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p. 3-76
CONVERSATION ACADEMIQUE, Dans laquelle il est traité des bonnes, & des mauvaises qualitez de l'Air. A Madame la Comtesse de C. R. C.
Début :
Vous m'avez témoigné, Madame, que l'Entretien Académique, dont [...]
Mots clefs :
Air, Docteur, Corps, Vent, Chevalier, Abbé, Pays, Vents, Feu, Hommes, Marquis, Terre, Feu, Lieu, Lieux, Président, Temps, Dieu, Âme, Esprit, Maisons, Qualité, Conversation académique, Raison, Manière, Éléments, Eau, Couleur, Froid, Maladies
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texteReconnaissance textuelle : CONVERSATION ACADEMIQUE, Dans laquelle il est traité des bonnes, & des mauvaises qualitez de l'Air. A Madame la Comtesse de C. R. C.
CONVERSATION
ACADEMIQUE,
Dans laquelle il eſt traité des ,
bonnes , & des mauvaiſes
litez de l'Air.
qua.
AMadame la Comteſſe de C. R. C.
V
Ous m'avez témoigné,
Madame , que l'Entretien
Académique , dont je vous fis
part au mois d'Avril de l'année
1680 , ne vous avoit point déplû,
& vous m'avez mefme demandé
tant de fois des nouvelles de cet
illuftre Abbé , chez qui l'on parla
du fommeil de l'aprefaînée, que
je crois encore vous faire plaifir
7
A ij
4
Extraordinaire
en vous apprenant fon retour,
& ce qui s'eft dit dans une autre
Converfation , où je me ſuis auffi
heureufement trouvé que la premiere
fois. Il y avoit longtemps
que nous n'avions veu cet Abbé
dans la Province ; mais quoy
qu'il foit infirme , il ne laiffe pas
d'entreprendre des Voyages pénibles
pour le fervice du Roy, &
de fes Amis , & d'agir comme s'il
fe partoit bien. Je vous avoue
que fa patience eft merveill‹ uſe;
mais en pratiquant cette excellente
vertu , il croit arriver à
toutes les autres. Pour vous,
Madame , qui ne pouvez foufrir
de retardement à tout ce que
vous fouhaitez , je m'imagine
déja que vous eftes impatiente
de fçavoir fur quoy a roulé noſtre
Entretien.
du Mercure Galant.
S
Je vous diray donc qu'eſtanc
alle voir cet illuftre Abbé , je le
trouvay avec la Troupe choisie,
qui ne l'abandonne pas quand il
eft en ce Païs , & un Confeiller
qui fortit quelque temps apres
que je fus arrivé. Comme ce
Confeiller eft d'une grande pref
tance , cet Homme , dit M' le
Marquis , a l'air d'un veritable
Magiftrat. Oüy , repliqua l'Abbé
, c'eft un Juge fort entendu
dans fa Charge , & plein de
courage pour la juftice , & pour
les intérefts de fa Compagnie. Il
porte cela fur fon vifage , dit le
Chevalier , il n'y a qu'à le voir.
On a quelquefois de la peine à
le retenir , tant il a de feu & de
vivacité , ajoûta le Préfident.
Cette chaleur , dit le Docteur,
7
A iij
6 Extraordinaire-
>
eft un effet de fon tempérament,
qui eftant fanguin le rend
violent & prompt. Il eft vray
que nous devons beaucoup à
noftre complexion , dit l'Abbé ;
& fi l'heureuſe naiffance fait les
bonnes moeurs , il est encore
vray , pour en revenir à l'air dont
nous parlions , qu'il contribuë
extrémement à la fortune des
Hommes. Ifabelle , Reyne d'Eſ
pagne , difoit ordinairement que
la bonne mine leur fervoit d'une
Lettre de recommandation affez
ample. En effet , quand une Perfonne
bien faite vient à nous , fon
air nous prévient d'abord en fa faveur
; & le Duc de Guife , parlant
dans fesMémoires de l'Action hé !
roïque qu'il fit à Naples, lors qu'il
appaifa tout feul une troupe de
du Mercure Galant. ブ
Séditieux , ce Prince dit que les
Gens de qualité ont un je ne.
fçay- quoy dans le vifage , qui fait
peur à la Canaille. Jules Céfar
paroiffant devant les Soldats mutinez
, les ärrefta d'une feule parole
; & Augufte étonna les Lé.
gions d'Antoine par fa préſence .
Dans le temps des Guerres deParis
, le Garde des Sceaux Molé,
en fe montrant fur les Degrez
du Palais , defarma & appaifa le
Peuple qui le cherchoit pour
s'en défaire . Ileft donc conſtant
qu'il y a un certain air dans les
Perfonnes , & un certain caractere
fur le vifage , qui nous infpire
de l'eftime , de la crainte , & de
la venération . Comme auffi il
y
a un certain air , & un certain caradere
qui nous cauſe de la dé-
A iiij
& Extraordinaire
fiance , de l'averfion , & du mé.
pris. De - là viennent ces viſages
favorables , ou malencontreux ,
dont la mine . feule femble nous
annoncer d'abord quelque bonheur
, ou quelque malheur à venir.
Tel eftoit Montagne , qui
fur le fimple crédit de fa préfen- .
ce , & de fon air , nous affure que
des Perfonnes qui ne le connoiffoient
pas , fe fioient en luy , foit
pour leurs propres affaires , ou
pour les fiennes , & que mefme
dans les Païs Etrangers , il en
avoit tiré des faveurs rares &
fingulieres. Il fait quelques petits
contes fur le fujet des chofes qui
luy estoient arrivées , qui font
affez remarquables .
L'Abbé ayant ceffé de parler;
ne peut- on pas ajouter à tous
du Mercure Galant .
9
ces Exemples , dit le Marquis ,
la bonne mine du Roy , fa taille,
fon grand air , & ce caractere
plein de majeſté , & de fageffe
qui l'accompagne toujours ?
C'eft par- là qu'il terraffe les Ennemis
, auffibien que par la force
de fes Armes , & qu'il s'attire
les refpects , & l'amour de tous
ceux qui l'envifagent . On a eu
bien raifon de mettre entre les
Fremieres maximes de regner,
qu'il falloit pour remplir dignement
la Royauté , le port , la
taille , & la bonne mine , qui ne
font autre chofe que le bon air
qui charme par des vertus fe.
crettes de l'ame. Car il ne faut
pas s'imaginer que le corps luy
tienne lieu d'une honteufe prifon
, c'eſt un Temple où cette
10 Extraordinaire
petite Divinité fe plaiſt davanta
ge, plus il eft pur & net au dedans,
& beau & magnifique au dehors.
Neantmoins Scaron a dit ,
Souvent un vilain corps loge un
noble courages
Et c'eft un grand menteur fouvent
que le vifage.
Oh, pour Scaron , interrompit
le
Chevalier qui n'avoit poinɛ
encore parlé , & dont j'admirois
le long filence , il n'avoit garde
de s'expliquer autrement. Il ef
toit trop intereffé à défendre le
party de la laideur , & de la di
formité , car il n'avoit pas le
viſage plus beau que le corps,
& chacun fçait comme il eftoit
fait ; mais M' de Corneille a dit
bien plus vray que M' Scaron ,
quand il affure que tout le mon
du Mercure Galant. 11
de veut eftre beau , & bien fait,
Et quefinous eftions artifans de nous
mefmes,
On ne verroitpar tout que des beautez
Suprémes.
Cela dépend de Dieu , & non
pas de nous , dit l'Abbé, Ipfefecit
nos, & non ipfi nos. Il s'eft réſervé à
luy feul , le fecret de la nailfance
des Hommes , & l'a rendu impénétrable
à leur curiofité . Nous
ne fçaurions donc connoiftre
pourquoy celuy.cy a un air qui
plaiſt , & celuy là un air qui rebute
& qui dégoufte ; mais M ' le
Docteur , dites - nous un peu à
le bien prendre , ce que c'eft que
l'air , car les Orateurs, les Poëtes,
& les Philofophes en parlent diverſement.
L'air , répondit ce Docteur,
12 Extraordinaire
peut eftre confideré en trois manieres,
comme Elément , comme
Température , & comme Mode
ou Maniere . Pour moy , je croy
que c'est l'expreffion des autres
Élémens , & du mouvement , de
to s les Corps , qui participe à
toutes leurs bonnes ou mauvaiſes
- qualitez. Ainfi l'on dit , l'air du
temps , l'airdu feu , prendre l'air,
pour dire recevoir cette tranfpiration
des corps dans fa fource,
& dans toute fon , étendue . On
donne ordinairement le nom
'd'air à toute cette Matiere li
quide & tranfparente dans la.
quelle nous vivons , & qui eft ré .
pandue de tous coftez à l'entour
du Globe , compofé de la terre
& de l'eau. En effet , quelques
Philofophes prétendent que les
du Mercure Galant.
13
Cieux font fluides , comme un
grand air vague & fpatieux,
dans lequel les Etoiles & les
Planetes fe promenent comme
les Poiffons dans la Mer , & les
Oifeaux dans les Nuës ; & le
Philofophe de Cour ( car enfin
il faut raifonner à la mode aujourd'huy
) cet Autheur , dis-je,
veut que les Cieux foient fluides,
& de la nature d'un air tres.fub
til , & tres- purifié . Les Anciens
ont auffi confondu les mots de
Ciel , & d'Air , en parlant de la
Partie que nous voyons ; & l'on
dit tous les jours , apres la Sainte
Ecriture , les Oiseaux du Ciel ,
ils volent dans le Ciel , pour dire,
les Oifeaux de l'air , ils volent
dans l'air. En effet , l'air entre
dans la compofition du Ciel , &
14
Extraordinaire
le Ciel femble eftre un air con
denfé. Un Moderne a eu raiſon
de dire , que l'air eft un étrange
& admirable compofé , & que
pour le bien connoiftre , il faudroit
connoiftre auparavant la
nature de tous les Corps qui entrent
dans fa compofition. Comment
donc le concevoir dans
cette fimplicité qui luy eſt neceffaire
pour eftre Elément ? Car
dans la compofition où il fe trouve
prefque toujours , par le mélange
des autres Elemens , & de
tous les Corps qui s'exhalent.
continuellement de la Terre , on
ne peut dire précisément ce que
c'eft . Le Philofophe de Cour,
dénie à l'air le nom & la qualité
d'Elément , & dit que par fa
fubtilité il eft feulement fembla
du Mercure Galant,
ble au premier Elément des Car
réfiens. Quelques autres difent
que c'est une portion de la
Matiere premiere , débrouillée
& purifiée par la Lumiere. La
penſée de cet Ancien eft jolie,
qui difoit que l'Air eftoit la vître.
rie de l'Univers , par où les Crea.
tures voyent tous les Objets
comme dans un Miroir , par la
refléxion de cetteLumiere. C'eft
luy qui conferve les couleurs invifibles
qui peignent tous les
Objets dans nos yeux , quoy qu'il
foit fans couleurs , puis que tous
les Objets tranfmetent leurs efpeces
en luy , ce qu'ils ne pour
roient pas faire s'il avoit quelque
couleur , comme nous voyons
tout rouge , ou tout jaune , dans
un verre qui eft peint de la fort,
16 Extraordinaire
›
Un Philofophe moderne dit que
l'air n'eft pas vifible , parce qu'il
eft trop délié ; mais qu'autant
qu'on le peut voir par la refpiration
, ou par les Arquebules à
vent , il eft de couleur grifatre,
A propos de la couleur de l'Air,
s'écria le Chevalier , en regar.
dant le Marquis , ne vous fouvient-
il point de ce prétendu Sor
cier , qui nous difoit un jour qu'il
avoit veu le Vent , & qu'il eftoit
rouge , jaune , & bleu ? Il eſt
beaucoup de femblables Viſionnaires
, répondit le Marquis , &
je croy qu'il s'en trouve auffi
parmy les Philofophes ; mais
laiffons parler M' le Docteur, car
il a fans doute de belles chofes à
nous dire . Apres un modefte
fous-rire , le Docteur reprit fon.
du Mercure Galant.
17
Difcours de la forte.
Les Philofophes donnent à
l'Air des figures bien diférentes,
& le mettent en tant de postures,
qu'il eft impoffible de le connoiftre
tel qu'il eft en effet. Quel
ques- uns difent
que les goutes
d'eau & de rolée, qui tombent de
l'air eftant rondes , cer Elément
eft de figure ronde , parce que
les parties doivent avoir l'inclination
du tout , mais en verité, je
trouve cette raifon badine , car
hors la Terre , les autres Elémens
qui font toujours dans l'agitation
, & dans le mouvement ,
n'ont point de figures certaines
& naturelles , Encore s'il eft vray
que la Terre tourne, il faut croire
qu'elle en change de temps en
temps puis qu'elle s'éboule , &
Q. d'Octobre 1683. B
18 Extraordinaire
s'écorne ſouvent , comme par
lent ceux qui fuivent cette opi- .
nion . Ainfi on diſpute fort inutilement
, fi la Terre eft ronde,
ou fphérique ; fi le Feu eft ovale,
ou pyramidal ; fi l'Eau eft plate,
ou fphérique , & fi l'Air eft
rond , ou triangulaire. Les Cartéfiens
difent que le fecond Elément
, auquel ils donnent le nom
d'Air , n'eft autre choſe que les
parties de leur Matiere fubtile,
qui pour eftre plus groffieres s'ar
rondiffent fans ceffe , que l'Air
le plus groffier a la proprieté de
fe dilater beaucoup , & qu'il fe
mefle aisément avec la Matiere
fubtile. Quelque autre affure
qu'il eft droit , quand il eft lenr,
c'eft à dire, dans fa gravité , mais
que lors qu'il eft furieux & turdu
Mercure Galant.
19
•
bulent , & fi vous voulez tourbillon
, il eft un peu courbé , &
d'une figure circulaire , mais je
croy qu'il n'a point d'autres figures
que celles du corps qui le
renferme. Quoy que fa couleur
foit inperceptible , comme nous
avons dit,il eft neantmoins tranf
parens , parce que les parties eftant
toûjours en action , laiffent
un grand vuide entre elles , & ce
vuide eft remply des rayons des
Corps lumineux. L'air que nous
refpirons eft vifible , parce que
ce font les fumées du coeur que
l'air extérieur codenſe & épaiffit,
quand il eft froid ; & plus la Perfoune
eft d'une complexion forte
& robufte , & plus elle pouffe
d'air quand elle eſt agirée ,
principalement en Hyver qu'il
Bij
20 Extraordinaire
·
fort de la bouche à gros flocons.
Pour fon odeur, les Philofophes
que j'ay déja citez , affurent
qu'elle eft fouvent mauvaiſe.
Enfin il eft chaud , humide , &
leger ; mais quelques Modernes
prétendent , qu'il eft froid , &
pelant ; & d'autres , qu'il n'eft
froid , ou chaud , que felon les
divers mouvemens qu'il foufre.
Ainsi, lors qu'on dit qu'il peut
devenir feu , on veut dire qu'il
peut s'échaufer jufqu'à ce fupré
me degré de chaleur, Quoy qu'il
nous paroiffe leger , il ne laiffe
pas d'eftre eftimé pefant , jufque.
là que Reid , docte Medecin , a
démontré qu'il ne l'eft pas moins
que la Terre , mais il eſt certain
qu'il eft médiocre en pefanteur,
plus pefant que le Feu , & plus
du Mercure Galant. 21
leger que l'eau . Pour ſa hauteur, -
finous en croyons M' Rohaut,
elle eft de plus de quatre mille
cinq cens quatre - vingts toifes ;
& il tient qu'il n'y a point de
Montagne affez haute
pour nous
élever au deffus de la plus haute
furface de l'Air, ou de la premiere
Région . Je me fouviens pourtant
, interrompit le Préfident,
que M' Bary raporte dans fa Phy
fique, qu'en Angleterre on monte
d'un certain Tertre jufqu'à
une certaine hauteur , où il n'y a
plus d'air , & qu'à moins d'y
porter des Eponges humectées,
on y meurt. Cela fe peut , reprit
le Docteur , & tout ce que
nous diſons icy , n'eſt pas fi pofitif
qu'on ne le puiffe contre.
dire ; mais pour continuer à vous
22 Extraordinaire
parler de cet Element , on ne
peut changer la veritable confiftence.
