Résultats : 39 texte(s)
Accéder à la liste des mots clefs.
Détail
Liste
1
p. 37-39
« Le grand Philippe Auguste & celuy de Valois, [...] »
Début :
Le grand Philippe Auguste & celuy de Valois, [...]
Mots clefs :
Philippe, Français, Victoire, Glorieux exploits
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Le grand Philippe Auguste & celuy de Valois, [...] »
TE grand philippe Auguste
GALANT. 29
Et Philippe le Bel , tous trois Rois
des François,
....
Ont pres du Mont Caſſelemporté
laVictoire;
Mais avec plus d'éclat Philippe de Bourbon ,
Portant come euxlemémeNom,
Vient d'estre au méme lieucouronnépar laGloire.
Vous avezdéja veu trois fois,
Espagnols, Flamans, Holandois,
Pres dece Mont fameux défaire
vostre Armée ,
Parnos redoutables François.
LaVictoire avec eux est trop accoustumée, 1 of
Quitez vostre arrogance ,elle est
-... bien reprimée ::
Partant de glorieux Exploits.
CeMont Caffel a vew SonAlteffe Royale Fairedes efforts plusqu'humains:
B iij
30 LE MERCURE
Agir de la teste &des mains,
Avec une vigueur àSaprudence
égale.
Héros qui diſputiez l'Empire des
Romains,
Vous nefiftes pas mieux dans les Champs de Pharſale.
N'en Soyons pointSurpris ; depuis que le Soleil Eclairefurnôtre Hemisphere,
Ilne s'est rienveu de pareil
Anôtre Grand Monarque , &
Philippeeft fon Frere.
GALANT. 29
Et Philippe le Bel , tous trois Rois
des François,
....
Ont pres du Mont Caſſelemporté
laVictoire;
Mais avec plus d'éclat Philippe de Bourbon ,
Portant come euxlemémeNom,
Vient d'estre au méme lieucouronnépar laGloire.
Vous avezdéja veu trois fois,
Espagnols, Flamans, Holandois,
Pres dece Mont fameux défaire
vostre Armée ,
Parnos redoutables François.
LaVictoire avec eux est trop accoustumée, 1 of
Quitez vostre arrogance ,elle est
-... bien reprimée ::
Partant de glorieux Exploits.
CeMont Caffel a vew SonAlteffe Royale Fairedes efforts plusqu'humains:
B iij
30 LE MERCURE
Agir de la teste &des mains,
Avec une vigueur àSaprudence
égale.
Héros qui diſputiez l'Empire des
Romains,
Vous nefiftes pas mieux dans les Champs de Pharſale.
N'en Soyons pointSurpris ; depuis que le Soleil Eclairefurnôtre Hemisphere,
Ilne s'est rienveu de pareil
Anôtre Grand Monarque , &
Philippeeft fon Frere.
Fermer
Résumé : « Le grand Philippe Auguste & celuy de Valois, [...] »
Le texte célèbre les victoires des rois Philippe Auguste, Philippe le Bel et Philippe de Bourbon, ce dernier ayant triomphé près du Mont Cassel contre les Espagnols, les Flamands et les Hollandais. Le roi y a montré une vigueur et une prudence exceptionnelles, qualifiées de 'plus qu'humaines'.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
2
p. 209-251
Ce qui s'est passé en Allemagne depuis la Iournée de Kokberg, la Prise de Fribourg, la Défaite d'une Arriere garde des Ennemis, & la Prise de Valkrik. [titre d'après la table]
Début :
Apres la glorieuse Journée de Cokeberg, les Ennemis demeurerent si [...]
Mots clefs :
Ennemis, Fribourg, Journée de Cokeberg, Maréchal de Créquy, Quartiers d'Hiver, Troupes, Place, Montagne, Tranchée, Armée, Siège, Disposition, Français, Bataillons, Prise, Campagne, Ordres, Conduite
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Ce qui s'est passé en Allemagne depuis la Iournée de Kokberg, la Prise de Fribourg, la Défaite d'une Arriere garde des Ennemis, & la Prise de Valkrik. [titre d'après la table]
Apres la glorieuſe Journée deCokeberg , les Ennemis de- meurerent fi conſternez , qu'ils ſe laifferent battre par diuers
Fvj
132 LE MERCVRE
Partis. Monfieur de Créquy fit donner ordre au Gouverneur
de la Petite - Pierre d'en envoyer par derriere l'Armée en- nemiequi en fut incommodée.
Il fit auſſi brûler les Fourages de tous les lieuxd'oùilsen pou- voient tirer,&les inquieta tel- lement , qu'apres les avoir ba- tus engros , on peutdire ( fi ce n'eſt point abuſer du terme)
qu'il les batit encore en détail.
Depuis ce temps - là , ils ne fçeurent plus ny ce quils fai- ſoient , ny ce qu'ils vouloient faire. Ils manquent de Foura- ges , en vont chercher à huit lieuës,& cesGensquidevoient tout prendre , craignent qu'on ne leur prenne Sarbrük. Ils s'é- loignent peu à peu de noſtre Armée. M' Jacquier tombe ma- lade , tout le monde fait des
GALANT. 133
r
vœuxpour luy ; mais les ordres font fi bien donnez , que les Noftres ne manquant de rien,
ne recoivent aucun préjudice de fa maladie. Monfieur de
Créquy prend le Fourage de quatre Villages des environs de Strasbourg. On luydéputepour luy enfaire des plaintes. Il ré- pond à ceux qui en font char- gez , qu'il faut qu'il ſe ferve de ce qui eſt à portée , qu'ils l'ont bien voulu, &qu'ilempefchera le,deſordre. Il envoye en effet.
ſes Gardes pour l'empefcher.. Les ennemis n'ontque du Bled
de Turquie &de la Paille;&
apres avoir efté chez eux ſe rafraichir &prendre du mon- de,des munitions &de l'argent,
ils viennent ſe ruiner de nouveau. Ils apprennent qu'on a
blâme à Vienne l'imprudence
:
3
134 LE MERCVRE qu'ils ont euë d'engager urr Combat à la Journée de Cокеberg contre la Maiſon du Roy,
celle de l'Empereur ( dont en cette Occafion les Cuiraffiers
faiſoient partie ) n'eſtant pasca- pable de luy refifter. Pendant qu'ils fongent à aller prendre leurs Quartiers d'Hyver , on réſout d'affieger Fribourg. On cache ce deſſein. Les meſures
font priſes àla Cour & à l'Ar- mée. Rien ne ſe découvre du
Secret , rien n'en échape. Les Ennemis croyent qu'on va a
Sarbruk,&on fait tout ce qu'il faut pour les entretenir dans cette penſée. Ils y envoyentdes Troupes. Onenfait avancerde Flandre pour les mieux trom- per. Admirez cette conduite.
Tout agit , tout marche , &
rien ne paroiſt. Avantqued'en-
GALANT. 135
Π
コ
trer dans les particularitez du Siege , il eſt aſſez à propos de vous faire connoiſtre l'impor- tance de la Place. Elle estoit autrefois la Capitale du Canton Catholique appellé le Canton deFribourg. Sa fituation eft en partie fur une Montagne , &
en partie fur le panchant de cette Montagne. La Riviere de Sana l'environne preſque en- tiere,&luy fertd'un large Foffé,
qui fait la ſeparation d'un grand Fauxbourg. Ce Fauxbourg a fes
Portes & ſes Murailles , & fe
joint à la Ville par trois grands Pontsquidonnent communica- tion de l'un à l'autre. C'eſt du
coſtéde la Riviere où Fribourg eſt au Midy ſur le panchant de la Montagne. La Montagne eſt de l'autre coſté avec des Rochers eſcarpez en façon de
136 LE MERCVRE
haute Muraille au bordde cette
meſme Riviere , en forte qu'il n'y a pointàcraindre qu'on les puiſſe eſcalader. La Ville eft
Ipatieuſe.C'eſtun Eveſché , &
la plus conſidérable des trois
Univerfitez des Terresde l'Empereur. On l'a fortifiée d'une
maniere qui f'auroit renduë im- prénable à d'autres qu'à des
François. Elle a deux foſſez où
ily a des retenuës d'eau , deux Murailles avec des Tours , &
une grande Redoute de pierre plus élevée que la Citadelle,
qui eſt de quatre Baſtions ſur la hauteur. Cette Place a eſté
jugée d'une telle conféquence,
que l'ordre eſtoit donné de le
ver le Siege de Philifbourg ,
plutoft que de la laiffer perdre ſi on l'euſt attaquéependant ce Siege. Je ne vous feray point
GALAN T. 137
e
|
un long Détail de ceux à qui
elle a appartenu,je vous diray ſeulement qu'elle est preſente- ment à l'Empereur,& qu'on ne peutl'entendre nommerſans ſe ſouvenir des grands & prodi- gieux Exploits qu'a faits autre- foisMonfieur le Prince en Allemagne , lors qu'il n'eſtoit en- cor que Duc d'Enguien. La priſe de cette place eſtoit d'au- tantplus importante pour nous,
qu'eſtant dans le Pays de l'Em- pereur , il ne sçauroit avancer ſur les Terres qui nous appar- tiennent , qu'on en faſſe auffi- toſt demeſme fur celles quiſont,
à luy. Joignez à cela que Fri- bourg eſtant fort grand , ony
peut mettre ſept ou huit mille hommes enGarniſon , dontune partie ſera toûjours preſte à la defendre , tandis que l'autre
138 LE MERCVRE s'étendra dans le Païs. Depe- tites Places pareilles à Phi- lifbourg ne font pas ſi avanta- geuſes. Ce ne ſont que des For- tereſſes qui ne pouvant conte- mir un fi grand nombre de Troupes , ne peuvent faire de ſi grandes executions. D'ailleurs Fribourg affure Briſac que les Ennemis menacent depuis &
long-temps, &àl'avenir ils par- leront peut-eftre moins del'af- freger , que de reprendre ce qu'ils ont perdu. Cette Place ne nous met pas ſeulement en pouvoir de faire contribuer la Suabe ; mais elle nous donne
moyen d'entrer dans les Païs Hereditaires , & ofte à l'Empe- reurune partie confiderable de fes Revenus , eſtant certain que la pluſpart des Penfions qu'il donnoit à ſes Officiers eſtoient
GALANT. 139
|-
|-
afſignées ſur ce qu'il retiroit de Fribourg. Le Pays eft fort rem- ply de Nobleffe , & n'a gue- res de Païſans qui ne foient ri- ches. La Place n'eſt commandée par aucune Ville , & elfe commande à toutes celles des
environs. Sa priſe rompt les meſures des Ennemis , leur fait
quiter leurs Quartiers d'Hyver,
&les oblige àen chercher d'au- tres. Adjoûtez à ces avanta- ges , celuy de nous eſtre ren- dus maiſtres d'une Place où
font tous les Magaſins donton
auroit eu beſoin pour le Siege de Briſac. Cependant fi les dif- ficultez augmentent la gloire,
onpeut dire qu'il n'y a rien qui égale celle des François. Ils ne s'attachent jamais à des Entre- priſes faciles, &les Places qu'ils ont attaqué cette année ont
140 LE MERCVRE toûjours paſſe pour impréna- bles. Fribourg l'euſt efté ſans doute pour d'autres Ennemis
que pour eux ; & quoy qu'elle ne ſoit pas auſſi forte que Va- lenciénes, Cambray,& S.Omer,
mille difficultez en devoient
rendre la Priſe impoffible. C'eſt une Ville environnée de Dé- filez qui devoient empefcherde l'affieger, ſi les Impériaux n'euf- ſent pas manquéde prévoyan- ce; & toute Place dont on peut empeſcher le Siege, peut paffer pour imprenable. Sa ſcituation furle panchantde la Montagne,
pouvoit donner lieu de la mieux défendre. Elle avoit des Munitions deguerre &de bouche,
& un Commandant qui a toû- jours paſſé pour avoir de la conduite & du cœur. L'Hyver avoit commencé de puis long2
GALANT. 141 temps en ce Païs-là ; il y avoit plus de trois ſemaines qu'il ef- toit couvert de nége , & cepen- dant on réſout d'inveſtir Fribourg. On ne peut dire qu'on aitprévenules Ennemis , pour ſe mettre en campagne avant la Saiſon ; qu'ils n'avoient point de Troupes fur pied , &qu'on eſtoit éloigné d'eux. Le con- traire eft connude tout le monde , les Armées eſtoient pro- ches l'une de l'autre , & la leur
eſtoit forte quand on a formé ce deſſein. Mais dequoy ne vient-on point à bout , quand ce qu'on entreprend eſt bien digeré, & qu'on execute avec beaucoup devaleur &de conduite des Ordres envoyez avec de prudentes reflections ? M
le Mareſchal de Créquy apres avoir donné aux Ennemis la
142 LE MERCVRE jalouſie dont je vous ay deja parlé,fait courir le bruit dans ſon Camp , qu'il attend pour le quiter , que le Prince Charles aitdécampé. Cependant il part une heure apres , & fe rend à
Briſac avec unediligence incro- yable.Il avoit donné ordre qu'on fiſt un Pont de Bâteaux fur le
Rhin. Il fut achevé en douze
heures par les ordresde M. de Viſſac. Cet illuſtre General ayant veu que toutes les choſes qu'il avoit euſoin de faire pré- parereſtoienten état , ordonna
unDéchementde quinze mai- ſtres par Compagnie , & м. de Lançon LieutenantGeneraleut ordre de demeurer avec le reſte
de la Cavalerie dansdesQuar- tiersdepuis Scheleſtat juſques à
Briſac. Admirez la conduite de
Monfieur de Créquy. Il s'éloi-
GALANT. 143 gne des Ennemis ſans en éloi- gner ſes Troupes. Elles couvrent encorBrifac & Scheleſtat , & il
oſte aux Ennemis le moyen de faire aucune Entrepriſe pen- dant qu'il aſſiegera Fribourg ,
en casqu'ils ne veulent pas ten- ter de le ſecourir. Apres tant d'ordres auſſi judicieuſement que ſecretement donnez , M. le Baron de monclar part à dix heures du ſoir avec uneBrigade de Cavalerie , les Dragons de du Fay ,& cinq Bataillons que commandoit M. d'Aubijoux,
afin d'inveſtir Fribourg. Le reſte de l'Armée défila à la
pointe du jourſur deux Ponts ;
&d'abord queles autres Trou- pesordonnées pour cette Expe- dition eurent paffé , M. deCré- quyſe mità lateſte de la maiſon duRoy. Jevousaydéja marqué
:
144 LE MERCVRE
qu'il y avoitdes Défilez pour ar- river à Fribourg.M. le marefchal de Créquy fit couper beaucoup deBois qui les embaraſſerentde telle forte , que les Ennemis n'auroient pû les paſſer fans beaucoup de peine , & fans grande perte. Le voila devant Fribourg. Si ceux de la Place furent étonnez de voir qu'on les affiegeoit , les Affiegeans ne le furentpasmoins , de connoiſtre ledeſſeinqu'on avoitpris , le ſe- cret ayant eſté ſi bien gardé,
qu'ils n'avoient ſçeu juſques-là enquel lieu onles menoit.Quad cette Nouvelle fut publiée àla Cour , leGeneral major Harang (qui comme vous ſçavez avoit eſtéprisdans la Journée de Cox- berg) dit qu'il eſtoit impoſſible que le Siege fut veritable , à
moins que l'Armée de l'Empereur
GALANT. 145 reur ſon Maiſtre n'euſt eſté entierement défaite. Et quand il apprit qu'on ne s'eſtoit point ba- tu,il admira la merveilleuſe conduite duRoy, laprudence de ſes Miniſtres & l'ardeur infatigable de ſes Generaux. Toutes les
Troupes n'eſtant pas encor arri- vées,m. le mareſchal de Créquy viſita la Place , les Poſtes & les Paſſagesdes environs,avant que defaire la diſpoſition des Quar- tiers. Les Ennemis brûlerent un
deleurs Fauxbourgs ,&tirerent pluſieurs volées de Canon ſur lesTroupes les plus avancées.M.
d'Aubijoux ſe logea avec les cinq Bataillons dans le Faux- bourgbrûlédu coſté de la gorge de la montagne , où l'on reſolut defaire l'Attaque. Il pouſſa mef- meunLogement avec cinquan- teHommes , à quelques pas du Tome IX. G
146 LE MERCVRE Foffé. Les Ennemis firent un
affez grand feu. Il n'y eut que vingt Soldats tuez &bleffez, un Capitaine'd'Orleans tué , &un de Feuquieres bleſſé. Le lende- main le reſtedes Troupes eſtant arrivé , M. le marefchal diſpoſa les Quartiers dans l'ordre fui- vant,afin que les Troupes ne fouffriffent point.
DISPOSITION DES .
Quartiers de'lArmée devant
Fribourg le 10. Novembre.
M. deChoifeuil,
Monfieur de la reüillée,
M. de Hautefeüille ,
Eſtoient à Vendeling , avec les Brigades Dela Maiſon du Roy ,
- DeBulonde
Et dela Ferté
GALANT. 147 M. le marquisdeGenlis,
M. deRenty.
M. le Comte deRoye,
Et M. de Boquemar ,
Eſtoient à Lehen,avec les Brigades DeBeaupré,
DeVivans,
De Boiſdavid ,
Et de Vendofme.
M. le Baron de Monclar,
EtMile Marquisde Lambert,
Eſtoient à Betzenhuls , avec les
Brigades DeMoreüil ,
DeDugas,
• Et deJoſſau
८
M. le Comtede Maulevrier
Colbert,
EtM. le Comtede Broglio,
Gij
148 LE MERCVRE Eſtoient à Zering , avec les
Brigades
De S. Loup ,
De Bertillac ,
Et les Dragonsde Liſtenay Et de Teffé.
M. le Comtede Schomberg
eſtoit à Herdem
Brigades DeNovion ,
Etde Nefle.
T
avec les
La Brigade de M. d'Aubijoux eſtoit à Viter , Fauxbourg brûlé.
Les Dragons du Roy & de duFay , eſtoient à Neter ; Et la Brigade de la Valete , à Gun- terſtal & à Delhuts..
Apres cette diſpoſition , il
GALANT. 149
د
changea l'ordre qui avoit eſté donné pour l'ouverture de la Tranchée & voulut qu'on
l'ouvriſt de l'autre coſté de la
Ville , laiffant la Montagne à
gauche. Il fit conſerver le pre- mier Logement pour ſervir de fauffe Attaque. Le meſme jour M. le Comte de Schomberg emporta l'Epée à la main , deux Redoutes avancées fur la hauteur du Chaſteau. Il eſtoit à la
teſtede trois cens Hommes,foutenusdes Brigadesde Norman- die&de Nefle..
La Tranchée fut ouverte à
l'entréede la nuit. Les Officiers
Generaux estoient M'le Comte
de Maulevrier- Colbert , & M"
de laFeüillée &deBoiſdavid.M.
le Marquis de Harcour-Bévron commandoit deuxBataillons de
Picardie.Deux autres de ChamGiij
150 LE MERCVRE pagne prenoient les ordres d'un des principaux Officiers de ce Corps. Comme les François ſont intrepides & accoûtumez à
vaincre ,& qu'on vouloitvenir promptement à bout de cette Entrepriſe ,on ne ſuivit point la pratique ordinaire,qui eſt d'ou- vrir la Tranchée fort loin de la
Place.Elle futcommencée affez
prés ,&ontira une grande Li- gne paralelle à la portée duPi- ſtolet. Les Bateries qu'on avoit dreffées la nuit , tirerent à la pointe du jour. Elles ruinerent des Flancs & des Embraſures
par où les Ennemis pouvoient tirer. La Garde de la Cavalerie
eſtoit commandée par M. de Neuchelles LieutenantdesGardes du Corps. On perdit quel- ques Officiers fubalternes. M. Je ComtedeBuffay undesLieu-
GALANT.
151I
.
tenansGeneraux de l'Artillerie,
&M. deCulan Colonel de Picardie, furenttuez.
LesBataillonsde Normandie ,
Feuquieres , la Marine, &Vau- becour, releverent la Tranchée
la nuit du onze au douze. M.le
Marquis de Choiſeüil , M's les Comte de Broglio & d'Aubi- joux, eſtoient de jour. On pré- para toutes choſes pour ladef- cente du Foffe , & on ſe contenta de ſe loger ſur le bord,
parce qu'on le trouva large &
difficile à combler. On mit encor quelques Pieces enbaterie par les ſoins de M. le marquis de la Freſeliere. Elles furent
tres--bien ſervies, &Monfieur le
Mareſchal de Créquy paſſa la nuit àſon ordinaire , c'eſt àdire
dans la Tranchée. Comme le
clair de Lune eſtoitgrand, nous Gj
152 LE MERCVRE perdîmes quelques Gens cette nuit-là . M. de la Tillaye Lieute- nant Colonel du Regiment de
Normandie , Officier d'un merite fingulier , fut tue. M. d'Af- fonville Aydede CampdeM.de Créquy ,& M. de Roquefeüille Enſeigne de ſes Gardes, furent bleſſez. On fit une Bréche de
quarantepas par le haut , apres laquelle on ſomma le Gouver- neur , qui fier d'avoir appris fon Meſtier parmy les Troupes de France , répondit qu'un Hom.
me comme luy ne ſe rendoit pas au premier Affaut.
La Tranchée fut relevée la
nuitdu douzeau treize , par M. le Comte de Roye , M. de Boquemar , & м. le Chevalier de Novion , avec les Bataillons
d'Auvergne , de Bretagne , &
de Dampierre. On travailla à
GALANT 153
une nouvelte Sape &àune au- tre Baterie qui voyoit la Bréche àrevers ,&on élargit les Travaux.
د
Le treize au foir , les Officiers Generaux qui releverent la Tranchée , furent M" les maгquis deGenlis , de Renty , &de la Ferté avec les Bataillons
d'Orleans , de la Couronne , &
de la Freſeliere. Onavança fort par les Sapes , & l'on travailla à
une mine. Monfieurle Mareſchal
deCréquy alla luy-meſme re- connoiſtre la Breche , & refolut de tenter unLogementdef- fus , ayant reconnuque les En- nemis netravailloientpointder- riere. Des Gens détachez avec
des Travailleurs , deſcendirent
dans le foffé avecdes Echelles,
&monterent àla Brêche àqua- tre heures. Elle ne futdefenduë
G V
154 LE MERCVRE que parun grand feuque firent
les Affiegez des Maiſons qu'ils avoient percées. On la paffa malgré cet obſtacle. Ceux qui fe rencontrerent dans les Ruës
furent tuez. Onapprocha de la
Porte de la ſeconde Envelope..
Les Bataillons d'Orleans &dela
Freſeliere eurent ordre de M. de
Créquy d'entrer par la Bréche:
pour ſoûtenir les Gens déta- chez. M. le marquis de la Ferté &M. de Tracy ſe ſaiſirent des Poſtes avancez avec beaucoup d'intrépidité , & y mirent des Soldats. м. lе mаrquis de la Fer- té fut bleſſé en cette occafion..
M. le marquis de la Freſeliere le
fut auſſi le meſme jour , en don- nant ſes ordres avec ſon activité
ordinaire,pour faire avacer une Piece deCanon contre laPorte
qui ſe trouva bouchéede fumier..
Y
GALAN T. 135 La Tranchée fut relevée par les Regimens de Vendoſme ,la Ferté, Condé , & la Fére. Les
Officiers Generaux estoient M.
le Comte de Maulevrier , M.le
Marquis de Bouflairs , & M. le
Duc de Vendofme. M. de Cré-
-quy voulut preffer l'Attaque de laVille;&pour cet effet , pen- dant que le Canon batoit en
Brêche , il ordonna au Regi- mentde la Ferté qui avoit late-- ſte de ladroite,de faire un Logement fur le borddu Foffe , &
mefme la defcente; &à celuy deVendoſme , de faire la mer
mechoſeſurlagauche. Comme le terrain eftoit tout pavé , on ne pût aisémentremuer la ter re,&il falut porter avec ſoy-de-- quoy ſe loger. Il ne ſuffit pasd'e- ftre François pour oſer tenter unepareille Entrepriſe , il faut
Gvj
296 LE MERCVRE eſtre neſous le Regnede Loüis XIV. dont l'exemple n'inſpire que des prodiges. M. de Laubanie Major du Regiment de la Ferté,y futbleſſé d'unautre cofté . M. le Comte de Schomberg:
s'empara d'un Ouvragede terre
qui couvrait la Redoute depier- re dont le Chaſteau eft commandé,&un peu apres il ſe ren dit maiſtre de cette Redoute par le moyendedeux Pieces de Ca- non que les Anglois avoient guindées , dont ils furent bien récompenfez par M. le maref- chal de Créquy. Le premier coup de Canonemporta la teſte deceluy qui commandoit dans cette Redoute , dont la priſe avança fort celle de la Ville. On tenta deux Logemens pourfot- tenir celuy qu'on avoit fait au- pres du reveſtiſſement du Foffé,
GALANT. 157 Noftre General nevoulut pas les faire achever, parce qu'il fa loit alleràdécouvert, &effuyer le feu du Canon chargé àcar touches. C'eſtoit en plein jour ,
&cependant l'ardeurdesTrou- pes eſtoit fi grande, qu'on eut toutes les peines du monde à les
faire retirer. Le Bataillon de
Vendoſme firmerveille en cette
occafion. M. Limbaut, qui erreſt Lieutenant Colonel, yfut blef- fé. Il eſt impoſſible de faire voir plusd'intrépidité &plus de con- duite qu'en fit paroiſtre M. le Ducde Vendoſme ; le péril ne l'étonnoit point,il eſtoitpartout,
il animoit les Soldats , & l'on
peut direque ſon exemplefervit beaucoup. m.de Créquy fit tout diſpoſer pourl'Affaut.resEnne- mis l'appréhendérent , & bati- rent la Chamade, Ils envoyerent
158 LE MERCVRE un Oftage , & reçeurent en fa place M. de Courvaillon Lieute- nantColonel deCondé. LaNégotiation dura quelque temps.
On permit auxOfficiers d'aller voir laBréche. Le Gouverneur
demanda deux Pieces de Canon, on luy en accorda une , &
la ſeconde fut donnée en confidération duMarquis de Baden.
LesArticles ordinaires ayateſté dreſſez , les Ennemis livrerent
une Portede la Ville , &une du
Chaſteau.. Il n'eſtoit pas neuf heures du matin: La Garnifon
qui estoit encorde quatre cens Chevaux , & de dix-fept cens Hommesde pied , fortit àmidy,
&fut conduite àReinsfeldt. M. d'Oſſonville partit auſſitoſt par l'ordre de M. le Mareſchalde
Créquy, pour aller rendrecom-- pteauRoydu prompt ſuccésde
6
GALANT. 159 cetteſurprenante Entrepriſe.
Cette nouvelle Conqueſte vafourniraux beaux Eſpritsune ample matiere d'écrire.. Voicy ce qui me vientd'eſtre envoyé.
Lifez , Madame. Ces Vers ſont
dignes de celuy qui les a faits.
Vous avez déja veu de belles choſesde luy, & vous en con- viendrez , quand ilmefera per- misdevous le nommer..
SUR LA PRISE
DE FRIBOVRG
Ndit que tous les Rois font les
vives Images
De l'Estre indépendant qui reçoit nos hommages,
Etqu'un écoulement de la Divinité Eaitfur lefront des Rois briller saMa jesté..
rbo LE MERCVRE
Maissi jamais un Roy dans sa toute puissance Apûtflater ſon cœur de cette reſſem- blance,
C'est le Roy des François , ce premier des Mortels
Qui de nos vieux.Héros renverſe les
Antels,
Qui tientfousfes Lauriers leursPat mes étouffée ,
Decesfaux Demy Dieux détruit tous les trophées,
Etprépare une Histoire à la Posteri té
Qui nepeut espérer que l'incrédulité.. Lorsque LOVISparoiſtdans une paix.
profonde,
Son ame eft occupée à gouverner le Monde, ৮
Etlesſoinsaffidus de ſon plus doux re--
pos Guident les mouvemens de cent mille
Héros.
Ceuxqui vont ſousſon Nomde Victorreen Victoire ,
>
Brillansdeses rayons , &convertsdefar gloire,
GALANT. 161
Sonttoujours agiſſansfur la Terre &les Mers ..
Etcraignent le reposplus que tous les dangers.
Créquy , c'estoit affezd'avoir dans ta
Campagne Arrêtéles efforsdecesRoisd'allemagne,
Et d'avoirfait connoistre , à tant de Souverains ,
Celuy quevent leCielpourMaistre des Humains.
Chaque instant , chaque pas valoitune Conqueste;
Maisdetant de Lauriers tu veuxchargertaTeste ,
Que le Sortde laGuerre avec tous fes bazars
N'aitplus pourtoy de foudre ,&te gale aux Césars.
LeSiegede Fribourg , cette haute Entrepriſe Apeineestoit connu , quand on a ſçen
Sapriſe;
:১
Et ceux qui chez le Prince avoient quelques accés,
S'informent du deſſein ,ont appris le Succés.
162 LE MERCVRE
Vy,gloire des François , vy Héros magnanime ,
Seurde tout nostre amour ,de toutenoStre estime ;
Mais en vivantpour nous, connois ce
que tu vaux ,
Etmenagetes jours parmy tant detravaux ;
Nenous force jamais à regretter un Homme
Que Fabrice enviroit , s'il renaiſſoir dansRome
Et laiſſe profiterles Peuplesfans effroy Dessoins d'un grand Sujet ſousles Loix d'unGrandRoy
CeMadrigald'une Perſonne dequalité ſur le meſme fujer ,
merite bienque vous le voyiez.
Ovelques datsd'Allemagne braves que foient ,
lesSolEtceux quifont nourrisſous les armes d'Espagne ,
On nevoitqu'enEsté leurs plus vail lansGuerriers..
:
GALANT. 163 Danslabelle Saiſon tout lemonde mois- Sonne;
Loüisſeul en Hyver , au Printemps,
dans l'Automne ,
Surl' Empire,en tous lieux ,fçait cüeillir desLauriers.
C'eſt aſſurément quelque choſe de ſurprenant , que d'a- voir ajoûté Fribourg dans le commencementde l'Hyver, aux Conqueſtes qui avoient eſté fai- tes avant le Printemps. Si-toſt qu'il fut pris , M le Mareſchal deCréquy y fit tracer de nou- velles Fortifications. M. leMarquis de Lambert Mareſchal de
Camp y doit commander , &
M. de S.Juſt ſous luy. Il eſtoit Lieutenant de Roydans Philif- bourg. Il ade la conduite , &
fçait faire valoir les avantages quedonnent les Placesde cette importance.. M. de Créquy ne
164 LE MERCVRE
F
demeura pas longtemps dans celle- cy.La Victoire l'appellant ailleurs , ily mena la Maiſon du
Roy. M.le Marquis de Genlis ,
& M le Comte de Broglio eſtantdejour , ſe mirent à la te- ſte de l'Armée. M. le Marquis deVillars qui commandoit trois censHommes avancez, rencontra plufieurs Regimés deCava- lerie, if en batit l'Arrieregarde,
qu'il poursuivit longtemps avec la meſme vigueur &la meſme conduite qu'il adéja fait paroi ſtre plufieurs fois pendant cette Campagne , quoy qu'il foit dans une grande jeuneffe. Il fit plus de ſoixante Priſonniers , entre
leſquels eſtoient deux Capitai- nes , &ily eurenviron quaran te Dragons tuez. Nous euffions pouffé nos avantages plus loin-,
fanousn'eufſſions pointeſtédans
GALANT. 165 unegorge de Montagne où les Troupes avoient beaucoup de peine àpaſſer. Les Ennemis en eurent plus de temps pour fuir.
On prit en ſuite la Ville &le Chaſteau de Vvalkvik , qui ſe rendirent apres avoir eſté ſom- mez. Ony trouva unegrande quantité de toute forte de Pro- viſions. Cette Place eſt à deux
lieuës de Fribourg dans uneVal- léequi conduit en Suabe.
Je ne puis quiter l'Armée d'Allemagne , ſans vous dire que les demeflez du Prince Charles &de Monfieur le Duc
de Vendoſme dont je vous ay parlé , ne regardent que les in- tereſts du Roy & de l'Empe- reur. Ils conſervent une par- faite eſtime &une fort grande honneſteté l'un pour l'autre.
Monfieur de Vendoſme, com
166 LE MERCVRE
me un des plus proches &des plus illuftres Parens de la Ducheſſe de Lorraine , luy a toû- jours rendu ſes devoirs , & l'a viſitée ſouvent à Strasbourg. Si ces Princes s'y rencontroient ,
ils feroient comme nos Braves,
de l'une&de l'autre Armée qui apres s'eſtre régalez malgré la diverſitédu Party , ſe batent au fortir des Lieux où l'on obſerve
la Neutralité comme s'ils ne
s'eſtoient point connus auparavant. ر
Fvj
132 LE MERCVRE
Partis. Monfieur de Créquy fit donner ordre au Gouverneur
de la Petite - Pierre d'en envoyer par derriere l'Armée en- nemiequi en fut incommodée.
Il fit auſſi brûler les Fourages de tous les lieuxd'oùilsen pou- voient tirer,&les inquieta tel- lement , qu'apres les avoir ba- tus engros , on peutdire ( fi ce n'eſt point abuſer du terme)
qu'il les batit encore en détail.
Depuis ce temps - là , ils ne fçeurent plus ny ce quils fai- ſoient , ny ce qu'ils vouloient faire. Ils manquent de Foura- ges , en vont chercher à huit lieuës,& cesGensquidevoient tout prendre , craignent qu'on ne leur prenne Sarbrük. Ils s'é- loignent peu à peu de noſtre Armée. M' Jacquier tombe ma- lade , tout le monde fait des
GALANT. 133
r
vœuxpour luy ; mais les ordres font fi bien donnez , que les Noftres ne manquant de rien,
ne recoivent aucun préjudice de fa maladie. Monfieur de
Créquy prend le Fourage de quatre Villages des environs de Strasbourg. On luydéputepour luy enfaire des plaintes. Il ré- pond à ceux qui en font char- gez , qu'il faut qu'il ſe ferve de ce qui eſt à portée , qu'ils l'ont bien voulu, &qu'ilempefchera le,deſordre. Il envoye en effet.
ſes Gardes pour l'empefcher.. Les ennemis n'ontque du Bled
de Turquie &de la Paille;&
apres avoir efté chez eux ſe rafraichir &prendre du mon- de,des munitions &de l'argent,
ils viennent ſe ruiner de nouveau. Ils apprennent qu'on a
blâme à Vienne l'imprudence
:
3
134 LE MERCVRE qu'ils ont euë d'engager urr Combat à la Journée de Cокеberg contre la Maiſon du Roy,
celle de l'Empereur ( dont en cette Occafion les Cuiraffiers
faiſoient partie ) n'eſtant pasca- pable de luy refifter. Pendant qu'ils fongent à aller prendre leurs Quartiers d'Hyver , on réſout d'affieger Fribourg. On cache ce deſſein. Les meſures
font priſes àla Cour & à l'Ar- mée. Rien ne ſe découvre du
Secret , rien n'en échape. Les Ennemis croyent qu'on va a
Sarbruk,&on fait tout ce qu'il faut pour les entretenir dans cette penſée. Ils y envoyentdes Troupes. Onenfait avancerde Flandre pour les mieux trom- per. Admirez cette conduite.
Tout agit , tout marche , &
rien ne paroiſt. Avantqued'en-
GALANT. 135
Π
コ
trer dans les particularitez du Siege , il eſt aſſez à propos de vous faire connoiſtre l'impor- tance de la Place. Elle estoit autrefois la Capitale du Canton Catholique appellé le Canton deFribourg. Sa fituation eft en partie fur une Montagne , &
en partie fur le panchant de cette Montagne. La Riviere de Sana l'environne preſque en- tiere,&luy fertd'un large Foffé,
qui fait la ſeparation d'un grand Fauxbourg. Ce Fauxbourg a fes
Portes & ſes Murailles , & fe
joint à la Ville par trois grands Pontsquidonnent communica- tion de l'un à l'autre. C'eſt du
coſtéde la Riviere où Fribourg eſt au Midy ſur le panchant de la Montagne. La Montagne eſt de l'autre coſté avec des Rochers eſcarpez en façon de
136 LE MERCVRE
haute Muraille au bordde cette
meſme Riviere , en forte qu'il n'y a pointàcraindre qu'on les puiſſe eſcalader. La Ville eft
Ipatieuſe.C'eſtun Eveſché , &
la plus conſidérable des trois
Univerfitez des Terresde l'Empereur. On l'a fortifiée d'une
maniere qui f'auroit renduë im- prénable à d'autres qu'à des
François. Elle a deux foſſez où
ily a des retenuës d'eau , deux Murailles avec des Tours , &
une grande Redoute de pierre plus élevée que la Citadelle,
qui eſt de quatre Baſtions ſur la hauteur. Cette Place a eſté
jugée d'une telle conféquence,
que l'ordre eſtoit donné de le
ver le Siege de Philifbourg ,
plutoft que de la laiffer perdre ſi on l'euſt attaquéependant ce Siege. Je ne vous feray point
GALAN T. 137
e
|
un long Détail de ceux à qui
elle a appartenu,je vous diray ſeulement qu'elle est preſente- ment à l'Empereur,& qu'on ne peutl'entendre nommerſans ſe ſouvenir des grands & prodi- gieux Exploits qu'a faits autre- foisMonfieur le Prince en Allemagne , lors qu'il n'eſtoit en- cor que Duc d'Enguien. La priſe de cette place eſtoit d'au- tantplus importante pour nous,
qu'eſtant dans le Pays de l'Em- pereur , il ne sçauroit avancer ſur les Terres qui nous appar- tiennent , qu'on en faſſe auffi- toſt demeſme fur celles quiſont,
à luy. Joignez à cela que Fri- bourg eſtant fort grand , ony
peut mettre ſept ou huit mille hommes enGarniſon , dontune partie ſera toûjours preſte à la defendre , tandis que l'autre
138 LE MERCVRE s'étendra dans le Païs. Depe- tites Places pareilles à Phi- lifbourg ne font pas ſi avanta- geuſes. Ce ne ſont que des For- tereſſes qui ne pouvant conte- mir un fi grand nombre de Troupes , ne peuvent faire de ſi grandes executions. D'ailleurs Fribourg affure Briſac que les Ennemis menacent depuis &
long-temps, &àl'avenir ils par- leront peut-eftre moins del'af- freger , que de reprendre ce qu'ils ont perdu. Cette Place ne nous met pas ſeulement en pouvoir de faire contribuer la Suabe ; mais elle nous donne
moyen d'entrer dans les Païs Hereditaires , & ofte à l'Empe- reurune partie confiderable de fes Revenus , eſtant certain que la pluſpart des Penfions qu'il donnoit à ſes Officiers eſtoient
GALANT. 139
|-
|-
afſignées ſur ce qu'il retiroit de Fribourg. Le Pays eft fort rem- ply de Nobleffe , & n'a gue- res de Païſans qui ne foient ri- ches. La Place n'eſt commandée par aucune Ville , & elfe commande à toutes celles des
environs. Sa priſe rompt les meſures des Ennemis , leur fait
quiter leurs Quartiers d'Hyver,
&les oblige àen chercher d'au- tres. Adjoûtez à ces avanta- ges , celuy de nous eſtre ren- dus maiſtres d'une Place où
font tous les Magaſins donton
auroit eu beſoin pour le Siege de Briſac. Cependant fi les dif- ficultez augmentent la gloire,
onpeut dire qu'il n'y a rien qui égale celle des François. Ils ne s'attachent jamais à des Entre- priſes faciles, &les Places qu'ils ont attaqué cette année ont
140 LE MERCVRE toûjours paſſe pour impréna- bles. Fribourg l'euſt efté ſans doute pour d'autres Ennemis
que pour eux ; & quoy qu'elle ne ſoit pas auſſi forte que Va- lenciénes, Cambray,& S.Omer,
mille difficultez en devoient
rendre la Priſe impoffible. C'eſt une Ville environnée de Dé- filez qui devoient empefcherde l'affieger, ſi les Impériaux n'euf- ſent pas manquéde prévoyan- ce; & toute Place dont on peut empeſcher le Siege, peut paffer pour imprenable. Sa ſcituation furle panchantde la Montagne,
pouvoit donner lieu de la mieux défendre. Elle avoit des Munitions deguerre &de bouche,
& un Commandant qui a toû- jours paſſé pour avoir de la conduite & du cœur. L'Hyver avoit commencé de puis long2
GALANT. 141 temps en ce Païs-là ; il y avoit plus de trois ſemaines qu'il ef- toit couvert de nége , & cepen- dant on réſout d'inveſtir Fribourg. On ne peut dire qu'on aitprévenules Ennemis , pour ſe mettre en campagne avant la Saiſon ; qu'ils n'avoient point de Troupes fur pied , &qu'on eſtoit éloigné d'eux. Le con- traire eft connude tout le monde , les Armées eſtoient pro- ches l'une de l'autre , & la leur
eſtoit forte quand on a formé ce deſſein. Mais dequoy ne vient-on point à bout , quand ce qu'on entreprend eſt bien digeré, & qu'on execute avec beaucoup devaleur &de conduite des Ordres envoyez avec de prudentes reflections ? M
le Mareſchal de Créquy apres avoir donné aux Ennemis la
142 LE MERCVRE jalouſie dont je vous ay deja parlé,fait courir le bruit dans ſon Camp , qu'il attend pour le quiter , que le Prince Charles aitdécampé. Cependant il part une heure apres , & fe rend à
Briſac avec unediligence incro- yable.Il avoit donné ordre qu'on fiſt un Pont de Bâteaux fur le
Rhin. Il fut achevé en douze
heures par les ordresde M. de Viſſac. Cet illuſtre General ayant veu que toutes les choſes qu'il avoit euſoin de faire pré- parereſtoienten état , ordonna
unDéchementde quinze mai- ſtres par Compagnie , & м. de Lançon LieutenantGeneraleut ordre de demeurer avec le reſte
de la Cavalerie dansdesQuar- tiersdepuis Scheleſtat juſques à
Briſac. Admirez la conduite de
Monfieur de Créquy. Il s'éloi-
GALANT. 143 gne des Ennemis ſans en éloi- gner ſes Troupes. Elles couvrent encorBrifac & Scheleſtat , & il
oſte aux Ennemis le moyen de faire aucune Entrepriſe pen- dant qu'il aſſiegera Fribourg ,
en casqu'ils ne veulent pas ten- ter de le ſecourir. Apres tant d'ordres auſſi judicieuſement que ſecretement donnez , M. le Baron de monclar part à dix heures du ſoir avec uneBrigade de Cavalerie , les Dragons de du Fay ,& cinq Bataillons que commandoit M. d'Aubijoux,
afin d'inveſtir Fribourg. Le reſte de l'Armée défila à la
pointe du jourſur deux Ponts ;
&d'abord queles autres Trou- pesordonnées pour cette Expe- dition eurent paffé , M. deCré- quyſe mità lateſte de la maiſon duRoy. Jevousaydéja marqué
:
144 LE MERCVRE
qu'il y avoitdes Défilez pour ar- river à Fribourg.M. le marefchal de Créquy fit couper beaucoup deBois qui les embaraſſerentde telle forte , que les Ennemis n'auroient pû les paſſer fans beaucoup de peine , & fans grande perte. Le voila devant Fribourg. Si ceux de la Place furent étonnez de voir qu'on les affiegeoit , les Affiegeans ne le furentpasmoins , de connoiſtre ledeſſeinqu'on avoitpris , le ſe- cret ayant eſté ſi bien gardé,
qu'ils n'avoient ſçeu juſques-là enquel lieu onles menoit.Quad cette Nouvelle fut publiée àla Cour , leGeneral major Harang (qui comme vous ſçavez avoit eſtéprisdans la Journée de Cox- berg) dit qu'il eſtoit impoſſible que le Siege fut veritable , à
moins que l'Armée de l'Empereur
GALANT. 145 reur ſon Maiſtre n'euſt eſté entierement défaite. Et quand il apprit qu'on ne s'eſtoit point ba- tu,il admira la merveilleuſe conduite duRoy, laprudence de ſes Miniſtres & l'ardeur infatigable de ſes Generaux. Toutes les
Troupes n'eſtant pas encor arri- vées,m. le mareſchal de Créquy viſita la Place , les Poſtes & les Paſſagesdes environs,avant que defaire la diſpoſition des Quar- tiers. Les Ennemis brûlerent un
deleurs Fauxbourgs ,&tirerent pluſieurs volées de Canon ſur lesTroupes les plus avancées.M.
d'Aubijoux ſe logea avec les cinq Bataillons dans le Faux- bourgbrûlédu coſté de la gorge de la montagne , où l'on reſolut defaire l'Attaque. Il pouſſa mef- meunLogement avec cinquan- teHommes , à quelques pas du Tome IX. G
146 LE MERCVRE Foffé. Les Ennemis firent un
affez grand feu. Il n'y eut que vingt Soldats tuez &bleffez, un Capitaine'd'Orleans tué , &un de Feuquieres bleſſé. Le lende- main le reſtedes Troupes eſtant arrivé , M. le marefchal diſpoſa les Quartiers dans l'ordre fui- vant,afin que les Troupes ne fouffriffent point.
DISPOSITION DES .
Quartiers de'lArmée devant
Fribourg le 10. Novembre.
M. deChoifeuil,
Monfieur de la reüillée,
M. de Hautefeüille ,
Eſtoient à Vendeling , avec les Brigades Dela Maiſon du Roy ,
- DeBulonde
Et dela Ferté
GALANT. 147 M. le marquisdeGenlis,
M. deRenty.
M. le Comte deRoye,
Et M. de Boquemar ,
Eſtoient à Lehen,avec les Brigades DeBeaupré,
DeVivans,
De Boiſdavid ,
Et de Vendofme.
