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Détail
Liste
1
p. 29-31
« Les Poëtes qui ont de tout temps esté de grands [...] »
Début :
Les Poëtes qui ont de tout temps esté de grands [...]
Mots clefs :
Poètes, Menteurs, Fable
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texteReconnaissance textuelle : « Les Poëtes qui ont de tout temps esté de grands [...] »
Les Poëtes qui ont de tout temps efté de grands men- teurs , ne diſent plus que des veritez , lorſqu'ils parlent des furprenantes Conquestes du Roy 5 mais comme ils ne pour- roient rien inventer , qui eût plus de ce merveilleux,qui ap- prochede la Fable , les Siecles àvenir pourroient bien pren- dre pour des fictions tout ce qu'ils diſent aujourd'huy de plus veritable. Ce n'eſt pas
GALANT. 23
leur faute ; pourquoy le Roy fait-il de fi grandes choſes que la Poſterité aurade la peine à
les croire ?
GALANT. 23
leur faute ; pourquoy le Roy fait-il de fi grandes choſes que la Poſterité aurade la peine à
les croire ?
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2
p. 143-144
SUR LA MORT DE MR DE CORNEILLE.
Début :
L'Apollon de nos jours, dont la fertile Veine, [...]
Mots clefs :
Apollon, Couleurs, Mouvement, Spectacles, Corneille, Poètes, Admirateur, Hommage, Gloire, Mémoire, Pierre Corneille
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texteReconnaissance textuelle : SUR LA MORT DE MR DE CORNEILLE.
SUR LA MORT
DE M' DE CORNEILLE.
L'
'Apollon de nos jours , dont la
fertile Veine
Par fes vives couleurs , par fes raifonnemens
,
Marqua fi bien du coeur les divers
mouvemens ;
Le grand Corneille , hélas n'eft plus
qu'une Ombre vaine .
Que dis-je? Il vit toûjours dans nôtre
illuftre Scene ;
Toujours y regneront ces Spectacles
charmáns ,
Où l'esprit enchanté découvre à tous
momens
Mille nouveaux appas, dont la force
l'entraîne.
144
MERCURE
O vous, Hiftoriens, Poètes, Orateurs,
Ou jaloux de fon nom , ou fes admi .
rateurs ,
Rende luy voftre hommage , honorezSa
memoire.
vous Non; qui que vous soyeZtaisez vo
Ecrivains ;
Ses Ouvrages fans vous éternifent
Sa gloire ,
Et l'ont mis audeffus des Grecs &
des Romains.
DE M' DE CORNEILLE.
L'
'Apollon de nos jours , dont la
fertile Veine
Par fes vives couleurs , par fes raifonnemens
,
Marqua fi bien du coeur les divers
mouvemens ;
Le grand Corneille , hélas n'eft plus
qu'une Ombre vaine .
Que dis-je? Il vit toûjours dans nôtre
illuftre Scene ;
Toujours y regneront ces Spectacles
charmáns ,
Où l'esprit enchanté découvre à tous
momens
Mille nouveaux appas, dont la force
l'entraîne.
144
MERCURE
O vous, Hiftoriens, Poètes, Orateurs,
Ou jaloux de fon nom , ou fes admi .
rateurs ,
Rende luy voftre hommage , honorezSa
memoire.
vous Non; qui que vous soyeZtaisez vo
Ecrivains ;
Ses Ouvrages fans vous éternifent
Sa gloire ,
Et l'ont mis audeffus des Grecs &
des Romains.
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Résumé : SUR LA MORT DE MR DE CORNEILLE.
Le texte rend hommage à Pierre Corneille après sa mort, soulignant que son œuvre continue de captiver sur scène. Il appelle historiens, poètes et orateurs à honorer sa mémoire. Les écrits de Corneille assurent son immortalité, le plaçant au-dessus des auteurs grecs et romains.
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3
p. 105-109
VIII.
Début :
Mercure, permettez que je hausse la voix [...]
Mots clefs :
Truite, Homme à cheval, Yeux, Poètes
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texteReconnaissance textuelle : VIII.
VIII.
MErcure, permettez, que jehausse
lavoix
Sur les deux Enigmes du mois.
La première inferwit une Truite,
Dont le goust délicat charme les plus
friands,
Dont les yeux font vifs & riants,
Le corp'sllger) prompta la fuite;
On peut la prendre au feu quand on
pesche la nuit,
On la prend à la ligne, au filet;
mais sans bruit.
Les eaux font son PIIYS, font le lit
de samere,
Elle aime les ruisseaux & la source
d'eau claire,
Elle chaj/c an GouJon,auGravier, au
Veron
y 'Aux autres Poiffonnels, aux Vers, au
Moucheron,
Elle prend quelquefois le raisin la
cerift. roil quel est son aliment,
Ajoutez, que sur fil chemise,
pourm'expliquer mieux
,
surson
éca>''lesrife,- On découvreordinairement
Des Etoilles abondamment.
Dans la feconde Enigme on voit Dme
Fleurette
D'une fort agreable humeur.
Elle y fait un Portrait qui pourroit
faire peur,
Mesme aux avaleurs de Charette.
Six jambes & deux brlU, quatre
oreilles, quatre yeux, Deux bouches
,
& de plus, écoutez
Curieux,
Marcher dessus des clous, la chose eftsinguliere,
jlvoir sur le dos un derriere.
Fuyez., Petits. Cachez.-vous fieuxi
Car si ce Tout avoit envie
De vous gober en un- morceau,
Ce feroit fait de vostre peau,
Ce feroit fait de vostre vie:
Cependant revenez. , VOHS n'aurez, point
de mlli,
Ce terrible Portraitnest qu'un Honu
me à Cheval.
M?!;j que diroit Dame Tleurette
Si ce Cheval estoit sans fcrs.
Si l'Homme estoit fani jambe
, ousans
moule à manchette,
Si borgne des deux jeux, l'un Wiar.
choit de travers?
Ma foy
j je croy que sa peinture
S'expliquerait a1 tavanture,
Et que qui voudroit disputer,
Et luy donner quelque torture,
Pourroit enfin la rebutter.
Mais supposé billes pareilles
Qu'ils , eussent chacun deux oreilles,
L'un quatre pieds, &l'autredeux,
Chacun fil bouche &ses deux yeux,
Et que les pieds de la monture,
Tour ne pas perdre leur chaujptret
Fussent garnis de clous pointus,
Que l'homme enfin de son derrière
Sans felle
,
sans bass, sans fessus-
TOHChAfl le des a nud de la beste a
criniere
Je croirois fort probablement
Le tout expliqué nettement.
A voflreavis, Seigneur Mercure*
Ay-ie fait bonne conjeEbure?
Et me pais-je flater davoir bien ren*
contré
Expliquant cette Enigme obscure?
Non, ee feroit vanité pure,
De croire que mon nom doiveestre enregifiré
Parmy ceux qui chez,vontfont si be/ú
figure, #
Qui font Poètes par nature,
Qui dlabord ont tout pénetré.
Ces Ssavons de toutes manieres,
Comme la doftc des Houlieres,
Lesublime Magnin, Cadmirable Morel,
La fage $cudery dont le bon naturel
Paroiff-dans [es Ecrits autant prudent
qu'habile,
L'incomparable Diereville,
Et tant £autres que tous les jours
V9Ht rendez, tres - recommen !ables
Par vos louanges AdmirAbles,
Ou bien pour leurs Ecrits, ou bien
pour leurs Amours.
LucuAPPE' de Lomprey.
MErcure, permettez, que jehausse
lavoix
Sur les deux Enigmes du mois.
La première inferwit une Truite,
Dont le goust délicat charme les plus
friands,
Dont les yeux font vifs & riants,
Le corp'sllger) prompta la fuite;
On peut la prendre au feu quand on
pesche la nuit,
On la prend à la ligne, au filet;
mais sans bruit.
Les eaux font son PIIYS, font le lit
de samere,
Elle aime les ruisseaux & la source
d'eau claire,
Elle chaj/c an GouJon,auGravier, au
Veron
y 'Aux autres Poiffonnels, aux Vers, au
Moucheron,
Elle prend quelquefois le raisin la
cerift. roil quel est son aliment,
Ajoutez, que sur fil chemise,
pourm'expliquer mieux
,
surson
éca>''lesrife,- On découvreordinairement
Des Etoilles abondamment.
Dans la feconde Enigme on voit Dme
Fleurette
D'une fort agreable humeur.
Elle y fait un Portrait qui pourroit
faire peur,
Mesme aux avaleurs de Charette.
Six jambes & deux brlU, quatre
oreilles, quatre yeux, Deux bouches
,
& de plus, écoutez
Curieux,
Marcher dessus des clous, la chose eftsinguliere,
jlvoir sur le dos un derriere.
Fuyez., Petits. Cachez.-vous fieuxi
Car si ce Tout avoit envie
De vous gober en un- morceau,
Ce feroit fait de vostre peau,
Ce feroit fait de vostre vie:
Cependant revenez. , VOHS n'aurez, point
de mlli,
Ce terrible Portraitnest qu'un Honu
me à Cheval.
M?!;j que diroit Dame Tleurette
Si ce Cheval estoit sans fcrs.
Si l'Homme estoit fani jambe
, ousans
moule à manchette,
Si borgne des deux jeux, l'un Wiar.
choit de travers?
Ma foy
j je croy que sa peinture
S'expliquerait a1 tavanture,
Et que qui voudroit disputer,
Et luy donner quelque torture,
Pourroit enfin la rebutter.
Mais supposé billes pareilles
Qu'ils , eussent chacun deux oreilles,
L'un quatre pieds, &l'autredeux,
Chacun fil bouche &ses deux yeux,
Et que les pieds de la monture,
Tour ne pas perdre leur chaujptret
Fussent garnis de clous pointus,
Que l'homme enfin de son derrière
Sans felle
,
sans bass, sans fessus-
TOHChAfl le des a nud de la beste a
criniere
Je croirois fort probablement
Le tout expliqué nettement.
A voflreavis, Seigneur Mercure*
Ay-ie fait bonne conjeEbure?
Et me pais-je flater davoir bien ren*
contré
Expliquant cette Enigme obscure?
Non, ee feroit vanité pure,
De croire que mon nom doiveestre enregifiré
Parmy ceux qui chez,vontfont si be/ú
figure, #
Qui font Poètes par nature,
Qui dlabord ont tout pénetré.
Ces Ssavons de toutes manieres,
Comme la doftc des Houlieres,
Lesublime Magnin, Cadmirable Morel,
La fage $cudery dont le bon naturel
Paroiff-dans [es Ecrits autant prudent
qu'habile,
L'incomparable Diereville,
Et tant £autres que tous les jours
V9Ht rendez, tres - recommen !ables
Par vos louanges AdmirAbles,
Ou bien pour leurs Ecrits, ou bien
pour leurs Amours.
LucuAPPE' de Lomprey.
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Résumé : VIII.
Le texte présente deux énigmes. La première décrit une truite, poisson au goût délicat, aux yeux vifs et au corps agile. Elle vit dans les eaux claires des ruisseaux et des sources, se nourrit de divers aliments comme le goujon, le gravier, et parfois du raisin. Ses écailles brillantes ressemblent à des étoiles. La seconde énigme dépeint Dame Fleurette, qui dessine un portrait effrayant d'un homme à cheval. Cette créature possède six jambes, deux bras, quatre oreilles, quatre yeux et deux bouches. Elle peut marcher sur des clous et a un derrière sur le dos. L'auteur explique que ce portrait représente un homme monté sur un âne, avec des pieds garnis de clous et un homme sans selle. L'auteur sollicite l'avis de Mercure sur sa conjecture et exprime son humilité face à des poètes renommés comme la docte Scudéry, l'incomparable Diereville, et d'autres, loués par Mercure pour leurs écrits ou leurs amours.
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4
p. 299-300
AIR NOUVEAU.
Début :
Je crois pouvoir placer une Chanson aprés l'Eloge d'un homme / Fiers Aquilons, quittez nos Plaines, [...]
Mots clefs :
Aquilons, Poètes, Astre, Philis
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texteReconnaissance textuelle : AIR NOUVEAU.
Je crois pouvoir placer une
Chanfon aprés l'Eloge d'un
homme qui en a fait de fi bel-
les ; elle eft du Solitaire du
Bois du Val- Dieu..
AIR NOUVEAU.
Fiers Aquilons , quittez nos
Plaines ,
Laiffez regnerun ventplus doux.
Poëtes ,faites couler vos veines ;
Brouillards épais diffipez- vous.
Charmans Hoftes de ces Bocages ,
Oiseaux , reprenez vos ramages :
Plus belle que l'Aftre dujour
Philis revient faire icy fon fejour
Chanfon aprés l'Eloge d'un
homme qui en a fait de fi bel-
les ; elle eft du Solitaire du
Bois du Val- Dieu..
AIR NOUVEAU.
Fiers Aquilons , quittez nos
Plaines ,
Laiffez regnerun ventplus doux.
Poëtes ,faites couler vos veines ;
Brouillards épais diffipez- vous.
Charmans Hoftes de ces Bocages ,
Oiseaux , reprenez vos ramages :
Plus belle que l'Aftre dujour
Philis revient faire icy fon fejour
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5
p. 75-77
CHANSON.
Début :
Des climats Champenois [...]
Mots clefs :
Vin, Chanson, Musiciens, Poètes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : CHANSON.
C'estune Chanson sur
le vin de Champagne ;
& le vin de Champagne
est une Recette plus naturelle
& plus éprouvée
que celle du bas-Normand.
CHANSON.
Des climats Champenois
où regne un air benin
Il nous vientfranche
JMarchandtJe,
Car lafranchife est dans
levin;
AiaïsauPaysNormand
rairetffrold&malin
Toutsy reJJènt du Dent
de Bisi
N'en attendez, ni bon
vin nifranchife.
Si cette Chanson ne
réussit point le Musicien
ne, s'en prendra pas au
Poëte
,
ni le Poëte au
Musicien. Je ne m'en
prendray qu'a mûY; car
j'ay fait seul l'air & les
paroles. S'il en estoit
ainsi des Opéra, que
dinvectivesépargnées
entre les Musiciens &C
les Poëtes.
,
Ce petit trait de satyre
m'estéchapé:j'endemande
pardon,sur tout
aux Poëtes. Je crainsencore
plus de me brouiller
avec eux qu'avec les.
Musiciens.
le vin de Champagne ;
& le vin de Champagne
est une Recette plus naturelle
& plus éprouvée
que celle du bas-Normand.
CHANSON.
Des climats Champenois
où regne un air benin
Il nous vientfranche
JMarchandtJe,
Car lafranchife est dans
levin;
AiaïsauPaysNormand
rairetffrold&malin
Toutsy reJJènt du Dent
de Bisi
N'en attendez, ni bon
vin nifranchife.
Si cette Chanson ne
réussit point le Musicien
ne, s'en prendra pas au
Poëte
,
ni le Poëte au
Musicien. Je ne m'en
prendray qu'a mûY; car
j'ay fait seul l'air & les
paroles. S'il en estoit
ainsi des Opéra, que
dinvectivesépargnées
entre les Musiciens &C
les Poëtes.
,
Ce petit trait de satyre
m'estéchapé:j'endemande
pardon,sur tout
aux Poëtes. Je crainsencore
plus de me brouiller
avec eux qu'avec les.
Musiciens.
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Résumé : CHANSON.
Le texte décrit une chanson vantant le vin de Champagne, jugé supérieur à celui du bas-Normand. Le climat champenois est favorable à un vin franc et de qualité, contrairement au climat normand. L'auteur revendique la chanson et s'excuse si elle déplaît, craignant particulièrement la réaction des poètes.
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6
p. 79-80
Emulation. [titre d'après la table]
Début :
Critiques sçavantes, Réponses opiniâtres, vives Epigrammes pour attaquer, plus vives [...]
Mots clefs :
Courage, Poètes, Savants
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Emulation. [titre d'après la table]
Ce petit trait de satyre
m'estéchapé:j'endemande
pardon,sur tout
aux Poëtes. Je crainsencore
plus de me brouiller
avec eux qu'avec les.
Musiciens.
Ilest un certain nombre
d'Auteurs dont je
Toudrois estre airrçé fraternellement
comme je
les aime. Qui dit fraternellement
n'exclut point
les petites noises poëtiques
: tous les freres
ne font pas d'accord.
Deux ou trois disputes
par mois feroient un
fond pour mes Mercures
y ., A j'y mettrois même
jusquaux Critiquesqu'
on en feroit.
Courage Messieurs les
Auteurs, courage Messieurs
les Sçavants, animez-
vous un peu les
uns contre les autres, je
profiteray devos combats.
Critiques sçavantes,
Réponses opiniâtres, vives
Epigrammespourattaquer
,plus vives encore
pour se deffendre;
mais tour cela lans ma- lignité; point d'aigreur
dans vos ouvrages: 4
vous voulez que je les
imprime,je n'admettray
que de l'émulation.
Je voudroisque les
Poëtes & les Sçavants
disputassent noblement
Se poliment commelest
grands Guerriers font la
guerre. Voila le modele :
êtreennemis sans sehaïr9
aller au combat sans colere,
ôc s'entre- égorger
àl'amiable.
On ne devroit disputer
que contre ceuxqu'-
on eftline-,& ne critiquer
que dans la vûë de
/a-rtirer des réponsesinstructives
& curieuses.
m'estéchapé:j'endemande
pardon,sur tout
aux Poëtes. Je crainsencore
plus de me brouiller
avec eux qu'avec les.
Musiciens.
Ilest un certain nombre
d'Auteurs dont je
Toudrois estre airrçé fraternellement
comme je
les aime. Qui dit fraternellement
n'exclut point
les petites noises poëtiques
: tous les freres
ne font pas d'accord.
Deux ou trois disputes
par mois feroient un
fond pour mes Mercures
y ., A j'y mettrois même
jusquaux Critiquesqu'
on en feroit.
Courage Messieurs les
Auteurs, courage Messieurs
les Sçavants, animez-
vous un peu les
uns contre les autres, je
profiteray devos combats.
Critiques sçavantes,
Réponses opiniâtres, vives
Epigrammespourattaquer
,plus vives encore
pour se deffendre;
mais tour cela lans ma- lignité; point d'aigreur
dans vos ouvrages: 4
vous voulez que je les
imprime,je n'admettray
que de l'émulation.
Je voudroisque les
Poëtes & les Sçavants
disputassent noblement
Se poliment commelest
grands Guerriers font la
guerre. Voila le modele :
êtreennemis sans sehaïr9
aller au combat sans colere,
ôc s'entre- égorger
àl'amiable.
On ne devroit disputer
que contre ceuxqu'-
on eftline-,& ne critiquer
que dans la vûë de
/a-rtirer des réponsesinstructives
& curieuses.
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Résumé : Emulation. [titre d'après la table]
Le texte explore les relations entre auteurs, poètes et savants. L'auteur aspire à des liens fraternels tout en acceptant les disputes littéraires. Il encourage l'émulation entre auteurs et savants, mais sans aigreur. Les échanges doivent être nobles et polis, comme des guerriers respectueux. Les critiques et réponses doivent être instructives et curieuses, et les disputes doivent se faire contre des adversaires dignes de respect. La dignité et l'absence d'aigreur sont essentielles dans les débats littéraires.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 124-126
RÉPONSE.
Début :
Ce coup d'essay me fait souhaiter que tous ceux [...]
Mots clefs :
Poètes, Poésie, Coup d'essai
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE.
REPONSE.
Ce coup d'essay me
fait souhaiter que tous
ceux qui ne sont pas Poëtes,
s'essayent à faire des
Vers., car ceux qui en
font naturellement de
bons, font plus Poëtes
que les autres. Vousm'avez
permis par votre lettre
de changer quelques
mots, vous trouverez icy
deux Vers de moije
conviens qu'ils sont
moins vifs que les deux
votres, mais vous conviendrez
qu'ils sont
moins libres. Il est vrai
que nous sommes en
Carnaval
.,
mais quelqu'un
pourroit lire mon
Livre en Carême.
Ce coup d'essay me
fait souhaiter que tous
ceux qui ne sont pas Poëtes,
s'essayent à faire des
Vers., car ceux qui en
font naturellement de
bons, font plus Poëtes
que les autres. Vousm'avez
permis par votre lettre
de changer quelques
mots, vous trouverez icy
deux Vers de moije
conviens qu'ils sont
moins vifs que les deux
votres, mais vous conviendrez
qu'ils sont
moins libres. Il est vrai
que nous sommes en
Carnaval
.,
mais quelqu'un
pourroit lire mon
Livre en Carême.
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Résumé : RÉPONSE.
Le texte aborde la poésie et la liberté d'expression. L'auteur encourage à écrire des vers et distingue les poètes naturels. Il mentionne une lettre modifiant certains mots et présente deux vers prudents. Il reconnaît le contexte du Carnaval mais évoque aussi la lecture possible pendant le Carême.
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8
p. 153-168
LE CIDRE. ODE.
Début :
Qu'elles sont ces voix indiscrettes [...]
Mots clefs :
Cidre, Vin de Bourgogne, Vin de Champagne, Bacchus, Vignes, Poètes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE CIDRE. ODE.
Le fieur Grenan , Bourguignon , Profeffeur de Seconde au College d'Harcour a fait une Ode latine à
la loüange du Vin de Bourgogne ; Mr Coffin Champenois Profeffeur de Secon
de au College de Beauvais,
répondit à l'Ode du fieur
Grenan, par une Ode pour la
défenſe du Vin de Bourgo.
gne,M' Duhamel Normand
154 MERCURE
Profeffeur de Rhetorique
au College des Graffins a
fait une Ode latine , fur le
Cidre en voicy la tra
duction.
LE CIDRE
ODE.
Qu'ellesfont ces voix
indifcrettes
Qui fe font entendre en
tous lieux?
Quoy, Mufes deuxfa
meux Poëtes
S'ofent quereller à vos
GALANT. 155
yeux?
Pourquelfujet leurvaine
audace.
Allarme-t-elle du ParI
naffe
Lespacifiques Habitans?
Pour du Vin ?je le crois
à
peine.
Quoy des buveurs de
L'Hippocrene
Le Vin feroit des combattans ?
Poëtes la Guerre eft
fatalle
156 MERGURE
Que caufe un vain entêtement:
La faute entre vous est
égálle
Pareilfera le chaftiment.
Car, pourquoy par vos
Vers infignes VV
Louer fi hautement, vos
Vignes
Et blafmerles autres Liqueurs?
Commefi Bourgogne &
Champagne
Seules du Pais de
Cocagne.
GALANT: 157
Renfermoient toutes les
douceurs.
Je veux bien que Bacchus excite
Le phlegme d'un trop
froid rimeur
Et que
irrite
du Guerrier il
Quelquesfois l'indolente
bumeur
Mais ce feu de peu de
durée
N'a qu'une ardeur accelerée
158 MERCURE
Qui naist & peris à la
fois
Et fi les deftins trop faciles
Laiffent vieillir ces imbecilles
La goutte
Babois.
les met aux
23
Mais Pomone tes
Privileges
Signalent bien mieux ta
liqueur
Tu mets dans ceux que
tu proteges
GALANT, 159
Un efpritfolide,ungrand
cœur
Témoins ces Heros dont
la gloire
Gravel au Temple de
memoire
Honore leur pofterité
Témoins les fçavans
dont la plume
Afçuparplus d'un beau
volume
S'acquerir l'immortalité.
Dieux, quelle Affemblée éclatante
160 MERCURE
D'eloquens & braves
CeZars !
Mufe, leur nombre m'épouvante,
Sauvons - nous, fuyons
les hazards.
Ce n'eft pas à mesfoibles
rithmes
A tracer les vertus fublimes
De ces grands foutiens
des Etats
Et vouloirfans voix &
Jansforce
Suivre une fi flateuſe
GALANT. 161
amorce
C'eſt courir fans fer
aux combats
Vous chers favoris de
Pom one
Qui beuvez fon jus à
longs traits
Contents des biens qu'elle
vous donne
Pour vous leVin eftfans
attraits Ne
Vous évitez cesfucs perfides
Qui rendent leurs beuMay 1712. O
162 MERCURE
veurs stupides
Ouquirenversefaraifon,
Et la liqueur traitreffe
&dure
Qui tranche & rompt.
mainte cointure
Eft pour vous un fatal
poifon.
Mais tels qu'une belle
Prairie
Qu'arrose un paisible
ruißeauties 20
Toujours verte toujours
fleurie Jackson is
TYM
JOIN
GALANT. 163
1.
N'offre rien aux yeux
que de beau,
Tels arrofez, du jus des
Pommes
Les Normand's entre
tous les hommes
Sontrobuftes &gracieux
Et grand gente en fa
2
courſe
Eft unfleuve qui dés la
fource
N'a rien eu que de
merveilleux
Ⓒ Cidre ! o celefte Ambroifie
O ij
164 MERCURE
Des dons que les Dieux
nous ontfaits ,
Quinteßence, Elixir de
vie ,
C'eft toy qui produis ces.
effets.
Poëtes , dans cette mer
d'ambre,
Dans ce charmant fus
de Septembre ,
Voyez fe jouer les Saphirs
Dieux, quelle exhalaifon
divine
S'elevant decettePifcine,
GALANT. 167
Mouille les ailes des Ze-
·
phirs.
Faut-il s'étonner fi la
Trouppe
Des Mufes, ces divines
Sœurs ,
Ayantgoûtédecette couppe...
En eftima tant les douceurs,
Side fon pays exilée
Elle enfut bien-toftconA folee, a
Ayantfait unplus digne
WM choixus
166 MERCURE
Enfinfifareconnoiffan
ce
Au Cidre donna lapuif
Cance
Que l'Hippocrene eut autrefois ?
學
Depuis cette heureuſe
arrivée
Le Cidre empreint d'un
feu divin
De lanature dépravée
Corrige le mauvais levain.
Dés-lors chez vous , belle
Neuftrie
GALANT. 167
Et la Sageße & Induf
trie
Trouverent uncharmant
Séjour.
Et l'on voit de vos riches
plages
Sortir de tous rangs , de
tous ages con
Mille grands hommes
chaque jour.
230
C'est ainsi, Deeßefincere's
Que vous répandez vos
faveurs
168 MERCURE
Sur chaque mortel qui
prefere
VoftreFus aux autres liqueurs.
Loin defouffrirqu'aucun
des vostres
Géde jamais la palme à
d'autres,
Vous comble leurs plus
douxfouhaits.
Vous, qui méprifez nos
breuvages ,
Poëtes dans le vin pew
fages,
Dorme , & n'écrivez
jamais.
la loüange du Vin de Bourgogne ; Mr Coffin Champenois Profeffeur de Secon
de au College de Beauvais,
répondit à l'Ode du fieur
Grenan, par une Ode pour la
défenſe du Vin de Bourgo.
gne,M' Duhamel Normand
154 MERCURE
Profeffeur de Rhetorique
au College des Graffins a
fait une Ode latine , fur le
Cidre en voicy la tra
duction.
LE CIDRE
ODE.
Qu'ellesfont ces voix
indifcrettes
Qui fe font entendre en
tous lieux?
Quoy, Mufes deuxfa
meux Poëtes
S'ofent quereller à vos
GALANT. 155
yeux?
Pourquelfujet leurvaine
audace.
Allarme-t-elle du ParI
naffe
Lespacifiques Habitans?
Pour du Vin ?je le crois
à
peine.
Quoy des buveurs de
L'Hippocrene
Le Vin feroit des combattans ?
Poëtes la Guerre eft
fatalle
156 MERGURE
Que caufe un vain entêtement:
La faute entre vous est
égálle
Pareilfera le chaftiment.
Car, pourquoy par vos
Vers infignes VV
Louer fi hautement, vos
Vignes
Et blafmerles autres Liqueurs?
Commefi Bourgogne &
Champagne
Seules du Pais de
Cocagne.
GALANT: 157
Renfermoient toutes les
douceurs.
Je veux bien que Bacchus excite
Le phlegme d'un trop
froid rimeur
Et que
irrite
du Guerrier il
Quelquesfois l'indolente
bumeur
Mais ce feu de peu de
durée
N'a qu'une ardeur accelerée
158 MERCURE
Qui naist & peris à la
fois
Et fi les deftins trop faciles
Laiffent vieillir ces imbecilles
La goutte
Babois.
les met aux
23
Mais Pomone tes
Privileges
Signalent bien mieux ta
liqueur
Tu mets dans ceux que
tu proteges
GALANT, 159
Un efpritfolide,ungrand
cœur
Témoins ces Heros dont
la gloire
Gravel au Temple de
memoire
Honore leur pofterité
Témoins les fçavans
dont la plume
Afçuparplus d'un beau
volume
S'acquerir l'immortalité.
Dieux, quelle Affemblée éclatante
160 MERCURE
D'eloquens & braves
CeZars !
Mufe, leur nombre m'épouvante,
Sauvons - nous, fuyons
les hazards.
Ce n'eft pas à mesfoibles
rithmes
A tracer les vertus fublimes
De ces grands foutiens
des Etats
Et vouloirfans voix &
Jansforce
Suivre une fi flateuſe
GALANT. 161
amorce
C'eſt courir fans fer
aux combats
Vous chers favoris de
Pom one
Qui beuvez fon jus à
longs traits
Contents des biens qu'elle
vous donne
Pour vous leVin eftfans
attraits Ne
Vous évitez cesfucs perfides
Qui rendent leurs beuMay 1712. O
162 MERCURE
veurs stupides
Ouquirenversefaraifon,
Et la liqueur traitreffe
&dure
Qui tranche & rompt.
mainte cointure
Eft pour vous un fatal
poifon.
Mais tels qu'une belle
Prairie
Qu'arrose un paisible
ruißeauties 20
Toujours verte toujours
fleurie Jackson is
TYM
JOIN
GALANT. 163
1.
N'offre rien aux yeux
que de beau,
Tels arrofez, du jus des
Pommes
Les Normand's entre
tous les hommes
Sontrobuftes &gracieux
Et grand gente en fa
2
courſe
Eft unfleuve qui dés la
fource
N'a rien eu que de
merveilleux
Ⓒ Cidre ! o celefte Ambroifie
O ij
164 MERCURE
Des dons que les Dieux
nous ontfaits ,
Quinteßence, Elixir de
vie ,
C'eft toy qui produis ces.
effets.
Poëtes , dans cette mer
d'ambre,
Dans ce charmant fus
de Septembre ,
Voyez fe jouer les Saphirs
Dieux, quelle exhalaifon
divine
S'elevant decettePifcine,
GALANT. 167
Mouille les ailes des Ze-
·
phirs.
Faut-il s'étonner fi la
Trouppe
Des Mufes, ces divines
Sœurs ,
Ayantgoûtédecette couppe...
En eftima tant les douceurs,
Side fon pays exilée
Elle enfut bien-toftconA folee, a
Ayantfait unplus digne
WM choixus
166 MERCURE
Enfinfifareconnoiffan
ce
Au Cidre donna lapuif
Cance
Que l'Hippocrene eut autrefois ?
學
Depuis cette heureuſe
arrivée
Le Cidre empreint d'un
feu divin
De lanature dépravée
Corrige le mauvais levain.
Dés-lors chez vous , belle
Neuftrie
GALANT. 167
Et la Sageße & Induf
trie
Trouverent uncharmant
Séjour.
Et l'on voit de vos riches
plages
Sortir de tous rangs , de
tous ages con
Mille grands hommes
chaque jour.
230
C'est ainsi, Deeßefincere's
Que vous répandez vos
faveurs
168 MERCURE
Sur chaque mortel qui
prefere
VoftreFus aux autres liqueurs.
Loin defouffrirqu'aucun
des vostres
Géde jamais la palme à
d'autres,
Vous comble leurs plus
douxfouhaits.
Vous, qui méprifez nos
breuvages ,
Poëtes dans le vin pew
fages,
Dorme , & n'écrivez
jamais.
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Résumé : LE CIDRE. ODE.
Le texte décrit une dispute littéraire entre trois professeurs de rhétorique concernant les mérites respectifs du vin de Bourgogne, du vin de Champagne et du cidre. Le professeur Grenan, originaire de Bourgogne, a composé une ode latine en l'honneur du vin de Bourgogne. En réponse, le professeur Coffin, Champenois, a écrit une ode pour défendre le vin de Champagne. Le professeur Duhamel, Normand, a ensuite composé une ode latine en faveur du cidre, dont une traduction est fournie. Dans son ode, Duhamel critique les querelles entre les poètes et souligne que les disputes sur le vin ne devraient pas diviser les habitants pacifiques. Il reconnaît que le vin peut exciter les passions, mais il souligne que ces effets sont de courte durée. Duhamel vante ensuite les mérites du cidre, affirmant qu'il procure un esprit solide et un grand cœur. Il cite des héros et des savants illustres qui ont bénéficié des bienfaits du cidre. Duhamel compare le cidre à une belle prairie toujours verte et fleurie, et loue les Normands pour leur robustesse et leur grâce. Il décrit le cidre comme une ambroisie, une quintessence de vie, capable de corriger les mauvaises mœurs. Il conclut en affirmant que le cidre répand ses faveurs sur tous ceux qui le préfèrent aux autres breuvages, et que ceux qui méprisent le cidre ne devraient pas écrire de poésie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 1179
QUESTION, si la gloire des Orateurs est préférable à celle des Poëtes.
Début :
QUESTION, si la gloire des Orateurs est préférable à celle des Poëtes. [...]
Mots clefs :
Orateurs, Poètes
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texteReconnaissance textuelle : QUESTION, si la gloire des Orateurs est préférable à celle des Poëtes.
QUESTION, fi la gloire des Orateurs
eft préférable à celle des Poëtes.
eft préférable à celle des Poëtes.
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10
p. 2382-2398
LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
Début :
Lorsque vous m'avez fait l'honneur, Monsieur, de me proposer la question [...]
Mots clefs :
Poètes, Poésie, Orateur, Éloquence, Discours, Homère, Expression, Force, Vérité, Racine, Homme, Esprit, Âme, Discours
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
LETTRE fur la gloire des Orateurs
& des Poëtes.
Lorfque vous m'avez fait l'honneur
Monfieur , de me propofer la queftion
, fçavoir : Si la gloire des Orateurs eft
preferable à celle des Poëtes , je l'avois déja
lue dans le Mercure du mois du Juin
premier Volume. Il eft certain que ceux
qui excellent dans des fujets difficiles , &
en même-tems très utiles , & très agréa
bles , acquierent plus de gloire & d'honneur
que ceux qui excellent dans des fujets
qui le font beaucoup moins. Pour ju
ger plus fainement de la queſtion dont il
s'agit , il fuffit d'examiner deux chofes ;
la
NOVEMBRE . 1730. 2383
la premiere
quel eft celui de ces deux
genres du Difcours ou de la Poëfie qui
demande plus de talens
pour y exceller
& la feconde : quel eft le plus utile & le
plus agréable.
*
a Les Poëtes comme les Orateurs fe
propofent
d'inftruire
& de plaire , tous leurs efforts tendent à cette même fin
mais ils y arrivent les uns & les autres
par des voyes bien differentes . b L'inven
tion , la difpofition
, l'élocution
, la mémoire
& la prononciation
font tout le mérite des Orateurs. La Poëfie eft affujetie
à un bien plus grand nombre de regles.
Le Poëte Epique doit d'abord former
un plan ingénieux
de toute la fuite
de fon action , en tranfportant
dès l'entrée
fon Lecteur au milieu , ou prefque à la fin
du fujet , en lui laiffant croire qu'il n'a
plus qu'un pas à faire pour voir la conclufion
de l'action , en faifant naître enfuite
mille obftacles qui la reculent , &
qui irritent les defirs du Lecteur , en lui
rappellant
les évenemens
qui ont précedé
,
, par des récits placés avec bienfeance,
en les amenant enfin avec des liaiſons &
à Cic. de Oratore.
b Quintil.
* Arift. Poët.
Horat. Art. Poët.
-
Defpr. Art. Poës.
Cüiti des
2384 MERCURE DE FRANCE
des préparations qui reveillent fa curiofité
, qui l'intereffent de plus en plus ,
qui l'entretiennent dans une douce inquiétude
, & le menent de ſurpriſe en
furprife jufqu'au dénouement ; récits cu
rieux , expreffions vives & furprenantes ,
defcriptions riches & agréables , compa
raifons nobles , difcours touchans , incidens
nouveaux , rencontres inopinées ,
paffions bien peintes ; joignez à cela une
ingénieufe diftribution de toutes ces parties
, avec une verfification harmonieuſe ,
pure & variée ; voilà des beautés prefque
toutes inconnuës à l'Orateur . * Ciceron
lui - même , d'ailleurs fi rempli d'eſtime
pour l'Eloquence , ne peut pas s'empêcher
de mettre la Poëfie beaucoup au- deffus
de la Profe : elle eft , dit- il , un enthoufiafme
un tranfport divin qui éleve
P'homme au- deffus de lui-même ; les vers
que nous avons de lui , quoique mauvais
, nous font bien voir le cas qu'il
faifoit de la Poëfie , il fit auffi tout ce qu'il
pût pour y réuffir ; mais tout grand Órateur
qu'il étoit, il n'avoit pas affez d'imagination
, & il manquoit des autres talens
neceffaires pour devenir un bon
Poëte.
,
Il faut affurément de grands talens
* De Orati
pour
NOVEMBRE . 1730. •
238 5
pour faire un bon Orateur , de la fécondité
dans l'invention , de la nobleffe dans
les idées & dans les fentimens , de l'ima
gination , de la magnificence & de la hardieffe
dans les expreffions . Les mêmes talens
font neceffaires à la Poëfie ; mais il
faut les poffeder dans un degré bien plus.
parfait pour y réuffir ; elle cherche les
penfées & les expreffions les plus nobles,
elle accumule les figures les plus hardies,
elle multiplie les comparaifons & les
images les plus vives , elle parcourt la
nature , & en épuife les richeffes pour
peindre ce qu'elle fent , elle ſe plaît à im→
primer à fes paroles le nombre , la mefu
re & la cadence ; la Poëfie doit être élevée
& foutenue par tout ce qu'on peut imaginer
de plus vif & de plus ingenieux ; en
un mot , elle change tout , mais elle le
change en beau:
* Là pour nous enchanter tout eft mis en
usage ;
Tout prend un corps , une ame , un eſprit , un
viſage ;
·Chaque vertu devient une Divinité ;
Minerve eft la prudence , & Venus la beauté,
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerres
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre .
Un orage terrible aux yeux des Matelois
* Defer. Art. Poët. Chant 111.
(
C v C'efe
2386 MERCURE DE FRANCE
Ceft Neptune en couroux qui gourmande les
flots.
Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentiffe,
C'est une Nymphe en pleurs qui fe plaint de
Narciffe.
'Ainfi dans cet amas de nobles fictions
Le Poëte s'égaye en mille inventions ,
Orne , éleve , embellit , agrandit toutes chofes,
Et trouve fous fa main des fleurs toujours éclo
Jes
La Profe n'oblige pas à tant de frais ,
& ne prépare pas à tant de chofes ; au
contraire il faut que l'imagination regne
dans les Vers , & s'ils ne font rehauffés
par quelque penfées fublimes , ou fines &
délicates , ils font froids & languiffans ; la
Poëfie ne fouffre rien de médiocre : ainfi
ce n'eſt pas fans raison que l'on a comparé
les Poëtes aux Cavaliers à caufe du feu &
de la rapidité qui animent la Poëſie , &
les Orateurs aux Fantaffins qui marchent
plus tranquilement & avec moins de bruit.
D'ailleurs la Poëfie s'exerce fur toutes
fortes de genres , le badin , le férieux , le
comique le tragique , l'héroïque. Le
foin des troupeaux , les beautés de la nature
& les plaifirs ruftiques en font fouvent
les plus nobles fujets. Enfin Moïſe
Ifaïe , David ne trouverent que la Poëfie
digne de chanter les louanges du Créa-
,
teur
NOVEMBRE . 1730. 2387
teur , de relever fes divins attributs & de
celebrer fes bienfaits ; les Dieux de la Fa
ble , les Héros , les fondateurs des Villes
& les liberateurs de la Patrie auroient
dédaigné tout autre langage ; la Poëfic
feule étoit capable de celebrer leur gloire
& leurs exploits. * Auffi ne fe fervoit- on
anciennement que de la Poëfie : tout jufqu'à
l'hipire même étoit écrit en Vers ,
& l'on ne commença que fort tard à employer
la Profe . La Nature comme épuifée
ne pouvant plus foutenir le langage
fublime de la Poëfie , fut obligée d'avoir
recours à un Difcours moins cadencé &
moins difficile.
Tous les bons connoiffeurs , entr'autres
le P. Bouhours , le P. Rapin , le P. Le
Boffu & M. Daubignac conviennent que
le Poëme Epique eft le chef- d'oeuvre de
l'efprit humain. Avons - nous quelque
harrangue où il y ait tant de fublime ,
d'élevation & de jugement que dans
P'Iliade ou l'Eneide. L'Eloquence ellemême
n'est jamais employée avec plus
d'éclat & plus de fuccès que lors qu'elle
eft foutenue par la Poëffe. Y a - t'il en
effet quelque genre d'Eloquence dont les
Poëmes d'Homere ne fourniffent des mo
deles parfaits ? c'eft chez lui que les Ora-
* Plutarq
C vj teurs
2388 MERCURE DE FRANCE
teurs ont puifé les regles & les beautés
de leur art , ce n'eft qu'en l'imitant qu'ils
ont acquis de la gloire . Pour fe convaincre
de cette verité il fuffit de jetter les
yeux fur quelques unes de fes Harangues
, & l'on conviendra fans peine qu'elles
font au- deffus des plus belles de Ciceron
& de Demofthenes auffi bien que des Modernes.
Les Harangues d'Uliffe de Phenix
& d'Ajax qui furent députés par
l'Armée des Grecs vers Achile pour l'engager
à reprendre les armes , font de ce
genre. Il faut voir a l'art admirable avec
lequel Homere fait parler le Prince d'Ithaque
: il paroît d'abord embaraffé & timide
, les yeux fixes & baiffés , fans geſte
& fans mouvement , ayant affaire à un
homme difficile & intraitable , il employe
des manieres infinuantes , douces & touchantes
; mais quand il s'eft animé ce n'eſt
plus le même homme , & femblable à un
torrent qui tombe avec impétuofité du
haut d'un rocher , il entraîne tous les efprits
par la force de fon éloquence. Les
deux autres ne parlent pas avec moins
d'art moins de force & d'adreffe , & il
eft remarquable que chaque perfonage
parle toujours felon fon caractere , ce qui¹
fait une des principales beautés du Poëa
Il. III. 2. 16. 224
me
NOVEMBRE . 1730 : 238 g*
me Epique. Rien n'eft plus éloquent que
le petit Difcours d'Antiloque à Achile ,
par lequel il lui apprend la mort de Pa
trocle . L'endroit a où Hector prêt d'aller
au combat, fait ſes adieux à Andromaque
& embraffe Aftianax , eft un des plus
beaux & des plus touchans. M. Racine
en a imité une partie dans l'endroit où
Andromaque parle ainfi à ſa confidente :
bab ! de quel fouvenir viens- tu frapper mon
ame !
Quoi ! Cephife , j'irai voir expirer encor
Ce fils , ma feule joye , & l'image d'Hector ?
Ce fils que de fa flamme il me laiſſa pourgage?
Helas je m'en fonviens , le jour que son courage
Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas ,
Il demanda fon fils , & le prit dans fes bras :
Chere Epouse ( dit- il , en effuyant mes larmes )
J'ignore quelfuccès lè fort garde à mes armes ,
Je te laiffe mon fils , pour gage de ma fòi ;
S'il me perdje prétends qu'il me retrouve en
toi;
Si d'un heureux hymen la mémoire t'eſt chere
Montre au fils à quel point tu chériffois le
pere.
Le Difcours de Priam à Achille
a Il VI. 390. 494 •
b Androm . Act. 117. Scen. VIII.
, par
lequel
2390 MERCURE DE FRANCE
lequel il lui demande le corps de fon fils
Hector , renferme encore des beautés admirables.
Pour les bien fentir il faut fe
rappeller le caractere d'Achille , brufque,
violent & intraitable ; mais il étoit fils
& avoit un pere , & c'eft par où Priam
commence & finit fon difcours . Etant entré
dans la tente d'Achille , il ſe jette à
fes genoux , lui baife la main ; Achille
eft fort furpris d'un fpectacle fi imprévu ,
tous ceux qui l'environnent font dans le
même étonnement & gardent un profond
filence . Alors Priam prenant la parole :
Divin Achille , dit-il , fouvenez - vous
que vous avez un pere avancé en âge comme
moi , & peut- être de même accablé de
maux , fans fecours & fans appui ; mais il
fait que vous vivez , & la douce efperance
de revoir bientôt un fils tendrement aimé le
foutient & le confole : & moi le plus infortuné
des peres de cette troupe nombreufe d'enfans
dont j'étois environné , je n'en ai confervé
aucun : j'en avois cinquante quand les
Grecs aborderent fur ce rivage , le cruel Mars
me les aprefque tous ravis : l'unique qui me
reftoit , feule reffource de ma famille & de
Troye , mon cher Hector , vient d'expirer
fous votre bras vainqueur en deffendant genereuſementfa
Patrie. Je viens ici chargé de
* II. XXIV. 48ĥ
préfens
4
NOVEMBRE. 1730. 239T
prefens pour racheter fon corps : Achille
Taiffez- vous fléchir par le fouvenir de votre
pere , par le refpect que vous devez aux
Dieux , par la vie de mes cruels malheurs
Fut-il jamais un pere plus à plaindre que
moi qui fuis obligé de baifer une main bomicide
, encore fumante du fang de mes enfans.
par
C'eſt la nature même qui s'exprime
la bouche de ce venerable Vieillard
& quelque impitoyable que fut Achille ,
Il ne pût refifter à un Difcours fi touchant,
le doux nom de pere lui arracha des lar
mes. Il eft aifé de comprendre que la Profe
fait perdre à ce Difcours une partie de fa
beauté , il a bien plus de grace & de force
revêtu de tout l'éclat des expreffions
Poëtiques. Il y a dans Homere une infinité
d'autres endroits , peut- être encore
plus beaux ; mais il faut fe borner.
L'éloquence de la Chaire & du Barreau
font affurément d'une grande utilité,
& il faut convenir qu'on a bien de l'obligation
à ceux qui veulent bien y em-
.ployer leurs talens. Mais après tout tous
nos Orateurs enfemble ne fourniroient
pas un endroit qui exprimât avec tant,
d'éclat , de nobleffe & d'élevation la gran
deur & la puiffance du fouverain Maître
de l'Univers que ces Vers de Racine.
Que
2392 MERCURE DE FRANCE
a Que peuvent contre lui tous les Rois de la
terre i
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre,
Pour diffiper leur ligue il n'a qu'à ſe montrer ;
Il parle , dans la poudre il les fait tous renfrer.
Au feul fon de fa voix la mer fuit , le Ciel
tremble ;
Il voit comme un néant tout l'Univers enfemble
,
Et les foibles Mortels , vains jouets du trépas ,
Sont tous devant fes yeux comme s'ils n'étoienz
pas.
Que de grandeur ! que de nobleffe !
qui ne fent que les mêmes penfées tournées
en Profe par une habile main perdroient
toute leur grace & toute leur force.
Voici un endroit dans le même goût,
tiré d'un de nos plus celebres Orateurs.
O Dieu terrible , mais jufte dans vos confeils
fur les enfans des hommes , vous difpofez
& des Vainqueurs & des Victoires pour
accomplir vos volontés & faire craindre vos
jugemens votre puiſſance renverse ceux que
votre puissance avoit élevés : vous immolez
à votre fouveraine grandeur de grandes victimes
, & vous frappez quand il vous plaît
ces têtes illuftres que vous avez tant de fois
couronnées..
a Efther Att. II. Scen. K
Cee
NOVEMBRE. 1730. 2393
Cet endroit , quoique grand , eft bien
au-deffous des Vers de Racine , c'eſt cependant
un des plus grands efforts de
l'éloquence de M. Flechier, a Cet autre
trait du même Poëte , quoiqu'en un feul
Vers , n'eſt pas moins inimitable à l'Orateur.
b Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point
d'autre crainte.
Pour prouver fans réplique combien
la Poëfie prête à PEloquence , que l'on
mette en Profe les morceaux les plus éloquens
des Poëtes , qu'on les revête de
toutes les expreffions les plus brillantes ;
& l'on jugera aifément combien ils per
dent dans ce changement. Je pourrois
en donner des exemples d'Homere , de
Sophocle & des autres Poëtes , & citer
tous nos Traducteurs ; mais je renvoye
au feul récit de Theramene dans la Tragédie
de Phedre de Racine , & je prie les
partifans de l'éloquence de la Profe de le
rendre fans l'harmonie des Vers auffi touchant
, auffi vif , j'ajoûte même auffi effrayant
qu'il l'eft dans ce Poëte. Qu'un
habile Poëte, au contraire , prenne les endroits
les plus éloquens & les plus pathe
a Oraif. Funebre de M. de Turr.
b Athalie , A &t . 1. Scen. X.
tiques
2394 MERCURE DE FRANCE
tiques de Demofthenes & de Ciceron
qu'il les pare de tous les ornemens de ce
même recit de Theramene , & l'on juge
ra alors combien ils y auront gagné.
Y a t'il quelque chofe qui foit fi propre
à infpirer des fentimens nobles & genereux
fur la Religion que ce que Cor
neille fait dire à Polieucte ; les mêmes Y
chofes en Profe feroient belles, fans doute,
mais bien plus froides & plus languiffantes.
Quelle eft la Harangue qui renferme
une plus belle morale que celle que
Rouffeau a inferée dans fon Ode fur la
Fortune ? trouve- t'on quelque part la ve
tité accompagnée de tant d'agrémens &
de tant de force.
Fortune dont la main couronné
Les forfaits les plus inoùis ,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis ;
Jufques à quand , trompeuſe Idole
D'un culte honteux & frivole
Honorerons- nous tes Autels ?
Verra t'on toujours tes caprices
Confacrés par les facrifices ,
Et par l'hommage des mortels . &c.
Toute la fuite de cette Ode renfermé
une infinité de traits admirables ; je pourois
NOVEMBRE. 1730. 2395
rois ajoûter encore les Odes facrées du
même Auteur qui font bien au - deffus de
celle ci , les Pleaumes de Madame Des
Houllieres , ceux de Malherbe &c . où l'on
trouve des traits que l'éloquence la plus
vive ne sçauroit imiter. Mais fi on vouloit
rapporter tout ce qu'il y a de plus
beau tant en Vers qu'en Proſe , on ne finiroit
point.
On s'ennuye du moins en beaucoup
d'endroits d'un beau Sermon qui contient
les mêmes penſées fur les mêmes fujets
, qui annonce les mêmes verités
qu'une Piece de Poëfie , les vers nous y
rendent beaucoup plus fenfibles , on eſt
plus
plus touché , on entre plus dans toutes
les paffions du Poëte , on s'efforce de la
fuivre , on ſe plaît à fes expreffions , on
aime fes penfées qu'on tâche de retenir ,
on fe fait même un plaifir & un honneur
de les reciter. L'éloquence férieuſe de
F'Orateur fait bien moins d'impreffion
que ces peintures vives & naturelles
du vice que
le Poëte fçait rendre fi méprifable
, & ce n'eft
fans raifon que
Rouffeau a dit que
pas
Des fictions la vive liberté
Peint fouvent mieux l'austere verité
Que neferoit la froideur Monacale
D'une lugubre & pefante morale.
En
2396 MERCURE DE FRANCË
cette
En effet , rien ne touche le coeur de
l'homme , rien n'eft capable de lui faire
impreffion que ce qui lui plaît ; la Poëfie
nous montre la verité avec un viſage
doux & riant , par là elle l'infinue adroitement
entraînés par le plaifir , nous
entrons infenfiblement dans les fentimens
du Poëte , dans fes maximes ; nous prenons
de lui cette nobleffe , cette grandeur
d'ame , ce défintereffement
haine de l'injuftice & cet amour de la
vertu qui éclatent de toutes parts dans
fes Vers. La verité , au contraire , dite
par un Orateur , nous paroît bien plus
fevere , elle n'eft pas accompagnée de ces
graces , de ces ornemens , enfin de toutes
čes beautés qui la rendent aimable , l'efprit
fe ferme à fa voix , & fi quelquefois
on l'écoute , ce n'eft que par un grand
effort de la raifon. Quelqu'un dira peutêtre
que l'éloquence oratoire eft plus utile
à l'Orateur pour fa fortune , & on aura
raifon de dire comme Bachaumont :
a Non non , les doctes damoiselles
N'eurent jamais un bon morceau
Et ces vieilles fempiternelles
Ne burent jamais que de l'eau.
Les Poëtes ont toujours été bien éloia
Voyage de Bach. & de la Chapelle.
gnés
NOVEMBRE. 1730. 2397
grés de cette avidité qui fait dire à tant
de
gens
•
Quærenda pecunia primùm eft
Virtus poft nummos.
Je ne doute point que les gens d'efprit
& de bon goût , les Heros & fur tout le
beau fexe, à qui la Poëfie a fait tant d'honneur
, & dont elle a fi fouvent relevé la
beauté & le mérite , ne préferent la gloire
des Poëtes à celle des Orateurs , &
quand je n'aurois que leur fuffrage j'aurois
toujours celui de la plus brillante
partie du monde . Au refte , on peut encore
juger de la gloire des Poëtes par l'eftime
& la veneration qu'ont eûs pour eux
de tout tems les hommes les plus illuftres
& les plus grands Princes. b Ptolomée
Philopator fit élever un Temple à Homere
; il l'y plaça fur un Trône , & fit repréfenter
autour de lui les fept Villes qui
Te difputoient l'honneur de fa naiffance.
c. Alexandre avoit toujours l'Iliade fous
le chevet de fon lit , enfermé dans la caffete
de Cyrus. d Hyparque , Prince des
Athéniens , envoya une Galere exprès
chercher Anacréon pour faire honneur à
b Elien.
Plutarq. in Vita Alexand.
Elien,
yous
2398 MERCURE DE FRANCE
fa Patrie. Hyeron de Syracufe voulut
avoir Pindare & Simonide à fa Cour .
& perfonne n'ignore que dans le fac
de Thebes Alexandre ordonna qu'on
épargnat la maiſon & la famille du pre
mier des deux Poëtes que je viens de nommer.
On fçait le crédit qu'eurent Virgile
& Horace à la Cour d'Augufte , & enfin
l'eftime particuliere dont Louis XIV. a
toujours honoré nos Poëtes François , Mais
pourquoi chercher de nouvelles preuves?
Le langage des hommes égalera- t'il jamais
le langage des Dieux ? Je fens bien
que je dois me borner à ce petit nombre
de réfléxions , quoiqu'il foit difficile d'être
court en parlant des beautés de la
Poëfie , où l'on trouve tant de choſes qui
enchantent que l'on en pourroit dire ce
que difoit Tibulle de toutes les actions
de fa Maîtreffe
Componit furtim , fubfequiturque decor.
J'ai l'honneur d'être & c .
& des Poëtes.
Lorfque vous m'avez fait l'honneur
Monfieur , de me propofer la queftion
, fçavoir : Si la gloire des Orateurs eft
preferable à celle des Poëtes , je l'avois déja
lue dans le Mercure du mois du Juin
premier Volume. Il eft certain que ceux
qui excellent dans des fujets difficiles , &
en même-tems très utiles , & très agréa
bles , acquierent plus de gloire & d'honneur
que ceux qui excellent dans des fujets
qui le font beaucoup moins. Pour ju
ger plus fainement de la queſtion dont il
s'agit , il fuffit d'examiner deux chofes ;
la
NOVEMBRE . 1730. 2383
la premiere
quel eft celui de ces deux
genres du Difcours ou de la Poëfie qui
demande plus de talens
pour y exceller
& la feconde : quel eft le plus utile & le
plus agréable.
*
a Les Poëtes comme les Orateurs fe
propofent
d'inftruire
& de plaire , tous leurs efforts tendent à cette même fin
mais ils y arrivent les uns & les autres
par des voyes bien differentes . b L'inven
tion , la difpofition
, l'élocution
, la mémoire
& la prononciation
font tout le mérite des Orateurs. La Poëfie eft affujetie
à un bien plus grand nombre de regles.
Le Poëte Epique doit d'abord former
un plan ingénieux
de toute la fuite
de fon action , en tranfportant
dès l'entrée
fon Lecteur au milieu , ou prefque à la fin
du fujet , en lui laiffant croire qu'il n'a
plus qu'un pas à faire pour voir la conclufion
de l'action , en faifant naître enfuite
mille obftacles qui la reculent , &
qui irritent les defirs du Lecteur , en lui
rappellant
les évenemens
qui ont précedé
,
, par des récits placés avec bienfeance,
en les amenant enfin avec des liaiſons &
à Cic. de Oratore.
b Quintil.
* Arift. Poët.
Horat. Art. Poët.
-
Defpr. Art. Poës.
Cüiti des
2384 MERCURE DE FRANCE
des préparations qui reveillent fa curiofité
, qui l'intereffent de plus en plus ,
qui l'entretiennent dans une douce inquiétude
, & le menent de ſurpriſe en
furprife jufqu'au dénouement ; récits cu
rieux , expreffions vives & furprenantes ,
defcriptions riches & agréables , compa
raifons nobles , difcours touchans , incidens
nouveaux , rencontres inopinées ,
paffions bien peintes ; joignez à cela une
ingénieufe diftribution de toutes ces parties
, avec une verfification harmonieuſe ,
pure & variée ; voilà des beautés prefque
toutes inconnuës à l'Orateur . * Ciceron
lui - même , d'ailleurs fi rempli d'eſtime
pour l'Eloquence , ne peut pas s'empêcher
de mettre la Poëfie beaucoup au- deffus
de la Profe : elle eft , dit- il , un enthoufiafme
un tranfport divin qui éleve
P'homme au- deffus de lui-même ; les vers
que nous avons de lui , quoique mauvais
, nous font bien voir le cas qu'il
faifoit de la Poëfie , il fit auffi tout ce qu'il
pût pour y réuffir ; mais tout grand Órateur
qu'il étoit, il n'avoit pas affez d'imagination
, & il manquoit des autres talens
neceffaires pour devenir un bon
Poëte.
,
Il faut affurément de grands talens
* De Orati
pour
NOVEMBRE . 1730. •
238 5
pour faire un bon Orateur , de la fécondité
dans l'invention , de la nobleffe dans
les idées & dans les fentimens , de l'ima
gination , de la magnificence & de la hardieffe
dans les expreffions . Les mêmes talens
font neceffaires à la Poëfie ; mais il
faut les poffeder dans un degré bien plus.
parfait pour y réuffir ; elle cherche les
penfées & les expreffions les plus nobles,
elle accumule les figures les plus hardies,
elle multiplie les comparaifons & les
images les plus vives , elle parcourt la
nature , & en épuife les richeffes pour
peindre ce qu'elle fent , elle ſe plaît à im→
primer à fes paroles le nombre , la mefu
re & la cadence ; la Poëfie doit être élevée
& foutenue par tout ce qu'on peut imaginer
de plus vif & de plus ingenieux ; en
un mot , elle change tout , mais elle le
change en beau:
* Là pour nous enchanter tout eft mis en
usage ;
Tout prend un corps , une ame , un eſprit , un
viſage ;
·Chaque vertu devient une Divinité ;
Minerve eft la prudence , & Venus la beauté,
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerres
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre .
Un orage terrible aux yeux des Matelois
* Defer. Art. Poët. Chant 111.
(
C v C'efe
2386 MERCURE DE FRANCE
Ceft Neptune en couroux qui gourmande les
flots.
Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentiffe,
C'est une Nymphe en pleurs qui fe plaint de
Narciffe.
'Ainfi dans cet amas de nobles fictions
Le Poëte s'égaye en mille inventions ,
Orne , éleve , embellit , agrandit toutes chofes,
Et trouve fous fa main des fleurs toujours éclo
Jes
La Profe n'oblige pas à tant de frais ,
& ne prépare pas à tant de chofes ; au
contraire il faut que l'imagination regne
dans les Vers , & s'ils ne font rehauffés
par quelque penfées fublimes , ou fines &
délicates , ils font froids & languiffans ; la
Poëfie ne fouffre rien de médiocre : ainfi
ce n'eſt pas fans raison que l'on a comparé
les Poëtes aux Cavaliers à caufe du feu &
de la rapidité qui animent la Poëſie , &
les Orateurs aux Fantaffins qui marchent
plus tranquilement & avec moins de bruit.
D'ailleurs la Poëfie s'exerce fur toutes
fortes de genres , le badin , le férieux , le
comique le tragique , l'héroïque. Le
foin des troupeaux , les beautés de la nature
& les plaifirs ruftiques en font fouvent
les plus nobles fujets. Enfin Moïſe
Ifaïe , David ne trouverent que la Poëfie
digne de chanter les louanges du Créa-
,
teur
NOVEMBRE . 1730. 2387
teur , de relever fes divins attributs & de
celebrer fes bienfaits ; les Dieux de la Fa
ble , les Héros , les fondateurs des Villes
& les liberateurs de la Patrie auroient
dédaigné tout autre langage ; la Poëfic
feule étoit capable de celebrer leur gloire
& leurs exploits. * Auffi ne fe fervoit- on
anciennement que de la Poëfie : tout jufqu'à
l'hipire même étoit écrit en Vers ,
& l'on ne commença que fort tard à employer
la Profe . La Nature comme épuifée
ne pouvant plus foutenir le langage
fublime de la Poëfie , fut obligée d'avoir
recours à un Difcours moins cadencé &
moins difficile.
Tous les bons connoiffeurs , entr'autres
le P. Bouhours , le P. Rapin , le P. Le
Boffu & M. Daubignac conviennent que
le Poëme Epique eft le chef- d'oeuvre de
l'efprit humain. Avons - nous quelque
harrangue où il y ait tant de fublime ,
d'élevation & de jugement que dans
P'Iliade ou l'Eneide. L'Eloquence ellemême
n'est jamais employée avec plus
d'éclat & plus de fuccès que lors qu'elle
eft foutenue par la Poëffe. Y a - t'il en
effet quelque genre d'Eloquence dont les
Poëmes d'Homere ne fourniffent des mo
deles parfaits ? c'eft chez lui que les Ora-
* Plutarq
C vj teurs
2388 MERCURE DE FRANCE
teurs ont puifé les regles & les beautés
de leur art , ce n'eft qu'en l'imitant qu'ils
ont acquis de la gloire . Pour fe convaincre
de cette verité il fuffit de jetter les
yeux fur quelques unes de fes Harangues
, & l'on conviendra fans peine qu'elles
font au- deffus des plus belles de Ciceron
& de Demofthenes auffi bien que des Modernes.
Les Harangues d'Uliffe de Phenix
& d'Ajax qui furent députés par
l'Armée des Grecs vers Achile pour l'engager
à reprendre les armes , font de ce
genre. Il faut voir a l'art admirable avec
lequel Homere fait parler le Prince d'Ithaque
: il paroît d'abord embaraffé & timide
, les yeux fixes & baiffés , fans geſte
& fans mouvement , ayant affaire à un
homme difficile & intraitable , il employe
des manieres infinuantes , douces & touchantes
; mais quand il s'eft animé ce n'eſt
plus le même homme , & femblable à un
torrent qui tombe avec impétuofité du
haut d'un rocher , il entraîne tous les efprits
par la force de fon éloquence. Les
deux autres ne parlent pas avec moins
d'art moins de force & d'adreffe , & il
eft remarquable que chaque perfonage
parle toujours felon fon caractere , ce qui¹
fait une des principales beautés du Poëa
Il. III. 2. 16. 224
me
NOVEMBRE . 1730 : 238 g*
me Epique. Rien n'eft plus éloquent que
le petit Difcours d'Antiloque à Achile ,
par lequel il lui apprend la mort de Pa
trocle . L'endroit a où Hector prêt d'aller
au combat, fait ſes adieux à Andromaque
& embraffe Aftianax , eft un des plus
beaux & des plus touchans. M. Racine
en a imité une partie dans l'endroit où
Andromaque parle ainfi à ſa confidente :
bab ! de quel fouvenir viens- tu frapper mon
ame !
Quoi ! Cephife , j'irai voir expirer encor
Ce fils , ma feule joye , & l'image d'Hector ?
Ce fils que de fa flamme il me laiſſa pourgage?
Helas je m'en fonviens , le jour que son courage
Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas ,
Il demanda fon fils , & le prit dans fes bras :
Chere Epouse ( dit- il , en effuyant mes larmes )
J'ignore quelfuccès lè fort garde à mes armes ,
Je te laiffe mon fils , pour gage de ma fòi ;
S'il me perdje prétends qu'il me retrouve en
toi;
Si d'un heureux hymen la mémoire t'eſt chere
Montre au fils à quel point tu chériffois le
pere.
Le Difcours de Priam à Achille
a Il VI. 390. 494 •
b Androm . Act. 117. Scen. VIII.
, par
lequel
2390 MERCURE DE FRANCE
lequel il lui demande le corps de fon fils
Hector , renferme encore des beautés admirables.
Pour les bien fentir il faut fe
rappeller le caractere d'Achille , brufque,
violent & intraitable ; mais il étoit fils
& avoit un pere , & c'eft par où Priam
commence & finit fon difcours . Etant entré
dans la tente d'Achille , il ſe jette à
fes genoux , lui baife la main ; Achille
eft fort furpris d'un fpectacle fi imprévu ,
tous ceux qui l'environnent font dans le
même étonnement & gardent un profond
filence . Alors Priam prenant la parole :
Divin Achille , dit-il , fouvenez - vous
que vous avez un pere avancé en âge comme
moi , & peut- être de même accablé de
maux , fans fecours & fans appui ; mais il
fait que vous vivez , & la douce efperance
de revoir bientôt un fils tendrement aimé le
foutient & le confole : & moi le plus infortuné
des peres de cette troupe nombreufe d'enfans
dont j'étois environné , je n'en ai confervé
aucun : j'en avois cinquante quand les
Grecs aborderent fur ce rivage , le cruel Mars
me les aprefque tous ravis : l'unique qui me
reftoit , feule reffource de ma famille & de
Troye , mon cher Hector , vient d'expirer
fous votre bras vainqueur en deffendant genereuſementfa
Patrie. Je viens ici chargé de
* II. XXIV. 48ĥ
préfens
4
NOVEMBRE. 1730. 239T
prefens pour racheter fon corps : Achille
Taiffez- vous fléchir par le fouvenir de votre
pere , par le refpect que vous devez aux
Dieux , par la vie de mes cruels malheurs
Fut-il jamais un pere plus à plaindre que
moi qui fuis obligé de baifer une main bomicide
, encore fumante du fang de mes enfans.
par
C'eſt la nature même qui s'exprime
la bouche de ce venerable Vieillard
& quelque impitoyable que fut Achille ,
Il ne pût refifter à un Difcours fi touchant,
le doux nom de pere lui arracha des lar
mes. Il eft aifé de comprendre que la Profe
fait perdre à ce Difcours une partie de fa
beauté , il a bien plus de grace & de force
revêtu de tout l'éclat des expreffions
Poëtiques. Il y a dans Homere une infinité
d'autres endroits , peut- être encore
plus beaux ; mais il faut fe borner.