Il ne reçoit aucun mélange
, & comme tel , l'Air eft
appellé Elément , mais que celuy
que nous fouflons , que nous
refpirons , que nous voyons , &
qui nous environne , ne foit
qu'un mefme air , exempt d'aucun
mélange , cela ne le peut
foûtenir. L'air que nous refpirons
eſt un ſoufle vital , compofé
de noftre ame & du mouvement
de noftre corps . Celuy que
nous reſpirons , & qui nous en
vironne , eft compofé des vapeurs
, & du mouvement des
corps extérieurs qui nous approchent
; & celuy qui tient
lieu d'Elément , eſt une fubftance
extrémement deliée qui fe
du Mercure Galant.
23 1
fourre par tout , & qui remplit
tous les lieux , d'où les corps fe
def uniffent . Mais M' le Docteur
, dit le Marquis , quelle diférence
mettez- vous entre le
Vent , & l'Air pris comme Elément
? Car felon moy , le Vent
eft un Air agité , & l'Air eft un
Venten repos. Tous les Philofophes
modernes définiffent le
Vent une agitation fenfible de
l'Air , & felon M¹ Bary , le Vent
n'eft autre chofe qu'une agitation
d'air , plus ou moins notable.
L'Air eft encore toûjours
le fujet du Vent , & une de fes
caufes efficientes. Enfin il fert
de Théatre à ces merveilleux
Tourbillons . Ceux qui difpofent
des Vents ( car il y en a qui les
retiennent , & qui les lâchent
24
Extraordinaire
quand il leur plaift , ) ceux -là,
dis - je , obfervent les diférentes
qualitez de l'Air ; & je me ſouviens
d'avoir leu dans Théophrafte
, que les Brachmanes
avoient deux Tonneaux remplis
de Vent , qu'ils ne bouchoient
jamais que l'Air ne fuft fec , &.
tranquille , & qu'ils ne débouchoient
que lors qu'il eftoit hu
mide & tempeftueux . Je fçay,
continua le Marquis , qu'on dit
tous les jours , que les Vents
chaffent & purifient l'Air , mais
cela s'entend de ce que les parties
les plus groffieres de l'Air fe
fubtilifent , & fe raréfient par
cette agitation , & voila ces
Vents qu'il a pleu aux Pilotes
de nommer de noms barbares &
inconnus , felon les lieux où cet
Air
du Mercure Galant. 25
Air eft plus ou moins dans l'agitation
. En verité voſtre Philofophie
eft jolie , s'écria le Che
valier en riant , & elle feroit bien
reçeuë de l'Univerfité . Le Philofophe
de Cour ne raifonne pas
plus férieufement que vous fur
cette matiere , & j'aime autant
voftre Air agité , qui eft l'opinion
de Pline , que fon Météore
composé de deux fou
fres diférens & ennemis , que le
froid condenſe fi fort , que le
Météore creve par cette contrarieté
, & fait le grand fracas
que nous entendons .
Mais pourquoy , Mr le Che.
valier, reprit le Marquis, ne voulez
-vous pas que fous le bon plaifir
de M' le Docteur , je parle du
Vent à ua fantaiſie ? Ne fçavez-
Q. d'Octobre 1683. C
26 Extraordinaire
vous pas que c'eſt une des choſes
inconnues dans le monde ? Quelques-
uns en attribuent la pro.
duction au Soleil , les autres , au
combat que font les atomes ;
les autres , aux vapeurs , & aux
exalaifons ; & enfin il y en a d'autres
qui m'ont fait penfer , que
l'Air fe meut de foy - mefme ; car
je ne fuis fi vifionnaire
que
pas
vous le croyez , ny fi ridicule
fur le fujet des Vents , que celuy
qui difoit que c'eftoient les éter.
nuëmens de ce grand Animal
que nous appellons le Monde,
comme l'Air eftoit fon haleine &
fa refpiration . Cette imagination
eftoit bien digne de Rabelais
, qui dit que le Vent eft le
foufle de Gargantua . Dieu en
´eft l'Autheur , au fentiment d'un
du Mercure Galant.
27
Prophete, & il peut auffibien le
former de l'Air , que d'une autre
matiere. Quoy que Pline que
vous venez de citer , reconnoiffe
plufieurs fortes de Vents , comme
les Vents de Mer & de Terre,
tout cela n'est que l'Air , qquuiiaaggiitt
ou fur l'Eau , ou fur la Terre. Cer
Autheur veut encore que le Vent
foit un efprit vital , par lequel la
Nature produit toutes chofes .
Et ce Vent , ou cet Air dont nous
parlons , ne font- ils pas les mefmes
? Si cela eft , répondit le
Chevalier , je ne m'étonne plus
que les Cavales d'Andaloufie engendrent
par le Vent ; car l'Air
ou le Vent , eft un tréfor qui contient
toutes les femences , fi nous
en croyons Anaxagore . Et ne
croi t-ce point par cette raiſon
C ij
28 Extraordinaire
que nous appellons un Cheval
viſte, un Coureur , & que nous
difons , aller comme le vent ?
Car les Chevaux qui naiffent du
vent , & de telles Cavales , font
je m'imagine d'admirables Coureurs
pour leur legereté & leur
viteffe , & pareils aux Chevaux
volans , dont parle noftre Pline;
mais à l'endroit que vous avez
cité , il compare l'agitation du
Vent dans la nature , à une Femme
groffe , & dit que cet efprit
vital, remuë dans fes flancs com.
me un Enfant dans le ventre de
fa Mere . Ne voila- t-il pas une
belle origine des Vents ? Je ne
puis encore m'empeſcher derire,
qu nd il nous dit qu'ils font plus
mols que fermes. Quoy , les
Vents ont de la molete , eux
du Mercure Galant. 29
3
J.
J
1
1
qui font fi refolus qu'ils attaquent
les plus durs Rochers , &
les Baftimens les plus inėbranlables
, qui arrachent les Forefts ,
qui renverfent les Montagnes ?
Non , non. Je croy que leur tempérament
eft froid & fec , ce qui
marque leur force , & leur courage.
Vous badinez toujours ,
M le Chevalier , interrompit
l'Abbé . Il eft constant qu'il
y a des Vents chauds , & des
Vents humides . Ouy ; mais , reprit
le Chevalier , ce n'eft pas en
eux-mefies qu'ils font tels , mais
par accident , & felon les lieux
où ils fouflent , & la Saifon qu'ils
fe mettent en Campagne . Je
croy que M' le Chevalier a raifon
dit le Marquis , car
quand on dit, ce vent -là amenera
>
C iij
30 Extraordinaire
de la pluye , ce n'eft pas qu'il
foit pluvieux de fa nature , mais
c'cft qu'il amene , & fait tomber
les vapeurs qui fe réſolvent en
pluye. L'Air eft donc un veritable
Caméleon , capable de
toutes fortes d'impreffions . Tout
froid qu'il eft, il devient feu , felon
les divers mouvemens qu'il fou-
Ale ; mais ce qui eft admirable, eft
que ces vents ou ces impreffions
d'Air , comme nous les avons
appellez , ont leur révolution
jufte & périodique , de quatre
ans en quatre ans , vers le commencement
de la Canicule .
Quoy que je m'en tienne à
l'opinion de l'Ecole , dit le Do-
&teur , voyant que le Marquis
s'eftoit teú , qui eft que l'Air
n'eſt pas le Vent , il eſt neantdu
Mercure Galant. jr
moins le Pere des Vents , & le
crible de la Nature , comme
parle un Ancien , mais un Moderne
l'appelle avec plus de raifon
, le Compagnon du Soleil,
parce qu'il concourt avec luy à
la creation de toutes chofes , &
à la formation des plus merveil
Jeux Phénomenes de la Nature .
Il infpire ce que la Lumiere vivifie
, il purifie ce qu'elle dore , &
fert avec elle à éclairer tout l'Univers.
Anaximenés difoit que
Pair eftoit l'efprit du Monde , &
qu'il eftoit à l'Univers ce que
l'ame eft au corps ; que toutes
chofes eftoient engendrées de
l'air , & fe réfolvoient en air.
Enfin on peut dire de l'Air , ce
que S. Paul a dit de Dieu , In quo
vivimus , movemur, & fumus, I
C iiij
32
Extrardinaire
nous fait voir les objets , mais il
nous donne encore l'oüye , &
l'odorat, Par fon moyen nous
fentons , & nous entendons.
Tous nos Inftrumens , & toutes
nos Chanſons , ne font qu'un air
mefuré & harmonieux. Il anime
les uns , il infpire les autres . Une
Chanfon s'appelle un Air , parce
que c'est un Mode , ou une façon
de chanter , mais encore par
ce qu'il faut de l'air pour le chanter
, & que la Mufique rend cet
air harmonieux par les diférentes
notes qui le compofent. En effet,
l'air agité par la voix ,frape agreablement
nos oreilles , ce qui a fait
dire à un Ancien , qu'une belle
Ode , qui eft la mefme chofe
qu'une belle Chanſon , eftoit un
air qui voloit dans les oreilles. II
du Mercure Galant.
33
y a des Païs mefme où l'air fait
les belles Voix , & où tous les
Hommes chantent bien. Vous
demeurerez d'accord de cette
verité , puis que felon Ariftote,
la Voix & les Inftrumens ne font
qu'une répercuffion de l'air infpiré
.
L'air eft encore un excellent
médiateur entre l'eau & le feu.
Il corrige celuy - cy , & tempere
celle- là. Il eſt naturellement
Amy de la Terre , mais ce qui
releve davantage la nobleffe de
cet Elément , c'est que quelques
Philofophes ont crû que fe Dieu
unique & fouverain n'eftoit
autre que l'Air. Le Docteur
ayant ceffé de parler , comme
s'il n'euft eu plus rien à dire ; Oh
je me doutois bien que les An-
>
34
Extraordinaire
ciens en avoient fait un Dieu,
reprit le Chevalier ; mais moy,
je vous dis que c'eſt un Démon
en fubtilité , & en malice , qui
rend tous les corps agiles , & qui
penetre toutes chofes , fans les
rendre plus pefantes lors qu'il les
remplit. C'est un grand faifeur
de Fufées, & de Feux d'artifices,
qui forme les Méteores , & qui
les renferme dans fon fein ,
mais c'eſt auffi un grand tireur
de quinte effences , qui fçait
diftiler avec le feu élémentaire ,
les influences & les proprietez
occultes des Etoiles , & des Planetes
. Peu s'en faut que je ne
l'appelle Soufleur & Charlatan ;
mais enfin il eft le mieux logé de
tous les Elémens , puis qu'il ha.
bite dans trois regions diférentes,
·
du Mercure Galant.
33
& que le Feu , l'Eau & la Terre
demeurent toûjours où Dieu les
a placez . Il devoit ce me femble ,
avoir quatre Régions , afin de
partager les quatres Saifons de
l'année . Ileft chaud dans la haute
région proche du Feu élémentaire
. I eft plus fraichement dans
Ja moyenne , & d'une maniere
plus temperée dans la baffe , puis
que cette Région eft tantoft
chaude , & tantoft froide. Pline
qui connoiffoit cet Elément , &
qui peut eftre en avoit reçeu
quelque incommodité , dit qu'il
eft caufe de tous les malheurs qui
arrivent aux Hommes , & le
compare à un Sujet rebelle qui
fait fans ceffe la guerre à la Nature
. Les Vents qui font les
Soldats de l'Air , font tous les
36
Extraordinaire
ravages qu'il leur commande , &
ne fe retirent jamais de la meflée
fans eftre chargez de butin.
Toute la Compagnie ne pút
s'empefcher de rire de ce qu'avoir
dit le Chevalier ; mais l'Abbé
prit la parole , & s'adreffant au
Docteur d'un air plus férieux,
Mais noftre ame n'eft - elle point
de la nature de l'air , puis que
felon la penſée d'un Ancien , l'air
& l'efprit ne font qu'une mefine
chofe ? Pour moy je croy que
noftre ame eft un air tres fubtil,
& foit qu'elle anime nos corps,
ou qu'elle s'en fépare , elle en a
toute la reffemblance autant
qu'elle peut eftre viſible. Lors
que je la confidere comme fenfitive
ou animale , ou comme immortelle
, je n'en puis avoir naAu
Mercure Galant.
37
turellement d'autre idée . Diogenes
eftoit de voſtre ſentiment,
répondit le Docteur ; & Héraclite
& les Stoïciens eftoient en.
core de cette opinion. Ils vouloient
que noftre ame fuft une
évaporation d'humeurs inceffamment
coulantes , ou un vent.
L'efprit des Infectes , difent les
Chymiftes , eft la plus pure por
tion de l'air , & cette pure portion
de l'air eft le lien qui unit
l'ame avec le corps. L'ame des
Vegétaux eft auffi aërienne , &
c'est pourquoy le corps qu'elle
anime veut toujours s'élever en
l'air. La fainte Ecriture expri
mant de quelle maniere le pre
mier Homme fut animé , dit que
Dieu luy foufla dans le corps un
eſprit de vie. Or qu'eſt- ce qu'une
38
Extraordinaire
evaporation , qu'un vent , qu'un
foufle , finon l'air que nous ref
pirons , ou quelque chofe qui luy
reffemble ? Mais vous fçavez que
M'l'Evefque de Meaux , dans ce
beau Difcours qu'il a fait fur
l'Hiftoire Univerſelle , nous défend
de croire que noftre ame
foit un air fubtil , ny une vapeur
déliée ; parce que le foufle que
Dieu infpire , & qui porte en luymefme
fon image , n'eft ny air
ny vapeur. Je fçay cela , dit
l'Abbé , & d'autres Docteurs me
l'ont appris , mais nous ne parlerons
pas icy fur les Bancs . Quoy
qu'il en foit , reprit le Docteur,
l'air contribue non feulement à
toutes les belles qualitez du
corps & de l'efprit ; il infpire &
regle tous les mouvemens de l'adu
Mercure Galant.
39
me , ce qu'il eft facile de faire
voir , fi nous le confiderons.com.
me température .
L'éloquent Evefque que je
viens de citer , dit que les Elemens
furent alterez par le deluge,
& que l'air chargé d'une humi
dité exceffive , fortifia les principes
de cette corruption ; & ily a
bien de l'apparence que la Nature
fe fentit la premiere de la
corruption des Hommes , qu'elle
fut affoiblie , & qu'il demeura en
elle- mefme une impreffion éternelle
de la vangeance Divine.
Mais enfin , pour que l'air foit fa
lubre , il faut qu'il foit temperé,
ny trop groffier , ny trop fubtil.
Ainfi l'on dit une bonne température
d'air , une bonne contitution
d'air. Sa fubtilité ne
40 Extraordinaire
tait pas fa bonté , il eft auffi dana
gereux trop fubtil , que trop grof
Ler. C'est pourquoy dans la fupérieure
Region , où il eft dans
fa plus grande fubtilité , nous n'y
pourrions pas vivre. Cette fubti
lité rend fes parties trop aiguës,
& trop penétrantes ; & les lieux
trop élevez font contraires aux
poitrines foibles , & délicates. Un
Voyageur nous affure , qu'allant
voirun Hermite fur le Mont Ararath
, dans l'Arménie , il monta
jufques à la Region de l'air, où fe
forment les nuages ; que la plufpart
de ces nuages eftoient obfcurs
& épais , les autres extrémement
froids & pleins de neige,
& qu'il y fût mort , s'il y eût demeuré
encore un quart d'heure.