M. le Baron de Monclar,
EtMile Marquisde Lambert,
Eſtoient à Betzenhuls , avec les
Brigades DeMoreüil ,
DeDugas,
• Et deJoſſau
८
M. le Comtede Maulevrier
Colbert,
EtM. le Comtede Broglio,
Gij
148 LE MERCVRE Eſtoient à Zering , avec les
Brigades
De S. Loup ,
De Bertillac ,
Et les Dragonsde Liſtenay Et de Teffé.
M. le Comtede Schomberg
eſtoit à Herdem
Brigades DeNovion ,
Etde Nefle.
T
avec les
La Brigade de M. d'Aubijoux eſtoit à Viter , Fauxbourg brûlé.
Les Dragons du Roy & de duFay , eſtoient à Neter ; Et la Brigade de la Valete , à Gun- terſtal & à Delhuts..
Apres cette diſpoſition , il
GALANT. 149
د
changea l'ordre qui avoit eſté donné pour l'ouverture de la Tranchée & voulut qu'on
l'ouvriſt de l'autre coſté de la
Ville , laiffant la Montagne à
gauche. Il fit conſerver le pre- mier Logement pour ſervir de fauffe Attaque. Le meſme jour M. le Comte de Schomberg emporta l'Epée à la main , deux Redoutes avancées fur la hauteur du Chaſteau. Il eſtoit à la
teſtede trois cens Hommes,foutenusdes Brigadesde Norman- die&de Nefle..
La Tranchée fut ouverte à
l'entréede la nuit. Les Officiers
Generaux estoient M'le Comte
de Maulevrier- Colbert , & M"
de laFeüillée &deBoiſdavid.M.
le Marquis de Harcour-Bévron commandoit deuxBataillons de
Picardie.Deux autres de ChamGiij
150 LE MERCVRE pagne prenoient les ordres d'un des principaux Officiers de ce Corps. Comme les François ſont intrepides & accoûtumez à
vaincre ,& qu'on vouloitvenir promptement à bout de cette Entrepriſe ,on ne ſuivit point la pratique ordinaire,qui eſt d'ou- vrir la Tranchée fort loin de la
Place.Elle futcommencée affez
prés ,&ontira une grande Li- gne paralelle à la portée duPi- ſtolet. Les Bateries qu'on avoit dreffées la nuit , tirerent à la pointe du jour. Elles ruinerent des Flancs & des Embraſures
par où les Ennemis pouvoient tirer. La Garde de la Cavalerie
eſtoit commandée par M. de Neuchelles LieutenantdesGardes du Corps. On perdit quel- ques Officiers fubalternes. M. Je ComtedeBuffay undesLieu-
GALANT.
151I
.
tenansGeneraux de l'Artillerie,
&M. deCulan Colonel de Picardie, furenttuez.
LesBataillonsde Normandie ,
Feuquieres , la Marine, &Vau- becour, releverent la Tranchée
la nuit du onze au douze. M.le
Marquis de Choiſeüil , M's les Comte de Broglio & d'Aubi- joux, eſtoient de jour. On pré- para toutes choſes pour ladef- cente du Foffe , & on ſe contenta de ſe loger ſur le bord,
parce qu'on le trouva large &
difficile à combler. On mit encor quelques Pieces enbaterie par les ſoins de M. le marquis de la Freſeliere. Elles furent
tres--bien ſervies, &Monfieur le
Mareſchal de Créquy paſſa la nuit àſon ordinaire , c'eſt àdire
dans la Tranchée. Comme le
clair de Lune eſtoitgrand, nous Gj
152 LE MERCVRE perdîmes quelques Gens cette nuit-là . M. de la Tillaye Lieute- nant Colonel du Regiment de
Normandie , Officier d'un merite fingulier , fut tue. M. d'Af- fonville Aydede CampdeM.de Créquy ,& M. de Roquefeüille Enſeigne de ſes Gardes, furent bleſſez. On fit une Bréche de
quarantepas par le haut , apres laquelle on ſomma le Gouver- neur , qui fier d'avoir appris fon Meſtier parmy les Troupes de France , répondit qu'un Hom.
me comme luy ne ſe rendoit pas au premier Affaut.
La Tranchée fut relevée la
nuitdu douzeau treize , par M. le Comte de Roye , M. de Boquemar , & м. le Chevalier de Novion , avec les Bataillons
d'Auvergne , de Bretagne , &
de Dampierre. On travailla à
GALANT 153
une nouvelte Sape &àune au- tre Baterie qui voyoit la Bréche àrevers ,&on élargit les Travaux.
د
Le treize au foir , les Officiers Generaux qui releverent la Tranchée , furent M" les maгquis deGenlis , de Renty , &de la Ferté avec les Bataillons
d'Orleans , de la Couronne , &
de la Freſeliere. Onavança fort par les Sapes , & l'on travailla à
une mine. Monfieurle Mareſchal
deCréquy alla luy-meſme re- connoiſtre la Breche , & refolut de tenter unLogementdef- fus , ayant reconnuque les En- nemis netravailloientpointder- riere. Des Gens détachez avec
des Travailleurs , deſcendirent
dans le foffé avecdes Echelles,
&monterent àla Brêche àqua- tre heures. Elle ne futdefenduë
G V
154 LE MERCVRE que parun grand feuque firent
les Affiegez des Maiſons qu'ils avoient percées. On la paffa malgré cet obſtacle. Ceux qui fe rencontrerent dans les Ruës
furent tuez. Onapprocha de la
Porte de la ſeconde Envelope..
Les Bataillons d'Orleans &dela
Freſeliere eurent ordre de M. de
Créquy d'entrer par la Bréche:
pour ſoûtenir les Gens déta- chez. M. le marquis de la Ferté &M. de Tracy ſe ſaiſirent des Poſtes avancez avec beaucoup d'intrépidité , & y mirent des Soldats. м. lе mаrquis de la Fer- té fut bleſſé en cette occafion..
M. le marquis de la Freſeliere le
fut auſſi le meſme jour , en don- nant ſes ordres avec ſon activité
ordinaire,pour faire avacer une Piece deCanon contre laPorte
qui ſe trouva bouchéede fumier..
Y
GALAN T. 135 La Tranchée fut relevée par les Regimens de Vendoſme ,la Ferté, Condé , & la Fére. Les
Officiers Generaux estoient M.
le Comte de Maulevrier , M.le
Marquis de Bouflairs , & M. le
Duc de Vendofme. M. de Cré-
-quy voulut preffer l'Attaque de laVille;&pour cet effet , pen- dant que le Canon batoit en
Brêche , il ordonna au Regi- mentde la Ferté qui avoit late-- ſte de ladroite,de faire un Logement fur le borddu Foffe , &
mefme la defcente; &à celuy deVendoſme , de faire la mer
mechoſeſurlagauche. Comme le terrain eftoit tout pavé , on ne pût aisémentremuer la ter re,&il falut porter avec ſoy-de-- quoy ſe loger. Il ne ſuffit pasd'e- ftre François pour oſer tenter unepareille Entrepriſe , il faut
Gvj
296 LE MERCVRE eſtre neſous le Regnede Loüis XIV. dont l'exemple n'inſpire que des prodiges. M. de Laubanie Major du Regiment de la Ferté,y futbleſſé d'unautre cofté . M. le Comte de Schomberg:
s'empara d'un Ouvragede terre
qui couvrait la Redoute depier- re dont le Chaſteau eft commandé,&un peu apres il ſe ren dit maiſtre de cette Redoute par le moyendedeux Pieces de Ca- non que les Anglois avoient guindées , dont ils furent bien récompenfez par M. le maref- chal de Créquy. Le premier coup de Canonemporta la teſte deceluy qui commandoit dans cette Redoute , dont la priſe avança fort celle de la Ville. On tenta deux Logemens pourfot- tenir celuy qu'on avoit fait au- pres du reveſtiſſement du Foffé,
GALANT. 157 Noftre General nevoulut pas les faire achever, parce qu'il fa loit alleràdécouvert, &effuyer le feu du Canon chargé àcar touches. C'eſtoit en plein jour ,
&cependant l'ardeurdesTrou- pes eſtoit fi grande, qu'on eut toutes les peines du monde à les
faire retirer. Le Bataillon de
Vendoſme firmerveille en cette
occafion. M. Limbaut, qui erreſt Lieutenant Colonel, yfut blef- fé. Il eſt impoſſible de faire voir plusd'intrépidité &plus de con- duite qu'en fit paroiſtre M. le Ducde Vendoſme ; le péril ne l'étonnoit point,il eſtoitpartout,
il animoit les Soldats , & l'on
peut direque ſon exemplefervit beaucoup. m.de Créquy fit tout diſpoſer pourl'Affaut.resEnne- mis l'appréhendérent , & bati- rent la Chamade, Ils envoyerent
158 LE MERCVRE un Oftage , & reçeurent en fa place M. de Courvaillon Lieute- nantColonel deCondé. LaNégotiation dura quelque temps.
On permit auxOfficiers d'aller voir laBréche. Le Gouverneur
demanda deux Pieces de Canon, on luy en accorda une , &
la ſeconde fut donnée en confidération duMarquis de Baden.
LesArticles ordinaires ayateſté dreſſez , les Ennemis livrerent
une Portede la Ville , &une du
Chaſteau.. Il n'eſtoit pas neuf heures du matin: La Garnifon
qui estoit encorde quatre cens Chevaux , & de dix-fept cens Hommesde pied , fortit àmidy,
&fut conduite àReinsfeldt. M. d'Oſſonville partit auſſitoſt par l'ordre de M. le Mareſchalde
Créquy, pour aller rendrecom-- pteauRoydu prompt ſuccésde
6
GALANT. 159 cetteſurprenante Entrepriſe.
Cette nouvelle Conqueſte vafourniraux beaux Eſpritsune ample matiere d'écrire.. Voicy ce qui me vientd'eſtre envoyé.
Lifez , Madame. Ces Vers ſont
dignes de celuy qui les a faits.
Vous avez déja veu de belles choſesde luy, & vous en con- viendrez , quand ilmefera per- misdevous le nommer..
SUR LA PRISE
DE FRIBOVRG
Ndit que tous les Rois font les
vives Images
De l'Estre indépendant qui reçoit nos hommages,
Etqu'un écoulement de la Divinité Eaitfur lefront des Rois briller saMa jesté..
rbo LE MERCVRE
Maissi jamais un Roy dans sa toute puissance Apûtflater ſon cœur de cette reſſem- blance,
C'est le Roy des François , ce premier des Mortels
Qui de nos vieux.Héros renverſe les
Antels,
Qui tientfousfes Lauriers leursPat mes étouffée ,
Decesfaux Demy Dieux détruit tous les trophées,
Etprépare une Histoire à la Posteri té
Qui nepeut espérer que l'incrédulité.. Lorsque LOVISparoiſtdans une paix.
profonde,
Son ame eft occupée à gouverner le Monde, ৮
Etlesſoinsaffidus de ſon plus doux re--
pos Guident les mouvemens de cent mille
Héros.
Ceuxqui vont ſousſon Nomde Victorreen Victoire ,
>
Brillansdeses rayons , &convertsdefar gloire,
GALANT. 161
Sonttoujours agiſſansfur la Terre &les Mers ..
Etcraignent le reposplus que tous les dangers.
Créquy , c'estoit affezd'avoir dans ta
Campagne Arrêtéles efforsdecesRoisd'allemagne,
Et d'avoirfait connoistre , à tant de Souverains ,
Celuy quevent leCielpourMaistre des Humains.
Chaque instant , chaque pas valoitune Conqueste;
Maisdetant de Lauriers tu veuxchargertaTeste ,
Que le Sortde laGuerre avec tous fes bazars
N'aitplus pourtoy de foudre ,&te gale aux Césars.
LeSiegede Fribourg , cette haute Entrepriſe Apeineestoit connu , quand on a ſçen
Sapriſe;
:১
Et ceux qui chez le Prince avoient quelques accés,
S'informent du deſſein ,ont appris le Succés.
162 LE MERCVRE
Vy,gloire des François , vy Héros magnanime ,
Seurde tout nostre amour ,de toutenoStre estime ;
Mais en vivantpour nous, connois ce
que tu vaux ,
Etmenagetes jours parmy tant detravaux ;
Nenous force jamais à regretter un Homme
Que Fabrice enviroit , s'il renaiſſoir dansRome
Et laiſſe profiterles Peuplesfans effroy Dessoins d'un grand Sujet ſousles Loix d'unGrandRoy
CeMadrigald'une Perſonne dequalité ſur le meſme fujer ,
merite bienque vous le voyiez.
Ovelques datsd'Allemagne braves que foient ,
lesSolEtceux quifont nourrisſous les armes d'Espagne ,
On nevoitqu'enEsté leurs plus vail lansGuerriers..
:
GALANT. 163 Danslabelle Saiſon tout lemonde mois- Sonne;
Loüisſeul en Hyver , au Printemps,
dans l'Automne ,
Surl' Empire,en tous lieux ,fçait cüeillir desLauriers.
C'eſt aſſurément quelque choſe de ſurprenant , que d'a- voir ajoûté Fribourg dans le commencementde l'Hyver, aux Conqueſtes qui avoient eſté fai- tes avant le Printemps. Si-toſt qu'il fut pris , M le Mareſchal deCréquy y fit tracer de nou- velles Fortifications. M. leMarquis de Lambert Mareſchal de
Camp y doit commander , &
M. de S.Juſt ſous luy. Il eſtoit Lieutenant de Roydans Philif- bourg. Il ade la conduite , &
fçait faire valoir les avantages quedonnent les Placesde cette importance.. M. de Créquy ne
164 LE MERCVRE
F
demeura pas longtemps dans celle- cy.La Victoire l'appellant ailleurs , ily mena la Maiſon du
Roy. M.le Marquis de Genlis ,
& M le Comte de Broglio eſtantdejour , ſe mirent à la te- ſte de l'Armée. M. le Marquis deVillars qui commandoit trois censHommes avancez, rencontra plufieurs Regimés deCava- lerie, if en batit l'Arrieregarde,
qu'il poursuivit longtemps avec la meſme vigueur &la meſme conduite qu'il adéja fait paroi ſtre plufieurs fois pendant cette Campagne , quoy qu'il foit dans une grande jeuneffe. Il fit plus de ſoixante Priſonniers , entre
leſquels eſtoient deux Capitai- nes , &ily eurenviron quaran te Dragons tuez. Nous euffions pouffé nos avantages plus loin-,
fanousn'eufſſions pointeſtédans
GALANT. 165 unegorge de Montagne où les Troupes avoient beaucoup de peine àpaſſer. Les Ennemis en eurent plus de temps pour fuir.
On prit en ſuite la Ville &le Chaſteau de Vvalkvik , qui ſe rendirent apres avoir eſté ſom- mez. Ony trouva unegrande quantité de toute forte de Pro- viſions. Cette Place eſt à deux
lieuës de Fribourg dans uneVal- léequi conduit en Suabe.
Je ne puis quiter l'Armée d'Allemagne , ſans vous dire que les demeflez du Prince Charles &de Monfieur le Duc
de Vendoſme dont je vous ay parlé , ne regardent que les in- tereſts du Roy & de l'Empe- reur. Ils conſervent une par- faite eſtime &une fort grande honneſteté l'un pour l'autre.
Monfieur de Vendoſme, com
166 LE MERCVRE
me un des plus proches &des plus illuftres Parens de la Ducheſſe de Lorraine , luy a toû- jours rendu ſes devoirs , & l'a viſitée ſouvent à Strasbourg. Si ces Princes s'y rencontroient ,
ils feroient comme nos Braves,
de l'une&de l'autre Armée qui apres s'eſtre régalez malgré la diverſitédu Party , ſe batent au fortir des Lieux où l'on obſerve
la Neutralité comme s'ils ne
s'eſtoient point connus auparavant. ر
Fermer
Résumé : Ce qui s'est passé en Allemagne depuis la Iournée de Kokberg, la Prise de Fribourg, la Défaite d'une Arriere garde des Ennemis, & la Prise de Valkrik. [titre d'après la table]
Après la victoire de la Journée de Cokeburg, les ennemis furent désorganisés et harcelés par divers partis. Monsieur de Créquy ordonna au gouverneur de la Petite-Pierre d'envoyer des troupes derrière l'armée ennemie, perturbant ainsi leurs mouvements. Il fit également brûler les fourrages des lieux d'où les ennemis pouvaient se ravitailler, les forçant à chercher des ressources à huit lieues de distance. Les ennemis craignaient la prise de Sarbrük et s'éloignèrent progressivement de l'armée française. Malgré la maladie de Monsieur Jacquier, les ordres furent bien exécutés, assurant que les troupes françaises ne manquèrent de rien. Monsieur de Créquy prit le fourrage de quatre villages près de Strasbourg, justifiant cette action par la nécessité de se servir de ce qui était à portée. Les ennemis, après s'être ravitaillés, furent de nouveau en difficulté. Ils apprirent que leur imprudence à engager un combat à Cokeburg avait été blâmée à Vienne. Pendant qu'ils songeaient à prendre leurs quartiers d'hiver, il fut décidé d'assiéger Fribourg, une place importante située en partie sur une montagne et entourée par la rivière de Sana. Fribourg était la capitale du canton catholique de Fribourg, un évêché et l'une des universités les plus considérables des terres de l'Empereur. Sa prise était cruciale pour empêcher l'Empereur d'avancer sur les terres françaises et pour assurer la défense de Brisac. Les Français, connus pour leurs entreprises difficiles, résolurent d'investir Fribourg malgré les défenses et les munitions de la place. Monsieur de Créquy, après avoir perturbé les ennemis, partit pour Brisac avec diligence, ordonnant la préparation d'un pont de bateaux sur le Rhin. Il investit Fribourg avec une brigade de cavalerie et des dragons, malgré les défiles qui entravaient l'accès. Les ennemis, surpris, brûlèrent un de leurs faubourgs et tirèrent plusieurs volées de canon. Monsieur de Créquy disposa les quartiers des troupes pour éviter les souffrances et ouvrit la tranchée malgré les difficultés. Les Français, intrepides et accoutumés à vaincre, commencèrent la tranchée près de la place pour agir promptement.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
3
p. 34-58
Leur Entrée à Cambray avec les honneurs qu'ils y ont reçus, les Harangues des Magistrats, & tout ce qu'ils ont vû, fait, & dit. [titre d'après la table]
Début :
Le lendemain 13. ils partirent pour aller coucher à Cambray, [...]
Mots clefs :
Cambrai, Ville, Comte de Monbron, Roi, Citadelle, Place, Médaille, Peuples, Harangue, Ambassadeurs, Archevêque, Français
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Leur Entrée à Cambray avec les honneurs qu'ils y ont reçus, les Harangues des Magistrats, & tout ce qu'ils ont vû, fait, & dit. [titre d'après la table]
Le lendemain 13. ils partirentpour
aller coucher àCambray
, & leur fortie fut auffi
éclatante qu'avoit eſté leur en
des Amb. de Siam. 35
:
trée. Cambray eſt une des plus
fortes Villes de l'Europe. Elle
eſt grande , belle , bien bâtie
, & fituée fur l'Elcaut qui
la traverſe d'un coſté. Elle
a double Citadelle. L'Egliſe
Metropolitaine de Notre-
Dame eſt tres - magnifique .
Son Chapitre eft compoſé de
48. Chanoines , & de 95. Eccleſiaſtiques
qui fervent dans
cette Eglife. L'Eveſché qui
avoit efté uny à celuy d'Arras
juſqu'à l'an 1095. fut erigé en
Archeveſché en 1559. par le
Pape Paul II. On tient que
Clodion conquit cette Villa
36 IV. P. du Voyage
en 445. Apres avoir eſté le
partage de Charles le Chauve
en 843. elle devint le ſujet de
la Guerre entre les Rois de
France , les Empereurs & les
Comtes de Flandre. Baudoüin
I. Comte de Flandre , l'ayant
prife & donnée à fon Fils Raoul
, les Empereurs ne laiſſerent
point de la declarer Cité
libre , fans que les François
cedaffent leurs droits . Charles
Quint ne voulut point s'en
tenir à la neutralité que le Roy
François I. luy avoit accordée.
Cet Empereur la prit en 1543 .
&fit bâtir une Citadelle aux
des Amb de Siam. 37
dépens des Habitans , auf
quels il fit croire que c'eſtoit
pour empêcher que les François
ne s'en emparaffent. Le
Duc d'Alençon Frere du Roy
Henry III . ayant eſté fait
Comte de Flandre, fut auffi
Maiſtre de Cambray. Il remit
cette Place à Jean de Montluc
Seigneur de Balagny , qui
prit le party de la ligue , &
fit enſuite ſa Paix avec le Roy
Henry IV. qui le fit Prince de
Cambray , & Marefchal de
France. Ce fut fur luy que les
Eſpagnols ſurprirent cette
Ville en 1595. Ils la fortifie38
IV. P. du Voyage
:
rent , y entretinrentunegroffe
Garnifon , & elle paffoit
pour une Place imprenable ,
mais elle ne l'a pas efté
pour LOUIS LE GRAND ,
qui apres avoir pris la Ville en
peu de jours, força laCitadelleà
ſe rendre le 16. Mars 1677.
La grande Citadelle qui eſt ſur
un lieu éminent , commande
toute la Ville , & a ſes foſſez
taillez dans le roc. Ceux qui
entourent les murailles de la
Ville ſont profonds & larges,
& ces murailles ſont reveſtuës
de bons Baſtions . Cambray
eſt defendu par un Fort du
des Amb. de Siam. 39
côté de la Riviere , & comme
la Ville eſt dans un Pays afſez
bas de ce côté-là , on en
pourroit inonder les environs
eny lâchant les Ecluſes ; les
autres Forts ſont auſſi tresimportans
. De grandes & belles
ruës aboutiſſent à la Place
où eſt la Maiſon de Ville .
C'eſt un magnifique Bâtiment
orné d'une Horloge tres-curieuſe
, que les Eſtrangers y
vont admirer. Male Comte
de Monbron , Gouverneur de
cette Place, envoya la Cavale.
rie au devant des Ambaffadeurs
juſques à moitié che
40 IV . P. du Voyage
mın de Valencienues. Ils trou
verent en approchant de la
Ville une fort grande quantité
de Peuple , & M. le Comte
de Monbron qui les attendoit
à la porte. Ils entreren
au bruit du Canon , & au tra
vers de l'Infanterie de laGar
nifon qui formoit deux haye
juſqu'à leur logis , au devan
duquel toute cette Infanterie
fit une décharge fi-tôt qu'ils
y furent arrivés. Ma le Comte
de Monbron s'y rendit peu
de temps aprés , & leur preſenta
Mdu Magiftrat , &
M Defgruſeliers , premier
Confeiller
des Amb. de Siam. 41
Conſeiller Penfionnaire , en
Robe , & Bonnet de velours
noir , qui leur fit le diſcours
fuivant.
MESSEIGNEURS,
L'honneur que la France vient
de recevoir par l' Ambaffade que le
trés-puiffantRoy de Siam a envoyée
à nostre invincible Monarque, fait
bien voir que l'éclat de fes Vertus
héroïques a prévalufur celuy defes
trésors & de ses finances. En effet,
la charmante conduite que Sa Ma
jefté tient pour gouvernerses peuples
, donne de l'admiration à toute
la terre , & ce n'est pas fans fujet
que le Roy vostre Maistre a voulu
Sefaire instruire de fes belles maxi-
D
42 IV. P. du Voyage
mes pour s'en fervir à l'égard de
fes Sujets , & les rendre heureux
par l'administration de la Iustice.
Cette Ambaſſade, Meßeigneurs, eft
d'autant plus celebre qu'elle s'eft
faite de la part du plus puiſſant
Roy de l'orient , au plus glorieux
Monarque de l'Europe ; &fi l'on
confulte l'Histoire , il ne s'est rien
vû de pareil depuis plusieurs fiecles,
fi ce n'est lorſque Charlemagne
, premier Empereur du Nom
François , ayant humilié l'infolence
l'impieté des Lombards, &affeuré
le Souverain Pontife Adrien I.
dansfon Pontificat, receut de luy la
Couronne Imperiale,&peu de temps
aprés les Ambaſſades des Rois de
Perse & de Fez , Celle que vos
Excellences viennent de faire , s'a
dreſſe à Louis le Grand, digne he-
7
des Amb. de Siam. 43.
ritier des Vertas de ce faint Empereur
, pour avoir donné la paixó
le repos à toute la Chreftienté , &
chaßé de ses Estats les Heresies de
Luther & de Calvin .
Heureux les Peuples qui vivent
Sous cette agreable domination ,
plus heureux encore ceux du grand
Roy de Siam , si profitant des travaux
& des lumieres que vos Excellences
leur donneront, ils parviennent
àla connoiſſance du grandRoy
du Ciel & de la Terre, &joüiffent
du bonheur d'estre gouvernez avec
La mefme douceur, que la bonté de
nostre grand Roy fait goûter àses
fidelles Sujets. C'est à cette fin que
nous leur adreſſons leſouhait duPoëte,
Vivite fælices, quibus eſt fortuna peracta,
Vobis parta quics eft, nullum jam æquor arang
dum,
/
Di
44 IV. P. du Voyage
Loüiffez , Peuples de Siam, de la
douceur du repos, puisque vos illuftres
Ambassadeurs vont repaffer les
mers pourvous porter les belles maximes
d'y parvenir & vous rendre
keureux dans la fuite de tous les
temps. C'est leſouhait que font avec
beaucoup de respect &de tendreſſe,
à vos Excellences , le Magistrat &
Peuple de la Ville de Cambray.
Cette harangue fut ſuivie
du preſent d'une Medaille
d'or du poids de vingt-ſept
piſtoles , dont la face droite
repreſente le Roy avec ces
mots Ludovico Victore
Pacis datore. La Ville de Cambray
paroift au revers avec
د
desAmb. de Siam. 45
ces paroles dulcius vivimus.
Toutes ces Lettres font numerales
hormis la lettre S , &
font enſemble l'an 1678. qui
fuit celle de la reduction de
cette Place en l'obeïſſance du
Roy , & dans laquelle ces
Peuples comencerent à reſſentir
les douceurs du Gouvernement
de Sa Majesté , ainſi
qu'ils le publient par le revers
de la Medaille qu'ils ont
eux-meſmes fait frapper.Cette
Medaille avoit eſté preſentée
au Roy en 1678. au
nom de la Ville de Cambray
par M Defgrufeliers , qui
r
46 IH. P. du Voyage
bien qu'il en ſoit l'Autheur ,
n'a cherché qu'à exprimer les
fentiments du Peuple. Lors
qu'ik la preſenta aux Ambaffadeurs
, il leur dit que cette
Medaille fervoit de preuve incontestable
de la fatisfaction que
Le Peuple de Cambray avoit
d'eftre au nombre des Sujets du
Roy, & qu'ils souhaitoient que
tous les Peuples du Monde en
puffent estre informés.
Le Diſtique ſuivant eſtoit
dansl'envelope de laMedaille.
Vicifti , Princeps , Vrbi pacemque dediſti
Qui Rex &Pater es , dulcius eße dabis.
des Amb. de Siam. 47
,
On preſenta enfuite aux
Ambaſſadeurs trois pieces de
toile tres-fine , de la fabrique
de Cambray & nommée
dans le Commerce , Toile de
Cambray depuis pluſieurs Siecles.
L'Ambaſſadeur répondit
que le Roy leur avoit fait
rendre de grands honneurs , en
les faiſant recevoir magnifiquement
dans tous les lieux où ils
avoient paffé ; qu'on leur avoit
montré par fon ordre toutes ses
Maiſons Royales , & tout ce
que ce Monarque a de plus curieux
; qu'on leur avoit fait voir
une partie de ſes Conquestes , où
48 IV . P. du Voyage
l'on n'avoit rien oublié pour leur
marquer l'estime qu'on a pour
le Roy leur Maître , à qui ils
feroient à leur retour un recit
fidelle de tous les honneurs qu'ils
avoient receus , & qu'ils n'oublieroient
pas de luy remettre entre
les mains la Medaille repre-
Sentant Sa Majesté, &la Ville
de Cambray , afin que la memoire
en fûtconfervée chez eux
pendant tous les Siecles à venir.
Ils ajoûterent qu'ils eftimoient
cette Medaille plus d'un million,
&aprés avoir remercié Ms
duMagiftrat, de l'exactitude
avec laquelle ils leur rendoier
tant
des Amb. de Siam. 49
d'honneurs , le premier Ambaffadeur
demanda une Co
pie de la harangue qui leur
venoit d'eſtre faite , afin , ditil
, qu'ils la puſſent admirer avec
reflexion . M l'Archevef
que de Cambray les vint
voir le meſme ſoir , ils en témoignerent
beaucoup de
joye , parce qu'ils avoient
oüy parler de ſon grand merite
, & qu'ils ont beaucoup
de confideration pour les perſonnes
de ſon caractere. Ils
avoient avec eux deux Interpretes,
dont l'un s'eſt mis depuis
pluſieurs années dans la
E
So IV. P. du Voyage
Miffion qui s'eſt établie à
Siam ; il eſt déja dans les
Ordres ; il parle bien François
, & encore mieux Latin
&ſe nomme M Antoine.M
l'Archeveſque de Cambray
qui en avoit oüy dire beaucoup
de bien, l'émena ſouper
avec luy,&le fit coucher dans
l'Archeveſché. Il luy demanda
quantité de choſes touchant
le Royaume de Siam,
&fut tres-content de ſes réponſes
. Ce Prélat luy donna
un Chapelet avec des Medailles
d'or.
Aprés qu'il eut quitté les
des Amb. de Siam. st
Ambaſſadeurs, M¹ le Comte
de Monbron leur demanda
l'ordre , & ils donnerent
pour mot , Fidelle à fon
choix , ce qui marque que
ce Comte fert le Roy avec
beaucoup d'ardeur & de
fidelité , & qu'il ne dément
point la bonne opinion que
Sa Majefté a euë de luy, en
commençant à reconnoiſtre
ſon merite& ſes ſervices, dans
un âge ou beaucoup d'autres
ne font pas en eſtat de recevoir
ſi- toſt de ſi glorieuſes
recompenfes . Il ſoupa le foir
avec les Ambaſſadeurs , &
Eij
52 IV. P. duVoyage
quoy que toute la Ville fou
haitaſt de les voir manger , la
curioſité des Dames fut ſeule
fatisfaite.
Le lendemain matin , M
le Comte de Monbron leur
envoya quatre Carroffes. Ils
ſe mirent dedans. Lorſqu'ils
furent fortis de la Ville, ils
trouverent des Chevaux que
ce même Comte leur avoit
fait tenir preſts. Ils monterent
deſſus, &viſirerent les
Fortifications avec M de
Monbron & l'Ingenieur qui
tenoit le Plan. On leur fie
voir toutes les Fortifications,
desAmb. de Siam. 53
tous les ouvrages avancez, &
meſme ceux qui n'eſtoient
que commencez. Ils ſe recrierent
de nouveau ſur la grandeur
du Roy , ayant vû non
ſeulement des Ouvriers par
tout , mais auffi en grand
nombre , & travaillant à de
grands ouvrages. Ils remonterent
enfuite en carroffe , &
allerent à la Citadelle, où M
duTilleul qui en eſt Gouverneur
, les attendoit avec les
Officiers majors. Ils y furent
receus comme ils l'avoient
eſté dans les autres Citadelles.
La Compagnie des Cadets
r
E iij
34 IV. P. duVoyage
eſtoit en bataille . L'Ambaf
fadeur qui avoit déja pris
beaucoup de plaifir à en voir
en d'autres Villes , dit que fi
Le Roy estoit plus grand en puiffance
que les autres Monarques,
il l'estoit auſſi en vertu ; qu'il
donnoit du pain à la jeuneNobleſſe
dés l'enfance , & qu'il en
donnoit à ceux qui devenoient
des , foit par de groſſes re
compenses ,foit par des places
dans le lieu qu'il avoit étably
pour les loger ; & qu'ainsi ils
estoient affeurez d'avoir dequoy
vivre, &dans leur jeunesse, &
dans leur vieilleffe. Ils firent le
:
des Amb. de Siam. 55
tour de la Citadelle, & admirerent
la hauteur & la profondeur
des Bastions, ne pouvant
comprendre comment
on avoit pû ſe rendre maiftre
d'une Place fi forte. Le
premier Ambaſſadeur dit que
s'il estoit dans une Place pareille
avec des Troupes Françoiſes,
il ne croyoit pas qu'onfongeast
àl'attaquer. Pendant qu'ils eftoient
ſur les ramparts de la
Citadelle, on fit venir ſur l'EC
planade qui eſt entre la Ville
& la Citadelle , une Compagnie
de Cadets . Ils firent l'exercice;
mais comme le jour
E iiij
56 IV. P. du Voyage
commençoit à finir , & qu'ils
avoient refolu d'aller voir
M l'Archeveſque , l'Ambaffadeur
dit qu'il estoit accoutumé
à voir de la Noblesse &des
Troupes , mais qu'il ne verroit
pas par tout des Archevesques
comme celuy de Cambray. Ils
allerent dans fon Eglife , où
ils le trouverent à la teſte de
ſon Chapitre. Aprés le compliment
de ce Corps, lesAmbaſſadeurs
ne voulurent point
avancer que M'l'Archevefque
ne paſſaſt devant eux, &
luy dirent qu'ils avoient oüy
parlerdefa pieté&desagran
des Amb. de Siam. 57
deur, de toutes manieres. Ce Prélat
leur fit voir tout ce qu'il
y avoit de plus curieux dans
fon Eglife , & leur en fit entendre
la Muſique & les Orgues.
Il voulut enfuire les reconduire
juſques à la porte,
quoyque les Ambaſſadeurs
s'efforçaſſent de ren empefcher
, ne croyant pas qu'il ſe
dûſt donner ces ſoins.Quand
ils furent de retour chez eux,
le Major alla prendre le mot
& on luy donna , Il achevera
fon Ouvrage. Ce mot regarde
le Roy & Me le Comte de
Monbron; & ce n'eft pas à
58 IV. P. du Voyage
moy à raiſonner là- deſſus .
aller coucher àCambray
, & leur fortie fut auffi
éclatante qu'avoit eſté leur en
des Amb. de Siam. 35
:
trée. Cambray eſt une des plus
fortes Villes de l'Europe. Elle
eſt grande , belle , bien bâtie
, & fituée fur l'Elcaut qui
la traverſe d'un coſté. Elle
a double Citadelle. L'Egliſe
Metropolitaine de Notre-
Dame eſt tres - magnifique .
Son Chapitre eft compoſé de
48. Chanoines , & de 95. Eccleſiaſtiques
qui fervent dans
cette Eglife. L'Eveſché qui
avoit efté uny à celuy d'Arras
juſqu'à l'an 1095. fut erigé en
Archeveſché en 1559. par le
Pape Paul II. On tient que
Clodion conquit cette Villa
36 IV. P. du Voyage
en 445. Apres avoir eſté le
partage de Charles le Chauve
en 843. elle devint le ſujet de
la Guerre entre les Rois de
France , les Empereurs & les
Comtes de Flandre. Baudoüin
I. Comte de Flandre , l'ayant
prife & donnée à fon Fils Raoul
, les Empereurs ne laiſſerent
point de la declarer Cité
libre , fans que les François
cedaffent leurs droits . Charles
Quint ne voulut point s'en
tenir à la neutralité que le Roy
François I. luy avoit accordée.
Cet Empereur la prit en 1543 .
&fit bâtir une Citadelle aux
des Amb de Siam. 37
dépens des Habitans , auf
quels il fit croire que c'eſtoit
pour empêcher que les François
ne s'en emparaffent. Le
Duc d'Alençon Frere du Roy
Henry III . ayant eſté fait
Comte de Flandre, fut auffi
Maiſtre de Cambray. Il remit
cette Place à Jean de Montluc
Seigneur de Balagny , qui
prit le party de la ligue , &
fit enſuite ſa Paix avec le Roy
Henry IV. qui le fit Prince de
Cambray , & Marefchal de
France. Ce fut fur luy que les
Eſpagnols ſurprirent cette
Ville en 1595. Ils la fortifie38
IV. P. du Voyage
:
rent , y entretinrentunegroffe
Garnifon , & elle paffoit
pour une Place imprenable ,
mais elle ne l'a pas efté
pour LOUIS LE GRAND ,
qui apres avoir pris la Ville en
peu de jours, força laCitadelleà
ſe rendre le 16. Mars 1677.
La grande Citadelle qui eſt ſur
un lieu éminent , commande
toute la Ville , & a ſes foſſez
taillez dans le roc. Ceux qui
entourent les murailles de la
Ville ſont profonds & larges,
& ces murailles ſont reveſtuës
de bons Baſtions . Cambray
eſt defendu par un Fort du
des Amb. de Siam. 39
côté de la Riviere , & comme
la Ville eſt dans un Pays afſez
bas de ce côté-là , on en
pourroit inonder les environs
eny lâchant les Ecluſes ; les
autres Forts ſont auſſi tresimportans
. De grandes & belles
ruës aboutiſſent à la Place
où eſt la Maiſon de Ville .
C'eſt un magnifique Bâtiment
orné d'une Horloge tres-curieuſe
, que les Eſtrangers y
vont admirer. Male Comte
de Monbron , Gouverneur de
cette Place, envoya la Cavale.
rie au devant des Ambaffadeurs
juſques à moitié che
40 IV . P. du Voyage
mın de Valencienues. Ils trou
verent en approchant de la
Ville une fort grande quantité
de Peuple , & M. le Comte
de Monbron qui les attendoit
à la porte. Ils entreren
au bruit du Canon , & au tra
vers de l'Infanterie de laGar
nifon qui formoit deux haye
juſqu'à leur logis , au devan
duquel toute cette Infanterie
fit une décharge fi-tôt qu'ils
y furent arrivés. Ma le Comte
de Monbron s'y rendit peu
de temps aprés , & leur preſenta
Mdu Magiftrat , &
M Defgruſeliers , premier
Confeiller
des Amb. de Siam. 41
Conſeiller Penfionnaire , en
Robe , & Bonnet de velours
noir , qui leur fit le diſcours
fuivant.
MESSEIGNEURS,
L'honneur que la France vient
de recevoir par l' Ambaffade que le
trés-puiffantRoy de Siam a envoyée
à nostre invincible Monarque, fait
bien voir que l'éclat de fes Vertus
héroïques a prévalufur celuy defes
trésors & de ses finances. En effet,
la charmante conduite que Sa Ma
jefté tient pour gouvernerses peuples
, donne de l'admiration à toute
la terre , & ce n'est pas fans fujet
que le Roy vostre Maistre a voulu
Sefaire instruire de fes belles maxi-
D
42 IV. P. du Voyage
mes pour s'en fervir à l'égard de
fes Sujets , & les rendre heureux
par l'administration de la Iustice.
Cette Ambaſſade, Meßeigneurs, eft
d'autant plus celebre qu'elle s'eft
faite de la part du plus puiſſant
Roy de l'orient , au plus glorieux
Monarque de l'Europe ; &fi l'on
confulte l'Histoire , il ne s'est rien
vû de pareil depuis plusieurs fiecles,
fi ce n'est lorſque Charlemagne
, premier Empereur du Nom
François , ayant humilié l'infolence
l'impieté des Lombards, &affeuré
le Souverain Pontife Adrien I.
dansfon Pontificat, receut de luy la
Couronne Imperiale,&peu de temps
aprés les Ambaſſades des Rois de
Perse & de Fez , Celle que vos
Excellences viennent de faire , s'a
dreſſe à Louis le Grand, digne he-
7
des Amb. de Siam. 43.
ritier des Vertas de ce faint Empereur
, pour avoir donné la paixó
le repos à toute la Chreftienté , &
chaßé de ses Estats les Heresies de
Luther & de Calvin .
Heureux les Peuples qui vivent
Sous cette agreable domination ,
plus heureux encore ceux du grand
Roy de Siam , si profitant des travaux
& des lumieres que vos Excellences
leur donneront, ils parviennent
àla connoiſſance du grandRoy
du Ciel & de la Terre, &joüiffent
du bonheur d'estre gouvernez avec
La mefme douceur, que la bonté de
nostre grand Roy fait goûter àses
fidelles Sujets. C'est à cette fin que
nous leur adreſſons leſouhait duPoëte,
Vivite fælices, quibus eſt fortuna peracta,
Vobis parta quics eft, nullum jam æquor arang
dum,
/
Di
44 IV. P. du Voyage
Loüiffez , Peuples de Siam, de la
douceur du repos, puisque vos illuftres
Ambassadeurs vont repaffer les
mers pourvous porter les belles maximes
d'y parvenir & vous rendre
keureux dans la fuite de tous les
temps. C'est leſouhait que font avec
beaucoup de respect &de tendreſſe,
à vos Excellences , le Magistrat &
Peuple de la Ville de Cambray.
Cette harangue fut ſuivie
du preſent d'une Medaille
d'or du poids de vingt-ſept
piſtoles , dont la face droite
repreſente le Roy avec ces
mots Ludovico Victore
Pacis datore. La Ville de Cambray
paroift au revers avec
د
desAmb. de Siam. 45
ces paroles dulcius vivimus.
Toutes ces Lettres font numerales
hormis la lettre S , &
font enſemble l'an 1678. qui
fuit celle de la reduction de
cette Place en l'obeïſſance du
Roy , & dans laquelle ces
Peuples comencerent à reſſentir
les douceurs du Gouvernement
de Sa Majesté , ainſi
qu'ils le publient par le revers
de la Medaille qu'ils ont
eux-meſmes fait frapper.Cette
Medaille avoit eſté preſentée
au Roy en 1678. au
nom de la Ville de Cambray
par M Defgrufeliers , qui
r
46 IH. P. du Voyage
bien qu'il en ſoit l'Autheur ,
n'a cherché qu'à exprimer les
fentiments du Peuple. Lors
qu'ik la preſenta aux Ambaffadeurs
, il leur dit que cette
Medaille fervoit de preuve incontestable
de la fatisfaction que
Le Peuple de Cambray avoit
d'eftre au nombre des Sujets du
Roy, & qu'ils souhaitoient que
tous les Peuples du Monde en
puffent estre informés.
Le Diſtique ſuivant eſtoit
dansl'envelope de laMedaille.
Vicifti , Princeps , Vrbi pacemque dediſti
Qui Rex &Pater es , dulcius eße dabis.
des Amb. de Siam. 47
,
On preſenta enfuite aux
Ambaſſadeurs trois pieces de
toile tres-fine , de la fabrique
de Cambray & nommée
dans le Commerce , Toile de
Cambray depuis pluſieurs Siecles.
L'Ambaſſadeur répondit
que le Roy leur avoit fait
rendre de grands honneurs , en
les faiſant recevoir magnifiquement
dans tous les lieux où ils
avoient paffé ; qu'on leur avoit
montré par fon ordre toutes ses
Maiſons Royales , & tout ce
que ce Monarque a de plus curieux
; qu'on leur avoit fait voir
une partie de ſes Conquestes , où
48 IV . P. du Voyage
l'on n'avoit rien oublié pour leur
marquer l'estime qu'on a pour
le Roy leur Maître , à qui ils
feroient à leur retour un recit
fidelle de tous les honneurs qu'ils
avoient receus , & qu'ils n'oublieroient
pas de luy remettre entre
les mains la Medaille repre-
Sentant Sa Majesté, &la Ville
de Cambray , afin que la memoire
en fûtconfervée chez eux
pendant tous les Siecles à venir.
Ils ajoûterent qu'ils eftimoient
cette Medaille plus d'un million,
&aprés avoir remercié Ms
duMagiftrat, de l'exactitude
avec laquelle ils leur rendoier
tant
des Amb. de Siam. 49
d'honneurs , le premier Ambaffadeur
demanda une Co
pie de la harangue qui leur
venoit d'eſtre faite , afin , ditil
, qu'ils la puſſent admirer avec
reflexion . M l'Archevef
que de Cambray les vint
voir le meſme ſoir , ils en témoignerent
beaucoup de
joye , parce qu'ils avoient
oüy parler de ſon grand merite
, & qu'ils ont beaucoup
de confideration pour les perſonnes
de ſon caractere. Ils
avoient avec eux deux Interpretes,
dont l'un s'eſt mis depuis
pluſieurs années dans la
E
So IV. P. du Voyage
Miffion qui s'eſt établie à
Siam ; il eſt déja dans les
Ordres ; il parle bien François
, & encore mieux Latin
&ſe nomme M Antoine.M
l'Archeveſque de Cambray
qui en avoit oüy dire beaucoup
de bien, l'émena ſouper
avec luy,&le fit coucher dans
l'Archeveſché. Il luy demanda
quantité de choſes touchant
le Royaume de Siam,
&fut tres-content de ſes réponſes
. Ce Prélat luy donna
un Chapelet avec des Medailles
d'or.
Aprés qu'il eut quitté les
des Amb. de Siam. st
Ambaſſadeurs, M¹ le Comte
de Monbron leur demanda
l'ordre , & ils donnerent
pour mot , Fidelle à fon
choix , ce qui marque que
ce Comte fert le Roy avec
beaucoup d'ardeur & de
fidelité , & qu'il ne dément
point la bonne opinion que
Sa Majefté a euë de luy, en
commençant à reconnoiſtre
ſon merite& ſes ſervices, dans
un âge ou beaucoup d'autres
ne font pas en eſtat de recevoir
ſi- toſt de ſi glorieuſes
recompenfes . Il ſoupa le foir
avec les Ambaſſadeurs , &
Eij
52 IV. P. duVoyage
quoy que toute la Ville fou
haitaſt de les voir manger , la
curioſité des Dames fut ſeule
fatisfaite.