L'éloquence de la Chaire & du Barreau
font affurément d'une grande utilité,
& il faut convenir qu'on a bien de l'obligation
à ceux qui veulent bien y em-
.ployer leurs talens. Mais après tout tous
nos Orateurs enfemble ne fourniroient
pas un endroit qui exprimât avec tant,
d'éclat , de nobleffe & d'élevation la gran
deur & la puiffance du fouverain Maître
de l'Univers que ces Vers de Racine.
Que
2392 MERCURE DE FRANCE
a Que peuvent contre lui tous les Rois de la
terre i
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre,
Pour diffiper leur ligue il n'a qu'à ſe montrer ;
Il parle , dans la poudre il les fait tous renfrer.
Au feul fon de fa voix la mer fuit , le Ciel
tremble ;
Il voit comme un néant tout l'Univers enfemble
,
Et les foibles Mortels , vains jouets du trépas ,
Sont tous devant fes yeux comme s'ils n'étoienz
pas.
Que de grandeur ! que de nobleffe !
qui ne fent que les mêmes penfées tournées
en Profe par une habile main perdroient
toute leur grace & toute leur force.
Voici un endroit dans le même goût,
tiré d'un de nos plus celebres Orateurs.
O Dieu terrible , mais jufte dans vos confeils
fur les enfans des hommes , vous difpofez
& des Vainqueurs & des Victoires pour
accomplir vos volontés & faire craindre vos
jugemens votre puiſſance renverse ceux que
votre puissance avoit élevés : vous immolez
à votre fouveraine grandeur de grandes victimes
, & vous frappez quand il vous plaît
ces têtes illuftres que vous avez tant de fois
couronnées..
a Efther Att. II. Scen. K
Cee
NOVEMBRE. 1730. 2393
Cet endroit , quoique grand , eft bien
au-deffous des Vers de Racine , c'eſt cependant
un des plus grands efforts de
l'éloquence de M. Flechier, a Cet autre
trait du même Poëte , quoiqu'en un feul
Vers , n'eſt pas moins inimitable à l'Orateur.
b Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point
d'autre crainte.
Pour prouver fans réplique combien
la Poëfie prête à PEloquence , que l'on
mette en Profe les morceaux les plus éloquens
des Poëtes , qu'on les revête de
toutes les expreffions les plus brillantes ;
& l'on jugera aifément combien ils per
dent dans ce changement. Je pourrois
en donner des exemples d'Homere , de
Sophocle & des autres Poëtes , & citer
tous nos Traducteurs ; mais je renvoye
au feul récit de Theramene dans la Tragédie
de Phedre de Racine , & je prie les
partifans de l'éloquence de la Profe de le
rendre fans l'harmonie des Vers auffi touchant
, auffi vif , j'ajoûte même auffi effrayant
qu'il l'eft dans ce Poëte. Qu'un
habile Poëte, au contraire , prenne les endroits
les plus éloquens & les plus pathe
a Oraif. Funebre de M. de Turr.
b Athalie , A &t . 1. Scen. X.
tiques
2394 MERCURE DE FRANCE
tiques de Demofthenes & de Ciceron
qu'il les pare de tous les ornemens de ce
même recit de Theramene , & l'on juge
ra alors combien ils y auront gagné.
Y a t'il quelque chofe qui foit fi propre
à infpirer des fentimens nobles & genereux
fur la Religion que ce que Cor
neille fait dire à Polieucte ; les mêmes Y
chofes en Profe feroient belles, fans doute,
mais bien plus froides & plus languiffantes.
Quelle eft la Harangue qui renferme
une plus belle morale que celle que
Rouffeau a inferée dans fon Ode fur la
Fortune ? trouve- t'on quelque part la ve
tité accompagnée de tant d'agrémens &
de tant de force.
Fortune dont la main couronné
Les forfaits les plus inoùis ,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis ;
Jufques à quand , trompeuſe Idole
D'un culte honteux & frivole
Honorerons- nous tes Autels ?
Verra t'on toujours tes caprices
Confacrés par les facrifices ,
Et par l'hommage des mortels . &c.
Toute la fuite de cette Ode renfermé
une infinité de traits admirables ; je pourois
NOVEMBRE. 1730. 2395
rois ajoûter encore les Odes facrées du
même Auteur qui font bien au - deffus de
celle ci , les Pleaumes de Madame Des
Houllieres , ceux de Malherbe &c . où l'on
trouve des traits que l'éloquence la plus
vive ne sçauroit imiter. Mais fi on vouloit
rapporter tout ce qu'il y a de plus
beau tant en Vers qu'en Proſe , on ne finiroit
point.
On s'ennuye du moins en beaucoup
d'endroits d'un beau Sermon qui contient
les mêmes penſées fur les mêmes fujets
, qui annonce les mêmes verités
qu'une Piece de Poëfie , les vers nous y
rendent beaucoup plus fenfibles , on eſt
plus
plus touché , on entre plus dans toutes
les paffions du Poëte , on s'efforce de la
fuivre , on ſe plaît à fes expreffions , on
aime fes penfées qu'on tâche de retenir ,
on fe fait même un plaifir & un honneur
de les reciter. L'éloquence férieuſe de
F'Orateur fait bien moins d'impreffion
que ces peintures vives & naturelles
du vice que
le Poëte fçait rendre fi méprifable
, & ce n'eft
fans raifon que
Rouffeau a dit que
pas
Des fictions la vive liberté
Peint fouvent mieux l'austere verité
Que neferoit la froideur Monacale
D'une lugubre & pefante morale.
En
2396 MERCURE DE FRANCË
cette
En effet , rien ne touche le coeur de
l'homme , rien n'eft capable de lui faire
impreffion que ce qui lui plaît ; la Poëfie
nous montre la verité avec un viſage
doux & riant , par là elle l'infinue adroitement
entraînés par le plaifir , nous
entrons infenfiblement dans les fentimens
du Poëte , dans fes maximes ; nous prenons
de lui cette nobleffe , cette grandeur
d'ame , ce défintereffement
haine de l'injuftice & cet amour de la
vertu qui éclatent de toutes parts dans
fes Vers. La verité , au contraire , dite
par un Orateur , nous paroît bien plus
fevere , elle n'eft pas accompagnée de ces
graces , de ces ornemens , enfin de toutes
čes beautés qui la rendent aimable , l'efprit
fe ferme à fa voix , & fi quelquefois
on l'écoute , ce n'eft que par un grand
effort de la raifon. Quelqu'un dira peutêtre
que l'éloquence oratoire eft plus utile
à l'Orateur pour fa fortune , & on aura
raifon de dire comme Bachaumont :
a Non non , les doctes damoiselles
N'eurent jamais un bon morceau
Et ces vieilles fempiternelles
Ne burent jamais que de l'eau.
Les Poëtes ont toujours été bien éloia
Voyage de Bach. & de la Chapelle.
gnés
NOVEMBRE. 1730. 2397
grés de cette avidité qui fait dire à tant
de
gens
•
Quærenda pecunia primùm eft
Virtus poft nummos.
Je ne doute point que les gens d'efprit
& de bon goût , les Heros & fur tout le
beau fexe, à qui la Poëfie a fait tant d'honneur
, & dont elle a fi fouvent relevé la
beauté & le mérite , ne préferent la gloire
des Poëtes à celle des Orateurs , &
quand je n'aurois que leur fuffrage j'aurois
toujours celui de la plus brillante
partie du monde . Au refte , on peut encore
juger de la gloire des Poëtes par l'eftime
& la veneration qu'ont eûs pour eux
de tout tems les hommes les plus illuftres
& les plus grands Princes. b Ptolomée
Philopator fit élever un Temple à Homere
; il l'y plaça fur un Trône , & fit repréfenter
autour de lui les fept Villes qui
Te difputoient l'honneur de fa naiffance.
c. Alexandre avoit toujours l'Iliade fous
le chevet de fon lit , enfermé dans la caffete
de Cyrus. d Hyparque , Prince des
Athéniens , envoya une Galere exprès
chercher Anacréon pour faire honneur à
b Elien.
Plutarq. in Vita Alexand.
Elien,
yous
2398 MERCURE DE FRANCE
fa Patrie. Hyeron de Syracufe voulut
avoir Pindare & Simonide à fa Cour .
& perfonne n'ignore que dans le fac
de Thebes Alexandre ordonna qu'on
épargnat la maiſon & la famille du pre
mier des deux Poëtes que je viens de nommer.
On fçait le crédit qu'eurent Virgile
& Horace à la Cour d'Augufte , & enfin
l'eftime particuliere dont Louis XIV. a
toujours honoré nos Poëtes François , Mais
pourquoi chercher de nouvelles preuves?
Le langage des hommes égalera- t'il jamais
le langage des Dieux ? Je fens bien
que je dois me borner à ce petit nombre
de réfléxions , quoiqu'il foit difficile d'être
court en parlant des beautés de la
Poëfie , où l'on trouve tant de choſes qui
enchantent que l'on en pourroit dire ce
que difoit Tibulle de toutes les actions
de fa Maîtreffe
Componit furtim , fubfequiturque decor.
J'ai l'honneur d'être & c .
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Résumé : LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
La lettre compare la gloire des orateurs à celle des poètes, en soulignant que ceux qui excellent dans des sujets difficiles, utiles et agréables acquièrent plus de renommée. Pour évaluer cette question, l'auteur propose d'examiner le talent requis et l'utilité de chaque domaine. Les poètes et les orateurs visent à instruire et à plaire, mais par des moyens différents. Les orateurs se distinguent par l'invention, la disposition, l'élocution, la mémoire et la prononciation. La poésie, quant à elle, est soumise à plus de règles et nécessite un plan ingénieux, des descriptions riches et des expressions vives. Cicéron, bien qu'il admire l'éloquence, reconnaît la supériorité de la poésie, qu'il décrit comme un enthousiasme divin. La poésie demande des talents plus élevés, tels que la fécondité dans l'invention, la noblesse des idées et une imagination riche. Elle transforme tout en beauté et utilise des fictions nobles pour enchanter le lecteur. La poésie s'exerce dans divers genres, du badin au sérieux, et a été utilisée par des figures bibliques comme Moïse et David pour chanter les louanges du Créateur. Les anciens utilisaient la poésie pour tous les écrits, y compris l'histoire, et n'ont commencé à utiliser la prose que plus tard. Des experts comme le Père Bouhours et le Père Rapin conviennent que le poème épique est le chef-d'œuvre de l'esprit humain. Les harangues d'Homère sont citées comme des modèles parfaits d'éloquence, surpassant même celles de Cicéron et Démosthène. Par exemple, la harangue d'Ulysse à Achille est louée pour son art et sa force. Enfin, la lettre compare des extraits de la poésie de Racine et de l'éloquence de Flechier, concluant que les pensées poétiques, même traduites en prose, perdent de leur grâce et de leur force. La poésie est ainsi présentée comme supérieure en termes de sublimité, d'élévation et de jugement.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 324-327
Programme sur un exercice de Belles Lettres, [titre d'après la table]
Début :
Nous venons de recevoir de Nîmes un Programme, imprimé à Montpellier, au sujet d'un [...]
Mots clefs :
Exercice, Belles-lettres, Programme, Poètes, Orateurs, Historiens, Assemblée
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Programme sur un exercice de Belles Lettres, [titre d'après la table]
Nous venons de recevoir de Nîmes un Programme
, imprimé à Montpellier , au sujet d'un
Exercice de Belles- Lettres, dans lequel M.de Bernage
, fils de M. de Bernage ,Intendant de la Province
de Languedoc, a donné le 21 du mois passé,
en presence des Etats assemblez ,des preuves d'une
capacité fort audessus de son âge. Il commença
són Exercice par un compliment tres-délicat,addressé
à l'Illustre Assemblée que composoient
Messieurs des Etats.
Voicy le plan, selon ce Programme, que M.de
Bernage a eu en vue de remplir. 1. D'expliquer.
un grand nombre des plus beaux endroits des
Auteurs Latins , Poëtes , Historiens , Orateurs
et autres . 2. De réciter quelques - uns de ceux qui
paroissent les plus propres à orner l'esprit. 3. De
rappeller et de réciter dans le cours de son explication,
quantité de traits choisis dans nos Poëtes
François , qui peuvent avoir quelque rapport
aux Auteurs Latins.4.D'y ajoûterplusieurs Notes
de Chronologie , de Mythologie et d'Histoire.
Entre les Poëtes Latins , ausquels M. Bernage
s'est attaché , sont , 1. Horace , dont il étoit en
état de réciter près de 30 Odes , aprés les avoir
expliquées ; cinq ou six Satyres entieres , sans
compter un nombre considérable de Pieces détachées
des autres Satyres ; plusieurs des Epîtres de
cet Auteur , et un grand nombre de morceaux
détachez des autres Epîtres.
Quant à l'Art Poëtique d'Horace , M, de Bernage
étoit aussi en état d'en réciter les Endroits
les plus remarquables et les plus utiles qui font la
beauté et le prix de ce Traité.
2.Virgile,auquel M.de Bernage s'est attaché avec
une singuliere application . On voit par le Programme
qu'il avoit fait uneAnalyse presque complette
de l'Eneide ; mais il en avoit trois Livres
prinFEVRIER.
1731. 325
principaux en vûë dans son explication ; sçavoir ,
le 1. remarquable par la versification châtiée. Le
4. où les mouvemens du coeur sont mènagez avec
tant d'art. Et le 6. qui est le plus rempli de la
Théologie Payenne. Il n'oublia pas de parcourir.
de même les Géorgiques , dont il pouvoit réciter
plusieurs beaux Endroits , et expliquer le reste ;
préparé d'ailleurs à réciter un nombre prodigieux.
de Piéces de nos Poëtes François qui ont imité
ces celebres Auteurs , ou dont les pensées ont
quelque rapport avec les Passages des Poëtes
Latins.
3. M. de Bernage n'étoit pas moins préparé
sur les Métamorphoses , les Fastes , les Tristes ,
et les Livres de Ponto , d'Ovide . L
4. Pour ne pas passer les bornes d'un Extrait
nous nous contenterons d'indiquer les autres
Poetes , sur lesquels le Répondant étoit préparé.
Tels sont entre les Poëtes Latins , Juvenal, Perse ,
Martial , Catule , Tibule , Pétrone et Phédre . Il
étoit en état d'en réciter un grand nombre de
Piéces , de les expliquer, avec quantité d'autres ,
de rapprocher du Texte latin les endroits de nos
Poetes François qui y ont rapport , sans oublier
les principaux points de Mythologie qui se
trouvent à discuter dans ces Poëtes , et sur lesquels
M. de Bernage étoit prêt de satisfaire.
Entre les Poëtes François qu'il avoit en vûë ,
et que nous rapporterons dans le même ordre
alphabétique , qu'ils se trouvent au commencement
du Programme ; on remarque Boileau ,
Corneille , Deshoulieres , du Cerceau , la Fontaine
, la Mothe , Lingendes , Malherbe , Maynard
, Moliere , Pellegrin, Racan , Racine,Rousseau
, Scarron , Voiture , et un nombre d'autres ,
que nous passons sous silence.
M. de Bernage avoit choisi entre les Orateurs ,
Fiij
Cice316
MERCURE DE FRANCE
Ciceron , dont il pouvoit expliquer un grand
nombre de beaux endroits.
Parmi les Auteurs renommez pour le style
Epistolaire, il s'étoit appliqué à Pline le jeune, et
entre ses Lettres , à celles qui sont les plus remarquables.
;-
Il nous suffira aussi de nommer les Historiens
dont M. de Bernage pouvoit rendre compte ; ils
sont sur l'Histoire Romaine , Tite-Live , Florus ,
Velleius-Paterculus , Salluste , Cesar , Suetone
dans lesquels le Répondant avoit choisi les endroits
les plus considerables , lesquels réunis ,
metrent tout d'un coup sous les yeux une chaîne
et une suite des plus grands Evenemens qui ont
illustré ou obscurci la gloire de Rome , soit pen
dant le tems de ses Rois , soit dans son indépendance
Républicaine , soit pendant le regne de ses.
Empereurs. I joignit à l'Histoire Romaine celled'Alexandre
le Grand , écrite par Quinte -Curce;.
et enfin celle d'un grand nombre de Peuples
écrite par Justin.
Tels sont les principaux Auteurs dont M. de
Bernage rendit compte , dont il récita de mémoi➡
re les endroits les plus beaux et les plus frappans,
qu'il expliqua lorsqu'on le lui demanda Il faut
ajoûter qu'il eut soin à chaque Auteur dont il eut
occasion de parler , de rapporter le jugement
qu'en ont fait les Sçavans et les Critiques.
Entre ceux qui firent à M. Bernage l'honneur
de l'interroger , on distingue MM . les Archevêques
de Toulouse et d'Alby ; et MM . les Evêques
de Beziers , d'Agde , d'Alet , de S. Papoul et de
Viviers ; et pour nous servir des termes d'une
Lettre que nous avons reçûë de Nîmes sur ce sujet ,
il étonna toute l'Assemblée, tant par la quantité des,
choses qu'il sçavoit , que par la maniere aisée avec
laquelle il s'énonça en les expliquant et en les
dé
"
FEVRIER . 1731. 327
développant. Il finit par un remerciment trèscourt
, mais très- bien ménagé à l'Assemblée qui
l'avoit honoré de sa présence et de son attention."
Voici des Stances adressées à M. de Bernage
de S. Maurice , Intendant de Languedoc , à l'oc-'
casion de l'Exercice dont nous venons de rendre
compte. Nous sçavons bon gré à l'Auteur de la
Lettre écrite de Nîmes , qui les a ajoûtées à sa
Lettre en nous envoyant le Programinę.
, imprimé à Montpellier , au sujet d'un
Exercice de Belles- Lettres, dans lequel M.de Bernage
, fils de M. de Bernage ,Intendant de la Province
de Languedoc, a donné le 21 du mois passé,
en presence des Etats assemblez ,des preuves d'une
capacité fort audessus de son âge. Il commença
són Exercice par un compliment tres-délicat,addressé
à l'Illustre Assemblée que composoient
Messieurs des Etats.
Voicy le plan, selon ce Programme, que M.de
Bernage a eu en vue de remplir. 1. D'expliquer.
un grand nombre des plus beaux endroits des
Auteurs Latins , Poëtes , Historiens , Orateurs
et autres . 2. De réciter quelques - uns de ceux qui
paroissent les plus propres à orner l'esprit. 3. De
rappeller et de réciter dans le cours de son explication,
quantité de traits choisis dans nos Poëtes
François , qui peuvent avoir quelque rapport
aux Auteurs Latins.4.D'y ajoûterplusieurs Notes
de Chronologie , de Mythologie et d'Histoire.
Entre les Poëtes Latins , ausquels M. Bernage
s'est attaché , sont , 1. Horace , dont il étoit en
état de réciter près de 30 Odes , aprés les avoir
expliquées ; cinq ou six Satyres entieres , sans
compter un nombre considérable de Pieces détachées
des autres Satyres ; plusieurs des Epîtres de
cet Auteur , et un grand nombre de morceaux
détachez des autres Epîtres.
Quant à l'Art Poëtique d'Horace , M, de Bernage
étoit aussi en état d'en réciter les Endroits
les plus remarquables et les plus utiles qui font la
beauté et le prix de ce Traité.
2.Virgile,auquel M.de Bernage s'est attaché avec
une singuliere application . On voit par le Programme
qu'il avoit fait uneAnalyse presque complette
de l'Eneide ; mais il en avoit trois Livres
prinFEVRIER.
1731. 325
principaux en vûë dans son explication ; sçavoir ,
le 1. remarquable par la versification châtiée. Le
4. où les mouvemens du coeur sont mènagez avec
tant d'art. Et le 6. qui est le plus rempli de la
Théologie Payenne. Il n'oublia pas de parcourir.
de même les Géorgiques , dont il pouvoit réciter
plusieurs beaux Endroits , et expliquer le reste ;
préparé d'ailleurs à réciter un nombre prodigieux.
de Piéces de nos Poëtes François qui ont imité
ces celebres Auteurs , ou dont les pensées ont
quelque rapport avec les Passages des Poëtes
Latins.
3. M. de Bernage n'étoit pas moins préparé
sur les Métamorphoses , les Fastes , les Tristes ,
et les Livres de Ponto , d'Ovide . L
4. Pour ne pas passer les bornes d'un Extrait
nous nous contenterons d'indiquer les autres
Poetes , sur lesquels le Répondant étoit préparé.
Tels sont entre les Poëtes Latins , Juvenal, Perse ,
Martial , Catule , Tibule , Pétrone et Phédre . Il
étoit en état d'en réciter un grand nombre de
Piéces , de les expliquer, avec quantité d'autres ,
de rapprocher du Texte latin les endroits de nos
Poetes François qui y ont rapport , sans oublier
les principaux points de Mythologie qui se
trouvent à discuter dans ces Poëtes , et sur lesquels
M. de Bernage étoit prêt de satisfaire.
Entre les Poëtes François qu'il avoit en vûë ,
et que nous rapporterons dans le même ordre
alphabétique , qu'ils se trouvent au commencement
du Programme ; on remarque Boileau ,
Corneille , Deshoulieres , du Cerceau , la Fontaine
, la Mothe , Lingendes , Malherbe , Maynard
, Moliere , Pellegrin, Racan , Racine,Rousseau
, Scarron , Voiture , et un nombre d'autres ,
que nous passons sous silence.
M. de Bernage avoit choisi entre les Orateurs ,
Fiij
Cice316
MERCURE DE FRANCE
Ciceron , dont il pouvoit expliquer un grand
nombre de beaux endroits.
Parmi les Auteurs renommez pour le style
Epistolaire, il s'étoit appliqué à Pline le jeune, et
entre ses Lettres , à celles qui sont les plus remarquables.
;-
Il nous suffira aussi de nommer les Historiens
dont M. de Bernage pouvoit rendre compte ; ils
sont sur l'Histoire Romaine , Tite-Live , Florus ,
Velleius-Paterculus , Salluste , Cesar , Suetone
dans lesquels le Répondant avoit choisi les endroits
les plus considerables , lesquels réunis ,
metrent tout d'un coup sous les yeux une chaîne
et une suite des plus grands Evenemens qui ont
illustré ou obscurci la gloire de Rome , soit pen
dant le tems de ses Rois , soit dans son indépendance
Républicaine , soit pendant le regne de ses.
Empereurs. I joignit à l'Histoire Romaine celled'Alexandre
le Grand , écrite par Quinte -Curce;.
et enfin celle d'un grand nombre de Peuples
écrite par Justin.
Tels sont les principaux Auteurs dont M. de
Bernage rendit compte , dont il récita de mémoi➡
re les endroits les plus beaux et les plus frappans,
qu'il expliqua lorsqu'on le lui demanda Il faut
ajoûter qu'il eut soin à chaque Auteur dont il eut
occasion de parler , de rapporter le jugement
qu'en ont fait les Sçavans et les Critiques.
Entre ceux qui firent à M. Bernage l'honneur
de l'interroger , on distingue MM . les Archevêques
de Toulouse et d'Alby ; et MM . les Evêques
de Beziers , d'Agde , d'Alet , de S. Papoul et de
Viviers ; et pour nous servir des termes d'une
Lettre que nous avons reçûë de Nîmes sur ce sujet ,
il étonna toute l'Assemblée, tant par la quantité des,
choses qu'il sçavoit , que par la maniere aisée avec
laquelle il s'énonça en les expliquant et en les
dé
"
FEVRIER . 1731. 327
développant. Il finit par un remerciment trèscourt
, mais très- bien ménagé à l'Assemblée qui
l'avoit honoré de sa présence et de son attention."
Voici des Stances adressées à M. de Bernage
de S. Maurice , Intendant de Languedoc , à l'oc-'
casion de l'Exercice dont nous venons de rendre
compte. Nous sçavons bon gré à l'Auteur de la
Lettre écrite de Nîmes , qui les a ajoûtées à sa
Lettre en nous envoyant le Programinę.
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Résumé : Programme sur un exercice de Belles Lettres, [titre d'après la table]
Le 21 du mois précédent, M. de Bernage, fils de l'Intendant de la Province de Languedoc, a réalisé un exercice de Belles-Lettres en présence des États assemblés à Montpellier. Cet exercice a mis en lumière ses compétences exceptionnelles pour son âge. M. de Bernage a expliqué et récité des passages d'auteurs latins tels que Horace, Virgile, Ovide, Juvenal, Perse, Martial, Catulle, Tibulle, Pétrone et Phèdre. Il a également interprété des œuvres de poètes français comme Boileau, Corneille, La Fontaine, Molière et Racine. Parmi les orateurs, il a choisi Cicéron, et parmi les auteurs épistoliers, Pline le Jeune. En histoire, il a couvert Tite-Live, Florus, Velleius Paterculus, Salluste, César, Suétone, Quinte-Curce et Justin. M. de Bernage a également rapporté les jugements des savants et des critiques sur chaque auteur mentionné. Lors de cet exercice, M. de Bernage a été interrogé par plusieurs dignitaires ecclésiastiques, notamment les archevêques de Toulouse et d'Alby, ainsi que les évêques de Béziers, d'Agde, d'Alet, de Saint-Papoul et de Viviers. Ces derniers ont été impressionnés par sa connaissance approfondie et sa facilité d'expression. L'exercice s'est conclu par un remerciement adressé à l'assemblée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 469-479
RÉPONSE à la Lettre anonime sur la gloire des Orateurs et des Poëtes, inserée dans le Mercure de Novembre 1730.
Début :
MONSIEUR, Quoique vous preniez plaisir à scandaliser le Public en hazardant une décision [...]
Mots clefs :
Rhéteur, Orateurs, Poètes, Éloquence, Poésie, Rhétorique, Inspiration , Discours
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texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE à la Lettre anonime sur la gloire des Orateurs et des Poëtes, inserée dans le Mercure de Novembre 1730.
REPONSE à la Lettre anonime sur
la gloire des Orateurs et des Poëtes , inserée
dans le Mercure de Novembre 1730.
MONSIE ONSIEUR ,
Quoique vous preniez plaisir à scandaliser
le Public , en hazardant une décision
injuste sur ce qui fait , à peine , la
matiere d'une question , on vous sçait cependant
bon gré de faire marcher les
Orateurs avant les Poëtes à la tête de votre
Lettre , et si vous leur donniez toujours
le pas , elle seroit , ce semble , intitulée
avec plus de raison , sur la gloire des
Orateurs &c. Mais vous vous efforcez de
dégrader
l'Eloquence
par un parallele captieux
qui la représentant
avec ses moindres
attraits , la raproche
d'un enthou ~
siasme dont l'excellence
exagerée se trou-
CV ve
1
470 MERCURE DE FRANCE
ve soutenue des exemples les plus spe
cieux . C'est pourquoi , la seule question
qui se présente aujourd'hui consiste
sçavoir si vous avez atteint à votre but
et je ne crois pas que la décision en soit
difficile.
Pour juger d'abord sainement , il nesuffit
point d'examiner quel est celui des
deux genres , du Discours ou de la Poësie ,
qui demande le plus de talens pour y exceller
? car les plus excellens Poëtes sont
moins redevables de leur mérite à l'art
qu'à la nature , encore en est-il peu du
nombre de ceux dont on peut dire nascuntur
Poeta : nous ne pouvons , au-contraire
, parvenir à la gloire des Orateurs
qu'aprés bien des veilles et bien des travaux:
fiunt Oratores. Il s'agit encore moins
d'examiner quel est le plus utile et le plus
agréable du Discours ou de la Poësie ;
celle- ci peut s'arroger tout au plus l'agréable
, son utilité ne consistant que
dans le plaisir qu'elle donne au Lecteur ;
celui - là , non content de nous plaire ,
nous instruit , nous touche , nous persuade
, et conséquemment tient à des- `
honneur la parité d'objets qu'on lui
donne mal à propos avec la Poësie.
Oiii , Monsieur , la nature semble contribuer
toute seule à la gloire des Poëtes
une naissance heureuse pour la versifica
tion,
MARS. 1731. 471
tion , c'est à quoi peuvent se réduire les
talens des plus illustres , et ils n'ont rien
en cela que de commun avec l'Orateur
qui ne peut être parfait sans avoir des
dispositions naturelles ·la
pour prononciation
, au moins on conviendra que s'il
lui faut pour paroître en Public avec plus
de décence , une voix claire et distincte
et un visage qui n'ait rien de rebutant ;
ce n'est
pas l'Arr qui lui donne ces qualités
; c'est aussi où se termine tout le
parallele qu'on peut faire des Poëtes avec
les Orateurs. L'Eloquence exige bien.
d'autres talens que ceux de la prononciation
, puisqu'elle consiste encore , selon
vous , dans l'invention , la disposition
, l'élocution et la mémoire , que je
ne détaillerai point , il me suffit de vous
dire avec l'Auteur des Refléxions sur l'Eloquence
, qu'outré le naturel , il faut.
encore pour être éloquent beaucoup d'élevation
, un grand feu et une solidité
naturelle d'esprit , qui doit être perfecrionnée
par l'usage du monde , et par une
connoissance profonde des lettres , qu'il
faut aussi une grande étendue de mémoire
et d'imagination , une compréhension
aisée , beaucoup de capacité et d'application
, et que dans cet attachement
au travail et cette assiduité au Cabinet, qui
sont necessaires pour se remplir des connoissances
Cvj
472 MERCURE DE FRANCE
noissances propres à l'Eloquence , il est
bon de puiser dans les sources , d'étudier
à fond les Anciens , principalement ceux
qui sont originaux . Multo labore , assiduo
studio , varia exercitatione , pluribus experimentis
, altissimâ prudentia , potentissimo
consilio constat ars dicendi. * Enfin un enthousiasme
heureux , un beau vertige song
tout le mérite des Poëtes , sic insanire decorum
est. Un Discours Oratoire assujettie
à bien des regles , le bon sens , la prudence
et la sagesse en doivent être le mo
bile , et c'est là ce qu'on peut appeller
des beautés presque toujours inconnuës
aux Poëtes , Eloquentia fundamentum sapientia.
Tout cela n'est encore qu'une foible
ébauche des dispositions requises pour
parvenir à la gloire des Orateurs , et je
ne finirois jamais si j'entrois dans un plus
grand détail ; mais il s'agit de parcourir
votre Lettre .
•
Vous faites d'abord parade des qualités
dont on doit revêtir un Poëme Epique ,
et des beautés qui s'y rencontrent , lorsqu'il
en est revêtu ; si de mon côté je décrivois
ici les regles qu'on doit observer
pour mettre en oeuvre la moindre figure
de Rhétorique , sa beauté , son énergie ,
Fab, L. 2. C. 13.
MARS. 1731. 473
sa force , lorsqu'elle est bien maniée , je
me flatte que cette description ne donneroit
pas moins de relief à ma Lettreque
la peinture du Poëme Epique en donne
à la votre ; mais c'est à quoi je ne m'at
tacherai pas.
Tout ce qui me chagrine , c'est qu'en
parant les Poëtes de tous les talens qui ac
compagnent d'ordinaire l'Eloquence
vous osiez avancer qu'ils les possedent
dans un dégré plus éminent que les Ora
teurs ; car ce prétendu dégré de perfection
ne nous annonce rien autre chose
qu'un enthousiasme , un transport , que Ci
ceron a bien voulu diviniser en faveur
de ceux qui se mêlent de faire des Vers ;
en un mot , un vertige qui renverse l'ordre
de la nature , qui déïfie les plus grands
scelerats ,, qui personifie les choses les
plus idéales , qui change tout enfin , et le
change en faux.
Ce n'eft plus la vapeur qui produit le tonnerré
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre &c.
En verité , Monsieur , je trouve Ciceron
fort à plaindre ; vous vous inscrivez
en faux contre ses Vers , et votre moyen
a Cic. de Orat.
Despr. Art, Poët. Chant fo
est
474 MERCURE DE FRANCE
est fondé sur le deffaut de son imagina→
tion ; vous dépouillez le plus éloquent
des hommes du talent le plus essentiel à
l'Eloquence , et vous refusez une imagi
nation féconde à l'Orateur , dont les discours
sont remplis des plus vives images ;
si vous n'épousiez pas des interêrs Poëtiques
, j'aurois de la peine à vous pardonner
de si grands écarts..
Ignorez- vous qu'un grand Orateur dont
la vraye éloquence n'avoit rien que de
réél , et consistoit à dire les choses comme
elles étoient , qui né dans le sein du Pa
ganisme et de l'idolâtrie avoit néanmoins
sçû préserver son esprit de la contagion ,
et en instruire tout l'Univers par ses Trai
tés admirables de la Nature des Dieux et
de l'immortalité de l'ame , que Ciceron ,
dis-je , ne pouvoit pas astreindre ce mê
me esprit à des fictions ridicules ? il n'étoit
susceptible d'aucuns délires , et sauf
le respect que je dois à Homere , voici
comme s'explique le P. Gautruche : * Les
Grecs inventerent la plupart de ces folies et
de ces superstitions , qui étoient aussi le plus
ordinaire sujet de leurs Foësies , et ensuite
les répandirent par toutes les autres Nations.
Nos Poëtes modernes qui suivant ce
principe n'ont pas le mérite de l'inven-
Hist. Poët. Avantpropos , page 60
tion
MARS. 1731. 475
tion sont réduits à bien peu de choses.
J'avoue qu'il ne faut pas moins d'imagi
nation pour la Poësie que pour l'Eloquence
; mais Ciceron en étoit trop oeconome
pour perdre à cadencer un Vers le
tems précieux que sa docte plume employoit
plus à propos à coucher par écrit
les pensées sublimes qu'un génie fécond
lui suggeroit à tout moment , et si tous
les hommes se le proposoient en cela pour
modele , nous aurions un plus grand nombre
de bons Orateurs et moins de mauvais
Poëtes . La Poësie a d'ailleurs un fort triste
inconvenient , et les magnifiques morceaux
que vous citez n'y apportent aucun
remede ; la mesure d'un Vers qu'il faut
remplir ou qu'il ne faut pas exceder fait
toujours beaucoup perdre à une pensée ou
de sa force ou de sa beauté. Qu'il me soit
permis de vous retorquer ici M. Des
preaux , dont l'autorité cimente mon opinion
; l'excellente Traduction du Rheteur
Longin que nous avons de lui, fait bien
voir le cas qu'il faisoit de l'Eloquence , et
la Satire qu'il adresse à Moliere ne peint
pas avantageusement la Poësie , c'est un
caprice , c'est un Démon qui l'inspire
c'est un feu qui se rallume chez lui , c'est
un torrent qui l'entraîne c'est une de→
mangeaison qui se trouve dans son sang ;
nascuntur Poëta ; et cet excellent Poëte se
récrie
476 MERCURE DE FRANCE.
récrié ainsi dans le fort d'un enthousias
me qui met son esprit à la torture.
Maudit soit le premier dont la verve insensée
Dans les bornes d'un Vers renferma sa pensée,
Et donnant à ses mots une étroite prison
Voulut avec la rime enchaîner la raison.
›
Votre comparaison des Orateurs avec
les Fantassins , et des Poëtes avec les Cavaliers
me réjouit beaucoup , et je com-.
mence à comprendre comment la Prose
n'oblige pas à tant de frais que la Poësie ,
puisque chaque Cavalier doit avoir son
Pegaze , et ce qui m'en plaît davantage
c'est que l'Infanterie est un Corps d'un
plus grand service que la Cavalerie .
De tous les sujets dont vous faites l'énumération
, il n'en est aucun qui ne s'accommodât
aussi bien d'une Prose élegante
que d'une narration Poëtique , et quoique
Moïse , Isaye et David ayent eu quelquefois
recours à la Poësie pour chanter les
loüanges de Dieu , vous ne devez pas bor
ner là toute leur gloire; car ils m'assurent
que lorsqu'il s'agissoit de faire des conquêtes
au Seigneur , ou de contenir les
Peuples qui leur étoient confiés dans le
devoir , ils parloient un tout autre langa
ge- que celui des Muses. Il n'est pas non
plus étonnant que les Héros ayent été flas
τές
MARS. 1731. 477
•
tés de l'espoir de l'immortalité que promet
la Poësie , l'Eloquence n'ayant pas
moins contribué que la valeur à leur Héroïsme
; il n'est , dis -je, pas étonnant que
les Orateurs ayent crû mériter que des
Poëtes employassent leur suffisance et
leurs veilles à les louer dignement.
Plutarque aura de la peine à nous prouver
que les premiers hommes étoient tous
Poëtes , et que l'Histoire même étoit écrite
en Vers. Il ne nous reste aucuns Ouvrages
de ces tèms fabuleux , et le Déluge
universel qui n'épargna rien n'a , ce semble
, respecté Noé et sa famille que parcequ'ils
n'étoient pas Poëtes ; car depuis
eux nous ne voyons plus l'Historien emprunter
le langage des Dieux , et l'Histoire
n'est belle qu'autant qu'elle est
vraye et qu'elle est sincere.
Le Poëme Epique est veritablement le
chef-d'oeuvre de l'esprit humain ; mais
cela ne doit s'entendre que de la Posie ;
car l'Eloquence qui est beaucoup au - dessus
de la Poësie étant aussi du ressort de
l'esprit humain , les chefs-d'oeuvre de
P'Orateur surpassent toujours ceux des
Poëtes. La Poësie elle - même n'est jamais
employée avec plus d'éclat et de succès que
lorsqu'elle est soutenue par l'Eloquence. Y a
t'il , en effet , quelques genres de discours
dont Homere n'ait pris soin de décorer
ses.
478 MERCURE DE FRANCE
ses Poëmes , c'est chez lui qu'on aprend
à estimer les grands Orateurs ; cet illustre
Poëte ne croiroit point la gloire de
ses Héros complette , s'ils ne joignoient'
une éloquence mâle à un courage intrépide
; ce n'est qu'en imitant leurs Harangues
qu'il s'est acquis de la gloire. Pour
se convaincre de ces verités , il suffit de
jetter les yeux sur ses Ouvrages , et l'on
conviendra sans peine que les Orateurs
sont au-dessus des plus grands Poëtes ;
Il fait parler Ulisse , Phenix et Ajax avec
beaucoup de grace , il peint l'art admirable
que le Prince d'Itaque employe à
toucher un homme dur et intraitable
les differentes routes qu'il prend en un
moment pour aller jusqu'au coeur d'Achile
, les differens Rôles qu'il jouë pour
le préparer à ce qu'il veut lui dire , pour´
l'émouvoir , le déterminer enfin et l'entraîner
dans son sentiment ; j'avoue cependant
que le nombre , la cadence et la
mesure qui sont l'attirail ordinaire des
Poëtes , font perdre aur Discours d'Ulisse
beaucoup de sa force et de son énergie ,
et que ces trois illustres personnages qui
étoient députés vers Achille pour l'engager
à reprendre les armes , au lieu de le
toucher et de le convaincre , n'auroient
fait tout au plus que l'émouvoir ou le
réjouir avec un discours revêtu des expressions
MAR. S. 173T.
479%
sions Poëtiques. Quoiqu'il en soit , je veux
croire que la lecture des Poëtes est un
acheminement à l'Eloquence , sur cout
lorsqu'on s'attache à demasquer leurs Ouvrages
et à distinguer l'hyperbole Poërique
d'avec le vrai sublime ; c'est là l'unique
moyen de s'endoctriner avec la Poë--
sie , en lui faisant beaucoup gagner ; l'on
peut même dire que le clinquant des
Poëtes devient un or pur dans les mains
d'un Rhéteur habile..
La suite pour un autre Mercure
la gloire des Orateurs et des Poëtes , inserée
dans le Mercure de Novembre 1730.
MONSIE ONSIEUR ,
Quoique vous preniez plaisir à scandaliser
le Public , en hazardant une décision
injuste sur ce qui fait , à peine , la
matiere d'une question , on vous sçait cependant
bon gré de faire marcher les
Orateurs avant les Poëtes à la tête de votre
Lettre , et si vous leur donniez toujours
le pas , elle seroit , ce semble , intitulée
avec plus de raison , sur la gloire des
Orateurs &c. Mais vous vous efforcez de
dégrader
l'Eloquence
par un parallele captieux
qui la représentant
avec ses moindres
attraits , la raproche
d'un enthou ~
siasme dont l'excellence
exagerée se trou-
CV ve
1
470 MERCURE DE FRANCE
ve soutenue des exemples les plus spe
cieux . C'est pourquoi , la seule question
qui se présente aujourd'hui consiste
sçavoir si vous avez atteint à votre but
et je ne crois pas que la décision en soit
difficile.
Pour juger d'abord sainement , il nesuffit
point d'examiner quel est celui des
deux genres , du Discours ou de la Poësie ,
qui demande le plus de talens pour y exceller
? car les plus excellens Poëtes sont
moins redevables de leur mérite à l'art
qu'à la nature , encore en est-il peu du
nombre de ceux dont on peut dire nascuntur
Poeta : nous ne pouvons , au-contraire
, parvenir à la gloire des Orateurs
qu'aprés bien des veilles et bien des travaux:
fiunt Oratores. Il s'agit encore moins
d'examiner quel est le plus utile et le plus
agréable du Discours ou de la Poësie ;
celle- ci peut s'arroger tout au plus l'agréable
, son utilité ne consistant que
dans le plaisir qu'elle donne au Lecteur ;
celui - là , non content de nous plaire ,
nous instruit , nous touche , nous persuade
, et conséquemment tient à des- `
honneur la parité d'objets qu'on lui
donne mal à propos avec la Poësie.
Oiii , Monsieur , la nature semble contribuer
toute seule à la gloire des Poëtes
une naissance heureuse pour la versifica
tion,
MARS. 1731. 471
tion , c'est à quoi peuvent se réduire les
talens des plus illustres , et ils n'ont rien
en cela que de commun avec l'Orateur
qui ne peut être parfait sans avoir des
dispositions naturelles ·la
pour prononciation
, au moins on conviendra que s'il
lui faut pour paroître en Public avec plus
de décence , une voix claire et distincte
et un visage qui n'ait rien de rebutant ;
ce n'est
pas l'Arr qui lui donne ces qualités
; c'est aussi où se termine tout le
parallele qu'on peut faire des Poëtes avec
les Orateurs. L'Eloquence exige bien.
d'autres talens que ceux de la prononciation
, puisqu'elle consiste encore , selon
vous , dans l'invention , la disposition
, l'élocution et la mémoire , que je
ne détaillerai point , il me suffit de vous
dire avec l'Auteur des Refléxions sur l'Eloquence
, qu'outré le naturel , il faut.
encore pour être éloquent beaucoup d'élevation
, un grand feu et une solidité
naturelle d'esprit , qui doit être perfecrionnée
par l'usage du monde , et par une
connoissance profonde des lettres , qu'il
faut aussi une grande étendue de mémoire
et d'imagination , une compréhension
aisée , beaucoup de capacité et d'application
, et que dans cet attachement
au travail et cette assiduité au Cabinet, qui
sont necessaires pour se remplir des connoissances
Cvj
472 MERCURE DE FRANCE
noissances propres à l'Eloquence , il est
bon de puiser dans les sources , d'étudier
à fond les Anciens , principalement ceux
qui sont originaux . Multo labore , assiduo
studio , varia exercitatione , pluribus experimentis
, altissimâ prudentia , potentissimo
consilio constat ars dicendi. * Enfin un enthousiasme
heureux , un beau vertige song
tout le mérite des Poëtes , sic insanire decorum
est. Un Discours Oratoire assujettie
à bien des regles , le bon sens , la prudence
et la sagesse en doivent être le mo
bile , et c'est là ce qu'on peut appeller
des beautés presque toujours inconnuës
aux Poëtes , Eloquentia fundamentum sapientia.
Tout cela n'est encore qu'une foible
ébauche des dispositions requises pour
parvenir à la gloire des Orateurs , et je
ne finirois jamais si j'entrois dans un plus
grand détail ; mais il s'agit de parcourir
votre Lettre .
•
Vous faites d'abord parade des qualités
dont on doit revêtir un Poëme Epique ,
et des beautés qui s'y rencontrent , lorsqu'il
en est revêtu ; si de mon côté je décrivois
ici les regles qu'on doit observer
pour mettre en oeuvre la moindre figure
de Rhétorique , sa beauté , son énergie ,
Fab, L. 2. C. 13.
MARS. 1731. 473
sa force , lorsqu'elle est bien maniée , je
me flatte que cette description ne donneroit
pas moins de relief à ma Lettreque
la peinture du Poëme Epique en donne
à la votre ; mais c'est à quoi je ne m'at
tacherai pas.
Tout ce qui me chagrine , c'est qu'en
parant les Poëtes de tous les talens qui ac
compagnent d'ordinaire l'Eloquence
vous osiez avancer qu'ils les possedent
dans un dégré plus éminent que les Ora
teurs ; car ce prétendu dégré de perfection
ne nous annonce rien autre chose
qu'un enthousiasme , un transport , que Ci
ceron a bien voulu diviniser en faveur
de ceux qui se mêlent de faire des Vers ;
en un mot , un vertige qui renverse l'ordre
de la nature , qui déïfie les plus grands
scelerats ,, qui personifie les choses les
plus idéales , qui change tout enfin , et le
change en faux.
Ce n'eft plus la vapeur qui produit le tonnerré
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre &c.
En verité , Monsieur , je trouve Ciceron
fort à plaindre ; vous vous inscrivez
en faux contre ses Vers , et votre moyen
a Cic. de Orat.
Despr. Art, Poët. Chant fo
est
474 MERCURE DE FRANCE
est fondé sur le deffaut de son imagina→
tion ; vous dépouillez le plus éloquent
des hommes du talent le plus essentiel à
l'Eloquence , et vous refusez une imagi
nation féconde à l'Orateur , dont les discours
sont remplis des plus vives images ;
si vous n'épousiez pas des interêrs Poëtiques
, j'aurois de la peine à vous pardonner
de si grands écarts..
Ignorez- vous qu'un grand Orateur dont
la vraye éloquence n'avoit rien que de
réél , et consistoit à dire les choses comme
elles étoient , qui né dans le sein du Pa
ganisme et de l'idolâtrie avoit néanmoins
sçû préserver son esprit de la contagion ,
et en instruire tout l'Univers par ses Trai
tés admirables de la Nature des Dieux et
de l'immortalité de l'ame , que Ciceron ,
dis-je , ne pouvoit pas astreindre ce mê
me esprit à des fictions ridicules ? il n'étoit
susceptible d'aucuns délires , et sauf
le respect que je dois à Homere , voici
comme s'explique le P. Gautruche : * Les
Grecs inventerent la plupart de ces folies et
de ces superstitions , qui étoient aussi le plus
ordinaire sujet de leurs Foësies , et ensuite
les répandirent par toutes les autres Nations.
Nos Poëtes modernes qui suivant ce
principe n'ont pas le mérite de l'inven-
Hist. Poët. Avantpropos , page 60
tion
MARS. 1731. 475
tion sont réduits à bien peu de choses.
J'avoue qu'il ne faut pas moins d'imagi
nation pour la Poësie que pour l'Eloquence
; mais Ciceron en étoit trop oeconome
pour perdre à cadencer un Vers le
tems précieux que sa docte plume employoit
plus à propos à coucher par écrit
les pensées sublimes qu'un génie fécond
lui suggeroit à tout moment , et si tous
les hommes se le proposoient en cela pour
modele , nous aurions un plus grand nombre
de bons Orateurs et moins de mauvais
Poëtes . La Poësie a d'ailleurs un fort triste
inconvenient , et les magnifiques morceaux
que vous citez n'y apportent aucun
remede ; la mesure d'un Vers qu'il faut
remplir ou qu'il ne faut pas exceder fait
toujours beaucoup perdre à une pensée ou
de sa force ou de sa beauté. Qu'il me soit
permis de vous retorquer ici M. Des
preaux , dont l'autorité cimente mon opinion
; l'excellente Traduction du Rheteur
Longin que nous avons de lui, fait bien
voir le cas qu'il faisoit de l'Eloquence , et
la Satire qu'il adresse à Moliere ne peint
pas avantageusement la Poësie , c'est un
caprice , c'est un Démon qui l'inspire
c'est un feu qui se rallume chez lui , c'est
un torrent qui l'entraîne c'est une de→
mangeaison qui se trouve dans son sang ;
nascuntur Poëta ; et cet excellent Poëte se
récrie
476 MERCURE DE FRANCE.
récrié ainsi dans le fort d'un enthousias
me qui met son esprit à la torture.
Maudit soit le premier dont la verve insensée
Dans les bornes d'un Vers renferma sa pensée,
Et donnant à ses mots une étroite prison
Voulut avec la rime enchaîner la raison.
›
Votre comparaison des Orateurs avec
les Fantassins , et des Poëtes avec les Cavaliers
me réjouit beaucoup , et je com-.
mence à comprendre comment la Prose
n'oblige pas à tant de frais que la Poësie ,
puisque chaque Cavalier doit avoir son
Pegaze , et ce qui m'en plaît davantage
c'est que l'Infanterie est un Corps d'un
plus grand service que la Cavalerie .
De tous les sujets dont vous faites l'énumération
, il n'en est aucun qui ne s'accommodât
aussi bien d'une Prose élegante
que d'une narration Poëtique , et quoique
Moïse , Isaye et David ayent eu quelquefois
recours à la Poësie pour chanter les
loüanges de Dieu , vous ne devez pas bor
ner là toute leur gloire; car ils m'assurent
que lorsqu'il s'agissoit de faire des conquêtes
au Seigneur , ou de contenir les
Peuples qui leur étoient confiés dans le
devoir , ils parloient un tout autre langa
ge- que celui des Muses. Il n'est pas non
plus étonnant que les Héros ayent été flas
τές
MARS. 1731. 477
•
tés de l'espoir de l'immortalité que promet
la Poësie , l'Eloquence n'ayant pas
moins contribué que la valeur à leur Héroïsme
; il n'est , dis -je, pas étonnant que
les Orateurs ayent crû mériter que des
Poëtes employassent leur suffisance et
leurs veilles à les louer dignement.
Plutarque aura de la peine à nous prouver
que les premiers hommes étoient tous
Poëtes , et que l'Histoire même étoit écrite
en Vers. Il ne nous reste aucuns Ouvrages
de ces tèms fabuleux , et le Déluge
universel qui n'épargna rien n'a , ce semble
, respecté Noé et sa famille que parcequ'ils
n'étoient pas Poëtes ; car depuis
eux nous ne voyons plus l'Historien emprunter
le langage des Dieux , et l'Histoire
n'est belle qu'autant qu'elle est
vraye et qu'elle est sincere.
Le Poëme Epique est veritablement le
chef-d'oeuvre de l'esprit humain ; mais
cela ne doit s'entendre que de la Posie ;
car l'Eloquence qui est beaucoup au - dessus
de la Poësie étant aussi du ressort de
l'esprit humain , les chefs-d'oeuvre de
P'Orateur surpassent toujours ceux des
Poëtes. La Poësie elle - même n'est jamais
employée avec plus d'éclat et de succès que
lorsqu'elle est soutenue par l'Eloquence. Y a
t'il , en effet , quelques genres de discours
dont Homere n'ait pris soin de décorer
ses.
478 MERCURE DE FRANCE
ses Poëmes , c'est chez lui qu'on aprend
à estimer les grands Orateurs ; cet illustre
Poëte ne croiroit point la gloire de
ses Héros complette , s'ils ne joignoient'
une éloquence mâle à un courage intrépide
; ce n'est qu'en imitant leurs Harangues
qu'il s'est acquis de la gloire. Pour
se convaincre de ces verités , il suffit de
jetter les yeux sur ses Ouvrages , et l'on
conviendra sans peine que les Orateurs
sont au-dessus des plus grands Poëtes ;
Il fait parler Ulisse , Phenix et Ajax avec
beaucoup de grace , il peint l'art admirable
que le Prince d'Itaque employe à
toucher un homme dur et intraitable
les differentes routes qu'il prend en un
moment pour aller jusqu'au coeur d'Achile
, les differens Rôles qu'il jouë pour
le préparer à ce qu'il veut lui dire , pour´
l'émouvoir , le déterminer enfin et l'entraîner
dans son sentiment ; j'avoue cependant
que le nombre , la cadence et la
mesure qui sont l'attirail ordinaire des
Poëtes , font perdre aur Discours d'Ulisse
beaucoup de sa force et de son énergie ,
et que ces trois illustres personnages qui
étoient députés vers Achille pour l'engager
à reprendre les armes , au lieu de le
toucher et de le convaincre , n'auroient
fait tout au plus que l'émouvoir ou le
réjouir avec un discours revêtu des expressions
MAR. S. 173T.
479%
sions Poëtiques. Quoiqu'il en soit , je veux
croire que la lecture des Poëtes est un
acheminement à l'Eloquence , sur cout
lorsqu'on s'attache à demasquer leurs Ouvrages
et à distinguer l'hyperbole Poërique
d'avec le vrai sublime ; c'est là l'unique
moyen de s'endoctriner avec la Poë--
sie , en lui faisant beaucoup gagner ; l'on
peut même dire que le clinquant des
Poëtes devient un or pur dans les mains
d'un Rhéteur habile..
La suite pour un autre Mercure
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Résumé : RÉPONSE à la Lettre anonime sur la gloire des Orateurs et des Poëtes, inserée dans le Mercure de Novembre 1730.
Le texte est une réponse à une lettre anonyme publiée dans le Mercure de novembre 1730, qui discutait de la gloire des orateurs et des poètes. L'auteur de la réponse critique l'idée que les poètes soient supérieurs aux orateurs. Il argue que l'éloquence, nécessaire aux orateurs, demande plus de talents et de travail que la poésie. Les poètes bénéficient souvent de dispositions naturelles, tandis que les orateurs doivent acquérir leurs compétences par des efforts soutenus. L'éloquence exige l'invention, la disposition, l'élocution, la mémoire, ainsi qu'une compréhension profonde des lettres et une grande étendue de mémoire et d'imagination. L'auteur souligne également que l'éloquence est utile et instructive, contrairement à la poésie qui se limite au plaisir du lecteur. Il critique l'idée que les poètes possèdent des talents d'éloquence de manière plus éminente, affirmant que l'enthousiasme poétique peut souvent mener à des excès et des fictions ridicules. L'auteur conclut en affirmant que les chefs-d'œuvre des orateurs surpassent ceux des poètes et que la poésie est plus efficace lorsqu'elle est soutenue par l'éloquence.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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13
p. 560-563
Épitaphe de la Dlle Oldfield, Comedienne, [titre d'après la table]
Début :
LE NOUVELLISTE DU PARNASSE, sixiéme Lettre. Nous emprunterons de cette [...]
Mots clefs :
Épitaphes, Anne Oldfield, Théâtre anglais, Actrice, Comédie, Tragédie, Louanges, Poètes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Épitaphe de la Dlle Oldfield, Comedienne, [titre d'après la table]
NOUVELISTE DU PARNASSE,
sixiéme Lettre .
Nous emprunterons
de cette feuille
deux Epitaphes
qui manquent à ce que nous avons dit de la celebre Actrice du
Théatre Anglois dans le Mercure de Novembre
dernier , page 2494. morte à Londres
le 23. Octobre 1730. et inhumée dans
la Chapelle Royale de Westminster
. Le
Nouveliste
compare cette illustre défunte
à notre inimitable
Le Couvreur.
Hic
MARS. 17318 567
Hic juxta requiescit
Tot inter Poëtarum laudata nomina
Anna Oldfield.
>
Nec ipsa minore laude digna
Quippe quæ eorum opera
In Scenam quoties prodivit ,
Illustravit semper et nobilitavit ;
Nunquam ingenium idem ad partes diversissimas
Habilius fuit :
,
Ita tamen ut ad singulas
Non facta , sed nata esse videretur.
In Tragediis
›
Formæ splendor , oris dignitas , incessu
majestas ,
Tanta vocis suavitate temperabantur ,
Ut nemo esset tam agrestis , tam durus
spectator ,
Quin in admirationem totus raperetur ;
In Comoedia autem
Tanta vis , tam venusta hilaritas , tam curiosa
felicitas
Ut neque sufficerent spectando oculi ,
Neque plaudendo manus.
TRADUCTION .
Ici repose parmi les Poëtes les plus renommés
Anne Oldfield , digne de partager leur
gloire , puisqu'elle n'a jamais paru sur la
Scene sans donner un nouvel éclat à leurs
Gj
Onura-
>
562 MERCURE DE FRANCE.
Ouvrages. On ne vit jamais un même génie
saisir tant de Rôles opposés ; elle sembloit
née pour chacun en particulier. Dans le Tragique
, l'éclat de sa beauté , sa noble phisionomie
et son port majestueux étoient temperespar
une voix si charmante , que le plus
feroce spectateur étoit forcé d'admirer ; dans
le Comique , c'étoit une si grande force , un
enjouement si plein de graces , des attraits si
picquans,que les yeux ne pouvoient se lasser
de regarder , ni les mains d'applaudir.
La seconde Epitaphe est en Anglois ;
nous n'en donnerons que cetteTraduction :
Ici repose le corps d'Anne Oldfield , la
plus celebre Actrice , non-seulement de son
tems , mais de tous les tems.
Formée également par la nature et par l'art,
pour plaire , pour engager et interesser tous
les coeurs;
Applaudie dans la vie publique par tous
ceux qui l'ont vuë ,
Aimée dans la vie privée de tous ceux qui
Pont connuë.
{ ELOGE DES NORMANDS , où l'on
trouvera un petit Abregé de leur Histoire
, avec les grands hommes qui en
sont sortis , et les belles qualitês qui doivent
les rendre respectables à l'Univers
entier. Par M. Riviere. A Paris , chez
la
MARS. 1731.
563
la Veuve Guillaume , Quay des Augustins,
1731. broch. de 44. pages in 12.
SIMON et BORDELET , Libraires à Paris, viennent
de réimprîmer les Géorgiques du R. P. Vanier
, Jésuite , avec quelques autres Ouvrages de
cet excellent Poëte Latin , sous ce titre : VANIERII
, Pradium rusticum Editio emendatior cui
accesserunt Libri duo ejusdem opuscula varia.
sixiéme Lettre .
Nous emprunterons
de cette feuille
deux Epitaphes
qui manquent à ce que nous avons dit de la celebre Actrice du
Théatre Anglois dans le Mercure de Novembre
dernier , page 2494. morte à Londres
le 23. Octobre 1730. et inhumée dans
la Chapelle Royale de Westminster
. Le
Nouveliste
compare cette illustre défunte
à notre inimitable
Le Couvreur.
Hic
MARS. 17318 567
Hic juxta requiescit
Tot inter Poëtarum laudata nomina
Anna Oldfield.
>
Nec ipsa minore laude digna
Quippe quæ eorum opera
In Scenam quoties prodivit ,
Illustravit semper et nobilitavit ;
Nunquam ingenium idem ad partes diversissimas
Habilius fuit :
,
Ita tamen ut ad singulas
Non facta , sed nata esse videretur.
In Tragediis
›
Formæ splendor , oris dignitas , incessu
majestas ,
Tanta vocis suavitate temperabantur ,
Ut nemo esset tam agrestis , tam durus
spectator ,
Quin in admirationem totus raperetur ;
In Comoedia autem
Tanta vis , tam venusta hilaritas , tam curiosa
felicitas
Ut neque sufficerent spectando oculi ,
Neque plaudendo manus.
TRADUCTION .
Ici repose parmi les Poëtes les plus renommés
Anne Oldfield , digne de partager leur
gloire , puisqu'elle n'a jamais paru sur la
Scene sans donner un nouvel éclat à leurs
Gj
Onura-
>
562 MERCURE DE FRANCE.
Ouvrages. On ne vit jamais un même génie
saisir tant de Rôles opposés ; elle sembloit
née pour chacun en particulier. Dans le Tragique
, l'éclat de sa beauté , sa noble phisionomie
et son port majestueux étoient temperespar
une voix si charmante , que le plus
feroce spectateur étoit forcé d'admirer ; dans
le Comique , c'étoit une si grande force , un
enjouement si plein de graces , des attraits si
picquans,que les yeux ne pouvoient se lasser
de regarder , ni les mains d'applaudir.
La seconde Epitaphe est en Anglois ;
nous n'en donnerons que cetteTraduction :
Ici repose le corps d'Anne Oldfield , la
plus celebre Actrice , non-seulement de son
tems , mais de tous les tems.
Formée également par la nature et par l'art,
pour plaire , pour engager et interesser tous
les coeurs;
Applaudie dans la vie publique par tous
ceux qui l'ont vuë ,
Aimée dans la vie privée de tous ceux qui
Pont connuë.
{ ELOGE DES NORMANDS , où l'on
trouvera un petit Abregé de leur Histoire
, avec les grands hommes qui en
sont sortis , et les belles qualitês qui doivent
les rendre respectables à l'Univers
entier. Par M. Riviere. A Paris , chez
la
MARS. 1731.
563
la Veuve Guillaume , Quay des Augustins,
1731. broch. de 44. pages in 12.
SIMON et BORDELET , Libraires à Paris, viennent
de réimprîmer les Géorgiques du R. P. Vanier
, Jésuite , avec quelques autres Ouvrages de
cet excellent Poëte Latin , sous ce titre : VANIERII
, Pradium rusticum Editio emendatior cui
accesserunt Libri duo ejusdem opuscula varia.
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Résumé : Épitaphe de la Dlle Oldfield, Comedienne, [titre d'après la table]
Le 'Nouveliste du Parnasse' publie une lettre rendant hommage à l'actrice anglaise Anne Oldfield, décédée à Londres le 23 octobre 1730 et inhumée dans la Chapelle Royale de Westminster. La lettre présente deux épitaphes, l'une en latin et l'autre en français, comparant Oldfield à l'acteur français Le Couvreur. La première épitaphe souligne son talent exceptionnel, affirmant qu'elle illuminait et nobilisait chaque rôle, qu'il soit tragique ou comique. La seconde épitaphe, traduite de l'anglais, la décrit comme la plus célèbre actrice de son temps et de tous les temps, formée par la nature et l'art pour plaire et toucher les cœurs. Le texte mentionne également la réimpression des 'Géorgiques' du Père Vanier par les libraires Simon et Bordelet à Paris.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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14
p. 657-664
SUITE de la Réponse à la Lettre sur la gloire des Orateurs et des Poëtes.
Début :
L'Éloquence de la Chaire et du Barreau sont d'une si grande utilité, [...]
Mots clefs :
Éloquence, Poètes, Orateurs, Chaire, Discours, Racine, Christianisme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE de la Réponse à la Lettre sur la gloire des Orateurs et des Poëtes.
SUITE de la Réponse à la Lettre sur
la gloire des Orateurs et des Poëtes.
L'Eloquence
de la Chaire et du Bary
reau sont d'une si grande utilité
qu'on a une obligation infinie à ceux qui
veulent bien y employer leurs talens ; il
n'en est pas de même des Poëtes , et
quelque préference que vous vous effor-
Bv
ciez
658 MERCURE DE FRANCE.
ciez de donner à Racine sur M. Flechier,
dans l'endroit où ils peignent tous les
deux la puissance du souverain Maître
de l'Univers , je crois que le Discours a
plus fructifié que le Poëme , et si l'un
paroît plus élevé que l'autre , c'est que
les pensées ne sont pas précisement les
mêmes , et que la Chaire de verité qui ne
souffre rien d'enflé , rien d'empoulé , rien
d'allambiqué , ne permettoit pas au sçavant
Evêque de Nîmes , de donner dans
le Phebus ; d'ailleurs on conviendra que
ces images monstrueuses d'un Dieu , tendent
plus à surprendre , qu'à émouvoir
à frapper l'esprit , qu'à toucher le coeur
et à effrayer l'Auditoire , qu'à le convaincre
de la Puissance divine.
Pour fasciner les yeux du Lecteur , vous
analisez les chefs- d'oeuvres des plus grands
Maîtres de la Poësie , vous mettez en oeuvre
tout ce qu'on peut imaginer de speeleux
pour étayer un sentiment ruineux,
et je vois bien qu'on ne pourroit vous
convaincre ' de l'hereticité de votre opinion
, qu'avec l'autorité des exemples ;
mais comme le grand nombre que j'aurois
à citer , si je ne voulois jamais finir ,
m'effraye ; j'ai fermé les yeux sur une
infinité d'éloquens Ouvrages que nous
voyons sortir de l'Académie Françoise
comme les Ruisseaux de leur source
و
et
$
AVRIL 1731. 659
y
et je me suis borné à ce qui suit.