Lors que l'air eft trop groffier ,
du Mercure Galant.
fes parties trop épaiffes & trop
maſſives engraiſſent & tuënt la
poitrine , & les parties où elles
s'attachent par le moyen de la
refpiration. Il faut donc laiffer
l'air groffier aux Pituiteux , & le
fubtil aux Mélancoliques . Pour
moy , dit le Chevalier , j'aime à
reſpirer le grand air. Outre que
je m'en porte mieux , il me rend
F'efprit plus gay & plus agreable ;
il me donne mefme des penſées
plus nobles & plus relevées , & je
Vous affure que j'y trouve quel--
que chofe de divin & de ſurna.
turel , que je reifens viſiblement
en moy - mefme . Vous eftes du
naturel des Arbres , interrompir
le Préfident , qui aiment beau
coup l'air , ou plûtôt comme ces
Peuples de Siam qui l'adorent, &
2. d'Octobre 1683. D
•42
Extraordinaire
qui n'ont point d'autre tombeau
apres leur mort ,,
que
d'eftre
fuf
pendus
en l'air. Mais
je fuis bien
aife
que
vous
foyez
reconcilié
avec
cet Elément
, depuis
tantôt
.
Il ne s'agir
plus
de nôtre
querelle
,
reprit
le Chevalier
. Je l'aime
quand
il me fait
du bien
, mais
je ne fuis point
Aëriſte
, & je ne
Louhaite
pas que
mes
funérailles
fe faffent
en l'air . Je n'aime
pas
non
plus
ces airs voraces
, qui ren
dent
les Peuples
faméliques
, &
qui
tuënt
la poitrine
, comme
nous
a dit M' le Docteur
, mais
un air comme
celuy
de l'Egypte
,
qui infpire
la fobrieté
& l'abftinence
. Les
Hermites
de l'ancienne
Thebaide
eftoient
de vô.
tre gouft
, dit l'Abbé
, ils avoient
choify
exprés
ce lieu -là pour
leur
du Mercure Galant.
43
1
-
retraite ; auffi eſt- cè un vray païs
d'Hermites. Je vous avouë ma
foibleffe , reprit le Chevalier , ce
n'eft point par le meſme efprit
quej'aime le grand air ; mais c'eft
que je fuis tout différent de moymefme
dans les lieux bas ., obfcurs
&
defagreables ; au lieu que
les belles vûes , les belles Maifons
, les belles Perfonnes , me
charment , & me donnent une
nouvelle vie. Toutes ces chofes
nous infpirent je ne fçay quel air
doux & tendre , qui nous rend de
belle humeur , & de bonne compagnie.
Je ne puis refpirer l'air de ces riches
Plaines ,
Qu'échauffent les Zéphirs , de leurs
tiédes baleines ;
Je ne puis de ces Prez voir l'émail
précieux ,
44
Extraordinaire
Ou tant de vives fleurs éblouiffent
Les yeux i
Entendre de ces caux l'agreable mur.
mure ,
·Contempler de ces Bois la verte chevelure
,
Que je ne fois touché de quelque
fainte horreur,
Et ne fente les traits d'une fainte
furcur.
Cela m'arrive dans tous les
beaux Lieux dont parle ce Poëte,
& principalement en celuy - cy ,
où il me femble que ma vûë s'ë.
chauffe , où vôtre vûë , qui eft
proprement vôtre air , m'anime
& me donne plus d'efprit que je
n'en ay d'ordinaire. Qu'est - ce
qu'un beau jour , pourſuivit - il,
qu'une continuation d'air, que le
Soleil dore & purifie , qui fait
du Mercure Galant. 45
naître & anime toutes choſes ?
Qu'eft.ce auffi qu'une fale journée
, qu'une continuation d'air
corrompu , pareil à ce vilain
brouillard dont parle Ovide dans
fes Metamorphofes , qui eft l'origine
de la pefte , & des maladies
contagieufes ,
PrincipioCalum fpißä caligine terras
Preffit.
Qu'eft ce, dis-je, qu'unejournée
trifte & pluvieufe , finon un
air épais & fumeux , qui veut fuffoquer
toute la Nature , & qui la
rend afinatique , & fans refpiration
, fi j'ofe parler de la forte devant
un Docteur , qui veut qu'on
foit ferieux jufque dans les plus
petites chofes , quand il s'agit de
Philofophie Apres qu'on eut
applaudy d'une maniere un peu
46
Extraordinaire
railleufe à ce que le Chevalier ve
noit de dire , le Docteur repris
ainfi .
Chaque lieu a fon air , qui a
fes proprietez différentes , &
quelquefois merveilleufes. Juvenal
dit que dans une certaine
Contrée de l'Espagne , l'air y
teint naturellement la laine des
Brebis d'une tres belle couleur
, & qui eftoit fort estimée
chez les Romains . Les Peuples
qui habitent divers Climats , ont .
auffi diverfes qualitez . Icy l'air
rend les Hommes triftes & melancoliques
, là gays & éveillez ;
icy fobres , là gourmans , icy lâches
, & ' à genéreux ; icy chaftes,
là débanchez. On attribue le
long âge des Suédois à la pureté
de l'air qu'ils refpirent dans les
du Mercure Galant.
47
Montagnes dont ce Royaume eft
remply. Il y a auffi des Lieux ,
comme Aiguemorte en Languedoc
, où l'on ne vieillit guere , à
caufe de l'intempérie de l'air.
Mais bien plus , ceux qui en ref-
#pirent un autre que le natal,
prennent les moeurs & les complexions
desPeuples avec lesquels
ils habitent. Il eft vray , dit le
EMarquis, & Voiture écrit galamment
à Mademoiſelle Paulet , en
parlant de l'Affrique, où il eftoit,
Ne vous étonnez pas de m'ouir dire
des Galanteries fi ouvertement , l'air
de ce Pais m'a déja donné je ne
Seay quoy de felon , qui fait queje
Vous crains moins ; & quand je
traiteray deformais avec vous , fai-
Les état que c'est de Turc à More.
Vous fçavez , continüe- t- il , que
48
Extraordinaire
l'Afrique eft le Pais de l'Amour , des
emportemens & des violentes paffions
; ainfi il rend les Gensfélons,
amoureux & emportez.
Vous eftes toûjours galant,
M' le Marquis , reprit le Docteur,
mais l'Autheur de la Recherche
de la Verité eft affez de vôtre
fentiment. Il prétend que l'air
fait le mefme effet en nous , que
le fuc des viandes dont nous tirons
notre nourriture . Or chacunfçit
les incommoditez qu'on
reçoit des méchantes viandes que
l'on prend , & combien elles alté
rent le tempérament & la fanté.
Mais cet Autheur va encore plus
loin . Il dit que l'air penétre les
poulmons , & s'infinue dans le
fang , ce qui aporte un tres- grand
changement à nos humeurs & à
nos
du Mercure Galant.
49
de la difnos
inclinations , & que
férence de l'air qu'on refpire en
différens Climats , vient la diffé
rence des efprits . Là où il eft groffier,
gras & pefant, les Hommes y
font plus mous , plus ftupides , &
plus mélancoliques , là où il eſt
pur, fubtil & délié , les Hommes
y font plus enjoüez , plus fpirituels
, & plus agiles. Mais, interrompit
le Préfident , ne peut-on
pas dire que comme il y a quatre
Elémens , qui composent le tempérament
de tous les Hommes ,
il y a auffi quatre fortes d'Efprits , il-y
par raport à ces quatre Elémens ,
les Ignez , les Aériens , les Aquatiques
, & les Terreftres , qui font
encore divifez chacun en deux
ordres. Il y a ceux qui font animez
du feu qui fait briller les
2. d'Octobre 1683. E
So
Extraordinaire
Aftres , ils font courageux , harë
dis , habiles , aimables & bienfaifans
; & ceux qui brûlent du feu
qui embrafe les Cométes , font
malicieux , ambitieux , & cruels.
Il y a ceux qui reffemblent aux
caux pures & claires des Fontaines
, ils font nets , doux & paifi.
bles , les autres , comme ces eaux
croupiffantes & fangeufes des
Marais , font lents , pareffeux,
fales , malicieux & couverts . Les
Terreftres font quelquefois comme
ces belles Plaines fleuries &
tapiffées de verdure , ils font feconds
, agreables , fermes & folides
; les autres qui font plus fouterrains
, font avares , opiniâtres,
impudens , & brûlans. Et pour
1: s Aérins dont vous avez parlé,
les uns font affables , complaifans,
!
du Mercure Galant.
5%
inventifs , agiffans , & de belle
humeur , & de ce genre font les
Perfonnes de Cour, les honneftes
Gens , les jolies Femmes , enfin
les Gens de qualité , d'honneur,
& tous ceux qui compofent ce
qu'on appelle le beau Monde , &
qui font propres à la Converfa.
tion ; ceux- là avec raifon font du
grand air , & font tout de bon
air . Mais ceux qui dégenérent
font grands mangeurs , grands
rieurs , vains flatteurs & diffolus,
pour les autres ; femblables à Pair
agité , à cet air obfcur & nuageux
, qui produit les orages &
les tempeftes , ils font coléres,
ombrageux , impatiens , incon
ftans & brouillons . Ce que vous
venez de dire eft parfaitement
beau,répondit le Docteur, j'ay lu
E ij
32
Extraordinaire
quelque chofe de femblable ; mais
le tour que vous y avez donné
mele fait paroître tout nouveau.
Je fçay peu de Gens qui fe fervent
de leur lecture auffi bien que
vous. Mon Dieu , M` le Docteur,
reprit le Préfident , ne me loüez
pas tant d'un peu de memoire, qui
pour le petit fervice qu'elle me
rend aujourd'huy, me fait tous les
jours mille fupercheries . Le Doc.
teur, pour ne pas pouffer plus loin
le Compliment , reprit ainfi la
parole.
La diverfité de l'air fait la diverfité
des maladies , & on peut
voir là- deffus le Livre qu'Hyppocrate
en a fait. L'air eft quel
quefois fi corrompu , qu'il fait
mourir les Créatures qui le refpirent.
Il y a des Régions où les
du Mercure Galant.
$3
animaux mefme ne peuvent vivre
, & il n'arrive jamais de gran .
des peftes, qu'il n'en meure bean .
coup dans les lieux où eft la contagion.
Perfonne n'ignore fur ce
fujet la délicateffe des Aeurs , &
fur tout des Oeillets, qui meurent
au méchant air. Mais peut- cftre
ne fçavez- vous point , que les
Peuples du Japon font fi prévenus
que l'air eft mal fain , & contraire
à l'Homme , qu'ils ne fouf.
frent pas que leur Dairo ou Empereur
foir jamais découvert à
l'air. Mais bien plus , il y a des
Hommes fidélicats, qu'ils diftinguent
l'air d'une mefine rüe , &
qu'ils affurent que celuy de la
main droite eft plus pur que celuy
de la main gauche , & qui féparent
ainsi l'air en marchant , avec
E iij
34
Extraordinaire
une grande fubtilité . Cette re.
marque eftoit digne de moy , interrompit
le Chevalier ; mais je
veux vous dire quelque chofe de
plus veritable & de plus folide ,
touchant la corruption de l'air.
Vous avez lû les Mémoires de
Pontis , cependant je croy que
vous ne ferez pas fâchez que je
vous faffe reffouvenir d'un accident
fort remarquable
, que raporte
cet Autheur. Il dit qu'apres
qu'on eut levé le fiege de Louvain
, l'Armée cft : nt allée pour
fe rafraîchir vers Ruremonde , it
s'y éleva une fi furicufe tempefte,
avec de fi grands tourbillons, que
comme ce Païs eft extrémement
fablonneux , on n'y refpira pendant
plufieurs jours que du fable
au lieu d'air. Cinq ou fix mille
du Mercure Galant.
S$
Hommes en furent étouffez fubi.
tement , ou moururent -en trespeu
de temps , par I.s maladies
que leur caufoit cette grande corruption.
Non feulement l'air
qu'on refpiroit par le nez , mais
celuy qu'on avaloit avec les viandes
, qui en eftoient toûjours fort.
affaifonnées , formoit une espece
de contagion , qui gâtoit les par
-ties de ceux qui en eftoient attaquez
, il falut que l'air natal chaffât
cet air malin , & redonnât aux
Troupes la fanté qu'il leur avoit
fi étrangement alterée.
Le changement d'air fait de
grands effets , reprit le Docteur,
mais s'il a fes avantages , il a auffi
fes incommoditez . A moins
que
la maladie qu'on a contractée , ne
vienne principalement de l'air où
E iiij
56 Extraordinaire
l'on eft , le changement n'y fait
rien de bien , & fouvent du mal ,
lors qu'il eft une qualité oppoſée
ouà la maladie ou au tépérament
du Malade. Mais il eft admirable
que l'air , qui vivifie toutes les
Créatures , les empoifonne , ou
par fa qualité naturelle , ou par la
malice des Hommes , qui ont
trouvé l'invention de le corrompre,
auffi -bien que les autres Elemens.
Mais enfin , il eft toûjours
bon d'éviter le méchant air , puis
qu'on en attire beaucoup plus
qu'on n'en pouffe , & que prefque
tout l'air qu'on refpire , paffe
&fe convertit en nourriture . L'air
de la Campagne eft auffi plus
pur & plus fain que celuy des Villes
, car outre toutes les vapeurs
des ordures & des immondices,
du Mercure Galant .
59م و
I
5
les Morts qu'on y enterre , y rendent
l'air gras , épais & corrompu
; ce qui caufe de grandes & de
fâcheufes maladies ' , qui fait les
perfonnes languiflantes & de pâle
couleur . Platon qui en connoiffoit
les accidens , veut par fes
Loix que les Cimetieres feient
fituez en forte que les Vivans ne
puiffent eftre incommodez du
mauvais air des Morts . Les Grecs
& les Egyptiens eftoient fort délicats
en cela , ayant des Ifles
éloignées & defertes , où ils faifoient
porter les corps des défunts
. Pour moy , dit le Marquis ,
j'aurois voulu fur tout demeurer
dans l'ifle de Delos , où il eftoit
défendu d'accoucher, & d'enterrer
les Morts . Ce lieu eftoit fans
doute bien agreable & bien fain,
58
Extraordinaire
car l'un ne contribue pas moins
que l'autre à l'infection de l'air.
Vous avez raifon , dit le Docteur,
& ceux deDelos obfervérét cette
loy depuis une furieufe pefte dont
ils furent affligez , qui ne procédoit
que de la puanteur des tombeaux
Les Romains défendoient
de brûler les morts dansla ville , &
Augufte ordonna que ce fût pour
le moins deux milles loin des mu
railles . On remarque meſme dans
l'antiquité , qu'il n'y a eu que les
Tarentins qui ayent enterré les
Morts dans leur Ville , apres que
l'Oracle leur ayant promis beaucoup
d'heureux fuccés , s'ils de.
meuroient avec le plus grand
nombre , ils crûrent que cela devoit
s'entendre des Morts. Mais
la Religion Chrétienne , qui prêdu
Mercure Galant. 59
che la mort & les fouffrances , n'a
pas eu ces égards pour les Fidel .
les ; à joindre que les Prieres pour
les Morts , & la venération pour
leurs Reliques , ont authorifé
cette coutume. Les Corps des
Saints ne fçauroient eftre trop
e prés de nous ; & les autres , dont
les Ames ont besoin de nos fe.
cours fpirituels , feroient peuteftre
negligez , fi les tombeaux
ne nous faifoient reſſouvenir de
leurs neceffitez . Et de plus , dit
le Préfident , les Corps Saints
font tous de bonne odeur , & ils
exhalent quelquefois une douce
vapeur , qui furpaffe les parfums
les plus exquis . Ileft vray , dit le
Chevalier, plufieurs Autheurs en
ont raporté témoignage ; mais
le nombre de ces Corps eft petit,
60 Extraordinaire
& pour un Saint combien de....