Le lendemain matin , M
le Comte de Monbron leur
envoya quatre Carroffes. Ils
ſe mirent dedans. Lorſqu'ils
furent fortis de la Ville, ils
trouverent des Chevaux que
ce même Comte leur avoit
fait tenir preſts. Ils monterent
deſſus, &viſirerent les
Fortifications avec M de
Monbron & l'Ingenieur qui
tenoit le Plan. On leur fie
voir toutes les Fortifications,
desAmb. de Siam. 53
tous les ouvrages avancez, &
meſme ceux qui n'eſtoient
que commencez. Ils ſe recrierent
de nouveau ſur la grandeur
du Roy , ayant vû non
ſeulement des Ouvriers par
tout , mais auffi en grand
nombre , & travaillant à de
grands ouvrages. Ils remonterent
enfuite en carroffe , &
allerent à la Citadelle, où M
duTilleul qui en eſt Gouverneur
, les attendoit avec les
Officiers majors. Ils y furent
receus comme ils l'avoient
eſté dans les autres Citadelles.
La Compagnie des Cadets
r
E iij
34 IV. P. duVoyage
eſtoit en bataille . L'Ambaf
fadeur qui avoit déja pris
beaucoup de plaifir à en voir
en d'autres Villes , dit que fi
Le Roy estoit plus grand en puiffance
que les autres Monarques,
il l'estoit auſſi en vertu ; qu'il
donnoit du pain à la jeuneNobleſſe
dés l'enfance , & qu'il en
donnoit à ceux qui devenoient
des , foit par de groſſes re
compenses ,foit par des places
dans le lieu qu'il avoit étably
pour les loger ; & qu'ainsi ils
estoient affeurez d'avoir dequoy
vivre, &dans leur jeunesse, &
dans leur vieilleffe. Ils firent le
:
des Amb. de Siam. 55
tour de la Citadelle, & admirerent
la hauteur & la profondeur
des Bastions, ne pouvant
comprendre comment
on avoit pû ſe rendre maiftre
d'une Place fi forte. Le
premier Ambaſſadeur dit que
s'il estoit dans une Place pareille
avec des Troupes Françoiſes,
il ne croyoit pas qu'onfongeast
àl'attaquer. Pendant qu'ils eftoient
ſur les ramparts de la
Citadelle, on fit venir ſur l'EC
planade qui eſt entre la Ville
& la Citadelle , une Compagnie
de Cadets . Ils firent l'exercice;
mais comme le jour
E iiij
56 IV. P. du Voyage
commençoit à finir , & qu'ils
avoient refolu d'aller voir
M l'Archeveſque , l'Ambaffadeur
dit qu'il estoit accoutumé
à voir de la Noblesse &des
Troupes , mais qu'il ne verroit
pas par tout des Archevesques
comme celuy de Cambray. Ils
allerent dans fon Eglife , où
ils le trouverent à la teſte de
ſon Chapitre. Aprés le compliment
de ce Corps, lesAmbaſſadeurs
ne voulurent point
avancer que M'l'Archevefque
ne paſſaſt devant eux, &
luy dirent qu'ils avoient oüy
parlerdefa pieté&desagran
des Amb. de Siam. 57
deur, de toutes manieres. Ce Prélat
leur fit voir tout ce qu'il
y avoit de plus curieux dans
fon Eglife , & leur en fit entendre
la Muſique & les Orgues.
Il voulut enfuire les reconduire
juſques à la porte,
quoyque les Ambaſſadeurs
s'efforçaſſent de ren empefcher
, ne croyant pas qu'il ſe
dûſt donner ces ſoins.Quand
ils furent de retour chez eux,
le Major alla prendre le mot
& on luy donna , Il achevera
fon Ouvrage. Ce mot regarde
le Roy & Me le Comte de
Monbron; & ce n'eft pas à
58 IV. P. du Voyage
moy à raiſonner là- deſſus .
Fermer
Résumé : Leur Entrée à Cambray avec les honneurs qu'ils y ont reçus, les Harangues des Magistrats, & tout ce qu'ils ont vû, fait, & dit. [titre d'après la table]
Le 13, les ambassadeurs quittèrent Cambray après une entrée triomphale. Cambray, une des villes les plus fortes d'Europe, est située sur l'Escaut et possède une double citadelle. L'église métropolitaine de Notre-Dame est majestueuse, avec un chapitre composé de 48 chanoines et 95 ecclésiastiques. L'archevêché, autrefois uni à celui d'Arras jusqu'en 1095, fut érigé en 1559 par le pape Paul IV. La ville a une histoire riche et mouvementée. Elle fut conquise par Clodion en 445 et devint un enjeu de conflits entre les rois de France, les empereurs et les comtes de Flandre. Baudouin Ier de Flandre la prit et la donna à son fils Raoul, mais les empereurs la déclarèrent cité libre. Charles Quint la conquit en 1543 et y fit construire une citadelle. Le duc d'Alençon, frère du roi Henri III, fut maître de Cambray et la remit à Jean de Montluc, qui prit le parti de la Ligue avant de faire la paix avec Henri IV. Les Espagnols surprirent la ville en 1595 et la fortifièrent. Louis XIV la conquit en 1677, forçant la citadelle à se rendre le 16 mars. Cambray est défendue par des fortifications impressionnantes, y compris des fossés taillés dans le roc et des bastions. La ville accueillit les ambassadeurs de Siam avec une grande cérémonie, incluant un discours et des présents, comme une médaille d'or et de la toile fine. Les ambassadeurs visitèrent les fortifications et exprimèrent leur admiration pour la puissance et la vertu du roi de France. Ils rencontrèrent également l'archevêque de Cambray, qui leur montra les curiosités de son église.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
4
p. 326
Mr de la Feuillade va leur dire adieu. [titre d'après la table]
Début :
Le soir Mr de la Feuillade alla dire adieu aux Ambassadeurs, [...]
Mots clefs :
Comte de la Feuillade, François III d'Aubusson, Ambassadeurs, Siamois, Français
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Mr de la Feuillade va leur dire adieu. [titre d'après la table]
Le foirM de la Feuil
lade alla dire adieu aux Ambaffadeurs
, & dans les compliments
qu'ils ſe firent , il
leur dit , que qui n'estoit pas bon
Siamois , n'estoit pas bon François.
lade alla dire adieu aux Ambaffadeurs
, & dans les compliments
qu'ils ſe firent , il
leur dit , que qui n'estoit pas bon
Siamois , n'estoit pas bon François.
Fermer
5
p. 245-252
Nouvelles de Siam. [titre d'après la table]
Début :
Je sçay que vous avez grande impatience de sçavoir ce [...]
Mots clefs :
Siam, Siamois, Chevalier de Chaumont, Roi, Missionnaires, Pape, Religion chrétienne, Constantin Phaulkon, Français, Claude de Forbin, Alexandre de Chaumont
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Nouvelles de Siam. [titre d'après la table]
Je sçay que vous avez grande
impatience de sçavoir ce
qui s'est passéà Siam
?
depuis
que M le Chevalier de Chaumont
en est party.Vous n'efies
pas la feule qui ayezmarque
de la curiosité là-dessus;
mais les Nouvelles qui viennent
de six mille lieuës sont
rares, Se l'on n'en reçoit pas
aussisouvent qu'on voudroit.
Je vay pourtant vous en dire
quelques-unes, & ce font les
feules qui soient venuës de
ce Païs-là depuis le retour de
M le Chevalier de Chaumont.
Voussçavez que ta
Roy de Siam ayant une estime
toute particuliere pour
Sa Majesté, & pour toute la
Nation Françoise, souhaita
d'avoir à son service quelques
Officiers François de distinction,&
pria Mr le Chevalier
de Chaumont de luy
laisser
,
fous le bon plaisir
du Roy ,
Mr le Chevalier
Fourbin, dans ledessein d'en
faire son grand Amiral, parce
qu'il avoit déja fait beaucoup
de Campagnes sur les
Vaisseaux de Sa Majesté, dont
il estoit Officier. M le Chevalier
de Chaumont crut que
le Roy approuveroit ce qu'il
feroit là-dessus, & y donna
son consentement. Il fut suivy
de celuy de M le Chevalier
Fourbin, qui demeura
à Siam. Il ne s'y rrouva pas
seulement utile pour commander
sur Mer, mais encore
pour discipliner les
Troupes de Terre, & leur
faire faire l'Exercice à lamaniere
de France. Un jour
qu'il le faisoit faire à une
Compagnie de Portugais,&
à une de Mores du Roy de
Siam
,
elles se chagrinerent
4c ce qu'il leur fit connoistre
qu'elles s'en acquittoient
mal, & se souleverent contre
luy. Ce n'eftoir qu'un
pretexte pour faire éclater
une conspiration qu'elles avoient
faitecontre sa
- personne,&
contreM Constance.
Ces deux Compagnies
avoient mesme formé le
dessein de piller les Palais de
ce dernier, & de s'emparer
de tous ses Effets.M Constance
en fut averty ?
& armé
de sa feule fermeté, soutenuë
de celle de M- le Chevalier
Fourbin ,il alla au devant
de ces mutins? fit saisir
les plus coupables, dissipa le
reste, & fit avorter leur entreprife.
Certe actionjustifie
tout ce que les Relations
ont dit à la gloire de Mr
Constance
, & fait voir que
les François sontpartout
Francois, c'est à dire, intrepides),
& que ce n'est pas seulement
en France qu'ils font
connoistre l'intelligence qu'-
ils ont dans le métier de la-
Guerre? lors qu'ils ont pris
une fois le party des armes.
Si toutes les circonstances de
cette révolte, dont j'ay lieu
dc croire que le fond estres
veritable,ne sont pas entierementconformes
à la maniere
dont l'action s'est passée,
songez qu'ilest fortdifsicile
d'avoir des éclairciffemens
de si loin. Cependant
si ceux à qui les avis en sont
venus, m'apprennent quelque
chose de nouveau sur cet
Article, je vous en feray part
le moisprochain, soiten augmentant
,
soit en diminuant
les paticularitez de cette
Nouvelle.
Vous vous souvenez d'un
Ecclesiastique Siamois, qui a
£Ûé élevé dans la Million à
Siam. Je vous en ay parle
plusieurs fois, sur tout lors
qu'il soutintenSorbonne, du
temps que les Ambassadeurs
duRoy de Siam estoient en
France. On l'avoit mis dans
la Mission Etrangere de Paris,
d'où sortent les Millionnaires
pour Siam. Le Pape
a esté informé de son merltey
& ayant sceu le progrés qu'il
avoitfait dans la Théologie)
ce qui peut estre fort avantageux
à la Religion Chrefiienne,
parce qu'il pourra beaucoupmieuxqu'un
autre- fuader ceux de G. Nation^
SaSainteté a voulu le voir? &
il est party pour Rome. Comme
les talens qu'il a ne peuvent
manquer à se faire connoistre
en peu de temps dans
un lieu où les esprits lont si
éclairez,il ya sujet de croire
qu'on verra un jour un
Siamois élevé aux premières
dignitcz deI'F-ullfè,
impatience de sçavoir ce
qui s'est passéà Siam
?
depuis
que M le Chevalier de Chaumont
en est party.Vous n'efies
pas la feule qui ayezmarque
de la curiosité là-dessus;
mais les Nouvelles qui viennent
de six mille lieuës sont
rares, Se l'on n'en reçoit pas
aussisouvent qu'on voudroit.
Je vay pourtant vous en dire
quelques-unes, & ce font les
feules qui soient venuës de
ce Païs-là depuis le retour de
M le Chevalier de Chaumont.
Voussçavez que ta
Roy de Siam ayant une estime
toute particuliere pour
Sa Majesté, & pour toute la
Nation Françoise, souhaita
d'avoir à son service quelques
Officiers François de distinction,&
pria Mr le Chevalier
de Chaumont de luy
laisser
,
fous le bon plaisir
du Roy ,
Mr le Chevalier
Fourbin, dans ledessein d'en
faire son grand Amiral, parce
qu'il avoit déja fait beaucoup
de Campagnes sur les
Vaisseaux de Sa Majesté, dont
il estoit Officier. M le Chevalier
de Chaumont crut que
le Roy approuveroit ce qu'il
feroit là-dessus, & y donna
son consentement. Il fut suivy
de celuy de M le Chevalier
Fourbin, qui demeura
à Siam. Il ne s'y rrouva pas
seulement utile pour commander
sur Mer, mais encore
pour discipliner les
Troupes de Terre, & leur
faire faire l'Exercice à lamaniere
de France. Un jour
qu'il le faisoit faire à une
Compagnie de Portugais,&
à une de Mores du Roy de
Siam
,
elles se chagrinerent
4c ce qu'il leur fit connoistre
qu'elles s'en acquittoient
mal, & se souleverent contre
luy. Ce n'eftoir qu'un
pretexte pour faire éclater
une conspiration qu'elles avoient
faitecontre sa
- personne,&
contreM Constance.
Ces deux Compagnies
avoient mesme formé le
dessein de piller les Palais de
ce dernier, & de s'emparer
de tous ses Effets.M Constance
en fut averty ?
& armé
de sa feule fermeté, soutenuë
de celle de M- le Chevalier
Fourbin ,il alla au devant
de ces mutins? fit saisir
les plus coupables, dissipa le
reste, & fit avorter leur entreprife.
Certe actionjustifie
tout ce que les Relations
ont dit à la gloire de Mr
Constance
, & fait voir que
les François sontpartout
Francois, c'est à dire, intrepides),
& que ce n'est pas seulement
en France qu'ils font
connoistre l'intelligence qu'-
ils ont dans le métier de la-
Guerre? lors qu'ils ont pris
une fois le party des armes.
Si toutes les circonstances de
cette révolte, dont j'ay lieu
dc croire que le fond estres
veritable,ne sont pas entierementconformes
à la maniere
dont l'action s'est passée,
songez qu'ilest fortdifsicile
d'avoir des éclairciffemens
de si loin. Cependant
si ceux à qui les avis en sont
venus, m'apprennent quelque
chose de nouveau sur cet
Article, je vous en feray part
le moisprochain, soiten augmentant
,
soit en diminuant
les paticularitez de cette
Nouvelle.
Vous vous souvenez d'un
Ecclesiastique Siamois, qui a
£Ûé élevé dans la Million à
Siam. Je vous en ay parle
plusieurs fois, sur tout lors
qu'il soutintenSorbonne, du
temps que les Ambassadeurs
duRoy de Siam estoient en
France. On l'avoit mis dans
la Mission Etrangere de Paris,
d'où sortent les Millionnaires
pour Siam. Le Pape
a esté informé de son merltey
& ayant sceu le progrés qu'il
avoitfait dans la Théologie)
ce qui peut estre fort avantageux
à la Religion Chrefiienne,
parce qu'il pourra beaucoupmieuxqu'un
autre- fuader ceux de G. Nation^
SaSainteté a voulu le voir? &
il est party pour Rome. Comme
les talens qu'il a ne peuvent
manquer à se faire connoistre
en peu de temps dans
un lieu où les esprits lont si
éclairez,il ya sujet de croire
qu'on verra un jour un
Siamois élevé aux premières
dignitcz deI'F-ullfè,
Fermer
Résumé : Nouvelles de Siam. [titre d'après la table]
Après le départ du Chevalier de Chaumont du Siam, le roi de Siam, admirateur de la France, souhaitait des officiers français à son service. Le Chevalier de Chaumont laissa le Chevalier Fourbin, un officier distingué, devenir l'amiral du roi de Siam. Fourbin se montra compétent en mer et capable de discipliner les troupes terrestres. Lors d'un exercice, des compagnies de Portugais et de Mores se révoltèrent contre lui, prétextant une mauvaise évaluation. Cette révolte cachait une conspiration contre Fourbin et M. Constance. Informé, Constance, soutenu par Fourbin, réprima la mutinerie et arrêta les principaux coupables. Le texte souligne le courage et l'intelligence des Français dans l'art de la guerre. Un ecclésiastique siamois, élevé à la Mission de Siam à Paris, impressionna par ses compétences en théologie. Informé de ses mérites, le Pape souhaita le rencontrer, et l'ecclésiastique se rendit à Rome, où ses talents pourraient lui permettre d'accéder à des dignités élevées dans l'Église.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
6
p. 13-29
EXTRAIT d'un manuscrit par quelques François, dont on n'avoit encore eu aucunes nouvelles, parce qu'il s'en sauva que deux, qui ne sont arrivez à Brest que depuis quelques mois.
Début :
Il y a quelques années que dix François escortez de [...]
Mots clefs :
Brest, Roi, Hommes, Nation, Français, Peuple, Rivière, Pays, Découverte, Mississippi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'un manuscrit par quelques François, dont on n'avoit encore eu aucunes nouvelles, parce qu'il s'en sauva que deux, qui ne sont arrivez à Brest que depuis quelques mois.
.Ex-'TRAIT
d'un manuscrit de rua.
yageentrepris parquelques
François, donton
n'avait encore eu aucunes
nouvelles,parce
qud'eilunxe,qsu'einnessaounvtaarqruievez,
a Brestque depuis
quelques mots* I L y a quelques années
que dix François escortez
de deuxSauvages,estant
partisde Montreal,&s'estant
arrestez dans le pays
des Illinois, & sur le bord
de la riviere de Mififtapy,
ils eurent envied'aller à la
découverte. Ils prirent
trois Canotsd'écorce pour
remonter Misissipy
,
sur
lesquels ayant fait cent
cinquante lieuës,ils trouverent
un sault qui les obligea
à faire pendant six
lieuës un portage ,
aprés
lequel ils se rembarquerent
sur le mesmefleuve,
& remonterent encore
quarante lieues sans trouvsr
aucune Nation. Ils
chafiercnr pendant un
mois & demy
,
& tenterent
quelque nouvelle découverte
;enfin ils trouverent
une riviere à quatorze
lieuës de là qui couroit au
Sud Sud-Ouest ce qui
leur fie croire qu'elle alloit
se rendre dans la mer du
Sud, ayant son cours opposé
à celles qui vont se
rendre dans la mer du
Nord. ils resolurent de
porter leurs Canots, pour
y naviger. Dans ce trajet
ils trouverent des lions,
des leopards
,
des tigres,
qui ne leur firent aucun
mal. Estant entrez dans
cette riviere, &: estant descendus
environ centcinquante
lieuës,ilstrouverent
une grande Nation,
qu'on appelle Escaniba,
qui occupe pour le moins
deux cens lieuësde pays,
dans lequelils trouverent
plu sieurs villes,villages
forts, dont les maisons sont
basties de bois & d'écorces.
Ilsont un Roy qui
se dit Descendant de Montcztmu,
& quiestordinairement
habillé de peaux
d'hommes, qui fontcommunes
en ces pays-là,les
peu ples mesme s'en habillent
aum.
Ils font policés en leurs
manieres, Idolatres,leurs
Idoles font affreuses & d'une
grandeur énorme
,
lesquelles
sont dans le Palais
du Roy. Il y en a deux entre
autres, dont l'une est de
figure humaine, armée de
lances & de traits, tenant
un pied enterre,& l'autre
en l'air
* avec la main sur
une figure decheval, comme
s'il vouloit le monter.
Ils disent quec'estla ftai
tuë d'un de leurs Roys qui
qui a filé grand conqueranr.
Cette statuë a dans
la bouche une escarboucle
de formequarrée,&grosse
comme un oeuf d'houtarde
,
qui brille & éc laire
pendant la nuit comme
un feu. L'autre de ces Idoles
estune femme, qui eH:
une Reine montéeen selle
sur une figure de Licorne
à costé de quatre grands
chiens. Ces figures sont
d'or fin nlafIif, & très- malfaites.
Elles sont placées
sur une estradequiest aussi
d'or,& de trente piedsen
quarré. Entre les deux fta*
tuës on entre dans l'appartement
duRoypar unvestibule
magnifique, c'est
là où se tient la garde du
Roy composée de deux
cens hommes.
-.. Le Palais du Roy est
tres grand, & a trois étages
,
les murailles de
huit pieds, font d'or massifen
carreaux rangez l'un
sur l'autre comme des briques
, avec des cram pons
& des barres de mesme
métal,le resteest decharpente
couverte de bois
JeRoy :t y demeure seul avec
ses femmes.À --vj.
'h'
Ces peuples font un.
grand commerce d'or; on
n'a pu deviner avec quel..
le Nation, si ce n'est,laJaponnoise
; car ils le tran sportent
fort loinparcaravannes,
& ils direntà nos
François, qu'ily avoit six
Lunes de chemin jusqu'à
cette Nation. Nos avanturiers
virent partir une
de ces caravannes dans le
tempsde leur sejour, COIHT.-
posée de plus de trois cens
boeufs tous chargez d'or
cscortez d'un pareil nombre
de cavaliers armez dis
lances & de flèches , avec
une espece de poignard;
la Nation leur donne en
- troc du fer, de l'acier, Irlz
des armes blanches. Ils
n'ont point l'usage de l'escriture,
ilsontuneespece
d'écorce apprestée comme
du papier
,
sur laquelle ils
marquent la quantité d'os
dont le conducteur est
chargé
).
& dont il doit
compter a sonretour.
,.
Le Roy s'a ppelle Agauzan,
qui veut dire en leur
langage,le Grand Roy;
il n'a aucune guerre , &
cependant il a tousjours
cent mille hommes tant
Cavalerie qu'Infanterie»
Leurs trompettes font
droites & d'or, dont ils sonnent
fort mal, & des especes
de tambours portez
par des boeufs, faits comme
des chaudrons d'or ,
couverts de peaux de cerfs;
les troupes s'exercent une
fois la semaine en presence
du Roy.
Ces peuples font basanez
, hideux, la teste Ion:"
gue & estroite, parce qu'on
leur ferre la teste estant
jeunes avec du bois ; les
femmes y sont belles &
blanches comme en Europe
; elles ont aussibien
que les hommes de grandes
oreilles qu'ils estiment
une beauté,&qu'ils chargent
danneaux dor ; ife
ont aussi les ongles fort
grands, & cela est une distinéction
,
les hommes les
plus velus y sont les plus
-beàux.,
La poligamie y cffc en
usage, & ils le mettent peu
en peine de la conduite
desfilles, pourveu qu'elles
ne soient point engagées.
Ils aiment la joye & la
danse,mangent beaucoup,
font du vin de palme
,
ôc
ont d'autres boissons3
grands fumeurs, le tabac
y est bon, ôc vient sans
cftre cultivé;ils receurent
parfaitement bien lesFrançois
qui estoient les prcmiers
Européensqu'ils eussent
veus.
Le Roy voulutles retenir
,
& les marier, & il
leur fit promettre de revenir.
Ils estoient surpris de
l'effet des fusils
, • & les
craignoientsifort qu'ils
D'oÍtrCnr enapprocher.
Lepaysest fort tempere,
on y vit jusqu'à une extrêmevieillesse
,&les peuples
ne sontsujets à aucune
maladie.
On y trouve toutes fortes
de fruitstant d'Europe
que des Indes. Ily a du
bled (1'Inde) & dela folle
avoine aussi bonne & au-ni
blancheque le ris; ils font
du pain de l'un & de l'autre,
on n'y cultive que le
bled d'Inde, les plaines y
sont belles, les paturages
excellents, & remplis de
toutes fortes d'animaux,
les rivieres poissonneuses,
& les terres & les bois remplis
d'oiseaux
,
de perroquets
,de singes,& d'animaux
singuliers. La ville
capitale est esloignéed'environ
six lieuës de la riviere
de Missi
, qui veut dire
Riviere d'or ony l.
Nos François,après avoir
pris congé du Roy , promirent
de revenir dans
trente six Lunes, & d'apporter
du corail, des nasfades
& d'autres marchandises
du Canada, pour troquer
contre de l'or. Ils en
fonc si peu de cas que le
Roy leur dit d'en prendre
à leur discretion
,
de maniere
qu'ils s'en chargerent
,
& prirent chacun
soixante barres d'environ
une palme de long, & du
poids r de quatre livres.
Deux de nos avanturiers
eurent la curiosité d'aller
voir l'endroit d'où l'on tire
cet or,ils rapporterentque
les mines estoient dans le
creux des montagnes, ôc
quedans lesdebordemens
les eaux les entraisnoient,
& que la seicheresse estant
venuë on en trouvoit de
gros monceaux sur le lit
des terres qui demeurent
àsec quatremois de l'année.
Lapluspart denosFrançois
furent maffectez dans
leur retour auxembouchures
du fleuve saint Laurent
, par un forban Anglois;
il n'yen a que deux
qui
quise soient échappez,&
qui après une longue captivité
en différences bayes
aux Indes orientales
, occidentales
,& à laChine,
sesonsenfin rendus à Brest,
ils assurent sur leur teste,
que si l'on veut les conduire
à Mi/ifli-py.ilsretrouveront
aisément le chemin
qu'ils ont fait, &c conduit,
rontàce nouveau Perou.
d'un manuscrit de rua.
yageentrepris parquelques
François, donton
n'avait encore eu aucunes
nouvelles,parce
qud'eilunxe,qsu'einnessaounvtaarqruievez,
a Brestque depuis
quelques mots* I L y a quelques années
que dix François escortez
de deuxSauvages,estant
partisde Montreal,&s'estant
arrestez dans le pays
des Illinois, & sur le bord
de la riviere de Mififtapy,
ils eurent envied'aller à la
découverte. Ils prirent
trois Canotsd'écorce pour
remonter Misissipy
,
sur
lesquels ayant fait cent
cinquante lieuës,ils trouverent
un sault qui les obligea
à faire pendant six
lieuës un portage ,
aprés
lequel ils se rembarquerent
sur le mesmefleuve,
& remonterent encore
quarante lieues sans trouvsr
aucune Nation. Ils
chafiercnr pendant un
mois & demy
,
& tenterent
quelque nouvelle découverte
;enfin ils trouverent
une riviere à quatorze
lieuës de là qui couroit au
Sud Sud-Ouest ce qui
leur fie croire qu'elle alloit
se rendre dans la mer du
Sud, ayant son cours opposé
à celles qui vont se
rendre dans la mer du
Nord. ils resolurent de
porter leurs Canots, pour
y naviger. Dans ce trajet
ils trouverent des lions,
des leopards
,
des tigres,
qui ne leur firent aucun
mal. Estant entrez dans
cette riviere, &: estant descendus
environ centcinquante
lieuës,ilstrouverent
une grande Nation,
qu'on appelle Escaniba,
qui occupe pour le moins
deux cens lieuësde pays,
dans lequelils trouverent
plu sieurs villes,villages
forts, dont les maisons sont
basties de bois & d'écorces.
Ilsont un Roy qui
se dit Descendant de Montcztmu,
& quiestordinairement
habillé de peaux
d'hommes, qui fontcommunes
en ces pays-là,les
peu ples mesme s'en habillent
aum.
Ils font policés en leurs
manieres, Idolatres,leurs
Idoles font affreuses & d'une
grandeur énorme
,
lesquelles
sont dans le Palais
du Roy. Il y en a deux entre
autres, dont l'une est de
figure humaine, armée de
lances & de traits, tenant
un pied enterre,& l'autre
en l'air
* avec la main sur
une figure decheval, comme
s'il vouloit le monter.
Ils disent quec'estla ftai
tuë d'un de leurs Roys qui
qui a filé grand conqueranr.
Cette statuë a dans
la bouche une escarboucle
de formequarrée,&grosse
comme un oeuf d'houtarde
,
qui brille & éc laire
pendant la nuit comme
un feu. L'autre de ces Idoles
estune femme, qui eH:
une Reine montéeen selle
sur une figure de Licorne
à costé de quatre grands
chiens. Ces figures sont
d'or fin nlafIif, & très- malfaites.
Elles sont placées
sur une estradequiest aussi
d'or,& de trente piedsen
quarré. Entre les deux fta*
tuës on entre dans l'appartement
duRoypar unvestibule
magnifique, c'est
là où se tient la garde du
Roy composée de deux
cens hommes.
-.. Le Palais du Roy est
tres grand, & a trois étages
,
les murailles de
huit pieds, font d'or massifen
carreaux rangez l'un
sur l'autre comme des briques
, avec des cram pons
& des barres de mesme
métal,le resteest decharpente
couverte de bois
JeRoy :t y demeure seul avec
ses femmes.À --vj.
'h'
Ces peuples font un.
grand commerce d'or; on
n'a pu deviner avec quel..
le Nation, si ce n'est,laJaponnoise
; car ils le tran sportent
fort loinparcaravannes,
& ils direntà nos
François, qu'ily avoit six
Lunes de chemin jusqu'à
cette Nation. Nos avanturiers
virent partir une
de ces caravannes dans le
tempsde leur sejour, COIHT.-
posée de plus de trois cens
boeufs tous chargez d'or
cscortez d'un pareil nombre
de cavaliers armez dis
lances & de flèches , avec
une espece de poignard;
la Nation leur donne en
- troc du fer, de l'acier, Irlz
des armes blanches. Ils
n'ont point l'usage de l'escriture,
ilsontuneespece
d'écorce apprestée comme
du papier
,
sur laquelle ils
marquent la quantité d'os
dont le conducteur est
chargé
).
& dont il doit
compter a sonretour.
,.
Le Roy s'a ppelle Agauzan,
qui veut dire en leur
langage,le Grand Roy;
il n'a aucune guerre , &
cependant il a tousjours
cent mille hommes tant
Cavalerie qu'Infanterie»
Leurs trompettes font
droites & d'or, dont ils sonnent
fort mal, & des especes
de tambours portez
par des boeufs, faits comme
des chaudrons d'or ,
couverts de peaux de cerfs;
les troupes s'exercent une
fois la semaine en presence
du Roy.
Ces peuples font basanez
, hideux, la teste Ion:"
gue & estroite, parce qu'on
leur ferre la teste estant
jeunes avec du bois ; les
femmes y sont belles &
blanches comme en Europe
; elles ont aussibien
que les hommes de grandes
oreilles qu'ils estiment
une beauté,&qu'ils chargent
danneaux dor ; ife
ont aussi les ongles fort
grands, & cela est une distinéction
,
les hommes les
plus velus y sont les plus
-beàux.,
La poligamie y cffc en
usage, & ils le mettent peu
en peine de la conduite
desfilles, pourveu qu'elles
ne soient point engagées.
Ils aiment la joye & la
danse,mangent beaucoup,
font du vin de palme
,
ôc
ont d'autres boissons3
grands fumeurs, le tabac
y est bon, ôc vient sans
cftre cultivé;ils receurent
parfaitement bien lesFrançois
qui estoient les prcmiers
Européensqu'ils eussent
veus.
Le Roy voulutles retenir
,
& les marier, & il
leur fit promettre de revenir.
Ils estoient surpris de
l'effet des fusils
, • & les
craignoientsifort qu'ils
D'oÍtrCnr enapprocher.
Lepaysest fort tempere,
on y vit jusqu'à une extrêmevieillesse
,&les peuples
ne sontsujets à aucune
maladie.
On y trouve toutes fortes
de fruitstant d'Europe
que des Indes. Ily a du
bled (1'Inde) & dela folle
avoine aussi bonne & au-ni
blancheque le ris; ils font
du pain de l'un & de l'autre,
on n'y cultive que le
bled d'Inde, les plaines y
sont belles, les paturages
excellents, & remplis de
toutes fortes d'animaux,
les rivieres poissonneuses,
& les terres & les bois remplis
d'oiseaux
,
de perroquets
,de singes,& d'animaux
singuliers. La ville
capitale est esloignéed'environ
six lieuës de la riviere
de Missi
, qui veut dire
Riviere d'or ony l.
Nos François,après avoir
pris congé du Roy , promirent
de revenir dans
trente six Lunes, & d'apporter
du corail, des nasfades
& d'autres marchandises
du Canada, pour troquer
contre de l'or. Ils en
fonc si peu de cas que le
Roy leur dit d'en prendre
à leur discretion
,
de maniere
qu'ils s'en chargerent
,
& prirent chacun
soixante barres d'environ
une palme de long, & du
poids r de quatre livres.
Deux de nos avanturiers
eurent la curiosité d'aller
voir l'endroit d'où l'on tire
cet or,ils rapporterentque
les mines estoient dans le
creux des montagnes, ôc
quedans lesdebordemens
les eaux les entraisnoient,
& que la seicheresse estant
venuë on en trouvoit de
gros monceaux sur le lit
des terres qui demeurent
àsec quatremois de l'année.
Lapluspart denosFrançois
furent maffectez dans
leur retour auxembouchures
du fleuve saint Laurent
, par un forban Anglois;
il n'yen a que deux
qui
quise soient échappez,&
qui après une longue captivité
en différences bayes
aux Indes orientales
, occidentales
,& à laChine,
sesonsenfin rendus à Brest,
ils assurent sur leur teste,
que si l'on veut les conduire
à Mi/ifli-py.ilsretrouveront
aisément le chemin
qu'ils ont fait, &c conduit,
rontàce nouveau Perou.
Fermer
Résumé : EXTRAIT d'un manuscrit par quelques François, dont on n'avoit encore eu aucunes nouvelles, parce qu'il s'en sauva que deux, qui ne sont arrivez à Brest que depuis quelques mois.
Un groupe de dix Français, accompagné de deux autochtones, quitta Montréal pour explorer le pays des Illinois, près de la rivière Mississippi. Ils entreprirent une expédition en remontant le Mississippi sur trois canots d'écorce, parcourant environ 150 lieues avant de rencontrer un obstacle les forçant à faire un portage de six lieues. Après avoir remonté encore 40 lieues sans rencontrer de nation, ils découvrirent une rivière coulant vers le sud-sud-ouest, qu'ils pensèrent mener à la mer du Sud. En naviguant sur cette rivière, ils parcoururent environ 150 lieues et trouvèrent une grande nation appelée Escaniba, occupant au moins 200 lieues de territoire. Cette nation possédait plusieurs villes fortifiées avec des maisons en bois et en écorce. Leur roi, se prétendant descendant de Montezuma, était souvent vêtu de peaux humaines. Les habitants étaient idolâtres, avec des idoles énormes et affreuses dans le palais royal. Ils pratiquaient un grand commerce d'or, transporté par caravanes de bœufs, et échangeaient l'or contre du fer et des armes blanches. Le roi, nommé Agauzan, disposait d'une armée de 100 000 hommes et vivait dans un palais en or massif. Les Français furent bien accueillis et promirent de revenir avec des marchandises pour échanger contre de l'or. Cependant, lors de leur retour, la plupart furent capturés par un forban anglais, et seuls deux survivants parvinrent à Brest après une longue captivité. Ils affirmèrent pouvoir retrouver le chemin du 'nouveau Pérou' s'ils étaient conduits au Mississippi.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
7
p. 37-45
LETTRE A MADAME P... sur deux mariez, dont l'un ne parloit que François, & l'autre qu'Anglois.
Début :
Il est constant que nostre époux ne parle point François [...]
Mots clefs :
Anglais, Français, Langage, Époux, Langue, Amour, Hymen
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE A MADAME P... sur deux mariez, dont l'un ne parloit que François, & l'autre qu'Anglois.
LETTREAMADAME
P.surdeux mariez, dont
l'un ne parloit que Franfois,
C l'autre qu'Anglois.
IL est constant que
nostre époux ne parle
point François, & que l'épouse ne parle pas
un mot d'Anglois:cela
paroît d'abordâflfei
bizare, tnaifS c'est faute
de'bien con siderer,ce
dont il s'agiten-ce
rencontre.
Dés le moment qu'un
1- coeur soûpire,
On- connoiten tvtâ lieux
ce que cela veut
dire,
Et malgré Babel&sa
Tour,
Dans le climat leplus
(fftJVage,
Ne demandez, que de
l'amour,
On entendra vôtre langage.
La terre en mil Etats a
beau se partager
En Aste) en Afrique,
en Europe, il réimporte
,
L'Amour n'est jamais
étranger
En quelque Païs qu'on
le porte.
Comme il est le Pere
de tous les hommes,
il est entendu de tous
ses enfans ; il est vray
que quand ilveutfaire
quelquemauvais coup,
comme il faut qu'il se
masque & qu'il se déguise,
il faut aussi qu'il
se serve de la langue du
Païs, mais quand il est
conduit par l'himenée,
, sans lequel il ne peut
être bien reçu chez les
honnêtes gens, il luy
suffit
suffit de se montrer
pour se faire entendre,
Secoue le monde parle
pour luy.
En quelquelangue qu'il
s'exprime,
Onsçaitd'abord ce qu'il
pre'tendy
Et des qu'il peut parler
sans crime
Une honnêtefillel'en-
,. tend,
La raison de cela est
estunetraditieiitres
estunetraditiontics
simple& trés aisée,
dont la nature çft dépositaire,
& qu'ellené
manque jamaisderévéler
à toutes les filles
lorsque la Loy Tgrdonne,
& quelquefois
même quand elle ut
l'ordonne pas.
Parmi toutes les Nationsi
UHtmen en ces occa-
,¡';onJ
A certainesexpressions,
Qui n'ont point besoin
d'inierprettes.
Ne vous étonnez
donc pas que deux personnes
étrangères, &r.
d'un langage si difteirent
, ayent pû fç, résoudre
à se marier ensemble,&
croyez comme
un article de la Loy
naturelle) que dans ces
sortes de mysteres tout
le monde parle François
,ajoûtez à cela que
de jeunes époux ont
leurs manieres particulieres
de s'entretenir,
indépendamment de
toutes les langues dela.
Terre.
Discours & fleurettes
frivoles,
Amans, ne conviennent
8 qu'à vous,
Mais entre deux heureux
époux
UHimenriadmet plul
lesparoles.
P.surdeux mariez, dont
l'un ne parloit que Franfois,
C l'autre qu'Anglois.
IL est constant que
nostre époux ne parle
point François, & que l'épouse ne parle pas
un mot d'Anglois:cela
paroît d'abordâflfei
bizare, tnaifS c'est faute
de'bien con siderer,ce
dont il s'agiten-ce
rencontre.
Dés le moment qu'un
1- coeur soûpire,
On- connoiten tvtâ lieux
ce que cela veut
dire,
Et malgré Babel&sa
Tour,
Dans le climat leplus
(fftJVage,
Ne demandez, que de
l'amour,
On entendra vôtre langage.
La terre en mil Etats a
beau se partager
En Aste) en Afrique,
en Europe, il réimporte
,
L'Amour n'est jamais
étranger
En quelque Païs qu'on
le porte.
Comme il est le Pere
de tous les hommes,
il est entendu de tous
ses enfans ; il est vray
que quand ilveutfaire
quelquemauvais coup,
comme il faut qu'il se
masque & qu'il se déguise,
il faut aussi qu'il
se serve de la langue du
Païs, mais quand il est
conduit par l'himenée,
, sans lequel il ne peut
être bien reçu chez les
honnêtes gens, il luy
suffit
suffit de se montrer
pour se faire entendre,
Secoue le monde parle
pour luy.
En quelquelangue qu'il
s'exprime,
Onsçaitd'abord ce qu'il
pre'tendy
Et des qu'il peut parler
sans crime
Une honnêtefillel'en-
,. tend,
La raison de cela est
estunetraditieiitres
estunetraditiontics
simple& trés aisée,
dont la nature çft dépositaire,
& qu'ellené
manque jamaisderévéler
à toutes les filles
lorsque la Loy Tgrdonne,
& quelquefois
même quand elle ut
l'ordonne pas.
Parmi toutes les Nationsi
UHtmen en ces occa-
,¡';onJ
A certainesexpressions,
Qui n'ont point besoin
d'inierprettes.
Ne vous étonnez
donc pas que deux personnes
étrangères, &r.
d'un langage si difteirent
, ayent pû fç, résoudre
à se marier ensemble,&
croyez comme
un article de la Loy
naturelle) que dans ces
sortes de mysteres tout
le monde parle François
,ajoûtez à cela que
de jeunes époux ont
leurs manieres particulieres
de s'entretenir,
indépendamment de
toutes les langues dela.
Terre.
Discours & fleurettes
frivoles,
Amans, ne conviennent
8 qu'à vous,
Mais entre deux heureux
époux
UHimenriadmet plul
lesparoles.
Fermer
Résumé : LETTRE A MADAME P... sur deux mariez, dont l'un ne parloit que François, & l'autre qu'Anglois.
Le texte 'Lettre à Madame' aborde l'union entre deux époux parlant des langues différentes, l'un le français et l'autre l'anglais. Cette situation est expliquée par l'amour, qui transcende les barrières linguistiques. L'amour est décrit comme un langage universel compris par tous, indépendamment des frontières géographiques ou des langues parlées. Lorsqu'il est sincère et guidé par l'hyménée, il se fait comprendre sans besoin de traduction. Le texte souligne que l'amour est le père de tous les hommes et est donc compris par tous ses enfants. Les jeunes époux ont des manières particulières de communiquer, indépendantes des langues terrestres. Les discours et les compliments frivoles conviennent seulement aux amants, tandis que l'hyménée admet plus les paroles entre deux époux heureux.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
8
p. 971-972
Lettre de M. *** écrite de Grenoble.
Début :
Voulez-vous bien me permettre, Monsieur, de vous demander des nouvelles de la Méthode [...]
Mots clefs :
Latin, Français
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Lettre de M. *** écrite de Grenoble.
Avertiffement à M. de Boyle , au sujet
de fon Microscope.
IN des Membres de la Societé des Arts , a
UNtrouvé la conftruction d'un Microſcope par
refléxion avec deux ou avec quatre Miroirs. On
pourroit juger que c'eft le Microſcope de M. de
Boyle , avec lequel il prétendoit découvrir des
animaux dans le fang , & qui fit tant de bruit
à Paris en 1727. mais comme M. de Boyle a toujours
conftamment refufé toute comparaison
d'autre Microſcope avec le fien , il y a lieu de
croire qu'il ne groffiffoit pas plus que les Microf
copes connus , & que les Miroirs dont il ſe ſervoit
MAY. 1730. 971.
voit , ne lui étoient utiles que pour apporter aux
objets une lumiere moderée , afin de les faire voir
avec netteté & diftinction .
Quoiqu'il en feit, on ne fçait pas fi le Microf
cope trouvé eft le même que celui de M. de Boyle,
ce qu'il y a de certain, c'eft qu'on a été obligé de
lui donner la même figure exterieure pour pro-,
duire les effets que l'on attendoit , qu'il groffic
prodigieufement les objets , & qu'il les prefente
avec beaucoup de clarté & de diftinction.
L'inventeur du nouveau Microſcope eft perfuadé
qu'on ne préfumera pas que M. de Boyle lui
ait communiqué fon fecret , les précautions qu'il
prenoit pour le cacher à tout le monde , mettent
PInventeur à couvert de ce foupçon ; il eft cependant
bien-aife, avant que de donner la defcription
ce Microſcope , d'avertir ici M. de Boyle , que
s'il veut jouir de l'honneur de fa découverte , il
faut qu'il la donne au Public dans trois mois , ૩ .
compter de ce jour , temps qui paroît fuffifant
pour la diftance qu'il y a de Paris à Rouen. Si
M.de Boyle garde le filence dans cette conjoncture,
il laiffera au Public la liberté de croire qu'il n'a
aucune prétention à l'honneur de cette Découverte.
de fon Microscope.
IN des Membres de la Societé des Arts , a
UNtrouvé la conftruction d'un Microſcope par
refléxion avec deux ou avec quatre Miroirs. On
pourroit juger que c'eft le Microſcope de M. de
Boyle , avec lequel il prétendoit découvrir des
animaux dans le fang , & qui fit tant de bruit
à Paris en 1727. mais comme M. de Boyle a toujours
conftamment refufé toute comparaison
d'autre Microſcope avec le fien , il y a lieu de
croire qu'il ne groffiffoit pas plus que les Microf
copes connus , & que les Miroirs dont il ſe ſervoit
MAY. 1730. 971.
voit , ne lui étoient utiles que pour apporter aux
objets une lumiere moderée , afin de les faire voir
avec netteté & diftinction .
Quoiqu'il en feit, on ne fçait pas fi le Microf
cope trouvé eft le même que celui de M. de Boyle,
ce qu'il y a de certain, c'eft qu'on a été obligé de
lui donner la même figure exterieure pour pro-,
duire les effets que l'on attendoit , qu'il groffic
prodigieufement les objets , & qu'il les prefente
avec beaucoup de clarté & de diftinction.
L'inventeur du nouveau Microſcope eft perfuadé
qu'on ne préfumera pas que M. de Boyle lui
ait communiqué fon fecret , les précautions qu'il
prenoit pour le cacher à tout le monde , mettent
PInventeur à couvert de ce foupçon ; il eft cependant
bien-aife, avant que de donner la defcription
ce Microſcope , d'avertir ici M. de Boyle , que
s'il veut jouir de l'honneur de fa découverte , il
faut qu'il la donne au Public dans trois mois , ૩ .
compter de ce jour , temps qui paroît fuffifant
pour la diftance qu'il y a de Paris à Rouen. Si
M.de Boyle garde le filence dans cette conjoncture,
il laiffera au Public la liberté de croire qu'il n'a
aucune prétention à l'honneur de cette Découverte.
Fermer
Résumé : Lettre de M. *** écrite de Grenoble.
En mai 1730, des membres de la Société des Arts ont découvert un microscope à réflexion utilisant deux ou quatre miroirs. Ce microscope a été comparé à celui de M. de Boyle, qui avait suscité beaucoup d'intérêt à Paris en 1727 en prétendant observer des animaux dans le sang. M. de Boyle refusait toute comparaison, affirmant que ses miroirs servaient uniquement à éclairer les objets. Le nouveau microscope découvert présente des caractéristiques similaires à celui de M. de Boyle, notamment en termes de forme extérieure et de performance. Il grossit prodigieusement les objets et les présente avec clarté et distinction. L'inventeur du nouveau microscope affirme que M. de Boyle n'a pas partagé son secret, étant donné les précautions prises par ce dernier pour le garder confidentiel. L'inventeur avertit M. de Boyle qu'il doit publier sa découverte dans les trois mois pour revendiquer l'honneur de l'invention. Si M. de Boyle reste silencieux, le public sera libre de croire qu'il n'a aucune prétention à cette découverte.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
9
p. 1183-1187
« Méthode nouvelle, abregée & figurée, pour apprendre conjointement le François & le Latin, [...] »
Début :
Méthode nouvelle, abregée & figurée, pour apprendre conjointement le François & le Latin, [...]