Un de nos Rois qui marchoit à la tête
de son armée , voyant l'Ennemi et l'heure
du combat s'approcher , fait une Harangue
à ses Soldats. J'en appelle au jugement
des fameux Poëtes de l'Antiquité ;
n'invoqueroient-ils pas toutes les Puissances
du Parnasse pour faire parler dignement
ce grand Prince ? Oui , sans doute ,
ils le prépareroient par un talia fatur ou
par quelque chose d'équivalant , à circonstancier
l'approche de l'Ennemi , sans
oublier le son bruyant des Trompettes,
ni l'éclat que leurs Armes reçoivent de
la refléxion du Soleil ; après avoir promené
les Soldats dans tous les endroits
signalez par leurs anciennes Victoires , ils
les reconduiroient au Champ de bataille ,
où par une exageration fastueuse de l'honneur
qu'ils ont d'avoir le Roi à leur tête
et des récompenses qu'ils en peuvent attendre
, ils employeroient tout le tems
du combat à les haranguer. Que ces Nourrissons
des Muses , qui font descendre
leurs Héros dans un détail trop poëtique,
apprennent de ce grand Roi, à ne plus
dégrader l'Eloquence héroïque , il parle
moins qu'eux , et il dit davantage ; écou
tons comme il s'explique. Voila l'Ennemi,
Vous êtes François , je suis votre Roi. Quelle
dignité quelle majesté ! quelle sublimité
B vj tous
660 MERCURE DE FRANCE
tous les Poëtes ensemble feroient de vains
efforts pour nous donner quelque chose
qui approchât de ce Discours ; jamais si
peu de paroles n'ont renfermé un si grand
sens , et cette citation ne vous laissant rien'
à desirer , Monsieur , je me contente de
renvoyer les curieux aux Oraisons Funebres
de M. Flechier , aux Plaidoyers de
Patru , aux Oeuvres de S. Evremont , aux
Caracteres de la Bruyere , et à mille autres
Ouvrages de ce genre , qui préconisent
d'eux- mêmes l'Eloquence , et dont
les beautez frappantes font assez son
éloge.
و J'avoue Monsieur , à la honte du
Christianisme , que l'on fréquente plus
volontiers les Jeux et les Spectacles que
la Maison du Seigneur , et qu'on s'y plaît
davantage ; le fruit qu'on en tire est cependant
bien funeste , et nos Pieces comiques
dont une intrigue amoureuse est
toûjours le mobile , soüillent l'ame , énervent
l'esprit , et corrompent le coeur de
quiconque n'a pas assez de discernement
pour voir que la verité y est toûjours fardée
, et que le crime y prend un caractere
d'héroïsme qu'on ne doit
dre avec la vertu .
pas confon-
Cet abus vient encore de ce qu'on veut
être touché à la Comedie , et se plaire
au Sermon ; si on y assistoit dans un autre
esprit
AVRIL. 1731. 661
esprit , on sortiroit sain et sauf du Spectacle
, et on rapporteroit toûjours de l'Eglise
un exterieur content , un coeur penetré
, un esprit docile et une ame exemte
de soüillure ; la Chaire même et le Bareau
, ont des Sujets capables de nous dédommager
de toute la Poësie du monde ,
il ne faut pas un si grand effort de la raison
pour leur rendre cette justice.
L'indigence des Poëtes n'enrichit certainement
pas leur Panegyrique , et le
langage du Renard de la Fable à l'aspect
d'un Raisin qu'il desire et qu'il ne sçauroit
avoir , contribuë fort peu à leur justification
; il est plus vrai de dire que la
Poësie n'est utile aux Poëtes qu'autant
qu'ils le sont eux-mêmes au Public. L'Eloquence
rend, au contraire , l'Orateur
puissant et recommandable , parce qu'elle
sert à tout. Elle s'occupe aux interêts de
la Religion et à ceux de l'Etat , elle s'attache
à la Campagne aussi- bien qu'au Cabinet
, elle préside aux Etats , elle opine
dans les Conseils de Guerre ,va au combat,
et elle a plus de part au gouvernement
des Royaumes et au Ministere , que les
Ministres mêmes.
les
Jugez après cela si ce n'est pas compromettre
gens d'esprit et de bon gout ,
les Héros et le beau Sexe que de se vanter
de leur suffrage dans une aussi mauvaise
cause,
662 MERCURE DE FRANCE
se . Je suis persuadé qu'ils desavoüent unanimement
votre Lettre , les Dames y ont
sur tout un interêt fort sensible , la Poësie
en fait des portraits grotesques où la
vraisemblance est si peu gardée , que
leur merite seroit encore inconnu , si une
Prose élegante n'avoit pris soin de peindre
le beau Sexe tel qu'il est , c'est- à-dire,
joignant à toutes les
du graces corps les
plus puissans charmes de l'esprit , et cet
usage du monde qu'il faut avoir pour
être parfaitement éloquent , n'étant autre
chose que le commerce des Dames , j'ose
assurer qu'elles prennent plus de part à
la gloire des Orateurs qu'à celle des
Poëtes.
A Dieu ne plaise cependant que j'aye
intention de dégrader la Poësie , je sçais
trop l'estime qu'ont eu pour elle de tout
rems les hommes les plus illustres , mais
je suis bien aise de vous apprendre que
Fes Orateurs étoient si distinguez parmi
les Grecs et les Romains , qu'on faisoit
faire souvent des images , des Statuës et
des Inscriptions à leur honneur , que
leur mérite étoit une voye de parvenir
à tout , même au souverain pouvoir , et
qu'ainsi tout le crédit qu'avoient les Poëtes
à la Cour des plus grands Princes ,
peut s'entendre de l'honneur qu'ils recevoient
le plus souvent de ceux que ?
PE
AVRIL. 173.1 . 663
l'Eloquence avoit élevez à la souveraineté
.
Au reste on peut encore juger de l'éclat
des Orateurs pour l'importance des
personnages que l'on compte parmi eux,
comme les Cesars , les Scipions , les
Gachques , et tant d'autres Romains illustres
d'ailleurs par les plus grands exploits .
La Chaire retentit aussi tous les jours du
nom respectable des Chrisostômes , des
Ambroises , des Gregoires et des saints
Prédicateurs , dont l'eloquence victorieuse
a ravagé tant de consciences , subjugué
tant d'esprits et conquis tant d'ames.
La France enfin nous fournit assez de
preuves , et sans aller plus loin , nous
voyons les trois premiers emplois du
Royaume si bien distribuez , qu'on diroit
que l'Eloquence elle même en estrevêtuë,
Episcopat , le Ministere et les Charges
de Magistrature n'ont rien de trop élevé,
et à quoi ne puisse parvenir un homme
éloquent ; les Poëtes , au contraire , re
sont jamais que des Poëtes , ils n'ont de
rang , de crédit et d'autorité qu'au Par
nasse , tout leur bonheur consiste dans-
Festime qu'on fait d'eux lorsqu'ils s'en
rendent dignes ; et ce prétendu langage
des Dieux , que vous ne pouvez préconiser
qu'avec celui des hommes, c'est-à- dire,
sans le secours de l'Eloquence dont votre
Lettre
664 MERCURE DE FRANCE
Lettre est un modele parfait , suffit pour
faire respecter un talent qu'on ne sçauroit
attaquer qu'en l'opposant à lui - même
; pour moi , Monsieur , qui n'ai d'autre
mérite que le zele , je m'estimerai
très-heureux si le desir que j'ai eu de
vous desabuser , peut vous persuader de
l'estime particuliere avec laquelle j'ai
l'honneur d'être , &c.
J. G. Duchasteau , Bachelier en Droit.
la gloire des Orateurs et des Poëtes.
L'Eloquence
de la Chaire et du Bary
reau sont d'une si grande utilité
qu'on a une obligation infinie à ceux qui
veulent bien y employer leurs talens ; il
n'en est pas de même des Poëtes , et
quelque préference que vous vous effor-
Bv
ciez
658 MERCURE DE FRANCE.
ciez de donner à Racine sur M. Flechier,
dans l'endroit où ils peignent tous les
deux la puissance du souverain Maître
de l'Univers , je crois que le Discours a
plus fructifié que le Poëme , et si l'un
paroît plus élevé que l'autre , c'est que
les pensées ne sont pas précisement les
mêmes , et que la Chaire de verité qui ne
souffre rien d'enflé , rien d'empoulé , rien
d'allambiqué , ne permettoit pas au sçavant
Evêque de Nîmes , de donner dans
le Phebus ; d'ailleurs on conviendra que
ces images monstrueuses d'un Dieu , tendent
plus à surprendre , qu'à émouvoir
à frapper l'esprit , qu'à toucher le coeur
et à effrayer l'Auditoire , qu'à le convaincre
de la Puissance divine.
Pour fasciner les yeux du Lecteur , vous
analisez les chefs- d'oeuvres des plus grands
Maîtres de la Poësie , vous mettez en oeuvre
tout ce qu'on peut imaginer de speeleux
pour étayer un sentiment ruineux,
et je vois bien qu'on ne pourroit vous
convaincre ' de l'hereticité de votre opinion
, qu'avec l'autorité des exemples ;
mais comme le grand nombre que j'aurois
à citer , si je ne voulois jamais finir ,
m'effraye ; j'ai fermé les yeux sur une
infinité d'éloquens Ouvrages que nous
voyons sortir de l'Académie Françoise
comme les Ruisseaux de leur source
و
et
$
AVRIL 1731. 659
y
et je me suis borné à ce qui suit.
Un de nos Rois qui marchoit à la tête
de son armée , voyant l'Ennemi et l'heure
du combat s'approcher , fait une Harangue
à ses Soldats. J'en appelle au jugement
des fameux Poëtes de l'Antiquité ;
n'invoqueroient-ils pas toutes les Puissances
du Parnasse pour faire parler dignement
ce grand Prince ? Oui , sans doute ,
ils le prépareroient par un talia fatur ou
par quelque chose d'équivalant , à circonstancier
l'approche de l'Ennemi , sans
oublier le son bruyant des Trompettes,
ni l'éclat que leurs Armes reçoivent de
la refléxion du Soleil ; après avoir promené
les Soldats dans tous les endroits
signalez par leurs anciennes Victoires , ils
les reconduiroient au Champ de bataille ,
où par une exageration fastueuse de l'honneur
qu'ils ont d'avoir le Roi à leur tête
et des récompenses qu'ils en peuvent attendre
, ils employeroient tout le tems
du combat à les haranguer. Que ces Nourrissons
des Muses , qui font descendre
leurs Héros dans un détail trop poëtique,
apprennent de ce grand Roi, à ne plus
dégrader l'Eloquence héroïque , il parle
moins qu'eux , et il dit davantage ; écou
tons comme il s'explique. Voila l'Ennemi,
Vous êtes François , je suis votre Roi. Quelle
dignité quelle majesté ! quelle sublimité
B vj tous
660 MERCURE DE FRANCE
tous les Poëtes ensemble feroient de vains
efforts pour nous donner quelque chose
qui approchât de ce Discours ; jamais si
peu de paroles n'ont renfermé un si grand
sens , et cette citation ne vous laissant rien'
à desirer , Monsieur , je me contente de
renvoyer les curieux aux Oraisons Funebres
de M. Flechier , aux Plaidoyers de
Patru , aux Oeuvres de S. Evremont , aux
Caracteres de la Bruyere , et à mille autres
Ouvrages de ce genre , qui préconisent
d'eux- mêmes l'Eloquence , et dont
les beautez frappantes font assez son
éloge.
و J'avoue Monsieur , à la honte du
Christianisme , que l'on fréquente plus
volontiers les Jeux et les Spectacles que
la Maison du Seigneur , et qu'on s'y plaît
davantage ; le fruit qu'on en tire est cependant
bien funeste , et nos Pieces comiques
dont une intrigue amoureuse est
toûjours le mobile , soüillent l'ame , énervent
l'esprit , et corrompent le coeur de
quiconque n'a pas assez de discernement
pour voir que la verité y est toûjours fardée
, et que le crime y prend un caractere
d'héroïsme qu'on ne doit
dre avec la vertu .
pas confon-
Cet abus vient encore de ce qu'on veut
être touché à la Comedie , et se plaire
au Sermon ; si on y assistoit dans un autre
esprit
AVRIL. 1731. 661
esprit , on sortiroit sain et sauf du Spectacle
, et on rapporteroit toûjours de l'Eglise
un exterieur content , un coeur penetré
, un esprit docile et une ame exemte
de soüillure ; la Chaire même et le Bareau
, ont des Sujets capables de nous dédommager
de toute la Poësie du monde ,
il ne faut pas un si grand effort de la raison
pour leur rendre cette justice.
L'indigence des Poëtes n'enrichit certainement
pas leur Panegyrique , et le
langage du Renard de la Fable à l'aspect
d'un Raisin qu'il desire et qu'il ne sçauroit
avoir , contribuë fort peu à leur justification
; il est plus vrai de dire que la
Poësie n'est utile aux Poëtes qu'autant
qu'ils le sont eux-mêmes au Public. L'Eloquence
rend, au contraire , l'Orateur
puissant et recommandable , parce qu'elle
sert à tout. Elle s'occupe aux interêts de
la Religion et à ceux de l'Etat , elle s'attache
à la Campagne aussi- bien qu'au Cabinet
, elle préside aux Etats , elle opine
dans les Conseils de Guerre ,va au combat,
et elle a plus de part au gouvernement
des Royaumes et au Ministere , que les
Ministres mêmes.
les
Jugez après cela si ce n'est pas compromettre
gens d'esprit et de bon gout ,
les Héros et le beau Sexe que de se vanter
de leur suffrage dans une aussi mauvaise
cause,
662 MERCURE DE FRANCE
se . Je suis persuadé qu'ils desavoüent unanimement
votre Lettre , les Dames y ont
sur tout un interêt fort sensible , la Poësie
en fait des portraits grotesques où la
vraisemblance est si peu gardée , que
leur merite seroit encore inconnu , si une
Prose élegante n'avoit pris soin de peindre
le beau Sexe tel qu'il est , c'est- à-dire,
joignant à toutes les
du graces corps les
plus puissans charmes de l'esprit , et cet
usage du monde qu'il faut avoir pour
être parfaitement éloquent , n'étant autre
chose que le commerce des Dames , j'ose
assurer qu'elles prennent plus de part à
la gloire des Orateurs qu'à celle des
Poëtes.
A Dieu ne plaise cependant que j'aye
intention de dégrader la Poësie , je sçais
trop l'estime qu'ont eu pour elle de tout
rems les hommes les plus illustres , mais
je suis bien aise de vous apprendre que
Fes Orateurs étoient si distinguez parmi
les Grecs et les Romains , qu'on faisoit
faire souvent des images , des Statuës et
des Inscriptions à leur honneur , que
leur mérite étoit une voye de parvenir
à tout , même au souverain pouvoir , et
qu'ainsi tout le crédit qu'avoient les Poëtes
à la Cour des plus grands Princes ,
peut s'entendre de l'honneur qu'ils recevoient
le plus souvent de ceux que ?
PE
AVRIL. 173.1 . 663
l'Eloquence avoit élevez à la souveraineté
.
Au reste on peut encore juger de l'éclat
des Orateurs pour l'importance des
personnages que l'on compte parmi eux,
comme les Cesars , les Scipions , les
Gachques , et tant d'autres Romains illustres
d'ailleurs par les plus grands exploits .
La Chaire retentit aussi tous les jours du
nom respectable des Chrisostômes , des
Ambroises , des Gregoires et des saints
Prédicateurs , dont l'eloquence victorieuse
a ravagé tant de consciences , subjugué
tant d'esprits et conquis tant d'ames.
La France enfin nous fournit assez de
preuves , et sans aller plus loin , nous
voyons les trois premiers emplois du
Royaume si bien distribuez , qu'on diroit
que l'Eloquence elle même en estrevêtuë,
Episcopat , le Ministere et les Charges
de Magistrature n'ont rien de trop élevé,
et à quoi ne puisse parvenir un homme
éloquent ; les Poëtes , au contraire , re
sont jamais que des Poëtes , ils n'ont de
rang , de crédit et d'autorité qu'au Par
nasse , tout leur bonheur consiste dans-
Festime qu'on fait d'eux lorsqu'ils s'en
rendent dignes ; et ce prétendu langage
des Dieux , que vous ne pouvez préconiser
qu'avec celui des hommes, c'est-à- dire,
sans le secours de l'Eloquence dont votre
Lettre
664 MERCURE DE FRANCE
Lettre est un modele parfait , suffit pour
faire respecter un talent qu'on ne sçauroit
attaquer qu'en l'opposant à lui - même
; pour moi , Monsieur , qui n'ai d'autre
mérite que le zele , je m'estimerai
très-heureux si le desir que j'ai eu de
vous desabuser , peut vous persuader de
l'estime particuliere avec laquelle j'ai
l'honneur d'être , &c.
J. G. Duchasteau , Bachelier en Droit.
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Résumé : SUITE de la Réponse à la Lettre sur la gloire des Orateurs et des Poëtes.
Le texte traite de la comparaison entre l'utilité et la gloire des orateurs et des poètes. L'auteur met en avant l'éloquence de la chaire et du barreau comme étant d'une grande utilité, contrairement à la poésie qui, bien qu'elle puisse surprendre, ne touche pas nécessairement le cœur. Il compare un discours de Racine à un sermon de M. Flechier, estimant que ce dernier a eu plus d'impact. L'auteur critique les poètes pour leur tendance à utiliser des images monstrueuses et à fasciner les lecteurs avec des détails superflus. L'auteur illustre son propos en citant l'exemple d'un roi haranguant ses soldats avant une bataille, montrant que la simplicité et la dignité du discours royal surpassent les ornements poétiques. Il renvoie aux œuvres de Flechier, Patru, Saint-Évremond, et La Bruyère pour illustrer l'éloquence. Le texte aborde également la fréquentation des spectacles et des jeux plutôt que des lieux de culte, soulignant les effets néfastes des pièces comiques sur l'âme et l'esprit. L'auteur affirme que l'éloquence est plus utile et puissante, servant la religion, l'État, et le gouvernement, contrairement à la poésie qui n'enrichit pas son panégyrique. L'auteur mentionne l'importance des orateurs dans l'histoire, citant des figures illustres comme les Césars, les Scipions, et des saints prédicateurs. En France, les emplois élevés comme l'épiscopat, le ministère, et la magistrature sont accessibles aux hommes éloquents, tandis que les poètes restent confinés au Parnasse. Enfin, l'auteur exprime son désir de persuader son interlocuteur de l'estime particulière qu'il porte à l'éloquence, tout en reconnaissant la valeur de la poésie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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15
p. 1284-1303
REPONSE à la Lettre inserée dans le Mercure de Novembre 1730. sur la gloire des Orateurs et des Poëtes.
Début :
N'y aura t'il personne, Monsieur, qui veüille prendre en main les interêts [...]
Mots clefs :
Éloquence, Orateurs, Poètes, Empire des Lettres, Modernes, Anciens, Ouvrages
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REPONSE à la Lettre inserée dans le Mercure de Novembre 1730. sur la gloire des Orateurs et des Poëtes.
REPONSE à la Lettre.inserée dans le
Mercure de Novembre 1739, sur la gloi
re des Orateurs et des Poëtes.
aura t'il
N'qui veuille prendre en main les in
erêts de l'Eloquence , attaquée dans le
Ja Vola
Mer
JUIN De 1731. 1285
Mercure de Novembre dernier ? On y a
donné la préférence aux Poëtes sur les
Orateurs , et c'est là - dessus que je sens
réveiller toute l'ardeur de mon zele ; je
me vois obligé presque malgré moi à
vous déclarer mes sentimens : je dis mal
gré moi , n'aimant pas naturellement à
me produire aux yeux du Public , outre
que la cause qu'il s'agit de soutenir me
paroît fort superieure à la foiblesse de
mes forces ; mais aprés tout , ce seroit ,
à mon avis , une lâcheté que de laisser dé
grader l'Eloquence du haut rang qu'elle a
tenu jusqu'ici , et qu'elle a dû tenir dans
l'Empire des Lettres , soit parmi les An
ciens , soit parmi les Modernes. J'ent e
prens donc de faire valoir les droits de l'E
loquence , et de repondre à tout ce que
l'Auteur de la Lettre , inserée dans le
Mercure, a dit en faveur de la Poësie. Que
si je ne m'acquite pas tout à fait de ce que
j'entreprens , il ne tiendra qu'à vous de
supléer par vôtre pétration et par vos
lumieres , à ce qui manquera à mes Re
flexions et à mes paroles.
On ne me fera point un crime de join
dre ici les Letrres Françoises avec les
Grecques et les Latines : car quelque res
pect que l'on doive aux Anciens , on est ,
ce me semble , convenu dans ce siecle
I. Val.
D vj que
1286 MERCURE DE FRANCE
que les Modernes en approchent d'assés
prés , pour ne leur être point tout à fait
inferieurs. En effet , nous avons d'aussi
habiles Orateurs , et d'aussi grands Poë
tes que l'Antiquité en a eu , non pas tout
à fait , si l'on veut , dans le Poëme Epique,
qui est le seul genre , dans lequel l'Auteur
de la Lettre a fait un préjugé incontesta
ble en faveur des Anciens contre les Mo
dernes , mais dans les autres especes de
Poësie , telles que sont la Tragedie , fa
Comedie , la Satyre , les Fables , dans les
quelles il est certain que nos Auteurs
ont égalé , pour ne pas dire , surpassé les
'Anciens..
Mais , comme il faut se renfermer ici
dans le seul parallele des Orateurs et des
Poëtes , afin de repondre précisement à
la Lettre inserée dans le Mercure , jose
dire hardiment , et sans crainte d'être dé
menti par les connoisseurs habiles et ju
dicieux , que l'Eloquence est en toute
maniere préferable à la Poësie , et voici
sur quelles raisons je fonde la solidité de
mon sentiment.
J'avance premierement , que l'Elo
quence est d'un usage plus utile , plus
étendu , plus important que la Poësie ,
parcequ'elle estproprement et par un titre
particulier , l'arbitre du bon sens , de la
J.Kol verité
JUIN. 1731. 1287
verité , et de la raison ; au lieu que la Poë
sie n'est, à le bien prendre, que l'ouvrage
de l'invention et de l'imagination humai
ne : Car on convient que le but principal
et même unique des Poëtes , est de plaire
par la beauté des images, par les hardiesses
figurées de l'expression et du langage .
C'est ce qu'on peut voir dans le discours
que M. de la Motte a fait sur la Poësie
en general , et qu'il a mis à la tête de ses
Odes : mais l'Eloquence a non seulement
pour objet l'art de plaire , elle triomphe
des Passions , elle se rend maitresse des
volontez ; Ce qui est beaucoup plus no
ble , plus difficile , et demande de plus
grands efforts de la part des Orateurs ,
que de celle des Poëtes qui ne touchent et
ne meuvent que par occasion , et , pour
ainsi dire , par hazard , par la raison qu'ils
ne s'attachent qu'à flatter , qu'à favoriser
les passions , plutôt qu'à les combattre..
En un mot , tout ce qu'il y a de sçavans
hommes demeurent d'accord , que la
Poësie n'est presque qu'un amusement de
PEsprit humain ; que son unique partage
est d'embellir les objets qu'elle represente,
d'où vient que par un abus qui lui est
propre , elle s'employe plus souvent à
farder le vice , qu'à honorer la vertu ;:
mais ils conviennent tous que l'avantage
L. Vol.
de
# 288 MERCURE DE FRANCE
de l'Eloquence est de regner sur l'esprit
des Princes , des Magistrats , et des Peu
ples entiers , de soutenir la raison et la
justice , de faire vouloir aux hommes ce
qu'ils ne vouloient pas , de donner enfin
la Loy aux Coeurs les plus obstinez et les
plus rebelles .
Il s'agit maintenant de ce qu'a dit l'Au
teur de la Lettre , qui rapporte le témoi
gnage de Ciceron , pour faire voir que la
Poësie est un Art divin , qui éleve l'hom
me au dessus de lui-même , et que c'est
dans cette vue qu'il a écrit que les Poëtes
étoient comme animez d'un souffle et
d'un esprit divin , Spiritu quodam divino
affati. Mais à ce témoignage de Ciceron,
j'en oppose un autre qui n'est pas moins
respectable , et qui lui est trés- avantageux
à lui même et à l'Eloquence. C'est celui
du celebre Longin , qui dans le Traité
du Sublime , que M. Despréaux a si bien
traduit en notre langue , a donné la plus
grande idée du merite de Ciceron et de
Demosthéne. Il compare le premier à un
grand embrasement qui dévore et consume
tout ce qu'il rencontre , avec un feu qui ne
s'eteint point , qu'il répand diversement danș
ses ouvrages , et qui à mesure qu'il s'avance,
prend toujours de nouvelles forces. Et pour
Le second , c'est - à-dire , Demosthéne , il le
I. Vol.
compare
JUIN. 1731. 1289
ra
compare à une tempête et à un foudre , à
cause de la violence , de la rapidité , de la
force , et de la vehemence avec laquelle il
vage ,pour ainsi dire,et emporte tout. Demos
théne , dit - il , ayant ramassé en soi toutes les
qualitez d'un Orateur veritablement né aw
sublime , et entierement perfectionné par l'étu
de ; ce ton de majesté , et de grandeur , ces
mouvemens animez , cette fertilité , cette
adresse , cette promptitude , et ce qu'on doit
sur tout estimer en luy , cette force et cette ve
bemence , dont jamais personne n'a pû ap
procher. Par toutes ces divines qualitez ,
que je regarde en effet , dit il , comme autant
derares presens qu'il avoit reçus des Dieux¸et
qu'il ne m'est pas permis d'appeller des qua
linez humaines , il a effacé tout ce qu'il y
a eu d'Orateurs celebres dans tous les siecles,
les laissant comme abbatus ct éblouis , pour
ainsi dire , de ses tonnerres et de ses éclairs ;
car dans les parties où il excelle , il est tel
lement élevé au dessus d'eux , qu'il repare
entierement par là celles qui lui manquent.
Et certainement , ajoute- t'il , il est plus aisé
d'envisager fixement et les yeux ouverts , les
foudres qui tombent du Ciel , que de n'être
point ému des violentes passions qui regnent
en foule dans ses ouvrages .
Tel est le passage de Longin , traduit
dans toute sa force par M. Despreaux
Jo Vola
Quel
1290 MERCURE DE FRANCE
Quelles reflexions ne peut- on pas faire
là dessus ? voilà l'Eloquence traitée de
qualité plus qu'humaine , de qualité divi
ne. la voilà comparée à ce qu'il y a de plus
fort , de plus puissant dans la nature , je
veux dire , aux tempêtes , et aux foudres .
A t'on jamais attribué quelque chose de
semblable à la Poësie ? Et n'est- il pas évi
dent que l'Eloquence a par cet endroit
là un avantage que tous les charmes et
les agrémens de la Poësie ne sçauroient
égaler .
On n'a qu'à se rappeller ici les grands
fuccès qui accompagnoient l'Eloquence de
Ciceron. Ignore- t'on l'avantage qu'il eur,.
en faisant l'Apologie de Ligarius , en pre
sence de Jules - Cesar , son ennemi declaré
, et qui avoit résolu de le proscrire ?
C'étoit dans ce dessein qu'il s'étoit rendu
au Senat ; et malgré tous les mouvemerrs
de sa haine et de son ambition , on vit
eet Empereur , aussi distingué par son
esprit que par ses armes victorieuses ,
rendre hommage, pour ainsi dire , à l'Elo
quence de Ciceron ; laisser tomber le pa
pier qu'il tenoit dans sa main , par la sur
prise où il étoit de voir justifier comme in
nocent celui qu'il avoit regardé comme
coupable.
C'est ainsi que l'Eloquence sçait se ren.
Lo.Vol.
dre ,
JUIN. 1731. 12.9
dre maîtresse des volontez ; et qu'on ne
dise pas que Ciceron ne dût ce succès
qu'à la vehemence de sa prononciation.
Ce n'étoit point le sentiment du grand
Prince de Condé ; Ce Prince aussi céle
bre que Cesar par son génie et par ses
Conquêtes , soutenoit qu'on ne pouvoit
lire les Ouvrages de Ciceron sans en être
ému ; cela fait voir que le talent même
de la prononciation , dont là plûpart des
Poëtes ne font nul usage , n'empêche pas
que les Discours des Orateurs , par la lec
ture qu'on en fait , ne triomphent dans
tous les Pays et dans tous les siecles.
Que dire après cela , du mépris que
l'Auteur de la Lettre fait de la Prose :
qu'il met au - dessous de la versification et
de l'harmonie de la Poësie , comme si
cette harmonie étoit particuliere aux Pdë
tes , et qu'il ne fût pas possible aux Ora
teurs d'enchanter les esprits par les char
mes de la parole ? on sçait , sans doute, ce
qui arriva au fameux Alphonse Roy d'Ar
ragon. Attaqué d'une maladie de lan
gueur qui paroissoit incurable aux Mede
cins , il recouvra sa santé par la lecture
de l'Histoire de Quint Curce : a t'on ja
mais crû que les Histoires appartiennent
à la Poësie ? ne sont-elles pas uniquement
du ressort de l'Eloquence qui sçait ramas
I. Vol
ser
1292 MERCURE DE FRANCE
ser quand elle veut , et les agrémens du
Discours, et les images les plus vives de la
nature.
Quant à ce que l'Auteur a dit de l'en
tousiasme de David et des Prophetes , qui
se sont servis du langage de la Poësie pour
exprimer leurs sentimens , il est aisé de ré
pondre que ce Saint Roy n'écrivit ces
Oracles en vers , que parce qu'il voulut
qu'ils fussent chantez dans les assemblées
du Peuple , et l'on sçait bien que le chant
ne peut se passer de la cadence de la Poë
sie ; mais il ne s'ensuit pas delà , que les
Exhortations des Prophetes n'ayent eu
de la force que parce qu'elles étoient en
vers : au contraire, plusieurs d'entr'eux se
sont servis de la Prose pour parler aux
Peuples , et l'on sent encore, en les lisant
que rien ne manque à la grandeur et à
la majesté qui convenoit à Dieu même
qui les inspiroit.
Il est tems de venir aux Modernes , et
à l'Eloquence de notre siecle. Est- il pos
sible que l'Auteur de la lettre ait si fort.
méconnu le merite de nos Orateurs et de
nos Ecrivains , que de leur préferer les
agrémens de la Poësie ? Croit -il avoir ga
gné sa cause en établissant sur le senti
ment du P. Bouhours , du P. Rapin , de
M. D'Aubignac, que le Poëme Epique est
I. Vola le
JUIN. 1731. 1293
>
le Chef- d'oeuvre de l'esprit humain ? Je
le surpre ndrai bien plus , quand je luy
dirai qu'il y a tel Discours en nôtre lan
gue , tel Panegyrique , telle Harangue
qui est un Chef-d'oeuvre de l'esprit hu
main : et cela est d'autant plus vrai , que
sans avoir recours aux Fables , aux sup
positions , aux chimeres de la Poësie , on
s'en trouve charmé par la seule verité
par la seule force de la parole. Je le re- .
péte: il y a dans ces Discours dont je par
le , autant d'art , de vivacité , de gran
deur , et quelquefois plus , que dans tous.
les Poëmes anciens et modernes.
Que dis - je ? l'Eloquence n'a - t'elle pas
plus de force ordinairement par la liber
té qu'elle a de se tourner de tous côtés ;
de pousser ou de moderer la vigueur et
la rapidité de son style , selon les occa
sions , ou les passions qu'elle fait agir ; on
sçait que dans la Poësie la raison se trouve
enchainée par les loix rigoureuses de la
versification : les plus excellens Poëtes s'en
sont plaints , et ils n'ont pû dissimuler
leur contrainte : mais dans la Prose l'esprit
peut prendre tout son essor , il a le choix
de ces images vives , justes et agréables ,
qui par un doux charme saisissent l'esprit
et le coeur. Dans la Poësie , la nature est
quelquefois si envelopée sous des figures
8
1
3
1
1
1. Vol.
étrangeres ,
1294 MERCURE DE FRANCE
étrangeres , qu'on a de la peine à la récon
noître mais l'Eloquence présente toûjours
une fidele image de la nature , et il n'ap
partient qu'à elle de faire bien valoir la
verité et la raison .
L'Auteur a crû beaucoup avancer en
rapportant quelques endroits d'Homere
et de Racine , qu'il défie nos Ecrivains de
mettre en Prose avec le même succés , mais
il se fait illusion à lui-même. S'il y a des
traits dans les Poëtes que la Prose ne puis
se égaler , on en voit aussi dans les Ora
teurs où la Poësie ne sçauroit atteindre :
cela dépend de la justesse et de la préci
sion avec laquelle les uns et les autres se
sont exprimés . Il est certain que ce qui est
exprimé fortement et noblement dans
une langue ou dans un genre , ne peut
passer avec la même grace dans un autre.
On en voit des preuves dans toutes les
Traductions qu'on a faites des ouvrages
des Anciens et des Modernes : et on a tou
jours été convaincu que les Traductions
mêmes de nos Auteurs François ne valent
pas les Originaux ; il en est de même des
Orateurs et des Poëtes ; mais il ne s'ensuit
point de ce parallele que la Poësie ait au
cun avantage sur l'Eloquence .
Puisque l'Auteur de la Lettre a employé
les citations en faveur de la Poësie , il nous
I. Vol
doit
JUIN. 1731. 1295
par
E doit être permis de les employer aussi
pour l'Eloquence : en voici une d'un Ora
teur celebre qui a été en son temps une
lumiere de l'Eglise ; je parle de M. Bos
suet Evêque de Meaux ; on l'a comparé
à Demosthéne. C'est dans l'Oraison fune
bre de la Reine d'Angleterre
, Epouse
du Roy Charles premier , où ce grand
Prélat , aprés avoir marqué tous les mal
heurs qui arriverent à ce Prince , et sa
détention les Ennemis
de sa person
ne et de son Royaume , s'exprime ainsi .
Le Roy est mené de captivité en captivi
té: et la Reine remue en vain la France ,
la Hollande , la Pologne même , et les Puis
sances du Nord les plus éloignées : elle ranime
les Ecossois , qui arment trente mille hom
mes ; ellefait avec le Duc de Lorraine une
entreprise pour la delivrance du Roy , dont
le succés paroit infaillible , tant le concert en
est justes elle retire ses chers enfans , l'uni
que esperance de sa maison , et confesse cette
fois , que parmi les plus mortelles douleurs ,
on est encore capable de joye : elle console
le Roy , qui lui écrit de saprison même , qu'elle
seule soutient son esprit , et qu'il ne faut
craindre de lui aucune bassesse , parceque
sans cesse il se souvient qu'il est à elle. O
Mere ! O Femme ! O Reine admirable !
et digne d'une meilleure Fortune , si les For
དྲ
3
S
$
i
5
*
I. Vol.
tunes
1296 MERCURE DE FRANCE
tunes de la Terre éroient quelque chose ! en
fin , il faut ceder à vôtre sort ; vous avez as
sés soutenu l'Etat qui est attaqué par uneforce
invincible et divine ; il ne reste plus désor
mais sinon que vous teniez ferme parmi fes
ruines.
Qui cependant , continua t- il , pourroit
exprimer ses juftes douleurs ? Qui pourroit ra
conter ses plaintes t Non , Messieurs , Jere
mie lui-même , qui seul semble être capable
d'égaler les lamentations aux calamitez , ne
suffiroit pas à de tels regrets . Elle s'écrie avec
eeProphéte : Voyez , Seigneur , mon affliction ;
mon ennemi s'est fortifié , et mes enfans sont
perdus ; le cruel amis sa main sacrilege surce
qui m'étoit le plus cher ; la Royauté a été pro
fanée , et les Princes sont foulez aux pieds ;
baiffez-moi , je pleurerai amérement ; n'en
trepenez pas de me consoler : Le glaive afra
pé au dehors , mais je sens en moi - même une
mort semblable.
Voilà l'endroit de M. Boffuet , qu'on
a été obligé de rapporter tout entier , quoi
qu'un peu long. Quelle foule de paffions
& de mouvemens ne voit- on pas dans
cette Description du malheur de ce Prince?
mais quelle addreffe , de s'arrêter tout
d'un coup , pour ne pas raconter la funefte
mort qu'on lui fit souffrir & de relever
par son silence , ce qu'il sentoit bien ne
I. Vel pou
E JUIN. 1731 . 1297
To
T
#
TE
+
"
1
7
pouvoir égaler par fon discours , de passer
enfin à cette apoftrophe imprevûë , par
laquelle il s'écrie , comme s'il eût été hors
de lui- même , O mere ! O femme ! O
Reine admirable , & digne d'une meilleure
fortune , fi les fortunes de la Terre étoient
quelque chose .... On doit admirer encore
l'application merveilleuse qu'il fait à cette
Reine , des expressions de Jeremie , qui
repreſentent fi fortement la grandeur de
son infortune et de ses douleurs . Peut- on
rien voir de plus frappant ? que la Poësie
s'efforce de mettre en Vers cet en
droit , & plufieurs autres qui se trouvent
dans cette Oraison funebre , & dans celle
de la Duchesse d'Orleans qui la suit
immediatement , elle n'en viendra ja
mais à bout.
>
On peut encore se souvenir de celle
du Grand Prince de Condé faite par le
même Prélat , où tout ce que la Guerre
a de plus héroïque , tout ce que l'esprit
& le coeur ont de plus grand se trouve
renfermé de la maniere du monde la plus
vive , sans parler du détail qu'il y fait de
la mort de ce Héros , Ouvrage immor
tel , où l'on a dit avec raison , que cet
admirable Orateur s'étoit surpaffé lui-mê
me. Tout cela est fort au - deffus des agré
mens de la Poësie .
1. Vol.
Que
1298 MERCURE DE FRANCE
Que s'il faut passer aux Orateurs de
notre siécle , qu'y a- t'il de plus beau , de
plus éloquent , de plus sublime , que les
Eloges funebres , composez par M. Fle
chier , Evêque de Nîmes. On sçait qu'il
a porté l'Art de la louange à un point de
perfection , où les Anciens ni les Moder
nes n'ont presque pû atteindre . On n'a
qu'à lire ces Eloges , on y trouvera une
infinité d'endroits que les plus grands
Poëtes auroient bien de la peine à égaler.
Entr'autres , celui - ci qui se voit à la fin de
P'Oraison funebre de la Reine,
Que lui restoit-il à demander à Dieu , dit
il , ou à desirer sur la terre ? Elle voyoit le
Roy au comble des prosperitez humaines ; ai
mé des uns , craint des autres , estimé de tous;
pouvant tout ce qu'il veut , et ne voulant que
ce qu'il doit ; au dessus de tout par sa
gloire , et par sa moderation au dessus de sa
gloire même.
Quelle précision ! Quelle grandeur ! dans
ce peu de mots , qui comprennent tout ce
qu'on a dit de plus beau à la gloire de
Louis le Grand ? mais quelle cadence !
quelle harmonic ! en peut- on trouver da
vantage dans les Poëtes les plus confom
mez ?
Il ne faut qu'ouvrir l'Eloge funebre
qu'il a fait du Grand Turenne. C'est- là
1. Vol.
qu'il
JUIN. 1731. X299
W
qu'il a déployé toute la force de son Art.
Il s'y est élevé aussi haut que la gloire du
Heros qu'il vouloit loüer. En voici des
traits inimitables .
Oùbrillent, dit- il, avecplus d'éclat les effets
glorieux de la vertu Militaire conduites
d'Armées, Sieges de Places , Prises de Villes
Passages de Rivieres : Attaques hardies , Re
traites honorables , Campemens bien ordon
nez , Combats soutenus , Batailles gagnées ,
Ennemis vaincus par la force , dissipez par
Paddresse, lassez et consumez par une sage et
noble patience où peut-on trouver tant et de
si puissans exemples , que dans les actions
d'un Homme sage , liberal , desinterressé
dévoué au Service du Prince & de la Patrie;
grand dans l'adversité par son courage
dans la prosperité par sa modestie , dans.
les difficultez par sa prudence , dans les
perils par sa valeur , dans la Religion par
sa pieté ? ...
Villes , que nos Ennemis s'étoient déja
partagées , vous êtes encore dans l'enceinte de
notre Empire. Provinces qu'ils avoient déja
ravagées dans le desir et dans la pensée , vous
avez encore recueilli vos moissons. Vous du
rez encore , Places que l'Art et la Nature a
fortifiées , et qu'ils avoient dessein de démo
lir et vous n'avez tremblé que sous de
projets frivoles d'un Vainqueur en idée , qui
I.Vol. - E 1 comp
.
333107
1300 MERCURE DE FRANCE .
comptoit le nombre de nos Soldats et qui
ne songeoit pas à la sagesse de leur Capi
taine
د
....
Ilparle , chacun écoute ses Oracles : il com
mande , chacun avec joye suit ses ordres ; il
marche , chacun croit courir à la gloire. On
diroit qu'il va combattre des Rois , confe
derez avec sa seule Maison comme un au
tre Abraham ; que ceux qui le suivent sont
ses Soldats et ses Domestiques , et qu'il est
General et Pere de Famille tout ensem
ble ....
Il se cache ; mais sa réputation le décou
vresilmarche sans suite et sans équipage,mais
chacun dans son esprit le met sur un Char
de Triomphe : On compte en le voyant les
ennemis qu'il a vaincus, nonpas les Serviteurs
qui le suivent tout seul qu'il est , on se figure
autour de lui ses vertus et ses victoires qui
Paccompagnent ; il y a je ne sçai quoi de no
ble dans cette honnête simplicité , et moins
il est superbe , plus il devient venerable ...
L'enviefut étouffée , ou par le mépris qu'il
en fit , ou par des accroissemens perpetuels
d'honneur et de gloire : le merite l'avoit fait
naître , le merite la fit mourir. Ceux qui
lui étoient moins favorables
combien il étoit necessaire à l'Etat ceux
qui ne pouvoient souffrir son élevation se
srurent enfin oblige d'y consentir , et n'o
ont reconnu
د
I. Vol. sens
JUIN. 1731. 1301
sans s'affliger de la prosperité d'un Hom
me qui ne leur avoit jamais donné la mise
rable consolation de se réjouir de quelqu'une
de ses fautes , ils joignirent leur voix à la voix
publique et crurent qu'être fon Ennemi
>
c'étoit l'Etre de toute la France ...
En voilà bien assez , et un peu trop ,
pour faire repentir l'Auteur de la Lettre
du mépris qu'il a fait de l'Eloquence , fion
a cité un peu au long cet éloge de M. de
Turenne c'est que tout le monde con
vient que c'est un chef - d'oeuvre de
l'Esprit humain , et que M. Fléchier s'eſt
immortalisé lui-même , en immortalisant
le Heros .
›
>
On ne dira rien ici du Panegyrique
du Roy par M. Pelisson , qui a été traduit
en toutes sortes de Langues de l'Europe
à l'honneur de la nôtre ni de tant
de Harangues prononcées , soit à l'Aca
demie , soit ailleurs ; cela nous meneroit
trop loin ; mais qu'eft-il besoin de s'é
tendre davantage ? Quel a été jusqu'ici
le but de l'Académie Françoise ? Eft - ce
de cultiver principalement la Poësie , &
de la préferer à l'Eloquence ? qu'on le
demande aux sçavans Hommes qui l'a
composent , Ils diront que c'est l'Elo
quence qui a toujours fait le principal
objet de leurs soins ; qu'ils n'ont rien ou
1. Vol
E ij blié
יכ
LVLM JP 1 дауUD
blié
par leurs
Ecrits
, pour
la rendre
su
blime
, touchante
, et digne
enfin
de toute
la gloire
de
notre
Siècle
. Ils
diront
qu'ils
connoissent
tous
le
mérite
de
la Poësie
.
qu'ils
couronnent
tous
les ans
par
des
prix
;
mais
qu'ils
sont
persuadez
que
l'Eloquence
qui
est
aussi
couronnée
par
leurs
mains
,
est
d'un
usage
plus
étendu
, plus
utile
,
plus
noble
et plus
importants
que
l'on
di
se après
cela
que
la Poësie
eft le langage
des
Dieux
, on répond
que
l'Eloquence
,étant
le
langage
des
Hommes
, & des
Hommes
les
plus
distinguez
, elle
a plus
de droit
sur
leur
estime
, & qu'on
doit
s'attacher
avec
plus
de soin
à la cultiver
et à la maintenir
dans
sa
perfection
.
On doit conclure de tout ce qu'il vient
d'être dit , que la Poësie ne regardant que
le plaisir de l'esprit , et l'Eloquence ayant
pour objet la vérité , la juftice , la vertu et
la sagesse , elle mérite par conséquent
d'être préférée à la Poësie.
On n'a pas eu le tems de s'étendre sur
ce qu'a dit l'Auteur de la Lettre au sujet
des Prédicateurs , qu'il prétend être fades
et ennuyeux , un Amateur des Théatres
et des Operas doit avoir quelque peine à
les gouter ; mais il ne laisse pas d'être vrai
que
que l'Eloquence de la Chaire a été portée
de nos jours à une très grande perfection ;
I. Vol. et
JUIN. 1731. 1303
et qu'on ne sçauroit mépriser les Prédica
teurs , sans se moquer des Saints Peres qui
'en sont les modéles , un Ambroise , un
Cyprien , un Auguſtin , un Chrysostome
que nos Orateurs Chrétiens suivent de
fort près : Ces Grands Hommes ont été
infiniment au dessus de tous les Poëtes.
Le 3. Janvier 1731.
Mercure de Novembre 1739, sur la gloi
re des Orateurs et des Poëtes.
aura t'il
N'qui veuille prendre en main les in
erêts de l'Eloquence , attaquée dans le
Ja Vola
Mer
JUIN De 1731. 1285
Mercure de Novembre dernier ? On y a
donné la préférence aux Poëtes sur les
Orateurs , et c'est là - dessus que je sens
réveiller toute l'ardeur de mon zele ; je
me vois obligé presque malgré moi à
vous déclarer mes sentimens : je dis mal
gré moi , n'aimant pas naturellement à
me produire aux yeux du Public , outre
que la cause qu'il s'agit de soutenir me
paroît fort superieure à la foiblesse de
mes forces ; mais aprés tout , ce seroit ,
à mon avis , une lâcheté que de laisser dé
grader l'Eloquence du haut rang qu'elle a
tenu jusqu'ici , et qu'elle a dû tenir dans
l'Empire des Lettres , soit parmi les An
ciens , soit parmi les Modernes. J'ent e
prens donc de faire valoir les droits de l'E
loquence , et de repondre à tout ce que
l'Auteur de la Lettre , inserée dans le
Mercure, a dit en faveur de la Poësie. Que
si je ne m'acquite pas tout à fait de ce que
j'entreprens , il ne tiendra qu'à vous de
supléer par vôtre pétration et par vos
lumieres , à ce qui manquera à mes Re
flexions et à mes paroles.
On ne me fera point un crime de join
dre ici les Letrres Françoises avec les
Grecques et les Latines : car quelque res
pect que l'on doive aux Anciens , on est ,
ce me semble , convenu dans ce siecle
I. Val.
D vj que
1286 MERCURE DE FRANCE
que les Modernes en approchent d'assés
prés , pour ne leur être point tout à fait
inferieurs. En effet , nous avons d'aussi
habiles Orateurs , et d'aussi grands Poë
tes que l'Antiquité en a eu , non pas tout
à fait , si l'on veut , dans le Poëme Epique,
qui est le seul genre , dans lequel l'Auteur
de la Lettre a fait un préjugé incontesta
ble en faveur des Anciens contre les Mo
dernes , mais dans les autres especes de
Poësie , telles que sont la Tragedie , fa
Comedie , la Satyre , les Fables , dans les
quelles il est certain que nos Auteurs
ont égalé , pour ne pas dire , surpassé les
'Anciens..
Mais , comme il faut se renfermer ici
dans le seul parallele des Orateurs et des
Poëtes , afin de repondre précisement à
la Lettre inserée dans le Mercure , jose
dire hardiment , et sans crainte d'être dé
menti par les connoisseurs habiles et ju
dicieux , que l'Eloquence est en toute
maniere préferable à la Poësie , et voici
sur quelles raisons je fonde la solidité de
mon sentiment.
J'avance premierement , que l'Elo
quence est d'un usage plus utile , plus
étendu , plus important que la Poësie ,
parcequ'elle estproprement et par un titre
particulier , l'arbitre du bon sens , de la
J.Kol verité
JUIN. 1731. 1287
verité , et de la raison ; au lieu que la Poë
sie n'est, à le bien prendre, que l'ouvrage
de l'invention et de l'imagination humai
ne : Car on convient que le but principal
et même unique des Poëtes , est de plaire
par la beauté des images, par les hardiesses
figurées de l'expression et du langage .
C'est ce qu'on peut voir dans le discours
que M. de la Motte a fait sur la Poësie
en general , et qu'il a mis à la tête de ses
Odes : mais l'Eloquence a non seulement
pour objet l'art de plaire , elle triomphe
des Passions , elle se rend maitresse des
volontez ; Ce qui est beaucoup plus no
ble , plus difficile , et demande de plus
grands efforts de la part des Orateurs ,
que de celle des Poëtes qui ne touchent et
ne meuvent que par occasion , et , pour
ainsi dire , par hazard , par la raison qu'ils
ne s'attachent qu'à flatter , qu'à favoriser
les passions , plutôt qu'à les combattre..
En un mot , tout ce qu'il y a de sçavans
hommes demeurent d'accord , que la
Poësie n'est presque qu'un amusement de
PEsprit humain ; que son unique partage
est d'embellir les objets qu'elle represente,
d'où vient que par un abus qui lui est
propre , elle s'employe plus souvent à
farder le vice , qu'à honorer la vertu ;:
mais ils conviennent tous que l'avantage
L. Vol.
de
# 288 MERCURE DE FRANCE
de l'Eloquence est de regner sur l'esprit
des Princes , des Magistrats , et des Peu
ples entiers , de soutenir la raison et la
justice , de faire vouloir aux hommes ce
qu'ils ne vouloient pas , de donner enfin
la Loy aux Coeurs les plus obstinez et les
plus rebelles .
Il s'agit maintenant de ce qu'a dit l'Au
teur de la Lettre , qui rapporte le témoi
gnage de Ciceron , pour faire voir que la
Poësie est un Art divin , qui éleve l'hom
me au dessus de lui-même , et que c'est
dans cette vue qu'il a écrit que les Poëtes
étoient comme animez d'un souffle et
d'un esprit divin , Spiritu quodam divino
affati. Mais à ce témoignage de Ciceron,
j'en oppose un autre qui n'est pas moins
respectable , et qui lui est trés- avantageux
à lui même et à l'Eloquence. C'est celui
du celebre Longin , qui dans le Traité
du Sublime , que M. Despréaux a si bien
traduit en notre langue , a donné la plus
grande idée du merite de Ciceron et de
Demosthéne. Il compare le premier à un
grand embrasement qui dévore et consume
tout ce qu'il rencontre , avec un feu qui ne
s'eteint point , qu'il répand diversement danș
ses ouvrages , et qui à mesure qu'il s'avance,
prend toujours de nouvelles forces. Et pour
Le second , c'est - à-dire , Demosthéne , il le
I. Vol.
compare
JUIN. 1731. 1289
ra
compare à une tempête et à un foudre , à
cause de la violence , de la rapidité , de la
force , et de la vehemence avec laquelle il
vage ,pour ainsi dire,et emporte tout. Demos
théne , dit - il , ayant ramassé en soi toutes les
qualitez d'un Orateur veritablement né aw
sublime , et entierement perfectionné par l'étu
de ; ce ton de majesté , et de grandeur , ces
mouvemens animez , cette fertilité , cette
adresse , cette promptitude , et ce qu'on doit
sur tout estimer en luy , cette force et cette ve
bemence , dont jamais personne n'a pû ap
procher. Par toutes ces divines qualitez ,
que je regarde en effet , dit il , comme autant
derares presens qu'il avoit reçus des Dieux¸et
qu'il ne m'est pas permis d'appeller des qua
linez humaines , il a effacé tout ce qu'il y
a eu d'Orateurs celebres dans tous les siecles,
les laissant comme abbatus ct éblouis , pour
ainsi dire , de ses tonnerres et de ses éclairs ;
car dans les parties où il excelle , il est tel
lement élevé au dessus d'eux , qu'il repare
entierement par là celles qui lui manquent.
Et certainement , ajoute- t'il , il est plus aisé
d'envisager fixement et les yeux ouverts , les
foudres qui tombent du Ciel , que de n'être
point ému des violentes passions qui regnent
en foule dans ses ouvrages .
Tel est le passage de Longin , traduit
dans toute sa force par M. Despreaux
Jo Vola
Quel
1290 MERCURE DE FRANCE
Quelles reflexions ne peut- on pas faire
là dessus ? voilà l'Eloquence traitée de
qualité plus qu'humaine , de qualité divi
ne. la voilà comparée à ce qu'il y a de plus
fort , de plus puissant dans la nature , je
veux dire , aux tempêtes , et aux foudres .
A t'on jamais attribué quelque chose de
semblable à la Poësie ? Et n'est- il pas évi
dent que l'Eloquence a par cet endroit
là un avantage que tous les charmes et
les agrémens de la Poësie ne sçauroient
égaler .
On n'a qu'à se rappeller ici les grands
fuccès qui accompagnoient l'Eloquence de
Ciceron. Ignore- t'on l'avantage qu'il eur,.
en faisant l'Apologie de Ligarius , en pre
sence de Jules - Cesar , son ennemi declaré
, et qui avoit résolu de le proscrire ?
C'étoit dans ce dessein qu'il s'étoit rendu
au Senat ; et malgré tous les mouvemerrs
de sa haine et de son ambition , on vit
eet Empereur , aussi distingué par son
esprit que par ses armes victorieuses ,
rendre hommage, pour ainsi dire , à l'Elo
quence de Ciceron ; laisser tomber le pa
pier qu'il tenoit dans sa main , par la sur
prise où il étoit de voir justifier comme in
nocent celui qu'il avoit regardé comme
coupable.
C'est ainsi que l'Eloquence sçait se ren.
Lo.Vol.
dre ,
JUIN. 1731. 12.9
dre maîtresse des volontez ; et qu'on ne
dise pas que Ciceron ne dût ce succès
qu'à la vehemence de sa prononciation.
Ce n'étoit point le sentiment du grand
Prince de Condé ; Ce Prince aussi céle
bre que Cesar par son génie et par ses
Conquêtes , soutenoit qu'on ne pouvoit
lire les Ouvrages de Ciceron sans en être
ému ; cela fait voir que le talent même
de la prononciation , dont là plûpart des
Poëtes ne font nul usage , n'empêche pas
que les Discours des Orateurs , par la lec
ture qu'on en fait , ne triomphent dans
tous les Pays et dans tous les siecles.
Que dire après cela , du mépris que
l'Auteur de la Lettre fait de la Prose :
qu'il met au - dessous de la versification et
de l'harmonie de la Poësie , comme si
cette harmonie étoit particuliere aux Pdë
tes , et qu'il ne fût pas possible aux Ora
teurs d'enchanter les esprits par les char
mes de la parole ? on sçait , sans doute, ce
qui arriva au fameux Alphonse Roy d'Ar
ragon. Attaqué d'une maladie de lan
gueur qui paroissoit incurable aux Mede
cins , il recouvra sa santé par la lecture
de l'Histoire de Quint Curce : a t'on ja
mais crû que les Histoires appartiennent
à la Poësie ? ne sont-elles pas uniquement
du ressort de l'Eloquence qui sçait ramas
I. Vol
ser
1292 MERCURE DE FRANCE
ser quand elle veut , et les agrémens du
Discours, et les images les plus vives de la
nature.
Quant à ce que l'Auteur a dit de l'en
tousiasme de David et des Prophetes , qui
se sont servis du langage de la Poësie pour
exprimer leurs sentimens , il est aisé de ré
pondre que ce Saint Roy n'écrivit ces
Oracles en vers , que parce qu'il voulut
qu'ils fussent chantez dans les assemblées
du Peuple , et l'on sçait bien que le chant
ne peut se passer de la cadence de la Poë
sie ; mais il ne s'ensuit pas delà , que les
Exhortations des Prophetes n'ayent eu
de la force que parce qu'elles étoient en
vers : au contraire, plusieurs d'entr'eux se
sont servis de la Prose pour parler aux
Peuples , et l'on sent encore, en les lisant
que rien ne manque à la grandeur et à
la majesté qui convenoit à Dieu même
qui les inspiroit.
Il est tems de venir aux Modernes , et
à l'Eloquence de notre siecle. Est- il pos
sible que l'Auteur de la lettre ait si fort.
méconnu le merite de nos Orateurs et de
nos Ecrivains , que de leur préferer les
agrémens de la Poësie ? Croit -il avoir ga
gné sa cause en établissant sur le senti
ment du P. Bouhours , du P. Rapin , de
M. D'Aubignac, que le Poëme Epique est
I. Vola le
JUIN. 1731. 1293
>
le Chef- d'oeuvre de l'esprit humain ? Je
le surpre ndrai bien plus , quand je luy
dirai qu'il y a tel Discours en nôtre lan
gue , tel Panegyrique , telle Harangue
qui est un Chef-d'oeuvre de l'esprit hu
main : et cela est d'autant plus vrai , que
sans avoir recours aux Fables , aux sup
positions , aux chimeres de la Poësie , on
s'en trouve charmé par la seule verité
par la seule force de la parole. Je le re- .
péte: il y a dans ces Discours dont je par
le , autant d'art , de vivacité , de gran
deur , et quelquefois plus , que dans tous.
les Poëmes anciens et modernes.
Que dis - je ? l'Eloquence n'a - t'elle pas
plus de force ordinairement par la liber
té qu'elle a de se tourner de tous côtés ;
de pousser ou de moderer la vigueur et
la rapidité de son style , selon les occa
sions , ou les passions qu'elle fait agir ; on
sçait que dans la Poësie la raison se trouve
enchainée par les loix rigoureuses de la
versification : les plus excellens Poëtes s'en
sont plaints , et ils n'ont pû dissimuler
leur contrainte : mais dans la Prose l'esprit
peut prendre tout son essor , il a le choix
de ces images vives , justes et agréables ,
qui par un doux charme saisissent l'esprit
et le coeur. Dans la Poësie , la nature est
quelquefois si envelopée sous des figures
8
1
3
1
1
1. Vol.
étrangeres ,
1294 MERCURE DE FRANCE
étrangeres , qu'on a de la peine à la récon
noître mais l'Eloquence présente toûjours
une fidele image de la nature , et il n'ap
partient qu'à elle de faire bien valoir la
verité et la raison .
L'Auteur a crû beaucoup avancer en
rapportant quelques endroits d'Homere
et de Racine , qu'il défie nos Ecrivains de
mettre en Prose avec le même succés , mais
il se fait illusion à lui-même. S'il y a des
traits dans les Poëtes que la Prose ne puis
se égaler , on en voit aussi dans les Ora
teurs où la Poësie ne sçauroit atteindre :
cela dépend de la justesse et de la préci
sion avec laquelle les uns et les autres se
sont exprimés . Il est certain que ce qui est
exprimé fortement et noblement dans
une langue ou dans un genre , ne peut
passer avec la même grace dans un autre.
On en voit des preuves dans toutes les
Traductions qu'on a faites des ouvrages
des Anciens et des Modernes : et on a tou
jours été convaincu que les Traductions
mêmes de nos Auteurs François ne valent
pas les Originaux ; il en est de même des
Orateurs et des Poëtes ; mais il ne s'ensuit
point de ce parallele que la Poësie ait au
cun avantage sur l'Eloquence .
Puisque l'Auteur de la Lettre a employé
les citations en faveur de la Poësie , il nous
I. Vol
doit
JUIN. 1731. 1295
par
E doit être permis de les employer aussi
pour l'Eloquence : en voici une d'un Ora
teur celebre qui a été en son temps une
lumiere de l'Eglise ; je parle de M. Bos
suet Evêque de Meaux ; on l'a comparé
à Demosthéne. C'est dans l'Oraison fune
bre de la Reine d'Angleterre
, Epouse
du Roy Charles premier , où ce grand
Prélat , aprés avoir marqué tous les mal
heurs qui arriverent à ce Prince , et sa
détention les Ennemis
de sa person
ne et de son Royaume , s'exprime ainsi .
Le Roy est mené de captivité en captivi
té: et la Reine remue en vain la France ,
la Hollande , la Pologne même , et les Puis
sances du Nord les plus éloignées : elle ranime
les Ecossois , qui arment trente mille hom
mes ; ellefait avec le Duc de Lorraine une
entreprise pour la delivrance du Roy , dont
le succés paroit infaillible , tant le concert en
est justes elle retire ses chers enfans , l'uni
que esperance de sa maison , et confesse cette
fois , que parmi les plus mortelles douleurs ,
on est encore capable de joye : elle console
le Roy , qui lui écrit de saprison même , qu'elle
seule soutient son esprit , et qu'il ne faut
craindre de lui aucune bassesse , parceque
sans cesse il se souvient qu'il est à elle. O
Mere ! O Femme ! O Reine admirable !
et digne d'une meilleure Fortune , si les For
དྲ
3
S
$
i
5
*
I. Vol.
tunes
1296 MERCURE DE FRANCE
tunes de la Terre éroient quelque chose ! en
fin , il faut ceder à vôtre sort ; vous avez as
sés soutenu l'Etat qui est attaqué par uneforce
invincible et divine ; il ne reste plus désor
mais sinon que vous teniez ferme parmi fes
ruines.
Qui cependant , continua t- il , pourroit
exprimer ses juftes douleurs ? Qui pourroit ra
conter ses plaintes t Non , Messieurs , Jere
mie lui-même , qui seul semble être capable
d'égaler les lamentations aux calamitez , ne
suffiroit pas à de tels regrets . Elle s'écrie avec
eeProphéte : Voyez , Seigneur , mon affliction ;
mon ennemi s'est fortifié , et mes enfans sont
perdus ; le cruel amis sa main sacrilege surce
qui m'étoit le plus cher ; la Royauté a été pro
fanée , et les Princes sont foulez aux pieds ;
baiffez-moi , je pleurerai amérement ; n'en
trepenez pas de me consoler : Le glaive afra
pé au dehors , mais je sens en moi - même une
mort semblable.
Voilà l'endroit de M. Boffuet , qu'on
a été obligé de rapporter tout entier , quoi
qu'un peu long. Quelle foule de paffions
& de mouvemens ne voit- on pas dans
cette Description du malheur de ce Prince?
mais quelle addreffe , de s'arrêter tout
d'un coup , pour ne pas raconter la funefte
mort qu'on lui fit souffrir & de relever
par son silence , ce qu'il sentoit bien ne
I. Vel pou
E JUIN. 1731 . 1297
To
T
#
TE
+
"
1
7
pouvoir égaler par fon discours , de passer
enfin à cette apoftrophe imprevûë , par
laquelle il s'écrie , comme s'il eût été hors
de lui- même , O mere ! O femme ! O
Reine admirable , & digne d'une meilleure
fortune , fi les fortunes de la Terre étoient
quelque chose .... On doit admirer encore
l'application merveilleuse qu'il fait à cette
Reine , des expressions de Jeremie , qui
repreſentent fi fortement la grandeur de
son infortune et de ses douleurs . Peut- on
rien voir de plus frappant ? que la Poësie
s'efforce de mettre en Vers cet en
droit , & plufieurs autres qui se trouvent
dans cette Oraison funebre , & dans celle
de la Duchesse d'Orleans qui la suit
immediatement , elle n'en viendra ja
mais à bout.
>
On peut encore se souvenir de celle
du Grand Prince de Condé faite par le
même Prélat , où tout ce que la Guerre
a de plus héroïque , tout ce que l'esprit
& le coeur ont de plus grand se trouve
renfermé de la maniere du monde la plus
vive , sans parler du détail qu'il y fait de
la mort de ce Héros , Ouvrage immor
tel , où l'on a dit avec raison , que cet
admirable Orateur s'étoit surpaffé lui-mê
me. Tout cela est fort au - deffus des agré
mens de la Poësie .
1. Vol.
Que
1298 MERCURE DE FRANCE
Que s'il faut passer aux Orateurs de
notre siécle , qu'y a- t'il de plus beau , de
plus éloquent , de plus sublime , que les
Eloges funebres , composez par M. Fle
chier , Evêque de Nîmes. On sçait qu'il
a porté l'Art de la louange à un point de
perfection , où les Anciens ni les Moder
nes n'ont presque pû atteindre . On n'a
qu'à lire ces Eloges , on y trouvera une
infinité d'endroits que les plus grands
Poëtes auroient bien de la peine à égaler.
Entr'autres , celui - ci qui se voit à la fin de
P'Oraison funebre de la Reine,
Que lui restoit-il à demander à Dieu , dit
il , ou à desirer sur la terre ? Elle voyoit le
Roy au comble des prosperitez humaines ; ai
mé des uns , craint des autres , estimé de tous;
pouvant tout ce qu'il veut , et ne voulant que
ce qu'il doit ; au dessus de tout par sa
gloire , et par sa moderation au dessus de sa
gloire même.
Quelle précision ! Quelle grandeur ! dans
ce peu de mots , qui comprennent tout ce
qu'on a dit de plus beau à la gloire de
Louis le Grand ? mais quelle cadence !
quelle harmonic ! en peut- on trouver da
vantage dans les Poëtes les plus confom
mez ?
Il ne faut qu'ouvrir l'Eloge funebre
qu'il a fait du Grand Turenne. C'est- là
1. Vol.
qu'il
JUIN. 1731. X299
W
qu'il a déployé toute la force de son Art.
Il s'y est élevé aussi haut que la gloire du
Heros qu'il vouloit loüer. En voici des
traits inimitables .
Oùbrillent, dit- il, avecplus d'éclat les effets
glorieux de la vertu Militaire conduites
d'Armées, Sieges de Places , Prises de Villes
Passages de Rivieres : Attaques hardies , Re
traites honorables , Campemens bien ordon
nez , Combats soutenus , Batailles gagnées ,
Ennemis vaincus par la force , dissipez par
Paddresse, lassez et consumez par une sage et
noble patience où peut-on trouver tant et de
si puissans exemples , que dans les actions
d'un Homme sage , liberal , desinterressé
dévoué au Service du Prince & de la Patrie;
grand dans l'adversité par son courage
dans la prosperité par sa modestie , dans.
les difficultez par sa prudence , dans les
perils par sa valeur , dans la Religion par
sa pieté ? ...
Villes , que nos Ennemis s'étoient déja
partagées , vous êtes encore dans l'enceinte de
notre Empire. Provinces qu'ils avoient déja
ravagées dans le desir et dans la pensée , vous
avez encore recueilli vos moissons. Vous du
rez encore , Places que l'Art et la Nature a
fortifiées , et qu'ils avoient dessein de démo
lir et vous n'avez tremblé que sous de
projets frivoles d'un Vainqueur en idée , qui
I.Vol. - E 1 comp
.
333107
1300 MERCURE DE FRANCE .
comptoit le nombre de nos Soldats et qui
ne songeoit pas à la sagesse de leur Capi
taine
د
....