Tout beau , dit le Docteur , retirons-
nous de là , cet air nous
feroit contraire , prenons - le autre
part. Vous avez raiſon , dit
l'Abbé , je n'aime pas volontiers
à m'entretenir de Religion , dans
des converfations un peu familieres
, & auffi libres que le font les
nôtres.
Le grand air eft perilleux pour
les convalefcens qui fortent d'un
petit air , ou d'un air renfermé ;
ce n'eft pas qu'un air trop tranquille
eft auffi mal fain , parce
qu'il peut plus aisément fe charger
& s'alterer , que celuy qui eft
agité. C'est pourquoy on dit
l'air pour eftre bon , doit eftre
tantôt mû par le Zéphir qui le
rafraîchit , & tantôt comprimé
que
du Mercure Galant.
par l'Aquilon , qui le purge . L'air
de la Mer guérit de plufieurs maladies
, mais il en donne plufieurs
autres à ceux mefme qui y font
naturalifez ; & on affure que cet
air eft fi corrofif, que les Oiſeaux
qui fréquentent la Mer , ont le
plumage prefque tout rouge.
Mais l'air temperé & purifié d'une
certaine maniere , conferve la
fanté , & la redonne à ceux qui
l'ont perdue. Il prolonge la vie,
& fert mefme de nouriture à quel.
ques Oifeaux ,dit le Préfident . Les
Aftchomes qui font une espéce
d'Hommes , qui n'ont point de
bouche , fe nourriffent de bonnes
odeurs , comme ils meurent s'ils
en fentent de mauvaiſes . Le Caméleon
& les Pluviers vivent
d'air , & il ne faut pas s'en éton62
Extraordinaire
ner , puis que la vie ne confifte
qu'en ces deux qualité de l'air,
qui font le chaud & l'humide.
Si le feu nourrit la Salamandre,
pourquoy l'air qui a des qualitez
bien plus nutritives , ne peut - il
pas nourrir des Oifeaux , à moins
qu'on ne veüille dégraiffer l'air,
& en féparer la rofee , qui n'eft
pas moins une fubftance de cet
Elément , que des vapeurs de la
terre. Ce que vous venez de dire
eft bien imaginé , repartit le Doc
teur ; mais puifque les Pluviers &
les oifeaux deParadis vivent d'air ,
c'est encore une des crédulitez de
Pline . L'air eft bien l'élément des
Oiſeaux, & le lieu qu'ils habitent,
mais il ne peut pas nourir un corps
folide d'une viande fi creufe .
Si on ne trouve point d'alimens
du Mercure Galant
C
E groffiers dans l'eftomac de ces
Qifeaux , c'eft qu'ils la digérent
promptement , qu'ils mangent
peu , & des chofes fort delicates.
Le Caméleon vit de vermine;
mais comme il aime extraordinai.
rement le grand jour , & qu'il devore
le bel air , comme l'on dit,
cela fait croire qu'il vit par la ver
tu de cet Elément . Mais vous fçavez
, reprit le Préfident , combien
l'air que les Enfans foufflent,
& les Perfonnes qui font bien
compofées , eft doux & falubre.
Il en fort un fi grand nombre d'ef
prits , qu'ils communiquent
une
nouvelle
e à ceux qui le refpirent
; & c'est la raifon pourquoy
on a dit que ceux qui enfeignent,
& qui paffent leur vie avec la Jeunede,
vivent plus long- temps que
64
Extraordinaire
les autres , & ont la couleur beaucoup
meilleure. Il en eft au contraire
de ceux qui fréquentent
des Perfonnes mal faines , & qui
ont les parties gâtées, parce qu'el
les communiquent leurs indifpofirions
& leurs maladies. On ne
trouva point de meilleur expédient
pour éloigner le Cardinal
Pancirole d'aupres le Pape Innocent
X. qu'en gagnant fon Medecin
, qui affura fa Sainteté que
ce Cardinal eftoit pulmonique,
& que fon haleine eftoit dange .
reufe & nuifible à fa fanté , par les
fréquens entretiens qu'ils avoient
enfemble .
Le Loup a l'haleine fi mauvaife
, qu'on a raifon d'appeller cet
animal un cloaque animé , mais
la malignité de fon haleine eſt ſi
du Mercure Galant.
65
1
fubtile & fi penétrante , qu'il n'y
a point de chair qu'elle ne corrompe.
Cette Fille dont parle
Galien, qui vivoit de napel , avoit
P'haleine bien pernicieufe , interrompit
le Chevalier , puis qu'elle
faifoit mourir ceux qui l'apro .
choient. Cette autre que cite Albert
le Grand , qui vivoit d'Aragnées
, ne l'avoit pas meilleure,
dit le Marquis ; mais que dirons.
nous de ces haleines excellentes,
dont l'air eft fi doux & agréable ,
continua- t-il? Je me fouviens toûjours
de cette délicate expreffion
du Comte de Buffy parlant d'une
Belle, L'air qu'elle fouffle eft plus
pur que celui qu'elle refpire . Quel
avantage , quel charme pour moy
qui n'aime rien tất, qu'on ne ſente
rien!Mais comme il y en a qui ont
Q. d Octobre 1683.
F
66 Extraordinaire
la fueur parfumée , pour ainfi dire,
' il y en a auffi qui ont la refpiration
admirable , & qui reſſem.
blent aux Abeilles , tout ce qu'el
les mangent & qu'elles prennent
fe convertit en miel , & enfucre,
Mixtura quadam & proprietate fpiritus
fui, & quafi conditura fui.
Elles forment de l'ambrofie &
du nectar dans leurs entrailles , &
de là vient la bonté & la douceur
de leur baleine . Tel eftoit Alexandre
le Grand , dit le Préfident
; mais comme il y a peu de
Perfonnes de cette nature, & qui
ayent toutes les qualitez du tempérament
adpondus , comme parlent
les Medecins , il n'y a point
de choſes au monde où l'on puiffe
s'apliquer plus utilement dans un
Etat , qu'à empêcher la corrup
du Mercure Galant. 67
tion de l'air , ſoit qu'elle vienne
par la méchante haleine des Malades
, par l'infection des immondices
& des ordures qu'on laiffe
amaſſer dans les Villes , ou par
l'inclémence des faifons . On a
donc eu raiſon autrefois de féparer
les Ladres d'avec les autres,
& encore aujourd'huy d'interdire
l'entrée des Villes à ceux qui
viennent des Lieux foupçonnez.
de la pefte , ou de quelque autre
maladie contagieufe , comme la
petite vérole , & tant d'autres
maladies qui fe communiquent
par la corruption de l'air.
Comme le Préfident fait bâtir
à la Campagne , il n'oublia pas à
demander plufieurs avispour rendre
une Maiſon auffi faine qu'agreable
, & là - deffus le Docteur
Fij
68 Extraordinaire
auquel la Compagnie avoit toû
jours deferé , parla de la forte.
Ce n'eft pas d'aujourd'huy
qu'on a de la peine à bien s'habi
tuer. Les Anciens avoient diffé
rentes opinions fur ce fujet . Ils difoient
qu'il ne falloit point choifir
les lieux trop gras , trop bas
& trop humides , parce qu'ils
eftoient mal fains . Ils ajoûtoient
qu'on ne connoiffoit pas toujours
la bonté de l'air d'un Païs , par la
couleur & la bonne difpofition
des Habitans , parce qu'il y en a
qui fe portent bien dans l'air mê .
me de la pefte. Il y a encore des
lieux qui ne font fains qu'en de
certaines faifons de l'année, & qui
font dangereux dans d'autres.
Mais afin qu'un lieu foit jugé
fain, il faut pour le moins en avoir
du Mercure Galant.
79
J
Pexpérience une année entiere.
Les Maifons expofées au Midy,
dans les Païs chauds , font mal
faines , on y devient bilicux &
languiflans , & fujets à des fiévres
tres aigües . Dans les Païs froids,
lesMailons qui font tournées vers
le Septentrion , rendent ceux qui
les habitent fujets aux fluxions &
paralifies. Les Maifons qui regardant
l'Occident , dans les Païs
humides , caufent des foiblefles
d'eftomac & des ulcéres. Les
Maifons qui font placées du côté
de l'Orient , dans les Païs fecs,
rendent les jointures débiles , con
denfent les humeurs , &
> engendrent
de grandes obftructions.
Et où bâtirons.nous donc , s'écria
le Chevalier , puis que dans tous
les cantons du Monde il n'y a que
"
70
Extraordinaire
と
maladies , & pas un lieu qui foit
fain La terre ? eft donc inhabitable.
Non pas , M' le Chevalier,
reprit le Docteur , chaque Païs a
fon terroir , fes eaux , fes afpects
& fes vents , qui luy font ou nui
fibles ou falutaires , il ne faut que
les bien choisir , & alors il n'y a
point de lieu qui ne puiffe eftre
fain , au moins pour les naturels
du Païs , & il n'y a que les Voyageurs
, qui en puiffent recevoir
quelques incommoditez.
Pline qui a écrit fort au long
fur la maniere de bâtir les Maifons
de Campagne , pour les rendrefaines
& logeables , dit que fi le
Climat eft chaud , l'ouverture
doit regarder le Nort ; s'il eft
froid, elle doit regarder le Midy,
& s'il eft temperé, elle doit regar
du Mercure Galant. 71
[
1
der le Levant. Cela eft bon , interrompit
l'Abbé , mais je vou .
drois fçavoir s'il eft neceffaire
pour avoir le bon air , de percer
un Bâtiment par quantité de hau
tes & pleines croifées , comme on
fait aujourdhuy , ou de l'ouvrir
feulement par des feneftres médiocres
, comme on faifoit autrefois.
Ileft aifé de remarquer par
tous les vieux Châteeux , tant dehors
que das le Royaume, que nos
Peres n'aimoient pas le grand air
pour leursMaifons . Tous les vieux
Bâtimens font placez de biais, ou
accompagnez aux coſtez de tourelles,
qui couvrent les jours, afin
de rompre le vent , & de fendre
l'air , qu'ils croyoient nuifible à
la fanté , ſe perfuadant de vivre
plus long -temps , en fe tenans
$2
Extraordinaire
ainfi renfermez ; eftant bien contraires
aux Poiffons , qui aiment
à changer d'air , & qui montrent
fouvent la tefte au deffus de l'eau ,
& meurent fous la glace , fi on n'a
foin de la fendre en Hyver , afin
de leur conferver la vie. Mais
nos Peres difoient que les Maifons
cftoient faites pour fe mettre à
couvert des injures de l'air , &
non pas pour le recevoir par de
grandes ouvertures , que nous
avons inventées pour fatisfaire au
plaifir , & à la vanité . J'ay vû un
Homme plus vieux que fon fiecle
, qui durant les trois mois fâcheux
de l'Hyver ne fort point,
neveut ny voir ny fentir l'air , qu'il
refpire feulement par un petit
jour qui eft au.deffus de la porte
de fa Chambre , foutenant que le
trop
du Mercure Galant.
73
C
trop grand jour tüe. Elifabeth
Reyne d'Angleterre , en allant
voir le Chancelier Bacon , dans
un Château qu'il avoit nouvellement
fait bâtir , & percer de toutes
parts par de belles & grandes
croifées, elle luy demanda où l'on
s'y mettroit l'Hyver , voulant
luy marquer par là , que le trop
d'air n'eft pas toûjours bon ny
commode , & que les feneftres
médiocres font meilleures. Cela
dépend des Climats, & de la coutume
des Peuples , dit le Docteur.
En Angleterre toutes les fenêtres
font fort petites , mefme dans les
Maiſons de plaifance des Princes ,
auffi bien que des Particuliers ,
qui n'ont que des ouvertures
quarrées , fans corniches ; & à
Douvres , il n'y a que quelques
Q. d'Octobre 1683. G
-
74
Extraordinaire
il
vires pourtoutes fenêtres, qu'on
ouvre pour donner de l'air. Les
Maifons de Picardie font prefque
fans feneftres , ou du moins elles
font fipetites, que ces Maifons ne
reffemblent proprement qu'à des
lafnieres. Mais comme les Maifons
fermées & ombragées font
plus froides & plus mal faines,
parce que le Soleil n'y entre pas ,
& quel'air y eft plus humide ,
fait plus froid dans les Villes qu'à
la Campagne. Enfin , outre le
bon air qu'il faut obferver pour
rendre les Maiſons faines & bien
fituées , il ya encore le bel air, &
la maniere de bien bâtir , qui les
rend agreables & commodes ; &
c'eft de ce bel air, priscommemo.
de ou maniere , dont il nous refte
parler , mais je croy que ce que
du Mercure Galant. 75
nousen avons déja dit à l'entrée
de cette Converfation, doit fuffire
, renvoyant les Curieux au
beau Difcours que Mr le Chevalier
a fait de l'air du monde , &
de la veritable policeffe . Cela
s'appelle , interrompit le Chevalier
, renvoyer les Curieux au
Dialogue de la Bonne - Grace d'un de
nos vieux Poëtes. Pardonnezmoy
, Mr le Chevalier , reprit le
Docteur, nous fçavons la différence
qu'il y a entre l'illuftre Autheur
du Mercure Galant , &
Autheur des Apprehenfions Spirituelles.
Le premier n'expoſe rien
au Public , qui ne foit digne de
fon approbation , & de l'eſtine
qu'il s'eft acquife . On ne peut
rien auffi ajoûter à ce que vous
avez dit fur cette matiere , mais
Gij
·75 Extraordinaire
il me femble que c'eit affez battre
l'air, & fi M' l'Abbé le trouve
bon , nous irons prendre l'air de
cette foirée, qui eft fort agreable.
L'Abbé eftant dans le mefme
fentiment , toute la Compagnie
fe leva , & fortit pour aller à la
promenade .
Je croy auffi , Madame , qu'il
eft temps de finir , & de vous retirer
d'une fi longue lecture , pour
Jaquelle j'aurois mille excufes à
vous faire , fi je ne fçavois que
tout ce que je vous écris de cette
illuftre Compagnie, ne vous peut
eftre ennuyeux. C'eft donc avec
cette affurance , & en qualité de
leur fidelle Secretaire , que je
prens la qualité de vôtre , &c.
DE LA FEVRERIE.
ACADEMIQUE,
Dans laquelle il eſt traité des ,
bonnes , & des mauvaiſes
litez de l'Air.
qua.
AMadame la Comteſſe de C. R. C.
V
Ous m'avez témoigné,
Madame , que l'Entretien
Académique , dont je vous fis
part au mois d'Avril de l'année
1680 , ne vous avoit point déplû,
& vous m'avez mefme demandé
tant de fois des nouvelles de cet
illuftre Abbé , chez qui l'on parla
du fommeil de l'aprefaînée, que
je crois encore vous faire plaifir
7
A ij
4
Extraordinaire
en vous apprenant fon retour,
& ce qui s'eft dit dans une autre
Converfation , où je me ſuis auffi
heureufement trouvé que la premiere
fois. Il y avoit longtemps
que nous n'avions veu cet Abbé
dans la Province ; mais quoy
qu'il foit infirme , il ne laiffe pas
d'entreprendre des Voyages pénibles
pour le fervice du Roy, &
de fes Amis , & d'agir comme s'il
fe partoit bien. Je vous avoue
que fa patience eft merveill‹ uſe;
mais en pratiquant cette excellente
vertu , il croit arriver à
toutes les autres. Pour vous,
Madame , qui ne pouvez foufrir
de retardement à tout ce que
vous fouhaitez , je m'imagine
déja que vous eftes impatiente
de fçavoir fur quoy a roulé noſtre
Entretien.
du Mercure Galant.