Mots clefs :
Méthode d'apprentissage, Français, Latin, Grammaire
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Méthode nouvelle, abregée & figurée, pour apprendre conjointement le François & le Latin, [...] »
Méthode nouvelle , abregée & figurée , pour
apprendre conjointement le François & le Latin ,
enfemble l'Ortographe & la Ponctuation , le tout
par regles & par principes , en moins d'un an,
L'Auteur commence par le François , il y fait
d'abord une fenfible application des regles & des
préceptes de la Grammaire , y diftingue les huit
fortes de mots , leur proprieté , leur ufage & les
differences Grammaticales qui en procedent ; il
fait voir de combien de Parties eft compofée la
Phrafe , le rapport qu'elles ont les unes avec les
autres , & l'ordre qui s'y obferve. En un mót ,
raffemble ce que les Langues ont de commun ,
en fait un Corps d'inftruction qu'il réduit en
pratique par un exercice fimple & familier ; &
pour plus de facilité , il y joint encore certains
caracteres qui fans caufer de confufion femblent,
pour ainsi dire , conduire au doigt & à l'oeil.
il
Ayant mis le fondement de fa Méthode fur le
François , il s'agit de la faire paffer au Latin.
Pour cet effet , il donne fur un quarré de papier
le précis des terminaifons Latine's, dans un ordre
1. Vol.
qui Fv
1186 MERCURE DE FRANCE
qui , quoique fimple , fuffit néanmoins pour les
diftinguer , en faire la jufte application & demêler
ce qu'elles ont d'équivoque. C'eft donc fur
ces terminaiſons & les parties grammaticales
qu'elles dénotent , que s'appliquent ces caracteres
François , qui paffant au Latin , ont la vertu d'y
porter avec eux toutes ces notions fondamentales
de Grammaire qu'on y avoit déja attachées.
Pour venir enfuite à l'explication des Auteurs
qui d'ordinaire eft le but qu'on fe propofe dans
Cette forte d'étude , il eft effentiel de trouver cette
conftruction Latine par laquelle l'Ecrivain a voulu
nous communiquer fes penfées , & c'est ce que
la Méthode apprend , & qui fera d'autant plus
aifé à faire , qu'on fera plus jufte & plus habile à
diftinguer par les terminaifons les differentes parties
dont la Phrafe fe trouvera conpofée , & que
de plus on s'attachera à obferver le même ordre
qui s'eft pratiqué dans le François.
C'eft enfin par cette conftruction que l'Auteur
de la Méthode prétend conduire à une explication
promte & facile. Trois chofes felon lui y
concourent. 1º Le fens de l'Ecrivain renfermé
dans cette conftruction, qui n'eft autre chofe qu'u
ne fuite d'idées , lefquelles jointes enſemble font
un fens , & concourrent à le manifefter. 2 ° L'étimologie
ou rapport de fignification qui fe trouve
entre le Latin & le François. 5 L'analogie
autre rapport de fignification que les mots de
certaines claffes ont les uns avec les autres. Sur
les moyens dévelopés comme il faut , le fréquent
exercice qu'il y joint & l'experience qu'il en a ,
l'Auteur fe promet d'apprendre le Latin en peu de
tems , d'y remettre très promtement ceux qui
croyent l'avoir oublié & comme il a plus à
coeur l'interêt public que le fien propre , il fe
prêtera volontiers gratis à ceux à qui il convien-
>
dra de le faire.
Méthode nouvelle , abregée & figurée , pour
apprendre conjointement le François & le Latin ,
enfemble l'Ortographe & la Ponctuation , le tout
par regles & par principes , en moins d'un an,
L'Auteur commence par le François , il y fait
d'abord une fenfible application des regles & des
préceptes de la Grammaire , y diftingue les huit
fortes de mots , leur proprieté , leur ufage & les
differences Grammaticales qui en procedent ; il
fait voir de combien de Parties eft compofée la
Phrafe , le rapport qu'elles ont les unes avec les
autres , & l'ordre qui s'y obferve. En un mót ,
raffemble ce que les Langues ont de commun ,
en fait un Corps d'inftruction qu'il réduit en
pratique par un exercice fimple & familier ; &
pour plus de facilité , il y joint encore certains
caracteres qui fans caufer de confufion femblent,
pour ainsi dire , conduire au doigt & à l'oeil.
il
Ayant mis le fondement de fa Méthode fur le
François , il s'agit de la faire paffer au Latin.
Pour cet effet , il donne fur un quarré de papier
le précis des terminaifons Latine's, dans un ordre
1. Vol.
qui Fv
1186 MERCURE DE FRANCE
qui , quoique fimple , fuffit néanmoins pour les
diftinguer , en faire la jufte application & demêler
ce qu'elles ont d'équivoque. C'eft donc fur
ces terminaiſons & les parties grammaticales
qu'elles dénotent , que s'appliquent ces caracteres
François , qui paffant au Latin , ont la vertu d'y
porter avec eux toutes ces notions fondamentales
de Grammaire qu'on y avoit déja attachées.
Pour venir enfuite à l'explication des Auteurs
qui d'ordinaire eft le but qu'on fe propofe dans
Cette forte d'étude , il eft effentiel de trouver cette
conftruction Latine par laquelle l'Ecrivain a voulu
nous communiquer fes penfées , & c'est ce que
la Méthode apprend , & qui fera d'autant plus
aifé à faire , qu'on fera plus jufte & plus habile à
diftinguer par les terminaifons les differentes parties
dont la Phrafe fe trouvera conpofée , & que
de plus on s'attachera à obferver le même ordre
qui s'eft pratiqué dans le François.
C'eft enfin par cette conftruction que l'Auteur
de la Méthode prétend conduire à une explication
promte & facile. Trois chofes felon lui y
concourent. 1º Le fens de l'Ecrivain renfermé
dans cette conftruction, qui n'eft autre chofe qu'u
ne fuite d'idées , lefquelles jointes enſemble font
un fens , & concourrent à le manifefter. 2 ° L'étimologie
ou rapport de fignification qui fe trouve
entre le Latin & le François. 5 L'analogie
autre rapport de fignification que les mots de
certaines claffes ont les uns avec les autres. Sur
les moyens dévelopés comme il faut , le fréquent
exercice qu'il y joint & l'experience qu'il en a ,
l'Auteur fe promet d'apprendre le Latin en peu de
tems , d'y remettre très promtement ceux qui
croyent l'avoir oublié & comme il a plus à
coeur l'interêt public que le fien propre , il fe
prêtera volontiers gratis à ceux à qui il convien-
>
dra de le faire.
E YORK
PUBLIC LIBRARY .
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
Vol .
FORK
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
JUIN. 1730. 1187
Il faut s'adreffer au S. Monier de Colonge
rue S. Chriftophe , chez Me de Quainfy , la derniere
Porte joignant celle du Cloître Notre-
Dame.
apprendre conjointement le François & le Latin ,
enfemble l'Ortographe & la Ponctuation , le tout
par regles & par principes , en moins d'un an,
L'Auteur commence par le François , il y fait
d'abord une fenfible application des regles & des
préceptes de la Grammaire , y diftingue les huit
fortes de mots , leur proprieté , leur ufage & les
differences Grammaticales qui en procedent ; il
fait voir de combien de Parties eft compofée la
Phrafe , le rapport qu'elles ont les unes avec les
autres , & l'ordre qui s'y obferve. En un mót ,
raffemble ce que les Langues ont de commun ,
en fait un Corps d'inftruction qu'il réduit en
pratique par un exercice fimple & familier ; &
pour plus de facilité , il y joint encore certains
caracteres qui fans caufer de confufion femblent,
pour ainsi dire , conduire au doigt & à l'oeil.
il
Ayant mis le fondement de fa Méthode fur le
François , il s'agit de la faire paffer au Latin.
Pour cet effet , il donne fur un quarré de papier
le précis des terminaifons Latine's, dans un ordre
1. Vol.
qui Fv
1186 MERCURE DE FRANCE
qui , quoique fimple , fuffit néanmoins pour les
diftinguer , en faire la jufte application & demêler
ce qu'elles ont d'équivoque. C'eft donc fur
ces terminaiſons & les parties grammaticales
qu'elles dénotent , que s'appliquent ces caracteres
François , qui paffant au Latin , ont la vertu d'y
porter avec eux toutes ces notions fondamentales
de Grammaire qu'on y avoit déja attachées.
Pour venir enfuite à l'explication des Auteurs
qui d'ordinaire eft le but qu'on fe propofe dans
Cette forte d'étude , il eft effentiel de trouver cette
conftruction Latine par laquelle l'Ecrivain a voulu
nous communiquer fes penfées , & c'est ce que
la Méthode apprend , & qui fera d'autant plus
aifé à faire , qu'on fera plus jufte & plus habile à
diftinguer par les terminaifons les differentes parties
dont la Phrafe fe trouvera conpofée , & que
de plus on s'attachera à obferver le même ordre
qui s'eft pratiqué dans le François.
C'eft enfin par cette conftruction que l'Auteur
de la Méthode prétend conduire à une explication
promte & facile. Trois chofes felon lui y
concourent. 1º Le fens de l'Ecrivain renfermé
dans cette conftruction, qui n'eft autre chofe qu'u
ne fuite d'idées , lefquelles jointes enſemble font
un fens , & concourrent à le manifefter. 2 ° L'étimologie
ou rapport de fignification qui fe trouve
entre le Latin & le François. 5 L'analogie
autre rapport de fignification que les mots de
certaines claffes ont les uns avec les autres. Sur
les moyens dévelopés comme il faut , le fréquent
exercice qu'il y joint & l'experience qu'il en a ,
l'Auteur fe promet d'apprendre le Latin en peu de
tems , d'y remettre très promtement ceux qui
croyent l'avoir oublié & comme il a plus à
coeur l'interêt public que le fien propre , il fe
prêtera volontiers gratis à ceux à qui il convien-
>
dra de le faire.
Méthode nouvelle , abregée & figurée , pour
apprendre conjointement le François & le Latin ,
enfemble l'Ortographe & la Ponctuation , le tout
par regles & par principes , en moins d'un an,
L'Auteur commence par le François , il y fait
d'abord une fenfible application des regles & des
préceptes de la Grammaire , y diftingue les huit
fortes de mots , leur proprieté , leur ufage & les
differences Grammaticales qui en procedent ; il
fait voir de combien de Parties eft compofée la
Phrafe , le rapport qu'elles ont les unes avec les
autres , & l'ordre qui s'y obferve. En un mót ,
raffemble ce que les Langues ont de commun ,
en fait un Corps d'inftruction qu'il réduit en
pratique par un exercice fimple & familier ; &
pour plus de facilité , il y joint encore certains
caracteres qui fans caufer de confufion femblent,
pour ainsi dire , conduire au doigt & à l'oeil.
il
Ayant mis le fondement de fa Méthode fur le
François , il s'agit de la faire paffer au Latin.
Pour cet effet , il donne fur un quarré de papier
le précis des terminaifons Latine's, dans un ordre
1. Vol.
qui Fv
1186 MERCURE DE FRANCE
qui , quoique fimple , fuffit néanmoins pour les
diftinguer , en faire la jufte application & demêler
ce qu'elles ont d'équivoque. C'eft donc fur
ces terminaiſons & les parties grammaticales
qu'elles dénotent , que s'appliquent ces caracteres
François , qui paffant au Latin , ont la vertu d'y
porter avec eux toutes ces notions fondamentales
de Grammaire qu'on y avoit déja attachées.
Pour venir enfuite à l'explication des Auteurs
qui d'ordinaire eft le but qu'on fe propofe dans
Cette forte d'étude , il eft effentiel de trouver cette
conftruction Latine par laquelle l'Ecrivain a voulu
nous communiquer fes penfées , & c'est ce que
la Méthode apprend , & qui fera d'autant plus
aifé à faire , qu'on fera plus jufte & plus habile à
diftinguer par les terminaifons les differentes parties
dont la Phrafe fe trouvera conpofée , & que
de plus on s'attachera à obferver le même ordre
qui s'eft pratiqué dans le François.
C'eft enfin par cette conftruction que l'Auteur
de la Méthode prétend conduire à une explication
promte & facile. Trois chofes felon lui y
concourent. 1º Le fens de l'Ecrivain renfermé
dans cette conftruction, qui n'eft autre chofe qu'u
ne fuite d'idées , lefquelles jointes enſemble font
un fens , & concourrent à le manifefter. 2 ° L'étimologie
ou rapport de fignification qui fe trouve
entre le Latin & le François. 5 L'analogie
autre rapport de fignification que les mots de
certaines claffes ont les uns avec les autres. Sur
les moyens dévelopés comme il faut , le fréquent
exercice qu'il y joint & l'experience qu'il en a ,
l'Auteur fe promet d'apprendre le Latin en peu de
tems , d'y remettre très promtement ceux qui
croyent l'avoir oublié & comme il a plus à
coeur l'interêt public que le fien propre , il fe
prêtera volontiers gratis à ceux à qui il convien-
>
dra de le faire.
E YORK
PUBLIC LIBRARY .
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
Vol .
FORK
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
JUIN. 1730. 1187
Il faut s'adreffer au S. Monier de Colonge
rue S. Chriftophe , chez Me de Quainfy , la derniere
Porte joignant celle du Cloître Notre-
Dame.
Fermer
Résumé : « Méthode nouvelle, abregée & figurée, pour apprendre conjointement le François & le Latin, [...] »
Le texte décrit une méthode pédagogique visant à apprendre simultanément le français et le latin, ainsi que l'orthographe et la ponctuation, en moins d'un an. La méthode commence par l'enseignement du français, en appliquant rigoureusement les règles et préceptes de la grammaire. L'auteur distingue les huit types de mots, leurs propriétés, usages et différences grammaticales. Il explique également la composition des phrases, les rapports entre leurs parties et l'ordre observé. Cette approche rassemble les éléments communs aux langues et les réduit en pratique par des exercices simples et familiers, aidés par des caractères facilitant l'apprentissage. Ensuite, la méthode est transposée au latin. L'auteur fournit un résumé des terminaisons latines sur un carré de papier, permettant de les distinguer et de les appliquer correctement. Les caractères français sont utilisés pour porter les notions grammaticales au latin. Pour expliquer les auteurs latins, il est essentiel de trouver la construction latine utilisée par l'écrivain pour communiquer ses pensées. La méthode enseigne cette construction, facilitant ainsi la compréhension des textes latins. Trois éléments contribuent à cette explication : le sens de l'écrivain, l'étymologie et l'analogie entre les mots. L'auteur se propose d'enseigner le latin rapidement et de rafraîchir les connaissances de ceux qui l'ont oublié. Il offre son aide gratuitement, priorisant l'intérêt public à son propre gain.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
10
p. 1696-1718
TROISIÉME LETRE sur le Livre anoncé sous le titre de la BIBLIOTEQUE DES ENFANS, ou les premier élemens des letres.
Début :
Puisque vous le souhaités, Monsieur, en faveur de persones qui font usage [...]
Mots clefs :
Enfants, Carte, Méthode, Voyelles, A, B, C Français, A, B, C Latin, Exercice, Latin, Français, École, Consonnes, Jeux, Bureau
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : TROISIÉME LETRE sur le Livre anoncé sous le titre de la BIBLIOTEQUE DES ENFANS, ou les premier élemens des letres.
TROISIEME LETRE fur le
Livre anoncé fous le titre de la B1-
BLIOTEQUE DES ENFANS ,
les premiers élemens des letres .
Po
ou
Uifque vous le fouhaités , Monfieur ,
en faveur des perfones qui font ufage
du bureau tipografique , j'aurai encore
l'honeur de vous parler de la Biblioteque
des enfans , et de vous doner la fuite des
reflexions & des inftructions préliminalres
fur cet ouvrage. L'auteur qui m'a
confié fon manufcrit , eft d'ailleurs bien
aife de preffentir le gout du public avant
que de l'expofer à l'emplete , et qui pis
eft , à la lecture d'un livre dont il feroit
peut-être peu de cas par la fuite..
Un enfant capable de diftinguer les
couleurs & les objets fans les nomer , peut
en ètre amuſé de bone heure ; il ne s'agit
que du chois des objets qu'on lui préſente
pour le divertir , plutot que pour l'apliquer
d'une maniere nuifible : D'ailleurs
l'enfant fait conoitre fon dégout dès qu'il
le fent ; il ne faut donc jamais le forcer
au jeu ; l'on doit au contraire nourir &
entretenir en lui le defir de badiner avec
des objets inftructifs. Le tout confifte dans
ce point , & la diverfité des objets fervant
& tendant à mème fin , certaines heures
de
A O UST . 1730. 1697
I
de gaiété , de bone humeur , prifes avant
ou après les répas , donent plus de tems
qu'il n'en faut pour ce petit exercice . Des
images , des jetons , des médailles , des
letres ifolées fur des dés , ou fur des cartes à
jouer , ne divertiront pas moins un enfant,
que les vils morceaux d'un vafe caffé , et
autres chofes capables de lui faire du mal
come des bâtons; des couteaux, ou des ci
feaux , qu'on a trop fouvent la dangereuſe
complaifance de lui laiffer entre les mains
Il faut préferer à tous autres jeux l'ufage
& le jeu des letres , parce qu'elles font la
clé des arts-& - des fiences . Un enfant d'artifan
aprend de bone heure le nom des
outils de la boutique de fon pere; un anaṛ
tomiſte done à fon enfant des os & des
têtes de mort pour lui fervir d'amufe
ment et en même tems pour avoir ocafion
de lui montrer de bone heure les
premiers élemens de l'anatomie : ne peuton
pas en faire de même à l'égard des élé
mens des letres? La peinture , la gravure,
la fculpture , la broderie ; & c . pouroient
fournir à l'enfant d'un prince , d'un grand
feigneur , ou d'un home riche , diferens
jeux de letres de diverfes matieres
pres à le divertir & à l''inſtruire .
pro
On pouroit au lieu de cartes ordinaires
avoir des jetons, ou des letres fur une ma
tiere plus folide que cèle des cartes , come
~
Av dess
1698 MERCURE DE FRANCE
des tableaux , des cartons , ou des cartes doubles
& groffieres. On pouroit auffi fe fervir
utilement des fix faces des dés , et les
aranger come les letres des imprimeurs :
faute de dés il fufiroit d'avoir des letres
d'ivoire de buis , ou d'os , dont le noir &
le blancimiteroient l'impreffion ordinaire :
on pouroit faire cela pour un jeune prin
ce ; & le colombier du bureau tipografique
feroit pour lors garni de petits tiroirs
ou caffetins, remplis des letres fimples out
combinées qui fervent à marquer les fons
de la langue en laquelle on voudroit imprimer.
Mais le jeu des cartes achetées
a la livre & marquées de letres , me paroit
auffi fenfible , plus comode , moins
cher , et non moins inftruétif. D'ailleurs
les perfones qui aiment le jeu , ne defaprouveront
pas que les enfans aprenent
de bone heure à manier les cartes , et ceux
qui n'aiment pas le jeu , n'auront point
lieu de craindre qu'un enfant nouri &
élevé dans le jeu des cartes literaires , deviene
par là efclave de la paffion des autres
jeux de cartes. L'enfant n'aime dans
cet exercice que le côté des letres ; le petit
CANDIAC , du moins n'avoit de curiofité
que pour le dos des cartes , dont on luf
prefentoit les poins , ou les figures ; & s'il
n'y avoit rien far le dos des cartes , il les
donoit d'abord pour ètre employées util
lement
A O UST. 1730. 1699
lement au bureau . Le mouvement & le
manîment des cartes done à la main de
l'enfant une adreffe toute particuliere.
cèle
On pouroit encore par l'affemblage &
la combinaiſon des letres , faire un jeu
inftructif; des croix , des figures d'homes,
d'animaux et d'autres objets capables
d'exciter la curiofité & de reveiller l'atention
en variant tout, de tems en tems par
la nouveauté la dépenfe que l'on feroit
pour cela feroit toujours au-deffous de
qu'on fait pour de riches, mais ignorantes
bagateles . On met volontiers une
piftole à un noeud de ruban , ou à un bonet
pour un enfant, auquel on plaint fourvent
un mois d'inftruction : on done fans
neceffité un repas de dix piftoles à cinq
ou fix amis , pendant que l'on refufe a
fon enfant un livre de trente fous : la vanité
dédomageant dans l'un , on croit
Fautre pure perte : oferai -je dire que le
corps obtient le fuperflu , pendant que
l'efprit n'a pas le neceffaire. Cependant fi
Pon trouve cète métode trop chere &
trop pénible , on peut la laiffer à ceux
qui auront plus de bien, plus de patience,
et plus d'envie d'avancer de bone heure
feurs enfans. Il ne faut difputer ici ni des
gouts ni des génies ; mais on peut dire en
general que la faute des éducations manquées
, vient ordinairement des parens &
A vi des
1700 MERCURE DE FRANCE
'des maitres , plutot que des enfans : j'en
apele à l'experience ; chacun critique l'éducation
des enfans de fon voifin , pendant
qu'il s'aveugle fur celle des fiens propres .
On peut d'abord faire aprendre aux enfans
come à des peroquets , à prononcer
les voyeles & les confones ; et
par leur
nomination faire entrer les fons de la lan
gue françoife par l'oreille , avant que de
leur en montrer la figure aux ïeux : on
metra par là en exercice les organes de
la parole , fur tout fi l'on a foin de pro
noncer à haute voix lés fons de notre lan
gue fimples ou compofés. Et fi l'on s'aper
çoit que l'enfant ne prononce pas
facile
ment certaines letres de l'A BC , ou que
par le défaut de fes organes il articulef'une
pour l'autre , ou qu'enfin il ne foit
pas fidele écho , il eft bon pour lors de
repeter fouvent devant lui diftinctement
& à haute voix les fons qu'il ne peut exprimer
; et de ne lui point faire dire les
letres qu'il articulé en la place de cèles
qu'on lui demande : ce qui a fouvent leu ›
dans la prononciation du chè françois &
des letres C , R , G ; Z ; S , &c. Quand un
enfant en parlant prononce mal certaines
letres , et qu'il articule la foible pour la
forte 3 non -feulement il faut le reprendre,
mais il eſt bon encore d'éloigner de lui les
domeftiques qui ont le mème défaut ; fans
qui
A O UST . 1730. 170.1 °
quoi l'enfant rifque de conferver toujours
les prononciations vicieufes que pou
roient lui doner des gouvernantes ou des
valets de chambre..
Y.
e
Des cartes à jouer fans figures,fans poins;
& blanches des deux côtés , feront plaifir
à un enfant de deux ans ; mais s'il y a
des figures , des poins , & des letres , le
plaifir en fera plus grand . On peut donc
prendre des cartes au dos defqueles on
metra d'abord au milieu l'ABC , pour
inftruire & divertir un petit enfant ; l'on
dit au dos & au milieu des cartes , parce
que dans la fuite en fefant travailler au
bureau tipografique , on emploîra le haut -
& le coin ou l'angle du dos des cartes, pour
marquer les abreviations des mots No.
M' , M , M , S ' , S ", 3 ° , &c. ce qui
fait voir la neceffité de cete diftinction . Il
eft mieux de ne pas employer les cartes
à figures, et de choifir feulement les cartes
à poins , fupofé qu'on ne veuille pas en
faire faire exprès de toutes blanches &
petites come cèles des étrenes mignones ;
les poins des cartes peuvent encore fervir
à conter depuis un jufqu'à dix , ce qui
eft beaucoup pour un enfant de deux à
trois ans , puifque des peuples entiers
n'exprimoient , dit- on , les fomes au-delà
de ce nombre qu'en ouvrant plufieurs fois
les mains, Un enfant amufe de bone heure
Par
1702 MERCURE DE FRANCE
par ce jeu de letres , s'y livre avec plaiſir, &
par imitation voyant l'action & l'exemple
des autres il n'en conoit pas la raifon , il
n'y fent aucune peine , et c'eft ce que l'experience
perfuadera mieux que de fimples
raifonemens.
On doit paffer d'un objet à un autre , et
du fimple au compofé : c'eft pourquoi il
ne faut d'abord qu'une letre au milieu
d'une carte , començant par les voyeles
avant que de paffer aux confones , et employant
les grandes letres avant que de
doner les petites. Des cartes avec les letres
donées à deviner , ont l'air d'un jeu plu
tôt que
d'une étude : on comence la premiere
leçon par les cinq voyeles , à caufe
qu'elles font plus faciles à prononcer. On
a , par exemple,un jeu de vint - cinq cartes,
favoir cinq cartes marquées d'un A ; cinq
cartes marquées d'un E ; autant pour
chacune des autres voyeles, J, O, U : après
quoi l'on bat les cartes , on coupe & l'on
fait nomer les letres à l'enfant. Dans la
fuite , pour diminuer le nombre des carres
& rendre la leçon ou le jeu plus utile ,
on marquera cinq cartes chacune avec les
cinq voyeles , favoir les quatre coins avec
A, E , O , V , et le milieu avec Ƒ' , pour
la leçon des cinq voyeles , et l'on tournéra
la carte de l'autre fens quand on vou
dra y montrer les cinq petites voyeles à
côté des grandes, Quand
A O UST . 1730. 1703
Quand l'enfant fait le jeu des cinq voyeles
A , E , 1,0 , V , on y joint une carte
du jeu des confones prifes au hazard entre
cèles qu'il prononce le mieux , fans
s'affervir à l'ordre abecedique : on peut
donc augmenter le jeu en ajoutant la carte
du B , du D , & c. et doner à la confonet
fon nom réel & efectif au lieu du nom
vulgaire , lorfqu'il peut induire en erreur.
Puifqu'on ne done plus les noms
d'Aleph , Beth , & d'Alpha , Beta , &c.
aux caracteres de l'a b c , latin & françois
, l'auteur a cru pouvoir fe fervir des
mots abe ce & abecedique , au lieu des
mots alfabet et alfabetique , afin de
ne pas faire à de petits enfans un mistere
d'une chofe auffi fimple. Après avoir
donc comancé par le jeu des cinq voyeles
A, E ,J , O,U , à caufe de leur prononciation
aifée ; il s'agit de paffer aux confones,
et de leur doner le nom qui leur convient
le mieux , par raport à l'ufage & à
Péfet de ces mèmes letres combinées avec
les autres , d'abord on done un nom pro-
-pre , réel & efectif d'une filabe , à là letre
, fi elle n'eft employée que pour un
fon , ou qu'elle ait un nom particulier ,
et non comun aux autres , come Be , De ,
Fe , He, Le , Me , Ne , Pe , Re , Ve , Ze,
و
c. Il faut donc , à l'exemple des Muficiens
, doner aux letres feules ou combinées
1704 MERCURE DE FRANCE
nées le fon qu'elles exigent & qu'elles reçoivent
, fort ou foible , felon l'endroit
où elles font placées ; affervir les caracteres
aux fons , er non les fons aux caractéres
; continuer de la forte l'ufage des
combinaiſons ; imiter les Muficiens qui
content pour rien l'erreur & le nom de
la note , pourvu que l'on prène le ton ,
et que l'on chante jufte l'intervale dont
il s'agit dans la leçon qu'un écolier aprend
à dechifrer , ou à folfier , pour épeler ,
par exemple , les mots cacus , gigas , & c.
on dira ce , e , cæ ; qu , u , ce ; qus. cæcus;
je, i gi gu , a , ce , gas , gigas , & c .
-
Il femble que l'é muet devroit fervir ,
pour ainfi dire , d'ame aux confones
plutot qu'une autre voyele ; cet e muet
n'eft qu'une émiffion de voix qui foutient
cète confone ; et fans l'apui de cete émiffron
de voix ou e muet , les confones frnales
, ou fuivies d'autres confones , re
fauroient ètre prononcées. La voyele e é- -
tant plus aifée à prononcer & moins mar
quée que les autres , paroit ètre préferable
pour l'élifion néceffaire. En lifant ou épolant
, par exemple , le petit mot flos , l'enfant
qui neconoit que les letres& leur va
leur réele , par leur veritable nom , dira
felon cete métade fe , leo , ce , lefquels
uatre fons aprochent plus du vrai fon
qu mot flos , que les fons fuivans , effe : 25
ella
AOUST.. 1730. 1705
elle , o , effe , de la metode vulgaire , et
pour lire le grand mot flabellifer , l'enfant.
qui ne conoit que les letres & leur valeur
réele , par leur veritable nom , dira felon
cete metode fe , le , a , be , le , le , i ,fe, re,
lesquels neuf fons aprochent bien plus du
vrai fon du mot flabellifer, que les fons
fuivans , effe , elle , a , be , e , elle elle , i
effe , e, erre. On laiffe à l'oreille du lec
teur équitable à decider laquelle des deux
manieres d'apeler les letres , rend plus facilement
, et immediatement le fon de flos
& de flabellifer. Dans la premiere metode
en nomant les letres rapidement on lit ,
dans la derniere , on a beau les apeler tres
vite , on eft obligé de fuprimer une partie
des letres & des filabes inutiles dans les
noms faux & vulgaires des letres pour
avoir le veritable fon , cherché , deviné
ou dechifré par tradition & par routine ,
plutot que par des principes qui le produifent.
L'auteur cependant fe fert de l'é
fermé pour nomer les letres en latin, quoiqu'il
fache qu'il feroit beaucoup mieux de
n'employer que l'e muet,ainsi qu'il le fera
faire en françois ; mais les latins ne conoiffoient
pas expreffément l'ufage de l'e
muet ; il femble meme qu'il aproche fort
de la voyele françoife en ou de l'e muet
foutenu ; on s'eft donc éloigné le moins
qu'il a été poffiblo de la métode vulgaire
lorfque
1
1706 MERCURE DE FRANCË
lorfque l'on a pu s'en fervir par raport aur
but principal de faciliter la lecture aux enfans
. Quoique la prononciation de la langue
latine foit morte,on ne peut pas douter
qu'ele n'ût des e diferens & plus ou
verts les uns que les autres.
Lorfqu'un enfant eft ferme fur l'A , B,
C, des grandes letres de la premiere , de
la fegonde & de la troifieme leçon du lìvre
de l'enfant, il aprendra presque de lui
mème les petites letres fi on les ajoutefur
les mêmes cartes à coté des grandes ; come
Aa , Bb , & c , de la quatriéme leçon ;
après quoi on lui montrera feparément
les petites letres de la cinquiéme leçon , le
tout , peu à peu , fans impatience , en badinant
& prenant le bon moment de
l'enfant . Pour faciliter ce petit exercice ,
on peut fe fervir des memes cartes dont
on a joué pour les grandes letres ou capitales
; un enfant voit avec plaifir écrire
le petit a à coté du grand 4 : & ainfi
de toutes les letres : il afectione les cartes
qu'il voit preparer pour lui ; la foibleffe ,
fa legereté & la vivacité d'un enfant de
deux à trois ans , ne permetent pas de
lui montrer les letres dans les livres des
A , B , C, ordinaires ; les letres en font
ordinairement trop petites , trop ferées &
en trop grande quantité dans la meme
page ; c'est pourquoi l'auteur a fait remarquer
AOUST. 1730. 1707
marquer qu'on metoit fouvent un enfant
trop tard à l'A , B , C , et trop tôt fur
les livres ; un enfant eft pour lors plus
embaraffé qu'un home qui vèroit une
grande page remplie de petits caracteres
inconus , arabes ou chinois.
L'on peut avoir des A, B , C , en noir ,
en rouge , en bleu & en autant de couleurs
que l'on voudra , cete diverfité eſt
toujours à l'avantage de l'enfant : on peut
les employer indiferament au comancement
; mais dans la fuite les letres noires
& les rouges , ferviront pour diftinguer
le romain & l'italique , le latin & le
françois , dans la compofition à faire au
bureau tipografique.
Quand l'enfant eft affuré fur toutes les
letres , l'on peut avoir un a , b , c , capital
fur un carton , fur de la toile cirée ou
non cirée , fur des ardoifes , fur un tableau
, fur un placard , fur un écran , fur
an éventail , für des canevas , & c . felon
le lieu , la faifon , les perfones & les facilités
que l'on a pour cet exercice : mais
le jeu des cartes marquées d'une letre
l'emporte fur tous les autres jeux. L'on
peut placarder des Aa , B'b , &c. à
la hauteur de l'enfant , deriere ou devant
certaines portes où il paffe & repaffe
, le tout felon la fituation de fon
apartement ou de ceux qu'il parcourt ; ce
que
1708 MERCURE DE FRANCE
"
que l'on obfervera également pour les combinaifons
du'ab , eb , ib , ob , ub , & c. ba,
be , bi , bo , bu , & c. bla , ble , bli , blo ,
blu , &c. bra , bre , bri , bro , brú , & c.
l'on peut
écrire en gros caracteres
ou faire imprimer fur de grandes feuilles
2 pouvoir coler fur des cartes , des cartons
, ou dans des quadres propres à orner
la chambre de l'enfant.
que
A mesure que le jeu de cartes dont on
joue avec l'enfant groffit d'un côté , on
le diminue de l'autre , en ne laiffant
qu'une ou deux cartes de la meme letre,
juſqu'à ce que l'A , B, C , foit reduït
à une feule carte pour chaque letre fimple
ou double , grande ou petite , &c. Les
cartes retranchées du gros jeu fervent à
un autre joueur ; car l'enfant liroit dix a,
b, c , de fuite prefentés par dix perfones
plus volontiers & avec plus de plaiſir
qu'il n'en liroit trois prefentés par le
meme joueur. Un enfant's'imagine enfuite
que chacun a für foi de pareils jeux ,
et les demande avec importunité ; c'eft
pourquoi on fe les prere à l'infçu de l'enfant.
On done auffi les letres à deviner
aux perfones prefentes , qui voulant bien
fe prêter au badinage inftructif , afectent
de mal nomer les lètres; l'enfant triomfe
de pouvoir reprendre , car la vanité precede
la parole , et l'on doit metre tour à
profit.
AOUST. 1730. 1709 .
profit. Pour augmenter le jeu des cartes
de l'A , B , C , on poura y ajouter le jeu
des petites letres , et comancer par celes
qui ont prefque la meme forme & figure
que leurs capitales ; par exemple , Cc ,
Ĵj , Kk , Pp , SS , Vv , Yy , Zz ,
&c. et paffer enfuite aux autres letres , fans
s'affervir à l'ordre abecedique.
Si le public goutoit cète metode , on
pouroit avoir des A, B, C, fur des jetons,
fur des fiches à jouer , fur des dés , tant
pour les fons que pour les lètresson pouroit
mème faire des jeux.come ceus de l'oie , de
la chouete , des dames , & c. chacun peut,
felan fon gout & fon imagination , faire
mieux que ce que l'auteur propofe , obfervant
toujours de varier & de confulter
auffi le gout de l'enfant , fon inclination
& fon plaifir , qui font dans un fens la
baze de ce petit fifteme. Ceux qui voudront
fe fervir de cete metode dans les
maifons particulieres doivent avoir les
letres de l'A , B , C , imprimées ou écrites.
On en peut découper & les coler
fur des cartes à jouer qu'on achete à la
livre. Mais come tout le monde n'a pas
ocafion de trouver ou de faire de femblables
caracteres , il feroit beaucoup mieux.
que les imprimeurs ou les cartiers en
vouluffent acomoder le public , n'employant
pour cela que les cartes ou les
cartons
1710 MERCURE DE FRANCE
cartons de rebut. En atendant l'introduction
de cet ufage , et que l'on goute la
metode propofee , on peut s'adreffer aux
religieux qui ont des A , B , C , à jour
fur des plaques de cuivre. On trouve
encore de ces caracteres à jour dans les
églifes catedrales ou collegiales des provinces.
Le plus court fera d'en faire acheter
à Paris chés les ouvriers qui en font,
alors il fera aifé de faire imprimer tout
de fuite vint ou trente A , B , C , imprimant
vint & trente A , fur autant de
cartes rangées fur une table ; enfuite vint
ou trente B , & tout l'A, B , C , de la
meme maniere. Un domeftique peut être
d'abord mis au fait de cète petite imprimerie
; et cete ocupation , aux ïeux de l'enfant
produira autant de bien que produifent
ordinairement de mal l'oifiveté ,
les mauvais difcours & les mauvais exemples
des perfones chargées de l'enfant.
و
On pouroit fe fervir utilement de cète
metode dans les petites écoles où l'on n'envoie
bien fouvent les enfins que pour y etre
affis & en etre debaraffé lorfqu'on veut
etre libre chés foi , ou pouvoir aler perdre
ailleurs fon tems & fon argent. Si l'on
vouloit donc fuivre ou effaïer cète metode
dans les écoles , il faudroit metre entre'
les mains des enfans plufieurs jeux de cartes
ou de cartons literaires , & l'on pouroit
doner
AOUST. 1730. 1711
doner leçon à plufieurs enfans à la fois ,
ce qui exciteroit , & entretiendroit parmi
eux une noble émulation literaire . Les
écoles de petites filles que tienent les dames
religieufes, pouroient auffi mieux que
perfone faire l'effai de cete metode. Ou
tre les jeux de cartes , marquées de letres ,
ces dames pouroient avoir des A, B , C ,
des ab , eb , ib , ob , ub , &c. ba , be , bi
bo , bu , &c. fur des cartons ou fur des tableaux
exprès , que l'on montreroit aux
enfans come des curiofités. Une leçon publique,
et la démonftration des letres & des
fons de la langue françoife , feroit plus
agréable ou moins ennuyeufe pour la regente,
et mème pour les écolieres ; les murailles
de l'école doivent être le livre public
où les enfans trouveront les élémens ,
des letres , en atendant qu'ils foient en
état de fe fervir d'un livre tel que l'au-,
teur le propoſe , et qu'il a tâché de faire
exprès.Si les perfones zelées & charitables
qui dirigent les écoles des pauvres , n'étoient
pas fi efclaves des métodes vulgaires
, il feroit aifé de leur faire voir combien
il y auroit à gagner en fuivant la mérode
propofée ici .
Lorfqu'un enfant prend gour à l'exercice
du jeu abecedique , il faut lui doner,
une caffete habillée ou couverte de letres
dans laquelle il puiffe tenir les jeux de
carte s
1712 MERCURE DE FRANCE
cartes qu'on lui fait & qu'on lui done ;"
il eft bien-aife d'avoir la proprieté des
chofes , et la crainte d'être privé de ce petit
meuble peut fervir quelquefois à r'animer
le gout literaire. Cete caffete a paru
neceffaire , et l'on a cru pouvoir en faire
fervir les faces aux leçons de l'enfant.:
c'eft-là fon premier livre , ou du moins
c'en font les premieres pages. Si l'on s'amufe
avec des écrans & des éventails .
pourquoi des enfans ne s'amuferoient - ils
pas avec cète caffete ? Ils ont en petit le
mélange de toutes les paffions ; on doit les
étudier , les tourner à leur avantage , &
metre les enfans en état de montrer les
letres à leurs petits freres ou petites foeurs
s'ils en ont , come a fait le petit Goffard ,
cité dans la letre inferée dans le Mercure
de Juillet 1730. Rien n'anime tant un enfant
que de fe voir des écoliers. Le petit
Candiac montroit à lire à des enfans deux
fois plus agés que lui .
Il faudra auffi doner à l'enfant un petit
bureau come ceux de la Pofte , fur lequel
il puiffe ranger toutes les letres qu'il tirera
de la caffeté , & qu'il nomera plufieurs
fois , en continuant feul ce badinage ,
meme avec encor plus de plaifir s'il y a
quelque fpectateur qui applaudiffe & qui
done du courage . Par le moyen de ce bureau
, on peut épargner aux enfans des
princes
AOUST. 1730. 1713
princes , et des grans feigneurs bien de la
peine , bien du dégout & bien du tems ,
en fefant travailler au bureau du PRINCE &
devant LUI , quelque digne enfant drelé
pour cet inftructif & amulant exercice .
L'auteur donera fur tous les fons, quelques
exemples de la maniere dont on doit
faire apeler les letres en commençant à
compofer , à imprimer & à lire, felon cete
metode . Car dès le premier jour de l'exercice
, on peut faire l'un & l'autre . On donera
des exemples faits exprès à l'égard
des lètres dont on a un peu changé le
nom , en faveur du fon & de la valeur
réelle & efective des caracteres ; et c'eft
pour cela que l'auteur a compofé des lignes
de quelques mots latins ou arbitraires,
moins foumis aux règles ordinaires de
la lecture ; car d'ailleurs il n'eft prefque
pas neceflaire d'épeler , quand on fuit la
metode des fons exprimés par une filabe ,
qui réponde au veritable fon local des letres
& des caracteres fimples & doubles .
Nous aprenons à parler machinalement
par l'articulation & par la converfation ,
mais pour la lecture & l'écriture , il faut
quelque chofe de plus , c'eft un art qu'on
peut & qu'on doit perfectioner en tâchant
de le rendre plus aifé , plus agréable
& plus utile. Cet art eft la clé des
fiences , qui font le bonheur de toutes
B
log
1714 MERCURE DE FRANCE
les nations policées , et c'eft en vue de l'utilité
publique , que l'auteur done l'heureux
effai de cete metode. Il eft prefque
impoffible de montrer à lire par principes
, il y a trop de bizarerie dans l'ufage
des letres, et encore plus dans l'ortografe.
On eft donc réduit à la routine , mais il
ne s'enfuit pas qu'on ne la puiffe rectifier
en donantune métode pour tout ce qui en
eft fufceptible , et réduifant aux princi
pes tout ce qui peut abreger & perfectioner
l'art de montrer les letres aux petits
enfans. On fe ate de l'avoir fait
d'une maniere heureufe & facile , en forte
que les plus grandes dificultés , et prefque
toutes les bizareries de l'ufage fe trouvent
& s'aprenent tres facilement par
l'exercice ou par la pratique des principes
qu'on a donés pour l'ufage du bureau
tipografique.
On ne fauroit, au refte, trop recomander
aux perfones qui montrent les letres aux
enfans, de les faire paffer peu à peu & par
degrés aux filabes les plus dificiles , ce
qui eft , je penfe , une fuite de la vraie metode
de montrer à lire , néanmoins outre
le livre ordinaire , on en doit de tems en
tems prefenter d'autres aus enfans , leur
faire dire les letres , les filabes & les mots
â l'ouverture du livre , et ne pas imiter
seux qui ne favent lire que dans un livre ,
preuve
A O UST. 1730. 1715
preuve de la pure routine & de la mémoire
locale qui font toute la fience d'un
enfant mal montré.
-
Un autre exercice agréable & inftructif
c'eft de faire deviner à un enfant la premiere
letre de chaque mot qu'on lui dit
à haute voix ; et enfuite la fegonde , la
troifiéme , et les autres letres de chaque
filabe des mots , fur tout les confones
initiales , C , G , J , S , T, V , X , Y, Z ,
&c. on en a fait l'experience fur un enfant
de trois ans & trois mois , il n'en
manquoit pas une des initiales , et devinoit
facilement les autres dans de petits
mots. Il faut cependant remarquer
que les voyeles étant plus fenfibles que les
confones , elles font auffi plus aifées à deviner
; c'eft pourquoi l'enfant de trois ans
qui conoit bien les letres , fi on lui demande
, par exemple , la premiere letre
ou le premier fon d'un des mots bale
vile , fote , lune , &c dira que c'eft l'a , l'i ,
l'o , ou l'u. Ces confones initiales font peu
d'impreffion fur les organes de l'enfant ;
la cadence & la tenue en fait de muſique ,
la quantité grammaticale , ou la durée du
fon , ne tombent que fur le fon des voyeles
, & non fur celui des confones : il faut
donc montrer à l'enfant l'art de trouver
la confone , après qu'il a fu trouver la
voyele , et pour cela il fufit de lui apren-
Bij dre
>
1716 MERCURE DE FRANCE
dre à fubftituer la voyele e à la place de
l'autre voyele devinée ,, par exemple ,
changeant en e l'a du mot bale , on dira bele,
et l'enfant fent pour lors la filabe initiale
be , ou le nom doné au caractere b . Cela
eft fi vrai , que fi l'on demande à l'enfant
la premiere letre d'un des mots benir, ceci ,
denier , fenètre , qualité , &c . il répondra
fans hefter que c'eft le be , le ce , le de ,
Le fe,le ka & c. & il eft bon de remarquer ici
l'utilité des noms Ceke , feja , He , Gega,
Ve , &c. donez aux letres C , J , H , G ,
V , puifque c'eft à l'aide de ces dénominations
que l'enfant aprend à diftinguer &
à défigner le fon des letres & des mots
qu'on lui prononce : c'est donc par le
moyen de la voyele auxiliaire ou empruntéc
l'enfant
que
aquerra dans peu la facilité
de deviner également les confones &
les voyeles ; cela paroitra clair & démontré
par la pratique de cète métode qui enfeigne
en peu de tems l'ortografe de l'oreille
ou des fons , en atendant cele des
ïeux , ou de l'ufage .
