursMaifons . Tous les vieux
Bâtimens font placez de biais, ou
accompagnez aux coſtez de tourelles,
qui couvrent les jours, afin
de rompre le vent , & de fendre
l'air , qu'ils croyoient nuifible à
la fanté , ſe perfuadant de vivre
plus long -temps , en fe tenans
$2
Extraordinaire
ainfi renfermez ; eftant bien contraires
aux Poiffons , qui aiment
à changer d'air , & qui montrent
fouvent la tefte au deffus de l'eau ,
& meurent fous la glace , fi on n'a
foin de la fendre en Hyver , afin
de leur conferver la vie. Mais
nos Peres difoient que les Maifons
cftoient faites pour fe mettre à
couvert des injures de l'air , &
non pas pour le recevoir par de
grandes ouvertures , que nous
avons inventées pour fatisfaire au
plaifir , & à la vanité . J'ay vû un
Homme plus vieux que fon fiecle
, qui durant les trois mois fâcheux
de l'Hyver ne fort point,
neveut ny voir ny fentir l'air , qu'il
refpire feulement par un petit
jour qui eft au.deffus de la porte
de fa Chambre , foutenant que le
trop
du Mercure Galant.
73
C
trop grand jour tüe. Elifabeth
Reyne d'Angleterre , en allant
voir le Chancelier Bacon , dans
un Château qu'il avoit nouvellement
fait bâtir , & percer de toutes
parts par de belles & grandes
croifées, elle luy demanda où l'on
s'y mettroit l'Hyver , voulant
luy marquer par là , que le trop
d'air n'eft pas toûjours bon ny
commode , & que les feneftres
médiocres font meilleures. Cela
dépend des Climats, & de la coutume
des Peuples , dit le Docteur.
En Angleterre toutes les fenêtres
font fort petites , mefme dans les
Maiſons de plaifance des Princes ,
auffi bien que des Particuliers ,
qui n'ont que des ouvertures
quarrées , fans corniches ; & à
Douvres , il n'y a que quelques
Q. d'Octobre 1683. G
-
74
Extraordinaire
il
vires pourtoutes fenêtres, qu'on
ouvre pour donner de l'air. Les
Maifons de Picardie font prefque
fans feneftres , ou du moins elles
font fipetites, que ces Maifons ne
reffemblent proprement qu'à des
lafnieres. Mais comme les Maifons
fermées & ombragées font
plus froides & plus mal faines,
parce que le Soleil n'y entre pas ,
& quel'air y eft plus humide ,
fait plus froid dans les Villes qu'à
la Campagne. Enfin , outre le
bon air qu'il faut obferver pour
rendre les Maiſons faines & bien
fituées , il ya encore le bel air, &
la maniere de bien bâtir , qui les
rend agreables & commodes ; &
c'eft de ce bel air, priscommemo.
de ou maniere , dont il nous refte
parler , mais je croy que ce que
du Mercure Galant. 75
nousen avons déja dit à l'entrée
de cette Converfation, doit fuffire
, renvoyant les Curieux au
beau Difcours que Mr le Chevalier
a fait de l'air du monde , &
de la veritable policeffe . Cela
s'appelle , interrompit le Chevalier
, renvoyer les Curieux au
Dialogue de la Bonne - Grace d'un de
nos vieux Poëtes. Pardonnezmoy
, Mr le Chevalier , reprit le
Docteur, nous fçavons la différence
qu'il y a entre l'illuftre Autheur
du Mercure Galant , &
Autheur des Apprehenfions Spirituelles.
Le premier n'expoſe rien
au Public , qui ne foit digne de
fon approbation , & de l'eſtine
qu'il s'eft acquife . On ne peut
rien auffi ajoûter à ce que vous
avez dit fur cette matiere , mais
Gij
·75 Extraordinaire
il me femble que c'eit affez battre
l'air, & fi M' l'Abbé le trouve
bon , nous irons prendre l'air de
cette foirée, qui eft fort agreable.
L'Abbé eftant dans le mefme
fentiment , toute la Compagnie
fe leva , & fortit pour aller à la
promenade .
Je croy auffi , Madame , qu'il
eft temps de finir , & de vous retirer
d'une fi longue lecture , pour
Jaquelle j'aurois mille excufes à
vous faire , fi je ne fçavois que
tout ce que je vous écris de cette
illuftre Compagnie, ne vous peut
eftre ennuyeux. C'eft donc avec
cette affurance , & en qualité de
leur fidelle Secretaire , que je
prens la qualité de vôtre , &c.
DE LA FEVRERIE.
ACADEMIQUE,
Dans laquelle il eſt traité des ,
bonnes , & des mauvaiſes
litez de l'Air.
qua.
AMadame la Comteſſe de C. R. C.
V
Ous m'avez témoigné,
Madame , que l'Entretien
Académique , dont je vous fis
part au mois d'Avril de l'année
1680 , ne vous avoit point déplû,
& vous m'avez mefme demandé
tant de fois des nouvelles de cet
illuftre Abbé , chez qui l'on parla
du fommeil de l'aprefaînée, que
je crois encore vous faire plaifir
7
A ij
4
Extraordinaire
en vous apprenant fon retour,
& ce qui s'eft dit dans une autre
Converfation , où je me ſuis auffi
heureufement trouvé que la premiere
fois. Il y avoit longtemps
que nous n'avions veu cet Abbé
dans la Province ; mais quoy
qu'il foit infirme , il ne laiffe pas
d'entreprendre des Voyages pénibles
pour le fervice du Roy, &
de fes Amis , & d'agir comme s'il
fe partoit bien. Je vous avoue
que fa patience eft merveill‹ uſe;
mais en pratiquant cette excellente
vertu , il croit arriver à
toutes les autres. Pour vous,
Madame , qui ne pouvez foufrir
de retardement à tout ce que
vous fouhaitez , je m'imagine
déja que vous eftes impatiente
de fçavoir fur quoy a roulé noſtre
Entretien.
du Mercure Galant.
S
Je vous diray donc qu'eſtanc
alle voir cet illuftre Abbé , je le
trouvay avec la Troupe choisie,
qui ne l'abandonne pas quand il
eft en ce Païs , & un Confeiller
qui fortit quelque temps apres
que je fus arrivé. Comme ce
Confeiller eft d'une grande pref
tance , cet Homme , dit M' le
Marquis , a l'air d'un veritable
Magiftrat. Oüy , repliqua l'Abbé
, c'eft un Juge fort entendu
dans fa Charge , & plein de
courage pour la juftice , & pour
les intérefts de fa Compagnie. Il
porte cela fur fon vifage , dit le
Chevalier , il n'y a qu'à le voir.
On a quelquefois de la peine à
le retenir , tant il a de feu & de
vivacité , ajoûta le Préfident.
Cette chaleur , dit le Docteur,
7
A iij
6 Extraordinaire-
>
eft un effet de fon tempérament,
qui eftant fanguin le rend
violent & prompt. Il eft vray
que nous devons beaucoup à
noftre complexion , dit l'Abbé ;
& fi l'heureuſe naiffance fait les
bonnes moeurs , il est encore
vray , pour en revenir à l'air dont
nous parlions , qu'il contribuë
extrémement à la fortune des
Hommes. Ifabelle , Reyne d'Eſ
pagne , difoit ordinairement que
la bonne mine leur fervoit d'une
Lettre de recommandation affez
ample. En effet , quand une Perfonne
bien faite vient à nous , fon
air nous prévient d'abord en fa faveur
; & le Duc de Guife , parlant
dans fesMémoires de l'Action hé !
roïque qu'il fit à Naples, lors qu'il
appaifa tout feul une troupe de
du Mercure Galant. ブ
Séditieux , ce Prince dit que les
Gens de qualité ont un je ne.
fçay- quoy dans le vifage , qui fait
peur à la Canaille. Jules Céfar
paroiffant devant les Soldats mutinez
, les ärrefta d'une feule parole
; & Augufte étonna les Lé.
gions d'Antoine par fa préſence .
Dans le temps des Guerres deParis
, le Garde des Sceaux Molé,
en fe montrant fur les Degrez
du Palais , defarma & appaifa le
Peuple qui le cherchoit pour
s'en défaire . Ileft donc conſtant
qu'il y a un certain air dans les
Perfonnes , & un certain caractere
fur le vifage , qui nous infpire
de l'eftime , de la crainte , & de
la venération . Comme auffi il
y
a un certain air , & un certain caradere
qui nous cauſe de la dé-
A iiij
& Extraordinaire
fiance , de l'averfion , & du mé.
pris. De - là viennent ces viſages
favorables , ou malencontreux ,
dont la mine . feule femble nous
annoncer d'abord quelque bonheur
, ou quelque malheur à venir.
Tel eftoit Montagne , qui
fur le fimple crédit de fa préfen- .
ce , & de fon air , nous affure que
des Perfonnes qui ne le connoiffoient
pas , fe fioient en luy , foit
pour leurs propres affaires , ou
pour les fiennes , & que mefme
dans les Païs Etrangers , il en
avoit tiré des faveurs rares &
fingulieres. Il fait quelques petits
contes fur le fujet des chofes qui
luy estoient arrivées , qui font
affez remarquables .
L'Abbé ayant ceffé de parler;
ne peut- on pas ajouter à tous
du Mercure Galant .
9
ces Exemples , dit le Marquis ,
la bonne mine du Roy , fa taille,
fon grand air , & ce caractere
plein de majeſté , & de fageffe
qui l'accompagne toujours ?
C'eft par- là qu'il terraffe les Ennemis
, auffibien que par la force
de fes Armes , & qu'il s'attire
les refpects , & l'amour de tous
ceux qui l'envifagent . On a eu
bien raifon de mettre entre les
Fremieres maximes de regner,
qu'il falloit pour remplir dignement
la Royauté , le port , la
taille , & la bonne mine , qui ne
font autre chofe que le bon air
qui charme par des vertus fe.
crettes de l'ame. Car il ne faut
pas s'imaginer que le corps luy
tienne lieu d'une honteufe prifon
, c'eſt un Temple où cette
10 Extraordinaire
petite Divinité fe plaiſt davanta
ge, plus il eft pur & net au dedans,
& beau & magnifique au dehors.
Neantmoins Scaron a dit ,
Souvent un vilain corps loge un
noble courages
Et c'eft un grand menteur fouvent
que le vifage.
Oh, pour Scaron , interrompit
le
Chevalier qui n'avoit poinɛ
encore parlé , & dont j'admirois
le long filence , il n'avoit garde
de s'expliquer autrement. Il ef
toit trop intereffé à défendre le
party de la laideur , & de la di
formité , car il n'avoit pas le
viſage plus beau que le corps,
& chacun fçait comme il eftoit
fait ; mais M' de Corneille a dit
bien plus vray que M' Scaron ,
quand il affure que tout le mon
du Mercure Galant. 11
de veut eftre beau , & bien fait,
Et quefinous eftions artifans de nous
mefmes,
On ne verroitpar tout que des beautez
Suprémes.
Cela dépend de Dieu , & non
pas de nous , dit l'Abbé, Ipfefecit
nos, & non ipfi nos. Il s'eft réſervé à
luy feul , le fecret de la nailfance
des Hommes , & l'a rendu impénétrable
à leur curiofité . Nous
ne fçaurions donc connoiftre
pourquoy celuy.cy a un air qui
plaiſt , & celuy là un air qui rebute
& qui dégoufte ; mais M ' le
Docteur , dites - nous un peu à
le bien prendre , ce que c'eft que
l'air , car les Orateurs, les Poëtes,
& les Philofophes en parlent diverſement.
L'air , répondit ce Docteur,
12 Extraordinaire
peut eftre confideré en trois manieres,
comme Elément , comme
Température , & comme Mode
ou Maniere . Pour moy , je croy
que c'est l'expreffion des autres
Élémens , & du mouvement , de
to s les Corps , qui participe à
toutes leurs bonnes ou mauvaiſes
- qualitez. Ainfi l'on dit , l'air du
temps , l'airdu feu , prendre l'air,
pour dire recevoir cette tranfpiration
des corps dans fa fource,
& dans toute fon , étendue . On
donne ordinairement le nom
'd'air à toute cette Matiere li
quide & tranfparente dans la.
quelle nous vivons , & qui eft ré .
pandue de tous coftez à l'entour
du Globe , compofé de la terre
& de l'eau. En effet , quelques
Philofophes prétendent que les
du Mercure Galant.
13
Cieux font fluides , comme un
grand air vague & fpatieux,
dans lequel les Etoiles & les
Planetes fe promenent comme
les Poiffons dans la Mer , & les
Oifeaux dans les Nuës ; & le
Philofophe de Cour ( car enfin
il faut raifonner à la mode aujourd'huy
) cet Autheur , dis-je,
veut que les Cieux foient fluides,
& de la nature d'un air tres.fub
til , & tres- purifié . Les Anciens
ont auffi confondu les mots de
Ciel , & d'Air , en parlant de la
Partie que nous voyons ; & l'on
dit tous les jours , apres la Sainte
Ecriture , les Oiseaux du Ciel ,
ils volent dans le Ciel , pour dire,
les Oifeaux de l'air , ils volent
dans l'air. En effet , l'air entre
dans la compofition du Ciel , &
14
Extraordinaire
le Ciel femble eftre un air con
denfé. Un Moderne a eu raiſon
de dire , que l'air eft un étrange
& admirable compofé , & que
pour le bien connoiftre , il faudroit
connoiftre auparavant la
nature de tous les Corps qui entrent
dans fa compofition. Comment
donc le concevoir dans
cette fimplicité qui luy eſt neceffaire
pour eftre Elément ? Car
dans la compofition où il fe trouve
prefque toujours , par le mélange
des autres Elemens , & de
tous les Corps qui s'exhalent.
continuellement de la Terre , on
ne peut dire précisément ce que
c'eft . Le Philofophe de Cour,
dénie à l'air le nom & la qualité
d'Elément , & dit que par fa
fubtilité il eft feulement fembla
du Mercure Galant,
ble au premier Elément des Car
réfiens. Quelques autres difent
que c'est une portion de la
Matiere premiere , débrouillée
& purifiée par la Lumiere. La
penſée de cet Ancien eft jolie,
qui difoit que l'Air eftoit la vître.
rie de l'Univers , par où les Crea.
tures voyent tous les Objets
comme dans un Miroir , par la
refléxion de cetteLumiere. C'eft
luy qui conferve les couleurs invifibles
qui peignent tous les
Objets dans nos yeux , quoy qu'il
foit fans couleurs , puis que tous
les Objets tranfmetent leurs efpeces
en luy , ce qu'ils ne pour
roient pas faire s'il avoit quelque
couleur , comme nous voyons
tout rouge , ou tout jaune , dans
un verre qui eft peint de la fort,
16 Extraordinaire
›
Un Philofophe moderne dit que
l'air n'eft pas vifible , parce qu'il
eft trop délié ; mais qu'autant
qu'on le peut voir par la refpiration
, ou par les Arquebules à
vent , il eft de couleur grifatre,
A propos de la couleur de l'Air,
s'écria le Chevalier , en regar.
dant le Marquis , ne vous fouvient-
il point de ce prétendu Sor
cier , qui nous difoit un jour qu'il
avoit veu le Vent , & qu'il eftoit
rouge , jaune , & bleu ? Il eſt
beaucoup de femblables Viſionnaires
, répondit le Marquis , &
je croy qu'il s'en trouve auffi
parmy les Philofophes ; mais
laiffons parler M' le Docteur, car
il a fans doute de belles chofes à
nous dire . Apres un modefte
fous-rire , le Docteur reprit fon.
du Mercure Galant.
17
Difcours de la forte.
Les Philofophes donnent à
l'Air des figures bien diférentes,
& le mettent en tant de postures,
qu'il eft impoffible de le connoiftre
tel qu'il eft en effet. Quel
ques- uns difent
que les goutes
d'eau & de rolée, qui tombent de
l'air eftant rondes , cer Elément
eft de figure ronde , parce que
les parties doivent avoir l'inclination
du tout , mais en verité, je
trouve cette raifon badine , car
hors la Terre , les autres Elémens
qui font toujours dans l'agitation
, & dans le mouvement ,
n'ont point de figures certaines
& naturelles , Encore s'il eft vray
que la Terre tourne, il faut croire
qu'elle en change de temps en
temps puis qu'elle s'éboule , &
Q. d'Octobre 1683. B
18 Extraordinaire
s'écorne ſouvent , comme par
lent ceux qui fuivent cette opi- .
nion . Ainfi on diſpute fort inutilement
, fi la Terre eft ronde,
ou fphérique ; fi le Feu eft ovale,
ou pyramidal ; fi l'Eau eft plate,
ou fphérique , & fi l'Air eft
rond , ou triangulaire. Les Cartéfiens
difent que le fecond Elément
, auquel ils donnent le nom
d'Air , n'eft autre choſe que les
parties de leur Matiere fubtile,
qui pour eftre plus groffieres s'ar
rondiffent fans ceffe , que l'Air
le plus groffier a la proprieté de
fe dilater beaucoup , & qu'il fe
mefle aisément avec la Matiere
fubtile. Quelque autre affure
qu'il eft droit , quand il eft lenr,
c'eft à dire, dans fa gravité , mais
que lors qu'il eft furieux & turdu
Mercure Galant.
19
•
bulent , & fi vous voulez tourbillon
, il eft un peu courbé , &
d'une figure circulaire , mais je
croy qu'il n'a point d'autres figures
que celles du corps qui le
renferme. Quoy que fa couleur
foit inperceptible , comme nous
avons dit,il eft neantmoins tranf
parens , parce que les parties eftant
toûjours en action , laiffent
un grand vuide entre elles , & ce
vuide eft remply des rayons des
Corps lumineux. L'air que nous
refpirons eft vifible , parce que
ce font les fumées du coeur que
l'air extérieur codenſe & épaiffit,
quand il eft froid ; & plus la Perfoune
eft d'une complexion forte
& robufte , & plus elle pouffe
d'air quand elle eſt agirée ,
principalement en Hyver qu'il
Bij
20 Extraordinaire
·
fort de la bouche à gros flocons.
Pour fon odeur, les Philofophes
que j'ay déja citez , affurent
qu'elle eft fouvent mauvaiſe.
Enfin il eft chaud , humide , &
leger ; mais quelques Modernes
prétendent , qu'il eft froid , &
pelant ; & d'autres , qu'il n'eft
froid , ou chaud , que felon les
divers mouvemens qu'il foufre.
Ainsi, lors qu'on dit qu'il peut
devenir feu , on veut dire qu'il
peut s'échaufer jufqu'à ce fupré
me degré de chaleur, Quoy qu'il
nous paroiffe leger , il ne laiffe
pas d'eftre eftimé pefant , jufque.
là que Reid , docte Medecin , a
démontré qu'il ne l'eft pas moins
que la Terre , mais il eſt certain
qu'il eft médiocre en pefanteur,
plus pefant que le Feu , & plus
du Mercure Galant. 21
leger que l'eau . Pour ſa hauteur, -
finous en croyons M' Rohaut,
elle eft de plus de quatre mille
cinq cens quatre - vingts toifes ;
& il tient qu'il n'y a point de
Montagne affez haute
pour nous
élever au deffus de la plus haute
furface de l'Air, ou de la premiere
Région . Je me fouviens pourtant
, interrompit le Préfident,
que M' Bary raporte dans fa Phy
fique, qu'en Angleterre on monte
d'un certain Tertre jufqu'à
une certaine hauteur , où il n'y a
plus d'air , & qu'à moins d'y
porter des Eponges humectées,
on y meurt. Cela fe peut , reprit
le Docteur , & tout ce que
nous diſons icy , n'eſt pas fi pofitif
qu'on ne le puiffe contre.
dire ; mais pour continuer à vous
22 Extraordinaire
parler de cet Element , on ne
peut changer la veritable confiftence.
Il ne reçoit aucun mélange
, & comme tel , l'Air eft
appellé Elément , mais que celuy
que nous fouflons , que nous
refpirons , que nous voyons , &
qui nous environne , ne foit
qu'un mefme air , exempt d'aucun
mélange , cela ne le peut
foûtenir. L'air que nous refpirons
eſt un ſoufle vital , compofé
de noftre ame & du mouvement
de noftre corps . Celuy que
nous reſpirons , & qui nous en
vironne , eft compofé des vapeurs
, & du mouvement des
corps extérieurs qui nous approchent
; & celuy qui tient
lieu d'Elément , eſt une fubftance
extrémement deliée qui fe
du Mercure Galant.
23 1
fourre par tout , & qui remplit
tous les lieux , d'où les corps fe
def uniffent . Mais M' le Docteur
, dit le Marquis , quelle diférence
mettez- vous entre le
Vent , & l'Air pris comme Elément
? Car felon moy , le Vent
eft un Air agité , & l'Air eft un
Venten repos. Tous les Philofophes
modernes définiffent le
Vent une agitation fenfible de
l'Air , & felon M¹ Bary , le Vent
n'eft autre chofe qu'une agitation
d'air , plus ou moins notable.
L'Air eft encore toûjours
le fujet du Vent , & une de fes
caufes efficientes. Enfin il fert
de Théatre à ces merveilleux
Tourbillons . Ceux qui difpofent
des Vents ( car il y en a qui les
retiennent , & qui les lâchent
24
Extraordinaire
quand il leur plaift , ) ceux -là,
dis - je , obfervent les diférentes
qualitez de l'Air ; & je me ſouviens
d'avoir leu dans Théophrafte
, que les Brachmanes
avoient deux Tonneaux remplis
de Vent , qu'ils ne bouchoient
jamais que l'Air ne fuft fec , &.
tranquille , & qu'ils ne débouchoient
que lors qu'il eftoit hu
mide & tempeftueux . Je fçay,
continua le Marquis , qu'on dit
tous les jours , que les Vents
chaffent & purifient l'Air , mais
cela s'entend de ce que les parties
les plus groffieres de l'Air fe
fubtilifent , & fe raréfient par
cette agitation , & voila ces
Vents qu'il a pleu aux Pilotes
de nommer de noms barbares &
inconnus , felon les lieux où cet
Air
du Mercure Galant. 25
Air eft plus ou moins dans l'agitation
. En verité voſtre Philofophie
eft jolie , s'écria le Che
valier en riant , & elle feroit bien
reçeuë de l'Univerfité . Le Philofophe
de Cour ne raifonne pas
plus férieufement que vous fur
cette matiere , & j'aime autant
voftre Air agité , qui eft l'opinion
de Pline , que fon Météore
composé de deux fou
fres diférens & ennemis , que le
froid condenſe fi fort , que le
Météore creve par cette contrarieté
, & fait le grand fracas
que nous entendons .
Mais pourquoy , Mr le Che.
valier, reprit le Marquis, ne voulez
-vous pas que fous le bon plaifir
de M' le Docteur , je parle du
Vent à ua fantaiſie ? Ne fçavez-
Q. d'Octobre 1683. C
26 Extraordinaire
vous pas que c'eſt une des choſes
inconnues dans le monde ? Quelques-
uns en attribuent la pro.
duction au Soleil , les autres , au
combat que font les atomes ;
les autres , aux vapeurs , & aux
exalaifons ; & enfin il y en a d'autres
qui m'ont fait penfer , que
l'Air fe meut de foy - mefme ; car
je ne fuis fi vifionnaire
que
pas
vous le croyez , ny fi ridicule
fur le fujet des Vents , que celuy
qui difoit que c'eftoient les éter.
nuëmens de ce grand Animal
que nous appellons le Monde,
comme l'Air eftoit fon haleine &
fa refpiration . Cette imagination
eftoit bien digne de Rabelais
, qui dit que le Vent eft le
foufle de Gargantua . Dieu en
´eft l'Autheur , au fentiment d'un
du Mercure Galant.
27
Prophete, & il peut auffibien le
former de l'Air , que d'une autre
matiere. Quoy que Pline que
vous venez de citer , reconnoiffe
plufieurs fortes de Vents , comme
les Vents de Mer & de Terre,
tout cela n'est que l'Air , qquuiiaaggiitt
ou fur l'Eau , ou fur la Terre. Cer
Autheur veut encore que le Vent
foit un efprit vital , par lequel la
Nature produit toutes chofes .
Et ce Vent , ou cet Air dont nous
parlons , ne font- ils pas les mefmes
? Si cela eft , répondit le
Chevalier , je ne m'étonne plus
que les Cavales d'Andaloufie engendrent
par le Vent ; car l'Air
ou le Vent , eft un tréfor qui contient
toutes les femences , fi nous
en croyons Anaxagore . Et ne
croi t-ce point par cette raiſon
C ij
28 Extraordinaire
que nous appellons un Cheval
viſte, un Coureur , & que nous
difons , aller comme le vent ?
Car les Chevaux qui naiffent du
vent , & de telles Cavales , font
je m'imagine d'admirables Coureurs
pour leur legereté & leur
viteffe , & pareils aux Chevaux
volans , dont parle noftre Pline;
mais à l'endroit que vous avez
cité , il compare l'agitation du
Vent dans la nature , à une Femme
groffe , & dit que cet efprit
vital, remuë dans fes flancs com.
me un Enfant dans le ventre de
fa Mere . Ne voila- t-il pas une
belle origine des Vents ? Je ne
puis encore m'empeſcher derire,
qu nd il nous dit qu'ils font plus
mols que fermes. Quoy , les
Vents ont de la molete , eux
du Mercure Galant. 29
3
J.
J
1
1
qui font fi refolus qu'ils attaquent
les plus durs Rochers , &
les Baftimens les plus inėbranlables
, qui arrachent les Forefts ,
qui renverfent les Montagnes ?
Non , non. Je croy que leur tempérament
eft froid & fec , ce qui
marque leur force , & leur courage.
Vous badinez toujours ,
M le Chevalier , interrompit
l'Abbé . Il eft constant qu'il
y a des Vents chauds , & des
Vents humides . Ouy ; mais , reprit
le Chevalier , ce n'eft pas en
eux-mefies qu'ils font tels , mais
par accident , & felon les lieux
où ils fouflent , & la Saifon qu'ils
fe mettent en Campagne . Je
croy que M' le Chevalier a raifon
dit le Marquis , car
quand on dit, ce vent -là amenera
>
C iij
30 Extraordinaire
de la pluye , ce n'eft pas qu'il
foit pluvieux de fa nature , mais
c'cft qu'il amene , & fait tomber
les vapeurs qui fe réſolvent en
pluye. L'Air eft donc un veritable
Caméleon , capable de
toutes fortes d'impreffions . Tout
froid qu'il eft, il devient feu , felon
les divers mouvemens qu'il fou-
Ale ; mais ce qui eft admirable, eft
que ces vents ou ces impreffions
d'Air , comme nous les avons
appellez , ont leur révolution
jufte & périodique , de quatre
ans en quatre ans , vers le commencement
de la Canicule .
Quoy que je m'en tienne à
l'opinion de l'Ecole , dit le Do-
&teur , voyant que le Marquis
s'eftoit teú , qui eft que l'Air
n'eſt pas le Vent , il eſt neantdu
Mercure Galant. jr
moins le Pere des Vents , & le
crible de la Nature , comme
parle un Ancien , mais un Moderne
l'appelle avec plus de raifon
, le Compagnon du Soleil,
parce qu'il concourt avec luy à
la creation de toutes chofes , &
à la formation des plus merveil
Jeux Phénomenes de la Nature .
Il infpire ce que la Lumiere vivifie
, il purifie ce qu'elle dore , &
fert avec elle à éclairer tout l'Univers.
Anaximenés difoit que
Pair eftoit l'efprit du Monde , &
qu'il eftoit à l'Univers ce que
l'ame eft au corps ; que toutes
chofes eftoient engendrées de
l'air , & fe réfolvoient en air.
Enfin on peut dire de l'Air , ce
que S. Paul a dit de Dieu , In quo
vivimus , movemur, & fumus, I
C iiij
32
Extrardinaire
nous fait voir les objets , mais il
nous donne encore l'oüye , &
l'odorat, Par fon moyen nous
fentons , & nous entendons.
Tous nos Inftrumens , & toutes
nos Chanſons , ne font qu'un air
mefuré & harmonieux. Il anime
les uns , il infpire les autres . Une
Chanfon s'appelle un Air , parce
que c'est un Mode , ou une façon
de chanter , mais encore par
ce qu'il faut de l'air pour le chanter
, & que la Mufique rend cet
air harmonieux par les diférentes
notes qui le compofent. En effet,
l'air agité par la voix ,frape agreablement
nos oreilles , ce qui a fait
dire à un Ancien , qu'une belle
Ode , qui eft la mefme chofe
qu'une belle Chanſon , eftoit un
air qui voloit dans les oreilles. II
du Mercure Galant.
33
y a des Païs mefme où l'air fait
les belles Voix , & où tous les
Hommes chantent bien. Vous
demeurerez d'accord de cette
verité , puis que felon Ariftote,
la Voix & les Inftrumens ne font
qu'une répercuffion de l'air infpiré
.
L'air eft encore un excellent
médiateur entre l'eau & le feu.
Il corrige celuy - cy , & tempere
celle- là. Il eſt naturellement
Amy de la Terre , mais ce qui
releve davantage la nobleffe de
cet Elément , c'est que quelques
Philofophes ont crû que fe Dieu
unique & fouverain n'eftoit
autre que l'Air. Le Docteur
ayant ceffé de parler , comme
s'il n'euft eu plus rien à dire ; Oh
je me doutois bien que les An-
>
34
Extraordinaire
ciens en avoient fait un Dieu,
reprit le Chevalier ; mais moy,
je vous dis que c'eſt un Démon
en fubtilité , & en malice , qui
rend tous les corps agiles , & qui
penetre toutes chofes , fans les
rendre plus pefantes lors qu'il les
remplit. C'est un grand faifeur
de Fufées, & de Feux d'artifices,
qui forme les Méteores , & qui
les renferme dans fon fein ,
mais c'eſt auffi un grand tireur
de quinte effences , qui fçait
diftiler avec le feu élémentaire ,
les influences & les proprietez
occultes des Etoiles , & des Planetes
. Peu s'en faut que je ne
l'appelle Soufleur & Charlatan ;
mais enfin il eft le mieux logé de
tous les Elémens , puis qu'il ha.
bite dans trois regions diférentes,
·
du Mercure Galant.
33
& que le Feu , l'Eau & la Terre
demeurent toûjours où Dieu les
a placez . Il devoit ce me femble ,
avoir quatre Régions , afin de
partager les quatres Saifons de
l'année . Ileft chaud dans la haute
région proche du Feu élémentaire
. I eft plus fraichement dans
Ja moyenne , & d'une maniere
plus temperée dans la baffe , puis
que cette Région eft tantoft
chaude , & tantoft froide. Pline
qui connoiffoit cet Elément , &
qui peut eftre en avoit reçeu
quelque incommodité , dit qu'il
eft caufe de tous les malheurs qui
arrivent aux Hommes , & le
compare à un Sujet rebelle qui
fait fans ceffe la guerre à la Nature
. Les Vents qui font les
Soldats de l'Air , font tous les
36
Extraordinaire
ravages qu'il leur commande , &
ne fe retirent jamais de la meflée
fans eftre chargez de butin.
Toute la Compagnie ne pút
s'empefcher de rire de ce qu'avoir
dit le Chevalier ; mais l'Abbé
prit la parole , & s'adreffant au
Docteur d'un air plus férieux,
Mais noftre ame n'eft - elle point
de la nature de l'air , puis que
felon la penſée d'un Ancien , l'air
& l'efprit ne font qu'une mefine
chofe ? Pour moy je croy que
noftre ame eft un air tres fubtil,
& foit qu'elle anime nos corps,
ou qu'elle s'en fépare , elle en a
toute la reffemblance autant
qu'elle peut eftre viſible. Lors
que je la confidere comme fenfitive
ou animale , ou comme immortelle
, je n'en puis avoir naAu
Mercure Galant.
37
turellement d'autre idée . Diogenes
eftoit de voſtre ſentiment,
répondit le Docteur ; & Héraclite
& les Stoïciens eftoient en.
core de cette opinion. Ils vouloient
que noftre ame fuft une
évaporation d'humeurs inceffamment
coulantes , ou un vent.
L'efprit des Infectes , difent les
Chymiftes , eft la plus pure por
tion de l'air , & cette pure portion
de l'air eft le lien qui unit
l'ame avec le corps. L'ame des
Vegétaux eft auffi aërienne , &
c'est pourquoy le corps qu'elle
anime veut toujours s'élever en
l'air. La fainte Ecriture expri
mant de quelle maniere le pre
mier Homme fut animé , dit que
Dieu luy foufla dans le corps un
eſprit de vie. Or qu'eſt- ce qu'une
38
Extraordinaire
evaporation , qu'un vent , qu'un
foufle , finon l'air que nous ref
pirons , ou quelque chofe qui luy
reffemble ? Mais vous fçavez que
M'l'Evefque de Meaux , dans ce
beau Difcours qu'il a fait fur
l'Hiftoire Univerſelle , nous défend
de croire que noftre ame
foit un air fubtil , ny une vapeur
déliée ; parce que le foufle que
Dieu infpire , & qui porte en luymefme
fon image , n'eft ny air
ny vapeur. Je fçay cela , dit
l'Abbé , & d'autres Docteurs me
l'ont appris , mais nous ne parlerons
pas icy fur les Bancs . Quoy
qu'il en foit , reprit le Docteur,
l'air contribue non feulement à
toutes les belles qualitez du
corps & de l'efprit ; il infpire &
regle tous les mouvemens de l'adu
Mercure Galant.
39
me , ce qu'il eft facile de faire
voir , fi nous le confiderons.com.
me température .
L'éloquent Evefque que je
viens de citer , dit que les Elemens
furent alterez par le deluge,
& que l'air chargé d'une humi
dité exceffive , fortifia les principes
de cette corruption ; & ily a
bien de l'apparence que la Nature
fe fentit la premiere de la
corruption des Hommes , qu'elle
fut affoiblie , & qu'il demeura en
elle- mefme une impreffion éternelle
de la vangeance Divine.
Mais enfin , pour que l'air foit fa
lubre , il faut qu'il foit temperé,
ny trop groffier , ny trop fubtil.
Ainfi l'on dit une bonne température
d'air , une bonne contitution
d'air. Sa fubtilité ne
40 Extraordinaire
tait pas fa bonté , il eft auffi dana
gereux trop fubtil , que trop grof
Ler. C'est pourquoy dans la fupérieure
Region , où il eft dans
fa plus grande fubtilité , nous n'y
pourrions pas vivre. Cette fubti
lité rend fes parties trop aiguës,
& trop penétrantes ; & les lieux
trop élevez font contraires aux
poitrines foibles , & délicates. Un
Voyageur nous affure , qu'allant
voirun Hermite fur le Mont Ararath
, dans l'Arménie , il monta
jufques à la Region de l'air, où fe
forment les nuages ; que la plufpart
de ces nuages eftoient obfcurs
& épais , les autres extrémement
froids & pleins de neige,
& qu'il y fût mort , s'il y eût demeuré
encore un quart d'heure.
Lors que l'air eft trop groffier ,
du Mercure Galant.
fes parties trop épaiffes & trop
maſſives engraiſſent & tuënt la
poitrine , & les parties où elles
s'attachent par le moyen de la
refpiration. Il faut donc laiffer
l'air groffier aux Pituiteux , & le
fubtil aux Mélancoliques . Pour
moy , dit le Chevalier , j'aime à
reſpirer le grand air. Outre que
je m'en porte mieux , il me rend
F'efprit plus gay & plus agreable ;
il me donne mefme des penſées
plus nobles & plus relevées , & je
Vous affure que j'y trouve quel--
que chofe de divin & de ſurna.
turel , que je reifens viſiblement
en moy - mefme . Vous eftes du
naturel des Arbres , interrompir
le Préfident , qui aiment beau
coup l'air , ou plûtôt comme ces
Peuples de Siam qui l'adorent, &
2. d'Octobre 1683. D
•42
Extraordinaire
qui n'ont point d'autre tombeau
apres leur mort ,,
que
d'eftre
fuf
pendus
en l'air. Mais
je fuis bien
aife
que
vous
foyez
reconcilié
avec
cet Elément
, depuis
tantôt
.
Il ne s'agir
plus
de nôtre
querelle
,
reprit
le Chevalier
. Je l'aime
quand
il me fait
du bien
, mais
je ne fuis point
Aëriſte
, & je ne
Louhaite
pas que
mes
funérailles
fe faffent
en l'air . Je n'aime
pas
non
plus
ces airs voraces
, qui ren
dent
les Peuples
faméliques
, &
qui
tuënt
la poitrine
, comme
nous
a dit M' le Docteur
, mais
un air comme
celuy
de l'Egypte
,
qui infpire
la fobrieté
& l'abftinence
. Les
Hermites
de l'ancienne
Thebaide
eftoient
de vô.
tre gouft
, dit l'Abbé
, ils avoient
choify
exprés
ce lieu -là pour
leur
du Mercure Galant.
43
1
-
retraite ; auffi eſt- cè un vray païs
d'Hermites. Je vous avouë ma
foibleffe , reprit le Chevalier , ce
n'eft point par le meſme efprit
quej'aime le grand air ; mais c'eft
que je fuis tout différent de moymefme
dans les lieux bas ., obfcurs
&
defagreables ; au lieu que
les belles vûes , les belles Maifons
, les belles Perfonnes , me
charment , & me donnent une
nouvelle vie. Toutes ces chofes
nous infpirent je ne fçay quel air
doux & tendre , qui nous rend de
belle humeur , & de bonne compagnie.
Je ne puis refpirer l'air de ces riches
Plaines ,
Qu'échauffent les Zéphirs , de leurs
tiédes baleines ;
Je ne puis de ces Prez voir l'émail
précieux ,
44
Extraordinaire
Ou tant de vives fleurs éblouiffent
Les yeux i
Entendre de ces caux l'agreable mur.
mure ,
·Contempler de ces Bois la verte chevelure
,
Que je ne fois touché de quelque
fainte horreur,
Et ne fente les traits d'une fainte
furcur.
Cela m'arrive dans tous les
beaux Lieux dont parle ce Poëte,
& principalement en celuy - cy ,
où il me femble que ma vûë s'ë.
chauffe , où vôtre vûë , qui eft
proprement vôtre air , m'anime
& me donne plus d'efprit que je
n'en ay d'ordinaire. Qu'est - ce
qu'un beau jour , pourſuivit - il,
qu'une continuation d'air, que le
Soleil dore & purifie , qui fait
du Mercure Galant. 45
naître & anime toutes choſes ?
Qu'eft.ce auffi qu'une fale journée
, qu'une continuation d'air
corrompu , pareil à ce vilain
brouillard dont parle Ovide dans
fes Metamorphofes , qui eft l'origine
de la pefte , & des maladies
contagieufes ,
PrincipioCalum fpißä caligine terras
Preffit.
Qu'eft ce, dis-je, qu'unejournée
trifte & pluvieufe , finon un
air épais & fumeux , qui veut fuffoquer
toute la Nature , & qui la
rend afinatique , & fans refpiration
, fi j'ofe parler de la forte devant
un Docteur , qui veut qu'on
foit ferieux jufque dans les plus
petites chofes , quand il s'agit de
Philofophie Apres qu'on eut
applaudy d'une maniere un peu
46
Extraordinaire
railleufe à ce que le Chevalier ve
noit de dire , le Docteur repris
ainfi .
Chaque lieu a fon air , qui a
fes proprietez différentes , &
quelquefois merveilleufes. Juvenal
dit que dans une certaine
Contrée de l'Espagne , l'air y
teint naturellement la laine des
Brebis d'une tres belle couleur
, & qui eftoit fort estimée
chez les Romains . Les Peuples
qui habitent divers Climats , ont .
auffi diverfes qualitez . Icy l'air
rend les Hommes triftes & melancoliques
, là gays & éveillez ;
icy fobres , là gourmans , icy lâches
, & ' à genéreux ; icy chaftes,
là débanchez. On attribue le
long âge des Suédois à la pureté
de l'air qu'ils refpirent dans les
du Mercure Galant.
47
Montagnes dont ce Royaume eft
remply. Il y a auffi des Lieux ,
comme Aiguemorte en Languedoc
, où l'on ne vieillit guere , à
caufe de l'intempérie de l'air.
Mais bien plus , ceux qui en ref-
#pirent un autre que le natal,
prennent les moeurs & les complexions
desPeuples avec lesquels
ils habitent. Il eft vray , dit le
EMarquis, & Voiture écrit galamment
à Mademoiſelle Paulet , en
parlant de l'Affrique, où il eftoit,
Ne vous étonnez pas de m'ouir dire
des Galanteries fi ouvertement , l'air
de ce Pais m'a déja donné je ne
Seay quoy de felon , qui fait queje
Vous crains moins ; & quand je
traiteray deformais avec vous , fai-
Les état que c'est de Turc à More.
Vous fçavez , continüe- t- il , que
48
Extraordinaire
l'Afrique eft le Pais de l'Amour , des
emportemens & des violentes paffions
; ainfi il rend les Gensfélons,
amoureux & emportez.
Vous eftes toûjours galant,
M' le Marquis , reprit le Docteur,
mais l'Autheur de la Recherche
de la Verité eft affez de vôtre
fentiment. Il prétend que l'air
fait le mefme effet en nous , que
le fuc des viandes dont nous tirons
notre nourriture . Or chacunfçit
les incommoditez qu'on
reçoit des méchantes viandes que
l'on prend , & combien elles alté
rent le tempérament & la fanté.
Mais cet Autheur va encore plus
loin . Il dit que l'air penétre les
poulmons , & s'infinue dans le
fang , ce qui aporte un tres- grand
changement à nos humeurs & à
nos
du Mercure Galant.
49
de la difnos
inclinations , & que
férence de l'air qu'on refpire en
différens Climats , vient la diffé
rence des efprits . Là où il eft groffier,
gras & pefant, les Hommes y
font plus mous , plus ftupides , &
plus mélancoliques , là où il eſt
pur, fubtil & délié , les Hommes
y font plus enjoüez , plus fpirituels
, & plus agiles. Mais, interrompit
le Préfident , ne peut-on
pas dire que comme il y a quatre
Elémens , qui composent le tempérament
de tous les Hommes ,
il y a auffi quatre fortes d'Efprits , il-y
par raport à ces quatre Elémens ,
les Ignez , les Aériens , les Aquatiques
, & les Terreftres , qui font
encore divifez chacun en deux
ordres. Il y a ceux qui font animez
du feu qui fait briller les
2. d'Octobre 1683. E
So
Extraordinaire
Aftres , ils font courageux , harë
dis , habiles , aimables & bienfaifans
; & ceux qui brûlent du feu
qui embrafe les Cométes , font
malicieux , ambitieux , & cruels.
Il y a ceux qui reffemblent aux
caux pures & claires des Fontaines
, ils font nets , doux & paifi.
bles , les autres , comme ces eaux
croupiffantes & fangeufes des
Marais , font lents , pareffeux,
fales , malicieux & couverts . Les
Terreftres font quelquefois comme
ces belles Plaines fleuries &
tapiffées de verdure , ils font feconds
, agreables , fermes & folides
; les autres qui font plus fouterrains
, font avares , opiniâtres,
impudens , & brûlans. Et pour
1: s Aérins dont vous avez parlé,
les uns font affables , complaifans,
!
du Mercure Galant.
5%
inventifs , agiffans , & de belle
humeur , & de ce genre font les
Perfonnes de Cour, les honneftes
Gens , les jolies Femmes , enfin
les Gens de qualité , d'honneur,
& tous ceux qui compofent ce
qu'on appelle le beau Monde , &
qui font propres à la Converfa.
tion ; ceux- là avec raifon font du
grand air , & font tout de bon
air . Mais ceux qui dégenérent
font grands mangeurs , grands
rieurs , vains flatteurs & diffolus,
pour les autres ; femblables à Pair
agité , à cet air obfcur & nuageux
, qui produit les orages &
les tempeftes , ils font coléres,
ombrageux , impatiens , incon
ftans & brouillons . Ce que vous
venez de dire eft parfaitement
beau,répondit le Docteur, j'ay lu
E ij
32
Extraordinaire
quelque chofe de femblable ; mais
le tour que vous y avez donné
mele fait paroître tout nouveau.
Je fçay peu de Gens qui fe fervent
de leur lecture auffi bien que
vous. Mon Dieu , M` le Docteur,
reprit le Préfident , ne me loüez
pas tant d'un peu de memoire, qui
pour le petit fervice qu'elle me
rend aujourd'huy, me fait tous les
jours mille fupercheries . Le Doc.
teur, pour ne pas pouffer plus loin
le Compliment , reprit ainfi la
parole.
La diverfité de l'air fait la diverfité
des maladies , & on peut
voir là- deffus le Livre qu'Hyppocrate
en a fait. L'air eft quel
quefois fi corrompu , qu'il fait
mourir les Créatures qui le refpirent.
Il y a des Régions où les
du Mercure Galant.
$3
animaux mefme ne peuvent vivre
, & il n'arrive jamais de gran .
des peftes, qu'il n'en meure bean .
coup dans les lieux où eft la contagion.
Perfonne n'ignore fur ce
fujet la délicateffe des Aeurs , &
fur tout des Oeillets, qui meurent
au méchant air. Mais peut- cftre
ne fçavez- vous point , que les
Peuples du Japon font fi prévenus
que l'air eft mal fain , & contraire
à l'Homme , qu'ils ne fouf.
frent pas que leur Dairo ou Empereur
foir jamais découvert à
l'air. Mais bien plus , il y a des
Hommes fidélicats, qu'ils diftinguent
l'air d'une mefine rüe , &
qu'ils affurent que celuy de la
main droite eft plus pur que celuy
de la main gauche , & qui féparent
ainsi l'air en marchant , avec
E iij
34
Extraordinaire
une grande fubtilité . Cette re.
marque eftoit digne de moy , interrompit
le Chevalier ; mais je
veux vous dire quelque chofe de
plus veritable & de plus folide ,
touchant la corruption de l'air.
Vous avez lû les Mémoires de
Pontis , cependant je croy que
vous ne ferez pas fâchez que je
vous faffe reffouvenir d'un accident
fort remarquable
, que raporte
cet Autheur. Il dit qu'apres
qu'on eut levé le fiege de Louvain
, l'Armée cft : nt allée pour
fe rafraîchir vers Ruremonde , it
s'y éleva une fi furicufe tempefte,
avec de fi grands tourbillons, que
comme ce Païs eft extrémement
fablonneux , on n'y refpira pendant
plufieurs jours que du fable
au lieu d'air. Cinq ou fix mille
du Mercure Galant.
S$
Hommes en furent étouffez fubi.
tement , ou moururent -en trespeu
de temps , par I.s maladies
que leur caufoit cette grande corruption.
Non feulement l'air
qu'on refpiroit par le nez , mais
celuy qu'on avaloit avec les viandes
, qui en eftoient toûjours fort.
affaifonnées , formoit une espece
de contagion , qui gâtoit les par
-ties de ceux qui en eftoient attaquez
, il falut que l'air natal chaffât
cet air malin , & redonnât aux
Troupes la fanté qu'il leur avoit
fi étrangement alterée.
Le changement d'air fait de
grands effets , reprit le Docteur,
mais s'il a fes avantages , il a auffi
fes incommoditez . A moins
que
la maladie qu'on a contractée , ne
vienne principalement de l'air où
E iiij
56 Extraordinaire
l'on eft , le changement n'y fait
rien de bien , & fouvent du mal ,
lors qu'il eft une qualité oppoſée
ouà la maladie ou au tépérament
du Malade. Mais il eft admirable
que l'air , qui vivifie toutes les
Créatures , les empoifonne , ou
par fa qualité naturelle , ou par la
malice des Hommes , qui ont
trouvé l'invention de le corrompre,
auffi -bien que les autres Elemens.
Mais enfin , il eft toûjours
bon d'éviter le méchant air , puis
qu'on en attire beaucoup plus
qu'on n'en pouffe , & que prefque
tout l'air qu'on refpire , paffe
&fe convertit en nourriture . L'air
de la Campagne eft auffi plus
pur & plus fain que celuy des Villes
, car outre toutes les vapeurs
des ordures & des immondices,
du Mercure Galant .
59م و
I
5
les Morts qu'on y enterre , y rendent
l'air gras , épais & corrompu
; ce qui caufe de grandes & de
fâcheufes maladies ' , qui fait les
perfonnes languiflantes & de pâle
couleur . Platon qui en connoiffoit
les accidens , veut par fes
Loix que les Cimetieres feient
fituez en forte que les Vivans ne
puiffent eftre incommodez du
mauvais air des Morts . Les Grecs
& les Egyptiens eftoient fort délicats
en cela , ayant des Ifles
éloignées & defertes , où ils faifoient
porter les corps des défunts
. Pour moy , dit le Marquis ,
j'aurois voulu fur tout demeurer
dans l'ifle de Delos , où il eftoit
défendu d'accoucher, & d'enterrer
les Morts . Ce lieu eftoit fans
doute bien agreable & bien fain,
58
Extraordinaire
car l'un ne contribue pas moins
que l'autre à l'infection de l'air.
Vous avez raifon , dit le Docteur,
& ceux deDelos obfervérét cette
loy depuis une furieufe pefte dont
ils furent affligez , qui ne procédoit
que de la puanteur des tombeaux
Les Romains défendoient
de brûler les morts dansla ville , &
Augufte ordonna que ce fût pour
le moins deux milles loin des mu
railles . On remarque meſme dans
l'antiquité , qu'il n'y a eu que les
Tarentins qui ayent enterré les
Morts dans leur Ville , apres que
l'Oracle leur ayant promis beaucoup
d'heureux fuccés , s'ils de.
meuroient avec le plus grand
nombre , ils crûrent que cela devoit
s'entendre des Morts. Mais
la Religion Chrétienne , qui prêdu
Mercure Galant. 59
che la mort & les fouffrances , n'a
pas eu ces égards pour les Fidel .
les ; à joindre que les Prieres pour
les Morts , & la venération pour
leurs Reliques , ont authorifé
cette coutume. Les Corps des
Saints ne fçauroient eftre trop
e prés de nous ; & les autres , dont
les Ames ont besoin de nos fe.
cours fpirituels , feroient peuteftre
negligez , fi les tombeaux
ne nous faifoient reſſouvenir de
leurs neceffitez . Et de plus , dit
le Préfident , les Corps Saints
font tous de bonne odeur , & ils
exhalent quelquefois une douce
vapeur , qui furpaffe les parfums
les plus exquis . Ileft vray , dit le
Chevalier, plufieurs Autheurs en
ont raporté témoignage ; mais
le nombre de ces Corps eft petit,
60 Extraordinaire
& pour un Saint combien de....
Tout beau , dit le Docteur , retirons-
nous de là , cet air nous
feroit contraire , prenons - le autre
part. Vous avez raiſon , dit
l'Abbé , je n'aime pas volontiers
à m'entretenir de Religion , dans
des converfations un peu familieres
, & auffi libres que le font les
nôtres.
Le grand air eft perilleux pour
les convalefcens qui fortent d'un
petit air , ou d'un air renfermé ;
ce n'eft pas qu'un air trop tranquille
eft auffi mal fain , parce
qu'il peut plus aisément fe charger
& s'alterer , que celuy qui eft
agité. C'est pourquoy on dit
l'air pour eftre bon , doit eftre
tantôt mû par le Zéphir qui le
rafraîchit , & tantôt comprimé
que
du Mercure Galant.
par l'Aquilon , qui le purge . L'air
de la Mer guérit de plufieurs maladies
, mais il en donne plufieurs
autres à ceux mefme qui y font
naturalifez ; & on affure que cet
air eft fi corrofif, que les Oiſeaux
qui fréquentent la Mer , ont le
plumage prefque tout rouge.
Mais l'air temperé & purifié d'une
certaine maniere , conferve la
fanté , & la redonne à ceux qui
l'ont perdue. Il prolonge la vie,
& fert mefme de nouriture à quel.
ques Oifeaux ,dit le Préfident . Les
Aftchomes qui font une espéce
d'Hommes , qui n'ont point de
bouche , fe nourriffent de bonnes
odeurs , comme ils meurent s'ils
en fentent de mauvaiſes . Le Caméleon
& les Pluviers vivent
d'air , & il ne faut pas s'en éton62
Extraordinaire
ner , puis que la vie ne confifte
qu'en ces deux qualité de l'air,
qui font le chaud & l'humide.
Si le feu nourrit la Salamandre,
pourquoy l'air qui a des qualitez
bien plus nutritives , ne peut - il
pas nourrir des Oifeaux , à moins
qu'on ne veüille dégraiffer l'air,
& en féparer la rofee , qui n'eft
pas moins une fubftance de cet
Elément , que des vapeurs de la
terre. Ce que vous venez de dire
eft bien imaginé , repartit le Doc
teur ; mais puifque les Pluviers &
les oifeaux deParadis vivent d'air ,
c'est encore une des crédulitez de
Pline . L'air eft bien l'élément des
Oiſeaux, & le lieu qu'ils habitent,
mais il ne peut pas nourir un corps
folide d'une viande fi creufe .
Si on ne trouve point d'alimens
du Mercure Galant
C
E groffiers dans l'eftomac de ces
Qifeaux , c'eft qu'ils la digérent
promptement , qu'ils mangent
peu , & des chofes fort delicates.
Le Caméleon vit de vermine;
mais comme il aime extraordinai.
rement le grand jour , & qu'il devore
le bel air , comme l'on dit,
cela fait croire qu'il vit par la ver
tu de cet Elément . Mais vous fçavez
, reprit le Préfident , combien
l'air que les Enfans foufflent,
& les Perfonnes qui font bien
compofées , eft doux & falubre.
Il en fort un fi grand nombre d'ef
prits , qu'ils communiquent
une
nouvelle
e à ceux qui le refpirent
; & c'est la raifon pourquoy
on a dit que ceux qui enfeignent,
& qui paffent leur vie avec la Jeunede,
vivent plus long- temps que
64
Extraordinaire
les autres , & ont la couleur beaucoup
meilleure. Il en eft au contraire
de ceux qui fréquentent
des Perfonnes mal faines , & qui
ont les parties gâtées, parce qu'el
les communiquent leurs indifpofirions
& leurs maladies. On ne
trouva point de meilleur expédient
pour éloigner le Cardinal
Pancirole d'aupres le Pape Innocent
X. qu'en gagnant fon Medecin
, qui affura fa Sainteté que
ce Cardinal eftoit pulmonique,
& que fon haleine eftoit dange .
reufe & nuifible à fa fanté , par les
fréquens entretiens qu'ils avoient
enfemble .
Le Loup a l'haleine fi mauvaife
, qu'on a raifon d'appeller cet
animal un cloaque animé , mais
la malignité de fon haleine eſt ſi
du Mercure Galant.
65
1
fubtile & fi penétrante , qu'il n'y
a point de chair qu'elle ne corrompe.
Cette Fille dont parle
Galien, qui vivoit de napel , avoit
P'haleine bien pernicieufe , interrompit
le Chevalier , puis qu'elle
faifoit mourir ceux qui l'apro .
choient. Cette autre que cite Albert
le Grand , qui vivoit d'Aragnées
, ne l'avoit pas meilleure,
dit le Marquis ; mais que dirons.
nous de ces haleines excellentes,
dont l'air eft fi doux & agréable ,
continua- t-il? Je me fouviens toûjours
de cette délicate expreffion
du Comte de Buffy parlant d'une
Belle, L'air qu'elle fouffle eft plus
pur que celui qu'elle refpire . Quel
avantage , quel charme pour moy
qui n'aime rien tất, qu'on ne ſente
rien!Mais comme il y en a qui ont
Q. d Octobre 1683.
F
66 Extraordinaire
la fueur parfumée , pour ainfi dire,
' il y en a auffi qui ont la refpiration
admirable , & qui reſſem.
blent aux Abeilles , tout ce qu'el
les mangent & qu'elles prennent
fe convertit en miel , & enfucre,
Mixtura quadam & proprietate fpiritus
fui, & quafi conditura fui.
Elles forment de l'ambrofie &
du nectar dans leurs entrailles , &
de là vient la bonté & la douceur
de leur baleine . Tel eftoit Alexandre
le Grand , dit le Préfident
; mais comme il y a peu de
Perfonnes de cette nature, & qui
ayent toutes les qualitez du tempérament
adpondus , comme parlent
les Medecins , il n'y a point
de choſes au monde où l'on puiffe
s'apliquer plus utilement dans un
Etat , qu'à empêcher la corrup
du Mercure Galant. 67
tion de l'air , ſoit qu'elle vienne
par la méchante haleine des Malades
, par l'infection des immondices
& des ordures qu'on laiffe
amaſſer dans les Villes , ou par
l'inclémence des faifons . On a
donc eu raiſon autrefois de féparer
les Ladres d'avec les autres,
& encore aujourd'huy d'interdire
l'entrée des Villes à ceux qui
viennent des Lieux foupçonnez.
de la pefte , ou de quelque autre
maladie contagieufe , comme la
petite vérole , & tant d'autres
maladies qui fe communiquent
par la corruption de l'air.
Comme le Préfident fait bâtir
à la Campagne , il n'oublia pas à
demander plufieurs avispour rendre
une Maiſon auffi faine qu'agreable
, & là - deffus le Docteur
Fij
68 Extraordinaire
auquel la Compagnie avoit toû
jours deferé , parla de la forte.
Ce n'eft pas d'aujourd'huy
qu'on a de la peine à bien s'habi
tuer. Les Anciens avoient diffé
rentes opinions fur ce fujet . Ils difoient
qu'il ne falloit point choifir
les lieux trop gras , trop bas
& trop humides , parce qu'ils
eftoient mal fains . Ils ajoûtoient
qu'on ne connoiffoit pas toujours
la bonté de l'air d'un Païs , par la
couleur & la bonne difpofition
des Habitans , parce qu'il y en a
qui fe portent bien dans l'air mê .
me de la pefte. Il y a encore des
lieux qui ne font fains qu'en de
certaines faifons de l'année, & qui
font dangereux dans d'autres.
Mais afin qu'un lieu foit jugé
fain, il faut pour le moins en avoir
du Mercure Galant.
79
J
Pexpérience une année entiere.
Les Maifons expofées au Midy,
dans les Païs chauds , font mal
faines , on y devient bilicux &
languiflans , & fujets à des fiévres
tres aigües . Dans les Païs froids,
lesMailons qui font tournées vers
le Septentrion , rendent ceux qui
les habitent fujets aux fluxions &
paralifies. Les Maifons qui regardant
l'Occident , dans les Païs
humides , caufent des foiblefles
d'eftomac & des ulcéres. Les
Maifons qui font placées du côté
de l'Orient , dans les Païs fecs,
rendent les jointures débiles , con
denfent les humeurs , &
> engendrent
de grandes obftructions.
Et où bâtirons.nous donc , s'écria
le Chevalier , puis que dans tous
les cantons du Monde il n'y a que
"
70
Extraordinaire
と
maladies , & pas un lieu qui foit
fain La terre ? eft donc inhabitable.
Non pas , M' le Chevalier,
reprit le Docteur , chaque Païs a
fon terroir , fes eaux , fes afpects
& fes vents , qui luy font ou nui
fibles ou falutaires , il ne faut que
les bien choisir , & alors il n'y a
point de lieu qui ne puiffe eftre
fain , au moins pour les naturels
du Païs , & il n'y a que les Voyageurs
, qui en puiffent recevoir
quelques incommoditez.
Pline qui a écrit fort au long
fur la maniere de bâtir les Maifons
de Campagne , pour les rendrefaines
& logeables , dit que fi le
Climat eft chaud , l'ouverture
doit regarder le Nort ; s'il eft
froid, elle doit regarder le Midy,
& s'il eft temperé, elle doit regar
du Mercure Galant. 71
[
1
der le Levant. Cela eft bon , interrompit
l'Abbé , mais je vou .
drois fçavoir s'il eft neceffaire
pour avoir le bon air , de percer
un Bâtiment par quantité de hau
tes & pleines croifées , comme on
fait aujourdhuy , ou de l'ouvrir
feulement par des feneftres médiocres
, comme on faifoit autrefois.
Ileft aifé de remarquer par
tous les vieux Châteeux , tant dehors
que das le Royaume, que nos
Peres n'aimoient pas le grand air
pour leursMaifons . Tous les vieux
Bâtimens font placez de biais, ou
accompagnez aux coſtez de tourelles,
qui couvrent les jours, afin
de rompre le vent , & de fendre
l'air , qu'ils croyoient nuifible à
la fanté , ſe perfuadant de vivre
plus long -temps , en fe tenans
$2
Extraordinaire
ainfi renfermez ; eftant bien contraires
aux Poiffons , qui aiment
à changer d'air , & qui montrent
fouvent la tefte au deffus de l'eau ,
& meurent fous la glace , fi on n'a
foin de la fendre en Hyver , afin
de leur conferver la vie. Mais
nos Peres difoient que les Maifons
cftoient faites pour fe mettre à
couvert des injures de l'air , &
non pas pour le recevoir par de
grandes ouvertures , que nous
avons inventées pour fatisfaire au
plaifir , & à la vanité . J'ay vû un
Homme plus vieux que fon fiecle
, qui durant les trois mois fâcheux
de l'Hyver ne fort point,
neveut ny voir ny fentir l'air , qu'il
refpire feulement par un petit
jour qui eft au.deffus de la porte
de fa Chambre , foutenant que le
trop
du Mercure Galant.
73
C
trop grand jour tüe. Elifabeth
Reyne d'Angleterre , en allant
voir le Chancelier Bacon , dans
un Château qu'il avoit nouvellement
fait bâtir , & percer de toutes
parts par de belles & grandes
croifées, elle luy demanda où l'on
s'y mettroit l'Hyver , voulant
luy marquer par là , que le trop
d'air n'eft pas toûjours bon ny
commode , & que les feneftres
médiocres font meilleures. Cela
dépend des Climats, & de la coutume
des Peuples , dit le Docteur.
En Angleterre toutes les fenêtres
font fort petites , mefme dans les
Maiſons de plaifance des Princes ,
auffi bien que des Particuliers ,
qui n'ont que des ouvertures
quarrées , fans corniches ; & à
Douvres , il n'y a que quelques
Q. d'Octobre 1683. G
-
74
Extraordinaire
il
vires pourtoutes fenêtres, qu'on
ouvre pour donner de l'air. Les
Maifons de Picardie font prefque
fans feneftres , ou du moins elles
font fipetites, que ces Maifons ne
reffemblent proprement qu'à des
lafnieres. Mais comme les Maifons
fermées & ombragées font
plus froides & plus mal faines,
parce que le Soleil n'y entre pas ,
& quel'air y eft plus humide ,
fait plus froid dans les Villes qu'à
la Campagne. Enfin , outre le
bon air qu'il faut obferver pour
rendre les Maiſons faines & bien
fituées , il ya encore le bel air, &
la maniere de bien bâtir , qui les
rend agreables & commodes ; &
c'eft de ce bel air, priscommemo.
de ou maniere , dont il nous refte
parler , mais je croy que ce que
du Mercure Galant. 75
nousen avons déja dit à l'entrée
de cette Converfation, doit fuffire
, renvoyant les Curieux au
beau Difcours que Mr le Chevalier
a fait de l'air du monde , &
de la veritable policeffe . Cela
s'appelle , interrompit le Chevalier
, renvoyer les Curieux au
Dialogue de la Bonne - Grace d'un de
nos vieux Poëtes. Pardonnezmoy
, Mr le Chevalier , reprit le
Docteur, nous fçavons la différence
qu'il y a entre l'illuftre Autheur
du Mercure Galant , &
Autheur des Apprehenfions Spirituelles.
Le premier n'expoſe rien
au Public , qui ne foit digne de
fon approbation , & de l'eſtine
qu'il s'eft acquife . On ne peut
rien auffi ajoûter à ce que vous
avez dit fur cette matiere , mais
Gij
·75 Extraordinaire
il me femble que c'eit affez battre
l'air, & fi M' l'Abbé le trouve
bon , nous irons prendre l'air de
cette foirée, qui eft fort agreable.
L'Abbé eftant dans le mefme
fentiment , toute la Compagnie
fe leva , & fortit pour aller à la
promenade .
Je croy auffi , Madame , qu'il
eft temps de finir , & de vous retirer
d'une fi longue lecture , pour
Jaquelle j'aurois mille excufes à
vous faire , fi je ne fçavois que
tout ce que je vous écris de cette
illuftre Compagnie, ne vous peut
eftre ennuyeux. C'eft donc avec
cette affurance , & en qualité de
leur fidelle Secretaire , que je
prens la qualité de vôtre , &c.
DE LA FEVRERIE.
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Résumé : CONVERSATION ACADEMIQUE, Dans laquelle il est traité des bonnes, & des mauvaises qualitez de l'Air. A Madame la Comtesse de C. R. C.
En 1680, une lettre adressée à Madame la Comtesse de C. R. C. relate une conversation académique impliquant un illustre abbé et plusieurs personnalités. La discussion porte sur les qualités et les défauts des individus en fonction de leur apparence et de leur 'air'. Des exemples historiques, comme Isabelle d'Espagne et le duc de Guise, illustrent comment l'apparence peut inspirer l'estime, la crainte ou le mépris. La conversation aborde également l'importance de la bonne mine et du port royal pour un souverain. Les participants débattent ensuite de la nature de l'air, considéré sous trois aspects : élément, température et manière. Ils explorent les propriétés de l'air, sa composition et ses interactions avec d'autres éléments. Le docteur présente diverses théories philosophiques sur l'air, incluant ses figures, sa couleur, son odeur et sa pesanteur. La discussion se termine par des réflexions sur la hauteur de l'air et les effets de son absence. Le texte distingue l'air élémentaire, pur et exempt de tout mélange, de l'air que nous respirons, composé de vapeurs et du mouvement des corps extérieurs. L'air est décrit comme un souffle vital, lié à l'âme et au mouvement du corps. Le vent est défini comme une agitation de l'air, avec des philosophes modernes le décrivant comme une agitation sensible de l'air. Les vents sont décrits comme ayant des qualités variées, pouvant être chauds, froids ou humides, et leur nature dépend des lieux et des saisons. L'air est comparé à un caméléon, capable de diverses impressions, et joue un rôle crucial dans la création et la formation des phénomènes naturels. Un voyageur partage son expérience sur le mont Ararat, où il a rencontré des nuages épais et froids. Le Chevalier exprime son amour pour le grand air, affirmant qu'il le rend plus gai et inspiré. Le Président compare le Chevalier à des arbres ou à des peuples adorant l'air, comme ceux de Siam. Le Chevalier précise qu'il apprécie l'air lorsqu'il lui fait du bien, mais ne souhaite pas des funérailles en l'air. Il préfère un air comme celui d'Égypte, qui inspire la sobriété et l'abstinence. Le texte mentionne également les ermites de l'ancienne Thébaïde, connus pour leur retraite en Égypte. Le Chevalier explique que les beaux lieux et les belles personnes lui inspirent un air doux et tendre, contrairement aux riches plaines qui lui provoquent une horreur subite. Il compare un beau jour à une continuation d'air purifié par le soleil, et une journée triste à un air corrompu causant des maladies. Le Docteur ajoute que chaque lieu a un air avec des propriétés spécifiques, influençant les qualités des habitants. Par exemple, l'air en Espagne teint naturellement la laine des brebis, et en Suède, il contribue à la longévité. Le Marquis cite Voiture, notant que l'air d'Afrique rend les gens audacieux et amoureux. Le Docteur conclut que l'air pénètre les poumons et altère les humeurs et les inclinations, influençant ainsi les esprits des personnes selon la pureté ou la corruption de l'air. Les interlocuteurs évoquent les prières pour les morts et la vénération des reliques dans la religion chrétienne, soulignant que les corps des saints sont considérés comme bénéfiques et exhalant une douce vapeur. Ils abordent les qualités de l'air, notant que l'air pur et tempéré conserve la santé et prolonge la vie, tandis que l'air corrompu peut transmettre des maladies. Le texte mentionne également des animaux comme les caméléons et les pluviers, qui se nourrissent d'air, et discute des effets de l'haleine des personnes sur leur environnement. Les interlocuteurs débattent des meilleures pratiques pour construire des maisons saines, en tenant compte de l'exposition aux vents et des saisons. Ils concluent que chaque région a ses particularités climatiques et que les maisons doivent être adaptées en conséquence pour assurer la santé des habitants. Le texte se termine par une promenade de la compagnie, appréciant l'air agréable de la soirée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 230-233
TROISIEME BALLADE DE MADAME DES HOULIERES, A Mr le Duc de S. Aignan.
Début :
Los immortel que parfait héroïque [...]
Mots clefs :
Chevalerie, Hommes, Opinion, Arlequin, Musulman
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texteReconnaissance textuelle : TROISIEME BALLADE DE MADAME DES HOULIERES, A Mr le Duc de S. Aignan.
ROISIEME BALLADE
DE MADAMEpolk'Q
DES HOULIERES
AMile Duc de S. Aignar.
Osimmortelqueparfaithéroï.- Lo
que
Chevalerieentouslieux acqueroit,
Vousfait aimer ce tempshyperbolique,
Quantest de moy, cequiplus mien
plairait,
Cen'estcombat, vesture magnifique,
Tournoyfameux , mais bien Amour
antique,
Donitrifte mortfeule voyoit le bour.
Ben Chevalier , que tout craint& revére,
Ainfile monde enfentimens difere
Opinion chez les Hommes fait
tout.
GALANT 231
Sa
L'antitde tout ; l'autre mélancolique
D'Arlequin mefine en mille ans ne riaaroitsUNOH,284
L'unpourjouerfaitdevenir hétique
Son train & luy Pautre ne tracqueroit
Pourmines d'orfa verve Poëtique.
L'un detoute œuvre entreprend la Critique,
Etfaitfouventconte à dormir debout,
L'autre àfon gréréglanile Miniftere,
Deferéglerne s'embaraffe guére;
Opinion chez les Hommesfait
tout.
S&
Espoirdegainfaitfaire auxflots la
nique,
Défir de gloire enpérilleux endroit
ConduitGuerriers.. Naturepacifique
AuxMagiftrats met en tefte le Droit.
Ambitionfait que le coffre onpique.
232 MERCURE
Vanitefait que Philofopheexplique
Commenttoutvient , en quoy routfe
réfout.
Chaque Mortelcoiffédefa chimère,
Croit à part-foy que mieux onnepeut
faire;
Opinion chez les Hommes fait
tour. A hos SOLE SHOT
$2
kreolderh
Nonmoinsdiverfe enchaque République
Eftla Coûtume; icypunir on voit
Sœur avecquifon Frereprévarique,
Et la Perfane enfon Lit le reçoit.
Germainsfontcas delaliqueur Bặchique,
Le Musulman en défendlapratique.
Subtil larcin Lacedémone alyour.
Où le Soleilmontefur l'Hémisphere ,
Parpiété le Fils meurtritfon Peres
Opinion chez les Hommes fait
tout.
GALANT. 233
tot (on SEN VOYEU
DrC, dontle los vole dufein Perfique
Iufqu'où Phébusfinitſon touroblique,
De mon Germainpoint nefçavezle
goût.
Groffe Abbaie à la Mitre ilpréfere,
Trop lourd, dit- it, eftfacréCaractere.
Opinion chez les Hommes fait
tour
DE MADAMEpolk'Q
DES HOULIERES
AMile Duc de S. Aignar.
Osimmortelqueparfaithéroï.- Lo
que
Chevalerieentouslieux acqueroit,
Vousfait aimer ce tempshyperbolique,
Quantest de moy, cequiplus mien
plairait,
Cen'estcombat, vesture magnifique,
Tournoyfameux , mais bien Amour
antique,
Donitrifte mortfeule voyoit le bour.
Ben Chevalier , que tout craint& revére,
Ainfile monde enfentimens difere
Opinion chez les Hommes fait
tout.
GALANT 231
Sa
L'antitde tout ; l'autre mélancolique
D'Arlequin mefine en mille ans ne riaaroitsUNOH,284
L'unpourjouerfaitdevenir hétique
Son train & luy Pautre ne tracqueroit
Pourmines d'orfa verve Poëtique.
L'un detoute œuvre entreprend la Critique,
Etfaitfouventconte à dormir debout,
L'autre àfon gréréglanile Miniftere,
Deferéglerne s'embaraffe guére;
Opinion chez les Hommesfait
tout.
S&
Espoirdegainfaitfaire auxflots la
nique,
Défir de gloire enpérilleux endroit
ConduitGuerriers.. Naturepacifique
AuxMagiftrats met en tefte le Droit.
Ambitionfait que le coffre onpique.
232 MERCURE
Vanitefait que Philofopheexplique
Commenttoutvient , en quoy routfe
réfout.
Chaque Mortelcoiffédefa chimère,
Croit à part-foy que mieux onnepeut
faire;
Opinion chez les Hommes fait
tour. A hos SOLE SHOT
$2
kreolderh
Nonmoinsdiverfe enchaque République
Eftla Coûtume; icypunir on voit
Sœur avecquifon Frereprévarique,
Et la Perfane enfon Lit le reçoit.
Germainsfontcas delaliqueur Bặchique,
Le Musulman en défendlapratique.
Subtil larcin Lacedémone alyour.
Où le Soleilmontefur l'Hémisphere ,
Parpiété le Fils meurtritfon Peres
Opinion chez les Hommes fait
tout.
GALANT. 233
tot (on SEN VOYEU
DrC, dontle los vole dufein Perfique
Iufqu'où Phébusfinitſon touroblique,
De mon Germainpoint nefçavezle
goût.
Groffe Abbaie à la Mitre ilpréfere,
Trop lourd, dit- it, eftfacréCaractere.
Opinion chez les Hommes fait
tour
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Résumé : TROISIEME BALLADE DE MADAME DES HOULIERES, A Mr le Duc de S. Aignan.
La 'Troisième Ballade' de Madame Polk'Q des Houlières examine les diverses opinions et comportements humains à travers différentes époques et contextes. Le texte commence par évoquer la chevalerie et l'amour antique, mettant en lumière les différences d'opinions entre les hommes, illustrées par des exemples contrastés de chevaliers. Il explore les motivations humaines telles que l'espoir de gain, le désir de gloire et l'ambition, qui poussent les guerriers à prendre des risques. Le poème mentionne également la nature pacifique des magistrats et l'influence de l'ambition et de la vanité sur les philosophes, soulignant que chaque individu est guidé par ses propres chimères et convictions. Le texte souligne la diversité des coutumes et des lois dans différentes républiques, où les punitions et les comportements varient considérablement. Par exemple, une sœur peut être punie pour avoir trahi son frère, tandis qu'un fils peut blesser son père. Les Germains pratiquent la liqueur bachique, les Musulmans interdisent certaines pratiques, et les Lacédémoniens sont subtils dans leurs larcins. En Orient, la piété peut conduire un fils à blesser son père. Enfin, le poème se termine par une réflexion sur les goûts personnels et les préférences, illustrée par un personnage qui préfère une grosse abbaye à la mitre, trouvant ce dernier caractère trop lourd. Le texte répète à plusieurs reprises que 'l'opinion chez les Hommes fait tout', soulignant l'importance des perceptions et des croyances individuelles dans la formation des comportements et des sociétés.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 106-114
« Mr Deslandes, en parlant des Eléphans que le Roy de [...] »
Début :
Mr Deslandes, en parlant des Eléphans que le Roy de [...]
Mots clefs :
Éléphant, Éléphants, Femelles, Roi, Manière, Ville, Hommes, André Boureau-Deslandes, Attrapoire, Mâts, Siam, Corps, Éléphant sauvage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Mr Deslandes, en parlant des Eléphans que le Roy de [...] »
M'Deſlandes, en parlant
des Eléphans que le Roy de
Siam envoyoit en France
avec fes Ambaſſadeurs , a
expliqué la maniere dont les
Eleph
Elephans ſauvages peuvent
eftre pris , & voicy ce qu'il
en dit. Ce Roy en ayant
pluſieurs apprivoiſez , mafles
&femelles , en envoyequel
ques Bandes à quinze ou
GALANT. 107
vingt journées de la Ville,
dans les Bois & dans les
Plaines . Chaque Bande, qui
eft compoſée de quarante ou
de cinquante, a neuf ou dix
Hommes pour Conducteurs ;
& quand ils ont apperçeu
quelque Eléphant, ils ordonnent
aux Femelles de les al
ler entourer. Vous remarquerez
que les Eléphans apprivoiſez
entendent la Langue
de leurs Conducteurs.
Lors que l'Eléphant eft entouré
des Femelles, les Hommes
qui font montez ſur les
Maſles, accoſtent les Femel.
108 MERCURE
(
les , & font marcher l'Ele
phant pris dans le milieu de
la Bande. Ainſi il ne voit
point où ilva. A une journée
de la Ville , on les fait paſſer
par une Attrapoire , qui eft
toute bordée d'Arbres , &
que l'Eléphant ſauvage prend
pour un Bois. Ils n'y paſſent
qu'un à un ; & quand l'Eléphant
ſauvage eft dans l'Attrapoire
, où il croit paffer
comme les autres , on laiſſe
tomber de gros Pieux par
des coulices devant & derriere
, & il ſe trouve arreſté
comme s'il eſtoit dans une
GALANT. 109
Cage , fans qu'il puiſſe ſe
tourner de coſté ny d'autre.
Les Pieux qui compoſent
l'Attrapoire , font auſſi gros
que des Mats de Navire, &
deux Homes auroient peine
à les embraſſer. En ſuite on
lie les quatre pieds de l'Eléphant
avec des Cables , afin
qu'il ne puifle fuir,& on l'amene
proche des murailles
de la Ville, où il y a une Maifon
couverte. Dans le milieu
de cette Maiſon eſt un gros
Mats de cinq à fix braſſes de
hauteur , avec une Poutre
paſſée au travers par le haut
}
110 MERCURE
du Mats, qui eſt enfoüydans
terre d'une braſſe en maniere
de Pivot , ou bien tourné
comme le Cabestan d'un
Navire. Quand l'Eléphant
pris eft arrivé à cette Maiſon,
on le fufpend àce Cabeſtan
par deſſous le corps avec des
Cables, en forte que ſes pieds
poſent à terre. Eſtant ainſi
attaché, il ne peut tourner
qu'avec le Cabeſtan , & on
le laiſſe de cette maniere
pendant deux ou trois jours,
gardé par deux Maſles & par
deux Femelles, ſans luydonner
à manger. Apres cela,
GALANT. III
onl'oſte du Cabeftan , & on
le lie par le corps avec un au..
tre Eléphant privé. Ils demeurent
ainſi attachez enſemble
, juſqu'à ce que le
Sauvage ſoit apprivoilé , &
alors on luy donne un Cornacque,
ou Conducteur. Ces
Animaux ſont fort eſtimez
dans le Païs ; auſſi leRoy de
Siam en a quantité de domeftiques
. On appelle ceux qu'il
monte , Eléphans de l'Etat.
On les loge dans de beaux
Lieux , qui ſont comme des
Maiſons de Princes , toutes
peintes de feüillages; & com,
112 MERCURE
me ces Animaux aiment fort
la propreté, on ne ſe ſert que
de Vaiſſelle d'argent pour
leur donner à manger. Ja
mais ils ne ſortent pour al
ler à la Riviere ou à la Campagne
, qu'on ne porte des
Parafolsdevát chacun d'eux.
Ils ſont précedez de Tambours
& de Muſetes , & ont
unHarnois d'argent , & garny
de cuivre . Deux Hommes
montent deſſus, l'un ſur
le col , l'autre ſur la croupe;
&dans le milieu , il y a une
Selle d'écarlate, où perſonne
n'ofe s'affeoir, à cauſe que
GALANT. 113
C'eſt la place du Roy. Celuy
qui eft monté fur le cot , a
un Croc de fer , ou d'acier
luifant, dont il ſe fert pourle
gouverner , en le piquant fur
le coſté gauche du front,
pour le faire aller à gauche;
&dans le milieu, pour le faire
aller à droit. Chaque Mafle
a toûjours far Femelle qui
marche devant luy , gouver.
née & enharnachée de la
meſme forte. Ces Eléphans
ont la tefte de leur Trompe,,
la teſte, les oreilles, les jam
bes ,& une partie du Corps,,
marquetez , comme l'eſt lat
Juin 163.4 K.
114 MERCURE
peau d'un Tigre ; & quand
ils ont une queue traînante
avec un gros bouquet de
long poil au bout , c'eſt un
embelliſſement qui faitqu'on
les eſtime beaucoup davantage.
des Eléphans que le Roy de
Siam envoyoit en France
avec fes Ambaſſadeurs , a
expliqué la maniere dont les
Eleph
Elephans ſauvages peuvent
eftre pris , & voicy ce qu'il
en dit. Ce Roy en ayant
pluſieurs apprivoiſez , mafles
&femelles , en envoyequel
ques Bandes à quinze ou
GALANT. 107
vingt journées de la Ville,
dans les Bois & dans les
Plaines . Chaque Bande, qui
eft compoſée de quarante ou
de cinquante, a neuf ou dix
Hommes pour Conducteurs ;
& quand ils ont apperçeu
quelque Eléphant, ils ordonnent
aux Femelles de les al
ler entourer. Vous remarquerez
que les Eléphans apprivoiſez
entendent la Langue
de leurs Conducteurs.
Lors que l'Eléphant eft entouré
des Femelles, les Hommes
qui font montez ſur les
Maſles, accoſtent les Femel.
108 MERCURE
(
les , & font marcher l'Ele
phant pris dans le milieu de
la Bande. Ainſi il ne voit
point où ilva. A une journée
de la Ville , on les fait paſſer
par une Attrapoire , qui eft
toute bordée d'Arbres , &
que l'Eléphant ſauvage prend
pour un Bois. Ils n'y paſſent
qu'un à un ; & quand l'Eléphant
ſauvage eft dans l'Attrapoire
, où il croit paffer
comme les autres , on laiſſe
tomber de gros Pieux par
des coulices devant & derriere
, & il ſe trouve arreſté
comme s'il eſtoit dans une
GALANT. 109
Cage , fans qu'il puiſſe ſe
tourner de coſté ny d'autre.
Les Pieux qui compoſent
l'Attrapoire , font auſſi gros
que des Mats de Navire, &
deux Homes auroient peine
à les embraſſer. En ſuite on
lie les quatre pieds de l'Eléphant
avec des Cables , afin
qu'il ne puifle fuir,& on l'amene
proche des murailles
de la Ville, où il y a une Maifon
couverte. Dans le milieu
de cette Maiſon eſt un gros
Mats de cinq à fix braſſes de
hauteur , avec une Poutre
paſſée au travers par le haut
}
110 MERCURE
du Mats, qui eſt enfoüydans
terre d'une braſſe en maniere
de Pivot , ou bien tourné
comme le Cabestan d'un
Navire. Quand l'Eléphant
pris eft arrivé à cette Maiſon,
on le fufpend àce Cabeſtan
par deſſous le corps avec des
Cables, en forte que ſes pieds
poſent à terre. Eſtant ainſi
attaché, il ne peut tourner
qu'avec le Cabeſtan , & on
le laiſſe de cette maniere
pendant deux ou trois jours,
gardé par deux Maſles & par
deux Femelles, ſans luydonner
à manger. Apres cela,
GALANT. III
onl'oſte du Cabeftan , & on
le lie par le corps avec un au..
tre Eléphant privé. Ils demeurent
ainſi attachez enſemble
, juſqu'à ce que le
Sauvage ſoit apprivoilé , &
alors on luy donne un Cornacque,
ou Conducteur. Ces
Animaux ſont fort eſtimez
dans le Païs ; auſſi leRoy de
Siam en a quantité de domeftiques
. On appelle ceux qu'il
monte , Eléphans de l'Etat.
On les loge dans de beaux
Lieux , qui ſont comme des
Maiſons de Princes , toutes
peintes de feüillages; & com,
112 MERCURE
me ces Animaux aiment fort
la propreté, on ne ſe ſert que
de Vaiſſelle d'argent pour
leur donner à manger. Ja
mais ils ne ſortent pour al
ler à la Riviere ou à la Campagne
, qu'on ne porte des
Parafolsdevát chacun d'eux.
Ils ſont précedez de Tambours
& de Muſetes , & ont
unHarnois d'argent , & garny
de cuivre . Deux Hommes
montent deſſus, l'un ſur
le col , l'autre ſur la croupe;
&dans le milieu , il y a une
Selle d'écarlate, où perſonne
n'ofe s'affeoir, à cauſe que
GALANT. 113
C'eſt la place du Roy. Celuy
qui eft monté fur le cot , a
un Croc de fer , ou d'acier
luifant, dont il ſe fert pourle
gouverner , en le piquant fur
le coſté gauche du front,
pour le faire aller à gauche;
&dans le milieu, pour le faire
aller à droit. Chaque Mafle
a toûjours far Femelle qui
marche devant luy , gouver.
née & enharnachée de la
meſme forte. Ces Eléphans
ont la tefte de leur Trompe,,
la teſte, les oreilles, les jam
bes ,& une partie du Corps,,
marquetez , comme l'eſt lat
Juin 163.4 K.
114 MERCURE
peau d'un Tigre ; & quand
ils ont une queue traînante
avec un gros bouquet de
long poil au bout , c'eſt un
embelliſſement qui faitqu'on
les eſtime beaucoup davantage.
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Résumé : « Mr Deslandes, en parlant des Eléphans que le Roy de [...] »
Le texte de M'Deslandes décrit la méthode utilisée par le roi de Siam pour capturer des éléphants sauvages. Le roi envoie des bandes d'éléphants apprivoisés, mâles et femelles, à quinze ou vingt journées de la ville, dans les bois et les plaines. Chaque bande est composée de quarante à cinquante éléphants et dirigée par neuf ou dix conducteurs. Lorsqu'un éléphant sauvage est repéré, les femelles apprivoisées l'entourent, tandis que les mâles montés par des hommes le guident au centre de la bande, l'empêchant de voir où il va. À une journée de la ville, les éléphants passent par une attrapoire bordée d'arbres. L'éléphant sauvage, pensant entrer dans un bois, est piégé par des pieux tombant devant et derrière lui. Il est ensuite lié par les pieds avec des câbles et amené près des murailles de la ville, où il est suspendu à un cabestan pendant deux ou trois jours sans nourriture, gardé par deux mâles et deux femelles. Après cette période, l'éléphant est lié à un autre éléphant apprivoisé jusqu'à ce qu'il soit apprivoisé. Il reçoit alors un cornac. Les éléphants sont très estimés en Siam. Ceux montés par le roi sont appelés 'éléphants de l'État' et logés dans des lieux somptueux. Ils sont nourris avec de la vaisselle d'argent et sortent précédés de tambours et de musettes, portant un harnois d'argent et de cuivre. Deux hommes montent chaque éléphant, et une selle d'écarlate est réservée pour le roi. Les éléphants sont souvent marqués comme la peau d'un tigre, et une queue traînante avec un gros bouquet de poil au bout est considérée comme un embellissement précieux.
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6
p. 238-279
Description du Royaume & de la Cour de Siam, avec les moeurs des Habitans de ce grand Etat, [titre d'après la table]
Début :
Le Royaume de Siam a plus de trois cens lieües de [...]
Mots clefs :
Roi de Siam, Grands seigneurs, Siamois, Talapoins, Siam, Porte, Peuple, Idoles, Fruits, Terre, Corps, Hommes, Prince, Dieux, Ville, Mer, Maisons, Moeurs, Éléphants, Étrangers, Figure, Fruit, Habits, Officiers, Royaume, Orient, Rivière, Eaux, Chair, Écorce
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Description du Royaume & de la Cour de Siam, avec les moeurs des Habitans de ce grand Etat, [titre d'après la table]
Le Royaume de Siama
plus de trois cens lieues de
longueur, du Septentrion au
Midy , & eft plus étroit de
F'Orient à l'Occident. Ila le
Pégu pour bornes au SeptenGALANT
239
trion ; la Mer du Gange au
Midy , le petit Etat de Malaca
au Couchant , & du
cofté d'Orient la Mer d'u
ne part , & de l'autre , les
Montagnes qui le féparent
de Camboye & de Laros ..
Ce Royaume qui s'étend
i jufque fous le dix - huitiéme
degré de latitude Septentrionale
, fe trouve comme
entre deux Mers , qui
luy ouvrent paffage à tous
les Pais voifins & cela
rend fa fituation fort avantagcuſe
, à cauſe de la grande
étendue de fes Coftes,
auli
240 MERCURE
-
#
des
qui ont cinq à fix cens
lieues de tour. Il eft partagé
en onze Provinces, auf
quelles le Roy
Gouverneurs , qu'il deftitue
comme il luy plaift . Siam
eft la principale , & donne
fon nom à tout le Royau
me , aufli-bien qu'à la Ville
Capitale , qui eft fituée furt
la belle & grande Riviere
de Menan. Elle vient du
fameux Lac de Chiamay ,
& porte les Vaiffeaux tous !
chargez jufqu'aux Portes de:
Siam , quoy que cette Ville
foit éloignée de la Mer de
plus
SGALANT. 241
plus de foixante lieuës . Elle
a de bonnes Murailles , &
trente mille Maifons ou environ
, avec un Château bien ,
fortifié. Elle eft d'ailleurs affcz
forte d'elle mefme eftant
bâtie fur les eaux con comme
2
Veniſe. Il en eſt peu dans
tout l'Orient où l'on voye
plus de Nations diférentes
affemblées. On y parle jufqu'à
vingt fortes de Langues.
Tout le Pais eft fertile ; &
ce qui contribue fort à cette
fertilité , ce font les inondations
des Rivieres , caufées
par des pluyes qui durent
·
Octobre 1684.
X
242 MERCURE
trois ou quatre mois , & qui
tiennent les Campagnes toutes
noyées. Plus l'inondation
eft grande , plus la recolte
eft heureuſe. Le Ris , qui eft
le Froment des Siamois, n'eft
jamais affez arrofé . Il croift
au milieu de l'eau , & les
Campagnes qui en font femées
, reffemblent plûtoſt à
des Marais , qu'à des Terres
cultivées avec la Charüe. Le
Ris a cette force , que quoy
qu'il y ait fix ou fept pieds
d'eau fur luy , il pouffe toûjours
fa tige au deffus , & le
tuyau qui la porte s'éleve &
GALANT. 243
G
croift à proportion de la hauteur
de l'eau qui couvre fon
Champ . Malgré la fertilité
dont je vous parle , il y a
beaucoup de terres négligées
faute d'Habitans , & mefme
par la pareffe des Siamois ,
qui n'aiment pas le travail .
Ces Plaines in cultes & les
épaiffes Forefts que l'on voit
fur les Montagnes , fervent
de retraite aux Eléphans , aux
Tygres , aux Boeufs & Vaches
fauvages , aux Rinocérots
, & autres Beftcs . Le
Pais eft fort abondant en
Fruits, dont les meilleurs font
X ij
244MERCURE
le Durion , qui a la figure d'un
Melon ordinaire , & la peau
fort dure & raboteufe, & dans
Po
ouver
lequel , quand on
ОРГА
(190
(ce qu'il faut faire avec force )
on trouve des morceaux d'une
chair tres-blanche & délicate
, enfermée dans de petites
cellules , & dont le gouſt
paffe tour ce que nous avons
de meilleur en Europe ; les
Jacques, qui eftant gros.comme
nos Citrouilles , renferment
dans leur écorce une
chair jaunâtre & ferme , d'un
gouft aigre-doux fort agreable
; les Mangonftans, qui dans
GALANT. 245
une écorce toute unie , d'un
rouge enfoncé par le dehors,
mais plus clair par le dedans,
renferment une liqueur &
une chair femblable à celle
de l'Orange , dont elles ont
la groffeur , mais qui plaiſt
beaucoup davantage au goût,
la Manque, qui eft de la groffeur
dune Poire de Bon Chrérien
, & dont la couleur eft
jaune par le dehors , & rouge
parle dedans, & enfin l'Areca.
Ce dernier Fruit eft de la .
figure d'une groffe Prune.
Son écorce . renferme plu
fieurs filets, où fe trouve une
20
X iij
246 MERCURE
Noix affez dure , qui reffem?
ble à celle d'une Mufcade
Le gouſt en eft acre , mais
elle fortifie
l'eftomac.Les Siamois
, & les autres Peuples du
mefme Climat, ufent preſque
à toute heure de cet Areca ,
qu'ils eftimét fouverain pour
la fanté , à caufe qu'il aide la
digeftion
, & corrige l'humidité
de leurs alimens ordinaires
, qui font le Risle
Poiffon , les Fruits , & l'eau
toute pure pour leur boiſſon.
Les Riches comme les Pau
vres font occupez tout le jour
à mâcher ce Fruit ; & quand
14 X
GALANT. 247
1
ils fe rencontrent , le premier
acte de civilité eft de fe préfenter
l'un à l'autre l'Areca,
& de lle mâcher auffi - toft.
Les Siamois font olivâtres , &
non pas noirs , quoy qu'ils
foient fous la Zone torride.
Ils ont le nez court , &
font la plupart affezubien
faits. Leur naturel eft fort
doux , & affable aux Etrangers
. rs. Leur grande maxime
eft le repos , ils n'employent
au travail que leurs Efclaves ,
& une pauvreté tranquille
leur plaift beaucoup plus.
qu'une abondance de biens
X iiij.
248 MERCURE
accompagnée d'inquiétude.
Auffi leurs Habits , leurs .
Meubles , leurs Maiſons , &
leur
nourriture marquent
cette pauvreté. Ils vont toû
jours pieds & teftes nuës.
Les Grands, & les plus aifez ,
vont par terre fur des Elé
phans , & par eau dans des
Barques qui font fort comniodes
. Leurs Habits ne
confiftent qu'en une Etofe
deliée , toute
blanche , ou
marquée de Fleurs vives de
diférentes couleurs . Ils s'en
envelopent tout le corps ,
& lors qu'ils vont par la Ville,
GALANT 249
ils fe couvrent les épaules
d'une Cafaque de toile légere
, & stranſparente , qui
defcendo jufqu'au genouil.
Les Manches en font cour
tes , mais larges. Les Femmes
font prefque veftües comme
les Hommes . Ils fe rafent les
cheveux , s'arrachent la barbe
, & fe lavent fort fouvent
avec des eaux parfumées . Ils
font parez d'Etofes de foye
en broderie d'or , dans les
Affemblées de cerémonie .
Les Maifons du commun ,
deleulement
de bois
&
de feuilles , avec des murail
250 MERCURE
les de Cannes jointes enfemble
, font pofées fur des Piliers
élevez , qui les garantif
fent des inondations ordinaires
du Pais . Les Perfonj
nes riches ont des Baftimens
alug
de brique , & couverts de
tuiles . Tous leurs Meubles
ne confiftent qu'en quelques
Tapis & des Couffins.
Sieges , Tables, Lits , Tapif
feries , Cabinets , Peintures,
tout cela n'eft point de leur
ufage. Quoy que le Ris &
les Fruits foient leur nourri
ture, ils ne manquent ny de
Poules, ny de Boeufs, ny de
GALANT 251
pas fi fuper
Gibier ; mais eftant perfua
dez que c'eft faire mal que
d'ofter la vie aux Animaux,
ils n'en mangent point pour
l'ordinaire . Si d'autres les
tüent , ils font relevez de
leurs fcrupules , & croyent
en pouvoir manger fans crime.
Ils ne font
ftitieux pour le Poiffon, parce
qu'eftant, tiré des Filets , il
meurtcomme de luy mefme.
Les Siamois n'ont aucuns
exercices pour la Dance ,pour
les Armes , ny pour monter
à Cheval. Ils ne fçavent ce
que c'eft que Philofophie, au
252 MERCURE
Mathématiques. Leur Theo
logie confifte en quelques
Fables , & toute leur feience
eft à bien écrite , & àfçavoir
les Loix du Gouvernement
,
& de la Juftice. L'expérience
de divers Remedes pour les
maladies communes
, fait
toute leur Medecine
quand ces Remedes manquent
d'opérer , ils ont recours
à la Magie , fe fervant
de Pactes , de Billets , & de
Figures. Ils écrivent comme
nous de la gauche à la droite
, mais feulement avec du
crayon. Leur Papier eftant
: ར་
&
бы GALANT 253
trop foible , on le colle à une
ou deux autres feuilles pour
le foûtenir. Un grand Livre
n'eft fouvent qu'une feule
feuille de Papier de plufieurs
aunes de long , qu'on plie &
replie à la maniere de nos
Paravents . Tout l'Etat eft
Monarchique , & le Gouver
nement affez bien reglé. Le
Roy eft fort abfolu . Dans
les occafions les plus importantes
, il fait part de fes def
feins à quelques- uns des plus
grands Seigneurs , qu'on ap-
Felle Mandarins . Ceux - cy
aflemblent d'autres Officiers
254 MERCURE
leurs inférieurs , aufquels ils
communiquent ce qu'il leur
a propofé , & tous enfemble
concertent leur réponſe ou
remontrance. Il y a tel égard
qu'il veut , & diftribuant les
Charges felon le mérite , &
non felon la naiffance , il les
oſte ſur la moindre faute que
ceux qui en font pourveus
commettent. Il ne fe montre
prefque jamais au Peuple.
Les grands Seigneurs
mefme le voyent rarement.
Ils luy parlent à genoux les
mains jointes élevées fur
leurs teftes, & tous courbez
GALANT. 255
contre terre , fans ofer l'envifager.
Ils le qualifient
Roy
des Roys , Seigneur
des Seigneurs
, le Maiftre des Eaux,
le Tout-puiffant de la Terre,
le Dominateur
de la Mer,
l'Arbitre
du bonheur
& de
l'infortune
de fes Sujets. Son
Train eft fort magnifique
, &
fa Garde compofée
de trois
cens Hommes
.
Reyne , il a un grand nombre
de Concubines
qu'on
choifit entre les plus belles
Filles du Pais. Il fe laiffe voir
ordinairement
deux fois l'année
, l'une fur terré , & l'autre
Outre la
256 MERCURE
fur l'eau. Quand il va fe promener
fur la Riviere , la Galere
qui le porte eſt éclatante
de l'or le plus fin. On
y éleve un Trône fuperbe,
où ce Prince paroift revestu
d'Habits précieux, ayant une
Couronne toute d'or , garnie
de fins Diamans . A cette
Couronne pendent deux Aîles
d'or , qui luy batent les
épaules. Tous les Seigneurs
& les Officiers le fuivent,
chacun dans une Galere , parée
à proportion de ſes Biens
& de la Charge . Ces Galeres,
dorées par dedans & par deGALANT
257
hors , font le plus fouvent au
nombre de quatre cens , &
portent chacune trente ou
quarante Rameurs , dont
quelques - uns ont les bras
& les épaules dorées . Les
Rivages font bordez des Peuples
qui accourent en foule,,
& qui font retentir l'air de
cris d'allégreffe . Lors qu'il
fe montre par terre , deux
cens Eléphans paroiffent d'a--
bord. Ils portent chacun
-trois Hommes armez , &
font fuivis de Joueurs d'Inf--
trumens , de Trompetes , &
-de mille Soldats à pied . Les
Octobre 16844- Y
258 MERCURE
grands . Seigneurs du Païs
viennent apres, & il y en a
quelques uns qui ont 80; ou
1oo . Hommes à leur fuire. En
fuite on voit deux cens Soldats
du Japon , qui préce
dent ceux dont ifa Garde eft
compofée , puis fes Chevaux
de main , & fes Eléphans , &
apres les Officiers de fa Cour,
portant tous des Fruits , ou
quelqu'autre chofe que l'on
préfente aux Idoles . Derriere
eux marchent encore quelques
grands Seigneurs avec
des Couronnes fur leurs tef
tes. L'un dieux porte LE
for micro
GALANT 2591
tendard du Roy , & l'autre
une Epée qui repréfente la
JufticemoCePrince paroift
apres eux, porté fur un Elé
phant dans une Tour toute
éclatante de Pierreries . Cer:
Eléphant eft environné de
Gens qui luy portent des Pa
rafols, & fuivy du Prince qui
doit fucceder. Les Femmes :
du Roy fuivent auffi fur des
Eléphans, mais dans de petits ;
Cabinets fermez , qui ne les
Jaiffent point voir. Six cens
Soldats ferment ce Cortége,,
qui cft ordinairement de
quinze ou feize mille Hom-
C.
Yij
260 MERCURE
mes. Le fruit qu'on remporte
de ces Ceremonies, eft
de maintenir le Peuple dans.
la vonération de la Majefté
Royale . Quand le Roy eſt
mort , le plus âgé de fes Freres
luy fuccede, & les autres.
apres luy. S'il n'a point de
Freres, c'eft l'aîné des Fils, &
jamais les Filles . L'accés eft
facile aux Etrangers dans.
tout ce Royaume , foit pour
4
s'y établir , foit pour y faire
trafic. On ne les gefne en
aucune chofe, pourveu qu'ils.
ne faffent rien contre l'Etat.
Pour prévenir les deførdres
HGALANT 261
qu'ils pourroient caufer , on
donne à chaque Nation un.
peu confidérable , une Chef
qui en eft, & qui doit répondre
de tous ceux de fon Païs,.
avec un Seigneur de la Cour,
2 ou un Officier du Roy , qui
eft commele Protecteur particulier
de la Nation . C'eft à
ce Seigneur, ou Officier, que
doit s'adreffer ce Chef , foit:
pour les Requeftes qu'il veut
présenter au Prince, foit pour
les Affaires du Commerce..
D'ailleurs , les Canaux que
forme la Riviere , partageant
La Ville en plufieurs. Illes,
262 MERCURE
on a foin de placer chaque
Nation en quelque Iſle ou
Quartier féparé , ce qui empelche
les diférens qu'excite
fouvent le mélange des Nations
qui ont des antipaties
naturelles . On oblige encore
tous les Etrangers qui s'établiffent
à Siam , de renouveller
tous les ans le Serment
de fidelité qu'ils jurent au
Roy. Le jour de cette cerémonie
cft folemnel . Tous les
Officiers de la Couronne y
affiftent.LeRoy montéfur un
Trône reçoit ce Serment,que
chacun luy prefte felon for
GALANT. 263
mng , aprés quoy on leur donne
à boire d'une Eau qu'ils
nomment Eau de jurément.
Ils l'eftiment Sainte . Les Sa-
- crificateurs
des Idoles qui la
préparent avec des cerémonies
remplies de fuperftition
,
tiennent la pointe d'une Epée
dans cette Eau , & lancent
plufieurs imprécations
contre
les Parjures, dans la croyace
que s'ils ne promettent
pas fidelité avec un coeur fincere
, ils en feront fuffoquez
dés le mefme inftant.
Il n'y a point de Païs où
L'exercice de toutes fortes de
264 MERCURE
Religiós foit plus permis qu'à
Siam. Cette liberté attire un
grand nombre d'Etrangers,.
dont le fejour eft
avantageux
aux Siamois pour le commerce
. D'ailleurs ils tiennent que
toute Religion eft bonne , &
Iainfi ils ne fe montrent con
traires à aucune , pourvû qu'
elle puiffe fubfifter avec les
Loix du Gouvernement. Ils
difent que le Ciel'eft comme
- un grand Palais , où pluſieurs
chemins vont aboutir, & qu'il
feroit difficile de déterminer
quel eft le meilleur. Comme
ils croyent la pluralité des
Dieux
GALANT 265
Dieux , ils ajoûtent qu'eftant
tous de grands Seigneurs , ils
exigent divers cultes , & veulent
eftre honorez en plufieurs
manieres. Cette indiférence
eſt cauſe qu'il eft
malaifé de les convertir. En
avouant que la Religion des
Chrétiens eft bonne , ils prétendent
que c'eſt eſtre témeraire
, que de rejetter les au
tres , & que puis qu'elles ont
toutes pour but d'honorer les
Dieux , il y a fujet de croire
qu'ils s'en contentent. Ils
ont des Idoles en grand
nombre , & leur figure ne
Octobre 1684. Z
266 MERCURE
furprend pas moins que leur
grandeur. Il y en a fur un
mefme Autel jufqu'à cinquante
ou foixante, de plus de
quarante pieds de haut. Elles
font faites de Brique & de
Pierre , & dorées par le dehors
. Dans les Maifons des
Sacrificateurs font des Galeries
, où l'on en voit trois &
quatre cens de diférentes figures
, toutes dorées , & d'un
grand éclat. Les Temples
qu'ils bâtiffent à ces Idoles,
font trés -fomptueux , folides
& à peu prés comme nos ‘Eglifes.
Les Portes en font doGALANT.
267
rées , le dedans eit peint , &
la lumiere y entre par des Feneftres
étroites & longues,
prifes dans l'épaiffeur du mur.
Les Idoles font fur l'Autel ,
qui eft dans le lieu le plus éloigné
de la Porte , & auquel
on monte par plufieurs degrez
en Amphitheatre . Prés
de ces Temples font les Convens
des Sacrificateurs , qui
ont leurs Dortoirs & leurs
Cellules , & qui vivent en
.commun. Ils ont auffi leurs
Cloiſtres , au milieu defquels
eft une Pyramide extrémement
haute, & toute brillante
Z ij
268 MERCURE
d'or. La coûtume eft de ren
fermer fous ces Pyramides
les cendres des grands Seigneurs.
Les Portugais ront
donné le nom de Talapoins
à ces Sacrificateurs ou Reli
gieux , qui font bien au nom .
bre de trente mille dans tout
le Pais. Leurs habits qui
font d'une toile jaune toute
fimple , ne diférent sen rien
de ceux du Peuple pour la fi
gure, finon qu'au lieu de Ca
faque ils portent comme un
Baudrier de toile rouge , qui
va de l'épaulé gauche cou
vrant l'eftomac jufqu'au câ
2
GALANT 269
leur
ré droit. Ils marchent pieds,
nus & tefte nue , & quoy
qu'ilshareçoivent
quantité
d'aumônes , & que les préfens
qu'on fait aux Idoles,
d'Erofes , de Ris & de Fruits,
appartiennent , ils ne
font qu'un repas par jour , &
il ne leur eft permis de manger
le foir qu'un peu de Fruit.
Ils prefchent le Peuple , l'in
ftruifent , & font des offrandes
& des facrifices à leurs
Dieux. Ces Sacrifices font
accompagnez
de Torches ,
de Fleurs , & de feux d'Artifice.
Entre ces Talapoins , il!
Z
iij
270 MERCURE
y en a qui font feulement
pour vivre en particulier.
Quelques - uns ont des fon
ctions qui regardent le Pu
blic ; & d'autres qu'on nomme
Sancrats , ont foin des .
Temples , & de faire obfer
ver les cerémonies. Ces der
niers qui font les plus réverez
de tous , font fous la Jurifdiction
d'un Sancrat , qui
eft toûjours un grand Perfonnage.
C'eft luy qui préfide
au Pagode du Roy , qui
eft à deux lieues de Siam.
Non feulement il eft respecté
du Prince , mais il a l'honneur
GALANT. 271
de s'affeoir auprés de luy
quand il luy parle , & fe contente
de luy faire une médiocre
inclination de tefte. Ces
Preftres font obligez de garder
la continence , mais comme
il leur eft permis de quitrer
la vie Religieufe quand ils
veulent , ils n'ont qu'à fe défaire
de leurs veftemens de
couleur jaune pour ſe marier.
Il y a auffi proche des principaux
Teples, des Maifons de
Religieufes, où font de vicilles
Filles rafées, & vcftuës de
blanc. Elles paffent les jours
a prier , & quand la retraite
Z
iiij
272
MERCURE
r
les ennuye, elles quittent l'habit
blanc . Les Siamois croyét
que l'ame furvit le corps .Cela
les oblige à fonger de leur
vivant aux befoins de l'autre
vie. Ils amaffent pour cela
tout ce qu'ils peuvent épar
gner d'argent , le cachent en
quelque lieu retiré, & comme
c'eft parmy eux un grand
facrilege que de dérober l'ar
gent des Morts , il fe perd
par là des fommes immenfes
qu'on n'ofe chercher. Cette
folle opinion n'eft pas fou
lement parmy le Peuple ; lesc
grands Seigneurs & les Prin
<
GALANT.27 3
ces fe pourvoyent auffi pour
l'avenir , mais fans cacher
leurs Tréfors . Ils font élever
des Pyramides , au pied defquelles
ils enfouiffent l'ar
gent qu'ils fe refervent , & les
Talapoins veillent à la garde
de ces Pyramides . Les Siamois
font fort magnifiques.
dans leurs Funérailles, & emer
ployent quelquefois une an
née entière à en faire les préparatifs
. Les Sépulchres font.
environnez de plufieurs
Tours quarrées , faites de
bois de Cyprez , & reveſtuës;
de Cartes de gros Papier de
274MERCURE
diférentes couleurs . Ils met
tent quantité de feux d'arti
fice au deffus des Tours , &
tout estant preft , une partie
des Talapoins fe rend au lieu
des Funérailles , tandis que
l'autre va querir le Corps , On
Eenferme dans une Biere ou
Quaiffe dorée , fur laquelle
s'éleve une Pyramide , ornée
de divers Ouvrages de menuiferie
auffi dorée . Quand le
Corps eft arrivé , on le tire de
la Quaiffe. On le met fur le
bucher , autour duquel les
Talapoins font plufieurs
tours , & pendant que les flâ
GALANT. 275
mes le confument on fait
jouer des feux d'artifice au
fon de quatité d'Inftrumens.
Le corps eftant brûlé , on en
ramaffe les cendres , & on:
les met repofer fous la Pyramide.
7
Les mariages entre les
Perfonnes riches fe font avec
beaucoup de magnificence,
mais fans qu'il y entre aucune
cerémonie de Religion :
Les Mariez mettent en commun
une fomme de deniers,
& ont toûjours la liberté de
fe féparer en partageant leurs .
Enfans. Ileft permis au Ma276
MERCURE
ry de prendre autant de Con
cubines qu'il veut , &zelles
doivent obeiffance
à la prev
miere Femme , dont les En
fans font feuls héritiers du
bien du Pere, ceux des Concubines
n'ayant prefque rien.
Les biens des Gens de con
dition font féparez en trois
parties aprés leur mort. Les
Talapoins en ont une, le Roy
Fautre , & la troifiéme eft
pour les Enfans . La Coûtu
me eft diférente parmy le
Peuple. Les Hommes acheg
tent leurs Femmes par quel
que préfent qu'ils font aux
GALANT 277
Peres. Ils ont mefine liberté
de les quitter , mais les divorces
ne fe font pas fans de
grandes cauſes. Les Enfans
partagent entr'eux également
le bien de leur Pere,
laiffant pourtant ordinairement
quelque chofe de plus
àl'Aîné. Onles met dans leur
bas âge auprés des Preftres &
Docteurs , pour apprendre à
lite & à écrire , & quand
leurs études font achevées, il
en demeure toûjours un
grand nombre dans la Communauté
de ces Talapoins.
Il y a beaucoup d'argent à
278 MERCURE
Siam. Celuy de la principale
Monnoye dont on s'y fert , &
qu'on appelle Ticals , eft fort
fin , & d'une figure preſque,
ronde , marquée au coin d
Prince. Les Ticals valent
trente- fept fols de noftre
Monnoye .Un Mayonvaut la
moitié d'un Tical.Un Foüan,
la moitié d'un Mayon , &
un Sampaya la moitié d'un
Foüan. Ils font ordinairement
leurs comptes par Cattis
d'argent. Chaque Cattis
vaut vingt Tayls , ou cent
quarante quatre livres , le
Tayl valant quelque chofe
GALANT. 279
de plus que fept francs.
plus de trois cens lieues de
longueur, du Septentrion au
Midy , & eft plus étroit de
F'Orient à l'Occident. Ila le
Pégu pour bornes au SeptenGALANT
239
trion ; la Mer du Gange au
Midy , le petit Etat de Malaca
au Couchant , & du
cofté d'Orient la Mer d'u
ne part , & de l'autre , les
Montagnes qui le féparent
de Camboye & de Laros ..
Ce Royaume qui s'étend
i jufque fous le dix - huitiéme
degré de latitude Septentrionale
, fe trouve comme
entre deux Mers , qui
luy ouvrent paffage à tous
les Pais voifins & cela
rend fa fituation fort avantagcuſe
, à cauſe de la grande
étendue de fes Coftes,
auli
240 MERCURE
-
#
des
qui ont cinq à fix cens
lieues de tour. Il eft partagé
en onze Provinces, auf
quelles le Roy
Gouverneurs , qu'il deftitue
comme il luy plaift . Siam
eft la principale , & donne
fon nom à tout le Royau
me , aufli-bien qu'à la Ville
Capitale , qui eft fituée furt
la belle & grande Riviere
de Menan. Elle vient du
fameux Lac de Chiamay ,
& porte les Vaiffeaux tous !
chargez jufqu'aux Portes de:
Siam , quoy que cette Ville
foit éloignée de la Mer de
plus
SGALANT. 241
plus de foixante lieuës . Elle
a de bonnes Murailles , &
trente mille Maifons ou environ
, avec un Château bien ,
fortifié. Elle eft d'ailleurs affcz
forte d'elle mefme eftant
bâtie fur les eaux con comme
2
Veniſe. Il en eſt peu dans
tout l'Orient où l'on voye
plus de Nations diférentes
affemblées. On y parle jufqu'à
vingt fortes de Langues.
Tout le Pais eft fertile ; &
ce qui contribue fort à cette
fertilité , ce font les inondations
des Rivieres , caufées
par des pluyes qui durent
·
Octobre 1684.
X
242 MERCURE
trois ou quatre mois , & qui
tiennent les Campagnes toutes
noyées. Plus l'inondation
eft grande , plus la recolte
eft heureuſe. Le Ris , qui eft
le Froment des Siamois, n'eft
jamais affez arrofé . Il croift
au milieu de l'eau , & les
Campagnes qui en font femées
, reffemblent plûtoſt à
des Marais , qu'à des Terres
cultivées avec la Charüe. Le
Ris a cette force , que quoy
qu'il y ait fix ou fept pieds
d'eau fur luy , il pouffe toûjours
fa tige au deffus , & le
tuyau qui la porte s'éleve &
GALANT. 243
G
croift à proportion de la hauteur
de l'eau qui couvre fon
Champ . Malgré la fertilité
dont je vous parle , il y a
beaucoup de terres négligées
faute d'Habitans , & mefme
par la pareffe des Siamois ,
qui n'aiment pas le travail .
Ces Plaines in cultes & les
épaiffes Forefts que l'on voit
fur les Montagnes , fervent
de retraite aux Eléphans , aux
Tygres , aux Boeufs & Vaches
fauvages , aux Rinocérots
, & autres Beftcs . Le
Pais eft fort abondant en
Fruits, dont les meilleurs font
X ij
244MERCURE
le Durion , qui a la figure d'un
Melon ordinaire , & la peau
fort dure & raboteufe, & dans
Po
ouver
lequel , quand on
ОРГА
(190
(ce qu'il faut faire avec force )
on trouve des morceaux d'une
chair tres-blanche & délicate
, enfermée dans de petites
cellules , & dont le gouſt
paffe tour ce que nous avons
de meilleur en Europe ; les
Jacques, qui eftant gros.comme
nos Citrouilles , renferment
dans leur écorce une
chair jaunâtre & ferme , d'un
gouft aigre-doux fort agreable
; les Mangonftans, qui dans
GALANT. 245
une écorce toute unie , d'un
rouge enfoncé par le dehors,
mais plus clair par le dedans,
renferment une liqueur &
une chair femblable à celle
de l'Orange , dont elles ont
la groffeur , mais qui plaiſt
beaucoup davantage au goût,
la Manque, qui eft de la groffeur
dune Poire de Bon Chrérien
, & dont la couleur eft
jaune par le dehors , & rouge
parle dedans, & enfin l'Areca.
Ce dernier Fruit eft de la .
figure d'une groffe Prune.
Son écorce . renferme plu
fieurs filets, où fe trouve une
20
X iij
246 MERCURE
Noix affez dure , qui reffem?
ble à celle d'une Mufcade
Le gouſt en eft acre , mais
elle fortifie
l'eftomac.Les Siamois
, & les autres Peuples du
mefme Climat, ufent preſque
à toute heure de cet Areca ,
qu'ils eftimét fouverain pour
la fanté , à caufe qu'il aide la
digeftion
, & corrige l'humidité
de leurs alimens ordinaires
, qui font le Risle
Poiffon , les Fruits , & l'eau
toute pure pour leur boiſſon.
Les Riches comme les Pau
vres font occupez tout le jour
à mâcher ce Fruit ; & quand
14 X
GALANT. 247
1
ils fe rencontrent , le premier
acte de civilité eft de fe préfenter
l'un à l'autre l'Areca,
& de lle mâcher auffi - toft.
Les Siamois font olivâtres , &
non pas noirs , quoy qu'ils
foient fous la Zone torride.
Ils ont le nez court , &
font la plupart affezubien
faits. Leur naturel eft fort
doux , & affable aux Etrangers
. rs. Leur grande maxime
eft le repos , ils n'employent
au travail que leurs Efclaves ,
& une pauvreté tranquille
leur plaift beaucoup plus.
qu'une abondance de biens
X iiij.
248 MERCURE
accompagnée d'inquiétude.
Auffi leurs Habits , leurs .
Meubles , leurs Maiſons , &
leur
nourriture marquent
cette pauvreté. Ils vont toû
jours pieds & teftes nuës.
Les Grands, & les plus aifez ,
vont par terre fur des Elé
phans , & par eau dans des
Barques qui font fort comniodes
. Leurs Habits ne
confiftent qu'en une Etofe
deliée , toute
blanche , ou
marquée de Fleurs vives de
diférentes couleurs . Ils s'en
envelopent tout le corps ,
& lors qu'ils vont par la Ville,
GALANT 249
ils fe couvrent les épaules
d'une Cafaque de toile légere
, & stranſparente , qui
defcendo jufqu'au genouil.
Les Manches en font cour
tes , mais larges. Les Femmes
font prefque veftües comme
les Hommes . Ils fe rafent les
cheveux , s'arrachent la barbe
, & fe lavent fort fouvent
avec des eaux parfumées . Ils
font parez d'Etofes de foye
en broderie d'or , dans les
Affemblées de cerémonie .
Les Maifons du commun ,
deleulement
de bois
&
de feuilles , avec des murail
250 MERCURE
les de Cannes jointes enfemble
, font pofées fur des Piliers
élevez , qui les garantif
fent des inondations ordinaires
du Pais . Les Perfonj
nes riches ont des Baftimens
alug
de brique , & couverts de
tuiles . Tous leurs Meubles
ne confiftent qu'en quelques
Tapis & des Couffins.
Sieges , Tables, Lits , Tapif
feries , Cabinets , Peintures,
tout cela n'eft point de leur
ufage. Quoy que le Ris &
les Fruits foient leur nourri
ture, ils ne manquent ny de
Poules, ny de Boeufs, ny de
GALANT 251
pas fi fuper
Gibier ; mais eftant perfua
dez que c'eft faire mal que
d'ofter la vie aux Animaux,
ils n'en mangent point pour
l'ordinaire . Si d'autres les
tüent , ils font relevez de
leurs fcrupules , & croyent
en pouvoir manger fans crime.
Ils ne font
ftitieux pour le Poiffon, parce
qu'eftant, tiré des Filets , il
meurtcomme de luy mefme.
Les Siamois n'ont aucuns
exercices pour la Dance ,pour
les Armes , ny pour monter
à Cheval. Ils ne fçavent ce
que c'eft que Philofophie, au
252 MERCURE
Mathématiques. Leur Theo
logie confifte en quelques
Fables , & toute leur feience
eft à bien écrite , & àfçavoir
les Loix du Gouvernement
,
& de la Juftice. L'expérience
de divers Remedes pour les
maladies communes
, fait
toute leur Medecine
quand ces Remedes manquent
d'opérer , ils ont recours
à la Magie , fe fervant
de Pactes , de Billets , & de
Figures. Ils écrivent comme
nous de la gauche à la droite
, mais feulement avec du
crayon. Leur Papier eftant
: ར་
&
бы GALANT 253
trop foible , on le colle à une
ou deux autres feuilles pour
le foûtenir. Un grand Livre
n'eft fouvent qu'une feule
feuille de Papier de plufieurs
aunes de long , qu'on plie &
replie à la maniere de nos
Paravents . Tout l'Etat eft
Monarchique , & le Gouver
nement affez bien reglé. Le
Roy eft fort abfolu . Dans
les occafions les plus importantes
, il fait part de fes def
feins à quelques- uns des plus
grands Seigneurs , qu'on ap-
Felle Mandarins . Ceux - cy
aflemblent d'autres Officiers
254 MERCURE
leurs inférieurs , aufquels ils
communiquent ce qu'il leur
a propofé , & tous enfemble
concertent leur réponſe ou
remontrance. Il y a tel égard
qu'il veut , & diftribuant les
Charges felon le mérite , &
non felon la naiffance , il les
oſte ſur la moindre faute que
ceux qui en font pourveus
commettent. Il ne fe montre
prefque jamais au Peuple.
Les grands Seigneurs
mefme le voyent rarement.
Ils luy parlent à genoux les
mains jointes élevées fur
leurs teftes, & tous courbez
GALANT. 255
contre terre , fans ofer l'envifager.
Ils le qualifient
Roy
des Roys , Seigneur
des Seigneurs
, le Maiftre des Eaux,
le Tout-puiffant de la Terre,
le Dominateur
de la Mer,
l'Arbitre
du bonheur
& de
l'infortune
de fes Sujets. Son
Train eft fort magnifique
, &
fa Garde compofée
de trois
cens Hommes
.
Reyne , il a un grand nombre
de Concubines
qu'on
choifit entre les plus belles
Filles du Pais. Il fe laiffe voir
ordinairement
deux fois l'année
, l'une fur terré , & l'autre
Outre la
256 MERCURE
fur l'eau. Quand il va fe promener
fur la Riviere , la Galere
qui le porte eſt éclatante
de l'or le plus fin. On
y éleve un Trône fuperbe,
où ce Prince paroift revestu
d'Habits précieux, ayant une
Couronne toute d'or , garnie
de fins Diamans . A cette
Couronne pendent deux Aîles
d'or , qui luy batent les
épaules. Tous les Seigneurs
& les Officiers le fuivent,
chacun dans une Galere , parée
à proportion de ſes Biens
& de la Charge . Ces Galeres,
dorées par dedans & par deGALANT
257
hors , font le plus fouvent au
nombre de quatre cens , &
portent chacune trente ou
quarante Rameurs , dont
quelques - uns ont les bras
& les épaules dorées . Les
Rivages font bordez des Peuples
qui accourent en foule,,
& qui font retentir l'air de
cris d'allégreffe . Lors qu'il
fe montre par terre , deux
cens Eléphans paroiffent d'a--
bord. Ils portent chacun
-trois Hommes armez , &
font fuivis de Joueurs d'Inf--
trumens , de Trompetes , &
-de mille Soldats à pied . Les
Octobre 16844- Y
258 MERCURE
grands . Seigneurs du Païs
viennent apres, & il y en a
quelques uns qui ont 80; ou
1oo . Hommes à leur fuire. En
fuite on voit deux cens Soldats
du Japon , qui préce
dent ceux dont ifa Garde eft
compofée , puis fes Chevaux
de main , & fes Eléphans , &
apres les Officiers de fa Cour,
portant tous des Fruits , ou
quelqu'autre chofe que l'on
préfente aux Idoles . Derriere
eux marchent encore quelques
grands Seigneurs avec
des Couronnes fur leurs tef
tes. L'un dieux porte LE
for micro
GALANT 2591
tendard du Roy , & l'autre
une Epée qui repréfente la
JufticemoCePrince paroift
apres eux, porté fur un Elé
phant dans une Tour toute
éclatante de Pierreries . Cer:
Eléphant eft environné de
Gens qui luy portent des Pa
rafols, & fuivy du Prince qui
doit fucceder. Les Femmes :
du Roy fuivent auffi fur des
Eléphans, mais dans de petits ;
Cabinets fermez , qui ne les
Jaiffent point voir. Six cens
Soldats ferment ce Cortége,,
qui cft ordinairement de
quinze ou feize mille Hom-
C.
Yij
260 MERCURE
mes. Le fruit qu'on remporte
de ces Ceremonies, eft
de maintenir le Peuple dans.
la vonération de la Majefté
Royale . Quand le Roy eſt
mort , le plus âgé de fes Freres
luy fuccede, & les autres.
apres luy. S'il n'a point de
Freres, c'eft l'aîné des Fils, &
jamais les Filles . L'accés eft
facile aux Etrangers dans.
tout ce Royaume , foit pour
4
s'y établir , foit pour y faire
trafic. On ne les gefne en
aucune chofe, pourveu qu'ils.
ne faffent rien contre l'Etat.
Pour prévenir les deførdres
HGALANT 261
qu'ils pourroient caufer , on
donne à chaque Nation un.
peu confidérable , une Chef
qui en eft, & qui doit répondre
de tous ceux de fon Païs,.
avec un Seigneur de la Cour,
2 ou un Officier du Roy , qui
eft commele Protecteur particulier
de la Nation . C'eft à
ce Seigneur, ou Officier, que
doit s'adreffer ce Chef , foit:
pour les Requeftes qu'il veut
présenter au Prince, foit pour
les Affaires du Commerce..
D'ailleurs , les Canaux que
forme la Riviere , partageant
La Ville en plufieurs. Illes,
262 MERCURE
on a foin de placer chaque
Nation en quelque Iſle ou
Quartier féparé , ce qui empelche
les diférens qu'excite
fouvent le mélange des Nations
qui ont des antipaties
naturelles . On oblige encore
tous les Etrangers qui s'établiffent
à Siam , de renouveller
tous les ans le Serment
de fidelité qu'ils jurent au
Roy. Le jour de cette cerémonie
cft folemnel . Tous les
Officiers de la Couronne y
affiftent.LeRoy montéfur un
Trône reçoit ce Serment,que
chacun luy prefte felon for
GALANT. 263
mng , aprés quoy on leur donne
à boire d'une Eau qu'ils
nomment Eau de jurément.
Ils l'eftiment Sainte . Les Sa-
- crificateurs
des Idoles qui la
préparent avec des cerémonies
remplies de fuperftition
,
tiennent la pointe d'une Epée
dans cette Eau , & lancent
plufieurs imprécations
contre
les Parjures, dans la croyace
que s'ils ne promettent
pas fidelité avec un coeur fincere
, ils en feront fuffoquez
dés le mefme inftant.
Il n'y a point de Païs où
L'exercice de toutes fortes de
264 MERCURE
Religiós foit plus permis qu'à
Siam. Cette liberté attire un
grand nombre d'Etrangers,.
dont le fejour eft
avantageux
aux Siamois pour le commerce
. D'ailleurs ils tiennent que
toute Religion eft bonne , &
Iainfi ils ne fe montrent con
traires à aucune , pourvû qu'
elle puiffe fubfifter avec les
Loix du Gouvernement. Ils
difent que le Ciel'eft comme
- un grand Palais , où pluſieurs
chemins vont aboutir, & qu'il
feroit difficile de déterminer
quel eft le meilleur. Comme
ils croyent la pluralité des
Dieux
GALANT 265
Dieux , ils ajoûtent qu'eftant
tous de grands Seigneurs , ils
exigent divers cultes , & veulent
eftre honorez en plufieurs
manieres. Cette indiférence
eſt cauſe qu'il eft
malaifé de les convertir. En
avouant que la Religion des
Chrétiens eft bonne , ils prétendent
que c'eſt eſtre témeraire
, que de rejetter les au
tres , & que puis qu'elles ont
toutes pour but d'honorer les
Dieux , il y a fujet de croire
qu'ils s'en contentent. Ils
ont des Idoles en grand
nombre , & leur figure ne
Octobre 1684. Z
266 MERCURE
furprend pas moins que leur
grandeur. Il y en a fur un
mefme Autel jufqu'à cinquante
ou foixante, de plus de
quarante pieds de haut. Elles
font faites de Brique & de
Pierre , & dorées par le dehors
. Dans les Maifons des
Sacrificateurs font des Galeries
, où l'on en voit trois &
quatre cens de diférentes figures
, toutes dorées , & d'un
grand éclat. Les Temples
qu'ils bâtiffent à ces Idoles,
font trés -fomptueux , folides
& à peu prés comme nos ‘Eglifes.
Les Portes en font doGALANT.
267
rées , le dedans eit peint , &
la lumiere y entre par des Feneftres
étroites & longues,
prifes dans l'épaiffeur du mur.
Les Idoles font fur l'Autel ,
qui eft dans le lieu le plus éloigné
de la Porte , & auquel
on monte par plufieurs degrez
en Amphitheatre . Prés
de ces Temples font les Convens
des Sacrificateurs , qui
ont leurs Dortoirs & leurs
Cellules , & qui vivent en
.commun. Ils ont auffi leurs
Cloiſtres , au milieu defquels
eft une Pyramide extrémement
haute, & toute brillante
Z ij
268 MERCURE
d'or. La coûtume eft de ren
fermer fous ces Pyramides
les cendres des grands Seigneurs.
Les Portugais ront
donné le nom de Talapoins
à ces Sacrificateurs ou Reli
gieux , qui font bien au nom .
bre de trente mille dans tout
le Pais. Leurs habits qui
font d'une toile jaune toute
fimple , ne diférent sen rien
de ceux du Peuple pour la fi
gure, finon qu'au lieu de Ca
faque ils portent comme un
Baudrier de toile rouge , qui
va de l'épaulé gauche cou
vrant l'eftomac jufqu'au câ
2
GALANT 269
leur
ré droit. Ils marchent pieds,
nus & tefte nue , & quoy
qu'ilshareçoivent
quantité
d'aumônes , & que les préfens
qu'on fait aux Idoles,
d'Erofes , de Ris & de Fruits,
appartiennent , ils ne
font qu'un repas par jour , &
il ne leur eft permis de manger
le foir qu'un peu de Fruit.
Ils prefchent le Peuple , l'in
ftruifent , & font des offrandes
& des facrifices à leurs
Dieux. Ces Sacrifices font
accompagnez
de Torches ,
de Fleurs , & de feux d'Artifice.
Entre ces Talapoins , il!
Z
iij
270 MERCURE
y en a qui font feulement
pour vivre en particulier.
Quelques - uns ont des fon
ctions qui regardent le Pu
blic ; & d'autres qu'on nomme
Sancrats , ont foin des .
Temples , & de faire obfer
ver les cerémonies. Ces der
niers qui font les plus réverez
de tous , font fous la Jurifdiction
d'un Sancrat , qui
eft toûjours un grand Perfonnage.
C'eft luy qui préfide
au Pagode du Roy , qui
eft à deux lieues de Siam.
Non feulement il eft respecté
du Prince , mais il a l'honneur
GALANT. 271
de s'affeoir auprés de luy
quand il luy parle , & fe contente
de luy faire une médiocre
inclination de tefte. Ces
Preftres font obligez de garder
la continence , mais comme
il leur eft permis de quitrer
la vie Religieufe quand ils
veulent , ils n'ont qu'à fe défaire
de leurs veftemens de
couleur jaune pour ſe marier.
Il y a auffi proche des principaux
Teples, des Maifons de
Religieufes, où font de vicilles
Filles rafées, & vcftuës de
blanc. Elles paffent les jours
a prier , & quand la retraite
Z
iiij
272
MERCURE
r
les ennuye, elles quittent l'habit
blanc . Les Siamois croyét
que l'ame furvit le corps .Cela
les oblige à fonger de leur
vivant aux befoins de l'autre
vie. Ils amaffent pour cela
tout ce qu'ils peuvent épar
gner d'argent , le cachent en
quelque lieu retiré, & comme
c'eft parmy eux un grand
facrilege que de dérober l'ar
gent des Morts , il fe perd
par là des fommes immenfes
qu'on n'ofe chercher. Cette
folle opinion n'eft pas fou
lement parmy le Peuple ; lesc
grands Seigneurs & les Prin
<
GALANT.27 3
ces fe pourvoyent auffi pour
l'avenir , mais fans cacher
leurs Tréfors . Ils font élever
des Pyramides , au pied defquelles
ils enfouiffent l'ar
gent qu'ils fe refervent , & les
Talapoins veillent à la garde
de ces Pyramides . Les Siamois
font fort magnifiques.
dans leurs Funérailles, & emer
ployent quelquefois une an
née entière à en faire les préparatifs
. Les Sépulchres font.
environnez de plufieurs
Tours quarrées , faites de
bois de Cyprez , & reveſtuës;
de Cartes de gros Papier de
274MERCURE
diférentes couleurs . Ils met
tent quantité de feux d'arti
fice au deffus des Tours , &
tout estant preft , une partie
des Talapoins fe rend au lieu
des Funérailles , tandis que
l'autre va querir le Corps , On
Eenferme dans une Biere ou
Quaiffe dorée , fur laquelle
s'éleve une Pyramide , ornée
de divers Ouvrages de menuiferie
auffi dorée . Quand le
Corps eft arrivé , on le tire de
la Quaiffe. On le met fur le
bucher , autour duquel les
Talapoins font plufieurs
tours , & pendant que les flâ
GALANT. 275
mes le confument on fait
jouer des feux d'artifice au
fon de quatité d'Inftrumens.
Le corps eftant brûlé , on en
ramaffe les cendres , & on:
les met repofer fous la Pyramide.
7
Les mariages entre les
Perfonnes riches fe font avec
beaucoup de magnificence,
mais fans qu'il y entre aucune
cerémonie de Religion :
Les Mariez mettent en commun
une fomme de deniers,
& ont toûjours la liberté de
fe féparer en partageant leurs .
Enfans. Ileft permis au Ma276
MERCURE
ry de prendre autant de Con
cubines qu'il veut , &zelles
doivent obeiffance
à la prev
miere Femme , dont les En
fans font feuls héritiers du
bien du Pere, ceux des Concubines
n'ayant prefque rien.
Les biens des Gens de con
dition font féparez en trois
parties aprés leur mort. Les
Talapoins en ont une, le Roy
Fautre , & la troifiéme eft
pour les Enfans . La Coûtu
me eft diférente parmy le
Peuple. Les Hommes acheg
tent leurs Femmes par quel
que préfent qu'ils font aux
GALANT 277
Peres. Ils ont mefine liberté
de les quitter , mais les divorces
ne fe font pas fans de
grandes cauſes. Les Enfans
partagent entr'eux également
le bien de leur Pere,
laiffant pourtant ordinairement
quelque chofe de plus
àl'Aîné. Onles met dans leur
bas âge auprés des Preftres &
Docteurs , pour apprendre à
lite & à écrire , & quand
leurs études font achevées, il
en demeure toûjours un
grand nombre dans la Communauté
de ces Talapoins.
Il y a beaucoup d'argent à
278 MERCURE
Siam. Celuy de la principale
Monnoye dont on s'y fert , &
qu'on appelle Ticals , eft fort
fin , & d'une figure preſque,
ronde , marquée au coin d
Prince. Les Ticals valent
trente- fept fols de noftre
Monnoye .Un Mayonvaut la
moitié d'un Tical.Un Foüan,
la moitié d'un Mayon , &
un Sampaya la moitié d'un
Foüan. Ils font ordinairement
leurs comptes par Cattis
d'argent. Chaque Cattis
vaut vingt Tayls , ou cent
quarante quatre livres , le
Tayl valant quelque chofe
GALANT. 279
de plus que fept francs.
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Résumé : Description du Royaume & de la Cour de Siam, avec les moeurs des Habitans de ce grand Etat, [titre d'après la table]
Le Royaume de Siama s'étend sur plus de trois cents lieues du nord au sud et est bordé par le Pégu au nord, la mer du Gange au sud, le petit État de Malaca à l'ouest, et les montagnes à l'est, qui le séparent de la Camboye et de Laros. Situé jusqu'au dix-huitième degré de latitude septentrionale, le royaume est avantageusement situé entre deux mers, facilitant les échanges avec les pays voisins grâce à l'étendue de ses côtes, qui mesurent cinq à six cents lieues de tour. Le royaume est divisé en onze provinces gouvernées par des gouverneurs nommés par le roi. La province de Siam est la principale et donne son nom au royaume ainsi qu'à la ville capitale, située sur la rivière de Menan, qui provient du lac de Chiamay et permet aux vaisseaux de naviguer jusqu'aux portes de Siam, malgré la distance de plus de soixante lieues de la mer. La capitale est bien fortifiée et construite sur l'eau, semblable à Venise, et abrite une grande diversité de nations parlant jusqu'à vingt langues différentes. Le pays est fertile grâce aux inondations causées par les pluies durables de trois à quatre mois, qui noient les campagnes et favorisent la culture du riz, le principal aliment des Siamois. Malgré cette fertilité, de nombreuses terres restent incultes faute de main-d'œuvre ou par la paresse des habitants. Les plaines et forêts servent de refuge à divers animaux sauvages. Le royaume est riche en fruits, notamment le durion, les jacquiers, les mangoustans, la manque et l'areca, ce dernier étant utilisé pour ses propriétés digestives et socialement important dans les échanges de civilité. Les Siamois sont de peau olivâtre, ont un nez court et un naturel doux et affable. Ils valorisent le repos et délèguent le travail à leurs esclaves. Leur mode de vie est marqué par une pauvreté tranquille, et ils se vêtent simplement, souvent pieds nus. Les maisons sont construites sur pilotis pour se protéger des inondations. La nourriture principale est le riz et les fruits, bien que la viande soit consommée occasionnellement. Les Siamois n'ont pas d'exercices physiques ou intellectuels spécifiques et leur médecine repose sur des remèdes traditionnels et la magie. Le gouvernement est monarchique et bien régulé, avec un roi absolu qui consulte parfois les grands seigneurs pour les décisions importantes. Le roi se montre rarement au peuple et est entouré d'une garde de trois cents hommes. Il a de nombreuses concubines et se déplace de manière majestueuse, soit par terre avec des éléphants, soit par eau avec des galères ornées. Les cérémonies royales visent à maintenir la vénération du peuple pour la majesté royale. À la mort du roi, son frère aîné ou son fils aîné lui succède, jamais une fille. Le royaume est ouvert aux étrangers, qui peuvent s'y établir ou commercer librement, à condition de respecter l'État. Chaque nation étrangère a un chef et un protecteur particulier pour prévenir les désordres. Les étrangers doivent renouveler annuellement leur serment de fidélité au roi lors d'une cérémonie solennelle. Le royaume permet la pratique de toutes les religions, attirant ainsi de nombreux étrangers dont la présence est bénéfique pour le commerce. Les Siamois croient en une pluralité de dieux et estiment que chaque divinité exige des cultes différents. Cette diversité rend difficile leur conversion à d'autres religions. Ils reconnaissent la validité de la religion chrétienne mais refusent de rejeter les autres croyances, estimant que toutes honorent les dieux. Les Siamois possèdent de nombreuses idoles de grande taille, souvent dorées et placées dans des temples somptueux et solides, similaires aux églises. Ces temples comportent des galeries avec des idoles de diverses figures et des portes dorées. Les sacrifices aux dieux sont accompagnés de torches, de fleurs et de feux d'artifice. Les Talapoins, ou sacrificateurs, sont nombreux et portent des habits jaunes distinctifs. Ils vivent en communauté, jeûnent souvent et se consacrent à la prière et aux offrandes. Les femmes religieuses, vêtues de blanc, peuvent quitter leur vie monastique à leur convenance. Les Siamois croient en la survie de l'âme après la mort et amassent des trésors pour l'au-delà. Les funérailles sont magnifiques et durent parfois une année entière, avec des cérémonies élaborées et des feux d'artifice. Les mariages parmi les riches sont somptueux mais sans cérémonies religieuses. Les biens sont partagés entre les Talapoins, le roi et les enfants après la mort du propriétaire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 242-282
Suite de l'Article de Siam, [titre d'après la table]
Début :
Aprés avoir satisfait vostre curiosité dans une de mes Lettres, [...]
Mots clefs :
Roi de Siam, Roi de France, Envoyés, Monarque, Présents, Prince, Vaisseau, Bâtiment, Londres, Royaume, Majesté, Remèdes, Argent, Sujets, Missionnaires, Nations, Europe, Gloire, Banten, Amitié, Angleterre, Voyage, États, Religion, Hommes, Peuples, Siam
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Suite de l'Article de Siam, [titre d'après la table]
Aprés avoir satisfait vostre
curiosité dans une de mes
Lettres, touchant la Religion
& les Coûtumes des
Habitans du Royaume de
Siam
,
& vous avoir parlé
dans la suivante de l'Audience
donnée par Mrle Marquis
de Seignelay aux Envoyez
du Prince qui le gouverne,
je dois vous apprendre tout
ce qui s'est passé à l'égard de
ces mesmes Envoyez, depuis
qu'ils sont à Paris. Mais
avant que d'entrerdans ce
détail
,
j'en ay un autre fort
curieux à vous faire, qui
vous plaira d'autant plus,
qu'il vous fera connoistre
de quelle maniéré a pris
naissance la hauteestime
que le Roy de Siam a
conceuë pour Sa Majesté.
Les Millionnaires qui n'ont
que le seul Salut des Ames
pour but dans toutes les peines
qu'ils se donnent, s'étant
établisàSiam,ilsygagnerent
en peu de temps
l'affection de tous les Peuples.
L'employ de ces Ames
toutes charitables
,
n'étoit,
& n'est encore aujourd'huy,
que de faire du bien.
Comme en partant de France
ils s'estoient munis de
quantité de Remedes, &
qu'ils avoient avec eux Medecins,
Chirurgiens & Apoticaires
,ils soulageoient les
Malades, jusque-là mesmes
qu'ils avoient des Hommes
qui avec des Paniers pleins
de ces Remedes
,
alloient
dans toutes les Ruës de
Siam
,
criant que tous ceux
qui avoient quelques maux,
de quelque nature qu'ilspus-
fent estre
,
n'avoient qu'à les
faire entrer chez eux, &:
qu'ilslessoulageroient sans
prendre d'argent.En effet,
bienloind'en exiger des Mab
lades,ils en donnoient fort
souventà ceux qui leur paroissoient
en avoir besoin, &
tâchoient de les consoler
dans leurs misères. Des
maniérés siobligeantes,&si
desintéresséesgarnerens
bien-tostl'esprit des Peuples,
& servirent beaucoup à l'accroissement
de la Religion
Catholique.Le Roy deSiam
en ayant elleinftruit,8c ne
pouvant qu'àpeine lecroire
, voulut sçavoir à fonds
quiestoientceux dont ses
Sujets recevoient de si
grandssoulagemens.Ce Mo*
nàaarqrugeu. eaaccoommmmeennccee aa rree..¡-"
gner dés l'âge de huit ans,&
en a presèntementenviron
cinquante. C'estun Prince
qui voit, & quientend tout,
& quiexamine long-temps,
&meurementles choses,
avant quede porterson jugementcomme
vous le
connoirtre z par la fuice de
cet Article. Il ditauxMisfionnaires,
Qu'ilestoitsurprisde
voir quede tant de Gens de déférentes."
Nations qu'il 'PO)'oÍt
dans ses Etats, ils estoientles
seuls qui ne cherchaient point à
trafiquer. Il leur demanda 0
ils prenaient l'argent qu'ilfalloit
qu'ils dépensassent pour leursubsistance
, & pour leurs remedes.
Ils luy répondirent que cet
argent leur venoit des Missions
de France, & des charitez
que plusieurs Particuliers
faisoient pour leur estre
envoyées. Ce Monarque fut
extrêmement surpris de voir
que des Peuples éloignez de
six milleliües,contribuoient
par leurs largesses au soulagement
de ses Sujets, & que
ceux du plusgrãdMonarque
de l'Europe, venoiét de si loin
par un pur motifde pietié, ôc
qu'au lieu que les Peuples
des autres Nations, se donnoient
de la peine pour gagner
par leur trafic, les Fran- tio çois en prenoient pour dépenser,
dans le seul dessein
de travailler à la gloire du
<D Dieu qu'ils adoroient Aprés
cesréflexions,il voulue faire
ouvrir ses Tresors aux Missionnaires
,
mais ils n'accepterent
rien, ce qui tourna
tout à fait à l'avantage de la
Religion, & fut cause que
ce Roy leur fit, bâtir des Eglises,&
qu'après leur avoir.
demandé des desseins) U
voulut qu'ils en donnassent
d'autres, n'ayant pas trouvé
les premiers assez beaux.Il
avoit en ce temps-làunPremier
Ministre qui n'aimoit
pas les Millionnaires mais j
comme ç'eust este mal faire
sa Cour, que de montrer de j
l'aversion pour ceux que son
Í
Maistre honoroitde son estime,
cet adroit Politique leur.
faisoitfort bon accueil, quoy «
qu'il rechcrchast fous main,
toutes les occasions de leur
nuire. Il apprehendoit que
-
quand les Françoisparle- rf
roient parfaitement la Lan-
gue des Siamois,ils ne gouvernaient
l'esprit du Roy
,
ôc
que leur credit ne fist peu à
peu diminuer son autorité.
Ce Ministre n'estoit pas seulement
ambitieux
,
mais il
estoit fort zelé; pour la Religion
du Pays. Ainsiil est aisé
de juger qu'il avoitplus d'une
raison de haïr les Millionnaires.,
Il estmort depuis deux
aîiSjôc si celuy qui luy a succedén'a
pas hérité de ses mesmes
sentimens à l'égard des
François, on ne laisse pas de
connoistre qu'il a des raisons
politiquesquil'obligent à les
*
craindre. Cependant les bontez
du Roy pour les Missionnaires,&
lesEglises&le Seminaire
qu'illeur a fait bâtir,
ont tellement contribué à
l'augmentation de la FoyCatholique,
qu'on a parlé dans;
ce Séminaire,jusques à vingt
trois sortes de Langues dans
un mesme temps, c'est à dire
qu'il y avoit des Personnes
converties d'autat de Nations
disérentes, car il n'y a point
de lieu dans tout l'Orient.,
où il vienne un si grand nombre
d'Etrangers, qu'à Siam.
La Compagnie des Indes 0-
ientalcs voyant les grands
progrés que les Missionnaires
saisoient dans ce Royaume
,
résolu d'y établir un
Comptoir
,
sans le proposer
d'autre avantage de cét établissement,
que celuy de les
assister,& comme on fit
connoitre à nostrepieux
Monarque les bontez du
Roy deSiampourlesSujets,
& que la protectionqu'il
leur donnoit
,
estoit cause
qu'ils faisoienttous les jours
beaucoup deConversions,Sa
Majesté qui n'a point de plus
grand plaisir que de travailler
au salut des ames,voulut.
bien luy en écrire une Lettro
de remerciement; dont M
Deslandes
-
Bourreau, qu
partit dans un Navire de la
Compagnie pour l'établisse.
ment du Comptoir, fut chargé
pour la remettre entre
les mains de Mr l'Evesque
de Beryte
,
VicaireApostolique
de la Cochinchine
qui estoit pour lors à Siam
L'arrivée de cette Lettre fini
du bruit, & le Roy apprit
avec joye que le Grand Roj{
luy écrivoit. C'est le non
qu'il donc au Roy de France
,iu il 0
Cependant cette Lettre demeura
plus de deux mois entre
les mains deMrl'Evesque
deBéryte, sans estre renduë
fau Roy de Siam, & il y eut
de grandes contestations sur
la maniere de la présenter.
Le Premier Ministre vouloit
-que Mr de Béryte parust devant
ce Monarque les pieds
nus,personne ne se mon- trant chauffé devant luy
,
si
¡ ce n'est dans les Ambassades
solemnelles; ce que Mr de
Béryte ayant refusé de faire,
iel garda la Lettre. Le Roy Siam surpris de ce qu'on
diséroit si longtemps à la luy
rendre, en demanda la raiion.
Il l'apprit, & dit, que les
François pouvoientparoistre devant
luy de telle maniere qu'ils
voudraient. Ainsi une simple
Lettre du Roy portée par des
Gens qui n'estoient ny Ambassadeurs,
ny mesme Envoyez,
fut renduë comme
elle lauroit esté dans laplus.
celebre Ambassade. Cette j
Lettrefit augmenter l'estime
que le Roy de Siam avoit
déjà conçûë pour le Roy de:
France, & il résolut de iuvT
envoyer des Ambassadeurs;
avec des Présens tirez de
tour ce qu'onpourroit trouver
de plus riche dans ion
Trésor. J'ay oublié de vous
dire que ce Monarque avoit
ordonné à tous les Européans
de luy donner de
temps en temps des Relations
de tout ce qui se passoit
dans les- Lieuxdépendans
de l'obeïssance de leurs
Souverains,ou de leurs Supérieurs.
Ces Relations estant
faites par divers Particuliers,
chacan tâchoit d'obscurcir
la gloire du Roy de France,
en envelopant la vérité. Le
Roy de Siam n'en témoignoit
rien, & par une prudencemerveilleuse
, lisant
tout, & examinant les choses
, il estoit des années sans
se déclarer là- dessus. Ilvouloit
voir si ce qu'on luy donnoitainsi
de temps en temps
avoit des fuites, & si l'on ne
se contredisoit point. Enfin
il dévelopa les mauvaises intentions
de plusieurs, & connut
que les seuls Missionnaires
luy disoient vray, parce
que les nouvelles qu'ils luy
donnoient d'une année, ê.
toient confirmées par celles
,r ,1"- 1\, J
de l'autre. Leschosesétoienten
cetétat, lors qu'on demanda
au, Roy de Siam la
permissionde tirer duCanon,
& de faire des Feux de joye
pour Mastric repris par le
Prince d'Orange,& pour ladéfaite
de tousles François.
Ce prudent Monarque envoya
chercher les Missionnaires,
&leur demanda quellesnouvelles
ils avoientde Fran,
ce, duSiegedeMastric. On
luy dit qu'onavoirappris par -
une Lettre qui -,. venoit de
Perse, que Mrde Schomberg
avoit forcéle Prince- d'©—
range à lever le Siege; mais
-
que comme cette nouvelle avoit
esté mandée en quatre li- -
gnes feulementau bas d'une
Lettre,il n'avoitpas crûdevoir
la publier avant qu'elle
:
eust esté confirmée. Le Roy
répondit, que c'estoit assez; qu'il
;
estoitseûr de l'avantage que les
Françoisavoientremperté; mais i
que loin d'en vouloirrien temoigner,
sondessein estoitde permeta,
tre les Feuxde joye qu'on luy
avoit demandez.Il avoit sons
but, que vousallez voir. 'ci"
Quelque temps après,
la
nouvelle de la levée du Siege :1
de Mastric ayant esté confirméed'une
maniersqui empeschoit
d'en douter, le Roy
voulut mortifier ceux qui
s'estoient si bien réjoüis., &
leur dit, qu'ils'étonnoit qu'ils
n'eussent pas fait plus souvent
des Feux de jC!JeJ puis que les
derniers qu'ils avoientfaits marquoient,
que leur coûtume efloit
de se réjoüirapres leur défaite;
au lieu que les autres Nations
ne donnoientdepareilles marques
d'allégresse,qu'après leurs viSloL
res. Un pareil discours les
couvrit de confusion, & les
obligead'avoüer qu'ils avoient
reçeu de fausses nouvelles.
Toutes ces choses, ôii
beaucoup d'autres qu'on si~
pour oblcurcir la répatation
&lagloire des armes du Roy,
de France, & dont le temps
decouvrit la vérité, mirent ce~
grandPrince dans une si hau-~
te estime aupres du Roy de:
Siam
,
qu'il fit paroistre une
extrême impatience de luy,
envoyer des Ambassadeurs.
Il vouloit mesme luy envoyer
quelques-uns de ses Vaisseaux,
maison luy fit cOIT--
noistre le risque qu'il y avoit
à craindre pour eux dans riollgi
Mers. Enfin le Vaisseau
nomme le Vautour, a ppartenant
à la CompagnieRoyale
de France,estant arrivé à
Siam, fut choisy pour porter
jusques à Bantam les Ambassadeursque
cepuissantPrince
vouloit envoyer en France.
Il nomma en 1680. pour Chef
de cette Ambassade l'Homme
le plus intelligent de son
Royaume, & qui en cette
qualité avoit esté à la Chine
& au Japon. Il choisit aussi
pour l'accompagner, vingtcinq
Hommes des plus considérables
de ses Etats, avec
de riches Présens pour le
Roy, la Reyne, Monseigneur
le Dauphin, Madame la DauphineMonsieur,&
Madame.
Le Public n'eue aucune connoissance
de laqualité de ces
Présens, parce que c'est une
incivilité inexcusable chez;
les Orientaux de les faire voir:
à qui que ce soit, celuy à quii
on les envoye devant les voir
le premier.On embarquacesa
Présèns trois semaines avant
le depart du Vaisseau qui devoit
les porter; & les Lettresa
que le Roy de Siam écrivoit
au Roy de France, furent enfermées
ferméesdans un Bambu, ou
petit Coffre d'or. Ce Bambu
fut mis au haut de la Poupe,
avec des Flambeaux qui 1eclairerent
toutes les nuits
pendant ces trois semaines;
&. tant que ce Navire demeura
à l'ancre avant [OR
depart, tous les Vaisseaux
quipasserent furentobligez
de plier leurs Voiles, & de
salüer ces Lettres; & les Rameurs
des Galeres, de ramer
debout, & inclinez. Comme
le Papeavoit aussi écrit au
Roy de Siam pour le remercier
de la protection qu'il
donnoit aux Catholiques,&
de la libertédecosciencequ'il
laissoit dans ses Etats,ce Monarque
luy faisoit réponse par
le mesmeVaisseau, & avoic
mis les Lettres qu'il écrivvooiitt
àà Sa SSaaiinntetetétéd, adnanss
un Bambu de Calamba. C'est
un Bois que les Siamois estiment
autant. que l'or
; mais l
le Roy deSiam avoit dit qu'il
le choisissoit
, parce qu'il
faloit de la simplicité dans
toutce qui regardoit les Personnes
quise meslent
dela
Religion. Apres ces éclatantesCérémonies,
& si glorieuses
pour nostre Monarque
,l'Ambassadeur s'et-iï
barquaavec une suite nombreuse,
~&?>int jusques à
Bantan,oùilquita le Vaisseau
qui l'avoit amené,& lemit;
dans le Navire nommé
l- e Soleild'Orienta,appppaarrtetennaann'tt
à la mesme Compagnie des,
Indes, & portant pour son
compte pour plus d'un million
d'Effets
;
de sorte que
cela joint aux Présens que
le Roy de Siam envoyoit en
France,faisoit une tres-riche
charge.Le Vaisseau eftoic
d'ailleurs fort beau, & l'on
peut compter sa pertepour
une perte fort considérable..
Vous lasçavez Se je vous;
en ay souvent parlé. Ce n'est
pas qu'on en ait de nouvelles
assurées; mais depuis quatre
ans qu'il est sorty de Bantan,
il a esté impossible d'enr
rien découvrir, quelques perquisitions
qu'onen ait faites.
Quand cette nouvelle sut
portée à Siam, elle fut longtemps
ignorée du Roy, personne
n'osant luy apprendre
une chose dont on sçavoit
qu'ilauroit untres-sensibles
chagrin,non seulementparco
qu'il voyoit reculer par là
ce qu'iltémoignoit souhaiter
leplus,quiestoit de faire
demander l'amitié du Roy
de France, & qu'ilperdoit
de riches Présens, & des
Hommes d'un grand mérite
; mais encore parce qu'il
avoir fait tirer des choses trcscurieuses
de son Trésor
,
où
il n'en trouveroit plus de semblablcs
pour envoyer une seconde
fois. Tout cela frapa
ce, Prince; mais comme il
sçait prendre beaucoup d'empire
sur luy ,ilrépondit de
fangfroid à ceux qui luy
apprirent cette nouvvcllc><
qu'il faloit envoyer d'autresi
Ambassadeurs,&donna ot--
dre qu'on luypréparast de:
nouveaux Présens. Les choses
demeurèrent quelque
qu'iln'y avoit point de Vaisseau
qui vinst enEurepe,pour
porter. Le desirquele
Roy de Siam avoir d'envoyer •
de les Sujets en France, etoit:
si grand, qu'il résolut d'en,
faire partir sur un petit Bâtiment
Anglais, du port de
quatrevingt tonneaux, nommé
Bâtiment ~inteï!oof. Ces
Bâtimens ne sont point de
la Compagnie d'Angleterre,
& la plupart appartiennent à
des Bourgeois de Londres,,
qui croyent qu'il, leur est
permis de les charger pour
leur compte particulier. Le
peu d'étendüe de ce Batiment
ne fut pas seulement
cause que le Roy de Siam ne
fit partir que des Envoyez,
maislesremontrances de
son premier Ministre y contribuérent
beaucou p. Il luy
représenta qu'on n'avoit pas
encore de nouvelles certaines
de la perte du Vaisseau
iur lequel son Ambassadeur
estoit party de Bantan
, &
que ce seroit une chose embarassante,
si le dernier rencontroit
le premier enFrance.
Ainsi il sur resolu de ne faire
partir que desEnvoyez, qui.
ne seroient chargez que de
trois choses
;
la premiere, de
s'informer de ce qu'estait
devenu le premier Ambassadeur.
la secondé, de prier Mrs
Colbert, de faire connoistre
au Roy deSiamleur Maistre
les moyens les plus courts, &ç
les plus solidespourunir les
deux Couronnes d'une amitié
inviolable; &enfin,pour fe-*
liciter nostre Monarque sur
l'heureuse naissance de Monseigneur
le Duc de Bourgogne.
Le Roy de Siam voulut
que ces deux Envoyez fussent
choisisparmy les Officiers
de sa Maison, & qu'ils fussent
du nombre de ceux qui
ne payent point de Taille;
car il y a de laNoblesse dans
le Royaume de Siam, comme
en Europe, & cette Noblesse
est exempte de certains
Droits qu'on y paye au
Roy. Ce Prince voulut aussi
que les deux Envoyez qu'il
choisiroit, n'eussent point
esté châtiez, parce que le
Roy les fait tous punir pour
la moindrefaute qu'ils commettent
, ce qui n'est pas un
obstacle pour les empescher
de rentrer au service comme
auparavant. Ces deux Envoyez
ayantesté nommez
par le Roy, & ce Prince prenant
grande confiance aux
Millionnaires qui sont dans
ses Etats,ilpria Mrl'Evesque
de Metellopolis, de joindre
à ces deuxOfficiers un
Missionnaire, pour les accompagner
dans ce Voyage;
1
& comme il faloit un Homme
intelligent, actif, & propre
à souffrir les fatigues d'un
si long Voyage ,M de Metellopolis
choisitMrVachet,
ancien Millionnaire de la Cochinchine
, & cui depuis
- quatorze ans travaille au salut
desAmes en cesPaïs-là.
Le Roy de Siam ayant sçû
qu'il avoit esténommé,demanda
à l'entretenir, & le
retint huit jours à Lavau,
MaisondeCampagne où il
va souvent. Il lefit traiter
pendant ces huit jours, &
on luy servit à chaque Repas
quarante ou cinquante
Plats, chargez de tout ce
qu'il y avoit de plus exquis
dans le Païs. Mr Vachet eut
une fort longue audiencede
ce Prince, qui luy recommanda
d'avoir foin de ses
Envoyez, & de raporter en
France la verité de ce qu'il
voyoit de sa Cour, & de ses
Etats, sans exiger de luyaucune
autre chosesur cet Article.
Ensuite il luy fitune
prière, qui marque l'esprit
de ce Monarque, &: avec
combien de gloire il soûtient
sa. dignité. Illuy dit, Que
ittmrmses Envoyéz emportoient
des Présens pour les Ministres
de France, &qu'ils partoient
dans un BâtimentAnglais,ils
iroientdroit à Londres
, onapparemment
la Doüanne voudroit
voir ce que contenoient les Balots,
&se fairepayerses droits;
&c'estoit ce que ce Monarque
appréhendoit, non seulement
parce qu'il croyoit
qu'illuy estoit honteux que
ce qui luy appartenoit payast
quelques droits, mais encore
parce qu'il vouloit que
ceux à qui il envoyoit des
Présens, les vissent les premiers.
Pour remédier àcet
embarras, il chargea MrVachet
de prier de sa part l'A mbassadeur
de France ,qu'il
trouveroit à Londres, defaire
en sorteque ce qu'il envoyoic
aux Ministres de Sa Majesté,
ne payast point de Doüanne
en Angleterre,ce quifut ponctuellement
exécuté, Sa Majesté
Britannique ayant obligeamment
donnésesordres
pour empescher qu'on
; ne
prist rien à ses Doüannes des
Balots de ces Envoyez. Le
Roy de Siam dit, encore a"
MrVachet,lors queceMisfionnaire
le quita, Qu'ilprioit
le Dieu du Ciel de luy fairefaire
bon Voyage,& qu'illuyapprendroit
des choses à son retour,
dont il feroit surpris & ravy.
Il luy fit ensuite donner un
Habit longdeSatin;&c'est
celuy que ce Missionnaire a
porté dans les Audiences que
ces Envoyez onteües. Iln'y
a point de ressorts, que les
Nations établies à Siam, &
qui ne sçauroient cacher le
chagrin & la jalousie que
leur donne la grandeur du
Roy, n'ayent fait joüer,
pourempescher ces Envoyez
devenir en France. Commes
ilsfontchargez d'achetericy
beaucoup dechoses, ces Jaloux
ont offert au Roy des
Siam, de luy porter jusqu'en
son Royaume tout ce qu'il
pouvoit desirer d'Europe, ôcz
mesme de luyen faire présent;
mais vous jugez biem
que ce Monarque, du caractere
dont je vous l'ay peint,
n'étoit pas assezintéresse pour
accepter de telles propositions.
Aussi les a-t'il rejettées
y
tout ce qu'il cherches
n'estant que l'amitié du Roy
dont il se faitune gloire, uni
bonheur, & un plaisir. Ces
Envoyez partirent de Londres
,
dans un Bâtiment du
Roy d'Angleterre nommé
laCharlote, que ce Prince
leur donna pour passer à Calais,
oùje les laisse afin de
vous donnerlemois prochain
un Journal qui ne regardequela
France,&que
je commenceray par leur débarquement
à Calais. J'ay
sceu tout ce que je vous mande
,
de si bonne part,que je
-puis vous assurer que je ne
dis rien qui ne soit entierement
conforme à la verité;
Ii.
& si cette Relation a quelquechosededéfectueux
, ce
ne peut estre que pourquelques
endroits transposez,
dont jen'aypas assezbienretenu
l'ordre.
curiosité dans une de mes
Lettres, touchant la Religion
& les Coûtumes des
Habitans du Royaume de
Siam
,
& vous avoir parlé
dans la suivante de l'Audience
donnée par Mrle Marquis
de Seignelay aux Envoyez
du Prince qui le gouverne,
je dois vous apprendre tout
ce qui s'est passé à l'égard de
ces mesmes Envoyez, depuis
qu'ils sont à Paris. Mais
avant que d'entrerdans ce
détail
,
j'en ay un autre fort
curieux à vous faire, qui
vous plaira d'autant plus,
qu'il vous fera connoistre
de quelle maniéré a pris
naissance la hauteestime
que le Roy de Siam a
conceuë pour Sa Majesté.
Les Millionnaires qui n'ont
que le seul Salut des Ames
pour but dans toutes les peines
qu'ils se donnent, s'étant
établisàSiam,ilsygagnerent
en peu de temps
l'affection de tous les Peuples.
L'employ de ces Ames
toutes charitables
,
n'étoit,
& n'est encore aujourd'huy,
que de faire du bien.
Comme en partant de France
ils s'estoient munis de
quantité de Remedes, &
qu'ils avoient avec eux Medecins,
Chirurgiens & Apoticaires
,ils soulageoient les
Malades, jusque-là mesmes
qu'ils avoient des Hommes
qui avec des Paniers pleins
de ces Remedes
,
alloient
dans toutes les Ruës de
Siam
,
criant que tous ceux
qui avoient quelques maux,
de quelque nature qu'ilspus-
fent estre
,
n'avoient qu'à les
faire entrer chez eux, &:
qu'ilslessoulageroient sans
prendre d'argent.En effet,
bienloind'en exiger des Mab
lades,ils en donnoient fort
souventà ceux qui leur paroissoient
en avoir besoin, &
tâchoient de les consoler
dans leurs misères. Des
maniérés siobligeantes,&si
desintéresséesgarnerens
bien-tostl'esprit des Peuples,
& servirent beaucoup à l'accroissement
de la Religion
Catholique.Le Roy deSiam
en ayant elleinftruit,8c ne
pouvant qu'àpeine lecroire
, voulut sçavoir à fonds
quiestoientceux dont ses
Sujets recevoient de si
grandssoulagemens.Ce Mo*
nàaarqrugeu. eaaccoommmmeennccee aa rree..¡-"
gner dés l'âge de huit ans,&
en a presèntementenviron
cinquante. C'estun Prince
qui voit, & quientend tout,
& quiexamine long-temps,
&meurementles choses,
avant quede porterson jugementcomme
vous le
connoirtre z par la fuice de
cet Article. Il ditauxMisfionnaires,
Qu'ilestoitsurprisde
voir quede tant de Gens de déférentes."
Nations qu'il 'PO)'oÍt
dans ses Etats, ils estoientles
seuls qui ne cherchaient point à
trafiquer. Il leur demanda 0
ils prenaient l'argent qu'ilfalloit
qu'ils dépensassent pour leursubsistance
, & pour leurs remedes.
Ils luy répondirent que cet
argent leur venoit des Missions
de France, & des charitez
que plusieurs Particuliers
faisoient pour leur estre
envoyées. Ce Monarque fut
extrêmement surpris de voir
que des Peuples éloignez de
six milleliües,contribuoient
par leurs largesses au soulagement
de ses Sujets, & que
ceux du plusgrãdMonarque
de l'Europe, venoiét de si loin
par un pur motifde pietié, ôc
qu'au lieu que les Peuples
des autres Nations, se donnoient
de la peine pour gagner
par leur trafic, les Fran- tio çois en prenoient pour dépenser,
dans le seul dessein
de travailler à la gloire du
<D Dieu qu'ils adoroient Aprés
cesréflexions,il voulue faire
ouvrir ses Tresors aux Missionnaires
,
mais ils n'accepterent
rien, ce qui tourna
tout à fait à l'avantage de la
Religion, & fut cause que
ce Roy leur fit, bâtir des Eglises,&
qu'après leur avoir.
demandé des desseins) U
voulut qu'ils en donnassent
d'autres, n'ayant pas trouvé
les premiers assez beaux.Il
avoit en ce temps-làunPremier
Ministre qui n'aimoit
pas les Millionnaires mais j
comme ç'eust este mal faire
sa Cour, que de montrer de j
l'aversion pour ceux que son
Í
Maistre honoroitde son estime,
cet adroit Politique leur.
faisoitfort bon accueil, quoy «
qu'il rechcrchast fous main,
toutes les occasions de leur
nuire. Il apprehendoit que
-
quand les Françoisparle- rf
roient parfaitement la Lan-
gue des Siamois,ils ne gouvernaient
l'esprit du Roy
,
ôc
que leur credit ne fist peu à
peu diminuer son autorité.
Ce Ministre n'estoit pas seulement
ambitieux
,
mais il
estoit fort zelé; pour la Religion
du Pays. Ainsiil est aisé
de juger qu'il avoitplus d'une
raison de haïr les Millionnaires.,
Il estmort depuis deux
aîiSjôc si celuy qui luy a succedén'a
pas hérité de ses mesmes
sentimens à l'égard des
François, on ne laisse pas de
connoistre qu'il a des raisons
politiquesquil'obligent à les
*
craindre. Cependant les bontez
du Roy pour les Missionnaires,&
lesEglises&le Seminaire
qu'illeur a fait bâtir,
ont tellement contribué à
l'augmentation de la FoyCatholique,
qu'on a parlé dans;
ce Séminaire,jusques à vingt
trois sortes de Langues dans
un mesme temps, c'est à dire
qu'il y avoit des Personnes
converties d'autat de Nations
disérentes, car il n'y a point
de lieu dans tout l'Orient.,
où il vienne un si grand nombre
d'Etrangers, qu'à Siam.
La Compagnie des Indes 0-
ientalcs voyant les grands
progrés que les Missionnaires
saisoient dans ce Royaume
,
résolu d'y établir un
Comptoir
,
sans le proposer
d'autre avantage de cét établissement,
que celuy de les
assister,& comme on fit
connoitre à nostrepieux
Monarque les bontez du
Roy deSiampourlesSujets,
& que la protectionqu'il
leur donnoit
,
estoit cause
qu'ils faisoienttous les jours
beaucoup deConversions,Sa
Majesté qui n'a point de plus
grand plaisir que de travailler
au salut des ames,voulut.
bien luy en écrire une Lettro
de remerciement; dont M
Deslandes
-
Bourreau, qu
partit dans un Navire de la
Compagnie pour l'établisse.
ment du Comptoir, fut chargé
pour la remettre entre
les mains de Mr l'Evesque
de Beryte
,
VicaireApostolique
de la Cochinchine
qui estoit pour lors à Siam
L'arrivée de cette Lettre fini
du bruit, & le Roy apprit
avec joye que le Grand Roj{
luy écrivoit. C'est le non
qu'il donc au Roy de France
,iu il 0
Cependant cette Lettre demeura
plus de deux mois entre
les mains deMrl'Evesque
deBéryte, sans estre renduë
fau Roy de Siam, & il y eut
de grandes contestations sur
la maniere de la présenter.
Le Premier Ministre vouloit
-que Mr de Béryte parust devant
ce Monarque les pieds
nus,personne ne se mon- trant chauffé devant luy
,
si
¡ ce n'est dans les Ambassades
solemnelles; ce que Mr de
Béryte ayant refusé de faire,
iel garda la Lettre. Le Roy Siam surpris de ce qu'on
diséroit si longtemps à la luy
rendre, en demanda la raiion.
Il l'apprit, & dit, que les
François pouvoientparoistre devant
luy de telle maniere qu'ils
voudraient. Ainsi une simple
Lettre du Roy portée par des
Gens qui n'estoient ny Ambassadeurs,
ny mesme Envoyez,
fut renduë comme
elle lauroit esté dans laplus.
celebre Ambassade. Cette j
Lettrefit augmenter l'estime
que le Roy de Siam avoit
déjà conçûë pour le Roy de:
France, & il résolut de iuvT
envoyer des Ambassadeurs;
avec des Présens tirez de
tour ce qu'onpourroit trouver
de plus riche dans ion
Trésor. J'ay oublié de vous
dire que ce Monarque avoit
ordonné à tous les Européans
de luy donner de
temps en temps des Relations
de tout ce qui se passoit
dans les- Lieuxdépendans
de l'obeïssance de leurs
Souverains,ou de leurs Supérieurs.
Ces Relations estant
faites par divers Particuliers,
chacan tâchoit d'obscurcir
la gloire du Roy de France,
en envelopant la vérité. Le
Roy de Siam n'en témoignoit
rien, & par une prudencemerveilleuse
, lisant
tout, & examinant les choses
, il estoit des années sans
se déclarer là- dessus. Ilvouloit
voir si ce qu'on luy donnoitainsi
de temps en temps
avoit des fuites, & si l'on ne
se contredisoit point. Enfin
il dévelopa les mauvaises intentions
de plusieurs, & connut
que les seuls Missionnaires
luy disoient vray, parce
que les nouvelles qu'ils luy
donnoient d'une année, ê.
toient confirmées par celles
,r ,1"- 1\, J
de l'autre. Leschosesétoienten
cetétat, lors qu'on demanda
au, Roy de Siam la
permissionde tirer duCanon,
& de faire des Feux de joye
pour Mastric repris par le
Prince d'Orange,& pour ladéfaite
de tousles François.
Ce prudent Monarque envoya
chercher les Missionnaires,
&leur demanda quellesnouvelles
ils avoientde Fran,
ce, duSiegedeMastric. On
luy dit qu'onavoirappris par -
une Lettre qui -,. venoit de
Perse, que Mrde Schomberg
avoit forcéle Prince- d'©—
range à lever le Siege; mais
-
que comme cette nouvelle avoit
esté mandée en quatre li- -
gnes feulementau bas d'une
Lettre,il n'avoitpas crûdevoir
la publier avant qu'elle
:
eust esté confirmée. Le Roy
répondit, que c'estoit assez; qu'il
;
estoitseûr de l'avantage que les
Françoisavoientremperté; mais i
que loin d'en vouloirrien temoigner,
sondessein estoitde permeta,
tre les Feuxde joye qu'on luy
avoit demandez.Il avoit sons
but, que vousallez voir. 'ci"
Quelque temps après,
la
nouvelle de la levée du Siege :1
de Mastric ayant esté confirméed'une
maniersqui empeschoit
d'en douter, le Roy
voulut mortifier ceux qui
s'estoient si bien réjoüis., &
leur dit, qu'ils'étonnoit qu'ils
n'eussent pas fait plus souvent
des Feux de jC!JeJ puis que les
derniers qu'ils avoientfaits marquoient,
que leur coûtume efloit
de se réjoüirapres leur défaite;
au lieu que les autres Nations
ne donnoientdepareilles marques
d'allégresse,qu'après leurs viSloL
res. Un pareil discours les
couvrit de confusion, & les
obligead'avoüer qu'ils avoient
reçeu de fausses nouvelles.
Toutes ces choses, ôii
beaucoup d'autres qu'on si~
pour oblcurcir la répatation
&lagloire des armes du Roy,
de France, & dont le temps
decouvrit la vérité, mirent ce~
grandPrince dans une si hau-~
te estime aupres du Roy de:
Siam
,
qu'il fit paroistre une
extrême impatience de luy,
envoyer des Ambassadeurs.
Il vouloit mesme luy envoyer
quelques-uns de ses Vaisseaux,
maison luy fit cOIT--
noistre le risque qu'il y avoit
à craindre pour eux dans riollgi
Mers. Enfin le Vaisseau
nomme le Vautour, a ppartenant
à la CompagnieRoyale
de France,estant arrivé à
Siam, fut choisy pour porter
jusques à Bantam les Ambassadeursque
cepuissantPrince
vouloit envoyer en France.
Il nomma en 1680. pour Chef
de cette Ambassade l'Homme
le plus intelligent de son
Royaume, & qui en cette
qualité avoit esté à la Chine
& au Japon. Il choisit aussi
pour l'accompagner, vingtcinq
Hommes des plus considérables
de ses Etats, avec
de riches Présens pour le
Roy, la Reyne, Monseigneur
le Dauphin, Madame la DauphineMonsieur,&
Madame.
Le Public n'eue aucune connoissance
de laqualité de ces
Présens, parce que c'est une
incivilité inexcusable chez;
les Orientaux de les faire voir:
à qui que ce soit, celuy à quii
on les envoye devant les voir
le premier.On embarquacesa
Présèns trois semaines avant
le depart du Vaisseau qui devoit
les porter; & les Lettresa
que le Roy de Siam écrivoit
au Roy de France, furent enfermées
ferméesdans un Bambu, ou
petit Coffre d'or. Ce Bambu
fut mis au haut de la Poupe,
avec des Flambeaux qui 1eclairerent
toutes les nuits
pendant ces trois semaines;
&. tant que ce Navire demeura
à l'ancre avant [OR
depart, tous les Vaisseaux
quipasserent furentobligez
de plier leurs Voiles, & de
salüer ces Lettres; & les Rameurs
des Galeres, de ramer
debout, & inclinez. Comme
le Papeavoit aussi écrit au
Roy de Siam pour le remercier
de la protection qu'il
donnoit aux Catholiques,&
de la libertédecosciencequ'il
laissoit dans ses Etats,ce Monarque
luy faisoit réponse par
le mesmeVaisseau, & avoic
mis les Lettres qu'il écrivvooiitt
àà Sa SSaaiinntetetétéd, adnanss
un Bambu de Calamba. C'est
un Bois que les Siamois estiment
autant. que l'or
; mais l
le Roy deSiam avoit dit qu'il
le choisissoit
, parce qu'il
faloit de la simplicité dans
toutce qui regardoit les Personnes
quise meslent
dela
Religion. Apres ces éclatantesCérémonies,
& si glorieuses
pour nostre Monarque
,l'Ambassadeur s'et-iï
barquaavec une suite nombreuse,
~&?>int jusques à
Bantan,oùilquita le Vaisseau
qui l'avoit amené,& lemit;
dans le Navire nommé
l- e Soleild'Orienta,appppaarrtetennaann'tt
à la mesme Compagnie des,
Indes, & portant pour son
compte pour plus d'un million
d'Effets
;
de sorte que
cela joint aux Présens que
le Roy de Siam envoyoit en
France,faisoit une tres-riche
charge.Le Vaisseau eftoic
d'ailleurs fort beau, & l'on
peut compter sa pertepour
une perte fort considérable..
Vous lasçavez Se je vous;
en ay souvent parlé. Ce n'est
pas qu'on en ait de nouvelles
assurées; mais depuis quatre
ans qu'il est sorty de Bantan,
il a esté impossible d'enr
rien découvrir, quelques perquisitions
qu'onen ait faites.
Quand cette nouvelle sut
portée à Siam, elle fut longtemps
ignorée du Roy, personne
n'osant luy apprendre
une chose dont on sçavoit
qu'ilauroit untres-sensibles
chagrin,non seulementparco
qu'il voyoit reculer par là
ce qu'iltémoignoit souhaiter
leplus,quiestoit de faire
demander l'amitié du Roy
de France, & qu'ilperdoit
de riches Présens, & des
Hommes d'un grand mérite
; mais encore parce qu'il
avoir fait tirer des choses trcscurieuses
de son Trésor
,
où
il n'en trouveroit plus de semblablcs
pour envoyer une seconde
fois. Tout cela frapa
ce, Prince; mais comme il
sçait prendre beaucoup d'empire
sur luy ,ilrépondit de
fangfroid à ceux qui luy
apprirent cette nouvvcllc><
qu'il faloit envoyer d'autresi
Ambassadeurs,&donna ot--
dre qu'on luypréparast de:
nouveaux Présens. Les choses
demeurèrent quelque
qu'iln'y avoit point de Vaisseau
qui vinst enEurepe,pour
porter. Le desirquele
Roy de Siam avoir d'envoyer •
de les Sujets en France, etoit:
si grand, qu'il résolut d'en,
faire partir sur un petit Bâtiment
Anglais, du port de
quatrevingt tonneaux, nommé
Bâtiment ~inteï!oof. Ces
Bâtimens ne sont point de
la Compagnie d'Angleterre,
& la plupart appartiennent à
des Bourgeois de Londres,,
qui croyent qu'il, leur est
permis de les charger pour
leur compte particulier. Le
peu d'étendüe de ce Batiment
ne fut pas seulement
cause que le Roy de Siam ne
fit partir que des Envoyez,
maislesremontrances de
son premier Ministre y contribuérent
beaucou p. Il luy
représenta qu'on n'avoit pas
encore de nouvelles certaines
de la perte du Vaisseau
iur lequel son Ambassadeur
estoit party de Bantan
, &
que ce seroit une chose embarassante,
si le dernier rencontroit
le premier enFrance.
Ainsi il sur resolu de ne faire
partir que desEnvoyez, qui.
ne seroient chargez que de
trois choses
;
la premiere, de
s'informer de ce qu'estait
devenu le premier Ambassadeur.
la secondé, de prier Mrs
Colbert, de faire connoistre
au Roy deSiamleur Maistre
les moyens les plus courts, &ç
les plus solidespourunir les
deux Couronnes d'une amitié
inviolable; &enfin,pour fe-*
liciter nostre Monarque sur
l'heureuse naissance de Monseigneur
le Duc de Bourgogne.
Le Roy de Siam voulut
que ces deux Envoyez fussent
choisisparmy les Officiers
de sa Maison, & qu'ils fussent
du nombre de ceux qui
ne payent point de Taille;
car il y a de laNoblesse dans
le Royaume de Siam, comme
en Europe, & cette Noblesse
est exempte de certains
Droits qu'on y paye au
Roy. Ce Prince voulut aussi
que les deux Envoyez qu'il
choisiroit, n'eussent point
esté châtiez, parce que le
Roy les fait tous punir pour
la moindrefaute qu'ils commettent
, ce qui n'est pas un
obstacle pour les empescher
de rentrer au service comme
auparavant. Ces deux Envoyez
ayantesté nommez
par le Roy, & ce Prince prenant
grande confiance aux
Millionnaires qui sont dans
ses Etats,ilpria Mrl'Evesque
de Metellopolis, de joindre
à ces deuxOfficiers un
Missionnaire, pour les accompagner
dans ce Voyage;
1
& comme il faloit un Homme
intelligent, actif, & propre
à souffrir les fatigues d'un
si long Voyage ,M de Metellopolis
choisitMrVachet,
ancien Millionnaire de la Cochinchine
, & cui depuis
- quatorze ans travaille au salut
desAmes en cesPaïs-là.
Le Roy de Siam ayant sçû
qu'il avoit esténommé,demanda
à l'entretenir, & le
retint huit jours à Lavau,
MaisondeCampagne où il
va souvent. Il lefit traiter
pendant ces huit jours, &
on luy servit à chaque Repas
quarante ou cinquante
Plats, chargez de tout ce
qu'il y avoit de plus exquis
dans le Païs. Mr Vachet eut
une fort longue audiencede
ce Prince, qui luy recommanda
d'avoir foin de ses
Envoyez, & de raporter en
France la verité de ce qu'il
voyoit de sa Cour, & de ses
Etats, sans exiger de luyaucune
autre chosesur cet Article.
Ensuite il luy fitune
prière, qui marque l'esprit
de ce Monarque, &: avec
combien de gloire il soûtient
sa. dignité. Illuy dit, Que
ittmrmses Envoyéz emportoient
des Présens pour les Ministres
de France, &qu'ils partoient
dans un BâtimentAnglais,ils
iroientdroit à Londres
, onapparemment
la Doüanne voudroit
voir ce que contenoient les Balots,
&se fairepayerses droits;
&c'estoit ce que ce Monarque
appréhendoit, non seulement
parce qu'il croyoit
qu'illuy estoit honteux que
ce qui luy appartenoit payast
quelques droits, mais encore
parce qu'il vouloit que
ceux à qui il envoyoit des
Présens, les vissent les premiers.
Pour remédier àcet
embarras, il chargea MrVachet
de prier de sa part l'A mbassadeur
de France ,qu'il
trouveroit à Londres, defaire
en sorteque ce qu'il envoyoic
aux Ministres de Sa Majesté,
ne payast point de Doüanne
en Angleterre,ce quifut ponctuellement
exécuté, Sa Majesté
Britannique ayant obligeamment
donnésesordres
pour empescher qu'on
; ne
prist rien à ses Doüannes des
Balots de ces Envoyez. Le
Roy de Siam dit, encore a"
MrVachet,lors queceMisfionnaire
le quita, Qu'ilprioit
le Dieu du Ciel de luy fairefaire
bon Voyage,& qu'illuyapprendroit
des choses à son retour,
dont il feroit surpris & ravy.
Il luy fit ensuite donner un
Habit longdeSatin;&c'est
celuy que ce Missionnaire a
porté dans les Audiences que
ces Envoyez onteües. Iln'y
a point de ressorts, que les
Nations établies à Siam, &
qui ne sçauroient cacher le
chagrin & la jalousie que
leur donne la grandeur du
Roy, n'ayent fait joüer,
pourempescher ces Envoyez
devenir en France. Commes
ilsfontchargez d'achetericy
beaucoup dechoses, ces Jaloux
ont offert au Roy des
Siam, de luy porter jusqu'en
son Royaume tout ce qu'il
pouvoit desirer d'Europe, ôcz
mesme de luyen faire présent;
mais vous jugez biem
que ce Monarque, du caractere
dont je vous l'ay peint,
n'étoit pas assezintéresse pour
accepter de telles propositions.
Aussi les a-t'il rejettées
y
tout ce qu'il cherches
n'estant que l'amitié du Roy
dont il se faitune gloire, uni
bonheur, & un plaisir. Ces
Envoyez partirent de Londres
,
dans un Bâtiment du
Roy d'Angleterre nommé
laCharlote, que ce Prince
leur donna pour passer à Calais,
oùje les laisse afin de
vous donnerlemois prochain
un Journal qui ne regardequela
France,&que
je commenceray par leur débarquement
à Calais. J'ay
sceu tout ce que je vous mande
,
de si bonne part,que je
-puis vous assurer que je ne
dis rien qui ne soit entierement
conforme à la verité;
Ii.
& si cette Relation a quelquechosededéfectueux
, ce
ne peut estre que pourquelques
endroits transposez,
dont jen'aypas assezbienretenu
l'ordre.
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Résumé : Suite de l'Article de Siam, [titre d'après la table]
Le texte décrit les interactions entre les missionnaires français, appelés Millionnaires, et le roi de Siam. Ces missionnaires, établis au Siam, ont gagné la faveur des habitants en distribuant des remèdes et en soignant les malades sans demander de paiement, ce qui a favorisé l'expansion de la religion catholique dans le royaume. Le roi de Siam, intrigué par ces missionnaires, a découvert qu'ils étaient financés par des missions en France et des donations de particuliers. Impressionné par cette générosité, il a développé une haute estime pour le roi de France. Cependant, la perte d'un vaisseau chargé de présents pour le roi de France a contrarié le roi de Siam. Malgré cet incident, il a décidé d'envoyer de nouveaux envoyés à Paris à bord d'un petit bâtiment anglais. Ces envoyés, choisis parmi les officiers de la maison royale et exempts de certaines taxes, avaient pour missions de s'informer du sort du premier ambassadeur, de solliciter des moyens pour renforcer l'amitié entre les deux couronnes, et de féliciter le roi de France pour la naissance du Duc de Bourgogne. Le roi de Siam a également demandé à un missionnaire, M. Vachet, de les accompagner et de rapporter fidèlement ses observations sur la cour et les États français. Pour éviter que les présents destinés aux ministres français ne soient taxés en Angleterre, le roi de Siam a pris des mesures appropriées et a fourni à M. Vachet un habit de satin pour les audiences. Malgré les tentatives de sabotage par des nations jalouses, les envoyés ont finalement quitté Londres à bord d'un vaisseau anglais pour se rendre à Calais.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 116-117
II.
Début :
Non, l'esprit n'est plus de saison, [...]
Mots clefs :
Esprit, Saison, Perruque, Hommes, Amant
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : II.
II. NOn, ierpr;tn'efl plus defaison,
Les Belles rien font au,-un- copte,
Elles luypréfèrentsans honte
tJn Homme qui ria pas feulement la
raVon.
Tourveu qu'ilaitJAir du beau Monde,
Et qu'il rçache bien grimacer,
Sous la Perruque brune ou blonde,,
BellemontrelefaitpllJfèr.
Vn simant de ce carattere
SçaitadmirAbtementJe taire;
Sabeflife le ren idiferet,
Et cefl tout ce qu'on veut dans tAmoureux
mistere,
Tointdeplaisir, s'ilrieflfecret.
DnHommed'espritaucontraireEflfujet
àfairedes P*frs,
Et toncraint qu'à tout l'Vnivers,
Il nefajJe récitd'unesecrette affaire.
• Enfin ilse voit éprisé,
Lors qu'un Sot eftfAvorifé.
DIEREVILLE.
Les Belles rien font au,-un- copte,
Elles luypréfèrentsans honte
tJn Homme qui ria pas feulement la
raVon.
Tourveu qu'ilaitJAir du beau Monde,
Et qu'il rçache bien grimacer,
Sous la Perruque brune ou blonde,,
BellemontrelefaitpllJfèr.
Vn simant de ce carattere
SçaitadmirAbtementJe taire;
Sabeflife le ren idiferet,
Et cefl tout ce qu'on veut dans tAmoureux
mistere,
Tointdeplaisir, s'ilrieflfecret.
DnHommed'espritaucontraireEflfujet
àfairedes P*frs,
Et toncraint qu'à tout l'Vnivers,
Il nefajJe récitd'unesecrette affaire.
• Enfin ilse voit éprisé,
Lors qu'un Sot eftfAvorifé.
DIEREVILLE.
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9
p. 59-110
« Cette Harangue fut interpretée par Monsieur Constans, aprés cela je [...] »
Début :
Cette Harangue fut interpretée par Monsieur Constans, aprés cela je [...]
Mots clefs :
Roi de Siam, Siam, Éléphants, Constantin Phaulkon, Mandarins, Audience, Manière, Royaume, Pères, Palais, Évêque, Chine, Pagode, Éléphant, Argent, Ballons, Lettre, Maison, Hommes, Présent, Alexandre de Chaumont
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Cette Harangue fut interpretée par Monsieur Constans, aprés cela je [...] »
Cette Harangue fur interpretée
par Monfieur Conftans ,
aprés cela je disa SA MAJESTE'
que le Roy mon Maître
m'avoit donné Monfieur l'Abbé
de Choiſy pour m'accompagner
& les douze Gentilshom
60 RELATION
mes queje luy préſentay , je pris
la Lettredes mains de Monfieur
l'Abbé de Choify & je la portay
dans le deſſein de ne la préſenter
que comme je venois de me déterminer
de le faire,Mo Conſtans
qui m'accompagnoit rempant
fur ſes genoux & fur fes mains
me cria & me fit figne de
hauſſer le bras de même que le
Roy , je fis ſemblant de n'entendre
point ce qu'on me difoit
&me tins ferme , le Roy alors
fe mettant à rire , ſe leva & fe
baiffa pour prendre la Lettre
dans le Vafe & ſe pencha de
maniere que l'on luy vit tout
le corps, dés qu'il l'eut priſe , je
fis la révérence & je me retiray
fur mon fiege. Le Roy me demanda
des nouvelles de ſa Majeſté
ainſi que de toute la maifon
Royale & fi le Roy avoit
fait quelque conquête depuis
DU VOYAGE DE SIAM . 61
peu , je luy dis qu'il avoit fait
celle du Luxembourg , place
preſque imprenable & des plus
importantes qu'euffent les Efpagnols
, qui fermoit les frontiéres
de France & ouvroit celles
de ceux qui de ce côté-là pourroient
devenir ſes ennemis , &
qu'aprés il avoit de nouveau
accordé la paix à toute l'Europe
érant à la tête de ſes Armées.
Le Roi me dit qu'il étoit bienaiſe
de toutes les grandes victoires
que SA MAJESTE' avoit
remportées ſur ſes ennemis &de
la paix dont elle joüiſſoit, il ajoû .
ta qu'il avoit envoyé vers elle
des Ambaſſadeurs qui étoient
partis de Bantan dans le Soleil
d'Orient , qu'il chercheroit tous
les moïens pour donner ſatisfaction
au Roy ſur tout ce que je
luy propoſois ; Monfieur l'Evef
que de Metellopolis étoit pré
62 RELATION
ſent qui interpreta pluſieurs choſes
que le Roy me demanda. Ce
Monarque avoit une Couronne
enrichie des diamans attachée
fur un bonnet qui s'élevon au
deffus preſque ſemblableá ceux
de nos dragons , la veſte étoit
d'une érufe tresbelle à fonds
& flats d'or garnie au col &
aux poigners de diamans , en
forte qu'ils formoient une eſpoce
de collier & de braflelers . Ce
Prince avoit beaucoup de diamans
aux doits , te ne puis dire
qu'elle étoit alors fa chauſſure ,
ne l'ayant vu dans cette audiance
là que juſqu'à la moitié
du corps. Ily avoit quatre- vingt
Mandarins dans la Salle , où
j'étois , tous profternez contre
terre , qui ne fortirent jamais
de cette poſture durant tout ce
temps-ia.
Le Roy eſt âgé d'environ cin,
DU VOYAGE DE SIAM . 63
quante cinq ans , bien fait, mais
quelque peu bazané comme le
font ceux de ce païs- là , ayant
de viſage affez guay , fes incli
nations font toutes Royales il
eft courageux , grand politique
gouvernant par luy-même , magnifique
, liberal , aimant les
beaux Arts , en un mot un Monarque
qui a ſçû par la force de
fon genie s'affrarchir de diverſes
coûtumes qu'il a trouvées
en uſage en ſon Royaume pour
emprunter des païs étrangers ,
for tout de ceux d'Europe , се
qu'il a cru plus digne de contribuer
à la Gloire & à la felicité
de fon Regne..
Ces Mandarins dont je viens
de parler n'avoient ny bas , ny
fouliers & étoient habillez comme
ceux dont j'ay parlé cy de.
-vant avec un bonnet fans cou.
ronne de la mesme forme de
64 RELATION
celuy du Roy & chacun avoit
une boëte où ils mettent leur
Betel Arrek , chau & tabac . Par
ces boëtes on diftingue leurs
qualités , & leur Rang les uns
étantdifférentes des autres,aprés
que le Roy m'eut parlé pendant
environ une heure , il ferma fa
fenêtre & je me retiray . Le lieu
de l'audiance étoit élevé d'environ
douze à quinze marches, le
dedans étoit peint de grandes
fleurs d'or depuis le bas juſqu'au
haut, le plafond étoit de boſſages
dorés , le plancher couvert
de tapis tres-beaux; Au fondde
cette falle il y avoit deux efcaliers
des deux côtés qui conduifoientdans
une chambre où étoit
le Roy & au milieu de ces deux
eſcaliers étoit une fenêtre brifée
devant laquelle il y avoit trois
grands paraſoles par étages depuis
le bas de la ſalle juſqu'au
haut,
:
DU VOYAGE DE SIAM. 69
L
haur, ils étoient de toile d'or
& le bâton couvert d'une feulle
d'or , l'un étoit au milieu de
la fenêtre , & les deux autres
aux deux côtés , c'eſt par cette
fenêtre que l'on voyoit le trône
du Roy & par où il me donna
audiance ; Monfieur Conftans
me mena enſuite voir le reſte du
Palais , où je vis l'éléphant blanc
àqui on donne à boire & à manger
dans de l'or , j'en vis auſſi
pluſieurs autres tres beaux, après
quoy je retournay à l'hôtel où
je devois loger dans la même
pompe que j'étois venu , cette
maiſon étoit aflés propre & tout
mon monde y étot bien logé ,
j'appris que Monfieur Conftans
avoit ordonné de la part du Roy
à tous les Mandarins des nations
étrangeres qui habitent dans fon
Royaume de ſe rendre à cet
hôtel qu'il avoit fait préparer
F
66 RELATION
pour l'Ambaſſadeur de France
& qu'y étant aſſemblez il leur
avoit dit que le Roy ſouhaittoit
qu'ils viflent la distinction qu'il
faifoit entre l'Ambaſſadeur de
France & les Ambaſladeurs qui
venoient de la part des Rois de
leurs nations . Cette distinction
étant deuë au Roy de France ,
Monarque tout- puiſſant & qui
ſçavoit reconnoître les civilitez
quel on luy faiſoit, que ces Mandarins
avoient été tout étonnés ,
&luy avoient répondu qu'ils n'a.
voient jamais vû d'Ambaſſadeur
de France & qu'ils étoient perſuadez
que la distinction que le
Roy faiſoit en ſa faveur étoit
deuë à un Prince auffi grand' ,
auſſi puiſſant & auffi victorieux
que l'eſt le Roy de France, puifqu'il
y avoir long temps que fes
grandes victoires étoient connuës
par tout le monde ce qui
DU VOYAGE DE SIAM. 67
faifoit qu'ils n'étoient pas furpris
que le Roy faiſoit de la diftinction
entre cét Ambaſſadeur
& ceux des Roys ſes voiſins ; Ce
fut dans ce même temps que
Monfieur Conftans leur ordonna
de la part du Royde me venir
ſalüer commeje l'ay déja dir.
Le mêmejour ſurle foir Monfieur
Conftans me vint encore
voir & ce fut lors que nous eû .
mes enſemble une plus longue
conversation. Il y avoit dans
mon Hôtel nombre de Mandarins
& de Siamois pour le garder
&pour nous faire fournir les
choſes dont nous pouvions avoir
beſoin le Roy nous défraïant de
toutes choſes.
Le dix neuviéme il vint nom.
be de Mandarins me ſaluer &
Manficar Corſtans m'envoya
des préfens de fruits & de confitures
du païs.
Fij
68 RELATION
Le même jour Monfieur l'Evêque
de Metellopolis fut appel.
lé chez le Roy pour expliquer
la Lettre de ſa Majesté.
Le vingt-deuxième le Roy
m'envoya pluſieurs pièces de
brocard , des robbes de chambre
du Japon & une garniture
de boutons d'or & aux Gentilshommes
qui m'accompagnoient
quelques étofes or & argent des
Indes ; la coûtume du Royaume
étant que l'on y fait des préſens
en arrivant pour qu'on s'habille
à leurs modes , mais pour
moy je n'en fis point faire d'habits:
Et il n'y eut que les Gentilshommes
de ma ſuite qui en
uferent de cette façon :Sur le foir
étant accompagné de Monfieur
l'Evêque j'allay rendre vifre à
Monfieur Conſtans .
Le vingt quatriéme le Roy
me fit dire par luy qu'il me donDU
VOYAGE DE SIAM. 69
neroit audiance le lendemain au
matin.
Le ving-cinquiéme je me rendis
au Palais avec toute ma
fuite & Monfieur l'Evêque , le
Roy me donna audiance particulière,
où il ſe dit bien des cho .
ſes , dont j'ay rendu compte à ſa
Majeſté. Je dînay dans le jardin
du Palais fous de grands arbres
& on me fervit quantitéde
viandes & de fruits à differens
fervices, le couvert que l'on fervoit
pour moy étoit dans de l'or
& ce que l'on fervoit pour les
Gentilshommes qui m'accompagnoient
& autres perſonnes qui
mangeoient avec moy étoit dans
de l'argent, les plus grands Mandarins
du Roy , comme les
Grands Threſoriers , les Capitaines
de ſes Gardes & autres
nous ſervoient ; ce repas dura
plus de trois ou quatre heures , il
70 RELATION
y avoit dans le jardin un étang
dans lequel il y avoit nombre de
poiffons fort curieux , entr'autres
un qui répreſentoit le viſage
d'un homme.
Le vingt neuviéme j'allay rendre
viſite au Barcalon premier
Miniſtre du Roy de Siam qui me
parut homme d'eſprit, Monfieur
Evêque m'y accompagna &
interpreta ce que jeluy dis.
Le trentiéme j'allay au Palais
pour voir la Pagode, ouTemple
domeftique du Roy de Siam , il
fe faifoit alors dans la Cour du
Palais un combat ou pour mieux
dire une maniére de combar de
l'Eléphant , car les Elephans
étoient attachez par les deux
jambes de derriére fur chacun
deſquels deux hommes étoient
montez qui tenoient en leurs
mains un croc avec quoy ils les
gouvernoient comme on fait les
:
DU VOYAGE DE SIAM. I
chevaux avec la bride , ils leur
en donnoient pluſieurs coups
pour les animer , les éléphans
fe fuffent bien battus s'ils en euffent
eu la liberté, ils ſe donnoient
feulement quelques coups de
dents &de leurs trompes, le Roy
y étoit préſent , mais je ne le vis
point, nous paſſames de cette
Cour dans pluſieurs autres &enfuite
nous allâmes dans la Pagode
, le portail en paroît être
fort antique& tres-bien travaillé
, le bâtiment affez beau & fait
en forme de nos Egliſes en Europe
; Nous y vîmes plufieurs
ſtatues de cuivre doré qui ſembloient
offrir des Sacrifices à
une grande idole toute d'or d'environ
quarante pieds de haut, au
côté de cette groſſe Idole , il y
en avoit pluſieurs autres petites
dont quelqu'unes d'or avoient
des lampes allumées depuis le
72 RELATION
haut juſqu'en bas : Au fond de
cette Pagode il y a une tresgrande
Idole ſur un Mauſolée
d'un tres-grand prix , j'allay enfuite
dans une autre Pagode tenant
à cette premiere& je paffay
fous une voûte en forme de clof.
tre où il y avoit des idoles de
châque côté toutes dorées de
deux pieds en deux pieds , qui
avoient devantelles chacune une
petite lampe que les Talapoins ,
qui font les Prêtres des Stamois,
allument tous les foirs: Dans cette
Pagode étoit le Mauſolée de
la Reine morte depuis quatre
cu cinq ans, il eſt affez magnifique
, & derriere ce Mauſolée
étoit celuy d'un Roy de Siam
repréſenté par une grande Statuë
couchée ſur le cote & habillée
comme les Roys le font
aux jours de ceremonie , cette
ſtatuë pouvoit bien avoir vingt
cing
DU VOYAGE DE SIAM. 73
cinq pieds de long , elle étoitde
cuivre doré , j'allay encore dans
d'autres endroits ou il y avoit
nombre de ces ſtatues d'or &
d'argent. Pluſieurs avoient de
tres-beaux diamans & des rubis
aux doigtssje n'ay jamais vu tant
d'idoles& tant d'or : le toutn'é .
toit beau que parce qu'il y avoit
beaucoup de richeffes.
J'allay voir enſuite les Eléphans,
ily en a grand nombre & d'une
grofeur prodigieuſe , je vis une
piéce de canon de fonte fonduë
à Siam de dixhuit pieds de long,
de quatorze pouces de diamétre
àl'embouchure & d'environ trois
cent livres de balles, il y a nombre
de canons de fonte dans le
Royaume qu'ils fondent euxmêmes.
Le trente-uniême on fit la réjouiſſance
de l'avenement à la
couronne du Roy de Portugal
G ১৯
74
RELATION
où il fut tiré nombre de coups
de canons & feux,d'artifice par
les vaiſſeaux étrangers.
Le lendemain premier Novembre
Monheur Conftans me
convia à un grand feſtin quirſe
faiſoit pour la réjouiſſance de cet
avenemet,je m'y trouvay,tous les
Européans de la Villey étoient,
&on tira toute lajournée du canon
fans diſcontinuer , aprés le
repas il y eût Comedie, les Chinois
commencerent les poſtures
, il y avoit des Siamois , mais
jen'entendois point ce qu'ils difoient,
leurs poſtures me paroiffoient
ridicules & n'approchent
point de celles de nos baladins
en Europe , à la reſerve de deux
hommes, qui montoient au haut
de deux perches fort élevées qui
avoient au bout une petite pomme,
& fe mettantdebout ſur le
haut ils faisoient pluſieurs poſtuies
ſurprenantes ; Enfuite on
DU VOYAGE DE F
SIAM . S
joüa les Marionettes Chinoiſes,
amaistout cela n'approche point
de celles d Europe.
2
LeDimanche quatriéme Monfieur
Conftans me dit que le Roy
devoit fortir pour aller à une Pagode
ou il a accoûtumé d'aller
tous les ans , &me pria de l'aller
voir paffer m'ayant fait préparer
une Salle fur l'eau , j'y allay
avec luy& toute ma ſuite, aprés
y avoir reſté un peu de temps, il
parut un grand balon bien doré
• dans lequel étoit un Mandarin
qui venoit voir fi tout étoit en
ordre, à peine fut-il pallé que je
vist pluſieurs ballons où étoient
les Mandarins du premier rang
qui étoient tous habillez dedrap
rouge, ils ont contume en ces
joursd'affemblée d'érre tous ha
billez d'une même couleur , &
c'eſt to Ready qui la nomme , ils
-avoient des bonnets blancs eh
76 RELATION
pointe fort élevez & les Oyas
avoient au bas de leurs bonnets
un bord d'or , à l'égard des culottes
c'étoit une maniére d'é .
charpe comme j'ay dit. Aprés
eux venoient ceux du ſecond
ordre . , les Gardes-du- Corps,
pluſieurs Soldats ,& puis leRoy
dans un balon accompagné de
deux autres qui étoient tres.
beaux , les rameurs des trois
ballons étoient habillez comme
les Soldats à la reſerve, qu'ils
avoient une eſpece de cuiraſſe
& un caſque en tête que l'on
diſoit être d'or , leur pagais ou
rames étoient toutes dorées, ainſi
que tous les balons , ce qui
faifoit un tres bel effet, il y avoit
cent quatre-vingt cinq rameurs
fur chacun de ces ballons &
fur ceux des Mandarins environ
cent , & cent vint ſur chacun
, il y avoit des Gardes-du-
Corps qui ſuivoient& pluſieurs
DU VOYAGE DE SIAM. 77
autres Mandarins qui faisoient
l'arrière - Garde , le Roy étoit
habillé tres - richement avec
quelques pierreries , je le ſalüay
en paſſant & il me falia auffi
il y avoit à ce Cortege cent quarante
tres-beaux balons & cela
paroiffoit beaucoup ſur la riviére
allant tous en bon ordre Aprés
diné j'allay dans mon balon voir
le reſte de la ceremonie , fur le
foir le Roy changea de balon&
promit un prix à celuy des balons
qui à force de rames arri
veroit le premier au Palais , il
fe mit de la partie, il devança de
beaucoup les autres & ainſi ſes
rameurs emporterent le prix , je
ne ſçay point de combien il étoit,
les autres ballons repafferent ſans
ordre tres - vite , toute la riviere
étoit couverte de balons des par
ticuliers qui étoient venus pour
voir le Roy, cejour là étantdef
Gij
78 RELAD 1 וסיא
tiné pour ſe montrer à fon peu
ple & je croy qu'il y avoitplus
de cent milles ames pourle voir.
Le ſoir il y eut un feu d'artifice
en réjouiffance du Couronnement
du Roy d'Angleterre, if
étoit afſez bien inventé , les vaifſeaux
étrangers tirerent grand
nombre de coupsdecanon.
Le cinquiéme on continüa cet.
te fête & on tira du canon toute
la journée , Monfieur Conf.
tans me donna à dîner où tous
les Europeans étoient , où je fus
tres.bien regalé.
Lehuitiéme le Roy partit pour
Louvo qui eſt une maiſon de
plaiſance , ou il demeure huit ou
neuf mois de l'année à vinge
lieuës de Siam .
Le quinzićme je partis pour
m'y rendre , je couchay en che
min dans une maiſon qui avoit
été bâtie pour moi, elle étoit de
la même manière que celle ou
-
DU VOYAGE DE SIAM. 79
j'avois été logé , depuis mon débarquement
juſquesà laVille de
Siam , elle étoit proche d'une
maiſon ou le Roy va coucher
quand il va à Louvo , j'y reſtay
le ſeiziéme, & le dix-sept je partis
pour m'y rendre , j'y arrivay
le même jour fur les huit heures
du foir , je trouvay cette maiſon
du Roy affez bien bâtie à laMoreſque
,& on peut dire tres-bien
pour le païs , en y entrant l'on
paſſe par un jardin où il y a
pluſieurs jets d'eaux , de ce jardin
on montoit cinq ou fix marches&
l'on entroit dans un Salon
fort élevé ou l'on prenoitle
frais , j'y trouvay une belle Chapelle
& un logement pour tous
ceux qui m'accompagnoient.
Le Lundy dix-neuvième le
Roy me donna audiance parti
culière , aprés dîné j'allay me
promener fur des Elephans dont
Giiij :
80 RELATION
la marche eſt fort rude & fort
incommode , j'aimerois mieux
faire dix lieuës à cheval qu'une
fur un de ces animaux.
Le vingt- troiſiéme Monfieur
Conſtans me dit que le Roy vouloit
me donner le divertiſſement
d'un combat d'Elephans & qu'il
me prioit d'y mener les Capitaines
qui m'avoient amené pour le
leur faire voir , qui étoient Meffieurs
deVaudricourt&deJoyeuſe
, nous y allâmes ſur des Elephans
&le combat ſe donna de
la même maniere que j'en ay recité
un cy- devant .
يف
Le Roy fit venir les deux Capitaines
& leur dit, qu'il étoit
bien aiſe qu'ils fuffent les premiers
Capitaines du Roy de
France qui fuffent venus dans
fon Royaume & qu'il ſouhaittoit
qu'ils s'en retournaſſent auf.
fi heureuſement qu'ils étoient
venus. Il leur donna à chacun
',
DU VOYAGE DE SIAM. 8ι
un Sabre dont la poignée & la
garde étoient d'or & le foureau
preſque tout couvert auſſi d'or,
une chaîne de Philagrame d'or
fort bien travaillée & fort grofſe
comme pour ſervir de baudrier
, une veſte d'une étofe d'or
garnie de gros boutons d'or ;
comme Monfieur de Vaudricourt
étoit le premier Capitaine,
ſon préſent étoit plus beau&
plus riche ; le Roy leur dit de
ſe donner de garde de leurs ennemis
en chemin , ils répondirent
que SA MAJESTE' leur donnoit
des Armes pour ſe défendre
& qu'ils s'acquitteroient biende
leur devoir ; Ces Capitaines luy
parlerent ſans deſcendre de deffus
leurs Elephans,je vis bien que
fous prétexte d'un combat d'Elephans
, il vouloit faire ce préfent
aux Capitaines devantbeaucoup
d'Europeans qui étoient
1.
82 RELATION
préſens, afin de donner unemar
que publique de la distinction
particulière qu'il vouloit faire
de la nation Françoiſe , & j'apris
enméme temps que le Roy avoit
ce jour- là donné audiance aux
Chefs de la Compagnie Angloiſe
dans ſon Palais , ils font obligez
de fe conformer à la maniére
du païs , c'eſt-à-dire proſternez
contre terre & fans ſou.
liers. Aprés le Roy s'en retourna
& j'allay voir un Elephant qui
avoit été amené par les femelles
qui ſont inſtruites à aller dans les
bois avec un homme ou deux à
leur conduite, juſqu'à vingt cinq
ou trente lieuës , chercher des
Elephans ſauvages & quandelles
en ont trouvé elles font en
forte de les amener juſques proche
de laVille dans un lieu deſti.
né pour les recevoir , c'eſt une
grande place creuſée en terre &
DU VOYAGE DE SIAM. 83
revétuë d'une muraille de brique
qui la reléve , fort élevée , il y
a une ſeconde enceinte de gros
pieux d'environ quinze pieds de
haut entre leſquels il peut facilement
paſſer un homme & une
double porte de mêmes pieux &
de meſme hauteur qui ſe ferme
par le moyen d'une couliſſe de
telle maniére que, quand un Elephant
eſt dedans , il n'en peur
fortit , les Elephans femelles entrentlespremieres,
les autres ſauvages
les ſuivent & on ferme la
couliffe.
Cemêmejour Monfieur Conftans
fit préſent aux deux Capitainesde
pluſieurs porcelaines &
ouvrages du Japon d'argent &
autres curiofites .
Le Samedy vingt-quatrième je
montay à cheval pour aller voir
prendre les Elephans ſauvages.
Le Roy étant arrivé au bout しい
84 RELATION
de cette place qui étoit ceinte
de pieux & de muraille, il y en.
troit un homme qui alloit avec
un bâton attaquer l'Elephant
ſauvage, qui dans le même temps
quittoit les femelles & le pourfuivoit
; l'homme continua ce
manege & amuſa cét Elephant
fauvage , juſqu'à ce que les fe.
melles qui étoient avec luy fortiffent
de la place par la porte
qui fut auſſi tôt fermée par la
couliffe & l'Elephant fe voyant
feul renfermé il ſe mit en furie,
l'homme l'alla encore attaquer
& au lieu de s'enfuïr du côté
qu'il avoit aceoûtumé, il s'enfuit
par la porte & paſſa à travers
des pieux, l'Elephantle ſuivit &
quand il fut entre les deux por
tes on l'enferma , comme il étoit
échauffé on luy jetta quantité
d'eau fur le corps pour le rafrai
chir, onluyamena pluſieurs-Ele
DU VOYAGE DE SIAM. 85
phans proche de lui , qui lui faifoient
des careſſes avec leurs
trompes comme pour le conſoler
, on lui attacha les deux jambes
de derriere ,& on lui ouvrit
la porte , il marcha cinq ou fix
pas , il trouva quatre éléphans
en guerre , l'un en tête pour le
tenir en reſpect , deux autres
qu'on lui attacha à ſes côtés , &
un derriere qui le poufſoit avec
ſa tête , ils le menerent de cette
maniere ſous un toît , où il y
avoit un gros poteau planté
où l'on l'attacha , & on luiJaifſa
deux éléphans á ſes côtés
pour l'apprivoiſer , & les autres
s'en allerent. Lorſque les éléphans
fauvages ont reſté quinze
jours de cette maniere, ils reconnoiffent
ceux qui leur donnent
àmanger & à boire , & les fuivent
, aprés ils deviennent en
peu de temps auſſi privés que
ماک REDATNON LA
desautres . Le Roi a grand nombre
de ces femelles qui ne font
autre choſe que d'aller chercher
des éléphans.194
Le Lundi vingt- cing , j'allai
voir un combat de Tygre cont
tre trois Eléphans , mais le Ty
gre ne fut pas le plus fort , il
reçût un coup de dent qui lui
emporta la moitié de la machoire
, quoi que le Tygre fic
fort bien ſon devoir. 11
Le Mardi vingt- fixieme j'eus
audiance particuliere pour la
quatrième fois , & le Roi me
témoigna l'eſtime qu'il faifoit
de la Nation Françoiſe , aprés
pluſieurs autres diſcours dont
j'ai rendu pareillement comte an
Roi . Le foir j'alai voir une Féte
que les Siamois font au commencement
de leur année qui
confiſte en une grande illumination.
Elle ſe faitdans le Palais
DU VOYAGE DE SIAM. 89
dans une grande Cour , à l'entour
de laquelle il y a pluſieurs
cabinets pleins de petites lampes
, & au devant de des cabinets
, il y a de grandes perches
plantées en terre , où pendent
tout du longdes lanternesdecor.
ne peinte , cette fête dure huit
jours.
Le Dimanche deuxième De
cembre , Monfieur Conftans
m'envoya des preſens , il en fit
auſſi à Monfieur l'Abbé de
Choifi,& aux Gentils-Hommes
qui m'accompagnoient , ces preſens
étoientdes porcelaines , des
braſlelets , des cabinets de la
Chine , des robes de chambre
& des ouvrages du Japon faits
d'argent, des pierres de bezoart
des cornes de Rhinoceros,& au
tres curiofitez de ce païs- là .
Le dixiéme j'allai voir la grandechaſſe
des éléphans qui ſe fait
88 RELATION
en la forme ſuivante : Le Roi
envoïe grand nombre de femel.
les en compagnie, & quand elles
ont été pluſieurs jours dans les
bois , & qu'il eſt averti qu'on a
trouvé des éléphans , il envoye
trente ou quarante mil hommes
qui font une tres-grande enceinte
dans l'endroit où ſont les éléphans
, ils ſe poſtent de quatre
en quatre , de vingt à vingt- cinq
pieds de diſtance les uns des autres
, & à chaque campement
on faitun feu élevé de trois pieds
de terre ou environ , il ſe fait
une autre enceinte d'éléphans de
guerre , diſtans les uns des autres
d'environ cent& cent cinquante
pas , & dans les endroits par où
les élephans pourroient fortir
plus aiſement , les elephans de
guerre font plus frequens ; en
pluſieurs lieux il y a du canon
que l'on tire quand les elephans
DU VOIAGE DE SIAM. 89
fauvages veulent forcer le paſſa .
ge , car ils craignent fort le feu ,
tous les jours on diminuë cette
enceinte , &à la fin elle est trespetite
, & les feux ne ſont pasa
plus de cinq ou fix pas les uns des
autres ; comme ces elephans entendent
du bruit autour d'eux ,
ils n'oſent pas s'enfuir , quoi que
pourtant il ne laiſſe pas de s'en
fauver quelqu'un ; car on m'a
dit qu'il y avoit quelques jours
qu'il s'en eſtoit fauve dix , quand
on les veut prendre on les fait
entrer dans une place entourèe
de pieux , où il y a quelques arbres
, entre leſquels un homme
peut facilement paſſer , il y a une
autre enceinte d'elephans de
guerre & de ſoldats ,dans laquetle
ily entredes hommes montez
fur des elephans , fort adroits à
jetter des cordes aux jambes de
derriere des elephans , qui lors
H
وم
RELIAITTON 2 UG
qu'ils font attachez de cette ma
niere, font mis entre deux elda
phans privez , outre lesquels il
y en a un autre qui les pouffe par
derriere ; de forte qu'il eſt obligé
de marcher , & quand il veut
faire le mechant , les autres lui
donnent des coups de trompeion
les mena ſous des toits ,& on les
attacha de la même maniere que
le precedent; j'en vis prendre dix
&on me dit qu'il y en avoit cent
quarante dans l'enceinte, le Roi
y eſtoit preſent , il donnoit ſes
ordres pour tout ce qui eſtoit
neceſſaire. En ce lieu-là j'eus
l'honneur d'avoir un long entretien
avec luy , & il me pria de lui
laiſſer à ſon ſervice Monfieur de
Fourbin , Lieutenant de mon
Navire, je le lui accordai,& je le
lui preſentai , dans le même tems
que le Roi lui eut parlé , il lui
fic un preſent d'un labre , dont
DU VOYAGE DE SIAM . 91
la poignée & la garde estoient
d'or ,& le foureau garni d'or ,
d'unjuſt'aucorps de brocard d'or
d'Europe , garni de boutons d'or.
Alors le Roime fit auſſi preſent
d'une foucoupe & d'une coupe
couverte d'or , il me fit ſervir la
collation dans le bois , où iby
avoit nombre de confitures , de
fruits&des vins .
Le lendemain onziéme je retournai
à cette chaſſe ſur des
elephans , le Roi y eſtoit, il vinc
deuxMandarins me chercher de
fa part pour lui aller parler , il
me dit pluſieurs chofes , & il me
demanda le ſieur de la Mare Ingenieur
que j'avois à ma ſuite ,
pour faire fortifier ſes places , je
Jui dis que je ne doutois pas que
le Roi mon Maiſtre n'approuvật
fort queje le lui laiſſaſſe, puifque
les intereſts de ſa Majesté lui
eſtoient tres - chers,& que c'eſtoir
Hij
92
RELATION
۱
un habile homme dont ſa Majeſté
ſeroit fatisfaite : j'ordonnay
au ſieur de la Mare de reſter
pour rendre ſervice au Roi qui
lui parla & lui donna une veſte
d'une eſtofed'or. Le Roi me dit
qu'il vouloit envoyer un petit
elephant à Monſeigneur le Duc
de Bourgogne qu'il me montra ,
& apres avoir fait un peu de reflexion
, il me dit que s'il n'en
donnoit qu'à Monſegneur le
Duc de Bourgogne , il apprehendoit
que Monseigneur le Duc
d'Anjou n'en fût jaloux , c'eſt
pourquoi il vouloit en envoyer
deux ;& comme je faifois état
de partir le lendemain pour me
rendre à bord, je lui preſentai les
Gentils-Homnes qui estoient
avec moi , pour prendre congé
de ſa majeſté , ils le ſaluerent, &
leRoi leur fouhaitta un heureux
volage , Monfieur l'Evêque
DU VOYAGE DE SIAM .
93
voulut lui préſenter Meſſieurs
Abbé de Lionne & le Vacher
Miſſionaires pour prendre con
gé de lui , qui s'en venoient avec
moi , mais il dir à Monfieur l'E.
véque qu'à l'égard de ces deux
perſonnes ,ils étoient de fa mai
fon , qu'il les regardoit comme
fes enfans , &qu'ils prendroient
congéde lui dans ſon Château ,
aprés le Roi ſe retira , & je le
conduiſis juſqu'au bout du bois ,
prenant le chemin de Louvo ;
parce que le Roi avoit une maifon
dans le bois ou il demeure
durant qu'il s'occupe à cette
chaffe d'Eléphans.
K Le Mercredi douzieme , le
Roi me donna audiance de congé
, Monfieur l'Evêque y étoit ,
il me dit qu'il étoit tres content
&tres fatisfait de moi , & de
toute ma negociation , il me
4
94 MARELATION :
donnaungrand vaſe d'or qu'ils
appellent Boffette : C'eſt une
des marques des plus honorables
de ce Roiaume la. Et c'eſt
comme fi le Roi en France donnoit
le Cordon bleu , il me die
qu'il n'en faiſoit point les ceremonies
, parce qu'il y auroit
peutétre eu quelque choſe qui
ne m'auroit pas été agréable , à
cauſe des genuflexions que les
plus Grands du Royaume font
obligés de faire en pareil rencontre
, il n'y a d'Etrangers en
ſa Cour , que le Neveu du Roi
de Camboye , qui ait eu une
ſemblable marque d'honneur,
qui ſignifie que l'on eſt Oyas ,
dignité qui elt en ce pais là com.
me Duc en France ; il y à plu.
fieurs fortes d'Oyas que l'on
diftingue par leurs Boffettes . Ce
Monarque eut la bonté de me
dire des choſes ſi obligeantes en
DU VOYAGE DE SIAM. 95
pafticuber que je n'oferois les
raconfer? dans tout mon
voiagejlen ai reçû des honneurs
fi grands que j'aurois peine d'étre
crû ,s'ils n'étoient unique
ment dûs au caractere , dont ſa
Majesté avoit daigné m'honorer
,j'ai reçû auffi mille bons
traitemens de ſes Miniſtres &
du reſte de ſa Cour. Meſſieurs
l'Abbé de Lionne & le Vacher
prirent en méme temps congé
du Roi , qui aprés leur avoir
ſouhaité un bon voiage , leur
donna à chacun un Crucifix d'or
de Tambacq avec le pied d'are
gent. Au ſortir de l'Audiance ,
Monfieur Conſtans me mena
dans une Salle entourée de jets
d'eaux qui étoit dans l'enceinte
du Palais , ouje trouvayun tres
grand repas ſervi à la mode du
Royaume de Siam , le Roi eut
labonté de m'envoier deux ou
96 RELATION
trois plats de ſa table , car il
dinoit en même tems,ſur les cinq
heures je me mis dans une
chaiſe dorée portée par dix
hommes & les Gentilshommes
qui m'accompagnoient étoient
à Cheval , nous entrâmes dans
nos Balons , il y avoit nombre
de Mandarins qui m'accompagnoient
auſſi , les rues étoient
bordées de Soldats , d'Eléphans,
& de Cavaliers Moreſques. Elles
étoient de la méme maniére , le
matin quand je fus à l'Audiance,
tous les Mandarins qui m'avoient
accompagné juſques à
mon Balon ſe mirent dans les
leurs ,& vinrent avec moi , il y
avoit environ cent Balons &
j'arrivai le lendemain treiziéme
à Siam ſur les trois heures du
matın La Lettre du Roi de
Siam , & fes Ambaſſadeurs
pour France étoient avec moi
dans
DU VOYAGE DE SIAM . 97
dans un trés beau Balon accompagnés
de pluſieurs autres , le
Roi me fit preſent de Porcelaines
pour fix à ſept cent Pistoles,
deux paires de Paravants de la
Chine , quatre Tapis de table en
broderie d'or & d'argent de la
Chine , d'un Crucifix dont le
corps eft d'or, la Croix de Tambacq
, qui eſt un metal plus eſtimé
que l'or dans ces pays là , &
le pied d'argent avec pluſieurs
autres curiofités des Indes ; &
comme la coutume de ces païs
eſt de donner à ceux qui portent
les préſens , j'ai donné aux Conducteurs
des Balons du Roi qui
m'avoient fervi d'environ huit à
neuf cent Piſtoles . A l'égard de
Monfieur Conftans , je pris la
liberté de lui donner un Meuble
que j'avois porté de France , &
aMadame ſa Femme une Chaize
à Porteurs trés belle qui me
I
98 RELATION
coûtoit en France deux cens
eſcus , avec un Miroir garni d'or
&de Pierreries d'environ foixante
piſtoles , le Roi a auſſi fait pour
environ ſeptou huit cens piſtoles
de préſens à Monfieur l'Abbé
de Ghoiſi en Cabinets de la
Chine , Ouvrages d'argent du
Japon, pluſieurs Porcelaines trés
belles & autres curioſités des
Indes.
Le quatorze ſur les cinq heu
res du foir , je partis de Siam
accompagné de Monfieur Conſtans
,de pluſieurs Mandarins &
nombre de Balons , & j'arrivai
à Bancoc le lendemain de grand
matin;les Fortereſſes qui étoient
par les chemins , & celles de
Bancoc me falüérent de toute
leur artillerie : je reſtai un jour
à Bancoc , parceque le Roi
m'avoit dit dans une Audiance
que comme j'étois homme de
DU VOYAGE DE SIAM. 99
guerre , il me prioit d'en voir
les fortifications , & de dire ce
qu'il y avoit à faire pour les bien
fortifier , & d'y marquer una
place pour y bâtir une Eglife ;
j'en fis un petit devis que je donai
à Monfieur Conftans.
Le ſeiziéme au matin j'en partis
accompagné des Mandarins,
les Fortereſſes me falüérent , &
fur les quatre heures j'arrivai à
la barre de Siam dans les Chaloupes
des deux Navires du Roi
où je m'étois mis, j'arivaia bord
fur les ſept heures.
Le dix- ſeptiéme , la Fregate
du Roi de Siam dans laquelle
étoient ſes Ambaſſadeurs & fa
Lettre pour le Roi de France
vint moüiller proche de mon
navire ; j'envoyai ma Chaloupe
qui amena deux des Ambaſfadeurs
, & aprés je renvoïai encore
la même Chaloupe qui
I ij
100 RELATION
apporta l'autre Ambaſſadeur &
la Lettre du Roi , qui étoit ſous
un Dais où Piramide toure dorée
& fort élevée , la Lettre
étoit écrite ſur une feüille d'or
roulée & miſe dans une boëte
d'or , on ſalia cette Lettre de
pluſieurs coups de Canon , &
elle demeura ſur la Dunette de
mon Navire avec des Paraſols
pardeſſus juſqu'au jour de nótre
depart. Quand les Mandarins
paffoient proche d'elle , ils
la ſaluoient à leurs maniéres ,
leur coûtume étant de faire de
grands honneurs aux Lettres de
leur Roi . Le lendemain ce Navire
partit remontant la rivière,
& dans le même temps parut
un autre Navire du Roi de Siam
qui vint moűiller proche de nous
dans lequel étoit Monfieur
Conſtans ; il vint à mon Bord ,
le lendemain dix-neuviéme où
/
DU VOYAGE DE SIAM. 101
il dina , & l'aprés- diſnée il s'en
retourna à terre dans ma Chaloupe
, je le fis ſalüer de vingtun
coups de Canon , nous nous
ſéparames avec peine , car nous
avions déja lié une tres étroite
amitié & une extrême confiance
, c'eſt un homme qui a extiêmement
de l'eſprit & du merite ,
& je puis dire qu'on ne peut
pas avoir de plus grands égards
que ceux qu'il a eus pour moi
j'étois étőné de n'entendre point
de nouvelles de Monfieur le Vachet
Miffionaire du chef de la
Compagnie Françoiſe , & de
mon Secretaire qui devoient venir
à bord aäant apris qu'ils
étoient partis de la riviére
de Siam dés le ſeizième avec
ſept des Gentilshommes qui
devoient accompagner les Ambatfadeurs
du Roi de Siam &
pluſieurs de leurs Domestiques :
I iij
101 RELATION
cela me fit croire qu'ils étoient
perdus & me fit prendre la reſolutiondepartir
, car le vent êtoit
fort favorable ; mais Monfieur
Conftans me pria d'attendre encore
un jourpendant qu'il alloit
envoyer ſur la Côte pour apprendre
de leurs nouvelles.
Le lendemain vintiéme , une
partie de ces gens là revint à
bord , quatre des Gentilshommes
des Ambaſſadeurs du Roi
de Siam & la pluſpart de leurs
Domestiques n'ayant voulu
s'embarquer dans un Bateau
qu'ils avoient pris par les chemins
, parce qu'il étoit un peu
bas de bord , ils me dirent que
le meſme jour ſciziéme
étoient venus proche du bord
fur les onze heures de nuit &
que croïant moüiller l'Ancre
ils n'avoient pas aſſez de Cable
dans leur Bateau , ce qu'ils ap.
د
ils
DU VOYAGE DE SIAM. 103
perçurent en voiant le Bateau
s'éloigner du Vaiſſeau, lors & il
s'eleva un vent fort grand qui
fit groſſir la Mer & les courans
devinrent contraires , ce qui fit
qu'ils allerent à plus de quarante
lieuës au large avec grand riſque
*de ſe perdre , ils dırent qu'ils
avoient laiſſe les autres à plus de
vingt cinq lieuës échoüés ſur
un banc de Vaſe , d'ou il n'y
avoit pas apparence qu'ils pufſent
venirà bord fitôt , c'eſt ce
qui me fit prendre la reſolution
de partir dés le lendemain au
matin.Je crois en cet endroit
devoir faire mention des Peres
Jéſuites qui s'éroient embarqués
avec nous à Breft & que nous
laiſfames à Siam , c'étoient les
Peres Fontenay , Tachart , Gerbillon
, le Comte, Bouvet & un
autre , auſſi habiles que bons
Religieux , & que le Roi avoir
1
Liiij
104 RELATION :
choiſis pour envoyer à la Chine
y faire des Obſervations de Mathématique,
je crois leur devoir
la juſtice d'en parler & de dire
que lors que nous fumes arrivés
au Cap de bonne eſpérance , le
Gouverneur Holandois leur fit
beaucoup d'amitié & leur donna
une Maiſon dans le Jardin dela
Compagnie fort propre pour y
faire des Obſervations , où ils
porterent tous leurs Inſtrumens
deMathematique ; mais comme
je'ne reſtay que fix ou ſept jours
dans ce lieu là , ils n'eurent pas
le temps d'en faire un grand
nombre , ces bons Péres m'ont
étéd'un grand ſecours dansmon
voyage juſqu'à Siam , par leur
piété , leurs bons exemples , &
l'agreement de leurs converſations
,j'avois la confolation que
preſque tous les jours on diſoit
cinq ou fix Meſſes dans le VaifDN
VOYAGE DE SIAM. 105
pour
feau , & j'avois fait faire une
Chambre exprés aux Pères
ydire la Meſſe; Toutes les Fêtes
& les Dimanches nous avions
prédication ou fimple exhortation
, le Pere Tachart l'un d'eux,
faifoit trois fois la ſemaine le Catechiſme
à tout l'équipage , &
ce même Pere a fait beaucoup
de fruit dans tout le vaiſſeau ,
Cars'entretenant familiérement
avec tous les Matelots & les
Soldats , il n'y en a pas eu un ,
qui n'ait fait ſouvent ſes dévotions
, il accommodoit tous les
démêlés qui y farvenoient , il
y avoit deux Matelots hugue.
nots , qui par ſes ſoins ont abjuré
l'héréſie entre les mains du
Pere Fontenai qui étoit leur Superieur.
Ces Peres alloient à
Siam dans le deſſein de s'em .
barquer ſur des Vaiſſeaux Portugais
que l'on y trouve ordinairement
de Macao & qui retour
106 RELATION
nent à la Chine : Ces Peres y
trouverent Monfieur Conftans
Miniſtre du Roi de Siam qui aime
fort les Jeſuïtes , & qui les
protege , il les a fait loger à Louvodans
une maiſon du Roi , &
les deffraye de toutes choſes.
Dans une Audiance que le Roi
me donna , je luy dis que j'avois
amené avec moi fix Peres Jeſuïtes
qui s'en alloient à la Chine
faire des obſervations de Ma
thématique , & qu'ils avoient
été choiſis par le Roi mon Maitre
comme les plus capables en
cette ſcience. Il me dit qu'il les
verroit , & qu'il étoit bien aiſe
qu'ils ſe fuſſent accommodés
avec Monfieur l'Evêque , il m'a
parlé plus d'une fois fur cette
matiére. Monfieur Conſtans les
lui préſenta quatre ou cinqjours
aprés , & par bonheur pour eux
il y eût ce jour- là une éclypſe
de Lune , le Roi leur dit de faiDU
VOYAGE DE SIAM. 107
re porter leurs inftrumens de
de Mathématique dans une maifon
où il alloit coucher á une
lieuë de Louvo , où il eſt ordinairement
, quand il prend le
plaifir de la chaſſe : les Peres ne
manquerent pas de s'y rendre , &
ſe poſterent avec leurs lunettes
dans une Gallerie où le Roi vint
fur les trois heures du matin ,
qui étoit le tems de l'Eclypſe.
Ils lui firent voir dans cette lunette
tous les effets de l'Eclypſe,
ce qui fut fort agréable au Roi ,
il fit bien des honnêtetés aux
Peres , & leur dit qu'il ſçavoit
bien que Monfieur Conftans étoit
de leurs amis , auſſi bien que
du Pere de la Chaize. Il leur
donna un grand Crucifix d'or &
deTambacq , & leur dit de l'envoyer
de ſa part au Pere de la
Chaize , il en donna un autre
plus petit au Pere Tachart , en
leur diſant qu'il les reverroit une
108 RELATION
Monfieur
autrefois . Sept ou huit jours devant
mon départ
Conftans propoſa aux Peres ,
que s'ils vouloient reſter deux à
Siam , le Roy en ſeroit bien aiſe ,
ils répondirent qu'ils ne le pouvoient
pas , parce qu'ils avoient
ordre du Roi de France de ſe
rendre inceſſamment à la Chine:
Il leur dit que cela étant , il falloit
qu'ils écriviſſent au Pere
General d'en envoyer douze au
plûtôt dans le Roiaume de Siam ,
& que le Roi lui avoit dit qu'il
leur feroit bâtir des Obſervatoires
, des Maiſons , & Eglifes ,
le Pere Fontenai m'apprit cette
propofition , je lui dis qu'il ne
pouvoit mieux faire que d'accepter
ce parti , puiſque par
la ſuite ce ſeroit un grand
bien pour la converfion du
Royaume , il me dit que fur
mon approbation il avoit
envie de renvoyer le Pere
د
DU VOYAGE DE SIAM. 109
Tachart en France pour ce ſujet
, ce que j'approuvay. Le Pere
Tachart êtant homme d'un
grand eſprit , & qui feroit indubitablement
reüffir cette affaire,
les lettres ne pouvant lever pluſieurs
obſtacles que l'on pourroit
y mettre , ce qui a fait que
je le ramene. Ce Pere m'a été
encore d'un grand ſecours , ainſi
qu'aux Gentils-hommes qui
m'ont accompagné , auſquels
il a appris avec un tres-grand
foin les Matematiques durant
nôtre retour. Je ne diray rien
des grandes qualitez de Monſieur
l'Evêque de Metellopolis
non plus que des progrez de
Meſſieurs des Miffions étrangeres
dans l'Orient , puis que fuivant
leur coûtume , ils ne manqueront
pas de donner au public
une relation axacte , touchant
ce qui concerne la Reli-
K
10 RELATION
gion dans ce Pays là : J'aurois
cü une extreme joye d'y rencon
trer Monfieur l'Evêque d'Heliopolis
; leRoy de Siam me dit un
jour , qu'il feroit mort de joye
s'il avoit veu dans fon Royaume
un Ambaſſadeur de France
arriver : mais Dieu n'a pas permis
que nous euſſions l'un &
l'autre cette confolation , &
nous avons appris qu'il avoit
terminé dans la Chine ſes longs
travaux par une mort tres ſainte.
Mais avant de faire le recit
juſques à notre arrivée à Brest ,
je crois à propos de raconter ce
que (dans le peu de tems que
j'ay reſté dans le Royaume de
Siam ) j'ay pû remarquer touchant
les moeurs , le Gouvernement
, le Commerce & la Religion.
par Monfieur Conftans ,
aprés cela je disa SA MAJESTE'
que le Roy mon Maître
m'avoit donné Monfieur l'Abbé
de Choiſy pour m'accompagner
& les douze Gentilshom
60 RELATION
mes queje luy préſentay , je pris
la Lettredes mains de Monfieur
l'Abbé de Choify & je la portay
dans le deſſein de ne la préſenter
que comme je venois de me déterminer
de le faire,Mo Conſtans
qui m'accompagnoit rempant
fur ſes genoux & fur fes mains
me cria & me fit figne de
hauſſer le bras de même que le
Roy , je fis ſemblant de n'entendre
point ce qu'on me difoit
&me tins ferme , le Roy alors
fe mettant à rire , ſe leva & fe
baiffa pour prendre la Lettre
dans le Vafe & ſe pencha de
maniere que l'on luy vit tout
le corps, dés qu'il l'eut priſe , je
fis la révérence & je me retiray
fur mon fiege. Le Roy me demanda
des nouvelles de ſa Majeſté
ainſi que de toute la maifon
Royale & fi le Roy avoit
fait quelque conquête depuis
DU VOYAGE DE SIAM . 61
peu , je luy dis qu'il avoit fait
celle du Luxembourg , place
preſque imprenable & des plus
importantes qu'euffent les Efpagnols
, qui fermoit les frontiéres
de France & ouvroit celles
de ceux qui de ce côté-là pourroient
devenir ſes ennemis , &
qu'aprés il avoit de nouveau
accordé la paix à toute l'Europe
érant à la tête de ſes Armées.
Le Roi me dit qu'il étoit bienaiſe
de toutes les grandes victoires
que SA MAJESTE' avoit
remportées ſur ſes ennemis &de
la paix dont elle joüiſſoit, il ajoû .
ta qu'il avoit envoyé vers elle
des Ambaſſadeurs qui étoient
partis de Bantan dans le Soleil
d'Orient , qu'il chercheroit tous
les moïens pour donner ſatisfaction
au Roy ſur tout ce que je
luy propoſois ; Monfieur l'Evef
que de Metellopolis étoit pré
62 RELATION
ſent qui interpreta pluſieurs choſes
que le Roy me demanda. Ce
Monarque avoit une Couronne
enrichie des diamans attachée
fur un bonnet qui s'élevon au
deffus preſque ſemblableá ceux
de nos dragons , la veſte étoit
d'une érufe tresbelle à fonds
& flats d'or garnie au col &
aux poigners de diamans , en
forte qu'ils formoient une eſpoce
de collier & de braflelers . Ce
Prince avoit beaucoup de diamans
aux doits , te ne puis dire
qu'elle étoit alors fa chauſſure ,
ne l'ayant vu dans cette audiance
là que juſqu'à la moitié
du corps. Ily avoit quatre- vingt
Mandarins dans la Salle , où
j'étois , tous profternez contre
terre , qui ne fortirent jamais
de cette poſture durant tout ce
temps-ia.
Le Roy eſt âgé d'environ cin,
DU VOYAGE DE SIAM . 63
quante cinq ans , bien fait, mais
quelque peu bazané comme le
font ceux de ce païs- là , ayant
de viſage affez guay , fes incli
nations font toutes Royales il
eft courageux , grand politique
gouvernant par luy-même , magnifique
, liberal , aimant les
beaux Arts , en un mot un Monarque
qui a ſçû par la force de
fon genie s'affrarchir de diverſes
coûtumes qu'il a trouvées
en uſage en ſon Royaume pour
emprunter des païs étrangers ,
for tout de ceux d'Europe , се
qu'il a cru plus digne de contribuer
à la Gloire & à la felicité
de fon Regne..
Ces Mandarins dont je viens
de parler n'avoient ny bas , ny
fouliers & étoient habillez comme
ceux dont j'ay parlé cy de.
-vant avec un bonnet fans cou.
ronne de la mesme forme de
64 RELATION
celuy du Roy & chacun avoit
une boëte où ils mettent leur
Betel Arrek , chau & tabac . Par
ces boëtes on diftingue leurs
qualités , & leur Rang les uns
étantdifférentes des autres,aprés
que le Roy m'eut parlé pendant
environ une heure , il ferma fa
fenêtre & je me retiray . Le lieu
de l'audiance étoit élevé d'environ
douze à quinze marches, le
dedans étoit peint de grandes
fleurs d'or depuis le bas juſqu'au
haut, le plafond étoit de boſſages
dorés , le plancher couvert
de tapis tres-beaux; Au fondde
cette falle il y avoit deux efcaliers
des deux côtés qui conduifoientdans
une chambre où étoit
le Roy & au milieu de ces deux
eſcaliers étoit une fenêtre brifée
devant laquelle il y avoit trois
grands paraſoles par étages depuis
le bas de la ſalle juſqu'au
haut,
:
DU VOYAGE DE SIAM. 69
L
haur, ils étoient de toile d'or
& le bâton couvert d'une feulle
d'or , l'un étoit au milieu de
la fenêtre , & les deux autres
aux deux côtés , c'eſt par cette
fenêtre que l'on voyoit le trône
du Roy & par où il me donna
audiance ; Monfieur Conftans
me mena enſuite voir le reſte du
Palais , où je vis l'éléphant blanc
àqui on donne à boire & à manger
dans de l'or , j'en vis auſſi
pluſieurs autres tres beaux, après
quoy je retournay à l'hôtel où
je devois loger dans la même
pompe que j'étois venu , cette
maiſon étoit aflés propre & tout
mon monde y étot bien logé ,
j'appris que Monfieur Conftans
avoit ordonné de la part du Roy
à tous les Mandarins des nations
étrangeres qui habitent dans fon
Royaume de ſe rendre à cet
hôtel qu'il avoit fait préparer
F
66 RELATION
pour l'Ambaſſadeur de France
& qu'y étant aſſemblez il leur
avoit dit que le Roy ſouhaittoit
qu'ils viflent la distinction qu'il
faifoit entre l'Ambaſſadeur de
France & les Ambaſladeurs qui
venoient de la part des Rois de
leurs nations . Cette distinction
étant deuë au Roy de France ,
Monarque tout- puiſſant & qui
ſçavoit reconnoître les civilitez
quel on luy faiſoit, que ces Mandarins
avoient été tout étonnés ,
&luy avoient répondu qu'ils n'a.
voient jamais vû d'Ambaſſadeur
de France & qu'ils étoient perſuadez
que la distinction que le
Roy faiſoit en ſa faveur étoit
deuë à un Prince auffi grand' ,
auſſi puiſſant & auffi victorieux
que l'eſt le Roy de France, puifqu'il
y avoir long temps que fes
grandes victoires étoient connuës
par tout le monde ce qui
DU VOYAGE DE SIAM. 67
faifoit qu'ils n'étoient pas furpris
que le Roy faiſoit de la diftinction
entre cét Ambaſſadeur
& ceux des Roys ſes voiſins ; Ce
fut dans ce même temps que
Monfieur Conftans leur ordonna
de la part du Royde me venir
ſalüer commeje l'ay déja dir.
Le mêmejour ſurle foir Monfieur
Conftans me vint encore
voir & ce fut lors que nous eû .
mes enſemble une plus longue
conversation. Il y avoit dans
mon Hôtel nombre de Mandarins
& de Siamois pour le garder
&pour nous faire fournir les
choſes dont nous pouvions avoir
beſoin le Roy nous défraïant de
toutes choſes.
Le dix neuviéme il vint nom.
be de Mandarins me ſaluer &
Manficar Corſtans m'envoya
des préfens de fruits & de confitures
du païs.
Fij
68 RELATION
Le même jour Monfieur l'Evêque
de Metellopolis fut appel.
lé chez le Roy pour expliquer
la Lettre de ſa Majesté.
Le vingt-deuxième le Roy
m'envoya pluſieurs pièces de
brocard , des robbes de chambre
du Japon & une garniture
de boutons d'or & aux Gentilshommes
qui m'accompagnoient
quelques étofes or & argent des
Indes ; la coûtume du Royaume
étant que l'on y fait des préſens
en arrivant pour qu'on s'habille
à leurs modes , mais pour
moy je n'en fis point faire d'habits:
Et il n'y eut que les Gentilshommes
de ma ſuite qui en
uferent de cette façon :Sur le foir
étant accompagné de Monfieur
l'Evêque j'allay rendre vifre à
Monfieur Conſtans .
Le vingt quatriéme le Roy
me fit dire par luy qu'il me donDU
VOYAGE DE SIAM. 69
neroit audiance le lendemain au
matin.
Le ving-cinquiéme je me rendis
au Palais avec toute ma
fuite & Monfieur l'Evêque , le
Roy me donna audiance particulière,
où il ſe dit bien des cho .
ſes , dont j'ay rendu compte à ſa
Majeſté. Je dînay dans le jardin
du Palais fous de grands arbres
& on me fervit quantitéde
viandes & de fruits à differens
fervices, le couvert que l'on fervoit
pour moy étoit dans de l'or
& ce que l'on fervoit pour les
Gentilshommes qui m'accompagnoient
& autres perſonnes qui
mangeoient avec moy étoit dans
de l'argent, les plus grands Mandarins
du Roy , comme les
Grands Threſoriers , les Capitaines
de ſes Gardes & autres
nous ſervoient ; ce repas dura
plus de trois ou quatre heures , il
70 RELATION
y avoit dans le jardin un étang
dans lequel il y avoit nombre de
poiffons fort curieux , entr'autres
un qui répreſentoit le viſage
d'un homme.
Le vingt neuviéme j'allay rendre
viſite au Barcalon premier
Miniſtre du Roy de Siam qui me
parut homme d'eſprit, Monfieur
Evêque m'y accompagna &
interpreta ce que jeluy dis.
Le trentiéme j'allay au Palais
pour voir la Pagode, ouTemple
domeftique du Roy de Siam , il
fe faifoit alors dans la Cour du
Palais un combat ou pour mieux
dire une maniére de combar de
l'Eléphant , car les Elephans
étoient attachez par les deux
jambes de derriére fur chacun
deſquels deux hommes étoient
montez qui tenoient en leurs
mains un croc avec quoy ils les
gouvernoient comme on fait les
:
DU VOYAGE DE SIAM. I
chevaux avec la bride , ils leur
en donnoient pluſieurs coups
pour les animer , les éléphans
fe fuffent bien battus s'ils en euffent
eu la liberté, ils ſe donnoient
feulement quelques coups de
dents &de leurs trompes, le Roy
y étoit préſent , mais je ne le vis
point, nous paſſames de cette
Cour dans pluſieurs autres &enfuite
nous allâmes dans la Pagode
, le portail en paroît être
fort antique& tres-bien travaillé
, le bâtiment affez beau & fait
en forme de nos Egliſes en Europe
; Nous y vîmes plufieurs
ſtatues de cuivre doré qui ſembloient
offrir des Sacrifices à
une grande idole toute d'or d'environ
quarante pieds de haut, au
côté de cette groſſe Idole , il y
en avoit pluſieurs autres petites
dont quelqu'unes d'or avoient
des lampes allumées depuis le
72 RELATION
haut juſqu'en bas : Au fond de
cette Pagode il y a une tresgrande
Idole ſur un Mauſolée
d'un tres-grand prix , j'allay enfuite
dans une autre Pagode tenant
à cette premiere& je paffay
fous une voûte en forme de clof.
tre où il y avoit des idoles de
châque côté toutes dorées de
deux pieds en deux pieds , qui
avoient devantelles chacune une
petite lampe que les Talapoins ,
qui font les Prêtres des Stamois,
allument tous les foirs: Dans cette
Pagode étoit le Mauſolée de
la Reine morte depuis quatre
cu cinq ans, il eſt affez magnifique
, & derriere ce Mauſolée
étoit celuy d'un Roy de Siam
repréſenté par une grande Statuë
couchée ſur le cote & habillée
comme les Roys le font
aux jours de ceremonie , cette
ſtatuë pouvoit bien avoir vingt
cing
DU VOYAGE DE SIAM. 73
cinq pieds de long , elle étoitde
cuivre doré , j'allay encore dans
d'autres endroits ou il y avoit
nombre de ces ſtatues d'or &
d'argent. Pluſieurs avoient de
tres-beaux diamans & des rubis
aux doigtssje n'ay jamais vu tant
d'idoles& tant d'or : le toutn'é .
toit beau que parce qu'il y avoit
beaucoup de richeffes.
J'allay voir enſuite les Eléphans,
ily en a grand nombre & d'une
grofeur prodigieuſe , je vis une
piéce de canon de fonte fonduë
à Siam de dixhuit pieds de long,
de quatorze pouces de diamétre
àl'embouchure & d'environ trois
cent livres de balles, il y a nombre
de canons de fonte dans le
Royaume qu'ils fondent euxmêmes.
Le trente-uniême on fit la réjouiſſance
de l'avenement à la
couronne du Roy de Portugal
G ১৯
74
RELATION
où il fut tiré nombre de coups
de canons & feux,d'artifice par
les vaiſſeaux étrangers.
Le lendemain premier Novembre
Monheur Conftans me
convia à un grand feſtin quirſe
faiſoit pour la réjouiſſance de cet
avenemet,je m'y trouvay,tous les
Européans de la Villey étoient,
&on tira toute lajournée du canon
fans diſcontinuer , aprés le
repas il y eût Comedie, les Chinois
commencerent les poſtures
, il y avoit des Siamois , mais
jen'entendois point ce qu'ils difoient,
leurs poſtures me paroiffoient
ridicules & n'approchent
point de celles de nos baladins
en Europe , à la reſerve de deux
hommes, qui montoient au haut
de deux perches fort élevées qui
avoient au bout une petite pomme,
& fe mettantdebout ſur le
haut ils faisoient pluſieurs poſtuies
ſurprenantes ; Enfuite on
DU VOYAGE DE F
SIAM . S
joüa les Marionettes Chinoiſes,
amaistout cela n'approche point
de celles d Europe.