S
Je vous diray donc qu'eſtanc
alle voir cet illuftre Abbé , je le
trouvay avec la Troupe choisie,
qui ne l'abandonne pas quand il
eft en ce Païs , & un Confeiller
qui fortit quelque temps apres
que je fus arrivé. Comme ce
Confeiller eft d'une grande pref
tance , cet Homme , dit M' le
Marquis , a l'air d'un veritable
Magiftrat. Oüy , repliqua l'Abbé
, c'eft un Juge fort entendu
dans fa Charge , & plein de
courage pour la juftice , & pour
les intérefts de fa Compagnie. Il
porte cela fur fon vifage , dit le
Chevalier , il n'y a qu'à le voir.
On a quelquefois de la peine à
le retenir , tant il a de feu & de
vivacité , ajoûta le Préfident.
Cette chaleur , dit le Docteur,
7
A iij
6 Extraordinaire-
>
eft un effet de fon tempérament,
qui eftant fanguin le rend
violent & prompt. Il eft vray
que nous devons beaucoup à
noftre complexion , dit l'Abbé ;
& fi l'heureuſe naiffance fait les
bonnes moeurs , il est encore
vray , pour en revenir à l'air dont
nous parlions , qu'il contribuë
extrémement à la fortune des
Hommes. Ifabelle , Reyne d'Eſ
pagne , difoit ordinairement que
la bonne mine leur fervoit d'une
Lettre de recommandation affez
ample. En effet , quand une Perfonne
bien faite vient à nous , fon
air nous prévient d'abord en fa faveur
; & le Duc de Guife , parlant
dans fesMémoires de l'Action hé !
roïque qu'il fit à Naples, lors qu'il
appaifa tout feul une troupe de
du Mercure Galant. ブ
Séditieux , ce Prince dit que les
Gens de qualité ont un je ne.
fçay- quoy dans le vifage , qui fait
peur à la Canaille. Jules Céfar
paroiffant devant les Soldats mutinez
, les ärrefta d'une feule parole
; & Augufte étonna les Lé.
gions d'Antoine par fa préſence .
Dans le temps des Guerres deParis
, le Garde des Sceaux Molé,
en fe montrant fur les Degrez
du Palais , defarma & appaifa le
Peuple qui le cherchoit pour
s'en défaire . Ileft donc conſtant
qu'il y a un certain air dans les
Perfonnes , & un certain caractere
fur le vifage , qui nous infpire
de l'eftime , de la crainte , & de
la venération . Comme auffi il
y
a un certain air , & un certain caradere
qui nous cauſe de la dé-
A iiij
& Extraordinaire
fiance , de l'averfion , & du mé.
pris. De - là viennent ces viſages
favorables , ou malencontreux ,
dont la mine . feule femble nous
annoncer d'abord quelque bonheur
, ou quelque malheur à venir.
Tel eftoit Montagne , qui
fur le fimple crédit de fa préfen- .
ce , & de fon air , nous affure que
des Perfonnes qui ne le connoiffoient
pas , fe fioient en luy , foit
pour leurs propres affaires , ou
pour les fiennes , & que mefme
dans les Païs Etrangers , il en
avoit tiré des faveurs rares &
fingulieres. Il fait quelques petits
contes fur le fujet des chofes qui
luy estoient arrivées , qui font
affez remarquables .
L'Abbé ayant ceffé de parler;
ne peut- on pas ajouter à tous
du Mercure Galant .
9
ces Exemples , dit le Marquis ,
la bonne mine du Roy , fa taille,
fon grand air , & ce caractere
plein de majeſté , & de fageffe
qui l'accompagne toujours ?
C'eft par- là qu'il terraffe les Ennemis
, auffibien que par la force
de fes Armes , & qu'il s'attire
les refpects , & l'amour de tous
ceux qui l'envifagent . On a eu
bien raifon de mettre entre les
Fremieres maximes de regner,
qu'il falloit pour remplir dignement
la Royauté , le port , la
taille , & la bonne mine , qui ne
font autre chofe que le bon air
qui charme par des vertus fe.
crettes de l'ame. Car il ne faut
pas s'imaginer que le corps luy
tienne lieu d'une honteufe prifon
, c'eſt un Temple où cette
10 Extraordinaire
petite Divinité fe plaiſt davanta
ge, plus il eft pur & net au dedans,
& beau & magnifique au dehors.
Neantmoins Scaron a dit ,
Souvent un vilain corps loge un
noble courages
Et c'eft un grand menteur fouvent
que le vifage.
Oh, pour Scaron , interrompit
le
Chevalier qui n'avoit poinɛ
encore parlé , & dont j'admirois
le long filence , il n'avoit garde
de s'expliquer autrement. Il ef
toit trop intereffé à défendre le
party de la laideur , & de la di
formité , car il n'avoit pas le
viſage plus beau que le corps,
& chacun fçait comme il eftoit
fait ; mais M' de Corneille a dit
bien plus vray que M' Scaron ,
quand il affure que tout le mon
du Mercure Galant. 11
de veut eftre beau , & bien fait,
Et quefinous eftions artifans de nous
mefmes,
On ne verroitpar tout que des beautez
Suprémes.
Cela dépend de Dieu , & non
pas de nous , dit l'Abbé, Ipfefecit
nos, & non ipfi nos. Il s'eft réſervé à
luy feul , le fecret de la nailfance
des Hommes , & l'a rendu impénétrable
à leur curiofité . Nous
ne fçaurions donc connoiftre
pourquoy celuy.cy a un air qui
plaiſt , & celuy là un air qui rebute
& qui dégoufte ; mais M ' le
Docteur , dites - nous un peu à
le bien prendre , ce que c'eft que
l'air , car les Orateurs, les Poëtes,
& les Philofophes en parlent diverſement.
L'air , répondit ce Docteur,
12 Extraordinaire
peut eftre confideré en trois manieres,
comme Elément , comme
Température , & comme Mode
ou Maniere . Pour moy , je croy
que c'est l'expreffion des autres
Élémens , & du mouvement , de
to s les Corps , qui participe à
toutes leurs bonnes ou mauvaiſes
- qualitez. Ainfi l'on dit , l'air du
temps , l'airdu feu , prendre l'air,
pour dire recevoir cette tranfpiration
des corps dans fa fource,
& dans toute fon , étendue . On
donne ordinairement le nom
'd'air à toute cette Matiere li
quide & tranfparente dans la.
quelle nous vivons , & qui eft ré .
pandue de tous coftez à l'entour
du Globe , compofé de la terre
& de l'eau. En effet , quelques
Philofophes prétendent que les
du Mercure Galant.
13
Cieux font fluides , comme un
grand air vague & fpatieux,
dans lequel les Etoiles & les
Planetes fe promenent comme
les Poiffons dans la Mer , & les
Oifeaux dans les Nuës ; & le
Philofophe de Cour ( car enfin
il faut raifonner à la mode aujourd'huy
) cet Autheur , dis-je,
veut que les Cieux foient fluides,
& de la nature d'un air tres.fub
til , & tres- purifié . Les Anciens
ont auffi confondu les mots de
Ciel , & d'Air , en parlant de la
Partie que nous voyons ; & l'on
dit tous les jours , apres la Sainte
Ecriture , les Oiseaux du Ciel ,
ils volent dans le Ciel , pour dire,
les Oifeaux de l'air , ils volent
dans l'air. En effet , l'air entre
dans la compofition du Ciel , &
14
Extraordinaire
le Ciel femble eftre un air con
denfé. Un Moderne a eu raiſon
de dire , que l'air eft un étrange
& admirable compofé , & que
pour le bien connoiftre , il faudroit
connoiftre auparavant la
nature de tous les Corps qui entrent
dans fa compofition. Comment
donc le concevoir dans
cette fimplicité qui luy eſt neceffaire
pour eftre Elément ? Car
dans la compofition où il fe trouve
prefque toujours , par le mélange
des autres Elemens , & de
tous les Corps qui s'exhalent.
continuellement de la Terre , on
ne peut dire précisément ce que
c'eft . Le Philofophe de Cour,
dénie à l'air le nom & la qualité
d'Elément , & dit que par fa
fubtilité il eft feulement fembla
du Mercure Galant,
ble au premier Elément des Car
réfiens. Quelques autres difent
que c'est une portion de la
Matiere premiere , débrouillée
& purifiée par la Lumiere. La
penſée de cet Ancien eft jolie,
qui difoit que l'Air eftoit la vître.
rie de l'Univers , par où les Crea.
tures voyent tous les Objets
comme dans un Miroir , par la
refléxion de cetteLumiere. C'eft
luy qui conferve les couleurs invifibles
qui peignent tous les
Objets dans nos yeux , quoy qu'il
foit fans couleurs , puis que tous
les Objets tranfmetent leurs efpeces
en luy , ce qu'ils ne pour
roient pas faire s'il avoit quelque
couleur , comme nous voyons
tout rouge , ou tout jaune , dans
un verre qui eft peint de la fort,
16 Extraordinaire
›
Un Philofophe moderne dit que
l'air n'eft pas vifible , parce qu'il
eft trop délié ; mais qu'autant
qu'on le peut voir par la refpiration
, ou par les Arquebules à
vent , il eft de couleur grifatre,
A propos de la couleur de l'Air,
s'écria le Chevalier , en regar.
dant le Marquis , ne vous fouvient-
il point de ce prétendu Sor
cier , qui nous difoit un jour qu'il
avoit veu le Vent , & qu'il eftoit
rouge , jaune , & bleu ? Il eſt
beaucoup de femblables Viſionnaires
, répondit le Marquis , &
je croy qu'il s'en trouve auffi
parmy les Philofophes ; mais
laiffons parler M' le Docteur, car
il a fans doute de belles chofes à
nous dire . Apres un modefte
fous-rire , le Docteur reprit fon.
du Mercure Galant.
17
Difcours de la forte.
Les Philofophes donnent à
l'Air des figures bien diférentes,
& le mettent en tant de postures,
qu'il eft impoffible de le connoiftre
tel qu'il eft en effet. Quel
ques- uns difent
que les goutes
d'eau & de rolée, qui tombent de
l'air eftant rondes , cer Elément
eft de figure ronde , parce que
les parties doivent avoir l'inclination
du tout , mais en verité, je
trouve cette raifon badine , car
hors la Terre , les autres Elémens
qui font toujours dans l'agitation
, & dans le mouvement ,
n'ont point de figures certaines
& naturelles , Encore s'il eft vray
que la Terre tourne, il faut croire
qu'elle en change de temps en
temps puis qu'elle s'éboule , &
Q. d'Octobre 1683. B
18 Extraordinaire
s'écorne ſouvent , comme par
lent ceux qui fuivent cette opi- .
nion . Ainfi on diſpute fort inutilement
, fi la Terre eft ronde,
ou fphérique ; fi le Feu eft ovale,
ou pyramidal ; fi l'Eau eft plate,
ou fphérique , & fi l'Air eft
rond , ou triangulaire. Les Cartéfiens
difent que le fecond Elément
, auquel ils donnent le nom
d'Air , n'eft autre choſe que les
parties de leur Matiere fubtile,
qui pour eftre plus groffieres s'ar
rondiffent fans ceffe , que l'Air
le plus groffier a la proprieté de
fe dilater beaucoup , & qu'il fe
mefle aisément avec la Matiere
fubtile. Quelque autre affure
qu'il eft droit , quand il eft lenr,
c'eft à dire, dans fa gravité , mais
que lors qu'il eft furieux & turdu
Mercure Galant.
19
•
bulent , & fi vous voulez tourbillon
, il eft un peu courbé , &
d'une figure circulaire , mais je
croy qu'il n'a point d'autres figures
que celles du corps qui le
renferme. Quoy que fa couleur
foit inperceptible , comme nous
avons dit,il eft neantmoins tranf
parens , parce que les parties eftant
toûjours en action , laiffent
un grand vuide entre elles , & ce
vuide eft remply des rayons des
Corps lumineux. L'air que nous
refpirons eft vifible , parce que
ce font les fumées du coeur que
l'air extérieur codenſe & épaiffit,
quand il eft froid ; & plus la Perfoune
eft d'une complexion forte
& robufte , & plus elle pouffe
d'air quand elle eſt agirée ,
principalement en Hyver qu'il
Bij
20 Extraordinaire
·
fort de la bouche à gros flocons.
Pour fon odeur, les Philofophes
que j'ay déja citez , affurent
qu'elle eft fouvent mauvaiſe.
Enfin il eft chaud , humide , &
leger ; mais quelques Modernes
prétendent , qu'il eft froid , &
pelant ; & d'autres , qu'il n'eft
froid , ou chaud , que felon les
divers mouvemens qu'il foufre.
Ainsi, lors qu'on dit qu'il peut
devenir feu , on veut dire qu'il
peut s'échaufer jufqu'à ce fupré
me degré de chaleur, Quoy qu'il
nous paroiffe leger , il ne laiffe
pas d'eftre eftimé pefant , jufque.
là que Reid , docte Medecin , a
démontré qu'il ne l'eft pas moins
que la Terre , mais il eſt certain
qu'il eft médiocre en pefanteur,
plus pefant que le Feu , & plus
du Mercure Galant. 21
leger que l'eau . Pour ſa hauteur, -
finous en croyons M' Rohaut,
elle eft de plus de quatre mille
cinq cens quatre - vingts toifes ;
& il tient qu'il n'y a point de
Montagne affez haute
pour nous
élever au deffus de la plus haute
furface de l'Air, ou de la premiere
Région . Je me fouviens pourtant
, interrompit le Préfident,
que M' Bary raporte dans fa Phy
fique, qu'en Angleterre on monte
d'un certain Tertre jufqu'à
une certaine hauteur , où il n'y a
plus d'air , & qu'à moins d'y
porter des Eponges humectées,
on y meurt. Cela fe peut , reprit
le Docteur , & tout ce que
nous diſons icy , n'eſt pas fi pofitif
qu'on ne le puiffe contre.
dire ; mais pour continuer à vous
22 Extraordinaire
parler de cet Element , on ne
peut changer la veritable confiftence.
Il ne reçoit aucun mélange
, & comme tel , l'Air eft
appellé Elément , mais que celuy
que nous fouflons , que nous
refpirons , que nous voyons , &
qui nous environne , ne foit
qu'un mefme air , exempt d'aucun
mélange , cela ne le peut
foûtenir. L'air que nous refpirons
eſt un ſoufle vital , compofé
de noftre ame & du mouvement
de noftre corps . Celuy que
nous reſpirons , & qui nous en
vironne , eft compofé des vapeurs
, & du mouvement des
corps extérieurs qui nous approchent
; & celuy qui tient
lieu d'Elément , eſt une fubftance
extrémement deliée qui fe
du Mercure Galant.
23 1
fourre par tout , & qui remplit
tous les lieux , d'où les corps fe
def uniffent . Mais M' le Docteur
, dit le Marquis , quelle diférence
mettez- vous entre le
Vent , & l'Air pris comme Elément
? Car felon moy , le Vent
eft un Air agité , & l'Air eft un
Venten repos. Tous les Philofophes
modernes définiffent le
Vent une agitation fenfible de
l'Air , & felon M¹ Bary , le Vent
n'eft autre chofe qu'une agitation
d'air , plus ou moins notable.