Avant l'age de trois ans & demi le petit
CANDIAC favoit diftinguer & dicter
tous les fons des mots qu'on lui prononçoit
en latin ou en françois , aïant aquis
P'ortografe des fons avec la parole ; ce
qu'il n'auroit pas fait s'il n'avoit jamais û
que des ABC ordinaires , et qu'il ût apelé
les
AOUST . 1730. 1717
les confones f, g , h , j , l , m , n , r , f, v ,
x, y , z, &c. du nom vulgaire de plufieurs
filabes , nom qui induit en erreur , qui
éloigne du bon & vrai fon , et qui en
fournit un faux ou captieux pour la fubftitution
neceffaire dans l'art d'épeler : par
exemple, dans le mot cacumen , la routine
ordinaire dit , fe , a , ka ; fe , u , qu , cacu;
lieuque
au
feemme
, e , enne , men , cacumen ;
la métode de l'auteur l'on dira ka , a , ka;
qu , u , qu ; cacu , me , e , men ; cacumen ,
&c. Il n'y a point d'oreille qui ne ſente
en dépit des feux , la fuperiorité de cète
métode fur la métode vulgaire , on le
fera voir plus au long en montrant à lire
du latin & du françois,
Pour imprimer cet ABC , on croit qu'il
fera bon d'y metre des filabes & des mots
latins fans fuite ni fens , plutot que de
faire imprimer en filabes disjointes ou divifées
les mots des prieres que l'enfant
n'entend point & qu'il retient ailément ,
fur tout s'il récite déja les mèmes prieres
foir & matin. Les maitres , les parens &
les enfans en font les dupes , quoique
d'une maniere diferente. Cependant pour
confacrer les prémices du favoir de l'enfant
, on poura imprimer les prieres latines
après quelques pages de filabes choifies
exprès,pour faire lire peu à peu & par
degrés les principales dificultés des mots
B iij
ou
1718 MERCURE DE FRANCE
ou des filabes . Aïant imprimé des monofilabes
féparés les uns des autres , il ne
fera pas enfuite neceffaire de féparer ainſi
les filabes du Pater , de l'Ave & du Credo,
&c. come on le fait peut-être mal- à - propos
dans les livres ordinaires des ABC.
La priere eft un exercice fi férieux & fi
néceffaire , qu'on ne fauroit trop tôt y
acoutumer les enfans ; mais par respect
pour la priere mème , on ne devroit pas
d'abord les metre à cète lecture , de crainte
de trop de routine , et de pure articulation
: il feroit donc mieux après l'A
BC françois de faire imprimer en deux
colones les prieres en latin & en françois
afin que l'enfant les comprit plutot les
lifant & les récitant en chaque langue..
Livre anoncé fous le titre de la B1-
BLIOTEQUE DES ENFANS ,
les premiers élemens des letres .
Po
ou
Uifque vous le fouhaités , Monfieur ,
en faveur des perfones qui font ufage
du bureau tipografique , j'aurai encore
l'honeur de vous parler de la Biblioteque
des enfans , et de vous doner la fuite des
reflexions & des inftructions préliminalres
fur cet ouvrage. L'auteur qui m'a
confié fon manufcrit , eft d'ailleurs bien
aife de preffentir le gout du public avant
que de l'expofer à l'emplete , et qui pis
eft , à la lecture d'un livre dont il feroit
peut-être peu de cas par la fuite..
Un enfant capable de diftinguer les
couleurs & les objets fans les nomer , peut
en ètre amuſé de bone heure ; il ne s'agit
que du chois des objets qu'on lui préſente
pour le divertir , plutot que pour l'apliquer
d'une maniere nuifible : D'ailleurs
l'enfant fait conoitre fon dégout dès qu'il
le fent ; il ne faut donc jamais le forcer
au jeu ; l'on doit au contraire nourir &
entretenir en lui le defir de badiner avec
des objets inftructifs. Le tout confifte dans
ce point , & la diverfité des objets fervant
& tendant à mème fin , certaines heures
de
A O UST . 1730. 1697
I
de gaiété , de bone humeur , prifes avant
ou après les répas , donent plus de tems
qu'il n'en faut pour ce petit exercice . Des
images , des jetons , des médailles , des
letres ifolées fur des dés , ou fur des cartes à
jouer , ne divertiront pas moins un enfant,
que les vils morceaux d'un vafe caffé , et
autres chofes capables de lui faire du mal
come des bâtons; des couteaux, ou des ci
feaux , qu'on a trop fouvent la dangereuſe
complaifance de lui laiffer entre les mains
Il faut préferer à tous autres jeux l'ufage
& le jeu des letres , parce qu'elles font la
clé des arts-& - des fiences . Un enfant d'artifan
aprend de bone heure le nom des
outils de la boutique de fon pere; un anaṛ
tomiſte done à fon enfant des os & des
têtes de mort pour lui fervir d'amufe
ment et en même tems pour avoir ocafion
de lui montrer de bone heure les
premiers élemens de l'anatomie : ne peuton
pas en faire de même à l'égard des élé
mens des letres? La peinture , la gravure,
la fculpture , la broderie ; & c . pouroient
fournir à l'enfant d'un prince , d'un grand
feigneur , ou d'un home riche , diferens
jeux de letres de diverfes matieres
pres à le divertir & à l''inſtruire .
pro
On pouroit au lieu de cartes ordinaires
avoir des jetons, ou des letres fur une ma
tiere plus folide que cèle des cartes , come
~
Av dess
1698 MERCURE DE FRANCE
des tableaux , des cartons , ou des cartes doubles
& groffieres. On pouroit auffi fe fervir
utilement des fix faces des dés , et les
aranger come les letres des imprimeurs :
faute de dés il fufiroit d'avoir des letres
d'ivoire de buis , ou d'os , dont le noir &
le blancimiteroient l'impreffion ordinaire :
on pouroit faire cela pour un jeune prin
ce ; & le colombier du bureau tipografique
feroit pour lors garni de petits tiroirs
ou caffetins, remplis des letres fimples out
combinées qui fervent à marquer les fons
de la langue en laquelle on voudroit imprimer.
Mais le jeu des cartes achetées
a la livre & marquées de letres , me paroit
auffi fenfible , plus comode , moins
cher , et non moins inftruétif. D'ailleurs
les perfones qui aiment le jeu , ne defaprouveront
pas que les enfans aprenent
de bone heure à manier les cartes , et ceux
qui n'aiment pas le jeu , n'auront point
lieu de craindre qu'un enfant nouri &
élevé dans le jeu des cartes literaires , deviene
par là efclave de la paffion des autres
jeux de cartes. L'enfant n'aime dans
cet exercice que le côté des letres ; le petit
CANDIAC , du moins n'avoit de curiofité
que pour le dos des cartes , dont on luf
prefentoit les poins , ou les figures ; & s'il
n'y avoit rien far le dos des cartes , il les
donoit d'abord pour ètre employées util
lement
A O UST. 1730. 1699
lement au bureau . Le mouvement & le
manîment des cartes done à la main de
l'enfant une adreffe toute particuliere.
cèle
On pouroit encore par l'affemblage &
la combinaiſon des letres , faire un jeu
inftructif; des croix , des figures d'homes,
d'animaux et d'autres objets capables
d'exciter la curiofité & de reveiller l'atention
en variant tout, de tems en tems par
la nouveauté la dépenfe que l'on feroit
pour cela feroit toujours au-deffous de
qu'on fait pour de riches, mais ignorantes
bagateles . On met volontiers une
piftole à un noeud de ruban , ou à un bonet
pour un enfant, auquel on plaint fourvent
un mois d'inftruction : on done fans
neceffité un repas de dix piftoles à cinq
ou fix amis , pendant que l'on refufe a
fon enfant un livre de trente fous : la vanité
dédomageant dans l'un , on croit
Fautre pure perte : oferai -je dire que le
corps obtient le fuperflu , pendant que
l'efprit n'a pas le neceffaire. Cependant fi
Pon trouve cète métode trop chere &
trop pénible , on peut la laiffer à ceux
qui auront plus de bien, plus de patience,
et plus d'envie d'avancer de bone heure
feurs enfans. Il ne faut difputer ici ni des
gouts ni des génies ; mais on peut dire en
general que la faute des éducations manquées
, vient ordinairement des parens &
A vi des
1700 MERCURE DE FRANCE
'des maitres , plutot que des enfans : j'en
apele à l'experience ; chacun critique l'éducation
des enfans de fon voifin , pendant
qu'il s'aveugle fur celle des fiens propres .
On peut d'abord faire aprendre aux enfans
come à des peroquets , à prononcer
les voyeles & les confones ; et
par leur
nomination faire entrer les fons de la lan
gue françoife par l'oreille , avant que de
leur en montrer la figure aux ïeux : on
metra par là en exercice les organes de
la parole , fur tout fi l'on a foin de pro
noncer à haute voix lés fons de notre lan
gue fimples ou compofés. Et fi l'on s'aper
çoit que l'enfant ne prononce pas
facile
ment certaines letres de l'A BC , ou que
par le défaut de fes organes il articulef'une
pour l'autre , ou qu'enfin il ne foit
pas fidele écho , il eft bon pour lors de
repeter fouvent devant lui diftinctement
& à haute voix les fons qu'il ne peut exprimer
; et de ne lui point faire dire les
letres qu'il articulé en la place de cèles
qu'on lui demande : ce qui a fouvent leu ›
dans la prononciation du chè françois &
des letres C , R , G ; Z ; S , &c. Quand un
enfant en parlant prononce mal certaines
letres , et qu'il articule la foible pour la
forte 3 non -feulement il faut le reprendre,
mais il eſt bon encore d'éloigner de lui les
domeftiques qui ont le mème défaut ; fans
qui
A O UST . 1730. 170.1 °
quoi l'enfant rifque de conferver toujours
les prononciations vicieufes que pou
roient lui doner des gouvernantes ou des
valets de chambre..
Y.
e
Des cartes à jouer fans figures,fans poins;
& blanches des deux côtés , feront plaifir
à un enfant de deux ans ; mais s'il y a
des figures , des poins , & des letres , le
plaifir en fera plus grand . On peut donc
prendre des cartes au dos defqueles on
metra d'abord au milieu l'ABC , pour
inftruire & divertir un petit enfant ; l'on
dit au dos & au milieu des cartes , parce
que dans la fuite en fefant travailler au
bureau tipografique , on emploîra le haut -
& le coin ou l'angle du dos des cartes, pour
marquer les abreviations des mots No.
M' , M , M , S ' , S ", 3 ° , &c. ce qui
fait voir la neceffité de cete diftinction . Il
eft mieux de ne pas employer les cartes
à figures, et de choifir feulement les cartes
à poins , fupofé qu'on ne veuille pas en
faire faire exprès de toutes blanches &
petites come cèles des étrenes mignones ;
les poins des cartes peuvent encore fervir
à conter depuis un jufqu'à dix , ce qui
eft beaucoup pour un enfant de deux à
trois ans , puifque des peuples entiers
n'exprimoient , dit- on , les fomes au-delà
de ce nombre qu'en ouvrant plufieurs fois
les mains, Un enfant amufe de bone heure
Par
1702 MERCURE DE FRANCE
par ce jeu de letres , s'y livre avec plaiſir, &
par imitation voyant l'action & l'exemple
des autres il n'en conoit pas la raifon , il
n'y fent aucune peine , et c'eft ce que l'experience
perfuadera mieux que de fimples
raifonemens.
On doit paffer d'un objet à un autre , et
du fimple au compofé : c'eft pourquoi il
ne faut d'abord qu'une letre au milieu
d'une carte , començant par les voyeles
avant que de paffer aux confones , et employant
les grandes letres avant que de
doner les petites. Des cartes avec les letres
donées à deviner , ont l'air d'un jeu plu
tôt que
d'une étude : on comence la premiere
leçon par les cinq voyeles , à caufe
qu'elles font plus faciles à prononcer. On
a , par exemple,un jeu de vint - cinq cartes,
favoir cinq cartes marquées d'un A ; cinq
cartes marquées d'un E ; autant pour
chacune des autres voyeles, J, O, U : après
quoi l'on bat les cartes , on coupe & l'on
fait nomer les letres à l'enfant. Dans la
fuite , pour diminuer le nombre des carres
& rendre la leçon ou le jeu plus utile ,
on marquera cinq cartes chacune avec les
cinq voyeles , favoir les quatre coins avec
A, E , O , V , et le milieu avec Ƒ' , pour
la leçon des cinq voyeles , et l'on tournéra
la carte de l'autre fens quand on vou
dra y montrer les cinq petites voyeles à
côté des grandes, Quand
A O UST . 1730. 1703
Quand l'enfant fait le jeu des cinq voyeles
A , E , 1,0 , V , on y joint une carte
du jeu des confones prifes au hazard entre
cèles qu'il prononce le mieux , fans
s'affervir à l'ordre abecedique : on peut
donc augmenter le jeu en ajoutant la carte
du B , du D , & c. et doner à la confonet
fon nom réel & efectif au lieu du nom
vulgaire , lorfqu'il peut induire en erreur.
Puifqu'on ne done plus les noms
d'Aleph , Beth , & d'Alpha , Beta , &c.
aux caracteres de l'a b c , latin & françois
, l'auteur a cru pouvoir fe fervir des
mots abe ce & abecedique , au lieu des
mots alfabet et alfabetique , afin de
ne pas faire à de petits enfans un mistere
d'une chofe auffi fimple. Après avoir
donc comancé par le jeu des cinq voyeles
A, E ,J , O,U , à caufe de leur prononciation
aifée ; il s'agit de paffer aux confones,
et de leur doner le nom qui leur convient
le mieux , par raport à l'ufage & à
Péfet de ces mèmes letres combinées avec
les autres , d'abord on done un nom pro-
-pre , réel & efectif d'une filabe , à là letre
, fi elle n'eft employée que pour un
fon , ou qu'elle ait un nom particulier ,
et non comun aux autres , come Be , De ,
Fe , He, Le , Me , Ne , Pe , Re , Ve , Ze,
و
c. Il faut donc , à l'exemple des Muficiens
, doner aux letres feules ou combinées
1704 MERCURE DE FRANCE
nées le fon qu'elles exigent & qu'elles reçoivent
, fort ou foible , felon l'endroit
où elles font placées ; affervir les caracteres
aux fons , er non les fons aux caractéres
; continuer de la forte l'ufage des
combinaiſons ; imiter les Muficiens qui
content pour rien l'erreur & le nom de
la note , pourvu que l'on prène le ton ,
et que l'on chante jufte l'intervale dont
il s'agit dans la leçon qu'un écolier aprend
à dechifrer , ou à folfier , pour épeler ,
par exemple , les mots cacus , gigas , & c.
on dira ce , e , cæ ; qu , u , ce ; qus. cæcus;
je, i gi gu , a , ce , gas , gigas , & c .
-
Il femble que l'é muet devroit fervir ,
pour ainfi dire , d'ame aux confones
plutot qu'une autre voyele ; cet e muet
n'eft qu'une émiffion de voix qui foutient
cète confone ; et fans l'apui de cete émiffron
de voix ou e muet , les confones frnales
, ou fuivies d'autres confones , re
fauroient ètre prononcées. La voyele e é- -
tant plus aifée à prononcer & moins mar
quée que les autres , paroit ètre préferable
pour l'élifion néceffaire. En lifant ou épolant
, par exemple , le petit mot flos , l'enfant
qui neconoit que les letres& leur va
leur réele , par leur veritable nom , dira
felon cete métade fe , leo , ce , lefquels
uatre fons aprochent plus du vrai fon
qu mot flos , que les fons fuivans , effe : 25
ella
AOUST.. 1730. 1705
elle , o , effe , de la metode vulgaire , et
pour lire le grand mot flabellifer , l'enfant.
qui ne conoit que les letres & leur valeur
réele , par leur veritable nom , dira felon
cete metode fe , le , a , be , le , le , i ,fe, re,
lesquels neuf fons aprochent bien plus du
vrai fon du mot flabellifer, que les fons
fuivans , effe , elle , a , be , e , elle elle , i
effe , e, erre. On laiffe à l'oreille du lec
teur équitable à decider laquelle des deux
manieres d'apeler les letres , rend plus facilement
, et immediatement le fon de flos
& de flabellifer. Dans la premiere metode
en nomant les letres rapidement on lit ,
dans la derniere , on a beau les apeler tres
vite , on eft obligé de fuprimer une partie
des letres & des filabes inutiles dans les
noms faux & vulgaires des letres pour
avoir le veritable fon , cherché , deviné
ou dechifré par tradition & par routine ,
plutot que par des principes qui le produifent.
L'auteur cependant fe fert de l'é
fermé pour nomer les letres en latin, quoiqu'il
fache qu'il feroit beaucoup mieux de
n'employer que l'e muet,ainsi qu'il le fera
faire en françois ; mais les latins ne conoiffoient
pas expreffément l'ufage de l'e
muet ; il femble meme qu'il aproche fort
de la voyele françoife en ou de l'e muet
foutenu ; on s'eft donc éloigné le moins
qu'il a été poffiblo de la métode vulgaire
lorfque
1
1706 MERCURE DE FRANCË
lorfque l'on a pu s'en fervir par raport aur
but principal de faciliter la lecture aux enfans
. Quoique la prononciation de la langue
latine foit morte,on ne peut pas douter
qu'ele n'ût des e diferens & plus ou
verts les uns que les autres.
Lorfqu'un enfant eft ferme fur l'A , B,
C, des grandes letres de la premiere , de
la fegonde & de la troifieme leçon du lìvre
de l'enfant, il aprendra presque de lui
mème les petites letres fi on les ajoutefur
les mêmes cartes à coté des grandes ; come
Aa , Bb , & c , de la quatriéme leçon ;
après quoi on lui montrera feparément
les petites letres de la cinquiéme leçon , le
tout , peu à peu , fans impatience , en badinant
& prenant le bon moment de
l'enfant . Pour faciliter ce petit exercice ,
on peut fe fervir des memes cartes dont
on a joué pour les grandes letres ou capitales
; un enfant voit avec plaifir écrire
le petit a à coté du grand 4 : & ainfi
de toutes les letres : il afectione les cartes
qu'il voit preparer pour lui ; la foibleffe ,
fa legereté & la vivacité d'un enfant de
deux à trois ans , ne permetent pas de
lui montrer les letres dans les livres des
A , B , C, ordinaires ; les letres en font
ordinairement trop petites , trop ferées &
en trop grande quantité dans la meme
page ; c'est pourquoi l'auteur a fait remarquer
AOUST. 1730. 1707
marquer qu'on metoit fouvent un enfant
trop tard à l'A , B , C , et trop tôt fur
les livres ; un enfant eft pour lors plus
embaraffé qu'un home qui vèroit une
grande page remplie de petits caracteres
inconus , arabes ou chinois.
L'on peut avoir des A, B , C , en noir ,
en rouge , en bleu & en autant de couleurs
que l'on voudra , cete diverfité eſt
toujours à l'avantage de l'enfant : on peut
les employer indiferament au comancement
; mais dans la fuite les letres noires
& les rouges , ferviront pour diftinguer
le romain & l'italique , le latin & le
françois , dans la compofition à faire au
bureau tipografique.
Quand l'enfant eft affuré fur toutes les
letres , l'on peut avoir un a , b , c , capital
fur un carton , fur de la toile cirée ou
non cirée , fur des ardoifes , fur un tableau
, fur un placard , fur un écran , fur
an éventail , für des canevas , & c . felon
le lieu , la faifon , les perfones & les facilités
que l'on a pour cet exercice : mais
le jeu des cartes marquées d'une letre
l'emporte fur tous les autres jeux. L'on
peut placarder des Aa , B'b , &c. à
la hauteur de l'enfant , deriere ou devant
certaines portes où il paffe & repaffe
, le tout felon la fituation de fon
apartement ou de ceux qu'il parcourt ; ce
que
1708 MERCURE DE FRANCE
"
que l'on obfervera également pour les combinaifons
du'ab , eb , ib , ob , ub , & c. ba,
be , bi , bo , bu , & c. bla , ble , bli , blo ,
blu , &c. bra , bre , bri , bro , brú , & c.
l'on peut
écrire en gros caracteres
ou faire imprimer fur de grandes feuilles
2 pouvoir coler fur des cartes , des cartons
, ou dans des quadres propres à orner
la chambre de l'enfant.
que
A mesure que le jeu de cartes dont on
joue avec l'enfant groffit d'un côté , on
le diminue de l'autre , en ne laiffant
qu'une ou deux cartes de la meme letre,
juſqu'à ce que l'A , B, C , foit reduït
à une feule carte pour chaque letre fimple
ou double , grande ou petite , &c. Les
cartes retranchées du gros jeu fervent à
un autre joueur ; car l'enfant liroit dix a,
b, c , de fuite prefentés par dix perfones
plus volontiers & avec plus de plaiſir
qu'il n'en liroit trois prefentés par le
meme joueur. Un enfant's'imagine enfuite
que chacun a für foi de pareils jeux ,
et les demande avec importunité ; c'eft
pourquoi on fe les prere à l'infçu de l'enfant.
On done auffi les letres à deviner
aux perfones prefentes , qui voulant bien
fe prêter au badinage inftructif , afectent
de mal nomer les lètres; l'enfant triomfe
de pouvoir reprendre , car la vanité precede
la parole , et l'on doit metre tour à
profit.
AOUST. 1730. 1709 .
profit. Pour augmenter le jeu des cartes
de l'A , B , C , on poura y ajouter le jeu
des petites letres , et comancer par celes
qui ont prefque la meme forme & figure
que leurs capitales ; par exemple , Cc ,
Ĵj , Kk , Pp , SS , Vv , Yy , Zz ,
&c. et paffer enfuite aux autres letres , fans
s'affervir à l'ordre abecedique.
Si le public goutoit cète metode , on
pouroit avoir des A, B, C, fur des jetons,
fur des fiches à jouer , fur des dés , tant
pour les fons que pour les lètresson pouroit
mème faire des jeux.come ceus de l'oie , de
la chouete , des dames , & c. chacun peut,
felan fon gout & fon imagination , faire
mieux que ce que l'auteur propofe , obfervant
toujours de varier & de confulter
auffi le gout de l'enfant , fon inclination
& fon plaifir , qui font dans un fens la
baze de ce petit fifteme. Ceux qui voudront
fe fervir de cete metode dans les
maifons particulieres doivent avoir les
letres de l'A , B , C , imprimées ou écrites.
On en peut découper & les coler
fur des cartes à jouer qu'on achete à la
livre. Mais come tout le monde n'a pas
ocafion de trouver ou de faire de femblables
caracteres , il feroit beaucoup mieux.
que les imprimeurs ou les cartiers en
vouluffent acomoder le public , n'employant
pour cela que les cartes ou les
cartons
1710 MERCURE DE FRANCE
cartons de rebut. En atendant l'introduction
de cet ufage , et que l'on goute la
metode propofee , on peut s'adreffer aux
religieux qui ont des A , B , C , à jour
fur des plaques de cuivre. On trouve
encore de ces caracteres à jour dans les
églifes catedrales ou collegiales des provinces.
Le plus court fera d'en faire acheter
à Paris chés les ouvriers qui en font,
alors il fera aifé de faire imprimer tout
de fuite vint ou trente A , B , C , imprimant
vint & trente A , fur autant de
cartes rangées fur une table ; enfuite vint
ou trente B , & tout l'A, B , C , de la
meme maniere. Un domeftique peut être
d'abord mis au fait de cète petite imprimerie
; et cete ocupation , aux ïeux de l'enfant
produira autant de bien que produifent
ordinairement de mal l'oifiveté ,
les mauvais difcours & les mauvais exemples
des perfones chargées de l'enfant.
و
On pouroit fe fervir utilement de cète
metode dans les petites écoles où l'on n'envoie
bien fouvent les enfins que pour y etre
affis & en etre debaraffé lorfqu'on veut
etre libre chés foi , ou pouvoir aler perdre
ailleurs fon tems & fon argent. Si l'on
vouloit donc fuivre ou effaïer cète metode
dans les écoles , il faudroit metre entre'
les mains des enfans plufieurs jeux de cartes
ou de cartons literaires , & l'on pouroit
doner
AOUST. 1730. 1711
doner leçon à plufieurs enfans à la fois ,
ce qui exciteroit , & entretiendroit parmi
eux une noble émulation literaire . Les
écoles de petites filles que tienent les dames
religieufes, pouroient auffi mieux que
perfone faire l'effai de cete metode. Ou
tre les jeux de cartes , marquées de letres ,
ces dames pouroient avoir des A, B , C ,
des ab , eb , ib , ob , ub , &c. ba , be , bi
bo , bu , &c. fur des cartons ou fur des tableaux
exprès , que l'on montreroit aux
enfans come des curiofités. Une leçon publique,
et la démonftration des letres & des
fons de la langue françoife , feroit plus
agréable ou moins ennuyeufe pour la regente,
et mème pour les écolieres ; les murailles
de l'école doivent être le livre public
où les enfans trouveront les élémens ,
des letres , en atendant qu'ils foient en
état de fe fervir d'un livre tel que l'au-,
teur le propoſe , et qu'il a tâché de faire
exprès.Si les perfones zelées & charitables
qui dirigent les écoles des pauvres , n'étoient
pas fi efclaves des métodes vulgaires
, il feroit aifé de leur faire voir combien
il y auroit à gagner en fuivant la mérode
propofée ici .
Lorfqu'un enfant prend gour à l'exercice
du jeu abecedique , il faut lui doner,
une caffete habillée ou couverte de letres
dans laquelle il puiffe tenir les jeux de
carte s
1712 MERCURE DE FRANCE
cartes qu'on lui fait & qu'on lui done ;"
il eft bien-aife d'avoir la proprieté des
chofes , et la crainte d'être privé de ce petit
meuble peut fervir quelquefois à r'animer
le gout literaire. Cete caffete a paru
neceffaire , et l'on a cru pouvoir en faire
fervir les faces aux leçons de l'enfant.:
c'eft-là fon premier livre , ou du moins
c'en font les premieres pages. Si l'on s'amufe
avec des écrans & des éventails .
pourquoi des enfans ne s'amuferoient - ils
pas avec cète caffete ? Ils ont en petit le
mélange de toutes les paffions ; on doit les
étudier , les tourner à leur avantage , &
metre les enfans en état de montrer les
letres à leurs petits freres ou petites foeurs
s'ils en ont , come a fait le petit Goffard ,
cité dans la letre inferée dans le Mercure
de Juillet 1730. Rien n'anime tant un enfant
que de fe voir des écoliers. Le petit
Candiac montroit à lire à des enfans deux
fois plus agés que lui .
Il faudra auffi doner à l'enfant un petit
bureau come ceux de la Pofte , fur lequel
il puiffe ranger toutes les letres qu'il tirera
de la caffeté , & qu'il nomera plufieurs
fois , en continuant feul ce badinage ,
meme avec encor plus de plaifir s'il y a
quelque fpectateur qui applaudiffe & qui
done du courage . Par le moyen de ce bureau
, on peut épargner aux enfans des
princes
AOUST. 1730. 1713
princes , et des grans feigneurs bien de la
peine , bien du dégout & bien du tems ,
en fefant travailler au bureau du PRINCE &
devant LUI , quelque digne enfant drelé
pour cet inftructif & amulant exercice .
L'auteur donera fur tous les fons, quelques
exemples de la maniere dont on doit
faire apeler les letres en commençant à
compofer , à imprimer & à lire, felon cete
metode . Car dès le premier jour de l'exercice
, on peut faire l'un & l'autre . On donera
des exemples faits exprès à l'égard
des lètres dont on a un peu changé le
nom , en faveur du fon & de la valeur
réelle & efective des caracteres ; et c'eft
pour cela que l'auteur a compofé des lignes
de quelques mots latins ou arbitraires,
moins foumis aux règles ordinaires de
la lecture ; car d'ailleurs il n'eft prefque
pas neceflaire d'épeler , quand on fuit la
metode des fons exprimés par une filabe ,
qui réponde au veritable fon local des letres
& des caracteres fimples & doubles .
Nous aprenons à parler machinalement
par l'articulation & par la converfation ,
mais pour la lecture & l'écriture , il faut
quelque chofe de plus , c'eft un art qu'on
peut & qu'on doit perfectioner en tâchant
de le rendre plus aifé , plus agréable
& plus utile. Cet art eft la clé des
fiences , qui font le bonheur de toutes
B
log
1714 MERCURE DE FRANCE
les nations policées , et c'eft en vue de l'utilité
publique , que l'auteur done l'heureux
effai de cete metode. Il eft prefque
impoffible de montrer à lire par principes
, il y a trop de bizarerie dans l'ufage
des letres, et encore plus dans l'ortografe.
On eft donc réduit à la routine , mais il
ne s'enfuit pas qu'on ne la puiffe rectifier
en donantune métode pour tout ce qui en
eft fufceptible , et réduifant aux princi
pes tout ce qui peut abreger & perfectioner
l'art de montrer les letres aux petits
enfans. On fe ate de l'avoir fait
d'une maniere heureufe & facile , en forte
que les plus grandes dificultés , et prefque
toutes les bizareries de l'ufage fe trouvent
& s'aprenent tres facilement par
l'exercice ou par la pratique des principes
qu'on a donés pour l'ufage du bureau
tipografique.
On ne fauroit, au refte, trop recomander
aux perfones qui montrent les letres aux
enfans, de les faire paffer peu à peu & par
degrés aux filabes les plus dificiles , ce
qui eft , je penfe , une fuite de la vraie metode
de montrer à lire , néanmoins outre
le livre ordinaire , on en doit de tems en
tems prefenter d'autres aus enfans , leur
faire dire les letres , les filabes & les mots
â l'ouverture du livre , et ne pas imiter
seux qui ne favent lire que dans un livre ,
preuve
A O UST. 1730. 1715
preuve de la pure routine & de la mémoire
locale qui font toute la fience d'un
enfant mal montré.
-
Un autre exercice agréable & inftructif
c'eft de faire deviner à un enfant la premiere
letre de chaque mot qu'on lui dit
à haute voix ; et enfuite la fegonde , la
troifiéme , et les autres letres de chaque
filabe des mots , fur tout les confones
initiales , C , G , J , S , T, V , X , Y, Z ,
&c. on en a fait l'experience fur un enfant
de trois ans & trois mois , il n'en
manquoit pas une des initiales , et devinoit
facilement les autres dans de petits
mots. Il faut cependant remarquer
que les voyeles étant plus fenfibles que les
confones , elles font auffi plus aifées à deviner
; c'eft pourquoi l'enfant de trois ans
qui conoit bien les letres , fi on lui demande
, par exemple , la premiere letre
ou le premier fon d'un des mots bale
vile , fote , lune , &c dira que c'eft l'a , l'i ,
l'o , ou l'u. Ces confones initiales font peu
d'impreffion fur les organes de l'enfant ;
la cadence & la tenue en fait de muſique ,
la quantité grammaticale , ou la durée du
fon , ne tombent que fur le fon des voyeles
, & non fur celui des confones : il faut
donc montrer à l'enfant l'art de trouver
la confone , après qu'il a fu trouver la
voyele , et pour cela il fufit de lui apren-
Bij dre
>
1716 MERCURE DE FRANCE
dre à fubftituer la voyele e à la place de
l'autre voyele devinée ,, par exemple ,
changeant en e l'a du mot bale , on dira bele,
et l'enfant fent pour lors la filabe initiale
be , ou le nom doné au caractere b . Cela
eft fi vrai , que fi l'on demande à l'enfant
la premiere letre d'un des mots benir, ceci ,
denier , fenètre , qualité , &c . il répondra
fans hefter que c'eft le be , le ce , le de ,
Le fe,le ka & c. & il eft bon de remarquer ici
l'utilité des noms Ceke , feja , He , Gega,
Ve , &c. donez aux letres C , J , H , G ,
V , puifque c'eft à l'aide de ces dénominations
que l'enfant aprend à diftinguer &
à défigner le fon des letres & des mots
qu'on lui prononce : c'est donc par le
moyen de la voyele auxiliaire ou empruntéc
l'enfant
que
aquerra dans peu la facilité
de deviner également les confones &
les voyeles ; cela paroitra clair & démontré
par la pratique de cète métode qui enfeigne
en peu de tems l'ortografe de l'oreille
ou des fons , en atendant cele des
ïeux , ou de l'ufage .
Avant l'age de trois ans & demi le petit
CANDIAC favoit diftinguer & dicter
tous les fons des mots qu'on lui prononçoit
en latin ou en françois , aïant aquis
P'ortografe des fons avec la parole ; ce
qu'il n'auroit pas fait s'il n'avoit jamais û
que des ABC ordinaires , et qu'il ût apelé
les
AOUST . 1730. 1717
les confones f, g , h , j , l , m , n , r , f, v ,
x, y , z, &c. du nom vulgaire de plufieurs
filabes , nom qui induit en erreur , qui
éloigne du bon & vrai fon , et qui en
fournit un faux ou captieux pour la fubftitution
neceffaire dans l'art d'épeler : par
exemple, dans le mot cacumen , la routine
ordinaire dit , fe , a , ka ; fe , u , qu , cacu;
lieuque
au
feemme
, e , enne , men , cacumen ;
la métode de l'auteur l'on dira ka , a , ka;
qu , u , qu ; cacu , me , e , men ; cacumen ,
&c. Il n'y a point d'oreille qui ne ſente
en dépit des feux , la fuperiorité de cète
métode fur la métode vulgaire , on le
fera voir plus au long en montrant à lire
du latin & du françois,
Pour imprimer cet ABC , on croit qu'il
fera bon d'y metre des filabes & des mots
latins fans fuite ni fens , plutot que de
faire imprimer en filabes disjointes ou divifées
les mots des prieres que l'enfant
n'entend point & qu'il retient ailément ,
fur tout s'il récite déja les mèmes prieres
foir & matin. Les maitres , les parens &
les enfans en font les dupes , quoique
d'une maniere diferente. Cependant pour
confacrer les prémices du favoir de l'enfant
, on poura imprimer les prieres latines
après quelques pages de filabes choifies
exprès,pour faire lire peu à peu & par
degrés les principales dificultés des mots
B iij
ou
1718 MERCURE DE FRANCE
ou des filabes . Aïant imprimé des monofilabes
féparés les uns des autres , il ne
fera pas enfuite neceffaire de féparer ainſi
les filabes du Pater , de l'Ave & du Credo,
&c. come on le fait peut-être mal- à - propos
dans les livres ordinaires des ABC.
La priere eft un exercice fi férieux & fi
néceffaire , qu'on ne fauroit trop tôt y
acoutumer les enfans ; mais par respect
pour la priere mème , on ne devroit pas
d'abord les metre à cète lecture , de crainte
de trop de routine , et de pure articulation
: il feroit donc mieux après l'A
BC françois de faire imprimer en deux
colones les prieres en latin & en françois
afin que l'enfant les comprit plutot les
lifant & les récitant en chaque langue..
Fermer
Résumé : TROISIÉME LETRE sur le Livre anoncé sous le titre de la BIBLIOTEQUE DES ENFANS, ou les premier élemens des letres.
Le texte du Mercure de France de 1716 présente une méthode pédagogique innovante pour enseigner la lecture et l'orthographe aux enfants. Cette méthode repose sur la substitution d'une voyelle connue à une voyelle inconnue dans les mots, permettant ainsi à l'enfant de prononcer correctement les syllabes initiales. Par exemple, en changeant l'a en e dans le mot 'bale', on obtient 'bele', ce qui aide l'enfant à identifier la lettre b. Les noms donnés aux lettres, tels que 'Ceke' pour C et 'feja' pour J, facilitent la distinction et la définition des sons des lettres et des mots. Cette approche permet à l'enfant d'acquérir rapidement la capacité de deviner les consonnes et les voyelles. Le texte cite l'exemple de Candiac, qui, avant l'âge de trois ans et demi, savait distinguer et dicter les sons des mots en latin et en français grâce à cette méthode. En revanche, les méthodes traditionnelles, qui utilisent des noms vulgaires pour les consonnes, induisent en erreur et éloignent du bon son. Le texte critique ces méthodes, soulignant qu'elles ne permettent pas aux enfants de maîtriser correctement la prononciation des lettres. Pour enseigner la lecture, le texte recommande d'imprimer des syllabes et des mots latins sans suite ni sens, plutôt que des prières que l'enfant ne comprend pas. Les prières latines peuvent être ajoutées après quelques pages de syllabes choisies pour faciliter l'apprentissage des principales difficultés des mots ou des syllabes. De plus, il est suggéré d'imprimer les prières en latin et en français en deux colonnes pour que l'enfant les comprenne mieux en les lisant et en les récitant dans chaque langue. En résumé, cette méthode pédagogique propose une approche ludique et interactive pour enseigner la lecture et l'orthographe aux enfants, en utilisant des substitutions de voyelles et des noms spécifiques pour les lettres. Elle vise à rendre l'apprentissage plus efficace et compréhensible pour les jeunes élèves.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
11
p. 1912-1935
QUATRIÉME LETRE Sur l'usage du bureau Tipografique.
Début :
Il ne faut pas douter, Monsieur, que l'exercice du bureau tipografique n'amuse [...]
Mots clefs :
Enfants, Cartes, Méthode, Exercice, Coeur, Combinaison, Esprit, Apprentissage, Français, Latin
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : QUATRIÉME LETRE Sur l'usage du bureau Tipografique.
QUATRI E'M E
Sur Pufage dubureau Tipografique .
L ne faut pas douter , Monfieur , que
l'exercice du bureau tipografique n'amufe
& n'inftruise l'enfant , si les maitres
ont beaucoup de douceur & de patiance
en lui fefant dire les letres , les filabes
les mots et les lignes , qu'il doit pren- ,
dre dans fa caffette pour les compofer &
décompofer fur la table de fon bureau
en començant par les combinaifons elemaenSEPTEMBRE
. 1730. 1913
•
bro ,
› mentaires. Ab , eb ib , ob , ub , &c.
Ba , be , bi , bo , bu , & c. mises sur les
cartes dont l'enfant a déja joué , où sur
d'autres , en continuant par les combinaiſons
bla , ble , bli , blo , blu , & c. bra ,
bre , bri , bru , &c. fuivant l'ordre
doné pour la feuille de la caffere.
On peut ensuite faire lire l'enfant sur
des cartes , dont on fera des jeux come
l'on avoit déja fait en montrant à conoitre
les letres : le premier jeu eft pour le
Ab , eb , ib , ob , ub , & c. le fegond
pour le Ba , be , bi , bo bu , &c. le troifiéme
, pour le Bla , ble,bli , blo , blu, &c.
Le quatrième , pour le Bra , bre , bri
bro , bru. Il faut obferver de ne metre
qu'une ou deux lignes sur une carte à
mesure que l'enfant fe familiarife avec les
lignes plus ou moins chargées de filabes
ou de confones combinées avec les cinq
voyeles . Aiant mis à la premiere ligne
le Ba , be , bi , bo , bu , on poura metre à
la fegonde ligne les combinaifons du P ,
letre forte de la letre foible B. Exemples :
1. en deux lignes horizontales , felon la
maniere ordinaire d'écrire ; 2º . ou en
deux lignes perpendiculaires , pour renger
les cartes vis- à - vis les célules de leurs
letres B P , &c. 3 ° . ou en employant
les quatre coins & le milieu des cartes ,
>
come
)
1714 MERCURE DE FRANCE
come on l'a fait ci- devant pour le jeu des
cinq voyèles.
Pa, pe, pi, po, pu..}
Ba pa
be pe
ba
bez
bi >& c.
bu.
Ba, be, bi, bo, bu. } oubi pi
youbo
bo po
bu
pu
L'on combinera de même les letres liquides
l , m , n , r, et les letres doubles
x , y , &c. fans oublier la letre h , & c.
ainfi qu'on l'a fait pour les combinaiſons
de la caffete , et qu'on poura copier en
long & en large fur autant de cartes que
l'on voudra , pour former des jeux abecediques.
En voilà bien affes pour metre au
fait de cete métode. La pratique la fera
paroitre encore plus ingenieufe , fi l'on
étudie l'enfant , et qu'on l'observe bien.
L'on doit peu peu se servir des letres
italiques , et des letres d'écriture : on en a
fait l'experience avec un enfant de trois ans
qui en peu de tems conut tous les diferens
abc , et se servit avec fuccès de plus de
cent celules diferentes , où il tenoit les
letres & les caracteres fimples ou combinés
pour composer ou imprimer sur son
bureau , ce qu'on lui dictoit , ou ce qu'on
lui donoit écrit fur une carte.
à
Quand l'enfant fait composer ou décomSEPTEMBRE.
1730. 1915
composer fur son bureau tous les tèmes
ordinaires & domeftiques , on doit lui en
fournir tous les jours de nouveaux , prenant
d'abord préferablement pour sujet
les parens , les amis , les persones & les
faits dont l'enfant a conoissance , & lui
en donant enfuite en latin & en françois
de deux , trois , et quatre lignes fur la
longueur d'une carte , et d'un caractere
gros , diftinct , à proportion du favoir &
des forces de l'enfant. Après avoir doné
des tèmes fur toutes les perfones , et fur
les faits journaliers que l'enfant conoit
on poura lui en doner fur le Saint du
jour , et sur des fuites hiftoriques , come
109 tèmes fur les 109 époques du jeu hiſto-.
rique du R. P. Buffier ; & semblables sur
l'hiftorique saint ou profane,sur laMitologie,
fur la géografie, &c . On peut aussi doner
une suite de rimes abecediques , &c.
Tous ces tèmes lus & relus devienent une
espece de livre , plus agréable, plus amusant
, et plus utile , que les livres ordinaires
dont on s'eft servi jusques ici.
On poura aussi doner sur des cartes les
terminaisons des declinaifons , et des
conjugaisons , parce que l'enfant se fortifie
à lire le caractere manuscrit ; et qu'il
fe degoute moins d'avoir une ou deux
cartes pour le singulier & le pluriel d'un
nom , d'un pronom , et d'un tems de
yerbe ,
1916 MERCURE DE FRANCE
verbe , que de lire toujours dans un rudiment
odieux . On metra en noir sur
des cartes les adverbes & les prépofitions
du françois , et en rouge les mèmes mots
du latin ; ce qui dans la suite sera tresutile.
Les ouvrages de M. du Marfais , et
le latin construit & expliqué mot à mot
selon fa métode , pouront ètre mis entre
les mains d'un enfant qui comence à lire ,
et qui eft deja en état de faire provifion
de mots , et d'acoutumer son oreille aus
terminaisons des noms declinés & des
verbes conjugués. On trouvera ces noms
declinés , et ces verbes conjugués dans
les cartes ou dans les leçons du rudiment
pratique , qu'on pouroit même doner à
l'enfant , le premier jour de l'exercice
du bureau tipografique.
Dès que l'enfant aura decomposé son
dernier tème , et qu'il en aura fait un
nouveau de quatre ou cinq lignes de bureau
, on poura , pour varier le jeu , le
faire lire quelquefois dans un livre , quelquefois
dans un autre choisi ou fait exprès.
On poura aussi lui redoner de tems
en tenis ses premiers tèmes , ses cartons ,
et tout fon atirail literaire pour badiner
come sa premiere cassete , le casseau portarif
de six celules , le porte tème , de peits
porte- feuilles , un petit sac , & semblables
meubles propres à tenir des ima-
;
ges,
SEPTEMBRE . 1730. 1917
ges , les jeus de cartes , et les tèmes favoris
qui l'amusent & l'instruisent. Il sera
bon surtout de lui faire revoir le samedi
quelques tèmes de la semaine , et du
mois c'est dans ce retour periodique
qu'il sera aisé de juger des progrès de
l'enfant , et de comparer les avantages
de cete metode avec ceux de la metode
vulgaire.
>
Dans les grandes viles , surtout à Paris
, on poura metre à profit le chois de
tous ces imprimés & feuilles volantes qué
l'on crie dans les rues : de même que les
adresses & les enseignes des marchands &
des ouvriers ; outre les images , on trouve
dans ces enseignes des mots dificiles à lire ,
et qui par leur nouveauté donent lieu à
inftruire l'enfant , très sensible à l'aquisition
de tous ces petits éfets literaires , dignes
de sa cassete ; il comence de bone
heure à gouter la proprieté des chofes ; il
est donc bon de lui en montrer l'usage
un petit enfant qui se trouve seul & désocupé
, s'ennuie , il devient souvent à
charge aus autres , au lieu que cete cassete
l'amuse , étant pour lui une maison où
l'ouvrage ne manque jamais : il faut se
preter à l'enfance , si l'on veut réussir
dans l'éducation .
Pendant l'exercice literaire il ne faut
pas negliger de metre l'enfant en état de
badi1918
MERCURE DE FRANCE
badiner avec des jeus de cartes numeriques
;il se familiarisera avec les nombres ,
dont on poura ensuite lui montrer à lire
& à faire les premieres regles , à mesure
qu'il concevra plus facilement les choses.
Si l'on n'a pas des chifres de cuivre & à
jour , pour imprimer les nombres sur
des cartes , on les fera à la main , ainsi
qu'il a été dit en parlant des letres. Après
avoir fait lire à l'enfant les leçons sur les
nombres , on poura lui faire faire de petites
regles fur la table du bureau ; un
peu d'exercice chaque jour fur les nombres
, rendra dans peu l'enfant plus grand
aritmeticien qu'on ne l'eft ordinairement
à cet age là.
Quand un enfant a composé sur son
bureau le françois & le latin de fon tème
, il doit après cela lire tout de suite
& à haute vois , 1º . tout le françois , 2º .
tout le latin , 3 °. chaque mot latin après
le mot françois , 4 ° . chaque mot françois
après le mot latin ; voilà donc quatre
lectures. Cet exercice varié & continué
pendant quelques anées rend un enfant
plus savant qu'on ne l'auroit esperé :
on en sera cependant moins surpris , fi
l'on veut bien faire atention qu'un enfant
en composant ce tème , le lit en
détail plus de cent fois , sans croire l'avoir
lu une seule fois ; c'est ainsi qu'il
aprend
1
SEPTEMBRE . 1730. 1919
ge des
des
aprend par une espece de pratique l'usades
sons , des des letres , des mots ,
parties d'oraison , des terminaisons ,
declinaisons , et des conjugaisons. Ce .
mouvement continuel pour chercher les
cartes dont il a befoin , foit de l'imprimerie
, du rudiment pratique , ou du
dictionaire , entretient le corps en santé ,
et done à l'esprit la meilleure culture
possible .