2
LeDimanche quatriéme Monfieur
Conftans me dit que le Roy
devoit fortir pour aller à une Pagode
ou il a accoûtumé d'aller
tous les ans , &me pria de l'aller
voir paffer m'ayant fait préparer
une Salle fur l'eau , j'y allay
avec luy& toute ma ſuite, aprés
y avoir reſté un peu de temps, il
parut un grand balon bien doré
• dans lequel étoit un Mandarin
qui venoit voir fi tout étoit en
ordre, à peine fut-il pallé que je
vist pluſieurs ballons où étoient
les Mandarins du premier rang
qui étoient tous habillez dedrap
rouge, ils ont contume en ces
joursd'affemblée d'érre tous ha
billez d'une même couleur , &
c'eſt to Ready qui la nomme , ils
-avoient des bonnets blancs eh
76 RELATION
pointe fort élevez & les Oyas
avoient au bas de leurs bonnets
un bord d'or , à l'égard des culottes
c'étoit une maniére d'é .
charpe comme j'ay dit. Aprés
eux venoient ceux du ſecond
ordre . , les Gardes-du- Corps,
pluſieurs Soldats ,& puis leRoy
dans un balon accompagné de
deux autres qui étoient tres.
beaux , les rameurs des trois
ballons étoient habillez comme
les Soldats à la reſerve, qu'ils
avoient une eſpece de cuiraſſe
& un caſque en tête que l'on
diſoit être d'or , leur pagais ou
rames étoient toutes dorées, ainſi
que tous les balons , ce qui
faifoit un tres bel effet, il y avoit
cent quatre-vingt cinq rameurs
fur chacun de ces ballons &
fur ceux des Mandarins environ
cent , & cent vint ſur chacun
, il y avoit des Gardes-du-
Corps qui ſuivoient& pluſieurs
DU VOYAGE DE SIAM. 77
autres Mandarins qui faisoient
l'arrière - Garde , le Roy étoit
habillé tres - richement avec
quelques pierreries , je le ſalüay
en paſſant & il me falia auffi
il y avoit à ce Cortege cent quarante
tres-beaux balons & cela
paroiffoit beaucoup ſur la riviére
allant tous en bon ordre Aprés
diné j'allay dans mon balon voir
le reſte de la ceremonie , fur le
foir le Roy changea de balon&
promit un prix à celuy des balons
qui à force de rames arri
veroit le premier au Palais , il
fe mit de la partie, il devança de
beaucoup les autres & ainſi ſes
rameurs emporterent le prix , je
ne ſçay point de combien il étoit,
les autres ballons repafferent ſans
ordre tres - vite , toute la riviere
étoit couverte de balons des par
ticuliers qui étoient venus pour
voir le Roy, cejour là étantdef
Gij
78 RELAD 1 וסיא
tiné pour ſe montrer à fon peu
ple & je croy qu'il y avoitplus
de cent milles ames pourle voir.
Le ſoir il y eut un feu d'artifice
en réjouiffance du Couronnement
du Roy d'Angleterre, if
étoit afſez bien inventé , les vaifſeaux
étrangers tirerent grand
nombre de coupsdecanon.
Le cinquiéme on continüa cet.
te fête & on tira du canon toute
la journée , Monfieur Conf.
tans me donna à dîner où tous
les Europeans étoient , où je fus
tres.bien regalé.
Lehuitiéme le Roy partit pour
Louvo qui eſt une maiſon de
plaiſance , ou il demeure huit ou
neuf mois de l'année à vinge
lieuës de Siam .
Le quinzićme je partis pour
m'y rendre , je couchay en che
min dans une maiſon qui avoit
été bâtie pour moi, elle étoit de
la même manière que celle ou
-
DU VOYAGE DE SIAM. 79
j'avois été logé , depuis mon débarquement
juſquesà laVille de
Siam , elle étoit proche d'une
maiſon ou le Roy va coucher
quand il va à Louvo , j'y reſtay
le ſeiziéme, & le dix-sept je partis
pour m'y rendre , j'y arrivay
le même jour fur les huit heures
du foir , je trouvay cette maiſon
du Roy affez bien bâtie à laMoreſque
,& on peut dire tres-bien
pour le païs , en y entrant l'on
paſſe par un jardin où il y a
pluſieurs jets d'eaux , de ce jardin
on montoit cinq ou fix marches&
l'on entroit dans un Salon
fort élevé ou l'on prenoitle
frais , j'y trouvay une belle Chapelle
& un logement pour tous
ceux qui m'accompagnoient.
Le Lundy dix-neuvième le
Roy me donna audiance parti
culière , aprés dîné j'allay me
promener fur des Elephans dont
Giiij :
80 RELATION
la marche eſt fort rude & fort
incommode , j'aimerois mieux
faire dix lieuës à cheval qu'une
fur un de ces animaux.
Le vingt- troiſiéme Monfieur
Conſtans me dit que le Roy vouloit
me donner le divertiſſement
d'un combat d'Elephans & qu'il
me prioit d'y mener les Capitaines
qui m'avoient amené pour le
leur faire voir , qui étoient Meffieurs
deVaudricourt&deJoyeuſe
, nous y allâmes ſur des Elephans
&le combat ſe donna de
la même maniere que j'en ay recité
un cy- devant .
يف
Le Roy fit venir les deux Capitaines
& leur dit, qu'il étoit
bien aiſe qu'ils fuffent les premiers
Capitaines du Roy de
France qui fuffent venus dans
fon Royaume & qu'il ſouhaittoit
qu'ils s'en retournaſſent auf.
fi heureuſement qu'ils étoient
venus. Il leur donna à chacun
',
DU VOYAGE DE SIAM. 8ι
un Sabre dont la poignée & la
garde étoient d'or & le foureau
preſque tout couvert auſſi d'or,
une chaîne de Philagrame d'or
fort bien travaillée & fort grofſe
comme pour ſervir de baudrier
, une veſte d'une étofe d'or
garnie de gros boutons d'or ;
comme Monfieur de Vaudricourt
étoit le premier Capitaine,
ſon préſent étoit plus beau&
plus riche ; le Roy leur dit de
ſe donner de garde de leurs ennemis
en chemin , ils répondirent
que SA MAJESTE' leur donnoit
des Armes pour ſe défendre
& qu'ils s'acquitteroient biende
leur devoir ; Ces Capitaines luy
parlerent ſans deſcendre de deffus
leurs Elephans,je vis bien que
fous prétexte d'un combat d'Elephans
, il vouloit faire ce préfent
aux Capitaines devantbeaucoup
d'Europeans qui étoient
1.
82 RELATION
préſens, afin de donner unemar
que publique de la distinction
particulière qu'il vouloit faire
de la nation Françoiſe , & j'apris
enméme temps que le Roy avoit
ce jour- là donné audiance aux
Chefs de la Compagnie Angloiſe
dans ſon Palais , ils font obligez
de fe conformer à la maniére
du païs , c'eſt-à-dire proſternez
contre terre & fans ſou.
liers. Aprés le Roy s'en retourna
& j'allay voir un Elephant qui
avoit été amené par les femelles
qui ſont inſtruites à aller dans les
bois avec un homme ou deux à
leur conduite, juſqu'à vingt cinq
ou trente lieuës , chercher des
Elephans ſauvages & quandelles
en ont trouvé elles font en
forte de les amener juſques proche
de laVille dans un lieu deſti.
né pour les recevoir , c'eſt une
grande place creuſée en terre &
DU VOYAGE DE SIAM. 83
revétuë d'une muraille de brique
qui la reléve , fort élevée , il y
a une ſeconde enceinte de gros
pieux d'environ quinze pieds de
haut entre leſquels il peut facilement
paſſer un homme & une
double porte de mêmes pieux &
de meſme hauteur qui ſe ferme
par le moyen d'une couliſſe de
telle maniére que, quand un Elephant
eſt dedans , il n'en peur
fortit , les Elephans femelles entrentlespremieres,
les autres ſauvages
les ſuivent & on ferme la
couliffe.
Cemêmejour Monfieur Conftans
fit préſent aux deux Capitainesde
pluſieurs porcelaines &
ouvrages du Japon d'argent &
autres curiofites .
Le Samedy vingt-quatrième je
montay à cheval pour aller voir
prendre les Elephans ſauvages.
Le Roy étant arrivé au bout しい
84 RELATION
de cette place qui étoit ceinte
de pieux & de muraille, il y en.
troit un homme qui alloit avec
un bâton attaquer l'Elephant
ſauvage, qui dans le même temps
quittoit les femelles & le pourfuivoit
; l'homme continua ce
manege & amuſa cét Elephant
fauvage , juſqu'à ce que les fe.
melles qui étoient avec luy fortiffent
de la place par la porte
qui fut auſſi tôt fermée par la
couliffe & l'Elephant fe voyant
feul renfermé il ſe mit en furie,
l'homme l'alla encore attaquer
& au lieu de s'enfuïr du côté
qu'il avoit aceoûtumé, il s'enfuit
par la porte & paſſa à travers
des pieux, l'Elephantle ſuivit &
quand il fut entre les deux por
tes on l'enferma , comme il étoit
échauffé on luy jetta quantité
d'eau fur le corps pour le rafrai
chir, onluyamena pluſieurs-Ele
DU VOYAGE DE SIAM. 85
phans proche de lui , qui lui faifoient
des careſſes avec leurs
trompes comme pour le conſoler
, on lui attacha les deux jambes
de derriere ,& on lui ouvrit
la porte , il marcha cinq ou fix
pas , il trouva quatre éléphans
en guerre , l'un en tête pour le
tenir en reſpect , deux autres
qu'on lui attacha à ſes côtés , &
un derriere qui le poufſoit avec
ſa tête , ils le menerent de cette
maniere ſous un toît , où il y
avoit un gros poteau planté
où l'on l'attacha , & on luiJaifſa
deux éléphans á ſes côtés
pour l'apprivoiſer , & les autres
s'en allerent. Lorſque les éléphans
fauvages ont reſté quinze
jours de cette maniere, ils reconnoiffent
ceux qui leur donnent
àmanger & à boire , & les fuivent
, aprés ils deviennent en
peu de temps auſſi privés que
ماک REDATNON LA
desautres . Le Roi a grand nombre
de ces femelles qui ne font
autre choſe que d'aller chercher
des éléphans.194
Le Lundi vingt- cing , j'allai
voir un combat de Tygre cont
tre trois Eléphans , mais le Ty
gre ne fut pas le plus fort , il
reçût un coup de dent qui lui
emporta la moitié de la machoire
, quoi que le Tygre fic
fort bien ſon devoir. 11
Le Mardi vingt- fixieme j'eus
audiance particuliere pour la
quatrième fois , & le Roi me
témoigna l'eſtime qu'il faifoit
de la Nation Françoiſe , aprés
pluſieurs autres diſcours dont
j'ai rendu pareillement comte an
Roi . Le foir j'alai voir une Féte
que les Siamois font au commencement
de leur année qui
confiſte en une grande illumination.
Elle ſe faitdans le Palais
DU VOYAGE DE SIAM. 89
dans une grande Cour , à l'entour
de laquelle il y a pluſieurs
cabinets pleins de petites lampes
, & au devant de des cabinets
, il y a de grandes perches
plantées en terre , où pendent
tout du longdes lanternesdecor.
ne peinte , cette fête dure huit
jours.
Le Dimanche deuxième De
cembre , Monfieur Conftans
m'envoya des preſens , il en fit
auſſi à Monfieur l'Abbé de
Choifi,& aux Gentils-Hommes
qui m'accompagnoient , ces preſens
étoientdes porcelaines , des
braſlelets , des cabinets de la
Chine , des robes de chambre
& des ouvrages du Japon faits
d'argent, des pierres de bezoart
des cornes de Rhinoceros,& au
tres curiofitez de ce païs- là .
Le dixiéme j'allai voir la grandechaſſe
des éléphans qui ſe fait
88 RELATION
en la forme ſuivante : Le Roi
envoïe grand nombre de femel.
les en compagnie, & quand elles
ont été pluſieurs jours dans les
bois , & qu'il eſt averti qu'on a
trouvé des éléphans , il envoye
trente ou quarante mil hommes
qui font une tres-grande enceinte
dans l'endroit où ſont les éléphans
, ils ſe poſtent de quatre
en quatre , de vingt à vingt- cinq
pieds de diſtance les uns des autres
, & à chaque campement
on faitun feu élevé de trois pieds
de terre ou environ , il ſe fait
une autre enceinte d'éléphans de
guerre , diſtans les uns des autres
d'environ cent& cent cinquante
pas , & dans les endroits par où
les élephans pourroient fortir
plus aiſement , les elephans de
guerre font plus frequens ; en
pluſieurs lieux il y a du canon
que l'on tire quand les elephans
DU VOIAGE DE SIAM. 89
fauvages veulent forcer le paſſa .
ge , car ils craignent fort le feu ,
tous les jours on diminuë cette
enceinte , &à la fin elle est trespetite
, & les feux ne ſont pasa
plus de cinq ou fix pas les uns des
autres ; comme ces elephans entendent
du bruit autour d'eux ,
ils n'oſent pas s'enfuir , quoi que
pourtant il ne laiſſe pas de s'en
fauver quelqu'un ; car on m'a
dit qu'il y avoit quelques jours
qu'il s'en eſtoit fauve dix , quand
on les veut prendre on les fait
entrer dans une place entourèe
de pieux , où il y a quelques arbres
, entre leſquels un homme
peut facilement paſſer , il y a une
autre enceinte d'elephans de
guerre & de ſoldats ,dans laquetle
ily entredes hommes montez
fur des elephans , fort adroits à
jetter des cordes aux jambes de
derriere des elephans , qui lors
H
وم
RELIAITTON 2 UG
qu'ils font attachez de cette ma
niere, font mis entre deux elda
phans privez , outre lesquels il
y en a un autre qui les pouffe par
derriere ; de forte qu'il eſt obligé
de marcher , & quand il veut
faire le mechant , les autres lui
donnent des coups de trompeion
les mena ſous des toits ,& on les
attacha de la même maniere que
le precedent; j'en vis prendre dix
&on me dit qu'il y en avoit cent
quarante dans l'enceinte, le Roi
y eſtoit preſent , il donnoit ſes
ordres pour tout ce qui eſtoit
neceſſaire. En ce lieu-là j'eus
l'honneur d'avoir un long entretien
avec luy , & il me pria de lui
laiſſer à ſon ſervice Monfieur de
Fourbin , Lieutenant de mon
Navire, je le lui accordai,& je le
lui preſentai , dans le même tems
que le Roi lui eut parlé , il lui
fic un preſent d'un labre , dont
DU VOYAGE DE SIAM . 91
la poignée & la garde estoient
d'or ,& le foureau garni d'or ,
d'unjuſt'aucorps de brocard d'or
d'Europe , garni de boutons d'or.
Alors le Roime fit auſſi preſent
d'une foucoupe & d'une coupe
couverte d'or , il me fit ſervir la
collation dans le bois , où iby
avoit nombre de confitures , de
fruits&des vins .
Le lendemain onziéme je retournai
à cette chaſſe ſur des
elephans , le Roi y eſtoit, il vinc
deuxMandarins me chercher de
fa part pour lui aller parler , il
me dit pluſieurs chofes , & il me
demanda le ſieur de la Mare Ingenieur
que j'avois à ma ſuite ,
pour faire fortifier ſes places , je
Jui dis que je ne doutois pas que
le Roi mon Maiſtre n'approuvật
fort queje le lui laiſſaſſe, puifque
les intereſts de ſa Majesté lui
eſtoient tres - chers,& que c'eſtoir
Hij
92
RELATION
۱
un habile homme dont ſa Majeſté
ſeroit fatisfaite : j'ordonnay
au ſieur de la Mare de reſter
pour rendre ſervice au Roi qui
lui parla & lui donna une veſte
d'une eſtofed'or. Le Roi me dit
qu'il vouloit envoyer un petit
elephant à Monſeigneur le Duc
de Bourgogne qu'il me montra ,
& apres avoir fait un peu de reflexion
, il me dit que s'il n'en
donnoit qu'à Monſegneur le
Duc de Bourgogne , il apprehendoit
que Monseigneur le Duc
d'Anjou n'en fût jaloux , c'eſt
pourquoi il vouloit en envoyer
deux ;& comme je faifois état
de partir le lendemain pour me
rendre à bord, je lui preſentai les
Gentils-Homnes qui estoient
avec moi , pour prendre congé
de ſa majeſté , ils le ſaluerent, &
leRoi leur fouhaitta un heureux
volage , Monfieur l'Evêque
DU VOYAGE DE SIAM .
93
voulut lui préſenter Meſſieurs
Abbé de Lionne & le Vacher
Miſſionaires pour prendre con
gé de lui , qui s'en venoient avec
moi , mais il dir à Monfieur l'E.
véque qu'à l'égard de ces deux
perſonnes ,ils étoient de fa mai
fon , qu'il les regardoit comme
fes enfans , &qu'ils prendroient
congéde lui dans ſon Château ,
aprés le Roi ſe retira , & je le
conduiſis juſqu'au bout du bois ,
prenant le chemin de Louvo ;
parce que le Roi avoit une maifon
dans le bois ou il demeure
durant qu'il s'occupe à cette
chaffe d'Eléphans.
K Le Mercredi douzieme , le
Roi me donna audiance de congé
, Monfieur l'Evêque y étoit ,
il me dit qu'il étoit tres content
&tres fatisfait de moi , & de
toute ma negociation , il me
4
94 MARELATION :
donnaungrand vaſe d'or qu'ils
appellent Boffette : C'eſt une
des marques des plus honorables
de ce Roiaume la. Et c'eſt
comme fi le Roi en France donnoit
le Cordon bleu , il me die
qu'il n'en faiſoit point les ceremonies
, parce qu'il y auroit
peutétre eu quelque choſe qui
ne m'auroit pas été agréable , à
cauſe des genuflexions que les
plus Grands du Royaume font
obligés de faire en pareil rencontre
, il n'y a d'Etrangers en
ſa Cour , que le Neveu du Roi
de Camboye , qui ait eu une
ſemblable marque d'honneur,
qui ſignifie que l'on eſt Oyas ,
dignité qui elt en ce pais là com.
me Duc en France ; il y à plu.
fieurs fortes d'Oyas que l'on
diftingue par leurs Boffettes . Ce
Monarque eut la bonté de me
dire des choſes ſi obligeantes en
DU VOYAGE DE SIAM. 95
pafticuber que je n'oferois les
raconfer? dans tout mon
voiagejlen ai reçû des honneurs
fi grands que j'aurois peine d'étre
crû ,s'ils n'étoient unique
ment dûs au caractere , dont ſa
Majesté avoit daigné m'honorer
,j'ai reçû auffi mille bons
traitemens de ſes Miniſtres &
du reſte de ſa Cour. Meſſieurs
l'Abbé de Lionne & le Vacher
prirent en méme temps congé
du Roi , qui aprés leur avoir
ſouhaité un bon voiage , leur
donna à chacun un Crucifix d'or
de Tambacq avec le pied d'are
gent. Au ſortir de l'Audiance ,
Monfieur Conſtans me mena
dans une Salle entourée de jets
d'eaux qui étoit dans l'enceinte
du Palais , ouje trouvayun tres
grand repas ſervi à la mode du
Royaume de Siam , le Roi eut
labonté de m'envoier deux ou
96 RELATION
trois plats de ſa table , car il
dinoit en même tems,ſur les cinq
heures je me mis dans une
chaiſe dorée portée par dix
hommes & les Gentilshommes
qui m'accompagnoient étoient
à Cheval , nous entrâmes dans
nos Balons , il y avoit nombre
de Mandarins qui m'accompagnoient
auſſi , les rues étoient
bordées de Soldats , d'Eléphans,
& de Cavaliers Moreſques. Elles
étoient de la méme maniére , le
matin quand je fus à l'Audiance,
tous les Mandarins qui m'avoient
accompagné juſques à
mon Balon ſe mirent dans les
leurs ,& vinrent avec moi , il y
avoit environ cent Balons &
j'arrivai le lendemain treiziéme
à Siam ſur les trois heures du
matın La Lettre du Roi de
Siam , & fes Ambaſſadeurs
pour France étoient avec moi
dans
DU VOYAGE DE SIAM . 97
dans un trés beau Balon accompagnés
de pluſieurs autres , le
Roi me fit preſent de Porcelaines
pour fix à ſept cent Pistoles,
deux paires de Paravants de la
Chine , quatre Tapis de table en
broderie d'or & d'argent de la
Chine , d'un Crucifix dont le
corps eft d'or, la Croix de Tambacq
, qui eſt un metal plus eſtimé
que l'or dans ces pays là , &
le pied d'argent avec pluſieurs
autres curiofités des Indes ; &
comme la coutume de ces païs
eſt de donner à ceux qui portent
les préſens , j'ai donné aux Conducteurs
des Balons du Roi qui
m'avoient fervi d'environ huit à
neuf cent Piſtoles . A l'égard de
Monfieur Conftans , je pris la
liberté de lui donner un Meuble
que j'avois porté de France , &
aMadame ſa Femme une Chaize
à Porteurs trés belle qui me
I
98 RELATION
coûtoit en France deux cens
eſcus , avec un Miroir garni d'or
&de Pierreries d'environ foixante
piſtoles , le Roi a auſſi fait pour
environ ſeptou huit cens piſtoles
de préſens à Monfieur l'Abbé
de Ghoiſi en Cabinets de la
Chine , Ouvrages d'argent du
Japon, pluſieurs Porcelaines trés
belles & autres curioſités des
Indes.
Le quatorze ſur les cinq heu
res du foir , je partis de Siam
accompagné de Monfieur Conſtans
,de pluſieurs Mandarins &
nombre de Balons , & j'arrivai
à Bancoc le lendemain de grand
matin;les Fortereſſes qui étoient
par les chemins , & celles de
Bancoc me falüérent de toute
leur artillerie : je reſtai un jour
à Bancoc , parceque le Roi
m'avoit dit dans une Audiance
que comme j'étois homme de
DU VOYAGE DE SIAM. 99
guerre , il me prioit d'en voir
les fortifications , & de dire ce
qu'il y avoit à faire pour les bien
fortifier , & d'y marquer una
place pour y bâtir une Eglife ;
j'en fis un petit devis que je donai
à Monfieur Conftans.
Le ſeiziéme au matin j'en partis
accompagné des Mandarins,
les Fortereſſes me falüérent , &
fur les quatre heures j'arrivai à
la barre de Siam dans les Chaloupes
des deux Navires du Roi
où je m'étois mis, j'arivaia bord
fur les ſept heures.
Le dix- ſeptiéme , la Fregate
du Roi de Siam dans laquelle
étoient ſes Ambaſſadeurs & fa
Lettre pour le Roi de France
vint moüiller proche de mon
navire ; j'envoyai ma Chaloupe
qui amena deux des Ambaſfadeurs
, & aprés je renvoïai encore
la même Chaloupe qui
I ij
100 RELATION
apporta l'autre Ambaſſadeur &
la Lettre du Roi , qui étoit ſous
un Dais où Piramide toure dorée
& fort élevée , la Lettre
étoit écrite ſur une feüille d'or
roulée & miſe dans une boëte
d'or , on ſalia cette Lettre de
pluſieurs coups de Canon , &
elle demeura ſur la Dunette de
mon Navire avec des Paraſols
pardeſſus juſqu'au jour de nótre
depart. Quand les Mandarins
paffoient proche d'elle , ils
la ſaluoient à leurs maniéres ,
leur coûtume étant de faire de
grands honneurs aux Lettres de
leur Roi . Le lendemain ce Navire
partit remontant la rivière,
& dans le même temps parut
un autre Navire du Roi de Siam
qui vint moűiller proche de nous
dans lequel étoit Monfieur
Conſtans ; il vint à mon Bord ,
le lendemain dix-neuviéme où
/
DU VOYAGE DE SIAM. 101
il dina , & l'aprés- diſnée il s'en
retourna à terre dans ma Chaloupe
, je le fis ſalüer de vingtun
coups de Canon , nous nous
ſéparames avec peine , car nous
avions déja lié une tres étroite
amitié & une extrême confiance
, c'eſt un homme qui a extiêmement
de l'eſprit & du merite ,
& je puis dire qu'on ne peut
pas avoir de plus grands égards
que ceux qu'il a eus pour moi
j'étois étőné de n'entendre point
de nouvelles de Monfieur le Vachet
Miffionaire du chef de la
Compagnie Françoiſe , & de
mon Secretaire qui devoient venir
à bord aäant apris qu'ils
étoient partis de la riviére
de Siam dés le ſeizième avec
ſept des Gentilshommes qui
devoient accompagner les Ambatfadeurs
du Roi de Siam &
pluſieurs de leurs Domestiques :
I iij
101 RELATION
cela me fit croire qu'ils étoient
perdus & me fit prendre la reſolutiondepartir
, car le vent êtoit
fort favorable ; mais Monfieur
Conftans me pria d'attendre encore
un jourpendant qu'il alloit
envoyer ſur la Côte pour apprendre
de leurs nouvelles.
Le lendemain vintiéme , une
partie de ces gens là revint à
bord , quatre des Gentilshommes
des Ambaſſadeurs du Roi
de Siam & la pluſpart de leurs
Domestiques n'ayant voulu
s'embarquer dans un Bateau
qu'ils avoient pris par les chemins
, parce qu'il étoit un peu
bas de bord , ils me dirent que
le meſme jour ſciziéme
étoient venus proche du bord
fur les onze heures de nuit &
que croïant moüiller l'Ancre
ils n'avoient pas aſſez de Cable
dans leur Bateau , ce qu'ils ap.
د
ils
DU VOYAGE DE SIAM. 103
perçurent en voiant le Bateau
s'éloigner du Vaiſſeau, lors & il
s'eleva un vent fort grand qui
fit groſſir la Mer & les courans
devinrent contraires , ce qui fit
qu'ils allerent à plus de quarante
lieuës au large avec grand riſque
*de ſe perdre , ils dırent qu'ils
avoient laiſſe les autres à plus de
vingt cinq lieuës échoüés ſur
un banc de Vaſe , d'ou il n'y
avoit pas apparence qu'ils pufſent
venirà bord fitôt , c'eſt ce
qui me fit prendre la reſolution
de partir dés le lendemain au
matin.Je crois en cet endroit
devoir faire mention des Peres
Jéſuites qui s'éroient embarqués
avec nous à Breft & que nous
laiſfames à Siam , c'étoient les
Peres Fontenay , Tachart , Gerbillon
, le Comte, Bouvet & un
autre , auſſi habiles que bons
Religieux , & que le Roi avoir
1
Liiij
104 RELATION :
choiſis pour envoyer à la Chine
y faire des Obſervations de Mathématique,
je crois leur devoir
la juſtice d'en parler & de dire
que lors que nous fumes arrivés
au Cap de bonne eſpérance , le
Gouverneur Holandois leur fit
beaucoup d'amitié & leur donna
une Maiſon dans le Jardin dela
Compagnie fort propre pour y
faire des Obſervations , où ils
porterent tous leurs Inſtrumens
deMathematique ; mais comme
je'ne reſtay que fix ou ſept jours
dans ce lieu là , ils n'eurent pas
le temps d'en faire un grand
nombre , ces bons Péres m'ont
étéd'un grand ſecours dansmon
voyage juſqu'à Siam , par leur
piété , leurs bons exemples , &
l'agreement de leurs converſations
,j'avois la confolation que
preſque tous les jours on diſoit
cinq ou fix Meſſes dans le VaifDN
VOYAGE DE SIAM. 105
pour
feau , & j'avois fait faire une
Chambre exprés aux Pères
ydire la Meſſe; Toutes les Fêtes
& les Dimanches nous avions
prédication ou fimple exhortation
, le Pere Tachart l'un d'eux,
faifoit trois fois la ſemaine le Catechiſme
à tout l'équipage , &
ce même Pere a fait beaucoup
de fruit dans tout le vaiſſeau ,
Cars'entretenant familiérement
avec tous les Matelots & les
Soldats , il n'y en a pas eu un ,
qui n'ait fait ſouvent ſes dévotions
, il accommodoit tous les
démêlés qui y farvenoient , il
y avoit deux Matelots hugue.
nots , qui par ſes ſoins ont abjuré
l'héréſie entre les mains du
Pere Fontenai qui étoit leur Superieur.
Ces Peres alloient à
Siam dans le deſſein de s'em .
barquer ſur des Vaiſſeaux Portugais
que l'on y trouve ordinairement
de Macao & qui retour
106 RELATION
nent à la Chine : Ces Peres y
trouverent Monfieur Conftans
Miniſtre du Roi de Siam qui aime
fort les Jeſuïtes , & qui les
protege , il les a fait loger à Louvodans
une maiſon du Roi , &
les deffraye de toutes choſes.
Dans une Audiance que le Roi
me donna , je luy dis que j'avois
amené avec moi fix Peres Jeſuïtes
qui s'en alloient à la Chine
faire des obſervations de Ma
thématique , & qu'ils avoient
été choiſis par le Roi mon Maitre
comme les plus capables en
cette ſcience. Il me dit qu'il les
verroit , & qu'il étoit bien aiſe
qu'ils ſe fuſſent accommodés
avec Monfieur l'Evêque , il m'a
parlé plus d'une fois fur cette
matiére. Monfieur Conſtans les
lui préſenta quatre ou cinqjours
aprés , & par bonheur pour eux
il y eût ce jour- là une éclypſe
de Lune , le Roi leur dit de faiDU
VOYAGE DE SIAM. 107
re porter leurs inftrumens de
de Mathématique dans une maifon
où il alloit coucher á une
lieuë de Louvo , où il eſt ordinairement
, quand il prend le
plaifir de la chaſſe : les Peres ne
manquerent pas de s'y rendre , &
ſe poſterent avec leurs lunettes
dans une Gallerie où le Roi vint
fur les trois heures du matin ,
qui étoit le tems de l'Eclypſe.
Ils lui firent voir dans cette lunette
tous les effets de l'Eclypſe,
ce qui fut fort agréable au Roi ,
il fit bien des honnêtetés aux
Peres , & leur dit qu'il ſçavoit
bien que Monfieur Conftans étoit
de leurs amis , auſſi bien que
du Pere de la Chaize. Il leur
donna un grand Crucifix d'or &
deTambacq , & leur dit de l'envoyer
de ſa part au Pere de la
Chaize , il en donna un autre
plus petit au Pere Tachart , en
leur diſant qu'il les reverroit une
108 RELATION
Monfieur
autrefois . Sept ou huit jours devant
mon départ
Conftans propoſa aux Peres ,
que s'ils vouloient reſter deux à
Siam , le Roy en ſeroit bien aiſe ,
ils répondirent qu'ils ne le pouvoient
pas , parce qu'ils avoient
ordre du Roi de France de ſe
rendre inceſſamment à la Chine:
Il leur dit que cela étant , il falloit
qu'ils écriviſſent au Pere
General d'en envoyer douze au
plûtôt dans le Roiaume de Siam ,
& que le Roi lui avoit dit qu'il
leur feroit bâtir des Obſervatoires
, des Maiſons , & Eglifes ,
le Pere Fontenai m'apprit cette
propofition , je lui dis qu'il ne
pouvoit mieux faire que d'accepter
ce parti , puiſque par
la ſuite ce ſeroit un grand
bien pour la converfion du
Royaume , il me dit que fur
mon approbation il avoit
envie de renvoyer le Pere
د
DU VOYAGE DE SIAM. 109
Tachart en France pour ce ſujet
, ce que j'approuvay. Le Pere
Tachart êtant homme d'un
grand eſprit , & qui feroit indubitablement
reüffir cette affaire,
les lettres ne pouvant lever pluſieurs
obſtacles que l'on pourroit
y mettre , ce qui a fait que
je le ramene. Ce Pere m'a été
encore d'un grand ſecours , ainſi
qu'aux Gentils-hommes qui
m'ont accompagné , auſquels
il a appris avec un tres-grand
foin les Matematiques durant
nôtre retour. Je ne diray rien
des grandes qualitez de Monſieur
l'Evêque de Metellopolis
non plus que des progrez de
Meſſieurs des Miffions étrangeres
dans l'Orient , puis que fuivant
leur coûtume , ils ne manqueront
pas de donner au public
une relation axacte , touchant
ce qui concerne la Reli-
K
10 RELATION
gion dans ce Pays là : J'aurois
cü une extreme joye d'y rencon
trer Monfieur l'Evêque d'Heliopolis
; leRoy de Siam me dit un
jour , qu'il feroit mort de joye
s'il avoit veu dans fon Royaume
un Ambaſſadeur de France
arriver : mais Dieu n'a pas permis
que nous euſſions l'un &
l'autre cette confolation , &
nous avons appris qu'il avoit
terminé dans la Chine ſes longs
travaux par une mort tres ſainte.
Mais avant de faire le recit
juſques à notre arrivée à Brest ,
je crois à propos de raconter ce
que (dans le peu de tems que
j'ay reſté dans le Royaume de
Siam ) j'ay pû remarquer touchant
les moeurs , le Gouvernement
, le Commerce & la Religion.
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Résumé : « Cette Harangue fut interpretée par Monsieur Constans, aprés cela je [...] »
Le texte relate un voyage au Siam (actuelle Thaïlande) et les interactions avec le roi de Siam et les dignitaires locaux. Un ambassadeur français est reçu en audience par le roi de Siam, qui accepte une lettre du roi de France après un moment de tension. Le roi de Siam, âgé de cinquante-cinq ans, est décrit comme un monarque courageux, politique, magnifique et libéral. Il est vêtu richement, portant une couronne de diamants et des vêtements ornés d'or et de pierres précieuses. L'audience se déroule dans une salle richement décorée, avec des mandarins prosternés. L'ambassadeur visite ensuite le palais, y voyant des éléphants et des objets précieux, et reçoit des présents conformément à la coutume locale. Le roi de Siam s'intéresse aux nouvelles de la cour de France et aux récentes conquêtes, notamment celle du Luxembourg. Il exprime sa satisfaction des victoires françaises et de la paix en Europe. L'ambassadeur assiste à divers événements, y compris des combats d'éléphants, des visites de pagodes et des réjouissances pour l'avènement du roi de Portugal. Il participe également à un festin organisé par Monsieur Conftans, où des spectacles de théâtre et de marionnettes sont présentés. Le roi de Siam visite une pagode, accompagné d'une procession en barques décorées. Le texte décrit également une cérémonie où le roi du Siam, accompagné de 140 bateaux dorés, chacun avec 185 rameurs, change de bateau et offre un prix au bateau arrivant premier au palais. La rivière est remplie de bateaux de particuliers venus voir le roi. Le soir, un feu d'artifice célèbre le couronnement du roi d'Angleterre, suivi de tirs de canon toute la journée. Le roi se rend ensuite à Louvo, une maison de plaisance, où le narrateur assiste à un combat d'éléphants. Le roi offre des sabres et des chaînes en or aux capitaines français Vaudricourt et Joyeuse en signe de distinction. Le narrateur reçoit un vase d'or appelé Boffette, une marque d'honneur équivalente au Cordon bleu en France. Il reçoit également des porcelaines, des paravents, des tapis, et un crucifix en or et en tambacq. Le roi du Siam demande au narrateur de visiter les fortifications et de proposer des améliorations. Le narrateur rencontre des jésuites, dont les pères Fontenay, Tachart, et Gerbillon, qui sont chargés de faire des observations mathématiques en Chine. Le roi, impressionné par leurs compétences, leur offre des présents et propose de construire des observatoires et des églises. Le texte mentionne également les difficultés rencontrées par certains compagnons du narrateur lors de leur retour en bateau.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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10
p. 1-216
HISTOIRE DU SIEGE DE BUDE.
Début :
Nous avons vû en moins d'une année deux choses [...]
Mots clefs :
Bude, Siège de Buda, Siège, Prince, Histoire, Comte, Troupes, Place, Hommes, Armée, Ville, Attaque, Canon, Assiéger, Place, Prince Charles, Charles V de Lorraine, Électeur de Bavière, Maximilien-Emmanuel de Bavière, Général, Camp, Assiégés, Brandebourg, Assiégeants, Pièces, Travaux, Soldats, Ennemis, Rondelle, Brèche, Nuit, Turcs, Bavarois, Lieutenant, Colonel, Janissaires, Lignes, Major, Régiment, Palissades, Côté
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE DU SIEGE DE BUDE.
HISTOIRE
DU SIEGE
DE BUD E.
OUS avons vu en
moins d'une annéedeux
chofes fi remarquables ,
l'une en France , & l'autre
en Hongrie , qu'il eft impoffible
qu'elles ne paffent jufqu'à la
pofterité la plus éloignée , puifque
plufieurs fiecles enſemble ne
fourniffent pas quelquefois des
actions d'un fi grand éclat. Tout
A
Hiftoire du Siege
l'Empire Ottoman employoit fes
foins & fes principales forces à
empefcher que l'on ne prît Bude,
parce que cette Ville peut ouvrir
le paffage jufques à Conftantinople
, & qu'il eft malaisé que le
Royaume de Hongrie dont elle
eft la Capitale , ne foit pasfoumis
à la domination de celuy qui
la poffede. C'eſt pour cela que les
Tures fe font toûjours attachez à
la conferver. Elle a foûtenu quatre
fieges depuis qu'ils en font les
maiſtres , & n'a efté prife qu'au
cinquième , qui eft celuy qui
vient d'eftre fait par l'Armée confedérée
des Chrétiens. L'Empereur
à qui tant de Troupes auxiliaires
jointes aux fiennes , ont
facilité cette Conquête , y va rétablir
la veritable Religion , pendant
que Sa Majefté fortifie cette
méme Religion dans huit cens
Villes
de Bude. 3
t
Villes ou Bourgs , d'où Elle a
chaffe la fauffe , que fept de fes
predeceffeurs n'avoient pû détruire.
Ces deux Nouvelles ayant
donné au Pape la plus fenfible
joye qu'il ait receue depuis fon
Exaltation au Pontificat , il a ordonné
de femblables remerciemens
à Dieu , & d'égales rejoüiffances
dans Rome, pour des actions
qui font du plus grand merite au
prés du S. Siege. On n'y a parlé
jufqu'à la prife de Bude , que de
ce que l'Eglife doit au Roy de
France , & depuis la Conquête
de cette importante Place, on n'y
parle que de l'une & de l'autre
action, & on les regardes comme
les deux plus grands Triomphes
que l'Eglife pouvoit remporter.
Je vous ay entretenue de l'une
pendant plufieurs mois , il faut
vous entretenir de l'autre ; mais
A ij
4 Hiftoire
du Siege
pour le faire avec un peu d'ordre ,
je croy qu'il fera bon de vous expliquer
en peu de mots comment
la Ville de Bude a paffé au pouvoir
des Ottomans.
Louis II. dit le Jeune , Roy de
Hongrie , ayant pery en 1526. à
la bataille de Mohacs , Jean de
Zapol , Comte de Scepus , Vaivode
de Tranfilvanie fut falué
Roy par une partie des Hongrois.
L'autre élut Ferdinand Roy de
Boheme , qui avoit époufé Anne ,
Soeur du defunt Roy Loiys . Ferdinand
affifté des forces de l'Empereur
Charle Quint fon frere ,
alla droit à Bude , dont il fe fai fit
en ayant chaffe Jean de Zapol , qui
par diverfes pratiques qu'il eut à
la Porte , vint enfin à bout de faire
venir Soliman à fon fecours . Solyman
eftant entré dans la Hongrie
avec de puiffantes forces en 1529.
marcha
de Bude.
5
€
C
marcha vers Bude , la prit & retablit
le Roy Jean dans fon Eftat.
Ce dernier pour s'y maintenir
fans trouble , fit un accord avec
Ferdinand , par lequel il devoit
jour du Royaume de Hongrie
jufques à fa mort , à condition
que Ferdinand , ou l'un de fes
Fils , luy fuccederoit , & comme
il fe pouvoit faire que Jean venant
à fe marier auroit des enfans
, il fut arrefté que s'il avoit
un Fils , ce Fils feroit Prince de
Tranfilvanie, & poffederoit toutes
les terres , Villes & Chateaux
qui avoient appartenu à Jean avant
que les Hongrois l'euffent
fait leur Roy. Ce Traité eftant
conclu, il fe maria avec Elifabeth.
fille de Sigifmond Roy de Polog.
ne, & mourut prefque auffi - toft ,
laiffant au berceau un Fils qu'il
en eut. Quelques- uns mirent la
A iij
6 .
Hiftoire du Siege
Couronne fur la tefte de l'Enfant
le jour qu'il fut baptifé , & Ferdinand
ayant demandé à Elifabeth
l'execution du Traité fait
avec le Royfon Mary cette malheureufe
Reyne qui fut avertie
qu'il preparoit une Armée pour
la contraindre à l'obeïffance , envoya
des Ambaffadeurs à Solimã .
Ils en furent bien receus , & en
rapporterent une Robe d'écarlate
en broderie , une maffe de fer
avec le pommeau & la poignée
d'or , & un cimeterre dont le fourreau
eftoit tout femé de pierreries
, pour marque de fon amitié
& de fa protection . En mefme
temps Solyman donna fes ordres
pour faire fecourir Elifabeth fi
elle eftoit attaquée , & Guillaume
Rocandolph, General des Troupes
de Ferdinand , ayant commencé
le Siege de Bude , Mahomet Bacha
de Bude ..
7
cha , & Mahomet Sangiac de
Belgrade , pour obeir à leur Empereur
, marcherent vers cette
Place avec toute la diligence poffible
. Rocandolph remüa fon
Camp à leur arrivée . Il le mit au
pied du Mont S. Girard . Le Sangiac
de Belgrade alla camper fur
les cofteaux de la Plaine qui s'étend
depuis ce Mont le long du
Danube pour enfermer les Chreftiens,
& Mahomet Bacha campa
d'un autre cofté , & fi prés de
Rocandolph , que les Tentes de
l'une & de l'autre Armée n'étoient
éloignées que d'une demie
lieuë. Il y eut de legers combats
entre les deux Camps , avec des
fuccez , tantoft favorables pour
l'un des partis , & tantoft pour
l'autre ; mais enfin Rocandolph
ayant appris que Solyman venoit
luy- mefme appuyer les deffeins
A iiij
8
Hiftoire du Siege
de fes Generaux à la tefte de
deux- cens mille hommes , jugea à
propos de fe retirer . Les Turcs
avertis de fon deffein l'attaquerent
dans fa retraite , & plus de
vingt mille Chrêtiens demeurerent
fur la place . La levée du Siege
n'empefcha pas Solyman de
pourfuivre fon voyage , & de venir
jufque devant Bude . Il envoya
de là affurer la Reine Elifabeth
de fa bienveillance ; & la fit
prier de fatisfaire l'envie qu'il
avoit de voir le jeune Eftienne
fon Fils. Elifabeth trouvant dangereux
de le refufer , parce que
c'eût été marquer de la défiance ,
& irriter un Prince puiffant, l'envoya
au Camp de Solyman , avec
les principaux Seigneurs de fa
Cour. Le Turc le receut avec
beaucoup de careffes , & le fit
loger avec Bajazet & Selim fes
Fils ,
de Bude.
Fils , qu'il avoit eus de Roxelane .
Les Bachas traiterent magnifiquement
les Seigneurs Hongrois
qui avoient accompagné leur
jeune Roy , & cependant les Janiffaires
de Solyman qui avoient
fes ordres , eftant entrez dans la
Ville comme amis , fe répandirent
par tout fous pretexte de
confiderer la beauté des Bâtimens
, & fe voyant affez forts
pour executer leur entreprife , ils
fe faifirent de toutes les Places ,
forcerent les Gardes des Portes
qui ne foupçonnoient point cette
trahifon , & les ouvrirent à quelques
Troupes qu'on avoit fait
avancer. Enfuite on commanda
aux Bourgeois de rendre les armes
, & ce fut ainfi que Solyman
s'empara de Bude , fans qu'il en
coutât le fang d'un feul homme .
Cela arriva en 1541. Apres un
•
A V
Hiftoire du Siege
évenement fi favorable , l'Empereur
Turc tint confeil , & l'on
y
mit en deliberation s'il retiendroit
le Royaume de Hongrie,
ou s'il le rendroit au jeune Roy.
Mahomet Bacha eftoit d'avis que
Solyman le menaſt à Conſtantinople
avec les Seigneurs Hongrois
qu'il avoit entre fes mains ,
& qu'il mift à Bude un Gouverneur
qui ufant de moderation ,
apprit à ce Peuple à fe foumettre
au joug Ottoman . Ruftan
, Gendre de l'Empereur &
de Roxelane , luy voulut perfuader
de garder ſa foy , qu'il ne
pouvoit violer fans honte , & le
Sangiac de Belgrade fut d'avis
qu'en reduifant la Hongrie en
Province , il fe delivraft par là
de la neceffité, où il pourroit eftre
encore de revenir de fi loin fecourir
une Femme & un Enfant.
Il
de Bude. I
Il luy reprefenta qu'ils ne pourroient
refifter aux forces Allemandes
que par le fecours de
celles de la Hauteffe , & que les
Guerres ne fe devant faire que
pour avoir le moyen de vivre en
paix , il eftoit de l'intereft du
Sultan fon Maiftre, de reduire en
Province un Royaume qu'il avoit
fi fouvent défendu ; qu'ainfi il
falloit renvoyer la Reyne en Pologne
à fon Pere Sigifmond , mener
le jeune Roy Eftienne à
Conftantinople pour l'y élever
dans la Loy Mahometane , faire
trancher la tefte à tous les
Seigneurs Hongrois prifonniers,
rafer leurs Fortereffes , tranfporter
une pattie des familles en
Afie , & tenir les autres dans le
devoir par de fortes Garnifons.
Soliman ne fuivit aucun de ces
avis. Il entra dans Bude, & aprés
avoir
12
Hiftoire du Siege
, avoir renverfé les Autels &
fait brifer toutes les Images de
l'Eglife Cathedrale pour la confacrer
felon les Superftitions Mahometanes
, il fit fortir Elifabeth
de la Ville , & l'obligea de ſe retirer
à Lippe avec fon Fils pour
gouverner la Transilvanie , l'affurant
qu'il le rétabliroit fur le
Trône quand il feroit dans un
âge plus avancé. Cependant il la
declara Tutrice de ce jeune Prince
dont il luy promit d'eftre le
Protecteur, & luy rendit Georges
Martinufius pour eftre Miniftre
de fes Eftats. Depuis ce temps-là
la Ville de Bude que les Allemans
appellent offen , eftoit toûjours
demeurée au pouvoir des Turcs.
Elle fut affiegée en 1598. fous
le Regne de Mahomet III . par
l'Archiduc Mathias . Il força le
Fauxbourg qui eft du cofté du
Da
de Bude . 13
1
I
Danube , & fe rendit maiſtre
du Fort bafty fur le Mont Saint
Girard , où il trova quatre- vingt
pieces de canon , mais il ne put
venir à bout de la Citadelle .
Elle fut & vigoureufement défendue
, que la mauvaiſe faifon
s'avançant , il fe vit contraint de
lever le Siege. Comme il n'abandonnoit
le deffein de faire
cette conquefte que par la confideration
de l'hyver , fi - toſt
qu'il vit le temps propre à l'entreprendre
, il ramena fon Armée
devant cette Place. Les
Turcs qui en apprehendoient
la perte , s'avancerent promptement
pour la fecourir. Ils furent
défaits , mais cette victoire qui
donnoit de fi grandes efperances
aux Princes Chreftiens qui attaquoient
Bude ne pût rien
diminuer de la fermeté des
,
Affie
14 Hiftoire du Siege
Affiegez à fe bien défendre .
L'Armée Chreftienne trouva
dans ce fecond Siege les mefmes
hommes , & la mefme refiftance
qui luy avoit fait quitter
le premier , & elle fe retira
encore une fois.
>
Apres la perte d'Albe - Royale
, repriſe en 1602. par les
Turcs qui l'avoient perduë
l'année precedente , le mefine
Archiduc Mathias , qui commandoit
une Armée de quarante
mille hommes , marcha pour
la troifiéme fois contre Bude.
La Ville - baffe ayant efté
facilement emportée , il affiegea
la haute , furprit la Ville de
Peft , & ces commencemens furent
fi heureux , qu'on ne douta
point qu'il ne vint à bout de
fon entrepriſe. Cependant toute
la valeur & la prévoyance
des
de Bude.
15
des Chreftiens ne put empefcher
que la Citadelle ne fût rafraîchie
d'hommes , de vivres &
de munitions . de Guerre ; ainfi
il fallut encore lever le Siège.
Charles de Gonzague , Duc de
Nevers , y fut bleffé d'un coup de
moufquet à l'épaule.
Le dernier Siege eft connu
de tout le monde. Il fut commencé
par le Prince Charles de
Lorraine le 14 de Juillet 1684.
& le fecours jetté dans la Place
, le mauvais eftat dés Troupes
, l'incommodité de la faifon
, & le hazard auquel on fe
feroit exposé en donnant un
affaut general , dans lequel on
auroit eu à combattre en meſme
temps & ceux de la Ville , &
le Seraskier qui n'eftoit pas éloigné
des Lignes , ayant fait
craindre un mauvais fuccez de
cette
16 Histoire du Siege
cette entrepriſe , l'Armée Chreftienne
fe retira le premier jour
de Septembre , fans eftre inquietée
par les Ennemis dans fa
retraite .
Je viens au cinquième Siege
de cette importante Place.
Rien n'eft plus difficile qu'u
ne Relation de cette nature ,
fur tout lors qu'un Siege a efté
long , qu'il a fait verfer beaucoup
de fang, & que l'évenement
en a efté attendu de toute
l'Europe. Comme dans celuy
que j'entreprens de décrire , le
nombre des Intereffez a efté
grand , & qu'il y a eu differens
quartiers de divers Souverains,
fans compter quantité de Volontaires
repandus de plufieurs
Nations, chacun voudroit qu'on
n'oubliaft rien de ce qui le regarde
, & c'est une exactitude
qui
de Bude.
17
,
qui eft entieremet impoffible.Cependant
s'il arrive qu'on ne parle
point d'une action d'un feul Volotaire
lors qu'il eft d'une qualité.
diftinguée, cela eft caufe que tous
ceux de la mefme Nation fe récrient
fur la fauffeté d'un ouvrage
, qui ne manque quelquefois
qu'en ces fortes de circonftances
qui ne meriteroient pas
qu'on s'en mift en peine . Il y en
a d'autres qui pouffent le point
d'honneur plus loing , & qui ne
voudroient pas qu'on marquaft
que ceux de leur Nation ont eu
fouvent du defavantage pendant
le cours du Siege , comme fi la
- Victoire qui couronne tous les
travaux par la priſe d'une Place,
& qui efface toutes les pertes,
pouvoit empécher que l'on n'euft
efté quelquefois batu avant le
triomphe. S'il ne faloit point
parler
18
Hiftoire du Siege
parler des de avantages du Vainqueur,
il faudroit feulement marquer
la Prife , & la Victoire &
ce ne feroit plus alors la Relation
d'un Siege , mais le détail de la
derniere action. Bien que l'on
foit affuré de la priſe de la Place
avant que d'écrire la premiere
ligne du Siege , & qu'on fçache
que ceux qui fe font venus rendre
aux Afliegeans ont dit la
plus - part des fauffetez , il faut
pourtant faire mention de ces
fauffetez ,quoy que dans le tems
qu'on les écrit , on les connoiffe
pour telles. Il faut mettre dans
un journal tout ce qui s'est fait
& tout ce qui s'eft dit , parce que
felon ces chofes ont voit les vraies
& les fauffes mefures qu'ont pris
tant les Affiegeans que les Affiegez.
C'eſt par là que la Pofterité
s'inftruit , & c'eft ce qui doit
donner
de Bude. 19
3:
donner des lumieres à ceux qui
en de pareilles occafions peuvent
un jour avoir des commandemens.
Ainfi quand je diray la
verité de ce qui s'eft paffe pendant
le cours du Siege de Bude
,je ne feray pas pour cela contre
les Allemans. Tout depend
de la derniere action , puifque
lors qu'on reuffit , on a toûjours
pris de juítes mefures. Je dois
dire à l'avantage de la France,
qu'une Place fans dehors , com-
I me celle que vient de reduire
l'Armée des Confederez, fe pourroit
compter prife d'abord
les François l'affiegeoient , puifqu'on
ne manque jamais de capituler
dés qu'ils ont pris les dehors
de quelque Place , & que
Bude n'en avoit point . Ils auroient
pû faire voir en cette occafion
ce qu'ils ont fouvent fait
, fi
éprou
20
Hiftoire du Siege
éprouver à plufieurs Villes , mais
l'Allemagne avoit trop connu
leur valeur en la fameufe journée
de S. Godard pour vouloir
donner lieu à d'autres qu'à fes
Sujets d'acquerir une auffi grande
gloire , & elle a mieux aimé
faire lentement cette Conquête,
quand mefme elle auroit deu
rifquer à ne la pas faire
,, que de
laiffer aux François les avantages
qu'ils font toûjours feurs de
remporter dans toutes leurs entrepriſes.
Comme le fuccés de
celle- cy paroiffoit douteux , elle
fut fort debatue au Confeil de
l'Empereur.Les fentimens étoient
partagez, & il y en avoit d'entierement
cotraires à l'avis du Prince
Charles de Lorraine , qui fouhaitoit
d'ouvrir la Campagne par
un Siege auffi confiderable que
celuy de Bude paroiffoit aux Allemans
.
de Bude. 21
lemans. Il avoit efté contraint
de le lever en 1684. & il croyoit
qu'il y alloit de fa gloire de reparer
par la prife de cette Place
qu'on jugeoit fi importante , le
malheur qu'il avoit eu l'affiegeant
inutilement. Il trouvoit l'occafion
favorable , & qu'il luy eftoit
facile d'acquerir beaucoup de
gloire , à moins qu'il n'euft toû
jours le mefme malheur , puis
qu'il devoit eftre fecondé dans
cette Expedition , non feulement
par les Troupes de l'Empire , mais
encore par celles de plufieurs
Souverains , dont il y en avoit
un tout remply de coeur , qui
vouloit commander les fiennes en
perfonne , & que ces Troupes
qui ne manquoient de rien , étoient
aguerries à l'exemple de
leur Chef , qui a déja fait voir
fon courage & fon intrepidité
en
22 Hiftoire du Siege
en plufieurs occafions . Ileft aisé
de juger que c'eft de l'Electeur
de Baviere que je parle. Outre
tout cela ,le Prince Charles voyoit
accourir en foule quantité d'illuftres
Volontaires de toutes les
Cours de l'Europe , parmi lefquels
eftoient beaucoup de François
qui fe trouvent toujours dans les
lieux où ils peuvent voir qu'il y
a de la gloire à acquerir. Ce n'étoit
pas encore tout ce qui foutenoit
l'efperance de ce Prince. Il
fçavoit que les liberalitez du Pape
fe répadoient à pleines mains,
pour faire fubfifter fes Troupes,
que chaque Souverain de l'Europe
fourniffoit des hommes , de
l'argent , ou des munitions pour
avancer le fuccés de fes deffeins,
& qu'enfin le Siege de Bude étoit
pluftoft l'entrepriſe de la
Chreftienté entiere,que de l'Empire.
de Bude.
23
pire. Comme tous ces avantages
pouvoient contribuer à fa.
gloire & le faire triompher , il
eftoit de ſes interefts de profiter
de l'occafion , puis que l'honneur
de remporter la Victoire , quoy
que deuë aux plus braves fujets
de tous les Souverains de l'Eurodevoit
réjaillir preſque fur
pe ,
luy feul.
Si ce Prince fouhaittoit avec
une extreme impatience qu'il luy
fuft permis d'affieger Bude , les
Turcs qui n'avoient point d'armée
en campagne , ne defiroient
pas avec moins d'ardeur de luy
voir former ce Siege . Celle des
Chreftiens eftoit puiffante , de
forte que l'on eftoit affeuré que
la Place qu'ils attaqueroient ne
pourroit refifter long- temps , ny
attendre le fecours , à moins
qu'on n'affiegeaft la plus forte, &
la
24 Hiftoire du Siege
la mieux remplie d'hommes , &
de munitions & tout cela fe
trouvant à Bude , les Turcs avoient
raiſon de fouhaiter qu'on
mift le Siege devant cette Place,
afin que la longue refiftace qu'elle
feroit, leur puft donner lieu de
preparer un puiffant fecours , &
de le faire mefme venir du fond
de la Turquie , s'il en eftoit befoin
. Michel Abaffi , Prince de
Tranfilvanie , qui eftoit de concert
avec eux fit entendre aux
Imperiaux qu'il fe declareroit
plus ouvertement en leur faveur,
files Ottomans n'eftoient plus
maiftres de Bude. Ainfi tout
contribua à cette entreprife,quoy
que le fuccez en fuft incertain,
parce que la Place , ainfi que la
fuite l'a fait voir , ne manquoit
ny de Soldats , ny de Chefs intrepides
& aguerris, ny d'argent,
2
ny
de Bude.
25
Ο
C
ny de toutes fortes de munitions.
D'ailleurs la forte & longue reſiſtance
que le Gouverneur avoit
faite pendant le dernier Siege
, devoit fervir de regle à celuy
à qui l'on en avoit commis
la défenfe , & comme il étoit
feur d'eftre étranglé s'il rendoit
la Place , il y avoit
apparence
qu'il la défendroit jufqu'à la derniere
extremité. Il y avoit auffi
lieu de prefumer pour plufieurs
raifons , que le grand Vizir venant
en perfonne , periroit plutoft
, que de ne la pas fecourir.
La deftinée de fes deux Predeceffeurs
le devoient engager à
cet effort , c'eftoit par la qu'il
pouvoit fe monftrer digne du
choix qu'on venoit de faire en
Il'élevant à la dignité où il fe
voyoit. Il avoit eu l'adreffe de
fe faire mettre . en la place de
B
16
Hiftoire du Siege
fon Predeceffeur, & il avoit commandé
une Armée contre la Pologne
avec affez de fuccés pour
faire attendre de plus grandes
chofes de luy , quand il feroit à
la tefte d'un plus grand nombre
de Troupes , & cependant c'eft
luy qui eft caufe que l'on a pris
Bude.
Quelque nombreuse que foit
une Armée devant une Place, &
quelque fortifiée qu'elle foit , il eft
prefque impoffible ( & c'eft ce
qu'on n'a prefque point vû depuis
plufieurs ficcles) qu'elle empefche
une Armée Royale de fecourir
la Place affiegée lors que
cette Armée a pu faire affez de
diligence pour arriver avant la
prife de la Ville qu'elle a voulu
delivrer d'un fiege . C'est pour ceque
dans la plufpart des capitulations
, les Villes affiegées metla
tent
de Bude.
27
tent qu'elles fe rendront au jour
dont on convient, pourveu qu'avant
ce jour-là il n'arrive point
d'Armée Royale pour les fecourir.
Il eft enfin conftant que de
vingt Armées qui ont donné
dans des Lignes pour les forcer,
quoy que défenduës par un plus
grand nombre de Troupes , dixneuf
y ont réuffi. La raifon en
eft facile à comprendre. Une Armée
,, quoy que tres -nombreuſe,
qui entoure une Place, peut eftre
forcée par une plus foible , parce
qu'elle eft obligée d'occuper plufieurs
lieues de terrain autour de
la Place qu'elle affiege, & quainfi
chaque quartier eft peu garny
de Troupe , au lieu que l'Armée
qui attaque eft toute raf
femblée en un corps , ce qui la
rend beaucoup plus forte. Celle
qui eft dans les lignes pour-
Bij
28 Hiftoire du Siege
roit faire la mefme chofe , &
unir auffi toutes les forces pour
défendre l'endroit par lequel elle
eft attaquée , mais quand ceux
qui la veulent forcer font habiles
, ils donnent de fauffes attaques
fi à propos qu'on n'ofe dégarnir
aucun Pofte , parce qu'on
ne peut deviner la veritable at
taque. Ainfi l'Armée qui veut
paffer dans une Place , & qui
prend toutes les mesures qu'il
faut pour cela , cela , ne trouvant que
les Troupes d'un feul quartier
à combattre , les forces , aidée
de la Garniſon qui en ce rencontre
ne manque jamais de vigoureufes
forties. Ceft par là que
les Villes affiegées qui ont be
foin d'eftre fecouruës , le font
toujours, quand les Armées qu'on
veut employer pour ce fecours,
arrivent affez à temps . Le Grand
•
Vizir
de Bude. 29
Vizir au lieu de fe fervir de
tous ces avantages , a fait quan
tité de fautes , & elles ont efté
caufe de la prife de la Place
qu'il auroit pû fecourir. Il a fait
batre plufieurs fois fes meilleures
Troupes en détail , ce qui
ne pouvoit manquer d'arriver ,
puifque les corps qu'il envoyoit
eftoient moins forts que toute
Farmée qu'ils avoient à combatre.
Il a laiffé le temps de connoiſtre
que celle qu'il amenoit,
eftoit moins nombreuſe qu'on
n'avoit crû. Il a fait rallentir la
chaleur de fes Troupes , en les
faifant battre trop fouvent , & en
sobftinant à ne pas attaquer les
lignes avec toute fon Armée . Il
a par la frequente défaite de ces
mefmes Troupes rehauffé le courage
des Chreftiens. Il leur a
donné le temps de faire venir
Bij
30
Hiftoire du Siege
le General Scheffemberg avec
les fiennes , qui n'eſtant rebutées
par aucun affaut , ont emporté
la Place ; il eſt cauſe de
la mort du Gouverneur , & de
perte de tout ce qui reftoit
de bonnes Troupes dans Bude,
parce que fi fa preſence n'euft
pas fait efperer un
la
prompt
& vigoureux fecours , on auroit
capitulé lors qu'on auroit
crû n'eftre plus en eftat de fe
défendre. Ainfi fa prefence a
donné aux Affiegeans une Vitoire
, & plus grande , & plus
complette . Elle a fait voir le
peu
de valeur , & le petit nombre
des Troupes Ottomanes
que le peu d'experience de fes
Chefs. Elle a caufé les pertes
que les Troupes ont faites depuis
la prife de Bude , & qui entraifneront
celles qui les doivent
fuivre .
•
>
ainfi
de Bude.
31
e
fuivre. Elle a donné du coeur
aux Victorieux ; elle a ofté la
terreur qui depuis long - temps
faifoit apprehender l'Empire Ot-
& fera caufe qu'aucu- toman
ne Place forte ne ſe défendra autant
qu'elle pourroit faire quand
elle fera affiegée , de crainte
d'éprouver le fort de Neuhaufel
& de Bude .
Toute l'Europe eſtoit attentive
fur l'entreprife par laquelle
les Imperiaux feroient cette année
l'ouverture de la Campagne.
L'Electeur de Baviere eſtant
arrivé à Neuftadt le vingtiéme
de May , l'Empereur y tint plufieurs
fois confeil de guerre avec
les Officiers generaux &
ſes Miniftres. On y propofa le
fiege d'Albe Royale , auquel il
y eut quantité d'avis contraires .
-
B üij
32 Hiftoire du Siege
pes
·
On reprefentoit que les Troueftant
fraifches , & l'Artillerie
en bon eftat , il feroit beaucoup
plus avantageux d'attaquer
Bude. On convenoit que ce Siege
ne fe pouvoit faire fans beaucoup
de peine , à caufe que les
fortifications en avoient efté
tres bien rétablies , & qu'on
y avoit ajouté quelques ouvrages
pour en fortifier les dehors
le long du Danube jufqu'à la
Montagne.On fçavoit encore que
le Foffe avoit efté aprofondy de
l'autre coſté de la Ville , que
avoit contreminé les endroits où
les Imperiaux avoient preparé
des mines lors qu'ils l'affiegerent
en 1684. qu'il y avoit de fauffes
portes pour faire des forties par
deffous , & qu'on avoit dépavé
les rues , ofté les toits , & fait
couvrir de terre toutes les maifons
,
l'on
de Bude.
33
C
3
fons , afin d'empefcher l'effet des
Bombes & des Carcaffes. Des
Deferteurs avoient auffi rapporté
qu'il y avoit dans la Place des
munitions de guerre & de bouche
, pour foutenir un Siege de
plus de fix mois ,,
que la garnifon
eftoit de plus de dix mille
hommes choifis entre les Janiffaires
& les Spahis , & que le
1 Bacha Abdi qui commandoit
dans la Place , eftoit un homme
tres - confommé dans le meftier
de la Guerre , qui avoit fous luy
fix autres Officiers fort experimenteż.
On balança toutes ces
raifons , & elles ne furent point
affez fortes pour empêcher qu'on
ne refoluft d'affieger Bude. Le
rendez vous general fut donné
aux Troupes pour le 29. de
ce mefme mois à la referve de
celles de Brandebourg , qui tra-
·
B v
34 Hiftoire du Siege
verfant la Silefie de fort mau
par
vais chemins, ne pouvoient marcher
qu'à petites journées. Il fut
arrefté fuivant la divifion qui
s'en fit que la grande Armée
que commanderoit le Prince
Charles de Lorraine , feroit de
cinquante- huit à foixante mille
hommes , fçavoir de quinze mille
hommes d'Infanterie Allemande
, de quatorze mille Chevaux
& Dragons Allemans , des Troupes
auxiliaires de Saxe , de Brandebourg
, & de Suabe , & de
quatre mille Hongrois , & que
l'Armée dont l'Electeur de Baviere
auroit le commandement ,
feroit compofée de douze mille
Fantaffins Allemans , de dix
mille Chevaux auffi Allemans
des Troupes de cet Electeur ,
& de celles des Cercles de Baviere
& de Franconie , & de
troisde
Bude..
35
+
trois- mille Hongrois . Dans l'Armée
du Prince Charles les
Comtes de Caprara & de Staremberg
furent nommez Marefchaux
de Camp Generaux ;
le Duc de Croy General d'Infanterie
, le Prince Louis de
Neubourg , & le Comte de Suze
Lieutenans Generaux ; les
Barons de Thingen & de Thun,
& le Marquis de Nigrelli Sergeans
Majors de Bataille ; les
Comtes de Schults & de Dunevald
Generaux de Cavalerie ;
les Comtes de Taff , & de Palfi
, & le Baron de Mercy Lieutenans
Generaux ; le Prince Eugene
de Savoye qui eftoit arrivé
d'Efpagne en pofte depuis
peu de jours , le Comte Philippe
de Thaun , le Baron de Lodron,
& le Comte de Stirum Sergeans
Majors de Bataille .
Le
Comte
36
Hiftoire
du Siege
Comte de Leſlie fut fait Maref
chal de Camp General de l'Armée
de l'Electeur de Baviere ; le
Comte de Sherini General d'Infanterie
, le Marquis de la Verne
& le Comte de Schaffemberg
Lieutenans Generaux, & les Barons
de Wallis & de Berk , &
le Comte d'Afpremont Majors
Generaux . Il fut auffi arrefté que
le Comte de Scherffemberg demeureroit
en Tranfilvanie , &
le Comte Caraffa vers Zatmar
avec les détachemens qu'ils y
commandoient pour la confervation
des Conqueftes nouvellement
faites. Quelques accés.
de fievre qui retinrent le Prince
Charles à Edembourg , l'ayant
empéché d'aller fe mettre à la tête
des Troupes dont on devoit
faire le 29. une reveue Generale
dans les Plaines de Barcam , elle
fut
de Bude.
37
fut remife au 8. de Juin. Ce Prince
partit d'Edembourg le 20.
après avoir eu une longue conference
avec l'Electeur de Baviere
, qui fe rendit à Neuſtadt
le lendemain pour en rendre
compte à l'Empereur. Cependant
tout le trajet du Danube
depuis Ratisbonne jufqu'à Presbourg
eftoit couvert de Barques
& autres petits Vaiffeaux chargez
de munitions & de vivres, & des
Troupes de Baviere , de Franconie
& de Suabe qui defcendoient
vers la Hongrie. Jamais entrepriſe
n'a efté executée avec tant de
joye. On fe preparoit au Siege
de Bude avec un courage & une
ardeur qui ne fe peut exprimer.
Les Volontaires accouroient , de
France, d'Espagne , d'Angleterre,
d'Allemagne & de tous les endroits
de la Chrêtienté , & le
Duc
E
38 Hiftoire du Siege
Duc de Bejar Grand d'Eſpagne,
vint joindre à Vienne le Marquis
de Valero fon frere , qui s'y
eftoit déja rendu avec quelques
autres. Le 29. le Prince Loüis
de Bade partit de Neuftadt en
pofte pour aller joindre l'Electeur
de Baviere , & le Prince
Charles s'y eſtant rendu de Raab
le premier de Juin pour prendre
congé de Sa Majefté Imperiale,
reprit la route de Hongrie , accompagné
du Comte Stratman,
Grand Chancelier. Le 5. il arriva
à Comorrhe , où l'Electeur de
Baviere avoit efté receu deux
jours auparavant au bruit du
Canon & de la Moufqueterie. Ils
en partirent enſemble pour aller
au rendez - vous general. Le Prince
Charles y trouva les Troupes
dont l'Armée Imperiale devoit
eftre compofée. Elles avoient eſté
affem
A
de Bude.
39
affemblées proche de Barkam ,
par les foins du Comte de Staremberg.
On ne peut s'imaginer
la joyé qu'elles témoignerent en
voyant leur General . Il fut aisé
de connoître par toutes les marques
qu'elles en donnerent l'impatience
que chacun avoit de
marcher fous fa conduite . Les
Troupes de Saxe eſtant arrivées
au nombre de mille Chevaux
, & de quatre mille hommes
d'Infanterie , le Prince de
Saxe qui les commandoit , envoya
prier le Prince Charles
de les venir voir. Ce Prince
en fit la reveuë , & alla enfuite
difner dans la Tente de l'Electeur
de Baviere , qui luy fit voir les
fiennes rangées en bataille . I
retourna de là à Comorre pour
quelques ordres qu'il avoit à y
donner. Cependant les Troupes
du
40 Hiftoire du Siege
du Cercle de Suabe , commandées
par le Marquis de Bade-
Dourlach , joignirent l'Armée.
Elles étoient de trois mille hommes
de pied , & de trois mille
Chevaux. On intercepta des
Lettres , par lesquelles on apprit
, que le Grand- Viſir eſtoit
venu à Belgrade , qu'il avoit
donné le commandement en
Chef de l'Armée Ottomane en
Hongrie à Achmet Bacha , auquel
il avoit laiffé des ordres
particuliers , de ne rien épargner
pour la confervation de
Bude & d'Effek comme des
deux Places qui leur eftoient les
plus importantes , & qui faifoient
la feureté de toutes celles
qui leur reftoient dans le Royaume,
& qu'il eftoit enſuite retourné
à Andrinople avec une extreme
diligence. On fçeut auffi
›
par
de Bude. 41
par les Efpions que l'on avoit
envoyez pour reconnoiftre les
forces des Turcs , qu'ils ne pouvoient
mettre au plus que quarante
mille hommes en Campagne
, & que les Troupes d'Afie
avoient pour la plufpart deferté
dans leur marche d'Andrinople
à Belgrade. Les Huffars de Papa,
Dotis , Vefprin & Comorre allerent
en courſe au nombre de
quinze cens jufqu'à quatre lieuës
plus bas que Bude , & jufqu'à
deux lieues du Camp que les
Turcs avoient formé entre cette
Ville & le Pont d'Effeck . Ils emmenerent
prés de deux mille
moutons , deux cens boeufs , &
quantité de chevaux , fans avoir
trouvé perfonne qui leur difputaft
tout ce butin.
9 .
Le le Confeil de guerre fut
tenu au Camp , où tous les Officiers
42 Hiftoire du Siege
ciers Generaux s'eftoient affemblez.
Le Comte Stratman s'y
trouva de la part de Sa Majesté
Imperiale . On leur fit part de ce
qu'on avoit refolu touchant le
Siege de Bude , & deux jours
aprés le Comte de Stratman partit
pour Vienne , où il rendit
compte à l'Empereur de tout ce
qui s'eftoit paffé dans ce Confeil
. Le Comte Rabata , Commif
faire general , s'en retourna auffi
à Vienne , afin de donner ſes ordres
pour faire venir inceffamment
les vivres & les munitions
neceffaires.
Le 12. le Prince Charles partit
de Comorre , & fe rendit au
Camp de Barkan . L'Electeur de
Baviere l'y joignit le lendemain ,
& aprés que l'on eut fait une Reveuë
generale des Troupes , on
commença à leur faire paffer le
Da
de Bude.
43
9
Danube fur le Pont de Gran.
Celles de Saxe marcherent à l'Avant-
garde. L'Electeur de Baviere
partit à la tefte d'un Corps
d'Armée de vingt quatre mille
hommes , compofé des Troupes
Bavaroifes , & de plufieurs Regimens
Imperiaux , & prit fa mar
che en deçà de la Riviere. I
s'avança vers Hatwan , dans le
deffein de s'en rendre Maistre ,
& d'attaquer Peft enfuite. La
priſe de ces deux Places , dont la
derniere n'eft feparée de Bude
que par le Danube , devoit empefcher
les Ennemis d'avoir aut
cune communication entre Bude
& Agria. Le 14. les Défilez,
& la difficulté des chemins qu'il
fallut élargir en plufieurs endroits
, pour les rendre pratiquables
, ayant obligé l'Infanterie à
demeurer derriere avec l'Artillerie,
44 Hiftoire du Siege
lerie , le Prince Charles la laiffa
fous la conduite du Comte de
Staremberg , & s'avança vers
Vicegrad , du côté droit du Danube
, tandis que l'Electeur de
Baviere continuoit fa marche de
l'autre cofté , à une diſtance égale
, en forte que les deux Armées
euffent pû fe fecourir reciproquement
en cas de befoin .
Le 15.
la Cavalerie Imperiale
campa à Poftkamp , & le lendemain
à Saint André. L'Electeur
de Baviere marcha toûjours fous
une meſme ligne , n'ayant que le
Danube entre deux , & vint
le 16. camper à Weitzen. Les Ennemis
qui les pouvoient découvrir
des Ramparts de Bude des
deux coftez de ce Fleuve , ne firent
aucun mouvement pour les
venir reconnoiftre. On fceut par
quelques Turcs qui furent pris
pen
de Bude.
45
pendant cette marche , que le
Commandant de Bude ne s'attendoit
point à voir fa Place affiegée
que dans la croyance
que l'Armée Chreftienne attaqueroit
Agria ou Albe Royale,
on les avoit munies de bonnes
Garnifons & de quantité de vivres
, & qu'on en avort tranf
porté à Bude la pluſpart des richeffes
& des plus beaux meubles
des Officiers & des Bourgeois
, avec les femmes , les enfans
, & les bouches inutiles ; que
fur l'avis que ce Commandant
avoit receu qu'on venoit à luy,
il avoit envoyé demander des
Troupes à ceux des Places voifines
pour en renforcer fa Garnifon
, mais qu'il n'y avoit pas
d'apparence qu'on luy en puft
envoyer avant que les Princes
eunent inveſty la Place . Certe
Gar
46 Hiftoire du Siege
Garnifon ne laiffoit pas d'eftre
forte, puis qu'elle eftoit de douze
mille hommes de pied & trois
mille Chevaux , à ce qu'on aprit
de ces mefmes prifonniers. ,
Le 17. la Cavalerie fe repofa
dans le mefme campement afin
d'attendre que l'Infanterie fuft
arrivée , & l'on fit defcendre les
Bateaux dont on fe devoit fervir
pour conftruire un Pont à faire
paffer le Corps d'Armée de l'E
lecteur de Baviere. Ce Prince
qui defcendoit à gauche du
Fleuve s'empara de Peft , d'où
la garnifon Turque s'eftoit retirée
, aprés avoir fait fauter une
partie des murailles , & tiré de
la Place les munitions & les vivres.
Elle avoit enfuite rompu le
Pont qui luy donnoit communication
avec Bude , mais elle ne
put fi bien faire fa retraite,
qu'un
de Bude.
47
qu'un Aga ne tombaft entre les
mains des Bavarois avec trente
Janiffaires. Son Alteffe Electorale,
ayant laiffé garnifon dan Peft
& donné les ordres pour en reparer
les fortifications , détacha
le Comte de Steinaw avec fix
mille hommes pour aller attar
quer Hatwan , & fe mit en marche
vers l'ifte de S. André pour
paffer le Danube fur les Ponts
que l'on devoit y avoir dieffez,
& fe trouver au Camp devanţ
Bude. Le Prince Charles y étoit
arrivé le 18 & ce mefme jour
toute l'Infanterie ayant joint
l'Armée , il luy fit prendre des
poftes à demie lieuë de la Place,
La Cavalerie les prit de l'autre
cofté vers Albe Royale , & l'on
commença à travailler aux lignes
de circonvallation . Pendant ce
temps il fut tiré des Rempars
plu
48
Hiftoire du Siege
plufieurs volées de Cañon , dont
tout l'effet fut de tuer un Païfan
. On vit auffi paroiftre un detachement
de Cavalerie & d'Infanterie
de la Garnifon de Bude
qui fe prefenta pour embaraffer
les Travailleurs , mais il fe retira
prefque auffi- toft , ne fe trouvant
pas en eftat de foutenir un
gros de Cavalerie Imperiale qui
fe preparoit à le charger . L'avantgarde
du détachement que le
Prince Charles avoit envoyé
pour inveftir la Place, enleva un
Chaoux avec vingt Turcs de
quarante qui l'eſcortoient . Il venoit
de Belgrade, & apportoit des
Lettres au Bacha de Bude . Elles
confirmoient que l'Armée Ottomane
feroit commandée par Achmet
Bacha & que le Grand-
Vifir avoit eu ordre de fe rendre
promptement auprés de fa
Hauteffe
>
>
de Bude. 49
Hauteffe qui eftoit allée à Conftantinople.
Le 19. on ferra la Place de tous
les coftez par où elle eft acceffible
, & le Quartier general fut
étably à un quart de lieuë , avec
quelques Regimens d'Infanterie .
Le lendemain les Affiegez ayant
fait une fortie de trois cens Chevaux
foûtenus d'un pareil nombre
de Janiffaires , il y eut quel
que
Efcarmouche , mais elle fut
de peu de durée , parce qu'ils fe
tinrent toûjours fous le Canon
de la Place , fans qu'on les puft
attirer plus loin . Le Comte d'Altheim
y fut bleffé. Ce mefme
jour on commença d'ouvrir les
Lignes de circonvallation , & de
tracer les premieres Places d'Armes.
On marqua auffi trois Batteries
, & autant d'épaulemens
pour tenir à couvert la Cavalerie
C
50 Hiftoire du Siege
,
dont les Travailleurs devoient
eftre foûtenus dans les approches.
Sur le foir , le Comte de
Staremberg receut ordre d'aller
fe pofter proche les Bains afin
d'attaquer le Vafferftadt ou la
Ville baffe contre laquelle on
drefla deux Batteries du cofté
qui defcend vers le Danube. I
fit ouvrir la Tranchée , & on la
pouffa affez avant. Le Bacha de
Bude trouvant à propos de fe
défaire de beaucoup de bouches
inutiles >
donna la liberté
à tous les Chreftiens .
que
l'on trouva incapables de porter
les armes , & l'on fceut par
eux , qu'ayant affemblé la Garnifon
dans la grande Place , il
leur avoit leu les ordres du
Grand Seigneur qui les exhortoit
à refifter vigoureufement;
qu'il avoit enfuite défendu aux
Sol
de Bude.
51
X
1 Soldats & aux Habitans fous
peine de la vie de parler de Capitulation
, & que s'il arrivoit
qu'il fut tué en leur donnant
l'exemple de fe bien défendre,
on avoit nommé quatre Bachas
qui devoient l'un aprés l'autre
prendre le Commandement.
Le 21. les Bavarois commencerent
à paffer le Danube fur le
Pont de Bateaux de l'Ile de
S. André , & ce jour là fut employé
à ranger les Bagages dans
les Lignes , & à divifer les Troupes
par Eſcadrons & par Batail-
Ilons , afin de faire la diftinction
des Quartiers. Le Prince Charles
occupa les mefmes Poftes qu'il
avoit pris dans le dernier Siege.
L'Electeur de Baviere fit la mefme
chofe , & vint fe camper au
pied du Mont S. Gerard .
Le 22. on dreffa une nou-
Cij
52 Hiftoire du Siege
velle Batterie de fix pieces de
Canon contre la Ville baffe , &
l'on commença en mefme temps
à travailler aux Tranchées par
l'ouverture de trois grandes Places
d'Armes ; beaucoup plus prés
de la Ville que l'on n'avoit fait
en 1684. Il fut refolu qu'il y au
roit trois Attaques ; la premiere
commandée par l'Electeur de
Baviere ; la feconde par le Comte
de Staremberg , & la troifiéme
par les Troupes de l'Electeur
de Brandebourg que l'on attendoit
inceffamment , & auf
quelles on devoit joindre quelques
Regimens Imperiaux , &
d'autres Troupes Auxiliaires . Le
Prince Charles ne garda que
dix hommes de Cavalerie par
Compagnie pour fervir au
Camp à couvrir les Travailleurs
fous les ordres du Comte de Pal-
,
fi,
de Bude.
53
fi , & il envoya le reste aux environs
d'Albe- Royale , afin d'y
confumer les Fourages, & d'ofter
par là aux Infidelles les moyens
d'y fubfifter. Les Affiegez firent
grand feu tout le jour & toute la
nuit fuivante, & il y eut neuf Soldats
tuez ou bleffez .
Le 23. la nouvelle Batterie de
fix pieces de Canon s'eftant
trouvée prefte , commença dés
le matin à tirer , & fit une Bréche
de fix pas. Ceux qui estoient
au haut des Montagnes , apperçurent
par cette bréche quantité
de Betail & de Chevaux , mais
les Ennemis ne parurent point.
Il y eut fix Soldats à la Batterie
emportez par le Canon de la Place.
Quelques Huffarts & Croates
qui s'étoient avancez trois
lieuës au delà de Bude fous la
conduite du Comte Budiani ,
C iij
$4 Hiftoire du Siege
,
ayant efté avertis que le Bacha
en avoit fait fortir quantité de
Barques chargées de femmes ,
d'enfans & de quantité de
meubles qu'il envoyoit à Belgrade
, les pourſuivirent avec
trois cens Dragons , & les rencontrerent
à l'Ile de Sainte Marguerite.
Ils taillerent en pieces
tous ceux qui les eſcortoient,
s'emparerent de leurs Trefors ,
& amenerent deux cens Prifonniers
, qui furent les Vieillards
, & autres qu'ils jugerent
les plus propres à fe faire ra
cheter.
Le 24. la bréche ayant efté
élargie de vingt pas , on examina
la contenance des Affiegez
qui s'eftoient retranchez à droit
& à gauche au nombre de quatre
cens . Il fut refolu que l'on
iroit à l'Affaut , & comme c'eftoit
de Bude.
55
1 ftoit la premiere action du Siege
, chacun à l'envy chercha à
fe diftinguer. Les difpofitions
de l'attaque furent faites , & à
dix heures du foir on en donna
le fignal par trois volées de Ca-
1 non. Cent Grenadiers s'avancerent
les premiers , ayant un Capitaine
à leur tefte ; ils furent
fuivis de deux cens Moufquetaires
que commandoit un Sergent
Major , & foûtenus de trois
cens autres fous la conduite d'un
Lieutenant Colonel. Ils allerent
vers la brèche , & attaquerent
avec tant de force & de bravoure
les Ennemis qui la défendoient,
qu'ils les forcerent d'abandonner
leurs retranchemens. Six cens
hommes d'Infanterie en deux
Brigades marcherent aprés ceuxcy
, & fe pofterent au pied de
la bréche avec cinq petites pie-
C iiij
$6
Hiftoire
du
Siege
ces de Canon qu'ils avoient fait.
conduire avec eux . Elle fut franchie
par le Prince de Vaudemont,
par le Prince de Commercy,
& par un tres grand nombre
de Volontaires qui s'eftoient
mis à la tefte de l'Infanterie , &
qui fe pofterent dans la Ville
baffe malgré le feu continuel
que firent les Affiegez . Il n'y eut
que cinq Soldats tuez & onze
bleffez. Le Comte de Marfilly,
Infpecteur general des Ingenieurs
, eut le bras caffé au deffus
du coude , d'un coup de Mouf
quet qu'il réceut dans la tranchée
avant que l'on commençant l'Attaque
.
Le 25. fut employé à perfectionner
les Poftes que l'on avoit
occupez dans la baffe Ville , &
fix Bataillons furent logez au
pied des murailles. Il y eut un
Lieu
de Bude .
57
Lieutenant des Grenadiers tué
d'un boulet qui tomba dans la
Tranchée, & qui emporta les bras
& les jambes à cinq Soldats. Un
Chevalier de Malte François fut
auffi dangereufement bleffé . Il
eftoit avec le Marquis de Souvray,
qui fit paroiftre beaucoup
de bravoure .
Le 26. on s'apperceut que les
Affiegez faifoient gliffer du monde
le long de l'eau par dedans la
Ville baffe , pour venir attaquer
un Pofte qui eftoit devant une
groffe Tour joignant le Danube.
Le Chevalier de Rhofne , Capitaine
du Regiment de Staremberg,
foûtenu du Comte d'Awersbergs
, Lieutenant Colonel du
Regiment de Mansfeld , vint à
leur rencontre , & ils les repoufferent
avec beaucoup de vigueur.
Le Prince de Vaudemont le
,
C v
58
Hiftoire
du Siege
Prince de Commercy , & plufieurs
autres Volontaires qualifiez
, accoururent à l'efcarmouche
, qui dura une heure fous le
Canon de la Place. Il n'y eut que
quinze hommes tuez ou bleffez
du cofté des Affiegeans . Le Sieur
Bourgers , Capitaine du Regiment
de Staremberg fut de ces
derniers , & Milord Mongois receut
une contufion à la temple.
Les Affiegez perdirent trente
hommes, & le nombre des bleffez
fut beaucoup plus grand. Ce jour
là le Prince de Neubourg, Grand
Maître de l'Ordre Teutonique,
Lieutenant General , qui eftoit
arrivé au Camp le 22. & le
Comte de Diepenthal , General
Major , monterent la Tranchée,
fuivant ce qui avoit efté arreſté
quelques jours auparavant au
Confeil de Guerre , que tous les
jours
de Bude.
59.
jours ce feroit un Lieutenant General
, & un General Major qui
la monteroient à chaque Attaque
avec deux mille hommes,
& qu'on les releveroit de vingtquatre
heures , en vingt- quatre
heures . Outre ces deux mille
hommes , il y avoit toûjours fix
Bataillons de referve , & une
Garde de Cavalerie pour les
foûtenir. On travailla la nuit à
pouffer une grande Coupure fur
Ela droite le long de la muraille ,
afin de couvrir une Batterie de
douze Pieces qu'on vouloit mettre
en estat contre les défences
de deux Rondelles, & de la Courtine,
vers laquelle on devoit conduire
la Tranchée. On ouvrit
auffi une porte au coin de cette
Muraille , où l'on fe logea en dedans
de la baffe Ville , à trois
cens pas du Corps de la haute,
&
60
Histoire
du siege
& en tous ces logemens on ne
perdit que quinze hommes.
Le 27. les Travaux fe trouverent
fort avancez à l'Attaque
de l'Electeur de Baviere , qui fit
dreffer une Batterie fur le panchant
de la Montagne. Il fit faire
auffi fur la hauteur de cette
meſme, Montagne un Logement
affez grand pour contenir mille
hommes , & affeurer la tefte de
la Tranchée , qui fut ouverte au
pied du Chafteau , vis à vis la
grande Tour qui en couvre la
façade. Le foir les Affiegeans firent
une fortie au nombre de
quatre
cens, Cavalerie & Infanterie,
fur cent hommes retranchez à la
teſte des Travaux qu'on avoit
faits la nuit précedente. Le Comte
de Saur, Capitaine au Regiment
de Lorraine qui les commandoit
fit une fi vigoureuſe reſiſtance,
de Bude. 61
cè , que la grande Garde eut le
temps d'y accourir. Les Ennemis
furent repouflez ; ils laifferent
feize des leurs fur la place , &.
eurent quelques bleffez.La Tranchée
fut relevée ce jour- là par
le Comte de Souches , Lieutenant
General , & par le Comte
de Tinghen , Mareſchal Major.
Le 28. on joignit les deux Attaques
par une Ligne de communication
de quatre cens pas .
On mit auffi huit groffes pieces
de Canon fur une nouvelle Baterie
à l'Attaque du Prince Charles
, devant laquelle on tira une
Ligne de deux cens pas ,
afin
qu'on y puft aller de la Tranchée
fans eftre infulté des Ennemis.
Cette Baterie fervit à tirer
contre deux Ouvrages avancez
en forme de pafté , qui défendoient
la Porte du cofté de
la
62 Hiftoire du Siege
la baffe-Ville . Les Ennemis faifoient
de là un feu continuel de
Canon , dont les Affiegeans eftoient
fort incommodez . Les Travaux
furent continuez fans beaucoup
d'obſtacle la nuit de ce
même jour , & on perfectionna la
Ligne de communication
entre
la Porte du milieu & la derniere
, ce qui donnoit moyen
moyen d'entrer
à couvert dans la nouvelle
Baterie.
Le 29. le Sieur Soulars , Ingenieur
, fut bleffé en faifant travailler
à de nouvelles Lignes
qu'on fit en forme de paralelles,
pour communiquer avec les au
tres Travaux , & s'approcher plus
prés de la Place . L'Electeur de
Baviere ayant eu quelque indifpofition
, le Prince Charles l'alla
vifiter fur les cinq heures du foir,
& dans ce temps mefme , les Af-
י
Liegez
de Bude.
63
fiegez firent une Sortie en bien
plus grand nombre qu'ils n'avoient
encore fait du cofté de
l'Attaque des Bavarois. Ils attaquerent
les Travailleurs & les
Troupes qui eftoient en garde
dans la Tranchée , & les
ayant
mis en defordre , ils euffent comblé
les Travaux , fi le Comte de
Hoffkirken n'euft promptement
amené la Garde de Cavalerie.
L'Electeur de Baviere ayant efté
averty de cette Sortie , rien ne
fut capable de le retenir. Il y
courut , quoy qu'indifpofé , auffi-
bien que le Prince Charles , &
leur prefence anima fi bien tous
ceux qui avoient déja commencé
à foûtenir les efforts des Infidelles,
qu'après en avoir tué beaucoup,
ils les forcerent à fe retirer,
& les pourſuivirent jufqu'à quarante
pas de la Tranchée Le Prin64
Hiftoire du Siege
ce Eugene de Savoye fe fit remarquer
par fa bravoure , & eut
un cheval tué fous luy
, auffibien
qu'un de fes Gentilshommes.
Le Baron de Zwitterthal ,
Lieutenant Colonel du Regiment
de Steinaw , fut tué avec
trente ou quarante Bavarois. Il
y eut auffi quelques bleffez . Le
Baron de Billes , Capitaine dans
le Regiment d'Arko , le fut dangereuſement
.
Le 30. on repara les Travaux
que les Ennemis avoient ruinez
le jour precedent , & on avança
jufqu'à fix-vingt pas de la muraille.
Ce méme jour , deux Compagnies
de Paffau & de Ratisbonne
arriverent au Camp, auffi
- bien que les Troupes de Suabe
& de Franconie . Elles étoient
en tres-bon eftat , & au nombre
de cinq à fix mille hommes . Celles
de Suede commandées par le
de Bude.
65
po-
Marquis de Turlac , arriverent
pareillement , & prirent leur
ite fur une hauteur, afin de pouvoir
agir où il feroit le plus neceffaire.
Le feu parut en differens
endroits de la Ville ; il y avoit
efté mis par des Bombes .
qu'une Baterie de Mortiers avoit
jettées. Le Comte de Dunewald
partit ce jour- là du Camp , pour
aller commander la Cavalerie
inutile au Siege , qui eftoit venuë
camper au nombre de plus
de douze mille hommes jufqu'à
la portée du Canon d'Albe Royale
, ce qui avoit obligé les Turcs
à abandonner plufieurs Chafteaux
, & d'autres petits Poftes
aux environs.
Le 1. de Juillet fut employé à
perfectionner la ligne de communication
à l'attaque du Prince
Charles , & les Poftes deftinez
66
Hiftoire du Siege
par
nez aux Poftes de Suabe & de
Franconie leur furent donnez.
On apprit par des Transfuges
qu'il y avoit une grande confternation
dans la Ville, caufée
la perte qu'avoient fait les Affiegez
à la fortie du 29. il y eut
quatorze de leurs Officiers tuez
avec quantité de Janiffaires. Les
ouvrages qui avoiết eſté comencez
fur la droite , furent achevez .
la nuit fuivante , & on pouffa
ceux de la gauche jufqu'à cent
cinquante pas de la muraille .
Le 2. douze pieces de Canon
& huit Mortiers batirent la Ville.
Deux bateries que les Affiegez
avoient , l'une fur la groffe
Tour , & l'autre fur une autre
Tour , furent démontées en peu
de temps. Les Bombes cauferent
ce jour- là beaucoup de dommage
dans la Ville , à ce qu'on apprit
de Bude. 67
prit d'un Deferteur qui dit qu'elle
n'eftoit défenduë que par ſept
ou huit mille hommes , & que
les vivres commençoient à eſtre
chers , parce qu'ils n'y eftoient
pas en grande abondance. Il parut
quelques Troupes Ennemies
du cofté de Peft , & fur l'avis
qu'on en eut , le Prince Charles
ordonn que l'on fift conſtruire
trois redoutes au bord du Danube
, que les Heiduques & les
Hongrois garderoient . On fit
une brêche de quinze pas du
cofté de l'attaque du Prince
Charles.
Le 3. le Regiment du Prince
Eugene de Savoye arriva au
Camp , & on eut avis que les
Troupes de Brandebourg n'en
eftoient qu'à une lieuë. Quatre .
Mortiers furent ajoutez aux 8.
que l'on avoit mis fur la baterie
dreffée
68
Hiftoire du Siege
dreffée à l'attaque des Imperiaux,
& tout cela fit grand feu la nuit
fuivante. La Baterie des Bavarois
n'en fit pas moins , elle eftoit de
fept Mortiers. L'Artillerie des
Ennemis fit auffi grand feu , &
les Affiegeans furent fort incommodez
des Pierres qu'on leur jetta.
Le Sieur Collery , Capitaine
dans le Regiment de Lorraine,
eut le genouil fracaffé d'un éclat
de Bombe , & un des meilleurs
Bombardiers receut un coup à la
tefte. Il y eut encore quinze ou
vingt hommes bleffez . Un Offi
cier Turc qui vint ſe rendre, fur
mené à l'Electeur de Baviere,auquel
il conta qu'ayant tué le mary
d'une femme dont il eftoit amoureux
, il avoit eſté obligé de
quitter la Ville , & s'eftoit tenu
caché pendant quelques heures
dans un endroit où fa maiftreffe
luy
de Bude. 69
luy avoit promis de le venir joindre
, mais , mais que la crainte d'eftre
découvert par les Affiegeans qui
luy auroient fait un mechant
party , ne luy avoit pas permis de
l'attendre. Il ajouta qu'il n'y avoit
dans la Place que trois mille
Janiflaires , & un pareil nombre
de Soldats ; que malgré l'effet des
Carcaffes & des Bombes , qui avoient
obligé le Commandant à
fe loger dans une cave voutée
prés du Chateau pour y eftre
plus en feureté , ils eftoient tous
refolus de fe bien défendre ; qu'il
n'eftoit entré perfonne dans la
Ville comme on l'avoit crû, mais
que des Turcs en eftoient fortis
pour aller demander un prompt
fecours à Achmet Bacha Seraf
Kier , & aux Tartares.
Le 4. ce mefme Officier montra
à l'Electeur de Baviere , &
aux
70 Hiftoire du Siege
Le
aux Princes de Bade & de Savoye
, le Magafin à poudres &
les mines des Affiegez . Il dit
qu'il y en avoit fous la Rondelle
du Chafteau & à l'endroit de la
breche des Imperiaux. Un autre
Transfuge qui fe difoit Polonois,
fe rendit au Camp & affeura que
les Affiegez ne pourroient tenir
encore un mois , fi l'Armée du
Seraskier ne les fecouroit.
Prince Charles paſſa le Danube
pour aller voir les Troupes de
Brandebourg qui eftoient arri
vées le jour precedent avec une
belle Artillerie. Elles eftoient
compofées de huit mille hommes
, en fix Eſcadrons de Cavalerie
& dix Bataillons d'Infanterie
Le General Schoning qui
les commandoit, receut ce Prince
au bruit du Canon , qui fut
ſuivy de 3. décharges de Mouſque
de Bude.
71
I
queterie. Il luy donna enfuite
un magnifique difner dans fa
tente.
Le
4
5. on fit paffer le Danube
à ces Troupes , qui prirent le pofte
qui leur avoit eſté deſtiné du
cofté de la Ville baffe. Il fut refolu
qu'on en tireroit quinze
cens hommes tous les jours pour
monter la tranchée , & qu'on les
joindroit aux Imperiaux & aux
Suedois, afin de faire quatre mille
hommes pour les Poles qui étoient
du coſté de l'attaque du
Prince Charles.
Un Deferteur Grec arriva en-
*
core au Camp & raporta que
cinq Turcs qu'on avoit fait fortit
à la nage , eftoient allez preffer
le fecours que lors
que les Trou
pes de Brandebourg avoient paru
, les Affiegez avoient fait
roiftre beaucoup de joye dans la
penfée
pa72
Hiftoire du Siege
1
penféc que ce fuft celles du Se
raskier , & que le Commendant ,
ayant appris que c'eftoit un renfort
pour l'Armée Chreftienne,
avoit taché de le déguifer à la
garnifon , en difant que c'eftoit
un mouvement que les Affiegeans
avoient fait faire à leurs Troupes
pour faire croire qu'il leur en
eftoit venu de nouvelles . La plufpart
des Bateries des Affiegez furent
miſes en defordre par le grad
feu qui fut fait de l'attaque des
Imperiaux & de celle des Bavarois.
Il leur demonta plufieurs pieces
de Canon, & fit un fort grand
dommage au couronnement des
deux Pâtez,en forte qu'ils ne pouvoient
prefque plus y demeurer
à couvert . La breche ſe trouva
large de quatre - vingt pas , &
comme les ruines n'avoient point
couvert le pied de la muraille
qui
de Bude.
73
qui paroiffoit encore haute de
dix pieds , ont refolut de l'égaler
avec des Fafcines & des facs à
terre. L'attaque des Bavarois fut
auffi fort avancée , mais la breche
n'eftoit pas fi fpacieuſe.Ceux
Ide Brandebourg qui avoient ou-
Evert la tranchée à leur attaque
avec 1200. hommes , avancerent
- leurs travaux fur la gauche avec
tant de diligence , qu'ils fe trouverent
prefque au pied de la muraille
. Ce jour- là mefme ils donnerent
des marques de leur valeur.
Les Affiegez n'avoient point
fait de fortie depuis celle du 29.
= & pour eftonner ces nouveaux
1 venus ils en firent une fort
brufque & bien concertée fur
leurs Travailleurs , mais ils furent
repouffez avec grand carnage
jufques à la porte de la
Ville , devant laquelle fe pofte-
,
D
74 Hiftoire du Siege
rent ceux qui les avoient pourfuivis.
Ils s'y maintinrent , &
travaillerent de ces Poftes avancez
en reculant , & de la tefte
de la Tranchée en avançant ,
pour rejoindre les Travaux , &
les faire communiquer les uns
avec les autres. Les Ennemis
perdirent quatre ou cinq cens
hommes , & il en coufta à ceux
de Brandebourg un de leurs Ingenieurs
, quatre Lieutenans ,
autant d'Enfeignes, environ . trente
Soldats , & le Fils aifné du
General d'Orffling . il eftoit venu
en Hongrie pour faire cette
Campagne en qualité de Volontaire
, & il fut tué d'un coup
de Moufquet au travers du corps.
La nuit on jetta quantité de
Bombes & de Carcaffes dans la
Ville , principalement du cofté
de l'attaque des Imperiaux. L'Eglife
de Bude.
75
glife de faint Jean , qui fervoit
aux Turcs de grande Moſquée,
fut reduite en cendres avec cinquante
maiſons voifines.Le nombre
des Travailleurs ayant efté
augmenté , on pouffa encore les
approches, & les Lignes de communication
entre les trois attaques
qui furent perfectionnées. ›
Le fixiéme les Troupes de
Brandebourg continuerent leurs
travaux , & ils les poufferent
de telle forte qu'ils fe trouverent
auffi avancez que ceux des
deux autres attaques. Un Capitaine
& quatre de leurs Soldats
furent bleffez , & il y en
eut huit tuez . On fit jouer du
cofté de l'attaque des Bavarois
une Batterie de dix pieces de
Canon dont une fut demontée
auffi- toft par le Canon de
la Ville. Ils fe pofterent la nuit
Dij
76 Hiftoire du Siege
tout proche les Pallades , &
eurent prés de foixante hommes
tuez ou bleffez . Le Sieur Funck,
Lieutenant
Colonel du Regiment
de Souches , fut de ces derniers.
Le 7. les Travaux furent avancez
à droit & à gauche , jufques
à dix ou douze pas de la
bréche , où les Imperiaux fe pofterent.
Ils perdirent prés de cin-
Le Sergent
quante hommes .
General de Dinghen fut bleffé
au pied , à la tefte de l'attaque,
où il eftoit cette nuit de garde
avec le Comte de Souches , &
le Chevalier de Rofne receut
un coup de Moufquet au travers
corps. Les Mineurs eurent ordre
de faire éventer les Contremines
des Affiegez dont on
avoit eſté averty , & les Troupes
de Brandebourg qui travaillerent
de Bude.
77
lerent à dreffer leurs bateries,
les mirent prefque en eftat. Le
bruit fe repandit dans le Camp
que le Grand Vizir eftoit en
marche entre Belgrade & Effek
avec une Armée confiderable,
mais on connut auffi - toft la fauffeté
de ce bruit. C'eftoit Benfi
Bacha , Aga des Jani ffaires. Il
avoit joint les Troupes des Turcs
qui eftoient campez depuis longtemps
en ce lieu - là.
Le huitiéme on travailla à
élever deux nouvelles Batteries
à l'Attaque de Lorraine , l'une
de cinq pieces de Canon , &
l'autre de quatre , afin d'élargir
les brèches. La petite Rondelle
fut abatue par le Canon des Bavarois,
qu'elle incommodoit beaucoup
dans les Tranchées , & la
nuit fuivante on tira une Ligne
qui traverfoit le long de la Ron-
Dij
78 Hiftoire du Siege
,
delle gauche vers la Courtine
droite. Comme ce travail ſe faifoit
fort prés , les pierres & les
Grenades que jetterent les Ennemis
, tuerent ou blefferent prés.
de trente hommes. Le Comte
Guido de Staremberg , Lieutenant
Colonel du Regiment de
ce nom qui commandoit à la
Tranchée , s'y fit diftinguer par
fa valeur , auffi bien que le Major
Bifchoffhaufen , qui fut bleffé
au bras d'une balle de Moufquet.
Un Capitaine de Staremberg
le fut auffi à l'épaule , &
fon Capitaine Lieutenant au
pied . Trois Turcs fe rendirent,
& on apprit d'eux que les Affiegez
avoient grande impatience
qu'il leur vinft quelque fecours,
& qu'ils fe défendoient avec
d'autant plus de réſolution &
de courage, que les belles actions
eftoient
de Bude.
79
eftoient récompenſées par le
Commandant. Quelques autres.
Turcs fortirent de la Ville , dans.
le deffein de brûler les Batteries
des Affiegeans , mais l'un d'eux
ayant efté mis par terre d'un
coup de Moufquet , tout le refte
prit la fuite.
Le neuvième les Affiegez à
la pointe du jour firent jouer
un Fourneau entre la Porte &
la Rondelle du milieu. Il ruina
la Mine que les Imperiaux
avoient faite. Il y eut fept Mineurs
enterrez , & leur Capitaine
fut dangereufement bleffé
. Ils firent enfuite une Sortie
entre cette Attaque & celle
de Brandebourg. Les Troupes
de cette derniere furent d'abord
mifes en defordre , & fe renverferent
fur les Travailleurs avec
perte d'environ cent hom-
D iiij
80
Hiftoire du Siege
mes , entre lefquels furent deux
Lieutenans Colonels ,
II
quatre Capitaines
, & quelques Officiers
fubalternes
. Cependant le Corps
de réſerve de la Place d'Armes
la plus voifine eftant accouru,
on chargea les Turcs d'une maniere
fi vigoureufe , qu'ils fe retirerent
avec plus de précipitation
qu'ils n'eftoient venus.
demeura plus de quatre - vingt
des leurs fur la Place , fans les
bleffez , & l'on fit fix prifonniers.
Aprés qu'ils eurent efté
repouffez , on travailla à retirer
les Mineurs & les Travailleurs
des ruines que le Fourneau avoit
faites. Il n'y en eut qu'un
que l'on ne put retrouver. On
continua les Travaux avec autant
d'ardeur que s'il ne s'eftoit
point fait de Sortie. Les Bavarois
firent jouer une autre Batterie
de Bude. 81
terie de dix pieces , ayant eſté
obligez de changer la premiere,
à caufe que le Canon de la Ville.
l'incommodoit , & qu'elle en
eftoit trop éloignée . Ce mefme
jour , quelques Hongrois donnerent
avis à l'Electeur de Baviere
que fept mille Tartares étoient
en marche , pour jetter
du fecours avec un Bacha dans
Bude du cofté de Peft. Cela
obligea d'envoyer en diligence
trois cens . cinquante hommes :
dans cette derniere Place , avec
ordre de travailler à des Redoutes
, afin que les Ennemis trouvant
les Paffages coupez, ne pûffent
executer leur deffein.
Le dixième on attacha les
Mineurs fous la Paliffade de la
Rondelle oppofée à l'Attaque de
Baviere , & l'on redreffa en celle
de Lorraine la Galerie qui
D v
821 Hiftoire du Siege
→
avoit efté brûlée en partie le
jour précedent . On y attacha
auffi les Mineurs , pour tâcher
d'éventer les Contre- mines fous
la Rondelle qui eftoit à gauche
& fous celle du milieu .
Quoy qu'il tombaſt ce jour- là
une groffe pluye , elle ne put
empefcher que le Prince Charles
ne fift dreffer deux nouvelles
Batteries l'une au milieu
des Travaux , & l'autre de
neuf pieces de Canon fur la
gauche .
Le 11. fut employé à perfectionner
les approches à l'Attaque
de Lorraine , & l'on mit le
Canon fur les deux nouvelles :
Batteries , & deux Mortiers fur
une autre. Il y eut quelques Soldats
tuez & bleffez , mais en
petit nombre. On travailla auffaux
Mines , & à rencontrer
celles
de Bude.
83
celles
,
que les Affiegez pouvoient
avoir préparées pour les faire fauter
contre les Affiegeans , s'ils
donnoient l'affaut. Pendant tout
ce jour , les Canons & les Mortiers
tirerent fans ceffe tant
pour élargir les bréches, que pour
ruiner les Retranchemens qu'avoient
fait les Affiegez , dans le
deffein de bien foûtenir l'affaut.
La Batterie de ceux de Brandebourg
joia , auffi- bien que
celle de Dom Antonio Gonçales
, Lieutenant general de l'Artillerie
, & d'un Ingenieur Efpagnol
, qui par l'élevation de fes
feux d'artifice donna beaucoup
de plaifirs aux Affiegeans , en
mefme temps qu'il caufoit de
grands dommages aux Affiegez .
Les Bavarois battirent inceffam-.
ment la Rondelle du Chafteau,
& y jetterent des Bombes de
deux
$4 Hiftoire du Siege
deux Batteries de trois Mortiers
chacune , dont l'une n'eftoit qu'à
trente pas de la Paliffade . Trois
de leurs Mineurs furent tuez par
leurs propres Cannoniers & le
mefme malheur feroit arrivé à
l'Electeur de Baviere , s'il n'euft
pas changé de place un moment
auparavant.Sur l'avis qu'on avoit
eu que le Seraskier s'eftoit avancé
jufqu'à trois lieuës de Peſt as
vec un Corps de huit mille hommes,
tirez des Garnifons de Themifwar,
Lippa, Giula, grand Waradin
, Segedin , Agria , Hatwan
, & autres Places des Turcs
en la baffe Hongrie , & fur
les Frontieres de Tranfylvanie,
dans le deffein de fecourir Bude
le Prince Charles détacha
le Baron de Mercy & le
Prince Eugene de Savoye avec
trois
,
de Bude. 85
un
trois mille chevaux , & fix Bataillons
d'Infanterie , qui pafferent
le Danube , & fe pofterent
proche de Peft de l'autre colté
du Pont , hors de la portée du Canon
, pour y attendre les Turcs,
& empefcher qu'ils ne fe puffent.
= jetter dans la Place . On fit auffi
un Détachement confiderable de
Cavalerie & de Dragons pour
renforcer ceux que l'on avoit envoyez
à Peſt , où ils travailloient
à de nouvelles fortifications du
cofté du Danube , & pour refferrer
la garnifon d'Albe- Royale,
qui auroit pu faire quelque diverfion
en faveur des Affiegez ,
afin de faciliter le fecours qu'ils
attendoient .
Le 12. on fit applanir à l'attaque
de Lorraine la defcente dans
les Foffez oppofez aux breches,
à la faveur du Canon & des
Bom
86
Hiftoire du Siege
Bombes , afin de pouvoir monter
à l'Affaut , & l'on fit auffi grand
feu aux attaques de Baviere &
de Brandebourg. Quoy que la
breche que l'on avoit commencé
à faire dans cette derniere le
jour precedent , fe trouvaſt élargie
de plus de quinze pas , la muraille
eftoit encore trop haute depuis
fon pied jufques à l'éboulement.
Ainfi l'on continua de
tirer le Canon avec plus de violence
, pour taſcher d'y faire des
ruines plus confiderables , & les
Affiegez qui jetterent inceffamment
des feux d'artifice & des
pierres de leurs Mortiers , n'empêcherent
point qu'en l'une &
en l'autre on n'avançaft les approches
fort prés des foffez . On
vit paroiftre la flâme pendant
plus de huit heures en plufieurs
endroits de la Ville , ce qui fit
2
juger
de Bude.
juger que
les Bombes & les Carcaffes
des Affiegeans
y avoient
caufé un grand dommage. Le
feu de la Baterie des Bavarois
prit à des Tonneaux
de poudre,
& fit fauter en l'air prés de vingt
perfonnes.
Le 13. les Regimens de Steireim
, de Pafc , & de Goucqfes
arriverent des environs de Stulweiſenbourg
au camp des Troupes
commandées par le Baron de
Mercy & par le Prince Eugene
de Savoye , ce qui fit un corps de
neufmille hommes. Les Ennemis
éventerent la mine des Imperiaux
, mais les Mineurs eurent
le loifir de fe fauver. Ils mirent
auffi le feu à un Fourneau dans
l'efperance de faire fauter la
grande garde des Imperiaux , &
l'effet en fut contraire à ce qu'ils
avoient attendu les terres retom
88
Hiftoire du Siege
tomberent fur eux , & remplirent
feulement une partie de la tefte
des travaux des Affiegeans . Cependant
le feu mis à ce Fourneau
ayant ebranlé la Tour fous
laquelle le Mineur avoit eſté attaché
, on pointa contre cette
mefme Tour huit pieces de Canon
qui y firent une breche confiderable.
On tint un Confeil de
guerre où l'on refolut de donner
Affaut par trois endroits , à la
breche de l'attaque de Lorraine.
Le Comte Guido de Staremberg
, & le Comte d'Awersberg
furent commandez , chacun avec
deux- cens quatre - vingts hommes
, le premier à la droite de
l'attaque proche la grande Rondelle
, & le fecond à la gauche.
Le Comte de Herberftein , avec
qui marchoient les Fufeliers ,
Pionniers , & Travailleurs, avoit
or
1
de Bude. 8.9
ordre de donner au milieu de la
Courtine. Il eftoit auffi fuivy de
deux cens quatre - vingts hommes
, & le refte , au nombre de
deux-mille , demeura de referve
pour les foutenir . Sur les fept
heures du foir , le Signal ayant
efté donné pour l'affaut par une
décharge de tout le Canon qui
eftoit en baterie à cette attaque,
on commença de monter à la breche
, ce qui n'eftoit pas aisé , à
caufe que les Ennemis l'avoient
I reparée par plufieurs rangs
de
Paliffades . On ne laiffa pas de les
forcer, quoy qu'ils fiffent une vigoureufe
refiftance , & l'on fe pofta
fur la brêche à la faveur de
la Moufqueterie & des Grenades
qu'on tira dans les retranchemens
paliffadez qu'ils avoient.
faits , derriere lefquels ils fe maintinrent
en tres- bon ordre. Rie
n'e
୨୦ Hiftoire du Siege
·
n'eft égal à l'ardeur que firent
paroiftre tout ce qu'il y avoit de
Volontaires & de Braves à l'Armée
, pour eſtre des premiers à
fe trouver fur la breche . On y
demeura prés de deux heures:
que l'efcarmouche dura, & pendant
ce temps les Affiegez firent
fauter deux Mines , qui cauferent
moins de perte aux Affiegeans
, que les Fleches , les Bombes
, les Grenades & les Pierres.
Cependant on ne pût venir à
bout de faire le logement ; le
defordre & la chaleur du combat
avoient éloigné les Travailleurs
, & d'ailleurs il auroit falu
plus de Fafcines & de facs à terre
, qu'on n'en avoit , pour pou
voir fe mettre à couvert & ſe retrancher.
Cela fut cauſe que l'on
ugea à propos de faire retirer les
raupes dans leurs Poftes, ce que
l'on
de Bude . 91
lon fit à neuf heures du foir, tandis
que le
Canon
, des
Bombes
&
la Moufqueterie
de
deux
Bataillons
de
Souches
&
de
Mansfeld
favorifoient
la retraite
. Le
Prince
Charles
fut
preſent
à l'action
, &
eut
deux
Pages
, l'un
tué
à fes
coftez
, &
l'autre
bleffé
.
La
perte
fut
grande
de
part
& d'autre
. On
tient
qu'il
y
eut
plus
de
cinq
cens
Soldats
tuez
du
cofté
des
Affiegeans
, &
prés
de
trois
cens
bleffez
, ' outre
quelques
Colonels
,
Capitaines
, autres
Officiers
, &
beaucoup
de
Volontaires
. Parmy
ces
derniers
fut
le
Prince
de
Commercy
, qui
demeura
longtemps
fur
la
bréche
expofé
au
feu
. Le
Sieur
du
Pleffis
, fon
Ecuyer
, fut
tué
auprés
de
luy
, &
le
Sieur
de
S. Sulpice
, l'un
de
fes
Gentilhommes
, y_receut
quelques
bleffures
. Le
Duc
de
Bejar
,
Grand
92
Hiftoire du Siege
Grand d'Espagne , monta un des
premiers à l'affaut. Il y fut bleffé
dangereufement , & mourut trois
jours aprés . Le Fils du Prince Robert,
& Milord Georges Savil, fe
cond Fils du Marquis d'Halifax,
avec plufieurs autres Seigneurs
Anglois furent tuez , ainfi que
le
Prince Palatin de Veldens,le jeune
Comte de Maldeghen , le Chevalier
de Cormaillon , le Comte
de Herberſtein , le Comte de
Kouffstein , Capitaine dans Staremberg
, le Baron de Rolle , &
le Sieur Kirchmeir , tous deux
Capitaines dans le Regiment de
Souches, le Baron de Chiffer , le
Comte de Strottembach , & plufieurs
autres Volontaires & Officiers
fubalternes. Milord Fitz-
James, Fils naturel du Roy d'Angleterre
, fut bleffé legerement.
Le Prince Picolomini mourut
dés
de Bude.
93
dés le lendemain de fes bleffures,
& fut enterré dans Peft . Les autres
Bleffez confiderables , dont
les noms ont efté fçeus , furent le
Comte de Staremberg , Lieutenant
Colonel , qui avoit le commandement
de la droite ; le
Comte d'Aversberg , auffi Lieutenant
Colonel , qui commandoit
la gauche ; le Comte de Dona ,
Colonel dans les Troupes de
Brandebourg ; le Marquis de la
Verne , Lieutenant Maréchal de
Camp ; le Duc de Scalona , Grand
d'Efpagne ; le Comte de Valero,
frere du Duc de Bejar ; Dom
Gafpard de Suneja , fon Coufin;
le Comte de Cormaillon ; le Fils
du Comte d'Urfet , & fon Ecuyer;
le Sieur de Longueval ; le Chevalier
de Rhofne ; le Sieur de Landas
, Capitaine de Starembergs
les Capitaines Herrero & le Bay,
&
94 Hiftoire du Siege
& quelques Officiers venus de
Flandre ; le Sieur de Vaubonne ,
Capitaine des Grenadiers de
Bade ; le Baron Golenski , Capitaine
de Becq ; Dom Francifco
l'Africain ; le Sieur de la Brigondelle
, & le Sieur de Vaucou-
Gentilhomme du jeune leur
Prince de Vaudemont. Le Marquis
de Blanchefort , Fils du Maréchal
de Crequi , fut auffi bleffé ,
& la maniere dont il fe diftingua
fit affez connoiftre de quel
Sang il eft forty. Les Affiegez
perdirent beaucoup de monde.
On fçeut d'un Transfuge , qu'une
feule Bombe , qui eftoit tombée
dans leurs Retranchemens après
l'action , avoit emporté deux Agas
des Janiffaires, & plus de quarante
Soldats. Comme ils croyoient les
Troupes des Affiegeans fort en
defordre, il voulurent profiter de
l'oc
de Bude.
95
l'occafion , en faifant une Sortie
fur celles de Brandebourg , mais
ils furent repouffez avec beaucoup
de vigueur, & laifferent plus
de 40. des leurs fur la place. On
fit quinze Prifonniers.
Le 14. on travailla à applanir
les débris que les Contremines
des Affiegez avoient faits à l'Attaque
de Lorraine , & à combler
les Foffez de celles de Baviere
& de Brandebourg. On continua
de canonner la Place , & d'y
jetter des Carcaffes & des Bombes.
On nettoya auffi la Tranchée
, & on en ofta les terres ,
dont les Fourneaux des Ennemis
en avoient remply une partie . On
en découvrit deux ce jour là , &
l'on en tira les Poudres. ' Il y eut
un Mineur tué par l'imprudence,
d'un Canonnier, La Mine prit
feu, & vingt Soldats & deux Ca-
$
no
96
Hiftoire du Siege
nonniers furent emportez. On
eut avis que les Troupes d'Afie
eſtoient arrivées à Belgrade fous
la conduite du Grand Vifir , qu'il
y en avoit encore pris de nouvelles
, & qu'il s'eftoit enfuite
avancé vers le Pont d'Effeck ,
aprés avoir envoyé fix mille Spahis
à Walpo & à Poffega , avec
ordre d'obferver le General
Schults , qui avoit mené huit
mille Allemans & cinq cens
Croates de ce coſté - là.
Le 15. on attacha le Mineur
à la Muraille de la grande Rondelle
, & on commença deux Galaries
au pied de la Courtine.
Quelques Païfans fortis de Bude
furent conduits à l'Attaque de
Lorraine . Ils dirent qu'à l'affaut
du 13. il y avoit eu plus de cinq
cens hommes tuez du cofté des
Ennemis. On avança les Travaux
juſqu'au
de Bude.
97
jufqu'au Foffé , fur le bord du
quel on dreffa une nouvelle bat--
terie , pour ruiner à droit le cofté
de la grande Rondelle , qu'on
n'avoit pas encore attaqué. Tandis
que les Mineurs travailloient
à deux chambres de Mine , les
Affiegez en firent fauter une à
la gauche de l'Attaque. Elle ne
fit qu'agrandir la brèche du cofté
de ceux de Brandebourg. On
en éventa deux autres qu'on n'avoit
point encore chargées. Les
Bombes que l'Ingenieur Espagnol
fembloit élever jufqu'aux Etoiles,
faifoient un effet fi prodigieux
en retombant , qu'un Transfuge
rapporta qu'une feule avoit enfoncé
deux planchers & deux
voûtes , & tué plus de
perfonnes dans la plus baffe ; ce
qui caufoit une grande defolation
, parce qu'il n'y avoit pref-
E
quarante
98
Hiftoire
du
Siege
que plus d'endroits où l'on fe
puft tenir à couvert. On eut
avis que les Turcs qui venoient
fecourir Bude , eftoient campez
vers Hatwan , aprés avoir paffe
la Teyffe avec un Convoy prés
de Segedin. On détacha auffitoft
les Regimens de Stirum , de
Taff , & de Trurks , pour aller
joindre le Barón de Mercy , afin
d'obliger les Infidelles à repaffer
la Riviere..
Le 16. les Bavarois firent jouer
deux Mines , qui au lieu de
combler le Foffe de la Rondelle
du Chafteau , & de faire fauter
la Paliffade , comme on l'avoit
creu , renverferent les premiers
poftes de leurs Tranchées,
de forte qu'il y eut plus de trente
hommes tuez ou bleffez. Le
Marquis de la Verne , qui n'avoit
efté bleffé que legerement
à
de Bude.
୨୨
#
à l'affaut du 13. le fut ce jourlà
d'un éclat de pierre. Cet accident
fit qu'on réfolut de ne
plus faire jouer de Mines , qu'on
n'euft achevé toutes celles où
l'on travailloit , afin de les faire
fauter toutes à la fois , quand
les trois Attaques donneroient
l'affaut. Un Armenien , qui avoit
fa Femme & fes Enfans à Vienne
, s'eftant échapé de Bude , vint
donner avis que les Janiffaires
avoient preffé deux fois le Bacha
de rendre la Place mais
que ne l'ayant pas trouvé de ce
fentiment , ils luy avoient déclaré
qu'ils fe défendroient encore
quelque temps , mais qu'ils
ne vouloient pas attendre l'extremité
. Il ajoûta que les Affiegez
avoient perdu beaucoup de
monde dans l'action du 13. qu'ils
auroient capitulé fi l'on avoit
E ij
TE
DE
LA
>-
LYON
1895
roo
Hiftoire du Siege
pû fe maintenir fur la brèche,
qu'ils ne s'eftoient tenus en fi
bon ordre derriere leurs rétranchemens
, que parce qu'un Deferteur
eftoit venu leur donner
avis de la refolution que l'on
avoit priſe de donner l'Affaut ;
que cependant l'ayant pris pour
un Efpion , ils luy avoient fait
couper la tefte , & qu'ils en feroient
autant à tous ceux qui
viendroient ſe rendre ; que l'on
avoit commencé à manger les
Chevaux , faute de fourage &
d'autre viande ; qu'un pain
pour vivre un feul jour couftoit
un écu , & que les Bombes de
I'Ingenieur Eſpagnol , qu'ils nommoient
le feu du Ciel , perçoient
les voûtes des Caves. La nuit
les Bavarois fe pofterent derriete
la Paliffade du Foffé de la
Rondelle du Chafteau , de forte
.
que
de Bude. ΙΟΥ
que les Ennemis furent obligez
de s'en retirer avec perte de
quelques hommes. Le Comte
de Fontaine , qui commandoit
les Bavarois , fut tué d'un coup
de Moufquet. Le Comte d'Apre
mont fut bleffé dans la mefme
occafion , auffi bien que le Capitaine
des Grenadiers du Regiment
de Bade. Son Lieutenant
fut tué , & il y eut encore environ
quarante Soldats tuez ou
bleſſez Les Ennemis deffendoient
ce poſte au nombre de deux
cens cinquante , & comme on
leur coupa d'abord le chemin
de la retraite , il n'en échappa
que vingt-fix qui demanderent
quartier. Tout le reste fut tué .
Un Turc qui fortoit de Bude fut
arrefté cette mefme nuit. Il eftoit
Mineur. On apprit de luy que
quoy que la Ville fuft extremé-
E iij
102
Hiftoire du Siege
ment incommodée de l'infection
des Cadavres , qu'on ne pouvoit
enterrer faute de trouver des
lieux où l'on puft les mettre , &
que les Habitans fouffriffent une
fort grande difette à cauſe qu'on
ne diftribuoit des vivres qu'aux
Soldats , les Affiegez ne laiffoient.
pas d'eftre refolus de continuer à
fe bien défendre , & qu'il y avoit
des Fourneaux en divers endroits
avec des coupures & des retranchemens
dans les ruës , à la teſte
defquels ils avoient mis plufieurs
pieces de Canon chargées de
Cartouches.
Le 17. le Prince Charles de
Neubourg eftant arrivé au Camp,
alla fe pofter avec fon Regiment
de l'autre cofté du Pont . Le
Maréchal Caprara , & le General
Palfi , revinrent des environs de
Stulweifembourg avec plufieurs
Re
de Bude.
103
Regimens de Cavalerie . Le premier
paffa le Danube , & prit
le commandement
des Troupes
qui eftoient campées proche de
Peft. Le Marquis de la Verne,
quoy que bleffé , eftant demeurẻ
feul à remplir la Charge de
Lieutenant Maréchal de Camp
general d'Infanterie , ne voulut
plus fortir de l'attaque à caufe
que
le Comte de Fontaine ayant
efté tué la nuit precedente , il
n'y avoit plus d'Officier de fon
caractere pour le relever. On
avança les approches des trois
attaques jufqu'au pied de la
muraille , & l'on acheva une baterie
de trois pieces de Canon à
celle de Lorraine pour battre
l'Angle de la Tour. On travailla
aux Mines à l'Attaque de Brandebourg,
& les Mineurs fe trouverent
fous la Courtine proche
E iiij
104 Hiftoire du Siege
la troifieme Rondelle de celle de
Lorraine , & fous une autre à
gauche. On applanit auffi la defcente
dans les foflez , & pendant
tout le jour & toute la nuit on
ne ceffa point aux trois Attaques
de faire un grand feu de toutes
les Bateries , afin d'agrandir les
bréches & d'achever de ruiner
toutes les defences & les coupures
qui eftoient derriere , ce qui
devoit mettre les Generaux en
eftat de faire donner l'Affaut general
, qu'ils ne vouloient point
hazarder qu'on n'euft éventé les
Contremines.
Le 18. une partie de ceux qui
eftoient campez proche de Peft ,
& qui ne compófoient point
de Regiment , retournerent à
leurs premiers Poftes , fur les
avis qu'on receut que les Troupes
Ottomanes , qu'on croyoit
de
de Bude.
105
,
devoir venir de ce cofté là jetter
du fecours dans Bude s'efloient
retirées apres avoir mis
des vivres dans Hatwan & dans
Erlaw. On apprit le mefme jour
que des Turcs eftoient venus à
deux lieues du Camp couper la
tefte à quelques Fourageurs &
Vivandiers . Sur les onze heures
du foir , les Affiegez fe montrerent
fur la breche . Ils poufferent
de grands cris , & cela fit croire
qu'ils fe preparoient à une fortie .
On fit fur eux un grand feu qui
les contraignit de fe retirer . Ils
éventerent la Mine de l'Attaque
des Imperiaux par un Fourneau
qu'ils firent jouer. Quatre Mineurs
& le Sieur Liber leur Capitaine
, y furent enfevelis . On
les chercha auffi- toft , & on ne
put trouver que deux Mineurs ,
qui n'eftoient pas morts. Les Ba
E v
106
Hiftoire du Siege
varois mirent le feu dans le Chafteau
par une Bombe qu'ils y firent
tomber. Cependant les Ennemis
barricaderent d'une nouvelle
Paliffade la Breche de la
Rondelle .
Le 19.les Affiegez travaillerent
inceffamment entre la Breche des
Imperiaux & la muraille de la
Ville, ce qui fit croire qu'ils y faifoient
un nouveau retranchement.
Les Bavarois travaillerent
de mefme pendant tout le jour à
à une Baterie fur le bord du Foffé
, afin d'abatre la Paliffade , & le
refte de la Rondelle du Cha fteau .
Ils attacherent en mefme temps
le Mineur, pour chercher les Mines
des Ennemis . La nuit les
Troupes de l'Attaque de Lorraine
donnerent un faux Affaut , &
firent jouer plufieurs Mortiers
chargez de Bombes , de Carcaffes
&
de Bude.
107
& de Grenades. L'effet en fut
terrible pour les Affiegez , qui
eftoient accourus en foule pour fe
defendre. Un Transfuge paffa
de la Ville au Camp , & en parlant
des defordres que faifoient
les Bombés dans la Place , il dit
qu'il en eftoit tombé une fur une
voute , qu'elle l'avoit enfoncée, &
que plus de cent hommes qui
eftoient deffous , en avoient efté
tuez .
Le 20. les Affiegez donnerent
trois fauffes allarmes, ce qui obligea
de faire avancer contr'eux
un détachement de Grenadiers
à chaque attaque. On s'apperceus
qu'ils s'aflembloient derriere leurs
Paliffades, & dans la penfée qu'on
eut qu'ils avoient deffein de faire
une fortie, on fit pointer le Canon
& les Mortiers de ce costé là . Les
Bateries firent un grand feu , & le
fuc
108
Hiftoire du Siege
fuccez en fut fort avantageux
aux Affiegeans. Le mefine jour le
General Palfi retourna fur fes pas
avec fix Regimens , & eut ordre
d'obferver les mouvemens des
Troupes Ottomanes , qui avoient
déja paffé le Pont d'Effeck , à ce
que difoient tous les Efpions. Le
Prince Charles alla reconnoiftre
les endroits par où les Turcs pouvoient
jetter du fecours dans la
Place. Il y eut encore un Armenien
qui fe fauva de la Ville. Il
dit que la confternation yeftoit
tres -grande ; qu'il n'y reftoit plus.
que deux mille Janiffaires dont
le nombre diminuoit tous les
jours , & qu'ils ne ſe defendoient
que parce qu'on les avoit affurez,
qu'il y avoit deux Armées en
marche , pour venir faire lever
le Siege .
Le 21. on continua d'élargir
la
de Bude. 109
la brêche à coups de Canon à
l'Attaque de Lorraine , & de
rompre la Paliffade que les Ennemis
y avoient mife. Le Baron
de Mercy , qui avoit fait repaffer
la Teyffe aux Turcs qui s'étoient
avancez vers Hatwan , &
dont il avoit défait une partie de
l'Arriere garde , receut ordre de
repaffer le Danube , & de marcher
avec la Cavalerie que l'on
avoit jugée inutile pour le Siege,
à la rencontre des Infidelles qu'on
difoit s'eftre affemblez vers le
Pont d'Effeck , au nombre de
vingt- cinq à trente mille. Un Cavalier
du Regiment de Caprara
fe faifit d'un Turc qui eftoit caché
dans un Marais . Il avoit des
Lettres pour le Grand Vizir , &
pour quelques Officiers de l'Armée
Turque. Elles furent déchifrées.
Le Bacha de Bude leur
don
110
Hiftoire du Siege
donnoit avis de l'eftat de la Place
, & du preffant befoin qu'il
avoit qu'on le fecouruft.
Le 22. de grand matin les Af
fiegez fortirent du cofté des Bavarois
, & ayant pouffe la Garde
qui étoit à la tefte de la Tracheé,
ils tuerent prés de cent hommes,
entre lefquels fe trouverent le
Sieur Lôben Colonel dans les
Troupes de Saxe , un Capitaine
, & quelques Officiers fubalternes.
Le Sieur Defchwint, Colonel
de l'Artillerie de Baviere,
fut mortellement bleffé au cou.
Ils enclouerent trois pieces de
Canon & un Mortier, & auroient
caufé un plus grand defordre , fi
un Lieutenant & quelques Fantaffins
du Regiment de Bade qui
accoururent n'euffent foûtenu
les Bavarois , & contraint les Ennemis
de fe retirer avec perte de
>
plus
de Bude. III
plus de fix- vingt des leurs, qu'ils
laifferent fur la place. L'avis en
ayant efté donné à l'Electeur de
Baviere , il vint auffi - toft dans la
Tranchée. On décloüa le Mortier
& deux pieces de Canon, &
en fuite on jetta une Bombe de
ce Mortier. Un peu après, on entendit
un bruit extraordinaire,
& il fe fit comme un tremblement
de terre qui ébranla tout
le Camp, & dont plufieurs Tentes
furent renversées. Il s'éleva
une fumée fi épaiffe qu'on' fut
quelque temps fans voir la Ville.
Soit par l'effet de la Bombe,
foit par quelque autre accident,
le feu s'eftoit mis à un Magafin
à poudre , qui eftant proche de
la muraille en renverfa plus de
quarante pas de longueur, en forte
qu'on y euft pû monter aifément;
IIZ
Hiftoire du Siege
ment , fi la Riviere n'en avoit
pas empêché l'accez. Des Fantaffs
fe jetterent fur l'Electeur
de Baviere pour le garantir des
pierres qui tomboient en quantité
dans les Tranchées . On en
trouva un fort grand nombre
dans Peft & dans tout le Camp,
de la pefanteur de deux , trois,
& quatre cens livres , jufques à
cinq cens. On dit qu'il y avoit
neuf cens Quintaux de poudre
dans ce Magafin , & qu'il fit perir
, en fautant en l'air , plus de
quinze cens perfonnes , hommes
femmes & enfans , fans compter
ceux qui demeurerent enfevelis
dans les caves voifines qui furent
couvertes des ruïnes de ce
grand bâtiment. La nuit, on travailla
à la chambre de la Mine
fous la grande Rondelle . Les Af
fiegez la contreminerent , ce qui
obligea
de Bude. 113
geans
obligea les Mineurs des Affied'abandonner
le travail. Il
n'y eut que celuy qui eftoit attaché
à la Courtine du milieu à
la gauche , qui continua . Il arri-
Iva dans la chambre de la Mine
que les Ennemis avoient éventée
, & la voulut rétablir , mais
ayant entendu travailler fous lui,
il fe retira, & laiffa quelques barils
de poudres découverts ; le
feu y prit pluftoft qu'on ne l'avoit
crû , & jetta le Lieutenant
des Mineurs jufque fur la batterie
de Brandebourg . Celuy qui
les commandoit fut brûlé . Comme
la Mine n'eftoit pas affez profonde
, l'ouverture qu'elle fit au
pied de la Courtine , fut feulement
de deux toifes. Les Turcs
fortirent en fi grand nombre ,
qu'on ne les put arrefter que par
un feu extraordinaire que l'on fit
fur eux.
Le
114 Hiftoire du Siege
a
Le 23. Le Mineur attaché à la
Rondelle du milieu, ayant achevé
de perfectionner la Mine , il
fut refolu que fi elle avoit l'effet
que l'on pouvoit s'en promettre,
on donneroit l'Affaut , general,,
Cependant le Prince Charles jugea
à propos
de faire fommer les
Afliegez avant que de l'entreprendre.
Le Magaſin fanté le
jour précedent , avoit mis un fi
grand defordre dans la Place
qu'il y avoit lieu de croire qu'on
les trouveroit moins obftinez , &
qu'ils fe refoudroient à fe rendre
fi on leur offroit des conditions
avantageufes. Ainfi fur les trois
heures aprés midy, ce Prince envoya
le Comte de Konigfek, fon
Aide de Camp general , avec un
Tambour & un Interprete pour
fommer la Ville. Les Affiegez
le voyant venir , & connoiffant
au
de Bude.
115
,
au fignal d'un mouchoir blanc
qu'il avoit quelque propofition
à leur faire planterent fur la
Muraille un Drapeau de mefme
couleur , & vinrent enfuite
prendre la Lettre du Prince
Charles pour la porter au Bacha
, qui dormoit alors , à ce
qu'ils dirent. En attendant la
réponſe , on luy laiffa trois Turcs
pour Oftages , & on luy vint
dire un peu aprés que le Bacha
avoit affemblé fes Officiers,
pour deliberer fur cette Lettre.
Il y eut de part & d'autre fufpenfion
d'armes pendant deux
heures
, & aprés ce temps on
apporta la réponſe du Bacha au
Prince Charles , envelopée d'écarlate.
Voicy les termes qu'elle
contenoit .
GRAND
116
Hiftoire du Siege
RAND VISIR DES
G&RESTIENS,
Tu es bien présomptueux de venir
une feconde fois mettre le Siege
devant Bude , qui a déja couté tant
de monde & tant d'argent aux
Chreftiens. Il est bien vray que ce
Siege nous a furpris , parce que nous
ne nous y attendions point ; mais
par l'affiftance de Dieu, & de noftre
Prophete Mahomet, vous aurez efte
par deux fois honteufement repous-
Sez, & vous n'aurez pas à nous
donner tat d'affauts que vous croiez.
Nous efperons qu'il vous en arrivera
comme il vous est déja arrivé . Si
voftre Empereur vous a commandé
de nous attaquer , nous avons ordre
du noftre de nous bien défendre .
Cette réponſe pleine de fierté
obligea les Affiegeans à faire joüer
le Canon des trois Attaques , &
de Bude.
117
à bombarder la Place avec plus
de furie que l'on n'avoit fait auparavant.
Le 24. Les Imperiaux firent
jouer une Mine , qui au lieu de
renverfer la Rondelle qui eftoit
entre leur bréche & celle des
Troupes de Brandebourg , combla
les premiers poftes de leurs
Tranchées , ce qui fâcha fort les
Hongrois , qui au nombre de
deux mille eftoient tout prefts de
monter à l'affaut , à la tefte des
Troupes de l'Attaque de Lorraine.
Le Capitaine des Mineurs &
deux Travailleurs furent accablez
par les débris de la Mine,
dont plus de deux cens Soldats
furent tuez ou bleffez. Un fugitif
vint apprendre au Prince
Charles que le Treforier des Janiffaires
avoit eu deffein de livrer
la Ville , à condition qu'on
l'en
118 Hiftoire du Siege
t
l'en feroit Vice - Commandant ,
mais que deux Païfans qui luy
devoient apporter la Lettre aïant
efté arreftez , le Bacha avoit fait
couper la tefte au Treforier , &
pendre les Païfans . Il ajoûta que
cinquante Turcs & un Aga a-
- voient efté tuez de la Mine, que
les Imperiaux avoient fait jouër
ce mefme jour, a
Le 25. une Bombe des Affiegeans
renverfa fur la Rondelle
du Chafteau quelques Paliffades,
& deux ou trois cofres chargez
de terre & de pierres qui les foûtenoient.
Le General Dunewald
receut ordre de prendre langue
de l'Armée des Infidelles. Sur les
cinq heures du foir , les Affiegez
firent une Sortie avec 200. hommes
fur la droite de l'Attaque de
Lorraine , où commandoit le
Comte de Saur , qui les repouſſa
vigou
de Bude.
119
quelque
.
vigoureufement avec
perte de leut cofté , mais elle
ne les empefcha pas d'en faire
une autre fur la gauche , où é-.
toient les Troupes de Brandebourg.
Ils couperent la tefte à
quarante hommes , & après avoir
encore efté répouffez de ce coſté
là , ils revinrent de nouveau , 1 , &
poufferent ceux de Brandebourg,
qui furent contraints de quitter
leurs Lignes. Le Prince Charles
en fut averty , & fit incontinent
avancer les Bataillons de referve,
qui eftoient poftez le long du
Danube prés des murailles de la
Ville- baffe. Les Turcs plierent
-lors qu'ils virent ce fecours , &
quoy qu'ils en euffent receu du
Bacha,qui leur envoyoit dé temps
en temps de nouvelles Troupes
pour les foûtenir , ils rentrerent
dans la Ville aprés une Efcarmouche
I 20
Hiftoire du Siege
che qui dura prés de quatre heures.
Il ne demeura que vingt
des leurs fur la place. Ceux de
Brandebourg perdirent le Lieutenant
Colonel de leurs Gardes.
Le Baron d'Ati qui commandoit
le Corps de referve , fut bleffé
au pied d'un coup de Moufquet,
& l'Aide de Camp du Comte de
Staremberg eut les deux jambes
emportées d'un coup de Canon.
Le Baron de Hoenwart fut tué
avec un Enſeigne du Regiment
de Souches , & quelques autres
Officiers.
Le 26. on prepara toutes les
chofes neceffaires pour donner le
lendemain l'Affaut general . Le
Maréchal Caprara paffa le Danube
, & vint fe camper au milieu
des Imperiaux & des Bavarois
, afin de fermer le paffage
· par où les Ennemis auroient pû
fe
de Bude. 121
fe fauver , ou faire des Sorties
fur les Affiegeans. Le Prince
Charles, qui avoit refolu de faire
donner l'Affaut à la pointe du
jour , paffa toute la nuit dans la
Tranchée , & pendant ce temps
on executa la refolution que l'on
avoit priſe d'attacher aux Paliffades
une certaine compofition
de feu artificiel pour les brûler;
elle eut un tres- grand effet .
,
Le 17. au matin les Paliffades
eftant encore toutes enflâmées
par la quantité qu'on y
avoit mis de cette compofition,
on attendit pour donner l'Affaut
qu'une petite pluye , qui
commença à tomber , euft éteint
les feux qui fervoient comme de
défenſe aux Ennemis. Tous les
ordres avoient été donnez le jour
précedent à tous les Officiers Generaux
Subalternes qui devoient
F
7 122 Hiftoire du Siege
eftre employez aux 3.Attaques,&
ils fçavoient en quel lieu & en
quelle maniere ils devoient agir
lors qu'ils auroient oüy le Signal.
Ce Signal eftoit 3. décharges de
12.petites pieces de Canon du côté
de Peft,afin qu'on en puft entendre
le bruit auffibien au quartier
de Baviere, qu'à ceux de Lorraine
& de Brandebourg. Il fut
donné fur les fix heures du foir, &
auffi- toft ceux qui eftoient commandez
à l'Attaque de Lortaine,
marcherent en fort bon ordre
vers la groffe Rondelle à droit,afin
de fe loger fur la bréche . Quarante
Grenadiers ayant un Capitaine
à leur tefte avec un Lieutenant
& un Sergent , furent fuivis
de cinquante Fufeliers , &
d'un pareil nombre d'hommes armez
de faulx , fous les ordres
d'un Capitaine , d'un Lieutenam
,
de Bude. 123
nant , d'un Sergent , & des autres
Officiers fubalternels. Cent
hommes chargez de haches &
pelles eftoient à la premiere ligne,
commandez par un Capitaine
, par un Lieutenant , & par
un Sergent, & avoient deux cens
Moufquetaires pour les foûtenir.
Le Prince de Neubourg, Grand-
Maistre de l'Ordre, Teutonique
, commandoit en cet endroit
de l'Attaque , & le Marquis de
Nigrelli , General de Bataille ,
le Colonel Keth , le Baron Reder
, Lieutenant Colonel , & le
Lieutenant Major de Staremberg
l'accompagnoient pour
porter fes ordres , & les faire
executer avec plus de promptitude.
Le Comte de Souches, qui
avoit auprés de luy le Sergent
general Diepental , le Colonel
d'Oetingen , le Comte Jorger,
,
Fij
124 Hiftoire du Siege
1
Lieutenant Colonel , & le Sergent
Major de Croy, marcha au milieu
vers la Courtine , précedé de 50.
Grenadiers , de cent Fufeliers, &
-de cent autres hommes armez de
faulx & de bâtons ferrez par les
deux bouts . Ceux - cy ayant leurs
Officiers à leur tefte , avoient
auffi pour les foûtenir 200. Moufquetaires
& 5o.hommes avec des
haches & des bêches propres à faper
& à faire des logemens après
qu'on auroit chaffe les Ennemis
de leurs poftes. La difpofition fut
pareille à l'Attaque de Brandebourg.
Ceux qui devoient donner
à la bréche de la Rondelle à gauche,
eftoient foutenus d'un pareil
nombre de Moufquetaires , & avoient
ordre de faire grand feu
contre les Turcs fi- toft qu'ils fe
montreroient hors de leurs Coupures.
Les Heiduques furent
commandez pour donner une
de Bude. 125
fauffe alarme du cofté de l'eau ,
à l'endroit où l'embrafement du
Magafin avoit ouvert la Murailles.
Trois cens hommes les foutenoient
fous les ordres d'un Sergent
Major , de trois Capitaines
& des autres Officiers Inferieurs.
Tous les autres Generaux
furent poftez en divers endroits
pour y faire la fonction
de leurs charges fuivant le commandement
qu'ils avoient receu
. On avoit mis douce cens
hommes de reſerve dans un fond
au pied de la brêche , & ils devoient
s'avancer par files afin de
remplir la place de ceux qui feroient
tuez . Le General Dinghen
les commandoit. Le refte de l'Infanterie
eftoit deftiné pour s'avancer
de la mefme forte fi les
Generaux & les autre Officiers
à qui l'on avoit confié la garde
Y
Fiij
126 Hiftoire du Siege
de la Tranchée , l'euffent jugé
à propos. Tout ayant efté difpofé
de cette forte , les Troupes
Imperiales & celles de Brandebourg
marcherent en mefme
temps du coté des brêches ,
chacun en fon rang , tant les Of
ficiers que les Soldats , principalement
vers la grande Rondelle,
dont la maçonnerie n'avoit
pas
efté bien éboulée , quoy qu'on
y euft fait jouer plufieurs Mines.
Ce fut de part & d'autre
un feu effroyable & un bruit
terrible qu'on ne sçauroit exprimer.
Si le Canon , les Bombes
, les Carcaffes , les Grenades,
& la moufqueterie des Affiegeans
, firent un fracas qui euſt
pû épouvanter les plus intrepides
, le feu que firent les Affiegez
& par leur Canon & par
leurs Mortiers à pierres qu'ils ac- .
compagnerent d'une grefle de
de Bude.
127
Fleches , de Dards , de Bombes
ardentes , & autres Machines,
qu'ils faifoient rouler du haut
des brêches où ils s'expofoient
à corps découvert , fit voir aux
Chreftiens qu'ils avoient à faire
à des gens determinez qui leur
vendroient cherement leurs vies.
Les Imperiaux s'avancerent
bord jufqu'aux Paliffades , dont
les Ennemis avoient reparé les
bréches des Rondelles . Ils eurert
peine à y conferver leur
pofte , à caufe du grand nombre
de Fourneaux qu'on y fit
jouer. Plus de trois cens hommes
furent tuez ou accablez du
premier , & la refiftance des
Affiegez qui fut extraordinaire ,
fit reculer les Imperiaux juf
qu'à trois fois. Le Prince Charles
qui s'en appercent du lieu où
il donnoit les ordres , & qui les
F
128
Hiftoire
du Siege
રે
vit au milieu des feux , tant des
Machines que les Ennemis faifoient
rouler , que de neuf Mines
& de neuf fourneaux qu'ils
firent fauter en fort peu de
temps , s'avança luy - meſme au
pied de la brêche pour les foûtenir
avec de nouvelles Troupes
Sa prefence les anima telle.
ment , que voyant leur General
s'expofer comme eux au plus
grand peril , & vouloir fe rendre
témoin de leurs actions , ils
forcerent les Paliffades , & fe
rendirent maiftres de la grande
Rondelle où ils fe logerent. Ceux
de Brandebourg n'eurent
moins de fuccez à leur attaque.
Ils vinrent à bout de fe loger
fur la Courtine & fur la Rondelle
à gauche. Les Ennemis qui
s'eftoient retirez derriere les retranchemens
qu'ils avoient faits
pas
all
de Bude. 129
= au de- là des Paliffades , firent
leurs efforts pour les en chaffer,
& jetterent fur les uns & fur
les autres quantité de Fleches ,
de feux d'artifices , & d'autres
Inftrumens remplis de foufre ;
fur tout leurs Mortiers à pierres,
les Mines & les Sacs à poudre
aufquels ils mettoient le feu en
ſe retirant des Poftes qu'on les
forçoit de quitter , tuerent &
blefferent un grand nombre de
Chreftiens. La prefence du Prince
Charles qui ne voulut point
abandonner l'entreprife , contribua
fort à l'heureux fuccez qu'elle
cut. Chacun cherchoit à fe
fignaler avec une intrepidité qui
n'eft pas croyable , & les Soldats
à envy les uns des autres,
prenoient le Pofte que leurs camarades
leur abandonnoient en
perdant la vie. Les Imperiaux
F v
130 Hiftoire du Siege.
trouverent dans la grande Rondelle
deux Etendarts des Janiffaires
, & trois Pieces de Canon,
& ceux de Brandebourg en trouverent
fept & quelques Mortiers
dans la Rondelle dont ils s'étoient
emparez à gauche.
Pendant que l'on donna l'affaut
de ce cofté - là , l'Electeur de Baviere
le donna auffi du cofté de
fon attaque . Il avoit fait brûler le
jour precedent les Paliffades que
les Ennemis avoient plantées fur
la brêche, & fi-toft qu'on eut entendu
le Signal pour y monter,les
Fufeliers , & les Grenadiers avec
les hommes armez de haches qui
avoient fes ordres pour faper celles
qui pouvoient encore embaraffer
, fortirent de la Tranchée,
fuivis de cent Moufquetaires fous
un Capitaine & deux Lieutenans
, pour monter à l'affaut, tant
à
de Bude.
à droit qu'à gauche. Ĉent Travailleurs
marcherent en fuite, 25 .
avec des Pelles , & foixante &
quinze avec des faux , pour faire
un logement fur la hauteur de la
Rondelle, aprés qu'on s'en feroit
emparé. Ils eftoient fouftenus de
50. Fufeliers , de 30. Grenadiers,
& de 200. Moufquetaires. D'autres
Moufquetaires choifis avoiết
efté commandez pour feconder
de chaque cofté les trois Bataillons
Imperiaux , Bavarois & Saxons
qui devoient fouftenir les
premiers. On fe mit en marche
par les Ouvertures qui avoient
efté faites aux foffez vers la brêche
à droit & à gauche de la
Rondelle. En mefme temps toutes
les bateries commencerent à
tirer fur les brêches, & contre les
murailles hautes & les feneftres
des maifons du Chafteau, & l'on
jetta
132
Hiftoire du Siege
jetta auffi fans aucun relâche des
bombes & des carcaffes , dont il
y en eut quantité qui furent jettées
contre les retranchemens
des Affiegez , & entre les deux
premieres murailles du cofté du
Danube. Quoy que la muraille
fuft encore haute & difficile
à monter , on s'avança vers
la brêche à droit & à gauche
avec tant de valeur , de courage
& de conduite , que l'on
s'empara de la Rondelle , malgré
les coups de Moufquets que
les Ennemis tiroient fans ceffe
des Crenaux de cette meſme
muraille . On s'empara auffi à
gauche d'un lieu fitué entre les
maifons , & la muraille exterieure
, ce qui n'eftoit pas aifé
, parce que les endroits les
plus éminens du Chateau le
commandoient , & que l'on jettoit
de Bude .
133
toit de là fur les Affiegeans
une infinité de pierres , de Grenades
, de Bombes & de Sacs
à poudre. Ce feu continuel ne
put arrefter l'ardeur qui les emportoit
, & ils l'effuyerent avec
une bravoure qu'on ne peut affez
loüer, mais la nuit qui commençoit
d'approcher , ne permit pas
qu'on avançaft davantage. On
travailla à des Logemens fur la
Rondelle , & dans les autres Poftes
que l'on avoit occupez . L'Electeur
de Baviere fe tint expofé
au feu pendant toute l'action . Il
vifita tous les Poftes , & alla par
tout donner les ordres qu'il jugea
utiles pour la feureté & pour la
perfection du travail. Non feulement
il animoit les Soldats par
fa prefence , mais il les engageoit
à continuer de bien faire en leur
donnant des marques de fa liberali
F34
Histoire du Siege
ralité . Le Prince Louis de Bade
fit paroiftre auffi beaucoup d'intrepidité
, & demeura expofé
aux coups pendant toute l'efcarmouche
, afin qu'on apprift par
fon exemple à méprifer le peril.
Le Prince de Neubourg, le Prince
Eugene de Savoye , & plufieurs
autres Generaux montrerent
de leur cofté toute la bravoure
qui pouvoit donner un
nouveau courage aux Attaquans,
& la fermeté avec laquelle ils les
voyoient foûtenir le grand feu
des Ennemis , fervit beaucoup à
leur faire remporter les avantages
qu'ils eurent en cette journée.
Ce que firent les Heiduques
ne fut pas confiderable. Auffi ne
faifoient- ils qu'une fauffe attaque
afin d'attirer les Ennemis de
ce cofté- là . Ils y trouverent les
Poftes tres -bien garnis , à caufe
que
de Bude..
135
*
que c'eftoit l'endroit où te Magafin
avoit fauté , & par confequent
le plus découvert. L'affaut:
dura trois heures avec grand
perte du côté des Affiegeans . Ils .
eurent prés de deux mille hom .
mes tuez ou bleffez , fans un fort
grand nombre d'autres qui furent
brûlez ou enterrez par les
mines. Le Prince Charles fut
atteint legerement d'un coup de
pierre à la jambe , & le Sieur
d'Artein fon Ayde de Camp general
de ce Prince , fut tué auprés
de luy. Le Duc de Croy qui
n'avoit receu d'abord qu'une
bleffure peu confiderable , receut
enfuite un coup de Moufquet qui
luy perça le genoüil . Le Duc de
Curland Colonel dans les Troudes
de Brandebourg , fut bleffé
dangereufement , auffi bien que
le Comte Schileck, & le Marquis
Sa
136
Hiftoire
du Siege
,
Sanati . Le General Major de
Thingen le fut mortellement à la
teſte. Le Baron d'Afti qui n'eſtoit
pas encore guery d'une bleffure
qu'il avoit receu e deux jours auparavant
, eut les deux cuiffes
percées , & le Baron de Welbersheim
, les deux bras caffez . Le
Prince de Comercy qui s'eft
toûjours fignalé dans les occafions
où il y avoit le plus de peril
à effuyer , receut auffi une legere
bleffure. Les autres bleffez
dont on a pû jufqu'icy fçavoir les
noms , furent le Duc de Scalona ,
le General Major Diepenthal , le
Comte & le Chevalier d'Apremont
, Freres , le Colonel Goeling
; le Comte d'Archinto ; le
Comte Zacco Sergent Major , le
Lieutenant Colonel Rotten ; le
Comte de Saur ; le Sieur Reder,
Lieutenant Colonel du Regiment
de Bude 137
ment de Neubourg . Le Sergent-
Major Pini , le Marquis de la
Verne , le General Rummel , le
Baron de Welberg , Lieutenant
Colonel de Beck , avec plufieurs
Officiers de ce mefme Regiment:
le Comte de Palfi , Lieutenant
Colonel ; le Baron d'Aversberg,
le Sergent Major , un Capitaine
& un Lieutenant de Staremberg,
& plufieurs autres Officiers
des Regimens de Bade , de Beck,
de Steinau, de Rummel , de Selbolftoff,
de Gallensfels , & autres.
Le Comte de Dona , & le Sergent
Major de Marwitz , furent
tuez à l'attaque de Brandebourg.
Le 28. on dreffa une Batterie
fur la Rondelle du milieu , dont
les Imperiaux s'eftoient rendus
maiſtres à l'Attaque de Lorraine ,
& l'on applanit les bréches , afin
d'y
138 Hiftoire du Siege
d'y pouvoir guinder l'Artillerie .
On travailla à perfectionner les
Lignes de communication des
logemens , & l'on pourfuivit le
travail de trois Mines , qui avoient
efté commencées fous la
feconde Muraille incontinent aprés
l'Affaut du jour précedent.
Le Mineur fut attaché en deux
endroits de cette mefme Muraille.
Ceux de Brandebourg tirerent
une Ligne paralelle à cette
Attaque .
Le 29. on fit fauter deux mines
à l'Attaque de Lorraine. Il y
en eut une qui renverfa quinze
toifes de maçonnerie dans le Foffé
. Elle ne laifferent pas de caufer
du dommage aux Affiegeans ,
puis que deux Capitaines des
Troupes de Brandebourg , & environ
cinquante Fantaffins , la
plufpart des mefmes Troupes.
£u
de Bude.
139
furent enterrez fous leur debris .
Une Batterie de trois pieces de
Canon fut achevée ce jour - là à
la mefine Attaque . Quelques Armeniens
fugitifs vinrent avertir
que plus de mille perfonnes , hommes
, femmes & enfans , avoient
efté tuez dans la Place le jour
qu'on avoit donné l'Affaut ; qu'une
grande quantité avoient voulu
fe fauver du cofté de la Ri
viere , mais qu'ils y avoient trouvé
tous les Bateaux enchaifnez;
que la Garnifon n'eftoit plus que
de mille Combattans , & que le
Muphti les exhortoit inceffammet
à fe rédre,mais que le Bacha
les animoit à refifter jufqu'au
bout par l'efperance du fecours
qu'il attendoit ; qu'il y avoit par
tout des Retranchemens & des
Coupures , & qu'à la derniere
extremité il avoit efté refolus
qu'on
140 Hiftoire du Siege
qu'on mettroit le feu aux Magagafins
, pour faire fauter la Ville
avec tous ceux qui fe trouveroient
dedans. La nuit , les Bavarois
avancerent environ de quarante
pas dans la Rondelle du
Chafteau , en tirant du cofté de
la Riviere , avec perte de cinquante
hommes , & ils y firent
mener deux pieces de Canon,afin
d'élargir la bréche de la feconde
Muraille .
Le 30. le Comte de Souches
& le Comte de Lodron ,Major de
Cavalerie , monterent la Tranchée
. Ce dernier avoit efté nommé
pour la relever , aina que le
Comte de Stirum , auffi Major de
Cavalerie , parce qu'il n'y avoit
plus que le Comte de Nigrelli ,
Major general d'Infanterie , qui
puft fervir. On fit jouër ce jourlà
une troifiéme Mine à l'Attaque
de Bude. 141
que de Lorraine , & deux à l'Attaque
de Baviere, qui firent affez
d'effet. Cependant le Prince
Charles jugeant qu'il y alloit du
fervice de l'Empereur de ne pas
expofer la Ville à l'affaut & au
pillage , envoya une ſeconde fois
fommer le Commandant de fe
rendre. Comme il eftoit déja
tard , les Affiegez prierent les Députez
d'attendre jufqu'au lendemain
la réponſe qu'ils leur demandoient
, parce qu'il falloit affembler
le Confeil fur une affaire
d'une fi grande importance.
Le 31. le Prince Eugene de
Savoye & un Interprete allerent
à la Porte de la Ville , où aprés
qu'on les eut fait attendre une
heure & demie , on leur apporta
deux Lettres du Commandant,
l'une adreffée au Prince Charles,
&
142 Hiftoire du Siege
& l'autre à l'Electeur de Baviere .
Elles contenoient , que la confervation
de Bude , qui eftoit la clef
de Conftantinople & de Jerufalem,
eftoit d'une telle confequence
pour les Ottomans , qu'il ne
pouvoit fe refoudre à la remettre
entre les mains des Chreftiens
mais qu'on n'avoit qu'à
choifir une autre Ville , & qu'il
eftoit preſt à la donner , efperant
par là qu'on luy voudroit bien
accorder la Paix . Ce mefme jour
le premier Capitaine d'Artillerie
eut le bras percé , & le Comte de
Staremberg , en reconnoiffant la
bréche, receut un coup de Moufquet
qui luy emporta un doigt,
& le bleffa à l'épaule . La fièvre
qui luy furvint , accompagnée
d'une diffenterie , l'obligea de fe
faire tranfporter à Comore , où le
Prince de Vaudemont , qu'une
vio
de Bude.
143
violente maladie avoit forcé de
quitter le Camp , eftoit déja depuis
quelques jours. Sur les huit
heures du foir , les Affiegez qui
n'avoient point eu de réponſe,
envoyerent deux Agas au Prince
Charles , & emmenerent avec
eux le Baron de Crentz , Ayde
de Camp du Prince Louis de
Bade , & un Interprete. On crut
que le Commandant avoit deffein
de capituler , mais toute la
negociation aboutit encore à dire
, qu'il feroit livrer telle Ville
qu'on voudroit fi on levoit le
Siege de Bude , ou qu'il rendroit
cette Place pourveu qu'on fift
une Paix generale avec l'Empire
Ottoman . Le Prince Charles
voyant que l'on n'avoit point
d'autres propofitions à luy faire,
renvoya les deux Agas , & rappella
les Oftages. Ils dirent qu'on
les
144 Hiftoire du Siege
les avoit receus fort civilement,
& qu'à leur départ ils avoient
veu beaucoup de confternation
dans la Ville. On fceut ce jour
là que l'Aga des Janiffaires eftoit
mort des bleffures qu'il avoit receues
à l'Affaut du 27. & qu'il y
avoit plus de deux mille hommes
des Ennernis bleffez ou malades.
Le premier jour d'Aouft les
Imperiaux firent jouër une Mine
qui eut un tres - bon effet. Elle fit
bréche dans la feconde Muraille,
& ébranla mefme la troifiéme , ce
qui obligea les Affiegez d'y accourir
en grand nombre. Les
Bavarois profiterent de ce moment
pour attaquer le Chafteau .
Ils y entrerent , mais ils ne purent
fe maintenir dans le logement
qu'ils y avoient commencé.
Le Marquis de la Vergne,
Gene
de Bude . 145
General Major , receut deux
coups de Fléches , dont l'un luy
perça le bras & l'autre la cuiffe .
Le Lieutenant Colonel de l'Artillerie
en receut un autre au ventre.
Quatre Fugitifs vinrent a-,
vertir que les Affiegez travailloient
à une Mine pour faire fauter
la grande Rondelle dont les
Imperiaux s'eftoient emparez. Le
General Dunewald arriva au
Camp avec la Cavalerie qu'il
commandoit aux environs de
Stulweiſembourg.
Le 2. le Comte Caraffa , Major
General, & le General Heufler
, arriverent auffi au Camp,
avec un Corps de quatre mille
hommes qu'ils commandoient
dans la haute Hongrie du cofté
de Zolnoch , & ils prirent leurs
poftes au delà du Danube , où
deux mille Hongrois comman-
G
146
Hiftoire du Siege
dez par le Comte Budiani les
joignirent . La nuit on travailla
aux Lignes de circonvallation
, pour arrefter le fecours des
Ennemis.
Le 3. on vit paroiftre des Avant-
coureurs de l'Armée des
Infidelles, & les Affiegez firet une
falve de tous leurs Canons . Comme
on s'eftoit difpofé à donner
un troifiéme Affaut , les Affiegeans
firent jouer une Mine , mais
elle n'eut pas l'effet qu'on en avoit
eſperé , & la bréche ne s'êtant
pas trouvée affez profonde,
le Prince Charles envoya dire à
l'Electeur de Baviere qu'il ne jugeoit
pas à propos de donner
l'Affaut. Les Troupes de cet Electeur
ne laifferent pas d'y monter
, foit que l'ardeur qui les ani
moit leur fift avancer l'heure du
Combat , foit qu'elles euffent
pris
de Bude.
147
-
pris le bruit de la Mine pour le
Signal dont on étoit convenu . Le
Prince Charles qui en eut avis
fit donner l'attaque de fon cofté .
Les Affiegez au nombre de plus
de deux cens , fe montrerent fur
la Bréche , le Sabre à la main , &
le corps tout découvert. Les Femmes
& les Enfans y parurent
mefme tirant des Fléches , &
faifant rouler des pierres. Il y
eut beaucoup de vigueur de part
& d'autre , & la refiftance fut
telle du cofté des Ennemis , que
tout ce que purent faire les Imperiaux
, ce fut d'avancer leurs
Logemens jufqu'au pied de la
troifiéme muraille. Ils eurent plus
de deux cens hommes tuez ou
bleffez. Les Bavarois fe faifirent
de deux ouvrages , où ils trouverent
du Canon & des Mortiers ;
mais ce ne fut pas fans perdre
G
11
148 Hiftoire du Siege
beaucoup de monde . Le Prince
de Bade receut une contufion
d'une Balle de Moufquet qui luy
perça le Ceinturon & le Jufte
au corps par derriere , & le Prince
Eugene eut un coup de Fléche
, dont le fer luy entra entierement
dans la main . Le Comte
de Caunits , Lieutenant Colonel
du Regiment de Metternich , le
Comte Hermeftein Lieutenant
Colonel de Souches , le Sieur de
Breffey , Gentilhomme Bourguignon
, Major du Regiment de
Grana , & le Major du Regiment
de la Vergne, furent bleffez à l'attaque
des Imperiaux avec plufieurs
autres Officiers. Il y eut un
jeune Comte de Staremberg tué
au commencement de cet Allaut.
Le Chevalier Huberti , Capitaine
des Gardes de l'Electeur de
Baviere , fut bleffé à l'attaque des
Ba
de Bude. 149
Bavarois avec quelques Officiers,
qui ne pûrent obliger les Fantaffins
à les fuivre , tant ils eftoient
rebutez par le feu des Ennemis,
& par les Bombes , Pierres & Grenades
qu'ils jettoient fur eux du
haut du Chateau.
Le 4. on continua de, canonner
& de bombarder la Ville , &
Fon eut avis que l'Armée Ottomane
s'approchoit . On acheva
les deux logemens à droit & à
gauche de la grande Rondelle,
& l'on conduifit quatre pieces
de Canon fur la bréche . On mit
plufieurs rangs de Pali ffades, dont
on fortifia les Travaux , que l'on
avança fort prés des Retranchemens
des Affiegez . Le Prince
Charles employa ce jour à vifiter
tous les Poftes , & à difpofer tout
ce qu'il crut neceffaire pour
eftre en eftat d'aller au devant
G iij
150 Hiftoire du Siege
de l'Armée des Ennemis.
l'Ar-
Le 5. on ne fit que travailler
aux Lignes de circonvallation, &
de contrevallation , & à des Redoutes.
On travailla auffi à des
Mines, à de nouvelles Bateries, &
à combler le Foffé à l'Attaque des
Imperiaux . On eut avis que
mée des Ottomans s'avançoit
toûjours , & que le Grand Vifir
la commandoit en perfonne. On
détacha auffi- toft differens partis ,
afin d'en avoir des nouvelles affeurées
; & cependant la garde
fut redoublée dans tous les Pofles
. Les Affiegez jetterent quantité
de Bombes. Il y en eut une
qui tomba à trois pas du Prince
Charles proche les Bateries des
Imperiaux. Elle mit le feu à
quelques barils de poudre , tua
vingt Canonniers ou Soldats , &
en bleffa plufieurs autres. Pendant
de Bude. 151
dant la nuit les Affiegez firent
defcendre un Batteau chargé de
monde & de meubles,ce qui obligea
de faire un Pont prés de Pefty
pour empefcher que la mefme
chofe n'arrivaft encore , & pour
avoir le fourage plus commodement.
Le 6. les Huffars , après avoir
battu un Party de trente Turcs,
qui s'eftoient détachez pour donner
quelques avis au Bacha de
Bude , amenerent quatre Prifonniers
, par lesquels on fçeut qu'il y
avoit une Armée de vingt mille
hommes du cofté de Stulweiſembourg,
fous le commandement du
Seraskier , & que le Grand Vifir
devoit fuivre avec une Armée de
trente mille hommes, & quarante
pieces de Canon . Le Prince Charles
donna auffi toft fes ordres
pour faire tranſporter les Mala-
Güij
152 Hiftoire du Siege
des , les Bleffez , & tout le bagage
fuperflu dans l'Ifle de S. André;
l'on travailla avec toute la diligence
poffible à perfectionner les
Ouvrages neceffaires pour mettre
le Camp en feureté , & pour
empefcher que les Ennemis ne
fecouruffent la Place . Les Bavarois
firent jouer un Fourneau qui
réüffit affez bien . Il y en avoit encore
un autre mais les Mineurs
ayant rencontré ceux de la Ville,
ne le pûrent achever.
,
Le 7. comme on fe trouvoit
fort incommodé d'une Batterie
que les Affiegez avoient derriere
la petite Rondelle , on en dref
fa une de deux . Canons pour la
démonter . Elle fit l'effet qu'on
en avoit attendu . Les , Bavarois
en firent
firent jouer une nouvelle ,
qui eftoit auffi de deux pieces
de Canon. Ils l'avoient dreffée fur
un
de Bude.
153
un échafaut bien élevé au bout
de la premiere muraille de la
Rondelle , pour abatre le Chafteau
. La nuit, on tâcha de combler
le Foffé avec des fafcines,
mais tout ce qu'on y jetta fut confumé
par des fléches ardentes que
tirerent les Affiegez , & qui y mirent
le feu. Sur le midy on fceut
par des Prifonniers que toute l'Armée
Ottomane devoit s'affembler
le lendemain devant Albe Royale.
On vint dire le foir qu'il y en
avoit partie arrivé à une lieuë du
Camp , du cofté du Chateau où
eftoit l'Attaque des Bavarois.Cela
obligea le Prince Charles à changer
fon Camp. Il fit occuper les
hauteurs & les vallons qui environnent
la Place , & nomma les
Regimens que l'on devoit envoyer
au devant des Ennemis, &
ceux qui demeureroient pour
G V
154 Hiftoire du Siege
continuer le Siege. On eut avis
ce jour là que le General Schults
eftoit mort. Il commandoit un
Camp- volant entre la Save & la
Drave.
Le 8. à la pointe du jour , trois
mille Turcs & Tartares parurent
fur une hauteur. Ils enleverent
deux Gardes avancées de douze
hommes chacune , & aprés avoir
efcarmouché avec les Huffars,
ils fe retirerent fur le midy. Cent
cinquante Hongrois qui avoient
efté détachez pour reconnoiftre
l'Armée des Infidelles , & qui
revenoient au Camp avec quelques
Prifonniers , tomberent entre
leurs mains , & en furent taillez
en pieces , à la referve de
quelques- uns qui en apporterent
la nouvelle. Ce mefme jour
les Affiegez ayant ouvert la Porte
du Chafteau , on fit un déta
de Bude.
155
tachement à l'attaque de Baviere
, pour s'avancer de ce coſtélà.
On en vit un fort grand nombre
le fabre à la main derriere
leurs retranchemens , & ils jetterent
tant de Grenades, qu'on fut
obligé de fe retirer , avec perte
de foixante hommes. On continua
de mettre les Lignes de Circonvalation
en défenfe , en les
fortifiant avec des Redoutes , fur
lofquelles on plaça quelques pieces
de Campagne.Douze hommes.
furent tuéz ou bleffez à une Batterie
à laquelle on travailloit depuis
plufieurs jours , & que les
Bombes des Ennemis ruinerent.
&
Le 9. les Tartares & les Turcs
revinrent fur le midy le long de
la Montagne vis à vis le Camp
de l'Electeur de Baviere
pafferent tout le jour à efcarmoucher.
Quoy qu'ils ne fuffent
pas,
156
Hiftoire
du Siege
pas en affez grand nombre pour
forcer les Lignes, ils ne laifferent
pas d'incommoder , parce qu'on
fut obligé de fe tenir toûjours
fous les Armes. Une Bombe des
Affiegez tomba à l'Attaque des
Imperiaux au milieu de plus
de mille Grenades . Elle mit le
feu à quelques unes dont quatre
ou cinq Moufquetaires furent
tuez. Le Comte d'Archinto
fut bleffé legerement. On pour
fuivit le travail des Mines que
l'on deftinoit à renverfer la feconde
muraille, & les retranchemens
des Paliffades dont les Ennemis
avoient reparé les brèches,
& les Heiduques furent employez
à faire des Fafcines & des
Sacs à terre , pour en remplir les
Foffez, qui eftoient de la hauteurde
deux piques .
Le 10. les Affiegez firent une
for
de Bude. 157
fique
fortie à l'Attaque des Bavarois,
& couperent la tefte à quarante
hommes qu'ils trouverent dans la
Rondelle du Chateau. Un gros
de Turcs au nombre de douze
ou quinze cens , s'approcha du
Camp , mais ils n'eurent pas
toft aperceu un détachement.
commandoit le General Dunewald,
qu'ils prirent la fuite .Trente
Huffarts ayant rencontré
quarante
Turcs, les combatirent . Ils.
en tuerent fix , & firent cinq
Prifonniers , parmy lefquels eftoit
un Aga , qui ayant efté déja pris
il y a quelques années , avoit
payé huit mille écus de rançon.
Ils dirent que le Seraskier avoit
ordre de fecourir Bude à quelque
prix que ce fuft ; mais qu'ils
croyoient que l'on auroit peine
à l'engager au Combat .. Un Efpion
vint donner avis que l'Armée
158 Hiftoire du Siege
mée Otomane, compolée de plus
de foixante mille hommes , eftoit
campée le long du Danube à
trois lieues des Affiegeans. Il dit
qu'il avoit efté la reconnoiftre en
habit de Tartare , que le Serafkier
la commandoit , qu'elle occupoit
deux lieues d'étendue, &
que le grand Vifir eftoit demeuré
derriere avec mille hommes
qu'il avoit retenus pour le
garder.
La Ligne de communication
de l'attaque des Bavarois avec
celle des Imperiaux fut achevée
, & un Foffé profond que
l'on fit avec des bons épaulemens,
mit leur Quartier hors d'eftat
d'eftre infulté par les Ennemis.
Le 11. deux mille Chevaux
Turcs parurent fur la hauteur vis
à vis de l'Attaque de Baviere.
Quelques Efcadrons furent dé
tachez pour les aller reconnoitre.
de Bude.
159
tre. Il y eut une Efcarmouche
dans laquelle
le Prince
Charles
de Neubourg
eut un Cheval
tué
fous luy ; mais les Infidelles
commencerent
à defcendre
en fi grad
nombre
qu'il fut impoffible
de
les fouftenir
. Ainfi il falut fe retirer,
& fe contenter
de faire fur
eux un feu continuel
de Canon .
Trois Mines
furent
miſes en état
de jouer le lendemain
. La plus
grande
avoit huit Chambres
, &
leur charge
eftoit de cinq milliers
de poudre
. Comme
on avoit
refolu
d'aller
à l'Affaut
fi elles
réuffiffoient
, le Prince
Charles
commanda
trois mille hommes
de pied avec quinze
cens Chevaux
ou Dragons
, pour les foûtenir
. Le Comte
Petnehafi
arriva
au Camp
avec trois mille
Hongrois
,
Le 12. on fit jouer les trois Mines,
160
Hiftoire du Siege
nes, dont la plus grande n'eut aucun
effet , ce qui fit croire qu'el
le avoit efté découverte, & qu'on
en avoit tiré les poudres. Les
deux autres ne firent qu'une ouverture
pour dix hommes de
front , encore n'eut- elle pas efté
pluftoft faite que les Affiegez la
reboucherent par le moyen des
chevaux de frife , de forte que
l'on ne jugea pas qu'on d'euft
hazerder l'affaut ,
, quoy qu'on s'y
fuft déja difpofé . On fit retirer
les detachemens , & les Mineurs
eurent ordre de commencer un
nouveau travail . Les Mines jettérent
dans la Tranchée quantité
de pierres , dont plufieurs des
Affiegeans furent bleffez ,entr'autres
le Prince de Wirtemberg , le
Comte de Ridberg , & les Lieutenans
Colonels des Regimens de
Lodron de Neubourg. L'Armée
des
de Bude. 161
des Infidelles vint camper fur le
haut d'une Montagne qui n'étoit
pas fort éloignée des Lignes.
Ceux qu'on avoit envoyez pour
s'en informer,rapporterent qu'elle
eftoit de cinquante mille hommes
avec du Canon .
Le 13. les Affiegez firent une
fortie à cheval fur la grande Garde
des Imperiaux ,dont ils tuerent
douze hommes , & emmenerent
quatre Prifonniers qu'ils firent .
Le Comte de Colonitz , Page du
Prince Charles , & un Trompette
de l'Electeur de Baviere , eurent
la tefte coupée dans cette
efcarmouche. Les Turcs parurent
en bataille devat leur Camp,
& comme ils firent defcendre une
partie de leur Armée, on crut
qu'ils avoiet envie de döner combat.
Cela obligea le Prince Charles,
quidésle jour precedent avoit
fait
162
Hiftoire du Siege
fait fortir des Lignes toute la Cavalerie
, Dragons , Huffars , &
Croates,d'en faire auffi fortir l'Infanterie
, à la referve de vingt
mille hommes ,aufquels il en confia
la garde , & celle des trois attaques.
On forma deux Efcadrons
de la plupart des Volontaires , &
deux mille Heiduques , & un pareil
nombre de Hongrois , furent
commandez pour faire l'avantgarde
de l'Armee , & pour venir
les premiers aux mains fi les
Turcs vouloient entreprendre
quelque chofe. Ceux qu'on avoit
veus d'abord ne tenterent rien,
& fe retirerent le foir dans leur
Camp.
Le 14 dés fix heures du matin
, on s'apperceut qu'ils avoient
formé un corps de trois mille Janiffaires
& d'environ 5000. Chevaux
, qui devoit fervir d'avantgarde,
de Bude.
163
que
garde à leur Armée , tandis
le refte demeureroit derriere rangé
en bataille pour les fouftenir.
On apprit que leur deſſein eftoit
de faire paffer les trois mille Janiffaires
entre le quartier des Imperiaux
, & celuy de Brandebourg,
& que pendant l'action les Affiegez
devoient faire une Sortie
pour leur faciliter le paffage, &
leur donner moyen d'entrer dans
la Ville.En meſme temps le Prince
Charles commanda le Comte
de Dunewald pour former l'aifle
gauche de la Bataille avec neuf
Kegimens Imperiaux , qui furent
ceux de Caprara , Palfi , Taff, Lodron
, Neubourg , Furftemberg,
Stirum , Serau, & Schultz , & huit
cens Huffars. Le General Heufler
eut la droite avec un pareil
nombre de Regimens , tant Imperiaux
& Bavarois, que de ceux
de
164 Hiftoire du Siege
de Saxe & de Brandebourg , qui
occuperent une hauteur dont le
terrein leur eftoit avantageux, &
d'où tous les mouvemens des Ennemis
pouvoient eftre décou
verts . Le gros de l'Armée eftoit
difpofé en fort bon ordre , &
dans une diſtance de terrein- qui
luy donnoit facilité de charger
tout ce qui s'avanceroit pour fecourir
Bude. Les huit mille Janiffaires
& Spahis qui devoient
forcer les Lignes, après avoir voltigé
derriere les hauteurs pendant
deux heures , prirent leur
marche entre ces mefmes hauteurs
, & rencontrerent d'abord
les quatre mille hommes de l'Avantgarde
, qui furent rompus au
premier choc. Le Baron de Mercy
les voyant plier , ſe mit à la
tefte du Regiment de Schultz
pour les fouftenir , & en faifant
fermé,
de Bude. 165
>
ferme , il donna le temps au
Comte de Dunewald d'avancer
avec les Regimens de Taff , de
Lodron , & autres. Ce fut alors
que l'on vint à un Combat tresrude
& tres - opiniaftré . Les
Infidelles furent chargez avec
toute la vigueur poffible , & ces
Regimens faifant leurs decharges
à propos , renverferent
leur
Cavalerie qui prit la fuite & abandonna
les Janiffaires. Il y en
eut deux mille de tuez . Chacun
d'eux portoit quatre à cinq Grenades
, & ils avoient tous , les uns
des haches , les autres des pelles
pour rompre les Lignes & les
applanir s'ils euffent pu aller jufques-
là. On prit huit pieces de
Canon , quarante Etendarts , &
fon fit quatre à cinq cens Prifonniers.
Aprés le Combat , les
Infidelles firent divers mouvemens
166
Hiftoire du Siege
mens en s'avançant dans la Plaine
oppofée au Čamp de l'Electeur
de Baviere , qui ayant fait
auffi fortir fon Armée des Lignes
, la tenoit en ordre de Bataille.
Il fut refolu dans un Confeil
general qui fe tint , qu'on iroit
les attaquer , ce qui fut executé
par cet Electeur , mais ſe voyant
pourfuivis ils fe retirerent dans
leur Camp.Le Comte de Dunewald
, & le General Heufler , qui
s'étoient avacez avec les Huffars
par de là les hauteurs , rencontrerent
un gros de Spahis , que
les Ennemis avoient laiffé pour
couvrir leur retraite. Ils en tuerent
prés de deux cens , & en
firent trente Prifonniers. Il n'y
eut qu'environ cent hommes tuez
du cofté des Imperiaux , entre
lefquels fe trouvèrent le Comte
de Lodron , Lieutenant Colonel
de Bude. 167
nel du Regiment de Croates de
ce nom , & le Major du Regiment
de Caprara On fceut que
les Tures avoient perdu plus de
quatre mille hommes , fans un
fort grand nombre de bleffez, &
qu'ils eftoient d'autant plus touchez
de cette perte , que les Janiffaires
qui avoient eſté tuez
eftoient l'élite de leurs Troupes,
& que c'eftoit par eux principalement
qu'ils s'eftoient flatez
de pouvoir jetter du fecours dans
Bude. Les Affiegez firent une
fortie pendant le Combat , mais
ils furent fi vigoureufement repouffez
, qu'ils tarderent peu à
fe retirer. L'Armée Imperiale
eſtant retournée dans ſon Camp ,
& celle de l'Electeur de Baviere
dans le fien , on fit une falve de
tout le Canon des trois Attaques.
On expofa fur des Piques
plu
168
Hiftoire du Siege
plufieurs teftes de ceux qui avoient
efté tuez dans le Combat
, & l'on planta fur la brêche
les Drapeaux gagnez , afin que
les Affiegez ne puffent douter
de la Victoire qu'on venoit de
remporter. La nuit on furprit
deux Efpions avec des lettres
pour le Grand Vifir. Le Bacha
de Bude luy mandoit qu'il avoit
beſoin d'un prompt fecours , &
qu'il falloit fe fervir de la nuit
pour enfoncer les Lignes des Affiegeans
; que pour luy il s'eftoit
retranché dans la Ville , mais
qu'ils eftoient trop avancez pour
leur pouvoir refiſter.
Le 15. on connut que les
Ennemis avoient decampé , &
qu'ils s'eftoient éloignez de deux
lieuës. Le Prince Charles ordonna
qu'on fift enterrer les
Morts qui eftoient demeurez
dans
de Bude.
169
dans le Champ de Bataille , afin
qu'ils n'infectaffent point l'air, &
aprés avoir envoyé aux Affiegez
un des Prifonniers qu'on avoit
faits , pour les informer de
l'heureux fuccez du jour precedent
, qui les devoit empefcher
d'efperer aucun fecours , il fit
partir le Comte de Lamberg
pour aller fommer la Ville , mais
il ne fut pas pluſtoſt arrivé à la
porte , qu'ils commencerent à
tirer fur luy , de forte qu'il fut
obligé de fe retirer . Le foir,
on apprit par un Transfuge que
trois Bachas eftoient demeurez
au dernier Combat que le
Grand Vifir avoit fait couper
la tefte à un autre , & qu'at- '
tribuant au Seraskier le mauvais
fuccez de cette journée , il
l'avoit infulté avec toutes for-
H
>
170 Hiftoire du Siege
tes de marques de, mépris & de
colere.
Le 16. les Affiegez firent joier
une Mine à l'Attaque des imperiaux
, & fortirent en mefme
temps pour tâcher de profiter de
la confufion où ils croyoient les
trouver dans leurs Tranchées,
mas ils connurent que leur Mine
n'avoit eu aucun effet , & fe retirerent
avec quelque perte . Les
Imperiaux mirent le feu aux Paliffades
de la brêche , & en brû
lerent une partie , mais les Affiegez
en remirent d'autres pendant
la nuit. On s'apperceut
qu'il y en avoit un double rang
derriere les premieres , & qu'ils
les avoient moüillées , afin d'empefcher
que celles qui eftoient
en feu ne les confumaffent.Cinq
Polonois qui vinrent ſe rendre,
rapporterent que les Jani ffaires
avoient
de Bude. 171
avoient declaré qu'ils ne vouloient
plus aller au Combat, parce
que la Cavalerie les abandonnoit
toûjours dans le peril. Ils
ajoûterent que le Grand Vifir en
avoit fait mourir quelques - uns
pour remettre les autres dans l'obeillance.
Le 17. une Mine des Affiegeans
fut éventée à l'Attaque des
Imperiaux. Un Transfuge rapporta
que le foir qu'on avoit brulé
les Paliffades , prés de cent
Turcs avoient été bleffez ou tuez
par les Bombes qu'ils y avoient
enterrées , & aufquelles ils auroient
mis le feu , fi Ton euſt
monté à l'affaut ; qu'il ne reftoit
dans la Ville qu'environ mille
hommes capables de porter les
armes , mais que chacun eftoit
refolu de fe défendre jufqu'à la
derniere goute de fon fang. Six
.
H ij
172 Hiftoire du Siege
Fantaffins qui avoient merité la
mort , monterent par ordre de
l'Electeur de Baviere au haut du
Chafteau pour en découvrir le
dedans , mais les Affiegez qui les
découvrirent les firent defcendre
trop toft. La nuit , trente
Volontaires qui s'eftoient détachez
voulurent mettre le feu aux
Paliffades qui défendoient la
brêche de la derniere enceinte
de la Place , mais il y avoit des
poudres répandues aux environs
qui en brûlerent quelquesuns
, & les Affiegez en tuerent
quelques autres , de forte qu'ils
ne purent executer leur def
fein.
Le 18. deux Polonois qui s'étoient
fauvez de l'Armée des
Turcs, rapporterent que le Grand
Vifir avoit promis trente écus
à chacun des Janiffaires qui
pour
de Bude.
173
pourroient forcer les Lignes &
fe jetter dans la Place , qu'ils s'étoient
mis en marche au nombre
de deux mille avec quantité
de Tartares , pour aller gagner
les Montagnes qui regardent la
Ville- baffe , que c'eftoit par là
que les Ennemis pretendoient
faire entrer dans Bude le fecours
que le Commandant continuoit
de preffer , & qu'ayant un Pont
à cinq lieues du Camp des Chrétiens,
ils avoient envoyé du monde
en de là du Danube pour
faire diverfion. Oń fit jouer une
Mine à l'Attaque des Imperiaux
, &le peu de ffuucccceezz qu'elle
eut , obligea de differer l'Affaut
general , & de retirer les
détachemens que l'on avoit faits
à ce deffein. La nuit , on refolut
de nouveau de brûler les Paliffades
, & trois cens hommes
-
Hiij
174 Hiftoire du Siege
furent commandez pour cela ,
mais il n'y eut qu'un fort petit
nombre de Grenadiers qui monterent.
Le grand feu que firent
les Affiegez , & la quantité de
Grenades & de Sacs à poudre
qu'ils jetterent , épouvanterent
fi fort les Moufquetaires qui les
devoient fouftenir , qu'une partie
fe cacha , en forte que les
Officiers s'avancerent prefque
feuls.
Le 19.les Imperiaux tâcherent
de fe pofter fur la petite Rondelle
de la feconde muraille,mais
la refiftance qu'ils trouverent les
en empefcha . Ils eurent prés
de quarante hommes tuez , ou
bleffez. On fut averty par un
Transfuge que le Grand Vifir
avoit commencé de fe mettre
en marche pour revenir vers le
Camp des Affiegeans mais
qu'ayant
de Bude.
175
qu'ayant appris d'un Deferteur
qu'il leur eftoit arrivé un corps
de dix mille hommes , cette nouvelle
l'avoit obligé de retourner
fur fes pas , & que vingt - cinq
mille Tartares eftoient au de- là
du Danube peur tâcher d'y faire
diverfion.
Le 20. à la pointe du jour,
pendant que l'Armée Ottomane
venoit le mettre en Bataille devant
le Camp de- l'Electeur de
Baviere , deux mille Janitaires
qui s'eftoient tenus cachez la
nuit , defcendirent par le grand
Vallon aprés que le Biouac fe fut
retiré , & ils paffetent les Lignes.
de circonvallation que l'on n'avoit
pû laiffer garnies faute de
monde. Ils poufferent la grande
Garde , mais les Generaux
Caprara, & Heufler s'eftant trouvez
heureuſement à cheval , y
Hij
176
Hiftoire du Siege
accoururent. Ils couperent ceux
qui avoient déja forcé les retranchemens
, & les taillerent en pieces
, mais toute leur refiftance,
quoyque des plus vigoureuſes ,
n'empefcha pas que prés de trois
cens ne paffaffent dans la Place,
le refte fut repouffé hors du
Camp. On fit trois cens Prifonniers
, & il y en eut beaucoup
de tuez. Le Sieur Sentini Chevalier
de Malte , & Capitaine
de Cavalerie dans les Troupes
de Baviere , s'eftant trop avancé
pour reconnoiftre les Ennemis,
fut fait prifonnier. Le Comte
de Konigfmark Lieutenant Cólonel
de Beck fut tué , & le General
Heufler bleffé au pied.
Quoy que ceux qui entrerent
dans la Ville , fuffent la plufpart
bleffez & en petit nombre , les
Affiegez ne laifferent pas de faire
de Bude.
177
re une falve de tous leurs Canons
, pour faire croire qu'il leur
eftoit arrivé un plus grand fecours.
On apprit par un Chrétien
qui s'échappa de l'Armée
des Ottomans , que le Grand Vifir
avoit fait affembler fes Troupes
,,
pour leur dire que le fecours
qu'il avoit envoyé , eftoit
entierement entré dans la Ville,
& qu'il donneroit à tous ceux
qui auroient envie de s'y jetter,
la mefme fomme qu'il avoit donnée
aux autres . L'Armée des Infidelles
fe retira à quelques lieuës
du Camp des Chreftiens .
>
Le 21. la Baterie de l'attaque
des Imperiaux qui battoit en
flanc les retranchemens des Af-
Liegez receut un fort grand
dommage du feu que fit leur Artillerie
. Elle en fut prefque entierement
démontée , ce qui fit
H v
178
Hiftoire
du Siege
qu'on augmenta le nombre des
Travailleurs pour la rétablir pen
dant la nuit.Ön redoubla auffi les
Troupes de la Tranchée , & l'on
fit un feu continuel afin d'occu
per les Ennemis. Cette même nuit
on fe prepara à donner un Affaut
au Chafteau du cofté de l'attaque
des Bavarois.
Le 22. le Prince . Charles fit
faire une fauffe Attaque , pour
faciliter par une diverfion celle
que l'Electeur de Baviere commençoit
de fon cofté. Les Turcs.
eftant accourus en grand nom.
bre fur la brêche du cofté des
Imperiaux , on fit fur eux une
décharge de Mortiers , qui leur
tuerent cent hommes , & pen
dant ce temps les Bavarois , qu'animoit
la prefence de leur Prince
, fe rendirent maiftres de la
plus grande partie du Chateau,
malgré
de Bude..
179
malgré la refiftance opiniaftre
de ceux qui le défendoient. Le
General Rummel qui commandoit
l'Attaque , fut tué d'un coup
de Moufquet dans les approches.
H fut extremement regretté .C'étoit
un Officier d'une grande experience
. On ne perdit que trente
hommes , mais plus de deux
cens furent bleffez , la plufpart
par des Sacs à poudre . Un Duc
de Saxe- Mesbourg , ayant une
Compagnie dans le Regiment
de Bade , receut deux coups de
Moufquet, dont l'un luy calla la
jambe. La nuit , les Ennemis
tacherent de repoufler les Bava-
Fois du Pofte qu'ils occupoient,
mais ils ne purent en venir
bout.
Le 23. les Affiegez firent une
Sortie fur la grande Garde des
Bavarois , mais ceux - cy les contrai
180 Hiftoire du Siege
traignirent de fe retirer , & les
pourfuivirent jufques aux portes.
Le Lieutenant Colonel d'Arco
y ayant efté tué d'un coup de
Moufquet , les Turcs emporterent
le corps dans la Ville . On
prit dans l'lfle de Sainte Marguerite
un Turc qui eftoit fortyde
Bude à la nage avec un More
, pendant un orage qui s'eftoit
élevé la nuit . Il dit que ce More
qu'on n'avoit pu arrefter , eftoit
envoyé au Grand Vifir avec
des lettres , par lesquelles le Bacha
de Bude le preffoit de luy
donner promptement un fecours
plus fort que celuy qu'il avoit re
ceu que la Ville ne pouvoit te
nir encore bien long- temps , &
que le Chafteau eftoit fur le
point d'eftre perdu . Il ajoûta ,
qu'il n'eftoit entré que deux
cens cinquante Janiffaires la
plus
de Bude. 181
plufparts bleffez , & hors de combat
, & que le Bacha en publioit
le nombre plus grand pour donner
courage à ceux de la Ville;
que les Affiegez avoient perdu
cent hommes le jour que les Bavarois
s'eftoient poſtez au haut
-du Chafteau & que le Bacha
avoit promis cinq cens écus à
ceux qui eftoient venus la nuit
pour les en chaffer , mais que celuy
qui les commandoit avoit
pris la fuite...
Le 24. les Bavarois fe fortifierent
dans les Poftes dont ils s'eftoient
emparez. Les Affiegez firent
contre eux de nouveaux efforts
mais ils furent inutiles.
Trente Soldats y furent tuez avec
le Lieutenant Colonel du Regiment
Saxon de Trautmansdorf.
L'Armée Ottomane parut de
nouveau à la veuë du Camp , &
sen
182
Hiftoire du Siege
›
s'en retourna le mefmejour à une
lieuë de là. Comme les Affiegez
avoient fait des feu pendant la
nuit, & allumé plufieurs fois de la
poudre au deffus de la grande
Rondelle , on ne douta point que
ce ne fuffent autant de Signaux
pour preffer les Turcs de faire
encore quelque tentative. Le
Prince Charles , pour prevenir
leurs deffeins , détacha fix Efca
drons, & fix Bataillons , qu'il fit
commander par le Baron de Mercy
, le Comte de Souches & le
General Heufler. Ils pafferent
toute la nuit fous les armes fans
qu'il fe fift aucun mouvement du
cofté des Infidelles. On continua
pendant cette mefme nuit , de
combler les Foffez, & d'affurer les
Travaux qui avoient eſté faits
du cofté de l'attaque de Lorrai
ne. On eut avis que le Comte de
Scherf
de Bade. 183
Scherffemberg dont on preffoit
Farrivée , eftoit auprés de Zolnoch
avec les Troupes qu'il commandoit
en Tranfilvanie, & qu'il
feroit toute la diligence poffible
pour le rendre promptement au
Camp , quoy que fon Infanterie
fuft fort fatiguée .
Le 25 deux Escadrons que l'on
avoit détachez , eurent ordre de
revenir au Camp , & les quatre
autres furent poftez au pied des
murailles. Le Prince Charles fit
fortifier les Lignes le long du Danube
, de plufieurs rangs de Paliffades,
& quatre cens Allemans
& deux cens Hongrois y furent
envoyez fous le commandement
du Baron d'Afti pour s'oppofer
au fecours , fi les Ennemis tachoient
d'en faire paffer par là.
Les Travaux que les Bavarois avoient
faits au hautdu Chafteau ,
fu
184 Hiftoire du Siege
furent entierement brûlez par les
facs à poudre, & autres Machines
à feu que les Affiegez y jetterent.
Ainfi l'on fut obligé de fe
retirer , & de fe pofter plus à la
droite. Il y eut en cette occafion
dix ou douze hommes tuez , &
plus de deux-cens bleſſez .
Le 26. le Canon des Affiegeans
ayant ruiné la face de la grande
Rondelle dont ils s'eftoient ren
dus maiftres , on y fit une maniere
de pont avec des poutres. Elles
alloient d'une muraille à l'autre,
& faifoient la communication
des Logemens . Les Ennemis firent
ce qu'ils purent pour bruler
ce Pont, mais on le garnit fi bien
de toutes les chofes qui le pou
voient garantir du feu, qu'ils furent
forcez d'abandonner ce deffen.
Il ne leur reftoit plus que
fept groffes pieces de Canon en
bat
de Bude.
185
batterie ; toutes les autres avoient
efté demontées. Un Turc fut arrêté
proche de la Ville. Il dit que
quantité de Janiffaires animez
par les promeffes du Grand Vifir,
montoient tous les jours à cheval
avec refolution de fe venir
jetter dans la Place , mais que le
courage leur manquoit , fſii toft
qu'ils découvroient le Camp des
Chreftiens.
Le 27. on terraffa le Pont de
communication , & on fit une
forte Redoute pour en defendre
la tefte . On travailla auffi à un
Logement fur la grande Rondelle.
Il fut étendu fur un terrain
uny qui donnoit paffage jufqu'à
la derniere muraille de la Ville.
Ainfi les Affiegeans n'eftoient
plus qu'à cinq ou fix pas des Ennemis
, qui tâcherent de redoubler
leur defence. Ils jetterent
quan
186 Hiftoire du Siege
quantité de feux d'artifice , fans
pouvoir endommager le Logement
qui touchoit leurs Palifades
. Un Croate Deferteur vint
avertir que les Ennemis avoient
receu un renfort de huit mille
hommes , & tiré de Stulweifembourg
huit groffes pieces de Canon
; que le Grand Viſir ayant
promis de récompenfer tous ceux
qui fe jetteroient dans la Ville,
plufieurs s'eftoient déja prefentez
, & que la nuit fuivante on
devoit venir attaquer le Camp
des Chrefliens par deux endroits .
Ce rapport fit qu'on la paffa toute
entiere fous les armes . On s'y
tint mefme le lendemain jufques
à midy , mais on ne vit que quelques
détachemens qui ne firent
que paroiftre, & fe retirerent prefque
auffi - toft.
Le 28. les Affiegeans fe fortific
de Bude.
187
1
fierent dans leur Logement, malgré
tout le feu des Affiegez qui
commença à diminuer. On ag
grandit la bréche du flanc de ce
Logement , & toutes chofes furent
heureuſement difpofées pour
reüffir dans l'affaut. La Baterie de
Suabe continua de faire grand
feu. Elle eftoit fur le panchant
de la Montagne d'où l'on tiroit
avec des Boulets enchaifnez,afin
qu'il fuft plus ailé d'abatre les
Paliffades. Ce mefme jour on
furprit on Turc qui eftoit encore
forty de la Ville à la nage . Il avoitpaffé
fous les deux Ponts , &
s'eftoit caché dans un trou au
de - là des Lignes . Il n'avoit fur
luy qu'une écharpe & un Sabre
avec une Lettre qu'il portoit à
l'Armée Turque pour l'Aga des
Janiffaires. Elle eftoit écrite par
ce
188 Histoire du Siege
celuy qui commandoit les Janiffaires
dans Bude , & n'avoit rien
de particulier , finon que l'Homme
que le Grand Vifir avoit envoyé
, eftoit entré dans la Ville,
& qu'elle eftoit fort preffe. Il fut
impoffible pendant tout le jour
de faire parler ce Turc , mais enfin
on l'intimida fi bien par les
menaces , qu'il avoüa fur le foir,
que le Commandant de Bude
l'avoit chargé de dire au Grand
Vifir, qu'il yavoit prés de quinze
jours qu'il eftoit campé devant
la Ville , & qu'il s'étonnoit que
fcachant le preffant danger où
ilfe trouvoit , il ne luy envoyat
pas un fecours confiderable ; que
les Troupes qu'il commandoit
témoignoient avoir moins de
courage que les Femmes de la
Ville , puifqu'on ne tentoit aucune
chofe , que pour luy il eftoit
re
de Bude. 189
refolu de fe défendre jufqu'à la
derniere goute de fon fang , mais
qu'il ne pouvoit répondre de la
Place s'il ne recevoit un prompt
fecours. Ce Turc ajoûta que le
Bacha luy avoit auffi donné ordre
de recommander la Ville de
Bude & l'honneur de l'Empire
Ottoman au Commandant des
Tartares ; qu'il y avoit encore
2000. hommes dans la Place , avec
quatre cens Janiffaires qui
s'y eftoient jettez le 20 que les
Affiegez s'eftoient bien retranchez
du coſté de l'Attaque des
Imperiaux ; que derriere la Paliffade
de la feconde brêche il y
avoit encore un Foffe & une autre
Paliffade , mais qu'ils n'avoient
point travaillé du cofté
du Chafteau , eſperant eſtre ſecourus.
Le 29. un Polonois vint ſe rendre
190 Hiftoire du Siege
dre le matin , & raporta que les
Infidelles devoient venir atta,
quer le Camp par trois endroits.
Peu de temps aprés , mille Spahis
& deux mille Janiffaires commandez
par deux Bachas, & foutenus
de quinze mille Tartares,
qui avoient ordre de leur faciliter
l'entrée dans la Ville, vinrent
du cofté d'Actoffen pour s'y jetter
, mais comme ils n'y trouve
rent point de paffage & qu'ils
virent qu'on faifoit fur eux une
vigoureufe décharge , ils gagnerent
une colline , d'où eftant enfuite
defcendus dans un Marais
qu'on trouve dans le Vallon , ils
furent envelopez par des Efcadrons
, à la tefte defquels eftoient
le Baron de Mercy & le General
Heufler , & par la garde des Bavarois
. Il en refta huit cens fur la
place. Ils avoient chacun trente
écus
de Bude. 191
écus qu'on leur trouva dans la
poche , le refte fut mis en fuite,
& il n'y en eut que quinze qui
purent paffer ; encore n'en entra↓
t- il que quatre dans la Ville , les
onze autres ayant eſté tuez avant
que d'y arriver. On coupa chemin
à cent Spahis , dont foixante
& feize furent paffez au fil de
l'épée par deux differentes Troupes
de celles de Brandebourg , &
quatre autres tuez dans le quar
tier du General. Le Baron de
Mercy receut trois coups de Sabre
dans cette action,un à l'épaule
, & deux à la tefte , Son Ayde
de Camp fut tué à ſes coftez .
Dans ce mefme temps les Affiegez
voulant faciliter l'entrée du
Secours , hazarderent une Sortie,
mais les Bavarois qui avoient la
garde de la Tranchée , les contraignirent
de fe retirer avec perte
192 Hiftoire du Siege
te de cinquante hommes. D'un
autre cofté l'Armée des Ennemis
vint en ordre de Bataille vers les
Lignes du Camp de Baviere ,
mais elle ne tenta rien , & le
Grand Vifir ayant veu paroiſtre
vingt cinq Efcadrons du corps
d'Armée du Comte de Scherffemberg
qui paffoient le Pont du
Danube , fous le commandement
du General Picolomini , prit le
parti de fe retirer. On gagna
trente Drapeaux, la plufpart rou
ges , les autres eftoient de differentes
couleurs. On fceut par un
Deferteur , que des trois mille
Janiffaires ou Spahis qui avoient
juré au Grand Vifir qu'ils ne reculeroient
, ny ne fuiroient point,
il n'en eftoit pas retourné plus de
cinq cens.
Le 30.quatre Chreftiens écha
pez des mains des Infidelles , fe
rendi
de Bude.
193
Jap
rendirent dans le Camp , & rapporterent
que l'Armée Ottomane
eftoit allée camper une lieuë plus
loin que la plufpart de leurs
Troupes defertoient avec les Drapeaux
, & qu'elles avoient une
grande difette de vivres . Ce mef
me jour le Comte de Scherffemberg
arriva de Tranfilvanie avec
les trois Regimens d'Infanterie ,
de Sherini , de Scherffemberg ,
de Spinola , & le refte de la Cavalerie
, fçavoir soo . Hongrois &
les Regimens de Picolomini ; de
Veterani , de Sainte Croix ; de
Magni , & de Tefvin. Celuy de
Sherini fut joint au corps de Ba
viere , & les autres allerent occu
per le terrein qui reftoit vuide
du cofté de la baffe Ville , depuis'
la droite des Imperiaux jufques
au Dambe."
Le 31 on eit avis, que fept
isque I
194 Hiftoire du Siege
mille Tartares s'eftoient avancez
vers Gran , afin d'empécher
qu'il ne defcendift des vivres
pour les Affiegeans. On entendit
mefme tirer le Canon de cette
Ville. Les Bavarois firent mener
de nouvelles Pieces fur leurs Batteries
à la place de celles qui avoient
eſté gaſtées . Les Troupes
demeurerent fous les armes toute
la nuit , fur ce que le bruit
s'eftoit répandu le foir , que l'Armée
des Infidelles s'eftoit mife
en marche pour les venir attaquer.
Le premier jour de Septembre
on ne ceffa de jetter dans la
Ville des Carcaffes & des Bombes
, & de battre les Paliffades
avec le Canon . Ce mefme jour on
tint un Confeil de Guerre , où ſe
trouverent tous les Generaux
des Troupes auxiliaires . Il fut
agité
de Bude.
195
agité fi l'on iroit attaquer le
Grand Vifir en laiffant affez de
Troupes pour continuer le Siege
, où fi on l'attendroit dans
les Lignes. Plufieurs crurent qu'il
falloit aller aux Ennemis & profiter
de la confternation où les
mettoit la perte qu'ils avoient faite,
mais l'avis contraire l'emporta
, & on refolut de donner l'affaut.
Cette reſolution fut tenuë
fecrette , & le Prince Charles fit
fortir des Lignes trente mille
hommes de Cavalerie & dix mille
d'Infanterie qu'il fit ranger en
Bataille dans la plaine oppofée
au front du terrain que les Infidelles
occupoient > comme s'il
euft eu deffein de les aller attaquer.
Il les empefchoit par là de
faire des détachemens pour le
fecours de la Place. Les Generaux
qui eurent le commande-
I ij
196
Hiftoire du Siege
ment de la Cavalerie , furent le
General Bielke , le Prince Eugene
de Savoye , & les Comtes de
la Torre & d'Arco . Le General
Steinau & le Comte d'Afpremont
commanderent l'Infanterie.
Les ordres furent enfuite
donnez pour l'affaut . Le Comte
de Souches fut commandé pour
l'Attaque de la droite, & le Comte
de Scherffemberg le fut pour
la gauche, chacun avec trois mille
chevaux choifis , & un pareil
nombre d'hommes de pied . La
marche des Volontaires , qui attendoient
ce grand jour avec une
extreme impatience , fut ordonnée
entre les deux aifles, avecordre
de ne pas preceder les premieres
files.
Le 2 . tous les Generaux ſe
trouverent à cheval fi- toft que le
jour parut . Ils allerent vifiter les
Tra
de Bude.
197
Travaux , & le Prince Charles
ayant fait venir les Officiers Ma-.
jors dans fa Tente , les avertit de
tenir toutes les Troupes preftes
pour donner l'affaut à deux heures
aprés midy. L'Electeur de Baviere
n'oublia de fon cofté aucun
des ordres qui pouvoient
eftre neceffaires pour achever de
fe rendre maiftres du Chateau.
Le General Schoning tint auffi
toutes chofes difpofées à l'attaque
de Brandebourg , & d'abord
que le Signal cut efté donné par
fix Pieces de Canon tirées du
quartier des Troupes de Suabe,
quatre Capitaines fuivis chacun
de cinquante Grenadiers , avec
quatre Lieutenans , quatre Sergens
, & les autres Officiers inferieurs
, marcherent à la droite
de l'Attaque. Le Baron d'Afti
eftoit à leur tefte , & ils eftoient
I iij
198 Hiftoire du Siege
fouftenus de deux cens Moufquetaires
que commandoient
quatre Capitaines & d'autres
Officiers fubalternes, ayant à leur
tefte un Lieutenant Colonel &
un Major. Ceux - cy eftoient fuivis
de cent hommes armez d'une
demie Pique & d'un Sabre , chacun
avec deux Piftolets de ceinture
. On fit marcher à quelque
diſtance trois cens Arquebufiers
commandez par quatre Capitaines,
& trois Bataillons de reſerve
les fuivoient. Ils eftoient chacun
de fix cens hommes avec leurs
Officiers. La difpofition de la
gauche fut pareille . Toute la difference
qu'il y eut , c'eſt que cent
cinquante Arquebufiers furent
les premiers qui s'avancerent, &
qu'ils n'eftoient precedez que de
cinquante Grenadiers , & de
vingt- cinq à trente hommes armez
de Bude. 199
mez de Pertuifanes , d'une Epée,
& d'une Hache . Tout fut difpofé
de la muc torte à l'Attaque
de Daviere, & à celle de Rrandebourg
, & jamais Affaut ne fut
entrepris avec plus d'ardeur , &
plus d'intrepidité . Le Baron
d'Afti qui avoit l'Avant- garde
des Grenadiers , & qui marchoit
à leur tefte , fut bleffé d'abord,
& le Sieur Bifchoff- haufen , Sergent
Major du Regiment de Diepenthal
, prit le Commandement
en fa place. Quoy qu'ils fuffent
foûtenus des Bataillons qu'on avoit
fait fuivre , ils trouverent
une fi furieuſe refiftance de la
part des Affiegez , qu'ils furent
contraints de reculer. Outre la
grande quantité de facs à poudre
qu'on jetta fur eux , les Ennemis
firent jouer une Mine qui
leur caufa un fort grand defor-
I iiij
200
Hiftoire du Siege
dre. Ils retournerent une feconde
fois à l'affaut avec une vigueur
extraordine , & ils ne
Purent encore obliger les Tercs
a fuir , mais enfin aprés une tresrude
Efcarmouche qui dura une
heure devant la Ville , les Affiegez
ayant perdu courage par la mort
du Commandant qui fut tué fur
la Bréche , ils firent fi bien qu'ils
vinrent à bout d'arracher les
Paliffades , & de forcer leurs
Retranchemens. Ils y trouverent
huit cens Janiffaires qu'ils taillerent
en pieces , fans avoir aucun
égard à la poſture foûmife
où ils fe mirent en leur demandant
quartier , & jettant leurs
Armes bas. Quelques - uns d'entre
eux voyant qu'ils ne vouloient
épargner perfonne , reprirent
leurs Armes , fe défendirent
en defefperez , & firent
jouër
•
de Bude. 201
jouer un Fourneau dont plufieurs
Maifons fauterent . Le feu
du Fourneau fe communiqua à
une certaine machine qu'il avoient
difpofée auparavant , &
produifit un autre feu bien plus
dangereux qui couroit de place
en place, & que perfonne ne prenoit
le foin d'efteindre , parce
que les Victorieux eftoient alors
occupez à pourfuivre , & à exterminer
tout ce qui pouvoit
refter d'Ennemis dans la Ville ,
où quelques ordres que les Of
ficiers puffent donner , il fut impoffible
d'empefcher le carnage.
Ainfi l'embrafement fut prefque
general. Ceux de Brandebourg
entrerent en mefme temps dans
la Ville , & penetrant dans les
rues au travers des flâmes , ils
firent main baffe fur tout ce
qu'ils rencontrerent , fans épar
I v
202 Hiftoire du Siege
gner Vieillards , Femmes & Enfans
. Les Victorieux n'en confultoient
que la fureur qui les
animoit , & qui les portoit à fe
vanger de l'opiniâtre reſiſtance
que ces malheureux avoient faite
fur la Bréche à force de Bombes
, de Mines , de Pots à feu &
autres machines roulantes qu'ils
avoient jettées à la faveur de
leur Moufqueterie , & d'une
grefle de fléches. Cependant la
Cavalerie qu'on avoit tirée des
Lignes fous les Generaux nommez
pour la commander eftoit
demeurée , ainsi que l'Infanterie,
toûjours en action , & en Bataille
avec les Ennemis , dont
l'Armée , non feulement avoit
paru de ce coſté là , mais meſme
avoit commencé à attaquer l'Avantgarde
des Chreftiens. D'un
autre cofté les Generaux Sherini
,
de Bude.
203
rini, la Vergne & de Beck , n'ou
blierent rien pour achever de
fe rendre maiftres de ce qui reftoit
à occuper du Chateau,
fouftenant avec un courage tout
heroïque l'affaut qu'ils y avoient
donné , & en mefme temps les
Grenades & les Pierres que jettoient
les Janiffaires , qui ne fçachant
encore rien du fuccez de
l'autre attaque , faifoient leurs
derniers efforts pour fe maintenir
fur une hauteur d'où dépendoit
la confervation du Chafteau.
Pendant qu'ils fe deffendoient
avec toute la bravoure
qu'on peut attendre de gens.
auffi aguerris que determinez ,
les Turcs qui eftoient auparavant
de l'autre cofté , s'eftoient
venus retirer de celuy - cy , partie
du cofté de la Riviere , &
partie du cofté du Chaſteau où
ils
204 Hiftoire du Siege
ils avoient merveilleufement renforcé
les Janiflaires. Pour s'oppofer
au fecours qu'ils leurs donnoient
, l'Electeur de Baviere ,
qui remarqua que le Grand Vifir
n'agifloit point , & qu'il ne
faifoit mine d'aucun mouvement
, commanda le Comte d'Apremont
avec 500. hommes , &
le fit aller à l'affaut avec les autres
pour les foûtenir. Le Prince
Louis de Bade s'apercevant de
l'inevitable neceffité qu'il y a
voit de s'emparer de la hauteur
qui occupoient encore les Affiegez
, pour le rendre enfuite maifres
du bas où ils avoient plufieurs
places d'armes & autres
Logemens , paffa luy mefme de
ce coflé-là , & ordonna de l'efcalader
& de grimper au deffus,
ce qui fut fait fi heureuſement,
que
de Bude.
205
que l'on envoya une grefle de
de moufquerades & de Grenades
fur les Turcs qui fe voyant foudroyez
de cette forte , arborerent
un Drapeau blanc , & jufques à
leurs Turbans , criant de toute
leur force qu'on leur donnaft
quartier & la vie. Il y en cut
plufieurs , qui ne voulant point
attendre ce qu'on refoudroit, pafferent
par deffus le mur d'un
chemin couvert , & tâcherent de
fe fauver avec quelques Juifs par
le Danube dans de petits Bateaux
qu'ils trouverent mais
les Tolpazes les ayant atteints
avec leurs Saiques , coulerent à
fond plufieurs de ces petits Baftimens
, tuerent la plupart de
ceux qui avoient cru s'échaper,
& les autres qui avoient déja
paffe la Riviere , furent taillez
2
en
206
Hiftoire du Siege
>
en pieces , ou faits prifonniers
par les Hongrois qui eftoient
dans Peft . L'Electeur de Baviere
accorda la vie au Lieutenant
du Bacha & à plus de
douze cens hommes , qui voyant
les Imperiaux Maitres de la
Place , l'avoient fuivy dans une
Rondelle où il s'eftoit retiré
entre le Chafteau & la Ville.
Il fit de mefine quartier à ce qui
reftoit de Turcs dans le Chafteau
, d'où il les envoya fous
bonne garde dans une grande
Mofquée & dans un grand Magafin
. Les Soldats qu'on ne
put faire revenir fi - toft de leur
premiere fureur , affommerent
& jetterent dans la Riviere les
vieilles Gens fans nulle diftinction
de Sexe , & il y en eut
quelques - uns de fi
,
cruels ,
qu'ayant
de Bude.
207
cruautez ,
qu'ayant trouvé des Femmes
avec des Enfans de deux ou trois
mois , ils leur ouvrirent le ventre
, & y fourrerent ces miferables
Enfans. L'Electeur de Baviere
, & le Comte de Stratman ,
Chancelier de l'Empereur , qui
arriverent dans la Ville pendant
que l'on commettoit ces
ne pûrent les faire
ceffer qu'aprés des défenfes tres
rigoureufes , & plufieurs fois reïterées.
Le feu eftoit répandu par
tout , & avec le fang qui couloit
de tous coftez , il est aisé de
s'imaginer quel affreux Spectacle
offroit cette trifte Ville abandonnée
au pillage . Cependant
la principale Mofquée , qui
avoit efté autrefois l'Eglife de
Saint Etienne , Roy de Hongrie
, fut préfervée de l'embrafement,
208
Hiftoire du Siege
>
fement , ainfi qu'un grand Magafin
, dans lequel eftoient quantité
de vivres , & un autre plein
de poudres . Ces deux Magalins
furent confervez par les foins
du Commiffaire Rabata qui
eut là - deffus beaucoup de conduite
& de vigilance . On perdit
prés de deux cens hommes
à l'Attaque de Lorraine , avec
le Marquis de Spinola , Colonel
d'un Regiment d'Infanterie . Il
y eut trois cens cinquante Soldats
tuez à celle de Baviere , à
caufe d'un Fourneau que les Ennemis
y firent jouër . Le Comte
de Tartembac fut auffi tué à
cette Attaque , & le Comte de
Zacco , Major du Regiment
d'Alpremont , y fut bleffé à
mort ainfi que le Sieur Mon-
.ticolli , Capitaine dans le meſme
>
Re
de Bude . 209
Regiment. Ceux de Brandebourg
ne perdirent que cent
hommes , & le nombre des Blef
fez ne fut que de quatre cens
dans toutes les trois Attaques .
11 y eut plus de trois mille hommes
tuez ce jour- là - du cofté des
Affiegez . On jetta les corps des
Turcs & des Juifs dans la Riviere
, & les Chretiens furent enterrez.
Le Lieutenant du Bacha
dit qu'au commencement du Siege
la Garnifon eftoit de dix mille
Janiffaires , fans compter les Juifs
& les Habitans capables de porter
les armes , qui faifoient encore
plus de cinq mille hommes.
L'Aga des Janiffaires &
le Mufthi demeurerent prifonniers
avec ce Lieutenant du Bacha
, & plufieurs autres Offciers.
L'Aga fut donné au Prince
Char
210 Hiftoire du Siege
Charles. Cette conqueſte eft
d'autant plus glorienfe , qu'elle
s'eft faite à la veuë de l'Armée
des Ottomans , qui fans ofer rien
tenter , ont laiffé prendre une
Ville auffi importante que Bude,
& dont ils eftoient en poffeffion
dépuis cent quarante-cinq ans.
On dit que lors qu'ils connurent
que les Chreftiens y eftoient entrez
, ils s'arracherent la barbe
de defefpoir , & fe jetterent par
terre. Le foir ils fe retirerent à la
faveur de la nuit .
dans la Place trois à
On a trouvé
quatre cens
dont il dont y en
pieces de Canon ,
a quantité d'un fort grand calibre
, avec foixante Mortiers,
& un nombre incroyable de Boulets
, de Grenades , de Carcaffes ,
de Bombes , & d'autres Machines
de Guerre. On fit environ
deux
de Bude. 211
deux mille prifonniers , & l'on
prit plus de cent Juifs qui s'eftoient
refugiez dans leur Synagogue.
Le Prince Charles fit tout
ce qu'on peut attendre d'un
grand & experimenté Capitaine,
donnant les ordres par tout où
fa prefence eftoit neceffaire , &
n'oubliant rien de ce qui pouvoit
contribuer à l'heureux fuccés
de cette grande journée . L'Electeur
de Baviere s'y acquit
beaucoup de gloire , & fit
roiftre combien il eft intrepide
par la maniere dont il s'expofa
au feu. Tous les Volontaires
chercherent à fe fignaler à l'envy
les uns des autres , & le Prince
de Commercy donna d'éclatantes
marques de valeur &
de courage. Comme ils pouvoient
fe trouver par tout , le
pa-
Mar
212
Hiftoire du Siege
allerent
Marquis de Blanchefort , & le
Marquis de Souvray
dans tous les Poftes où le peril
eftoit le plus apparent. C'eſt ce
qu'ils avoient déja fait pendant
tout le Siege, n'ayant laiffé échaper
aucune occafion , quelque
dangereufe quelle fuft , fans y
courir avec une ardeur qui ne
fe peut exprimer. Le Prince
Louis de Bade receut un coup
de Moufquet qui luy éfleura la
chair. Il monta un des premiers
à l'affaut , & anima les Soldats
par fa valeur . Le Prince Euge
ne de Savoye , qui eft fon Coufin
Germain , ne fe diftingua
pas
moins. Il avoit cfté deftiné
à l'Eglife , mais le Chevalier de
Savoye , fon Frere , qui commandoit
un Regiment de Dragons
au fervice de l'Empereur,
eftant
de Bude .
2137
eftant mort au Siege de Vienne,
il refolut de quitter l'Etat Ecclefiaftique
, & s'eftant rendu en
pofte à ce mefme Siege aprés a--
voir efté faluër S. M. I. qui étoit '
à Lints , il s'y fignala , & acheva
la Campagne en qualité de Volontaire
, âgé feulement de dixneuf
ans. L'Empereur voulant
reconnoiftre la valeur de ce jeune
Prince , luy donna un Regiment
de Dragons , à la tefte duquel
il fervit la Campagne fui- :
vante , & fit des chofes au delà !
de fon âge à la prife de Strigonie,
& au premier Siege de Bude , où
il fut bleffé d'un coup de Moufquet
au bras. Aprés la Campa
gne, il alla voir le Duc de Savoye
Chef de fa Maifon , qui le receut
avec toutes les marques d'honneur
deuës à ſa naiffance & à fon
me
214 Hiftoire du Siege
merite. Il paffa de là à Veniſe , revint
à la Cour de l'Empereur , &
fe trouva àla Prife de Neuhaufel
& autres Places . Au retour.
de cette Campagne , quoy qu'il
n'euft alors que vingt & un an,
l'Empereur le fit General Major.
de fes Troupes fur la fin de l'année
derniere . Le Siege de Bude
ayant efté refolu , il fe rendit au
Camp des Impériaux pour y faire
les fonctions de cet employ , dont
il s'eft acquité avec toute la gloire
poffible.
Si-toft
que
la Place
eut eſté
prife
, le Prince
Antoine
de Neubourg
, Grand
Maiftre
de l'Or.
dre Teutonique
, & le Prince
de Commercy
partirent
pour
en
apporter
la nouvelle
, l'un à l'Empereur
, & l'autre
à l'Imperatrice
.
Doüairiere
, le Comte
de Sherini
,
de Bude. 215
rini , dépefché par l'Electeur de
Baviere , l'apporta à l'Electrice fa
Femme. Le Comte de Konigfeeck
fut auffi dépeſché par le
Prince Charles avec le grand
Drapeau des Turcs trouvé dans
Bude qu'il apporta au Prince Hereditaire
Imperial .
Le 3. le Prince Charles & les
Generaux vinrent au Quartier
de l'Electeur de Baviere , où le
Te Deum fut chanté au bruit des
Trompettes , des Timbales , &
des Canons , dont on fit faire trois
décharges autour des Lignes. On
mit auffi le feu aux Bombes qu'on
y avoit enterrées pour les Ennemis,
s'ils euffent ofé entreprendre
de les
attaquer.
Le 6. toute l'Armée partit en
bon ordre pour marcher du cofté
du Pont d'Effeck. On laiffa
dans
216 Hiftoire du Siege de Dude.
dans Bude les Regimens d'In-1
fanterie de Beck , de Salme &
de Diepenthal , avec des détachemens
des Alliez fous le
Commandement du Baron de
Beck .
F I
DU SIEGE
DE BUD E.
OUS avons vu en
moins d'une annéedeux
chofes fi remarquables ,
l'une en France , & l'autre
en Hongrie , qu'il eft impoffible
qu'elles ne paffent jufqu'à la
pofterité la plus éloignée , puifque
plufieurs fiecles enſemble ne
fourniffent pas quelquefois des
actions d'un fi grand éclat. Tout
A
Hiftoire du Siege
l'Empire Ottoman employoit fes
foins & fes principales forces à
empefcher que l'on ne prît Bude,
parce que cette Ville peut ouvrir
le paffage jufques à Conftantinople
, & qu'il eft malaisé que le
Royaume de Hongrie dont elle
eft la Capitale , ne foit pasfoumis
à la domination de celuy qui
la poffede. C'eſt pour cela que les
Tures fe font toûjours attachez à
la conferver. Elle a foûtenu quatre
fieges depuis qu'ils en font les
maiſtres , & n'a efté prife qu'au
cinquième , qui eft celuy qui
vient d'eftre fait par l'Armée confedérée
des Chrétiens. L'Empereur
à qui tant de Troupes auxiliaires
jointes aux fiennes , ont
facilité cette Conquête , y va rétablir
la veritable Religion , pendant
que Sa Majefté fortifie cette
méme Religion dans huit cens
Villes
de Bude. 3
t
Villes ou Bourgs , d'où Elle a
chaffe la fauffe , que fept de fes
predeceffeurs n'avoient pû détruire.
Ces deux Nouvelles ayant
donné au Pape la plus fenfible
joye qu'il ait receue depuis fon
Exaltation au Pontificat , il a ordonné
de femblables remerciemens
à Dieu , & d'égales rejoüiffances
dans Rome, pour des actions
qui font du plus grand merite au
prés du S. Siege. On n'y a parlé
jufqu'à la prife de Bude , que de
ce que l'Eglife doit au Roy de
France , & depuis la Conquête
de cette importante Place, on n'y
parle que de l'une & de l'autre
action, & on les regardes comme
les deux plus grands Triomphes
que l'Eglife pouvoit remporter.
Je vous ay entretenue de l'une
pendant plufieurs mois , il faut
vous entretenir de l'autre ; mais
A ij
4 Hiftoire
du Siege
pour le faire avec un peu d'ordre ,
je croy qu'il fera bon de vous expliquer
en peu de mots comment
la Ville de Bude a paffé au pouvoir
des Ottomans.
Louis II. dit le Jeune , Roy de
Hongrie , ayant pery en 1526. à
la bataille de Mohacs , Jean de
Zapol , Comte de Scepus , Vaivode
de Tranfilvanie fut falué
Roy par une partie des Hongrois.
L'autre élut Ferdinand Roy de
Boheme , qui avoit époufé Anne ,
Soeur du defunt Roy Loiys . Ferdinand
affifté des forces de l'Empereur
Charle Quint fon frere ,
alla droit à Bude , dont il fe fai fit
en ayant chaffe Jean de Zapol , qui
par diverfes pratiques qu'il eut à
la Porte , vint enfin à bout de faire
venir Soliman à fon fecours . Solyman
eftant entré dans la Hongrie
avec de puiffantes forces en 1529.
marcha
de Bude.
5
€
C
marcha vers Bude , la prit & retablit
le Roy Jean dans fon Eftat.
Ce dernier pour s'y maintenir
fans trouble , fit un accord avec
Ferdinand , par lequel il devoit
jour du Royaume de Hongrie
jufques à fa mort , à condition
que Ferdinand , ou l'un de fes
Fils , luy fuccederoit , & comme
il fe pouvoit faire que Jean venant
à fe marier auroit des enfans
, il fut arrefté que s'il avoit
un Fils , ce Fils feroit Prince de
Tranfilvanie, & poffederoit toutes
les terres , Villes & Chateaux
qui avoient appartenu à Jean avant
que les Hongrois l'euffent
fait leur Roy. Ce Traité eftant
conclu, il fe maria avec Elifabeth.
fille de Sigifmond Roy de Polog.
ne, & mourut prefque auffi - toft ,
laiffant au berceau un Fils qu'il
en eut. Quelques- uns mirent la
A iij
6 .
Hiftoire du Siege
Couronne fur la tefte de l'Enfant
le jour qu'il fut baptifé , & Ferdinand
ayant demandé à Elifabeth
l'execution du Traité fait
avec le Royfon Mary cette malheureufe
Reyne qui fut avertie
qu'il preparoit une Armée pour
la contraindre à l'obeïffance , envoya
des Ambaffadeurs à Solimã .
Ils en furent bien receus , & en
rapporterent une Robe d'écarlate
en broderie , une maffe de fer
avec le pommeau & la poignée
d'or , & un cimeterre dont le fourreau
eftoit tout femé de pierreries
, pour marque de fon amitié
& de fa protection . En mefme
temps Solyman donna fes ordres
pour faire fecourir Elifabeth fi
elle eftoit attaquée , & Guillaume
Rocandolph, General des Troupes
de Ferdinand , ayant commencé
le Siege de Bude , Mahomet Bacha
de Bude ..
7
cha , & Mahomet Sangiac de
Belgrade , pour obeir à leur Empereur
, marcherent vers cette
Place avec toute la diligence poffible
. Rocandolph remüa fon
Camp à leur arrivée . Il le mit au
pied du Mont S. Girard . Le Sangiac
de Belgrade alla camper fur
les cofteaux de la Plaine qui s'étend
depuis ce Mont le long du
Danube pour enfermer les Chreftiens,
& Mahomet Bacha campa
d'un autre cofté , & fi prés de
Rocandolph , que les Tentes de
l'une & de l'autre Armée n'étoient
éloignées que d'une demie
lieuë. Il y eut de legers combats
entre les deux Camps , avec des
fuccez , tantoft favorables pour
l'un des partis , & tantoft pour
l'autre ; mais enfin Rocandolph
ayant appris que Solyman venoit
luy- mefme appuyer les deffeins
A iiij
8
Hiftoire du Siege
de fes Generaux à la tefte de
deux- cens mille hommes , jugea à
propos de fe retirer . Les Turcs
avertis de fon deffein l'attaquerent
dans fa retraite , & plus de
vingt mille Chrêtiens demeurerent
fur la place . La levée du Siege
n'empefcha pas Solyman de
pourfuivre fon voyage , & de venir
jufque devant Bude . Il envoya
de là affurer la Reine Elifabeth
de fa bienveillance ; & la fit
prier de fatisfaire l'envie qu'il
avoit de voir le jeune Eftienne
fon Fils. Elifabeth trouvant dangereux
de le refufer , parce que
c'eût été marquer de la défiance ,
& irriter un Prince puiffant, l'envoya
au Camp de Solyman , avec
les principaux Seigneurs de fa
Cour. Le Turc le receut avec
beaucoup de careffes , & le fit
loger avec Bajazet & Selim fes
Fils ,
de Bude.
Fils , qu'il avoit eus de Roxelane .
Les Bachas traiterent magnifiquement
les Seigneurs Hongrois
qui avoient accompagné leur
jeune Roy , & cependant les Janiffaires
de Solyman qui avoient
fes ordres , eftant entrez dans la
Ville comme amis , fe répandirent
par tout fous pretexte de
confiderer la beauté des Bâtimens
, & fe voyant affez forts
pour executer leur entreprife , ils
fe faifirent de toutes les Places ,
forcerent les Gardes des Portes
qui ne foupçonnoient point cette
trahifon , & les ouvrirent à quelques
Troupes qu'on avoit fait
avancer. Enfuite on commanda
aux Bourgeois de rendre les armes
, & ce fut ainfi que Solyman
s'empara de Bude , fans qu'il en
coutât le fang d'un feul homme .
Cela arriva en 1541. Apres un
•
A V
Hiftoire du Siege
évenement fi favorable , l'Empereur
Turc tint confeil , & l'on
y
mit en deliberation s'il retiendroit
le Royaume de Hongrie,
ou s'il le rendroit au jeune Roy.
Mahomet Bacha eftoit d'avis que
Solyman le menaſt à Conſtantinople
avec les Seigneurs Hongrois
qu'il avoit entre fes mains ,
& qu'il mift à Bude un Gouverneur
qui ufant de moderation ,
apprit à ce Peuple à fe foumettre
au joug Ottoman . Ruftan
, Gendre de l'Empereur &
de Roxelane , luy voulut perfuader
de garder ſa foy , qu'il ne
pouvoit violer fans honte , & le
Sangiac de Belgrade fut d'avis
qu'en reduifant la Hongrie en
Province , il fe delivraft par là
de la neceffité, où il pourroit eftre
encore de revenir de fi loin fecourir
une Femme & un Enfant.
Il
de Bude. I
Il luy reprefenta qu'ils ne pourroient
refifter aux forces Allemandes
que par le fecours de
celles de la Hauteffe , & que les
Guerres ne fe devant faire que
pour avoir le moyen de vivre en
paix , il eftoit de l'intereft du
Sultan fon Maiftre, de reduire en
Province un Royaume qu'il avoit
fi fouvent défendu ; qu'ainfi il
falloit renvoyer la Reyne en Pologne
à fon Pere Sigifmond , mener
le jeune Roy Eftienne à
Conftantinople pour l'y élever
dans la Loy Mahometane , faire
trancher la tefte à tous les
Seigneurs Hongrois prifonniers,
rafer leurs Fortereffes , tranfporter
une pattie des familles en
Afie , & tenir les autres dans le
devoir par de fortes Garnifons.
Soliman ne fuivit aucun de ces
avis. Il entra dans Bude, & aprés
avoir
12
Hiftoire du Siege
, avoir renverfé les Autels &
fait brifer toutes les Images de
l'Eglife Cathedrale pour la confacrer
felon les Superftitions Mahometanes
, il fit fortir Elifabeth
de la Ville , & l'obligea de ſe retirer
à Lippe avec fon Fils pour
gouverner la Transilvanie , l'affurant
qu'il le rétabliroit fur le
Trône quand il feroit dans un
âge plus avancé. Cependant il la
declara Tutrice de ce jeune Prince
dont il luy promit d'eftre le
Protecteur, & luy rendit Georges
Martinufius pour eftre Miniftre
de fes Eftats. Depuis ce temps-là
la Ville de Bude que les Allemans
appellent offen , eftoit toûjours
demeurée au pouvoir des Turcs.
Elle fut affiegée en 1598. fous
le Regne de Mahomet III . par
l'Archiduc Mathias . Il força le
Fauxbourg qui eft du cofté du
Da
de Bude . 13
1
I
Danube , & fe rendit maiſtre
du Fort bafty fur le Mont Saint
Girard , où il trova quatre- vingt
pieces de canon , mais il ne put
venir à bout de la Citadelle .
Elle fut & vigoureufement défendue
, que la mauvaiſe faifon
s'avançant , il fe vit contraint de
lever le Siege. Comme il n'abandonnoit
le deffein de faire
cette conquefte que par la confideration
de l'hyver , fi - toſt
qu'il vit le temps propre à l'entreprendre
, il ramena fon Armée
devant cette Place. Les
Turcs qui en apprehendoient
la perte , s'avancerent promptement
pour la fecourir. Ils furent
défaits , mais cette victoire qui
donnoit de fi grandes efperances
aux Princes Chreftiens qui attaquoient
Bude ne pût rien
diminuer de la fermeté des
,
Affie
14 Hiftoire du Siege
Affiegez à fe bien défendre .
L'Armée Chreftienne trouva
dans ce fecond Siege les mefmes
hommes , & la mefme refiftance
qui luy avoit fait quitter
le premier , & elle fe retira
encore une fois.
>
Apres la perte d'Albe - Royale
, repriſe en 1602. par les
Turcs qui l'avoient perduë
l'année precedente , le mefine
Archiduc Mathias , qui commandoit
une Armée de quarante
mille hommes , marcha pour
la troifiéme fois contre Bude.
La Ville - baffe ayant efté
facilement emportée , il affiegea
la haute , furprit la Ville de
Peft , & ces commencemens furent
fi heureux , qu'on ne douta
point qu'il ne vint à bout de
fon entrepriſe. Cependant toute
la valeur & la prévoyance
des
de Bude.
15
des Chreftiens ne put empefcher
que la Citadelle ne fût rafraîchie
d'hommes , de vivres &
de munitions . de Guerre ; ainfi
il fallut encore lever le Siège.
Charles de Gonzague , Duc de
Nevers , y fut bleffé d'un coup de
moufquet à l'épaule.
Le dernier Siege eft connu
de tout le monde. Il fut commencé
par le Prince Charles de
Lorraine le 14 de Juillet 1684.
& le fecours jetté dans la Place
, le mauvais eftat dés Troupes
, l'incommodité de la faifon
, & le hazard auquel on fe
feroit exposé en donnant un
affaut general , dans lequel on
auroit eu à combattre en meſme
temps & ceux de la Ville , &
le Seraskier qui n'eftoit pas éloigné
des Lignes , ayant fait
craindre un mauvais fuccez de
cette
16 Histoire du Siege
cette entrepriſe , l'Armée Chreftienne
fe retira le premier jour
de Septembre , fans eftre inquietée
par les Ennemis dans fa
retraite .
Je viens au cinquième Siege
de cette importante Place.
Rien n'eft plus difficile qu'u
ne Relation de cette nature ,
fur tout lors qu'un Siege a efté
long , qu'il a fait verfer beaucoup
de fang, & que l'évenement
en a efté attendu de toute
l'Europe. Comme dans celuy
que j'entreprens de décrire , le
nombre des Intereffez a efté
grand , & qu'il y a eu differens
quartiers de divers Souverains,
fans compter quantité de Volontaires
repandus de plufieurs
Nations, chacun voudroit qu'on
n'oubliaft rien de ce qui le regarde
, & c'est une exactitude
qui
de Bude.
17
,
qui eft entieremet impoffible.Cependant
s'il arrive qu'on ne parle
point d'une action d'un feul Volotaire
lors qu'il eft d'une qualité.
diftinguée, cela eft caufe que tous
ceux de la mefme Nation fe récrient
fur la fauffeté d'un ouvrage
, qui ne manque quelquefois
qu'en ces fortes de circonftances
qui ne meriteroient pas
qu'on s'en mift en peine . Il y en
a d'autres qui pouffent le point
d'honneur plus loing , & qui ne
voudroient pas qu'on marquaft
que ceux de leur Nation ont eu
fouvent du defavantage pendant
le cours du Siege , comme fi la
- Victoire qui couronne tous les
travaux par la priſe d'une Place,
& qui efface toutes les pertes,
pouvoit empécher que l'on n'euft
efté quelquefois batu avant le
triomphe. S'il ne faloit point
parler
18
Hiftoire du Siege
parler des de avantages du Vainqueur,
il faudroit feulement marquer
la Prife , & la Victoire &
ce ne feroit plus alors la Relation
d'un Siege , mais le détail de la
derniere action. Bien que l'on
foit affuré de la priſe de la Place
avant que d'écrire la premiere
ligne du Siege , & qu'on fçache
que ceux qui fe font venus rendre
aux Afliegeans ont dit la
plus - part des fauffetez , il faut
pourtant faire mention de ces
fauffetez ,quoy que dans le tems
qu'on les écrit , on les connoiffe
pour telles. Il faut mettre dans
un journal tout ce qui s'est fait
& tout ce qui s'eft dit , parce que
felon ces chofes ont voit les vraies
& les fauffes mefures qu'ont pris
tant les Affiegeans que les Affiegez.
C'eſt par là que la Pofterité
s'inftruit , & c'eft ce qui doit
donner
de Bude. 19
3:
donner des lumieres à ceux qui
en de pareilles occafions peuvent
un jour avoir des commandemens.
Ainfi quand je diray la
verité de ce qui s'eft paffe pendant
le cours du Siege de Bude
,je ne feray pas pour cela contre
les Allemans. Tout depend
de la derniere action , puifque
lors qu'on reuffit , on a toûjours
pris de juítes mefures. Je dois
dire à l'avantage de la France,
qu'une Place fans dehors , com-
I me celle que vient de reduire
l'Armée des Confederez, fe pourroit
compter prife d'abord
les François l'affiegeoient , puifqu'on
ne manque jamais de capituler
dés qu'ils ont pris les dehors
de quelque Place , & que
Bude n'en avoit point . Ils auroient
pû faire voir en cette occafion
ce qu'ils ont fouvent fait
, fi
éprou
20
Hiftoire du Siege
éprouver à plufieurs Villes , mais
l'Allemagne avoit trop connu
leur valeur en la fameufe journée
de S. Godard pour vouloir
donner lieu à d'autres qu'à fes
Sujets d'acquerir une auffi grande
gloire , & elle a mieux aimé
faire lentement cette Conquête,
quand mefme elle auroit deu
rifquer à ne la pas faire
,, que de
laiffer aux François les avantages
qu'ils font toûjours feurs de
remporter dans toutes leurs entrepriſes.
Comme le fuccés de
celle- cy paroiffoit douteux , elle
fut fort debatue au Confeil de
l'Empereur.Les fentimens étoient
partagez, & il y en avoit d'entierement
cotraires à l'avis du Prince
Charles de Lorraine , qui fouhaitoit
d'ouvrir la Campagne par
un Siege auffi confiderable que
celuy de Bude paroiffoit aux Allemans
.
de Bude. 21
lemans. Il avoit efté contraint
de le lever en 1684. & il croyoit
qu'il y alloit de fa gloire de reparer
par la prife de cette Place
qu'on jugeoit fi importante , le
malheur qu'il avoit eu l'affiegeant
inutilement. Il trouvoit l'occafion
favorable , & qu'il luy eftoit
facile d'acquerir beaucoup de
gloire , à moins qu'il n'euft toû
jours le mefme malheur , puis
qu'il devoit eftre fecondé dans
cette Expedition , non feulement
par les Troupes de l'Empire , mais
encore par celles de plufieurs
Souverains , dont il y en avoit
un tout remply de coeur , qui
vouloit commander les fiennes en
perfonne , & que ces Troupes
qui ne manquoient de rien , étoient
aguerries à l'exemple de
leur Chef , qui a déja fait voir
fon courage & fon intrepidité
en
22 Hiftoire du Siege
en plufieurs occafions . Ileft aisé
de juger que c'eft de l'Electeur
de Baviere que je parle. Outre
tout cela ,le Prince Charles voyoit
accourir en foule quantité d'illuftres
Volontaires de toutes les
Cours de l'Europe , parmi lefquels
eftoient beaucoup de François
qui fe trouvent toujours dans les
lieux où ils peuvent voir qu'il y
a de la gloire à acquerir. Ce n'étoit
pas encore tout ce qui foutenoit
l'efperance de ce Prince. Il
fçavoit que les liberalitez du Pape
fe répadoient à pleines mains,
pour faire fubfifter fes Troupes,
que chaque Souverain de l'Europe
fourniffoit des hommes , de
l'argent , ou des munitions pour
avancer le fuccés de fes deffeins,
& qu'enfin le Siege de Bude étoit
pluftoft l'entrepriſe de la
Chreftienté entiere,que de l'Empire.
de Bude.
23
pire. Comme tous ces avantages
pouvoient contribuer à fa.
gloire & le faire triompher , il
eftoit de ſes interefts de profiter
de l'occafion , puis que l'honneur
de remporter la Victoire , quoy
que deuë aux plus braves fujets
de tous les Souverains de l'Eurodevoit
réjaillir preſque fur
pe ,
luy feul.
Si ce Prince fouhaittoit avec
une extreme impatience qu'il luy
fuft permis d'affieger Bude , les
Turcs qui n'avoient point d'armée
en campagne , ne defiroient
pas avec moins d'ardeur de luy
voir former ce Siege . Celle des
Chreftiens eftoit puiffante , de
forte que l'on eftoit affeuré que
la Place qu'ils attaqueroient ne
pourroit refifter long- temps , ny
attendre le fecours , à moins
qu'on n'affiegeaft la plus forte, &
la
24 Hiftoire du Siege
la mieux remplie d'hommes , &
de munitions & tout cela fe
trouvant à Bude , les Turcs avoient
raiſon de fouhaiter qu'on
mift le Siege devant cette Place,
afin que la longue refiftace qu'elle
feroit, leur puft donner lieu de
preparer un puiffant fecours , &
de le faire mefme venir du fond
de la Turquie , s'il en eftoit befoin
. Michel Abaffi , Prince de
Tranfilvanie , qui eftoit de concert
avec eux fit entendre aux
Imperiaux qu'il fe declareroit
plus ouvertement en leur faveur,
files Ottomans n'eftoient plus
maiftres de Bude. Ainfi tout
contribua à cette entreprife,quoy
que le fuccez en fuft incertain,
parce que la Place , ainfi que la
fuite l'a fait voir , ne manquoit
ny de Soldats , ny de Chefs intrepides
& aguerris, ny d'argent,
2
ny
de Bude.
25
Ο
C
ny de toutes fortes de munitions.
D'ailleurs la forte & longue reſiſtance
que le Gouverneur avoit
faite pendant le dernier Siege
, devoit fervir de regle à celuy
à qui l'on en avoit commis
la défenfe , & comme il étoit
feur d'eftre étranglé s'il rendoit
la Place , il y avoit
apparence
qu'il la défendroit jufqu'à la derniere
extremité. Il y avoit auffi
lieu de prefumer pour plufieurs
raifons , que le grand Vizir venant
en perfonne , periroit plutoft
, que de ne la pas fecourir.
La deftinée de fes deux Predeceffeurs
le devoient engager à
cet effort , c'eftoit par la qu'il
pouvoit fe monftrer digne du
choix qu'on venoit de faire en
Il'élevant à la dignité où il fe
voyoit. Il avoit eu l'adreffe de
fe faire mettre . en la place de
B
16
Hiftoire du Siege
fon Predeceffeur, & il avoit commandé
une Armée contre la Pologne
avec affez de fuccés pour
faire attendre de plus grandes
chofes de luy , quand il feroit à
la tefte d'un plus grand nombre
de Troupes , & cependant c'eft
luy qui eft caufe que l'on a pris
Bude.
Quelque nombreuse que foit
une Armée devant une Place, &
quelque fortifiée qu'elle foit , il eft
prefque impoffible ( & c'eft ce
qu'on n'a prefque point vû depuis
plufieurs ficcles) qu'elle empefche
une Armée Royale de fecourir
la Place affiegée lors que
cette Armée a pu faire affez de
diligence pour arriver avant la
prife de la Ville qu'elle a voulu
delivrer d'un fiege . C'est pour ceque
dans la plufpart des capitulations
, les Villes affiegées metla
tent
de Bude.
27
tent qu'elles fe rendront au jour
dont on convient, pourveu qu'avant
ce jour-là il n'arrive point
d'Armée Royale pour les fecourir.
Il eft enfin conftant que de
vingt Armées qui ont donné
dans des Lignes pour les forcer,
quoy que défenduës par un plus
grand nombre de Troupes , dixneuf
y ont réuffi. La raifon en
eft facile à comprendre. Une Armée
,, quoy que tres -nombreuſe,
qui entoure une Place, peut eftre
forcée par une plus foible , parce
qu'elle eft obligée d'occuper plufieurs
lieues de terrain autour de
la Place qu'elle affiege, & quainfi
chaque quartier eft peu garny
de Troupe , au lieu que l'Armée
qui attaque eft toute raf
femblée en un corps , ce qui la
rend beaucoup plus forte. Celle
qui eft dans les lignes pour-
Bij
28 Hiftoire du Siege
roit faire la mefme chofe , &
unir auffi toutes les forces pour
défendre l'endroit par lequel elle
eft attaquée , mais quand ceux
qui la veulent forcer font habiles
, ils donnent de fauffes attaques
fi à propos qu'on n'ofe dégarnir
aucun Pofte , parce qu'on
ne peut deviner la veritable at
taque. Ainfi l'Armée qui veut
paffer dans une Place , & qui
prend toutes les mesures qu'il
faut pour cela , cela , ne trouvant que
les Troupes d'un feul quartier
à combattre , les forces , aidée
de la Garniſon qui en ce rencontre
ne manque jamais de vigoureufes
forties. Ceft par là que
les Villes affiegées qui ont be
foin d'eftre fecouruës , le font
toujours, quand les Armées qu'on
veut employer pour ce fecours,
arrivent affez à temps . Le Grand
•
Vizir
de Bude. 29
Vizir au lieu de fe fervir de
tous ces avantages , a fait quan
tité de fautes , & elles ont efté
caufe de la prife de la Place
qu'il auroit pû fecourir. Il a fait
batre plufieurs fois fes meilleures
Troupes en détail , ce qui
ne pouvoit manquer d'arriver ,
puifque les corps qu'il envoyoit
eftoient moins forts que toute
Farmée qu'ils avoient à combatre.
Il a laiffé le temps de connoiſtre
que celle qu'il amenoit,
eftoit moins nombreuſe qu'on
n'avoit crû. Il a fait rallentir la
chaleur de fes Troupes , en les
faifant battre trop fouvent , & en
sobftinant à ne pas attaquer les
lignes avec toute fon Armée . Il
a par la frequente défaite de ces
mefmes Troupes rehauffé le courage
des Chreftiens. Il leur a
donné le temps de faire venir
Bij
30
Hiftoire du Siege
le General Scheffemberg avec
les fiennes , qui n'eſtant rebutées
par aucun affaut , ont emporté
la Place ; il eſt cauſe de
la mort du Gouverneur , & de
perte de tout ce qui reftoit
de bonnes Troupes dans Bude,
parce que fi fa preſence n'euft
pas fait efperer un
la
prompt
& vigoureux fecours , on auroit
capitulé lors qu'on auroit
crû n'eftre plus en eftat de fe
défendre. Ainfi fa prefence a
donné aux Affiegeans une Vitoire
, & plus grande , & plus
complette . Elle a fait voir le
peu
de valeur , & le petit nombre
des Troupes Ottomanes
que le peu d'experience de fes
Chefs. Elle a caufé les pertes
que les Troupes ont faites depuis
la prife de Bude , & qui entraifneront
celles qui les doivent
fuivre .
•
>
ainfi
de Bude.
31
e
fuivre. Elle a donné du coeur
aux Victorieux ; elle a ofté la
terreur qui depuis long - temps
faifoit apprehender l'Empire Ot-
& fera caufe qu'aucu- toman
ne Place forte ne ſe défendra autant
qu'elle pourroit faire quand
elle fera affiegée , de crainte
d'éprouver le fort de Neuhaufel
& de Bude .
Toute l'Europe eſtoit attentive
fur l'entreprife par laquelle
les Imperiaux feroient cette année
l'ouverture de la Campagne.
L'Electeur de Baviere eſtant
arrivé à Neuftadt le vingtiéme
de May , l'Empereur y tint plufieurs
fois confeil de guerre avec
les Officiers generaux &
ſes Miniftres. On y propofa le
fiege d'Albe Royale , auquel il
y eut quantité d'avis contraires .
-
B üij
32 Hiftoire du Siege
pes
·
On reprefentoit que les Troueftant
fraifches , & l'Artillerie
en bon eftat , il feroit beaucoup
plus avantageux d'attaquer
Bude. On convenoit que ce Siege
ne fe pouvoit faire fans beaucoup
de peine , à caufe que les
fortifications en avoient efté
tres bien rétablies , & qu'on
y avoit ajouté quelques ouvrages
pour en fortifier les dehors
le long du Danube jufqu'à la
Montagne.On fçavoit encore que
le Foffe avoit efté aprofondy de
l'autre coſté de la Ville , que
avoit contreminé les endroits où
les Imperiaux avoient preparé
des mines lors qu'ils l'affiegerent
en 1684. qu'il y avoit de fauffes
portes pour faire des forties par
deffous , & qu'on avoit dépavé
les rues , ofté les toits , & fait
couvrir de terre toutes les maifons
,
l'on
de Bude.
33
C
3
fons , afin d'empefcher l'effet des
Bombes & des Carcaffes. Des
Deferteurs avoient auffi rapporté
qu'il y avoit dans la Place des
munitions de guerre & de bouche
, pour foutenir un Siege de
plus de fix mois ,,
que la garnifon
eftoit de plus de dix mille
hommes choifis entre les Janiffaires
& les Spahis , & que le
1 Bacha Abdi qui commandoit
dans la Place , eftoit un homme
tres - confommé dans le meftier
de la Guerre , qui avoit fous luy
fix autres Officiers fort experimenteż.
On balança toutes ces
raifons , & elles ne furent point
affez fortes pour empêcher qu'on
ne refoluft d'affieger Bude. Le
rendez vous general fut donné
aux Troupes pour le 29. de
ce mefme mois à la referve de
celles de Brandebourg , qui tra-
·
B v
34 Hiftoire du Siege
verfant la Silefie de fort mau
par
vais chemins, ne pouvoient marcher
qu'à petites journées. Il fut
arrefté fuivant la divifion qui
s'en fit que la grande Armée
que commanderoit le Prince
Charles de Lorraine , feroit de
cinquante- huit à foixante mille
hommes , fçavoir de quinze mille
hommes d'Infanterie Allemande
, de quatorze mille Chevaux
& Dragons Allemans , des Troupes
auxiliaires de Saxe , de Brandebourg
, & de Suabe , & de
quatre mille Hongrois , & que
l'Armée dont l'Electeur de Baviere
auroit le commandement ,
feroit compofée de douze mille
Fantaffins Allemans , de dix
mille Chevaux auffi Allemans
des Troupes de cet Electeur ,
& de celles des Cercles de Baviere
& de Franconie , & de
troisde
Bude..