Ilparle , chacun écoute ses Oracles : il com
mande , chacun avec joye suit ses ordres ; il
marche , chacun croit courir à la gloire. On
diroit qu'il va combattre des Rois , confe
derez avec sa seule Maison comme un au
tre Abraham ; que ceux qui le suivent sont
ses Soldats et ses Domestiques , et qu'il est
General et Pere de Famille tout ensem
ble ....
Il se cache ; mais sa réputation le décou
vresilmarche sans suite et sans équipage,mais
chacun dans son esprit le met sur un Char
de Triomphe : On compte en le voyant les
ennemis qu'il a vaincus, nonpas les Serviteurs
qui le suivent tout seul qu'il est , on se figure
autour de lui ses vertus et ses victoires qui
Paccompagnent ; il y a je ne sçai quoi de no
ble dans cette honnête simplicité , et moins
il est superbe , plus il devient venerable ...
L'enviefut étouffée , ou par le mépris qu'il
en fit , ou par des accroissemens perpetuels
d'honneur et de gloire : le merite l'avoit fait
naître , le merite la fit mourir. Ceux qui
lui étoient moins favorables
combien il étoit necessaire à l'Etat ceux
qui ne pouvoient souffrir son élevation se
srurent enfin oblige d'y consentir , et n'o
ont reconnu
د
I. Vol. sens
JUIN. 1731. 1301
sans s'affliger de la prosperité d'un Hom
me qui ne leur avoit jamais donné la mise
rable consolation de se réjouir de quelqu'une
de ses fautes , ils joignirent leur voix à la voix
publique et crurent qu'être fon Ennemi
>
c'étoit l'Etre de toute la France ...
En voilà bien assez , et un peu trop ,
pour faire repentir l'Auteur de la Lettre
du mépris qu'il a fait de l'Eloquence , fion
a cité un peu au long cet éloge de M. de
Turenne c'est que tout le monde con
vient que c'est un chef - d'oeuvre de
l'Esprit humain , et que M. Fléchier s'eſt
immortalisé lui-même , en immortalisant
le Heros .
›
>
On ne dira rien ici du Panegyrique
du Roy par M. Pelisson , qui a été traduit
en toutes sortes de Langues de l'Europe
à l'honneur de la nôtre ni de tant
de Harangues prononcées , soit à l'Aca
demie , soit ailleurs ; cela nous meneroit
trop loin ; mais qu'eft-il besoin de s'é
tendre davantage ? Quel a été jusqu'ici
le but de l'Académie Françoise ? Eft - ce
de cultiver principalement la Poësie , &
de la préferer à l'Eloquence ? qu'on le
demande aux sçavans Hommes qui l'a
composent , Ils diront que c'est l'Elo
quence qui a toujours fait le principal
objet de leurs soins ; qu'ils n'ont rien ou
1. Vol
E ij blié
יכ
LVLM JP 1 дауUD
blié
par leurs
Ecrits
, pour
la rendre
su
blime
, touchante
, et digne
enfin
de toute
la gloire
de
notre
Siècle
. Ils
diront
qu'ils
connoissent
tous
le
mérite
de
la Poësie
.
qu'ils
couronnent
tous
les ans
par
des
prix
;
mais
qu'ils
sont
persuadez
que
l'Eloquence
qui
est
aussi
couronnée
par
leurs
mains
,
est
d'un
usage
plus
étendu
, plus
utile
,
plus
noble
et plus
importants
que
l'on
di
se après
cela
que
la Poësie
eft le langage
des
Dieux
, on répond
que
l'Eloquence
,étant
le
langage
des
Hommes
, & des
Hommes
les
plus
distinguez
, elle
a plus
de droit
sur
leur
estime
, & qu'on
doit
s'attacher
avec
plus
de soin
à la cultiver
et à la maintenir
dans
sa
perfection
.
On doit conclure de tout ce qu'il vient
d'être dit , que la Poësie ne regardant que
le plaisir de l'esprit , et l'Eloquence ayant
pour objet la vérité , la juftice , la vertu et
la sagesse , elle mérite par conséquent
d'être préférée à la Poësie.
On n'a pas eu le tems de s'étendre sur
ce qu'a dit l'Auteur de la Lettre au sujet
des Prédicateurs , qu'il prétend être fades
et ennuyeux , un Amateur des Théatres
et des Operas doit avoir quelque peine à
les gouter ; mais il ne laisse pas d'être vrai
que
que l'Eloquence de la Chaire a été portée
de nos jours à une très grande perfection ;
I. Vol. et
JUIN. 1731. 1303
et qu'on ne sçauroit mépriser les Prédica
teurs , sans se moquer des Saints Peres qui
'en sont les modéles , un Ambroise , un
Cyprien , un Auguſtin , un Chrysostome
que nos Orateurs Chrétiens suivent de
fort près : Ces Grands Hommes ont été
infiniment au dessus de tous les Poëtes.
Le 3. Janvier 1731.
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Résumé : REPONSE à la Lettre inserée dans le Mercure de Novembre 1730. sur la gloire des Orateurs et des Poëtes.
Le texte est une réponse à une lettre publiée dans le Mercure de Novembre 1739, qui accordait la préférence aux poètes sur les orateurs. L'auteur, bien que réticent à s'exprimer publiquement, se sent obligé de défendre l'éloquence contre cette dépréciation. Il affirme que l'éloquence a toujours occupé une place supérieure dans l'Empire des Lettres, tant chez les Anciens que chez les Modernes. L'auteur soutient que l'éloquence est plus utile et plus importante que la poésie, car elle est l'arbitre du bon sens, de la vérité et de la raison. Contrairement à la poésie, qui se limite à plaire par la beauté des images et l'imagination, l'éloquence triomphe des passions et maîtrise les volontés. Il cite des exemples comme Cicéron, dont l'éloquence a su convaincre Jules César, et Démosthène, comparé à une tempête par Longin. Le texte critique également l'idée que la poésie est un art divin, en opposant le témoignage de Cicéron à celui de Longin sur Démosthène. Il souligne que l'éloquence a un pouvoir supérieur, capable de régner sur les esprits des princes, des magistrats et des peuples. En ce qui concerne les Modernes, l'auteur affirme que les orateurs et écrivains français sont aussi habiles que les Anciens. Il mentionne que des discours en prose peuvent être des chefs-d'œuvre de l'esprit humain, sans recourir aux fables et aux suppositions de la poésie. Il conclut en affirmant que l'éloquence a plus de force et de liberté d'expression que la poésie, qui est contrainte par les lois de la versification. Le texte présente également des exemples d'orateurs célèbres, comme Bossuet, évêque de Meaux, comparé à Démosthène, et son oraison funèbre pour la reine d'Angleterre, épouse du roi Charles Ier. Bossuet y décrit les malheurs du roi, sa captivité et les efforts vains de la reine pour le libérer. Il exprime l'admiration pour la reine et la force de son esprit malgré les épreuves. Le texte souligne également l'éloquence de Bossuet dans d'autres discours, comme celui pour le prince de Condé, où il dépeint héroïquement la guerre et la mort du héros. Le texte mentionne ensuite Flechier, évêque de Nîmes, et ses éloges funèbres, notamment celui de la reine et du maréchal Turenne, où il atteint une grande perfection dans l'art de la louange. Il insiste sur la supériorité de l'éloquence sur la poésie, car elle traite de la vérité, de la justice, de la vertu et de la sagesse, contrairement à la poésie qui se limite au plaisir de l'esprit. Il conclut en affirmant que l'éloquence est plus utile et noble, et qu'elle mérite d'être cultivée avec soin. Enfin, il mentionne brièvement la perfection atteinte par l'éloquence de la chaire et les grands prédicateurs chrétiens.
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16
p. 1557-1560
NOUVEAU REGLEMENT pour le Palinod de l'Université de Caën, et Avis aux Poëtes.
Début :
Les Poëtes les plus distingués se sont fait dans tous les tems un honneur d'envoyer des pieces [...]
Mots clefs :
Poètes, Ode alcaïque, Ode Iambique, Chant, Sonnet, Dizain, Ode française, Ballade
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : NOUVEAU REGLEMENT pour le Palinod de l'Université de Caën, et Avis aux Poëtes.
NOUVEAU REGLEMENT
pour le Palinod de l'Université de Caën ,
et Avis aux Poëtes.
›
LES
Es Poëtes les plus distingués se sont fait dans
tous les tems un honneur d'envoyer des pieces
remporter des Prix au Palinod , entr'au
tres les Marot les Corneille , les Huet , les
Duc de Saint Aignan , les Segrais , &c...
et de
>
Pour rendre cette Cérémonie plus interessante,
et pour exciter l'émulation des Poëtes qui parois
soit un peu se ralentir , l'Université vient de sta◄
tuer , le 19. Mai 1731. ) qu'à l'avenir les Prix
seront distribuez le jour même que se tient le Pa
finod , c'est- à - dire , le jour de la Conception de
la Sainte Vierge : on ne lira sur le Pui , que les
Pieces qui auront remporté les Prix , et celles qui
en auront approché ; Aussi - tôt après on fera
imprimer les Pieces couronnées , et quelques -unes
des meilleures à la suite , si elles sont jugées di
gnes de l'impression.
En consequence du même Reglement, les Poë
tes envoyeront leurs Pieces depuis le commence
II. Vol.
ment G
1558 MERCURE DE FRANCÈ
ment d'Octobre , jusqu'à la . Saint Martin , lequel
tems expiré , on n'en recevra plus pour le pro
chain Palinod. Ils les adresseront au Secretaire
de l'Université , quien donnera son récépissé , el
les seront affranchies de port , faute de quoi el
les seront mises au rebut , sans être iûes : ils ne
mettront point leur nom à leurs Pieces , mais seu
lement une Sentence et quelques chiffres , sans se
faire connoître avant le jugement , à peine de
perdre le prix ; et pour se faire connoître avant
le jugement , ils présenteront ou feront présenter
les mêmes Sentences et chiffres écrits de la même
main.
Le jour du Palinod , les Prix seront donnés
immédiatement après la lecture des Pieces , si les
Auteurs sont présens et qu'ils se fassent connoître ;
sinon ils resteront entre les mains du Secretaire
de l'Université , pour être distribués , à l'ordre de
M. le Recteur, lorsque les Auteurs seront connus.
Il y a lieu d'efperer que les Poëtes furs d'ê
tre récompenfez promptement & publique
ment , vont travailler avec une nouvelle ar
deur ; on a cru devoir ajoûter ce qui fuit en fa
veur de ceux qui ne feroient pas au fait des
ufages de cet établissement..
2
Il y a des Prix fondés pour huit sortes de Pie
ces , Epigramme Latine Chant Royal , Bal
lade , Sonner , Dizain , Ode Françoise , Ode en
Vers Alcaïques , et Ode en Vers Iambes.
Les Poëtes doivent prendre pour argument de
leurs Pieces , quelque sujet qui puisse faire al
lusion à l'Immaculée Conception de la Sainte
Vierge ; par exemple , si l'on prend pour sujet de
l'Epigramme Latine , Jonas in utero Ceri inco
lumis , l'allusion pourra être , Bellua nil vati
nocuit , nil culpa Maria
11. Vol. L'Epigramme
JUIN. 1731
T
1559
L'Epigramme Latine doit être de trente
Vers , ni plus ni moins , y compris l'allusion .
Le Chint Royal doit être de cinq Strophes ,non
comprise l'allusion , chaque Strophe est compo
sée d'onze Vers de dix syllabes ; le dernier Vers,
qui est le refrein doit être feminin ; il doit y avoir
un repos à la fin des cinquième et huitiéme Vers.
L'usage est que le cinquième Vers soit masculin ;
les sixième et septiéme feminins et de même ri
me , et tous les autres entremêléz à la volonté du
Poëte. L'allusion peut contenir une sixieme stro
phe entiere , ou du moins une derniere moitié de
Strophe , qui est de six Vers. Il n'est pas be
soin d'avertir que toutes les strophes doivent se
ressembler pour les rimes , et leur arrangement.
La Ballade est de trois strophes , non com
prise l'allusion qui doit être une quatriéme stro
phe entiere, ou du moins une moitié de strophe ;
chaque strophe est composée de 2 quatrains , dont
les Vers sont de huit syllabes ; l'usage est que les
quatre premiers soient de rimes entremêlées ,
de sorte que le premier et le quatriéme soient de
même rime, masculins ou feminins , à la volonté
du Poëte ; et les quatre derniers entremêlés , de→
sorte que le dernier , qui est le refrein , soit femi
nin, et rime avec le sixième. Toutes les strophes ,
comme l'on sçait , doivent se ressembler pour les
rimés , tant des premiers que
des seconds qua
trains.
Le Sonnet est toujours composé de grands
Vers.
Le Dizain est composé , le plus ordinaire
ment , de grands et petits Vers entremêlés.
L'Ode Françoife est de dix strophes , y com
prise l'allusion ; chaque strophe de dix Vers
de huit syllabes. On sçair assez que ce seroit un
II. Vol. G .. grand
1,60 MERCURE DE FRANCE
grand défaut , s'll ne se trouvoit pas un repos
la fin des quatrième et septiéme Vers.
L'Ode Alcaïque est de douze strophes , y com
prise l'allusion .
$
L'Ode Iambique'est de quarante- huit Vers , y
comprise l'allusion ; à l'imitation de la quatriéme
Fable du quatriéme Livre de Phedre qui com
mence par ces mots : Plus esse in uno fæpe ,
quam in turbâ boni.
Les Prix de ces Pieces, sont pour l'Epigramme ;
premier Prix,les Armes de l'Université; deuxiéme
Prix l'Anneau d'or. Chant Royal , premier Prix ,
les Armes du Fondateur ; second Prix , la Palme ;
Balade , premier Prix , les Armes du Fondateur
second Prix , l'Etoile. Sonnet , premier Prix ,
les
Armes du Fondateur ; second Prix , la branche de
Laurier. Dixain , la Plume d'argent.
Tous ces Prix font redimez par d'autres Prix
d'honnête valeur.
+
Le Prix de l'Ode Françoise est une bourse de
Jettons d'argent , celui de l'Ode Alcaïque est de
vingt livres fet celui de l'Ode lambique de même.
L'Univerfité fouhaiteroit fort que tous ces Pri
fuffent bien plus confiderables 3 poury Supplées
Autant qu'il lui fera poffible , elle n'omettra riem
de tout ce qui pourra faire honneur aux Poëte
victorieux ; & à ceux qui les auront fuivis e 2
plus prés. Ils sont très -inftamment priez d'en .
voyer leurs Pieces pour la fin d'Octobre ou a
commencement de Novembre , tant de la pr
sente année 1731. que des fuivantes
pour le Palinod de l'Université de Caën ,
et Avis aux Poëtes.
›
LES
Es Poëtes les plus distingués se sont fait dans
tous les tems un honneur d'envoyer des pieces
remporter des Prix au Palinod , entr'au
tres les Marot les Corneille , les Huet , les
Duc de Saint Aignan , les Segrais , &c...
et de
>
Pour rendre cette Cérémonie plus interessante,
et pour exciter l'émulation des Poëtes qui parois
soit un peu se ralentir , l'Université vient de sta◄
tuer , le 19. Mai 1731. ) qu'à l'avenir les Prix
seront distribuez le jour même que se tient le Pa
finod , c'est- à - dire , le jour de la Conception de
la Sainte Vierge : on ne lira sur le Pui , que les
Pieces qui auront remporté les Prix , et celles qui
en auront approché ; Aussi - tôt après on fera
imprimer les Pieces couronnées , et quelques -unes
des meilleures à la suite , si elles sont jugées di
gnes de l'impression.
En consequence du même Reglement, les Poë
tes envoyeront leurs Pieces depuis le commence
II. Vol.
ment G
1558 MERCURE DE FRANCÈ
ment d'Octobre , jusqu'à la . Saint Martin , lequel
tems expiré , on n'en recevra plus pour le pro
chain Palinod. Ils les adresseront au Secretaire
de l'Université , quien donnera son récépissé , el
les seront affranchies de port , faute de quoi el
les seront mises au rebut , sans être iûes : ils ne
mettront point leur nom à leurs Pieces , mais seu
lement une Sentence et quelques chiffres , sans se
faire connoître avant le jugement , à peine de
perdre le prix ; et pour se faire connoître avant
le jugement , ils présenteront ou feront présenter
les mêmes Sentences et chiffres écrits de la même
main.
Le jour du Palinod , les Prix seront donnés
immédiatement après la lecture des Pieces , si les
Auteurs sont présens et qu'ils se fassent connoître ;
sinon ils resteront entre les mains du Secretaire
de l'Université , pour être distribués , à l'ordre de
M. le Recteur, lorsque les Auteurs seront connus.
Il y a lieu d'efperer que les Poëtes furs d'ê
tre récompenfez promptement & publique
ment , vont travailler avec une nouvelle ar
deur ; on a cru devoir ajoûter ce qui fuit en fa
veur de ceux qui ne feroient pas au fait des
ufages de cet établissement..
2
Il y a des Prix fondés pour huit sortes de Pie
ces , Epigramme Latine Chant Royal , Bal
lade , Sonner , Dizain , Ode Françoise , Ode en
Vers Alcaïques , et Ode en Vers Iambes.
Les Poëtes doivent prendre pour argument de
leurs Pieces , quelque sujet qui puisse faire al
lusion à l'Immaculée Conception de la Sainte
Vierge ; par exemple , si l'on prend pour sujet de
l'Epigramme Latine , Jonas in utero Ceri inco
lumis , l'allusion pourra être , Bellua nil vati
nocuit , nil culpa Maria
11. Vol. L'Epigramme
JUIN. 1731
T
1559
L'Epigramme Latine doit être de trente
Vers , ni plus ni moins , y compris l'allusion .
Le Chint Royal doit être de cinq Strophes ,non
comprise l'allusion , chaque Strophe est compo
sée d'onze Vers de dix syllabes ; le dernier Vers,
qui est le refrein doit être feminin ; il doit y avoir
un repos à la fin des cinquième et huitiéme Vers.
L'usage est que le cinquième Vers soit masculin ;
les sixième et septiéme feminins et de même ri
me , et tous les autres entremêléz à la volonté du
Poëte. L'allusion peut contenir une sixieme stro
phe entiere , ou du moins une derniere moitié de
Strophe , qui est de six Vers. Il n'est pas be
soin d'avertir que toutes les strophes doivent se
ressembler pour les rimes , et leur arrangement.
La Ballade est de trois strophes , non com
prise l'allusion qui doit être une quatriéme stro
phe entiere, ou du moins une moitié de strophe ;
chaque strophe est composée de 2 quatrains , dont
les Vers sont de huit syllabes ; l'usage est que les
quatre premiers soient de rimes entremêlées ,
de sorte que le premier et le quatriéme soient de
même rime, masculins ou feminins , à la volonté
du Poëte ; et les quatre derniers entremêlés , de→
sorte que le dernier , qui est le refrein , soit femi
nin, et rime avec le sixième. Toutes les strophes ,
comme l'on sçait , doivent se ressembler pour les
rimés , tant des premiers que
des seconds qua
trains.
Le Sonnet est toujours composé de grands
Vers.
Le Dizain est composé , le plus ordinaire
ment , de grands et petits Vers entremêlés.
L'Ode Françoife est de dix strophes , y com
prise l'allusion ; chaque strophe de dix Vers
de huit syllabes. On sçair assez que ce seroit un
II. Vol. G .. grand
1,60 MERCURE DE FRANCE
grand défaut , s'll ne se trouvoit pas un repos
la fin des quatrième et septiéme Vers.
L'Ode Alcaïque est de douze strophes , y com
prise l'allusion .
$
L'Ode Iambique'est de quarante- huit Vers , y
comprise l'allusion ; à l'imitation de la quatriéme
Fable du quatriéme Livre de Phedre qui com
mence par ces mots : Plus esse in uno fæpe ,
quam in turbâ boni.
Les Prix de ces Pieces, sont pour l'Epigramme ;
premier Prix,les Armes de l'Université; deuxiéme
Prix l'Anneau d'or. Chant Royal , premier Prix ,
les Armes du Fondateur ; second Prix , la Palme ;
Balade , premier Prix , les Armes du Fondateur
second Prix , l'Etoile. Sonnet , premier Prix ,
les
Armes du Fondateur ; second Prix , la branche de
Laurier. Dixain , la Plume d'argent.
Tous ces Prix font redimez par d'autres Prix
d'honnête valeur.
+
Le Prix de l'Ode Françoise est une bourse de
Jettons d'argent , celui de l'Ode Alcaïque est de
vingt livres fet celui de l'Ode lambique de même.
L'Univerfité fouhaiteroit fort que tous ces Pri
fuffent bien plus confiderables 3 poury Supplées
Autant qu'il lui fera poffible , elle n'omettra riem
de tout ce qui pourra faire honneur aux Poëte
victorieux ; & à ceux qui les auront fuivis e 2
plus prés. Ils sont très -inftamment priez d'en .
voyer leurs Pieces pour la fin d'Octobre ou a
commencement de Novembre , tant de la pr
sente année 1731. que des fuivantes
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Résumé : NOUVEAU REGLEMENT pour le Palinod de l'Université de Caën, et Avis aux Poëtes.
Le nouveau règlement du Palinod de l'Université de Caen, promulgué le 19 mai 1731, a pour objectif de rendre la cérémonie plus attrayante et de stimuler la compétition entre les poètes. Les prix seront désormais attribués le jour de la Conception de la Sainte Vierge. Seules les œuvres primées et celles ayant approché du prix seront lues lors de la cérémonie. Les poètes doivent soumettre leurs œuvres entre le début du mois d'octobre et la Saint-Martin, sans indiquer leur nom. Pour l'identification, ils doivent utiliser une sentence et des chiffres. Les prix seront remis immédiatement après la lecture si les auteurs sont présents, sinon ils seront conservés par le secrétaire de l'Université. Le règlement spécifie les types de pièces acceptées : épigramme latine, chant royal, ballade, sonnet, dizain, ode française, ode en vers alcaïques et ode en vers iambiques. Chaque type de pièce a des règles spécifiques concernant la structure et le contenu, notamment une allusion obligatoire à l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge. Les prix varient en fonction du type de pièce, allant des armes de l'Université à des bourses de jetons d'argent. L'Université espère que ces mesures inciteront les poètes à participer avec plus d'enthousiasme.
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17
p. 1741-1755
Discours sur la Comedie, ou Traité, &c. [titre d'après la table]
Début :
DISCOURS SUR LA COMEDIE, ou Traité Historique et Dogmatique des Jeux de [...]
Mots clefs :
Jeux, Poètes, Parlement, Paris, Théâtre
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Discours sur la Comedie, ou Traité, &c. [titre d'après la table]
DISCOURS SUR LA COMEDIE , ou Traité
Historique et Dogmatique des Jeux de
Théatre & c. 2. Edition , augmentée de
plus de la moitié. par le P. le Brun de l'Oratoire
, rue S. Jacques , chez la veuve
Delaulne. 1731 .
>
Aprés l'Extrait que nous avons donné
de la premiere moitié de cet Ouvrage
sur les anciens Jeux de Théatre &c. Il
nous reste à dire quelque chose des Spectacles
et des Pieces de Théatre en France
, de leur origine , de leur succès &c.
Au treizieme Siecle , il y eut en France
beaucoup de Poëtes , et les Provenceaux
furent ceux qu'on estima dayantage.
On faisoit beaucoup de cas de la
Langue Provençale que l'on appelloit la
Langue Romaine , à cause qu'elle en
approchoit beaucoup , et que la Provence
seule avoit retenu le nom de Province ,
eu Province des Romains , qu'on don
noit
1742 MERCURE DE FRANCE
noit à toute la Gaule Narbonnoise , qui
comprenoit Toulouse et Genéve , c'està-
dire , tout ce que les Romains possedoient
dans les Gaulès , lorsque Cesar y
vint pour la premiere fois.
Depuis le X. Siecle on se piquoit presque
dans toutes les Cours de l'Europe
de parler Provençal , et les Pieces d'esprit
ne paroissoient ordinairement qu'en cette
Langue , ce qui fit qu'on appella ces Pieces
des Romans , ou Romances , à cause
qu'elles étoient écrites en langage Romain
, ou Romance , c'est - à- dire Provençal.
Comme le François se perfectionna depuis
Philippe Auguste , on voit au XIII .
Siecle par la Bible de Guiart des Moulins,
que le langage de Paris s'appelloit indifferemment
le François ou le Romain.
Quoiqu'il en soit , le desir de parler purement
Provençal , porta plusieurs Princes
à appeller des Poëtes Provençaux dans
leur Cour. Il en sortit , en effet , un assez
grand nombre de Provence , et la plupart
étoient des personnes distinguées par
leur naissance et par leur génie. Le Poëte
Foulquet qui écrivoit à Marseille au commencement
du XIII . siecle , à qui on
a attribué la gloire d'avoir le premier
donné et observé les regles de bien rimer ,
s'étant
JUILLET. 1731. 1643
•
s'étant retiré dans un Monastere , fut fait
Evêque de Marseille , puis de Toulouse ,
et plusieurs autres s'avançoient beaucoup
auprès des Princes .
Alphonse Comte de Poitiers et de Toulouse
, frere de S.Louis , avoit auprès de lui
plusieurs de ces Poëtes , et par tout on les
recherchoit avec empressement, et on leur
isoit des présens magnifiques . Ceux qui
' étoient pas fixes dans quelques Cours
Composoient de petites bandes de trois
ɔu quatre amis , Poëtes , Chantres et
Joueurs d'Instrumens , et alloient de Ville
n Ville , ou plutôt de Château en Château
, réciter leurs Ouvrages , et c'étoit
à ceux qu'on appelloit communément
les Auteurs de la Science guaye , les Troubadours
ou les Trouveres , c'est-à - dire
Inventeurs.
La plupart de ces Bouffons s'appelloient
Ministerales , Minetrales , Ministrelli
d'où est venu le nom de Menetrier. Ils
ne s'appliquoient pas seulement à réjoüir
les Princes par leurs plaisanteries , mais
encore ils chantoient au son des Instrumens
leurs loüanges et celles de leurs Ancêtres
. Quelquefois ils déclamoient agréablement
les Exploits des Héros , ou les
chantoient , jouant en même- tems du
Violon ou de quelqu'autre Instrument ,
excitant
1744 MERCURE DE FRANCE
excitant ainsi à la vertu ceux qui les écoutoient.
On voit au même endroit que dans
un Festin d'Apparat,donné par LouisVIII.
pere de S. Louis , parut un de ces Menetriers
, qui chanta les louanges du Roi au
son de la Lyre.
Ces personnes ne pouvoient pas être
censées infames , par les loix qui déclarent
que ceux qui n'avoient représenté
que dans des Maisons particulieres , ne
seront pas déclarez infames. Pline le
jeune , louant la vie d'un homme fort
distingué , dit qu'il faisoit souvent venir
à sa table un Comédien pour entendre
quelque chose de bon pendant le repas.
On trouve jusqu'au milieu du XIV . Siecle
environ cent Poëtes Provençaux des
plus distinguez , dont les vies ont été
écrites par le sçavant Cibo , Moine de L'erins
, par Huges de S. Cesaire , Moine
de Montmajour, par Rostang de Brignole,
Moine de S Victor de Marseille , et par
Jean et César Nostradamus .
Ce dernier Historien en 1344. compte
90. Poëtes , dont le Roi Robert fit recueillir
les Ouvrages . Le Cardinal de Richelieu
a fait aussi rechercher en Provence
plusieurs Pieces de cette nature , et ce
sont peut- être celles qu'on conserve dans
la Bibliotheque Royale.
Vers
JUILLET . 1731. 1745
Vers le milieu du XV. siecle , les Poëtes
Provençaux se négligerent , et leur
langue ne fut plus cultivée comme elle
l'avoit été durant quelques siecles . Mais
les Italiens , que le séjour des Papes àAvignon
avoit attirez en Provence , y étoient
devenus Poëtes . On en voyoit déja parmi
eux un grand nombre , tant bons que
méchans ; et comme en Italie on a toujours
eu beaucoup de disposition à être
Saltinbanque , il y eut bientôt plusieurs
Poëtes qui prirent le parti de monter sur
des Theatres . Les moins polis se distinguerent
par le choix de quelques Sujets
de pieté , et tels furent ces Pelerins que
M. Despréaux a dépeints ainsi dans le
troisiéme Chant de l'Art Poëtique.
Chez nos dévots Ayeux le Théatre abhorré ,
Fut long- temps dans la France un plaisir ignoré;
De Pelerins , dit-on , une Troupe grossiere ,
En public à Paris y monta la premiere ,
Et sottement zelée en sa simplicité ,
Joua les Saints , la Vierge, et Dieu par pieté.
Ces dévots Comédiens vinrent à Paris
au commencement du XIV. siecle ; et
le Cardinal le Moine , Fondateur du College
qui porte son nom , acheta l'Hôtel
de Bourgogne et le leur donna ,à condition
F qu'ils
1745 MERCURE DE FRANCE
qu'ils ne représenteroient jamais que des
Pieces pieuses. Cependant ces Jeux n'ont
pas toujours continué , comme plusieurs
semblent le croire.
Dans un Arrêt du Parlement de Paris,
donné sous François I. en 1541. il est
parlé de ces prétendues Pieces de dévotion
comme d'un usage qui ne s'étoit introduit
que depuis deux ou trois ans ,
et que le Parlement ne pouvoit tolerer.
Il l'interdit en effet sous de rigoureuses
peines par le même Arrêt , dont quelques-
uns des motifs sont , 19. Que pour
réjouir le peuple on mêle ordinairement à ces
sortes de feux des Farces ou Comédies dérisoires
, qui sont choses deffendues par les
saints Canons. 2 ° . Que les Auteurs de ces
Piecesjouant pour le gain , ils devoient pas
ser pour Histrions , Joculateurs on Bateleurs.
3. Que les Assemblées de ces Jeux donnoient
lieu à des parties ou d'assignations d'adultere
et de fornication . 4. Que cela fait dépenser
de l'argent mal à propos aux Bourgeois
et aux Artisans de la Ville.
Ces motifs montrent assez qu'il n'y
avcit pas alors d'autres Jeux de Théatre
à Paris. Il paroît que ces Comédies pieuses
furent encore jouées pendant quelque
emps. Dans une Requête présentée au
Parlement , les Auteurs de ces Jeux disent
JUILLET. 1731. 2747
sent qu'ils les faisoientjouer de temps immemorial
et par des privileges confirmez par
les Rois de France , à l'édification du commun
populaire sans offense generale ou particuliere.
Ce ne fut qu'en 1545. que leurs Jeux
cesserent , le Parlement ayant converti
en logement pour les pauvres , la Salle
de la Passion. Trois ans après , ils acheterent
une nouvelle Salle , et demanderent
que suivant lesdits Privileges , il leur
fût permis de continuer la représentation
desdits Misteres , du profit desquels , disentils
, étoit entretenu le Service divin en la
Chapelle de ladite Confrairie , avec deffenses
à tous autres de jouer à l'avenir , tant
en la Ville que Fauxbourgs et Banlieuë de
Cette Ville , sinon que ce fut sous le titre de
la dite Confrairie. Voici les termes de l'Arrêt
: La Cour a inhibé et deffendu , inhibe
et deffend ausdits Suppliants de jouer le
Mystere de la Passion de N. Sauveur , ne
autres Mysteres sacrez , sur peine d'amende
arbitraire , leur permettant neantmoins de
pouvoirjouer autres Mysteres profanes , honnêtes
et licites , sans offenser et injurier aucunes
personnes , et deffend ladite Cour de
jouer ou représenter dorénavant aucuns Jeux
ou Mysteres , tant en la Ville et Fauxbourg's ,
que Banlieue de Paris , sinon que sous le
Fij nom
1743 MERCURE DE FRANCE
nom ladite Confrairie et au profit d'icelle.
Le Parlement ne voulant point souffrir
d'autres Jeux que ceux de ces Confreres
de la Passion , la Chambre des Vacations
s'éleva le 15. Septembre 1531. contre une
Troupe de Comédiens qui depuis quelque
temps joüoient des Farces et des Jeux
publics , et avoient à ce sujet exigé de
ceux qui y avoient assisté , quatre , cinq
et six sols , somme excessive et non accoutumée
d'être levée en tel cas , qui est espece
d'exaction sur le pauvre peuple. La Cour
leur deffendit de jouer à l'avenir des Farces
sans permission , sous peine de prison et
de punition corporelle , et à tous les Manans
et Habitans de Paris et des Faux-'
bourgs , de quelque état et qualité qu'ils
fussent , d'assister à ces Jeux , sous peine
de dix livres parisis.
Cette Confrairie eût un demêlé avec
Maître René Benoît , Curé de S. Eustache
, lequel obtint de la Chambre séante
au Châtelet , que les Confreres de la
Passion n'ouvriroient les portes de leurs
Jeux , sinon aprés les Vespres dites . Ces
Confreres représenterent au Parlement
que cette Ordonnance rendoit leurs Privileges
illusoires et sans effet , parcequ'il
leur seroit impossible , étant les jours
Courts , vaquer à leursdits Jeux , pour â
les
JUILLET . 1731. 1749
les préparatifs desquels ils auroient fait
une infinité de frais . Ils disent dans cette
Requête , qu'ils payoient cent écus de
rente à la Recette du Roi pour le Logis ,
et 300. liv . Tournois de rente aux Enfans
de la Trinité , tant pour le Service divin
que pour l'entretien des Pauvres . Ils
demanderent qu'il leur fût permis d'ouvrir
les portes de leurs Jeux pour les
allans et venans en la maniere accoutumée
, à la charge toutefois qu'ils ne commenceront
leurs Jeux qu'à trois heures
sonnées , à laquelle heure les Vespres
avoient accoutumées d'être dites . Le Parlement
leur accorda ce qu'ils demandoient
, mais à condition qu'ils repondroient
des scandales qui pourroient leur
arriver. Cet Arrêt fut confirmé par un
autre rendu le 20. Septembre 1577.
Cependant dès l'an 1551. sous Henry
II. les Poëtes François avoit commencé
à faire des Tragédies et des Comédies
et Jodelle fut le premier qui en fit repré
senter , comme nous l'apprend Ronsard
dans les vers que Pasquier a cités au 7.
Livre de ses Recherches , Chap . 7•
Aprés amour la France abandonna ;
Et lors Jodelle heureusement sonna
D'une voix humble et d'une voix hardie ,
F iij
La
1750 MERCURE DE FRANCE
La Comédie avec la Tragédie ,
Et d'un ton double , ore bas , ore haut ,
Remplit premier le François Echafaut.
Sous le Regne d'Henry III , dit Mezeray
, le luxe qui cherchóit par tout des
divertissemens , appella du fond de l'Italie
, une bande de Comédiens , dont les
Pieces , toutes d'intrigues , d'amourettes
et d'inventions agréables , pour exciter
et chatouiller les plus douces passions
étoient de pernicieuses leçons d'impudicité.
Ils obtinrent des Lettres Patentes
pour leur établissement , comme si c'eut
été quelque celebre Compagnie. Le Parlement
les rebuta comme personnes que
les bonnes moeurs , les SS. Canons , les
PP. de l'Eglise , et nos Rois mêmes ,
avoient toujours reputés infames
leur deffendit de jouer , ni de plus obte
nir de semblables Lettres ; et néanmoins,
dès que la Cour fut de retour de Poitiers
le Roy voulut qu'ils ouvrissent leur
Theatre.
و et
Le Concile de Bâle , dont l'autorité
est si grande en France , dans la Sess.
XX. en l'an 1435. se plaint que dans
quelques Eglises , pendant certaines Fêtes,
on voyoit des gens en habits pontifi-
'caux ,
JUILLET. 1731. 1751
caux , avec une Crosse et une Mitre ,
donner la Benediction comme les Evêques
; que d'autres s'habilloient en Rois
ou en Ducs , ce qu'on appelle dans quelques
endroits , la Fête des Foux , des
Innocens ou des Enfans, et que quelquesans
représentoient des Jeux de Theatre ,
faisoient des mascarades et des danses
d'hommes et de femmes. Ce Concile
aprés avoir exprimé l'horreur qu'il a
pour toutes ces extravagances , ordonne
aux Evêques , aux Doyens et aux Curés ,
sous peine de suspense et de privation
de leurs revenus Ecclesiastiques pendant
trois mois , de ne pas permettre à l'ave
nir de semblables bouffonneries .
. Le Concile de Tolede tenu en 1565 .
fait la même déffense . ( C'étoit principalement
le jour de la Fête des SS. Inãocens
qu'on créoit ces faux Evêques . )
Un Concile de la Province de Bordeaux
tenu à Copriniacum en 1215. et non pas
en 1260. comme le veut le P. Hardouin ,
avoit déffendu sous peine d'excommunication
, les danses qui se faisoient ce
jour- là , aussi bien que cette burlesque
création d'Evêques . Predictas balleationes
ulterius sub intimatione Anathematis fieri
prohibemus : nec non et Episcopos in predicto
Festo creari. Avec quelle force ,
Fij
continue
1752 MERCURE DE FRANCE
continue l'Auteur , ces Conciles se seroient-
ils élevé contre de Comiques
Processions semblables à celle qu'on fait
tous les ans à Aix le jour de la Fête- Dieu
où les Misteres de l'ancien et du nouveau
Testament sont deshonorez par
des Farces et des Répresentations indecentes
?
Il paroît par un Concile de Sens de
l'an 1486. que ces danses et ces répresentations
Comiques se faisoient dans les
Eglises et autres lieux sacrés.
On apprend par les Statuts Synodaux
du Diocèse de Beauvais , publiés en 1554.
que lorsque les Prêtres disoient leur
premiere
Messe , on faisoit venir des Bouffons
, des Histrions , des Joueurs d'Ins
trumens et differens autres Farceurs ; ce
desordre est severement déffendu aussi
bien que les danses et les représentations
des Spectacles dans les Eglises et les Cimetieres
. La même déffense se trouve
dans les Statuts Synodaux du Diocèse de
Soissons , imprimés en 1561. Les danses
se faisoient quelquefois devant l'Eglise .
Un autre abus aussi pernicieux , condamné
dans un Synode de Paris tenu en
1557. par Eustache du Bellay ; c'est que
les jours de Fêtes de certaines Confrairies
, on alloit avec des Images attachées
sur
JUILLET. 1731. 1783
sur des batons, aux Maisons des Laïques ;
ces burlesques Processions étoient composées
de Prêtres , de femmes et de Bouf
fons ; le Synode les déffend sous peine
d'excommunication et d'une amande arbitraire
, ordonnant aux Clercs de ne
prendre aucune part à ces folies.
En 1980. S. Charles Borromée qui
avoit long- tems travaillé à chasser les
Comédiens de son Diocèse , obtint enfin
d'un Gouverneur de Milan qu'on ne souf
friroit aucune Piece qui n'eut été examinée
et trouvée.conforme à la Morale
chrétienne , et qu'on n'en réprésenteroit
jamais ni le vendredy , ni les jours de
Fête .
eut
Le Parlement de Paris garda toujours
la même severité à l'égard des Comédiens
, jusqu'à ce que le Cardinal de Richelieu
, passionné pour la Poësie ,
fait esperer qu'on verroit des Comédies
où il n'y auroit rien qui ne fut dans la
bienséance. Par son ordre , Desmarets ,
Corneille et Colletet composerent quel
ques Pieces assés honnêtes , et en 1641
il fit enregistrer au Parlement une Déclaration
du Roy , par laquelle aprés
avoir renouvellé les peines ordinaires
contre les Comédiens , qui useront d'aucunes
paroles lascives ou à double entente
F v qui
1754 MERCURE DE FRANCE
qui puisse blesser l'honnêteté publique , it
est dit , qu'au cas qu'ils observent ces conditions
, ils ne seront pas à l'avenir notés.
d'infamie.
"
A la page 287. l'Auteur cite cette
maxime, prise , dit-il , d'un petit livre:
qui lui est tombé entre les mains , par où
nous finirons cet Extrait. Tous les grands:
divertiffemens sont dangereux pour la vie
chrétienne ; mais entre tous ceux que le monde
a inventés , il n'y en a point qui soit
plus à craindre que la Comédie. C'est une
peinture fi naturelle et fi délicate des passions
, qu'elle les anime et les fait naître
dans notre coeur , et surtout celle de l'amour
principalement lorsqu'on se represente qu'il
est chaste etfort honnête : car plus il paroît
innocent aux ames innocentes , plus elles:
sont capables d'en étre touchées . On je fait
en même-temps une conscience fondée fur
Phonnêteté de ces sentimens ; et on s'imagine
que ce n'eft pas bleffer la pureté , que d'ai
mer d'un amour fi sage. Ainsi on sort de la
Comédie le coeur si rempli de toutes les dou
ceurs de l'amour , et l'esprit si persuadé de
son innocence , qu'on eft tout préparé à recevoir
ses premieres impreffions , ou plutôt à:
chercher Poccasion de les faire naître dans.
Le coeur de quelqu'un , pour recevoir les mêmes
plaifirs et les mêmes sacrifices qu'on a
•
uns
JUILLET. 1731 1755
vus fi bien réprefentés fur le Theatre.
MEDITATIONS SUR L'EVANGILE
Ouvrage posthume de M. Jacques Benigne
Bossuet , Evêque de Meaux , Conseiller
du Roy en ses Conseils , et ordinaire
en son Conseil d'Etat, Precepteur de
Monseigneur le Dauphin , premier Aumônier
des deux derniers Dauphins. A
Paris , chez P. J. Mariette ,rue S.Jacques,.
1731. 4. volumes in 12. premier vol.
pp. 519. 2. vol . pp. 464. 3. vol . pp. 454.
4. vol . pp. 506. sans compter un Mandement
de M. l'Evêque de Troyes pour
recommander la lecture de cet Ouvrage
aux Fideles de son Diocèse , de 62. pag .
et sans les Tables .
LES VEILLE' ES DE THESSALIE . Premiere et
seconde Veillées . Rue S. Jacques , chez J.
F. Josse 1731. 2. vol. in 12 ..
La lecture de cet Ouvrage , qui est trés
bien écrit , est fort amusante. Le Librai--
re en promet la suite .
Historique et Dogmatique des Jeux de
Théatre & c. 2. Edition , augmentée de
plus de la moitié. par le P. le Brun de l'Oratoire
, rue S. Jacques , chez la veuve
Delaulne. 1731 .
>
Aprés l'Extrait que nous avons donné
de la premiere moitié de cet Ouvrage
sur les anciens Jeux de Théatre &c. Il
nous reste à dire quelque chose des Spectacles
et des Pieces de Théatre en France
, de leur origine , de leur succès &c.
Au treizieme Siecle , il y eut en France
beaucoup de Poëtes , et les Provenceaux
furent ceux qu'on estima dayantage.
On faisoit beaucoup de cas de la
Langue Provençale que l'on appelloit la
Langue Romaine , à cause qu'elle en
approchoit beaucoup , et que la Provence
seule avoit retenu le nom de Province ,
eu Province des Romains , qu'on don
noit
1742 MERCURE DE FRANCE
noit à toute la Gaule Narbonnoise , qui
comprenoit Toulouse et Genéve , c'està-
dire , tout ce que les Romains possedoient
dans les Gaulès , lorsque Cesar y
vint pour la premiere fois.
Depuis le X. Siecle on se piquoit presque
dans toutes les Cours de l'Europe
de parler Provençal , et les Pieces d'esprit
ne paroissoient ordinairement qu'en cette
Langue , ce qui fit qu'on appella ces Pieces
des Romans , ou Romances , à cause
qu'elles étoient écrites en langage Romain
, ou Romance , c'est - à- dire Provençal.
Comme le François se perfectionna depuis
Philippe Auguste , on voit au XIII .
Siecle par la Bible de Guiart des Moulins,
que le langage de Paris s'appelloit indifferemment
le François ou le Romain.
Quoiqu'il en soit , le desir de parler purement
Provençal , porta plusieurs Princes
à appeller des Poëtes Provençaux dans
leur Cour. Il en sortit , en effet , un assez
grand nombre de Provence , et la plupart
étoient des personnes distinguées par
leur naissance et par leur génie. Le Poëte
Foulquet qui écrivoit à Marseille au commencement
du XIII . siecle , à qui on
a attribué la gloire d'avoir le premier
donné et observé les regles de bien rimer ,
s'étant
JUILLET. 1731. 1643
•
s'étant retiré dans un Monastere , fut fait
Evêque de Marseille , puis de Toulouse ,
et plusieurs autres s'avançoient beaucoup
auprès des Princes .
Alphonse Comte de Poitiers et de Toulouse
, frere de S.Louis , avoit auprès de lui
plusieurs de ces Poëtes , et par tout on les
recherchoit avec empressement, et on leur
isoit des présens magnifiques . Ceux qui
' étoient pas fixes dans quelques Cours
Composoient de petites bandes de trois
ɔu quatre amis , Poëtes , Chantres et
Joueurs d'Instrumens , et alloient de Ville
n Ville , ou plutôt de Château en Château
, réciter leurs Ouvrages , et c'étoit
à ceux qu'on appelloit communément
les Auteurs de la Science guaye , les Troubadours
ou les Trouveres , c'est-à - dire
Inventeurs.
La plupart de ces Bouffons s'appelloient
Ministerales , Minetrales , Ministrelli
d'où est venu le nom de Menetrier. Ils
ne s'appliquoient pas seulement à réjoüir
les Princes par leurs plaisanteries , mais
encore ils chantoient au son des Instrumens
leurs loüanges et celles de leurs Ancêtres
. Quelquefois ils déclamoient agréablement
les Exploits des Héros , ou les
chantoient , jouant en même- tems du
Violon ou de quelqu'autre Instrument ,
excitant
1744 MERCURE DE FRANCE
excitant ainsi à la vertu ceux qui les écoutoient.
On voit au même endroit que dans
un Festin d'Apparat,donné par LouisVIII.
pere de S. Louis , parut un de ces Menetriers
, qui chanta les louanges du Roi au
son de la Lyre.
Ces personnes ne pouvoient pas être
censées infames , par les loix qui déclarent
que ceux qui n'avoient représenté
que dans des Maisons particulieres , ne
seront pas déclarez infames. Pline le
jeune , louant la vie d'un homme fort
distingué , dit qu'il faisoit souvent venir
à sa table un Comédien pour entendre
quelque chose de bon pendant le repas.
On trouve jusqu'au milieu du XIV . Siecle
environ cent Poëtes Provençaux des
plus distinguez , dont les vies ont été
écrites par le sçavant Cibo , Moine de L'erins
, par Huges de S. Cesaire , Moine
de Montmajour, par Rostang de Brignole,
Moine de S Victor de Marseille , et par
Jean et César Nostradamus .
Ce dernier Historien en 1344. compte
90. Poëtes , dont le Roi Robert fit recueillir
les Ouvrages . Le Cardinal de Richelieu
a fait aussi rechercher en Provence
plusieurs Pieces de cette nature , et ce
sont peut- être celles qu'on conserve dans
la Bibliotheque Royale.
Vers
JUILLET . 1731. 1745
Vers le milieu du XV. siecle , les Poëtes
Provençaux se négligerent , et leur
langue ne fut plus cultivée comme elle
l'avoit été durant quelques siecles . Mais
les Italiens , que le séjour des Papes àAvignon
avoit attirez en Provence , y étoient
devenus Poëtes . On en voyoit déja parmi
eux un grand nombre , tant bons que
méchans ; et comme en Italie on a toujours
eu beaucoup de disposition à être
Saltinbanque , il y eut bientôt plusieurs
Poëtes qui prirent le parti de monter sur
des Theatres . Les moins polis se distinguerent
par le choix de quelques Sujets
de pieté , et tels furent ces Pelerins que
M. Despréaux a dépeints ainsi dans le
troisiéme Chant de l'Art Poëtique.
Chez nos dévots Ayeux le Théatre abhorré ,
Fut long- temps dans la France un plaisir ignoré;
De Pelerins , dit-on , une Troupe grossiere ,
En public à Paris y monta la premiere ,
Et sottement zelée en sa simplicité ,
Joua les Saints , la Vierge, et Dieu par pieté.
Ces dévots Comédiens vinrent à Paris
au commencement du XIV. siecle ; et
le Cardinal le Moine , Fondateur du College
qui porte son nom , acheta l'Hôtel
de Bourgogne et le leur donna ,à condition
F qu'ils
1745 MERCURE DE FRANCE
qu'ils ne représenteroient jamais que des
Pieces pieuses. Cependant ces Jeux n'ont
pas toujours continué , comme plusieurs
semblent le croire.
Dans un Arrêt du Parlement de Paris,
donné sous François I. en 1541. il est
parlé de ces prétendues Pieces de dévotion
comme d'un usage qui ne s'étoit introduit
que depuis deux ou trois ans ,
et que le Parlement ne pouvoit tolerer.
Il l'interdit en effet sous de rigoureuses
peines par le même Arrêt , dont quelques-
uns des motifs sont , 19. Que pour
réjouir le peuple on mêle ordinairement à ces
sortes de feux des Farces ou Comédies dérisoires
, qui sont choses deffendues par les
saints Canons. 2 ° . Que les Auteurs de ces
Piecesjouant pour le gain , ils devoient pas
ser pour Histrions , Joculateurs on Bateleurs.
3. Que les Assemblées de ces Jeux donnoient
lieu à des parties ou d'assignations d'adultere
et de fornication . 4. Que cela fait dépenser
de l'argent mal à propos aux Bourgeois
et aux Artisans de la Ville.
Ces motifs montrent assez qu'il n'y
avcit pas alors d'autres Jeux de Théatre
à Paris. Il paroît que ces Comédies pieuses
furent encore jouées pendant quelque
emps. Dans une Requête présentée au
Parlement , les Auteurs de ces Jeux disent
JUILLET. 1731. 2747
sent qu'ils les faisoientjouer de temps immemorial
et par des privileges confirmez par
les Rois de France , à l'édification du commun
populaire sans offense generale ou particuliere.
Ce ne fut qu'en 1545. que leurs Jeux
cesserent , le Parlement ayant converti
en logement pour les pauvres , la Salle
de la Passion. Trois ans après , ils acheterent
une nouvelle Salle , et demanderent
que suivant lesdits Privileges , il leur
fût permis de continuer la représentation
desdits Misteres , du profit desquels , disentils
, étoit entretenu le Service divin en la
Chapelle de ladite Confrairie , avec deffenses
à tous autres de jouer à l'avenir , tant
en la Ville que Fauxbourgs et Banlieuë de
Cette Ville , sinon que ce fut sous le titre de
la dite Confrairie. Voici les termes de l'Arrêt
: La Cour a inhibé et deffendu , inhibe
et deffend ausdits Suppliants de jouer le
Mystere de la Passion de N. Sauveur , ne
autres Mysteres sacrez , sur peine d'amende
arbitraire , leur permettant neantmoins de
pouvoirjouer autres Mysteres profanes , honnêtes
et licites , sans offenser et injurier aucunes
personnes , et deffend ladite Cour de
jouer ou représenter dorénavant aucuns Jeux
ou Mysteres , tant en la Ville et Fauxbourg's ,
que Banlieue de Paris , sinon que sous le
Fij nom
1743 MERCURE DE FRANCE
nom ladite Confrairie et au profit d'icelle.
Le Parlement ne voulant point souffrir
d'autres Jeux que ceux de ces Confreres
de la Passion , la Chambre des Vacations
s'éleva le 15. Septembre 1531. contre une
Troupe de Comédiens qui depuis quelque
temps joüoient des Farces et des Jeux
publics , et avoient à ce sujet exigé de
ceux qui y avoient assisté , quatre , cinq
et six sols , somme excessive et non accoutumée
d'être levée en tel cas , qui est espece
d'exaction sur le pauvre peuple. La Cour
leur deffendit de jouer à l'avenir des Farces
sans permission , sous peine de prison et
de punition corporelle , et à tous les Manans
et Habitans de Paris et des Faux-'
bourgs , de quelque état et qualité qu'ils
fussent , d'assister à ces Jeux , sous peine
de dix livres parisis.
Cette Confrairie eût un demêlé avec
Maître René Benoît , Curé de S. Eustache
, lequel obtint de la Chambre séante
au Châtelet , que les Confreres de la
Passion n'ouvriroient les portes de leurs
Jeux , sinon aprés les Vespres dites . Ces
Confreres représenterent au Parlement
que cette Ordonnance rendoit leurs Privileges
illusoires et sans effet , parcequ'il
leur seroit impossible , étant les jours
Courts , vaquer à leursdits Jeux , pour â
les
JUILLET . 1731. 1749
les préparatifs desquels ils auroient fait
une infinité de frais . Ils disent dans cette
Requête , qu'ils payoient cent écus de
rente à la Recette du Roi pour le Logis ,
et 300. liv . Tournois de rente aux Enfans
de la Trinité , tant pour le Service divin
que pour l'entretien des Pauvres . Ils
demanderent qu'il leur fût permis d'ouvrir
les portes de leurs Jeux pour les
allans et venans en la maniere accoutumée
, à la charge toutefois qu'ils ne commenceront
leurs Jeux qu'à trois heures
sonnées , à laquelle heure les Vespres
avoient accoutumées d'être dites . Le Parlement
leur accorda ce qu'ils demandoient
, mais à condition qu'ils repondroient
des scandales qui pourroient leur
arriver. Cet Arrêt fut confirmé par un
autre rendu le 20. Septembre 1577.
Cependant dès l'an 1551. sous Henry
II. les Poëtes François avoit commencé
à faire des Tragédies et des Comédies
et Jodelle fut le premier qui en fit repré
senter , comme nous l'apprend Ronsard
dans les vers que Pasquier a cités au 7.
Livre de ses Recherches , Chap . 7•
Aprés amour la France abandonna ;
Et lors Jodelle heureusement sonna
D'une voix humble et d'une voix hardie ,
F iij
La
1750 MERCURE DE FRANCE
La Comédie avec la Tragédie ,
Et d'un ton double , ore bas , ore haut ,
Remplit premier le François Echafaut.
Sous le Regne d'Henry III , dit Mezeray
, le luxe qui cherchóit par tout des
divertissemens , appella du fond de l'Italie
, une bande de Comédiens , dont les
Pieces , toutes d'intrigues , d'amourettes
et d'inventions agréables , pour exciter
et chatouiller les plus douces passions
étoient de pernicieuses leçons d'impudicité.
Ils obtinrent des Lettres Patentes
pour leur établissement , comme si c'eut
été quelque celebre Compagnie. Le Parlement
les rebuta comme personnes que
les bonnes moeurs , les SS. Canons , les
PP. de l'Eglise , et nos Rois mêmes ,
avoient toujours reputés infames
leur deffendit de jouer , ni de plus obte
nir de semblables Lettres ; et néanmoins,
dès que la Cour fut de retour de Poitiers
le Roy voulut qu'ils ouvrissent leur
Theatre.
و et
Le Concile de Bâle , dont l'autorité
est si grande en France , dans la Sess.
XX. en l'an 1435. se plaint que dans
quelques Eglises , pendant certaines Fêtes,
on voyoit des gens en habits pontifi-
'caux ,
JUILLET. 1731. 1751
caux , avec une Crosse et une Mitre ,
donner la Benediction comme les Evêques
; que d'autres s'habilloient en Rois
ou en Ducs , ce qu'on appelle dans quelques
endroits , la Fête des Foux , des
Innocens ou des Enfans, et que quelquesans
représentoient des Jeux de Theatre ,
faisoient des mascarades et des danses
d'hommes et de femmes. Ce Concile
aprés avoir exprimé l'horreur qu'il a
pour toutes ces extravagances , ordonne
aux Evêques , aux Doyens et aux Curés ,
sous peine de suspense et de privation
de leurs revenus Ecclesiastiques pendant
trois mois , de ne pas permettre à l'ave
nir de semblables bouffonneries .
. Le Concile de Tolede tenu en 1565 .
fait la même déffense . ( C'étoit principalement
le jour de la Fête des SS. Inãocens
qu'on créoit ces faux Evêques . )
Un Concile de la Province de Bordeaux
tenu à Copriniacum en 1215. et non pas
en 1260. comme le veut le P. Hardouin ,
avoit déffendu sous peine d'excommunication
, les danses qui se faisoient ce
jour- là , aussi bien que cette burlesque
création d'Evêques . Predictas balleationes
ulterius sub intimatione Anathematis fieri
prohibemus : nec non et Episcopos in predicto
Festo creari. Avec quelle force ,
Fij
continue
1752 MERCURE DE FRANCE
continue l'Auteur , ces Conciles se seroient-
ils élevé contre de Comiques
Processions semblables à celle qu'on fait
tous les ans à Aix le jour de la Fête- Dieu
où les Misteres de l'ancien et du nouveau
Testament sont deshonorez par
des Farces et des Répresentations indecentes
?
Il paroît par un Concile de Sens de
l'an 1486. que ces danses et ces répresentations
Comiques se faisoient dans les
Eglises et autres lieux sacrés.
On apprend par les Statuts Synodaux
du Diocèse de Beauvais , publiés en 1554.
que lorsque les Prêtres disoient leur
premiere
Messe , on faisoit venir des Bouffons
, des Histrions , des Joueurs d'Ins
trumens et differens autres Farceurs ; ce
desordre est severement déffendu aussi
bien que les danses et les représentations
des Spectacles dans les Eglises et les Cimetieres
. La même déffense se trouve
dans les Statuts Synodaux du Diocèse de
Soissons , imprimés en 1561. Les danses
se faisoient quelquefois devant l'Eglise .
Un autre abus aussi pernicieux , condamné
dans un Synode de Paris tenu en
1557. par Eustache du Bellay ; c'est que
les jours de Fêtes de certaines Confrairies
, on alloit avec des Images attachées
sur
JUILLET. 1731. 1783
sur des batons, aux Maisons des Laïques ;
ces burlesques Processions étoient composées
de Prêtres , de femmes et de Bouf
fons ; le Synode les déffend sous peine
d'excommunication et d'une amande arbitraire
, ordonnant aux Clercs de ne
prendre aucune part à ces folies.
En 1980. S. Charles Borromée qui
avoit long- tems travaillé à chasser les
Comédiens de son Diocèse , obtint enfin
d'un Gouverneur de Milan qu'on ne souf
friroit aucune Piece qui n'eut été examinée
et trouvée.conforme à la Morale
chrétienne , et qu'on n'en réprésenteroit
jamais ni le vendredy , ni les jours de
Fête .
eut
Le Parlement de Paris garda toujours
la même severité à l'égard des Comédiens
, jusqu'à ce que le Cardinal de Richelieu
, passionné pour la Poësie ,
fait esperer qu'on verroit des Comédies
où il n'y auroit rien qui ne fut dans la
bienséance. Par son ordre , Desmarets ,
Corneille et Colletet composerent quel
ques Pieces assés honnêtes , et en 1641
il fit enregistrer au Parlement une Déclaration
du Roy , par laquelle aprés
avoir renouvellé les peines ordinaires
contre les Comédiens , qui useront d'aucunes
paroles lascives ou à double entente
F v qui
1754 MERCURE DE FRANCE
qui puisse blesser l'honnêteté publique , it
est dit , qu'au cas qu'ils observent ces conditions
, ils ne seront pas à l'avenir notés.
d'infamie.
"
A la page 287. l'Auteur cite cette
maxime, prise , dit-il , d'un petit livre:
qui lui est tombé entre les mains , par où
nous finirons cet Extrait. Tous les grands:
divertiffemens sont dangereux pour la vie
chrétienne ; mais entre tous ceux que le monde
a inventés , il n'y en a point qui soit
plus à craindre que la Comédie. C'est une
peinture fi naturelle et fi délicate des passions
, qu'elle les anime et les fait naître
dans notre coeur , et surtout celle de l'amour
principalement lorsqu'on se represente qu'il
est chaste etfort honnête : car plus il paroît
innocent aux ames innocentes , plus elles:
sont capables d'en étre touchées . On je fait
en même-temps une conscience fondée fur
Phonnêteté de ces sentimens ; et on s'imagine
que ce n'eft pas bleffer la pureté , que d'ai
mer d'un amour fi sage. Ainsi on sort de la
Comédie le coeur si rempli de toutes les dou
ceurs de l'amour , et l'esprit si persuadé de
son innocence , qu'on eft tout préparé à recevoir
ses premieres impreffions , ou plutôt à:
chercher Poccasion de les faire naître dans.
Le coeur de quelqu'un , pour recevoir les mêmes
plaifirs et les mêmes sacrifices qu'on a
•
uns
JUILLET. 1731 1755
vus fi bien réprefentés fur le Theatre.
MEDITATIONS SUR L'EVANGILE
Ouvrage posthume de M. Jacques Benigne
Bossuet , Evêque de Meaux , Conseiller
du Roy en ses Conseils , et ordinaire
en son Conseil d'Etat, Precepteur de
Monseigneur le Dauphin , premier Aumônier
des deux derniers Dauphins. A
Paris , chez P. J. Mariette ,rue S.Jacques,.
1731. 4. volumes in 12. premier vol.
pp. 519. 2. vol . pp. 464. 3. vol . pp. 454.
4. vol . pp. 506. sans compter un Mandement
de M. l'Evêque de Troyes pour
recommander la lecture de cet Ouvrage
aux Fideles de son Diocèse , de 62. pag .
et sans les Tables .
LES VEILLE' ES DE THESSALIE . Premiere et
seconde Veillées . Rue S. Jacques , chez J.
F. Josse 1731. 2. vol. in 12 ..
La lecture de cet Ouvrage , qui est trés
bien écrit , est fort amusante. Le Librai--
re en promet la suite .
Fermer
Résumé : Discours sur la Comedie, ou Traité, &c. [titre d'après la table]
Le texte 'Discours sur la Comédie' explore l'histoire des jeux de théâtre en France, en se concentrant sur les XIIIe au XVe siècles. Au XIIIe siècle, la France comptait de nombreux poètes, les Provençaux étant particulièrement estimés. La langue provençale, appelée langue romaine, était valorisée pour sa proximité avec le latin et était parlée dans la Gaule Narbonnaise, incluant Toulouse et Genève. Depuis le Xe siècle, le provençal était utilisé dans les cours européennes pour les pièces d'esprit, appelées romans ou romances. Avec le perfectionnement du français sous Philippe Auguste, le langage de Paris devint indifféremment appelé français ou romain. Plusieurs princes invitèrent des poètes provençaux à leurs cours, comme Alphonse, comte de Poitiers et frère de Saint Louis. Ces poètes, appelés troubadours ou trouvères, se déplaçaient en bandes pour réciter leurs œuvres et jouer de la musique. Ils étaient également connus sous le nom de ménétriers ou ministeriales et chantaient les louanges des princes et des héros. Au milieu du XIVe siècle, environ cent poètes provençaux distingués étaient répertoriés. Leur langue commença à décliner au milieu du XVe siècle, mais les Italiens, attirés par le séjour des papes à Avignon, devinrent des poètes en Provence. Certains d'entre eux commencèrent à monter sur des théâtres pour jouer des pièces de piété. À Paris, au début du XIVe siècle, des comédiens dévots jouèrent des pièces pieuses, comme la Passion du Christ, dans l'Hôtel de Bourgogne. Cependant, ces représentations furent interdites par le Parlement en 1541 en raison de leur mélange avec des farces et des comportements immoraux. Les comédiens pieux continuèrent leurs représentations jusqu'en 1545, date à laquelle le Parlement leur interdit de jouer des mystères sacrés, leur permettant seulement des mystères profanes. En 1551, sous Henri II, les poètes français commencèrent à écrire des tragédies et des comédies. Jodelle fut le premier à en faire représenter. Sous Henri III, des comédiens italiens furent invités à la cour, mais le Parlement les interdit en raison de leur réputation d'infamie. Malgré cela, le roi permit leur établissement à son retour de Poitiers. Les conciles de Bâle (1435), de Tolède (1565) et de Bordeaux (1215) condamnèrent les jeux de théâtre et les mascarades, notamment les fêtes des fous et des innocents, où des personnes se déguisaient en évêques ou en rois. Ces conciles ordonnèrent aux autorités ecclésiastiques de prohiber ces pratiques sous peine de sanctions. Le texte traite également des abus et des désordres liés aux représentations comiques et aux danses dans les lieux sacrés en France, ainsi que des mesures prises pour les interdire. En 1486, un concile de Sens condamna les danses et les représentations comiques dans les églises. Les statuts synodaux des diocèses de Beauvais (1554) et de Soissons (1561) interdirent les bouffons, histrions, et autres farceurs lors des premières messes des prêtres, ainsi que les danses et spectacles dans les églises et cimetières. Un synode de Paris en 1557 condamna les processions burlesques impliquant des prêtres, des femmes et des bouffons. Saint Charles Borromée obtint en 1580 que les pièces de théâtre soient examinées pour leur conformité à la morale chrétienne et interdites les vendredis et jours de fête. Le Parlement de Paris, sous l'influence du Cardinal de Richelieu, autorisa les comédies à condition qu'elles respectent la bienséance et n'incluent pas de paroles lascives ou à double sens.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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18
p. 1264-1291
RÉPONSE DE Mlle de Malcrais de la Vigne, à la Lettre que Mr Carrelet de Hautefeüille lui a addressée dans le Mercure de Janvier 1732. page 75.
Début :
Le Seigneur Mercure s'est donné la peine, Monsieur, de [...]
Mots clefs :
Réponse, Lettre, Messager, Mercure, Strophe, Vers marotiques, Vers d'Horace, Ovide, Muses, Peines, Gloire, Dante, Rousseau, Chapelain, Auteurs, Poètes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE DE Mlle de Malcrais de la Vigne, à la Lettre que Mr Carrelet de Hautefeüille lui a addressée dans le Mercure de Janvier 1732. page 75.
REPONSE de Mlle de Malerais de
la Vigne , à la Lettre que M Carrelet
de Hautefeuille lui a addressée dans le
Mercure de Janvier 1732. page 75.
Leine,Monsieur,de m'apportervos
E Seigneur Mercure s'est donné la
peine , Monsieur , de m'apporter vos
Poulets , vos Billets doux , vos Relations,
en un mot votre Lettre ; car cette Lettre
sçavante et polie renferme en elle toutes
ces especes', par les differentes matieres
qu'elle traitte , et par les tours ingénieux
dont elle est agréablement variée ; je me
Alatte aussi que ce fidele Messager , non
moins habile que gracieux , voudra bien
se charger de ma réponse.