Pour bien faire pratiquer la métode du
Bureau tipografique , on doit donc acoutumer
l'enfant à metre fur fon Bureau
la copie du tème qu'on lui done , foit de
verfion ou de compofition ; foit en une ,
en deux , ou en trois langues , les unes
fous les autres ; en forte que les deux ou
les trois mots fignifiant la mème choſe ',
foient mis en colone' , l'enfant lira & expliquera
avec plaifir les lignes de ces petitis
tèmes ; cela l'obligera ou lui permet
tra de travailler feul ; ce qui eft un des
plus grands points ; car d'ordinaire les
enfans ne travaillent que par force ou à
l'euil et rarement par gout , fur tout
en l'abſence des autres . Quand le maitre
ne poura pas etre prefent , le premier
venu poura aider à l'exercice du Bureau,
meme un domeftique.
,
On poura doner à l'enfant des temes.
latins , dont la construction soit parfaite,
selon
(
1920 MERCURE DE FRANCE
selon l'ingenieuse & judicieuse métode
de M. du Marsais ; ou des tèmes dont la
construction foit chifrée & numerotée ,
c'eft-à -dire , dont la fuite des mots soit
marquée par la fuite naturele des nombres
, come on l'a pratiqué fur le texte
de Phedre ; ou enfin l'on poura doner
tout de fuite le latin melé avec le fran-
>
çois , si le latin trop fort ne permet pas
l'interlinaire
. On doit essayer de tout ,
et varier toutes les manieres ; cete diversité
eloigne l'ennui & le degout , article
essentiel & sur lequel on ne sauroit faire
trop d'atention . Pour varier encore d'avantage
l'exercice du bureau , on poura
quelquefois doner à ranger sur la table
des vers françois , pour former à la rime
P'oreille de l'enfant , et des vers latins
avec la quantité , pour lui faire voir ,
conoitre & sentir de bone heure les voyeles
longues & les voyeles breves de la langue
latine. On pouroit meme marquer
toujours la quantité en profe come en
vers , si l'on souhaitoit voir de plus grans
progrès dans l'étude de la profodie latine
, pour l'intelligence
de laquele il feroit
bon d'avoir dans quelque logete des
cartes marquées avec les piés des vers ,
qu'on pouroit apeler , cartes spondées
cartes dactiles , & c, pour indiquer le
le pié de deux silabes longues , celui
d'une
SEPTEMBRE . 1730. 1921
d'une longue & de deux breves , & c .
Si l'enfant prend du gout à ces petits
jeus , on poura lui montrer auffi celui
des anagrames , en prenant les letres qu
les cartes des noms & des mots fur lesquels
on veut travailler ; on combine ces
cartes de tant de manieres , que l'enfant
s'en amuse agréablement , sur tout si l'on
a soin de fournir des mots fécons en rencontres
hureuses & agréables , come la
plupart des logogrifes qu'on trouve dans
le Mercure de France ou ailleurs . Si l'enfant
a de l'oreille , on peut lui montrer
les notes de la mufique & essayer avec
des cartes de lui faire folfier les intervales
convenables à sa petite voix . Bien
des gens croiront ces exercices au dessus
de la portée des enfans , mais l'experience
les désabusera , s'il veulent bien en
faire l'essai .
Lorsque l'enfant est fort sur la composition
du bureau , et que les tèmes sont
un peu lons , il prend moins de plaisir
à les décomposet , c'est - à - dire à distribuer
& à remetre les cartes en leurs
cassetins , qu'il n'en a eu en les composant
, cet exercice est plus pénible qu'agréable
, c'est pourquoi il eft bon que de
tems en tems quelcun viene aider à distribuer
les cartes des letres & des fons
dans leurs logetes ; car pour les cartes de
l'arti
7922 MERCURE DE FRANCE.
l'article françois , des noms , des pronoms
, des verbes & de leurs terminaifons
; de meme que pour tous les mots
du dictionaire ; il eft mieux que l'enfant
les passe & repasse lui- meme en revue ,
pour aprendre à les bien conoitre & à les
retenir par coeur à force de les voir , et
de les lire à haute voix come dans la
composition. Il faut que l'euil & l'oreille
soient de la partie; un autre enfant , frere,
soeur , parent , ami , ou voifin , moins
fort fur l'exercice du bureau , s'estimera
hureux de pouvoir etre employé à distribuer
les letres du tème , composé par
le petit docteur.
L'enfant qui comance d'aprendre à
écrire , doit toujours continuer l'exercice
du bureau , afin de ne pas se gate la
main en écrivant des tèmes ou d'autres
chofes que ses exemples. La pratique du
bureau est si aisée & si utile , que l'enfant
doit y travailler jusqu'à ce qu'il puisse
écrire passablement & sans degout les
petits tèmes & les petites versions qu'on
Îui donera à faire ; quand le bureau ne
seroit plus necessaire pour le latin , il le
seroit pour le grec, l'ébreu & l'arabe, pour
l'histoire , la fable , la cronologie , la géografie
, les généalogies ; pour le blason
pour les médailles , et enfin pour les arts
& les siences , puisque ce bureau doit
tenig
"
"
SEPTEMBRE. 1730. 1723
tenir lieu de biblioteque en feuilles ou en
cartes. On ose meme assurer que quand
on doneroit à l'enfant plusieurs bureaux,
soit pour les langues , soit pour les sien-
'ces , il n'en aprendroit que mieux ; il auroit
des idées claires & distinctes des chofes
; l'ordre lui deviendroit insensiblement
familier , & l'on éviteroit par là
cete espece de confusion qui paroit dans
les logetes où l'enfant est obligé de tenir
les letres de plusieurs langues , en noir
& en rouge ; quoique separées par des
cartes doubles ou triples , en petits cartons
, plus courts que les autres cartes.
Un bureau historique metroit l'enfant
au large ; il auroit des logetes diferentes
pour la fable & pour l'histoire ;
cer idées bien ordonées , doneroient à l'enfant
un gout merveilleux pour la meilleure
métode d'aprendre les choses peu à
peu;sans sortir de son cabinet, il parcoureroit
tous les siecles & toute la terre ; il
auroit des suites numerotées des patriarches
, des juges , des rois , des pontifes , des
profetes , du peuple ébreu ; les successions
des souverains du monde ; des listes des
homes illustres dans la fable , dans l'histoire,
dans les arts & dans les siences ; les images
, les medailles y trouveroient leurs placesson
y distingueroit toujours le sacré &
leprofane , l'ancien & le moderne; en un
met
1924 MERCURE DE FRANCE
mot les murailles du cabinet de l'enfapt ne
devroient etre ornées & tapissées que
d'objets amusans & instructifs , àproportion
des facultés des parens , et des vues
qu'ils ont pour l'établissement ou ce qu'on
apelle dans le monde la fortune honorable
d'un enfant.
Pour finir cet article , on peut dire que
le grand segret , après celui de la metode,
c'est de n'exiger d'un enfant qu'une atention
proportionée à fon age & à fa foiblesse
; de faire aimer l'exercice du bureau
, et de rendre ce jeu aussi agréable
qu'il est utile & instructif ; mais sur tout
travailler souvent avec l'enfant , c'est
là un point essentiel , dont trop de maitres
fe difpensent ; et si l'enfant ne travaile
pas , il sera bon de faire travailler
avec lui quelque autre persone qui lui
soit agréable. Il en faut bien etudier le
fort & le foible , lui inspirer le gout de
bones choses , et le desir de pratiquer.
tous ses petits exercices literaires . On ne
doit jamais fraper ni batre l'enfant ¿ que
pour la rechute volontaire dans des fautes
morales d'esprit & de coeur , encore fautil
bien etudier la maniere de punir , et de
rendre la corection utile & eficace , de
quelque nature qu'elle puisse etre , soit
qu'on le prive de quelque chose , soit
qu'on le mortifie par quelque endroit , la
douceur
SEPTEMBRE. 1730. 1925
douceur , la patience , la clemence , ne
doivent jamais quiter un bon maitre qui
étudie l'esprit , le coeur , le naturel & les
inclinations de l'enfant .
On peut, s'il eft necessaire , faire semblant
d'etre en colere au milieu d'un sens
froid , on peut meme entrer dans la colere
, mais toujours avec moderation , maitre
des premiers momens ou mouvemens
d'impatience ; en un mot , la colere doit
etre feinte & teatrale , on doit conserver
la raison & la liberté necessaire à un juge
équitable en faveur de la justice & du criminel
. Bien des maitres fe passionent &
s'aveuglent contre de pauvres enfans ;
l'ignorance , une mauvaise éducation , des
moeurs équivoques , peu d'atachement,un
esprit mercenaire , tout cela contribue à
former des ames feroces & brutales, c'est
aus parens à prendre garde au chois qu'ils
font des maitres.
On ne doit donc avoir recours aus verges
que lorsque l'enfant coupable , impenitent
, indocile, desobéissant , &c. méprise
les remontrances ; mais on ne doit jamais
employer les coups pour l'étude des langues
, à moins qu'on n'ût le malheur de
ne pouvoir mieux faire , chargé d'un indigne
sujet que les parens auroient condané
aux études , plutot que de l'apliquer
aus arts & aus metiers les plus convena-
B bles
1926 MERCURE DE FRANCE
bles à son gout , ou les plus utiles à l'état.
On poura lire , à l'ocasion des chatimens
, le livre de M. Rollin , et une brochure
intitulée : Guillelmi Ricelli Disser
tatio medica adversus ferularum , alaperum ,
et verberum usum in castigandis pueris , nec
non aurium tractionem , &c. ad sanitatis tutulam
, &c. Lipfiæ , 1722 .
Nous voici , Monsieur , à l'article des
tèmes de lecture sientifique , fur lequel
vous avés demandé quelque éclaircissement.
On apèle tèmes sientifiques , les cartes,
au dos desqueles on écrit une ou plufieurs
lignes de françois avec toute l'exactitude
possible sur les accens , sur les sons
de la langue , et sur la veritable ortografe
, en sorte que l'enfant puisse pratiquer
les principes de lecture qu'on lui a donés ,
et qu'il ne soit jamais induit en erreur,
Il n'y a aucun livre qui ait cete exactitude
, et peu de maitres sont au fait de toutes
les minuties qui regardent les sons &
la vraie ortografe de notre langue . Il est
donc bon au comancement de se servir
de ces sortes de cartes , pour avoir un texte
corect & conforme à la doctrine des sons
employés pour bien montrer à lire à un
petit enfant ; et l'on peut faire entrer dans
ces tèmes sientifiques toutes les dificultés
de la prononciation françoise , par raport
à la vieille & à la nouvele ortografe , ainfi
qu'on
SEPTEMBRE.1730 . 1927
qu'on a taché de le faire dans les cinquan-,
te-sept petits articles de la leçon 101 de
PA, B , C , françois.
L'enfant qui aprend à lire ces sortes de
tèmes, lit plutot, plus facilement, et beaucoup
mieux dans les manuscrits que les
autres enfans ne lisent dans les livres ; et
pour rendre l'enfant encore plus habile ,
il faudra lui ramasser des cartes sur lesqueles
on aura fait écrire diverses persones
, ou bien lui faire adresser de petites
épitres de la part des parens , des amis &
des voisins , qui voudront bien se preter
& contribuer de leur part à l'éducation
d'un digne enfants pour lors chacun sera
surpris de voir le grand succès de ce petit
artifice . De la lecture de ces tèmes , de
ces cartes ou de ces épitres , on passe facilement
à cele des livres imprimés en caractere
romain ou italique ; mais il eft bon
au comancement de chercher de beles
éditions corectes & d'un gros caractere ;
après quoi l'on doit peu à peu metre l'enfant
sur toute sorte de livres , et lui faire
remarquer les défauts & les fautes de chaque
ortografe des bones & des mauvaises
éditions , depuis l'anée courante jusques
au tems que l'on comança d'imprimer.Les
abreviations ne doivent pas faire de pei-
, elles fourniront d'autres jeux literaires
; il n'eft pas mal en aprenant à lire ,
Bij
d'a1928
MERCURE DE FRANCE
d'aprendre quelque autre chole de plus.
S'il y avoit quelque livre imprimé corectement
, selon l'ortografe de l'oreille
ou des sons de la langue , il feroit presque
inutile d'épeler ; mais la vieille & la fausse
ortografe, ou la cacografie , exigent que
l'on fasse epeler de tems en tems certains
mots ; en atendant ce livre corect que
nous n'avons pas , l'A B C DE CANDIAC
poura etre de quelque secours pour les
enfans , et pour les maitres dociles , non
prevenus ; car pour les autres il faut les
laisser faire à leur fantaisie , les abandoner
à la vieille ortografe, à la vieille géografie,
aux vieilles grammaires , aus vieilles metodes,
et meme à l'écriture gotique , si elle
est de leur gout , et du gout des parens qui
livrent leurs enfans à de tels guides dans
la republique des letres.
L'heureuse experience des temes sientifiques
donés sur des cartes fit en meme
tems croire qu'un enfant aprendroit
plus facilement de cete maniere , que
dans aucun livre tout ce qu'on souhaiteroit
qu'il aprit , parce qu'à force de manier
, de lire , et de ranger les cartes nu
merotées qu'il voit preparer pour lui , il
sait d'abord par coeur ce qui eft écrit sur
ces cartes ; il se plait d'ailleurs à ce jeu
autant qu'il s'ennuie à feuilleter les li-
VICs donés par les métodes vulgaires. La
revue
།
SEPTEMBRE. 1730. 1929)
revue & la revision de tous ces jeus de
cartes font plus d'impression sur l'esprit
de l'enfant , , que les
livre.
pages
odieuses d'un
Les temes sientifiques de la langue fran
çoise feront ensuite place aus temes la
latis , aus cartes en grec , en ebreu , en
arabe , &c. sans trop multiplier d'abord
les cartes de l'imprimerie , on poura montrer
à un enfant en peu de jours l'A B C
grec & l'ABC ebreu , qu'on metra à
côté des letres & des sons de la langue
françoise ; le meme nom , la meme carte,
serviront pour les trois langues , et l'enfant
qui trouvera l'aleph , ( 2) et l'alpha
(a) sur la carte de notre a , leur donera
la meme denomination , et aprendra tout
seul à les distinguer les uns des autres .
On donera ensuite des mots , des racines,
et des lignes en grec & en ebreu , afin
que l'enfant aprene à composer ces lignes
sur la table de son bureau tipografique ,
de la meme maniere qu'il y aura composé
des lignes enfrançois & en latin . Cet exercice
sera infailliblement du gout de l'enfant
, sur tout si auparavant l'on a eu soin.
de lui doner des letres , des mots , .et
des lignes , qui imitent la casse des imprimeurs
, &c.
Il est aisé de voir que par cet exercice
un enfant peut facilement entretenir la
Bij lecture
1930 MERCURE DE FRANCE
lecture des quatre langues . Cete imprimerie
compofée de tant de petits volumes
ou de feuilles volantes isolées & detachées.
a une aparence de jeu qui porte l'enfant ,
au badinage instructif. On peut alonger,
renouveler , et varier ce jeu de tant de
manieres , et sur tant de matieres diferentes
, qu'il ne paroit pas qu'en fait de
téorie ou de pratique , on puisse inventer
une métode plus au gout , et plus à
la portée des enfans , que cele du bureau
tipografique , soit pour la santé du corps,
soit pour la premiere culture de l'esprit.
On ne sauroit trouver une métode' generale
, qui en si peu de tems puisse produire
d'aussi grans & d'aussi surprenans
efets. Cependant ceus qui feront atention
à la force de l'habitude ou des actes reiterés
unc infinité de fois , concevront sans
peine la verité de ce que l'on dit ici ; et
les persones qui ont vu & admiré le savoir
du petit CANDIAC à Montpellier,
à Nimes , à Grenoble , à Lion , à Villefranche
& à Paris , ne refuseront jamais le
témoignage du à cete meme verité.
Ceux qui voudront faire aprendre par
coeur les principales regles de la métode
de P.R. come celes de la sintaxe, & c. pouront
les doner à l'enfant sur des cartes
numerotées avec des exemples & des lis
tes de mots au dos de ces mèmes cartes :
mais
SEPTEMBRE. 1730. 1931
}
mais on doute qu'il soit necessaire d'aprendre
ces regles pat coeur il sufit de
les faire lire & relire , et de les expliquer
souvent à mesure que les tèmes donés l'exigeront.
Les auteurs de ces regles condanant
l'uſage & la pratique des maitres
qui donoient les regles en vers latins
ont cru qu'en les metant en vers françois
, il n'y avoit presque plus rien à desirer.
En cela l'on a jugé trop favorablement
des enfans : aprendre une regle par
coeur , c'eft l'operation d'un peroquet ,
d'un enfant , et de la memoire ; savoir
faire l'aplication de cete regle, c'est l'efort
de l'esprit humain. Bien des gens aprenent
les quatre regles d'aritmetique , qui jamais
ne peuvent résoudre le moindre problème.
Ceux qui savent par coeur les regles
de logique , ne sont pas toujours ceux
qui raisonent le mieux : on doit donc bien
distinguer la téorie de la pratique , et ne
pas confondre l'articulation des principes
ou l'étude aveugle des principes apris par
coeur sans les comprendre , selon la métode
vulgaire , avec l'étude pratique & de
sentiment , selon la métode du bureau
tipografique , qui fait marcher en mème
tems la pratique & la téorie , sans qu'il
soit besoin d'atendre qu'un enfant sache
écrire ; avantage inexprimable , et ignoré
jusqu'ici dans toutes les écoles d'Europe.
B iiij On
1932 MERCURE DE FRANCE
On continuera cete matière dans les reflexions
preliminaires du rudiment pratique .
la
Il semble, dira quelcun , qu'on veuille
réduire les premiers exercices literaires
d'un enfant à de simples jeus & amusemens
de cartes , afin qu'il puisse jouer seul
ou avec d'autres. Il eft vrai qu'on souhaiteroit
de donner à l'enfant des roses sans
épines ; et que les maitres & les maitresses
à force de soin , de travail , et d'assiduité,
voulussent bien aprendre leur metier, et à
se faire aimer des enfans plutot que de s'en
faire haïr; efet ataché à l'ignorante & mauvaise
métode vulgaire : au lieu
que par
tode du bureau tipografique , l'enfant se
livre d'abord avec plaisir au jeu instructif
des cartes abecediques , dès qu'il sait articuler
quelques silabes , et qu'il a l'usage
de ses doits & de ses mains pour manier
& ranger des cartes sur la table de son
bureau. On ne parle point ici de ces jeus
en feuilles qui demandent de l'atention ;
une petite societé , et souvent par malheur
, un esprit d'interèt , qui d'accessoire
devient principal , et qu'il n'est pas
toujours aisé de bien diriger. On en par
lera ailleurs.
Malgré tout le bien & tous les avantages
atribués à ces jeux abecediques , on
doit cependant metre les enfans le plus
tot qu'il sera possible dans le gout de lire
les
SEPTEMBRE. 1730. 1933
les bons livres , et dans l'usage de parcourir
les tables des matieres qu'ils con--
tienent : on ne l'entend gueres que des
livres historiques ou à la portée des enfans
, car pour les livres moraux , ils ennuient
&dégoutent l'enfance ; l'instruction
morale se doit doner de vive voix & dans
toutes les ocasions favorables pour faire
plus d'impression sur l'enfant : agir autrement
, c'est perdre sa peine & détruire
dans un sens l'édifice déja comencé ; l'experience
journaliere ne permet pas de le
penser autrement .
J'aurois du , Monsieur , vous dire quelque
chose sur la cassete abecedique , puisque
c'est le premier meuble literaire qu'il
faudroit livrer à un enfant de deux à
trois ans. Cere cassete est habillée ou couverte
des premieres combinaisons élementaires
; la feuille de ces combinaisons est
l'abregé de l'A B C latin & françois , et
l'on ne sauroit y tenir un enfant trop
lontems , pourvu qu'on ait soin de lui
faire dire sur la cassete les combinaisons
non- seulement de gauche à droite , mais
encore de droite à gauche , de haut en
bas & de bas en haut , ou en colones ,
c'est- à-dire en ligne horisontale , et en
ligne perpendiculaire .
Le premier des deux petits cotés à droi
te , contient N. 1. les letres du grand
By A
++
1934 MERCURE DE FRANCE
1
ABC latin avec leur dénomination , ou
le nom doné et preté à chaque consone
pour rendre selon cete nouvele métode
l'art de lire plus aisé.
Le segond des deux petits cotés de la
cassete à gauche , contient , No. 2. le petit
a , b, c, à coté du grand , letre à letre,
afin que l'enfant qui conoit bien les grandes
letres , puisse facilement & presque
de lui-même aprendre ensuite à distinguer
les petites.
La premiere des grandes faces de la cassete
, et sur le devant , contient N ° . 3 .
en deux colones les combinaisons élementaires
du Ab , eb , ib , ob , ub , &c.
Le deriere de la cassete, contient N ° . 4.
et en deux colones , les combinaisons du
Ba , be , bi , bo , bu , &c. dans lesqueles
on fera remarquer les changemens que
l'auteur a cru necessaires pour doner de
bons principes sur les combinaisons Ca,
se , si , co , cu ; Ga , je , ji , go , gu , ; Ja ,
ge , gi , jo , ju ; Sa , ce , ci , so , su ; Ta ,
te , ti- ci , to , tu , &c.
Le dessus du couvercle de la cassete ,
contient No. 5. N° . 6. les combinaisons
du Blà , ble , bli , blo , blu , &c. et celles du
Bra, bre , bri , bro , bru , & c . . . .. . N ° . 7.
les combinaisons des quatre petites letres
ressemblantes b , d, p ,q , combinées avec
leurs quatre capitales , et ensuite avec les
cinq
SETEMBRE. 1730. 1935
cinq voyeles , come Bb , Dd , Pp , Qq,
&c , Ba , de , pi , qu , bo , &c. .... N. 8.
des sons particuliers à la langue françoise.
?
Cete cassete servira à faire dire la leçon
en badinant , et à tenir les cartons &
les jeus de cartes abecediques , qui ont
servi de premiers amusemens à l'enfant.
On trouvera de ces cassetes , de ces cartons
, et de ces cartes abecediques chés
P. Witte, Libraire , rue S. Jacques, à l'Ange
Gardien , vis- à- vis la rue de la Parcheminerie.
Sur Pufage dubureau Tipografique .
L ne faut pas douter , Monfieur , que
l'exercice du bureau tipografique n'amufe
& n'inftruise l'enfant , si les maitres
ont beaucoup de douceur & de patiance
en lui fefant dire les letres , les filabes
les mots et les lignes , qu'il doit pren- ,
dre dans fa caffette pour les compofer &
décompofer fur la table de fon bureau
en començant par les combinaifons elemaenSEPTEMBRE
. 1730. 1913
•
bro ,
› mentaires. Ab , eb ib , ob , ub , &c.
Ba , be , bi , bo , bu , & c. mises sur les
cartes dont l'enfant a déja joué , où sur
d'autres , en continuant par les combinaiſons
bla , ble , bli , blo , blu , & c. bra ,
bre , bri , bru , &c. fuivant l'ordre
doné pour la feuille de la caffere.
On peut ensuite faire lire l'enfant sur
des cartes , dont on fera des jeux come
l'on avoit déja fait en montrant à conoitre
les letres : le premier jeu eft pour le
Ab , eb , ib , ob , ub , & c. le fegond
pour le Ba , be , bi , bo bu , &c. le troifiéme
, pour le Bla , ble,bli , blo , blu, &c.
Le quatrième , pour le Bra , bre , bri
bro , bru. Il faut obferver de ne metre
qu'une ou deux lignes sur une carte à
mesure que l'enfant fe familiarife avec les
lignes plus ou moins chargées de filabes
ou de confones combinées avec les cinq
voyeles . Aiant mis à la premiere ligne
le Ba , be , bi , bo , bu , on poura metre à
la fegonde ligne les combinaifons du P ,
letre forte de la letre foible B. Exemples :
1. en deux lignes horizontales , felon la
maniere ordinaire d'écrire ; 2º . ou en
deux lignes perpendiculaires , pour renger
les cartes vis- à - vis les célules de leurs
letres B P , &c. 3 ° . ou en employant
les quatre coins & le milieu des cartes ,
>
come
)
1714 MERCURE DE FRANCE
come on l'a fait ci- devant pour le jeu des
cinq voyèles.
Pa, pe, pi, po, pu..}
Ba pa
be pe
ba
bez
bi >& c.
bu.
Ba, be, bi, bo, bu. } oubi pi
youbo
bo po
bu
pu
L'on combinera de même les letres liquides
l , m , n , r, et les letres doubles
x , y , &c. fans oublier la letre h , & c.
ainfi qu'on l'a fait pour les combinaiſons
de la caffete , et qu'on poura copier en
long & en large fur autant de cartes que
l'on voudra , pour former des jeux abecediques.
En voilà bien affes pour metre au
fait de cete métode. La pratique la fera
paroitre encore plus ingenieufe , fi l'on
étudie l'enfant , et qu'on l'observe bien.
L'on doit peu peu se servir des letres
italiques , et des letres d'écriture : on en a
fait l'experience avec un enfant de trois ans
qui en peu de tems conut tous les diferens
abc , et se servit avec fuccès de plus de
cent celules diferentes , où il tenoit les
letres & les caracteres fimples ou combinés
pour composer ou imprimer sur son
bureau , ce qu'on lui dictoit , ou ce qu'on
lui donoit écrit fur une carte.
à
Quand l'enfant fait composer ou décomSEPTEMBRE.
1730. 1915
composer fur son bureau tous les tèmes
ordinaires & domeftiques , on doit lui en
fournir tous les jours de nouveaux , prenant
d'abord préferablement pour sujet
les parens , les amis , les persones & les
faits dont l'enfant a conoissance , & lui
en donant enfuite en latin & en françois
de deux , trois , et quatre lignes fur la
longueur d'une carte , et d'un caractere
gros , diftinct , à proportion du favoir &
des forces de l'enfant. Après avoir doné
des tèmes fur toutes les perfones , et fur
les faits journaliers que l'enfant conoit
on poura lui en doner fur le Saint du
jour , et sur des fuites hiftoriques , come
109 tèmes fur les 109 époques du jeu hiſto-.
rique du R. P. Buffier ; & semblables sur
l'hiftorique saint ou profane,sur laMitologie,
fur la géografie, &c . On peut aussi doner
une suite de rimes abecediques , &c.
Tous ces tèmes lus & relus devienent une
espece de livre , plus agréable, plus amusant
, et plus utile , que les livres ordinaires
dont on s'eft servi jusques ici.
On poura aussi doner sur des cartes les
terminaisons des declinaifons , et des
conjugaisons , parce que l'enfant se fortifie
à lire le caractere manuscrit ; et qu'il
fe degoute moins d'avoir une ou deux
cartes pour le singulier & le pluriel d'un
nom , d'un pronom , et d'un tems de
yerbe ,
1916 MERCURE DE FRANCE
verbe , que de lire toujours dans un rudiment
odieux . On metra en noir sur
des cartes les adverbes & les prépofitions
du françois , et en rouge les mèmes mots
du latin ; ce qui dans la suite sera tresutile.
Les ouvrages de M. du Marfais , et
le latin construit & expliqué mot à mot
selon fa métode , pouront ètre mis entre
les mains d'un enfant qui comence à lire ,
et qui eft deja en état de faire provifion
de mots , et d'acoutumer son oreille aus
terminaisons des noms declinés & des
verbes conjugués. On trouvera ces noms
declinés , et ces verbes conjugués dans
les cartes ou dans les leçons du rudiment
pratique , qu'on pouroit même doner à
l'enfant , le premier jour de l'exercice
du bureau tipografique.
Dès que l'enfant aura decomposé son
dernier tème , et qu'il en aura fait un
nouveau de quatre ou cinq lignes de bureau
, on poura , pour varier le jeu , le
faire lire quelquefois dans un livre , quelquefois
dans un autre choisi ou fait exprès.
On poura aussi lui redoner de tems
en tenis ses premiers tèmes , ses cartons ,
et tout fon atirail literaire pour badiner
come sa premiere cassete , le casseau portarif
de six celules , le porte tème , de peits
porte- feuilles , un petit sac , & semblables
meubles propres à tenir des ima-
;
ges,
SEPTEMBRE . 1730. 1917
ges , les jeus de cartes , et les tèmes favoris
qui l'amusent & l'instruisent. Il sera
bon surtout de lui faire revoir le samedi
quelques tèmes de la semaine , et du
mois c'est dans ce retour periodique
qu'il sera aisé de juger des progrès de
l'enfant , et de comparer les avantages
de cete metode avec ceux de la metode
vulgaire.
>
Dans les grandes viles , surtout à Paris
, on poura metre à profit le chois de
tous ces imprimés & feuilles volantes qué
l'on crie dans les rues : de même que les
adresses & les enseignes des marchands &
des ouvriers ; outre les images , on trouve
dans ces enseignes des mots dificiles à lire ,
et qui par leur nouveauté donent lieu à
inftruire l'enfant , très sensible à l'aquisition
de tous ces petits éfets literaires , dignes
de sa cassete ; il comence de bone
heure à gouter la proprieté des chofes ; il
est donc bon de lui en montrer l'usage
un petit enfant qui se trouve seul & désocupé
, s'ennuie , il devient souvent à
charge aus autres , au lieu que cete cassete
l'amuse , étant pour lui une maison où
l'ouvrage ne manque jamais : il faut se
preter à l'enfance , si l'on veut réussir
dans l'éducation .
Pendant l'exercice literaire il ne faut
pas negliger de metre l'enfant en état de
badi1918
MERCURE DE FRANCE
badiner avec des jeus de cartes numeriques
;il se familiarisera avec les nombres ,
dont on poura ensuite lui montrer à lire
& à faire les premieres regles , à mesure
qu'il concevra plus facilement les choses.
Si l'on n'a pas des chifres de cuivre & à
jour , pour imprimer les nombres sur
des cartes , on les fera à la main , ainsi
qu'il a été dit en parlant des letres. Après
avoir fait lire à l'enfant les leçons sur les
nombres , on poura lui faire faire de petites
regles fur la table du bureau ; un
peu d'exercice chaque jour fur les nombres
, rendra dans peu l'enfant plus grand
aritmeticien qu'on ne l'eft ordinairement
à cet age là.
Quand un enfant a composé sur son
bureau le françois & le latin de fon tème
, il doit après cela lire tout de suite
& à haute vois , 1º . tout le françois , 2º .
tout le latin , 3 °. chaque mot latin après
le mot françois , 4 ° . chaque mot françois
après le mot latin ; voilà donc quatre
lectures. Cet exercice varié & continué
pendant quelques anées rend un enfant
plus savant qu'on ne l'auroit esperé :
on en sera cependant moins surpris , fi
l'on veut bien faire atention qu'un enfant
en composant ce tème , le lit en
détail plus de cent fois , sans croire l'avoir
lu une seule fois ; c'est ainsi qu'il
aprend
1
SEPTEMBRE . 1730. 1919
ge des
des
aprend par une espece de pratique l'usades
sons , des des letres , des mots ,
parties d'oraison , des terminaisons ,
declinaisons , et des conjugaisons. Ce .
mouvement continuel pour chercher les
cartes dont il a befoin , foit de l'imprimerie
, du rudiment pratique , ou du
dictionaire , entretient le corps en santé ,
et done à l'esprit la meilleure culture
possible .
Pour bien faire pratiquer la métode du
Bureau tipografique , on doit donc acoutumer
l'enfant à metre fur fon Bureau
la copie du tème qu'on lui done , foit de
verfion ou de compofition ; foit en une ,
en deux , ou en trois langues , les unes
fous les autres ; en forte que les deux ou
les trois mots fignifiant la mème choſe ',
foient mis en colone' , l'enfant lira & expliquera
avec plaifir les lignes de ces petitis
tèmes ; cela l'obligera ou lui permet
tra de travailler feul ; ce qui eft un des
plus grands points ; car d'ordinaire les
enfans ne travaillent que par force ou à
l'euil et rarement par gout , fur tout
en l'abſence des autres . Quand le maitre
ne poura pas etre prefent , le premier
venu poura aider à l'exercice du Bureau,
meme un domeftique.
,
On poura doner à l'enfant des temes.
latins , dont la construction soit parfaite,
selon
(
1920 MERCURE DE FRANCE
selon l'ingenieuse & judicieuse métode
de M. du Marsais ; ou des tèmes dont la
construction foit chifrée & numerotée ,
c'eft-à -dire , dont la fuite des mots soit
marquée par la fuite naturele des nombres
, come on l'a pratiqué fur le texte
de Phedre ; ou enfin l'on poura doner
tout de fuite le latin melé avec le fran-
>
çois , si le latin trop fort ne permet pas
l'interlinaire
. On doit essayer de tout ,
et varier toutes les manieres ; cete diversité
eloigne l'ennui & le degout , article
essentiel & sur lequel on ne sauroit faire
trop d'atention . Pour varier encore d'avantage
l'exercice du bureau , on poura
quelquefois doner à ranger sur la table
des vers françois , pour former à la rime
P'oreille de l'enfant , et des vers latins
avec la quantité , pour lui faire voir ,
conoitre & sentir de bone heure les voyeles
longues & les voyeles breves de la langue
latine. On pouroit meme marquer
toujours la quantité en profe come en
vers , si l'on souhaitoit voir de plus grans
progrès dans l'étude de la profodie latine
, pour l'intelligence
de laquele il feroit
bon d'avoir dans quelque logete des
cartes marquées avec les piés des vers ,
qu'on pouroit apeler , cartes spondées
cartes dactiles , & c, pour indiquer le
le pié de deux silabes longues , celui
d'une
SEPTEMBRE . 1730. 1921
d'une longue & de deux breves , & c .
Si l'enfant prend du gout à ces petits
jeus , on poura lui montrer auffi celui
des anagrames , en prenant les letres qu
les cartes des noms & des mots fur lesquels
on veut travailler ; on combine ces
cartes de tant de manieres , que l'enfant
s'en amuse agréablement , sur tout si l'on
a soin de fournir des mots fécons en rencontres
hureuses & agréables , come la
plupart des logogrifes qu'on trouve dans
le Mercure de France ou ailleurs . Si l'enfant
a de l'oreille , on peut lui montrer
les notes de la mufique & essayer avec
des cartes de lui faire folfier les intervales
convenables à sa petite voix . Bien
des gens croiront ces exercices au dessus
de la portée des enfans , mais l'experience
les désabusera , s'il veulent bien en
faire l'essai .
Lorsque l'enfant est fort sur la composition
du bureau , et que les tèmes sont
un peu lons , il prend moins de plaisir
à les décomposet , c'est - à - dire à distribuer
& à remetre les cartes en leurs
cassetins , qu'il n'en a eu en les composant
, cet exercice est plus pénible qu'agréable
, c'est pourquoi il eft bon que de
tems en tems quelcun viene aider à distribuer
les cartes des letres & des fons
dans leurs logetes ; car pour les cartes de
l'arti
7922 MERCURE DE FRANCE.
l'article françois , des noms , des pronoms
, des verbes & de leurs terminaifons
; de meme que pour tous les mots
du dictionaire ; il eft mieux que l'enfant
les passe & repasse lui- meme en revue ,
pour aprendre à les bien conoitre & à les
retenir par coeur à force de les voir , et
de les lire à haute voix come dans la
composition. Il faut que l'euil & l'oreille
soient de la partie; un autre enfant , frere,
soeur , parent , ami , ou voifin , moins
fort fur l'exercice du bureau , s'estimera
hureux de pouvoir etre employé à distribuer
les letres du tème , composé par
le petit docteur.
L'enfant qui comance d'aprendre à
écrire , doit toujours continuer l'exercice
du bureau , afin de ne pas se gate la
main en écrivant des tèmes ou d'autres
chofes que ses exemples. La pratique du
bureau est si aisée & si utile , que l'enfant
doit y travailler jusqu'à ce qu'il puisse
écrire passablement & sans degout les
petits tèmes & les petites versions qu'on
Îui donera à faire ; quand le bureau ne
seroit plus necessaire pour le latin , il le
seroit pour le grec, l'ébreu & l'arabe, pour
l'histoire , la fable , la cronologie , la géografie
, les généalogies ; pour le blason
pour les médailles , et enfin pour les arts
& les siences , puisque ce bureau doit
tenig
"
"
SEPTEMBRE. 1730. 1723
tenir lieu de biblioteque en feuilles ou en
cartes. On ose meme assurer que quand
on doneroit à l'enfant plusieurs bureaux,
soit pour les langues , soit pour les sien-
'ces , il n'en aprendroit que mieux ; il auroit
des idées claires & distinctes des chofes
; l'ordre lui deviendroit insensiblement
familier , & l'on éviteroit par là
cete espece de confusion qui paroit dans
les logetes où l'enfant est obligé de tenir
les letres de plusieurs langues , en noir
& en rouge ; quoique separées par des
cartes doubles ou triples , en petits cartons
, plus courts que les autres cartes.
Un bureau historique metroit l'enfant
au large ; il auroit des logetes diferentes
pour la fable & pour l'histoire ;
cer idées bien ordonées , doneroient à l'enfant
un gout merveilleux pour la meilleure
métode d'aprendre les choses peu à
peu;sans sortir de son cabinet, il parcoureroit
tous les siecles & toute la terre ; il
auroit des suites numerotées des patriarches
, des juges , des rois , des pontifes , des
profetes , du peuple ébreu ; les successions
des souverains du monde ; des listes des
homes illustres dans la fable , dans l'histoire,
dans les arts & dans les siences ; les images
, les medailles y trouveroient leurs placesson
y distingueroit toujours le sacré &
leprofane , l'ancien & le moderne; en un
met
1924 MERCURE DE FRANCE
mot les murailles du cabinet de l'enfapt ne
devroient etre ornées & tapissées que
d'objets amusans & instructifs , àproportion
des facultés des parens , et des vues
qu'ils ont pour l'établissement ou ce qu'on
apelle dans le monde la fortune honorable
d'un enfant.
Pour finir cet article , on peut dire que
le grand segret , après celui de la metode,
c'est de n'exiger d'un enfant qu'une atention
proportionée à fon age & à fa foiblesse
; de faire aimer l'exercice du bureau
, et de rendre ce jeu aussi agréable
qu'il est utile & instructif ; mais sur tout
travailler souvent avec l'enfant , c'est
là un point essentiel , dont trop de maitres
fe difpensent ; et si l'enfant ne travaile
pas , il sera bon de faire travailler
avec lui quelque autre persone qui lui
soit agréable. Il en faut bien etudier le
fort & le foible , lui inspirer le gout de
bones choses , et le desir de pratiquer.
tous ses petits exercices literaires . On ne
doit jamais fraper ni batre l'enfant ¿ que
pour la rechute volontaire dans des fautes
morales d'esprit & de coeur , encore fautil
bien etudier la maniere de punir , et de
rendre la corection utile & eficace , de
quelque nature qu'elle puisse etre , soit
qu'on le prive de quelque chose , soit
qu'on le mortifie par quelque endroit , la
douceur
SEPTEMBRE. 1730. 1925
douceur , la patience , la clemence , ne
doivent jamais quiter un bon maitre qui
étudie l'esprit , le coeur , le naturel & les
inclinations de l'enfant .
On peut, s'il eft necessaire , faire semblant
d'etre en colere au milieu d'un sens
froid , on peut meme entrer dans la colere
, mais toujours avec moderation , maitre
des premiers momens ou mouvemens
d'impatience ; en un mot , la colere doit
etre feinte & teatrale , on doit conserver
la raison & la liberté necessaire à un juge
équitable en faveur de la justice & du criminel
. Bien des maitres fe passionent &
s'aveuglent contre de pauvres enfans ;
l'ignorance , une mauvaise éducation , des
moeurs équivoques , peu d'atachement,un
esprit mercenaire , tout cela contribue à
former des ames feroces & brutales, c'est
aus parens à prendre garde au chois qu'ils
font des maitres.
On ne doit donc avoir recours aus verges
que lorsque l'enfant coupable , impenitent
, indocile, desobéissant , &c. méprise
les remontrances ; mais on ne doit jamais
employer les coups pour l'étude des langues
, à moins qu'on n'ût le malheur de
ne pouvoir mieux faire , chargé d'un indigne
sujet que les parens auroient condané
aux études , plutot que de l'apliquer
aus arts & aus metiers les plus convena-
B bles
1926 MERCURE DE FRANCE
bles à son gout , ou les plus utiles à l'état.
On poura lire , à l'ocasion des chatimens
, le livre de M. Rollin , et une brochure
intitulée : Guillelmi Ricelli Disser
tatio medica adversus ferularum , alaperum ,
et verberum usum in castigandis pueris , nec
non aurium tractionem , &c. ad sanitatis tutulam
, &c. Lipfiæ , 1722 .
Nous voici , Monsieur , à l'article des
tèmes de lecture sientifique , fur lequel
vous avés demandé quelque éclaircissement.
On apèle tèmes sientifiques , les cartes,
au dos desqueles on écrit une ou plufieurs
lignes de françois avec toute l'exactitude
possible sur les accens , sur les sons
de la langue , et sur la veritable ortografe
, en sorte que l'enfant puisse pratiquer
les principes de lecture qu'on lui a donés ,
et qu'il ne soit jamais induit en erreur,
Il n'y a aucun livre qui ait cete exactitude
, et peu de maitres sont au fait de toutes
les minuties qui regardent les sons &
la vraie ortografe de notre langue . Il est
donc bon au comancement de se servir
de ces sortes de cartes , pour avoir un texte
corect & conforme à la doctrine des sons
employés pour bien montrer à lire à un
petit enfant ; et l'on peut faire entrer dans
ces tèmes sientifiques toutes les dificultés
de la prononciation françoise , par raport
à la vieille & à la nouvele ortografe , ainfi
qu'on
SEPTEMBRE.1730 . 1927
qu'on a taché de le faire dans les cinquan-,
te-sept petits articles de la leçon 101 de
PA, B , C , françois.
L'enfant qui aprend à lire ces sortes de
tèmes, lit plutot, plus facilement, et beaucoup
mieux dans les manuscrits que les
autres enfans ne lisent dans les livres ; et
pour rendre l'enfant encore plus habile ,
il faudra lui ramasser des cartes sur lesqueles
on aura fait écrire diverses persones
, ou bien lui faire adresser de petites
épitres de la part des parens , des amis &
des voisins , qui voudront bien se preter
& contribuer de leur part à l'éducation
d'un digne enfants pour lors chacun sera
surpris de voir le grand succès de ce petit
artifice . De la lecture de ces tèmes , de
ces cartes ou de ces épitres , on passe facilement
à cele des livres imprimés en caractere
romain ou italique ; mais il eft bon
au comancement de chercher de beles
éditions corectes & d'un gros caractere ;
après quoi l'on doit peu à peu metre l'enfant
sur toute sorte de livres , et lui faire
remarquer les défauts & les fautes de chaque
ortografe des bones & des mauvaises
éditions , depuis l'anée courante jusques
au tems que l'on comança d'imprimer.Les
abreviations ne doivent pas faire de pei-
, elles fourniront d'autres jeux literaires
; il n'eft pas mal en aprenant à lire ,
Bij
d'a1928
MERCURE DE FRANCE
d'aprendre quelque autre chole de plus.
S'il y avoit quelque livre imprimé corectement
, selon l'ortografe de l'oreille
ou des sons de la langue , il feroit presque
inutile d'épeler ; mais la vieille & la fausse
ortografe, ou la cacografie , exigent que
l'on fasse epeler de tems en tems certains
mots ; en atendant ce livre corect que
nous n'avons pas , l'A B C DE CANDIAC
poura etre de quelque secours pour les
enfans , et pour les maitres dociles , non
prevenus ; car pour les autres il faut les
laisser faire à leur fantaisie , les abandoner
à la vieille ortografe, à la vieille géografie,
aux vieilles grammaires , aus vieilles metodes,
et meme à l'écriture gotique , si elle
est de leur gout , et du gout des parens qui
livrent leurs enfans à de tels guides dans
la republique des letres.
L'heureuse experience des temes sientifiques
donés sur des cartes fit en meme
tems croire qu'un enfant aprendroit
plus facilement de cete maniere , que
dans aucun livre tout ce qu'on souhaiteroit
qu'il aprit , parce qu'à force de manier
, de lire , et de ranger les cartes nu
merotées qu'il voit preparer pour lui , il
sait d'abord par coeur ce qui eft écrit sur
ces cartes ; il se plait d'ailleurs à ce jeu
autant qu'il s'ennuie à feuilleter les li-
VICs donés par les métodes vulgaires. La
revue
།
SEPTEMBRE. 1730. 1929)
revue & la revision de tous ces jeus de
cartes font plus d'impression sur l'esprit
de l'enfant , , que les
livre.
pages
odieuses d'un
Les temes sientifiques de la langue fran
çoise feront ensuite place aus temes la
latis , aus cartes en grec , en ebreu , en
arabe , &c. sans trop multiplier d'abord
les cartes de l'imprimerie , on poura montrer
à un enfant en peu de jours l'A B C
grec & l'ABC ebreu , qu'on metra à
côté des letres & des sons de la langue
françoise ; le meme nom , la meme carte,
serviront pour les trois langues , et l'enfant
qui trouvera l'aleph , ( 2) et l'alpha
(a) sur la carte de notre a , leur donera
la meme denomination , et aprendra tout
seul à les distinguer les uns des autres .