35
+
trois- mille Hongrois . Dans l'Armée
du Prince Charles les
Comtes de Caprara & de Staremberg
furent nommez Marefchaux
de Camp Generaux ;
le Duc de Croy General d'Infanterie
, le Prince Louis de
Neubourg , & le Comte de Suze
Lieutenans Generaux ; les
Barons de Thingen & de Thun,
& le Marquis de Nigrelli Sergeans
Majors de Bataille ; les
Comtes de Schults & de Dunevald
Generaux de Cavalerie ;
les Comtes de Taff , & de Palfi
, & le Baron de Mercy Lieutenans
Generaux ; le Prince Eugene
de Savoye qui eftoit arrivé
d'Efpagne en pofte depuis
peu de jours , le Comte Philippe
de Thaun , le Baron de Lodron,
& le Comte de Stirum Sergeans
Majors de Bataille .
Le
Comte
36
Hiftoire
du Siege
Comte de Leſlie fut fait Maref
chal de Camp General de l'Armée
de l'Electeur de Baviere ; le
Comte de Sherini General d'Infanterie
, le Marquis de la Verne
& le Comte de Schaffemberg
Lieutenans Generaux, & les Barons
de Wallis & de Berk , &
le Comte d'Afpremont Majors
Generaux . Il fut auffi arrefté que
le Comte de Scherffemberg demeureroit
en Tranfilvanie , &
le Comte Caraffa vers Zatmar
avec les détachemens qu'ils y
commandoient pour la confervation
des Conqueftes nouvellement
faites. Quelques accés.
de fievre qui retinrent le Prince
Charles à Edembourg , l'ayant
empéché d'aller fe mettre à la tête
des Troupes dont on devoit
faire le 29. une reveue Generale
dans les Plaines de Barcam , elle
fut
de Bude.
37
fut remife au 8. de Juin. Ce Prince
partit d'Edembourg le 20.
après avoir eu une longue conference
avec l'Electeur de Baviere
, qui fe rendit à Neuſtadt
le lendemain pour en rendre
compte à l'Empereur. Cependant
tout le trajet du Danube
depuis Ratisbonne jufqu'à Presbourg
eftoit couvert de Barques
& autres petits Vaiffeaux chargez
de munitions & de vivres, & des
Troupes de Baviere , de Franconie
& de Suabe qui defcendoient
vers la Hongrie. Jamais entrepriſe
n'a efté executée avec tant de
joye. On fe preparoit au Siege
de Bude avec un courage & une
ardeur qui ne fe peut exprimer.
Les Volontaires accouroient , de
France, d'Espagne , d'Angleterre,
d'Allemagne & de tous les endroits
de la Chrêtienté , & le
Duc
E
38 Hiftoire du Siege
Duc de Bejar Grand d'Eſpagne,
vint joindre à Vienne le Marquis
de Valero fon frere , qui s'y
eftoit déja rendu avec quelques
autres. Le 29. le Prince Loüis
de Bade partit de Neuftadt en
pofte pour aller joindre l'Electeur
de Baviere , & le Prince
Charles s'y eſtant rendu de Raab
le premier de Juin pour prendre
congé de Sa Majefté Imperiale,
reprit la route de Hongrie , accompagné
du Comte Stratman,
Grand Chancelier. Le 5. il arriva
à Comorrhe , où l'Electeur de
Baviere avoit efté receu deux
jours auparavant au bruit du
Canon & de la Moufqueterie. Ils
en partirent enſemble pour aller
au rendez - vous general. Le Prince
Charles y trouva les Troupes
dont l'Armée Imperiale devoit
eftre compofée. Elles avoient eſté
affem
A
de Bude.
39
affemblées proche de Barkam ,
par les foins du Comte de Staremberg.
On ne peut s'imaginer
la joyé qu'elles témoignerent en
voyant leur General . Il fut aisé
de connoître par toutes les marques
qu'elles en donnerent l'impatience
que chacun avoit de
marcher fous fa conduite . Les
Troupes de Saxe eſtant arrivées
au nombre de mille Chevaux
, & de quatre mille hommes
d'Infanterie , le Prince de
Saxe qui les commandoit , envoya
prier le Prince Charles
de les venir voir. Ce Prince
en fit la reveuë , & alla enfuite
difner dans la Tente de l'Electeur
de Baviere , qui luy fit voir les
fiennes rangées en bataille . I
retourna de là à Comorre pour
quelques ordres qu'il avoit à y
donner. Cependant les Troupes
du
40 Hiftoire du Siege
du Cercle de Suabe , commandées
par le Marquis de Bade-
Dourlach , joignirent l'Armée.
Elles étoient de trois mille hommes
de pied , & de trois mille
Chevaux. On intercepta des
Lettres , par lesquelles on apprit
, que le Grand- Viſir eſtoit
venu à Belgrade , qu'il avoit
donné le commandement en
Chef de l'Armée Ottomane en
Hongrie à Achmet Bacha , auquel
il avoit laiffé des ordres
particuliers , de ne rien épargner
pour la confervation de
Bude & d'Effek comme des
deux Places qui leur eftoient les
plus importantes , & qui faifoient
la feureté de toutes celles
qui leur reftoient dans le Royaume,
& qu'il eftoit enſuite retourné
à Andrinople avec une extreme
diligence. On fçeut auffi
›
par
de Bude. 41
par les Efpions que l'on avoit
envoyez pour reconnoiftre les
forces des Turcs , qu'ils ne pouvoient
mettre au plus que quarante
mille hommes en Campagne
, & que les Troupes d'Afie
avoient pour la plufpart deferté
dans leur marche d'Andrinople
à Belgrade. Les Huffars de Papa,
Dotis , Vefprin & Comorre allerent
en courſe au nombre de
quinze cens jufqu'à quatre lieuës
plus bas que Bude , & jufqu'à
deux lieues du Camp que les
Turcs avoient formé entre cette
Ville & le Pont d'Effeck . Ils emmenerent
prés de deux mille
moutons , deux cens boeufs , &
quantité de chevaux , fans avoir
trouvé perfonne qui leur difputaft
tout ce butin.
9 .
Le le Confeil de guerre fut
tenu au Camp , où tous les Officiers
42 Hiftoire du Siege
ciers Generaux s'eftoient affemblez.
Le Comte Stratman s'y
trouva de la part de Sa Majesté
Imperiale . On leur fit part de ce
qu'on avoit refolu touchant le
Siege de Bude , & deux jours
aprés le Comte de Stratman partit
pour Vienne , où il rendit
compte à l'Empereur de tout ce
qui s'eftoit paffé dans ce Confeil
. Le Comte Rabata , Commif
faire general , s'en retourna auffi
à Vienne , afin de donner ſes ordres
pour faire venir inceffamment
les vivres & les munitions
neceffaires.
Le 12. le Prince Charles partit
de Comorre , & fe rendit au
Camp de Barkan . L'Electeur de
Baviere l'y joignit le lendemain ,
& aprés que l'on eut fait une Reveuë
generale des Troupes , on
commença à leur faire paffer le
Da
de Bude.
43
9
Danube fur le Pont de Gran.
Celles de Saxe marcherent à l'Avant-
garde. L'Electeur de Baviere
partit à la tefte d'un Corps
d'Armée de vingt quatre mille
hommes , compofé des Troupes
Bavaroifes , & de plufieurs Regimens
Imperiaux , & prit fa mar
che en deçà de la Riviere. I
s'avança vers Hatwan , dans le
deffein de s'en rendre Maistre ,
& d'attaquer Peft enfuite. La
priſe de ces deux Places , dont la
derniere n'eft feparée de Bude
que par le Danube , devoit empefcher
les Ennemis d'avoir aut
cune communication entre Bude
& Agria. Le 14. les Défilez,
& la difficulté des chemins qu'il
fallut élargir en plufieurs endroits
, pour les rendre pratiquables
, ayant obligé l'Infanterie à
demeurer derriere avec l'Artillerie,
44 Hiftoire du Siege
lerie , le Prince Charles la laiffa
fous la conduite du Comte de
Staremberg , & s'avança vers
Vicegrad , du côté droit du Danube
, tandis que l'Electeur de
Baviere continuoit fa marche de
l'autre cofté , à une diſtance égale
, en forte que les deux Armées
euffent pû fe fecourir reciproquement
en cas de befoin .
Le 15.
la Cavalerie Imperiale
campa à Poftkamp , & le lendemain
à Saint André. L'Electeur
de Baviere marcha toûjours fous
une meſme ligne , n'ayant que le
Danube entre deux , & vint
le 16. camper à Weitzen. Les Ennemis
qui les pouvoient découvrir
des Ramparts de Bude des
deux coftez de ce Fleuve , ne firent
aucun mouvement pour les
venir reconnoiftre. On fceut par
quelques Turcs qui furent pris
pen
de Bude.
45
pendant cette marche , que le
Commandant de Bude ne s'attendoit
point à voir fa Place affiegée
que dans la croyance
que l'Armée Chreftienne attaqueroit
Agria ou Albe Royale,
on les avoit munies de bonnes
Garnifons & de quantité de vivres
, & qu'on en avort tranf
porté à Bude la pluſpart des richeffes
& des plus beaux meubles
des Officiers & des Bourgeois
, avec les femmes , les enfans
, & les bouches inutiles ; que
fur l'avis que ce Commandant
avoit receu qu'on venoit à luy,
il avoit envoyé demander des
Troupes à ceux des Places voifines
pour en renforcer fa Garnifon
, mais qu'il n'y avoit pas
d'apparence qu'on luy en puft
envoyer avant que les Princes
eunent inveſty la Place . Certe
Gar
46 Hiftoire du Siege
Garnifon ne laiffoit pas d'eftre
forte, puis qu'elle eftoit de douze
mille hommes de pied & trois
mille Chevaux , à ce qu'on aprit
de ces mefmes prifonniers. ,
Le 17. la Cavalerie fe repofa
dans le mefme campement afin
d'attendre que l'Infanterie fuft
arrivée , & l'on fit defcendre les
Bateaux dont on fe devoit fervir
pour conftruire un Pont à faire
paffer le Corps d'Armée de l'E
lecteur de Baviere. Ce Prince
qui defcendoit à gauche du
Fleuve s'empara de Peft , d'où
la garnifon Turque s'eftoit retirée
, aprés avoir fait fauter une
partie des murailles , & tiré de
la Place les munitions & les vivres.
Elle avoit enfuite rompu le
Pont qui luy donnoit communication
avec Bude , mais elle ne
put fi bien faire fa retraite,
qu'un
de Bude.
47
qu'un Aga ne tombaft entre les
mains des Bavarois avec trente
Janiffaires. Son Alteffe Electorale,
ayant laiffé garnifon dan Peft
& donné les ordres pour en reparer
les fortifications , détacha
le Comte de Steinaw avec fix
mille hommes pour aller attar
quer Hatwan , & fe mit en marche
vers l'ifte de S. André pour
paffer le Danube fur les Ponts
que l'on devoit y avoir dieffez,
& fe trouver au Camp devanţ
Bude. Le Prince Charles y étoit
arrivé le 18 & ce mefme jour
toute l'Infanterie ayant joint
l'Armée , il luy fit prendre des
poftes à demie lieuë de la Place,
La Cavalerie les prit de l'autre
cofté vers Albe Royale , & l'on
commença à travailler aux lignes
de circonvallation . Pendant ce
temps il fut tiré des Rempars
plu
48
Hiftoire du Siege
plufieurs volées de Cañon , dont
tout l'effet fut de tuer un Païfan
. On vit auffi paroiftre un detachement
de Cavalerie & d'Infanterie
de la Garnifon de Bude
qui fe prefenta pour embaraffer
les Travailleurs , mais il fe retira
prefque auffi- toft , ne fe trouvant
pas en eftat de foutenir un
gros de Cavalerie Imperiale qui
fe preparoit à le charger . L'avantgarde
du détachement que le
Prince Charles avoit envoyé
pour inveftir la Place, enleva un
Chaoux avec vingt Turcs de
quarante qui l'eſcortoient . Il venoit
de Belgrade, & apportoit des
Lettres au Bacha de Bude . Elles
confirmoient que l'Armée Ottomane
feroit commandée par Achmet
Bacha & que le Grand-
Vifir avoit eu ordre de fe rendre
promptement auprés de fa
Hauteffe
>
>
de Bude. 49
Hauteffe qui eftoit allée à Conftantinople.
Le 19. on ferra la Place de tous
les coftez par où elle eft acceffible
, & le Quartier general fut
étably à un quart de lieuë , avec
quelques Regimens d'Infanterie .
Le lendemain les Affiegez ayant
fait une fortie de trois cens Chevaux
foûtenus d'un pareil nombre
de Janiffaires , il y eut quel
que
Efcarmouche , mais elle fut
de peu de durée , parce qu'ils fe
tinrent toûjours fous le Canon
de la Place , fans qu'on les puft
attirer plus loin . Le Comte d'Altheim
y fut bleffé. Ce mefme
jour on commença d'ouvrir les
Lignes de circonvallation , & de
tracer les premieres Places d'Armes.
On marqua auffi trois Batteries
, & autant d'épaulemens
pour tenir à couvert la Cavalerie
C
50 Hiftoire du Siege
,
dont les Travailleurs devoient
eftre foûtenus dans les approches.
Sur le foir , le Comte de
Staremberg receut ordre d'aller
fe pofter proche les Bains afin
d'attaquer le Vafferftadt ou la
Ville baffe contre laquelle on
drefla deux Batteries du cofté
qui defcend vers le Danube. I
fit ouvrir la Tranchée , & on la
pouffa affez avant. Le Bacha de
Bude trouvant à propos de fe
défaire de beaucoup de bouches
inutiles >
donna la liberté
à tous les Chreftiens .
que
l'on trouva incapables de porter
les armes , & l'on fceut par
eux , qu'ayant affemblé la Garnifon
dans la grande Place , il
leur avoit leu les ordres du
Grand Seigneur qui les exhortoit
à refifter vigoureufement;
qu'il avoit enfuite défendu aux
Sol
de Bude.
51
X
1 Soldats & aux Habitans fous
peine de la vie de parler de Capitulation
, & que s'il arrivoit
qu'il fut tué en leur donnant
l'exemple de fe bien défendre,
on avoit nommé quatre Bachas
qui devoient l'un aprés l'autre
prendre le Commandement.
Le 21. les Bavarois commencerent
à paffer le Danube fur le
Pont de Bateaux de l'Ile de
S. André , & ce jour là fut employé
à ranger les Bagages dans
les Lignes , & à divifer les Troupes
par Eſcadrons & par Batail-
Ilons , afin de faire la diftinction
des Quartiers. Le Prince Charles
occupa les mefmes Poftes qu'il
avoit pris dans le dernier Siege.
L'Electeur de Baviere fit la mefme
chofe , & vint fe camper au
pied du Mont S. Gerard .
Le 22. on dreffa une nou-
Cij
52 Hiftoire du Siege
velle Batterie de fix pieces de
Canon contre la Ville baffe , &
l'on commença en mefme temps
à travailler aux Tranchées par
l'ouverture de trois grandes Places
d'Armes ; beaucoup plus prés
de la Ville que l'on n'avoit fait
en 1684. Il fut refolu qu'il y au
roit trois Attaques ; la premiere
commandée par l'Electeur de
Baviere ; la feconde par le Comte
de Staremberg , & la troifiéme
par les Troupes de l'Electeur
de Brandebourg que l'on attendoit
inceffamment , & auf
quelles on devoit joindre quelques
Regimens Imperiaux , &
d'autres Troupes Auxiliaires . Le
Prince Charles ne garda que
dix hommes de Cavalerie par
Compagnie pour fervir au
Camp à couvrir les Travailleurs
fous les ordres du Comte de Pal-
,
fi,
de Bude.
53
fi , & il envoya le reste aux environs
d'Albe- Royale , afin d'y
confumer les Fourages, & d'ofter
par là aux Infidelles les moyens
d'y fubfifter. Les Affiegez firent
grand feu tout le jour & toute la
nuit fuivante, & il y eut neuf Soldats
tuez ou bleffez .
Le 23. la nouvelle Batterie de
fix pieces de Canon s'eftant
trouvée prefte , commença dés
le matin à tirer , & fit une Bréche
de fix pas. Ceux qui estoient
au haut des Montagnes , apperçurent
par cette bréche quantité
de Betail & de Chevaux , mais
les Ennemis ne parurent point.
Il y eut fix Soldats à la Batterie
emportez par le Canon de la Place.
Quelques Huffarts & Croates
qui s'étoient avancez trois
lieuës au delà de Bude fous la
conduite du Comte Budiani ,
C iij
$4 Hiftoire du Siege
,
ayant efté avertis que le Bacha
en avoit fait fortir quantité de
Barques chargées de femmes ,
d'enfans & de quantité de
meubles qu'il envoyoit à Belgrade
, les pourſuivirent avec
trois cens Dragons , & les rencontrerent
à l'Ile de Sainte Marguerite.
Ils taillerent en pieces
tous ceux qui les eſcortoient,
s'emparerent de leurs Trefors ,
& amenerent deux cens Prifonniers
, qui furent les Vieillards
, & autres qu'ils jugerent
les plus propres à fe faire ra
cheter.
Le 24. la bréche ayant efté
élargie de vingt pas , on examina
la contenance des Affiegez
qui s'eftoient retranchez à droit
& à gauche au nombre de quatre
cens . Il fut refolu que l'on
iroit à l'Affaut , & comme c'eftoit
de Bude.
55
1 ftoit la premiere action du Siege
, chacun à l'envy chercha à
fe diftinguer. Les difpofitions
de l'attaque furent faites , & à
dix heures du foir on en donna
le fignal par trois volées de Ca-
1 non. Cent Grenadiers s'avancerent
les premiers , ayant un Capitaine
à leur tefte ; ils furent
fuivis de deux cens Moufquetaires
que commandoit un Sergent
Major , & foûtenus de trois
cens autres fous la conduite d'un
Lieutenant Colonel. Ils allerent
vers la brèche , & attaquerent
avec tant de force & de bravoure
les Ennemis qui la défendoient,
qu'ils les forcerent d'abandonner
leurs retranchemens. Six cens
hommes d'Infanterie en deux
Brigades marcherent aprés ceuxcy
, & fe pofterent au pied de
la bréche avec cinq petites pie-
C iiij
$6
Hiftoire
du
Siege
ces de Canon qu'ils avoient fait.
conduire avec eux . Elle fut franchie
par le Prince de Vaudemont,
par le Prince de Commercy,
& par un tres grand nombre
de Volontaires qui s'eftoient
mis à la tefte de l'Infanterie , &
qui fe pofterent dans la Ville
baffe malgré le feu continuel
que firent les Affiegez . Il n'y eut
que cinq Soldats tuez & onze
bleffez. Le Comte de Marfilly,
Infpecteur general des Ingenieurs
, eut le bras caffé au deffus
du coude , d'un coup de Mouf
quet qu'il réceut dans la tranchée
avant que l'on commençant l'Attaque
.
Le 25. fut employé à perfectionner
les Poftes que l'on avoit
occupez dans la baffe Ville , &
fix Bataillons furent logez au
pied des murailles. Il y eut un
Lieu
de Bude .
57
Lieutenant des Grenadiers tué
d'un boulet qui tomba dans la
Tranchée, & qui emporta les bras
& les jambes à cinq Soldats. Un
Chevalier de Malte François fut
auffi dangereufement bleffé . Il
eftoit avec le Marquis de Souvray,
qui fit paroiftre beaucoup
de bravoure .
Le 26. on s'apperceut que les
Affiegez faifoient gliffer du monde
le long de l'eau par dedans la
Ville baffe , pour venir attaquer
un Pofte qui eftoit devant une
groffe Tour joignant le Danube.
Le Chevalier de Rhofne , Capitaine
du Regiment de Staremberg,
foûtenu du Comte d'Awersbergs
, Lieutenant Colonel du
Regiment de Mansfeld , vint à
leur rencontre , & ils les repoufferent
avec beaucoup de vigueur.
Le Prince de Vaudemont le
,
C v
58
Hiftoire
du Siege
Prince de Commercy , & plufieurs
autres Volontaires qualifiez
, accoururent à l'efcarmouche
, qui dura une heure fous le
Canon de la Place. Il n'y eut que
quinze hommes tuez ou bleffez
du cofté des Affiegeans . Le Sieur
Bourgers , Capitaine du Regiment
de Staremberg fut de ces
derniers , & Milord Mongois receut
une contufion à la temple.
Les Affiegez perdirent trente
hommes, & le nombre des bleffez
fut beaucoup plus grand. Ce jour
là le Prince de Neubourg, Grand
Maître de l'Ordre Teutonique,
Lieutenant General , qui eftoit
arrivé au Camp le 22. & le
Comte de Diepenthal , General
Major , monterent la Tranchée,
fuivant ce qui avoit efté arreſté
quelques jours auparavant au
Confeil de Guerre , que tous les
jours
de Bude.
59.
jours ce feroit un Lieutenant General
, & un General Major qui
la monteroient à chaque Attaque
avec deux mille hommes,
& qu'on les releveroit de vingtquatre
heures , en vingt- quatre
heures . Outre ces deux mille
hommes , il y avoit toûjours fix
Bataillons de referve , & une
Garde de Cavalerie pour les
foûtenir. On travailla la nuit à
pouffer une grande Coupure fur
Ela droite le long de la muraille ,
afin de couvrir une Batterie de
douze Pieces qu'on vouloit mettre
en estat contre les défences
de deux Rondelles, & de la Courtine,
vers laquelle on devoit conduire
la Tranchée. On ouvrit
auffi une porte au coin de cette
Muraille , où l'on fe logea en dedans
de la baffe Ville , à trois
cens pas du Corps de la haute,
&
60
Histoire
du siege
& en tous ces logemens on ne
perdit que quinze hommes.
Le 27. les Travaux fe trouverent
fort avancez à l'Attaque
de l'Electeur de Baviere , qui fit
dreffer une Batterie fur le panchant
de la Montagne. Il fit faire
auffi fur la hauteur de cette
meſme, Montagne un Logement
affez grand pour contenir mille
hommes , & affeurer la tefte de
la Tranchée , qui fut ouverte au
pied du Chafteau , vis à vis la
grande Tour qui en couvre la
façade. Le foir les Affiegeans firent
une fortie au nombre de
quatre
cens, Cavalerie & Infanterie,
fur cent hommes retranchez à la
teſte des Travaux qu'on avoit
faits la nuit précedente. Le Comte
de Saur, Capitaine au Regiment
de Lorraine qui les commandoit
fit une fi vigoureuſe reſiſtance,
de Bude. 61
cè , que la grande Garde eut le
temps d'y accourir. Les Ennemis
furent repouflez ; ils laifferent
feize des leurs fur la place , &.
eurent quelques bleffez.La Tranchée
fut relevée ce jour- là par
le Comte de Souches , Lieutenant
General , & par le Comte
de Tinghen , Mareſchal Major.
Le 28. on joignit les deux Attaques
par une Ligne de communication
de quatre cens pas .
On mit auffi huit groffes pieces
de Canon fur une nouvelle Baterie
à l'Attaque du Prince Charles
, devant laquelle on tira une
Ligne de deux cens pas ,
afin
qu'on y puft aller de la Tranchée
fans eftre infulté des Ennemis.
Cette Baterie fervit à tirer
contre deux Ouvrages avancez
en forme de pafté , qui défendoient
la Porte du cofté de
la
62 Hiftoire du Siege
la baffe-Ville . Les Ennemis faifoient
de là un feu continuel de
Canon , dont les Affiegeans eftoient
fort incommodez . Les Travaux
furent continuez fans beaucoup
d'obſtacle la nuit de ce
même jour , & on perfectionna la
Ligne de communication
entre
la Porte du milieu & la derniere
, ce qui donnoit moyen
moyen d'entrer
à couvert dans la nouvelle
Baterie.
Le 29. le Sieur Soulars , Ingenieur
, fut bleffé en faifant travailler
à de nouvelles Lignes
qu'on fit en forme de paralelles,
pour communiquer avec les au
tres Travaux , & s'approcher plus
prés de la Place . L'Electeur de
Baviere ayant eu quelque indifpofition
, le Prince Charles l'alla
vifiter fur les cinq heures du foir,
& dans ce temps mefme , les Af-
י
Liegez
de Bude.
63
fiegez firent une Sortie en bien
plus grand nombre qu'ils n'avoient
encore fait du cofté de
l'Attaque des Bavarois. Ils attaquerent
les Travailleurs & les
Troupes qui eftoient en garde
dans la Tranchée , & les
ayant
mis en defordre , ils euffent comblé
les Travaux , fi le Comte de
Hoffkirken n'euft promptement
amené la Garde de Cavalerie.
L'Electeur de Baviere ayant efté
averty de cette Sortie , rien ne
fut capable de le retenir. Il y
courut , quoy qu'indifpofé , auffi-
bien que le Prince Charles , &
leur prefence anima fi bien tous
ceux qui avoient déja commencé
à foûtenir les efforts des Infidelles,
qu'après en avoir tué beaucoup,
ils les forcerent à fe retirer,
& les pourſuivirent jufqu'à quarante
pas de la Tranchée Le Prin64
Hiftoire du Siege
ce Eugene de Savoye fe fit remarquer
par fa bravoure , & eut
un cheval tué fous luy
, auffibien
qu'un de fes Gentilshommes.
Le Baron de Zwitterthal ,
Lieutenant Colonel du Regiment
de Steinaw , fut tué avec
trente ou quarante Bavarois. Il
y eut auffi quelques bleffez . Le
Baron de Billes , Capitaine dans
le Regiment d'Arko , le fut dangereuſement
.
Le 30. on repara les Travaux
que les Ennemis avoient ruinez
le jour precedent , & on avança
jufqu'à fix-vingt pas de la muraille.
Ce méme jour , deux Compagnies
de Paffau & de Ratisbonne
arriverent au Camp, auffi
- bien que les Troupes de Suabe
& de Franconie . Elles étoient
en tres-bon eftat , & au nombre
de cinq à fix mille hommes . Celles
de Suede commandées par le
de Bude.
65
po-
Marquis de Turlac , arriverent
pareillement , & prirent leur
ite fur une hauteur, afin de pouvoir
agir où il feroit le plus neceffaire.
Le feu parut en differens
endroits de la Ville ; il y avoit
efté mis par des Bombes .
qu'une Baterie de Mortiers avoit
jettées. Le Comte de Dunewald
partit ce jour- là du Camp , pour
aller commander la Cavalerie
inutile au Siege , qui eftoit venuë
camper au nombre de plus
de douze mille hommes jufqu'à
la portée du Canon d'Albe Royale
, ce qui avoit obligé les Turcs
à abandonner plufieurs Chafteaux
, & d'autres petits Poftes
aux environs.
Le 1. de Juillet fut employé à
perfectionner la ligne de communication
à l'attaque du Prince
Charles , & les Poftes deftinez
66
Hiftoire du Siege
par
nez aux Poftes de Suabe & de
Franconie leur furent donnez.
On apprit par des Transfuges
qu'il y avoit une grande confternation
dans la Ville, caufée
la perte qu'avoient fait les Affiegez
à la fortie du 29. il y eut
quatorze de leurs Officiers tuez
avec quantité de Janiffaires. Les
ouvrages qui avoiết eſté comencez
fur la droite , furent achevez .
la nuit fuivante , & on pouffa
ceux de la gauche jufqu'à cent
cinquante pas de la muraille .
Le 2. douze pieces de Canon
& huit Mortiers batirent la Ville.
Deux bateries que les Affiegez
avoient , l'une fur la groffe
Tour , & l'autre fur une autre
Tour , furent démontées en peu
de temps. Les Bombes cauferent
ce jour- là beaucoup de dommage
dans la Ville , à ce qu'on apprit
de Bude. 67
prit d'un Deferteur qui dit qu'elle
n'eftoit défenduë que par ſept
ou huit mille hommes , & que
les vivres commençoient à eſtre
chers , parce qu'ils n'y eftoient
pas en grande abondance. Il parut
quelques Troupes Ennemies
du cofté de Peft , & fur l'avis
qu'on en eut , le Prince Charles
ordonn que l'on fift conſtruire
trois redoutes au bord du Danube
, que les Heiduques & les
Hongrois garderoient . On fit
une brêche de quinze pas du
cofté de l'attaque du Prince
Charles.
Le 3. le Regiment du Prince
Eugene de Savoye arriva au
Camp , & on eut avis que les
Troupes de Brandebourg n'en
eftoient qu'à une lieuë. Quatre .
Mortiers furent ajoutez aux 8.
que l'on avoit mis fur la baterie
dreffée
68
Hiftoire du Siege
dreffée à l'attaque des Imperiaux,
& tout cela fit grand feu la nuit
fuivante. La Baterie des Bavarois
n'en fit pas moins , elle eftoit de
fept Mortiers. L'Artillerie des
Ennemis fit auffi grand feu , &
les Affiegeans furent fort incommodez
des Pierres qu'on leur jetta.
Le Sieur Collery , Capitaine
dans le Regiment de Lorraine,
eut le genouil fracaffé d'un éclat
de Bombe , & un des meilleurs
Bombardiers receut un coup à la
tefte. Il y eut encore quinze ou
vingt hommes bleffez . Un Offi
cier Turc qui vint ſe rendre, fur
mené à l'Electeur de Baviere,auquel
il conta qu'ayant tué le mary
d'une femme dont il eftoit amoureux
, il avoit eſté obligé de
quitter la Ville , & s'eftoit tenu
caché pendant quelques heures
dans un endroit où fa maiftreffe
luy
de Bude. 69
luy avoit promis de le venir joindre
, mais , mais que la crainte d'eftre
découvert par les Affiegeans qui
luy auroient fait un mechant
party , ne luy avoit pas permis de
l'attendre. Il ajouta qu'il n'y avoit
dans la Place que trois mille
Janiflaires , & un pareil nombre
de Soldats ; que malgré l'effet des
Carcaffes & des Bombes , qui avoient
obligé le Commandant à
fe loger dans une cave voutée
prés du Chateau pour y eftre
plus en feureté , ils eftoient tous
refolus de fe bien défendre ; qu'il
n'eftoit entré perfonne dans la
Ville comme on l'avoit crû, mais
que des Turcs en eftoient fortis
pour aller demander un prompt
fecours à Achmet Bacha Seraf
Kier , & aux Tartares.
Le 4. ce mefme Officier montra
à l'Electeur de Baviere , &
aux
70 Hiftoire du Siege
Le
aux Princes de Bade & de Savoye
, le Magafin à poudres &
les mines des Affiegez . Il dit
qu'il y en avoit fous la Rondelle
du Chafteau & à l'endroit de la
breche des Imperiaux. Un autre
Transfuge qui fe difoit Polonois,
fe rendit au Camp & affeura que
les Affiegez ne pourroient tenir
encore un mois , fi l'Armée du
Seraskier ne les fecouroit.
Prince Charles paſſa le Danube
pour aller voir les Troupes de
Brandebourg qui eftoient arri
vées le jour precedent avec une
belle Artillerie. Elles eftoient
compofées de huit mille hommes
, en fix Eſcadrons de Cavalerie
& dix Bataillons d'Infanterie
Le General Schoning qui
les commandoit, receut ce Prince
au bruit du Canon , qui fut
ſuivy de 3. décharges de Mouſque
de Bude.
71
I
queterie. Il luy donna enfuite
un magnifique difner dans fa
tente.
Le
4
5. on fit paffer le Danube
à ces Troupes , qui prirent le pofte
qui leur avoit eſté deſtiné du
cofté de la Ville baffe. Il fut refolu
qu'on en tireroit quinze
cens hommes tous les jours pour
monter la tranchée , & qu'on les
joindroit aux Imperiaux & aux
Suedois, afin de faire quatre mille
hommes pour les Poles qui étoient
du coſté de l'attaque du
Prince Charles.
Un Deferteur Grec arriva en-
*
core au Camp & raporta que
cinq Turcs qu'on avoit fait fortit
à la nage , eftoient allez preffer
le fecours que lors
que les Trou
pes de Brandebourg avoient paru
, les Affiegez avoient fait
roiftre beaucoup de joye dans la
penfée
pa72
Hiftoire du Siege
1
penféc que ce fuft celles du Se
raskier , & que le Commendant ,
ayant appris que c'eftoit un renfort
pour l'Armée Chreftienne,
avoit taché de le déguifer à la
garnifon , en difant que c'eftoit
un mouvement que les Affiegeans
avoient fait faire à leurs Troupes
pour faire croire qu'il leur en
eftoit venu de nouvelles . La plufpart
des Bateries des Affiegez furent
miſes en defordre par le grad
feu qui fut fait de l'attaque des
Imperiaux & de celle des Bavarois.
Il leur demonta plufieurs pieces
de Canon, & fit un fort grand
dommage au couronnement des
deux Pâtez,en forte qu'ils ne pouvoient
prefque plus y demeurer
à couvert . La breche ſe trouva
large de quatre - vingt pas , &
comme les ruines n'avoient point
couvert le pied de la muraille
qui
de Bude.
73
qui paroiffoit encore haute de
dix pieds , ont refolut de l'égaler
avec des Fafcines & des facs à
terre. L'attaque des Bavarois fut
auffi fort avancée , mais la breche
n'eftoit pas fi fpacieuſe.Ceux
Ide Brandebourg qui avoient ou-
Evert la tranchée à leur attaque
avec 1200. hommes , avancerent
- leurs travaux fur la gauche avec
tant de diligence , qu'ils fe trouverent
prefque au pied de la muraille
. Ce jour- là mefme ils donnerent
des marques de leur valeur.
Les Affiegez n'avoient point
fait de fortie depuis celle du 29.
= & pour eftonner ces nouveaux
1 venus ils en firent une fort
brufque & bien concertée fur
leurs Travailleurs , mais ils furent
repouffez avec grand carnage
jufques à la porte de la
Ville , devant laquelle fe pofte-
,
D
74 Hiftoire du Siege
rent ceux qui les avoient pourfuivis.
Ils s'y maintinrent , &
travaillerent de ces Poftes avancez
en reculant , & de la tefte
de la Tranchée en avançant ,
pour rejoindre les Travaux , &
les faire communiquer les uns
avec les autres. Les Ennemis
perdirent quatre ou cinq cens
hommes , & il en coufta à ceux
de Brandebourg un de leurs Ingenieurs
, quatre Lieutenans ,
autant d'Enfeignes, environ . trente
Soldats , & le Fils aifné du
General d'Orffling . il eftoit venu
en Hongrie pour faire cette
Campagne en qualité de Volontaire
, & il fut tué d'un coup
de Moufquet au travers du corps.
La nuit on jetta quantité de
Bombes & de Carcaffes dans la
Ville , principalement du cofté
de l'attaque des Imperiaux. L'Eglife
de Bude.
75
glife de faint Jean , qui fervoit
aux Turcs de grande Moſquée,
fut reduite en cendres avec cinquante
maiſons voifines.Le nombre
des Travailleurs ayant efté
augmenté , on pouffa encore les
approches, & les Lignes de communication
entre les trois attaques
qui furent perfectionnées. ›
Le fixiéme les Troupes de
Brandebourg continuerent leurs
travaux , & ils les poufferent
de telle forte qu'ils fe trouverent
auffi avancez que ceux des
deux autres attaques. Un Capitaine
& quatre de leurs Soldats
furent bleffez , & il y en
eut huit tuez . On fit jouer du
cofté de l'attaque des Bavarois
une Batterie de dix pieces de
Canon dont une fut demontée
auffi- toft par le Canon de
la Ville. Ils fe pofterent la nuit
Dij
76 Hiftoire du Siege
tout proche les Pallades , &
eurent prés de foixante hommes
tuez ou bleffez . Le Sieur Funck,
Lieutenant
Colonel du Regiment
de Souches , fut de ces derniers.
Le 7. les Travaux furent avancez
à droit & à gauche , jufques
à dix ou douze pas de la
bréche , où les Imperiaux fe pofterent.
Ils perdirent prés de cin-
Le Sergent
quante hommes .
General de Dinghen fut bleffé
au pied , à la tefte de l'attaque,
où il eftoit cette nuit de garde
avec le Comte de Souches , &
le Chevalier de Rofne receut
un coup de Moufquet au travers
corps. Les Mineurs eurent ordre
de faire éventer les Contremines
des Affiegez dont on
avoit eſté averty , & les Troupes
de Brandebourg qui travaillerent
de Bude.
77
lerent à dreffer leurs bateries,
les mirent prefque en eftat. Le
bruit fe repandit dans le Camp
que le Grand Vizir eftoit en
marche entre Belgrade & Effek
avec une Armée confiderable,
mais on connut auffi - toft la fauffeté
de ce bruit. C'eftoit Benfi
Bacha , Aga des Jani ffaires. Il
avoit joint les Troupes des Turcs
qui eftoient campez depuis longtemps
en ce lieu - là.
Le huitiéme on travailla à
élever deux nouvelles Batteries
à l'Attaque de Lorraine , l'une
de cinq pieces de Canon , &
l'autre de quatre , afin d'élargir
les brèches. La petite Rondelle
fut abatue par le Canon des Bavarois,
qu'elle incommodoit beaucoup
dans les Tranchées , & la
nuit fuivante on tira une Ligne
qui traverfoit le long de la Ron-
Dij
78 Hiftoire du Siege
,
delle gauche vers la Courtine
droite. Comme ce travail ſe faifoit
fort prés , les pierres & les
Grenades que jetterent les Ennemis
, tuerent ou blefferent prés.
de trente hommes. Le Comte
Guido de Staremberg , Lieutenant
Colonel du Regiment de
ce nom qui commandoit à la
Tranchée , s'y fit diftinguer par
fa valeur , auffi bien que le Major
Bifchoffhaufen , qui fut bleffé
au bras d'une balle de Moufquet.
Un Capitaine de Staremberg
le fut auffi à l'épaule , &
fon Capitaine Lieutenant au
pied . Trois Turcs fe rendirent,
& on apprit d'eux que les Affiegez
avoient grande impatience
qu'il leur vinft quelque fecours,
& qu'ils fe défendoient avec
d'autant plus de réſolution &
de courage, que les belles actions
eftoient
de Bude.
79
eftoient récompenſées par le
Commandant. Quelques autres.
Turcs fortirent de la Ville , dans.
le deffein de brûler les Batteries
des Affiegeans , mais l'un d'eux
ayant efté mis par terre d'un
coup de Moufquet , tout le refte
prit la fuite.
Le neuvième les Affiegez à
la pointe du jour firent jouer
un Fourneau entre la Porte &
la Rondelle du milieu. Il ruina
la Mine que les Imperiaux
avoient faite. Il y eut fept Mineurs
enterrez , & leur Capitaine
fut dangereufement bleffé
. Ils firent enfuite une Sortie
entre cette Attaque & celle
de Brandebourg. Les Troupes
de cette derniere furent d'abord
mifes en defordre , & fe renverferent
fur les Travailleurs avec
perte d'environ cent hom-
D iiij
80
Hiftoire du Siege
mes , entre lefquels furent deux
Lieutenans Colonels ,
II
quatre Capitaines
, & quelques Officiers
fubalternes
. Cependant le Corps
de réſerve de la Place d'Armes
la plus voifine eftant accouru,
on chargea les Turcs d'une maniere
fi vigoureufe , qu'ils fe retirerent
avec plus de précipitation
qu'ils n'eftoient venus.
demeura plus de quatre - vingt
des leurs fur la Place , fans les
bleffez , & l'on fit fix prifonniers.
Aprés qu'ils eurent efté
repouffez , on travailla à retirer
les Mineurs & les Travailleurs
des ruines que le Fourneau avoit
faites. Il n'y en eut qu'un
que l'on ne put retrouver. On
continua les Travaux avec autant
d'ardeur que s'il ne s'eftoit
point fait de Sortie. Les Bavarois
firent jouer une autre Batterie
de Bude. 81
terie de dix pieces , ayant eſté
obligez de changer la premiere,
à caufe que le Canon de la Ville.
l'incommodoit , & qu'elle en
eftoit trop éloignée . Ce mefme
jour , quelques Hongrois donnerent
avis à l'Electeur de Baviere
que fept mille Tartares étoient
en marche , pour jetter
du fecours avec un Bacha dans
Bude du cofté de Peft. Cela
obligea d'envoyer en diligence
trois cens . cinquante hommes :
dans cette derniere Place , avec
ordre de travailler à des Redoutes
, afin que les Ennemis trouvant
les Paffages coupez, ne pûffent
executer leur deffein.
Le dixième on attacha les
Mineurs fous la Paliffade de la
Rondelle oppofée à l'Attaque de
Baviere , & l'on redreffa en celle
de Lorraine la Galerie qui
D v
821 Hiftoire du Siege
→
avoit efté brûlée en partie le
jour précedent . On y attacha
auffi les Mineurs , pour tâcher
d'éventer les Contre- mines fous
la Rondelle qui eftoit à gauche
& fous celle du milieu .
Quoy qu'il tombaſt ce jour- là
une groffe pluye , elle ne put
empefcher que le Prince Charles
ne fift dreffer deux nouvelles
Batteries l'une au milieu
des Travaux , & l'autre de
neuf pieces de Canon fur la
gauche .
Le 11. fut employé à perfectionner
les approches à l'Attaque
de Lorraine , & l'on mit le
Canon fur les deux nouvelles :
Batteries , & deux Mortiers fur
une autre. Il y eut quelques Soldats
tuez & bleffez , mais en
petit nombre. On travailla auffaux
Mines , & à rencontrer
celles
de Bude.
83
celles
,
que les Affiegez pouvoient
avoir préparées pour les faire fauter
contre les Affiegeans , s'ils
donnoient l'affaut. Pendant tout
ce jour , les Canons & les Mortiers
tirerent fans ceffe tant
pour élargir les bréches, que pour
ruiner les Retranchemens qu'avoient
fait les Affiegez , dans le
deffein de bien foûtenir l'affaut.
La Batterie de ceux de Brandebourg
joia , auffi- bien que
celle de Dom Antonio Gonçales
, Lieutenant general de l'Artillerie
, & d'un Ingenieur Efpagnol
, qui par l'élevation de fes
feux d'artifice donna beaucoup
de plaifirs aux Affiegeans , en
mefme temps qu'il caufoit de
grands dommages aux Affiegez .
Les Bavarois battirent inceffam-.
ment la Rondelle du Chafteau,
& y jetterent des Bombes de
deux
$4 Hiftoire du Siege
deux Batteries de trois Mortiers
chacune , dont l'une n'eftoit qu'à
trente pas de la Paliffade . Trois
de leurs Mineurs furent tuez par
leurs propres Cannoniers & le
mefme malheur feroit arrivé à
l'Electeur de Baviere , s'il n'euft
pas changé de place un moment
auparavant.Sur l'avis qu'on avoit
eu que le Seraskier s'eftoit avancé
jufqu'à trois lieuës de Peſt as
vec un Corps de huit mille hommes,
tirez des Garnifons de Themifwar,
Lippa, Giula, grand Waradin
, Segedin , Agria , Hatwan
, & autres Places des Turcs
en la baffe Hongrie , & fur
les Frontieres de Tranfylvanie,
dans le deffein de fecourir Bude
le Prince Charles détacha
le Baron de Mercy & le
Prince Eugene de Savoye avec
trois
,
de Bude. 85
un
trois mille chevaux , & fix Bataillons
d'Infanterie , qui pafferent
le Danube , & fe pofterent
proche de Peft de l'autre colté
du Pont , hors de la portée du Canon
, pour y attendre les Turcs,
& empefcher qu'ils ne fe puffent.
= jetter dans la Place . On fit auffi
un Détachement confiderable de
Cavalerie & de Dragons pour
renforcer ceux que l'on avoit envoyez
à Peſt , où ils travailloient
à de nouvelles fortifications du
cofté du Danube , & pour refferrer
la garnifon d'Albe- Royale,
qui auroit pu faire quelque diverfion
en faveur des Affiegez ,
afin de faciliter le fecours qu'ils
attendoient .
Le 12. on fit applanir à l'attaque
de Lorraine la defcente dans
les Foffez oppofez aux breches,
à la faveur du Canon & des
Bom
86
Hiftoire du Siege
Bombes , afin de pouvoir monter
à l'Affaut , & l'on fit auffi grand
feu aux attaques de Baviere &
de Brandebourg. Quoy que la
breche que l'on avoit commencé
à faire dans cette derniere le
jour precedent , fe trouvaſt élargie
de plus de quinze pas , la muraille
eftoit encore trop haute depuis
fon pied jufques à l'éboulement.
Ainfi l'on continua de
tirer le Canon avec plus de violence
, pour taſcher d'y faire des
ruines plus confiderables , & les
Affiegez qui jetterent inceffamment
des feux d'artifice & des
pierres de leurs Mortiers , n'empêcherent
point qu'en l'une &
en l'autre on n'avançaft les approches
fort prés des foffez . On
vit paroiftre la flâme pendant
plus de huit heures en plufieurs
endroits de la Ville , ce qui fit
2
juger
de Bude.
juger que
les Bombes & les Carcaffes
des Affiegeans
y avoient
caufé un grand dommage. Le
feu de la Baterie des Bavarois
prit à des Tonneaux
de poudre,
& fit fauter en l'air prés de vingt
perfonnes.
Le 13. les Regimens de Steireim
, de Pafc , & de Goucqfes
arriverent des environs de Stulweiſenbourg
au camp des Troupes
commandées par le Baron de
Mercy & par le Prince Eugene
de Savoye , ce qui fit un corps de
neufmille hommes. Les Ennemis
éventerent la mine des Imperiaux
, mais les Mineurs eurent
le loifir de fe fauver. Ils mirent
auffi le feu à un Fourneau dans
l'efperance de faire fauter la
grande garde des Imperiaux , &
l'effet en fut contraire à ce qu'ils
avoient attendu les terres retom
88
Hiftoire du Siege
tomberent fur eux , & remplirent
feulement une partie de la tefte
des travaux des Affiegeans . Cependant
le feu mis à ce Fourneau
ayant ebranlé la Tour fous
laquelle le Mineur avoit eſté attaché
, on pointa contre cette
mefme Tour huit pieces de Canon
qui y firent une breche confiderable.
On tint un Confeil de
guerre où l'on refolut de donner
Affaut par trois endroits , à la
breche de l'attaque de Lorraine.
Le Comte Guido de Staremberg
, & le Comte d'Awersberg
furent commandez , chacun avec
deux- cens quatre - vingts hommes
, le premier à la droite de
l'attaque proche la grande Rondelle
, & le fecond à la gauche.
Le Comte de Herberftein , avec
qui marchoient les Fufeliers ,
Pionniers , & Travailleurs, avoit
or
1
de Bude. 8.9
ordre de donner au milieu de la
Courtine. Il eftoit auffi fuivy de
deux cens quatre - vingts hommes
, & le refte , au nombre de
deux-mille , demeura de referve
pour les foutenir . Sur les fept
heures du foir , le Signal ayant
efté donné pour l'affaut par une
décharge de tout le Canon qui
eftoit en baterie à cette attaque,
on commença de monter à la breche
, ce qui n'eftoit pas aisé , à
caufe que les Ennemis l'avoient
I reparée par plufieurs rangs
de
Paliffades . On ne laiffa pas de les
forcer, quoy qu'ils fiffent une vigoureufe
refiftance , & l'on fe pofta
fur la brêche à la faveur de
la Moufqueterie & des Grenades
qu'on tira dans les retranchemens
paliffadez qu'ils avoient.
faits , derriere lefquels ils fe maintinrent
en tres- bon ordre. Rie
n'e
୨୦ Hiftoire du Siege
·
n'eft égal à l'ardeur que firent
paroiftre tout ce qu'il y avoit de
Volontaires & de Braves à l'Armée
, pour eſtre des premiers à
fe trouver fur la breche . On y
demeura prés de deux heures:
que l'efcarmouche dura, & pendant
ce temps les Affiegez firent
fauter deux Mines , qui cauferent
moins de perte aux Affiegeans
, que les Fleches , les Bombes
, les Grenades & les Pierres.
Cependant on ne pût venir à
bout de faire le logement ; le
defordre & la chaleur du combat
avoient éloigné les Travailleurs
, & d'ailleurs il auroit falu
plus de Fafcines & de facs à terre
, qu'on n'en avoit , pour pou
voir fe mettre à couvert & ſe retrancher.
Cela fut cauſe que l'on
ugea à propos de faire retirer les
raupes dans leurs Poftes, ce que
l'on
de Bude . 91
lon fit à neuf heures du foir, tandis
que le
Canon
, des
Bombes
&
la Moufqueterie
de
deux
Bataillons
de
Souches
&
de
Mansfeld
favorifoient
la retraite
. Le
Prince
Charles
fut
preſent
à l'action
, &
eut
deux
Pages
, l'un
tué
à fes
coftez
, &
l'autre
bleffé
.
La
perte
fut
grande
de
part
& d'autre
. On
tient
qu'il
y
eut
plus
de
cinq
cens
Soldats
tuez
du
cofté
des
Affiegeans
, &
prés
de
trois
cens
bleffez
, ' outre
quelques
Colonels
,
Capitaines
, autres
Officiers
, &
beaucoup
de
Volontaires
. Parmy
ces
derniers
fut
le
Prince
de
Commercy
, qui
demeura
longtemps
fur
la
bréche
expofé
au
feu
. Le
Sieur
du
Pleffis
, fon
Ecuyer
, fut
tué
auprés
de
luy
, &
le
Sieur
de
S. Sulpice
, l'un
de
fes
Gentilhommes
, y_receut
quelques
bleffures
. Le
Duc
de
Bejar
,
Grand
92
Hiftoire du Siege
Grand d'Espagne , monta un des
premiers à l'affaut. Il y fut bleffé
dangereufement , & mourut trois
jours aprés . Le Fils du Prince Robert,
& Milord Georges Savil, fe
cond Fils du Marquis d'Halifax,
avec plufieurs autres Seigneurs
Anglois furent tuez , ainfi que
le
Prince Palatin de Veldens,le jeune
Comte de Maldeghen , le Chevalier
de Cormaillon , le Comte
de Herberſtein , le Comte de
Kouffstein , Capitaine dans Staremberg
, le Baron de Rolle , &
le Sieur Kirchmeir , tous deux
Capitaines dans le Regiment de
Souches, le Baron de Chiffer , le
Comte de Strottembach , & plufieurs
autres Volontaires & Officiers
fubalternes. Milord Fitz-
James, Fils naturel du Roy d'Angleterre
, fut bleffé legerement.
Le Prince Picolomini mourut
dés
de Bude.
93
dés le lendemain de fes bleffures,
& fut enterré dans Peft . Les autres
Bleffez confiderables , dont
les noms ont efté fçeus , furent le
Comte de Staremberg , Lieutenant
Colonel , qui avoit le commandement
de la droite ; le
Comte d'Aversberg , auffi Lieutenant
Colonel , qui commandoit
la gauche ; le Comte de Dona ,
Colonel dans les Troupes de
Brandebourg ; le Marquis de la
Verne , Lieutenant Maréchal de
Camp ; le Duc de Scalona , Grand
d'Efpagne ; le Comte de Valero,
frere du Duc de Bejar ; Dom
Gafpard de Suneja , fon Coufin;
le Comte de Cormaillon ; le Fils
du Comte d'Urfet , & fon Ecuyer;
le Sieur de Longueval ; le Chevalier
de Rhofne ; le Sieur de Landas
, Capitaine de Starembergs
les Capitaines Herrero & le Bay,
&
94 Hiftoire du Siege
& quelques Officiers venus de
Flandre ; le Sieur de Vaubonne ,
Capitaine des Grenadiers de
Bade ; le Baron Golenski , Capitaine
de Becq ; Dom Francifco
l'Africain ; le Sieur de la Brigondelle
, & le Sieur de Vaucou-
Gentilhomme du jeune leur
Prince de Vaudemont. Le Marquis
de Blanchefort , Fils du Maréchal
de Crequi , fut auffi bleffé ,
& la maniere dont il fe diftingua
fit affez connoiftre de quel
Sang il eft forty. Les Affiegez
perdirent beaucoup de monde.
On fçeut d'un Transfuge , qu'une
feule Bombe , qui eftoit tombée
dans leurs Retranchemens après
l'action , avoit emporté deux Agas
des Janiffaires, & plus de quarante
Soldats. Comme ils croyoient les
Troupes des Affiegeans fort en
defordre, il voulurent profiter de
l'oc
de Bude.
95
l'occafion , en faifant une Sortie
fur celles de Brandebourg , mais
ils furent repouffez avec beaucoup
de vigueur, & laifferent plus
de 40. des leurs fur la place. On
fit quinze Prifonniers.
Le 14. on travailla à applanir
les débris que les Contremines
des Affiegez avoient faits à l'Attaque
de Lorraine , & à combler
les Foffez de celles de Baviere
& de Brandebourg. On continua
de canonner la Place , & d'y
jetter des Carcaffes & des Bombes.
On nettoya auffi la Tranchée
, & on en ofta les terres ,
dont les Fourneaux des Ennemis
en avoient remply une partie . On
en découvrit deux ce jour là , &
l'on en tira les Poudres. ' Il y eut
un Mineur tué par l'imprudence,
d'un Canonnier, La Mine prit
feu, & vingt Soldats & deux Ca-
$
no
96
Hiftoire du Siege
nonniers furent emportez. On
eut avis que les Troupes d'Afie
eſtoient arrivées à Belgrade fous
la conduite du Grand Vifir , qu'il
y en avoit encore pris de nouvelles
, & qu'il s'eftoit enfuite
avancé vers le Pont d'Effeck ,
aprés avoir envoyé fix mille Spahis
à Walpo & à Poffega , avec
ordre d'obferver le General
Schults , qui avoit mené huit
mille Allemans & cinq cens
Croates de ce coſté - là.
Le 15. on attacha le Mineur
à la Muraille de la grande Rondelle
, & on commença deux Galaries
au pied de la Courtine.
Quelques Païfans fortis de Bude
furent conduits à l'Attaque de
Lorraine . Ils dirent qu'à l'affaut
du 13. il y avoit eu plus de cinq
cens hommes tuez du cofté des
Ennemis. On avança les Travaux
juſqu'au
de Bude.
97
jufqu'au Foffé , fur le bord du
quel on dreffa une nouvelle bat--
terie , pour ruiner à droit le cofté
de la grande Rondelle , qu'on
n'avoit pas encore attaqué. Tandis
que les Mineurs travailloient
à deux chambres de Mine , les
Affiegez en firent fauter une à
la gauche de l'Attaque. Elle ne
fit qu'agrandir la brèche du cofté
de ceux de Brandebourg. On
en éventa deux autres qu'on n'avoit
point encore chargées. Les
Bombes que l'Ingenieur Espagnol
fembloit élever jufqu'aux Etoiles,
faifoient un effet fi prodigieux
en retombant , qu'un Transfuge
rapporta qu'une feule avoit enfoncé
deux planchers & deux
voûtes , & tué plus de
perfonnes dans la plus baffe ; ce
qui caufoit une grande defolation
, parce qu'il n'y avoit pref-
E
quarante
98
Hiftoire
du
Siege
que plus d'endroits où l'on fe
puft tenir à couvert. On eut
avis que les Turcs qui venoient
fecourir Bude , eftoient campez
vers Hatwan , aprés avoir paffe
la Teyffe avec un Convoy prés
de Segedin. On détacha auffitoft
les Regimens de Stirum , de
Taff , & de Trurks , pour aller
joindre le Barón de Mercy , afin
d'obliger les Infidelles à repaffer
la Riviere..
Le 16. les Bavarois firent jouer
deux Mines , qui au lieu de
combler le Foffe de la Rondelle
du Chafteau , & de faire fauter
la Paliffade , comme on l'avoit
creu , renverferent les premiers
poftes de leurs Tranchées,
de forte qu'il y eut plus de trente
hommes tuez ou bleffez. Le
Marquis de la Verne , qui n'avoit
efté bleffé que legerement
à
de Bude.
୨୨
#
à l'affaut du 13. le fut ce jourlà
d'un éclat de pierre. Cet accident
fit qu'on réfolut de ne
plus faire jouer de Mines , qu'on
n'euft achevé toutes celles où
l'on travailloit , afin de les faire
fauter toutes à la fois , quand
les trois Attaques donneroient
l'affaut. Un Armenien , qui avoit
fa Femme & fes Enfans à Vienne
, s'eftant échapé de Bude , vint
donner avis que les Janiffaires
avoient preffé deux fois le Bacha
de rendre la Place mais
que ne l'ayant pas trouvé de ce
fentiment , ils luy avoient déclaré
qu'ils fe défendroient encore
quelque temps , mais qu'ils
ne vouloient pas attendre l'extremité
. Il ajoûta que les Affiegez
avoient perdu beaucoup de
monde dans l'action du 13. qu'ils
auroient capitulé fi l'on avoit
E ij
TE
DE
LA
>-
LYON
1895
roo
Hiftoire du Siege
pû fe maintenir fur la brèche,
qu'ils ne s'eftoient tenus en fi
bon ordre derriere leurs rétranchemens
, que parce qu'un Deferteur
eftoit venu leur donner
avis de la refolution que l'on
avoit priſe de donner l'Affaut ;
que cependant l'ayant pris pour
un Efpion , ils luy avoient fait
couper la tefte , & qu'ils en feroient
autant à tous ceux qui
viendroient ſe rendre ; que l'on
avoit commencé à manger les
Chevaux , faute de fourage &
d'autre viande ; qu'un pain
pour vivre un feul jour couftoit
un écu , & que les Bombes de
I'Ingenieur Eſpagnol , qu'ils nommoient
le feu du Ciel , perçoient
les voûtes des Caves. La nuit
les Bavarois fe pofterent derriete
la Paliffade du Foffé de la
Rondelle du Chafteau , de forte
.
que
de Bude. ΙΟΥ
que les Ennemis furent obligez
de s'en retirer avec perte de
quelques hommes. Le Comte
de Fontaine , qui commandoit
les Bavarois , fut tué d'un coup
de Moufquet. Le Comte d'Apre
mont fut bleffé dans la mefme
occafion , auffi bien que le Capitaine
des Grenadiers du Regiment
de Bade. Son Lieutenant
fut tué , & il y eut encore environ
quarante Soldats tuez ou
bleſſez Les Ennemis deffendoient
ce poſte au nombre de deux
cens cinquante , & comme on
leur coupa d'abord le chemin
de la retraite , il n'en échappa
que vingt-fix qui demanderent
quartier. Tout le reste fut tué .
Un Turc qui fortoit de Bude fut
arrefté cette mefme nuit. Il eftoit
Mineur. On apprit de luy que
quoy que la Ville fuft extremé-
E iij
102
Hiftoire du Siege
ment incommodée de l'infection
des Cadavres , qu'on ne pouvoit
enterrer faute de trouver des
lieux où l'on puft les mettre , &
que les Habitans fouffriffent une
fort grande difette à cauſe qu'on
ne diftribuoit des vivres qu'aux
Soldats , les Affiegez ne laiffoient.
pas d'eftre refolus de continuer à
fe bien défendre , & qu'il y avoit
des Fourneaux en divers endroits
avec des coupures & des retranchemens
dans les ruës , à la teſte
defquels ils avoient mis plufieurs
pieces de Canon chargées de
Cartouches.
Le 17. le Prince Charles de
Neubourg eftant arrivé au Camp,
alla fe pofter avec fon Regiment
de l'autre cofté du Pont . Le
Maréchal Caprara , & le General
Palfi , revinrent des environs de
Stulweifembourg avec plufieurs
Re
de Bude.
103
Regimens de Cavalerie . Le premier
paffa le Danube , & prit
le commandement
des Troupes
qui eftoient campées proche de
Peft. Le Marquis de la Verne,
quoy que bleffé , eftant demeurẻ
feul à remplir la Charge de
Lieutenant Maréchal de Camp
general d'Infanterie , ne voulut
plus fortir de l'attaque à caufe
que
le Comte de Fontaine ayant
efté tué la nuit precedente , il
n'y avoit plus d'Officier de fon
caractere pour le relever. On
avança les approches des trois
attaques jufqu'au pied de la
muraille , & l'on acheva une baterie
de trois pieces de Canon à
celle de Lorraine pour battre
l'Angle de la Tour. On travailla
aux Mines à l'Attaque de Brandebourg,
& les Mineurs fe trouverent
fous la Courtine proche
E iiij
104 Hiftoire du Siege
la troifieme Rondelle de celle de
Lorraine , & fous une autre à
gauche. On applanit auffi la defcente
dans les foflez , & pendant
tout le jour & toute la nuit on
ne ceffa point aux trois Attaques
de faire un grand feu de toutes
les Bateries , afin d'agrandir les
bréches & d'achever de ruiner
toutes les defences & les coupures
qui eftoient derriere , ce qui
devoit mettre les Generaux en
eftat de faire donner l'Affaut general
, qu'ils ne vouloient point
hazarder qu'on n'euft éventé les
Contremines.
Le 18. une partie de ceux qui
eftoient campez proche de Peft ,
& qui ne compófoient point
de Regiment , retournerent à
leurs premiers Poftes , fur les
avis qu'on receut que les Troupes
Ottomanes , qu'on croyoit
de
de Bude.
105
,
devoir venir de ce cofté là jetter
du fecours dans Bude s'efloient
retirées apres avoir mis
des vivres dans Hatwan & dans
Erlaw. On apprit le mefme jour
que des Turcs eftoient venus à
deux lieues du Camp couper la
tefte à quelques Fourageurs &
Vivandiers . Sur les onze heures
du foir , les Affiegez fe montrerent
fur la breche . Ils poufferent
de grands cris , & cela fit croire
qu'ils fe preparoient à une fortie .
On fit fur eux un grand feu qui
les contraignit de fe retirer . Ils
éventerent la Mine de l'Attaque
des Imperiaux par un Fourneau
qu'ils firent jouer. Quatre Mineurs
& le Sieur Liber leur Capitaine
, y furent enfevelis . On
les chercha auffi- toft , & on ne
put trouver que deux Mineurs ,
qui n'eftoient pas morts. Les Ba
E v
106
Hiftoire du Siege
varois mirent le feu dans le Chafteau
par une Bombe qu'ils y firent
tomber. Cependant les Ennemis
barricaderent d'une nouvelle
Paliffade la Breche de la
Rondelle .
Le 19.les Affiegez travaillerent
inceffamment entre la Breche des
Imperiaux & la muraille de la
Ville, ce qui fit croire qu'ils y faifoient
un nouveau retranchement.
Les Bavarois travaillerent
de mefme pendant tout le jour à
à une Baterie fur le bord du Foffé
, afin d'abatre la Paliffade , & le
refte de la Rondelle du Cha fteau .
Ils attacherent en mefme temps
le Mineur, pour chercher les Mines
des Ennemis . La nuit les
Troupes de l'Attaque de Lorraine
donnerent un faux Affaut , &
firent jouer plufieurs Mortiers
chargez de Bombes , de Carcaffes
&
de Bude.
107
& de Grenades. L'effet en fut
terrible pour les Affiegez , qui
eftoient accourus en foule pour fe
defendre. Un Transfuge paffa
de la Ville au Camp , & en parlant
des defordres que faifoient
les Bombés dans la Place , il dit
qu'il en eftoit tombé une fur une
voute , qu'elle l'avoit enfoncée, &
que plus de cent hommes qui
eftoient deffous , en avoient efté
tuez .
Le 20. les Affiegez donnerent
trois fauffes allarmes, ce qui obligea
de faire avancer contr'eux
un détachement de Grenadiers
à chaque attaque. On s'apperceus
qu'ils s'aflembloient derriere leurs
Paliffades, & dans la penfée qu'on
eut qu'ils avoient deffein de faire
une fortie, on fit pointer le Canon
& les Mortiers de ce costé là . Les
Bateries firent un grand feu , & le
fuc
108
Hiftoire du Siege
fuccez en fut fort avantageux
aux Affiegeans. Le mefine jour le
General Palfi retourna fur fes pas
avec fix Regimens , & eut ordre
d'obferver les mouvemens des
Troupes Ottomanes , qui avoient
déja paffé le Pont d'Effeck , à ce
que difoient tous les Efpions. Le
Prince Charles alla reconnoiftre
les endroits par où les Turcs pouvoient
jetter du fecours dans la
Place. Il y eut encore un Armenien
qui fe fauva de la Ville. Il
dit que la confternation yeftoit
tres -grande ; qu'il n'y reftoit plus.
que deux mille Janiffaires dont
le nombre diminuoit tous les
jours , & qu'ils ne ſe defendoient
que parce qu'on les avoit affurez,
qu'il y avoit deux Armées en
marche , pour venir faire lever
le Siege .
Le 21. on continua d'élargir
la
de Bude. 109
la brêche à coups de Canon à
l'Attaque de Lorraine , & de
rompre la Paliffade que les Ennemis
y avoient mife. Le Baron
de Mercy , qui avoit fait repaffer
la Teyffe aux Turcs qui s'étoient
avancez vers Hatwan , &
dont il avoit défait une partie de
l'Arriere garde , receut ordre de
repaffer le Danube , & de marcher
avec la Cavalerie que l'on
avoit jugée inutile pour le Siege,
à la rencontre des Infidelles qu'on
difoit s'eftre affemblez vers le
Pont d'Effeck , au nombre de
vingt- cinq à trente mille. Un Cavalier
du Regiment de Caprara
fe faifit d'un Turc qui eftoit caché
dans un Marais . Il avoit des
Lettres pour le Grand Vizir , &
pour quelques Officiers de l'Armée
Turque. Elles furent déchifrées.
Le Bacha de Bude leur
don
110
Hiftoire du Siege
donnoit avis de l'eftat de la Place
, & du preffant befoin qu'il
avoit qu'on le fecouruft.
Le 22. de grand matin les Af
fiegez fortirent du cofté des Bavarois
, & ayant pouffe la Garde
qui étoit à la tefte de la Tracheé,
ils tuerent prés de cent hommes,
entre lefquels fe trouverent le
Sieur Lôben Colonel dans les
Troupes de Saxe , un Capitaine
, & quelques Officiers fubalternes.
Le Sieur Defchwint, Colonel
de l'Artillerie de Baviere,
fut mortellement bleffé au cou.
Ils enclouerent trois pieces de
Canon & un Mortier, & auroient
caufé un plus grand defordre , fi
un Lieutenant & quelques Fantaffins
du Regiment de Bade qui
accoururent n'euffent foûtenu
les Bavarois , & contraint les Ennemis
de fe retirer avec perte de
>
plus
de Bude. III
plus de fix- vingt des leurs, qu'ils
laifferent fur la place. L'avis en
ayant efté donné à l'Electeur de
Baviere , il vint auffi - toft dans la
Tranchée. On décloüa le Mortier
& deux pieces de Canon, &
en fuite on jetta une Bombe de
ce Mortier. Un peu après, on entendit
un bruit extraordinaire,
& il fe fit comme un tremblement
de terre qui ébranla tout
le Camp, & dont plufieurs Tentes
furent renversées. Il s'éleva
une fumée fi épaiffe qu'on' fut
quelque temps fans voir la Ville.
Soit par l'effet de la Bombe,
foit par quelque autre accident,
le feu s'eftoit mis à un Magafin
à poudre , qui eftant proche de
la muraille en renverfa plus de
quarante pas de longueur, en forte
qu'on y euft pû monter aifément;
IIZ
Hiftoire du Siege
ment , fi la Riviere n'en avoit
pas empêché l'accez. Des Fantaffs
fe jetterent fur l'Electeur
de Baviere pour le garantir des
pierres qui tomboient en quantité
dans les Tranchées . On en
trouva un fort grand nombre
dans Peft & dans tout le Camp,
de la pefanteur de deux , trois,
& quatre cens livres , jufques à
cinq cens. On dit qu'il y avoit
neuf cens Quintaux de poudre
dans ce Magafin , & qu'il fit perir
, en fautant en l'air , plus de
quinze cens perfonnes , hommes
femmes & enfans , fans compter
ceux qui demeurerent enfevelis
dans les caves voifines qui furent
couvertes des ruïnes de ce
grand bâtiment. La nuit, on travailla
à la chambre de la Mine
fous la grande Rondelle . Les Af
fiegez la contreminerent , ce qui
obligea
de Bude. 113
geans
obligea les Mineurs des Affied'abandonner
le travail. Il
n'y eut que celuy qui eftoit attaché
à la Courtine du milieu à
la gauche , qui continua . Il arri-
Iva dans la chambre de la Mine
que les Ennemis avoient éventée
, & la voulut rétablir , mais
ayant entendu travailler fous lui,
il fe retira, & laiffa quelques barils
de poudres découverts ; le
feu y prit pluftoft qu'on ne l'avoit
crû , & jetta le Lieutenant
des Mineurs jufque fur la batterie
de Brandebourg . Celuy qui
les commandoit fut brûlé . Comme
la Mine n'eftoit pas affez profonde
, l'ouverture qu'elle fit au
pied de la Courtine , fut feulement
de deux toifes. Les Turcs
fortirent en fi grand nombre ,
qu'on ne les put arrefter que par
un feu extraordinaire que l'on fit
fur eux.
Le
114 Hiftoire du Siege
a
Le 23. Le Mineur attaché à la
Rondelle du milieu, ayant achevé
de perfectionner la Mine , il
fut refolu que fi elle avoit l'effet
que l'on pouvoit s'en promettre,
on donneroit l'Affaut , general,,
Cependant le Prince Charles jugea
à propos
de faire fommer les
Afliegez avant que de l'entreprendre.
Le Magaſin fanté le
jour précedent , avoit mis un fi
grand defordre dans la Place
qu'il y avoit lieu de croire qu'on
les trouveroit moins obftinez , &
qu'ils fe refoudroient à fe rendre
fi on leur offroit des conditions
avantageufes. Ainfi fur les trois
heures aprés midy, ce Prince envoya
le Comte de Konigfek, fon
Aide de Camp general , avec un
Tambour & un Interprete pour
fommer la Ville. Les Affiegez
le voyant venir , & connoiffant
au
de Bude.
115
,
au fignal d'un mouchoir blanc
qu'il avoit quelque propofition
à leur faire planterent fur la
Muraille un Drapeau de mefme
couleur , & vinrent enfuite
prendre la Lettre du Prince
Charles pour la porter au Bacha
, qui dormoit alors , à ce
qu'ils dirent. En attendant la
réponſe , on luy laiffa trois Turcs
pour Oftages , & on luy vint
dire un peu aprés que le Bacha
avoit affemblé fes Officiers,
pour deliberer fur cette Lettre.
Il y eut de part & d'autre fufpenfion
d'armes pendant deux
heures
, & aprés ce temps on
apporta la réponſe du Bacha au
Prince Charles , envelopée d'écarlate.
Voicy les termes qu'elle
contenoit .
GRAND
116
Hiftoire du Siege
RAND VISIR DES
G&RESTIENS,
Tu es bien présomptueux de venir
une feconde fois mettre le Siege
devant Bude , qui a déja couté tant
de monde & tant d'argent aux
Chreftiens. Il est bien vray que ce
Siege nous a furpris , parce que nous
ne nous y attendions point ; mais
par l'affiftance de Dieu, & de noftre
Prophete Mahomet, vous aurez efte
par deux fois honteufement repous-
Sez, & vous n'aurez pas à nous
donner tat d'affauts que vous croiez.
Nous efperons qu'il vous en arrivera
comme il vous est déja arrivé . Si
voftre Empereur vous a commandé
de nous attaquer , nous avons ordre
du noftre de nous bien défendre .
Cette réponſe pleine de fierté
obligea les Affiegeans à faire joüer
le Canon des trois Attaques , &
de Bude.
117
à bombarder la Place avec plus
de furie que l'on n'avoit fait auparavant.
Le 24. Les Imperiaux firent
jouer une Mine , qui au lieu de
renverfer la Rondelle qui eftoit
entre leur bréche & celle des
Troupes de Brandebourg , combla
les premiers poftes de leurs
Tranchées , ce qui fâcha fort les
Hongrois , qui au nombre de
deux mille eftoient tout prefts de
monter à l'affaut , à la tefte des
Troupes de l'Attaque de Lorraine.
Le Capitaine des Mineurs &
deux Travailleurs furent accablez
par les débris de la Mine,
dont plus de deux cens Soldats
furent tuez ou bleffez. Un fugitif
vint apprendre au Prince
Charles que le Treforier des Janiffaires
avoit eu deffein de livrer
la Ville , à condition qu'on
l'en
118 Hiftoire du Siege
t
l'en feroit Vice - Commandant ,
mais que deux Païfans qui luy
devoient apporter la Lettre aïant
efté arreftez , le Bacha avoit fait
couper la tefte au Treforier , &
pendre les Païfans . Il ajoûta que
cinquante Turcs & un Aga a-
- voient efté tuez de la Mine, que
les Imperiaux avoient fait jouër
ce mefme jour, a
Le 25. une Bombe des Affiegeans
renverfa fur la Rondelle
du Chafteau quelques Paliffades,
& deux ou trois cofres chargez
de terre & de pierres qui les foûtenoient.
Le General Dunewald
receut ordre de prendre langue
de l'Armée des Infidelles. Sur les
cinq heures du foir , les Affiegez
firent une Sortie avec 200. hommes
fur la droite de l'Attaque de
Lorraine , où commandoit le
Comte de Saur , qui les repouſſa
vigou
de Bude.
119
quelque
.
vigoureufement avec
perte de leut cofté , mais elle
ne les empefcha pas d'en faire
une autre fur la gauche , où é-.
toient les Troupes de Brandebourg.
Ils couperent la tefte à
quarante hommes , & après avoir
encore efté répouffez de ce coſté
là , ils revinrent de nouveau , 1 , &
poufferent ceux de Brandebourg,
qui furent contraints de quitter
leurs Lignes. Le Prince Charles
en fut averty , & fit incontinent
avancer les Bataillons de referve,
qui eftoient poftez le long du
Danube prés des murailles de la
Ville- baffe. Les Turcs plierent
-lors qu'ils virent ce fecours , &
quoy qu'ils en euffent receu du
Bacha,qui leur envoyoit dé temps
en temps de nouvelles Troupes
pour les foûtenir , ils rentrerent
dans la Ville aprés une Efcarmouche
I 20
Hiftoire du Siege
che qui dura prés de quatre heures.
Il ne demeura que vingt
des leurs fur la place. Ceux de
Brandebourg perdirent le Lieutenant
Colonel de leurs Gardes.
Le Baron d'Ati qui commandoit
le Corps de referve , fut bleffé
au pied d'un coup de Moufquet,
& l'Aide de Camp du Comte de
Staremberg eut les deux jambes
emportées d'un coup de Canon.
Le Baron de Hoenwart fut tué
avec un Enſeigne du Regiment
de Souches , & quelques autres
Officiers.
Le 26. on prepara toutes les
chofes neceffaires pour donner le
lendemain l'Affaut general . Le
Maréchal Caprara paffa le Danube
, & vint fe camper au milieu
des Imperiaux & des Bavarois
, afin de fermer le paffage
· par où les Ennemis auroient pû
fe
de Bude. 121
fe fauver , ou faire des Sorties
fur les Affiegeans. Le Prince
Charles, qui avoit refolu de faire
donner l'Affaut à la pointe du
jour , paffa toute la nuit dans la
Tranchée , & pendant ce temps
on executa la refolution que l'on
avoit priſe d'attacher aux Paliffades
une certaine compofition
de feu artificiel pour les brûler;
elle eut un tres- grand effet .
,
Le 17. au matin les Paliffades
eftant encore toutes enflâmées
par la quantité qu'on y
avoit mis de cette compofition,
on attendit pour donner l'Affaut
qu'une petite pluye , qui
commença à tomber , euft éteint
les feux qui fervoient comme de
défenſe aux Ennemis. Tous les
ordres avoient été donnez le jour
précedent à tous les Officiers Generaux
Subalternes qui devoient
F
7 122 Hiftoire du Siege
eftre employez aux 3.Attaques,&
ils fçavoient en quel lieu & en
quelle maniere ils devoient agir
lors qu'ils auroient oüy le Signal.
Ce Signal eftoit 3. décharges de
12.petites pieces de Canon du côté
de Peft,afin qu'on en puft entendre
le bruit auffibien au quartier
de Baviere, qu'à ceux de Lorraine
& de Brandebourg. Il fut
donné fur les fix heures du foir, &
auffi- toft ceux qui eftoient commandez
à l'Attaque de Lortaine,
marcherent en fort bon ordre
vers la groffe Rondelle à droit,afin
de fe loger fur la bréche . Quarante
Grenadiers ayant un Capitaine
à leur tefte avec un Lieutenant
& un Sergent , furent fuivis
de cinquante Fufeliers , &
d'un pareil nombre d'hommes armez
de faulx , fous les ordres
d'un Capitaine , d'un Lieutenam
,
de Bude. 123
nant , d'un Sergent , & des autres
Officiers fubalternels. Cent
hommes chargez de haches &
pelles eftoient à la premiere ligne,
commandez par un Capitaine
, par un Lieutenant , & par
un Sergent, & avoient deux cens
Moufquetaires pour les foûtenir.
Le Prince de Neubourg, Grand-
Maistre de l'Ordre, Teutonique
, commandoit en cet endroit
de l'Attaque , & le Marquis de
Nigrelli , General de Bataille ,
le Colonel Keth , le Baron Reder
, Lieutenant Colonel , & le
Lieutenant Major de Staremberg
l'accompagnoient pour
porter fes ordres , & les faire
executer avec plus de promptitude.
Le Comte de Souches, qui
avoit auprés de luy le Sergent
general Diepental , le Colonel
d'Oetingen , le Comte Jorger,
,
Fij
124 Hiftoire du Siege
1
Lieutenant Colonel , & le Sergent
Major de Croy, marcha au milieu
vers la Courtine , précedé de 50.
Grenadiers , de cent Fufeliers, &
-de cent autres hommes armez de
faulx & de bâtons ferrez par les
deux bouts . Ceux - cy ayant leurs
Officiers à leur tefte , avoient
auffi pour les foûtenir 200. Moufquetaires
& 5o.hommes avec des
haches & des bêches propres à faper
& à faire des logemens après
qu'on auroit chaffe les Ennemis
de leurs poftes. La difpofition fut
pareille à l'Attaque de Brandebourg.
Ceux qui devoient donner
à la bréche de la Rondelle à gauche,
eftoient foutenus d'un pareil
nombre de Moufquetaires , & avoient
ordre de faire grand feu
contre les Turcs fi- toft qu'ils fe
montreroient hors de leurs Coupures.
Les Heiduques furent
commandez pour donner une
de Bude. 125
fauffe alarme du cofté de l'eau ,
à l'endroit où l'embrafement du
Magafin avoit ouvert la Murailles.
Trois cens hommes les foutenoient
fous les ordres d'un Sergent
Major , de trois Capitaines
& des autres Officiers Inferieurs.
Tous les autres Generaux
furent poftez en divers endroits
pour y faire la fonction
de leurs charges fuivant le commandement
qu'ils avoient receu
. On avoit mis douce cens
hommes de reſerve dans un fond
au pied de la brêche , & ils devoient
s'avancer par files afin de
remplir la place de ceux qui feroient
tuez . Le General Dinghen
les commandoit. Le refte de l'Infanterie
eftoit deftiné pour s'avancer
de la mefme forte fi les
Generaux & les autre Officiers
à qui l'on avoit confié la garde
Y
Fiij
126 Hiftoire du Siege
de la Tranchée , l'euffent jugé
à propos. Tout ayant efté difpofé
de cette forte , les Troupes
Imperiales & celles de Brandebourg
marcherent en mefme
temps du coté des brêches ,
chacun en fon rang , tant les Of
ficiers que les Soldats , principalement
vers la grande Rondelle,
dont la maçonnerie n'avoit
pas
efté bien éboulée , quoy qu'on
y euft fait jouer plufieurs Mines.
Ce fut de part & d'autre
un feu effroyable & un bruit
terrible qu'on ne sçauroit exprimer.
Si le Canon , les Bombes
, les Carcaffes , les Grenades,
& la moufqueterie des Affiegeans
, firent un fracas qui euſt
pû épouvanter les plus intrepides
, le feu que firent les Affiegez
& par leur Canon & par
leurs Mortiers à pierres qu'ils ac- .
compagnerent d'une grefle de
de Bude.
127
Fleches , de Dards , de Bombes
ardentes , & autres Machines,
qu'ils faifoient rouler du haut
des brêches où ils s'expofoient
à corps découvert , fit voir aux
Chreftiens qu'ils avoient à faire
à des gens determinez qui leur
vendroient cherement leurs vies.
Les Imperiaux s'avancerent
bord jufqu'aux Paliffades , dont
les Ennemis avoient reparé les
bréches des Rondelles . Ils eurert
peine à y conferver leur
pofte , à caufe du grand nombre
de Fourneaux qu'on y fit
jouer. Plus de trois cens hommes
furent tuez ou accablez du
premier , & la refiftance des
Affiegez qui fut extraordinaire ,
fit reculer les Imperiaux juf
qu'à trois fois. Le Prince Charles
qui s'en appercent du lieu où
il donnoit les ordres , & qui les
F
128
Hiftoire
du Siege
રે
vit au milieu des feux , tant des
Machines que les Ennemis faifoient
rouler , que de neuf Mines
& de neuf fourneaux qu'ils
firent fauter en fort peu de
temps , s'avança luy - meſme au
pied de la brêche pour les foûtenir
avec de nouvelles Troupes
Sa prefence les anima telle.
ment , que voyant leur General
s'expofer comme eux au plus
grand peril , & vouloir fe rendre
témoin de leurs actions , ils
forcerent les Paliffades , & fe
rendirent maiftres de la grande
Rondelle où ils fe logerent. Ceux
de Brandebourg n'eurent
moins de fuccez à leur attaque.
Ils vinrent à bout de fe loger
fur la Courtine & fur la Rondelle
à gauche. Les Ennemis qui
s'eftoient retirez derriere les retranchemens
qu'ils avoient faits
pas
all
de Bude. 129
= au de- là des Paliffades , firent
leurs efforts pour les en chaffer,
& jetterent fur les uns & fur
les autres quantité de Fleches ,
de feux d'artifices , & d'autres
Inftrumens remplis de foufre ;
fur tout leurs Mortiers à pierres,
les Mines & les Sacs à poudre
aufquels ils mettoient le feu en
ſe retirant des Poftes qu'on les
forçoit de quitter , tuerent &
blefferent un grand nombre de
Chreftiens. La prefence du Prince
Charles qui ne voulut point
abandonner l'entreprife , contribua
fort à l'heureux fuccez qu'elle
cut. Chacun cherchoit à fe
fignaler avec une intrepidité qui
n'eft pas croyable , & les Soldats
à envy les uns des autres,
prenoient le Pofte que leurs camarades
leur abandonnoient en
perdant la vie. Les Imperiaux
F v
130 Hiftoire du Siege.
trouverent dans la grande Rondelle
deux Etendarts des Janiffaires
, & trois Pieces de Canon,
& ceux de Brandebourg en trouverent
fept & quelques Mortiers
dans la Rondelle dont ils s'étoient
emparez à gauche.
Pendant que l'on donna l'affaut
de ce cofté - là , l'Electeur de Baviere
le donna auffi du cofté de
fon attaque . Il avoit fait brûler le
jour precedent les Paliffades que
les Ennemis avoient plantées fur
la brêche, & fi-toft qu'on eut entendu
le Signal pour y monter,les
Fufeliers , & les Grenadiers avec
les hommes armez de haches qui
avoient fes ordres pour faper celles
qui pouvoient encore embaraffer
, fortirent de la Tranchée,
fuivis de cent Moufquetaires fous
un Capitaine & deux Lieutenans
, pour monter à l'affaut, tant
à
de Bude.
à droit qu'à gauche. Ĉent Travailleurs
marcherent en fuite, 25 .
avec des Pelles , & foixante &
quinze avec des faux , pour faire
un logement fur la hauteur de la
Rondelle, aprés qu'on s'en feroit
emparé. Ils eftoient fouftenus de
50. Fufeliers , de 30. Grenadiers,
& de 200. Moufquetaires. D'autres
Moufquetaires choifis avoiết
efté commandez pour feconder
de chaque cofté les trois Bataillons
Imperiaux , Bavarois & Saxons
qui devoient fouftenir les
premiers. On fe mit en marche
par les Ouvertures qui avoient
efté faites aux foffez vers la brêche
à droit & à gauche de la
Rondelle. En mefme temps toutes
les bateries commencerent à
tirer fur les brêches, & contre les
murailles hautes & les feneftres
des maifons du Chafteau, & l'on
jetta
132
Hiftoire du Siege
jetta auffi fans aucun relâche des
bombes & des carcaffes , dont il
y en eut quantité qui furent jettées
contre les retranchemens
des Affiegez , & entre les deux
premieres murailles du cofté du
Danube. Quoy que la muraille
fuft encore haute & difficile
à monter , on s'avança vers
la brêche à droit & à gauche
avec tant de valeur , de courage
& de conduite , que l'on
s'empara de la Rondelle , malgré
les coups de Moufquets que
les Ennemis tiroient fans ceffe
des Crenaux de cette meſme
muraille . On s'empara auffi à
gauche d'un lieu fitué entre les
maifons , & la muraille exterieure
, ce qui n'eftoit pas aifé
, parce que les endroits les
plus éminens du Chateau le
commandoient , & que l'on jettoit
de Bude .
133
toit de là fur les Affiegeans
une infinité de pierres , de Grenades
, de Bombes & de Sacs
à poudre. Ce feu continuel ne
put arrefter l'ardeur qui les emportoit
, & ils l'effuyerent avec
une bravoure qu'on ne peut affez
loüer, mais la nuit qui commençoit
d'approcher , ne permit pas
qu'on avançaft davantage. On
travailla à des Logemens fur la
Rondelle , & dans les autres Poftes
que l'on avoit occupez . L'Electeur
de Baviere fe tint expofé
au feu pendant toute l'action . Il
vifita tous les Poftes , & alla par
tout donner les ordres qu'il jugea
utiles pour la feureté & pour la
perfection du travail. Non feulement
il animoit les Soldats par
fa prefence , mais il les engageoit
à continuer de bien faire en leur
donnant des marques de fa liberali
F34
Histoire du Siege
ralité . Le Prince Louis de Bade
fit paroiftre auffi beaucoup d'intrepidité
, & demeura expofé
aux coups pendant toute l'efcarmouche
, afin qu'on apprift par
fon exemple à méprifer le peril.
Le Prince de Neubourg, le Prince
Eugene de Savoye , & plufieurs
autres Generaux montrerent
de leur cofté toute la bravoure
qui pouvoit donner un
nouveau courage aux Attaquans,
& la fermeté avec laquelle ils les
voyoient foûtenir le grand feu
des Ennemis , fervit beaucoup à
leur faire remporter les avantages
qu'ils eurent en cette journée.
Ce que firent les Heiduques
ne fut pas confiderable. Auffi ne
faifoient- ils qu'une fauffe attaque
afin d'attirer les Ennemis de
ce cofté- là . Ils y trouverent les
Poftes tres -bien garnis , à caufe
que
de Bude..
135
*
que c'eftoit l'endroit où te Magafin
avoit fauté , & par confequent
le plus découvert. L'affaut:
dura trois heures avec grand
perte du côté des Affiegeans . Ils .
eurent prés de deux mille hom .
mes tuez ou bleffez , fans un fort
grand nombre d'autres qui furent
brûlez ou enterrez par les
mines. Le Prince Charles fut
atteint legerement d'un coup de
pierre à la jambe , & le Sieur
d'Artein fon Ayde de Camp general
de ce Prince , fut tué auprés
de luy. Le Duc de Croy qui
n'avoit receu d'abord qu'une
bleffure peu confiderable , receut
enfuite un coup de Moufquet qui
luy perça le genoüil . Le Duc de
Curland Colonel dans les Troudes
de Brandebourg , fut bleffé
dangereufement , auffi bien que
le Comte Schileck, & le Marquis
Sa
136
Hiftoire
du Siege
,
Sanati . Le General Major de
Thingen le fut mortellement à la
teſte. Le Baron d'Afti qui n'eſtoit
pas encore guery d'une bleffure
qu'il avoit receu e deux jours auparavant
, eut les deux cuiffes
percées , & le Baron de Welbersheim
, les deux bras caffez . Le
Prince de Comercy qui s'eft
toûjours fignalé dans les occafions
où il y avoit le plus de peril
à effuyer , receut auffi une legere
bleffure. Les autres bleffez
dont on a pû jufqu'icy fçavoir les
noms , furent le Duc de Scalona ,
le General Major Diepenthal , le
Comte & le Chevalier d'Apremont
, Freres , le Colonel Goeling
; le Comte d'Archinto ; le
Comte Zacco Sergent Major , le
Lieutenant Colonel Rotten ; le
Comte de Saur ; le Sieur Reder,
Lieutenant Colonel du Regiment
de Bude 137
ment de Neubourg . Le Sergent-
Major Pini , le Marquis de la
Verne , le General Rummel , le
Baron de Welberg , Lieutenant
Colonel de Beck , avec plufieurs
Officiers de ce mefme Regiment:
le Comte de Palfi , Lieutenant
Colonel ; le Baron d'Aversberg,
le Sergent Major , un Capitaine
& un Lieutenant de Staremberg,
& plufieurs autres Officiers
des Regimens de Bade , de Beck,
de Steinau, de Rummel , de Selbolftoff,
de Gallensfels , & autres.
Le Comte de Dona , & le Sergent
Major de Marwitz , furent
tuez à l'attaque de Brandebourg.
Le 28. on dreffa une Batterie
fur la Rondelle du milieu , dont
les Imperiaux s'eftoient rendus
maiſtres à l'Attaque de Lorraine ,
& l'on applanit les bréches , afin
d'y
138 Hiftoire du Siege
d'y pouvoir guinder l'Artillerie .
On travailla à perfectionner les
Lignes de communication des
logemens , & l'on pourfuivit le
travail de trois Mines , qui avoient
efté commencées fous la
feconde Muraille incontinent aprés
l'Affaut du jour précedent.
Le Mineur fut attaché en deux
endroits de cette mefme Muraille.
Ceux de Brandebourg tirerent
une Ligne paralelle à cette
Attaque .
Le 29. on fit fauter deux mines
à l'Attaque de Lorraine. Il y
en eut une qui renverfa quinze
toifes de maçonnerie dans le Foffé
. Elle ne laifferent pas de caufer
du dommage aux Affiegeans ,
puis que deux Capitaines des
Troupes de Brandebourg , & environ
cinquante Fantaffins , la
plufpart des mefmes Troupes.
£u
de Bude.
139
furent enterrez fous leur debris .
Une Batterie de trois pieces de
Canon fut achevée ce jour - là à
la mefine Attaque . Quelques Armeniens
fugitifs vinrent avertir
que plus de mille perfonnes , hommes
, femmes & enfans , avoient
efté tuez dans la Place le jour
qu'on avoit donné l'Affaut ; qu'une
grande quantité avoient voulu
fe fauver du cofté de la Ri
viere , mais qu'ils y avoient trouvé
tous les Bateaux enchaifnez;
que la Garnifon n'eftoit plus que
de mille Combattans , & que le
Muphti les exhortoit inceffammet
à fe rédre,mais que le Bacha
les animoit à refifter jufqu'au
bout par l'efperance du fecours
qu'il attendoit ; qu'il y avoit par
tout des Retranchemens & des
Coupures , & qu'à la derniere
extremité il avoit efté refolus
qu'on
140 Hiftoire du Siege
qu'on mettroit le feu aux Magagafins
, pour faire fauter la Ville
avec tous ceux qui fe trouveroient
dedans. La nuit , les Bavarois
avancerent environ de quarante
pas dans la Rondelle du
Chafteau , en tirant du cofté de
la Riviere , avec perte de cinquante
hommes , & ils y firent
mener deux pieces de Canon,afin
d'élargir la bréche de la feconde
Muraille .
Le 30. le Comte de Souches
& le Comte de Lodron ,Major de
Cavalerie , monterent la Tranchée
. Ce dernier avoit efté nommé
pour la relever , aina que le
Comte de Stirum , auffi Major de
Cavalerie , parce qu'il n'y avoit
plus que le Comte de Nigrelli ,
Major general d'Infanterie , qui
puft fervir. On fit jouër ce jourlà
une troifiéme Mine à l'Attaque
de Bude. 141
que de Lorraine , & deux à l'Attaque
de Baviere, qui firent affez
d'effet. Cependant le Prince
Charles jugeant qu'il y alloit du
fervice de l'Empereur de ne pas
expofer la Ville à l'affaut & au
pillage , envoya une ſeconde fois
fommer le Commandant de fe
rendre. Comme il eftoit déja
tard , les Affiegez prierent les Députez
d'attendre jufqu'au lendemain
la réponſe qu'ils leur demandoient
, parce qu'il falloit affembler
le Confeil fur une affaire
d'une fi grande importance.
Le 31. le Prince Eugene de
Savoye & un Interprete allerent
à la Porte de la Ville , où aprés
qu'on les eut fait attendre une
heure & demie , on leur apporta
deux Lettres du Commandant,
l'une adreffée au Prince Charles,
&
142 Hiftoire du Siege
& l'autre à l'Electeur de Baviere .
Elles contenoient , que la confervation
de Bude , qui eftoit la clef
de Conftantinople & de Jerufalem,
eftoit d'une telle confequence
pour les Ottomans , qu'il ne
pouvoit fe refoudre à la remettre
entre les mains des Chreftiens
mais qu'on n'avoit qu'à
choifir une autre Ville , & qu'il
eftoit preſt à la donner , efperant
par là qu'on luy voudroit bien
accorder la Paix . Ce mefme jour
le premier Capitaine d'Artillerie
eut le bras percé , & le Comte de
Staremberg , en reconnoiffant la
bréche, receut un coup de Moufquet
qui luy emporta un doigt,
& le bleffa à l'épaule . La fièvre
qui luy furvint , accompagnée
d'une diffenterie , l'obligea de fe
faire tranfporter à Comore , où le
Prince de Vaudemont , qu'une
vio
de Bude.
143
violente maladie avoit forcé de
quitter le Camp , eftoit déja depuis
quelques jours. Sur les huit
heures du foir , les Affiegez qui
n'avoient point eu de réponſe,
envoyerent deux Agas au Prince
Charles , & emmenerent avec
eux le Baron de Crentz , Ayde
de Camp du Prince Louis de
Bade , & un Interprete. On crut
que le Commandant avoit deffein
de capituler , mais toute la
negociation aboutit encore à dire
, qu'il feroit livrer telle Ville
qu'on voudroit fi on levoit le
Siege de Bude , ou qu'il rendroit
cette Place pourveu qu'on fift
une Paix generale avec l'Empire
Ottoman . Le Prince Charles
voyant que l'on n'avoit point
d'autres propofitions à luy faire,
renvoya les deux Agas , & rappella
les Oftages. Ils dirent qu'on
les
144 Hiftoire du Siege
les avoit receus fort civilement,
& qu'à leur départ ils avoient
veu beaucoup de confternation
dans la Ville. On fceut ce jour
là que l'Aga des Janiffaires eftoit
mort des bleffures qu'il avoit receues
à l'Affaut du 27. & qu'il y
avoit plus de deux mille hommes
des Ennernis bleffez ou malades.
Le premier jour d'Aouft les
Imperiaux firent jouër une Mine
qui eut un tres - bon effet. Elle fit
bréche dans la feconde Muraille,
& ébranla mefme la troifiéme , ce
qui obligea les Affiegez d'y accourir
en grand nombre. Les
Bavarois profiterent de ce moment
pour attaquer le Chafteau .
Ils y entrerent , mais ils ne purent
fe maintenir dans le logement
qu'ils y avoient commencé.
Le Marquis de la Vergne,
Gene
de Bude . 145
General Major , receut deux
coups de Fléches , dont l'un luy
perça le bras & l'autre la cuiffe .
Le Lieutenant Colonel de l'Artillerie
en receut un autre au ventre.
Quatre Fugitifs vinrent a-,
vertir que les Affiegez travailloient
à une Mine pour faire fauter
la grande Rondelle dont les
Imperiaux s'eftoient emparez. Le
General Dunewald arriva au
Camp avec la Cavalerie qu'il
commandoit aux environs de
Stulweiſembourg.
Le 2. le Comte Caraffa , Major
General, & le General Heufler
, arriverent auffi au Camp,
avec un Corps de quatre mille
hommes qu'ils commandoient
dans la haute Hongrie du cofté
de Zolnoch , & ils prirent leurs
poftes au delà du Danube , où
deux mille Hongrois comman-
G
146
Hiftoire du Siege
dez par le Comte Budiani les
joignirent . La nuit on travailla
aux Lignes de circonvallation
, pour arrefter le fecours des
Ennemis.
Le 3. on vit paroiftre des Avant-
coureurs de l'Armée des
Infidelles, & les Affiegez firet une
falve de tous leurs Canons . Comme
on s'eftoit difpofé à donner
un troifiéme Affaut , les Affiegeans
firent jouer une Mine , mais
elle n'eut pas l'effet qu'on en avoit
eſperé , & la bréche ne s'êtant
pas trouvée affez profonde,
le Prince Charles envoya dire à
l'Electeur de Baviere qu'il ne jugeoit
pas à propos de donner
l'Affaut. Les Troupes de cet Electeur
ne laifferent pas d'y monter
, foit que l'ardeur qui les ani
moit leur fift avancer l'heure du
Combat , foit qu'elles euffent
pris
de Bude.
147
-
pris le bruit de la Mine pour le
Signal dont on étoit convenu . Le
Prince Charles qui en eut avis
fit donner l'attaque de fon cofté .
Les Affiegez au nombre de plus
de deux cens , fe montrerent fur
la Bréche , le Sabre à la main , &
le corps tout découvert. Les Femmes
& les Enfans y parurent
mefme tirant des Fléches , &
faifant rouler des pierres. Il y
eut beaucoup de vigueur de part
& d'autre , & la refiftance fut
telle du cofté des Ennemis , que
tout ce que purent faire les Imperiaux
, ce fut d'avancer leurs
Logemens jufqu'au pied de la
troifiéme muraille. Ils eurent plus
de deux cens hommes tuez ou
bleffez. Les Bavarois fe faifirent
de deux ouvrages , où ils trouverent
du Canon & des Mortiers ;
mais ce ne fut pas fans perdre
G
11
148 Hiftoire du Siege
beaucoup de monde . Le Prince
de Bade receut une contufion
d'une Balle de Moufquet qui luy
perça le Ceinturon & le Jufte
au corps par derriere , & le Prince
Eugene eut un coup de Fléche
, dont le fer luy entra entierement
dans la main . Le Comte
de Caunits , Lieutenant Colonel
du Regiment de Metternich , le
Comte Hermeftein Lieutenant
Colonel de Souches , le Sieur de
Breffey , Gentilhomme Bourguignon
, Major du Regiment de
Grana , & le Major du Regiment
de la Vergne, furent bleffez à l'attaque
des Imperiaux avec plufieurs
autres Officiers. Il y eut un
jeune Comte de Staremberg tué
au commencement de cet Allaut.
Le Chevalier Huberti , Capitaine
des Gardes de l'Electeur de
Baviere , fut bleffé à l'attaque des
Ba
de Bude. 149
Bavarois avec quelques Officiers,
qui ne pûrent obliger les Fantaffins
à les fuivre , tant ils eftoient
rebutez par le feu des Ennemis,
& par les Bombes , Pierres & Grenades
qu'ils jettoient fur eux du
haut du Chateau.
Le 4. on continua de, canonner
& de bombarder la Ville , &
Fon eut avis que l'Armée Ottomane
s'approchoit . On acheva
les deux logemens à droit & à
gauche de la grande Rondelle,
& l'on conduifit quatre pieces
de Canon fur la bréche . On mit
plufieurs rangs de Pali ffades, dont
on fortifia les Travaux , que l'on
avança fort prés des Retranchemens
des Affiegez . Le Prince
Charles employa ce jour à vifiter
tous les Poftes , & à difpofer tout
ce qu'il crut neceffaire pour
eftre en eftat d'aller au devant
G iij
150 Hiftoire du Siege
de l'Armée des Ennemis.
l'Ar-
Le 5. on ne fit que travailler
aux Lignes de circonvallation, &
de contrevallation , & à des Redoutes.
On travailla auffi à des
Mines, à de nouvelles Bateries, &
à combler le Foffé à l'Attaque des
Imperiaux . On eut avis que
mée des Ottomans s'avançoit
toûjours , & que le Grand Vifir
la commandoit en perfonne. On
détacha auffi- toft differens partis ,
afin d'en avoir des nouvelles affeurées
; & cependant la garde
fut redoublée dans tous les Pofles
. Les Affiegez jetterent quantité
de Bombes. Il y en eut une
qui tomba à trois pas du Prince
Charles proche les Bateries des
Imperiaux. Elle mit le feu à
quelques barils de poudre , tua
vingt Canonniers ou Soldats , &
en bleffa plufieurs autres. Pendant
de Bude. 151
dant la nuit les Affiegez firent
defcendre un Batteau chargé de
monde & de meubles,ce qui obligea
de faire un Pont prés de Pefty
pour empefcher que la mefme
chofe n'arrivaft encore , & pour
avoir le fourage plus commodement.
Le 6. les Huffars , après avoir
battu un Party de trente Turcs,
qui s'eftoient détachez pour donner
quelques avis au Bacha de
Bude , amenerent quatre Prifonniers
, par lesquels on fçeut qu'il y
avoit une Armée de vingt mille
hommes du cofté de Stulweiſembourg,
fous le commandement du
Seraskier , & que le Grand Vifir
devoit fuivre avec une Armée de
trente mille hommes, & quarante
pieces de Canon . Le Prince Charles
donna auffi toft fes ordres
pour faire tranſporter les Mala-
Güij
152 Hiftoire du Siege
des , les Bleffez , & tout le bagage
fuperflu dans l'Ifle de S. André;
l'on travailla avec toute la diligence
poffible à perfectionner les
Ouvrages neceffaires pour mettre
le Camp en feureté , & pour
empefcher que les Ennemis ne
fecouruffent la Place . Les Bavarois
firent jouer un Fourneau qui
réüffit affez bien . Il y en avoit encore
un autre mais les Mineurs
ayant rencontré ceux de la Ville,
ne le pûrent achever.
,
Le 7. comme on fe trouvoit
fort incommodé d'une Batterie
que les Affiegez avoient derriere
la petite Rondelle , on en dref
fa une de deux . Canons pour la
démonter . Elle fit l'effet qu'on
en avoit attendu . Les , Bavarois
en firent
firent jouer une nouvelle ,
qui eftoit auffi de deux pieces
de Canon. Ils l'avoient dreffée fur
un
de Bude.
153
un échafaut bien élevé au bout
de la premiere muraille de la
Rondelle , pour abatre le Chafteau
. La nuit, on tâcha de combler
le Foffé avec des fafcines,
mais tout ce qu'on y jetta fut confumé
par des fléches ardentes que
tirerent les Affiegez , & qui y mirent
le feu. Sur le midy on fceut
par des Prifonniers que toute l'Armée
Ottomane devoit s'affembler
le lendemain devant Albe Royale.
On vint dire le foir qu'il y en
avoit partie arrivé à une lieuë du
Camp , du cofté du Chateau où
eftoit l'Attaque des Bavarois.Cela
obligea le Prince Charles à changer
fon Camp. Il fit occuper les
hauteurs & les vallons qui environnent
la Place , & nomma les
Regimens que l'on devoit envoyer
au devant des Ennemis, &
ceux qui demeureroient pour
G V
154 Hiftoire du Siege
continuer le Siege. On eut avis
ce jour là que le General Schults
eftoit mort. Il commandoit un
Camp- volant entre la Save & la
Drave.
Le 8. à la pointe du jour , trois
mille Turcs & Tartares parurent
fur une hauteur. Ils enleverent
deux Gardes avancées de douze
hommes chacune , & aprés avoir
efcarmouché avec les Huffars,
ils fe retirerent fur le midy. Cent
cinquante Hongrois qui avoient
efté détachez pour reconnoiftre
l'Armée des Infidelles , & qui
revenoient au Camp avec quelques
Prifonniers , tomberent entre
leurs mains , & en furent taillez
en pieces , à la referve de
quelques- uns qui en apporterent
la nouvelle. Ce mefme jour
les Affiegez ayant ouvert la Porte
du Chafteau , on fit un déta
de Bude.
155
tachement à l'attaque de Baviere
, pour s'avancer de ce coſtélà.
On en vit un fort grand nombre
le fabre à la main derriere
leurs retranchemens , & ils jetterent
tant de Grenades, qu'on fut
obligé de fe retirer , avec perte
de foixante hommes. On continua
de mettre les Lignes de Circonvalation
en défenfe , en les
fortifiant avec des Redoutes , fur
lofquelles on plaça quelques pieces
de Campagne.Douze hommes.
furent tuéz ou bleffez à une Batterie
à laquelle on travailloit depuis
plufieurs jours , & que les
Bombes des Ennemis ruinerent.
&
Le 9. les Tartares & les Turcs
revinrent fur le midy le long de
la Montagne vis à vis le Camp
de l'Electeur de Baviere
pafferent tout le jour à efcarmoucher.
Quoy qu'ils ne fuffent
pas,
156
Hiftoire
du Siege
pas en affez grand nombre pour
forcer les Lignes, ils ne laifferent
pas d'incommoder , parce qu'on
fut obligé de fe tenir toûjours
fous les Armes. Une Bombe des
Affiegez tomba à l'Attaque des
Imperiaux au milieu de plus
de mille Grenades . Elle mit le
feu à quelques unes dont quatre
ou cinq Moufquetaires furent
tuez. Le Comte d'Archinto
fut bleffé legerement. On pour
fuivit le travail des Mines que
l'on deftinoit à renverfer la feconde
muraille, & les retranchemens
des Paliffades dont les Ennemis
avoient reparé les brèches,
& les Heiduques furent employez
à faire des Fafcines & des
Sacs à terre , pour en remplir les
Foffez, qui eftoient de la hauteurde
deux piques .
Le 10. les Affiegez firent une
for
de Bude. 157
fique
fortie à l'Attaque des Bavarois,
& couperent la tefte à quarante
hommes qu'ils trouverent dans la
Rondelle du Chateau. Un gros
de Turcs au nombre de douze
ou quinze cens , s'approcha du
Camp , mais ils n'eurent pas
toft aperceu un détachement.
commandoit le General Dunewald,
qu'ils prirent la fuite .Trente
Huffarts ayant rencontré
quarante
Turcs, les combatirent . Ils.
en tuerent fix , & firent cinq
Prifonniers , parmy lefquels eftoit
un Aga , qui ayant efté déja pris
il y a quelques années , avoit
payé huit mille écus de rançon.
Ils dirent que le Seraskier avoit
ordre de fecourir Bude à quelque
prix que ce fuft ; mais qu'ils
croyoient que l'on auroit peine
à l'engager au Combat .. Un Efpion
vint donner avis que l'Armée
158 Hiftoire du Siege
mée Otomane, compolée de plus
de foixante mille hommes , eftoit
campée le long du Danube à
trois lieues des Affiegeans. Il dit
qu'il avoit efté la reconnoiftre en
habit de Tartare , que le Serafkier
la commandoit , qu'elle occupoit
deux lieues d'étendue, &
que le grand Vifir eftoit demeuré
derriere avec mille hommes
qu'il avoit retenus pour le
garder.
La Ligne de communication
de l'attaque des Bavarois avec
celle des Imperiaux fut achevée
, & un Foffé profond que
l'on fit avec des bons épaulemens,
mit leur Quartier hors d'eftat
d'eftre infulté par les Ennemis.
Le 11. deux mille Chevaux
Turcs parurent fur la hauteur vis
à vis de l'Attaque de Baviere.
Quelques Efcadrons furent dé
tachez pour les aller reconnoitre.
de Bude.
159
tre. Il y eut une Efcarmouche
dans laquelle
le Prince
Charles
de Neubourg
eut un Cheval
tué
fous luy ; mais les Infidelles
commencerent
à defcendre
en fi grad
nombre
qu'il fut impoffible
de
les fouftenir
. Ainfi il falut fe retirer,
& fe contenter
de faire fur
eux un feu continuel
de Canon .
Trois Mines
furent
miſes en état
de jouer le lendemain
. La plus
grande
avoit huit Chambres
, &
leur charge
eftoit de cinq milliers
de poudre
. Comme
on avoit
refolu
d'aller
à l'Affaut
fi elles
réuffiffoient
, le Prince
Charles
commanda
trois mille hommes
de pied avec quinze
cens Chevaux
ou Dragons
, pour les foûtenir
. Le Comte
Petnehafi
arriva
au Camp
avec trois mille
Hongrois
,
Le 12. on fit jouer les trois Mines,
160
Hiftoire du Siege
nes, dont la plus grande n'eut aucun
effet , ce qui fit croire qu'el
le avoit efté découverte, & qu'on
en avoit tiré les poudres. Les
deux autres ne firent qu'une ouverture
pour dix hommes de
front , encore n'eut- elle pas efté
pluftoft faite que les Affiegez la
reboucherent par le moyen des
chevaux de frife , de forte que
l'on ne jugea pas qu'on d'euft
hazerder l'affaut ,
, quoy qu'on s'y
fuft déja difpofé . On fit retirer
les detachemens , & les Mineurs
eurent ordre de commencer un
nouveau travail . Les Mines jettérent
dans la Tranchée quantité
de pierres , dont plufieurs des
Affiegeans furent bleffez ,entr'autres
le Prince de Wirtemberg , le
Comte de Ridberg , & les Lieutenans
Colonels des Regimens de
Lodron de Neubourg. L'Armée
des
de Bude. 161
des Infidelles vint camper fur le
haut d'une Montagne qui n'étoit
pas fort éloignée des Lignes.
Ceux qu'on avoit envoyez pour
s'en informer,rapporterent qu'elle
eftoit de cinquante mille hommes
avec du Canon .
Le 13. les Affiegez firent une
fortie à cheval fur la grande Garde
des Imperiaux ,dont ils tuerent
douze hommes , & emmenerent
quatre Prifonniers qu'ils firent .
Le Comte de Colonitz , Page du
Prince Charles , & un Trompette
de l'Electeur de Baviere , eurent
la tefte coupée dans cette
efcarmouche. Les Turcs parurent
en bataille devat leur Camp,
& comme ils firent defcendre une
partie de leur Armée, on crut
qu'ils avoiet envie de döner combat.
Cela obligea le Prince Charles,
quidésle jour precedent avoit
fait
162
Hiftoire du Siege
fait fortir des Lignes toute la Cavalerie
, Dragons , Huffars , &
Croates,d'en faire auffi fortir l'Infanterie
, à la referve de vingt
mille hommes ,aufquels il en confia
la garde , & celle des trois attaques.
On forma deux Efcadrons
de la plupart des Volontaires , &
deux mille Heiduques , & un pareil
nombre de Hongrois , furent
commandez pour faire l'avantgarde
de l'Armee , & pour venir
les premiers aux mains fi les
Turcs vouloient entreprendre
quelque chofe. Ceux qu'on avoit
veus d'abord ne tenterent rien,
& fe retirerent le foir dans leur
Camp.
Le 14 dés fix heures du matin
, on s'apperceut qu'ils avoient
formé un corps de trois mille Janiffaires
& d'environ 5000. Chevaux
, qui devoit fervir d'avantgarde,
de Bude.
163
que
garde à leur Armée , tandis
le refte demeureroit derriere rangé
en bataille pour les fouftenir.
On apprit que leur deſſein eftoit
de faire paffer les trois mille Janiffaires
entre le quartier des Imperiaux
, & celuy de Brandebourg,
& que pendant l'action les Affiegez
devoient faire une Sortie
pour leur faciliter le paffage, &
leur donner moyen d'entrer dans
la Ville.En meſme temps le Prince
Charles commanda le Comte
de Dunewald pour former l'aifle
gauche de la Bataille avec neuf
Kegimens Imperiaux , qui furent
ceux de Caprara , Palfi , Taff, Lodron
, Neubourg , Furftemberg,
Stirum , Serau, & Schultz , & huit
cens Huffars. Le General Heufler
eut la droite avec un pareil
nombre de Regimens , tant Imperiaux
& Bavarois, que de ceux
de
164 Hiftoire du Siege
de Saxe & de Brandebourg , qui
occuperent une hauteur dont le
terrein leur eftoit avantageux, &
d'où tous les mouvemens des Ennemis
pouvoient eftre décou
verts . Le gros de l'Armée eftoit
difpofé en fort bon ordre , &
dans une diſtance de terrein- qui
luy donnoit facilité de charger
tout ce qui s'avanceroit pour fecourir
Bude. Les huit mille Janiffaires
& Spahis qui devoient
forcer les Lignes, après avoir voltigé
derriere les hauteurs pendant
deux heures , prirent leur
marche entre ces mefmes hauteurs
, & rencontrerent d'abord
les quatre mille hommes de l'Avantgarde
, qui furent rompus au
premier choc. Le Baron de Mercy
les voyant plier , ſe mit à la
tefte du Regiment de Schultz
pour les fouftenir , & en faifant
fermé,
de Bude. 165
>
ferme , il donna le temps au
Comte de Dunewald d'avancer
avec les Regimens de Taff , de
Lodron , & autres. Ce fut alors
que l'on vint à un Combat tresrude
& tres - opiniaftré . Les
Infidelles furent chargez avec
toute la vigueur poffible , & ces
Regimens faifant leurs decharges
à propos , renverferent
leur
Cavalerie qui prit la fuite & abandonna
les Janiffaires. Il y en
eut deux mille de tuez . Chacun
d'eux portoit quatre à cinq Grenades
, & ils avoient tous , les uns
des haches , les autres des pelles
pour rompre les Lignes & les
applanir s'ils euffent pu aller jufques-
là. On prit huit pieces de
Canon , quarante Etendarts , &
fon fit quatre à cinq cens Prifonniers.
Aprés le Combat , les
Infidelles firent divers mouvemens
166
Hiftoire du Siege
mens en s'avançant dans la Plaine
oppofée au Čamp de l'Electeur
de Baviere , qui ayant fait
auffi fortir fon Armée des Lignes
, la tenoit en ordre de Bataille.
Il fut refolu dans un Confeil
general qui fe tint , qu'on iroit
les attaquer , ce qui fut executé
par cet Electeur , mais ſe voyant
pourfuivis ils fe retirerent dans
leur Camp.Le Comte de Dunewald
, & le General Heufler , qui
s'étoient avacez avec les Huffars
par de là les hauteurs , rencontrerent
un gros de Spahis , que
les Ennemis avoient laiffé pour
couvrir leur retraite. Ils en tuerent
prés de deux cens , & en
firent trente Prifonniers. Il n'y
eut qu'environ cent hommes tuez
du cofté des Imperiaux , entre
lefquels fe trouvèrent le Comte
de Lodron , Lieutenant Colonel
de Bude. 167
nel du Regiment de Croates de
ce nom , & le Major du Regiment
de Caprara On fceut que
les Tures avoient perdu plus de
quatre mille hommes , fans un
fort grand nombre de bleffez, &
qu'ils eftoient d'autant plus touchez
de cette perte , que les Janiffaires
qui avoient eſté tuez
eftoient l'élite de leurs Troupes,
& que c'eftoit par eux principalement
qu'ils s'eftoient flatez
de pouvoir jetter du fecours dans
Bude. Les Affiegez firent une
fortie pendant le Combat , mais
ils furent fi vigoureufement repouffez
, qu'ils tarderent peu à
fe retirer. L'Armée Imperiale
eſtant retournée dans ſon Camp ,
& celle de l'Electeur de Baviere
dans le fien , on fit une falve de
tout le Canon des trois Attaques.
On expofa fur des Piques
plu
168
Hiftoire du Siege
plufieurs teftes de ceux qui avoient
efté tuez dans le Combat
, & l'on planta fur la brêche
les Drapeaux gagnez , afin que
les Affiegez ne puffent douter
de la Victoire qu'on venoit de
remporter. La nuit on furprit
deux Efpions avec des lettres
pour le Grand Vifir. Le Bacha
de Bude luy mandoit qu'il avoit
beſoin d'un prompt fecours , &
qu'il falloit fe fervir de la nuit
pour enfoncer les Lignes des Affiegeans
; que pour luy il s'eftoit
retranché dans la Ville , mais
qu'ils eftoient trop avancez pour
leur pouvoir refiſter.
Le 15. on connut que les
Ennemis avoient decampé , &
qu'ils s'eftoient éloignez de deux
lieuës. Le Prince Charles ordonna
qu'on fift enterrer les
Morts qui eftoient demeurez
dans
de Bude.
169
dans le Champ de Bataille , afin
qu'ils n'infectaffent point l'air, &
aprés avoir envoyé aux Affiegez
un des Prifonniers qu'on avoit
faits , pour les informer de
l'heureux fuccez du jour precedent
, qui les devoit empefcher
d'efperer aucun fecours , il fit
partir le Comte de Lamberg
pour aller fommer la Ville , mais
il ne fut pas pluſtoſt arrivé à la
porte , qu'ils commencerent à
tirer fur luy , de forte qu'il fut
obligé de fe retirer . Le foir,
on apprit par un Transfuge que
trois Bachas eftoient demeurez
au dernier Combat que le
Grand Vifir avoit fait couper
la tefte à un autre , & qu'at- '
tribuant au Seraskier le mauvais
fuccez de cette journée , il
l'avoit infulté avec toutes for-
H
>
170 Hiftoire du Siege
tes de marques de, mépris & de
colere.
Le 16. les Affiegez firent joier
une Mine à l'Attaque des imperiaux
, & fortirent en mefme
temps pour tâcher de profiter de
la confufion où ils croyoient les
trouver dans leurs Tranchées,
mas ils connurent que leur Mine
n'avoit eu aucun effet , & fe retirerent
avec quelque perte . Les
Imperiaux mirent le feu aux Paliffades
de la brêche , & en brû
lerent une partie , mais les Affiegez
en remirent d'autres pendant
la nuit. On s'apperceut
qu'il y en avoit un double rang
derriere les premieres , & qu'ils
les avoient moüillées , afin d'empefcher
que celles qui eftoient
en feu ne les confumaffent.Cinq
Polonois qui vinrent ſe rendre,
rapporterent que les Jani ffaires
avoient
de Bude. 171
avoient declaré qu'ils ne vouloient
plus aller au Combat, parce
que la Cavalerie les abandonnoit
toûjours dans le peril. Ils
ajoûterent que le Grand Vifir en
avoit fait mourir quelques - uns
pour remettre les autres dans l'obeillance.
Le 17. une Mine des Affiegeans
fut éventée à l'Attaque des
Imperiaux. Un Transfuge rapporta
que le foir qu'on avoit brulé
les Paliffades , prés de cent
Turcs avoient été bleffez ou tuez
par les Bombes qu'ils y avoient
enterrées , & aufquelles ils auroient
mis le feu , fi Ton euſt
monté à l'affaut ; qu'il ne reftoit
dans la Ville qu'environ mille
hommes capables de porter les
armes , mais que chacun eftoit
refolu de fe défendre jufqu'à la
derniere goute de fon fang. Six
.
H ij
172 Hiftoire du Siege
Fantaffins qui avoient merité la
mort , monterent par ordre de
l'Electeur de Baviere au haut du
Chafteau pour en découvrir le
dedans , mais les Affiegez qui les
découvrirent les firent defcendre
trop toft. La nuit , trente
Volontaires qui s'eftoient détachez
voulurent mettre le feu aux
Paliffades qui défendoient la
brêche de la derniere enceinte
de la Place , mais il y avoit des
poudres répandues aux environs
qui en brûlerent quelquesuns
, & les Affiegez en tuerent
quelques autres , de forte qu'ils
ne purent executer leur def
fein.
Le 18. deux Polonois qui s'étoient
fauvez de l'Armée des
Turcs, rapporterent que le Grand
Vifir avoit promis trente écus
à chacun des Janiffaires qui
pour
de Bude.
173
pourroient forcer les Lignes &
fe jetter dans la Place , qu'ils s'étoient
mis en marche au nombre
de deux mille avec quantité
de Tartares , pour aller gagner
les Montagnes qui regardent la
Ville- baffe , que c'eftoit par là
que les Ennemis pretendoient
faire entrer dans Bude le fecours
que le Commandant continuoit
de preffer , & qu'ayant un Pont
à cinq lieues du Camp des Chrétiens,
ils avoient envoyé du monde
en de là du Danube pour
faire diverfion. Oń fit jouer une
Mine à l'Attaque des Imperiaux
, &le peu de ffuucccceezz qu'elle
eut , obligea de differer l'Affaut
general , & de retirer les
détachemens que l'on avoit faits
à ce deffein. La nuit , on refolut
de nouveau de brûler les Paliffades
, & trois cens hommes
-
Hiij
174 Hiftoire du Siege
furent commandez pour cela ,
mais il n'y eut qu'un fort petit
nombre de Grenadiers qui monterent.
Le grand feu que firent
les Affiegez , & la quantité de
Grenades & de Sacs à poudre
qu'ils jetterent , épouvanterent
fi fort les Moufquetaires qui les
devoient fouftenir , qu'une partie
fe cacha , en forte que les
Officiers s'avancerent prefque
feuls.
Le 19.les Imperiaux tâcherent
de fe pofter fur la petite Rondelle
de la feconde muraille,mais
la refiftance qu'ils trouverent les
en empefcha . Ils eurent prés
de quarante hommes tuez , ou
bleffez. On fut averty par un
Transfuge que le Grand Vifir
avoit commencé de fe mettre
en marche pour revenir vers le
Camp des Affiegeans mais
qu'ayant
de Bude.
175
qu'ayant appris d'un Deferteur
qu'il leur eftoit arrivé un corps
de dix mille hommes , cette nouvelle
l'avoit obligé de retourner
fur fes pas , & que vingt - cinq
mille Tartares eftoient au de- là
du Danube peur tâcher d'y faire
diverfion.
Le 20. à la pointe du jour,
pendant que l'Armée Ottomane
venoit le mettre en Bataille devant
le Camp de- l'Electeur de
Baviere , deux mille Janitaires
qui s'eftoient tenus cachez la
nuit , defcendirent par le grand
Vallon aprés que le Biouac fe fut
retiré , & ils paffetent les Lignes.
de circonvallation que l'on n'avoit
pû laiffer garnies faute de
monde. Ils poufferent la grande
Garde , mais les Generaux
Caprara, & Heufler s'eftant trouvez
heureuſement à cheval , y
Hij
176
Hiftoire du Siege
accoururent. Ils couperent ceux
qui avoient déja forcé les retranchemens
, & les taillerent en pieces
, mais toute leur refiftance,
quoyque des plus vigoureuſes ,
n'empefcha pas que prés de trois
cens ne paffaffent dans la Place,
le refte fut repouffé hors du
Camp. On fit trois cens Prifonniers
, & il y en eut beaucoup
de tuez. Le Sieur Sentini Chevalier
de Malte , & Capitaine
de Cavalerie dans les Troupes
de Baviere , s'eftant trop avancé
pour reconnoiftre les Ennemis,
fut fait prifonnier. Le Comte
de Konigfmark Lieutenant Cólonel
de Beck fut tué , & le General
Heufler bleffé au pied.
Quoy que ceux qui entrerent
dans la Ville , fuffent la plufpart
bleffez & en petit nombre , les
Affiegez ne laifferent pas de faire
de Bude.
177
re une falve de tous leurs Canons
, pour faire croire qu'il leur
eftoit arrivé un plus grand fecours.
On apprit par un Chrétien
qui s'échappa de l'Armée
des Ottomans , que le Grand Vifir
avoit fait affembler fes Troupes
,,
pour leur dire que le fecours
qu'il avoit envoyé , eftoit
entierement entré dans la Ville,
& qu'il donneroit à tous ceux
qui auroient envie de s'y jetter,
la mefme fomme qu'il avoit donnée
aux autres . L'Armée des Infidelles
fe retira à quelques lieuës
du Camp des Chreftiens .
>
Le 21. la Baterie de l'attaque
des Imperiaux qui battoit en
flanc les retranchemens des Af-
Liegez receut un fort grand
dommage du feu que fit leur Artillerie
. Elle en fut prefque entierement
démontée , ce qui fit
H v
178
Hiftoire
du Siege
qu'on augmenta le nombre des
Travailleurs pour la rétablir pen
dant la nuit.Ön redoubla auffi les
Troupes de la Tranchée , & l'on
fit un feu continuel afin d'occu
per les Ennemis. Cette même nuit
on fe prepara à donner un Affaut
au Chafteau du cofté de l'attaque
des Bavarois.
Le 22. le Prince . Charles fit
faire une fauffe Attaque , pour
faciliter par une diverfion celle
que l'Electeur de Baviere commençoit
de fon cofté. Les Turcs.
eftant accourus en grand nom.
bre fur la brêche du cofté des
Imperiaux , on fit fur eux une
décharge de Mortiers , qui leur
tuerent cent hommes , & pen
dant ce temps les Bavarois , qu'animoit
la prefence de leur Prince
, fe rendirent maiftres de la
plus grande partie du Chateau,
malgré
de Bude..
179
malgré la refiftance opiniaftre
de ceux qui le défendoient. Le
General Rummel qui commandoit
l'Attaque , fut tué d'un coup
de Moufquet dans les approches.
H fut extremement regretté .C'étoit
un Officier d'une grande experience
. On ne perdit que trente
hommes , mais plus de deux
cens furent bleffez , la plufpart
par des Sacs à poudre . Un Duc
de Saxe- Mesbourg , ayant une
Compagnie dans le Regiment
de Bade , receut deux coups de
Moufquet, dont l'un luy calla la
jambe. La nuit , les Ennemis
tacherent de repoufler les Bava-
Fois du Pofte qu'ils occupoient,
mais ils ne purent en venir
bout.
Le 23. les Affiegez firent une
Sortie fur la grande Garde des
Bavarois , mais ceux - cy les contrai
180 Hiftoire du Siege
traignirent de fe retirer , & les
pourfuivirent jufques aux portes.
Le Lieutenant Colonel d'Arco
y ayant efté tué d'un coup de
Moufquet , les Turcs emporterent
le corps dans la Ville . On
prit dans l'lfle de Sainte Marguerite
un Turc qui eftoit fortyde
Bude à la nage avec un More
, pendant un orage qui s'eftoit
élevé la nuit . Il dit que ce More
qu'on n'avoit pu arrefter , eftoit
envoyé au Grand Vifir avec
des lettres , par lesquelles le Bacha
de Bude le preffoit de luy
donner promptement un fecours
plus fort que celuy qu'il avoit re
ceu que la Ville ne pouvoit te
nir encore bien long- temps , &
que le Chafteau eftoit fur le
point d'eftre perdu . Il ajoûta ,
qu'il n'eftoit entré que deux
cens cinquante Janiffaires la
plus
de Bude. 181
plufparts bleffez , & hors de combat
, & que le Bacha en publioit
le nombre plus grand pour donner
courage à ceux de la Ville;
que les Affiegez avoient perdu
cent hommes le jour que les Bavarois
s'eftoient poſtez au haut
-du Chafteau & que le Bacha
avoit promis cinq cens écus à
ceux qui eftoient venus la nuit
pour les en chaffer , mais que celuy
qui les commandoit avoit
pris la fuite...
Le 24. les Bavarois fe fortifierent
dans les Poftes dont ils s'eftoient
emparez. Les Affiegez firent
contre eux de nouveaux efforts
mais ils furent inutiles.
Trente Soldats y furent tuez avec
le Lieutenant Colonel du Regiment
Saxon de Trautmansdorf.
L'Armée Ottomane parut de
nouveau à la veuë du Camp , &
sen
182
Hiftoire du Siege
›
s'en retourna le mefmejour à une
lieuë de là. Comme les Affiegez
avoient fait des feu pendant la
nuit, & allumé plufieurs fois de la
poudre au deffus de la grande
Rondelle , on ne douta point que
ce ne fuffent autant de Signaux
pour preffer les Turcs de faire
encore quelque tentative. Le
Prince Charles , pour prevenir
leurs deffeins , détacha fix Efca
drons, & fix Bataillons , qu'il fit
commander par le Baron de Mercy
, le Comte de Souches & le
General Heufler. Ils pafferent
toute la nuit fous les armes fans
qu'il fe fift aucun mouvement du
cofté des Infidelles. On continua
pendant cette mefme nuit , de
combler les Foffez, & d'affurer les
Travaux qui avoient eſté faits
du cofté de l'attaque de Lorrai
ne. On eut avis que le Comte de
Scherf
de Bade. 183
Scherffemberg dont on preffoit
Farrivée , eftoit auprés de Zolnoch
avec les Troupes qu'il commandoit
en Tranfilvanie, & qu'il
feroit toute la diligence poffible
pour le rendre promptement au
Camp , quoy que fon Infanterie
fuft fort fatiguée .
Le 25 deux Escadrons que l'on
avoit détachez , eurent ordre de
revenir au Camp , & les quatre
autres furent poftez au pied des
murailles. Le Prince Charles fit
fortifier les Lignes le long du Danube
, de plufieurs rangs de Paliffades,
& quatre cens Allemans
& deux cens Hongrois y furent
envoyez fous le commandement
du Baron d'Afti pour s'oppofer
au fecours , fi les Ennemis tachoient
d'en faire paffer par là.
Les Travaux que les Bavarois avoient
faits au hautdu Chafteau ,
fu
184 Hiftoire du Siege
furent entierement brûlez par les
facs à poudre, & autres Machines
à feu que les Affiegez y jetterent.
Ainfi l'on fut obligé de fe
retirer , & de fe pofter plus à la
droite. Il y eut en cette occafion
dix ou douze hommes tuez , &
plus de deux-cens bleſſez .
Le 26. le Canon des Affiegeans
ayant ruiné la face de la grande
Rondelle dont ils s'eftoient ren
dus maiftres , on y fit une maniere
de pont avec des poutres. Elles
alloient d'une muraille à l'autre,
& faifoient la communication
des Logemens . Les Ennemis firent
ce qu'ils purent pour bruler
ce Pont, mais on le garnit fi bien
de toutes les chofes qui le pou
voient garantir du feu, qu'ils furent
forcez d'abandonner ce deffen.
Il ne leur reftoit plus que
fept groffes pieces de Canon en
bat
de Bude.
185
batterie ; toutes les autres avoient
efté demontées. Un Turc fut arrêté
proche de la Ville. Il dit que
quantité de Janiffaires animez
par les promeffes du Grand Vifir,
montoient tous les jours à cheval
avec refolution de fe venir
jetter dans la Place , mais que le
courage leur manquoit , fſii toft
qu'ils découvroient le Camp des
Chreftiens.
Le 27. on terraffa le Pont de
communication , & on fit une
forte Redoute pour en defendre
la tefte . On travailla auffi à un
Logement fur la grande Rondelle.
Il fut étendu fur un terrain
uny qui donnoit paffage jufqu'à
la derniere muraille de la Ville.
Ainfi les Affiegeans n'eftoient
plus qu'à cinq ou fix pas des Ennemis
, qui tâcherent de redoubler
leur defence. Ils jetterent
quan
186 Hiftoire du Siege
quantité de feux d'artifice , fans
pouvoir endommager le Logement
qui touchoit leurs Palifades
. Un Croate Deferteur vint
avertir que les Ennemis avoient
receu un renfort de huit mille
hommes , & tiré de Stulweifembourg
huit groffes pieces de Canon
; que le Grand Viſir ayant
promis de récompenfer tous ceux
qui fe jetteroient dans la Ville,
plufieurs s'eftoient déja prefentez
, & que la nuit fuivante on
devoit venir attaquer le Camp
des Chrefliens par deux endroits .
Ce rapport fit qu'on la paffa toute
entiere fous les armes . On s'y
tint mefme le lendemain jufques
à midy , mais on ne vit que quelques
détachemens qui ne firent
que paroiftre, & fe retirerent prefque
auffi - toft.
Le 28. les Affiegeans fe fortific
de Bude.
187
1
fierent dans leur Logement, malgré
tout le feu des Affiegez qui
commença à diminuer. On ag
grandit la bréche du flanc de ce
Logement , & toutes chofes furent
heureuſement difpofées pour
reüffir dans l'affaut. La Baterie de
Suabe continua de faire grand
feu. Elle eftoit fur le panchant
de la Montagne d'où l'on tiroit
avec des Boulets enchaifnez,afin
qu'il fuft plus ailé d'abatre les
Paliffades. Ce mefme jour on
furprit on Turc qui eftoit encore
forty de la Ville à la nage . Il avoitpaffé
fous les deux Ponts , &
s'eftoit caché dans un trou au
de - là des Lignes . Il n'avoit fur
luy qu'une écharpe & un Sabre
avec une Lettre qu'il portoit à
l'Armée Turque pour l'Aga des
Janiffaires. Elle eftoit écrite par
ce
188 Histoire du Siege
celuy qui commandoit les Janiffaires
dans Bude , & n'avoit rien
de particulier , finon que l'Homme
que le Grand Vifir avoit envoyé
, eftoit entré dans la Ville,
& qu'elle eftoit fort preffe. Il fut
impoffible pendant tout le jour
de faire parler ce Turc , mais enfin
on l'intimida fi bien par les
menaces , qu'il avoüa fur le foir,
que le Commandant de Bude
l'avoit chargé de dire au Grand
Vifir, qu'il yavoit prés de quinze
jours qu'il eftoit campé devant
la Ville , & qu'il s'étonnoit que
fcachant le preffant danger où
ilfe trouvoit , il ne luy envoyat
pas un fecours confiderable ; que
les Troupes qu'il commandoit
témoignoient avoir moins de
courage que les Femmes de la
Ville , puifqu'on ne tentoit aucune
chofe , que pour luy il eftoit
re
de Bude. 189
refolu de fe défendre jufqu'à la
derniere goute de fon fang , mais
qu'il ne pouvoit répondre de la
Place s'il ne recevoit un prompt
fecours. Ce Turc ajoûta que le
Bacha luy avoit auffi donné ordre
de recommander la Ville de
Bude & l'honneur de l'Empire
Ottoman au Commandant des
Tartares ; qu'il y avoit encore
2000. hommes dans la Place , avec
quatre cens Janiffaires qui
s'y eftoient jettez le 20 que les
Affiegez s'eftoient bien retranchez
du coſté de l'Attaque des
Imperiaux ; que derriere la Paliffade
de la feconde brêche il y
avoit encore un Foffe & une autre
Paliffade , mais qu'ils n'avoient
point travaillé du cofté
du Chafteau , eſperant eſtre ſecourus.
Le 29. un Polonois vint ſe rendre
190 Hiftoire du Siege
dre le matin , & raporta que les
Infidelles devoient venir atta,
quer le Camp par trois endroits.
Peu de temps aprés , mille Spahis
& deux mille Janiffaires commandez
par deux Bachas, & foutenus
de quinze mille Tartares,
qui avoient ordre de leur faciliter
l'entrée dans la Ville, vinrent
du cofté d'Actoffen pour s'y jetter
, mais comme ils n'y trouve
rent point de paffage & qu'ils
virent qu'on faifoit fur eux une
vigoureufe décharge , ils gagnerent
une colline , d'où eftant enfuite
defcendus dans un Marais
qu'on trouve dans le Vallon , ils
furent envelopez par des Efcadrons
, à la tefte defquels eftoient
le Baron de Mercy & le General
Heufler , & par la garde des Bavarois
. Il en refta huit cens fur la
place. Ils avoient chacun trente
écus
de Bude. 191
écus qu'on leur trouva dans la
poche , le refte fut mis en fuite,
& il n'y en eut que quinze qui
purent paffer ; encore n'en entra↓
t- il que quatre dans la Ville , les
onze autres ayant eſté tuez avant
que d'y arriver. On coupa chemin
à cent Spahis , dont foixante
& feize furent paffez au fil de
l'épée par deux differentes Troupes
de celles de Brandebourg , &
quatre autres tuez dans le quar
tier du General. Le Baron de
Mercy receut trois coups de Sabre
dans cette action,un à l'épaule
, & deux à la tefte , Son Ayde
de Camp fut tué à ſes coftez .
Dans ce mefme temps les Affiegez
voulant faciliter l'entrée du
Secours , hazarderent une Sortie,
mais les Bavarois qui avoient la
garde de la Tranchée , les contraignirent
de fe retirer avec perte
192 Hiftoire du Siege
te de cinquante hommes. D'un
autre cofté l'Armée des Ennemis
vint en ordre de Bataille vers les
Lignes du Camp de Baviere ,
mais elle ne tenta rien , & le
Grand Vifir ayant veu paroiſtre
vingt cinq Efcadrons du corps
d'Armée du Comte de Scherffemberg
qui paffoient le Pont du
Danube , fous le commandement
du General Picolomini , prit le
parti de fe retirer. On gagna
trente Drapeaux, la plufpart rou
ges , les autres eftoient de differentes
couleurs. On fceut par un
Deferteur , que des trois mille
Janiffaires ou Spahis qui avoient
juré au Grand Vifir qu'ils ne reculeroient
, ny ne fuiroient point,
il n'en eftoit pas retourné plus de
cinq cens.
Le 30.quatre Chreftiens écha
pez des mains des Infidelles , fe
rendi
de Bude.
193
Jap
rendirent dans le Camp , & rapporterent
que l'Armée Ottomane
eftoit allée camper une lieuë plus
loin que la plufpart de leurs
Troupes defertoient avec les Drapeaux
, & qu'elles avoient une
grande difette de vivres . Ce mef
me jour le Comte de Scherffemberg
arriva de Tranfilvanie avec
les trois Regimens d'Infanterie ,
de Sherini , de Scherffemberg ,
de Spinola , & le refte de la Cavalerie
, fçavoir soo . Hongrois &
les Regimens de Picolomini ; de
Veterani , de Sainte Croix ; de
Magni , & de Tefvin. Celuy de
Sherini fut joint au corps de Ba
viere , & les autres allerent occu
per le terrein qui reftoit vuide
du cofté de la baffe Ville , depuis'
la droite des Imperiaux jufques
au Dambe."
Le 31 on eit avis, que fept
isque I
194 Hiftoire du Siege
mille Tartares s'eftoient avancez
vers Gran , afin d'empécher
qu'il ne defcendift des vivres
pour les Affiegeans. On entendit
mefme tirer le Canon de cette
Ville. Les Bavarois firent mener
de nouvelles Pieces fur leurs Batteries
à la place de celles qui avoient
eſté gaſtées . Les Troupes
demeurerent fous les armes toute
la nuit , fur ce que le bruit
s'eftoit répandu le foir , que l'Armée
des Infidelles s'eftoit mife
en marche pour les venir attaquer.
Le premier jour de Septembre
on ne ceffa de jetter dans la
Ville des Carcaffes & des Bombes
, & de battre les Paliffades
avec le Canon . Ce mefme jour on
tint un Confeil de Guerre , où ſe
trouverent tous les Generaux
des Troupes auxiliaires . Il fut
agité
de Bude.
195
agité fi l'on iroit attaquer le
Grand Vifir en laiffant affez de
Troupes pour continuer le Siege
, où fi on l'attendroit dans
les Lignes. Plufieurs crurent qu'il
falloit aller aux Ennemis & profiter
de la confternation où les
mettoit la perte qu'ils avoient faite,
mais l'avis contraire l'emporta
, & on refolut de donner l'affaut.
Cette reſolution fut tenuë
fecrette , & le Prince Charles fit
fortir des Lignes trente mille
hommes de Cavalerie & dix mille
d'Infanterie qu'il fit ranger en
Bataille dans la plaine oppofée
au front du terrain que les Infidelles
occupoient > comme s'il
euft eu deffein de les aller attaquer.
Il les empefchoit par là de
faire des détachemens pour le
fecours de la Place. Les Generaux
qui eurent le commande-
I ij
196
Hiftoire du Siege
ment de la Cavalerie , furent le
General Bielke , le Prince Eugene
de Savoye , & les Comtes de
la Torre & d'Arco . Le General
Steinau & le Comte d'Afpremont
commanderent l'Infanterie.
Les ordres furent enfuite
donnez pour l'affaut . Le Comte
de Souches fut commandé pour
l'Attaque de la droite, & le Comte
de Scherffemberg le fut pour
la gauche, chacun avec trois mille
chevaux choifis , & un pareil
nombre d'hommes de pied . La
marche des Volontaires , qui attendoient
ce grand jour avec une
extreme impatience , fut ordonnée
entre les deux aifles, avecordre
de ne pas preceder les premieres
files.
Le 2 . tous les Generaux ſe
trouverent à cheval fi- toft que le
jour parut . Ils allerent vifiter les
Tra
de Bude.
197
Travaux , & le Prince Charles
ayant fait venir les Officiers Ma-.
jors dans fa Tente , les avertit de
tenir toutes les Troupes preftes
pour donner l'affaut à deux heures
aprés midy. L'Electeur de Baviere
n'oublia de fon cofté aucun
des ordres qui pouvoient
eftre neceffaires pour achever de
fe rendre maiftres du Chateau.
Le General Schoning tint auffi
toutes chofes difpofées à l'attaque
de Brandebourg , & d'abord
que le Signal cut efté donné par
fix Pieces de Canon tirées du
quartier des Troupes de Suabe,
quatre Capitaines fuivis chacun
de cinquante Grenadiers , avec
quatre Lieutenans , quatre Sergens
, & les autres Officiers inferieurs
, marcherent à la droite
de l'Attaque. Le Baron d'Afti
eftoit à leur tefte , & ils eftoient
I iij
198 Hiftoire du Siege
fouftenus de deux cens Moufquetaires
que commandoient
quatre Capitaines & d'autres
Officiers fubalternes, ayant à leur
tefte un Lieutenant Colonel &
un Major. Ceux - cy eftoient fuivis
de cent hommes armez d'une
demie Pique & d'un Sabre , chacun
avec deux Piftolets de ceinture
. On fit marcher à quelque
diſtance trois cens Arquebufiers
commandez par quatre Capitaines,
& trois Bataillons de reſerve
les fuivoient. Ils eftoient chacun
de fix cens hommes avec leurs
Officiers. La difpofition de la
gauche fut pareille . Toute la difference
qu'il y eut , c'eſt que cent
cinquante Arquebufiers furent
les premiers qui s'avancerent, &
qu'ils n'eftoient precedez que de
cinquante Grenadiers , & de
vingt- cinq à trente hommes armez
de Bude. 199
mez de Pertuifanes , d'une Epée,
& d'une Hache . Tout fut difpofé
de la muc torte à l'Attaque
de Daviere, & à celle de Rrandebourg
, & jamais Affaut ne fut
entrepris avec plus d'ardeur , &
plus d'intrepidité . Le Baron
d'Afti qui avoit l'Avant- garde
des Grenadiers , & qui marchoit
à leur tefte , fut bleffé d'abord,
& le Sieur Bifchoff- haufen , Sergent
Major du Regiment de Diepenthal
, prit le Commandement
en fa place. Quoy qu'ils fuffent
foûtenus des Bataillons qu'on avoit
fait fuivre , ils trouverent
une fi furieuſe refiftance de la
part des Affiegez , qu'ils furent
contraints de reculer. Outre la
grande quantité de facs à poudre
qu'on jetta fur eux , les Ennemis
firent jouer une Mine qui
leur caufa un fort grand defor-
I iiij
200
Hiftoire du Siege
dre. Ils retournerent une feconde
fois à l'affaut avec une vigueur
extraordine , & ils ne
Purent encore obliger les Tercs
a fuir , mais enfin aprés une tresrude
Efcarmouche qui dura une
heure devant la Ville , les Affiegez
ayant perdu courage par la mort
du Commandant qui fut tué fur
la Bréche , ils firent fi bien qu'ils
vinrent à bout d'arracher les
Paliffades , & de forcer leurs
Retranchemens. Ils y trouverent
huit cens Janiffaires qu'ils taillerent
en pieces , fans avoir aucun
égard à la poſture foûmife
où ils fe mirent en leur demandant
quartier , & jettant leurs
Armes bas. Quelques - uns d'entre
eux voyant qu'ils ne vouloient
épargner perfonne , reprirent
leurs Armes , fe défendirent
en defefperez , & firent
jouër
•
de Bude. 201
jouer un Fourneau dont plufieurs
Maifons fauterent . Le feu
du Fourneau fe communiqua à
une certaine machine qu'il avoient
difpofée auparavant , &
produifit un autre feu bien plus
dangereux qui couroit de place
en place, & que perfonne ne prenoit
le foin d'efteindre , parce
que les Victorieux eftoient alors
occupez à pourfuivre , & à exterminer
tout ce qui pouvoit
refter d'Ennemis dans la Ville ,
où quelques ordres que les Of
ficiers puffent donner , il fut impoffible
d'empefcher le carnage.
Ainfi l'embrafement fut prefque
general. Ceux de Brandebourg
entrerent en mefme temps dans
la Ville , & penetrant dans les
rues au travers des flâmes , ils
firent main baffe fur tout ce
qu'ils rencontrerent , fans épar
I v
202 Hiftoire du Siege
gner Vieillards , Femmes & Enfans
. Les Victorieux n'en confultoient
que la fureur qui les
animoit , & qui les portoit à fe
vanger de l'opiniâtre reſiſtance
que ces malheureux avoient faite
fur la Bréche à force de Bombes
, de Mines , de Pots à feu &
autres machines roulantes qu'ils
avoient jettées à la faveur de
leur Moufqueterie , & d'une
grefle de fléches. Cependant la
Cavalerie qu'on avoit tirée des
Lignes fous les Generaux nommez
pour la commander eftoit
demeurée , ainsi que l'Infanterie,
toûjours en action , & en Bataille
avec les Ennemis , dont
l'Armée , non feulement avoit
paru de ce coſté là , mais meſme
avoit commencé à attaquer l'Avantgarde
des Chreftiens. D'un
autre cofté les Generaux Sherini
,
de Bude.
203
rini, la Vergne & de Beck , n'ou
blierent rien pour achever de
fe rendre maiftres de ce qui reftoit
à occuper du Chateau,
fouftenant avec un courage tout
heroïque l'affaut qu'ils y avoient
donné , & en mefme temps les
Grenades & les Pierres que jettoient
les Janiffaires , qui ne fçachant
encore rien du fuccez de
l'autre attaque , faifoient leurs
derniers efforts pour fe maintenir
fur une hauteur d'où dépendoit
la confervation du Chafteau.
Pendant qu'ils fe deffendoient
avec toute la bravoure
qu'on peut attendre de gens.
auffi aguerris que determinez ,
les Turcs qui eftoient auparavant
de l'autre cofté , s'eftoient
venus retirer de celuy - cy , partie
du cofté de la Riviere , &
partie du cofté du Chaſteau où
ils
204 Hiftoire du Siege
ils avoient merveilleufement renforcé
les Janiflaires. Pour s'oppofer
au fecours qu'ils leurs donnoient
, l'Electeur de Baviere ,
qui remarqua que le Grand Vifir
n'agifloit point , & qu'il ne
faifoit mine d'aucun mouvement
, commanda le Comte d'Apremont
avec 500. hommes , &
le fit aller à l'affaut avec les autres
pour les foûtenir. Le Prince
Louis de Bade s'apercevant de
l'inevitable neceffité qu'il y a
voit de s'emparer de la hauteur
qui occupoient encore les Affiegez
, pour le rendre enfuite maifres
du bas où ils avoient plufieurs
places d'armes & autres
Logemens , paffa luy mefme de
ce coflé-là , & ordonna de l'efcalader
& de grimper au deffus,
ce qui fut fait fi heureuſement,
que
de Bude.
205
que l'on envoya une grefle de
de moufquerades & de Grenades
fur les Turcs qui fe voyant foudroyez
de cette forte , arborerent
un Drapeau blanc , & jufques à
leurs Turbans , criant de toute
leur force qu'on leur donnaft
quartier & la vie. Il y en cut
plufieurs , qui ne voulant point
attendre ce qu'on refoudroit, pafferent
par deffus le mur d'un
chemin couvert , & tâcherent de
fe fauver avec quelques Juifs par
le Danube dans de petits Bateaux
qu'ils trouverent mais
les Tolpazes les ayant atteints
avec leurs Saiques , coulerent à
fond plufieurs de ces petits Baftimens
, tuerent la plupart de
ceux qui avoient cru s'échaper,
& les autres qui avoient déja
paffe la Riviere , furent taillez
2
en
206
Hiftoire du Siege
>
en pieces , ou faits prifonniers
par les Hongrois qui eftoient
dans Peft . L'Electeur de Baviere
accorda la vie au Lieutenant
du Bacha & à plus de
douze cens hommes , qui voyant
les Imperiaux Maitres de la
Place , l'avoient fuivy dans une
Rondelle où il s'eftoit retiré
entre le Chafteau & la Ville.
Il fit de mefine quartier à ce qui
reftoit de Turcs dans le Chafteau
, d'où il les envoya fous
bonne garde dans une grande
Mofquée & dans un grand Magafin
. Les Soldats qu'on ne
put faire revenir fi - toft de leur
premiere fureur , affommerent
& jetterent dans la Riviere les
vieilles Gens fans nulle diftinction
de Sexe , & il y en eut
quelques - uns de fi
,
cruels ,
qu'ayant
de Bude.
207
cruautez ,
qu'ayant trouvé des Femmes
avec des Enfans de deux ou trois
mois , ils leur ouvrirent le ventre
, & y fourrerent ces miferables
Enfans. L'Electeur de Baviere
, & le Comte de Stratman ,
Chancelier de l'Empereur , qui
arriverent dans la Ville pendant
que l'on commettoit ces
ne pûrent les faire
ceffer qu'aprés des défenfes tres
rigoureufes , & plufieurs fois reïterées.
Le feu eftoit répandu par
tout , & avec le fang qui couloit
de tous coftez , il est aisé de
s'imaginer quel affreux Spectacle
offroit cette trifte Ville abandonnée
au pillage . Cependant
la principale Mofquée , qui
avoit efté autrefois l'Eglife de
Saint Etienne , Roy de Hongrie
, fut préfervée de l'embrafement,
208
Hiftoire du Siege
>
fement , ainfi qu'un grand Magafin
, dans lequel eftoient quantité
de vivres , & un autre plein
de poudres . Ces deux Magalins
furent confervez par les foins
du Commiffaire Rabata qui
eut là - deffus beaucoup de conduite
& de vigilance . On perdit
prés de deux cens hommes
à l'Attaque de Lorraine , avec
le Marquis de Spinola , Colonel
d'un Regiment d'Infanterie . Il
y eut trois cens cinquante Soldats
tuez à celle de Baviere , à
caufe d'un Fourneau que les Ennemis
y firent jouër . Le Comte
de Tartembac fut auffi tué à
cette Attaque , & le Comte de
Zacco , Major du Regiment
d'Alpremont , y fut bleffé à
mort ainfi que le Sieur Mon-
.ticolli , Capitaine dans le meſme
>
Re
de Bude . 209
Regiment. Ceux de Brandebourg
ne perdirent que cent
hommes , & le nombre des Blef
fez ne fut que de quatre cens
dans toutes les trois Attaques .
11 y eut plus de trois mille hommes
tuez ce jour- là - du cofté des
Affiegez . On jetta les corps des
Turcs & des Juifs dans la Riviere
, & les Chretiens furent enterrez.
Le Lieutenant du Bacha
dit qu'au commencement du Siege
la Garnifon eftoit de dix mille
Janiffaires , fans compter les Juifs
& les Habitans capables de porter
les armes , qui faifoient encore
plus de cinq mille hommes.
L'Aga des Janiffaires &
le Mufthi demeurerent prifonniers
avec ce Lieutenant du Bacha
, & plufieurs autres Offciers.
L'Aga fut donné au Prince
Char
210 Hiftoire du Siege
Charles. Cette conqueſte eft
d'autant plus glorienfe , qu'elle
s'eft faite à la veuë de l'Armée
des Ottomans , qui fans ofer rien
tenter , ont laiffé prendre une
Ville auffi importante que Bude,
& dont ils eftoient en poffeffion
dépuis cent quarante-cinq ans.
On dit que lors qu'ils connurent
que les Chreftiens y eftoient entrez
, ils s'arracherent la barbe
de defefpoir , & fe jetterent par
terre. Le foir ils fe retirerent à la
faveur de la nuit .
dans la Place trois à
On a trouvé
quatre cens
dont il dont y en
pieces de Canon ,
a quantité d'un fort grand calibre
, avec foixante Mortiers,
& un nombre incroyable de Boulets
, de Grenades , de Carcaffes ,
de Bombes , & d'autres Machines
de Guerre. On fit environ
deux
de Bude. 211
deux mille prifonniers , & l'on
prit plus de cent Juifs qui s'eftoient
refugiez dans leur Synagogue.
Le Prince Charles fit tout
ce qu'on peut attendre d'un
grand & experimenté Capitaine,
donnant les ordres par tout où
fa prefence eftoit neceffaire , &
n'oubliant rien de ce qui pouvoit
contribuer à l'heureux fuccés
de cette grande journée . L'Electeur
de Baviere s'y acquit
beaucoup de gloire , & fit
roiftre combien il eft intrepide
par la maniere dont il s'expofa
au feu. Tous les Volontaires
chercherent à fe fignaler à l'envy
les uns des autres , & le Prince
de Commercy donna d'éclatantes
marques de valeur &
de courage. Comme ils pouvoient
fe trouver par tout , le
pa-
Mar
212
Hiftoire du Siege
allerent
Marquis de Blanchefort , & le
Marquis de Souvray
dans tous les Poftes où le peril
eftoit le plus apparent. C'eſt ce
qu'ils avoient déja fait pendant
tout le Siege, n'ayant laiffé échaper
aucune occafion , quelque
dangereufe quelle fuft , fans y
courir avec une ardeur qui ne
fe peut exprimer. Le Prince
Louis de Bade receut un coup
de Moufquet qui luy éfleura la
chair. Il monta un des premiers
à l'affaut , & anima les Soldats
par fa valeur . Le Prince Euge
ne de Savoye , qui eft fon Coufin
Germain , ne fe diftingua
pas
moins. Il avoit cfté deftiné
à l'Eglife , mais le Chevalier de
Savoye , fon Frere , qui commandoit
un Regiment de Dragons
au fervice de l'Empereur,
eftant
de Bude .
2137
eftant mort au Siege de Vienne,
il refolut de quitter l'Etat Ecclefiaftique
, & s'eftant rendu en
pofte à ce mefme Siege aprés a--
voir efté faluër S. M. I. qui étoit '
à Lints , il s'y fignala , & acheva
la Campagne en qualité de Volontaire
, âgé feulement de dixneuf
ans. L'Empereur voulant
reconnoiftre la valeur de ce jeune
Prince , luy donna un Regiment
de Dragons , à la tefte duquel
il fervit la Campagne fui- :
vante , & fit des chofes au delà !
de fon âge à la prife de Strigonie,
& au premier Siege de Bude , où
il fut bleffé d'un coup de Moufquet
au bras. Aprés la Campa
gne, il alla voir le Duc de Savoye
Chef de fa Maifon , qui le receut
avec toutes les marques d'honneur
deuës à ſa naiffance & à fon
me
214 Hiftoire du Siege
merite. Il paffa de là à Veniſe , revint
à la Cour de l'Empereur , &
fe trouva àla Prife de Neuhaufel
& autres Places . Au retour.
de cette Campagne , quoy qu'il
n'euft alors que vingt & un an,
l'Empereur le fit General Major.
de fes Troupes fur la fin de l'année
derniere . Le Siege de Bude
ayant efté refolu , il fe rendit au
Camp des Impériaux pour y faire
les fonctions de cet employ , dont
il s'eft acquité avec toute la gloire
poffible.
Si-toft
que
la Place
eut eſté
prife
, le Prince
Antoine
de Neubourg
, Grand
Maiftre
de l'Or.
dre Teutonique
, & le Prince
de Commercy
partirent
pour
en
apporter
la nouvelle
, l'un à l'Empereur
, & l'autre
à l'Imperatrice
.
Doüairiere
, le Comte
de Sherini
,
de Bude. 215
rini , dépefché par l'Electeur de
Baviere , l'apporta à l'Electrice fa
Femme. Le Comte de Konigfeeck
fut auffi dépeſché par le
Prince Charles avec le grand
Drapeau des Turcs trouvé dans
Bude qu'il apporta au Prince Hereditaire
Imperial .
Le 3. le Prince Charles & les
Generaux vinrent au Quartier
de l'Electeur de Baviere , où le
Te Deum fut chanté au bruit des
Trompettes , des Timbales , &
des Canons , dont on fit faire trois
décharges autour des Lignes. On
mit auffi le feu aux Bombes qu'on
y avoit enterrées pour les Ennemis,
s'ils euffent ofé entreprendre
de les
attaquer.
Le 6. toute l'Armée partit en
bon ordre pour marcher du cofté
du Pont d'Effeck. On laiffa
dans
216 Hiftoire du Siege de Dude.
dans Bude les Regimens d'In-1
fanterie de Beck , de Salme &
de Diepenthal , avec des détachemens
des Alliez fous le
Commandement du Baron de
Beck .
F I
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Résumé : HISTOIRE DU SIEGE DE BUDE.
Le siège de Buda, capitale stratégique du royaume de Hongrie, fut marqué par plusieurs événements militaires significatifs. En 1526, après la mort du roi Louis II à la bataille de Mohács, Jean de Zapolya et Ferdinand de Bohême se disputèrent le trône. Ferdinand, soutenu par Charles Quint, prit Buda mais dut la rendre en 1529 après l'intervention de Soliman le Magnifique, qui rétablit Jean de Zapolya. À la mort de ce dernier, sa veuve Élisabeth envoya leur fils Étienne à Soliman, qui s'empara de Buda en 1541 sans combat. La ville resta sous domination ottomane jusqu'en 1686. Plusieurs sièges eurent lieu par la suite. En 1598 et 1602, l'archiduc Mathias échoua à prendre la citadelle. En 1684, le prince Charles de Lorraine commença un siège mais dut se retirer. Le cinquième et dernier siège, en 1686, fut mené par une armée chrétienne confédérée et aboutit à la prise de Buda, rétablissant ainsi la domination chrétienne sur la ville. Les préparatifs du siège de 1686 inclurent la revue des troupes et les travaux de circonvallation. Les attaques impériales et bavaroises désorganisèrent les batteries des assiégés, ouvrant une brèche dans la muraille. Les combats furent intenses, avec des pertes des deux côtés. Le 2 septembre 1686, les troupes impériales entrèrent dans Buda après une résistance farouche. Les pertes furent lourdes : les troupes de Brandebourg perdirent 100 hommes, les forces adverses 400, et 3 000 hommes furent tués du côté des assiégés. Les corps des Turcs et des Juifs furent jetés dans la rivière, tandis que les chrétiens furent enterrés. La garnison comptait 10 000 janissaires, 5 000 Juifs et habitants armés. Plusieurs officiers ottomans furent capturés. La conquête de Buda eut lieu sous les yeux de l'armée ottomane, qui se retira sans intervenir. Dans la ville, on découvrit 400 pièces de canon, 60 mortiers et une grande quantité de munitions. Environ 2 000 prisonniers furent faits, dont plus de 100 Juifs réfugiés dans leur synagogue. Le Prince Charles et l'Électeur de Bavière se distinguèrent par leur bravoure, ainsi que le Prince Eugène de Savoie. Après la prise de la ville, un Te Deum fut chanté pour célébrer la victoire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 189-214
Tout ce qui s'est passé au Seminaire des Missions Etrangeres, le jour que les Ambassadeurs y ont esté regalez, avec les cinq Harangues qui leur ont esté faites dans ce Seminaire. [titre d'après la table]
Début :
Les Ambassadeurs ayant témoigné plusieurs fois à Mr l'Abbé [...]
Mots clefs :
Séminaire des Missions étrangères, Ambassadeurs, Harangues, Séminaire, Roi de Siam, Admirer, Vrai dieu, Compliments, Joie, Personnes, Monde, Langue, Artus de Lionne, Abbé, Compliment, Hébreu, Hommes, Maison, Devoir, Mérite
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Tout ce qui s'est passé au Seminaire des Missions Etrangeres, le jour que les Ambassadeurs y ont esté regalez, avec les cinq Harangues qui leur ont esté faites dans ce Seminaire. [titre d'après la table]
Les Ambaſſadeurs ayant
témoigné pluſieurs fois à M
l'Abbé de Lionne , & à r
de Brifacier, Superieur du Seminaire
des miſſions Eftrangeres
, le deſir qu'ils avoient
depuis longtemps de leur
rendre viſite dans leur mаі
fon, en fixerent enfin le jour
190 IV. P. du Voyage
au 10. Decembre . Comme le
premier Ambaſſadeur eſtoit
allé ce jour là ſeul avec M
Torf à Versailles , pour conferer
avec Mle Marquis de
Seignelay, on alla fur les trois
heures aprés midy, propoſer
aux deux autres de venir voir
la Maiſon des Incurables. Ils
répondirent ſans hefiter qu'ils
ne vouloient point ſe partager ce
jour-là , qu'ils ne fortiroient que
pour aller au Seminaire, o que
s'ils avoient ſuivy leur inclination
, ils ſe ſeroient acquittez
beaucoup pluſtoſt de ce devoir .
Si-tôt qu'on apprit qu'ils ardes
Amb . de Siam. 191
rivoient , on alla les recevoir
à la defcente de leur Carroffes
, & on les conduiſit dans
un lieu où M l'Abbé de
Choiſi leur preſenta du Thé
dans les petits Vaſes d'or &
d'argent , que M Conſtance
luy a donnez à Siam , & fit
brûler du bois d'Aquila qui
parfuma l'air enun moment.
Il eſtoit fix heures lorſque le
Premier Ambaſſadeur revint
de Verſailles ; il les trouva
en converſation avec M'PEvêque
Duc de Laon , qu'ils
avoient veu à la Fére où , ce
Prelat estoit allé exprés pour
192 IV.P.du Voyage
les ſaluer au retour de leur
Voyage deFlandre.M leMarquis
de Coeuvres ſon Frere,
qu'ils ſçavoient eſtre le beaufrere
deM l'Abbé deLionne,
eſtoit auſſi avec eux, ainſi que
-M¹ d'Aligre, Ms lesAbbez le
Pelletier & de Neſmond , les
Peres Couplet & Spinola Jefuîtes
, &quelques autres perſonnes
de merite que l'on
avoit eu ſoin d'inviter.
La converſation ayant eſté
interrompuë, il ſe fit d'abord
un peu de filence , & M² de
Brifacier accompagné des
Eccleſiaſtiques de fa maiſon,
prit
des Amb. de Siam. 193
prit cet intervalle pour faire
un compliment fort court ,
qui prepara l'eſprit des Ambaſſadeurs
à en entendre quatre
autres en diverſesLangues.
Voicy les termes de ce com
pliment.
MESSEIGNEVRS,
Vn meriteauſſi univerſel & auſſi
univerſellement reconnu que levôtre,
devroit estre publié en toutes for
tes de Langues , & nous souhaiterions
pouvoir aſſembler icy les differentes
Nations de l'Europe ,pour honorer
par leur bouche vôtre Grand
Roy dans vos Excellences , de mème
que ce puiſſant Prince a honoré
R
194 IV. P. duVoyage
à Siampar la deputation des divers
Peuples de l'Orient nôtre Incompaparable
Monarque dans la personne
defon Ambassadeur extraordinaire.
Mais fansformerde vains deſirs &
Sans rien emprunter des Royaumes
étrangers , fouffrez, Meffeigneurs ,
que plusieurs Prestres de cette Maifon
, qui vous vont complimenter
aprés moy ,se partagent entre eux
pour lover en plus d'une maniere
les talents& la conduiteque tout le
monde admire en vous , &qu'ils employent
ce que l'Hebreu a desçavant,
ce que leGrec a de poly , ce que le Latin
a de grave , & ce que le Siamois
doit avoir d'agréable à vôtre égard,
pour rendre Séparement & diverſement
à vos Eminentes qualitezles
profonds refpects qui leur font dûs ,
pour repondre à l'honneur de vôdes
Amb. de Siam. 195
tre visite , & aux marques de vos
bontez par les témoignages finceres
d'une estime & d'une reconnoiſſance
éternelle.
Ils furent enſuite compli
mentez en Hebreu au nom
des Penſionnaires du Seminaire
, & à la fin de chaque
compliment , on liſoit la traduction
Siamoiſe qui en a
voit eſté faite , partie par le
ſieur Antoine Pinto , Acolyte
du Seminaire de Siam , & partie
par le ſieur Gervaiſe , l'un
des Ecclefiaftiques François ,
que feu Me l'Eveſque d'Heliopolis
avoit menez avec luy
Rij
196 IV. P. du Voyage
dans fon dernier voyage aux
Indes. Voicy la traduction
de ce compliment Hebreu
en nôtre Langue.
MESSEIGNEVRS ,
Cette maison reçoit aujourd'huy un
honneur qu'elle n'eût jamais ofé efperer.
Elle est établie pour envoyer
des hommes Apostoliques dans les
Royaumes les plus éloignez, & c'est
ce qu'elle a toûjours fait depuis fon
établiſſement. Mais qu'elle dût recevoirjamais
trois Illuftres Ambaffadeurs
venus des extremitez de la
terre , c'est ce qu'elle apeine à croire ,
quand même elle le voit. Dans l'excez
delajoye qui la transporte , elle.
ne peut , Meſſeigneurs , que vous
des Amb. de Siam. 197
:
conjurer d'être tres-perfuadez de ſa
reconnoiſſance respectueuse , & de
Pardeur continuelle qu'elle a à prier
Le Dieu du Ciel & de la Terre , qu'il
ajoûte aux biens dont il a déja comblé
vos Excellences la parfaite connoiſſance
de celuy qui les leur afaits .
L'Hebreu fut ſuivy du
Grec , & on leur fit ce troifiéme
compliment au nom de
ceux qu'on éleve dans cette
Maiſon pour les Miſſions étrangeres
. Voicy comme il a
eſté rendu en nôtre Langue,
MESSEIGNEURS,
Entre toutes les Perſonnes qui de-
Riij
198 IV. P. du Voyage
meurent dans cetteMaison que vous
avezbien voulu honorer aujourd'hui
devotre prefence, nous croyons que
nul n'a reſſenti plus de joye quenous
qui y sommes pour nous rendre dignes
depoffer dans votre Païs,quand
nos Supericurs voudrontbien nous y
envoyer. Ce qui nousy porte , c'est le
defir de procurer au Royaume de
Siam qui a toutes les autres richeßes,
daseule qui luy manque , &fans laquelle
toutes les autres luy seroient
inutiles , c'est la connoiffance & l'aour
du vray Dieu, Createur du Ciel
& de la Terre ; & rien ne pourroit
nous donner plus de joye & d'efpevance
de réüſſir dans ce deffein que
toutes ces excellentes qualitez que
la France admire en vos perſonnes.
Cette douceur & cette affabilité que
Vous aveztémoignée envers tout le
des Amb. de Siam. 199
monde, ne nous laiſſe pas lieu de douter
que les Peuples de Siam ne reçoi
ventfavorablement ceux qui confacreront
leur vie & leurs travaux
pour leur porter les lumieres de l'Evangile
de I. C. & cette merveilleuſe
penetration d'esprit que vous
avez faitparoître en toutes fortes de
rencontres nous fait concevoir la facilité
, avec laquelle ces mêmes Peuplesse
laiſſeront perfuader des veritez
que nous deprons leur enfeigner.
Votre équité , vôtre modération
, vôtreſageſſe , &toutes vos autres
vertus jointes à celles- cy , nous
rempliſſent de veneration pour vos
Excellentces , aussi bien que de joye
en nous mêmes ; & nous portent
avec encore plus d'ardeur à demander
inceffamment au vray Dieu tout
puiſſant,&infinimentbon, de vous
>
Rimj
200 IV P. du Voyage
conferver toûjoursdans uneparfaite
Santé, de vous accorder un heureux
retour dans votre Patrie ,& la joye
de retrouver'le Roy de Siam comblé
d'un nouvel excés de gloire. Mais
fur tout, nous ne ceſſerons jamais de
demander à ce Dieu éternel , & qui
diſpoſe des coeurs des hommes comme
il luy plaiſt , qu'il vousfaffe la grace
dele connoître&de l'aimer ,&d'étre
éternellement comblez de joye
avec luy.
Aprés cela , ils furent com
plimentez en Latin au nom
des Eccleſiaſtiques du Seminaire
qui doivent partir avant
les Ambaſſadeurs. Comme la
Langue Latine eſt entenduë
preſque de tout le monde,j'ay
des Amb. de Siam. 201
crû devoir mettre ce compli
compil
ment tel qu'il a eſté pronon
cé.
Viex hâcdomoquam nuncveftrâ
preſentiâfummoperè illuf
tratis, Viri Excellentiffimi, Siamum
vobiscum profecturi sunt , eandemquè
Claffem , vel fortè etiam eandemNavim
confcenfuri, precipuam
fibi hodiè , tùm erga Excellentias
veftras Reverentiam , tum pre cateris
latitiam exhibendam effe ar
bitrantur. Habent etenim in hodierno
, quo nos afficitis , honore , velut
pignus quoddam future veftra in
ipsos benignitatis : dulciffima converfationis
in via : fortiffime tuitionis
in Patria : ubique benevolentia
fingularis. Latantur autem
202 IV. P. du Voyage
maximè , cum mente pertractant,
jam-jamquepreripiunt, quam egregia,
quàm grandia de vobis vel invitis
, in Regno Siamensi poterunt
nuntiare ; palàm nempè faciendo
meritis extollendo laudibus quicquid
alioquin veftra modeftia reticuiffet
: fummam , quam apud nos
oftendiftis , ingenj magnitudinem,
-aquabilitatem animi, in tuendo Siamenfi
nomine dignitatem : ut fuiftis
in tractandis negotijs folertes ,
in extricandis difficultatibus dexteri,
in folvendis quæftionibus prudentes,
in reſponſis mille, velferid,
vel jocosè dandis , prout res poftulabat,
femperparatiffimi : ut noftis
denique vivere cum Optimatibus
comitèr , cum Plebeijs humaniter,
cum Regijs Ministris ſapienter, cum
Principibus dignè & magnifice, &
desAmb. de Siam. 203
(quod omnium fummum eft | LVDOVICI
MAGNI laudem &gratiam
demereri . Ita ut duobus tantum
Gens Siamensis & Gallica jam
inter se diſtare videantur , Patriâ
fcilicet &Religione ; quarum altera,
perfædus initum inter potentiffimos
Reges, deinceps communis erit,
altera verò ( faxit Deus Optimus
Maximus ) prorsus una.
M l'Abbé de Lionne finit
en Siamois, au nom des Ouvriers
Apoftoliques qui travaillent
à Siam , & dans les
Royaumes voiſins . Voicy ce
qu'il dit en certe Langue.
Vſqu'icy, MESSEIGNEVRS,
j'ay vû avec une extrême joie,
204 IV. P. du Voyage
L'empressement extraordinaire que
toute la France a fait paroître à vous
témoigner l'estime,le refpest l'admiration
qu'elle a pour le très-Puif-
Sant Roy, votre Maître, &pour vous
en particulier , qui foûtenez icy fi
excellemment faDignité. Voicy l'unique
occasion où j'aye pû mêler ma
voix aux applaudſſemens publics,&
vous marquer quelque chose de mes
Sentimensfur cesujet. l'ofe dire qu'ils
Surpaffint ceux de tout le reſte des
hommes; &pour en convenir, vous
n'avez qu'à faire reflexion aux vaifons
fingulieres & personnelles que
j'ay de parler ainsi. Les autres connoiſſent
à la verité le Roy de Siam ,
Sur ce que la Renommée a publiéde
fes grandes qualitez ; mais quoiqu'-
elle ait dit du rang éminent qu'il
tient entre tous les Princes de l'o-
4
desAmb. de Siam. 205
1
ment ,
vient , de la richeſſe de ſes tresors .
de la penetration étonnante deſon efprit,
de la ſageſſe de ſon Gouvernede
l'application infatigable
qu'ildonne aux affaires de son Etat,
deson difcernement &de son amour
pour le veritable merite , de cette
merveilleuse ardeur qu'il a de tout
connoître & de tout sçavoir, de cette
affabilité qui , sans rien diminuer
de sa grandeur , luy apprend à se
proportionner à toutle monde, &qui
attire chez lay ce prodigieux nom.
bre d'Etrangers ; & ce qui nous touche
de plus prés , de cette bontépar
ticuliere qu'il a pour les Ministres
du Vray Dieu ; tout cela, dis-je, quelque
grand qu'il soit , n'est- il pas
encore au deſſous de ce que découvrent
dansſa perſonne Royale, tous ceux qui
ont le bonheur de l'approcher , & ce
206 IV. P. du Voyage
que j'y ay découvert tant de fois
moy- même ? Il en est ainsi à proporsion
des jugemens avantageux que
l'on a portez icy de vos Excellences.
On a admiré , par exemple , & l'on
n'oubliera jamais la juſteſſe&lasubtilité
de vos reponses ; cependant on
na souvent connu que la moindre
partie de leur beautè , elles en perdoient
beaucoup dans le paſſage d'une
langue à l'autre , & moy-méme
j'avois une espece d'indignation de
me voir dans l'impoſſibilité de leur
donner tout leur agrément & toute
Leur force. On a admiré ce fond de
politeſſe , qui vous rend capables
d'entrer (i aiſement dans les manieres
particulieres de chaque Nation,
quelques differentes que toutes les
Nations foient entre elles. On a admiré
cette prodigieuse égalité d'ame
• des Amb de Siam. 207
& cette Paix qui ne se trouble jamais
de rien ; on a admiré enfin cent
autres qualitez excellentes qui éclatent
tous les jours dans vos perſonnes
; cependant ceux qui en ont
esté touchez, ne vous ont vû que
comme en paſſant; qu'auroit- ce esté,
s'ils avoient eu le moyen de vous
confiderer plus à loiſir&deplus près ?
Les ordres du tres-Grand Roy de
Siam m'ont procure cét avantage ,
lorſqu'il a joint à tous les témoignages
de bonté qu'il m'avoit déja donnez
, celuy de ſouhaiter que je vous
accompagnaſſe en France . Vous y avez
ajouſté mille marques touchanres
de vôtre amitié , & la Nature
Seule qui inſpire à tous les hommes
la reconnoiſſance , suffiroit pour me
donner les fentimens les plus reſpectueux
pour votre Grand Prince,les
208 IV . P.du Voyage
plus tendres pour vos personnes , &
les plus Zelez pour votre Nation :
mais Dieu , dont la Providence conduit
tout avec une fageffe & une
bonte admirable, a pris foin luy-meme
de fortifier infiniment ces fentimens
dans mon coeur , en me confirmant
dans le defſſein de paſſer ma
vie avec vous, &de la consacrer à
vôtre ſervice, pour tâcher de contri
buer à vôtre bonheur eternel.
La lecture de tous ces
Complimens eftant finie , te
premier Ambaſſadeur dit ,
qu'ils estoient trés - obligez au
Seminaire des honneſtetez qu'il
leurfaifoit ; qu'ils luy donnoient
avec plaifir par leur viſite une
nouvelle marque de leur eftimes
des Amb. de Siam. 209
que le Roy leur Maistre , leur
avoit ordonné de prendre confiance
en ceux qui gouvernoient
cette Maison ; qu'ils rendroient
un compte exact à Sa Majesté,
des ſervices importans qu'ils recevoient
d'eux tous les jours depuis
leur arrivée à Paris ; qu'ils
n'avoient eſté en aucun lieuplus
volontiers que chez eux ; &que
s'ilspouvoient quelque jour dans
Ieur Pays donner à leurs Miffionnaires
des témoignages effectifs
de leur affection & de leur
reconnoiffance, ils le feroient avec
la plus grande joye du monde.
Apeine eut-il ceffé de par-
S
210 IV. P. du Voyage
/
ler, qu'on vint avertir que la
Table eſtoit ſervie . C'eſtoit
uneTable ovale à vingt couverts,
placez dans un Refectoire
qui estoit fort éclairé
de bougies. Le Repas fut un
Ambigu , où il y eut , pour
marque de distinction
double Service devant les
,
un
Ambaſſadeurs , & où l'abondance,
la delicateffe &la propreté
parurent également par
tout. La dépenſe en fut faite
par une Perſonne de pieté,
qui ayant appris l'honneur
que les Ambaſſadeurs vouloient
faire au Seminaire de
des Amb. de Siam . 211
le vifiter , & l'embarras où ſe
trouvoit le Superieur fur la
maniere de les recevoir ( parcequ'il
ne croyoit pas que
ſelon leurs idées il convinſt à
l'humilité de ſa profeffion,
ny à la pauvreté de ſa Maifon
, de faire un Repas qui
répondiſt à la grandeur de
leur caractere , & au merite
de leurs perſonnes ) le pri
de ne ſe mettre en peine de
rien , & fe chargea genereufement
de pourvoir à tout.
Chaque Ambaſſadeur & chaque
Mandarin avoit derriere
luy un Homme appliqué u-
Sij
212 IV. P. du Voyage
niquement à le ſervir , & on
donna de ſi bons ordres pour
tout le reſte, que tout ſe paffa
fans confufion & fans bruit.
Ainſi la tranquilité qui regna
toûjours , fit affez voir qu'on
eſtoit dans une Communauté
reglée. M¹ deBrifacier qui
n'ignoroit pas combien les
Ambaſſadeurs font choquez
des dépenses que font des
Preftres , jugea qu'il eſtoit à
propos de leur declarer de
bonne foy la chofe comme
elle eſtoit , & de leur dire,
pour les prévenir, en les conduiſant
au Refectoire,que s'ils
des Amb. de Siam. 213
trouvoient dans la Collation
qu'on leur alloit faire , quelque
forte de magnificence , ils n'en
devoient pas estre ſcandalisez
comme d'un excezcondamnable
dans une Maison Eccleſiaſtique,
mais qu ils devoient pluſtoſt l'agréer
comme un effet loüable du
Zele d'une Perſonne dont il n'avoit
pas crû devoir borner la generofité
dans une occafion, où il
ne penſoit pas qu'on pûst trop
faire pour eux. Pendant que
les Maiſtres estoient àTable,
on en ſervit une autre à fix
couverts , dans un lieu tout
proche , pour les Interpretes
274 IV. P. du Voyage
& les Secretaires . Les Gens
mangerent enfuite , & avant
dix heures les Ambaſſadeurs
ſe retirerent dans leur Hoſtel
avec de grandes marques de
fatisfaction .
témoigné pluſieurs fois à M
l'Abbé de Lionne , & à r
de Brifacier, Superieur du Seminaire
des miſſions Eftrangeres
, le deſir qu'ils avoient
depuis longtemps de leur
rendre viſite dans leur mаі
fon, en fixerent enfin le jour
190 IV. P. du Voyage
au 10. Decembre . Comme le
premier Ambaſſadeur eſtoit
allé ce jour là ſeul avec M
Torf à Versailles , pour conferer
avec Mle Marquis de
Seignelay, on alla fur les trois
heures aprés midy, propoſer
aux deux autres de venir voir
la Maiſon des Incurables. Ils
répondirent ſans hefiter qu'ils
ne vouloient point ſe partager ce
jour-là , qu'ils ne fortiroient que
pour aller au Seminaire, o que
s'ils avoient ſuivy leur inclination
, ils ſe ſeroient acquittez
beaucoup pluſtoſt de ce devoir .
Si-tôt qu'on apprit qu'ils ardes
Amb . de Siam. 191
rivoient , on alla les recevoir
à la defcente de leur Carroffes
, & on les conduiſit dans
un lieu où M l'Abbé de
Choiſi leur preſenta du Thé
dans les petits Vaſes d'or &
d'argent , que M Conſtance
luy a donnez à Siam , & fit
brûler du bois d'Aquila qui
parfuma l'air enun moment.
Il eſtoit fix heures lorſque le
Premier Ambaſſadeur revint
de Verſailles ; il les trouva
en converſation avec M'PEvêque
Duc de Laon , qu'ils
avoient veu à la Fére où , ce
Prelat estoit allé exprés pour
192 IV.P.du Voyage
les ſaluer au retour de leur
Voyage deFlandre.M leMarquis
de Coeuvres ſon Frere,
qu'ils ſçavoient eſtre le beaufrere
deM l'Abbé deLionne,
eſtoit auſſi avec eux, ainſi que
-M¹ d'Aligre, Ms lesAbbez le
Pelletier & de Neſmond , les
Peres Couplet & Spinola Jefuîtes
, &quelques autres perſonnes
de merite que l'on
avoit eu ſoin d'inviter.
La converſation ayant eſté
interrompuë, il ſe fit d'abord
un peu de filence , & M² de
Brifacier accompagné des
Eccleſiaſtiques de fa maiſon,
prit
des Amb. de Siam. 193
prit cet intervalle pour faire
un compliment fort court ,
qui prepara l'eſprit des Ambaſſadeurs
à en entendre quatre
autres en diverſesLangues.
Voicy les termes de ce com
pliment.
MESSEIGNEVRS,
Vn meriteauſſi univerſel & auſſi
univerſellement reconnu que levôtre,
devroit estre publié en toutes for
tes de Langues , & nous souhaiterions
pouvoir aſſembler icy les differentes
Nations de l'Europe ,pour honorer
par leur bouche vôtre Grand
Roy dans vos Excellences , de mème
que ce puiſſant Prince a honoré
R
194 IV. P. duVoyage
à Siampar la deputation des divers
Peuples de l'Orient nôtre Incompaparable
Monarque dans la personne
defon Ambassadeur extraordinaire.
Mais fansformerde vains deſirs &
Sans rien emprunter des Royaumes
étrangers , fouffrez, Meffeigneurs ,
que plusieurs Prestres de cette Maifon
, qui vous vont complimenter
aprés moy ,se partagent entre eux
pour lover en plus d'une maniere
les talents& la conduiteque tout le
monde admire en vous , &qu'ils employent
ce que l'Hebreu a desçavant,
ce que leGrec a de poly , ce que le Latin
a de grave , & ce que le Siamois
doit avoir d'agréable à vôtre égard,
pour rendre Séparement & diverſement
à vos Eminentes qualitezles
profonds refpects qui leur font dûs ,
pour repondre à l'honneur de vôdes
Amb. de Siam. 195
tre visite , & aux marques de vos
bontez par les témoignages finceres
d'une estime & d'une reconnoiſſance
éternelle.
Ils furent enſuite compli
mentez en Hebreu au nom
des Penſionnaires du Seminaire
, & à la fin de chaque
compliment , on liſoit la traduction
Siamoiſe qui en a
voit eſté faite , partie par le
ſieur Antoine Pinto , Acolyte
du Seminaire de Siam , & partie
par le ſieur Gervaiſe , l'un
des Ecclefiaftiques François ,
que feu Me l'Eveſque d'Heliopolis
avoit menez avec luy
Rij
196 IV. P. du Voyage
dans fon dernier voyage aux
Indes. Voicy la traduction
de ce compliment Hebreu
en nôtre Langue.
MESSEIGNEVRS ,
Cette maison reçoit aujourd'huy un
honneur qu'elle n'eût jamais ofé efperer.
Elle est établie pour envoyer
des hommes Apostoliques dans les
Royaumes les plus éloignez, & c'est
ce qu'elle a toûjours fait depuis fon
établiſſement. Mais qu'elle dût recevoirjamais
trois Illuftres Ambaffadeurs
venus des extremitez de la
terre , c'est ce qu'elle apeine à croire ,
quand même elle le voit. Dans l'excez
delajoye qui la transporte , elle.
ne peut , Meſſeigneurs , que vous
des Amb. de Siam. 197
:
conjurer d'être tres-perfuadez de ſa
reconnoiſſance respectueuse , & de
Pardeur continuelle qu'elle a à prier
Le Dieu du Ciel & de la Terre , qu'il
ajoûte aux biens dont il a déja comblé
vos Excellences la parfaite connoiſſance
de celuy qui les leur afaits .
L'Hebreu fut ſuivy du
Grec , & on leur fit ce troifiéme
compliment au nom de
ceux qu'on éleve dans cette
Maiſon pour les Miſſions étrangeres
. Voicy comme il a
eſté rendu en nôtre Langue,
MESSEIGNEURS,
Entre toutes les Perſonnes qui de-
Riij
198 IV. P. du Voyage
meurent dans cetteMaison que vous
avezbien voulu honorer aujourd'hui
devotre prefence, nous croyons que
nul n'a reſſenti plus de joye quenous
qui y sommes pour nous rendre dignes
depoffer dans votre Païs,quand
nos Supericurs voudrontbien nous y
envoyer. Ce qui nousy porte , c'est le
defir de procurer au Royaume de
Siam qui a toutes les autres richeßes,
daseule qui luy manque , &fans laquelle
toutes les autres luy seroient
inutiles , c'est la connoiffance & l'aour
du vray Dieu, Createur du Ciel
& de la Terre ; & rien ne pourroit
nous donner plus de joye & d'efpevance
de réüſſir dans ce deffein que
toutes ces excellentes qualitez que
la France admire en vos perſonnes.
Cette douceur & cette affabilité que
Vous aveztémoignée envers tout le
des Amb. de Siam. 199
monde, ne nous laiſſe pas lieu de douter
que les Peuples de Siam ne reçoi
ventfavorablement ceux qui confacreront
leur vie & leurs travaux
pour leur porter les lumieres de l'Evangile
de I. C. & cette merveilleuſe
penetration d'esprit que vous
avez faitparoître en toutes fortes de
rencontres nous fait concevoir la facilité
, avec laquelle ces mêmes Peuplesse
laiſſeront perfuader des veritez
que nous deprons leur enfeigner.
Votre équité , vôtre modération
, vôtreſageſſe , &toutes vos autres
vertus jointes à celles- cy , nous
rempliſſent de veneration pour vos
Excellentces , aussi bien que de joye
en nous mêmes ; & nous portent
avec encore plus d'ardeur à demander
inceffamment au vray Dieu tout
puiſſant,&infinimentbon, de vous
>
Rimj
200 IV P. du Voyage
conferver toûjoursdans uneparfaite
Santé, de vous accorder un heureux
retour dans votre Patrie ,& la joye
de retrouver'le Roy de Siam comblé
d'un nouvel excés de gloire. Mais
fur tout, nous ne ceſſerons jamais de
demander à ce Dieu éternel , & qui
diſpoſe des coeurs des hommes comme
il luy plaiſt , qu'il vousfaffe la grace
dele connoître&de l'aimer ,&d'étre
éternellement comblez de joye
avec luy.
Aprés cela , ils furent com
plimentez en Latin au nom
des Eccleſiaſtiques du Seminaire
qui doivent partir avant
les Ambaſſadeurs. Comme la
Langue Latine eſt entenduë
preſque de tout le monde,j'ay
des Amb. de Siam. 201
crû devoir mettre ce compli
compil
ment tel qu'il a eſté pronon
cé.
Viex hâcdomoquam nuncveftrâ
preſentiâfummoperè illuf
tratis, Viri Excellentiffimi, Siamum
vobiscum profecturi sunt , eandemquè
Claffem , vel fortè etiam eandemNavim
confcenfuri, precipuam
fibi hodiè , tùm erga Excellentias
veftras Reverentiam , tum pre cateris
latitiam exhibendam effe ar
bitrantur. Habent etenim in hodierno
, quo nos afficitis , honore , velut
pignus quoddam future veftra in
ipsos benignitatis : dulciffima converfationis
in via : fortiffime tuitionis
in Patria : ubique benevolentia
fingularis. Latantur autem
202 IV. P. du Voyage
maximè , cum mente pertractant,
jam-jamquepreripiunt, quam egregia,
quàm grandia de vobis vel invitis
, in Regno Siamensi poterunt
nuntiare ; palàm nempè faciendo
meritis extollendo laudibus quicquid
alioquin veftra modeftia reticuiffet
: fummam , quam apud nos
oftendiftis , ingenj magnitudinem,
-aquabilitatem animi, in tuendo Siamenfi
nomine dignitatem : ut fuiftis
in tractandis negotijs folertes ,
in extricandis difficultatibus dexteri,
in folvendis quæftionibus prudentes,
in reſponſis mille, velferid,
vel jocosè dandis , prout res poftulabat,
femperparatiffimi : ut noftis
denique vivere cum Optimatibus
comitèr , cum Plebeijs humaniter,
cum Regijs Ministris ſapienter, cum
Principibus dignè & magnifice, &
desAmb. de Siam. 203
(quod omnium fummum eft | LVDOVICI
MAGNI laudem &gratiam
demereri . Ita ut duobus tantum
Gens Siamensis & Gallica jam
inter se diſtare videantur , Patriâ
fcilicet &Religione ; quarum altera,
perfædus initum inter potentiffimos
Reges, deinceps communis erit,
altera verò ( faxit Deus Optimus
Maximus ) prorsus una.
M l'Abbé de Lionne finit
en Siamois, au nom des Ouvriers
Apoftoliques qui travaillent
à Siam , & dans les
Royaumes voiſins . Voicy ce
qu'il dit en certe Langue.
Vſqu'icy, MESSEIGNEVRS,
j'ay vû avec une extrême joie,
204 IV. P. du Voyage
L'empressement extraordinaire que
toute la France a fait paroître à vous
témoigner l'estime,le refpest l'admiration
qu'elle a pour le très-Puif-
Sant Roy, votre Maître, &pour vous
en particulier , qui foûtenez icy fi
excellemment faDignité. Voicy l'unique
occasion où j'aye pû mêler ma
voix aux applaudſſemens publics,&
vous marquer quelque chose de mes
Sentimensfur cesujet. l'ofe dire qu'ils
Surpaffint ceux de tout le reſte des
hommes; &pour en convenir, vous
n'avez qu'à faire reflexion aux vaifons
fingulieres & personnelles que
j'ay de parler ainsi. Les autres connoiſſent
à la verité le Roy de Siam ,
Sur ce que la Renommée a publiéde
fes grandes qualitez ; mais quoiqu'-
elle ait dit du rang éminent qu'il
tient entre tous les Princes de l'o-
4
desAmb. de Siam. 205
1
ment ,
vient , de la richeſſe de ſes tresors .
de la penetration étonnante deſon efprit,
de la ſageſſe de ſon Gouvernede
l'application infatigable
qu'ildonne aux affaires de son Etat,
deson difcernement &de son amour
pour le veritable merite , de cette
merveilleuse ardeur qu'il a de tout
connoître & de tout sçavoir, de cette
affabilité qui , sans rien diminuer
de sa grandeur , luy apprend à se
proportionner à toutle monde, &qui
attire chez lay ce prodigieux nom.
bre d'Etrangers ; & ce qui nous touche
de plus prés , de cette bontépar
ticuliere qu'il a pour les Ministres
du Vray Dieu ; tout cela, dis-je, quelque
grand qu'il soit , n'est- il pas
encore au deſſous de ce que découvrent
dansſa perſonne Royale, tous ceux qui
ont le bonheur de l'approcher , & ce
206 IV. P. du Voyage
que j'y ay découvert tant de fois
moy- même ? Il en est ainsi à proporsion
des jugemens avantageux que
l'on a portez icy de vos Excellences.
On a admiré , par exemple , & l'on
n'oubliera jamais la juſteſſe&lasubtilité
de vos reponses ; cependant on
na souvent connu que la moindre
partie de leur beautè , elles en perdoient
beaucoup dans le paſſage d'une
langue à l'autre , & moy-méme
j'avois une espece d'indignation de
me voir dans l'impoſſibilité de leur
donner tout leur agrément & toute
Leur force. On a admiré ce fond de
politeſſe , qui vous rend capables
d'entrer (i aiſement dans les manieres
particulieres de chaque Nation,
quelques differentes que toutes les
Nations foient entre elles. On a admiré
cette prodigieuse égalité d'ame
• des Amb de Siam. 207
& cette Paix qui ne se trouble jamais
de rien ; on a admiré enfin cent
autres qualitez excellentes qui éclatent
tous les jours dans vos perſonnes
; cependant ceux qui en ont
esté touchez, ne vous ont vû que
comme en paſſant; qu'auroit- ce esté,
s'ils avoient eu le moyen de vous
confiderer plus à loiſir&deplus près ?
Les ordres du tres-Grand Roy de
Siam m'ont procure cét avantage ,
lorſqu'il a joint à tous les témoignages
de bonté qu'il m'avoit déja donnez
, celuy de ſouhaiter que je vous
accompagnaſſe en France . Vous y avez
ajouſté mille marques touchanres
de vôtre amitié , & la Nature
Seule qui inſpire à tous les hommes
la reconnoiſſance , suffiroit pour me
donner les fentimens les plus reſpectueux
pour votre Grand Prince,les
208 IV . P.du Voyage
plus tendres pour vos personnes , &
les plus Zelez pour votre Nation :
mais Dieu , dont la Providence conduit
tout avec une fageffe & une
bonte admirable, a pris foin luy-meme
de fortifier infiniment ces fentimens
dans mon coeur , en me confirmant
dans le defſſein de paſſer ma
vie avec vous, &de la consacrer à
vôtre ſervice, pour tâcher de contri
buer à vôtre bonheur eternel.
La lecture de tous ces
Complimens eftant finie , te
premier Ambaſſadeur dit ,
qu'ils estoient trés - obligez au
Seminaire des honneſtetez qu'il
leurfaifoit ; qu'ils luy donnoient
avec plaifir par leur viſite une
nouvelle marque de leur eftimes
des Amb. de Siam. 209
que le Roy leur Maistre , leur
avoit ordonné de prendre confiance
en ceux qui gouvernoient
cette Maison ; qu'ils rendroient
un compte exact à Sa Majesté,
des ſervices importans qu'ils recevoient
d'eux tous les jours depuis
leur arrivée à Paris ; qu'ils
n'avoient eſté en aucun lieuplus
volontiers que chez eux ; &que
s'ilspouvoient quelque jour dans
Ieur Pays donner à leurs Miffionnaires
des témoignages effectifs
de leur affection & de leur
reconnoiffance, ils le feroient avec
la plus grande joye du monde.
Apeine eut-il ceffé de par-
S
210 IV. P. du Voyage
/
ler, qu'on vint avertir que la
Table eſtoit ſervie . C'eſtoit
uneTable ovale à vingt couverts,
placez dans un Refectoire
qui estoit fort éclairé
de bougies. Le Repas fut un
Ambigu , où il y eut , pour
marque de distinction
double Service devant les
,
un
Ambaſſadeurs , & où l'abondance,
la delicateffe &la propreté
parurent également par
tout. La dépenſe en fut faite
par une Perſonne de pieté,
qui ayant appris l'honneur
que les Ambaſſadeurs vouloient
faire au Seminaire de
des Amb. de Siam . 211
le vifiter , & l'embarras où ſe
trouvoit le Superieur fur la
maniere de les recevoir ( parcequ'il
ne croyoit pas que
ſelon leurs idées il convinſt à
l'humilité de ſa profeffion,
ny à la pauvreté de ſa Maifon
, de faire un Repas qui
répondiſt à la grandeur de
leur caractere , & au merite
de leurs perſonnes ) le pri
de ne ſe mettre en peine de
rien , & fe chargea genereufement
de pourvoir à tout.
Chaque Ambaſſadeur & chaque
Mandarin avoit derriere
luy un Homme appliqué u-
Sij
212 IV. P. du Voyage
niquement à le ſervir , & on
donna de ſi bons ordres pour
tout le reſte, que tout ſe paffa
fans confufion & fans bruit.
Ainſi la tranquilité qui regna
toûjours , fit affez voir qu'on
eſtoit dans une Communauté
reglée. M¹ deBrifacier qui
n'ignoroit pas combien les
Ambaſſadeurs font choquez
des dépenses que font des
Preftres , jugea qu'il eſtoit à
propos de leur declarer de
bonne foy la chofe comme
elle eſtoit , & de leur dire,
pour les prévenir, en les conduiſant
au Refectoire,que s'ils
des Amb. de Siam. 213
trouvoient dans la Collation
qu'on leur alloit faire , quelque
forte de magnificence , ils n'en
devoient pas estre ſcandalisez
comme d'un excezcondamnable
dans une Maison Eccleſiaſtique,
mais qu ils devoient pluſtoſt l'agréer
comme un effet loüable du
Zele d'une Perſonne dont il n'avoit
pas crû devoir borner la generofité
dans une occafion, où il
ne penſoit pas qu'on pûst trop
faire pour eux. Pendant que
les Maiſtres estoient àTable,
on en ſervit une autre à fix
couverts , dans un lieu tout
proche , pour les Interpretes
274 IV. P. du Voyage
& les Secretaires . Les Gens
mangerent enfuite , & avant
dix heures les Ambaſſadeurs
ſe retirerent dans leur Hoſtel
avec de grandes marques de
fatisfaction .
Fermer
Résumé : Tout ce qui s'est passé au Seminaire des Missions Etrangeres, le jour que les Ambassadeurs y ont esté regalez, avec les cinq Harangues qui leur ont esté faites dans ce Seminaire. [titre d'après la table]
Le 10 décembre, les ambassadeurs de Siam visitèrent le Séminaire des Missions Étrangères. Initialement, ils souhaitaient rencontrer l'abbé de Lionne et M. de Brifacier, mais ces derniers étaient occupés à Versailles. À leur retour, les ambassadeurs furent accueillis par l'abbé de Choisi, qui leur offrit du thé et brûla du bois d'Aquila pour parfumer l'air. Ils rencontrèrent également plusieurs personnalités, dont le duc de Laon et le marquis de Coeuvres. M. de Brifacier, accompagné d'ecclésiastiques, prononça un compliment préparatoire, suivi de compliments en hébreu, grec, latin et siamois. Chaque compliment soulignait l'honneur de recevoir les ambassadeurs et exprimait des vœux de santé et de succès pour leur mission. Le compliment en latin fut prononcé en entier, tandis que les autres furent traduits en siamois par Antoine Pinto et Gervaise. L'abbé de Lionne conclut en siamois, exprimant la joie de la France et son admiration pour le roi de Siam et les ambassadeurs. Il souligna les qualités exceptionnelles des ambassadeurs et leur capacité à représenter dignement leur roi. Les ambassadeurs exprimèrent leur gratitude pour l'accueil et les honneurs reçus, promettant de rendre compte au roi de Siam des services rendus par le Séminaire. Lors du repas, les missionnaires témoignèrent de leur affection et de leur reconnaissance. La table, ovale et pouvant accueillir vingt convives, était placée dans un réfectoire bien éclairé. Le repas, qualifié d'ambigu, se distinguait par un double service pour les ambassadeurs et se caractérisait par son abondance, sa délicatesse et sa propreté. La dépense fut prise en charge par une personne pieuse, qui avait appris la visite des ambassadeurs et l'embarras du supérieur du séminaire concernant la manière de les recevoir. Chaque ambassadeur et mandarin avait un serviteur dédié, et tout se déroula sans confusion ni bruit, démontrant l'ordre de la communauté. Monsieur de Brifacier expliqua aux ambassadeurs que la magnificence du repas était due à la générosité d'une personne et non à un excès condamnable. Pendant que les maîtres étaient à table, un autre repas fut servi aux interprètes et secrétaires. Les ambassadeurs se retirèrent satisfaits avant dix heures.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 270-303
Tout ce qui s'est passé à l'Academie Françoise le jour de Saint Loüis. [titre d'après la table]
Début :
Le 25. du mois passé, l'Academie Françoise solemnisa à son [...]
Mots clefs :
Académie française, Place, Messe, Cardinal Richelieu, Assemblée, Duc de Saint-Aignan, François-Timoléon de Choisy, Saint Louis, Prix d'éloquence et de poésie, Fontenelle, Discours, M. Perrault, Louis le Grand, Gloire, France, Esprit, Hommes, Monde, Paix, Piété, Secrétaire, Louanges, Compagnie, Honneur, Héros, Zèle, Maison, Europe, Lettres, Vertus, Admirable, Éloquence, Roi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Tout ce qui s'est passé à l'Academie Françoise le jour de Saint Loüis. [titre d'après la table]
Le 25. du mois passé, l'Academie Françoisesolemnisa
à son ordinaire la Feste de S.
Loüis Roy de France, dans la
Chapelle du Louvre. Mr l'Abbé de la Vau
,
l'un desquarante Academiciens, celebra
la Messe, pendant laquelle il
y eut une excellente Musique. Elle estoit dela composition de MrOudot qui fit
paroistre son habileté ce jourlà plus que jamais. Ensuite
Mr l'Abbé Courcier, Theolop-al de l'Eol
i
f
e
de Paris? prononça le Panegyriqne de S.
Loüis avec un succés qui
*
luy attira beaucoup de loüanges. Il remplit tout ce qu'on
pouvoit attendre d'un homme veritablement éloquent,
& lesrapports qu'il trouva des
achons de ce S. Roy à celles
deLOUIS LE GRAND,furent traitez avec tant d'esprit
& tant de delicatesse, qu'il n'y
eut personne qui n'en fust
charmé.L'Assemblée estoit
nombreuse mais en mesme
temps de gens choisis. Elle
ne le fut pas moins l'apresdinée dans la Seance publique
que tinrent Mrs de l'Académie, pour recevoir Mrl'Abbé deChoisy en la place de
Mr le Duc de Saint Aignan.
Vous connoissez son mérite,
& la Relation que je vous ay
envoyée de l'Ambassade de
MrleChevalier de Chaumont à Siam, vous a
fait voir,
combien Sa Majesté l'avoir
jugé propre aux négociations
qu'on avoit a y
traiter. Il
commença son remerciment
endisant
? que si les loix de
l'Academie le pouvoientper-
mettre, il garderoit le silence,
& ne songeroit qu'à se taire
jusqu'à ce que M" de l'Académie luy eussentappris à
bien parler. Il s'étendit enfuite sur les louanges de cette
sçavante Compagnie
,
dans
laquelle les premiers hommes de
l'Estatsedépoüillentde tout le
faste de la grandeur>(;) ne cherchent de distinction que par la
sublimité du genie é par la
profonde capacité, & dit agréablement, qu'il croyoit'- déja
sentir en luy l'esprit de l'Academie quil'élevoit au dessus de luy-mesme
,
& dont il
reconnnoissoit avoir besoin
pour reparer la perte de l'illustre Duc qu'elle regretoit.
Il prit de là occasion d'en
faire un portraitavantageux,
mais fort ressemblant,& après
avoir dit, que c~Af de
l'Academie
a marquer par des
traits immortels la gloire de ce
vrandHomme, dont la memoire
vivroit à jamais dans leurs Ouvrages
-'
puisque tout ce qui part
de leurs mains se sent du genie
sublime de leur Fondateur; il
ajouta quesil'on a
dit autrefois
que comme Cesar par ses Conquestes avoit augmentél'Empire
.le Rome
>
Ciceron par son e/o-~
quence avoitétendul'esprit des
Romains
5
on pouvoit dire que
le CardinaldeRichelieu seul,
avoit fait en France ce que Cesar £7- Ciceron anvoientfait à
Rome, & que si par les ressorts
d'unepolitiqueadmirable il avoit
reculé
nos Frontieres) il nous avoitélevé, poly
,
& si cela se
pouvoit dire, agrandy l'esprit
par l'établissement de l'Acade.
mie. Il poursuivit l'Eloge de
ce fameux Cardinal, parla de
la perte de M( le Chancelier
Seguier,qui fut après luy le
Protecteur del'Academie ,&
exagera ensuite la gloire dont
elle s'estoit Veuë comblée,
lors que le plus grand des
Rois, daignantagréerlemesme titre, avoit bien voulu
luy faire l'honneur de la recevoir dans son Palais, & de
l'égaler aux premieres Compagnies de son Royaume.
Par là, Messieurs
,
continuat-il, car je ne dois retrancher aucun des termes dont il
se servit en parlant de ce
grand Prince. ) Parlàdans
lesSieclesfuturs, vos noms devenus immortels marcheront à
lasuitedu sien
,
& vous pouue,-,
NOUS répondre avous-mesmes de
l'immortalité que vous sçavez
donnerauxautres. Vous lasçavez donner seurement
,
&vous
ladonnerezà LOUIS.Ilsefait
entre ce Prince & vous un
commerce de gloire, & si
sa protection vous fait tant
d'honneur
,
vous pouve% vous
flater de nestrepas inutiles afk
gloire. Oüy, Messieurs, ce prince
si necessaire à tous; à ses Sujets
qu'il a
rendus lesPeuples les plus
redoutables du monde, & qu'il
va achever de rendre plus
heureux
;
à ses Alliez à qui il
accorde par toutmeprotection si
puisante; àses Ennemis mesmes
dontilfaitle bonheurmalgréeux
enlesforçant à
demeureren paix,
ce Prince, qui à l'exemple de
Dieu dontilestl'image vivante
semblen'avoir besoinque de luymesme, il abesoindevouspour
sa gleire
,
&son nom, toutgrand
quil est
,
auroitpeine à passer
tout entierà la derniere posterite
sans vos Ouvrages. Vous y
travaillez, Messieurs. Déja plus
d'une fois vous l'ave^ montré
auxyeux des hommes également
granddans la Paix & dans la
Guerre. Mais qu'est-ce que la
valeur des plus grands Héros,
comparée à la pieté des verita
bles Chretiens? Il regne ce Roy
glorieux, & toujours attentifà
la reçonnoissance qu'il doit à
celuy dont iltient tout
>
ilsonge
continuellement à faireregner
dansson cœur &danssonRoyaume
,
ce Dieu qui depuis tant d'années répandsursapersonne une
si longue suite de prosperite
N'a-t-ilpasfait taire ces malheureux, qui malgré les lumieres
naturelles de l'ame, affectent
une impietéàlaquelle ilsnesçauroient parvenir? N'a-t-il pas
reprimé cette fureur de blasphême
assèz audacieusepouraller attaquerDieujusque dansson Tros-
m f Ilfaitplus; il s'embrase du
zele de la Maison de Dieu
,
il
n'épargne nysoins ny despense
four augmenter le Royaume du
Seigneur. Son zele traverse les
Mers, (jj* va chercher aux ex-
,tremitez de la Terre
,
desPeuples
ensevelis dans les tenebres de l'Idolatrie. Les premieres diffculte.-<
ne le rebutentpoint; ilsuit avec
constance un dessein
que le Ciel
luy a
inspiré
,
& si nos vœux
font exaucez
,
bien-tostfousses
auspices la foy du njray Dieu
fera triomphante dans les Royaumes de 1'0r1ent. Que diray-je
encore ? Ce Heros Chrestien at-
taque ouvertement ce Party
formidable de l'Heresie
,
qui
avoit fait trembler les Roisses
Predecesseurs.Ilacheve enmoins
d'uneannée, ce
quil/s n>a~
voient osé entreprendre depuis
prés de deux ~fc/,~rle Monstre infernal reduit aux abois
>
rentrepourjamais dans l'abisme,
d'où la malice des Novateurs,
&les mœurs corrompuës de nos
Ayeux l'avoient fait sortir.
Heureuse France,tu neverras plus tes Enfans déchirertes
entrailles.Une mesme Religion
leurfera prendre les mesmes in
teredts j&cejl à Louis -;
Grand que tu es redevable d'un
sigrand bien. Parlonsplusjuste,
c'est à Dieu,& le mesme Djetl
pour asseurernostrebonheur,vient
de nous conserver
ce Prince, &
de le rendre auxprieres ardente s
de toute l'Europe; car, Messieurs,lesfrancois ne font pas
les seuls qui s'interessent à
une
santési précieuse, &si quelques
Princes,jaloux de la gloire du
Roy
,
ont témoigné par de vains
projets de Ligues vouloirprofiter
de l'estatou ils le croyoient
,
leurs
Sujets mesmes
>
& tous les Peuples de l'Europe faisoient des
vœuxsecrets pour
luy
cachant
bien Men
saseulePersonne reside la tranquillitéuniverselleMais ou m'emporte mon
zele?
Apeine placé parmy vous,j'entreprens ce qui feroit trembler les
plus grands Orateurs,& sans
consulter mes forces,j'ose parler
d'un Roy dont il n'estpermis de
parler qu'à ceux3 qui comme
vous, Messieurs, le peuvent
faire d'une manieredigne de luy.
Aprés quelque temps laiïle
aux applaudissemens qui furent donnez à
ce Discours,
Mr deBergeret ,Secretaire du
Cabinet, & premier Commis
deMrdeCroissy,Ministre tk,
Secretaire d'Estat,pritlaparole pour y
répondre, & dit
à M l'Abbé de Choisy
,,
que
l'Academie ne luy pouvoit
donner
une marque plus honorable de l'estime qu'elle
faisoit de luy, qu'en le recevant en la place de Mrle Duc
pe S. Aignan. Dansle Portrait
qu'il fit de ce Duc, il fit voir,
Qu'ilaimoit les belles Lettres de
la mesme passion dont il aimoit
la gloire, & qu'ilavoit pris
tous les soinsnecessaires pour
avoir ce
qu'elles ont de plus utile
&deplusagreable. Il dit qu'il
çflyit bienéloigne de la vaine
erreur de ceux qui s'imaginent
que tout le meriteconsiste dans le
bazard d'estrené d'une ancienne
Maison, & qu'il ne regardoit
l'avantage d'avoirtantd'illustres
Ayeux, que comme une obligation indispensable J,'augmenter
l'éclat de leur nom par un merite
personnel; quese voyantattaché
au service d'un Prince,dont les
vertus beroiques donneront plus
d'employ auxLettres, que n'ont
fait tous les Heros de l'Antiquité,il en avoit pris encore plus
d'affection pourelles
;
qu'il s'estoit acquis une maniere de parler
&d'écrire noble,facile, élegante,
&qu'il avoit fait voir à la
France cette Urbanité Romaine,
qui estoit le caractere des Scipions &des plus illustres Romains. Jepasse beaucoup d'autres louanges qui furent écoutéesavec plaisir
,
& qu'il finit
en disant
>
Quesi M. le Duc de
S.Aignan estoit le Protecteur
d'une celebre Academiepar un
titre particulier
,
on pouvoir
dire encore qu'il l'estoit generalement de tous les
gens de
Lettres par une generosité qui
n'exceptoitpersonne; que lemerite, quelque étranger qu'ilfust,
Çy* de quelque part ~;//7~
Yiir„efloiiseur de trouveren luy
de l'appuy & de la protection;
qu'il recevoit avec des témoin
gnages d'affection tous ceux qui
avoient quelque talent
,
& qu'il
ne leurfaisoitsentirsourang èi;
sa dignité
,
que par les bons offices qu'ilseplaisoità leurrendre
Il parla ensuite de sa mort
chrestienne
,
&, de la confolation qu'il avoit euëen mou- lrant de laïsser après luy un
Fils illustre
,
qui s'estoit toujours dql-ingué' avec honneur &
sans affectation, dans lequel
onavoit toûjours veu decourageavecbeaucoupbeaucoup dedou-
crur, une admirable pureté de
mœurs, une parfaite uniformité
de conduite, de la penetration.
de l'application,de la ruigilancr.)
un cœur confiant pour la vérité
pour la justice, em sur tout
une solide pieté, qui le fait Agir
en secret & aux yeux de Dieu
seul,
comme s'il estoit veu de
tous les hommes. Il ajoûta, que
tantde vertus quiavoientmérité que dans un âge si peu avan~
cé, il eustestéfait Chef du Conseil d s
Finances, jufiifioient
chaque jour un si bon choix,(gjr
fdifoicn^ voir que le Royjufie
dijbenfateurde ses grâces "t'VO::
le don suprême de discernerles
esprits. Aprés cela Mr de Bergeret adressa de nouveau la
paroleàMrl'AbbédeChoi-
\yy&: luy dit, quequelque talent qu'il eust pour l'Eloquence
.J la nouvelle nouvelle obligationqu'il avoit o
bligationqu-'il
a-voit
de consacrerses veilles à lagloire de Louis le Grand, luy seroit
sentir de plus en plus combien il
est difficile de parler dignement
d'unPrince dont la vie est une
suite continuelle de prodiges. Les
Poëtes, poursuivit-il ,se plaignent den'avoir point d'expressionsassez fortes pourrepresenter
lemerveilleuxde sesexploits;
les Historiens au contraire de n'en
avoir point d'assi'{ simples, pour
empescher que tant de merveilles
ne passent pour autant defictions.
Quel art, quelle application,
quelle conduite ne faudra- t-il
point pour conserver la vraysemblance avec la grandeur des
choses qu.i! a
faites?Je
ne parle
point decette valeur étonnante,
qui a
pris comme en courant les
plusfortesVilles du monde, &
devant qui lesArmées les plus
nombreuses ont toujours fuy de
peur de * combattre. Je
ne pense
maintenant qu'à cette glorieuse
paix dont nous joueons., & qui
a tfl; faite dans un temps où l'on
ne voyoit de toutes parts que des
puissancesirritées de nos Viéloires, que des Estats ennemis declarez denosinterests, que des
Princesjaloux de nos avantages,
tous avec des pretentions différentes e- incompatibles. Comment donc parut tout d'un coup
cette Paix si heureuse ? C'est un
miracle de la sagesse de Louis le*
Grand
,
que la Politique neffau..
roit comprendre; & comme luy
seul a
pu la donner à toute 1"Euyope.) luy seul aussi peut la IUJl
conserver.Combien d*a£lion3de
pénétration, de prévoyance pour
faire que tant d'Etats libres, dm
dont les interestssontsi contraires,
demeurent dans les termes
qu'il leur a
prescrits? Il faut
voirégalement
ce qui •riefl plus
&ce quin'est pas encore, comme ce qui est. Il faut avoir un
genied'une force&d'une étenduë extraordinaire
,
que nulle affaire ne change, que nul objet
ne trompe, que nulle difficulté
n'arreste; telenfinqu'estle genie
de Louis le Grand
,
qui est répandu dans toutes les parties de
l'Estat, (fy qui n'yest pointrenfermé,agissant au dehors comme
au dedans avec une forceincon-
cevable. Il est jusque dans les
extrémitez du monde, où l'on a
-veit tant desaintesMissionssoutenues par les secours continuels
de sa puissance & de sa piété.
Il estsurlesFrontières duRoyalime
,
qu'il faitfortifier d'une maniere qui déconcerte ~(7 defj<:entous nos Ennemis. Il efi surles
Ports, ou il fait construire ces
Vaisseaux prodigieuxj qui portent par tout le monde la gloire
du nom François. Il est dans les
calemies de Guerre ~ù de Marine ,où la noble éducation jointe
à la Noblesse du sang,forme des
esprits & des courages également
capables du commandement v
de l'exécution dans les plus grandes entreprises Il est enfin par
tout, quifait que tout est reglé
cemme il doit l'estre.Les Garfiijbns toujours entretenues, les
Magasinstoujours pleins, les
Arsenaux toujours garnis
,
les
Troupes toujoursen baleine, v
aprésles travaux de laGuerre,
maintenant occupées à des Ouvragesmagnifiques, qui font les
fruits de la Paix.C'estainsi
que ce Grand Princeagissanten
mesmetempsde toutes parts,v
faisant des choses qui inspirent
continuellement de la terreur à
Jes Ennemis, de l'amour à Jes
Sujets de l'admiration à tout
le monde
,
il peut malgréleshaines
,
les jalousies, vles défiances, conserver la Paix qu'il a
faite3farce qu'il n'ya pointd'Etat
qui ne voye combien il seroit
dangereux de la vouloir rompre.
Quelques Princes de l'Empire
sembloient en avoir la prnsele)
& commencent à former des
Ligues nouvelles, mais le Roy
toujours également juste vsage,
ne voulant ny surprendre ny
estre surpris
:>
fit dire à l'Empereurj que si dans deux mois du
jourdesa Déclaration il ne rece-
voit de luy des asseurances poJiiives de l'observation de la Treve
,
il prendrait les mesuresqu'il
jugeroit necessaires pour le
bien
deson Efidt. Ses Troupes en même temps volentsur les Frontieres de l'Ailsnugne> (fff l'Empereur luy donne toutes les asseurancesqu'il pourvoit souhaiter.
Ainsil'Europe luy doit une seconde fois le repos & la tranquillité dont elle joüit.D'autre
part l'Espagneavoit fait une
mjujiice à nos
Marchands, (!Ï
les contraignoit de payer une taxeviolente
,
fous pretexte qu
'ils
negocioient dans les Indes contre
les Ordonnances. Le Roy3pour
arrester tout à coup ces commencemens de division
,
a
jugé à propos d'envoyer devant Cadix une
Flote capabledeconquérirtoutes
les Indes. dujfi-tost l'EJpdgne
alarmée, a
proYllÍs de rendre ce
qu'elle avoit pris e~ le Roy qui
s'en est contenté, a paru encore
plusgrand parsa moderationque
parsapuissance; car il est vray
que rienn'est si admirable sur la
Terre, que d'y voir un Prince,
qui pourvant tout ce
qu'il veuty
ne
veüille rien qui ne
soitjuste.
Maisc'est le caractere de Louis
le Grand. C'estlefond de cette
Ame heroiqne
>
où toutes les vertus font pures,sinceres
,
solides,
veritables, cm7ent toutesensemlie3 par une admirable union,
qu'il est non seulement le plus
grand de tous les Rois
,
mais encore
le plusparfait de tous les
Hommes.
Cette réponse fut interrompuëbeaucoup de fois par
des applaudissemens qui firent connoistre combien 1*ACsemblée estoit satisfaite de
l'Eloquence de MrdeBergeret. Il parut par là tres-digne
d'estre à la teile d'une si celebreCompagnie; & tout le
monde convint qu'il ne pouvoit mieux remplir la place
qu'iloccupoit. Mrl'Abbé de
Choisy a
fait connoistre par
un fort bel Ouvrage qu'il a
donné au Public depuissa reception,avec combien de justice il remplit la place qu'on
luy afait ocuper. Cet Ouvrage
est laViede Salomon. Il y
aquelquetemps qu'il fitaussiimprimer celle de David avec une
Paraphrase desPseaumes.Jene
vous dis rien de la beautéde
f- ses Livres. Vous pouvez juger
de quoy il est capable par ce
que vous venez de liredeson
Remerciment à PAcadeniieJ
Ces deuxDiscours ayantesté
prononcez ,
on distribua les
Prix d'Eloquence & dePoësie
& l'on declara que le premieravoir esté remporté par
Mrde Fontenelle,& le second
par Mademoiselle des Houlieres, Fille de l'illustre Ma..
dame desHoulieres,dontvous
avez veu tant de beauxOuvrages. Mrl'Abbé de la 'V'aU1
Secretaire de la Compagnie
en l'absence de Mr l'Abbé
Regnier des Marais, Secretaire perpetuel, leut ces deux
Pieces, dont l'uneestoit sur la
Patience, & l'autre sur l'Eduation de la jeune Noblesse
dans les Compagnies des Genilshommes
3
& dans la Maison de S. Cir, &toutes deux
furent écoutées avec l'artenion qu'elles meritoient. Je
vous en diray davantage une
autre fois. A cette lecture
ucceda celle d'un Discours
qu'avoit apporté M Hebert, le
l'Academie de Soissons,
pour sansfaire * 1à l'obligation
où sont ceux de cette Compagnie
,
suivant les Lettres
Patentes de leur établiffci-nelit,
d'enenvoyeruntous lesans,
en Prose ou en Vers,lejour de
S. Loüis
)
à l'Academie Françoise.On
y remarqua de grandes beautez
,
& M. Hébert
eut place parmy les Académiciens. Le sujet de ce Discours estoit, Que les Peuples
sont toujours heureux,lors qu'ils
sont gouvernez par un Prince,
qui a
dela pieté. Aprés cela,
on leut un Madrigal, à la
gloire de Mademoiselle des
Houliers,sur ce qu'elleavoit
remporté le Prix.M.leClerc
leut aussi quelqnes Ouvrages
dePoësie sur divers fujets>&j
la Scance finit par une
Lettré
en Vers de M. Perrault i,dans
laquelle le Siecle remercioit
le Roy de l'avantage qu'illuy
faisoit remportersur les autres Siec
à son ordinaire la Feste de S.
Loüis Roy de France, dans la
Chapelle du Louvre. Mr l'Abbé de la Vau
,
l'un desquarante Academiciens, celebra
la Messe, pendant laquelle il
y eut une excellente Musique. Elle estoit dela composition de MrOudot qui fit
paroistre son habileté ce jourlà plus que jamais. Ensuite
Mr l'Abbé Courcier, Theolop-al de l'Eol
i
f
e
de Paris? prononça le Panegyriqne de S.
Loüis avec un succés qui
*
luy attira beaucoup de loüanges. Il remplit tout ce qu'on
pouvoit attendre d'un homme veritablement éloquent,
& lesrapports qu'il trouva des
achons de ce S. Roy à celles
deLOUIS LE GRAND,furent traitez avec tant d'esprit
& tant de delicatesse, qu'il n'y
eut personne qui n'en fust
charmé.L'Assemblée estoit
nombreuse mais en mesme
temps de gens choisis. Elle
ne le fut pas moins l'apresdinée dans la Seance publique
que tinrent Mrs de l'Académie, pour recevoir Mrl'Abbé deChoisy en la place de
Mr le Duc de Saint Aignan.
Vous connoissez son mérite,
& la Relation que je vous ay
envoyée de l'Ambassade de
MrleChevalier de Chaumont à Siam, vous a
fait voir,
combien Sa Majesté l'avoir
jugé propre aux négociations
qu'on avoit a y
traiter. Il
commença son remerciment
endisant
? que si les loix de
l'Academie le pouvoientper-
mettre, il garderoit le silence,
& ne songeroit qu'à se taire
jusqu'à ce que M" de l'Académie luy eussentappris à
bien parler. Il s'étendit enfuite sur les louanges de cette
sçavante Compagnie
,
dans
laquelle les premiers hommes de
l'Estatsedépoüillentde tout le
faste de la grandeur>(;) ne cherchent de distinction que par la
sublimité du genie é par la
profonde capacité, & dit agréablement, qu'il croyoit'- déja
sentir en luy l'esprit de l'Academie quil'élevoit au dessus de luy-mesme
,
& dont il
reconnnoissoit avoir besoin
pour reparer la perte de l'illustre Duc qu'elle regretoit.
Il prit de là occasion d'en
faire un portraitavantageux,
mais fort ressemblant,& après
avoir dit, que c~Af de
l'Academie
a marquer par des
traits immortels la gloire de ce
vrandHomme, dont la memoire
vivroit à jamais dans leurs Ouvrages
-'
puisque tout ce qui part
de leurs mains se sent du genie
sublime de leur Fondateur; il
ajouta quesil'on a
dit autrefois
que comme Cesar par ses Conquestes avoit augmentél'Empire
.le Rome
>
Ciceron par son e/o-~
quence avoitétendul'esprit des
Romains
5
on pouvoit dire que
le CardinaldeRichelieu seul,
avoit fait en France ce que Cesar £7- Ciceron anvoientfait à
Rome, & que si par les ressorts
d'unepolitiqueadmirable il avoit
reculé
nos Frontieres) il nous avoitélevé, poly
,
& si cela se
pouvoit dire, agrandy l'esprit
par l'établissement de l'Acade.
mie. Il poursuivit l'Eloge de
ce fameux Cardinal, parla de
la perte de M( le Chancelier
Seguier,qui fut après luy le
Protecteur del'Academie ,&
exagera ensuite la gloire dont
elle s'estoit Veuë comblée,
lors que le plus grand des
Rois, daignantagréerlemesme titre, avoit bien voulu
luy faire l'honneur de la recevoir dans son Palais, & de
l'égaler aux premieres Compagnies de son Royaume.
Par là, Messieurs
,
continuat-il, car je ne dois retrancher aucun des termes dont il
se servit en parlant de ce
grand Prince. ) Parlàdans
lesSieclesfuturs, vos noms devenus immortels marcheront à
lasuitedu sien
,
& vous pouue,-,
NOUS répondre avous-mesmes de
l'immortalité que vous sçavez
donnerauxautres. Vous lasçavez donner seurement
,
&vous
ladonnerezà LOUIS.Ilsefait
entre ce Prince & vous un
commerce de gloire, & si
sa protection vous fait tant
d'honneur
,
vous pouve% vous
flater de nestrepas inutiles afk
gloire. Oüy, Messieurs, ce prince
si necessaire à tous; à ses Sujets
qu'il a
rendus lesPeuples les plus
redoutables du monde, & qu'il
va achever de rendre plus
heureux
;
à ses Alliez à qui il
accorde par toutmeprotection si
puisante; àses Ennemis mesmes
dontilfaitle bonheurmalgréeux
enlesforçant à
demeureren paix,
ce Prince, qui à l'exemple de
Dieu dontilestl'image vivante
semblen'avoir besoinque de luymesme, il abesoindevouspour
sa gleire
,
&son nom, toutgrand
quil est
,
auroitpeine à passer
tout entierà la derniere posterite
sans vos Ouvrages. Vous y
travaillez, Messieurs. Déja plus
d'une fois vous l'ave^ montré
auxyeux des hommes également
granddans la Paix & dans la
Guerre. Mais qu'est-ce que la
valeur des plus grands Héros,
comparée à la pieté des verita
bles Chretiens? Il regne ce Roy
glorieux, & toujours attentifà
la reçonnoissance qu'il doit à
celuy dont iltient tout
>
ilsonge
continuellement à faireregner
dansson cœur &danssonRoyaume
,
ce Dieu qui depuis tant d'années répandsursapersonne une
si longue suite de prosperite
N'a-t-ilpasfait taire ces malheureux, qui malgré les lumieres
naturelles de l'ame, affectent
une impietéàlaquelle ilsnesçauroient parvenir? N'a-t-il pas
reprimé cette fureur de blasphême
assèz audacieusepouraller attaquerDieujusque dansson Tros-
m f Ilfaitplus; il s'embrase du
zele de la Maison de Dieu
,
il
n'épargne nysoins ny despense
four augmenter le Royaume du
Seigneur. Son zele traverse les
Mers, (jj* va chercher aux ex-
,tremitez de la Terre
,
desPeuples
ensevelis dans les tenebres de l'Idolatrie. Les premieres diffculte.-<
ne le rebutentpoint; ilsuit avec
constance un dessein
que le Ciel
luy a
inspiré
,
& si nos vœux
font exaucez
,
bien-tostfousses
auspices la foy du njray Dieu
fera triomphante dans les Royaumes de 1'0r1ent. Que diray-je
encore ? Ce Heros Chrestien at-
taque ouvertement ce Party
formidable de l'Heresie
,
qui
avoit fait trembler les Roisses
Predecesseurs.Ilacheve enmoins
d'uneannée, ce
quil/s n>a~
voient osé entreprendre depuis
prés de deux ~fc/,~rle Monstre infernal reduit aux abois
>
rentrepourjamais dans l'abisme,
d'où la malice des Novateurs,
&les mœurs corrompuës de nos
Ayeux l'avoient fait sortir.
Heureuse France,tu neverras plus tes Enfans déchirertes
entrailles.Une mesme Religion
leurfera prendre les mesmes in
teredts j&cejl à Louis -;
Grand que tu es redevable d'un
sigrand bien. Parlonsplusjuste,
c'est à Dieu,& le mesme Djetl
pour asseurernostrebonheur,vient
de nous conserver
ce Prince, &
de le rendre auxprieres ardente s
de toute l'Europe; car, Messieurs,lesfrancois ne font pas
les seuls qui s'interessent à
une
santési précieuse, &si quelques
Princes,jaloux de la gloire du
Roy
,
ont témoigné par de vains
projets de Ligues vouloirprofiter
de l'estatou ils le croyoient
,
leurs
Sujets mesmes
>
& tous les Peuples de l'Europe faisoient des
vœuxsecrets pour
luy
cachant
bien Men
saseulePersonne reside la tranquillitéuniverselleMais ou m'emporte mon
zele?
Apeine placé parmy vous,j'entreprens ce qui feroit trembler les
plus grands Orateurs,& sans
consulter mes forces,j'ose parler
d'un Roy dont il n'estpermis de
parler qu'à ceux3 qui comme
vous, Messieurs, le peuvent
faire d'une manieredigne de luy.
Aprés quelque temps laiïle
aux applaudissemens qui furent donnez à
ce Discours,
Mr deBergeret ,Secretaire du
Cabinet, & premier Commis
deMrdeCroissy,Ministre tk,
Secretaire d'Estat,pritlaparole pour y
répondre, & dit
à M l'Abbé de Choisy
,,
que
l'Academie ne luy pouvoit
donner
une marque plus honorable de l'estime qu'elle
faisoit de luy, qu'en le recevant en la place de Mrle Duc
pe S. Aignan. Dansle Portrait
qu'il fit de ce Duc, il fit voir,
Qu'ilaimoit les belles Lettres de
la mesme passion dont il aimoit
la gloire, & qu'ilavoit pris
tous les soinsnecessaires pour
avoir ce
qu'elles ont de plus utile
&deplusagreable. Il dit qu'il
çflyit bienéloigne de la vaine
erreur de ceux qui s'imaginent
que tout le meriteconsiste dans le
bazard d'estrené d'une ancienne
Maison, & qu'il ne regardoit
l'avantage d'avoirtantd'illustres
Ayeux, que comme une obligation indispensable J,'augmenter
l'éclat de leur nom par un merite
personnel; quese voyantattaché
au service d'un Prince,dont les
vertus beroiques donneront plus
d'employ auxLettres, que n'ont
fait tous les Heros de l'Antiquité,il en avoit pris encore plus
d'affection pourelles
;
qu'il s'estoit acquis une maniere de parler
&d'écrire noble,facile, élegante,
&qu'il avoit fait voir à la
France cette Urbanité Romaine,
qui estoit le caractere des Scipions &des plus illustres Romains. Jepasse beaucoup d'autres louanges qui furent écoutéesavec plaisir
,
& qu'il finit
en disant
>
Quesi M. le Duc de
S.Aignan estoit le Protecteur
d'une celebre Academiepar un
titre particulier
,
on pouvoir
dire encore qu'il l'estoit generalement de tous les
gens de
Lettres par une generosité qui
n'exceptoitpersonne; que lemerite, quelque étranger qu'ilfust,
Çy* de quelque part ~;//7~
Yiir„efloiiseur de trouveren luy
de l'appuy & de la protection;
qu'il recevoit avec des témoin
gnages d'affection tous ceux qui
avoient quelque talent
,
& qu'il
ne leurfaisoitsentirsourang èi;
sa dignité
,
que par les bons offices qu'ilseplaisoità leurrendre
Il parla ensuite de sa mort
chrestienne
,
&, de la confolation qu'il avoit euëen mou- lrant de laïsser après luy un
Fils illustre
,
qui s'estoit toujours dql-ingué' avec honneur &
sans affectation, dans lequel
onavoit toûjours veu decourageavecbeaucoupbeaucoup dedou-
crur, une admirable pureté de
mœurs, une parfaite uniformité
de conduite, de la penetration.
de l'application,de la ruigilancr.)
un cœur confiant pour la vérité
pour la justice, em sur tout
une solide pieté, qui le fait Agir
en secret & aux yeux de Dieu
seul,
comme s'il estoit veu de
tous les hommes. Il ajoûta, que
tantde vertus quiavoientmérité que dans un âge si peu avan~
cé, il eustestéfait Chef du Conseil d s
Finances, jufiifioient
chaque jour un si bon choix,(gjr
fdifoicn^ voir que le Royjufie
dijbenfateurde ses grâces "t'VO::
le don suprême de discernerles
esprits. Aprés cela Mr de Bergeret adressa de nouveau la
paroleàMrl'AbbédeChoi-
\yy&: luy dit, quequelque talent qu'il eust pour l'Eloquence
.J la nouvelle nouvelle obligationqu'il avoit o
bligationqu-'il
a-voit
de consacrerses veilles à lagloire de Louis le Grand, luy seroit
sentir de plus en plus combien il
est difficile de parler dignement
d'unPrince dont la vie est une
suite continuelle de prodiges. Les
Poëtes, poursuivit-il ,se plaignent den'avoir point d'expressionsassez fortes pourrepresenter
lemerveilleuxde sesexploits;
les Historiens au contraire de n'en
avoir point d'assi'{ simples, pour
empescher que tant de merveilles
ne passent pour autant defictions.
Quel art, quelle application,
quelle conduite ne faudra- t-il
point pour conserver la vraysemblance avec la grandeur des
choses qu.i! a
faites?Je
ne parle
point decette valeur étonnante,
qui a
pris comme en courant les
plusfortesVilles du monde, &
devant qui lesArmées les plus
nombreuses ont toujours fuy de
peur de * combattre. Je
ne pense
maintenant qu'à cette glorieuse
paix dont nous joueons., & qui
a tfl; faite dans un temps où l'on
ne voyoit de toutes parts que des
puissancesirritées de nos Viéloires, que des Estats ennemis declarez denosinterests, que des
Princesjaloux de nos avantages,
tous avec des pretentions différentes e- incompatibles. Comment donc parut tout d'un coup
cette Paix si heureuse ? C'est un
miracle de la sagesse de Louis le*
Grand
,
que la Politique neffau..
roit comprendre; & comme luy
seul a
pu la donner à toute 1"Euyope.) luy seul aussi peut la IUJl
conserver.Combien d*a£lion3de
pénétration, de prévoyance pour
faire que tant d'Etats libres, dm
dont les interestssontsi contraires,
demeurent dans les termes
qu'il leur a
prescrits? Il faut
voirégalement
ce qui •riefl plus
&ce quin'est pas encore, comme ce qui est. Il faut avoir un
genied'une force&d'une étenduë extraordinaire
,
que nulle affaire ne change, que nul objet
ne trompe, que nulle difficulté
n'arreste; telenfinqu'estle genie
de Louis le Grand
,
qui est répandu dans toutes les parties de
l'Estat, (fy qui n'yest pointrenfermé,agissant au dehors comme
au dedans avec une forceincon-
cevable. Il est jusque dans les
extrémitez du monde, où l'on a
-veit tant desaintesMissionssoutenues par les secours continuels
de sa puissance & de sa piété.
Il estsurlesFrontières duRoyalime
,
qu'il faitfortifier d'une maniere qui déconcerte ~(7 defj<:entous nos Ennemis. Il efi surles
Ports, ou il fait construire ces
Vaisseaux prodigieuxj qui portent par tout le monde la gloire
du nom François. Il est dans les
calemies de Guerre ~ù de Marine ,où la noble éducation jointe
à la Noblesse du sang,forme des
esprits & des courages également
capables du commandement v
de l'exécution dans les plus grandes entreprises Il est enfin par
tout, quifait que tout est reglé
cemme il doit l'estre.Les Garfiijbns toujours entretenues, les
Magasinstoujours pleins, les
Arsenaux toujours garnis
,
les
Troupes toujoursen baleine, v
aprésles travaux de laGuerre,
maintenant occupées à des Ouvragesmagnifiques, qui font les
fruits de la Paix.C'estainsi
que ce Grand Princeagissanten
mesmetempsde toutes parts,v
faisant des choses qui inspirent
continuellement de la terreur à
Jes Ennemis, de l'amour à Jes
Sujets de l'admiration à tout
le monde
,
il peut malgréleshaines
,
les jalousies, vles défiances, conserver la Paix qu'il a
faite3farce qu'il n'ya pointd'Etat
qui ne voye combien il seroit
dangereux de la vouloir rompre.
Quelques Princes de l'Empire
sembloient en avoir la prnsele)
& commencent à former des
Ligues nouvelles, mais le Roy
toujours également juste vsage,
ne voulant ny surprendre ny
estre surpris
:>
fit dire à l'Empereurj que si dans deux mois du
jourdesa Déclaration il ne rece-
voit de luy des asseurances poJiiives de l'observation de la Treve
,
il prendrait les mesuresqu'il
jugeroit necessaires pour le
bien
deson Efidt. Ses Troupes en même temps volentsur les Frontieres de l'Ailsnugne> (fff l'Empereur luy donne toutes les asseurancesqu'il pourvoit souhaiter.
Ainsil'Europe luy doit une seconde fois le repos & la tranquillité dont elle joüit.D'autre
part l'Espagneavoit fait une
mjujiice à nos
Marchands, (!Ï
les contraignoit de payer une taxeviolente
,
fous pretexte qu
'ils
negocioient dans les Indes contre
les Ordonnances. Le Roy3pour
arrester tout à coup ces commencemens de division
,
a
jugé à propos d'envoyer devant Cadix une
Flote capabledeconquérirtoutes
les Indes. dujfi-tost l'EJpdgne
alarmée, a
proYllÍs de rendre ce
qu'elle avoit pris e~ le Roy qui
s'en est contenté, a paru encore
plusgrand parsa moderationque
parsapuissance; car il est vray
que rienn'est si admirable sur la
Terre, que d'y voir un Prince,
qui pourvant tout ce
qu'il veuty
ne
veüille rien qui ne
soitjuste.
Maisc'est le caractere de Louis
le Grand. C'estlefond de cette
Ame heroiqne
>
où toutes les vertus font pures,sinceres
,
solides,
veritables, cm7ent toutesensemlie3 par une admirable union,
qu'il est non seulement le plus
grand de tous les Rois
,
mais encore
le plusparfait de tous les
Hommes.
Cette réponse fut interrompuëbeaucoup de fois par
des applaudissemens qui firent connoistre combien 1*ACsemblée estoit satisfaite de
l'Eloquence de MrdeBergeret. Il parut par là tres-digne
d'estre à la teile d'une si celebreCompagnie; & tout le
monde convint qu'il ne pouvoit mieux remplir la place
qu'iloccupoit. Mrl'Abbé de
Choisy a
fait connoistre par
un fort bel Ouvrage qu'il a
donné au Public depuissa reception,avec combien de justice il remplit la place qu'on
luy afait ocuper. Cet Ouvrage
est laViede Salomon. Il y
aquelquetemps qu'il fitaussiimprimer celle de David avec une
Paraphrase desPseaumes.Jene
vous dis rien de la beautéde
f- ses Livres. Vous pouvez juger
de quoy il est capable par ce
que vous venez de liredeson
Remerciment à PAcadeniieJ
Ces deuxDiscours ayantesté
prononcez ,
on distribua les
Prix d'Eloquence & dePoësie
& l'on declara que le premieravoir esté remporté par
Mrde Fontenelle,& le second
par Mademoiselle des Houlieres, Fille de l'illustre Ma..
dame desHoulieres,dontvous
avez veu tant de beauxOuvrages. Mrl'Abbé de la 'V'aU1
Secretaire de la Compagnie
en l'absence de Mr l'Abbé
Regnier des Marais, Secretaire perpetuel, leut ces deux
Pieces, dont l'uneestoit sur la
Patience, & l'autre sur l'Eduation de la jeune Noblesse
dans les Compagnies des Genilshommes
3
& dans la Maison de S. Cir, &toutes deux
furent écoutées avec l'artenion qu'elles meritoient. Je
vous en diray davantage une
autre fois. A cette lecture
ucceda celle d'un Discours
qu'avoit apporté M Hebert, le
l'Academie de Soissons,
pour sansfaire * 1à l'obligation
où sont ceux de cette Compagnie
,
suivant les Lettres
Patentes de leur établiffci-nelit,
d'enenvoyeruntous lesans,
en Prose ou en Vers,lejour de
S. Loüis
)
à l'Academie Françoise.On
y remarqua de grandes beautez
,
& M. Hébert
eut place parmy les Académiciens. Le sujet de ce Discours estoit, Que les Peuples
sont toujours heureux,lors qu'ils
sont gouvernez par un Prince,
qui a
dela pieté. Aprés cela,
on leut un Madrigal, à la
gloire de Mademoiselle des
Houliers,sur ce qu'elleavoit
remporté le Prix.M.leClerc
leut aussi quelqnes Ouvrages
dePoësie sur divers fujets>&j
la Scance finit par une
Lettré
en Vers de M. Perrault i,dans
laquelle le Siecle remercioit
le Roy de l'avantage qu'illuy
faisoit remportersur les autres Siec
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Résumé : Tout ce qui s'est passé à l'Academie Françoise le jour de Saint Loüis. [titre d'après la table]
Le 25 du mois précédent, l'Académie Française a célébré la fête de Saint Louis, roi de France, dans la chapelle du Louvre. La messe, célébrée par l'abbé de la Vau, a été accompagnée d'une musique composée par Mr Oudot. L'abbé Courcier a prononcé un panégyrique de Saint Louis, comparant ses actions à celles de Louis le Grand avec esprit et délicatesse, ce qui a été très apprécié. L'après-midi, l'Académie a tenu une séance publique pour accueillir l'abbé de Choisy à la place du duc de Saint Aignan. L'abbé de Choisy a remercié l'Académie en soulignant son mérite et en évoquant son rôle dans l'ambassade du chevalier de Chaumont à Siam. Il a également rendu hommage au duc de Saint Aignan, louant son soutien aux lettres et son mérite personnel. L'abbé de Choisy a comparé le Cardinal de Richelieu à César et Cicéron, soulignant son rôle dans l'établissement de l'Académie et son influence sur l'esprit français. Mr de Bergeret, secrétaire du Cabinet, a répondu en soulignant les qualités du duc de Saint Aignan, notamment son soutien aux gens de lettres et sa générosité. Il a également parlé de la mort chrétienne du duc et de la continuation de son héritage par son fils. Mr de Bergeret a ensuite adressé un éloge à Louis le Grand, soulignant sa valeur, sa sagesse et sa capacité à maintenir la paix en Europe malgré les tensions. Il a également mentionné les missions saintes soutenues par le roi et les fortifications des frontières du royaume. Le texte décrit les actions et les qualités du roi Louis XIV, présenté comme un grand prince qui maintient la paix en Europe malgré les défis. Il agit avec justice et modération, inspirant admiration et respect. Par exemple, il menace de prendre des mesures contre l'empereur s'il ne respecte pas la trêve, mais accepte les excuses de l'Espagne concernant une injustice faite aux marchands français. Louis XIV est loué pour sa capacité à vouloir uniquement ce qui est juste, ce qui le distingue comme le plus grand et le plus parfait des hommes. Lors de la séance à l'Académie française, Monsieur de Bergerey est acclamé pour son éloquence. L'abbé de Choisy est félicité pour son ouvrage sur la vie de Salomon. Les prix d'éloquence et de poésie sont décernés à Monsieur de Fontenelle et à Mademoiselle des Houlières, respectivement. Un discours de Monsieur Hébert, envoyé par l'Académie de Soissons, est également lu et apprécié. La séance se termine par des lectures de poèmes et une lettre en vers de Monsieur Perrault, remerciant le roi pour les avantages qu'il apporte à son siècle.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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13
p. 49-101
EXTRAIT Du Discours de M. l'Abbé Simon, dans la derniere Assemblée de l'Academie des Medailles & Inscriptions. SUR LES PRESAGES.
Début :
Ordre & Division du Discours. L'origine & les causes de [...]
Mots clefs :
Présages, Abbé Simon, Signe, Maison, Augure, Hommes, Mort, Dieux, Voix, Temps, Grecs, Chute, Superstition, Signes, Volonté, Académie royale des médailles et inscriptions
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT Du Discours de M. l'Abbé Simon, dans la derniere Assemblée de l'Academie des Medailles & Inscriptions. SUR LES PRESAGES.
EXTRAIT
DuDiscoursdeM.l'Abbé
Simon, dans la derniere
Assemblée de
l'Academie des Medailles
& lnscriptions.
SVRLESPRESAGES.
Ordre & Division du <
Discours. L'origine & les causes de
l'oblervation des Presages,
les diverses Efpcces
,
les
occasions ausquelles on y
avoit 1ccours & ce qui
estoit necessaire pour les
faire valoir ou pour les détruire.
Mr l'Abbé Simon trouve
la premiere Origine
de la superstition des Présages
dans la foiblesse de 0l'homme, dont la curiosité
veut penetrer l'avenir
, & dont l'orgüeil
veut abaisser jusques à
luy l'Estre suprême à qui
rien n'est caché.
Les Philosophes rcconnoi{
fJot uneintelligence suprême,
infinimentdistante
de la leur, luy subordonnerent
des Divinitecz éclairées
immediatement de ses
lumieres, qu'elles répandoienc
sur d'autres génies.
jnferieurs placez au -
dessous
d'elles dans tous les élemens ;
ceux-cy plus à portée d'entretenir
commerce avec les
hommes se plaisoient, disoient-
ils, à leurcommuniquer
ce qu'ilssçavoient de
l'avenir, & à leur donner
des pressentiments de ce qui
devoit leur arriver,&c.
La science des Presages
est apparemment aussi an
cienne que l'Idolâtrie ; cc
qu'il y a de certain c'est que
les anciens ~ha bitans de la
Palestine en estoient infectez
dés le temps de Moyse,qui
sir ~daffensc aux Israëlites de
suivre l'exemple des Nations,
dont ils alloient posseder
le pays, qui écoutoient,
dit-il, les Augures
& les Devins.
Mrl'AbbéSimon distingue
icy la confiance
du peupledeDieu en ses
Prophetes, d'avec la credulité
superstitieuse des
peuples idolâtres pour les
Presages. Il marqueainsi
le caractere des derniers.
Lorsque la prudence humaine
estl en défaut
,
elle a
recours à une intelligence
superieure capable de fixer
sonincertitude & de relever
son courage dans les occafions
embarasantes & dans:
les périlspressants.
AinsiUlisse ne sçachant si
tes Dieux qui l'avoient perfccuté
si long-temps sur
terre & sur mer, approuvoient
enfin son retour en
sa patrie & le dessein hasardeux
qu'il méditoit, prie Jupiter
de luy faire connoître
sa volonté par la voix de
quelqu'un de ceux qui veilloientalors
dans la maison,
& par un prodige au dehors.
Un cou p de tonnerre qui
éclata en même temps le
remplit de joye &fa crainte
se dissipa entierement, entendant
une femme qui
bluttoit de la farine
,
& qui
rebutée de ce travail souhaitoit
que le festin qu'on préparoit
aux Amans de Penclope,
fust le dernier de leur
vie. Ces imprécations luy
parurent un Presagecertain
de la fin malheureuse de ses
ennemis & du succés de sa
vangeance.
Des signes semblables
que le hasard faisoit quelquefois
paroître comme à
point nommé aux voeux
des Suppliants, les convainquirent
de la vigilance des
Dieux toûjours attentifs à
répondre à leurs constations,
& engagez pour ainsi
dire, par le devoir de leur
ministére à leur donner des
pressentiments de ce qui devoit
leur arriver.
Cette persuasion lesobligea
à observer plus religieusement
toutce qu'ils entendoient
& ce qui se presentoit
à eux dans le moment qu'ils
formoient quelque entreprise,&
leursespritsremplis
de leurs projets n'avaient
pas de peine à découvrir
dans tout ce qui paroissoit
des marques évidentes de
l'évenement dont ils vouloient
estre éclaircis; semblablcs
à ceux qui regardent
attentivement des nuages&
quiy voyent tout ce que
leur imagination leur represente.
Cependant pour s'assurer
de leurs conjectures ils ne
manquoient pas quand les
choses estoient arrivées de
confronter les évenements
avec les prognostics, & de
tâcher de les concilier en semble,
lors que la fortune ne
ses faisoit pas quadrcr assez
juste. En cette maniere on
interprétoit les Oracles ,
& encore au jourd'huy des
gens prévenus en faveur de
certaines pretendues Propheties
,
s'imaginent entrevoir
dans leur obscurité
affectée toutes les grandes
révolutions qui arrivent
dans le monde.
Je paffe icy une fuite
de Remarques judicieuses
, par où l'on voit l'é.
tablissement des Presages
dont les Egyptiens
ont fait un Art oùils
ontexcellé,&: qu'ils ont
transmis aux Grecs, 6c
qui a elle soutenu en.
suite par l'autorité des
hommes les plus graves
& les plus éclairez, qui
en faisoient un des articles
de leur religion. Pithagore
& ses Disciples,
Socrate , Platon, Xeno- phon,&c.
Ensuite les Hetrusques
ont appris cet Arc
aux Romains,&c.
Aprés avoir marque
l'origine & l'établissement
des Presages, Mr
l'Abbé Simon en explique
les especes. La necessité
d'abréger m'oblige
à ne dire qu'un
mot de chacune.
La première espece de
Presage se tiroit des paroles,
les voix qu'onentendoit
Anî sçavoir d'où elles venoient,
passoient pour divines,
telle sur celle qui arresta
leContul Mancinus,
prest de s'embarquer pour
l'expedition de Numance où iléchoüa. honteusement,.
On peut mettre au même
rang ces voix effroyantes &
ces cris lugubres qu'on
entendoit dans les bois,
on les attribuoit aux Faunes,
& l'on croyoit qu'elles annonçoient
des accidents funestes.
On prenoit aussi pour
présages les voix de ceux
qu'onrencontroit en sortant
des mai sons, & sur
des mots prononcez par
hasard, on prenoit quelque
fois des resolutions tresimportantes.
Le Sénat Romainle
détermina a retablir Rome
brûlépar les Gaulois, sur
la voix d'un Centurion qui
crioit à l'Enseigne de sa
Compagnie,de planter le
Drapeau,& de rester, où il
estoit, quoy que cette voix
n'eut qu'un rapport imaginaire
au sujet dont il s'agilfoir.
Les Grecs nettoient pas
moins attachez à cette manie
que les Romains. Il y
avoit dans l'Achaïe un Temple
de Mercure où on le
consultoit d'une maniere
assez singuliere. Celuy qui
desiroitestre éclairci de son
fort
,
sapprochoit de la
Statue. de ce Dieu, & luy
disoit tout bas à l'oreille
ce qu'il vouloir fqavolr>
bouchant les siennes avec
ses doigts.Il sortoit du
Temple en la même posture,
& ne débouchait ses oreilles
que lors qu'il estoit au milieu
de la grande Place publique.
Alors il prenoic
pour la réponse de Mercure
les premieres paroles qu'il
entendoit.
Une autre espece de presage
étoit les tressaillemens
du coeur, des yeux & des
sourcils, qu'on appelloit
SaflifJauo.!