Vous m'écrivez , Monsieur, qu'on vous
a volé ; vous ne pouviez vous addresser à
personne qui fut plus sensible à ce qui
vous touche, ni par conséquent plus portée à vous plaindre. Quoi ! Monsieur, on
K
II. Vol.
vous
JUIN. 1732. 1265
vous a volé ? On vous a volé , Monsieur?
Quel accident ! Quelle perfidie ! Quelle
cruauté ! Eh! que vous a- t - on volé ?
Grands Dieux ! Proh! Dii immortales ! Facinus indignum quod narras !
Ce n'est point deux Vers , une Strophe, un Madrigal, une Epigramme seulement: Ciel ! c'est sur une Ode entiere qu'on
a eu l'audace de mettre la main.
Le trait est noir ; oui , certes, et des plus
noirs. Ce sont- là de ces coups qu'un Poëte
supporte rarement avec patience, à moins
qu'il n'ait , comme vous , l'ame bourrée
d'une Jacque de Maille à la Stoïcienne.
Sans doute que le Voleur en faisant ce
larcin, s'étoit fondé sur ces deux premiers
Vers du 15 Chant de Roland le furieux.
Fù il vincer sempre mai laudabil cosa ,
Vinca si è per fortuna , o per ingegno.
L'Arioste me paroît avoir escroqué
cette pensée à Virgile , dans le 2. liv. de l'Enéïde.
Dolus an virtus , quis in hoste requirat ?
·
Cependant le voleur dont il s'agit ,' n'est
point pardonnable. C'est là mal interprêter la chose , et faire en matiere de
Lettres, ce que font les hérétiques en maII. Vol.
A v tiere
1266 MERCURE DE FRANCE
"
tiere de Religion, qui tournent et retournent certains Passages de tant de côtez
qu'ils leur trouvent à la fin un sens ambigu , et qui , quelque louche qu'il soit ,
leur paroît neanmoins d'accord avec leur
morale. Mais comme on ne les confond
ensuite , qu'en opposant citation contre
citation , authorité contre authorité , il
faut donc objecter aux Filoux du Parnasse
le sentiment d'un autre Italien. Auvertite
che voi vi vestite degli honori , e delle glorie
altrui , et v'attribuite quello che non è vostro. Voi sarete chiamati la cornacchia d'Esopo , et quello ch'è peggio , bisognerà restituire i furti con grandissimo scorno , e biasmo come suole intervenire a certi poetuzzi
moderni che alla scoperta rubbano a tutti ,
non rimanendo loro di proprio che la fatica , l'inchiestro , la carta , et il tempo gettato via.
Sérieusement , Monsieur , votre situation me paroît triste , et d'autant plus
qu'on ne croit pas toujours le plaignant
sur sa déposition. C'est vainement qu'il
dira , oui , Messieurs , je fis cette Strophe
un tel jour , à telle heure ; et la preuve ,
la voilà : Absorbé que j'étois dans la poëtique rêverie , je me rongeai les ongles
jusqu'au vif: Voyez - vous ? Regardez ,
ces deux doigts écorchez par le bout, sont
€
II. Vol. de
JUIN. 1732. 1267
de sûrs garans de la vérité de mes paroles.
Vains propos : Plus de la moitié de vos
juges ne sçauroient résoudre leurs doutes
et l'on balance toujours entre le proprié
taire et le voleur. Pour moi , si j'avois été
en votre place , j'aurois mis cent Mouches en campagne pour dénicher le Larron , et le faire sans délai convenir du
larcin.
J'aurois fait aussi- tot galopper sur sa trace
Le grand Prevôt du Parnasse,
Mais hélas ! que les choses sont aujourd'hui changées ; on insulte , on pille , on
brave Apollon sur son Thrône même.
La Marêchaussée du Pinde n'a plus la
force de cheminer. Plutus , le seul Plutus
sçait se faire obéïr , se faire craindre , se
faire rendre justice , et l'on prétend que
c'est lui qui la distribuë; quant aux Citoyens de la double Colline , l'équité ne
s'observe ni à leur égard , ni à l'égard de
leurs ouvrages. Un Financier au moyen
d'une douzaine de chiffres , voit pleuvoir à millier les Louis dans son Coffre
fort , et ce profit amené , ne sera souvent
le fruit que de quelques heures ; cependant un malheureux , nud jusqu'à la chemise,transsi defroid , demi mort de faim,
se glisse adroitement dans son Bureau ,
II. Vol A vj qu'il
1268 MERCURE DE FRANCE
qu'il écrême si peu que rien le superfluz
de son cher métail ; en court après , on
l'arrête , on l'emprisonne ; le coupable
n'est déja plus. Pourquoi ne poursuit- on
pas avec la même diligence et la même
sévérité les Voleurs des Ouvrages ingénieux ? L'Esprit est- il moins estimable
que l'or ?
Vilius argentum est auro , virtutibus aurum:
Un Financier a plutôt gagné vingt mil
le écus , qu'un Poëte n'a fait une belle:
Ode. Si le travail , si la difficulté donnele prix aux choses , les Métaux , les Diamans qui ne sont que de la bouë pétrifiée
et polie ensuite par l'Ouvrier , sont - ils
donc préférables aux pures et l'aborieuses
productions de l'ame.
Otempora! ô mores ! Depuis que les Boileaux , les Molieres , les Saint- Evremond,
ces Turennes , ces Condez du Parnasse
sont allez guerroyer dans les champs Eli-
-sées ; la licence et le désordre ont envahi le Païs des Lettres ; où la force manque, tout est toléré. Platon se détaille
en Comédies, les Lettres se composent en
Madrigaux , les Oraisons prétintaillées
sont toutes frisées d'antithéses , l'Historien passe avec rapidité sur la politique et
l'interressant , et se promene à pas comII.Vol.
ptez
JUIN. 17320 1269
ptez dans la région fleurie des descriptions , et passe de- là par une fausse porte
dans la grande contrée des digressions
vagues et inutiles.
Jugez , Monsieur , par la mauvaise humeur où je suis , combien votre malheur
m'a affligée ; ce qui redouble encore mon
chagrin, c'est d'apprendre de vous-même
que vous avez dit adieu au Parnasse.Quoi
le dépit d'avoir perdu une Ode , doit-il
vous porter à des extrémitez pareilles ?
La perte est réparable. Ne vous est-il pas
resté un Canif pour tailler votre Plume?
Mais avez-vous bien refléchi sur la résolution que vous vous imaginez avoir
prise ? Croyez-vous pouvoir tenir ferme
contre le penchant dont vous êtes l'esclave ? Je vous en défie , j'en ai dit tout autant que vous , cent et cent fois.
n'a
Verbaque pracipites diripuere noti.
J'ai trouvé que le feu Pere du Cerceau
pas eu tort d'écrire :
39 Qui fit des Vers , toujours des Vers fera,
C'est le Moulin qui moulut et moudra;
»Contre l'étoile il n'est dépit qui tienne ,
» Et je me cabre en vain contre la mienne.
Le P. du Cerceau a rendu par ces quaIL. Vol.
tre
1270 MERCURE DE FRANCE
tre Vers Marotiques , le Vers d'Horace
qui suit :
Naturam expellas furca tamen usque recurret.
Ce que je ne sçais quel autre a traduit
én deux Vers :
Quand , la Fourche à la main, nature on chase seroit >
Nature cependant toujours retourneroit.
Ovide , dont l'esprit est si fécond et si
délié , ce Poëte qui quelque sçavant qu'il
fut , devoit moins à l'Art qu'à la Nature. Ovide est forcé d'avouer que c'est en
vain qu'on tâche de combattre ce penchant imperieux.
At mihijam puero coelestia sacra placebant ,
Inque suum furtim Musa trahebat opus..
Sæpe Pater dixit , studium quid inutilè tentas ?
Moonides nullas ipse reliquit opes ,
Motus eram dictis , totoque Helicone relictor
Scribere conabar verba soluta modis,
Sponte sua carmen numeros veniebat adaptos
Quidquid tentabam scribere versus erat.………
Le Pere d'Ovide séche de chagrin de
voir son fils en proye à cette manie tirannique ; il ne néglige rien pour en rompre
les accès , il lui montre le vuide de cette
II. Vol. occu-
JUIN. 1732. 1271
Occupation aussi pénible qu'infructueuse.
L'exemple d'Homere qui vécut toujours
pauvre, malgré ses grands talens , lui sert
à prouver l'importante vérité de ses leçons salutaires. Il conseille , il commande, il prie , il menace, et s'emporte même
jusqu'à le maltraiter ; le fils paroît se rendre à la volonté du pere , et se croyant
déja le maître de sa passion , lui promet
de ne plus faire de Vers de sa vie.
•
C'est en Prose qu'il écrira désormais ,
le parti en est pris ; il faut que l'agréa
ble cede à l'utile , il n'y a plus à balancer.
En un mot , le voilà la plume à la main
résolu d'exécuter ce qu'il s'est proposé.
Mais qu'arrive-t- il ? La tête lui tourne , il
se figure écrire de la Prose, et ce sont des
Vers qui coulent sur le papier.
Quidquid tentabam scribere , versus erat.
Ovide ne péchoit point par ignorance,
et l'on a sans cesse répété depuis tant de
siècles , les deux Vers suivans , enfans de
sa veine : que l'esprit avoit été autrefois
plus précieux que l'or , mais qui dans le
temps présent , c'étoit être tout à-fait
barbare, que d'être entierement dépourvû des dons de la fortune.
Ingenium quondam fuerat preciosius auro.
II. Vol. Pour
1272 MERCURE DE FRANCE
Pour moi je crois que ce quondam , cet
autrefois , n'a jamais été.
At nunc barbaries grandis habere nihil.
Quant à ce Nunc , ce maintenant , je
crois qu'il a été de tout temps.C'est donc
en Ovide que la volonté est maîtrisée par
le temperament ; et c'est-là qu'on peut dire que le libre arbitre fait nauffrage.
Après tout , je conviens avec vous et
avec toutes les personnes sensées , que
quand on n'est pas né avec beaucoup de
bien, on doit tâcher d'arriver par les belles voyes à certaine fortune , à labri de
laquelle on puisse vivre à l'aise , et faire la
figure convenable à son rang.
Nil habet infelix paupertas durius in se
Quam quod ridiculos homines , facit.
La pauvreté est le plus grand des maux
qui soient sortis de la funeste Boëte de
Pandore , et l'on craint autant l'haleine
d'un homme qui n'a rien , que celle d'un
pestiferé.
Yo
Déplorons donc le sort de ceux qu'un
ascendant fatal attache à ce libertinage
d'esprit. Sénéque , ce Philosophe sentencieux , qu'on peut comparer au Rat hipo
crite , qui prêche la mortification dans
un Fromage de Hollande , ou à la four11. Vol.
mi,
JUIN. 1732. 1273
mi, qui fait l'éloge de l'abstinence, montée sur un tas de grain. Cet illustre Charlatan débitoit autrefois la morale austére,
qu'il nous a laissée dans ses Livres ; mais
y croyoit-on ? et pouvoit - on plutôt ne
pas mépriser un homme qui conseilloit
la sobriété , la bouche pleine , et la
vreté , tandis que ses coffres regorgeoient
de Richesses ? Nicolas de Palerme parloit
avec bien plus de sincerité , quand après
avoir lû un Livre, dans lequel on préténdoit que la pauvreté étoit un bien, il s'écria : Délivrez-moi d'un tel bien , ô mon
Dieu !
pauTravaillez , nous dit-on , divins éleves
des Muses , veillez , suez , frappez - vous
le front , mordez-vous les doigts , brisez
votre pupitre , au fort de votre entousiasme. Virum Musa beat. La gloire se
peut-elle achepter par trop de peines ?
Quel honneur! quel espoir que celui de se survivre éternellement à soi - même !
Erreur , folie , idée chimerique.
Gloria quantalibet quid erit , si gloria tantum est.
Ne vaut- il pas mieux vivre pendant
qu'on est en vie , et que l'on se sent vivre réellement : Homere , ce Chantre fameux , qui jadis entonnoit ses Rapsodies
sur les Ponts-Neufs des Villes de Gréce ;
II.Vol. en
1274 MERCURE DE FRANCE
en traîna- t-il de moins tristes jours , quoi
quele Supplément de Quinte- Curce nous
dise que ses Ouvrages se sont reposez
après sa mort , sous l'oreiller du Grand
Alexandre. On logea ses Poëmes dans des
Coffrets d'or , enrichis de Pierreries ; et
pendant qu'il vécut , à peine trouva- t- il
une Maison où se mettre à l'abri des injures de l'air ? Fecit enim nominis ejus claritas , ut quem virum rebus omnibus egentem nemo agnoverit , nunc multe Gracia ?
Urbes certatim sibi vindicent. Dante , dans
le 22 Chant du Purgatoire , désigne ainsi
cet illustre Poëter
QuelGreco
Chele Muse lattar più ch'altro mai.
Pour moi , je dis que si les Muses sont
des Nourrices , ce ne sont que des Nousrices séches ; leurs Nourrissons s'attendent
à recueillir un aliment qui les rassasie
mais au lieu de lait , ils n'en tirent que du
vent qui les fatigue et les extenue. Ceci
revient à l'endroit de votre Lettre , où
vous dites agréablement en Vers , que les
Poëtes ne moissonnent que du vent avec
leur plume. Ainsi je crois qu'on les peut
appeller des Instrumens à vent , qui ne
rendent que du vent , ne travaillent que
pour du vent , et ne sont récompensez
II. Volo que
JUIN. 1732. 1275 1
que de vent; disons donc avec Pétronne :
Heu! ast heu! utres inflati sumus , minoris
quàm Muscasumus, tamen aliquamvirtutem
habent , nos non pluris quam bulla. Voici
une Boutade de ma façon à ce sujet :
si le vent est la nourriture ,
Des Bourgeois malheureux du stérile Hélicon;.
Ils devroient , au lieu d'Apollon ,
Pour ne point manquer de Pâture ,
D'Eole le venteux , avoir fait leur Patron.
Plusieurs Singes du Docte Erasme , se
sont émancipez de nos jours , à faire divers éloges pointilleux , de l'Yvresse , du
Mensonge , de Rien , de quelque chose ,
et nombre d'autres bagatelles bizarres
dans le même goût; mais je n'en vois point
qui se plaisent à faire l'éloge de la Pauvreté; Paupertas habet scabiem. Juvenal ,
ce grondeur éternel , cet impitoïable censeur des mœurs de son siècle , ne sçauroits'empêcher de sortir de sa Philosophie , et
de soupirer après les biens de la fortune ;
il déteste la pauvreté, il déplore la misere
du Poëte Stace , et sa septiéme Satyre est
toute farcie de plaintes.
Frange miser calamos , vigilataque prælia dele ,
Quifacis in parva sublimia carmina cella ,
Ut dignus venias hederis et imagine macrâ :
II. Vol.
Spes
1276 MERCURE DE FRANCE
Spes nulla ulterior , didicit jam dives avarus
Tantum admirari, tantùm laudare disertos,
Ut pueri ,junonis avem.
Cette matiere est si- bien traitrée dans
cette Satyre, qu'elle mériteroit d'être rapportée toute entiere , si cet Auteur n'étoit entre les mains de tout le monde : La
pauvreté, dit-on, est la Mere des Arts.
Labor omnia vincit
Improbus, et duris urgens in rebus egestas.
Oui , la Mere des Arts mécaniques ; un
Manœuvre vit du travail de ses mains ;
mais les Poëmes ne se vendent point en
détail , si ce n'est chez les Marchands de
Drogues. Cette réfléxion me donne lieu de
rapporter la Parodie que j'ai faite de quelques-unes des belles Stances de Rousseau:
Que l'homme , &c.
Qu'un Livre est bien pendant sa vie
Un parfait miroir de douleurs
En naissant sous la Presse il crie ,
Et semble prévoir ses malheurs.
諾
Un Essain d'insolens Censeurs .
D'abord qu'il commence à paroître ,
<
II. Vol. En
JUIN. 1732. 1277
En dégoute les achepteurs ,
Qui le blament sans le connoître.
A la fin pour comble de maux ,
Un Droguiste qui s'en rend maître ,
En habille Poivre et Pruneaux ;
C'étoit bien la peine de naître.
On raconte que Zeuxis faisoit une telle
estime de ses peintures,que s'il ne les pouvoit bien vendre,il aimoit mieux les donner que d'en retirer un prix médiocre.
Les Auteurs n'ont point cette alternative,
et le Libraire s'imagine les trop payer encore , en leur donnant un petit nombre
d'Exemplaires. Il arrive même que le Libraire se ruine à force de faire gémir la
Presse. A qui donc se doit imputer la
cause d'un pareil dérangement? A la corruption du goût , au grand nombre de
Brochures ridicules , de Romans monstrueux qui s'impriment tous les jours , et
qui se vont effrontément placer dans la
Boutique, à côté des la Bruyeres, des Pascals , des Corneilles , des Molieres , des
Fénelons , des Rousseaux , des Voltaires ,
et des autres Ecrivains du premier Ordre.
Ce queje trouve de pis, c'est que tous ces
vils Auteurs communiquent leur Lépre
II, Vol. aux
178 MERCURE DE FRANCE
aux autres par le voisinage. L'Ignorance
vient ensuite , et sa main confondant
ce qu'il y a de pitoyable avec ce qu'il y a
d'exquis , recueille l'Ivraye, tandis qu'elle
néglige et qu'elle laisse le Froment le plus
pur. S'il y avoit des Protecteurs d'un certain esprit, qui sçussent peser les Ouvrages au poids du discernement , pour en
récompenser les Auteurs avec bonté et
justice , les mauvais tomberoient , et les
bons se multipliroient. Les Virgiles ne manquent point quand il y a des Méce- *
nas.C'est ce que dit Martial dans un Vers
de ses Epigrammes , et je me suis égayée
à paraphraser ce Vers en notre langue.
Sint Maecenates , non deerunt , Flacce , Marones.
Aujourd'hui les Seigneurs ne donnent
Aux Doctes ni maille ni sou ,
Par quoi pour aller au Perou ,
Beaux Esprits , Parnasse abandonnent
Mais quand les Mécenas , foisonnent ,
De Virgiles on trouve prou.
Virgile , l'Aigle des genies superieurs eut la satisfaction de voir son merite reconnu et recompensé. Servius rapporte ,
que les presens que lui firent Octave
Cesar et Mécenas, furent de si grande va
leur , que sa fortune monta en peu de
II.Vol. temps
JUIN. 1732. 1279
temps jusqu'à six mille Sesterces ; il étoit
aimé et honoré à Rome, il y avoit même
un Palais magnifique. Un jour il prononça en présence de l'Empereur et d'Octavie , mere de Marcellus , quelques Vers
de l'Enéïde ; quand il fut à l'endroit du
sixiéme Livre , où il parle de la mort de
Marcellus , d'une maniere si élégante et
si pathétique , le cœur d'Octavie en fut si
vivement touché , qu'elle tomba évanoüie , et revenant à soi , comme son évanoüissement l'avoit empêchée d'entendre
douze Vers , elle fit donner à Virgile dix
Sesterces par chaque. Quels présens n'at-on point fait depuis àSannazar ; et de
quel prix n'a-t- on point honoré sa belle
Epigramme sur la Ville de Venise ? Sa
reputation en imposoit tellement qu'il
suffisoit qu'une piéce passat pour sienne ,
pour être jugée excellente. Ce trait singulier a été remarqué par le Comte Baldessar Castiglione , dans son Courtisan.
Essendo appresentati alcuni versi sotto il no
ma del Sannazaro , à tulti par vero motto
excellenti , e furono laudati con la Meraviglie è esclamationi ; poi sapendosi per certo ,
che erano d'un altro , Persero subito la re
putatione , et par vero meno che mediocri.
Charles IX. aimoit les Lettres , mais il
étoit tres réservé dans ses récompenses.
II. Vol. Ce
1280 MERCURE DE FRANCE
les
Ce Prince , dit Brantome , aimoit fort les
Vers, et récompensoit ceux qui lui en présentoient , non pas tout à coup , disant que
Poëtes ressemblent les Chevaux , qu'ilfalloit
nourrir , non pas trop saouller , ni engraisser,
car après il ne valent plus rien. Je crois
que ni vous ni moi ne sommes trop contens de sa comparaison , et ce Prince s'étoit peut-être encore figuré qu'il en est
des Poëtes, comme des Maîtres de Danse,
qui , pour bien exercer leur Métier , doivent avoir la taille légere. Hélas ! pour
un petit nombre de Poëtes à qui la Fortune a fait part de ses faveurs ; combien
y en a- t il eu de malheureux,jusqu'à manquer du necessaire ? Consultez là- dessus
les mélanges d'Histoire et de Litterature
de Vigneul Marville. Parmi la multitude
des Sçavans infortunez dont il parle , je
me suis principalement attendrie sur la
déplorable condition du Tasse dont j'adore l'Aminte et la Jerusalem délivrée.
Le Tasse , dit ce Compilateur , étoit réduit à une si grande extrémité , qu'il fut
obligé d'emprunter un écu d'un ami pour
subsister pendant une semaine, et de prier
sa Chatte , par un joli Sonnet , de lui
prêter la nuit la lumiere de ses yeux , non
havendo candele per iscrivere i suoi versi. ·
Nous avons eu quelques Poëtes en France,
II. Vol. envers
JUIN. 1732. 1281
envers lesquels on a vû les Grands signader leur goût , ou plutôt leur caprice ; et
Desportes est plus célebre aujourd'hui par
les pensions et les présens qui lui furent
faits , que par ses Poësies.
Le jugement de l'Homme , ou plutôt son caprice,
Pour quantité d'esprits , n'a que de l'injustice.
Cor. la Gal. du Pal. act. 1. sect. 7. ,
Chapelain , dont on peut dire qu'il nâquit parfaitement coiffé, quoique suivant
la Parodie de Despréaux , il ne porta jamais qu'une vieille Tignasse : Chapelain
eut plus de bonheur que nul autre ; car
il se vit payé par avance , de l'intention
qu'il avoit de donner un Poëme excellent;
joüit pendant vingt ans d'une grosse
pension , et son intention mal exécutée
le rendit à la fin possesseur d'une fortune
considérable , tandis que Corneille et Patru pouvoient à peine fournir aux besoins
dont la nature nous a faits les esclaves.
·
D'autres Auteurs ont vû le fruit de
leurs veilles se borner aux attentions, aux
caresses des Grands . Cela flatte d'abord la
vanité ; mais de retour chez soi , on n'y est
pas un instant , sans en appercevoir le
vuide dans toute son étenduë. Trente
baisers , plus doux encore que celui dont
II.Vol B Mar-
1282 MERCURE DE FRANCE
Marguerite d'Ecosse régala Alain Chartier , ne feront point une vie gracieuse à
un Poëte , si l'on s'en tient aux démonstrations extérieures. On n'est point avare
à notre égard de complimens et de ceremonies , et l'on nous traite à la façon des
Morts , avec de l'eau benite. Peut - être
aussi que les bons Poëtes ayant été comparez aux Cigales , par quelques Anciens ,
car les mauvais leur ont été comparez
par d'autres ) on s'est figuré , que comme
elles , ils ne doivent vivre que de rosée.
Hoggi è fatta ( ô secolo inhumano
L'Arte del Poetar troppo infelice
Tuto nido , esca dolce , aura cortese,
Bramano i cigni , è non si vàin Parnasso ,
Con le cure mordaci, è chi pur garre ,
Semper col suo destino , è col disagio ,
Vien roco , è perde il canto , è lafavella.
GUARINI.
Mais , ne direz-vous pas , Monsieur , en
lisant ma longue Lettre , que c'est moi
qui pour mon babil , dois être mise en
parallele avec les Cigales de la derniere
espece ; j'en conviens avec vous , et je ne
nie pas que je ne scis de mon sexe tout
comme une autre,Prenez donc encore une
prise de Tabac pour vous réveiller et vous
II.Vol. forti-
JUIN. 1732. 1283
fortifier un peu contre l'ennui que vous
pourroient causer quelques lignes qu'il
me reste à écrire.
J'en reviens à l'adieu que vous prétendez dire aux neufSœurs ; permettez- moi
de vous assurer derechef¸ que c'est en
vain que vous vous le persuadez ; vous
ferez comme le Poëte Mainard , vous ré.
péterez inutilement , en prenant congé d'elles :
Je veux pourtant quitter leur bande ,
L'Art des Vers est un art divin , '
Mais leur prix est une Guirlande ,
Qui vaut moins qu'un bouchon à vin.
Vos efforts révolteront votre penchant
contre vous , et ne serviront qu'à rendre
sa rebellion plus opiniâtre; votre raison
même trop amoureuse de la rime , n'entendra plus vos cris , et ne pourra se résoudre à faire divorce avec elle. Mais
Monsieur, vous vous plaignez d'avoir été
dolié par la nature d'un mérite inutile an
bonheur de votre vie : Vous vous plaignez ! Eh, croyez vous être le seul à qui
la cruauté du sort a laissé le droit de le
maudire. Ma situation , par exemple, n'estelle point encore plus fâcheuse que la vô
tre? Je ne suis jamais sortie de ma Province,
presque toujours exilée dans le sein de
II.Vol. Bij ma
1284 MERCURE DE FRANCE
ma Patrie ; triste habitante d'un Port de
Mer , où les Lettres sont , pour ainsi dire,
ignorées: J'y avois un compatriote, un illustre ami , M. Bouguer , ce Mathématicien fameux , que l'Académie des Sciences , qui l'a couronné trois fois , a reçu au
nombre de ses Membres , au grand contentement de ses Rivaux découragez ,
mais il n'est plus de notre païs ; le Havre
de Grace nous l'a envié , et il y professe
aujourd'hui l'Hydrographie ; nous avons
pourtant en son frere ,qui remplit sa place avec honneur , une digne portion de
lui-même. Le peu de réputation que j'ai
je ne la dois qu'à moi seule et à deux cens
volumes François , Grecs traduits , Latins
et Italiens, qui forment ma petite Bibliotheque. La nombreuse famille dans laquelle je suis née ( comme vous l'avez pâ
voir dans mon Ode , sur la mort de mon
pere ) ne me laisse point assez de superAlu pour faire le voyage de Paris. Cependant Baile , dans son Dictionaire, au mot
le Païs , veut que les Parisiens n'estiment
point un Ouvrage en notre langue , s'il
n'est conçu dans l'enceinte de leur Ville ,
ou du moins s'il n'y a reçu les derniers
coups de lime.
Après tout , les injures que vous dites
àla Poësie ne me paroissent pas des mieux
II. Vol. fondées
JUIN 17328 1285
fondées , s'il est vrai qu'en rimant en or,
vous ayez trouvé la Pierre Philosophale.
Je vous avouerai pourtant que cela ne me
paroît pas naturel ; il faut absolument
qu'il y entre de l'abracadabra, ou que vous
fassiez usage de partie des Sortileges dont
le Cavalier Marin nous a donné une longue liste , dans le 13 chant de l'Adone.
Suggelli , è Rombi , è Turbini , è figure.
Il y a même dans votre projet d'autant
plus de difficulté , que les rimes en or sont
tres-rares. Richelet , ce curieux trésorier
des mots , s'est épuisé à faire la recherche
de ces rimes dorées , et n'en a pû trouver
qu'environ une demie douzaine , si vous
en exceptez les noms propres
*
Vous voulez donc rimer en or ,
La rime en or est difficile ,
Et ne vous permet pas de prendre un libre es
sor ,
Mais sçavez-vous pourquoi cette rime est sté- rile ?
C'est qu'Apollon voyant qu'à la Cour,à la Ville,
Rarement à rimer on amasse un trésor ,
Ce Dieu prudent , jugea qu'il étoit inutile
De vouloir fabriquer tant de rimes en or.
J'ai de plus un avis à vous donner en
II. Vol.
amie , B iij
T286 MERCURE DE FRANCE
amie , qui est que si en rimant en or , vous avez le moyen de gagner de l'or , vous
vous donniez bien de garde de dire votre
secrettrop haut;les autres l'apprendroient,
et vous sçavez que le grand nombre d'ou
vriers fait diminuer le prix des marchandises.
Il me reste à vous parler de M. de la
Motte , dont votre Lettre m'a appris la
mort. J'ai remarqué dans les Livres de cet
Académicien , un esprit exact , un jugement profond , des pensées solides , avec
un certain air de probité qui ne regnoit
pas moins , nous dit on , dans son cœur ,
que dans ses. divers Ouvrages. Cette derniere qualité est sur tout estimable. Un
Auteur est exempt d'excuser son cœur en
accusant sa plume , comme fait Martiak
dans une Epigramme.
Est lasciva mihi pagina , vita proba.
Ce que Mainard a traduit si gaillardement , que la modestie de mon sexe ne
me permet pas de le citer , dautant que
l'obscenité est dans les termes. Parti tunicam prætende tegenda. Je ne sçaurois passer la grossiereté des expressions en quelque langue que ce soit , et ce défaut est
moins pardonnable aux François qu'aux
autres ; notre Nation surpassant en poliII. Vol.
tesse
JUIN. 1732.
1287
tesses les anciens Romains même. Il en est
des Vers comme d'une Lettre polie ; il
leur faut une enveloppe.Personne ne prise
plus que moi les Epigrammes de Rousseau ; je ne m'offense pas jusqu'à faire la
grimace , en lisant quantité de ces petites
Piéces , dont le sens est un peu libertin ,
mais je ne sçaurois souffrir celles où la pudeur est directement heurtée par les termes. Boileau , dans le 2 chant de son Art
Poëtique , ne permet point en notre langue ces libertez d'expression qu'il tolere
en Catule et en Pétronne.
Le Latin dans les mots brave l'honnêteté ,
Mais le Lecteur François veut être res pecté.
Ma façon d'écrire vous paroîtra singu
lieure , Monsieur ; je cours çà et là , sans
tenir de route certaine , et comme si j'érois enfoncée dans un Labirinte, je quitte
une allée pour en enfiler une autre je
m'égare , je retourne sur mes pas ; faisant
de cette maniere beaucoup de chemin ,
sans beaucoup avancer.
Or pour en revenir à M. de la Motte ,
après avoir loué ce que j'ai trouvé d'admirable en lui , dût - on me faire mont
procès , il faut que j'avoue ce qui m'a déplu. Je dis donc qu'il est trop gravement
II.Vol. Biiij moral
1288 MERCURE DE FRANCE
moral dans ses Odes , que son stile est
triste , que , que la Poësie languit dans ses Tragédies, que ses Fables ne sont point naïves , et que ce n'est que dans quelques endroits de ses Opéra que je découvre les
étincelles du beau feu qui caractérise le
Poëte. Le Quattrain qui suit , et que vous
citez dans votre Lettre , n'est pas de mon
goût , n'en déplaise aux Manes de M. de
la Motte.
»Vous loüez délicatement
"Une Piéce peu délicate ,
>> Permettez-moi que je la datte
- Du jour de votre compliment.
Je n'entends gueres ces quatre Vers ,
et il me paroît que le bon sens de M. de
la Motte a fait un faux pas en cette occasion. Vous me marquez qu'ayant lû une
Piece infiniment délicate , vous dites à M.
de la Motte qu'il falloit qu'elle fut de lui
ou de M. de Fontenelles que répond t- id
dans son Quattrain impromptu , sinon ,
1º. que cette Piéce qu'il avoit trouvée de
mauvais aloi auparavant , devient bonne,
parce que vous avez crû qu'elle étoit de
lui ou de M. de Fontenelle. 2°. Qu'elle
n'est bonne que du jour de votre compliment , et que c'est ce compliment qui
fait une partie de sa bonté. En verité cela
II. Vol. ne
JUIN. 1732. 1289
ne meparoît pas raisonnable.Mais ne passerai-je pas dans votre esprit , Monsieur ,
pour une indiscrete de déclarer mon sentiment avec tant de liberté sur un Auteur
aussi célebre que M.de la Motte ? Ne pas- serois - je pas même pour une ingrate , si
vous sçaviez que c'est lui qui m'a adressé
les quatre Vers que vous avez peut- être
lû dans le Mercure de Janvier, page 75.
qu'y faire ? Je suis femme , et par conséquent peu maîtresse de me taire. De plus
j'ai vu le jour au milieu d'une nation, dont
la naïveté et la franchise ont toujours été
le partage. Mais il me souvient que vous
m'engagez sur la fin de votre Lettre à faire l'Epitaphe de M. de la Motte , je le devrois , ne fusse que pour me vanger de sa
politesse , je le devrois , je ne le puis. Cependant , attendez , révons un moment;
foy de Bretonne.voici tout ce que je sçau.
rois tirer de mon petit cerveau.
Cy git la Motte , dont le nom
Vola de Paris jusqu'à Rome ;
Etoit-il bon Poëte ? Non ,
Qu'importe Il étoit honnête homme,
Je ne doute point que cette Critique ne
souleve contre moiles trois quarts du Par
nasse. Les Partisans de M.de la Morte , et
peut-être vous-même me regarderez com
II.Vol. By me:
1290 MERCURE DE FRANCE
me une sacrilege. Ils diront qu'il ne m'appartient pas de mettre un pié profane dans le sanctuaire. Je commence par les :
avertir que je ne répondrai rien , c'est à- dire , que je me tairai si je le puis , sinon
on verra,furens quid fœmina possit. Eh !
depuis quand prétend- t- on ôter la liberté
de dire ce qu'on pense sur les Ouvrages
d'esprit?Les Loix de la critique sont comme celles de la Guerre ; il est permis de
tirer , mais il est défendu d'envenimer les
Bales. Pourquoi me feroit-on un crime
de prendre sur les Ouvrages de M. de la
Motte les mêmes droits qu'il s'est attribués sur ceux d'Homere, de Pindare, d'Anacréon , et des Latins et des François? Au
surplus si la critique est mal fondée , les
traits que lance le Censeur reviennent
sur lui. Si au contraire elle est judicieuse ,
les défauts qu'on fait appercevoir aux autres , servent à les corriger et à les rendre
amoureux du vrai beau et de la pure exactitude.
Je ne m'ennuye point avec vous , Monfeur , mais je crains que mes discours ne
'ous ennuyent; je ne dirai pas comme
Pascal, dans sa seiziéme Lettre:Je n'aifait
celle- ci plus longue que parce queje n'ai pas
eu le loisir de la faire plus courte. Je dirai
plutôt , comme dans sa huitiéme : Le pa- II.Vol.
Pier
JUIN. 1732. 1291
pier me manque toujours , et non pas les Passages et je ne fais cette Lettre si courte
que parce que je ne la veux pas faire plus
longue , dans la crainte que j'ai , ou que
sa prolixité ne la fasse rebuter de l'Auteur
du Mercure, ou que vous ne vous donniez
pas la peine dela lire jusqu'à la fin , et je
vous avoue que je vous en voudrois du
mal , d'autant plus que c'est ici que vous
trouverez ce que j'ai sur tout envie que
vous sçachiez , que je suis avec un parfait retour d'estime, Monsieur , votre treshumble , &c.
Au Croisic , ce 15 d'Avril , 1732.
la Vigne , à la Lettre que M Carrelet
de Hautefeuille lui a addressée dans le
Mercure de Janvier 1732. page 75.
Leine,Monsieur,de m'apportervos
E Seigneur Mercure s'est donné la
peine , Monsieur , de m'apporter vos
Poulets , vos Billets doux , vos Relations,
en un mot votre Lettre ; car cette Lettre
sçavante et polie renferme en elle toutes
ces especes', par les differentes matieres
qu'elle traitte , et par les tours ingénieux
dont elle est agréablement variée ; je me
Alatte aussi que ce fidele Messager , non
moins habile que gracieux , voudra bien
se charger de ma réponse.
Vous m'écrivez , Monsieur, qu'on vous
a volé ; vous ne pouviez vous addresser à
personne qui fut plus sensible à ce qui
vous touche, ni par conséquent plus portée à vous plaindre. Quoi ! Monsieur, on
K
II. Vol.
vous
JUIN. 1732. 1265
vous a volé ? On vous a volé , Monsieur?
Quel accident ! Quelle perfidie ! Quelle
cruauté ! Eh! que vous a- t - on volé ?
Grands Dieux ! Proh! Dii immortales ! Facinus indignum quod narras !
Ce n'est point deux Vers , une Strophe, un Madrigal, une Epigramme seulement: Ciel ! c'est sur une Ode entiere qu'on
a eu l'audace de mettre la main.
Le trait est noir ; oui , certes, et des plus
noirs. Ce sont- là de ces coups qu'un Poëte
supporte rarement avec patience, à moins
qu'il n'ait , comme vous , l'ame bourrée
d'une Jacque de Maille à la Stoïcienne.
Sans doute que le Voleur en faisant ce
larcin, s'étoit fondé sur ces deux premiers
Vers du 15 Chant de Roland le furieux.
Fù il vincer sempre mai laudabil cosa ,
Vinca si è per fortuna , o per ingegno.
L'Arioste me paroît avoir escroqué
cette pensée à Virgile , dans le 2. liv. de l'Enéïde.
Dolus an virtus , quis in hoste requirat ?
·
Cependant le voleur dont il s'agit ,' n'est
point pardonnable. C'est là mal interprêter la chose , et faire en matiere de
Lettres, ce que font les hérétiques en maII. Vol.
A v tiere
1266 MERCURE DE FRANCE
"
tiere de Religion, qui tournent et retournent certains Passages de tant de côtez
qu'ils leur trouvent à la fin un sens ambigu , et qui , quelque louche qu'il soit ,
leur paroît neanmoins d'accord avec leur
morale. Mais comme on ne les confond
ensuite , qu'en opposant citation contre
citation , authorité contre authorité , il
faut donc objecter aux Filoux du Parnasse
le sentiment d'un autre Italien. Auvertite
che voi vi vestite degli honori , e delle glorie
altrui , et v'attribuite quello che non è vostro. Voi sarete chiamati la cornacchia d'Esopo , et quello ch'è peggio , bisognerà restituire i furti con grandissimo scorno , e biasmo come suole intervenire a certi poetuzzi
moderni che alla scoperta rubbano a tutti ,
non rimanendo loro di proprio che la fatica , l'inchiestro , la carta , et il tempo gettato via.
Sérieusement , Monsieur , votre situation me paroît triste , et d'autant plus
qu'on ne croit pas toujours le plaignant
sur sa déposition. C'est vainement qu'il
dira , oui , Messieurs , je fis cette Strophe
un tel jour , à telle heure ; et la preuve ,
la voilà : Absorbé que j'étois dans la poëtique rêverie , je me rongeai les ongles
jusqu'au vif: Voyez - vous ? Regardez ,
ces deux doigts écorchez par le bout, sont
€
II. Vol. de
JUIN. 1732. 1267
de sûrs garans de la vérité de mes paroles.
Vains propos : Plus de la moitié de vos
juges ne sçauroient résoudre leurs doutes
et l'on balance toujours entre le proprié
taire et le voleur. Pour moi , si j'avois été
en votre place , j'aurois mis cent Mouches en campagne pour dénicher le Larron , et le faire sans délai convenir du
larcin.
J'aurois fait aussi- tot galopper sur sa trace
Le grand Prevôt du Parnasse,
Mais hélas ! que les choses sont aujourd'hui changées ; on insulte , on pille , on
brave Apollon sur son Thrône même.
La Marêchaussée du Pinde n'a plus la
force de cheminer. Plutus , le seul Plutus
sçait se faire obéïr , se faire craindre , se
faire rendre justice , et l'on prétend que
c'est lui qui la distribuë; quant aux Citoyens de la double Colline , l'équité ne
s'observe ni à leur égard , ni à l'égard de
leurs ouvrages. Un Financier au moyen
d'une douzaine de chiffres , voit pleuvoir à millier les Louis dans son Coffre
fort , et ce profit amené , ne sera souvent
le fruit que de quelques heures ; cependant un malheureux , nud jusqu'à la chemise,transsi defroid , demi mort de faim,
se glisse adroitement dans son Bureau ,
II. Vol A vj qu'il
1268 MERCURE DE FRANCE
qu'il écrême si peu que rien le superfluz
de son cher métail ; en court après , on
l'arrête , on l'emprisonne ; le coupable
n'est déja plus. Pourquoi ne poursuit- on
pas avec la même diligence et la même
sévérité les Voleurs des Ouvrages ingénieux ? L'Esprit est- il moins estimable
que l'or ?
Vilius argentum est auro , virtutibus aurum:
Un Financier a plutôt gagné vingt mil
le écus , qu'un Poëte n'a fait une belle:
Ode. Si le travail , si la difficulté donnele prix aux choses , les Métaux , les Diamans qui ne sont que de la bouë pétrifiée
et polie ensuite par l'Ouvrier , sont - ils
donc préférables aux pures et l'aborieuses
productions de l'ame.
Otempora! ô mores ! Depuis que les Boileaux , les Molieres , les Saint- Evremond,
ces Turennes , ces Condez du Parnasse
sont allez guerroyer dans les champs Eli-
-sées ; la licence et le désordre ont envahi le Païs des Lettres ; où la force manque, tout est toléré. Platon se détaille
en Comédies, les Lettres se composent en
Madrigaux , les Oraisons prétintaillées
sont toutes frisées d'antithéses , l'Historien passe avec rapidité sur la politique et
l'interressant , et se promene à pas comII.Vol.
ptez
JUIN. 17320 1269
ptez dans la région fleurie des descriptions , et passe de- là par une fausse porte
dans la grande contrée des digressions
vagues et inutiles.
Jugez , Monsieur , par la mauvaise humeur où je suis , combien votre malheur
m'a affligée ; ce qui redouble encore mon
chagrin, c'est d'apprendre de vous-même
que vous avez dit adieu au Parnasse.Quoi
le dépit d'avoir perdu une Ode , doit-il
vous porter à des extrémitez pareilles ?
La perte est réparable. Ne vous est-il pas
resté un Canif pour tailler votre Plume?
Mais avez-vous bien refléchi sur la résolution que vous vous imaginez avoir
prise ? Croyez-vous pouvoir tenir ferme
contre le penchant dont vous êtes l'esclave ? Je vous en défie , j'en ai dit tout autant que vous , cent et cent fois.
n'a
Verbaque pracipites diripuere noti.
J'ai trouvé que le feu Pere du Cerceau
pas eu tort d'écrire :
39 Qui fit des Vers , toujours des Vers fera,
C'est le Moulin qui moulut et moudra;
»Contre l'étoile il n'est dépit qui tienne ,
» Et je me cabre en vain contre la mienne.
Le P. du Cerceau a rendu par ces quaIL. Vol.
tre
1270 MERCURE DE FRANCE
tre Vers Marotiques , le Vers d'Horace
qui suit :
Naturam expellas furca tamen usque recurret.
Ce que je ne sçais quel autre a traduit
én deux Vers :
Quand , la Fourche à la main, nature on chase seroit >
Nature cependant toujours retourneroit.
Ovide , dont l'esprit est si fécond et si
délié , ce Poëte qui quelque sçavant qu'il
fut , devoit moins à l'Art qu'à la Nature. Ovide est forcé d'avouer que c'est en
vain qu'on tâche de combattre ce penchant imperieux.
At mihijam puero coelestia sacra placebant ,
Inque suum furtim Musa trahebat opus..
Sæpe Pater dixit , studium quid inutilè tentas ?
Moonides nullas ipse reliquit opes ,
Motus eram dictis , totoque Helicone relictor
Scribere conabar verba soluta modis,
Sponte sua carmen numeros veniebat adaptos
Quidquid tentabam scribere versus erat.………
Le Pere d'Ovide séche de chagrin de
voir son fils en proye à cette manie tirannique ; il ne néglige rien pour en rompre
les accès , il lui montre le vuide de cette
II. Vol. occu-
JUIN. 1732. 1271
Occupation aussi pénible qu'infructueuse.
L'exemple d'Homere qui vécut toujours
pauvre, malgré ses grands talens , lui sert
à prouver l'importante vérité de ses leçons salutaires. Il conseille , il commande, il prie , il menace, et s'emporte même
jusqu'à le maltraiter ; le fils paroît se rendre à la volonté du pere , et se croyant
déja le maître de sa passion , lui promet
de ne plus faire de Vers de sa vie.
•
C'est en Prose qu'il écrira désormais ,
le parti en est pris ; il faut que l'agréa
ble cede à l'utile , il n'y a plus à balancer.
En un mot , le voilà la plume à la main
résolu d'exécuter ce qu'il s'est proposé.
Mais qu'arrive-t- il ? La tête lui tourne , il
se figure écrire de la Prose, et ce sont des
Vers qui coulent sur le papier.
Quidquid tentabam scribere , versus erat.
Ovide ne péchoit point par ignorance,
et l'on a sans cesse répété depuis tant de
siècles , les deux Vers suivans , enfans de
sa veine : que l'esprit avoit été autrefois
plus précieux que l'or , mais qui dans le
temps présent , c'étoit être tout à-fait
barbare, que d'être entierement dépourvû des dons de la fortune.
Ingenium quondam fuerat preciosius auro.
II. Vol. Pour
1272 MERCURE DE FRANCE
Pour moi je crois que ce quondam , cet
autrefois , n'a jamais été.
At nunc barbaries grandis habere nihil.
Quant à ce Nunc , ce maintenant , je
crois qu'il a été de tout temps.C'est donc
en Ovide que la volonté est maîtrisée par
le temperament ; et c'est-là qu'on peut dire que le libre arbitre fait nauffrage.
Après tout , je conviens avec vous et
avec toutes les personnes sensées , que
quand on n'est pas né avec beaucoup de
bien, on doit tâcher d'arriver par les belles voyes à certaine fortune , à labri de
laquelle on puisse vivre à l'aise , et faire la
figure convenable à son rang.
Nil habet infelix paupertas durius in se
Quam quod ridiculos homines , facit.
La pauvreté est le plus grand des maux
qui soient sortis de la funeste Boëte de
Pandore , et l'on craint autant l'haleine
d'un homme qui n'a rien , que celle d'un
pestiferé.
Yo
Déplorons donc le sort de ceux qu'un
ascendant fatal attache à ce libertinage
d'esprit. Sénéque , ce Philosophe sentencieux , qu'on peut comparer au Rat hipo
crite , qui prêche la mortification dans
un Fromage de Hollande , ou à la four11. Vol.
mi,
JUIN. 1732. 1273
mi, qui fait l'éloge de l'abstinence, montée sur un tas de grain. Cet illustre Charlatan débitoit autrefois la morale austére,
qu'il nous a laissée dans ses Livres ; mais
y croyoit-on ? et pouvoit - on plutôt ne
pas mépriser un homme qui conseilloit
la sobriété , la bouche pleine , et la
vreté , tandis que ses coffres regorgeoient
de Richesses ? Nicolas de Palerme parloit
avec bien plus de sincerité , quand après
avoir lû un Livre, dans lequel on préténdoit que la pauvreté étoit un bien, il s'écria : Délivrez-moi d'un tel bien , ô mon
Dieu !
pauTravaillez , nous dit-on , divins éleves
des Muses , veillez , suez , frappez - vous
le front , mordez-vous les doigts , brisez
votre pupitre , au fort de votre entousiasme. Virum Musa beat. La gloire se
peut-elle achepter par trop de peines ?
Quel honneur! quel espoir que celui de se survivre éternellement à soi - même !
Erreur , folie , idée chimerique.
Gloria quantalibet quid erit , si gloria tantum est.
Ne vaut- il pas mieux vivre pendant
qu'on est en vie , et que l'on se sent vivre réellement : Homere , ce Chantre fameux , qui jadis entonnoit ses Rapsodies
sur les Ponts-Neufs des Villes de Gréce ;
II.Vol. en
1274 MERCURE DE FRANCE
en traîna- t-il de moins tristes jours , quoi
quele Supplément de Quinte- Curce nous
dise que ses Ouvrages se sont reposez
après sa mort , sous l'oreiller du Grand
Alexandre. On logea ses Poëmes dans des
Coffrets d'or , enrichis de Pierreries ; et
pendant qu'il vécut , à peine trouva- t- il
une Maison où se mettre à l'abri des injures de l'air ? Fecit enim nominis ejus claritas , ut quem virum rebus omnibus egentem nemo agnoverit , nunc multe Gracia ?
Urbes certatim sibi vindicent. Dante , dans
le 22 Chant du Purgatoire , désigne ainsi
cet illustre Poëter
QuelGreco
Chele Muse lattar più ch'altro mai.
Pour moi , je dis que si les Muses sont
des Nourrices , ce ne sont que des Nousrices séches ; leurs Nourrissons s'attendent
à recueillir un aliment qui les rassasie
mais au lieu de lait , ils n'en tirent que du
vent qui les fatigue et les extenue. Ceci
revient à l'endroit de votre Lettre , où
vous dites agréablement en Vers , que les
Poëtes ne moissonnent que du vent avec
leur plume. Ainsi je crois qu'on les peut
appeller des Instrumens à vent , qui ne
rendent que du vent , ne travaillent que
pour du vent , et ne sont récompensez
II. Volo que
JUIN. 1732. 1275 1
que de vent; disons donc avec Pétronne :
Heu! ast heu! utres inflati sumus , minoris
quàm Muscasumus, tamen aliquamvirtutem
habent , nos non pluris quam bulla. Voici
une Boutade de ma façon à ce sujet :
si le vent est la nourriture ,
Des Bourgeois malheureux du stérile Hélicon;.
Ils devroient , au lieu d'Apollon ,
Pour ne point manquer de Pâture ,
D'Eole le venteux , avoir fait leur Patron.
Plusieurs Singes du Docte Erasme , se
sont émancipez de nos jours , à faire divers éloges pointilleux , de l'Yvresse , du
Mensonge , de Rien , de quelque chose ,
et nombre d'autres bagatelles bizarres
dans le même goût; mais je n'en vois point
qui se plaisent à faire l'éloge de la Pauvreté; Paupertas habet scabiem. Juvenal ,
ce grondeur éternel , cet impitoïable censeur des mœurs de son siècle , ne sçauroits'empêcher de sortir de sa Philosophie , et
de soupirer après les biens de la fortune ;
il déteste la pauvreté, il déplore la misere
du Poëte Stace , et sa septiéme Satyre est
toute farcie de plaintes.
Frange miser calamos , vigilataque prælia dele ,
Quifacis in parva sublimia carmina cella ,
Ut dignus venias hederis et imagine macrâ :
II. Vol.
Spes
1276 MERCURE DE FRANCE
Spes nulla ulterior , didicit jam dives avarus
Tantum admirari, tantùm laudare disertos,
Ut pueri ,junonis avem.
Cette matiere est si- bien traitrée dans
cette Satyre, qu'elle mériteroit d'être rapportée toute entiere , si cet Auteur n'étoit entre les mains de tout le monde : La
pauvreté, dit-on, est la Mere des Arts.
Labor omnia vincit
Improbus, et duris urgens in rebus egestas.
Oui , la Mere des Arts mécaniques ; un
Manœuvre vit du travail de ses mains ;
mais les Poëmes ne se vendent point en
détail , si ce n'est chez les Marchands de
Drogues. Cette réfléxion me donne lieu de
rapporter la Parodie que j'ai faite de quelques-unes des belles Stances de Rousseau:
Que l'homme , &c.
Qu'un Livre est bien pendant sa vie
Un parfait miroir de douleurs
En naissant sous la Presse il crie ,
Et semble prévoir ses malheurs.
諾
Un Essain d'insolens Censeurs .
D'abord qu'il commence à paroître ,
<
II. Vol. En
JUIN. 1732. 1277
En dégoute les achepteurs ,
Qui le blament sans le connoître.
A la fin pour comble de maux ,
Un Droguiste qui s'en rend maître ,
En habille Poivre et Pruneaux ;
C'étoit bien la peine de naître.
On raconte que Zeuxis faisoit une telle
estime de ses peintures,que s'il ne les pouvoit bien vendre,il aimoit mieux les donner que d'en retirer un prix médiocre.
Les Auteurs n'ont point cette alternative,
et le Libraire s'imagine les trop payer encore , en leur donnant un petit nombre
d'Exemplaires. Il arrive même que le Libraire se ruine à force de faire gémir la
Presse. A qui donc se doit imputer la
cause d'un pareil dérangement? A la corruption du goût , au grand nombre de
Brochures ridicules , de Romans monstrueux qui s'impriment tous les jours , et
qui se vont effrontément placer dans la
Boutique, à côté des la Bruyeres, des Pascals , des Corneilles , des Molieres , des
Fénelons , des Rousseaux , des Voltaires ,
et des autres Ecrivains du premier Ordre.
Ce queje trouve de pis, c'est que tous ces
vils Auteurs communiquent leur Lépre
II, Vol. aux
178 MERCURE DE FRANCE
aux autres par le voisinage. L'Ignorance
vient ensuite , et sa main confondant
ce qu'il y a de pitoyable avec ce qu'il y a
d'exquis , recueille l'Ivraye, tandis qu'elle
néglige et qu'elle laisse le Froment le plus
pur. S'il y avoit des Protecteurs d'un certain esprit, qui sçussent peser les Ouvrages au poids du discernement , pour en
récompenser les Auteurs avec bonté et
justice , les mauvais tomberoient , et les
bons se multipliroient. Les Virgiles ne manquent point quand il y a des Méce- *
nas.C'est ce que dit Martial dans un Vers
de ses Epigrammes , et je me suis égayée
à paraphraser ce Vers en notre langue.
Sint Maecenates , non deerunt , Flacce , Marones.
Aujourd'hui les Seigneurs ne donnent
Aux Doctes ni maille ni sou ,
Par quoi pour aller au Perou ,
Beaux Esprits , Parnasse abandonnent
Mais quand les Mécenas , foisonnent ,
De Virgiles on trouve prou.
Virgile , l'Aigle des genies superieurs eut la satisfaction de voir son merite reconnu et recompensé. Servius rapporte ,
que les presens que lui firent Octave
Cesar et Mécenas, furent de si grande va
leur , que sa fortune monta en peu de
II.Vol. temps
JUIN. 1732. 1279
temps jusqu'à six mille Sesterces ; il étoit
aimé et honoré à Rome, il y avoit même
un Palais magnifique. Un jour il prononça en présence de l'Empereur et d'Octavie , mere de Marcellus , quelques Vers
de l'Enéïde ; quand il fut à l'endroit du
sixiéme Livre , où il parle de la mort de
Marcellus , d'une maniere si élégante et
si pathétique , le cœur d'Octavie en fut si
vivement touché , qu'elle tomba évanoüie , et revenant à soi , comme son évanoüissement l'avoit empêchée d'entendre
douze Vers , elle fit donner à Virgile dix
Sesterces par chaque. Quels présens n'at-on point fait depuis àSannazar ; et de
quel prix n'a-t- on point honoré sa belle
Epigramme sur la Ville de Venise ? Sa
reputation en imposoit tellement qu'il
suffisoit qu'une piéce passat pour sienne ,
pour être jugée excellente. Ce trait singulier a été remarqué par le Comte Baldessar Castiglione , dans son Courtisan.
Essendo appresentati alcuni versi sotto il no
ma del Sannazaro , à tulti par vero motto
excellenti , e furono laudati con la Meraviglie è esclamationi ; poi sapendosi per certo ,
che erano d'un altro , Persero subito la re
putatione , et par vero meno che mediocri.
Charles IX. aimoit les Lettres , mais il
étoit tres réservé dans ses récompenses.
II. Vol. Ce
1280 MERCURE DE FRANCE
les
Ce Prince , dit Brantome , aimoit fort les
Vers, et récompensoit ceux qui lui en présentoient , non pas tout à coup , disant que
Poëtes ressemblent les Chevaux , qu'ilfalloit
nourrir , non pas trop saouller , ni engraisser,
car après il ne valent plus rien. Je crois
que ni vous ni moi ne sommes trop contens de sa comparaison , et ce Prince s'étoit peut-être encore figuré qu'il en est
des Poëtes, comme des Maîtres de Danse,
qui , pour bien exercer leur Métier , doivent avoir la taille légere. Hélas ! pour
un petit nombre de Poëtes à qui la Fortune a fait part de ses faveurs ; combien
y en a- t il eu de malheureux,jusqu'à manquer du necessaire ? Consultez là- dessus
les mélanges d'Histoire et de Litterature
de Vigneul Marville. Parmi la multitude
des Sçavans infortunez dont il parle , je
me suis principalement attendrie sur la
déplorable condition du Tasse dont j'adore l'Aminte et la Jerusalem délivrée.
Le Tasse , dit ce Compilateur , étoit réduit à une si grande extrémité , qu'il fut
obligé d'emprunter un écu d'un ami pour
subsister pendant une semaine, et de prier
sa Chatte , par un joli Sonnet , de lui
prêter la nuit la lumiere de ses yeux , non
havendo candele per iscrivere i suoi versi. ·
Nous avons eu quelques Poëtes en France,
II. Vol. envers
JUIN. 1732. 1281
envers lesquels on a vû les Grands signader leur goût , ou plutôt leur caprice ; et
Desportes est plus célebre aujourd'hui par
les pensions et les présens qui lui furent
faits , que par ses Poësies.
Le jugement de l'Homme , ou plutôt son caprice,
Pour quantité d'esprits , n'a que de l'injustice.
Cor. la Gal. du Pal. act. 1. sect. 7. ,
Chapelain , dont on peut dire qu'il nâquit parfaitement coiffé, quoique suivant
la Parodie de Despréaux , il ne porta jamais qu'une vieille Tignasse : Chapelain
eut plus de bonheur que nul autre ; car
il se vit payé par avance , de l'intention
qu'il avoit de donner un Poëme excellent;
joüit pendant vingt ans d'une grosse
pension , et son intention mal exécutée
le rendit à la fin possesseur d'une fortune
considérable , tandis que Corneille et Patru pouvoient à peine fournir aux besoins
dont la nature nous a faits les esclaves.
·
D'autres Auteurs ont vû le fruit de
leurs veilles se borner aux attentions, aux
caresses des Grands . Cela flatte d'abord la
vanité ; mais de retour chez soi , on n'y est
pas un instant , sans en appercevoir le
vuide dans toute son étenduë. Trente
baisers , plus doux encore que celui dont
II.Vol B Mar-
1282 MERCURE DE FRANCE
Marguerite d'Ecosse régala Alain Chartier , ne feront point une vie gracieuse à
un Poëte , si l'on s'en tient aux démonstrations extérieures. On n'est point avare
à notre égard de complimens et de ceremonies , et l'on nous traite à la façon des
Morts , avec de l'eau benite. Peut - être
aussi que les bons Poëtes ayant été comparez aux Cigales , par quelques Anciens ,
car les mauvais leur ont été comparez
par d'autres ) on s'est figuré , que comme
elles , ils ne doivent vivre que de rosée.
Hoggi è fatta ( ô secolo inhumano
L'Arte del Poetar troppo infelice
Tuto nido , esca dolce , aura cortese,
Bramano i cigni , è non si vàin Parnasso ,
Con le cure mordaci, è chi pur garre ,
Semper col suo destino , è col disagio ,
Vien roco , è perde il canto , è lafavella.
GUARINI.
Mais , ne direz-vous pas , Monsieur , en
lisant ma longue Lettre , que c'est moi
qui pour mon babil , dois être mise en
parallele avec les Cigales de la derniere
espece ; j'en conviens avec vous , et je ne
nie pas que je ne scis de mon sexe tout
comme une autre,Prenez donc encore une
prise de Tabac pour vous réveiller et vous
II.Vol. forti-
JUIN. 1732. 1283
fortifier un peu contre l'ennui que vous
pourroient causer quelques lignes qu'il
me reste à écrire.
J'en reviens à l'adieu que vous prétendez dire aux neufSœurs ; permettez- moi
de vous assurer derechef¸ que c'est en
vain que vous vous le persuadez ; vous
ferez comme le Poëte Mainard , vous ré.
péterez inutilement , en prenant congé d'elles :
Je veux pourtant quitter leur bande ,
L'Art des Vers est un art divin , '
Mais leur prix est une Guirlande ,
Qui vaut moins qu'un bouchon à vin.
Vos efforts révolteront votre penchant
contre vous , et ne serviront qu'à rendre
sa rebellion plus opiniâtre; votre raison
même trop amoureuse de la rime , n'entendra plus vos cris , et ne pourra se résoudre à faire divorce avec elle. Mais
Monsieur, vous vous plaignez d'avoir été
dolié par la nature d'un mérite inutile an
bonheur de votre vie : Vous vous plaignez ! Eh, croyez vous être le seul à qui
la cruauté du sort a laissé le droit de le
maudire. Ma situation , par exemple, n'estelle point encore plus fâcheuse que la vô
tre? Je ne suis jamais sortie de ma Province,
presque toujours exilée dans le sein de
II.Vol. Bij ma
1284 MERCURE DE FRANCE
ma Patrie ; triste habitante d'un Port de
Mer , où les Lettres sont , pour ainsi dire,
ignorées: J'y avois un compatriote, un illustre ami , M. Bouguer , ce Mathématicien fameux , que l'Académie des Sciences , qui l'a couronné trois fois , a reçu au
nombre de ses Membres , au grand contentement de ses Rivaux découragez ,
mais il n'est plus de notre païs ; le Havre
de Grace nous l'a envié , et il y professe
aujourd'hui l'Hydrographie ; nous avons
pourtant en son frere ,qui remplit sa place avec honneur , une digne portion de
lui-même. Le peu de réputation que j'ai
je ne la dois qu'à moi seule et à deux cens
volumes François , Grecs traduits , Latins
et Italiens, qui forment ma petite Bibliotheque. La nombreuse famille dans laquelle je suis née ( comme vous l'avez pâ
voir dans mon Ode , sur la mort de mon
pere ) ne me laisse point assez de superAlu pour faire le voyage de Paris. Cependant Baile , dans son Dictionaire, au mot
le Païs , veut que les Parisiens n'estiment
point un Ouvrage en notre langue , s'il
n'est conçu dans l'enceinte de leur Ville ,
ou du moins s'il n'y a reçu les derniers
coups de lime.
Après tout , les injures que vous dites
àla Poësie ne me paroissent pas des mieux
II. Vol. fondées
JUIN 17328 1285
fondées , s'il est vrai qu'en rimant en or,
vous ayez trouvé la Pierre Philosophale.
Je vous avouerai pourtant que cela ne me
paroît pas naturel ; il faut absolument
qu'il y entre de l'abracadabra, ou que vous
fassiez usage de partie des Sortileges dont
le Cavalier Marin nous a donné une longue liste , dans le 13 chant de l'Adone.
Suggelli , è Rombi , è Turbini , è figure.
Il y a même dans votre projet d'autant
plus de difficulté , que les rimes en or sont
tres-rares. Richelet , ce curieux trésorier
des mots , s'est épuisé à faire la recherche
de ces rimes dorées , et n'en a pû trouver
qu'environ une demie douzaine , si vous
en exceptez les noms propres
*
Vous voulez donc rimer en or ,
La rime en or est difficile ,
Et ne vous permet pas de prendre un libre es
sor ,
Mais sçavez-vous pourquoi cette rime est sté- rile ?
C'est qu'Apollon voyant qu'à la Cour,à la Ville,
Rarement à rimer on amasse un trésor ,
Ce Dieu prudent , jugea qu'il étoit inutile
De vouloir fabriquer tant de rimes en or.
J'ai de plus un avis à vous donner en
II. Vol.
amie , B iij
T286 MERCURE DE FRANCE
amie , qui est que si en rimant en or , vous avez le moyen de gagner de l'or , vous
vous donniez bien de garde de dire votre
secrettrop haut;les autres l'apprendroient,
et vous sçavez que le grand nombre d'ou
vriers fait diminuer le prix des marchandises.
Il me reste à vous parler de M. de la
Motte , dont votre Lettre m'a appris la
mort. J'ai remarqué dans les Livres de cet
Académicien , un esprit exact , un jugement profond , des pensées solides , avec
un certain air de probité qui ne regnoit
pas moins , nous dit on , dans son cœur ,
que dans ses. divers Ouvrages. Cette derniere qualité est sur tout estimable. Un
Auteur est exempt d'excuser son cœur en
accusant sa plume , comme fait Martiak
dans une Epigramme.
Est lasciva mihi pagina , vita proba.
Ce que Mainard a traduit si gaillardement , que la modestie de mon sexe ne
me permet pas de le citer , dautant que
l'obscenité est dans les termes. Parti tunicam prætende tegenda. Je ne sçaurois passer la grossiereté des expressions en quelque langue que ce soit , et ce défaut est
moins pardonnable aux François qu'aux
autres ; notre Nation surpassant en poliII. Vol.
tesse
JUIN. 1732.
1287
tesses les anciens Romains même. Il en est
des Vers comme d'une Lettre polie ; il
leur faut une enveloppe.Personne ne prise
plus que moi les Epigrammes de Rousseau ; je ne m'offense pas jusqu'à faire la
grimace , en lisant quantité de ces petites
Piéces , dont le sens est un peu libertin ,
mais je ne sçaurois souffrir celles où la pudeur est directement heurtée par les termes. Boileau , dans le 2 chant de son Art
Poëtique , ne permet point en notre langue ces libertez d'expression qu'il tolere
en Catule et en Pétronne.
Le Latin dans les mots brave l'honnêteté ,
Mais le Lecteur François veut être res pecté.
Ma façon d'écrire vous paroîtra singu
lieure , Monsieur ; je cours çà et là , sans
tenir de route certaine , et comme si j'érois enfoncée dans un Labirinte, je quitte
une allée pour en enfiler une autre je
m'égare , je retourne sur mes pas ; faisant
de cette maniere beaucoup de chemin ,
sans beaucoup avancer.
Or pour en revenir à M. de la Motte ,
après avoir loué ce que j'ai trouvé d'admirable en lui , dût - on me faire mont
procès , il faut que j'avoue ce qui m'a déplu. Je dis donc qu'il est trop gravement
II.Vol. Biiij moral
1288 MERCURE DE FRANCE
moral dans ses Odes , que son stile est
triste , que , que la Poësie languit dans ses Tragédies, que ses Fables ne sont point naïves , et que ce n'est que dans quelques endroits de ses Opéra que je découvre les
étincelles du beau feu qui caractérise le
Poëte. Le Quattrain qui suit , et que vous
citez dans votre Lettre , n'est pas de mon
goût , n'en déplaise aux Manes de M. de
la Motte.