L'Air eft encore toûjours
le fujet du Vent , & une de fes
caufes efficientes. Enfin il fert
de Théatre à ces merveilleux
Tourbillons . Ceux qui difpofent
des Vents ( car il y en a qui les
retiennent , & qui les lâchent
24
Extraordinaire
quand il leur plaift , ) ceux -là,
dis - je , obfervent les diférentes
qualitez de l'Air ; & je me ſouviens
d'avoir leu dans Théophrafte
, que les Brachmanes
avoient deux Tonneaux remplis
de Vent , qu'ils ne bouchoient
jamais que l'Air ne fuft fec , &.
tranquille , & qu'ils ne débouchoient
que lors qu'il eftoit hu
mide & tempeftueux . Je fçay,
continua le Marquis , qu'on dit
tous les jours , que les Vents
chaffent & purifient l'Air , mais
cela s'entend de ce que les parties
les plus groffieres de l'Air fe
fubtilifent , & fe raréfient par
cette agitation , & voila ces
Vents qu'il a pleu aux Pilotes
de nommer de noms barbares &
inconnus , felon les lieux où cet
Air
du Mercure Galant. 25
Air eft plus ou moins dans l'agitation
. En verité voſtre Philofophie
eft jolie , s'écria le Che
valier en riant , & elle feroit bien
reçeuë de l'Univerfité . Le Philofophe
de Cour ne raifonne pas
plus férieufement que vous fur
cette matiere , & j'aime autant
voftre Air agité , qui eft l'opinion
de Pline , que fon Météore
composé de deux fou
fres diférens & ennemis , que le
froid condenſe fi fort , que le
Météore creve par cette contrarieté
, & fait le grand fracas
que nous entendons .
Mais pourquoy , Mr le Che.
valier, reprit le Marquis, ne voulez
-vous pas que fous le bon plaifir
de M' le Docteur , je parle du
Vent à ua fantaiſie ? Ne fçavez-
Q. d'Octobre 1683. C
26 Extraordinaire
vous pas que c'eſt une des choſes
inconnues dans le monde ? Quelques-
uns en attribuent la pro.
duction au Soleil , les autres , au
combat que font les atomes ;
les autres , aux vapeurs , & aux
exalaifons ; & enfin il y en a d'autres
qui m'ont fait penfer , que
l'Air fe meut de foy - mefme ; car
je ne fuis fi vifionnaire
que
pas
vous le croyez , ny fi ridicule
fur le fujet des Vents , que celuy
qui difoit que c'eftoient les éter.
nuëmens de ce grand Animal
que nous appellons le Monde,
comme l'Air eftoit fon haleine &
fa refpiration . Cette imagination
eftoit bien digne de Rabelais
, qui dit que le Vent eft le
foufle de Gargantua . Dieu en
´eft l'Autheur , au fentiment d'un
du Mercure Galant.
27
Prophete, & il peut auffibien le
former de l'Air , que d'une autre
matiere. Quoy que Pline que
vous venez de citer , reconnoiffe
plufieurs fortes de Vents , comme
les Vents de Mer & de Terre,
tout cela n'est que l'Air , qquuiiaaggiitt
ou fur l'Eau , ou fur la Terre. Cer
Autheur veut encore que le Vent
foit un efprit vital , par lequel la
Nature produit toutes chofes .
Et ce Vent , ou cet Air dont nous
parlons , ne font- ils pas les mefmes
? Si cela eft , répondit le
Chevalier , je ne m'étonne plus
que les Cavales d'Andaloufie engendrent
par le Vent ; car l'Air
ou le Vent , eft un tréfor qui contient
toutes les femences , fi nous
en croyons Anaxagore . Et ne
croi t-ce point par cette raiſon
C ij
28 Extraordinaire
que nous appellons un Cheval
viſte, un Coureur , & que nous
difons , aller comme le vent ?
Car les Chevaux qui naiffent du
vent , & de telles Cavales , font
je m'imagine d'admirables Coureurs
pour leur legereté & leur
viteffe , & pareils aux Chevaux
volans , dont parle noftre Pline;
mais à l'endroit que vous avez
cité , il compare l'agitation du
Vent dans la nature , à une Femme
groffe , & dit que cet efprit
vital, remuë dans fes flancs com.
me un Enfant dans le ventre de
fa Mere . Ne voila- t-il pas une
belle origine des Vents ? Je ne
puis encore m'empeſcher derire,
qu nd il nous dit qu'ils font plus
mols que fermes. Quoy , les
Vents ont de la molete , eux
du Mercure Galant. 29
3
J.
J
1
1
qui font fi refolus qu'ils attaquent
les plus durs Rochers , &
les Baftimens les plus inėbranlables
, qui arrachent les Forefts ,
qui renverfent les Montagnes ?
Non , non. Je croy que leur tempérament
eft froid & fec , ce qui
marque leur force , & leur courage.
Vous badinez toujours ,
M le Chevalier , interrompit
l'Abbé . Il eft constant qu'il
y a des Vents chauds , & des
Vents humides . Ouy ; mais , reprit
le Chevalier , ce n'eft pas en
eux-mefies qu'ils font tels , mais
par accident , & felon les lieux
où ils fouflent , & la Saifon qu'ils
fe mettent en Campagne . Je
croy que M' le Chevalier a raifon
dit le Marquis , car
quand on dit, ce vent -là amenera
>
C iij
30 Extraordinaire
de la pluye , ce n'eft pas qu'il
foit pluvieux de fa nature , mais
c'cft qu'il amene , & fait tomber
les vapeurs qui fe réſolvent en
pluye. L'Air eft donc un veritable
Caméleon , capable de
toutes fortes d'impreffions . Tout
froid qu'il eft, il devient feu , felon
les divers mouvemens qu'il fou-
Ale ; mais ce qui eft admirable, eft
que ces vents ou ces impreffions
d'Air , comme nous les avons
appellez , ont leur révolution
jufte & périodique , de quatre
ans en quatre ans , vers le commencement
de la Canicule .
Quoy que je m'en tienne à
l'opinion de l'Ecole , dit le Do-
&teur , voyant que le Marquis
s'eftoit teú , qui eft que l'Air
n'eſt pas le Vent , il eſt neantdu
Mercure Galant. jr
moins le Pere des Vents , & le
crible de la Nature , comme
parle un Ancien , mais un Moderne
l'appelle avec plus de raifon
, le Compagnon du Soleil,
parce qu'il concourt avec luy à
la creation de toutes chofes , &
à la formation des plus merveil
Jeux Phénomenes de la Nature .
Il infpire ce que la Lumiere vivifie
, il purifie ce qu'elle dore , &
fert avec elle à éclairer tout l'Univers.
Anaximenés difoit que
Pair eftoit l'efprit du Monde , &
qu'il eftoit à l'Univers ce que
l'ame eft au corps ; que toutes
chofes eftoient engendrées de
l'air , & fe réfolvoient en air.
Enfin on peut dire de l'Air , ce
que S. Paul a dit de Dieu , In quo
vivimus , movemur, & fumus, I
C iiij
32
Extrardinaire
nous fait voir les objets , mais il
nous donne encore l'oüye , &
l'odorat, Par fon moyen nous
fentons , & nous entendons.
Tous nos Inftrumens , & toutes
nos Chanſons , ne font qu'un air
mefuré & harmonieux. Il anime
les uns , il infpire les autres . Une
Chanfon s'appelle un Air , parce
que c'est un Mode , ou une façon
de chanter , mais encore par
ce qu'il faut de l'air pour le chanter
, & que la Mufique rend cet
air harmonieux par les diférentes
notes qui le compofent. En effet,
l'air agité par la voix ,frape agreablement
nos oreilles , ce qui a fait
dire à un Ancien , qu'une belle
Ode , qui eft la mefme chofe
qu'une belle Chanſon , eftoit un
air qui voloit dans les oreilles. II
du Mercure Galant.
33
y a des Païs mefme où l'air fait
les belles Voix , & où tous les
Hommes chantent bien. Vous
demeurerez d'accord de cette
verité , puis que felon Ariftote,
la Voix & les Inftrumens ne font
qu'une répercuffion de l'air infpiré
.
L'air eft encore un excellent
médiateur entre l'eau & le feu.
Il corrige celuy - cy , & tempere
celle- là. Il eſt naturellement
Amy de la Terre , mais ce qui
releve davantage la nobleffe de
cet Elément , c'est que quelques
Philofophes ont crû que fe Dieu
unique & fouverain n'eftoit
autre que l'Air. Le Docteur
ayant ceffé de parler , comme
s'il n'euft eu plus rien à dire ; Oh
je me doutois bien que les An-
>
34
Extraordinaire
ciens en avoient fait un Dieu,
reprit le Chevalier ; mais moy,
je vous dis que c'eſt un Démon
en fubtilité , & en malice , qui
rend tous les corps agiles , & qui
penetre toutes chofes , fans les
rendre plus pefantes lors qu'il les
remplit. C'est un grand faifeur
de Fufées, & de Feux d'artifices,
qui forme les Méteores , & qui
les renferme dans fon fein ,
mais c'eſt auffi un grand tireur
de quinte effences , qui fçait
diftiler avec le feu élémentaire ,
les influences & les proprietez
occultes des Etoiles , & des Planetes
. Peu s'en faut que je ne
l'appelle Soufleur & Charlatan ;
mais enfin il eft le mieux logé de
tous les Elémens , puis qu'il ha.
bite dans trois regions diférentes,
·
du Mercure Galant.
33
& que le Feu , l'Eau & la Terre
demeurent toûjours où Dieu les
a placez . Il devoit ce me femble ,
avoir quatre Régions , afin de
partager les quatres Saifons de
l'année . Ileft chaud dans la haute
région proche du Feu élémentaire
. I eft plus fraichement dans
Ja moyenne , & d'une maniere
plus temperée dans la baffe , puis
que cette Région eft tantoft
chaude , & tantoft froide. Pline
qui connoiffoit cet Elément , &
qui peut eftre en avoit reçeu
quelque incommodité , dit qu'il
eft caufe de tous les malheurs qui
arrivent aux Hommes , & le
compare à un Sujet rebelle qui
fait fans ceffe la guerre à la Nature
. Les Vents qui font les
Soldats de l'Air , font tous les
36
Extraordinaire
ravages qu'il leur commande , &
ne fe retirent jamais de la meflée
fans eftre chargez de butin.
Toute la Compagnie ne pút
s'empefcher de rire de ce qu'avoir
dit le Chevalier ; mais l'Abbé
prit la parole , & s'adreffant au
Docteur d'un air plus férieux,
Mais noftre ame n'eft - elle point
de la nature de l'air , puis que
felon la penſée d'un Ancien , l'air
& l'efprit ne font qu'une mefine
chofe ? Pour moy je croy que
noftre ame eft un air tres fubtil,
& foit qu'elle anime nos corps,
ou qu'elle s'en fépare , elle en a
toute la reffemblance autant
qu'elle peut eftre viſible. Lors
que je la confidere comme fenfitive
ou animale , ou comme immortelle
, je n'en puis avoir naAu
Mercure Galant.
37
turellement d'autre idée . Diogenes
eftoit de voſtre ſentiment,
répondit le Docteur ; & Héraclite
& les Stoïciens eftoient en.
core de cette opinion. Ils vouloient
que noftre ame fuft une
évaporation d'humeurs inceffamment
coulantes , ou un vent.
L'efprit des Infectes , difent les
Chymiftes , eft la plus pure por
tion de l'air , & cette pure portion
de l'air eft le lien qui unit
l'ame avec le corps. L'ame des
Vegétaux eft auffi aërienne , &
c'est pourquoy le corps qu'elle
anime veut toujours s'élever en
l'air. La fainte Ecriture expri
mant de quelle maniere le pre
mier Homme fut animé , dit que
Dieu luy foufla dans le corps un
eſprit de vie. Or qu'eſt- ce qu'une
38
Extraordinaire
evaporation , qu'un vent , qu'un
foufle , finon l'air que nous ref
pirons , ou quelque chofe qui luy
reffemble ? Mais vous fçavez que
M'l'Evefque de Meaux , dans ce
beau Difcours qu'il a fait fur
l'Hiftoire Univerſelle , nous défend
de croire que noftre ame
foit un air fubtil , ny une vapeur
déliée ; parce que le foufle que
Dieu infpire , & qui porte en luymefme
fon image , n'eft ny air
ny vapeur. Je fçay cela , dit
l'Abbé , & d'autres Docteurs me
l'ont appris , mais nous ne parlerons
pas icy fur les Bancs . Quoy
qu'il en foit , reprit le Docteur,
l'air contribue non feulement à
toutes les belles qualitez du
corps & de l'efprit ; il infpire &
regle tous les mouvemens de l'adu
Mercure Galant.
39
me , ce qu'il eft facile de faire
voir , fi nous le confiderons.com.
me température .
L'éloquent Evefque que je
viens de citer , dit que les Elemens
furent alterez par le deluge,
& que l'air chargé d'une humi
dité exceffive , fortifia les principes
de cette corruption ; & ily a
bien de l'apparence que la Nature
fe fentit la premiere de la
corruption des Hommes , qu'elle
fut affoiblie , & qu'il demeura en
elle- mefme une impreffion éternelle
de la vangeance Divine.
Mais enfin , pour que l'air foit fa
lubre , il faut qu'il foit temperé,
ny trop groffier , ny trop fubtil.
Ainfi l'on dit une bonne température
d'air , une bonne contitution
d'air. Sa fubtilité ne
40 Extraordinaire
tait pas fa bonté , il eft auffi dana
gereux trop fubtil , que trop grof
Ler. C'est pourquoy dans la fupérieure
Region , où il eft dans
fa plus grande fubtilité , nous n'y
pourrions pas vivre. Cette fubti
lité rend fes parties trop aiguës,
& trop penétrantes ; & les lieux
trop élevez font contraires aux
poitrines foibles , & délicates. Un
Voyageur nous affure , qu'allant
voirun Hermite fur le Mont Ararath
, dans l'Arménie , il monta
jufques à la Region de l'air, où fe
forment les nuages ; que la plufpart
de ces nuages eftoient obfcurs
& épais , les autres extrémement
froids & pleins de neige,
& qu'il y fût mort , s'il y eût demeuré
encore un quart d'heure.
Lors que l'air eft trop groffier ,
du Mercure Galant.
fes parties trop épaiffes & trop
maſſives engraiſſent & tuënt la
poitrine , & les parties où elles
s'attachent par le moyen de la
refpiration. Il faut donc laiffer
l'air groffier aux Pituiteux , & le
fubtil aux Mélancoliques . Pour
moy , dit le Chevalier , j'aime à
reſpirer le grand air. Outre que
je m'en porte mieux , il me rend
F'efprit plus gay & plus agreable ;
il me donne mefme des penſées
plus nobles & plus relevées , & je
Vous affure que j'y trouve quel--
que chofe de divin & de ſurna.
turel , que je reifens viſiblement
en moy - mefme . Vous eftes du
naturel des Arbres , interrompir
le Préfident , qui aiment beau
coup l'air , ou plûtôt comme ces
Peuples de Siam qui l'adorent, &
2. d'Octobre 1683. D
•42
Extraordinaire
qui n'ont point d'autre tombeau
apres leur mort ,,
que
d'eftre
fuf
pendus
en l'air. Mais
je fuis bien
aife
que
vous
foyez
reconcilié
avec
cet Elément
, depuis
tantôt
.
Il ne s'agir
plus
de nôtre
querelle
,
reprit
le Chevalier
. Je l'aime
quand
il me fait
du bien
, mais
je ne fuis point
Aëriſte
, & je ne
Louhaite
pas que
mes
funérailles
fe faffent
en l'air . Je n'aime
pas
non
plus
ces airs voraces
, qui ren
dent
les Peuples
faméliques
, &
qui
tuënt
la poitrine
, comme
nous
a dit M' le Docteur
, mais
un air comme
celuy
de l'Egypte
,
qui infpire
la fobrieté
& l'abftinence
. Les
Hermites
de l'ancienne
Thebaide
eftoient
de vô.
tre gouft
, dit l'Abbé
, ils avoient
choify
exprés
ce lieu -là pour
leur
du Mercure Galant.
43
1
-
retraite ; auffi eſt- cè un vray païs
d'Hermites. Je vous avouë ma
foibleffe , reprit le Chevalier , ce
n'eft point par le meſme efprit
quej'aime le grand air ; mais c'eft
que je fuis tout différent de moymefme
dans les lieux bas ., obfcurs
&
defagreables ; au lieu que
les belles vûes , les belles Maifons
, les belles Perfonnes , me
charment , & me donnent une
nouvelle vie. Toutes ces chofes
nous infpirent je ne fçay quel air
doux & tendre , qui nous rend de
belle humeur , & de bonne compagnie.