Les Pal pitations de coeur
spassoiiengt pounr unemauv.ais
Les tressaillemens de
l'oeil droit, estoient au
contraire un signe heureux.
-
L'engourdissement du petit
doigt de la main droite
ou letressaillement du pouce
de la main gauche, ne
signifioit au contraire rien
de favorable.
Les teintemens d'oreilles
& les bruits qu'on s'imaginoit
entendre , estoient P,¡..
reillement desprésagesassez
ordinaires. Les Anciens
disoient, comme le Peuple
le dit encoreaujourd'huy
,
que des personnes absentes
partaient d'eux.
Mais les éternuëmens
estoient des presages encore
plus anciens & plus autorisez.
Penelope entendant
son fils éternuer dans le
temps qu'elle disoit que son
Mari estant de retour sçauroit
bien tirer vengeance
des desordres que ses Amants
interessezfaisoient
dans sa maison
, en conçut
une esperance certaine de
l'accomplissement de ses
desirs.C'estoit alors un
sïgne toûjours avantageux.
C'est pourquoy les Grecs
l'appelloient l'oy seau ou
l'augure de Jupiter
,
s'imaginant
qu'il en estoit l'Auteur
,
& qu'ils devoient luy
en rendre graces dans
l'instant.
Ils tenoientmême l'éternuëment
pour un Dieu ou
une chose divine
,
suivant
Aristote. La raison que ce
Philosophe en apporte, cest
qu'ilest produit par lemouvement
ducerveau, & qu'il
est la marque de la sante de
cette partie la plus excellente
qui soit dans l'homme,
le siege de l'ame & de la
raison. Cependant leScholiaste
de Theocrite prétend
que l'éternuëment estoitun
presage. équivoque, qui
pouvoit estre bon & mauvais.
C'est pourquoy les
assistans avoient coûtume
de saluer la personne qui
éternuoit en faisant des Cou'"
haits pour sa conservation,
afindedétourner ce qu'il
pouroit y avoir de fâcheux.
Les Grecs se servoient de lar
formule
, que Jupiter HJOUÏ
conserve,comme nous disons
Dieu vous assiste.
En cff.[ les éternuëmens
du matin; c'etf à dire depuis
minuit jusqu'à midy
,
n'êtoient
pas avantageux; ita
devenoient meilleurs lereste
du jour. Entre les éternucmens,
on estimoit davantage
ceux qui venoient du
côté droic ; mais l'Amour
les rendoit toujours favorables
aux Amants de quelque
costé qu'ils vinssent, si
l'on en croit Catulle.
L'Esprit familier de Socrate
se servoit de cc presage
en diverses manieres
pour luy donner de bons
conseils. Quand un autre
éternuoit à sa droite,c'étoit
un figne qu'il dévoit
agit, & une deffense de le
faire quand on éternuoit à
sa gauche, &c.
Il n'est pas trop seur que
Socrate setoittoûjours bien
trouvé de suivre ces présages
; mais il paroist que cc
n'estoit pas unsigneinfaillible
pour tous les autres:
témoin ce mary donc il cff
fait mention dans une ancienne
Epigrame de l'Anthologie,
qui se plaint qu'-
ayant éternué prés d'un
Tombeau, plein d'esperance
d'apprendre bien-tost la
mort de sa femme, les vents
avoient emporté le présage.
On peut joindre aux
éternuëmens des accidents
aussi naturels & aussi ordinaires
, sçavoir les chutes
imprévues, foit des hommes
,soit des choses inanimées
sur lesquelles on faisoie
des prognostics. Un
des plus remarquables fut
celle de Camille, aprés la
prise de Veïes; voyant la
grande quantité de butin
qu'on avoir ramassé, il pria
les Dieux que si sa bonne
fortune & celle du peuple
Romain leur paroissoit excessive
,
de vouloir bien
adoucir la jalousie qu'elle
pouvoir causer en leur envoyant
quelque legere disgrace
,
s'estant tourné en
même temps pour faire son
adoration, il tomba, & l'onprit
la fuite de cetaccident
comme un presage de son
exil & de la prise de Rome,
qui arrivérent peu de temps
aprés.
La chute de Neron, en
recitant en public ces Vers
de l'Oedipe
, ma Femme ,
ma Mere, mon Pere
m'obligent de périr ,
,
fut
remarquée comme le signal
fatal de sa mort. On fit
lemême jugement durenversement
de statuës de ses
Dieux domestiquesqu'on
trouva par terre le premier
jour de Janvier. Ces presages
qui comprenoient la
chute
chute du tonnerre,&dautres
chosessemblables,s'appeloient
caduca auspicia.
C'en estoit un de pareille
nature de heurter le pied
contre le feiïil de laporte en
forçant; de rompre les cordons
de ses souliers, & de
se sentir retenu par sa robbc
en voulant se lever de son
siege; tout cela étoit pris à
mauvais augure. On remarque
quele jour que Tiberius
Gracchus futtué, il
s'estoit fort blessée au pied
au sortir de sa Inaifon,
ensorte que son soulier en
fut tout ensanglanté.
Larencontre decertaines
personnes &de certains animaux,
ne faisoit pas moins
d'impression sur les esprits
foibles & super sticieux. Un
, Ethiopien, un Eunuque, un
Nain,unhomme contrefait
qu'ils trouvoient le matin au
sortir de leur maison, les
effrayoit. & les faisoit rc:n.
trer. Auguste ne pouvoit
dissimuler l'horreur qu'il
, avoit pour ces monstres de
nature.
Les animaux qui porroient
bonheur estoient le liôfti
les fourmis, les abeilles, &e. Les animaux qui
présageoient des malheurs
estoient les serpens, les crocodilles
,
les renards, les
chiens, les chats, les singes,
les rats, les souris, belettes, "'le. Il y avoit àussi des
noms heureux & malheureux
, &c.
Pompée se sauvant en
Egypte apréslaBataille de
Pharsale
,
vit de loin en
abordant à Paphos dans
l'isle de Chypre,un grand
édifice dont il demanda le
nom au Pilote;ayant appris
que ion nom signifoit
- lemauvaisRoy,ilen détourna
les yeux avec douleur, consterné
d'un si triste presage.
Auguste tout au contraire,
en eut un qui le remplit
d'esperance d'une prochaine
victoire
,
s'avançant
vers Actium avec son
Année) il rencontra un
homme nommé Eutychus,
c'est à dire heureux, qui
conduisoit un Asne nommé
Nicon
,
c'est à dire victorieux.
Après le gain de la
Batailleil fit representer l'un
tz l'autre en bronze dansle
Temple qu'il fit bâtir sur le
lieu oùil avoit campé & où
il avoit fait cette heurcufc
rencontre.
On peut joindre aux noms
les couleurs qui avoient leurs
significations & leurs prefages.
Le blanc estoit le
symbole de la joyc, de la selicité
,
de l'innocence; le
noir estoit un signe de mort,
de chagrin ,de malheur; la
pourpre estoit la marque de
l'Empire & de la souveraiue
Puissance.
L'observation de la lumiere
de lampe n'estoit pas moins
frivole:onen tiroit des prog-
Donies,tant des changemens
de temps que de divers accidents.
C'estoitunsignede
pluye &de quelque agréable
avanture lors qu'elle étincelloit,
&qu'il se formoit autour
de la méche des manieres
de champignons; c'est
pourquoy on mêloit quelquefois
un peu de vin avec
l'huile pour la faire pétiller.
Non seulement les Femmes
& les Amants s'amusoient
à ces badineries; mais Tibere
même, au rapport de
Suetone
, quoy que dailleurs
il eût peu de Religion,
hafardoit sans balancer le
combat, lors qu'estans à la
teste d'une Armée & travaillant
la nuit dans sa Tente,
la lampe venoit à s'éteindre
tout à coup, ayant
éprouvé, disoit-il
, que ce
presagequiestoit particulier
pour sa Maison
,
luy avoir
toûjours esté favorable aussi
bien qu'à ses Ancestres.
Il y avoit une espece de
Jeu dont les Amants se fervoient
pour éprouver s'ils
estoient aimez de leurs Maîtresses
; c'estoit de faire claquer
des feüilles dans leurs
mains. Si le son qu'elles rendoient
estoit clair & perçant
ils auguroient bien de
leurs amours. Ils estoient
aussi fort contens lors qu'en
pressant des pepins de pommes
entre leurs doigts
,
ils,
les faisoientsauter jusqu'au
plafond de la chambre.
Le bruit que faisoit le
laurierjetté sur un foyer sacréestoit
pareillement un
heureux presage.
:
Voyons maintenant les,
occasions qui exigeoient une
attention particuliere aux
présages.
La mort estant si redoutable
à tous les hommes, ils
ne pouvoient pasestretranquilles
sur ce qui sembloit
la leur annoncer. Ily avoit
peu de gens qui ne s'imaginassent
en avoir des pressentimens
;mais celles des Princes
& des hommes illustres
interessant tout l'Etat, on
étudioit avec foin toutcequi
la précedoit,&l'on ne manquoit
pas de découvrir des
signes funebres qui en passoient
pour les avant - coureurs.
Tels qu'estoient des
Comètes& semblablesPheflomenes)
des Hiboux entendus
dans leurs Appartemens,
l'ouverture subite de
leurs tombeaux, ou des voix
plaintives qui en sortoienr,
les appellant par leur nom,
la rencontre imprévuë de
victimes lugubres échapées
des mains du Sacrificateur
qui les couvroit de sang,
leurs Palais, leurs Statuës, &
autres Monumens Publics
frapez de la foudre; quelques
discours faisant mention
de leur mort ou de leur
derniere volonté, ou de leur
successeur. Ainsi Neton faisant
réciter dans le Senat
une Harangue qu'il avoit
faire contre Vindex & les
conjurez,qui finissoit par ces
mots que les scelerats porteroient
la peine de leurs crimes,
& seroient bien tost une fin
tragique. Les Senateurs voulant
luy applaudir,&l'exciter
à la vengeance, secrierent,
faites Seigneur. Il accomplit
la Prophetie & périt
peu de temps après comme
il avoit vêcu.
Le Confu! Petilius sur aussi
sans y penser le Prophete
de son malheur,exhortant
les Soldats à s'emparer d'une
hauteur dont le nom êtoit
équivoqueà celuy de la
mort,leur dit qu'il estoitresolu
à la gagner avant la fin
du jour. L'événement confirma
le présage
,
ayantesté
tué à l'attaque de ce Posse;c;
Toutes ces especes de présages
dont les uns annonçoient
des choses agréa bles
èc avantageuses, les autres
des accidens trisses & funestes
estant des signes qu'on
croyoit envoyez aux hommes
de la part des Dieux
pour les avertir de ce qu'ils
devoient esperer ou craindre,
paroissoient inutiles à
moins qu'ils ne les observassent
& ne s'en fissent l'aplication
necessaire.
-
C'est aussi à quoy ils ne
manquoient pas lorsque le
présagerépondoit à leurs
voeux. Ils l'acceptoient sur
le champ avec joye & en
rendoient graces aux Dieux
qu'ils en croyoient les Auteurs
,les suppliant de vouloir
accomplir ce qu'ils avoientla
bonté de leur promettre
, & pour s'assurer
davantage de leur bonne
volonté ils leurendemandoient
de nouveaux qui
confirmassent les premiers.
Ils estoient au defcfpoir
lorsque dans le temps qu'il
leur apparoissoit un signe
favorable, on faisoit quelque
chose qui en détruisist
le bon-heur, ce qu'on appeloit
vituperare omen.
Au contraire, s'il arri-
Voit quelque accident qui
leur fit de la peine, & leur
parût de mauvaifc augure
ils en rejettoient l'idée avec
horreur; & prioient les
Dieux de détourner le malheur
dont ils estoient menacez
, ou de les faire retomber
sur la teste de leurs
ennemis; mais ils n'estoient
en droitde le faireque lorsque
le présage s'estoit presenté
à eux,ce qu'onappelloit
omen oblatium
,
s'ils
l'avoient demandé, il falloit
se soûmettre avec résignation
à la volonté divine.
Ceux qui dans le fond
du coeeur reconnoissoient la
vanité de toutes ces observations,
ne pouvoient cependant
se difpenfcr de suivre
l'usage comme les autrès.
Tout ceque la prudence
pouvoit leur permettre
estoit de donner un tour favorable
aux accidens sâcheux
qui leur arrivoient
pour empêcher les mauvailes
impressionsqu'ils pouvoient
eau fer dans l'esprit
de ceux qui en estoienttémoins.
Ainsi Jules Cesar
estant tombé en descendant
duVaisseauqui l'avoit
porté en Affrique
,
où il
alloit faire la guerre au reste
du party de Pompée,&apprehendant
que sa chute
Dallarmjic ses Soldats,eût
assez de presenced'esprit
pour tirer avantage de ce
mauvais augure ;
il embrassa
la terre, en disant, je te
tiens
,
Affrique,LaVistoire
qu'il yremporta fitconnoître
que tous ces signes funestes
n'estoient efficaces
que pour ceuxqui avoient
la foiblesse de les craindre.
Il y en avoit donc on tâchoit
d'arrester la malignite
par des remedes aussi ridicules.
Lorfquc deux amis 1
se promenoient ensemble,
une pierre quitomboitentredeux,
un enfant ou un
chien qui les separoit, estoit
un prognostic de la rupturede
leuramitié.
Pour empêcher l'effet,ils
marchoient sur la pierre,
frappoient le chien, ou donnoient
un soufflet à l'en- fant. On remedioit à peu prés
de la même maniere à la
malédiction pretenduë qu'
une Belette laissoit dans un
chemin qu'elle avoit traversé.
Les Gens superstitieux
qui lavoient apperçû Ce
donnoient bien de garde de
paner les premiers par cet
endroit qu'ils nenstent jetté
au delà trois pierres pour
renvoyer par ce, nombre
misterieux sur ce maudit animal
le malheur, qu'il leur
annonçoit, C'est dans cette
mêmevueque l'on attachoitaux
portes des Maisonslesoiseaux
de mau--
vais augure que l'on pouvoit
attrapper
C'estoit une coutume
observée à Rome de nerien
dire que d'agreable le premier
jour de Janvier, de
se saluer les uns les autres
avec des souhaits obligeants
de se faire de petits presens,
sur tout de miel & d'autres
douceurs, non seulement
comme des rélTIoignageSt
d'amitié&de politesse ; mais
aussi comme d'heureux présages
qui annonçoient le
bon- heur & la douceur de
la vie dont on joüiroit le
reste de l'année. La pensée
où ils estoient qu'on la
continuëroit comme on
l'avoit commencée
,
estoit
cause que la solemnité de
la feste qui devoit faire
cesser toute forte de travail
3< n'empêchoit pas que chaoun
ne fit quelque légere
fonébon de son emploi
pouréviter le préjugé honteux
de paresse &doisiveté
&c.#
- De peur de faire un extrait
trop long, j'obmet
icy plusieurs détails sçavans
& agréables sur la
superstition ancienne des
Sacrificateurs, des Magistrats&
des Généraux
dJArlnéè; par exemple.
Le Consul Paulus en
rentrant dans sa maison au
sortir du Senat où l'on avoit
résolu la guerre contre Persée
dernier Roi de Macedoine,
une petite fille qu'il avoit
vint au devant de luy les
larmes aux yeux;luy ayant
demandé lesujet de sa tristesse
, mon pere ,
dit-elle,
c'en est fait de Persa, c'estoit
le nom de sa petite chienne
qui venoit de mourir, alors
embrassant tendrement cet
ensant, ma chere fille, luy
ditil, j'accepte le Présage,
fècC»•••«*••••#«
Si les Anciens ont observé
religieusement les presages
dans lesaffaires publiques,ils
n'y ont pas esté moins attachez
dans les particulières
comme la naissance des ensans,
les mariages,les voyages
,
le lever, les repas ,
&
la pluspart des actions importantes
de leur vie,&c.
Livie estant grosse de
Tibère
,
après diverses autres
experiences, fit éclorrc
un oeuf dans sa main ,il en
sortitun poussin ayant une
très-belle crête ; qui fut
ensuite le prognostique de
l'Empire qui luy efloie
destiné. Géra vint apporter
à l'Imperatrice Julie sa
mercj un oeuf couleur de
Pourpre, qu'on disoit clîre
nouvellement pondu dans
le Palais. Cette couleur
estant la livrée del'Empire,
sembloit le promettre au
nouveau Prince; c'estoit
aussi l'intention de ceuxqui
l'avaient presenté,&l'Impératrice
l'avoir accepté
dans ce même sens. Mais
Caracalle encore enfant
ayant pris cet oeuf,&l'ayant
caúé
,
Julies'écria, quoyqu'enriant,
mauditparricide
tu as tuëtonfrere On prétend
que Severe, qui estoit present
>
fort adonné aux Présages,
fut plus vivement
touché de ces paroles - ,
qu'aucun des assistans qui
n'en firent l'application, &
peut estre le récit que lorsque
Géra eut esté tue pas
son frere.
Mr l'Abbé Simon fait
ensuite le détail des superstitions
anciennes sur
les Mariages ; on peut
tous les presages heureux
, & que les Devins
habiles prédisoient plus
de malheur aux époux
que de bonheur
,
afin
queleur prédictions sur.
sent plus seurement accomplies
Voici quelques maximes
qu'on suivoit dans les repas,
par exemple de ne point parler
d'incendies, de ne point
laisser la table vuide ou sans
sel, prendre garde de ne le
point répandre ( superstition
qui ricflpas tricote abolie)de
ne point balayer la table
lorsque quelqu'un des conviez
se leveroit de table, &:
de ne point défervir lorsqu'il
buvoit, de regler le
nombre des Conviez, &
des coups quel'on buvoic
à trois ou à neuf en l'honneur
des Graces &des Muses
; mais cette rcglc n'é-
,.toit pas sans exception. Il
cfl: constant que les Romains
estoient souvent douze
à une même table, mais
ils ne pouvoient y estre gueres
davantage sans incommodité
; c'est peur estre l'arigine
de la fatalité qu'on
attribue encore aujourdhuy
au nombre de
1 3. &c.
Je passe pour abreger
sur les présages qu'ils
croyoient leur annoncer
la mort, lesCommettes
les Hiboux.
Ensuite Mr l'AbbéSimon
explique la manière
dont ils acceptaient
les bons présages,& celle
dont ils se servoient
pour détourner les maiw
vais, & finit en observant
que la superstition
des présàges ayant cessé
par letabliflement de la
Religion chrétienne,il
reste pourtant encore
parmy le Peuple, des vestiges
de ces observations
fuperftitieulcs
, qui étoient
en usage dans
l'Antiquité.
DuDiscoursdeM.l'Abbé
Simon, dans la derniere
Assemblée de
l'Academie des Medailles
& lnscriptions.
SVRLESPRESAGES.
Ordre & Division du <
Discours. L'origine & les causes de
l'oblervation des Presages,
les diverses Efpcces
,
les
occasions ausquelles on y
avoit 1ccours & ce qui
estoit necessaire pour les
faire valoir ou pour les détruire.
Mr l'Abbé Simon trouve
la premiere Origine
de la superstition des Présages
dans la foiblesse de 0l'homme, dont la curiosité
veut penetrer l'avenir
, & dont l'orgüeil
veut abaisser jusques à
luy l'Estre suprême à qui
rien n'est caché.
Les Philosophes rcconnoi{
fJot uneintelligence suprême,
infinimentdistante
de la leur, luy subordonnerent
des Divinitecz éclairées
immediatement de ses
lumieres, qu'elles répandoienc
sur d'autres génies.
jnferieurs placez au -
dessous
d'elles dans tous les élemens ;
ceux-cy plus à portée d'entretenir
commerce avec les
hommes se plaisoient, disoient-
ils, à leurcommuniquer
ce qu'ilssçavoient de
l'avenir, & à leur donner
des pressentiments de ce qui
devoit leur arriver,&c.
La science des Presages
est apparemment aussi an
cienne que l'Idolâtrie ; cc
qu'il y a de certain c'est que
les anciens ~ha bitans de la
Palestine en estoient infectez
dés le temps de Moyse,qui
sir ~daffensc aux Israëlites de
suivre l'exemple des Nations,
dont ils alloient posseder
le pays, qui écoutoient,
dit-il, les Augures
& les Devins.
Mrl'AbbéSimon distingue
icy la confiance
du peupledeDieu en ses
Prophetes, d'avec la credulité
superstitieuse des
peuples idolâtres pour les
Presages. Il marqueainsi
le caractere des derniers.
Lorsque la prudence humaine
estl en défaut
,
elle a
recours à une intelligence
superieure capable de fixer
sonincertitude & de relever
son courage dans les occafions
embarasantes & dans:
les périlspressants.
AinsiUlisse ne sçachant si
tes Dieux qui l'avoient perfccuté
si long-temps sur
terre & sur mer, approuvoient
enfin son retour en
sa patrie & le dessein hasardeux
qu'il méditoit, prie Jupiter
de luy faire connoître
sa volonté par la voix de
quelqu'un de ceux qui veilloientalors
dans la maison,
& par un prodige au dehors.
Un cou p de tonnerre qui
éclata en même temps le
remplit de joye &fa crainte
se dissipa entierement, entendant
une femme qui
bluttoit de la farine
,
& qui
rebutée de ce travail souhaitoit
que le festin qu'on préparoit
aux Amans de Penclope,
fust le dernier de leur
vie. Ces imprécations luy
parurent un Presagecertain
de la fin malheureuse de ses
ennemis & du succés de sa
vangeance.
Des signes semblables
que le hasard faisoit quelquefois
paroître comme à
point nommé aux voeux
des Suppliants, les convainquirent
de la vigilance des
Dieux toûjours attentifs à
répondre à leurs constations,
& engagez pour ainsi
dire, par le devoir de leur
ministére à leur donner des
pressentiments de ce qui devoit
leur arriver.
Cette persuasion lesobligea
à observer plus religieusement
toutce qu'ils entendoient
& ce qui se presentoit
à eux dans le moment qu'ils
formoient quelque entreprise,&
leursespritsremplis
de leurs projets n'avaient
pas de peine à découvrir
dans tout ce qui paroissoit
des marques évidentes de
l'évenement dont ils vouloient
estre éclaircis; semblablcs
à ceux qui regardent
attentivement des nuages&
quiy voyent tout ce que
leur imagination leur represente.
Cependant pour s'assurer
de leurs conjectures ils ne
manquoient pas quand les
choses estoient arrivées de
confronter les évenements
avec les prognostics, & de
tâcher de les concilier en semble,
lors que la fortune ne
ses faisoit pas quadrcr assez
juste. En cette maniere on
interprétoit les Oracles ,
& encore au jourd'huy des
gens prévenus en faveur de
certaines pretendues Propheties
,
s'imaginent entrevoir
dans leur obscurité
affectée toutes les grandes
révolutions qui arrivent
dans le monde.
Je paffe icy une fuite
de Remarques judicieuses
, par où l'on voit l'é.
tablissement des Presages
dont les Egyptiens
ont fait un Art oùils
ontexcellé,&: qu'ils ont
transmis aux Grecs, 6c
qui a elle soutenu en.
suite par l'autorité des
hommes les plus graves
& les plus éclairez, qui
en faisoient un des articles
de leur religion. Pithagore
& ses Disciples,
Socrate , Platon, Xeno- phon,&c.
Ensuite les Hetrusques
ont appris cet Arc
aux Romains,&c.
Aprés avoir marque
l'origine & l'établissement
des Presages, Mr
l'Abbé Simon en explique
les especes. La necessité
d'abréger m'oblige
à ne dire qu'un
mot de chacune.
La première espece de
Presage se tiroit des paroles,
les voix qu'onentendoit
Anî sçavoir d'où elles venoient,
passoient pour divines,
telle sur celle qui arresta
leContul Mancinus,
prest de s'embarquer pour
l'expedition de Numance où iléchoüa. honteusement,.
On peut mettre au même
rang ces voix effroyantes &
ces cris lugubres qu'on
entendoit dans les bois,
on les attribuoit aux Faunes,
& l'on croyoit qu'elles annonçoient
des accidents funestes.
On prenoit aussi pour
présages les voix de ceux
qu'onrencontroit en sortant
des mai sons, & sur
des mots prononcez par
hasard, on prenoit quelque
fois des resolutions tresimportantes.
Le Sénat Romainle
détermina a retablir Rome
brûlépar les Gaulois, sur
la voix d'un Centurion qui
crioit à l'Enseigne de sa
Compagnie,de planter le
Drapeau,& de rester, où il
estoit, quoy que cette voix
n'eut qu'un rapport imaginaire
au sujet dont il s'agilfoir.
Les Grecs nettoient pas
moins attachez à cette manie
que les Romains. Il y
avoit dans l'Achaïe un Temple
de Mercure où on le
consultoit d'une maniere
assez singuliere. Celuy qui
desiroitestre éclairci de son
fort
,
sapprochoit de la
Statue. de ce Dieu, & luy
disoit tout bas à l'oreille
ce qu'il vouloir fqavolr>
bouchant les siennes avec
ses doigts.Il sortoit du
Temple en la même posture,
& ne débouchait ses oreilles
que lors qu'il estoit au milieu
de la grande Place publique.
Alors il prenoic
pour la réponse de Mercure
les premieres paroles qu'il
entendoit.
Une autre espece de presage
étoit les tressaillemens
du coeur, des yeux & des
sourcils, qu'on appelloit
SaflifJauo.!
Les Pal pitations de coeur
spassoiiengt pounr unemauv.ais
Les tressaillemens de
l'oeil droit, estoient au
contraire un signe heureux.
-
L'engourdissement du petit
doigt de la main droite
ou letressaillement du pouce
de la main gauche, ne
signifioit au contraire rien
de favorable.
Les teintemens d'oreilles
& les bruits qu'on s'imaginoit
entendre , estoient P,¡..
reillement desprésagesassez
ordinaires. Les Anciens
disoient, comme le Peuple
le dit encoreaujourd'huy
,
que des personnes absentes
partaient d'eux.
Mais les éternuëmens
estoient des presages encore
plus anciens & plus autorisez.
Penelope entendant
son fils éternuer dans le
temps qu'elle disoit que son
Mari estant de retour sçauroit
bien tirer vengeance
des desordres que ses Amants
interessezfaisoient
dans sa maison
, en conçut
une esperance certaine de
l'accomplissement de ses
desirs.C'estoit alors un
sïgne toûjours avantageux.
C'est pourquoy les Grecs
l'appelloient l'oy seau ou
l'augure de Jupiter
,
s'imaginant
qu'il en estoit l'Auteur
,
& qu'ils devoient luy
en rendre graces dans
l'instant.
Ils tenoientmême l'éternuëment
pour un Dieu ou
une chose divine
,
suivant
Aristote. La raison que ce
Philosophe en apporte, cest
qu'ilest produit par lemouvement
ducerveau, & qu'il
est la marque de la sante de
cette partie la plus excellente
qui soit dans l'homme,
le siege de l'ame & de la
raison. Cependant leScholiaste
de Theocrite prétend
que l'éternuëment estoitun
presage. équivoque, qui
pouvoit estre bon & mauvais.
C'est pourquoy les
assistans avoient coûtume
de saluer la personne qui
éternuoit en faisant des Cou'"
haits pour sa conservation,
afindedétourner ce qu'il
pouroit y avoir de fâcheux.
Les Grecs se servoient de lar
formule
, que Jupiter HJOUÏ
conserve,comme nous disons
Dieu vous assiste.
En cff.[ les éternuëmens
du matin; c'etf à dire depuis
minuit jusqu'à midy
,
n'êtoient
pas avantageux; ita
devenoient meilleurs lereste
du jour. Entre les éternucmens,
on estimoit davantage
ceux qui venoient du
côté droic ; mais l'Amour
les rendoit toujours favorables
aux Amants de quelque
costé qu'ils vinssent, si
l'on en croit Catulle.
L'Esprit familier de Socrate
se servoit de cc presage
en diverses manieres
pour luy donner de bons
conseils. Quand un autre
éternuoit à sa droite,c'étoit
un figne qu'il dévoit
agit, & une deffense de le
faire quand on éternuoit à
sa gauche, &c.
Il n'est pas trop seur que
Socrate setoittoûjours bien
trouvé de suivre ces présages
; mais il paroist que cc
n'estoit pas unsigneinfaillible
pour tous les autres:
témoin ce mary donc il cff
fait mention dans une ancienne
Epigrame de l'Anthologie,
qui se plaint qu'-
ayant éternué prés d'un
Tombeau, plein d'esperance
d'apprendre bien-tost la
mort de sa femme, les vents
avoient emporté le présage.
On peut joindre aux
éternuëmens des accidents
aussi naturels & aussi ordinaires
, sçavoir les chutes
imprévues, foit des hommes
,soit des choses inanimées
sur lesquelles on faisoie
des prognostics. Un
des plus remarquables fut
celle de Camille, aprés la
prise de Veïes; voyant la
grande quantité de butin
qu'on avoir ramassé, il pria
les Dieux que si sa bonne
fortune & celle du peuple
Romain leur paroissoit excessive
,
de vouloir bien
adoucir la jalousie qu'elle
pouvoir causer en leur envoyant
quelque legere disgrace
,
s'estant tourné en
même temps pour faire son
adoration, il tomba, & l'onprit
la fuite de cetaccident
comme un presage de son
exil & de la prise de Rome,
qui arrivérent peu de temps
aprés.
La chute de Neron, en
recitant en public ces Vers
de l'Oedipe
, ma Femme ,
ma Mere, mon Pere
m'obligent de périr ,
,
fut
remarquée comme le signal
fatal de sa mort. On fit
lemême jugement durenversement
de statuës de ses
Dieux domestiquesqu'on
trouva par terre le premier
jour de Janvier. Ces presages
qui comprenoient la
chute
chute du tonnerre,&dautres
chosessemblables,s'appeloient
caduca auspicia.
C'en estoit un de pareille
nature de heurter le pied
contre le feiïil de laporte en
forçant; de rompre les cordons
de ses souliers, & de
se sentir retenu par sa robbc
en voulant se lever de son
siege; tout cela étoit pris à
mauvais augure. On remarque
quele jour que Tiberius
Gracchus futtué, il
s'estoit fort blessée au pied
au sortir de sa Inaifon,
ensorte que son soulier en
fut tout ensanglanté.
Larencontre decertaines
personnes &de certains animaux,
ne faisoit pas moins
d'impression sur les esprits
foibles & super sticieux. Un
, Ethiopien, un Eunuque, un
Nain,unhomme contrefait
qu'ils trouvoient le matin au
sortir de leur maison, les
effrayoit. & les faisoit rc:n.
trer. Auguste ne pouvoit
dissimuler l'horreur qu'il
, avoit pour ces monstres de
nature.
Les animaux qui porroient
bonheur estoient le liôfti
les fourmis, les abeilles, &e. Les animaux qui
présageoient des malheurs
estoient les serpens, les crocodilles
,
les renards, les
chiens, les chats, les singes,
les rats, les souris, belettes, "'le. Il y avoit àussi des
noms heureux & malheureux
, &c.
Pompée se sauvant en
Egypte apréslaBataille de
Pharsale
,
vit de loin en
abordant à Paphos dans
l'isle de Chypre,un grand
édifice dont il demanda le
nom au Pilote;ayant appris
que ion nom signifoit
- lemauvaisRoy,ilen détourna
les yeux avec douleur, consterné
d'un si triste presage.
Auguste tout au contraire,
en eut un qui le remplit
d'esperance d'une prochaine
victoire
,
s'avançant
vers Actium avec son
Année) il rencontra un
homme nommé Eutychus,
c'est à dire heureux, qui
conduisoit un Asne nommé
Nicon
,
c'est à dire victorieux.
Après le gain de la
Batailleil fit representer l'un
tz l'autre en bronze dansle
Temple qu'il fit bâtir sur le
lieu oùil avoit campé & où
il avoit fait cette heurcufc
rencontre.
On peut joindre aux noms
les couleurs qui avoient leurs
significations & leurs prefages.
Le blanc estoit le
symbole de la joyc, de la selicité
,
de l'innocence; le
noir estoit un signe de mort,
de chagrin ,de malheur; la
pourpre estoit la marque de
l'Empire & de la souveraiue
Puissance.
L'observation de la lumiere
de lampe n'estoit pas moins
frivole:onen tiroit des prog-
Donies,tant des changemens
de temps que de divers accidents.
C'estoitunsignede
pluye &de quelque agréable
avanture lors qu'elle étincelloit,
&qu'il se formoit autour
de la méche des manieres
de champignons; c'est
pourquoy on mêloit quelquefois
un peu de vin avec
l'huile pour la faire pétiller.
Non seulement les Femmes
& les Amants s'amusoient
à ces badineries; mais Tibere
même, au rapport de
Suetone
, quoy que dailleurs
il eût peu de Religion,
hafardoit sans balancer le
combat, lors qu'estans à la
teste d'une Armée & travaillant
la nuit dans sa Tente,
la lampe venoit à s'éteindre
tout à coup, ayant
éprouvé, disoit-il
, que ce
presagequiestoit particulier
pour sa Maison
,
luy avoir
toûjours esté favorable aussi
bien qu'à ses Ancestres.
Il y avoit une espece de
Jeu dont les Amants se fervoient
pour éprouver s'ils
estoient aimez de leurs Maîtresses
; c'estoit de faire claquer
des feüilles dans leurs
mains. Si le son qu'elles rendoient
estoit clair & perçant
ils auguroient bien de
leurs amours. Ils estoient
aussi fort contens lors qu'en
pressant des pepins de pommes
entre leurs doigts
,
ils,
les faisoientsauter jusqu'au
plafond de la chambre.
Le bruit que faisoit le
laurierjetté sur un foyer sacréestoit
pareillement un
heureux presage.
:
Voyons maintenant les,
occasions qui exigeoient une
attention particuliere aux
présages.
La mort estant si redoutable
à tous les hommes, ils
ne pouvoient pasestretranquilles
sur ce qui sembloit
la leur annoncer. Ily avoit
peu de gens qui ne s'imaginassent
en avoir des pressentimens
;mais celles des Princes
& des hommes illustres
interessant tout l'Etat, on
étudioit avec foin toutcequi
la précedoit,&l'on ne manquoit
pas de découvrir des
signes funebres qui en passoient
pour les avant - coureurs.
Tels qu'estoient des
Comètes& semblablesPheflomenes)
des Hiboux entendus
dans leurs Appartemens,
l'ouverture subite de
leurs tombeaux, ou des voix
plaintives qui en sortoienr,
les appellant par leur nom,
la rencontre imprévuë de
victimes lugubres échapées
des mains du Sacrificateur
qui les couvroit de sang,
leurs Palais, leurs Statuës, &
autres Monumens Publics
frapez de la foudre; quelques
discours faisant mention
de leur mort ou de leur
derniere volonté, ou de leur
successeur. Ainsi Neton faisant
réciter dans le Senat
une Harangue qu'il avoit
faire contre Vindex & les
conjurez,qui finissoit par ces
mots que les scelerats porteroient
la peine de leurs crimes,
& seroient bien tost une fin
tragique. Les Senateurs voulant
luy applaudir,&l'exciter
à la vengeance, secrierent,
faites Seigneur. Il accomplit
la Prophetie & périt
peu de temps après comme
il avoit vêcu.
Le Confu! Petilius sur aussi
sans y penser le Prophete
de son malheur,exhortant
les Soldats à s'emparer d'une
hauteur dont le nom êtoit
équivoqueà celuy de la
mort,leur dit qu'il estoitresolu
à la gagner avant la fin
du jour. L'événement confirma
le présage
,
ayantesté
tué à l'attaque de ce Posse;c;
Toutes ces especes de présages
dont les uns annonçoient
des choses agréa bles
èc avantageuses, les autres
des accidens trisses & funestes
estant des signes qu'on
croyoit envoyez aux hommes
de la part des Dieux
pour les avertir de ce qu'ils
devoient esperer ou craindre,
paroissoient inutiles à
moins qu'ils ne les observassent
& ne s'en fissent l'aplication
necessaire.
-
C'est aussi à quoy ils ne
manquoient pas lorsque le
présagerépondoit à leurs
voeux. Ils l'acceptoient sur
le champ avec joye & en
rendoient graces aux Dieux
qu'ils en croyoient les Auteurs
,les suppliant de vouloir
accomplir ce qu'ils avoientla
bonté de leur promettre
, & pour s'assurer
davantage de leur bonne
volonté ils leurendemandoient
de nouveaux qui
confirmassent les premiers.
Ils estoient au defcfpoir
lorsque dans le temps qu'il
leur apparoissoit un signe
favorable, on faisoit quelque
chose qui en détruisist
le bon-heur, ce qu'on appeloit
vituperare omen.
Au contraire, s'il arri-
Voit quelque accident qui
leur fit de la peine, & leur
parût de mauvaifc augure
ils en rejettoient l'idée avec
horreur; & prioient les
Dieux de détourner le malheur
dont ils estoient menacez
, ou de les faire retomber
sur la teste de leurs
ennemis; mais ils n'estoient
en droitde le faireque lorsque
le présage s'estoit presenté
à eux,ce qu'onappelloit
omen oblatium
,
s'ils
l'avoient demandé, il falloit
se soûmettre avec résignation
à la volonté divine.
Ceux qui dans le fond
du coeeur reconnoissoient la
vanité de toutes ces observations,
ne pouvoient cependant
se difpenfcr de suivre
l'usage comme les autrès.
Tout ceque la prudence
pouvoit leur permettre
estoit de donner un tour favorable
aux accidens sâcheux
qui leur arrivoient
pour empêcher les mauvailes
impressionsqu'ils pouvoient
eau fer dans l'esprit
de ceux qui en estoienttémoins.
Ainsi Jules Cesar
estant tombé en descendant
duVaisseauqui l'avoit
porté en Affrique
,
où il
alloit faire la guerre au reste
du party de Pompée,&apprehendant
que sa chute
Dallarmjic ses Soldats,eût
assez de presenced'esprit
pour tirer avantage de ce
mauvais augure ;
il embrassa
la terre, en disant, je te
tiens
,
Affrique,LaVistoire
qu'il yremporta fitconnoître
que tous ces signes funestes
n'estoient efficaces
que pour ceuxqui avoient
la foiblesse de les craindre.
Il y en avoit donc on tâchoit
d'arrester la malignite
par des remedes aussi ridicules.
Lorfquc deux amis 1
se promenoient ensemble,
une pierre quitomboitentredeux,
un enfant ou un
chien qui les separoit, estoit
un prognostic de la rupturede
leuramitié.
Pour empêcher l'effet,ils
marchoient sur la pierre,
frappoient le chien, ou donnoient
un soufflet à l'en- fant. On remedioit à peu prés
de la même maniere à la
malédiction pretenduë qu'
une Belette laissoit dans un
chemin qu'elle avoit traversé.
Les Gens superstitieux
qui lavoient apperçû Ce
donnoient bien de garde de
paner les premiers par cet
endroit qu'ils nenstent jetté
au delà trois pierres pour
renvoyer par ce, nombre
misterieux sur ce maudit animal
le malheur, qu'il leur
annonçoit, C'est dans cette
mêmevueque l'on attachoitaux
portes des Maisonslesoiseaux
de mau--
vais augure que l'on pouvoit
attrapper
C'estoit une coutume
observée à Rome de nerien
dire que d'agreable le premier
jour de Janvier, de
se saluer les uns les autres
avec des souhaits obligeants
de se faire de petits presens,
sur tout de miel & d'autres
douceurs, non seulement
comme des rélTIoignageSt
d'amitié&de politesse ; mais
aussi comme d'heureux présages
qui annonçoient le
bon- heur & la douceur de
la vie dont on joüiroit le
reste de l'année. La pensée
où ils estoient qu'on la
continuëroit comme on
l'avoit commencée
,
estoit
cause que la solemnité de
la feste qui devoit faire
cesser toute forte de travail
3< n'empêchoit pas que chaoun
ne fit quelque légere
fonébon de son emploi
pouréviter le préjugé honteux
de paresse &doisiveté
&c.#
- De peur de faire un extrait
trop long, j'obmet
icy plusieurs détails sçavans
& agréables sur la
superstition ancienne des
Sacrificateurs, des Magistrats&
des Généraux
dJArlnéè; par exemple.
Le Consul Paulus en
rentrant dans sa maison au
sortir du Senat où l'on avoit
résolu la guerre contre Persée
dernier Roi de Macedoine,
une petite fille qu'il avoit
vint au devant de luy les
larmes aux yeux;luy ayant
demandé lesujet de sa tristesse
, mon pere ,
dit-elle,
c'en est fait de Persa, c'estoit
le nom de sa petite chienne
qui venoit de mourir, alors
embrassant tendrement cet
ensant, ma chere fille, luy
ditil, j'accepte le Présage,
fècC»•••«*••••#«
Si les Anciens ont observé
religieusement les presages
dans lesaffaires publiques,ils
n'y ont pas esté moins attachez
dans les particulières
comme la naissance des ensans,
les mariages,les voyages
,
le lever, les repas ,
&
la pluspart des actions importantes
de leur vie,&c.
Livie estant grosse de
Tibère
,
après diverses autres
experiences, fit éclorrc
un oeuf dans sa main ,il en
sortitun poussin ayant une
très-belle crête ; qui fut
ensuite le prognostique de
l'Empire qui luy efloie
destiné. Géra vint apporter
à l'Imperatrice Julie sa
mercj un oeuf couleur de
Pourpre, qu'on disoit clîre
nouvellement pondu dans
le Palais. Cette couleur
estant la livrée del'Empire,
sembloit le promettre au
nouveau Prince; c'estoit
aussi l'intention de ceuxqui
l'avaient presenté,&l'Impératrice
l'avoir accepté
dans ce même sens. Mais
Caracalle encore enfant
ayant pris cet oeuf,&l'ayant
caúé
,
Julies'écria, quoyqu'enriant,
mauditparricide
tu as tuëtonfrere On prétend
que Severe, qui estoit present
>
fort adonné aux Présages,
fut plus vivement
touché de ces paroles - ,
qu'aucun des assistans qui
n'en firent l'application, &
peut estre le récit que lorsque
Géra eut esté tue pas
son frere.
Mr l'Abbé Simon fait
ensuite le détail des superstitions
anciennes sur
les Mariages ; on peut
tous les presages heureux
, & que les Devins
habiles prédisoient plus
de malheur aux époux
que de bonheur
,
afin
queleur prédictions sur.
sent plus seurement accomplies
Voici quelques maximes
qu'on suivoit dans les repas,
par exemple de ne point parler
d'incendies, de ne point
laisser la table vuide ou sans
sel, prendre garde de ne le
point répandre ( superstition
qui ricflpas tricote abolie)de
ne point balayer la table
lorsque quelqu'un des conviez
se leveroit de table, &:
de ne point défervir lorsqu'il
buvoit, de regler le
nombre des Conviez, &
des coups quel'on buvoic
à trois ou à neuf en l'honneur
des Graces &des Muses
; mais cette rcglc n'é-
,.toit pas sans exception. Il
cfl: constant que les Romains
estoient souvent douze
à une même table, mais
ils ne pouvoient y estre gueres
davantage sans incommodité
; c'est peur estre l'arigine
de la fatalité qu'on
attribue encore aujourdhuy
au nombre de
1 3. &c.
Je passe pour abreger
sur les présages qu'ils
croyoient leur annoncer
la mort, lesCommettes
les Hiboux.
Ensuite Mr l'AbbéSimon
explique la manière
dont ils acceptaient
les bons présages,& celle
dont ils se servoient
pour détourner les maiw
vais, & finit en observant
que la superstition
des présàges ayant cessé
par letabliflement de la
Religion chrétienne,il
reste pourtant encore
parmy le Peuple, des vestiges
de ces observations
fuperftitieulcs
, qui étoient
en usage dans
l'Antiquité.
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Résumé : EXTRAIT Du Discours de M. l'Abbé Simon, dans la derniere Assemblée de l'Academie des Medailles & Inscriptions. SUR LES PRESAGES.
Dans son discours à l'Académie des Médailles et Inscriptions, l'abbé Simon examine l'origine et les causes de l'observation des présages. Il attribue la superstition des présages à la curiosité et à l'orgueil humains, qui cherchent à pénétrer l'avenir et à abaisser l'Etre suprême. Les philosophes anciens reconnaissaient une intelligence suprême et lui subordonnaient des divinités éclairées, qui communiquaient des pressentiments aux hommes. La science des présages est aussi ancienne que l'idolâtrie. Les anciens habitants de la Palestine étaient déjà infectés par cette croyance du temps de Moïse, qui mettait en garde les Israélites contre les augures et les devins. Simon distingue la confiance des Israélites en leurs prophètes de la crédulité superstitieuse des peuples idolâtres. Les présages étaient souvent interprétés dans des moments de prudence humaine en défaut, comme dans le cas d'Ulysse cherchant des signes divins pour son retour. Les signes naturels ou fortuits, comme des cris ou des chutes, étaient interprétés comme des présages. Les Grecs et les Romains attachaient une grande importance à ces signes, souvent utilisés pour prendre des décisions importantes. Simon mentionne diverses espèces de présages, tels que les paroles entendues sans savoir d'où elles venaient, les tressaillements du corps, les éternuements, et les chutes. Chaque signe avait une interprétation spécifique, souvent liée à des événements futurs. Les animaux, les noms, et les couleurs avaient également des significations particulières dans la divination. Les Romains accordaient une grande importance aux présages dans divers aspects de leur vie, qu'il s'agisse de la mort, des naissances, des mariages, des voyages ou des repas. Certains présages positifs incluaient le bruit clair des feuilles froissées, les pépins de pomme sautant haut, ou le bruit du laurier sur un foyer sacré. En revanche, des signes comme les comètes, les hiboux, ou des voix plaintives étaient perçus comme des mauvais augures. Les princes et les hommes illustres étaient particulièrement attentifs à ces signes, car leur mort affectait l'État entier. Les Romains tentaient de neutraliser les mauvais présages par divers rituels. Par exemple, Jules César, après être tombé en descendant de son vaisseau, embrassa la terre pour contrer le mauvais augure. D'autres superstitions incluaient marcher sur une pierre tombée entre deux amis pour éviter la rupture de leur amitié, ou jeter des pierres sur une belette croisée sur un chemin. Les Romains observaient également des coutumes spécifiques pour attirer la chance, comme échanger des vœux et des présents le premier jour de janvier. Les superstitions étaient également présentes dans les repas, avec des règles strictes sur la manière de se comporter à table. La superstition des présages a diminué avec l'établissement de la religion chrétienne, bien que certains vestiges subsistent encore parmi le peuple.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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14
p. 23-39
EXTRAIT De la Réponse que fit à ce Discours Monsieur de Valincour, Secretaire General de la Marine, alors Chancelier de l'Academie.
Début :
MONSIEUR, Le consentement unanime de vos suffrages vous a fait [...]
Mots clefs :
Académie française, Amour, Vertu, Ennemis, Hommes, Despréaux, Lettres
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT De la Réponse que fit à ce Discours Monsieur de Valincour, Secretaire General de la Marine, alors Chancelier de l'Academie.
EXTRAIT
De la Réponseque fit à
ce Discours Monsieur
de Valincour
,
Secretaire
General de la Marine,
alors Chancelier
de l'Academie.
MONSIEUR,
Le consentement unanime
de njos fufJra(es vous afait
ajJeZ voir combien nous estJeZ,
desiré, & avec quel
plaisir l' AcademieFrançoise
IVa pourlaseconde fois écrire
dans Ilof fastes
, un nom dont
elles'honore depuis tant d'années.
Quelles terres, quelles
mers quelles guerres, quelles
negociation s & pour
parler de ce qui nous convientparticulièrement,
quelles
académies peut-on citer
aujourd'huyoù l'on nftrvUve
des traces delagloire de
ce nom illustre? Qujl amour
pour lesLettres dans tous ceux
qui le portent, &qu'ils ont
Sçu joindre à tant àaéhons
éclatantes &a tant deservices
tanins à l'Etat?
§l*el
Quel exemple plus propre
à confondreégalement & la
grojjieretè barbare qui mé..
prise l'amour des Lettres,
comme indigne des Grands
Hommes, fY lA delicatesse
oisive,qui n'y cherche qu'un
amusement, frivole, ou une
vaine reputation.
N'a-t on pas vû vôtre
illustre pere donner encore
à la lecture des bons livres,
les plus doux momens
de son loisir,dansunevieillejîe
echapée à tant de combats
qu'aavoit rendusfunestesà
nos ennemis. J'ay vû ce
Frere, qui vous est sicher
adoucir les ennuisd'une lono-
ue navigation, tantôt avec
ce Poëte qui fut l'amy de Sri*
pion, tantôt avec celuy qui
fit lesdelices SAugujle *•
& à la veille d'un grand
combat étudiertranquillement
dans les Heros des terris
pastr des actions deconduite
& de valeur dont il alloit
lui-même donner de nou-
'VeAUX exemples.
Et quel honneur n'apoint
fait*uk Lettres, ce grand
Cardinaly Doyen del'Academie,
lorflue joignantà la
force d'un genie superieur,
toutes les graces & toutes
les lumieres qu'on trouve
dans le commerce des Muses,
il regnoit par la parole dans
toutes les Cours de l'Europe,
Maître dans l'art de persuader,
dont il pouvoit donner
des preceptes comme Aristote,
(IF des exemples comme
Demostenes, il rassuroit nos
A¡lteZ' incertains, dissipoit
les Irgues de nos ennemis,
(§£> jjLtjoit ceder aux seuLs
forces de la raison, ceux qui
étoient en état de rellff,r
aux plus puissantes armées.
Quidenousen levoyant
aujourd'hui dans ce noble repos
aquis partant de travaux
celebres, ne croit voir ce
Nestor d'Homere, qui par
les charmes desonéloquence,
&par lasagesse deses conseils
, avoit modéré si longtemps
les passions des Princes
& des Republiques,& qui
avoit esté l'amy & le compagnon
fidele des Heros de
trois âges? & dans quels
Agesy & dans quels siecles
cet illustreCardinal ne paroist-
ilpointavoirvécu?&..
Puisquenous sommes pri'
VeZ duplaisir de le oir à
nos exercices, c'est à VOUS,
Monsieur, d'en remplir la
place,tl,ujJi bien que celle de
l'excellent hommeà quivous
JucceàeXj, faites-nous part
de ces richesses qui 'VOU$ font
naturelles, & de celles que
'UOIU aveZ acquises par vos
grandsemplois dans les Païs
étrangers; montrez-nous en
quoy la Langue Franfoife
peut estre comparable
, ou
même préferée à tant d'autres
Langues qui vous sont sifamilieres.
Que l'Academie, en
vous voyant, croye voir
son illustre Doyen, & l'illustre
confrere qu'elle a
perdu. .4
Je ne crains point,Messieurs
, que l'amitié me
rende suspect sur le sujet
de MonsieurDESPREAUX..
quel éloge en puis je faire
que vous n'ayiez déja prévenu?
J'ose attester, Messieurs
,
le jugement que
tant de fois vous en avez
porté vous-mêmes ,
j'atteste
celui de tous les Peuples
de l'Europe. L'approbation
universelle
, ,
cft le plusgrand éloge
que les homimes puissent
donner à un écrivain, &
en même temps la marque
la plus certaine de la
perfection des ouvrages;
par quel heureuxsecret
peut-on acquérir cette
approbation. Monsieur
Despreaux nous l'aappris
lui-même, c'est par l'amour
du vray.
En t/Jet, ce rirft que dans
levrayfeulement que tous les
hommes je jéumjjtnt, différens
d'ailleurs dans leurs
moeurs, dans leurs prejugeT9
dans leurmaniere depenser,
d'ecrire, cV- dejuger de ceux
quiecrivent; des que le vray
paroît clairementàleursyeux,
il enleve toujours leurconsentement&
leuradmiration.
Monsieur Despreaux
avoit puisé dans la nature
même, ce Vrayqu'on ne
peut voir qu'enelle, mais
qu'elle ne laiiIè voir qu'à
les favoris.
Mais c'eiten vain qu'un
auteur choisitle vraypour
modele
,
il est toûjours sujetas'égarer,
s'il ne prend
.auLIJ laraifon pour guide:
elle apprit a Monsieur
Despréaux à éviter les excez
de Juven.al,& d'Hora- - cemême,qui avoient atta--
que les vices de leur temps
avec des armes qui faisoient
rougir la vertu. Il
osa le premier faire voir
aux hommes une satyre
fage & modeste , & renédit
sacvierausisi pturse qu.e ses .;}
Incapablededéguisement
,
dansses moeurs, comme d'affectation
dans ses ouvrages, il S'elf toûjours montré tel
qu'ilestoit, aimant mieux,
dzjoit-it> laisser voir de veritables
deffautsque de les
couvrir par de fausses vertus.
Tout ce qui choquoit la
raison oulaverité
,
excitoit
en luy-même un chagrin,
dont il n'etoit pas lemaistre,
& auquel peut estre sommes
nous redevables de ses p us
ingenieusescompositions:mais
en attaquant ce déffaut des
Ecrivains,ila toujours épargné
l urs personnes.
il croyoit permu à tout
homme qui sçait parler ou
écrire de censurer publiquementde
mauvais livres:mais
il ne regardoit qu'avec horreur
ces dangereux ennemis
du genre humain, qui sans
respectpour l'amitié,pour la
véritémême, déchirent indifféremment
tout ce qui s'offre
à leur imagination
,
(9i
qluesi du fonds des tenebrts qui
dérobent à la rigueur des
JLoix^sefont un jeu cruel de
publier les fautes les plus cac/;
éts,& de noircir les actions
lesplus innocentes.
M. Despreaux s'animoit
sur tout contre ces genres
de poësies
,
où la Religion
luy paroissoitoffensée &.
Heureux d'avoir pûd'une
même main imprimer un
oprobre éternel à des ouvrages
si contraires aux bonnes
moeurs,& donner à ],:r.vertu,
enlapersonnede notre Auguste
Monarque, des louan
ges qui nepérirontjamais.
Souvenons- nous que
nôtre siecle fera regardé
un jour du même point
d'éloignement d'où nous
regardons maintenant celuy
d'Auguste.
On ne voit que foiblement
sa gloire dans les
arcs de triomphes, médailles
& autres monumens
que ce temps a détruits
ou alterez : mais quand
on le contemple dans les
vers de Virgile & d'Horace
soûtenant luy seul tout
le poids des affaires du
monde,vainqueur de ses
1\ * ennemis, & toujours pere
de ses sujets,banissant le
vice par ses Loix, enseignant
la vertu par ses
exemples,&.
Alors les coeurs & les
esprits sereünissent pourformer
un noHveau çenctrt de
louanges. On bénit le Ciel
d'avoir donne aux hommes
un si bon Maijlre, & l'on
souhaite que tous ceux qui
viendront Aprés luy puijjtnt
luy ressembler.
N'en d,),,,tonspoint,Monsieur,
tel & plus grand encore
la posterité verra tÀuguste
Loüis dans les ouvrages
de M. Despreaux, é..
& dans ceux decette illustre
Compagnie.
PurjJt t-il encore durant
nn grand nombre d'années
préparer aux siecles à venir
-
de nouveauxsujets d'admiration;&
puisse une longue (ST
heureuse paix le mettre bientost
en estat de procureràses
peuples un bonheur qui fait
le plus cher objet deses desirs
&qui fera la consommation
desa gloire
De la Réponseque fit à
ce Discours Monsieur
de Valincour
,
Secretaire
General de la Marine,
alors Chancelier
de l'Academie.
MONSIEUR,
Le consentement unanime
de njos fufJra(es vous afait
ajJeZ voir combien nous estJeZ,
desiré, & avec quel
plaisir l' AcademieFrançoise
IVa pourlaseconde fois écrire
dans Ilof fastes
, un nom dont
elles'honore depuis tant d'années.
Quelles terres, quelles
mers quelles guerres, quelles
negociation s & pour
parler de ce qui nous convientparticulièrement,
quelles
académies peut-on citer
aujourd'huyoù l'on nftrvUve
des traces delagloire de
ce nom illustre? Qujl amour
pour lesLettres dans tous ceux
qui le portent, &qu'ils ont
Sçu joindre à tant àaéhons
éclatantes &a tant deservices
tanins à l'Etat?
§l*el
Quel exemple plus propre
à confondreégalement & la
grojjieretè barbare qui mé..
prise l'amour des Lettres,
comme indigne des Grands
Hommes, fY lA delicatesse
oisive,qui n'y cherche qu'un
amusement, frivole, ou une
vaine reputation.
N'a-t on pas vû vôtre
illustre pere donner encore
à la lecture des bons livres,
les plus doux momens
de son loisir,dansunevieillejîe
echapée à tant de combats
qu'aavoit rendusfunestesà
nos ennemis. J'ay vû ce
Frere, qui vous est sicher
adoucir les ennuisd'une lono-
ue navigation, tantôt avec
ce Poëte qui fut l'amy de Sri*
pion, tantôt avec celuy qui
fit lesdelices SAugujle *•
& à la veille d'un grand
combat étudiertranquillement
dans les Heros des terris
pastr des actions deconduite
& de valeur dont il alloit
lui-même donner de nou-
'VeAUX exemples.
Et quel honneur n'apoint
fait*uk Lettres, ce grand
Cardinaly Doyen del'Academie,
lorflue joignantà la
force d'un genie superieur,
toutes les graces & toutes
les lumieres qu'on trouve
dans le commerce des Muses,
il regnoit par la parole dans
toutes les Cours de l'Europe,
Maître dans l'art de persuader,
dont il pouvoit donner
des preceptes comme Aristote,
(IF des exemples comme
Demostenes, il rassuroit nos
A¡lteZ' incertains, dissipoit
les Irgues de nos ennemis,
(§£> jjLtjoit ceder aux seuLs
forces de la raison, ceux qui
étoient en état de rellff,r
aux plus puissantes armées.
Quidenousen levoyant
aujourd'hui dans ce noble repos
aquis partant de travaux
celebres, ne croit voir ce
Nestor d'Homere, qui par
les charmes desonéloquence,
&par lasagesse deses conseils
, avoit modéré si longtemps
les passions des Princes
& des Republiques,& qui
avoit esté l'amy & le compagnon
fidele des Heros de
trois âges? & dans quels
Agesy & dans quels siecles
cet illustreCardinal ne paroist-
ilpointavoirvécu?&..
Puisquenous sommes pri'
VeZ duplaisir de le oir à
nos exercices, c'est à VOUS,
Monsieur, d'en remplir la
place,tl,ujJi bien que celle de
l'excellent hommeà quivous
JucceàeXj, faites-nous part
de ces richesses qui 'VOU$ font
naturelles, & de celles que
'UOIU aveZ acquises par vos
grandsemplois dans les Païs
étrangers; montrez-nous en
quoy la Langue Franfoife
peut estre comparable
, ou
même préferée à tant d'autres
Langues qui vous sont sifamilieres.
Que l'Academie, en
vous voyant, croye voir
son illustre Doyen, & l'illustre
confrere qu'elle a
perdu. .4
Je ne crains point,Messieurs
, que l'amitié me
rende suspect sur le sujet
de MonsieurDESPREAUX..
quel éloge en puis je faire
que vous n'ayiez déja prévenu?
J'ose attester, Messieurs
,
le jugement que
tant de fois vous en avez
porté vous-mêmes ,
j'atteste
celui de tous les Peuples
de l'Europe. L'approbation
universelle
, ,
cft le plusgrand éloge
que les homimes puissent
donner à un écrivain, &
en même temps la marque
la plus certaine de la
perfection des ouvrages;
par quel heureuxsecret
peut-on acquérir cette
approbation. Monsieur
Despreaux nous l'aappris
lui-même, c'est par l'amour
du vray.
En t/Jet, ce rirft que dans
levrayfeulement que tous les
hommes je jéumjjtnt, différens
d'ailleurs dans leurs
moeurs, dans leurs prejugeT9
dans leurmaniere depenser,
d'ecrire, cV- dejuger de ceux
quiecrivent; des que le vray
paroît clairementàleursyeux,
il enleve toujours leurconsentement&
leuradmiration.
Monsieur Despreaux
avoit puisé dans la nature
même, ce Vrayqu'on ne
peut voir qu'enelle, mais
qu'elle ne laiiIè voir qu'à
les favoris.
Mais c'eiten vain qu'un
auteur choisitle vraypour
modele
,
il est toûjours sujetas'égarer,
s'il ne prend
.auLIJ laraifon pour guide:
elle apprit a Monsieur
Despréaux à éviter les excez
de Juven.al,& d'Hora- - cemême,qui avoient atta--
que les vices de leur temps
avec des armes qui faisoient
rougir la vertu. Il
osa le premier faire voir
aux hommes une satyre
fage & modeste , & renédit
sacvierausisi pturse qu.e ses .;}
Incapablededéguisement
,
dansses moeurs, comme d'affectation
dans ses ouvrages, il S'elf toûjours montré tel
qu'ilestoit, aimant mieux,
dzjoit-it> laisser voir de veritables
deffautsque de les
couvrir par de fausses vertus.
Tout ce qui choquoit la
raison oulaverité
,
excitoit
en luy-même un chagrin,
dont il n'etoit pas lemaistre,
& auquel peut estre sommes
nous redevables de ses p us
ingenieusescompositions:mais
en attaquant ce déffaut des
Ecrivains,ila toujours épargné
l urs personnes.
il croyoit permu à tout
homme qui sçait parler ou
écrire de censurer publiquementde
mauvais livres:mais
il ne regardoit qu'avec horreur
ces dangereux ennemis
du genre humain, qui sans
respectpour l'amitié,pour la
véritémême, déchirent indifféremment
tout ce qui s'offre
à leur imagination
,
(9i
qluesi du fonds des tenebrts qui
dérobent à la rigueur des
JLoix^sefont un jeu cruel de
publier les fautes les plus cac/;
éts,& de noircir les actions
lesplus innocentes.
M. Despreaux s'animoit
sur tout contre ces genres
de poësies
,
où la Religion
luy paroissoitoffensée &.
Heureux d'avoir pûd'une
même main imprimer un
oprobre éternel à des ouvrages
si contraires aux bonnes
moeurs,& donner à ],:r.vertu,
enlapersonnede notre Auguste
Monarque, des louan
ges qui nepérirontjamais.
Souvenons- nous que
nôtre siecle fera regardé
un jour du même point
d'éloignement d'où nous
regardons maintenant celuy
d'Auguste.
On ne voit que foiblement
sa gloire dans les
arcs de triomphes, médailles
& autres monumens
que ce temps a détruits
ou alterez : mais quand
on le contemple dans les
vers de Virgile & d'Horace
soûtenant luy seul tout
le poids des affaires du
monde,vainqueur de ses
1\ * ennemis, & toujours pere
de ses sujets,banissant le
vice par ses Loix, enseignant
la vertu par ses
exemples,&.
Alors les coeurs & les
esprits sereünissent pourformer
un noHveau çenctrt de
louanges. On bénit le Ciel
d'avoir donne aux hommes
un si bon Maijlre, & l'on
souhaite que tous ceux qui
viendront Aprés luy puijjtnt
luy ressembler.
N'en d,),,,tonspoint,Monsieur,
tel & plus grand encore
la posterité verra tÀuguste
Loüis dans les ouvrages
de M. Despreaux, é..
& dans ceux decette illustre
Compagnie.
PurjJt t-il encore durant
nn grand nombre d'années
préparer aux siecles à venir
-
de nouveauxsujets d'admiration;&
puisse une longue (ST
heureuse paix le mettre bientost
en estat de procureràses
peuples un bonheur qui fait
le plus cher objet deses desirs
&qui fera la consommation
desa gloire
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Résumé : EXTRAIT De la Réponse que fit à ce Discours Monsieur de Valincour, Secretaire General de la Marine, alors Chancelier de l'Academie.
Monsieur de Valincour, Secrétaire Général de la Marine et Chancelier de l'Académie, répond à un discours en exprimant la joie de l'Académie d'honorer à nouveau un nom illustre. Il souligne les nombreuses contributions de cette personne dans divers domaines, notamment les lettres, les guerres et les négociations. Valincour mentionne l'amour des lettres partagé par tous ceux qui portent ce nom, citant des exemples de membres éminents comme le père de l'interlocuteur et le Cardinal Doyen de l'Académie, qui ont combiné des talents littéraires et des actions héroïques. Valincour loue également Monsieur Despreaux, dont l'œuvre a reçu une approbation universelle en Europe. Despreaux est salué pour son attachement à la vérité et à la raison, évitant les excès et les affectations. Il est reconnu pour ses compositions ingénieuses et son engagement à censurer les mauvais livres sans attaquer les personnes. Despreaux est particulièrement admiré pour avoir défendu la religion et les bonnes mœurs, et pour avoir célébré la vertu du monarque. Valincour conclut en espérant que la postérité verra le roi Auguste Louis à travers les œuvres de Despreaux et de l'Académie. Il souhaite également une longue et heureuse paix pour le bonheur des peuples.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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15
p. 87-144
ARTICLE burlesque Suite du Parallele d'Homere & de Rablais.
Début :
De mesme qu'un coursier agile, drioit Homere, s' [...]
Mots clefs :
Homère, Rabelais, Parallèle, Coursier, Auteur, Temps, Livre, Boire, Prévention, Érudition, Antique, Peuple, Sublime, Hommes, Vin, Style, Grecs, Héros, Animal
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ARTICLE burlesque Suite du Parallele d'Homere & de Rablais.
ARTICLE
burlesque
Suite du Parallele d'Homere
& de Rablais.
De Mesmequ'un coursier
agile, drioit Homere
,
s'échappe quelquefois
de la jtiam fçanjante du
chartier tirannique, qui
Iattçwnt a[on Char,
l'ajjujeiuffott aux réglés
penïbles de L'art qu'inruentay
pour dompter les
chevaux le Centaure Peletroine.
De mesme un Autheur
peut s'échapper des regles
tiranniques qui donnent
tousjours des entraves
au genie, & quelquefois
des entorses au
bon fèqs.
De mesme encore que ce
Coursier échappé
,
foulant
lant d'un pied libertin
l'herbe tendredes prez
verdoyants,tantostpren-,
drasa courjè rapide ~es
legere
, comme lafleche,
qui part d'un arc,pour
volerdroit au but où l'oeil.
d'Apollon la guide., Ee
quetantost ce Coursier
bandissant,voltigeenl'airs
à.droite àgauche comme
la flamme. errante
d'une exhalaison -vagabonde
,échappéedufoudrede
fupiter.
De mesme en continuant
ce parallele j'iray
droit au but,oùje
m'en écarterayvolontairement.
De mesme encore que
ce Coursierparcourant a..
vec me[ine legerete
les plaines unies, les
montsescarpez, s'egaye
en bonds en ruades, Cf
atteint du pied lebaudet
attentif à fin chardon
sauvage.
De mesmej'attaque
ray en stile rablaisjien
quelque asnerie Homevienne
, pour delasserle
public d'une admiration
continuelle & gesnante
où l'on veut l'assujettir
en faveur des Anciens.
De mesme enfin que ce
Coursier tantost élevera
sa teste Juperbe jusqu'au
chesneJacré,pour en détacher.
de sa dent temeraire
quelque rameau
,verd
,
destinéacouronner
le Hérosy quetantost
ilbaisserahumblementsa
teste aux crinséparspour
brouter l'herbe rampante.
-
De mesme tantost sublime,
& tantostburlesque
,tantost Homere &
tantost Rablais., je parleray
leur langue en leur
donnant loüangeou blas
me sans fiel,& presque
sans prévention, je dis
presque cartous les
hommes sont nez prévenus,
oudumoinsils succent
la préventionavec
le lait.
, La préventionest litx
venin subtil,:ou,plutQ^
un animal venimeux
quiempoisonnetoutce
qu'il:mord,&' quimord,
sur tout ce qu'ilne voit,
pas:donnons-luy encore
àelle-mesmequelque;
coup de dentavant que
de commencer nostre pa-\
rallele
,
Rablais diroit
que la prévention est ui\
animal augmentatifdiminucif,
palliatif, deciissy
& rébarbatif: „or si
de cet animal
,
l'extrait
„ genealogique, sçavoir
»voulez. Sçachez-le>•
ne tient qu'à vous, il
3,
est déduit en ces Vers
„ cy-dessousinscrits :
ChezLuciserjadis eut
accointance
Messer orguëil avec dame
ignorance.
En lignegauche, jijït de
;, cette engence
Tille perverse en-fil foJ/ei
arrogance ,>
PrcventionfurjOn om
.., quejepensè,
Qr Dieuvousgarddesa,
p-rédominance.
Mais continueroit«
Rablais
, ventre beuf, «
voilà bien parler sans «
boire, je n'entends icy«
i
vocilonner à mes oreil- «
les que ce motpréven-«
tkon,,parcyprevention, «
par la prévention pour"-
les Grecs, prévention«
pour les Latins. Hola,
9y
hola) prévention,est
,
»Heresie, & ne veut
„ croirepersonneheretique
en belles Lettres
„ que ne m'ayez démon-
»tré par ou) comment,
„ & pourquoy:car quel
>y-motif mouvant peut
» démouvoir ces aucuns
'}' Letrez àpreconiser Se
35 proner à érripegosier
3i
les Ecrivains antiques,
3i qu'en revient-il à ces
,; preneurs? ',. -',
1 Le
A cela vais vous ré-cc
partir en bref, mais a-"
vant parler,veux ob-cc
ferver la premièrere- «
glè des éloquents par- «
leurs& harangueurs,«
toussir, cracher,& se «
silentier un moment,«
fmnfium cum virgula, «
pour reprendre haleine.
«
Je vais narrer veri-«
diquement ce qu'en«
c'est tout un , en fait
,,de Relations lointainyy
nes.
Au fond des Indes
„orientales ou occiden-
51
tales, ou imaginaires ;
,,car bonnement avoue-
,, ray que ne sçais autre
„
Geografie que des païs
à bons vignobles, où
,
yy
je voyage volontiers:
aux Indes donc, deux
yy
peuples y a, dont l'un
,,
desire sans cesse dominer
& ravillir l'autre;
parce que l'autre don- c?
ne jalousie à l'un, com-«
me Jun en donne à«
l'autre, sique ce Tau-ff
tre & ce 1 un, sont en «
guerre l'un contre l'au-«
tre. «
Or devinez ce qui cc
excite noise entre ces«
deux peuples, ce font"
des riens, petits riens, «
motifs de rien, comme«
qui diroit d'interest«
de gloire, &C devolup-«
té; ceux-cy se faschent«
,, que le terroir des au-
„ tres fertilise abondam-
", ment par son propre
„ fond, & sans engrais,
,, siqu'il produit soudai-
„ncmcr.r ,
& au rao-
"lllent que besoin est,
,,fruits fàvourtux, &
„ fleurs gentilles, que ne produit mie le ter-
„ roir des autres; mais
„ ceux dont le terroir est
„sterile, sont en recom-
,, pense, bons pourvo-
„ yeurs & grands provisionneurs;
si que ne re- c:
cuëillant rien de leur«
cru,sçavent tirer des
contrées estrangeres
, «
fruits & grains dont«.
ils emplissent granges, «
& fruitiers, & par ain-«
si sont plus, quoyque«.
non mieux, approvi-«
sionnez que ceux dont
leterroir produit. cc
Notez illec, ô Lecteur.
attentif, qu'en u- cc:
sant icy des mots deCf.
fruits, grains, & ter,,
mes pareils, c'est élo- ,,cution allegorique & „symbolique, qui signi-
;, fic belles productions
d'esprit, &solides oeu-
"vres de gens lettrez. ,,Disons donc que le ter- roir ,
id efi, les cer-
"vaúx & caboches de
;, l'un de ces peuples sont
;)--plus fertiles en produc-
„ tions, & que l'autre
„
peuple est opulent en
„
collections & maga-
„zins scientifiques.
iCe dernier peupleest
plus puissant que Tau-cc
tre ;' pource qu'il estcr
plus nombreux, & il
estplus nombreux t:
pource que plus de
gens ont faculté collec-(cc
tive, & moins de gens
ont facultéproductive,
selon la regle que plus
de gens ont ce qu'est
plus faciled'avoir,sont
toutefois grandelTICfitc
louables ces collecteurs
quant doctement& là-'
„gementsçavent user
",de leur talent collectif,
w-mais mieux louange-
„ ray certes, tel qui join-
„dra production à col- „leâion comme aucuns
»y a.
„ Les deux peuples dont
est questionsont nom- ,,mez par maint hifto-
„ riens les Produisants,
„ & les Eruditionnez.
„ Voyons maintenant ce
3,
qui rend si commune
"parnlY les Erudition.
nez,la maladie qu'on(C
appellepréventiongrec-«
que, c'est la mon tex-«
te.,Jay long tempstour «
noyé pour y venir :ab tc.
regeons matierede«.
peur que l'ennuy rie"
vousgagne. S'ilvous"
a desja atteint, beuvez«
un coup,bon vin de^r^
ennuye le Leéteur&j'«
l'Ecrivain;&devrait-«
on, pour écrire joyeu-«
sement,boire par apo* à
stille à chaque page, 1c
93 mais comme boire tant
& ne PUIS, au moins en ”parleray souvent, car
» le refrain & l'énergie
33
du langage Rablaifien,
c'est à boire à boire,
33 du vin du vin.
» Où en estions - nous,
«jay perdu la tramon-
» tane, vite vite ma bouf
” fole, prévention, pré-
” vention,voilà le mot:
33 pourquoy en sont
-
ils
» si embrelicoquez en-
” vers les Anciens? oh
c'est pour troismille «
quatre cents vingt-«
deux raisons & demie,«
ne vous en diray pour « lepresentque les deux «
& demie, car l' horlo-«
ge tonner c'est l'heu-"
re de boire.«
Primo les Erudition«
nez sont semblables «
aux taverniers
,
les«
quels les ans passez,«
s'estant munis de vins «
maintenant antiques,«
crient aux biberons
, «
„ plorez & deplorez la
»perte de ces vieux
33
septs de vigne,qui ja-
33
dis produisoient les
,,mirifiques vins, dont
„avons en cave les ori-
33 ginaux : helas n'en
„viendra plus de tels,
„car en l'an du grand
„hiver - font peris par
»gelée ces vieux sou-
„chons & sarments,
,,& avec iceux a peri
33 tout espoir de bonne „vendange.
Ainsi les Erudition-«
nneezzts'5éc'ércierinetnecnenddé-écce
criant toutes produc- ce
tions modernes pour cc
mieux s'acrediter, bc«
avoirdebit des vieilles
cc provisions& denrées
ce
antiques desquelles
cc leurs magazins fontcc
surchargez. «
Secundo Posons le casc,
que puisse y avoir, un ce
Eruditionné de petite ce
stature, il toutefois sece
ra ambitieusement dece
9j
fireux de paraître plus
» grand qu'un produis
33
sant de riche taille,
» que feral'Eruditionné
»ballet, Il grinpera sur
lesépaules d'un an-
33
cien, commesinge sur
»Eléfant, or ainsi grin-
»pé sur sur un ancien,.
33
Plus cet anciensera.
» grand, plus le grinpé-
» sus fera elevé, & plus
» dominera de haut en
» bas le produisant mo-
33
derne.
Voyez par la qu'Interest
eurent de proner «
antiques oeuvres, ence
tous les temps Pays & et
moeurs, les Erudition- »
nez. ce
ilsfont d'Homère
UnDràmadere, S'imaginant que sur son dos
montez
Haut élevez ,grimpez, juchez
%Zut'H^cK>
Ils prendront haute place
Au coupeau du Parnasse
S'associant à , cet Autheur fameux
,
Disantde luy toutce qu'ils
pensentd'eux;
ils l'éternisent,
Le divinisent
Puis par droit de societe
Partagentsadivinité.
Cesupposant tous bons Ecrits
modernes
Sont prés des leurshumaines
balivernes.
»
Parlons naturelle-
» ment, on a poussé
33
troploinl'entestement
»pour Homere ,on
93 ne peut nierque puis-
»
qu'on lalôiié dans tous
les
les temps.iln'aitme- «
rited'estreloüé
,
aussi «
le louerai je, l'admire- ICC
rai-je & l'aimerai
- je
jusquà l'adoration,ex«
clusivement.«
Homere est le Gargantua
des Erudition-«
rJe, ils le fontsi grand cc
qu'enrendant son me-«
rite gigantesque ; ils ccenostentla
vrai ressem «
blance.
; Rabelais a eu ses Eruditionmés
aussi bien.«.
, „ qu'Homere & si Ale-
,,
xandre avoit toujours
33 un Homere sous son
;, chevet, le Chancelier
»duPratportoittoûjours
un Rabelais dans sa
„ poche.
„ Alcibiades questio-
, nant un jour un Pro-
"fesseur sur quelques
Vers d'Homere.Le
yy
Professeurrespondit
;, qu'il ne le lisoit point,
»Alcibiades luy donna
»unsoufletpourlepunir
d'oser professer les ici-cf
ences ,
sans avoir chez«
luy le livre des Sça-«
vants le livreunique «
le livre par excellence. «
J, Le Cardinal du Belay
qu'on prioitd'admetre «
a sa Table certain«
Homme de Lettres,«
demanda en parlant«
de Rabelais qu'onap-!cc
peloit aussi le livre unique,
lelivre par Ex- «
silence, cet Homme«
que vousvoulezadmet«
33
tre àmaTabte a-t-illû;
33
le Livre. non-luy res
pondit on, qu'on le fas
33 se donc dineravec mes
33 gens, reprit le Cardin
33
liai ne croyant pa£
3,
qu'on putestreScavant
»sans avoir lû Rabelais
,,. Ces traits de préven-
»tions me paroissent en
»core plus forts pour »Rabelais qui vivoit alors
que pour Homere
33 qui du tempsd'Ale-
» xandre avoit deja plurieurs
siecles d'antiquité,
antiquité qui,com-«
me nous avons déjà dit
jete sur les ouvragesun«
voile obscur& favorable
aux Allegories.
Grande ressource à «
ceux qui veulent trou.cc,
ver du merveilleux &C «
du grand dans les pe-«
titesses mesme qui é- «
chapent aux plus ex""ci
celents Autheur. «
Rabelais a cela, de
communavec Homi,it
JI':}.
»re,quonacruvoir Al;.¡
» legoriojuement dans son
5> Livre des Sistemes en-
„ tiersd'Atfronomie, de
»Fi/îque
,
de la pièrre
MFilofofale même, que
» quelques Alchimistes
J) ont trouvédans notre
w Auteurcomique,com-
» me d'autres l'ont trou-
«vé dans le Prince de
»Poètes. w c-
J'ayconuun Rabelais
Pi lien outré, qui dans
» une tirade de deux cent
noms de jeux qu'on«
apprend à Pentagruel, «
croyoitvoirsurchaque «
mot une explication «
Historique, Allegori- «
que & Morale, il est,
pourtant visible que
Rabelais n'a eudessein «
en nommant tousces «
jeux que de faire voir «
qu'il les scavoit touss «
car dans ces temps où et lesScavans estoient «
rares, ils se faisoient«
bonneurde détaillerdeit
»dénombrer
,
de citer
» à tous propos, & d'é-
» tendre,pourainsidire,
»leurs Erudition, jus-
» que dans les moindres
»Arts.Il faut croire pour
la Juftificaticn d'Hor
»mere, qu'il vivoit dans
„ un temps a peu pres
» pareil, car il est grand
„ Enumerateur,&grand
»detailliste
,
diroit Ra-
» belais
,
Homere &moy
»pouvonsestreabon droit
»Paralellt(èz>,en ceque
Jommcs
sommes par ?iaiure tant
joit peu beaucoup digresfionneurs
&babillards.
Nous parlerons en
temps &lieu,c'est àdire,
quand l'occasion s'en
presentera
,
des digressîons,
& des énumerations
dont nos deux Autheurs
sont pleins;il yen aquelques-unes dansRabelais
dont chaque mot
porte son application
bonne ou mauvaise. , Ces titres de Livres par
exemple dont il compose
une Biblioteque critique.
LesfaribolesduDroit
L'Almanac desgouteux,
Le boutevent des Alchimisses
Le limassondes rimasseurs
Les pois au lard comme
comento
Le tirepet des Apotiquaires,
Lamusèliere de noblesse
De montardapost pran00
diumset-vienda>
Malagranatum viîiorum,
.,up11
Les Houseaux,alias les botes de patience
Decrotatoriu Scolarium.
Barbouilla-mentaScoti.
l'HistoiredesFarfadets.
Oncomprend bien qu'-
il peut y avoir parraport
au temps de Rabelais,
plus de selque nous n'en
sentons dans ces critiques
badines, mais la fadeur
, ÔC la platitude
d'uneinfinité d'autres
nous doivent faire conclure
que si Rabelais
estoitun excellent comiquéx:
n quelques endroits
ilestoit en quelques autres
tres mauvais plaisant.
Ces prévenus conclueront
au contraire
, que
le sublime incontestable
d'Homere
, nous est garant
de 1 excellenceoculte
de ce qui nous paroist
mediocre, ils ajousteront
que les endroits les plus
obscurs pour nous brillent
pour eux desplus
vives lumieres : ne soutiendront-
ils point audi
diroit Rabelais,qul^c^
mere ne laissoit pas de
voir clairquoyqu'ilfust
aveugle ?
Je viens de commencer
mon Parallele, par
la premiere idée qui s'est
presentée, je l'avois bien
promis, on ne meverra
point prendre d'un air
grave la balance en main
pour peser scrupuleusement
jusqu'aux moindres
parties qui doivent
entrer dans la composition
d'un poëme
,
je devois
examiner d'abord le
choix du sujet, l'ordonnance
,
les situations, les
caracteres, les pensées,le
stile,& tant d'autres
choses dont jene fais pas
mesme icy une énumeration
par ordre de peur
de paroistre troparrangé
dans un Parallele que
j'ay entrepris par amusement,
& qui nemeriteroit.
pas d'estre placé
dans mon article burlesque,
s'il estoitserieux &C
régulier.
Voicy donc la methode
que je vais suivre
dans cette composition.
J'ay sur ma table mon
Rabelais,& mon Homere
5
portons au hasard la
main surl'un ou sur l'autre
,
je tiens un Volume
qu'y trouvay je à l'uverture
du Livre, voyons
,c'est unpere qui
parle à son fils, devinez
si. cette éloquence est
d'Homere ou de Rabelais.
Je te rappelle auprès de
moy ,
j'interromps laferveur
de tes etudes,je l'
racheaureposFilosofique,
mais j'aibesoin de toy, Ç$9
je fuis ton pere,j'avois
esperé de voir couler doucement
en Paix mes dernveres
annees me confiant
en mes amisCfanciens
confederez , mais fèiïr
perfidie a jruflrelafetife- tidemavkiilejfejelleeif
lafatàledefïrneèdâVtibm*
me >
queplus ilsoit irt±
quiete, par ceux en qui
plus ilsereposoit : rvierts
donc, quitte tes Livres
pourvenirme defendre ,
car ainsi comme débité
font les armes au dehors,
otfrie conseiln'est dans la
mmfmyainsi vaine est
l'estude, & leconseil inutile
,
qui en temps oportunarvertu
ricji mil.
execution.
deMproavodqéuliebrémraatiisodn'raipeasi-t
ser, non a"assa,¡¡ir mais
de defendre, non de conquerir
maisdegardermes
feaux sujets
,
(jf terres
hereditaires contre mes
ennemis.
J'ay envoié vers eux
amiablement pour leurs
offrir tous ce que jej?uîs,
f5Plus quejene dois, &
n'ayanteu d'eux autre re- *ponse que de volontaire
& jalouse défiance, par
làjevois que tout droit
desgens est en eux deve.,
nu droit de force & de
bienseancesurmes terres,
donc je connois que les
Dieux les ont abandonné
à leurpropresens qui ne
peutproduirequedejJeini
iniques, si par inspiration
divine
,
nestconti-
&ueUernent guide.
Ne croyez vous pas entendre
parler icy le sage
Nestor dans le sublime
Homere
, ce n'est pourtant
que le pere de Gargantua
qui parle dans le
comique Rabelais.
Je n'y ay changé que
quelques mots du vieux
stile
, on peut juger parlàque
Rabelaiseustesté
un bon Autheurserieux.
Homere eust-il esté un
bon Autheur burlcA
que? Pourquoy non s'il
l'eust voulu, il la bien
elle quelquefois sans le
vouloir. Je pourray danslasuite
citeren badinant
quelqu'un deces endroits
burlesques
,
mais commençons
par admirer serieusementcet
excellent
homme qui a sçu concilier
dailSfan vaste genie,
lesfaillies les plus vives
de l'entousiasme poëtique
, avecle bon sens
& la sagesse de l'orateur,
le plus consommé.
Voicy comme il fait
parlerNestor pour appaifer
Achile en colere, &,
Agamemnon poussé à
bout, au moment qu'ils
alloient se porter l'un
contre l'autre à des extremitez
funesstes.
O quelle douleurpour
la Greces s'écrie touta coup
Nestor
,
if quelle joye
pour les Troyens, ils
viennentà apprendre lesl
dissènsionsdesdeux hom-1
mes quifont au dessus deI
tous les autres Grecs par
la prudence ifparle courage,
mais croyeZ moy
tous deux, car vouselles
plus jeunes, Çffmfrequente
autrefois des hommes
qui valoient mieux
que vous, fic.qui ne meprisoient
pas mesconfedsy
nonjenayjamaisveu&
ne verray jamais de si
grands personnages que
PirritousyPolifeme, égal
aux Dieux, Thess fils
d'Egéefemliableaux immorlelstjfc.
Voilalesplus
vaillans hommes que la
terre ait jamais port£{,
mais s'ils estoientvaillants,
ilscombatoientauJJi
contre des Ennemis trèsvaillants,
contre les Centaures
des montagnes
dont la defaite leursaacquis
un nom immortel,
tess avec cesgens là que fay vécu. Je tafchois de
lesegalerselon mesforces,
f5 parmy tous les tommesquifontaujoura'huy
il î,j en a pas un qpii
tufr op leur rien députer
terycependant quoyque jesulfefortjeune, ces
grands hommesecoutoient
mes conseils ,fui'vez.., leur
exemple, car cestle meilleur
parti, vous, Agamemnon,
quoique leplus
puissant, n'enle('1JeZpoint
a Achile la fille que les
Grecs lui ont donnee, f$
tV9usfils de Pelee, ne vous
attaquez, point au Roi,
car, de tous les Rois qui
ont portele Sceptre, eS
jue Jupiter a elevez, à
cette gloire, il riy en a
jamaiseu desigrandque
luysivous avezplus de
valeur, fj)Jî vous estes
fis d'une Deesse, il est
plus puissantparce qml
commande aplusdepevoples
;fils )Atne-¿¡ppair
fiZrvoftre cotere, es je
vaisprier Achile defur*
monter la sienne, caril
est le plusfermerampart.
des Grecs dans les fanglants
Combats.
Le début de ce discours
deNestor peut servir
de modelepour, Je
simple vrayment sublime,
avec quel art enfuite
Nçiflor impose t-ilà
ces deux Rois, en leur
insinuant que de plus
grands hommes qu'eux
ont cru sesconseils,
lors mesme qu'il estoit
encore tres jeune? La
Critique ordinaire qui a
si fort blâmé les invectives,
& les injuresqu'-
Homèremetsi souvent
dans la bouche de ses
Heros, trouvera Nestor
imprudentd'offenserluy
mesme ceux quil veut
reconcilier
, en leur disant
en face qu'il y a eu
de plus grandshommes
qu'eux, & a qui ils riauroient
ose rien disputer,
mais supposons qu'en ce
temps-là les hommesaccoutumez
adirer à s'entendre
dire des veritez
, eussent allez de bOl111eJ
foy & degrandeurdame
pour ne se point faf
cher qu'on reduifift leuc
heroisme à sa juste va
leur.
-
Cela supposé, quelle
force d'éloquence a Ne
stor, & quelle hauteur
de sèntiment ,d'humilier
ainsi Agamemnoii
ôcAchile, pour les foumettre
à' Ces conseils
Mais il nest pas vrayfeilblable,
dira-t-on que
des; Héros soussrissent
p^tiÊimnejftt une offense,
mais répondrai-je,
la vérité ne les offensoit
jamais,c'estoit les
moeurs de ce temps-là
ou du moins il estoit
beau a Homere de les
feindre telles, lesnostres
font bien plus polies; j'en
conviens, mais qu'est-ce
que la politesse ? la poli
tessen'est que l'art d'in.
sinuer la flaterie & le
mensonge,c'est l'art d'avilir
les âmes, & dénerver
l'heroifineGaulois,
dont: la grandeur consiste
à ne vouloir jamais
paroistre plus grand qu'
on n'est, & à ne point:
induire les autres à vouloir
paroistre plus grands
quilsnefont.
Voicy l'occasion d'examiner
si Homere a
bien conneu en quoy
doit consister la grandeur
d'un Héros. Mais
cela me meneroit plus
loin que je ne veux, j'iraipeut-
estre dans la suite
aussi loin que ce parallèlepouKiro'fne
mener:
mais te me fuisreftraint
alien cfqhijer dans-chaque
Mercurequ'à, peu
présautantqu'il adans el1 celui
- cy,. ma
tascheest remplie.
burlesque
Suite du Parallele d'Homere
& de Rablais.
De Mesmequ'un coursier
agile, drioit Homere
,
s'échappe quelquefois
de la jtiam fçanjante du
chartier tirannique, qui
Iattçwnt a[on Char,
l'ajjujeiuffott aux réglés
penïbles de L'art qu'inruentay
pour dompter les
chevaux le Centaure Peletroine.
De mesme un Autheur
peut s'échapper des regles
tiranniques qui donnent
tousjours des entraves
au genie, & quelquefois
des entorses au
bon fèqs.
De mesme encore que ce
Coursier échappé
,
foulant
lant d'un pied libertin
l'herbe tendredes prez
verdoyants,tantostpren-,
drasa courjè rapide ~es
legere
, comme lafleche,
qui part d'un arc,pour
volerdroit au but où l'oeil.
d'Apollon la guide., Ee
quetantost ce Coursier
bandissant,voltigeenl'airs
à.droite àgauche comme
la flamme. errante
d'une exhalaison -vagabonde
,échappéedufoudrede
fupiter.
De mesme en continuant
ce parallele j'iray
droit au but,oùje
m'en écarterayvolontairement.
De mesme encore que
ce Coursierparcourant a..
vec me[ine legerete
les plaines unies, les
montsescarpez, s'egaye
en bonds en ruades, Cf
atteint du pied lebaudet
attentif à fin chardon
sauvage.
De mesmej'attaque
ray en stile rablaisjien
quelque asnerie Homevienne
, pour delasserle
public d'une admiration
continuelle & gesnante
où l'on veut l'assujettir
en faveur des Anciens.
De mesme enfin que ce
Coursier tantost élevera
sa teste Juperbe jusqu'au
chesneJacré,pour en détacher.
de sa dent temeraire
quelque rameau
,verd
,
destinéacouronner
le Hérosy quetantost
ilbaisserahumblementsa
teste aux crinséparspour
brouter l'herbe rampante.
-
De mesme tantost sublime,
& tantostburlesque
,tantost Homere &
tantost Rablais., je parleray
leur langue en leur
donnant loüangeou blas
me sans fiel,& presque
sans prévention, je dis
presque cartous les
hommes sont nez prévenus,
oudumoinsils succent
la préventionavec
le lait.
, La préventionest litx
venin subtil,:ou,plutQ^
un animal venimeux
quiempoisonnetoutce
qu'il:mord,&' quimord,
sur tout ce qu'ilne voit,
pas:donnons-luy encore
àelle-mesmequelque;
coup de dentavant que
de commencer nostre pa-\
rallele
,
Rablais diroit
que la prévention est ui\
animal augmentatifdiminucif,
palliatif, deciissy
& rébarbatif: „or si
de cet animal
,
l'extrait
„ genealogique, sçavoir
»voulez. Sçachez-le>•
ne tient qu'à vous, il
3,
est déduit en ces Vers
„ cy-dessousinscrits :
ChezLuciserjadis eut
accointance
Messer orguëil avec dame
ignorance.
En lignegauche, jijït de
;, cette engence
Tille perverse en-fil foJ/ei
arrogance ,>
PrcventionfurjOn om
.., quejepensè,
Qr Dieuvousgarddesa,
p-rédominance.
Mais continueroit«
Rablais
, ventre beuf, «
voilà bien parler sans «
boire, je n'entends icy«
i
vocilonner à mes oreil- «
les que ce motpréven-«
tkon,,parcyprevention, «
par la prévention pour"-
les Grecs, prévention«
pour les Latins. Hola,
9y
hola) prévention,est
,
»Heresie, & ne veut
„ croirepersonneheretique
en belles Lettres
„ que ne m'ayez démon-
»tré par ou) comment,
„ & pourquoy:car quel
>y-motif mouvant peut
» démouvoir ces aucuns
'}' Letrez àpreconiser Se
35 proner à érripegosier
3i
les Ecrivains antiques,
3i qu'en revient-il à ces
,; preneurs? ',. -',
1 Le
A cela vais vous ré-cc
partir en bref, mais a-"
vant parler,veux ob-cc
ferver la premièrere- «
glè des éloquents par- «
leurs& harangueurs,«
toussir, cracher,& se «
silentier un moment,«
fmnfium cum virgula, «
pour reprendre haleine.
«
Je vais narrer veri-«
diquement ce qu'en«
c'est tout un , en fait
,,de Relations lointainyy
nes.
Au fond des Indes
„orientales ou occiden-
51
tales, ou imaginaires ;
,,car bonnement avoue-
,, ray que ne sçais autre
„
Geografie que des païs
à bons vignobles, où
,
yy
je voyage volontiers:
aux Indes donc, deux
yy
peuples y a, dont l'un
,,
desire sans cesse dominer
& ravillir l'autre;
parce que l'autre don- c?
ne jalousie à l'un, com-«
me Jun en donne à«
l'autre, sique ce Tau-ff
tre & ce 1 un, sont en «
guerre l'un contre l'au-«
tre. «
Or devinez ce qui cc
excite noise entre ces«
deux peuples, ce font"
des riens, petits riens, «
motifs de rien, comme«
qui diroit d'interest«
de gloire, &C devolup-«
té; ceux-cy se faschent«
,, que le terroir des au-
„ tres fertilise abondam-
", ment par son propre
„ fond, & sans engrais,
,, siqu'il produit soudai-
„ncmcr.r ,
& au rao-
"lllent que besoin est,
,,fruits fàvourtux, &
„ fleurs gentilles, que ne produit mie le ter-
„ roir des autres; mais
„ ceux dont le terroir est
„sterile, sont en recom-
,, pense, bons pourvo-
„ yeurs & grands provisionneurs;
si que ne re- c:
cuëillant rien de leur«
cru,sçavent tirer des
contrées estrangeres
, «
fruits & grains dont«.
ils emplissent granges, «
& fruitiers, & par ain-«
si sont plus, quoyque«.
non mieux, approvi-«
sionnez que ceux dont
leterroir produit. cc
Notez illec, ô Lecteur.
attentif, qu'en u- cc:
sant icy des mots deCf.
fruits, grains, & ter,,
mes pareils, c'est élo- ,,cution allegorique & „symbolique, qui signi-
;, fic belles productions
d'esprit, &solides oeu-
"vres de gens lettrez. ,,Disons donc que le ter- roir ,
id efi, les cer-
"vaúx & caboches de
;, l'un de ces peuples sont
;)--plus fertiles en produc-
„ tions, & que l'autre
„
peuple est opulent en
„
collections & maga-
„zins scientifiques.
iCe dernier peupleest
plus puissant que Tau-cc
tre ;' pource qu'il estcr
plus nombreux, & il
estplus nombreux t:
pource que plus de
gens ont faculté collec-(cc
tive, & moins de gens
ont facultéproductive,
selon la regle que plus
de gens ont ce qu'est
plus faciled'avoir,sont
toutefois grandelTICfitc
louables ces collecteurs
quant doctement& là-'
„gementsçavent user
",de leur talent collectif,
w-mais mieux louange-
„ ray certes, tel qui join-
„dra production à col- „leâion comme aucuns
»y a.
„ Les deux peuples dont
est questionsont nom- ,,mez par maint hifto-
„ riens les Produisants,
„ & les Eruditionnez.
„ Voyons maintenant ce
3,
qui rend si commune
"parnlY les Erudition.
nez,la maladie qu'on(C
appellepréventiongrec-«
que, c'est la mon tex-«
te.,Jay long tempstour «
noyé pour y venir :ab tc.
regeons matierede«.
peur que l'ennuy rie"
vousgagne. S'ilvous"
a desja atteint, beuvez«
un coup,bon vin de^r^
ennuye le Leéteur&j'«
l'Ecrivain;&devrait-«
on, pour écrire joyeu-«
sement,boire par apo* à
stille à chaque page, 1c
93 mais comme boire tant
& ne PUIS, au moins en ”parleray souvent, car
» le refrain & l'énergie
33
du langage Rablaifien,
c'est à boire à boire,
33 du vin du vin.
» Où en estions - nous,
«jay perdu la tramon-
» tane, vite vite ma bouf
” fole, prévention, pré-
” vention,voilà le mot:
33 pourquoy en sont
-
ils
» si embrelicoquez en-
” vers les Anciens? oh
c'est pour troismille «
quatre cents vingt-«
deux raisons & demie,«
ne vous en diray pour « lepresentque les deux «
& demie, car l' horlo-«
ge tonner c'est l'heu-"
re de boire.«
Primo les Erudition«
nez sont semblables «
aux taverniers
,
les«
quels les ans passez,«
s'estant munis de vins «
maintenant antiques,«
crient aux biberons
, «
„ plorez & deplorez la
»perte de ces vieux
33
septs de vigne,qui ja-
33
dis produisoient les
,,mirifiques vins, dont
„avons en cave les ori-
33 ginaux : helas n'en
„viendra plus de tels,
„car en l'an du grand
„hiver - font peris par
»gelée ces vieux sou-
„chons & sarments,
,,& avec iceux a peri
33 tout espoir de bonne „vendange.
Ainsi les Erudition-«
nneezzts'5éc'ércierinetnecnenddé-écce
criant toutes produc- ce
tions modernes pour cc
mieux s'acrediter, bc«
avoirdebit des vieilles
cc provisions& denrées
ce
antiques desquelles
cc leurs magazins fontcc
surchargez. «
Secundo Posons le casc,
que puisse y avoir, un ce
Eruditionné de petite ce
stature, il toutefois sece
ra ambitieusement dece
9j
fireux de paraître plus
» grand qu'un produis
33
sant de riche taille,
» que feral'Eruditionné
»ballet, Il grinpera sur
lesépaules d'un an-
33
cien, commesinge sur
»Eléfant, or ainsi grin-
»pé sur sur un ancien,.
33
Plus cet anciensera.
» grand, plus le grinpé-
» sus fera elevé, & plus
» dominera de haut en
» bas le produisant mo-
33
derne.
Voyez par la qu'Interest
eurent de proner «
antiques oeuvres, ence
tous les temps Pays & et
moeurs, les Erudition- »
nez. ce
ilsfont d'Homère
UnDràmadere, S'imaginant que sur son dos
montez
Haut élevez ,grimpez, juchez
%Zut'H^cK>
Ils prendront haute place
Au coupeau du Parnasse
S'associant à , cet Autheur fameux
,
Disantde luy toutce qu'ils
pensentd'eux;
ils l'éternisent,
Le divinisent
Puis par droit de societe
Partagentsadivinité.
Cesupposant tous bons Ecrits
modernes
Sont prés des leurshumaines
balivernes.
»
Parlons naturelle-
» ment, on a poussé
33
troploinl'entestement
»pour Homere ,on
93 ne peut nierque puis-
»
qu'on lalôiié dans tous
les
les temps.iln'aitme- «
rited'estreloüé
,
aussi «
le louerai je, l'admire- ICC
rai-je & l'aimerai
- je
jusquà l'adoration,ex«
clusivement.«
Homere est le Gargantua
des Erudition-«
rJe, ils le fontsi grand cc
qu'enrendant son me-«
rite gigantesque ; ils ccenostentla
vrai ressem «
blance.
; Rabelais a eu ses Eruditionmés
aussi bien.«.
, „ qu'Homere & si Ale-
,,
xandre avoit toujours
33 un Homere sous son
;, chevet, le Chancelier
»duPratportoittoûjours
un Rabelais dans sa
„ poche.
„ Alcibiades questio-
, nant un jour un Pro-
"fesseur sur quelques
Vers d'Homere.Le
yy
Professeurrespondit
;, qu'il ne le lisoit point,
»Alcibiades luy donna
»unsoufletpourlepunir
d'oser professer les ici-cf
ences ,
sans avoir chez«
luy le livre des Sça-«
vants le livreunique «
le livre par excellence. «
J, Le Cardinal du Belay
qu'on prioitd'admetre «
a sa Table certain«
Homme de Lettres,«
demanda en parlant«
de Rabelais qu'onap-!cc
peloit aussi le livre unique,
lelivre par Ex- «
silence, cet Homme«
que vousvoulezadmet«
33
tre àmaTabte a-t-illû;
33
le Livre. non-luy res
pondit on, qu'on le fas
33 se donc dineravec mes
33 gens, reprit le Cardin
33
liai ne croyant pa£
3,
qu'on putestreScavant
»sans avoir lû Rabelais
,,. Ces traits de préven-
»tions me paroissent en
»core plus forts pour »Rabelais qui vivoit alors
que pour Homere
33 qui du tempsd'Ale-
» xandre avoit deja plurieurs
siecles d'antiquité,
antiquité qui,com-«
me nous avons déjà dit
jete sur les ouvragesun«
voile obscur& favorable
aux Allegories.
Grande ressource à «
ceux qui veulent trou.cc,
ver du merveilleux &C «
du grand dans les pe-«
titesses mesme qui é- «
chapent aux plus ex""ci
celents Autheur. «
Rabelais a cela, de
communavec Homi,it
JI':}.
»re,quonacruvoir Al;.¡
» legoriojuement dans son
5> Livre des Sistemes en-
„ tiersd'Atfronomie, de
»Fi/îque
,
de la pièrre
MFilofofale même, que
» quelques Alchimistes
J) ont trouvédans notre
w Auteurcomique,com-
» me d'autres l'ont trou-
«vé dans le Prince de
»Poètes. w c-
J'ayconuun Rabelais
Pi lien outré, qui dans
» une tirade de deux cent
noms de jeux qu'on«
apprend à Pentagruel, «
croyoitvoirsurchaque «
mot une explication «
Historique, Allegori- «
que & Morale, il est,
pourtant visible que
Rabelais n'a eudessein «
en nommant tousces «
jeux que de faire voir «
qu'il les scavoit touss «
car dans ces temps où et lesScavans estoient «
rares, ils se faisoient«
bonneurde détaillerdeit
»dénombrer
,
de citer
» à tous propos, & d'é-
» tendre,pourainsidire,
»leurs Erudition, jus-
» que dans les moindres
»Arts.Il faut croire pour
la Juftificaticn d'Hor
»mere, qu'il vivoit dans
„ un temps a peu pres
» pareil, car il est grand
„ Enumerateur,&grand
»detailliste
,
diroit Ra-
» belais
,
Homere &moy
»pouvonsestreabon droit
»Paralellt(èz>,en ceque
Jommcs
sommes par ?iaiure tant
joit peu beaucoup digresfionneurs
&babillards.
Nous parlerons en
temps &lieu,c'est àdire,
quand l'occasion s'en
presentera
,
des digressîons,
& des énumerations
dont nos deux Autheurs
sont pleins;il yen aquelques-unes dansRabelais
dont chaque mot
porte son application
bonne ou mauvaise. , Ces titres de Livres par
exemple dont il compose
une Biblioteque critique.
LesfaribolesduDroit
L'Almanac desgouteux,
Le boutevent des Alchimisses
Le limassondes rimasseurs
Les pois au lard comme
comento
Le tirepet des Apotiquaires,
Lamusèliere de noblesse
De montardapost pran00
diumset-vienda>
Malagranatum viîiorum,
.,up11
Les Houseaux,alias les botes de patience
Decrotatoriu Scolarium.
Barbouilla-mentaScoti.
l'HistoiredesFarfadets.
Oncomprend bien qu'-
il peut y avoir parraport
au temps de Rabelais,
plus de selque nous n'en
sentons dans ces critiques
badines, mais la fadeur
, ÔC la platitude
d'uneinfinité d'autres
nous doivent faire conclure
que si Rabelais
estoitun excellent comiquéx:
n quelques endroits
ilestoit en quelques autres
tres mauvais plaisant.
Ces prévenus conclueront
au contraire
, que
le sublime incontestable
d'Homere
, nous est garant
de 1 excellenceoculte
de ce qui nous paroist
mediocre, ils ajousteront
que les endroits les plus
obscurs pour nous brillent
pour eux desplus
vives lumieres : ne soutiendront-
ils point audi
diroit Rabelais,qul^c^
mere ne laissoit pas de
voir clairquoyqu'ilfust
aveugle ?
Je viens de commencer
mon Parallele, par
la premiere idée qui s'est
presentée, je l'avois bien
promis, on ne meverra
point prendre d'un air
grave la balance en main
pour peser scrupuleusement
jusqu'aux moindres
parties qui doivent
entrer dans la composition
d'un poëme
,
je devois
examiner d'abord le
choix du sujet, l'ordonnance
,
les situations, les
caracteres, les pensées,le
stile,& tant d'autres
choses dont jene fais pas
mesme icy une énumeration
par ordre de peur
de paroistre troparrangé
dans un Parallele que
j'ay entrepris par amusement,
& qui nemeriteroit.
pas d'estre placé
dans mon article burlesque,
s'il estoitserieux &C
régulier.
Voicy donc la methode
que je vais suivre
dans cette composition.
J'ay sur ma table mon
Rabelais,& mon Homere
5
portons au hasard la
main surl'un ou sur l'autre
,
je tiens un Volume
qu'y trouvay je à l'uverture
du Livre, voyons
,c'est unpere qui
parle à son fils, devinez
si. cette éloquence est
d'Homere ou de Rabelais.
Je te rappelle auprès de
moy ,
j'interromps laferveur
de tes etudes,je l'
racheaureposFilosofique,
mais j'aibesoin de toy, Ç$9
je fuis ton pere,j'avois
esperé de voir couler doucement
en Paix mes dernveres
annees me confiant
en mes amisCfanciens
confederez , mais fèiïr
perfidie a jruflrelafetife- tidemavkiilejfejelleeif
lafatàledefïrneèdâVtibm*
me >
queplus ilsoit irt±
quiete, par ceux en qui
plus ilsereposoit : rvierts
donc, quitte tes Livres
pourvenirme defendre ,
car ainsi comme débité
font les armes au dehors,
otfrie conseiln'est dans la
mmfmyainsi vaine est
l'estude, & leconseil inutile
,
qui en temps oportunarvertu
ricji mil.
execution.
deMproavodqéuliebrémraatiisodn'raipeasi-t
ser, non a"assa,¡¡ir mais
de defendre, non de conquerir
maisdegardermes
feaux sujets
,
(jf terres
hereditaires contre mes
ennemis.
J'ay envoié vers eux
amiablement pour leurs
offrir tous ce que jej?uîs,
f5Plus quejene dois, &
n'ayanteu d'eux autre re- *ponse que de volontaire
& jalouse défiance, par
làjevois que tout droit
desgens est en eux deve.,
nu droit de force & de
bienseancesurmes terres,
donc je connois que les
Dieux les ont abandonné
à leurpropresens qui ne
peutproduirequedejJeini
iniques, si par inspiration
divine
,
nestconti-
&ueUernent guide.
Ne croyez vous pas entendre
parler icy le sage
Nestor dans le sublime
Homere
, ce n'est pourtant
que le pere de Gargantua
qui parle dans le
comique Rabelais.
Je n'y ay changé que
quelques mots du vieux
stile
, on peut juger parlàque
Rabelaiseustesté
un bon Autheurserieux.
Homere eust-il esté un
bon Autheur burlcA
que? Pourquoy non s'il
l'eust voulu, il la bien
elle quelquefois sans le
vouloir. Je pourray danslasuite
citeren badinant
quelqu'un deces endroits
burlesques
,
mais commençons
par admirer serieusementcet
excellent
homme qui a sçu concilier
dailSfan vaste genie,
lesfaillies les plus vives
de l'entousiasme poëtique
, avecle bon sens
& la sagesse de l'orateur,
le plus consommé.
Voicy comme il fait
parlerNestor pour appaifer
Achile en colere, &,
Agamemnon poussé à
bout, au moment qu'ils
alloient se porter l'un
contre l'autre à des extremitez
funesstes.
O quelle douleurpour
la Greces s'écrie touta coup
Nestor
,
if quelle joye
pour les Troyens, ils
viennentà apprendre lesl
dissènsionsdesdeux hom-1
mes quifont au dessus deI
tous les autres Grecs par
la prudence ifparle courage,
mais croyeZ moy
tous deux, car vouselles
plus jeunes, Çffmfrequente
autrefois des hommes
qui valoient mieux
que vous, fic.qui ne meprisoient
pas mesconfedsy
nonjenayjamaisveu&
ne verray jamais de si
grands personnages que
PirritousyPolifeme, égal
aux Dieux, Thess fils
d'Egéefemliableaux immorlelstjfc.
Voilalesplus
vaillans hommes que la
terre ait jamais port£{,
mais s'ils estoientvaillants,
ilscombatoientauJJi
contre des Ennemis trèsvaillants,
contre les Centaures
des montagnes
dont la defaite leursaacquis
un nom immortel,
tess avec cesgens là que fay vécu. Je tafchois de
lesegalerselon mesforces,
f5 parmy tous les tommesquifontaujoura'huy
il î,j en a pas un qpii
tufr op leur rien députer
terycependant quoyque jesulfefortjeune, ces
grands hommesecoutoient
mes conseils ,fui'vez.., leur
exemple, car cestle meilleur
parti, vous, Agamemnon,
quoique leplus
puissant, n'enle('1JeZpoint
a Achile la fille que les
Grecs lui ont donnee, f$
tV9usfils de Pelee, ne vous
attaquez, point au Roi,
car, de tous les Rois qui
ont portele Sceptre, eS
jue Jupiter a elevez, à
cette gloire, il riy en a
jamaiseu desigrandque
luysivous avezplus de
valeur, fj)Jî vous estes
fis d'une Deesse, il est
plus puissantparce qml
commande aplusdepevoples
;fils )Atne-¿¡ppair
fiZrvoftre cotere, es je
vaisprier Achile defur*
monter la sienne, caril
est le plusfermerampart.
des Grecs dans les fanglants
Combats.
Le début de ce discours
deNestor peut servir
de modelepour, Je
simple vrayment sublime,
avec quel art enfuite
Nçiflor impose t-ilà
ces deux Rois, en leur
insinuant que de plus
grands hommes qu'eux
ont cru sesconseils,
lors mesme qu'il estoit
encore tres jeune? La
Critique ordinaire qui a
si fort blâmé les invectives,
& les injuresqu'-
Homèremetsi souvent
dans la bouche de ses
Heros, trouvera Nestor
imprudentd'offenserluy
mesme ceux quil veut
reconcilier
, en leur disant
en face qu'il y a eu
de plus grandshommes
qu'eux, & a qui ils riauroient
ose rien disputer,
mais supposons qu'en ce
temps-là les hommesaccoutumez
adirer à s'entendre
dire des veritez
, eussent allez de bOl111eJ
foy & degrandeurdame
pour ne se point faf
cher qu'on reduifift leuc
heroisme à sa juste va
leur.
-
Cela supposé, quelle
force d'éloquence a Ne
stor, & quelle hauteur
de sèntiment ,d'humilier
ainsi Agamemnoii
ôcAchile, pour les foumettre
à' Ces conseils
Mais il nest pas vrayfeilblable,
dira-t-on que
des; Héros soussrissent
p^tiÊimnejftt une offense,
mais répondrai-je,
la vérité ne les offensoit
jamais,c'estoit les
moeurs de ce temps-là
ou du moins il estoit
beau a Homere de les
feindre telles, lesnostres
font bien plus polies; j'en
conviens, mais qu'est-ce
que la politesse ? la poli
tessen'est que l'art d'in.
sinuer la flaterie & le
mensonge,c'est l'art d'avilir
les âmes, & dénerver
l'heroifineGaulois,
dont: la grandeur consiste
à ne vouloir jamais
paroistre plus grand qu'
on n'est, & à ne point:
induire les autres à vouloir
paroistre plus grands
quilsnefont.
Voicy l'occasion d'examiner
si Homere a
bien conneu en quoy
doit consister la grandeur
d'un Héros. Mais
cela me meneroit plus
loin que je ne veux, j'iraipeut-
estre dans la suite
aussi loin que ce parallèlepouKiro'fne
mener:
mais te me fuisreftraint
alien cfqhijer dans-chaque
Mercurequ'à, peu
présautantqu'il adans el1 celui
- cy,. ma
tascheest remplie.
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Résumé : ARTICLE burlesque Suite du Parallele d'Homere & de Rablais.
Le texte compare les œuvres d'Homère et de Rabelais en utilisant la métaphore d'un coursier qui s'échappe des règles tyranniques pour exprimer sa liberté. Cette liberté est comparée à celle d'un écrivain qui se libère des contraintes littéraires, alternant entre styles sublime et burlesque. L'auteur critique la prévention, un préjugé favorisant les Anciens au détriment des modernes, illustré par l'allégorie des Indes où deux peuples, les Produisants et les Eruditionnez, sont en conflit. Les Eruditionnez, comparés à des taverniers, vantent les vins anciens pour écouler leurs stocks, refusant de reconnaître la valeur des productions modernes. L'auteur dénonce l'excès d'admiration pour Homère, considéré comme un géant littéraire, et compare cette adoration à celle que Rabelais a reçue de certains érudits. Il mentionne des anecdotes historiques, comme celles d'Alcibiade et du Cardinal du Bellay, qui considéraient Homère et Rabelais comme des références incontournables. Le texte souligne également les digressions et les énumérations présentes dans les œuvres de Rabelais, notant que certaines critiques badines peuvent être plus pertinentes à l'époque de Rabelais qu'aujourd'hui. L'auteur conclut que, bien que Rabelais soit un excellent comique, il peut aussi être un mauvais plaisant dans certains passages. Par ailleurs, le texte présente un parallèle entre un passage d'Homère et un passage de Rabelais où un père parle à son fils. L'auteur choisit au hasard un extrait dans chacun des deux ouvrages pour comparer leur style et leur contenu. Il cite un passage où un père appelle son fils à abandonner ses études pour le défendre contre des ennemis, soulignant que les conseils et les études sont inutiles face à l'action immédiate. L'auteur identifie ce passage comme appartenant à Rabelais, tout en notant que le style pourrait également convenir à Homère. Il admire la capacité de Rabelais à concilier enthousiasme poétique et sagesse oratoire. Le texte se poursuit avec un discours de Nestor dans l'Iliade, où Nestor tente de réconcilier Achille et Agamemnon en leur rappelant la valeur de ses conseils, même lorsqu'il était jeune. L'auteur analyse l'art rhétorique de Nestor et la force de son éloquence, tout en discutant des mœurs héroïques et de la politesse. Il conclut en mentionnant que son parallèle est entrepris par amusement et ne mérite pas d'être placé dans un article sérieux, se restreignant à examiner des extraits courts dans chaque édition de son parallèle.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
16
p. 49-64
« Le 27. Juin une partie de la Garnison de Doüay [...] »
Début :
Le 27. Juin une partie de la Garnison de Doüay [...]
Mots clefs :
Troupes, Ennemis, Hommes, Marquis, Cavalerie, Cavaliers, Chevaux, Attaque, Prince, Comte
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Le 27. Juin une partie de la Garnison de Doüay [...] »
Le 2.7. Juin une partie
de la Garnison de Doüay
sortit dans le dessein d'aller
rompre une digue qui
retenoit les eaux de la
Scarpe & de la Sensee, &
qui estoit couverte parun
petit Chasteau & par une
Redoute prés d'Arleux.
Ces Troupes ne pouvant
rompre la Digue sans
s'élire auparavant emparées
de ces postes, elles les
attaquerent; mais quoy
qu'ils ne sussent gardez
que parsoixante & dix
hommes ils se deffendirent
si bien que les Ennemis
furent obligez de se
recirer avec perte, ainsi
qu'ils avoientdéjafaitplusieurs
autres fois auparavant.
Cependant ayant resolu
de s'en rendre maistres à
quelque prix que ce fust,
parce que cette Digue empeschoit
la navigation de
la Scarpe & du Canal de
la Deule
,
& qu'elle retenoit
les eaux de maniere
que les Moulins deDoüay
ne pouvoient tourner, ils
firent marcherla nuit du
cinq au six Juillet huitmille
hommes tant Cavalerie
qu'Infanrerie,avec quatre
pieces de canon pour les
attaquer de nouveau. Les
soixante & dix hommes
qui les gardoient, se deffendirent
si vigoureusement
qu'ils tuerent beaucoup
de monde aux ennemis
; mais enfin la breche
ayant esté faite ils furent
emportez d'assaut & faits
prisonniersau nombre de
soixante & six
, quatre
ayant esté tuez.
Les Ennemis s'en estant
rendus maistres
,
resolurent
de les bien fortifier,
afin de les mieux conferver.
Pour couvrir leurs
Travailleurs ils pofterenc
douze Escadrons & dix
Bataillons à une demi
lieuë de Doüay, la droite
à Goeulzin, & la gaucheà
Sains-leNoble, ayant derriere
eux les inondations
&leruisseaudu Moulinet.
Mr le Marechal de Villarsalla
le 9. reconoistre
ce Camp
,
& trouvaque
la droite estoit si peuappuye'e,
que sil'on pouvoit
cacher la marche de nos
Troupes ,il seroitfacile
de le forcer. La difficulté
estoit de faire arriver les
Troupes fous Bouchain
partant des Portes d'Arras
& du Camp qui estoit
entierement découvert
par les grandes Gardes des
Ennemis.
La nuit du 9.au 10. ce
Maréchal fit marcher plusieurs
Pontons, avec ordre
de les cacher le jour fous
des arbres présde l'Escaur,
& aprèsavoir fait reconnoistre
le terrain entre
Bouchain & les Ennemis
par Mr le Baron de Raski
Colonel des Houssards, il
détacha trente Escadrons
des Gardes du Corps, des
Grenadiers à cheval
,
de
Dragons, de Cavalerie &
de Houssards, fous les ordres
deMr le Comte de
Gassionavec Mrle Marquis
de Coignie,le Prince
Charles de Lorraine &
Mr le Marquis deHautefort,
des Mousquetaires ,
Marchaux de Camp ; Mr
le Duc de la Tremoille ,
Mr Gaydon, Mrle Comte
deSaumery
,
Mrde St.
Servin
,
& Mr de Bellefond
,
Brigadiers
;
Mr le
Prince de Marsillac
,
Mr
le Duc de Ç-t.Agnan., Mr
le Prince de Lanlbe[ç)Mr
de Manicamp,
,
Mr de
Chabannes, Mr d'Aremberg,
Mr de Rottembourg,
Mr de Leémour , MrduTil, Mrle Marquis
de saint ChaumontMr
des Granges
, & Mr de
Beaufremont, Colonels.
Mr le Marquis de Coignies
marcha le premier
sous Bouchain avec les
Dragons, & il se tint sur
leshauteurs, pour empesccherquedes
Villages voisins
il ne pust aller personne
au Camp des Enne-
'mis" & que leurs partis ne
pussent découvrir nos
Troupes quand elles y arriveroient.
Lorsqu'elles
Sortirent du Camp les
Houssards & les Cavaliers
disilerent laplusgrande
partie à pied, les autres
tenant leurs chevaux en
main comme s'ils estoient
allez en pasture.
Pendant une partiede
la journée on fit faire l'éxercice
aux Troupes du
Camp sur les lieux les plus
élevez, & à dix heures on
ordonna à tous les postes
de la Scarpe, de l'Éscaut
& de la Sensée, d'arrester
tous les paysans sous prétexte
de quelques Espions"'
qu'on avoit eu avis qui
avoient examiné le Camp.
Toutes ces précautions
ayant esté prises ,Mr de
Gassion arriva fous Bouchain
sans avoir esté découvert,
& marcha ensuite
avec Mr de Coignies
peur aller attaquer les Ennemis.
Il arriva àla pointe
du jour prés de leur
Camp oùil separa ses
Troupes en quatre corps,
dont il formaquatre lignes
qui Ce soutenoient
Pun-e l'autre. La premiere
estoit composée de trois
cens Dragons, & d'un pareil
nombre de Houssards
commandez par Mr le Baron
de Raski leur Colo-d
nel
,
qui avoir encore este,
la nuit
,
luy sixiéme , reconnoistre
-
s'il n'y avoit
point quelque ravin eu
emincreux qui couvrist
front des Ennemis ; la
conde estoit de Dragons
de Cavalerie, & les deux
tres entièrement de Calerie;
la quatrièmequi
voit de Reserve estoit
mmandce par Mr de la
remoille.-
Onarriva en cet ordre
sans estre découvert,
nsle Camp ennemi jusn'a
la garde del'Etendart
ui futtaillée en pieces ,
és qu'elle eut crié : Qui
ive. En mesme remps les
oussards & les Dagon.
de la premiere ligne
debanderent & donne
rent l'alarme par tout l
Camp en tuant tout c
qui se rencontra fous leui
main à coups de fusil, de
pistolet,&de sabre. Quel
ques pelotons d'lnfante
rie firent feu sur no
Troupes, mais ils furen
bientostdissipez:on en tu
une partie, & le restese
sauva dans le chemin couvert
deDoüay. Le carnage
fut beaucoup plus
grand dans la Cavalerie
ennemie qui n'eut pas le
mps de se former en
orps un grand nombre
Officiers& de Cavaliers
vant esté tuez dans leurs
entes. Il y a eu des Régilents
donc il n'est pas reé
cent hommes
,
& un
nttr'autres dont il n'en resté que cinq, ce que
on a appris par des Let
es venuës de Douay le
ndemain de l'action.
out le Camp fut pillé, &
on mit le feu à ce que l'on
e putemporter apres que
on eut ramassé prés de
eize cens chevaux qui
ont elle emmenez a
Camp avec les prison
niers. On a pris aussï plu
sieurs Etendarts & quel
quespaires de Timbales
Nous avons perdu en cet
re action Mr deCoëtmer
Colonel de Dragons; Mr
le Baron de Raski a est
blessé ainsi que quelques
Officiersde Dragons.
Apres avoir resté plus
d'une heure sur le Champ
de Bataille, Mr de Gassion
fit sa retraire sans estro
poursuivi. Ils'est
conduit
dans cette action avec
beaucoup de prudence&
d'habilleté
,
ainsi que Mr
deCoignies 3eMus les autres
Officiers Généraux&
Subalternes,& particulierement
Mr le Baron de
Rata.
1
Mr le Maréchal de Villars
, pour favoriser leur
rerraite, avoir fait avancer
Mr d'Albergoti &Mr le
Prince d'Isenghienauvillaged'Aubigny
avec deux
mille Grenadiers, & fit attaquer
par Mr le Comte
de Broglio les gardes avancées
de l'aile droite de
l'arméeennemie,afind'attirer
leur attention de ce
costéla, les Houssards les
pousserent du costé de
Lievin ; ils tuerent plusieurs
Cavaliers
, en prirentaussi
plusieurs,& ramenerent
soixante chevaux.
de la Garnison de Doüay
sortit dans le dessein d'aller
rompre une digue qui
retenoit les eaux de la
Scarpe & de la Sensee, &
qui estoit couverte parun
petit Chasteau & par une
Redoute prés d'Arleux.
Ces Troupes ne pouvant
rompre la Digue sans
s'élire auparavant emparées
de ces postes, elles les
attaquerent; mais quoy
qu'ils ne sussent gardez
que parsoixante & dix
hommes ils se deffendirent
si bien que les Ennemis
furent obligez de se
recirer avec perte, ainsi
qu'ils avoientdéjafaitplusieurs
autres fois auparavant.
Cependant ayant resolu
de s'en rendre maistres à
quelque prix que ce fust,
parce que cette Digue empeschoit
la navigation de
la Scarpe & du Canal de
la Deule
,
& qu'elle retenoit
les eaux de maniere
que les Moulins deDoüay
ne pouvoient tourner, ils
firent marcherla nuit du
cinq au six Juillet huitmille
hommes tant Cavalerie
qu'Infanrerie,avec quatre
pieces de canon pour les
attaquer de nouveau. Les
soixante & dix hommes
qui les gardoient, se deffendirent
si vigoureusement
qu'ils tuerent beaucoup
de monde aux ennemis
; mais enfin la breche
ayant esté faite ils furent
emportez d'assaut & faits
prisonniersau nombre de
soixante & six
, quatre
ayant esté tuez.
Les Ennemis s'en estant
rendus maistres
,
resolurent
de les bien fortifier,
afin de les mieux conferver.
Pour couvrir leurs
Travailleurs ils pofterenc
douze Escadrons & dix
Bataillons à une demi
lieuë de Doüay, la droite
à Goeulzin, & la gaucheà
Sains-leNoble, ayant derriere
eux les inondations
&leruisseaudu Moulinet.
Mr le Marechal de Villarsalla
le 9. reconoistre
ce Camp
,
& trouvaque
la droite estoit si peuappuye'e,
que sil'on pouvoit
cacher la marche de nos
Troupes ,il seroitfacile
de le forcer. La difficulté
estoit de faire arriver les
Troupes fous Bouchain
partant des Portes d'Arras
& du Camp qui estoit
entierement découvert
par les grandes Gardes des
Ennemis.
La nuit du 9.au 10. ce
Maréchal fit marcher plusieurs
Pontons, avec ordre
de les cacher le jour fous
des arbres présde l'Escaur,
& aprèsavoir fait reconnoistre
le terrain entre
Bouchain & les Ennemis
par Mr le Baron de Raski
Colonel des Houssards, il
détacha trente Escadrons
des Gardes du Corps, des
Grenadiers à cheval
,
de
Dragons, de Cavalerie &
de Houssards, fous les ordres
deMr le Comte de
Gassionavec Mrle Marquis
de Coignie,le Prince
Charles de Lorraine &
Mr le Marquis deHautefort,
des Mousquetaires ,
Marchaux de Camp ; Mr
le Duc de la Tremoille ,
Mr Gaydon, Mrle Comte
deSaumery
,
Mrde St.
Servin
,
& Mr de Bellefond
,
Brigadiers
;
Mr le
Prince de Marsillac
,
Mr
le Duc de Ç-t.Agnan., Mr
le Prince de Lanlbe[ç)Mr
de Manicamp,
,
Mr de
Chabannes, Mr d'Aremberg,
Mr de Rottembourg,
Mr de Leémour , MrduTil, Mrle Marquis
de saint ChaumontMr
des Granges
, & Mr de
Beaufremont, Colonels.
Mr le Marquis de Coignies
marcha le premier
sous Bouchain avec les
Dragons, & il se tint sur
leshauteurs, pour empesccherquedes
Villages voisins
il ne pust aller personne
au Camp des Enne-
'mis" & que leurs partis ne
pussent découvrir nos
Troupes quand elles y arriveroient.
Lorsqu'elles
Sortirent du Camp les
Houssards & les Cavaliers
disilerent laplusgrande
partie à pied, les autres
tenant leurs chevaux en
main comme s'ils estoient
allez en pasture.
Pendant une partiede
la journée on fit faire l'éxercice
aux Troupes du
Camp sur les lieux les plus
élevez, & à dix heures on
ordonna à tous les postes
de la Scarpe, de l'Éscaut
& de la Sensée, d'arrester
tous les paysans sous prétexte
de quelques Espions"'
qu'on avoit eu avis qui
avoient examiné le Camp.
Toutes ces précautions
ayant esté prises ,Mr de
Gassion arriva fous Bouchain
sans avoir esté découvert,
& marcha ensuite
avec Mr de Coignies
peur aller attaquer les Ennemis.
Il arriva àla pointe
du jour prés de leur
Camp oùil separa ses
Troupes en quatre corps,
dont il formaquatre lignes
qui Ce soutenoient
Pun-e l'autre. La premiere
estoit composée de trois
cens Dragons, & d'un pareil
nombre de Houssards
commandez par Mr le Baron
de Raski leur Colo-d
nel
,
qui avoir encore este,
la nuit
,
luy sixiéme , reconnoistre
-
s'il n'y avoit
point quelque ravin eu
emincreux qui couvrist
front des Ennemis ; la
conde estoit de Dragons
de Cavalerie, & les deux
tres entièrement de Calerie;
la quatrièmequi
voit de Reserve estoit
mmandce par Mr de la
remoille.-
Onarriva en cet ordre
sans estre découvert,
nsle Camp ennemi jusn'a
la garde del'Etendart
ui futtaillée en pieces ,
és qu'elle eut crié : Qui
ive. En mesme remps les
oussards & les Dagon.
de la premiere ligne
debanderent & donne
rent l'alarme par tout l
Camp en tuant tout c
qui se rencontra fous leui
main à coups de fusil, de
pistolet,&de sabre. Quel
ques pelotons d'lnfante
rie firent feu sur no
Troupes, mais ils furen
bientostdissipez:on en tu
une partie, & le restese
sauva dans le chemin couvert
deDoüay. Le carnage
fut beaucoup plus
grand dans la Cavalerie
ennemie qui n'eut pas le
mps de se former en
orps un grand nombre
Officiers& de Cavaliers
vant esté tuez dans leurs
entes. Il y a eu des Régilents
donc il n'est pas reé
cent hommes
,
& un
nttr'autres dont il n'en resté que cinq, ce que
on a appris par des Let
es venuës de Douay le
ndemain de l'action.
out le Camp fut pillé, &
on mit le feu à ce que l'on
e putemporter apres que
on eut ramassé prés de
eize cens chevaux qui
ont elle emmenez a
Camp avec les prison
niers. On a pris aussï plu
sieurs Etendarts & quel
quespaires de Timbales
Nous avons perdu en cet
re action Mr deCoëtmer
Colonel de Dragons; Mr
le Baron de Raski a est
blessé ainsi que quelques
Officiersde Dragons.
Apres avoir resté plus
d'une heure sur le Champ
de Bataille, Mr de Gassion
fit sa retraire sans estro
poursuivi. Ils'est
conduit
dans cette action avec
beaucoup de prudence&
d'habilleté
,
ainsi que Mr
deCoignies 3eMus les autres
Officiers Généraux&
Subalternes,& particulierement
Mr le Baron de
Rata.
1
Mr le Maréchal de Villars
, pour favoriser leur
rerraite, avoir fait avancer
Mr d'Albergoti &Mr le
Prince d'Isenghienauvillaged'Aubigny
avec deux
mille Grenadiers, & fit attaquer
par Mr le Comte
de Broglio les gardes avancées
de l'aile droite de
l'arméeennemie,afind'attirer
leur attention de ce
costéla, les Houssards les
pousserent du costé de
Lievin ; ils tuerent plusieurs
Cavaliers
, en prirentaussi
plusieurs,& ramenerent
soixante chevaux.
Fermer
Résumé : « Le 27. Juin une partie de la Garnison de Doüay [...] »
Le 2 juin, une partie de la garnison de Douai tenta de rompre une digue retenant les eaux de la Scarpe et de la Sensee, mais fut repoussée par les défenseurs des postes voisins. Le 5 au 6 juillet, huit mille hommes avec quatre pièces de canon attaquèrent de nouveau ces postes et les vainquirent, capturant la plupart des défenseurs à l'exception de quatre tués. Les ennemis fortifièrent ensuite les postes. Le maréchal de Villars, après avoir reconnu le camp ennemi, nota que la droite était peu appuyée. La nuit du 9 au 10 juillet, il fit marcher plusieurs troupes vers Bouchain, prenant des précautions pour éviter la découverte. Le marquis de Coignies marcha en tête avec les dragons pour empêcher toute communication avec le camp ennemi. À l'aube, les troupes françaises attaquèrent le camp ennemi en quatre lignes. La première ligne, composée de dragons et de hussards, débanda et donna l'alarme, tuant ceux qu'ils rencontrèrent. La cavalerie ennemie fut particulièrement touchée, avec de nombreux officiers et cavaliers tués. Le camp fut pillé et incendié, et près de mille deux cents chevaux furent capturés. Les Français perdirent le colonel de dragons Coëtmer et le baron de Raski fut blessé. Après avoir resté sur le champ de bataille, les troupes françaises se retirèrent sans être poursuivies, grâce à des actions de diversion menées par d'Albergotti et le prince d'Isenghien. Les hussards poussèrent également les ennemis vers Lievin, tuant et capturant plusieurs cavaliers et ramenant soixante chevaux.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
17
p. 65-123
ARTICLE burlesque. Suite du Paralelle d'Homere & de Rabelais.
Début :
Sans interrompre le paralelle d'Homere & de Rabelais, je [...]
Mots clefs :
Homère, Rabelais, Plaisir, Médecin, Parallèle, Hommes, Mari, Oeil, Fous, Dames, Compagnons, Moutons, Caverne, Cyclope, Patience, Marchand, Femme, Dieux, Troupeaux, Paris, Jupiter, Argent, Sourd, Muette, Dissertation
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ARTICLE burlesque. Suite du Paralelle d'Homere & de Rabelais.
ARTICLE
burlesque.
Suite du Paralelle d'Homere&
deRabelais.
SAns interrompre le
paralelle d'Homere&
de Rabelais,je puis interrompre
les reflexions
comiques & serieuses
que j'ai commencéesfutcesdeux
Auteurs. Trop de réflexions
de fuite feroient
une dissertation
ennuyeuse
,
sur tout
pour les Dames, dont
j'ambitionne les suffrages;
elles ont legoût
plus delicat& plus vrai
que les hommes, dont
la pluspart se piquant
,de
<
critique profonde,
sont toûjours en garde
contre ce qui plaÎrjqui
ont, pour ainsidire,
emouue leur goût naturel
à force de science
dC de préjugez; en un
f- mot, qui jugent moins
par ce qu'ils sentent,
que par ce qu'ilssçavent.
Plusieurs Dames af.
fez contentes de quelques
endroits de mes
dissertations, se sont
plaint que les autres
netoient pas assez intelligibles
pour elles,
qui ne sont pasobligées
d'avoir lû Homere ni
Rabelais: il est vrai que
le Poete Grec est à presenttraduitenbonfrançois:
mais Rabelais est
encore du grec pour elles
; je vais donc tâcher
declaircir& de purifier
quelques morceaux de
Rabelais, pour les rendre
moins ennuyeux
aux Dames.
Ces extraits épurez
feront plaisir à celles
qui, curieuses de lire
Rabelais, n'ont jamais
voulu contenter leur
curiosité aux dépens de
leur modestie.
En donnantce qu'il
y a de meilleur dans
Rabelais, je fixerai la
curiosité de celles qui
en faveur du bon, auroient
risqué de lirele
mauvais.
Et s'il y en a quelqu'une
qui n'aiepû resister
à la tentation de
tout lire,elle pourra
citer Maître François à
l'abryde mes extraits,
sans être soupçonnée
d'auoir lu l'original.
Dans la derniere dissertation
j'ai opposé à
une harangue du sage
Nestor, une lettre écrite
à Gargantua par
Grandgousier son pere.
Vous avez vû que Rabelais
s'est mélé du fcrieux.;
Homere lemele
aussi quelquefois du
burlesque, autre sujet
de paralelle.Vousaurez
ici un conte heroïcomique
de l'Odissée, mais
commençons par un
conte de Rabelais;je ne
prétens qu'opposer le
premier coupd'oeil de
ces deuxcontes,&non.
pas les comparer exaétcment:
j'entrouverai
dans la fuite quelquestuinnss
ppluuss pprroopprreess aà eêttrree.
comparez ensemble.
Voici celui de Rabelais,
'f
donc j'ai feulement conservé
le fond, en a joûtant
& retranchant
tout ce que j'aicrû pouvoir
le rendre plus
agréable,& plusintelligible
aux Dames.
LES
LES MOUTONS
de Dindenaut.
<*. En une Naufou Navire
estoitletaciturnien.,
songe-creux,&malignement
intentionnéPanurge
: encemêmè Navire
estoit un Marchand de
moutonsnomméDindenaut,
hommegaillard,
raillard
,
grand rib leur
5
nurgetoutdébifié de mi-
Lie, 6c mal en point d'acouftrement
,
déhousillé
de chevelure
,
vesce
délabrée, éguillettes
rompues, boutons intermitans
chauffes pensantes,&:
lunettes pendues
au bonnet. Le Marchant
donc s'émancipa
en gausseriessur chaque
piece d'iceluy accoustrement,
mais specialement
sur ses lunettes : luy difarteavoir<
fçupar traciitioli
vulgaire que tout
homme arborant lunett
tes sur toûjours onc mal
voulu des femmes étranges
& vilipendé de la
siennedomestique ,sur
lesquels pronostics apostrophant
Panurge en son
honneur, l'appella je ne
sçay comment, id est,
d'un nom qui réveilla i«rPanurgedesaléthargie
^.rêveusej carrêvoitjuste
• en ce momentauxinconveniens
à venir de son
futur mariage. Holà,
holà
, mon bon Marchand
*,
dit d'abord Panurge
d'un air niais 8c
bonnasse, holà, vous disje,
car onc ne fus, ny ne
puis maintenant estre ce
-
que nul n'est que par mariage
: A quoy repart
Dindenaut, que marié
ou non mariée c'esttout
un ; car fruits de Cor-,
nuaille sont fruits précoces
j & m'est avisque
pour porter tels fruits ,
êtes fait &C moulé comme
de cire: ouy , cette
plante mordra sur~vôrre
chef comme chiendenc
sur terre graffe.
Ho ,
ho
,
ho
,
reprit
bonnement Panurge,
quartier, quartier, car
par la vertu- boeuf ou
asne que je suis, ne puis
avoir espritd'Aigle: perçant
les nuës,par quoy
gaudissez-vous de moy,
si c'est vostre plaisir ,
mais rien nerepliqueray
faute de répliqué : prenons
patience.
Patience vous duira
dit le Marchand, , comme
à tant d'autres. Patienceestvertu
maritale.
Patience soit imterrompit
Panurge, mais changeons
de propos : Vous
avez-là force beaux moutons,
m'envendriez-vous
bien un paravanture.
O le vaillant acheteur
de moutons, dit le Marchand.
Feriez volontiers
plus Convenablement
vous acheter un bon ha-,
bit pour quand vous E~
rez marié,habit de lné.)
nage ,
habit avenant ,
manteau profitable
chapeau commode, &,
panache de cerf.
Va-rience, dit Panurge,
& vendez-moy feulc,
ment un de vos Inou,
ton.
Tubleu
,
dit le Mat>
chand, ce seroit fortune
pour vous qu'un de ces
beliers. Vendriez sa fine
laine pour faire draps, sa
Mue peau pour faire cuir s
sa chair friande pour
nourrir Princes, & (i
petite-oye pieds :& teste
vous resteroient, & cornes
encore sur le marché-
Patience,dit Panurge,
tout ce que dites de cornerie
a esté corné aux
oreilles tant & tant de
fois,laissons ces vieilleties
; sottises nouvelles.
sont plus de InÍfea,
-- Ah qu'il dit bien! reprit
le Marchand, il merite
que mouton je luy
vende, ilestbon homme
: ç'a parlons daffaire.
Bon, dit Panurge eit
joye, vous venez au but,
6c n'auray plus besoinde
patience.
T C'a, dit le Marchand,
écoutez - mcy.j'écoute
dit Panurge.
LE M. Approchez cette
oreilledroite.P.
ce. LE M. Et la gauche. l P. Hé bien. LE M. En
l'autre encore. P. N'enay
quecesdeux. LE M.Ouvrez
- les donc toutes
grandes. P. A vôtre commandement.
LE MARC.
Vous allez au pays des
Lanternois? P.Ouy. LE
M. Voir le monde? P,
Certes. LE M. Joyeusement
? P. Voire. Le M,
Sans vous fâcher P. N'en
ayd'envie. LEM. Vous
avez nom Robin. P. Si
VOUS voulez. LE MARC.
Voyez-vous ce Moutons
P. Vous me l'allez vendre,
LEM.Ilanom Robin
comme vous. Ha
9 ha
, ha.Vons allez au
pays des Lanternois voir
le motide,i.oyeuCement,'
sans vous fâcher, ne vous
fâchez - donc guere si
Robin mouton n'est pas
pour vous. Bez, bez
bez; & continua ainsi
bez, bez, aux oreillesdu
pauvre Panurge
) en le
mocquant de la lourderie.
Oh,patience,patience
, reprit Panurge, bai£
sant épaules & teste en
toute humilité
,
à bon
besoin de
-
patience qui
moutons vcut avoir de
Dindenaut; maisje vois
que vous me lanternifibolisez
airtfi pource que
me croyez pauvre here,
voulant acheter sans
payer, ou payer sans argent,
ôc-en ce vous irom- -
pez à la mine, car voicy
dequoyfaire emplette :
disantcela Panurge tire
ample & longue bourse,
que par cas fortuit, contre
son naturel avoit pleine
de Ducacons, de laquelle
opulence le Marchand
fut ébahi, & incontinent
gausserie ccfTa
à l'aspectd'objet tant respectable
comme est argent.
,
Par iceluy alleché
le Marchand demanda
quatre, cinq, six fois
plus que ne valloit le
mouton;à quoy Panurge
fit comme riche enfant
de Paris, le prit au
mot, de peur que mouton
ne luy échapa
,
&
tirant desa bourse le prix
exorbitant, sans autre
mot dire que patience
,
patience, lnie les deniers
, és mains du Marchand
, & choisit à même le
troupeau un grand &
* beau maistre mouton
qu'il emporta brandi
fous son bras
- ,car de
forceautant que demalin
vouloir avoit,cependant
le mouton cryoit,
bêloit Sccn consequance
naturelle, oyant celuy-
cy bêler,bêloient
ensemblement les autres
moutons, commedisant
en leur langage moutonnois,
ou menez-vous
nostre compagnon,
de
mêmedisoient maisen
langageplus articulé les
assistants à Panurge ou
,diantre menez-vous ce
- mouton,& qu'en allezvous
faire, à quoy répond
Panurge le mouton
n'est-il pas à moyy
l'ay bien payé& chacun
de son bienfait selon
qu'il s'avise,ce mouton
s'appelle Robin comme
moy3 Dindenaut l'a dit.
Robin mouton sçait bien * nager je le voisà sa
mine
,
& ce disant subitementjetta
son mouton
en pleine mer, criantnage
Robin, nâge mon mignon
: or Robin mouton
allant à l'eau
,
criant
bêlant; tous les autres
moutons criansbêlans
en pareilleintonation,
commencerent soy jetter
après Se fauter en merà
la file, figue le debat entr'eux
estoit à qui suivroit
le premier son compagnon
dans l'eau, car
nature afait de tousanimaux
mouton le plu»*
sot, & a suivre mauvais
exemple le plus enclin,
fors l'homme.
Le Marchand tout cecy
voyant demeura ftupesait
& tout cHrayey
s'efforçant à retenir fèsmoutons
de tout foi*
pouvoir, pendant quoy
Panurge en son fang
froid rancunier, luy disoit
, patienceDindeinatit.,
patience, & ne
vous bougez, ny tourmentez.,
Robin mouton
reviendra à nâge & ses
compagnons - le refuivront;
venez Robin, venez
mon fils, & ensuite
crioit aux oreilles de
Dindenaut ,., comme avoit
par Dindenaut esté
crié aux siennes en signe
de moquerie, bez, bez,
FinablementDindenaut
voyant perir tous ses
moutons en prit un grãd
& fort par la toison, cuidant
aintl luy retenant
retenir le reste
)
mais d.
mouton puissantentraîna
Dindenaut luy -mê'
me , en l'eau
,
& ce sut
lors que Panurge redoubla
de crier, nâge Robin
, nâge Dindenaut,
bez, bez, bez,tant que
par noyement, des moutons
Sedu Marchand sut
cette avanture finie,donc
donc Panurge ne rioit
que sous barbe, parce
que jamais on ne le vit
rire en plein,queje sçache.
Jecroirois bien que le
caractere de Panurge a
servi de modele pour celuy
de la Rancune. Moliere
a pris de ce seul Con-
-
te-cy deuxou trois Jeux
de Theatre, & la Fontaine
plusieurs bons mots.
Enfin nos meilleursAutheurs
ont puisé dans Rabelais
leur excellent comique,
&les Poëtes dit
Pont -neuf en ont tiré
leursplates boufoiincries.
Les Euripides & les Se-
-
neques ont pris dans Homere
le sublime de leur
Poësie, & les Nourrices
luy doivent leurs Contes
depeau-d'asne,leurs Ogres
qui mangent la
chair fraîche, sont descendus
en ligne droite du
Cyclope dontvousallez
voir Je Conte.
Voiladonc Homere 8t
Rabelais grands modeles
pour l'excellent & dangereux
exemples pour le
mauvais du plus bas
ordre. Homere & Rabelais
occupent les beaux
esprits; mais ils amusent
les petits enfants;humiliez-
vous grands Auteurs
vousestes hommes ;
l'homme a du petit 6C
du grand du haut & du
1 bas; c'est son partage r
& si quelqu'unde nos
Sçavants S'obfbiie à
trouver tout granddans
un Ancien, petitesse
dans -ce Moderne quelque
grand qu'ilsoitd'ailleurs
il prouve ce que ja*
Vance, qu'il ya du petit
c'k., du grand dans tous
les hommes.
Revenons à nos moutons,
diroit Rabelais,
m'avez parlé des moutons
de Dindenaut, si
faut-il trouver aussi moutons
en oeuvres d'Hojnere3
puisque és miens
moutons y a , ou ne se
point mester ny ingerer
de le mettre en paralelle
àl'encontre de moy.
Ouy
Ouy dea, repliquerai
je, on trouvera prou
de moutons dans I'oeuvre
grec, & hardiment
les paralelliserai avec
les vôtres, Maître François;
car avez dit,
ou vous, ou quelqu'un
de votre école, que
chou pourchou Aubervilliers
vaut bien Paris;
& dirai de même, que
moutons pour moutons
Rabelais vaut bienHomere
: or a-t-on déja vû
comme par malignité
Panurgienne moutons
de Dindenaut sauterent
en Iller; voyons donc
commeparastuce l'iyfsienne
moutons de Ciclope
lui fauteront fous
jambe, en sortant de sa
caverne.
LES MOUTONS
DU CYCLOPE. DAns l'isle des Cyclopes
où j'avois PrIsterre,
je descendisavec les plus
vaillans hommes de mon Vaisseau
,
je trouvai une caverne
d'une largeur étonnante. Le
Çyclope qui l'habitoit étoit
aux champs,où il avoit mené
paître ses troupeaux.Toute
sa caverne étoit dans un ordreque
nousadmirions. Les
agneaux separez d'un côté,
les chevreaux d'un autre, &c.On yoyoit là de grands
pots à conserver le lait , ici
des paniers de jonc, dans lesquels
il faiioic des fromages,
&c. Nous avions aporté du vin,
pris chez les Ciconiens, &c..
Nous buvions de ce vin, &
mangions les fromages du Cy.
clope, lors qu'il arriva.
Je fus effrayé en le voyant.
C'étoit un vaste corps comme
celui d'une montagne; il n'y
eut jamais un monstre plus
épouvantable: il portoit sur
ses épaules une charge efrrbois
sec; le bruit qu'il fit en le jettant
à terre à l'entrée de la
caverne, retentit si fort, que
tous mes compagnons saisis de
crainte,secacherent en differens
endroits de cette terrible
demeure.
Il fait entrertoutes ses brebis;
il ferme sa caverne, pousfant
une roche si haute & si
forte, qu'il auroit été impossible
de la mouvoir, à
force de boeufs ou de chevaux.
Je le voyois faire tout fou
ménage,tantôt tirer le lait
de ses brebis, & Enfin il
allume ion feu, & comme
l'obscurité qui nous avoit cachez
fut dissipée par cette
clarté, il nous apperçut : Qui
êtes-vous donc, nous dit-il
d'un ton menaçant 2 des Pirates,
qui pour piller & faire
perir les autres hommes,ne
craignez pas vous-même de
vous exposer sur la mer ?
Quoy ? des Marchands que
l'avarice fait passer d'un bout
de l'U nivers à l'autre pour
s'enrichir,entretenant le luxe
de leur Patrie ? êtes-vous des
vagabons qui courez les mers
par la vaine curiosité d'apprendre
ce qui se passe chez
autruy.
Je pris la parole, & luy dis
que nous étions de l'armée
d'Agamemnon
, que je le
priois de nous traiter avec
l'hospitalité que Jupiter a
commandée,& de se souvenir
que les Etrangers font
fous la protection des Dieux
> & que l'on doit craindre de
les offenser.
Tu es bien temeraire
, me dit-ilfïerement, de venir de
si loin me discourir sur la
crainte & sur l'obeïssance
que tu dis que je dois aux
Dieux:apprens que les Cyclopes
ne craignent ni vôtre
Jupiter ni vos Dieux: pour
n'avoir été nouris d'une chevre,
ils ne s'estiment pas moins
heureux, je verray ce que je
-
dois faire de toy ,
je n'iray
point consulter l'Oracle làdessus,
c'est mon affaire de
sçavoir ce que je veux, &c.
Je lui parlai encor pour tâcher
de l'adoucir: mais dédaignant
de me répondre, il
nous regardoit avec (on oeil
terrible; (car les Cyclopcs
n'en ont qu'un.) Enfin il se
saisit tout d'un coup de deux
de mes compagnons,& a près
les avoir élevez bien haut, il
les abbatit avec violence, &
leur écrasa la tête: il les met
bientôt en pieces,la terreest
couverte de leur sang, il est
ensanglanté lui-même:ce montre
, ce cruel monstre les
mange, les devore: Jugez en
quel état nous étions 2
Aprés s'être rassasié de cette
abominable maniere
,
il
but plusieurs cruches de lait,
& s'étendit pour dormir au
milieu de ses troupeaux. Combien
de fois eus-je dessein de
plonger mon épée dans son
corps ?&c.mais il auroit salu
périr dans cette cavernes
car il étoit impossible d'ôter
la pierrequi la fermoit : il falloit
donc attendre ce que sa
cruauté decideroit de nôtre
vie.
A peine ce cruel fut-il éveillé
qu'il se prépara un déjeuner
aussi funeste que le repas du
foir précèdent, deux de mes
camarades furent dévorez de
même
, a prèsquoy il fit sortir
aupâturage ses troupeaux, &
nous laissa enfermez dans la
caverne,enrepoussant la pesante
roche qui lui servoit de
porte.
Je cherchons dans monesprit
quelque moyen de punir
ce barbare, & de nous délivrer.
Il y avoit à l'entrée
de sa caverne unemassuë aussi
longueque le mats d'un navire
, nous en coupâmes de quoi
faire une autre massuë
, que
nous aiguisâmes pour executer
mon projetquandl'occa,-
sion seroit venuë.
Le Cyclope rentra, &recommenca
un autre repas aus-
- sifuneste à deux autres de mes
compagnons, que ceux que
je vous ay racontez;je m'approchai
de lui portant en main
un vase de ce vin admirable
quenous avions. Buvez.; lui
dis-je,peut-êtremesçaurez-voui
gré du present que je vous offre,
¿y.,c.Il prit la coupe, la but,
& y ayant pris un extrême
plaisir, il voulut sçavoir mon
nom, & promit de metraiter
avec hospitalité.
Je remplis sa coupe une autre
fais, ill'avale avec plaisir,
il ne paroissoit plus avoir cet-
-
te cruauté qui nous effrayoit,
je caressois ce monstre, Cije
tâchois de le gagner par la
douceur de mes paroles, il
revenoit toûjours à me demander
mon nom.
Dans l'embarras où j'étois
je luy fis accroire que je me
nommoisPersonnes alors pour
récompense de mes caressés
& demon vin,il me dit:
Eh bien, Personne, tous tes
camarades passeront devant
toy >
je te reserve pour être
le dernier que je mangeray.
Il s'étendit à terre en me
prononçant ces terribles paroles
>
le vin & le sommeil
l'accablcrent 6c c'étoit
ce que j'attendois;j'allay
prendre ma Massuë, j'allumay
la pointe dans le feu
que le Cyclope avoit couvert
de cendres,nous a pprochons
du Cyclope, pendant que
quatre de mes compagnons
enfoncent ce bois& ce feu
dans son oeil, j'aidois à le
déraciner, &c.
Apres l'avoir aveuglé de
-
cette maniéré nous nous étions
retirez loin de luy, & nous
attendions quel seroit l'effet
de sa rage & de ses cris. Un
grand nombre deCyclopes,
qui avoient entendu les heurlemens
accoururent à sa porte,
& luy demandoient : qui
est-ce qui peut vous avoir attaquédans
vôtre Maison ?
Comme celui-cy s'étoit persuadé
que je me nommois
Personne, il ne pouvoir leur
faire comprendre qu'il yavoit
un ennemi en dedans qui l'avoit
maltraittè,ilsentendoiét
qu'iln'avoitété blessé de per- sonne.ainsi par cet équivoque
les Cyclopes se retirèrent
, en disant: c'est donc
une affiction que Jupitert'envoye
, il faut plier sous les
coups de sa colere.
Je fus ravi d'entendre que
ces Cyclopes le retiroient:
cependant celui-cy,outré de
rage,alloit de côté & d'autre
dans sa Caverne, étendant
les bras pour nous prendre
, mais rien n'étoit plus
aisé que de luy échapper,
l'espace étoit grand, & il ne
voyoit goutte, &c..-
Il prit enfin le party d'ouvrir
à demy sa Caverne, de
sortequ'il n'y avoit de place
que pour sortir trois ou quatre
ensemble, il crut qu'il nous
arrêteroit au passage: il se met
au milieu, qu'il occupoit, étendant les bras & les jambes,
& faisoit sortir ses Moutons
,qu'il tâtoit les uns aprés
les autres; nous ne donnâmes
pas dans un piége si grossier
, cependant il falloit sortir
ou périr; je repassois en
mon esprit une infinité de
stracagêmes ; Enfin ayant
choisi neuf desplus forts Beliers,
je les attachay trois à
trois, je liay fou-s leur ventre
mes neuf compagnons restez,
qui passerent de- cette sorte
ians être reconnus, je tentay
le même hasard pour moy^
il y avoitun Belier plusgrand
que tous les autres, je me cache
aussi fous son ventre, le
- Cyçlope le reconnoît à l'é- passeur de sa laine, le careslè
& le retient, comment,
disoit-il, tu n'es pas aujourd'huylepremier
au pâturage
? tu es touché de l'aÍfliél-ioa
de ton Maître, tu ne vois plus
cet oeil qui te conduisoit &:
que tu connoissois,un traître
me l'a arraché,tu me montrerois
ce traître si tu pouvois
m'exprimer ta fidélité, si jele
tenoiscesceelerat,&c.Enfin
ce monstre occupé de sa
rage & de savengeance,laisse
passerleBelier que je tenois
embrasse par la laine de son
col, & c'est ainsi. que nous
voyant tous en liberté, nous
respirâmesavec plaisir.
J'ai choisi de bonne foi
pour opposer aux contes
de Rabelais, un desmeilleurs
de l'Odiffée
; car
mon but principal est
d'orner mon paralelle, &:
non de dégrader Homere.
Convenons qu'il y a
une poësie excellente dans
les endroits même où il
manque de justesse & de
bon sens.. quel mot m'est
échappé? mais je me dédiray
quand on voudra,
ôcà force deraisonnemens
& d'interprétations
,
je
trouveray par tout du
bon sens n'en fut-il point.
On n'aura pas de peine
àen trouver beaucoup
dans
dans les discours que le
Cyclope tient à Ulysse;
le premier contient une
morale admirable. Qui
êtes-vous? luy-dit-il ,
des
Pirates, Cc. Il joint dans
le second à une noble fierté
contre Jupiter, une
raillerie fine & delicate.
se riirai point consulter
l'aracle, &c. Ce Cyclope,
ce monstre ell un
Aigle pour l'esprit
: mais,
tout a coup, avant même
que d'avoir bû, il devint
stupide comme un boeuf,
il se couche & s'endort
tranquillement au milieu:
de ses ennemis armez,aprés
avoir dévoré deux de
leurs compagnons.
Ce Cyclope establir
d'abord que les Cyclopes
ne reconnoissent
,
ni ne
craignent point Jupiter,
ni les autres Dieux: & ces
mêmes Cyclopes un moment
apres, trompezpar
l'équivoque & mauvaise
turlupinade du mot de
Personne, croyent pieusement
que les heurlemens
du monstre sont une juste
punition des Dieux, ôc
semblent même par une
crédulité respedueusen'o
fer entrer dans la caverne
du Cyclope, pour s'éclaircir
du fait. Mais j'ay
promis d'éviter la dissertation
dans ce paralelle-cy ;
nous trouverons assez
d'autres occasions de critique
dans Homere, &
beaucoup plus dans Rabelais.
Finissons par un petit
conte de ce dernier.
ES
LA FEMME
MUETE.
DAns
un certain Pays
barbare & non policé en
moeurs, y avoit aucuns
maris bourus, & à chef
mal tymbré
, ce que ne
voyons mie parmy nos
maris Parisiens, dont
grande partie, ou tous
pour le moins, sont merveilleusement
raisonnans,
& raisonnables;aussi onc
ne vit-on arriver à Paris
grabuge ni maleficeentre
maris & femmes.
Or en ce Pays-là, tant
different de celui-cinôtre,
y avoit un mary si pervers
d'entendement, qu'ayant
acquis par mariage une
femme muete,s'en ennuya
& voulant soy guerir de
cet ennuy & elle de sa
mueterie, le bon & inconsideré
mary voulut qu'-
elle parlât, & pour ce
eut recours à l'art des Medecins
& Chirurgiens, qui
pour la démuetirluiinciserent
& bistouriserent un.
enciligloteadherâtaufilet.
bref, elle recouvra santé
de langue, & icelle langue
voulant recuperer l'oysiveté
passée, elle parla tant,
tant & tant,quec'estoit
benediction
;
si
ne laissa
pourtant le mary bouru
de se lasserde si plantheureuse
parlerie : il recourut
au Medecin, le priant &
conjurant, qu'autant il
avoit mis de science en oeuvre,
pour faire caq ueter sa
femme muete, autant il en
employât pour la faire taire.
Alors le Medecin confessantque
limitéest le sçavoir
médicinal,lui dit qu'il
avoit bi^n pouvoi r de
faire
parler femme
; mais que
faudroit arc bien pluspuisfant
pour la faire taire. Ce
monobstant le mari suplia,
pressa, insista, persista, si
que le sçavantissime docteur
découvrit en un coin
des registres de son cerveau
remede unique, &
specifique contre iceluy
interminable parlement
de femme,& ce remede
c'est surdité du mary. Ouidà,
fort bien, dit le mari :
mais de ces deux maux
voyons quel fera le pire,ou
entendre sa femme parler,
ou ne rien entendre du
tout; Le cas est suspensif,
&: pendant que ce mari
là-dessus en suspens estoit,
Medecin d'operer, Medecin
de medicamenter,par
provision, sauf à consulter
par apré1s.
Bref par certain charme
de sortilege medicinal
le pauvre mari se trouva
sourd avant qu'il eût acheve
de déliberer s'il confentiroit
à surdité
:
Lyvoila
donc, & il s'y tient faute
de
de mieux, & c'est comme
il faudroit agir en opérations
de medecine, Qu'arriva-
t-il? e'cousez.ôcvous
lesçaurez. :A'J:\ -J Le Medecinàhalde besogne
demandoitforce
argent:mais c'est à quoy
ce maryne peut entendre;
car il est sourd comme
voyez, le Medecin pourtant
par beaux signes &c
gestes significatifs argent
demandait& redemadoit
jusqu'às'irriter & colerier:
mais en pareil cas gestes
ne font entendus, à peine
entent-on paroles bien articulées
,ou écritures attestées
& réiterées par Sergens
intelligibles. Le Medecin
donc se vit contraint
de rendre l'oüie au sourd,
afin qu'il entendît à payement,
& le mary de rire,
entendant qu'ilentendoit,
puis de pleurer par prévovoyance
de ce qu'il n'entendroit
pas Dieu tonner,
désqu'il entendroit parler
sa femme.Or, de tout ceci
resulte, conclusion
moralement morale, qui
dit,qu'en cas de maladie
& de femmes épousées,
le mieux est de le tenir
comme on eit de peur de
pis.
burlesque.
Suite du Paralelle d'Homere&
deRabelais.
SAns interrompre le
paralelle d'Homere&
de Rabelais,je puis interrompre
les reflexions
comiques & serieuses
que j'ai commencéesfutcesdeux
Auteurs. Trop de réflexions
de fuite feroient
une dissertation
ennuyeuse
,
sur tout
pour les Dames, dont
j'ambitionne les suffrages;
elles ont legoût
plus delicat& plus vrai
que les hommes, dont
la pluspart se piquant
,de
<
critique profonde,
sont toûjours en garde
contre ce qui plaÎrjqui
ont, pour ainsidire,
emouue leur goût naturel
à force de science
dC de préjugez; en un
f- mot, qui jugent moins
par ce qu'ils sentent,
que par ce qu'ilssçavent.
Plusieurs Dames af.
fez contentes de quelques
endroits de mes
dissertations, se sont
plaint que les autres
netoient pas assez intelligibles
pour elles,
qui ne sont pasobligées
d'avoir lû Homere ni
Rabelais: il est vrai que
le Poete Grec est à presenttraduitenbonfrançois:
mais Rabelais est
encore du grec pour elles
; je vais donc tâcher
declaircir& de purifier
quelques morceaux de
Rabelais, pour les rendre
moins ennuyeux
aux Dames.
Ces extraits épurez
feront plaisir à celles
qui, curieuses de lire
Rabelais, n'ont jamais
voulu contenter leur
curiosité aux dépens de
leur modestie.
En donnantce qu'il
y a de meilleur dans
Rabelais, je fixerai la
curiosité de celles qui
en faveur du bon, auroient
risqué de lirele
mauvais.
Et s'il y en a quelqu'une
qui n'aiepû resister
à la tentation de
tout lire,elle pourra
citer Maître François à
l'abryde mes extraits,
sans être soupçonnée
d'auoir lu l'original.
Dans la derniere dissertation
j'ai opposé à
une harangue du sage
Nestor, une lettre écrite
à Gargantua par
Grandgousier son pere.
Vous avez vû que Rabelais
s'est mélé du fcrieux.;
Homere lemele
aussi quelquefois du
burlesque, autre sujet
de paralelle.Vousaurez
ici un conte heroïcomique
de l'Odissée, mais
commençons par un
conte de Rabelais;je ne
prétens qu'opposer le
premier coupd'oeil de
ces deuxcontes,&non.
pas les comparer exaétcment:
j'entrouverai
dans la fuite quelquestuinnss
ppluuss pprroopprreess aà eêttrree.
comparez ensemble.
Voici celui de Rabelais,
'f
donc j'ai feulement conservé
le fond, en a joûtant
& retranchant
tout ce que j'aicrû pouvoir
le rendre plus
agréable,& plusintelligible
aux Dames.
LES
LES MOUTONS
de Dindenaut.
<*. En une Naufou Navire
estoitletaciturnien.,
songe-creux,&malignement
intentionnéPanurge
: encemêmè Navire
estoit un Marchand de
moutonsnomméDindenaut,
hommegaillard,
raillard
,
grand rib leur
5
nurgetoutdébifié de mi-
Lie, 6c mal en point d'acouftrement
,
déhousillé
de chevelure
,
vesce
délabrée, éguillettes
rompues, boutons intermitans
chauffes pensantes,&:
lunettes pendues
au bonnet. Le Marchant
donc s'émancipa
en gausseriessur chaque
piece d'iceluy accoustrement,
mais specialement
sur ses lunettes : luy difarteavoir<
fçupar traciitioli
vulgaire que tout
homme arborant lunett
tes sur toûjours onc mal
voulu des femmes étranges
& vilipendé de la
siennedomestique ,sur
lesquels pronostics apostrophant
Panurge en son
honneur, l'appella je ne
sçay comment, id est,
d'un nom qui réveilla i«rPanurgedesaléthargie
^.rêveusej carrêvoitjuste
• en ce momentauxinconveniens
à venir de son
futur mariage. Holà,
holà
, mon bon Marchand
*,
dit d'abord Panurge
d'un air niais 8c
bonnasse, holà, vous disje,
car onc ne fus, ny ne
puis maintenant estre ce
-
que nul n'est que par mariage
: A quoy repart
Dindenaut, que marié
ou non mariée c'esttout
un ; car fruits de Cor-,
nuaille sont fruits précoces
j & m'est avisque
pour porter tels fruits ,
êtes fait &C moulé comme
de cire: ouy , cette
plante mordra sur~vôrre
chef comme chiendenc
sur terre graffe.
Ho ,
ho
,
ho
,
reprit
bonnement Panurge,
quartier, quartier, car
par la vertu- boeuf ou
asne que je suis, ne puis
avoir espritd'Aigle: perçant
les nuës,par quoy
gaudissez-vous de moy,
si c'est vostre plaisir ,
mais rien nerepliqueray
faute de répliqué : prenons
patience.
Patience vous duira
dit le Marchand, , comme
à tant d'autres. Patienceestvertu
maritale.
Patience soit imterrompit
Panurge, mais changeons
de propos : Vous
avez-là force beaux moutons,
m'envendriez-vous
bien un paravanture.
O le vaillant acheteur
de moutons, dit le Marchand.
Feriez volontiers
plus Convenablement
vous acheter un bon ha-,
bit pour quand vous E~
rez marié,habit de lné.)
nage ,
habit avenant ,
manteau profitable
chapeau commode, &,
panache de cerf.
Va-rience, dit Panurge,
& vendez-moy feulc,
ment un de vos Inou,
ton.
Tubleu
,
dit le Mat>
chand, ce seroit fortune
pour vous qu'un de ces
beliers. Vendriez sa fine
laine pour faire draps, sa
Mue peau pour faire cuir s
sa chair friande pour
nourrir Princes, & (i
petite-oye pieds :& teste
vous resteroient, & cornes
encore sur le marché-
Patience,dit Panurge,
tout ce que dites de cornerie
a esté corné aux
oreilles tant & tant de
fois,laissons ces vieilleties
; sottises nouvelles.
sont plus de InÍfea,
-- Ah qu'il dit bien! reprit
le Marchand, il merite
que mouton je luy
vende, ilestbon homme
: ç'a parlons daffaire.
Bon, dit Panurge eit
joye, vous venez au but,
6c n'auray plus besoinde
patience.
T C'a, dit le Marchand,
écoutez - mcy.j'écoute
dit Panurge.
LE M. Approchez cette
oreilledroite.P.
ce. LE M. Et la gauche. l P. Hé bien. LE M. En
l'autre encore. P. N'enay
quecesdeux. LE M.Ouvrez
- les donc toutes
grandes. P. A vôtre commandement.
LE MARC.
Vous allez au pays des
Lanternois? P.Ouy. LE
M. Voir le monde? P,
Certes. LE M. Joyeusement
? P. Voire. Le M,
Sans vous fâcher P. N'en
ayd'envie. LEM. Vous
avez nom Robin. P. Si
VOUS voulez. LE MARC.
Voyez-vous ce Moutons
P. Vous me l'allez vendre,
LEM.Ilanom Robin
comme vous. Ha
9 ha
, ha.Vons allez au
pays des Lanternois voir
le motide,i.oyeuCement,'
sans vous fâcher, ne vous
fâchez - donc guere si
Robin mouton n'est pas
pour vous. Bez, bez
bez; & continua ainsi
bez, bez, aux oreillesdu
pauvre Panurge
) en le
mocquant de la lourderie.
Oh,patience,patience
, reprit Panurge, bai£
sant épaules & teste en
toute humilité
,
à bon
besoin de
-
patience qui
moutons vcut avoir de
Dindenaut; maisje vois
que vous me lanternifibolisez
airtfi pource que
me croyez pauvre here,
voulant acheter sans
payer, ou payer sans argent,
ôc-en ce vous irom- -
pez à la mine, car voicy
dequoyfaire emplette :
disantcela Panurge tire
ample & longue bourse,
que par cas fortuit, contre
son naturel avoit pleine
de Ducacons, de laquelle
opulence le Marchand
fut ébahi, & incontinent
gausserie ccfTa
à l'aspectd'objet tant respectable
comme est argent.
,
Par iceluy alleché
le Marchand demanda
quatre, cinq, six fois
plus que ne valloit le
mouton;à quoy Panurge
fit comme riche enfant
de Paris, le prit au
mot, de peur que mouton
ne luy échapa
,
&
tirant desa bourse le prix
exorbitant, sans autre
mot dire que patience
,
patience, lnie les deniers
, és mains du Marchand
, & choisit à même le
troupeau un grand &
* beau maistre mouton
qu'il emporta brandi
fous son bras
- ,car de
forceautant que demalin
vouloir avoit,cependant
le mouton cryoit,
bêloit Sccn consequance
naturelle, oyant celuy-
cy bêler,bêloient
ensemblement les autres
moutons, commedisant
en leur langage moutonnois,
ou menez-vous
nostre compagnon,
de
mêmedisoient maisen
langageplus articulé les
assistants à Panurge ou
,diantre menez-vous ce
- mouton,& qu'en allezvous
faire, à quoy répond
Panurge le mouton
n'est-il pas à moyy
l'ay bien payé& chacun
de son bienfait selon
qu'il s'avise,ce mouton
s'appelle Robin comme
moy3 Dindenaut l'a dit.
Robin mouton sçait bien * nager je le voisà sa
mine
,
& ce disant subitementjetta
son mouton
en pleine mer, criantnage
Robin, nâge mon mignon
: or Robin mouton
allant à l'eau
,
criant
bêlant; tous les autres
moutons criansbêlans
en pareilleintonation,
commencerent soy jetter
après Se fauter en merà
la file, figue le debat entr'eux
estoit à qui suivroit
le premier son compagnon
dans l'eau, car
nature afait de tousanimaux
mouton le plu»*
sot, & a suivre mauvais
exemple le plus enclin,
fors l'homme.
Le Marchand tout cecy
voyant demeura ftupesait
& tout cHrayey
s'efforçant à retenir fèsmoutons
de tout foi*
pouvoir, pendant quoy
Panurge en son fang
froid rancunier, luy disoit
, patienceDindeinatit.,
patience, & ne
vous bougez, ny tourmentez.,
Robin mouton
reviendra à nâge & ses
compagnons - le refuivront;
venez Robin, venez
mon fils, & ensuite
crioit aux oreilles de
Dindenaut ,., comme avoit
par Dindenaut esté
crié aux siennes en signe
de moquerie, bez, bez,
FinablementDindenaut
voyant perir tous ses
moutons en prit un grãd
& fort par la toison, cuidant
aintl luy retenant
retenir le reste
)
mais d.
mouton puissantentraîna
Dindenaut luy -mê'
me , en l'eau
,
& ce sut
lors que Panurge redoubla
de crier, nâge Robin
, nâge Dindenaut,
bez, bez, bez,tant que
par noyement, des moutons
Sedu Marchand sut
cette avanture finie,donc
donc Panurge ne rioit
que sous barbe, parce
que jamais on ne le vit
rire en plein,queje sçache.
Jecroirois bien que le
caractere de Panurge a
servi de modele pour celuy
de la Rancune. Moliere
a pris de ce seul Con-
-
te-cy deuxou trois Jeux
de Theatre, & la Fontaine
plusieurs bons mots.
Enfin nos meilleursAutheurs
ont puisé dans Rabelais
leur excellent comique,
&les Poëtes dit
Pont -neuf en ont tiré
leursplates boufoiincries.
Les Euripides & les Se-
-
neques ont pris dans Homere
le sublime de leur
Poësie, & les Nourrices
luy doivent leurs Contes
depeau-d'asne,leurs Ogres
qui mangent la
chair fraîche, sont descendus
en ligne droite du
Cyclope dontvousallez
voir Je Conte.
Voiladonc Homere 8t
Rabelais grands modeles
pour l'excellent & dangereux
exemples pour le
mauvais du plus bas
ordre. Homere & Rabelais
occupent les beaux
esprits; mais ils amusent
les petits enfants;humiliez-
vous grands Auteurs
vousestes hommes ;
l'homme a du petit 6C
du grand du haut & du
1 bas; c'est son partage r
& si quelqu'unde nos
Sçavants S'obfbiie à
trouver tout granddans
un Ancien, petitesse
dans -ce Moderne quelque
grand qu'ilsoitd'ailleurs
il prouve ce que ja*
Vance, qu'il ya du petit
c'k., du grand dans tous
les hommes.
Revenons à nos moutons,
diroit Rabelais,
m'avez parlé des moutons
de Dindenaut, si
faut-il trouver aussi moutons
en oeuvres d'Hojnere3
puisque és miens
moutons y a , ou ne se
point mester ny ingerer
de le mettre en paralelle
àl'encontre de moy.
Ouy
Ouy dea, repliquerai
je, on trouvera prou
de moutons dans I'oeuvre
grec, & hardiment
les paralelliserai avec
les vôtres, Maître François;
car avez dit,
ou vous, ou quelqu'un
de votre école, que
chou pourchou Aubervilliers
vaut bien Paris;
& dirai de même, que
moutons pour moutons
Rabelais vaut bienHomere
: or a-t-on déja vû
comme par malignité
Panurgienne moutons
de Dindenaut sauterent
en Iller; voyons donc
commeparastuce l'iyfsienne
moutons de Ciclope
lui fauteront fous
jambe, en sortant de sa
caverne.
LES MOUTONS
DU CYCLOPE. DAns l'isle des Cyclopes
où j'avois PrIsterre,
je descendisavec les plus
vaillans hommes de mon Vaisseau
,
je trouvai une caverne
d'une largeur étonnante. Le
Çyclope qui l'habitoit étoit
aux champs,où il avoit mené
paître ses troupeaux.Toute
sa caverne étoit dans un ordreque
nousadmirions. Les
agneaux separez d'un côté,
les chevreaux d'un autre, &c.On yoyoit là de grands
pots à conserver le lait , ici
des paniers de jonc, dans lesquels
il faiioic des fromages,
&c. Nous avions aporté du vin,
pris chez les Ciconiens, &c..
Nous buvions de ce vin, &
mangions les fromages du Cy.
clope, lors qu'il arriva.
Je fus effrayé en le voyant.
C'étoit un vaste corps comme
celui d'une montagne; il n'y
eut jamais un monstre plus
épouvantable: il portoit sur
ses épaules une charge efrrbois
sec; le bruit qu'il fit en le jettant
à terre à l'entrée de la
caverne, retentit si fort, que
tous mes compagnons saisis de
crainte,secacherent en differens
endroits de cette terrible
demeure.
Il fait entrertoutes ses brebis;
il ferme sa caverne, pousfant
une roche si haute & si
forte, qu'il auroit été impossible
de la mouvoir, à
force de boeufs ou de chevaux.
Je le voyois faire tout fou
ménage,tantôt tirer le lait
de ses brebis, & Enfin il
allume ion feu, & comme
l'obscurité qui nous avoit cachez
fut dissipée par cette
clarté, il nous apperçut : Qui
êtes-vous donc, nous dit-il
d'un ton menaçant 2 des Pirates,
qui pour piller & faire
perir les autres hommes,ne
craignez pas vous-même de
vous exposer sur la mer ?
Quoy ? des Marchands que
l'avarice fait passer d'un bout
de l'U nivers à l'autre pour
s'enrichir,entretenant le luxe
de leur Patrie ? êtes-vous des
vagabons qui courez les mers
par la vaine curiosité d'apprendre
ce qui se passe chez
autruy.
Je pris la parole, & luy dis
que nous étions de l'armée
d'Agamemnon
, que je le
priois de nous traiter avec
l'hospitalité que Jupiter a
commandée,& de se souvenir
que les Etrangers font
fous la protection des Dieux
> & que l'on doit craindre de
les offenser.
Tu es bien temeraire
, me dit-ilfïerement, de venir de
si loin me discourir sur la
crainte & sur l'obeïssance
que tu dis que je dois aux
Dieux:apprens que les Cyclopes
ne craignent ni vôtre
Jupiter ni vos Dieux: pour
n'avoir été nouris d'une chevre,
ils ne s'estiment pas moins
heureux, je verray ce que je
-
dois faire de toy ,
je n'iray
point consulter l'Oracle làdessus,
c'est mon affaire de
sçavoir ce que je veux, &c.
Je lui parlai encor pour tâcher
de l'adoucir: mais dédaignant
de me répondre, il
nous regardoit avec (on oeil
terrible; (car les Cyclopcs
n'en ont qu'un.) Enfin il se
saisit tout d'un coup de deux
de mes compagnons,& a près
les avoir élevez bien haut, il
les abbatit avec violence, &
leur écrasa la tête: il les met
bientôt en pieces,la terreest
couverte de leur sang, il est
ensanglanté lui-même:ce montre
, ce cruel monstre les
mange, les devore: Jugez en
quel état nous étions 2
Aprés s'être rassasié de cette
abominable maniere
,
il
but plusieurs cruches de lait,
& s'étendit pour dormir au
milieu de ses troupeaux. Combien
de fois eus-je dessein de
plonger mon épée dans son
corps ?&c.mais il auroit salu
périr dans cette cavernes
car il étoit impossible d'ôter
la pierrequi la fermoit : il falloit
donc attendre ce que sa
cruauté decideroit de nôtre
vie.
A peine ce cruel fut-il éveillé
qu'il se prépara un déjeuner
aussi funeste que le repas du
foir précèdent, deux de mes
camarades furent dévorez de
même
, a prèsquoy il fit sortir
aupâturage ses troupeaux, &
nous laissa enfermez dans la
caverne,enrepoussant la pesante
roche qui lui servoit de
porte.
Je cherchons dans monesprit
quelque moyen de punir
ce barbare, & de nous délivrer.
Il y avoit à l'entrée
de sa caverne unemassuë aussi
longueque le mats d'un navire
, nous en coupâmes de quoi
faire une autre massuë
, que
nous aiguisâmes pour executer
mon projetquandl'occa,-
sion seroit venuë.
Le Cyclope rentra, &recommenca
un autre repas aus-
- sifuneste à deux autres de mes
compagnons, que ceux que
je vous ay racontez;je m'approchai
de lui portant en main
un vase de ce vin admirable
quenous avions. Buvez.; lui
dis-je,peut-êtremesçaurez-voui
gré du present que je vous offre,
¿y.,c.Il prit la coupe, la but,
& y ayant pris un extrême
plaisir, il voulut sçavoir mon
nom, & promit de metraiter
avec hospitalité.
Je remplis sa coupe une autre
fais, ill'avale avec plaisir,
il ne paroissoit plus avoir cet-
-
te cruauté qui nous effrayoit,
je caressois ce monstre, Cije
tâchois de le gagner par la
douceur de mes paroles, il
revenoit toûjours à me demander
mon nom.
Dans l'embarras où j'étois
je luy fis accroire que je me
nommoisPersonnes alors pour
récompense de mes caressés
& demon vin,il me dit:
Eh bien, Personne, tous tes
camarades passeront devant
toy >
je te reserve pour être
le dernier que je mangeray.
Il s'étendit à terre en me
prononçant ces terribles paroles
>
le vin & le sommeil
l'accablcrent 6c c'étoit
ce que j'attendois;j'allay
prendre ma Massuë, j'allumay
la pointe dans le feu
que le Cyclope avoit couvert
de cendres,nous a pprochons
du Cyclope, pendant que
quatre de mes compagnons
enfoncent ce bois& ce feu
dans son oeil, j'aidois à le
déraciner, &c.
Apres l'avoir aveuglé de
-
cette maniéré nous nous étions
retirez loin de luy, & nous
attendions quel seroit l'effet
de sa rage & de ses cris. Un
grand nombre deCyclopes,
qui avoient entendu les heurlemens
accoururent à sa porte,
& luy demandoient : qui
est-ce qui peut vous avoir attaquédans
vôtre Maison ?
Comme celui-cy s'étoit persuadé
que je me nommois
Personne, il ne pouvoir leur
faire comprendre qu'il yavoit
un ennemi en dedans qui l'avoit
maltraittè,ilsentendoiét
qu'iln'avoitété blessé de per- sonne.ainsi par cet équivoque
les Cyclopes se retirèrent
, en disant: c'est donc
une affiction que Jupitert'envoye
, il faut plier sous les
coups de sa colere.
Je fus ravi d'entendre que
ces Cyclopes le retiroient:
cependant celui-cy,outré de
rage,alloit de côté & d'autre
dans sa Caverne, étendant
les bras pour nous prendre
, mais rien n'étoit plus
aisé que de luy échapper,
l'espace étoit grand, & il ne
voyoit goutte, &c..-
Il prit enfin le party d'ouvrir
à demy sa Caverne, de
sortequ'il n'y avoit de place
que pour sortir trois ou quatre
ensemble, il crut qu'il nous
arrêteroit au passage: il se met
au milieu, qu'il occupoit, étendant les bras & les jambes,
& faisoit sortir ses Moutons
,qu'il tâtoit les uns aprés
les autres; nous ne donnâmes
pas dans un piége si grossier
, cependant il falloit sortir
ou périr; je repassois en
mon esprit une infinité de
stracagêmes ; Enfin ayant
choisi neuf desplus forts Beliers,
je les attachay trois à
trois, je liay fou-s leur ventre
mes neuf compagnons restez,
qui passerent de- cette sorte
ians être reconnus, je tentay
le même hasard pour moy^
il y avoitun Belier plusgrand
que tous les autres, je me cache
aussi fous son ventre, le
- Cyçlope le reconnoît à l'é- passeur de sa laine, le careslè
& le retient, comment,
disoit-il, tu n'es pas aujourd'huylepremier
au pâturage
? tu es touché de l'aÍfliél-ioa
de ton Maître, tu ne vois plus
cet oeil qui te conduisoit &:
que tu connoissois,un traître
me l'a arraché,tu me montrerois
ce traître si tu pouvois
m'exprimer ta fidélité, si jele
tenoiscesceelerat,&c.Enfin
ce monstre occupé de sa
rage & de savengeance,laisse
passerleBelier que je tenois
embrasse par la laine de son
col, & c'est ainsi. que nous
voyant tous en liberté, nous
respirâmesavec plaisir.
J'ai choisi de bonne foi
pour opposer aux contes
de Rabelais, un desmeilleurs
de l'Odiffée
; car
mon but principal est
d'orner mon paralelle, &:
non de dégrader Homere.
Convenons qu'il y a
une poësie excellente dans
les endroits même où il
manque de justesse & de
bon sens.. quel mot m'est
échappé? mais je me dédiray
quand on voudra,
ôcà force deraisonnemens
& d'interprétations
,
je
trouveray par tout du
bon sens n'en fut-il point.
On n'aura pas de peine
àen trouver beaucoup
dans
dans les discours que le
Cyclope tient à Ulysse;
le premier contient une
morale admirable. Qui
êtes-vous? luy-dit-il ,
des
Pirates, Cc. Il joint dans
le second à une noble fierté
contre Jupiter, une
raillerie fine & delicate.
se riirai point consulter
l'aracle, &c. Ce Cyclope,
ce monstre ell un
Aigle pour l'esprit
: mais,
tout a coup, avant même
que d'avoir bû, il devint
stupide comme un boeuf,
il se couche & s'endort
tranquillement au milieu:
de ses ennemis armez,aprés
avoir dévoré deux de
leurs compagnons.
Ce Cyclope establir
d'abord que les Cyclopes
ne reconnoissent
,
ni ne
craignent point Jupiter,
ni les autres Dieux: & ces
mêmes Cyclopes un moment
apres, trompezpar
l'équivoque & mauvaise
turlupinade du mot de
Personne, croyent pieusement
que les heurlemens
du monstre sont une juste
punition des Dieux, ôc
semblent même par une
crédulité respedueusen'o
fer entrer dans la caverne
du Cyclope, pour s'éclaircir
du fait. Mais j'ay
promis d'éviter la dissertation
dans ce paralelle-cy ;
nous trouverons assez
d'autres occasions de critique
dans Homere, &
beaucoup plus dans Rabelais.
Finissons par un petit
conte de ce dernier.
ES
LA FEMME
MUETE.
DAns
un certain Pays
barbare & non policé en
moeurs, y avoit aucuns
maris bourus, & à chef
mal tymbré
, ce que ne
voyons mie parmy nos
maris Parisiens, dont
grande partie, ou tous
pour le moins, sont merveilleusement
raisonnans,
& raisonnables;aussi onc
ne vit-on arriver à Paris
grabuge ni maleficeentre
maris & femmes.
Or en ce Pays-là, tant
different de celui-cinôtre,
y avoit un mary si pervers
d'entendement, qu'ayant
acquis par mariage une
femme muete,s'en ennuya
& voulant soy guerir de
cet ennuy & elle de sa
mueterie, le bon & inconsideré
mary voulut qu'-
elle parlât, & pour ce
eut recours à l'art des Medecins
& Chirurgiens, qui
pour la démuetirluiinciserent
& bistouriserent un.
enciligloteadherâtaufilet.
bref, elle recouvra santé
de langue, & icelle langue
voulant recuperer l'oysiveté
passée, elle parla tant,
tant & tant,quec'estoit
benediction
;
si
ne laissa
pourtant le mary bouru
de se lasserde si plantheureuse
parlerie : il recourut
au Medecin, le priant &
conjurant, qu'autant il
avoit mis de science en oeuvre,
pour faire caq ueter sa
femme muete, autant il en
employât pour la faire taire.
Alors le Medecin confessantque
limitéest le sçavoir
médicinal,lui dit qu'il
avoit bi^n pouvoi r de
faire
parler femme
; mais que
faudroit arc bien pluspuisfant
pour la faire taire. Ce
monobstant le mari suplia,
pressa, insista, persista, si
que le sçavantissime docteur
découvrit en un coin
des registres de son cerveau
remede unique, &
specifique contre iceluy
interminable parlement
de femme,& ce remede
c'est surdité du mary. Ouidà,
fort bien, dit le mari :
mais de ces deux maux
voyons quel fera le pire,ou
entendre sa femme parler,
ou ne rien entendre du
tout; Le cas est suspensif,
&: pendant que ce mari
là-dessus en suspens estoit,
Medecin d'operer, Medecin
de medicamenter,par
provision, sauf à consulter
par apré1s.
Bref par certain charme
de sortilege medicinal
le pauvre mari se trouva
sourd avant qu'il eût acheve
de déliberer s'il confentiroit
à surdité
:
Lyvoila
donc, & il s'y tient faute
de
de mieux, & c'est comme
il faudroit agir en opérations
de medecine, Qu'arriva-
t-il? e'cousez.ôcvous
lesçaurez. :A'J:\ -J Le Medecinàhalde besogne
demandoitforce
argent:mais c'est à quoy
ce maryne peut entendre;
car il est sourd comme
voyez, le Medecin pourtant
par beaux signes &c
gestes significatifs argent
demandait& redemadoit
jusqu'às'irriter & colerier:
mais en pareil cas gestes
ne font entendus, à peine
entent-on paroles bien articulées
,ou écritures attestées
& réiterées par Sergens
intelligibles. Le Medecin
donc se vit contraint
de rendre l'oüie au sourd,
afin qu'il entendît à payement,
& le mary de rire,
entendant qu'ilentendoit,
puis de pleurer par prévovoyance
de ce qu'il n'entendroit
pas Dieu tonner,
désqu'il entendroit parler
sa femme.Or, de tout ceci
resulte, conclusion
moralement morale, qui
dit,qu'en cas de maladie
& de femmes épousées,
le mieux est de le tenir
comme on eit de peur de
pis.
Fermer
Résumé : ARTICLE burlesque. Suite du Paralelle d'Homere & de Rabelais.
Le texte compare les œuvres d'Homère et de Rabelais, deux auteurs classiques, en mettant en lumière leurs aspects comiques et sérieux. L'auteur souhaite rendre les œuvres de Rabelais plus accessibles aux dames, qui trouvent Homère plus intelligible grâce à une récente traduction en français. Pour ce faire, il entreprend de clarifier et de purifier certains passages de Rabelais afin de les rendre moins ennuyeux pour un public féminin. L'auteur présente ensuite un conte de Rabelais, 'Les Moutons de Dindenaut', qu'il a adapté pour le rendre plus agréable et intelligible. Ce conte met en scène Panurge, un personnage de Rabelais, et un marchand de moutons nommé Dindenaut. Panurge achète un mouton nommé Robin et le jette à la mer, provoquant une réaction en chaîne où tous les moutons suivent Robin et se noient. Le marchand, tentant de retenir ses moutons, se noie également. Le texte compare ce conte à un épisode de l'Odyssée d'Homère, où les moutons du Cyclope jouent un rôle similaire. L'auteur souligne que les meilleurs auteurs ont puisé dans Rabelais et Homère pour leur comique et leur sublime, respectivement. Il conclut en affirmant que ces auteurs sont des modèles pour le meilleur et le pire, et que tous les hommes ont en eux du petit et du grand. Par ailleurs, le texte relate un épisode de l'Odyssée où Ulysse et ses compagnons sont capturés par un Cyclope. Ulysse tente de convaincre le Cyclope de les traiter avec hospitalité, invoquant la protection des dieux, mais le Cyclope refuse, affirmant qu'il ne craint ni Jupiter ni les dieux. Il dévore plusieurs compagnons d'Ulysse et les laisse enfermés dans sa caverne. Ulysse, cherchant un moyen de se venger, prépare une massue avec ses compagnons. Lors du retour du Cyclope, Ulysse lui offre du vin pour l'endormir. Profitant de son sommeil, Ulysse et ses hommes lui crevent l'œil avec la massue chauffée à blanc. Aveuglé, le Cyclope appelle à l'aide, mais ses semblables, trompés par l'équivoque du nom 'Personne', ne lui portent pas secours. Ulysse et ses hommes s'échappent en s'accrochant sous les moutons du Cyclope. Le texte se termine par une réflexion sur la poésie d'Homère, soulignant la moralité et la finesse des discours du Cyclope.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
18
p. 13-29
EXTRAIT d'un manuscrit par quelques François, dont on n'avoit encore eu aucunes nouvelles, parce qu'il s'en sauva que deux, qui ne sont arrivez à Brest que depuis quelques mois.
Début :
Il y a quelques années que dix François escortez de [...]
Mots clefs :
Brest, Roi, Hommes, Nation, Français, Peuple, Rivière, Pays, Découverte, Mississippi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'un manuscrit par quelques François, dont on n'avoit encore eu aucunes nouvelles, parce qu'il s'en sauva que deux, qui ne sont arrivez à Brest que depuis quelques mois.
.Ex-'TRAIT
d'un manuscrit de rua.
yageentrepris parquelques
François, donton
n'avait encore eu aucunes
nouvelles,parce
qud'eilunxe,qsu'einnessaounvtaarqruievez,
a Brestque depuis
quelques mots* I L y a quelques années
que dix François escortez
de deuxSauvages,estant
partisde Montreal,&s'estant
arrestez dans le pays
des Illinois, & sur le bord
de la riviere de Mififtapy,
ils eurent envied'aller à la
découverte. Ils prirent
trois Canotsd'écorce pour
remonter Misissipy
,
sur
lesquels ayant fait cent
cinquante lieuës,ils trouverent
un sault qui les obligea
à faire pendant six
lieuës un portage ,
aprés
lequel ils se rembarquerent
sur le mesmefleuve,
& remonterent encore
quarante lieues sans trouvsr
aucune Nation. Ils
chafiercnr pendant un
mois & demy
,
& tenterent
quelque nouvelle découverte
;enfin ils trouverent
une riviere à quatorze
lieuës de là qui couroit au
Sud Sud-Ouest ce qui
leur fie croire qu'elle alloit
se rendre dans la mer du
Sud, ayant son cours opposé
à celles qui vont se
rendre dans la mer du
Nord. ils resolurent de
porter leurs Canots, pour
y naviger. Dans ce trajet
ils trouverent des lions,
des leopards
,
des tigres,
qui ne leur firent aucun
mal. Estant entrez dans
cette riviere, &: estant descendus
environ centcinquante
lieuës,ilstrouverent
une grande Nation,
qu'on appelle Escaniba,
qui occupe pour le moins
deux cens lieuësde pays,
dans lequelils trouverent
plu sieurs villes,villages
forts, dont les maisons sont
basties de bois & d'écorces.
Ilsont un Roy qui
se dit Descendant de Montcztmu,
& quiestordinairement
habillé de peaux
d'hommes, qui fontcommunes
en ces pays-là,les
peu ples mesme s'en habillent
aum.
Ils font policés en leurs
manieres, Idolatres,leurs
Idoles font affreuses & d'une
grandeur énorme
,
lesquelles
sont dans le Palais
du Roy. Il y en a deux entre
autres, dont l'une est de
figure humaine, armée de
lances & de traits, tenant
un pied enterre,& l'autre
en l'air
* avec la main sur
une figure decheval, comme
s'il vouloit le monter.
Ils disent quec'estla ftai
tuë d'un de leurs Roys qui
qui a filé grand conqueranr.
Cette statuë a dans
la bouche une escarboucle
de formequarrée,&grosse
comme un oeuf d'houtarde
,
qui brille & éc laire
pendant la nuit comme
un feu. L'autre de ces Idoles
estune femme, qui eH:
une Reine montéeen selle
sur une figure de Licorne
à costé de quatre grands
chiens. Ces figures sont
d'or fin nlafIif, & très- malfaites.
Elles sont placées
sur une estradequiest aussi
d'or,& de trente piedsen
quarré. Entre les deux fta*
tuës on entre dans l'appartement
duRoypar unvestibule
magnifique, c'est
là où se tient la garde du
Roy composée de deux
cens hommes.
-.. Le Palais du Roy est
tres grand, & a trois étages
,
les murailles de
huit pieds, font d'or massifen
carreaux rangez l'un
sur l'autre comme des briques
, avec des cram pons
& des barres de mesme
métal,le resteest decharpente
couverte de bois
JeRoy :t y demeure seul avec
ses femmes.À --vj.
'h'
Ces peuples font un.
grand commerce d'or; on
n'a pu deviner avec quel..
le Nation, si ce n'est,laJaponnoise
; car ils le tran sportent
fort loinparcaravannes,
& ils direntà nos
François, qu'ily avoit six
Lunes de chemin jusqu'à
cette Nation. Nos avanturiers
virent partir une
de ces caravannes dans le
tempsde leur sejour, COIHT.-
posée de plus de trois cens
boeufs tous chargez d'or
cscortez d'un pareil nombre
de cavaliers armez dis
lances & de flèches , avec
une espece de poignard;
la Nation leur donne en
- troc du fer, de l'acier, Irlz
des armes blanches. Ils
n'ont point l'usage de l'escriture,
ilsontuneespece
d'écorce apprestée comme
du papier
,
sur laquelle ils
marquent la quantité d'os
dont le conducteur est
chargé
).
& dont il doit
compter a sonretour.
,.
Le Roy s'a ppelle Agauzan,
qui veut dire en leur
langage,le Grand Roy;
il n'a aucune guerre , &
cependant il a tousjours
cent mille hommes tant
Cavalerie qu'Infanterie»
Leurs trompettes font
droites & d'or, dont ils sonnent
fort mal, & des especes
de tambours portez
par des boeufs, faits comme
des chaudrons d'or ,
couverts de peaux de cerfs;
les troupes s'exercent une
fois la semaine en presence
du Roy.
Ces peuples font basanez
, hideux, la teste Ion:"
gue & estroite, parce qu'on
leur ferre la teste estant
jeunes avec du bois ; les
femmes y sont belles &
blanches comme en Europe
; elles ont aussibien
que les hommes de grandes
oreilles qu'ils estiment
une beauté,&qu'ils chargent
danneaux dor ; ife
ont aussi les ongles fort
grands, & cela est une distinéction
,
les hommes les
plus velus y sont les plus
-beàux.,
La poligamie y cffc en
usage, & ils le mettent peu
en peine de la conduite
desfilles, pourveu qu'elles
ne soient point engagées.
Ils aiment la joye & la
danse,mangent beaucoup,
font du vin de palme
,
ôc
ont d'autres boissons3
grands fumeurs, le tabac
y est bon, ôc vient sans
cftre cultivé;ils receurent
parfaitement bien lesFrançois
qui estoient les prcmiers
Européensqu'ils eussent
veus.
Le Roy voulutles retenir
,
& les marier, & il
leur fit promettre de revenir.
Ils estoient surpris de
l'effet des fusils
, • & les
craignoientsifort qu'ils
D'oÍtrCnr enapprocher.
Lepaysest fort tempere,
on y vit jusqu'à une extrêmevieillesse
,&les peuples
ne sontsujets à aucune
maladie.
On y trouve toutes fortes
de fruitstant d'Europe
que des Indes. Ily a du
bled (1'Inde) & dela folle
avoine aussi bonne & au-ni
blancheque le ris; ils font
du pain de l'un & de l'autre,
on n'y cultive que le
bled d'Inde, les plaines y
sont belles, les paturages
excellents, & remplis de
toutes fortes d'animaux,
les rivieres poissonneuses,
& les terres & les bois remplis
d'oiseaux
,
de perroquets
,de singes,& d'animaux
singuliers. La ville
capitale est esloignéed'environ
six lieuës de la riviere
de Missi
, qui veut dire
Riviere d'or ony l.
Nos François,après avoir
pris congé du Roy , promirent
de revenir dans
trente six Lunes, & d'apporter
du corail, des nasfades
& d'autres marchandises
du Canada, pour troquer
contre de l'or. Ils en
fonc si peu de cas que le
Roy leur dit d'en prendre
à leur discretion
,
de maniere
qu'ils s'en chargerent
,
& prirent chacun
soixante barres d'environ
une palme de long, & du
poids r de quatre livres.
Deux de nos avanturiers
eurent la curiosité d'aller
voir l'endroit d'où l'on tire
cet or,ils rapporterentque
les mines estoient dans le
creux des montagnes, ôc
quedans lesdebordemens
les eaux les entraisnoient,
& que la seicheresse estant
venuë on en trouvoit de
gros monceaux sur le lit
des terres qui demeurent
àsec quatremois de l'année.
Lapluspart denosFrançois
furent maffectez dans
leur retour auxembouchures
du fleuve saint Laurent
, par un forban Anglois;
il n'yen a que deux
qui
quise soient échappez,&
qui après une longue captivité
en différences bayes
aux Indes orientales
, occidentales
,& à laChine,
sesonsenfin rendus à Brest,
ils assurent sur leur teste,
que si l'on veut les conduire
à Mi/ifli-py.ilsretrouveront
aisément le chemin
qu'ils ont fait, &c conduit,
rontàce nouveau Perou.
d'un manuscrit de rua.
yageentrepris parquelques
François, donton
n'avait encore eu aucunes
nouvelles,parce
qud'eilunxe,qsu'einnessaounvtaarqruievez,
a Brestque depuis
quelques mots* I L y a quelques années
que dix François escortez
de deuxSauvages,estant
partisde Montreal,&s'estant
arrestez dans le pays
des Illinois, & sur le bord
de la riviere de Mififtapy,
ils eurent envied'aller à la
découverte. Ils prirent
trois Canotsd'écorce pour
remonter Misissipy
,
sur
lesquels ayant fait cent
cinquante lieuës,ils trouverent
un sault qui les obligea
à faire pendant six
lieuës un portage ,
aprés
lequel ils se rembarquerent
sur le mesmefleuve,
& remonterent encore
quarante lieues sans trouvsr
aucune Nation. Ils
chafiercnr pendant un
mois & demy
,
& tenterent
quelque nouvelle découverte
;enfin ils trouverent
une riviere à quatorze
lieuës de là qui couroit au
Sud Sud-Ouest ce qui
leur fie croire qu'elle alloit
se rendre dans la mer du
Sud, ayant son cours opposé
à celles qui vont se
rendre dans la mer du
Nord. ils resolurent de
porter leurs Canots, pour
y naviger. Dans ce trajet
ils trouverent des lions,
des leopards
,
des tigres,
qui ne leur firent aucun
mal. Estant entrez dans
cette riviere, &: estant descendus
environ centcinquante
lieuës,ilstrouverent
une grande Nation,
qu'on appelle Escaniba,
qui occupe pour le moins
deux cens lieuësde pays,
dans lequelils trouverent
plu sieurs villes,villages
forts, dont les maisons sont
basties de bois & d'écorces.
Ilsont un Roy qui
se dit Descendant de Montcztmu,
& quiestordinairement
habillé de peaux
d'hommes, qui fontcommunes
en ces pays-là,les
peu ples mesme s'en habillent
aum.
Ils font policés en leurs
manieres, Idolatres,leurs
Idoles font affreuses & d'une
grandeur énorme
,
lesquelles
sont dans le Palais
du Roy. Il y en a deux entre
autres, dont l'une est de
figure humaine, armée de
lances & de traits, tenant
un pied enterre,& l'autre
en l'air
* avec la main sur
une figure decheval, comme
s'il vouloit le monter.
Ils disent quec'estla ftai
tuë d'un de leurs Roys qui
qui a filé grand conqueranr.
Cette statuë a dans
la bouche une escarboucle
de formequarrée,&grosse
comme un oeuf d'houtarde
,
qui brille & éc laire
pendant la nuit comme
un feu. L'autre de ces Idoles
estune femme, qui eH:
une Reine montéeen selle
sur une figure de Licorne
à costé de quatre grands
chiens. Ces figures sont
d'or fin nlafIif, & très- malfaites.
Elles sont placées
sur une estradequiest aussi
d'or,& de trente piedsen
quarré. Entre les deux fta*
tuës on entre dans l'appartement
duRoypar unvestibule
magnifique, c'est
là où se tient la garde du
Roy composée de deux
cens hommes.
-.. Le Palais du Roy est
tres grand, & a trois étages
,
les murailles de
huit pieds, font d'or massifen
carreaux rangez l'un
sur l'autre comme des briques
, avec des cram pons
& des barres de mesme
métal,le resteest decharpente
couverte de bois
JeRoy :t y demeure seul avec
ses femmes.À --vj.
'h'
Ces peuples font un.
grand commerce d'or; on
n'a pu deviner avec quel..
le Nation, si ce n'est,laJaponnoise
; car ils le tran sportent
fort loinparcaravannes,
& ils direntà nos
François, qu'ily avoit six
Lunes de chemin jusqu'à
cette Nation. Nos avanturiers
virent partir une
de ces caravannes dans le
tempsde leur sejour, COIHT.-
posée de plus de trois cens
boeufs tous chargez d'or
cscortez d'un pareil nombre
de cavaliers armez dis
lances & de flèches , avec
une espece de poignard;
la Nation leur donne en
- troc du fer, de l'acier, Irlz
des armes blanches. Ils
n'ont point l'usage de l'escriture,
ilsontuneespece
d'écorce apprestée comme
du papier
,
sur laquelle ils
marquent la quantité d'os
dont le conducteur est
chargé
).
& dont il doit
compter a sonretour.
,.
Le Roy s'a ppelle Agauzan,
qui veut dire en leur
langage,le Grand Roy;
il n'a aucune guerre , &
cependant il a tousjours
cent mille hommes tant
Cavalerie qu'Infanterie»
Leurs trompettes font
droites & d'or, dont ils sonnent
fort mal, & des especes
de tambours portez
par des boeufs, faits comme
des chaudrons d'or ,
couverts de peaux de cerfs;
les troupes s'exercent une
fois la semaine en presence
du Roy.
Ces peuples font basanez
, hideux, la teste Ion:"
gue & estroite, parce qu'on
leur ferre la teste estant
jeunes avec du bois ; les
femmes y sont belles &
blanches comme en Europe
; elles ont aussibien
que les hommes de grandes
oreilles qu'ils estiment
une beauté,&qu'ils chargent
danneaux dor ; ife
ont aussi les ongles fort
grands, & cela est une distinéction
,
les hommes les
plus velus y sont les plus
-beàux.,
La poligamie y cffc en
usage, & ils le mettent peu
en peine de la conduite
desfilles, pourveu qu'elles
ne soient point engagées.
Ils aiment la joye & la
danse,mangent beaucoup,
font du vin de palme
,
ôc
ont d'autres boissons3
grands fumeurs, le tabac
y est bon, ôc vient sans
cftre cultivé;ils receurent
parfaitement bien lesFrançois
qui estoient les prcmiers
Européensqu'ils eussent
veus.
Le Roy voulutles retenir
,
& les marier, & il
leur fit promettre de revenir.
Ils estoient surpris de
l'effet des fusils
, • & les
craignoientsifort qu'ils
D'oÍtrCnr enapprocher.
Lepaysest fort tempere,
on y vit jusqu'à une extrêmevieillesse
,&les peuples
ne sontsujets à aucune
maladie.
On y trouve toutes fortes
de fruitstant d'Europe
que des Indes. Ily a du
bled (1'Inde) & dela folle
avoine aussi bonne & au-ni
blancheque le ris; ils font
du pain de l'un & de l'autre,
on n'y cultive que le
bled d'Inde, les plaines y
sont belles, les paturages
excellents, & remplis de
toutes fortes d'animaux,
les rivieres poissonneuses,
& les terres & les bois remplis
d'oiseaux
,
de perroquets
,de singes,& d'animaux
singuliers. La ville
capitale est esloignéed'environ
six lieuës de la riviere
de Missi
, qui veut dire
Riviere d'or ony l.
Nos François,après avoir
pris congé du Roy , promirent
de revenir dans
trente six Lunes, & d'apporter
du corail, des nasfades
& d'autres marchandises
du Canada, pour troquer
contre de l'or. Ils en
fonc si peu de cas que le
Roy leur dit d'en prendre
à leur discretion
,
de maniere
qu'ils s'en chargerent
,
& prirent chacun
soixante barres d'environ
une palme de long, & du
poids r de quatre livres.
Deux de nos avanturiers
eurent la curiosité d'aller
voir l'endroit d'où l'on tire
cet or,ils rapporterentque
les mines estoient dans le
creux des montagnes, ôc
quedans lesdebordemens
les eaux les entraisnoient,
& que la seicheresse estant
venuë on en trouvoit de
gros monceaux sur le lit
des terres qui demeurent
àsec quatremois de l'année.
Lapluspart denosFrançois
furent maffectez dans
leur retour auxembouchures
du fleuve saint Laurent
, par un forban Anglois;
il n'yen a que deux
qui
quise soient échappez,&
qui après une longue captivité
en différences bayes
aux Indes orientales
, occidentales
,& à laChine,
sesonsenfin rendus à Brest,
ils assurent sur leur teste,
que si l'on veut les conduire
à Mi/ifli-py.ilsretrouveront
aisément le chemin
qu'ils ont fait, &c conduit,
rontàce nouveau Perou.
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Résumé : EXTRAIT d'un manuscrit par quelques François, dont on n'avoit encore eu aucunes nouvelles, parce qu'il s'en sauva que deux, qui ne sont arrivez à Brest que depuis quelques mois.
Un groupe de dix Français, accompagné de deux autochtones, quitta Montréal pour explorer le pays des Illinois, près de la rivière Mississippi. Ils entreprirent une expédition en remontant le Mississippi sur trois canots d'écorce, parcourant environ 150 lieues avant de rencontrer un obstacle les forçant à faire un portage de six lieues. Après avoir remonté encore 40 lieues sans rencontrer de nation, ils découvrirent une rivière coulant vers le sud-sud-ouest, qu'ils pensèrent mener à la mer du Sud. En naviguant sur cette rivière, ils parcoururent environ 150 lieues et trouvèrent une grande nation appelée Escaniba, occupant au moins 200 lieues de territoire. Cette nation possédait plusieurs villes fortifiées avec des maisons en bois et en écorce. Leur roi, se prétendant descendant de Montezuma, était souvent vêtu de peaux humaines. Les habitants étaient idolâtres, avec des idoles énormes et affreuses dans le palais royal. Ils pratiquaient un grand commerce d'or, transporté par caravanes de bœufs, et échangeaient l'or contre du fer et des armes blanches. Le roi, nommé Agauzan, disposait d'une armée de 100 000 hommes et vivait dans un palais en or massif. Les Français furent bien accueillis et promirent de revenir avec des marchandises pour échanger contre de l'or. Cependant, lors de leur retour, la plupart furent capturés par un forban anglais, et seuls deux survivants parvinrent à Brest après une longue captivité. Ils affirmèrent pouvoir retrouver le chemin du 'nouveau Pérou' s'ils étaient conduits au Mississippi.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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19
p. 1-5
Au camp devant Venasque le 18. Septembre.
Début :
Mr le Marquis d'Arpajon ayant fait ouvrir la tranchée [...]
Mots clefs :
Venasque, Troupes, Hommes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Au camp devant Venasque le 18. Septembre.
Au Camp devant Venasque
le 18. Septembre.
Mr le Marquis d'jfrpajon
Ayant fait ouvrir la tranchée
la nuitdu 1 1. au 12. ellefut
pousséejusqu'à une hauteur où
l'on établit uue batterie le len-
JenJain, qui commença à tirer
le jour mesme,&qui continua,
le 14. & le
1 j. ensorte que
l'onfit une bréche large de cinq
toises. Neanmoins Mr le
Marquis d'Arpajon ne jugea
pas à propos que les troupes
entreprissent d) monter, parce
qu'outre quelle étoit trop escarpée,
ilyavoitderriere, un
retranchement formé de facqs
remplisde laine
,
soutenus par
des poutres devant&derriere
& dont celle de devant étoient
en pointe vis
-
à- vis de la
bréche. Cet inconvenient fit
prendre la resolution de tirer à
bouletsrouges dans le Chasteau,
afin Jj mettre le feu, ce qui
teûjfit dés lepremier coup qui
fut tiré: le boulet mit le feu à
la paille des Casernes qui se
communiqua incontinent à la
charpente & causa un fort
grand enbrazement qui fit
fendre le mur de la Cisterne.
Le Gouverneur fit aussi-tost
battre la Chamade & la Capitulation
fut, qu'ilseroitprisonnier
de guerre avec les
troupes reglées desagarnison,
montant à trois cens hommes,
fy les Miquelets à direction.}
parmi les trois cens hommes il
y enavoit cent du Regiment
de Showel dont cinquante
prirent parti dans les troupes
du Roy d'Espagne. Le reste,
parmi lesquels ily avoit dixhuitOfficiers,
dont deux étoient
Lieutenants Colonels
3
demanderent
à ejlre conduits en
France, cm le Gouverneur,
en Atragon. La prise de ce
Chasteau rfi tres-importante,
parce qu'elle nous ouvreune
communication libre avec la
Gascogne par le pays de
Comminge: c'estoit la principale
retraite des Miquelets
de ce costé là. Ils avoient lieu
de s'ycroire en seureté, car U
situation en est si avantageux
se
,
qu'untres-petit nombre
d'hommes qui ne manqueroient
ni devivres ni de Munitions.
pourroient y tenir fort longtemps
contre une puissante
armée.
le 18. Septembre.
Mr le Marquis d'jfrpajon
Ayant fait ouvrir la tranchée
la nuitdu 1 1. au 12. ellefut
pousséejusqu'à une hauteur où
l'on établit uue batterie le len-
JenJain, qui commença à tirer
le jour mesme,&qui continua,
le 14. & le
1 j. ensorte que
l'onfit une bréche large de cinq
toises. Neanmoins Mr le
Marquis d'Arpajon ne jugea
pas à propos que les troupes
entreprissent d) monter, parce
qu'outre quelle étoit trop escarpée,
ilyavoitderriere, un
retranchement formé de facqs
remplisde laine
,
soutenus par
des poutres devant&derriere
& dont celle de devant étoient
en pointe vis
-
à- vis de la
bréche. Cet inconvenient fit
prendre la resolution de tirer à
bouletsrouges dans le Chasteau,
afin Jj mettre le feu, ce qui
teûjfit dés lepremier coup qui
fut tiré: le boulet mit le feu à
la paille des Casernes qui se
communiqua incontinent à la
charpente & causa un fort
grand enbrazement qui fit
fendre le mur de la Cisterne.
Le Gouverneur fit aussi-tost
battre la Chamade & la Capitulation
fut, qu'ilseroitprisonnier
de guerre avec les
troupes reglées desagarnison,
montant à trois cens hommes,
fy les Miquelets à direction.}
parmi les trois cens hommes il
y enavoit cent du Regiment
de Showel dont cinquante
prirent parti dans les troupes
du Roy d'Espagne. Le reste,
parmi lesquels ily avoit dixhuitOfficiers,
dont deux étoient
Lieutenants Colonels
3
demanderent
à ejlre conduits en
France, cm le Gouverneur,
en Atragon. La prise de ce
Chasteau rfi tres-importante,
parce qu'elle nous ouvreune
communication libre avec la
Gascogne par le pays de
Comminge: c'estoit la principale
retraite des Miquelets
de ce costé là. Ils avoient lieu
de s'ycroire en seureté, car U
situation en est si avantageux
se
,
qu'untres-petit nombre
d'hommes qui ne manqueroient
ni devivres ni de Munitions.
pourroient y tenir fort longtemps
contre une puissante
armée.
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Résumé : Au camp devant Venasque le 18. Septembre.
Le 18 septembre, le Marquis d'Arpajon annonce la prise du château de Venasque. Les travaux de siège, initiés la nuit du 11 au 12 septembre, ont permis d'établir une batterie qui a ouvert une brèche de cinq toises les 14 et 15 septembre. Cependant, cette brèche était protégée par des fascines remplis de laine et soutenus par des poutres. Pour surmonter cet obstacle, des boulets rouges ont été utilisés pour incendier le château. Le premier boulet a mis le feu à la paille des casernes, endommageant le mur de la citerne. Le gouverneur a alors demandé la capitulation, devenant prisonnier de guerre avec 300 hommes, dont 100 du régiment de Showel. Parmi eux, 50 ont rejoint les troupes du roi d'Espagne, tandis que les autres, incluant 18 officiers et deux lieutenants-colonels, ont demandé à être conduits en France. La prise de ce château est stratégique car elle ouvre une communication libre avec la Gascogne via le pays de Comminge, principale retraite des Miquelets. La position du château permet à un petit nombre d'hommes de tenir longtemps contre une armée puissante.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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20
p. 37-52
Lettre contenant un détail de ce qui s'est passé à l'Armée commandée par Monsieur de Vendosme, depuis le 16. Septembre jusqu'au 23.
Début :
Pour vous informer au juste des mouvements de nôtre Armée [...]
Mots clefs :
Ennemis, Canon, Hommes, Ruisseau, Armée, Convoi, Duc de Vendôme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Lettre contenant un détail de ce qui s'est passé à l'Armée commandée par Monsieur de Vendosme, depuis le 16. Septembre jusqu'au 23.
Lettre contenant un détail de
-
ce quis'est passé à l'Armée
commandée par Monsieur
de Vendosme
,
depuis le 16.
Septembrejusqu'au 2.3.
}>
Pour vousinformer au
» juste des mouvements de
» nôtre Armée, je vous
»diray qu'elle décampa le
16. Septembre de Cervera » &Agramunt,&vintcam-
» pcr en deux Corps à Tar,
yroja &àGuissonna.
>3
Le lendemain 17. nous
Ȏtant tous joints dans la
»Plaine de Connil, nous »marchâmes à la hauteur
"de Saint Martin qui est
un Village ou nous de-
»vionsfaire halte, nous la
3)
fimes effectivement;mais
nous ne nous attendions
» pas à beaucoup prés d'y
trouver les Ennemis, dont
JJ
nous vimes l'Armée qui
marchoit pour venir Focuper
aussi-bien que le
;, gros bourg de Calas.
»Ilfallutfaire unedisposition
pour aller en,
„ avant, dans un terrain fort
»dlfjcile & fort scabreux par
„ tous les ravins & les am-
5J phiteatresque formoient
3>
les Vignes. Pendant ce
temps là, les ennemis qui
s'etoient arrestez & qui s3étoient
mis en battaille,
commencerent à défiler
par leurs derrieresjusqu'à ,, Pratz-del Rey où ilsap-
„puyérent leur droite, &
"leur gauche à un gros
,,,
„Convent ou il y a un Moulin sur le bord d'un
l' ruisseau - derriere lequel
„ils se formerent ; nous
„ nousaprochâmesd'eux en
),
bataille à la portéedufusil;
,,Mais comme le canon ,l,., ,,n'étoit point encore arri-
,,
vé, que nous avions plus
,, de la moitié de l'Armée
„derriere, à cause de la
.J)
longue journée par ce
J)
qu'elle ne put trouver
,,
d'eaudans toute sa mar- ,)che, on remit la partie
.&y
au lendemain, & les deux „Armées coucherentauBi-
^voiiacen se donnant force
fanfares méfiez de Haut-
,, bois. Pendant la nuit
"on fit reconnoistre les
'>
bords du ruisseau qui se ,,trouverent cfcarpez plus
„ qu'on ne pensoit &
>>
absolument impraticables
„ Le 18. au matin nostre
canon étant arrivé on
,,commanç2 à sept heures
,,&-demie à tirer sur les
,,
ennemis qui ne pouvoient
",
avoir le leur, par ce qu'
„ étant angagé dans le défilé
))qui est entre Santa Colo-
5)ma & Saint Martin dont
.,)il étoit déjaassés prés &
;, que nous occupâmes
}y d'abord, ils avoient été
„obligez de le faire retour-
,,ner sur ses pas avecdili-
,, gence & de luy faire
fàlreP le tour par 1-;
„guaïda. Ainsi le nostres
* '"les maltraita fort & fit
„souffrir principalement
"leur Cavallerie; ils recu-
„lerent leurs lignes de
,,quelque distance & les
ayant placéessurdes hau- 1
„teurs fort avantageuses,
„ils•tâcherait de se cou- 1 vrirde nostrefeu en
,,
proficant de petits rideaux
"C]ui étoient devant eux
do)
Ils envoyerent deux mille
5,
hommes dans le village de
,3Pratz-del- Rey
,
endeça
3S
du ruisseau & qui est bien
3)ferme par une muraille
,,épaisse
,
bien flanquée par
5,
des tours & avec un che-
JJtnin de ronde dessus: ils
'),
mirent aussi à leur gauche
"dans le Convent qui est
,) au de-là huit cent hommes
»)qui s'y retrancherent.
,,Ainsi il étoit inutile de
„ tenter une affaire qui cer-
,,tainement auroit mal
5)
tourné pour nous puisque
„ la Cavallerie ne pouvoit
pas seulement donner un
,,coup de main, & que „leurs postes n'croient que
l'affaire de l'Infanterie
„
dont la leur est fuperieurc
,,à la nostre; cependant
„ comme il faut boire absolument
& qu'il n'y
,)avoit pas d'autre eau que
,,
celle du ruisseau, Mon-
,,sieur de Vendosme s'étant
,,avancé à une de nos batateries,
envoya deux com-
,,pagnies de Grenadiers des
J)
G irdes Wallones pour
,,cliaffir une des petites
»
Gardes que les ednemis
avoient portées pour
,, garder les bords du ruis-
„
seau; les ennemis voyant
,, ces Troupes pousséesen-
.;; voyerent leurs Grenadiers
,,en-plus gros nombre qui
,,ramenerent les nostres
,,.
jusques auprès de la batnterie,
ce qui fit qu'un battaillon
entier des Gardes
9)
wallones déccndit sureux
& les poursuivit fort loin
,,au de-U du ruisseau sur
„ quoy toutes la premiere
'", ligne des ennemis s'étant
,,ébranlée pour marcher en
, ,,avant, la nostreen fit
„dt meCme, & nous nous
„aprochâmes à la grande
„ portée du pistolet croyant
"la faire engager, de ma- niere qu'on ne pouvoit
,),pIus s'en dedire; cepen- dant Mr de Vendosme
„ayant crié halte de la
;»
batterie, les deux Armées
)J
resterent en presence „quelque temps, pendant
lequel nostre canon dé-
„ siloit; l'Armée ennemie
cnfiti se retira dans ses
,, premiers postes en se couvrant
de quelques rideaux.
,,Ainsi ilsnouslaisserent
,,
maistres de cette partie du
„ruisseau après avoir perdu
5>
une trentaine d'hommes.
5)
Les deserteurs qui vinrent
Cil grand nombre dirent
)J que le canon leur avoir
"tué plus de quatre-vingt-
,,dix Cavaliers ou Soldats
,,&autantdechevaux: tout
»
le reste delajournée s'e-
J) tant paffé à les canonner ,
„nous nous campames sur
,,nostre mesme terrain, &-
3)
les ennemis qui n'avoient
„ point d'équipages, les
,,ayant renvoyez croyant
,,
d'estreattaquez certaine-
,,ment,coucherent en
5,
battaille au Bivoüac, ôc
travaillerent à se retran-
,,cher & a faire des batte-
"J'ries, ce qui sit prendre
33 party à noftrc General
",
de faire aussi retrancher
,,; les piquets que l'on avoit
„avancez prés du ruisseau&
3>de faire camper les Trou-
»
pesquin'étoient pas "à
9) couvert feulement du
"fullt, derriere des rideaux
qui ne les éloignent pas
„ d'avantage; le foir le
,,Régiment de Chazel,
„ Dragons arriva avec huit
',) pièces de canon & un
convoy
convoy de plusde deux
,,mille sacs de farine.
,, Le 19. se passa à tirée
,,quelques coups de canon
,,
beaucoup de coups de fuGI
,, & à travailler à se garantir
5,
de ce que nous pourroic
,,faire l'Artillerie des en-
,,nemis que l'on croyoit
Il
devoir amener la mesme „nuit.
,,
Tout le20.oncontinua
1)
à perfectionner les retran-
,,
chements avancez aussi-
,,
bien que les batteries. ôt
jjles ennemis travaillèrent à
élever leurs retranchemenés
peut se couvrir de
nostre canon qui ne UÏOLC ,,cependant pas fort souvent
attendu le peu de
„boulets qu'on avoir; on.
.1) en attendoit de Lerida par,
,, un convoy qui en venoit
,,avecdix ou douze pièces
„„fdaeirveilnegSt,iqèugaetdrçe^.dCeafrldûotnenseà.
Venasque se rendic. le 16.
,, la garnison de deux cent
,,vingt hommes & vingt
a,
Officiers aesté faitprison-
,,niere, nos Troupes fonç
,,allées faire le deCaC-
^tcl- Leon & ne peuvent
,,
estre icy que le 6' ou le 8.
5,
du mois prochain; il doit
„ arriver tous les jours des
;, remontes pour la Caval-.
„ lerie & les quatre mille-
„ hommes qui ont pris Ve, ,,nafque, ne laisseront pas
,,
de tenir ici un bon coin.*
„Il vient tous les jours
J)
beaucoup de deserteurs del'Armée
des ennemis dont
„ le canon arriva le 21. au
5,
soir
,
& commenta à tirer?
„le 22. Cematin23ilsont
commencé à nous bom-
))
barder dans nostre Camp;
,,on fait monter leur pertc
,,tant par l'Artillerie que
npar la Mousqueterieàcinq
x>
cens hommes ,, tuez ou blessez un Colonel, un „Lieutenant Colonel, un ,,Major ,tuez.; &quelques
,,Officiers.On faitau jpufcf
„,d'huy un grand fourrage à la vue desennemis,,jç
Mnc fçays'il produira queU
",que mouvement$iln'yà
,,pas apparence que nous
Il
décampions de long-
„ temps d'icy, je vous ¡mot::,
,,meray dje tout ce qui s'y-,
l'passera
-
ce quis'est passé à l'Armée
commandée par Monsieur
de Vendosme
,
depuis le 16.
Septembrejusqu'au 2.3.
}>
Pour vousinformer au
» juste des mouvements de
» nôtre Armée, je vous
»diray qu'elle décampa le
16. Septembre de Cervera » &Agramunt,&vintcam-
» pcr en deux Corps à Tar,
yroja &àGuissonna.
>3
Le lendemain 17. nous
Ȏtant tous joints dans la
»Plaine de Connil, nous »marchâmes à la hauteur
"de Saint Martin qui est
un Village ou nous de-
»vionsfaire halte, nous la
3)
fimes effectivement;mais
nous ne nous attendions
» pas à beaucoup prés d'y
trouver les Ennemis, dont
JJ
nous vimes l'Armée qui
marchoit pour venir Focuper
aussi-bien que le
;, gros bourg de Calas.
»Ilfallutfaire unedisposition
pour aller en,
„ avant, dans un terrain fort
»dlfjcile & fort scabreux par
„ tous les ravins & les am-
5J phiteatresque formoient
3>
les Vignes. Pendant ce
temps là, les ennemis qui
s'etoient arrestez & qui s3étoient
mis en battaille,
commencerent à défiler
par leurs derrieresjusqu'à ,, Pratz-del Rey où ilsap-
„puyérent leur droite, &
"leur gauche à un gros
,,,
„Convent ou il y a un Moulin sur le bord d'un
l' ruisseau - derriere lequel
„ils se formerent ; nous
„ nousaprochâmesd'eux en
),
bataille à la portéedufusil;
,,Mais comme le canon ,l,., ,,n'étoit point encore arri-
,,
vé, que nous avions plus
,, de la moitié de l'Armée
„derriere, à cause de la
.J)
longue journée par ce
J)
qu'elle ne put trouver
,,
d'eaudans toute sa mar- ,)che, on remit la partie
.&y
au lendemain, & les deux „Armées coucherentauBi-
^voiiacen se donnant force
fanfares méfiez de Haut-
,, bois. Pendant la nuit
"on fit reconnoistre les
'>
bords du ruisseau qui se ,,trouverent cfcarpez plus
„ qu'on ne pensoit &
>>
absolument impraticables
„ Le 18. au matin nostre
canon étant arrivé on
,,commanç2 à sept heures
,,&-demie à tirer sur les
,,
ennemis qui ne pouvoient
",
avoir le leur, par ce qu'
„ étant angagé dans le défilé
))qui est entre Santa Colo-
5)ma & Saint Martin dont
.,)il étoit déjaassés prés &
;, que nous occupâmes
}y d'abord, ils avoient été
„obligez de le faire retour-
,,ner sur ses pas avecdili-
,, gence & de luy faire
fàlreP le tour par 1-;
„guaïda. Ainsi le nostres
* '"les maltraita fort & fit
„souffrir principalement
"leur Cavallerie; ils recu-
„lerent leurs lignes de
,,quelque distance & les
ayant placéessurdes hau- 1
„teurs fort avantageuses,
„ils•tâcherait de se cou- 1 vrirde nostrefeu en
,,
proficant de petits rideaux
"C]ui étoient devant eux
do)
Ils envoyerent deux mille
5,
hommes dans le village de
,3Pratz-del- Rey
,
endeça
3S
du ruisseau & qui est bien
3)ferme par une muraille
,,épaisse
,
bien flanquée par
5,
des tours & avec un che-
JJtnin de ronde dessus: ils
'),
mirent aussi à leur gauche
"dans le Convent qui est
,) au de-là huit cent hommes
»)qui s'y retrancherent.
,,Ainsi il étoit inutile de
„ tenter une affaire qui cer-
,,tainement auroit mal
5)
tourné pour nous puisque
„ la Cavallerie ne pouvoit
pas seulement donner un
,,coup de main, & que „leurs postes n'croient que
l'affaire de l'Infanterie
„
dont la leur est fuperieurc
,,à la nostre; cependant
„ comme il faut boire absolument
& qu'il n'y
,)avoit pas d'autre eau que
,,
celle du ruisseau, Mon-
,,sieur de Vendosme s'étant
,,avancé à une de nos batateries,
envoya deux com-
,,pagnies de Grenadiers des
J)
G irdes Wallones pour
,,cliaffir une des petites
»
Gardes que les ednemis
avoient portées pour
,, garder les bords du ruis-
„
seau; les ennemis voyant
,, ces Troupes pousséesen-
.;; voyerent leurs Grenadiers
,,en-plus gros nombre qui
,,ramenerent les nostres
,,.
jusques auprès de la batnterie,
ce qui fit qu'un battaillon
entier des Gardes
9)
wallones déccndit sureux
& les poursuivit fort loin
,,au de-U du ruisseau sur
„ quoy toutes la premiere
'", ligne des ennemis s'étant
,,ébranlée pour marcher en
, ,,avant, la nostreen fit
„dt meCme, & nous nous
„aprochâmes à la grande
„ portée du pistolet croyant
"la faire engager, de ma- niere qu'on ne pouvoit
,),pIus s'en dedire; cepen- dant Mr de Vendosme
„ayant crié halte de la
;»
batterie, les deux Armées
)J
resterent en presence „quelque temps, pendant
lequel nostre canon dé-
„ siloit; l'Armée ennemie
cnfiti se retira dans ses
,, premiers postes en se couvrant
de quelques rideaux.
,,Ainsi ilsnouslaisserent
,,
maistres de cette partie du
„ruisseau après avoir perdu
5>
une trentaine d'hommes.
5)
Les deserteurs qui vinrent
Cil grand nombre dirent
)J que le canon leur avoir
"tué plus de quatre-vingt-
,,dix Cavaliers ou Soldats
,,&autantdechevaux: tout
»
le reste delajournée s'e-
J) tant paffé à les canonner ,
„nous nous campames sur
,,nostre mesme terrain, &-
3)
les ennemis qui n'avoient
„ point d'équipages, les
,,ayant renvoyez croyant
,,
d'estreattaquez certaine-
,,ment,coucherent en
5,
battaille au Bivoüac, ôc
travaillerent à se retran-
,,cher & a faire des batte-
"J'ries, ce qui sit prendre
33 party à noftrc General
",
de faire aussi retrancher
,,; les piquets que l'on avoit
„avancez prés du ruisseau&
3>de faire camper les Trou-
»
pesquin'étoient pas "à
9) couvert feulement du
"fullt, derriere des rideaux
qui ne les éloignent pas
„ d'avantage; le foir le
,,Régiment de Chazel,
„ Dragons arriva avec huit
',) pièces de canon & un
convoy
convoy de plusde deux
,,mille sacs de farine.
,, Le 19. se passa à tirée
,,quelques coups de canon
,,
beaucoup de coups de fuGI
,, & à travailler à se garantir
5,
de ce que nous pourroic
,,faire l'Artillerie des en-
,,nemis que l'on croyoit
Il
devoir amener la mesme „nuit.
,,
Tout le20.oncontinua
1)
à perfectionner les retran-
,,
chements avancez aussi-
,,
bien que les batteries. ôt
jjles ennemis travaillèrent à
élever leurs retranchemenés
peut se couvrir de
nostre canon qui ne UÏOLC ,,cependant pas fort souvent
attendu le peu de
„boulets qu'on avoir; on.
.1) en attendoit de Lerida par,
,, un convoy qui en venoit
,,avecdix ou douze pièces
„„fdaeirveilnegSt,iqèugaetdrçe^.dCeafrldûotnenseà.
Venasque se rendic. le 16.
,, la garnison de deux cent
,,vingt hommes & vingt
a,
Officiers aesté faitprison-
,,niere, nos Troupes fonç
,,allées faire le deCaC-
^tcl- Leon & ne peuvent
,,
estre icy que le 6' ou le 8.
5,
du mois prochain; il doit
„ arriver tous les jours des
;, remontes pour la Caval-.
„ lerie & les quatre mille-
„ hommes qui ont pris Ve, ,,nafque, ne laisseront pas
,,
de tenir ici un bon coin.*
„Il vient tous les jours
J)
beaucoup de deserteurs del'Armée
des ennemis dont
„ le canon arriva le 21. au
5,
soir
,
& commenta à tirer?
„le 22. Cematin23ilsont
commencé à nous bom-
))
barder dans nostre Camp;
,,on fait monter leur pertc
,,tant par l'Artillerie que
npar la Mousqueterieàcinq
x>
cens hommes ,, tuez ou blessez un Colonel, un „Lieutenant Colonel, un ,,Major ,tuez.; &quelques
,,Officiers.On faitau jpufcf
„,d'huy un grand fourrage à la vue desennemis,,jç
Mnc fçays'il produira queU
",que mouvement$iln'yà
,,pas apparence que nous
Il
décampions de long-
„ temps d'icy, je vous ¡mot::,
,,meray dje tout ce qui s'y-,
l'passera
Fermer
Résumé : Lettre contenant un détail de ce qui s'est passé à l'Armée commandée par Monsieur de Vendosme, depuis le 16. Septembre jusqu'au 23.
Du 16 septembre au 23 octobre, l'armée commandée par Monsieur de Vendosme effectua plusieurs mouvements stratégiques. Le 16 septembre, elle quitta Cervera et Agramunt pour se diriger vers Tarragona, Reus et Guissona. Le lendemain, elle se rassembla dans la plaine de Conil et marcha vers Saint Martin, où elle rencontra l'armée ennemie près de Calas. En raison du terrain difficile, une disposition spécifique fut nécessaire pour avancer. Les ennemis se retranchèrent près de Pratz-del Rey, et les deux armées campèrent sans engager de combat. Le 18 septembre, l'arrivée du canon marqua le début des hostilités. Les ennemis, en difficulté, se retirèrent vers Pratz-del Rey. Les Grenadiers wallons tentèrent de prendre une garde ennemie mais furent repoussés. Les deux armées restèrent en présence, et les ennemis se retirèrent après avoir subi des pertes, estimées à une trentaine d'hommes. Les déserteurs ennemis rapportèrent des pertes encore plus lourdes. Les jours suivants, les deux armées se retranchèrent et échangèrent des tirs d'artillerie. Le 23 octobre, les ennemis bombardèrent le camp, causant des pertes. Malgré cela, un grand fourrage fut organisé sous les yeux des ennemis, sans mouvement notable des deux côtés. La lettre se conclut en indiquant que l'armée ne décampera pas de sitôt.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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21
p. 83-89
Suite des Nouvelles d'Espagne.
Début :
Monsieur de Vendosme, ayant eu avis que trois mille hommes [...]
Mots clefs :
Ennemis, Hommes, Duc de Vendôme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Suite des Nouvelles d'Espagne.
Suite des Nouvelles
d'Espagne.
Monsieur de Vendosme,
ayant eu avis que trois mille
hommes des meilleures
Troupes de l'ArméeduGeneral
Staremberg
,
avoient
,
pris secrettement la route
de Tarragone pour quelque
expédition, il envoya avertir
les Gouvet neurs de TorraCe
& de Lerida de se tenis
sur leurs gardes. Eneffet,le
General Wezel, à la teste de
ce détachement
,
auquel il
avoir joint deux mille cinq
cens Miquelets,arriva le 2
Octobreavant le jour sur le
glacis de Tortose sans avoir
esté découvert à cause d'un
grand broülllard. ces Troupes
surprirent d'abord un
Corps de Garde prés de la
barrière & la demi lune de
la Porte du Temple
,
où il
n'y avoir point de Garde Ils
voulurent ensuite cfcalader
la muraille prés de la Tour
voisine de l'angleflanqué du
Bastion de S. Jean ; mais le
bruic qu'ils firent en posant
leurs Echelles, les fit découvrir.
Onavertitaussi-tost
MrdeGlines Commandant
de la Place qui s'y transporta
avec toute la diligence
possible. Dés qu'ilfutarrivé
il fit tirer cinq coups de canon
qui estoient le signal
pour faire prendre lesarmes
à la Garnison. Dans le même
temps il fit tirer sur le Rempart
les Echelles que les Ennemis
avoienc dressées, par
les So ldats de sa garde qui
l'avoient suivi. Lesennemis
fc voyant découverts se glisrent
entre les ouvrages & la
riviere ; mais la Garnison &
un grand nombre de Bourgeois
ayant occupé tous les :
Portes, on sir pluficurs décharges
de canon sur eux
chargé à cartouche, qui leur
tuèrent beaucoup de monde.
Cependant ils ne se rebuterentpas&
s'avancerent
aux portes du Temple &de
Saint Jean ausquelles il voulurent
attacher des petards
pour les enfoncer; mais lesgrandes
décharges que l'on
fie sur eux les obligèrent de
seretirer en si grand desordre
qu'ils abandonnèrent
quatrecens hommes qui
avoient pris poste dans la
demi lune de la Porte du
Temple, avec un Lieutenant-
Colonel & plusieurs
autres Officiers'; tout leur
attirail, & huit cent fusils.
Mrs de Bustamante qui étoit
avec deux cens hommes à
deux lieues de là, accourut
au bruit du canon, lequel
ayant trouvé les Ennemis
qui se retiroient, les poursuivit,
& en prie un grand
nombre. On compte que,
cette entrepriseleuracoûté
prés de quinze cens hommes
tant tuez que prisonniers &
deserteurs qui se fontvenus
rendre depuis.
D'autres Lettres portent
qu'après que les Ennemis Ce
furent retirez
,
l'Evêque fit
chanter le Te Deum, & distribuer
ensuite des rafraîchissemens
à la Garnison &
aux Bourgeois qui avoient
pris les armes pour la deffense
de leur patrie; que dans le
même temps que les Ennemis
avoientessayé de furprendre
Tortose
,
plusieurs
Vaisseaux de guerre & plufleurs
Galeres où il y avoit
des Troupes de débarquement
avoient approché de
Vignaroz à l'embouchure
de l'Ebre, dans le destein de
s'emparer de cette Ville ou
de brûler les Magasins de
grains qu'on y avoit amassez
; mais qu'ils avoient esté
pareillement contraints de
le retirer sans avoir pû exe-
,
cuter leur dessein.
d'Espagne.
Monsieur de Vendosme,
ayant eu avis que trois mille
hommes des meilleures
Troupes de l'ArméeduGeneral
Staremberg
,
avoient
,
pris secrettement la route
de Tarragone pour quelque
expédition, il envoya avertir
les Gouvet neurs de TorraCe
& de Lerida de se tenis
sur leurs gardes. Eneffet,le
General Wezel, à la teste de
ce détachement
,
auquel il
avoir joint deux mille cinq
cens Miquelets,arriva le 2
Octobreavant le jour sur le
glacis de Tortose sans avoir
esté découvert à cause d'un
grand broülllard. ces Troupes
surprirent d'abord un
Corps de Garde prés de la
barrière & la demi lune de
la Porte du Temple
,
où il
n'y avoir point de Garde Ils
voulurent ensuite cfcalader
la muraille prés de la Tour
voisine de l'angleflanqué du
Bastion de S. Jean ; mais le
bruic qu'ils firent en posant
leurs Echelles, les fit découvrir.
Onavertitaussi-tost
MrdeGlines Commandant
de la Place qui s'y transporta
avec toute la diligence
possible. Dés qu'ilfutarrivé
il fit tirer cinq coups de canon
qui estoient le signal
pour faire prendre lesarmes
à la Garnison. Dans le même
temps il fit tirer sur le Rempart
les Echelles que les Ennemis
avoienc dressées, par
les So ldats de sa garde qui
l'avoient suivi. Lesennemis
fc voyant découverts se glisrent
entre les ouvrages & la
riviere ; mais la Garnison &
un grand nombre de Bourgeois
ayant occupé tous les :
Portes, on sir pluficurs décharges
de canon sur eux
chargé à cartouche, qui leur
tuèrent beaucoup de monde.
Cependant ils ne se rebuterentpas&
s'avancerent
aux portes du Temple &de
Saint Jean ausquelles il voulurent
attacher des petards
pour les enfoncer; mais lesgrandes
décharges que l'on
fie sur eux les obligèrent de
seretirer en si grand desordre
qu'ils abandonnèrent
quatrecens hommes qui
avoient pris poste dans la
demi lune de la Porte du
Temple, avec un Lieutenant-
Colonel & plusieurs
autres Officiers'; tout leur
attirail, & huit cent fusils.
Mrs de Bustamante qui étoit
avec deux cens hommes à
deux lieues de là, accourut
au bruit du canon, lequel
ayant trouvé les Ennemis
qui se retiroient, les poursuivit,
& en prie un grand
nombre. On compte que,
cette entrepriseleuracoûté
prés de quinze cens hommes
tant tuez que prisonniers &
deserteurs qui se fontvenus
rendre depuis.
D'autres Lettres portent
qu'après que les Ennemis Ce
furent retirez
,
l'Evêque fit
chanter le Te Deum, & distribuer
ensuite des rafraîchissemens
à la Garnison &
aux Bourgeois qui avoient
pris les armes pour la deffense
de leur patrie; que dans le
même temps que les Ennemis
avoientessayé de furprendre
Tortose
,
plusieurs
Vaisseaux de guerre & plufleurs
Galeres où il y avoit
des Troupes de débarquement
avoient approché de
Vignaroz à l'embouchure
de l'Ebre, dans le destein de
s'emparer de cette Ville ou
de brûler les Magasins de
grains qu'on y avoit amassez
; mais qu'ils avoient esté
pareillement contraints de
le retirer sans avoir pû exe-
,
cuter leur dessein.
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Résumé : Suite des Nouvelles d'Espagne.
Le marquis de Vendôme, averti de l'approche de trois mille hommes des troupes du général Staremberg vers Tarragone, alerta les gouverneurs de Tortose et de Lérida. Le général Wezel, à la tête de cinq mille hommes, arriva devant Tortose le 2 octobre, profitant du brouillard pour éviter la détection. Les troupes surprirent un corps de garde près de la Porte du Temple et tentèrent d'escalader la muraille, mais furent découvertes. Le commandant M. de Glines fit tirer des coups de canon pour alerter la garnison. Les assaillants, repoussés par des décharges de canon, tentèrent d'enfoncer les portes avec des pétards sans succès. Ils se retirèrent en désordre, abandonnant quatre cents hommes, des officiers et des armes. M. de Bustamante captura un grand nombre d'ennemis en retraite. Cette attaque coûta aux assaillants près de quinze cents hommes. Après le retrait des ennemis, l'évêque fit chanter le Te Deum et distribuer des rafraîchissements. Parallèlement, des vaisseaux de guerre approchèrent de Vinaroz pour s'emparer de la ville ou brûler des magasins de grains, mais se retirèrent sans exécuter leur plan.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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22
p. 319-329
Dernieres Nouvelles.
Début :
Le Pape s'est enfin determiné à donner le Chapeau de Cardinal [...]
Mots clefs :
Cardinal, Vaisseau, Hommes, Hongrie, Rome, Cadix, Huningue, Charleroi, Abbeville, Vienne, Utrecht
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Dernieres Nouvelles.
Dernieres Nouvelles.
De Rome le 13. Décembre,
Le Pape s'est enfin déterminé à donner le Chapeau
de Cardinal à Don Annibal
Albini. S. S. après avoir
demandé dansunConsistoire
le sentiment des Cardinauxsur cette Promotion, ils y
applaudirent tous, & le S.
Pere dit, puisque vous lejugez tous à propos nous nommerons Don Ânmbal Jlbant
Cardinal; & ff prie Dieu
que cettePromotionsoitàjapltts
grande gloire, & au bien de
l'Eglise. Ensuite S. S. prononça la Formule, & aussitôt le Canon du Château
S. Ange sefit entendre.
Tous les Cardinaux qui se
trouverent au Consistoire
allèrent ce jour-là complimenter Dona Bernardina,
Mere du nouveau Cardinal,
qui ,.. ,.. reçut aussi les felicita-
-
tions de toutes les autres
personnes les plus distinguées )&ilYeutleCoirdes
illuminations par toute Ville. la
-
De- Caiiz le 8.Janvier.
UnAimatcCfr de S. Malo
a
amené icy une Prise Hollandoifc estimée dix mille
Ecus. On a
levé l'Arrest
qu'on avoit mis sur deux
Bâtimens Genois qui étoient
dans nostre Port, & C(S -
Bâtimens ont remis à la
voile pour retourneràGenes,
mais l'Arrest mis sur le
Vaisseau Venirien n'a point
icle Irve, & au contraire,
ce
Vaisseau
a
été déclaré de
bonne prise.
On a appris par un Vaisseau d'avis arrivé de la
Martinique d'où il est parti
le premier Décembre, que
MrDucasse dévoieen faire
voile le
1 5. avec quacrre
Vaisseaux de guerre François qui l'y avoient joinr.
Un Vaisseau Anglois de
60. Canonsayant été poussé
sur nos cotes par un coup
de vent, y a
échoüé.Léquipage qui s'est sauvé à
terre, est venu icy, & on
luy donne lasubsistance. On
travaille à remetrre le Vaisseau à flot, & l'on espere
y
reüssir.
D'Hmingue le 15. Janvier.
Nonobstant le débordement du Rhin, environ
trois cens hommes des Ennemis,ayant passé ce Fleuve
dans des batteaux prés de
,
l'Isle de Newbourg, étoient
entrez en Alsaceoù. ils
avoient commencé à piller;
mais nôtreCommandant en
ayant eû avis a
aussitôt fait
-
sortir cent Dragons & autant de Grenadiers pour les
aller chercher Ils les ont
trouvez au Village de Rù.
mensheim, les ont attaquez,
enont tué trente, & fait un
plus grand nombre de pri-
[onolcrs, qui ont dit que
leurPartisan, qui avoir été
tué, étoit l'un de leuts plus
fameux.
De Charleroy le 26. Janvier.
Un Party de nôtre Garnison surprit hier un convoy
de vingt Chariots chargez
qui alloient à Mons, fous
l'escorte de 30. hommes
qui prirent la fuite dés qu'ils
apperçurent qu'on alloit les
attaquer; & comme ils
curent le temps de dételler
les chevaux, on fut obligé
de brûler les Chariots, ne
pouvant les emmener.
UAbbeville le 17. Janvier.
Un gros party ennemi
étant entré dans le Boulonois, pour lever les contributions,
a été coupe & en
tierement deffait par les
Troupes qui sont icy en
quartier.
De Vienne le 6. Janvier.
,
Quoy qu'onaffcde de
publier icy que tout cft
tranquile en Hongrie, on
a
des avis certains que la
plus grande partie de la
Noblesse Hongroise (si trés
mécontente de ce qu'on
n'a encore donné à la nation
aucune satisfaction sur les
Griefs dont elle s'étoit
plainte dans les precedentes
Diettes, & entr'autres de ce
qu'onne donnoit pas à des
Hongroisles Gouvernemens
des Places du Royaume
,
&
qu'on n'en retiroit pas les
Troupes Allemandes, ainsi
qu'on l'avoit promis.
LArchiduc ne doit arriver à Presbourg
,
qu'au
commencement de Fevrier,
Quoy que ce Prince ait fait
une nombreuse promotion
de Conseillers d'Etat, plusieursSeigneurs seplaignent
de n'y avoir pas été compris, & parriculieremenc
ceux qui avoient été honorez de cette Dignité par
l'Empereur Joseph.
On a reçu un Courrier
du Resident de l'Empire à
Constantinople
,
qui a rapotté que le party du Kan
des Tartaresayant prévalu
sur celuy du Grand Visir,
ce Ministre avoir été deposé
le 20. Novembre, tous ses
biens confisquez le lendemain, & que l'Aga des Janissaires qui avoir été mis à
sa place, avoir écrit au Roy
de Suede qu'il luy mencroic
au Printemps une Armée
de deux cens mille hommes.
D'Utrechtle21.Janvier.
Mr l'Evesque de Bristol,
premierPlenipotentiairedela
Reine de la Grand Bretagne
arriva icy le IJ. avec une
nombreuse suitte, & Mr le
Comte de Strafford arriva le
17. Apres que Mrs les Plenipotentiaires de France y
furent arrivez,ils le firent sçavoir aux Magistrats, & Mrs
les Plénipotentiaires d'Angleterre allerent incontinent les visiter
,
& le soir
Mrs les Plenipotentiaires de
France rendirent la vifitc à
Mrs les Plenipotentiaires
d'Angleterre.
Mr leComte del Borgo,
Plenipotentiaire de Mr le
Duc de Savoye, arriva le20.
& la pluspart de ceux des
sept Provinces unies, se sont
aussi déja rendus icy
De Rome le 13. Décembre,
Le Pape s'est enfin déterminé à donner le Chapeau
de Cardinal à Don Annibal
Albini. S. S. après avoir
demandé dansunConsistoire
le sentiment des Cardinauxsur cette Promotion, ils y
applaudirent tous, & le S.
Pere dit, puisque vous lejugez tous à propos nous nommerons Don Ânmbal Jlbant
Cardinal; & ff prie Dieu
que cettePromotionsoitàjapltts
grande gloire, & au bien de
l'Eglise. Ensuite S. S. prononça la Formule, & aussitôt le Canon du Château
S. Ange sefit entendre.
Tous les Cardinaux qui se
trouverent au Consistoire
allèrent ce jour-là complimenter Dona Bernardina,
Mere du nouveau Cardinal,
qui ,.. ,.. reçut aussi les felicita-
-
tions de toutes les autres
personnes les plus distinguées )&ilYeutleCoirdes
illuminations par toute Ville. la
-
De- Caiiz le 8.Janvier.
UnAimatcCfr de S. Malo
a
amené icy une Prise Hollandoifc estimée dix mille
Ecus. On a
levé l'Arrest
qu'on avoit mis sur deux
Bâtimens Genois qui étoient
dans nostre Port, & C(S -
Bâtimens ont remis à la
voile pour retourneràGenes,
mais l'Arrest mis sur le
Vaisseau Venirien n'a point
icle Irve, & au contraire,
ce
Vaisseau
a
été déclaré de
bonne prise.
On a appris par un Vaisseau d'avis arrivé de la
Martinique d'où il est parti
le premier Décembre, que
MrDucasse dévoieen faire
voile le
1 5. avec quacrre
Vaisseaux de guerre François qui l'y avoient joinr.
Un Vaisseau Anglois de
60. Canonsayant été poussé
sur nos cotes par un coup
de vent, y a
échoüé.Léquipage qui s'est sauvé à
terre, est venu icy, & on
luy donne lasubsistance. On
travaille à remetrre le Vaisseau à flot, & l'on espere
y
reüssir.
D'Hmingue le 15. Janvier.
Nonobstant le débordement du Rhin, environ
trois cens hommes des Ennemis,ayant passé ce Fleuve
dans des batteaux prés de
,
l'Isle de Newbourg, étoient
entrez en Alsaceoù. ils
avoient commencé à piller;
mais nôtreCommandant en
ayant eû avis a
aussitôt fait
-
sortir cent Dragons & autant de Grenadiers pour les
aller chercher Ils les ont
trouvez au Village de Rù.
mensheim, les ont attaquez,
enont tué trente, & fait un
plus grand nombre de pri-
[onolcrs, qui ont dit que
leurPartisan, qui avoir été
tué, étoit l'un de leuts plus
fameux.