»Vous loüez délicatement
"Une Piéce peu délicate ,
>> Permettez-moi que je la datte
- Du jour de votre compliment.
Je n'entends gueres ces quatre Vers ,
et il me paroît que le bon sens de M. de
la Motte a fait un faux pas en cette occasion. Vous me marquez qu'ayant lû une
Piece infiniment délicate , vous dites à M.
de la Motte qu'il falloit qu'elle fut de lui
ou de M. de Fontenelles que répond t- id
dans son Quattrain impromptu , sinon ,
1º. que cette Piéce qu'il avoit trouvée de
mauvais aloi auparavant , devient bonne,
parce que vous avez crû qu'elle étoit de
lui ou de M. de Fontenelle. 2°. Qu'elle
n'est bonne que du jour de votre compliment , et que c'est ce compliment qui
fait une partie de sa bonté. En verité cela
II. Vol. ne
JUIN. 1732. 1289
ne meparoît pas raisonnable.Mais ne passerai-je pas dans votre esprit , Monsieur ,
pour une indiscrete de déclarer mon sentiment avec tant de liberté sur un Auteur
aussi célebre que M.de la Motte ? Ne pas- serois - je pas même pour une ingrate , si
vous sçaviez que c'est lui qui m'a adressé
les quatre Vers que vous avez peut- être
lû dans le Mercure de Janvier, page 75.
qu'y faire ? Je suis femme , et par conséquent peu maîtresse de me taire. De plus
j'ai vu le jour au milieu d'une nation, dont
la naïveté et la franchise ont toujours été
le partage. Mais il me souvient que vous
m'engagez sur la fin de votre Lettre à faire l'Epitaphe de M. de la Motte , je le devrois , ne fusse que pour me vanger de sa
politesse , je le devrois , je ne le puis. Cependant , attendez , révons un moment;
foy de Bretonne.voici tout ce que je sçau.
rois tirer de mon petit cerveau.
Cy git la Motte , dont le nom
Vola de Paris jusqu'à Rome ;
Etoit-il bon Poëte ? Non ,
Qu'importe Il étoit honnête homme,
Je ne doute point que cette Critique ne
souleve contre moiles trois quarts du Par
nasse. Les Partisans de M.de la Morte , et
peut-être vous-même me regarderez com
II.Vol. By me:
1290 MERCURE DE FRANCE
me une sacrilege. Ils diront qu'il ne m'appartient pas de mettre un pié profane dans le sanctuaire. Je commence par les :
avertir que je ne répondrai rien , c'est à- dire , que je me tairai si je le puis , sinon
on verra,furens quid fœmina possit. Eh !
depuis quand prétend- t- on ôter la liberté
de dire ce qu'on pense sur les Ouvrages
d'esprit?Les Loix de la critique sont comme celles de la Guerre ; il est permis de
tirer , mais il est défendu d'envenimer les
Bales. Pourquoi me feroit-on un crime
de prendre sur les Ouvrages de M. de la
Motte les mêmes droits qu'il s'est attribués sur ceux d'Homere, de Pindare, d'Anacréon , et des Latins et des François? Au
surplus si la critique est mal fondée , les
traits que lance le Censeur reviennent
sur lui. Si au contraire elle est judicieuse ,
les défauts qu'on fait appercevoir aux autres , servent à les corriger et à les rendre
amoureux du vrai beau et de la pure exactitude.
Je ne m'ennuye point avec vous , Monfeur , mais je crains que mes discours ne
'ous ennuyent; je ne dirai pas comme
Pascal, dans sa seiziéme Lettre:Je n'aifait
celle- ci plus longue que parce queje n'ai pas
eu le loisir de la faire plus courte. Je dirai
plutôt , comme dans sa huitiéme : Le pa- II.Vol.
Pier
JUIN. 1732. 1291
pier me manque toujours , et non pas les Passages et je ne fais cette Lettre si courte
que parce que je ne la veux pas faire plus
longue , dans la crainte que j'ai , ou que
sa prolixité ne la fasse rebuter de l'Auteur
du Mercure, ou que vous ne vous donniez
pas la peine dela lire jusqu'à la fin , et je
vous avoue que je vous en voudrois du
mal , d'autant plus que c'est ici que vous
trouverez ce que j'ai sur tout envie que
vous sçachiez , que je suis avec un parfait retour d'estime, Monsieur , votre treshumble , &c.
Au Croisic , ce 15 d'Avril , 1732.
Fermer
Résumé : RÉPONSE DE Mlle de Malcrais de la Vigne, à la Lettre que Mr Carrelet de Hautefeüille lui a addressée dans le Mercure de Janvier 1732. page 75.
Mlle de Malerais de la Vigne répond à la lettre de M. Carrelet de Hautefeuille, publiée dans le Mercure de janvier 1732, exprimant sa surprise et sa sympathie après avoir appris qu'une ode lui a été volée. Elle compare ce vol à une perfidie et une cruauté, soulignant que les poètes supportent rarement de tels actes avec patience. Elle critique le voleur, le comparant à des hérétiques qui interprètent les textes à leur convenance. Elle déplore la situation actuelle où les auteurs ne sont pas protégés et où la justice n'est pas rendue de manière équitable. Mlle de Malerais de la Vigne évoque également la difficulté de prouver la propriété d'une œuvre volée, comparant cela à une situation judiciaire où le plaignant n'est pas toujours cru. Elle regrette que les auteurs ne soient pas défendus avec la même rigueur que les financiers. Elle critique la société actuelle où les lettres et les arts sont dévalorisés et où la licence et le désordre règnent. Elle exhorte M. Carrelet de Hautefeuille à ne pas abandonner la poésie, soulignant que le penchant pour l'écriture est irrésistible. Elle cite plusieurs auteurs, dont Ovide et Horace, pour illustrer cette idée. Elle conclut en déplorant le sort des poètes, souvent méprisés et mal récompensés, et en comparant les Muses à des nourrices sèches qui ne donnent que du vent. Le texte traite de la condition des poètes et de la pauvreté, souvent glorifiée mais difficile à vivre. Juvenal, malgré son cynisme, déplore la misère des poètes. La pauvreté est décrite comme la mère des arts mécaniques, mais les poèmes ne se vendent pas facilement. Le texte critique la corruption du goût et la prolifération de mauvais ouvrages qui nuisent aux bons auteurs. Il évoque également l'importance des mécènes, comme Mécène pour Virgile, et la reconnaissance tardive ou insuffisante des poètes. Des exemples historiques, comme le Tasse et Desportes, illustrent les difficultés financières des poètes. Le texte se termine par une réflexion sur la rarité des rimes en or et l'importance de garder secrets les moyens de réussite. Le texte est une lettre datée de juin 1732, dans laquelle l'auteur discute de la grossièreté des expressions dans la langue française, soulignant que les Français devraient surpasser les anciens Romains en politesse. L'auteur apprécie les épigrammes de Rousseau mais condamne celles qui heurtent la pudeur. Il critique également le style de M. de la Motte, le trouvant trop moral et triste dans ses odes, et manque de naïveté dans ses fables. L'auteur avoue ne pas apprécier un quatrain de M. de la Motte, le jugeant peu raisonnable. Elle exprime son sentiment librement, malgré la célébrité de M. de la Motte, et compose une épitaphe humoristique pour lui. Elle défend son droit à critiquer les œuvres d'esprit, comparant les lois de la critique à celles de la guerre. L'auteur conclut en espérant que sa lettre ne soit pas ennuyeuse et exprime son estime pour le destinataire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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19
p. 242[1]-2430
Le Parnasse François, &c. [titre d'après la table]
Début :
LE PARNASSE FRANCOIS, dédié au Roi, par M. Titon du Tillet, Commissaire [...]
Mots clefs :
Parnasse, Vignettes, Estampes, Poètes, Musiciens, Histoire générale, Titon du Tillet, Médailles
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Le Parnasse François, &c. [titre d'après la table]
LE PARNASSE FRANÇOIS , dédié au Roi ,
par M. Titon DuTillet,Commissaire Provincial des Guerres , ci devant Capitaine
de Dragons , et Maître d'Hôtel de feuë
MADAME LA DAUPHINE , MERE DU ROI.
in -fol. de près de 800 pages , orné de 10.
Vignettes , et de 13 Estampes en taillesdouces. AParis, chez Coignard le fils, Im
primeur du Roi et de l'Académie Françoise,
1732. prix 24 liv. le grand papier , et
15 liv. le petit. Ce volume contient 1.
un Discours sur le dessein que l'Auteur
s'est proposé en faisant éxécuter en Bronze le PARNASSE FRANÇOIS A LA GLOIRS
PE LA FRANCE ET DE LOUIS LE GRAND ,
**
2422 MERCURE DE FRANCE
ET A LA MEMOIRE DES ILLUSTRES POETES
ET MUSICIENS FRANÇOIS. Il donne dans
ce discours une idée des honneurs et des
Monumens que les Peuples les plus célébres de l'Antiquité , surtout les Grecs et
les Romains , accordoient aux personnes
qui se distinguoient dans les Sciences et
dans les beaux Arts ; il marque qu'il a
imité leur exemple en élevant le Parnasse
François.
2. Il fait la description de ce Parnasse ;
qu'il divise en trois parties. La premiere
fait connoître les figures qui composent
ce Groupe , ce qu'elles représentent , et
les rangs différens que nos Poëtes et nos
Musiciens y occupent. Dans la seconde
on voit la disposition de tout ce qui forme će Monument , et l'arrangement des
Figures avec leurs Attributs et leurs Simboles. Dans la troisième , on marque en
quoi le Parnasse FRANÇOIS est allégorique et analogique au PARNASSE DE LA
GRECE , et en quoi il est d'une nouvelle
invention. 3. Un ordre Chronologique
des Poëtes et des Musiciens rassemblez
jusqu'à présent sur lePARNASSE FRANÇOIS,
où l'on donne un Extrait de leur vie
un Catalogue de leurs Ouvrages , sur les
quels on rapporte les jugemens de plusieurs sçavans Critiques.
4.
NOVEMBRE. 1732. 2423
4. Un Essai , ou des Remarques sur la
Poësie et sur la Musique en géneral.
5. Des Remarques plus étenduës sur
l'origine et sur le progrès de la Poësie et
de la Musique Françoise , et particulierement sur nos Spectacles et nos Piéces, de
Théatre.
et
6. Un Poëme Latin du Pere Vaniere , Jésuite , sur le Parnasse François ,
avec une Imitation de ce Poëme en François , la plus grande partie en Vers ,
l'autre en Prose , par le Pere Brumoy , Jésuite. Une Lettre de M. Rousseau , et une
de M. de Saint Hyacinthe à M. Titon
Du Tillet sur son Parnasse.
M. Titon DuTillet a fait graver en 1723-
une grande et magnifique Estampe du
Parnasse dont nous avons fait la description dans le Mercure du mois de Septembre 172 3. et depuis il a donné une description de ce Monument avec une liste
alphabétique des Poëtes et des Musiciens
qui y sont rassemblez ; nous en avons fait
mention au mois de Juin 1727. que parut
cette Edition ; mais celle dont il vient de
faire part au Public est infiniment plus
ample , parce qu'il y a augmenté le nombre des Poëtes et des Musiciens sur le
Parnasse , et qu'il s'est étendu davantage
sur les articles de ceux dont il avoit parlé
dans la premiere Edition ; outre l'Essai et
les
#424 MERCURE DE FRANCE
les Remarques sur la Poësie et sur la Mu¬
sique qu'il donne dans celle- ci.
On peut dire de cet Ouvrage que nonseulement c'est la description du Parnasse François ; mais encore une Histoi
re générale de la Poësie et de la Musi
que Françoise, où les Curieux trouveront
de quoi se satisfaire.
>
CommeM. Titon du Tillet fait paroî
tre sur le Parnasse environ 250 Poëtes ou
Musiciens , il les distribuë en trois et même en quatre classes pour les y placer. I
marque dans son premier Discours, qu'il
ne lui convient pas d'être aussi severe que
Horace et Despréaux , dont il n'ignore pas
les Arrêts redoutables55; le premier dit
Dieux ni les hommes ne peuvent soufrir la
médiocrité dans les Vers , et qu'on arrache
jusqu'aux Affiches de leurs Ouvrages , mises
sur les Colonnes et aux coins des ruës.
Mediocribus esse Poëtis.
que
Non Di , non homines , non concessere columna.
let
Despréaux est du même sentiment , et
s'explique de cette maniere :
Mais dans l'art dangereux de rimer et d'écrire ;
Il n'est point de dégrez du médiocre au pire.
Et dans un autre endroit, en parlant de
peuxqui veulent meriter une place sur le Par
NOVEMBRE. 1732. 242
Farnasse , en traitant des sujets nobles et
élevez , il dit :
Qui ne vole au sommet, tombe au plus bas dégré
Mais il ne faut pas prendre Horace et
Defpreaux tout-à-fait à la lettre dans les
Passages cy-dessus où ils parlent du caracte- re élevé et du sublime de la Poësie , tel que
celui de l'Epopée ou du Poëte Epique , de
Ode Héroïque , et de la Tragedie ; car il est
d'autresgoûts de Poësie , où celui qui y réussit merite le titre de Poëte , et quelque rang
sur le Parnasse.
le Pourquoi voudroit- on qu'il n'y eut que
sommet du Parnasse d'habité , le milieu et
tes differentes Terrasses de cette Montagne
n'offrent-elles pas des endroits rians et délieieux où l'onpeutêtre placé avec distinction et selon le mérite de ses ouvrages.
Voici les Classes ou les Monumens diffe
rens qui distinguent les Poëtes et les Musisiens sur le Parnasse François. 1. Lafigure,
en Pied. 2. Les Médaillons ( cette Classe
peut bien êtrejointe avec la premiere ). 3. Les
noms gravez sur un premier Rouleau de
Bronze. 4. Un second Rouleau contient encore d'autres noms. 5. Un autre Rouleau où
sont écrits les noms de plusieurs personnes
d'un excellent gout , Amateurs et Protecteurs
de la Poësie et de la Musique , qui ont composé
2426 MERCURE DE FRANCE
posé aussi quelques jolis vers ou qui ont excellé dans l'art de chanter ou de jouer de
quelque Instrument. A la tête des Amateurs
et des Protecteurs de la Poësie , on a placé
LE CARDINAL DE RICHELIEU.
Pour faire encore quelque honneur à
notre Nation, M. Titon a mis à la fin de
ce volume une Liste d'environ cinq cent
Poëtes ou Musiciens , dont quelques- uns
peuvent avoir quelque mérite. Il les place dans les Avances ou dans les Campagnes qui environnent le Parnasse , afin
qu'Apollon et son Conseil puissent en admettre quelques- uns sur ce Mont sacré ,
s'ils les en trouvent dignes. Les Curieux
en Poësie et en Musique doivent lui sçavoir bon gré de leur rappelfer les noms
de tous ces Poëtes et de tous ces Musiciens , et en même temps de leur donner
une idée générale de l'hiftoire de notre
Poësie et de notre Musique , d'en faire
voir l'origine , les progrès et le haut
point de perfection où ces deux beaux
Arts sont montez en France, sous le Regne de Louis le Grand , qui est l'Apollon
du Parnasse François.
Pour revenir aux Poëtes et aux Musiciens qu'il a placés sur ce Parnasse , il dit :
Je n'ai point prétendu , comme on peut le
voir , par les differens monumens qu'on trouve
NOVEMBRE. 1732 2427
trouve sur ce Groupe de Bronze , et même
par les Places differentes que les Figures et
Les Médaillons y occupent , que tous les Poëtes et les Musiciens qui y sont rassemblez
soient d'un merite égal et digne des mêmes
honneurs. Je sçai bien qu'on ne trouve pas
facilement des MALHERBES et des RAGANS
pour l'ODE ; des CORNEILLES et des RACINES pour la TRAGEDIE ; des MOLIERESpour
la COMEDIE ; des LA FONTAINE pour LES
FABLES et LES CONTES ; des CHAPELLESpour
la Poësie naturelle , legere et badine ;` des
RACANS et des SEGRAIS pour la PASTORALE et l'EGLOGUE ; des DESPREAUX pour la
SATIRE ; des QUINAULTS pour la MUSIQUE
GHANTANTE ; des LULLYSpourla MUSIQUE,
et des Poëtes François et des Poëtes Latins
tels que les principaux de notre Parnasse
et des DAMES , telles que Mesdames de la
SUZE , des HouLIERES et Mad. de SCUDERY, qui y representent les 3 GRACES.
Il a fallu quelquefois plusieurs siècles pour
trouver un seul de ces beaux génies , et c'est
peut- être le plus grand effort de la nature de
les avoir tous produits dans un même siecle ;
sans parler de tant d'autres hommes qui ont
excellé en même-temps en France dans toutes
Les autres sciences et dans tous les autres beaux
Arts , differens de la Poësie et de la Musique.
Qu'on
2428 MERCURE DE FRANCE
1
Qu'on compteroit peu de ces grands hommes
depuis le regne de César et d'Auguste ! On
roiroit que la nature ce seroit reposée plus de
dix- sept cent ans pourfaire un pareil prodige et rendre le Regne de Louis LE GRAND
T'admiration de tous les siècles.
>
Rendons les bonneurs suprêmes à nosgrands
Poëtes , les Souverains du Parnasse , et
jouissons de leurs excellens Ouvrages ; mais
rendons aussijustice à plusieurs autres de nos.
Poëtes , qui ne les ont point égalé , mais dont
les écrits ne laissent pas d'avoir leur beauté
et leur agrément , donnant à chacun la gloire
et la récompense qui lui est dûë.
Stet sua cuique Mercos.
Comme le Parnasse François n'est consacré qu'aux Poëtes et qu'aux Musiciens
que la mort a enlevez , M. Titon y a
laissé des Places destinées pour y mettre
nos illustres Poëtes et nos fameux Musiciens vivans après leur mort. Il marque
même qu'il sera aisé d'augmenter de
moitié ce Groupe , en y ajoutant par la
Base , deux ou trois terrasses de Bronze
sur lesquelles on pourra placer autant de
figures qu'on le jugera à propos , et pour
y mettre tous les grands Poëtes et tous les fameux Musiciens dont la nature voudra favoriser la France dans les siécles
avenir.
I
NOVEMBRE. 1732. 2429
Il paroît que M. Titon auroit bien souhaité pouvoir passer les bornes qu'il a dû
se prescrire par ces paroles d'un ancien
Auteur , Cineri gloria datur ; les Monu
mens les plus glorieux ne s'accordent
qu'après la mort. Il a même crû qu'il lui
étoit permis de faire exécuter les Médail
lons de nos trois plus anciens Poëtes vi
vans , qui jouissent d'une grande réputa- tion: Ce sont Messieurs de FONTENELLE et
Rousseau , Poëtes François ; et le P. VANIERE, Jésuite , Poëte Latin ; et ceux de
nos deux plus anciens Musiciens pour les
Opéra; Mess. CAMPRA et DESTOUCHES.
Il est bienpersuadé que les Personnes d'esprit et de mérite ne lui en sçauront pas
mauvais gré ; ce fera dans la suite aux Maîtres de l'Art à leur assigner sur le
Parnasse les places qu'ils y méritent. Il
annonce aussi qu'il doit faire exécuter
des Médaillons des Poëtes qui ont le plus
de réputation parmi ceux dont les noms
sont gravez sur le premier Rouleau qu'on
voit sur le Parnasse , et même ceux de
nos Poëtes vivans , qu'il tiendra toûjours
en reserve , pour être placez , quand il
conviendra , sur le Parnasse. Pour rendre
la suite des Médaillons des Poëtes et des
Musiciens François plus complette , il
compte de donner dans quelque- temps les
F Médail
4430 MERCURE DE FRANCE
Médaillons des Poëtes , et des Musiciens qui sont representez en figures
en pied sur le Parnasse , comme ceux
des Dames, qui y representent les trois
Graces.
Il a fait exécuter jusqu'à present 24
Médaillons de Bronze , qui ont deux pou
ces de diametre : Voici les noms de ceux
qui y sont représentez : LA REINE MARGUERITE , CLEMENT MAROT , MALHERJE , VOITURE , SCEVOLE DE SAINTE
MARTHE , MAYNARD , SARASIN , SCARRÓN, BENSERADE, QUINAULT, SANTEUIL,
RAPIN , COMMIRE , LA RUE , LAINEZ ,
LA LANDE, MARAIS , LA MOTTE , LE P.
VANIERE, FONTENELLE, ROUSSEAU,CAMPRA, DESTOUCHES , MAD, DE LA GUERRE.
Sur les revers de ces Médaillons on
mis des devifes et des symboles conve
nables aux caracteres des Personnes qui
font representées sur la tête des Médail
lons
Le sieur Curé , Sculpteur et Cizeleur ,
demeurant à la descente du Quai Pelle
rier,a exécuté ces Médaillons; et M.Titon
lui a permis de les vendre, pour satisfaire
ceux qui en feront curieux.
par M. Titon DuTillet,Commissaire Provincial des Guerres , ci devant Capitaine
de Dragons , et Maître d'Hôtel de feuë
MADAME LA DAUPHINE , MERE DU ROI.
in -fol. de près de 800 pages , orné de 10.
Vignettes , et de 13 Estampes en taillesdouces. AParis, chez Coignard le fils, Im
primeur du Roi et de l'Académie Françoise,
1732. prix 24 liv. le grand papier , et
15 liv. le petit. Ce volume contient 1.
un Discours sur le dessein que l'Auteur
s'est proposé en faisant éxécuter en Bronze le PARNASSE FRANÇOIS A LA GLOIRS
PE LA FRANCE ET DE LOUIS LE GRAND ,
**
2422 MERCURE DE FRANCE
ET A LA MEMOIRE DES ILLUSTRES POETES
ET MUSICIENS FRANÇOIS. Il donne dans
ce discours une idée des honneurs et des
Monumens que les Peuples les plus célébres de l'Antiquité , surtout les Grecs et
les Romains , accordoient aux personnes
qui se distinguoient dans les Sciences et
dans les beaux Arts ; il marque qu'il a
imité leur exemple en élevant le Parnasse
François.
2. Il fait la description de ce Parnasse ;
qu'il divise en trois parties. La premiere
fait connoître les figures qui composent
ce Groupe , ce qu'elles représentent , et
les rangs différens que nos Poëtes et nos
Musiciens y occupent. Dans la seconde
on voit la disposition de tout ce qui forme će Monument , et l'arrangement des
Figures avec leurs Attributs et leurs Simboles. Dans la troisième , on marque en
quoi le Parnasse FRANÇOIS est allégorique et analogique au PARNASSE DE LA
GRECE , et en quoi il est d'une nouvelle
invention. 3. Un ordre Chronologique
des Poëtes et des Musiciens rassemblez
jusqu'à présent sur lePARNASSE FRANÇOIS,
où l'on donne un Extrait de leur vie
un Catalogue de leurs Ouvrages , sur les
quels on rapporte les jugemens de plusieurs sçavans Critiques.
4.
NOVEMBRE. 1732. 2423
4. Un Essai , ou des Remarques sur la
Poësie et sur la Musique en géneral.
5. Des Remarques plus étenduës sur
l'origine et sur le progrès de la Poësie et
de la Musique Françoise , et particulierement sur nos Spectacles et nos Piéces, de
Théatre.
et
6. Un Poëme Latin du Pere Vaniere , Jésuite , sur le Parnasse François ,
avec une Imitation de ce Poëme en François , la plus grande partie en Vers ,
l'autre en Prose , par le Pere Brumoy , Jésuite. Une Lettre de M. Rousseau , et une
de M. de Saint Hyacinthe à M. Titon
Du Tillet sur son Parnasse.
M. Titon DuTillet a fait graver en 1723-
une grande et magnifique Estampe du
Parnasse dont nous avons fait la description dans le Mercure du mois de Septembre 172 3. et depuis il a donné une description de ce Monument avec une liste
alphabétique des Poëtes et des Musiciens
qui y sont rassemblez ; nous en avons fait
mention au mois de Juin 1727. que parut
cette Edition ; mais celle dont il vient de
faire part au Public est infiniment plus
ample , parce qu'il y a augmenté le nombre des Poëtes et des Musiciens sur le
Parnasse , et qu'il s'est étendu davantage
sur les articles de ceux dont il avoit parlé
dans la premiere Edition ; outre l'Essai et
les
#424 MERCURE DE FRANCE
les Remarques sur la Poësie et sur la Mu¬
sique qu'il donne dans celle- ci.
On peut dire de cet Ouvrage que nonseulement c'est la description du Parnasse François ; mais encore une Histoi
re générale de la Poësie et de la Musi
que Françoise, où les Curieux trouveront
de quoi se satisfaire.
>
CommeM. Titon du Tillet fait paroî
tre sur le Parnasse environ 250 Poëtes ou
Musiciens , il les distribuë en trois et même en quatre classes pour les y placer. I
marque dans son premier Discours, qu'il
ne lui convient pas d'être aussi severe que
Horace et Despréaux , dont il n'ignore pas
les Arrêts redoutables55; le premier dit
Dieux ni les hommes ne peuvent soufrir la
médiocrité dans les Vers , et qu'on arrache
jusqu'aux Affiches de leurs Ouvrages , mises
sur les Colonnes et aux coins des ruës.
Mediocribus esse Poëtis.
que
Non Di , non homines , non concessere columna.
let
Despréaux est du même sentiment , et
s'explique de cette maniere :
Mais dans l'art dangereux de rimer et d'écrire ;
Il n'est point de dégrez du médiocre au pire.
Et dans un autre endroit, en parlant de
peuxqui veulent meriter une place sur le Par
NOVEMBRE. 1732. 242
Farnasse , en traitant des sujets nobles et
élevez , il dit :
Qui ne vole au sommet, tombe au plus bas dégré
Mais il ne faut pas prendre Horace et
Defpreaux tout-à-fait à la lettre dans les
Passages cy-dessus où ils parlent du caracte- re élevé et du sublime de la Poësie , tel que
celui de l'Epopée ou du Poëte Epique , de
Ode Héroïque , et de la Tragedie ; car il est
d'autresgoûts de Poësie , où celui qui y réussit merite le titre de Poëte , et quelque rang
sur le Parnasse.
le Pourquoi voudroit- on qu'il n'y eut que
sommet du Parnasse d'habité , le milieu et
tes differentes Terrasses de cette Montagne
n'offrent-elles pas des endroits rians et délieieux où l'onpeutêtre placé avec distinction et selon le mérite de ses ouvrages.
Voici les Classes ou les Monumens diffe
rens qui distinguent les Poëtes et les Musisiens sur le Parnasse François. 1. Lafigure,
en Pied. 2. Les Médaillons ( cette Classe
peut bien êtrejointe avec la premiere ). 3. Les
noms gravez sur un premier Rouleau de
Bronze. 4. Un second Rouleau contient encore d'autres noms. 5. Un autre Rouleau où
sont écrits les noms de plusieurs personnes
d'un excellent gout , Amateurs et Protecteurs
de la Poësie et de la Musique , qui ont composé
2426 MERCURE DE FRANCE
posé aussi quelques jolis vers ou qui ont excellé dans l'art de chanter ou de jouer de
quelque Instrument. A la tête des Amateurs
et des Protecteurs de la Poësie , on a placé
LE CARDINAL DE RICHELIEU.
Pour faire encore quelque honneur à
notre Nation, M. Titon a mis à la fin de
ce volume une Liste d'environ cinq cent
Poëtes ou Musiciens , dont quelques- uns
peuvent avoir quelque mérite. Il les place dans les Avances ou dans les Campagnes qui environnent le Parnasse , afin
qu'Apollon et son Conseil puissent en admettre quelques- uns sur ce Mont sacré ,
s'ils les en trouvent dignes. Les Curieux
en Poësie et en Musique doivent lui sçavoir bon gré de leur rappelfer les noms
de tous ces Poëtes et de tous ces Musiciens , et en même temps de leur donner
une idée générale de l'hiftoire de notre
Poësie et de notre Musique , d'en faire
voir l'origine , les progrès et le haut
point de perfection où ces deux beaux
Arts sont montez en France, sous le Regne de Louis le Grand , qui est l'Apollon
du Parnasse François.
Pour revenir aux Poëtes et aux Musiciens qu'il a placés sur ce Parnasse , il dit :
Je n'ai point prétendu , comme on peut le
voir , par les differens monumens qu'on trouve
NOVEMBRE. 1732 2427
trouve sur ce Groupe de Bronze , et même
par les Places differentes que les Figures et
Les Médaillons y occupent , que tous les Poëtes et les Musiciens qui y sont rassemblez
soient d'un merite égal et digne des mêmes
honneurs. Je sçai bien qu'on ne trouve pas
facilement des MALHERBES et des RAGANS
pour l'ODE ; des CORNEILLES et des RACINES pour la TRAGEDIE ; des MOLIERESpour
la COMEDIE ; des LA FONTAINE pour LES
FABLES et LES CONTES ; des CHAPELLESpour
la Poësie naturelle , legere et badine ;` des
RACANS et des SEGRAIS pour la PASTORALE et l'EGLOGUE ; des DESPREAUX pour la
SATIRE ; des QUINAULTS pour la MUSIQUE
GHANTANTE ; des LULLYSpourla MUSIQUE,
et des Poëtes François et des Poëtes Latins
tels que les principaux de notre Parnasse
et des DAMES , telles que Mesdames de la
SUZE , des HouLIERES et Mad. de SCUDERY, qui y representent les 3 GRACES.
Il a fallu quelquefois plusieurs siècles pour
trouver un seul de ces beaux génies , et c'est
peut- être le plus grand effort de la nature de
les avoir tous produits dans un même siecle ;
sans parler de tant d'autres hommes qui ont
excellé en même-temps en France dans toutes
Les autres sciences et dans tous les autres beaux
Arts , differens de la Poësie et de la Musique.
Qu'on
2428 MERCURE DE FRANCE
1
Qu'on compteroit peu de ces grands hommes
depuis le regne de César et d'Auguste ! On
roiroit que la nature ce seroit reposée plus de
dix- sept cent ans pourfaire un pareil prodige et rendre le Regne de Louis LE GRAND
T'admiration de tous les siècles.
>
Rendons les bonneurs suprêmes à nosgrands
Poëtes , les Souverains du Parnasse , et
jouissons de leurs excellens Ouvrages ; mais
rendons aussijustice à plusieurs autres de nos.
Poëtes , qui ne les ont point égalé , mais dont
les écrits ne laissent pas d'avoir leur beauté
et leur agrément , donnant à chacun la gloire
et la récompense qui lui est dûë.
Stet sua cuique Mercos.
Comme le Parnasse François n'est consacré qu'aux Poëtes et qu'aux Musiciens
que la mort a enlevez , M. Titon y a
laissé des Places destinées pour y mettre
nos illustres Poëtes et nos fameux Musiciens vivans après leur mort. Il marque
même qu'il sera aisé d'augmenter de
moitié ce Groupe , en y ajoutant par la
Base , deux ou trois terrasses de Bronze
sur lesquelles on pourra placer autant de
figures qu'on le jugera à propos , et pour
y mettre tous les grands Poëtes et tous les fameux Musiciens dont la nature voudra favoriser la France dans les siécles
avenir.
I
NOVEMBRE. 1732. 2429
Il paroît que M. Titon auroit bien souhaité pouvoir passer les bornes qu'il a dû
se prescrire par ces paroles d'un ancien
Auteur , Cineri gloria datur ; les Monu
mens les plus glorieux ne s'accordent
qu'après la mort. Il a même crû qu'il lui
étoit permis de faire exécuter les Médail
lons de nos trois plus anciens Poëtes vi
vans , qui jouissent d'une grande réputa- tion: Ce sont Messieurs de FONTENELLE et
Rousseau , Poëtes François ; et le P. VANIERE, Jésuite , Poëte Latin ; et ceux de
nos deux plus anciens Musiciens pour les
Opéra; Mess. CAMPRA et DESTOUCHES.
Il est bienpersuadé que les Personnes d'esprit et de mérite ne lui en sçauront pas
mauvais gré ; ce fera dans la suite aux Maîtres de l'Art à leur assigner sur le
Parnasse les places qu'ils y méritent. Il
annonce aussi qu'il doit faire exécuter
des Médaillons des Poëtes qui ont le plus
de réputation parmi ceux dont les noms
sont gravez sur le premier Rouleau qu'on
voit sur le Parnasse , et même ceux de
nos Poëtes vivans , qu'il tiendra toûjours
en reserve , pour être placez , quand il
conviendra , sur le Parnasse. Pour rendre
la suite des Médaillons des Poëtes et des
Musiciens François plus complette , il
compte de donner dans quelque- temps les
F Médail
4430 MERCURE DE FRANCE
Médaillons des Poëtes , et des Musiciens qui sont representez en figures
en pied sur le Parnasse , comme ceux
des Dames, qui y representent les trois
Graces.
Il a fait exécuter jusqu'à present 24
Médaillons de Bronze , qui ont deux pou
ces de diametre : Voici les noms de ceux
qui y sont représentez : LA REINE MARGUERITE , CLEMENT MAROT , MALHERJE , VOITURE , SCEVOLE DE SAINTE
MARTHE , MAYNARD , SARASIN , SCARRÓN, BENSERADE, QUINAULT, SANTEUIL,
RAPIN , COMMIRE , LA RUE , LAINEZ ,
LA LANDE, MARAIS , LA MOTTE , LE P.
VANIERE, FONTENELLE, ROUSSEAU,CAMPRA, DESTOUCHES , MAD, DE LA GUERRE.
Sur les revers de ces Médaillons on
mis des devifes et des symboles conve
nables aux caracteres des Personnes qui
font representées sur la tête des Médail
lons
Le sieur Curé , Sculpteur et Cizeleur ,
demeurant à la descente du Quai Pelle
rier,a exécuté ces Médaillons; et M.Titon
lui a permis de les vendre, pour satisfaire
ceux qui en feront curieux.
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Résumé : Le Parnasse François, &c. [titre d'après la table]
Le texte présente 'Le Parnasse Français', un ouvrage de M. Titon Du Tillet dédié au Roi et publié en 1732. Ce livre de près de 800 pages, illustré de vignettes et d'estampes, se compose de plusieurs sections clés. La première section expose le projet de l'auteur de créer un monument en bronze célébrant la gloire de la France et de Louis le Grand, en hommage aux poètes et musiciens français. L'auteur compare cet hommage aux honneurs accordés aux artistes dans l'Antiquité, notamment par les Grecs et les Romains. Le livre décrit ensuite le Parnasse Français, divisé en trois parties. La première partie présente les figures et leurs représentations. La deuxième détaille la disposition du monument et l'arrangement des figures avec leurs attributs et symboles. La troisième explique les analogies et les innovations par rapport au Parnasse grec. L'ouvrage inclut également un ordre chronologique des poètes et musiciens, des essais sur la poésie et la musique, des remarques sur l'origine et le progrès de ces arts en France, et un poème latin avec son imitation en français. Des lettres de M. Rousseau et de M. de Saint Hyacinthe à M. Titon Du Tillet sont également présentes. M. Titon Du Tillet a augmenté le nombre de poètes et de musiciens représentés dans cette édition par rapport à la précédente, et a ajouté des essais et des remarques sur la poésie et la musique. Le Parnasse Français est ainsi présenté comme une histoire générale de la poésie et de la musique françaises. L'auteur classe les poètes et musiciens en différentes catégories, reconnaissant que tous ne sont pas de mérite égal. Il mentionne des figures emblématiques comme Malherbe, Racine, Molière, et Lully, tout en rendant hommage à d'autres poètes et musiciens moins célèbres mais méritants. Le Parnasse Français est consacré aux poètes et musiciens décédés, mais des places sont laissées pour les artistes vivants. M. Titon Du Tillet a également fait exécuter des médaillons de bronze pour certains poètes et musiciens, dont les noms sont listés dans le texte.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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20
p. 95-100
Abregé de l'Histoire des 24. Peres de l'Eglise, &c. [titre d'après la table]
Début :
ABREGÉ de l'Histoire des 24. Peres de l'Eglise. HISTOIRE abregée des Empereurs [...]
Mots clefs :
Style, Empereurs romains, Beau, Poètes, Règne, Auteurs
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texteReconnaissance textuelle : Abregé de l'Histoire des 24. Peres de l'Eglise, &c. [titre d'après la table]
Anneau’ dePHistoire de 24. Peres de
PEglise} Hrsrome abregée des Empereurs
Romains , depuis JulesÎCesar jusqu?
Constantin le Grand. CARACTERES de 58 A
des meilleurs Historiens , Orareurs , et
Poëtes Grecs , Latins et François. Brochu
re in-u, Le prix est 1g sols. A Pari; f
' - chez‘,
9?,‘ ME RCU RE DE FRANC Ë
1
cheg. ‘Tintin , rua? Judas , Montagne sainte
Genwiéw , 173 z. -
Cet Ouvrage est propre à orner l’es-‘
prit des jeunes gens des deux sexes, qui
pourront acquérir en très-peu de tems une_
connaissance generale des matieres qui y
sont traitées. Il est coznposé de trois par
ties. Dans la premier-e , l’Auteur rapporte
en peu de mots la vie de chacun des 2.4.
Petes de l’E lise. Dans la seconde , il dé-L
crit d’un stiFe vif et animé la vie des an
ciens Empereurs Romains , avec les traits
les plus frapans et les mieux marquez qui
ont signalé leur Empire. On n’a qu’à_lire,
entr’auttes,l’article de Neton et de Dio-À
cletien. Dans la troisième , il marque d’u
ne manière nette et concise, quel a été.
le caractere des Auteurs dont il traite _,’
les bonnes et les mauvaises qualirez de
leur stile. Il n’a dit que deux mots de nos
Poëtes François , Corneille , Racine, Boi
leau, Moliete , 8C0. parce qu'ils sont assez -
con nus.
Cet Ouvrage en general est bien écrit.‘
Le stile des Caracteres est fleuri et bril-j
lant. O'n en pourra juger si on lit l’arti—‘
cle de Tire-Live , page 12,4. Les Çarac-Ï
reres de Fenelon , page 145. et les suivans
jusqu’à la page r55. La beauté du papier:
ctdes caradtcres répondent à la maniete
- ’ ' ‘ dont
u
a
JANVIE R. 1733. 97
dont il est écrit , mais pour mettre sous
les yeux du Lecteur quelque chose qui
_ lui donne une idée de ces Portraits, choi
sissons celui-ci parmi les Empereurs Ro
mains. '
. v
Au meilleur de tous les Peres succeda a
le plus méchant derous les fils. Commo
de ayant pris les Rênes de l’Empire dans
un âge encore tendre , se iaissa entiere
ment corrompre par les flateurs ; de sorte
que sans avoir aucune des qualitez de
Marc-Aurele , il eut presque tous les via
ces de Neron ', quoique son extrême
cruauté cr ses infames débauches eussent
fait revivre le tems malheureux de Domi
tien et de Caligula , il voulut cependant
que son Règne fut appellé le siècle d’or.
"Les Palmes fréquentes qu’il remporta
dans les Combats des Gladiateurs , étoient
quelque chose pour lui de plus grand que
les Triomphes les plus honorables et les
plus glorieux. Il étoit si adroit à lancer le
Javelot et à tirer de l’A rc,qu’il tuoit quel-a
‘quefois en un seul jour cent bêtes sauva
ges. Il lançoit ensuite les Javelots et les
Flèches sur le peuple pour couronner un‘
si beau spectacle. Fier de semblables Ex
ploits , il ajoûta au grand nombre des tia
tres magnifiques qu'il s’étoit déja donnés ,
çeluî dflnvincible et d’Hercule Romaicn.
e
98-M'ERCURE DE FRANCE.‘
Ce monstre plus féroce que toutes les
bêtes qu’il avoir fait périr , fut empoison
né par sa Maîtresse Marcia , e: ensuite
étranglé par un Athlète nommé Narcis
'se ,.la r56 année de son Règne , et la 32.5
“de son âge.
MALHERBE est un des Auteurs à qui la
. Poésie Françoise a le plus dbbligarion.
C’est lui quile premier fit sentir une jus
te cadence dans nos Vers , et qui nous
apprit le choix et Parrangement des mots.
La Nature ne l’avoit pas faitgrand Poëte t,
mais il cortigea cedéfaut par son esprit
et par son travail. (Qelques-unes de ses,
Odes ne vieilliront jamais , parce que le
bon goût est de tous les siécles. Il y mon;
tre d’un stile plein et uniforme tout ce
que la Nature a de plus sublime et de
plus beau , de plus naïf et de plus sim
ple. Ses pensées sont justes , ses expresà
rions sont nobles , son vers aisé , sesifign
tes variées , mais il ne s’en permet jamais
de trop hardies , et sage jusques dans ses
cmportemens , il a presque toujours fait
voit qu’en peut être raisonnable sans être
froid.
-“ Rousseau s’est rendu très-celébre par‘
ses Poésies. C’est un des Auteurs de notre
siecle qu’on lit et qu’en estime le plus.
Le Poëte , mais leaPoëtc admirable {par
J. a roi:
Ï JANVIER)‘ 1733.
‘toit dans plusieurs de ses Odes. On
toit , en lisant sa Traduction des Pseaue
mes de David , qu’il étoit animé du mê- u
‘ me feu dont ce Prophete étoit embrasé.‘
Son Ode contre la Fortune , vaut seule
un long Poëme , et surpasse tout ce que
les Anciens ont jamais fait de meilleur en
ce genre , 86C. * ,.
. LA M o -r r s. La Politesse de lîexpresa
sion , et la justesse du raisonnement," forà
ment le caractere propre de cet Illustre
Académicien , 8m. .
LA FONTAINE , qu’on peut appeller le
Phedre François , est dans toutes ses fa.
‘blcs ingénieux , naïf et charmant a on ne
peut le lire sans être agréablement ÏDSÂ
truie , et on n’en peut quitter la lecture,
tans souhaiter de la reprendre. .
t CLsMaNr MARDI‘ vivoit sous le Regne
de François I. c’est le plus ancien de nos
bons Poëtes; mais il semble renaître tous
les ans; sa vivacité naturelle er son agré
ment lui donnentun air de jeunesse qui’
brille jusques dans son vieux langage. Il
afait en qznelque- sorte la fortune de beau
coup d’anciens motsnqubn emprunte
volontiers de lui , et qu on employe mê
me à titre d'ornement. Jamais il ne fiat
plus à la mode qu'à ptesent ',.il est du hel
esprit de le copier t, et on est presque sûr
d’être
t
äooMEiRCURiîeDEFRANCËg
d’êtte applaudi de certaines gcns,avcc
une piece Marotique. .
Du CsaceAu a mieux imité que per.‘
sonne, l'élégant badinage de Marot. La
charmante naïveté qui se trouve dans ses
pensées, ses tours ingénieux, sa diction
pure et enjoüée ne sont pas ses seuls ta
ens , il sçait aussi répandre une noblesse
et une dignité merveilleuse sur les cho
ses qui en patoissent le moins suscepti
bles. Cc qu’il dit,est ordinairement assez
commun pour le Fond , mais il le presen
te sous des jours qui lui donnent un
air de nouveauté et quelque chose de pi-q
quant. Le naturel et le vrai sont , pour
ainsi dire, le fond et la matiere de ses
Ouvrages. Rien de plus simple pour l’ot
dinairc que ses sujets ; mais il a soin de
les relever par une ‘versification aisée et
coulante; par une fécondité, une délicaé
tesse 5 une netteté d'expression , et , si
j'ose le dire , par une qui plaisent infinimentl.égSèareMtéusdee Pesitncgeaayu;‘ l
ct badine , mais elle ne s’écarte jamais des
regles de la bienséance et du devoir.
PEglise} Hrsrome abregée des Empereurs
Romains , depuis JulesÎCesar jusqu?
Constantin le Grand. CARACTERES de 58 A
des meilleurs Historiens , Orareurs , et
Poëtes Grecs , Latins et François. Brochu
re in-u, Le prix est 1g sols. A Pari; f
' - chez‘,
9?,‘ ME RCU RE DE FRANC Ë
1
cheg. ‘Tintin , rua? Judas , Montagne sainte
Genwiéw , 173 z. -
Cet Ouvrage est propre à orner l’es-‘
prit des jeunes gens des deux sexes, qui
pourront acquérir en très-peu de tems une_
connaissance generale des matieres qui y
sont traitées. Il est coznposé de trois par
ties. Dans la premier-e , l’Auteur rapporte
en peu de mots la vie de chacun des 2.4.
Petes de l’E lise. Dans la seconde , il dé-L
crit d’un stiFe vif et animé la vie des an
ciens Empereurs Romains , avec les traits
les plus frapans et les mieux marquez qui
ont signalé leur Empire. On n’a qu’à_lire,
entr’auttes,l’article de Neton et de Dio-À
cletien. Dans la troisième , il marque d’u
ne manière nette et concise, quel a été.
le caractere des Auteurs dont il traite _,’
les bonnes et les mauvaises qualirez de
leur stile. Il n’a dit que deux mots de nos
Poëtes François , Corneille , Racine, Boi
leau, Moliete , 8C0. parce qu'ils sont assez -
con nus.
Cet Ouvrage en general est bien écrit.‘
Le stile des Caracteres est fleuri et bril-j
lant. O'n en pourra juger si on lit l’arti—‘
cle de Tire-Live , page 12,4. Les Çarac-Ï
reres de Fenelon , page 145. et les suivans
jusqu’à la page r55. La beauté du papier:
ctdes caradtcres répondent à la maniete
- ’ ' ‘ dont
u
a
JANVIE R. 1733. 97
dont il est écrit , mais pour mettre sous
les yeux du Lecteur quelque chose qui
_ lui donne une idée de ces Portraits, choi
sissons celui-ci parmi les Empereurs Ro
mains. '
. v
Au meilleur de tous les Peres succeda a
le plus méchant derous les fils. Commo
de ayant pris les Rênes de l’Empire dans
un âge encore tendre , se iaissa entiere
ment corrompre par les flateurs ; de sorte
que sans avoir aucune des qualitez de
Marc-Aurele , il eut presque tous les via
ces de Neron ', quoique son extrême
cruauté cr ses infames débauches eussent
fait revivre le tems malheureux de Domi
tien et de Caligula , il voulut cependant
que son Règne fut appellé le siècle d’or.
"Les Palmes fréquentes qu’il remporta
dans les Combats des Gladiateurs , étoient
quelque chose pour lui de plus grand que
les Triomphes les plus honorables et les
plus glorieux. Il étoit si adroit à lancer le
Javelot et à tirer de l’A rc,qu’il tuoit quel-a
‘quefois en un seul jour cent bêtes sauva
ges. Il lançoit ensuite les Javelots et les
Flèches sur le peuple pour couronner un‘
si beau spectacle. Fier de semblables Ex
ploits , il ajoûta au grand nombre des tia
tres magnifiques qu'il s’étoit déja donnés ,
çeluî dflnvincible et d’Hercule Romaicn.
e
98-M'ERCURE DE FRANCE.‘
Ce monstre plus féroce que toutes les
bêtes qu’il avoir fait périr , fut empoison
né par sa Maîtresse Marcia , e: ensuite
étranglé par un Athlète nommé Narcis
'se ,.la r56 année de son Règne , et la 32.5
“de son âge.
MALHERBE est un des Auteurs à qui la
. Poésie Françoise a le plus dbbligarion.
C’est lui quile premier fit sentir une jus
te cadence dans nos Vers , et qui nous
apprit le choix et Parrangement des mots.
La Nature ne l’avoit pas faitgrand Poëte t,
mais il cortigea cedéfaut par son esprit
et par son travail. (Qelques-unes de ses,
Odes ne vieilliront jamais , parce que le
bon goût est de tous les siécles. Il y mon;
tre d’un stile plein et uniforme tout ce
que la Nature a de plus sublime et de
plus beau , de plus naïf et de plus sim
ple. Ses pensées sont justes , ses expresà
rions sont nobles , son vers aisé , sesifign
tes variées , mais il ne s’en permet jamais
de trop hardies , et sage jusques dans ses
cmportemens , il a presque toujours fait
voit qu’en peut être raisonnable sans être
froid.
-“ Rousseau s’est rendu très-celébre par‘
ses Poésies. C’est un des Auteurs de notre
siecle qu’on lit et qu’en estime le plus.
Le Poëte , mais leaPoëtc admirable {par
J. a roi:
Ï JANVIER)‘ 1733.
‘toit dans plusieurs de ses Odes. On
toit , en lisant sa Traduction des Pseaue
mes de David , qu’il étoit animé du mê- u
‘ me feu dont ce Prophete étoit embrasé.‘
Son Ode contre la Fortune , vaut seule
un long Poëme , et surpasse tout ce que
les Anciens ont jamais fait de meilleur en
ce genre , 86C. * ,.
. LA M o -r r s. La Politesse de lîexpresa
sion , et la justesse du raisonnement," forà
ment le caractere propre de cet Illustre
Académicien , 8m. .
LA FONTAINE , qu’on peut appeller le
Phedre François , est dans toutes ses fa.
‘blcs ingénieux , naïf et charmant a on ne
peut le lire sans être agréablement ÏDSÂ
truie , et on n’en peut quitter la lecture,
tans souhaiter de la reprendre. .
t CLsMaNr MARDI‘ vivoit sous le Regne
de François I. c’est le plus ancien de nos
bons Poëtes; mais il semble renaître tous
les ans; sa vivacité naturelle er son agré
ment lui donnentun air de jeunesse qui’
brille jusques dans son vieux langage. Il
afait en qznelque- sorte la fortune de beau
coup d’anciens motsnqubn emprunte
volontiers de lui , et qu on employe mê
me à titre d'ornement. Jamais il ne fiat
plus à la mode qu'à ptesent ',.il est du hel
esprit de le copier t, et on est presque sûr
d’être
t
äooMEiRCURiîeDEFRANCËg
d’êtte applaudi de certaines gcns,avcc
une piece Marotique. .
Du CsaceAu a mieux imité que per.‘
sonne, l'élégant badinage de Marot. La
charmante naïveté qui se trouve dans ses
pensées, ses tours ingénieux, sa diction
pure et enjoüée ne sont pas ses seuls ta
ens , il sçait aussi répandre une noblesse
et une dignité merveilleuse sur les cho
ses qui en patoissent le moins suscepti
bles. Cc qu’il dit,est ordinairement assez
commun pour le Fond , mais il le presen
te sous des jours qui lui donnent un
air de nouveauté et quelque chose de pi-q
quant. Le naturel et le vrai sont , pour
ainsi dire, le fond et la matiere de ses
Ouvrages. Rien de plus simple pour l’ot
dinairc que ses sujets ; mais il a soin de
les relever par une ‘versification aisée et
coulante; par une fécondité, une délicaé
tesse 5 une netteté d'expression , et , si
j'ose le dire , par une qui plaisent infinimentl.égSèareMtéusdee Pesitncgeaayu;‘ l
ct badine , mais elle ne s’écarte jamais des
regles de la bienséance et du devoir.
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Résumé : Abregé de l'Histoire des 24. Peres de l'Eglise, &c. [titre d'après la table]
Le document présente un ouvrage intitulé 'Anneau de l'Histoire de 24 Pères de l'Église et des Empereurs Romains, depuis Jules César jusqu'à Constantin le Grand'. Cet ouvrage est structuré en trois parties. La première partie expose brièvement la vie de 24 Pères de l'Église. La seconde partie décrit de manière vivante la vie des anciens empereurs romains, en mettant en avant leurs traits les plus marquants. La troisième partie évalue de façon concise les caractéristiques des auteurs grecs, latins et français, en mentionnant brièvement des poètes français tels que Corneille, Racine, Boileau et Molière. L'ouvrage est bien écrit, avec un style fleuri et brillant, et est destiné à enrichir l'esprit des jeunes gens des deux sexes en leur offrant une connaissance générale des matières traitées. Parmi les empereurs romains, le texte mentionne Commode, fils de Marc-Aurèle, qui se laissa corrompre par les flatteurs. Son règne fut marqué par la cruauté et les débauches. Commode fut empoisonné par sa maîtresse Marcia et ensuite étranglé par un athlète nommé Narcisse. Le document mentionne également des poètes français tels que Malherbe, connu pour avoir introduit une juste cadence dans la poésie française, et Rousseau, célèbre pour ses poésies et sa traduction des Psaumes de David. La Fontaine est décrit comme le Phèdre français, ingénieux et charmant. Marot, vivant sous le règne de François I, est loué pour sa vivacité et son agrément, tandis que Du Bellay est apprécié pour son élégant badinage et sa diction pure.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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21
p. 917-929
LETTRE de M. Titon du Tillet, à M. de la R......
Début :
MONSIEUR, J'ai lû dans votre Mercure du mois de [...]
Mots clefs :
Poètes, Musiciens, Manière, Lully, Parnasse, Auteur, Fautes, Édition, Académie française
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. Titon du Tillet, à M. de la R......
LETTRE de M. Titon du Tillet
M. de la R..
M
...
ONSIEUR ,
'ai lû dans votre Mercure du mois de
Mars , P.481.une Lettre qui m'est addressée
au sujet de l'Edition du Liv , intitule
le Parnasse François , que j'ai donnée :
Dame d'un esprit peu ordinaire.
L'année
18 MERCURE DE FRANCE
l'année derniere. Si je connoissois l'Auteur
de cette Lettre , je lui addresserois
ma réponse , et je le remercirois plus am
plement que je ne le fais icy , de la maniere
avantageuse dont il parle de cet
Ouvrage qu'il veut bien traiter d'Excellent
, et qu'il marque ne pouvoir être que
d'une extrême utilité et d'un agrément infini
à ceux qui voudront connoître le genie des
Poëtes et des Musiciens François , que mon
zele et mes travaux n'immortalisent pas
moins , que les Ouvrages qu'ils ont laissez.
Les louanges qu'on me fait l'honneur
de me donner sur mon zele, me font des
plus agréables , et je les reçois volontiers;
Personne ne pouvant en avoir davantage
pour la gloire de notre Nation et pour
celle des grands Hommes qu'elle a produits.
A l'égard des louanges qu'on me
donne sur mes travaux pour célébrer le
génie et les talens de nos. Poëtes et de nos
Musiciens , je sens que je suis encore bien
éloigné de la perfection où j'aurois souhaite
porter un pareil Ouvrage ; c'est
pourquoi je suis tres-obligé à celui qui
m' crit des Remarques ,dont il veut bien
me faire part sur quelques fautes qui ont
pû s'y glisser. Je reçois donc , avec plaisir
, ses Remarques , mais il me permettra
de lui dire que la plupart des fautes
qu'il
MA Y. 1733 .
1
919
qu'il a trouvées dans cette Edition ne me
paroissent pas réellement des fautes , où
que si elles en sont , elles ne sont pas .
bien essentielles.
Il prétend que le nom de des Iveteaux
doit commencer par un Y et non pas un
I ; cependant de Vigneul Marville 1 qui
fait un article assez étendu de des Iveteaux
, écrit ce nom par un I simple, de
même qu'il l'est dans le Dictionnaire de
Moreri . Il est vrai que Baillet , au cin .
quiéme volume des Jugemens des Sçavans ,
le met par un Y. L'Imprimeur auroit du
mettre dans mon Livre , à l'article des
Iveteaux , le premier v consonne , comme
il l'a mis à la Liste Alphabetique des
Poëtes et des Musiciens.
On doit écrire , dit l' Anonyme , Lulli ,
et non pas Lully , car c'est faire un nom
François d'un nom Italien. Je sçai bien
que les Italiens ne se servent point dans
leur Alphabet des Lettres K, X , Y ; c'est
pourquoi je ne dirai pas si Lully avoit
voulu mettre un Y à son nom , étant
dans son Païs , ou s'il l'a pris depuis qu'il
se fit naturaliser François ; mais il est certain
qu'il signoit Lully , avec un Y; c'est
ainsi qu'on peut le voir sur differens
1 Mélanges d'Histoire et de Litterature ;
tame 3.
Exem920
MERCURE DE FRANCE
Exemplaires imprimez , qui sont encore
aujourd'hui chez Ballard , paraphez de sa
propre main , de cette maniere , J. B.
Lully , &c.
Dans tous les Opéra que Lully a fait
imprimer et dans toutes les Epîtres Dédicatoires
au Roy, son nom est toujours
terminé par un Y , &c. Le nom de ce
fameux Musicien , mis au bas de son Portrait
gravé , est avec un Y. Charles Perrault
, dans ses Hommes Illustres , l'écrit
de même ; enfin la famille de Lully , qui
lui a fait élever un superbe Mausolée dans
P'Eglise des Petits Peres à Paris, a fait mettre
dans l'Inscription , son nom gravé
par un Y. Son fils et son petit - fils dans
leur fignature , mettent de même un Yà
leur nom . Il est vrai que dans le Dictionnaire
de Moreri on a écrit Lulli .
Il marque que le nom d'une illustre Chanteuse
est tout - à-fait défiguré , qu'on doit
écrire Mlle de Leufroy , et non pas Mlle le
Froid. Je répondrai que je connois cette
Demoiselle depuis plus de trente ans ,
qu'elle m'a fait l'honneur de m'écrire , et
qu'elle signe , le Froid , comme je l'ai
écrit. Il y a huit jours que je lui rendis
visite chez elle , ruë S.Loiiis dans l'Isle ;
elle me confirma qu'elle , ni son pere , ni
sa mere n'avoient jamais signé leur nom
autrement que le Froid.. A
MAY. 1733 . 527
A l'égard du nom du Président Nicole
qu'il croit devoir être écrit avec deux L,
comme Bayle le met dans son Dictionnaire
; je lui dirai qu'il n'est pas surprenant
que Bayle dans plus d'un million de
noms propres qu'il rapporte dans cet Ouvrage
, n'ait mis un L de plus qu'il ne
faut à ce nom ; mais que le celebre Nicole
, Auteur de plusieurs excellens Ouvrages
de Morale et de Piété, ne mettoit
qu'un Là son nom (comme on le voit dans
Moreri)et que dans les Oeuvres Poëtiques
du President Nicole, son parent, avec son
Epître Dédicatoire au Roy , imprimée
chez Charles de Sercy , Paris , 1670 &
1693. le nom de Nicole n'est écrit qu'avec
un L , de la maniere dont M. Nicole
, Lieutenant General et Président du
Présidial de Chartes , petit- fils du Poëte,
dont j'ai fait mention , signe encore son
nom aujourd'hui ,
J'ai écrit Montreul ( de même qu'il est
dans le Moreri ) en marquant qu'il faut
prononcer Montreuil celui qui me fait
part de ses Remarques dit qu'il faut écri
de Montereul , comme le marquent Pellisson
et l'Abbé d'Olivet , dans leur Histoire
de l'Académie Françoise ; pour moi
j'ai crû pouvoir faire le nom de Montreul
de deux sillabes , parce que Baillet , Mo-
•
reri
922 MERCURE DE FRANCE
.
reri, et Despréaux le font de même.com.
me on le voit dans ces Vers :
On ne voit point mes Vers , à l'envi de Mons
treuil ,
Grossir impunément les Feuillets d'un Recueil.
Montreuil , lui-même écrivoit , selon
toutes les apparences , son nom de cette
maniere ; ses Oeuvres avec son Epître
dédicatoire à M. Molé , et son Portrait
gravé au commencement , en sont des
prenves , car son nom y est par tout écrit,
Montreuil.
Voici des fautes qu'il m'objecte avec
raison . Les noms de Beüil , de Pillet , de
Pilles , sont mal écrits ; on doit mettre du
Bueil , de Pilet , de Piles ; aussi dans l'Edition
de mon Livre a t on mis quatre
ou cinq fois de Piles, et une seule fois de
Pilles. Il faut joindre aussi , comme il le
marque , les sillabes de chacun de ces
Noms, Lalande, Desmarets ; au lieu qu'on
les a séparé , la Lande , des Marets.
Je crois qu'il a raison de dire , qu'on
doit écrire Amfrye de Chaulieu, ou peutêtre
Affie , comme e l'ai mis dans le
premier Essai que j'ai donné de la Des
cription du Parnasse François , parce qu'il
est écrit de même sur les Registres mor
tuaires de l'Eglise du Temple,à Paris ; et
je
MAY. 1733 . $23
je pourrois bien avoir mal fait d'avoir
mis Auffre dans cette seconde Edition ,
sur ce que m'a assuré un célébre Académi
cien, qu'il falloit l'écrire de cette maniere ,
et comme il est imprime dans le Mercure
de Juillet 1720 .
Pour ce qui regarde quelques dattes de
la naissance , de la mort et de l'age des
Poëtes et des Musiciens dont je fait mention
, il n'est pas aisé parmi plus de trois
mille dattes , comprises celles de l'impression
de leurs Ouvrages , qu'on mette
quelquefois un chiffre pour un autre ;
mais dans huit ou dix endroits où il me
reprend sur ces dattès , qui ne sont pas
exactes , l'erreur ne va pas à quinze jours
de plus ou de moins, ou s'il va plus loin ,
comme peut être au seul article de Daniel
Huet , où l'on a marqué sa mort en
1711 , au lieu de 1741. pour lors le Leeteur
peut y suppléer facilement, et recon-
Loître l'erreur, parce qu'ayant mis à l'intitulé
de son article ; Daniel Huet , né en
1630. mort en 1711. âgé de 91 ans ; on
voit clairement qu'il faut mettre 1721 .
afin qu'il eut 91 à sa mort ; d'autant plus
que j'ai placé les Poëtes et les Musiciens
par ordie chronologique , ayant mis devant
Daniel Huet , l'Abbé de Chaulieu
M. Dacier , et Jacques Vergier , tous les
trois
24 MERCURE DE FRANCE
trois morts en 1720. cependant on a corrigé
cette faute à la main , dans la plus
grande partie des Exemplaires ; de même
que quatre ou cinq autres principales.
Santeuil est mort dans sa 68.année , au
lieu que je l'ai mis dans sa 67. et Thomas
Corneille dans sa 85. année , au lieu
qu'on l'a mis dans sa 84.
Il marque aussi d'après l'Abbé d'Oli
vet , dans son Histoire de l'Académie
Françoise , que du Ryer est mort en 1658.
et non pas en 1656. j'ai suivi cette detniere
datte d'après Ballet , Bayle et Moreri
, qui mettent la date de sa mort en
1656. on peut la vérifier sur les Regis
tres Mortuaires de la Paroisse de S. Gervais
, où il a été inhumé ; j'ai cependant
beaucoup de confiance en l'Abbé d'Olivet,
pour ce qui regarde les Académiciens
dont il a écrir la Vie , et je m'en
suis servi utilement dans cette seconde
Edition pour quelques-uns de nos Poëtes,
qui étoient de l'Académie .
J'ai omis , dit- il , les dates du temps
de la naissance de Ségrais , de Fléchier ,
de la Monnoye , de Valincour, du Pere
du Cerceau. J'ai négligé de mettre quelquefois
ces dates , parce qu'ayant mis
l'année de la mort d'une personne et celle
de son âge , on trouve aisément celle de
sa naissance.
,
MAY. • 1733.
925
Je n'ai pas oublié , comme il le marque ,
le Poëte de Lingendes , qu'il nomme Jean
au lieu de Pierre , cat Jean de Lingendes ,
parent de celui - cy , étoit un celebre Prédicateur
, qui fut nommé à l'Evêché de
Sarlat , puis à celui de Mâcon , et le
Pere de Lingendes , Jésuite , son cousin ,
aussi Prédicateur de réputation , s'appelloit
Claude. J'ai fait un article de Pierre
de Lingendes avec Montfuron , qui est
l'article LIII. pages 210. et 211. où
j'ai rapporté la maniere dont l'illustre
Mlle de Scudery , a celebré ces deux Poëtes
, au Tome 8. de son Roman de Clélie
, et que Barbin , dans son Recueil de
Poësies choisies , Tome 3. a donné des Vers
de Lingendes.
Boësset le pere , et Boësset le fils , Musiciens
, ne sont pas non plus oubliez ,
comme il le dit , j'ai marqué l'article de
Lambert ,, ppaaggee 339922.. »» qquuee de son temps.
il parut plusieurs Musiciens qui sui-
» virent ses traces , c'est- à- dire qui tra-
» vaillerent dans un goût tendre et gra-
>> cieux ; on doit mettre de ce nombre
»Boësset et le Camus , tous deux Maîtres
>> et Compositeurs de la Musique de la
» Chambre du Roy , qui s'acquirent de
» la réputation , par leurs Chansons ; on
"peut mettre aussi de ce nombre Boësset
;
}
926 MERCURE DE FRANCE
» set le fils , Mollie , Sicard , Moulinić ,
» du Buisson , &c. les Recueils de leurs
» Airs sont impriméz chez J. B. Chris-
»tophe Ballard.
A l'Article de Campistron , j'ai dit qu'il
composa par ordre du Duc de Vendôme ,
une Piece Lyrique , pour être chantée
en son Château d'Anet , où Monseigneur
le Dauphin passa quelques jours , j'aurois
bien fait de dire que cette Piece est
intitulée , Acis et Galatée , Pastorale Héroïque
, représentée en 1687. à Anet , et
la même année sur le Théatre de l'Opéra.
L'Auteur de ces Remarques auroit souhaité
que j'eusse fait mention dans l'ordre
chronologique des Poëtes et des Musiciens
de Jean Dasjac , de l'Académie
Françoise , homme connu par divers Ouvrages
en Prose Latine et Françoise , et
qui a composé aussi quelques Vers François
et Latins ; mais j'ai fait connoître
que mon dessein n'étoit pas de faire paroître
sur le Parnasse tous les François
qui se sont exercez dans la Poësie , dans
la Musique. J'ai crû même avoir trop
entrepris d'en présenter à Apollon plus
de 260. outre quatre ou cinq cens autres
dont j'ai rapporté seulement les noms,
et que j'ai dit qu'on pouvoit supposer s'y
promener
MAY. 1733 928
promener dans les Avenues riantes et
dans les Campagnes agréables qui environnent
le Parnasse , en attendant qu'Apollon
décide de leur sort. Je sçai bien
qu'il ne seroit pas difficile de mettre encore
les noms de plus de 200. autres François
qui ont donné au Public quelques petites
Poësies , et quelques Pieces de Théatre
; on trouve leurs noms entre ceux
de plusieurs autres Poëtes dont j'ai fait
mention sur le Parnasse . 1º . Au cinquiéme
volume des Jugemens des Sçavans
sur les Poëtes modernes , par Baillet . 2 ° .