Je ne puis refpirer l'air de ces riches
Plaines ,
Qu'échauffent les Zéphirs , de leurs
tiédes baleines ;
Je ne puis de ces Prez voir l'émail
précieux ,
44
Extraordinaire
Ou tant de vives fleurs éblouiffent
Les yeux i
Entendre de ces caux l'agreable mur.
mure ,
·Contempler de ces Bois la verte chevelure
,
Que je ne fois touché de quelque
fainte horreur,
Et ne fente les traits d'une fainte
furcur.
Cela m'arrive dans tous les
beaux Lieux dont parle ce Poëte,
& principalement en celuy - cy ,
où il me femble que ma vûë s'ë.
chauffe , où vôtre vûë , qui eft
proprement vôtre air , m'anime
& me donne plus d'efprit que je
n'en ay d'ordinaire. Qu'est - ce
qu'un beau jour , pourſuivit - il,
qu'une continuation d'air, que le
Soleil dore & purifie , qui fait
du Mercure Galant. 45
naître & anime toutes choſes ?
Qu'eft.ce auffi qu'une fale journée
, qu'une continuation d'air
corrompu , pareil à ce vilain
brouillard dont parle Ovide dans
fes Metamorphofes , qui eft l'origine
de la pefte , & des maladies
contagieufes ,
PrincipioCalum fpißä caligine terras
Preffit.
Qu'eft ce, dis-je, qu'unejournée
trifte & pluvieufe , finon un
air épais & fumeux , qui veut fuffoquer
toute la Nature , & qui la
rend afinatique , & fans refpiration
, fi j'ofe parler de la forte devant
un Docteur , qui veut qu'on
foit ferieux jufque dans les plus
petites chofes , quand il s'agit de
Philofophie Apres qu'on eut
applaudy d'une maniere un peu
46
Extraordinaire
railleufe à ce que le Chevalier ve
noit de dire , le Docteur repris
ainfi .
Chaque lieu a fon air , qui a
fes proprietez différentes , &
quelquefois merveilleufes. Juvenal
dit que dans une certaine
Contrée de l'Espagne , l'air y
teint naturellement la laine des
Brebis d'une tres belle couleur
, & qui eftoit fort estimée
chez les Romains . Les Peuples
qui habitent divers Climats , ont .
auffi diverfes qualitez . Icy l'air
rend les Hommes triftes & melancoliques
, là gays & éveillez ;
icy fobres , là gourmans , icy lâches
, & ' à genéreux ; icy chaftes,
là débanchez. On attribue le
long âge des Suédois à la pureté
de l'air qu'ils refpirent dans les
du Mercure Galant.
47
Montagnes dont ce Royaume eft
remply. Il y a auffi des Lieux ,
comme Aiguemorte en Languedoc
, où l'on ne vieillit guere , à
caufe de l'intempérie de l'air.
Mais bien plus , ceux qui en ref-
#pirent un autre que le natal,
prennent les moeurs & les complexions
desPeuples avec lesquels
ils habitent. Il eft vray , dit le
EMarquis, & Voiture écrit galamment
à Mademoiſelle Paulet , en
parlant de l'Affrique, où il eftoit,
Ne vous étonnez pas de m'ouir dire
des Galanteries fi ouvertement , l'air
de ce Pais m'a déja donné je ne
Seay quoy de felon , qui fait queje
Vous crains moins ; & quand je
traiteray deformais avec vous , fai-
Les état que c'est de Turc à More.
Vous fçavez , continüe- t- il , que
48
Extraordinaire
l'Afrique eft le Pais de l'Amour , des
emportemens & des violentes paffions
; ainfi il rend les Gensfélons,
amoureux & emportez.
Vous eftes toûjours galant,
M' le Marquis , reprit le Docteur,
mais l'Autheur de la Recherche
de la Verité eft affez de vôtre
fentiment. Il prétend que l'air
fait le mefme effet en nous , que
le fuc des viandes dont nous tirons
notre nourriture . Or chacunfçit
les incommoditez qu'on
reçoit des méchantes viandes que
l'on prend , & combien elles alté
rent le tempérament & la fanté.
Mais cet Autheur va encore plus
loin . Il dit que l'air penétre les
poulmons , & s'infinue dans le
fang , ce qui aporte un tres- grand
changement à nos humeurs & à
nos
du Mercure Galant.
49
de la difnos
inclinations , & que
férence de l'air qu'on refpire en
différens Climats , vient la diffé
rence des efprits . Là où il eft groffier,
gras & pefant, les Hommes y
font plus mous , plus ftupides , &
plus mélancoliques , là où il eſt
pur, fubtil & délié , les Hommes
y font plus enjoüez , plus fpirituels
, & plus agiles. Mais, interrompit
le Préfident , ne peut-on
pas dire que comme il y a quatre
Elémens , qui composent le tempérament
de tous les Hommes ,
il y a auffi quatre fortes d'Efprits , il-y
par raport à ces quatre Elémens ,
les Ignez , les Aériens , les Aquatiques
, & les Terreftres , qui font
encore divifez chacun en deux
ordres. Il y a ceux qui font animez
du feu qui fait briller les
2. d'Octobre 1683. E
So
Extraordinaire
Aftres , ils font courageux , harë
dis , habiles , aimables & bienfaifans
; & ceux qui brûlent du feu
qui embrafe les Cométes , font
malicieux , ambitieux , & cruels.
Il y a ceux qui reffemblent aux
caux pures & claires des Fontaines
, ils font nets , doux & paifi.
bles , les autres , comme ces eaux
croupiffantes & fangeufes des
Marais , font lents , pareffeux,
fales , malicieux & couverts . Les
Terreftres font quelquefois comme
ces belles Plaines fleuries &
tapiffées de verdure , ils font feconds
, agreables , fermes & folides
; les autres qui font plus fouterrains
, font avares , opiniâtres,
impudens , & brûlans. Et pour
1: s Aérins dont vous avez parlé,
les uns font affables , complaifans,
!
du Mercure Galant.
5%
inventifs , agiffans , & de belle
humeur , & de ce genre font les
Perfonnes de Cour, les honneftes
Gens , les jolies Femmes , enfin
les Gens de qualité , d'honneur,
& tous ceux qui compofent ce
qu'on appelle le beau Monde , &
qui font propres à la Converfa.
tion ; ceux- là avec raifon font du
grand air , & font tout de bon
air . Mais ceux qui dégenérent
font grands mangeurs , grands
rieurs , vains flatteurs & diffolus,
pour les autres ; femblables à Pair
agité , à cet air obfcur & nuageux
, qui produit les orages &
les tempeftes , ils font coléres,
ombrageux , impatiens , incon
ftans & brouillons . Ce que vous
venez de dire eft parfaitement
beau,répondit le Docteur, j'ay lu
E ij
32
Extraordinaire
quelque chofe de femblable ; mais
le tour que vous y avez donné
mele fait paroître tout nouveau.
Je fçay peu de Gens qui fe fervent
de leur lecture auffi bien que
vous. Mon Dieu , M` le Docteur,
reprit le Préfident , ne me loüez
pas tant d'un peu de memoire, qui
pour le petit fervice qu'elle me
rend aujourd'huy, me fait tous les
jours mille fupercheries . Le Doc.
teur, pour ne pas pouffer plus loin
le Compliment , reprit ainfi la
parole.
La diverfité de l'air fait la diverfité
des maladies , & on peut
voir là- deffus le Livre qu'Hyppocrate
en a fait. L'air eft quel
quefois fi corrompu , qu'il fait
mourir les Créatures qui le refpirent.
Il y a des Régions où les
du Mercure Galant.
$3
animaux mefme ne peuvent vivre
, & il n'arrive jamais de gran .
des peftes, qu'il n'en meure bean .
coup dans les lieux où eft la contagion.
Perfonne n'ignore fur ce
fujet la délicateffe des Aeurs , &
fur tout des Oeillets, qui meurent
au méchant air. Mais peut- cftre
ne fçavez- vous point , que les
Peuples du Japon font fi prévenus
que l'air eft mal fain , & contraire
à l'Homme , qu'ils ne fouf.
frent pas que leur Dairo ou Empereur
foir jamais découvert à
l'air. Mais bien plus , il y a des
Hommes fidélicats, qu'ils diftinguent
l'air d'une mefine rüe , &
qu'ils affurent que celuy de la
main droite eft plus pur que celuy
de la main gauche , & qui féparent
ainsi l'air en marchant , avec
E iij
34
Extraordinaire
une grande fubtilité . Cette re.
marque eftoit digne de moy , interrompit
le Chevalier ; mais je
veux vous dire quelque chofe de
plus veritable & de plus folide ,
touchant la corruption de l'air.
Vous avez lû les Mémoires de
Pontis , cependant je croy que
vous ne ferez pas fâchez que je
vous faffe reffouvenir d'un accident
fort remarquable
, que raporte
cet Autheur. Il dit qu'apres
qu'on eut levé le fiege de Louvain
, l'Armée cft : nt allée pour
fe rafraîchir vers Ruremonde , it
s'y éleva une fi furicufe tempefte,
avec de fi grands tourbillons, que
comme ce Païs eft extrémement
fablonneux , on n'y refpira pendant
plufieurs jours que du fable
au lieu d'air. Cinq ou fix mille
du Mercure Galant.
S$
Hommes en furent étouffez fubi.
tement , ou moururent -en trespeu
de temps , par I.s maladies
que leur caufoit cette grande corruption.
Non feulement l'air
qu'on refpiroit par le nez , mais
celuy qu'on avaloit avec les viandes
, qui en eftoient toûjours fort.
affaifonnées , formoit une espece
de contagion , qui gâtoit les par
-ties de ceux qui en eftoient attaquez
, il falut que l'air natal chaffât
cet air malin , & redonnât aux
Troupes la fanté qu'il leur avoit
fi étrangement alterée.
Le changement d'air fait de
grands effets , reprit le Docteur,
mais s'il a fes avantages , il a auffi
fes incommoditez . A moins
que
la maladie qu'on a contractée , ne
vienne principalement de l'air où
E iiij
56 Extraordinaire
l'on eft , le changement n'y fait
rien de bien , & fouvent du mal ,
lors qu'il eft une qualité oppoſée
ouà la maladie ou au tépérament
du Malade. Mais il eft admirable
que l'air , qui vivifie toutes les
Créatures , les empoifonne , ou
par fa qualité naturelle , ou par la
malice des Hommes , qui ont
trouvé l'invention de le corrompre,
auffi -bien que les autres Elemens.
Mais enfin , il eft toûjours
bon d'éviter le méchant air , puis
qu'on en attire beaucoup plus
qu'on n'en pouffe , & que prefque
tout l'air qu'on refpire , paffe
&fe convertit en nourriture . L'air
de la Campagne eft auffi plus
pur & plus fain que celuy des Villes
, car outre toutes les vapeurs
des ordures & des immondices,
du Mercure Galant .
59م و
I
5
les Morts qu'on y enterre , y rendent
l'air gras , épais & corrompu
; ce qui caufe de grandes & de
fâcheufes maladies ' , qui fait les
perfonnes languiflantes & de pâle
couleur . Platon qui en connoiffoit
les accidens , veut par fes
Loix que les Cimetieres feient
fituez en forte que les Vivans ne
puiffent eftre incommodez du
mauvais air des Morts . Les Grecs
& les Egyptiens eftoient fort délicats
en cela , ayant des Ifles
éloignées & defertes , où ils faifoient
porter les corps des défunts
. Pour moy , dit le Marquis ,
j'aurois voulu fur tout demeurer
dans l'ifle de Delos , où il eftoit
défendu d'accoucher, & d'enterrer
les Morts . Ce lieu eftoit fans
doute bien agreable & bien fain,
58
Extraordinaire
car l'un ne contribue pas moins
que l'autre à l'infection de l'air.
Vous avez raifon , dit le Docteur,
& ceux deDelos obfervérét cette
loy depuis une furieufe pefte dont
ils furent affligez , qui ne procédoit
que de la puanteur des tombeaux
Les Romains défendoient
de brûler les morts dansla ville , &
Augufte ordonna que ce fût pour
le moins deux milles loin des mu
railles . On remarque meſme dans
l'antiquité , qu'il n'y a eu que les
Tarentins qui ayent enterré les
Morts dans leur Ville , apres que
l'Oracle leur ayant promis beaucoup
d'heureux fuccés , s'ils de.
meuroient avec le plus grand
nombre , ils crûrent que cela devoit
s'entendre des Morts. Mais
la Religion Chrétienne , qui prêdu
Mercure Galant. 59
che la mort & les fouffrances , n'a
pas eu ces égards pour les Fidel .
les ; à joindre que les Prieres pour
les Morts , & la venération pour
leurs Reliques , ont authorifé
cette coutume. Les Corps des
Saints ne fçauroient eftre trop
e prés de nous ; & les autres , dont
les Ames ont besoin de nos fe.
cours fpirituels , feroient peuteftre
negligez , fi les tombeaux
ne nous faifoient reſſouvenir de
leurs neceffitez . Et de plus , dit
le Préfident , les Corps Saints
font tous de bonne odeur , & ils
exhalent quelquefois une douce
vapeur , qui furpaffe les parfums
les plus exquis . Ileft vray , dit le
Chevalier, plufieurs Autheurs en
ont raporté témoignage ; mais
le nombre de ces Corps eft petit,
60 Extraordinaire
& pour un Saint combien de....
Tout beau , dit le Docteur , retirons-
nous de là , cet air nous
feroit contraire , prenons - le autre
part. Vous avez raiſon , dit
l'Abbé , je n'aime pas volontiers
à m'entretenir de Religion , dans
des converfations un peu familieres
, & auffi libres que le font les
nôtres.
Le grand air eft perilleux pour
les convalefcens qui fortent d'un
petit air , ou d'un air renfermé ;
ce n'eft pas qu'un air trop tranquille
eft auffi mal fain , parce
qu'il peut plus aisément fe charger
& s'alterer , que celuy qui eft
agité. C'est pourquoy on dit
l'air pour eftre bon , doit eftre
tantôt mû par le Zéphir qui le
rafraîchit , & tantôt comprimé
que
du Mercure Galant.
par l'Aquilon , qui le purge . L'air
de la Mer guérit de plufieurs maladies
, mais il en donne plufieurs
autres à ceux mefme qui y font
naturalifez ; & on affure que cet
air eft fi corrofif, que les Oiſeaux
qui fréquentent la Mer , ont le
plumage prefque tout rouge.
Mais l'air temperé & purifié d'une
certaine maniere , conferve la
fanté , & la redonne à ceux qui
l'ont perdue. Il prolonge la vie,
& fert mefme de nouriture à quel.
ques Oifeaux ,dit le Préfident . Les
Aftchomes qui font une espéce
d'Hommes , qui n'ont point de
bouche , fe nourriffent de bonnes
odeurs , comme ils meurent s'ils
en fentent de mauvaiſes . Le Caméleon
& les Pluviers vivent
d'air , & il ne faut pas s'en éton62
Extraordinaire
ner , puis que la vie ne confifte
qu'en ces deux qualité de l'air,
qui font le chaud & l'humide.
Si le feu nourrit la Salamandre,
pourquoy l'air qui a des qualitez
bien plus nutritives , ne peut - il
pas nourrir des Oifeaux , à moins
qu'on ne veüille dégraiffer l'air,
& en féparer la rofee , qui n'eft
pas moins une fubftance de cet
Elément , que des vapeurs de la
terre. Ce que vous venez de dire
eft bien imaginé , repartit le Doc
teur ; mais puifque les Pluviers &
les oifeaux deParadis vivent d'air ,
c'est encore une des crédulitez de
Pline . L'air eft bien l'élément des
Oiſeaux, & le lieu qu'ils habitent,
mais il ne peut pas nourir un corps
folide d'une viande fi creufe .