De Charleroy le 26. Janvier.
Un Party de nôtre Garnison surprit hier un convoy
de vingt Chariots chargez
qui alloient à Mons, fous
l'escorte de 30. hommes
qui prirent la fuite dés qu'ils
apperçurent qu'on alloit les
attaquer; & comme ils
curent le temps de dételler
les chevaux, on fut obligé
de brûler les Chariots, ne
pouvant les emmener.
UAbbeville le 17. Janvier.
Un gros party ennemi
étant entré dans le Boulonois, pour lever les contributions,
a été coupe & en
tierement deffait par les
Troupes qui sont icy en
quartier.
De Vienne le 6. Janvier.
,
Quoy qu'onaffcde de
publier icy que tout cft
tranquile en Hongrie, on
a
des avis certains que la
plus grande partie de la
Noblesse Hongroise (si trés
mécontente de ce qu'on
n'a encore donné à la nation
aucune satisfaction sur les
Griefs dont elle s'étoit
plainte dans les precedentes
Diettes, & entr'autres de ce
qu'onne donnoit pas à des
Hongroisles Gouvernemens
des Places du Royaume
,
&
qu'on n'en retiroit pas les
Troupes Allemandes, ainsi
qu'on l'avoit promis.
LArchiduc ne doit arriver à Presbourg
,
qu'au
commencement de Fevrier,
Quoy que ce Prince ait fait
une nombreuse promotion
de Conseillers d'Etat, plusieursSeigneurs seplaignent
de n'y avoir pas été compris, & parriculieremenc
ceux qui avoient été honorez de cette Dignité par
l'Empereur Joseph.
On a reçu un Courrier
du Resident de l'Empire à
Constantinople
,
qui a rapotté que le party du Kan
des Tartaresayant prévalu
sur celuy du Grand Visir,
ce Ministre avoir été deposé
le 20. Novembre, tous ses
biens confisquez le lendemain, & que l'Aga des Janissaires qui avoir été mis à
sa place, avoir écrit au Roy
de Suede qu'il luy mencroic
au Printemps une Armée
de deux cens mille hommes.
D'Utrechtle21.Janvier.
Mr l'Evesque de Bristol,
premierPlenipotentiairedela
Reine de la Grand Bretagne
arriva icy le IJ. avec une
nombreuse suitte, & Mr le
Comte de Strafford arriva le
17. Apres que Mrs les Plenipotentiaires de France y
furent arrivez,ils le firent sçavoir aux Magistrats, & Mrs
les Plénipotentiaires d'Angleterre allerent incontinent les visiter
,
& le soir
Mrs les Plenipotentiaires de
France rendirent la vifitc à
Mrs les Plenipotentiaires
d'Angleterre.
Mr leComte del Borgo,
Plenipotentiaire de Mr le
Duc de Savoye, arriva le20.
& la pluspart de ceux des
sept Provinces unies, se sont
aussi déja rendus icy
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Résumé : Dernieres Nouvelles.
Le 13 décembre, le Pape a nommé Don Annibal Albini cardinal, après avoir consulté et obtenu l'approbation des autres cardinaux. Cette promotion a été célébrée par des illuminations dans la ville et des félicitations adressées à la mère du nouveau cardinal. Le 8 janvier, un navire de Saint-Malo a capturé un navire hollandais évalué à dix mille écus. Des mesures concernant les arrestations sur des bâtiments génois et vénitiens ont été prises, certaines levées et d'autres maintenues. Un vaisseau anglais de 60 canons a échoué sur les côtes françaises, et son équipage a été secouru. Le 15 janvier, des ennemis ont pillé en Alsace mais ont été repoussés par des dragons et des grenadiers français. Le 26 janvier, un convoi de chariots a été attaqué et brûlé près de Charleroy. Le 17 janvier, un parti ennemi a été défait dans le Boulonnais. À Vienne, la noblesse hongroise exprime son mécontentement face aux promesses non tenues concernant les gouvernements des places du royaume, et l'archiduc est attendu à Presbourg au début février. À Constantinople, le Grand Visir a été déposé et remplacé par l'Aga des Janissaires, qui prévoit d'envoyer une armée en Suède au printemps. Enfin, à Utrecht, les plénipotentiaires de la Grande-Bretagne, de la France et de la Savoie sont arrivés pour des négociations.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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23
p. 206-208
Réponse par M.L.R.
Début :
Les grands hommes se font plus respecter; les petits hommes [...]
Mots clefs :
Hommes, Taille, Grandeur
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texteReconnaissance textuelle : Réponse par M.L.R.
Réponse par M. L. R.
Les grands hommes fe
GALANT. 207
font plus refpecter ; les petits hommes fe font plusai1: mer, & même des Dames.
Elles s'imaginent peut-être
qu'elles retrouveront dans
leur efprit tout ce qui manque à leur taille : il femble
que l'amour & la galanterie foient plûtôt l'apanage
dès petits hommes , & que
la gloire & le heroifme de
la guerre doivent être le
partage des grands hommes. Cette prevention étoit
bien réelle du temps d'Homere , où l'on mefuroit
même la grandeur des He-
208 MERCURE
ros par la largeur de leurs
épaule
Les grands hommes fe
GALANT. 207
font plus refpecter ; les petits hommes fe font plusai1: mer, & même des Dames.
Elles s'imaginent peut-être
qu'elles retrouveront dans
leur efprit tout ce qui manque à leur taille : il femble
que l'amour & la galanterie foient plûtôt l'apanage
dès petits hommes , & que
la gloire & le heroifme de
la guerre doivent être le
partage des grands hommes. Cette prevention étoit
bien réelle du temps d'Homere , où l'on mefuroit
même la grandeur des He-
208 MERCURE
ros par la largeur de leurs
épaule
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Résumé : Réponse par M.L.R.
Le texte explore les perceptions sociales des grands et petits hommes. Les petits hommes et certaines dames sont souvent respectés et admirés. Les dames compensent leur petite taille par leur esprit. L'amour et la galanterie sont liés aux petits hommes, tandis que la gloire et le héroïsme en guerre sont attribués aux grands hommes. À l'époque d'Homère, la grandeur des héros se mesurait par la largeur de leurs épaules.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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24
p. 145-206
PARAPHRASE ou Explication du Tableau de la Vie humaine de Cebés Tébain de Grece disciple de Socrate, & Philosophe moral. Où l'on a suivi le sens de l'Autheur le plus exactement qu'il a esté possible, sans s'éloigner de l'esprit general de tous les peuples.
Début :
Cebés nous represente d'abord la vie humaine sous la [...]
Mots clefs :
Paraphrase, Cébès, Tableau de la vie humaine, Philosophes, Hommes, Vertus, Maux, Sciences, Chemin, Femmes, Monde, Savoir, Génie, Fortune, Courtisanes, Vices, Malheur, Moeurs et coutumes, Félicité, Leçons, Santé, Esprit, Conception, Volonté
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texteReconnaissance textuelle : PARAPHRASE ou Explication du Tableau de la Vie humaine de Cebés Tébain de Grece disciple de Socrate, & Philosophe moral. Où l'on a suivi le sens de l'Autheur le plus exactement qu'il a esté possible, sans s'éloigner de l'esprit general de tous les peuples.
PARAPHRASE
on Explication du Tableau
de la Vie humaine de Cebés
Tébain de Grece , difciple
de Socrate ,
moral.
Philofophe
Où l'on a fuivi lefens de l'Autheur le plus exactement
qu'il a efté poffible , fans
s'éloigner de l'efprit general
de tous les peuples.
CEbés nous reprefente
d'abord la vie humainefous
la figure d'un grand parc
qui renferme plufieurs reduits , avec des perfonnes
1712. Octobre. N
146 MERCURE
de toutes efpeces , tant à
l'entrée qu'au dedans de
chacun. Mais avant que de
propofer fon embléme , de
l'intelligence duquel il prétend que dépend noftre
bonheur ou noftre malheur ;il prend foin de nous
avertir , que noftre ignorance eft une espece de
Sphinx à noftre égard , par
la connoiffance obfcure &
ambiguë qu'elle nous propoſe du bien & du mal, ou
de ce qui peut eftre regardé comme de foy - mefme
indifferent. Car cette con-
GALANT. 147
noiffance devient pour
nous une énigme , laquelle
faute de pouvoir eftre penetrée, nous rend malheureux le reste de nos jours.
Au lieu que fi nous nous
appliquons à en découvrir
le fecret , nous pouvons efperer une vie exempte de
tous maux & veritable
ment heureuſe.
Noftre Philofophe nous
fait voir enſuite une grande multitude d'hommes &
de femmes à la porte de de
parc , qui fe preſentent
pour y entrer , & qui nous
Nij
148 MERCURE
marquent les enfans avant
qu'ils fortent du ventre de
leur mere pour venir au
monde. Au milieu de cet- :
te multitude on voit le Genie ou l'Intelligence , à qui
l'Autheur de la nature a
commis ( felon Cebés ) le
foin de noftre naiſſance ,
fous la figure d'un fagevieillard , qui enfeigne aux
uns & aux autres la maniere dont ils doivent fe
comporter lorfqu'ils feront
entrez dans la vie , & le
chemin qu'ils doivent teir pour y eftre heureux,
3
GALANT. 149
Mais à peine ces nouveaux
nez ont-ils paffé la porte
du parc , qu'ils oublient en
peu de temps les bonnes
leçons qu'ils ont receuës de
leur Genie ; car la convoitife qu'ils rencontrent
l'entrée de ce lieu , dont
elle eft comme la Reine , &
où elle préfide comme
dans fon throfne , les feduit bien - toft en leur faifant avaler dans une coupe qu'elle leur prefente ,
l'erreur & Pignorance. Les
nouveaux nez munis de ces
deux paffeports , s'avancent
N iij
150 MERCURE
**
dans le parc comme des
hommes enchantez les uns
plus les autres moins , à
proportion qu'ils en ont
beu. Mais ils ne vont pas
fort loin , que voicy une
troupe de femmes agreables de toutes fortes de figures qui les environnent ,
& les embraffent avec empreffement ; & ce font les
opinions , les defirs , & les
delices , par lesquelles ils
fe laiffent tous entraifner.
Les unes les emmennent
dans le chemin de la felicité , les autres dans celuy
GALANT. II
du malheur & de la perdition après les avoir feduites. Car les unes & les autres leur promettent à la
verité une vie heureuſe &
tranquille ; mais parce qu'
ils ont avalé le poiſon de
l'ignorance & de l'erreur ,
ceux qui ont efté feduits
paffent leur vie à errer ça
& là comme des perfonnes yvres , fans pouvoir jamais trouver le chemin qui
devroit les conduire au vrai
bonheur.
Cebés nous fait voir enfuite au milieu du Parcune
N iiij
152 MERCURE
eſpece de Divinité ſous la
figure d'une femme , que
l'aveuglement des hommes
a dépeinte fans yeux , &
comme fourde , & mefme
capricieuſe , parce qu'elle
enrichit les uns des biens
de ce monde , & qu'elle
ofte aux autres ceux mefme qu'elle leur avoit donnez & cela felon fa volonté, & fuivant des decrets
impenetrables. Ils l'ont
nommée la Fortune , & ont
figuré l'inconftance de fes
faveurs par une boule fur
laquelle ils la font mar-
GALANT. 153
cher à caufe des difgraces
qu'éprouvent tous les jours
ceux qui mettent leur efperance dans les biens de la
vie. Il nous reprefente donc
cette fortune comme environnée d'une grande multitude de ces hommes enyvrez du poiſon de la convoitife, qu'il nomme les ambitieux. Tous luy preſentent leurs requeſtes , mais
elle écoute les uns & rejette les autres , ce qui rend
leurs vifages tous differens ;
les uns paroiffants tres -joyeux , & les autres fort
154 MERCURE
triftes . Les premiers ſont
ceux dont les demandes
ont efté receuës favorablement , & ceux-cy la nomment bonne fortune. Les
derniers au contraire levent leurs mains vers elle
tout éplorez , parce qu'elle leur a mefme ofté ce
qu'elle leur avoit autrefois
accordé , pour le donner à
d'autres , & à caufe de cela
ils l'appellent mauvaiſe fortune. Ornoftre Philoſophe
nous fait remarquer que
ces biens qui attriſtent fi
fort les uns & réjoüiſſent
1
GALANT. ISS
4
tant les autres , font les richeffes , les honneurs , la
qualité , les defcendants ,
les commandements , les
Couronnes , & generalement tous les biens temporels ou du corps , qu'il
prétend n'eftre pas de veritables biens ; parce qu'ils
ne nous rendent en rien
plus parfaits , comme il effaye de le démontrer fur
la fin de fon emblême.
༣.
De là il nous conduit à
un premier reduit , & nous
fait voir plufieurs femmes
à la porte , parées comme
156 MERCURE,
des courtisannes , l'une fe
nomme l'intemperance ,
l'autre la luxure , une autre
l'avarice , une autre l'ambition , &c. Elles font toutes
là comme en ſentinelle ,
pour remarquer ceux à qui
la Fortune a efté favorable ,
& qu'elle a enrichis de fes
dons. Dès qu'elles en apperçoivent quelqu'un , elles
courent à luy , elles le careffent & l'embraffent , &
font tant par leurs flatteries , qu'elles l'engagent à
entrer dans leur azile, en lui
promettant une vie tran-
GALANT. 157
quille , exempte de tout ennuy , & remplie de delices.
Ceux qui font affez inconfiderez pour fe laiffer aller
No
aux promeffes de ces Sirenes , gouftent à la verité
les plaifirs de la vie pendant
un temps , ou du moins
croyent les goufter ; mais
quand par la fuite du temps
ils réfléchiffent ferieufe-'
ment fur cette maniere de
vivre , ils s'apperçoivent
qu'ils ont efté feduits ; que
ce qu'ils ont creu de folides plaiſirs , n'en avoient
tout au plus que l'apparen-
158 MERCURE
ce ; & qu'en un mot ils en
font la dupe , par la honte
qu'ils leur ont attirée , & les
malheurs où ils les ont précipitez. Car aprés avoir
confommé avec ces Courtiſannes tous les biens qu'ils
avoient receuës de la Fortune , ils fe trouvent malheureuſement reduits à devenir leurs efclaves , & à
commettre toutes les baf
feffes, & tous les crimes auf
quels ces cruelles maiftreffes les engagent. Ainfi ils
deviennent des affronteurs,
des facrileges, des parjures,
GALANT. 159
des traiftres , des larrons
& tout ce qu'on peut imaginer de plus mauvais,
A
#
>
Enfin cette vie mifera
ble n'a qu'un temps , mefme fouvent fort court
après lequel ( dit Cébés ) la
vengeance du Ciel éclate
fur eux ; alors il les livre à
la punition , que ce Philofophe nous reprefente fous
la figure d'une femme couverte de haillons , & fort
défigurée , tenant un foüet
en la main. Elle paroift
dans ce premier reduit à la
porte d'une efpece de ca-
>
160 MERCURE
chot , ou lieu ténebreux ,
dont l'afpect fait horreur ,
ayant pour compagnes la,
trifteffe , & l'angoiffe. I '
nous dépeint la premiere
la tefte panchée jufques fur
fes genoux , & la derniere
s'arrachant les cheveux.
Elle a encore pour, voiſins
les pleurs & le defefpoir
qui font des perfonnages
difformes , extenuez , tous
nuds , & horribles à voir.
C'eft entre les mains de
ces derniers qu'ils font li
vrez en dernier reffort ,
après avoir effuyé toute la
fureur
GALANT. 161
fureur des premieres . Alors
ils fe voyent accablez de
tourments & de maux , &
reduits à paffer le refte de
leurs jours dans ce cachot
affreux de la maniere la
plus miferable ; c'eſt pour
cela qu'il nomme cette pri
fon le fejour du malheur
Dans ce funefte eftat no
ftre Philofophe ne leur laiffe qu'une feule reſſource
fçavoir qu'enfin le Ciel ait
pitié d'eux , & leur envoye
le repentir pour les retirer
du gouffre de malheur où
ils fontplongez. Or le preOctobre. 1712. O
162 MERCURE
mier effet que cet heureux
repentir produit en eux , eft
de chaffer ces mauvaiſes
préventions dont ils s'eftoient laiffez préoccuper
dans leur jeuneffe , & de
leur fuggerer de plus juftes
opinions , & des defirs plus
raifonnables. Alors ils fe
trouvent avoir de l'eftime
& de l'inclination pour les
ſciences ; heureux s'ils font
affez aviſez pour choiſir la
veritable , je veux dire celle
qui enfeigne aux hommes
à regler leurs mœurs , &
qu'on appelle pour cette
GALANT. 163
raifon la Morale ! car cette
morale les purifie infailliblement de toutes leurs ha
bitudes vicieuſes , & les met
en eftat de paffer le reſte
de leur vie dans le repos &
dans la felicité , à l'abry de
tous leurs maux paffez.
Mais s'ils font au contraire affez imprudens pour
fe laiffer efbloüir par l'éclat
de la vaine ſcience , & de
la fauffe reputation , noſtre
Philofophe nous fait voir
un fecond reduit , à l'entrée.
duquel paroift une femme
fort parée , & tres- enga
O ij
164 MERCURE
geante, que les petits efprits
& le commun des hommes
nomment la ſcience , quoyque ce ne foit que la vaine
fcience. Car la plupart de
ceux qui dès l'entrée de la
vie ont fuivi la bonne route , ou ceux que le repentir
a retirez de la maifon du
malheur , defirant s'occuper le refte de leur vie aux
ſciences , donnent ordinai.
rement dans cette fauffe
ſcience. Auffi cet afile eftil rempli de Poëtes , d'Orateurs , de Dialecticiens ,
de Muficiens , d'Arithme
GALANT. 165
ticiens,de Géometres, d'Af
trologues, d'Epicuriens , de
Peripateticiens , de Critiques , & de quantité de
gens de cette nature , par-.
mi lefquels on voit encore
de ces Courtifannes du premier reduit , comme l'incontinence , l'intemperance , & leurs autres compagnes. Car ces fortes de
Sçavants en font auffi fouvént les esclaves , quoyque
plus rarement, parce qu'ils
ont plus de foin de s'occuper que les autres . Les préventions ou fauffes opi-
166 MERCURE
nions s'y meſlent auſſi , à
caufe dupoifon que la convoitife leur a fait avaler en
entrant dans la vie , qui les
empefche de connoiſtre
leur ignorance, pour ne pas
dire leur erreur. Et il n'y a
point pour eux , ſelon noftre Philofophe , d'autre
moyen de s'arracher des
pieges de ces mauvaiſes
amies , que de renoncer
pour jamais à la vaine ſcience ; car avec fon feul fe-.
cours ils ne doivent pas efperer de s'affranchir jamais
de leur joug , ny d'éviter les
GALANT. 167
malheurs de la vie.
Mais s'ils font affez heureux de rentrer dans le chemin de la verité , elle leur
fera ( dit - il ) goufter d'un
breuvage qui les purgera de
tous leurs vices , & de toutes leurs erreurs , & qui enfin les mettra dans un eſtat
de fecurité. C'eftpour cela
que noftre Philofophe nous
fait enviſager dans fon tableau un troifiéme reduit
plus élevé que les précedents , mais defert , & habité d'un tres-petit nombre
d'hommes ; la porte en eft
168 MERCURE
*
eftroite , & le chemin pour
y arriver fort ferré , & peu
frequenté ; il paroiſt de
plus difficile & efcarpé.
C'eft le chemin de la veritable ſcience , duquel l'af
pect a quelque chofe de
rude & d'effrayant. Il nous
reprefente à l'entrée de ce
lieu deux femmes d'une
fantéparfaite, pleines d'embonpoint & de vigueur
affifes fur une roche élevée ,
& escarpée de tous coſtez ,
qui tendent la main aux
paffants d'un air affable , &
avec un viſage plein de ſerenité :
f
GALANT. 169
renité ; l'une d'elle fe nomme la conftance , & l'autre
la continence. Ce font deux
fœurs toutes aimables , qui
invitent les paſſants à s'approcher d'elles , à s'armer
de courage , & à ne ſe laiffer
pas vaincre par une laſche
timidité , leur promettant
de les faire entrer dans un
chemin de delices , aprés
qu'ils auront furmonté
quelques legeres difficultez , qui feront bien toft
diffipées . Et pour leur en
faciliter le moyen , elles
veulent bien defcendre
Octobre.
1712. Р
170 MERCURE
quelques marches de ce
précipice où elles font , afin
de leur donner la main , &
de les attirer au deffus.
Là elles les font reſpirer
en leur donnant pour compagnes la force & l'efperance , & leur promettant
de les faire bien- toft arri-:
ver à la veritable ſcience.
Et pour les encourager davantage , elles leur font enviſager combien le chemin
en eft agréable , aisé , &
exempt de tous dangers.
Ce chemin conduit à un
quatriéme & dernier re-
GALANT. 171
*
duit renfermé dans le précedent; c'eft un fejour char-
'mantfemblable à une grande prairie , & fort éclairée
des rayons du Soleil ; on le
nomme le fejour des hom
mes heureux , parce que
toutes les vertus y habitent ,
& que c'est la demeure de
la felicité. Il paroiſt à l'entrée une Dame fort gra
cieuſe avec un viſage égal ,
& dans un âge peu avancé;
fon habit eft fimple &fans
ornemens eftrangers ; elle
eft affife fur une pierre ferme & d'une large affiette ;
Pij
172 MERCURE
c'efl la veritableſcience qui
eft accompagnée de ces
deux filles , dont une s'ap-:
pelle la verité , & l'autre la
perfuafion. Son fiege tefmoigne affez qu'il eft feur
de le fier à elle , & que fes
biens font conftants. Mais
qui font ces biens ( dit Cebés ) ce font la confiance ,
la privation d'ennuis , la
conviction que rien ne peut
deformais leur nuire. Or
cette honnefte mere eft à
l'entrée de cet afile pour
guerir les hoftes qui luy arrivent , enleur faifant pren-
GALANT. 173
-dreune potion cordiale qui
les purifie de toutes les imperfections qu'ils avoient
contractées en paſſant par
les premiers reduits , telles
que l'ignorance , l'erreur ,
la prévention , l'arrogance,
l'incontinence , la colere ,
l'avarice , & les autres vices : après quoy elle les
fait entrer dans le fejour
des vertus.
Or noftre Philofophe
nous reprefente ces vertus
fous la forme de Damesfages & belles , fans aucun
fard ny ajuftemens , en un
P iij
174 MERCURE
motfort differentes des premieres ; on les nomme la
pieté , la juftice , l'integrité , la temperance , la modeftie , la liberalité , la clemence , &c. Après donc
que les vertus ont admis
ces nouveaux hoftes dans
leur focieté , elles n'en demeurent pas là ; mais Cebés nous fait enviſager une
eſpece de donjon en forme
de citadelle au milieu de
ce dernier reduit , & fur
l'endroit le plus eflevé ; c'eſt
le palais de la felicité , la
mere de toutes les vertus ;
GALANT. 175
c'eft dans ce fejour heureux qu'elles les introduifent pour les prefenter à
leur mere. Au refte il dépeint cette mere comme
une Reine affife fur un
throfne à l'entrée de fon
palais , qui eftant parfaitement belle , & dans un âge
de confiſtance , eſt ornée
d'une manière honnefte ;
& fans fafte , ayant la tefte
ceinte d'une couronne de
fleurs , avecun air plein de
majefté. Cette Dame &
fes filles les vertus couronnent ceux qui s'élevent juf
P
iiij
176 MERCURE
ques à elles , comme des
Héros qui ont remporté de
grandes victoires fur diffe .
rens monftres qui leur faifoient la guerre ; & elles
leur adjouftent de nouvelles forces pour domptér
des ennemis , qui auparavant les reduifoient en fervitude , & les dévoroient
aprés leur avoir fait fouffrir
plufieurs divers tourments.
Ces monftres font l'ignorance & l'erreur , la douleur , & la trifteffe , l'avarice , l'intemperance , & en
general tous les vices. Ce
GALANT. 177
font là les ennemis aufquels
ils commandent dorefnavant; bien loin de leur obeir
&de leur eftre foumis comme autrefois. Mais ce n'eft
pas tout cette couronne
que nos Héros ont receuë ,
outre la force qu'elle leur
donne , les rend encore
bienheureux, & les affran
chit de tous les maux de la
vie , en leur apprenant à ne
plus mettre leur felicité
dans les biens paffagers ,
mais uniquement dans la
poffeffion de la vertu , &
dans la joye de la bonne
confcience.
178 MERCURE
Apres que ces hommes
vertueux ont efté ainfi couronnez , Cebés les fait revenir accompagnez de toutes les vertus dans les lieux
par où ils ont paffé autrefois. Là ces fages guides
leur font voir tous ceux qui
menent une vie miſerable,
errants çà là , tousjours
prefts à faire nauffrage , &
tousjours esclaves de leurs
ennemis , les uns de l'incontinence , d'autres de la
fuperbe , les autres de l'avarice , ou du defir de la
vaine gloire , d'autres enfin
GALANT. 179
"
par d'autres vices fans
pouvoir jamais d'eux- meſmes s'affranchir de leur fervitude , ny parvenir au ſejour des vertus , & au palais de la felicité.. La caufe de ce malheur , ( dit noſtre Philofophe ) vient de
ce qu'ils ont oublié le chemin que leur Génie tuter
laire leur avoit enfeigné, &
les préceptes qu'il leur avoit
donnez avant qu'ils entraf
fent dans le monde. C'eſt
alors que ces nouveaux éleves prennent une veritable connoiffance du bien
180 MERCURE
& du mal ; au lieu de l'ignorance & de l'erreur où
ils avoient vefcu pendant
leur aveuglement , qui leur
faifoit eftimer un bien ce
qui veritablement eftoit un
mal , & prendre pour un
mal ce qui eftoit un bien ,
& les engageoit par là dans
une vie déreglée & perverfe , & cette connoiffance
regle leurs mœurs , & les
fait profiter des folies des
autres. Aprés quoy , dit
Cebés , ils peuvent aller
fans crainte où ils veulent ,
parce qu'ils font par tout
GALANT. 181
,
à l'abri de leurs ennemis ,
& qu'en quelque lieu qu'ils
aillent ils font affeurez d'y
vivre dans la droiture de
cœur & dans l'amour de
la vertu , exempts de tout
peril & de toutes fortes de
maux. De plus chacun fe
fait un plaifir, de les recevoir, comme un malade en
reffent lorfque fon medecin
le vient voir. Outre qu'ils
n'ont plus à craindre ces
beftes fauvages qui leur faifoient auparavantuneguerre fi cruelle ; puifque ny
la douleur , ny les chagrins,
182 MERCURE
ny l'incontinence , ny l'avarice, ny la pauvreté n'ont
plus aucun pouvoir fur leur
efprit pour luy faire perdre
l'amour de la verité.
Cebés nous fait remarquer enfuite une autre ef
pece d'hommes qui defcendent auffi de l'afile des vertus fans aucunes couronnes , mais au contraire avec
des vifages de defefperez ,
des cheveux arrachez , &
quifont enchaifnez par des
femmes. Ce font ou ceux
qui eftant arrivez à la veritable ſcience , en ont efté
GALANT. 18 ;
mal receus , comme en eftant indignes ; ou ceux qui
ont manqué de courage
lorfqu'ils ontvoulu s'eflever
fur la roche , où la conf
tance les invitoit de monter , & qui ayant lafché le
pied honteufement , demeurent vagabonds , fans
fçavoir où ils doivent aller.
Les uns & les autres de-.
viennent la proye des chagrins , des angoiffes , dul
deſeſpoir, de la honte & de
l'ignorance ; & pour furcroift de malheur ils retournent au parc de la lu-
184 MERCURE
xure & de l'intemperance ,
oùces infenfez maudiffent
le refte de leurs jours la
veritable ſcience , & les ve
ritables fçavants, regardant
ces derniers comme des
malheureux, qui ne fçavent
pas goufter les plaifirs , &
joüir de la vie comme eux ,
bien loin de fentir euxmefmes l'eftat déplorable
où ils fe font plongez, Car
la brutalité dont ils font
aveuglez , fait qu'ils mettent leur fouverain bien
dans la gourmandiſe , dans
le luxe & dans l'incontiEnfin nence.
GALANT. 185
Enfin noftre Philofophe
entre dans un plus grand
détail fur ce qu'il prétend
que le Génie de chaque
homme luy infinuë avant
fa naiffance. Premieremenp
il leur donne avis ( dit-il
de s'armer de courage , &
de conftance, comme ayant
plufieurs combats à fouftenir dans le monde lorfqu'ils
y
feront entrez : feconde-l
ment il les exhorte à né
point mettre leur efperance dans les biens temporels & paffagers , que la
fortune donne & ofte à fon
Octobre. 1712,
C
i
186 MERCURE
gré , & parconfequent de
ne s'abandonner point à la
joye , quand elle nous les
envoye , ou à la trifteffe
quand elle les retire , parce
qu'elle en ufe comme d'un
bien qui eft à elle , & non
pasà nous. C'eſt pourquoy
il nous avertit de ne reffembler pas ces mauvais Banquiers qui ayant receu.
Fargent d'autruy , le regardent comme leur appartenant, & en ont la meſme
joye que s'il eftoid à eux en
propre , & qui quand on
le repete s'en trouvent auſſi
GALANT. 187
offenfez, & en conçoivent
autant de chagrin que fi
on le leur raviffoit mais
de recevoir au contraire
avec reconnoiffance les
biens temporels qu'il luy
plaiſt de nous départir , &
de nous en fervir pour ar
river en hafte à la fource
feconde & certaine de tous
les biens, qui eft la veritable
fcience , c'est-à - dire , la
fcience qui peut nous rendre heureux. Ainfi nous
devons ( dit il ) éviter d'abord foigneusement les
courtiſannes done on apar-
-
Q ij
188 MERCURE
lé , fçavoir l'intemperance,
la luxure , & les autres vi-
& prendre garde de ces
nous laiffer enchanter de
leurs attraits. ។
A l'égard de la vaine
ſcience nous pouvons luy
donner , felon luy , quelques années de notre vie ,
& prendre quelques -unes
de fes leçons pour nous aider à paffer outre , car nous
devons nous hafter d'arriver à la veritable ſcience ,
& à la pratique des vertus
le pluftoft que nous pourrons , & regarder tout le
GALANT. 189
temps que nous employons
à autre chofe , comme autant de rabbatu fur la durée de noftre felicité.
Tous les emblefmes eftant finis , Cebés examine
quelles font les leçons qu'-
on peut tirer de la vaine
fcience, & conclud que ce
font les Lettres & les autres
difciplines , que Platon dit
eftre le frein des fougues
de la jeuneffe. Il prétend
au refte que ces leçons ne
font point abfolument neceffaires pour acquerir la
morale , & qu'on doit les
190 MERCURE
regarderſeulement comme
des moyens pour y arriver
plus communément, mais
qui ne nousfervent de rien
pour augmenteren nous la
vertu: &la raiſon qu'il en ap
porte, c'eſt qu'on peut eftre
vertueux fans elles , comme
l'experience journaliere le
confi me. On ne doit pas
cependant, felon luy,les re
garder commeinutiles . Car
(dit il ) quoy qu'on puiſſe
abſolument entendre une
langue estrangere avec le
fecours feul d'un Interpre
te , on ne laiſſe pas de trou-
GALANT. 191
ver quelque foulagement
& quelque ſatisfaction lors
qu'on peut encore y joindre fa propre connoiffan
ce. Il en eft de mefme de
la vaine fcience qu'on ne
doit regarder que comme
un fecours pour arriver plus
aisément à la veritable.
De là noſtre Philoſophe
tire cette fafcheufe confequence contre les faux fçavants , qui prétendent s'attribuer quelque préference
fur les autres hommes , fçavoir qu'ils n'ont là aucun avantage pour devenir
par
192 MERCURE
plus parfaits qu'eux ; puifqu'il eft conftant qu'ils ne
jugent pas plus fainement
du bien & du mal que le
refte des hommes , & qu'ils
font fujets aux meſmes vices; car qui empefche ( ditil ) d'eftre lettré , de poffe
der toutes les fciences vaines , & d'eftre cependant
toujours un yvrogne , un
intemperant , un avaricieux , un calomniateur, un
traiftre , & en un mot un
infensé, puifque ces fortes
de fciences ne s'occupent
point à la connoiffance des
vertus ,
GALANT. 193
7
vertus & des vices La cau
fe de ce malheur , dit noftre Philofophe , vient de
ce que ces fortes de fça
vants ont la vanité de croi
re fçavoir ce qu'effectivement ils ignorent : c'eft ce
qui les rend indociles &
pareffeux à fe faire inftruire de la veritable ſcience,
D'un autre cofté ils font
fujets comme le reſte des
hommes à fe laiffer emporter par leurs fauffes préventions qui les rendent
opiniaftres & intraitables.
De forte qu'ils ne ſçauOctobre 1712.
R
194 MERCURE
roient fe flatter d'avoir aucun avantage ſur eux ,
moins que le Ciel ne leur
à
envoye quelque rayon de
lumiere qui leur faffe connoiftre la vanité de leur
fcience , & les porte à rechercher la verité.
Enfin Cebés prouve la
propofition qu'il a avancée au commencement de
fon difcours , fçavoir que
les dons de lafortune, com+
me la vie , la fanté , les richeffes , la nobleſſe , les
honneurs , les victoires , &
les autres biens temporels
GALANT. 195
ne font pas de veritables
biens ; ny par confequent
les maux qui leur font oppofez, commeles maladies,
la mort mefme , &c. ne
font pas deveritables maux;
maisil prétend aucontraire
que toutes ces chofes d'elles-mefmesfont indifferentes pour noftre perfection.
La vie , dit - il , eft un bien
à celuy qui vit bien , & c'eſt
fans doute unmal à l'égard
de celuy qui fe comporte
mal, par les maux aufquels
elle l'expofe toft ou tard.
D'un autre cofté la vie eft
R ij
196 MERCURE
commune aux meſchants
comme aux bons , aux malheureux commeà ceux qui
font heureux , d'où il conclud que la vie en elle meſme eft une chofe indifferente. De mefme que de
couper un bras à un hom-
-me qui fe porte bien , eft
pour luy un mal ; & c'eſt
rau contraire un bien à celuy
qui a la gangrenne , d'où il
fuit que l'amputation d'un
bras eft une chofe qui n'eft
abfolument parlant , ou en
foy, nybonne n'y mauvaiſe.
Il rafonne de melme des
GALANT. 197
richeffes , de la fanté, & des
autres biens du corps : car
ilferoit, dit il , tres- louvent
à defirer pour celuy qui a
fait un mauvais coup , qu'il
euft efté malade pendant le
temps qu'il l'a fait ; c'eft
pourquoy la fanté eft en
ce cas un vray mal pour
luy , quoyque ce foit d'ailleurs un bien pour les honneftes gens. A l'égard des
richeffes on voit fouvent.
que ceux qui les poffedent
ne font pas les plus heureux ny les plus honneftes.
gens ; d'où il faut conclure
Riij.
198 MERCURE
&
qu'elles ne fervent de rien
pour noftre felicité
qu'ainfi par elles mefmes
elles ne font pas un bien
pluftoft qu'un mal , puifqu'il feroit à fouhaitter pour
ceux qui n'en fçavent pas
ufer , qu'ils en fuffent privez à caufe des miferes qu'-
elles leur attirent.
Noftre Philofophe conclud en difant qu'on peut
appeller les biens temporels, des biens pourceux qui
fçavent s'en bien fervir , &
des maux à l'égard de ceux
qui en font un mauvais ufa-
GALANT. 199
ge , & finit en remarquant
que ce qui nous trouble &
nous agite en cette vie c'eft
le faux jugement que nous
portons fur les biens & fur
les maux temporels , fur lequelfauxjugement nous reglons enfuite toute la conduite de noftre vie pour le
bien ou pour le mal; & cela
parce que nous ne travaillons pas affez à connoiſtre
l'un & l'aure.
On connoift affez au
refte par cet exposé que les
mefmes inclinations & les
mefmes vices qui dominent
R iiij
200 MERCURE
aujourd'huy , regnoient dès
ces premiers temps , & que
la Providence a toujours eu
foin de faire naiftre des
hommes , qui au milieu de
la corruption de leur fiecle
rendiſſent teſmoignage à
la vertu & aux veritez morales , afin qu'elles n'en
fuffent pas entierement étouffées , & afin que les
hommes dépravez n'euffent pas à fe plaindre d'avoir manqué d'inftructions,
& mefme d'exemples pour
les mettre en pratique , &
d'avertiffements pour con-
GALANT. 201
noiftre les fuites fafcheufes
des paffions & des vices ,
& pour en concevoir de
l'horreur. Mais ce que nous
devions , ce mefemble , admirer icy le plus , ce font
ces repentirs & ces rayons
de lumiere que Cebés reconnoift eftre envoyez du
Ciel pour retirer les hommes de l'esclavage de leurs
paffions , & les faire rentrer dans le fein des vertus. Certes fila chofe eftoit
telle dans ces temps du pai
ganisme , plus de trois cens
ans avant la venue du Mef-
202 MERCURE
fie , comme il femble qu'on
n'en puiffe douter , par le
recit de cet autheur , je ne
crois pas qu'on puiſſe douter auffi que le Ciel n'exerçaft fes mifericordes fur
ces peuples corrompus , de
mefme que fur le peuple
Juif: car effectivement que
peut il y avoir qu'une lumiere divine qui faffe connoiftre à l'efprit de l'homme la vanité des voluptez ,
& qui luy faffe diftinguer
la vaine ſcience de la veri
table , & les vicès des vertus ? L
GALANT. 203
A l'égard du Génie que
Cebés a creu préfider à noftre conception , & nous
inftruire dès le ventre de
noftre mere de nos devoirs
pour la vie à laquelle nous
fommes deftinez , on ne
fçauroit , ce me femble ,
penfer que ce foit autre
que la lumiere de la
raifon où l'ame raiſonnable que Dieu met dans le
corps dés qu'elle peut y
exercer fes fonctions , la
quelle lumiere feroit fuffifante pour nous faire éviter
tous les écueils des paffions
chofe
204 MERCURE
& des vices , fans les fauffes
préventions aufquelles nous
nous abandonnons pendant la jeuneffe , au lieu de
confulter la lumiere de noftre raison. Quand à la fortune qui, felon luy , difpenfe les biens temporels & les
maux à fon gré , on voit
affez qu'on ne peut entendre par là , que la Provi
dence qui a créé toutes chofes , à qui par confequent
toutes chofes appartiennent en propre , & qui ef
tant la maiftrelle du fort
des hommes , en peut difC
GALANT. 203
poſer felon fa volonté. De
plus lorsqu'il nous dit que
la douleur , les chagrins , la
pauvreté , &c. n'ont plus
d'empire fur l'homme devenu vertueux , il nous fait
connoiftre combien eftoit
grande la fecurité , la confiance , la conſtance , & là
tranquillité de l'efprit de
l'honnefte homme , & que
les hommes vertueux de ce
temps là participoient dès
ce monde aux recompenfes des veritablesChrêtiens,
parce qu'ils pratiquoientles
-mefmes bonnes œuvres.
206 MERCURE
Car quoyqu'ils ne conneuffent pas Dieu auffi clairement , & qu'ils ne le creuffent peut-eftre pas auffi prefent à toutes leurs démarches que nous , ils ne laiffoient pas d'envisager la
vertucomme la loy de l'Autheur de la nature , gravée
dans le cœur des hommes,
& d'eftre perfuadez que
ceux- là offenfoient Dieu
qui trahiſſoient la vertu
ainfi ils pratiquoient la ver.
tu dans la veuë de plaire à
Dieu , d'où naiflóit dès ce
monde la joye & la ferenité de leur conſcience.
on Explication du Tableau
de la Vie humaine de Cebés
Tébain de Grece , difciple
de Socrate ,
moral.
Philofophe
Où l'on a fuivi lefens de l'Autheur le plus exactement
qu'il a efté poffible , fans
s'éloigner de l'efprit general
de tous les peuples.
CEbés nous reprefente
d'abord la vie humainefous
la figure d'un grand parc
qui renferme plufieurs reduits , avec des perfonnes
1712. Octobre. N
146 MERCURE
de toutes efpeces , tant à
l'entrée qu'au dedans de
chacun. Mais avant que de
propofer fon embléme , de
l'intelligence duquel il prétend que dépend noftre
bonheur ou noftre malheur ;il prend foin de nous
avertir , que noftre ignorance eft une espece de
Sphinx à noftre égard , par
la connoiffance obfcure &
ambiguë qu'elle nous propoſe du bien & du mal, ou
de ce qui peut eftre regardé comme de foy - mefme
indifferent. Car cette con-
GALANT. 147
noiffance devient pour
nous une énigme , laquelle
faute de pouvoir eftre penetrée, nous rend malheureux le reste de nos jours.
Au lieu que fi nous nous
appliquons à en découvrir
le fecret , nous pouvons efperer une vie exempte de
tous maux & veritable
ment heureuſe.
Noftre Philofophe nous
fait voir enſuite une grande multitude d'hommes &
de femmes à la porte de de
parc , qui fe preſentent
pour y entrer , & qui nous
Nij
148 MERCURE
marquent les enfans avant
qu'ils fortent du ventre de
leur mere pour venir au
monde. Au milieu de cet- :
te multitude on voit le Genie ou l'Intelligence , à qui
l'Autheur de la nature a
commis ( felon Cebés ) le
foin de noftre naiſſance ,
fous la figure d'un fagevieillard , qui enfeigne aux
uns & aux autres la maniere dont ils doivent fe
comporter lorfqu'ils feront
entrez dans la vie , & le
chemin qu'ils doivent teir pour y eftre heureux,
3
GALANT. 149
Mais à peine ces nouveaux
nez ont-ils paffé la porte
du parc , qu'ils oublient en
peu de temps les bonnes
leçons qu'ils ont receuës de
leur Genie ; car la convoitife qu'ils rencontrent
l'entrée de ce lieu , dont
elle eft comme la Reine , &
où elle préfide comme
dans fon throfne , les feduit bien - toft en leur faifant avaler dans une coupe qu'elle leur prefente ,
l'erreur & Pignorance. Les
nouveaux nez munis de ces
deux paffeports , s'avancent
N iij
150 MERCURE
**
dans le parc comme des
hommes enchantez les uns
plus les autres moins , à
proportion qu'ils en ont
beu. Mais ils ne vont pas
fort loin , que voicy une
troupe de femmes agreables de toutes fortes de figures qui les environnent ,
& les embraffent avec empreffement ; & ce font les
opinions , les defirs , & les
delices , par lesquelles ils
fe laiffent tous entraifner.
Les unes les emmennent
dans le chemin de la felicité , les autres dans celuy
GALANT. II
du malheur & de la perdition après les avoir feduites. Car les unes & les autres leur promettent à la
verité une vie heureuſe &
tranquille ; mais parce qu'
ils ont avalé le poiſon de
l'ignorance & de l'erreur ,
ceux qui ont efté feduits
paffent leur vie à errer ça
& là comme des perfonnes yvres , fans pouvoir jamais trouver le chemin qui
devroit les conduire au vrai
bonheur.
Cebés nous fait voir enfuite au milieu du Parcune
N iiij
152 MERCURE
eſpece de Divinité ſous la
figure d'une femme , que
l'aveuglement des hommes
a dépeinte fans yeux , &
comme fourde , & mefme
capricieuſe , parce qu'elle
enrichit les uns des biens
de ce monde , & qu'elle
ofte aux autres ceux mefme qu'elle leur avoit donnez & cela felon fa volonté, & fuivant des decrets
impenetrables. Ils l'ont
nommée la Fortune , & ont
figuré l'inconftance de fes
faveurs par une boule fur
laquelle ils la font mar-
GALANT. 153
cher à caufe des difgraces
qu'éprouvent tous les jours
ceux qui mettent leur efperance dans les biens de la
vie. Il nous reprefente donc
cette fortune comme environnée d'une grande multitude de ces hommes enyvrez du poiſon de la convoitife, qu'il nomme les ambitieux. Tous luy preſentent leurs requeſtes , mais
elle écoute les uns & rejette les autres , ce qui rend
leurs vifages tous differens ;
les uns paroiffants tres -joyeux , & les autres fort
154 MERCURE
triftes . Les premiers ſont
ceux dont les demandes
ont efté receuës favorablement , & ceux-cy la nomment bonne fortune. Les
derniers au contraire levent leurs mains vers elle
tout éplorez , parce qu'elle leur a mefme ofté ce
qu'elle leur avoit autrefois
accordé , pour le donner à
d'autres , & à caufe de cela
ils l'appellent mauvaiſe fortune. Ornoftre Philoſophe
nous fait remarquer que
ces biens qui attriſtent fi
fort les uns & réjoüiſſent
1
GALANT. ISS
4
tant les autres , font les richeffes , les honneurs , la
qualité , les defcendants ,
les commandements , les
Couronnes , & generalement tous les biens temporels ou du corps , qu'il
prétend n'eftre pas de veritables biens ; parce qu'ils
ne nous rendent en rien
plus parfaits , comme il effaye de le démontrer fur
la fin de fon emblême.
༣.
De là il nous conduit à
un premier reduit , & nous
fait voir plufieurs femmes
à la porte , parées comme
156 MERCURE,
des courtisannes , l'une fe
nomme l'intemperance ,
l'autre la luxure , une autre
l'avarice , une autre l'ambition , &c. Elles font toutes
là comme en ſentinelle ,
pour remarquer ceux à qui
la Fortune a efté favorable ,
& qu'elle a enrichis de fes
dons. Dès qu'elles en apperçoivent quelqu'un , elles
courent à luy , elles le careffent & l'embraffent , &
font tant par leurs flatteries , qu'elles l'engagent à
entrer dans leur azile, en lui
promettant une vie tran-
GALANT. 157
quille , exempte de tout ennuy , & remplie de delices.
Ceux qui font affez inconfiderez pour fe laiffer aller
No
aux promeffes de ces Sirenes , gouftent à la verité
les plaifirs de la vie pendant
un temps , ou du moins
croyent les goufter ; mais
quand par la fuite du temps
ils réfléchiffent ferieufe-'
ment fur cette maniere de
vivre , ils s'apperçoivent
qu'ils ont efté feduits ; que
ce qu'ils ont creu de folides plaiſirs , n'en avoient
tout au plus que l'apparen-
158 MERCURE
ce ; & qu'en un mot ils en
font la dupe , par la honte
qu'ils leur ont attirée , & les
malheurs où ils les ont précipitez. Car aprés avoir
confommé avec ces Courtiſannes tous les biens qu'ils
avoient receuës de la Fortune , ils fe trouvent malheureuſement reduits à devenir leurs efclaves , & à
commettre toutes les baf
feffes, & tous les crimes auf
quels ces cruelles maiftreffes les engagent. Ainfi ils
deviennent des affronteurs,
des facrileges, des parjures,
GALANT. 159
des traiftres , des larrons
& tout ce qu'on peut imaginer de plus mauvais,
A
#
>
Enfin cette vie mifera
ble n'a qu'un temps , mefme fouvent fort court
après lequel ( dit Cébés ) la
vengeance du Ciel éclate
fur eux ; alors il les livre à
la punition , que ce Philofophe nous reprefente fous
la figure d'une femme couverte de haillons , & fort
défigurée , tenant un foüet
en la main. Elle paroift
dans ce premier reduit à la
porte d'une efpece de ca-
>
160 MERCURE
chot , ou lieu ténebreux ,
dont l'afpect fait horreur ,
ayant pour compagnes la,
trifteffe , & l'angoiffe. I '
nous dépeint la premiere
la tefte panchée jufques fur
fes genoux , & la derniere
s'arrachant les cheveux.
Elle a encore pour, voiſins
les pleurs & le defefpoir
qui font des perfonnages
difformes , extenuez , tous
nuds , & horribles à voir.
C'eft entre les mains de
ces derniers qu'ils font li
vrez en dernier reffort ,
après avoir effuyé toute la
fureur
GALANT. 161
fureur des premieres . Alors
ils fe voyent accablez de
tourments & de maux , &
reduits à paffer le refte de
leurs jours dans ce cachot
affreux de la maniere la
plus miferable ; c'eſt pour
cela qu'il nomme cette pri
fon le fejour du malheur
Dans ce funefte eftat no
ftre Philofophe ne leur laiffe qu'une feule reſſource
fçavoir qu'enfin le Ciel ait
pitié d'eux , & leur envoye
le repentir pour les retirer
du gouffre de malheur où
ils fontplongez. Or le preOctobre. 1712. O
162 MERCURE
mier effet que cet heureux
repentir produit en eux , eft
de chaffer ces mauvaiſes
préventions dont ils s'eftoient laiffez préoccuper
dans leur jeuneffe , & de
leur fuggerer de plus juftes
opinions , & des defirs plus
raifonnables. Alors ils fe
trouvent avoir de l'eftime
& de l'inclination pour les
ſciences ; heureux s'ils font
affez aviſez pour choiſir la
veritable , je veux dire celle
qui enfeigne aux hommes
à regler leurs mœurs , &
qu'on appelle pour cette
GALANT. 163
raifon la Morale ! car cette
morale les purifie infailliblement de toutes leurs ha
bitudes vicieuſes , & les met
en eftat de paffer le reſte
de leur vie dans le repos &
dans la felicité , à l'abry de
tous leurs maux paffez.
Mais s'ils font au contraire affez imprudens pour
fe laiffer efbloüir par l'éclat
de la vaine ſcience , & de
la fauffe reputation , noſtre
Philofophe nous fait voir
un fecond reduit , à l'entrée.
duquel paroift une femme
fort parée , & tres- enga
O ij
164 MERCURE
geante, que les petits efprits
& le commun des hommes
nomment la ſcience , quoyque ce ne foit que la vaine
fcience. Car la plupart de
ceux qui dès l'entrée de la
vie ont fuivi la bonne route , ou ceux que le repentir
a retirez de la maifon du
malheur , defirant s'occuper le refte de leur vie aux
ſciences , donnent ordinai.
rement dans cette fauffe
ſcience. Auffi cet afile eftil rempli de Poëtes , d'Orateurs , de Dialecticiens ,
de Muficiens , d'Arithme
GALANT. 165
ticiens,de Géometres, d'Af
trologues, d'Epicuriens , de
Peripateticiens , de Critiques , & de quantité de
gens de cette nature , par-.
mi lefquels on voit encore
de ces Courtifannes du premier reduit , comme l'incontinence , l'intemperance , & leurs autres compagnes. Car ces fortes de
Sçavants en font auffi fouvént les esclaves , quoyque
plus rarement, parce qu'ils
ont plus de foin de s'occuper que les autres . Les préventions ou fauffes opi-
166 MERCURE
nions s'y meſlent auſſi , à
caufe dupoifon que la convoitife leur a fait avaler en
entrant dans la vie , qui les
empefche de connoiſtre
leur ignorance, pour ne pas
dire leur erreur. Et il n'y a
point pour eux , ſelon noftre Philofophe , d'autre
moyen de s'arracher des
pieges de ces mauvaiſes
amies , que de renoncer
pour jamais à la vaine ſcience ; car avec fon feul fe-.
cours ils ne doivent pas efperer de s'affranchir jamais
de leur joug , ny d'éviter les
GALANT. 167
malheurs de la vie.
Mais s'ils font affez heureux de rentrer dans le chemin de la verité , elle leur
fera ( dit - il ) goufter d'un
breuvage qui les purgera de
tous leurs vices , & de toutes leurs erreurs , & qui enfin les mettra dans un eſtat
de fecurité. C'eftpour cela
que noftre Philofophe nous
fait enviſager dans fon tableau un troifiéme reduit
plus élevé que les précedents , mais defert , & habité d'un tres-petit nombre
d'hommes ; la porte en eft
168 MERCURE
*
eftroite , & le chemin pour
y arriver fort ferré , & peu
frequenté ; il paroiſt de
plus difficile & efcarpé.
C'eft le chemin de la veritable ſcience , duquel l'af
pect a quelque chofe de
rude & d'effrayant. Il nous
reprefente à l'entrée de ce
lieu deux femmes d'une
fantéparfaite, pleines d'embonpoint & de vigueur
affifes fur une roche élevée ,
& escarpée de tous coſtez ,
qui tendent la main aux
paffants d'un air affable , &
avec un viſage plein de ſerenité :
f
GALANT. 169
renité ; l'une d'elle fe nomme la conftance , & l'autre
la continence. Ce font deux
fœurs toutes aimables , qui
invitent les paſſants à s'approcher d'elles , à s'armer
de courage , & à ne ſe laiffer
pas vaincre par une laſche
timidité , leur promettant
de les faire entrer dans un
chemin de delices , aprés
qu'ils auront furmonté
quelques legeres difficultez , qui feront bien toft
diffipées . Et pour leur en
faciliter le moyen , elles
veulent bien defcendre
Octobre.
1712. Р
170 MERCURE
quelques marches de ce
précipice où elles font , afin
de leur donner la main , &
de les attirer au deffus.
Là elles les font reſpirer
en leur donnant pour compagnes la force & l'efperance , & leur promettant
de les faire bien- toft arri-:
ver à la veritable ſcience.
Et pour les encourager davantage , elles leur font enviſager combien le chemin
en eft agréable , aisé , &
exempt de tous dangers.
Ce chemin conduit à un
quatriéme & dernier re-
GALANT. 171
*
duit renfermé dans le précedent; c'eft un fejour char-
'mantfemblable à une grande prairie , & fort éclairée
des rayons du Soleil ; on le
nomme le fejour des hom
mes heureux , parce que
toutes les vertus y habitent ,
& que c'est la demeure de
la felicité. Il paroiſt à l'entrée une Dame fort gra
cieuſe avec un viſage égal ,
& dans un âge peu avancé;
fon habit eft fimple &fans
ornemens eftrangers ; elle
eft affife fur une pierre ferme & d'une large affiette ;
Pij
172 MERCURE
c'efl la veritableſcience qui
eft accompagnée de ces
deux filles , dont une s'ap-:
pelle la verité , & l'autre la
perfuafion. Son fiege tefmoigne affez qu'il eft feur
de le fier à elle , & que fes
biens font conftants. Mais
qui font ces biens ( dit Cebés ) ce font la confiance ,
la privation d'ennuis , la
conviction que rien ne peut
deformais leur nuire. Or
cette honnefte mere eft à
l'entrée de cet afile pour
guerir les hoftes qui luy arrivent , enleur faifant pren-
GALANT. 173
-dreune potion cordiale qui
les purifie de toutes les imperfections qu'ils avoient
contractées en paſſant par
les premiers reduits , telles
que l'ignorance , l'erreur ,
la prévention , l'arrogance,
l'incontinence , la colere ,
l'avarice , & les autres vices : après quoy elle les
fait entrer dans le fejour
des vertus.
Or noftre Philofophe
nous reprefente ces vertus
fous la forme de Damesfages & belles , fans aucun
fard ny ajuftemens , en un
P iij
174 MERCURE
motfort differentes des premieres ; on les nomme la
pieté , la juftice , l'integrité , la temperance , la modeftie , la liberalité , la clemence , &c. Après donc
que les vertus ont admis
ces nouveaux hoftes dans
leur focieté , elles n'en demeurent pas là ; mais Cebés nous fait enviſager une
eſpece de donjon en forme
de citadelle au milieu de
ce dernier reduit , & fur
l'endroit le plus eflevé ; c'eſt
le palais de la felicité , la
mere de toutes les vertus ;
GALANT. 175
c'eft dans ce fejour heureux qu'elles les introduifent pour les prefenter à
leur mere. Au refte il dépeint cette mere comme
une Reine affife fur un
throfne à l'entrée de fon
palais , qui eftant parfaitement belle , & dans un âge
de confiſtance , eſt ornée
d'une manière honnefte ;
& fans fafte , ayant la tefte
ceinte d'une couronne de
fleurs , avecun air plein de
majefté. Cette Dame &
fes filles les vertus couronnent ceux qui s'élevent juf
P
iiij
176 MERCURE
ques à elles , comme des
Héros qui ont remporté de
grandes victoires fur diffe .
rens monftres qui leur faifoient la guerre ; & elles
leur adjouftent de nouvelles forces pour domptér
des ennemis , qui auparavant les reduifoient en fervitude , & les dévoroient
aprés leur avoir fait fouffrir
plufieurs divers tourments.
Ces monftres font l'ignorance & l'erreur , la douleur , & la trifteffe , l'avarice , l'intemperance , & en
general tous les vices. Ce
GALANT. 177
font là les ennemis aufquels
ils commandent dorefnavant; bien loin de leur obeir
&de leur eftre foumis comme autrefois. Mais ce n'eft
pas tout cette couronne
que nos Héros ont receuë ,
outre la force qu'elle leur
donne , les rend encore
bienheureux, & les affran
chit de tous les maux de la
vie , en leur apprenant à ne
plus mettre leur felicité
dans les biens paffagers ,
mais uniquement dans la
poffeffion de la vertu , &
dans la joye de la bonne
confcience.
178 MERCURE
Apres que ces hommes
vertueux ont efté ainfi couronnez , Cebés les fait revenir accompagnez de toutes les vertus dans les lieux
par où ils ont paffé autrefois. Là ces fages guides
leur font voir tous ceux qui
menent une vie miſerable,
errants çà là , tousjours
prefts à faire nauffrage , &
tousjours esclaves de leurs
ennemis , les uns de l'incontinence , d'autres de la
fuperbe , les autres de l'avarice , ou du defir de la
vaine gloire , d'autres enfin
GALANT. 179
"
par d'autres vices fans
pouvoir jamais d'eux- meſmes s'affranchir de leur fervitude , ny parvenir au ſejour des vertus , & au palais de la felicité.. La caufe de ce malheur , ( dit noſtre Philofophe ) vient de
ce qu'ils ont oublié le chemin que leur Génie tuter
laire leur avoit enfeigné, &
les préceptes qu'il leur avoit
donnez avant qu'ils entraf
fent dans le monde. C'eſt
alors que ces nouveaux éleves prennent une veritable connoiffance du bien
180 MERCURE
& du mal ; au lieu de l'ignorance & de l'erreur où
ils avoient vefcu pendant
leur aveuglement , qui leur
faifoit eftimer un bien ce
qui veritablement eftoit un
mal , & prendre pour un
mal ce qui eftoit un bien ,
& les engageoit par là dans
une vie déreglée & perverfe , & cette connoiffance
regle leurs mœurs , & les
fait profiter des folies des
autres. Aprés quoy , dit
Cebés , ils peuvent aller
fans crainte où ils veulent ,
parce qu'ils font par tout
GALANT. 181
,
à l'abri de leurs ennemis ,
& qu'en quelque lieu qu'ils
aillent ils font affeurez d'y
vivre dans la droiture de
cœur & dans l'amour de
la vertu , exempts de tout
peril & de toutes fortes de
maux. De plus chacun fe
fait un plaifir, de les recevoir, comme un malade en
reffent lorfque fon medecin
le vient voir. Outre qu'ils
n'ont plus à craindre ces
beftes fauvages qui leur faifoient auparavantuneguerre fi cruelle ; puifque ny
la douleur , ny les chagrins,
182 MERCURE
ny l'incontinence , ny l'avarice, ny la pauvreté n'ont
plus aucun pouvoir fur leur
efprit pour luy faire perdre
l'amour de la verité.
Cebés nous fait remarquer enfuite une autre ef
pece d'hommes qui defcendent auffi de l'afile des vertus fans aucunes couronnes , mais au contraire avec
des vifages de defefperez ,
des cheveux arrachez , &
quifont enchaifnez par des
femmes. Ce font ou ceux
qui eftant arrivez à la veritable ſcience , en ont efté
GALANT. 18 ;
mal receus , comme en eftant indignes ; ou ceux qui
ont manqué de courage
lorfqu'ils ontvoulu s'eflever
fur la roche , où la conf
tance les invitoit de monter , & qui ayant lafché le
pied honteufement , demeurent vagabonds , fans
fçavoir où ils doivent aller.
Les uns & les autres de-.
viennent la proye des chagrins , des angoiffes , dul
deſeſpoir, de la honte & de
l'ignorance ; & pour furcroift de malheur ils retournent au parc de la lu-
184 MERCURE
xure & de l'intemperance ,
oùces infenfez maudiffent
le refte de leurs jours la
veritable ſcience , & les ve
ritables fçavants, regardant
ces derniers comme des
malheureux, qui ne fçavent
pas goufter les plaifirs , &
joüir de la vie comme eux ,
bien loin de fentir euxmefmes l'eftat déplorable
où ils fe font plongez, Car
la brutalité dont ils font
aveuglez , fait qu'ils mettent leur fouverain bien
dans la gourmandiſe , dans
le luxe & dans l'incontiEnfin nence.
GALANT. 185
Enfin noftre Philofophe
entre dans un plus grand
détail fur ce qu'il prétend
que le Génie de chaque
homme luy infinuë avant
fa naiffance. Premieremenp
il leur donne avis ( dit-il
de s'armer de courage , &
de conftance, comme ayant
plufieurs combats à fouftenir dans le monde lorfqu'ils
y
feront entrez : feconde-l
ment il les exhorte à né
point mettre leur efperance dans les biens temporels & paffagers , que la
fortune donne & ofte à fon
Octobre. 1712,
C
i
186 MERCURE
gré , & parconfequent de
ne s'abandonner point à la
joye , quand elle nous les
envoye , ou à la trifteffe
quand elle les retire , parce
qu'elle en ufe comme d'un
bien qui eft à elle , & non
pasà nous. C'eſt pourquoy
il nous avertit de ne reffembler pas ces mauvais Banquiers qui ayant receu.
Fargent d'autruy , le regardent comme leur appartenant, & en ont la meſme
joye que s'il eftoid à eux en
propre , & qui quand on
le repete s'en trouvent auſſi
GALANT. 187
offenfez, & en conçoivent
autant de chagrin que fi
on le leur raviffoit mais
de recevoir au contraire
avec reconnoiffance les
biens temporels qu'il luy
plaiſt de nous départir , &
de nous en fervir pour ar
river en hafte à la fource
feconde & certaine de tous
les biens, qui eft la veritable
fcience , c'est-à - dire , la
fcience qui peut nous rendre heureux. Ainfi nous
devons ( dit il ) éviter d'abord foigneusement les
courtiſannes done on apar-
-
Q ij
188 MERCURE
lé , fçavoir l'intemperance,
la luxure , & les autres vi-
& prendre garde de ces
nous laiffer enchanter de
leurs attraits. ។
A l'égard de la vaine
ſcience nous pouvons luy
donner , felon luy , quelques années de notre vie ,
& prendre quelques -unes
de fes leçons pour nous aider à paffer outre , car nous
devons nous hafter d'arriver à la veritable ſcience ,
& à la pratique des vertus
le pluftoft que nous pourrons , & regarder tout le
GALANT. 189
temps que nous employons
à autre chofe , comme autant de rabbatu fur la durée de noftre felicité.
Tous les emblefmes eftant finis , Cebés examine
quelles font les leçons qu'-
on peut tirer de la vaine
fcience, & conclud que ce
font les Lettres & les autres
difciplines , que Platon dit
eftre le frein des fougues
de la jeuneffe. Il prétend
au refte que ces leçons ne
font point abfolument neceffaires pour acquerir la
morale , & qu'on doit les
190 MERCURE
regarderſeulement comme
des moyens pour y arriver
plus communément, mais
qui ne nousfervent de rien
pour augmenteren nous la
vertu: &la raiſon qu'il en ap
porte, c'eſt qu'on peut eftre
vertueux fans elles , comme
l'experience journaliere le
confi me. On ne doit pas
cependant, felon luy,les re
garder commeinutiles . Car
(dit il ) quoy qu'on puiſſe
abſolument entendre une
langue estrangere avec le
fecours feul d'un Interpre
te , on ne laiſſe pas de trou-
GALANT. 191
ver quelque foulagement
& quelque ſatisfaction lors
qu'on peut encore y joindre fa propre connoiffan
ce. Il en eft de mefme de
la vaine fcience qu'on ne
doit regarder que comme
un fecours pour arriver plus
aisément à la veritable.
De là noſtre Philoſophe
tire cette fafcheufe confequence contre les faux fçavants , qui prétendent s'attribuer quelque préference
fur les autres hommes , fçavoir qu'ils n'ont là aucun avantage pour devenir
par
192 MERCURE
plus parfaits qu'eux ; puifqu'il eft conftant qu'ils ne
jugent pas plus fainement
du bien & du mal que le
refte des hommes , & qu'ils
font fujets aux meſmes vices; car qui empefche ( ditil ) d'eftre lettré , de poffe
der toutes les fciences vaines , & d'eftre cependant
toujours un yvrogne , un
intemperant , un avaricieux , un calomniateur, un
traiftre , & en un mot un
infensé, puifque ces fortes
de fciences ne s'occupent
point à la connoiffance des
vertus ,
GALANT. 193
7
vertus & des vices La cau
fe de ce malheur , dit noftre Philofophe , vient de
ce que ces fortes de fça
vants ont la vanité de croi
re fçavoir ce qu'effectivement ils ignorent : c'eft ce
qui les rend indociles &
pareffeux à fe faire inftruire de la veritable ſcience,
D'un autre cofté ils font
fujets comme le reſte des
hommes à fe laiffer emporter par leurs fauffes préventions qui les rendent
opiniaftres & intraitables.
De forte qu'ils ne ſçauOctobre 1712.
R
194 MERCURE
roient fe flatter d'avoir aucun avantage ſur eux ,
moins que le Ciel ne leur
à
envoye quelque rayon de
lumiere qui leur faffe connoiftre la vanité de leur
fcience , & les porte à rechercher la verité.
Enfin Cebés prouve la
propofition qu'il a avancée au commencement de
fon difcours , fçavoir que
les dons de lafortune, com+
me la vie , la fanté , les richeffes , la nobleſſe , les
honneurs , les victoires , &
les autres biens temporels
GALANT. 195
ne font pas de veritables
biens ; ny par confequent
les maux qui leur font oppofez, commeles maladies,
la mort mefme , &c. ne
font pas deveritables maux;
maisil prétend aucontraire
que toutes ces chofes d'elles-mefmesfont indifferentes pour noftre perfection.
La vie , dit - il , eft un bien
à celuy qui vit bien , & c'eſt
fans doute unmal à l'égard
de celuy qui fe comporte
mal, par les maux aufquels
elle l'expofe toft ou tard.
D'un autre cofté la vie eft
R ij
196 MERCURE
commune aux meſchants
comme aux bons , aux malheureux commeà ceux qui
font heureux , d'où il conclud que la vie en elle meſme eft une chofe indifferente. De mefme que de
couper un bras à un hom-
-me qui fe porte bien , eft
pour luy un mal ; & c'eſt
rau contraire un bien à celuy
qui a la gangrenne , d'où il
fuit que l'amputation d'un
bras eft une chofe qui n'eft
abfolument parlant , ou en
foy, nybonne n'y mauvaiſe.
Il rafonne de melme des
GALANT. 197
richeffes , de la fanté, & des
autres biens du corps : car
ilferoit, dit il , tres- louvent
à defirer pour celuy qui a
fait un mauvais coup , qu'il
euft efté malade pendant le
temps qu'il l'a fait ; c'eft
pourquoy la fanté eft en
ce cas un vray mal pour
luy , quoyque ce foit d'ailleurs un bien pour les honneftes gens. A l'égard des
richeffes on voit fouvent.
que ceux qui les poffedent
ne font pas les plus heureux ny les plus honneftes.
gens ; d'où il faut conclure
Riij.
198 MERCURE
&
qu'elles ne fervent de rien
pour noftre felicité
qu'ainfi par elles mefmes
elles ne font pas un bien
pluftoft qu'un mal , puifqu'il feroit à fouhaitter pour
ceux qui n'en fçavent pas
ufer , qu'ils en fuffent privez à caufe des miferes qu'-
elles leur attirent.
Noftre Philofophe conclud en difant qu'on peut
appeller les biens temporels, des biens pourceux qui
fçavent s'en bien fervir , &
des maux à l'égard de ceux
qui en font un mauvais ufa-
GALANT. 199
ge , & finit en remarquant
que ce qui nous trouble &
nous agite en cette vie c'eft
le faux jugement que nous
portons fur les biens & fur
les maux temporels , fur lequelfauxjugement nous reglons enfuite toute la conduite de noftre vie pour le
bien ou pour le mal; & cela
parce que nous ne travaillons pas affez à connoiſtre
l'un & l'aure.
On connoift affez au
refte par cet exposé que les
mefmes inclinations & les
mefmes vices qui dominent
R iiij
200 MERCURE
aujourd'huy , regnoient dès
ces premiers temps , & que
la Providence a toujours eu
foin de faire naiftre des
hommes , qui au milieu de
la corruption de leur fiecle
rendiſſent teſmoignage à
la vertu & aux veritez morales , afin qu'elles n'en
fuffent pas entierement étouffées , & afin que les
hommes dépravez n'euffent pas à fe plaindre d'avoir manqué d'inftructions,
& mefme d'exemples pour
les mettre en pratique , &
d'avertiffements pour con-
GALANT. 201
noiftre les fuites fafcheufes
des paffions & des vices ,
& pour en concevoir de
l'horreur. Mais ce que nous
devions , ce mefemble , admirer icy le plus , ce font
ces repentirs & ces rayons
de lumiere que Cebés reconnoift eftre envoyez du
Ciel pour retirer les hommes de l'esclavage de leurs
paffions , & les faire rentrer dans le fein des vertus. Certes fila chofe eftoit
telle dans ces temps du pai
ganisme , plus de trois cens
ans avant la venue du Mef-
202 MERCURE
fie , comme il femble qu'on
n'en puiffe douter , par le
recit de cet autheur , je ne
crois pas qu'on puiſſe douter auffi que le Ciel n'exerçaft fes mifericordes fur
ces peuples corrompus , de
mefme que fur le peuple
Juif: car effectivement que
peut il y avoir qu'une lumiere divine qui faffe connoiftre à l'efprit de l'homme la vanité des voluptez ,
& qui luy faffe diftinguer
la vaine ſcience de la veri
table , & les vicès des vertus ? L
GALANT. 203
A l'égard du Génie que
Cebés a creu préfider à noftre conception , & nous
inftruire dès le ventre de
noftre mere de nos devoirs
pour la vie à laquelle nous
fommes deftinez , on ne
fçauroit , ce me femble ,
penfer que ce foit autre
que la lumiere de la
raifon où l'ame raiſonnable que Dieu met dans le
corps dés qu'elle peut y
exercer fes fonctions , la
quelle lumiere feroit fuffifante pour nous faire éviter
tous les écueils des paffions
chofe
204 MERCURE
& des vices , fans les fauffes
préventions aufquelles nous
nous abandonnons pendant la jeuneffe , au lieu de
confulter la lumiere de noftre raison. Quand à la fortune qui, felon luy , difpenfe les biens temporels & les
maux à fon gré , on voit
affez qu'on ne peut entendre par là , que la Provi
dence qui a créé toutes chofes , à qui par confequent
toutes chofes appartiennent en propre , & qui ef
tant la maiftrelle du fort
des hommes , en peut difC
GALANT. 203
poſer felon fa volonté. De
plus lorsqu'il nous dit que
la douleur , les chagrins , la
pauvreté , &c. n'ont plus
d'empire fur l'homme devenu vertueux , il nous fait
connoiftre combien eftoit
grande la fecurité , la confiance , la conſtance , & là
tranquillité de l'efprit de
l'honnefte homme , & que
les hommes vertueux de ce
temps là participoient dès
ce monde aux recompenfes des veritablesChrêtiens,
parce qu'ils pratiquoientles
-mefmes bonnes œuvres.
206 MERCURE
Car quoyqu'ils ne conneuffent pas Dieu auffi clairement , & qu'ils ne le creuffent peut-eftre pas auffi prefent à toutes leurs démarches que nous , ils ne laiffoient pas d'envisager la
vertucomme la loy de l'Autheur de la nature , gravée
dans le cœur des hommes,
& d'eftre perfuadez que
ceux- là offenfoient Dieu
qui trahiſſoient la vertu
ainfi ils pratiquoient la ver.
tu dans la veuë de plaire à
Dieu , d'où naiflóit dès ce
monde la joye & la ferenité de leur conſcience.
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Résumé : PARAPHRASE ou Explication du Tableau de la Vie humaine de Cebés Tébain de Grece disciple de Socrate, & Philosophe moral. Où l'on a suivi le sens de l'Autheur le plus exactement qu'il a esté possible, sans s'éloigner de l'esprit general de tous les peuples.
Le texte présente une allégorie philosophique de la vie humaine, comparée à un grand parc avec divers réduits symbolisant les étapes et expériences de la vie. Cebés, disciple de Socrate, utilise cette métaphore pour illustrer les défis et les choix que les individus doivent affronter. Au début de la vie, les individus sont guidés par une intelligence qui leur enseigne comment être heureux, mais ils oublient rapidement ces leçons à cause de la convoitise et de l'ignorance, personnifiées par une reine séductrice. Dans ce parc, la Fortune, une divinité aveugle et capricieuse, distribue des biens temporels. Les ambitieux la supplient, mais elle favorise certains et rejette d'autres, créant ainsi des joies et des tristesses. Ces biens temporels ne sont pas considérés comme de vrais biens, car ils ne rendent pas les hommes plus parfaits. Le parc comporte plusieurs réduits. Le premier est gardé par des femmes représentant des vices comme l'intempérance et l'avarice, qui séduisent ceux que la Fortune a favorisés. Ces individus goûtent des plaisirs éphémères avant de tomber dans le malheur et la misère. Leur seule ressource est le repentir, qui les conduit vers des opinions plus justes et un intérêt pour les sciences, notamment la morale. Un second réduit est habité par ceux qui se laissent séduire par la fausse science, représentée par des poètes, orateurs, et autres savants. Ces individus sont souvent esclaves de leurs vices et de leurs erreurs. Un troisième réduit, plus élevé et difficile d'accès, mène à la véritable science. À son entrée, deux femmes, la Constance et la Continence, aident les passants à surmonter les difficultés. Ce chemin conduit à un quatrième réduit, le séjour des hommes heureux, où habitent toutes les vertus et la véritable science, accompagnée de la Vérité et de la Persuasion. Le texte décrit également une allégorie où les âmes, appelées 'Cébés', traversent divers états pour atteindre la vertu et la félicité. À l'entrée de ce chemin, une 'honnête mère' purifie les âmes des imperfections comme l'ignorance, l'erreur, et l'arrogance, les préparant ainsi à entrer dans le séjour des vertus. Ces vertus sont représentées par des dames sages et belles, telles que la piété, la justice, l'intégrité, et la tempérance. Après avoir été admises dans cette société, les âmes sont conduites vers un donjon en forme de citadelle, le palais de la félicité, où règne une Reine assise sur un trône. Cette Reine et ses filles, les vertus, couronnent les âmes vertueuses, leur donnant force et bonheur, et les libérant des maux de la vie. Ces âmes, désormais héroïques, dominent les monstres symbolisant les vices et vivent dans la droiture et l'amour de la vertu. Le texte distingue également ceux qui, ayant atteint la véritable science, sont mal reçus ou manquent de courage, devenant ainsi des esclaves des chagrins et des vices. Ces derniers maudissent la véritable science et les savants, préférant les plaisirs matériels. Le philosophe Cebés enseigne que les biens temporels, comme la vie, la santé, et les richesses, ne sont ni véritables biens ni véritables maux en eux-mêmes. Ils dépendent de l'usage que l'on en fait. Il exhorte à ne pas se réjouir ou se lamenter excessivement face à ces biens, mais à les utiliser pour atteindre la véritable science et la vertu.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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25
p. 12-128
HISTOIRE nouvelle.
Début :
La peste qui exerce souvent de furieux ravages dans les [...]
Mots clefs :
Amour, Monde, Veuve, Coeur, Dames, Dame, Cavalier, Chambre, Mort, Gentilhomme, Charmes, Affaires, Esprit, Comte, Rome, Pologne, Femmes, Roi, Ambassadeur, Tendresse, Hymen, Valet de chambre, Paris, Comte, Cavalier français, Aventures, Connaissances, Duc, Fête, Veuve, Yeux, Beauté, Maison, Récit, Amis, Compagnie, Voyage, Mariage, Province, Étrangers, Peste, Curiosité, Honneur, Bosquet, Hommes, Varsovie
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texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE nouvelle.
HISTOIRE
nouvelle .
LA peſte qui exerce
ſouvent de furieux ravages
dans lesPaïsduNord,
avoit déja détruit prés
d'un tiers de la belle Ville
de Varſovie , ceux de ſes
habitans qui avoient
quelque azile dans les
campagnes , l'abandonnoient
tous les jours ;
pluſieurs alloient à cent
GALANT. 13
lieuës&plus loin encore,
chercher à ſe preſerver
des perils de la conta
gion , lorſque la Palatine
de ... arriva à Dantzic
avec pluſieurs Dames de
confideration qui n'avoient
pas voulu quitter
Varſovie ſans elle.
Le Marquis de Canop
qui eſt un des plus dignes
& des plus honneftes
homes qu'on puiſſe voir,
& qui jouoit un tresgrand
rôle en Pologne ,
14 MERCURE
eſtoit alors à Dantzic ,
où il receut la Palatine
avec tous les honneurs &
toutes les feftes qu'on
puiſſe faire àune des plus
charmantes & des plus
grandes Princeſſes du
monde.drov mes
Des intereſts d'amour,
autant que la crainte de
la maladie , avoient dé
terminé pluſieurs Sei
gneurs Polonois à ſuivre
la Palatine & les Dames
qui l'accompagnoient :
GALANT.
ces Illuſtres captifs qui
n'avoient point abandon-
-néle Char de leur Maitreffe
pendant leur route ,
regarderent leur retraite
à Dantzic , comme l'azile
dumõde le plus favorable
à leurs foupirs. Mais parmi
tant de jeunes beautez
qui briguoient peuteſtre
encore plus d'hommages
qu'elles n'en recevoient
, rien n'eftoit plus
admirable , que le droit ,
qu'uneDame autant ref-
وت
16 MERCURE
pectable par la majeſté
de ſes traits , que par le
nombre de ſes années ,
ſembloit avoir ſur les
cooeurs de tous ceux qui
l'approchoient.
Il n'eſt pas eſtonnant
qu'à un certain âge , on
plaiſe à quelqu'un , mais
quelque beau retour
qu'on puiſſe avoir , il eſt
rare que dans un âge
avancé, on plaiſe à tout
le monde.
La Dame dont je parle,
&
GALANT. 17
&qui avoit cet avantage,
ſe nommoit alors Madame
Belzeſca , elle avoit
eü déja trois maris , &
au moins mille Amants,
elle s'eſtoit tousjours conduite
avec tant de difcretion
& d'innocence , que
les plus hardis & les plus
emportés de ſes adorateurs
n'avoient jamais ofé
donner la moindre atteinte
à ſa réputation : enfin à
quinze ans elle avoit ſou
ſe faire reſpecter comme
May1714. B
18 MERCURE
à ſoixante , & à foixante
paffées ſe faire aimer &
fervir comme à quinze.
Une femme de fa Province,
de fon âge , & qui
depuis fon premier mariage
l'a ſervie juſqu'à
préſent , m'a conté dix
fois fon hiſtoire , comme
je vais la raconter.
Voicy à peu prés ce
que jay retenu de fes
avantures.
Madame Belzeſca eft
originaire d'un Villagede
:
GALANT 12
!
Tourainne , fon Pere qui
eſtoit frere du Lieutenant
Generald'une des premieres
Villes de cette Province
, y poffedoit des biens
affez confiderables . Elle
reſta ſeule de 9. enfants
qu'eut ſa Mere , qui ne
l'aima jamais. Satendreſſe
pour un fils qu'elle avoit,
lorſqu'elle vint au monde;
en fit à ſon égard une
maraſtre ſi cruelle , que
l'oin d'accorder la moindre
indulgence aux ſentih
Bij
20 MERCURE
>
ments de la nature , quelques
efforts que fit fon
mary pour la rendre plus
humaine , elle ne voulut
jamais confentir à la voir.
Cette averſion s'eſtoit
fortifiée dans ſon coeur
ſur la prédiction d'un Berger
qui luy dit un jour ,
deſeſperé des mauvais
traittements dont elle
l'accabloit , qu'elle portoit
en fon fein un enfant
qui le vangeroitdesmaux
qu'elle luy faifoit. Cette
GALANT. 21
malheureuſe Prophetie
s'imprima ſi avant dans
ſon ame , que l'exceffive
haine qu'elle conceut
pour le fruit de cette couche
, fut l'unique cauſe
de la maladie dont elle
mourut. L'enfant qui en
vint , fut nommé Georgette
Pelagie le ſecond
jour de ſa naiſſance , &le
troifiéme emmenée dans
le fond d'un Village , où
la fecrette pieté de fon
Pere , &la charité de ſa
22. MERCURE
tendre nourrice l'elevérent
juſqu'à la mort de fa
mere , qui , eutà peine les
yeux fermés, qu'on ramena
ſa fille dans les lieux
où elle avoit receu le jour.
Pelagie avoit alors prés
de douze ans , &déja elle
eſtoit l'objet de la tendrefſe
de tous les habitans ,
&de tous les voiſins du
Hameau dont les foins
avoient contribué à la
mettre à couvert des rigueurs
d'une mere inhu
4
GALANT. 23
|
€
maine. Ses charmes naiffans,
avec mille graces naturelles
, ſa taille & fes
traits qui commençoient
à ſe former , promettoient
tant de merveilles aux
yeux de ceux qui la vor
yoient, que tous les lieux
d'alentour s'entretenoient
déja du bruit de ſa beauté.
Un eſprit tranquille ,
un temperament toûjours
égal , une grande attention
ſur ſes diſcours , &&&
une douceur parfaite
1
24 MERCURE
avoient preſque réparé
en elle le déffaut de l'éducation
, lorſque ſon Pere
réſolut de la conduire à
Tours.Quoyque l'air d'une
Ville de Province , &
celuy de la campagne ſe
reffemblent affés , elle ne
laiſſa pas de trouver là
d'honneſtes gens qui regarderent
les ſoins de l'inſtruire
comme les plus
raiſonnables foins du
monde. Mais il eſtoit
temps que le Dieu qui
fait
GALANT. 25
fait aimer commençaſt a
ſe meſler de ſes affaires ,
& que fon jeune coeur
apprit à ſe ſauver des pieges
& des perils de l'amour.
La tendreſſe que
ſes charmes inſpiroient
échauffoit tous les coeurs,
à meſure que l'art poliffoit
ſon eſprit , & fon
eſprit regloit ſes ſentimens
à meſure que la
flatterie eſſayoit de corrompre
ſes moeurs. Mais
c'eſt en vain que nous
May 1714.
,
C
26 MERCURE
prétendons nous arranger
fur les deſſeins de noſtre
vie , toutes nos précautions
ſont inutiles contre
les arreſts du deſtin .
Le Ciel refervoit de
trop beaux jours à l'heureuſe
Pelagie ſous les
loix de l'amour , pour
lui faire apprehender davantage
les écuëils de fon
empire. Cependant ce fut
une des plus amoureuſes
& des plus funeftes avantures
du monde qui déGALANT.
27
termina ſon coeur à la
tendreſſe.
Un jour ſe promenant
avec une de ſes amies ſur le
bord de la Loire , au pied
de la celebre Abbaye de
Marmoutier,elle apperceut
au milieu de l'eau un petit
batteaudécouvert , dans lequel
étoient deux femmes ,
un Abbé ,& le marinier qui
les conduiſoità Tours : mais
ſoit que ce bateau ne valuſt
rien ou que quelque malheureuſe
pierre en euſt écarté
les planches , en un moment
tout ce miferable é-
Cij
28. MERCURE
quipage fut enseveli ſous
les eaux. De l'autre coſté
de la riviere deux cavaliers
bien montez ſe jetterent à
l'inſtant à la nage pour ſecourir
ces infortunez ; mais
leur diligence ne leur ſervit
au peril de leur vie , qu'au
falut d'une de ces deux femmes
, que le moins troublé
de ces cavaliers avoit heureuſement
attrapée par les
cheveux , & qu'il conduifit
aux pieds de la tendre Pelagie
, qui fut fi effrayée de
cet affreux ſpectacle , qu'elle
eutpreſque autant beſoin
GALANT. 29
!
de ſecours , que celle qui
venoit d'eſtre ſauvée de cet
évident naufrage , où l'autre
femme & l'Abbé s'eftoient
desja noyez .
:
Le cavalier qui avoit eſté
le moins utile au falut de la
perſonne que ſon ami venoit
d'arracher des bras
de la mort , eſtoir cependant
l'amant aimé de la Dame
délivrée ; mais ſon amour
, fon trouble & fon
deſeſpoir avoient telle.
ment boulversé ſon imagination
, que bien loin de ſe
courir les autres , il ne s'en
C iij
30 MERCURE
fallut preſque rien qu'il ne
perift luy meſme: enfin fon
cheval impetueux le remit
malgré luy au bord d'où il
s'eſtoit précipité ; auffi- toft
il courut à toute bride, iltraverſa
la ville , & pafla les
ponts pour ſe rendre fur le
rivage , où ſa maiſtreſſe recevoit
toute forte de nouveaux
foulagements de Pelagie
, de ſa compagne , &
de ſon ami.
L'intrepidité du liberateur,
ſa prudence , ſes ſoins
& fa bonne mine pafferent
fur le champ pour des mer
GALANT. 31
veilles aux yeux de Pelagie,
De l'admiration d'une certaine
eſpece , il n'y a ordinairement
, ſans qu'on s'en
apperçoive , qu'un pas à
faire à l'amour , & l'amour
nous mene ſi loin naturellement
qu'il arrache bientoſt
tous les conſentements
de noſtre volonté. En vain
l'on ſe flatte d'avoir le tems
de reflechir , en vain l'on
veut eſſayer de ſoumettre
le coeur à la raiſon , l'eſprit
dans ces occafions eft tousjours
ſeduit par le coeur , on
regarde d'abord l'objet avec
C iiij
32 MERCURE
complaiſance.les préjugez
viennent auſſi toſt nous é
tourdir , & nous n'eſperons
ſouvent nous mieux deffendre
, que lorſque noſtre inclination
nous determine à
luytout ceder.
La tendre Pelagie eſtonnée
de ce qu'elle vient de
voir , n'ouvre ſes yeux embaraffés
, que pour jetter
des regards languiſſans
vers la petite maiſon , où
quelques Payſans aidés de
nos deux Cavaliers emportent
la Dame qui vient d'eftre
delivrée de la fureur
GALANT. 33
des flots. Elle n'enviſage
plus l'horreur du peril
qu'elle lui a vû courir ,
comme un ſpectacle ſi digne
de compaſſion , peu
s'en faut meſme qu'elle
n'envie ſon infortune.
Quoique ſes inquietudes
épouvantent ſon coeur , fes
intereſts ſe multiplient , à
meſure que cette troupe
s'éloigne d'elle . Elle croit
desja avoir démeflé que
ſon Cavalier ne ſoupire
point pour la Dame , ni la
Dame pour lui ; neanmoins
ſon eſprit s'en fait
34 MERCURE
une Rivale , elle aprehende
qu'un ſi grand ſervice
n'ait quelqu'autre motif
que la pure generofité , ou
pluſtoſt elle tremble qu'un
amour extreſme ne ſoit la
récompenſe d'un fi grand
ſervice. Cependant elle retourne
à la Ville , elle ſe
met au lit , où elle ſe tour.
mente , s'examine & s'afflige
, à force de raiſonner
fur certe avanture , dont
chacun parle à ſa mode
elle la raconte auffi tous
و
ceux qui veulent l'entendre
, mais elle s'embaraſſe
GALANT.
35
,
د tellement dans ſon récit
qu'il n'y a que l'indulgence
qu'on a pour ſon innocence
& ſa jeuneſſe , qui déguiſe
les circonſtances
qu'elle veut qu'on ignore.
Le Chevalier de Verſan
de ſon coſté ( C'eſt le
nom du Cavalier en qui
elle s'intereſſe , ) le Chevalier
de Verſan dis-je ,
n'eſt pas plus tranquille. La
belle Pelagie eſt tousjours
preſente à ſes yeux , enchanté
de ſes attraits , il va,
court , & revient , par tout
ſa bouche ne s'ouvre , que
36 MERCURE
,
,
pour vanter les appas de
Pelagie. Le bruit que cet
Amant impetueux fait de
fon amour frappe auflitoſt
ſes oreilles , elle s'applaudit
de ſa conqueſte
elle reçoit ſes viſites , écoute
ſes ſoupirs , répond à ſes
propoſitions , enfin elle
conſent , avec ſon Pere ,
que le flambeau de l'hymen
éclaire le triomphe de
fon Amant. Cette nouvelle
allarme , & deſeſpere
en vain tous ſes Rivaux. Il
eſt heureux déja. La fortune
elle-mefme pour le com
bler de graces vient atta
cher de nouveaux préſens
aux faveurs de l'amour. La
mort de ſon frere le fait
heritier de vingt mille livres
de rente. Le Chevalier
devient Marquis : nouvel
& précieux ornement
aux douceurs d'un tendre
mariage. Mais tout s'uſe
dans la vie , l'homme ſe
demaſque , la tendreſſe reciproque
s'épuiſe imper
ceptiblement , on languit ,
on ſe quitte , peut - eſtre
meſme on ſe hait , heureux
encore ſi l'on ne fouf
38 MERCURE
fre pas infiniment des caprices
de la déſunion Mais
Prices d la mort & l'amour ſe rangent
du parti de Madame
la Marquiſe de ... que ,
pour raiſon difcrette , je
nommerai Pelagie , juſqu'à
ce qu'elle foit Madame
Belzeſca.
Ainfi l'heureuſe Pelagie
aprés avoir goufté pendant
cinq ans toutes les douceurs
de l'hymen , ne ceſſe d'aimer
fon mary ( inconſtant
huit jours avant elle )
que fix ſemaines avant ſa
mort.
GALANT. 39
Un fils unique , ſeul &
cher gage de leur union ,la
rend àvingt ansheritiere &
dépofitaire des biensdu défunt.
Elle arrange exacte
ment toutes ſes affaires, elle
abandonne tranquillement
la province , & fe rend à
Paris avec fon fils .
De quel pays , Madame ,
luy dit- on,dés qu'on la voit,
nous apportez-vous tant de
beauté? dans quelle obſcure
contrée avez - vous eu le
courage d'enſevelir ju qu'a
preſent tant de charmes ?
que vous eſtes injuſte d'a
40 MERCURE
voir ſi long - temps honoré
de voſtre preſence des lieux
preſque inconnus , vous qui
eſtes encore trop belle pour
Paris . Cependant c'eſt le
ſeul endroit du monde qui
puiſſe prétendre à la gloire
de vous regarder comme la
Reine de ſes citoyennes.
Les ſpectacles , les aſſemblées,
les promenades , tout
retentit enfin des merveillesdela
belle veuve.
Le Roy Caſimir eſtoit
alors en France , pluſieurs
grands ſeigneurs avoient
ſuivi ce Prince juſqu'à la
porte
GALANT. 41
porte de ſa retraite.
Il n'y avoit point d'eſtranger
à Paris qui ne fuſt curieux
d'apprendre noſtre
langue qui commençoit à
ſe répandre dans toutes les
cours de l'Europe , & il n'y
enavoit aucun qui ne ſceuſt
parfaitement que la connoiſſance
& le commerce
des Dames font l'art, le merite
, & le profit de cette
eftude.
Un charmant voiſinage
eſt ſouvent le premier prétexte
des liaiſons que l'on
forme.
May 1714. D
MERCURE
Pelagie avoit ſa maiſon
dans le fauxbourg S. Germain
: ce quartier eſt l'azile
le plus ordinaire de tous les
eſtrangers , que leurs affaires
ou leur curioſité attirent
à Paris .
,
La Veuve dont il eſt
queſtion eſtoit fi belle
que ſa Maiſon eſtoit tous
les jours remplie des plus
honneſtes gens de la Ville ,
& environnée de ceux qui
n'avoient chez elle ni
,
droit , ni prétexte de viſite.
Enfin on croyoit en la
voyant , que , Maiſtreſſe
GALANT. 43
!
abſoluë des mouvements
de ſon ame , elle regnoit
ſouverainement ſur l'amour
comme l'amour
qu'elle donnoit regnoit fur
tous les coeurs ; mais on ſe
trompoit , & peut- eſtre ſe
trompoit- elle elle - meſme.
Pelagie eſtoit une trop
belle conqueſte , pour n'eftre
pas bien toſt encore la
victime de l'amour.
La magnificence du plus
grand Roy du monde raviſſoit
alors les yeux des
mortels , par l'éclat & la
pompe des ſpectacles &
Dij
44 MERCURE
,
des feftes , dont rien n'avoit
jamais égalé la richefſe
& la majefté ; l'on accouroit
de toutes parts ,
pour eſtre témoins de l'excellence
de ſes plaifirs , &
chaque jour ſes peuples
eſtoient obligez d'admirer
dans le délafſſement de ſes
travaux , les merveilles de
fa grandeur.
Le dernier jour enfin
des trois deſtinés pour cette
fuperbe feſte de Verfailles,
dont la poſterité parlera
comme d'une feſte inimitable
, ce jour où l'Amour
GALANT. 45
vuida tant de fois fon Carquois
, ce jour où l'Amour
ſe plut à joüer tant de
tours malins à mille beautés
que la fplendeur de ce
Spectacle avoit attiré dans
ces lieux , fut enfin le jour
qui avança le dénoüement
du fecond du ſecond hymen de Pelagie.
Un des ſeigneurs que le
Roy Caſimir avoit amenéz
avec luy , avoit malheureuſement
veu cette belle veuve
, un mois avant de ſedéterminer
à imiter le zele &
la pieté de ſon maiſtre , elle
46 MERCURE
avoit paru à ſes yeux ornée
de tant d'agrements , ou
plutoſt ſi parfaite , que la
veuë de ſes charmes luy fit
d'abord faire le voeu de n'en
plusfaire que pour elle; mais
c'eſt un conte de prétendre
qu'il ſuffiſe d'aimer pour ef
tre aimé ; rien n'eſt plus
faux que cette maxime , &
je ſouſtiens qu'on eſt ſouvent
traité fort mal en amour
, à moins qu'une heureuſe
influence n'eſtabliſſe
des diſpoſitions reciproques.
C'eſt en vain que l'amouGALANT.
47
reux Polonois brufle pour
Pelagie , ſon eſtoille n'eft
point dans ſes interefts , elle
regarde cette flame auffi
indifféremment , qu'un feu
que d'autres auroient allumé
, & quoy qu'elle voye
tous les jours ce nouvel
eſclave l'étourdir du récit
de ſa tendreſſe , ſon coeur
ſe fait ſi peu d'honneur de
cette conquefte , qu'il femble
qu'elle ignore qu'il y
ait des Polonois au monde
.
Mais l'eſprit de l'homme
prend quelquefois des ſen48
MERCURE
timents ſi audacieux quand
il aime , que la violence
de ſa paſſion & le defefpoir
de n'eſtre point écouté
, le portent ſouvent juſqu'à
l'inſolence. D'autresfois
nos titres& noſtre rang
nous aveuglent , & nous
nous perfuadons qu'on eſt
obligé de faire , du moins
en faveur de noſtre nom
ce que nous ne meritons
,
pas qu'on faſſe pour l'amour
de nous.
Le Polonois jure , tempeſte
, & s'impatiente contre
les rigueurs de ſa Maîtreffe,
GALANT .
49
treſſe , à qui ce procedé
paroiſt ſi nouveau , qu'elle
le fait tranquillement remercier
de ſes viſites . La
rage auffi toſt s'empare de
ſon coeur , il n'eſt point de
réſolution violente qui ne
lui paroiſſe légitime , l'inſenſible
Pelagie eft injufte
de n'eſtre pas tendre pour
lui , ſa dureté la rend indigne
de ſon amour , mais
fon amour irrité doit au
moins la punir de ſa rigueur
, & quoy qu'il en
couſte à l'honneur , l'éxécution
des plus criminels
May 1714. E
10 MERCURE
projets n'est qu'une bagatelle
, lorſqu'il s'agit de ſe
vanger d'une ingratte qui
ne peut nous aimer.
Ce malheureux Amant
ſcut que ſon inhumaine
devoit se trouver à la feſte
de Verſailles, avec une Dame
de ſes amies , & un de
ſes Rivaux , dont le mérite
luy avoit d'abord fait apprehender
la concurrence ,
mais qu'il croyoit trop foible
alors pour pouvoir déconcerter
ſes deſſeins . Il
prit ainſi ſes meſures avec
des gens que ſes promeſſes
GALANT.
SI
&ſes préſents engagérent
dans ſes intereſts , & il ré.
ſolut , aſſeuré de leur courage
& de leur prudence ,
d'enlever Pelagie , pendant
que le déſordre & la confuſionde
la find'une ſi grande
feſte , lui en fourniroient
encore les moyens..
Le Carroffe & les relais
qui devoient ſervir à cet
enlevement , eſtoient déja
ſi bien diſpoſés , qu'il ne
manquoit plus que le moment
heureux de s'empa
rer de l'objet de toute cette
entrepriſe ; lorſque Pelagie
1
E ij
52
MERCURE
laſſe & accablée du ſommeilque
lui avoient dérobé
ces brillantes nuits , entra ,
avec ſon amie , dans un
fombre boſquet , où la fraîcheur
& le hazard avoient
inſenſiblement conduit ſes
pasi elle y furà peine aſſiſe,
qu'elle s'y endormit
Laiffons la pour un inftant,
dans le fein du repos
dont on va bien toſt l'arracher.
- L'occaſion est trop belle
pour n'en pas profiter ; mais
le Polonois a beſoin de tout
fon monde , pour en fortir
GALANT.
53
a ſon honneur , & il commence
à trouver tant de
difficultez , à exécuter un ſi
grand deſſein dans le Palais
d'un ſi grand Roy , qu'il
s'imagine , aveuglé de ſon
déſeſpoir & de ſon amour ,
qu'il n'y a qu'une diligence
infinie , qui puiffe réparer
le déffaut de ſes précautions.
Il court pour raffem
bler ſes confidents ; mais la
vûë de ſon Rival qui ſe préſente
à ſes yeux , fait à l'inſtant
avorter tous ſes pro
jets. Où courez- vous, Monſieur
, luy dit- il , que vous
E iij
54 MERCURE
,
importe , répond l'autre ?
rendez graces , répond le
Cavalier François au refpect
que je dois aux lieux
cù nous ſommes fans
cette conſidération je
vous aurois déja puni , &
de voſtre audace , & de
l'inſolence de vos deſſeins.
Il te fied bien de m'inſulter
icy luy dit le Polonois ; je
te le pardonne : mais ſuy
moy ? & je ne tarderay pas
à t'apprendre à me reſpecter
moi- meſme , autant que
les lieux dont tu parles . Je
conſens , luy répondit le
4
GALANT .
SS
François , à te ſuivre où tu
voudras ; mais j'ay mainte
nant quelques affaires qui
font encore plus preſſées
que les tiennes: tu peux cependant
diſpoſer du rendez
vous , où je ne le feray pas
long-temps attendre.
Le bruit de ces deux
hommes éveille pluſieurs
perſonnes qui dormoient
ſur le gazon ; on s'aſſemble
autour d'eux , ils ſe taiſent
&enfin ils ſe ſéparent,
Ainfi le Polonois ſe retire
avec ſa courte honte ,
pendant que le François
E iii
56 MERCURE
cherche de tous cotez , les
Dames qu'il a perduës :
mais cette querelle s'eſtoit
paſſée ſi prés d'elles , que le
mouvement qu'elle cauſa ,
les reveilla , comme ceux
qui en avoient entendu la
fin ; elles fortirent de leur
boſquet qu'elles trouverent
desja environné de
gens qui compoſoient &
débitoient à leur mode les
circonstances decette avanture
, ſur l'idée que pouvoit
leur en avoir donné le peu
de mots qu'ils venoient
d'entendre , lorſqu'enfin il
GALANT.
$7
les retrouva. Je prie les
Lecteurs de me diſpenſer
de le nommer , ſon nom ,
ſes armes & ſes enfans ſont
encore ſi connus en France,
que , quoy que je n'aye que
ſon éloge à faire , je ne ſçay
pas ſi les fiens approuveroient
qu'on le nommaſt.
Deux heures avant que
le Cavalier François rencontrât
le Polonois , Mon.
fieur le Duc de ... avoit
heureuſement trouvé une
lettre à fos pieds : le hazard
pluſtoſt que la curiofité
la luy avoit fait ramaf
58 MERCURE
fer , un moment avant qu'il
s'apperceut des foins extreſmes
que prenoient trois
hommes pour la chercher :
la curioſité luy fit alors un
motifd'intereſt de cet effet
du hazard ; il s'éloigna des
gens dont il avoit remarqué
l'inquiétude , il ſe tira de la
foule , & dans un lieu plus
fombre & plus écarté , il
lut enfin cette lettre , qui
eſtoit , autant que je peux
m'en ſouvenir , conceuë ,
à peu prés , en ces termes.
Quelquesjustes mesures que
nous ayons priſes , quoy que mon
GALANT. رو
Carroffe & vos Cavaliers ne
foient qu'àcent pas d'icy , il n'y
aura pas d'apparence de réuffir
fi vous attendez que le retour
du jour nous ofte les moyens de
profiter du défordre de la nuit :
quelque claire que ſoit celle-cy ,
elle n'a qu'une lumiére empruntée
dont le ſoleil que j'apprenhende
plus que la mort
bien toſt diſſipper la clarté; ainfi
hatez vous de meſuivre , &ne
me perdez pas de veuë : je vais
déſoler Pelagie par ma préfen--
ce: dés qu'elle me verra , je ne
doutepas qu'elle ne cherche à me
fuir; mais je m'y prendray de
, va
60 MERCURE
façon ,que tous les pas qu'ells
fera , la conduiront dans nostre
embuscade.
La lecture de ce billet
eſtonna fort Mr le Duc ...
quiheureuſement connoiffoit
aſſez la belle veuve pour
s'intereffer parfaitement
dans tout ce qui la regardoit
; d'ailleurs le cavalier
françois qui eſtoit l'amant
declaré de la Dame , eſtoit
ſon amy particulier : ainſi il
priatout ce qu'il putraſſembler
de gens de ſa connoifſance
de l'aider à chercher
Pelagie avant qu'elle peuſt
GALANT. 61
eftre expoſée à courir les
moindres riſques d'une pareille
avanture. Il n'y avoit
pas de tempsà perdre , auſſi
n'en perd - il pas ; il fut par
tout où il creut la pouvoir
trouver , enfin aprés bien
des pas inutiles , il rencontra
ſon ami , qui ne venoit
de quitter ces deux Dames
que pour aller leur chercher
quelques rafraichif
ſements . Il est bien maintenant
queſtion de rafraif
chiſſements pour vos Dames
, luy dit le Duc , en luy
donnant la lettre qu'il ve
62 MERCURE
noit de lire , tenez , liſez, &
dites - moy ſi vous connoifſez
cette écriture , & à quoy
l'on peut à preſent vous eftre
utile. Monfieur le Duc ,
reprit le cavalier,je connois
le caractere du Comte Piof
Ki, c'eſt aſſeurement luy qui
aécrit ce billet ; mais il n'eſt
pas encore maiſtre de Pelagie
, que j'ay laiſſée avec
Madame Dormont à vingt
pas d'icy , entre les mains
d'un officier du Roy, qui eſt
mon amy , & qui , à leur
confideration , autant qu'à
la mienne , les a obligeamGALANT
. 63
ment placées dans un endroit
où elles ſont fort à leur
aife ; ainſi je ne crains rien
de ce coſté- là ; mais je voudrois
bien voir le Comte , &
l'équipage qu'il deſtine à
cet enlevement. Ne faites
point de folie icy , mon
amy , luy dit le Duc , aſſeurez
- vous ſeulement de quelques
perſonnes de voſtre
connoiſſance ſur qui vous
puiffiez compter : je vous
offre ces Meſſieurs que vous
voyez avec moy , raſſem.
blez- les autour de vos Dames
, & mettez - les ſage
64 MERCURE
ment à couvert des inſultes
de cet extravagant : fi je
n'avois pas quelques affaires
confiderables ailleurs ,
je ne vous quitterois que
certain du fuccez de vos
précautions.
Vi
LeDuc ſe retira alors vers
un boſquet où d'autres intereſts
l'appelloient,& laifſa
ainſi le cavalier françois
avec ſes amis ,à qui il montra
l'endroit où il avoit remis
ſa maiſtreſſe entre les
mains de l'officier qui s'eftoit
chargé du ſoin de la
placer commodément ; cependant
GALANT. 65
pendant il fut de ſon coſté
à la découverte de ſon ri.
val , qu'aprés bien des détours
, il rencontra enfin à
quatre pas du boſquet dont
jay parlé , &dont il ſe ſepara
comme je l'ay dit . Neanmoins
quelque ſatisfaction
qu'il ſentit du plaifir de retrouver
ſes Dames , il leur
demanda , aprés leur avoir
conté l'hiſtoire de ce qu'il
venoit de luy arriver , par
quel haſard elles ſe trouvoient
ſi loin du lieu où il
les avoit laiſſées. Apeine ,
luy dit Pelagie , nous vous
May 1714. F
66 MERCURE
avons perdu de veuë , que le
Comte Pioski eſt venu s'affeoir
à coſté de moy , aux
dépens d'un jeune homme
timide , que ſon air brufque
& fon étalage magnifique
ont engagé à luy ceder
la place qu'il occupoit.
Ses diſcours m'ont d'abord
fi cruellement ennuyée,que
mortellement fatiguée de
les entendre ,j'ay priéMadame
de me donner le bras,
pour m'aider à me tirer des
mains de cet imprudent ; le
monde , la foulle , & les
détours m'ont derobé la
GALANT. 67
connoiſſance des pas & des
efforts que fans doute il a
faits pour nous ſuivre , &
accablée de ſommeil &
d'ennuy, je me ſuis heureuſement
ſauvée dans ce bofquet
, ſans m'aviſer ſeulement
de fonger qu'il euſt
pû nous y voir entrer ; mais
quelque peril que j'aye couru
, je ſuis bien aiſe que fon
inſolence n'ait pas plus éclaté
contre vous , que fes
deſſeins contre moy , & je
vous demande en grace de
prévenir ſagement , & par
les voyesde ladouceur,tou-
tes les ſuites facheuſes que
ſon deſeſpoir & voſtre demeſlé
pourroient avoir. Il
n'y a plus maintenant rien
à craindre , il fait grand
jour , le chemin de Verſailles
à Paris eſt plein de monde
, & vous avez icy un
grand nombre de vos amis ,
ainſi nous pouvons retourner
à la ville fans danger.
Le cavalier promit à la
belle Pelagie de luy tenir
tout ce qu'elle voulut exiger
de ſes promeſſes , & fes
conditions acceptées , illamena
juſqu'à fon carroffe,
GALANT
69
où il prit ſa place , pendant
que quatre de ſes amis ſe
diſpoſerent à le ſuivre dans
le leur.
1
Il n'eut pas plutoſt remis
les Dames chez elles , &
quitté ſes amis , qu'en entrant
chez luy , un gentila
homme luy fie preſent du
billet que voicy.
Les plus heureux Amants
ceſſeroient de l'estre autant qu'ils
ſe l'imaginent , s'ils ne rencon
troient jamais d'obstacle à leur
bonheur je m'intereſſe affez au
voſtre , pour vousyfaire trouver
des difficultez qui ne vous
70
MERCURE
establiront une felicitéparfaite,
qu'aux prix de tout lefangde
Pioski. Le Gentilhomme que
je vous envoye vous expliquera
le reſte de mes intentions.
naypas
Affoyez-vous donc, Monſieur
, luy dit froidement le
cavalier françois ,& prenez
la peine de m'apprendre les
intentions de Monfieur le
Comte Pioski . Je n'ay
beſoin de ſiege , Monfieur ,
luy répondit ſur le meſme
ton , le gentilhomme Polonois
, & je n'ay que deux
mots à vous dire. Vous eſtes
l'heureux rival de Monfieur
GALANT.
le Comte qui n'eſt pas encore
accouſtumé à de telles
préferences , il eſt ſi jaloux
qu'il veut vous tuer , & que
je le veux auſſi , il vous attend
maintenant derriere
l'Obſervatoire ; ainſi prenez
, s'il vous plaiſt , un ſecond
comme moy , qui ait
aſſez de vigueur pour m'amuſer
, pendant que vous
aurez l'honneur de vous és
ggoorrggeerreennſſeemmbbllee.
Je ne ſçay ſi le françois ſe
ſouvint, ou ne ſe ſouvint pas
alors de tout ce qu'il avoit
promis à ſa maiſtreſſe , mais
72 MERCURE
voicy à bon compte lecas
qu'il en fit.
Il appella ſon valet de
chambre , qui estoit un
grand garçon de bonne vo
lonté , il luy demanda s'il
vouloit eſtre de la partie ,
ce qu'il accepta en riant,
Aufſi - toft il dit au gentilhomme,
Monfieur leComte
eſt genereux , vous eſtes
brave, voicy voſtre homme,
& je ſuis le ſien Mais Monfieur
eft- il noble , reprit le
gentilhomme. Le valet de
chambre , Eſpagnol de nation,
piqué de cette demande
GALANT .
73
de, luy répondit fierement
ſur le champ , & en ſon langage
, avec une ſaillie romaneſque
, Quienes tu hombre
? voto a San Juan. Viejo
Chriftiano estoy , hombre blanco
,y noble como el Rey Ce que
ſon maiſtre naiſtre expliqua au Polonois
en ces termes . Il
vous demande qui vous eftes
vous mesme , & il vous
jure qu'il eſt vieux Chreftien
,homme blanc , & noble
comme le Roy. Soit ,
reprit le gentilhomme,marchons.
Ces trois braves furent
ainſi grand train au
May 1714. G
74 MERCURE
rendez vous , où ils trouverent
le Comte qui commençoit
à s'ennuyer. Aprés
le falut accouſtumé , ils mirent
tous quatre l'épée àla
main. Pioski fit en vain des
merveilles , il avoit desja
perdu beaucoup de fang ,
lang,
lorſqu'heureuſement ſon épée
ſe caſſa; le gentilhomme
fut le plus maltraité,l'Ef
pagnol ſe battit comme un
lion ,& le combat finit.
Cependant le Comte
Pioski, qui , à ces violences
prés , eftoit entout un
homme fort raiſonnable ,
GALANT. 75
eut tant de regret des extravagances
que cette derniere
paffion venoit de luy
faire faire , que la pieté étouffant
dans ſon coeur tous
les interêts du monde , il
fut s'enfermer pour le reſte
de ſa vie dans la retraitte
la plus fameuſe qui ſoit en
France , & la plus connuë
par l'auſterité de ſes maximes.
Le Cavalier françois
foupira encore quelques
temps , & enfin il devint
l'heureux & digne Epoux
d'une des plus charmantes
femmes du monde.
Gij
76 MERCURE
4
Les mariages font une fi
grande époque dans les
hiſtoires , que c'eſt ordinairement
l'endroit par où
tous les Romans finiſſent ;
mais il n'en eſt pas de meſme
icy , & il ſemble juftement
qu'ils ne ſervent à
Madame Belzeſca que de
degrés à la fortune , où ſon
bonheur & ſes vertus l'ont
amenée . Tout ce qui luy
arrive dans un engagement
qui établit communément
, ou qui doit du
moins establir pour les autres
femmes , une ſigrande
GALANT. 77
tranquilité , qu'on diroit
que l'hymen n'eſt propre ,
qu'à faire oublier juſqu'à
leur nom , eſt au contraire
pour celle cy , la baze de
ſes avantures. L'eſtalage de
ſes charmes , & le bruit de
ſabeauté ne ſont point enſevelis
dans les embraffemens
d'un eſpoux : heureuſe
maiſtreſſe d'un mary
tendre & complaiſant , &
moins eſpouſe qu'amante
infiniment aimée , comme
ſi tous les incidens du monde
ne ſe raſſembloient que
pour contribuer à luy faire
Gij
78 MERCURE
des jours heureux , innocement
& naturellement
attachée à ſes devoirs , l'amour
enchainé , à ſa fuite
ne prend pour ferrer tous
les noeuds qui l'uniſſent à
ſon eſpoux , que les formes
les plus aimables , & les
douceurs du mariage ne ſe
maſquent point pour elle
ſous les traits d'un mary.
Enfin elle joüit pendant
neuf ou dix ans , au milieu
du monde , & de ſes adorateurs
, du repos le plus
doux que l'amour ait jamais
accordé aux plus heureux
GALAN 79
Amants ; mais la mort jalouſe
de ſa fecilité luy ra
vit impitoyablement le plus
cher objet de ſa tendreſſe:
que de cris ! que de ge.
miſſements ! que de larmes
! cependant tant de
mains ſe préſentent pour
efluyer ſes pleurs , que , le
temps ,la raiſon , & la néceſſité,
aprés avoir multiplié
ſes reflexions
nent enfin au ſecours de ſa
,
viendouleur
; mais il ne luy reſte
d'un eſpoux fi regretté ,
qu'une aimable fille , que la
mort la menace encore de
(
G iiij
80 MERCURE
luy ravir , ſur le tombeaude
fon pere. Que de nouvel.
les allarmes ! que de mortelles
frayeurs ? elle tombe
dans un eſtat de langueur
qui fait preſque deſeſperer
de ſa vie. Il n'eſt point de
ſaints qu'on n'invoque ,
point de voeux qu'on ne faf
ſe, elle en fait elle-meſme
pour fon enfant , & promet
enfin de porter un tableau
magnifique à Noftre-
Dame de Lorette ſi ſa
fille en réchappe. A l'inftant,
ſoit qu'un ſuccés favo
rable recompenfat ſon zele
GALANT. 81
&fa piete , ou qu'il fur
temps que les remedes operaſſent
à la fin plus effica
cement qu'ils n'avoient fait
encore , ſa maladie diminua
preſque à veuë d'oeil ,
en tros jours l'enfant fut
hors de danger , & au bout
de neufentierement guery.
Elle reſtaencore , en attendant
le retour du printemps
, prés de fix mois à
Paris , pendant lesquels elle
s'arrangea pour l'execution
de ſon voeu. Ce temps expiré
, accompagnée de ſon
fils & de ſa fille , d'une Da82
1 MERCURE
me de ſes amis , de deux
femmes de chambre , de
deux Cavaliers , & de quatre
valets , elle prit la route de
Lyon , d'où aprés avoir
paffé Grenoble , le mont
du l'An, Briançon , le mont
Geneve & Suze , elle ſe rendit
à Turin , où elle ſéjourna
trois ſemaines avec ſa
compagnie qui ſe déffit
comme elle de tout ſon équipage,
dans cette Ville,
pour s'embarquer ſur le Po.
Elle vit en paſſant les Villes
de Cazal du Montferrat
,
d'Alexandrie , le Texin qui
GALANT. 83
1
,
paſſe à Pavie , Plaiſance ,
+ Cremone , Ferrare , & enfin
elle entra de nuit à Venife
avec la marée. Elle
deſcendit à une Auberge
moitié Allemande , &moitié
Françoiſe , & dont
l'enſeigne d'un coſté , ſur
le grand Canal , reprefente
les armes de France , &
de l'autre , fur la Place de
ES. Marc , les armes de l'Empire.
Elle reçut le lende
main à ſa toilette , comme
cela ſe pratique ordinairement
à Veniſe , avec tous
les Estrangers confidera
,
S
१
84 MERCURE
,
bles , des compliments en
proſe & en vers imprimez
à ſa loüange , fon amie
& les Cavaliers de ſa compagnie
en eurent auſſi leur
part. Ces galanteries couftent
communément , & au
moins quelques Ducats à
ceux à qui on les fait. Le
ſecond jour elle fut avec
tout fon monde ſaluer Mr
l'Ambaſſadeur qui fut
d'autant plus charmé du
plaifir de voir une ſi aimable
femme , que , quoy que
Venife ſoit une Ville , où
lesbeautez ne ſont pas car
,
GALANT. 85
Π
S
res , il n'y en avoit pas encore
vû une , faite comme
- celle dont il recevoit la viſite.
La bonne chere , les,
Spectacles , les promena-
✓ des ſur la mer& ſur la coſte,
avec le Jeu, furent les plaifirs
dont il la regala , pen-
↓ dant les quinzejours qu'elle
y reſta. Il luy fitvoir dans ſa
Gondole , la pompeuſeCeremonie
du Bucentaure qui
ſe celebre tous les ans dans
cette Ville le jour de l'Afcenfion
, avec toute la magnificence
imaginable.
Je nedoute pas que bien
3
86 MERCURE
des gens neſcachent à peu
prés ce que c'eſt que cette
feſte; mais j'auray occafion
dans une autre hiſtoire d'en
faire une deſcription meſlée
de circonstances ſi agreables
que la varieté des évenemensque
je raconteray,
pourra intereſſer mes lecteurs
au recit d'une ceremonie
dont il ignore peuteſtre
les détails.
Enfin noſtre belle veuve
prit congé de Mr l'Ambaffadeur
, & le lendemain elle
s'embarqua ſur un petit baſtiment
, qui en trois jours
GALANT. 87
لا
}}
la rendit à Lorette , où elle
accomplit avec beaucoup
de zele & de religion , le
voeu qu'elle avoit fait à Pa-
1ris. Après avoir pieuſement
fatisfait à ce devoir indifpenſable
, dégouſtée des perils
, & ennuyée des fatigues
de la mer , elle refolut
de traverſer toute l'Italie
par terre , avant de retourner
en France .
!
Il n'y avoit pas fi loin de
Lorette à Rome pour n'y
pas faire untour,& je croy
a que pour tous les voyageurs,
cinquante lieuës plus ou
88 MERCURE
moins , ne ſont qu'une bagatelle
, lorſqu'il s'agit de
voir cette capitale du mõde.
- Il faiſoit alors ſi chaud ,
qu'il eſtoit fort difficile de
faire beaucoup de chemin
par jour ; mais lorſqu'on eſt
en bonne compagnie , &
de belle humeur , rien n'ennuye
moins que les ſéjours
charmants qu'ontrouve en
Italie.
Je ne prétens pas en faire
icy un brillant tableau,pour
enchanter mes lecteurs de
la beauté de ce climat ; tant
de voyageurs en ont parlé ;
Miffon
GALANT. 89
1
Miſſon l'a ſi bien épluché,
&cette terre eſt ſi fertile
en avantures , que les hiftoires
galantes que j'en raconteray
dorenavant ſuffiront
pour inſtruire d'une
maniere peut- eftre plus agreable
que celle dont ſe
ſont ſervis les écrivains qui
en ont fait d'amples relations
, ceux qui ſe conten
teront du Mercure pour
connoiſtre aſſez particuliement
les moeurs & le plan
de ce pays . Ainſi je renonceray
pour aujourd'huy au
détail des lieux que noftre
May 1714.
H
90 MERCURE
belle veuve vit , avant d'entrer
à Rome , parce que non
ſeulement il ne luy arriva
rien fur cette route qui puifſe
rendre intereſſants les cir
conſtances de ce voyage ,
mais encore parce que je ne
veux pas faire le geographe
malà propos . Le Capitole ,
le Vatican , le Chaſteau S.
Ange , le Colizée , la Place
dEſpagne, la Place Navonne
, l'Eglife S. Pierre , le
Pantheon , les Vignes , &
enfin tous les monuments
des Anciens , & les magnifiques
ouvrages des Moder
GALANT. 91
nes,dont cette ville eſt enrichie,
n'étalérent à ſes yeux
que ce que les voyageurs
lesplus indifferents peuvent
avoirveu comme elle ; mais
lorſque jetraitteray, comme
je l'ay dit,des incidens amufants
& raifonnables que
j'ay , pour y promener mes
lecteurs , j'eſpere que leur
curioſité ſatisfaite alors , les
dédommagera fuffifamment
de la remiſe & des
frais de leur voyage...
La conduite que tint à
Rome cette charmante veuve
, fut tres eſloignée de cel- :
Hij
92 MERCURE
le que nos Dames françoi
ſes y tiennent , lorſqu'avec
des graces moindres que les
fiennes , elles ſe promettent
d'y faire valoir juſqu'à leur
plus indifferent coup d'oeil.
Celle cy parcourut les Egliſes
,les Palais , les Places
& les Vignes en femme qui
ne veut plus d'avantures ;
mais elle comptoit fans for
hoſte, & l'amourn'avoit pas
figné le traité de l'arrangement
qu'elle s'eſtoit fait.
Ungentilhomme Italien
dela ſuite de l'Ambaſſadeur
de l'Empereur , qui avoir
GALANT. 93
veu par hafard une fois à la
Vigne Farneze , le viſage
admirable de noftre belle
veuve , fur ſi ſurpris de l'é
elat de tant de charmes ,
qu'il reſtacomme immobi
le , uniquement occupé dư
foin de la regarder. Elle
s'apperceut auffi- toft de fon
eſtonnement ; mais dans
Finſtant ſon voile qu'elle
laiſſa tomber, luy déroba la
veuë de cet objet de fon admiration.
L'Italien , loin de
fe rebuter de cet inconvenient
, réſolut de l'exami
ner juſqu'à ce qu'il ſceuſt ſa
94 MERCURE
ruë , fa demeure , ſon pays ,
fes deſſeins , & fon nom.
Dés qu'il ſe fut ſuffiſamment
inſtruit de tout ce
qu'il voulut apprendre ;
aprés avoir paffé& repaffé
cent fois devant ſa maiſon ,
ſans qu'on payaſt ſes ſoins
de la moindre courtoiſie,&
pleinement convaincu qu'il
n'y avoit auprés de cette
belle veuve , nulle bonne
fortune à eſperer pour luy ,
il conclut qu'il pouvoit regaler
Monfieur l'Ambaſſadeur
du merite de ſa découverte.
A
GALANT.951
En effet un jour que l'Ambaſſadeur
de Pologne difnoit
chez ſon maiſtre , voyant
vers la fin du repas,que
la compagnie entroit en
belle humeur , & que la
- converſation rouloit de
bonne grace ſur le chapitre
- des femmes ; Meſſieurs , dit-
- il , quelques ſentimens
qu'elles vous ayent fait
prendre pour elles , je ſuis
ſeur , que ſans vous embar-
-raſſer de vouloir connoiſtre
leurs coeurs plutoſt que
leurs perſonnes,vous renonceriez
à toutes les précau
96 MERCURE
tions du monde , ſi vous
aviez vû , une ſeule fois ,
une Dame que je n'ay vûë
qu'un inſtant. Je me promenois
, ily a quinze jours
àla Vigne Farneze , elle s'y
promenoit auſſi ; mais je
vous avoue que je fus ſaiſi
d'étonnement,en la voyant,
& que je luy trouvay cant
de charmes , un ſi grand
air ,& un ſi beau viſage
que je jurerois volontiers ,
quoy que cette Ville fourmille
en beautés , qu'il n'y
a rienà Rome qui ſoit beau
comme elle. Ces Miniſtres
1
Eſtrangers
GALANT. 97
5
Eſtrangers s'échaufférent
ſur le recit du Gentilhomme
Italien , celuy de Pologne
ſur tout , ſentitun mou.
vement de curioſité fi
prompt , qu'il luy demanda
d'un air empreſſé , s'il n'a
voit pas eſté tenté de ſur
vre une ſibelle femme ,&
s'il ne sçavoit pas où elle
demeuroit. Ouy, Monfieur,
luy répondit- il , je ſçay ſon
nom , ſa demeure & les
motifs de ſon voyage à
Rome, mais je n'en ſuis
pas plus avancé pour cela ,
&je croy au contraire que
May 1714.
I
98 MERCURE
mes empreſſements l'ont
tellement inquiétée, qu'elle
ne paroiſt plus aux Eglifes ,
ny aux promenades , de
puis qu'elle s'eſt apperçuë
du ſoin que je prenois d'éxaminer
ſes démarches .
Voila une fiere beauté , dit
l'Ambafladeur de l'Empereur
, & addreſſant la parole
en riant à celuy de Pologne
, Monfieur , continuast-
il , n'ayons pas le démentide
cette découverte ,
& connoiffons à quelque
prix que ce ſoit , cette belle THEQUE DEL
BIBLI
< YON
EVILL
1893*
J'y confens reTHEQUE
DA
5,
20
LY
GALANTE
18
E
VILL
prit l'autre , férieuſent
& je ſuis fort trompé fi
dans peu de jours , je ne
vous en dis des nouvelles.
Ils auroient volontiers
bû desja à la ſanté de l'inconnue
, ſi , une Eminence
qu'on venoit d'annoncer ,
ne les avoit pas arrachez de
la table , où le vin & l'amour
commençoient
à les 0
mettre en train de dire de
de
belles choses .
e Le Gentilhomme qui
ue avoit ſi à propos mis la belle
Veuve ſur le tapis , fut au
devant du Cardinal , que
I ij
100 MERCURE
fon Maiſtre fut recevoir
juſqu'au pprreemmiieerr degré de
fon Eſcalier , & en meſme
tems il reconduifit l'Ambas
ſadeur de Pologne juſqu'à
fon Carrofle. Ce Miniſtrele
questionnaſi bien , chemin
faiſant , qu'il retourna chez
luy , parfaitement inftruit
de tout ce qu'il vouloit ſcavor.
Des qu'il fut à fon
Appartement , il appella un
Valet de chambre , à qui il
avoit ſouvent fait de pareilles
confidences & aprés
luy avoir avoüé qu'il eſtoit
desja , fur un ſimple recit ,
GALANT. 101
1
:
1
éperduëment amoureux
d'un objet qu'il n'avoit jamais
vû , il luy demanda
s'il croyoit pouvoir l'aider
de ſes conſeils de fon zele
& de ſa difcretion , dans
Tembarras où il ſe trouvoit.
Je feray , luy dit le Valet
de chambre tout ce
qu'il vous plaira ; mma.is puifque
vous me permettez de
vous donner des confeils ,
je vous avoüeray franche-
FL
د
ment , que je pennſiee que
le
portrait que vous me faites,
de la conduitte ſage & retirée
que tient la perſonne
Inj 1
102 MERCURE
dont vous me parlez , eft
fouvent le voile dont Te
fervent les plus grandes
avanturieres , pour attrapper
de meilleures dupes. Ta
pénétration eſt inutile icy ,
luy répondit l'Ambaffadeur
: tu ſçais desja ſon nom
& ſa maiſon , informe toy
ſeulement fi ce qu'on m'en
adit eft véritable ; nous
verrons aprés cela le parti
que nous aurons à prendre .
Le Confident ſe met en
campagne , il louë une
chambre dans le voiſinage
de la belle Veuveil fait
>
GALANT. 103
1
1
0
e
it
connoiſſance avec un de ſes
domeſtiques , qui le met
en liaiſon avec la femme
de chambre de la Dame
qu'il veut connoiſtre : enfin
il la voit , & il apprend
qu'elle va tous les jours à
la meſſe , entre ſept & huit
heures du matin , à l'Eglife
de ſainte Cecile. Il avertit
auffi toſt ſon Maiſtre de
tout ce qui ſe paſſe ; ce Miniſtre
ne manque point de
ſe rendre ſans ſuite à cette
Eglife , & de ſe placer auprés
de cette beauté qui n'a
garde de ſe meffier à pareil
I iiij
104 MERCURE
le heure , ni de fes char
mes , ni des ſoins , ni de la
dévotion du perſonnage
quiles adore. לכ
Cependant l'allarme fonne
,& le Valet de chambre
apprend avec bien de la
douleur , que la Damedont
ſon Maiſtre eſt épris , commence
à s'ennuyer à Rome,
&qu'enfin incertaine ſi elle
retournera en France par
Genes,où ſi elle repaſſerales
Alpes, elle veutabſolument
eſtre hors de l'Italie , avant
le retour de la mauvaiſe
faifon. A l'inſtant l'AmbafGALANT.
1ος
t
!
es
16
10
le
f
1
Tadeur informé , & defefperé
de cette nouvelles ſe
détermine à luy eſcrire en
tremblant , la lettre que
voicy.
N'eſtes vous venue àRome,
Madame , que pour y violer
le droit des gens ; fi les franchiſes
les Privileges des
Ambaffadeurs font icy de vostre
Domaine , pourquoy vous dé-
Domaine
goustez - vous du plaisir d'en
joüir plus long-temps ? Fapprends
que vous avez réfolu de
partir dans buit jours. Ab! fi
rienne peut rompre ou differer
ce funeste voyage, rende-z moy
106 MERCURE
donc ma liberté que vos yeux
m'ont ravie , & au milieu de
la Capitale du monde. Ne me
laiſſez pas , en me fuyant,la
malheureuſe victime de l'amour
que vous m'avez donné. Permettez
moy bien pluſtoſt de vous
offrir en ces lieux tout ce qui
dépend de moy , & en reeevant
ma premiere visite , recevez en
mesme temps , si vous avez
quclques sentiments d'humanité,
la fortune , le coeur , & la
main de
BELZESKI.
Le Valet de Chambre
fut chargé du ſoin de luy
rendre cette lettre à elle
meſme au nom de ſon Maître
, d'examiner tous les
mouvemens de fon viſage ,
&de lui demander un mot
de réponſe.
La Dame fut aſſez
émeuë à la vûë de ce billet ,
cependant elle ſe remit aifément
de ce petit embarras
, & aprés avoir regardé
d'un air qui n'avoit rien
de déſobligeant , le porteur
de la lettre , qu'elle
avoit vûë vingt fois ſans reflexion
, elle luy dit , ce
108 MERCURE
?
tour eſt ſans doute de voſtre
façon Monfieur mais
Monfieur l'Ambaſſadeur
qui vous envoye , ne vous
en ſera guere plus obligé,
quoyque vous ne l'ayez pas
mal ſervi. Attendez icy un
moment, je vais paſſer dans
mon Cabinet , & vous en
voyer la réponſe que vous
me demandez pour luy :
Auſſi-toſt elle le quitta pour
aller efcrire ces mors. S
Fe ne sçay dequoy je ſuis
coupable à vos yeux, Monfieur,
mais je sçay bien que je ne re
ponds que par bienfeance à l'hon-
>
BAGALAN 109
0
neur que vous me faites ,
aux avantages que vous me proposez
: & je prévoy que la
viſite que vous me rendrez , si
vous voulez , vous fera auffi
peu utile qu'à moy , puisque
rien ne peut changer la réfolution
que j'ay priſe de repaffer
inceſſamment en France.
Le Polonnois éperduëment
amoureux ( car il y
avoit de la fatalité pour elle,
à eſtre aimée des gens de ce
pays ) le Polonnois , dis- je ,
donna à tous les termes de
ce billet , qu'il expliqua en
ſa faveur, un tourde confo110
MERCURE
lation que la Dame n'avoit
peut- eſtre pas eu l'intention
d'y mettre; d'ailleurs il eſtoit
parfaitementbien fait , tres
grand ſeigneur , fort riche ,
&magnifique entout. Les
hommes ſe connoiſſent , il
n'y a pas tantde mal à cela.
Celui- cy ſçavoit aſſez ſe
rendrejustice , mais heureuſement
il ne s'en faifoit pas
trop à croire , quoy qu'il
ſentit tous ſes avantages.....
Vers les * vingt& une ou
vingt- deux heures , il ſe ren-
**C'eſt en eſté à peu prés vers les fix heures
du ſoir,ſelon noftre façon de compter.
GALANT. III
コ
el
dit au logis de la belle veuve
, qu'il trouva dans undeshabillé
charmant & modeſte
, mille fois plusaimable
qu'elle ne luy avoit jamais
paru .
Que vous eſtes , Madame ,
luy dit- il , transporté du
plafir de la voir , au deſſus
des hommages que je vous
rends ; mais en verité je vais
eſtre le plus malheureux des
hommes , fi vous ne vous
rendez pas vous meſme aux
offres que je vous fais Nous
nenous connonfons n'y l'un
ny l'autre , Monfieur , luy
70%
112 MERCURE
11
répondit - elle , & vous me
propoſez d'abord des chofes
dont nous ne pourrions
peut eſtre que nous repentir
tousdeux, mais entrons , s'il
vousplaît,dansun plus grád
détail,& commençons par
examiner , i la majeſté de
voſtre caractere s'accorde
bien avec les ſaillies de cette
paffion ; d'ailleurs n'eſt il
pas ordinaire , & vrayſemblable
qu'un feu ſi prompt
às'allumer, n'en eſt que plus
prompt à s'éteindre. Enfin
ſupposé que je voulutſe encorem'engager
ſous les loix
de :
GALANT. 113
1
1
del'hymen, ſur quel fondement,
àmoins queje nem'a.
veuglaſſe de l'eſpoir de vos
promeſſes, pourrois- je compter
que vous me tiendrez
dans un certain tems ce que
vous me propoſez aujourd'huy
. Ah ! Madame , reprit
ilavecchaleur, donnez
aujourd huy voſtre confentement
à mon amour , &
demain je vous donne la
main. Par quelles loix voulez
vous authoriſer des maximes
de connoiſſance &
d'habitude , ſur des ſujers où
le coeur doit décider tout
114 MERCURE
,
ſeul ; n'y a t'il point dans le
monde des mouvements de
ſympathie pour vous , comme
pour nous , & quelle
bonne raiſon peut vous dif
penſerde faire pour nous
enun jour,la moitié du chemin
que vos charmes nous
font faire en un inſtant. Je
ſuis perfuadé que vous avez
trop d'eſprit, pour regarder
mal à propos ces chimeriques
précautions , comme
des principes de vertu , &
vous eſtes trop belle pour
douter un moment de la
conſtante ardeur des feux
GALANT 115
mt
&
רש
la
גנ
que vous allumez. Cependant
ſi vos ſcrupules s'effrayent
de la vivacité de ma
propoſition,je vous demande
du moins quinze jours
de grace , avant de vous
prier de vous déterminer en
ma faveur ; & j'eſpere ( fi
vos yeux n'ont point de peine
à s'accouſtumer à me
voir pendant le temps que
j'exige de voſtre complaiſance
) que les ſentiments
de voſtre coeur ne tarderont
pas à répondre aux tendres
& fidelles intentions du
mien. Ne me preſſez pas da
Kij
116 MERCURE
vantage à preſent , Monfieur
, luy dit elle,& laiſſez
à mes reflexions la liberté
d'examiner les circonſtancesde
voſtre propofition.
Cette réponſe finit une
conteftation qui alloit inſenſiblement
devenir tres.
intereſſante pour l'un &
pour l'autre.
Monfieur l'Ambaſſadeur
ſe leva , & prit congé de la
belle veuve aprés avoir receu
d'elle la permiffion de
retourner la voir , lorſqu'il
le jugeroit à propos.
Ce miniſtre rentra chez
GALANT 117
-
luy , ravi d'avoir mis ſes affaires
en ſibon train , & le
lendemain au matin il écrivit
ce billet à cette Dame ,
dont il avoit abſolument refolu
la conqueſte.
Le temps que je vous ay don-
- né depuis hier , Madame , ne
fuffit-il pas pour vous tirer de
toutes vos incertitudes , s'il ne
ſuffit pas , je vais estre auffi indulgent
que vous estes aimable,
je veux bien pour vous efpargner
la peine de m'eſcrire vos
Sentiments , vous accorder, jufqu'à
ce soir , que j'iray appren
dre de vostre propre bouche , le
1
118 MERCURE
réſultat de vos reflexions.
Elles eſtoient desja faites
ces réflexions favorables à
T'heureux Polonois , & pendant
toute la nuit, cette belleveuve
n'avoit pû ſe refufer
la fatisfaction de convenir
en elle-meſme , qu'elle
meritoit bien le rang d'Ambaſſadrice.
Aufſfi luy fut-il
encore offert le meſme jour
avec des tranſports fi touchants&
fi vifs,qu'enfin elle
ne fit qu'une foible deffenſe
, avant de conſentir à la
propoſition de Mr l'Ambaffadeur.
En un mot toutes
GALANT. 119
!
les conventions faites & accordées
, entre elle & fon
amant,ſon voyage de France
fut rompu , & fon mariage
conclu , & celebré ſecretement
enquinze jours.
Legrandtheatredu monde
va maintenant eſtre le
champ où va paroiſtre dans
toute fon eſtenduë , l'excellence
du merite & du bon
efprit deMadame Belzeſca.
Elle reste encore preſque
inconnuë juſqu'à la declararion
de ſon hymen , qui
n'eſt pas plutoſt rendu public
, qu'elle ſe montre auſſi
120 MERCURE
4
éclairée dans les delicates
affaires de fon mary , que
fielle avoit toute la vie
eſte Ambaſſadrice,лэ тод
Les Miniſtres Eſtrangers,
les Prélats , les Eminences
tout rend hommage à fes
lumiéres. De concert aveo
fon Epoux , ſa pénerrap
tion abbrege , addoucit &
leve toutes les difficultez
de ſa commiffion : enfin
elle l'aide à ſortir de Rome
(ſous le bon plaifir de fon
Maſtre ) fatisfait & glorieux
du ſuccés de fonAm
baffade.altera teemal
هللا
GALANT. 121
Elle fut obligée pour le
bien de ſes affaires de repaſſer
en France avec ſon
mary : elle n'y ſéjourna que
trois ou quatre mois , de là
elle alla à Amſterdam , &
à la Haye , où elle s'embarqua
pour ſe rendre à Dant-
ZIK d'où elle fut à Varſovie
où elle jouit pendant
vingt-cinq ans , avec tous
les agréments imaginables,
de lagrande fortune , & de
la tendreſſe de ſon Epoux ,
qui fut enfin malheureufement
bleſſe à la Chaffe
d'un coup dont il mourut
May 1714.
L
127
MERCURE 122
quatreJours
Tavoir
apres la
Э
receu d'une façon toute
extraordinaire .
Rien n'eſt plus noble &
plus magnifique , que la
220
20
manière dont les Grands
Seigneurs vont à la Chaſſe
en Pologne. Ils menent ordinairement
avec eux , un
fi grand nombre deDomeftiques
, de Chevaux , & de
Chiens, que leur Equipage
reſſemble pluſtoſt à un gros
détachement de troupes reglées
, qu'à une compagnie
de gens aſſemblez , pour le
plaisir de faire la guerre à
GALANT. 123
+
20
وا
LEKCI }
des animaux. Cette précaution
me paroilt fort
raisonnable , & je trouve
qu'ils font parfaitement
bien de proportionner le
nombredes combatrants au
3
21091
nombre & à la fureur des
monſtres qu'ils attaquent.
Un jour enfin, Monfieur
Belzeſki , dans une de fes
redoutables Chaffes, fe laifſa
emporter par ſon cheval ,
à la pourſuite d'un des plus
fiers Sangliers qu'on cuſt
encore vû dans la Foreſt où
il chaſſoit alors. Le cheval
anime paſſa ſur le corps de
124 MERCURE
261
ce terrible animal , & s'abbatit
en meſme temps , à
quatre pas de luy. Monfieur
Belzeſki ſe dégagea, auflitoſt
adroitement des efriers
, avant que le Monf
tre l'attaquaft ; mais ils eftoient
trop prés l'un de Laura
tre & le Sanglier desia
bleffé trop furieux , pour ne
pas ſe meſurer
44
encore con-b
tre l'ennemi qui l'attendoit :
ainſi plein de rage , il voulut
ſe llaanncceerr fur luy , mais
dans le moment ſon ennemi
intrepide & prudent lui
abbattit la teſte d'un coup
GALANT.
1:5
ſi juſte , & fi vigoureux, que
fon fabre paffa entre le col
& le tronc de an
11
avec tant de viteſſe , que le
mouvement Violent avec
lequel il retira fon bras
entraîna fon 21911
corps , de ma
niere qu'un des pieds luy
manquant , il tomba à la
renverſe ; mais fi malheu
reuſement, qu'il alla ſe fen.
dre la tefte fur une pierfe
qui ſe trouva derriere luy.
Dans ce fatal inſtanttous
les autres Chaſſeurs arrivérent
, & emporterent en
pleurant , le Corps de leur
THAJAD
126 MERCURE
infortune maiſtre , qui vécu
encore quatre jours
qu'il employa à donner à
Madame Belzeſca les dernieres
& les plus fortes
preuves de ſon amour , if
la fiitt ſon heritiere univerſelle
, & enfin il mourut
adoré de ſa femme , & infiniment
regretté de tout
le monde.
il
Il y a plus de fix ans que
Madame Belzeſca pleure
ſa perte , malgré tous les
foins que les plus grands
Seigneurs , les Princes , &
mefme les Roys , ont pris
GALANT. 127
pour la conſoler. Enfin elle
eft depuis long-temps l'amie
inſéparable de Mada
infeparable
me la Palatine de ... elle a
maintenant foixante ans
paflez , & je puis affeurer
qu'elle est encore plus aimée
; & plus reſpectée ,
qu'elle ne le fut peut eftre
jamais , dans le plus grand
efclat de fa jeuneffe. On
parle meſme de la remarier
aun homme d'une fi grande
distinction
, que , ce
bruit , quelque fuite qu'il
ait eft toutccee qu'on en peut
dire de plus avantageux ,
Lin
128 MERCURE
pour faire un parfait éloge
de ſon mérite , & de fes
vertusaises
nouvelle .
LA peſte qui exerce
ſouvent de furieux ravages
dans lesPaïsduNord,
avoit déja détruit prés
d'un tiers de la belle Ville
de Varſovie , ceux de ſes
habitans qui avoient
quelque azile dans les
campagnes , l'abandonnoient
tous les jours ;
pluſieurs alloient à cent
GALANT. 13
lieuës&plus loin encore,
chercher à ſe preſerver
des perils de la conta
gion , lorſque la Palatine
de ... arriva à Dantzic
avec pluſieurs Dames de
confideration qui n'avoient
pas voulu quitter
Varſovie ſans elle.
Le Marquis de Canop
qui eſt un des plus dignes
& des plus honneftes
homes qu'on puiſſe voir,
& qui jouoit un tresgrand
rôle en Pologne ,
14 MERCURE
eſtoit alors à Dantzic ,
où il receut la Palatine
avec tous les honneurs &
toutes les feftes qu'on
puiſſe faire àune des plus
charmantes & des plus
grandes Princeſſes du
monde.drov mes
Des intereſts d'amour,
autant que la crainte de
la maladie , avoient dé
terminé pluſieurs Sei
gneurs Polonois à ſuivre
la Palatine & les Dames
qui l'accompagnoient :
GALANT.
ces Illuſtres captifs qui
n'avoient point abandon-
-néle Char de leur Maitreffe
pendant leur route ,
regarderent leur retraite
à Dantzic , comme l'azile
dumõde le plus favorable
à leurs foupirs. Mais parmi
tant de jeunes beautez
qui briguoient peuteſtre
encore plus d'hommages
qu'elles n'en recevoient
, rien n'eftoit plus
admirable , que le droit ,
qu'uneDame autant ref-
وت
16 MERCURE
pectable par la majeſté
de ſes traits , que par le
nombre de ſes années ,
ſembloit avoir ſur les
cooeurs de tous ceux qui
l'approchoient.
Il n'eſt pas eſtonnant
qu'à un certain âge , on
plaiſe à quelqu'un , mais
quelque beau retour
qu'on puiſſe avoir , il eſt
rare que dans un âge
avancé, on plaiſe à tout
le monde.
La Dame dont je parle,
&
GALANT. 17
&qui avoit cet avantage,
ſe nommoit alors Madame
Belzeſca , elle avoit
eü déja trois maris , &
au moins mille Amants,
elle s'eſtoit tousjours conduite
avec tant de difcretion
& d'innocence , que
les plus hardis & les plus
emportés de ſes adorateurs
n'avoient jamais ofé
donner la moindre atteinte
à ſa réputation : enfin à
quinze ans elle avoit ſou
ſe faire reſpecter comme
May1714. B
18 MERCURE
à ſoixante , & à foixante
paffées ſe faire aimer &
fervir comme à quinze.
Une femme de fa Province,
de fon âge , & qui
depuis fon premier mariage
l'a ſervie juſqu'à
préſent , m'a conté dix
fois fon hiſtoire , comme
je vais la raconter.
Voicy à peu prés ce
que jay retenu de fes
avantures.
Madame Belzeſca eft
originaire d'un Villagede
:
GALANT 12
!
Tourainne , fon Pere qui
eſtoit frere du Lieutenant
Generald'une des premieres
Villes de cette Province
, y poffedoit des biens
affez confiderables . Elle
reſta ſeule de 9. enfants
qu'eut ſa Mere , qui ne
l'aima jamais. Satendreſſe
pour un fils qu'elle avoit,
lorſqu'elle vint au monde;
en fit à ſon égard une
maraſtre ſi cruelle , que
l'oin d'accorder la moindre
indulgence aux ſentih
Bij
20 MERCURE
>
ments de la nature , quelques
efforts que fit fon
mary pour la rendre plus
humaine , elle ne voulut
jamais confentir à la voir.
Cette averſion s'eſtoit
fortifiée dans ſon coeur
ſur la prédiction d'un Berger
qui luy dit un jour ,
deſeſperé des mauvais
traittements dont elle
l'accabloit , qu'elle portoit
en fon fein un enfant
qui le vangeroitdesmaux
qu'elle luy faifoit. Cette
GALANT. 21
malheureuſe Prophetie
s'imprima ſi avant dans
ſon ame , que l'exceffive
haine qu'elle conceut
pour le fruit de cette couche
, fut l'unique cauſe
de la maladie dont elle
mourut. L'enfant qui en
vint , fut nommé Georgette
Pelagie le ſecond
jour de ſa naiſſance , &le
troifiéme emmenée dans
le fond d'un Village , où
la fecrette pieté de fon
Pere , &la charité de ſa
22. MERCURE
tendre nourrice l'elevérent
juſqu'à la mort de fa
mere , qui , eutà peine les
yeux fermés, qu'on ramena
ſa fille dans les lieux
où elle avoit receu le jour.
Pelagie avoit alors prés
de douze ans , &déja elle
eſtoit l'objet de la tendrefſe
de tous les habitans ,
&de tous les voiſins du
Hameau dont les foins
avoient contribué à la
mettre à couvert des rigueurs
d'une mere inhu
4
GALANT. 23
|
€
maine. Ses charmes naiffans,
avec mille graces naturelles
, ſa taille & fes
traits qui commençoient
à ſe former , promettoient
tant de merveilles aux
yeux de ceux qui la vor
yoient, que tous les lieux
d'alentour s'entretenoient
déja du bruit de ſa beauté.
Un eſprit tranquille ,
un temperament toûjours
égal , une grande attention
ſur ſes diſcours , &&&
une douceur parfaite
1
24 MERCURE
avoient preſque réparé
en elle le déffaut de l'éducation
, lorſque ſon Pere
réſolut de la conduire à
Tours.Quoyque l'air d'une
Ville de Province , &
celuy de la campagne ſe
reffemblent affés , elle ne
laiſſa pas de trouver là
d'honneſtes gens qui regarderent
les ſoins de l'inſtruire
comme les plus
raiſonnables foins du
monde. Mais il eſtoit
temps que le Dieu qui
fait
GALANT. 25
fait aimer commençaſt a
ſe meſler de ſes affaires ,
& que fon jeune coeur
apprit à ſe ſauver des pieges
& des perils de l'amour.
La tendreſſe que
ſes charmes inſpiroient
échauffoit tous les coeurs,
à meſure que l'art poliffoit
ſon eſprit , & fon
eſprit regloit ſes ſentimens
à meſure que la
flatterie eſſayoit de corrompre
ſes moeurs. Mais
c'eſt en vain que nous
May 1714.
,
C
26 MERCURE
prétendons nous arranger
fur les deſſeins de noſtre
vie , toutes nos précautions
ſont inutiles contre
les arreſts du deſtin .
Le Ciel refervoit de
trop beaux jours à l'heureuſe
Pelagie ſous les
loix de l'amour , pour
lui faire apprehender davantage
les écuëils de fon
empire. Cependant ce fut
une des plus amoureuſes
& des plus funeftes avantures
du monde qui déGALANT.
27
termina ſon coeur à la
tendreſſe.
Un jour ſe promenant
avec une de ſes amies ſur le
bord de la Loire , au pied
de la celebre Abbaye de
Marmoutier,elle apperceut
au milieu de l'eau un petit
batteaudécouvert , dans lequel
étoient deux femmes ,
un Abbé ,& le marinier qui
les conduiſoità Tours : mais
ſoit que ce bateau ne valuſt
rien ou que quelque malheureuſe
pierre en euſt écarté
les planches , en un moment
tout ce miferable é-
Cij
28. MERCURE
quipage fut enseveli ſous
les eaux. De l'autre coſté
de la riviere deux cavaliers
bien montez ſe jetterent à
l'inſtant à la nage pour ſecourir
ces infortunez ; mais
leur diligence ne leur ſervit
au peril de leur vie , qu'au
falut d'une de ces deux femmes
, que le moins troublé
de ces cavaliers avoit heureuſement
attrapée par les
cheveux , & qu'il conduifit
aux pieds de la tendre Pelagie
, qui fut fi effrayée de
cet affreux ſpectacle , qu'elle
eutpreſque autant beſoin
GALANT. 29
!
de ſecours , que celle qui
venoit d'eſtre ſauvée de cet
évident naufrage , où l'autre
femme & l'Abbé s'eftoient
desja noyez .
:
Le cavalier qui avoit eſté
le moins utile au falut de la
perſonne que ſon ami venoit
d'arracher des bras
de la mort , eſtoir cependant
l'amant aimé de la Dame
délivrée ; mais ſon amour
, fon trouble & fon
deſeſpoir avoient telle.
ment boulversé ſon imagination
, que bien loin de ſe
courir les autres , il ne s'en
C iij
30 MERCURE
fallut preſque rien qu'il ne
perift luy meſme: enfin fon
cheval impetueux le remit
malgré luy au bord d'où il
s'eſtoit précipité ; auffi- toft
il courut à toute bride, iltraverſa
la ville , & pafla les
ponts pour ſe rendre fur le
rivage , où ſa maiſtreſſe recevoit
toute forte de nouveaux
foulagements de Pelagie
, de ſa compagne , &
de ſon ami.
L'intrepidité du liberateur,
ſa prudence , ſes ſoins
& fa bonne mine pafferent
fur le champ pour des mer
GALANT. 31
veilles aux yeux de Pelagie,
De l'admiration d'une certaine
eſpece , il n'y a ordinairement
, ſans qu'on s'en
apperçoive , qu'un pas à
faire à l'amour , & l'amour
nous mene ſi loin naturellement
qu'il arrache bientoſt
tous les conſentements
de noſtre volonté. En vain
l'on ſe flatte d'avoir le tems
de reflechir , en vain l'on
veut eſſayer de ſoumettre
le coeur à la raiſon , l'eſprit
dans ces occafions eft tousjours
ſeduit par le coeur , on
regarde d'abord l'objet avec
C iiij
32 MERCURE
complaiſance.les préjugez
viennent auſſi toſt nous é
tourdir , & nous n'eſperons
ſouvent nous mieux deffendre
, que lorſque noſtre inclination
nous determine à
luytout ceder.
La tendre Pelagie eſtonnée
de ce qu'elle vient de
voir , n'ouvre ſes yeux embaraffés
, que pour jetter
des regards languiſſans
vers la petite maiſon , où
quelques Payſans aidés de
nos deux Cavaliers emportent
la Dame qui vient d'eftre
delivrée de la fureur
GALANT. 33
des flots. Elle n'enviſage
plus l'horreur du peril
qu'elle lui a vû courir ,
comme un ſpectacle ſi digne
de compaſſion , peu
s'en faut meſme qu'elle
n'envie ſon infortune.
Quoique ſes inquietudes
épouvantent ſon coeur , fes
intereſts ſe multiplient , à
meſure que cette troupe
s'éloigne d'elle . Elle croit
desja avoir démeflé que
ſon Cavalier ne ſoupire
point pour la Dame , ni la
Dame pour lui ; neanmoins
ſon eſprit s'en fait
34 MERCURE
une Rivale , elle aprehende
qu'un ſi grand ſervice
n'ait quelqu'autre motif
que la pure generofité , ou
pluſtoſt elle tremble qu'un
amour extreſme ne ſoit la
récompenſe d'un fi grand
ſervice. Cependant elle retourne
à la Ville , elle ſe
met au lit , où elle ſe tour.
mente , s'examine & s'afflige
, à force de raiſonner
fur certe avanture , dont
chacun parle à ſa mode
elle la raconte auffi tous
و
ceux qui veulent l'entendre
, mais elle s'embaraſſe
GALANT.
35
,
د tellement dans ſon récit
qu'il n'y a que l'indulgence
qu'on a pour ſon innocence
& ſa jeuneſſe , qui déguiſe
les circonſtances
qu'elle veut qu'on ignore.
Le Chevalier de Verſan
de ſon coſté ( C'eſt le
nom du Cavalier en qui
elle s'intereſſe , ) le Chevalier
de Verſan dis-je ,
n'eſt pas plus tranquille. La
belle Pelagie eſt tousjours
preſente à ſes yeux , enchanté
de ſes attraits , il va,
court , & revient , par tout
ſa bouche ne s'ouvre , que
36 MERCURE
,
,
pour vanter les appas de
Pelagie. Le bruit que cet
Amant impetueux fait de
fon amour frappe auflitoſt
ſes oreilles , elle s'applaudit
de ſa conqueſte
elle reçoit ſes viſites , écoute
ſes ſoupirs , répond à ſes
propoſitions , enfin elle
conſent , avec ſon Pere ,
que le flambeau de l'hymen
éclaire le triomphe de
fon Amant. Cette nouvelle
allarme , & deſeſpere
en vain tous ſes Rivaux. Il
eſt heureux déja. La fortune
elle-mefme pour le com
bler de graces vient atta
cher de nouveaux préſens
aux faveurs de l'amour. La
mort de ſon frere le fait
heritier de vingt mille livres
de rente. Le Chevalier
devient Marquis : nouvel
& précieux ornement
aux douceurs d'un tendre
mariage. Mais tout s'uſe
dans la vie , l'homme ſe
demaſque , la tendreſſe reciproque
s'épuiſe imper
ceptiblement , on languit ,
on ſe quitte , peut - eſtre
meſme on ſe hait , heureux
encore ſi l'on ne fouf
38 MERCURE
fre pas infiniment des caprices
de la déſunion Mais
Prices d la mort & l'amour ſe rangent
du parti de Madame
la Marquiſe de ... que ,
pour raiſon difcrette , je
nommerai Pelagie , juſqu'à
ce qu'elle foit Madame
Belzeſca.
Ainfi l'heureuſe Pelagie
aprés avoir goufté pendant
cinq ans toutes les douceurs
de l'hymen , ne ceſſe d'aimer
fon mary ( inconſtant
huit jours avant elle )
que fix ſemaines avant ſa
mort.
GALANT. 39
Un fils unique , ſeul &
cher gage de leur union ,la
rend àvingt ansheritiere &
dépofitaire des biensdu défunt.
Elle arrange exacte
ment toutes ſes affaires, elle
abandonne tranquillement
la province , & fe rend à
Paris avec fon fils .
De quel pays , Madame ,
luy dit- on,dés qu'on la voit,
nous apportez-vous tant de
beauté? dans quelle obſcure
contrée avez - vous eu le
courage d'enſevelir ju qu'a
preſent tant de charmes ?
que vous eſtes injuſte d'a
40 MERCURE
voir ſi long - temps honoré
de voſtre preſence des lieux
preſque inconnus , vous qui
eſtes encore trop belle pour
Paris . Cependant c'eſt le
ſeul endroit du monde qui
puiſſe prétendre à la gloire
de vous regarder comme la
Reine de ſes citoyennes.
Les ſpectacles , les aſſemblées,
les promenades , tout
retentit enfin des merveillesdela
belle veuve.
Le Roy Caſimir eſtoit
alors en France , pluſieurs
grands ſeigneurs avoient
ſuivi ce Prince juſqu'à la
porte
GALANT. 41
porte de ſa retraite.
Il n'y avoit point d'eſtranger
à Paris qui ne fuſt curieux
d'apprendre noſtre
langue qui commençoit à
ſe répandre dans toutes les
cours de l'Europe , & il n'y
enavoit aucun qui ne ſceuſt
parfaitement que la connoiſſance
& le commerce
des Dames font l'art, le merite
, & le profit de cette
eftude.
Un charmant voiſinage
eſt ſouvent le premier prétexte
des liaiſons que l'on
forme.
May 1714. D
MERCURE
Pelagie avoit ſa maiſon
dans le fauxbourg S. Germain
: ce quartier eſt l'azile
le plus ordinaire de tous les
eſtrangers , que leurs affaires
ou leur curioſité attirent
à Paris .
,
La Veuve dont il eſt
queſtion eſtoit fi belle
que ſa Maiſon eſtoit tous
les jours remplie des plus
honneſtes gens de la Ville ,
& environnée de ceux qui
n'avoient chez elle ni
,
droit , ni prétexte de viſite.
Enfin on croyoit en la
voyant , que , Maiſtreſſe
GALANT. 43
!
abſoluë des mouvements
de ſon ame , elle regnoit
ſouverainement ſur l'amour
comme l'amour
qu'elle donnoit regnoit fur
tous les coeurs ; mais on ſe
trompoit , & peut- eſtre ſe
trompoit- elle elle - meſme.
Pelagie eſtoit une trop
belle conqueſte , pour n'eftre
pas bien toſt encore la
victime de l'amour.
La magnificence du plus
grand Roy du monde raviſſoit
alors les yeux des
mortels , par l'éclat & la
pompe des ſpectacles &
Dij
44 MERCURE
,
des feftes , dont rien n'avoit
jamais égalé la richefſe
& la majefté ; l'on accouroit
de toutes parts ,
pour eſtre témoins de l'excellence
de ſes plaifirs , &
chaque jour ſes peuples
eſtoient obligez d'admirer
dans le délafſſement de ſes
travaux , les merveilles de
fa grandeur.
Le dernier jour enfin
des trois deſtinés pour cette
fuperbe feſte de Verfailles,
dont la poſterité parlera
comme d'une feſte inimitable
, ce jour où l'Amour
GALANT. 45
vuida tant de fois fon Carquois
, ce jour où l'Amour
ſe plut à joüer tant de
tours malins à mille beautés
que la fplendeur de ce
Spectacle avoit attiré dans
ces lieux , fut enfin le jour
qui avança le dénoüement
du fecond du ſecond hymen de Pelagie.
Un des ſeigneurs que le
Roy Caſimir avoit amenéz
avec luy , avoit malheureuſement
veu cette belle veuve
, un mois avant de ſedéterminer
à imiter le zele &
la pieté de ſon maiſtre , elle
46 MERCURE
avoit paru à ſes yeux ornée
de tant d'agrements , ou
plutoſt ſi parfaite , que la
veuë de ſes charmes luy fit
d'abord faire le voeu de n'en
plusfaire que pour elle; mais
c'eſt un conte de prétendre
qu'il ſuffiſe d'aimer pour ef
tre aimé ; rien n'eſt plus
faux que cette maxime , &
je ſouſtiens qu'on eſt ſouvent
traité fort mal en amour
, à moins qu'une heureuſe
influence n'eſtabliſſe
des diſpoſitions reciproques.
C'eſt en vain que l'amouGALANT.
47
reux Polonois brufle pour
Pelagie , ſon eſtoille n'eft
point dans ſes interefts , elle
regarde cette flame auffi
indifféremment , qu'un feu
que d'autres auroient allumé
, & quoy qu'elle voye
tous les jours ce nouvel
eſclave l'étourdir du récit
de ſa tendreſſe , ſon coeur
ſe fait ſi peu d'honneur de
cette conquefte , qu'il femble
qu'elle ignore qu'il y
ait des Polonois au monde
.
Mais l'eſprit de l'homme
prend quelquefois des ſen48
MERCURE
timents ſi audacieux quand
il aime , que la violence
de ſa paſſion & le defefpoir
de n'eſtre point écouté
, le portent ſouvent juſqu'à
l'inſolence. D'autresfois
nos titres& noſtre rang
nous aveuglent , & nous
nous perfuadons qu'on eſt
obligé de faire , du moins
en faveur de noſtre nom
ce que nous ne meritons
,
pas qu'on faſſe pour l'amour
de nous.
Le Polonois jure , tempeſte
, & s'impatiente contre
les rigueurs de ſa Maîtreffe,
GALANT .
49
treſſe , à qui ce procedé
paroiſt ſi nouveau , qu'elle
le fait tranquillement remercier
de ſes viſites . La
rage auffi toſt s'empare de
ſon coeur , il n'eſt point de
réſolution violente qui ne
lui paroiſſe légitime , l'inſenſible
Pelagie eft injufte
de n'eſtre pas tendre pour
lui , ſa dureté la rend indigne
de ſon amour , mais
fon amour irrité doit au
moins la punir de ſa rigueur
, & quoy qu'il en
couſte à l'honneur , l'éxécution
des plus criminels
May 1714. E
10 MERCURE
projets n'est qu'une bagatelle
, lorſqu'il s'agit de ſe
vanger d'une ingratte qui
ne peut nous aimer.
Ce malheureux Amant
ſcut que ſon inhumaine
devoit se trouver à la feſte
de Verſailles, avec une Dame
de ſes amies , & un de
ſes Rivaux , dont le mérite
luy avoit d'abord fait apprehender
la concurrence ,
mais qu'il croyoit trop foible
alors pour pouvoir déconcerter
ſes deſſeins . Il
prit ainſi ſes meſures avec
des gens que ſes promeſſes
GALANT.
SI
&ſes préſents engagérent
dans ſes intereſts , & il ré.
ſolut , aſſeuré de leur courage
& de leur prudence ,
d'enlever Pelagie , pendant
que le déſordre & la confuſionde
la find'une ſi grande
feſte , lui en fourniroient
encore les moyens..
Le Carroffe & les relais
qui devoient ſervir à cet
enlevement , eſtoient déja
ſi bien diſpoſés , qu'il ne
manquoit plus que le moment
heureux de s'empa
rer de l'objet de toute cette
entrepriſe ; lorſque Pelagie
1
E ij
52
MERCURE
laſſe & accablée du ſommeilque
lui avoient dérobé
ces brillantes nuits , entra ,
avec ſon amie , dans un
fombre boſquet , où la fraîcheur
& le hazard avoient
inſenſiblement conduit ſes
pasi elle y furà peine aſſiſe,
qu'elle s'y endormit
Laiffons la pour un inftant,
dans le fein du repos
dont on va bien toſt l'arracher.
- L'occaſion est trop belle
pour n'en pas profiter ; mais
le Polonois a beſoin de tout
fon monde , pour en fortir
GALANT.
53
a ſon honneur , & il commence
à trouver tant de
difficultez , à exécuter un ſi
grand deſſein dans le Palais
d'un ſi grand Roy , qu'il
s'imagine , aveuglé de ſon
déſeſpoir & de ſon amour ,
qu'il n'y a qu'une diligence
infinie , qui puiffe réparer
le déffaut de ſes précautions.
Il court pour raffem
bler ſes confidents ; mais la
vûë de ſon Rival qui ſe préſente
à ſes yeux , fait à l'inſtant
avorter tous ſes pro
jets. Où courez- vous, Monſieur
, luy dit- il , que vous
E iij
54 MERCURE
,
importe , répond l'autre ?
rendez graces , répond le
Cavalier François au refpect
que je dois aux lieux
cù nous ſommes fans
cette conſidération je
vous aurois déja puni , &
de voſtre audace , & de
l'inſolence de vos deſſeins.
Il te fied bien de m'inſulter
icy luy dit le Polonois ; je
te le pardonne : mais ſuy
moy ? & je ne tarderay pas
à t'apprendre à me reſpecter
moi- meſme , autant que
les lieux dont tu parles . Je
conſens , luy répondit le
4
GALANT .
SS
François , à te ſuivre où tu
voudras ; mais j'ay mainte
nant quelques affaires qui
font encore plus preſſées
que les tiennes: tu peux cependant
diſpoſer du rendez
vous , où je ne le feray pas
long-temps attendre.
Le bruit de ces deux
hommes éveille pluſieurs
perſonnes qui dormoient
ſur le gazon ; on s'aſſemble
autour d'eux , ils ſe taiſent
&enfin ils ſe ſéparent,
Ainfi le Polonois ſe retire
avec ſa courte honte ,
pendant que le François
E iii
56 MERCURE
cherche de tous cotez , les
Dames qu'il a perduës :
mais cette querelle s'eſtoit
paſſée ſi prés d'elles , que le
mouvement qu'elle cauſa ,
les reveilla , comme ceux
qui en avoient entendu la
fin ; elles fortirent de leur
boſquet qu'elles trouverent
desja environné de
gens qui compoſoient &
débitoient à leur mode les
circonstances decette avanture
, ſur l'idée que pouvoit
leur en avoir donné le peu
de mots qu'ils venoient
d'entendre , lorſqu'enfin il
GALANT.
$7
les retrouva. Je prie les
Lecteurs de me diſpenſer
de le nommer , ſon nom ,
ſes armes & ſes enfans ſont
encore ſi connus en France,
que , quoy que je n'aye que
ſon éloge à faire , je ne ſçay
pas ſi les fiens approuveroient
qu'on le nommaſt.
Deux heures avant que
le Cavalier François rencontrât
le Polonois , Mon.
fieur le Duc de ... avoit
heureuſement trouvé une
lettre à fos pieds : le hazard
pluſtoſt que la curiofité
la luy avoit fait ramaf
58 MERCURE
fer , un moment avant qu'il
s'apperceut des foins extreſmes
que prenoient trois
hommes pour la chercher :
la curioſité luy fit alors un
motifd'intereſt de cet effet
du hazard ; il s'éloigna des
gens dont il avoit remarqué
l'inquiétude , il ſe tira de la
foule , & dans un lieu plus
fombre & plus écarté , il
lut enfin cette lettre , qui
eſtoit , autant que je peux
m'en ſouvenir , conceuë ,
à peu prés , en ces termes.
Quelquesjustes mesures que
nous ayons priſes , quoy que mon
GALANT. رو
Carroffe & vos Cavaliers ne
foient qu'àcent pas d'icy , il n'y
aura pas d'apparence de réuffir
fi vous attendez que le retour
du jour nous ofte les moyens de
profiter du défordre de la nuit :
quelque claire que ſoit celle-cy ,
elle n'a qu'une lumiére empruntée
dont le ſoleil que j'apprenhende
plus que la mort
bien toſt diſſipper la clarté; ainfi
hatez vous de meſuivre , &ne
me perdez pas de veuë : je vais
déſoler Pelagie par ma préfen--
ce: dés qu'elle me verra , je ne
doutepas qu'elle ne cherche à me
fuir; mais je m'y prendray de
, va
60 MERCURE
façon ,que tous les pas qu'ells
fera , la conduiront dans nostre
embuscade.
La lecture de ce billet
eſtonna fort Mr le Duc ...
quiheureuſement connoiffoit
aſſez la belle veuve pour
s'intereffer parfaitement
dans tout ce qui la regardoit
; d'ailleurs le cavalier
françois qui eſtoit l'amant
declaré de la Dame , eſtoit
ſon amy particulier : ainſi il
priatout ce qu'il putraſſembler
de gens de ſa connoifſance
de l'aider à chercher
Pelagie avant qu'elle peuſt
GALANT. 61
eftre expoſée à courir les
moindres riſques d'une pareille
avanture. Il n'y avoit
pas de tempsà perdre , auſſi
n'en perd - il pas ; il fut par
tout où il creut la pouvoir
trouver , enfin aprés bien
des pas inutiles , il rencontra
ſon ami , qui ne venoit
de quitter ces deux Dames
que pour aller leur chercher
quelques rafraichif
ſements . Il est bien maintenant
queſtion de rafraif
chiſſements pour vos Dames
, luy dit le Duc , en luy
donnant la lettre qu'il ve
62 MERCURE
noit de lire , tenez , liſez, &
dites - moy ſi vous connoifſez
cette écriture , & à quoy
l'on peut à preſent vous eftre
utile. Monfieur le Duc ,
reprit le cavalier,je connois
le caractere du Comte Piof
Ki, c'eſt aſſeurement luy qui
aécrit ce billet ; mais il n'eſt
pas encore maiſtre de Pelagie
, que j'ay laiſſée avec
Madame Dormont à vingt
pas d'icy , entre les mains
d'un officier du Roy, qui eſt
mon amy , & qui , à leur
confideration , autant qu'à
la mienne , les a obligeamGALANT
. 63
ment placées dans un endroit
où elles ſont fort à leur
aife ; ainſi je ne crains rien
de ce coſté- là ; mais je voudrois
bien voir le Comte , &
l'équipage qu'il deſtine à
cet enlevement. Ne faites
point de folie icy , mon
amy , luy dit le Duc , aſſeurez
- vous ſeulement de quelques
perſonnes de voſtre
connoiſſance ſur qui vous
puiffiez compter : je vous
offre ces Meſſieurs que vous
voyez avec moy , raſſem.
blez- les autour de vos Dames
, & mettez - les ſage
64 MERCURE
ment à couvert des inſultes
de cet extravagant : fi je
n'avois pas quelques affaires
confiderables ailleurs ,
je ne vous quitterois que
certain du fuccez de vos
précautions.
Vi
LeDuc ſe retira alors vers
un boſquet où d'autres intereſts
l'appelloient,& laifſa
ainſi le cavalier françois
avec ſes amis ,à qui il montra
l'endroit où il avoit remis
ſa maiſtreſſe entre les
mains de l'officier qui s'eftoit
chargé du ſoin de la
placer commodément ; cependant
GALANT. 65
pendant il fut de ſon coſté
à la découverte de ſon ri.
val , qu'aprés bien des détours
, il rencontra enfin à
quatre pas du boſquet dont
jay parlé , &dont il ſe ſepara
comme je l'ay dit . Neanmoins
quelque ſatisfaction
qu'il ſentit du plaifir de retrouver
ſes Dames , il leur
demanda , aprés leur avoir
conté l'hiſtoire de ce qu'il
venoit de luy arriver , par
quel haſard elles ſe trouvoient
ſi loin du lieu où il
les avoit laiſſées. Apeine ,
luy dit Pelagie , nous vous
May 1714. F
66 MERCURE
avons perdu de veuë , que le
Comte Pioski eſt venu s'affeoir
à coſté de moy , aux
dépens d'un jeune homme
timide , que ſon air brufque
& fon étalage magnifique
ont engagé à luy ceder
la place qu'il occupoit.
Ses diſcours m'ont d'abord
fi cruellement ennuyée,que
mortellement fatiguée de
les entendre ,j'ay priéMadame
de me donner le bras,
pour m'aider à me tirer des
mains de cet imprudent ; le
monde , la foulle , & les
détours m'ont derobé la
GALANT. 67
connoiſſance des pas & des
efforts que fans doute il a
faits pour nous ſuivre , &
accablée de ſommeil &
d'ennuy, je me ſuis heureuſement
ſauvée dans ce bofquet
, ſans m'aviſer ſeulement
de fonger qu'il euſt
pû nous y voir entrer ; mais
quelque peril que j'aye couru
, je ſuis bien aiſe que fon
inſolence n'ait pas plus éclaté
contre vous , que fes
deſſeins contre moy , & je
vous demande en grace de
prévenir ſagement , & par
les voyesde ladouceur,tou-
tes les ſuites facheuſes que
ſon deſeſpoir & voſtre demeſlé
pourroient avoir. Il
n'y a plus maintenant rien
à craindre , il fait grand
jour , le chemin de Verſailles
à Paris eſt plein de monde
, & vous avez icy un
grand nombre de vos amis ,
ainſi nous pouvons retourner
à la ville fans danger.
Le cavalier promit à la
belle Pelagie de luy tenir
tout ce qu'elle voulut exiger
de ſes promeſſes , & fes
conditions acceptées , illamena
juſqu'à fon carroffe,
GALANT
69
où il prit ſa place , pendant
que quatre de ſes amis ſe
diſpoſerent à le ſuivre dans
le leur.
1
Il n'eut pas plutoſt remis
les Dames chez elles , &
quitté ſes amis , qu'en entrant
chez luy , un gentila
homme luy fie preſent du
billet que voicy.
Les plus heureux Amants
ceſſeroient de l'estre autant qu'ils
ſe l'imaginent , s'ils ne rencon
troient jamais d'obstacle à leur
bonheur je m'intereſſe affez au
voſtre , pour vousyfaire trouver
des difficultez qui ne vous
70
MERCURE
establiront une felicitéparfaite,
qu'aux prix de tout lefangde
Pioski. Le Gentilhomme que
je vous envoye vous expliquera
le reſte de mes intentions.
naypas
Affoyez-vous donc, Monſieur
, luy dit froidement le
cavalier françois ,& prenez
la peine de m'apprendre les
intentions de Monfieur le
Comte Pioski . Je n'ay
beſoin de ſiege , Monfieur ,
luy répondit ſur le meſme
ton , le gentilhomme Polonois
, & je n'ay que deux
mots à vous dire. Vous eſtes
l'heureux rival de Monfieur
GALANT.
le Comte qui n'eſt pas encore
accouſtumé à de telles
préferences , il eſt ſi jaloux
qu'il veut vous tuer , & que
je le veux auſſi , il vous attend
maintenant derriere
l'Obſervatoire ; ainſi prenez
, s'il vous plaiſt , un ſecond
comme moy , qui ait
aſſez de vigueur pour m'amuſer
, pendant que vous
aurez l'honneur de vous és
ggoorrggeerreennſſeemmbbllee.
Je ne ſçay ſi le françois ſe
ſouvint, ou ne ſe ſouvint pas
alors de tout ce qu'il avoit
promis à ſa maiſtreſſe , mais
72 MERCURE
voicy à bon compte lecas
qu'il en fit.
Il appella ſon valet de
chambre , qui estoit un
grand garçon de bonne vo
lonté , il luy demanda s'il
vouloit eſtre de la partie ,
ce qu'il accepta en riant,
Aufſi - toft il dit au gentilhomme,
Monfieur leComte
eſt genereux , vous eſtes
brave, voicy voſtre homme,
& je ſuis le ſien Mais Monfieur
eft- il noble , reprit le
gentilhomme. Le valet de
chambre , Eſpagnol de nation,
piqué de cette demande
GALANT .
73
de, luy répondit fierement
ſur le champ , & en ſon langage
, avec une ſaillie romaneſque
, Quienes tu hombre
? voto a San Juan. Viejo
Chriftiano estoy , hombre blanco
,y noble como el Rey Ce que
ſon maiſtre naiſtre expliqua au Polonois
en ces termes . Il
vous demande qui vous eftes
vous mesme , & il vous
jure qu'il eſt vieux Chreftien
,homme blanc , & noble
comme le Roy. Soit ,
reprit le gentilhomme,marchons.
Ces trois braves furent
ainſi grand train au
May 1714. G
74 MERCURE
rendez vous , où ils trouverent
le Comte qui commençoit
à s'ennuyer. Aprés
le falut accouſtumé , ils mirent
tous quatre l'épée àla
main. Pioski fit en vain des
merveilles , il avoit desja
perdu beaucoup de fang ,
lang,
lorſqu'heureuſement ſon épée
ſe caſſa; le gentilhomme
fut le plus maltraité,l'Ef
pagnol ſe battit comme un
lion ,& le combat finit.
Cependant le Comte
Pioski, qui , à ces violences
prés , eftoit entout un
homme fort raiſonnable ,
GALANT. 75
eut tant de regret des extravagances
que cette derniere
paffion venoit de luy
faire faire , que la pieté étouffant
dans ſon coeur tous
les interêts du monde , il
fut s'enfermer pour le reſte
de ſa vie dans la retraitte
la plus fameuſe qui ſoit en
France , & la plus connuë
par l'auſterité de ſes maximes.
Le Cavalier françois
foupira encore quelques
temps , & enfin il devint
l'heureux & digne Epoux
d'une des plus charmantes
femmes du monde.
Gij
76 MERCURE
4
Les mariages font une fi
grande époque dans les
hiſtoires , que c'eſt ordinairement
l'endroit par où
tous les Romans finiſſent ;
mais il n'en eſt pas de meſme
icy , & il ſemble juftement
qu'ils ne ſervent à
Madame Belzeſca que de
degrés à la fortune , où ſon
bonheur & ſes vertus l'ont
amenée . Tout ce qui luy
arrive dans un engagement
qui établit communément
, ou qui doit du
moins establir pour les autres
femmes , une ſigrande
GALANT. 77
tranquilité , qu'on diroit
que l'hymen n'eſt propre ,
qu'à faire oublier juſqu'à
leur nom , eſt au contraire
pour celle cy , la baze de
ſes avantures. L'eſtalage de
ſes charmes , & le bruit de
ſabeauté ne ſont point enſevelis
dans les embraffemens
d'un eſpoux : heureuſe
maiſtreſſe d'un mary
tendre & complaiſant , &
moins eſpouſe qu'amante
infiniment aimée , comme
ſi tous les incidens du monde
ne ſe raſſembloient que
pour contribuer à luy faire
Gij
78 MERCURE
des jours heureux , innocement
& naturellement
attachée à ſes devoirs , l'amour
enchainé , à ſa fuite
ne prend pour ferrer tous
les noeuds qui l'uniſſent à
ſon eſpoux , que les formes
les plus aimables , & les
douceurs du mariage ne ſe
maſquent point pour elle
ſous les traits d'un mary.
Enfin elle joüit pendant
neuf ou dix ans , au milieu
du monde , & de ſes adorateurs
, du repos le plus
doux que l'amour ait jamais
accordé aux plus heureux
GALAN 79
Amants ; mais la mort jalouſe
de ſa fecilité luy ra
vit impitoyablement le plus
cher objet de ſa tendreſſe:
que de cris ! que de ge.
miſſements ! que de larmes
! cependant tant de
mains ſe préſentent pour
efluyer ſes pleurs , que , le
temps ,la raiſon , & la néceſſité,
aprés avoir multiplié
ſes reflexions
nent enfin au ſecours de ſa
,
viendouleur
; mais il ne luy reſte
d'un eſpoux fi regretté ,
qu'une aimable fille , que la
mort la menace encore de
(
G iiij
80 MERCURE
luy ravir , ſur le tombeaude
fon pere. Que de nouvel.
les allarmes ! que de mortelles
frayeurs ? elle tombe
dans un eſtat de langueur
qui fait preſque deſeſperer
de ſa vie. Il n'eſt point de
ſaints qu'on n'invoque ,
point de voeux qu'on ne faf
ſe, elle en fait elle-meſme
pour fon enfant , & promet
enfin de porter un tableau
magnifique à Noftre-
Dame de Lorette ſi ſa
fille en réchappe. A l'inftant,
ſoit qu'un ſuccés favo
rable recompenfat ſon zele
GALANT. 81
&fa piete , ou qu'il fur
temps que les remedes operaſſent
à la fin plus effica
cement qu'ils n'avoient fait
encore , ſa maladie diminua
preſque à veuë d'oeil ,
en tros jours l'enfant fut
hors de danger , & au bout
de neufentierement guery.
Elle reſtaencore , en attendant
le retour du printemps
, prés de fix mois à
Paris , pendant lesquels elle
s'arrangea pour l'execution
de ſon voeu. Ce temps expiré
, accompagnée de ſon
fils & de ſa fille , d'une Da82
1 MERCURE
me de ſes amis , de deux
femmes de chambre , de
deux Cavaliers , & de quatre
valets , elle prit la route de
Lyon , d'où aprés avoir
paffé Grenoble , le mont
du l'An, Briançon , le mont
Geneve & Suze , elle ſe rendit
à Turin , où elle ſéjourna
trois ſemaines avec ſa
compagnie qui ſe déffit
comme elle de tout ſon équipage,
dans cette Ville,
pour s'embarquer ſur le Po.
Elle vit en paſſant les Villes
de Cazal du Montferrat
,
d'Alexandrie , le Texin qui
GALANT. 83
1
,
paſſe à Pavie , Plaiſance ,
+ Cremone , Ferrare , & enfin
elle entra de nuit à Venife
avec la marée. Elle
deſcendit à une Auberge
moitié Allemande , &moitié
Françoiſe , & dont
l'enſeigne d'un coſté , ſur
le grand Canal , reprefente
les armes de France , &
de l'autre , fur la Place de
ES. Marc , les armes de l'Empire.
Elle reçut le lende
main à ſa toilette , comme
cela ſe pratique ordinairement
à Veniſe , avec tous
les Estrangers confidera
,
S
१
84 MERCURE
,
bles , des compliments en
proſe & en vers imprimez
à ſa loüange , fon amie
& les Cavaliers de ſa compagnie
en eurent auſſi leur
part. Ces galanteries couftent
communément , & au
moins quelques Ducats à
ceux à qui on les fait. Le
ſecond jour elle fut avec
tout fon monde ſaluer Mr
l'Ambaſſadeur qui fut
d'autant plus charmé du
plaifir de voir une ſi aimable
femme , que , quoy que
Venife ſoit une Ville , où
lesbeautez ne ſont pas car
,
GALANT. 85
Π
S
res , il n'y en avoit pas encore
vû une , faite comme
- celle dont il recevoit la viſite.
La bonne chere , les,
Spectacles , les promena-
✓ des ſur la mer& ſur la coſte,
avec le Jeu, furent les plaifirs
dont il la regala , pen-
↓ dant les quinzejours qu'elle
y reſta. Il luy fitvoir dans ſa
Gondole , la pompeuſeCeremonie
du Bucentaure qui
ſe celebre tous les ans dans
cette Ville le jour de l'Afcenfion
, avec toute la magnificence
imaginable.
Je nedoute pas que bien
3
86 MERCURE
des gens neſcachent à peu
prés ce que c'eſt que cette
feſte; mais j'auray occafion
dans une autre hiſtoire d'en
faire une deſcription meſlée
de circonstances ſi agreables
que la varieté des évenemensque
je raconteray,
pourra intereſſer mes lecteurs
au recit d'une ceremonie
dont il ignore peuteſtre
les détails.
Enfin noſtre belle veuve
prit congé de Mr l'Ambaffadeur
, & le lendemain elle
s'embarqua ſur un petit baſtiment
, qui en trois jours
GALANT. 87
لا
}}
la rendit à Lorette , où elle
accomplit avec beaucoup
de zele & de religion , le
voeu qu'elle avoit fait à Pa-
1ris. Après avoir pieuſement
fatisfait à ce devoir indifpenſable
, dégouſtée des perils
, & ennuyée des fatigues
de la mer , elle refolut
de traverſer toute l'Italie
par terre , avant de retourner
en France .
!
Il n'y avoit pas fi loin de
Lorette à Rome pour n'y
pas faire untour,& je croy
a que pour tous les voyageurs,
cinquante lieuës plus ou
88 MERCURE
moins , ne ſont qu'une bagatelle
, lorſqu'il s'agit de
voir cette capitale du mõde.
- Il faiſoit alors ſi chaud ,
qu'il eſtoit fort difficile de
faire beaucoup de chemin
par jour ; mais lorſqu'on eſt
en bonne compagnie , &
de belle humeur , rien n'ennuye
moins que les ſéjours
charmants qu'ontrouve en
Italie.
Je ne prétens pas en faire
icy un brillant tableau,pour
enchanter mes lecteurs de
la beauté de ce climat ; tant
de voyageurs en ont parlé ;
Miffon
GALANT. 89
1
Miſſon l'a ſi bien épluché,
&cette terre eſt ſi fertile
en avantures , que les hiftoires
galantes que j'en raconteray
dorenavant ſuffiront
pour inſtruire d'une
maniere peut- eftre plus agreable
que celle dont ſe
ſont ſervis les écrivains qui
en ont fait d'amples relations
, ceux qui ſe conten
teront du Mercure pour
connoiſtre aſſez particuliement
les moeurs & le plan
de ce pays . Ainſi je renonceray
pour aujourd'huy au
détail des lieux que noftre
May 1714.
H
90 MERCURE
belle veuve vit , avant d'entrer
à Rome , parce que non
ſeulement il ne luy arriva
rien fur cette route qui puifſe
rendre intereſſants les cir
conſtances de ce voyage ,
mais encore parce que je ne
veux pas faire le geographe
malà propos . Le Capitole ,
le Vatican , le Chaſteau S.
Ange , le Colizée , la Place
dEſpagne, la Place Navonne
, l'Eglife S. Pierre , le
Pantheon , les Vignes , &
enfin tous les monuments
des Anciens , & les magnifiques
ouvrages des Moder
GALANT. 91
nes,dont cette ville eſt enrichie,
n'étalérent à ſes yeux
que ce que les voyageurs
lesplus indifferents peuvent
avoirveu comme elle ; mais
lorſque jetraitteray, comme
je l'ay dit,des incidens amufants
& raifonnables que
j'ay , pour y promener mes
lecteurs , j'eſpere que leur
curioſité ſatisfaite alors , les
dédommagera fuffifamment
de la remiſe & des
frais de leur voyage...
La conduite que tint à
Rome cette charmante veuve
, fut tres eſloignée de cel- :
Hij
92 MERCURE
le que nos Dames françoi
ſes y tiennent , lorſqu'avec
des graces moindres que les
fiennes , elles ſe promettent
d'y faire valoir juſqu'à leur
plus indifferent coup d'oeil.
Celle cy parcourut les Egliſes
,les Palais , les Places
& les Vignes en femme qui
ne veut plus d'avantures ;
mais elle comptoit fans for
hoſte, & l'amourn'avoit pas
figné le traité de l'arrangement
qu'elle s'eſtoit fait.
Ungentilhomme Italien
dela ſuite de l'Ambaſſadeur
de l'Empereur , qui avoir
GALANT. 93
veu par hafard une fois à la
Vigne Farneze , le viſage
admirable de noftre belle
veuve , fur ſi ſurpris de l'é
elat de tant de charmes ,
qu'il reſtacomme immobi
le , uniquement occupé dư
foin de la regarder. Elle
s'apperceut auffi- toft de fon
eſtonnement ; mais dans
Finſtant ſon voile qu'elle
laiſſa tomber, luy déroba la
veuë de cet objet de fon admiration.
L'Italien , loin de
fe rebuter de cet inconvenient
, réſolut de l'exami
ner juſqu'à ce qu'il ſceuſt ſa
94 MERCURE
ruë , fa demeure , ſon pays ,
fes deſſeins , & fon nom.
Dés qu'il ſe fut ſuffiſamment
inſtruit de tout ce
qu'il voulut apprendre ;
aprés avoir paffé& repaffé
cent fois devant ſa maiſon ,
ſans qu'on payaſt ſes ſoins
de la moindre courtoiſie,&
pleinement convaincu qu'il
n'y avoit auprés de cette
belle veuve , nulle bonne
fortune à eſperer pour luy ,
il conclut qu'il pouvoit regaler
Monfieur l'Ambaſſadeur
du merite de ſa découverte.
A
GALANT.951
En effet un jour que l'Ambaſſadeur
de Pologne difnoit
chez ſon maiſtre , voyant
vers la fin du repas,que
la compagnie entroit en
belle humeur , & que la
- converſation rouloit de
bonne grace ſur le chapitre
- des femmes ; Meſſieurs , dit-
- il , quelques ſentimens
qu'elles vous ayent fait
prendre pour elles , je ſuis
ſeur , que ſans vous embar-
-raſſer de vouloir connoiſtre
leurs coeurs plutoſt que
leurs perſonnes,vous renonceriez
à toutes les précau
96 MERCURE
tions du monde , ſi vous
aviez vû , une ſeule fois ,
une Dame que je n'ay vûë
qu'un inſtant. Je me promenois
, ily a quinze jours
àla Vigne Farneze , elle s'y
promenoit auſſi ; mais je
vous avoue que je fus ſaiſi
d'étonnement,en la voyant,
& que je luy trouvay cant
de charmes , un ſi grand
air ,& un ſi beau viſage
que je jurerois volontiers ,
quoy que cette Ville fourmille
en beautés , qu'il n'y
a rienà Rome qui ſoit beau
comme elle. Ces Miniſtres
1
Eſtrangers
GALANT. 97
5
Eſtrangers s'échaufférent
ſur le recit du Gentilhomme
Italien , celuy de Pologne
ſur tout , ſentitun mou.
vement de curioſité fi
prompt , qu'il luy demanda
d'un air empreſſé , s'il n'a
voit pas eſté tenté de ſur
vre une ſibelle femme ,&
s'il ne sçavoit pas où elle
demeuroit. Ouy, Monfieur,
luy répondit- il , je ſçay ſon
nom , ſa demeure & les
motifs de ſon voyage à
Rome, mais je n'en ſuis
pas plus avancé pour cela ,
&je croy au contraire que
May 1714.
I
98 MERCURE
mes empreſſements l'ont
tellement inquiétée, qu'elle
ne paroiſt plus aux Eglifes ,
ny aux promenades , de
puis qu'elle s'eſt apperçuë
du ſoin que je prenois d'éxaminer
ſes démarches .
Voila une fiere beauté , dit
l'Ambafladeur de l'Empereur
, & addreſſant la parole
en riant à celuy de Pologne
, Monfieur , continuast-
il , n'ayons pas le démentide
cette découverte ,
& connoiffons à quelque
prix que ce ſoit , cette belle THEQUE DEL
BIBLI
< YON
EVILL
1893*
J'y confens reTHEQUE
DA
5,
20
LY
GALANTE
18
E
VILL
prit l'autre , férieuſent
& je ſuis fort trompé fi
dans peu de jours , je ne
vous en dis des nouvelles.
Ils auroient volontiers
bû desja à la ſanté de l'inconnue
, ſi , une Eminence
qu'on venoit d'annoncer ,
ne les avoit pas arrachez de
la table , où le vin & l'amour
commençoient
à les 0
mettre en train de dire de
de
belles choses .
e Le Gentilhomme qui
ue avoit ſi à propos mis la belle
Veuve ſur le tapis , fut au
devant du Cardinal , que
I ij
100 MERCURE
fon Maiſtre fut recevoir
juſqu'au pprreemmiieerr degré de
fon Eſcalier , & en meſme
tems il reconduifit l'Ambas
ſadeur de Pologne juſqu'à
fon Carrofle. Ce Miniſtrele
questionnaſi bien , chemin
faiſant , qu'il retourna chez
luy , parfaitement inftruit
de tout ce qu'il vouloit ſcavor.
Des qu'il fut à fon
Appartement , il appella un
Valet de chambre , à qui il
avoit ſouvent fait de pareilles
confidences & aprés
luy avoir avoüé qu'il eſtoit
desja , fur un ſimple recit ,
GALANT. 101
1
:
1
éperduëment amoureux
d'un objet qu'il n'avoit jamais
vû , il luy demanda
s'il croyoit pouvoir l'aider
de ſes conſeils de fon zele
& de ſa difcretion , dans
Tembarras où il ſe trouvoit.
Je feray , luy dit le Valet
de chambre tout ce
qu'il vous plaira ; mma.is puifque
vous me permettez de
vous donner des confeils ,
je vous avoüeray franche-
FL
د
ment , que je pennſiee que
le
portrait que vous me faites,
de la conduitte ſage & retirée
que tient la perſonne
Inj 1
102 MERCURE
dont vous me parlez , eft
fouvent le voile dont Te
fervent les plus grandes
avanturieres , pour attrapper
de meilleures dupes. Ta
pénétration eſt inutile icy ,
luy répondit l'Ambaffadeur
: tu ſçais desja ſon nom
& ſa maiſon , informe toy
ſeulement fi ce qu'on m'en
adit eft véritable ; nous
verrons aprés cela le parti
que nous aurons à prendre .
Le Confident ſe met en
campagne , il louë une
chambre dans le voiſinage
de la belle Veuveil fait
>
GALANT. 103
1
1
0
e
it
connoiſſance avec un de ſes
domeſtiques , qui le met
en liaiſon avec la femme
de chambre de la Dame
qu'il veut connoiſtre : enfin
il la voit , & il apprend
qu'elle va tous les jours à
la meſſe , entre ſept & huit
heures du matin , à l'Eglife
de ſainte Cecile. Il avertit
auffi toſt ſon Maiſtre de
tout ce qui ſe paſſe ; ce Miniſtre
ne manque point de
ſe rendre ſans ſuite à cette
Eglife , & de ſe placer auprés
de cette beauté qui n'a
garde de ſe meffier à pareil
I iiij
104 MERCURE
le heure , ni de fes char
mes , ni des ſoins , ni de la
dévotion du perſonnage
quiles adore. לכ
Cependant l'allarme fonne
,& le Valet de chambre
apprend avec bien de la
douleur , que la Damedont
ſon Maiſtre eſt épris , commence
à s'ennuyer à Rome,
&qu'enfin incertaine ſi elle
retournera en France par
Genes,où ſi elle repaſſerales
Alpes, elle veutabſolument
eſtre hors de l'Italie , avant
le retour de la mauvaiſe
faifon. A l'inſtant l'AmbafGALANT.
1ος
t
!
es
16
10
le
f
1
Tadeur informé , & defefperé
de cette nouvelles ſe
détermine à luy eſcrire en
tremblant , la lettre que
voicy.
N'eſtes vous venue àRome,
Madame , que pour y violer
le droit des gens ; fi les franchiſes
les Privileges des
Ambaffadeurs font icy de vostre
Domaine , pourquoy vous dé-
Domaine
goustez - vous du plaisir d'en
joüir plus long-temps ? Fapprends
que vous avez réfolu de
partir dans buit jours. Ab! fi
rienne peut rompre ou differer
ce funeste voyage, rende-z moy
106 MERCURE
donc ma liberté que vos yeux
m'ont ravie , & au milieu de
la Capitale du monde. Ne me
laiſſez pas , en me fuyant,la
malheureuſe victime de l'amour
que vous m'avez donné. Permettez
moy bien pluſtoſt de vous
offrir en ces lieux tout ce qui
dépend de moy , & en reeevant
ma premiere visite , recevez en
mesme temps , si vous avez
quclques sentiments d'humanité,
la fortune , le coeur , & la
main de
BELZESKI.
Le Valet de Chambre
fut chargé du ſoin de luy
rendre cette lettre à elle
meſme au nom de ſon Maître
, d'examiner tous les
mouvemens de fon viſage ,
&de lui demander un mot
de réponſe.
La Dame fut aſſez
émeuë à la vûë de ce billet ,
cependant elle ſe remit aifément
de ce petit embarras
, & aprés avoir regardé
d'un air qui n'avoit rien
de déſobligeant , le porteur
de la lettre , qu'elle
avoit vûë vingt fois ſans reflexion
, elle luy dit , ce
108 MERCURE
?
tour eſt ſans doute de voſtre
façon Monfieur mais
Monfieur l'Ambaſſadeur
qui vous envoye , ne vous
en ſera guere plus obligé,
quoyque vous ne l'ayez pas
mal ſervi. Attendez icy un
moment, je vais paſſer dans
mon Cabinet , & vous en
voyer la réponſe que vous
me demandez pour luy :
Auſſi-toſt elle le quitta pour
aller efcrire ces mors. S
Fe ne sçay dequoy je ſuis
coupable à vos yeux, Monfieur,
mais je sçay bien que je ne re
ponds que par bienfeance à l'hon-
>
BAGALAN 109
0
neur que vous me faites ,
aux avantages que vous me proposez
: & je prévoy que la
viſite que vous me rendrez , si
vous voulez , vous fera auffi
peu utile qu'à moy , puisque
rien ne peut changer la réfolution
que j'ay priſe de repaffer
inceſſamment en France.
Le Polonnois éperduëment
amoureux ( car il y
avoit de la fatalité pour elle,
à eſtre aimée des gens de ce
pays ) le Polonnois , dis- je ,
donna à tous les termes de
ce billet , qu'il expliqua en
ſa faveur, un tourde confo110
MERCURE
lation que la Dame n'avoit
peut- eſtre pas eu l'intention
d'y mettre; d'ailleurs il eſtoit
parfaitementbien fait , tres
grand ſeigneur , fort riche ,
&magnifique entout. Les
hommes ſe connoiſſent , il
n'y a pas tantde mal à cela.
Celui- cy ſçavoit aſſez ſe
rendrejustice , mais heureuſement
il ne s'en faifoit pas
trop à croire , quoy qu'il
ſentit tous ſes avantages.....
Vers les * vingt& une ou
vingt- deux heures , il ſe ren-
**C'eſt en eſté à peu prés vers les fix heures
du ſoir,ſelon noftre façon de compter.
GALANT. III
コ
el
dit au logis de la belle veuve
, qu'il trouva dans undeshabillé
charmant & modeſte
, mille fois plusaimable
qu'elle ne luy avoit jamais
paru .
Que vous eſtes , Madame ,
luy dit- il , transporté du
plafir de la voir , au deſſus
des hommages que je vous
rends ; mais en verité je vais
eſtre le plus malheureux des
hommes , fi vous ne vous
rendez pas vous meſme aux
offres que je vous fais Nous
nenous connonfons n'y l'un
ny l'autre , Monfieur , luy
70%
112 MERCURE
11
répondit - elle , & vous me
propoſez d'abord des chofes
dont nous ne pourrions
peut eſtre que nous repentir
tousdeux, mais entrons , s'il
vousplaît,dansun plus grád
détail,& commençons par
examiner , i la majeſté de
voſtre caractere s'accorde
bien avec les ſaillies de cette
paffion ; d'ailleurs n'eſt il
pas ordinaire , & vrayſemblable
qu'un feu ſi prompt
às'allumer, n'en eſt que plus
prompt à s'éteindre. Enfin
ſupposé que je voulutſe encorem'engager
ſous les loix
de :
GALANT. 113
1
1
del'hymen, ſur quel fondement,
àmoins queje nem'a.
veuglaſſe de l'eſpoir de vos
promeſſes, pourrois- je compter
que vous me tiendrez
dans un certain tems ce que
vous me propoſez aujourd'huy
. Ah ! Madame , reprit
ilavecchaleur, donnez
aujourd huy voſtre confentement
à mon amour , &
demain je vous donne la
main. Par quelles loix voulez
vous authoriſer des maximes
de connoiſſance &
d'habitude , ſur des ſujers où
le coeur doit décider tout
114 MERCURE
,
ſeul ; n'y a t'il point dans le
monde des mouvements de
ſympathie pour vous , comme
pour nous , & quelle
bonne raiſon peut vous dif
penſerde faire pour nous
enun jour,la moitié du chemin
que vos charmes nous
font faire en un inſtant. Je
ſuis perfuadé que vous avez
trop d'eſprit, pour regarder
mal à propos ces chimeriques
précautions , comme
des principes de vertu , &
vous eſtes trop belle pour
douter un moment de la
conſtante ardeur des feux
GALANT 115
mt
&
רש
la
גנ
que vous allumez. Cependant
ſi vos ſcrupules s'effrayent
de la vivacité de ma
propoſition,je vous demande
du moins quinze jours
de grace , avant de vous
prier de vous déterminer en
ma faveur ; & j'eſpere ( fi
vos yeux n'ont point de peine
à s'accouſtumer à me
voir pendant le temps que
j'exige de voſtre complaiſance
) que les ſentiments
de voſtre coeur ne tarderont
pas à répondre aux tendres
& fidelles intentions du
mien. Ne me preſſez pas da
Kij
116 MERCURE
vantage à preſent , Monfieur
, luy dit elle,& laiſſez
à mes reflexions la liberté
d'examiner les circonſtancesde
voſtre propofition.
Cette réponſe finit une
conteftation qui alloit inſenſiblement
devenir tres.
intereſſante pour l'un &
pour l'autre.
Monfieur l'Ambaſſadeur
ſe leva , & prit congé de la
belle veuve aprés avoir receu
d'elle la permiffion de
retourner la voir , lorſqu'il
le jugeroit à propos.
Ce miniſtre rentra chez
GALANT 117
-
luy , ravi d'avoir mis ſes affaires
en ſibon train , & le
lendemain au matin il écrivit
ce billet à cette Dame ,
dont il avoit abſolument refolu
la conqueſte.
Le temps que je vous ay don-
- né depuis hier , Madame , ne
fuffit-il pas pour vous tirer de
toutes vos incertitudes , s'il ne
ſuffit pas , je vais estre auffi indulgent
que vous estes aimable,
je veux bien pour vous efpargner
la peine de m'eſcrire vos
Sentiments , vous accorder, jufqu'à
ce soir , que j'iray appren
dre de vostre propre bouche , le
1
118 MERCURE
réſultat de vos reflexions.
Elles eſtoient desja faites
ces réflexions favorables à
T'heureux Polonois , & pendant
toute la nuit, cette belleveuve
n'avoit pû ſe refufer
la fatisfaction de convenir
en elle-meſme , qu'elle
meritoit bien le rang d'Ambaſſadrice.
Aufſfi luy fut-il
encore offert le meſme jour
avec des tranſports fi touchants&
fi vifs,qu'enfin elle
ne fit qu'une foible deffenſe
, avant de conſentir à la
propoſition de Mr l'Ambaffadeur.
En un mot toutes
GALANT. 119
!
les conventions faites & accordées
, entre elle & fon
amant,ſon voyage de France
fut rompu , & fon mariage
conclu , & celebré ſecretement
enquinze jours.
Legrandtheatredu monde
va maintenant eſtre le
champ où va paroiſtre dans
toute fon eſtenduë , l'excellence
du merite & du bon
efprit deMadame Belzeſca.
Elle reste encore preſque
inconnuë juſqu'à la declararion
de ſon hymen , qui
n'eſt pas plutoſt rendu public
, qu'elle ſe montre auſſi
120 MERCURE
4
éclairée dans les delicates
affaires de fon mary , que
fielle avoit toute la vie
eſte Ambaſſadrice,лэ тод
Les Miniſtres Eſtrangers,
les Prélats , les Eminences
tout rend hommage à fes
lumiéres. De concert aveo
fon Epoux , ſa pénerrap
tion abbrege , addoucit &
leve toutes les difficultez
de ſa commiffion : enfin
elle l'aide à ſortir de Rome
(ſous le bon plaifir de fon
Maſtre ) fatisfait & glorieux
du ſuccés de fonAm
baffade.altera teemal
هللا
GALANT. 121
Elle fut obligée pour le
bien de ſes affaires de repaſſer
en France avec ſon
mary : elle n'y ſéjourna que
trois ou quatre mois , de là
elle alla à Amſterdam , &
à la Haye , où elle s'embarqua
pour ſe rendre à Dant-
ZIK d'où elle fut à Varſovie
où elle jouit pendant
vingt-cinq ans , avec tous
les agréments imaginables,
de lagrande fortune , & de
la tendreſſe de ſon Epoux ,
qui fut enfin malheureufement
bleſſe à la Chaffe
d'un coup dont il mourut
May 1714.
L
127
MERCURE 122
quatreJours
Tavoir
apres la
Э
receu d'une façon toute
extraordinaire .
Rien n'eſt plus noble &
plus magnifique , que la
220
20
manière dont les Grands
Seigneurs vont à la Chaſſe
en Pologne. Ils menent ordinairement
avec eux , un
fi grand nombre deDomeftiques
, de Chevaux , & de
Chiens, que leur Equipage
reſſemble pluſtoſt à un gros
détachement de troupes reglées
, qu'à une compagnie
de gens aſſemblez , pour le
plaisir de faire la guerre à
GALANT. 123
+
20
وا
LEKCI }
des animaux. Cette précaution
me paroilt fort
raisonnable , & je trouve
qu'ils font parfaitement
bien de proportionner le
nombredes combatrants au
3
21091
nombre & à la fureur des
monſtres qu'ils attaquent.
Un jour enfin, Monfieur
Belzeſki , dans une de fes
redoutables Chaffes, fe laifſa
emporter par ſon cheval ,
à la pourſuite d'un des plus
fiers Sangliers qu'on cuſt
encore vû dans la Foreſt où
il chaſſoit alors. Le cheval
anime paſſa ſur le corps de
124 MERCURE
261
ce terrible animal , & s'abbatit
en meſme temps , à
quatre pas de luy. Monfieur
Belzeſki ſe dégagea, auflitoſt
adroitement des efriers
, avant que le Monf
tre l'attaquaft ; mais ils eftoient
trop prés l'un de Laura
tre & le Sanglier desia
bleffé trop furieux , pour ne
pas ſe meſurer
44
encore con-b
tre l'ennemi qui l'attendoit :
ainſi plein de rage , il voulut
ſe llaanncceerr fur luy , mais
dans le moment ſon ennemi
intrepide & prudent lui
abbattit la teſte d'un coup
GALANT.
1:5
ſi juſte , & fi vigoureux, que
fon fabre paffa entre le col
& le tronc de an
11
avec tant de viteſſe , que le
mouvement Violent avec
lequel il retira fon bras
entraîna fon 21911
corps , de ma
niere qu'un des pieds luy
manquant , il tomba à la
renverſe ; mais fi malheu
reuſement, qu'il alla ſe fen.
dre la tefte fur une pierfe
qui ſe trouva derriere luy.
Dans ce fatal inſtanttous
les autres Chaſſeurs arrivérent
, & emporterent en
pleurant , le Corps de leur
THAJAD
126 MERCURE
infortune maiſtre , qui vécu
encore quatre jours
qu'il employa à donner à
Madame Belzeſca les dernieres
& les plus fortes
preuves de ſon amour , if
la fiitt ſon heritiere univerſelle
, & enfin il mourut
adoré de ſa femme , & infiniment
regretté de tout
le monde.
il
Il y a plus de fix ans que
Madame Belzeſca pleure
ſa perte , malgré tous les
foins que les plus grands
Seigneurs , les Princes , &
mefme les Roys , ont pris
GALANT. 127
pour la conſoler. Enfin elle
eft depuis long-temps l'amie
inſéparable de Mada
infeparable
me la Palatine de ... elle a
maintenant foixante ans
paflez , & je puis affeurer
qu'elle est encore plus aimée
; & plus reſpectée ,
qu'elle ne le fut peut eftre
jamais , dans le plus grand
efclat de fa jeuneffe. On
parle meſme de la remarier
aun homme d'une fi grande
distinction
, que , ce
bruit , quelque fuite qu'il
ait eft toutccee qu'on en peut
dire de plus avantageux ,
Lin
128 MERCURE
pour faire un parfait éloge
de ſon mérite , & de fes
vertusaises
Fermer
Résumé : HISTOIRE nouvelle.
La peste à Varsovie pousse de nombreux habitants à fuir vers les campagnes. La Palatine et plusieurs dames de la haute société, dont Madame Belzesca, se réfugient à Dantzic, accueillies par le Marquis de Canop. Madame Belzesca, connue pour son charme malgré son âge avancé, a déjà eu trois maris et de nombreux amants tout en conservant une réputation irréprochable. Originaire de Touraine, elle est élevée secrètement après une prédiction d'un berger. À douze ans, elle est ramenée chez elle et devient l'objet de l'admiration locale. Pelagie, de son vrai nom, reçoit une éducation soignée à Tours et rencontre le Chevalier de Versan lors d'un sauvetage dramatique sur la Loire. Ils se marient et vivent cinq ans de bonheur avant de se séparer. Pelagie devient veuve et hérite de la fortune de son mari. Elle s'installe à Paris avec son fils et devient célèbre pour sa beauté et son charme. À Paris, Pelagie attire l'attention de nombreux nobles et étrangers, notamment pendant le séjour du roi Casimir en France. Sa maison devient un lieu de rencontre pour les personnes distinguées. Un seigneur polonais, épris de Pelagie, planifie son enlèvement mais est déjoué par le duc de... et le cavalier français, amant de Pelagie. Le comte Pioski, jaloux, tente de tuer le cavalier français lors d'un duel mais se blesse gravement et se retire dans un monastère. Madame Belzesca, veuve, traverse une période de deuil intense mais se rétablit grâce à des prières et des promesses religieuses. Elle entreprend un voyage à Lorette et visite des villes italiennes. À Rome, elle rencontre un gentilhomme italien ébloui par sa beauté mais reste réservée. L'ambassadeur polonais à Rome, épris de la veuve, la retrouve et obtient son consentement. Ils se marient secrètement et retournent en Pologne, où ils vivent heureux pendant vingt-cinq ans. L'ambassadeur est mortellement blessé lors d'une chasse au sanglier. Madame Belzesca pleure sa perte depuis plus de six ans et est devenue l'amie inséparable de Madame la Palatine. À soixante ans, elle est encore respectée et aimée, et on envisage de la remarier à un homme de grande distinction.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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26
p. 266-280
« Je m'imagine que tout ce qui s'appelle ceremonie [...] »
Début :
Je m'imagine que tout ce qui s'appelle ceremonie [...]
Mots clefs :
Cérémonies, Procession, Dieu, Roi, Madrid, Hommes, Église, Palais, Fête-Dieu
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Je m'imagine que tout ce qui s'appelle ceremonie [...] »
qui
s'appelle
ceremo
nie
dans
le
monde
n'a
rion
dont
le
détail
foit
GALANTA 267
fort réjoüiſſant, & qu'on
ne peut pas diſconvenir
de cette maxime d'Horace
:
و
Segnius irritant animos
demiffa per aurem
Quàm quæ funt oculis
fubjecta fidelibus .
Pour lover la beauté des
lieux ,
Pouren admirer les
tartermerveilles
On est plûtôt pris par
alides yeux
Qu'on n'est feduit par
Zij
468 MERCURE
les oreilles .
Cependant comme il
n'y a qu'une petite partie
des hommes qui puifſe
voir ce que les autres
ne peuvent apprendre
que par oüi-dire , je croy
que le recit de certaines
ceremonies deo nôtre
pays , ou d'un autre , a
quelque choſe qui inter
reſſe le lecteur preſque
autant que celui qui en
fait part à eu de plaiſir à
les voir. Cela ſuppoſe
GALANT. 269
je vais dire deux mots
de la Fête Dieu , & des
ceremonies extraordinaires
que ce jour- là l'afage
autoriſe en certains
pays. J'en parlerai , comme
je parlerai chaque
mois des jours que quel
ques nouveautez diſtin
guent ànotre égard chez
les differentes nations
de l'Europe.
La Fête- Dieu , ou plutôt
la Fête du S. Sacrement ,
fut inftituée , ſelon la plus
Z iij
270 MERCURE
veritable & la plus commune
opinion , ſous le Pontificat
d'Urbain IV. l'an 1264.
comme il paroît par une
Bulle dattée d'Orviette le
huitième jour de Septembre
1264. qui ſe trouve dans
le Corps du Droit Canon ,
& dans le grand Bulliaire
de Cherubin.
C'eſt un jour folemnel
cheztous les Chrétiens. Les
ruës jonchées de fleurs, l'exterieur
des maiſons paré
des plus belles tapiſſeries
qui les meublent , les repofoirs,
l'allegreſſe des peu
GALANT. 271
ples , les chants & les or
nemens del'Eglife , les proceffions
, & la délivrance
des priſonniers , en font en
France un jour de pieté ,
de ſplendeur & d'indulgence.
4
Mais il y a en Flandre ,
en Italie , en Eſpagne & en
Portugal bien plus de ceremonies
encore qu'en France.
Ces quatre nations font
dans ce grand jour à peu
prés le même étalage. Les
Eſpagnols & les Portugais
fur tout , font ceux dont le
ceremonial eſt le plus ma
Z iiij
272 MERCURE
gnifique. La deſcription de
la Proceffion de la Fête-
Dieu à Lisbonne reſſemble
tellement à celle de Madrid
, à l'exception de quelques
bannieres de Saints
qu'on porte à l'une,&qu'on
ne porte pas à l'autre , que
je vais , pour abreger le
détail de ces ceremonies ,
ne repreſenter en peu de
mots ces deux Proceffions
que ſous le portrait de celle
qui le fait à Madrid. ,
Les ruës où le S. Sacre
ment doit paffer font fa
blées , & femées de fleurs
a
GALANT. 273
odoriferantes , les maiſons
fonttapiſſées ,&les balcons
parez de tapis de Turquie ,
de Perſe& des Indes. Toutes
les jaloufies ſont levées,
& les Dames Eſpagnoles
font le plus bel ornement
de leurs balcons. Par tout
où la Proceffion paffe on
eft à couvert de l'ardeur
du foleil , par la precaution
que l'on a de tendre fur les
ruës , à la hauteur des maifons
, de grandes, toiles
comme celles qu'on voit
en France au deſſus des ré
pofoirs. La place du Palais
i
274 MERCURE
eſt parée des plus riches
tapifferies de la Couronne.
Le Roy d'Eſpagne fort à
dix heures du matin de ſon
Palais , il va joindre la Proceſſion
à l'Egliſe de ſainte
Marie , il la ſuit à pied jufqu'à
une heure aprés midi ,
ou plûtôt il ne la quinte que
lors qu'elle eſt rentrée à
l'Egliſe où il l'a jointe.Tous
les Prelats qui ſont à Madrid,
tous les Grands d'Ef
pagne , les Officiers de la
Couronne , & les Miniſtres
Catholiques étrangers l'accompagnent.
Le peuple le
/
GALANT. 275
fuit en foule , en criant :
Alabado sea el fantiffimo ,
alabado fea Dios, viva elRey,
viva , viva. Dieu ſoit loué,
vive le Roy, vive le Roy.
Voici l'ordre de la Proceffion.
Au milieu d'une centaine
de bannieres qui reprefentent
differens Saints , on
voit une douzaine d'hommes
enfermez dans de
grandes machines de carton
, hautes comme nos
premiers étages. Ces machines
font des images des
Geans , des Sarrafins , des
276 MERCURE
Juifs & desMores qui jadis
s'emparerent de l'iſpagne.
L'expoſition de ces figures
eſt une eſpece d'amende
honorable , qui fe renou.
velle tous les ans , pour
honorer la memoire de
Ferdinand d'Arragon &
d'Iſabelle de Caſtille , qut
exterminerent & chaffe.
rent tous les Juifs & les
Mores,dont cesRoyaumes
étoient remplis. On porte
de même des images de
nains. & de monftres ; &
l'on fair , a ce qu'on m'a dit,
fur les figures allufion à
GALANT. 277
l'hereſie &à l'idolâtrie, qui
n'ont point d'accés en Ef
pagne. Le fameux dragon
que ſainteThereſe étrangla
dans la forêt de Terragon
ne , paroît enſuité ſur une
grande machine de bois ,
portée par huit hommes.
La Sainte eſt à genoux fur
cemoftre. Cetriomphe eſt
fuivi de deux ou trois ban
des de danſeurs , vêtus à
peu prés comme nos coureurs.
Ils ont à leurs mains
des castagnettes , ou des
tambours de baſque , des
raquettes , ou des plaques
278 MERCURE
de fer , dont ils tirent avec
beaucoup d'adreſſe des fons
qui les font danſer en ca
dence. Ils s'arrêtent ordinairement
aux portes de
chaque Palais , d'où on leur
jette par les fenêtres quel
ques pieces d'argent pour
les faire danſer. Cesipetits
amuſemens ne laiſſent pas
d'interrompre quelquefois
l'ordre de la Proceffion.
Cependant toutes les Communautez
des arts &amé
tiers marchent deux àdeux,
chacun tenant un cierge&
unbouquet à lamain. Alors
GALANT. 179
les trompettes & les hautbois
à la tête du Clergé ,
compoſé de tous les Prêtres
& de tous les Religieux qui
font à Madrid , entonnent
des airs auſquels répond
plus loinune troupe de gens
comme eux. Les chants de
l'Egliſe ſe mêlent avec pieté
au ſon des inſtrumens. Il y
a entre chaque Communauté
une bande de danſeurs
, qu'on dit être une
figure des anciens Ifraëlites
qui danſoient autour de
l'arche , comme ceux - ci
danſent autour des reliques
80 MERCURE
du Patron de la Communauté
qu'ils ſuivent. Cette
Proceflion est compoſée de
blus de quatre mille per-
Jonnes qui vont pendant
rois grandes heures de re-
Doſoirs en repoſoirs Le Roy
ft avec toute ſa Cour diectement
à la ſuite du Saint
Sacrement.
s'appelle
ceremo
nie
dans
le
monde
n'a
rion
dont
le
détail
foit
GALANTA 267
fort réjoüiſſant, & qu'on
ne peut pas diſconvenir
de cette maxime d'Horace
:
و
Segnius irritant animos
demiffa per aurem
Quàm quæ funt oculis
fubjecta fidelibus .
Pour lover la beauté des
lieux ,
Pouren admirer les
tartermerveilles
On est plûtôt pris par
alides yeux
Qu'on n'est feduit par
Zij
468 MERCURE
les oreilles .
Cependant comme il
n'y a qu'une petite partie
des hommes qui puifſe
voir ce que les autres
ne peuvent apprendre
que par oüi-dire , je croy
que le recit de certaines
ceremonies deo nôtre
pays , ou d'un autre , a
quelque choſe qui inter
reſſe le lecteur preſque
autant que celui qui en
fait part à eu de plaiſir à
les voir. Cela ſuppoſe
GALANT. 269
je vais dire deux mots
de la Fête Dieu , & des
ceremonies extraordinaires
que ce jour- là l'afage
autoriſe en certains
pays. J'en parlerai , comme
je parlerai chaque
mois des jours que quel
ques nouveautez diſtin
guent ànotre égard chez
les differentes nations
de l'Europe.
La Fête- Dieu , ou plutôt
la Fête du S. Sacrement ,
fut inftituée , ſelon la plus
Z iij
270 MERCURE
veritable & la plus commune
opinion , ſous le Pontificat
d'Urbain IV. l'an 1264.
comme il paroît par une
Bulle dattée d'Orviette le
huitième jour de Septembre
1264. qui ſe trouve dans
le Corps du Droit Canon ,
& dans le grand Bulliaire
de Cherubin.
C'eſt un jour folemnel
cheztous les Chrétiens. Les
ruës jonchées de fleurs, l'exterieur
des maiſons paré
des plus belles tapiſſeries
qui les meublent , les repofoirs,
l'allegreſſe des peu
GALANT. 271
ples , les chants & les or
nemens del'Eglife , les proceffions
, & la délivrance
des priſonniers , en font en
France un jour de pieté ,
de ſplendeur & d'indulgence.
4
Mais il y a en Flandre ,
en Italie , en Eſpagne & en
Portugal bien plus de ceremonies
encore qu'en France.
Ces quatre nations font
dans ce grand jour à peu
prés le même étalage. Les
Eſpagnols & les Portugais
fur tout , font ceux dont le
ceremonial eſt le plus ma
Z iiij
272 MERCURE
gnifique. La deſcription de
la Proceffion de la Fête-
Dieu à Lisbonne reſſemble
tellement à celle de Madrid
, à l'exception de quelques
bannieres de Saints
qu'on porte à l'une,&qu'on
ne porte pas à l'autre , que
je vais , pour abreger le
détail de ces ceremonies ,
ne repreſenter en peu de
mots ces deux Proceffions
que ſous le portrait de celle
qui le fait à Madrid. ,
Les ruës où le S. Sacre
ment doit paffer font fa
blées , & femées de fleurs
a
GALANT. 273
odoriferantes , les maiſons
fonttapiſſées ,&les balcons
parez de tapis de Turquie ,
de Perſe& des Indes. Toutes
les jaloufies ſont levées,
& les Dames Eſpagnoles
font le plus bel ornement
de leurs balcons. Par tout
où la Proceffion paffe on
eft à couvert de l'ardeur
du foleil , par la precaution
que l'on a de tendre fur les
ruës , à la hauteur des maifons
, de grandes, toiles
comme celles qu'on voit
en France au deſſus des ré
pofoirs. La place du Palais
i
274 MERCURE
eſt parée des plus riches
tapifferies de la Couronne.
Le Roy d'Eſpagne fort à
dix heures du matin de ſon
Palais , il va joindre la Proceſſion
à l'Egliſe de ſainte
Marie , il la ſuit à pied jufqu'à
une heure aprés midi ,
ou plûtôt il ne la quinte que
lors qu'elle eſt rentrée à
l'Egliſe où il l'a jointe.Tous
les Prelats qui ſont à Madrid,
tous les Grands d'Ef
pagne , les Officiers de la
Couronne , & les Miniſtres
Catholiques étrangers l'accompagnent.
Le peuple le
/
GALANT. 275
fuit en foule , en criant :
Alabado sea el fantiffimo ,
alabado fea Dios, viva elRey,
viva , viva. Dieu ſoit loué,
vive le Roy, vive le Roy.
Voici l'ordre de la Proceffion.
Au milieu d'une centaine
de bannieres qui reprefentent
differens Saints , on
voit une douzaine d'hommes
enfermez dans de
grandes machines de carton
, hautes comme nos
premiers étages. Ces machines
font des images des
Geans , des Sarrafins , des
276 MERCURE
Juifs & desMores qui jadis
s'emparerent de l'iſpagne.
L'expoſition de ces figures
eſt une eſpece d'amende
honorable , qui fe renou.
velle tous les ans , pour
honorer la memoire de
Ferdinand d'Arragon &
d'Iſabelle de Caſtille , qut
exterminerent & chaffe.
rent tous les Juifs & les
Mores,dont cesRoyaumes
étoient remplis. On porte
de même des images de
nains. & de monftres ; &
l'on fair , a ce qu'on m'a dit,
fur les figures allufion à
GALANT. 277
l'hereſie &à l'idolâtrie, qui
n'ont point d'accés en Ef
pagne. Le fameux dragon
que ſainteThereſe étrangla
dans la forêt de Terragon
ne , paroît enſuité ſur une
grande machine de bois ,
portée par huit hommes.
La Sainte eſt à genoux fur
cemoftre. Cetriomphe eſt
fuivi de deux ou trois ban
des de danſeurs , vêtus à
peu prés comme nos coureurs.
Ils ont à leurs mains
des castagnettes , ou des
tambours de baſque , des
raquettes , ou des plaques
278 MERCURE
de fer , dont ils tirent avec
beaucoup d'adreſſe des fons
qui les font danſer en ca
dence. Ils s'arrêtent ordinairement
aux portes de
chaque Palais , d'où on leur
jette par les fenêtres quel
ques pieces d'argent pour
les faire danſer. Cesipetits
amuſemens ne laiſſent pas
d'interrompre quelquefois
l'ordre de la Proceffion.
Cependant toutes les Communautez
des arts &amé
tiers marchent deux àdeux,
chacun tenant un cierge&
unbouquet à lamain. Alors
GALANT. 179
les trompettes & les hautbois
à la tête du Clergé ,
compoſé de tous les Prêtres
& de tous les Religieux qui
font à Madrid , entonnent
des airs auſquels répond
plus loinune troupe de gens
comme eux. Les chants de
l'Egliſe ſe mêlent avec pieté
au ſon des inſtrumens. Il y
a entre chaque Communauté
une bande de danſeurs
, qu'on dit être une
figure des anciens Ifraëlites
qui danſoient autour de
l'arche , comme ceux - ci
danſent autour des reliques
80 MERCURE
du Patron de la Communauté
qu'ils ſuivent. Cette
Proceflion est compoſée de
blus de quatre mille per-
Jonnes qui vont pendant
rois grandes heures de re-
Doſoirs en repoſoirs Le Roy
ft avec toute ſa Cour diectement
à la ſuite du Saint
Sacrement.
Fermer
Résumé : « Je m'imagine que tout ce qui s'appelle ceremonie [...] »
La Fête-Dieu, ou Fête du Saint-Sacrement, a été instituée en 1264 sous le pontificat d'Urbain IV. Cette célébration religieuse est marquée par des cérémonies solennelles et des processions dans divers pays chrétiens, notamment en France, en Flandre, en Italie, en Espagne et au Portugal. En France, les rues sont décorées de fleurs, les maisons ornées de tapisseries, et des processions religieuses accompagnées de chants et d'ornements ont lieu. À cette occasion, les prisonniers sont libérés. En Espagne et au Portugal, les cérémonies sont particulièrement somptueuses. À Madrid, les rues sont pavées de fleurs odorantes, les maisons tapissées, et les balcons décorés de tapis précieux. La procession, à laquelle participe le roi d'Espagne, inclut des bannières représentant divers saints, des figures de géants, de Sarrasins, de Juifs et de Maures, ainsi que des images de nains et de monstres. Des danseurs et des musiciens accompagnent la procession, et des communautés professionnelles marchent en tenant des cierges et des bouquets. La procession dure plusieurs heures, avec le roi et sa cour suivant directement le Saint-Sacrement.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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27
p. 280-288
Supplement aux nouvelles.
Début :
On écrit de Hambourg que les dernieres lettres de Copenhague [...]
Mots clefs :
Roi, Carrosse, Hommes, Cour, Combat
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Supplement aux nouvelles.
Supplement aux nouvelles.
On écrit de Hambourg
que les dernieres lettres de
Copenhague portoient que
'armée du Roy de Danne
mark
GALANT. 281
marck ſe monte à trente
mille hommes , qu'aprés
les obſeques de la Reine
ſa Mere , il eſt revenu de
Rofſchild à Copenhague.
Cette Princeſſe étoit Fille
de Guillaume VI. Langgrave
de Heſſe- Caffel, elle
étoit née le 27. Avril 1650 .
elle épouſa le 15. Juin 1667.
Chreftien V. Roy de Dannemarck
, dont elle a eu
ſeptEnfans, deſquels qua
tre font morts. Les trois autres
font (Frederic IV. à
preſent, regnant , né le
Octobre 1671. Sophie Ed-
May 1714. Aa
282 MERCURE
vvige née le 28. Août 1677.
Charles né le 25. Octobre
1680. On dit qu'il y a eu un
combat en Finlande ,où les
Mofcovites ont eu l'avantage
; d'autres affûrent que
le Czar à la tête de so.
mille hommes fait le tour
de la mer de Bothnie, pour
s'avancer dans la Suede
malgré la longueur du
chemin, & la difficulté des
paſlages enfin le bruir
court qu'il y a eu un com
bat naval entre les Suedois
& les Danois , & que les
Danois ontétébattus : mais
1
GALANT. 22.8833
on n'ajoûte pas beaucoup
de foy à toutes ces nouvelles.
On mande de Vienne
du 13. May que les Comtes
de Goës & de Seilern , Plenipotentiaires
de l'Empereur
, font partis le 6. pour
ſe rendre à Bade en Suiſſe.
La priſon de l'Hoſpodar de
Valaquie , qu'on a arrêté
avec ſes trois fils, ſans qu'on
en ſcache la caufe , fait
fonner bien du monde.
L'Hiſtoire de la victoire du
Bacha de Bagdad n'eſt pas.
veritable : mais il eſt vray
rai-
Aa ij
284 MERCURE
1
qu'il a été battu par les
Bachas de Damas & d'A
dep. skisthanos πο
De Madridale 15. May.
Le vieux Alcade Hali qui
commandoit depuis quinze
ans les fiege de Ceuta eſt
enfin mort. Un des Fils du
Roy de Maroc a pris fa
place, fon audace , & plus
de 20. mille hommes d'aumentation
qu'il a reçûs ,
font apprehender qu'il ne
tienne à ſon pere la parole
qu'il lui a donnée de prendre
cette place en quinze
jours. Ces menaces ont dé
1
GALANT. 285
,
terminé la Cour à envoyer
en Andaloufie avec un
renfort confiderable de
troupes , une groſſe quantité
de toutes fortes de proviſions,
pour les faire paf
fer à Ceura. Il y a quelque
temps qu'on n'a reçû ici
aucune nouvelle confide
rable du camp devantBarcelonne.
On mande ſeulement
que le BrigadierDon
Geronimo de Solis eft for
ti de Tarragone avec un
gros détachement pour en
joindre un plus fort àVil
lefranche de Panados,&
286 MERCURE
aller attaquer un corps de
rebeiles, qui s'eſt retranché
au pont d'Armentera
le Cayano, th
fur
De Rome le 5. May. Les
differens entre les Genois
& cette Cour à l'occaſion
des cenfures , publiées
contre le Pere Granelli ,
Religieux de l'Ordre de S.
François , ne paroiffent ,
point encore en termes
d'accommodement. LeRoi
de Sicile ne veut rien relâcher
de ſes droits à cette
Cour. L'audiance que les
Cardinal Aquaviva eut du
GALANT. 287
1
Pape le 25. Avril ſur les dif
ferens que la Cour deMadrid
a avec celle- ci , paroît
n'être d'aucune utilité , ni
pour l'un ni pour l'autre.
Le mariage du Prince de
Paleſtrin Barbarin avec la
Fille de las Princeſſe de
Piombino a été conclu ;
c'eſt le Cardinal Ottoboni
qui'en a fait lademande au
nomdu Prince.
De Paris. Le 27. de ce
mois M. Buys & M. de Goflinga
, Ambaſſadeurs extraordinaires
de Hollande ,
firent leur entrée publique
:
288 MERCURE
en cette ville , ſuivis d'un
cortege des plus magnifiques.
Les 2. Secretaires de
l'ambaffade étoient dans le
2. caroffe deM. Buys . Les4.
Gentilshommes de l'Ambaffadeurdans
le caroffe de
Madame. Les 2.fous Secre
taires de l'ambaſſade dans le
3. caroffe de M. de Goflinga.
Dans le 3. caroffe de M. Buys
eroitM. ſon fils, avec les 2. Au.
móniers de l'abaſlade. La ſuite
deMM. les Ambaſladeurs étoit
cõpoſée de 8. Pages, 2. Ecuyers,
&15. caroffes à fix chevaux , de
pluſieurs Gentilshommes, de 2.
Suites à cheval,& de 36. Valets
depied, tons richement habillez.
FIN.
On écrit de Hambourg
que les dernieres lettres de
Copenhague portoient que
'armée du Roy de Danne
mark
GALANT. 281
marck ſe monte à trente
mille hommes , qu'aprés
les obſeques de la Reine
ſa Mere , il eſt revenu de
Rofſchild à Copenhague.
Cette Princeſſe étoit Fille
de Guillaume VI. Langgrave
de Heſſe- Caffel, elle
étoit née le 27. Avril 1650 .
elle épouſa le 15. Juin 1667.
Chreftien V. Roy de Dannemarck
, dont elle a eu
ſeptEnfans, deſquels qua
tre font morts. Les trois autres
font (Frederic IV. à
preſent, regnant , né le
Octobre 1671. Sophie Ed-
May 1714. Aa
282 MERCURE
vvige née le 28. Août 1677.
Charles né le 25. Octobre
1680. On dit qu'il y a eu un
combat en Finlande ,où les
Mofcovites ont eu l'avantage
; d'autres affûrent que
le Czar à la tête de so.
mille hommes fait le tour
de la mer de Bothnie, pour
s'avancer dans la Suede
malgré la longueur du
chemin, & la difficulté des
paſlages enfin le bruir
court qu'il y a eu un com
bat naval entre les Suedois
& les Danois , & que les
Danois ontétébattus : mais
1
GALANT. 22.8833
on n'ajoûte pas beaucoup
de foy à toutes ces nouvelles.
On mande de Vienne
du 13. May que les Comtes
de Goës & de Seilern , Plenipotentiaires
de l'Empereur
, font partis le 6. pour
ſe rendre à Bade en Suiſſe.
La priſon de l'Hoſpodar de
Valaquie , qu'on a arrêté
avec ſes trois fils, ſans qu'on
en ſcache la caufe , fait
fonner bien du monde.
L'Hiſtoire de la victoire du
Bacha de Bagdad n'eſt pas.
veritable : mais il eſt vray
rai-
Aa ij
284 MERCURE
1
qu'il a été battu par les
Bachas de Damas & d'A
dep. skisthanos πο
De Madridale 15. May.
Le vieux Alcade Hali qui
commandoit depuis quinze
ans les fiege de Ceuta eſt
enfin mort. Un des Fils du
Roy de Maroc a pris fa
place, fon audace , & plus
de 20. mille hommes d'aumentation
qu'il a reçûs ,
font apprehender qu'il ne
tienne à ſon pere la parole
qu'il lui a donnée de prendre
cette place en quinze
jours. Ces menaces ont dé
1
GALANT. 285
,
terminé la Cour à envoyer
en Andaloufie avec un
renfort confiderable de
troupes , une groſſe quantité
de toutes fortes de proviſions,
pour les faire paf
fer à Ceura. Il y a quelque
temps qu'on n'a reçû ici
aucune nouvelle confide
rable du camp devantBarcelonne.
On mande ſeulement
que le BrigadierDon
Geronimo de Solis eft for
ti de Tarragone avec un
gros détachement pour en
joindre un plus fort àVil
lefranche de Panados,&
286 MERCURE
aller attaquer un corps de
rebeiles, qui s'eſt retranché
au pont d'Armentera
le Cayano, th
fur
De Rome le 5. May. Les
differens entre les Genois
& cette Cour à l'occaſion
des cenfures , publiées
contre le Pere Granelli ,
Religieux de l'Ordre de S.
François , ne paroiffent ,
point encore en termes
d'accommodement. LeRoi
de Sicile ne veut rien relâcher
de ſes droits à cette
Cour. L'audiance que les
Cardinal Aquaviva eut du
GALANT. 287
1
Pape le 25. Avril ſur les dif
ferens que la Cour deMadrid
a avec celle- ci , paroît
n'être d'aucune utilité , ni
pour l'un ni pour l'autre.
Le mariage du Prince de
Paleſtrin Barbarin avec la
Fille de las Princeſſe de
Piombino a été conclu ;
c'eſt le Cardinal Ottoboni
qui'en a fait lademande au
nomdu Prince.
De Paris. Le 27. de ce
mois M. Buys & M. de Goflinga
, Ambaſſadeurs extraordinaires
de Hollande ,
firent leur entrée publique
:
288 MERCURE
en cette ville , ſuivis d'un
cortege des plus magnifiques.
Les 2. Secretaires de
l'ambaffade étoient dans le
2. caroffe deM. Buys . Les4.
Gentilshommes de l'Ambaffadeurdans
le caroffe de
Madame. Les 2.fous Secre
taires de l'ambaſſade dans le
3. caroffe de M. de Goflinga.
Dans le 3. caroffe de M. Buys
eroitM. ſon fils, avec les 2. Au.
móniers de l'abaſlade. La ſuite
deMM. les Ambaſladeurs étoit
cõpoſée de 8. Pages, 2. Ecuyers,
&15. caroffes à fix chevaux , de
pluſieurs Gentilshommes, de 2.
Suites à cheval,& de 36. Valets
depied, tons richement habillez.
FIN.
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Résumé : Supplement aux nouvelles.
Le texte relate divers événements politiques et militaires en Europe. À Hambourg, l'armée danoise compte trente mille hommes, et le roi est revenu à Copenhague après les funérailles de sa mère, la reine Sophie Amalie, née en 1650 et épouse de Christian V depuis 1667. Ils ont eu sept enfants, dont trois survivants : Frédéric IV, Sophie Edwige et Charles. En Finlande, des combats opposent Moscovites et Suédois, mais les détails restent incertains. À Vienne, les comtes de Goës et de Seilern se rendent en Suisse. L'arrestation de l'Hospodar de Valachie et de ses fils soulève des questions. À Madrid, la mort de l'Alcade Hali à Ceuta et les menaces du fils du roi du Maroc poussent la cour à envoyer des renforts. En Espagne, des troupes sont déployées contre des rebelles près de Barcelone. À Rome, des différends entre les Génois et la cour pontificale persistent, notamment concernant le Père Granelli. Le mariage du Prince de Palestrina avec la fille de la Princesse de Piombino est annoncé. Enfin, à Paris, les ambassadeurs extraordinaires de Hollande, M. Buys et M. de Goslinga, font une entrée publique magnifiquement orchestrée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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28
p. 14-100
HISTOIRE nouvelle.
Début :
Je suis bien aise, Monsieur, de vous envoyer l'histoire [...]
Mots clefs :
Maison, Homme, Frères, Hommes, Filles, Palais, Amour, Honneur, Amis, Camarades, Guerre, Dieu, Traître, Amis, Yeux, Liberté, Carrosse, Esprit, Violence, Soldat, Circonstances, Sentinelle, Sentiments, Malheur, Seigneur, Troupes, Jardin, Ville, Victime, Cave
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE nouvelle.
HISTOIRE
JE fuis bich aife, Mon
ſieur, devous envoyer l'hif
toire des quatrespionniers
mois desterco campagne,
し
GALANT. 15
avant que l'armée du Prince
Eugene nous enferme
dans Mantouë, bu olorist
Ne vous imaginez pas
fur ce titre que je veüille
vous entretenir à preſent
de mille actions de valeur
qui ſe font , & s'oublient
ici tous les jours, Rienn'eſt
ſi commun que ces nouvelles;
parce que , qui dit
homme de guerre dic
homme d'honneur. Ilaya
preſqueperſonne qui n'aille
la guerre , par confequent
preſque tout le mondea
de l'honneur , & le heroif.
ف
16 MERCURE
me eſt la vertu detous les
hommes : maisje veux vous
faire le détail d'une intrigue
, dont les caprices du
fort femblent n'avoir amené
tous les incidens qui la
compoſent , que pour en
rendre les circonstances bizarres&
galantes plus intereſſantes
aux lecteurs.
Nous étions moüillez jufqu'aux
os , nos tentes& nos
barraques culbutées la
pluie , la grêle & le ton.
nerre avoient en plein Eté
répandu une effroyable nuit
au milieu du jour : nous
avions
GALANT
avions enfin marché dans
les tenebres pendant plus
de trois quarts d'heure ,
pour trouver quelque azi
le , lorſque nous arriva
mes, deux de mes amis &
moy , à la porte d'une caffine
à deux mille de Mani
touë. SainteColombe, Lieu
tenant de dragons dans
Fimarcon ,& Mauvilé, Capitained'infanterie
comme
moy , étoient les deux bra
vesquim'accompagnoient.
Désque nous eûmes gagné
cette amaiſon , nous fon
geâmes a nous charger de
Juin 714 .
1
18 MERCURE
1
javelles de ſarmens dont la
grange étoit pleine , pour
aller plutôt ſecher nos
habits. D'ailleurs , nous
croyions cette caffine del
ferte, comme elles l'étoient
preſque toutes aux envi
rons de Mantouë : mais en
ramaſſant les fagots que
nous deſtinions à nous fer
cher , nous fûmes, bien furpris
de trouver ſous nos
pieds des bayonnettes ,des
fufils& des piſtolets chars
gez , & quatre hommes
morts étendus ſous ounc
couche de foin Nous ting
GALANT. 19
2
mes auffitôt un petit conſeil
de guerre entre nous
trois , & en un moment
nous conclûmes que nous
devions nous munir premierement
des armes que
nous avions trouvées &
faire enfuite la viſite de
cette caffine. Cette refolution
priſe , nous arrivâmes
àune mauvaiſe porte , que
nous trouvâmes fermée.
Unbruit confus de voix&
de cris nous obligea à prêter
foreille. A l'inſtant nous
entendîmes un homme qui
difoit à fes camarades en
Bij
20 MERCURE
jurant : Morbleu la pitié eſt
une vertu qui ſied bien à
des gens indignes comme
vous ! Qui eſt-ce qui nous
ſçaura bon gré de nôtre
compaffion ? Ce ne ſera tout
au plus que nos méchantes
femmes , que ces chiens- là
deshonorent tous les jours.
Pour moy , mon avis eft
que nous égorgions tout à
l'heure celui- ci. Mais d'où
te vient tant de lâcheté,
Barigelli? Tu n'es pas content
d'avoir ſurpris ce François
avec ta femme,tuveux
apparemment qu'il y re
GALANT. 21
tourne. Non non , dit Barigelli,
à Dieu ne plaiſe que
je laiſſe cet outrage impuni
; je ſuis maintenant le
maître de ma victime , elle
ne m'échapera pas : mais
je veux goûter à longs traits
le plaiſir de ma vengeance.d
Mon infidelle eſt enchaî
née dans ma cave ; je veux
que ce traître la voye expirer
de rage & de faim dans
les ſupplices que je lui def
tine , & qu'auprés d'elle ,
chargé de fers , il meure de
lamême mort qu'elle, Surat
le champ la compagnic ap-
J
22 MERCURE
7
prouva ce bel expedient
mais nous ne donnâmes
pas à ces Meſſieurs le loifir
de s'en applaudir longtemps.
Du premier coup
nous briſames la porte , &
nous fimes main baſſe , la
bayonnette au bout du fu
fil , fur ces honnêtes gens ,
qui ne s'attendoient pas à
cet aſſaut. Ils étoient quatre.
Nous lesbleſſames tous,
ſans en tuer un ; nous leur
liâmes les mains derriere
le dos , nous délivrâmes le
malheureux qu'ils alloient
1.
facrifier comme ja viens
GALANT. 23
de vous dire , nous lui donnâmes
des armes , & tous
enſemble nous allames
joindre un Capitaine de
nos amis , qui étoit détaché
avec cinquante hommes
à un mille de la caf
fine où nous étions , dans
une tour qui eft au milieu
d'un foffé plein d'eau , à la
moitié du chemin de la
montagne noire à Mand
Dés que nous fûmes ar
rivez à cette tour, le fenti
nelle avancé appella la gar
de qui vint nous recevoir,
24 MERCURE
1
Nous paſſames auffitôt a
vec tout notre monde au
corps de garde de l'Offi
cier , qui nous dit en riant :
Je ne ſçai quelle chere vous
faire,Meſſieurs ; vôtre com
pagnie eſt ſi nombreuſe ,
qu'à moins qu'on ne vous
trouve quelque choſe à
manger , vous pourrez bien
jeûner juſqu'à demain.
Mais , continua stil , en
m'adreſſant la parole , que
ſignifie ce triomphe ? Eltce
pour ſignaler davantage
vôtre arrivée dans matour ,
qué vous m'amenézpçes
capGALANT.
25
captifs enchaînez. Il n'eſt
pas , lui dis je , maintenant
queſtion du détail de ces
raiſons. Nous vous confignons
premierement ces
priſonniers , & en ſecond
lieu nous vous prions de
faire allumer du feu pour
nous ſecher , de faire apporter
du vin pour nous rafraîchir
, & d'envoyer à
cent pas d'ici nous acheter
poulets & dindons , pour
les manger à votre mode
morts ou vifs. Nous vous
dirons enſuite tout ce que
vous avez envie d'appren-
Juin 1714. C
26 MERCURE
dre. A peine l'Officier eur
ordonné à un de ſes ſoldats
d'aller nous chercher ces
denrées , que nous entendîmes
tirer un coup de fufil.
Auſfitôt on crie , à la
garde. Un Caporal & deux
foldats vont reconnoître
d'où vient cette alarme. Un
moment aprés on nous
amene une jeune fille fort
belle , &un jeune homme,
que le ſentinelle avoit bleſſé
du coup de fufil que nous
avions entendu tirer. L'imprudent
qui couroit aprés
cette fille ne s'étoit pas ar
GALANT.
27
rêté ſur le qui vive du foldat
en faction. On le panſa
fur le champ , & la fille ſe
retira avec nous dans la
chambre de l'Officier. Elle
ſe mit ſur un lit de paille
fraîche , où nous la laiſiames
repofer & foûpirer ,
juſqu'à ce que l'on nous cût
accommodé la viande que
le foldat nous apporta. Nous
fimes donner du pain & du
vin à nos prifonniers ; & de
nôtre côté , pendant que
nous mangions un fort
mauvais ſoupé avec beaucoupd'appetit,
la jeune fille,
Cij
28 MERCURE
qui n'en avoit gueres , m'a
dreſſa le beau difcours que
vous allez lire .
Eſt il poſſible,traître, dit.
elle , en me regardant avec
des yeux pleins d'amour&
de colere,&tenant à lamain
un de nos coûteaux qu'elle
ayoit pris ſur la table , que
tu ayes tant de peine à me
reconnoître ? Oui eſt il poffible
que tu me traites avec
tant de rigueur , & que tu
fois auſſi inſenſible que tu
l'es aux perils où je m'expoſe
pour toy Je ſuis bien
faché , lui disje , en lui ôGALANT.
29
!
tant doucement le coûteau
della main que vous me
donniez les noms de traître
& d'inſenſible ; je ne les
merite en verité point , &
je vous affure que depuis
que je ſuis en Italie , je n'ai
encore été ni amoureux ,
ni cruel. Comment , lâche,
tu ofes me dire en face
que
tu n'es pas amoureux ? Ne
t'appelles tu pas Olivier de
la Barriere ? Ne viens tu pas
loger à vingt pas de la porte
Pradelle , lorſque tu ne
couches pas au camp ? Ne
t'es tu pas arrêté trente fois
C iij
30
MERCURE
1
la nuit à ma grille ? Ne
m'as - tu pas écrit vingt lettres
, que j'ai cachées dans
nôtre jardin & ne reconnois-
tu pas enfin Vefpafia
Manelli ? En verité lui dis
je , quoique je fois perfuade
depuis long temps que vous
êtes une des plus belles
perſonnes de l'Italie , je ne
vous croyois pas encore fi
belle que vous l'êtes , & je
ne m'imaginois pas que
vous euffiez des ſentimens
fi avantageux pour moy .
Je ne vous ai jamais vûë
que la nuit à travers uneja
GALANT.
31
loufie affreuſe ; & comme
je n'établis gueres de préjugez
ſur des conjectures ,
je pouvois ( à la mode de
France ) vous dire & vous
écrire ſouvent que vous
êtes belle , que je vous aime
, & que je meurs pour
vous , ſans m'en ſouvenir
un quart - d'heure aprés
vous l'avoir dit : mais à prefent
, je vous jure devant
ces Meffieurs , qui font mes
camarades & mes amis ,
que je ne l'oublirai jamais.
Ajoûte , infolent , me ditelle
, tranſportée de fureur
C iiij
32
MERCURE
& de depit , ajoûte la raillerie
à l'outrage. Où ſuisje
, & que deviendrai - je ,
grand Dieu ! fi tes amis ,
qui te voyent & qui m'entendent
, font auffi ſcelerats
que toy ?
Mauvilé, que ce diſcours
attendriſſoit déja , me regarda
, pour voir ſi j'approuverois
qu'il lui proposât
des expediens pour la
dedommager de mon infidelité
pretenduë : mais le
ſens froid exceffif que j'affectois
avec une peine infinie
, n'étoit qu'un foible
GALANT.
33
voile dont je m'efforçois
de me fervir , pour eſſayer
de dérober à mes camarades
la connoiſſance de l'a
mour dont je commençois
à brûler pour elle Je temoignai
neanmoins à Mauvilé
que je ne deſapprouverois
point ce qu'il lui diroit
pour m'en défaire , ou
pour la conſoler. Ainſi jugeant
de mes ſentimens
par mes geftes : Mademoifelle
, lui dit- il en Italien
qu'il parloit à merveille ,
nous ſommes d'un pays où
tout ce qu'on appelle infi
34
MERCURE
delité ici eſt ſi bien établi ,
qu'il ſemblequ'on ne puiſſe
pas nous ôter la liberté de
changer , ſans nous ôter en
même temps le plus grand
agrément de la galanterie.
La conſtance eſt pour nous
autres François d'un uſage
ſi rare ou fi difficile , qu'on
diroit que nous avons attaché
une eſpece de honte
à nous en piquer : cependant
vous êtes ſi belle, que ,
fans balancer , je renoncerois
à toutes les modes de
mon pays , pour m'attacher
uniquement à vous , fi ,
GALANT.
35
guerie des tendres ſentimens
que vous avez pour
mon ami , vous me permettiez
de vous offrir un coeur
incapable des legeretez du
ſien. Je ne ſçai , lui répon-,
dit- elle , affectant une fermeté
mépriſante , ce que je
ne ferois pas pour me vanger,
ſi je le croyois ſenſible
aux offres que vous me faites
: mais , Monfieur , quelque
emportement que j'aye
marqué , il ne s'agit pas
maintenant d'amour , & je
ne ſuis venuë ici ni pour
yous ni pour lui. Enfin
56 MERCURE
lorſque j'ai fongé à profiter
de l'orage qu'il a fait au
jourd'hui , pour me délivrer
de la plus injuſte perfecu
tion du monde, je n'ai point
regardé cette tour comme
un lieu qui dût me ſervir
d'azile;& fans l'imprudence
du jeune homme qui m'a
poursuivie ,j'aurois pris ſur
la droite , j'aurois évité vôtre
fentinelle , & je ſerois à
preſent arrivée à une maifon
, où j'aurois trouvé plus
de commodité , plus de re
pos , & autant de fûreté qu'-
ici. J'ai ſeulement une gra
GALANT. 37
ce à vous demander ; je prie
l'Officier qui commande
dans ce fort de garder pendant
trois jours le jeune
homme que le ſentinelle a
bleffé , & de me laiſſer de.
main fortir ſeule de cette
tour avant le lever du ſoleil.
Elle nous acheva dette petite
harangue d'un air
touchant & fi naturel , que
je ne fus pas le maître de
mon premier mouvement.
Enfin il me fut impoffible
de diffimuler plus longtemps
, & de ne lui pas dire
avec chaleur : Non , belle
38 MERCURE
Vefpafie , je ne vous quitte
rai pas , je veux vous ſuivre
où vous irez , courir la même
fortune que vous , &
vous ſervir juſqu'à la mort.
Helas , me dit- elle , en mé
jettant , avec un ſoûpir , un
regard d'étonnements jus'il
vous eſt ſi facile de paffer
de l'indifference à l'amour,
ne dois-je pas apprehender
que vous ne repaffiez éga
lement bientôt de l'amour
à l'indifference ? Maisquoy
quilen
qu'il en puiſſe être , vous ne
ſçauriez me propoſer rien
que je n'accepte. Où pouGALANT.
39
vez- vous me ſuivre ? où me
voulez vous conduire?Tout
ce pays eft couvert d'enne
mis, les Imperiaux ont deux
ponts de bateaux fur le Pô ;
Borgoforte , Guastalla , &
San Benedetto , qui font
lesſeules portes par où nous
pourrions fortir , font les
poftes qu'ilsoccupent.Non,
lui dis-je , non , charmante
Vefpafie,ne cherchons point
de ces retraites ſcandaleuſes
dont l'uſage eſt impra.
ticable à des gens d'honneur.