Dans un Livre intitulé , Bibliotheque des
Théatres , qui vient de paroître en cette
année 1733. 3 ° . Dans les Recueils de Poësies
de Sercy , de la Fontaine , de Barbin ,
et du P. Bouhours , & c.
J'ai averti aussi au bas de la premiere
page de mon Livre , que j'avois laissé des
places en blanc,au bas de chaque Rouleau
où j'ai écrit les noms des Poëtes et des
Musiciens de notre Parnasse , et même
dans quelques autres endroits où j'ai mis
une suite d'autres noms de Personnes illustres
dans les Sciences et dans les Beaux
Arts , afin que les Partisans de quelquesunes
dont ils ne voyent point les noms ,
ayent la satisfaction de remplir eux - mêmes
ces vuides ou blancs , en y mettant
E les
928 MERCURE DE FRANCE
les noms de ces personnes ; on verra dans
mon Livre ces places que j'ai laissées en
blanc , depuis la page 35. jusqu'à la
page 45.
Si l'Auteur anonime avoit bien voulu
me communiquer ses Remarques avant
que de les faire imprimer , je crois qu'au
lieu de six pages qu'elles contiennent ,
nous aurions pû les renfermer dans une
demi page , à quoi j'aurois ajoûté une
autre demi page de quelques autres fau
tes sur lesquelles il a bien voulu me ménager;
mais il est bien difficile que dans
un volume in folio de près de 800. pages
, où l'on rapporte plus de 15oc . noms
propres , et plus de 3000. dates en chiffre,
il ne se glisse quelques fautes de l'Auteur
et encore plus de l'Imprimeur. J'a-
Joûterai cependant que je n'en ai point
trouvé de bien essentielles et auxquelles
le Lecteur éclairé ne puisse aisément suppléer.
Je vous prie , Monsieur , si vous connoissez
l'Auteur de cette Lettre , de vou
loir bien le remercier de ma part de la
maniere obligeante dont il a parlé de mon
Livre , et de lui dire que je serai charmé
de faire connoissance avec lui, et de lui
présenter un Exemplaire de cet Ouvrage
dont il témoigne que la lecture lui a fait
plaisir;
MAY. 1733.
929
plaisir ; je ne lui sçai que très - bon gré
des Remarques dont il m'a fait part ,
et je lui en serai toujours obligé , comme
je le serai à toutes les personnes d'éru
dition et de goût , qui voudront bien
m'aider de leurs avis pour perfectionner
un Ouvrage tel que celui que j'ai entrepris.
Je suis , & c .
M. de la R..
M
...
ONSIEUR ,
'ai lû dans votre Mercure du mois de
Mars , P.481.une Lettre qui m'est addressée
au sujet de l'Edition du Liv , intitule
le Parnasse François , que j'ai donnée :
Dame d'un esprit peu ordinaire.
L'année
18 MERCURE DE FRANCE
l'année derniere. Si je connoissois l'Auteur
de cette Lettre , je lui addresserois
ma réponse , et je le remercirois plus am
plement que je ne le fais icy , de la maniere
avantageuse dont il parle de cet
Ouvrage qu'il veut bien traiter d'Excellent
, et qu'il marque ne pouvoir être que
d'une extrême utilité et d'un agrément infini
à ceux qui voudront connoître le genie des
Poëtes et des Musiciens François , que mon
zele et mes travaux n'immortalisent pas
moins , que les Ouvrages qu'ils ont laissez.
Les louanges qu'on me fait l'honneur
de me donner sur mon zele, me font des
plus agréables , et je les reçois volontiers;
Personne ne pouvant en avoir davantage
pour la gloire de notre Nation et pour
celle des grands Hommes qu'elle a produits.
A l'égard des louanges qu'on me
donne sur mes travaux pour célébrer le
génie et les talens de nos. Poëtes et de nos
Musiciens , je sens que je suis encore bien
éloigné de la perfection où j'aurois souhaite
porter un pareil Ouvrage ; c'est
pourquoi je suis tres-obligé à celui qui
m' crit des Remarques ,dont il veut bien
me faire part sur quelques fautes qui ont
pû s'y glisser. Je reçois donc , avec plaisir
, ses Remarques , mais il me permettra
de lui dire que la plupart des fautes
qu'il
MA Y. 1733 .
1
919
qu'il a trouvées dans cette Edition ne me
paroissent pas réellement des fautes , où
que si elles en sont , elles ne sont pas .
bien essentielles.
Il prétend que le nom de des Iveteaux
doit commencer par un Y et non pas un
I ; cependant de Vigneul Marville 1 qui
fait un article assez étendu de des Iveteaux
, écrit ce nom par un I simple, de
même qu'il l'est dans le Dictionnaire de
Moreri . Il est vrai que Baillet , au cin .
quiéme volume des Jugemens des Sçavans ,
le met par un Y. L'Imprimeur auroit du
mettre dans mon Livre , à l'article des
Iveteaux , le premier v consonne , comme
il l'a mis à la Liste Alphabetique des
Poëtes et des Musiciens.
On doit écrire , dit l' Anonyme , Lulli ,
et non pas Lully , car c'est faire un nom
François d'un nom Italien. Je sçai bien
que les Italiens ne se servent point dans
leur Alphabet des Lettres K, X , Y ; c'est
pourquoi je ne dirai pas si Lully avoit
voulu mettre un Y à son nom , étant
dans son Païs , ou s'il l'a pris depuis qu'il
se fit naturaliser François ; mais il est certain
qu'il signoit Lully , avec un Y; c'est
ainsi qu'on peut le voir sur differens
1 Mélanges d'Histoire et de Litterature ;
tame 3.
Exem920
MERCURE DE FRANCE
Exemplaires imprimez , qui sont encore
aujourd'hui chez Ballard , paraphez de sa
propre main , de cette maniere , J. B.
Lully , &c.
Dans tous les Opéra que Lully a fait
imprimer et dans toutes les Epîtres Dédicatoires
au Roy, son nom est toujours
terminé par un Y , &c. Le nom de ce
fameux Musicien , mis au bas de son Portrait
gravé , est avec un Y. Charles Perrault
, dans ses Hommes Illustres , l'écrit
de même ; enfin la famille de Lully , qui
lui a fait élever un superbe Mausolée dans
P'Eglise des Petits Peres à Paris, a fait mettre
dans l'Inscription , son nom gravé
par un Y. Son fils et son petit - fils dans
leur fignature , mettent de même un Yà
leur nom . Il est vrai que dans le Dictionnaire
de Moreri on a écrit Lulli .
Il marque que le nom d'une illustre Chanteuse
est tout - à-fait défiguré , qu'on doit
écrire Mlle de Leufroy , et non pas Mlle le
Froid. Je répondrai que je connois cette
Demoiselle depuis plus de trente ans ,
qu'elle m'a fait l'honneur de m'écrire , et
qu'elle signe , le Froid , comme je l'ai
écrit. Il y a huit jours que je lui rendis
visite chez elle , ruë S.Loiiis dans l'Isle ;
elle me confirma qu'elle , ni son pere , ni
sa mere n'avoient jamais signé leur nom
autrement que le Froid.. A
MAY. 1733 . 527
A l'égard du nom du Président Nicole
qu'il croit devoir être écrit avec deux L,
comme Bayle le met dans son Dictionnaire
; je lui dirai qu'il n'est pas surprenant
que Bayle dans plus d'un million de
noms propres qu'il rapporte dans cet Ouvrage
, n'ait mis un L de plus qu'il ne
faut à ce nom ; mais que le celebre Nicole
, Auteur de plusieurs excellens Ouvrages
de Morale et de Piété, ne mettoit
qu'un Là son nom (comme on le voit dans
Moreri)et que dans les Oeuvres Poëtiques
du President Nicole, son parent, avec son
Epître Dédicatoire au Roy , imprimée
chez Charles de Sercy , Paris , 1670 &
1693. le nom de Nicole n'est écrit qu'avec
un L , de la maniere dont M. Nicole
, Lieutenant General et Président du
Présidial de Chartes , petit- fils du Poëte,
dont j'ai fait mention , signe encore son
nom aujourd'hui ,
J'ai écrit Montreul ( de même qu'il est
dans le Moreri ) en marquant qu'il faut
prononcer Montreuil celui qui me fait
part de ses Remarques dit qu'il faut écri
de Montereul , comme le marquent Pellisson
et l'Abbé d'Olivet , dans leur Histoire
de l'Académie Françoise ; pour moi
j'ai crû pouvoir faire le nom de Montreul
de deux sillabes , parce que Baillet , Mo-
•
reri
922 MERCURE DE FRANCE
.
reri, et Despréaux le font de même.com.
me on le voit dans ces Vers :
On ne voit point mes Vers , à l'envi de Mons
treuil ,
Grossir impunément les Feuillets d'un Recueil.
Montreuil , lui-même écrivoit , selon
toutes les apparences , son nom de cette
maniere ; ses Oeuvres avec son Epître
dédicatoire à M. Molé , et son Portrait
gravé au commencement , en sont des
prenves , car son nom y est par tout écrit,
Montreuil.
Voici des fautes qu'il m'objecte avec
raison . Les noms de Beüil , de Pillet , de
Pilles , sont mal écrits ; on doit mettre du
Bueil , de Pilet , de Piles ; aussi dans l'Edition
de mon Livre a t on mis quatre
ou cinq fois de Piles, et une seule fois de
Pilles. Il faut joindre aussi , comme il le
marque , les sillabes de chacun de ces
Noms, Lalande, Desmarets ; au lieu qu'on
les a séparé , la Lande , des Marets.
Je crois qu'il a raison de dire , qu'on
doit écrire Amfrye de Chaulieu, ou peutêtre
Affie , comme e l'ai mis dans le
premier Essai que j'ai donné de la Des
cription du Parnasse François , parce qu'il
est écrit de même sur les Registres mor
tuaires de l'Eglise du Temple,à Paris ; et
je
MAY. 1733 . $23
je pourrois bien avoir mal fait d'avoir
mis Auffre dans cette seconde Edition ,
sur ce que m'a assuré un célébre Académi
cien, qu'il falloit l'écrire de cette maniere ,
et comme il est imprime dans le Mercure
de Juillet 1720 .
Pour ce qui regarde quelques dattes de
la naissance , de la mort et de l'age des
Poëtes et des Musiciens dont je fait mention
, il n'est pas aisé parmi plus de trois
mille dattes , comprises celles de l'impression
de leurs Ouvrages , qu'on mette
quelquefois un chiffre pour un autre ;
mais dans huit ou dix endroits où il me
reprend sur ces dattès , qui ne sont pas
exactes , l'erreur ne va pas à quinze jours
de plus ou de moins, ou s'il va plus loin ,
comme peut être au seul article de Daniel
Huet , où l'on a marqué sa mort en
1711 , au lieu de 1741. pour lors le Leeteur
peut y suppléer facilement, et recon-
Loître l'erreur, parce qu'ayant mis à l'intitulé
de son article ; Daniel Huet , né en
1630. mort en 1711. âgé de 91 ans ; on
voit clairement qu'il faut mettre 1721 .
afin qu'il eut 91 à sa mort ; d'autant plus
que j'ai placé les Poëtes et les Musiciens
par ordie chronologique , ayant mis devant
Daniel Huet , l'Abbé de Chaulieu
M. Dacier , et Jacques Vergier , tous les
trois
24 MERCURE DE FRANCE
trois morts en 1720. cependant on a corrigé
cette faute à la main , dans la plus
grande partie des Exemplaires ; de même
que quatre ou cinq autres principales.
Santeuil est mort dans sa 68.année , au
lieu que je l'ai mis dans sa 67. et Thomas
Corneille dans sa 85. année , au lieu
qu'on l'a mis dans sa 84.
Il marque aussi d'après l'Abbé d'Oli
vet , dans son Histoire de l'Académie
Françoise , que du Ryer est mort en 1658.
et non pas en 1656. j'ai suivi cette detniere
datte d'après Ballet , Bayle et Moreri
, qui mettent la date de sa mort en
1656. on peut la vérifier sur les Regis
tres Mortuaires de la Paroisse de S. Gervais
, où il a été inhumé ; j'ai cependant
beaucoup de confiance en l'Abbé d'Olivet,
pour ce qui regarde les Académiciens
dont il a écrir la Vie , et je m'en
suis servi utilement dans cette seconde
Edition pour quelques-uns de nos Poëtes,
qui étoient de l'Académie .
J'ai omis , dit- il , les dates du temps
de la naissance de Ségrais , de Fléchier ,
de la Monnoye , de Valincour, du Pere
du Cerceau. J'ai négligé de mettre quelquefois
ces dates , parce qu'ayant mis
l'année de la mort d'une personne et celle
de son âge , on trouve aisément celle de
sa naissance.
,
MAY. • 1733.
925
Je n'ai pas oublié , comme il le marque ,
le Poëte de Lingendes , qu'il nomme Jean
au lieu de Pierre , cat Jean de Lingendes ,
parent de celui - cy , étoit un celebre Prédicateur
, qui fut nommé à l'Evêché de
Sarlat , puis à celui de Mâcon , et le
Pere de Lingendes , Jésuite , son cousin ,
aussi Prédicateur de réputation , s'appelloit
Claude. J'ai fait un article de Pierre
de Lingendes avec Montfuron , qui est
l'article LIII. pages 210. et 211. où
j'ai rapporté la maniere dont l'illustre
Mlle de Scudery , a celebré ces deux Poëtes
, au Tome 8. de son Roman de Clélie
, et que Barbin , dans son Recueil de
Poësies choisies , Tome 3. a donné des Vers
de Lingendes.
Boësset le pere , et Boësset le fils , Musiciens
, ne sont pas non plus oubliez ,
comme il le dit , j'ai marqué l'article de
Lambert ,, ppaaggee 339922.. »» qquuee de son temps.
il parut plusieurs Musiciens qui sui-
» virent ses traces , c'est- à- dire qui tra-
» vaillerent dans un goût tendre et gra-
>> cieux ; on doit mettre de ce nombre
»Boësset et le Camus , tous deux Maîtres
>> et Compositeurs de la Musique de la
» Chambre du Roy , qui s'acquirent de
» la réputation , par leurs Chansons ; on
"peut mettre aussi de ce nombre Boësset
;
}
926 MERCURE DE FRANCE
» set le fils , Mollie , Sicard , Moulinić ,
» du Buisson , &c. les Recueils de leurs
» Airs sont impriméz chez J. B. Chris-
»tophe Ballard.
A l'Article de Campistron , j'ai dit qu'il
composa par ordre du Duc de Vendôme ,
une Piece Lyrique , pour être chantée
en son Château d'Anet , où Monseigneur
le Dauphin passa quelques jours , j'aurois
bien fait de dire que cette Piece est
intitulée , Acis et Galatée , Pastorale Héroïque
, représentée en 1687. à Anet , et
la même année sur le Théatre de l'Opéra.
L'Auteur de ces Remarques auroit souhaité
que j'eusse fait mention dans l'ordre
chronologique des Poëtes et des Musiciens
de Jean Dasjac , de l'Académie
Françoise , homme connu par divers Ouvrages
en Prose Latine et Françoise , et
qui a composé aussi quelques Vers François
et Latins ; mais j'ai fait connoître
que mon dessein n'étoit pas de faire paroître
sur le Parnasse tous les François
qui se sont exercez dans la Poësie , dans
la Musique. J'ai crû même avoir trop
entrepris d'en présenter à Apollon plus
de 260. outre quatre ou cinq cens autres
dont j'ai rapporté seulement les noms,
et que j'ai dit qu'on pouvoit supposer s'y
promener
MAY. 1733 928
promener dans les Avenues riantes et
dans les Campagnes agréables qui environnent
le Parnasse , en attendant qu'Apollon
décide de leur sort. Je sçai bien
qu'il ne seroit pas difficile de mettre encore
les noms de plus de 200. autres François
qui ont donné au Public quelques petites
Poësies , et quelques Pieces de Théatre
; on trouve leurs noms entre ceux
de plusieurs autres Poëtes dont j'ai fait
mention sur le Parnasse . 1º . Au cinquiéme
volume des Jugemens des Sçavans
sur les Poëtes modernes , par Baillet . 2 ° .
Dans un Livre intitulé , Bibliotheque des
Théatres , qui vient de paroître en cette
année 1733. 3 ° . Dans les Recueils de Poësies
de Sercy , de la Fontaine , de Barbin ,
et du P. Bouhours , & c.
J'ai averti aussi au bas de la premiere
page de mon Livre , que j'avois laissé des
places en blanc,au bas de chaque Rouleau
où j'ai écrit les noms des Poëtes et des
Musiciens de notre Parnasse , et même
dans quelques autres endroits où j'ai mis
une suite d'autres noms de Personnes illustres
dans les Sciences et dans les Beaux
Arts , afin que les Partisans de quelquesunes
dont ils ne voyent point les noms ,
ayent la satisfaction de remplir eux - mêmes
ces vuides ou blancs , en y mettant
E les
928 MERCURE DE FRANCE
les noms de ces personnes ; on verra dans
mon Livre ces places que j'ai laissées en
blanc , depuis la page 35. jusqu'à la
page 45.
Si l'Auteur anonime avoit bien voulu
me communiquer ses Remarques avant
que de les faire imprimer , je crois qu'au
lieu de six pages qu'elles contiennent ,
nous aurions pû les renfermer dans une
demi page , à quoi j'aurois ajoûté une
autre demi page de quelques autres fau
tes sur lesquelles il a bien voulu me ménager;
mais il est bien difficile que dans
un volume in folio de près de 800. pages
, où l'on rapporte plus de 15oc . noms
propres , et plus de 3000. dates en chiffre,
il ne se glisse quelques fautes de l'Auteur
et encore plus de l'Imprimeur. J'a-
Joûterai cependant que je n'en ai point
trouvé de bien essentielles et auxquelles
le Lecteur éclairé ne puisse aisément suppléer.
Je vous prie , Monsieur , si vous connoissez
l'Auteur de cette Lettre , de vou
loir bien le remercier de ma part de la
maniere obligeante dont il a parlé de mon
Livre , et de lui dire que je serai charmé
de faire connoissance avec lui, et de lui
présenter un Exemplaire de cet Ouvrage
dont il témoigne que la lecture lui a fait
plaisir;
MAY. 1733.
929
plaisir ; je ne lui sçai que très - bon gré
des Remarques dont il m'a fait part ,
et je lui en serai toujours obligé , comme
je le serai à toutes les personnes d'éru
dition et de goût , qui voudront bien
m'aider de leurs avis pour perfectionner
un Ouvrage tel que celui que j'ai entrepris.
Je suis , & c .
Fermer
Résumé : LETTRE de M. Titon du Tillet, à M. de la R......
M. Titon du Tillet répond à une lettre publiée dans le Mercure de France, qui loue son ouvrage 'Le Parnasse François'. Il exprime sa gratitude pour les éloges et reconnaît l'utilité de son ouvrage pour connaître les poètes et musiciens français. Il accepte les remarques sur les fautes présentes dans son livre, bien qu'il conteste certaines corrections proposées. Par exemple, il défend l'orthographe 'Lully' avec un 'Y', en citant des sources et des signatures de Lully lui-même. Il corrige également des erreurs sur les noms de personnes comme Mlle de Leufroy et le Président Nicole. Il admet quelques erreurs de dates et de noms, mais justifie certaines omissions et erreurs mineures. Il mentionne avoir laissé des espaces blancs dans son livre pour que les lecteurs puissent ajouter des noms manquants. Enfin, il regrette que les remarques n'aient pas été partagées avant l'impression pour éviter des corrections inutiles. L'auteur du texte reconnaît également la présence de fautes, tant de sa part que de celle de l'imprimeur, mais estime qu'elles ne sont pas essentielles et que le lecteur éclairé pourra les corriger facilement. Il demande à son interlocuteur de remercier l'auteur de la lettre pour ses commentaires favorables sur son livre et exprime son désir de faire sa connaissance. Il offre également de lui envoyer un exemplaire de son ouvrage. L'auteur du texte apprécie les remarques faites et se déclare prêt à les utiliser pour améliorer son œuvre. Il exprime sa gratitude envers toutes les personnes érudites et de goût qui souhaiteraient l'aider à perfectionner son ouvrage.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
22
p. 2587-2609
DES HIEROGLYPHES, et de leurs usages dans l'Antiquité. Discours où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de tous les Monstres et de tous les Animaux chimeriques dont les Anciens nous ont parlé. Par M. Beneton de Perrin.
Début :
Les premiers hommes, avec la seule faculté du langage par les organes [...]
Mots clefs :
Hiéroglyphes, Figures, Hiéroglyphe, Marques, Hommes, Animaux, Religion, Écriture, Sciences, Marque, Monstres, Caractères, Homme, Figure, Chevaux, Terre, Explication, Connaissance , Symbole, Poètes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DES HIEROGLYPHES, et de leurs usages dans l'Antiquité. Discours où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de tous les Monstres et de tous les Animaux chimeriques dont les Anciens nous ont parlé. Par M. Beneton de Perrin.
DES HIEROGLYPHES , et de
leurs usages dans l'Antiquité. Discours
où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de
tous les Monstres et de tous les Animaux
chimeriques dont les Anciens nous ont
parlé. Par M. Beneton de Perrin .
Es premiers hommes , avec la seule
Lfaculté du langage par les organes
de la voix , auroient manqué de moyens
pour s'entretenir absents les uns des
-autres , et n'auroient pû avoir commerce
entre eux que difficilement, Pour remedier
à ces inconveniens , ils inventerent
des figures et convinrent qu'elles serviroient
à représenter leurs pensées , pour
ne les découvrir qu'à ceux qui en auroient
l'intelligence. Les actions et les
passions étant des accidens qui agitent
également la Nature et les hommes ;
ces figures emblêmatiques servirent d'a
bord à exprimer les unes et les autres
de ces choses , et formerent par-là un
langage muet , qui montroit le coeur
de l'homme aux yeux sans le secours
de la parole.
Les Grecs nommerent ces figures Hie-
1. Vol.
roglyphes
2588 MERCURE DE FRANCE
rogliphes , des mots Ιερος et γλύφος , com .
me qui diroit Sacra Sculptura , parce que
ce furent les Prêtres qui les premiers s'en
servirent pour écrire sur la Religion , et
envelopper par là les Mysteres. Le Pere
Kirker dérive le terme d'Hierogliphe des
mots da T. espos na gaúços , ce qui revient
assez à ce que j'ai dit qu'ils servoient
à une Ecriture sacrée , faite pour
être gravée ou taillée sur le bois ou sur
la pierre , Quasi sacra scalpendo ; les Hierogliphes
se multiplierent à mesure que
Part de parler se perfectionna et que les
Sciences se formerent.
Je les distingue en deux classes ; sçavoir
, les Hierogliphes animez , qui se
représentoient sous des formes de bêtes
soit Quadrupedes , Reptiles , Oiseaux ,
"Poissons et Plantes vegétatives , et les
Hierogliphes inanimez , qu'il faut plutôt
nommer Hierogrammes , parce qu'ils n'étoient
que des figures que les hommes
se firent à leur fantaisie , la plupart desquelles
formerent les Lettres qu'on nomma
Alphabetiques , en s'en servant pour
une autre Ecriture que le Hierogliphique
, comme j'aurai occasion de le faire
voir dans la suite. Les Chaldéens ayant
les premiers observé les Cieux et considere
l'ordre que semblent garder entre
I. Vol. elles
DECEMBRE. 1733. 2589
elles les Etoilles rassemblées , comme par
pelotons , dans ce vaste espace , ils tracerent
des figures dans le même arrangement
, et comme dans les choses mises
en confusion , on croit voir tout ce
qu'on a dessein d'y voir ; ils crurent
avoir remarqué dans ces assemblages d'Etoilles
, des formes distinctes d'hommes ,
d'oiseaux et d'animaux , ce qui leur fit
donner à ces amas ou conjonctions d'Astres
, les noms de Sagittaire , de Vierge ,
de Cigne , d'Ours , de Chien , &c. les
marquant des mêmes figures sur leurs
Tables Astronomiques.
>
Les Grecs nommerent aussi beaucoup
'de Constellations , les appellant du nom
de leurs Héros , et sur tout de ceux qui
se distinguerent dans l'Expedition de la
Colchide , sous le nom d'Argonautes
parce que ces Braves ayant été les
miers hommes qui eussent osé s'exposer
en pleine Mer , et ne se guidant que
par les Etoilles , les Poëtes jugerent qu'u
ne pareille hardie se méritoit que ces
Etoilles portassent leurs noms .
pre-
Les Astres une fois personnifiez , firent
naître l'Idolatrie ; on adora non - seulement
l'Astre en original , que l'on croyoit
influer sur un Pays ; mais encore sa figure
taillée et son Symbole ou Hiero-
I. Vol
C gliphes
2890 MERCURE DE FRANCE
gliphes, devinrent une chose respectable.
On alla même encore plus loin dans la
Deification des Corps de l'Univers ; car
la Terre étant deifiée comme les autres
Corps , on partagea sa divinité pour mul
tiplier les Dieux. Chacune de ces productions
eut séparément cet avantage , et
furent symbolisées par de nouveaux Hicrogliphes
, ce qui augmenta considerablement
et le nombre des cultes et celui
des figures.
Enfin le comble de l'Idolatrie fut qu'on
déïfia les hommes , regardant comme
des Dieux les Héros et les Inventeurs des
Sciences et des Arts. Alors on acheva de
faire porter aux Astres les noms des
personnes illustres , et confondant l'homme
et l'Astre , on honora le tout ensemble
sous la Statue ou le Hierogliphe
qui désignoit également ces deux choses
confonduës.
Par exemple , la Lyre , le Serpent ,
le Centaure , étoient des Signes Celestes ,
ces mêmes Signes ou Hierogliphes , désignoient
un Apollon , Pere prétendu
des Poëtes et des Musiciens ; un Esculape ,
Pere de la Médecine , et un Neptune ,
qui le premier dompta des Chevaux pour
s'en servir à la guerre et à la Chasse.
Mais ce qui embroüilla beaucoup la
I, Vol, signifi
DECEMBRE. 1733. 259%
signification des Hierogliphes , et quit
commença à en rendre l'explication malaisée
, c'est que tous les Personnages qui
réüssissoient dans les Sciences , et qui par
conséquent marchoient sur les traces de
ces hommes déïfiez pour en avoir été
les Inventeurs , se disoient leurs Enfans ;
de bons Poëtes et Musiciens étoient dits
Enfans d'Apollon ; un bon Médecin se
disoit fils d'Esculape , et d'habiles Cavaliers
se mettoient au nombre des descendans
de Neptune , le dompteur de
Chevaux. On qualifioit d'Enfans de Vulcain
tous ceux qui travailloient à forger
les Armes et les Outils pour l'Agriculture.
La Fable ne donne qu'un oeil aux
Cyclopes , pour signifier que les Ouvriers
qui travailloient aux Mines dans les en
trailles de la Terre , séjour continuellement
ténebreux , ne joüissoient que
d'un des deux avantages communs aux
autres hommes qui voyent alternativement
la luraiere du Soleil après l'obscu
rité de la nuit ; d'habiles Pilotes et Mariniers
étoient considerez comme fils
d'Eole et de l'Ocean.
Toutes ces personnes désignoient leur
Art sous un Hierogliphe , lequel souvent
les désignoit aussi eux - mêmes. La marque
étoit relative à la Profession et à
1. Vol. Cij l'Ou2592
MERCURE DE FRANCE
l'Ouvrier , et ces deux qualitez à la Divinité
Protectrice de l'Ouvrage , celafait
qu'un même Hierogliphe pouvoit signifier
trois choses bien differentes , une Sacrée ,
comme marque du Dieu d'un Art ; unc
Méchanique , comme marque de l'Art
même ; enfin une simple marque d'Ouvrier
Ainsi le même Hierogliphe qui
désignoit un Dieu , se mettoit souvent
sur le Tombeau d'un homme , pour montrer
la Profession dont il avoit été . Je
me servirai pour donner de cela un exem
ple sensible , d'un usage observé égale
ment par les Payens et par les premiers
Chrétiens en enterrant leurs Morts , les
uns mettoient souvent une hache sur
leurs Tombeaux , ce qui ne désignoit
pas toujours que celui qui étoit renfermé ||
dedans eût été un Ouvrier , ce pouvoit
être une personne de consideration qui
avoit eu pour Patron quelque Dieu Protecteur
d'un Art ou d'une Science , et
la hache étoit alors le Hierogliphe du
Dieu et non pas celui du Mort . Voilà
selon moi , ce qu'on doit entendre par
les Tombeaux érigez Sub ascia. Pan étoit
le Dieu des Campagnes , on n'enterroit
que là ; il a pû se faire que la hache ou
le hoyau , Instrumens propres à couper
les bois ou à remuer les terres
1. Vel
?
>
ont été
Les
DECEMBRE. 1733 2393
les Symboles des Dieux Champêtres , et
én mettant les Morts sous la protection
de ces Dieux , on mettoit leur Symbole
sur les Tombeaux .
A l'égard des Chrétiens , ils gravoient
une Pale sur les Sépulchres de feurs Martyrs
; ce Hierogliphe avoit une double
signification , l'une de passion , qui étoft
la gloire que s'étoient procuré ces Saints
par la souffrance , et l'autre de Religion , *
qui faisoit connoître celle dont ces illustres
avoient été les soutiens .
La représentation de differentes choses
par le même Hierogliphe , est ce qui
rend aujourd'hui presque impossible l'explication
des Monumens écrits avec ces ·
figures.
Comme je m'étendrai plus sur les Hierogliphes
que sur les Hierogrammes
quoique le mêlange des uns avec les
autres servit à fournir plus de moyens
d'exprimer ce qu'on avoit à faire sentir ;
je ne puis m'empêcher de faire une reflexion
qui tombe également sur tou
tes ces marques , c'est qu'il seroit à
souhaiter que les personnes qui s'appliquent
à les étudier , s'attachassent
bien à distinguer les deux especes dont
je parle , et les differents sujets ausquels
elles convenoient. Chacune de
1. Vol. Cij nos
2594 MERCURE DE FRANCE
nos Sciences a ses termes propres , il
en devoit être de même des Sciences
anciennes qui devoient par la même
Taison avoir aussi leurs marques propres.
Je ne dis pas que l'attention que
j'exige des Etudians en Hierogliphes fût
suffisante pour les conduire à une entiere
connoissance de ces figures énig .
matiques , on sçait assez que les Prêtres
et les Philosophes qui se servirent d'elles
depuis que l'on eut les Caracteres alphabetiques
, ne le faisoient que pour ca
cher une partie des choses dont ils ne
vouloient pas que le commun du peuple
fût instruit , mais du moins pár la
distinction des Hierogliphes on pourroit
en apprendre assez pour distinguer dans
les Monumens qui en sont chargez , ce qui
est de sacré d'avec ce qui est de prophane,
on tiendroit par là en bride les Charlatans
de la Litterature , qui trouvant
dans ces Monumens tout ce que leur
imagination y veut mettre , ne font
qu'embrouiller l'Histoire , loin de l'éclaircir
, et ils se trouveroient par ce
moyen hors d'état d'en imposer et d'ébloüir
les ignorans .
Revenons presentement à l'objet prin
cipal de cet Ouvrage , qui est de montrer
qu'entre toutes ces figures dont les
1. Vol. hommes
DECEMBRE. 1733. 2595
hommes se servirent pour expliquer leurs
connoissances , celles qui représentoient
des Animaux de differente nature , devinrent
dans les siecles où l'intelligence
de ces figures se trouva perduë, des Monstres
que l'ignorance fit croire avoir été
ou être existans. Je pense neanmoins que
dès - lors les Sçavans qui voulurent se mêler
de l'explication de ces Emblêmes , le
firent à l'avanture , et n'ont pas eu sur
cela plus d'avantage que ceux qui ont
voulu marcher sur leurs traces dans des
temps posterieurs , tels qu'Horus Apollo,
Pierrius Valerianus , les sieurs Langlois ,
et Dinet , et les Peres Kirker et Caussini
qui ont donné de ces Explications autant
justes qu'il est possible de le faire
dans une matiere aussi obscure ;il ne faut
pas douter que ce nombre infini de marques
de choses , tant animées qu'inanimées
qui se trouvent rangées dans un si bel ordre
sur les vieux Monumens Egyptiens , ne
contiennent des narrations bien suivies
sur differentes choses dont il falloit être
Instruit , tout s'écrivoit ainsi , et la connoissance
de la Religion , des Sciences ,
et de l'Histoire , ne se conservoit que
par le moyen de cette écriture figurée ,
la preuve de cela s'en peut tirer ( selon
moi ) de ce que dans ces longues nar-
L. Vol Ciiij rations
2596 MERCURE DE FRANCE
rations , certains Caracteres y sont répétez
souvent , et d'autres moins ; il y en
a même qui sont uniques , ou qui ne se.
trouvent répétez que deux ou trois fois
dans une longue Inscription ; ce qui devoit
faire la même chose que ce qu'on
peut remarquer dans notre écriture , où
nous avons des Lettres , comme les cinq
Voyelles qui reviennent souvent, pendant
que les K , les X , les Y , et les Z , y pa
roissent bien moins.
Il y avoit des Hyerogliphes qui contenoient
seuls un sens complet , ou une
pensée entiere; d'autres qui étoient d'abréviation
, et d'autres qui pouvoient ne former
que des demi mots et des mots dont
il étoit nécessaire de joindre plusieurs
ensemble,pour en former une expression
ou un sens déterminés de même que nous
employons en écrivant plusieurs mots ,
composés de différentes syllabes , pour
former une Phrase parfaite. J'ai fait cette
remarque en étudiant avec un peu d'attention
l'Obélisque Pamphile , que nous
a donné le Pere Kirker.
On y voit de fréquentes répétitions de
bras posez en fasce , les uns à mains ouvertes
, et les autres à poing fermé ; beaucoup
de signes en ziguezagues ; des Enfans
assis sur leur cul , le Panier de Séra-
1. Vol.
pis
DECEMBRE . 1733 . 2597
pis sur la tête , de Serpents , d'Anubis, de
Cynocéphales , &c. pendant qu'entre toutes
ces marques , souvent répétées , on ne
trouve qu'un seul sautoir , un seul tourteau
, qui est chargé d'une Croix pattée ,
quelques Etoiles , mais en petit nombre ;
tout cela donne lieu de conjecturer que
cet Obélisque contient des Enseignemens
de plusieurs natures , tant de Religion ,
de Science , que de Politique ; et que
chacune de ces choses avoit ses figures
propres à sonexpression ; ce qui fait que
les unes de ces figures paroissent souvent
dans un endroit , et bien moins dans un
autre , où il s'en trouve d'autres qui n'avoient
point encore paru.
Souvent pour donner à un Hyerogli
phe la force d'exprimer une action complete
, ou une pensée entiere , on étoit
obligé de le faire d'un composé de différens
membres d'animaux , et alors cette
figure devenoit monstrueuse ; tels étoient
les Hyérogliphes d'hommes à tête de
Chien , d'Oyseaux à face humaine , de
Corps à plusieurs têtes , et de têtes à plusieurs
visages ; ce dernier qui servit aux
Romains à symboliser leur Dieu Janus
étoit donc un Hyerogliphe plus ancien
qu'eux , il représentoit chez les Perses
Orimase et Arimane , et chez les Egyp-
1. Vola Cv tiens
2598 MERCURE DE FRANCE
tiens Osiris et Tiphon , c'est -à- dire , les
deux principes que les premiers Philosophes
admettoient pour Auteurs de toutes
choses , bonnes et mauvaises.
A l'égard des Hyerogrammes ou marques
fantasques , les plus simples comme
Le Cercle , le Triangle , le Quarré , le
Chevron, la Croix droite et la Croix panchée
composerent dans la suite les Caracteres
Litteraires , comme l'Omicron
le Delta , le Mi , l'Alpha, le Tau , le Chi
et autres , dont on se servit en quittant
P'Ecriture Hyerogliphique. Celle qui étoit
composée de Lettres , paroissant plus aisée
et plus propre à lier les pensées , et
à les produire dans un Discours suivi .
Je me sers de l'exemple des Caracteres
Grecs , parce que c'est par les Grecs que
nous avons la premiere connoissance de
T'usage que les Egyptiens faisoient de
leurs Hyerogliphes.
Les Hiérogrammes joints aux Hyerogliphes
, ne laissoient pas dans les temps où
l'on n'eut que cette sorte d'Ecriture
d'expliquer assez parfaitement les choses
dont les hommes 'devoient être instruits,
le faisant seulement plus en abrégé que
ne le fait l'Ecriture courante , ainsi il faut
croire que l'Ecriture figurée a toujours
été plus difficile à expliquer , sur tout l'étude
des Hyerogliphes Monstres deman-
1. Vol.
doit
DECEMBRE. 1733 2559
doit une grande attention et une grande
connoissance, puisqu'un seul pouvoit renfermer
un mystere de Religion , ou la
maniere de réussir dans un Ouvrage scientifique
, au lieu qu'il auroit fallu plusieurs
Hyérogrammes pour enseigner ces
choses ; cependant ces marques- cy firent
évanouir les autres ; kes Arabes , Mahométans
, à qui la Religion ne permettoit
pas d'écrire avec des figures d'hommes
et d'animaux , ne conserverent que les
Hyérogrammes, et quoiqu'ils eussent des
Caracteres Litteraires , ils se servirent des
premiers pour l'expression plus abrégée
et plus simple de leurs opérations Philosophiques
et Chimiques , continuant
par- là de faire de ces marques le même
usage qu'en faisoient les Egyptiens , qui
étoit de montrer par elles , la maniere de
décomposer et de recomposer les Corps
élémentaires. Ces mêmes marques ont
passé jusqu'à nos Phisiciens , qui les emploient
aux mêmes usages.
Le monde et toutes les sciences qu'on
peut acquerir se symbolisoient sous un
Hyerogliphe de figure tres bizare. C'étoit
un Globe avec des aîles , et des Serpens
autour de son Disque ; ce qui fait appeller
ce Hyérogliphe par le Pere Kirker :
Ali-Sphero Serpenti formem. On le voit
I. Vola
C vj paz
2600 MERCURE DE FRANCE
ན
paroître au haut de presque tous les
Obélisques , et on le mettoit là , comme
un titre , qui annonçoit que tout le Discours
qui alloit suivre , n'étoit que pour
instruire des choses connues dans l'Univers
, dont ce Globe volant étoit le type,
du mouvement , er des actions qui agitent
eet Univers .
Les Phéniciens , les Egyptiens et les
Chinois sont les premiers peuples qui firent
usage des Hyerogliphes , et qui leur
donnerent l'arrangement méthodique
dont je viens de parler , les divisant par
Classes , pour s'en servir aux différentes
applications qu'ils avoient à en faire s
leur figure fut d'abord fort simple dans
les premiers temps ; le trafic ne se faisoit
que par l'échange des Denrées; pour
le faire ( quand on n'étoit pas present )
on n'avoit d'autres moyens que d'envoyer
la figure gravée sur quelque chose
de ce qu'on vouloit vendre , et de ce
qu'on vouloit en retour. Un homme ,
par exemple , qui vouloit vendre un
Boeuf pour des Moutons , envoyoit à un
autre homme la figure d'autant de Moutons
qu'il prétendoit en avoir pour l'échange
du Boeuf, l'échange des Oyseaux
et des fruits de la terre se faisoit de même;
un Arbre se désignoit par un Arbre,
J.Val
DECEMBR E. 1733 . 260
et une personne qui auroit voulu faire
couper des Bois , en envoyoit l'ordre par
un Arbre renversé . On verra facilement
par ces seuls exemples, comment un hom
me pouvoit faire sçavoir ses volontez à
un autre , par le moyen des Hyérogli
phes, qui furent les premieres Monnoyes,
quoiqu'il n'eussent point de valeur en
eux-mêmes ; les accidens avoient leur
marque , la maladie avoit la sienne , une
personne qui vouloit faire consulter le
mal dont elle étoit affligée , envoyoit au
Médecin le symbole general de la maladie
, auquel étoit joint le symbole particulier
de la partie du corps qui étoit affectée
; si c'étoit le coeur , on mettoit un
coeur , et un oeil , ou un pied , si c'érbit
l'oeil ou le pied qui fut malade. Cela se
fait encore à peu près de même chez les
Chinois , qui ont beaucoup de Caracteres
figurez pour les mêmes choses , qu'ils
ont besoin d'exprimer.
Suivant l'explication qu'un de nos Académiciens
a donnée de la Fable des Gorgones
, il paroît que ce n'est qu'une action
de commerce que P'on avoit mis par
écrit en Hyérogliphes , et qu'après qu'on
eut perdu l'intelligence de ces marques,
en voyant des Yeux , des Dents , des Serpens
, qui n'étoient que la Relation du
LVel
voya
2602 MERCURE DE FRANCE
yoyage et l'énumération
des Marchandises
qu'une Flotte , partant de la Mer Méditerranée
, avoit rapporté des Terres situées
sur la Mer Océane , où le commerce
l'avoit attiré. On a cru que c'étoit
toute autre chose : et sur cela les Poëtes
composerent une Fiction Historique , où
de ces Gorgones , qui n'étoient que des
Vaisseaux revenus , chargez de Diamans ',
de Poudre d'or , et de Dents d'Eléphans ;
ils en firent des Filles horribles , qui
avoient la tête pleine de Serpens .
Parmi les Hyérogliphes il y en avoit
de plus simples les uns que les autres ;
les simples étoient les figures naturelles ,
véritables , et sans exagération ; au lieu
que les autres étoient des figures de pure
imagination; c'est ceux - cy qui ont donné
naissance à certains monstres qui ne
peuvent point avoir existé ; plusieurs
choses ont pû occasionner l'invention de
ces figures si extraordinaires ; par exemple
, un Chef de Nation qui vainquoit
différens ennemis , marquoit son triomphe
par une Bête allégorique , à qui on
donnoit autant de têtes que ce Chef avoit
terrassé de Peuples, ennemis. Voilà d'où
viennent les ( 1 ) Amphisbenes , les Cerbe-
( 1 ) Serpent qui pique par les deux extrémitez de
son corps.
1. Vol. ECS,
DECEMBRE. 1733 280g.
res et les Hydres , représentez avec 2 , 3 ,
et jusqu'à 7 têtes.
Apollon fut surnommé Pythiep , pour
avoir tué , disent les Mythologues , le Ser
pent Python , Monstre affreux qui s'étoie
formé du Limon échauffé , que les eaux
du Déluge avoient laissé sur la terre d'Egypte
; mais il est plus croyable que cette
Fable est une allégorie d'un effet naturel
que le Soleil opére tous les ans par sa
chaleur , qui desseche le Limon du Nil
et que les Rayons de l'astre sont les Flé
ches qui détruisent une pourriture , qui
infecteroit la terre sans ce secours annuel,
auquel on donna un mérite particulier
la premiere fois qu'on remarqua ce salutaire
effet , wu , en grec , signifie putrefaction
.
J'ai déja dit qu'entre les Hyérogliphes il
y en avoit de plus propres les uns que
les autres à caractériser certaines choses,
ainsi en suivant ce principe , la Religion
devoit avoir les siens , et les actions et
passions humaines les leurs ; ce que je
viens de remarquer des Gorgones , et de
ces guerriers symbolisés par des Monstres
suffira pour faire voir quels pouvoient
être les Hyérogliphes d'actions. Passons
présentement à la connoissance de quelques-
uns de ceux de passion , pour venir
I. Vol.
enfin
2604 MERCURE DE FRANCE
enfin à connoître quels étoient ceux de
Religion .
Il faut distinguer les passions humaines
en actives et en passives ; c'est nous
qui agissons dans les unes et nous recevons
l'action dans les autres les premiers
se symbolisoient par des marques fort
simples et les secondes par de plus composées,
un seul exemple suffira pour preu
ve de ce qu'étoient les dernieres , qui fera
l'explication du Hyérogliphe de la fortune
; cette Divinité fantasque , qui malgré
ses caprices , a toujours été l'objet
des désirs de tous les hommes , elle se
symbolisoit diversement selon le gout, le
sexe , l'âge et la condition de ses adorateurs
; on la faisoit tantôt homme , tantôt
femme , tantôt vieille et tantôt jeune,
en l'invoquant sous des noms qui avoient
rapport à ces changemens de figures.
>
Comme fortune aimée , fortuna primis
genia , elle étoit proprement le hazard
que quelques Philosophes soutenoient
avoir seul servi au débrouillement duz
Cahos . Les autres surnoms de la fortune
étoient , fortuna obsequens , l'obéissante
patrone des gens heureux ; privata , la
médiocre , qui est celle qui contente les
Sçavans ; fortuna mulier et virgo ; celle des
femmes et des filles,fortuna virilis;celle des
I, Vol
hom
DECEMBRE . 1733. 2605
hommes qui se représentoit de sexe mas
culin , il y avoit même la fortune des
vieillards , représentée avec une longue
barbe , et celle-cy étoit sans doute de
toutes les fortunes celle qu'on honoroit
le plus tard .
Cette Divinité se représentoit en general
avec tout l'appareil significatif des
effets que ses caprices produisoient dans
le monde , montée sur une roue, avec des
aîles sur le dos , un bandeau sur les yeux,
ses cheveux assemblez sur le devant de
la tête , et chauve par derriere , tout cela
pour montrer son instabilité , son inconstance
, son aveuglement dans la dispensation
de ses dons , et la difficulté de
la ratraper quand elle nous a tourné le
dos ; on lui mettoit aussi un Globe en
une main , et un Gouvernail ou une Corne
d'abondance en l'autre , pour mon
trer qu'elle gouverne le Monde , et y répand
les biens à sa volonté , ce qui étoit
encore signifié par un Soleil et une Lune
qui accompagnoient sa tête ; enfin cette
Deïté , qui est , pour ainsi dire, l'ame du
monde , pouvoit- elle manquer d'être fi
gurée par un Hierogliphe des plus composez
? C'est peut- être celui qui donna
l'idée de faire les figures panthées dont
je parlerai bien-tôt.
1. Vet. Quan
2606 MERCURE DE FRANCE
:
Quant aux Hierogliphes des passions
actives qui sont au - dedans de nous - mê
mes , ils étoient tous simples quand on
n'avoit à lés représenter que chacun séparément
; la Genisse , l'Agneau , la Colombe
, la Tourterelle , & c. marquoient
la pureté , l'innocence , l'amitié et la
constance. La virginité paroissoit sous la
marque d'une fille échevelée , vétuë de
blanc , les Vertus étoient symbolisées par
des Animaux de figures aimables , et les
vices , au contraire , étoient figurez par
des Animaux affreux , dont la seule vûe
causoit de l'horreur ; la Religion Chrétienne
a conservé ces usages , on a dé
signé les pechez capitaux par les plus
hideuses bêtes que nous connoissions , à
l'imitation des Anciens qui inventerent
des Monstres qui n'existoient point, pour
dépeindre les vices avec des couleurs plus
effrayantes.
Ils imaginerent un Basilic qui tuë de
son regard ; un Serpent qui empoisonne
de son écume toutes les herbes où il se
traîne; une infinité d'autres bêtes affreuses
étoient les Symboles des deffauts les plus
nuisibles à la Societé , comme la calomnie
, le mensonge et d'autres ; l'Hiene
étoit la marque de la cruauté ; et comme
les femmes ne sont pas exemptes de ce
I. Vol. vice
DECEMBRE . 1733. 2607
vice , on fit cet Animal hermaphrodite.
Toutes ces Images que je viens de représenter
, étoient simples ; mais quand
il falloit caracteriser en un même Symbole
plusieurs vices ou plusieurs vertus ,
il falloit bien composer un Hierogliphe
dans lequel les Symboles particuliers de
toutes ces choses entrassent , et cela formoit
des Panthées de passions , semblables
aux Panthées sacrez.
L'Antiquité eut des Héros et des braves
, qui ainsi que nos Chevaliers Errans
du temps de Charlemagne , se dévoüoient
à passer leur vie en courant le Monde
pour secourir les foibles et purger la Terre
des brigands , qui en étoient les veritables
Monstres ; tels furent parmi les
Gercs Hercule , Thesée , Jason , Persée ,
et autres. Je métonne que les Auteurs
zelez pour la gloire de notre ancienne
Chevalerie , ayent borné son origine
aux Chevaliers Romains , et qu'ils ne
l'ayent pas remontée jusqu'aux demi-
Dieux de la Grece , nos vieux Romanciers
leur en avoient donné l'ouverture ,
par le merveilleux qu'ils ont répandu sur
les avantures de nos valeureux Paladins ,
Renaud , Roland et Amadis , en leur
fournissant à point nommé des montures
diaboliques pour les conduire plus
par
B.I. Vel
prem
2303 MERCURE DE FRANCE
promptement vers les Géants qu'ils devoient
exterminer , à l'exemple des Poëtes
Grecs qui trouvoient des Pégases pour
en fournir fort à propos aux Deffenseurs
des Dames , télles qu'Andromede et Hésione.
Michel de Cervantes et Rabelais , pour
se mocquer des idées folles des Auteurs
de Romans , ont imaginé les Oriflants ,
les Hippogriphes et les Chevillards , don't
ils ont parlé , l'un dans son Don Quichote
, et l'autre dans son Gargantua .
›
Ce sont ces Chevaux ailez de la Fable
qui ont pû persuader qu'il y avoit des
Licornes ( autres animaux aussi fabuleux )
il est aisé de voir de quelle source partoit
cette fausse persuasion . L'Yvoire venoir
, à ce qu'on disoit d'une Corne de
bête qui se trouvoit en Afrique et
Pline dans son Histoire Naturelle ( L. 8.
C. 21. ) admet des Chevaux volants et
des Chevaux à Cornes , à qui il donne
également le nom de Pégase , et les fait
trouver en Ethiopie , Pays voisin des
Monts Athlas , où Persée eut occasion
de se servir d'un de ces Chevaux . Æthiopia
generat , multaque alia Monstro similia
Pennatos equos et Cornibus armatos
quos Pegasos vocant ; ce Passage ne m'empêchera
pas de conclure que , puisque
I. Vol. los
DECEMBRE . 1733. 2609
tes Pégases sont chimeriques , les Licornes
ne le sont pas moins , et la description
que continue d'en faire le méme
Auteur , achevera de prouver que ces
Animaux ne doivent être regardez que
comme des chimeres , ou plutôt ce sont
des Hierogliphes qui ont eu cette forme
, la Licorne a pû êrre une image
Panthée propre à désigner la fécondité
cu les perfections dans le genre animal ,,
elle avoit le corps d'un Cheval , la tête
d'un Cerf , les pieds d'Elephant , sa
queue d'un Sanglier , avec une corne de
deux coudées de long , placée au milieu
du front.
"
L'Auteur promet la suite.
leurs usages dans l'Antiquité. Discours
où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de
tous les Monstres et de tous les Animaux
chimeriques dont les Anciens nous ont
parlé. Par M. Beneton de Perrin .
Es premiers hommes , avec la seule
Lfaculté du langage par les organes
de la voix , auroient manqué de moyens
pour s'entretenir absents les uns des
-autres , et n'auroient pû avoir commerce
entre eux que difficilement, Pour remedier
à ces inconveniens , ils inventerent
des figures et convinrent qu'elles serviroient
à représenter leurs pensées , pour
ne les découvrir qu'à ceux qui en auroient
l'intelligence. Les actions et les
passions étant des accidens qui agitent
également la Nature et les hommes ;
ces figures emblêmatiques servirent d'a
bord à exprimer les unes et les autres
de ces choses , et formerent par-là un
langage muet , qui montroit le coeur
de l'homme aux yeux sans le secours
de la parole.
Les Grecs nommerent ces figures Hie-
1. Vol.
roglyphes
2588 MERCURE DE FRANCE
rogliphes , des mots Ιερος et γλύφος , com .
me qui diroit Sacra Sculptura , parce que
ce furent les Prêtres qui les premiers s'en
servirent pour écrire sur la Religion , et
envelopper par là les Mysteres. Le Pere
Kirker dérive le terme d'Hierogliphe des
mots da T. espos na gaúços , ce qui revient
assez à ce que j'ai dit qu'ils servoient
à une Ecriture sacrée , faite pour
être gravée ou taillée sur le bois ou sur
la pierre , Quasi sacra scalpendo ; les Hierogliphes
se multiplierent à mesure que
Part de parler se perfectionna et que les
Sciences se formerent.
Je les distingue en deux classes ; sçavoir
, les Hierogliphes animez , qui se
représentoient sous des formes de bêtes
soit Quadrupedes , Reptiles , Oiseaux ,
"Poissons et Plantes vegétatives , et les
Hierogliphes inanimez , qu'il faut plutôt
nommer Hierogrammes , parce qu'ils n'étoient
que des figures que les hommes
se firent à leur fantaisie , la plupart desquelles
formerent les Lettres qu'on nomma
Alphabetiques , en s'en servant pour
une autre Ecriture que le Hierogliphique
, comme j'aurai occasion de le faire
voir dans la suite. Les Chaldéens ayant
les premiers observé les Cieux et considere
l'ordre que semblent garder entre
I. Vol. elles
DECEMBRE. 1733. 2589
elles les Etoilles rassemblées , comme par
pelotons , dans ce vaste espace , ils tracerent
des figures dans le même arrangement
, et comme dans les choses mises
en confusion , on croit voir tout ce
qu'on a dessein d'y voir ; ils crurent
avoir remarqué dans ces assemblages d'Etoilles
, des formes distinctes d'hommes ,
d'oiseaux et d'animaux , ce qui leur fit
donner à ces amas ou conjonctions d'Astres
, les noms de Sagittaire , de Vierge ,
de Cigne , d'Ours , de Chien , &c. les
marquant des mêmes figures sur leurs
Tables Astronomiques.
>
Les Grecs nommerent aussi beaucoup
'de Constellations , les appellant du nom
de leurs Héros , et sur tout de ceux qui
se distinguerent dans l'Expedition de la
Colchide , sous le nom d'Argonautes
parce que ces Braves ayant été les
miers hommes qui eussent osé s'exposer
en pleine Mer , et ne se guidant que
par les Etoilles , les Poëtes jugerent qu'u
ne pareille hardie se méritoit que ces
Etoilles portassent leurs noms .
pre-
Les Astres une fois personnifiez , firent
naître l'Idolatrie ; on adora non - seulement
l'Astre en original , que l'on croyoit
influer sur un Pays ; mais encore sa figure
taillée et son Symbole ou Hiero-
I. Vol
C gliphes
2890 MERCURE DE FRANCE
gliphes, devinrent une chose respectable.
On alla même encore plus loin dans la
Deification des Corps de l'Univers ; car
la Terre étant deifiée comme les autres
Corps , on partagea sa divinité pour mul
tiplier les Dieux. Chacune de ces productions
eut séparément cet avantage , et
furent symbolisées par de nouveaux Hicrogliphes
, ce qui augmenta considerablement
et le nombre des cultes et celui
des figures.
Enfin le comble de l'Idolatrie fut qu'on
déïfia les hommes , regardant comme
des Dieux les Héros et les Inventeurs des
Sciences et des Arts. Alors on acheva de
faire porter aux Astres les noms des
personnes illustres , et confondant l'homme
et l'Astre , on honora le tout ensemble
sous la Statue ou le Hierogliphe
qui désignoit également ces deux choses
confonduës.
Par exemple , la Lyre , le Serpent ,
le Centaure , étoient des Signes Celestes ,
ces mêmes Signes ou Hierogliphes , désignoient
un Apollon , Pere prétendu
des Poëtes et des Musiciens ; un Esculape ,
Pere de la Médecine , et un Neptune ,
qui le premier dompta des Chevaux pour
s'en servir à la guerre et à la Chasse.
Mais ce qui embroüilla beaucoup la
I, Vol, signifi
DECEMBRE. 1733. 259%
signification des Hierogliphes , et quit
commença à en rendre l'explication malaisée
, c'est que tous les Personnages qui
réüssissoient dans les Sciences , et qui par
conséquent marchoient sur les traces de
ces hommes déïfiez pour en avoir été
les Inventeurs , se disoient leurs Enfans ;
de bons Poëtes et Musiciens étoient dits
Enfans d'Apollon ; un bon Médecin se
disoit fils d'Esculape , et d'habiles Cavaliers
se mettoient au nombre des descendans
de Neptune , le dompteur de
Chevaux. On qualifioit d'Enfans de Vulcain
tous ceux qui travailloient à forger
les Armes et les Outils pour l'Agriculture.
La Fable ne donne qu'un oeil aux
Cyclopes , pour signifier que les Ouvriers
qui travailloient aux Mines dans les en
trailles de la Terre , séjour continuellement
ténebreux , ne joüissoient que
d'un des deux avantages communs aux
autres hommes qui voyent alternativement
la luraiere du Soleil après l'obscu
rité de la nuit ; d'habiles Pilotes et Mariniers
étoient considerez comme fils
d'Eole et de l'Ocean.
Toutes ces personnes désignoient leur
Art sous un Hierogliphe , lequel souvent
les désignoit aussi eux - mêmes. La marque
étoit relative à la Profession et à
1. Vol. Cij l'Ou2592
MERCURE DE FRANCE
l'Ouvrier , et ces deux qualitez à la Divinité
Protectrice de l'Ouvrage , celafait
qu'un même Hierogliphe pouvoit signifier
trois choses bien differentes , une Sacrée ,
comme marque du Dieu d'un Art ; unc
Méchanique , comme marque de l'Art
même ; enfin une simple marque d'Ouvrier
Ainsi le même Hierogliphe qui
désignoit un Dieu , se mettoit souvent
sur le Tombeau d'un homme , pour montrer
la Profession dont il avoit été . Je
me servirai pour donner de cela un exem
ple sensible , d'un usage observé égale
ment par les Payens et par les premiers
Chrétiens en enterrant leurs Morts , les
uns mettoient souvent une hache sur
leurs Tombeaux , ce qui ne désignoit
pas toujours que celui qui étoit renfermé ||
dedans eût été un Ouvrier , ce pouvoit
être une personne de consideration qui
avoit eu pour Patron quelque Dieu Protecteur
d'un Art ou d'une Science , et
la hache étoit alors le Hierogliphe du
Dieu et non pas celui du Mort . Voilà
selon moi , ce qu'on doit entendre par
les Tombeaux érigez Sub ascia. Pan étoit
le Dieu des Campagnes , on n'enterroit
que là ; il a pû se faire que la hache ou
le hoyau , Instrumens propres à couper
les bois ou à remuer les terres
1. Vel
?
>
ont été
Les
DECEMBRE. 1733 2393
les Symboles des Dieux Champêtres , et
én mettant les Morts sous la protection
de ces Dieux , on mettoit leur Symbole
sur les Tombeaux .
A l'égard des Chrétiens , ils gravoient
une Pale sur les Sépulchres de feurs Martyrs
; ce Hierogliphe avoit une double
signification , l'une de passion , qui étoft
la gloire que s'étoient procuré ces Saints
par la souffrance , et l'autre de Religion , *
qui faisoit connoître celle dont ces illustres
avoient été les soutiens .
La représentation de differentes choses
par le même Hierogliphe , est ce qui
rend aujourd'hui presque impossible l'explication
des Monumens écrits avec ces ·
figures.
Comme je m'étendrai plus sur les Hierogliphes
que sur les Hierogrammes
quoique le mêlange des uns avec les
autres servit à fournir plus de moyens
d'exprimer ce qu'on avoit à faire sentir ;
je ne puis m'empêcher de faire une reflexion
qui tombe également sur tou
tes ces marques , c'est qu'il seroit à
souhaiter que les personnes qui s'appliquent
à les étudier , s'attachassent
bien à distinguer les deux especes dont
je parle , et les differents sujets ausquels
elles convenoient. Chacune de
1. Vol. Cij nos
2594 MERCURE DE FRANCE
nos Sciences a ses termes propres , il
en devoit être de même des Sciences
anciennes qui devoient par la même
Taison avoir aussi leurs marques propres.
Je ne dis pas que l'attention que
j'exige des Etudians en Hierogliphes fût
suffisante pour les conduire à une entiere
connoissance de ces figures énig .
matiques , on sçait assez que les Prêtres
et les Philosophes qui se servirent d'elles
depuis que l'on eut les Caracteres alphabetiques
, ne le faisoient que pour ca
cher une partie des choses dont ils ne
vouloient pas que le commun du peuple
fût instruit , mais du moins pár la
distinction des Hierogliphes on pourroit
en apprendre assez pour distinguer dans
les Monumens qui en sont chargez , ce qui
est de sacré d'avec ce qui est de prophane,
on tiendroit par là en bride les Charlatans
de la Litterature , qui trouvant
dans ces Monumens tout ce que leur
imagination y veut mettre , ne font
qu'embrouiller l'Histoire , loin de l'éclaircir
, et ils se trouveroient par ce
moyen hors d'état d'en imposer et d'ébloüir
les ignorans .
Revenons presentement à l'objet prin
cipal de cet Ouvrage , qui est de montrer
qu'entre toutes ces figures dont les
1. Vol. hommes
DECEMBRE. 1733. 2595
hommes se servirent pour expliquer leurs
connoissances , celles qui représentoient
des Animaux de differente nature , devinrent
dans les siecles où l'intelligence
de ces figures se trouva perduë, des Monstres
que l'ignorance fit croire avoir été
ou être existans. Je pense neanmoins que
dès - lors les Sçavans qui voulurent se mêler
de l'explication de ces Emblêmes , le
firent à l'avanture , et n'ont pas eu sur
cela plus d'avantage que ceux qui ont
voulu marcher sur leurs traces dans des
temps posterieurs , tels qu'Horus Apollo,
Pierrius Valerianus , les sieurs Langlois ,
et Dinet , et les Peres Kirker et Caussini
qui ont donné de ces Explications autant
justes qu'il est possible de le faire
dans une matiere aussi obscure ;il ne faut
pas douter que ce nombre infini de marques
de choses , tant animées qu'inanimées
qui se trouvent rangées dans un si bel ordre
sur les vieux Monumens Egyptiens , ne
contiennent des narrations bien suivies
sur differentes choses dont il falloit être
Instruit , tout s'écrivoit ainsi , et la connoissance
de la Religion , des Sciences ,
et de l'Histoire , ne se conservoit que
par le moyen de cette écriture figurée ,
la preuve de cela s'en peut tirer ( selon
moi ) de ce que dans ces longues nar-
L. Vol Ciiij rations
2596 MERCURE DE FRANCE
rations , certains Caracteres y sont répétez
souvent , et d'autres moins ; il y en
a même qui sont uniques , ou qui ne se.
trouvent répétez que deux ou trois fois
dans une longue Inscription ; ce qui devoit
faire la même chose que ce qu'on
peut remarquer dans notre écriture , où
nous avons des Lettres , comme les cinq
Voyelles qui reviennent souvent, pendant
que les K , les X , les Y , et les Z , y pa
roissent bien moins.
Il y avoit des Hyerogliphes qui contenoient
seuls un sens complet , ou une
pensée entiere; d'autres qui étoient d'abréviation
, et d'autres qui pouvoient ne former
que des demi mots et des mots dont
il étoit nécessaire de joindre plusieurs
ensemble,pour en former une expression
ou un sens déterminés de même que nous
employons en écrivant plusieurs mots ,
composés de différentes syllabes , pour
former une Phrase parfaite. J'ai fait cette
remarque en étudiant avec un peu d'attention
l'Obélisque Pamphile , que nous
a donné le Pere Kirker.
On y voit de fréquentes répétitions de
bras posez en fasce , les uns à mains ouvertes
, et les autres à poing fermé ; beaucoup
de signes en ziguezagues ; des Enfans
assis sur leur cul , le Panier de Séra-
1. Vol.
pis
DECEMBRE . 1733 . 2597
pis sur la tête , de Serpents , d'Anubis, de
Cynocéphales , &c. pendant qu'entre toutes
ces marques , souvent répétées , on ne
trouve qu'un seul sautoir , un seul tourteau
, qui est chargé d'une Croix pattée ,
quelques Etoiles , mais en petit nombre ;
tout cela donne lieu de conjecturer que
cet Obélisque contient des Enseignemens
de plusieurs natures , tant de Religion ,
de Science , que de Politique ; et que
chacune de ces choses avoit ses figures
propres à sonexpression ; ce qui fait que
les unes de ces figures paroissent souvent
dans un endroit , et bien moins dans un
autre , où il s'en trouve d'autres qui n'avoient
point encore paru.
Souvent pour donner à un Hyerogli
phe la force d'exprimer une action complete
, ou une pensée entiere , on étoit
obligé de le faire d'un composé de différens
membres d'animaux , et alors cette
figure devenoit monstrueuse ; tels étoient
les Hyérogliphes d'hommes à tête de
Chien , d'Oyseaux à face humaine , de
Corps à plusieurs têtes , et de têtes à plusieurs
visages ; ce dernier qui servit aux
Romains à symboliser leur Dieu Janus
étoit donc un Hyerogliphe plus ancien
qu'eux , il représentoit chez les Perses
Orimase et Arimane , et chez les Egyp-
1. Vola Cv tiens
2598 MERCURE DE FRANCE
tiens Osiris et Tiphon , c'est -à- dire , les
deux principes que les premiers Philosophes
admettoient pour Auteurs de toutes
choses , bonnes et mauvaises.
A l'égard des Hyerogrammes ou marques
fantasques , les plus simples comme
Le Cercle , le Triangle , le Quarré , le
Chevron, la Croix droite et la Croix panchée
composerent dans la suite les Caracteres
Litteraires , comme l'Omicron
le Delta , le Mi , l'Alpha, le Tau , le Chi
et autres , dont on se servit en quittant
P'Ecriture Hyerogliphique. Celle qui étoit
composée de Lettres , paroissant plus aisée
et plus propre à lier les pensées , et
à les produire dans un Discours suivi .
Je me sers de l'exemple des Caracteres
Grecs , parce que c'est par les Grecs que
nous avons la premiere connoissance de
T'usage que les Egyptiens faisoient de
leurs Hyerogliphes.