On donera ensuite des mots , des racines,
et des lignes en grec & en ebreu , afin
que l'enfant aprene à composer ces lignes
sur la table de son bureau tipografique ,
de la meme maniere qu'il y aura composé
des lignes enfrançois & en latin . Cet exercice
sera infailliblement du gout de l'enfant
, sur tout si auparavant l'on a eu soin.
de lui doner des letres , des mots , .et
des lignes , qui imitent la casse des imprimeurs
, &c.
Il est aisé de voir que par cet exercice
un enfant peut facilement entretenir la
Bij lecture
1930 MERCURE DE FRANCE
lecture des quatre langues . Cete imprimerie
compofée de tant de petits volumes
ou de feuilles volantes isolées & detachées.
a une aparence de jeu qui porte l'enfant ,
au badinage instructif. On peut alonger,
renouveler , et varier ce jeu de tant de
manieres , et sur tant de matieres diferentes
, qu'il ne paroit pas qu'en fait de
téorie ou de pratique , on puisse inventer
une métode plus au gout , et plus à
la portée des enfans , que cele du bureau
tipografique , soit pour la santé du corps,
soit pour la premiere culture de l'esprit.
On ne sauroit trouver une métode' generale
, qui en si peu de tems puisse produire
d'aussi grans & d'aussi surprenans
efets. Cependant ceus qui feront atention
à la force de l'habitude ou des actes reiterés
unc infinité de fois , concevront sans
peine la verité de ce que l'on dit ici ; et
les persones qui ont vu & admiré le savoir
du petit CANDIAC à Montpellier,
à Nimes , à Grenoble , à Lion , à Villefranche
& à Paris , ne refuseront jamais le
témoignage du à cete meme verité.
Ceux qui voudront faire aprendre par
coeur les principales regles de la métode
de P.R. come celes de la sintaxe, & c. pouront
les doner à l'enfant sur des cartes
numerotées avec des exemples & des lis
tes de mots au dos de ces mèmes cartes :
mais
SEPTEMBRE. 1730. 1931
}
mais on doute qu'il soit necessaire d'aprendre
ces regles pat coeur il sufit de
les faire lire & relire , et de les expliquer
souvent à mesure que les tèmes donés l'exigeront.
Les auteurs de ces regles condanant
l'uſage & la pratique des maitres
qui donoient les regles en vers latins
ont cru qu'en les metant en vers françois
, il n'y avoit presque plus rien à desirer.
En cela l'on a jugé trop favorablement
des enfans : aprendre une regle par
coeur , c'eft l'operation d'un peroquet ,
d'un enfant , et de la memoire ; savoir
faire l'aplication de cete regle, c'est l'efort
de l'esprit humain. Bien des gens aprenent
les quatre regles d'aritmetique , qui jamais
ne peuvent résoudre le moindre problème.
Ceux qui savent par coeur les regles
de logique , ne sont pas toujours ceux
qui raisonent le mieux : on doit donc bien
distinguer la téorie de la pratique , et ne
pas confondre l'articulation des principes
ou l'étude aveugle des principes apris par
coeur sans les comprendre , selon la métode
vulgaire , avec l'étude pratique & de
sentiment , selon la métode du bureau
tipografique , qui fait marcher en mème
tems la pratique & la téorie , sans qu'il
soit besoin d'atendre qu'un enfant sache
écrire ; avantage inexprimable , et ignoré
jusqu'ici dans toutes les écoles d'Europe.
B iiij On
1932 MERCURE DE FRANCE
On continuera cete matière dans les reflexions
preliminaires du rudiment pratique .
la
Il semble, dira quelcun , qu'on veuille
réduire les premiers exercices literaires
d'un enfant à de simples jeus & amusemens
de cartes , afin qu'il puisse jouer seul
ou avec d'autres. Il eft vrai qu'on souhaiteroit
de donner à l'enfant des roses sans
épines ; et que les maitres & les maitresses
à force de soin , de travail , et d'assiduité,
voulussent bien aprendre leur metier, et à
se faire aimer des enfans plutot que de s'en
faire haïr; efet ataché à l'ignorante & mauvaise
métode vulgaire : au lieu
que par
tode du bureau tipografique , l'enfant se
livre d'abord avec plaisir au jeu instructif
des cartes abecediques , dès qu'il sait articuler
quelques silabes , et qu'il a l'usage
de ses doits & de ses mains pour manier
& ranger des cartes sur la table de son
bureau. On ne parle point ici de ces jeus
en feuilles qui demandent de l'atention ;
une petite societé , et souvent par malheur
, un esprit d'interèt , qui d'accessoire
devient principal , et qu'il n'est pas
toujours aisé de bien diriger. On en par
lera ailleurs.
Malgré tout le bien & tous les avantages
atribués à ces jeux abecediques , on
doit cependant metre les enfans le plus
tot qu'il sera possible dans le gout de lire
les
SEPTEMBRE. 1730. 1933
les bons livres , et dans l'usage de parcourir
les tables des matieres qu'ils con--
tienent : on ne l'entend gueres que des
livres historiques ou à la portée des enfans
, car pour les livres moraux , ils ennuient
&dégoutent l'enfance ; l'instruction
morale se doit doner de vive voix & dans
toutes les ocasions favorables pour faire
plus d'impression sur l'enfant : agir autrement
, c'est perdre sa peine & détruire
dans un sens l'édifice déja comencé ; l'experience
journaliere ne permet pas de le
penser autrement .
J'aurois du , Monsieur , vous dire quelque
chose sur la cassete abecedique , puisque
c'est le premier meuble literaire qu'il
faudroit livrer à un enfant de deux à
trois ans. Cere cassete est habillée ou couverte
des premieres combinaisons élementaires
; la feuille de ces combinaisons est
l'abregé de l'A B C latin & françois , et
l'on ne sauroit y tenir un enfant trop
lontems , pourvu qu'on ait soin de lui
faire dire sur la cassete les combinaisons
non- seulement de gauche à droite , mais
encore de droite à gauche , de haut en
bas & de bas en haut , ou en colones ,
c'est- à-dire en ligne horisontale , et en
ligne perpendiculaire .
Le premier des deux petits cotés à droi
te , contient N. 1. les letres du grand
By A
++
1934 MERCURE DE FRANCE
1
ABC latin avec leur dénomination , ou
le nom doné et preté à chaque consone
pour rendre selon cete nouvele métode
l'art de lire plus aisé.
Le segond des deux petits cotés de la
cassete à gauche , contient , No. 2. le petit
a , b, c, à coté du grand , letre à letre,
afin que l'enfant qui conoit bien les grandes
letres , puisse facilement & presque
de lui-même aprendre ensuite à distinguer
les petites.
La premiere des grandes faces de la cassete
, et sur le devant , contient N ° . 3 .
en deux colones les combinaisons élementaires
du Ab , eb , ib , ob , ub , &c.
Le deriere de la cassete, contient N ° . 4.
et en deux colones , les combinaisons du
Ba , be , bi , bo , bu , &c. dans lesqueles
on fera remarquer les changemens que
l'auteur a cru necessaires pour doner de
bons principes sur les combinaisons Ca,
se , si , co , cu ; Ga , je , ji , go , gu , ; Ja ,
ge , gi , jo , ju ; Sa , ce , ci , so , su ; Ta ,
te , ti- ci , to , tu , &c.
Le dessus du couvercle de la cassete ,
contient No. 5. N° . 6. les combinaisons
du Blà , ble , bli , blo , blu , &c. et celles du
Bra, bre , bri , bro , bru , & c . . . .. . N ° . 7.
les combinaisons des quatre petites letres
ressemblantes b , d, p ,q , combinées avec
leurs quatre capitales , et ensuite avec les
cinq
SETEMBRE. 1730. 1935
cinq voyeles , come Bb , Dd , Pp , Qq,
&c , Ba , de , pi , qu , bo , &c. .... N. 8.
des sons particuliers à la langue françoise.
?
Cete cassete servira à faire dire la leçon
en badinant , et à tenir les cartons &
les jeus de cartes abecediques , qui ont
servi de premiers amusemens à l'enfant.
On trouvera de ces cassetes , de ces cartons
, et de ces cartes abecediques chés
P. Witte, Libraire , rue S. Jacques, à l'Ange
Gardien , vis- à- vis la rue de la Parcheminerie.
Fermer
Résumé : QUATRIÉME LETRE Sur l'usage du bureau Tipografique.
Le texte présente une méthode pédagogique appelée 'bureau typographique' visant à instruire et amuser les enfants. Cette méthode consiste à apprendre aux enfants les lettres, les syllabes, les mots et les lignes en les composant et décomposant sur une table de bureau. Les maîtres doivent faire preuve de douceur et de patience. Les enfants utilisent des cartes pour jouer avec les lettres et les combinaisons de syllabes, commençant par des combinaisons élémentaires comme 'ab, eb, ib, ob, ub' et progressant vers des combinaisons plus complexes. Les cartes sont utilisées pour des jeux éducatifs, où les enfants apprennent à lire et à reconnaître les lettres. Les thèmes abordés commencent par des sujets familiers aux enfants, comme les parents et les amis, et progressent vers des sujets plus complexes comme l'histoire, la mythologie et la géographie. Les cartes peuvent également contenir des terminaisons de déclinaisons et de conjugaisons, ainsi que des adverbes et des prépositions en français et en latin. La méthode encourage l'enfant à lire à haute voix et à pratiquer régulièrement. Elle inclut également des exercices numériques pour familiariser l'enfant avec les nombres. L'enfant doit composer et décomposer des thèmes sur son bureau, ce qui lui permet d'apprendre par la pratique. La méthode est conçue pour être variée et amusante, évitant ainsi l'ennui et le dégoût. Elle peut être adaptée pour inclure des jeux d'anagrammes, de musique et d'autres activités éducatives. Le texte souligne l'importance de la pratique continue et de la variété dans les exercices pour maintenir l'intérêt de l'enfant. La méthode est également adaptable à différentes langues et disciplines, comme le grec, l'hébreu, l'arabe, l'histoire, la géographie, et les arts. Les enfants doivent disposer de plusieurs bureaux pour différentes matières, comme les langues ou les sciences. Un bureau historique, par exemple, permettrait à l'enfant de structurer ses connaissances et de développer un goût pour la méthode d'apprentissage. Les cartes et les objets amusants et instructifs doivent orner les murs du cabinet de l'enfant, adaptés à ses capacités et aux aspirations de ses parents. L'article insiste sur l'importance de la méthode et de l'attention proportionnée à l'âge de l'enfant. Il recommande de rendre les exercices agréables et instructifs, et de travailler souvent avec l'enfant. Les maîtres doivent éviter de frapper ou de battre les enfants, sauf en cas de fautes morales volontaires, et toujours avec modération. La douceur, la patience et la clémence sont essentielles. Pour l'apprentissage de la lecture, les thèmes scientifiques (cartes avec des lignes de français exactes) sont préférés aux livres, car ils permettent une pratique plus précise des sons et de l'orthographe. L'enfant apprend ainsi à lire plus facilement et plus correctement. Les cartes peuvent ensuite être utilisées pour d'autres langues, comme le grec ou l'hébreu, facilitant l'apprentissage de plusieurs langues simultanément. Le texte critique les méthodes traditionnelles qui se contentent de faire apprendre des règles par cœur sans les comprendre. Il prône une méthode pratique et intuitive, où la théorie et la pratique avancent de concert. Les jeux abécédiques sont introduits dès que l'enfant sait articuler quelques syllabes, rendant l'apprentissage ludique et efficace. Le document mentionne également une cassette abécédique, un outil littéraire destiné aux enfants de deux à trois ans. Cette cassette contient diverses combinaisons de lettres et de sons pour faciliter l'apprentissage de la lecture. Elle est organisée de manière à permettre à l'enfant de pratiquer les combinaisons dans différentes directions. Les différents côtés et faces de la cassette contiennent des lettres latines et françaises, des combinaisons élémentaires, et des distinctions entre grandes et petites lettres. Le dessus du couvercle inclut des combinaisons spécifiques et des sons particuliers à la langue française. La cassette sert à rendre l'apprentissage ludique et à conserver les cartes et jeux de cartes abécédiques utilisés comme premiers amusements pour l'enfant. Ces cassettes, ainsi que les cartons et cartes abécédiques, sont disponibles chez P. Witte, libraire rue S. Jacques, à l'Ange Gardien.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
12
p. 2117-2141
CINQUIÈME LÈTRE sur l'usage des Cartes pour l'essaì du rudiment pratique de la langue latine, &c.
Début :
J'aprens avec bien du plaisir, Monsieur, que vous ètes à présent un peut au faìt. [...]
Mots clefs :
Mots, Enfants, Enfant, Cartes, Méthode, Verbes, Pratique de la langue latine, Collège, Écoliers, Exercice, Langue, Dictionnaire, A, B, C Latin, Français, Ignorance, Savant, Conjugaison, Pratique, Règles, Expérience
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : CINQUIÈME LÈTRE sur l'usage des Cartes pour l'essaì du rudiment pratique de la langue latine, &c.
CINQUIE'ME LETRE sur l'usage des
Caries pour l'essai du rudiment pratique
de la langue latine , &c.
J'
'Aprens avec bien du plaisir,Monsieur,
que vous ètes à present un peu au fait
du bureau tipografique . L'auteur donera
encore bien des reflexions et des instruc-
A iij
tions
2118 MERCURE DE FRANCE
tions préliminaires sur la suite de l'atirail
literaire d'un enfant ; et le livre sur les
cinquante leçons des trois A , B , C latins
achevera de mètre cette métode dans
un plus grand jour : en atendant ce petit
ouvrage, voici quelques reflexions sur l'usage
des cartes , pour le rudiment pratique
de la langue latine. C'est l'auteur qui
parle.
La métode que j'ai donée pour montrer
les premiers élémens des lètres à un enfant
de 2 à 3 ans , peut également servir pour
lui enseigner ensuite les rudimens pratiques
de la langue latine ou de quelque
autre langue. Il faut toujours continuer
l'usage inftructif des cartes , et varier ce
jeu de tant de manieres , que l'enfant puisse
aprendre beaucoup en ne croyant que se
divertir. Ceus qui feront l'essai de ce jeu.
literaire en conoitront bientot l'utilité.
On a de la peine à s'écarter des vieilles
routes , et à s'éloigner des ancienes méto
des . On montre come l'on a été enseigné
soi-même , et l'on croit ordinaire-,
ment avoir été bien enseigné. Un sofisme
trivial d'autorité et d'imitation tient lieu
de raison : on suit aveuglément la pratique
des autres , au lieu de prendre de
tems en tems des voies diferentes. Que
risqueroit on dans cet essaì ? De perdre
tout au plus quelques anées : on auroit
cela
OCTOBRE . 1730. 2119
cela de comun avec la plupart des écoliers
enseignés selon les métodes vulgat→
res . Mais bien loin de perdre son tems
sans avoir apris ni les choses , ni la maniere
de les étudier , on sera étoné de voir
la rapidité des progrès d'un enfant exercé
suivant la métode du bureau tipografique.
On trouve bien des écoliers qui aïant
étudié des dis et douse ans sous d'habiles
maîtres , travaillé jour et nuit pour
ètre des premiers de leur classe , reçu
bien des pris et des aplaudissemens ; ne
laissent pas néanmoins ensuite de s'apercevoir
de leur ignorance et qu'ils ont mal
employé le tems pendant le long cours de
leurs classes. On doit conciure , par respect
pour les regens , qu'abusés par les métodes
ordinaires , l'abus passoit ensuite sur
leurs écoliers ; le tout de bone foi de la
part des uns , et selon le préjugé de la
part des autres. On se passione ordinairement
contre toutes les nouveles métodes ;
on les condane par provision et sans aucun
examen. Est - ce injustice , est- ce ignorance
; c'est peut-ètre quelquefois l'un et
l'autre ensemble.
Pour faire usage des cartes , on doit les
numeroter
, chifrer ou coter ,
chifrer ou coter , come étant
les feuillets
du livre de l'enfant : ce chifre
sert à ranger les cartes selon le jeu de la
A iiij
suite
2120 MERCURE DE FRANCE
suite grammaticale de l'article , des déclinaisons
, des noms , et des pronoms , et
de la conjugaison du verbe substantif
Sum ( je suis ), et des autres verbes qu'on
trouvera dans l'essal du rudiment pratique.
L'enfant aprendra donc à ranger sur
quelque table les déclinaisons et les conjugaisons
, mais il est mieus qu'il aprene
à les ranger sur le bureau tipografique.
On poura batre et mèler de tems en tems
ces petits jeus de cartes , afin que l'enfant
s'exerce à les remetre lui - mème dans
leur ordre ; ce qu'il fera aisément par le
moyen des chifres dont elles sont marquées.
Il faut qu'il lise ou recite ces cartes
à mesure qu'il les rangera ; et l'on aura
soin de lui doner en abregé les termes de
singulier, pluriel , nominat. gen. dat. ac.
voc. ablat. par les seules letres initiales :
S. P. N. G. D. A.V. Ab . metant sur une
carte en sis colones , les nombres , les cas ,
le mot latin , & c. en sorte que tout parolsse
distingué par les colones , les couleurs
, ou la diference des caracteres
Nom . Lun-a la Lune.
Gen. Lun- a de la Lune.
Dat. Lund à la Lune,&c.
Un enfant peut ensuite décliner les
cinq paradigmes des déclinaisons ou les
seules
OCTOBRE . 1730. 2121
seules terminaisons latines , tantot avec
françois , tantot sans françois , pour va
rier le jeu et se rendre plus fort sur cet
exercice ; il pratiquera la mème chose
pour le jeu des pronoms et des nombres.
Il faudra aussi imprimer ou écrire en
abregé sur des cartes les termes des tems,
des modes , des gerondifs , des supins , et
des participes ; les terminaisons actives et
passives des verbes latins et des verbes
françois , de mème que l'on a doné les
terminaisons des noms et des pronoms ;
ce qui joint à la totalité des combinai
sons des lètres , des sons , des chifres , et
des signes dont on se sert pour la ponctuation
, l'accentuation et la quantité ,
done l'abondance necessaire pour la casse
de l'imprimerie ; ainsi qu'onpoura le voir
dans la planche gravée exprès , et dans
l'article de la garniture du bureau .
>
Pour varier les jeus de cartes on poura
doner celui des déclinaisons avec les
scules terminaisons des cas , le mot latin
et le mot françois étant mis seulement
une fois come un titre , au haut de la
carte, partagée en deus colones , une moitié
pour le sing. et l'autre pour le plur.avec
l'article ou sans l'article pour les noms et
pour les pronoms. Exemple ,
A v Rofa
2122 MERCURE DE FRANCE
Rofa
Sing.
N ...
·
• a
la rose.
Plur.
arum
G.
D.
·
A.
V
&
am as ....
a
â is Ab ...
On fera la mème chose pour les tems
de l'Indicatif et du Subjonctif des verbes
, ne metant le françois qu'à la premiere
persone.
IND .
Pref.
SUB J.
S. S.
Amo , j'aime
Amem , que j'aime,
as
es
et at
P.
amus
atis
ant
P.
emus
etis
ent
Ces jeus de cartes doivent aussi ètre numerotés,
afin que l'enfant puisse les ranger
en une seule colone , les voir d'un coup
d'euil et les lire ou les reciter facilement
de suite , à mesure qu'il les rangera sur la
table du bureau , ou qu'il les parcoûra les
tenant dans sa main. Quand l'enfant saura
bien
OCTOBRE. 1730 , 2123
bien les terminaisons des noms et des
verbes , il déclinera et conjuguera tous
les mots qu'on lui donera. On ne sauroit
trop insister sur cet article , et l'on
poura pour lors se servir utilement des
tables analitiques et à crochets , faites
pour faciliter l'usage des declinaisons et
des conjugaisons , et pour orner le cabinet
d'un enfant .
Lorsqu'on voudra interoger l'écolier
sur les déclinaisons et sur les conjugaisons
, il ne faut pas suivre la métode
peu judicieuse de ces maitres qui demandent
trop tot , par exemple : Coment fait
Musa à l'acusatif plur? Quel est le genit.
plur. de Dominus ? Quelle est la troisiéme
persone du futur indicatif du verbe Amo ?
coment dit-on en latin , ils auroient aimé ?
&c. Ceux-là ne raisonent pas mieus , qui
demandent aus enfans : Combien y a -t - il
de sortes de noms ,
pronoms , de verbes ,
&c. Combien y a-t- il de terminaisons à la
troisiéme déclinaison , &c. Il est visible
que ces questions sont inutiles et hors la
portée d'un petit enfant . D'ailleurs c'est
une erreur de s'imaginer que parce qu'un
enfant aura apris par coeur et de suite un
rudiment latin françois pour la version
, il doiveensuite répondre sur le
champ à des questions détachées ; ou , ce
qui est encore plus dificile , à des quesde
A vj
tions
2124 MERCURE DE FRANCE
tions qui regardent la composition ; il
faudroit pour cet éfet qu'il ût vu et étudié
un rudiment françois- latin , et encore
seroit - il embarassé pour répondre
sur des questions détachées ou de purc
téorie: il est surprenant de voir que l'expérience
n'alt pas désabusé la plupart des
måltres.
Pour examiner un enfant et l'interoger
à propos , il faut lui faciliter la rêponse
, autrement cela le dégoute et le
dépite. On preche trop tot aus enfans la
doctrine de téorie ; on insiste mème trop
là dessus , il sufit de la debiter dansa
pratique et d'en faire sentir pour lors l'usage
et l'aplication ; l'experience demontre
la verité de cete remarque. On peut
aisément embarasser non seulement un
enfant , mais un savant , s'il est permis
d'interoger à sa fantaisie. Ce que je dis à
l'égard des noms , des pronoms , et des
verbes , n'est pas moins vraì à l'égard des
genres , des déclinaisons , des conjugalsons
, de la sintaxe , de toute la grammaire
, et mème de toutes les siénces : savoir
une regle par coeur , la chose est aisée ;
en faire l'aplication , c'est l'éfort de l'esprit
humain. Bien des savans latinistes
seroient peut être embarassés sur le champ,
si on leur demandoit , par exemple :
Quelle est la treisième lètre de l'A , B , C ;
pourquoi
OCTOBRE. 1730. 2125
pourquoi les anciens ont mis le B après l'A
dans l'ordre des lètres pourquoi les mots
dies , facies , &c. ont été apelés de la cinquième
declinaison ; pourquoi l'on a choisi
pour l'exemple de la premiere conjugaison ,
le verbe amo ( j'aime ) , plutôt que canto
(je chante) où le pronom je est sans élision;
ce que fignifient les mots gerondifs, supins .
&c. on doit donc menager un peu plus
les enfans.
Dès que l'enfant a décliné et conjugué
avec des cartes , selon le jeu du rudiment
pratique , il lui sera aisé de composer
sur la table du bureau les tèmes
qu'on lui donera mot à mot sur des cartes
, selon la métode des textes interlinaires
, le françois en noir , et le latin en
rouge , en caractere italique , et encore
mieus , en caractere de bèle écriture pour
instruire et disposer utilement l'imagination
de l'enfant , en atendant qu'il
aprene à former sur le papie. les caracteres
avec lesquels il se sera familiarisé
sur la table de son bureau . C'est pour
lors que l'enfant comencera à se servir
des terminaisons des noms , des pronoms,
et des verbes , en atendant le dictionaire
fait aussi en colombier , dans les
celules duquel on metra les mots écrits.
sur autant de cartes seulement quand
l'enfant en aura besoin ; c'est - à - dire D.
qu'il
2126 MERCURE DE FRANCE
qu'il verra croitre et augmenter son dictionaire
à mesure qu'il croitra lui- mème
en age et en sience , et à mesure qu'il
aprendra sa propre langue.
>
Quoique l'enfant ait le latin de son
tème sur une carte , il ne laisse pas de
faire un exercice qui aproche de la veritable
composition ; car s'il a , par exemple
, dans son tème oramus deum , il
trouvera le mot oro dans la logete des
verbes de la colone O , et le mot deus
à la logete des noms apellatifs de la colone
D; mais il sera obligé de chercher
et de prendre amus dans la logète des
tems où des terminaisons des verbes , etc.
ce que l'on vèra d'une manière sensible
au bas de la planche que j'ai fait graver
exprès. Les cartes des logetes étant étiquetées
, l'enfant aprend d'abord par pratique
et par sentiment le jeu des déclinaisons
, des conjugaisons , et des parties d'oraison
, et se met par là en état de passer
bientot à l'explication d'un texte aisé ,
ou de ses propres tèmes , dont le françois
et le latin sont copiés mot à mot
P'un sous l'autre , et ensuite recopiés sans
aucun françois sous le latin.
L'on peut prendre pour texte des tèmes
, l'abregé historique de la bible , l'abregé
du petit catechisme historique et
de la doctrine cretiène , en latin et en
françois
OCTOBRE . 1730. 2127
françois , l'apendix de la fable du pere
de Jouvenci , l'extrait du Pantheum du
P. Pomey . On poura aussi prendre des
tèmes dans le rudiment pratique sur les
parties d'oraison , en choisissant toujours
les mots du plus grand usage. Les Au
teurs expliqués et construits selon la métode
de M. du Marsais seront d'un grand
secours au comancement pour la lecture
pour l'explication , et pour la composition
dans les deus langues.
termes , pour
D
En suivant la métode du bureau tipografique
, un enfant se voit bientot en
état d'expliquer le latin du nouveau testament
et de l'imitation de Jesus - Christ ;
ce latin sufit pour doner l'abondance des
former l'oreille aus terminaisons
des noms , des pronoms ,, des verbes
, etc. sans que l'on doive craindre
l'impression de la mauvaise latinité sur
l'oreille d'un enfant qui n'est ocupé qu'à
retenir des mots et nulement à charger
sa mémoire d'un stile ou d'un genie auquel
il n'est pas encore sensible ; car je
parle d'un enfant de quatre à cinq ans ,
et quand il en auroit davantage , le nouveau
testament et l'imitation de Jesus-
Christ ne sont pas indignes de ce petit
sacrifice , malgré la fausse délicatesse de
certains, latinistes qui en fesant parade de
leur esprit , manquent souvent de jugement.
On
2128 MERCURE DE FRANCE
On trouvera dans peu l'enfant assés
fort pour lui faire entreprendre la lecture
et la version des fables de Phèdre
dont le texte est numeroté pour la construction
des parties d'oraison ; ou bien
pour lui faire expliquer les textes interlineaires
et construits selon le métode de
M. du Marsais ; l'experience de cet exercice
sur un enfant de cinq à sis ans qui
voyoit Phèdre pour la segonde fois , m'oblige
d'en conseiller l'essai et la pratique
aus maitres non prévenus. Quand je dis
néanmoins que cète métode est simple et
aisée , cela doit s'entendre des principes
dont elle fait usage : la composition et la
multiplicité des outils literaires divertit
et instruit l'enfant ; la peine ne regarde
le maitre et l'ouvrier de tout l'atirail
que l'on done à l'écolier : il n'y est lui
que pour le plaisir varié et instructif de
passer agréablement d'un objet à un autre
en changeant de cartes , de jeu , et de sujet;
ce qui est d'un mérite conu du seuł
artisan et des seuls témoins capables de
juger de l'ouvrage et des progrès . Un
livre alarme un enfant , au lieu que par le
jeu des cartes il ne voit que les pages des
leçons courantes , il forme son livre luimème
, ce qui augmente sa curiosité
bien loin de le dégoûter.
que
Beaucoup de maitres blament cependant
OCTOBRE . 1730. 2129
›
dant l'usage des textes interlinéaires ou
des textes construits et numerotés , et
pretendent que l'esprit des enfans aïant
moins à faire , cela les retarde de beaucoup
: les persones rigides qui veulent
laisser toutes les dificultés aus enfans,bien
loin de leur en épargner ou diminuer
quelqu'une , ne craignent èles pas de les
trop fatiguer, et de les rebuter ? le fruit des
colèges et du grand nombre en
peut décider
; il est plus aisé de blamer l'usage
de certaines métodes , que d'en inventer
de meilleures . On peut voir là dessus ce
qu'en a écrit M. du Marsais dans l'exposition
de sa métode raifonée , et faire en
mème tems réflexion que les métodes interlineaires
ont toujours été utilement
pratiquées , non seulement pour des en-
Fans , mais pour des homes , quand on a
voulu abreger la peine à ceux qui étudient
quelque langue morte ou vivante .
Nous avons l'ancien testament avec l'interpretation
en latin mot à mot sous l'ebreu
; nous avons de mème le nouveau
testament grec & latin , une langue sous
l'autre mot à mot : j'ai vu une gramatre
imprimée à Lisbone en 1535 dans laquèle
le latin et le portugais , et ensuite l'espagnol
et le portugais , sont une langue
sous l'autre. On a autrefois imprimé à
Strasbourg le parlement nouveau ou centurie
2130 MERCURE DE FRANCE
rie interlinéaire de DANIEL MARTIN LINGUISTE
, dans lequel livre on trouve l'aleman
pur dans une colone et le pur
françois dans l'autre , avec le mot aleman
sous chaque mot françois , et c'est peut
ètre ainsi qu'on devroit le pratiquer ou
l'essayer quelquefois pour la langue latine
, en métant le mot françols du dictionaire
sous chaque mot du pur texte
latin , ce qui au comancement épargneroit
à l'enfant le tems qu'il perd à chercher
les mots dans un dictionaire : exem
ple :
Numquam est fidelis cum potente focietas.
Jamais ètre fidele avec puissant societé.
Si des Téologiens ont cru tirer quel
que utilité de la glose ordinaire de la
bible de Nicolas de Lira , et de l'interprétation
interlinéaire d'Arias Montanus,
pourquoi les enfans doivent ils ètre privés
des livres classiques à glose interlinéaire
s'il est permis de condaner un
usage parcequ'il ne produit pas toujours
le bon éfet dont on s'étoit flaté , il y en
aura bien peu à l'abri de cète critique :
les écoles publiques ne produisent pas
des éfets proportionés au cours des anées
d'étude. S'agit il de nouvele métode , on
deOCTOBRE.
1730. 2131
demande à voir des exemples dans une
pratique continuée : nous en voyons tous
les jours de ces exemples dans les écoles
et dans les coleges ; le grand nombre des
écoliers. ne profite pas ; on auroit tort
cependant d'en conclure l'inferiorité des
éducations publiques ou la superiorité
des éducations particulieres. Il faut com
parer, raisoner, et examiner avant que de
prononcer pour ou contre une métode
qui regarde le coeur et l'esprit.
On poura voir les ouvrages de M. du
Marsals sur les articles 52 & 53 des mémoires
de Trévoux du mois de mai 1723
au sujet de l'interprétation interliné re
page 35. Nous avons aussi , dit ce filosofe
gramairien , quelques interprétations inter
linéaires du latin avec le françois , entr'autres
cèle de M. Waflard , fous le titre de
Premiers fondemens de biblioteque royale
à Paris chés Boulanger , dans les premieres
anées de la minorité de LourS
XIV. mais ces traductions sont fort mal exe•
cutées dans un petit in 12 ° , où les mots sont
fort prèssés , et où le françois qui n'eft qưéquivalant
ne fe trouve jamais juste sous le
latin. Il en est de mème de la version interlinéaire
des fables de Fédre , imprimée en
1654 , chés Benard , libraire du colege des
RR. P P. Jesuites &c.
›
C'est aux maitres au reste à voir
quand
2132 MERCURE DE FRANCE
quand il faudra oter à un enfant les gloses
interlinéaires : le plu-tot ne sera que
le mieus , si l'écolier peut s'en passer. La
pratique et l'experience guideront plus
surement que les vains raisonemens sur
cet exercice. Lorsque l'enfant faura expliquer
un texte construit ou numeroté
pour la construction , il faut quelques
jours après lui redoner le mème texte
qui ne soit ni construit ni numeroté : c'est
le moyen de juger des progrès de l'enfint,
et de l'utilité des textes interlinéaires ,
ou de la glose proposée et pratiquée pour
les premiers livres classiques que l'on fait
voir à un enfant ; la glose paroit plus necessaire
dans une classe de cent écoliers
pour un seul regent que dans une chambre
où l'enfant a un maitre pour lui seul .
C'est pourtant le regent à la tète de cent
écoliers qui afecte de mépriser le secours
de la glose interlinéaire , pendant qu'un
precepteur s'en acomode chargé d'un
seul enfant ; est - ce sience ou vanité dans
l'un , et paresse ou ignorance dans l'autre ?
La repugnance et le dégout que font
paroitre la plupart des enfans dans l'étude
du latin , du grec, et des langues mor
tes , prouvent en même tems qu'il y a
dans cet exercice literaire ou dans les métodes
vulgaires quelque chose d'étrange
et de contraire au naturel des enfans ; la
graOCTOBRE
. 1730. 2133
gramaire des écoles et leur maniere d'enseigner
la langue latine ont quelque chose
de rebutant et de peu convenable à
l'age et à la portée des enfans ; les rudimens
vulgaires sont ordinairement trop
abstraits ; il faut du sensible , et c'est ce
qu'on pouroit faire dans un rudiment
pratique j'en done l'essai en atendant
qu'un gramairien filosofe et métodiste
veuille bien y travailler lui mème , pendant
que d'autres latinistes s'amuseront
à augmenter le nombre des pieces d'éloquence
qui expirent en naissant , come
celes de téatre qu'on ne represente qu'une
fois.
n'en
On reprend mile et mile fois un enfant
sur la mème regle avant que de le
metre en état de ne plus faire le mème
solecisme : d'où vient cela ? est - ce faute
de mémoire ? les enfans , dit on ,
manquent pas ; ils aprènent facilement
par coeur des centaines de vers et de régles
; il faut donc conclure qu'aprendre
par coeur une régle , ou la metre en pratique
, sont deus choses très diferentes ;
l'une ne dépend que de la mémoire , et
l'autre dépend de l'aplication et de la sagacité
d'un home fait : je l'ai dit bien des
fois ; on peut savoir les régles d'aritmé
tique , d'algebre , 'de géometrie , de logique
etc. et ètre très ignorant dans la pratique
2134 MERCURE DE FRANCE
tique de ces mèmes régles : pourquoi
donc demander tant de sience pratique
dans un enfant qui n'a encore perdu que
sis mois ou un an à aprendre par coeur
quelques régles de gramaìre latine ? n'est
ce pas ignorance ou injustice d'atendre
et d'exiger d'un enfant l'éfort de genie
dont nous somes souvent incapables nous
mèmes.
A l'exemple des prédicateurs , je redis
souvent les mèmes choses , et je risque
come eus de ne persuader que peu de
persones. J'ignore le sort et le succès de
cet ouvrage ,
il me sufit le
pour present
de voir que mon déssein est louable et
utile , et de souhaiter , si cela est vrai ,
que le public en pense de mème. Il semble
que peu à peu je m'éloigne de mon sujet ,
quoique je ne perde jamais de vue la meilleure
route à suivre pour avancer les enfans
dans les exercices literaires . Je reviens
donc aus jeus de cartes : on peut
en doner pour les déclinaisons des noms
grecs , come pour cèles des noms latins ;
on peut doner sur des cartes la liste des
mots latins que l'enfant sait , et y metre
le grec au lieu du françois. Dans la suite
on poura y metre le mot ebreu il ne
s'agit d'abord que de lire ; mais à force
de lecture , l'enfant aprend les termes en
l'une & en l'autre langue , come il aprend
sa
OCTOBRE. 1730. 213.5
sa langue maternele à force d'actes réiterés
, et c'est à quoi les maîtres ne font
pas assés d'atention . On poura aussi metre
sur la longueur des cartes , et en trois
colones , le positif , le comparatif, et le
superlatif de quelques adjectifs réguliers,
et ensuite des réguliers de plusieurs
langues , et toujours simplement pour li
re et pour composer sur le bureau tipografique
, afin que l'enfant comance de
bone heure à voir et à sentir un peu le
raport , le genie , et l'esprit diferent des
langues sur chaque partie d'oraison .
Quand on voudra tenir dans une mème
logete du dictionaire des mots latins , des
mots françois , des mots grecs , et des
mots ebreus on poura , come il a été
dit , séparer les especes diferentes avec de
doubles , de triples cartes , ou de petits
cartons afın l'enfant
que puisse tenir en
ordre et trouver plus facilement toutes les
cartes dont il aura besoin , ainsi qu'on l'a
pratiqué pour séparer les cartes des letres
noires et des letres rouges lorsqu'on a été
obligé de les tenir dans le même trou ,
et que l'on a voulu multiplier la casse de
l'imprimerie pour l'usage du françois
du latin , du grec , de l'ebreu , de l'arabe
etc.
>
>
Quoique l'enfant soit en état d'expliquer
un livre , et de faire la plume à la
main
2136 MERCURE
DE FRANCE
main , un petit tème de composition en
latin , il ne doit pas pour
cela renoncer
à l'exercice du bureau tipografique ; il
poura y travailler seul pendant l'absence
du maître , et suivre pour le grec et l'ebreu
la métode pratiquée pour le latin :
c'est le moyen le plus facile pour faire
entretenir la lecture et l'étude de ces
quatre langues, et pour s'assurerdel'ocupation
d'un enfant , bien loin de l'abandoner
à lui mème et à l'oisiveté trop tolerée
dans enfance ; cète oisiveté produit
la fainéantise et le dégout , pour ne
pas dire l'aversion invincible que
que font
roitre pour l'étude la plupart des enfans
livrés à des domestiques. Tel parle ensuite
de punir les enfans, qui est plus coupable
qu'eus , faute de s'y être pris de bone
heure et d'une maniere plus judicieuse.
Quand on veut redresser un arbre , ou
dresser un animal , on , on profite de leurs
premieres anées : pourquoi ne fait on pas
de mème à l'égard des enfans ? à quoi
veut on les ocuper depuis deus jusqu'à
sis & sèt ans ? c'est là le premier , le vrai,
et souvent l'unique tems qui promete ,
qui produise , et qui assure les succès et le
fruit de l'éducation tant desirée par les
parens.
pa-
Tout le monde convient assés que les
études de colege se réduiroie ntàpeu de
chose
OCTOBRE. 1730. 2137
:
chose si l'on n'avoit ensuite l'art ou la
maniere d'étudier seul avec le secours des
livres et la conversation des savans , il est
donc très important de doner de bone
heure à la jeunesse cet art d'étudier seul,
et enfin ce gout pour les livres et pour
les savans , gout que peu d'écoliers ont
au sortir des classes : ils n'aspirent la plupart
qu'à ètre delivrés de l'esclavage , et
à sortir de leur prétendue galère d'où
peut donc naitre une si grande aversion ?
ce ne sauroit ètre le fruit d'une noble
émulation : mais d'où vient d'un autre
coté que les études domestiques et particulieres
ne produisent pas , ce semble
dans les enfans le dégout que produisent
l'esprit et la métode des coleges ? bien des
enfans au sortir des classes vendent ou
donent leurs livres come des meubles inu-.
tiles et des objets odieus ; ceus qui étudient
dans la maison paternele raisonent
un peu plus sensément , et ne regardent
ordinairement come un martire leurs
exercices literaires ; ils conoissent un peu
plus le monde dans lequel ils vivents au
lieu les enfans des coleges regardent
que
souvent come un suplice d'ètre obligés
de vivre ensemble sequestrés loin du monde
; ils n'ont de bon tems selon eus que
celui du refectoir , de la recréation et de
l'eglise ; ils trouvent mauvais qu'on les
pas
B aille
2138 MERCURE DE FRANCE
aille voir pendant leur recréation ; ils
aiment mieus qu'on les demande pendant
qu'ils sont en classe , afin d'en abreger le
tems ; un enfant qui travaille au bureau
tipografique est animé de tout autre esprit
quèle est donc la cause de cète
grande diference ? la voici :
Si avant que d'envoyer un enfant aus
écoles et en classe , sous pretexte de jeunesse
, de vivacité et de santé , on lui a
laissé aprendre pendant bien des anées le
métier de fainéant , de vaurien et de petit
libertin , il n'est pas extraordinaire de
trouver qu'ensuite il ne veuille pas quiter
ses habitudes , ni changer ses amusemens
frivoles pour d'autres exercices plus
penibles ou moins agréables . On met souvent
et avec injustice sur le conte des coleges
la faute des parens qui n'envoient
leurs enfans en cinquième ou en quatrième
qu'à l'age de 13 à 14 ans , age où ils
se dégoutent facilement des études , et où
ils sentent la honte de se voir au milieu
de bien des écoliers plus petits , plus
jeunes et plus avancés qu'eus. Chacun sait
que quand on veut élever des animaus
ou redresser des plantes , il faut s'y prendre
de bone heure : ignore t'on que c'est
aussi la vraie et la seule manière de réussir
dans l'éducation des enfans le jeu du
bureau tipografique done cète manière
dans
?
OCTOBRE. 1730. 2139
› dans toute son étendue ; il amuse il
instruit les enfans , et les met en état de
faire plu-tot leur entrée honorable au pays
latin , et d'y gouter avec plus de fruit et
moins d'ennui les bones instructions des
habiles maîtres ; enfin le bureau est le
chemin qui conduit à la porte des écoles
publiques , et le bureau formera toujours
de bons sujets capables de faire honeur
aus parens , aus regens , aus coleges et à
l'état. Je n'entre point ici dans la question
indecise sur la préference des éducations
publiques ou particulieres ; on peut
lire là dessus les principaus auteurs qui en
ont parlé depuis Quintilien jusqu'à M.
Rollin et à M. l'abé de S. Pière. Mais
on ne sauroit disconvenir de la necessité
et de l'utilité des écoles publiques ; il
semble mème qu'en general les enfans
destinés à l'eglise ou à la robe devroient
tous passer par les coleges : à l'égard des
gens d'épée ou des enfans destinés à la
guère , il me semble que pour les bien
élever on pouroit s'y prendre d'une autre
manière , et en atendant l'établissement
de quelque colege politique et militaire
, la pratique du bureau me paroit
la meilleure à suivre ; elle abregera bien
du tems à la jeune noblesse , et lui permetra
l'étude de beaucoup de choses inutiles
à un prètre , à un avocat et à un me
Bij decia
2140 MERCURE DE FRANCE
decin , mais qu'il est honteus à un guerier
d'ignorer ; c'est pourquoi je me flate
que la métode du bureau tipografique
sera tot ou tard aprouvée non seulement
des gens du monde , mais encore des plus
savans professeurs de l'université , suposé
qu'ils veuillent bien prendre la peine
d'en aler voir l'usage et l'exercice dans
un de leurs fameus coleges . Si après cela ,
quelque persone desaprouve le ton de
confiance que l'amour du bien public et
de la verité me permet de prendre , j'avoûrai
ingénûment ma faute devant nos
maitres qui enseignant les letres font aussi
profession de cète mème verité ; et je
soumets dès à present avec une déference
respectueuse mes idées et mes raisonemens
à leur examen et à leur décision.
Pour revenir à la métode du bureau
je dis donc qu'èle est propre à doner du
gout pour l'étude , à metre bientot un
enfant en état de travailler seul avec les
livres , avantage si considerable qu'il n'en
faudroit pas d'autres pour lui doner la superiorité
sur toutes les métodes vulgaires.
On comence de bone heure à lui montrer
les letres , les sons , l'art d'épeler
de lire et de composer sur le bureau ; on
lit avec lui , on s'assure peu à peu de
l'intelligence de l'enfant , on l'instruit ,
on l'interoge à propos , on lui ' faît un
jeu
OCTOBRE . 1730. 214: 1
jeu et un vrai badinage de toutes les
questions , on lui enseigne la maniere de
fe fervir des livres françois , et sur tout
des tables des livres qui servent d'introduction
à l'histoire , à la géografie , à la
cronologie , au blason , et enfin aus siences
et aus arts dont il faut avoir quelque
conoissance , come des livres d'élemens
de principes , d'essais , de métodes , d'instituts
, afin de pouvoir passer ensuite aus
meilleurs traités des meilleurs auteurs
sur chaque matière , mais principalement
sur la profession qu'un enfant doit embrasser
, et à laquelle on le destine . Les
savans se fesant toujours un plaisir de
faire part de leurs lumières à ceus qui
les consultent , on ne doit jamais perdre
l'ocasion favorable de les voir et de les
entendre. Quand les parens au reste en
ont les moyens , ils ne doivent jamais
épargner ce qu'il en coute pour choisir
et se procurer les meilleurs maîtres , er
tous les secours possibles dans quelque
vile que l'on se trouve , cela influe dans
toute la vie qui doit être une étude continuèle
, si l'on veut s'aquiter de son devoir
, de quelque condition que l'on soit,
et quelque profession que l'on ait embrassée.
Je fuis etc.
Caries pour l'essai du rudiment pratique
de la langue latine , &c.
J'
'Aprens avec bien du plaisir,Monsieur,
que vous ètes à present un peu au fait
du bureau tipografique . L'auteur donera
encore bien des reflexions et des instruc-
A iij
tions
2118 MERCURE DE FRANCE
tions préliminaires sur la suite de l'atirail
literaire d'un enfant ; et le livre sur les
cinquante leçons des trois A , B , C latins
achevera de mètre cette métode dans
un plus grand jour : en atendant ce petit
ouvrage, voici quelques reflexions sur l'usage
des cartes , pour le rudiment pratique
de la langue latine. C'est l'auteur qui
parle.
La métode que j'ai donée pour montrer
les premiers élémens des lètres à un enfant
de 2 à 3 ans , peut également servir pour
lui enseigner ensuite les rudimens pratiques
de la langue latine ou de quelque
autre langue. Il faut toujours continuer
l'usage inftructif des cartes , et varier ce
jeu de tant de manieres , que l'enfant puisse
aprendre beaucoup en ne croyant que se
divertir. Ceus qui feront l'essai de ce jeu.
literaire en conoitront bientot l'utilité.