C'eſt à Mantouë que
vous devez retourner avec
40 MERCURE
moy. Nous y entrerons par
la porte del Té. Ce ſera demain
unCapitaine de nôtre
regiment qui y montera la
garde , je prendrai avec lui
de juftes meſures pour vous
introduire dans la ville,ſans
que perſonne vous y voye
entrer , & je vous donnerai
un appartement , où je vous
aſſure qu'on ne viendra pas
yous troubler. Mais , mon
Dieu ! reprit elle , je tremble
que mes freres ne ſçachent
où je ſerai : ahd s'ils
me découvrent , je ſuis à jamais
perduë. Ne vous inquietez
GALANTA
41
quierez pointis lui dis -je
nous mettrons bon ordre à
vôtre fûreté , & je vous ret
pons que la maiſon de nôtre
General ne fera pas mieux
gardéeque la vôtre. Prenez
maintenant un eſprit de
confiance & de liberté , &
contez nous , s'il vous plaît,
par quel hazard vous vous
êtes ſauvée juſques dans
Cette tour.
T
Vous ſçavez , dit alors
Vefpafie , que je demeure à
vingt pas de la porte Pradelle:
mais vous ne sçauriez
vous imaginer dans quel
Juin 1714. D
42 MERCURE
esclavage j'ai vécu depuis
mon enfance juſqu'à preſent.
Je ſuis fille de Julio
Lanzilao . Cette Maiſon eft
ſi conue en Italie , que ce
nom ſuffit pour vous donner
une juſte idée de ma
naiſſance. Je n'avois que
quinze ans lorſque mon
pere mourut ; il y en a trois
depuis ſa mort , que deux
freres que j'ai , s'imaginant
avoir herité de l'autorité
que mon pere avoit fur
moy , comme des biens de
nôtre famille , ſe ſont rendus
les tyrans de ma liberté.
GALANT.
43
Ils ont contracté depuis
long-temps une amitié fi
étroite avec un Gentilhom
me de Mantouë , qu'on appelle
Valerio Colucci , ( que
je n'ai jamais pû ſouffrir )
qu'il y a deux ans qu'ils
sacharnent à vouloir me
rendre la victime de la
tendreſſe qu'ils ont pour
lui. Ma froideur & mes
mépris ont ſouvent rompu
toutes leurs meſures : mais
les mauvais traitemens qu'-
ils m'ont faits ne l'ont que
trop vangé de mon indifference.
Enfin laffé lui-
Dij
44
MERCURE
même de l'injustice de mes
freres , qui lui avoient donné
la liberté de me venir
voir quand il lui plairoit ,
il me dit , en entrant un
ſoir dans ma chambre , à
une heure où je n'avois
jamais vû perſonne : Je ne
ſçai , Mademoiselle , ſous
quel titre me preſenter à
vos yeux ; c'eſt moy ( qui
ſuis l'objet de vôtre haine )
que vous accuſez de la rigueur
de vos freres : mais
je veux , pour vous détromper
, être plus genereux à
vôtre endroit ,qu'ils ne font
GALANT.
45
obſtinez à vous perfecuter.
Secondez moy , & vous
verrez qu'inceſſamment je
vous affranchirai du joug
qu'ils vous ont impoſe.
Vo
Voicy mon deſſein. Vous
avez à un mille & demi de
la Madona della gratia² , un
Palais où demeure vôtre
tante , qui vous aime , &
dans la ville le Convent de
SainteTherese ; ( qui n'eſt pas
lazile le moins libre que
vous puiffiez trouver ) choifiſſez
l'une de ces deux
maiſons. Si je dois , lui disje
, compter de bonne foy
46 MERCURE
fur le ſecours dont vous me
flatez , mettez - moy entre
les mains de ma tante ; elle
eſt ſouveraine dans ſon Palais
, elle n'aime pas mes
freres , & je vivrai certainement
mieux avec elle
qu'ailleurs. Cela étant , me
répondit- il , affectez en leur
prefence plus de complaiſance
pour moy, & ne vous
effrayez plus tant de la propoſition
qu'ils vous feront
encore de nous unir enſemble.
Ecrivez cependant
à vôtre tante de vous en.
voyer aprés demain fon
GALANT.
47
caroſſe à la porte del Té. Je
lui ferai tenir vôtre lettre
par un inconnu , j'écarterai
les gardes qui vous envi
ronnent, je vous aiderai à
ſortir d'ici ; enfin , quoy
quoy qu'il m'en coûte , je
vous eſcorterai juſqu'au
rendez- vous , plus content,
dans mon malheur , d'être
moy-même la victime du
ſacrifice que je vous fais ,
que de vous voir plus longtemps
l'objet de la rigueur
de vos freres. Je reſtai plus
d'une heure fans pouvoir
me refoudre. Je me mis
:
48 MERCURE
moy-même à la place d'un
amant toûjours haï , tou
jours malheureux , & j'eus
une peine extreme à pou
voir accorder des foins fi
genereux avec un amour
fi malrecompensé : mais il
échape toûjours quelque
choſe à nos reflexions ;
ce qu'on ſouhaite fait oublier
ce qu'on riſque , &
nôtre bonne foy determine
ſouvent nôtre eſprit à ne
gliger les raifons de nôtre
défiance. Je ne fongeai pas
feulement qu'ile fuffifoit ,
pour me faire un procés
crimi.
GALANT.
49
criminel avec mes freres ,
qu'ils me ſoupçonnaſſent
d'avoir écrit à ma tante. En
un mot je donnai dans le
piege , &je confiai ce billet
àmon fourbe.
Jene vous fais part qu'en
tremblant , Madame , du plus
important fecret de ma vie :
jevais enfin fortir d'esclavage.
Valerio Colucci , que j'ai tou
jours crû d'intelligence avec
mes freres ,fe charge lui-même
duſoin de me remettre en vos
mains , pourveu que vôtre caroſſe
m'attende aprés demain
Juin 1714.
E
50
MERCURE
1
aufoir à la porte del Té.Jene
fçaipas ce que je ferai s'il me
tient parole : mais je m'imagine
que je vousprierai de me permettre
d'être aufſſi genercuſeque
lui , s'il fatisfait l'impatience
que j'ai de me rendre à vous.
Il reçut cette lettre fatale
de ma main ; il la baiſa
avec mille tranſports , &
fur le champ il s'en alla ,
aprés m'avoir dit encore :
J'en ai maintenant plus
qu'il n'en faut , belle Vefpafie
, pour vous tirer inceffamment
de la ſerviGALANT.
SI
tude où vous vivez .
Il n'y avoit alors , conti
nua telle en s'adreſſant à
moy , que quatre ou cinq
jours que vous m'aviez écrit,
Seigneur Olivier, que
l'on vous envoyoit avec vôtre
compagnie à la Madona
della gratia , où vous apprehendiez
fort de refter deux
ou trois mois en garniſon.
Le defir de m'approcher de
vous , l'intention de vous
écrire , & l'efperance de
vous voir m'avoient determinée
à preferer la maiſon
dema tante au Convent de
1
E ij
St MERCURE
fainte Thereſe. Ce n'étoit
même qu'à votre confideration
, & que pour enga
ger davantage Valerio Con
lucci dans mes interêts, que
je l'avois flaté dans lebillet
que je lui avois confié , de
l'eſpoir d'être auffi genereuſe
que lui : mais il ne fit
de ce malheureux billet ni
l'uſage que j'en aurois ap
prehendé du côté de mes
freres , ni celui que j'en au
rois eſperé du mien. Il s'en
fervit ſeulement pour rendre
ce gage de ma credulité
le garant de ſa précaus
GALANT!
53
tion. Le jour marqué pour
ma fuire , il fit tenir un caroſſe
ſur l'avenue decla
porte del Té, derriere lePalais
de Son Alteſſe Serenif.
ſime , où je m'étois renduë
d'affez bonne heure avec
Leonor,malheureuſe épouſe
d'un nommé Barigelli, à qui
j'avois fait confidence de
cette entrepriſe. Nous nous
étions retirées toutes deux
dans un cabinet fombre &
frais , en attendantValerio ,
lorſque vous arrivâtes aſſez
a propos avec Monfieur *
* Sainte Colombe.
Eiij
54
MERCURE
pour nous délivrer d'un
danger où nous aurions
peut- être ſuccombé fans
vous. Les promptes & funeſtes
circonstances dont
fut fuivie l'action que vous
fites pour nous vous priverent
du plaifir de connoître
les gens que vous veniez
de fauver , & nous de
la fatisfaction de vous en
marquer nôtre reconnoif
fance.
Vous êtes deux ici qui
m'entendez : mais ce que
je viens de dire eſt peutêtre
pour ces autres Mef
GALANT.
55
ſieurs une énigme , que je
vais leur débroüiller.
Quoique vous ſoyez étrangers
dans ce pays , il y
a déja ſi long- temps que
vous campez ſur le glacis
de Mantouë , & que vos
troupes font en garnifon
dans cette ville, que je croy
qu'il n'y a pas un François
parmi vousquineconnoiffe
à merveille toutes les maifons
de Son Alteſſe , & fur
tout le Palais del Tés ; aufli
nevous en parlerai- je point;
mais je vais vous raconter
ce qui m'arriva derniere
E inj
36 MERCURE
ment dans le jardin de ce
Palais .
Je m'étois , comme je
vous ai dit , retirée avec
Leonordans un cabinet ſom
bre , d'où ( l'eſprit rempli
d'inquietudes ) j'attendois
que Valerio vinſt me faire
fortir , pour me conduire au
caroſſe de ma tante ', qui
devoit me mener à laMadona.
Je commençois déja
même à m'ennuyer de ne
le pas voir arriver , lorſque
tout à coup je fus laiſie de
crainte & d'horreur , à la
vûë d'un ſerpent + d'une
GALANT. 57
groffeur énorme. Je vis ce
terrible animal fortir d'un
trou , qu'il avoit apparemment
pratiqué ſous le piéd'eſtal
d'une ſtatuë de Diane
, qui étoit à deux pas de
la porte du cabinet oùj'étois.
Je pouſſai auffitôt un
grand cri , qui lui fit tourner
la tête de mon côté ;
je tombai à l'inſtant , &je
m'évanoüis. Cependant ces
Meſſieurs * , qui ſe promenoient
alors affez prés du
cabinet , vinrent à mon ſecours.
J'ai ſçû de Leonor
* Olivier & Sainte Colombe.
58
MERCURE
qui eut plus de fermeré que
moy , ce que vous allez apprendre.
Le ferpent ne s'effraya
point de voir deux
hommes courir ſur lui l'é
péeà la main ; au contraire
il s'éleva de plus de deux
pieds de terre pour s'élancer
ſur ſes ennemis , qui
m'entendent , & qu'il auroit
certainement fort embaraſſez
, quelque braves
qu'ils foient , ſi dans le moment
qu'il fit ſon premier
faut le Seigneur Olivier n'avoit
pas eu l'adreſſe de lui
couper la tête , qui alla fur
GALANT.
59
le champ faire trois ou quatre
bonds à deux pas de lui,
pendant que le reſte de ſon
corps ſembloit le menacer
encore : mais à peine cette
action hardie fut achevée ,
que le perfide Valerio me
joignit avec trois eftafiers
qu'il avoit amenez avec lui .
Les morceaux difperfez du
ſerpent qui venoit d'être
tué , le defordre où il me
trouva , & deux hommes
- qu'il vit l'épée à la main à
la porte du lieu où j'érois ;
tout ce ſpectacle enfin ex-
-cita dans ſon ame de ſi fu60
MERCURE
ne dis
rieux mouvemens de ja
louſie , qu'aprés avoir abattu
mon voile ſur mon vi
ſage , il me prit bruſquement
par le bras , & me fir
fortir du jardin , ſans me
donner le loiſir , je ne
pas de remercier mes liberateurs
d'un ſi grand fervice
, mais même de me
faire reconnoître à leurs
yeux. Il me fit auſſitôt monter
avec Leonor dans le
caroffe qu'il nous avoit deftiné
; & au lieu de me me.
ner à la maiſon de ma tante
, il nous eſcorta avec ſes
GALANT. 61
eftafiers qui alloient avec
lui , tantôt devant , tantôt
derriere ,juſqu'à une caffine
qui eft à un mille d'ici , &
dont il étoit le maître : mais
il fut bien trompé , en arri
vantà la maison , d'y trouver
des hôtes qu'il n'y avoit
pas mandez. Une troupe de
deferteurs ( ou de bandits ,
ſijene metrompe ) en avoit
la veille enfoncé les portes;
elle en avoit afſommé le
fermier , pillé la baſſe cour,
la cuiſine ,la cave & le grenier,&
mis en un mottouse
lacaffinedansun fi grand
62 MERCURE
fi
defordre , que Valerio ne
put s'empêcher de ſe plaindre
de leur violence , & de
les menacer de les faire
punir.Ces furieuxà l'inftant
lechargerent lui &les fiens
cruellement , qu'aprés
l'avoirtué avecſes eſtafiers,
ils le jetterent avec ſes armes
, fon bagage & ſa compagnie
à l'entréede la grange.
Ils couvrirent ces corps
de quelques bottes de foin,
enſuite ils vinrent à nôtre
caroffe , où ils nous trouverent
effrayées mortellement
de tout ce que nous
GALANT.
63
venions de voir. Ils nous
tinrent d'abord pluſieurs
diſcours inutiles pour nous
raffurer ; puis ils nous firent
deſcendre dans la ſalle où
ils étoient , & dont la table
& le plancher étoient auſſi
mouillez du vin qu'ils avoient
répandu , que leurs
mains l'étoient encore du
ſang qu'ils venoient de verfer.
Cependant un d'entr'eux
', moins brutal que
- les autres , s'approcha de
. moy , & me dit d'un air
d'honnête homme: Je vous
trouverois , Madame , bien
64
MERCURE
plus à plaindre que vous ne
l'êtes , d'être tombée entre
nosmains , ſi je n'avois pas
ici une autorité que qui que
ce ſoit n'oſe me diſputer, &
fi toutes les graces que je
vois dans vôtre perſonne
ne me déterminoient pas à
vous conduire tout àl'heure
dansun lieu plus commode,
plus honnête & plus fûr.
Remontez en caroffe , &
laiſſez vous mener à la Cafa
bianca., C'est une maiſon
fort jolie , entourée d'eaux
de tous côtez , ſituée au
milieu d'un petit bois , derriere
GALANT 5
riere la montague noire :
en un mot c'eſt une elpece
de citadelle qu'on ne peut
preſque inſulter fans canón
Vous y prendrez,Madame,
le parti qui vous plaira , dés
que vous vous ferez remife
de la frayeur que vous ve
nez d'avoir. Au reſte , il me
paroît, à vôtre contenance,
que nous ne vous avons
pas fait grand tort de vous
délivrer des infolens qui
vous ont conduite ici : cependant
ſi nous vous avons
offenſée , apprencz-nous a
reparer cette offense ; ou fi
Juin 1714. F
!
66 MERCURE
nous vous avons rendu
ſervice , nous sommes prêts
à vous en rendre encore. Je
ne ſçai , lui dis - je , quel
nom donner à preſent à ce
que vous venez de faire ,
quoique vôtre diſcours
commence à me raffurer :
maisj'eſperetout dufecours
que vous m'offrez . Vous
avez raiſon , Madame , reprit
il, de compter ſur moy;
je ne veux être dans vôtre
eſprit que ce que vous pouvez
vous imaginer de meil.
leur. Hâtons - nous ſeulement
de nous éloigner d'ici,
GALANT. 67
quoique la nuit commence
à devenir fort noire , & ne
vous effrayez point de vous
voir accompagnée de gens
qui vous eſcorteront peutêtre
mieux que ne pourroit
faire une troupe de milice
bien diſciplinée. Ainſi nous
marchâmes environ deux
heures avant que d'arriver
à la Caſa bianca , où nous
entrâmes avec autant de
ceremonie,que fi on nous
avoit reçûs de nuit dans une
ville de guerre. Alors le
Commandant de cette petite
Place,qui étoit le même
Fij
68 MERCURE
homme qui depuis la maifon
de Valerio juſqu'à fon
Fort m'avoit traitée avec
tant de politeffe , me de
manda ſije voulois lui faire
l'honneur de fouper avec
lui. Je lui répondis qu'il
étoit le maître , que cependant
j'avois plus beſoin de
repos que de manger , &
que je lui ferois obligée s'il
vouloit plûtôt me permet
tre de m'enfermer &de me
coucher dans la chambre
qu'il me deſtinoit. Volontiers
, Madame , me dit il ;
vous pouvez vous coucher
GALANT. 69
quand il vous plaira , cela
ne vous empêchera pas de
fouper dans votre lit. Auffitôt
il nous mena ,Leonor
&moy, dansune chambre
perduë , où nous trouvâmes
deux lits affez propres.
Voila , me dit-il , le vôtre ,
Madame , & voila celui
de vôtre compagne. Pour
moy , vous me permettrez
de paſſer la nuit ſurun fiege
auprés de vous ; les partis
qui battent continuelle
ment la campagner nous.
obligent à veiller prefque
toutes les nuits &rib ne
70 MERCURE
fera pas mal à propos que
je ne m'éloigne pas de
vous , pour vous guerir des
frayeurs que pourroient
vous caufer certaines furprites
auſquelles je ne vous
croy gueres accoûtumées.
Je vais cependant , en attendant
le ſouper , placer
mes fentinelles , & donner
les ordres qui conviennent
pour prévenir mille accidens
dont nous ne pouvons
nous mettre à couvert que
par un excés de précaution.
Dés qu'il nous eut quitté ,
Leonormedit en ſoûpirant:
GALANT.
71
Eſt- il poffible qu'un ſi hơn.
nête homme faſſe unmétier
auſſi étrange que celuici
, & que nous joüions à
preſent dans le monde le
rôle que nous joions dans
cette maiſon . Je cours de
moindres riſques que vous,
n'étant ni ſi jeune , ni fi
belle : mais quand tout ſeroit
égal entre nous deux ,
eſt-il rien d'horrible comme
les projets que vos freres
&mon mari forment à
preſent contre nous ? De
quels crimes peut on ne
nous pas croire coupables ,
72
MERCURE
ſi l'on ſçait jamais tout ce
qui nous arrive aujourd'hui
? A peine échapées
d'un peril nous retombons
dans un autre plus grand.
Vous fuyez la tyrannie de
vos freres , un ſerpent nous
menace , deux avanturiers
nous en délivrent ; võrre
amant vous trahit , des fol
dats l'affomment ; une trou
pe d'inconnus nous entraî
ne au milieu d'un bois , ou
nous enferme dans une
maiſon , où tout nous me
nace de mille nouveau
malheurs. Que ne peut-ik
pas
GALANT.
73.
pas nous arriver encore ?
Tout cela neanmoins ſe
paſſe en moins d'un jour.
Enfin reſoluës le matin à
tenter une avanture qui
nous paroît raiſonnable ,
nous ſommes expolées &
determinées le ſoir à en affronter
mille étonnantes.
Les reflexions que je fais ,
lui dis-je, ne ſont pas moins
funeſtes que les vôtres , &
la mort me paroît moins
affreuſe que tous les perils
que j'enviſage : mais nous
n'avons qu'une nuit à paf
fer pour voir la fin de ce
Juin1714 G
74 MERCURE
defordre. Efperons , ma
chere Leonor, efperons tout
de l'humanité d'unhomme,
peut être affez malheureux
lui même pour avoir pitié
des miferables. Il eſt ( fuje
ne me trompe ) le chefdes
brigans qui font ici : mais
l'autorité qu'il a fur eux ,
& l'attention qu'il a pour
nous , nous mettent à l'a
bri de leurs inſultes. Je ne
İçai , reprit Leonor , d'où
naiſſent mes frayeurs : mais
je ſens qu'il n'y ariend'aſſez
fort en moy pour diffiper
Thorreur des preſſentimens.
A
GALANT.
75
qui m'environnent.Ce n'eft
pas d'aujourd'hui que je
connois le vilage de nôtre
hôte , & je ſuis fort trompée
s'il n'eſt pas le frere
d'un jeune homme dont je
vous ai parlé pluſieurs fois.
Demandez lui , ſitôt qu'il
ſera revenu , deiquelle ville
il eft , & s'il ne connoît pas
Juliano Foresti , natifdeCarpi
7 dans le Modenois . Ce
Juliano elt fils d'un François
& d'une Françoiſe , qui
auroient fort mal paffé leur
temps avec l'Inquifition, fi
Sun Dominiquain ne les
Gij
76 MERCURE
avoit pas aidez à ſe ſauver
de Modene avec leur fa
mille, le jour même qu'elle
avoit reſolu de les faire ar
rêter. Oui , dit-il,Madame,
en pouffant la porte avec
Violence,
violence , oui je ſuis le frere
deJuliano Foresti dont vous
parlez. J'ai entendu toute
vôtre converſation , & vos
dernieres paroles ne m'ont
que trop appris d'où naiffent
vos inquietudes : mais
ce frere , dont vous êtes en
prine , & qui paffe pour
François aufli bien que
moy, va vous coûter dee
GALANT.
77
ſoins bien plus importans ,
s'il n'arrive pas demaindici
avant la fin du jour. Vous
têtes Madame Leonor de
Guaſtalla , femme du Signor
Barigelli , citadin de Mantouë
: Dieu ſoit loüé , je
retrouverai peut- être mon
frere par vôtre moyen ; ou
du moins s'il eſt tombé
entre les mains de vôtre
époux , comme on me l'a
dit hier au foir , vous me
ſervirez d'ôtage pour lui.
Mais pourquoy , lui ditelle
, voudriez - vous me
rendre reſponſable d'un
Giij
78
MERCURE
malheur où je n'aurois aucune
part ? Si vôtre frere
s'intereſſoit en ma fortune ,
comme il paroît que vous
l'apprehendez , vous ne ſeriez
pas maintenant à la
peine de vous inquieter de
fon fort. Il feroit au contraire
à preſent ici , puiſque
je l'ai fait avertir il y a trois ly
jours de le tenir aujourd'hui
fur l'avenuë de la Madona ,
où nous comptions ce matin
, Vefpafie & moy , d'arriver
ce ſoir : mais nous
avons eſſuyé en une demijournée
tant d'horribles
GALANT.
79
1
avantures,que tout ce qu'on
peut imaginer de plus facheux
ne peut nous rendre
gueres plus malheureuſes
que nous le ſommes.
Sur ces entrefaites , un
foldat entra d'un air effrayé
dans la chambre où nous
étions. Il parla un moment
àl'oreillede ſon General ; II
prit un petit coffre qui étoit
fous le lit que j'occupois ,
il l'emporta,&s'en alla .Nôtre
hôte nous dit alors,avec
une contenance de fermeté
que peu de gens conſerveroient
comme lui dans une
Giij
80 MERCURE
pareille conjoncturesJe ne
Içai pas quelle ſeraila fin
de tout ceci : mais à bon
compte , Madame , tenezvous
prête à executer ſur le
champ , pour vôtre ſalut ,
tout ce que je vous dirai ,
ou tout ce que je vous en
verrai dire , fi mes affaires
m'appellent ailleurs.21On
vient de m'avertir qu'il
m'arrivoit ce ſoir une com
pagnie dont je me pafferois
fortbien: maisil n'importe,
je vais ſeulement efſayer
d'empêcher que les gens
qui nous rendent viſite ſi
GALANT S
,
tard , ne nous en rendent
demain marin une autre.
Nous avons pour nous de
ſecours de la nuit cette
maiſon, dontl'accés eft difficile
, un bon ruiſſeau qui
la borde , & des hommes
refolusd'endéfendre vigou.
reuſement tous les paſſages.
Ne vous alarmez point d'a
vance , & repoſez vous fur
moy du ſoin de vous tirer
de cette affaire , quelque
fuccés qu'elle ait Alors il
nous quitta , plus effrayées
des nouveaux malheurs
dont nous étions menacées
82 MERCURE
que perfuadées par fon eloquence
de l'execution de
ſes promeſſes. En moins
d'une heure nous entendîmes
tirer plus de cent coups
de fufil ; le bruit & le va-
.carme augmenterent bien.
tôt avec tant de fureur, que
nous ne doutâmes plus que
mille nouveaux ennemis ne
fuſſent dans la maifon: Leo
nor diſparut à l'inftant , ſoit
qu'elle eût trouvé quelque
azile d'où elle ne vouloit
pas répondre àmes cris, de
peur que je ne contribuaffe
à nous faire découvrir plû
GALANT. 83
tốt , ou ſoit que la crainte
lui eût ôté la liberténde
m'entendre. Cependant à
force de chercher & de
tâtonner dans la chambre ,
je trouvai ſous une natte de
jonc, qui ſervoit de tapif
ſerie , une eſpace de la hauteur
& de la largeur d'une
porte pratiquée dans la muraille.
J'y entrai auſſitôt en
tremblant ; àdeux pas plus
loin je reconnus que j'étois
ſur un escalier , dont je def
cendis tous les degrez , au
pied deſquels j'apperçus de
loin une perite lumiere
84 MERCURE
(
qu'on avoit eu la précaution
d'enfermer ſous un
tonneau. Je m'en approchai
d'abord afin de la
prendre pour m'aider à
fortir de cette affreuſe ca
verne : mais le bruit & le
defordre ſe multipliant
avec mes frayeurs , je l'é
teignis par malheur. Neanmoins
le terrain où j'étois
me paroiſſant aſſez uni , je
marchai juſqu'à ce qu'enfin
je rencontrar une ouverture
à moitié bouchée d'un
monceau de fumier. Alors
j'apperçus heureuſement
GALANT. 85
une étoile , dont la lueur
me ſervit de guide pour me
tirer avec bien de la peine
de ce trou , où je venois de
faire un voyage épouvantable.
Je repris courage ;
&aprés m'être avancée un
peu plus loin ,je me trouvai
àl'entrée d'un petit marais
fec ,& plein d'une infinité
de gros roſeaux beaucoup
plus hauts quemoy.Enfin
accablée de laffitude & de
peur je crusque je ne
pouvois rencontrer nulle
part un azile plus favorable
que celui- là en attendant
86 MERCURE
le jour : ainſi je m'enfonçai
dans ce marais , juſqu'à ce
que je ſentis que la terre ,
plus humide en certains
endroits , moliſſoitſous mes
pieds. Je m'aflis , &je prêtai
pendant deux heures atten.
tivement l'oreille à tout le
bruir qui ſortoit de la maifon
dont je venois de me
ſauver fix heureuſement.
J'entendis alors des hurlemens
effroyables , qui me
furent d'autant plus fenfibles
, que je crus mieux reconnoître
la voix de Leonor.
Cependant au point du
GALANT 87
jour cette maiſon, qui avoit
été pendant toute la nuitun
champ de carnage & d'horreurs
,me parut auſſi tran.
quille , que fielle n'avoit
jamais étéhabitée. Dés que
je me crus affez afſurée que
le filence regnoit dans ce
funeſte lieu ,je fortis de mes
roſeaux , pour gagner à
travers la campagne un
village qui n'en est éloigné
que de quelques centaines
de pas . J'y trouvai un bon
vieillard , que les perils
dont onnefticontinuellement
menacé dansunpays
88 MERCURE
occupé par deux armées
ennemies , n'avoient pû
determiner à abandonner
ſa maiſon comme ſes voi
fins. Cebon-homme , autant
reſpectablepar le nom.
bre de ſes ans , qu'il l'eſt
dis-je pleu
par fontexperience & fa
vertu , étoit affis fur une
pierre àſa porte lorſque je
parus àſes yeux. Mon pere,
lui dis je auflitouren pleurant
ayez pitié de moy;
je me meurs de laffitude ,
de frayeur & de faim. En-
-tez dans ma maiſon , ma
Elle une répondit- il , &
vous
GALANT
89
vous y repoſez , en attendant
que mon fils revienne
avec ma petite proviſion
qu'il eſt allé chercher. Il
me fit aſſeoir ſur ſon lit ,
où il m'apporta du pain &
du vin , que je trouvai excellent.
Peu à peu le courage
me revint ,&je m'endormis.
A mon réveil il me
fit manger un petit morceau
de la provifion que
ſon fils avoit apportée ; il
me pria enſuire de lui conter
tout ce que vous venez
d'entendre. La ſatisfaction
qu'il eut de m'avoir ſecou-
Juin 1714 H
१०
MERCURE
ruë ſi à propos le fit pleurer
de joyc. Enfin il me promit
de me donner ( lorſque je
voudrois ſortir de ſa maiſon
) ſon fils & ſa mule pour
meconduire chez matante.
Je reſtai neanmoins trois
jours enfermée & cachée
chez lui , & le quatriéme ,
qui eſt aujourd'hui , j'ai crû
que je ne pouvois point
trouver une occafion plus
favorable que celle de l'orage
qu'il a fait tantôt ,
pourme ſauver au Palais de
ma tante , ſans rencontrer
fur les chemins perſonne
:
GALANT
qui put me nuire : mais à
pcine ai je été avec mon
guide àun mille de la mai
fon de ce bon vieillard ,
que nous avons été atta
quez par le jeune homme
que votreſentinelle ableſſé.
C'eſt le plus jeune de mes
freres , qui ayant appris
apparemment que je n'étois
point chez ma tante ,
m'a attendue ſur les ave-
-nuës de ſon Palais , juſqu'à
- ce qu'il m'ait rencontrée :
mais heureuſement mon
conducteur a lutte contre
lui avec beaucoup de cou
Hij
$2 MERCURE
rage , pour me donner le
temps de me ſauver . J'ai
auſfitôt lâché la bride à ma
mule , qui m'a emportée à
travers les champsaved
tant de violence , qu'elle
m'a jettée par terre à cent
pas du ſentinelle qui m'a
remiſe entre vos mains. Je
vous prie maintenant de
vous informer de l'état où
font mon pauvre guide , fa
mule & mon frere: bab
Alors nous la remerciâ.
mes tous de la peine qu'elle
avoit priſe de nous conter
une histoire auſſi intereſſanGALANTA
dou
to quedaficine ; && dont le
recit ad contribua pas peu
à me revidre ſur le champ
éperdûment amoureux d'elle.
Cependantnous ne
tâmes point que Barigelli ,
qui étoit un de nos prifonniersine
pût nous apprendre
le reste de l'avanture de
Leonor.Nous le fîmes monterànôtre
chambreavec ſes
camarades , où aprés l'avoir
traité avec beaucoup de
douceur & d'honnêteté,
nous lui demandâmes ce
qu'étoit devenuë ſa femme.
Meffieurs,nous dit-il , i
94
MERCURE
yla plus de trois mois que
le perfide Juliano Foreſti ,
que vous avez aujourd'hui
dérobé à ma vangeance ,
& qui eft maintenant, aflis
auprés de vous , cherche à
me deshonorer. J'ai furpris
pluſieurs lettres , qui ne
m'ont que trop inſtruit de
•l'intelligence criminelle
qu'il entretient avec ma
femme , j'ai ſçû la partie
que la ſcelerate avoit faite
pour voir ce traître , ſous
le pretexte de conduire la
Signora Veſpaſia chez ſa
tante. J'ai été parfaitement
GALANTM
informé de tous leurs pas ;
& fans avoir pû m'attendre
àce qui leur est arrivé dans
la maiſon du malheureux
Valerio Colucci , je n'ai pas
laiſſé de prendre toutes les
meſures imaginables , &
d'aſſembler une trentaine
-de payſans bien armez pour
lui arracher mon infidelle.
Je me ſuis mis en embuscade
aux environs de la
Caſa bianca , queje ſçavois
être l'unique retraite de
Juliano , de ſon frere , &
de tous les brigans du pays.
J'ai attaqué la maison &
96 MERCURE
tous ceux qui la défendoient
; je les ai mis tous ,
avec mes troupes, en pieces
& en fuite ; j'ai enfin retrouvé
ma perfide époufe ,
que j'ai enchaînée dans ma
cave , &j'ai été à peine forti
de chez moy , que j'ai rencontré
le perfide Juliano,
qui ne ſçavoit encore rien
de ce qui s'étoit paffé 1t
nuit chez fon frere. Il n'y
avoit pas une heure que je
l'avois pris , lorſque vous
nous avez ſurpris nous mê
mes dans la caſſine de Va
lerio.
:
SciGALANT.
97
Seigneur Barigelli, lui dit
Veſpaſia,vôtre femmen'eſt
point coupable , & la for
tune qui nous a perlecutées
depuis quelques jours d'une
façon toute extraordinaire,
a caufé elle ſeule tous les
malheurs qui vous ont rendu
ſa fidelitéſuſpecte. Enfin
nous determinâmes Bari
gelli à faire grace à la femme
, nous gardames Juliano
dans la tour , pour sçavoir
par ſon moyen des nouvel
les de ſon frere& des bandits,
dont le pays Mantoüan
étoit couvert
Juin 714.
& dont il
1
98 MERCURE
étoit le chef. Nous fimes
envaintous nosefforts pour
rendre plus docile le frere
de Vefpafie , il fut toûjours
intraitable à ſon égard. Le
Commandant de la Tous
voyant que nous n'en pouvions
rien tirer , s'empara
de ſa perſonne pour les trois
jours que fa foeur nous avoit
demandez . Enfin charmé
de toutes les bonnes qua
litez,de cette belle fille jo
la remenaiàlaville,comme
je le lui avois promis ; je lui
trouvai une maiſon fûre &
je la fisfor
commode, d'ou
LYON
* 1893
GALANT
THEQUR
tirun mois aprés, pote
voyer avec unde mes
dans la Principauté d'Orange
, aprés l'avoir épouléc
ſecretement à Mantouë.
Je profiterai de la premiere
occafion pour vous
envoyer l'histoire du
malheureux Sainte Colombe
* , qui vient d'être
*Quelque extraordinaires que foient
les circonstances de cette h ſtoire , il y
avoit plus de10. ou 12. mille hommes
de nos troupes dans Mantouë lors
qu'elle arriva ainſi on peut compter
quoique je n apprehende pas que per-
Iſonne dopoſe contre moy , pour m'accufer
de fuppofer des faits inventez ,
que je la rendrai fidelement comme
elle eft. Ii
100 MERCURE
aſſaſſiné par un marijatoux.
JE fuis bich aife, Mon
ſieur, devous envoyer l'hif
toire des quatrespionniers
mois desterco campagne,
し
GALANT. 15
avant que l'armée du Prince
Eugene nous enferme
dans Mantouë, bu olorist
Ne vous imaginez pas
fur ce titre que je veüille
vous entretenir à preſent
de mille actions de valeur
qui ſe font , & s'oublient
ici tous les jours, Rienn'eſt
ſi commun que ces nouvelles;
parce que , qui dit
homme de guerre dic
homme d'honneur. Ilaya
preſqueperſonne qui n'aille
la guerre , par confequent
preſque tout le mondea
de l'honneur , & le heroif.
ف
16 MERCURE
me eſt la vertu detous les
hommes : maisje veux vous
faire le détail d'une intrigue
, dont les caprices du
fort femblent n'avoir amené
tous les incidens qui la
compoſent , que pour en
rendre les circonstances bizarres&
galantes plus intereſſantes
aux lecteurs.
Nous étions moüillez jufqu'aux
os , nos tentes& nos
barraques culbutées la
pluie , la grêle & le ton.
nerre avoient en plein Eté
répandu une effroyable nuit
au milieu du jour : nous
avions
GALANT
avions enfin marché dans
les tenebres pendant plus
de trois quarts d'heure ,
pour trouver quelque azi
le , lorſque nous arriva
mes, deux de mes amis &
moy , à la porte d'une caffine
à deux mille de Mani
touë. SainteColombe, Lieu
tenant de dragons dans
Fimarcon ,& Mauvilé, Capitained'infanterie
comme
moy , étoient les deux bra
vesquim'accompagnoient.
Désque nous eûmes gagné
cette amaiſon , nous fon
geâmes a nous charger de
Juin 714 .
1
18 MERCURE
1
javelles de ſarmens dont la
grange étoit pleine , pour
aller plutôt ſecher nos
habits. D'ailleurs , nous
croyions cette caffine del
ferte, comme elles l'étoient
preſque toutes aux envi
rons de Mantouë : mais en
ramaſſant les fagots que
nous deſtinions à nous fer
cher , nous fûmes, bien furpris
de trouver ſous nos
pieds des bayonnettes ,des
fufils& des piſtolets chars
gez , & quatre hommes
morts étendus ſous ounc
couche de foin Nous ting
GALANT. 19
2
mes auffitôt un petit conſeil
de guerre entre nous
trois , & en un moment
nous conclûmes que nous
devions nous munir premierement
des armes que
nous avions trouvées &
faire enfuite la viſite de
cette caffine. Cette refolution
priſe , nous arrivâmes
àune mauvaiſe porte , que
nous trouvâmes fermée.
Unbruit confus de voix&
de cris nous obligea à prêter
foreille. A l'inſtant nous
entendîmes un homme qui
difoit à fes camarades en
Bij
20 MERCURE
jurant : Morbleu la pitié eſt
une vertu qui ſied bien à
des gens indignes comme
vous ! Qui eſt-ce qui nous
ſçaura bon gré de nôtre
compaffion ? Ce ne ſera tout
au plus que nos méchantes
femmes , que ces chiens- là
deshonorent tous les jours.
Pour moy , mon avis eft
que nous égorgions tout à
l'heure celui- ci. Mais d'où
te vient tant de lâcheté,
Barigelli? Tu n'es pas content
d'avoir ſurpris ce François
avec ta femme,tuveux
apparemment qu'il y re
GALANT. 21
tourne. Non non , dit Barigelli,
à Dieu ne plaiſe que
je laiſſe cet outrage impuni
; je ſuis maintenant le
maître de ma victime , elle
ne m'échapera pas : mais
je veux goûter à longs traits
le plaiſir de ma vengeance.d
Mon infidelle eſt enchaî
née dans ma cave ; je veux
que ce traître la voye expirer
de rage & de faim dans
les ſupplices que je lui def
tine , & qu'auprés d'elle ,
chargé de fers , il meure de
lamême mort qu'elle, Surat
le champ la compagnic ap-
J
22 MERCURE
7
prouva ce bel expedient
mais nous ne donnâmes
pas à ces Meſſieurs le loifir
de s'en applaudir longtemps.
Du premier coup
nous briſames la porte , &
nous fimes main baſſe , la
bayonnette au bout du fu
fil , fur ces honnêtes gens ,
qui ne s'attendoient pas à
cet aſſaut. Ils étoient quatre.
Nous lesbleſſames tous,
ſans en tuer un ; nous leur
liâmes les mains derriere
le dos , nous délivrâmes le
malheureux qu'ils alloient
1.
facrifier comme ja viens
GALANT. 23
de vous dire , nous lui donnâmes
des armes , & tous
enſemble nous allames
joindre un Capitaine de
nos amis , qui étoit détaché
avec cinquante hommes
à un mille de la caf
fine où nous étions , dans
une tour qui eft au milieu
d'un foffé plein d'eau , à la
moitié du chemin de la
montagne noire à Mand
Dés que nous fûmes ar
rivez à cette tour, le fenti
nelle avancé appella la gar
de qui vint nous recevoir,
24 MERCURE
1
Nous paſſames auffitôt a
vec tout notre monde au
corps de garde de l'Offi
cier , qui nous dit en riant :
Je ne ſçai quelle chere vous
faire,Meſſieurs ; vôtre com
pagnie eſt ſi nombreuſe ,
qu'à moins qu'on ne vous
trouve quelque choſe à
manger , vous pourrez bien
jeûner juſqu'à demain.
Mais , continua stil , en
m'adreſſant la parole , que
ſignifie ce triomphe ? Eltce
pour ſignaler davantage
vôtre arrivée dans matour ,
qué vous m'amenézpçes
capGALANT.
25
captifs enchaînez. Il n'eſt
pas , lui dis je , maintenant
queſtion du détail de ces
raiſons. Nous vous confignons
premierement ces
priſonniers , & en ſecond
lieu nous vous prions de
faire allumer du feu pour
nous ſecher , de faire apporter
du vin pour nous rafraîchir
, & d'envoyer à
cent pas d'ici nous acheter
poulets & dindons , pour
les manger à votre mode
morts ou vifs. Nous vous
dirons enſuite tout ce que
vous avez envie d'appren-
Juin 1714. C
26 MERCURE
dre. A peine l'Officier eur
ordonné à un de ſes ſoldats
d'aller nous chercher ces
denrées , que nous entendîmes
tirer un coup de fufil.
Auſfitôt on crie , à la
garde. Un Caporal & deux
foldats vont reconnoître
d'où vient cette alarme. Un
moment aprés on nous
amene une jeune fille fort
belle , &un jeune homme,
que le ſentinelle avoit bleſſé
du coup de fufil que nous
avions entendu tirer. L'imprudent
qui couroit aprés
cette fille ne s'étoit pas ar
GALANT.
27
rêté ſur le qui vive du foldat
en faction. On le panſa
fur le champ , & la fille ſe
retira avec nous dans la
chambre de l'Officier. Elle
ſe mit ſur un lit de paille
fraîche , où nous la laiſiames
repofer & foûpirer ,
juſqu'à ce que l'on nous cût
accommodé la viande que
le foldat nous apporta. Nous
fimes donner du pain & du
vin à nos prifonniers ; & de
nôtre côté , pendant que
nous mangions un fort
mauvais ſoupé avec beaucoupd'appetit,
la jeune fille,
Cij
28 MERCURE
qui n'en avoit gueres , m'a
dreſſa le beau difcours que
vous allez lire .
Eſt il poſſible,traître, dit.
elle , en me regardant avec
des yeux pleins d'amour&
de colere,&tenant à lamain
un de nos coûteaux qu'elle
ayoit pris ſur la table , que
tu ayes tant de peine à me
reconnoître ? Oui eſt il poffible
que tu me traites avec
tant de rigueur , & que tu
fois auſſi inſenſible que tu
l'es aux perils où je m'expoſe
pour toy Je ſuis bien
faché , lui disje , en lui ôGALANT.
29
!
tant doucement le coûteau
della main que vous me
donniez les noms de traître
& d'inſenſible ; je ne les
merite en verité point , &
je vous affure que depuis
que je ſuis en Italie , je n'ai
encore été ni amoureux ,
ni cruel. Comment , lâche,
tu ofes me dire en face
que
tu n'es pas amoureux ? Ne
t'appelles tu pas Olivier de
la Barriere ? Ne viens tu pas
loger à vingt pas de la porte
Pradelle , lorſque tu ne
couches pas au camp ? Ne
t'es tu pas arrêté trente fois
C iij
30
MERCURE
1
la nuit à ma grille ? Ne
m'as - tu pas écrit vingt lettres
, que j'ai cachées dans
nôtre jardin & ne reconnois-
tu pas enfin Vefpafia
Manelli ? En verité lui dis
je , quoique je fois perfuade
depuis long temps que vous
êtes une des plus belles
perſonnes de l'Italie , je ne
vous croyois pas encore fi
belle que vous l'êtes , & je
ne m'imaginois pas que
vous euffiez des ſentimens
fi avantageux pour moy .
Je ne vous ai jamais vûë
que la nuit à travers uneja
GALANT.
31
loufie affreuſe ; & comme
je n'établis gueres de préjugez
ſur des conjectures ,
je pouvois ( à la mode de
France ) vous dire & vous
écrire ſouvent que vous
êtes belle , que je vous aime
, & que je meurs pour
vous , ſans m'en ſouvenir
un quart - d'heure aprés
vous l'avoir dit : mais à prefent
, je vous jure devant
ces Meffieurs , qui font mes
camarades & mes amis ,
que je ne l'oublirai jamais.
Ajoûte , infolent , me ditelle
, tranſportée de fureur
C iiij
32
MERCURE
& de depit , ajoûte la raillerie
à l'outrage. Où ſuisje
, & que deviendrai - je ,
grand Dieu ! fi tes amis ,
qui te voyent & qui m'entendent
, font auffi ſcelerats
que toy ?
Mauvilé, que ce diſcours
attendriſſoit déja , me regarda
, pour voir ſi j'approuverois
qu'il lui proposât
des expediens pour la
dedommager de mon infidelité
pretenduë : mais le
ſens froid exceffif que j'affectois
avec une peine infinie
, n'étoit qu'un foible
GALANT.
33
voile dont je m'efforçois
de me fervir , pour eſſayer
de dérober à mes camarades
la connoiſſance de l'a
mour dont je commençois
à brûler pour elle Je temoignai
neanmoins à Mauvilé
que je ne deſapprouverois
point ce qu'il lui diroit
pour m'en défaire , ou
pour la conſoler. Ainſi jugeant
de mes ſentimens
par mes geftes : Mademoifelle
, lui dit- il en Italien
qu'il parloit à merveille ,
nous ſommes d'un pays où
tout ce qu'on appelle infi
34
MERCURE
delité ici eſt ſi bien établi ,
qu'il ſemblequ'on ne puiſſe
pas nous ôter la liberté de
changer , ſans nous ôter en
même temps le plus grand
agrément de la galanterie.
La conſtance eſt pour nous
autres François d'un uſage
ſi rare ou fi difficile , qu'on
diroit que nous avons attaché
une eſpece de honte
à nous en piquer : cependant
vous êtes ſi belle, que ,
fans balancer , je renoncerois
à toutes les modes de
mon pays , pour m'attacher
uniquement à vous , fi ,
GALANT.
35
guerie des tendres ſentimens
que vous avez pour
mon ami , vous me permettiez
de vous offrir un coeur
incapable des legeretez du
ſien. Je ne ſçai , lui répon-,
dit- elle , affectant une fermeté
mépriſante , ce que je
ne ferois pas pour me vanger,
ſi je le croyois ſenſible
aux offres que vous me faites
: mais , Monfieur , quelque
emportement que j'aye
marqué , il ne s'agit pas
maintenant d'amour , & je
ne ſuis venuë ici ni pour
yous ni pour lui. Enfin
56 MERCURE
lorſque j'ai fongé à profiter
de l'orage qu'il a fait au
jourd'hui , pour me délivrer
de la plus injuſte perfecu
tion du monde, je n'ai point
regardé cette tour comme
un lieu qui dût me ſervir
d'azile;& fans l'imprudence
du jeune homme qui m'a
poursuivie ,j'aurois pris ſur
la droite , j'aurois évité vôtre
fentinelle , & je ſerois à
preſent arrivée à une maifon
, où j'aurois trouvé plus
de commodité , plus de re
pos , & autant de fûreté qu'-
ici. J'ai ſeulement une gra
GALANT. 37
ce à vous demander ; je prie
l'Officier qui commande
dans ce fort de garder pendant
trois jours le jeune
homme que le ſentinelle a
bleffé , & de me laiſſer de.
main fortir ſeule de cette
tour avant le lever du ſoleil.
Elle nous acheva dette petite
harangue d'un air
touchant & fi naturel , que
je ne fus pas le maître de
mon premier mouvement.
Enfin il me fut impoffible
de diffimuler plus longtemps
, & de ne lui pas dire
avec chaleur : Non , belle
38 MERCURE
Vefpafie , je ne vous quitte
rai pas , je veux vous ſuivre
où vous irez , courir la même
fortune que vous , &
vous ſervir juſqu'à la mort.
Helas , me dit- elle , en mé
jettant , avec un ſoûpir , un
regard d'étonnements jus'il
vous eſt ſi facile de paffer
de l'indifference à l'amour,
ne dois-je pas apprehender
que vous ne repaffiez éga
lement bientôt de l'amour
à l'indifference ? Maisquoy
quilen
qu'il en puiſſe être , vous ne
ſçauriez me propoſer rien
que je n'accepte. Où pouGALANT.
39
vez- vous me ſuivre ? où me
voulez vous conduire?Tout
ce pays eft couvert d'enne
mis, les Imperiaux ont deux
ponts de bateaux fur le Pô ;
Borgoforte , Guastalla , &
San Benedetto , qui font
lesſeules portes par où nous
pourrions fortir , font les
poftes qu'ilsoccupent.Non,
lui dis-je , non , charmante
Vefpafie,ne cherchons point
de ces retraites ſcandaleuſes
dont l'uſage eſt impra.
ticable à des gens d'honneur.
C'eſt à Mantouë que
vous devez retourner avec
40 MERCURE
moy. Nous y entrerons par
la porte del Té. Ce ſera demain
unCapitaine de nôtre
regiment qui y montera la
garde , je prendrai avec lui
de juftes meſures pour vous
introduire dans la ville,ſans
que perſonne vous y voye
entrer , & je vous donnerai
un appartement , où je vous
aſſure qu'on ne viendra pas
yous troubler. Mais , mon
Dieu ! reprit elle , je tremble
que mes freres ne ſçachent
où je ſerai : ahd s'ils
me découvrent , je ſuis à jamais
perduë. Ne vous inquietez
GALANTA
41
quierez pointis lui dis -je
nous mettrons bon ordre à
vôtre fûreté , & je vous ret
pons que la maiſon de nôtre
General ne fera pas mieux
gardéeque la vôtre. Prenez
maintenant un eſprit de
confiance & de liberté , &
contez nous , s'il vous plaît,
par quel hazard vous vous
êtes ſauvée juſques dans
Cette tour.
T
Vous ſçavez , dit alors
Vefpafie , que je demeure à
vingt pas de la porte Pradelle:
mais vous ne sçauriez
vous imaginer dans quel
Juin 1714. D
42 MERCURE
esclavage j'ai vécu depuis
mon enfance juſqu'à preſent.
Je ſuis fille de Julio
Lanzilao . Cette Maiſon eft
ſi conue en Italie , que ce
nom ſuffit pour vous donner
une juſte idée de ma
naiſſance. Je n'avois que
quinze ans lorſque mon
pere mourut ; il y en a trois
depuis ſa mort , que deux
freres que j'ai , s'imaginant
avoir herité de l'autorité
que mon pere avoit fur
moy , comme des biens de
nôtre famille , ſe ſont rendus
les tyrans de ma liberté.
GALANT.
43
Ils ont contracté depuis
long-temps une amitié fi
étroite avec un Gentilhom
me de Mantouë , qu'on appelle
Valerio Colucci , ( que
je n'ai jamais pû ſouffrir )
qu'il y a deux ans qu'ils
sacharnent à vouloir me
rendre la victime de la
tendreſſe qu'ils ont pour
lui. Ma froideur & mes
mépris ont ſouvent rompu
toutes leurs meſures : mais
les mauvais traitemens qu'-
ils m'ont faits ne l'ont que
trop vangé de mon indifference.
Enfin laffé lui-
Dij
44
MERCURE
même de l'injustice de mes
freres , qui lui avoient donné
la liberté de me venir
voir quand il lui plairoit ,
il me dit , en entrant un
ſoir dans ma chambre , à
une heure où je n'avois
jamais vû perſonne : Je ne
ſçai , Mademoiselle , ſous
quel titre me preſenter à
vos yeux ; c'eſt moy ( qui
ſuis l'objet de vôtre haine )
que vous accuſez de la rigueur
de vos freres : mais
je veux , pour vous détromper
, être plus genereux à
vôtre endroit ,qu'ils ne font
GALANT.
45
obſtinez à vous perfecuter.
Secondez moy , & vous
verrez qu'inceſſamment je
vous affranchirai du joug
qu'ils vous ont impoſe.
Vo
Voicy mon deſſein. Vous
avez à un mille & demi de
la Madona della gratia² , un
Palais où demeure vôtre
tante , qui vous aime , &
dans la ville le Convent de
SainteTherese ; ( qui n'eſt pas
lazile le moins libre que
vous puiffiez trouver ) choifiſſez
l'une de ces deux
maiſons. Si je dois , lui disje
, compter de bonne foy
46 MERCURE
fur le ſecours dont vous me
flatez , mettez - moy entre
les mains de ma tante ; elle
eſt ſouveraine dans ſon Palais
, elle n'aime pas mes
freres , & je vivrai certainement
mieux avec elle
qu'ailleurs. Cela étant , me
répondit- il , affectez en leur
prefence plus de complaiſance
pour moy, & ne vous
effrayez plus tant de la propoſition
qu'ils vous feront
encore de nous unir enſemble.
Ecrivez cependant
à vôtre tante de vous en.
voyer aprés demain fon
GALANT.
47
caroſſe à la porte del Té. Je
lui ferai tenir vôtre lettre
par un inconnu , j'écarterai
les gardes qui vous envi
ronnent, je vous aiderai à
ſortir d'ici ; enfin , quoy
quoy qu'il m'en coûte , je
vous eſcorterai juſqu'au
rendez- vous , plus content,
dans mon malheur , d'être
moy-même la victime du
ſacrifice que je vous fais ,
que de vous voir plus longtemps
l'objet de la rigueur
de vos freres. Je reſtai plus
d'une heure fans pouvoir
me refoudre. Je me mis
:
48 MERCURE
moy-même à la place d'un
amant toûjours haï , tou
jours malheureux , & j'eus
une peine extreme à pou
voir accorder des foins fi
genereux avec un amour
fi malrecompensé : mais il
échape toûjours quelque
choſe à nos reflexions ;
ce qu'on ſouhaite fait oublier
ce qu'on riſque , &
nôtre bonne foy determine
ſouvent nôtre eſprit à ne
gliger les raifons de nôtre
défiance. Je ne fongeai pas
feulement qu'ile fuffifoit ,
pour me faire un procés
crimi.
GALANT.
49
criminel avec mes freres ,
qu'ils me ſoupçonnaſſent
d'avoir écrit à ma tante. En
un mot je donnai dans le
piege , &je confiai ce billet
àmon fourbe.
Jene vous fais part qu'en
tremblant , Madame , du plus
important fecret de ma vie :
jevais enfin fortir d'esclavage.
Valerio Colucci , que j'ai tou
jours crû d'intelligence avec
mes freres ,fe charge lui-même
duſoin de me remettre en vos
mains , pourveu que vôtre caroſſe
m'attende aprés demain
Juin 1714.
E
50
MERCURE
1
aufoir à la porte del Té.Jene
fçaipas ce que je ferai s'il me
tient parole : mais je m'imagine
que je vousprierai de me permettre
d'être aufſſi genercuſeque
lui , s'il fatisfait l'impatience
que j'ai de me rendre à vous.
Il reçut cette lettre fatale
de ma main ; il la baiſa
avec mille tranſports , &
fur le champ il s'en alla ,
aprés m'avoir dit encore :
J'en ai maintenant plus
qu'il n'en faut , belle Vefpafie
, pour vous tirer inceffamment
de la ſerviGALANT.
SI
tude où vous vivez .
Il n'y avoit alors , conti
nua telle en s'adreſſant à
moy , que quatre ou cinq
jours que vous m'aviez écrit,
Seigneur Olivier, que
l'on vous envoyoit avec vôtre
compagnie à la Madona
della gratia , où vous apprehendiez
fort de refter deux
ou trois mois en garniſon.
Le defir de m'approcher de
vous , l'intention de vous
écrire , & l'efperance de
vous voir m'avoient determinée
à preferer la maiſon
dema tante au Convent de
1
E ij
St MERCURE
fainte Thereſe. Ce n'étoit
même qu'à votre confideration
, & que pour enga
ger davantage Valerio Con
lucci dans mes interêts, que
je l'avois flaté dans lebillet
que je lui avois confié , de
l'eſpoir d'être auffi genereuſe
que lui : mais il ne fit
de ce malheureux billet ni
l'uſage que j'en aurois ap
prehendé du côté de mes
freres , ni celui que j'en au
rois eſperé du mien. Il s'en
fervit ſeulement pour rendre
ce gage de ma credulité
le garant de ſa précaus
GALANT!
53
tion. Le jour marqué pour
ma fuire , il fit tenir un caroſſe
ſur l'avenue decla
porte del Té, derriere lePalais
de Son Alteſſe Serenif.
ſime , où je m'étois renduë
d'affez bonne heure avec
Leonor,malheureuſe épouſe
d'un nommé Barigelli, à qui
j'avois fait confidence de
cette entrepriſe. Nous nous
étions retirées toutes deux
dans un cabinet fombre &
frais , en attendantValerio ,
lorſque vous arrivâtes aſſez
a propos avec Monfieur *
* Sainte Colombe.
Eiij
54
MERCURE
pour nous délivrer d'un
danger où nous aurions
peut- être ſuccombé fans
vous. Les promptes & funeſtes
circonstances dont
fut fuivie l'action que vous
fites pour nous vous priverent
du plaifir de connoître
les gens que vous veniez
de fauver , & nous de
la fatisfaction de vous en
marquer nôtre reconnoif
fance.
Vous êtes deux ici qui
m'entendez : mais ce que
je viens de dire eſt peutêtre
pour ces autres Mef
GALANT.
55
ſieurs une énigme , que je
vais leur débroüiller.
Quoique vous ſoyez étrangers
dans ce pays , il y
a déja ſi long- temps que
vous campez ſur le glacis
de Mantouë , & que vos
troupes font en garnifon
dans cette ville, que je croy
qu'il n'y a pas un François
parmi vousquineconnoiffe
à merveille toutes les maifons
de Son Alteſſe , & fur
tout le Palais del Tés ; aufli
nevous en parlerai- je point;
mais je vais vous raconter
ce qui m'arriva derniere
E inj
36 MERCURE
ment dans le jardin de ce
Palais .
Je m'étois , comme je
vous ai dit , retirée avec
Leonordans un cabinet ſom
bre , d'où ( l'eſprit rempli
d'inquietudes ) j'attendois
que Valerio vinſt me faire
fortir , pour me conduire au
caroſſe de ma tante ', qui
devoit me mener à laMadona.
Je commençois déja
même à m'ennuyer de ne
le pas voir arriver , lorſque
tout à coup je fus laiſie de
crainte & d'horreur , à la
vûë d'un ſerpent + d'une
GALANT. 57
groffeur énorme. Je vis ce
terrible animal fortir d'un
trou , qu'il avoit apparemment
pratiqué ſous le piéd'eſtal
d'une ſtatuë de Diane
, qui étoit à deux pas de
la porte du cabinet oùj'étois.
Je pouſſai auffitôt un
grand cri , qui lui fit tourner
la tête de mon côté ;
je tombai à l'inſtant , &je
m'évanoüis. Cependant ces
Meſſieurs * , qui ſe promenoient
alors affez prés du
cabinet , vinrent à mon ſecours.
J'ai ſçû de Leonor
* Olivier & Sainte Colombe.
58
MERCURE
qui eut plus de fermeré que
moy , ce que vous allez apprendre.
Le ferpent ne s'effraya
point de voir deux
hommes courir ſur lui l'é
péeà la main ; au contraire
il s'éleva de plus de deux
pieds de terre pour s'élancer
ſur ſes ennemis , qui
m'entendent , & qu'il auroit
certainement fort embaraſſez
, quelque braves
qu'ils foient , ſi dans le moment
qu'il fit ſon premier
faut le Seigneur Olivier n'avoit
pas eu l'adreſſe de lui
couper la tête , qui alla fur
GALANT.
59
le champ faire trois ou quatre
bonds à deux pas de lui,
pendant que le reſte de ſon
corps ſembloit le menacer
encore : mais à peine cette
action hardie fut achevée ,
que le perfide Valerio me
joignit avec trois eftafiers
qu'il avoit amenez avec lui .
Les morceaux difperfez du
ſerpent qui venoit d'être
tué , le defordre où il me
trouva , & deux hommes
- qu'il vit l'épée à la main à
la porte du lieu où j'érois ;
tout ce ſpectacle enfin ex-
-cita dans ſon ame de ſi fu60
MERCURE
ne dis
rieux mouvemens de ja
louſie , qu'aprés avoir abattu
mon voile ſur mon vi
ſage , il me prit bruſquement
par le bras , & me fir
fortir du jardin , ſans me
donner le loiſir , je ne
pas de remercier mes liberateurs
d'un ſi grand fervice
, mais même de me
faire reconnoître à leurs
yeux. Il me fit auſſitôt monter
avec Leonor dans le
caroffe qu'il nous avoit deftiné
; & au lieu de me me.
ner à la maiſon de ma tante
, il nous eſcorta avec ſes
GALANT. 61
eftafiers qui alloient avec
lui , tantôt devant , tantôt
derriere ,juſqu'à une caffine
qui eft à un mille d'ici , &
dont il étoit le maître : mais
il fut bien trompé , en arri
vantà la maison , d'y trouver
des hôtes qu'il n'y avoit
pas mandez. Une troupe de
deferteurs ( ou de bandits ,
ſijene metrompe ) en avoit
la veille enfoncé les portes;
elle en avoit afſommé le
fermier , pillé la baſſe cour,
la cuiſine ,la cave & le grenier,&
mis en un mottouse
lacaffinedansun fi grand
62 MERCURE
fi
defordre , que Valerio ne
put s'empêcher de ſe plaindre
de leur violence , & de
les menacer de les faire
punir.Ces furieuxà l'inftant
lechargerent lui &les fiens
cruellement , qu'aprés
l'avoirtué avecſes eſtafiers,
ils le jetterent avec ſes armes
, fon bagage & ſa compagnie
à l'entréede la grange.
Ils couvrirent ces corps
de quelques bottes de foin,
enſuite ils vinrent à nôtre
caroffe , où ils nous trouverent
effrayées mortellement
de tout ce que nous
GALANT.
63
venions de voir. Ils nous
tinrent d'abord pluſieurs
diſcours inutiles pour nous
raffurer ; puis ils nous firent
deſcendre dans la ſalle où
ils étoient , & dont la table
& le plancher étoient auſſi
mouillez du vin qu'ils avoient
répandu , que leurs
mains l'étoient encore du
ſang qu'ils venoient de verfer.
Cependant un d'entr'eux
', moins brutal que
- les autres , s'approcha de
. moy , & me dit d'un air
d'honnête homme: Je vous
trouverois , Madame , bien
64
MERCURE
plus à plaindre que vous ne
l'êtes , d'être tombée entre
nosmains , ſi je n'avois pas
ici une autorité que qui que
ce ſoit n'oſe me diſputer, &
fi toutes les graces que je
vois dans vôtre perſonne
ne me déterminoient pas à
vous conduire tout àl'heure
dansun lieu plus commode,
plus honnête & plus fûr.
Remontez en caroffe , &
laiſſez vous mener à la Cafa
bianca., C'est une maiſon
fort jolie , entourée d'eaux
de tous côtez , ſituée au
milieu d'un petit bois , derriere
GALANT 5
riere la montague noire :
en un mot c'eſt une elpece
de citadelle qu'on ne peut
preſque inſulter fans canón
Vous y prendrez,Madame,
le parti qui vous plaira , dés
que vous vous ferez remife
de la frayeur que vous ve
nez d'avoir. Au reſte , il me
paroît, à vôtre contenance,
que nous ne vous avons
pas fait grand tort de vous
délivrer des infolens qui
vous ont conduite ici : cependant
ſi nous vous avons
offenſée , apprencz-nous a
reparer cette offense ; ou fi
Juin 1714. F
!
66 MERCURE
nous vous avons rendu
ſervice , nous sommes prêts
à vous en rendre encore. Je
ne ſçai , lui dis - je , quel
nom donner à preſent à ce
que vous venez de faire ,
quoique vôtre diſcours
commence à me raffurer :
maisj'eſperetout dufecours
que vous m'offrez . Vous
avez raiſon , Madame , reprit
il, de compter ſur moy;
je ne veux être dans vôtre
eſprit que ce que vous pouvez
vous imaginer de meil.
leur. Hâtons - nous ſeulement
de nous éloigner d'ici,
GALANT. 67
quoique la nuit commence
à devenir fort noire , & ne
vous effrayez point de vous
voir accompagnée de gens
qui vous eſcorteront peutêtre
mieux que ne pourroit
faire une troupe de milice
bien diſciplinée. Ainſi nous
marchâmes environ deux
heures avant que d'arriver
à la Caſa bianca , où nous
entrâmes avec autant de
ceremonie,que fi on nous
avoit reçûs de nuit dans une
ville de guerre. Alors le
Commandant de cette petite
Place,qui étoit le même
Fij
68 MERCURE
homme qui depuis la maifon
de Valerio juſqu'à fon
Fort m'avoit traitée avec
tant de politeffe , me de
manda ſije voulois lui faire
l'honneur de fouper avec
lui. Je lui répondis qu'il
étoit le maître , que cependant
j'avois plus beſoin de
repos que de manger , &
que je lui ferois obligée s'il
vouloit plûtôt me permet
tre de m'enfermer &de me
coucher dans la chambre
qu'il me deſtinoit. Volontiers
, Madame , me dit il ;
vous pouvez vous coucher
GALANT. 69
quand il vous plaira , cela
ne vous empêchera pas de
fouper dans votre lit. Auffitôt
il nous mena ,Leonor
&moy, dansune chambre
perduë , où nous trouvâmes
deux lits affez propres.
Voila , me dit-il , le vôtre ,
Madame , & voila celui
de vôtre compagne. Pour
moy , vous me permettrez
de paſſer la nuit ſurun fiege
auprés de vous ; les partis
qui battent continuelle
ment la campagner nous.
obligent à veiller prefque
toutes les nuits &rib ne
70 MERCURE
fera pas mal à propos que
je ne m'éloigne pas de
vous , pour vous guerir des
frayeurs que pourroient
vous caufer certaines furprites
auſquelles je ne vous
croy gueres accoûtumées.
Je vais cependant , en attendant
le ſouper , placer
mes fentinelles , & donner
les ordres qui conviennent
pour prévenir mille accidens
dont nous ne pouvons
nous mettre à couvert que
par un excés de précaution.
Dés qu'il nous eut quitté ,
Leonormedit en ſoûpirant:
GALANT.
71
Eſt- il poffible qu'un ſi hơn.
nête homme faſſe unmétier
auſſi étrange que celuici
, & que nous joüions à
preſent dans le monde le
rôle que nous joions dans
cette maiſon . Je cours de
moindres riſques que vous,
n'étant ni ſi jeune , ni fi
belle : mais quand tout ſeroit
égal entre nous deux ,
eſt-il rien d'horrible comme
les projets que vos freres
&mon mari forment à
preſent contre nous ? De
quels crimes peut on ne
nous pas croire coupables ,
72
MERCURE
ſi l'on ſçait jamais tout ce
qui nous arrive aujourd'hui
? A peine échapées
d'un peril nous retombons
dans un autre plus grand.
Vous fuyez la tyrannie de
vos freres , un ſerpent nous
menace , deux avanturiers
nous en délivrent ; võrre
amant vous trahit , des fol
dats l'affomment ; une trou
pe d'inconnus nous entraî
ne au milieu d'un bois , ou
nous enferme dans une
maiſon , où tout nous me
nace de mille nouveau
malheurs. Que ne peut-ik
pas
GALANT.
73.
pas nous arriver encore ?
Tout cela neanmoins ſe
paſſe en moins d'un jour.
Enfin reſoluës le matin à
tenter une avanture qui
nous paroît raiſonnable ,
nous ſommes expolées &
determinées le ſoir à en affronter
mille étonnantes.
Les reflexions que je fais ,
lui dis-je, ne ſont pas moins
funeſtes que les vôtres , &
la mort me paroît moins
affreuſe que tous les perils
que j'enviſage : mais nous
n'avons qu'une nuit à paf
fer pour voir la fin de ce
Juin1714 G
74 MERCURE
defordre. Efperons , ma
chere Leonor, efperons tout
de l'humanité d'unhomme,
peut être affez malheureux
lui même pour avoir pitié
des miferables. Il eſt ( fuje
ne me trompe ) le chefdes
brigans qui font ici : mais
l'autorité qu'il a fur eux ,
& l'attention qu'il a pour
nous , nous mettent à l'a
bri de leurs inſultes. Je ne
İçai , reprit Leonor , d'où
naiſſent mes frayeurs : mais
je ſens qu'il n'y ariend'aſſez
fort en moy pour diffiper
Thorreur des preſſentimens.
A
GALANT.
75
qui m'environnent.Ce n'eft
pas d'aujourd'hui que je
connois le vilage de nôtre
hôte , & je ſuis fort trompée
s'il n'eſt pas le frere
d'un jeune homme dont je
vous ai parlé pluſieurs fois.
Demandez lui , ſitôt qu'il
ſera revenu , deiquelle ville
il eft , & s'il ne connoît pas
Juliano Foresti , natifdeCarpi
7 dans le Modenois . Ce
Juliano elt fils d'un François
& d'une Françoiſe , qui
auroient fort mal paffé leur
temps avec l'Inquifition, fi
Sun Dominiquain ne les
Gij
76 MERCURE
avoit pas aidez à ſe ſauver
de Modene avec leur fa
mille, le jour même qu'elle
avoit reſolu de les faire ar
rêter. Oui , dit-il,Madame,
en pouffant la porte avec
Violence,
violence , oui je ſuis le frere
deJuliano Foresti dont vous
parlez. J'ai entendu toute
vôtre converſation , & vos
dernieres paroles ne m'ont
que trop appris d'où naiffent
vos inquietudes : mais
ce frere , dont vous êtes en
prine , & qui paffe pour
François aufli bien que
moy, va vous coûter dee
GALANT.
77
ſoins bien plus importans ,
s'il n'arrive pas demaindici
avant la fin du jour. Vous
têtes Madame Leonor de
Guaſtalla , femme du Signor
Barigelli , citadin de Mantouë
: Dieu ſoit loüé , je
retrouverai peut- être mon
frere par vôtre moyen ; ou
du moins s'il eſt tombé
entre les mains de vôtre
époux , comme on me l'a
dit hier au foir , vous me
ſervirez d'ôtage pour lui.
Mais pourquoy , lui ditelle
, voudriez - vous me
rendre reſponſable d'un
Giij
78
MERCURE
malheur où je n'aurois aucune
part ? Si vôtre frere
s'intereſſoit en ma fortune ,
comme il paroît que vous
l'apprehendez , vous ne ſeriez
pas maintenant à la
peine de vous inquieter de
fon fort. Il feroit au contraire
à preſent ici , puiſque
je l'ai fait avertir il y a trois ly
jours de le tenir aujourd'hui
fur l'avenuë de la Madona ,
où nous comptions ce matin
, Vefpafie & moy , d'arriver
ce ſoir : mais nous
avons eſſuyé en une demijournée
tant d'horribles
GALANT.
79
1
avantures,que tout ce qu'on
peut imaginer de plus facheux
ne peut nous rendre
gueres plus malheureuſes
que nous le ſommes.
Sur ces entrefaites , un
foldat entra d'un air effrayé
dans la chambre où nous
étions. Il parla un moment
àl'oreillede ſon General ; II
prit un petit coffre qui étoit
fous le lit que j'occupois ,
il l'emporta,&s'en alla .Nôtre
hôte nous dit alors,avec
une contenance de fermeté
que peu de gens conſerveroient
comme lui dans une
Giij
80 MERCURE
pareille conjoncturesJe ne
Içai pas quelle ſeraila fin
de tout ceci : mais à bon
compte , Madame , tenezvous
prête à executer ſur le
champ , pour vôtre ſalut ,
tout ce que je vous dirai ,
ou tout ce que je vous en
verrai dire , fi mes affaires
m'appellent ailleurs.21On
vient de m'avertir qu'il
m'arrivoit ce ſoir une com
pagnie dont je me pafferois
fortbien: maisil n'importe,
je vais ſeulement efſayer
d'empêcher que les gens
qui nous rendent viſite ſi
GALANT S
,
tard , ne nous en rendent
demain marin une autre.
Nous avons pour nous de
ſecours de la nuit cette
maiſon, dontl'accés eft difficile
, un bon ruiſſeau qui
la borde , & des hommes
refolusd'endéfendre vigou.
reuſement tous les paſſages.
Ne vous alarmez point d'a
vance , & repoſez vous fur
moy du ſoin de vous tirer
de cette affaire , quelque
fuccés qu'elle ait Alors il
nous quitta , plus effrayées
des nouveaux malheurs
dont nous étions menacées
82 MERCURE
que perfuadées par fon eloquence
de l'execution de
ſes promeſſes. En moins
d'une heure nous entendîmes
tirer plus de cent coups
de fufil ; le bruit & le va-
.carme augmenterent bien.
tôt avec tant de fureur, que
nous ne doutâmes plus que
mille nouveaux ennemis ne
fuſſent dans la maifon: Leo
nor diſparut à l'inftant , ſoit
qu'elle eût trouvé quelque
azile d'où elle ne vouloit
pas répondre àmes cris, de
peur que je ne contribuaffe
à nous faire découvrir plû
GALANT. 83
tốt , ou ſoit que la crainte
lui eût ôté la liberténde
m'entendre. Cependant à
force de chercher & de
tâtonner dans la chambre ,
je trouvai ſous une natte de
jonc, qui ſervoit de tapif
ſerie , une eſpace de la hauteur
& de la largeur d'une
porte pratiquée dans la muraille.
J'y entrai auſſitôt en
tremblant ; àdeux pas plus
loin je reconnus que j'étois
ſur un escalier , dont je def
cendis tous les degrez , au
pied deſquels j'apperçus de
loin une perite lumiere
84 MERCURE
(
qu'on avoit eu la précaution
d'enfermer ſous un
tonneau. Je m'en approchai
d'abord afin de la
prendre pour m'aider à
fortir de cette affreuſe ca
verne : mais le bruit & le
defordre ſe multipliant
avec mes frayeurs , je l'é
teignis par malheur. Neanmoins
le terrain où j'étois
me paroiſſant aſſez uni , je
marchai juſqu'à ce qu'enfin
je rencontrar une ouverture
à moitié bouchée d'un
monceau de fumier. Alors
j'apperçus heureuſement
GALANT. 85
une étoile , dont la lueur
me ſervit de guide pour me
tirer avec bien de la peine
de ce trou , où je venois de
faire un voyage épouvantable.
Je repris courage ;
&aprés m'être avancée un
peu plus loin ,je me trouvai
àl'entrée d'un petit marais
fec ,& plein d'une infinité
de gros roſeaux beaucoup
plus hauts quemoy.Enfin
accablée de laffitude & de
peur je crusque je ne
pouvois rencontrer nulle
part un azile plus favorable
que celui- là en attendant
86 MERCURE
le jour : ainſi je m'enfonçai
dans ce marais , juſqu'à ce
que je ſentis que la terre ,
plus humide en certains
endroits , moliſſoitſous mes
pieds. Je m'aflis , &je prêtai
pendant deux heures atten.
tivement l'oreille à tout le
bruir qui ſortoit de la maifon
dont je venois de me
ſauver fix heureuſement.
J'entendis alors des hurlemens
effroyables , qui me
furent d'autant plus fenfibles
, que je crus mieux reconnoître
la voix de Leonor.
Cependant au point du
GALANT 87
jour cette maiſon, qui avoit
été pendant toute la nuitun
champ de carnage & d'horreurs
,me parut auſſi tran.
quille , que fielle n'avoit
jamais étéhabitée. Dés que
je me crus affez afſurée que
le filence regnoit dans ce
funeſte lieu ,je fortis de mes
roſeaux , pour gagner à
travers la campagne un
village qui n'en est éloigné
que de quelques centaines
de pas . J'y trouvai un bon
vieillard , que les perils
dont onnefticontinuellement
menacé dansunpays
88 MERCURE
occupé par deux armées
ennemies , n'avoient pû
determiner à abandonner
ſa maiſon comme ſes voi
fins. Cebon-homme , autant
reſpectablepar le nom.
bre de ſes ans , qu'il l'eſt
dis-je pleu
par fontexperience & fa
vertu , étoit affis fur une
pierre àſa porte lorſque je
parus àſes yeux. Mon pere,
lui dis je auflitouren pleurant
ayez pitié de moy;
je me meurs de laffitude ,
de frayeur & de faim. En-
-tez dans ma maiſon , ma
Elle une répondit- il , &
vous
GALANT
89
vous y repoſez , en attendant
que mon fils revienne
avec ma petite proviſion
qu'il eſt allé chercher. Il
me fit aſſeoir ſur ſon lit ,
où il m'apporta du pain &
du vin , que je trouvai excellent.
Peu à peu le courage
me revint ,&je m'endormis.
A mon réveil il me
fit manger un petit morceau
de la provifion que
ſon fils avoit apportée ; il
me pria enſuire de lui conter
tout ce que vous venez
d'entendre. La ſatisfaction
qu'il eut de m'avoir ſecou-
Juin 1714 H
१०
MERCURE
ruë ſi à propos le fit pleurer
de joyc. Enfin il me promit
de me donner ( lorſque je
voudrois ſortir de ſa maiſon
) ſon fils & ſa mule pour
meconduire chez matante.
Je reſtai neanmoins trois
jours enfermée & cachée
chez lui , & le quatriéme ,
qui eſt aujourd'hui , j'ai crû
que je ne pouvois point
trouver une occafion plus
favorable que celle de l'orage
qu'il a fait tantôt ,
pourme ſauver au Palais de
ma tante , ſans rencontrer
fur les chemins perſonne
:
GALANT
qui put me nuire : mais à
pcine ai je été avec mon
guide àun mille de la mai
fon de ce bon vieillard ,
que nous avons été atta
quez par le jeune homme
que votreſentinelle ableſſé.
C'eſt le plus jeune de mes
freres , qui ayant appris
apparemment que je n'étois
point chez ma tante ,
m'a attendue ſur les ave-
-nuës de ſon Palais , juſqu'à
- ce qu'il m'ait rencontrée :
mais heureuſement mon
conducteur a lutte contre
lui avec beaucoup de cou
Hij
$2 MERCURE
rage , pour me donner le
temps de me ſauver . J'ai
auſfitôt lâché la bride à ma
mule , qui m'a emportée à
travers les champsaved
tant de violence , qu'elle
m'a jettée par terre à cent
pas du ſentinelle qui m'a
remiſe entre vos mains. Je
vous prie maintenant de
vous informer de l'état où
font mon pauvre guide , fa
mule & mon frere: bab
Alors nous la remerciâ.
mes tous de la peine qu'elle
avoit priſe de nous conter
une histoire auſſi intereſſanGALANTA
dou
to quedaficine ; && dont le
recit ad contribua pas peu
à me revidre ſur le champ
éperdûment amoureux d'elle.
Cependantnous ne
tâmes point que Barigelli ,
qui étoit un de nos prifonniersine
pût nous apprendre
le reste de l'avanture de
Leonor.Nous le fîmes monterànôtre
chambreavec ſes
camarades , où aprés l'avoir
traité avec beaucoup de
douceur & d'honnêteté,
nous lui demandâmes ce
qu'étoit devenuë ſa femme.
Meffieurs,nous dit-il , i
94
MERCURE
yla plus de trois mois que
le perfide Juliano Foreſti ,
que vous avez aujourd'hui
dérobé à ma vangeance ,
& qui eft maintenant, aflis
auprés de vous , cherche à
me deshonorer. J'ai furpris
pluſieurs lettres , qui ne
m'ont que trop inſtruit de
•l'intelligence criminelle
qu'il entretient avec ma
femme , j'ai ſçû la partie
que la ſcelerate avoit faite
pour voir ce traître , ſous
le pretexte de conduire la
Signora Veſpaſia chez ſa
tante. J'ai été parfaitement
GALANTM
informé de tous leurs pas ;
& fans avoir pû m'attendre
àce qui leur est arrivé dans
la maiſon du malheureux
Valerio Colucci , je n'ai pas
laiſſé de prendre toutes les
meſures imaginables , &
d'aſſembler une trentaine
-de payſans bien armez pour
lui arracher mon infidelle.
Je me ſuis mis en embuscade
aux environs de la
Caſa bianca , queje ſçavois
être l'unique retraite de
Juliano , de ſon frere , &
de tous les brigans du pays.
J'ai attaqué la maison &
96 MERCURE
tous ceux qui la défendoient
; je les ai mis tous ,
avec mes troupes, en pieces
& en fuite ; j'ai enfin retrouvé
ma perfide époufe ,
que j'ai enchaînée dans ma
cave , &j'ai été à peine forti
de chez moy , que j'ai rencontré
le perfide Juliano,
qui ne ſçavoit encore rien
de ce qui s'étoit paffé 1t
nuit chez fon frere. Il n'y
avoit pas une heure que je
l'avois pris , lorſque vous
nous avez ſurpris nous mê
mes dans la caſſine de Va
lerio.
:
SciGALANT.
97
Seigneur Barigelli, lui dit
Veſpaſia,vôtre femmen'eſt
point coupable , & la for
tune qui nous a perlecutées
depuis quelques jours d'une
façon toute extraordinaire,
a caufé elle ſeule tous les
malheurs qui vous ont rendu
ſa fidelitéſuſpecte. Enfin
nous determinâmes Bari
gelli à faire grace à la femme
, nous gardames Juliano
dans la tour , pour sçavoir
par ſon moyen des nouvel
les de ſon frere& des bandits,
dont le pays Mantoüan
étoit couvert
Juin 714.
& dont il
1
98 MERCURE
étoit le chef. Nous fimes
envaintous nosefforts pour
rendre plus docile le frere
de Vefpafie , il fut toûjours
intraitable à ſon égard. Le
Commandant de la Tous
voyant que nous n'en pouvions
rien tirer , s'empara
de ſa perſonne pour les trois
jours que fa foeur nous avoit
demandez . Enfin charmé
de toutes les bonnes qua
litez,de cette belle fille jo
la remenaiàlaville,comme
je le lui avois promis ; je lui
trouvai une maiſon fûre &
je la fisfor
commode, d'ou
LYON
* 1893
GALANT
THEQUR
tirun mois aprés, pote
voyer avec unde mes
dans la Principauté d'Orange
, aprés l'avoir épouléc
ſecretement à Mantouë.
Je profiterai de la premiere
occafion pour vous
envoyer l'histoire du
malheureux Sainte Colombe
* , qui vient d'être
*Quelque extraordinaires que foient
les circonstances de cette h ſtoire , il y
avoit plus de10. ou 12. mille hommes
de nos troupes dans Mantouë lors
qu'elle arriva ainſi on peut compter
quoique je n apprehende pas que per-
Iſonne dopoſe contre moy , pour m'accufer
de fuppofer des faits inventez ,
que je la rendrai fidelement comme
elle eft. Ii
100 MERCURE
aſſaſſiné par un marijatoux.
Fermer
Résumé : HISTOIRE nouvelle.
Le texte relate plusieurs intrigues militaires et amoureuses se déroulant pendant la campagne de Mantoue. Un officier et deux de ses amis, Sainte-Colombe et Mauvilé, cherchent refuge dans une ferme après une marche éprouvante sous une pluie torrentielle. Ils découvrent des armes et des cadavres dans la grange, ce qui les pousse à explorer la ferme. Ils surprennent alors un groupe d'hommes discutant de la vengeance à infliger à un prisonnier français. Les officiers interviennent, libèrent le prisonnier et capturent les assaillants. Ils se rendent ensuite dans une tour où ils rencontrent une jeune femme, Vespasia Manelli, et un jeune homme blessé. Vespasia révèle qu'elle est amoureuse de l'officier, Olivier de la Barrière, et exprime sa colère face à son indifférence apparente. Après des échanges tendus, Olivier avoue ses sentiments et propose à Vespasia de la protéger en la ramenant à Mantoue. Vespasia accepte et raconte son évasion de sa maison où elle vivait dans l'esclavage. Le texte décrit également la situation d'une jeune femme de dix-huit ans, dont le père est décédé trois ans auparavant. Ses deux frères, s'imaginant héritiers de l'autorité paternelle, se comportent en tyrans envers elle. Ils entretiennent une amitié étroite avec Valerio Colucci, un gentilhomme de Mantoue, que la jeune femme n'apprécie pas. Depuis deux ans, ses frères et Colucci cherchent à la marier contre son gré. La jeune femme, lassée de cette situation, accepte un plan de Colucci pour l'emmener chez sa tante. Cependant, le jour prévu pour la fuite, un serpent apparaît et effraie la jeune femme. Deux hommes, Olivier et Sainte-Colombe, viennent à son secours et tuent le serpent. Colucci arrive alors avec des estafiers et emmène la jeune femme dans une maison où ils sont attaqués par des bandits. Ces derniers, après avoir maîtrisé Colucci, offrent à la jeune femme de l'emmener dans une maison plus sûre, la Casa Bianca. La jeune femme accepte et est escortée jusqu'à cette demeure, où elle passe la nuit en sécurité. Le texte relate également les aventures de Leonor et Galant, menacés par des brigands et des ennemis. Leonor exprime ses craintes et ses réflexions sur les événements qui se succèdent rapidement. Un homme, qui se révèle être le frère de Juliano Foresti, les aide à se protéger. Leonor reconnaît cet homme et lui demande des informations sur son frère. L'homme révèle qu'il est à la recherche de son frère et qu'il utilise Leonor comme otage. Leonor explique qu'elle a tenté de prévenir Juliano des dangers, mais qu'ils ont rencontré de nombreux obstacles. Une nuit, Leonor se cache dans une caverne et entend des hurlements effroyables. Le matin suivant, elle se rend dans un village où un vieillard l'accueille et la protège. Après trois jours, elle décide de se rendre au palais de sa tante, mais est attaquée par son frère. Elle parvient à s'échapper et est finalement ramenée en sécurité. Le texte se termine par l'arrivée de Barigelli, qui raconte comment il a découvert la trahison de sa femme et de Juliano Foresti, et comment il a tenté de les capturer. Enfin, le texte mentionne des événements survenus en juin 714, impliquant des figures politiques et militaires. Une femme, dont la fidélité a été mise en doute, est à l'origine de divers malheurs. Bari Gelli obtient une grâce pour cette femme, tandis que Juliano est retenu dans une tour pour obtenir des informations sur son frère et les bandits qui sévissent dans le pays mantouan, dont il est le chef. Des efforts sont déployés pour rendre le frère de Vespasie plus docile, mais sans succès. Le commandant de la tour le retient alors pendant trois jours. Une jeune fille, appréciée pour ses qualités, est ramenée en ville et installée dans une maison sûre et confortable. Quelques mois plus tard, elle est envoyée en secret dans la Principauté d'Orange. Le narrateur mentionne également l'intention d'envoyer l'histoire du malheureux Sainte-Colombe, assassiné par un marijatoux. Lors des événements, environ 10 000 à 12 000 hommes des troupes étaient présents à Mantoue. Le narrateur assure qu'il relatera fidèlement les faits, sans inventer de détails.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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29
p. 218-264
HISTOIRE du Bacha de Damas.
Début :
Si l'on remarque quelque difference considerable / Il est difficile de sçavoir positivement ce qui se [...]
Mots clefs :
Pacha , Damas, Sultan, Père, Femme, Sérail, Seigneur, Femme, Vizir, Mort, Yeux, Amour, Troupes, Empire, Esclaves, Maison, Armée, Juifs, Époux, Honneur, Hommes, Douleur, Audace, Mer, Larmes, Gloire, Vie
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texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE du Bacha de Damas.
HISTOIRE
du Bacha de Damas.
IL eſt ſi difficile de ſçavoir
poſitivement ce qui ſe
paffe dans cet Empire,qu'on
n'y demeſle ſouvent la veri.
té d'un fait , quelque éclatant
qu'il foit , que longtemps
aprés qu'il eſt arrivé.
Les nouvelles de l'Afie , &
celles de l'Europe entrent
confufément à Conftantinople
, où chacun les débite
1
A
GALANT . 219
au gré de ſes intereſts , le
Courier qui en eft chargé
les donne au grand Viſir ,le
grand Viſir au Sultan , & le
Sultanles enſevelit dans ſon
ſérail. Ainfije n'oſe encore
vous aſſeurer que les dernieres
circonstances de l'hiſtoire
que je vais vous écrire ,
foient telles qu'on les raconte
icy; mais je vous promets
que je ſeray exact à
vous detromper , ſi le temps
ou le haſard me detrompent.
Il y a quatrejours que me
promenant avec quelques
Tij
210 MFRCURE
qui
eſtrangers dans ma çaique,
fur le canal de la Mer noire,
un fameux Armenien ,
a fait toute la vie un grand
commerce d'eſclaves , me
conta à peu prés en ces
termes l'hiſtoire de Halil
Acor Bacha de Damas .
J'étois , me dit- il, un jour,
( & bien jeune alors ) à Baghlar
qui eſt un Port de
cette Mer , environ à so
lieuës d'icy lorſqu'un
* Sheieke de mes amis y arriva.
Je le priay de venir
* Predicateur Turc,
GALANT 227
loger dans le meſme * Caravanfarai
que moy. La Maifon
eſtoir alors pleine
d'hommes & de chevaux.
Le Sultan Mahomet IV. dont
le regne étoit plus tranqui
le qu'il n'avoit encore eſté,
&qu'il ne l'a eſté depuis ,
preſtoit dans ce temps au
Kan della Krimée dix
mille hommes de ſes troupes
pour les joindre à douze
mille Tartares de Budziack
& de Bialogrod , qu'il
deftinoit à quelque grande
entrepriſe. Les Janifſſaires ,
* Auberge Turque.
Tiij
222 MERCURE
3
1
les Spahis , & les Afiati
ques que le Grand Seigneur
envoyoit au Kan paffoient
alors par Baghlar où nous
eſtions . Un de ces Janiffai
res entr'autres natif de
* Chaplar en Bulgarie voulut
profiter de l'occaſion
de cette route pour mener
plus ſeurement chez luy
une belle fille qu'il avoit
epousée depuis un an à
Midia de Romanie, Nous:
la trouvâmes avec fon
mary dans le Caravanfarai
que nous avions choiſi
Ville maritime de la Mer noire.
GALANT. 223
২
lorſque nous yarrivame s .
Le hazard nous plaça auprés
d'eux , le Janiſſaire
m'en parut content , il aimoit
mieux voir à côté de
ſa femme , un Venerable
Sheieke qu'aucun de ſes camarades.
Nous ſoupâmes
cependant & nous nous
endormimes ſur la paille.
Une heure avant le jour
nous entendimes des cris
aigus qui nous réveillérent
comme tous les hoftes de
la maiſon ; la femme du
Janiſſaire que fon.Mary
n'avoit pas crue ſi proche
T iiij
224 MERCURE
de ſon terme venoit de
mettre un enfant au monde
, à coſté de mon Sheie
xe , qui ſe trouva fort ſcandaliſé
de cet accouchement.
Il ſe leva plein de
couroux , en diſant que ſes
habits étoient foülliés du
déſordre & des accidents
de cette avanture , néanmoins
la mortification &
l'embarras du Janiſſaire ,
les douleurs de ſa femme
& mes difcours l'addoucirent
; je luy perſuaday ( &
il le ſçavoit bien , ) qu'il
feroit lavé de cette tache
GALANT. 225
en lavant ſa robe & fa per
ſonne avant la premiere
priere. Je le menay au bain
qui eſtoit dans le Caravan
farai où il ſe fit toutes les
cerémonies de l'ablution
desTurcs.
Cependant je retournay
auprés du trifte Janiſſaire ,
&de ſa femme qui gemiſſoit
encore des reſtes ou du fouvenir
de fa douleur ; je lui
donnay tous les ſecours
que je pûs imaginer , on
attendant le retour de mon
Sheieke.
f
L'étoile la plus favorable
226 MERCURE
qui puiſſe veiller fur nos
jours , ne flatte pas les Mufulmans
d'une plus heureuſe
deſtinée qu'un Sheike,
ou un Emir * lorſqu'ils préfident
à la naiſſance de
leurs enfants. Celuy- cy revint
enfinà nous, prés d'une
heure après le lever du Soleil.
Et aprés avoir enviſagé
le Janiſſaire , ſa femme
& fon fils , d'un air tranſ
porté de l'excellence des
avantages qu'il avoit à leur
promettre , il leur prédit
ces choſes.
Prêtre Ture.
GALAND. 227
Letrés puiſſant trés mi
fericordieux Alla a jettéfur
vous & fur vostre fils des regards
bienfaisants le faim
Prophete efto fon meffager.
Il'a pitié de vous , & Sultan
Mahomet qui est agréable au
trés mifericordieux que le
faint Prophete oberit vous élevera
aux premiers honneurs de
fon Empire. Alla * ha Alla.
Tousoles affiftans felici
terent auffi toſt le Janiſſaire
fur la prédiction du Sheieke.
Cette nouvelle paſſa juf
qu'à fon Aga qui luy donna
d'abord de grandes mara
* Dieu. Dieu eſt Dicu.
228 MERCURE
4
ques de distinction. Enfin
le jour du départ des troupes
qui estoient à Bagblar
eſtant venu , il nous quitta
aprés nous avoir juré qu'il
n'oublieroitja mais les obli
gations qu'il nous avoit. N
nousa tenu parole , & c'eſt
de luy-meſme que j'ay appris
avec la ſuite de fa for
tune, une partiede l'hiſtoire
de ſon fils , que vous allez
entendre.
Dés que Zeinal ( c'eſt le
nom de ce Janiſſaire ) cut
remis ſa femme à Chaplar
entre les mains de fa mere,
GALANT. 229
il ne fongea plus qu'à verifier
l'oracle du Sheiere H
fitdans la Krimée des actions
éclatantes que ſon Aga fit
valoir autant qu'elles lemeritoient
aux yeux du Grand
Viſir Cuprogli , qui l'avança
en ſi peu de temps , qu'en
moins de fix ans il le fir
nommer par ſa Hauteffe
Bacha d'Albanie. Il remplit
cette grande place avec
beaucoup d'honneur pen.
dant pluſieurs années , enfin
aprés la dépoſition du
malheureux Sultan Mahomet
IV. Sitoſt que ſon frere
230 MERCURE
Sultan Soliman III . fut mon
té ſur le thrône, il voulut
à l'exemple de tous les au.
tres Bachas profiter desdefordres
de l'Empire pour
augmenter fon credit ; mais
il ſe broüilla malheureuſement
avec le fameux & redoutable
Osman Yeghen
dont le courage , la politi
que & l'audace firent trembler
Solyman juſques dans
fon ferail.
Zeinal s'étoit oppoſé aux
contributions qu'Yeghen *
Serafier de l'armée d'Hon-
* General des Armées du Grand Seigneur.
GALANT 238
grie , avoit tirez de la Ro
melie , & aux impoſitions
qu'il avoit miſes ſur tous les
Juifs & les Chrétiens qui
eſtoient à Theſſalonique ,
& qu'il avoit taxez à deux
Piaſtres par teſte. Il avoit
meſme envoyé un gros party
de Cavalerie qui avoit
taillé en piece les gens
qu'Yeghen avoit chargez de
lever ces impoſitions.
Le Grand Viſir Ismael
trembloit alors de peur
que le Serafkier ne vint à
Conſtantinople avec fon
armée , & qu'il ne le fit dé
232 MERCURE
pofer bien toſt , comme il
avoit déja fait déposer le
Grand Vifir Solyman fon
predeceſſeur. Yeghen qui
reconnut l'avantage qu'il
avoit fur ce foible Viſir ,
luy demanda la teſte de
Zeinal. Ifmael qui de fon
coſté cherchoit à l'ébloüir
par de fauſſes apparences ,
fut ravi de luy pouvoir faire
un ſacrifice dont il n'avoit
rien à apprehender ,
puiſqu'il ne le rendoit pas
plus fort , ainſi quoyque
Zeinalne fût coupable d'au .
cun crime , il le fit décapi-
: ter
GALAN 2338
ter publiquement , dans la
Cour du Serail devant la
porte du Divan.?
Cependant ſon fils Halil
Acor faiſoit alors les fonctions
de Capigibachi en Afie,
où il n'apprit la mort de
ſon pere que long - temps
aprés qu'elle fut arrivée.
Il y avoit affez d'affaires
en Hongrie pour exercer
ſon courage ; mais l'amour
produifit luy ſeul tous les
motifs de fon éloignement.
Il avoit vû par, hazard
dans le Serail de ſon pere
une belle fille de l'iſle de
Juin 1714.
V
234 MERCURE
Chypre que Zeinal deftinoir
au grand Seigneur , il en
devint éperduëment amoureux
, il mit dans ſes interêts
deux femmes qui la fervoient
, il ſéduifit deuxEu
nuques à force de preſents,
il profita de l'abſence de
ſon pere pour s'introduire
toutes les nuits dans ſon
Sérail , & enfin il engagea
cette belle fille à luy donner
les dernieres & les plus
fortes preuves de fa tendreſſe.
Plus flatée de l'efpoir
de poffeder le coeur
d'Halil que de la gloire
GALANT. 2:5
chimérique dont on repait
la vanité de celles qu'on
deſtine aux plaiſirs du
Grand Seigneur , elle avoit
conſenti que ſon Amant
l'enleva avec ſes deux femmes
& ſes deux Eunuques ,
elle estoit déja meſme affez
loin du Serail de Zeinal ,
lorſque ce Bacha revint
chez luy la nuit meſme
qu'on avoit priſe pour cet
enlevement. Maisheureu-
- ſement pour ces Amantsi!
n'entra que le lendemain
matin dans le quartier des
Femmes , où il apprit avec
Vij
236 MERCURE
tous les tranſports de la
plus violente fureur le defordre
de la nuit préceden
te. Il monta auffi - toſt à
Cheval , & de tous les côtez
il fit courir aprés fon
fils ; mais ſes ſoins & ſa diligence
furent inutiles. Halil
qui n'eſtoit pas ſi loin
qu'il le cherchoit , avoit eu
la précaution de s'affeurer
d'une Maiſon qu'un Me
decin Juif qui n'eſtoit pas
des amis de fon pere avoit
dans les montagnes. Il falloit
traverſer plus de deux
lieuës de defert avant d'y
/
GALANT. 237
arriver, & jamais Zeinal n'y
ſes amis , ny fes eſclaves
ne s'eſtoient aperceus que
fon fils connuſt ce Juif.
Halil auroit pû longtemps
profiter de la ſeureté
de cet azile , ſi les troubles
dont l'Empire eſtoit
agité , & fon courage ne
l'avoient pas preffé bien
toſt de facrifier ſon amour
à ſa gloire. Les larmes de
ſa femme , ny les prieres du
Juif qui luy promit enfin
d'en avoir foin juſqu'à la
mort , ne purent l'arreſter
davantage. Il ſe rendit à
138 MERCURE
Conſtantinople , où il fur
reconnu d'abord par un
des amis de fon Pere qui
le recommanda particulierement
au Grand Vifir Som
lyman , qui , en confideration
de l'audace , de l'efprit
, de la bonne mine de
ce Jeune homme , & du
mérite de Zeinal , luy donna
ſur le champune Com
pagnie de Spahis. Il cut ordre
d'aller ſervir en Afie ,
où en peu de temps ſa valeur
le fit parvenir à la
Charge de Capigibachi
qu'il exerça avec honneur
அ
1
GALANT. 239
juſqu'à la mort de ſon Pere .
Le Vifir Ismaël qui avoit
eu la lacheté de faire exé
cuter l'injuſte & cruel ar
reft qu'il avoit prononcé
contre Zeinal , futbien-toft
aprés la victime de fa for
bleſſe. Yeghen revint àConf
tantinople , aprés en avoir
fait chaffer honteuſement
ce Viſir , qui ne pût racheter
ſa vie qu'aux dépens de
toutes les richeſſes que fon
avarice infatiable luy avoit
fait amaſſer pendant fon
indigne miniftere. Halil y
fut rappellé en meſme
240 MERCURE
temps qu'Yeghen , avec les
troupes qui ſervoient en
Afie. Il fut auffi toft à la
maiſon de ce General àqui
il dit qu'il ne luy rendoit
cette viſite , que pour luy
demander raiſon du fang
de ſon pere qu'il avoit fait
repandre , Yeghen conſentit
àluy donner cette fatisface
tion dans une des plus fecrettes
chambres de fon
Serail , où aprés un com
bat aſſez long , Ils ſe blef
férent tous deux : cependant
Yeghen eut l'avantage;
mais il n'en abuſa pas , au
contraire
GALANT. 241
contraire , loin de fonger
à ſe défaire d'un ennemi
auſſi redoutable qu'Halil ,
Je love , luy dit- il , ton coursge
&j'approuve ton reffentiment
: il n'a tenu qu'à ton Pere
d'eftre toûjours mon amy , mais
il a voulu me perdre & je
l'ay perdu. Tu as Satisfait à
ton honneur , en eſſayant de le
vanger : Vois , & dis moy
maintenant ce que tu veux , &
ce que je puis pour toy. Halil
eftonné de la generoſité de
ce grand homme , luy répondit
, Yeghen je ne veux
maintenant,que m'efforcer d'ê-
Juin1714. X
242 MERCURE
tre auffi genereux que toy. Si tu
veux m'imiter , reprit- il ,facrifie
ta vangeance à mon amitié
que je t'offre , je vais ordonner
qu'on nous penſe de nos bleſſu
res , je prétends que tu ne
gueriffe des tiennes que dans
mon Serail. Il appelle auffitoſt
ſes Eſclaves qui menerent
fur le champ Halil
dans une chambre où ily
avoit deux lits qui n'étoient
ſeparez l'un de l'autre que
par un grand rideau de taffetas
couleur de feu qui
eſtoit directement au milieu
de la chambre dont les
GALANT 243
Croiſez qui estoient aux
deux extremitez avoient
vûë de chaque coſté ſur
les Jardins où ſe promenoient
tous les jours les
femmes & les enfants
d'Yeghen.
Dés qu'on eut arreſté
ſon ſang , & qu'il ſe fut
mis au lit , il vit entrer
dans ſa chambre le Medecin
Juif à qui il avoit confié
la belle Eſclave qu'il
avoit épousée dans ſa maifon
, aprés l'avoir enlevée
du Serail de ſon Pere. A
drianou , luy dit il auſſi toſt ,
X ij
244 MERCURE
moncher Adrianou que faítes
-vous icy ? Pourquoy
eftes vous maintenant à
Conftantinople , & dans
quel eſtat eſt ma femme ?
Je vous ay promis , reprit
le Juif , en ſoûpirant , d'avoir
ſoin de la malheureuſe
Adrabista juſqu'à ma mort.
Toutes mes précautions
n'ont pû prévenir les effets
de ſon déſeſpoir , elle eſt
à jamais perduë pour vous ,
& je ne ſuis point fâché
dans mon infortune que
les remedes que je viens
Fameuſe par les grandes avantures qu'elle
2euës depuis àRome , & que je conterayune
autre fois.
GALANT . 245
vous offrir par hazard me
preſentent à vos yeux , où
je ſuis prêt d'expier dans les
fupplices , le crime de ma
négligence où de mon
malheur. Contez moy donc
cette funeſte hiſtoire, lui dit
avec bonté , l'affligé Halil ,
& n'en épargnez aucune
circonstance à madouleur.
Il vous fouvient , reprit le
Juif, des efforts que fit Adra.
biſta , & des larmes qu'elle
répandit pour vous retenir
auprés d'elle ; vous n'avez
pas non plus oublié les
pleurs & les prieres que je
Xij
246 MERCURE
mis en uſage pour flechir
voſtre courage inhumain.
Une vertu cruelle & plus
forte que l'amour vous ravit
enfin ànosyeux.
Crois - tu , dés que vous
fuſtes parti , me dit Adrabista
, que les larmes & les
gemiſſements ſoient main
tenant les armes dont je
veux me ſervir pour mevenger
de la fureur ou de l'infidelité
de mon barbare époux
Non , Adrianou ,non.
je veux le ſuivre malgré luy
& malgré toy : ma taille
avantageuſe&mon audace
GALANT. 247
m'aideront ſuffisamment à
cacher ma foibleſſe & mon
ſexe; enfin jeveux courir les
meſmes haſards que luy,par
tout où l'entraiſnera cette
impitoyable gloire qui l'arrache
àmon amour. Je vou
lus d'abord flatter ſa dou
leur; mais malgré mes foins,
ma complaiſance criminel.
le,& mon aveuglement l'ont
précipitée dans le plus
grand des malheurs. Je luy
permis d'eſſayer le turban ,
& de mettre un fabre à ſon
coſté. Elle ſe plaiſoit quelquefois
dans cet équipage
X iiij
248 MERCURE
de guerre , d'autrefois jer
tant fon fabre & ſon turban
par terre , elle affectoit de
mépriſer ces inſtruments
qu'elle deſtinoit à ſa perte.
Enfin elle feignit de paroiftre
devantmoy conſolée de
voſtre abſence , & pendant
plusde fix ſemaines elle ne
me parla pas plus de vous ,
que ſi elle ne vous euſt jamais
connu. Cette indiffe
rence m'inquietta pour
yous , & je luy dis unjour ,
eſtes - vous Adrabista , cette
heroine qui deviez fi glo.
rieuſement ſignaler voſtre
GALANT. 249
du
tendreffe , en courant jufqu'au
fond de l'Afic aprés
un époux ſi digne de voſtre
amour. Non , Adrianou , me
dit elle , je ne ſuis plus cette
Adrabista que vous avez veue
capable des plus extravagants
emportements
monde.J'aime tousjoursHa
lil comme mon ſeigneur &
mon époux ; je ſens toutes
les rigueursde ſon abfence ;
mais le temps & mes reflexions
ont rendu ma douleur
plus modeſte;& il n'est point
de fi miferable coin fur la
terre , où je n'aime mieux
250 MERCURE
attendre ſes ordres , que
m'expoſer en le cherchant
auhafard de le deshonorer
enme deshonorant moymeſme.
Je creus qu'elle me par
loit de bonne foy , & dans
cette confiance je luy donnay
plus de liberté & d'authorité
dans ma maifon que
je n'y en avois moy-mefme.
Enfin il vint un jour un
exprés que le gouverneur de
la Valone m'envoya pour me
preſſer d'aller porter des re
medes à fon fils qui estoit à
l'extremité. Je fis auffi- toſt
GALANT. 251
part de la neceffité de ce
voyage à Adrabista , je la
priayde chercher à ſe defen
nuyer pendant mon abfence
, & je partis avec mon
guide. Mais jugez de ma
conſternation lorſqu'à mon
retour dans ma maiſon , on
me fit part des funeſtes nouvelles
que vous allez entendre.
Le lendemain de mon
départ Adrabista fit ſeller
trois chevaux qui reſtoient
dans mon écurie. Elle s'équippa
du ſabre & du turban
qu'elle avoit tant de
fois mépriſez en ma preſen;
252 MERCURE
cé, elle fit monter avec elle
ſes deux eunuques à cheval ,
elle dit à fes femmes qu'elle
alloit ſe promener dans les
vallées qui font au pied des
montagnes de la Locrida ,
elley fut en effet , mais elle
alla plus loin encore , elle
pouſſa juſqu'à Elbaffan , où
un party des troupes de
l'Empereur des Chreftiens
Farreſta . Elle demanda à
parler au General de l'armée
qui eftoit alors à Du
razzo où elle fut conduire,
&de qui elle fut receue avec
tous les égards deus à fon
GALANT . 253
fexe & à la beauté. Je yous
apprends maintenant d'épouventables
nouvelles
Halil ; mais vous ne ſçavez
pas encore le plus grand
de vos malheurs. J'ay appris
depuis quelque temps qu'elle
s'eſtoit faite Chreftienne .
C'en eſt aſſez , luy dit
Halil , fortez & ne vous repreſentez
jamais à mes
yeux, je ne ſçay ſi mavertu
ſuffiroit pour vous derober
à ma fureur.
Yeghen qui s'eſtoitjetté ſur
le lit qui eſtoit à l'autre ex.
tremite de la chambre,aprés
254 MERCURE
avoir entendu ce recit , ſe
fit approcher de l'inconfolable
Halil, à qui il dit tout
ce qu'il creut capable d'apporter
quelque foulagement
à ſa douleur. Enfin
aprés pluſieurs de ces dif
cours qui ne perfuadent
gueres les malheureux , amy,
luydit- il, jettez les yeux
fur mon jardin , & voyez fi
dans le grand nombre de
beautez qui s'y promenent ,
il n'y en aura pas une qui
puiſſe vous conſoler de la
perte de l'infidelle Adrabiſta.
Jevousdonnecellequevous
GALANT. 255
préfererez aux autres , quelque
chere qu'elle me puiſſe
eſtre. Je veux , luy répondit
Halil, à qui une propofition
fi flateuſe fit preſque oublier
toute ſon infortune
eſtre auſſi genereux que
vous , & n'écouter l'offre
magnifique que vous me
faites , que pour vous en remercier
: non , non, reprit
Yeghen, il n'en ſera que ce
qu'il me plaira ,&nous verrons
dés que vous ferez gueri
, ſi vous affecterez encore
d'eſtre , ou ſi vous ferez fincerement
auffi genereux
quemoy.
256 MERCURE
Au bout de quatre ou cinq
jours ils furent gueris tous
deux.Alors Veghenplus charmé
encore des vertus d'Halil,
lemenadans un cabiner
de ſon jardin , où à travers
une jalouſie il vit paſſertoutes
les femmes qui estoient
dans le ſérail de ce Bacha,
qui ne s'occupa pendant
cette reveuë qu'à examiner
la contenance d'Halil , &
qu'à luy demander ce qu'il
penſoit de chaque beauté
qui paſſoit au pied de la ba
luſtrade où ils eftoient.
Enfin aprés avoir longtemps
GALANT 25
1
temps confideré aſſez tranquillement
tout ce que l'Europe
& l'Afie avoient peuteſtre
de plus beau , il vitune
grande perſonne dont les
habits eſtoient couverts des
plus riches pierreries de l'O
rient , negligemment appuyée
fur deux eſclaves , &
dont les charmes divins of
Froient aux yeux un majel
tueux étalage des plusrates
merveilles du monde. Auffitoſt
il marqua d'un ſonpir le
prompt effet du pouvoir iné.
vitable de ſes attraits vainqueurs.
Qu'avez-vous , luy
Juin 1714. Y
258 MERCURE
dit àl'inſtant Yeghen , amy,
vous ſoupirez ?Ah,ſeigneur,
je me meurs , reprit Halil ,
qu'onm'ouvre àl'heuremeſ
me les portes de voſtre ſé.
rail,&ne m'expoſez pas davantage
aux traits d'unegenorofité
fi cruelle. Je vous
entends , reprit Yeghen ,
mais je ne veux pas conſentir
à vous laiſſer fortir
de mon Serail , que vous
n'ayez épousé celle de
toutes ces perſonnes qui
vous plaiſt davantage. Elles
font toutes mes femmes ,
àl'exception de la derniere
GALANT 259
qui eſt ma fille , recevez- là
de ma main mon fils , &
aimez moy toûjours.
Halil fe jetra fur le
champ aux pieds du Bacha
qui le releva dans le
moment , pour le conduire
à l'appartement de ſa fille ,
dont le même jour , il le
rendit l'heureux Epoux ; Il
prit enſuite uniquement
ſoin de ſa fortune , juſqu'à
ſa mort , qui arriva juſtement
, un mois aprés avoir
engagé le Sultan Solyman
à donner à ſon gendre le
Bachalik de Damas.
Yij
260 MERCURE
Halil a vécu depuis plus
de vingt ans avec tout l'é
clat & tous les honneurs.
dont puiſſent joüir les plus
Grands Seigneurs de l'Empire
Othoman . Mais il n'eſt
rien de fi fragile que le
bonheur des hommes , la
moindre jaloufic ou la
,
moindre eſperanceles
étourdit au milieu de leur
felicité , & il ſuffit qu'ils
ayent eſté tousjours heureux
, pour croire n'avoir
jamais d'infortune à redouter
: enyvré de leur gran
deur , leur Maiſtre ne de
GALANT . 261
vient à leurs yeux qu'un
mortel comme eux , fouvent
meſme ils prétendent
s'attirer & meriter plus
d'honneurs que leur Mail
tre
Le trés haut Sultan Achmet
àpréſent regnant , ſur la
nouvelle de la revolte du
Bacha de Bagdad , a fur le
champ envoyé aux Bachas
de Damas & d'Alep un
ordre exprés de marcher
avec toutes leurs troupes
contre ce rebelle ſujet. Sitoſt
que leur armée a eſté
en estat d'entrer en cam262
MERCURE
pagne , ils ont rencontre
attaqué &battu ce Bacha.
Le Sultan juſques-là a efté
fervi à merveille ; mais on
ajouſte qu'ébloüis appar
ramment de quelques projets
ambitieux dont on ne
ſçait encore ny le fond
ny les détails , & flattez
ſans doute de l'eſpoir
d'un ſuccez favorable , ces
deux Bachas ont entretenu
une intelligence criminelle
avec celuy de Bagdad.
Que le Bacha de
Damas a eſté convaincu de
ce crimepar des lettres qui
GALANT . 263
onteſté interceptées ,& qui
fot tombées entre les mains
du Grand Seigneur , qui a
dépeſché auſſi toſt l'ordre
ſuprême qui vient de coufter
la vie à cet infortuné
Bacha. Je ne ſçay pas encore
, files muets l'ont étranglé,
s'il a efté afſaſſiné , ou
ſi on luy a tranché la teſte ;
mais je ſçay bien que le
Sultan a prononcé l'arreſt
dont il eſt mort .
Dés que l'Armenien cuft
fini ſon recit , je le remerciay
de m'avoir appris tant
de particularitez de la vic
C
264 MERCURE
des trois Bachas Halil
Yeghen & Zeinal , & je le
priay de m'informer de
toutes les nouveautez qu'il
pourroit apprendre encore.
Il ne ſe paſſera rien dans
ce pays- cy qui vaille la peine
de vous eftre mandé
dont je ne vous faſſe pare
avec plaifir.
Je ſuis Mr. &c.
du Bacha de Damas.
IL eſt ſi difficile de ſçavoir
poſitivement ce qui ſe
paffe dans cet Empire,qu'on
n'y demeſle ſouvent la veri.
té d'un fait , quelque éclatant
qu'il foit , que longtemps
aprés qu'il eſt arrivé.
Les nouvelles de l'Afie , &
celles de l'Europe entrent
confufément à Conftantinople
, où chacun les débite
1
A
GALANT . 219
au gré de ſes intereſts , le
Courier qui en eft chargé
les donne au grand Viſir ,le
grand Viſir au Sultan , & le
Sultanles enſevelit dans ſon
ſérail. Ainfije n'oſe encore
vous aſſeurer que les dernieres
circonstances de l'hiſtoire
que je vais vous écrire ,
foient telles qu'on les raconte
icy; mais je vous promets
que je ſeray exact à
vous detromper , ſi le temps
ou le haſard me detrompent.
Il y a quatrejours que me
promenant avec quelques
Tij
210 MFRCURE
qui
eſtrangers dans ma çaique,
fur le canal de la Mer noire,
un fameux Armenien ,
a fait toute la vie un grand
commerce d'eſclaves , me
conta à peu prés en ces
termes l'hiſtoire de Halil
Acor Bacha de Damas .
J'étois , me dit- il, un jour,
( & bien jeune alors ) à Baghlar
qui eſt un Port de
cette Mer , environ à so
lieuës d'icy lorſqu'un
* Sheieke de mes amis y arriva.
Je le priay de venir
* Predicateur Turc,
GALANT 227
loger dans le meſme * Caravanfarai
que moy. La Maifon
eſtoir alors pleine
d'hommes & de chevaux.
Le Sultan Mahomet IV. dont
le regne étoit plus tranqui
le qu'il n'avoit encore eſté,
&qu'il ne l'a eſté depuis ,
preſtoit dans ce temps au
Kan della Krimée dix
mille hommes de ſes troupes
pour les joindre à douze
mille Tartares de Budziack
& de Bialogrod , qu'il
deftinoit à quelque grande
entrepriſe. Les Janifſſaires ,
* Auberge Turque.
Tiij
222 MERCURE
3
1
les Spahis , & les Afiati
ques que le Grand Seigneur
envoyoit au Kan paffoient
alors par Baghlar où nous
eſtions . Un de ces Janiffai
res entr'autres natif de
* Chaplar en Bulgarie voulut
profiter de l'occaſion
de cette route pour mener
plus ſeurement chez luy
une belle fille qu'il avoit
epousée depuis un an à
Midia de Romanie, Nous:
la trouvâmes avec fon
mary dans le Caravanfarai
que nous avions choiſi
Ville maritime de la Mer noire.
GALANT. 223
২
lorſque nous yarrivame s .
Le hazard nous plaça auprés
d'eux , le Janiſſaire
m'en parut content , il aimoit
mieux voir à côté de
ſa femme , un Venerable
Sheieke qu'aucun de ſes camarades.
Nous ſoupâmes
cependant & nous nous
endormimes ſur la paille.
Une heure avant le jour
nous entendimes des cris
aigus qui nous réveillérent
comme tous les hoftes de
la maiſon ; la femme du
Janiſſaire que fon.Mary
n'avoit pas crue ſi proche
T iiij
224 MERCURE
de ſon terme venoit de
mettre un enfant au monde
, à coſté de mon Sheie
xe , qui ſe trouva fort ſcandaliſé
de cet accouchement.
Il ſe leva plein de
couroux , en diſant que ſes
habits étoient foülliés du
déſordre & des accidents
de cette avanture , néanmoins
la mortification &
l'embarras du Janiſſaire ,
les douleurs de ſa femme
& mes difcours l'addoucirent
; je luy perſuaday ( &
il le ſçavoit bien , ) qu'il
feroit lavé de cette tache
GALANT. 225
en lavant ſa robe & fa per
ſonne avant la premiere
priere. Je le menay au bain
qui eſtoit dans le Caravan
farai où il ſe fit toutes les
cerémonies de l'ablution
desTurcs.
Cependant je retournay
auprés du trifte Janiſſaire ,
&de ſa femme qui gemiſſoit
encore des reſtes ou du fouvenir
de fa douleur ; je lui
donnay tous les ſecours
que je pûs imaginer , on
attendant le retour de mon
Sheieke.
f
L'étoile la plus favorable
226 MERCURE
qui puiſſe veiller fur nos
jours , ne flatte pas les Mufulmans
d'une plus heureuſe
deſtinée qu'un Sheike,
ou un Emir * lorſqu'ils préfident
à la naiſſance de
leurs enfants. Celuy- cy revint
enfinà nous, prés d'une
heure après le lever du Soleil.
Et aprés avoir enviſagé
le Janiſſaire , ſa femme
& fon fils , d'un air tranſ
porté de l'excellence des
avantages qu'il avoit à leur
promettre , il leur prédit
ces choſes.
Prêtre Ture.
GALAND. 227
Letrés puiſſant trés mi
fericordieux Alla a jettéfur
vous & fur vostre fils des regards
bienfaisants le faim
Prophete efto fon meffager.
Il'a pitié de vous , & Sultan
Mahomet qui est agréable au
trés mifericordieux que le
faint Prophete oberit vous élevera
aux premiers honneurs de
fon Empire. Alla * ha Alla.
Tousoles affiftans felici
terent auffi toſt le Janiſſaire
fur la prédiction du Sheieke.
Cette nouvelle paſſa juf
qu'à fon Aga qui luy donna
d'abord de grandes mara
* Dieu. Dieu eſt Dicu.
228 MERCURE
4
ques de distinction. Enfin
le jour du départ des troupes
qui estoient à Bagblar
eſtant venu , il nous quitta
aprés nous avoir juré qu'il
n'oublieroitja mais les obli
gations qu'il nous avoit. N
nousa tenu parole , & c'eſt
de luy-meſme que j'ay appris
avec la ſuite de fa for
tune, une partiede l'hiſtoire
de ſon fils , que vous allez
entendre.
Dés que Zeinal ( c'eſt le
nom de ce Janiſſaire ) cut
remis ſa femme à Chaplar
entre les mains de fa mere,
GALANT. 229
il ne fongea plus qu'à verifier
l'oracle du Sheiere H
fitdans la Krimée des actions
éclatantes que ſon Aga fit
valoir autant qu'elles lemeritoient
aux yeux du Grand
Viſir Cuprogli , qui l'avança
en ſi peu de temps , qu'en
moins de fix ans il le fir
nommer par ſa Hauteffe
Bacha d'Albanie. Il remplit
cette grande place avec
beaucoup d'honneur pen.
dant pluſieurs années , enfin
aprés la dépoſition du
malheureux Sultan Mahomet
IV. Sitoſt que ſon frere
230 MERCURE
Sultan Soliman III . fut mon
té ſur le thrône, il voulut
à l'exemple de tous les au.
tres Bachas profiter desdefordres
de l'Empire pour
augmenter fon credit ; mais
il ſe broüilla malheureuſement
avec le fameux & redoutable
Osman Yeghen
dont le courage , la politi
que & l'audace firent trembler
Solyman juſques dans
fon ferail.
Zeinal s'étoit oppoſé aux
contributions qu'Yeghen *
Serafier de l'armée d'Hon-
* General des Armées du Grand Seigneur.
GALANT 238
grie , avoit tirez de la Ro
melie , & aux impoſitions
qu'il avoit miſes ſur tous les
Juifs & les Chrétiens qui
eſtoient à Theſſalonique ,
& qu'il avoit taxez à deux
Piaſtres par teſte. Il avoit
meſme envoyé un gros party
de Cavalerie qui avoit
taillé en piece les gens
qu'Yeghen avoit chargez de
lever ces impoſitions.
Le Grand Viſir Ismael
trembloit alors de peur
que le Serafkier ne vint à
Conſtantinople avec fon
armée , & qu'il ne le fit dé
232 MERCURE
pofer bien toſt , comme il
avoit déja fait déposer le
Grand Vifir Solyman fon
predeceſſeur. Yeghen qui
reconnut l'avantage qu'il
avoit fur ce foible Viſir ,
luy demanda la teſte de
Zeinal. Ifmael qui de fon
coſté cherchoit à l'ébloüir
par de fauſſes apparences ,
fut ravi de luy pouvoir faire
un ſacrifice dont il n'avoit
rien à apprehender ,
puiſqu'il ne le rendoit pas
plus fort , ainſi quoyque
Zeinalne fût coupable d'au .
cun crime , il le fit décapi-
: ter
GALAN 2338
ter publiquement , dans la
Cour du Serail devant la
porte du Divan.?
Cependant ſon fils Halil
Acor faiſoit alors les fonctions
de Capigibachi en Afie,
où il n'apprit la mort de
ſon pere que long - temps
aprés qu'elle fut arrivée.
Il y avoit affez d'affaires
en Hongrie pour exercer
ſon courage ; mais l'amour
produifit luy ſeul tous les
motifs de fon éloignement.
Il avoit vû par, hazard
dans le Serail de ſon pere
une belle fille de l'iſle de
Juin 1714.
V
234 MERCURE
Chypre que Zeinal deftinoir
au grand Seigneur , il en
devint éperduëment amoureux
, il mit dans ſes interêts
deux femmes qui la fervoient
, il ſéduifit deuxEu
nuques à force de preſents,
il profita de l'abſence de
ſon pere pour s'introduire
toutes les nuits dans ſon
Sérail , & enfin il engagea
cette belle fille à luy donner
les dernieres & les plus
fortes preuves de fa tendreſſe.
Plus flatée de l'efpoir
de poffeder le coeur
d'Halil que de la gloire
GALANT. 2:5
chimérique dont on repait
la vanité de celles qu'on
deſtine aux plaiſirs du
Grand Seigneur , elle avoit
conſenti que ſon Amant
l'enleva avec ſes deux femmes
& ſes deux Eunuques ,
elle estoit déja meſme affez
loin du Serail de Zeinal ,
lorſque ce Bacha revint
chez luy la nuit meſme
qu'on avoit priſe pour cet
enlevement. Maisheureu-
- ſement pour ces Amantsi!
n'entra que le lendemain
matin dans le quartier des
Femmes , où il apprit avec
Vij
236 MERCURE
tous les tranſports de la
plus violente fureur le defordre
de la nuit préceden
te. Il monta auffi - toſt à
Cheval , & de tous les côtez
il fit courir aprés fon
fils ; mais ſes ſoins & ſa diligence
furent inutiles. Halil
qui n'eſtoit pas ſi loin
qu'il le cherchoit , avoit eu
la précaution de s'affeurer
d'une Maiſon qu'un Me
decin Juif qui n'eſtoit pas
des amis de fon pere avoit
dans les montagnes. Il falloit
traverſer plus de deux
lieuës de defert avant d'y
/
GALANT. 237
arriver, & jamais Zeinal n'y
ſes amis , ny fes eſclaves
ne s'eſtoient aperceus que
fon fils connuſt ce Juif.
Halil auroit pû longtemps
profiter de la ſeureté
de cet azile , ſi les troubles
dont l'Empire eſtoit
agité , & fon courage ne
l'avoient pas preffé bien
toſt de facrifier ſon amour
à ſa gloire. Les larmes de
ſa femme , ny les prieres du
Juif qui luy promit enfin
d'en avoir foin juſqu'à la
mort , ne purent l'arreſter
davantage. Il ſe rendit à
138 MERCURE
Conſtantinople , où il fur
reconnu d'abord par un
des amis de fon Pere qui
le recommanda particulierement
au Grand Vifir Som
lyman , qui , en confideration
de l'audace , de l'efprit
, de la bonne mine de
ce Jeune homme , & du
mérite de Zeinal , luy donna
ſur le champune Com
pagnie de Spahis. Il cut ordre
d'aller ſervir en Afie ,
où en peu de temps ſa valeur
le fit parvenir à la
Charge de Capigibachi
qu'il exerça avec honneur
அ
1
GALANT. 239
juſqu'à la mort de ſon Pere .
Le Vifir Ismaël qui avoit
eu la lacheté de faire exé
cuter l'injuſte & cruel ar
reft qu'il avoit prononcé
contre Zeinal , futbien-toft
aprés la victime de fa for
bleſſe. Yeghen revint àConf
tantinople , aprés en avoir
fait chaffer honteuſement
ce Viſir , qui ne pût racheter
ſa vie qu'aux dépens de
toutes les richeſſes que fon
avarice infatiable luy avoit
fait amaſſer pendant fon
indigne miniftere. Halil y
fut rappellé en meſme
240 MERCURE
temps qu'Yeghen , avec les
troupes qui ſervoient en
Afie. Il fut auffi toft à la
maiſon de ce General àqui
il dit qu'il ne luy rendoit
cette viſite , que pour luy
demander raiſon du fang
de ſon pere qu'il avoit fait
repandre , Yeghen conſentit
àluy donner cette fatisface
tion dans une des plus fecrettes
chambres de fon
Serail , où aprés un com
bat aſſez long , Ils ſe blef
férent tous deux : cependant
Yeghen eut l'avantage;
mais il n'en abuſa pas , au
contraire
GALANT. 241
contraire , loin de fonger
à ſe défaire d'un ennemi
auſſi redoutable qu'Halil ,
Je love , luy dit- il , ton coursge
&j'approuve ton reffentiment
: il n'a tenu qu'à ton Pere
d'eftre toûjours mon amy , mais
il a voulu me perdre & je
l'ay perdu. Tu as Satisfait à
ton honneur , en eſſayant de le
vanger : Vois , & dis moy
maintenant ce que tu veux , &
ce que je puis pour toy. Halil
eftonné de la generoſité de
ce grand homme , luy répondit
, Yeghen je ne veux
maintenant,que m'efforcer d'ê-
Juin1714. X
242 MERCURE
tre auffi genereux que toy. Si tu
veux m'imiter , reprit- il ,facrifie
ta vangeance à mon amitié
que je t'offre , je vais ordonner
qu'on nous penſe de nos bleſſu
res , je prétends que tu ne
gueriffe des tiennes que dans
mon Serail. Il appelle auffitoſt
ſes Eſclaves qui menerent
fur le champ Halil
dans une chambre où ily
avoit deux lits qui n'étoient
ſeparez l'un de l'autre que
par un grand rideau de taffetas
couleur de feu qui
eſtoit directement au milieu
de la chambre dont les
GALANT 243
Croiſez qui estoient aux
deux extremitez avoient
vûë de chaque coſté ſur
les Jardins où ſe promenoient
tous les jours les
femmes & les enfants
d'Yeghen.
Dés qu'on eut arreſté
ſon ſang , & qu'il ſe fut
mis au lit , il vit entrer
dans ſa chambre le Medecin
Juif à qui il avoit confié
la belle Eſclave qu'il
avoit épousée dans ſa maifon
, aprés l'avoir enlevée
du Serail de ſon Pere. A
drianou , luy dit il auſſi toſt ,
X ij
244 MERCURE
moncher Adrianou que faítes
-vous icy ? Pourquoy
eftes vous maintenant à
Conftantinople , & dans
quel eſtat eſt ma femme ?
Je vous ay promis , reprit
le Juif , en ſoûpirant , d'avoir
ſoin de la malheureuſe
Adrabista juſqu'à ma mort.
Toutes mes précautions
n'ont pû prévenir les effets
de ſon déſeſpoir , elle eſt
à jamais perduë pour vous ,
& je ne ſuis point fâché
dans mon infortune que
les remedes que je viens
Fameuſe par les grandes avantures qu'elle
2euës depuis àRome , & que je conterayune
autre fois.
GALANT . 245
vous offrir par hazard me
preſentent à vos yeux , où
je ſuis prêt d'expier dans les
fupplices , le crime de ma
négligence où de mon
malheur. Contez moy donc
cette funeſte hiſtoire, lui dit
avec bonté , l'affligé Halil ,
& n'en épargnez aucune
circonstance à madouleur.
Il vous fouvient , reprit le
Juif, des efforts que fit Adra.
biſta , & des larmes qu'elle
répandit pour vous retenir
auprés d'elle ; vous n'avez
pas non plus oublié les
pleurs & les prieres que je
Xij
246 MERCURE
mis en uſage pour flechir
voſtre courage inhumain.
Une vertu cruelle & plus
forte que l'amour vous ravit
enfin ànosyeux.
Crois - tu , dés que vous
fuſtes parti , me dit Adrabista
, que les larmes & les
gemiſſements ſoient main
tenant les armes dont je
veux me ſervir pour mevenger
de la fureur ou de l'infidelité
de mon barbare époux
Non , Adrianou ,non.
je veux le ſuivre malgré luy
& malgré toy : ma taille
avantageuſe&mon audace
GALANT. 247
m'aideront ſuffisamment à
cacher ma foibleſſe & mon
ſexe; enfin jeveux courir les
meſmes haſards que luy,par
tout où l'entraiſnera cette
impitoyable gloire qui l'arrache
àmon amour. Je vou
lus d'abord flatter ſa dou
leur; mais malgré mes foins,
ma complaiſance criminel.
le,& mon aveuglement l'ont
précipitée dans le plus
grand des malheurs. Je luy
permis d'eſſayer le turban ,
& de mettre un fabre à ſon
coſté. Elle ſe plaiſoit quelquefois
dans cet équipage
X iiij
248 MERCURE
de guerre , d'autrefois jer
tant fon fabre & ſon turban
par terre , elle affectoit de
mépriſer ces inſtruments
qu'elle deſtinoit à ſa perte.
Enfin elle feignit de paroiftre
devantmoy conſolée de
voſtre abſence , & pendant
plusde fix ſemaines elle ne
me parla pas plus de vous ,
que ſi elle ne vous euſt jamais
connu. Cette indiffe
rence m'inquietta pour
yous , & je luy dis unjour ,
eſtes - vous Adrabista , cette
heroine qui deviez fi glo.
rieuſement ſignaler voſtre
GALANT. 249
du
tendreffe , en courant jufqu'au
fond de l'Afic aprés
un époux ſi digne de voſtre
amour. Non , Adrianou , me
dit elle , je ne ſuis plus cette
Adrabista que vous avez veue
capable des plus extravagants
emportements
monde.J'aime tousjoursHa
lil comme mon ſeigneur &
mon époux ; je ſens toutes
les rigueursde ſon abfence ;
mais le temps & mes reflexions
ont rendu ma douleur
plus modeſte;& il n'est point
de fi miferable coin fur la
terre , où je n'aime mieux
250 MERCURE
attendre ſes ordres , que
m'expoſer en le cherchant
auhafard de le deshonorer
enme deshonorant moymeſme.
Je creus qu'elle me par
loit de bonne foy , & dans
cette confiance je luy donnay
plus de liberté & d'authorité
dans ma maifon que
je n'y en avois moy-mefme.
Enfin il vint un jour un
exprés que le gouverneur de
la Valone m'envoya pour me
preſſer d'aller porter des re
medes à fon fils qui estoit à
l'extremité. Je fis auffi- toſt
GALANT. 251
part de la neceffité de ce
voyage à Adrabista , je la
priayde chercher à ſe defen
nuyer pendant mon abfence
, & je partis avec mon
guide. Mais jugez de ma
conſternation lorſqu'à mon
retour dans ma maiſon , on
me fit part des funeſtes nouvelles
que vous allez entendre.
Le lendemain de mon
départ Adrabista fit ſeller
trois chevaux qui reſtoient
dans mon écurie. Elle s'équippa
du ſabre & du turban
qu'elle avoit tant de
fois mépriſez en ma preſen;
252 MERCURE
cé, elle fit monter avec elle
ſes deux eunuques à cheval ,
elle dit à fes femmes qu'elle
alloit ſe promener dans les
vallées qui font au pied des
montagnes de la Locrida ,
elley fut en effet , mais elle
alla plus loin encore , elle
pouſſa juſqu'à Elbaffan , où
un party des troupes de
l'Empereur des Chreftiens
Farreſta . Elle demanda à
parler au General de l'armée
qui eftoit alors à Du
razzo où elle fut conduire,
&de qui elle fut receue avec
tous les égards deus à fon
GALANT . 253
fexe & à la beauté. Je yous
apprends maintenant d'épouventables
nouvelles
Halil ; mais vous ne ſçavez
pas encore le plus grand
de vos malheurs. J'ay appris
depuis quelque temps qu'elle
s'eſtoit faite Chreftienne .
C'en eſt aſſez , luy dit
Halil , fortez & ne vous repreſentez
jamais à mes
yeux, je ne ſçay ſi mavertu
ſuffiroit pour vous derober
à ma fureur.
Yeghen qui s'eſtoitjetté ſur
le lit qui eſtoit à l'autre ex.
tremite de la chambre,aprés
254 MERCURE
avoir entendu ce recit , ſe
fit approcher de l'inconfolable
Halil, à qui il dit tout
ce qu'il creut capable d'apporter
quelque foulagement
à ſa douleur. Enfin
aprés pluſieurs de ces dif
cours qui ne perfuadent
gueres les malheureux , amy,
luydit- il, jettez les yeux
fur mon jardin , & voyez fi
dans le grand nombre de
beautez qui s'y promenent ,
il n'y en aura pas une qui
puiſſe vous conſoler de la
perte de l'infidelle Adrabiſta.
Jevousdonnecellequevous
GALANT. 255
préfererez aux autres , quelque
chere qu'elle me puiſſe
eſtre. Je veux , luy répondit
Halil, à qui une propofition
fi flateuſe fit preſque oublier
toute ſon infortune
eſtre auſſi genereux que
vous , & n'écouter l'offre
magnifique que vous me
faites , que pour vous en remercier
: non , non, reprit
Yeghen, il n'en ſera que ce
qu'il me plaira ,&nous verrons
dés que vous ferez gueri
, ſi vous affecterez encore
d'eſtre , ou ſi vous ferez fincerement
auffi genereux
quemoy.
256 MERCURE
Au bout de quatre ou cinq
jours ils furent gueris tous
deux.Alors Veghenplus charmé
encore des vertus d'Halil,
lemenadans un cabiner
de ſon jardin , où à travers
une jalouſie il vit paſſertoutes
les femmes qui estoient
dans le ſérail de ce Bacha,
qui ne s'occupa pendant
cette reveuë qu'à examiner
la contenance d'Halil , &
qu'à luy demander ce qu'il
penſoit de chaque beauté
qui paſſoit au pied de la ba
luſtrade où ils eftoient.
Enfin aprés avoir longtemps
GALANT 25
1
temps confideré aſſez tranquillement
tout ce que l'Europe
& l'Afie avoient peuteſtre
de plus beau , il vitune
grande perſonne dont les
habits eſtoient couverts des
plus riches pierreries de l'O
rient , negligemment appuyée
fur deux eſclaves , &
dont les charmes divins of
Froient aux yeux un majel
tueux étalage des plusrates
merveilles du monde. Auffitoſt
il marqua d'un ſonpir le
prompt effet du pouvoir iné.
vitable de ſes attraits vainqueurs.
Qu'avez-vous , luy
Juin 1714. Y
258 MERCURE
dit àl'inſtant Yeghen , amy,
vous ſoupirez ?Ah,ſeigneur,
je me meurs , reprit Halil ,
qu'onm'ouvre àl'heuremeſ
me les portes de voſtre ſé.
rail,&ne m'expoſez pas davantage
aux traits d'unegenorofité
fi cruelle. Je vous
entends , reprit Yeghen ,
mais je ne veux pas conſentir
à vous laiſſer fortir
de mon Serail , que vous
n'ayez épousé celle de
toutes ces perſonnes qui
vous plaiſt davantage. Elles
font toutes mes femmes ,
àl'exception de la derniere
GALANT 259
qui eſt ma fille , recevez- là
de ma main mon fils , &
aimez moy toûjours.
Halil fe jetra fur le
champ aux pieds du Bacha
qui le releva dans le
moment , pour le conduire
à l'appartement de ſa fille ,
dont le même jour , il le
rendit l'heureux Epoux ; Il
prit enſuite uniquement
ſoin de ſa fortune , juſqu'à
ſa mort , qui arriva juſtement
, un mois aprés avoir
engagé le Sultan Solyman
à donner à ſon gendre le
Bachalik de Damas.
Yij
260 MERCURE
Halil a vécu depuis plus
de vingt ans avec tout l'é
clat & tous les honneurs.
dont puiſſent joüir les plus
Grands Seigneurs de l'Empire
Othoman . Mais il n'eſt
rien de fi fragile que le
bonheur des hommes , la
moindre jaloufic ou la
,
moindre eſperanceles
étourdit au milieu de leur
felicité , & il ſuffit qu'ils
ayent eſté tousjours heureux
, pour croire n'avoir
jamais d'infortune à redouter
: enyvré de leur gran
deur , leur Maiſtre ne de
GALANT . 261
vient à leurs yeux qu'un
mortel comme eux , fouvent
meſme ils prétendent
s'attirer & meriter plus
d'honneurs que leur Mail
tre
Le trés haut Sultan Achmet
àpréſent regnant , ſur la
nouvelle de la revolte du
Bacha de Bagdad , a fur le
champ envoyé aux Bachas
de Damas & d'Alep un
ordre exprés de marcher
avec toutes leurs troupes
contre ce rebelle ſujet. Sitoſt
que leur armée a eſté
en estat d'entrer en cam262
MERCURE
pagne , ils ont rencontre
attaqué &battu ce Bacha.
Le Sultan juſques-là a efté
fervi à merveille ; mais on
ajouſte qu'ébloüis appar
ramment de quelques projets
ambitieux dont on ne
ſçait encore ny le fond
ny les détails , & flattez
ſans doute de l'eſpoir
d'un ſuccez favorable , ces
deux Bachas ont entretenu
une intelligence criminelle
avec celuy de Bagdad.
Que le Bacha de
Damas a eſté convaincu de
ce crimepar des lettres qui
GALANT . 263
onteſté interceptées ,& qui
fot tombées entre les mains
du Grand Seigneur , qui a
dépeſché auſſi toſt l'ordre
ſuprême qui vient de coufter
la vie à cet infortuné
Bacha. Je ne ſçay pas encore
, files muets l'ont étranglé,
s'il a efté afſaſſiné , ou
ſi on luy a tranché la teſte ;
mais je ſçay bien que le
Sultan a prononcé l'arreſt
dont il eſt mort .
Dés que l'Armenien cuft
fini ſon recit , je le remerciay
de m'avoir appris tant
de particularitez de la vic
C
264 MERCURE
des trois Bachas Halil
Yeghen & Zeinal , & je le
priay de m'informer de
toutes les nouveautez qu'il
pourroit apprendre encore.
Il ne ſe paſſera rien dans
ce pays- cy qui vaille la peine
de vous eftre mandé
dont je ne vous faſſe pare
avec plaifir.
Je ſuis Mr. &c.
Fermer
Résumé : HISTOIRE du Bacha de Damas.
Le texte narre l'histoire de Halil Acor Bacha de Damas, relatée par un Arménien ayant été impliqué dans le commerce d'esclaves. L'histoire commence à Baghlar, un port de la mer Noire, où un Janissaire nommé Zeinal, originaire de Bulgarie, réside avec sa femme enceinte. Un Sheik et l'Arménien les assistent lors de l'accouchement. Le Sheik prédit un avenir glorieux pour l'enfant, qui se réalise lorsque Zeinal devient Bacha d'Albanie. Cependant, Zeinal est exécuté sur ordre du Grand Visir Ismael, à la demande du général Osman Yeghen. Le fils de Zeinal, Halil, alors Capigibachi en Asie, apprend la mort de son père longtemps après. Halil, épris d'une esclave destinée au Sultan, l'enlève et se réfugie chez un médecin juif. Forcé de quitter sa cachette, Halil se rend à Constantinople où il est reconnu et rejoint les Spahis. Après la mort de son père, Halil affronte Yeghen en duel, mais est blessé. Yeghen, impressionné par le courage de Halil, lui offre son amitié. Halil apprend ensuite la mort de sa femme, Adrabista, des mains du médecin juif Adrianou. Le texte relate également l'histoire d'Adrabista, une femme juive et épouse de Halil. Désespérée par le départ de Halil, elle décide de le suivre déguisée en homme pour affronter les dangers qu'il rencontre. Elle cache sa douleur et son désir de le rejoindre, mais finit par révéler ses intentions à Adrianou, un confident. Malgré ses efforts pour la dissuader, Adrabista s'enfuit et rejoint les troupes chrétiennes, où elle se convertit au christianisme. De son côté, Halil, informé de la trahison d'Adrabista, est dévasté. Yeghen, un ami de Halil, tente de le consoler en lui offrant une de ses femmes. Halil, après une période de réflexion, choisit la fille de Yeghen et l'épouse. Il mène ensuite une vie prospère et honorable jusqu'à sa mort. Le texte se termine par la nouvelle de la rébellion du Bacha de Bagdad et de la trahison des Bachas de Damas et d'Alep, qui sont accusés de complicité. Le Bacha de Damas, Halil, est exécuté sur ordre du Sultan.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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30
p. 8-84
LE NAUFRAGE au port. HISTOIRE.
Début :
Je réponds à cela, que je prie le Lecteur de ne pas / Il y a quelques années qu'étant à S. Malo, un de [...]
Mots clefs :
Moscovie, Hommes, Mer, Histoire, Naufrage, Terre, Yeux, Navire, Maison, Aventures, Vieillard, Femmes, Cap, Navires, Vents, Europe, Peuples, Dieu, Repas, Commerce des Indes orientales, Norvège, Lapons, Vie, Peuples, Climat, Animaux, Amour, Coeur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE NAUFRAGE au port. HISTOIRE.
Je reponds à cela, que
je priele Lecteur de ne pas
s'impatienter; & pour commencer
a m'acquitter avec
lui, je vais l'entretenir des
avantures de la Moscovite
& du Lapon, que j'ai promises
le mois dernier. Cependant
je le prie de me
permettre de changer le
titre de cette histoire; quoique
ces deux personnages
y jouent un rôle merveilleux
,ils n'en sont pas néanmoins
les principaux acteurs
: ainsi je croy qu'on
ne me disputera pas la liberté
de la donner fous cet
autre titre.
LE NAUFRAGE
au port.
I HISTOIRE. L y a quelques années
qu'étant à S. Malo, un de
mes amis vint un jour me
trouver, pour me prier
de l'accompagner jusqu'au
Cap *, où étoient deux vais-
* C'est un Promontoire ou pointe
de terre fort élevé à cinq lirsÚs de
S. Malo. Il y a une radeassez,
bonne, où j'amarent ordinairement
les navires qui vont à lamer, eu
qui en reviennent.
seaux qui dévoient profiter
du premier beau temps
pour mettre à la voile pour
la mer du Sud. Plusieurs de
ses amis & des miensetoient
à bord, & nous voulions
les embrasser encore une
fois avant qu'ils appareillassent.
Il etoit huit heures
du matin, le ciel était fort
clair, la chaloupe nous attendoit,
le vent étoit frais,
& les matelots commençoient
a jurer après nous,
parce qu'ils apprehendoient
que nous ne perdissions
une si belle marée,
lors qu'enfin nous nous embarquâmes
pour nous rendre
au Cap,où nous arrivâmes.
en moins d'une heure
& demie. Nos amis, qui
étoient les principaux Officiers
de ces vaisseaux, char:
mez de cette derniere vitice,
nous firent la meilleure
chere qu'ils purent.
Nous avions à peine resté
r
deux heures table,oùnous
commencions a nous mettre
en train, lorsque nous
entendîmes crier, Navire,
navire. Le vent aussitôt
changea, le ciel& la mer
s'obscurcirent, la pluye
,
la grêle, le connerré, &
les nuës, nous environnerent.
Quoique nous eussions
nos quatre ancres à la
mer,nos pilotes ne laisserent
pas de prendre des mesures
contre l'orage.Cependant
nousattendîmes patiemmét,
le verre à lamain;
&en gens que de pareils
dangersn'effrayent gueres,
tout ce qu'il en pourroit
arriver. Enfin au bout de
deux heures le vent se calma,
& le temps s'éclairit.
Mais il n'est rien d'affreux
comme l'horriblespectacle
que le retour de la lumière
offritànos yeux. Des coffres,
des cordages, des
mâts ,des planches,des
hommes,des semmes,ensintoute
l'image d'un frageépouvantablnea.u-
LesOfficiers des navires
quiétoient à l'ancre ordonnerent
à l'instant à tous
leurs matelots de mettre
toutes les chaloupes à lamer,
pour secourir, autant
qu'ilseroit possible, les malheureuxqui
perissoient
Leur zele eutun succés
assez favorable, & peu
d'hommes perirent. On
porta à bord tous ceux qui
avoient nagé avec assez
de vigueur pour attendre
le secours des matelots:
on lesdéshabilla aussitôt,
& on les jetta sur des lits,
après leur avoir fait rendre
l'eau qu'ils avoient bue.
Où suis. je, grand Dieu!
où suis-je, dit l'un de ces
hommes environ deux heures
après qu'on l'eut sauvé?
n'ai je affronté tant de perils,
n'ai
-
je brave tant de
foisla mort, que pour per-
dre au milieu du port ce
quej'avois de plus cher au
monde? Cruelsqui m'avez
sauvé avec tant d'inhumanité,
rendez-moy à ceperside
element qui vient d'enfgaliotutir
l'objet le plus parqui
fût dans la nature.
A ces mots nous nous approchâmes
du malheureux
dont nous venions d'entendre
les plaintes. Vous êtes,
lui dit aussitôt nôtre Capitaine,
avec des hommes
qui n'ont consulté que leur
inclination pour vous sauver
, &a qui vous êtes redevadevable
de la vie qu'ils vous
ont renduë. Oui, repritil,
en gemissant, je fuis avec
des hommes plus barbares
que les Scythes les plus
cruels; pourquoy ravissezvous
à la mort un miserable
qui ne doit plus songer qu'à
mourir? Non.malheureuse
Julie, non, ne me reprochez
pas un indigne retour
àla vie; vôtre mort va bientôt
être vangée par la mienne.
Cette Julie, dit le Capitaine,
en adressant la parole
à un de ses Officiers, ne seroit-
elle pas une de ces deux
femmes qui sont sur vôtre
lit? Que dites-vous,Monsieur,
reprit cet amant desesperé
? vos gens ont- ils [au.
vé deux femmes? Oui,répondit
le Capitaine. Ah si
cela est, dit-ilaussitôt,Julie
n'est pas morte. A l'instant
il se jetta à bas du lit,
& passa au quadre où l'on
avoir mis les deux femmes
qu'on avoit sauvées comme
lui.
Elles avoient les bras se
le visage écorc hez
,
elles
etoient pâles, désigurees 6e
assoupies. Non, dit-il, après
avoir touché ses mains,6j
plein des transports de ta
joye, non ma Julie n'est pas
morte. Je vous dois encore
une fois la vie,Messieurs,
&mille fois davantage. La
tendre Julie, que ses paroles,
ses soûpirs & ses embrassemens
éveillerent, ouvrit
les yeux, & jettant des
regards pleins de tristesse
& de langueur sur tous les
objets dont elle étoit environnée
,elle reconnut enfin
son heureux amant,qui
échauffoit avec sa bouche
ses froides mains, qu'il arrofoit
en même temps de't
ses larmes. |
Alors nôtre Capitaine la
fit changer de lit,&lafit
porter sur le sien, où elle
reçue. plus commodément
tous les autres secours dont
elle eut besoin.
* Cependant on nous
avertit
que le souper étoit prêt.
Le Capitaine pria le Cavalier,
à qui il ne restoit plus
que le souvenir de son naufrage,
de se mettre à table
à côté de lui. Dés qu'ils furent
atable, nous nous pla-;
çâmes où le fort nous mit..
Ce repas ne fut pas si long
que celui du matin: mais
il fut certainement plus
agreable par le récit des rares
avantures que nous entendîmes.
Le nom & le portraitdu
Heros de cette histoire font
des circonstances & des ornemens
necessaires au dé.
tail que j'en vais faire.
Louis-Alexandre de Nerval
, natifde Montréal,sur
la riviere de saine Laurent,
dans le Canada, est un jeune
homme qui peut avoir
à present environ trentedeux
ou trente-trois ans. Il
est peu d'hommes en Europe
qui soient mieux faits
que lui. Son visage est noble
& regulierement beau,
son air. est simple, tendre
&.naturel; il a beaucoup
d'esprit sans étude, il est
vaillant & robuste autant
qu'un homme le puisseêtre:
enfindans quelque endroit
du monde qu'il soit, il sera
toujours regardé. comme
un de ces mortels que la
fortune semble être obligée
de preferer aux aucres.Il
avoit vingt-sixou vingtsept
ans.,lors qu'échapédu
naufrage dont jeviens de
parler
,
il nous conta à la
fin de nôtre souperles avantures
qu'on va lire.
Il y a huir ans, nous dit- que mon pere,Andréde
Nerval, qui étoit un des
plus riches habitans du Canada,
tomba malade de la
maladie dont il est mort. Il
attendit qu'il fût à l'extremité
pour faireentre cinq
enfans qu'il avoir& dont
je fuis l'aîné, un partage
égal de tous ses biens. ille
neôe le lendemain il mourut.
J'eus environ la valeur
de cent mille francs en
terre & en argent pour ma
part. Dés que je me vis le
maître de mon bien, je resolus
, pour l'augmenter,
de faire un commerce qui
pût bientôtm'enrichircomme
lui. J'équipai une fregate
de vingt canons, je
levai une troupe de braves
gens du pays, & je me mis
à la mer avec la meilleure
volonté du monde. Mes
premieres couriesfurent
assez heureuses
; je m'embarquaydeux
fois, deux
fois
fois je retournay dans ma
patrie avec de nouvelles
richesses. La troisième la
fortune nous trahir. J'avois
pris la route de Plaisance
où les ) vents contraires ôc
les grands courans m'obligerent
à relâcher
,
après
avoir été battu de la tempête
pendant près de trois.
semaines. Là j'appris que
quelques navires Hollandois
avoient déja pris pour
leur pêche des moluës la
route du grand ban de
Terre Neuve.Quoique je
sçusse bien qu'il n'y avoic
rien à gagner avec ces Pêcheurs
, je m'imaginai cependant
qu'il ne tenoit qu'à
moy de faire quelque action
déclat,&que secondé
d'une fregate legere qui
étoit avec moy, rien ne
feroit plus facile que de
ruïner leur pêche & leur
commerce pour cetteannée.
Ainsi je donnai tête;
baissée dans ce dessein, qui
eut les plus malheureuses
fuites du monde.
Huit jours après que je 1
fus sorti de Plaisance, après
avoir longtemps combattu,
les vents & les marées, je
tombai (sans pouvoir jamais
l'éviter) au milieu
d'une flote Angloise corn,'
posée de trois gros vaisseaux
qui alloienc chercher des
peaux & des fourrures sur
les confins de la Laponie
de Norvege. Mes deux fregates
marchoient à merveille
: mais les Anglois
avoient le vent sur nous. Ils
mirent toutes leurs voiles
dehors
,
& deux heures
avant la nuit ils nous joignirent.
Dabord ils me
saluerentd'une bordée de
canonssipleine, que je ne-1-
pus leur en rendre qu'line,
quireüssit fort prés
avoir brisémongrandhunier
,monmâcd.arcimbnc,
ôc m'avoir tuéplusieurs
hommes, ils me mirent sur lecôté."Mevpjftfltainsi
hors d'étatde.mer,4çferf?j
dre, je fis amener toutes
mesvoiles, &j'aimaimieux
me rendre, que voir perir
tout mon eql11page.jc:11!ifl
LeCapitaine Anglois,
qui m'avoit si maltraité, fit ;
mettre sa chaloupe & fbn;
canot à la mer;j'en fisautant
de mon côté, parce
que l'eau nous gagnoit de
toutes parts,& je me rendis
avec tout mon monde
à son bord
: mais des qu'il
Ueut vu ma frégate couler
bas, & qu'illui étoit impôt
sible de profiter du moins
des vivres que j'avois embarquées,
& dont il commençoit
à avoir besoin, il
ne songea plus qu'à se défaire
de nous; & le quatrième
jour de sa victoire
il nous mit à terre sur une
mauvaise plage, qui est
entre le Cap Noir & Tiribiri.
Il eutnéanmoins la
consideration de nous sa,
re donner des fusils avec,
un quintal de poudre ëc
autant de plomb, pour
nous aider à subsister de
nôtrechasle
,
jusqu'à ce
qu'il plût à Dieu nous tirer
de la misere où nous allions
vraifemblablemenc être incessamment
réduits. I
Alors nous partageâmes!
entre nos chasseurs la mu-1
nition dont l'Anglois nous
avoir fait present,& donc
la prise dema secondefregare
le pouvoit dedomma- j
ger dereste.
Je gagnai aussitôt avec
ma troupe ( qui fuffisoic
pour faire la conquête de
tout cet affreux pays ) le
coin d'un grand bois, qui
était à trois quarts de lieue
de la mer. Là nous choisîmes
chacun un gros arbre
pour nous en faire chacun
une maison
; & tous mes
gens
assemblez autour de
moy, j'établis, pour leur
iûretécomme pour la mienne,
la même discipline
qu'on fait observer aux
troupes les mieux réglées.
Un jour m'etant emporté
à la fuite d'un jeune ours
avec trois de mes camarades
dans cette noire forêt,
dont nous habitions
une des extremitez,j'apperçus
des tourbillons d'une
épaisse fumée, dont l'odeur
nous surprit. Nous approchâmes
sans bruit du lieu
d'où elle sortoit; & après
avoir fait environ deux cent
pas avec beaucoup de peine
, nous découvrîmes un
terrain assez cultivé; &un
peu plus loin, au milieu
d'une hauteur environnée
d'une grande quantité d'arbres
qu'on y avoir plantez.
une petite maison de char.
pente bâtie avec tout l'art
imaginable. Nous pénétrames
encore plus avant;&
aprèsavoir consideré attentivement
tous les environs
de cet édifice extraordinaire,,
nous conclûmes
qu'il étoit impossîble que
ce bâtiment ne fût voisin
de quelque ville.
Cependant, toutes nos
reflexipns faites, nous nous
trouvâmes à la porte de
cette habiration, où nous
prêtâmes attentivementl'oreille,
pour essayer de comprendre
quelque chose aux
sons de voix que nous entendions
:mais on ne peut
jamais être plus surpris que
nous le fûmes. Je vis, à la
faveur d'un trou qui étoic
à cette porte, une grande
femme étenduë sur un lit,
dressé à la hauteur d'un de-
- .t J s. mi pied de terre, couvert
des plus belles peaux qui
soient dans toute la Norvège.
Sesvêtemens étoient
de la mêmeétoffe ;
sa tête,
dont la beauté est un vrai
chef-d'oeuvre de la nature,
étoit négligemment appuyée
sur son bras droit;
son sein croit à demi découvert,
& toute son attitude
exprimoit sa langueur.
Elle chantoit alors admirablement
& en bon François
ces paroles, que je n'oublirai
jamais.
~IO -, T'*f.1 us CllITlUiS j/MJ tCftl«ji»
je riétois aimable : Je t'ai crû, maintenant tu
méprises mes feux.
Ah !qu'il me plaît,cruel, de
te voirmiserable
Autant que tufus amoureux.
Elle eut à peine cesse de
chanter, que je vis un homme,
habillé de la tête aux
pieds d'une riche fourrure
de marrhe zibeline. Il se
promenoir à grands pas
dans cette chambre, &
aprés plusieurs gestes qui
témoignaient sa douleur,
il lui chanta ce couplet à
son tour.
Quoy
,
malheureux!d'une infidelle
- J'aimerois encor la beauté!
Non, mon coeur méprise,
cruelle,
Jusqu'à ton infidelité.
Ces paroles furentsuivies
de reproches que nous ne
jugeâmes pas a propos d'éçpurer,
de peur d'être furpris
à cette porte si restions nous y plus longtemps;
nous crûmes au contraire
devoirnous en éloigner,
f charmez decettedécouverte
, & nous allâmes à
cent pas de cette maison
[ tirer uncoup de fusil, pour
| nous faire reconnoître plus
civilement des gens que
nous venions d'entendre.
Le bruit quefitcecoup
; mit aussitôt l'alarme dans
tout le pays. A l'instant
nous vîmes sortir de plusieurs
petites huttes presque
ensevelies dans la terre, ôc
que nous n'aurions jamais
fongé à prendre pour des
retraites d'hommes, au
moins un bataillon de pygmées.
Ces marmousets étoient
si petits,quechacun
de nous en auroit pu mettre
unedemi-douzaine à califourchon
sur le canon de
son fusil, & les emportet
sur l'épaulesansêtre trop
char-géi.
Ce font là precisément
les peuples qu'on appelle
des Lapons de Norvege.
Cette espece est si plaifanre,
que nous ne pûmes
pas nous empêcher de rire
de bon coeur des efforts
qu'ils faisoient pour nous
environner. Leurs peines
& leurs pas étoient accompagnez
de cris aigus, qui
attirerent vers nous leurs
femmes, qui étoient aussi
courtes qu'eux. Ainsi nous
étions, sans nous en appercevoir,
au milieu d'une
des plus grandes villes du
pays.
Cependant nous vïmcs.
sortir à la fin, de ccttcra
maison de charpente ou
nous nous étions arrêtez
trois hommes faits comme
les autres hommes. ( Cet
.édifice étoit assurément le
plus superbe Palais detoute
cette partie septentrionale
de l'Europe. ) Ces Meilleurs
étoient armez d'arcs & de
fleches, & si bienvêtus des
peaux d'ours &de chevres
dont ils étoient couverts,
qu'à peine nous leur voyiôs
les yeux.
Que cherchez
- vous
nous
nous dit l'un d'eux, dans
ces climats épouvantables ?
&
-
quel malheureux destin
vous aconduits en ces lieux?
Nôtre sort,lui répondist
je, n'est pas encore si deplorable
que vous le dites,
puisque nous avons le bonheur
de trouver en vous des
hommes qui nous entendent
;& ilme paroît à vôtre
langage, qui est François
comme le nôtre, que tout
ce que nous .pourrions
maintenant vous dire de
nôtre fortune,n'a rien qui -la
vôtre. Nous sommes, reprit
celui qui m'avoit parlé,
étrangers comme vous en
cette contrée: mais nous y
devons à un naufrage, que
nous avons fait sous d'heureux
auspices,le plus tranquile
écablissement du
monde. Venez avec nous
dans cette maison, & soyez
persuadez que nous employerons
tous nos soins à
reparer, autant que nous
le pourrons, le malheur du
vôtre.Nous leur rendîmes
mille graces de l'accueil
favorable qu'ils nous faisoient,
& nous les suivîmes
jusques chez eux, au milieu
d'une troupe de ces mirmir
dons, qui se dressoient de
toutes leurs forces sur la
pointe de leurs pieds pour
.,,
nous baiser par respect les
genoux.
Dés que nous fûmes
arrivez à la porte de cette
imaifon, la Dame que j'a-
'vois vue par un trou parut
là nos yeux. Jamais rien de
Iplus. beau ne s'étoitoffert à
tma vûe. Quel astre impittoyable
vous reduit
, nous
)dit-elle) à l'affreuse necessité
de venir mandier ici
les secours de l'hospitatité?
& quelle étoile favorable
nous procure en même
temps le bonheur de vous
offrir un azile > Entrez. Si
j'é*tois Calprenede ou Vaumo- ries, je serois dire ici de belles
choses à mon Heros. Il entra
cependant,sansrien dire à, la
Dame de ce château; il en
fut quitte pour une profonde
reverence.
Nous avions à peine traversé
la premiere chambre
de cette maison, continua
Nerval, que nous vîmes
dans une autre, qui n'en
étoit separée que par une
cloison de sapin, une centainede
Lapons & de Lapones
qui travailloient à
apprêter des peaux de bêtes.
Quittez cet ouvrage,leur
dit en leur langage la Dame
qui nous menoit,êc
hâtez vous de nous preparer
quelque choie à manger.
Ce peloton de petites
creatures se remua aussitôt
comme un essain d'abeilles,
& disparut en un moment.
Alors le Chanteur quej'avois
entendu entra d'unair
fort triste, &après avoir
salué sa Souveraine & nous,
il nous dit: Vous ne voyez
rien ici, Messieurs, qui ne
vous étonne, j'en fuis per- r dl. , suadé: mais comme nous
avons sans doute des choses
extraordinaires à nous raconcer
de part & d'autre, asseyons
nous sur ces peaux,
& en attendant qu'on nous
apporte à manger, apprenez-
nous, s'il vous plaît,
quel bizarre accident vous
ajetté sur ces bords;nous
vous rendrons ensuiteavantures
pour avantures. Je
contai aussitôt à cette nouvelle
compagnie ce que je
vous ai déja dit de ma fortune,
& l'on nous servit.
Ce repas fut composé de
laitages, de fruits, de legumes
& de viandes, sans
pain.
Une grande fille Moscovite,
originaire d'Astracan,
& qui servoit laDame
qui nous recevoir si bien,
s'assit à côté de moy pour
dîner avec nous. A la droite
elle avoir un outre plein du
jus d'un certain arbre dont
la liqueur est merveilleuse,
& à sa gauche un autre outre
plein d'eau, pour temperer
l'ardeur de l'autre
liqueur. Chaque fois que
nousvoulions boire elle
prenoit la peine de nous en
verser proprement. dans
une grande tasse de bois.
Cette fille, s'appelle Barnaga.
{1
- J
Dés que nôtredîner sur
fini, nôtrehôtesse, dont
lescharmescommençoient
à m'enyvrer autant &plus
que la liqueur que Barnaga
nous avoit fait boire, nous
? ;,. dit
-'ditqu'il étoit bien juste
qu'elle nous contât à son
>- tour ce qui lui étoit arrivé
f de plus extraordinaire dans
[ un pays où peu de gens
Vaviferoienc de chercher
[ des avantures. Nous la remerciâmes
de cette faveur,
& nous la priâmes de ne
nous dérober aucune circonstance
de son histoire.
-.
Elle nous dit qu'elle étoit
d'Hambourg,ville anfeat.
tique de la mer d'Alle nagne;
qu'elles'appelloi JulieStroffen
, fille de Cesar
;
Stroffen
; que son pere étoit
undes plusriçhes negocians-
de toute c.ç\Ce -irççjjj
que la tendressequ'elle.avoit
euë pour le Chevalier
de. (en nous montrée le
Chanteur dont j'avais par.
lé) avoit caulé tous les malheurs
de la vie; que son
pere n'avoit pas voulu.consentir
qu'elle l'épousât; que
l'amour & le desespoir les
avoient determinez às'enfuirensemble;
qu'en sa [au..
vant, ils avaient; rencontré
unnavire Angloisquialloit
dans le Nord; qu'illesavoit
pri~, qu'enfin après avoir
été battus pendant deux
jours d'une- furieusetempête
,ils étoienr venus se
briser entre le Cap Noir &;
Tiribiri. ,,-
,
Elle passa legerementsur
tous cesarticles:lais dés
qu'elle fut à celui deson
naufrage:Redoublez vôtre
attention', Messieurs,nous
dit-elle,reparti-vous
aurécit des plus éronnantes
choseskkrcfidnde'.
Onm'eutàpeine traînée
surlerivagé,que j'ouvris
les yeux. Le premier objet
qui s'offrità ma vûefutun
vieillard venerable qui (xér
moinde nôtre naufrage j
faisoit des voeux pour nôtre salut. - "ZVZ*'J3 i'3$
Nousn'étions , çç>mme
Vousinous, voyez;Aencôre,
nquaecuinfqréachgapee.zodeLC"c,9
- Des que ce bonvieillard
fut assezprès denouspopj:
nous parler:Malheureux,
nous dit- il, quevous ferie4
à plaindre-/fije:néeroyoiç
pas que leCiel, qui vous
envoyé sansdoute icipour
tdllue iftermer les Yeux--aco;l- mespasVversyous,
pour vous,prolonger! les
jours que sa bonté vous
laisse.Aussitôt s'approchant
de nous (car nous avions
tous également besoin de
secours )il nous fitavaler
plusieurs gouttes d'un baume
divin, dont la prompte
vertu: nous délivra sur le
champ des mainsdela
mort qui nousmenaçoit
encore Cet elixir n'eut pas
plutôt fait son effet,qu'il
nous dit : Arrachez-vous,
mes enfans, si vous pouvez,
du sableoùvous êtes
ensevelis, Vous n'avez pas
,de)temps a perdre, &> la
mer,à qui lereflux àravi
saproye, vous engloutira
infailliblement: dans. une
heure,si vous negagnez
pasnincessamment, cetrocher
qui fert de limite à sa
fureur.. Là frayeur que cet
avertissement nous causa
opera sur nous pfefque aussi
efficacement que le remede
qu'il nous avoir donné. Il
metendit la main pour
m'aider à me lever; & la
nature, plus forte en-ces
Messieurs qu'enmoy , fit
pourleur salut ce que l'as
sistance du vieillard laiqoit
pour le mien. <,: ;HIi Ilétoit en effet bienTemps
que nous nous sauvassions
>
&je ne puis encore me rap
peller ce funeste jour, sans;
me representer toutel'horreur
d'un si grand danger.
Nous avions à peine gagné
le faîte de ce recl-wr,,
qui n'étoitqu'à deux cent
pas denous, (lorsque nous
étions encore étendus sur
la vaze ) que nous vîmes
des montagnes d'eau venir
fondre avec violence jusqu'au-
pied de nôtre azile.
Reprenezmaintenant courage,
voyageurs infortunez,
nous dit notre vieillard,
vous n'avez déformais
plus rien à craindre; &si
vous pouvez m'accompa*-
gner jusqu'à ma petite mai--
son
,
je vous y procurerai
tous les secours dont peuvent
avoir besoin des malheureux
comme vous.
Nous le suivîmes, tremblans
de froid & mouillez
jusquaux os.
Dés que nous fûmes arrivez
chez lui, il fit étendre
danscette sallequi est
lamême que celleoùnous
| sommes)une grande quan
tité de peaux,sur lesquelles
nous nous couchâmes a prés
avoir quitte nos habits-,ôc:
en mêmetemps il ordonnai
à Barnaga
,
qui le servoit
r alors, &:. qui me sert aujourd'hui
, de prendre uniquement
soin;demoy ôc
de lui laisser celui des compagnons
de mon in forrune.
Le lendemainnous nous
trouvâmes si bien remise
que nous dînâmes avec lui.
A la fin du repas nous lui
contâmes nôtre histoire,
&en revanche il nous conta
la sienne. Je ne douce point
que, vous ne souhaitiez
ardemment l'entendre.
Je fuis, nous dit-il, nati:
d'Archangel. Cette ville est
dediée à saint Michel Ar.
change. L'on y fait presque
tout le commerce du Nord
Mon nom est Saxadero. Ja
étéainsi nommé
,. parce
qu'on me trouva sur ui
rocher peu de jours apré
ma naissance. Des paysan
qui me ramasserent mi
mirententre les mains d'u
Prêtre Grec qui demeuroi
â une journéed'Archangel.
Ce bon homme qui depuis
wingt ans qu'il étoit marie
n'avoit pu avoir d'enfans,
fut ravi du present que ces
paysans lui firent. Ilm'éleva
ravec autant de foin & de
nendresse que si j'avoiseétè
Sonpropre fils. J'appris fous
lui plusieurs Langues, &
route la formule de la Reilligion
des Grecs, qu'il enseignoit
& qu'il professoit
d'une maniéré exemplaire.
J'avois plus de 40. ans lors
qu'il mourut,& je n'étois
pas encoreassez fage pour •
profiter' desconseils
< retraité&de moderation
qu'il m'avoit donnez pe
dant savie.
,"J.c Ileuta- peinelles- ye
.fermez, qu'emporté j
mon temperament, je
mis entête de courir
monde. Je resolus de
,-
tr
verser1 par terre toute.
Tartarie & laMoscoviei
de me rendre àCaminiel
..oùle-Czar nôtre Emperc
étoit alors; Ce voyag
quoiqueterrible &lon
- me parut encore fort cet
lorsque je fus arrivé à C
minietz,d'où je partis
quinze jours après, pour
me rendre à Constantinoole,
après avoirlaisséderrdiereemBoytouutllge
Raoyraiumee
-'
Mon intention étoit de
asser en Asie, &daller
en Egypte m'instruire des
mysteres -,,-.des loix, des
listoires :$c des, religions,
Hes peuples de l'Orient.Je
xroyois y trouver parmi les
aristes débris des anciens
monumens de la vanité des
hommes,quelques vestiges
de l'élévation de ces genies
qui en avoient si long
temps imposé à cour l'un
vers. Mais jei me détour.
bientôt du succes de m
curiosite, & je ne trouv.
chez ces mortelsque: de
restes depyramides &.'(1
tombeaux
s
des rochers
des antres, des fleuves,de
animaux feroces, & rie
dans leur espritquipûtm
retracer laplus foibleima
ge de leur ancienne gran
deur. Àinsi je retournai su
mes pas,jepris la route-d
l'Europe,&je trouvaiheu
reusement i-- Constantino
ple un navire qui me porta
sen Italie, & delà en France,
qui est la feule partie du
monde où je croy que des
hommespuissentvivreavec
toutes les douceurs &tous
les agremens de la vie :mais
malheureusement la forune
ne me permettoit pas
calors de métablirune patrie
dans le sein de cet Empire.
Je me vis ainsi. forcé de me
soûmettre à la rigueur de
monétoile, & de passer en
Hollande, poury profiter
des premiers navires qui
mettroient à la voile ppur
levoyagé du Nord.
,: : EnarrivantàAmsterdat
j'entrouvai un prêt a partii
je m'y embarquai & la me
& les vents nousserviren
à merveille. De la d'Allemagne me nous entra
mes danscelle de Dane
mark, & parle Sund dan
la mer Baltique, d'où nou
perietrâmes jusqu'au son
du Golfe de Riga,oùja
chevaima navigation, pou me rendre par rerre àPles
koovv, où le Czar étoit
alors avec son armée. « Huit ou dix jours âpre:
mon
mon arrivée, je ne sçaià
quelle occasion je lui fus
presenté
, comme un homime
que tant de voyages rendoient extraordinaire
chez des peuples quine
>connoissent dautre terre&
d'autres climats què
-- d'autresclimatsqueceux
qu'ils habitent. Ce Prince me reçut de lamaniéré du
monde la plus généreuse;
& après m'avoir assuréplusieurs
fois du plaisir que lui
feroit mon attachement f.
sa personne,il m'hônorade
tant de titres &de tant de
charges, que le fardeau
m'en parut bientôt insupportable.
Je netois point
courcitan,&je pouvois encore
moinsle. devenir. Le
lait sauvage que j'avoissuccé,
la manière dont on m'avoit
élevé;&le grand air
que j'avois respiré dans tous
les climats dumonde , ne
m'avoient donné aucunes
leçons du personnage que je
devois joüer.On s'apperçut
bientôt de la dureté de mes
moeurs,on se dégoûta de me
voir dans une place que
d'autres pouvaient remplir
mieux quemoy; & enfin,au
; bout de quelques années,
une chûte precipitée fut
l'ouvrage de mon élevation.
[ Je me rendis alors la justice
> que meritoit ma disgrace,
,&. je convins en moymême
> quela douceur & lapolitesse
étoient l'appanage des
hommesquiveulent vivre
dans la societé de leurs paireils.
Il n'en fut cependant
ni plus ni moins, & je fus
obligé
, pour me rendre
iincessammentau lieu de
mon exil., de m'en retourmer
par ou j'etois venu. Cest ici le sejour qui me
fut destiné. Le navire qu
m'y amena me mit à terre
avec un valet fidele qui ne
voulut point me quitter
On me donna des armes
de la poudre, du plomb
&des grains pour ense,
mencer les terres qu'il me
plairoit de choisir pour m
liibfiftance ; ôc cespetit
peuples,mon valet &Bar
naga, que je trouvai heu
reusement ici,*
m'aideren
bâtir la petitemaison ou
nous sommes. Lavantur
qui a jette cette fille su
ces bords est si extraordinaire,
que le récit que vous
en allezentendresera infailliblement
le plusbel
ornement de cette histoire.
La Moscovite Barnaga,
de la ville d'?~M~~ peut
avoir environ trente ans. M
y en a prés de quatre qu'-
elle est dans cettecontree,
où elle vit dans la compagnie
des Lapons Norvegiens
comme si elle étoit
leur Reine. Avant de venir
en cepaïs,elle vivoitàAstra.
candans le sein de sa famille,
occupeeàtous les ouvrages
ausquelsune Elles'occupe
naturellement chezses parens,
lorsqueleplus spirituel&
leplus sçnvant,des
Lapons de ce Royaume s'avisa
de vouloir voyager. 1.1
- On dit ici tant de choses
merveilleuses de ce petit
homme, qu'on assure qu'il
avoit un Gnome particulier
qui le proregeoir. D'autres
disent qu'il enéroit un luimême.
Ce qu'il ya de plus
constant; selon moy, c'est
qu'ilavoir une connoissance
parfaite de tous les
secrets & de toutes les verus
naturcllesqui sontdans
les simples, & qu'il employoit
les plus fiers animaux
de ces deserts à tous
les usages qu'illui plaisoit.
Un jour, dis- je, (e sentant
i)..len humeur de voyager !> arrêta dans ces
forêts
une Renne. *, à qui il dit à
* Plusieursvoyagesdu NordpAr.
lent des qualitez de cetanimal, qui
yest
à peuprés dela taille d'un Cerf.
On lui dit à l'oreilleoù l'onveut
l'envoyer, ou bien le nom des lieux
où l'on veut aller avrjr lui.Aussitôt
ilva par-tout avec unevitesse admirable
, sans suivre aucune route. Éon
instinct seulle guide
,
-& il n'y a ni
fleuves, ni precipices
,
ni montagnes
qui l'arrêtent. Il sertcommunément
à tirer les trainaux.
l'oreille qu'ilvouloit se pro
mener dans l'Empire de
Tartares &dans la Moscc
vie. Cet animal docile reçu
son secret,&l'emmena pa
tout où il voulut aller. En
fin étant arrivé à Astracan
il alla loger chez la mer
de Barnaga, où ilse trouv
si content des bons traite
mensqu'onlui fit, que pa
reconnoissance,ou par in
clination il devint amou
reux de cette fille.
LeLapon ne pouvan
contenirtout le feu qui
devoroit,s'avisa de lui faire
an jour une ample déclaration
de sa tendresse. Barnagase
moqua de lui. Le
tmraégperiasàduentceetltpeofiinllte,qlu'o'uilresolut
de s'en vanger.Voici
commeil s'y prit.
Il affecta de ne lui plus
parler d'amour, & de ne
plus s'attacher qu'à caresser
à Renne qui faisoit chaque
jour presence de
Barnaga Ôc
de
sa
mere,
tous
les tours de souplesse imaginables.
Il se persuadaavec
raison que cette jeune fille
ne pourroit pas s'empêcher
àd'essayer cette monture; qui il avoit eu la precau
tion de dire tout cequ'il y
avoit à faire,si cela arrivoit.
Barnaga, charméede
cet animal, avoit plusieur
fois prié le fin Lapon dele
lui donner:mais il avoit
toujours affecté de ne pouvoir
lui faire un si grand sa
crifice; Enfin irritée de ses
refus, elle avoir resolu de ledérober, & de lui dire
qu'ils'étoit perdu dans les
bois voisins. Un jour pour
cet effet, elle se fit suivre
parla Renne jusqu'à un
quart de lieuë de la ville, où
le voyant seule, elle voulut
monter cet animal, qui se
mit a genoux comme un
chameau pour la recevoir
plus commodément: mais
elle fut à peine sur son dos,
qu'il l'emporta presque à
travers les airs, tant il avoit
de vîtesse & de legereté.
Quoyqu'il y ait un chemin
infini d'ici à Astracan, il
l'amena en trois jours dans
ce defert, où son amant le
rendit aussitôt qu'elle. Il
l'épousa presque en même
tempsavec toutes les ceremoniesdupays
,que
vous conterayune auti
fois. Il a depuisle jour
sesnoves,vécu tpujou
~v~~Uç.~ns la plusgra~
deuniondu mpad|;,& tP8
de mêmeavec eux. Ceper
dant depuis trois mois
Lapon a disparu,sans qu'o
sçache pourquoy, ni où
estallé, & personneici
sçait de ses nouvelles. Ba
~nagoem~'enoparutconsole &- coeur qu'il nerevienneja
mais. rti>,>u£iaaaoî
Lediscours de ce bon
dvierilolaridt- f.inÎt en cet 7en: nit- en"' - Vieillard finirencet!eenn^ Nous luifîmes chacun
nos remercimens de la peine
qu'il avoit prisede nous
conter tant de choses extraordinaires,
& nous le
priâmes de nous dire si
nous ne pourrions pas trouvercinq
de ses Rennes pour
nous remettre dans quelque
partie de l'Europe plus
habitable que celle où nous
étions. Non, mes enfans,
nous dit-il,je peux vous
donner aucune instruction
làdessus,& je vousjur
que je n'ai pas vu un seul d
ces animaux depuis que j
, fuis ici:mais au nomd
Dieu ne me quittez pa
que je ne sois mort ;dan
quarante mois je ne sera
plus. Dés que vous maure
renduà la terre, il viendr
quelque
- navire surcette
côte , dont le Capitain
charitable vous recevr
dans son bord , & voustre
menera dans les lieux o
vous avez tantd'impatience
de vous revoir. Il y a plu
de six semaines que ce fag
vieillard est mort, & nous
n'avons encore vu que vous,
qu'une extreme dïsgrace a
jettez sur ce rivage.
i' Le Chevalier de. qui
m'entend, me jura, deux
mois aprés nôtre naufrage,
unefoy éternelle, &m'épousa
en presence de ce
yenerable personnage donc
je viens de vous conter
l'histoire, deBarnaga, qu'-
une tendre sympathie a
fortement attachée à moy
depuis sa mort, & de ces
Messieurs qui sont nos compagnons
d'infortune. Il ya
plus d'un anqu'ils'est mis
danslatête des chagrins&
des jalousies sans fondement,
qui le precipitent
cent fois par jour dans des
abîmes de melancoliedont
rien ne peut leguerir.
Voilace que j'avais;
vous dire de mesavantures
"Au reste, songeons main
tenant auxexpediens qu
-peuvent nous tirer d'ici, &
7mettons touten usagepou
LretôUfncr'; ensemble, dan
•'-•d-esfie'uxefîlinous convien
rfëntmièux queces climat *éfK^âritabtâs*-?jDésque,
Julie eutcesse
de parler, nousnous encourageâmestous
à; travailler
aux moyens de sortir de ce
miserables pays ; &C] après
plusiers proportions.
gues & inutiles , je priai nôître
compagnie de sereposer
sur moydu soin de la délivr.
cCJ de cette région.Je
m'engageai à mettre tout
j: mon monde aprés cet our;
vrage. Je fis couper des ar..
Ë bres, donton ne un grand -nombre de mâts, de pouz
tres,de solives & de planches,
que jedestinaiàla
construction d'un navire. *
Sur ces entrefaites,le Che
valierde. tomba malade
en deux jours il fut à lex~
tremite, & le troisiéme i
mourur. Sa veuve fut long
temps inconsolable desa
perce : cependant mes soins
mes discours, la tendresse
qu'elle étoit perpuadée que
j'avois pour elle, & l'impa.
tience qu'elle avoit de re.
tourner bientôt dans une
meilleure contrée que celle
ou nous étions, (comme je
l'en assurois tous les jours,
lui rendirent bientôt son
embonpoint, ses graces ôc
sa tranquilité.
Des '¡ que nôtre vaisseau
: fut achevé, lesté, & chargé
d'eau, de poissons secs, de
chair salée, de legumes, 6c
de toutes les pauvres den-
1"rees. qui pouvoient. nous
aider à subsisterjusqu'à ce
que nous arrivassions à Plaisance,
nous nous embart
quâmes. Nous y changeâmes
pour des peaux nôtre
»bâtiment contre un autre
meilleur,nous y prîmes du
pain, du biscuit
,
du vin,
de la bierre, & tous les rafraîchissemens
dont nous
avions besoin. Enfin après
avoirvoguéleplusmalheureulement
du monde contre
les vents & la mer, nous
hommes venus,comme
vous le sçavez,Messieurs,
nous brifer ce matin sui
cette côte,& faire,pourain
dire, naufrage au port.
Je ne fais point d'autre:
remarques sur cette histoire
que celles qui sont à la mar
ge , parce que je connoi
ces pays septentrionnau
moins que ceux qui son
plus près du Soleil.
je priele Lecteur de ne pas
s'impatienter; & pour commencer
a m'acquitter avec
lui, je vais l'entretenir des
avantures de la Moscovite
& du Lapon, que j'ai promises
le mois dernier. Cependant
je le prie de me
permettre de changer le
titre de cette histoire; quoique
ces deux personnages
y jouent un rôle merveilleux
,ils n'en sont pas néanmoins
les principaux acteurs
: ainsi je croy qu'on
ne me disputera pas la liberté
de la donner fous cet
autre titre.
LE NAUFRAGE
au port.
I HISTOIRE. L y a quelques années
qu'étant à S. Malo, un de
mes amis vint un jour me
trouver, pour me prier
de l'accompagner jusqu'au
Cap *, où étoient deux vais-
* C'est un Promontoire ou pointe
de terre fort élevé à cinq lirsÚs de
S. Malo. Il y a une radeassez,
bonne, où j'amarent ordinairement
les navires qui vont à lamer, eu
qui en reviennent.
seaux qui dévoient profiter
du premier beau temps
pour mettre à la voile pour
la mer du Sud. Plusieurs de
ses amis & des miensetoient
à bord, & nous voulions
les embrasser encore une
fois avant qu'ils appareillassent.
Il etoit huit heures
du matin, le ciel était fort
clair, la chaloupe nous attendoit,
le vent étoit frais,
& les matelots commençoient
a jurer après nous,
parce qu'ils apprehendoient
que nous ne perdissions
une si belle marée,
lors qu'enfin nous nous embarquâmes
pour nous rendre
au Cap,où nous arrivâmes.
en moins d'une heure
& demie. Nos amis, qui
étoient les principaux Officiers
de ces vaisseaux, char:
mez de cette derniere vitice,
nous firent la meilleure
chere qu'ils purent.
Nous avions à peine resté
r
deux heures table,oùnous
commencions a nous mettre
en train, lorsque nous
entendîmes crier, Navire,
navire. Le vent aussitôt
changea, le ciel& la mer
s'obscurcirent, la pluye
,
la grêle, le connerré, &
les nuës, nous environnerent.
Quoique nous eussions
nos quatre ancres à la
mer,nos pilotes ne laisserent
pas de prendre des mesures
contre l'orage.Cependant
nousattendîmes patiemmét,
le verre à lamain;
&en gens que de pareils
dangersn'effrayent gueres,
tout ce qu'il en pourroit
arriver. Enfin au bout de
deux heures le vent se calma,
& le temps s'éclairit.
Mais il n'est rien d'affreux
comme l'horriblespectacle
que le retour de la lumière
offritànos yeux. Des coffres,
des cordages, des
mâts ,des planches,des
hommes,des semmes,ensintoute
l'image d'un frageépouvantablnea.u-
LesOfficiers des navires
quiétoient à l'ancre ordonnerent
à l'instant à tous
leurs matelots de mettre
toutes les chaloupes à lamer,
pour secourir, autant
qu'ilseroit possible, les malheureuxqui
perissoient
Leur zele eutun succés
assez favorable, & peu
d'hommes perirent. On
porta à bord tous ceux qui
avoient nagé avec assez
de vigueur pour attendre
le secours des matelots:
on lesdéshabilla aussitôt,
& on les jetta sur des lits,
après leur avoir fait rendre
l'eau qu'ils avoient bue.
Où suis. je, grand Dieu!
où suis-je, dit l'un de ces
hommes environ deux heures
après qu'on l'eut sauvé?
n'ai je affronté tant de perils,
n'ai
-
je brave tant de
foisla mort, que pour per-
dre au milieu du port ce
quej'avois de plus cher au
monde? Cruelsqui m'avez
sauvé avec tant d'inhumanité,
rendez-moy à ceperside
element qui vient d'enfgaliotutir
l'objet le plus parqui
fût dans la nature.
A ces mots nous nous approchâmes
du malheureux
dont nous venions d'entendre
les plaintes. Vous êtes,
lui dit aussitôt nôtre Capitaine,
avec des hommes
qui n'ont consulté que leur
inclination pour vous sauver
, &a qui vous êtes redevadevable
de la vie qu'ils vous
ont renduë. Oui, repritil,
en gemissant, je fuis avec
des hommes plus barbares
que les Scythes les plus
cruels; pourquoy ravissezvous
à la mort un miserable
qui ne doit plus songer qu'à
mourir? Non.malheureuse
Julie, non, ne me reprochez
pas un indigne retour
àla vie; vôtre mort va bientôt
être vangée par la mienne.
Cette Julie, dit le Capitaine,
en adressant la parole
à un de ses Officiers, ne seroit-
elle pas une de ces deux
femmes qui sont sur vôtre
lit? Que dites-vous,Monsieur,
reprit cet amant desesperé
? vos gens ont- ils [au.
vé deux femmes? Oui,répondit
le Capitaine. Ah si
cela est, dit-ilaussitôt,Julie
n'est pas morte. A l'instant
il se jetta à bas du lit,
& passa au quadre où l'on
avoir mis les deux femmes
qu'on avoit sauvées comme
lui.
Elles avoient les bras se
le visage écorc hez
,
elles
etoient pâles, désigurees 6e
assoupies. Non, dit-il, après
avoir touché ses mains,6j
plein des transports de ta
joye, non ma Julie n'est pas
morte. Je vous dois encore
une fois la vie,Messieurs,
&mille fois davantage. La
tendre Julie, que ses paroles,
ses soûpirs & ses embrassemens
éveillerent, ouvrit
les yeux, & jettant des
regards pleins de tristesse
& de langueur sur tous les
objets dont elle étoit environnée
,elle reconnut enfin
son heureux amant,qui
échauffoit avec sa bouche
ses froides mains, qu'il arrofoit
en même temps de't
ses larmes. |
Alors nôtre Capitaine la
fit changer de lit,&lafit
porter sur le sien, où elle
reçue. plus commodément
tous les autres secours dont
elle eut besoin.
* Cependant on nous
avertit
que le souper étoit prêt.
Le Capitaine pria le Cavalier,
à qui il ne restoit plus
que le souvenir de son naufrage,
de se mettre à table
à côté de lui. Dés qu'ils furent
atable, nous nous pla-;
çâmes où le fort nous mit..
Ce repas ne fut pas si long
que celui du matin: mais
il fut certainement plus
agreable par le récit des rares
avantures que nous entendîmes.
Le nom & le portraitdu
Heros de cette histoire font
des circonstances & des ornemens
necessaires au dé.
tail que j'en vais faire.
Louis-Alexandre de Nerval
, natifde Montréal,sur
la riviere de saine Laurent,
dans le Canada, est un jeune
homme qui peut avoir
à present environ trentedeux
ou trente-trois ans. Il
est peu d'hommes en Europe
qui soient mieux faits
que lui. Son visage est noble
& regulierement beau,
son air. est simple, tendre
&.naturel; il a beaucoup
d'esprit sans étude, il est
vaillant & robuste autant
qu'un homme le puisseêtre:
enfindans quelque endroit
du monde qu'il soit, il sera
toujours regardé. comme
un de ces mortels que la
fortune semble être obligée
de preferer aux aucres.Il
avoit vingt-sixou vingtsept
ans.,lors qu'échapédu
naufrage dont jeviens de
parler
,
il nous conta à la
fin de nôtre souperles avantures
qu'on va lire.
Il y a huir ans, nous dit- que mon pere,Andréde
Nerval, qui étoit un des
plus riches habitans du Canada,
tomba malade de la
maladie dont il est mort. Il
attendit qu'il fût à l'extremité
pour faireentre cinq
enfans qu'il avoir& dont
je fuis l'aîné, un partage
égal de tous ses biens. ille
neôe le lendemain il mourut.
J'eus environ la valeur
de cent mille francs en
terre & en argent pour ma
part. Dés que je me vis le
maître de mon bien, je resolus
, pour l'augmenter,
de faire un commerce qui
pût bientôtm'enrichircomme
lui. J'équipai une fregate
de vingt canons, je
levai une troupe de braves
gens du pays, & je me mis
à la mer avec la meilleure
volonté du monde. Mes
premieres couriesfurent
assez heureuses
; je m'embarquaydeux
fois, deux
fois
fois je retournay dans ma
patrie avec de nouvelles
richesses. La troisième la
fortune nous trahir. J'avois
pris la route de Plaisance
où les ) vents contraires ôc
les grands courans m'obligerent
à relâcher
,
après
avoir été battu de la tempête
pendant près de trois.
semaines. Là j'appris que
quelques navires Hollandois
avoient déja pris pour
leur pêche des moluës la
route du grand ban de
Terre Neuve.Quoique je
sçusse bien qu'il n'y avoic
rien à gagner avec ces Pêcheurs
, je m'imaginai cependant
qu'il ne tenoit qu'à
moy de faire quelque action
déclat,&que secondé
d'une fregate legere qui
étoit avec moy, rien ne
feroit plus facile que de
ruïner leur pêche & leur
commerce pour cetteannée.
Ainsi je donnai tête;
baissée dans ce dessein, qui
eut les plus malheureuses
fuites du monde.
Huit jours après que je 1
fus sorti de Plaisance, après
avoir longtemps combattu,
les vents & les marées, je
tombai (sans pouvoir jamais
l'éviter) au milieu
d'une flote Angloise corn,'
posée de trois gros vaisseaux
qui alloienc chercher des
peaux & des fourrures sur
les confins de la Laponie
de Norvege. Mes deux fregates
marchoient à merveille
: mais les Anglois
avoient le vent sur nous. Ils
mirent toutes leurs voiles
dehors
,
& deux heures
avant la nuit ils nous joignirent.
Dabord ils me
saluerentd'une bordée de
canonssipleine, que je ne-1-
pus leur en rendre qu'line,
quireüssit fort prés
avoir brisémongrandhunier
,monmâcd.arcimbnc,
ôc m'avoir tuéplusieurs
hommes, ils me mirent sur lecôté."Mevpjftfltainsi
hors d'étatde.mer,4çferf?j
dre, je fis amener toutes
mesvoiles, &j'aimaimieux
me rendre, que voir perir
tout mon eql11page.jc:11!ifl
LeCapitaine Anglois,
qui m'avoit si maltraité, fit ;
mettre sa chaloupe & fbn;
canot à la mer;j'en fisautant
de mon côté, parce
que l'eau nous gagnoit de
toutes parts,& je me rendis
avec tout mon monde
à son bord
: mais des qu'il
Ueut vu ma frégate couler
bas, & qu'illui étoit impôt
sible de profiter du moins
des vivres que j'avois embarquées,
& dont il commençoit
à avoir besoin, il
ne songea plus qu'à se défaire
de nous; & le quatrième
jour de sa victoire
il nous mit à terre sur une
mauvaise plage, qui est
entre le Cap Noir & Tiribiri.
Il eutnéanmoins la
consideration de nous sa,
re donner des fusils avec,
un quintal de poudre ëc
autant de plomb, pour
nous aider à subsister de
nôtrechasle
,
jusqu'à ce
qu'il plût à Dieu nous tirer
de la misere où nous allions
vraifemblablemenc être incessamment
réduits. I
Alors nous partageâmes!
entre nos chasseurs la mu-1
nition dont l'Anglois nous
avoir fait present,& donc
la prise dema secondefregare
le pouvoit dedomma- j
ger dereste.
Je gagnai aussitôt avec
ma troupe ( qui fuffisoic
pour faire la conquête de
tout cet affreux pays ) le
coin d'un grand bois, qui
était à trois quarts de lieue
de la mer. Là nous choisîmes
chacun un gros arbre
pour nous en faire chacun
une maison
; & tous mes
gens
assemblez autour de
moy, j'établis, pour leur
iûretécomme pour la mienne,
la même discipline
qu'on fait observer aux
troupes les mieux réglées.
Un jour m'etant emporté
à la fuite d'un jeune ours
avec trois de mes camarades
dans cette noire forêt,
dont nous habitions
une des extremitez,j'apperçus
des tourbillons d'une
épaisse fumée, dont l'odeur
nous surprit. Nous approchâmes
sans bruit du lieu
d'où elle sortoit; & après
avoir fait environ deux cent
pas avec beaucoup de peine
, nous découvrîmes un
terrain assez cultivé; &un
peu plus loin, au milieu
d'une hauteur environnée
d'une grande quantité d'arbres
qu'on y avoir plantez.
une petite maison de char.
pente bâtie avec tout l'art
imaginable. Nous pénétrames
encore plus avant;&
aprèsavoir consideré attentivement
tous les environs
de cet édifice extraordinaire,,
nous conclûmes
qu'il étoit impossîble que
ce bâtiment ne fût voisin
de quelque ville.
Cependant, toutes nos
reflexipns faites, nous nous
trouvâmes à la porte de
cette habiration, où nous
prêtâmes attentivementl'oreille,
pour essayer de comprendre
quelque chose aux
sons de voix que nous entendions
:mais on ne peut
jamais être plus surpris que
nous le fûmes. Je vis, à la
faveur d'un trou qui étoic
à cette porte, une grande
femme étenduë sur un lit,
dressé à la hauteur d'un de-
- .t J s. mi pied de terre, couvert
des plus belles peaux qui
soient dans toute la Norvège.
Sesvêtemens étoient
de la mêmeétoffe ;
sa tête,
dont la beauté est un vrai
chef-d'oeuvre de la nature,
étoit négligemment appuyée
sur son bras droit;
son sein croit à demi découvert,
& toute son attitude
exprimoit sa langueur.
Elle chantoit alors admirablement
& en bon François
ces paroles, que je n'oublirai
jamais.
~IO -, T'*f.1 us CllITlUiS j/MJ tCftl«ji»
je riétois aimable : Je t'ai crû, maintenant tu
méprises mes feux.
Ah !qu'il me plaît,cruel, de
te voirmiserable
Autant que tufus amoureux.
Elle eut à peine cesse de
chanter, que je vis un homme,
habillé de la tête aux
pieds d'une riche fourrure
de marrhe zibeline. Il se
promenoir à grands pas
dans cette chambre, &
aprés plusieurs gestes qui
témoignaient sa douleur,
il lui chanta ce couplet à
son tour.
Quoy
,
malheureux!d'une infidelle
- J'aimerois encor la beauté!
Non, mon coeur méprise,
cruelle,
Jusqu'à ton infidelité.
Ces paroles furentsuivies
de reproches que nous ne
jugeâmes pas a propos d'éçpurer,
de peur d'être furpris
à cette porte si restions nous y plus longtemps;
nous crûmes au contraire
devoirnous en éloigner,
f charmez decettedécouverte
, & nous allâmes à
cent pas de cette maison
[ tirer uncoup de fusil, pour
| nous faire reconnoître plus
civilement des gens que
nous venions d'entendre.
Le bruit quefitcecoup
; mit aussitôt l'alarme dans
tout le pays. A l'instant
nous vîmes sortir de plusieurs
petites huttes presque
ensevelies dans la terre, ôc
que nous n'aurions jamais
fongé à prendre pour des
retraites d'hommes, au
moins un bataillon de pygmées.
Ces marmousets étoient
si petits,quechacun
de nous en auroit pu mettre
unedemi-douzaine à califourchon
sur le canon de
son fusil, & les emportet
sur l'épaulesansêtre trop
char-géi.
Ce font là precisément
les peuples qu'on appelle
des Lapons de Norvege.
Cette espece est si plaifanre,
que nous ne pûmes
pas nous empêcher de rire
de bon coeur des efforts
qu'ils faisoient pour nous
environner. Leurs peines
& leurs pas étoient accompagnez
de cris aigus, qui
attirerent vers nous leurs
femmes, qui étoient aussi
courtes qu'eux. Ainsi nous
étions, sans nous en appercevoir,
au milieu d'une
des plus grandes villes du
pays.
Cependant nous vïmcs.
sortir à la fin, de ccttcra
maison de charpente ou
nous nous étions arrêtez
trois hommes faits comme
les autres hommes. ( Cet
.édifice étoit assurément le
plus superbe Palais detoute
cette partie septentrionale
de l'Europe. ) Ces Meilleurs
étoient armez d'arcs & de
fleches, & si bienvêtus des
peaux d'ours &de chevres
dont ils étoient couverts,
qu'à peine nous leur voyiôs
les yeux.
Que cherchez
- vous
nous
nous dit l'un d'eux, dans
ces climats épouvantables ?
&
-
quel malheureux destin
vous aconduits en ces lieux?
Nôtre sort,lui répondist
je, n'est pas encore si deplorable
que vous le dites,
puisque nous avons le bonheur
de trouver en vous des
hommes qui nous entendent
;& ilme paroît à vôtre
langage, qui est François
comme le nôtre, que tout
ce que nous .pourrions
maintenant vous dire de
nôtre fortune,n'a rien qui -la
vôtre. Nous sommes, reprit
celui qui m'avoit parlé,
étrangers comme vous en
cette contrée: mais nous y
devons à un naufrage, que
nous avons fait sous d'heureux
auspices,le plus tranquile
écablissement du
monde. Venez avec nous
dans cette maison, & soyez
persuadez que nous employerons
tous nos soins à
reparer, autant que nous
le pourrons, le malheur du
vôtre.Nous leur rendîmes
mille graces de l'accueil
favorable qu'ils nous faisoient,
& nous les suivîmes
jusques chez eux, au milieu
d'une troupe de ces mirmir
dons, qui se dressoient de
toutes leurs forces sur la
pointe de leurs pieds pour
.,,
nous baiser par respect les
genoux.
Dés que nous fûmes
arrivez à la porte de cette
imaifon, la Dame que j'a-
'vois vue par un trou parut
là nos yeux. Jamais rien de
Iplus. beau ne s'étoitoffert à
tma vûe. Quel astre impittoyable
vous reduit
, nous
)dit-elle) à l'affreuse necessité
de venir mandier ici
les secours de l'hospitatité?
& quelle étoile favorable
nous procure en même
temps le bonheur de vous
offrir un azile > Entrez. Si
j'é*tois Calprenede ou Vaumo- ries, je serois dire ici de belles
choses à mon Heros. Il entra
cependant,sansrien dire à, la
Dame de ce château; il en
fut quitte pour une profonde
reverence.
Nous avions à peine traversé
la premiere chambre
de cette maison, continua
Nerval, que nous vîmes
dans une autre, qui n'en
étoit separée que par une
cloison de sapin, une centainede
Lapons & de Lapones
qui travailloient à
apprêter des peaux de bêtes.
Quittez cet ouvrage,leur
dit en leur langage la Dame
qui nous menoit,êc
hâtez vous de nous preparer
quelque choie à manger.
Ce peloton de petites
creatures se remua aussitôt
comme un essain d'abeilles,
& disparut en un moment.
Alors le Chanteur quej'avois
entendu entra d'unair
fort triste, &après avoir
salué sa Souveraine & nous,
il nous dit: Vous ne voyez
rien ici, Messieurs, qui ne
vous étonne, j'en fuis per- r dl. , suadé: mais comme nous
avons sans doute des choses
extraordinaires à nous raconcer
de part & d'autre, asseyons
nous sur ces peaux,
& en attendant qu'on nous
apporte à manger, apprenez-
nous, s'il vous plaît,
quel bizarre accident vous
ajetté sur ces bords;nous
vous rendrons ensuiteavantures
pour avantures. Je
contai aussitôt à cette nouvelle
compagnie ce que je
vous ai déja dit de ma fortune,
& l'on nous servit.
Ce repas fut composé de
laitages, de fruits, de legumes
& de viandes, sans
pain.
Une grande fille Moscovite,
originaire d'Astracan,
& qui servoit laDame
qui nous recevoir si bien,
s'assit à côté de moy pour
dîner avec nous. A la droite
elle avoir un outre plein du
jus d'un certain arbre dont
la liqueur est merveilleuse,
& à sa gauche un autre outre
plein d'eau, pour temperer
l'ardeur de l'autre
liqueur. Chaque fois que
nousvoulions boire elle
prenoit la peine de nous en
verser proprement. dans
une grande tasse de bois.
Cette fille, s'appelle Barnaga.
{1
- J
Dés que nôtredîner sur
fini, nôtrehôtesse, dont
lescharmescommençoient
à m'enyvrer autant &plus
que la liqueur que Barnaga
nous avoit fait boire, nous
? ;,. dit
-'ditqu'il étoit bien juste
qu'elle nous contât à son
>- tour ce qui lui étoit arrivé
f de plus extraordinaire dans
[ un pays où peu de gens
Vaviferoienc de chercher
[ des avantures. Nous la remerciâmes
de cette faveur,
& nous la priâmes de ne
nous dérober aucune circonstance
de son histoire.
-.
Elle nous dit qu'elle étoit
d'Hambourg,ville anfeat.
tique de la mer d'Alle nagne;
qu'elles'appelloi JulieStroffen
, fille de Cesar
;
Stroffen
; que son pere étoit
undes plusriçhes negocians-
de toute c.ç\Ce -irççjjj
que la tendressequ'elle.avoit
euë pour le Chevalier
de. (en nous montrée le
Chanteur dont j'avais par.
lé) avoit caulé tous les malheurs
de la vie; que son
pere n'avoit pas voulu.consentir
qu'elle l'épousât; que
l'amour & le desespoir les
avoient determinez às'enfuirensemble;
qu'en sa [au..
vant, ils avaient; rencontré
unnavire Angloisquialloit
dans le Nord; qu'illesavoit
pri~, qu'enfin après avoir
été battus pendant deux
jours d'une- furieusetempête
,ils étoienr venus se
briser entre le Cap Noir &;
Tiribiri. ,,-
,
Elle passa legerementsur
tous cesarticles:lais dés
qu'elle fut à celui deson
naufrage:Redoublez vôtre
attention', Messieurs,nous
dit-elle,reparti-vous
aurécit des plus éronnantes
choseskkrcfidnde'.
Onm'eutàpeine traînée
surlerivagé,que j'ouvris
les yeux. Le premier objet
qui s'offrità ma vûefutun
vieillard venerable qui (xér
moinde nôtre naufrage j
faisoit des voeux pour nôtre salut. - "ZVZ*'J3 i'3$
Nousn'étions , çç>mme
Vousinous, voyez;Aencôre,
nquaecuinfqréachgapee.zodeLC"c,9
- Des que ce bonvieillard
fut assezprès denouspopj:
nous parler:Malheureux,
nous dit- il, quevous ferie4
à plaindre-/fije:néeroyoiç
pas que leCiel, qui vous
envoyé sansdoute icipour
tdllue iftermer les Yeux--aco;l- mespasVversyous,
pour vous,prolonger! les
jours que sa bonté vous
laisse.Aussitôt s'approchant
de nous (car nous avions
tous également besoin de
secours )il nous fitavaler
plusieurs gouttes d'un baume
divin, dont la prompte
vertu: nous délivra sur le
champ des mainsdela
mort qui nousmenaçoit
encore Cet elixir n'eut pas
plutôt fait son effet,qu'il
nous dit : Arrachez-vous,
mes enfans, si vous pouvez,
du sableoùvous êtes
ensevelis, Vous n'avez pas
,de)temps a perdre, &> la
mer,à qui lereflux àravi
saproye, vous engloutira
infailliblement: dans. une
heure,si vous negagnez
pasnincessamment, cetrocher
qui fert de limite à sa
fureur.. Là frayeur que cet
avertissement nous causa
opera sur nous pfefque aussi
efficacement que le remede
qu'il nous avoir donné. Il
metendit la main pour
m'aider à me lever; & la
nature, plus forte en-ces
Messieurs qu'enmoy , fit
pourleur salut ce que l'as
sistance du vieillard laiqoit
pour le mien. <,: ;HIi Ilétoit en effet bienTemps
que nous nous sauvassions
>
&je ne puis encore me rap
peller ce funeste jour, sans;
me representer toutel'horreur
d'un si grand danger.
Nous avions à peine gagné
le faîte de ce recl-wr,,
qui n'étoitqu'à deux cent
pas denous, (lorsque nous
étions encore étendus sur
la vaze ) que nous vîmes
des montagnes d'eau venir
fondre avec violence jusqu'au-
pied de nôtre azile.
Reprenezmaintenant courage,
voyageurs infortunez,
nous dit notre vieillard,
vous n'avez déformais
plus rien à craindre; &si
vous pouvez m'accompa*-
gner jusqu'à ma petite mai--
son
,
je vous y procurerai
tous les secours dont peuvent
avoir besoin des malheureux
comme vous.
Nous le suivîmes, tremblans
de froid & mouillez
jusquaux os.
Dés que nous fûmes arrivez
chez lui, il fit étendre
danscette sallequi est
lamême que celleoùnous
| sommes)une grande quan
tité de peaux,sur lesquelles
nous nous couchâmes a prés
avoir quitte nos habits-,ôc:
en mêmetemps il ordonnai
à Barnaga
,
qui le servoit
r alors, &:. qui me sert aujourd'hui
, de prendre uniquement
soin;demoy ôc
de lui laisser celui des compagnons
de mon in forrune.
Le lendemainnous nous
trouvâmes si bien remise
que nous dînâmes avec lui.
A la fin du repas nous lui
contâmes nôtre histoire,
&en revanche il nous conta
la sienne. Je ne douce point
que, vous ne souhaitiez
ardemment l'entendre.
Je fuis, nous dit-il, nati:
d'Archangel. Cette ville est
dediée à saint Michel Ar.
change. L'on y fait presque
tout le commerce du Nord
Mon nom est Saxadero. Ja
étéainsi nommé
,. parce
qu'on me trouva sur ui
rocher peu de jours apré
ma naissance. Des paysan
qui me ramasserent mi
mirententre les mains d'u
Prêtre Grec qui demeuroi
â une journéed'Archangel.
Ce bon homme qui depuis
wingt ans qu'il étoit marie
n'avoit pu avoir d'enfans,
fut ravi du present que ces
paysans lui firent. Ilm'éleva
ravec autant de foin & de
nendresse que si j'avoiseétè
Sonpropre fils. J'appris fous
lui plusieurs Langues, &
route la formule de la Reilligion
des Grecs, qu'il enseignoit
& qu'il professoit
d'une maniéré exemplaire.
J'avois plus de 40. ans lors
qu'il mourut,& je n'étois
pas encoreassez fage pour •
profiter' desconseils
< retraité&de moderation
qu'il m'avoit donnez pe
dant savie.
,"J.c Ileuta- peinelles- ye
.fermez, qu'emporté j
mon temperament, je
mis entête de courir
monde. Je resolus de
,-
tr
verser1 par terre toute.
Tartarie & laMoscoviei
de me rendre àCaminiel
..oùle-Czar nôtre Emperc
étoit alors; Ce voyag
quoiqueterrible &lon
- me parut encore fort cet
lorsque je fus arrivé à C
minietz,d'où je partis
quinze jours après, pour
me rendre à Constantinoole,
après avoirlaisséderrdiereemBoytouutllge
Raoyraiumee
-'
Mon intention étoit de
asser en Asie, &daller
en Egypte m'instruire des
mysteres -,,-.des loix, des
listoires :$c des, religions,
Hes peuples de l'Orient.Je
xroyois y trouver parmi les
aristes débris des anciens
monumens de la vanité des
hommes,quelques vestiges
de l'élévation de ces genies
qui en avoient si long
temps imposé à cour l'un
vers. Mais jei me détour.
bientôt du succes de m
curiosite, & je ne trouv.
chez ces mortelsque: de
restes depyramides &.'(1
tombeaux
s
des rochers
des antres, des fleuves,de
animaux feroces, & rie
dans leur espritquipûtm
retracer laplus foibleima
ge de leur ancienne gran
deur. Àinsi je retournai su
mes pas,jepris la route-d
l'Europe,&je trouvaiheu
reusement i-- Constantino
ple un navire qui me porta
sen Italie, & delà en France,
qui est la feule partie du
monde où je croy que des
hommespuissentvivreavec
toutes les douceurs &tous
les agremens de la vie :mais
malheureusement la forune
ne me permettoit pas
calors de métablirune patrie
dans le sein de cet Empire.
Je me vis ainsi. forcé de me
soûmettre à la rigueur de
monétoile, & de passer en
Hollande, poury profiter
des premiers navires qui
mettroient à la voile ppur
levoyagé du Nord.
,: : EnarrivantàAmsterdat
j'entrouvai un prêt a partii
je m'y embarquai & la me
& les vents nousserviren
à merveille. De la d'Allemagne me nous entra
mes danscelle de Dane
mark, & parle Sund dan
la mer Baltique, d'où nou
perietrâmes jusqu'au son
du Golfe de Riga,oùja
chevaima navigation, pou me rendre par rerre àPles
koovv, où le Czar étoit
alors avec son armée. « Huit ou dix jours âpre:
mon
mon arrivée, je ne sçaià
quelle occasion je lui fus
presenté
, comme un homime
que tant de voyages rendoient extraordinaire
chez des peuples quine
>connoissent dautre terre&
d'autres climats què
-- d'autresclimatsqueceux
qu'ils habitent. Ce Prince me reçut de lamaniéré du
monde la plus généreuse;
& après m'avoir assuréplusieurs
fois du plaisir que lui
feroit mon attachement f.
sa personne,il m'hônorade
tant de titres &de tant de
charges, que le fardeau
m'en parut bientôt insupportable.
Je netois point
courcitan,&je pouvois encore
moinsle. devenir. Le
lait sauvage que j'avoissuccé,
la manière dont on m'avoit
élevé;&le grand air
que j'avois respiré dans tous
les climats dumonde , ne
m'avoient donné aucunes
leçons du personnage que je
devois joüer.On s'apperçut
bientôt de la dureté de mes
moeurs,on se dégoûta de me
voir dans une place que
d'autres pouvaient remplir
mieux quemoy; & enfin,au
; bout de quelques années,
une chûte precipitée fut
l'ouvrage de mon élevation.
[ Je me rendis alors la justice
> que meritoit ma disgrace,
,&. je convins en moymême
> quela douceur & lapolitesse
étoient l'appanage des
hommesquiveulent vivre
dans la societé de leurs paireils.
Il n'en fut cependant
ni plus ni moins, & je fus
obligé
, pour me rendre
iincessammentau lieu de
mon exil., de m'en retourmer
par ou j'etois venu. Cest ici le sejour qui me
fut destiné. Le navire qu
m'y amena me mit à terre
avec un valet fidele qui ne
voulut point me quitter
On me donna des armes
de la poudre, du plomb
&des grains pour ense,
mencer les terres qu'il me
plairoit de choisir pour m
liibfiftance ; ôc cespetit
peuples,mon valet &Bar
naga, que je trouvai heu
reusement ici,*
m'aideren
bâtir la petitemaison ou
nous sommes. Lavantur
qui a jette cette fille su
ces bords est si extraordinaire,
que le récit que vous
en allezentendresera infailliblement
le plusbel
ornement de cette histoire.
La Moscovite Barnaga,
de la ville d'?~M~~ peut
avoir environ trente ans. M
y en a prés de quatre qu'-
elle est dans cettecontree,
où elle vit dans la compagnie
des Lapons Norvegiens
comme si elle étoit
leur Reine. Avant de venir
en cepaïs,elle vivoitàAstra.
candans le sein de sa famille,
occupeeàtous les ouvrages
ausquelsune Elles'occupe
naturellement chezses parens,
lorsqueleplus spirituel&
leplus sçnvant,des
Lapons de ce Royaume s'avisa
de vouloir voyager. 1.1
- On dit ici tant de choses
merveilleuses de ce petit
homme, qu'on assure qu'il
avoit un Gnome particulier
qui le proregeoir. D'autres
disent qu'il enéroit un luimême.
Ce qu'il ya de plus
constant; selon moy, c'est
qu'ilavoir une connoissance
parfaite de tous les
secrets & de toutes les verus
naturcllesqui sontdans
les simples, & qu'il employoit
les plus fiers animaux
de ces deserts à tous
les usages qu'illui plaisoit.
Un jour, dis- je, (e sentant
i)..len humeur de voyager !> arrêta dans ces
forêts
une Renne. *, à qui il dit à
* Plusieursvoyagesdu NordpAr.
lent des qualitez de cetanimal, qui
yest
à peuprés dela taille d'un Cerf.
On lui dit à l'oreilleoù l'onveut
l'envoyer, ou bien le nom des lieux
où l'on veut aller avrjr lui.Aussitôt
ilva par-tout avec unevitesse admirable
, sans suivre aucune route. Éon
instinct seulle guide
,
-& il n'y a ni
fleuves, ni precipices
,
ni montagnes
qui l'arrêtent. Il sertcommunément
à tirer les trainaux.
l'oreille qu'ilvouloit se pro
mener dans l'Empire de
Tartares &dans la Moscc
vie. Cet animal docile reçu
son secret,&l'emmena pa
tout où il voulut aller. En
fin étant arrivé à Astracan
il alla loger chez la mer
de Barnaga, où ilse trouv
si content des bons traite
mensqu'onlui fit, que pa
reconnoissance,ou par in
clination il devint amou
reux de cette fille.
LeLapon ne pouvan
contenirtout le feu qui
devoroit,s'avisa de lui faire
an jour une ample déclaration
de sa tendresse. Barnagase
moqua de lui. Le
tmraégperiasàduentceetltpeofiinllte,qlu'o'uilresolut
de s'en vanger.Voici
commeil s'y prit.
Il affecta de ne lui plus
parler d'amour, & de ne
plus s'attacher qu'à caresser
à Renne qui faisoit chaque
jour presence de
Barnaga Ôc
de
sa
mere,
tous
les tours de souplesse imaginables.
Il se persuadaavec
raison que cette jeune fille
ne pourroit pas s'empêcher
àd'essayer cette monture; qui il avoit eu la precau
tion de dire tout cequ'il y
avoit à faire,si cela arrivoit.
Barnaga, charméede
cet animal, avoit plusieur
fois prié le fin Lapon dele
lui donner:mais il avoit
toujours affecté de ne pouvoir
lui faire un si grand sa
crifice; Enfin irritée de ses
refus, elle avoir resolu de ledérober, & de lui dire
qu'ils'étoit perdu dans les
bois voisins. Un jour pour
cet effet, elle se fit suivre
parla Renne jusqu'à un
quart de lieuë de la ville, où
le voyant seule, elle voulut
monter cet animal, qui se
mit a genoux comme un
chameau pour la recevoir
plus commodément: mais
elle fut à peine sur son dos,
qu'il l'emporta presque à
travers les airs, tant il avoit
de vîtesse & de legereté.
Quoyqu'il y ait un chemin
infini d'ici à Astracan, il
l'amena en trois jours dans
ce defert, où son amant le
rendit aussitôt qu'elle. Il
l'épousa presque en même
tempsavec toutes les ceremoniesdupays
,que
vous conterayune auti
fois. Il a depuisle jour
sesnoves,vécu tpujou
~v~~Uç.~ns la plusgra~
deuniondu mpad|;,& tP8
de mêmeavec eux. Ceper
dant depuis trois mois
Lapon a disparu,sans qu'o
sçache pourquoy, ni où
estallé, & personneici
sçait de ses nouvelles. Ba
~nagoem~'enoparutconsole &- coeur qu'il nerevienneja
mais. rti>,>u£iaaaoî
Lediscours de ce bon
dvierilolaridt- f.inÎt en cet 7en: nit- en"' - Vieillard finirencet!eenn^ Nous luifîmes chacun
nos remercimens de la peine
qu'il avoit prisede nous
conter tant de choses extraordinaires,
& nous le
priâmes de nous dire si
nous ne pourrions pas trouvercinq
de ses Rennes pour
nous remettre dans quelque
partie de l'Europe plus
habitable que celle où nous
étions. Non, mes enfans,
nous dit-il,je peux vous
donner aucune instruction
làdessus,& je vousjur
que je n'ai pas vu un seul d
ces animaux depuis que j
, fuis ici:mais au nomd
Dieu ne me quittez pa
que je ne sois mort ;dan
quarante mois je ne sera
plus. Dés que vous maure
renduà la terre, il viendr
quelque
- navire surcette
côte , dont le Capitain
charitable vous recevr
dans son bord , & voustre
menera dans les lieux o
vous avez tantd'impatience
de vous revoir. Il y a plu
de six semaines que ce fag
vieillard est mort, & nous
n'avons encore vu que vous,
qu'une extreme dïsgrace a
jettez sur ce rivage.
i' Le Chevalier de. qui
m'entend, me jura, deux
mois aprés nôtre naufrage,
unefoy éternelle, &m'épousa
en presence de ce
yenerable personnage donc
je viens de vous conter
l'histoire, deBarnaga, qu'-
une tendre sympathie a
fortement attachée à moy
depuis sa mort, & de ces
Messieurs qui sont nos compagnons
d'infortune. Il ya
plus d'un anqu'ils'est mis
danslatête des chagrins&
des jalousies sans fondement,
qui le precipitent
cent fois par jour dans des
abîmes de melancoliedont
rien ne peut leguerir.
Voilace que j'avais;
vous dire de mesavantures
"Au reste, songeons main
tenant auxexpediens qu
-peuvent nous tirer d'ici, &
7mettons touten usagepou
LretôUfncr'; ensemble, dan
•'-•d-esfie'uxefîlinous convien
rfëntmièux queces climat *éfK^âritabtâs*-?jDésque,
Julie eutcesse
de parler, nousnous encourageâmestous
à; travailler
aux moyens de sortir de ce
miserables pays ; &C] après
plusiers proportions.
gues & inutiles , je priai nôître
compagnie de sereposer
sur moydu soin de la délivr.
cCJ de cette région.Je
m'engageai à mettre tout
j: mon monde aprés cet our;
vrage. Je fis couper des ar..
Ë bres, donton ne un grand -nombre de mâts, de pouz
tres,de solives & de planches,
que jedestinaiàla
construction d'un navire. *
Sur ces entrefaites,le Che
valierde. tomba malade
en deux jours il fut à lex~
tremite, & le troisiéme i
mourur. Sa veuve fut long
temps inconsolable desa
perce : cependant mes soins
mes discours, la tendresse
qu'elle étoit perpuadée que
j'avois pour elle, & l'impa.
tience qu'elle avoit de re.
tourner bientôt dans une
meilleure contrée que celle
ou nous étions, (comme je
l'en assurois tous les jours,
lui rendirent bientôt son
embonpoint, ses graces ôc
sa tranquilité.
Des '¡ que nôtre vaisseau
: fut achevé, lesté, & chargé
d'eau, de poissons secs, de
chair salée, de legumes, 6c
de toutes les pauvres den-
1"rees. qui pouvoient. nous
aider à subsisterjusqu'à ce
que nous arrivassions à Plaisance,
nous nous embart
quâmes. Nous y changeâmes
pour des peaux nôtre
»bâtiment contre un autre
meilleur,nous y prîmes du
pain, du biscuit
,
du vin,
de la bierre, & tous les rafraîchissemens
dont nous
avions besoin. Enfin après
avoirvoguéleplusmalheureulement
du monde contre
les vents & la mer, nous
hommes venus,comme
vous le sçavez,Messieurs,
nous brifer ce matin sui
cette côte,& faire,pourain
dire, naufrage au port.
Je ne fais point d'autre:
remarques sur cette histoire
que celles qui sont à la mar
ge , parce que je connoi
ces pays septentrionnau
moins que ceux qui son
plus près du Soleil.
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Résumé : LE NAUFRAGE au port. HISTOIRE.
Le narrateur s'excuse pour le retard et décide de raconter les aventures de la Moscovite et du Lapon, rebaptisant l'histoire 'Le Naufrage au port'. À Saint-Malo, il accompagne un ami au Cap pour voir des vaisseaux prêts à partir pour la mer du Sud. Un orage éclate, provoquant le naufrage d'un navire. Les survivants, dont un homme désespéré pleurant la perte de sa bien-aimée Julie, sont secourus. Julie est également sauvée et retrouve son amant. L'histoire est celle de Louis-Alexandre de Nerval, un jeune Canadien qui raconte son propre naufrage, sa capture par des Anglais, et sa survie en Laponie. En Laponie, Nerval et ses compagnons découvrent une maison habitée par une femme et un homme chantant en français, exprimant leur douleur amoureuse. Ils se révèlent pour éviter d'être pris pour des espions. Ils rencontrent ensuite des pygmées identifiés comme des Lapons de Norvège, suivis par trois hommes armés d'arcs et de flèches, vêtus de peaux d'ours et de chèvres. Ces hommes parlent français et offrent leur aide. Ils conduisent les narrateurs dans une maison où ils rencontrent Julie Stroffen, originaire d'Hambourg. Elle raconte son histoire : elle s'est enfuie avec le chevalier après que son père a refusé leur mariage. Ils ont survécu à un naufrage grâce à un vieillard nommé Saxadero, qui leur a donné un baume divin. Saxadero raconte son parcours : né à Archangel, il a voyagé à travers la Tartarie, la Moscovie, et l'Asie avant de retourner en Europe. Présenté au Czar, il a été couvert de titres et de charges, mais a été démis de ses fonctions pour son incapacité à s'adapter à la cour. Le narrateur, après avoir reconnu la nécessité de la douceur et de la politesse pour vivre en société, est exilé et doit revenir sur ses pas. Il rencontre Barnaga, une Moscovite de trente ans, vivant avec des Lapons norvégiens depuis quatre ans. Avant son arrivée, elle vivait à Astrakan et fut séduite par un Lapon doté de connaissances exceptionnelles en simples et en animaux. Le Lapon l'enlève et l'épouse, mais disparaît trois mois plus tard, laissant Barnaga inconsolable. Le narrateur et ses compagnons, naufragés, écoutent l'histoire de Barnaga racontée par un vieillard. Ce dernier promet qu'un navire viendra les secourir après sa mort, ce qui se réalise six semaines plus tard. Le Chevalier de meurt deux mois après le naufrage. Sa veuve, Julie, est consolée par le narrateur qui construit un navire pour quitter cette région inhospitalière. Après avoir achevé le navire et navigué contre les vents, ils finissent par échouer sur la côte où ils se trouvent actuellement.
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31
p. 296-300
Nouvelles. De Hambourg, de Dannemarck, de Stralzund, de la Haye, de Vienne, de Perpignan. [titre d'après la table]
Début :
On écrit de Hambourg le 30. Juillet que les Lettres de [...]
Mots clefs :
Suède, Hommes, Commandant
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texteReconnaissance textuelle : Nouvelles. De Hambourg, de Dannemarck, de Stralzund, de la Haye, de Vienne, de Perpignan. [titre d'après la table]
On écrit de Hambourg le
50. Juillet que les Lettres de
Suede ne sont aucune mention
de ce Combat Naval
donton par le depuis longtemps
Elles marquent aucontraire
que les deux Flotes n'avoient
encore pû se joindre,
& que celle de Suede se renforçoit
de jour en jour, par
lesBastiments qui la venoient
joindre, ensorte qu'elle estoit
beaucoup fuperieurc à celle
des Moscovites.
Le Roy de Dannemark est
encore occupé à fairelarevûë
de ses Troupes qui ne pourront
estreassemblezque dans
le quinze dumois prochain:
Comme la saison s'avance, on
ne croit pas qu'il puisse faire
de grands progrez cetteCampagne.
Il doit cependant l'ouvrit
parl'attaque de l'Isled'Higelant
; & pour cette expédition
,
il fait embarquer de
-
l'Artillerie,des Bombes&des
Mortiers. Cette Isleestdedifsicile
accez,d'autant que pour
en approcher, il faut passer entre
des écuëils dangereux, &
que d'ailleurs le passage enest
dessendu par des Forts tresescarpez.
On écrit de Stralzund que
le General Duker a fous cette
Place un Corps de 9. à 10.mil
hommes ausquels le Commandant
de Wismar joindra
trois mil hommes en cas de
besoin. Mais il ne fera point
de mouvement que lesDanois
nee nsoietntratetacphezrà iqsuelequ.e
Le Roy Auguste qui partit
de Dresde le1 3. pour retourner
en Pologne,dépêcha le
jour de devant son départ, divers
Courriers. Celuyqu'ila
envoyé au Roy de Dannemar
k a esté enlevé dans le
M kelbourg par un Parti de
la Garnison de Wismarquil'a
mené au Commandant de
cette Place
,
& les dépêches
ont esté envoyez àlaRegence
deSuede.
50. Juillet que les Lettres de
Suede ne sont aucune mention
de ce Combat Naval
donton par le depuis longtemps
Elles marquent aucontraire
que les deux Flotes n'avoient
encore pû se joindre,
& que celle de Suede se renforçoit
de jour en jour, par
lesBastiments qui la venoient
joindre, ensorte qu'elle estoit
beaucoup fuperieurc à celle
des Moscovites.
Le Roy de Dannemark est
encore occupé à fairelarevûë
de ses Troupes qui ne pourront
estreassemblezque dans
le quinze dumois prochain:
Comme la saison s'avance, on
ne croit pas qu'il puisse faire
de grands progrez cetteCampagne.
Il doit cependant l'ouvrit
parl'attaque de l'Isled'Higelant
; & pour cette expédition
,
il fait embarquer de
-
l'Artillerie,des Bombes&des
Mortiers. Cette Isleestdedifsicile
accez,d'autant que pour
en approcher, il faut passer entre
des écuëils dangereux, &
que d'ailleurs le passage enest
dessendu par des Forts tresescarpez.
On écrit de Stralzund que
le General Duker a fous cette
Place un Corps de 9. à 10.mil
hommes ausquels le Commandant
de Wismar joindra
trois mil hommes en cas de
besoin. Mais il ne fera point
de mouvement que lesDanois
nee nsoietntratetacphezrà iqsuelequ.e
Le Roy Auguste qui partit
de Dresde le1 3. pour retourner
en Pologne,dépêcha le
jour de devant son départ, divers
Courriers. Celuyqu'ila
envoyé au Roy de Dannemar
k a esté enlevé dans le
M kelbourg par un Parti de
la Garnison de Wismarquil'a
mené au Commandant de
cette Place
,
& les dépêches
ont esté envoyez àlaRegence
deSuede.
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Résumé : Nouvelles. De Hambourg, de Dannemarck, de Stralzund, de la Haye, de Vienne, de Perpignan. [titre d'après la table]
Le 50 juillet, des lettres de Hambourg indiquent qu'aucun combat naval n'a eu lieu entre les flottes suédoise et moscovite, car elles ne se sont pas encore rencontrées. La flotte suédoise s'accroît quotidiennement avec l'arrivée de nouveaux navires, surpassant ainsi celle des Moscovites. Le roi de Danemark passe en revue ses troupes, prêtes le 15 du mois suivant, mais l'avancement de la saison limite ses actions. Il prévoit d'attaquer l'île d'Higelant, défendue par des écueils et des forts. À Stralzund, le général Duker dispose de 9 à 10 000 hommes, renforçables par 3 000 hommes de Wismar, mais n'agira pas avant l'arrivée des Danois. Le roi Auguste, parti de Dresde le 13 juillet, a envoyé des courriers, dont un destiné au roi de Danemark, intercepté près de Kiel et transmis à la régence de Suède.
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32
p. 682-697
SUITE des Troubles d'Egypte. Extrait d'une Lettre écrite du Caire le 30. Août 1729.
Début :
Au mois de Juin dernier, les Beys qui s'étoient retirez au Saïdy, dans [...]
Mots clefs :
Rebelles, Égypte, Le Caire, Troupes, Hommes, Pacha , Beys, Commandant
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texteReconnaissance textuelle : SUITE des Troubles d'Egypte. Extrait d'une Lettre écrite du Caire le 30. Août 1729.
SUITE des Troubles d'Egypte. Extrait
d'une Lettre écrite du Caire le 30.
Août 1729.
Aqui
U mois de Juin dernier , les Beys
qui s'étoient retirez au Saïdy , dans
la haute Egypte , lors de la deffaite totale
de Cherkes Mehemet Bey , arrivée en
1725. commencerent à donner des foupçons
aux Commandans du Païs , dont
Zulficar Bey eft le principal Chef , par
les intelligences qu'ils avoient dans la
Ville du Caire , ce qui fit redoubler les
attentions à chaffer ou à faire executer les
Rebelles qui reftoient dans la Ville ; ceux
qui purent éviter de perir par le Sabre
prirent le parti de s'aller joindre à ceux
de la haute Egypte , dont le nombre s'accrut
confiderablement ce qui donna
beaucoup d'inquiétude à nos Commandans
, & les détermina enfin à envoyer
un Corps de 3000. hommes pour tâcher
de les réduire , ou de les difperfer.
,
Ceux de la haute Egypte ne s'endormirent
pas de leur côté, ils s'étoient précautionnez
long- temps auparavant en fe
joignant aux Arabes , dont un des Beys.
Rebelles avoit époufé une Princeffe , fille
d'un des principaux Emirs de cette Nation,
AVRIL. 1730. 683
A
tion , ce qui leur donna le courage de
s'opposer au Corps de Troupes dont on
vient de parler. Le 5. Juillet dernier , co
Corps commença à fe mettre en marche.
Les Rebelles marcherent prefque en même
temps , ils fe rencontrerent bientôt ,
& camperent les uns devant les autres
fans coup ferir.
Quelquesjours après , Soliman Bey, Chef
des Rebelles , envoya dire à Ofman Bey ,
Commandant des Troupes du Caire , qu'il
n'étoit pas bien aife de combattre contre
Les freres , que la Religion Mufulmane ,
dont ils étoient tous , le lui deffendoit
ce qui ayant été pris par Ofman Bey pour
une marque de foibleffe , il fe détermina
au combat qui fut donné le 13. Juillet ,
mais il eut le malheur d'y fuccomber avec
le plus grand nombre des fiens , dont
plus de 350. pafferent du côté des Rebelles.
Dans la mêlée Soliman Bey atteignit
Ofman Bey d'un coup de Lance , &
s'en rendit enfuite bientôt le maître ; il
lui reprocha fes cruautez & les mauvaiſes
manieres que ceux de fon parti avoient
eues avec lui , après quoi il lui coupa luimême
la tête d'un coup de Sabre. Les
autres Beys & ceux qui font échapez
dont le nombre eft fort petit , font prefque
tous bleffez , celui des morts eft trèsconfiderable.
Cij Deux
684 MERCURE DE FRANCE
Deux jours après cette défaite , Cherkez
Mehemet Bey ,qui étoit fugitif depuis fa
déroute de 1725. rentra dans le Royaume
& joignit les Beys du Saïdy , ce qui a
beaucoup renforcé ce Parti ; ayant fait
cette jonction à la tête de 400. Maugre
bins ou Africains de Barbarie , ce renfort
fit prendre la réfolution aux Beys d'écrire
à ceux du Caire , qu'ils euffent à ne
plus envoyer de Troupes contre eux ,
étant bien réfolus d'aller au-devant pour
les combattre , ce qui obligea les Beys.
du Caire à prendre mieux leurs meſures,
ne doutant pas fur cette fierté qu'il n'y
eût dans la Ville quelqu'un qui les trahiffoit.
Ils ne furent pas long- temps à décou
vrir que c'étoit le Pacha d'Egypte lui ,
même , qui abufant de l'autorité dont il
eft revêtu , favorifoit les Rebelles , furquoi
ils s'affemblerent & prirent la réſolution
de le deftituer , ce qu'ils executerent
de cette maniere le 19. Juillet. Tous
les Beys & autres Puiffances du Pays ,
s'étant affemblez à Carameidam , * ils
firent prier le Pacha d'y venir pour conferer
enfemble fur les moyens de faire
cefler les troubles caufez par les Rebel
les ; le Pacha fe rendit à l'Affemblée ;
mais il n'y fut pas plutôt arrivé qu'on
* La Place Noire lieu oùse font les Executions:
lui
AVRIL 1730. 683
lui déclara la réſolution qu'on venoit de
prendre de le deftituer , ce qui fut executé
fur le champ ; il n'en parut point ému ,
on croit même qu'il n'eft pas fâché de
cette deftitution dans les conjonctures prefentes
. Cependant le Pacha affectant toûtjours
un air tranquille , s'adreffa au Tefterdar
ou Tréforier General , préſent à
cette Aſſemblée , à qui il dit , c'eſt donc
à vous à être Kaimakan ou Lieutenant
General du Gouvernement , ce que celuicy
refufa. Alors Zulficar Bey , qui eſt tout
puiffant dans le Parti , dit qu'ils avoient
réfolu d'élire MehemetBey, fils deDervich
Bey pour Kaimakan,à quoi lePacha confentit
; il lui vétitleCaftant ouRobe d'honneur
& lui fit prefent d'une belle Vefte doublée
d'une riche Peau , après quoi le Pacha fe
retira dans la maifon qu'on lui avoit préparée
, où il doit refter fous bonne garde,
en attendant les ordres de la Porte ; il
a reçû depuis bien des mortifications
de la des Puiffances du Pays , jufqu'à
confentir qu'on coupât la tête à trois de
fes Gens , qui étoient ſuſpects au Parti
dominant.
part
Au refte , cette deftitution a fait un
grand changement dans le Pays , ceux.de
la Ville en paroiffent plus tranquilles ,
& ceux de la Campagne ne remuent plus
eependant les Beys d'ici préparent un
Ciij Corps
686 MERCURE DE FRANCE
Corps de 6000. hommes pour l'envoyer
contre les Rebelles , qu'on dit s'être
retranchez dans la haute Egypte , attendant
de pied ferme ceux qui doivent aller
les attaquer. On ne le pourra que par eau,
car nous fommes dans le temps de la
croiffance du Nil . Comme ces Comman
dans ont épuisé leurs fonds , & que pour
la continuation de la guerre , la folde des
6000. hommes & les autres dépenses , il
leur faut plus d'un million cinq cens mille
livres , ils tyrannifent le Peuple & taxent
tous les Marchands , ce qui fait crier hautement
contre leur Gouvernement.
Le 28. nous apprîmes qu'un Corps des
Rebelles s'étoit avancé jufqu'à deux journées
du Caire ; à cette nouvelle on s'affembla
& on confia les poftes du dehors
de la Ville à divers Seigneurs , qui avec
leurs Troupes , fe chargerent de les garder
, & comme on eft toûjouts perfuadé
que le Pacha favorife les Rebelles ,
on
alla lui ordonner de la part des Commandans
, de fortir de fa demeure pour
être conduit à la Prifon de Jofeph , fituée
dans le Château ; c'eft le lieu ordinaire
où l'on execute les Pachas lorsqu'il y a
des ordres de la Porte pour les faire mourir.
Le Pacha parut confterné, & dit qu'il
n'avoit rien fait qui méritât la mort , mais
que fi on devoit l'executer , il falloit
que
AVRIL 1730. 687
que ce fût à la porte de l'Hôtel des Jan- ,
niffaires , comme étant de leur Corps ; il
y fut conduit fur le chimp ; Zulficar Bey
ordonna qu'il y refteroit fous la garde..
d'un Bey ; dès que ce Bey fut arrivé à la
porte des Jannillaires pour y executer les ,
ordres de Zulficar , l'un des anciens Kia- :
hias ou Lieutenans des Janniffaires , fe
leva & dit en s'adreffant à tout le Corps ,
permettrez vous , mes freres , qu'on nous
faffe un tel affront , & ne fommes- nous
pas affez puiffants pour garder nous- mê- ,
mes un Pacha ; ces paroles prononcées :
avec force par un ancien Oficier du
Corps , firent une telle impreffion qu'on
envoya dire fur le champ au Bey de fe
retirer, ce que celui- cy nè fè fit pas dire .
deux fois.
qu'il
Le 29. Zulficar fit fortir toutes fes fem
mes de fa maiſon & tout ce qu'il avoit
de plus précieux , & fit travailler à des
affuts deCanon pour pouvoir monter ceux
avoit fait venir d'Alexandrie des
deux Barques Tripolines qu'il avoit confifquées
, & fait vendre à l'enchere , fur
ce que ceux de Tripoly avoient donné
retraite à Cherkez Mehemet Bey. On ne
put rien apprendre des Rebelles de tout
ce jour là , tous les poftes du dehors continuant
à être gardez .
Le 30. il partit d'ici un détachement
Ciiij de
688 MERCURE DE FRANCE
de 5oo. hommes , commandez par un
Bey , pour aller reconnoître les ennemis ,
qu'on affuroit n'être plus qu'à deux journées
d'ici , & en même- temps un autre
Bey alla fe pofter avec des Troupes &
des Canons fur une élévation qui commande
le Château & une partie de la
Ville ; les poftes continuerent à être exactement
gardez .
›
Le 31. il y eut une petite allarme aur
fujet des 5oo. hommes qu'on avoit envoyez
pour reconnoître les Ennemis , on
affuroit qu'ils avoient été battus & taillez
en pieces ; cependant on continua à envoyer
des Troupes & des Munitions aux
divers Officiers qui occupoient les dehors
de la Ville. Le même jour ceux- cy , peu
accoûtumez aux travaux de la guerre ,
envoyerent dire à Zulficar & à Youffep
Kiahia Officiers dans le Corps des
Azabs , qu'ils euffent à fortir du Caire ,
pour les venir joindre & aller enfemble
attaquer les Rebelles; ceux - cy répondirent
qu'ils ne pouvoient fortir que dans deux
ou trois jours ; on affure qu'ils fe méfient
de ceux qui ont fait cette demande , les
croyant d'intelligence avec les Rebelles .
Le premier Août , les 500. hommes en- ၂၁ ဝ .
voyez pour reconnoître les Ennemis ,
s'en retournerent épouvantez d'une ca-
* Azabs , Corps de Milice,
nonade
.
AVRIL 1730. 689
nonade dont ils furent régalez à leur approche
, ce qui les dérouta totalement.
Le même jour on vint affurer le Bey
Commandant , que les Rebelles n'avoient
tout au plus que 200. hommes de bonnes
Troupes , & 3. à 400. Arabes fort mal
équipez , ce qu'on prit grand foin de publier
pour donner du courage aux Troupes.
Le même jour il arriva au Caire un
Tartare , dépêché par un Aga de la Porte
, arrivé de Conftantinople à Damiette ,
qu'on difoit porteur de la confirmation
du Pacha deftitué. On ne voulut pas
permettre à ce Courier de voir le Pacha
toûjours prifonnier chez les Janniffaires;
le. Kiahia ou Lieutenant de ce Pacha
ayant demandé de pouvoir refter dans la
maifon qu'il occupoit auparavant , pour
avoir foin de fes femmes & de fa famille,
on le lui accorda , mais auffi - tôt qu'il y
fut entré , on lui donna des Gardes , de
forte que ce Lieutenant devint auffi
Prifonnier.
a;
Cependant l'Aga des Janniffaires , pour
calmer la Populace , fit crier par toute
la Ville que la paix & la tranquillité
étoient rétablies , qu'il n'y avoit plus rien
à craindre , & qu'on pouvoit ouvrir les
Boutiques. Mais on continua d'arrêter
tous les Bâtimens trouvez fur le Nil , pour
C v tranf
690 MERCURE DE FRANCE
tranfporter des Munitions de guerre &
de bouche à ceux qui font au bout du
vieux Caire , fur la même Riviere , pour
fervir à réduire les Rebelles.
,
Le 2. on envoya un Commandement à
Damiette pour y arrêter l'Aga , Porteur
de la confirmation du Pacha & les
6000. hommes deftinez pour aller at
taquer les Rebelles partirent. Le Procès
Verbal qu'on a coûtume de dreffer contre
le Pacha lorfqu'on le deftituë , pour envoyer
à la Porte , n'étoit pas encore fi
gné de toutes les Puiffances , mais il le
fut le 3. & on l'envoya à Conftantinople
on apprit ce jour là que les 6000. hommes
avoient fait une marche de 8. heures
confécutives , après quoi ils avoient
fait alte pour laiffer paffer les chaleurs
, & que les Rebelles attendoient
toujours de pied ferme. On apprit auffi
qu'il y avoit trois Beys du parti des Rebelles
dans la Ville , & on arrêta un homme
qui leur portoit des Provifions , mais
ayant fait inveftir la maifon indiquée ,
on ne les y trouva pas , ce qui inquiete
fort le Commandant, perfuadé qu'ils font
cachez dans cette grande Ville , où ils fomentent
les troubles .
Le 4. le bruit fe répandit que les Rebelles
en étoient venus aux mains avec
les 6000. hommes envoyez de la Ville
&
AVRIL 1730. 691
&
que ceux- cy
les avoient deffaits , &
on affure que Soliman Bey étoit mort les
armes à la main , & que Cherkes Mehemet
Bey avoit pris la fuite. Un Chef des
Arabes du parti de Zulficar , arriva en
même- temps & confirma cette nouvelle.
On crut au Caire qu'il apportoit la tête
de Soliman Bey & celle des fix autres
Grands de fon parti ; cet Arabe fut fort
bien reçû du Bey , qui lui fit prefent d'une
belle Peliffe de Samour , d'un Cheval
& d'un Village ; il fit diftribuer deux
poignées de Sequins aux Gens de fa fuite.
Sur cette nouvelle le Commandant rappella
le Bey qui étoit de garde fur la hauteur
qui domine le Château , lequel aban
donna auffi-tôt fon pofte & rentra dans
la Ville avec tous fes Gens. Le Peuple
plaignit extrémement le fort de Soliman
Bey , qui étoit adoré à cauſe de ſes bonnes
qualitez , & les Religieux Latins le
regretterent comme leur plus grand' Protecteur
dans le Pays .
Le 5. une partie des Troupes envoyées
contre les Rebelles rentra dans la Ville
avec quelques - uns des Commandans ; on
publia qu'il n'y avoit eu qu'un petit
choc , & que les Rebelles n'étant pas les:
plus forts , s'étoient retranchez entre deux
Montagnes qui les rendoient maîtres du
paffage , & on affura que Soliman Bey
692 MERCURE DE FRANCE
-1
& Cherkez étoient encore en vie & toujours
très-unis , que la prétenduë tête
qu'on avoit apportée de Soliman Bey ,
étoit celle de Marram Aly Bey , autre
Chef des Rebelles , lequel ayant eu fon
cheval tué fous lui , fut pris & eut la tête
coupée..
>
Le 6. les nouvelles varierent , on confirma
la mort de Soliman Bey , & la
deffaite des Rebelles
ajoûtant que
Cherkez Mehemet Bey , ayant été pourfuivi
, s'étoit refugié dans un Village avec
environ 400. hommes de Troupes ; làdeffus
Zulficar Bey fortit pour faire défiler
les Troupes qui étoient rentrées du
côté de ce Village pour l'inveftir & fe
rendre maître de Cherkez . Ce même jour
on amena Cara Muftapha , Chaoux des
Janniffaires , du parti des Rebelles , lequel
ayant été interrogé par le Bey Commandant
, ne daigna pas lui répondre .
Il fut conduit à l'Hôtel des Janniffaires
& interrogé par les Officiers de fon Corps,
il s'obſtina à ne vouloir rien déclarer
fur quoi on lui fit couper la tête .
Le 7. le Commandant fortit encore de
la Ville pour achever de faire repaffer la
Riviere aux Troupes commandées pour
prendre Cherkez , & en même- temps on
X fit voiturer des Munitions de guerre &
de bouche.
Le
AVRIL 1730. 693
Le 8. on continua d'affurer que SolimanBey
n'étoit pas mort, que dans la derniere
affaire qui s'eft paffée , une balle de
Moufquet ne lui avoit fait qu'éfleurer le
nez , & qu'il étoit toûjours avec Cherkez,
& en état de fe bien deffendre ; cependant
la politique des Commandans continuoit
de le faire paffer pour mort dans
le public , & l'autre Bey rencoigné dans
un Village , prêt à fe rendre ; ce qui eſt,
dit-on , bien different de la verité .
Le 9. on fit fortir le Pacha de l'Hôtel
des Janniffaires & on le renvoya dans fa
premiere maiſon , où il eft toûjours gardé ;
on continue de garder exactement les
Poftes du dedans de la Ville.
Le 10. on apprit que Cherkez s'étoit
retiré dans le Village de Manouri , fitué
dans la Behera , prefque au milieu du
chemin de Roffette à Alexandrie , &
qu'ayant fait alliance avec les Arabes de
cette Contrée , il s'étoit , pour ainfi dire ,
rendu le maître de cette Prefqu'Ifle , d'où
oncroyoit qu'il feroit difficile de le chaffer.
Le 11. le Bey Commandant , taxa toutes
les Boutiques de la Ville à un Sequin
chacune , ce qui doit lui rendre près de
vingt mille Sequins , outre cela il envoya
de temps - en-temps faire des emprunts
aux Habitans les plus aifez du Caire , ce
qui n'augmente pas la confiance , & na
link
694
MERCURE DE FRANCE
lui attire pas l'amitié du Peuple.
Le 12. on apprit que Cherkez & fes
amis avoient abandonné leurs poftes de
la Montagne , & qu'ils avoient parcouru
divers Villages de la Behere , qu'ils avoient
mis à contribution .
Le 13. Aly Bey , Commandant des Troupes
de la Ville , fut renforcé par un petit
Détachement que Zulficar lui envoya.
Ce même jour on fit la ceremonie accoûtumée
de couper le Nil, qui étoit venu
au point fixe de fa croiffance , depuis:
il a encore augmenté ; deforte que les
terres vont dans peu de temps être inondées
, ce qui pourra favorifer Cher
kez dans fa retraite , s'il a ce deffein- là.
>
Le 14. Cherkez Bey s'avança au Fioume,.
canton de la Behere , avec les Troupes
où , en chemin faifant , il fut , dit -on ,
attaqué par le Kiimakan d'un Village ,
qui lui tua une trentaine d'hommes : enfuite
de quoi il arriva au Fioume , où il
fe délaffi pendant deux jours fans être
inquieté de perfonne.
Le 15. Aly Bey envoya dire qu'il s'en
retournoit , ne fe fentant pas affez fort
pour attaquer Cherkez , qui , fuivant les
apparences , ne cherche qu'à fatiguer ceux
qui vont pour le combattre , & ce jour
là il commença d'entrer partie des Troupes
d'Aly Bey dans la Ville.
Lo
"AVRIL 1730.
695
Le 16. il arriva un Courier de la Mec
que, avec avis que la Caravane arrivetoit
dans une quinzaine de jours , il donna
auffi pour nouvelle que Mehemet Pacha
, cy-devant Pacha du Caire & preſentement
de Gedda , étoit mort à la Mecque
, en moins de trois jours , ce qu'on
affure être le motif du Voyage de Janem
Koaga à la Mecque , qui avoit , dit-on
ordre de la Porte, d'empoifonner ce Vizir.
Aly Bey arriva ce jour-là avec le refte de
fes Troupes , mais il campa dehors.
Le 17. on apprit que Cherkez Bey étoit
venu camper à deux journées du Caire
au même endroit où il avoit été ci -de-
,
vant battu , fur quoi Aly Bey envoya dire
qu'il ne vouloit plus entrer , mais qu'il
vouloit aller combattre Cherkez &
qu'on eut à lui envoyer des Troupes ; à
quoi on s'appliqua pendant toute la jour
née. On affure que la diverfion qu'avoit
fait Cherkez de courir vers Alexandrie
où les Troupes du Caire le fuivirent ,
n'étoit pas fans deffein , puifque Soliman
Bey qui avoit été bleffé dans la premiere:
Bataille s'étoit retiré dans un Village pour
fe faire guerir , & afin qu'on ne foupçonnât
rien de ce qui fe paffoit, Cherkez
avoit attiré bien loin les Troupes du Caire
& c.
· Le 18. le Kaïmakan fit appeller en plein
Divan
696 MERCURE DE FRANCE
Divan les Vizirs Aly & Uffein Qurb bigi
de Rofferte , aufquels il revêtit le Caftan
de Bey. Le Parti regnant a fait cependant
tout ce qu'il a pû pour remettre Dekir
Pacha en place ; mais celui- ci a remercié,
& delà , on conjecture avec fondement
que le Procès Verbal contre ce Pacha n'a
pas encore été envoyé à la Porte. Aly Bey
partit avec de nouvelles Troupes pour
aller combattre Cherkez ; mais on apprehende
l'inondation ne feconde pas
fon deffein. Zulficar Bey a mis la tête de
Cherkez Bey à prix , offrant de donner
dix mille fequins à ceux qui l'ameneront
en vie , & deux mille fequins à ceux qui
apporteront fa tête feulement.
que
J
Le 19. Uffein , un des nouveaux Beys,
fortit de la Ville avec 400. hommes de
Milice & alla camper hors du Vieux
Caire , fans qu'on ait fçû dans quel deffein
; les uns croyent que c'eft pour garder
les avenues , & les autres pour être
plus à portée de donner du fecours à Aly
Bey.
Le 20. on apprit que apprit que Cherkez avoit
décampé de l'endroit où il étoit , & qu'il
s'étoit mis en marche pour aller dans la
Haute Egypte , ce qui a fair refoudre Aly
Bey de s'en retourner . On affure que Cher
kez , en chemin faifant , arrête tous les
Batteaux qui tranfportent des grains au
1
Caire
AVRIL 1730. 697
Caire , & qu'il revend enfuite à fort bon
compte. Comme on ne parle en aucune
maniere plus de Soliman Bey , cela fait
croire qu'il eft effectivement mort . Uffein
Bey rentra ce jour là dans la Ville ; mais
les Troupes refterent dehors .