Les Hiérogrammes joints aux Hyerogliphes
, ne laissoient pas dans les temps où
l'on n'eut que cette sorte d'Ecriture
d'expliquer assez parfaitement les choses
dont les hommes 'devoient être instruits,
le faisant seulement plus en abrégé que
ne le fait l'Ecriture courante , ainsi il faut
croire que l'Ecriture figurée a toujours
été plus difficile à expliquer , sur tout l'étude
des Hyerogliphes Monstres deman-
1. Vol.
doit
DECEMBRE. 1733 2559
doit une grande attention et une grande
connoissance, puisqu'un seul pouvoit renfermer
un mystere de Religion , ou la
maniere de réussir dans un Ouvrage scientifique
, au lieu qu'il auroit fallu plusieurs
Hyérogrammes pour enseigner ces
choses ; cependant ces marques- cy firent
évanouir les autres ; kes Arabes , Mahométans
, à qui la Religion ne permettoit
pas d'écrire avec des figures d'hommes
et d'animaux , ne conserverent que les
Hyérogrammes, et quoiqu'ils eussent des
Caracteres Litteraires , ils se servirent des
premiers pour l'expression plus abrégée
et plus simple de leurs opérations Philosophiques
et Chimiques , continuant
par- là de faire de ces marques le même
usage qu'en faisoient les Egyptiens , qui
étoit de montrer par elles , la maniere de
décomposer et de recomposer les Corps
élémentaires. Ces mêmes marques ont
passé jusqu'à nos Phisiciens , qui les emploient
aux mêmes usages.
Le monde et toutes les sciences qu'on
peut acquerir se symbolisoient sous un
Hyerogliphe de figure tres bizare. C'étoit
un Globe avec des aîles , et des Serpens
autour de son Disque ; ce qui fait appeller
ce Hyérogliphe par le Pere Kirker :
Ali-Sphero Serpenti formem. On le voit
I. Vola
C vj paz
2600 MERCURE DE FRANCE
ན
paroître au haut de presque tous les
Obélisques , et on le mettoit là , comme
un titre , qui annonçoit que tout le Discours
qui alloit suivre , n'étoit que pour
instruire des choses connues dans l'Univers
, dont ce Globe volant étoit le type,
du mouvement , er des actions qui agitent
eet Univers .
Les Phéniciens , les Egyptiens et les
Chinois sont les premiers peuples qui firent
usage des Hyerogliphes , et qui leur
donnerent l'arrangement méthodique
dont je viens de parler , les divisant par
Classes , pour s'en servir aux différentes
applications qu'ils avoient à en faire s
leur figure fut d'abord fort simple dans
les premiers temps ; le trafic ne se faisoit
que par l'échange des Denrées; pour
le faire ( quand on n'étoit pas present )
on n'avoit d'autres moyens que d'envoyer
la figure gravée sur quelque chose
de ce qu'on vouloit vendre , et de ce
qu'on vouloit en retour. Un homme ,
par exemple , qui vouloit vendre un
Boeuf pour des Moutons , envoyoit à un
autre homme la figure d'autant de Moutons
qu'il prétendoit en avoir pour l'échange
du Boeuf, l'échange des Oyseaux
et des fruits de la terre se faisoit de même;
un Arbre se désignoit par un Arbre,
J.Val
DECEMBR E. 1733 . 260
et une personne qui auroit voulu faire
couper des Bois , en envoyoit l'ordre par
un Arbre renversé . On verra facilement
par ces seuls exemples, comment un hom
me pouvoit faire sçavoir ses volontez à
un autre , par le moyen des Hyérogli
phes, qui furent les premieres Monnoyes,
quoiqu'il n'eussent point de valeur en
eux-mêmes ; les accidens avoient leur
marque , la maladie avoit la sienne , une
personne qui vouloit faire consulter le
mal dont elle étoit affligée , envoyoit au
Médecin le symbole general de la maladie
, auquel étoit joint le symbole particulier
de la partie du corps qui étoit affectée
; si c'étoit le coeur , on mettoit un
coeur , et un oeil , ou un pied , si c'érbit
l'oeil ou le pied qui fut malade. Cela se
fait encore à peu près de même chez les
Chinois , qui ont beaucoup de Caracteres
figurez pour les mêmes choses , qu'ils
ont besoin d'exprimer.
Suivant l'explication qu'un de nos Académiciens
a donnée de la Fable des Gorgones
, il paroît que ce n'est qu'une action
de commerce que P'on avoit mis par
écrit en Hyérogliphes , et qu'après qu'on
eut perdu l'intelligence de ces marques,
en voyant des Yeux , des Dents , des Serpens
, qui n'étoient que la Relation du
LVel
voya
2602 MERCURE DE FRANCE
yoyage et l'énumération
des Marchandises
qu'une Flotte , partant de la Mer Méditerranée
, avoit rapporté des Terres situées
sur la Mer Océane , où le commerce
l'avoit attiré. On a cru que c'étoit
toute autre chose : et sur cela les Poëtes
composerent une Fiction Historique , où
de ces Gorgones , qui n'étoient que des
Vaisseaux revenus , chargez de Diamans ',
de Poudre d'or , et de Dents d'Eléphans ;
ils en firent des Filles horribles , qui
avoient la tête pleine de Serpens .
Parmi les Hyérogliphes il y en avoit
de plus simples les uns que les autres ;
les simples étoient les figures naturelles ,
véritables , et sans exagération ; au lieu
que les autres étoient des figures de pure
imagination; c'est ceux - cy qui ont donné
naissance à certains monstres qui ne
peuvent point avoir existé ; plusieurs
choses ont pû occasionner l'invention de
ces figures si extraordinaires ; par exemple
, un Chef de Nation qui vainquoit
différens ennemis , marquoit son triomphe
par une Bête allégorique , à qui on
donnoit autant de têtes que ce Chef avoit
terrassé de Peuples, ennemis. Voilà d'où
viennent les ( 1 ) Amphisbenes , les Cerbe-
( 1 ) Serpent qui pique par les deux extrémitez de
son corps.
1. Vol. ECS,
DECEMBRE. 1733 280g.
res et les Hydres , représentez avec 2 , 3 ,
et jusqu'à 7 têtes.
Apollon fut surnommé Pythiep , pour
avoir tué , disent les Mythologues , le Ser
pent Python , Monstre affreux qui s'étoie
formé du Limon échauffé , que les eaux
du Déluge avoient laissé sur la terre d'Egypte
; mais il est plus croyable que cette
Fable est une allégorie d'un effet naturel
que le Soleil opére tous les ans par sa
chaleur , qui desseche le Limon du Nil
et que les Rayons de l'astre sont les Flé
ches qui détruisent une pourriture , qui
infecteroit la terre sans ce secours annuel,
auquel on donna un mérite particulier
la premiere fois qu'on remarqua ce salutaire
effet , wu , en grec , signifie putrefaction
.
J'ai déja dit qu'entre les Hyérogliphes il
y en avoit de plus propres les uns que
les autres à caractériser certaines choses,
ainsi en suivant ce principe , la Religion
devoit avoir les siens , et les actions et
passions humaines les leurs ; ce que je
viens de remarquer des Gorgones , et de
ces guerriers symbolisés par des Monstres
suffira pour faire voir quels pouvoient
être les Hyérogliphes d'actions. Passons
présentement à la connoissance de quelques-
uns de ceux de passion , pour venir
I. Vol.
enfin
2604 MERCURE DE FRANCE
enfin à connoître quels étoient ceux de
Religion .
Il faut distinguer les passions humaines
en actives et en passives ; c'est nous
qui agissons dans les unes et nous recevons
l'action dans les autres les premiers
se symbolisoient par des marques fort
simples et les secondes par de plus composées,
un seul exemple suffira pour preu
ve de ce qu'étoient les dernieres , qui fera
l'explication du Hyérogliphe de la fortune
; cette Divinité fantasque , qui malgré
ses caprices , a toujours été l'objet
des désirs de tous les hommes , elle se
symbolisoit diversement selon le gout, le
sexe , l'âge et la condition de ses adorateurs
; on la faisoit tantôt homme , tantôt
femme , tantôt vieille et tantôt jeune,
en l'invoquant sous des noms qui avoient
rapport à ces changemens de figures.
>
Comme fortune aimée , fortuna primis
genia , elle étoit proprement le hazard
que quelques Philosophes soutenoient
avoir seul servi au débrouillement duz
Cahos . Les autres surnoms de la fortune
étoient , fortuna obsequens , l'obéissante
patrone des gens heureux ; privata , la
médiocre , qui est celle qui contente les
Sçavans ; fortuna mulier et virgo ; celle des
femmes et des filles,fortuna virilis;celle des
I, Vol
hom
DECEMBRE . 1733. 2605
hommes qui se représentoit de sexe mas
culin , il y avoit même la fortune des
vieillards , représentée avec une longue
barbe , et celle-cy étoit sans doute de
toutes les fortunes celle qu'on honoroit
le plus tard .
Cette Divinité se représentoit en general
avec tout l'appareil significatif des
effets que ses caprices produisoient dans
le monde , montée sur une roue, avec des
aîles sur le dos , un bandeau sur les yeux,
ses cheveux assemblez sur le devant de
la tête , et chauve par derriere , tout cela
pour montrer son instabilité , son inconstance
, son aveuglement dans la dispensation
de ses dons , et la difficulté de
la ratraper quand elle nous a tourné le
dos ; on lui mettoit aussi un Globe en
une main , et un Gouvernail ou une Corne
d'abondance en l'autre , pour mon
trer qu'elle gouverne le Monde , et y répand
les biens à sa volonté , ce qui étoit
encore signifié par un Soleil et une Lune
qui accompagnoient sa tête ; enfin cette
Deïté , qui est , pour ainsi dire, l'ame du
monde , pouvoit- elle manquer d'être fi
gurée par un Hierogliphe des plus composez
? C'est peut- être celui qui donna
l'idée de faire les figures panthées dont
je parlerai bien-tôt.
1. Vet. Quan
2606 MERCURE DE FRANCE
:
Quant aux Hierogliphes des passions
actives qui sont au - dedans de nous - mê
mes , ils étoient tous simples quand on
n'avoit à lés représenter que chacun séparément
; la Genisse , l'Agneau , la Colombe
, la Tourterelle , & c. marquoient
la pureté , l'innocence , l'amitié et la
constance. La virginité paroissoit sous la
marque d'une fille échevelée , vétuë de
blanc , les Vertus étoient symbolisées par
des Animaux de figures aimables , et les
vices , au contraire , étoient figurez par
des Animaux affreux , dont la seule vûe
causoit de l'horreur ; la Religion Chrétienne
a conservé ces usages , on a dé
signé les pechez capitaux par les plus
hideuses bêtes que nous connoissions , à
l'imitation des Anciens qui inventerent
des Monstres qui n'existoient point, pour
dépeindre les vices avec des couleurs plus
effrayantes.
Ils imaginerent un Basilic qui tuë de
son regard ; un Serpent qui empoisonne
de son écume toutes les herbes où il se
traîne; une infinité d'autres bêtes affreuses
étoient les Symboles des deffauts les plus
nuisibles à la Societé , comme la calomnie
, le mensonge et d'autres ; l'Hiene
étoit la marque de la cruauté ; et comme
les femmes ne sont pas exemptes de ce
I. Vol. vice
DECEMBRE . 1733. 2607
vice , on fit cet Animal hermaphrodite.
Toutes ces Images que je viens de représenter
, étoient simples ; mais quand
il falloit caracteriser en un même Symbole
plusieurs vices ou plusieurs vertus ,
il falloit bien composer un Hierogliphe
dans lequel les Symboles particuliers de
toutes ces choses entrassent , et cela formoit
des Panthées de passions , semblables
aux Panthées sacrez.
L'Antiquité eut des Héros et des braves
, qui ainsi que nos Chevaliers Errans
du temps de Charlemagne , se dévoüoient
à passer leur vie en courant le Monde
pour secourir les foibles et purger la Terre
des brigands , qui en étoient les veritables
Monstres ; tels furent parmi les
Gercs Hercule , Thesée , Jason , Persée ,
et autres. Je métonne que les Auteurs
zelez pour la gloire de notre ancienne
Chevalerie , ayent borné son origine
aux Chevaliers Romains , et qu'ils ne
l'ayent pas remontée jusqu'aux demi-
Dieux de la Grece , nos vieux Romanciers
leur en avoient donné l'ouverture ,
par le merveilleux qu'ils ont répandu sur
les avantures de nos valeureux Paladins ,
Renaud , Roland et Amadis , en leur
fournissant à point nommé des montures
diaboliques pour les conduire plus
par
B.I. Vel
prem
2303 MERCURE DE FRANCE
promptement vers les Géants qu'ils devoient
exterminer , à l'exemple des Poëtes
Grecs qui trouvoient des Pégases pour
en fournir fort à propos aux Deffenseurs
des Dames , télles qu'Andromede et Hésione.
Michel de Cervantes et Rabelais , pour
se mocquer des idées folles des Auteurs
de Romans , ont imaginé les Oriflants ,
les Hippogriphes et les Chevillards , don't
ils ont parlé , l'un dans son Don Quichote
, et l'autre dans son Gargantua .
›
Ce sont ces Chevaux ailez de la Fable
qui ont pû persuader qu'il y avoit des
Licornes ( autres animaux aussi fabuleux )
il est aisé de voir de quelle source partoit
cette fausse persuasion . L'Yvoire venoir
, à ce qu'on disoit d'une Corne de
bête qui se trouvoit en Afrique et
Pline dans son Histoire Naturelle ( L. 8.
C. 21. ) admet des Chevaux volants et
des Chevaux à Cornes , à qui il donne
également le nom de Pégase , et les fait
trouver en Ethiopie , Pays voisin des
Monts Athlas , où Persée eut occasion
de se servir d'un de ces Chevaux . Æthiopia
generat , multaque alia Monstro similia
Pennatos equos et Cornibus armatos
quos Pegasos vocant ; ce Passage ne m'empêchera
pas de conclure que , puisque
I. Vol. los
DECEMBRE . 1733. 2609
tes Pégases sont chimeriques , les Licornes
ne le sont pas moins , et la description
que continue d'en faire le méme
Auteur , achevera de prouver que ces
Animaux ne doivent être regardez que
comme des chimeres , ou plutôt ce sont
des Hierogliphes qui ont eu cette forme
, la Licorne a pû êrre une image
Panthée propre à désigner la fécondité
cu les perfections dans le genre animal ,,
elle avoit le corps d'un Cheval , la tête
d'un Cerf , les pieds d'Elephant , sa
queue d'un Sanglier , avec une corne de
deux coudées de long , placée au milieu
du front.
"
L'Auteur promet la suite.
Fermer
Résumé : DES HIEROGLYPHES, et de leurs usages dans l'Antiquité. Discours où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de tous les Monstres et de tous les Animaux chimeriques dont les Anciens nous ont parlé. Par M. Beneton de Perrin.
Le texte 'Des hiéroglyphes, et de leurs usages dans l'Antiquité' de M. Beneton de Perrin explore l'origine et l'évolution des hiéroglyphes. Les premiers hommes, limités par la communication orale, inventèrent des figures pour représenter leurs pensées, appelées hiéroglyphes. Ces figures servaient à exprimer les actions et les passions, formant un langage muet. Les Grecs nommèrent ces figures hiéroglyphes, dérivant du terme 'sacra sculptura' car les prêtres les utilisaient pour écrire sur la religion et envelopper les mystères. Les hiéroglyphes se multiplièrent avec le perfectionnement du langage et des sciences. Ils sont distingués en deux classes : les hiéroglyphes animés, représentant des formes de bêtes ou de plantes, et les hiéroglyphes inanimés, ou hiérogrammes, qui étaient des figures fantaisistes formant souvent les lettres alphabétiques. Les Chaldéens, observant les cieux, traçaient des figures correspondant aux constellations, nommant des amas d'étoiles comme le Sagittaire ou la Vierge. Les Grecs nommèrent également des constellations d'après leurs héros, notamment les Argonautes. Cette personnification des astres conduisit à l'idolatrie, où les figures taillées et les symboles hiéroglyphiques devinrent respectables. L'idolatrie s'intensifia avec la déification des hommes illustres, comme Apollon ou Esculape, et des arts qu'ils inventèrent. Les hiéroglyphes devinrent complexes, signifiant parfois trois choses différentes : sacrée, mécanique, et personnelle. Par exemple, une hache sur un tombeau pouvait désigner un ouvrier ou une personne protégée par un dieu. Les hiéroglyphes étaient utilisés pour conserver la connaissance de la religion, des sciences et de l'histoire. Leur interprétation est rendue difficile par le mélange des hiéroglyphes et des hiérogrammes. Le texte souligne l'importance de distinguer ces figures pour éviter les erreurs historiques et les interprétations trompeuses. Les hiéroglyphes représentaient des concepts complexes et des principes philosophiques, comme Orimase et Arimane chez les Perses, et Osiris et Tiphon chez les Égyptiens, symbolisant les forces du bien et du mal. Les hiérogrammes, des marques plus simples comme le cercle, le triangle, et la croix, ont évolué pour former des caractères littéraires utilisés dans l'écriture courante. Les hiéroglyphes étaient utilisés pour représenter des idées abstraites et des concepts religieux, souvent difficiles à interpréter et nécessitant une grande connaissance pour être compris. Les Arabes, en raison de leurs restrictions religieuses, ont conservé les hiérogrammes pour des usages philosophiques et chimiques, une pratique adoptée par les physiciens modernes. Le texte mentionne également un hiéroglyphe particulier, un globe ailé avec des serpents, souvent trouvé sur les obélisques, symbolisant l'univers et ses mouvements. Les Phéniciens, les Égyptiens et les Chinois sont cités comme les premiers peuples à avoir utilisé les hiéroglyphes de manière méthodique. Les hiéroglyphes étaient utilisés pour diverses applications, comme le commerce et la médecine. Par exemple, une figure d'un animal ou d'une partie du corps pouvait indiquer une maladie ou une demande de traitement. Les hiéroglyphes étaient également utilisés pour représenter des passions humaines, des vertus et des vices, souvent symbolisés par des animaux. Le texte explore également les hiéroglyphes liés à la fortune, représentée par une divinité capricieuse et instable, souvent figurée avec une roue, des ailes et un bandeau sur les yeux. Les passions actives et passives étaient symbolisées par des marques simples ou composées, respectivement. Enfin, le texte compare les héros grecs, comme Hercule et Thésée, aux chevaliers errants de la chevalerie médiévale, notant les similitudes dans leurs quêtes pour secourir les faibles et combattre les monstres.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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22
23
p. 2633-2641
LETTRE sur la HENRIADE, écrite par M. Antonio Coichy, Lecteur de Pise, à Monsignor Rinveimi, Sécretaire d'Etat de Florence, traduite par M. le Baron de C. Chambellan du Roi de Suede.
Début :
Selon moi, Monseigneur, il n'y a rien de plus beau que le Poëme de [...]
Mots clefs :
Poème, Henriade, Poète, Homère, Poètes, Style, Jugement, Poésie, Virgile, Voltaire
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE sur la HENRIADE, écrite par M. Antonio Coichy, Lecteur de Pise, à Monsignor Rinveimi, Sécretaire d'Etat de Florence, traduite par M. le Baron de C. Chambellan du Roi de Suede.
LETTRE fur la HENRIADE , écrite
par M. Antonio Coichy , Lecteur de
Pise , à Monsignor Rinveimi , Secretaire
d'Etat de Florence , traduite parM.
le Baron de C. Chambellan du Roi de
Suede.
S
Elon moi , Monseigneur , il n'y a
rien de plus beau que le Poëme de
la Henriade que vous avez eu la bonté de
me préter.
J'ose vous dire mon jugement avec
d'autant plus d'assurance , que j'ai remarqué
qu'ayant lû quelques pages de
ce Poëme à gens de differente condition ,
1. Vol.
de
2634 MERCURE DE FRANCE
f
de différent génie , adonnez à divers genres
d'érudition , tout cela n'a pas empêché
la Henriade de plaire également à
tous , ce qui est la preuve la plus certaine
que l'on puisse aporter de sa perfection
réelle.
Les Actions chantées dans la Henriade
regardent , à la verité , les François plus
particulierement que nous ; mais comme
elle sont véritables , grandes , simples
fondées sur la justice et entre- mêlées
d'incidens qui frappent , elles excitent
l'attention de tout le monde ?
Qui est celui qui ne se plairoit point
à voir une rébellion étouffée , et l'héri
tier du trône, s'y maintenir en assiégeant
sa Capitale rebelle , en donnant une
sanglante Bataille , et en prenant toutes
les mesures dans fesquelles la force , la
valeur , la prudence et la générosité brillent
à l'envi?
Il eft vrai que certaines circonstances
Historiques sont changées dans le Poëme;
mais outre que les veritables sont notoi
yes et recentes , ces changemens étant
ajustez à la vraisemblance , ne doivent
point embarrasser l'esprit d'un Lecteur
, tant soit peu accoutumé à considerer
un Poëme comme l'imitation du possible
et de l'ordinaire liez ensemble par
des fictions ingenieuses. Tous
DECEM DA E. 1733. 2635
a
Tout l'Eloge que puisse jamais meriter
un Poëme pour le bon choix de son sujet
est certainement dû à la Henriade , d'autant
plus que par une suite naturelle il
été nécessaire d'y raconter le massacre de
la S. Barthelemy ,le meurtre de Henri III .
la Bataille d'Yvri et la famine de Paris
Evenemens tous vrais , tous extraordinaires
, tous terribles , et tous représentez ,
avec cette admirable vivacité qui excite
dans le spectateur et de l'horreur et de
la compassion : effets que doivent produire
pareilles peintures ,quand elles sont
de main de Maître.
Le nombre d'Acteurs dans la Henriade
n'est pas grand , mais ils sont tous remarquables
dans leur Rôle , et extrémement
bien dépeints dans leurs moeurs.
Le Caractere du Héros , Henri IV. est
d'autant plus incomparable que l'on y
voit la valeur , la prudence militaire
l'humanité et l'amour s'entre -disputer le
pas , et se le céder tour à tour et toujours
à propos pour sa gloire .
Celui de Mornais , son ami intime , est
certainement rare il est representé
comme un Philosophe sçavant , courageux
, prudent et bon.
Les Etres invisibles , sans l'entre- mise
desquels les Poëtes n'oseroient entrepren-
I. Vol, dre
2636 MERCURE DE FRANCE
dre un Poëme , sont bien ménagez dans
eclui- ci et aisez à suposer ; tels sont l'ame
de S. Louis et quelques passions humaimes
personifiées , encore l'Auteur les à- t'il
employées avec tant de jugement et d'oeconomie
, que l'on peut facilement les
prendre pour des allegories.
En voyant que ce Poëme soutient
toujours sa beauté sans être farci , comme
tous les autres d'une infinité d'Agens surnaturels
, cela m'a confirmé dans l'idée
quej'ai toujours eûe, que si on retranchoit
de la Poësie épique ces personnages imaginaires
, invisibles , et tout puissants , et
qu'on les remplaçat comme dans les Tragédies
par des personnages réels , le
Poëme n'en deviendroit que plus beau .
Ce qui m'a d'abord fait venir cette
pensée, c'est d'avoir observé que dans Homere,
Virgile, Dante , Arioste, le Tasse,
Milton,et en un mot dans tous ceux que
j'ai lûs , les plus beaux Endroits de leurs
Poëmes n'y sont pas ceux où ils font agir
ou parler les Dieux , le Diable , le Destin
et les Esprits ; au contraire tout cela
souvent fait rire sans jamais produire
dans le coeur ces sentimens touchants qui
naissent de la représentation de quelque
action insigne, proportionnée à la capaci
té de l'homme notre égal, et qui ne passe
1. Vol.
point
DECEMBRE. 1733. 2639
2637
point la Sphere ordinaire des passions de
-notre ame .
C'est pourquoi j'ai admiré le jugement
de ce Poëte , qui pour renfermer sa fiction
dans les bornes de la vraisemblance,
et des facultez humaines , a placé le
transport
de son Hétos au Ciel et aux
Enfers dans un songe dans lequel ces sortes
de visions peuvent paroître naturelles
et croiables .
>
D'ailleurs il faut avouer que sur la
constitution de l'Univers , sur les Loix
de la nature sur la Morale et sur l'idée
qu'il faut se former du mal et du bien,
des vertus et du vice , le Poëte sur tout
cela a parlé avec tant de force et de
justesse que l'on ne peut s'empêcher de
reconnoître en lui un genie superieur et
une connoissance parfaite de tout ce
que les Philosophes Modernes ont de
plus raisonnable dans leur systême.
Il semble raporter toute la science à
inspirer au Monde entier une espece d'amitié
universelle et une horreur générapour
la cruauté et pour le Fanatisme.
le
Également ennemi de l'irréligion , le
Poëte dans les disputes que notre raison
ne sçauroit décider , qui dépendent de la
révélation , adjuge avec modestie et solidité
la préference à notre Doctrine Romai-
I. Vol.
1 E ne
2638 MERCURE DE FRANCE
ne, dont il éclaircit même plusieurs obscuritez.
Pour juger de son stile il seroit néces
saire de connoître toute l'étendue et la
force de sa langue ; habilité à laquelle il
est presque impossible qu'un étranger
puisse atteindre , et sans laquelle il n'est
pas facile d'approfondir la pureté de la
diction.
Tout ce que je puis dire là - dessus
c'est qu'à l'oreille ses vers paroissent aisez
et harmonieux , et que dans tout le
Poëme je n'ai trouvé rien de puerile ,
rien de languissant , ni aucune fausse
pensée , défauts dont les plus excellents
Poëtes ne sont pas tout-à- fait exempts.
Dans Homere et dans Virgile, on en voit
quelques-uns , mais rares ; on en trouve
beaucoup dans les principaux , ou pour
mieux dire, dans tous les Poëtes de Langues
modernes, et sur tout dans ceux de
la seconde Classe de l'Antiquité..
A l'égard du stile , je puis encore ajouter
une expérience qui j'ai faite qui donne
beaucoup à présumer en faveur du sien .
Ayant traduit ce Poëme couramment
en le lisant à différentes personnes , je m
suis apperçû qu'elles en ont senti toute l
grace et la majesté ; indice infaillible qu
le stile en est très excellent , aussi l'Au
1.Vol. teu
DECEMBRE. 1733. 2639
teur se sert- il d'une noble simplicité et
briéveté pour exprimer des choses difficiles
et vastes , sans néanmoins rien laisser
à désirer pour leur entiere intelligentalent
bien rare , et qui fait l'essence
du vrai sublime .
ce ,
>
Après avoir fait connoître en general
le prix et le mérite de ce Poëme
il est
inutile d'entrer dans un détail particulier
de ses beautez les plus éclatantes. Il y en
a, je l'avouë, plusieurs dont je crois reconnoître
les Originaux dans Homere, et sut
tout dans l'Iliade , copiée depuis avec différens
succès par tous les Poëtes posterieurs
; mais on trouve aussi dans ce
Poëme une infinité de beautez qui semblent
neuves, et appartenir en propre à la
Henriade.
Telle est , par exemple , la noblesse et
l'allegorie de tout le 4me. Livre ; l'endroit
où le Poëte représente l'infame
meurtre d'Henri III. et sa juste réfléxion
pag.. sur ce misérable assassin . Edition
de Londres 1733. chez Innis.
C'est encore quelque chose de nouveau
dans la Poësie que le discours ingenieux
que l'on lit au milieu de la page 145 .
sur les châtimens à subir après la mort.
Il ne me souvient pas non plus d'avoir
vû ailleurs ce beau trait qu'il met page
✓ 1. Vol. Eij: I 12,
2640 MERCURE DE FRANCE
112. dans ce caractere de Mornais , qu'il
combattoit sans vouloir tuer personne.
La mort du jeune d'Ailly massacré par
son pere sans en être connu , m'a fait
verser des larmes quoique j'eusse là une
avanture un peu semblable dans le Tasses
mais celle de M. de Voltaire , étant décrite
avec plus de précision , m'a paru
nouvelle et plus sublime.
Les vers page 175. sur l'Amitié sont
d'une beauté inimitable , et rien ne les
égale , si ce n'est la Description de la
modestie de la belle d'Estrée page , 197 .
Enfin dans ce Poëme sont répanduës
mille graces qui démontrent que l'Auteur
né avec un goût infini pour le beau,
s'est perfectionné encore davantage par
une application infatigable à toute sorte
de Science , afin de devoir sa réputation
moins à la nature qu'à lui-même.
Plus il y a réussi , plus il est obligeant
envers notre Italie , d'avoir dans un
discours à la suite de son Poëme préferé
Virgile et notre Tasse à toute autre Poëte
quoique nous n'osions nous mêmes les
égaler à Homere , qui a été le premier
Fondateur de la belle Poësie.
Une légere indisposition et de petites
affaires m'ont empêché , Monseigneur
d'obéïr plûtôt à l'ordre que vous m'a
I. Vol.
いvez
DECEMBRE 1733. 2643
vez donné de vous rendre compte de
eet Ouvrage , j'espere que vous en pardonnerez
le délai , en vous suppliant de
me croire avec respect , Monseigneur
votre , & c.
par M. Antonio Coichy , Lecteur de
Pise , à Monsignor Rinveimi , Secretaire
d'Etat de Florence , traduite parM.
le Baron de C. Chambellan du Roi de
Suede.
S
Elon moi , Monseigneur , il n'y a
rien de plus beau que le Poëme de
la Henriade que vous avez eu la bonté de
me préter.
J'ose vous dire mon jugement avec
d'autant plus d'assurance , que j'ai remarqué
qu'ayant lû quelques pages de
ce Poëme à gens de differente condition ,
1. Vol.
de
2634 MERCURE DE FRANCE
f
de différent génie , adonnez à divers genres
d'érudition , tout cela n'a pas empêché
la Henriade de plaire également à
tous , ce qui est la preuve la plus certaine
que l'on puisse aporter de sa perfection
réelle.
Les Actions chantées dans la Henriade
regardent , à la verité , les François plus
particulierement que nous ; mais comme
elle sont véritables , grandes , simples
fondées sur la justice et entre- mêlées
d'incidens qui frappent , elles excitent
l'attention de tout le monde ?
Qui est celui qui ne se plairoit point
à voir une rébellion étouffée , et l'héri
tier du trône, s'y maintenir en assiégeant
sa Capitale rebelle , en donnant une
sanglante Bataille , et en prenant toutes
les mesures dans fesquelles la force , la
valeur , la prudence et la générosité brillent
à l'envi?
Il eft vrai que certaines circonstances
Historiques sont changées dans le Poëme;
mais outre que les veritables sont notoi
yes et recentes , ces changemens étant
ajustez à la vraisemblance , ne doivent
point embarrasser l'esprit d'un Lecteur
, tant soit peu accoutumé à considerer
un Poëme comme l'imitation du possible
et de l'ordinaire liez ensemble par
des fictions ingenieuses. Tous
DECEM DA E. 1733. 2635
a
Tout l'Eloge que puisse jamais meriter
un Poëme pour le bon choix de son sujet
est certainement dû à la Henriade , d'autant
plus que par une suite naturelle il
été nécessaire d'y raconter le massacre de
la S. Barthelemy ,le meurtre de Henri III .
la Bataille d'Yvri et la famine de Paris
Evenemens tous vrais , tous extraordinaires
, tous terribles , et tous représentez ,
avec cette admirable vivacité qui excite
dans le spectateur et de l'horreur et de
la compassion : effets que doivent produire
pareilles peintures ,quand elles sont
de main de Maître.
Le nombre d'Acteurs dans la Henriade
n'est pas grand , mais ils sont tous remarquables
dans leur Rôle , et extrémement
bien dépeints dans leurs moeurs.
Le Caractere du Héros , Henri IV. est
d'autant plus incomparable que l'on y
voit la valeur , la prudence militaire
l'humanité et l'amour s'entre -disputer le
pas , et se le céder tour à tour et toujours
à propos pour sa gloire .
Celui de Mornais , son ami intime , est
certainement rare il est representé
comme un Philosophe sçavant , courageux
, prudent et bon.
Les Etres invisibles , sans l'entre- mise
desquels les Poëtes n'oseroient entrepren-
I. Vol, dre
2636 MERCURE DE FRANCE
dre un Poëme , sont bien ménagez dans
eclui- ci et aisez à suposer ; tels sont l'ame
de S. Louis et quelques passions humaimes
personifiées , encore l'Auteur les à- t'il
employées avec tant de jugement et d'oeconomie
, que l'on peut facilement les
prendre pour des allegories.
En voyant que ce Poëme soutient
toujours sa beauté sans être farci , comme
tous les autres d'une infinité d'Agens surnaturels
, cela m'a confirmé dans l'idée
quej'ai toujours eûe, que si on retranchoit
de la Poësie épique ces personnages imaginaires
, invisibles , et tout puissants , et
qu'on les remplaçat comme dans les Tragédies
par des personnages réels , le
Poëme n'en deviendroit que plus beau .
Ce qui m'a d'abord fait venir cette
pensée, c'est d'avoir observé que dans Homere,
Virgile, Dante , Arioste, le Tasse,
Milton,et en un mot dans tous ceux que
j'ai lûs , les plus beaux Endroits de leurs
Poëmes n'y sont pas ceux où ils font agir
ou parler les Dieux , le Diable , le Destin
et les Esprits ; au contraire tout cela
souvent fait rire sans jamais produire
dans le coeur ces sentimens touchants qui
naissent de la représentation de quelque
action insigne, proportionnée à la capaci
té de l'homme notre égal, et qui ne passe
1. Vol.
point
DECEMBRE. 1733. 2639
2637
point la Sphere ordinaire des passions de
-notre ame .
C'est pourquoi j'ai admiré le jugement
de ce Poëte , qui pour renfermer sa fiction
dans les bornes de la vraisemblance,
et des facultez humaines , a placé le
transport
de son Hétos au Ciel et aux
Enfers dans un songe dans lequel ces sortes
de visions peuvent paroître naturelles
et croiables .
>
D'ailleurs il faut avouer que sur la
constitution de l'Univers , sur les Loix
de la nature sur la Morale et sur l'idée
qu'il faut se former du mal et du bien,
des vertus et du vice , le Poëte sur tout
cela a parlé avec tant de force et de
justesse que l'on ne peut s'empêcher de
reconnoître en lui un genie superieur et
une connoissance parfaite de tout ce
que les Philosophes Modernes ont de
plus raisonnable dans leur systême.
Il semble raporter toute la science à
inspirer au Monde entier une espece d'amitié
universelle et une horreur générapour
la cruauté et pour le Fanatisme.
le
Également ennemi de l'irréligion , le
Poëte dans les disputes que notre raison
ne sçauroit décider , qui dépendent de la
révélation , adjuge avec modestie et solidité
la préference à notre Doctrine Romai-
I. Vol.
1 E ne
2638 MERCURE DE FRANCE
ne, dont il éclaircit même plusieurs obscuritez.
Pour juger de son stile il seroit néces
saire de connoître toute l'étendue et la
force de sa langue ; habilité à laquelle il
est presque impossible qu'un étranger
puisse atteindre , et sans laquelle il n'est
pas facile d'approfondir la pureté de la
diction.
Tout ce que je puis dire là - dessus
c'est qu'à l'oreille ses vers paroissent aisez
et harmonieux , et que dans tout le
Poëme je n'ai trouvé rien de puerile ,
rien de languissant , ni aucune fausse
pensée , défauts dont les plus excellents
Poëtes ne sont pas tout-à- fait exempts.
Dans Homere et dans Virgile, on en voit
quelques-uns , mais rares ; on en trouve
beaucoup dans les principaux , ou pour
mieux dire, dans tous les Poëtes de Langues
modernes, et sur tout dans ceux de
la seconde Classe de l'Antiquité..
A l'égard du stile , je puis encore ajouter
une expérience qui j'ai faite qui donne
beaucoup à présumer en faveur du sien .
Ayant traduit ce Poëme couramment
en le lisant à différentes personnes , je m
suis apperçû qu'elles en ont senti toute l
grace et la majesté ; indice infaillible qu
le stile en est très excellent , aussi l'Au
1.Vol. teu
DECEMBRE. 1733. 2639
teur se sert- il d'une noble simplicité et
briéveté pour exprimer des choses difficiles
et vastes , sans néanmoins rien laisser
à désirer pour leur entiere intelligentalent
bien rare , et qui fait l'essence
du vrai sublime .
ce ,
>
Après avoir fait connoître en general
le prix et le mérite de ce Poëme
il est
inutile d'entrer dans un détail particulier
de ses beautez les plus éclatantes. Il y en
a, je l'avouë, plusieurs dont je crois reconnoître
les Originaux dans Homere, et sut
tout dans l'Iliade , copiée depuis avec différens
succès par tous les Poëtes posterieurs
; mais on trouve aussi dans ce
Poëme une infinité de beautez qui semblent
neuves, et appartenir en propre à la
Henriade.
Telle est , par exemple , la noblesse et
l'allegorie de tout le 4me. Livre ; l'endroit
où le Poëte représente l'infame
meurtre d'Henri III. et sa juste réfléxion
pag.. sur ce misérable assassin . Edition
de Londres 1733. chez Innis.
C'est encore quelque chose de nouveau
dans la Poësie que le discours ingenieux
que l'on lit au milieu de la page 145 .
sur les châtimens à subir après la mort.
Il ne me souvient pas non plus d'avoir
vû ailleurs ce beau trait qu'il met page
✓ 1. Vol. Eij: I 12,
2640 MERCURE DE FRANCE
112. dans ce caractere de Mornais , qu'il
combattoit sans vouloir tuer personne.
La mort du jeune d'Ailly massacré par
son pere sans en être connu , m'a fait
verser des larmes quoique j'eusse là une
avanture un peu semblable dans le Tasses
mais celle de M. de Voltaire , étant décrite
avec plus de précision , m'a paru
nouvelle et plus sublime.
Les vers page 175. sur l'Amitié sont
d'une beauté inimitable , et rien ne les
égale , si ce n'est la Description de la
modestie de la belle d'Estrée page , 197 .
Enfin dans ce Poëme sont répanduës
mille graces qui démontrent que l'Auteur
né avec un goût infini pour le beau,
s'est perfectionné encore davantage par
une application infatigable à toute sorte
de Science , afin de devoir sa réputation
moins à la nature qu'à lui-même.
Plus il y a réussi , plus il est obligeant
envers notre Italie , d'avoir dans un
discours à la suite de son Poëme préferé
Virgile et notre Tasse à toute autre Poëte
quoique nous n'osions nous mêmes les
égaler à Homere , qui a été le premier
Fondateur de la belle Poësie.
Une légere indisposition et de petites
affaires m'ont empêché , Monseigneur
d'obéïr plûtôt à l'ordre que vous m'a
I. Vol.
いvez
DECEMBRE 1733. 2643
vez donné de vous rendre compte de
eet Ouvrage , j'espere que vous en pardonnerez
le délai , en vous suppliant de
me croire avec respect , Monseigneur
votre , & c.
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Résumé : LETTRE sur la HENRIADE, écrite par M. Antonio Coichy, Lecteur de Pise, à Monsignor Rinveimi, Sécretaire d'Etat de Florence, traduite par M. le Baron de C. Chambellan du Roi de Suede.
Dans sa lettre à Monsignor Rinveimi, Antonio Coichy exalte la 'Henriade' de Voltaire, soulignant son succès auprès de divers lecteurs, ce qui atteste de sa perfection. Le poème épique, bien que centré sur des événements français, est apprécié universellement pour sa vérité, sa grandeur et sa simplicité. Il inclut des événements historiques tels que le massacre de la Saint-Barthélemy et la bataille d'Ivry, représentés avec vivacité et émotion. Les personnages, notamment Henri IV et son ami Mornais, sont remarquablement dépeints. Coichy admire le choix des sujets et la manière dont Voltaire intègre des éléments surnaturels de façon judicieuse. Le poème évite les excès de personnages imaginaires, préférant des actions humaines et touchantes. Le style de Voltaire est jugé excellent, avec des vers harmonieux et une diction pure. La lettre mentionne également des beautés spécifiques du poème, comme la noblesse du quatrième livre et des réflexions sur la mort. Coichy conclut en soulignant le goût et la science de Voltaire, ainsi que son respect pour les grands poètes comme Virgile et le Tasse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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24
p. 90-98
LETTRE à l'Auteur du Mercure, au sujet du premier Vers de la première OLYMPIENNE de Pindare.
Début :
Vous rappellez-vous, Monsieur, d'avoir lû, il y a quelques jours, dans [...]
Mots clefs :
Combats, Éléments, Prééminence , Soleil, Explication, Traduction, Poètes, Richesses, Grecs, Philosophes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE à l'Auteur du Mercure, au sujet du premier Vers de la première OLYMPIENNE de Pindare.
LETTRE à l'Auteur du Mercure ,
au fujet du premier Vers de la pre-.
mière OLYMPIENNE de Pindare.
Vous
rappellez - vous ,
›
Monfieur
d'avoir lû , il y a quelques jours , dans
la trente -fixiéme feuille de l'Année Littéraire
un article fur les traditions que
Boileau & Charles Pérault ont données
de la première Ode des Olympiennes
de Pindare ? L'Auteur de cet article
fait voir à M. Freron , qu'on n'a jamais
bien entendu ce premier Vers de Pindare
ägisov μèv idup . Boileau , dit- il , a traduit
ainfi » Il n'y a rien de fi excel-
» lent que l'eau : il n'y a rien de plus
» éclatant que l'or , & il fe diftingue
» entre toutes les autres fuperbes richef-
» fes , comme un feu qui brille dans
» la nuit . Mais ô mon efprit , puifque
» c'eſt des combats que tu veux chan-
» ter , ne va point te figurer que dans
1
MA I. 1763. 91
ود
?
-
" les vaftes déferts du Ciel quand il
» fait jour , ou puiffe voir quelqu'autre
» aftre auffi lumineux que le Soleil ,
» ni que fur la Terre nous puiffions.
» dire qu'il y ait quelqu'autre com-
» bat auffi excellent que le combat
» olympique , & c . » Charles Perault n'a
» pas mieux traduit , ajoute- t - il , l'eau,
eft très bonne à la vérité , & l'or ,
» qui brille comme le feu durant la
» nuit éclate merveilleufement par-
» mi les richeffes qui rendent l'homme
fuperbe ; mais mon efprit , fi tu de-
» fires chanter des combats , ne con-
» temple point d'autre aftre plus lumi-
» neux que le Soleil pendant le jour
» dans le vague de l'air ; car nous ne
» fçaurions chanter des combats plus
" illuftres que les combats olympi-
" ques , &c. » Boileau & Perault
dit-il , fe font trompés tous deux , &
il s'agit ici de la prééminence de l'eau
fur tous les élémens , parce que Pindare
fait allufion à l'opinion du Philofophe
Thales qui prétendoit que l'eau étoit .
le premier des élémens , & qu'elle avoit .
donné , ainfi que le rapporte Diogène
Laërce , naiffance à tous les êtres exiftans
fur la Terre . Il ne s'agit donc pas ,
dit judicieuſement l'Auteur de l'expli
?
92 MERCURE DE FRANCE.
cation , de la qualité de l'eau , mais de
fa prééminence fur tous les élémens.
Ainfi pour bien rendre la penfée de
Pindare , il faut dire l'eau eft le premier
des clémens. Il n'y a pas là de
ridicule , ajoute l'Auteur.
›
Il est bien étonnant Monfieur
qu'en nous rapportant les différentes
traductions qu'on a faites de cette Ode
de Pindare , l'ingénieux Auteur de cette
explication ne nous air rien dit d'une
ancienne traduction de Pindare donnée
en 1617 par François- Marin Champenois.
Sans doute qu'elle lui eft inconnue.
Je me fuis rappellé de l'avoir
lue toute entière à la Bibliothéque du
Roi , & je l'ai actuellement entre mes
mains. Voici l'explication de Marin.
Son ftyle eft celui de fon fiècle ; il n'eſt
pas bien agréable , mais il n'a rien de
dégoutant , & d'ailleurs il ne s'agit ici
que du fens des paroles de Pindare.
» Tout ainsi que l'eau excelle entre les
» élémens , & que l'or ( ne plus ni
» moins qu'un feu brillant fe faict pa-
» roiftre durant la nuit ) furpaffe toute
» autre magnifique richeffe ; de même
" auffi qu'en plain jour l'on ne peut
» vefir par le vague de l'air un aftre
apparant qui flamboye davantage que
M. A I. 1763. 93
»le Soleil : ainfi , ma chère Mufe , fi ma
» tu defires que nous célébricns les
» jeux , n'en cherchons pas de plus
» excel.ens ou plus dignes de nos vers ,
» que les combats qui fe font aux champs
» olympiques , &c.
Si je ne craignois pas d'affoiblir cette
verfion de Marin , & de mériter le reproche
qu'on fit à l'Abbé Tallemant
je la rendrois ainfi " Comme l'eau
l'emporte fur tous les élémens , &
» comme l'or , femblable à un feu
» qu'on voit briller pendant la nuit ,
» furpaffe toutes les richeffes qui flat-
" tent le plus la vanité de l'homme ,
» ou comme le foleil , qui par qui par l'éclat
» de fes rayons éfface tous les altres
épars dans la vafte profondeur des
airs tels font , divine Mufe
» combats qui fe livrent aux champs
» Olympiques ; & puifque vous vou-
» lez célébrer des combats , n'en cher-
» chez ni de plus glorieux , ni de plus
» dignes de vos chants. Cette immenfe
» carrière offre aux Poëtes , & c.
"
les
A cette explication , Marin ajoute
la note fuivante qui développe parfaitement
le fens qu'il a donné à Pindare.
» Les anciens Philofophes , dit- il , ont
» été fort en peine pour trouver le
94 MERCURE DE FRANCE.
premier principe des chofes naturelles,
» Voyez ce qu'en note briévement à
» Sancto Paulo queft. 4 du premier
Traité de la première partie de fa
» Phyfique , & un peu plus amplement
» Eufébe Chap. 5 , Liv. 1 de la prépa-
» ration Evangélique ( a) . Or Pindare
" avec Thalès eft de l'opinion de ceux
» qui difoient que l'eau eft le principe
» de toutes chofes , fuivant laquelle
» opinion quelques anciens Grecs fai-
» foient offrande de leur poil aux
» fleuves ( b ) .
Marin cft plein d'excellentes recherches
& de notes très fçavantes . Il avoit
du goût pour fon fiècle , & ne manquoit
pas de jufteffe dans l'efprit . Vous
trouverez fur-tout qu'il explique toujours
très-bien le début des Odes de
Pindare. Il fait voir que ce début eft
toujours lié au fujet ; & généralement
(a) Le Père Berruyer a très -bien expliqué le
fentiment d'Eufebe.
(b ) On trouve encore aujourd'hui en Perfe
des veftiges de cette coutume. Pour ne point
fouiller les élémens , dit M. de Montefquieu
Tom. 2 de l'Eſprit des Loix , les Perfes ne navigeoient
pas fur les fleuves. Ils n'ont point de
commerce maritime , & ils traitent d'Athées ceux
qui vont fur mer. Voyez Chardin.
M A I. 1763. 95
il ne reconnoît d'écart & de digreffion
dans les Odes de Pindare , que les
écarts que Pindare y reconnoît luimême
(c ) . Voici une note qui vous
donnera une idée de fa façon de penfer
touchant les Poëfies de fon temps.
» Si nos Poëtes François , dit- il page
» 106 , qui font aujourd'hui , puifoient
» dans les fontaines des doctes anciens
" Grecs & Latins , ils furvivroient à
» leurs ouvrages plus long- temps qu'ils
» ne feront. » Et à la page 236 fur ce
vers is ' iv ɛutuxiα. » Le monde , dit-
» il , prife plus les riches que les gens
» de bien. Car fi le monde parle d'un
» homme qui fe foit enrichi juftement
» ou injuſtement , il dit , c'est un homme
d'esprit , c'est un galant homme ; il
" a bien fait fes affaires . » Vous y
trouverez quantité d'autres naïvetés qui
vous feront plaifir. J'ai vu Marin cité
dans plufieurs Auteurs. Il étoit furtout
très-connu à l'Abbé Desfontaines qui
parle de fa traduction de Pindare ,
quelque part dans fes Obfervations .
On doit donc dire , Monfieur , que
Marin a la gloire d'avoir été , parmi
tous les
Traducteurs François , le pre-
( c) Comme par exemple , lorfque Pindare
avertit fa Muſe de reprendre fon Sujet.
96 MERCURE DE FRANCE.
mier qui ait trouvé le vrai fens de
Pindare ; & pour ne vous laiffer rien
à defirer à cet égard , il ne me reſte
plus qu'à vous citer la traduction de la
Gaufie , avec celle de l'Auteur du Dif
cours fur l'Ode , afin que vous puilliez
mieux juger de toutes les traductions
françoifes de cette première Ode de
Pindare. Le fieur de la Gaufie donna en
1626 une traduction de Pindare mêlée
de vers & de profe . Voici fon début.
» La force de chaque élément
» Paroît par leurs effets contraires ,
Mais le moindre de l'eau furmonte abfolument
>> Tous ceux de fes trois frères.
Celui- ci a une interprétation différente
; il s'éloigne du fens que Marin
a donné à Pindare , & il a cru que le
Poëte avoit en vue , non la prééminence
de l'eau , mais fa qualité , fes
ufages , & fes effets .
L'Auteur du Difcours fur l'Ode ,
donné en 1762 , rend ainfi cette première
ftrophe. " L'eau fans doute eft
" le premier des élémens. L'or brille
» entre les plus fuperbes richeffes comme
une flamme éclatante dans les
» ombres de la nuit. Mais , ô mon efprit
, fi tu veux chanter des combats
ne
MA I. 1763 . 97
» ne va point en plein jour chercher
» dans les vaftes déferts du ciel un aftre
» plus lumineux que le Soleil , ni fur
» la Terre des jeux plus illuftres que
» ceux d'Olympie. C'eft - là que les
Poëtes , & c.
,
Du refte , Monfieur , je n'éxamine
point ici fi so eft un fuperlatif
d'Ayatos , ou fi c'est un nom verbal
(a) formé d'agiseven , dominari , præcel-
. (a ) S'il eft vrai , fuivant l'explication inférée
dans l'Année Littaire , que ce terme agisov ne
foit pas formé d'ayatos , & par conféquent que
le premier vers de Pindare ne puiffe admettre
cette verfion littérale , l'eau est très bonne , il
fera vrai autfi de dire que tous les Grecs contemporains
de Pindare & autres qui ont fuivi ,
n'entendoient pas bien le Grec. Erafine Schmitt ,
dans fon Commentaire fur Pindare , rapporte
deux Epigrammes du Liv. 4 de l'Anthologie où
l'on badine Pindare fur ce premier vers de fon
Ode . En voici à - peu près le fens : En vérité ,
Pindare , nous ne voudrions point que vous fufiez
notre Médecin , & fi nous étions affez inconfidérés
pour confier nos corps entre vos mains , vous nous
diriez pour tout remède que l'eau est très - bonne.
En un mot , rappellez vous le Docteur Sangralo .
Voici encore un autre témoignage. Ariftote , au
Liv. de fa Rhétorique , Chap . 7 Art. 19 ,
après avoir fait voir » Qu'une choſe qu'on aura
» en abondance fera meilleure qu'une aurre qui
» fera plus rare , parce qu'on le fert beaucoup
plus de l'une que de l'autre , & que tout ce
E
98 MERCURE DE FRANCE.
cellere , ni fi l'on doit traduire comme
Marin , les Olympionniques pour les
Olympiennes , les Néméoniques , pour
les Néméennes , & c. Ce n'eft point ici
le lieu d'agiter cette queftion , & elle eft
étrangère à l'objet que je me fuis propofé
, qui eft de rendre juftice à Marin
comme au premier qui ait trouvé le
vrai fens de Pindare.
J'ai l'honneur d'être , & c .
» qui fert très-fouvent vaut mieux que ce qui
» ne fert que quelquefois & très- peu , il ajoute ,
» voilà ce qui a fait dire à Pindare dans une de
» fes Odes , il n'eft rien defi bon que l'eau. Ariftote
croyoit donc que Pindare avoit voulu défigner
les ufages de l'eau & non fa prééminence & c...
Mais jugeons Pindare par lui-même . Pindare le
répéte quelquefois dans fes comparaifons quoique
fort rarement. Dans l'Odé troifiéme des Olympiennes
, épode 3 , vers 3 , on trouve :
Ει δ ' αρισεύει μεν ύδωρ.
Si autem excellit quidem aqua.
Ici Pindare a ôté l'équivoque , & il eſt évident
qu'il s'agit dans cette troifiéme Ode , de la prééminence
de l'eau Il ne s'agit plus que de fçavoir
en quel temps ces deux Odes ont été compolées
. Suivant Schmitt , la premiere Olympienne
parut dans la foixante - treiziéme Olympiade , &
l'Ode troifiéme à Thécon dans la foixante- dixfeptiéme.
On peut donc croire que dans cet intervalle
, Pindare eut tout le loifir de reconnoître
au fujet du premier Vers de la pre-.
mière OLYMPIENNE de Pindare.
Vous
rappellez - vous ,
›
Monfieur
d'avoir lû , il y a quelques jours , dans
la trente -fixiéme feuille de l'Année Littéraire
un article fur les traditions que
Boileau & Charles Pérault ont données
de la première Ode des Olympiennes
de Pindare ? L'Auteur de cet article
fait voir à M. Freron , qu'on n'a jamais
bien entendu ce premier Vers de Pindare
ägisov μèv idup . Boileau , dit- il , a traduit
ainfi » Il n'y a rien de fi excel-
» lent que l'eau : il n'y a rien de plus
» éclatant que l'or , & il fe diftingue
» entre toutes les autres fuperbes richef-
» fes , comme un feu qui brille dans
» la nuit . Mais ô mon efprit , puifque
» c'eſt des combats que tu veux chan-
» ter , ne va point te figurer que dans
1
MA I. 1763. 91
ود
?
-
" les vaftes déferts du Ciel quand il
» fait jour , ou puiffe voir quelqu'autre
» aftre auffi lumineux que le Soleil ,
» ni que fur la Terre nous puiffions.
» dire qu'il y ait quelqu'autre com-
» bat auffi excellent que le combat
» olympique , & c . » Charles Perault n'a
» pas mieux traduit , ajoute- t - il , l'eau,
eft très bonne à la vérité , & l'or ,
» qui brille comme le feu durant la
» nuit éclate merveilleufement par-
» mi les richeffes qui rendent l'homme
fuperbe ; mais mon efprit , fi tu de-
» fires chanter des combats , ne con-
» temple point d'autre aftre plus lumi-
» neux que le Soleil pendant le jour
» dans le vague de l'air ; car nous ne
» fçaurions chanter des combats plus
" illuftres que les combats olympi-
" ques , &c. » Boileau & Perault
dit-il , fe font trompés tous deux , &
il s'agit ici de la prééminence de l'eau
fur tous les élémens , parce que Pindare
fait allufion à l'opinion du Philofophe
Thales qui prétendoit que l'eau étoit .
le premier des élémens , & qu'elle avoit .
donné , ainfi que le rapporte Diogène
Laërce , naiffance à tous les êtres exiftans
fur la Terre . Il ne s'agit donc pas ,
dit judicieuſement l'Auteur de l'expli
?
92 MERCURE DE FRANCE.
cation , de la qualité de l'eau , mais de
fa prééminence fur tous les élémens.
Ainfi pour bien rendre la penfée de
Pindare , il faut dire l'eau eft le premier
des clémens. Il n'y a pas là de
ridicule , ajoute l'Auteur.
›
Il est bien étonnant Monfieur
qu'en nous rapportant les différentes
traductions qu'on a faites de cette Ode
de Pindare , l'ingénieux Auteur de cette
explication ne nous air rien dit d'une
ancienne traduction de Pindare donnée
en 1617 par François- Marin Champenois.
Sans doute qu'elle lui eft inconnue.
Je me fuis rappellé de l'avoir
lue toute entière à la Bibliothéque du
Roi , & je l'ai actuellement entre mes
mains. Voici l'explication de Marin.
Son ftyle eft celui de fon fiècle ; il n'eſt
pas bien agréable , mais il n'a rien de
dégoutant , & d'ailleurs il ne s'agit ici
que du fens des paroles de Pindare.
» Tout ainsi que l'eau excelle entre les
» élémens , & que l'or ( ne plus ni
» moins qu'un feu brillant fe faict pa-
» roiftre durant la nuit ) furpaffe toute
» autre magnifique richeffe ; de même
" auffi qu'en plain jour l'on ne peut
» vefir par le vague de l'air un aftre
apparant qui flamboye davantage que
M. A I. 1763. 93
»le Soleil : ainfi , ma chère Mufe , fi ma
» tu defires que nous célébricns les
» jeux , n'en cherchons pas de plus
» excel.ens ou plus dignes de nos vers ,
» que les combats qui fe font aux champs
» olympiques , &c.
Si je ne craignois pas d'affoiblir cette
verfion de Marin , & de mériter le reproche
qu'on fit à l'Abbé Tallemant
je la rendrois ainfi " Comme l'eau
l'emporte fur tous les élémens , &
» comme l'or , femblable à un feu
» qu'on voit briller pendant la nuit ,
» furpaffe toutes les richeffes qui flat-
" tent le plus la vanité de l'homme ,
» ou comme le foleil , qui par qui par l'éclat
» de fes rayons éfface tous les altres
épars dans la vafte profondeur des
airs tels font , divine Mufe
» combats qui fe livrent aux champs
» Olympiques ; & puifque vous vou-
» lez célébrer des combats , n'en cher-
» chez ni de plus glorieux , ni de plus
» dignes de vos chants. Cette immenfe
» carrière offre aux Poëtes , & c.
"
les
A cette explication , Marin ajoute
la note fuivante qui développe parfaitement
le fens qu'il a donné à Pindare.
» Les anciens Philofophes , dit- il , ont
» été fort en peine pour trouver le
94 MERCURE DE FRANCE.
premier principe des chofes naturelles,
» Voyez ce qu'en note briévement à
» Sancto Paulo queft. 4 du premier
Traité de la première partie de fa
» Phyfique , & un peu plus amplement
» Eufébe Chap. 5 , Liv. 1 de la prépa-
» ration Evangélique ( a) . Or Pindare
" avec Thalès eft de l'opinion de ceux
» qui difoient que l'eau eft le principe
» de toutes chofes , fuivant laquelle
» opinion quelques anciens Grecs fai-
» foient offrande de leur poil aux
» fleuves ( b ) .
Marin cft plein d'excellentes recherches
& de notes très fçavantes . Il avoit
du goût pour fon fiècle , & ne manquoit
pas de jufteffe dans l'efprit . Vous
trouverez fur-tout qu'il explique toujours
très-bien le début des Odes de
Pindare. Il fait voir que ce début eft
toujours lié au fujet ; & généralement
(a) Le Père Berruyer a très -bien expliqué le
fentiment d'Eufebe.
(b ) On trouve encore aujourd'hui en Perfe
des veftiges de cette coutume. Pour ne point
fouiller les élémens , dit M. de Montefquieu
Tom. 2 de l'Eſprit des Loix , les Perfes ne navigeoient
pas fur les fleuves. Ils n'ont point de
commerce maritime , & ils traitent d'Athées ceux
qui vont fur mer. Voyez Chardin.
M A I. 1763. 95
il ne reconnoît d'écart & de digreffion
dans les Odes de Pindare , que les
écarts que Pindare y reconnoît luimême
(c ) . Voici une note qui vous
donnera une idée de fa façon de penfer
touchant les Poëfies de fon temps.
» Si nos Poëtes François , dit- il page
» 106 , qui font aujourd'hui , puifoient
» dans les fontaines des doctes anciens
" Grecs & Latins , ils furvivroient à
» leurs ouvrages plus long- temps qu'ils
» ne feront. » Et à la page 236 fur ce
vers is ' iv ɛutuxiα. » Le monde , dit-
» il , prife plus les riches que les gens
» de bien. Car fi le monde parle d'un
» homme qui fe foit enrichi juftement
» ou injuſtement , il dit , c'est un homme
d'esprit , c'est un galant homme ; il
" a bien fait fes affaires . » Vous y
trouverez quantité d'autres naïvetés qui
vous feront plaifir. J'ai vu Marin cité
dans plufieurs Auteurs. Il étoit furtout
très-connu à l'Abbé Desfontaines qui
parle de fa traduction de Pindare ,
quelque part dans fes Obfervations .
On doit donc dire , Monfieur , que
Marin a la gloire d'avoir été , parmi
tous les
Traducteurs François , le pre-
( c) Comme par exemple , lorfque Pindare
avertit fa Muſe de reprendre fon Sujet.
96 MERCURE DE FRANCE.
mier qui ait trouvé le vrai fens de
Pindare ; & pour ne vous laiffer rien
à defirer à cet égard , il ne me reſte
plus qu'à vous citer la traduction de la
Gaufie , avec celle de l'Auteur du Dif
cours fur l'Ode , afin que vous puilliez
mieux juger de toutes les traductions
françoifes de cette première Ode de
Pindare. Le fieur de la Gaufie donna en
1626 une traduction de Pindare mêlée
de vers & de profe . Voici fon début.
» La force de chaque élément
» Paroît par leurs effets contraires ,
Mais le moindre de l'eau furmonte abfolument
>> Tous ceux de fes trois frères.
Celui- ci a une interprétation différente
; il s'éloigne du fens que Marin
a donné à Pindare , & il a cru que le
Poëte avoit en vue , non la prééminence
de l'eau , mais fa qualité , fes
ufages , & fes effets .
L'Auteur du Difcours fur l'Ode ,
donné en 1762 , rend ainfi cette première
ftrophe. " L'eau fans doute eft
" le premier des élémens. L'or brille
» entre les plus fuperbes richeffes comme
une flamme éclatante dans les
» ombres de la nuit. Mais , ô mon efprit
, fi tu veux chanter des combats
ne
MA I. 1763 . 97
» ne va point en plein jour chercher
» dans les vaftes déferts du ciel un aftre
» plus lumineux que le Soleil , ni fur
» la Terre des jeux plus illuftres que
» ceux d'Olympie. C'eft - là que les
Poëtes , & c.
,
Du refte , Monfieur , je n'éxamine
point ici fi so eft un fuperlatif
d'Ayatos , ou fi c'est un nom verbal
(a) formé d'agiseven , dominari , præcel-
. (a ) S'il eft vrai , fuivant l'explication inférée
dans l'Année Littaire , que ce terme agisov ne
foit pas formé d'ayatos , & par conféquent que
le premier vers de Pindare ne puiffe admettre
cette verfion littérale , l'eau est très bonne , il
fera vrai autfi de dire que tous les Grecs contemporains
de Pindare & autres qui ont fuivi ,
n'entendoient pas bien le Grec. Erafine Schmitt ,
dans fon Commentaire fur Pindare , rapporte
deux Epigrammes du Liv. 4 de l'Anthologie où
l'on badine Pindare fur ce premier vers de fon
Ode . En voici à - peu près le fens : En vérité ,
Pindare , nous ne voudrions point que vous fufiez
notre Médecin , & fi nous étions affez inconfidérés
pour confier nos corps entre vos mains , vous nous
diriez pour tout remède que l'eau est très - bonne.
En un mot , rappellez vous le Docteur Sangralo .
Voici encore un autre témoignage. Ariftote , au
Liv. de fa Rhétorique , Chap . 7 Art. 19 ,
après avoir fait voir » Qu'une choſe qu'on aura
» en abondance fera meilleure qu'une aurre qui
» fera plus rare , parce qu'on le fert beaucoup
plus de l'une que de l'autre , & que tout ce
E
98 MERCURE DE FRANCE.
cellere , ni fi l'on doit traduire comme
Marin , les Olympionniques pour les
Olympiennes , les Néméoniques , pour
les Néméennes , & c. Ce n'eft point ici
le lieu d'agiter cette queftion , & elle eft
étrangère à l'objet que je me fuis propofé
, qui eft de rendre juftice à Marin
comme au premier qui ait trouvé le
vrai fens de Pindare.
J'ai l'honneur d'être , & c .
» qui fert très-fouvent vaut mieux que ce qui
» ne fert que quelquefois & très- peu , il ajoute ,
» voilà ce qui a fait dire à Pindare dans une de
» fes Odes , il n'eft rien defi bon que l'eau. Ariftote
croyoit donc que Pindare avoit voulu défigner
les ufages de l'eau & non fa prééminence & c...
Mais jugeons Pindare par lui-même . Pindare le
répéte quelquefois dans fes comparaifons quoique
fort rarement. Dans l'Odé troifiéme des Olympiennes
, épode 3 , vers 3 , on trouve :
Ει δ ' αρισεύει μεν ύδωρ.
Si autem excellit quidem aqua.
Ici Pindare a ôté l'équivoque , & il eſt évident
qu'il s'agit dans cette troifiéme Ode , de la prééminence
de l'eau Il ne s'agit plus que de fçavoir
en quel temps ces deux Odes ont été compolées
. Suivant Schmitt , la premiere Olympienne
parut dans la foixante - treiziéme Olympiade , &
l'Ode troifiéme à Thécon dans la foixante- dixfeptiéme.
On peut donc croire que dans cet intervalle
, Pindare eut tout le loifir de reconnoître
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Résumé : LETTRE à l'Auteur du Mercure, au sujet du premier Vers de la première OLYMPIENNE de Pindare.
La lettre examine l'interprétation du premier vers de la première Olympique de Pindare, 'agisov μèv idup'. L'auteur fait référence à un article publié dans la trente-sixième feuille de l'Année Littéraire, qui critique les traductions de Boileau et Charles Perrault. Selon cet article, ces traducteurs ont mal interprété le vers, qui ne traite pas de la qualité de l'eau mais de sa prééminence sur les autres éléments, en lien avec la philosophie de Thalès. L'auteur souligne que François-Marine Champenois, dans une traduction de 1617, a correctement expliqué ce vers. Champenois traduit le vers comme 'Comme l'eau l'emporte sur tous les éléments', mettant en avant la supériorité de l'eau. Cette traduction a été consultée par l'auteur à la Bibliothèque du Roi. La lettre mentionne également d'autres traductions, telles que celle de la Gaufie en 1626 et un discours de 1762, qui proposent des interprétations différentes. L'auteur conclut en affirmant que Champenois est le premier traducteur français à avoir correctement compris le sens de Pindare.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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