Si on ne trouve point d'alimens
du Mercure Galant
C
E groffiers dans l'eftomac de ces
Qifeaux , c'eft qu'ils la digérent
promptement , qu'ils mangent
peu , & des chofes fort delicates.
Le Caméleon vit de vermine;
mais comme il aime extraordinai.
rement le grand jour , & qu'il devore
le bel air , comme l'on dit,
cela fait croire qu'il vit par la ver
tu de cet Elément . Mais vous fçavez
, reprit le Préfident , combien
l'air que les Enfans foufflent,
& les Perfonnes qui font bien
compofées , eft doux & falubre.
Il en fort un fi grand nombre d'ef
prits , qu'ils communiquent
une
nouvelle
e à ceux qui le refpirent
; & c'est la raifon pourquoy
on a dit que ceux qui enfeignent,
& qui paffent leur vie avec la Jeunede,
vivent plus long- temps que
64
Extraordinaire
les autres , & ont la couleur beaucoup
meilleure. Il en eft au contraire
de ceux qui fréquentent
des Perfonnes mal faines , & qui
ont les parties gâtées, parce qu'el
les communiquent leurs indifpofirions
& leurs maladies. On ne
trouva point de meilleur expédient
pour éloigner le Cardinal
Pancirole d'aupres le Pape Innocent
X. qu'en gagnant fon Medecin
, qui affura fa Sainteté que
ce Cardinal eftoit pulmonique,
& que fon haleine eftoit dange .
reufe & nuifible à fa fanté , par les
fréquens entretiens qu'ils avoient
enfemble .
Le Loup a l'haleine fi mauvaife
, qu'on a raifon d'appeller cet
animal un cloaque animé , mais
la malignité de fon haleine eſt ſi
du Mercure Galant.
65
1
fubtile & fi penétrante , qu'il n'y
a point de chair qu'elle ne corrompe.
Cette Fille dont parle
Galien, qui vivoit de napel , avoit
P'haleine bien pernicieufe , interrompit
le Chevalier , puis qu'elle
faifoit mourir ceux qui l'apro .
choient. Cette autre que cite Albert
le Grand , qui vivoit d'Aragnées
, ne l'avoit pas meilleure,
dit le Marquis ; mais que dirons.
nous de ces haleines excellentes,
dont l'air eft fi doux & agréable ,
continua- t-il? Je me fouviens toûjours
de cette délicate expreffion
du Comte de Buffy parlant d'une
Belle, L'air qu'elle fouffle eft plus
pur que celui qu'elle refpire . Quel
avantage , quel charme pour moy
qui n'aime rien tất, qu'on ne ſente
rien!Mais comme il y en a qui ont
Q. d Octobre 1683.
F
66 Extraordinaire
la fueur parfumée , pour ainfi dire,
' il y en a auffi qui ont la refpiration
admirable , & qui reſſem.
blent aux Abeilles , tout ce qu'el
les mangent & qu'elles prennent
fe convertit en miel , & enfucre,
Mixtura quadam & proprietate fpiritus
fui, & quafi conditura fui.
Elles forment de l'ambrofie &
du nectar dans leurs entrailles , &
de là vient la bonté & la douceur
de leur baleine . Tel eftoit Alexandre
le Grand , dit le Préfident
; mais comme il y a peu de
Perfonnes de cette nature, & qui
ayent toutes les qualitez du tempérament
adpondus , comme parlent
les Medecins , il n'y a point
de choſes au monde où l'on puiffe
s'apliquer plus utilement dans un
Etat , qu'à empêcher la corrup
du Mercure Galant. 67
tion de l'air , ſoit qu'elle vienne
par la méchante haleine des Malades
, par l'infection des immondices
& des ordures qu'on laiffe
amaſſer dans les Villes , ou par
l'inclémence des faifons . On a
donc eu raiſon autrefois de féparer
les Ladres d'avec les autres,
& encore aujourd'huy d'interdire
l'entrée des Villes à ceux qui
viennent des Lieux foupçonnez.
de la pefte , ou de quelque autre
maladie contagieufe , comme la
petite vérole , & tant d'autres
maladies qui fe communiquent
par la corruption de l'air.
Comme le Préfident fait bâtir
à la Campagne , il n'oublia pas à
demander plufieurs avispour rendre
une Maiſon auffi faine qu'agreable
, & là - deffus le Docteur
Fij
68 Extraordinaire
auquel la Compagnie avoit toû
jours deferé , parla de la forte.
Ce n'eft pas d'aujourd'huy
qu'on a de la peine à bien s'habi
tuer. Les Anciens avoient diffé
rentes opinions fur ce fujet . Ils difoient
qu'il ne falloit point choifir
les lieux trop gras , trop bas
& trop humides , parce qu'ils
eftoient mal fains . Ils ajoûtoient
qu'on ne connoiffoit pas toujours
la bonté de l'air d'un Païs , par la
couleur & la bonne difpofition
des Habitans , parce qu'il y en a
qui fe portent bien dans l'air mê .
me de la pefte. Il y a encore des
lieux qui ne font fains qu'en de
certaines faifons de l'année, & qui
font dangereux dans d'autres.
Mais afin qu'un lieu foit jugé
fain, il faut pour le moins en avoir
du Mercure Galant.
79
J
Pexpérience une année entiere.
Les Maifons expofées au Midy,
dans les Païs chauds , font mal
faines , on y devient bilicux &
languiflans , & fujets à des fiévres
tres aigües . Dans les Païs froids,
lesMailons qui font tournées vers
le Septentrion , rendent ceux qui
les habitent fujets aux fluxions &
paralifies. Les Maifons qui regardant
l'Occident , dans les Païs
humides , caufent des foiblefles
d'eftomac & des ulcéres. Les
Maifons qui font placées du côté
de l'Orient , dans les Païs fecs,
rendent les jointures débiles , con
denfent les humeurs , &
> engendrent
de grandes obftructions.
Et où bâtirons.nous donc , s'écria
le Chevalier , puis que dans tous
les cantons du Monde il n'y a que
"
70
Extraordinaire
と
maladies , & pas un lieu qui foit
fain La terre ? eft donc inhabitable.
Non pas , M' le Chevalier,
reprit le Docteur , chaque Païs a
fon terroir , fes eaux , fes afpects
& fes vents , qui luy font ou nui
fibles ou falutaires , il ne faut que
les bien choisir , & alors il n'y a
point de lieu qui ne puiffe eftre
fain , au moins pour les naturels
du Païs , & il n'y a que les Voyageurs
, qui en puiffent recevoir
quelques incommoditez.
Pline qui a écrit fort au long
fur la maniere de bâtir les Maifons
de Campagne , pour les rendrefaines
& logeables , dit que fi le
Climat eft chaud , l'ouverture
doit regarder le Nort ; s'il eft
froid, elle doit regarder le Midy,
& s'il eft temperé, elle doit regar
du Mercure Galant. 71
[
1
der le Levant. Cela eft bon , interrompit
l'Abbé , mais je vou .
drois fçavoir s'il eft neceffaire
pour avoir le bon air , de percer
un Bâtiment par quantité de hau
tes & pleines croifées , comme on
fait aujourdhuy , ou de l'ouvrir
feulement par des feneftres médiocres
, comme on faifoit autrefois.
Ileft aifé de remarquer par
tous les vieux Châteeux , tant dehors
que das le Royaume, que nos
Peres n'aimoient pas le grand air
pour leursMaifons . Tous les vieux
Bâtimens font placez de biais, ou
accompagnez aux coſtez de tourelles,
qui couvrent les jours, afin
de rompre le vent , & de fendre
l'air , qu'ils croyoient nuifible à
la fanté , ſe perfuadant de vivre
plus long -temps , en fe tenans
$2
Extraordinaire
ainfi renfermez ; eftant bien contraires
aux Poiffons , qui aiment
à changer d'air , & qui montrent
fouvent la tefte au deffus de l'eau ,
& meurent fous la glace , fi on n'a
foin de la fendre en Hyver , afin
de leur conferver la vie. Mais
nos Peres difoient que les Maifons
cftoient faites pour fe mettre à
couvert des injures de l'air , &
non pas pour le recevoir par de
grandes ouvertures , que nous
avons inventées pour fatisfaire au
plaifir , & à la vanité . J'ay vû un
Homme plus vieux que fon fiecle
, qui durant les trois mois fâcheux
de l'Hyver ne fort point,
neveut ny voir ny fentir l'air , qu'il
refpire feulement par un petit
jour qui eft au.deffus de la porte
de fa Chambre , foutenant que le
trop
du Mercure Galant.
73
C
trop grand jour tüe. Elifabeth
Reyne d'Angleterre , en allant
voir le Chancelier Bacon , dans
un Château qu'il avoit nouvellement
fait bâtir , & percer de toutes
parts par de belles & grandes
croifées, elle luy demanda où l'on
s'y mettroit l'Hyver , voulant
luy marquer par là , que le trop
d'air n'eft pas toûjours bon ny
commode , & que les feneftres
médiocres font meilleures. Cela
dépend des Climats, & de la coutume
des Peuples , dit le Docteur.
En Angleterre toutes les fenêtres
font fort petites , mefme dans les
Maiſons de plaifance des Princes ,
auffi bien que des Particuliers ,
qui n'ont que des ouvertures
quarrées , fans corniches ; & à
Douvres , il n'y a que quelques
Q. d'Octobre 1683. G
-
74
Extraordinaire
il
vires pourtoutes fenêtres, qu'on
ouvre pour donner de l'air. Les
Maifons de Picardie font prefque
fans feneftres , ou du moins elles
font fipetites, que ces Maifons ne
reffemblent proprement qu'à des
lafnieres. Mais comme les Maifons
fermées & ombragées font
plus froides & plus mal faines,
parce que le Soleil n'y entre pas ,
& quel'air y eft plus humide ,
fait plus froid dans les Villes qu'à
la Campagne. Enfin , outre le
bon air qu'il faut obferver pour
rendre les Maiſons faines & bien
fituées , il ya encore le bel air, &
la maniere de bien bâtir , qui les
rend agreables & commodes ; &
c'eft de ce bel air, priscommemo.
de ou maniere , dont il nous refte
parler , mais je croy que ce que
du Mercure Galant. 75
nousen avons déja dit à l'entrée
de cette Converfation, doit fuffire
, renvoyant les Curieux au
beau Difcours que Mr le Chevalier
a fait de l'air du monde , &
de la veritable policeffe . Cela
s'appelle , interrompit le Chevalier
, renvoyer les Curieux au
Dialogue de la Bonne - Grace d'un de
nos vieux Poëtes. Pardonnezmoy
, Mr le Chevalier , reprit le
Docteur, nous fçavons la différence
qu'il y a entre l'illuftre Autheur
du Mercure Galant , &
Autheur des Apprehenfions Spirituelles.
Le premier n'expoſe rien
au Public , qui ne foit digne de
fon approbation , & de l'eſtine
qu'il s'eft acquife . On ne peut
rien auffi ajoûter à ce que vous
avez dit fur cette matiere , mais
Gij
·75 Extraordinaire
il me femble que c'eit affez battre
l'air, & fi M' l'Abbé le trouve
bon , nous irons prendre l'air de
cette foirée, qui eft fort agreable.
L'Abbé eftant dans le mefme
fentiment , toute la Compagnie
fe leva , & fortit pour aller à la
promenade .
Je croy auffi , Madame , qu'il
eft temps de finir , & de vous retirer
d'une fi longue lecture , pour
Jaquelle j'aurois mille excufes à
vous faire , fi je ne fçavois que
tout ce que je vous écris de cette
illuftre Compagnie, ne vous peut
eftre ennuyeux. C'eft donc avec
cette affurance , & en qualité de
leur fidelle Secretaire , que je
prens la qualité de vôtre , &c.
DE LA FEVRERIE.
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Résumé : CONVERSATION ACADEMIQUE, Dans laquelle il est traité des bonnes, & des mauvaises qualitez de l'Air. A Madame la Comtesse de C. R. C.
En 1680, une lettre adressée à Madame la Comtesse de C. R. C. relate une conversation académique impliquant un illustre abbé et plusieurs personnalités. La discussion porte sur les qualités et les défauts des individus en fonction de leur apparence et de leur 'air'. Des exemples historiques, comme Isabelle d'Espagne et le duc de Guise, illustrent comment l'apparence peut inspirer l'estime, la crainte ou le mépris. La conversation aborde également l'importance de la bonne mine et du port royal pour un souverain. Les participants débattent ensuite de la nature de l'air, considéré sous trois aspects : élément, température et manière. Ils explorent les propriétés de l'air, sa composition et ses interactions avec d'autres éléments. Le docteur présente diverses théories philosophiques sur l'air, incluant ses figures, sa couleur, son odeur et sa pesanteur. La discussion se termine par des réflexions sur la hauteur de l'air et les effets de son absence. Le texte distingue l'air élémentaire, pur et exempt de tout mélange, de l'air que nous respirons, composé de vapeurs et du mouvement des corps extérieurs. L'air est décrit comme un souffle vital, lié à l'âme et au mouvement du corps. Le vent est défini comme une agitation de l'air, avec des philosophes modernes le décrivant comme une agitation sensible de l'air. Les vents sont décrits comme ayant des qualités variées, pouvant être chauds, froids ou humides, et leur nature dépend des lieux et des saisons. L'air est comparé à un caméléon, capable de diverses impressions, et joue un rôle crucial dans la création et la formation des phénomènes naturels. Un voyageur partage son expérience sur le mont Ararat, où il a rencontré des nuages épais et froids. Le Chevalier exprime son amour pour le grand air, affirmant qu'il le rend plus gai et inspiré. Le Président compare le Chevalier à des arbres ou à des peuples adorant l'air, comme ceux de Siam. Le Chevalier précise qu'il apprécie l'air lorsqu'il lui fait du bien, mais ne souhaite pas des funérailles en l'air. Il préfère un air comme celui d'Égypte, qui inspire la sobriété et l'abstinence. Le texte mentionne également les ermites de l'ancienne Thébaïde, connus pour leur retraite en Égypte. Le Chevalier explique que les beaux lieux et les belles personnes lui inspirent un air doux et tendre, contrairement aux riches plaines qui lui provoquent une horreur subite. Il compare un beau jour à une continuation d'air purifié par le soleil, et une journée triste à un air corrompu causant des maladies. Le Docteur ajoute que chaque lieu a un air avec des propriétés spécifiques, influençant les qualités des habitants. Par exemple, l'air en Espagne teint naturellement la laine des brebis, et en Suède, il contribue à la longévité. Le Marquis cite Voiture, notant que l'air d'Afrique rend les gens audacieux et amoureux. Le Docteur conclut que l'air pénètre les poumons et altère les humeurs et les inclinations, influençant ainsi les esprits des personnes selon la pureté ou la corruption de l'air. Les interlocuteurs évoquent les prières pour les morts et la vénération des reliques dans la religion chrétienne, soulignant que les corps des saints sont considérés comme bénéfiques et exhalant une douce vapeur. Ils abordent les qualités de l'air, notant que l'air pur et tempéré conserve la santé et prolonge la vie, tandis que l'air corrompu peut transmettre des maladies. Le texte mentionne également des animaux comme les caméléons et les pluviers, qui se nourrissent d'air, et discute des effets de l'haleine des personnes sur leur environnement. Les interlocuteurs débattent des meilleures pratiques pour construire des maisons saines, en tenant compte de l'exposition aux vents et des saisons. Ils concluent que chaque région a ses particularités climatiques et que les maisons doivent être adaptées en conséquence pour assurer la santé des habitants. Le texte se termine par une promenade de la compagnie, appréciant l'air agréable de la soirée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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