Le 21. les Beys & les autres Puiffances
de la Ville allerent complimenter les deux
nouveaux Beys , aufquels le Pacha n'a
pas voulu envoyer le Pavillon , fuivant
Fufage ; car quoique celui- ci foit deftitué,
il faut que le Pavillon leur foit envoyé
par
l'Homme direct du Grand - Seigneur.
On a réfolu d'envoyer les Kaïmakans dans
la Haute Egypte , chacun dans leur Village
, pour voir s'ils pourront y arriver
fans empêchement , après quoi le Bey ,
Gouverneur de cette Province , s'y rendra
auffi , mais fi au contraire les Kaïmakans
font obligés de s'en retourner , on
formera une nouvelle Thegeride ou Camp
volant pour réduire ceux qui s'oppofent.
à la tranquillité du Pays.
d'une Lettre écrite du Caire le 30.
Août 1729.
Aqui
U mois de Juin dernier , les Beys
qui s'étoient retirez au Saïdy , dans
la haute Egypte , lors de la deffaite totale
de Cherkes Mehemet Bey , arrivée en
1725. commencerent à donner des foupçons
aux Commandans du Païs , dont
Zulficar Bey eft le principal Chef , par
les intelligences qu'ils avoient dans la
Ville du Caire , ce qui fit redoubler les
attentions à chaffer ou à faire executer les
Rebelles qui reftoient dans la Ville ; ceux
qui purent éviter de perir par le Sabre
prirent le parti de s'aller joindre à ceux
de la haute Egypte , dont le nombre s'accrut
confiderablement ce qui donna
beaucoup d'inquiétude à nos Commandans
, & les détermina enfin à envoyer
un Corps de 3000. hommes pour tâcher
de les réduire , ou de les difperfer.
,
Ceux de la haute Egypte ne s'endormirent
pas de leur côté, ils s'étoient précautionnez
long- temps auparavant en fe
joignant aux Arabes , dont un des Beys.
Rebelles avoit époufé une Princeffe , fille
d'un des principaux Emirs de cette Nation,
AVRIL. 1730. 683
A
tion , ce qui leur donna le courage de
s'opposer au Corps de Troupes dont on
vient de parler. Le 5. Juillet dernier , co
Corps commença à fe mettre en marche.
Les Rebelles marcherent prefque en même
temps , ils fe rencontrerent bientôt ,
& camperent les uns devant les autres
fans coup ferir.
Quelquesjours après , Soliman Bey, Chef
des Rebelles , envoya dire à Ofman Bey ,
Commandant des Troupes du Caire , qu'il
n'étoit pas bien aife de combattre contre
Les freres , que la Religion Mufulmane ,
dont ils étoient tous , le lui deffendoit
ce qui ayant été pris par Ofman Bey pour
une marque de foibleffe , il fe détermina
au combat qui fut donné le 13. Juillet ,
mais il eut le malheur d'y fuccomber avec
le plus grand nombre des fiens , dont
plus de 350. pafferent du côté des Rebelles.
Dans la mêlée Soliman Bey atteignit
Ofman Bey d'un coup de Lance , &
s'en rendit enfuite bientôt le maître ; il
lui reprocha fes cruautez & les mauvaiſes
manieres que ceux de fon parti avoient
eues avec lui , après quoi il lui coupa luimême
la tête d'un coup de Sabre. Les
autres Beys & ceux qui font échapez
dont le nombre eft fort petit , font prefque
tous bleffez , celui des morts eft trèsconfiderable.
Cij Deux
684 MERCURE DE FRANCE
Deux jours après cette défaite , Cherkez
Mehemet Bey ,qui étoit fugitif depuis fa
déroute de 1725. rentra dans le Royaume
& joignit les Beys du Saïdy , ce qui a
beaucoup renforcé ce Parti ; ayant fait
cette jonction à la tête de 400. Maugre
bins ou Africains de Barbarie , ce renfort
fit prendre la réfolution aux Beys d'écrire
à ceux du Caire , qu'ils euffent à ne
plus envoyer de Troupes contre eux ,
étant bien réfolus d'aller au-devant pour
les combattre , ce qui obligea les Beys.
du Caire à prendre mieux leurs meſures,
ne doutant pas fur cette fierté qu'il n'y
eût dans la Ville quelqu'un qui les trahiffoit.
Ils ne furent pas long- temps à décou
vrir que c'étoit le Pacha d'Egypte lui ,
même , qui abufant de l'autorité dont il
eft revêtu , favorifoit les Rebelles , furquoi
ils s'affemblerent & prirent la réſolution
de le deftituer , ce qu'ils executerent
de cette maniere le 19. Juillet. Tous
les Beys & autres Puiffances du Pays ,
s'étant affemblez à Carameidam , * ils
firent prier le Pacha d'y venir pour conferer
enfemble fur les moyens de faire
cefler les troubles caufez par les Rebel
les ; le Pacha fe rendit à l'Affemblée ;
mais il n'y fut pas plutôt arrivé qu'on
* La Place Noire lieu oùse font les Executions:
lui
AVRIL 1730. 683
lui déclara la réſolution qu'on venoit de
prendre de le deftituer , ce qui fut executé
fur le champ ; il n'en parut point ému ,
on croit même qu'il n'eft pas fâché de
cette deftitution dans les conjonctures prefentes
. Cependant le Pacha affectant toûtjours
un air tranquille , s'adreffa au Tefterdar
ou Tréforier General , préſent à
cette Aſſemblée , à qui il dit , c'eſt donc
à vous à être Kaimakan ou Lieutenant
General du Gouvernement , ce que celuicy
refufa. Alors Zulficar Bey , qui eſt tout
puiffant dans le Parti , dit qu'ils avoient
réfolu d'élire MehemetBey, fils deDervich
Bey pour Kaimakan,à quoi lePacha confentit
; il lui vétitleCaftant ouRobe d'honneur
& lui fit prefent d'une belle Vefte doublée
d'une riche Peau , après quoi le Pacha fe
retira dans la maifon qu'on lui avoit préparée
, où il doit refter fous bonne garde,
en attendant les ordres de la Porte ; il
a reçû depuis bien des mortifications
de la des Puiffances du Pays , jufqu'à
confentir qu'on coupât la tête à trois de
fes Gens , qui étoient ſuſpects au Parti
dominant.
part
Au refte , cette deftitution a fait un
grand changement dans le Pays , ceux.de
la Ville en paroiffent plus tranquilles ,
& ceux de la Campagne ne remuent plus
eependant les Beys d'ici préparent un
Ciij Corps
686 MERCURE DE FRANCE
Corps de 6000. hommes pour l'envoyer
contre les Rebelles , qu'on dit s'être
retranchez dans la haute Egypte , attendant
de pied ferme ceux qui doivent aller
les attaquer. On ne le pourra que par eau,
car nous fommes dans le temps de la
croiffance du Nil . Comme ces Comman
dans ont épuisé leurs fonds , & que pour
la continuation de la guerre , la folde des
6000. hommes & les autres dépenses , il
leur faut plus d'un million cinq cens mille
livres , ils tyrannifent le Peuple & taxent
tous les Marchands , ce qui fait crier hautement
contre leur Gouvernement.
Le 28. nous apprîmes qu'un Corps des
Rebelles s'étoit avancé jufqu'à deux journées
du Caire ; à cette nouvelle on s'affembla
& on confia les poftes du dehors
de la Ville à divers Seigneurs , qui avec
leurs Troupes , fe chargerent de les garder
, & comme on eft toûjouts perfuadé
que le Pacha favorife les Rebelles ,
on
alla lui ordonner de la part des Commandans
, de fortir de fa demeure pour
être conduit à la Prifon de Jofeph , fituée
dans le Château ; c'eft le lieu ordinaire
où l'on execute les Pachas lorsqu'il y a
des ordres de la Porte pour les faire mourir.
Le Pacha parut confterné, & dit qu'il
n'avoit rien fait qui méritât la mort , mais
que fi on devoit l'executer , il falloit
que
AVRIL 1730. 687
que ce fût à la porte de l'Hôtel des Jan- ,
niffaires , comme étant de leur Corps ; il
y fut conduit fur le chimp ; Zulficar Bey
ordonna qu'il y refteroit fous la garde..
d'un Bey ; dès que ce Bey fut arrivé à la
porte des Jannillaires pour y executer les ,
ordres de Zulficar , l'un des anciens Kia- :
hias ou Lieutenans des Janniffaires , fe
leva & dit en s'adreffant à tout le Corps ,
permettrez vous , mes freres , qu'on nous
faffe un tel affront , & ne fommes- nous
pas affez puiffants pour garder nous- mê- ,
mes un Pacha ; ces paroles prononcées :
avec force par un ancien Oficier du
Corps , firent une telle impreffion qu'on
envoya dire fur le champ au Bey de fe
retirer, ce que celui- cy nè fè fit pas dire .
deux fois.
qu'il
Le 29. Zulficar fit fortir toutes fes fem
mes de fa maiſon & tout ce qu'il avoit
de plus précieux , & fit travailler à des
affuts deCanon pour pouvoir monter ceux
avoit fait venir d'Alexandrie des
deux Barques Tripolines qu'il avoit confifquées
, & fait vendre à l'enchere , fur
ce que ceux de Tripoly avoient donné
retraite à Cherkez Mehemet Bey. On ne
put rien apprendre des Rebelles de tout
ce jour là , tous les poftes du dehors continuant
à être gardez .
Le 30. il partit d'ici un détachement
Ciiij de
688 MERCURE DE FRANCE
de 5oo. hommes , commandez par un
Bey , pour aller reconnoître les ennemis ,
qu'on affuroit n'être plus qu'à deux journées
d'ici , & en même- temps un autre
Bey alla fe pofter avec des Troupes &
des Canons fur une élévation qui commande
le Château & une partie de la
Ville ; les poftes continuerent à être exactement
gardez .
›
Le 31. il y eut une petite allarme aur
fujet des 5oo. hommes qu'on avoit envoyez
pour reconnoître les Ennemis , on
affuroit qu'ils avoient été battus & taillez
en pieces ; cependant on continua à envoyer
des Troupes & des Munitions aux
divers Officiers qui occupoient les dehors
de la Ville. Le même jour ceux- cy , peu
accoûtumez aux travaux de la guerre ,
envoyerent dire à Zulficar & à Youffep
Kiahia Officiers dans le Corps des
Azabs , qu'ils euffent à fortir du Caire ,
pour les venir joindre & aller enfemble
attaquer les Rebelles; ceux - cy répondirent
qu'ils ne pouvoient fortir que dans deux
ou trois jours ; on affure qu'ils fe méfient
de ceux qui ont fait cette demande , les
croyant d'intelligence avec les Rebelles .
Le premier Août , les 500. hommes en- ၂၁ ဝ .
voyez pour reconnoître les Ennemis ,
s'en retournerent épouvantez d'une ca-
* Azabs , Corps de Milice,
nonade
.
AVRIL 1730. 689
nonade dont ils furent régalez à leur approche
, ce qui les dérouta totalement.
Le même jour on vint affurer le Bey
Commandant , que les Rebelles n'avoient
tout au plus que 200. hommes de bonnes
Troupes , & 3. à 400. Arabes fort mal
équipez , ce qu'on prit grand foin de publier
pour donner du courage aux Troupes.
Le même jour il arriva au Caire un
Tartare , dépêché par un Aga de la Porte
, arrivé de Conftantinople à Damiette ,
qu'on difoit porteur de la confirmation
du Pacha deftitué. On ne voulut pas
permettre à ce Courier de voir le Pacha
toûjours prifonnier chez les Janniffaires;
le. Kiahia ou Lieutenant de ce Pacha
ayant demandé de pouvoir refter dans la
maifon qu'il occupoit auparavant , pour
avoir foin de fes femmes & de fa famille,
on le lui accorda , mais auffi - tôt qu'il y
fut entré , on lui donna des Gardes , de
forte que ce Lieutenant devint auffi
Prifonnier.
a;
Cependant l'Aga des Janniffaires , pour
calmer la Populace , fit crier par toute
la Ville que la paix & la tranquillité
étoient rétablies , qu'il n'y avoit plus rien
à craindre , & qu'on pouvoit ouvrir les
Boutiques. Mais on continua d'arrêter
tous les Bâtimens trouvez fur le Nil , pour
C v tranf
690 MERCURE DE FRANCE
tranfporter des Munitions de guerre &
de bouche à ceux qui font au bout du
vieux Caire , fur la même Riviere , pour
fervir à réduire les Rebelles.
,
Le 2. on envoya un Commandement à
Damiette pour y arrêter l'Aga , Porteur
de la confirmation du Pacha & les
6000. hommes deftinez pour aller at
taquer les Rebelles partirent. Le Procès
Verbal qu'on a coûtume de dreffer contre
le Pacha lorfqu'on le deftituë , pour envoyer
à la Porte , n'étoit pas encore fi
gné de toutes les Puiffances , mais il le
fut le 3. & on l'envoya à Conftantinople
on apprit ce jour là que les 6000. hommes
avoient fait une marche de 8. heures
confécutives , après quoi ils avoient
fait alte pour laiffer paffer les chaleurs
, & que les Rebelles attendoient
toujours de pied ferme. On apprit auffi
qu'il y avoit trois Beys du parti des Rebelles
dans la Ville , & on arrêta un homme
qui leur portoit des Provifions , mais
ayant fait inveftir la maifon indiquée ,
on ne les y trouva pas , ce qui inquiete
fort le Commandant, perfuadé qu'ils font
cachez dans cette grande Ville , où ils fomentent
les troubles .
Le 4. le bruit fe répandit que les Rebelles
en étoient venus aux mains avec
les 6000. hommes envoyez de la Ville
&
AVRIL 1730. 691
&
que ceux- cy
les avoient deffaits , &
on affure que Soliman Bey étoit mort les
armes à la main , & que Cherkes Mehemet
Bey avoit pris la fuite. Un Chef des
Arabes du parti de Zulficar , arriva en
même- temps & confirma cette nouvelle.
On crut au Caire qu'il apportoit la tête
de Soliman Bey & celle des fix autres
Grands de fon parti ; cet Arabe fut fort
bien reçû du Bey , qui lui fit prefent d'une
belle Peliffe de Samour , d'un Cheval
& d'un Village ; il fit diftribuer deux
poignées de Sequins aux Gens de fa fuite.
Sur cette nouvelle le Commandant rappella
le Bey qui étoit de garde fur la hauteur
qui domine le Château , lequel aban
donna auffi-tôt fon pofte & rentra dans
la Ville avec tous fes Gens. Le Peuple
plaignit extrémement le fort de Soliman
Bey , qui étoit adoré à cauſe de ſes bonnes
qualitez , & les Religieux Latins le
regretterent comme leur plus grand' Protecteur
dans le Pays .
Le 5. une partie des Troupes envoyées
contre les Rebelles rentra dans la Ville
avec quelques - uns des Commandans ; on
publia qu'il n'y avoit eu qu'un petit
choc , & que les Rebelles n'étant pas les:
plus forts , s'étoient retranchez entre deux
Montagnes qui les rendoient maîtres du
paffage , & on affura que Soliman Bey
692 MERCURE DE FRANCE
-1
& Cherkez étoient encore en vie & toujours
très-unis , que la prétenduë tête
qu'on avoit apportée de Soliman Bey ,
étoit celle de Marram Aly Bey , autre
Chef des Rebelles , lequel ayant eu fon
cheval tué fous lui , fut pris & eut la tête
coupée..
>
Le 6. les nouvelles varierent , on confirma
la mort de Soliman Bey , & la
deffaite des Rebelles
ajoûtant que
Cherkez Mehemet Bey , ayant été pourfuivi
, s'étoit refugié dans un Village avec
environ 400. hommes de Troupes ; làdeffus
Zulficar Bey fortit pour faire défiler
les Troupes qui étoient rentrées du
côté de ce Village pour l'inveftir & fe
rendre maître de Cherkez . Ce même jour
on amena Cara Muftapha , Chaoux des
Janniffaires , du parti des Rebelles , lequel
ayant été interrogé par le Bey Commandant
, ne daigna pas lui répondre .
Il fut conduit à l'Hôtel des Janniffaires
& interrogé par les Officiers de fon Corps,
il s'obſtina à ne vouloir rien déclarer
fur quoi on lui fit couper la tête .
Le 7. le Commandant fortit encore de
la Ville pour achever de faire repaffer la
Riviere aux Troupes commandées pour
prendre Cherkez , & en même- temps on
X fit voiturer des Munitions de guerre &
de bouche.
Le
AVRIL 1730. 693
Le 8. on continua d'affurer que SolimanBey
n'étoit pas mort, que dans la derniere
affaire qui s'eft paffée , une balle de
Moufquet ne lui avoit fait qu'éfleurer le
nez , & qu'il étoit toûjours avec Cherkez,
& en état de fe bien deffendre ; cependant
la politique des Commandans continuoit
de le faire paffer pour mort dans
le public , & l'autre Bey rencoigné dans
un Village , prêt à fe rendre ; ce qui eſt,
dit-on , bien different de la verité .
Le 9. on fit fortir le Pacha de l'Hôtel
des Janniffaires & on le renvoya dans fa
premiere maiſon , où il eft toûjours gardé ;
on continue de garder exactement les
Poftes du dedans de la Ville.
Le 10. on apprit que Cherkez s'étoit
retiré dans le Village de Manouri , fitué
dans la Behera , prefque au milieu du
chemin de Roffette à Alexandrie , &
qu'ayant fait alliance avec les Arabes de
cette Contrée , il s'étoit , pour ainfi dire ,
rendu le maître de cette Prefqu'Ifle , d'où
oncroyoit qu'il feroit difficile de le chaffer.
Le 11. le Bey Commandant , taxa toutes
les Boutiques de la Ville à un Sequin
chacune , ce qui doit lui rendre près de
vingt mille Sequins , outre cela il envoya
de temps - en-temps faire des emprunts
aux Habitans les plus aifez du Caire , ce
qui n'augmente pas la confiance , & na
link
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MERCURE DE FRANCE
lui attire pas l'amitié du Peuple.
Le 12. on apprit que Cherkez & fes
amis avoient abandonné leurs poftes de
la Montagne , & qu'ils avoient parcouru
divers Villages de la Behere , qu'ils avoient
mis à contribution .
Le 13. Aly Bey , Commandant des Troupes
de la Ville , fut renforcé par un petit
Détachement que Zulficar lui envoya.
Ce même jour on fit la ceremonie accoûtumée
de couper le Nil, qui étoit venu
au point fixe de fa croiffance , depuis:
il a encore augmenté ; deforte que les
terres vont dans peu de temps être inondées
, ce qui pourra favorifer Cher
kez dans fa retraite , s'il a ce deffein- là.
>
Le 14. Cherkez Bey s'avança au Fioume,.
canton de la Behere , avec les Troupes
où , en chemin faifant , il fut , dit -on ,
attaqué par le Kiimakan d'un Village ,
qui lui tua une trentaine d'hommes : enfuite
de quoi il arriva au Fioume , où il
fe délaffi pendant deux jours fans être
inquieté de perfonne.
Le 15. Aly Bey envoya dire qu'il s'en
retournoit , ne fe fentant pas affez fort
pour attaquer Cherkez , qui , fuivant les
apparences , ne cherche qu'à fatiguer ceux
qui vont pour le combattre , & ce jour
là il commença d'entrer partie des Troupes
d'Aly Bey dans la Ville.
Lo
"AVRIL 1730.
695
Le 16. il arriva un Courier de la Mec
que, avec avis que la Caravane arrivetoit
dans une quinzaine de jours , il donna
auffi pour nouvelle que Mehemet Pacha
, cy-devant Pacha du Caire & preſentement
de Gedda , étoit mort à la Mecque
, en moins de trois jours , ce qu'on
affure être le motif du Voyage de Janem
Koaga à la Mecque , qui avoit , dit-on
ordre de la Porte, d'empoifonner ce Vizir.
Aly Bey arriva ce jour-là avec le refte de
fes Troupes , mais il campa dehors.
Le 17. on apprit que Cherkez Bey étoit
venu camper à deux journées du Caire
au même endroit où il avoit été ci -de-
,
vant battu , fur quoi Aly Bey envoya dire
qu'il ne vouloit plus entrer , mais qu'il
vouloit aller combattre Cherkez &
qu'on eut à lui envoyer des Troupes ; à
quoi on s'appliqua pendant toute la jour
née. On affure que la diverfion qu'avoit
fait Cherkez de courir vers Alexandrie
où les Troupes du Caire le fuivirent ,
n'étoit pas fans deffein , puifque Soliman
Bey qui avoit été bleffé dans la premiere:
Bataille s'étoit retiré dans un Village pour
fe faire guerir , & afin qu'on ne foupçonnât
rien de ce qui fe paffoit, Cherkez
avoit attiré bien loin les Troupes du Caire
& c.
· Le 18. le Kaïmakan fit appeller en plein
Divan
696 MERCURE DE FRANCE
Divan les Vizirs Aly & Uffein Qurb bigi
de Rofferte , aufquels il revêtit le Caftan
de Bey. Le Parti regnant a fait cependant
tout ce qu'il a pû pour remettre Dekir
Pacha en place ; mais celui- ci a remercié,
& delà , on conjecture avec fondement
que le Procès Verbal contre ce Pacha n'a
pas encore été envoyé à la Porte. Aly Bey
partit avec de nouvelles Troupes pour
aller combattre Cherkez ; mais on apprehende
l'inondation ne feconde pas
fon deffein. Zulficar Bey a mis la tête de
Cherkez Bey à prix , offrant de donner
dix mille fequins à ceux qui l'ameneront
en vie , & deux mille fequins à ceux qui
apporteront fa tête feulement.
que
J
Le 19. Uffein , un des nouveaux Beys,
fortit de la Ville avec 400. hommes de
Milice & alla camper hors du Vieux
Caire , fans qu'on ait fçû dans quel deffein
; les uns croyent que c'eft pour garder
les avenues , & les autres pour être
plus à portée de donner du fecours à Aly
Bey.
Le 20. on apprit que apprit que Cherkez avoit
décampé de l'endroit où il étoit , & qu'il
s'étoit mis en marche pour aller dans la
Haute Egypte , ce qui a fair refoudre Aly
Bey de s'en retourner . On affure que Cher
kez , en chemin faifant , arrête tous les
Batteaux qui tranfportent des grains au
1
Caire
AVRIL 1730. 697
Caire , & qu'il revend enfuite à fort bon
compte. Comme on ne parle en aucune
maniere plus de Soliman Bey , cela fait
croire qu'il eft effectivement mort . Uffein
Bey rentra ce jour là dans la Ville ; mais
les Troupes refterent dehors .
Le 21. les Beys & les autres Puiffances
de la Ville allerent complimenter les deux
nouveaux Beys , aufquels le Pacha n'a
pas voulu envoyer le Pavillon , fuivant
Fufage ; car quoique celui- ci foit deftitué,
il faut que le Pavillon leur foit envoyé
par
l'Homme direct du Grand - Seigneur.
On a réfolu d'envoyer les Kaïmakans dans
la Haute Egypte , chacun dans leur Village
, pour voir s'ils pourront y arriver
fans empêchement , après quoi le Bey ,
Gouverneur de cette Province , s'y rendra
auffi , mais fi au contraire les Kaïmakans
font obligés de s'en retourner , on
formera une nouvelle Thegeride ou Camp
volant pour réduire ceux qui s'oppofent.
à la tranquillité du Pays.
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Résumé : SUITE des Troubles d'Egypte. Extrait d'une Lettre écrite du Caire le 30. Août 1729.
En août 1729, les beys retirés au Saïdy en Haute-Égypte, après la défaite de Cherkes Mehemet Bey en 1725, commencèrent à susciter des soupçons parmi les commandants du Caire, notamment Zulficar Bey. Les rebelles restants dans la ville furent soit chassés, soit exécutés, beaucoup rejoignant les rebelles en Haute-Égypte. En juillet 1730, un corps de 3 000 hommes fut envoyé pour les réduire, mais les rebelles, alliés aux Arabes, résistèrent. Le 13 juillet, après un refus de combat de Soliman Bey, chef des rebelles, une bataille éclata. Ofman Bey, commandant des troupes du Caire, fut tué par Soliman Bey, qui lui reprocha ses cruautés avant de lui couper la tête. Cette défaite renforça les rebelles avec le retour de Cherkes Mehemet Bey et un renfort de 400 Maugrebins. Les beys du Caire découvrirent que le Pacha d'Égypte favorisait les rebelles et le destituèrent le 19 juillet. Mehemet Bey, fils de Dervich Bey, fut nommé lieutenant général. Malgré cette destitution, les troubles continuèrent. Les beys préparèrent un corps de 6 000 hommes pour attaquer les rebelles retranchés en Haute-Égypte. Le Pacha, emprisonné, subissait des mortifications. Les commandants, manquant de fonds, tyrannisaient le peuple pour financer la guerre. Le 28 août, des rebelles approchèrent du Caire, renforçant les mesures de sécurité. Le Pacha fut transféré en prison, mais les Jannissaires refusèrent de le garder, le considérant comme l'un des leurs. Zulficar Bey renforça les défenses de la ville. Le 31 août, une alarme fut déclenchée par une attaque sur les éclaireurs. Les commandants continuèrent à envoyer des troupes et des munitions. Le 1er août, les éclaireurs revinrent épouvantés par une embuscade. Les nouvelles sur la situation des rebelles variaient, mais les commandants restaient vigilants. Le 5 août, une partie des troupes rentra au Caire, affirmant une résistance des rebelles. Le 6 août, la mort de Soliman Bey fut confirmée, et Cherkes Mehemet Bey se réfugia dans un village. Zulficar Bey préparait une nouvelle offensive. Du 6 au 21 avril 1730, plusieurs événements marquants se déroulèrent au Caire et dans ses environs. Cara Muftapha, un chef rebelle, fut exécuté après avoir refusé de répondre aux interrogatoires. Le commandant de la ville continua de renforcer les troupes et de préparer des munitions pour affronter Cherkez. Des rumeurs circulaient sur la mort de Soliman Bey, bien que la politique officielle le déclarât mort, des informations suggéraient qu'il était toujours en vie et prêt à se défendre. Cherkez se retira dans le village de Manouri, s'alliant avec les Arabes locaux pour contrôler la région. Le commandant de la ville imposa une taxe sur les boutiques et fit des emprunts auprès des habitants. Cherkez et ses alliés pillèrent divers villages de la Behere. Aly Bey, commandant des troupes, fut renforcé et participa à la cérémonie de la coupe du Nil. Cherkez attaqua le Fioume et se délasça sans être inquiété. Aly Bey, jugeant ses forces insuffisantes, décida de ne pas attaquer Cherkez. Un courrier de La Mecque annonça la mort de Mehemet Pacha et l'arrivée imminente de la caravane. Aly Bey et Uffein Qurb bigi furent nommés Beys, et Aly Bey partit combattre Cherkez, bien que l'inondation puisse entraver ses plans. Uffein sortit de la ville avec des milices, et Cherkez se déplaça vers la Haute Égypte, interrompant le transport de grains vers Le Caire. Les Beys et autres autorités complimentèrent les nouveaux Beys, et des préparatifs furent faits pour envoyer des Kaïmakans en Haute Égypte afin de rétablir l'ordre.
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33
p. 1651-1652
ESPAGNE.
Début :
Le 24. Juin il entra dans le Port de Cadix un Pinque & un Brigantin de Porto-Ricco, avec [...]
Mots clefs :
Infanterie, Vaisseau, Hommes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ESPAGNE.
ESPAGNE .
E 24. Juin il entra dans le Port de Cadix un
Pinque & un Brigantin de Porto- Ricco , avec
la Cargaifon du Sanchez , Vaiffeau qui venoit de
Conferve avec les derniers Gallions ; mais qu'on
fut obligé de décharger à Porto- Ricco , parte
qu'il faifoit eau de tous côtez.
La Flote des Gallions , commandée par le Chef
Hij d'Ef :
1652 MERCURE DE FRANCE
d'Efcadre Don Manuel Lopez Pintado , partit dụ
-Port de Cadix le 26. pour l'Amerique avec un
vent favorable , elle eft compofée de fix Vaffeaux
de Guerre & de 16. Gallions.
Les dernieres Lettres de Barcelone , portent que
M. Sartines , Intendant de la Principauté de Catalogne
, y avoit fretté des Vaiffeaux de tranfport
& des Barques pour 500. mille Piaftres par
mois , & qu'on y attendoit encore d'autres Bâtimens
Anglois pour tranfporter en Italie les Troupés
que le Roi a réfolu d'y envoyer , & qu'on dit
monter à 42000. hommes , tant Infanterie que
Cavalerie. Don Jofeph Palinho ayant fait remettre
à cet Intendant un million de Piaftres ,
déja fait embarquer des vivres & d'autres provifions
pour trois mois.
il a
On apprend par les dernieres Lettres de la Cour
qu'on a découvert une Mine à cinq lieues de Cazalla
, dans un endroit nommé Quadalcaval
que des Anglois s'étoient chargez de l'entrepriſe
d'en vuider les eaux & d'en boucher les fources ;
qu'ils y employoient so. hommes à un écu par
jour ; que ce travail duroit depuis quelques mois,
mais qu'ils n'avoient pas encore découvert la
veine métalique.
E 24. Juin il entra dans le Port de Cadix un
Pinque & un Brigantin de Porto- Ricco , avec
la Cargaifon du Sanchez , Vaiffeau qui venoit de
Conferve avec les derniers Gallions ; mais qu'on
fut obligé de décharger à Porto- Ricco , parte
qu'il faifoit eau de tous côtez.
La Flote des Gallions , commandée par le Chef
Hij d'Ef :
1652 MERCURE DE FRANCE
d'Efcadre Don Manuel Lopez Pintado , partit dụ
-Port de Cadix le 26. pour l'Amerique avec un
vent favorable , elle eft compofée de fix Vaffeaux
de Guerre & de 16. Gallions.
Les dernieres Lettres de Barcelone , portent que
M. Sartines , Intendant de la Principauté de Catalogne
, y avoit fretté des Vaiffeaux de tranfport
& des Barques pour 500. mille Piaftres par
mois , & qu'on y attendoit encore d'autres Bâtimens
Anglois pour tranfporter en Italie les Troupés
que le Roi a réfolu d'y envoyer , & qu'on dit
monter à 42000. hommes , tant Infanterie que
Cavalerie. Don Jofeph Palinho ayant fait remettre
à cet Intendant un million de Piaftres ,
déja fait embarquer des vivres & d'autres provifions
pour trois mois.
il a
On apprend par les dernieres Lettres de la Cour
qu'on a découvert une Mine à cinq lieues de Cazalla
, dans un endroit nommé Quadalcaval
que des Anglois s'étoient chargez de l'entrepriſe
d'en vuider les eaux & d'en boucher les fources ;
qu'ils y employoient so. hommes à un écu par
jour ; que ce travail duroit depuis quelques mois,
mais qu'ils n'avoient pas encore découvert la
veine métalique.
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Résumé : ESPAGNE.
Le 24 juin, un pinque et un brigantin de Porto Rico, transportant la cargaison du vaisseau du capitaine Sanchez, arrivèrent au port de Cadix. Ce vaisseau avait dû être déchargé à Porto Rico en raison de fuites d'eau. Le 26 juin, la flotte des gallions, commandée par Don Manuel Lopez Pintado, quitta Cadix pour l'Amérique, composée de six vaisseaux de guerre et seize gallions. À Barcelone, M. Sartines avait affrété des vaisseaux pour 500 000 piastres par mois. Des bâtiments anglais étaient attendus pour transporter environ 42 000 hommes en Italie, incluant l'infanterie et la cavalerie. Don Joseph Palinho avait remis un million de piastres à l'intendant et avait préparé des vivres pour trois mois. Par ailleurs, une mine fut découverte à cinq lieues de Cazalla, près de Guadalcaval. Des Anglais tentaient de la rendre opérationnelle, employant 50 hommes depuis quelques mois, mais la veine métallique n'avait pas encore été trouvée.
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34
p. 1872-1879
ITALIE.
Début :
Le Pape a confirmé M. Spinola dans les fonctions de sa Charge de Gouverneur de la Ville [...]
Mots clefs :
Pape, Cardinal, Cardinaux, Église, Cérémonies, Florence, Rebelles, Armes, Chevaliers, Hommes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ITALIE.
ITALI E.
Ltions de la Charge de Gouverneur de la Ville
E Pape a confirmé M. Spinola dans les foncde
Rome. S. S. a choifi pour fes Chapelains fecrets
Mrs Riverfini & Panizzi. Elle a rétabli la
Charge de Capitaine de l'Antichambre, qui avoit
été fupprimée par le feu Pape ; & Elle a nommé
Gentils -hommes ou Chevaliers d'honeur de Cape
& d'Epée le Marquis del Bufalo, & Mrs Gazati ',
Ghifiliere , Albani , Gotifredi , Tarrugi , Patti ,
Oligiati , & quelques autres.
Le Comte Capranica a eu la Charge de Commandant
du Capitole.
Le Pape a deffendu à fes anciens Officiers &
Domeftiques qui le fervoient dans le temps qu'il
étoit Cardinal , de lui prefenter aucun Mémoire
en faveur de qui que ce foit, à peine d'ètre privez
des récompenfes que S. S. leur a promiles.
Le 1s du mois dernier, on chanta le Te Deum
dans
AOUST. 1730. 1873
dans toutes les Eglifes de Rome , par ordre du
Cardinal Marefofchi , Vicaire Général de S. S.
& on diftribua , felon la coutume , aux Pauvres
qui s'étoient rendus en foule dans la Cour du Belvedere
, quatre mille écus en Paoles neufs , que le
Cardinal Camerlingue avoit fait frapper pendant
la vacance du S. Siège. L'après midi , on publia
un Decret du Cardinal Vicaire , par lequel le
Pape accordoit une Indulgence pléniere à tous
ceux qui s'étant confeffez & ayant communié
affifteroient à la Meffe folemnelle que S.S. devoit
celebrer le jour de fon Couronnement , ou qui
recevroient fa benediction à la grande Loge du
Portail de l'Eglife de S. Pierre .
Le 16 , les Cardinaux fe rendirent à la Salle
des Paremens , fuivant l'invitation de M. Gambarrucci
, premier Maître des Ceremonies , & le
Pape y étant arrivé, accompagné d'un nombreux
cortege de Prince Romains , de Prelats , & de
Nobleffe fut revêtu de > y fes Ornemens Pontificaux
par les deux premiers Cardinaux Diacres.
Tout étant prêt pour la cérémonie du Couronnement
, la Proceffion fe mit en marche ; les Prélats
en Rochet & en Chapes violettes , marchant
à la tête , étoient fuivis des Cardinaux en Rochet
& en Chapes rouges. Le Pape étoit porté dans
une Chaife découverte .
Tout le Cortege étant defcendu par le grand
Efcalier de Conftantin , fe rendit fous le Portique
de l'Eglife de S. Pierre , qui étoit orné de Tapifferies
magnifiques. Le Pape s'y plaça fur un Trône
, qui avoit été élevé à côté de la Porte Sainte,
& les Cardinaux prirent leurs places ordinaires.
Le Cardinal Annibal - Albani , Camerlingue &
Archiprêtre de l'Eglife S.Pierre, fe tenant debout
& découvert à la gauche du Trône , complimen
ta le Pape fur fon Election , enfuite s'étant mis à
genoux
1874 MERCURE DE FRANCE
genoux , il baifa les pieds & la main droite de
S. S, après quoi il l'embraffa ; le priant de vouloir
bien admettre au baiſement des pieds les Chanoines
& les Officiers de l'Eglife. Cette Ceremonie
fe paffa pendant que les Cardinaux & les Prélats
entroient proceffionnellement dans l'Eglife.
Le Pape fut porté enfuite dans la Chapelle de
la fainte Trinité , ou ayant quitté fa Mitre , il fit
fa Priére devant le S. Sacrement. Après quoi il
alla dans le même ordre à la Chapelle Clémen→
tine , où étant monté fur fon Trône , les Cardinaux
vinrent lui baiſer la main , ainfi que les Patriarches
, les Archevêques, les Evêques , le Connétable
Colonne , les autres Princes du Trône
les Confervateurs & le Prieur du Peuple Romain.
Cette Ceremonie finie , le Pape fut revêtu de fa
Chape & de fa Mitre de toile d'argent , & enton
na l'Office de Tierce, qui fut chanté par les Muficiens
de la Chapelle Pontificale. A la fin de l'Office
, S. S. prit fes Ornemens pour celebrer la
Meffe , & s'étant mis en marche pour fe rendre
au premier Autel , dit de la Confeffion des Apôtres
, un Maître des Ceremonies brûla par trois
fois , devant le Pape , des Etoupes , en chantant à
chaque fois Pater Sancte , fic tranfit gloria
mundi.
S. S. eut pour Affiftans à l'Autel les Cardia
naux Barberin , Ottoboni , Colonne & M.Crefcenzi
: Elle y reçut le Pallium des mains du Cardinal
Altieri , premier Diacre. Pendant que les
Muficiens chantoient l'Introit , le Pape remonta
fir fon Trône , & les Cardinaux vinrent à l'Obédience
& baiſerent les pieds , les genoux, la main
& la jouë de S. S. Les Archevêques & Evêques
lui baiferent le pied & le genou , & les Pénitenciers
, le pied feulement.
Enfuite le Pape entonna le Gloria in excelfis ,
AOUST. 1730. 1875
à la fin duquel il retourna à l'Autel pour achever
la Meffe. Lorfqu'elle fut finie, S.S. reçut du Chapitre
de l'Eglife la retribution de 25 Jules de
Monnoye ancienne ; enfuite elle fut portée à la
grande Loge du Portail , où pendant que les Muficiens
chantoient l'Hymne : Corona aurea fuper
caput ejus , le Cardinal Colonne ôta la Mitre de
S. S. & le Cardinal Altieri , premier Diacre , lui
mit la Thiare fur la tête.
Le Pape donna alors fa benediction au peuple
au bruit d'une Salve generale de l'Artillerie du
Château S. Ange & au fon de toutes les Cloches
de la Ville.
Les deux Cardinaux Diacres publierent une In
dulgence pléniere en forme de Jubilé , & S. S.
donna au Peuple deux autres benedictions : Elle
retourna enfuite à la Salle des Paremens , où elle
fut complimentée fur fon Couronnement , par
le Cardinal Barberin , au nom du Sacré College.
Le 19 , le Prince Dom Barthelemi Corfini ,
l'aîné des Neveux du Pape, qui étoit arrivé la furveille
de Florence , eut audience de S. S. qui lui
donna la Charge de Capitaine des Chevaux Le
de fa Garde.
gers
Le 24, le Pape qui avoit donné la veille le Rochet
de Protonotaire Apoftolique , participant
furnumeraire au Marquis Neri - Corfini , fon
neveu , tint un Confiftoire , dans lequel S.S. fit
aux Cardinaux un Difcours tres -éloquent pour
les remercier de fon élection , &c. Le Cardinal
Ottoboni , Protecteur des affaires de France , y
propofa la Coadjutorerie de l'Evêché de Quebec
pour M. Boufquet , Evêque titulaire de Samos.
Enfuite il préconifa le P. Feydeau , pour l'Evêché
de Digne ; l'Abbé de Bezons pour celui de
Carcaffonne , & le P. Boyer pour celui de Mirepoíx.
Le
1876 MERCURE DE FRANCE
Le Patron d'une Barque revenu de Nettuno á
Livorne , a rapporté que le Chevalier Guarnieri,
Capitaine d'une des Galeres du Pape , étant förti
du Port de Nettuno avec fa Galere , pour aller
croifer contre les Corfaires de Barbarie , avoit
manqué d'être affaffiné avec tous les Officiers ,
par les Forçats & les Soldats de l'Equipage qui
avoient réfolu de faire échouer la Galere fur un
Banc de Sable , pour mieux executer leur projet :
mais que ce complot ayant été découvert
par des
Forçats Turcs , le Chevalier Buffi & un autre
Capitaine de Galere , étoient venus au fecours du
Chevalier Guarnieri ,au fignal qui leur fut donné,
& qu'on s'étoit faifi des plus coupables qui
avoient été punis fur le champ.
Le 1s du mois dernier , on publia à Florence
un Decret du Grand Duc , par lequel il étoit ordonné
de celebrer l'Election du Pape avec les
mêmes ceremonies qu'on obferva en 1623. pour
l'Election du Pape Urbain VIII . qui étoit de la
Maifon des Barberins de Florence. Le foir on
commença cette Fête par le fon des Cloches de la
Ville. Le 16 , vers les neuf heures du matin , les
Sénateurs & les Magiftrats fe rendirent en Cortége
à l'Eglife Métropolitaine , où ils entendirent
la Meffe , célébrée pontificalement par l'Archevêque
, & enfuite le Te Deum. Le 17 au foir,on
fit une Salve generale de l'Artillerie des deux Crtadelles
; on tira un Feu d'artifice fur la Tour du
vieux Palais. Tous les Palais furent illuminez , &
il y eut des Feux de joye & des réjouiſſances dans
toutes les rues.
' Les Rebelles de l'Ile de Corſe s'étant rendus
maîtres des Poſtes les plus avantageux de cette
Ifle , ont fait remettre à M. Venerofo un Mémoire
par lequel ils déclarent que fi dans fix femaines
la République ne les fatisfait pas fur toutes
AO UST. 1730. 1877
tes leurs demandes , ils feront des courfes dans
toute l'Ifle , & biûleront les Maifons & les Fermes
de tous les habitans qui ne voudront pas fuivre
leur parti. Comme on eft perfuadé qu'ils ne
feroient pas affez témeraires pour faire de pareilles
menaces, s'ils n'étoient pas aflurés de la protection
fecrete de quelque Puiflance Etrangere , pour croit
que la République leur accordera tout ce qu'ils
demandent pour éviter les fuites fâcheufes de leur
Rebellion .
On a appris en dernier lieu que leur Camp eft
préfentement de 20000, hommes , fans compter
les habitans de 14. Villages fitués dans le Détroit
d'Acia qui fe font joints à eux , & qui leur ont
prêté ferment de fidelité . Ils ont publié un Manifefte
par lequel ils déclarent qu'ils n'ont pris le
parti de fe revolter que parce qu'étant nés libres
la République & le Sénat les ont toujours tenus
dans la fervitude , en leur faifant payer des impofitions
beaucoup plus onereufes qu'aux autres
Sujets de la République . Ils demandent qu'ayant
que d'entrer dans aucun accommodement , on
les rétabliffe dans leurs anciens Privileges , qu'on
fupprime tous les impôts extraordinaires qu'ils
ont payés depuis 1715. qu'on leur remette entre
les mains ceux qui ont été la cauſe de leur oppreffion
; qu'on leur cede en toute Souveraineté
le Territoire qui eft entre les Rivieres de Liemone
& de Tavigniano , & qu'on retire toutes les Gar
nifons du Pays. Comme ces Rebelles prévoyent
que la République pourroit emprunter des fecours
étrangers pour les foumettre , ils fe font pourvûs
d'armes , & ils ont enlevé toutes les munitions de
guerre qu'ils ont trouvées dans les Arfenaux de
Saint Florent , de Calvi , de Curfe & de Saint
Boniface ; ils ont fondu les Cloches de ces Villes
pour en faire du Canon , & ils ont fait un Retranchement
1878 MERCURE DE FRANCE
tranchement avec des Redoutes le long des côtes
de l'Ifle , où l'on pourroit faire une defcente. Les
Corps de Garde qu'ils ont placés dans differens
endroits avec de l'artillerie , ont ordre de tirer
fur tous les Bâtimens Genois qui voudroient tenter
d'aborder dans l'Ile. Leur principal Chef , qui
fe nomme Pampliani , eft un Gentilhomme qui a
fervi avec diftinction dans les Troupes Etrangeres
; ce Chef a fait afficher dans differens endroits
de l'Ile que les Mécontens en prenant les armes
n'ont jamais eu intention de piller ni d'infulter
aucun de leurs freres opprimés ; mais de conferver
les Privileges & la liberté de la Nation : ils
font même fi attentifs à prévenir tous les défordres
que ceux de leur Parti pourroient caufer ,
qu'ils en ont fait pendre quinze qui étoient fortis
du Camp pour aller voler dans le Village d'Ajaccio.
Un de leurs Détachemens étant allé il y a
quelque tems à Alleria pour s'emparer de cette
petite Ville , les habitans tirerent fur les Mécontens
pour les obliger à fe retirer ; mais ayant attaqué
la Ville avec beaucoup de vigueur , ils la
prirent par efcalade , & pafferent au fil de l'épée
la Garnifon & tous ceux qui avoient pris les armes.
Le bruit court que la République a raffemblé
6 à 7000 hommes , avec lefquels elle efpere
de foumettre les Rebelles. M. François Marie
Spinola s'eft nouvellement embarqué pour San-
Remo , en qualité de Commiffaire de la République
, & avec des inftructions pour prévenir la
révolte des peuples qui ont déja donné des marques
de leur mécontentement .
il a
Le Cardinal de Rohan eft parti de Rome ,
pris la route d'Orviette ; & après avoir paffé
quelques jours dans la Maifon de Campagne du
feu Cardinal Gualterio , il arriva à Venife le 4.
Août, & alla defcendre au Palais du Cardinal Otthoboni
'A OUS T. 1730. 1879
thoboni ; il a dû partir quelques jours après pour
-retourner en France .
Ltions de la Charge de Gouverneur de la Ville
E Pape a confirmé M. Spinola dans les foncde
Rome. S. S. a choifi pour fes Chapelains fecrets
Mrs Riverfini & Panizzi. Elle a rétabli la
Charge de Capitaine de l'Antichambre, qui avoit
été fupprimée par le feu Pape ; & Elle a nommé
Gentils -hommes ou Chevaliers d'honeur de Cape
& d'Epée le Marquis del Bufalo, & Mrs Gazati ',
Ghifiliere , Albani , Gotifredi , Tarrugi , Patti ,
Oligiati , & quelques autres.
Le Comte Capranica a eu la Charge de Commandant
du Capitole.
Le Pape a deffendu à fes anciens Officiers &
Domeftiques qui le fervoient dans le temps qu'il
étoit Cardinal , de lui prefenter aucun Mémoire
en faveur de qui que ce foit, à peine d'ètre privez
des récompenfes que S. S. leur a promiles.
Le 1s du mois dernier, on chanta le Te Deum
dans
AOUST. 1730. 1873
dans toutes les Eglifes de Rome , par ordre du
Cardinal Marefofchi , Vicaire Général de S. S.
& on diftribua , felon la coutume , aux Pauvres
qui s'étoient rendus en foule dans la Cour du Belvedere
, quatre mille écus en Paoles neufs , que le
Cardinal Camerlingue avoit fait frapper pendant
la vacance du S. Siège. L'après midi , on publia
un Decret du Cardinal Vicaire , par lequel le
Pape accordoit une Indulgence pléniere à tous
ceux qui s'étant confeffez & ayant communié
affifteroient à la Meffe folemnelle que S.S. devoit
celebrer le jour de fon Couronnement , ou qui
recevroient fa benediction à la grande Loge du
Portail de l'Eglife de S. Pierre .
Le 16 , les Cardinaux fe rendirent à la Salle
des Paremens , fuivant l'invitation de M. Gambarrucci
, premier Maître des Ceremonies , & le
Pape y étant arrivé, accompagné d'un nombreux
cortege de Prince Romains , de Prelats , & de
Nobleffe fut revêtu de > y fes Ornemens Pontificaux
par les deux premiers Cardinaux Diacres.
Tout étant prêt pour la cérémonie du Couronnement
, la Proceffion fe mit en marche ; les Prélats
en Rochet & en Chapes violettes , marchant
à la tête , étoient fuivis des Cardinaux en Rochet
& en Chapes rouges. Le Pape étoit porté dans
une Chaife découverte .
Tout le Cortege étant defcendu par le grand
Efcalier de Conftantin , fe rendit fous le Portique
de l'Eglife de S. Pierre , qui étoit orné de Tapifferies
magnifiques. Le Pape s'y plaça fur un Trône
, qui avoit été élevé à côté de la Porte Sainte,
& les Cardinaux prirent leurs places ordinaires.
Le Cardinal Annibal - Albani , Camerlingue &
Archiprêtre de l'Eglife S.Pierre, fe tenant debout
& découvert à la gauche du Trône , complimen
ta le Pape fur fon Election , enfuite s'étant mis à
genoux
1874 MERCURE DE FRANCE
genoux , il baifa les pieds & la main droite de
S. S, après quoi il l'embraffa ; le priant de vouloir
bien admettre au baiſement des pieds les Chanoines
& les Officiers de l'Eglife. Cette Ceremonie
fe paffa pendant que les Cardinaux & les Prélats
entroient proceffionnellement dans l'Eglife.
Le Pape fut porté enfuite dans la Chapelle de
la fainte Trinité , ou ayant quitté fa Mitre , il fit
fa Priére devant le S. Sacrement. Après quoi il
alla dans le même ordre à la Chapelle Clémen→
tine , où étant monté fur fon Trône , les Cardinaux
vinrent lui baiſer la main , ainfi que les Patriarches
, les Archevêques, les Evêques , le Connétable
Colonne , les autres Princes du Trône
les Confervateurs & le Prieur du Peuple Romain.
Cette Ceremonie finie , le Pape fut revêtu de fa
Chape & de fa Mitre de toile d'argent , & enton
na l'Office de Tierce, qui fut chanté par les Muficiens
de la Chapelle Pontificale. A la fin de l'Office
, S. S. prit fes Ornemens pour celebrer la
Meffe , & s'étant mis en marche pour fe rendre
au premier Autel , dit de la Confeffion des Apôtres
, un Maître des Ceremonies brûla par trois
fois , devant le Pape , des Etoupes , en chantant à
chaque fois Pater Sancte , fic tranfit gloria
mundi.
S. S. eut pour Affiftans à l'Autel les Cardia
naux Barberin , Ottoboni , Colonne & M.Crefcenzi
: Elle y reçut le Pallium des mains du Cardinal
Altieri , premier Diacre. Pendant que les
Muficiens chantoient l'Introit , le Pape remonta
fir fon Trône , & les Cardinaux vinrent à l'Obédience
& baiſerent les pieds , les genoux, la main
& la jouë de S. S. Les Archevêques & Evêques
lui baiferent le pied & le genou , & les Pénitenciers
, le pied feulement.
Enfuite le Pape entonna le Gloria in excelfis ,
AOUST. 1730. 1875
à la fin duquel il retourna à l'Autel pour achever
la Meffe. Lorfqu'elle fut finie, S.S. reçut du Chapitre
de l'Eglife la retribution de 25 Jules de
Monnoye ancienne ; enfuite elle fut portée à la
grande Loge du Portail , où pendant que les Muficiens
chantoient l'Hymne : Corona aurea fuper
caput ejus , le Cardinal Colonne ôta la Mitre de
S. S. & le Cardinal Altieri , premier Diacre , lui
mit la Thiare fur la tête.
Le Pape donna alors fa benediction au peuple
au bruit d'une Salve generale de l'Artillerie du
Château S. Ange & au fon de toutes les Cloches
de la Ville.
Les deux Cardinaux Diacres publierent une In
dulgence pléniere en forme de Jubilé , & S. S.
donna au Peuple deux autres benedictions : Elle
retourna enfuite à la Salle des Paremens , où elle
fut complimentée fur fon Couronnement , par
le Cardinal Barberin , au nom du Sacré College.
Le 19 , le Prince Dom Barthelemi Corfini ,
l'aîné des Neveux du Pape, qui étoit arrivé la furveille
de Florence , eut audience de S. S. qui lui
donna la Charge de Capitaine des Chevaux Le
de fa Garde.
gers
Le 24, le Pape qui avoit donné la veille le Rochet
de Protonotaire Apoftolique , participant
furnumeraire au Marquis Neri - Corfini , fon
neveu , tint un Confiftoire , dans lequel S.S. fit
aux Cardinaux un Difcours tres -éloquent pour
les remercier de fon élection , &c. Le Cardinal
Ottoboni , Protecteur des affaires de France , y
propofa la Coadjutorerie de l'Evêché de Quebec
pour M. Boufquet , Evêque titulaire de Samos.
Enfuite il préconifa le P. Feydeau , pour l'Evêché
de Digne ; l'Abbé de Bezons pour celui de
Carcaffonne , & le P. Boyer pour celui de Mirepoíx.
Le
1876 MERCURE DE FRANCE
Le Patron d'une Barque revenu de Nettuno á
Livorne , a rapporté que le Chevalier Guarnieri,
Capitaine d'une des Galeres du Pape , étant förti
du Port de Nettuno avec fa Galere , pour aller
croifer contre les Corfaires de Barbarie , avoit
manqué d'être affaffiné avec tous les Officiers ,
par les Forçats & les Soldats de l'Equipage qui
avoient réfolu de faire échouer la Galere fur un
Banc de Sable , pour mieux executer leur projet :
mais que ce complot ayant été découvert
par des
Forçats Turcs , le Chevalier Buffi & un autre
Capitaine de Galere , étoient venus au fecours du
Chevalier Guarnieri ,au fignal qui leur fut donné,
& qu'on s'étoit faifi des plus coupables qui
avoient été punis fur le champ.
Le 1s du mois dernier , on publia à Florence
un Decret du Grand Duc , par lequel il étoit ordonné
de celebrer l'Election du Pape avec les
mêmes ceremonies qu'on obferva en 1623. pour
l'Election du Pape Urbain VIII . qui étoit de la
Maifon des Barberins de Florence. Le foir on
commença cette Fête par le fon des Cloches de la
Ville. Le 16 , vers les neuf heures du matin , les
Sénateurs & les Magiftrats fe rendirent en Cortége
à l'Eglife Métropolitaine , où ils entendirent
la Meffe , célébrée pontificalement par l'Archevêque
, & enfuite le Te Deum. Le 17 au foir,on
fit une Salve generale de l'Artillerie des deux Crtadelles
; on tira un Feu d'artifice fur la Tour du
vieux Palais. Tous les Palais furent illuminez , &
il y eut des Feux de joye & des réjouiſſances dans
toutes les rues.
' Les Rebelles de l'Ile de Corſe s'étant rendus
maîtres des Poſtes les plus avantageux de cette
Ifle , ont fait remettre à M. Venerofo un Mémoire
par lequel ils déclarent que fi dans fix femaines
la République ne les fatisfait pas fur toutes
AO UST. 1730. 1877
tes leurs demandes , ils feront des courfes dans
toute l'Ifle , & biûleront les Maifons & les Fermes
de tous les habitans qui ne voudront pas fuivre
leur parti. Comme on eft perfuadé qu'ils ne
feroient pas affez témeraires pour faire de pareilles
menaces, s'ils n'étoient pas aflurés de la protection
fecrete de quelque Puiflance Etrangere , pour croit
que la République leur accordera tout ce qu'ils
demandent pour éviter les fuites fâcheufes de leur
Rebellion .
On a appris en dernier lieu que leur Camp eft
préfentement de 20000, hommes , fans compter
les habitans de 14. Villages fitués dans le Détroit
d'Acia qui fe font joints à eux , & qui leur ont
prêté ferment de fidelité . Ils ont publié un Manifefte
par lequel ils déclarent qu'ils n'ont pris le
parti de fe revolter que parce qu'étant nés libres
la République & le Sénat les ont toujours tenus
dans la fervitude , en leur faifant payer des impofitions
beaucoup plus onereufes qu'aux autres
Sujets de la République . Ils demandent qu'ayant
que d'entrer dans aucun accommodement , on
les rétabliffe dans leurs anciens Privileges , qu'on
fupprime tous les impôts extraordinaires qu'ils
ont payés depuis 1715. qu'on leur remette entre
les mains ceux qui ont été la cauſe de leur oppreffion
; qu'on leur cede en toute Souveraineté
le Territoire qui eft entre les Rivieres de Liemone
& de Tavigniano , & qu'on retire toutes les Gar
nifons du Pays. Comme ces Rebelles prévoyent
que la République pourroit emprunter des fecours
étrangers pour les foumettre , ils fe font pourvûs
d'armes , & ils ont enlevé toutes les munitions de
guerre qu'ils ont trouvées dans les Arfenaux de
Saint Florent , de Calvi , de Curfe & de Saint
Boniface ; ils ont fondu les Cloches de ces Villes
pour en faire du Canon , & ils ont fait un Retranchement
1878 MERCURE DE FRANCE
tranchement avec des Redoutes le long des côtes
de l'Ifle , où l'on pourroit faire une defcente. Les
Corps de Garde qu'ils ont placés dans differens
endroits avec de l'artillerie , ont ordre de tirer
fur tous les Bâtimens Genois qui voudroient tenter
d'aborder dans l'Ile. Leur principal Chef , qui
fe nomme Pampliani , eft un Gentilhomme qui a
fervi avec diftinction dans les Troupes Etrangeres
; ce Chef a fait afficher dans differens endroits
de l'Ile que les Mécontens en prenant les armes
n'ont jamais eu intention de piller ni d'infulter
aucun de leurs freres opprimés ; mais de conferver
les Privileges & la liberté de la Nation : ils
font même fi attentifs à prévenir tous les défordres
que ceux de leur Parti pourroient caufer ,
qu'ils en ont fait pendre quinze qui étoient fortis
du Camp pour aller voler dans le Village d'Ajaccio.
Un de leurs Détachemens étant allé il y a
quelque tems à Alleria pour s'emparer de cette
petite Ville , les habitans tirerent fur les Mécontens
pour les obliger à fe retirer ; mais ayant attaqué
la Ville avec beaucoup de vigueur , ils la
prirent par efcalade , & pafferent au fil de l'épée
la Garnifon & tous ceux qui avoient pris les armes.
Le bruit court que la République a raffemblé
6 à 7000 hommes , avec lefquels elle efpere
de foumettre les Rebelles. M. François Marie
Spinola s'eft nouvellement embarqué pour San-
Remo , en qualité de Commiffaire de la République
, & avec des inftructions pour prévenir la
révolte des peuples qui ont déja donné des marques
de leur mécontentement .
il a
Le Cardinal de Rohan eft parti de Rome ,
pris la route d'Orviette ; & après avoir paffé
quelques jours dans la Maifon de Campagne du
feu Cardinal Gualterio , il arriva à Venife le 4.
Août, & alla defcendre au Palais du Cardinal Otthoboni
'A OUS T. 1730. 1879
thoboni ; il a dû partir quelques jours après pour
-retourner en France .
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Résumé : ITALIE.
En août 1730, plusieurs événements et nominations ont marqué la scène romaine et italienne. À Rome, le Pape a confirmé M. Spinola dans ses fonctions et nommé divers chapelains secrets, gentilshommes et chevaliers d'honneur. Le Comte Capranica a été désigné Commandant du Capitole. Le Pape a également interdit à ses anciens officiers de présenter des mémoires en faveur de quiconque. Le 1er août, un Te Deum a été chanté dans toutes les églises de Rome, et une indulgence plénière a été accordée à ceux qui assisteraient à la messe solennelle du couronnement papal. Le 16 août, la cérémonie de couronnement du Pape s'est déroulée avec une procession solennelle et diverses bénédictions. Le Pape a nommé son neveu, le Prince Dom Barthélemi Corsini, Capitaine des Chevaux Légers de sa Garde. Le 24 août, un consistoire a été tenu lors duquel plusieurs évêques ont été nommés. Par ailleurs, un complot contre un capitaine de galère du Pape a été déjoué. À Florence, des célébrations ont eu lieu pour l'élection du Pape. En Corse, des rebelles ont menacé de faire des incursions dans l'île si leurs demandes n'étaient pas satisfaites et se sont préparés militairement. La République de Gênes a rassemblé des troupes pour les soumettre. De plus, le Cardinal de Rohan a quitté Rome pour la France.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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35
p. 1992-1998
Essais hebdomadaires sur plusieurs sujets, [titre d'après la table]
Début :
ESSAIS HEBDOMADAIRES sur plusieurs Sujets interessans. A Paris, ruë [...]
Mots clefs :
Femmes, Hommes, Coeur, Sentiments
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Essais hebdomadaires sur plusieurs sujets, [titre d'après la table]
ESSAIS HEBDOMADAIRES fur plu
fieurs Sujets intereffans. A Paris , ruë
Jacques , chez Et . Ganeau , 1730. Par
M. Dupuy, cy- devant Secretaire au Traité
de Paix de Rifwick. Brochure de 67. pages
, compris la Préface qui en contient
30. On diftribue ces Effais tous les Lundis
de chaque Semaine .
Cet
SEPTEMBRE. 1730. 1993
Cet Ouvrage ne paroît point du tout
fait à la hâte ; on le trouye écrit , au contraire
, avec grand fọin , & il y a lieu de
croire qu'il fera gouté du Public . L'Auteur
rapporte à la 59. page une Lettre de
M. Abbadic à M. Bayle , où l'on trouve
ce jugement fur les Ouvrages de ce dernier
: F'ai lu votre Journal , fans compliment
il m'a extraordinairement plû ; il y
a par tout de la politeffe , du tour , de l'efprit
, de l'érudition , du raifonnement & un
certain difcernement de Philofophe , une feverité
de raison que tous les grands hommes
&c. n'ont pas
On trouve dans la feconde femaine une
Lettre de M. Le Clerc à M. Bayle , qui
lui parle avec cette franchiſe au fujet de
fon Journal qui commençoit alors à paroître.
On dit en general que l'Auteur des
Nouvelles s'étend trop fur des chofes qui ne
ne font pas fi neceffaires , & qu'on pourroit
aifement réduire ... Quelques autres difent
que ce qu'on fouhaite n'est pas d'avoir tous
les mois des Reflexions de l'Auteur fur les
Livres qu'on imprime , mais des Extraits
fideles par où l'on puiffe voir s'ils meritent
qu'on les achete ou qu'on les life . On enſçaura
bienjuger enfuite fans les lumieres de l'Auteur
qui débite mal à propos ( ce font les termes
d'un homme d'efprit ) fes lieux communs
à l'occafion du titre des Livres .
Le
1994 MERCURE DE FRANCE
Le foin que l'Auteur prend de juftifier
par tout la Religion Proteftante , eft loudble,
dit- on , mais il n'eft pas de faifon , & il
doit referver les remarques qu'il fait fur ce
Sujet pour quelque Livre de Controverſe &c.
On dit que fur l'Article du P. Thomaffin
page 213. il valoit mieux faire un Extrait
des matieres qu'il traite & de la Méthode
qu'il obferve que de le railler & de railler.
les Peres.
Toutes ces Lettres écrites par des Sçavans
ou par des perfonnes de confideration
à M. Bayle , fe font lire avec plaifir.
La penultiéme qui remplit cette feconde
femaine , écrite par M. du Rondel en Septembre
1684. ( toutes les autres font de
cette année ) contient un fait affez ſingulier
; le voici :
A neuf heures du matin , après un quart
d'heure de pluye , le vent venant tout à
coup à écarter les nuages , les pouffa dans
une Vallée , & nous préfenta à quelques
500. pas de Rochefort en Ardenne un des
plus beaux fpectacles du monde ; c'étoit
un Iris tout nouveau ; la matiere qui le
formoit n'étoit point courbée vers la terre
, pour en faire un Arc en Ciel , comme
il arrive d'ordinaire , ni renversée vers le
Ciel , comme il arrive quelquefois . C'étoient
des nuages droits & perpendiculaires
, à peu près comme de longues colonnes
,
SEPTEMBRE. 1730. 1995
Ionnes dont la premiere étoit verte , la
feconde rouge , la troifiéme orangée & la
quatrième bleue , contre le mélange ordinaire
des couleurs de ce méteore . Ces
colonnes étoient toutes claires & tranfparentes
, & laiffoient voir diftinctement les
objets qui étoient derriere , comme des
Bois , des Collines , des Châteaux &c, &
quand elles vinrent à s'évanouir , elles
commencerent par l'orangée & par la
rouge. Ce fpectacle dura environ un demi
quart d'heure. Je ne doute point que
ce Phénomene , que j'appelle nouveau ,
n'ait été vû autrefois ; mais comme perfonne
n'a encore parlé d'un Iris perpendiculaire
, c'eft pour cette raifon que je
l'aiappellé nouveau .
On voit par la troifiéme Semaine que
cet Ouvrage fe foutient ; on y voit le
même ordre , même politeffe de ftile &
même efprit. Il eft queftion ici de Reflexions
fur les femmes ; en voici quel
ques unes.
Les hommes eftiment trop les femmes,
ou ne les eftiment pas affez .
Une femme coquette s'attache plus à
furprendre l'eftime des hommes qu'à la
mériter. Un homme galant eft de même
à l'égard des femmes &c .
La naïveté bien imitée flatte les hom
mes & fait honneur aux femmes ; de tous
les
1996 MERCURE DE FRANCE
"
"
les filets qu'elles nous tendent , il n'y en
a point où nous foyons pris plus agréablement
& plus promtement .
Si le goût que les hommes ont pour les
femmes n'avoit pas fes variations , fes ralentiffemens
, que deviendroient les Arts,
les Sciences & les affaires ?
Les femmes pour ſe garantir de l'amour
ont leur temperamment à furmonter , les
follicitations continuelles des hommes à
foûtenir , les détours artificieux de certaines
Emiffaires à demêler , la force de
l'exemple & de la coûtume à vaincre ;
tout confpire à amollir leur coeur. Dès
l'enfance , pour ainfi parler , de tendres
Chanfons les préparent à être fenfibles au
langage amoureux ; livres , fpectacles ,
entretiens , repas où regne la licence ; il
n'y a rien qui ne concoure à leur faire
fouhaiter de brûler d'un feu qui leur paroit
doux , dont elles fentent en ellesmêmes
la fource , & fans lequel la vie leur
paroît languiffante. Devons- nous être furpris
fi la chafteté eft une vertu fi rare ? &
ne devons-nous pas , au contraire , regarder
avec admiration les femmes qui au
milieu de tant d'écueils évitent le naufrage
?
Il eſt plus aifé à une femme qui n'eft
que belle de faire plufieurs conquêtes
que d'en conferver une : les triomphes
d'une
SEPTEMBRE . 1730. 1997
d'une femme qui a beaucoup d'efprit &
peu de beauté font moins faciles & plus
durables.
Fierté dans le maintien & dans le dif
cours , preuve très équivoque qu'il y en
ait dans la conduite & dans les fentimens.
Il y auroit de l'injuftice à ne pas convenir
que les hommes ont beaucoup d'obligation
aux Dames : ne leur doivent - ils
pas ce qu'ils ont d'agrément dans les manieres
, de délicatefle dans les fentimens ,
de complaifance dans l'humeur , de fineffe
dans l'eſprit ? le defir de leur plaire
eft pour eux un puiffant aiguillon pour
les animer à acquerir du mérite.
Quelque douceur , quelque fincerité
que nous annoncent les yeux , les traits
du vifage , le fon de la voix d'une femme
, nous n'en devons pas être plus affurés
des fentimens de fon coeur : le veritable
caractere des femmes eft communément
incompréhenfible ; elles ont le pri
vilege de tromper les hommes, quand elles
veulent leur foibleffe pour
elles augmente
la difficulté qu'il y a de les connoître
; non feulement ils ne fentent pas
quand elles les trompent avec adreffe ,
mais lors même qu'elles veulent s'épargner
le foin d'y employer l'artifice : foit
par leur art , foit par la vanité des hommes
, elles leur cachent prefque toûjours
E ce
1998 MERCURE DE FRANCE
ce qu'elles ont interêt qu'ils ignorent ,
fur tout quand ils les aiment de bonne
foi , & qu'elles ont fçû les perfuader qu'elles
les aiment.
pas
Nous finirons par cette Reflexion qu'on
trouve à la page 210. J'eftime , Monfieur,
qu'il n'y a que deux fortes de femmes qui
ne foient diffimulées : celles en qui
tous principes d'honneur font éteints , &
qui ont renoncé à tout ménagement pour
leur réputation , & celles qui ayant reçû
de leurs parens une bonne éducation
font comme naturellement vertueufes
n'ont jamais laiffé gliffer dans leur
coeur aucun fentiment qu'elles ne puiffent
avoüer.
fieurs Sujets intereffans. A Paris , ruë
Jacques , chez Et . Ganeau , 1730. Par
M. Dupuy, cy- devant Secretaire au Traité
de Paix de Rifwick. Brochure de 67. pages
, compris la Préface qui en contient
30. On diftribue ces Effais tous les Lundis
de chaque Semaine .
Cet
SEPTEMBRE. 1730. 1993
Cet Ouvrage ne paroît point du tout
fait à la hâte ; on le trouye écrit , au contraire
, avec grand fọin , & il y a lieu de
croire qu'il fera gouté du Public . L'Auteur
rapporte à la 59. page une Lettre de
M. Abbadic à M. Bayle , où l'on trouve
ce jugement fur les Ouvrages de ce dernier
: F'ai lu votre Journal , fans compliment
il m'a extraordinairement plû ; il y
a par tout de la politeffe , du tour , de l'efprit
, de l'érudition , du raifonnement & un
certain difcernement de Philofophe , une feverité
de raison que tous les grands hommes
&c. n'ont pas
On trouve dans la feconde femaine une
Lettre de M. Le Clerc à M. Bayle , qui
lui parle avec cette franchiſe au fujet de
fon Journal qui commençoit alors à paroître.
On dit en general que l'Auteur des
Nouvelles s'étend trop fur des chofes qui ne
ne font pas fi neceffaires , & qu'on pourroit
aifement réduire ... Quelques autres difent
que ce qu'on fouhaite n'est pas d'avoir tous
les mois des Reflexions de l'Auteur fur les
Livres qu'on imprime , mais des Extraits
fideles par où l'on puiffe voir s'ils meritent
qu'on les achete ou qu'on les life . On enſçaura
bienjuger enfuite fans les lumieres de l'Auteur
qui débite mal à propos ( ce font les termes
d'un homme d'efprit ) fes lieux communs
à l'occafion du titre des Livres .
Le
1994 MERCURE DE FRANCE
Le foin que l'Auteur prend de juftifier
par tout la Religion Proteftante , eft loudble,
dit- on , mais il n'eft pas de faifon , & il
doit referver les remarques qu'il fait fur ce
Sujet pour quelque Livre de Controverſe &c.
On dit que fur l'Article du P. Thomaffin
page 213. il valoit mieux faire un Extrait
des matieres qu'il traite & de la Méthode
qu'il obferve que de le railler & de railler.
les Peres.
Toutes ces Lettres écrites par des Sçavans
ou par des perfonnes de confideration
à M. Bayle , fe font lire avec plaifir.
La penultiéme qui remplit cette feconde
femaine , écrite par M. du Rondel en Septembre
1684. ( toutes les autres font de
cette année ) contient un fait affez ſingulier
; le voici :
A neuf heures du matin , après un quart
d'heure de pluye , le vent venant tout à
coup à écarter les nuages , les pouffa dans
une Vallée , & nous préfenta à quelques
500. pas de Rochefort en Ardenne un des
plus beaux fpectacles du monde ; c'étoit
un Iris tout nouveau ; la matiere qui le
formoit n'étoit point courbée vers la terre
, pour en faire un Arc en Ciel , comme
il arrive d'ordinaire , ni renversée vers le
Ciel , comme il arrive quelquefois . C'étoient
des nuages droits & perpendiculaires
, à peu près comme de longues colonnes
,
SEPTEMBRE. 1730. 1995
Ionnes dont la premiere étoit verte , la
feconde rouge , la troifiéme orangée & la
quatrième bleue , contre le mélange ordinaire
des couleurs de ce méteore . Ces
colonnes étoient toutes claires & tranfparentes
, & laiffoient voir diftinctement les
objets qui étoient derriere , comme des
Bois , des Collines , des Châteaux &c, &
quand elles vinrent à s'évanouir , elles
commencerent par l'orangée & par la
rouge. Ce fpectacle dura environ un demi
quart d'heure. Je ne doute point que
ce Phénomene , que j'appelle nouveau ,
n'ait été vû autrefois ; mais comme perfonne
n'a encore parlé d'un Iris perpendiculaire
, c'eft pour cette raifon que je
l'aiappellé nouveau .
On voit par la troifiéme Semaine que
cet Ouvrage fe foutient ; on y voit le
même ordre , même politeffe de ftile &
même efprit. Il eft queftion ici de Reflexions
fur les femmes ; en voici quel
ques unes.
Les hommes eftiment trop les femmes,
ou ne les eftiment pas affez .
Une femme coquette s'attache plus à
furprendre l'eftime des hommes qu'à la
mériter. Un homme galant eft de même
à l'égard des femmes &c .
La naïveté bien imitée flatte les hom
mes & fait honneur aux femmes ; de tous
les
1996 MERCURE DE FRANCE
"
"
les filets qu'elles nous tendent , il n'y en
a point où nous foyons pris plus agréablement
& plus promtement .
Si le goût que les hommes ont pour les
femmes n'avoit pas fes variations , fes ralentiffemens
, que deviendroient les Arts,
les Sciences & les affaires ?
Les femmes pour ſe garantir de l'amour
ont leur temperamment à furmonter , les
follicitations continuelles des hommes à
foûtenir , les détours artificieux de certaines
Emiffaires à demêler , la force de
l'exemple & de la coûtume à vaincre ;
tout confpire à amollir leur coeur. Dès
l'enfance , pour ainfi parler , de tendres
Chanfons les préparent à être fenfibles au
langage amoureux ; livres , fpectacles ,
entretiens , repas où regne la licence ; il
n'y a rien qui ne concoure à leur faire
fouhaiter de brûler d'un feu qui leur paroit
doux , dont elles fentent en ellesmêmes
la fource , & fans lequel la vie leur
paroît languiffante. Devons- nous être furpris
fi la chafteté eft une vertu fi rare ? &
ne devons-nous pas , au contraire , regarder
avec admiration les femmes qui au
milieu de tant d'écueils évitent le naufrage
?
Il eſt plus aifé à une femme qui n'eft
que belle de faire plufieurs conquêtes
que d'en conferver une : les triomphes
d'une
SEPTEMBRE . 1730. 1997
d'une femme qui a beaucoup d'efprit &
peu de beauté font moins faciles & plus
durables.
Fierté dans le maintien & dans le dif
cours , preuve très équivoque qu'il y en
ait dans la conduite & dans les fentimens.
Il y auroit de l'injuftice à ne pas convenir
que les hommes ont beaucoup d'obligation
aux Dames : ne leur doivent - ils
pas ce qu'ils ont d'agrément dans les manieres
, de délicatefle dans les fentimens ,
de complaifance dans l'humeur , de fineffe
dans l'eſprit ? le defir de leur plaire
eft pour eux un puiffant aiguillon pour
les animer à acquerir du mérite.
Quelque douceur , quelque fincerité
que nous annoncent les yeux , les traits
du vifage , le fon de la voix d'une femme
, nous n'en devons pas être plus affurés
des fentimens de fon coeur : le veritable
caractere des femmes eft communément
incompréhenfible ; elles ont le pri
vilege de tromper les hommes, quand elles
veulent leur foibleffe pour
elles augmente
la difficulté qu'il y a de les connoître
; non feulement ils ne fentent pas
quand elles les trompent avec adreffe ,
mais lors même qu'elles veulent s'épargner
le foin d'y employer l'artifice : foit
par leur art , foit par la vanité des hommes
, elles leur cachent prefque toûjours
E ce
1998 MERCURE DE FRANCE
ce qu'elles ont interêt qu'ils ignorent ,
fur tout quand ils les aiment de bonne
foi , & qu'elles ont fçû les perfuader qu'elles
les aiment.
pas
Nous finirons par cette Reflexion qu'on
trouve à la page 210. J'eftime , Monfieur,
qu'il n'y a que deux fortes de femmes qui
ne foient diffimulées : celles en qui
tous principes d'honneur font éteints , &
qui ont renoncé à tout ménagement pour
leur réputation , & celles qui ayant reçû
de leurs parens une bonne éducation
font comme naturellement vertueufes
n'ont jamais laiffé gliffer dans leur
coeur aucun fentiment qu'elles ne puiffent
avoüer.
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Résumé : Essais hebdomadaires sur plusieurs sujets, [titre d'après la table]
Le texte présente les 'Essais Hebdomadaires', une brochure publiée à Paris en 1730 par M. Dupuy, ancien secrétaire au Traité de Paix de Ryswick. Cette brochure, distribuée chaque lundi, contient des sujets variés et est rédigée avec soin. La première semaine inclut une lettre de M. Abbadie à M. Bayle, louant le journal de ce dernier pour sa politesse, son esprit et son érudition. La seconde semaine contient une lettre de M. Le Clerc à M. Bayle, discutant des critiques sur les 'Nouvelles', notamment sur l'étendue des réflexions de l'auteur et la préférence pour des extraits fidèles des livres. Le 'Mercure de France' mentionne que l'auteur des 'Essais Hebdomadaires' justifie fréquemment la religion protestante, mais de manière maladroite. Il est également critiqué pour avoir raillé le Père Thomassin plutôt que de faire un extrait de ses matières. Le texte inclut une lettre de M. du Rondel décrivant un phénomène météorologique rare observé en 1684 : un arc-en-ciel perpendiculaire avec des colonnes de couleurs distinctes. La troisième semaine de la brochure traite des réflexions sur les femmes, soulignant des aspects tels que l'estimation des hommes envers elles, la coquetterie, et la difficulté de conserver une conquête. Le texte explore également la naïveté, les variations du goût des hommes, et les défis auxquels les femmes font face pour préserver leur chasteté. Il conclut en affirmant que seules deux sortes de femmes ne sont pas dissimulées : celles sans principes d'honneur et celles éduquées pour être vertueuses.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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36
p. 2168-2181
LETTRE de M... sur un Songe.
Début :
Il m'est arrivé bien des choses extraordinaires depuis que je ne vous ai [...]
Mots clefs :
Passions, Hommes, Songe, Amour, Ennui, Temple, Dieu, Nature, Génie, Philosophes, Désirs, Coeur, Vision
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M... sur un Songe.
LETTRE de M... fur un Songe.
I
L m'eft arrivé bien des chofes extraordinaires
depuis que je ne vous ai
vûë ; j'ai cu un fonge , Mile ; mais un
fonge comme on n'en à jamais fait , &
qui eft du moins auffi vrai qu'aucun autre.
N'allez pas croire foit conque
ce par
tagion que je vous raconte mon rêve ; je
ne prens point les défauts de ceux que
j'ai l'honneur de connoître ; & pour avoir
le
OCTOBRE. 1730. 2169
le droit de la nouveauté , je le nommerai
vifion , fi vous voulez. Vifion foit. La
mienne a quelque chofe de particulier
par une fuite d'Evenemens arrangés qui
s'y trouvent.
A peine étois-je arrivé dans * * qu'il
m'a femblé être à la porte du Temple de
l'Ennui ; je ne ſçai fi je dormois ou fi j'étois
bien éveillé ; mais il ne me fouvient
point de m'être endormi ; car ma vifion
ou mon rêve , comme il vous plaira de
l'apeller, a commencé dès l'inftant que j'ai
mis pied à terre.
Ici regne un fombre filence ;
Arbres , rochers , deferts affreux ;
Eole & fa terrible engeance
N'abandonnent jamais ces lieux.
Des Ris , des Jeux la Troupe aimable
Eft inconnue en ces triftes féjours ;
Je m'y trouvai , victime déplorable ,
Abandonné de tout fécours.
Quoique je connuffe toute l'horreur de
mon fort , un charme invincible qui eft
répandu dans l'air qu'on y refpire , m'engageoit
malgré moi d'aller jufqu'au Temple.
Je fus reçû à la porte par des femmes
déja fur l'âge qui vouloient encore
plaire , malgré la nature même qui avoit
C v
pourvû
2170 MERCURE DE FRANCE
pourvû de refte à leurs défagrémens ;
elles avoient envain employé tout ce
que Part peut fournir pour recrépir un
vifage dont les rides ne laiffoient pas de
paroître au travers de la pomade dont il
étoit rempli ; & malgré les grimaces que
le dérangement d'un nouveau ratelier
de dents les obligeoit de faire , elles vouloient
compofer une belle bouche. La
porte du Temple me fut ouverte par cette
efpece de femmes , & fe referma fi - tôt
que je fus entré avec un bruit effroïable.
J'en trouvai dans l'interieur un autre effain
qui m'acofta ; c'étoient des Précieufes
qui avec un faux efprit & un fçavoir
fuperficiel vous affomment par un langage
affecté & impertinent. Je me fauvai
le plus vite que je pus de leurs mains ;
mais je tombai , comme on dit , de Caribde
en Scilla ; car à peine avois - je mis
le pied dans le Sanctuaire où elles m'avoient
conduit , que je me trouvai parmi
un nombre infini d'originaux , tous
Miniftres de l'ennui. Je m'y vis auffi - tôt
environné par un tas d'Auteurs. Ah ! la
maudite efpece.
L'un tire un long Poëme Epique ;
L'autre une Piece Dramatique :
Celui - ci dans le doux Lyrique ;
Celui-là pour le bon Comique ,
Prétend
OCTOBRE. 1730. 2170)
Prétend qu'il eft Auteur unique ,
Et d'original il fe pique.
Parmi ces objets fantaſtiques
J'y vis encor des Politiques ,
Qui prétendoient fuivant leurs loix
Diriger le Confeil des Rois.
3
Si je les en avois crûs , ils m'auroient
perfuadé qu'ils avoient des corefpondances
fecrettes avec le Divan , les négocia
tions les plus délicates leur étoient connuës
; ils avoient la clef du Cabinet de
tous les Potentats de l'Univers , & ils
étoient initiés dans tous les Confeils de
l'Europe ; tantôt ils faifoient la guerre ,
tantôt ils faifoient la paix. Ce n'étoit que
tréves , ccoonnggrrééss , interêt des Princes
Places prifes ou renduës , batailles gagnées,
faute d'un General , Campement , Marches
; ils faifoient changer de face à toute
l'Europe , chaffoient des Rois , en remettoient
d'autres en leurs places ; enfin
en un quart d'heure de tems ils firent faire
plus de mouvemens fur la furface de la
terre que fix mille ans n'en pourroient produire.
Je m'éloignai de ces M M. & je fus
repris par un Auteur dont la phifionomie
noire annonçoit l'amertume & le fiel qu'il
avoit dans le coeur ; il me lut mauffadement
, & cependant avec fureur quelques
C vj
Pié2172
MERCURE DE FRANCE
Piéces fatiriques qui attaquoient ouvertement
, & jufqu'au vif , l'honneur de ſes
confreres. Après m'en avoir lû deux ou
trois qui étoient fes morceaux favoris
& vomi mille invectives contre la
Cour & la Ville , il voulut encore en tirer
d'autres ; mais la cruelle fituation où
je me trouvois d'être obligé de les entendre
, me fit tomber dans un fommeil léthargique
dour je ne revins qu'au bout
de quelque tems . J'ignore ce que mon furieux
devint ; je me trouvai feul à mon
reveil dans un coin du Temple ; là , je fis
des reflexions bien triftes Helas ! difoisje
en moi- même , encore fi j'étois amoureux
, je pourrois m'occuper agréablement
; je fongeai dans ce moment à une
perfonne que je connois , & je fouhaitai
violemment de l'aimer , & d'en être aimé.
J'adreffai ma priere à l'Amour , & je l'invoquai
en ces termes :
O toi ! charmant Amour , des doux plaifirs le
pere ,
Quitte l'heureux féjour de Paphos , de Cithere ; }
Hâte-toi , viens me fecour :
Voudrois -tu me laiffer périr
Dieu puiffant aujourd'hui brûle-mol de tes feux...
Comme j'étois encore dans l'entouſiaſme
de mon invocation , je vis paroître
l'Amour
OCTOBRE. 1730. 2173
l'Amour qui me demanda d'un ton railleur
ce que j'exigeois de lui ; je lui dis
qu'ayant toujours été un de fes plus fideles
fectateurs , que l'ayant toujours bien
fervi , j'ofois efperer qu'il ne me refuſeroit
pas une grace ; que je me trouvois
malheureufement enfermé dans le Temple
de l'Ennui , que je le priois inftamment
de me frapper de fes traits pour
Belle que je lui nommois , & de la rendrefenfible
à ma tendreffe . L'Amour m'interrompit
en levant les épaules , & d'une
voix méprilante il me dit ces mots :
Eh ! que penfes- tu faire avec tant de foiblefle ?
Il n'eft qu'un tems pour gouter les plaiſirs :
Quoi ! voudrois-tu , fi loin de la jeuneſſe ,
Conferver dans ton coeur d'inutiles defirs ?
Non , non , à d'autres foins ...
2
la
Ah ! Dieu cruel , m'écriai -je , l'inter
rompant, outré de defefpoir, peux- tu me
reprocher ma foibleffe & n'eft-ce point
à ton fervice que j'ai perdu ma vigueur ?
Je t'en ai recompenfe , repartit-il à l'inf
tant , de quoi te plains-tu ? tant que tu
as jɔui de ton Printems , ne t'ai-je point
fans ceffe offert de nouvelles conquêtes ?
nomme-moi les cruelles que tu n'as pû
fléchir fi tu m'as bien fervi , je t'ai bien
protegé , & entre nous , continua -t'il ,
par
2174 MERCURE DE FRANCE
par quelle qualité éminente meritois- tu
fi fort ma protection ? difpenfe- moi du
détail de tes mérites , il ne tourneroit
qu'à notre confufion . Il s'envole à ces
mots qui me rendirent encore plus trifte ;
j'y entrevoyois une verité peu fatisfaifante
pour moi .
Je pris mon parti d'un autre coté ; je
voulus faire des Vers , croyant que ce
pourroit être un Talifman qui feroit ouvrir
les portes du Temple .
Mis, quoi ? fans l'aveu d'Appollon
Prétend- on s'établir dans le facré Vallon ?
J'eus beau implorer les Mufes , le Dieu -
du Parnaffe , tout fut fourd à ma voix .
Je ne fçavois que devenir , lorfque mon
génie m'apparut : votre génie , me direzvous
? oui , mon génie ; nous en avons
tous un qui veille fur nous , & qui détermine
nos actions. Notre génie eſt toujours
à la portée de nos organes ; c'eft
felon qu'ils font difpofés qu'il agit bien
ou mal ; ainfi il ne faut pas s'étonner
lorfque l'on voit les génies faire commetre
des fautes fi confiderables aux uns ,
pendant qu'ils conduifent fi fagement les
autres : c'eft , comme je l'ai dit , felon les
difpofitions qu'ils trouvent dans les fujets
.
Cette
OCTOBRE . 1730. 2175
Cette difference d'agir dans les génies
fit faire fon fiftême d'efprits au Comte de
Gabelis. Il s'imagina que les diverfes
actions des hommes étoient dirigées par
autant de fortes de génies ; il établit donc ,
comme vous le fçavez , les Gnomes dans
la terre , les Nymphes dans les eaux , les
Sylphes dans l'air & les Salamandres dans
le feu : chaque efpece avoit fes fonctions
differentes. Moyennant cette idée il crut
avoir donné une folution jufte de tout ce
qui arrive dans le monde ; mais il s'eft
trompé bien lourdement .
Je reviens au mien qui m'apparut fous
ma forme , c'étoit le moyen d'être bien
reçû. Je connois bien des femmes à qui
je ferois fûr de plaire , fi je me préſentois
fous leur figure. Notre premiere paffion
, c'eft . l'amour propre. Je vis mon
génie ; il étoit trifte comme moi , & me
dit qu'il ne pouvoit par lui- même me
tirer de l'affreux féjour où j'étois ; mais
qu'il voyoit dans la poche d'un des Miniftres
de l'Ennui un livre qui pouvoir
contenir des fecrets pour fortir du Temple
; il me montra celui qui en étoit porteur
, & difparut.
Je m'approchai de ce Miniftre ; je lui
fis des politeffes qu'il reçût fort bien ; il
m'aprit qu'il étoit Bibliotequaire du Dieu
de l'Ennui : il ajoûta qu'il vouloit me donner
2176 MERCURE DE FRANCE
ner le plaifir d'examiner fes Livres ; j'euffe
bien voulu m'en difpenfer , mais l'envie
que j'avois de poffeder celui qu'il avoit
dans fa poche, me donna la complaifance
de le fuivre. J'entrai dans la Biblioteque
qui étoit d'un bois rembruni , orné par
intervales de faux clinquant qui fatiguoit
plus la vûë qu'il ne la réjouiffoit. Il me
lut le Catalogue de fes Livres : c'étoit ,
il m'en fouvient encore la Dialectique
d'Ariftote , une partie de fa Phyfique ,
le Siftême harmonique de l'Univers par
Pythagore , plufieurs Traités de Morale,
tant des Anciens que des Modernes , tous
les Poëmes Epiques François , Recüeil
des Oraifons Funebres , Piéces fugitives
à la louange des Grands , Opera , Tragédies
& Comédies nouvelles , plufieurs
Romans les Journées Amulantes y
avoient place , & une quantité innombrable
d'autres livres fur differentes matieres
. Mon Conducteur fe récria fur tout
fur un Volume qu'il difoit être un des
plus grands foutiens de leur Temple : c'étoit
les Piéces de Poëfie de * * Comme il
me faifoit la lecture d'une , je vis fes
s'appefantir & fe fermer , comme s'il alloit
tomber dans un profond fommeil .
De peur qu'il ne m'en arrivât autant , je
me faifis au plus vite du livre qui faifoit
tout mon efpoir : jugez quelle fut ma joye
>
yeux,
quand
OCTOBRE. 1730. 2177
quand je vis par le titre que c'étoit les
Oeuvres de Clement Marot. J'ignore par
quelle avanture ce Miniftre fe trouvoit
muni d'un pareil livre . Quoiqu'il en foit,
je l'ouvris avec précipitation ; mais à
peine en avois - je lû la moitié d'une page,
ô prodige incroyable ! le Temple s'abîma
& je me trouvai dans une autre Biblioteque
charmante ; tout s'y fentoit des mains
de la nature , & l'art n'avoit , ou fembloit
n'avoir aucune part à l'ouvrage . Enchantê
d'un fr beau fpectacle , j'examinai les livres
; ils avoient tous pour infcription en
lettres d'or : Remede contre l'ennui ; je les
ouvris l'un après l'autre , j'y trouvai les
Oeuvres d'Anacréon , les Poëfies du tendre
Tibulle & de Catulle les Elegies
d'Ovide , les Satires d'Horace , les Epigrammes
de Martial , les Poëmes d'Homere
, de Virgile , de l'Ariofte & du Taffe,
les Romans de Petrone , de Michel Cervantes
& de Rabelais , les Fables de la
Fontaine étoient proprement reliées avec
celles de Phédre ; fes Contes feuls étoient
placés à l'écart. J'y vis auffi les Comédies
d'Ariftophane , de Plaute , de Terence &
de Moliere ; les Tragédies de Sophocle
d'Euripide , de Corneille & de Racine
étoient fur la même planche ; les Opera
de Quinaut , les Oeuvres de Pavillon &
de Bourfault y tenoient une place hono-
T'hélitois
›
218 MERCURE DE FRANCE
J'héfitois dans le choix que j'en devois
faire , lorsqu'une grande femme s'avance
vers moi avec un maintien noble , fon
front étoit ferein , dans fes yeux brilloit
la douceur , un air de bonté & de tranquilité
étoit répandu dans toute fa perfonne
: elle vit fans doute ma furpriſe ;
& ouvrant la bouche avec des graces admirables
, elle me tint ce difcours : Je
fuis Uranie , Muſe qui préfide à la Philofophie
; tu t'étonnes , fans doute , de
me voir au milieu de gens qui n'ont jamais
eu le titre de Philofophes dans le
monde ; j'excufe ta furprife. Apprens que
tous ces grands hommes dont tu vois ici
les Ouvrages ont été les feuls & les vrais
Philofophes , & que ceux qui paffent pour
tels dans le monde n'en ont jamais eu que
le nom. La vraie Philofophie , me ditque
elle , confifte à fuir les violens excès ou
conduit une paffion trop emportée , à
regler fes defirs fur une volupté permife;
car c'eſt une erreur qui tient de la folie
de vouloir éteindre les paffions ; il faudroit
éteindre la nature ; ils en font une
fuite indifpenfable . Que les hommes ,
s'écria Uranie , connoiffent peu ce qui
leur eft utile ! les paffions leur ont été
données pour les dédommager des miferes
de l'humanité , & ils les méprifent :
cela eſt incroyable : oüi , continua-t'elle,
les
OCTOBRE. 1730. 2179
les paffions ont été accordées aux fages
comme le plus beau preſent que
les Dieux
ayent pû leur faire ; mais c'eft auffi le
fleau le plus terrible dont ils ſe ſervent
dans leur colere , pour qui n'en fçait pas
faire ufage.
Je ne pûs m'empêcher de paroitre furpris
d'un pareil raifonnement ; je ne pouvois
concevoir comment les paffions faifoient
en même tems tant de bien & tant
de mal . La Mufe s'apperçut de mon
étonnement : Je veux bien , me dit - elle ,
vous défiller les yeux : les hommes font
tous nés avec une même meſure de paſfion
dans le coeur ; la feule difference de
bien employer cette dofe de paffion diftingue
le vrai Philofophe d'avec celui qui
ne l'eft pas. Il en eft des paffions comme
d'un fleuve , qui refferré dans un lit trop
étroit , devient un torrent furieux , brife
& ravage tout ce qu'on pourroit employer
pour refifter à fes efforts ; mais
fi vous lui ouvrez plufieurs routes dans
lefquelles il puiffe s'étendre , alors ce torrent
dont un feul lit ne pouvoit contenir
l'eau , forme , étant divifé , plufieurs ruiffeaux
, dont le cours doux & tranquille
vous offre un fpectacle agréable. L'infenſé ,
femblable à ce fleuve , place fans reflexion
tout ce qu'il a reçû de paffions dans
un unique objet : c'eft en vain alors qu'il
you2180
MERCURE DE FRANCE
voudroit y mettre les digues que la raiſon
lui offre , ce font de trop foibles barrieres
que l'impetuofité de les defirs a bientôt
renversées. Tous les mouvemens de
fon ame . fe portant en foule fur un feul
point , le tourmentent , le defefperenr
le portent à des extrémités horribles , &
ne lui laiffent pas un moment de repos.
C'eft delà que nous voyons des joueurs
furieux , des avares méprifables , des
Amans defefperés , des ambitieux extravagans
; le fage , au contraire , qui reconnoît
la neceffité des paffions , mais
qui connoît auffi le mal qu'elles peuvent
produire , en diminue la violence en les
divifant ; il leur donne differens emplois
pour s'en rendre le maitre , & forme au
lieu d'un torrent qui détruit tout , ces
doux ruiffeaux dont le cours aimable ne
peut porter aucun dommage.
C'eft ainfi que vivent les Philofophes ;
ils jouiffent de tous les agrémens de la vie ,
ils reconnoiffent que le fouverain bien
confifte dans la privation du mal , ils en
évitent jufqu'à l'idée. Les plaifirs , continua
Uranie , font faits pour les hommes;
les chagrins devroient leur être étrangers :
ils dégradent leurs ames , & ne font qu'uné
fuite de la foibleffe de leur nature. Je
te quitte , ajoûta - t'elle , fuis mes confeils ,
entretiens familiarité avec ces grands
hommes
OCTOBRE. 1730. 2181
hommes , tu vivras heureux. A ces mots
elle difparut. La yifion finit.
akakakakaka
D. L. C.
I
L m'eft arrivé bien des chofes extraordinaires
depuis que je ne vous ai
vûë ; j'ai cu un fonge , Mile ; mais un
fonge comme on n'en à jamais fait , &
qui eft du moins auffi vrai qu'aucun autre.
N'allez pas croire foit conque
ce par
tagion que je vous raconte mon rêve ; je
ne prens point les défauts de ceux que
j'ai l'honneur de connoître ; & pour avoir
le
OCTOBRE. 1730. 2169
le droit de la nouveauté , je le nommerai
vifion , fi vous voulez. Vifion foit. La
mienne a quelque chofe de particulier
par une fuite d'Evenemens arrangés qui
s'y trouvent.
A peine étois-je arrivé dans * * qu'il
m'a femblé être à la porte du Temple de
l'Ennui ; je ne ſçai fi je dormois ou fi j'étois
bien éveillé ; mais il ne me fouvient
point de m'être endormi ; car ma vifion
ou mon rêve , comme il vous plaira de
l'apeller, a commencé dès l'inftant que j'ai
mis pied à terre.
Ici regne un fombre filence ;
Arbres , rochers , deferts affreux ;
Eole & fa terrible engeance
N'abandonnent jamais ces lieux.
Des Ris , des Jeux la Troupe aimable
Eft inconnue en ces triftes féjours ;
Je m'y trouvai , victime déplorable ,
Abandonné de tout fécours.
Quoique je connuffe toute l'horreur de
mon fort , un charme invincible qui eft
répandu dans l'air qu'on y refpire , m'engageoit
malgré moi d'aller jufqu'au Temple.
Je fus reçû à la porte par des femmes
déja fur l'âge qui vouloient encore
plaire , malgré la nature même qui avoit
C v
pourvû
2170 MERCURE DE FRANCE
pourvû de refte à leurs défagrémens ;
elles avoient envain employé tout ce
que Part peut fournir pour recrépir un
vifage dont les rides ne laiffoient pas de
paroître au travers de la pomade dont il
étoit rempli ; & malgré les grimaces que
le dérangement d'un nouveau ratelier
de dents les obligeoit de faire , elles vouloient
compofer une belle bouche. La
porte du Temple me fut ouverte par cette
efpece de femmes , & fe referma fi - tôt
que je fus entré avec un bruit effroïable.
J'en trouvai dans l'interieur un autre effain
qui m'acofta ; c'étoient des Précieufes
qui avec un faux efprit & un fçavoir
fuperficiel vous affomment par un langage
affecté & impertinent. Je me fauvai
le plus vite que je pus de leurs mains ;
mais je tombai , comme on dit , de Caribde
en Scilla ; car à peine avois - je mis
le pied dans le Sanctuaire où elles m'avoient
conduit , que je me trouvai parmi
un nombre infini d'originaux , tous
Miniftres de l'ennui. Je m'y vis auffi - tôt
environné par un tas d'Auteurs. Ah ! la
maudite efpece.
L'un tire un long Poëme Epique ;
L'autre une Piece Dramatique :
Celui - ci dans le doux Lyrique ;
Celui-là pour le bon Comique ,
Prétend
OCTOBRE. 1730. 2170)
Prétend qu'il eft Auteur unique ,
Et d'original il fe pique.
Parmi ces objets fantaſtiques
J'y vis encor des Politiques ,
Qui prétendoient fuivant leurs loix
Diriger le Confeil des Rois.
3
Si je les en avois crûs , ils m'auroient
perfuadé qu'ils avoient des corefpondances
fecrettes avec le Divan , les négocia
tions les plus délicates leur étoient connuës
; ils avoient la clef du Cabinet de
tous les Potentats de l'Univers , & ils
étoient initiés dans tous les Confeils de
l'Europe ; tantôt ils faifoient la guerre ,
tantôt ils faifoient la paix. Ce n'étoit que
tréves , ccoonnggrrééss , interêt des Princes
Places prifes ou renduës , batailles gagnées,
faute d'un General , Campement , Marches
; ils faifoient changer de face à toute
l'Europe , chaffoient des Rois , en remettoient
d'autres en leurs places ; enfin
en un quart d'heure de tems ils firent faire
plus de mouvemens fur la furface de la
terre que fix mille ans n'en pourroient produire.
Je m'éloignai de ces M M. & je fus
repris par un Auteur dont la phifionomie
noire annonçoit l'amertume & le fiel qu'il
avoit dans le coeur ; il me lut mauffadement
, & cependant avec fureur quelques
C vj
Pié2172
MERCURE DE FRANCE
Piéces fatiriques qui attaquoient ouvertement
, & jufqu'au vif , l'honneur de ſes
confreres. Après m'en avoir lû deux ou
trois qui étoient fes morceaux favoris
& vomi mille invectives contre la
Cour & la Ville , il voulut encore en tirer
d'autres ; mais la cruelle fituation où
je me trouvois d'être obligé de les entendre
, me fit tomber dans un fommeil léthargique
dour je ne revins qu'au bout
de quelque tems . J'ignore ce que mon furieux
devint ; je me trouvai feul à mon
reveil dans un coin du Temple ; là , je fis
des reflexions bien triftes Helas ! difoisje
en moi- même , encore fi j'étois amoureux
, je pourrois m'occuper agréablement
; je fongeai dans ce moment à une
perfonne que je connois , & je fouhaitai
violemment de l'aimer , & d'en être aimé.
J'adreffai ma priere à l'Amour , & je l'invoquai
en ces termes :
O toi ! charmant Amour , des doux plaifirs le
pere ,
Quitte l'heureux féjour de Paphos , de Cithere ; }
Hâte-toi , viens me fecour :
Voudrois -tu me laiffer périr
Dieu puiffant aujourd'hui brûle-mol de tes feux...
Comme j'étois encore dans l'entouſiaſme
de mon invocation , je vis paroître
l'Amour
OCTOBRE. 1730. 2173
l'Amour qui me demanda d'un ton railleur
ce que j'exigeois de lui ; je lui dis
qu'ayant toujours été un de fes plus fideles
fectateurs , que l'ayant toujours bien
fervi , j'ofois efperer qu'il ne me refuſeroit
pas une grace ; que je me trouvois
malheureufement enfermé dans le Temple
de l'Ennui , que je le priois inftamment
de me frapper de fes traits pour
Belle que je lui nommois , & de la rendrefenfible
à ma tendreffe . L'Amour m'interrompit
en levant les épaules , & d'une
voix méprilante il me dit ces mots :
Eh ! que penfes- tu faire avec tant de foiblefle ?
Il n'eft qu'un tems pour gouter les plaiſirs :
Quoi ! voudrois-tu , fi loin de la jeuneſſe ,
Conferver dans ton coeur d'inutiles defirs ?
Non , non , à d'autres foins ...
2
la
Ah ! Dieu cruel , m'écriai -je , l'inter
rompant, outré de defefpoir, peux- tu me
reprocher ma foibleffe & n'eft-ce point
à ton fervice que j'ai perdu ma vigueur ?
Je t'en ai recompenfe , repartit-il à l'inf
tant , de quoi te plains-tu ? tant que tu
as jɔui de ton Printems , ne t'ai-je point
fans ceffe offert de nouvelles conquêtes ?
nomme-moi les cruelles que tu n'as pû
fléchir fi tu m'as bien fervi , je t'ai bien
protegé , & entre nous , continua -t'il ,
par
2174 MERCURE DE FRANCE
par quelle qualité éminente meritois- tu
fi fort ma protection ? difpenfe- moi du
détail de tes mérites , il ne tourneroit
qu'à notre confufion . Il s'envole à ces
mots qui me rendirent encore plus trifte ;
j'y entrevoyois une verité peu fatisfaifante
pour moi .
Je pris mon parti d'un autre coté ; je
voulus faire des Vers , croyant que ce
pourroit être un Talifman qui feroit ouvrir
les portes du Temple .
Mis, quoi ? fans l'aveu d'Appollon
Prétend- on s'établir dans le facré Vallon ?
J'eus beau implorer les Mufes , le Dieu -
du Parnaffe , tout fut fourd à ma voix .
Je ne fçavois que devenir , lorfque mon
génie m'apparut : votre génie , me direzvous
? oui , mon génie ; nous en avons
tous un qui veille fur nous , & qui détermine
nos actions. Notre génie eſt toujours
à la portée de nos organes ; c'eft
felon qu'ils font difpofés qu'il agit bien
ou mal ; ainfi il ne faut pas s'étonner
lorfque l'on voit les génies faire commetre
des fautes fi confiderables aux uns ,
pendant qu'ils conduifent fi fagement les
autres : c'eft , comme je l'ai dit , felon les
difpofitions qu'ils trouvent dans les fujets
.
Cette
OCTOBRE . 1730. 2175
Cette difference d'agir dans les génies
fit faire fon fiftême d'efprits au Comte de
Gabelis. Il s'imagina que les diverfes
actions des hommes étoient dirigées par
autant de fortes de génies ; il établit donc ,
comme vous le fçavez , les Gnomes dans
la terre , les Nymphes dans les eaux , les
Sylphes dans l'air & les Salamandres dans
le feu : chaque efpece avoit fes fonctions
differentes. Moyennant cette idée il crut
avoir donné une folution jufte de tout ce
qui arrive dans le monde ; mais il s'eft
trompé bien lourdement .
Je reviens au mien qui m'apparut fous
ma forme , c'étoit le moyen d'être bien
reçû. Je connois bien des femmes à qui
je ferois fûr de plaire , fi je me préſentois
fous leur figure. Notre premiere paffion
, c'eft . l'amour propre. Je vis mon
génie ; il étoit trifte comme moi , & me
dit qu'il ne pouvoit par lui- même me
tirer de l'affreux féjour où j'étois ; mais
qu'il voyoit dans la poche d'un des Miniftres
de l'Ennui un livre qui pouvoir
contenir des fecrets pour fortir du Temple
; il me montra celui qui en étoit porteur
, & difparut.
Je m'approchai de ce Miniftre ; je lui
fis des politeffes qu'il reçût fort bien ; il
m'aprit qu'il étoit Bibliotequaire du Dieu
de l'Ennui : il ajoûta qu'il vouloit me donner
2176 MERCURE DE FRANCE
ner le plaifir d'examiner fes Livres ; j'euffe
bien voulu m'en difpenfer , mais l'envie
que j'avois de poffeder celui qu'il avoit
dans fa poche, me donna la complaifance
de le fuivre. J'entrai dans la Biblioteque
qui étoit d'un bois rembruni , orné par
intervales de faux clinquant qui fatiguoit
plus la vûë qu'il ne la réjouiffoit. Il me
lut le Catalogue de fes Livres : c'étoit ,
il m'en fouvient encore la Dialectique
d'Ariftote , une partie de fa Phyfique ,
le Siftême harmonique de l'Univers par
Pythagore , plufieurs Traités de Morale,
tant des Anciens que des Modernes , tous
les Poëmes Epiques François , Recüeil
des Oraifons Funebres , Piéces fugitives
à la louange des Grands , Opera , Tragédies
& Comédies nouvelles , plufieurs
Romans les Journées Amulantes y
avoient place , & une quantité innombrable
d'autres livres fur differentes matieres
. Mon Conducteur fe récria fur tout
fur un Volume qu'il difoit être un des
plus grands foutiens de leur Temple : c'étoit
les Piéces de Poëfie de * * Comme il
me faifoit la lecture d'une , je vis fes
s'appefantir & fe fermer , comme s'il alloit
tomber dans un profond fommeil .
De peur qu'il ne m'en arrivât autant , je
me faifis au plus vite du livre qui faifoit
tout mon efpoir : jugez quelle fut ma joye
>
yeux,
quand
OCTOBRE. 1730. 2177
quand je vis par le titre que c'étoit les
Oeuvres de Clement Marot. J'ignore par
quelle avanture ce Miniftre fe trouvoit
muni d'un pareil livre . Quoiqu'il en foit,
je l'ouvris avec précipitation ; mais à
peine en avois - je lû la moitié d'une page,
ô prodige incroyable ! le Temple s'abîma
& je me trouvai dans une autre Biblioteque
charmante ; tout s'y fentoit des mains
de la nature , & l'art n'avoit , ou fembloit
n'avoir aucune part à l'ouvrage . Enchantê
d'un fr beau fpectacle , j'examinai les livres
; ils avoient tous pour infcription en
lettres d'or : Remede contre l'ennui ; je les
ouvris l'un après l'autre , j'y trouvai les
Oeuvres d'Anacréon , les Poëfies du tendre
Tibulle & de Catulle les Elegies
d'Ovide , les Satires d'Horace , les Epigrammes
de Martial , les Poëmes d'Homere
, de Virgile , de l'Ariofte & du Taffe,
les Romans de Petrone , de Michel Cervantes
& de Rabelais , les Fables de la
Fontaine étoient proprement reliées avec
celles de Phédre ; fes Contes feuls étoient
placés à l'écart. J'y vis auffi les Comédies
d'Ariftophane , de Plaute , de Terence &
de Moliere ; les Tragédies de Sophocle
d'Euripide , de Corneille & de Racine
étoient fur la même planche ; les Opera
de Quinaut , les Oeuvres de Pavillon &
de Bourfault y tenoient une place hono-
T'hélitois
›
218 MERCURE DE FRANCE
J'héfitois dans le choix que j'en devois
faire , lorsqu'une grande femme s'avance
vers moi avec un maintien noble , fon
front étoit ferein , dans fes yeux brilloit
la douceur , un air de bonté & de tranquilité
étoit répandu dans toute fa perfonne
: elle vit fans doute ma furpriſe ;
& ouvrant la bouche avec des graces admirables
, elle me tint ce difcours : Je
fuis Uranie , Muſe qui préfide à la Philofophie
; tu t'étonnes , fans doute , de
me voir au milieu de gens qui n'ont jamais
eu le titre de Philofophes dans le
monde ; j'excufe ta furprife. Apprens que
tous ces grands hommes dont tu vois ici
les Ouvrages ont été les feuls & les vrais
Philofophes , & que ceux qui paffent pour
tels dans le monde n'en ont jamais eu que
le nom. La vraie Philofophie , me ditque
elle , confifte à fuir les violens excès ou
conduit une paffion trop emportée , à
regler fes defirs fur une volupté permife;
car c'eſt une erreur qui tient de la folie
de vouloir éteindre les paffions ; il faudroit
éteindre la nature ; ils en font une
fuite indifpenfable . Que les hommes ,
s'écria Uranie , connoiffent peu ce qui
leur eft utile ! les paffions leur ont été
données pour les dédommager des miferes
de l'humanité , & ils les méprifent :
cela eſt incroyable : oüi , continua-t'elle,
les
OCTOBRE. 1730. 2179
les paffions ont été accordées aux fages
comme le plus beau preſent que
les Dieux
ayent pû leur faire ; mais c'eft auffi le
fleau le plus terrible dont ils ſe ſervent
dans leur colere , pour qui n'en fçait pas
faire ufage.
Je ne pûs m'empêcher de paroitre furpris
d'un pareil raifonnement ; je ne pouvois
concevoir comment les paffions faifoient
en même tems tant de bien & tant
de mal . La Mufe s'apperçut de mon
étonnement : Je veux bien , me dit - elle ,
vous défiller les yeux : les hommes font
tous nés avec une même meſure de paſfion
dans le coeur ; la feule difference de
bien employer cette dofe de paffion diftingue
le vrai Philofophe d'avec celui qui
ne l'eft pas. Il en eft des paffions comme
d'un fleuve , qui refferré dans un lit trop
étroit , devient un torrent furieux , brife
& ravage tout ce qu'on pourroit employer
pour refifter à fes efforts ; mais
fi vous lui ouvrez plufieurs routes dans
lefquelles il puiffe s'étendre , alors ce torrent
dont un feul lit ne pouvoit contenir
l'eau , forme , étant divifé , plufieurs ruiffeaux
, dont le cours doux & tranquille
vous offre un fpectacle agréable. L'infenſé ,
femblable à ce fleuve , place fans reflexion
tout ce qu'il a reçû de paffions dans
un unique objet : c'eft en vain alors qu'il
you2180
MERCURE DE FRANCE
voudroit y mettre les digues que la raiſon
lui offre , ce font de trop foibles barrieres
que l'impetuofité de les defirs a bientôt
renversées. Tous les mouvemens de
fon ame . fe portant en foule fur un feul
point , le tourmentent , le defefperenr
le portent à des extrémités horribles , &
ne lui laiffent pas un moment de repos.
C'eft delà que nous voyons des joueurs
furieux , des avares méprifables , des
Amans defefperés , des ambitieux extravagans
; le fage , au contraire , qui reconnoît
la neceffité des paffions , mais
qui connoît auffi le mal qu'elles peuvent
produire , en diminue la violence en les
divifant ; il leur donne differens emplois
pour s'en rendre le maitre , & forme au
lieu d'un torrent qui détruit tout , ces
doux ruiffeaux dont le cours aimable ne
peut porter aucun dommage.
C'eft ainfi que vivent les Philofophes ;
ils jouiffent de tous les agrémens de la vie ,
ils reconnoiffent que le fouverain bien
confifte dans la privation du mal , ils en
évitent jufqu'à l'idée. Les plaifirs , continua
Uranie , font faits pour les hommes;
les chagrins devroient leur être étrangers :
ils dégradent leurs ames , & ne font qu'uné
fuite de la foibleffe de leur nature. Je
te quitte , ajoûta - t'elle , fuis mes confeils ,
entretiens familiarité avec ces grands
hommes
OCTOBRE. 1730. 2181
hommes , tu vivras heureux. A ces mots
elle difparut. La yifion finit.
akakakakaka
D. L. C.
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Résumé : LETTRE de M... sur un Songe.
Dans une lettre, l'auteur décrit une vision onirique où il se retrouve à la porte du Temple de l'Ennui, un lieu silencieux et désolé. Il est accueilli par des femmes âgées cherchant à paraître jeunes et par des précieuses affectées et impertinentes. À l'intérieur du temple, il rencontre divers personnages, dont des auteurs, des politiques et des satiristes. Les politiques se vantent de diriger les conseils des rois et de connaître les négociations secrètes, tandis qu'un satiriste lit des pièces fustigeant ses confrères et la cour. Désespéré, l'auteur invoque l'Amour pour échapper à l'ennui, mais l'Amour le raille et lui reproche sa faiblesse. L'auteur tente ensuite d'écrire des vers pour sortir du temple, mais les muses et Apollon restent sourds à ses prières. Son génie lui apparaît et lui indique un livre dans la poche d'un ministre de l'ennui. Ce livre, les œuvres de Clément Marot, permet à l'auteur de sortir du temple et de se retrouver dans une bibliothèque enchantée. Dans cette bibliothèque, les livres portent l'inscription 'Remède contre l'ennui' et contiennent des œuvres de grands auteurs comme Anacréon, Tibulle, Ovide, Homère et Molière. La muse Uranie apparaît et explique que les véritables philosophes sont ceux dont les œuvres sont présentes dans cette bibliothèque, et que les passions, bien utilisées, sont un don des dieux. Le texte aborde également la gestion des passions humaines, soulignant que tous les individus naissent avec une même mesure de passion, mais la différence réside dans l'aptitude à bien l'employer. Les passions, comparées à un fleuve, peuvent devenir destructrices si elles sont confinées dans un seul objet, comme le font les insensés. Ces derniers, en concentrant toutes leurs passions sur un seul point, se trouvent tourmentés et poussés à des extrémités horribles, devenant ainsi des joueurs furieux, des avares méprisables, des amants désespérés ou des ambitieux extravagants. En revanche, le sage reconnaît la nécessité des passions mais en diminue la violence en les divisant. Il leur donne différents emplois pour en devenir maître, transformant ainsi un torrent destructeur en doux ruisseaux agréables. Les philosophes, en suivant cette voie, jouissent de tous les agréments de la vie et évitent les chagrins, qui dégradent l'âme et révèlent la faiblesse de la nature humaine. Uranie conseille de suivre les préceptes des grands hommes pour vivre heureux.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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37
p. 2215-2224
Panegyrique de S. Augustin, [titre d'après la table]
Début :
PANEGYRIQUE de S. Augustin, Evêque d'Hippone, prononcé dans [...]
Mots clefs :
Saint Augustin, Panégyrique, Génie, Gloire, Chrétien, Hommes, Éloquence, Honneur, Église
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Panegyrique de S. Augustin, [titre d'après la table]
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS &c.
ANEGYRIQUE de S. Auguftin ;
Evêque d'Hippone , prononcé dans
l'Eglife des Grands Auguftins , le 28.
Aout 1730. par M. l'Abbé Seguy . A
Paris , chez Coignard fils , Imprimeur du
Roi & de l'Académie Françoife , à la Bible
d'or 1730.
Lo
2216 MERCURE DE FRANCE
Le Lecteur nous fçaura bon gré de lui
'donner un Extrait de ce Difcours , fi digne
de la réputation de fon Auteur. Le
Texte en eft fingulier & frappant , &
l'Exorde dans fa noble fimplicité ne l'eſt
pas moins. Les voici :
In laudem gloria gratia . A la gloire
de la Grace. Epit. aux Ephef. Ch. 1.
Oui , Chrétiens , à la gloire de la Grace
C'est là comme une Dédicace que je
mets à la tête de ce Difcours , ou fi vous
voulez , c'eft le fujer & le fond même
de l'Eloge que j'entreprends. Je le confacre
à la Grace , parce que c'eſt à elle
qu'il appartient fpecialement , & que
toute la gloire d'Auguftin eſt à elle , in
laudem gloria gratie.
Cet Eloge d'Auguftin , fi intereffant
pour les Sçavans , dont ce grand homme
eft l'admiration & l'oracle , pour le peuple
, dont fon ſeul nom réveilla toujours
l'attention , le fera à jamais , Chrétiens ,
pour quiconque s'intereffera aux merveilles
de la Grace . Ecoutez . Cette Grace
qui vous donne la vie fpirituelle à vous,
Juftes , qui avez le bonheur d'en joüir,
qui feule peut vous la rendre à vous ,
pecheurs , qui l'avez perduë ; c'eft elle.
que je vais glorifier. Je vais vous faire
voir dans Auguftin des foibleffes & des
erreurs qu'elle a fait tourner à ſa gloire ,
des
OCTOBRE. 1730. 2217
'des vertus héroïques dont elle a été le
principe , des travaux infinis dont elle a
êté l'objet. Auguftin n'a été coupable , it
n'a été aveugle , il n'a été éclairé , il n'a
été penitent , il n'a eu la fuperiorité dư
génie & l'éminence de la fainteté que
pour la gloire de la Grace , in laudemgloria
gratia. Comment cela , Chrétiens Au
diteurs voici dans la raifon qui s'en
offre le plan de mon Difcours qui fe préfente.
C'est que le changement d'Auguf
tin a été un des coups les plus éclatans
de la puiflance de la Grace , & qu'Auguftin
depuis fon changement n'a vêcu
que pour les interêts de la Grace ; elle
a triomphe de lui , & elle a triomphé par
luis il lui a rendu les armes , & il l'a
fervie jufqu'à en devenir le Heros. En
deux mots , il en a été , en exceptant la
Converfion de Paul , il en a été la conquête
la plus belle , il en a été le Défenfeur
le plus glorieux , in laudem glorie
gratia.
Je n'ai point conçû , Meffieurs , la
vaine efperance d'égaler l'idée que vous
avez d'Auguftin , ni même de pouvoir
vous rendre parfaitement la mienne. Je
viens fuccomber fous le poids que je me
fuis laiffé impofer . Notre impuiffance à
foutenir la grandeur de certains fujets eft
après tout une autre forte d'éloge , & le
Docteur
Ev
2218 MERCURE DE FRANCE
Docteur de la Grace feroit trop rarement
loué , s'il ne l'étoit que par ceux qui
peuvent lui payer tout le tribut de loüanges
qu'il mérite. Auguftin. La Grace. Je
ne cefferai , Chrétiens , de vous préfenter
ces deux objets , quoique bien éloigné
de vouloir vous faire partager votre
reſpect entre l'un & l'autre. C'eſt ainfi
que j'ofe me promettre votre attention.
Oui , je m'en fie à l'interêt du grand
nom d'Auguftin , & plus encore à l'interêt
que doivent prendre vos coeurs à la
gloire de la Grace , In laudem gloria gratia.
Ave & c.
Premiere Partie:
L'Abbé Seguy en entrant en matiere ;
préfente le portrait que voici du jeune
Auguftin.
Failons attention à ce qu'il étoit dès fa
15 année , Chrétiens Auditeurs. Un vif
amour du grand , ou de ce qui en a l'apparence
; mais un penchant prefque invincible
pour le plaifir , une foif infinie:
de la verité , mais hors du feul fyftême
où on la trouve ; un caractere affable , mais
un fecret ſentiment de fa fuperiorité na--
turelle , idées naiffantes de fortune , talens
fuprêmes pour y parvenir , l'efprit
d'affurance qui fubjugue , l'efprit d'infinuation
qui féduit l'ardeur funefte
d'aimer
,
་
OCTOBRE. 1730. 2219
d'aimer , le don prefqu'auffi funefte de
plaire ; tels étoient de fi bonne heure fes
traits les plus marqués . Mes freres , que
je vous décrive ici les égaremens de fa
raifon & les foibleffes de fon coeur. Je
veux dreffer un trophée à la grace de mon
Dieu qui en fçut faire fa conquête , en
vous faifant voir les obftacles qu'elle a fur
montés , in laudem gloria gratia.
C'eft fur ces égaremens & ces foibleffes
que l'Orateur fonde le premier chef de fa
fubdivifion ; & après avoir décrit , avec
toute la force imaginable, les erreurs d'Au
guſtin , il dit :-
Aimable verité , cher & glorieux partage
des ames humbles , ainfi font fouvent
punis au fein du menfonge ceux que leur
orgueil a rendus indignes de vous . Malgrè
toutes leurs variations , en changeant
d'erreurs , ils ne font que changer d'inquiétudes
; & quand ils ont parcourus
dans leurs égaremens , toutes les opinions
accréditées , plus éloignés de vous que
jamais, ou ils s'en font de nouvelles en fecret,
ou ils en font réduits à regretter dans
un noir cahos lés Systêmes de l'erreur
qu'ils ont comme épuifée.
L'article des foibleffes du jeune Auguf
tin a quelque chofe d'enlevant. L'Orateur
paffe enfuite au fecond membre de ſa ſubdivifion
, de cette maniere :
E vj Toute
2220 MERCURE DE FRANCE
Toutefois au travers des miferes & des
horreurs que ma Religion me découvre
dans une telle vie , je vois les qualitez les
plus éclatantes , & les vertus morales le
plus en honneur. Si les obftacles font
grands , l'importance de la conquête n'eſt
pas moins grande. Connoiffez icy , Chré-
Tiens , ce que c'étoit qu'Auguftin par l'efprit
& par le coeur ; quelque jufte idée
vous ayez de lui , peut-être en eft- il parmi
vous qui n'ont pas affez vivement ſenti en
ces deux points , l'excellence de fon caractere.
que
Car d'abord , je l'ofe affurer , malgré
fes égaremens , jamais la Grace n'eut à
éclairer un efprit fuperieur au fien . Génie
facile , dès l'âge de douze ans , le défefpoir
de fes jeunes Emules , & l'étonnement
de fes Maîtres , il fembloit plutôt
rappeller des chofes oubliées , qu'en ap
prendre de nouvelles ; & fes progrès trop
furprenans, pour n'engager que les fiens à
le foûtenir de toutes leurs forces , porterent
un Etranger à faire auffi tout pour
lui, pour ce jeune homme dont les talens
promettoient la courſe la plus rapide dans
la carriere de l'honneur & de la fortune ;
génie pénétrant , à qui n'échappoit rien
de ce qui eft à la portée de l'efprit humain
; il eut été un de ces Inventeurs des.
Sciences & des beaux Arts , s'il fut venu
dans
OCTOBRE. 1730. 222
dans les premiers âges ; génie étendu qui
embraffoit tout , qui réunit de bonne
heure en lui le Rhéteur habile , le Philofophe
profond ; & qui joignant aux connoiffances
les plus fublimes , à celles des
Arts Liberaux , le mit dans peu de temps
en état d'en compofer des Traitez qu'on
admire ; génie nerveux , né pour manier
la raifon en Maître,& pour lui faire prendre
entre les mains toute la force qu'elle
peut avoir ; génie fubtil , qui le premier
peut -être avoit faifi des fineffes de raifon
nement peu connues avant lui , fouverai
nement propre à tout ce qu'il y a de plusabftrait
, fe tournant , fe repliant avec une
adreffe infinie fur lui- même ; & qui , le
cours de les études à peine fini , le faifoit
regarder comme un homme sûr de vaincre
, de trouver prife fur les autres , & de
ne leur en donner jamais dans la diſpute ;
génie beau , plein de feu & d'agrément ,
qui après avoir enlevé à Rome tous les
fuffrages , fe fignalant à Milan par l'éloga
de l'Empereur & du Conful Bauton , fit
dire avec une espece de tranfport , que
la plus haute vertu pouvoit être fatisfaite
de ces louanges : Ouy , génie à qui pour
égaler au moins les plus fameux Orateurs
de Rome & d'Athénes , il ne manquoit
que leur fiecle & leur pays..
N'allons pas critiques trop inquiets ,
repro2222
MERCURE DE FRANCE
reprocher au prodige de l'Afrique , le caractere
Afriquain ; il avoit affez de quoi
fe le faire pardonner ; eût- il dû naturellement
ne pas l'avoir ; il avoit , & j'en
appelle aux Juges , toute l'ame de la grande
& invariable Eloquence , de l'Eloquence
des choles très - indépendantes™
du ftyle , j'entens l'abondance & l'ordre
, & la chaleur & la penfée , & le fentiment
auffi neceffaire que la penſée :
vraye & folide éloquence qui étoit de lui,
tour & ftyle qui étoit de fon temps , & fur
tout de fa Patrie.
Achevons : Vous ne trouverez rien de
trop à ce Portrait. Génie , peu s'en faut
que je ne dife unique , capable non-feule--
ment de traiter prefque de tout , & de
ramener tout à des principes auffi féconds
que fimples, mais de traiter de chaque
chofe dans le genre d'écrire , convenable
à fa nature , plein fur un feul objet d'une
étonnante multiplicité d'idées , à quelques
redites près ; fuite ordinaire de l'abondance
de l'expreffion & de la hâte du travail ,
moins fréquentes pourtant en fes Ecrits
que ne l'ont prétendu certains Critiques ,
fans fonger qu'il eft des matieres où les
principes ne fçauroient être trop fouvent
préfentez , & que les répétitions neceffaires
ne font pas des redites.
Les qualitez du coeur d'Auguftin , maniées
OCTOBRE . 1730. 2223
niées de main de maître , font accompa
gnées de la réfléxion fuivante,
Mais quoi ? Avoir un coeur fi bien fait
& fi corrompu ,un génie fi rare &fi fujet
à l'erreur?Mais qui fçait fi laDivine Providence
ne permit pas qu'il en fut ainfi d'un
homme femblable , de peur qu'il n'honorat
trop cette nature décheuë , dont il
étoit deftiné à décrier un jour la corrup
tion & la mifére. Il eut trop fait remarquer
ce qu'il y a de grand dans l'homme ,
s'il n'eut fait voir , comme il l'a fait , ce
qu'il y a de foible & de corrompu . Il fut
coupable par fon malheur , & peut - être
auffi pour l'honneur de la Grace : In lau- ~
dem gloria gratia.
و
L'Abbé Séguy paffe enfuite au troifié- -
me membre de fa fubdivifion . Il n'eft' pas
poffible de voir d'image plus vive que celle
où il repréſente les combats intérieurs ,
qui précédérent la converfion de faint
Auguftin . Nous ne rapporterons rien
d'un article qui doit être vû en entier ,
non plus que de la Morale , qui termine
cette premiere Partie.
Seconde Partie:
Comparez , fi vous le pouvez , Chré
tiens , toutes les conquêtes de la Grace ,
tous les Saints ; jamais , jamais nul d'eux
ne lui a mieux rendu qu'Auguftin, le prix
de fes infpirations fecourables. Car je ne
2224 MERCURE DE FRANCE
crains pas de l'avancer ; ce qu'il a fait pour
elle , n'eft pas moins grand que ce qu'elle
avoit fait pour lui : & ne vous allarmez
pas d'une propofition , qui bien loin d'être
injurieufe à la Grace de mon Dieu , l'honore
en effet.Je n'ai en vûë que de la glorifier
cette Grace , lorfque j'en viens glo
rifier le Héros ; In Laudem gloria gratia
& je fçai que vous n'ignorez pas que ce
qu'Auguftin a fait pour Elle , il ne l'a fait
que par Elle. C'eſt par Elle qu'il a été fon
plus glorieux Deffenfeur, qu'il a travaillé
avec tant d'éclat à lui foumettre tous fes
ennemis enfemble ; tous fes Ennemis ,
Chrétiens Auditeurs , je veux dire ceux
qui l'attaquent dans fon effence, ceux qui
Falterent dans fes dons , ceux qui l'étoufent
dans les infpirations. Car voilà tous
les ennemis de la Grace.
Il feroit trop long pour un Extrait de raporter
tout l'article du Pélagianifme , qui
nous paroît un des plus frappans de tous.
Le fecond & le troifiéme chef font pleins
comme le premier , de cette éloquence
originale & toute neuve , qu'a fçu faifir
Auteur ; mais nous n'avons pas le tems
de nous y arrêter. Cette Analyle nous meneroit
trop loin , fans faire d'ailleurs fentir
La beauté du tout fupérieure à toutes les
beautez de détail.
DES BEAUX ARTS &c.
ANEGYRIQUE de S. Auguftin ;
Evêque d'Hippone , prononcé dans
l'Eglife des Grands Auguftins , le 28.
Aout 1730. par M. l'Abbé Seguy . A
Paris , chez Coignard fils , Imprimeur du
Roi & de l'Académie Françoife , à la Bible
d'or 1730.
Lo
2216 MERCURE DE FRANCE
Le Lecteur nous fçaura bon gré de lui
'donner un Extrait de ce Difcours , fi digne
de la réputation de fon Auteur. Le
Texte en eft fingulier & frappant , &
l'Exorde dans fa noble fimplicité ne l'eſt
pas moins. Les voici :
In laudem gloria gratia . A la gloire
de la Grace. Epit. aux Ephef. Ch. 1.
Oui , Chrétiens , à la gloire de la Grace
C'est là comme une Dédicace que je
mets à la tête de ce Difcours , ou fi vous
voulez , c'eft le fujer & le fond même
de l'Eloge que j'entreprends. Je le confacre
à la Grace , parce que c'eſt à elle
qu'il appartient fpecialement , & que
toute la gloire d'Auguftin eſt à elle , in
laudem gloria gratie.
Cet Eloge d'Auguftin , fi intereffant
pour les Sçavans , dont ce grand homme
eft l'admiration & l'oracle , pour le peuple
, dont fon ſeul nom réveilla toujours
l'attention , le fera à jamais , Chrétiens ,
pour quiconque s'intereffera aux merveilles
de la Grace . Ecoutez . Cette Grace
qui vous donne la vie fpirituelle à vous,
Juftes , qui avez le bonheur d'en joüir,
qui feule peut vous la rendre à vous ,
pecheurs , qui l'avez perduë ; c'eft elle.
que je vais glorifier. Je vais vous faire
voir dans Auguftin des foibleffes & des
erreurs qu'elle a fait tourner à ſa gloire ,
des
OCTOBRE. 1730. 2217
'des vertus héroïques dont elle a été le
principe , des travaux infinis dont elle a
êté l'objet. Auguftin n'a été coupable , it
n'a été aveugle , il n'a été éclairé , il n'a
été penitent , il n'a eu la fuperiorité dư
génie & l'éminence de la fainteté que
pour la gloire de la Grace , in laudemgloria
gratia. Comment cela , Chrétiens Au
diteurs voici dans la raifon qui s'en
offre le plan de mon Difcours qui fe préfente.
C'est que le changement d'Auguf
tin a été un des coups les plus éclatans
de la puiflance de la Grace , & qu'Auguftin
depuis fon changement n'a vêcu
que pour les interêts de la Grace ; elle
a triomphe de lui , & elle a triomphé par
luis il lui a rendu les armes , & il l'a
fervie jufqu'à en devenir le Heros. En
deux mots , il en a été , en exceptant la
Converfion de Paul , il en a été la conquête
la plus belle , il en a été le Défenfeur
le plus glorieux , in laudem glorie
gratia.
Je n'ai point conçû , Meffieurs , la
vaine efperance d'égaler l'idée que vous
avez d'Auguftin , ni même de pouvoir
vous rendre parfaitement la mienne. Je
viens fuccomber fous le poids que je me
fuis laiffé impofer . Notre impuiffance à
foutenir la grandeur de certains fujets eft
après tout une autre forte d'éloge , & le
Docteur
Ev
2218 MERCURE DE FRANCE
Docteur de la Grace feroit trop rarement
loué , s'il ne l'étoit que par ceux qui
peuvent lui payer tout le tribut de loüanges
qu'il mérite. Auguftin. La Grace. Je
ne cefferai , Chrétiens , de vous préfenter
ces deux objets , quoique bien éloigné
de vouloir vous faire partager votre
reſpect entre l'un & l'autre. C'eſt ainfi
que j'ofe me promettre votre attention.
Oui , je m'en fie à l'interêt du grand
nom d'Auguftin , & plus encore à l'interêt
que doivent prendre vos coeurs à la
gloire de la Grace , In laudem gloria gratia.
Ave & c.
Premiere Partie:
L'Abbé Seguy en entrant en matiere ;
préfente le portrait que voici du jeune
Auguftin.
Failons attention à ce qu'il étoit dès fa
15 année , Chrétiens Auditeurs. Un vif
amour du grand , ou de ce qui en a l'apparence
; mais un penchant prefque invincible
pour le plaifir , une foif infinie:
de la verité , mais hors du feul fyftême
où on la trouve ; un caractere affable , mais
un fecret ſentiment de fa fuperiorité na--
turelle , idées naiffantes de fortune , talens
fuprêmes pour y parvenir , l'efprit
d'affurance qui fubjugue , l'efprit d'infinuation
qui féduit l'ardeur funefte
d'aimer
,
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OCTOBRE. 1730. 2219
d'aimer , le don prefqu'auffi funefte de
plaire ; tels étoient de fi bonne heure fes
traits les plus marqués . Mes freres , que
je vous décrive ici les égaremens de fa
raifon & les foibleffes de fon coeur. Je
veux dreffer un trophée à la grace de mon
Dieu qui en fçut faire fa conquête , en
vous faifant voir les obftacles qu'elle a fur
montés , in laudem gloria gratia.
C'eft fur ces égaremens & ces foibleffes
que l'Orateur fonde le premier chef de fa
fubdivifion ; & après avoir décrit , avec
toute la force imaginable, les erreurs d'Au
guſtin , il dit :-
Aimable verité , cher & glorieux partage
des ames humbles , ainfi font fouvent
punis au fein du menfonge ceux que leur
orgueil a rendus indignes de vous . Malgrè
toutes leurs variations , en changeant
d'erreurs , ils ne font que changer d'inquiétudes
; & quand ils ont parcourus
dans leurs égaremens , toutes les opinions
accréditées , plus éloignés de vous que
jamais, ou ils s'en font de nouvelles en fecret,
ou ils en font réduits à regretter dans
un noir cahos lés Systêmes de l'erreur
qu'ils ont comme épuifée.
L'article des foibleffes du jeune Auguf
tin a quelque chofe d'enlevant. L'Orateur
paffe enfuite au fecond membre de ſa ſubdivifion
, de cette maniere :
E vj Toute
2220 MERCURE DE FRANCE
Toutefois au travers des miferes & des
horreurs que ma Religion me découvre
dans une telle vie , je vois les qualitez les
plus éclatantes , & les vertus morales le
plus en honneur. Si les obftacles font
grands , l'importance de la conquête n'eſt
pas moins grande. Connoiffez icy , Chré-
Tiens , ce que c'étoit qu'Auguftin par l'efprit
& par le coeur ; quelque jufte idée
vous ayez de lui , peut-être en eft- il parmi
vous qui n'ont pas affez vivement ſenti en
ces deux points , l'excellence de fon caractere.
que
Car d'abord , je l'ofe affurer , malgré
fes égaremens , jamais la Grace n'eut à
éclairer un efprit fuperieur au fien . Génie
facile , dès l'âge de douze ans , le défefpoir
de fes jeunes Emules , & l'étonnement
de fes Maîtres , il fembloit plutôt
rappeller des chofes oubliées , qu'en ap
prendre de nouvelles ; & fes progrès trop
furprenans, pour n'engager que les fiens à
le foûtenir de toutes leurs forces , porterent
un Etranger à faire auffi tout pour
lui, pour ce jeune homme dont les talens
promettoient la courſe la plus rapide dans
la carriere de l'honneur & de la fortune ;
génie pénétrant , à qui n'échappoit rien
de ce qui eft à la portée de l'efprit humain
; il eut été un de ces Inventeurs des.
Sciences & des beaux Arts , s'il fut venu
dans
OCTOBRE. 1730. 222
dans les premiers âges ; génie étendu qui
embraffoit tout , qui réunit de bonne
heure en lui le Rhéteur habile , le Philofophe
profond ; & qui joignant aux connoiffances
les plus fublimes , à celles des
Arts Liberaux , le mit dans peu de temps
en état d'en compofer des Traitez qu'on
admire ; génie nerveux , né pour manier
la raifon en Maître,& pour lui faire prendre
entre les mains toute la force qu'elle
peut avoir ; génie fubtil , qui le premier
peut -être avoit faifi des fineffes de raifon
nement peu connues avant lui , fouverai
nement propre à tout ce qu'il y a de plusabftrait
, fe tournant , fe repliant avec une
adreffe infinie fur lui- même ; & qui , le
cours de les études à peine fini , le faifoit
regarder comme un homme sûr de vaincre
, de trouver prife fur les autres , & de
ne leur en donner jamais dans la diſpute ;
génie beau , plein de feu & d'agrément ,
qui après avoir enlevé à Rome tous les
fuffrages , fe fignalant à Milan par l'éloga
de l'Empereur & du Conful Bauton , fit
dire avec une espece de tranfport , que
la plus haute vertu pouvoit être fatisfaite
de ces louanges : Ouy , génie à qui pour
égaler au moins les plus fameux Orateurs
de Rome & d'Athénes , il ne manquoit
que leur fiecle & leur pays..
N'allons pas critiques trop inquiets ,
repro2222
MERCURE DE FRANCE
reprocher au prodige de l'Afrique , le caractere
Afriquain ; il avoit affez de quoi
fe le faire pardonner ; eût- il dû naturellement
ne pas l'avoir ; il avoit , & j'en
appelle aux Juges , toute l'ame de la grande
& invariable Eloquence , de l'Eloquence
des choles très - indépendantes™
du ftyle , j'entens l'abondance & l'ordre
, & la chaleur & la penfée , & le fentiment
auffi neceffaire que la penſée :
vraye & folide éloquence qui étoit de lui,
tour & ftyle qui étoit de fon temps , & fur
tout de fa Patrie.
Achevons : Vous ne trouverez rien de
trop à ce Portrait. Génie , peu s'en faut
que je ne dife unique , capable non-feule--
ment de traiter prefque de tout , & de
ramener tout à des principes auffi féconds
que fimples, mais de traiter de chaque
chofe dans le genre d'écrire , convenable
à fa nature , plein fur un feul objet d'une
étonnante multiplicité d'idées , à quelques
redites près ; fuite ordinaire de l'abondance
de l'expreffion & de la hâte du travail ,
moins fréquentes pourtant en fes Ecrits
que ne l'ont prétendu certains Critiques ,
fans fonger qu'il eft des matieres où les
principes ne fçauroient être trop fouvent
préfentez , & que les répétitions neceffaires
ne font pas des redites.
Les qualitez du coeur d'Auguftin , maniées
OCTOBRE . 1730. 2223
niées de main de maître , font accompa
gnées de la réfléxion fuivante,
Mais quoi ? Avoir un coeur fi bien fait
& fi corrompu ,un génie fi rare &fi fujet
à l'erreur?Mais qui fçait fi laDivine Providence
ne permit pas qu'il en fut ainfi d'un
homme femblable , de peur qu'il n'honorat
trop cette nature décheuë , dont il
étoit deftiné à décrier un jour la corrup
tion & la mifére. Il eut trop fait remarquer
ce qu'il y a de grand dans l'homme ,
s'il n'eut fait voir , comme il l'a fait , ce
qu'il y a de foible & de corrompu . Il fut
coupable par fon malheur , & peut - être
auffi pour l'honneur de la Grace : In lau- ~
dem gloria gratia.
و
L'Abbé Séguy paffe enfuite au troifié- -
me membre de fa fubdivifion . Il n'eft' pas
poffible de voir d'image plus vive que celle
où il repréſente les combats intérieurs ,
qui précédérent la converfion de faint
Auguftin . Nous ne rapporterons rien
d'un article qui doit être vû en entier ,
non plus que de la Morale , qui termine
cette premiere Partie.
Seconde Partie:
Comparez , fi vous le pouvez , Chré
tiens , toutes les conquêtes de la Grace ,
tous les Saints ; jamais , jamais nul d'eux
ne lui a mieux rendu qu'Auguftin, le prix
de fes infpirations fecourables. Car je ne
2224 MERCURE DE FRANCE
crains pas de l'avancer ; ce qu'il a fait pour
elle , n'eft pas moins grand que ce qu'elle
avoit fait pour lui : & ne vous allarmez
pas d'une propofition , qui bien loin d'être
injurieufe à la Grace de mon Dieu , l'honore
en effet.Je n'ai en vûë que de la glorifier
cette Grace , lorfque j'en viens glo
rifier le Héros ; In Laudem gloria gratia
& je fçai que vous n'ignorez pas que ce
qu'Auguftin a fait pour Elle , il ne l'a fait
que par Elle. C'eſt par Elle qu'il a été fon
plus glorieux Deffenfeur, qu'il a travaillé
avec tant d'éclat à lui foumettre tous fes
ennemis enfemble ; tous fes Ennemis ,
Chrétiens Auditeurs , je veux dire ceux
qui l'attaquent dans fon effence, ceux qui
Falterent dans fes dons , ceux qui l'étoufent
dans les infpirations. Car voilà tous
les ennemis de la Grace.
Il feroit trop long pour un Extrait de raporter
tout l'article du Pélagianifme , qui
nous paroît un des plus frappans de tous.
Le fecond & le troifiéme chef font pleins
comme le premier , de cette éloquence
originale & toute neuve , qu'a fçu faifir
Auteur ; mais nous n'avons pas le tems
de nous y arrêter. Cette Analyle nous meneroit
trop loin , fans faire d'ailleurs fentir
La beauté du tout fupérieure à toutes les
beautez de détail.
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Résumé : Panegyrique de S. Augustin, [titre d'après la table]
Le 28 août 1730, l'Abbé Seguy prononça un discours à l'église des Grands Augustins à Paris, intitulé 'Anegérique de S. Augustin'. Ce discours, publié par Coignard fils, célèbre la grâce divine à travers la vie de Saint Augustin. L'Abbé Seguy commence par attribuer toute la gloire d'Augustin à la grâce divine qui l'a transformé. Le discours est divisé en plusieurs parties. La première partie décrit le jeune Augustin, caractérisé par un vif amour pour le grand et le plaisir, une soif de vérité, un caractère affable, mais aussi des égarements et des faiblesses. L'orateur met en avant les erreurs d'Augustin et les obstacles que la grâce a surmontés pour le convertir. Augustin est également présenté comme un génie précoce, doté d'un esprit pénétrant et d'une éloquence remarquable. Malgré ses égarements, la grâce divine a éclairé son esprit supérieur. La seconde partie compare les conquêtes de la grâce à travers les saints et met en avant la contribution unique d'Augustin. L'orateur affirme qu'Augustin a rendu à la grâce un hommage incomparable en devenant son défenseur le plus glorieux. Le texte mentionne également les combats intérieurs qui ont précédé la conversion d'Augustin, sans entrer dans les détails. Le discours se conclut par une réflexion sur la grandeur de la grâce divine, illustrée par la vie et l'œuvre d'Augustin. L'Abbé Seguy invite les auditeurs à méditer sur la gloire de la grâce et sur l'exemple d'Augustin.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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38
p. 2284-2288
ITALIE.
Début :
Les Cardinaux Petra, Lambertini; Corradini & Falconnieri, ont été nommez par le [...]
Mots clefs :
Cardinal, Pape, Hommes, Duc, Rome, Troupes impériales
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ITALIE.
ITALI E.
Es Cardinaux Petra , Lambertini ; 'Corradini
& Falconnieri , ont été nomméz par le
Pape pour examiner en Congrégation les droits
du S. Siege & ceux du Grand Maître de Malte
fur le Patronage du Grand Prieuré de cette Ville
afin de terminer à l'amiable les differends qui
pourroient naître à cette occafion ,
Le 27 Août , le Pape fit la cérémonie de bénir
dans la Chapelle du Palais du Quirinal lesLanges
deftinez pour le Dauphin & qui doivent être
portez en France par l'Abbé Lanti , Camerier
d'honneur de Sa Sainteté , lequel partit de Rome
les Septembre pour Civita- Vechia , avec fon
neveu , le fils du Comte Soderini & plufieurs
autres Gentils-hommes Romains , pour s'embarquer
fur les Galeres du Pape, qui doivent le conduire
à Marſeille.
Le 3. Septembre au matin , le Sacriftain de
' Eglife dell'Anima de la nation Allemande ; fut
attaqué & maltraité pendant qu'il difoit la Meffe
OCTOBRE. 1730. 2285
par un Pelerin Allemand , fous prétexte qu'il
avoit fait retrancher une partie de l'aumône qu'on
lui faifoit tous les jours . Ĉe Pelerin fut arrêré &
conduit en prifon , & le 5. l'Eglife fut rebenite
par M. Baccari , Evêque de Boyano.
Le 6. le Cardinal Cibo fit préfent au Pape d'un
Calice & d'une Patene d'or enrichis de Pierreies
, qu'on eftime 13000 écus : quelques jours
après le Cardinal Cienfuegos envoya au marquis
Neri Corfini le ſervice d'or dont le comte de
Colalto lui a fait préfent , le priant de l'offrir
au Pape de la part de ce Cardinal & de l'engager
à l'accepter.
Le11. après un Confiftoire fecret , Sa Sainteté
fit publier la Bulle du Jubilé univerfel , accordé
à l'occafion de fon Elevation au Pontificat , l'ouverture
s'en fit à Rome le 17. par une Proceffion
folemnelle qui alla de l'Eglife de N. D. des Anges
, où le Pape avoit celebré la Meffe , à celle
de S. Jean de Latran . Les Cardinaux au nombre
de 32. les Archevêques , les Evêques , le Sénat
Romain , le Connêtable Colonne , l'Ambaffadeur
de la ville de Bologne , le Clergé féculier & régulier
& la principale Nobleffe, affifterent à cette
Proceffion.
Dans ce Confiftoire du 11. Septembre, le Car
dinal Otthoboni, Protecteur des affaires de France ,
Propofa l'Evêché de Digne pour le Pere Antoine-
Amable Feydeau, General de l'Ordre des Carmes
lequel fut lacré le 24. par le Cardinal de Polignac ;
affifté du Pere Fouquet,Evêque titulaire d'Eleute
ropolis , & par M. de la Baume, Evêque titulaire
d'Halicarnaffe.
On a appris en dernier lieu , que le 2 de ce mois
le Pape avoit tenu un Confiftoire , dans lequel Sa
Sainteté avoit fait Cardinaux M.GrimaldiGenois,
Archevêque d'Edeffe ; Nonce ordinaire à Vienne ,
Hij M.
2286 MERCURE DE FRANCE
M. Banther Mafcei , de Montepulciano , Arche
vêque d'Athênes , ci- devant Nonce ordinaire en
France , M. Alexandre Aldobrandini , Florentin ,
Archevêque de Rhodes ,Nonce ordinaire en Efpagne
& l'Abbé Barthelemi Rufpoli , fils du Prince
de ce nom , & Secretaire de la Congrégation
de Propaganda Fide.
On affure que le Pape a fait expedier des Lettres
circulaires à tous les Evêques qui ont été élevez
à cette Dignité par le feu Pape Benoît XIII .
avec ordre de fe rendre à Rome dans deux mois
pour rendre compte de la maniere qu'ils ont ob
genu leurs Evêchez.
Le nouveau Vicaire Apoftolique que le Pape
a nommé pour gouverner le Diocele de Benevent
eft parti pour s'y rendre avec un Receveur , auffi
nommé par Sa Sainteté pour recevoir les revenus
de cet Archevêché.
On apprend de Benevent que le 14. du mois
dernier M. Bondelmonte , Commiffaire Apoftolique
, avoit fait convoquer le Chapitre de
PEglife Metropolitaine ; qu'en vertu du Bref du
Pape dont il avoit fait la lecture , il avoit inſtalé
M. de Nicaftro , en qualité de Vicaire Apoftolique
, & que ce choix avoit été univerfellement
approuvé.
Le Pape ayant fait infinuer au Cardinal Cofcia,
qu'il devoit donner fa démiffion pure & fimple
' de fon Archevêché de Benevent , & ce Cardinal
ayant demandé confeil depuis au Cardinal Falconieri
, on croit qu'il fe déterminera à donner
cette fatisfaction à Sa Sainteté.
1 Le 15. Le Chevalier de S. George accompagné
de fes deux fils , alla au Palais du Quirinal , où
il cut une longue Audience du Pape qui fit préfent
à chacun de fes fils d'un très-beau Reliquaire
d'or , orné de diamans & de rubis.
Le
OCTOBRE. 1730. 2287
Le Pape a fait au Comte de Collato , Ambaffadeur
de L'Empereur , le préfent ordinaire d'un
Corps faint & quelques autres Reliques de dévotion
, & d'un Tableau du fameux Peintre
Penelli.
Il y a une fi grande quantité de Sauterelles
dans la campagne de Rome , que les biens de la
terre en ont fouffert confiderablement ; on a
tenu à ce fujet une Congrégation extraordinaire ,
dans laquelle il a été refolu d'ordonner des
Prieres publiques,
On a apris de Lunigiano que le 26 Aouft , la
premiere Colomne des Troupes imperiales qui
ont ordre de fe rendre en ce pays , dont une
partie eft poffedée par la République de Gênes ,
& l'autre par le Duc de Maſſa-di - Carrara, arriva
à Terra-Roffa. Elle eft compofée de 2500. hommes
d'Infanterie qui camperent dans la prairie
voifine , en préfence du General Comte de Staremberg
qui avoit fait tracer le Camp. Le 27
la feconde colonne auffi de 2500. hommes arriva
vers le foir ; mais la Prairie n'étant pas affez
grande pour contenir tant de monde" on en
détacha deux Bataillons pour les envoyer à Barbarafco
, Marquifat qui appartient au Prince
Don Barthelemi Corfini , neveu du Pape. La
troifiéme Colonne qu'on attend fera de sooo.
hommes d'Infanterie & de 1600. chevaux •
comme les Officiers Generaux qui font au Camp :
veulent être pourvus de tout ce qui leur eft neceffaire
, & que les vivres & particulierement lesfourages
ne font pas abondans , le pays eft fort
incommodé du féiour de ces Troupes
›
On prétend que le Grand Duc de Florence a
fait affurer le Miniftre de l'Empereur , qu'il ne
recevroit des Troupes Imperiales dans fes Etats ,
qu'en cas qu'il fut attaqué par les Espagnols , &
Hij que
2288 MERCURE DE FRANCE
que le Duc de Parme ayant refufé de traiter avec
le Comte Arconati , qui étoit allé le trouver de
part de S. M. I. le Gouverneur du Milanez
avoit refufé pareillement d'entrer en conference
au fujet des affaires préfentes avec le Marquis
Carali qui réfide à Milan , de la part du Duc de
la
Parme.
L
Par les Lettres d'Ajaccio dans l'Iſle de Corfe
on apprend que les rébelles avoient fait encore de
très grands dégats aux environs de cette ville ; qu'ils
en a oient arraché toutes les vignes & enlevé les
.beftiaux .
Es Cardinaux Petra , Lambertini ; 'Corradini
& Falconnieri , ont été nomméz par le
Pape pour examiner en Congrégation les droits
du S. Siege & ceux du Grand Maître de Malte
fur le Patronage du Grand Prieuré de cette Ville
afin de terminer à l'amiable les differends qui
pourroient naître à cette occafion ,
Le 27 Août , le Pape fit la cérémonie de bénir
dans la Chapelle du Palais du Quirinal lesLanges
deftinez pour le Dauphin & qui doivent être
portez en France par l'Abbé Lanti , Camerier
d'honneur de Sa Sainteté , lequel partit de Rome
les Septembre pour Civita- Vechia , avec fon
neveu , le fils du Comte Soderini & plufieurs
autres Gentils-hommes Romains , pour s'embarquer
fur les Galeres du Pape, qui doivent le conduire
à Marſeille.
Le 3. Septembre au matin , le Sacriftain de
' Eglife dell'Anima de la nation Allemande ; fut
attaqué & maltraité pendant qu'il difoit la Meffe
OCTOBRE. 1730. 2285
par un Pelerin Allemand , fous prétexte qu'il
avoit fait retrancher une partie de l'aumône qu'on
lui faifoit tous les jours . Ĉe Pelerin fut arrêré &
conduit en prifon , & le 5. l'Eglife fut rebenite
par M. Baccari , Evêque de Boyano.
Le 6. le Cardinal Cibo fit préfent au Pape d'un
Calice & d'une Patene d'or enrichis de Pierreies
, qu'on eftime 13000 écus : quelques jours
après le Cardinal Cienfuegos envoya au marquis
Neri Corfini le ſervice d'or dont le comte de
Colalto lui a fait préfent , le priant de l'offrir
au Pape de la part de ce Cardinal & de l'engager
à l'accepter.
Le11. après un Confiftoire fecret , Sa Sainteté
fit publier la Bulle du Jubilé univerfel , accordé
à l'occafion de fon Elevation au Pontificat , l'ouverture
s'en fit à Rome le 17. par une Proceffion
folemnelle qui alla de l'Eglife de N. D. des Anges
, où le Pape avoit celebré la Meffe , à celle
de S. Jean de Latran . Les Cardinaux au nombre
de 32. les Archevêques , les Evêques , le Sénat
Romain , le Connêtable Colonne , l'Ambaffadeur
de la ville de Bologne , le Clergé féculier & régulier
& la principale Nobleffe, affifterent à cette
Proceffion.
Dans ce Confiftoire du 11. Septembre, le Car
dinal Otthoboni, Protecteur des affaires de France ,
Propofa l'Evêché de Digne pour le Pere Antoine-
Amable Feydeau, General de l'Ordre des Carmes
lequel fut lacré le 24. par le Cardinal de Polignac ;
affifté du Pere Fouquet,Evêque titulaire d'Eleute
ropolis , & par M. de la Baume, Evêque titulaire
d'Halicarnaffe.
On a appris en dernier lieu , que le 2 de ce mois
le Pape avoit tenu un Confiftoire , dans lequel Sa
Sainteté avoit fait Cardinaux M.GrimaldiGenois,
Archevêque d'Edeffe ; Nonce ordinaire à Vienne ,
Hij M.
2286 MERCURE DE FRANCE
M. Banther Mafcei , de Montepulciano , Arche
vêque d'Athênes , ci- devant Nonce ordinaire en
France , M. Alexandre Aldobrandini , Florentin ,
Archevêque de Rhodes ,Nonce ordinaire en Efpagne
& l'Abbé Barthelemi Rufpoli , fils du Prince
de ce nom , & Secretaire de la Congrégation
de Propaganda Fide.
On affure que le Pape a fait expedier des Lettres
circulaires à tous les Evêques qui ont été élevez
à cette Dignité par le feu Pape Benoît XIII .
avec ordre de fe rendre à Rome dans deux mois
pour rendre compte de la maniere qu'ils ont ob
genu leurs Evêchez.
Le nouveau Vicaire Apoftolique que le Pape
a nommé pour gouverner le Diocele de Benevent
eft parti pour s'y rendre avec un Receveur , auffi
nommé par Sa Sainteté pour recevoir les revenus
de cet Archevêché.
On apprend de Benevent que le 14. du mois
dernier M. Bondelmonte , Commiffaire Apoftolique
, avoit fait convoquer le Chapitre de
PEglife Metropolitaine ; qu'en vertu du Bref du
Pape dont il avoit fait la lecture , il avoit inſtalé
M. de Nicaftro , en qualité de Vicaire Apoftolique
, & que ce choix avoit été univerfellement
approuvé.
Le Pape ayant fait infinuer au Cardinal Cofcia,
qu'il devoit donner fa démiffion pure & fimple
' de fon Archevêché de Benevent , & ce Cardinal
ayant demandé confeil depuis au Cardinal Falconieri
, on croit qu'il fe déterminera à donner
cette fatisfaction à Sa Sainteté.
1 Le 15. Le Chevalier de S. George accompagné
de fes deux fils , alla au Palais du Quirinal , où
il cut une longue Audience du Pape qui fit préfent
à chacun de fes fils d'un très-beau Reliquaire
d'or , orné de diamans & de rubis.
Le
OCTOBRE. 1730. 2287
Le Pape a fait au Comte de Collato , Ambaffadeur
de L'Empereur , le préfent ordinaire d'un
Corps faint & quelques autres Reliques de dévotion
, & d'un Tableau du fameux Peintre
Penelli.
Il y a une fi grande quantité de Sauterelles
dans la campagne de Rome , que les biens de la
terre en ont fouffert confiderablement ; on a
tenu à ce fujet une Congrégation extraordinaire ,
dans laquelle il a été refolu d'ordonner des
Prieres publiques,
On a apris de Lunigiano que le 26 Aouft , la
premiere Colomne des Troupes imperiales qui
ont ordre de fe rendre en ce pays , dont une
partie eft poffedée par la République de Gênes ,
& l'autre par le Duc de Maſſa-di - Carrara, arriva
à Terra-Roffa. Elle eft compofée de 2500. hommes
d'Infanterie qui camperent dans la prairie
voifine , en préfence du General Comte de Staremberg
qui avoit fait tracer le Camp. Le 27
la feconde colonne auffi de 2500. hommes arriva
vers le foir ; mais la Prairie n'étant pas affez
grande pour contenir tant de monde" on en
détacha deux Bataillons pour les envoyer à Barbarafco
, Marquifat qui appartient au Prince
Don Barthelemi Corfini , neveu du Pape. La
troifiéme Colonne qu'on attend fera de sooo.
hommes d'Infanterie & de 1600. chevaux •
comme les Officiers Generaux qui font au Camp :
veulent être pourvus de tout ce qui leur eft neceffaire
, & que les vivres & particulierement lesfourages
ne font pas abondans , le pays eft fort
incommodé du féiour de ces Troupes
›
On prétend que le Grand Duc de Florence a
fait affurer le Miniftre de l'Empereur , qu'il ne
recevroit des Troupes Imperiales dans fes Etats ,
qu'en cas qu'il fut attaqué par les Espagnols , &
Hij que
2288 MERCURE DE FRANCE
que le Duc de Parme ayant refufé de traiter avec
le Comte Arconati , qui étoit allé le trouver de
part de S. M. I. le Gouverneur du Milanez
avoit refufé pareillement d'entrer en conference
au fujet des affaires préfentes avec le Marquis
Carali qui réfide à Milan , de la part du Duc de
la
Parme.
L
Par les Lettres d'Ajaccio dans l'Iſle de Corfe
on apprend que les rébelles avoient fait encore de
très grands dégats aux environs de cette ville ; qu'ils
en a oient arraché toutes les vignes & enlevé les
.beftiaux .
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Résumé : ITALIE.
En août 1730, le Pape nomma les cardinaux Petra, Lambertini, Corradini et Falconieri pour examiner les droits du Saint-Siège et ceux du Grand Maître de Malte concernant le patronage du Grand Prieuré de Rome, afin de résoudre les différends de manière amiable. Le 27 août, le Pape bénit les langes destinés au Dauphin de France, qui furent transportés par l'Abbé Lanti à Marseille via Civita-Vecchia. Le 3 septembre, le sacristain de l'église dell'Anima fut attaqué par un pèlerin allemand et arrêté. L'église fut reconsacrée le 5 septembre par l'évêque de Boyano. Le 6 septembre, le cardinal Cibo offrit au Pape un calice et une patène en or, suivis par un service en or du cardinal Cienfuegos. Le 11 septembre, après un consistoire secret, le Pape publia la bulle du Jubilé universel, célébré le 17 septembre par une procession solennelle. Le cardinal Ottoboni proposa l'évêché de Digne pour le père Antoine-Amable Feydeau, qui fut sacré le 24 septembre. Le 2 octobre, le Pape nomma plusieurs nouveaux cardinaux, dont M. Grimaldi, archevêque d'Edesse, et M. Banther Mascei, archevêque d'Athènes. Il envoya également des lettres circulaires aux évêques nommés par le pape Benoît XIII, leur ordonnant de se rendre à Rome pour rendre compte de leur gestion. Le nouveau vicaire apostolique pour le diocèse de Benevento fut nommé et installé par M. Bondelmonte. Le cardinal Coscia reçut l'ordre de démissionner de son archevêché de Benevento. Le 15 octobre, le chevalier de Saint-George et ses fils furent reçus par le Pape, qui leur offrit des reliquaires en or. Le Pape fit également un présent à l'ambassadeur de l'Empereur, le comte de Collalto. Une invasion de sauterelles dans la campagne romaine causa des dommages aux cultures, conduisant à l'organisation de prières publiques. Des troupes impériales arrivèrent à Terra-Rossa, composées de 2500 hommes d'infanterie, avec d'autres colonnes attendues. Le Grand-Duc de Florence et le Duc de Parme refusèrent d'accueillir les troupes impériales dans leurs États, sauf en cas d'attaque espagnole. En Corse, des rébellions causèrent des dégâts importants aux environs d'Ajaccio.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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39
p. 2510-2513
SUITE des nouvelles de Perse, Turquie & Afrique.
Début :
Quelques avis des Frontieres de Perse portent que les Géorgiens & quelques Kams de [...]
Mots clefs :
Roi de Perse, Perse, Constantinople, Hommes, Troupes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE des nouvelles de Perse, Turquie & Afrique.
SUITE des nouvelles de Perfe, Turquie
& Afrique.
Quelques avis
Uelques avis des Frontieres de Perfe portent
que les Géorgiens & quelques Kams de
Tartares , avoient formé en fe réuniffant , un
Corps de dix à 12000 hommes , qui étoit venu
joindre l'armée du Roy de Perfe , auquel on
prétend que le Grand Mogol a fait offrir encore
depuis peu des fecours confidérables de Troupes
& d'argent.
On a reçû la confirmation des premiers avis
qu'on avoit eus de la défaite d'un Corps de
Troupes Ottomanes , près de Tauris ; de l'arrivée
du Roy de Perfe devant cette Place , & de la
retraite du Seraskier , qui commande l'armée du
G. S. dans un pofte avantageux , d'où il pouv i
G.
NOVEMBRE. 1730. 2511
inquiéter l'armée du Roy de Perfe , en attendant
qu'il eut reçû de Conftantinople les fecours confiderables
qu'il en attendoit.
Les dernieres Lettres portent que Schah Thamas
, après avoir pris la Ville de Tauris & prefque
toutes les autres Places conquifes par les
Turcs , pendant la derniere révolution de Perfe
avoit marché vers Bagdad , à la tête de fon armée
, pour y livrer Bataille à celle du G. S. qui
s'étoit retranchée fous les Fortifications de cette
Place; mais que n'ayant pû l'engager au combat,
il s'étoit retiré , en ravageant & brûlant tout le
païs des environs , afin qu'elle ne pût pas trouver
de quoi fubfifter.
Les premieres Lettres qu'on a reçûës de Conftantinople
, par Vienne , fur la dépofition du
G.S.fouverain Chef de l'Empire & de la Religion
Mufulmane , portent que le 28 du mois de Septembre
dernier , un homme de la lie du peuple
déploya dans la Place , dite des Graces , un Enfeigne
déchiré , en invitant tout Muſulman à le
fuivre. En un inftant le peuple fut en confuſion ,
les Boutiques furent fermées ; & cet homme s'étant
rendu dans la Place ", dite l'Atmeidan , ordinairement
la Scene des Révoltes . Il s'y trouva
vers le foir près de 600 hommes.
On porta la nouvelle de cet évenement au Gr.
Seig. & au G. V. qui étoient au Camp de Scutari.
Ils pafferent fur le champ le Canal & revinrent
au Serrail . Ils y furent long - temps à déliberer
fur le parti qu'ils avoient à prendre, & ils
perdirent le moment d'appaifer le premier feu
de cette Rebellion , en faisant marcher des Troupes
contre les Soulevez , qui le 29 au foir ne
montoient pas à plus de 2000 hommes. Les Janiflaires
voyant que leur Souverain demeuroit
dans l'inaction , fe rangerent du côté des Rebellc
2312 MERCURE DE FRANCE
les ; & toute la Ville ayant fuivi leur exemple ,
les Soulevez demanderent au Gr. Seigneur la
tête de plufieurs Miniftres. Sa Hauteffe croyant
devoir les contenter , fit étrangler le 1 Octobre ,
le G. V. le Kiaya , & le Capitan Pacha , dont les
corps furent portez dans un Chariot , au Camp
des Révoltez , qui bien loin de quitter les armes,
déclarerent qu'ils vouloient mettre fur le Trône le
Sultan Mamouth , neveu du G. S. Cela fut executé
le 2. Les Révoltez ayant tiré ce Prince de
la Priſon où il étoit , & y ayant conduit à fa
place Achmet III.. Le nouveau Sultan a nommé
pour G. V. Achmet Pacha , jeune homme élevé
dans le Serrail, & Gendre du Sultan dépofé ; pour
Reys Effendi , ou Grand Tréforier , un ancien
Kadileskier, qui a la réputation d'avoir des connoiffances
& de la prudence ; pour Capitan Pacha,
ou Grand Amiral, Abdikap , jeune homme ,
âgé de 26 ans, & aufli Gendre du Sultan dépofé.
D'autres Lettres reçûës , ajoutent que le nombre
des Révoltez étoit augmenté jufqu'à près de
cent mille hommes , qui obfervoient une exacte
difcipline ; qu'ils ne faifoient aucun tort à qui
que ce foit ; qu'ils avoient fait déchirer en piéces
& jetter aux chiens les Corps du Kiaya & du
Capitan Pacha ; que celui du G. V. avoit été racheté
par fa Famille ; que les Révoltez s'étoient
faifis du Mufti , & l'avoient jetté à la Mer ; que
le nouveau Sultan avoit fait partir des gens affidez
pour arrêter le fils du Sultan dépofé qui eft à
la tête de l'armée , affemblée depuis peu à l'entrée
de l'Afie ; & que Sa Hauteffe avoit été obligée
de promettre aux Janiffaires de les rêtablir
fur le pied de 80000 hommes , comme ils l'étoient
aurrefois.
Les mêmes Lettres portent que le 11 Octobre;
le feu avoit confumé près de 2000 maiſons , ац-
près
NOVEMBRE . 1730. 251 3
près de Topana , & que M.Ange Emo , nouveau
Bayle de la République de Venife , qui étoit arrivé
à Conftantinople la veille de la dépofition
d'Achmet III . avoit eu la liberté de fe rendre à
fon Palais du Faubourg de Péra , fans être infulté
par qui que ce foit.
Les nouvelles d'Afrique portent que le Roy de
Maroc , Mulley Abdalah , avoit détruit depuis
peu le parti des Rebelles qui s'étoient retirez
dans les Montagnes ; que la Ville de Fez dont il
s'étoit rendu Maître , avoit été condamnée pour
fa rebellion , à lui payer 200000 ducats , & celle
de Salé , à lui fournir 200 quintaux de poudre.
On a auffi appris par les Lettres de Ceuta ,
que vers la fin du mois de Septembre dernier , le
Roy de Maroc avoit attaqué dans une Plaine ,
l'armée des Rebelles , dont plus de 7000. étoient
demeurez fur la place , & le reste avoit pris la
fuite ; que les Noirs les pourfuivoient dans les
Montagnes ; que toute leur Artillerie, leur argent
& leurs Beftiaux avoient été pris , & que Je Roy
avoit eu pour fa part du butin 4000 Vaches &
200 Chameaux .
& Afrique.
Quelques avis
Uelques avis des Frontieres de Perfe portent
que les Géorgiens & quelques Kams de
Tartares , avoient formé en fe réuniffant , un
Corps de dix à 12000 hommes , qui étoit venu
joindre l'armée du Roy de Perfe , auquel on
prétend que le Grand Mogol a fait offrir encore
depuis peu des fecours confidérables de Troupes
& d'argent.
On a reçû la confirmation des premiers avis
qu'on avoit eus de la défaite d'un Corps de
Troupes Ottomanes , près de Tauris ; de l'arrivée
du Roy de Perfe devant cette Place , & de la
retraite du Seraskier , qui commande l'armée du
G. S. dans un pofte avantageux , d'où il pouv i
G.
NOVEMBRE. 1730. 2511
inquiéter l'armée du Roy de Perfe , en attendant
qu'il eut reçû de Conftantinople les fecours confiderables
qu'il en attendoit.
Les dernieres Lettres portent que Schah Thamas
, après avoir pris la Ville de Tauris & prefque
toutes les autres Places conquifes par les
Turcs , pendant la derniere révolution de Perfe
avoit marché vers Bagdad , à la tête de fon armée
, pour y livrer Bataille à celle du G. S. qui
s'étoit retranchée fous les Fortifications de cette
Place; mais que n'ayant pû l'engager au combat,
il s'étoit retiré , en ravageant & brûlant tout le
païs des environs , afin qu'elle ne pût pas trouver
de quoi fubfifter.
Les premieres Lettres qu'on a reçûës de Conftantinople
, par Vienne , fur la dépofition du
G.S.fouverain Chef de l'Empire & de la Religion
Mufulmane , portent que le 28 du mois de Septembre
dernier , un homme de la lie du peuple
déploya dans la Place , dite des Graces , un Enfeigne
déchiré , en invitant tout Muſulman à le
fuivre. En un inftant le peuple fut en confuſion ,
les Boutiques furent fermées ; & cet homme s'étant
rendu dans la Place ", dite l'Atmeidan , ordinairement
la Scene des Révoltes . Il s'y trouva
vers le foir près de 600 hommes.
On porta la nouvelle de cet évenement au Gr.
Seig. & au G. V. qui étoient au Camp de Scutari.
Ils pafferent fur le champ le Canal & revinrent
au Serrail . Ils y furent long - temps à déliberer
fur le parti qu'ils avoient à prendre, & ils
perdirent le moment d'appaifer le premier feu
de cette Rebellion , en faisant marcher des Troupes
contre les Soulevez , qui le 29 au foir ne
montoient pas à plus de 2000 hommes. Les Janiflaires
voyant que leur Souverain demeuroit
dans l'inaction , fe rangerent du côté des Rebellc
2312 MERCURE DE FRANCE
les ; & toute la Ville ayant fuivi leur exemple ,
les Soulevez demanderent au Gr. Seigneur la
tête de plufieurs Miniftres. Sa Hauteffe croyant
devoir les contenter , fit étrangler le 1 Octobre ,
le G. V. le Kiaya , & le Capitan Pacha , dont les
corps furent portez dans un Chariot , au Camp
des Révoltez , qui bien loin de quitter les armes,
déclarerent qu'ils vouloient mettre fur le Trône le
Sultan Mamouth , neveu du G. S. Cela fut executé
le 2. Les Révoltez ayant tiré ce Prince de
la Priſon où il étoit , & y ayant conduit à fa
place Achmet III.. Le nouveau Sultan a nommé
pour G. V. Achmet Pacha , jeune homme élevé
dans le Serrail, & Gendre du Sultan dépofé ; pour
Reys Effendi , ou Grand Tréforier , un ancien
Kadileskier, qui a la réputation d'avoir des connoiffances
& de la prudence ; pour Capitan Pacha,
ou Grand Amiral, Abdikap , jeune homme ,
âgé de 26 ans, & aufli Gendre du Sultan dépofé.
D'autres Lettres reçûës , ajoutent que le nombre
des Révoltez étoit augmenté jufqu'à près de
cent mille hommes , qui obfervoient une exacte
difcipline ; qu'ils ne faifoient aucun tort à qui
que ce foit ; qu'ils avoient fait déchirer en piéces
& jetter aux chiens les Corps du Kiaya & du
Capitan Pacha ; que celui du G. V. avoit été racheté
par fa Famille ; que les Révoltez s'étoient
faifis du Mufti , & l'avoient jetté à la Mer ; que
le nouveau Sultan avoit fait partir des gens affidez
pour arrêter le fils du Sultan dépofé qui eft à
la tête de l'armée , affemblée depuis peu à l'entrée
de l'Afie ; & que Sa Hauteffe avoit été obligée
de promettre aux Janiffaires de les rêtablir
fur le pied de 80000 hommes , comme ils l'étoient
aurrefois.
Les mêmes Lettres portent que le 11 Octobre;
le feu avoit confumé près de 2000 maiſons , ац-
près
NOVEMBRE . 1730. 251 3
près de Topana , & que M.Ange Emo , nouveau
Bayle de la République de Venife , qui étoit arrivé
à Conftantinople la veille de la dépofition
d'Achmet III . avoit eu la liberté de fe rendre à
fon Palais du Faubourg de Péra , fans être infulté
par qui que ce foit.
Les nouvelles d'Afrique portent que le Roy de
Maroc , Mulley Abdalah , avoit détruit depuis
peu le parti des Rebelles qui s'étoient retirez
dans les Montagnes ; que la Ville de Fez dont il
s'étoit rendu Maître , avoit été condamnée pour
fa rebellion , à lui payer 200000 ducats , & celle
de Salé , à lui fournir 200 quintaux de poudre.
On a auffi appris par les Lettres de Ceuta ,
que vers la fin du mois de Septembre dernier , le
Roy de Maroc avoit attaqué dans une Plaine ,
l'armée des Rebelles , dont plus de 7000. étoient
demeurez fur la place , & le reste avoit pris la
fuite ; que les Noirs les pourfuivoient dans les
Montagnes ; que toute leur Artillerie, leur argent
& leurs Beftiaux avoient été pris , & que Je Roy
avoit eu pour fa part du butin 4000 Vaches &
200 Chameaux .
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Résumé : SUITE des nouvelles de Perse, Turquie & Afrique.
En novembre 1730, des informations provenant des frontières de Perse signalent la formation d'une armée de 10 à 12 000 hommes, composée de Géorgiens et de certains clans tartares, qui se sont alliés aux forces du roi de Perse. Le Grand Mogol a également proposé des renforts en troupes et en argent. Les Ottomans ont subi une défaite près de Tauris, où le roi de Perse a pris la ville et d'autres places conquises par les Turcs. Le Seraskier, commandant de l'armée ottomane, a dû se retirer en attendant des renforts de Constantinople. Le chah Thamas a ensuite marché vers Bagdad pour affronter l'armée ottomane, mais n'a pas pu l'engager au combat. Il s'est retiré en ravageant les environs pour empêcher l'ennemi de se ravitailler. À Constantinople, le 28 septembre, une rébellion a été déclenchée par un homme du peuple brandissant un étendard déchiré. Le soulèvement a rapidement gagné en ampleur avec le soutien des janissaires. Le sultan a dû exécuter plusieurs ministres pour apaiser les rebelles, qui ont proclamé le sultan Mamouth comme nouveau souverain. Achmet III a été remplacé, et de nouveaux dignitaires ont été nommés. Les rebelles, disciplinés et nombreux, ont continué à exercer leur pression sur le nouveau sultan. En Afrique, le roi du Maroc, Mulley Abdalah, a réprimé une rébellion dans les montagnes et imposé des amendes aux villes de Fez et de Salé. Il a également vaincu une armée rebelle, capturant une grande quantité de butin.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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40
p. 2631-2641
DISCOURS sur ces paroles : Le vice lui-même est forcé de rendre hommage à la vertu.
Début :
Il est si beau d'être vertueux, & la droite raison trouve la vertu si conforme [...]
Mots clefs :
Vice, Vertu, Hommes, Mérite, Force, Vertueux, Ennemi, Hommage, Sentiments, Aveugle, Yeux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DISCOURS sur ces paroles : Le vice lui-même est forcé de rendre hommage à la vertu.
DISCOURS fur ces paroles Le
vice lui-même eft forcé de rendre hom
à la vertu.
mage
Left fi beau d'être vertueux , & la
I droite raifon trouve la vertu fi conforme
à fes premieres idées , qu'il n'y a
pas de quoi s'étonner fi les hommes dans
Tous les âges ont, à l'envi , fouhaité ou affecté
d'être vertueux , & s'ils ont accor
dé à la vertu les plus grands éloges..
L'amour de l'eftime & de la gloire, qui
remue avec tant d'empire & de fuccès les
refforts du coeur de l'homme , l'a toujours
déterminé à chercher fa véritable
grandeur dans le fein de la vertu , où
d'un Phantôme qu'il a pris pour elle.
Dvj Peut I.Vol
2632 MERCURE DE FRANCE
Peut- être que ces hommages confondus
avec les intérêts de l'amour propre , ne:
furent pas affez purs ; mais quoique la
vertu pût en reprouver les intentions
& les motifs , ils ont fervi à publier &
à étendre fa gloire.
i
L'Univers entier a confpiré à relever
fon excellence ; & ceux qui ont ignoré
Dieu même , fe font fait un merite de
la connoître & de la pratiquer.
Les Sages , les Philofophes , les Poë
tes , les Orateurs , les Guerriers & les Politiques
, tous ont voulu être du nombre
de fes amis. Les Arts & les Sciences ont
épuisé leurs talens , ont employé leurs
plus belles couleurs pour la peindre dans
tout fon éclat . Au milieu de tant de
gloire & d'honneur acquis à la vertu , ce
qui la diſtingue effentiellement , c'eſt de
n'avoir jamais trouvé d'autre ennemi que
le vice. Soit envie , chagrin , ou confufion
de la part de cet ennemi , l'oppofi
tion qui regne entre l'aimable vertu , &
ce monftre hydeux fera toujours une
fource de guerre : mais telle eft la fin de
Piniquité , elle fe dément elle- même , &
les traits injurieux du vice ne fervent
qu'à relever la vertu. C'eft ainfi que
contre fon intention il forme , façonne ,
embélit de ces propres mains la Cou
ronne dont il doit ceindre fa tête . Plus-
1. Vola il
DECEMBRE. 1730 : 3633
tâche à la déprifer , plus il la rend aimable
& précieufe , fes fatyres , & fes
dédains font pour elle un Panégyrique.
Ecoutons- le parler , pénétrons fes fentimens
, étudions fes démarches , nous le
verrons par tout forcé de rendre hom
mage à la vertu..
Il n'y a qu'à fe déprévenir , qu'à fixer
le veritable fens , & la valeur des expreffions
dont le vice fe fert pour dégrader
la vertu : Si nous les examinons de près ,
nous trouverons qu'au fond ces vaines
déclamations ne portent que fur l'erreur
& l'aveuglement , qui eft l'apanage du
vice. Ingénieux à fe féduire , il fe forme:
de foles chimeres qu'il prend plaifir à
combattre ; ainfi rehauffe t- il d'autant
plus l'éclatde la veritable vertu , qu'il s'ef
force de groffir les traits dont il peint ces
monftres difformes , qu'il voudroit con--
fondre avec elle. Aveugle , s'il ne peut entierement
fe cacher à fa vive lumiere , il
en détourne ce refte de vûë ; & cherchant
ailleurs les feules apparences de la vertu ,
il penfe triompher , s'il en montre le
vuide. Funefte illufion ! Que n'eft- il per--
mis à l'humble vertu de vaincre fa mo
deftie , elle triompheróit bien glorieufement
à fon tour de cet ennemi obſtiné
à lui nuire : mais il eft une victoire , qui
lui eft plus chere. Bien - tôt cet ennemi
Is-Kobo avouera
1634 MERCURE DE FRANCE
;
avouëra fa défaite, & fera forcé de préparer
le fuperbe Triomphe où il fera traîné
captif. En effet , il fe combat lui -même
& releve la vertu par où il femble voufoir
la détruire.
Il n'apperçoit pas , dit- il , de vraie vertu,
ce ne font que des apparences vaines, une
imitation frivole , un foible crayon qu'il
découvre , au lieu de ce parfait original ;
de cette réalité effective qu'il fe croyoit
en droit de trouver. Qu'if combatte tant
qu'il voudra ces apparences frivoles, qu'il
démafque cette imitation hipocrite , qu'il
confonde ce crayon imparfait. Qu'a- t'elle
à craindre , l'innocente vertu ou plutôt
qu'elle gloire pour elle ; que fon ennemi
apprenne aux hommes à reconnoître fes
véritables traits : & à la diftinguer de ces
phantômes qui ne lui reflemblent que
pour la trahir ! Non le vice ne l'attaque
point ouvertement ; il y auroit trop à
perdre pour lui , & trop de honte à ´effuyer
, de combatre à vifage découvert
contre la vertu , elle qui eft feule aimable
, & qui merite d'être adorée de toute
la terre.
Les combats qu'il lui livre font bien
differens des combats ordinaires. C'eft
par fes éloges qu'il l'attaque , c'est par
les portraits outrez & chimériques qu'il
en fait , qu'il veut l'élever au deffus de la
I. Vol
portée
DECEMBRE. 1730. 2635
portée des hommes , & dégouter ainfi de
fa fuivre fes amis les plus paffionez.
Envain cette fille du ciel vient- elle habiter
parmi les hommes : envain ſe montre-
t- elle avec cette majefté , cette grandeur
, cette nobleffe qui lui eft propre::
envain vient elle étaler aux yeux des
mortels , cette heureufe fimplicité, cette
innocence pure , ce défintereffement genereux
, toutes les qualitez qui forment
fon caractere ; fi elle ne paroît feule , le
vice , par les impoftures , s'atttibuë tout
fon mérite ,
, pour faire difparoitre à nos
yeux fes attraits raviffans.
Ne craignons pas pourtant qu'il lui
faffe du tort ; il ne la méconnoit qu'à
force d'en relever le mérite , & d'en concevoir
de brillantes idées. Conduite , à la
verité , injurieuſe à l'homme vertueux ,
mais toujours glorieufe à la vertu ; il veut
qu'elle foit fans deffaut , qu'elle brille de
toutes parts ,fans obfcurité , fans nuage ;
c'eft peut-être le feul endroit , par où le
vice entretient encore quelque commerce
avec la verité & la lumiere. Il a fauvé du
naufrage de toutes les idées du jufte & du
vrai la feule notion de l'integrité de la
vertu ; refte bien honorable pour elle.
Livrons lui donc fans crainte les
deffauts des hommes vertueux ; avouons
lui , s'il le faut , que malgré leurs efforts,
I.Vol.
ils
2636 MERCURE DE FRANCE
Ils ne peuvent point fe garantir de quelqu'une
de fes atteintes. Nous fçaurons
Bien-tôt les deffendré de ces réproches ;
mais qu'il foit forcé , ce perfécuteur in
jufte , de rendre hommage à la vraie
vertu , dont les deffauts des hommes ne
fçauroient jamais ternir l'éclat nila beauté.
Que dis-je , ne le rend- il pas cet hom-.
mage ? & puifque par tout où il recon →
noit fon empire , il dédaigne de retrouver
la vertu . N'avoue- t-il pas qu'elle lui
eft toujours contraire , & que l'augufte'
privilege dont elle joüit , c'eſt de ne pouvoir
jamais fouffrir aucun commerce , ni
aucune liaiſon avec lui.
Pénétrons encore'fes fentimens en faveur
de la vertu ; ils vont plus loin que
fes paroles ; & cet hommage , tout muet
qu'il eft , ne releve pas ſeulement la verta ,
il honore encore infiniment les hommes
vertueux .
Faifons au vice , pour un inftant , la
plus grande grace que nous puiffions lui
faire ; donnons- lui un peu de bonne foi
& de candeur. Qu'il mette au jour fes
fentimens les plus intimes. Amateurs de
la vertu , voici votre éloge , & un éloge
qui n'eft point flaté . Déja j'apperçois au
fond de fon coeur ce fentiment gravé en¹
caracteres inéfaçables : VOUS ESTES PLUS
JUSTE QUE MOY. La haine , le dépit , l'en--
J. Volo vie
DECEMBRE. 1730. 2637
vie , la jaloufie , n'ont pû étouffer ce cri
interieur. Qu'il eft doux à la vertu & à
fes Partifans , de trouver dans le fein du
vice , de quoi le faire rougir , & fans infulter
à fon impuiffante malice , de quoi
le confondre par un fimple regard.
,
Telle eft cependant la fituation du vice
& de fes efclaves , ils ont beau affecter une
contenance affurée un air content &
tranquille ; on les approfondit , & plus
on les penetre, plus on découvre que s'ils
font capables de tromper, ils ne trompent
pas long- temps , leur gêne & leur contrainte
les trahit.
Paroiffes ici , hommes vicieux , & fouf
frez qu'on voye ce qui fe paffe dans le
fond de votre ame. Eft -il vrai que vous
n'eftimés pas la vertu , & que fes Amateurs
font l'objet de vos mépris , comme
ils le font quelquefois
de vos railleries &
de vos infultes Sçavez -vous bien accor
der vos fentimens
avec vos difcours ?
Quelle contradiction
étrange ! Ils fe fati
guent , ils fuent , ils s'expofent , fe facrifient
pour leurs paffions ; fouvent tout les
contredit , & jamais rien ne les rebute ;
chargés de mille chaînes qui les captivent,
ils perdentleur liberté : n'importe ; habiles
à charmer leur aveugle fureur , ils lui
donnent les noms les plus honorables
;
habileté , grandeur d'ame , nobleffe de
I Vol . coeur
2638 MERCURE DE FRANCÉ
coeur ; eft-il rien qui l'égale ! Mais qu'it
eft douloureux pour eux de ne pouvoir
faire taire une voix importune & fecrete
qui leur rappelle les charmes de l'aima-
Ble vertu, de cette précieuſe indépendan→
ce que la feule vertu donne ! On peut
s'agiter , s'étourdir , détourner les yeux
de ce port , d'où l'on s'eft éloigné par
une fole & aveugle conduite ; mais malgré
foy le coeur y rappelle : tels que dans
ces torrens rapides qui ravagent tout ce
qui s'oppofe à leur courſe , on voit fe
former des tourbillons , où les eaux fe
tournant vers leur fource , femblent fe
repentir de leur violence & porter envie
à la noble tranquillité de ces Fleuves bien
faifants & paifibles , qui répandent par
tout & la fertilité & l'abondance.
L'ambitieux , efclave de fa fortune , facrifie
inutilemment à cette Divinité inconſtante
& aveugle , fon repos & fa vie .
Que ne va-t'il chercher dans la modération
de la vertu , un bonheur qu'il cherche
vainement ailleurs ? bonheur qu'il
apperçoit , qu'il eftime , qu'il honore &
qu'il ne peut fe déterminer de gouter en
paix.
Trifte condition de l'homme vicieux !
toujours contraint de fe fuir lui- même,
d'être toujours en guerre avec fa propre
confcience , & de n'en pouvoir fouf-
I. Vol. frir
DECEMBRE. 1730. 2639
frir le regard critique. C'eft l'hommage
le plus honorable que le vice puiffe fendre
à la vertu , qui en tout bien differente
de lui , s'enveloppe de fon propre mérite ,
& fans courir de dangers , ni effuyer de
fatigues , fans traverſer les mers , ni franchir
les montagnes pour acquerir du relief
, pour fixer fur elle les regards des
hommes , fçait captiver leur eftime ; &
par la même force le vice à fe revêtir
du moins de fes apparences pour fe fau
ver de l'opprobre qui lui eft dû.
Hommage public & intereffant pour
elle. Oui , le vice dont le pouvoir eſt ſi
étendu & fi defpotique , emprunte les
dehors & les démarches de la vertu pour
affermir fon empire.
Ici naît le penible embarras où nous
nous trouvons , lorfqu'il s'agit de diftin
guer au vrai la vertu folide du vice tra
vefti. Tout est égal à nos yeux dans l'un
& dans l'autre. La vertu ne fçauroit faire
un gefte que le vice ne prétende fe rendre
propre, & qu'il ne fçache imiter . Pourroit-
il mieux faire connoître qu'il en fent
le mérite , que de n'ofer fe produire que
fous ces dehors empruntez.
Ne diſons rien de ces Monftres d'iniquité
que le vice met au jour , Monſtres
dont il rougit & qu'il defavoûë ; laiffons
part ces horribles, forfaits que le Soà
I. Vol leil
2640 MERCURE DE FRANCE
leil n'éclaire qu'à regret. Il eft un autre
vice , pour ainfi dire , civilifé , qu'on ne
diftingue de la vertu que par l'intention
qui le fait agir & par les projets qui l'occupent
, c'eft ce vice ainfi déguifé qui
tend hommage à la vertu en fe cachant
fous la vettu même.
Voyez-vous cet homme affable , gracieux
, prévenant ; remarquez cet air em
preffé à vous fervir , cette modeftie dans
fes prétentions , ce dégagement de fes
propres interêts. Ne diriez-vous pas que
c'eft la feule vertu qui le guide ? Non , on
ne s'y trompe plus ; on le laiffe faire , H
cherche à s'élever en fe rabaiffant ; bientôt
, fi la fortune le favorife , il fçait fe
dédommager de tous les facrifices que fa
paffion lui coûte , & on le voit confacrer
au vice les récompenfes de la vertu.
Tout le monde le fçait , & le vice ne
l'ignore pas . La feule vertu a droit de
plaire , elle feule mérite d'être avoiiée de
l'homme né pour être vertueux. Ainfi à
quelque prix que ce foit il faut être vertueux
ou le paroître , fi l'on cherche à
regner dans l'efprit & le coeur des hommes.
Et qui eft- ce qui ne le cherche pas ?
Neceffité indifpenfable aux vicieux mêmes
, & de- là cet hommage forcé que le
vice rend à la vertu ; mais en eft- il moins
glorieux pour elle ?
I. Vol:
DECEMBRE . 1730. 2641
Il n'eft donc plus de prétexte qui autorife
l'homme à ne pas fe ranger du parti de
la vertu . Mille raifons concourent à
prouver fon mérite . Son feul ennemi . le
vice eft forcé de lui rendre hommage. Les
difcours , les fentimens , les oeuvres de
cet ennemi dépofent en fa faveur . Pourquoi
faut-il que nous méconnoiffions nos
vrais interêts ? notre veritable bonheur?
notre folide gloire ?
Videbunt recti & lætabuntur & omnis
iniquitas oppilabit os fuum, Pfal . 106. v. 429
vice lui-même eft forcé de rendre hom
à la vertu.
mage
Left fi beau d'être vertueux , & la
I droite raifon trouve la vertu fi conforme
à fes premieres idées , qu'il n'y a
pas de quoi s'étonner fi les hommes dans
Tous les âges ont, à l'envi , fouhaité ou affecté
d'être vertueux , & s'ils ont accor
dé à la vertu les plus grands éloges..
L'amour de l'eftime & de la gloire, qui
remue avec tant d'empire & de fuccès les
refforts du coeur de l'homme , l'a toujours
déterminé à chercher fa véritable
grandeur dans le fein de la vertu , où
d'un Phantôme qu'il a pris pour elle.
Dvj Peut I.Vol
2632 MERCURE DE FRANCE
Peut- être que ces hommages confondus
avec les intérêts de l'amour propre , ne:
furent pas affez purs ; mais quoique la
vertu pût en reprouver les intentions
& les motifs , ils ont fervi à publier &
à étendre fa gloire.
i
L'Univers entier a confpiré à relever
fon excellence ; & ceux qui ont ignoré
Dieu même , fe font fait un merite de
la connoître & de la pratiquer.
Les Sages , les Philofophes , les Poë
tes , les Orateurs , les Guerriers & les Politiques
, tous ont voulu être du nombre
de fes amis. Les Arts & les Sciences ont
épuisé leurs talens , ont employé leurs
plus belles couleurs pour la peindre dans
tout fon éclat . Au milieu de tant de
gloire & d'honneur acquis à la vertu , ce
qui la diſtingue effentiellement , c'eſt de
n'avoir jamais trouvé d'autre ennemi que
le vice. Soit envie , chagrin , ou confufion
de la part de cet ennemi , l'oppofi
tion qui regne entre l'aimable vertu , &
ce monftre hydeux fera toujours une
fource de guerre : mais telle eft la fin de
Piniquité , elle fe dément elle- même , &
les traits injurieux du vice ne fervent
qu'à relever la vertu. C'eft ainfi que
contre fon intention il forme , façonne ,
embélit de ces propres mains la Cou
ronne dont il doit ceindre fa tête . Plus-
1. Vola il
DECEMBRE. 1730 : 3633
tâche à la déprifer , plus il la rend aimable
& précieufe , fes fatyres , & fes
dédains font pour elle un Panégyrique.
Ecoutons- le parler , pénétrons fes fentimens
, étudions fes démarches , nous le
verrons par tout forcé de rendre hom
mage à la vertu..
Il n'y a qu'à fe déprévenir , qu'à fixer
le veritable fens , & la valeur des expreffions
dont le vice fe fert pour dégrader
la vertu : Si nous les examinons de près ,
nous trouverons qu'au fond ces vaines
déclamations ne portent que fur l'erreur
& l'aveuglement , qui eft l'apanage du
vice. Ingénieux à fe féduire , il fe forme:
de foles chimeres qu'il prend plaifir à
combattre ; ainfi rehauffe t- il d'autant
plus l'éclatde la veritable vertu , qu'il s'ef
force de groffir les traits dont il peint ces
monftres difformes , qu'il voudroit con--
fondre avec elle. Aveugle , s'il ne peut entierement
fe cacher à fa vive lumiere , il
en détourne ce refte de vûë ; & cherchant
ailleurs les feules apparences de la vertu ,
il penfe triompher , s'il en montre le
vuide. Funefte illufion ! Que n'eft- il per--
mis à l'humble vertu de vaincre fa mo
deftie , elle triompheróit bien glorieufement
à fon tour de cet ennemi obſtiné
à lui nuire : mais il eft une victoire , qui
lui eft plus chere. Bien - tôt cet ennemi
Is-Kobo avouera
1634 MERCURE DE FRANCE
;
avouëra fa défaite, & fera forcé de préparer
le fuperbe Triomphe où il fera traîné
captif. En effet , il fe combat lui -même
& releve la vertu par où il femble voufoir
la détruire.
Il n'apperçoit pas , dit- il , de vraie vertu,
ce ne font que des apparences vaines, une
imitation frivole , un foible crayon qu'il
découvre , au lieu de ce parfait original ;
de cette réalité effective qu'il fe croyoit
en droit de trouver. Qu'if combatte tant
qu'il voudra ces apparences frivoles, qu'il
démafque cette imitation hipocrite , qu'il
confonde ce crayon imparfait. Qu'a- t'elle
à craindre , l'innocente vertu ou plutôt
qu'elle gloire pour elle ; que fon ennemi
apprenne aux hommes à reconnoître fes
véritables traits : & à la diftinguer de ces
phantômes qui ne lui reflemblent que
pour la trahir ! Non le vice ne l'attaque
point ouvertement ; il y auroit trop à
perdre pour lui , & trop de honte à ´effuyer
, de combatre à vifage découvert
contre la vertu , elle qui eft feule aimable
, & qui merite d'être adorée de toute
la terre.
Les combats qu'il lui livre font bien
differens des combats ordinaires. C'eft
par fes éloges qu'il l'attaque , c'est par
les portraits outrez & chimériques qu'il
en fait , qu'il veut l'élever au deffus de la
I. Vol
portée
DECEMBRE. 1730. 2635
portée des hommes , & dégouter ainfi de
fa fuivre fes amis les plus paffionez.
Envain cette fille du ciel vient- elle habiter
parmi les hommes : envain ſe montre-
t- elle avec cette majefté , cette grandeur
, cette nobleffe qui lui eft propre::
envain vient elle étaler aux yeux des
mortels , cette heureufe fimplicité, cette
innocence pure , ce défintereffement genereux
, toutes les qualitez qui forment
fon caractere ; fi elle ne paroît feule , le
vice , par les impoftures , s'atttibuë tout
fon mérite ,
, pour faire difparoitre à nos
yeux fes attraits raviffans.
Ne craignons pas pourtant qu'il lui
faffe du tort ; il ne la méconnoit qu'à
force d'en relever le mérite , & d'en concevoir
de brillantes idées. Conduite , à la
verité , injurieuſe à l'homme vertueux ,
mais toujours glorieufe à la vertu ; il veut
qu'elle foit fans deffaut , qu'elle brille de
toutes parts ,fans obfcurité , fans nuage ;
c'eft peut-être le feul endroit , par où le
vice entretient encore quelque commerce
avec la verité & la lumiere. Il a fauvé du
naufrage de toutes les idées du jufte & du
vrai la feule notion de l'integrité de la
vertu ; refte bien honorable pour elle.
Livrons lui donc fans crainte les
deffauts des hommes vertueux ; avouons
lui , s'il le faut , que malgré leurs efforts,
I.Vol.
ils
2636 MERCURE DE FRANCE
Ils ne peuvent point fe garantir de quelqu'une
de fes atteintes. Nous fçaurons
Bien-tôt les deffendré de ces réproches ;
mais qu'il foit forcé , ce perfécuteur in
jufte , de rendre hommage à la vraie
vertu , dont les deffauts des hommes ne
fçauroient jamais ternir l'éclat nila beauté.
Que dis-je , ne le rend- il pas cet hom-.
mage ? & puifque par tout où il recon →
noit fon empire , il dédaigne de retrouver
la vertu . N'avoue- t-il pas qu'elle lui
eft toujours contraire , & que l'augufte'
privilege dont elle joüit , c'eſt de ne pouvoir
jamais fouffrir aucun commerce , ni
aucune liaiſon avec lui.
Pénétrons encore'fes fentimens en faveur
de la vertu ; ils vont plus loin que
fes paroles ; & cet hommage , tout muet
qu'il eft , ne releve pas ſeulement la verta ,
il honore encore infiniment les hommes
vertueux .
Faifons au vice , pour un inftant , la
plus grande grace que nous puiffions lui
faire ; donnons- lui un peu de bonne foi
& de candeur. Qu'il mette au jour fes
fentimens les plus intimes. Amateurs de
la vertu , voici votre éloge , & un éloge
qui n'eft point flaté . Déja j'apperçois au
fond de fon coeur ce fentiment gravé en¹
caracteres inéfaçables : VOUS ESTES PLUS
JUSTE QUE MOY. La haine , le dépit , l'en--
J. Volo vie
DECEMBRE. 1730. 2637
vie , la jaloufie , n'ont pû étouffer ce cri
interieur. Qu'il eft doux à la vertu & à
fes Partifans , de trouver dans le fein du
vice , de quoi le faire rougir , & fans infulter
à fon impuiffante malice , de quoi
le confondre par un fimple regard.
,
Telle eft cependant la fituation du vice
& de fes efclaves , ils ont beau affecter une
contenance affurée un air content &
tranquille ; on les approfondit , & plus
on les penetre, plus on découvre que s'ils
font capables de tromper, ils ne trompent
pas long- temps , leur gêne & leur contrainte
les trahit.
Paroiffes ici , hommes vicieux , & fouf
frez qu'on voye ce qui fe paffe dans le
fond de votre ame. Eft -il vrai que vous
n'eftimés pas la vertu , & que fes Amateurs
font l'objet de vos mépris , comme
ils le font quelquefois
de vos railleries &
de vos infultes Sçavez -vous bien accor
der vos fentimens
avec vos difcours ?
Quelle contradiction
étrange ! Ils fe fati
guent , ils fuent , ils s'expofent , fe facrifient
pour leurs paffions ; fouvent tout les
contredit , & jamais rien ne les rebute ;
chargés de mille chaînes qui les captivent,
ils perdentleur liberté : n'importe ; habiles
à charmer leur aveugle fureur , ils lui
donnent les noms les plus honorables
;
habileté , grandeur d'ame , nobleffe de
I Vol . coeur
2638 MERCURE DE FRANCÉ
coeur ; eft-il rien qui l'égale ! Mais qu'it
eft douloureux pour eux de ne pouvoir
faire taire une voix importune & fecrete
qui leur rappelle les charmes de l'aima-
Ble vertu, de cette précieuſe indépendan→
ce que la feule vertu donne ! On peut
s'agiter , s'étourdir , détourner les yeux
de ce port , d'où l'on s'eft éloigné par
une fole & aveugle conduite ; mais malgré
foy le coeur y rappelle : tels que dans
ces torrens rapides qui ravagent tout ce
qui s'oppofe à leur courſe , on voit fe
former des tourbillons , où les eaux fe
tournant vers leur fource , femblent fe
repentir de leur violence & porter envie
à la noble tranquillité de ces Fleuves bien
faifants & paifibles , qui répandent par
tout & la fertilité & l'abondance.
L'ambitieux , efclave de fa fortune , facrifie
inutilemment à cette Divinité inconſtante
& aveugle , fon repos & fa vie .
Que ne va-t'il chercher dans la modération
de la vertu , un bonheur qu'il cherche
vainement ailleurs ? bonheur qu'il
apperçoit , qu'il eftime , qu'il honore &
qu'il ne peut fe déterminer de gouter en
paix.
Trifte condition de l'homme vicieux !
toujours contraint de fe fuir lui- même,
d'être toujours en guerre avec fa propre
confcience , & de n'en pouvoir fouf-
I. Vol. frir
DECEMBRE. 1730. 2639
frir le regard critique. C'eft l'hommage
le plus honorable que le vice puiffe fendre
à la vertu , qui en tout bien differente
de lui , s'enveloppe de fon propre mérite ,
& fans courir de dangers , ni effuyer de
fatigues , fans traverſer les mers , ni franchir
les montagnes pour acquerir du relief
, pour fixer fur elle les regards des
hommes , fçait captiver leur eftime ; &
par la même force le vice à fe revêtir
du moins de fes apparences pour fe fau
ver de l'opprobre qui lui eft dû.
Hommage public & intereffant pour
elle. Oui , le vice dont le pouvoir eſt ſi
étendu & fi defpotique , emprunte les
dehors & les démarches de la vertu pour
affermir fon empire.
Ici naît le penible embarras où nous
nous trouvons , lorfqu'il s'agit de diftin
guer au vrai la vertu folide du vice tra
vefti. Tout est égal à nos yeux dans l'un
& dans l'autre. La vertu ne fçauroit faire
un gefte que le vice ne prétende fe rendre
propre, & qu'il ne fçache imiter . Pourroit-
il mieux faire connoître qu'il en fent
le mérite , que de n'ofer fe produire que
fous ces dehors empruntez.
Ne diſons rien de ces Monftres d'iniquité
que le vice met au jour , Monſtres
dont il rougit & qu'il defavoûë ; laiffons
part ces horribles, forfaits que le Soà
I. Vol leil
2640 MERCURE DE FRANCE
leil n'éclaire qu'à regret. Il eft un autre
vice , pour ainfi dire , civilifé , qu'on ne
diftingue de la vertu que par l'intention
qui le fait agir & par les projets qui l'occupent
, c'eft ce vice ainfi déguifé qui
tend hommage à la vertu en fe cachant
fous la vettu même.
Voyez-vous cet homme affable , gracieux
, prévenant ; remarquez cet air em
preffé à vous fervir , cette modeftie dans
fes prétentions , ce dégagement de fes
propres interêts. Ne diriez-vous pas que
c'eft la feule vertu qui le guide ? Non , on
ne s'y trompe plus ; on le laiffe faire , H
cherche à s'élever en fe rabaiffant ; bientôt
, fi la fortune le favorife , il fçait fe
dédommager de tous les facrifices que fa
paffion lui coûte , & on le voit confacrer
au vice les récompenfes de la vertu.
Tout le monde le fçait , & le vice ne
l'ignore pas . La feule vertu a droit de
plaire , elle feule mérite d'être avoiiée de
l'homme né pour être vertueux. Ainfi à
quelque prix que ce foit il faut être vertueux
ou le paroître , fi l'on cherche à
regner dans l'efprit & le coeur des hommes.
Et qui eft- ce qui ne le cherche pas ?
Neceffité indifpenfable aux vicieux mêmes
, & de- là cet hommage forcé que le
vice rend à la vertu ; mais en eft- il moins
glorieux pour elle ?
I. Vol:
DECEMBRE . 1730. 2641
Il n'eft donc plus de prétexte qui autorife
l'homme à ne pas fe ranger du parti de
la vertu . Mille raifons concourent à
prouver fon mérite . Son feul ennemi . le
vice eft forcé de lui rendre hommage. Les
difcours , les fentimens , les oeuvres de
cet ennemi dépofent en fa faveur . Pourquoi
faut-il que nous méconnoiffions nos
vrais interêts ? notre veritable bonheur?
notre folide gloire ?
Videbunt recti & lætabuntur & omnis
iniquitas oppilabit os fuum, Pfal . 106. v. 429
Fermer
Résumé : DISCOURS sur ces paroles : Le vice lui-même est forcé de rendre hommage à la vertu.
Le discours met en avant la supériorité de la vertu sur le vice. La vertu est décrite comme intrinsèquement belle et conforme à la raison, ce qui explique pourquoi elle a été aspirée et louée par les hommes de tous les âges. L'amour de l'estime et de la gloire pousse les individus à rechercher la véritable grandeur dans la vertu, bien que leurs motivations puissent parfois être mêlées à l'amour-propre. Le vice, malgré ses tentatives de dénigrer la vertu, ne fait que la magnifier. Les arts, les sciences, les sages, les philosophes, les poètes, les orateurs, les guerriers et les politiques ont tous célébré la vertu. En s'opposant à la vertu, le vice ne fait que renforcer son éclat. Les attaques du vice contre la vertu se retournent contre lui-même, car elles mettent en lumière les qualités de la vertu. Le vice, aveuglé par son propre aveuglement, ne peut cacher la lumière de la vertu. Il est forcé de reconnaître la supériorité de la vertu, même s'il essaie de la déprécier. Les hommes vicieux, malgré leurs efforts pour se déguiser en vertueux, finissent par révéler leur véritable nature. La vertu, par sa simplicité et son innocence, reste inébranlable et mérite d'être adorée. Le texte conclut en affirmant que la vertu est indispensable pour le bonheur et la gloire des hommes. Même le vice, malgré ses efforts pour la dénigrer, est forcé de lui rendre hommage. Il n'y a donc aucune excuse pour ne pas embrasser la vertu, car elle est la seule voie vers le véritable bonheur et la gloire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
41
p. 2887-2900
Elegies de M. L. B. C. avec un Discours sur ce genre de Poesie, & quelques autres Piéces, &c. [titre d'après la table]
Début :
ELEGIES de M. L. B. C. avec un Discours sur ce genre de Poësie & quelques [...]
Mots clefs :
Élégie, Amour, Poésie, Tendresse, Coeur, Femmes, Auteur, Vertu, Hommes, Crime
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Elegies de M. L. B. C. avec un Discours sur ce genre de Poesie, & quelques autres Piéces, &c. [titre d'après la table]
ELEGIES de M. L. B. C. avec un
Difcours fur ce genre de Poëfie & quelques
autres Pieces du même Auteur. A
Paris , chez Chaubert , à l'entrée du Quay
des Auguftins , 1731. in 12. de 163. pages.
Cet Ouvrage eft de M. le Blanc , de la
Societé Académique des Arts , déja con-
II Vol.
F nu .
2888 MERCURE DE FRANCE
nu par plufieurs petites Pieces , tant en
Prole qu'en Vers , imprimées dans nos
Mercures , dans le Journal des Sçavans , les
Memoires de Litterature & autres femblables
Recueils , qui depuis long- temps
avoient donné lieu au Public d'attendre
de l'Auteur ce qui en paroît aujourd'hui.
Comme cet Ouvrage eft tout à fait nouveau
, & que d'ailleurs il eft tout autre
chofe que ce que le titre femble
tre , nous ne pouvons nous difpenfer ,
attendu fa fingularité , d'en donner l'Extrait,
& nous pouvons affurer par avance
qu'il feroit très-injufte de le juger fur
l'Affiche . On connoît bien des Elegies
, mais on ne connoît pas celles - cy ;
elles font prefque toutes ennuyeufes , &
celles-cy ne le font pas.
promet-
Il n'y a qu'une voix parmi les gens de
Lettre fur le Difcours ; tous l'ont approuvé:
il eft du nombre de ceux dont on
ne peut guere faire l'Extrait qu'en les
défigurant , & qu'on eft obligé de copier
pour en donner l'idée . On démêle fans
peine les beautez qui fe trouvent noïées
dans un Ouvrage , quand il eft fait avec
art , on craint toujours d'en perdre quelqu'une.
M. le Blanc commence par juftifier le
deffein qu'il a pris de traiter de l'Elegie
par la neceffité où il eft de faire voir l'in
-
II. Vol.
justice
DECEMBRE . 1730. 288 9.
juftice du mépris que quelques-uns ont
eu jufqu'ici pour ce Poëme. Par fa nature
elle n'eft autre chofe que la plainte d'un
amour mécontent.
Grand fond pour la Poëfie , la plainte
étant fi naturelle à l'homme . Et une plainte
amoureuſe ne peut qu'être interreffante.
Le IV. Livre de Virgile , le Monologue
d'Amarillis dans le Paftor Fido ,
Berenice , toutes nos Tragedies enfin en
font de fûrs garants. Un homme malheureux
dans fon amour , dit l'Auteur , une
femme traversée dans fa paſſion , ſçauront
toujours nous attendrir , pourvû qu'ils fçachent
fe plaindre. Tout le monde s'intereffe
au fort des malheureux , fouvent même de
ceux qui méritent de l'être , & c. Nous n'aimonspas,
continue-il , qu'un autre nous vante
fon bonheur, parce qu'il fe met , pour ainfi
dire, au-deffus de nous nous nous plaifons
à lui entendre raconter fes infortunes , parce
qu'il femble par-là reconnoître notre fuperiorité.
Il nous prend pour Juges entre le fort
& lui. Voilà comme notre amour propre eft
la caufe de tous nos mouvemens & la ſource
de tous nos plaifirs . Mais quand on eft malbeureux
fans l'avoir merité , on eft für d'être
plaint , d'être aimé , fouvent même d'être admiré.
Je dirois volontiers que pour un honnête
homme , c'est une espece de bonheur que
d'être malheureux . Voilà , felon l'Auteur ,
II. Vol. се
Fij
2890 MERCURE DE FRANCE
ce qui caufe l'interêt que l'on prend à
la Tragédie, & ce qui par confequent doit
caufer celui de l'Elegie.
M. le Blanc explique enfuite les condi
tions qu'elle doit avoir pour produire ces
effets. Il exige fur tout qu'elle foit naturelle
& remplie de fentimens, & rejette
tous les ornemens frivoles dont la Poëfic
eft quelquefois fufceptible , & où l'efprit
a plus de part que le coeur. Il faut ,
dit- il , de la tendreffe & non de la fadeur,
de la délicateffe & non de l'affectation.
Il faut que le coeur feul parle dans l'Elegie.
Après cela l'Auteur expofe les fujets
dont elle eft fufceptible , & paffe tout
de fuite à l'examen des Auteurs Elegiaques
, tant anciens que modernes. Après
avoir rendu juſtice aux Elegiaques Latins ,
Tibulle , Properce , Ovide , il cherche
la caufe du peu de fuccès des Auteurs
François en ce genre ; & la raifon qu'il
en donne , c'est que les veritables Poëtes ne
font des Elegies que lorfqu'ils ne font encore
qu'écoliers , & que ceux qui ne le font pas
Je flatent trop aifément d'y réuffir. Les uns
la regardent comme le Rudiment de la Poëfie,
les autres comme l'Alphabet ; mais
les uns les autres fe trompent & l'aviliffent
, &c.
L'Auteur prévient enfuite l'accufation
11. Vol. qu'on
DECEMBRE. 1730. 2891
qu'on pourroit lui faire de la témericé
qu'il y a de courir une carrière ſi funeſte
à tant d'autres. Leurs fautes , dit-il , m'ont
tenu lieu d'inftruction . Du moins , continuë-
t'il , je me fuis flaté qu'on me tiendroit
quelque compte de ce qu'en peignant les
paffions amoureuses , je ne l'ai pas fait d'une
maniere quifut capable deféduire . On écoute
volontiers les leçons des Poëtes : ils ne font
nififeveres que les Théologiens,ni fi fecs que
Les Philofophes. Enfin les hommes ne veulent
point de Maîtres & les Poëtes le font
fans le paroître. Il ajoûte à cela plufieurs
autres réfléxions auffi folides qu'ingenieuſes.
Comme dans les Elegies le ftile & le
fond , tout eft nouveau , il dit les taifons
qui l'ont porté à peindre les violence's
de l'amour plutôt que fes douleurs. Le
veritable but de la Poëfie , de quelque efpece
qu'elle foit , dit M. le Blanc , doit tendre à
corriger les hommes. Un Poëte doit faire refpecter
& aimer la vertu , hair & fuir le
vice , plaindre& appréhender les foibleffes :
& des Elegies doucereufes , qui feroient
affez bonnes pour fe faire lire , opéreroient
tout le contraire. L'amour eft tel qu'on ne
peut en parler fans l'infpirer , ou fans le faire
craindre. Qu'on nous le reprefente dans fa
naiffance , ce n'est que jeu , que badinage ,
que plaifir ; quoi de plus féduifant ? Dan's
II. Vol. Fiij fes
2892 MERCURE DE FRANCE
fes excès ce n'eft que pleurs , qu'ennuis , que
defefpoirs quoi de plus terrible !
....
Il n'a fait parler que des femmes dans
fes Elegies, & voici pourquoi : Le langage
de l'amourfied bien mieux dans leur bouche
Et elles en pouffent la délicateſſe &
les violences à un plus haut point que nous.
C'est ce qu'un Poëte doit obferver dans fes
Ouvrages. Et delà vient que Corneille , de
même que Virgile , donne plutôt les excès
d'amour aux femmes qu'aux hommes , de
peur de dégrader fes Heros , & c.
Quoiqu'il n'y ait pas de Livre où l'on
n'ait parlé de l'Amour & des femmes &
que la matiere paroiffe devoir être épuifée
, le Difcours de M. le Blanc contient
des chofes fi neuves & fi fenfées , que
nous ne pouvons nous empêcher d'en
copier ici quelques morceaux.
Elles ont tant de peine , dit-il , à avoйer
qu'elles aiment , que fouvent elles en donnent
des marques avant que d'en convenir. Mais
une femme qui fait tant que d'aimer & de
de le dire , veut abfolument être aimée , &
quand même elle vous aimeroit fans votre
confentement , c'est un crime envers elles que
de n'avoir pas du retour .
Enfin l'honneur qui leur deffend l'amour,
leur doit encor infpirer desfentimens pluo vifs:
ce n'est que le retourqu'on a pour leur tendreffe
qui peut les raffurerfur ce point.... Une femme
II. Vol.
me
DECEMBRE. 1730. 2893 "
qui n'aime pas un homme dont elle eft aimée ,
croit qu'elle ne fait que fondevoir. En aimet-
elle un autre & fans trouverdu retouric'eft un
affront , c'est une injustice , c'est un crime
qui merite la mort. Manque -t-elle de foi
envers fon Amant ? qu'il s'en confole. En
manque-t'il envers elle ? qu'il prenne garde
à lui. Le Sexe alors quitte toute fa foibleffe
& devient intrépide : fa haine eft irréconciliable
& fa vengeance à craindre.
Les premieres impreffions que les femmes
reçoivent , ce font les defirs ; elles en ontlors
même qu'elles en ignorent encore le but
& bientôt après ellespeuvent êtrefans Amans
mais non pas fans amour. Enfin toutes les
femmes n'aiment pas , mais toutes aiment a
aimer: & quand elles n'auroient pas reçu de
la Nature ce penchant à la tendreffe , l'éducation
& l'habitude le leur inspireroient.
L'amourfait leur unique occupation dés leur
tendre enfance , car envain teur deffend-on
d'aimer en leur apprenant les moyens deplaire
, & c.
Nous fommes obligez malgré nous de
rous en tenir là pour parler des Elegies
mêmes . Elles font au nombre de douze
d'environ cent Vers chacune ; & malgré
des bornes fi étroites , toutes très- intereffantes
, on les pourroit à bon droit nommer
des Monologes de Tragedie. Le Lecteur
en jugera par les deux dont nous
II. Vol.
F iiij allons
2894 MERCURE DE FRANCE
allons faire l'Extrait : le choix , au refte ,
nous a fort embarraffez & nous avons
prefque été contraints de nous en remettre
au hazard.
Fulvie , qui eft la IV. eft une Amante
qui fe plaint de la trahison de fon Amant,
qu'elle vient de furprendre dans le tems
qu'il engageoit fa foi à une autre. Elle
commence ainſi :
Où fuis -je ? Dieux , pourquoi me rendez - vous
la vie !
De quels nouveaux tourmens fera-t'elle fuivie
Après le coup affreux qui vient de m'accabler,
A la vie , aux douleurs . Pourquoi me rappeller,
Ah ! perfide Créon , &c.
Voici comme elle continue fes plaintes.
Aux pieds de ma Rivale, oui, c'eft là que le traître,
Lui juroit une foi dont il n'étoit plus maître ,
Lui promettoit de vivre à jamais fous fa Loi ,
De ne me plus revoir , de renoncer à moi ;
Et lorfque j'aurois dû par la mort la plus promte
Effacer dans fon fang & fon crime & ma honte ,
Ma force m'abandonne. Helas ! mon foible coeur,
Au lieu de fe venger, fuccombe à ſon malheur,&c.
Delà elle paffe à des Projets de fa vengeance
que fa tendreffe lui empêche toujours
d'executer : elle veut lui pardonner,
mais enfin la fureur l'emporte fur la foiblefle.
Qüi ,
DECEMBRE. 1730. 2895
Oui , je veux que ma main à tous les deux fatale
Immole entre tes bras mon indigne Rivale ,
Pour lui donner ton coeur tu fçûs me l'arracher ,
Ingrat , c'eft dans le tien que je l'irai chercher
, &c.
On y trouve de tems en tems des morceaux
de la plus grande force ; le Lecteur
en jugera par celui - cy.
Mon fexe dangereux , quoique foible & timide,
Outré dans fon amour fut toûjours intrépide ;
Les meurtres , les poiſons , mille crimes divers
N'ont que trop par nos mains effrayé l'Univers.
3
Fulvie continue & termine cette Elegie
fur le ton qu'elle l'a commencée , c'est - àdire,
par des emportemens qui ne fieroient
pas mal dans la bouche même d'Hermione
, & que Racine peut-être n'auroit pas
defavoüés.
Déja par les fureurs où mon ame s'emporte ,
La haine dans mon coeur fe montre la plus forte
La pitié , les remords lui font place à leur tour ,
Et je fens à la fin que je n'ai plus d'amour .
Où du moins fi. c'eſt lui , qui malgré moi m'entraîne
,
C'est un amour cent fois plus cruel que là haîner
Moi -même en cet inftant, il me glace d'horreur
Ah ! cet excès d'amour en eft un de fureur.
II. Vol. C'cx F v
2896 MERCURE DE FRANCE
C'en eft fait . Livrons - nous aux tranſports de ma
rage ,
Et c'eft peu du trépas de celle qui m'outrage ,
Il faut punir l'ingrat qui vient de me trahir ,
Du moins de ce qu'envain je voudrois le haïr ,
L'un pour l'autre ils ont beau ſe
vivre ,
promettre de
Ils mourront , & contente auffi- tôt de les fuivre ,
Moi-même de mes jours je romprai le lien ,
Pour punir leur amour & contenter le mien .
On voit par ce morceau feul que des
Elégies de cette elpece doivent produire
toute autre chofe que l'ennui , & que
par l'interêt que le coeur y prend & la
chaleur dont elles font écrites , elles pourroient
bien plutôt operer l'infomnie.
M. le Blanc qui a intitulé Thamire la
onziéme Elegie , y reprefente une femme
extrémement aimable , & éperdument
amoureuſe de fon époux , qui après avoir
paffé trois ans avec elle dans une union
& une joye parfaite , a été obligé de la
quitter pour fuivre la gloire & fervir fon
Roi. Il y a long- tems qu'elle n'a reçû
de fes nouvelles uniquement occupée à
le regretter , elle fait un fonge qui l'effraye
, c'eft dans cette fituation qu'elle
lui écrit. Nous paffons mille chofes trèstouchantes
& très - patéthiques , comme
la Relation du fonge , les marques de
II. Vola tendreffe
DECEMBRE. 1730. 2897
tendreffe qu'elle lui donne , pour donner
tout entier un morceau où le Poëte
exprime avec tant de force les avantages
de l'amour conjugal .
Non ce n'eft qu'un lien fi faint , fi légitime ,
Qui peut nous rendre heareux . Que procure le
crime ?
Des momens de plaifir courts & tumultueux :
Le vrai bonheur eſt fait pour les coeurs vertueux.
L'Amour qui joint deux coeurs également fideles,
Reçoit de la vertu mille graces nouvelles ,
Qui nous charment toujours , ne nous laffent
jamais.
L'innocence peut feule en conferver la paix ;
Rien ne l'altere alors . L'objet que l'on poffede
Ne refroidit qu'autant qu'un autre lui fuccede ;
Les defirs fatisfaits tariffent les plaifirs ,
*
Mais tant qu'on s'aime on a toujours mille
defirs.
La plainte que Thamire ajoûte fur ce
que la gloire , fon unique Rivale , lui a
enlevé fon époux , ne font pas moins
touchantes . Delà elle paffe à des Refićxions
fur la valeur de fon époux , fur
le péril qu'il court , fur le fort des armes,
elle lui rappelle la tendreffe de leurs
adieux , qui font du moins auffi touchans
que ceux d'Hector & d'Andromaque ;
enfin elle finit en le priant de ne pas
II. Vol. F vj tarder
2898 MERCURE DE FRANCE
tarder à lui donner de fes nouvelles.
Ce Tableau fi touchant de la tendreffe
conjugale , n'eft pas la feule Piece accomplie
de ce Recueil . La XII. Elegie eft encore
une espece de chef-d'oeuvre en ce
genre. C'eft la plainte d'une fille que fes
parens ont faite Religieufe avant que l'â
ge lui eût donné le tems de connoître le
monde. L'Amour vient la troubler au
' fond de fa retraite , les combats qui fe
livrent dans fon coeur , entre la vertu &
la paffion , la déchirent de mille remords ;
mais enfin la vertu triomphe & calme le
defordre de fon ame. Ce fujet , tout délicat
qu'il paroît , eft très heureuſement
manié , les moeurs y font obfervées & la
Religion même n'en devient que plus ref
pectable.
Les autres Elegies & les Poëfies diverfes
qui font à la fuite , contiennent beaucoup
d'autres beautez que nous ne pouvons
renfermer dans les bornes d'un Extrait
; ainfi nous laifferons au Public la
fatisfaction de les voir & de les examinier
dans leur veritable place. Il y a
long- tems qu'on n'a imprimé de Livre de
Poëlie dont le titre promît moins de fuccès,
& qui en doive avoir un plus grand.
Il est dédié à S. A. S. Monfeigneur le
Comte de Clermont , & on ne fera pas
fâché de voir ici les Vers que M. le Blane
II. Vol.
cut
DECEMBRE. 1730. 2899
eut l'honneur de lire à S. A. S. le jour
qu'il lui préfenta fon Ouvrage , d'autant
plus qu'ils ne font imprimez nulle
>
>
part..
Jeune fur les bords du Permeffe ,
J'ai chanté des Sujets divers ,
Et ce font aujourd'hui ces Vers ,
Que je confacre à Votre Alteffe ;
Mais mes efforts font impuiffans
GRAND PRINCE , quand je veux décrire
Tant de vertus qu'en vous j'admire ,
Et qui méritent notre encens ;
Au fen que mon zele m'inſpire
Ma Mufe ne fçauroit fuffire :
Rien n'exprime ce que je fens..
Ainfi déplorant ma foibleffe ,
Je ne m'en prens qu'à ma jeuneffe ,.
Et telle eft notre vanité ;
Oui, PRINCE , fur tout à mon âge ,
Tout paroît manquer de courage ,
Et même l'incapacité.
Peut être d'un orgueil extrême ,.
Pourrois-je encore être repris ,
Et c'eft paroître trop furpris ,
De ma foibleffe & de moi-même..
Car enfin Virgile autrefois ,
Avant que de chanter d'Augufte ,.
Et les Vertus & les Exploits,
II. Vol
2990 MERCURE DE FRANCE
"
A Coridon prêta ſa voix ,
Et fouvent fous un tendre Arbufte ,
Chanta les Bergers & leurs Loix.
•
Devois- je montrer plus d'audace ?
Toutes fois fi quelque fuccès ,
Couronnoit mes foibles Effais ,
Si moi- même fur le Parnaſſe ,
J'obtenois un jour une place ,
Prince , je n'y chanterois plus ,
Que vos bienfaits & vos Vertus.
Difcours fur ce genre de Poëfie & quelques
autres Pieces du même Auteur. A
Paris , chez Chaubert , à l'entrée du Quay
des Auguftins , 1731. in 12. de 163. pages.
Cet Ouvrage eft de M. le Blanc , de la
Societé Académique des Arts , déja con-
II Vol.
F nu .
2888 MERCURE DE FRANCE
nu par plufieurs petites Pieces , tant en
Prole qu'en Vers , imprimées dans nos
Mercures , dans le Journal des Sçavans , les
Memoires de Litterature & autres femblables
Recueils , qui depuis long- temps
avoient donné lieu au Public d'attendre
de l'Auteur ce qui en paroît aujourd'hui.
Comme cet Ouvrage eft tout à fait nouveau
, & que d'ailleurs il eft tout autre
chofe que ce que le titre femble
tre , nous ne pouvons nous difpenfer ,
attendu fa fingularité , d'en donner l'Extrait,
& nous pouvons affurer par avance
qu'il feroit très-injufte de le juger fur
l'Affiche . On connoît bien des Elegies
, mais on ne connoît pas celles - cy ;
elles font prefque toutes ennuyeufes , &
celles-cy ne le font pas.
promet-
Il n'y a qu'une voix parmi les gens de
Lettre fur le Difcours ; tous l'ont approuvé:
il eft du nombre de ceux dont on
ne peut guere faire l'Extrait qu'en les
défigurant , & qu'on eft obligé de copier
pour en donner l'idée . On démêle fans
peine les beautez qui fe trouvent noïées
dans un Ouvrage , quand il eft fait avec
art , on craint toujours d'en perdre quelqu'une.
M. le Blanc commence par juftifier le
deffein qu'il a pris de traiter de l'Elegie
par la neceffité où il eft de faire voir l'in
-
II. Vol.
justice
DECEMBRE . 1730. 288 9.
juftice du mépris que quelques-uns ont
eu jufqu'ici pour ce Poëme. Par fa nature
elle n'eft autre chofe que la plainte d'un
amour mécontent.
Grand fond pour la Poëfie , la plainte
étant fi naturelle à l'homme . Et une plainte
amoureuſe ne peut qu'être interreffante.
Le IV. Livre de Virgile , le Monologue
d'Amarillis dans le Paftor Fido ,
Berenice , toutes nos Tragedies enfin en
font de fûrs garants. Un homme malheureux
dans fon amour , dit l'Auteur , une
femme traversée dans fa paſſion , ſçauront
toujours nous attendrir , pourvû qu'ils fçachent
fe plaindre. Tout le monde s'intereffe
au fort des malheureux , fouvent même de
ceux qui méritent de l'être , & c. Nous n'aimonspas,
continue-il , qu'un autre nous vante
fon bonheur, parce qu'il fe met , pour ainfi
dire, au-deffus de nous nous nous plaifons
à lui entendre raconter fes infortunes , parce
qu'il femble par-là reconnoître notre fuperiorité.
Il nous prend pour Juges entre le fort
& lui. Voilà comme notre amour propre eft
la caufe de tous nos mouvemens & la ſource
de tous nos plaifirs . Mais quand on eft malbeureux
fans l'avoir merité , on eft für d'être
plaint , d'être aimé , fouvent même d'être admiré.
Je dirois volontiers que pour un honnête
homme , c'est une espece de bonheur que
d'être malheureux . Voilà , felon l'Auteur ,
II. Vol. се
Fij
2890 MERCURE DE FRANCE
ce qui caufe l'interêt que l'on prend à
la Tragédie, & ce qui par confequent doit
caufer celui de l'Elegie.
M. le Blanc explique enfuite les condi
tions qu'elle doit avoir pour produire ces
effets. Il exige fur tout qu'elle foit naturelle
& remplie de fentimens, & rejette
tous les ornemens frivoles dont la Poëfic
eft quelquefois fufceptible , & où l'efprit
a plus de part que le coeur. Il faut ,
dit- il , de la tendreffe & non de la fadeur,
de la délicateffe & non de l'affectation.
Il faut que le coeur feul parle dans l'Elegie.
Après cela l'Auteur expofe les fujets
dont elle eft fufceptible , & paffe tout
de fuite à l'examen des Auteurs Elegiaques
, tant anciens que modernes. Après
avoir rendu juſtice aux Elegiaques Latins ,
Tibulle , Properce , Ovide , il cherche
la caufe du peu de fuccès des Auteurs
François en ce genre ; & la raifon qu'il
en donne , c'est que les veritables Poëtes ne
font des Elegies que lorfqu'ils ne font encore
qu'écoliers , & que ceux qui ne le font pas
Je flatent trop aifément d'y réuffir. Les uns
la regardent comme le Rudiment de la Poëfie,
les autres comme l'Alphabet ; mais
les uns les autres fe trompent & l'aviliffent
, &c.
L'Auteur prévient enfuite l'accufation
11. Vol. qu'on
DECEMBRE. 1730. 2891
qu'on pourroit lui faire de la témericé
qu'il y a de courir une carrière ſi funeſte
à tant d'autres. Leurs fautes , dit-il , m'ont
tenu lieu d'inftruction . Du moins , continuë-
t'il , je me fuis flaté qu'on me tiendroit
quelque compte de ce qu'en peignant les
paffions amoureuses , je ne l'ai pas fait d'une
maniere quifut capable deféduire . On écoute
volontiers les leçons des Poëtes : ils ne font
nififeveres que les Théologiens,ni fi fecs que
Les Philofophes. Enfin les hommes ne veulent
point de Maîtres & les Poëtes le font
fans le paroître. Il ajoûte à cela plufieurs
autres réfléxions auffi folides qu'ingenieuſes.
Comme dans les Elegies le ftile & le
fond , tout eft nouveau , il dit les taifons
qui l'ont porté à peindre les violence's
de l'amour plutôt que fes douleurs. Le
veritable but de la Poëfie , de quelque efpece
qu'elle foit , dit M. le Blanc , doit tendre à
corriger les hommes. Un Poëte doit faire refpecter
& aimer la vertu , hair & fuir le
vice , plaindre& appréhender les foibleffes :
& des Elegies doucereufes , qui feroient
affez bonnes pour fe faire lire , opéreroient
tout le contraire. L'amour eft tel qu'on ne
peut en parler fans l'infpirer , ou fans le faire
craindre. Qu'on nous le reprefente dans fa
naiffance , ce n'est que jeu , que badinage ,
que plaifir ; quoi de plus féduifant ? Dan's
II. Vol. Fiij fes
2892 MERCURE DE FRANCE
fes excès ce n'eft que pleurs , qu'ennuis , que
defefpoirs quoi de plus terrible !
....
Il n'a fait parler que des femmes dans
fes Elegies, & voici pourquoi : Le langage
de l'amourfied bien mieux dans leur bouche
Et elles en pouffent la délicateſſe &
les violences à un plus haut point que nous.
C'est ce qu'un Poëte doit obferver dans fes
Ouvrages. Et delà vient que Corneille , de
même que Virgile , donne plutôt les excès
d'amour aux femmes qu'aux hommes , de
peur de dégrader fes Heros , & c.
Quoiqu'il n'y ait pas de Livre où l'on
n'ait parlé de l'Amour & des femmes &
que la matiere paroiffe devoir être épuifée
, le Difcours de M. le Blanc contient
des chofes fi neuves & fi fenfées , que
nous ne pouvons nous empêcher d'en
copier ici quelques morceaux.
Elles ont tant de peine , dit-il , à avoйer
qu'elles aiment , que fouvent elles en donnent
des marques avant que d'en convenir. Mais
une femme qui fait tant que d'aimer & de
de le dire , veut abfolument être aimée , &
quand même elle vous aimeroit fans votre
confentement , c'est un crime envers elles que
de n'avoir pas du retour .
Enfin l'honneur qui leur deffend l'amour,
leur doit encor infpirer desfentimens pluo vifs:
ce n'est que le retourqu'on a pour leur tendreffe
qui peut les raffurerfur ce point.... Une femme
II. Vol.
me
DECEMBRE. 1730. 2893 "
qui n'aime pas un homme dont elle eft aimée ,
croit qu'elle ne fait que fondevoir. En aimet-
elle un autre & fans trouverdu retouric'eft un
affront , c'est une injustice , c'est un crime
qui merite la mort. Manque -t-elle de foi
envers fon Amant ? qu'il s'en confole. En
manque-t'il envers elle ? qu'il prenne garde
à lui. Le Sexe alors quitte toute fa foibleffe
& devient intrépide : fa haine eft irréconciliable
& fa vengeance à craindre.
Les premieres impreffions que les femmes
reçoivent , ce font les defirs ; elles en ontlors
même qu'elles en ignorent encore le but
& bientôt après ellespeuvent êtrefans Amans
mais non pas fans amour. Enfin toutes les
femmes n'aiment pas , mais toutes aiment a
aimer: & quand elles n'auroient pas reçu de
la Nature ce penchant à la tendreffe , l'éducation
& l'habitude le leur inspireroient.
L'amourfait leur unique occupation dés leur
tendre enfance , car envain teur deffend-on
d'aimer en leur apprenant les moyens deplaire
, & c.
Nous fommes obligez malgré nous de
rous en tenir là pour parler des Elegies
mêmes . Elles font au nombre de douze
d'environ cent Vers chacune ; & malgré
des bornes fi étroites , toutes très- intereffantes
, on les pourroit à bon droit nommer
des Monologes de Tragedie. Le Lecteur
en jugera par les deux dont nous
II. Vol.
F iiij allons
2894 MERCURE DE FRANCE
allons faire l'Extrait : le choix , au refte ,
nous a fort embarraffez & nous avons
prefque été contraints de nous en remettre
au hazard.
Fulvie , qui eft la IV. eft une Amante
qui fe plaint de la trahison de fon Amant,
qu'elle vient de furprendre dans le tems
qu'il engageoit fa foi à une autre. Elle
commence ainſi :
Où fuis -je ? Dieux , pourquoi me rendez - vous
la vie !
De quels nouveaux tourmens fera-t'elle fuivie
Après le coup affreux qui vient de m'accabler,
A la vie , aux douleurs . Pourquoi me rappeller,
Ah ! perfide Créon , &c.
Voici comme elle continue fes plaintes.
Aux pieds de ma Rivale, oui, c'eft là que le traître,
Lui juroit une foi dont il n'étoit plus maître ,
Lui promettoit de vivre à jamais fous fa Loi ,
De ne me plus revoir , de renoncer à moi ;
Et lorfque j'aurois dû par la mort la plus promte
Effacer dans fon fang & fon crime & ma honte ,
Ma force m'abandonne. Helas ! mon foible coeur,
Au lieu de fe venger, fuccombe à ſon malheur,&c.
Delà elle paffe à des Projets de fa vengeance
que fa tendreffe lui empêche toujours
d'executer : elle veut lui pardonner,
mais enfin la fureur l'emporte fur la foiblefle.
Qüi ,
DECEMBRE. 1730. 2895
Oui , je veux que ma main à tous les deux fatale
Immole entre tes bras mon indigne Rivale ,
Pour lui donner ton coeur tu fçûs me l'arracher ,
Ingrat , c'eft dans le tien que je l'irai chercher
, &c.
On y trouve de tems en tems des morceaux
de la plus grande force ; le Lecteur
en jugera par celui - cy.
Mon fexe dangereux , quoique foible & timide,
Outré dans fon amour fut toûjours intrépide ;
Les meurtres , les poiſons , mille crimes divers
N'ont que trop par nos mains effrayé l'Univers.
3
Fulvie continue & termine cette Elegie
fur le ton qu'elle l'a commencée , c'est - àdire,
par des emportemens qui ne fieroient
pas mal dans la bouche même d'Hermione
, & que Racine peut-être n'auroit pas
defavoüés.
Déja par les fureurs où mon ame s'emporte ,
La haine dans mon coeur fe montre la plus forte
La pitié , les remords lui font place à leur tour ,
Et je fens à la fin que je n'ai plus d'amour .
Où du moins fi. c'eſt lui , qui malgré moi m'entraîne
,
C'est un amour cent fois plus cruel que là haîner
Moi -même en cet inftant, il me glace d'horreur
Ah ! cet excès d'amour en eft un de fureur.
II. Vol. C'cx F v
2896 MERCURE DE FRANCE
C'en eft fait . Livrons - nous aux tranſports de ma
rage ,
Et c'eft peu du trépas de celle qui m'outrage ,
Il faut punir l'ingrat qui vient de me trahir ,
Du moins de ce qu'envain je voudrois le haïr ,
L'un pour l'autre ils ont beau ſe
vivre ,
promettre de
Ils mourront , & contente auffi- tôt de les fuivre ,
Moi-même de mes jours je romprai le lien ,
Pour punir leur amour & contenter le mien .
On voit par ce morceau feul que des
Elégies de cette elpece doivent produire
toute autre chofe que l'ennui , & que
par l'interêt que le coeur y prend & la
chaleur dont elles font écrites , elles pourroient
bien plutôt operer l'infomnie.
M. le Blanc qui a intitulé Thamire la
onziéme Elegie , y reprefente une femme
extrémement aimable , & éperdument
amoureuſe de fon époux , qui après avoir
paffé trois ans avec elle dans une union
& une joye parfaite , a été obligé de la
quitter pour fuivre la gloire & fervir fon
Roi. Il y a long- tems qu'elle n'a reçû
de fes nouvelles uniquement occupée à
le regretter , elle fait un fonge qui l'effraye
, c'eft dans cette fituation qu'elle
lui écrit. Nous paffons mille chofes trèstouchantes
& très - patéthiques , comme
la Relation du fonge , les marques de
II. Vola tendreffe
DECEMBRE. 1730. 2897
tendreffe qu'elle lui donne , pour donner
tout entier un morceau où le Poëte
exprime avec tant de force les avantages
de l'amour conjugal .
Non ce n'eft qu'un lien fi faint , fi légitime ,
Qui peut nous rendre heareux . Que procure le
crime ?
Des momens de plaifir courts & tumultueux :
Le vrai bonheur eſt fait pour les coeurs vertueux.
L'Amour qui joint deux coeurs également fideles,
Reçoit de la vertu mille graces nouvelles ,
Qui nous charment toujours , ne nous laffent
jamais.
L'innocence peut feule en conferver la paix ;
Rien ne l'altere alors . L'objet que l'on poffede
Ne refroidit qu'autant qu'un autre lui fuccede ;
Les defirs fatisfaits tariffent les plaifirs ,
*
Mais tant qu'on s'aime on a toujours mille
defirs.
La plainte que Thamire ajoûte fur ce
que la gloire , fon unique Rivale , lui a
enlevé fon époux , ne font pas moins
touchantes . Delà elle paffe à des Refićxions
fur la valeur de fon époux , fur
le péril qu'il court , fur le fort des armes,
elle lui rappelle la tendreffe de leurs
adieux , qui font du moins auffi touchans
que ceux d'Hector & d'Andromaque ;
enfin elle finit en le priant de ne pas
II. Vol. F vj tarder
2898 MERCURE DE FRANCE
tarder à lui donner de fes nouvelles.
Ce Tableau fi touchant de la tendreffe
conjugale , n'eft pas la feule Piece accomplie
de ce Recueil . La XII. Elegie eft encore
une espece de chef-d'oeuvre en ce
genre. C'eft la plainte d'une fille que fes
parens ont faite Religieufe avant que l'â
ge lui eût donné le tems de connoître le
monde. L'Amour vient la troubler au
' fond de fa retraite , les combats qui fe
livrent dans fon coeur , entre la vertu &
la paffion , la déchirent de mille remords ;
mais enfin la vertu triomphe & calme le
defordre de fon ame. Ce fujet , tout délicat
qu'il paroît , eft très heureuſement
manié , les moeurs y font obfervées & la
Religion même n'en devient que plus ref
pectable.
Les autres Elegies & les Poëfies diverfes
qui font à la fuite , contiennent beaucoup
d'autres beautez que nous ne pouvons
renfermer dans les bornes d'un Extrait
; ainfi nous laifferons au Public la
fatisfaction de les voir & de les examinier
dans leur veritable place. Il y a
long- tems qu'on n'a imprimé de Livre de
Poëlie dont le titre promît moins de fuccès,
& qui en doive avoir un plus grand.
Il est dédié à S. A. S. Monfeigneur le
Comte de Clermont , & on ne fera pas
fâché de voir ici les Vers que M. le Blane
II. Vol.
cut
DECEMBRE. 1730. 2899
eut l'honneur de lire à S. A. S. le jour
qu'il lui préfenta fon Ouvrage , d'autant
plus qu'ils ne font imprimez nulle
>
>
part..
Jeune fur les bords du Permeffe ,
J'ai chanté des Sujets divers ,
Et ce font aujourd'hui ces Vers ,
Que je confacre à Votre Alteffe ;
Mais mes efforts font impuiffans
GRAND PRINCE , quand je veux décrire
Tant de vertus qu'en vous j'admire ,
Et qui méritent notre encens ;
Au fen que mon zele m'inſpire
Ma Mufe ne fçauroit fuffire :
Rien n'exprime ce que je fens..
Ainfi déplorant ma foibleffe ,
Je ne m'en prens qu'à ma jeuneffe ,.
Et telle eft notre vanité ;
Oui, PRINCE , fur tout à mon âge ,
Tout paroît manquer de courage ,
Et même l'incapacité.
Peut être d'un orgueil extrême ,.
Pourrois-je encore être repris ,
Et c'eft paroître trop furpris ,
De ma foibleffe & de moi-même..
Car enfin Virgile autrefois ,
Avant que de chanter d'Augufte ,.
Et les Vertus & les Exploits,
II. Vol
2990 MERCURE DE FRANCE
"
A Coridon prêta ſa voix ,
Et fouvent fous un tendre Arbufte ,
Chanta les Bergers & leurs Loix.
•
Devois- je montrer plus d'audace ?
Toutes fois fi quelque fuccès ,
Couronnoit mes foibles Effais ,
Si moi- même fur le Parnaſſe ,
J'obtenois un jour une place ,
Prince , je n'y chanterois plus ,
Que vos bienfaits & vos Vertus.
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Résumé : Elegies de M. L. B. C. avec un Discours sur ce genre de Poesie, & quelques autres Piéces, &c. [titre d'après la table]
L'ouvrage 'Élégies' de M. le Blanc, membre de la Société Académique des Arts, a été publié à Paris en 1731. Il comprend un discours sur le genre de la poésie élégiaque et plusieurs pièces de l'auteur. Contrairement aux élégies habituellement ennuyeuses, celles-ci ne le sont pas. Le discours de M. le Blanc sur l'élégie a été unanimement approuvé par les gens de lettres. Il justifie le mépris souvent réservé à ce genre de poésie, qu'il définit comme la plainte d'un amour mécontent. Il souligne que la plainte est naturelle à l'homme et qu'une plainte amoureuse est toujours intéressante, citant des exemples comme le IVe Livre de Virgile et le 'Pastor Fido'. M. le Blanc explique que l'élégie doit être naturelle et remplie de sentiments, rejetant les ornements frivoles. Il rend hommage aux élégiaques latins comme Tibulle, Properce et Ovide, et critique les auteurs français qui ne réussissent pas dans ce genre, souvent parce qu'ils le considèrent comme un rudiment de la poésie. L'auteur affirme que les erreurs des autres lui ont servi d'instruction et que le véritable but de la poésie est de corriger les hommes et de faire respecter la vertu. Les élégies de M. le Blanc se distinguent par leur style et leur fond nouveaux. Il choisit de peindre les violences de l'amour plutôt que ses douleurs, estimant que l'amour doit inspirer soit l'amour, soit la crainte. Il fait parler uniquement des femmes dans ses élégies, car le langage de l'amour convient mieux à leur bouche. L'ouvrage contient douze élégies, chacune d'environ cent vers, qualifiées de 'monologues de tragédie'. Deux extraits sont présentés : l'élégie 'Fulvie', où une amante se plaint de la trahison de son amant, et l'élégie 'Thamire', où une femme exprime son amour pour son époux parti à la guerre. Ces élégies sont marquées par des sentiments forts et des réflexions profondes sur l'amour et la vertu. Le recueil contient également d'autres élégies et poèmes divers, riches en beautés. Il est dédié à Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Comte de Clermont. Le poète exprime son admiration et son incapacité à décrire les vertus du prince, comparant son propre manque de courage à sa jeunesse. Il mentionne que Virgile, avant de chanter les exploits d'Auguste, avait chanté les bergers et leurs lois, suggérant humblement qu'il espère un jour pouvoir chanter les bienfaits et les vertus du prince s'il obtient du succès.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
42
p. 2953-2956
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Constantinople le 9. Octobre 1730. au sujet de la derniere Révolution arrivée dans cette Ville.
Début :
Je ne veux pas, Monsieur, vous laisser ignorer un Evenement aussi singulier qu'interessant, [...]
Mots clefs :
Hommes, Rebelles, Janissaires, Révolution
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre écrite de Constantinople le 9. Octobre 1730. au sujet de la derniere Révolution arrivée dans cette Ville.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de
Conftantinople le 9. Octobre 1730 , au sujet
de la derniere Révolution arrivée dans
cette Ville.
JE
E ne veux pas , Monfieur , vous laiffer ignorer
un Evenement auffi fingulier qu'intereffant ,
dont nous venons d'être les témoins. Sur la fin
du mois dernier , les Janniffaires fe révolterent.
fous un Chef nommé Patrona , c'eft un homme
qui avoit dépensé tout fon petit argent à ſe ménager
un équipage pour fuivre l'Armée Turque ,
deftinée contre la Perfe ; voyant qu'elle ne partoit
point, il employa la derniere Piaftre qui lui reftoit
11. Vela
2954 MERCURE DE FRANCE
à l'achat d'un Mouton , dont il régala fes Camarades
, au nombre de 12. Janniffaires . Après le
Repas il leur dit : Vous venez de manger tout ce
qui me reftoit au monde , demain je n'aurai
pas de quoi payer une taffe de Caffé ; fi vous êtes
gens
à
vous procurer une meilleure fortune, il n'y
a qu'à m'aider à fecouer le joug. Le complot fut
à peine projetté , qu'il fut exccuté ; ces douze
convives fe répandirent dans la Ville , en criant
Liberté , & ils exciterent une fédition qui a eu
des fuites très-confiderables , comme vous allez
le voir.
Si le G. S. eût eu la prudence d'étouffer d'abord
cette émeute , ce qui étoit facile , il ne feroit pas
réduit à l'état où il eft aujourd'hui ; mais ayant
méprifé tous les avis qui lui furent donnez , il fe
contenta de quitter fon Serrail d'Afie , pour venir
occuper celui d'Europe , il s'y enferma avec quelques
Pieces de Canon & des munitions de bouche
& de guerre pour trois mois. A peine y fut-il
entré qu'il arbora le Pavillon Imperial, & promit
20. Piaftres à tous ceux qui viendroient ſe ranger
deffous.On étoit fi mécontent du Gouvernement,
que perfonne ne bougea.
Le lendemain les Janniffaires qui n'étoient pas
plus de 12. le jour précedent , furent renforcez
par les Rebelles qui quittoient l'Armée, & par la
populace qu'ils contraignirent d'entrer dans leur
parti , par des promeffes ou par de mauvais traitemens.
Quand les Mutins fe virent les maîtres , ils allerent
en tumulte à la porte du Serrail, demander
qu'on leur livrât le G. V. le Capitan Pacha & le
Kiaya; le Sultan eut la foibleffe de les faire étrangler
tous trois , & il envoya leurs corps aux Rebelles
, qui vinrent lui faire audacieuſement des
reproches de ce qu'il ne les leur avoit pas livrez
II. Vol. en
DECEMBRE. 1730. 2955
en vie, ajoutant que c'étoit à eux de les faire mourir.
Ils pendirent ces cadavres par les pieds , leur
firent mille indignitez & les abandonnerent enfin
aux chiens.
Le Mufti fut arrêté quelque temps après , on
lui donna la qualité de Pacha , pour effacer en
quelque maniere le caractere dont il étoit revêtu ,
on le décapita enfuite. Il n'eſt pas permis de faire
mourir un Mufti qu'il n'ait été auparavant dégradé.
Le nombre des Grands que les Rebelles ont
profcrit eft de 90. la plupart ont pris la fuite ;
mais on en arrête tous les jours quelqu'un , auquel
les Rebelles font fouffrir les plus cruels fupplices.
De la maniere dont ils s'y prennent , il n'y
a pas d'apparence qu'aucun puiffe échapper à leur
fureur. Enfin le 30. Septembre ils dépoferent le
G. S. qu'ils mirent en prifon , & ils éleverent fur
le Trône Sultan Mahmout , Prince de grande efperance,
& fous lequel on fe flate que les chofes
prendront une meilleure face .
Il faut avouer que le Sultan dépofé s'eſt attiré
lui-même fa difgrace par le peu de part qu'il prenoit
au Gouvernement , duquel il fe repofoit entierement
fur le G. V. celui- cy en faifoit autant
à l'égard de fon Kiaya , qui étoit l'homme du
monde le plus méchant. Les autres Seigneurs
fuivoient , à l'envi , l'exemple du Maître.
&
On dit que Patrona , Chef de la Revolte , veut
obliger le nouvel Empereur à demeurer à Andrinople
, & de faire la guerre aux Chrétiens ,
qu'en attendant il lui fait dire de demeurer tranquille
& de le laiffer faire. Enfin cet homme qui
n'avoit pas le fol il y a 8. jours , eft aujoud'hui
le Maître à Conftantinople ; il eſt monté fur un
Cheval de mille Piaftres,& jette les Sequins à pleiges
mains. Il fit hier un Capitan Pacha, & il vient
II. Vol.
2956 MERCURE DE FRANCE
aujourd'hui de lui faire couper la tête : il a faiɛ
auffi un G. V. mais il le menace de le faire
mourir , s'il ne lui trouve dans trois jours un
certain homme qu'il lui demande. On dit qu'on.
a trouvé trente-cinq millions dans les Coffres du
Capitan Pacha.
Conftantinople le 9. Octobre 1730 , au sujet
de la derniere Révolution arrivée dans
cette Ville.
JE
E ne veux pas , Monfieur , vous laiffer ignorer
un Evenement auffi fingulier qu'intereffant ,
dont nous venons d'être les témoins. Sur la fin
du mois dernier , les Janniffaires fe révolterent.
fous un Chef nommé Patrona , c'eft un homme
qui avoit dépensé tout fon petit argent à ſe ménager
un équipage pour fuivre l'Armée Turque ,
deftinée contre la Perfe ; voyant qu'elle ne partoit
point, il employa la derniere Piaftre qui lui reftoit
11. Vela
2954 MERCURE DE FRANCE
à l'achat d'un Mouton , dont il régala fes Camarades
, au nombre de 12. Janniffaires . Après le
Repas il leur dit : Vous venez de manger tout ce
qui me reftoit au monde , demain je n'aurai
pas de quoi payer une taffe de Caffé ; fi vous êtes
gens
à
vous procurer une meilleure fortune, il n'y
a qu'à m'aider à fecouer le joug. Le complot fut
à peine projetté , qu'il fut exccuté ; ces douze
convives fe répandirent dans la Ville , en criant
Liberté , & ils exciterent une fédition qui a eu
des fuites très-confiderables , comme vous allez
le voir.
Si le G. S. eût eu la prudence d'étouffer d'abord
cette émeute , ce qui étoit facile , il ne feroit pas
réduit à l'état où il eft aujourd'hui ; mais ayant
méprifé tous les avis qui lui furent donnez , il fe
contenta de quitter fon Serrail d'Afie , pour venir
occuper celui d'Europe , il s'y enferma avec quelques
Pieces de Canon & des munitions de bouche
& de guerre pour trois mois. A peine y fut-il
entré qu'il arbora le Pavillon Imperial, & promit
20. Piaftres à tous ceux qui viendroient ſe ranger
deffous.On étoit fi mécontent du Gouvernement,
que perfonne ne bougea.
Le lendemain les Janniffaires qui n'étoient pas
plus de 12. le jour précedent , furent renforcez
par les Rebelles qui quittoient l'Armée, & par la
populace qu'ils contraignirent d'entrer dans leur
parti , par des promeffes ou par de mauvais traitemens.
Quand les Mutins fe virent les maîtres , ils allerent
en tumulte à la porte du Serrail, demander
qu'on leur livrât le G. V. le Capitan Pacha & le
Kiaya; le Sultan eut la foibleffe de les faire étrangler
tous trois , & il envoya leurs corps aux Rebelles
, qui vinrent lui faire audacieuſement des
reproches de ce qu'il ne les leur avoit pas livrez
II. Vol. en
DECEMBRE. 1730. 2955
en vie, ajoutant que c'étoit à eux de les faire mourir.
Ils pendirent ces cadavres par les pieds , leur
firent mille indignitez & les abandonnerent enfin
aux chiens.
Le Mufti fut arrêté quelque temps après , on
lui donna la qualité de Pacha , pour effacer en
quelque maniere le caractere dont il étoit revêtu ,
on le décapita enfuite. Il n'eſt pas permis de faire
mourir un Mufti qu'il n'ait été auparavant dégradé.
Le nombre des Grands que les Rebelles ont
profcrit eft de 90. la plupart ont pris la fuite ;
mais on en arrête tous les jours quelqu'un , auquel
les Rebelles font fouffrir les plus cruels fupplices.
De la maniere dont ils s'y prennent , il n'y
a pas d'apparence qu'aucun puiffe échapper à leur
fureur. Enfin le 30. Septembre ils dépoferent le
G. S. qu'ils mirent en prifon , & ils éleverent fur
le Trône Sultan Mahmout , Prince de grande efperance,
& fous lequel on fe flate que les chofes
prendront une meilleure face .
Il faut avouer que le Sultan dépofé s'eſt attiré
lui-même fa difgrace par le peu de part qu'il prenoit
au Gouvernement , duquel il fe repofoit entierement
fur le G. V. celui- cy en faifoit autant
à l'égard de fon Kiaya , qui étoit l'homme du
monde le plus méchant. Les autres Seigneurs
fuivoient , à l'envi , l'exemple du Maître.
&
On dit que Patrona , Chef de la Revolte , veut
obliger le nouvel Empereur à demeurer à Andrinople
, & de faire la guerre aux Chrétiens ,
qu'en attendant il lui fait dire de demeurer tranquille
& de le laiffer faire. Enfin cet homme qui
n'avoit pas le fol il y a 8. jours , eft aujoud'hui
le Maître à Conftantinople ; il eſt monté fur un
Cheval de mille Piaftres,& jette les Sequins à pleiges
mains. Il fit hier un Capitan Pacha, & il vient
II. Vol.
2956 MERCURE DE FRANCE
aujourd'hui de lui faire couper la tête : il a faiɛ
auffi un G. V. mais il le menace de le faire
mourir , s'il ne lui trouve dans trois jours un
certain homme qu'il lui demande. On dit qu'on.
a trouvé trente-cinq millions dans les Coffres du
Capitan Pacha.
Fermer
Résumé : EXTRAIT d'une Lettre écrite de Constantinople le 9. Octobre 1730. au sujet de la derniere Révolution arrivée dans cette Ville.
Le 9 octobre 1730, une révolte éclata à Constantinople, menée par un homme nommé Patrona. Après avoir partagé un repas avec douze camarades, Patrona les incita à se révolter contre le gouvernement en criant 'Liberté'. Cette sédition se propagea rapidement dans la ville. Le Grand Vizir (G. V.) tenta de réprimer la révolte mais se réfugia dans le Serrail d'Europe avec des munitions, offrant 20 piastres à ses soutiens sans succès. Le lendemain, les rebelles, renforcés par des déserteurs et la populace, demandèrent la livraison du G. V., du Capitan Pacha et du Kiaya. Le Sultan ordonna leur exécution, mais les rebelles pendirent leurs cadavres et les abandonnèrent aux chiens. Le Mufti fut arrêté, dégradé et décapité. Les rebelles poursuivirent et exécutèrent cruellement de nombreux Grands. Le 30 septembre, ils déposèrent le Sultan, jugé indifférent au gouvernement, et le remplacèrent par Sultan Mahmout. Patrona, chef de la révolte, chercha à influencer le nouvel Empereur, accumulant richesse et pouvoir. Il nomma et exécuta des hauts fonctionnaires à sa guise. On découvrit également trente-cinq millions dans les coffres du Capitan Pacha.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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43
p. 950-961
Traité de l'Opinion, &c. [titre d'après la table]
Début :
Nous avons promis dans le dernier Mercure de donner des Notions [...]
Mots clefs :
Chapitre, Histoire, Auteur, Esprit, Opinions, Temps, Livre, Philosophie, Hommes, Opinion
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Traité de l'Opinion, &c. [titre d'après la table]
Ous avons promis dans le dernier
Mercure de donner des Notions
plus étendues du Traité de l'opinion.
C'est satisfaire à cet engagement
,
que nous allons insérer icy une partie de
l'Extrait de cet Ouvrage déja devenu célébre.
Le Titre est heureux et bien rempli
; la variété des matiéres et l'abondance
des recherches fournissent d'excellens
Mémoires pour servir à l'Histoire de
'Esprit humain ; et ces Mémoires tendent
naturellement à nous convaincre
que l'opinion domine dans le plus grand
nombre des travaux que l'efprit entreprend
MAY. 1733
951
prend. Ce Traité contient le précis des
opinions les plus remarquables sur chaque
science , joint à des réfléxions d'un
grand discernement , et à plusieurs choses
nouvelles. D'un côté , les découvertes et
les progrès de l'esprit humain embellissent
son histoire ; de l'autre , les sentimens
les plus outrez , les faits les moins
honorables à l'esprit sont tournez à son
instruction et à son avantage par le but
général que cette lecture lui propose; les
sciences occultes sont tirées de l'obscurité
où elles affectent de se cacher. » Un
» Poëte moderne , dit l'Auteur , a appel-
» lé les Bibliothéques :
Des sottises de l'homme orgueilleuses archives:
» L'Esprit verra icy au contraire les tres-
» humbles archives d'un grand nombre
» de ses égaremens ; le moyen de répri-
» mer une curiosité illicite , c'est de la dé-
» sabuser pleinement , et pour ainsi dire,
» de l'assouvir.
L'Auteur avertit à la fin du premier
Chapitre , qu'il citera simplement par
leurs noms tous les Auteurs décédez ; et
c'est un exemple qui peut affranchir les
Gens de lettres de la bizarrerie d'un usage
, qui sans aucun fondement , traite
certains noms avec plus de distinction et
F de
952 MERCURE
DE FRANCE
de politesse les uns que les autres.
Après plusieurs réfléxions très-sensées
sur l'usage de la Science , on trouve une
Dissertation curieuse sur les Auteurs.Les
exemples des Souverains et des Grands
Seigneurs qui ont composé desOuvrages,
font connoître que les Lettres n'ont pas
toujours été regardées comme un obstacle
aux vertus militaires.
Le quatrième Chapitre prouve que
l'Eloquence consiste dans l'opinion . Le
sentiment de Longin et de Montagne ,
que l'Eloquence ne se forme que dans les
Képubliques , y est réfuté. Le Chapitre
qui suit , expose les reproches faits à la
Poësie et sa deffense ; il est principalement
rempli des jugemens contraires des
Critiques , des caprices , des productions
de l'esprit , et des variations du goût. Le.
sixième Chapitre contient plusieurs exemples
du Pyrrhonisme de l'Histoire, sur les
faits les plus importans. On trouve dans
le dernier Chapitre un précis des Opinions
Chronologiques , et de la supputation
du temps chez différents peuples.
L'explication des Périodes Julienne et
Louise , dont la premiere est de l'invention
de Joseph Scaliger , et la seconde
du Pere Jean-Louis d'Amiens Capucin
finit par cette réfléxion . » Il ne manque à
» la
MAY. 1733 1959
5 la seconde Période, qu'un nouveau Sca-
» liger , pour lui donner cours ; car ce
» qui est présenté avec humilité et mo-
» destie , et qui n'est point revêtu de l'é-
» clat de l'autorité ou de la réputation
» n'a guéres plus de succès dans l'Empire
» des Lettres , que dans celui de la fortu
» ne , et l'opinion , à cet égard , domine
» presqu'autant sur les Sçavans , que sur
» le Peuple.
Le premier Chapitre du second Livre
remonte à la source de l'Histoire de la
Philosophie , et fait voir qu'elle a commencé
avec le monde . L'Auteur pénétre
dans l'Antiquité la plus reculée , pour
sauver du naufrage des temps ce qu'on
peut apprendre de la Philosophie des
Patriarches , des Egyptiens , des Chaldéens
, des Gymnosophistes , des Phéni
ciens , des Perses , des Libyens , des Chinois
, des Thraces , des Druides ; les différentes
opinions sur Mercure Trismégis
te et sur Zoroastre y sont exposées , et le
Chapitre est terminé par une Histoire
succinte des Sages de la Grèce.
Dans le second Chapitre , l'Auteur décrit
le commencement de la Philosophie
chez les Grecs ; sa division dans les
deux Ecoles , Jonienne et Italique , et
' Histoite de la Philosophie , depuis que
Fij Thales
954 MERCURE DE FRANCE
Thalés établit l'Ecole Jonienne à Miler
jusqu'à ce qu'Anaxagore la transféra à
Athénes .
Dans le troisiéme Chapitre , les temps
lumineux de la Philosophie commencent
par Socrate. Il y est trairé des cinq Sectes
, sorties de l'Ecole de Socrate , de Platon
et de ses disciples , des cinq Académies
, des plus célébres Platoniciens , et
des diverses opinions qui en différens
temps ont eu cours sur la Philosophic
Platonicienne.
L'Histoire d'Aristote , les louanges excessives
données à ce Philosophe , une
Dissertation sur la Logique, et les Révolutions
de la Secte Péripatéticienne remplissent
le quatrième Chapitre ..
Les Chapitres suivans contiennent
l'Histoire des Cyrénaïques , des Sectes
Erétrique et de Mégare , des Cyniques ,
des Stoïciens , des Pyrrhoniens , des Pythagoriciens
, de la Secte Eléate, des Epicuriens
, de la Secte Eclectique , de la
Phylosophie moderne ; et les deux derniers
Chapitres sur l'Histoire de l'Astronomie
et de la Médecine rendent cette
Histoire de la Philosophie complette et
tres-curieuse.
Dans le Chapitre quatorziéme, qui trai
te de la Philosophie moderne , il est ob
*
servé
MAY. 1733 955
>
servé que les Sciences ons passé trois fois
de la Gréce dans l'Occident ; la premiere
, lorsque les Romains les puisérent en
Gréce ; la seconde , lorsque les François ,
après avoir pris Constantinople , rapportérent
du Levant les Ecrits d'Aristote , avec
les Commentaires des Arabes ; la troisiéme
, lorsqu'après la destruction de l'Empire
d'Orient par Turcs les , les Sçavans
e de la Grèce chercherent une retraite en
Italie.
>>>
Nous nous servirons ( ajoute le judi-
» cieux Auteur ) de cette Epoque du ré-
» tablissement des Lettres , après la prise
» de Constantinople par les Turcs , dans
» le milieu du quinziéme siécle , comme
» d'une Epoque fixe , propre à séparer les
e » Anciens des Modernes, donnant la qualité
d'Anciens à tous ceux qui ont précédé
ce terme , et celle de Modernes à
>> ceux qui ont paru depuis.
-
Pour donner une idée du style de l'Oui
vrage , insérons icy ce Passage , tiré du
seizième Chapitre qui contient l'Histoire
de la Médecine. » Dans le même temps
» florissoit Asclepiade , originaire de Bithynie.
Nous avons observé que les des-
» cendans d'Esculape s'appelloient Asclépiades.
Ils portoient ce nom , comme
» issus d'Asclepius , qui est le nom Grec
>>
F iij
d'Es956
MERCURE DE FRANCE
d'Esculape. Asclepiade , originaire de
" Bithynie , n'eut rien de commun avec
cette famille , que sa profession et son
nom. Il vint s'établir à Rome ; il pro-
» mettoit de guérir sûrement , prompte.
» ment et agréablement ; c'est ce qui se-
» roit à souhaiter , dit Celse ; mais il y
» a ordinairement du danger à vouloir
» guérir trop vite , et à ne se servir que
» de remédes agréables. Asclepiade rejet-
» toit toute la doctrine d'Hippocrate ,
» qu'il appelloit une Méditation de mort.
» Il se faisoit un principe d'accommoder
» ses ordonnances aux désirs de ses mala-
» des ; il profita de l'exemple d'Archagantus
, qui s'étoit rendu odieux , environ
cent ans auparavant , par une Méthode
rigoureuse. Il suivit une route entiere-
» ment opposée ; il n'ordonnoit que des
choses faciles et communes , comme la
» diéte, l'abstinence du vin, le frottement
» du corps , l'exercice ; il mit en usage la
boisson rafraîchie , et se faisoit honneur
d'un titre , qui signifie le Médecin de
»la fraîcheur. Il - inventa des lits suspen-
» dus , où il faisoit bercer les malades
›
pour les exciter au sommeil ; il faisoit
aussi suspendre les bains , pour les rendre
plus salutaires et plus agréables par
le mouvement.Il évitoit soigneusement
les
MAY. 1733. 957
» les remedes pour lesquels la nature à
quelque aversion ; et au lieu que le com
» mun des Médecins traitoit la nature ,
» avec la sévérité d'un Ecuyer qui châtie
>> un Cheval qui bronche , Asclepiade en
» la flattant continuellement , l'invitoit à
>> reprendre son cours , & c.
Le troisiéme Livre , qui roule sur la
Métaphysique , retrace à l'esprit sa propre
Histoire concernant les opinions sur
substances spirituelles . Ce Livre commence
par les opinions monstrueuses de
l'idolatrie. L'Auteur établit ensuite qu'il
ne peut y avoir d'Athée de conviction ,
Il réfute les objections opposées à la preu
ve de la Divinité qui résulte du consentement
general des hommes à la recon
noître. Il examine le raisonnement que
Descartes a donné pour une démonstration
de l'Existence de Dieu , et la pensée
de Pascal sur le danger de ne point croi
re. On trouve à la fin du Chapitre une
exposition sommaire des preuves inving
cibles de la Religion Chrétienne .
Dans le Chapitre des Démons le récit
des Prodiges débitez par le Paganisme
tend au but general de l'Auteur, de montrer
à quel point on s'est joué dans tous
les temps de la crédulité des hommes..
L'Auteur indique seulement les sources
F iiij gene958
MERCURE DE FRANCE
generales de ces opinions . » Dans le grand
» nombre de faits merveilleux , dit- il
» racontez par l'Histoire prophane, et qui
» y sont traitez de Miracles , il est aisé de
»connoître que le plus grand nombre
» doit son origine à la politique des hom-
» mes d'Etat , à la flatterie des Courtisans
, aux artifices des Prêtres des faux
»Dieux , à la crédulité des Historiens , à
» la superstition des Peuples ; mais il est
»aussi tres- vrai- semblable que les Esprits
» de tenebres , occupez sans cesse à trom
per les hommes et à leur tendre des
piéges , ont suscité de temps en temps
» quelques illusions . Tout ce que les an-
» ciens Auteurs ont débité en ce genre ,
» peut être rapporté à ces différentes cau-
» ses . Je me contenterai d'assembler icy
>> les plus celebres de ces faits , laissant au
» Lecteur le choix des conjectures.
Le troisiéme Chapitre considere le
monde par rapport à sa création , à sa durée
, à la Providence qui le gouverne , et
autres objets immatériels. La Doctrine
des idées de Platon y est expliquée , et on
y voit eh abrégé les Mondes imaginaires
des Philosophes. La question si le monde
a été créé pour l'homme , y est tresdiserrement
trai ée , et les objections contre
la Providence réfutées. Le quatrième
ChaMAY.
1733. 959
Chapitre contient les trois Hypothéses
des modernes sur la communication qui
est entre l'esprit et le corps , les différens
sistêmes sur les propriétez de l'ame , sur
le lieu de sa résidence , les preuves de son
immortalité , les sentimens des Philosophes
sur l'état des ames après leur séparation
de leurs corps . L'Auteur examine
l'opinion de La Chambre sur la maniere
dont les substances spirituelles occupent
l'espace . Il met icy la plus subtile
Métaphysique à portée de tous les Lecteurs.
Le cinquiéme Chapitre eft une exposition
des opinions Philosophiques sur les
Bêtes , et des exemples de leur fidélité ,
de leur industrie et de leurs autres bonnes
qualitez . L'Auteur passe ensuite aux
Sciences occultes
Métaphysiques , ou
fondées sur le commerce des Esprits. Il
traite de la Magie , de la Cabale et des
Nombres ; des Oracles et des Sibylles ,
des Augures , des Présages , des Songes.
Il dévoile tous ces ridicules Mysteres
dont il rapporte les Préceptes et les Exemples.
Voicy entr'autres quelques Réflé
xions qu'il fait sur la Cabale. » Les noms
» des soixante et douze Anges et les Prié
res mystérieuses de la Cabale, sont dans'
» le troisiéme Livre de l'Art Cabaliste de
Fv » Reuchlin
960 MERCURE DE FRANCE
2
» Reuchlin , dédié au Pape Leon X. et
» dans les neuf cens propositions de Jean
» Pic, Comte de la Mirandole, dont les 72
dernieres roulent sur la Cabale , et il
finit par celle-cy : Que comme la veri-
» table Astrologie est la science de lire
» dans le Livre du ciel ; la véritable ca-
» bale est la science de lire dans le livre
de la Loy. Quel sujet d'étonnement
» que les hommes les plus sçavans de
»leur siécle , le Comte de la Mirandole ,
» Agrippa , Reuchlin ayent employé les
plus laborieuses recherches à des chi-
» meres si peu dignes de leur attention ?
» Le premier a été l'admiration de l'Uni-
» vers , par la vaste étendue des connoissances
qu'il avoit acquises à un âge aussi
» peu
avancé
que le sien. C'étoit
un Prin-
» ce Souverain
d'Italie
, qui
ne peut
être
soupçonné
d'avoir
voulu
dupper
des
esprits
foibles
, curieux
et crédules
; au
>> contraire
, il défrayoit
magnifique-
» ment
les Sçavans
qui venoient
de toutes
les Parties
du monde
disputer
contre
» lui sur les neuf
cens
propositions
qu'il
»soûtenoit
à Rome
; et il a été un pro-
» dige
sans
deffaut
. On ne peut
pas ce
pendant
l'exempter
à cet égard
de la
» vanité
de l'esprit
humain
qui
s'attache
avolontiers
à tout
ce qu'il
y a de plus
fri-
» vole
MAY. 1733. 961
» vole , pourvû qu'il soit misterieux et
inconnu aux autres hommes. C'est lui
de le ga-
» rendre un grand service que
rentir de cet écueil ; et c'est en quoi
consiste l'utilité de mettre au jour des
» choses qui ne mériteroient pas par elles
» mêmes d'être publiées.
Le dernier Chapitre du troisiéme Livre
est une Dissertation très-curieuse
concernant la Fortune et le Destin . Deux
principales qualitez d'un Ouvrage sont
d'épuiser les matiéres du côté du sçavoir,
er de donner à penser encore plus qu'il
n'exprime. L'Auteur du Traité de l'O
pinion si dans Fun et dans l'autre
genre.
Cet Ouvrage se débite aujourd'hui chez
Briasson , rue S. Jacques , 6 vol. in 12.
1733.
La suite dans le Mercure prochain.
Mercure de donner des Notions
plus étendues du Traité de l'opinion.
C'est satisfaire à cet engagement
,
que nous allons insérer icy une partie de
l'Extrait de cet Ouvrage déja devenu célébre.
Le Titre est heureux et bien rempli
; la variété des matiéres et l'abondance
des recherches fournissent d'excellens
Mémoires pour servir à l'Histoire de
'Esprit humain ; et ces Mémoires tendent
naturellement à nous convaincre
que l'opinion domine dans le plus grand
nombre des travaux que l'efprit entreprend
MAY. 1733
951
prend. Ce Traité contient le précis des
opinions les plus remarquables sur chaque
science , joint à des réfléxions d'un
grand discernement , et à plusieurs choses
nouvelles. D'un côté , les découvertes et
les progrès de l'esprit humain embellissent
son histoire ; de l'autre , les sentimens
les plus outrez , les faits les moins
honorables à l'esprit sont tournez à son
instruction et à son avantage par le but
général que cette lecture lui propose; les
sciences occultes sont tirées de l'obscurité
où elles affectent de se cacher. » Un
» Poëte moderne , dit l'Auteur , a appel-
» lé les Bibliothéques :
Des sottises de l'homme orgueilleuses archives:
» L'Esprit verra icy au contraire les tres-
» humbles archives d'un grand nombre
» de ses égaremens ; le moyen de répri-
» mer une curiosité illicite , c'est de la dé-
» sabuser pleinement , et pour ainsi dire,
» de l'assouvir.
L'Auteur avertit à la fin du premier
Chapitre , qu'il citera simplement par
leurs noms tous les Auteurs décédez ; et
c'est un exemple qui peut affranchir les
Gens de lettres de la bizarrerie d'un usage
, qui sans aucun fondement , traite
certains noms avec plus de distinction et
F de
952 MERCURE
DE FRANCE
de politesse les uns que les autres.
Après plusieurs réfléxions très-sensées
sur l'usage de la Science , on trouve une
Dissertation curieuse sur les Auteurs.Les
exemples des Souverains et des Grands
Seigneurs qui ont composé desOuvrages,
font connoître que les Lettres n'ont pas
toujours été regardées comme un obstacle
aux vertus militaires.
Le quatrième Chapitre prouve que
l'Eloquence consiste dans l'opinion . Le
sentiment de Longin et de Montagne ,
que l'Eloquence ne se forme que dans les
Képubliques , y est réfuté. Le Chapitre
qui suit , expose les reproches faits à la
Poësie et sa deffense ; il est principalement
rempli des jugemens contraires des
Critiques , des caprices , des productions
de l'esprit , et des variations du goût. Le.
sixième Chapitre contient plusieurs exemples
du Pyrrhonisme de l'Histoire, sur les
faits les plus importans. On trouve dans
le dernier Chapitre un précis des Opinions
Chronologiques , et de la supputation
du temps chez différents peuples.
L'explication des Périodes Julienne et
Louise , dont la premiere est de l'invention
de Joseph Scaliger , et la seconde
du Pere Jean-Louis d'Amiens Capucin
finit par cette réfléxion . » Il ne manque à
» la
MAY. 1733 1959
5 la seconde Période, qu'un nouveau Sca-
» liger , pour lui donner cours ; car ce
» qui est présenté avec humilité et mo-
» destie , et qui n'est point revêtu de l'é-
» clat de l'autorité ou de la réputation
» n'a guéres plus de succès dans l'Empire
» des Lettres , que dans celui de la fortu
» ne , et l'opinion , à cet égard , domine
» presqu'autant sur les Sçavans , que sur
» le Peuple.
Le premier Chapitre du second Livre
remonte à la source de l'Histoire de la
Philosophie , et fait voir qu'elle a commencé
avec le monde . L'Auteur pénétre
dans l'Antiquité la plus reculée , pour
sauver du naufrage des temps ce qu'on
peut apprendre de la Philosophie des
Patriarches , des Egyptiens , des Chaldéens
, des Gymnosophistes , des Phéni
ciens , des Perses , des Libyens , des Chinois
, des Thraces , des Druides ; les différentes
opinions sur Mercure Trismégis
te et sur Zoroastre y sont exposées , et le
Chapitre est terminé par une Histoire
succinte des Sages de la Grèce.
Dans le second Chapitre , l'Auteur décrit
le commencement de la Philosophie
chez les Grecs ; sa division dans les
deux Ecoles , Jonienne et Italique , et
' Histoite de la Philosophie , depuis que
Fij Thales
954 MERCURE DE FRANCE
Thalés établit l'Ecole Jonienne à Miler
jusqu'à ce qu'Anaxagore la transféra à
Athénes .
Dans le troisiéme Chapitre , les temps
lumineux de la Philosophie commencent
par Socrate. Il y est trairé des cinq Sectes
, sorties de l'Ecole de Socrate , de Platon
et de ses disciples , des cinq Académies
, des plus célébres Platoniciens , et
des diverses opinions qui en différens
temps ont eu cours sur la Philosophic
Platonicienne.
L'Histoire d'Aristote , les louanges excessives
données à ce Philosophe , une
Dissertation sur la Logique, et les Révolutions
de la Secte Péripatéticienne remplissent
le quatrième Chapitre ..
Les Chapitres suivans contiennent
l'Histoire des Cyrénaïques , des Sectes
Erétrique et de Mégare , des Cyniques ,
des Stoïciens , des Pyrrhoniens , des Pythagoriciens
, de la Secte Eléate, des Epicuriens
, de la Secte Eclectique , de la
Phylosophie moderne ; et les deux derniers
Chapitres sur l'Histoire de l'Astronomie
et de la Médecine rendent cette
Histoire de la Philosophie complette et
tres-curieuse.
Dans le Chapitre quatorziéme, qui trai
te de la Philosophie moderne , il est ob
*
servé
MAY. 1733 955
>
servé que les Sciences ons passé trois fois
de la Gréce dans l'Occident ; la premiere
, lorsque les Romains les puisérent en
Gréce ; la seconde , lorsque les François ,
après avoir pris Constantinople , rapportérent
du Levant les Ecrits d'Aristote , avec
les Commentaires des Arabes ; la troisiéme
, lorsqu'après la destruction de l'Empire
d'Orient par Turcs les , les Sçavans
e de la Grèce chercherent une retraite en
Italie.
>>>
Nous nous servirons ( ajoute le judi-
» cieux Auteur ) de cette Epoque du ré-
» tablissement des Lettres , après la prise
» de Constantinople par les Turcs , dans
» le milieu du quinziéme siécle , comme
» d'une Epoque fixe , propre à séparer les
e » Anciens des Modernes, donnant la qualité
d'Anciens à tous ceux qui ont précédé
ce terme , et celle de Modernes à
>> ceux qui ont paru depuis.
-
Pour donner une idée du style de l'Oui
vrage , insérons icy ce Passage , tiré du
seizième Chapitre qui contient l'Histoire
de la Médecine. » Dans le même temps
» florissoit Asclepiade , originaire de Bithynie.
Nous avons observé que les des-
» cendans d'Esculape s'appelloient Asclépiades.
Ils portoient ce nom , comme
» issus d'Asclepius , qui est le nom Grec
>>
F iij
d'Es956
MERCURE DE FRANCE
d'Esculape. Asclepiade , originaire de
" Bithynie , n'eut rien de commun avec
cette famille , que sa profession et son
nom. Il vint s'établir à Rome ; il pro-
» mettoit de guérir sûrement , prompte.
» ment et agréablement ; c'est ce qui se-
» roit à souhaiter , dit Celse ; mais il y
» a ordinairement du danger à vouloir
» guérir trop vite , et à ne se servir que
» de remédes agréables. Asclepiade rejet-
» toit toute la doctrine d'Hippocrate ,
» qu'il appelloit une Méditation de mort.
» Il se faisoit un principe d'accommoder
» ses ordonnances aux désirs de ses mala-
» des ; il profita de l'exemple d'Archagantus
, qui s'étoit rendu odieux , environ
cent ans auparavant , par une Méthode
rigoureuse. Il suivit une route entiere-
» ment opposée ; il n'ordonnoit que des
choses faciles et communes , comme la
» diéte, l'abstinence du vin, le frottement
» du corps , l'exercice ; il mit en usage la
boisson rafraîchie , et se faisoit honneur
d'un titre , qui signifie le Médecin de
»la fraîcheur. Il - inventa des lits suspen-
» dus , où il faisoit bercer les malades
›
pour les exciter au sommeil ; il faisoit
aussi suspendre les bains , pour les rendre
plus salutaires et plus agréables par
le mouvement.Il évitoit soigneusement
les
MAY. 1733. 957
» les remedes pour lesquels la nature à
quelque aversion ; et au lieu que le com
» mun des Médecins traitoit la nature ,
» avec la sévérité d'un Ecuyer qui châtie
>> un Cheval qui bronche , Asclepiade en
» la flattant continuellement , l'invitoit à
>> reprendre son cours , & c.
Le troisiéme Livre , qui roule sur la
Métaphysique , retrace à l'esprit sa propre
Histoire concernant les opinions sur
substances spirituelles . Ce Livre commence
par les opinions monstrueuses de
l'idolatrie. L'Auteur établit ensuite qu'il
ne peut y avoir d'Athée de conviction ,
Il réfute les objections opposées à la preu
ve de la Divinité qui résulte du consentement
general des hommes à la recon
noître. Il examine le raisonnement que
Descartes a donné pour une démonstration
de l'Existence de Dieu , et la pensée
de Pascal sur le danger de ne point croi
re. On trouve à la fin du Chapitre une
exposition sommaire des preuves inving
cibles de la Religion Chrétienne .
Dans le Chapitre des Démons le récit
des Prodiges débitez par le Paganisme
tend au but general de l'Auteur, de montrer
à quel point on s'est joué dans tous
les temps de la crédulité des hommes..
L'Auteur indique seulement les sources
F iiij gene958
MERCURE DE FRANCE
generales de ces opinions . » Dans le grand
» nombre de faits merveilleux , dit- il
» racontez par l'Histoire prophane, et qui
» y sont traitez de Miracles , il est aisé de
»connoître que le plus grand nombre
» doit son origine à la politique des hom-
» mes d'Etat , à la flatterie des Courtisans
, aux artifices des Prêtres des faux
»Dieux , à la crédulité des Historiens , à
» la superstition des Peuples ; mais il est
»aussi tres- vrai- semblable que les Esprits
» de tenebres , occupez sans cesse à trom
per les hommes et à leur tendre des
piéges , ont suscité de temps en temps
» quelques illusions . Tout ce que les an-
» ciens Auteurs ont débité en ce genre ,
» peut être rapporté à ces différentes cau-
» ses . Je me contenterai d'assembler icy
>> les plus celebres de ces faits , laissant au
» Lecteur le choix des conjectures.
Le troisiéme Chapitre considere le
monde par rapport à sa création , à sa durée
, à la Providence qui le gouverne , et
autres objets immatériels. La Doctrine
des idées de Platon y est expliquée , et on
y voit eh abrégé les Mondes imaginaires
des Philosophes. La question si le monde
a été créé pour l'homme , y est tresdiserrement
trai ée , et les objections contre
la Providence réfutées. Le quatrième
ChaMAY.
1733. 959
Chapitre contient les trois Hypothéses
des modernes sur la communication qui
est entre l'esprit et le corps , les différens
sistêmes sur les propriétez de l'ame , sur
le lieu de sa résidence , les preuves de son
immortalité , les sentimens des Philosophes
sur l'état des ames après leur séparation
de leurs corps . L'Auteur examine
l'opinion de La Chambre sur la maniere
dont les substances spirituelles occupent
l'espace . Il met icy la plus subtile
Métaphysique à portée de tous les Lecteurs.
Le cinquiéme Chapitre eft une exposition
des opinions Philosophiques sur les
Bêtes , et des exemples de leur fidélité ,
de leur industrie et de leurs autres bonnes
qualitez . L'Auteur passe ensuite aux
Sciences occultes
Métaphysiques , ou
fondées sur le commerce des Esprits. Il
traite de la Magie , de la Cabale et des
Nombres ; des Oracles et des Sibylles ,
des Augures , des Présages , des Songes.
Il dévoile tous ces ridicules Mysteres
dont il rapporte les Préceptes et les Exemples.
Voicy entr'autres quelques Réflé
xions qu'il fait sur la Cabale. » Les noms
» des soixante et douze Anges et les Prié
res mystérieuses de la Cabale, sont dans'
» le troisiéme Livre de l'Art Cabaliste de
Fv » Reuchlin
960 MERCURE DE FRANCE
2
» Reuchlin , dédié au Pape Leon X. et
» dans les neuf cens propositions de Jean
» Pic, Comte de la Mirandole, dont les 72
dernieres roulent sur la Cabale , et il
finit par celle-cy : Que comme la veri-
» table Astrologie est la science de lire
» dans le Livre du ciel ; la véritable ca-
» bale est la science de lire dans le livre
de la Loy. Quel sujet d'étonnement
» que les hommes les plus sçavans de
»leur siécle , le Comte de la Mirandole ,
» Agrippa , Reuchlin ayent employé les
plus laborieuses recherches à des chi-
» meres si peu dignes de leur attention ?
» Le premier a été l'admiration de l'Uni-
» vers , par la vaste étendue des connoissances
qu'il avoit acquises à un âge aussi
» peu
avancé
que le sien. C'étoit
un Prin-
» ce Souverain
d'Italie
, qui
ne peut
être
soupçonné
d'avoir
voulu
dupper
des
esprits
foibles
, curieux
et crédules
; au
>> contraire
, il défrayoit
magnifique-
» ment
les Sçavans
qui venoient
de toutes
les Parties
du monde
disputer
contre
» lui sur les neuf
cens
propositions
qu'il
»soûtenoit
à Rome
; et il a été un pro-
» dige
sans
deffaut
. On ne peut
pas ce
pendant
l'exempter
à cet égard
de la
» vanité
de l'esprit
humain
qui
s'attache
avolontiers
à tout
ce qu'il
y a de plus
fri-
» vole
MAY. 1733. 961
» vole , pourvû qu'il soit misterieux et
inconnu aux autres hommes. C'est lui
de le ga-
» rendre un grand service que
rentir de cet écueil ; et c'est en quoi
consiste l'utilité de mettre au jour des
» choses qui ne mériteroient pas par elles
» mêmes d'être publiées.
Le dernier Chapitre du troisiéme Livre
est une Dissertation très-curieuse
concernant la Fortune et le Destin . Deux
principales qualitez d'un Ouvrage sont
d'épuiser les matiéres du côté du sçavoir,
er de donner à penser encore plus qu'il
n'exprime. L'Auteur du Traité de l'O
pinion si dans Fun et dans l'autre
genre.
Cet Ouvrage se débite aujourd'hui chez
Briasson , rue S. Jacques , 6 vol. in 12.
1733.
La suite dans le Mercure prochain.
Fermer
Résumé : Traité de l'Opinion, &c. [titre d'après la table]
Le texte présente un extrait du 'Mercure' de mai 1733, annonçant le 'Traité de l'opinion', un ouvrage déjà célèbre qui explore la domination de l'opinion dans les travaux de l'esprit humain. Ce traité inclut des mémoires sur l'histoire de l'esprit humain, des opinions remarquables sur chaque science, des réflexions discernantes et des découvertes nouvelles. Il aborde également les sciences occultes, les égarements de l'esprit et les curiosités illicites. Le traité est structuré en plusieurs chapitres. Le premier chapitre traite des opinions sur les sciences et des réflexions sur l'usage de la science. Le quatrième chapitre prouve que l'éloquence repose sur l'opinion, réfutant des sentiments de Longin et de Montaigne. Le cinquième chapitre discute des reproches faits à la poésie et de sa défense, en mettant en avant les jugements contraires des critiques. Le sixième chapitre présente des exemples de pyrrhonisme historique, et le dernier chapitre offre un précis des opinions chronologiques et de la supputation du temps chez différents peuples. Le second livre commence par l'histoire de la philosophie, remontant à ses origines avec les Patriarches, les Égyptiens, les Chaldéens et d'autres civilisations anciennes. Il décrit ensuite le début de la philosophie chez les Grecs, sa division en écoles, et l'histoire des principales sectes philosophiques, comme les Platoniciens, les Péripatéticiens, les Stoïciens et les Épicuriens. Le quatorzième chapitre observe que les sciences ont traversé trois périodes de transfert de la Grèce vers l'Occident. Le troisième livre traite de la métaphysique, des opinions sur les substances spirituelles et des preuves de la religion chrétienne. Il aborde également les démons, les prodiges du paganisme et les opinions philosophiques sur les animaux et les sciences occultes. Le dernier chapitre de ce livre traite de la fortune et du destin. L'auteur se distingue par deux principales qualités : épuiser les matières du côté du savoir et inciter à la réflexion au-delà de ce qui est exprimé. Le livre est disponible en six volumes in-12 chez Briasson, rue Saint-Jacques, et a été publié en 1733. Certaines parties du texte sont jugées peu dignes d'être publiées. La suite de l'information sera publiée dans le prochain numéro du Mercure.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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44
p. 980-987
Discours sur les Spectacles, &c. [titre d'après la table]
Début :
Le 13 du mois de Mars, le R. P. Charles Porée, Jesuite, prononça devant une illustre et [...]
Mots clefs :
Théâtre, Charles Porée, Préceptes, Histoire, Poète dramatique, Orateur, Exemples, Moeurs, Former, Vertus, Vices, Hommes, Comédie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Discours sur les Spectacles, &c. [titre d'après la table]
Le 13 du mois de Mars , le R. P. Charles Porée
, Jesuite , prononça devant une illustre et
nombreuse Assemblée un Discours Latin sur ce
sujet : Theatrum sit ne , vel esse possit Schola informandis
moribus idonea. C'est- à-dire , sille
formanMAY
. 1733. 981
Théatre est ou peut devenir une Ecole propre pour
former les moeurs.
Après avoir touché dans son Exorde les rai
sons qu'il y a de mettre la chose en Problême ,
raisons tirées des disputes qui se sont souvent
élevées à cette occasion , l'Orateur prenant sa❤
gement son parti , entreprend de faire voir dans
les deux parties qui divisent son Discours , que
le Théatre peut de sa nature être une Ecole propre
pour former les moeurs ; mais que par la
faute des hommes il ne l'est pas. Cet Exorde est
terminé par l'Eloge des deux Cardinaux qui
étoient présens , le Cardinal de Polignac et le
Cardinal de Bissy. Ce double Eloge est bien caracterisé
, et plein de finesse et d'art .
La Philosophie donne des préceptes pour
former les moeurs , l'Histoire donne des exeinples.
Le Théatre emprunte de ces deux Ecoles
ce qu'elles ont de meilleur , et par la réunion
qu'elle en fait , elle s'éleve fort au- dessus de cha
cune d'elles, prises en particulier.
Il n'est point d'état pour lequel la Philosophie
ne donne des préceptes. On ne voit pas
non plus que le Théatre soit borné à cet égard .
Les Serviteurs , les Ouvriers , les Marchands , les
Juges , les grands Seigneurs , les Rois y reçoivent
des leçons , soit dans la Comédie , soit
dans la Tragédie.
Tous les Etats , toutes les conditions , tous
les âges , tous les devoirs sont de son ressort .
On y apprend à aimer la vertu , et toutes sortes
de vertus
et à haïr et à fuir le vice , et toutes
sortes de vices .
Le Théatre va même plus loin que la Philoso
phie , qui se borne communément aux vertus er
G iiij
aux
982 MERCURE DE FRANCE
aux vices , au lieu que le Théatre va jusqu'aux
bienséances et aux indécenses les plus légeres.
La Tragédie punit séverement les moindres foiblesses
, et la Comédie poursuit impitoyablement
le ridicule le moins grossier.
pour cor-
Mais d'où en particulier , demande l'Orateur
d'où le Poëte Dramatique tirera- t- il le fond
des préceptes dont il prétend se servir
riger les hommes ? Trois sources , répond- il
lui sont ouvertes. Et d'abord l'humaine folie ,
l'humaine sottise est une source des plus abondantes.
La morale ordinaire est une seconde
source , et la morale divine même , prise avec
sagesse et discretion ; ne lui est pas interdite.
Le P. Porée passe à la maniere dont le Poëte
Dramatique débite ses préceptes de morale. La
maniere du Philosophe est toute dogmatique ,
contentieuse et pleine d'emphase . Le Poëte
Dramatique dissimule son but , et
dissimule son but , et y arrive peutêtre
par là plus efficacement. Il ne s'érige ni en
Docteur , ni en Maître , ' ni en Censeur. Il invite
à la vertu , il attire les coeurs , plutôt qu'il
n'entraîne les esprits : il parle en homme à des
hommes. Ce Parallele du Poëte Dramatique et
du Philosophe Dogmatique , est un des beaux
morceaux de cette Harangue.
Mais c'est par les exemples joints aux préceptes
que le Poëte s'étend tout à fait au-dessus du
Philosophe , et entre en paralele avec l'Historien.
Le mot de Seneque est connu , que le chemin
est long par les préceptes , mais court et
efficace par les exemples. Ce qu'un homme a
fait , chaque homme se croit capable de le faire.
C'est par là que Ciceron appelle l'Histoire , la
Maitresse de la vie.
Qr
:
MAY. 1733. 981
Théatre est ou peut devenir une Ecole propre pour
former les moeurs.
Après avoir touché dans son Exorde les rais
sons qu'il y a de mettre la chose en Problême ,
raisons tirées des disputes qui se sont souvent
élevées à cette occasion , l'Orateur prenant sagement
son parti , entreprend de faire voir dans
les deux parties qui divisent son Discours , que
le Théatre peut de sa nature être une Ecole propre
pour former les moeurs ; mais que par la
faute des hommes il ne l'est pas . Cet Exorde est
terminé par l'Eloge des deux Cardinaux qui
étoient présens , le Cardinal de Polignac et le
Cardinal de Bissy. Ce double Eloge est bien caracterisé
, et plein de finesse et d'art.
La Philosophie donne des préceptes pour
former les moeurs , l'Histoire donne des exem
ples. Le Théatre emprunte de ces deux Ecoles
ce qu'elles ont de meilleur , et par la réunion
qu'elle en fait , elle s'éleve fort au - dessus de cha
Cune d'elles, prises en particulier.
Il n'est point d'état pour lequel la Philosophie
ne donne des préceptes . On ne voit pas
non plus que le Théatre soit borné à cet égard.
Les Serviteurs , les Ouvriers , les Marchands , les
Juges , les grands Seigneurs , les Rois y reçoivent
des leçons , soit dans la Comédie , soit
dans la Tragédie.
Tous les Etats , toutes les conditions , tous
les âges , tous les devoirs sont de son ressort.
On y apprend à aimer la vertu , et toutes sortes
de vertus , et à hair et à fuir le vice , et toutes
sortes de vices.
Le Théatre va même plus loin que la Philoso
phie , qui se borne communément aux vertus er
Giiij aux
982 MERCURE DE FRANCE
aux vices , au lieu que le Théatre va jusqu'aux
bienséances et aux indécenses les plus légeres.
La Tragédie punit séverement les moindres foiblesses
, et la Comédie poursuit impitoyablement
le ridicule le moins grossier.
Mais d'où en particulier , demande l'Orateur
d'où le Poëte Dramatique tirera-t - il le fond
des préceptes dont il prétend se servir pour corriger
les hommes ? Trois sources , répond- il
lui sont ouvertes . Et d'abord l'humaine folie ,
l'humaine sottise est une source des plus abon →
dantes . La morale ordinaire est une seconde
source , et la morale divine même , prise avec
sagesse et discretion , ne lui est pas interdite.
>
Le P. Porée passe à la maniere dont le Poëte
Dramatique débite ses préceptes de morale. La
maniere du Philosophe est toute dogmatique
contentieuse , et pleine d'emphase . Le Poëte
Dramatique dissimule son but , et y arrive peutêtre
par là plus efficacement . Il ne s'erige ni en
Docteur , ni en Maître , ' ni en Censeur. Il invite
à la vertu , il attire les coeurs , plutôt qu'il
n'entraîne les esprits : il parle en homme à des
hommes. Ce Parallele du Poëte Dramatique et
du Thilosophe Dogmatique , est un des beaux
morceaux de cette Harangue
Mais c'est par les exemples joints aux préceptes
que le Poëte s'étend tout à fait au-dessus du
Philosophe , et entre en parallele avec l'Histo
rien. Le mot de Seneque est connu , que le chemin
est long par les préceptes , mais court et
efficace par les exemples. Ce qu'un homme a
fait , chaque homme se croit capable de le faire.
C'est par là que Ciceron appelle l'Histoire , la
Maitresse de la vie.
Or
MA Y. 1733- 983
Or l'Histoire donne indifféremment toutes
sortes d'exemples tels qu'ils se présentent , sans
donner souvent ceux dont chacun auroit besoin
Le Théatre les choisit , et les approprie à ses
Spectateurs. L'Histore fait souvent voir la vertu
si-non punie, du moins malheureuse , et le vice
heureux et comme récompensé. Sur le Théatre
c'est une loi de punir le vice et de couronner la
vertu.
Les exemples que donne l'Histoire sont inanimés
, et presqu'aussi inefficaces que les préceptes
philosophiques Car la Philosophie parle
pour l'avenir . On doit faire ceci on doit éviter
cela. L'Histoire raconte le passé . Le Théatre
seul rend les exemples pressans , animés
vivans.
L'Histoire parle tantôt des vices tantôt des
vertus , selon les sujets qu'elle peint . Le Dramatique
peint réellement , et a tous les avantages
de la Peinture le contraste sur tout et l'opposition
, le mêlange des ombres avec la lumiere ;
il oppose les vertus aux vices , les vices aux vertus.
Et par là ses caracteres sont toujours marqués
, brillans et à portée d'être imités ou rejettés.
Socrate étoit fort , assidu au Théatre d'Euripide.
Aristote a traité fort au long et en grave
Philosophe de la Poësie Dramatique . Le Car
dinal de Richelieu a travaillé pour le Théatre.
L'Orateur dit aussi son sentiment sur le
Théatre moderne , et ne trouve ni dans les Vers ,
ni dans le Chant , ni dans la Danse , rien qui
ne puisse être fort innocent , et fort propre
même à nourrir l'esprit et à former le coeur en
les amusant. Il a donc raison de conclure que
de soi le Théatre peut fort bien être une Ecole
GY de
984 MERCURE DE FRANCE
de vertu , propre pour former les moeurs. Mais
pourquoi donc tant de grands hommes , tant
de vertueux personages ont- ils proscrit le Théatre
, et invectivé contre lui comme contre une
Ecole de vice et de libertinage ? La réponse est
facile. Ils n'éxaminoient pas ce qui pouvoit
être. Ils ne parloient que de ce qui étoit.
Or le Théatre n'est pas , et n'a guéres jamais
été ce qu'il pouvoit , et ce qu'il devroit être :
et peut - être est - il bien difficile qu'il le soit jamais
ce qui est une autre question qu'on pourroit
discuter. L'Orateur parle désormais du
Théatre tel qu'il est , et c'est le sujet de la seconde
partic.
Il remonte à la source du mal 1, et la trouve
également dans les Auteurs , dans les Acteurs
et dans les Spectateurs , et en premier heu c'est
la faute des Poëtes Dramatiques si le Théatre
n'est pas ce qu'il doit être. Ils perdent à tous
momens de vue la fin et le but du sujet qu'ils
se mêlent de traitter .
Leur grand but paroît être uniquement de
briller , et de se faire promptement connoître et
admirer du Public ; de se donner en quelque
sorte en spectacle à toute une ville , sans- se piquer
beaucoup du titre de bons citoyens , dont
le devoir est de se rendre utile , et de contribuer
au bien commun de la Nation. Horace
dit que les Poëtes veulent ou plaire ou être utiles
. Nos Poëtes ne s'embarassent guéres que de
plaire.
Deux folles passions , capables seules de corrompre
toute une Nation , paroissent être le
grand objet de nos Poëtes , la vengeance et l'amour
, et en être l'objet bien plus pour les réveiller
que pour les éteindre.
Le
MAY . 1733 .
Le P. Porée adresse la parole au grand Corneille
, et lui reproche avec vehemence , quoiqu'avec
beaucoup d'estime et une sorte de respect
, d'avoir donné des exemples et des préceptes
de vengeance et de duel dans son Cid , et
de les avoir donnés d'une maniere d'autant plus
dangereuse , qu'elle est plus pleine d'élévation , si
non de coeur et de sentimens , du moins d'esprit
et de pensées .
Mais en même-tems l'Orateur reconnoît la
sagesse de Corneille sur l'article de l'Amour, sur
lequel Racine a été encore plus indiscret que
Corneille ne l'avoit été sur celui de la Vengeance.
Là commence un parallele de ces deux
grands Maîtres de la Scene Françoise ; et ce parallele
est nouveau après tous les autres qui ont
paru jusqu'ici : il finit par établir une sorte d'égalité
entre les deux Poëtes . Mais le commencement
et le milieu n'alloient point là , et on
ne s'attendoit guéres à voir cette gémissante Colombe
de Venus partager l'Empire , même du
Théatre , avec cette Aigle foudroyante de Jupiter.
L'Orateur a donné sans doute cette fin au
préjugé du vulgaire.
Ceux qui se sont emparés de la Scene après
ces deux grands Poëtes , ont bien pû imiter ou
surpasser même leurs défauts , principalement
celui des Sottises amoureuses , mais il ne leur a
pas été si aisé d'atteindre à leur Art , beaucoup
moins à leur Génie .
L'Orateur répond au prétexte , qu'on réveille
P'Amour pour le corriger et le bannir . Il appelle
cela exciter un grand incendie pour l'ét indre
après qu'il a fait bien des ravages donner du
poison pour le faire revomir après qu'il a dé
shiré les entrailles, L'amour n'est pas de ces
Gvj pas+
986 MERCURE DE FRANCE
sûr passions peu naturelles qu'on est commes
d'éteindre après les avoir allumées.
Les anciens Tragiques ne connoissoient point
cette passion , et leur Théatre ne se soutenoit
que mieux sans elle. Eschyle ne l'a jamais mise
sur le sien , Sophocle ne l'y a admise qu'une
fois , et Euripide deux fois : et encore avec
quels égards , quelle discrétion , quelle bienséance
,
Ia Tragédie a donc beaucoup perdu de son
ancienne majesté en perdant sa gravité , sa
séverité sa modestie , sa décence. Mais la Comédie
moerne se flate de surpasser en ce point
là même , l'ancienne Comédie. Notre Orateur
cependant n'est point du tout de cet avis. Le
caractere qu'il fait de Moliere est achevé , et
par là même il en fait un Maître dans l'Art des
moeurs d'autant plus mauvais , qu'il le fait meilleur
dans l'Art du Poeme Dramatique.
Le P. Porée n'épargne aucune sorte de Théatre.
La Comédie Italienne ne mérite pas de
grands égards après qu'il a reprouvé le Théatre
François. Et là - dessus on comprend bien qu'il
ne fait nul quartier à POpera. I applaudit au
génie de Lulli et de Quinault : mais il ne leur
fait d'autre grace , sur l'abus qu'ils en ont fait ,
qu'en reconnoissant qu'ils on: reconnu eux mêmes
avant leur mort , et qu'ils ont détesté cer
abus.
Des Auteurs , le P. Porée passe aux Acteurs ,
et fait voir que plus ils sont parfaits dans leur
action , plus ils sont criminels , et qu'ils contribuent
beaucoup au mal que les Auteurs Dramatiques
font par leur organe. Les Spectateurs ne
sont pas épargnés. Comment seroient- ils innocens
s'il faut être criminel pour leur
plaire ?
›
MAY. 17 ? 3 . 987
Cet Extrait auroit paru dès le mois passé si
nous n'avions été trop pressés par l'abondance
des matieres. Le Discours Latin , imprimé chez
Coignard fils , rue S. jacques , paroît et se fait
lire avec un extrême plaisir. On pariera dans le
prochain Mercure de la Traduction Françoise.
que le R. P. Brumoy en a faite , imprimée chez
le même Libraire.
, Jesuite , prononça devant une illustre et
nombreuse Assemblée un Discours Latin sur ce
sujet : Theatrum sit ne , vel esse possit Schola informandis
moribus idonea. C'est- à-dire , sille
formanMAY
. 1733. 981
Théatre est ou peut devenir une Ecole propre pour
former les moeurs.
Après avoir touché dans son Exorde les rai
sons qu'il y a de mettre la chose en Problême ,
raisons tirées des disputes qui se sont souvent
élevées à cette occasion , l'Orateur prenant sa❤
gement son parti , entreprend de faire voir dans
les deux parties qui divisent son Discours , que
le Théatre peut de sa nature être une Ecole propre
pour former les moeurs ; mais que par la
faute des hommes il ne l'est pas. Cet Exorde est
terminé par l'Eloge des deux Cardinaux qui
étoient présens , le Cardinal de Polignac et le
Cardinal de Bissy. Ce double Eloge est bien caracterisé
, et plein de finesse et d'art .
La Philosophie donne des préceptes pour
former les moeurs , l'Histoire donne des exeinples.
Le Théatre emprunte de ces deux Ecoles
ce qu'elles ont de meilleur , et par la réunion
qu'elle en fait , elle s'éleve fort au- dessus de cha
cune d'elles, prises en particulier.
Il n'est point d'état pour lequel la Philosophie
ne donne des préceptes. On ne voit pas
non plus que le Théatre soit borné à cet égard .
Les Serviteurs , les Ouvriers , les Marchands , les
Juges , les grands Seigneurs , les Rois y reçoivent
des leçons , soit dans la Comédie , soit
dans la Tragédie.
Tous les Etats , toutes les conditions , tous
les âges , tous les devoirs sont de son ressort .
On y apprend à aimer la vertu , et toutes sortes
de vertus
et à haïr et à fuir le vice , et toutes
sortes de vices .
Le Théatre va même plus loin que la Philoso
phie , qui se borne communément aux vertus er
G iiij
aux
982 MERCURE DE FRANCE
aux vices , au lieu que le Théatre va jusqu'aux
bienséances et aux indécenses les plus légeres.
La Tragédie punit séverement les moindres foiblesses
, et la Comédie poursuit impitoyablement
le ridicule le moins grossier.
pour cor-
Mais d'où en particulier , demande l'Orateur
d'où le Poëte Dramatique tirera- t- il le fond
des préceptes dont il prétend se servir
riger les hommes ? Trois sources , répond- il
lui sont ouvertes. Et d'abord l'humaine folie ,
l'humaine sottise est une source des plus abondantes.
La morale ordinaire est une seconde
source , et la morale divine même , prise avec
sagesse et discretion ; ne lui est pas interdite.
Le P. Porée passe à la maniere dont le Poëte
Dramatique débite ses préceptes de morale. La
maniere du Philosophe est toute dogmatique ,
contentieuse et pleine d'emphase . Le Poëte
Dramatique dissimule son but , et
dissimule son but , et y arrive peutêtre
par là plus efficacement. Il ne s'érige ni en
Docteur , ni en Maître , ' ni en Censeur. Il invite
à la vertu , il attire les coeurs , plutôt qu'il
n'entraîne les esprits : il parle en homme à des
hommes. Ce Parallele du Poëte Dramatique et
du Philosophe Dogmatique , est un des beaux
morceaux de cette Harangue.
Mais c'est par les exemples joints aux préceptes
que le Poëte s'étend tout à fait au-dessus du
Philosophe , et entre en paralele avec l'Historien.
Le mot de Seneque est connu , que le chemin
est long par les préceptes , mais court et
efficace par les exemples. Ce qu'un homme a
fait , chaque homme se croit capable de le faire.
C'est par là que Ciceron appelle l'Histoire , la
Maitresse de la vie.
Qr
:
MAY. 1733. 981
Théatre est ou peut devenir une Ecole propre pour
former les moeurs.
Après avoir touché dans son Exorde les rais
sons qu'il y a de mettre la chose en Problême ,
raisons tirées des disputes qui se sont souvent
élevées à cette occasion , l'Orateur prenant sagement
son parti , entreprend de faire voir dans
les deux parties qui divisent son Discours , que
le Théatre peut de sa nature être une Ecole propre
pour former les moeurs ; mais que par la
faute des hommes il ne l'est pas . Cet Exorde est
terminé par l'Eloge des deux Cardinaux qui
étoient présens , le Cardinal de Polignac et le
Cardinal de Bissy. Ce double Eloge est bien caracterisé
, et plein de finesse et d'art.
La Philosophie donne des préceptes pour
former les moeurs , l'Histoire donne des exem
ples. Le Théatre emprunte de ces deux Ecoles
ce qu'elles ont de meilleur , et par la réunion
qu'elle en fait , elle s'éleve fort au - dessus de cha
Cune d'elles, prises en particulier.
Il n'est point d'état pour lequel la Philosophie
ne donne des préceptes . On ne voit pas
non plus que le Théatre soit borné à cet égard.
Les Serviteurs , les Ouvriers , les Marchands , les
Juges , les grands Seigneurs , les Rois y reçoivent
des leçons , soit dans la Comédie , soit
dans la Tragédie.
Tous les Etats , toutes les conditions , tous
les âges , tous les devoirs sont de son ressort.
On y apprend à aimer la vertu , et toutes sortes
de vertus , et à hair et à fuir le vice , et toutes
sortes de vices.
Le Théatre va même plus loin que la Philoso
phie , qui se borne communément aux vertus er
Giiij aux
982 MERCURE DE FRANCE
aux vices , au lieu que le Théatre va jusqu'aux
bienséances et aux indécenses les plus légeres.
La Tragédie punit séverement les moindres foiblesses
, et la Comédie poursuit impitoyablement
le ridicule le moins grossier.
Mais d'où en particulier , demande l'Orateur
d'où le Poëte Dramatique tirera-t - il le fond
des préceptes dont il prétend se servir pour corriger
les hommes ? Trois sources , répond- il
lui sont ouvertes . Et d'abord l'humaine folie ,
l'humaine sottise est une source des plus abon →
dantes . La morale ordinaire est une seconde
source , et la morale divine même , prise avec
sagesse et discretion , ne lui est pas interdite.
>
Le P. Porée passe à la maniere dont le Poëte
Dramatique débite ses préceptes de morale. La
maniere du Philosophe est toute dogmatique
contentieuse , et pleine d'emphase . Le Poëte
Dramatique dissimule son but , et y arrive peutêtre
par là plus efficacement . Il ne s'erige ni en
Docteur , ni en Maître , ' ni en Censeur. Il invite
à la vertu , il attire les coeurs , plutôt qu'il
n'entraîne les esprits : il parle en homme à des
hommes. Ce Parallele du Poëte Dramatique et
du Thilosophe Dogmatique , est un des beaux
morceaux de cette Harangue
Mais c'est par les exemples joints aux préceptes
que le Poëte s'étend tout à fait au-dessus du
Philosophe , et entre en parallele avec l'Histo
rien. Le mot de Seneque est connu , que le chemin
est long par les préceptes , mais court et
efficace par les exemples. Ce qu'un homme a
fait , chaque homme se croit capable de le faire.
C'est par là que Ciceron appelle l'Histoire , la
Maitresse de la vie.
Or
MA Y. 1733- 983
Or l'Histoire donne indifféremment toutes
sortes d'exemples tels qu'ils se présentent , sans
donner souvent ceux dont chacun auroit besoin
Le Théatre les choisit , et les approprie à ses
Spectateurs. L'Histore fait souvent voir la vertu
si-non punie, du moins malheureuse , et le vice
heureux et comme récompensé. Sur le Théatre
c'est une loi de punir le vice et de couronner la
vertu.
Les exemples que donne l'Histoire sont inanimés
, et presqu'aussi inefficaces que les préceptes
philosophiques Car la Philosophie parle
pour l'avenir . On doit faire ceci on doit éviter
cela. L'Histoire raconte le passé . Le Théatre
seul rend les exemples pressans , animés
vivans.
L'Histoire parle tantôt des vices tantôt des
vertus , selon les sujets qu'elle peint . Le Dramatique
peint réellement , et a tous les avantages
de la Peinture le contraste sur tout et l'opposition
, le mêlange des ombres avec la lumiere ;
il oppose les vertus aux vices , les vices aux vertus.
Et par là ses caracteres sont toujours marqués
, brillans et à portée d'être imités ou rejettés.
Socrate étoit fort , assidu au Théatre d'Euripide.
Aristote a traité fort au long et en grave
Philosophe de la Poësie Dramatique . Le Car
dinal de Richelieu a travaillé pour le Théatre.
L'Orateur dit aussi son sentiment sur le
Théatre moderne , et ne trouve ni dans les Vers ,
ni dans le Chant , ni dans la Danse , rien qui
ne puisse être fort innocent , et fort propre
même à nourrir l'esprit et à former le coeur en
les amusant. Il a donc raison de conclure que
de soi le Théatre peut fort bien être une Ecole
GY de
984 MERCURE DE FRANCE
de vertu , propre pour former les moeurs. Mais
pourquoi donc tant de grands hommes , tant
de vertueux personages ont- ils proscrit le Théatre
, et invectivé contre lui comme contre une
Ecole de vice et de libertinage ? La réponse est
facile. Ils n'éxaminoient pas ce qui pouvoit
être. Ils ne parloient que de ce qui étoit.
Or le Théatre n'est pas , et n'a guéres jamais
été ce qu'il pouvoit , et ce qu'il devroit être :
et peut - être est - il bien difficile qu'il le soit jamais
ce qui est une autre question qu'on pourroit
discuter. L'Orateur parle désormais du
Théatre tel qu'il est , et c'est le sujet de la seconde
partic.
Il remonte à la source du mal 1, et la trouve
également dans les Auteurs , dans les Acteurs
et dans les Spectateurs , et en premier heu c'est
la faute des Poëtes Dramatiques si le Théatre
n'est pas ce qu'il doit être. Ils perdent à tous
momens de vue la fin et le but du sujet qu'ils
se mêlent de traitter .
Leur grand but paroît être uniquement de
briller , et de se faire promptement connoître et
admirer du Public ; de se donner en quelque
sorte en spectacle à toute une ville , sans- se piquer
beaucoup du titre de bons citoyens , dont
le devoir est de se rendre utile , et de contribuer
au bien commun de la Nation. Horace
dit que les Poëtes veulent ou plaire ou être utiles
. Nos Poëtes ne s'embarassent guéres que de
plaire.
Deux folles passions , capables seules de corrompre
toute une Nation , paroissent être le
grand objet de nos Poëtes , la vengeance et l'amour
, et en être l'objet bien plus pour les réveiller
que pour les éteindre.
Le
MAY . 1733 .
Le P. Porée adresse la parole au grand Corneille
, et lui reproche avec vehemence , quoiqu'avec
beaucoup d'estime et une sorte de respect
, d'avoir donné des exemples et des préceptes
de vengeance et de duel dans son Cid , et
de les avoir donnés d'une maniere d'autant plus
dangereuse , qu'elle est plus pleine d'élévation , si
non de coeur et de sentimens , du moins d'esprit
et de pensées .
Mais en même-tems l'Orateur reconnoît la
sagesse de Corneille sur l'article de l'Amour, sur
lequel Racine a été encore plus indiscret que
Corneille ne l'avoit été sur celui de la Vengeance.
Là commence un parallele de ces deux
grands Maîtres de la Scene Françoise ; et ce parallele
est nouveau après tous les autres qui ont
paru jusqu'ici : il finit par établir une sorte d'égalité
entre les deux Poëtes . Mais le commencement
et le milieu n'alloient point là , et on
ne s'attendoit guéres à voir cette gémissante Colombe
de Venus partager l'Empire , même du
Théatre , avec cette Aigle foudroyante de Jupiter.
L'Orateur a donné sans doute cette fin au
préjugé du vulgaire.
Ceux qui se sont emparés de la Scene après
ces deux grands Poëtes , ont bien pû imiter ou
surpasser même leurs défauts , principalement
celui des Sottises amoureuses , mais il ne leur a
pas été si aisé d'atteindre à leur Art , beaucoup
moins à leur Génie .
L'Orateur répond au prétexte , qu'on réveille
P'Amour pour le corriger et le bannir . Il appelle
cela exciter un grand incendie pour l'ét indre
après qu'il a fait bien des ravages donner du
poison pour le faire revomir après qu'il a dé
shiré les entrailles, L'amour n'est pas de ces
Gvj pas+
986 MERCURE DE FRANCE
sûr passions peu naturelles qu'on est commes
d'éteindre après les avoir allumées.
Les anciens Tragiques ne connoissoient point
cette passion , et leur Théatre ne se soutenoit
que mieux sans elle. Eschyle ne l'a jamais mise
sur le sien , Sophocle ne l'y a admise qu'une
fois , et Euripide deux fois : et encore avec
quels égards , quelle discrétion , quelle bienséance
,
Ia Tragédie a donc beaucoup perdu de son
ancienne majesté en perdant sa gravité , sa
séverité sa modestie , sa décence. Mais la Comédie
moerne se flate de surpasser en ce point
là même , l'ancienne Comédie. Notre Orateur
cependant n'est point du tout de cet avis. Le
caractere qu'il fait de Moliere est achevé , et
par là même il en fait un Maître dans l'Art des
moeurs d'autant plus mauvais , qu'il le fait meilleur
dans l'Art du Poeme Dramatique.
Le P. Porée n'épargne aucune sorte de Théatre.
La Comédie Italienne ne mérite pas de
grands égards après qu'il a reprouvé le Théatre
François. Et là - dessus on comprend bien qu'il
ne fait nul quartier à POpera. I applaudit au
génie de Lulli et de Quinault : mais il ne leur
fait d'autre grace , sur l'abus qu'ils en ont fait ,
qu'en reconnoissant qu'ils on: reconnu eux mêmes
avant leur mort , et qu'ils ont détesté cer
abus.
Des Auteurs , le P. Porée passe aux Acteurs ,
et fait voir que plus ils sont parfaits dans leur
action , plus ils sont criminels , et qu'ils contribuent
beaucoup au mal que les Auteurs Dramatiques
font par leur organe. Les Spectateurs ne
sont pas épargnés. Comment seroient- ils innocens
s'il faut être criminel pour leur
plaire ?
›
MAY. 17 ? 3 . 987
Cet Extrait auroit paru dès le mois passé si
nous n'avions été trop pressés par l'abondance
des matieres. Le Discours Latin , imprimé chez
Coignard fils , rue S. jacques , paroît et se fait
lire avec un extrême plaisir. On pariera dans le
prochain Mercure de la Traduction Françoise.
que le R. P. Brumoy en a faite , imprimée chez
le même Libraire.
Fermer
Résumé : Discours sur les Spectacles, &c. [titre d'après la table]
Le 13 mars, le Père Charles Porée, jésuite, prononça un discours en latin devant une assemblée nombreuse et illustre sur le sujet : 'Le Théâtre est-il ou peut-il devenir une école propre pour former les mœurs ?' Porée explora les raisons de poser cette question et démontra que, bien que le théâtre puisse être une école pour former les mœurs, il ne l'est pas en raison des erreurs humaines. Il loua les cardinaux de Polignac et de Bissy présents. Porée souligna que le théâtre combine les préceptes de la philosophie et les exemples de l'histoire, s'élevant ainsi au-dessus de ces deux disciplines. Il offre des leçons pour toutes les conditions sociales, enseignant à aimer la vertu et à fuir le vice. Le théâtre va même plus loin que la philosophie en abordant les bienséances et les indécences les plus légères. La tragédie punit les moindres faiblesses, et la comédie poursuit le ridicule le moins grossier. Le poète dramatique tire ses préceptes de l'humaine folie, de la morale ordinaire et de la morale divine. Contrairement au philosophe dogmatique, le poète dramatique dissimule son but et invite à la vertu de manière plus efficace. Il utilise des exemples pour rendre ses leçons plus pressantes et vivantes, contrairement à l'histoire qui donne des exemples indifférents et souvent inefficaces. L'orateur critiqua les auteurs dramatiques modernes qui se concentrent sur la vengeance et l'amour, reprochant à Corneille et Racine d'avoir donné des exemples dangereux de ces passions. Il reconnut la sagesse de Corneille sur l'amour et compara les deux poètes, établissant une sorte d'égalité entre eux. Il critiqua également la comédie italienne et l'opéra, tout en reconnaissant le génie de Lulli et Quinault. Porée passa ensuite aux acteurs, affirmant qu'ils contribuent au mal fait par les auteurs dramatiques, et ne ménagea pas non plus les spectateurs. Le texte est un extrait d'un document daté du 17 mai 1739, mentionnant que le discours en latin, imprimé chez Coignard fils, rue Saint-Jacques, suscite un grand intérêt et est lu avec plaisir. La traduction française de ce discours, réalisée par le Père Brumoy, sera publiée dans le prochain numéro du Mercure de France. La publication avait été retardée en raison de l'abondance des matières à traiter.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
45
p. 1079-1089
REFLEXIONS.
Début :
Les Grands ne réfléchiront-ils jamais sérieusement sur eux-mêmes ? Ils ont [...]
Mots clefs :
Conversation, Esprit, Hommes, Faute, Monde, Valet, Homme du monde, Punir, Crainte, Grands
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
L'érieusement sur eux - mêmes ? Ils ont
beau s'étourdir par la
sensualité et par
la délicatesse poussée à l'excès , courir de
plaisirs en plaisirs , donner tout ce qu'ils
ont
d'attention aux voluptez des sens ,
s'ébloüir à la vûë de la pompe qui les
environne et de l'éclat de leur fortune ,
ne faire aucun compte ni des fatigues
ni du sang des autres hommes , n'être
point compatissans
à leurs souffrances ,
les faire servir à leurs fins et les sacri
fier à leurs interêts , comme s'ils étoient
des Etres d'une espece differente et toute
inferieure et nez pour s'user à leur service
; les laisser accablez de besoins , pendant
qu'ils s'accablent eux - mêmes de suerflus
; une voix secrette se fait entenre
chez eux et malgré eux , et les avertit
sans cesse qu'ils sont fort éloignez de
l'état où ils devroient être.
Es Grands ne réfléchiront -ils jamais
Le
mauvais.exemple enseigne le mal
à ceux qui l'ignorent , et le persuade à
ceux qui en ont naturellement horreur ;
I. Vol.
ensorte
1080 MERCURE DE FRANCE
ensorte qu'on a souvent honte d'être in
nocent parmi les coupables .
Les exemples des Princes sont comme
des Edits qui se publient sans Hérauts ,
et ausquels on obéït sans attendre des
Commissaires , ni des Lettres Patentes.
L'inclination a souvent peu de
·
part aux
choses
qu'on fait par crainte
, par res- pect humain
, ou seulement
parce qu'on les voit faire.
Les mesures que prennent les usurpa
teurs , pour assurer leurs possessions à.
leurs descendans , ne prévalent pas d'ordinaire
à l'exemple qu'ils ont donné.
Le mauvais exemple excite plus à faire
le mal , que le bon à faire le bien , parce
qu'il a notre inclination naturelle de son
côté.
Il faut tout voir , car plus les yeux ont
vu , plus la raison est en état de voir
elle- même.
Les exemples du temps passé nous
touchent
incomparablement plus que
ceux de notre siecle. On s'accoûtume
1. Vol. insenJUIN.
1733. 1033
insensiblement à tout ce qu'on voit , et
selon le Cardinal de Retz , on peut raisonnablement
douter que le Consulat du
Cheval de Caligula , nous eût si extraordinairement
surpris , si cet évenement
s'étoit passé de nos jours.
L'experience , mais l'experience exacte
et bien faite , est toujours l'écueil des
vieux préjugez.
Bien que la punition ne semble marcher
qu'à pas lents , on voit rarement
qu'elle manque de tomber sur les coupables
, quoiqu'ils paroissent aller plus .
vîte qu'elle.
Rarò antecedentem scele stum
Deseruit pede poena claudo .
Il faut punir le méchant , de crainte
d'en être puni.
Il est dangereux de pardonner certains
crimes ; la justice est interessée à ce qu'on
punisse exemplairement , pour faire respecter
le Souverain dans ceux dont il se
sert pour gouverner ses Peuples.
C'est nuire aux bons , que de pardonner
aux méchans. Bonis nocet quisquis
pepercerit malis.
I. Vol. Dans
1082 MERCURE DE FRANCE
Dans les châtimens dont on punit les
méchants , on a moins dessein de les faire
périr et d'augmenter leurs souffrances ,
que de retenir les esprits pervers par
la
crainte du supplice. Supplicium de iis sumendum
non tam ut ipsi pereant , quàm
ut alios pereundo deterreant. Seneque .
Pour punir les hommes , Dieu n'a souvent
besoin que de leurs propres passions.
On doit presque également punir un
General victorieux , qui ne profite pas
de sa victoire , et un General négligent
qui se laisse surprendre.
On ne devient pas tout d'un coup très
criminel , mais défiez- vous de la plus
petite faute , car elle peut être le premier
degré pour vous conduire aux plus
grands desordres . Nemo repente fuit turpissimus.
Une faute en attire souvent plusieurs ,
et la distance qui est entre la vertu et
le vice , n'est quelquefois que le chemin
peu de jours . de
Q
On doit plaindre par pitié et blâmer
par raison , ceux qui sont malheureux
1
par leur faute.
JUIN. 1733. 1083
On n'est pas sot pour faire une sottise,
puisque le sage même est sujet à faire des
fautes ; mais c'est être sot que de ne pas
sçavoir cacher ses sottises et de vouloir
les excuser.
Il est d'un plus grand homme de sçavoir
avoüer sa faute , que de sçavoir ne
la pas faire.
Il n'y a rien qui fasse agir plus efficacement
les honnêtes gens qui ont fait
quelques fautes, que le desir ardent qu'ils
ont de les réparer et de les faire oublier
par de bons procedez.
La source la plus ordinaire du manquement
des hommes , est qu'ils s'effrayent
trop du présent et qu'ils ne s'effrayent
pas assez de l'avenir.
C'est un rare talent que celui d'éviter
jusqu'aux plus petites fautes . Je ne sçai
si celui d'avouer ingénument celles que
l'on fait , est en certain cas de beaucoup
inferieur.
Le colpé presenti invalidano le scuse
passate. Per una volta si puo esser
cativo e mantenersi l'opinione di buono :
1, Vol.
la
1084 MERCURE DE FRANCE
la replicatione deglatti vitiosi facredere
che nascono dalla mala natura degli ho...
mini , è non dalle necessita delle occa
sione.
Il divider da un huomo la dominatione
, è cosa molto più spaventevole , che
la separatione dell'anima dal corpo.
Levare il Regno , è lasciar vivo il Re
è una crudela pieta.
Un Pirate disoit à Alexandre , parce
que je ravage la Mer avec une Barque on
m'appelle voleur ; et parce que vous le
faites avec une grandé Flotte on vous
appelle Roy.
:
Les hommes veulent être esclaves quelque
part , et puiser là de quoi dominer
ailleurs en effet , ils rampent et sentent
durement le poids de ceux qui peuvent
servir à leur élévation , mais ils le rendent
bien à leurs inférieurs. On se forme
ainsi à l'hypocrisie et à l'inhumanité , et
on passe sa vie à souffrir et à faire souffrir.
Il mestiere di comandare è cosi piace
vole , è gustoso , che non mi stanche-
I.Vol. rei
JUIN. 1733. 1085
rei mai di farmi obedire , disoit un Italien.
Il est très-naturel à ceux qui ont dans
l'esprit quelque impression dominante ,
d'y faire venir toutes leurs autres pen
sées.
Ce qui plaît au Prince tient lieu de
loy, parce que par la Loy Royale qui
l'a établi , le peuple a transferé et mis en
sa personne toute l'autorité , la volonté
et le pouvoir qu'il avoit.
On n'est pas digne de commander , si
on n'est meilleur que ceux à qui on commande.
Il arrive rarement de conserver son au
torité et son crédit autant que sa vie.
Le valet scelerat est quelquefois un
mauvais indice contre le Maître .
Aucune servitude n'est plus honteuse
que d'être valet d'un valet ; c'est cependant
le sort de la plupart des Grands , રે
qui il arrive de se laisser gouverner par
quelques Domestiques.
1. Vol. Le
1086 MERCURE DE FRANCE
Le changement de nos affections vient
souvent de celui de notre tempéramment
, dont il entre toujours quelque
chose dans les desseins les plus concertez.
,
On ne doit pas croire qu'une chose
est à soi , quand elle peut changer de
maître , dit Publius Syrus , Nil proprium
cas quod mutarier potest.
C'est particulierement l'instabilité qui
produit l'ingratitude , parce que l'avidité
qu'on a pour les biens qu'on ne possede
pas , fait compter pour rien ceux qu'on
possede.
Parmi la plûpart des hommes , le goût
'des meilleures choses change ayant qu'el
les ayent changé.
Il est aussi ordinaire à l'homme de
s'affliger du mal , que de se lasser du
bien .
La Coûtume est la maîtresse des Usages
, c'est elle qui fait qu'ils choquent ,
ou qu'ils ne choquent point.
Toutes les choses du monde , sans en
I. Vol. exJUI
N.
1087 •
1733 .
excepter aucunes , sont sujettes à diverses
révolutions qui les rendent fort estimées
en un tems , puis méprisées et ridicules
en l'autre , font monter aujourd'hui
ce qui doit tomber demain , et tourner
ainsi perpétuellement cette grande rouë
des siècles , qui fait paroître , mourir et
renaître chacun à son tour sur le Théatre
du monde. Les Sciences , les Empires
les Opinions , le Monde même n'est pas.
exempt de cette vicissitude.
Usque adeò in rebus solidi nihil esse videtur
!
Ordinairement la confiance fournit
plus à la conversation que l'esprit.
L'entretien sert de nourriture à l'ame,
rend le coeur content , réveille les esprits
, endort les peines , applanit les
chemins et les accourcit , et par une excellence
encore plus particuliere , met
poz ainsi dire , à cheval ceux qui sont à
pied.
Dans la conversation on ne doit point
tant affecter de bien dire et de bien pencomme
de faire bien dire , et bien
ser ,
penser
aux
autres
; car
nous
sommes
tou-
I. Vol, jours
1088 MERCURE DE FRANCE
jours très- agréables à ceux à qui nous
donnons occasion de l'être.
Un esprit médiocre qui parle juste et à
propos , plait davantage dans la conversation,
qu'un esprit sublime qui ne cherche
qu'à briller , et qui dit des choses.
extraordinaires , et seulement propres à
te faire admirer.
Il est bien difficile d'être toujours
agréable dans l'entretien sans être un
peu bouffon : et il est encore plus difficile
de soutenir ce dernier caractere sans
être souvent plat. C'est l'Etude qui augmente
les talens de la nature , mais c'est
la conversation qui les met en oeuvre.
La conversation est le grand Livre du
Monde , qui apprend l'usage des autres
Livres sans elle la Science est sauvage
et sans agrément.
L'usage de l'esprit de l'homme se fait
particulierement sentir dans la conversation
, parce qu'il s'y trouve obligé de
répondre juste et de parler juste. Dans le
Cabinet , l'esprit raisonne sans contrainte
, comme il veut , et sur ce qu'il veut ;
il ne trouve personne qui lui contredise :
I. Vol.
dans
JUIN. 1733. 1089:
dans la conversation , il doit être prêt à
raisonner sur tout , et à soutenir ses rai
sonnemens contre tous .
Ordinairement dans la conversation
les uns sont fort di straits , et les autres
ont une attention si importune , qu'au
moindre mot qui échappe , ils le releyent
, badinant autour , y trouvent un
mistere que les autres n'y voyent pas , et
y cherchent de la finesse et de la subti
lité , seulement pour avoir occasion de
placer la leur.
L'érieusement sur eux - mêmes ? Ils ont
beau s'étourdir par la
sensualité et par
la délicatesse poussée à l'excès , courir de
plaisirs en plaisirs , donner tout ce qu'ils
ont
d'attention aux voluptez des sens ,
s'ébloüir à la vûë de la pompe qui les
environne et de l'éclat de leur fortune ,
ne faire aucun compte ni des fatigues
ni du sang des autres hommes , n'être
point compatissans
à leurs souffrances ,
les faire servir à leurs fins et les sacri
fier à leurs interêts , comme s'ils étoient
des Etres d'une espece differente et toute
inferieure et nez pour s'user à leur service
; les laisser accablez de besoins , pendant
qu'ils s'accablent eux - mêmes de suerflus
; une voix secrette se fait entenre
chez eux et malgré eux , et les avertit
sans cesse qu'ils sont fort éloignez de
l'état où ils devroient être.
Es Grands ne réfléchiront -ils jamais
Le
mauvais.exemple enseigne le mal
à ceux qui l'ignorent , et le persuade à
ceux qui en ont naturellement horreur ;
I. Vol.
ensorte
1080 MERCURE DE FRANCE
ensorte qu'on a souvent honte d'être in
nocent parmi les coupables .
Les exemples des Princes sont comme
des Edits qui se publient sans Hérauts ,
et ausquels on obéït sans attendre des
Commissaires , ni des Lettres Patentes.
L'inclination a souvent peu de
·
part aux
choses
qu'on fait par crainte
, par res- pect humain
, ou seulement
parce qu'on les voit faire.
Les mesures que prennent les usurpa
teurs , pour assurer leurs possessions à.
leurs descendans , ne prévalent pas d'ordinaire
à l'exemple qu'ils ont donné.
Le mauvais exemple excite plus à faire
le mal , que le bon à faire le bien , parce
qu'il a notre inclination naturelle de son
côté.
Il faut tout voir , car plus les yeux ont
vu , plus la raison est en état de voir
elle- même.
Les exemples du temps passé nous
touchent
incomparablement plus que
ceux de notre siecle. On s'accoûtume
1. Vol. insenJUIN.
1733. 1033
insensiblement à tout ce qu'on voit , et
selon le Cardinal de Retz , on peut raisonnablement
douter que le Consulat du
Cheval de Caligula , nous eût si extraordinairement
surpris , si cet évenement
s'étoit passé de nos jours.
L'experience , mais l'experience exacte
et bien faite , est toujours l'écueil des
vieux préjugez.
Bien que la punition ne semble marcher
qu'à pas lents , on voit rarement
qu'elle manque de tomber sur les coupables
, quoiqu'ils paroissent aller plus .
vîte qu'elle.
Rarò antecedentem scele stum
Deseruit pede poena claudo .
Il faut punir le méchant , de crainte
d'en être puni.
Il est dangereux de pardonner certains
crimes ; la justice est interessée à ce qu'on
punisse exemplairement , pour faire respecter
le Souverain dans ceux dont il se
sert pour gouverner ses Peuples.
C'est nuire aux bons , que de pardonner
aux méchans. Bonis nocet quisquis
pepercerit malis.
I. Vol. Dans
1082 MERCURE DE FRANCE
Dans les châtimens dont on punit les
méchants , on a moins dessein de les faire
périr et d'augmenter leurs souffrances ,
que de retenir les esprits pervers par
la
crainte du supplice. Supplicium de iis sumendum
non tam ut ipsi pereant , quàm
ut alios pereundo deterreant. Seneque .
Pour punir les hommes , Dieu n'a souvent
besoin que de leurs propres passions.
On doit presque également punir un
General victorieux , qui ne profite pas
de sa victoire , et un General négligent
qui se laisse surprendre.
On ne devient pas tout d'un coup très
criminel , mais défiez- vous de la plus
petite faute , car elle peut être le premier
degré pour vous conduire aux plus
grands desordres . Nemo repente fuit turpissimus.
Une faute en attire souvent plusieurs ,
et la distance qui est entre la vertu et
le vice , n'est quelquefois que le chemin
peu de jours . de
Q
On doit plaindre par pitié et blâmer
par raison , ceux qui sont malheureux
1
par leur faute.
JUIN. 1733. 1083
On n'est pas sot pour faire une sottise,
puisque le sage même est sujet à faire des
fautes ; mais c'est être sot que de ne pas
sçavoir cacher ses sottises et de vouloir
les excuser.
Il est d'un plus grand homme de sçavoir
avoüer sa faute , que de sçavoir ne
la pas faire.
Il n'y a rien qui fasse agir plus efficacement
les honnêtes gens qui ont fait
quelques fautes, que le desir ardent qu'ils
ont de les réparer et de les faire oublier
par de bons procedez.
La source la plus ordinaire du manquement
des hommes , est qu'ils s'effrayent
trop du présent et qu'ils ne s'effrayent
pas assez de l'avenir.
C'est un rare talent que celui d'éviter
jusqu'aux plus petites fautes . Je ne sçai
si celui d'avouer ingénument celles que
l'on fait , est en certain cas de beaucoup
inferieur.
Le colpé presenti invalidano le scuse
passate. Per una volta si puo esser
cativo e mantenersi l'opinione di buono :
1, Vol.
la
1084 MERCURE DE FRANCE
la replicatione deglatti vitiosi facredere
che nascono dalla mala natura degli ho...
mini , è non dalle necessita delle occa
sione.
Il divider da un huomo la dominatione
, è cosa molto più spaventevole , che
la separatione dell'anima dal corpo.
Levare il Regno , è lasciar vivo il Re
è una crudela pieta.
Un Pirate disoit à Alexandre , parce
que je ravage la Mer avec une Barque on
m'appelle voleur ; et parce que vous le
faites avec une grandé Flotte on vous
appelle Roy.
:
Les hommes veulent être esclaves quelque
part , et puiser là de quoi dominer
ailleurs en effet , ils rampent et sentent
durement le poids de ceux qui peuvent
servir à leur élévation , mais ils le rendent
bien à leurs inférieurs. On se forme
ainsi à l'hypocrisie et à l'inhumanité , et
on passe sa vie à souffrir et à faire souffrir.
Il mestiere di comandare è cosi piace
vole , è gustoso , che non mi stanche-
I.Vol. rei
JUIN. 1733. 1085
rei mai di farmi obedire , disoit un Italien.
Il est très-naturel à ceux qui ont dans
l'esprit quelque impression dominante ,
d'y faire venir toutes leurs autres pen
sées.
Ce qui plaît au Prince tient lieu de
loy, parce que par la Loy Royale qui
l'a établi , le peuple a transferé et mis en
sa personne toute l'autorité , la volonté
et le pouvoir qu'il avoit.
On n'est pas digne de commander , si
on n'est meilleur que ceux à qui on commande.
Il arrive rarement de conserver son au
torité et son crédit autant que sa vie.
Le valet scelerat est quelquefois un
mauvais indice contre le Maître .
Aucune servitude n'est plus honteuse
que d'être valet d'un valet ; c'est cependant
le sort de la plupart des Grands , રે
qui il arrive de se laisser gouverner par
quelques Domestiques.
1. Vol. Le
1086 MERCURE DE FRANCE
Le changement de nos affections vient
souvent de celui de notre tempéramment
, dont il entre toujours quelque
chose dans les desseins les plus concertez.
,
On ne doit pas croire qu'une chose
est à soi , quand elle peut changer de
maître , dit Publius Syrus , Nil proprium
cas quod mutarier potest.
C'est particulierement l'instabilité qui
produit l'ingratitude , parce que l'avidité
qu'on a pour les biens qu'on ne possede
pas , fait compter pour rien ceux qu'on
possede.
Parmi la plûpart des hommes , le goût
'des meilleures choses change ayant qu'el
les ayent changé.
Il est aussi ordinaire à l'homme de
s'affliger du mal , que de se lasser du
bien .
La Coûtume est la maîtresse des Usages
, c'est elle qui fait qu'ils choquent ,
ou qu'ils ne choquent point.
Toutes les choses du monde , sans en
I. Vol. exJUI
N.
1087 •
1733 .
excepter aucunes , sont sujettes à diverses
révolutions qui les rendent fort estimées
en un tems , puis méprisées et ridicules
en l'autre , font monter aujourd'hui
ce qui doit tomber demain , et tourner
ainsi perpétuellement cette grande rouë
des siècles , qui fait paroître , mourir et
renaître chacun à son tour sur le Théatre
du monde. Les Sciences , les Empires
les Opinions , le Monde même n'est pas.
exempt de cette vicissitude.
Usque adeò in rebus solidi nihil esse videtur
!
Ordinairement la confiance fournit
plus à la conversation que l'esprit.
L'entretien sert de nourriture à l'ame,
rend le coeur content , réveille les esprits
, endort les peines , applanit les
chemins et les accourcit , et par une excellence
encore plus particuliere , met
poz ainsi dire , à cheval ceux qui sont à
pied.
Dans la conversation on ne doit point
tant affecter de bien dire et de bien pencomme
de faire bien dire , et bien
ser ,
penser
aux
autres
; car
nous
sommes
tou-
I. Vol, jours
1088 MERCURE DE FRANCE
jours très- agréables à ceux à qui nous
donnons occasion de l'être.
Un esprit médiocre qui parle juste et à
propos , plait davantage dans la conversation,
qu'un esprit sublime qui ne cherche
qu'à briller , et qui dit des choses.
extraordinaires , et seulement propres à
te faire admirer.
Il est bien difficile d'être toujours
agréable dans l'entretien sans être un
peu bouffon : et il est encore plus difficile
de soutenir ce dernier caractere sans
être souvent plat. C'est l'Etude qui augmente
les talens de la nature , mais c'est
la conversation qui les met en oeuvre.
La conversation est le grand Livre du
Monde , qui apprend l'usage des autres
Livres sans elle la Science est sauvage
et sans agrément.
L'usage de l'esprit de l'homme se fait
particulierement sentir dans la conversation
, parce qu'il s'y trouve obligé de
répondre juste et de parler juste. Dans le
Cabinet , l'esprit raisonne sans contrainte
, comme il veut , et sur ce qu'il veut ;
il ne trouve personne qui lui contredise :
I. Vol.
dans
JUIN. 1733. 1089:
dans la conversation , il doit être prêt à
raisonner sur tout , et à soutenir ses rai
sonnemens contre tous .
Ordinairement dans la conversation
les uns sont fort di straits , et les autres
ont une attention si importune , qu'au
moindre mot qui échappe , ils le releyent
, badinant autour , y trouvent un
mistere que les autres n'y voyent pas , et
y cherchent de la finesse et de la subti
lité , seulement pour avoir occasion de
placer la leur.
Fermer
Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore la moralité et le comportement des grands et des princes, soulignant que malgré leurs plaisirs et leur insouciance, une voix intérieure les avertit de leur éloignement de l'état où ils devraient être. Les exemples des princes influencent fortement leurs sujets, souvent plus que les lois. Un mauvais exemple peut enseigner le mal et pousser à la honte d'être innocent parmi les coupables. Les mesures des usurpateurs pour assurer leur succession échouent souvent en raison de l'exemple qu'ils ont donné. Le texte insiste sur l'importance de l'expérience et de la punition exemplaire pour dissuader les méchants et protéger les bons. Il met en garde contre les petites fautes qui peuvent mener à de grands désordres et souligne l'importance de réparer ses erreurs. Le pouvoir et la domination sont décrits comme des sources d'hypocrisie et d'inhumanité. Le texte aborde également la nature des conversations, soulignant leur rôle dans l'apprentissage et l'usage des connaissances. Il conclut en affirmant que la conversation est essentielle pour développer les talents et comprendre le monde.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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46
p. 1990-2002
REFLEXIONS.
Début :
Les hommes ne sçavent ni donner ni perdre à propos. [...]
Mots clefs :
Hommes, Mal, Mérite, Beauté, Politesse, Bienfaits, Esprit, Homme, Femmes, Justice, Grandeur, Paraître, Vertu, Réflexions, Défauts, Monde
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
Lperdre à
propos .
Es hommes ne sçavent ni donner ni
Pecuniam in loco negligere , maximum interdum
lucrum est. Terence . Adelph.
L'esprit de l'homme se connoît à ses
paroles et sa naissance ou son éducation
à ses actions.
C'est le destin de l'homme de ne jamais
SEPTEMBRE . 1733. 1991
mais connoîce Son vrai bien , et de chercher
courant à être plus mal , pour vou
mieux.
Il est plus aisé d'abuser les hommes
par une narration où il entre du merveilleux
, que de les instruire par un
récit simple et naïf.
Nous sommes presque tous de telle
condition , que nous sommes fâchez d'être
ce que nous sommes.
On ne doit jamais parler de soi ni en
bien , parce qu'on ne nous croit point ,
ni en mal , parce qu'on en croit plus
qu'on n'en dit.
Les hommes prétendent que les femmes
leur sont fort inferieures en mérite , cependant
ils ne veulent leur passer aucun
défaut , et ils éclatent en mauvaise
humeur quand elles en remarquent quelqu'un
marqué en eux . Ils devroient opter
, s'appliquer à avoir moins de défauts
qu'elles , ou avoir moins de sévérité pour
les leurs.
Un homme toujours satisfait de luimême
, l'est peu souvent des autres ; rarement
on l'est de lui.
On
1992 MERCURE DE FRANCE
On trouve bien des hommes qui s'avoient
avares , vindicatifs , yvrognes ,
orgueilleux , poltrons même ; mais l'en
vie et l'ingratitude sont des passions si
lâches et si odieuses, que jamais personne
n'en demeura d'accord. Il n'y a point
de vertus compatibles avec les vices , et
point de crimes ausquels elles ne puissent
conduire.
La plupart des hommes ont bien plus
d'affectation et d'adresse pour excuser
leurs fautes , que d'attention pour n'en
point commettre.
Quand on paroît aimable aux yeux
des hommes , on paroît à leur esprit
tout ce qu'on veut .
Il n'est pas plus dangereux de faire du
mal à la plupart des hommes , que de
leur faire trop de bien .
Les hommes ont plus d'interêt à cor
riger les défauts de l'esprit , que ceux du
corps ; ils agissent cependant comme s'ile
étoi.nt persuadez du contraire.
Les hommes ont une application continuelle
à cacher et à déguiser leurs vices
СБ
SEPTEMBRE. 1733. 1993
et leurs défauts ; ils auroient peut- être
moins de peine à s'en corriger.
La vertu est souvent voilée par la modestie
, et le vice par l'hypocrisie ; ainsi
il est bien difficile de pouvoir penetrer
l'interieur des hommes.
Il est aussi avantageux aux hommes
de publier les bienfaits qu'ils reçoivent,
u'il leur est desavantageux de se plaindre
de leurs disgraces.
qu'il
Les hommes sont aveugles dans leurs
desirs , leurs pensées sont trompeuses ,
leurs discours et leurs esperances folles ,
et leurs apétits dereglez. Omnes decipimur
specie recti , dit Horace . Car à plusieurs
une blessure a procuré la santé ,
et l'on s'est trouvé quelquefois au comble
de la gloire , quand on ne devoit attendre
que l'infamie ou la mort.
Les hommes ne sont pas obligez d'être
bien faits , d'êtres riches ; ils sont obligez
d'avoir de la probité et de l'honneur,
Les hommes trouvent presque toujours
la peine , quand ils la fuyent avec
trop d'empressement.
Etre
1994 MERCURE DE FRANCE
Etre utile au Public , est un call tere
brillant ; ne nuire à personne , est un
état de vertu obscur , mais for rava Il
faudroit que les hommes avant que d'êtres
utiles au Public , cessassent de nuire
à qui que ce soit.
On doit plaindre presque également
un homme riche qui n'a qu'une bonne table
, et un pauvre qui n'a que de l'apétit.
C'est une grande foiblesse à un Prince
de n'oser refuser justement ce qu'on ose
bien lui demander sans avoir égard à
la justice.
Les Grands , pour l'ordinaire , se contentent
de sentir qu'on leur est agréàble
, sans approfondir si on mérite de
l'être. Leur plus importante occupation
cependant devroit être de connoître les
hommes , puisqu'ils veulent passer pour
les images de la divinité ; mais ils craignent
en cela de se détromper , de peur
de trouver souvent leurs Favoris indignes
de leurs bontez , et les autres hommes
qu'ils ne regardent pas , dignes de
plus de distinction .
Les Souverains se picquent d'ordinaire
de
SEPTEMBRE. 1733. 1995
7
de constance ; ils condamneroient plutôt
leurs propres Enfans que de blâmer
un Sujet choisi de leur main . Ils ne crais
tant de paroître malheureux
dat leur famille
Pears
jugemens.
, que mal- habiles dans
Ifatti de Principi , hanno ogn'altra facsia
che la vera.
Il est bien rare que les Grands n'abusent
pas de leur grandeur.
Il y a cette difference entre le Peuple
et les Grands ; que celui - là perd fa- .
cilement le souvenir des bienfaits et des
injures , au lieu que celui- cy oublie facilement
les plaisirs reçûs , et se souvient
toujours des injures.
Plusieurs méprisent la grandeur , afin
de s'élever dans leur imagination audessus
des Grands et de se bâtir ainsi une
grandeur imaginaire. De même qu'en
méprisant les richesses, c'est souvent pour
se faire un petit trésor de vanité , qui
tienne lieu de ce qu'on n'a pas.
Les Princes doivent être extrémement
attentifs à moderer tellement , même
leurs
1996 MERCURE DE FRANCE
à
leurs vertus , que l'une ne nuise pas
l'autre par son excès . Prendre garde sur
tout que leur justice et leur bonté ne
s'entre- détruise ; car à vouloir êne trop
juste , on devient odieux ; à vouloir être
trop bon , on devient méprisable.
L'estime des Grands est quelquefois
facile à acquerir , mais elle est toujours
difficile à conserver.
Selon le sentiment d'Epicure , il doit
être plus agréable de donner que de recevoir.
L'ingratitude même ne doit pas nous
empêcher de faire du bien , car il vaut
encore mieux que les bienfaits se perdent
dans les mains des ingrats , que
dans les nôtres.
Rien ne s'achette plus cherement que
ce qu'on achette par les prieres.
L'avidité de recevoir un nouveau bien--
fait , fait oublier celui qu'on a déja reçû .
Cupiditas accipiendorum oblivionem facit
acceptorum. Seneq .
Nous traçons sur la poussiere les bienfaits
SEPTEMBRE . 1733. 1997
faits que nous recevons , et nous gravons
sur le marbre le mal qu'on nous
fait , dit un Ancien.
Un bienfait desaprouvé n'est gra
ce que pour un seul , et c'est une injure
pour plusieurs.
Le bienfait n'est tel que par le bon
usage qu'en fait celui qui le reçoit .
De toutes les choses du monde , celle
qui vieillit le plus aisément et le plu
tôt , c'est le bienfair.
- Plusieurs sçavent perdre leurs biens ;
mais peu les sçavent donner .
Faire du bien aux méchants
souvent faire du mal aux bons.
c'est
Presque toujours lorsque les bienfaits
vont trop loin , la haine prend la place
de la reconnoissance.
Il y a des plaisirs dont on se paye par
ses mains ; celui d'en faire aux autres
est de cette nature.
I Beneficii ordinariamente si vedono
E contra
1998 MERCURE DE FRANCE
sontra cambiati , con ingratitudine infinita ;
più per l'impertinenza che il Benef
usa nell'esigere la gratitudine del of
altrui , che per la discortesia di d
il beneficio.
Gli Beneficii si ricevano sempre volentieri
, ma non sempre volentieri si vede il
Benefattore.
Nous sommes toujours extrémement
agréables à ceux à qui nous donnons
occasion de l'être.
Une femme ne trouve rien de si diffi
cile à faire que de s'accoûtumer à n'être
plus belle , quand elle l'a été pare
faitement,
Il n'y a pas de femme , si laide soitelle
, qui ne se trouve quelque trait de
beauté.
Sibi quaque videtur amanda,
Pessima sit , nulli non sua forma placet.
Ovid. de Art. Am. L. 23
La beauté dans le Sexe expose à tant
de périls , qu'il est bien difficile qu'on
ne succombe pas à quelques- uns .
Les
SEPTEMBRE. 1733. 1999
gou-
Les femmes ont souvent raison de vouloir
, à quelque prix que ce soit , paroître
belies, puisque c'est tout ce que les hommes
leur ont laissé ; car , point de
vernement pour elles , point d'autorité
absoluë , point de conduite d'ames , point
de pouvoir dans l'Eglise , point de possession
de Charges , point d'entrée dans
le Secret des affaires d'Etat.Il semble même
qu'on leur veuille ôter jusqu'à l'esprit
, en traitant de précieuses celles qui
en font paroître. Laissons -leur donc la
beauté , et quand elles n'en ont point ,
laissons - leur du moins le plaisir de croire
qu'elles en ont.
La laideur fait quelquefois présumer la
vertu où elle n'est pas ; et la beauté a
cela de funeste , qu'on croit les belles
personnes capables de toutes les foiblesses
qu'elles causent .
La beauté sans la grace, est un apas sans
hameçon.
En désirant trop ardemment de plaire,
on ne se rend pas plus aimable.
La réputation qui vient de la beauté
est quelque chose de si délicat parmi les
E ij
Fem-
885481
2000 MERCURE DE FRANCE
Femmes, qu'encore qu'elles ayent la plus
grande indifférence du monde pour quel
qu'un , jamais pourtant cette indirerence
n'ira jusqu'à vouloir que ce quelqu'un
porte ailleurs ses hommages et ses soupirs.
Tant de fierté qu'on voudra , une
belle personne regarde toujours la fuite
d'un amant sans mérite si on veut , et
qu'elle n'estime pas , comme autant de
diminué sur son empire.
Il
y
des beautez si engageantes , que
si on ne fuit , sans hésiter, on ne fuit pas
loin. On ne peut aller tout au plus que
de la longueur de ses chaînes.
Le véritable Efprit de Politesse consiste
dans une certaine attention à faire ensorte
que par nos paroles et par nos manieres
, les autres soient contens de nous
et d'eux -mêmes.
L'incivilité n'est pas un vice de l'ame ;
elle est l'effet de plusieurs vices ; de la
sotte vanité , de l'ignorance de ses devoirs
, de la paresse , de la stupidité , de
la distraction , du mépris des autres de
la jalousie , & c.
Rien n'est plus contraire à la véritable
poSEPTEMDA
E. *733• 2001
politesse et à la bienséance , que
de l'observer
avec trop d'affectation ; c'est s'incommoder
, c'est s'embarrasser , pour incommoder
, pour embarrasser les autres.
Il eft presqu'autant contre la bienséance
de se cachet en faisant le bien , que de
chercher à se faire voir en faisant le mal.
Tel croit mériter le nom de Poli , qui
ne mérite que celui de Dameret ou de
Pindariseur. La vraie Politesse est souvent
confondue avec des qualitez qui
méritent plus de blâme que de loüange.
On doit obeir sans cesse à la Loy des
usages et des bienséances ; il n'y a que
les Loix de la necessité qui nous dispensent
de toutes les autres.
On voit beaucoup de gens qui sçavent
comme on vit , mais fort peu qui sçachent
vivre ; c'est qu'on est trop curieux
de sçavoir ce que le monde fait , et qu'on
ne l'est pas assez de ce qu'il devroit
Faire.
La Politesse ne donne pas le mérite ,
mais elle le rend agréable , sans elle ildevient
presque insupportable , car il est
farauche et sans agrément. E iij
2002 MERCURE DE FRANCE
"
On perd presque tout le mérite du
bien,si on le fait sans Politesse ; unc mauvaise
maniere gâte tout , elle, défigure
même la justice et la raison .
Le chef- d'oeuvre de la Politesse est de
n'insulter jamais à ceux qui en manquent,
et de se contenter de les instruire par
l'exemple , sans rien faire davantage .
Lperdre à
propos .
Es hommes ne sçavent ni donner ni
Pecuniam in loco negligere , maximum interdum
lucrum est. Terence . Adelph.
L'esprit de l'homme se connoît à ses
paroles et sa naissance ou son éducation
à ses actions.
C'est le destin de l'homme de ne jamais
SEPTEMBRE . 1733. 1991
mais connoîce Son vrai bien , et de chercher
courant à être plus mal , pour vou
mieux.
Il est plus aisé d'abuser les hommes
par une narration où il entre du merveilleux
, que de les instruire par un
récit simple et naïf.
Nous sommes presque tous de telle
condition , que nous sommes fâchez d'être
ce que nous sommes.
On ne doit jamais parler de soi ni en
bien , parce qu'on ne nous croit point ,
ni en mal , parce qu'on en croit plus
qu'on n'en dit.
Les hommes prétendent que les femmes
leur sont fort inferieures en mérite , cependant
ils ne veulent leur passer aucun
défaut , et ils éclatent en mauvaise
humeur quand elles en remarquent quelqu'un
marqué en eux . Ils devroient opter
, s'appliquer à avoir moins de défauts
qu'elles , ou avoir moins de sévérité pour
les leurs.
Un homme toujours satisfait de luimême
, l'est peu souvent des autres ; rarement
on l'est de lui.
On
1992 MERCURE DE FRANCE
On trouve bien des hommes qui s'avoient
avares , vindicatifs , yvrognes ,
orgueilleux , poltrons même ; mais l'en
vie et l'ingratitude sont des passions si
lâches et si odieuses, que jamais personne
n'en demeura d'accord. Il n'y a point
de vertus compatibles avec les vices , et
point de crimes ausquels elles ne puissent
conduire.
La plupart des hommes ont bien plus
d'affectation et d'adresse pour excuser
leurs fautes , que d'attention pour n'en
point commettre.
Quand on paroît aimable aux yeux
des hommes , on paroît à leur esprit
tout ce qu'on veut .
Il n'est pas plus dangereux de faire du
mal à la plupart des hommes , que de
leur faire trop de bien .
Les hommes ont plus d'interêt à cor
riger les défauts de l'esprit , que ceux du
corps ; ils agissent cependant comme s'ile
étoi.nt persuadez du contraire.
Les hommes ont une application continuelle
à cacher et à déguiser leurs vices
СБ
SEPTEMBRE. 1733. 1993
et leurs défauts ; ils auroient peut- être
moins de peine à s'en corriger.
La vertu est souvent voilée par la modestie
, et le vice par l'hypocrisie ; ainsi
il est bien difficile de pouvoir penetrer
l'interieur des hommes.
Il est aussi avantageux aux hommes
de publier les bienfaits qu'ils reçoivent,
u'il leur est desavantageux de se plaindre
de leurs disgraces.
qu'il
Les hommes sont aveugles dans leurs
desirs , leurs pensées sont trompeuses ,
leurs discours et leurs esperances folles ,
et leurs apétits dereglez. Omnes decipimur
specie recti , dit Horace . Car à plusieurs
une blessure a procuré la santé ,
et l'on s'est trouvé quelquefois au comble
de la gloire , quand on ne devoit attendre
que l'infamie ou la mort.
Les hommes ne sont pas obligez d'être
bien faits , d'êtres riches ; ils sont obligez
d'avoir de la probité et de l'honneur,
Les hommes trouvent presque toujours
la peine , quand ils la fuyent avec
trop d'empressement.
Etre
1994 MERCURE DE FRANCE
Etre utile au Public , est un call tere
brillant ; ne nuire à personne , est un
état de vertu obscur , mais for rava Il
faudroit que les hommes avant que d'êtres
utiles au Public , cessassent de nuire
à qui que ce soit.
On doit plaindre presque également
un homme riche qui n'a qu'une bonne table
, et un pauvre qui n'a que de l'apétit.
C'est une grande foiblesse à un Prince
de n'oser refuser justement ce qu'on ose
bien lui demander sans avoir égard à
la justice.
Les Grands , pour l'ordinaire , se contentent
de sentir qu'on leur est agréàble
, sans approfondir si on mérite de
l'être. Leur plus importante occupation
cependant devroit être de connoître les
hommes , puisqu'ils veulent passer pour
les images de la divinité ; mais ils craignent
en cela de se détromper , de peur
de trouver souvent leurs Favoris indignes
de leurs bontez , et les autres hommes
qu'ils ne regardent pas , dignes de
plus de distinction .
Les Souverains se picquent d'ordinaire
de
SEPTEMBRE. 1733. 1995
7
de constance ; ils condamneroient plutôt
leurs propres Enfans que de blâmer
un Sujet choisi de leur main . Ils ne crais
tant de paroître malheureux
dat leur famille
Pears
jugemens.
, que mal- habiles dans
Ifatti de Principi , hanno ogn'altra facsia
che la vera.
Il est bien rare que les Grands n'abusent
pas de leur grandeur.
Il y a cette difference entre le Peuple
et les Grands ; que celui - là perd fa- .
cilement le souvenir des bienfaits et des
injures , au lieu que celui- cy oublie facilement
les plaisirs reçûs , et se souvient
toujours des injures.
Plusieurs méprisent la grandeur , afin
de s'élever dans leur imagination audessus
des Grands et de se bâtir ainsi une
grandeur imaginaire. De même qu'en
méprisant les richesses, c'est souvent pour
se faire un petit trésor de vanité , qui
tienne lieu de ce qu'on n'a pas.
Les Princes doivent être extrémement
attentifs à moderer tellement , même
leurs
1996 MERCURE DE FRANCE
à
leurs vertus , que l'une ne nuise pas
l'autre par son excès . Prendre garde sur
tout que leur justice et leur bonté ne
s'entre- détruise ; car à vouloir êne trop
juste , on devient odieux ; à vouloir être
trop bon , on devient méprisable.
L'estime des Grands est quelquefois
facile à acquerir , mais elle est toujours
difficile à conserver.
Selon le sentiment d'Epicure , il doit
être plus agréable de donner que de recevoir.
L'ingratitude même ne doit pas nous
empêcher de faire du bien , car il vaut
encore mieux que les bienfaits se perdent
dans les mains des ingrats , que
dans les nôtres.
Rien ne s'achette plus cherement que
ce qu'on achette par les prieres.
L'avidité de recevoir un nouveau bien--
fait , fait oublier celui qu'on a déja reçû .
Cupiditas accipiendorum oblivionem facit
acceptorum. Seneq .
Nous traçons sur la poussiere les bienfaits
SEPTEMBRE . 1733. 1997
faits que nous recevons , et nous gravons
sur le marbre le mal qu'on nous
fait , dit un Ancien.
Un bienfait desaprouvé n'est gra
ce que pour un seul , et c'est une injure
pour plusieurs.
Le bienfait n'est tel que par le bon
usage qu'en fait celui qui le reçoit .
De toutes les choses du monde , celle
qui vieillit le plus aisément et le plu
tôt , c'est le bienfair.
- Plusieurs sçavent perdre leurs biens ;
mais peu les sçavent donner .
Faire du bien aux méchants
souvent faire du mal aux bons.
c'est
Presque toujours lorsque les bienfaits
vont trop loin , la haine prend la place
de la reconnoissance.
Il y a des plaisirs dont on se paye par
ses mains ; celui d'en faire aux autres
est de cette nature.
I Beneficii ordinariamente si vedono
E contra
1998 MERCURE DE FRANCE
sontra cambiati , con ingratitudine infinita ;
più per l'impertinenza che il Benef
usa nell'esigere la gratitudine del of
altrui , che per la discortesia di d
il beneficio.
Gli Beneficii si ricevano sempre volentieri
, ma non sempre volentieri si vede il
Benefattore.
Nous sommes toujours extrémement
agréables à ceux à qui nous donnons
occasion de l'être.
Une femme ne trouve rien de si diffi
cile à faire que de s'accoûtumer à n'être
plus belle , quand elle l'a été pare
faitement,
Il n'y a pas de femme , si laide soitelle
, qui ne se trouve quelque trait de
beauté.
Sibi quaque videtur amanda,
Pessima sit , nulli non sua forma placet.
Ovid. de Art. Am. L. 23
La beauté dans le Sexe expose à tant
de périls , qu'il est bien difficile qu'on
ne succombe pas à quelques- uns .
Les
SEPTEMBRE. 1733. 1999
gou-
Les femmes ont souvent raison de vouloir
, à quelque prix que ce soit , paroître
belies, puisque c'est tout ce que les hommes
leur ont laissé ; car , point de
vernement pour elles , point d'autorité
absoluë , point de conduite d'ames , point
de pouvoir dans l'Eglise , point de possession
de Charges , point d'entrée dans
le Secret des affaires d'Etat.Il semble même
qu'on leur veuille ôter jusqu'à l'esprit
, en traitant de précieuses celles qui
en font paroître. Laissons -leur donc la
beauté , et quand elles n'en ont point ,
laissons - leur du moins le plaisir de croire
qu'elles en ont.
La laideur fait quelquefois présumer la
vertu où elle n'est pas ; et la beauté a
cela de funeste , qu'on croit les belles
personnes capables de toutes les foiblesses
qu'elles causent .
La beauté sans la grace, est un apas sans
hameçon.
En désirant trop ardemment de plaire,
on ne se rend pas plus aimable.
La réputation qui vient de la beauté
est quelque chose de si délicat parmi les
E ij
Fem-
885481
2000 MERCURE DE FRANCE
Femmes, qu'encore qu'elles ayent la plus
grande indifférence du monde pour quel
qu'un , jamais pourtant cette indirerence
n'ira jusqu'à vouloir que ce quelqu'un
porte ailleurs ses hommages et ses soupirs.
Tant de fierté qu'on voudra , une
belle personne regarde toujours la fuite
d'un amant sans mérite si on veut , et
qu'elle n'estime pas , comme autant de
diminué sur son empire.
Il
y
des beautez si engageantes , que
si on ne fuit , sans hésiter, on ne fuit pas
loin. On ne peut aller tout au plus que
de la longueur de ses chaînes.
Le véritable Efprit de Politesse consiste
dans une certaine attention à faire ensorte
que par nos paroles et par nos manieres
, les autres soient contens de nous
et d'eux -mêmes.
L'incivilité n'est pas un vice de l'ame ;
elle est l'effet de plusieurs vices ; de la
sotte vanité , de l'ignorance de ses devoirs
, de la paresse , de la stupidité , de
la distraction , du mépris des autres de
la jalousie , & c.
Rien n'est plus contraire à la véritable
poSEPTEMDA
E. *733• 2001
politesse et à la bienséance , que
de l'observer
avec trop d'affectation ; c'est s'incommoder
, c'est s'embarrasser , pour incommoder
, pour embarrasser les autres.
Il eft presqu'autant contre la bienséance
de se cachet en faisant le bien , que de
chercher à se faire voir en faisant le mal.
Tel croit mériter le nom de Poli , qui
ne mérite que celui de Dameret ou de
Pindariseur. La vraie Politesse est souvent
confondue avec des qualitez qui
méritent plus de blâme que de loüange.
On doit obeir sans cesse à la Loy des
usages et des bienséances ; il n'y a que
les Loix de la necessité qui nous dispensent
de toutes les autres.
On voit beaucoup de gens qui sçavent
comme on vit , mais fort peu qui sçachent
vivre ; c'est qu'on est trop curieux
de sçavoir ce que le monde fait , et qu'on
ne l'est pas assez de ce qu'il devroit
Faire.
La Politesse ne donne pas le mérite ,
mais elle le rend agréable , sans elle ildevient
presque insupportable , car il est
farauche et sans agrément. E iij
2002 MERCURE DE FRANCE
"
On perd presque tout le mérite du
bien,si on le fait sans Politesse ; unc mauvaise
maniere gâte tout , elle, défigure
même la justice et la raison .
Le chef- d'oeuvre de la Politesse est de
n'insulter jamais à ceux qui en manquent,
et de se contenter de les instruire par
l'exemple , sans rien faire davantage .
Fermer
Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore diverses réflexions sur la nature humaine et les comportements sociaux. Il met en lumière la difficulté des hommes à reconnaître et à rechercher leur véritable bien, souvent préférant le malheur. Les récits merveilleux trompent plus facilement les hommes que les récits simples. La plupart des gens sont insatisfaits de leur condition et évitent de parler de leurs défauts. Les hommes critiquent les femmes pour leurs défauts tout en étant intolérants aux remarques sur les leurs. Les vices comme l'avarice et l'ingratitude sont rarement admis par ceux qui les possèdent. Les hommes cachent et déguisent leurs défauts plutôt que de les corriger. La vertu est souvent voilée par la modestie, tandis que le vice l'est par l'hypocrisie. Il est avantageux de publier les bienfaits reçus et désavantageux de se plaindre des malheurs. Les hommes sont aveugles dans leurs désirs et leurs pensées sont trompeuses. Les grands et les souverains ont souvent des comportements contradictoires, abusant de leur pouvoir et étant intolérants aux critiques. Les bienfaits sont souvent oubliés rapidement, tandis que les injures sont gravées dans la mémoire. La beauté chez les femmes expose à des périls et est souvent la seule chose qu'elles peuvent utiliser pour se distinguer. La véritable politesse consiste à rendre les autres contents d'eux-mêmes et de soi, sans affectation. L'incivilité est l'effet de plusieurs vices, et la politesse rend le mérite agréable.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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47
p. 2197-2205
Le Zodiaque de la vie humaine, [titre d'après la table]
Début :
LE ZODIAQUE DE LA VIE HUMAINE, ou Préceptes pour diriger la Conduite et les [...]
Mots clefs :
Remarques, Poète, Auteur, Vertu, Chant, Préceptes, Texte, Nom, Science, Hommes, Poème, Philosophie, Volupté, Pier-Angelo Manzolli
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Le Zodiaque de la vie humaine, [titre d'après la table]
LE ZODIAQUE DE LA VIE HUMAINE , OU
Préceptes pour diriger la Conduite et les
Moeurs des hommes ; divisé en douze Livres,
sous les 12 Signes , traduit du Poëme
Latin de MARCEL PALINGENE , célébre
Poëte de la Stellada ; nouvelle Edition
, revue , corrigée et agmentée de
Notes Historiques , Critiques , &c.
M. J. B. C. DE LA MONNERIE , Mre Pr.
A Londres,chez le Prevost , et Compagnie,
Libraires , sur le Strand , 1733. et se vend'
à Paris , chez Cailleau, Libraire, Quai des
Augustins , à S. André.
Ce Livre est divisé en deux volumes
grands in 12. Dans le premier Tome est
une Epîtte dédicatoire , addressée à Mylord
Chesterfield , avec une Préface , où
l'on trouve la vie en abrégé de Palingenius
2198 MERCURE DE FRANCE
nius , ou plutôt des Conjectures qu'on a
faites sur lui ; personne n'ayant jusqu'icy
rien avancé de certain sur le compre de
cet Auteur , on y voit les sentimens de
tous les Sçavans qui en ont fait mention
, et qui lui prodiguent leurs Eloges ;
entr'autres , Naudé, Colletet, Borrychius,
la Croix du Maine , Scævole de Sainte-
Marthe, Antoine Musa Brazavolus , Scauranus,
Bayle, Baillet, M. de la Monnoye;
et à la tête de tous , Scaliger.
Le premier Livre , intitulé : Le Bélier ,
ne sert , pour ainsi dire , que de préliminaire
au Poëme ; il est enrichi de Notes
qui expliquent les expressions Poëtiques
, dont la diction du texte est remplie
; et on y trouve une Table qui explique
la valeur numérique des Lettres
Hébraïques et Grecques.
,
Le second Livre , qui porte le nom de
Taureau démontre que le souverain
bien ne se trouve pas dans les Richesses,
mais bien plutôt dans la possession de la
science et de la vertu ; l'état d'un homme
vertueux , quoique pauvre; y est préféré
à celui d'un riche licentieux , ignorant
et vicieux . Les Notes Philosophiques
de ce chant éclairci scnt ce qui
pourroit être resté d'obscur dans le texte.
Dans le troisiéme Livre , sous le titre
des
OCTOBRE . 1733. 2199
des Jumeaux , l'Auteur expose le précis
de la Philosophie d'Epicure , ce qui lui
donne occasion de faire une ample et
belle description du séjour de la volupté;
le Poëte y fait rencontre de la vertu , qui
réfute et détruit les Argumens Epicu
riens , prouve que la volupté n'est autre
chose que la furie infernale Erynnis , et
substitue au raisonnement d'Epicure des
Préceptes contraires. Les Notes de ce
chant mettent ces matieres à la portée de
tout le monde . Dans une de ces Notes on
prouve que le Poëte Lucrece se contredit
quand il avance que l'ame est mortelle .
Le quatrième Livre , sous le nom de
l'Ecrevisse , débute par un éloge du So-
/ leil , où on décrit les proprierez infinies
de ce Roy des Astres . L'Eloge sert en
même temps d'invocation à Apollon ;
il y a de plus une dispute ou un défi Pastoral
, qui est interrompu pour donner .
lieu à Timalphe , fils de la vertu , d'achever
ce que la vertu avoit obmis d'expliquer
au Poète ; ce qui est suivi d'un Eloge
de l'amour sage ; on y montre
que
Etres ne subsistent que par l'amour que
Dieu a pour eux , on y trouve ensuite une
belle Apologie de la paix : Ce chant est
éclairci par des Remarques, Notes et Additions
; sçavoir , sur les Couleurs , sug
les
les
2200 MERCURE DE FRANCE
+
les Attributs des Muses; on y explique ce
que l'on doit entendre par Uranius on y &
donne le sens allégorique de la Mythologie
, avec un abregé tres - concis des vies
de Platon et d'Aristote ; on y explique
enfin ce que les anciens ont entendu par
leur Phoenix.
Suit le cinquiéme Livre , sous le nom
du Lyon les Richesses et les autres biens
corporels y sont méprisez ; on y exalte
avec pompe les biens qui concernent l'esprit
on y prouve que ce n'est qu'en
Dieu seul que se trouve le souverain bien ;
on y parle des inconveniens et des avantages
de la vie ; on y expose les incommoditez
du mariage , et on y lit des Préceptes
excellens pour se bien conduire
dans cet état ; l'on établit que la sagesse
est la plus précieuse de toutes les acquisitions
; parmi les Remarques on en voit
une sur le Spinosisme , une autre sur les
qualitez qu'on doit avoir pour être agréable
à Dieu ; on en lit une qui réfute le
texte , où il est avancé que l'homme n'a
d'autre avantage sur les animaux que la
faculté de la parole et des mains ; on voit
enfin une Remarque sur le dissolvant
universel , qu'on ne peut , dit on , obtenir
que par le moyen de la volatisation
d'un seul sel
Le
OCTOBRE. 1733. 220X
Le Livre sixième , où la Vierge définít
quelle doit être la vraie noblesse , qui est
censée ne devoir être acquise que par la
science et par la vertu ; on y conclud
qu'au lieu de craindre la mort , on doit
plutôt la souhaiter comme la fin de nos
maux et le commencement de notre bonheur
; le tout soutenu de Remarques variées
, de Fable , d'Histoire et d'autres
connoissances utiles . Avec ce Livre finit
le premier Tome ; il est suivi des Sommaires
repetez de chacun des Livres, qui
tiennent lieu de Table des matieres.
Le premier Livre , du Tome second ,
qui est le septiéme du Poëme , sous le
nom de la Balance , commence par définir
l'Unité , l'Existence , la Simplicité et
la Perfection de Dieu ; l'Auteur avance
que la Région du feu est peuplée ; on y
établit le Systême de la pluralité des
Mondes, on explique la nature de l'ame ,
on met en question si le mouvement
procede de la chaleur et de la volonté
on prouve que c'est l'ame qui agit et non
pas les cinq sens ; ce qui s'établit par la
plus pure Philosophie , et l'on conclud
par cet argument que l'ame est immortelle
; on y voit une Carte curieuse sur
l'écoulement des Etres , Arts et Sciences
; entre les Remarques de ce chant , on
en
>
2202 MERCURE DE FRANCE
en voit une sur les Sectes des Manichéens
et des Gnostiques , au sujet du sentiment
du bon et du mauvais principe ; on avance
que l'Or dis out par l'Alkaes de Pr
racelse et de Vanhelmont , paroît sous la
forme d'un sel ou d'une huile rouges ; les
Notes font aussi mention des Sybilles ;
on réfute le sentiment de quelques Mathématiciens
qui croyoient que l'ame ne
subsistoit et n'étoit autre chose que le
concert harmonique des Organes.
Le Livre huitième où le Scorpion concilie
la Providence divine avec le libre
arbitre ; l'Auteur y explique pourquoi
les honnêtes gens sont souvent malheureux
, et les méchans au contraire fortunez
par la distinction qu'il fait des
biens du corps d'avec ceux qui appar.
tiennent totalement à l'esprit ; soutenant
que les premiers sont l'appanage des méchans
, et les derniers sont du ressort des
seuls sages. Ce Chant est rempli comme
les autres de Remarques Philosophiques
et Historiques , et en quelques endroits
Chymiques.
Le Livre neuvième , où le Sagittaire dé
butte par des Leçons pour les bonnes 1
moeurs ; l'on y lit entr'autres choses une
Priere à Dieu, qui est d'une grande beauté
, au bas de laquelle est une citation en
remar
OCTOBRE 1733. 2203
remarque d'un fragment du Socrate
Chrétien , de M. de Balzac , qu'on peut
regarder comme un effort du génie de ce
Scavant on y dépeint analogiquement
quatre Rois qui sont eux- mêmes soumis
à un cinquième , plus grand qu'eux , qui
tous de concert excitent les hommes à la
volupté , à l'avarice , à l'orgueil et à l'envie;
on y distingue cinq especes d'hommes
, sçavoir , les Pieux , les Prudens , les
Rusez , les Fols , et les Furieux ; le tout
enrichi de Remarques et de Notes comme
tout le reste.
On trouve ensuite le Capricorne , qui
est le dixiéme Livre ; on y traite de la
I culture de l'ame par la Science et les
beaux Arts , on y avance que le sage por
te aisément tour avec lui , ce que le Riche
ne peut faire. Le Texte écrit énigmatiquement
la maniere de préparer le
grand oeuvre , on trouve au bas de cet article
une compilation parfaite de tous les
procedez de cette science décrits de suite,
ce que plus de six cent Auteurs hermé
tiques n'ont donné que par Lambeaux.
On établit que le vrai Sage ne doit point
se marier que la Guerre n'est légitime
que quand il s'agit de la deffense des Autels
et des Foyers domestiques ; on y lit
une conversation entre un Poëte et un
Her2204
MERCURE DE FRANCE
Hermite qui est le précis d'une excellente
Morale ; l'Hermite y conclud que c'est
l'Esprit de Dieu qui seul purifie les coeurs;
on y fait un portrait qui peut servir
méditation sur les miseres humaines ; on
finir par convenir qu'il est difficile de
parvenir à la vraie sagesse dans ce Monde
, et on trouve par tout des Remarques
et des Notes d'une sçavante Litterature
.
Le Verseau , ou le livre onzième , après !!
une invocation à Uranie , contient des
Préceptes astronomiques , on y décrit les
Cercles du monde , Fordre et le mouvement
des Planettes ; on y fait l'énumération
non-seulement de tous les Signes du
Zodiaque , mais encore de tous ceux du
Ciel , et du nombre d'Etoilles qui les
composent, on en décrit enfin le lever et
le coucher , & c. On trouve en tous les
Endroits des Notes qui éclaircissent ce
que ces matieres ont d'abstrait; on y traite
et.de la matiere et de la forme ; en un
mot on y parle de tout ce qui est celeste ;
delà on revient aux Elémens et aux Météores
; on trouve en Note un fragment ,
qui donne les preuves de l'Elaboration de
la Mer , et de la fabrication qu'elle fait en
son sein de tous les Terrains apparans
du Globe terrestre , Ce morceau est d'une
Philosophie nouvelle et curieuse,
1
OCTOBRE . 1733. 2205
Dans les Poissons , Livre douze et dermer
, oh prouve que hors les confins du
Ciel , il y a une lumiere immense , incorporelles
que cette lumiere est la forme
qui communique l'Etre aux choses ,
qu'elle nnee peut être apperçuë des yeux
corporels ; on y parle des formes sans mariere
qui composent la substance des
Anges ; on y confond les Athées; on convient
qu'il est difficile de s'entretenir
avec les bons Esprits, et que la conversation
des mauvais est plus aisée à obtenirs
on trouve en cet endroit une longue Remarque
qui peut servir d'Elemens à l'Astrologie
, &c. On doit conclure que ce
Livre est fort interessant et d'une lec-
= ture agréable. Le public sçavant et curieux
doit sçavoir gré à M. de la Monnerie
d'avoir fait revivre par sa traduction un
Auteur excellent , presque tombé dans
- l'oubli , et d'avoir accompagné cette traduction
de tous les secours dont elle avoit
besoin pour faire un présent accompli à
la République des Lettres.
Préceptes pour diriger la Conduite et les
Moeurs des hommes ; divisé en douze Livres,
sous les 12 Signes , traduit du Poëme
Latin de MARCEL PALINGENE , célébre
Poëte de la Stellada ; nouvelle Edition
, revue , corrigée et agmentée de
Notes Historiques , Critiques , &c.
M. J. B. C. DE LA MONNERIE , Mre Pr.
A Londres,chez le Prevost , et Compagnie,
Libraires , sur le Strand , 1733. et se vend'
à Paris , chez Cailleau, Libraire, Quai des
Augustins , à S. André.
Ce Livre est divisé en deux volumes
grands in 12. Dans le premier Tome est
une Epîtte dédicatoire , addressée à Mylord
Chesterfield , avec une Préface , où
l'on trouve la vie en abrégé de Palingenius
2198 MERCURE DE FRANCE
nius , ou plutôt des Conjectures qu'on a
faites sur lui ; personne n'ayant jusqu'icy
rien avancé de certain sur le compre de
cet Auteur , on y voit les sentimens de
tous les Sçavans qui en ont fait mention
, et qui lui prodiguent leurs Eloges ;
entr'autres , Naudé, Colletet, Borrychius,
la Croix du Maine , Scævole de Sainte-
Marthe, Antoine Musa Brazavolus , Scauranus,
Bayle, Baillet, M. de la Monnoye;
et à la tête de tous , Scaliger.
Le premier Livre , intitulé : Le Bélier ,
ne sert , pour ainsi dire , que de préliminaire
au Poëme ; il est enrichi de Notes
qui expliquent les expressions Poëtiques
, dont la diction du texte est remplie
; et on y trouve une Table qui explique
la valeur numérique des Lettres
Hébraïques et Grecques.
,
Le second Livre , qui porte le nom de
Taureau démontre que le souverain
bien ne se trouve pas dans les Richesses,
mais bien plutôt dans la possession de la
science et de la vertu ; l'état d'un homme
vertueux , quoique pauvre; y est préféré
à celui d'un riche licentieux , ignorant
et vicieux . Les Notes Philosophiques
de ce chant éclairci scnt ce qui
pourroit être resté d'obscur dans le texte.
Dans le troisiéme Livre , sous le titre
des
OCTOBRE . 1733. 2199
des Jumeaux , l'Auteur expose le précis
de la Philosophie d'Epicure , ce qui lui
donne occasion de faire une ample et
belle description du séjour de la volupté;
le Poëte y fait rencontre de la vertu , qui
réfute et détruit les Argumens Epicu
riens , prouve que la volupté n'est autre
chose que la furie infernale Erynnis , et
substitue au raisonnement d'Epicure des
Préceptes contraires. Les Notes de ce
chant mettent ces matieres à la portée de
tout le monde . Dans une de ces Notes on
prouve que le Poëte Lucrece se contredit
quand il avance que l'ame est mortelle .
Le quatrième Livre , sous le nom de
l'Ecrevisse , débute par un éloge du So-
/ leil , où on décrit les proprierez infinies
de ce Roy des Astres . L'Eloge sert en
même temps d'invocation à Apollon ;
il y a de plus une dispute ou un défi Pastoral
, qui est interrompu pour donner .
lieu à Timalphe , fils de la vertu , d'achever
ce que la vertu avoit obmis d'expliquer
au Poète ; ce qui est suivi d'un Eloge
de l'amour sage ; on y montre
que
Etres ne subsistent que par l'amour que
Dieu a pour eux , on y trouve ensuite une
belle Apologie de la paix : Ce chant est
éclairci par des Remarques, Notes et Additions
; sçavoir , sur les Couleurs , sug
les
les
2200 MERCURE DE FRANCE
+
les Attributs des Muses; on y explique ce
que l'on doit entendre par Uranius on y &
donne le sens allégorique de la Mythologie
, avec un abregé tres - concis des vies
de Platon et d'Aristote ; on y explique
enfin ce que les anciens ont entendu par
leur Phoenix.
Suit le cinquiéme Livre , sous le nom
du Lyon les Richesses et les autres biens
corporels y sont méprisez ; on y exalte
avec pompe les biens qui concernent l'esprit
on y prouve que ce n'est qu'en
Dieu seul que se trouve le souverain bien ;
on y parle des inconveniens et des avantages
de la vie ; on y expose les incommoditez
du mariage , et on y lit des Préceptes
excellens pour se bien conduire
dans cet état ; l'on établit que la sagesse
est la plus précieuse de toutes les acquisitions
; parmi les Remarques on en voit
une sur le Spinosisme , une autre sur les
qualitez qu'on doit avoir pour être agréable
à Dieu ; on en lit une qui réfute le
texte , où il est avancé que l'homme n'a
d'autre avantage sur les animaux que la
faculté de la parole et des mains ; on voit
enfin une Remarque sur le dissolvant
universel , qu'on ne peut , dit on , obtenir
que par le moyen de la volatisation
d'un seul sel
Le
OCTOBRE. 1733. 220X
Le Livre sixième , où la Vierge définít
quelle doit être la vraie noblesse , qui est
censée ne devoir être acquise que par la
science et par la vertu ; on y conclud
qu'au lieu de craindre la mort , on doit
plutôt la souhaiter comme la fin de nos
maux et le commencement de notre bonheur
; le tout soutenu de Remarques variées
, de Fable , d'Histoire et d'autres
connoissances utiles . Avec ce Livre finit
le premier Tome ; il est suivi des Sommaires
repetez de chacun des Livres, qui
tiennent lieu de Table des matieres.
Le premier Livre , du Tome second ,
qui est le septiéme du Poëme , sous le
nom de la Balance , commence par définir
l'Unité , l'Existence , la Simplicité et
la Perfection de Dieu ; l'Auteur avance
que la Région du feu est peuplée ; on y
établit le Systême de la pluralité des
Mondes, on explique la nature de l'ame ,
on met en question si le mouvement
procede de la chaleur et de la volonté
on prouve que c'est l'ame qui agit et non
pas les cinq sens ; ce qui s'établit par la
plus pure Philosophie , et l'on conclud
par cet argument que l'ame est immortelle
; on y voit une Carte curieuse sur
l'écoulement des Etres , Arts et Sciences
; entre les Remarques de ce chant , on
en
>
2202 MERCURE DE FRANCE
en voit une sur les Sectes des Manichéens
et des Gnostiques , au sujet du sentiment
du bon et du mauvais principe ; on avance
que l'Or dis out par l'Alkaes de Pr
racelse et de Vanhelmont , paroît sous la
forme d'un sel ou d'une huile rouges ; les
Notes font aussi mention des Sybilles ;
on réfute le sentiment de quelques Mathématiciens
qui croyoient que l'ame ne
subsistoit et n'étoit autre chose que le
concert harmonique des Organes.
Le Livre huitième où le Scorpion concilie
la Providence divine avec le libre
arbitre ; l'Auteur y explique pourquoi
les honnêtes gens sont souvent malheureux
, et les méchans au contraire fortunez
par la distinction qu'il fait des
biens du corps d'avec ceux qui appar.
tiennent totalement à l'esprit ; soutenant
que les premiers sont l'appanage des méchans
, et les derniers sont du ressort des
seuls sages. Ce Chant est rempli comme
les autres de Remarques Philosophiques
et Historiques , et en quelques endroits
Chymiques.
Le Livre neuvième , où le Sagittaire dé
butte par des Leçons pour les bonnes 1
moeurs ; l'on y lit entr'autres choses une
Priere à Dieu, qui est d'une grande beauté
, au bas de laquelle est une citation en
remar
OCTOBRE 1733. 2203
remarque d'un fragment du Socrate
Chrétien , de M. de Balzac , qu'on peut
regarder comme un effort du génie de ce
Scavant on y dépeint analogiquement
quatre Rois qui sont eux- mêmes soumis
à un cinquième , plus grand qu'eux , qui
tous de concert excitent les hommes à la
volupté , à l'avarice , à l'orgueil et à l'envie;
on y distingue cinq especes d'hommes
, sçavoir , les Pieux , les Prudens , les
Rusez , les Fols , et les Furieux ; le tout
enrichi de Remarques et de Notes comme
tout le reste.
On trouve ensuite le Capricorne , qui
est le dixiéme Livre ; on y traite de la
I culture de l'ame par la Science et les
beaux Arts , on y avance que le sage por
te aisément tour avec lui , ce que le Riche
ne peut faire. Le Texte écrit énigmatiquement
la maniere de préparer le
grand oeuvre , on trouve au bas de cet article
une compilation parfaite de tous les
procedez de cette science décrits de suite,
ce que plus de six cent Auteurs hermé
tiques n'ont donné que par Lambeaux.
On établit que le vrai Sage ne doit point
se marier que la Guerre n'est légitime
que quand il s'agit de la deffense des Autels
et des Foyers domestiques ; on y lit
une conversation entre un Poëte et un
Her2204
MERCURE DE FRANCE
Hermite qui est le précis d'une excellente
Morale ; l'Hermite y conclud que c'est
l'Esprit de Dieu qui seul purifie les coeurs;
on y fait un portrait qui peut servir
méditation sur les miseres humaines ; on
finir par convenir qu'il est difficile de
parvenir à la vraie sagesse dans ce Monde
, et on trouve par tout des Remarques
et des Notes d'une sçavante Litterature
.
Le Verseau , ou le livre onzième , après !!
une invocation à Uranie , contient des
Préceptes astronomiques , on y décrit les
Cercles du monde , Fordre et le mouvement
des Planettes ; on y fait l'énumération
non-seulement de tous les Signes du
Zodiaque , mais encore de tous ceux du
Ciel , et du nombre d'Etoilles qui les
composent, on en décrit enfin le lever et
le coucher , & c. On trouve en tous les
Endroits des Notes qui éclaircissent ce
que ces matieres ont d'abstrait; on y traite
et.de la matiere et de la forme ; en un
mot on y parle de tout ce qui est celeste ;
delà on revient aux Elémens et aux Météores
; on trouve en Note un fragment ,
qui donne les preuves de l'Elaboration de
la Mer , et de la fabrication qu'elle fait en
son sein de tous les Terrains apparans
du Globe terrestre , Ce morceau est d'une
Philosophie nouvelle et curieuse,
1
OCTOBRE . 1733. 2205
Dans les Poissons , Livre douze et dermer
, oh prouve que hors les confins du
Ciel , il y a une lumiere immense , incorporelles
que cette lumiere est la forme
qui communique l'Etre aux choses ,
qu'elle nnee peut être apperçuë des yeux
corporels ; on y parle des formes sans mariere
qui composent la substance des
Anges ; on y confond les Athées; on convient
qu'il est difficile de s'entretenir
avec les bons Esprits, et que la conversation
des mauvais est plus aisée à obtenirs
on trouve en cet endroit une longue Remarque
qui peut servir d'Elemens à l'Astrologie
, &c. On doit conclure que ce
Livre est fort interessant et d'une lec-
= ture agréable. Le public sçavant et curieux
doit sçavoir gré à M. de la Monnerie
d'avoir fait revivre par sa traduction un
Auteur excellent , presque tombé dans
- l'oubli , et d'avoir accompagné cette traduction
de tous les secours dont elle avoit
besoin pour faire un présent accompli à
la République des Lettres.
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Résumé : Le Zodiaque de la vie humaine, [titre d'après la table]
L'ouvrage 'Le Zodiaque de la vie humaine' est une traduction du poème latin de Marcel Palingenius, révisée et augmentée de notes historiques et critiques par M. J. B. C. de La Monnerie. Publié en 1733, il est structuré en deux volumes et douze livres, chacun correspondant à un signe du zodiaque. Le premier volume commence par une épître dédicatoire à Mylord Chesterfield et une préface retraçant la vie conjecturale de Palingenius, accompagnée d'éloges de savants comme Naudé, Scaliger et Bayle. Le premier livre, 'Le Bélier', sert de préliminaire et est enrichi de notes expliquant les expressions poétiques et la valeur numérique des lettres hébraïques et grecques. Le second livre, 'Le Taureau', affirme que le souverain bien réside dans la science et la vertu plutôt que dans les richesses. Le troisième livre, 'Les Jumeaux', expose la philosophie d'Épicure et réfute ses arguments en faveur de la volupté. Le quatrième livre, 'Le Cancer', loue le Soleil et invoque Apollon, tout en discutant de l'amour sage et de la paix. Le cinquième livre, 'Le Lion', méprise les richesses matérielles et exalte les biens spirituels. Le sixième livre, 'La Vierge', définit la véritable noblesse acquise par la science et la vertu, et encourage à souhaiter la mort comme fin des maux. Le septième livre, 'La Balance', définit les attributs de Dieu et explore la nature de l'âme et son immortalité. Le huitième livre, 'Le Scorpion', concilie la providence divine avec le libre arbitre. Le neuvième livre, 'Le Sagittaire', offre des leçons de bonnes mœurs et distingue cinq types d'hommes. Le dixième livre, 'Le Capricorne', traite de la culture de l'âme par la science et les arts, et établit que le sage ne doit pas se marier. Le onzième livre, 'Le Verseau', contient des préceptes astronomiques et décrit les cercles du monde et le mouvement des planètes. Le douzième et dernier livre, 'Les Poissons', parle d'une lumière incorporelle et des formes sans matière composant la substance des anges, tout en confondant les athées. L'ouvrage est enrichi de remarques et de notes savantes, offrant une lecture agréable et instructive pour le public savant.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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48
p. 2587-2609
DES HIEROGLYPHES, et de leurs usages dans l'Antiquité. Discours où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de tous les Monstres et de tous les Animaux chimeriques dont les Anciens nous ont parlé. Par M. Beneton de Perrin.
Début :
Les premiers hommes, avec la seule faculté du langage par les organes [...]
Mots clefs :
Hiéroglyphes, Figures, Hiéroglyphe, Marques, Hommes, Animaux, Religion, Écriture, Sciences, Marque, Monstres, Caractères, Homme, Figure, Chevaux, Terre, Explication, Connaissance , Symbole, Poètes
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texteReconnaissance textuelle : DES HIEROGLYPHES, et de leurs usages dans l'Antiquité. Discours où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de tous les Monstres et de tous les Animaux chimeriques dont les Anciens nous ont parlé. Par M. Beneton de Perrin.
DES HIEROGLYPHES , et de
leurs usages dans l'Antiquité. Discours
où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de
tous les Monstres et de tous les Animaux
chimeriques dont les Anciens nous ont
parlé. Par M. Beneton de Perrin .
Es premiers hommes , avec la seule
Lfaculté du langage par les organes
de la voix , auroient manqué de moyens
pour s'entretenir absents les uns des
-autres , et n'auroient pû avoir commerce
entre eux que difficilement, Pour remedier
à ces inconveniens , ils inventerent
des figures et convinrent qu'elles serviroient
à représenter leurs pensées , pour
ne les découvrir qu'à ceux qui en auroient
l'intelligence. Les actions et les
passions étant des accidens qui agitent
également la Nature et les hommes ;
ces figures emblêmatiques servirent d'a
bord à exprimer les unes et les autres
de ces choses , et formerent par-là un
langage muet , qui montroit le coeur
de l'homme aux yeux sans le secours
de la parole.
Les Grecs nommerent ces figures Hie-
1. Vol.
roglyphes
2588 MERCURE DE FRANCE
rogliphes , des mots Ιερος et γλύφος , com .
me qui diroit Sacra Sculptura , parce que
ce furent les Prêtres qui les premiers s'en
servirent pour écrire sur la Religion , et
envelopper par là les Mysteres. Le Pere
Kirker dérive le terme d'Hierogliphe des
mots da T. espos na gaúços , ce qui revient
assez à ce que j'ai dit qu'ils servoient
à une Ecriture sacrée , faite pour
être gravée ou taillée sur le bois ou sur
la pierre , Quasi sacra scalpendo ; les Hierogliphes
se multiplierent à mesure que
Part de parler se perfectionna et que les
Sciences se formerent.
Je les distingue en deux classes ; sçavoir
, les Hierogliphes animez , qui se
représentoient sous des formes de bêtes
soit Quadrupedes , Reptiles , Oiseaux ,
"Poissons et Plantes vegétatives , et les
Hierogliphes inanimez , qu'il faut plutôt
nommer Hierogrammes , parce qu'ils n'étoient
que des figures que les hommes
se firent à leur fantaisie , la plupart desquelles
formerent les Lettres qu'on nomma
Alphabetiques , en s'en servant pour
une autre Ecriture que le Hierogliphique
, comme j'aurai occasion de le faire
voir dans la suite. Les Chaldéens ayant
les premiers observé les Cieux et considere
l'ordre que semblent garder entre
I. Vol. elles
DECEMBRE. 1733. 2589
elles les Etoilles rassemblées , comme par
pelotons , dans ce vaste espace , ils tracerent
des figures dans le même arrangement
, et comme dans les choses mises
en confusion , on croit voir tout ce
qu'on a dessein d'y voir ; ils crurent
avoir remarqué dans ces assemblages d'Etoilles
, des formes distinctes d'hommes ,
d'oiseaux et d'animaux , ce qui leur fit
donner à ces amas ou conjonctions d'Astres
, les noms de Sagittaire , de Vierge ,
de Cigne , d'Ours , de Chien , &c. les
marquant des mêmes figures sur leurs
Tables Astronomiques.
>
Les Grecs nommerent aussi beaucoup
'de Constellations , les appellant du nom
de leurs Héros , et sur tout de ceux qui
se distinguerent dans l'Expedition de la
Colchide , sous le nom d'Argonautes
parce que ces Braves ayant été les
miers hommes qui eussent osé s'exposer
en pleine Mer , et ne se guidant que
par les Etoilles , les Poëtes jugerent qu'u
ne pareille hardie se méritoit que ces
Etoilles portassent leurs noms .
pre-
Les Astres une fois personnifiez , firent
naître l'Idolatrie ; on adora non - seulement
l'Astre en original , que l'on croyoit
influer sur un Pays ; mais encore sa figure
taillée et son Symbole ou Hiero-
I. Vol
C gliphes
2890 MERCURE DE FRANCE
gliphes, devinrent une chose respectable.
On alla même encore plus loin dans la
Deification des Corps de l'Univers ; car
la Terre étant deifiée comme les autres
Corps , on partagea sa divinité pour mul
tiplier les Dieux. Chacune de ces productions
eut séparément cet avantage , et
furent symbolisées par de nouveaux Hicrogliphes
, ce qui augmenta considerablement
et le nombre des cultes et celui
des figures.
Enfin le comble de l'Idolatrie fut qu'on
déïfia les hommes , regardant comme
des Dieux les Héros et les Inventeurs des
Sciences et des Arts. Alors on acheva de
faire porter aux Astres les noms des
personnes illustres , et confondant l'homme
et l'Astre , on honora le tout ensemble
sous la Statue ou le Hierogliphe
qui désignoit également ces deux choses
confonduës.
Par exemple , la Lyre , le Serpent ,
le Centaure , étoient des Signes Celestes ,
ces mêmes Signes ou Hierogliphes , désignoient
un Apollon , Pere prétendu
des Poëtes et des Musiciens ; un Esculape ,
Pere de la Médecine , et un Neptune ,
qui le premier dompta des Chevaux pour
s'en servir à la guerre et à la Chasse.
Mais ce qui embroüilla beaucoup la
I, Vol, signifi
DECEMBRE. 1733. 259%
signification des Hierogliphes , et quit
commença à en rendre l'explication malaisée
, c'est que tous les Personnages qui
réüssissoient dans les Sciences , et qui par
conséquent marchoient sur les traces de
ces hommes déïfiez pour en avoir été
les Inventeurs , se disoient leurs Enfans ;
de bons Poëtes et Musiciens étoient dits
Enfans d'Apollon ; un bon Médecin se
disoit fils d'Esculape , et d'habiles Cavaliers
se mettoient au nombre des descendans
de Neptune , le dompteur de
Chevaux. On qualifioit d'Enfans de Vulcain
tous ceux qui travailloient à forger
les Armes et les Outils pour l'Agriculture.
La Fable ne donne qu'un oeil aux
Cyclopes , pour signifier que les Ouvriers
qui travailloient aux Mines dans les en
trailles de la Terre , séjour continuellement
ténebreux , ne joüissoient que
d'un des deux avantages communs aux
autres hommes qui voyent alternativement
la luraiere du Soleil après l'obscu
rité de la nuit ; d'habiles Pilotes et Mariniers
étoient considerez comme fils
d'Eole et de l'Ocean.
Toutes ces personnes désignoient leur
Art sous un Hierogliphe , lequel souvent
les désignoit aussi eux - mêmes. La marque
étoit relative à la Profession et à
1. Vol. Cij l'Ou2592
MERCURE DE FRANCE
l'Ouvrier , et ces deux qualitez à la Divinité
Protectrice de l'Ouvrage , celafait
qu'un même Hierogliphe pouvoit signifier
trois choses bien differentes , une Sacrée ,
comme marque du Dieu d'un Art ; unc
Méchanique , comme marque de l'Art
même ; enfin une simple marque d'Ouvrier
Ainsi le même Hierogliphe qui
désignoit un Dieu , se mettoit souvent
sur le Tombeau d'un homme , pour montrer
la Profession dont il avoit été . Je
me servirai pour donner de cela un exem
ple sensible , d'un usage observé égale
ment par les Payens et par les premiers
Chrétiens en enterrant leurs Morts , les
uns mettoient souvent une hache sur
leurs Tombeaux , ce qui ne désignoit
pas toujours que celui qui étoit renfermé ||
dedans eût été un Ouvrier , ce pouvoit
être une personne de consideration qui
avoit eu pour Patron quelque Dieu Protecteur
d'un Art ou d'une Science , et
la hache étoit alors le Hierogliphe du
Dieu et non pas celui du Mort . Voilà
selon moi , ce qu'on doit entendre par
les Tombeaux érigez Sub ascia. Pan étoit
le Dieu des Campagnes , on n'enterroit
que là ; il a pû se faire que la hache ou
le hoyau , Instrumens propres à couper
les bois ou à remuer les terres
1. Vel
?
>
ont été
Les
DECEMBRE. 1733 2393
les Symboles des Dieux Champêtres , et
én mettant les Morts sous la protection
de ces Dieux , on mettoit leur Symbole
sur les Tombeaux .
A l'égard des Chrétiens , ils gravoient
une Pale sur les Sépulchres de feurs Martyrs
; ce Hierogliphe avoit une double
signification , l'une de passion , qui étoft
la gloire que s'étoient procuré ces Saints
par la souffrance , et l'autre de Religion , *
qui faisoit connoître celle dont ces illustres
avoient été les soutiens .
La représentation de differentes choses
par le même Hierogliphe , est ce qui
rend aujourd'hui presque impossible l'explication
des Monumens écrits avec ces ·
figures.
Comme je m'étendrai plus sur les Hierogliphes
que sur les Hierogrammes
quoique le mêlange des uns avec les
autres servit à fournir plus de moyens
d'exprimer ce qu'on avoit à faire sentir ;
je ne puis m'empêcher de faire une reflexion
qui tombe également sur tou
tes ces marques , c'est qu'il seroit à
souhaiter que les personnes qui s'appliquent
à les étudier , s'attachassent
bien à distinguer les deux especes dont
je parle , et les differents sujets ausquels
elles convenoient. Chacune de
1. Vol. Cij nos
2594 MERCURE DE FRANCE
nos Sciences a ses termes propres , il
en devoit être de même des Sciences
anciennes qui devoient par la même
Taison avoir aussi leurs marques propres.
Je ne dis pas que l'attention que
j'exige des Etudians en Hierogliphes fût
suffisante pour les conduire à une entiere
connoissance de ces figures énig .
matiques , on sçait assez que les Prêtres
et les Philosophes qui se servirent d'elles
depuis que l'on eut les Caracteres alphabetiques
, ne le faisoient que pour ca
cher une partie des choses dont ils ne
vouloient pas que le commun du peuple
fût instruit , mais du moins pár la
distinction des Hierogliphes on pourroit
en apprendre assez pour distinguer dans
les Monumens qui en sont chargez , ce qui
est de sacré d'avec ce qui est de prophane,
on tiendroit par là en bride les Charlatans
de la Litterature , qui trouvant
dans ces Monumens tout ce que leur
imagination y veut mettre , ne font
qu'embrouiller l'Histoire , loin de l'éclaircir
, et ils se trouveroient par ce
moyen hors d'état d'en imposer et d'ébloüir
les ignorans .
Revenons presentement à l'objet prin
cipal de cet Ouvrage , qui est de montrer
qu'entre toutes ces figures dont les
1. Vol. hommes
DECEMBRE. 1733. 2595
hommes se servirent pour expliquer leurs
connoissances , celles qui représentoient
des Animaux de differente nature , devinrent
dans les siecles où l'intelligence
de ces figures se trouva perduë, des Monstres
que l'ignorance fit croire avoir été
ou être existans. Je pense neanmoins que
dès - lors les Sçavans qui voulurent se mêler
de l'explication de ces Emblêmes , le
firent à l'avanture , et n'ont pas eu sur
cela plus d'avantage que ceux qui ont
voulu marcher sur leurs traces dans des
temps posterieurs , tels qu'Horus Apollo,
Pierrius Valerianus , les sieurs Langlois ,
et Dinet , et les Peres Kirker et Caussini
qui ont donné de ces Explications autant
justes qu'il est possible de le faire
dans une matiere aussi obscure ;il ne faut
pas douter que ce nombre infini de marques
de choses , tant animées qu'inanimées
qui se trouvent rangées dans un si bel ordre
sur les vieux Monumens Egyptiens , ne
contiennent des narrations bien suivies
sur differentes choses dont il falloit être
Instruit , tout s'écrivoit ainsi , et la connoissance
de la Religion , des Sciences ,
et de l'Histoire , ne se conservoit que
par le moyen de cette écriture figurée ,
la preuve de cela s'en peut tirer ( selon
moi ) de ce que dans ces longues nar-
L. Vol Ciiij rations
2596 MERCURE DE FRANCE
rations , certains Caracteres y sont répétez
souvent , et d'autres moins ; il y en
a même qui sont uniques , ou qui ne se.
trouvent répétez que deux ou trois fois
dans une longue Inscription ; ce qui devoit
faire la même chose que ce qu'on
peut remarquer dans notre écriture , où
nous avons des Lettres , comme les cinq
Voyelles qui reviennent souvent, pendant
que les K , les X , les Y , et les Z , y pa
roissent bien moins.
Il y avoit des Hyerogliphes qui contenoient
seuls un sens complet , ou une
pensée entiere; d'autres qui étoient d'abréviation
, et d'autres qui pouvoient ne former
que des demi mots et des mots dont
il étoit nécessaire de joindre plusieurs
ensemble,pour en former une expression
ou un sens déterminés de même que nous
employons en écrivant plusieurs mots ,
composés de différentes syllabes , pour
former une Phrase parfaite. J'ai fait cette
remarque en étudiant avec un peu d'attention
l'Obélisque Pamphile , que nous
a donné le Pere Kirker.
On y voit de fréquentes répétitions de
bras posez en fasce , les uns à mains ouvertes
, et les autres à poing fermé ; beaucoup
de signes en ziguezagues ; des Enfans
assis sur leur cul , le Panier de Séra-
1. Vol.
pis
DECEMBRE . 1733 . 2597
pis sur la tête , de Serpents , d'Anubis, de
Cynocéphales , &c. pendant qu'entre toutes
ces marques , souvent répétées , on ne
trouve qu'un seul sautoir , un seul tourteau
, qui est chargé d'une Croix pattée ,
quelques Etoiles , mais en petit nombre ;
tout cela donne lieu de conjecturer que
cet Obélisque contient des Enseignemens
de plusieurs natures , tant de Religion ,
de Science , que de Politique ; et que
chacune de ces choses avoit ses figures
propres à sonexpression ; ce qui fait que
les unes de ces figures paroissent souvent
dans un endroit , et bien moins dans un
autre , où il s'en trouve d'autres qui n'avoient
point encore paru.
Souvent pour donner à un Hyerogli
phe la force d'exprimer une action complete
, ou une pensée entiere , on étoit
obligé de le faire d'un composé de différens
membres d'animaux , et alors cette
figure devenoit monstrueuse ; tels étoient
les Hyérogliphes d'hommes à tête de
Chien , d'Oyseaux à face humaine , de
Corps à plusieurs têtes , et de têtes à plusieurs
visages ; ce dernier qui servit aux
Romains à symboliser leur Dieu Janus
étoit donc un Hyerogliphe plus ancien
qu'eux , il représentoit chez les Perses
Orimase et Arimane , et chez les Egyp-
1. Vola Cv tiens
2598 MERCURE DE FRANCE
tiens Osiris et Tiphon , c'est -à- dire , les
deux principes que les premiers Philosophes
admettoient pour Auteurs de toutes
choses , bonnes et mauvaises.
A l'égard des Hyerogrammes ou marques
fantasques , les plus simples comme
Le Cercle , le Triangle , le Quarré , le
Chevron, la Croix droite et la Croix panchée
composerent dans la suite les Caracteres
Litteraires , comme l'Omicron
le Delta , le Mi , l'Alpha, le Tau , le Chi
et autres , dont on se servit en quittant
P'Ecriture Hyerogliphique. Celle qui étoit
composée de Lettres , paroissant plus aisée
et plus propre à lier les pensées , et
à les produire dans un Discours suivi .
Je me sers de l'exemple des Caracteres
Grecs , parce que c'est par les Grecs que
nous avons la premiere connoissance de
T'usage que les Egyptiens faisoient de
leurs Hyerogliphes.
Les Hiérogrammes joints aux Hyerogliphes
, ne laissoient pas dans les temps où
l'on n'eut que cette sorte d'Ecriture
d'expliquer assez parfaitement les choses
dont les hommes 'devoient être instruits,
le faisant seulement plus en abrégé que
ne le fait l'Ecriture courante , ainsi il faut
croire que l'Ecriture figurée a toujours
été plus difficile à expliquer , sur tout l'étude
des Hyerogliphes Monstres deman-
1. Vol.
doit
DECEMBRE. 1733 2559
doit une grande attention et une grande
connoissance, puisqu'un seul pouvoit renfermer
un mystere de Religion , ou la
maniere de réussir dans un Ouvrage scientifique
, au lieu qu'il auroit fallu plusieurs
Hyérogrammes pour enseigner ces
choses ; cependant ces marques- cy firent
évanouir les autres ; kes Arabes , Mahométans
, à qui la Religion ne permettoit
pas d'écrire avec des figures d'hommes
et d'animaux , ne conserverent que les
Hyérogrammes, et quoiqu'ils eussent des
Caracteres Litteraires , ils se servirent des
premiers pour l'expression plus abrégée
et plus simple de leurs opérations Philosophiques
et Chimiques , continuant
par- là de faire de ces marques le même
usage qu'en faisoient les Egyptiens , qui
étoit de montrer par elles , la maniere de
décomposer et de recomposer les Corps
élémentaires. Ces mêmes marques ont
passé jusqu'à nos Phisiciens , qui les emploient
aux mêmes usages.
Le monde et toutes les sciences qu'on
peut acquerir se symbolisoient sous un
Hyerogliphe de figure tres bizare. C'étoit
un Globe avec des aîles , et des Serpens
autour de son Disque ; ce qui fait appeller
ce Hyérogliphe par le Pere Kirker :
Ali-Sphero Serpenti formem. On le voit
I. Vola
C vj paz
2600 MERCURE DE FRANCE
ན
paroître au haut de presque tous les
Obélisques , et on le mettoit là , comme
un titre , qui annonçoit que tout le Discours
qui alloit suivre , n'étoit que pour
instruire des choses connues dans l'Univers
, dont ce Globe volant étoit le type,
du mouvement , er des actions qui agitent
eet Univers .
Les Phéniciens , les Egyptiens et les
Chinois sont les premiers peuples qui firent
usage des Hyerogliphes , et qui leur
donnerent l'arrangement méthodique
dont je viens de parler , les divisant par
Classes , pour s'en servir aux différentes
applications qu'ils avoient à en faire s
leur figure fut d'abord fort simple dans
les premiers temps ; le trafic ne se faisoit
que par l'échange des Denrées; pour
le faire ( quand on n'étoit pas present )
on n'avoit d'autres moyens que d'envoyer
la figure gravée sur quelque chose
de ce qu'on vouloit vendre , et de ce
qu'on vouloit en retour. Un homme ,
par exemple , qui vouloit vendre un
Boeuf pour des Moutons , envoyoit à un
autre homme la figure d'autant de Moutons
qu'il prétendoit en avoir pour l'échange
du Boeuf, l'échange des Oyseaux
et des fruits de la terre se faisoit de même;
un Arbre se désignoit par un Arbre,
J.Val
DECEMBR E. 1733 . 260
et une personne qui auroit voulu faire
couper des Bois , en envoyoit l'ordre par
un Arbre renversé . On verra facilement
par ces seuls exemples, comment un hom
me pouvoit faire sçavoir ses volontez à
un autre , par le moyen des Hyérogli
phes, qui furent les premieres Monnoyes,
quoiqu'il n'eussent point de valeur en
eux-mêmes ; les accidens avoient leur
marque , la maladie avoit la sienne , une
personne qui vouloit faire consulter le
mal dont elle étoit affligée , envoyoit au
Médecin le symbole general de la maladie
, auquel étoit joint le symbole particulier
de la partie du corps qui étoit affectée
; si c'étoit le coeur , on mettoit un
coeur , et un oeil , ou un pied , si c'érbit
l'oeil ou le pied qui fut malade. Cela se
fait encore à peu près de même chez les
Chinois , qui ont beaucoup de Caracteres
figurez pour les mêmes choses , qu'ils
ont besoin d'exprimer.
Suivant l'explication qu'un de nos Académiciens
a donnée de la Fable des Gorgones
, il paroît que ce n'est qu'une action
de commerce que P'on avoit mis par
écrit en Hyérogliphes , et qu'après qu'on
eut perdu l'intelligence de ces marques,
en voyant des Yeux , des Dents , des Serpens
, qui n'étoient que la Relation du
LVel
voya
2602 MERCURE DE FRANCE
yoyage et l'énumération
des Marchandises
qu'une Flotte , partant de la Mer Méditerranée
, avoit rapporté des Terres situées
sur la Mer Océane , où le commerce
l'avoit attiré. On a cru que c'étoit
toute autre chose : et sur cela les Poëtes
composerent une Fiction Historique , où
de ces Gorgones , qui n'étoient que des
Vaisseaux revenus , chargez de Diamans ',
de Poudre d'or , et de Dents d'Eléphans ;
ils en firent des Filles horribles , qui
avoient la tête pleine de Serpens .
Parmi les Hyérogliphes il y en avoit
de plus simples les uns que les autres ;
les simples étoient les figures naturelles ,
véritables , et sans exagération ; au lieu
que les autres étoient des figures de pure
imagination; c'est ceux - cy qui ont donné
naissance à certains monstres qui ne
peuvent point avoir existé ; plusieurs
choses ont pû occasionner l'invention de
ces figures si extraordinaires ; par exemple
, un Chef de Nation qui vainquoit
différens ennemis , marquoit son triomphe
par une Bête allégorique , à qui on
donnoit autant de têtes que ce Chef avoit
terrassé de Peuples, ennemis. Voilà d'où
viennent les ( 1 ) Amphisbenes , les Cerbe-
( 1 ) Serpent qui pique par les deux extrémitez de
son corps.
1. Vol. ECS,
DECEMBRE. 1733 280g.
res et les Hydres , représentez avec 2 , 3 ,
et jusqu'à 7 têtes.
Apollon fut surnommé Pythiep , pour
avoir tué , disent les Mythologues , le Ser
pent Python , Monstre affreux qui s'étoie
formé du Limon échauffé , que les eaux
du Déluge avoient laissé sur la terre d'Egypte
; mais il est plus croyable que cette
Fable est une allégorie d'un effet naturel
que le Soleil opére tous les ans par sa
chaleur , qui desseche le Limon du Nil
et que les Rayons de l'astre sont les Flé
ches qui détruisent une pourriture , qui
infecteroit la terre sans ce secours annuel,
auquel on donna un mérite particulier
la premiere fois qu'on remarqua ce salutaire
effet , wu , en grec , signifie putrefaction
.
J'ai déja dit qu'entre les Hyérogliphes il
y en avoit de plus propres les uns que
les autres à caractériser certaines choses,
ainsi en suivant ce principe , la Religion
devoit avoir les siens , et les actions et
passions humaines les leurs ; ce que je
viens de remarquer des Gorgones , et de
ces guerriers symbolisés par des Monstres
suffira pour faire voir quels pouvoient
être les Hyérogliphes d'actions. Passons
présentement à la connoissance de quelques-
uns de ceux de passion , pour venir
I. Vol.
enfin
2604 MERCURE DE FRANCE
enfin à connoître quels étoient ceux de
Religion .
Il faut distinguer les passions humaines
en actives et en passives ; c'est nous
qui agissons dans les unes et nous recevons
l'action dans les autres les premiers
se symbolisoient par des marques fort
simples et les secondes par de plus composées,
un seul exemple suffira pour preu
ve de ce qu'étoient les dernieres , qui fera
l'explication du Hyérogliphe de la fortune
; cette Divinité fantasque , qui malgré
ses caprices , a toujours été l'objet
des désirs de tous les hommes , elle se
symbolisoit diversement selon le gout, le
sexe , l'âge et la condition de ses adorateurs
; on la faisoit tantôt homme , tantôt
femme , tantôt vieille et tantôt jeune,
en l'invoquant sous des noms qui avoient
rapport à ces changemens de figures.
>
Comme fortune aimée , fortuna primis
genia , elle étoit proprement le hazard
que quelques Philosophes soutenoient
avoir seul servi au débrouillement duz
Cahos . Les autres surnoms de la fortune
étoient , fortuna obsequens , l'obéissante
patrone des gens heureux ; privata , la
médiocre , qui est celle qui contente les
Sçavans ; fortuna mulier et virgo ; celle des
femmes et des filles,fortuna virilis;celle des
I, Vol
hom
DECEMBRE . 1733. 2605
hommes qui se représentoit de sexe mas
culin , il y avoit même la fortune des
vieillards , représentée avec une longue
barbe , et celle-cy étoit sans doute de
toutes les fortunes celle qu'on honoroit
le plus tard .
Cette Divinité se représentoit en general
avec tout l'appareil significatif des
effets que ses caprices produisoient dans
le monde , montée sur une roue, avec des
aîles sur le dos , un bandeau sur les yeux,
ses cheveux assemblez sur le devant de
la tête , et chauve par derriere , tout cela
pour montrer son instabilité , son inconstance
, son aveuglement dans la dispensation
de ses dons , et la difficulté de
la ratraper quand elle nous a tourné le
dos ; on lui mettoit aussi un Globe en
une main , et un Gouvernail ou une Corne
d'abondance en l'autre , pour mon
trer qu'elle gouverne le Monde , et y répand
les biens à sa volonté , ce qui étoit
encore signifié par un Soleil et une Lune
qui accompagnoient sa tête ; enfin cette
Deïté , qui est , pour ainsi dire, l'ame du
monde , pouvoit- elle manquer d'être fi
gurée par un Hierogliphe des plus composez
? C'est peut- être celui qui donna
l'idée de faire les figures panthées dont
je parlerai bien-tôt.
1. Vet. Quan
2606 MERCURE DE FRANCE
:
Quant aux Hierogliphes des passions
actives qui sont au - dedans de nous - mê
mes , ils étoient tous simples quand on
n'avoit à lés représenter que chacun séparément
; la Genisse , l'Agneau , la Colombe
, la Tourterelle , & c. marquoient
la pureté , l'innocence , l'amitié et la
constance. La virginité paroissoit sous la
marque d'une fille échevelée , vétuë de
blanc , les Vertus étoient symbolisées par
des Animaux de figures aimables , et les
vices , au contraire , étoient figurez par
des Animaux affreux , dont la seule vûe
causoit de l'horreur ; la Religion Chrétienne
a conservé ces usages , on a dé
signé les pechez capitaux par les plus
hideuses bêtes que nous connoissions , à
l'imitation des Anciens qui inventerent
des Monstres qui n'existoient point, pour
dépeindre les vices avec des couleurs plus
effrayantes.
Ils imaginerent un Basilic qui tuë de
son regard ; un Serpent qui empoisonne
de son écume toutes les herbes où il se
traîne; une infinité d'autres bêtes affreuses
étoient les Symboles des deffauts les plus
nuisibles à la Societé , comme la calomnie
, le mensonge et d'autres ; l'Hiene
étoit la marque de la cruauté ; et comme
les femmes ne sont pas exemptes de ce
I. Vol. vice
DECEMBRE . 1733. 2607
vice , on fit cet Animal hermaphrodite.
Toutes ces Images que je viens de représenter
, étoient simples ; mais quand
il falloit caracteriser en un même Symbole
plusieurs vices ou plusieurs vertus ,
il falloit bien composer un Hierogliphe
dans lequel les Symboles particuliers de
toutes ces choses entrassent , et cela formoit
des Panthées de passions , semblables
aux Panthées sacrez.
L'Antiquité eut des Héros et des braves
, qui ainsi que nos Chevaliers Errans
du temps de Charlemagne , se dévoüoient
à passer leur vie en courant le Monde
pour secourir les foibles et purger la Terre
des brigands , qui en étoient les veritables
Monstres ; tels furent parmi les
Gercs Hercule , Thesée , Jason , Persée ,
et autres. Je métonne que les Auteurs
zelez pour la gloire de notre ancienne
Chevalerie , ayent borné son origine
aux Chevaliers Romains , et qu'ils ne
l'ayent pas remontée jusqu'aux demi-
Dieux de la Grece , nos vieux Romanciers
leur en avoient donné l'ouverture ,
par le merveilleux qu'ils ont répandu sur
les avantures de nos valeureux Paladins ,
Renaud , Roland et Amadis , en leur
fournissant à point nommé des montures
diaboliques pour les conduire plus
par
B.I. Vel
prem
2303 MERCURE DE FRANCE
promptement vers les Géants qu'ils devoient
exterminer , à l'exemple des Poëtes
Grecs qui trouvoient des Pégases pour
en fournir fort à propos aux Deffenseurs
des Dames , télles qu'Andromede et Hésione.
Michel de Cervantes et Rabelais , pour
se mocquer des idées folles des Auteurs
de Romans , ont imaginé les Oriflants ,
les Hippogriphes et les Chevillards , don't
ils ont parlé , l'un dans son Don Quichote
, et l'autre dans son Gargantua .
›
Ce sont ces Chevaux ailez de la Fable
qui ont pû persuader qu'il y avoit des
Licornes ( autres animaux aussi fabuleux )
il est aisé de voir de quelle source partoit
cette fausse persuasion . L'Yvoire venoir
, à ce qu'on disoit d'une Corne de
bête qui se trouvoit en Afrique et
Pline dans son Histoire Naturelle ( L. 8.
C. 21. ) admet des Chevaux volants et
des Chevaux à Cornes , à qui il donne
également le nom de Pégase , et les fait
trouver en Ethiopie , Pays voisin des
Monts Athlas , où Persée eut occasion
de se servir d'un de ces Chevaux . Æthiopia
generat , multaque alia Monstro similia
Pennatos equos et Cornibus armatos
quos Pegasos vocant ; ce Passage ne m'empêchera
pas de conclure que , puisque
I. Vol. los
DECEMBRE . 1733. 2609
tes Pégases sont chimeriques , les Licornes
ne le sont pas moins , et la description
que continue d'en faire le méme
Auteur , achevera de prouver que ces
Animaux ne doivent être regardez que
comme des chimeres , ou plutôt ce sont
des Hierogliphes qui ont eu cette forme
, la Licorne a pû êrre une image
Panthée propre à désigner la fécondité
cu les perfections dans le genre animal ,,
elle avoit le corps d'un Cheval , la tête
d'un Cerf , les pieds d'Elephant , sa
queue d'un Sanglier , avec une corne de
deux coudées de long , placée au milieu
du front.
"
L'Auteur promet la suite.
leurs usages dans l'Antiquité. Discours
où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de
tous les Monstres et de tous les Animaux
chimeriques dont les Anciens nous ont
parlé. Par M. Beneton de Perrin .
Es premiers hommes , avec la seule
Lfaculté du langage par les organes
de la voix , auroient manqué de moyens
pour s'entretenir absents les uns des
-autres , et n'auroient pû avoir commerce
entre eux que difficilement, Pour remedier
à ces inconveniens , ils inventerent
des figures et convinrent qu'elles serviroient
à représenter leurs pensées , pour
ne les découvrir qu'à ceux qui en auroient
l'intelligence. Les actions et les
passions étant des accidens qui agitent
également la Nature et les hommes ;
ces figures emblêmatiques servirent d'a
bord à exprimer les unes et les autres
de ces choses , et formerent par-là un
langage muet , qui montroit le coeur
de l'homme aux yeux sans le secours
de la parole.
Les Grecs nommerent ces figures Hie-
1. Vol.
roglyphes
2588 MERCURE DE FRANCE
rogliphes , des mots Ιερος et γλύφος , com .
me qui diroit Sacra Sculptura , parce que
ce furent les Prêtres qui les premiers s'en
servirent pour écrire sur la Religion , et
envelopper par là les Mysteres. Le Pere
Kirker dérive le terme d'Hierogliphe des
mots da T. espos na gaúços , ce qui revient
assez à ce que j'ai dit qu'ils servoient
à une Ecriture sacrée , faite pour
être gravée ou taillée sur le bois ou sur
la pierre , Quasi sacra scalpendo ; les Hierogliphes
se multiplierent à mesure que
Part de parler se perfectionna et que les
Sciences se formerent.
Je les distingue en deux classes ; sçavoir
, les Hierogliphes animez , qui se
représentoient sous des formes de bêtes
soit Quadrupedes , Reptiles , Oiseaux ,
"Poissons et Plantes vegétatives , et les
Hierogliphes inanimez , qu'il faut plutôt
nommer Hierogrammes , parce qu'ils n'étoient
que des figures que les hommes
se firent à leur fantaisie , la plupart desquelles
formerent les Lettres qu'on nomma
Alphabetiques , en s'en servant pour
une autre Ecriture que le Hierogliphique
, comme j'aurai occasion de le faire
voir dans la suite. Les Chaldéens ayant
les premiers observé les Cieux et considere
l'ordre que semblent garder entre
I. Vol. elles
DECEMBRE. 1733. 2589
elles les Etoilles rassemblées , comme par
pelotons , dans ce vaste espace , ils tracerent
des figures dans le même arrangement
, et comme dans les choses mises
en confusion , on croit voir tout ce
qu'on a dessein d'y voir ; ils crurent
avoir remarqué dans ces assemblages d'Etoilles
, des formes distinctes d'hommes ,
d'oiseaux et d'animaux , ce qui leur fit
donner à ces amas ou conjonctions d'Astres
, les noms de Sagittaire , de Vierge ,
de Cigne , d'Ours , de Chien , &c. les
marquant des mêmes figures sur leurs
Tables Astronomiques.
>
Les Grecs nommerent aussi beaucoup
'de Constellations , les appellant du nom
de leurs Héros , et sur tout de ceux qui
se distinguerent dans l'Expedition de la
Colchide , sous le nom d'Argonautes
parce que ces Braves ayant été les
miers hommes qui eussent osé s'exposer
en pleine Mer , et ne se guidant que
par les Etoilles , les Poëtes jugerent qu'u
ne pareille hardie se méritoit que ces
Etoilles portassent leurs noms .
pre-
Les Astres une fois personnifiez , firent
naître l'Idolatrie ; on adora non - seulement
l'Astre en original , que l'on croyoit
influer sur un Pays ; mais encore sa figure
taillée et son Symbole ou Hiero-
I. Vol
C gliphes
2890 MERCURE DE FRANCE
gliphes, devinrent une chose respectable.
On alla même encore plus loin dans la
Deification des Corps de l'Univers ; car
la Terre étant deifiée comme les autres
Corps , on partagea sa divinité pour mul
tiplier les Dieux. Chacune de ces productions
eut séparément cet avantage , et
furent symbolisées par de nouveaux Hicrogliphes
, ce qui augmenta considerablement
et le nombre des cultes et celui
des figures.
Enfin le comble de l'Idolatrie fut qu'on
déïfia les hommes , regardant comme
des Dieux les Héros et les Inventeurs des
Sciences et des Arts. Alors on acheva de
faire porter aux Astres les noms des
personnes illustres , et confondant l'homme
et l'Astre , on honora le tout ensemble
sous la Statue ou le Hierogliphe
qui désignoit également ces deux choses
confonduës.
Par exemple , la Lyre , le Serpent ,
le Centaure , étoient des Signes Celestes ,
ces mêmes Signes ou Hierogliphes , désignoient
un Apollon , Pere prétendu
des Poëtes et des Musiciens ; un Esculape ,
Pere de la Médecine , et un Neptune ,
qui le premier dompta des Chevaux pour
s'en servir à la guerre et à la Chasse.
Mais ce qui embroüilla beaucoup la
I, Vol, signifi
DECEMBRE. 1733. 259%
signification des Hierogliphes , et quit
commença à en rendre l'explication malaisée
, c'est que tous les Personnages qui
réüssissoient dans les Sciences , et qui par
conséquent marchoient sur les traces de
ces hommes déïfiez pour en avoir été
les Inventeurs , se disoient leurs Enfans ;
de bons Poëtes et Musiciens étoient dits
Enfans d'Apollon ; un bon Médecin se
disoit fils d'Esculape , et d'habiles Cavaliers
se mettoient au nombre des descendans
de Neptune , le dompteur de
Chevaux. On qualifioit d'Enfans de Vulcain
tous ceux qui travailloient à forger
les Armes et les Outils pour l'Agriculture.
La Fable ne donne qu'un oeil aux
Cyclopes , pour signifier que les Ouvriers
qui travailloient aux Mines dans les en
trailles de la Terre , séjour continuellement
ténebreux , ne joüissoient que
d'un des deux avantages communs aux
autres hommes qui voyent alternativement
la luraiere du Soleil après l'obscu
rité de la nuit ; d'habiles Pilotes et Mariniers
étoient considerez comme fils
d'Eole et de l'Ocean.
Toutes ces personnes désignoient leur
Art sous un Hierogliphe , lequel souvent
les désignoit aussi eux - mêmes. La marque
étoit relative à la Profession et à
1. Vol. Cij l'Ou2592
MERCURE DE FRANCE
l'Ouvrier , et ces deux qualitez à la Divinité
Protectrice de l'Ouvrage , celafait
qu'un même Hierogliphe pouvoit signifier
trois choses bien differentes , une Sacrée ,
comme marque du Dieu d'un Art ; unc
Méchanique , comme marque de l'Art
même ; enfin une simple marque d'Ouvrier
Ainsi le même Hierogliphe qui
désignoit un Dieu , se mettoit souvent
sur le Tombeau d'un homme , pour montrer
la Profession dont il avoit été . Je
me servirai pour donner de cela un exem
ple sensible , d'un usage observé égale
ment par les Payens et par les premiers
Chrétiens en enterrant leurs Morts , les
uns mettoient souvent une hache sur
leurs Tombeaux , ce qui ne désignoit
pas toujours que celui qui étoit renfermé ||
dedans eût été un Ouvrier , ce pouvoit
être une personne de consideration qui
avoit eu pour Patron quelque Dieu Protecteur
d'un Art ou d'une Science , et
la hache étoit alors le Hierogliphe du
Dieu et non pas celui du Mort . Voilà
selon moi , ce qu'on doit entendre par
les Tombeaux érigez Sub ascia. Pan étoit
le Dieu des Campagnes , on n'enterroit
que là ; il a pû se faire que la hache ou
le hoyau , Instrumens propres à couper
les bois ou à remuer les terres
1. Vel
?
>
ont été
Les
DECEMBRE. 1733 2393
les Symboles des Dieux Champêtres , et
én mettant les Morts sous la protection
de ces Dieux , on mettoit leur Symbole
sur les Tombeaux .
A l'égard des Chrétiens , ils gravoient
une Pale sur les Sépulchres de feurs Martyrs
; ce Hierogliphe avoit une double
signification , l'une de passion , qui étoft
la gloire que s'étoient procuré ces Saints
par la souffrance , et l'autre de Religion , *
qui faisoit connoître celle dont ces illustres
avoient été les soutiens .
La représentation de differentes choses
par le même Hierogliphe , est ce qui
rend aujourd'hui presque impossible l'explication
des Monumens écrits avec ces ·
figures.
Comme je m'étendrai plus sur les Hierogliphes
que sur les Hierogrammes
quoique le mêlange des uns avec les
autres servit à fournir plus de moyens
d'exprimer ce qu'on avoit à faire sentir ;
je ne puis m'empêcher de faire une reflexion
qui tombe également sur tou
tes ces marques , c'est qu'il seroit à
souhaiter que les personnes qui s'appliquent
à les étudier , s'attachassent
bien à distinguer les deux especes dont
je parle , et les differents sujets ausquels
elles convenoient. Chacune de
1. Vol. Cij nos
2594 MERCURE DE FRANCE
nos Sciences a ses termes propres , il
en devoit être de même des Sciences
anciennes qui devoient par la même
Taison avoir aussi leurs marques propres.
Je ne dis pas que l'attention que
j'exige des Etudians en Hierogliphes fût
suffisante pour les conduire à une entiere
connoissance de ces figures énig .
matiques , on sçait assez que les Prêtres
et les Philosophes qui se servirent d'elles
depuis que l'on eut les Caracteres alphabetiques
, ne le faisoient que pour ca
cher une partie des choses dont ils ne
vouloient pas que le commun du peuple
fût instruit , mais du moins pár la
distinction des Hierogliphes on pourroit
en apprendre assez pour distinguer dans
les Monumens qui en sont chargez , ce qui
est de sacré d'avec ce qui est de prophane,
on tiendroit par là en bride les Charlatans
de la Litterature , qui trouvant
dans ces Monumens tout ce que leur
imagination y veut mettre , ne font
qu'embrouiller l'Histoire , loin de l'éclaircir
, et ils se trouveroient par ce
moyen hors d'état d'en imposer et d'ébloüir
les ignorans .
Revenons presentement à l'objet prin
cipal de cet Ouvrage , qui est de montrer
qu'entre toutes ces figures dont les
1. Vol. hommes
DECEMBRE. 1733. 2595
hommes se servirent pour expliquer leurs
connoissances , celles qui représentoient
des Animaux de differente nature , devinrent
dans les siecles où l'intelligence
de ces figures se trouva perduë, des Monstres
que l'ignorance fit croire avoir été
ou être existans. Je pense neanmoins que
dès - lors les Sçavans qui voulurent se mêler
de l'explication de ces Emblêmes , le
firent à l'avanture , et n'ont pas eu sur
cela plus d'avantage que ceux qui ont
voulu marcher sur leurs traces dans des
temps posterieurs , tels qu'Horus Apollo,
Pierrius Valerianus , les sieurs Langlois ,
et Dinet , et les Peres Kirker et Caussini
qui ont donné de ces Explications autant
justes qu'il est possible de le faire
dans une matiere aussi obscure ;il ne faut
pas douter que ce nombre infini de marques
de choses , tant animées qu'inanimées
qui se trouvent rangées dans un si bel ordre
sur les vieux Monumens Egyptiens , ne
contiennent des narrations bien suivies
sur differentes choses dont il falloit être
Instruit , tout s'écrivoit ainsi , et la connoissance
de la Religion , des Sciences ,
et de l'Histoire , ne se conservoit que
par le moyen de cette écriture figurée ,
la preuve de cela s'en peut tirer ( selon
moi ) de ce que dans ces longues nar-
L. Vol Ciiij rations
2596 MERCURE DE FRANCE
rations , certains Caracteres y sont répétez
souvent , et d'autres moins ; il y en
a même qui sont uniques , ou qui ne se.
trouvent répétez que deux ou trois fois
dans une longue Inscription ; ce qui devoit
faire la même chose que ce qu'on
peut remarquer dans notre écriture , où
nous avons des Lettres , comme les cinq
Voyelles qui reviennent souvent, pendant
que les K , les X , les Y , et les Z , y pa
roissent bien moins.
Il y avoit des Hyerogliphes qui contenoient
seuls un sens complet , ou une
pensée entiere; d'autres qui étoient d'abréviation
, et d'autres qui pouvoient ne former
que des demi mots et des mots dont
il étoit nécessaire de joindre plusieurs
ensemble,pour en former une expression
ou un sens déterminés de même que nous
employons en écrivant plusieurs mots ,
composés de différentes syllabes , pour
former une Phrase parfaite. J'ai fait cette
remarque en étudiant avec un peu d'attention
l'Obélisque Pamphile , que nous
a donné le Pere Kirker.
On y voit de fréquentes répétitions de
bras posez en fasce , les uns à mains ouvertes
, et les autres à poing fermé ; beaucoup
de signes en ziguezagues ; des Enfans
assis sur leur cul , le Panier de Séra-
1. Vol.
pis
DECEMBRE . 1733 . 2597
pis sur la tête , de Serpents , d'Anubis, de
Cynocéphales , &c. pendant qu'entre toutes
ces marques , souvent répétées , on ne
trouve qu'un seul sautoir , un seul tourteau
, qui est chargé d'une Croix pattée ,
quelques Etoiles , mais en petit nombre ;
tout cela donne lieu de conjecturer que
cet Obélisque contient des Enseignemens
de plusieurs natures , tant de Religion ,
de Science , que de Politique ; et que
chacune de ces choses avoit ses figures
propres à sonexpression ; ce qui fait que
les unes de ces figures paroissent souvent
dans un endroit , et bien moins dans un
autre , où il s'en trouve d'autres qui n'avoient
point encore paru.
Souvent pour donner à un Hyerogli
phe la force d'exprimer une action complete
, ou une pensée entiere , on étoit
obligé de le faire d'un composé de différens
membres d'animaux , et alors cette
figure devenoit monstrueuse ; tels étoient
les Hyérogliphes d'hommes à tête de
Chien , d'Oyseaux à face humaine , de
Corps à plusieurs têtes , et de têtes à plusieurs
visages ; ce dernier qui servit aux
Romains à symboliser leur Dieu Janus
étoit donc un Hyerogliphe plus ancien
qu'eux , il représentoit chez les Perses
Orimase et Arimane , et chez les Egyp-
1. Vola Cv tiens
2598 MERCURE DE FRANCE
tiens Osiris et Tiphon , c'est -à- dire , les
deux principes que les premiers Philosophes
admettoient pour Auteurs de toutes
choses , bonnes et mauvaises.
A l'égard des Hyerogrammes ou marques
fantasques , les plus simples comme
Le Cercle , le Triangle , le Quarré , le
Chevron, la Croix droite et la Croix panchée
composerent dans la suite les Caracteres
Litteraires , comme l'Omicron
le Delta , le Mi , l'Alpha, le Tau , le Chi
et autres , dont on se servit en quittant
P'Ecriture Hyerogliphique. Celle qui étoit
composée de Lettres , paroissant plus aisée
et plus propre à lier les pensées , et
à les produire dans un Discours suivi .
Je me sers de l'exemple des Caracteres
Grecs , parce que c'est par les Grecs que
nous avons la premiere connoissance de
T'usage que les Egyptiens faisoient de
leurs Hyerogliphes.
Les Hiérogrammes joints aux Hyerogliphes
, ne laissoient pas dans les temps où
l'on n'eut que cette sorte d'Ecriture
d'expliquer assez parfaitement les choses
dont les hommes 'devoient être instruits,
le faisant seulement plus en abrégé que
ne le fait l'Ecriture courante , ainsi il faut
croire que l'Ecriture figurée a toujours
été plus difficile à expliquer , sur tout l'étude
des Hyerogliphes Monstres deman-
1. Vol.
doit
DECEMBRE. 1733 2559
doit une grande attention et une grande
connoissance, puisqu'un seul pouvoit renfermer
un mystere de Religion , ou la
maniere de réussir dans un Ouvrage scientifique
, au lieu qu'il auroit fallu plusieurs
Hyérogrammes pour enseigner ces
choses ; cependant ces marques- cy firent
évanouir les autres ; kes Arabes , Mahométans
, à qui la Religion ne permettoit
pas d'écrire avec des figures d'hommes
et d'animaux , ne conserverent que les
Hyérogrammes, et quoiqu'ils eussent des
Caracteres Litteraires , ils se servirent des
premiers pour l'expression plus abrégée
et plus simple de leurs opérations Philosophiques
et Chimiques , continuant
par- là de faire de ces marques le même
usage qu'en faisoient les Egyptiens , qui
étoit de montrer par elles , la maniere de
décomposer et de recomposer les Corps
élémentaires. Ces mêmes marques ont
passé jusqu'à nos Phisiciens , qui les emploient
aux mêmes usages.
Le monde et toutes les sciences qu'on
peut acquerir se symbolisoient sous un
Hyerogliphe de figure tres bizare. C'étoit
un Globe avec des aîles , et des Serpens
autour de son Disque ; ce qui fait appeller
ce Hyérogliphe par le Pere Kirker :
Ali-Sphero Serpenti formem. On le voit
I. Vola
C vj paz
2600 MERCURE DE FRANCE
ན
paroître au haut de presque tous les
Obélisques , et on le mettoit là , comme
un titre , qui annonçoit que tout le Discours
qui alloit suivre , n'étoit que pour
instruire des choses connues dans l'Univers
, dont ce Globe volant étoit le type,
du mouvement , er des actions qui agitent
eet Univers .
Les Phéniciens , les Egyptiens et les
Chinois sont les premiers peuples qui firent
usage des Hyerogliphes , et qui leur
donnerent l'arrangement méthodique
dont je viens de parler , les divisant par
Classes , pour s'en servir aux différentes
applications qu'ils avoient à en faire s
leur figure fut d'abord fort simple dans
les premiers temps ; le trafic ne se faisoit
que par l'échange des Denrées; pour
le faire ( quand on n'étoit pas present )
on n'avoit d'autres moyens que d'envoyer
la figure gravée sur quelque chose
de ce qu'on vouloit vendre , et de ce
qu'on vouloit en retour. Un homme ,
par exemple , qui vouloit vendre un
Boeuf pour des Moutons , envoyoit à un
autre homme la figure d'autant de Moutons
qu'il prétendoit en avoir pour l'échange
du Boeuf, l'échange des Oyseaux
et des fruits de la terre se faisoit de même;
un Arbre se désignoit par un Arbre,
J.Val
DECEMBR E. 1733 . 260
et une personne qui auroit voulu faire
couper des Bois , en envoyoit l'ordre par
un Arbre renversé . On verra facilement
par ces seuls exemples, comment un hom
me pouvoit faire sçavoir ses volontez à
un autre , par le moyen des Hyérogli
phes, qui furent les premieres Monnoyes,
quoiqu'il n'eussent point de valeur en
eux-mêmes ; les accidens avoient leur
marque , la maladie avoit la sienne , une
personne qui vouloit faire consulter le
mal dont elle étoit affligée , envoyoit au
Médecin le symbole general de la maladie
, auquel étoit joint le symbole particulier
de la partie du corps qui étoit affectée
; si c'étoit le coeur , on mettoit un
coeur , et un oeil , ou un pied , si c'érbit
l'oeil ou le pied qui fut malade. Cela se
fait encore à peu près de même chez les
Chinois , qui ont beaucoup de Caracteres
figurez pour les mêmes choses , qu'ils
ont besoin d'exprimer.
Suivant l'explication qu'un de nos Académiciens
a donnée de la Fable des Gorgones
, il paroît que ce n'est qu'une action
de commerce que P'on avoit mis par
écrit en Hyérogliphes , et qu'après qu'on
eut perdu l'intelligence de ces marques,
en voyant des Yeux , des Dents , des Serpens
, qui n'étoient que la Relation du
LVel
voya
2602 MERCURE DE FRANCE
yoyage et l'énumération
des Marchandises
qu'une Flotte , partant de la Mer Méditerranée
, avoit rapporté des Terres situées
sur la Mer Océane , où le commerce
l'avoit attiré. On a cru que c'étoit
toute autre chose : et sur cela les Poëtes
composerent une Fiction Historique , où
de ces Gorgones , qui n'étoient que des
Vaisseaux revenus , chargez de Diamans ',
de Poudre d'or , et de Dents d'Eléphans ;
ils en firent des Filles horribles , qui
avoient la tête pleine de Serpens .
Parmi les Hyérogliphes il y en avoit
de plus simples les uns que les autres ;
les simples étoient les figures naturelles ,
véritables , et sans exagération ; au lieu
que les autres étoient des figures de pure
imagination; c'est ceux - cy qui ont donné
naissance à certains monstres qui ne
peuvent point avoir existé ; plusieurs
choses ont pû occasionner l'invention de
ces figures si extraordinaires ; par exemple
, un Chef de Nation qui vainquoit
différens ennemis , marquoit son triomphe
par une Bête allégorique , à qui on
donnoit autant de têtes que ce Chef avoit
terrassé de Peuples, ennemis. Voilà d'où
viennent les ( 1 ) Amphisbenes , les Cerbe-
( 1 ) Serpent qui pique par les deux extrémitez de
son corps.
1. Vol. ECS,
DECEMBRE. 1733 280g.
res et les Hydres , représentez avec 2 , 3 ,
et jusqu'à 7 têtes.
Apollon fut surnommé Pythiep , pour
avoir tué , disent les Mythologues , le Ser
pent Python , Monstre affreux qui s'étoie
formé du Limon échauffé , que les eaux
du Déluge avoient laissé sur la terre d'Egypte
; mais il est plus croyable que cette
Fable est une allégorie d'un effet naturel
que le Soleil opére tous les ans par sa
chaleur , qui desseche le Limon du Nil
et que les Rayons de l'astre sont les Flé
ches qui détruisent une pourriture , qui
infecteroit la terre sans ce secours annuel,
auquel on donna un mérite particulier
la premiere fois qu'on remarqua ce salutaire
effet , wu , en grec , signifie putrefaction
.
J'ai déja dit qu'entre les Hyérogliphes il
y en avoit de plus propres les uns que
les autres à caractériser certaines choses,
ainsi en suivant ce principe , la Religion
devoit avoir les siens , et les actions et
passions humaines les leurs ; ce que je
viens de remarquer des Gorgones , et de
ces guerriers symbolisés par des Monstres
suffira pour faire voir quels pouvoient
être les Hyérogliphes d'actions. Passons
présentement à la connoissance de quelques-
uns de ceux de passion , pour venir
I. Vol.
enfin
2604 MERCURE DE FRANCE
enfin à connoître quels étoient ceux de
Religion .
Il faut distinguer les passions humaines
en actives et en passives ; c'est nous
qui agissons dans les unes et nous recevons
l'action dans les autres les premiers
se symbolisoient par des marques fort
simples et les secondes par de plus composées,
un seul exemple suffira pour preu
ve de ce qu'étoient les dernieres , qui fera
l'explication du Hyérogliphe de la fortune
; cette Divinité fantasque , qui malgré
ses caprices , a toujours été l'objet
des désirs de tous les hommes , elle se
symbolisoit diversement selon le gout, le
sexe , l'âge et la condition de ses adorateurs
; on la faisoit tantôt homme , tantôt
femme , tantôt vieille et tantôt jeune,
en l'invoquant sous des noms qui avoient
rapport à ces changemens de figures.
>
Comme fortune aimée , fortuna primis
genia , elle étoit proprement le hazard
que quelques Philosophes soutenoient
avoir seul servi au débrouillement duz
Cahos . Les autres surnoms de la fortune
étoient , fortuna obsequens , l'obéissante
patrone des gens heureux ; privata , la
médiocre , qui est celle qui contente les
Sçavans ; fortuna mulier et virgo ; celle des
femmes et des filles,fortuna virilis;celle des
I, Vol
hom
DECEMBRE . 1733. 2605
hommes qui se représentoit de sexe mas
culin , il y avoit même la fortune des
vieillards , représentée avec une longue
barbe , et celle-cy étoit sans doute de
toutes les fortunes celle qu'on honoroit
le plus tard .
Cette Divinité se représentoit en general
avec tout l'appareil significatif des
effets que ses caprices produisoient dans
le monde , montée sur une roue, avec des
aîles sur le dos , un bandeau sur les yeux,
ses cheveux assemblez sur le devant de
la tête , et chauve par derriere , tout cela
pour montrer son instabilité , son inconstance
, son aveuglement dans la dispensation
de ses dons , et la difficulté de
la ratraper quand elle nous a tourné le
dos ; on lui mettoit aussi un Globe en
une main , et un Gouvernail ou une Corne
d'abondance en l'autre , pour mon
trer qu'elle gouverne le Monde , et y répand
les biens à sa volonté , ce qui étoit
encore signifié par un Soleil et une Lune
qui accompagnoient sa tête ; enfin cette
Deïté , qui est , pour ainsi dire, l'ame du
monde , pouvoit- elle manquer d'être fi
gurée par un Hierogliphe des plus composez
? C'est peut- être celui qui donna
l'idée de faire les figures panthées dont
je parlerai bien-tôt.
1. Vet. Quan
2606 MERCURE DE FRANCE
:
Quant aux Hierogliphes des passions
actives qui sont au - dedans de nous - mê
mes , ils étoient tous simples quand on
n'avoit à lés représenter que chacun séparément
; la Genisse , l'Agneau , la Colombe
, la Tourterelle , & c. marquoient
la pureté , l'innocence , l'amitié et la
constance. La virginité paroissoit sous la
marque d'une fille échevelée , vétuë de
blanc , les Vertus étoient symbolisées par
des Animaux de figures aimables , et les
vices , au contraire , étoient figurez par
des Animaux affreux , dont la seule vûe
causoit de l'horreur ; la Religion Chrétienne
a conservé ces usages , on a dé
signé les pechez capitaux par les plus
hideuses bêtes que nous connoissions , à
l'imitation des Anciens qui inventerent
des Monstres qui n'existoient point, pour
dépeindre les vices avec des couleurs plus
effrayantes.
Ils imaginerent un Basilic qui tuë de
son regard ; un Serpent qui empoisonne
de son écume toutes les herbes où il se
traîne; une infinité d'autres bêtes affreuses
étoient les Symboles des deffauts les plus
nuisibles à la Societé , comme la calomnie
, le mensonge et d'autres ; l'Hiene
étoit la marque de la cruauté ; et comme
les femmes ne sont pas exemptes de ce
I. Vol. vice
DECEMBRE . 1733. 2607
vice , on fit cet Animal hermaphrodite.
Toutes ces Images que je viens de représenter
, étoient simples ; mais quand
il falloit caracteriser en un même Symbole
plusieurs vices ou plusieurs vertus ,
il falloit bien composer un Hierogliphe
dans lequel les Symboles particuliers de
toutes ces choses entrassent , et cela formoit
des Panthées de passions , semblables
aux Panthées sacrez.
L'Antiquité eut des Héros et des braves
, qui ainsi que nos Chevaliers Errans
du temps de Charlemagne , se dévoüoient
à passer leur vie en courant le Monde
pour secourir les foibles et purger la Terre
des brigands , qui en étoient les veritables
Monstres ; tels furent parmi les
Gercs Hercule , Thesée , Jason , Persée ,
et autres. Je métonne que les Auteurs
zelez pour la gloire de notre ancienne
Chevalerie , ayent borné son origine
aux Chevaliers Romains , et qu'ils ne
l'ayent pas remontée jusqu'aux demi-
Dieux de la Grece , nos vieux Romanciers
leur en avoient donné l'ouverture ,
par le merveilleux qu'ils ont répandu sur
les avantures de nos valeureux Paladins ,
Renaud , Roland et Amadis , en leur
fournissant à point nommé des montures
diaboliques pour les conduire plus
par
B.I. Vel
prem
2303 MERCURE DE FRANCE
promptement vers les Géants qu'ils devoient
exterminer , à l'exemple des Poëtes
Grecs qui trouvoient des Pégases pour
en fournir fort à propos aux Deffenseurs
des Dames , télles qu'Andromede et Hésione.
Michel de Cervantes et Rabelais , pour
se mocquer des idées folles des Auteurs
de Romans , ont imaginé les Oriflants ,
les Hippogriphes et les Chevillards , don't
ils ont parlé , l'un dans son Don Quichote
, et l'autre dans son Gargantua .
›
Ce sont ces Chevaux ailez de la Fable
qui ont pû persuader qu'il y avoit des
Licornes ( autres animaux aussi fabuleux )
il est aisé de voir de quelle source partoit
cette fausse persuasion . L'Yvoire venoir
, à ce qu'on disoit d'une Corne de
bête qui se trouvoit en Afrique et
Pline dans son Histoire Naturelle ( L. 8.
C. 21. ) admet des Chevaux volants et
des Chevaux à Cornes , à qui il donne
également le nom de Pégase , et les fait
trouver en Ethiopie , Pays voisin des
Monts Athlas , où Persée eut occasion
de se servir d'un de ces Chevaux . Æthiopia
generat , multaque alia Monstro similia
Pennatos equos et Cornibus armatos
quos Pegasos vocant ; ce Passage ne m'empêchera
pas de conclure que , puisque
I. Vol. los
DECEMBRE . 1733. 2609
tes Pégases sont chimeriques , les Licornes
ne le sont pas moins , et la description
que continue d'en faire le méme
Auteur , achevera de prouver que ces
Animaux ne doivent être regardez que
comme des chimeres , ou plutôt ce sont
des Hierogliphes qui ont eu cette forme
, la Licorne a pû êrre une image
Panthée propre à désigner la fécondité
cu les perfections dans le genre animal ,,
elle avoit le corps d'un Cheval , la tête
d'un Cerf , les pieds d'Elephant , sa
queue d'un Sanglier , avec une corne de
deux coudées de long , placée au milieu
du front.
"
L'Auteur promet la suite.
Fermer
Résumé : DES HIEROGLYPHES, et de leurs usages dans l'Antiquité. Discours où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de tous les Monstres et de tous les Animaux chimeriques dont les Anciens nous ont parlé. Par M. Beneton de Perrin.
Le texte 'Des hiéroglyphes, et de leurs usages dans l'Antiquité' de M. Beneton de Perrin explore l'origine et l'évolution des hiéroglyphes. Les premiers hommes, limités par la communication orale, inventèrent des figures pour représenter leurs pensées, appelées hiéroglyphes. Ces figures servaient à exprimer les actions et les passions, formant un langage muet. Les Grecs nommèrent ces figures hiéroglyphes, dérivant du terme 'sacra sculptura' car les prêtres les utilisaient pour écrire sur la religion et envelopper les mystères. Les hiéroglyphes se multiplièrent avec le perfectionnement du langage et des sciences. Ils sont distingués en deux classes : les hiéroglyphes animés, représentant des formes de bêtes ou de plantes, et les hiéroglyphes inanimés, ou hiérogrammes, qui étaient des figures fantaisistes formant souvent les lettres alphabétiques. Les Chaldéens, observant les cieux, traçaient des figures correspondant aux constellations, nommant des amas d'étoiles comme le Sagittaire ou la Vierge. Les Grecs nommèrent également des constellations d'après leurs héros, notamment les Argonautes. Cette personnification des astres conduisit à l'idolatrie, où les figures taillées et les symboles hiéroglyphiques devinrent respectables. L'idolatrie s'intensifia avec la déification des hommes illustres, comme Apollon ou Esculape, et des arts qu'ils inventèrent. Les hiéroglyphes devinrent complexes, signifiant parfois trois choses différentes : sacrée, mécanique, et personnelle. Par exemple, une hache sur un tombeau pouvait désigner un ouvrier ou une personne protégée par un dieu. Les hiéroglyphes étaient utilisés pour conserver la connaissance de la religion, des sciences et de l'histoire. Leur interprétation est rendue difficile par le mélange des hiéroglyphes et des hiérogrammes. Le texte souligne l'importance de distinguer ces figures pour éviter les erreurs historiques et les interprétations trompeuses. Les hiéroglyphes représentaient des concepts complexes et des principes philosophiques, comme Orimase et Arimane chez les Perses, et Osiris et Tiphon chez les Égyptiens, symbolisant les forces du bien et du mal. Les hiérogrammes, des marques plus simples comme le cercle, le triangle, et la croix, ont évolué pour former des caractères littéraires utilisés dans l'écriture courante. Les hiéroglyphes étaient utilisés pour représenter des idées abstraites et des concepts religieux, souvent difficiles à interpréter et nécessitant une grande connaissance pour être compris. Les Arabes, en raison de leurs restrictions religieuses, ont conservé les hiérogrammes pour des usages philosophiques et chimiques, une pratique adoptée par les physiciens modernes. Le texte mentionne également un hiéroglyphe particulier, un globe ailé avec des serpents, souvent trouvé sur les obélisques, symbolisant l'univers et ses mouvements. Les Phéniciens, les Égyptiens et les Chinois sont cités comme les premiers peuples à avoir utilisé les hiéroglyphes de manière méthodique. Les hiéroglyphes étaient utilisés pour diverses applications, comme le commerce et la médecine. Par exemple, une figure d'un animal ou d'une partie du corps pouvait indiquer une maladie ou une demande de traitement. Les hiéroglyphes étaient également utilisés pour représenter des passions humaines, des vertus et des vices, souvent symbolisés par des animaux. Le texte explore également les hiéroglyphes liés à la fortune, représentée par une divinité capricieuse et instable, souvent figurée avec une roue, des ailes et un bandeau sur les yeux. Les passions actives et passives étaient symbolisées par des marques simples ou composées, respectivement. Enfin, le texte compare les héros grecs, comme Hercule et Thésée, aux chevaliers errants de la chevalerie médiévale, notant les similitudes dans leurs quêtes pour secourir les faibles et combattre les monstres.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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p. 2892-2900
AUTRE LETTRE de Constantinople du 18 Novembre 1733. Défaite de Thamas Kouli-Kan par Topal-Osman.
Début :
Plusieurs Tartares arrivez ici dans la nuit du 8. au 9. de ce mois, ont apporté la nouvelle [...]
Mots clefs :
Thamas Kouli-Kan, Topal Osman Pacha, Armée, Sérasker, Général, Hommes, Bagdad, Kerkout, Perse, Aghuans, Persans, Porte, Constantinople
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texteReconnaissance textuelle : AUTRE LETTRE de Constantinople du 18 Novembre 1733. Défaite de Thamas Kouli-Kan par Topal-Osman.
AUTRE LETTRE de Constantinople
du 18 Novembre 1733. Défaute de
Thamas Kouli - Kan par Topal Osman.
Plusieurs Tartares arrivez ici dans la nuit du
8. au 9. de ce mois , ont apporté la nouvelle .
d'une seconde victoire que Topal - Osman Pacha
Seraskier a remportée le 22. du mois passé.
Mais avant que d'en faire le récit , il est à propos
de reprendre les choses de plus loin et
de rapporter quelques faits qui ont precedé cer
Evenement, dont on a été d'autant plus surpris
qu'on n'avoit pas lieu de s'y attendre.
Depuis la défaite de Thamas- Kouli Kan , du
19. Juillet , et la levée du Blocus de Bagdad ,
qui deux jours après en fut le premier fruit , ce
General Persan, quoique dangereusement blessé ,
ayant gagné Amadan avec les debris de son Armée,
paroissoit y vouloir demeurer sur la deffensive,
soit par les soins qu'il prenoit de fortifier cette
Place et quelques autres aux environs , soit par
II. Vel - Je
DECEMBRE. 1733. 2893
le peu de monde qui lui restoit en état de servir.
Il est vrai que quelque temps après sa retraite
à Amadan il écrivit à Acmet - Pacha, Gouverneur
de, Bagdad , que malgré les désavantages qu'il
avoit eus cette année , il ne se tenoit pas pour
tout-à- fait vaincu , qu'il reconnoissoit les fautes
qu'il avoit commises , et qu'il n'y retomberoit
plus ; mais que comme il vouloit faire la guerre
noblement , il le prévenoit d'avance qu'au Printemps
prochain il se remettroit en campagne
avec une Armée plus nombreuse que celle qu'il
avoit perdue , et qu'il l'iroit trouver à Bagdad.
Ces menaces pouvant être regardées comme
des rodomontades , sur tout de la part d'un homme
aussi va n que l'est Kouli - Kan , et ne devant
pas d'ailleurs s'executer si - tôt , on n'avoit
pas sujet d'en craindre des effets prochains.
Achmet-Pacha cependant ne laissa pas de redoubler
son attention pour ravitailler sa Place
et la mettre en état de soutenir un second Siege,
autant que le Pais des environs qui est entiererement
ruiné à plus de 20. lieues à la ronde , et
les autres circonstances où il se trouvoit , pouvoient
le lui permettre ; et Topal Osman , qui
de son côté ne pouvoit , faute de munitions ,
tenter de nouvelles conquêtes , se borna à envoyer
Poulac Pacha avec 6000. hommes s'emparer
de Takaya ou Tayon , suivant la Carte de
M. de Lisle , Défilé dans des Montagnes , par où
il faut absolument passer pour venir d'Amadan
sur les Terres de Turquie. Ensuite divisant son
Armée en plusieurs corps pour la faire plus aisément
subsister, il se retira à Kerkout,à cinq journées
de ce passage, avec environ trente mille hommes
seulement , qu'il disposa dans les lieux cir-
Convoisins , n'en gardant avec lui qu'un petit
II. Vol. nombre
2894 MERCURE DE FRANCE
nombre pour servir de garnison à cette Forteresse.
Les choses étoient dans cet état quand le Seraskier
eut avis que le fils de Thamas Kouli-Kan
amenoit au Candahar quarante mille Aghuans à
son pere , il en informa aussi-tôt la Porte par
un Courier qu'il dépêcha , et representa , comme
il l'avoit déja fait plusieurs fois , la necessité
qu'il y avoit d'envoyer en Perse de prompts secours
d'hommes , d'argent et de vivres , et il demanda
en même - temps qu'en consideration de
sa vieillesse et de ses infirmitez , on lui permit
de se démettre de la Charge de Séraskier, en faveur
d'Achinet Pacha , qui étoit plus en état que
lui de la remplir dignement.
Le G. S. deferant à ses prieres , et ne voulant
pourtant pas qu'is se retirat entierement du service
, l'avoit nonmé Pacha de Cutaya'; Ville
d'Asie , à trois journées de Constantinople , et
Beyglerbey de Natolie ; l'expedition des ordres
pour ces nouveaux arrangemens , étoit même
déja prête à partir , lorsque la Porte reçut de
nouvelles Lettres de Topal- Osman , par lesquel
les il mandoit que les Persans avoient forcé le
passage de Takaya , et que leur General s'avançoit
vers lui avec une nombreuse Armee de Cavalerie
, sur quoi il renouvelloit ses instances
pour l'envoi des secours qu'il avoit demandez.
On tint sur ce sujet un Grand- Conseil au Sérail
le premier de ce mois , mais les résolutions
qu'on y prit furent tenues si secrettes , que le
Public ne fut pas même informé alors de la nouvelle
pour laquelle ce Conseil avoit été assemblé.
On scut seulement qu'on y avoit décidé de sus
pendre l'execution des ordres dont j'ai parlé cy
dessus et que Topal -Osman continueroit à com
nander l'Armée Ottomane en Perse.
DECEMBRE . 1733. 2895
>
Venons à Kouli - Kan ; les Aghuans que conduisoit
son fils , l'ayant joint à Amadan , il en
partit peu de jours après avec so. à 60. mille
hommes de Cavalerie , dont il fit prendre les devans
20. mille pour se saisir du défilé de Takaya.
Poulac Pacha , à qui , comme on l'a dit ,
la garde en avoit été confiée soit qu'il cut
négligé de s'y fortifier , ou qu'il eût été surpris
all'improviste , soit qu'il ne lui parût pas possible
de résister à l'Armée Persane , que de faux avis
lui avoient fait monter à 200. milie Combatans ;
Poulac- Pacha , dis je , à la vue des 20. mille
Aghuans qui venoient l'attaquer , prit la fuite et
se sauva , à la verité , avec presque tout son
monde , mais sans pouvoir rien emporter de son
Camp , qu'il abandonna.
Dès que Topal - Osman le vit arriver en
fuyard à Kerkout , il fut si indigné contre lui ,
et sur tout de ce qu'il n'avoit pas eu le soin de
prendre de plus exactes informations sur le veritable
nombre des ennemis, qu'il vouloit lui taire
couper la tête. Cependant tant de gens de cousidération
se jetterent à ses pieds , pour lui demander
la grace de cet infortuué Pacha , en lui
rappellant les marques éclatantes , qu'il avoit
données de sa bravoure dans la Bataille du 19 Juil.
let qu'enfin le Seraskier se laissa fléchir; mais prévoyant
bien qu'il alloit se trouver dans de grands
embarras , que le danger étoit pressant , et qu'il
ne devoit pas compter sur les secours qu'il avoit
si souvent sollicitez à la Porte , il se tourna du
côté des Arabes du voisinage dont il demanda
l'assistance et dont plusieurs Cheiks , ou Commandants
lui ammenerent sept à huit mille
hommes. Il rapella en même tems le plus de
Troupes Ottomanes qu'il put rassembler , sor-
I. Vol.
2896 MERCURE DE FRANCE
氧
tit de Kerkout , mit son Armée en Bataille devant
cette place ; et fit faire de bons retranchemens
, boracz de 60 piéces de Canons.
Il étoit encore occupé à fortifier son Camp ,
lorsqu'un exprès du General de Perse lui en apporta
une Lettre , par laquelle cet orgueilleux
ennemi marquoit qu'il marchoit à lui , et que
non -seulemene il enleveroit sa petite Armée ,
mais qu'il l'enleveroit lui même comme un enfant
avec son Bechik. Pour entendre la mauvaise
plaisanterie que ce mot Persan renferme , il faut
sçavoir qu'il signifie tout à la fois , Berceau et
Litiere , et que Topal Osman à cause de ses infirmitez
est obligé depuis long- tems à se servir
de cette voiture.
Le Seraskier ne répondit autre chose à cette
Lettre insultante , sinon qu'il étoit boiteux ,
vieux , et malade qu'il ne pouvoit aller au devant
de Kouli- Kan, mais qu'il l'attendoit et que
/ Dieu décideroit de tout.
Ce dernier continuant sa route passa près de
Bagdad sans s'arrêter , comptant toujours que
cette place ne pouroit manquer de tomber entre
ses mains , dès qu'il auroit battu les Turcs ,
comme il s'en flatoit : mais on dit qu'il surprit
tine fort grosse Caravane qui sortoit de cette
Ville , et qui étant destinée pour Alep , Smirne,
et Constantinople , étoit d'autant plus riche que
ceux qui l'avoient formée , croyant leurs effets
en sureté sur la route , depuis la défaite et la
retraite des Persans , ils avoient fait des envoys
considerables de Marchandises précieuses pour
se dédommager de la longue interruption de leur
commerce.
Enfin Kouli- Kan venant à paroître à la veuë
de Kerkout , le 22 Octobre Topal - Osman le
II. Vol. laissa
DECEMBRE . 1733. 2897
laissa approcher de ses retranchemens jusqu'à la
portée du fusil : il fit faire alors une décharge
de toute son Artillerie chargée à mitraille , et de
toute sa Mousqueterie , ce qui commença à
jetter un grand désordre dans l'Armée Persane , )
il dit à ses Soldats qu'il n'avoit rien à leur commander
; qu'ils étoient bien retranchez et qu'ils
pouvoient se tenir sur la deffensive ; mais qu'il
permettroit volontiers de sortir du Camp à tous
ceux qui auroient assez de valeur pour aller atta
quer l'ennemi . A ce discours , les Jannissaires
du Caire , et quelques Corps de Romelie qui ne
s'étoient point trouvez à l'Action du 19 Juillet
se piquerent d'honneur ; et secondez par quelques
autres Troupes et par les Arabes , ils fondirent
avec furie sur les Persans . Il faisoit beaucoup
de poussiere , un gros brouillard et un
vent qui soufloit la poudre aux yeux de ceux ci,
dont les Turcs tirerent un grand avantage.
›
Après quatre heures d'un combat opiniâtre ,
le Seraskier s'appercevant que ses Troupes prenoient
le dessus , il fit ordonner à tout ce qui
lui en restoit dans le Camp , de venir partager
le péril et la gloire de cette journée. Ce renfort
redoubla le courage des Turcs et acheva d'abbattre
celui des Persans : ils prirent enfin la fuite,
laissant 6000 des leurs sur la Place , dont on apporta
les têtes aux pieds de Topal - Osman , ct
trois mille Prisonniers , parmi lesquels on dit ,
que sont le Beau- pere et le neveu de Kouli - Kan
avec plusieurs Seigneurs de marque.
> Le Seraskier les ayant fait venir devant lui
leur demanda comment leur General après avoir
été si bien battu auprès de Bagdat, étoit revenu
le chercher avec tant de diligence ? Seigneur
lui répondirent- ils , Thamas Kouli - Kan n'a d'a-
II. Vol. G bord .
288 MERCURE DE FRANCE
,
bord fait cette démarches que sur les assurances
qu'on lui avoit données de plusieurs endroits que
vous étiez mort et dans la persuasion où il étoit
qu'un Chef tel que vous manquant à l'Armée Ottomane
, il en triompheroit aisément , et qu'ensuite il
ne trouveroit que de foibles obstacles à s'emparer de
Bagdad. Il a bien reconnu depuis , qu'on lui en
avoit imposé , mais il n'a pú se résoudre à reculer,
et il s'est d'ailleurs fié en son courage et à celui des
Aghuans , avec lesquels il a ci- devant remporté
beaucoup de Victoires ,
Il est à remarquer qu'aussi - tôt qu'Achmet Pacha
eût apris que Polac Pacha avoit abandonné le defilé
de Taxaya , il se pressa de faire entrer dans sa
Place tout ce qu'il put ramasser d'utile , et de faire
fermer les Portes , ne doutant pas que Kouli - Kan
ne vint en renouveler le blocus . Il régaloit même
dans ce moment le Buyuk Imbrohor , ou grand
Ecuyer du G.S.qui étoit sur le point de partir pour
revenir à Constantinople ; et iui ayant represen
té le risque qu'il y auroit pour lui sur le chemin
de Bagdad à Kerkout , qui devoit être alors infesté
de partis Ennemis , il lui fit prendre la route
de Mossul par le desert. Topal - Osman en
ayant été informé , envoya à ce Grand - Ecuyer
une Relation de l'Affaire qu'on vient de raconter ,
avec ordre de la faire passer incessamment à la
Porte , et d'attendre encore de ses nouvelles à
Mossul.
On présume de - là , qu'apparemment le Seraskier
veut lui faire remettre avec sureté le Beaupere
et le neveu de Kouli- Kan , avec les autres
Prisonniers de distinction , pour qu'il les conduise
et les présente lui - même au G. S.
Comme suivant quelques avis Kouli-Kan
après cette derniere déroute . s'étoit arrêté à
II. Vol. Leilan
DFCEMBRE. 1733. 2899
>
Leilan qui n'est qu'à cinq lieues de Kerkout
et qu'on craint avec raison qu'il ne veuille encore
tenter le sort des Armes , la Porte a dépêché un
Courier à Demir Pacha qui commiande 40
mille hommes aux environs de Tauris , avec ordre
de marcher en diligence avec les Tartares
qui sont passez en Perse , lesquels l'auront joint
vers les lieux où l'Armée de Kouli - Kan sera
campée.
Quoique cette nouvelle Victoire de Topal-
Osman soit encore plus glorieuse pour lui que la
premiere , on n'a cependant point tiré le Canon
ici , comme il est d'usage en pareil cas , parce
qu'on attend, dit - on , l'arrivée du Buyuk Imbrohor,
ou celle de quelque personne qui vienne directement
de la part du Seraskier.
Du 18 Novembre 1733.
P. V. D.
Comme j'allois fermer mon paquet , Monsieur,
on m'est venu dire une nouvelle de la derniere
importance pour cet Empire ; sçavoir , que Topal-
Osman Pacha étant allé attaquer Thamas
Kouli- Kan à Leilan , où je vous ai marqué qu'il
s'étoit arrêté , après sa dérouté du 22 Octobre ,
les Aghuans qui composoient la meilleure partie
de l'Armée Persane, avoient ployé leurs Etendarts
et s'étoient venus rendre à Topal - Osman , que
Kouli-Kan trop affoibli par cette désertion
pour pouvoir resister aux Turcs , avoit pris la
fuite vers la Perse avec environ 10000 hommes
qui lui restoient , que Topal - Osman l'avoit fait
suivre par Menis Pacha à la tête d'un gros
Corps de Troupes , et avoit donné ordre en
même tems aux Curdes de s'emparer d'un defilé
par où il falloit necessairement que les Persans
II. Vol.
Gij
passassent
2000 MERCURE DE FRANCE
>
passassent; que leur General se voyant prêt d'être
assailli par devant et par derriere , sans espérance
de pouvoir échapper , avoit écrit une Lettre
à Topal- Osman , par laquelle il se confessoit
vaincu et lui demandoit la Paix à telles conditions
qu'il voudroit lui imposer , mais que le
Seraskier lui avoit répondu que le regardant
comme un Rebelle , il ne vouloit traiter en aucune
façon avec lui ; enfin que suivant l'extre
mité ou Kouli- Kan étoit réduit au depart des
trois Couriers qui ont apporté cette nouvelle
ce matin , ce General Persan doit avoir été pris
depuis avec le reste de son Armée.
On a tenu ici sur le champ un Conseil general
au Serail , dans lequel il a été résolu d'envoyer
sans délai des pleins pouvoirs à Topal - Osman ,
pour traiter de la Paix avec des Ministres du léitime
Souverain de Perse , que l'on dit être un
jeune Fils de Schah - Thamas , ce dernier étant
à ce que l'on ajoute , et avec ordre de
n'écouter aucune proposition de la part de Thamas
Kouli- Kan,
mort ,
P. V. D.
du 18 Novembre 1733. Défaute de
Thamas Kouli - Kan par Topal Osman.
Plusieurs Tartares arrivez ici dans la nuit du
8. au 9. de ce mois , ont apporté la nouvelle .
d'une seconde victoire que Topal - Osman Pacha
Seraskier a remportée le 22. du mois passé.
Mais avant que d'en faire le récit , il est à propos
de reprendre les choses de plus loin et
de rapporter quelques faits qui ont precedé cer
Evenement, dont on a été d'autant plus surpris
qu'on n'avoit pas lieu de s'y attendre.
Depuis la défaite de Thamas- Kouli Kan , du
19. Juillet , et la levée du Blocus de Bagdad ,
qui deux jours après en fut le premier fruit , ce
General Persan, quoique dangereusement blessé ,
ayant gagné Amadan avec les debris de son Armée,
paroissoit y vouloir demeurer sur la deffensive,
soit par les soins qu'il prenoit de fortifier cette
Place et quelques autres aux environs , soit par
II. Vel - Je
DECEMBRE. 1733. 2893
le peu de monde qui lui restoit en état de servir.
Il est vrai que quelque temps après sa retraite
à Amadan il écrivit à Acmet - Pacha, Gouverneur
de, Bagdad , que malgré les désavantages qu'il
avoit eus cette année , il ne se tenoit pas pour
tout-à- fait vaincu , qu'il reconnoissoit les fautes
qu'il avoit commises , et qu'il n'y retomberoit
plus ; mais que comme il vouloit faire la guerre
noblement , il le prévenoit d'avance qu'au Printemps
prochain il se remettroit en campagne
avec une Armée plus nombreuse que celle qu'il
avoit perdue , et qu'il l'iroit trouver à Bagdad.
Ces menaces pouvant être regardées comme
des rodomontades , sur tout de la part d'un homme
aussi va n que l'est Kouli - Kan , et ne devant
pas d'ailleurs s'executer si - tôt , on n'avoit
pas sujet d'en craindre des effets prochains.
Achmet-Pacha cependant ne laissa pas de redoubler
son attention pour ravitailler sa Place
et la mettre en état de soutenir un second Siege,
autant que le Pais des environs qui est entiererement
ruiné à plus de 20. lieues à la ronde , et
les autres circonstances où il se trouvoit , pouvoient
le lui permettre ; et Topal Osman , qui
de son côté ne pouvoit , faute de munitions ,
tenter de nouvelles conquêtes , se borna à envoyer
Poulac Pacha avec 6000. hommes s'emparer
de Takaya ou Tayon , suivant la Carte de
M. de Lisle , Défilé dans des Montagnes , par où
il faut absolument passer pour venir d'Amadan
sur les Terres de Turquie. Ensuite divisant son
Armée en plusieurs corps pour la faire plus aisément
subsister, il se retira à Kerkout,à cinq journées
de ce passage, avec environ trente mille hommes
seulement , qu'il disposa dans les lieux cir-
Convoisins , n'en gardant avec lui qu'un petit
II. Vol. nombre
2894 MERCURE DE FRANCE
nombre pour servir de garnison à cette Forteresse.
Les choses étoient dans cet état quand le Seraskier
eut avis que le fils de Thamas Kouli-Kan
amenoit au Candahar quarante mille Aghuans à
son pere , il en informa aussi-tôt la Porte par
un Courier qu'il dépêcha , et representa , comme
il l'avoit déja fait plusieurs fois , la necessité
qu'il y avoit d'envoyer en Perse de prompts secours
d'hommes , d'argent et de vivres , et il demanda
en même - temps qu'en consideration de
sa vieillesse et de ses infirmitez , on lui permit
de se démettre de la Charge de Séraskier, en faveur
d'Achinet Pacha , qui étoit plus en état que
lui de la remplir dignement.
Le G. S. deferant à ses prieres , et ne voulant
pourtant pas qu'is se retirat entierement du service
, l'avoit nonmé Pacha de Cutaya'; Ville
d'Asie , à trois journées de Constantinople , et
Beyglerbey de Natolie ; l'expedition des ordres
pour ces nouveaux arrangemens , étoit même
déja prête à partir , lorsque la Porte reçut de
nouvelles Lettres de Topal- Osman , par lesquel
les il mandoit que les Persans avoient forcé le
passage de Takaya , et que leur General s'avançoit
vers lui avec une nombreuse Armee de Cavalerie
, sur quoi il renouvelloit ses instances
pour l'envoi des secours qu'il avoit demandez.
On tint sur ce sujet un Grand- Conseil au Sérail
le premier de ce mois , mais les résolutions
qu'on y prit furent tenues si secrettes , que le
Public ne fut pas même informé alors de la nouvelle
pour laquelle ce Conseil avoit été assemblé.
On scut seulement qu'on y avoit décidé de sus
pendre l'execution des ordres dont j'ai parlé cy
dessus et que Topal -Osman continueroit à com
nander l'Armée Ottomane en Perse.
DECEMBRE . 1733. 2895
>
Venons à Kouli - Kan ; les Aghuans que conduisoit
son fils , l'ayant joint à Amadan , il en
partit peu de jours après avec so. à 60. mille
hommes de Cavalerie , dont il fit prendre les devans
20. mille pour se saisir du défilé de Takaya.
Poulac Pacha , à qui , comme on l'a dit ,
la garde en avoit été confiée soit qu'il cut
négligé de s'y fortifier , ou qu'il eût été surpris
all'improviste , soit qu'il ne lui parût pas possible
de résister à l'Armée Persane , que de faux avis
lui avoient fait monter à 200. milie Combatans ;
Poulac- Pacha , dis je , à la vue des 20. mille
Aghuans qui venoient l'attaquer , prit la fuite et
se sauva , à la verité , avec presque tout son
monde , mais sans pouvoir rien emporter de son
Camp , qu'il abandonna.
Dès que Topal - Osman le vit arriver en
fuyard à Kerkout , il fut si indigné contre lui ,
et sur tout de ce qu'il n'avoit pas eu le soin de
prendre de plus exactes informations sur le veritable
nombre des ennemis, qu'il vouloit lui taire
couper la tête. Cependant tant de gens de cousidération
se jetterent à ses pieds , pour lui demander
la grace de cet infortuué Pacha , en lui
rappellant les marques éclatantes , qu'il avoit
données de sa bravoure dans la Bataille du 19 Juil.
let qu'enfin le Seraskier se laissa fléchir; mais prévoyant
bien qu'il alloit se trouver dans de grands
embarras , que le danger étoit pressant , et qu'il
ne devoit pas compter sur les secours qu'il avoit
si souvent sollicitez à la Porte , il se tourna du
côté des Arabes du voisinage dont il demanda
l'assistance et dont plusieurs Cheiks , ou Commandants
lui ammenerent sept à huit mille
hommes. Il rapella en même tems le plus de
Troupes Ottomanes qu'il put rassembler , sor-
I. Vol.
2896 MERCURE DE FRANCE
氧
tit de Kerkout , mit son Armée en Bataille devant
cette place ; et fit faire de bons retranchemens
, boracz de 60 piéces de Canons.
Il étoit encore occupé à fortifier son Camp ,
lorsqu'un exprès du General de Perse lui en apporta
une Lettre , par laquelle cet orgueilleux
ennemi marquoit qu'il marchoit à lui , et que
non -seulemene il enleveroit sa petite Armée ,
mais qu'il l'enleveroit lui même comme un enfant
avec son Bechik. Pour entendre la mauvaise
plaisanterie que ce mot Persan renferme , il faut
sçavoir qu'il signifie tout à la fois , Berceau et
Litiere , et que Topal Osman à cause de ses infirmitez
est obligé depuis long- tems à se servir
de cette voiture.
Le Seraskier ne répondit autre chose à cette
Lettre insultante , sinon qu'il étoit boiteux ,
vieux , et malade qu'il ne pouvoit aller au devant
de Kouli- Kan, mais qu'il l'attendoit et que
/ Dieu décideroit de tout.
Ce dernier continuant sa route passa près de
Bagdad sans s'arrêter , comptant toujours que
cette place ne pouroit manquer de tomber entre
ses mains , dès qu'il auroit battu les Turcs ,
comme il s'en flatoit : mais on dit qu'il surprit
tine fort grosse Caravane qui sortoit de cette
Ville , et qui étant destinée pour Alep , Smirne,
et Constantinople , étoit d'autant plus riche que
ceux qui l'avoient formée , croyant leurs effets
en sureté sur la route , depuis la défaite et la
retraite des Persans , ils avoient fait des envoys
considerables de Marchandises précieuses pour
se dédommager de la longue interruption de leur
commerce.
Enfin Kouli- Kan venant à paroître à la veuë
de Kerkout , le 22 Octobre Topal - Osman le
II. Vol. laissa
DECEMBRE . 1733. 2897
laissa approcher de ses retranchemens jusqu'à la
portée du fusil : il fit faire alors une décharge
de toute son Artillerie chargée à mitraille , et de
toute sa Mousqueterie , ce qui commença à
jetter un grand désordre dans l'Armée Persane , )
il dit à ses Soldats qu'il n'avoit rien à leur commander
; qu'ils étoient bien retranchez et qu'ils
pouvoient se tenir sur la deffensive ; mais qu'il
permettroit volontiers de sortir du Camp à tous
ceux qui auroient assez de valeur pour aller atta
quer l'ennemi . A ce discours , les Jannissaires
du Caire , et quelques Corps de Romelie qui ne
s'étoient point trouvez à l'Action du 19 Juillet
se piquerent d'honneur ; et secondez par quelques
autres Troupes et par les Arabes , ils fondirent
avec furie sur les Persans . Il faisoit beaucoup
de poussiere , un gros brouillard et un
vent qui soufloit la poudre aux yeux de ceux ci,
dont les Turcs tirerent un grand avantage.
›
Après quatre heures d'un combat opiniâtre ,
le Seraskier s'appercevant que ses Troupes prenoient
le dessus , il fit ordonner à tout ce qui
lui en restoit dans le Camp , de venir partager
le péril et la gloire de cette journée. Ce renfort
redoubla le courage des Turcs et acheva d'abbattre
celui des Persans : ils prirent enfin la fuite,
laissant 6000 des leurs sur la Place , dont on apporta
les têtes aux pieds de Topal - Osman , ct
trois mille Prisonniers , parmi lesquels on dit ,
que sont le Beau- pere et le neveu de Kouli - Kan
avec plusieurs Seigneurs de marque.
> Le Seraskier les ayant fait venir devant lui
leur demanda comment leur General après avoir
été si bien battu auprès de Bagdat, étoit revenu
le chercher avec tant de diligence ? Seigneur
lui répondirent- ils , Thamas Kouli - Kan n'a d'a-
II. Vol. G bord .
288 MERCURE DE FRANCE
,
bord fait cette démarches que sur les assurances
qu'on lui avoit données de plusieurs endroits que
vous étiez mort et dans la persuasion où il étoit
qu'un Chef tel que vous manquant à l'Armée Ottomane
, il en triompheroit aisément , et qu'ensuite il
ne trouveroit que de foibles obstacles à s'emparer de
Bagdad. Il a bien reconnu depuis , qu'on lui en
avoit imposé , mais il n'a pú se résoudre à reculer,
et il s'est d'ailleurs fié en son courage et à celui des
Aghuans , avec lesquels il a ci- devant remporté
beaucoup de Victoires ,
Il est à remarquer qu'aussi - tôt qu'Achmet Pacha
eût apris que Polac Pacha avoit abandonné le defilé
de Taxaya , il se pressa de faire entrer dans sa
Place tout ce qu'il put ramasser d'utile , et de faire
fermer les Portes , ne doutant pas que Kouli - Kan
ne vint en renouveler le blocus . Il régaloit même
dans ce moment le Buyuk Imbrohor , ou grand
Ecuyer du G.S.qui étoit sur le point de partir pour
revenir à Constantinople ; et iui ayant represen
té le risque qu'il y auroit pour lui sur le chemin
de Bagdad à Kerkout , qui devoit être alors infesté
de partis Ennemis , il lui fit prendre la route
de Mossul par le desert. Topal - Osman en
ayant été informé , envoya à ce Grand - Ecuyer
une Relation de l'Affaire qu'on vient de raconter ,
avec ordre de la faire passer incessamment à la
Porte , et d'attendre encore de ses nouvelles à
Mossul.
On présume de - là , qu'apparemment le Seraskier
veut lui faire remettre avec sureté le Beaupere
et le neveu de Kouli- Kan , avec les autres
Prisonniers de distinction , pour qu'il les conduise
et les présente lui - même au G. S.
Comme suivant quelques avis Kouli-Kan
après cette derniere déroute . s'étoit arrêté à
II. Vol. Leilan
DFCEMBRE. 1733. 2899
>
Leilan qui n'est qu'à cinq lieues de Kerkout
et qu'on craint avec raison qu'il ne veuille encore
tenter le sort des Armes , la Porte a dépêché un
Courier à Demir Pacha qui commiande 40
mille hommes aux environs de Tauris , avec ordre
de marcher en diligence avec les Tartares
qui sont passez en Perse , lesquels l'auront joint
vers les lieux où l'Armée de Kouli - Kan sera
campée.
Quoique cette nouvelle Victoire de Topal-
Osman soit encore plus glorieuse pour lui que la
premiere , on n'a cependant point tiré le Canon
ici , comme il est d'usage en pareil cas , parce
qu'on attend, dit - on , l'arrivée du Buyuk Imbrohor,
ou celle de quelque personne qui vienne directement
de la part du Seraskier.
Du 18 Novembre 1733.
P. V. D.
Comme j'allois fermer mon paquet , Monsieur,
on m'est venu dire une nouvelle de la derniere
importance pour cet Empire ; sçavoir , que Topal-
Osman Pacha étant allé attaquer Thamas
Kouli- Kan à Leilan , où je vous ai marqué qu'il
s'étoit arrêté , après sa dérouté du 22 Octobre ,
les Aghuans qui composoient la meilleure partie
de l'Armée Persane, avoient ployé leurs Etendarts
et s'étoient venus rendre à Topal - Osman , que
Kouli-Kan trop affoibli par cette désertion
pour pouvoir resister aux Turcs , avoit pris la
fuite vers la Perse avec environ 10000 hommes
qui lui restoient , que Topal - Osman l'avoit fait
suivre par Menis Pacha à la tête d'un gros
Corps de Troupes , et avoit donné ordre en
même tems aux Curdes de s'emparer d'un defilé
par où il falloit necessairement que les Persans
II. Vol.
Gij
passassent
2000 MERCURE DE FRANCE
>
passassent; que leur General se voyant prêt d'être
assailli par devant et par derriere , sans espérance
de pouvoir échapper , avoit écrit une Lettre
à Topal- Osman , par laquelle il se confessoit
vaincu et lui demandoit la Paix à telles conditions
qu'il voudroit lui imposer , mais que le
Seraskier lui avoit répondu que le regardant
comme un Rebelle , il ne vouloit traiter en aucune
façon avec lui ; enfin que suivant l'extre
mité ou Kouli- Kan étoit réduit au depart des
trois Couriers qui ont apporté cette nouvelle
ce matin , ce General Persan doit avoir été pris
depuis avec le reste de son Armée.
On a tenu ici sur le champ un Conseil general
au Serail , dans lequel il a été résolu d'envoyer
sans délai des pleins pouvoirs à Topal - Osman ,
pour traiter de la Paix avec des Ministres du léitime
Souverain de Perse , que l'on dit être un
jeune Fils de Schah - Thamas , ce dernier étant
à ce que l'on ajoute , et avec ordre de
n'écouter aucune proposition de la part de Thamas
Kouli- Kan,
mort ,
P. V. D.
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Résumé : AUTRE LETTRE de Constantinople du 18 Novembre 1733. Défaite de Thamas Kouli-Kan par Topal-Osman.
En novembre 1733, une lettre de Constantinople annonce la victoire de Topal Osman Pacha, Seraskier, sur Thamas Kouli-Kan. Après sa défaite du 19 juillet, Kouli-Kan s'était retranché à Amadan et menaçait de revenir au printemps avec une armée renforcée. Achmet Pacha, gouverneur de Bagdad, avait renforcé les défenses, tandis que Topal Osman, manquant de munitions, avait envoyé Poulac Pacha sécuriser le défilé de Takaya. Kouli-Kan, soutenu par des Aghuans amenés par son fils, a forcé ce passage et vaincu Poulac Pacha. Informé, Topal Osman a rassemblé des troupes et des Arabes, et préparé sa défense à Kerkout. Le 22 octobre, il a repoussé Kouli-Kan, infligeant de lourdes pertes aux Persans. Après cette victoire, Kouli-Kan s'est retiré à Leilan. Topal Osman a poursuivi les Persans, et les Aghuans ont déserté, permettant à Topal Osman de vaincre définitivement Kouli-Kan, qui a fui vers la Perse avec quelques milliers d'hommes. Parallèlement, Thamas Kouli-Kan avait demandé la paix à Topal Osman, mais ce dernier l'avait rejetée, considérant Kouli-Kan comme un rebelle. Des informations récentes suggèrent que Kouli-Kan et son armée ont probablement été capturés. En réponse, un conseil général a été tenu au Serail, décidant d'envoyer des pleins pouvoirs à Topal Osman pour négocier la paix avec les ministres du légitime souverain de Perse, identifié comme un jeune fils de Schah-Thamas. Les instructions étaient de ne pas écouter les propositions de Thamas Kouli-Kan, désormais décédé.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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50
p. 2937-2940
ADDITION AUX NOUVELLES Etrangeres.
Début :
On a appris en dernier lieu de Constantinople, que comme Thamas [...]
Mots clefs :
Comte, Troupes, Thamas Kouli-Kan, Constantinople, Hommes, Cracovie, Électeur, Varsovie, Palatins
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texteReconnaissance textuelle : ADDITION AUX NOUVELLES Etrangeres.
ADDITION AUX NOUVELLES
Etrangeres.
O
Na appris en dernier lieu de Cons
tantinople , que comme Thamas
Kouli- Kan n'est qu'à une petite distance
de Kerkoud, et qu'on craint qu'il ne fasse
un dernier effort pour venir attaquer les
Turcs , la Porte a dépêché un Courier à
Demir Pacha , qui commande un Corps
de quarante mille hommes aux environs
de Tauris , et elle lui a envoyé ordre de
marcher en diligence avec les Tartares
qui sont passez en Perse , pour s'opposer
de concert avec Topal- Osman aux desseins
des Ennemis.
>
Les derniere Lettres de Pologne matquent
que le Palatinat de Sandomir et la
plupart des Gentilshommes de celui de
II. Vol.
Cracovie
2938 MERCURE DE FRANCE
Cracovie , sont entrez dans la conféderation
faite en faveur du Roy , qu'elle a
été signée non- seulement par toute la
Noblesse des sept Palatinats de la Grande
Pologne , mais encore par la plus grande
partie des autres Habitans de ces Provinees
, et que tous ceux qui sont en état de
porter les Armes les ont prises .
On a apris en même tems que le Comte
Potocky étoit campé entre Sandomir er
Saradie , mais qu'il devoit marcher incessamment
avec son Armée composée ac
tuellement de près de 20000 hommes
pour occuper un poste important entre
les Rivieres de Wuart et de Pilckza pendant
que le Palatin de Lustin et le Genes
ral de Curdziewzki observeroit avec
leurs Troupes les mouvemens de celles de
P'Electeur de Saxe.
Ces Lettres ajoutent que presque toure
la Noblesse de Lithuanie étoit resoluë de
deffendre jusqu'à la derniere extremité
les intêrets du Roy , et la liberté de la
Nation , qu'elle n'attendoit pour s'assem
bler que les derniers ordres de S. M. que
le Comte Pocci après avoir fait diverses
courses en Curlande , où il a fait beaucoup
ravages , s'étoit retiré par la Samogithie
en Lithuanie , et qu'il y avoit
attaqué les Troupes du Palatin de Nowo-
11. Vol groot
de
DECEMBRE. 1733. 2939
root , lesquelles après un assez long coinat
, avoient été contraintes de prendre la
aite , le Comte de Poniatow ki , le Prince
ean Czatorinski les Palatins de Cujavie
t de Livonie et le Sr Ozarowky , ont levé
hacun un Regiment. Celui du Roy est
ctuellement complet.
On aprend de Dantzick , que deux
Vaisseaux Hollandois y ont apporté une
grande quantité de Munition de Guerre.
Les deux Regiments d'Infanterie et les
deux de Cavalerie que le General Lesci
a fait avancer vers la Prusse Polonoise
se sont arrêtez à quelque distance des
Frontieres de cette Province ; ils n'ont
point été suivis d'autres Troupes , et on
croit que l'Armée Moscovite qui est toujours
à Lowitz et dans les environs n'en
décampera que pour tenter de se joindre
aux Troupes Saxones .
•
Quelques avis reçûs de Warsovie, por
tent que la Députation envoyée par le
General Moscovite et par les Opposans à
P'Electeur de Saxe , est composée du
Prince Wienowieski , ci - devant Régis
mentaire de Lithuanie , du Prince Lubomirzky
, Palatin de Cracovie , des Palatins
de Pollachie , de Culm et de Czernichov
, du Comre de Cetner , et de
quelques Cattellans.
II. Vol. On
2940 MERCURE DE FRANCE
On mande de Vienne que le Comte de
Mercy , Feldt Maréchal , à qui l'Empe
reur a donné depuis peu le Gouverne .
men du Milanois , et le Comte de Sallaburg
, Commissaire Général des Guerres,
partiront le 7
le 7 Janvier pour le Tirol.
Le bruit qui a couru que l'Electeur de
Baviere faisoit lever pour le service de
l'Empereur, 8000 hommes , qui devoient
remplacer les Régimens que S.M.I. a tiré
de Hongrie , n'est pas confirmé.
Etrangeres.
O
Na appris en dernier lieu de Cons
tantinople , que comme Thamas
Kouli- Kan n'est qu'à une petite distance
de Kerkoud, et qu'on craint qu'il ne fasse
un dernier effort pour venir attaquer les
Turcs , la Porte a dépêché un Courier à
Demir Pacha , qui commande un Corps
de quarante mille hommes aux environs
de Tauris , et elle lui a envoyé ordre de
marcher en diligence avec les Tartares
qui sont passez en Perse , pour s'opposer
de concert avec Topal- Osman aux desseins
des Ennemis.
>
Les derniere Lettres de Pologne matquent
que le Palatinat de Sandomir et la
plupart des Gentilshommes de celui de
II. Vol.
Cracovie
2938 MERCURE DE FRANCE
Cracovie , sont entrez dans la conféderation
faite en faveur du Roy , qu'elle a
été signée non- seulement par toute la
Noblesse des sept Palatinats de la Grande
Pologne , mais encore par la plus grande
partie des autres Habitans de ces Provinees
, et que tous ceux qui sont en état de
porter les Armes les ont prises .
On a apris en même tems que le Comte
Potocky étoit campé entre Sandomir er
Saradie , mais qu'il devoit marcher incessamment
avec son Armée composée ac
tuellement de près de 20000 hommes
pour occuper un poste important entre
les Rivieres de Wuart et de Pilckza pendant
que le Palatin de Lustin et le Genes
ral de Curdziewzki observeroit avec
leurs Troupes les mouvemens de celles de
P'Electeur de Saxe.
Ces Lettres ajoutent que presque toure
la Noblesse de Lithuanie étoit resoluë de
deffendre jusqu'à la derniere extremité
les intêrets du Roy , et la liberté de la
Nation , qu'elle n'attendoit pour s'assem
bler que les derniers ordres de S. M. que
le Comte Pocci après avoir fait diverses
courses en Curlande , où il a fait beaucoup
ravages , s'étoit retiré par la Samogithie
en Lithuanie , et qu'il y avoit
attaqué les Troupes du Palatin de Nowo-
11. Vol groot
de
DECEMBRE. 1733. 2939
root , lesquelles après un assez long coinat
, avoient été contraintes de prendre la
aite , le Comte de Poniatow ki , le Prince
ean Czatorinski les Palatins de Cujavie
t de Livonie et le Sr Ozarowky , ont levé
hacun un Regiment. Celui du Roy est
ctuellement complet.
On aprend de Dantzick , que deux
Vaisseaux Hollandois y ont apporté une
grande quantité de Munition de Guerre.
Les deux Regiments d'Infanterie et les
deux de Cavalerie que le General Lesci
a fait avancer vers la Prusse Polonoise
se sont arrêtez à quelque distance des
Frontieres de cette Province ; ils n'ont
point été suivis d'autres Troupes , et on
croit que l'Armée Moscovite qui est toujours
à Lowitz et dans les environs n'en
décampera que pour tenter de se joindre
aux Troupes Saxones .
•
Quelques avis reçûs de Warsovie, por
tent que la Députation envoyée par le
General Moscovite et par les Opposans à
P'Electeur de Saxe , est composée du
Prince Wienowieski , ci - devant Régis
mentaire de Lithuanie , du Prince Lubomirzky
, Palatin de Cracovie , des Palatins
de Pollachie , de Culm et de Czernichov
, du Comre de Cetner , et de
quelques Cattellans.
II. Vol. On
2940 MERCURE DE FRANCE
On mande de Vienne que le Comte de
Mercy , Feldt Maréchal , à qui l'Empe
reur a donné depuis peu le Gouverne .
men du Milanois , et le Comte de Sallaburg
, Commissaire Général des Guerres,
partiront le 7
le 7 Janvier pour le Tirol.
Le bruit qui a couru que l'Electeur de
Baviere faisoit lever pour le service de
l'Empereur, 8000 hommes , qui devoient
remplacer les Régimens que S.M.I. a tiré
de Hongrie , n'est pas confirmé.
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Résumé : ADDITION AUX NOUVELLES Etrangeres.
Le texte décrit des événements militaires et politiques en Turquie et en Pologne. À Constantinople, la Porte a ordonné à Demir Pacha, commandant une armée de quarante mille hommes près de Tauris, de marcher avec les Tartares en Perse pour contrer Thamas Kouli-Kan. En Pologne, les Palatinats de Sandomir et Cracovie, ainsi que la noblesse de la Grande Pologne, ont soutenu le roi. Le Comte Potocky, à la tête de vingt mille hommes, se prépare à occuper une position stratégique entre les rivières Wart et Pilckza. La noblesse lituanienne est également déterminée à défendre les intérêts du roi. Le Comte Potocky a mené des raids en Curlande et s'est retiré en Lituanie. Plusieurs nobles, dont le Comte Poniatowski et le Prince Jean Czartoryski, ont levé des régiments. À Dantzick, deux vaisseaux hollandais ont apporté des munitions. Les troupes du Général Leszczyński sont stationnées près des frontières de la Prusse polonaise, tandis que l'armée moscovite reste à Lowitz. Une députation, incluant le Prince Wienowieski et le Prince Lubomirzky, a été envoyée à l'Électeur de Saxe. À Vienne, le Comte de Mercy et le Comte de Sallaburg doivent partir pour le Tyrol.
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