On a de la peine à s'écarter des vieilles
routes , et à s'éloigner des ancienes méto
des . On montre come l'on a été enseigné
soi-même , et l'on croit ordinaire-,
ment avoir été bien enseigné. Un sofisme
trivial d'autorité et d'imitation tient lieu
de raison : on suit aveuglément la pratique
des autres , au lieu de prendre de
tems en tems des voies diferentes. Que
risqueroit on dans cet essaì ? De perdre
tout au plus quelques anées : on auroit
cela
OCTOBRE . 1730. 2119
cela de comun avec la plupart des écoliers
enseignés selon les métodes vulgat→
res . Mais bien loin de perdre son tems
sans avoir apris ni les choses , ni la maniere
de les étudier , on sera étoné de voir
la rapidité des progrès d'un enfant exercé
suivant la métode du bureau tipografique.
On trouve bien des écoliers qui aïant
étudié des dis et douse ans sous d'habiles
maîtres , travaillé jour et nuit pour
ètre des premiers de leur classe , reçu
bien des pris et des aplaudissemens ; ne
laissent pas néanmoins ensuite de s'apercevoir
de leur ignorance et qu'ils ont mal
employé le tems pendant le long cours de
leurs classes. On doit conciure , par respect
pour les regens , qu'abusés par les métodes
ordinaires , l'abus passoit ensuite sur
leurs écoliers ; le tout de bone foi de la
part des uns , et selon le préjugé de la
part des autres. On se passione ordinairement
contre toutes les nouveles métodes ;
on les condane par provision et sans aucun
examen. Est - ce injustice , est- ce ignorance
; c'est peut-ètre quelquefois l'un et
l'autre ensemble.
Pour faire usage des cartes , on doit les
numeroter
, chifrer ou coter ,
chifrer ou coter , come étant
les feuillets
du livre de l'enfant : ce chifre
sert à ranger les cartes selon le jeu de la
A iiij
suite
2120 MERCURE DE FRANCE
suite grammaticale de l'article , des déclinaisons
, des noms , et des pronoms , et
de la conjugaison du verbe substantif
Sum ( je suis ), et des autres verbes qu'on
trouvera dans l'essal du rudiment pratique.
L'enfant aprendra donc à ranger sur
quelque table les déclinaisons et les conjugaisons
, mais il est mieus qu'il aprene
à les ranger sur le bureau tipografique.
On poura batre et mèler de tems en tems
ces petits jeus de cartes , afin que l'enfant
s'exerce à les remetre lui - mème dans
leur ordre ; ce qu'il fera aisément par le
moyen des chifres dont elles sont marquées.
Il faut qu'il lise ou recite ces cartes
à mesure qu'il les rangera ; et l'on aura
soin de lui doner en abregé les termes de
singulier, pluriel , nominat. gen. dat. ac.
voc. ablat. par les seules letres initiales :
S. P. N. G. D. A.V. Ab . metant sur une
carte en sis colones , les nombres , les cas ,
le mot latin , & c. en sorte que tout parolsse
distingué par les colones , les couleurs
, ou la diference des caracteres
Nom . Lun-a la Lune.
Gen. Lun- a de la Lune.
Dat. Lund à la Lune,&c.
Un enfant peut ensuite décliner les
cinq paradigmes des déclinaisons ou les
seules
OCTOBRE . 1730. 2121
seules terminaisons latines , tantot avec
françois , tantot sans françois , pour va
rier le jeu et se rendre plus fort sur cet
exercice ; il pratiquera la mème chose
pour le jeu des pronoms et des nombres.
Il faudra aussi imprimer ou écrire en
abregé sur des cartes les termes des tems,
des modes , des gerondifs , des supins , et
des participes ; les terminaisons actives et
passives des verbes latins et des verbes
françois , de mème que l'on a doné les
terminaisons des noms et des pronoms ;
ce qui joint à la totalité des combinai
sons des lètres , des sons , des chifres , et
des signes dont on se sert pour la ponctuation
, l'accentuation et la quantité ,
done l'abondance necessaire pour la casse
de l'imprimerie ; ainsi qu'onpoura le voir
dans la planche gravée exprès , et dans
l'article de la garniture du bureau .
>
Pour varier les jeus de cartes on poura
doner celui des déclinaisons avec les
scules terminaisons des cas , le mot latin
et le mot françois étant mis seulement
une fois come un titre , au haut de la
carte, partagée en deus colones , une moitié
pour le sing. et l'autre pour le plur.avec
l'article ou sans l'article pour les noms et
pour les pronoms. Exemple ,
A v Rofa
2122 MERCURE DE FRANCE
Rofa
Sing.
N ...
·
• a
la rose.
Plur.
arum
G.
D.
·
A.
V
&
am as ....
a
â is Ab ...
On fera la mème chose pour les tems
de l'Indicatif et du Subjonctif des verbes
, ne metant le françois qu'à la premiere
persone.
IND .
Pref.
SUB J.
S. S.
Amo , j'aime
Amem , que j'aime,
as
es
et at
P.
amus
atis
ant
P.
emus
etis
ent
Ces jeus de cartes doivent aussi ètre numerotés,
afin que l'enfant puisse les ranger
en une seule colone , les voir d'un coup
d'euil et les lire ou les reciter facilement
de suite , à mesure qu'il les rangera sur la
table du bureau , ou qu'il les parcoûra les
tenant dans sa main. Quand l'enfant saura
bien
OCTOBRE. 1730 , 2123
bien les terminaisons des noms et des
verbes , il déclinera et conjuguera tous
les mots qu'on lui donera. On ne sauroit
trop insister sur cet article , et l'on
poura pour lors se servir utilement des
tables analitiques et à crochets , faites
pour faciliter l'usage des declinaisons et
des conjugaisons , et pour orner le cabinet
d'un enfant .
Lorsqu'on voudra interoger l'écolier
sur les déclinaisons et sur les conjugaisons
, il ne faut pas suivre la métode
peu judicieuse de ces maitres qui demandent
trop tot , par exemple : Coment fait
Musa à l'acusatif plur? Quel est le genit.
plur. de Dominus ? Quelle est la troisiéme
persone du futur indicatif du verbe Amo ?
coment dit-on en latin , ils auroient aimé ?
&c. Ceux-là ne raisonent pas mieus , qui
demandent aus enfans : Combien y a -t - il
de sortes de noms ,
pronoms , de verbes ,
&c. Combien y a-t- il de terminaisons à la
troisiéme déclinaison , &c. Il est visible
que ces questions sont inutiles et hors la
portée d'un petit enfant . D'ailleurs c'est
une erreur de s'imaginer que parce qu'un
enfant aura apris par coeur et de suite un
rudiment latin françois pour la version
, il doiveensuite répondre sur le
champ à des questions détachées ; ou , ce
qui est encore plus dificile , à des quesde
A vj
tions
2124 MERCURE DE FRANCE
tions qui regardent la composition ; il
faudroit pour cet éfet qu'il ût vu et étudié
un rudiment françois- latin , et encore
seroit - il embarassé pour répondre
sur des questions détachées ou de purc
téorie: il est surprenant de voir que l'expérience
n'alt pas désabusé la plupart des
måltres.
Pour examiner un enfant et l'interoger
à propos , il faut lui faciliter la rêponse
, autrement cela le dégoute et le
dépite. On preche trop tot aus enfans la
doctrine de téorie ; on insiste mème trop
là dessus , il sufit de la debiter dansa
pratique et d'en faire sentir pour lors l'usage
et l'aplication ; l'experience demontre
la verité de cete remarque. On peut
aisément embarasser non seulement un
enfant , mais un savant , s'il est permis
d'interoger à sa fantaisie. Ce que je dis à
l'égard des noms , des pronoms , et des
verbes , n'est pas moins vraì à l'égard des
genres , des déclinaisons , des conjugalsons
, de la sintaxe , de toute la grammaire
, et mème de toutes les siénces : savoir
une regle par coeur , la chose est aisée ;
en faire l'aplication , c'est l'éfort de l'esprit
humain. Bien des savans latinistes
seroient peut être embarassés sur le champ,
si on leur demandoit , par exemple :
Quelle est la treisième lètre de l'A , B , C ;
pourquoi
OCTOBRE. 1730. 2125
pourquoi les anciens ont mis le B après l'A
dans l'ordre des lètres pourquoi les mots
dies , facies , &c. ont été apelés de la cinquième
declinaison ; pourquoi l'on a choisi
pour l'exemple de la premiere conjugaison ,
le verbe amo ( j'aime ) , plutôt que canto
(je chante) où le pronom je est sans élision;
ce que fignifient les mots gerondifs, supins .
&c. on doit donc menager un peu plus
les enfans.
Dès que l'enfant a décliné et conjugué
avec des cartes , selon le jeu du rudiment
pratique , il lui sera aisé de composer
sur la table du bureau les tèmes
qu'on lui donera mot à mot sur des cartes
, selon la métode des textes interlinaires
, le françois en noir , et le latin en
rouge , en caractere italique , et encore
mieus , en caractere de bèle écriture pour
instruire et disposer utilement l'imagination
de l'enfant , en atendant qu'il
aprene à former sur le papie. les caracteres
avec lesquels il se sera familiarisé
sur la table de son bureau . C'est pour
lors que l'enfant comencera à se servir
des terminaisons des noms , des pronoms,
et des verbes , en atendant le dictionaire
fait aussi en colombier , dans les
celules duquel on metra les mots écrits.
sur autant de cartes seulement quand
l'enfant en aura besoin ; c'est - à - dire D.
qu'il
2126 MERCURE DE FRANCE
qu'il verra croitre et augmenter son dictionaire
à mesure qu'il croitra lui- mème
en age et en sience , et à mesure qu'il
aprendra sa propre langue.
>
Quoique l'enfant ait le latin de son
tème sur une carte , il ne laisse pas de
faire un exercice qui aproche de la veritable
composition ; car s'il a , par exemple
, dans son tème oramus deum , il
trouvera le mot oro dans la logete des
verbes de la colone O , et le mot deus
à la logete des noms apellatifs de la colone
D; mais il sera obligé de chercher
et de prendre amus dans la logète des
tems où des terminaisons des verbes , etc.
ce que l'on vèra d'une manière sensible
au bas de la planche que j'ai fait graver
exprès. Les cartes des logetes étant étiquetées
, l'enfant aprend d'abord par pratique
et par sentiment le jeu des déclinaisons
, des conjugaisons , et des parties d'oraison
, et se met par là en état de passer
bientot à l'explication d'un texte aisé ,
ou de ses propres tèmes , dont le françois
et le latin sont copiés mot à mot
P'un sous l'autre , et ensuite recopiés sans
aucun françois sous le latin.
L'on peut prendre pour texte des tèmes
, l'abregé historique de la bible , l'abregé
du petit catechisme historique et
de la doctrine cretiène , en latin et en
françois
OCTOBRE . 1730. 2127
françois , l'apendix de la fable du pere
de Jouvenci , l'extrait du Pantheum du
P. Pomey . On poura aussi prendre des
tèmes dans le rudiment pratique sur les
parties d'oraison , en choisissant toujours
les mots du plus grand usage. Les Au
teurs expliqués et construits selon la métode
de M. du Marsais seront d'un grand
secours au comancement pour la lecture
pour l'explication , et pour la composition
dans les deus langues.
termes , pour
D
En suivant la métode du bureau tipografique
, un enfant se voit bientot en
état d'expliquer le latin du nouveau testament
et de l'imitation de Jesus - Christ ;
ce latin sufit pour doner l'abondance des
former l'oreille aus terminaisons
des noms , des pronoms ,, des verbes
, etc. sans que l'on doive craindre
l'impression de la mauvaise latinité sur
l'oreille d'un enfant qui n'est ocupé qu'à
retenir des mots et nulement à charger
sa mémoire d'un stile ou d'un genie auquel
il n'est pas encore sensible ; car je
parle d'un enfant de quatre à cinq ans ,
et quand il en auroit davantage , le nouveau
testament et l'imitation de Jesus-
Christ ne sont pas indignes de ce petit
sacrifice , malgré la fausse délicatesse de
certains, latinistes qui en fesant parade de
leur esprit , manquent souvent de jugement.
On
2128 MERCURE DE FRANCE
On trouvera dans peu l'enfant assés
fort pour lui faire entreprendre la lecture
et la version des fables de Phèdre
dont le texte est numeroté pour la construction
des parties d'oraison ; ou bien
pour lui faire expliquer les textes interlineaires
et construits selon le métode de
M. du Marsais ; l'experience de cet exercice
sur un enfant de cinq à sis ans qui
voyoit Phèdre pour la segonde fois , m'oblige
d'en conseiller l'essai et la pratique
aus maitres non prévenus. Quand je dis
néanmoins que cète métode est simple et
aisée , cela doit s'entendre des principes
dont elle fait usage : la composition et la
multiplicité des outils literaires divertit
et instruit l'enfant ; la peine ne regarde
le maitre et l'ouvrier de tout l'atirail
que l'on done à l'écolier : il n'y est lui
que pour le plaisir varié et instructif de
passer agréablement d'un objet à un autre
en changeant de cartes , de jeu , et de sujet;
ce qui est d'un mérite conu du seuł
artisan et des seuls témoins capables de
juger de l'ouvrage et des progrès . Un
livre alarme un enfant , au lieu que par le
jeu des cartes il ne voit que les pages des
leçons courantes , il forme son livre luimème
, ce qui augmente sa curiosité
bien loin de le dégoûter.
que
Beaucoup de maitres blament cependant
OCTOBRE . 1730. 2129
›
dant l'usage des textes interlinéaires ou
des textes construits et numerotés , et
pretendent que l'esprit des enfans aïant
moins à faire , cela les retarde de beaucoup
: les persones rigides qui veulent
laisser toutes les dificultés aus enfans,bien
loin de leur en épargner ou diminuer
quelqu'une , ne craignent èles pas de les
trop fatiguer, et de les rebuter ? le fruit des
colèges et du grand nombre en
peut décider
; il est plus aisé de blamer l'usage
de certaines métodes , que d'en inventer
de meilleures . On peut voir là dessus ce
qu'en a écrit M. du Marsais dans l'exposition
de sa métode raifonée , et faire en
mème tems réflexion que les métodes interlineaires
ont toujours été utilement
pratiquées , non seulement pour des en-
Fans , mais pour des homes , quand on a
voulu abreger la peine à ceux qui étudient
quelque langue morte ou vivante .
Nous avons l'ancien testament avec l'interpretation
en latin mot à mot sous l'ebreu
; nous avons de mème le nouveau
testament grec & latin , une langue sous
l'autre mot à mot : j'ai vu une gramatre
imprimée à Lisbone en 1535 dans laquèle
le latin et le portugais , et ensuite l'espagnol
et le portugais , sont une langue
sous l'autre. On a autrefois imprimé à
Strasbourg le parlement nouveau ou centurie
2130 MERCURE DE FRANCE
rie interlinéaire de DANIEL MARTIN LINGUISTE
, dans lequel livre on trouve l'aleman
pur dans une colone et le pur
françois dans l'autre , avec le mot aleman
sous chaque mot françois , et c'est peut
ètre ainsi qu'on devroit le pratiquer ou
l'essayer quelquefois pour la langue latine
, en métant le mot françols du dictionaire
sous chaque mot du pur texte
latin , ce qui au comancement épargneroit
à l'enfant le tems qu'il perd à chercher
les mots dans un dictionaire : exem
ple :
Numquam est fidelis cum potente focietas.
Jamais ètre fidele avec puissant societé.
Si des Téologiens ont cru tirer quel
que utilité de la glose ordinaire de la
bible de Nicolas de Lira , et de l'interprétation
interlinéaire d'Arias Montanus,
pourquoi les enfans doivent ils ètre privés
des livres classiques à glose interlinéaire
s'il est permis de condaner un
usage parcequ'il ne produit pas toujours
le bon éfet dont on s'étoit flaté , il y en
aura bien peu à l'abri de cète critique :
les écoles publiques ne produisent pas
des éfets proportionés au cours des anées
d'étude. S'agit il de nouvele métode , on
deOCTOBRE.
1730. 2131
demande à voir des exemples dans une
pratique continuée : nous en voyons tous
les jours de ces exemples dans les écoles
et dans les coleges ; le grand nombre des
écoliers. ne profite pas ; on auroit tort
cependant d'en conclure l'inferiorité des
éducations publiques ou la superiorité
des éducations particulieres. Il faut com
parer, raisoner, et examiner avant que de
prononcer pour ou contre une métode
qui regarde le coeur et l'esprit.
On poura voir les ouvrages de M. du
Marsals sur les articles 52 & 53 des mémoires
de Trévoux du mois de mai 1723
au sujet de l'interprétation interliné re
page 35. Nous avons aussi , dit ce filosofe
gramairien , quelques interprétations inter
linéaires du latin avec le françois , entr'autres
cèle de M. Waflard , fous le titre de
Premiers fondemens de biblioteque royale
à Paris chés Boulanger , dans les premieres
anées de la minorité de LourS
XIV. mais ces traductions sont fort mal exe•
cutées dans un petit in 12 ° , où les mots sont
fort prèssés , et où le françois qui n'eft qưéquivalant
ne fe trouve jamais juste sous le
latin. Il en est de mème de la version interlinéaire
des fables de Fédre , imprimée en
1654 , chés Benard , libraire du colege des
RR. P P. Jesuites &c.
›
C'est aux maitres au reste à voir
quand
2132 MERCURE DE FRANCE
quand il faudra oter à un enfant les gloses
interlinéaires : le plu-tot ne sera que
le mieus , si l'écolier peut s'en passer. La
pratique et l'experience guideront plus
surement que les vains raisonemens sur
cet exercice. Lorsque l'enfant faura expliquer
un texte construit ou numeroté
pour la construction , il faut quelques
jours après lui redoner le mème texte
qui ne soit ni construit ni numeroté : c'est
le moyen de juger des progrès de l'enfint,
et de l'utilité des textes interlinéaires ,
ou de la glose proposée et pratiquée pour
les premiers livres classiques que l'on fait
voir à un enfant ; la glose paroit plus necessaire
dans une classe de cent écoliers
pour un seul regent que dans une chambre
où l'enfant a un maitre pour lui seul .
C'est pourtant le regent à la tète de cent
écoliers qui afecte de mépriser le secours
de la glose interlinéaire , pendant qu'un
precepteur s'en acomode chargé d'un
seul enfant ; est - ce sience ou vanité dans
l'un , et paresse ou ignorance dans l'autre ?
La repugnance et le dégout que font
paroitre la plupart des enfans dans l'étude
du latin , du grec, et des langues mor
tes , prouvent en même tems qu'il y a
dans cet exercice literaire ou dans les métodes
vulgaires quelque chose d'étrange
et de contraire au naturel des enfans ; la
graOCTOBRE
. 1730. 2133
gramaire des écoles et leur maniere d'enseigner
la langue latine ont quelque chose
de rebutant et de peu convenable à
l'age et à la portée des enfans ; les rudimens
vulgaires sont ordinairement trop
abstraits ; il faut du sensible , et c'est ce
qu'on pouroit faire dans un rudiment
pratique j'en done l'essai en atendant
qu'un gramairien filosofe et métodiste
veuille bien y travailler lui mème , pendant
que d'autres latinistes s'amuseront
à augmenter le nombre des pieces d'éloquence
qui expirent en naissant , come
celes de téatre qu'on ne represente qu'une
fois.
n'en
On reprend mile et mile fois un enfant
sur la mème regle avant que de le
metre en état de ne plus faire le mème
solecisme : d'où vient cela ? est - ce faute
de mémoire ? les enfans , dit on ,
manquent pas ; ils aprènent facilement
par coeur des centaines de vers et de régles
; il faut donc conclure qu'aprendre
par coeur une régle , ou la metre en pratique
, sont deus choses très diferentes ;
l'une ne dépend que de la mémoire , et
l'autre dépend de l'aplication et de la sagacité
d'un home fait : je l'ai dit bien des
fois ; on peut savoir les régles d'aritmé
tique , d'algebre , 'de géometrie , de logique
etc. et ètre très ignorant dans la pratique
2134 MERCURE DE FRANCE
tique de ces mèmes régles : pourquoi
donc demander tant de sience pratique
dans un enfant qui n'a encore perdu que
sis mois ou un an à aprendre par coeur
quelques régles de gramaìre latine ? n'est
ce pas ignorance ou injustice d'atendre
et d'exiger d'un enfant l'éfort de genie
dont nous somes souvent incapables nous
mèmes.
A l'exemple des prédicateurs , je redis
souvent les mèmes choses , et je risque
come eus de ne persuader que peu de
persones. J'ignore le sort et le succès de
cet ouvrage ,
il me sufit le
pour present
de voir que mon déssein est louable et
utile , et de souhaiter , si cela est vrai ,
que le public en pense de mème. Il semble
que peu à peu je m'éloigne de mon sujet ,
quoique je ne perde jamais de vue la meilleure
route à suivre pour avancer les enfans
dans les exercices literaires . Je reviens
donc aus jeus de cartes : on peut
en doner pour les déclinaisons des noms
grecs , come pour cèles des noms latins ;
on peut doner sur des cartes la liste des
mots latins que l'enfant sait , et y metre
le grec au lieu du françois. Dans la suite
on poura y metre le mot ebreu il ne
s'agit d'abord que de lire ; mais à force
de lecture , l'enfant aprend les termes en
l'une & en l'autre langue , come il aprend
sa
OCTOBRE. 1730. 213.5
sa langue maternele à force d'actes réiterés
, et c'est à quoi les maîtres ne font
pas assés d'atention . On poura aussi metre
sur la longueur des cartes , et en trois
colones , le positif , le comparatif, et le
superlatif de quelques adjectifs réguliers,
et ensuite des réguliers de plusieurs
langues , et toujours simplement pour li
re et pour composer sur le bureau tipografique
, afin que l'enfant comance de
bone heure à voir et à sentir un peu le
raport , le genie , et l'esprit diferent des
langues sur chaque partie d'oraison .
Quand on voudra tenir dans une mème
logete du dictionaire des mots latins , des
mots françois , des mots grecs , et des
mots ebreus on poura , come il a été
dit , séparer les especes diferentes avec de
doubles , de triples cartes , ou de petits
cartons afın l'enfant
que puisse tenir en
ordre et trouver plus facilement toutes les
cartes dont il aura besoin , ainsi qu'on l'a
pratiqué pour séparer les cartes des letres
noires et des letres rouges lorsqu'on a été
obligé de les tenir dans le même trou ,
et que l'on a voulu multiplier la casse de
l'imprimerie pour l'usage du françois
du latin , du grec , de l'ebreu , de l'arabe
etc.
>
>
Quoique l'enfant soit en état d'expliquer
un livre , et de faire la plume à la
main
2136 MERCURE
DE FRANCE
main , un petit tème de composition en
latin , il ne doit pas pour
cela renoncer
à l'exercice du bureau tipografique ; il
poura y travailler seul pendant l'absence
du maître , et suivre pour le grec et l'ebreu
la métode pratiquée pour le latin :
c'est le moyen le plus facile pour faire
entretenir la lecture et l'étude de ces
quatre langues, et pour s'assurerdel'ocupation
d'un enfant , bien loin de l'abandoner
à lui mème et à l'oisiveté trop tolerée
dans enfance ; cète oisiveté produit
la fainéantise et le dégout , pour ne
pas dire l'aversion invincible que
que font
roitre pour l'étude la plupart des enfans
livrés à des domestiques. Tel parle ensuite
de punir les enfans, qui est plus coupable
qu'eus , faute de s'y être pris de bone
heure et d'une maniere plus judicieuse.
Quand on veut redresser un arbre , ou
dresser un animal , on , on profite de leurs
premieres anées : pourquoi ne fait on pas
de mème à l'égard des enfans ? à quoi
veut on les ocuper depuis deus jusqu'à
sis & sèt ans ? c'est là le premier , le vrai,
et souvent l'unique tems qui promete ,
qui produise , et qui assure les succès et le
fruit de l'éducation tant desirée par les
parens.
pa-
Tout le monde convient assés que les
études de colege se réduiroie ntàpeu de
chose
OCTOBRE. 1730. 2137
:
chose si l'on n'avoit ensuite l'art ou la
maniere d'étudier seul avec le secours des
livres et la conversation des savans , il est
donc très important de doner de bone
heure à la jeunesse cet art d'étudier seul,
et enfin ce gout pour les livres et pour
les savans , gout que peu d'écoliers ont
au sortir des classes : ils n'aspirent la plupart
qu'à ètre delivrés de l'esclavage , et
à sortir de leur prétendue galère d'où
peut donc naitre une si grande aversion ?
ce ne sauroit ètre le fruit d'une noble
émulation : mais d'où vient d'un autre
coté que les études domestiques et particulieres
ne produisent pas , ce semble
dans les enfans le dégout que produisent
l'esprit et la métode des coleges ? bien des
enfans au sortir des classes vendent ou
donent leurs livres come des meubles inu-.
tiles et des objets odieus ; ceus qui étudient
dans la maison paternele raisonent
un peu plus sensément , et ne regardent
ordinairement come un martire leurs
exercices literaires ; ils conoissent un peu
plus le monde dans lequel ils vivents au
lieu les enfans des coleges regardent
que
souvent come un suplice d'ètre obligés
de vivre ensemble sequestrés loin du monde
; ils n'ont de bon tems selon eus que
celui du refectoir , de la recréation et de
l'eglise ; ils trouvent mauvais qu'on les
pas
B aille
2138 MERCURE DE FRANCE
aille voir pendant leur recréation ; ils
aiment mieus qu'on les demande pendant
qu'ils sont en classe , afin d'en abreger le
tems ; un enfant qui travaille au bureau
tipografique est animé de tout autre esprit
quèle est donc la cause de cète
grande diference ? la voici :
Si avant que d'envoyer un enfant aus
écoles et en classe , sous pretexte de jeunesse
, de vivacité et de santé , on lui a
laissé aprendre pendant bien des anées le
métier de fainéant , de vaurien et de petit
libertin , il n'est pas extraordinaire de
trouver qu'ensuite il ne veuille pas quiter
ses habitudes , ni changer ses amusemens
frivoles pour d'autres exercices plus
penibles ou moins agréables . On met souvent
et avec injustice sur le conte des coleges
la faute des parens qui n'envoient
leurs enfans en cinquième ou en quatrième
qu'à l'age de 13 à 14 ans , age où ils
se dégoutent facilement des études , et où
ils sentent la honte de se voir au milieu
de bien des écoliers plus petits , plus
jeunes et plus avancés qu'eus. Chacun sait
que quand on veut élever des animaus
ou redresser des plantes , il faut s'y prendre
de bone heure : ignore t'on que c'est
aussi la vraie et la seule manière de réussir
dans l'éducation des enfans le jeu du
bureau tipografique done cète manière
dans
?
OCTOBRE. 1730. 2139
› dans toute son étendue ; il amuse il
instruit les enfans , et les met en état de
faire plu-tot leur entrée honorable au pays
latin , et d'y gouter avec plus de fruit et
moins d'ennui les bones instructions des
habiles maîtres ; enfin le bureau est le
chemin qui conduit à la porte des écoles
publiques , et le bureau formera toujours
de bons sujets capables de faire honeur
aus parens , aus regens , aus coleges et à
l'état. Je n'entre point ici dans la question
indecise sur la préference des éducations
publiques ou particulieres ; on peut
lire là dessus les principaus auteurs qui en
ont parlé depuis Quintilien jusqu'à M.
Rollin et à M. l'abé de S. Pière. Mais
on ne sauroit disconvenir de la necessité
et de l'utilité des écoles publiques ; il
semble mème qu'en general les enfans
destinés à l'eglise ou à la robe devroient
tous passer par les coleges : à l'égard des
gens d'épée ou des enfans destinés à la
guère , il me semble que pour les bien
élever on pouroit s'y prendre d'une autre
manière , et en atendant l'établissement
de quelque colege politique et militaire
, la pratique du bureau me paroit
la meilleure à suivre ; elle abregera bien
du tems à la jeune noblesse , et lui permetra
l'étude de beaucoup de choses inutiles
à un prètre , à un avocat et à un me
Bij decia
2140 MERCURE DE FRANCE
decin , mais qu'il est honteus à un guerier
d'ignorer ; c'est pourquoi je me flate
que la métode du bureau tipografique
sera tot ou tard aprouvée non seulement
des gens du monde , mais encore des plus
savans professeurs de l'université , suposé
qu'ils veuillent bien prendre la peine
d'en aler voir l'usage et l'exercice dans
un de leurs fameus coleges . Si après cela ,
quelque persone desaprouve le ton de
confiance que l'amour du bien public et
de la verité me permet de prendre , j'avoûrai
ingénûment ma faute devant nos
maitres qui enseignant les letres font aussi
profession de cète mème verité ; et je
soumets dès à present avec une déference
respectueuse mes idées et mes raisonemens
à leur examen et à leur décision.
Pour revenir à la métode du bureau
je dis donc qu'èle est propre à doner du
gout pour l'étude , à metre bientot un
enfant en état de travailler seul avec les
livres , avantage si considerable qu'il n'en
faudroit pas d'autres pour lui doner la superiorité
sur toutes les métodes vulgaires.
On comence de bone heure à lui montrer
les letres , les sons , l'art d'épeler
de lire et de composer sur le bureau ; on
lit avec lui , on s'assure peu à peu de
l'intelligence de l'enfant , on l'instruit ,
on l'interoge à propos , on lui ' faît un
jeu
OCTOBRE . 1730. 214: 1
jeu et un vrai badinage de toutes les
questions , on lui enseigne la maniere de
fe fervir des livres françois , et sur tout
des tables des livres qui servent d'introduction
à l'histoire , à la géografie , à la
cronologie , au blason , et enfin aus siences
et aus arts dont il faut avoir quelque
conoissance , come des livres d'élemens
de principes , d'essais , de métodes , d'instituts
, afin de pouvoir passer ensuite aus
meilleurs traités des meilleurs auteurs
sur chaque matière , mais principalement
sur la profession qu'un enfant doit embrasser
, et à laquelle on le destine . Les
savans se fesant toujours un plaisir de
faire part de leurs lumières à ceus qui
les consultent , on ne doit jamais perdre
l'ocasion favorable de les voir et de les
entendre. Quand les parens au reste en
ont les moyens , ils ne doivent jamais
épargner ce qu'il en coute pour choisir
et se procurer les meilleurs maîtres , er
tous les secours possibles dans quelque
vile que l'on se trouve , cela influe dans
toute la vie qui doit être une étude continuèle
, si l'on veut s'aquiter de son devoir
, de quelque condition que l'on soit,
et quelque profession que l'on ait embrassée.
Je fuis etc.
Fermer
Résumé : CINQUIÈME LÈTRE sur l'usage des Cartes pour l'essaì du rudiment pratique de la langue latine, &c.
Le texte présente une méthode pédagogique pour l'apprentissage de la langue latine à travers l'usage de cartes, adaptée aux enfants dès l'âge de 2 à 3 ans. Cette approche vise à rendre l'apprentissage ludique et efficace. Les cartes, numérotées et organisées, structurent l'apprentissage des déclinaisons, conjugaisons et autres éléments grammaticaux. L'enfant apprend à ranger et à réciter ces cartes, facilitant ainsi la mémorisation et la compréhension. L'auteur critique les méthodes traditionnelles, jugées inefficaces et trop théoriques, et prône une approche pratique et interactive. Les cartes sont également utilisées pour des exercices variés et progressifs, comme la déclinaison des paradigmes et la conjugaison des verbes. Elles servent aussi pour des exercices de composition et de version, en s'appuyant sur des textes historiques ou religieux. Cette méthode prépare l'enfant à des lectures plus complexes, comme le Nouveau Testament ou les fables de Phèdre, tout en évitant de surcharger sa mémoire. Le texte discute également des jeux de cartes pour rendre l'apprentissage plus agréable et instructif, permettant aux enfants de passer d'un sujet à un autre sans se lasser. Les livres peuvent alarmer les enfants, mais les cartes leur permettent de créer leur propre livre, augmentant ainsi leur curiosité. Certains maîtres critiquent l'usage des textes interlinéaires, mais l'auteur note leur utilité pour apprendre des langues mortes ou vivantes, citant des exemples comme l'Ancien et le Nouveau Testament avec des interprétations mot à mot. L'auteur critique les méthodes traditionnelles d'enseignement du latin et du grec, les trouvant trop abstraites et rebutantes pour les enfants. Il propose des rudiments pratiques et l'utilisation de cartes pour enseigner les déclinaisons et les adjectifs. Il insiste sur l'importance de commencer tôt l'éducation des enfants et de leur apprendre à étudier seul. Le texte compare également les écoles publiques et les éducations privées, notant que les premières ne produisent pas toujours des résultats proportionnés aux années d'étude. Il critique les méthodes vulgaires d'enseignement et propose des approches plus adaptées à l'âge et à la portée des enfants. Enfin, l'auteur souligne la différence entre apprendre par cœur des règles et les appliquer en pratique, insistant sur la nécessité de méthodes éducatives plus judicieuses dès le jeune âge.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
13
p. 2554-2576
SETIEME LETRE sur la bibliotèque des enfans, et sur l'atirail literaire du bureau tipografique.
Début :
MONSIEUR, Je n'aurois jamais osé doner dans le Mercure de France la suite de l'atirail literaire [...]
Mots clefs :
Enfants, Lettres, Latin, Méthode, Cartes, Mots, Français, Voyelle, Exercice, Apprentissage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SETIEME LETRE sur la bibliotèque des enfans, et sur l'atirail literaire du bureau tipografique.
SETIEME LETRE sur la bibliotèque
des enfans , et sur l'atirail literaire
du bureau tipografique.
MONSIEUR ,
Je n'aurois jamais osé doner dans le
Mercare de France la suite de l'atirail literaire
d'un enfant , si des pèrsones de
merite ne m'avoient fait remarquer que
ce journal étoit plus nécessaire et plus
instructif dans les provinces et dans les
patis étrangers que dans la capitale , et
que mon scrupule étoit mal fondé. Tous
les livres , m'a- t- on dit, ne peuvent ni ne
doivent ètre livres amusans , de mode
de
passage , et d'une seule espece de lec
teurs , come les voyages de Gulliver , etc.
I. Fel.
Votre
DECEMBRE. 1730. 2333
Votre ouvrage contient la premiere doc
trine , l'érudition élémentaire , cela sufit ,
m'a-t-on repliqué , pour justifier le motif
de vos petits essais literaires ; les parens
et les maîtres curieus en fait d'éducation
le penseront ainsi ,à Paris mème . Dailleurs
les provinces demandent des bureaus ; il
est donc mieus de leur donér la manière
de les faire faire chès eus à bon marché
que de les mètre dans la nécessité d'en
faire venir de plus chèrs , lentement et à
grans frais. Ces raisons m'ont facilement
détèrminé à tâcher de mètre le lecteur
atentif au fait de la construction , del'intelligence
, et de l'usage des petits meubles
literaires que je propose de livrér de
bone heure aus jeunes enfans , et aus autres
enfans de tout age qui ont le malheur
d'avoir été négligés ou retardés pendant
bien des anées.
§ . 1. Cassète abecédique , pour un enfant
de dens à trois ans , et de tout age.
La cassète abécédique , est le premier
meuble litéraire qu'il faudroit livrer à un
enfant de deus à trois ans . Cete cassète doit
ètre de carton; on peut la renforcer d'une
toile colée en dehors , et mètre des bandes
de parchemin à tous les angles exte
rieurs : la charniere de la cassète doit ètre
de toile , de parchemin , ou de peau , afin
A iiij qu'elle I. Vol.
2556 MERCURE DE FRANCE
qu'elle puisse resister aus mouvemens
Continuels ausquels elle sera exposée ..
Après avoir compassé , coupé , cousu
COlé
, et façoné cète cassète , il faudra l'habiller
de lètres , et de silabes ; enjoliver
tous les coins et toutes les bordures avec
du papier doré , marbré , ou tel autre
qu'on voudra y mètre , pour marquer le
quaré , ou le cadre des faces de la cas
sète. On donera au comancement de l'A
B , C latin , et en petit caractère , la
feuille des premières combinaisons élémantaires
, qu'il faudra faire imprimer
d'un caractère proportioné à la grandeur
de la cassète. Cète feuille est , pour ainsi.
dire , l'abrégé de l'a ,b, c latin , et l'on ne
sauroit y tenir un petit enfant trop lontems
pourvu qu'on ait soin de lui faire
lire sur sa cassète les combinaisons , non
seulement de gauche à droite , mais encore
de droite à gauche ; de haut en bas ,
et de bas en haut , ou en colones , etc.
Le premier des deus petits cotés à
droite , contient les lètres du grand A,B,
C latin , avec leur dénomination , ou le
nom doné et preté à chaque consone pour
rendre selon cète nouvèle métode l'art.
de lire plus aisé : On met donc dans ce
quaré de la cassète , n ° . 1. les voyèles
grandes et petites , et les lètres capitales.
avec leurs noms , Aa , Ee , Ii , Oo ,
I.Vok U u
DECEMBRE. 1730. 2357
3
U u. A , Be , Ceke , De , E , Fe , etc.
que
Le segond des deus petits cotés de la
cassète , à gauche , contient le petit a , b,c
latin , à coté du grand , lètre à lètre ; afin
l'enfant qui conoit bien les grandes
lètres , puisse facilement et presque de lui
mème aprendre ensuite à distinguer les
petites : On met donc , n ° . z . A a , Bb ,
Cc , Dd , etc. on y ajoute les principales
Higatures , les lètres doubles , et quelques
abreviations , sur lesquèles il est inutile
de s'arèter beaucoup de peur de dégouter
l'enfant.
La premiere des grandes faces de la
cassète et sur le devant , contiènt , n° . 3 .
en deus colones , les combinaisons élémentaires
du Ab , eb , ib , ob , ub , etc..
Le dessous de la cassète pouroit avoir
: quatre clous de léton , rivés en dedans ;;
savoir un à chaque angle pour servir de
pié et conserver cete face , sur laquelle ,
et sur cèle du couvercle en dedans , on
peut mètre une bèle crois de JESUS,come
La base , le principe , et la fin de toute action
cretiène.
Le deriere de la cassète contiendra , nº
4.et en deus colones , les combinaisons
du Ba , be , bi , bo , bu , etc. dans lesque
les on fera remarquer les changemiens .
qu'on a crit necessaires pour doner de
bons principes sur les combinaisons , Ca
: bokeb AV fo
2558 MERCURE DE FRANCE
fe , fi , co , qu ; Ga , je , ji , go , gu ; Ja ,
ge , gi , jo , ju ; Sa , ce , ci , fo , fu ; Ta ,
te , tici , to , tu , etc.
Le dessus du couvercle de la cassète
contiendra , nº. 5. n ° . 6. les combinaisons
du Bla , ble , bli , blo , blu , etc. et cèles
du Bra , bre , bri , bro , bru , etc ... N° 7.
les combinaisons des quatre petites lètres
ressemblantes , b , d , p , q , combinées
avec leurs quatre capitales, et ensuite avec
les cinq voyeles , come Bb , Dd , Pp ,
Qq , etc. Ba , de , pi , qu , bo , etc.
No. 8. des sons particuliers à la langue
françoise. A l'égard des cinq faces qui restent
au dedans de la cassète , il sufit qu'èles
solent couvertes de papier blanc , pour
faire mieus paroitre les lètres des cartes
que l'enfant y tiendra.
1
Cète cassète servira à faire dire la leçon
en badinant , et à tenir les cartons et les
jeus des cartes abecediques , qui ont servi
de premier amusement à l'enfant, et qu'il
peut ranger sur une table en les nomant
, jusqu'à ce qu'il soit en état d'avoir
le petit bureau tipografique , sur lequel
il rangera les premieres combinalsons,
Ab , eb , ib , ob , ub , etc. On poura
lui doner ces premieres combinaisons
avec un petit casseau de carton et de sis
logetes , qui entrera dans la cassète , de
mème que les petits cartons élémentaires ,
|
1. Vol. sur
DECEMBRE . 1730. 2559
sur lesquels on aura fait coler les quarés
de la feuille imprimée pour habiller la
cassete ; elle poura aussi servir à tenir une
garniture de bureau pour les persones
curieuses de ce petit atirail literaire.
§ . 2. Foureau ou Tablier du petit bõhome ,
pour l'usage du bureau.
L'on fera à l'enfant un tablier de quelque
bone toile rousse ou grise , afin de
conserver ses habits . Ce tablier poura s'apeler
en badinant , la bavète ou le tablier de
docteur ; il est necessaire pour y faire deus
poches , l'une servira à metre les cartes
des letres et des mots en rouge pour le
latin , et l'autre servira à mèrre les cartes
en noir pour le françois , lorsque l'enfant
comencera de travailler à la table du
bureau de laquèle au reste il ne faut pas
oublier de bien faire abatre la vive arète,à
cause du frotement continuel de l'enfant.
§. 3. Description du premier et petit bureaus
qui sert à la premiere claffe.
Dès qu'un enfant conoit bien les lètres
par l'exercice des jeus de cartes abécédiques
et de la cassete , on peut lui doner
un petit bureau semblable à ceus dont les
directeurs et les comis de la Poste se servent
en province pour ranger les lètres
missives qu'ils mèrent en colones vis - à-
1. Fol.
Αν
via
2560 MERCURE DE FRANCE
vis les lètres initiales des noms ausquels
les missives sont adressées. il faut donc
avoir une table de la largeur de cinq ou
sis cartes rangées , ensorte que cèles des
c'nq voyeles A , E , I , O , U , et des
combinaisons Ab , eb , ib , ob , ub , etc..
puissent ètre mises en colones sur la largeur
de ce bureau . il doit avoir la longueur
de trente cartes rangées de suite,
plus ou moins , selon le nombre des logetes
que l'on voudra doner à la caisse
de l'imprimerie ; et selon la grandeur des
cartes dont on se servira pour garnir le
bureau . La largeur de la table sera divisée
par quatre ou cinq lignes paralèles , qui
dans la suite serviront d'alignement et:
de reglèt à l'enfant qui doit imprimer oa
composer son tème sur cète table.
و
On peut doner à la table la longueurde
trente cassetins outre l'épaisseur
des montans ou du bois de séparation ;,
ce qu'il est aisé de mesurer : ensuite on
fait les trois liteaus , bandes , regles ou
rebors de la hauteur d'environ quatre pou
ces , ou de la hauteur d'une carte , l'un
de la longueur , et les autres deus pour la
largeur du bureau. Avant que de poserd'une
maniere fixe ou mobile à discretion,.
la tringle , la regle , le long liteau ou rebord
du derriere de la table , il faut lediviser
en trente parties , et marquer le
& Fet milicu
DECEMBRE. 1730. 2560
milieu de chaque partie d'une des lètres de
FABC, observant d'y imprimer la grandeet
la petite lètre ensemble , l'une sous.
Pautre , c'est- à- dire le grand A , sur le
petit as le B capital sur le petit b , et
ainsi de tout l'A BC , depuis les lètres.
Aa , Bb , jusqu'à cèles du Zz , sans oublier
l'Ex , l'a , ni les lètres doubles ,.
&t , ft , fl , etc. de même que les chifres et
les caracteres ou lès signes de la ponctua
tion , etc. que Fon rangera selon l'ordreobservé
dans la planche du bureau tipo
grafique que j'ai fait graver exprès. il sera.
peut-être mieus de doner à l'enfant un
casseau d'un seul rang de logètes , où il
puisse tenir les grandes et les petites kètress ,
Page et la taille décideront entre la trin
gle et le casseau d'un rang de logètes..
Les deus petits liteaus , rebors ou consoles
des cotés n'étant que pour retenir les
cartes , rendre le bureau plus solide , et
pour fermer la caisse , on peut arondir er:
façoner ces deus consoles par le bout , afin
que l'enfant ne puisse en ètre incomode :
après quoi l'on peut clouer les liteaus ou
rebors et metre ce bureau contre un mur
sur deus chaises , sur un chassis , sur deus
petits bancs ou deus petits traitaus dont
les piés soient solides et proportionés à
La taille de l'enfant. On poura , si l'on
eur, metre de petits tiroirs à ce bureau:
La bata
1
2562 MERCURE DE FRANCE
et couvrir la table , d'une basane , d'un
maroquin noir ou d'une toile cirée ; ce qui
n'est pas absolument necessaire, si le bois
est neuf, sans noeuds et bien uni : d'ailleurs
on pouroit faire la table de ce bureau
brisée en deus ; ce qui serviroit pour
les diferens ages et les diferens tèmes de
l'enfant , et mème pour ètre plus facilement
placé contre la muraille et transporté
de la vile à la campagne , come une
table brisée , qui ensuite relevée , ferme
roit la caisse du colombier literaire , et
ocuperoìt moins de place. On poura mètre
un petit rideau de tafetas ou de toile
pour couvrir le colombier quand on ne
s'en servira pas , une toile cirée sera peutètre
d'un mème usage , on doit en tout
chercher l'utilité , la comodité et la propreté.
S. 4. Casse d'imprimerie en colombier à
quatre rans de trente cassetins chacun.
3
Quand l'enfant sera fort sur l'exercice
de la cassète et du premier bureau , on
peut encore pour le divertir en l'instruisant
, lui doner une casse d'imprimerie ,
avec laquèle il composera et décomposera
les silabes , les mots , et les lignes qu'on
lui présentera écrites ou imprimées ; er
cela s'apelera l'exercice du tème en lat`n ou
en françois , selon les lignes et les tèmes
I. Vol.
qu'on
DECEMBRE. 1730. 2563
qu'on lui donera par la suite en ces langues-
là . Cète imprimerie en colombier
est composée d'un casseau qu'on met sur
la table du premier et petit bureau contre
le plus long liteau ou le deriere de cète
table , y étant assés fixe par
des crochets ,
des pitons , des clous à vis , des boutons
ou des chevilles de fer qui traversent l'épaisseur
des deus petits liteaus ou consoles
, et le bois de la premiere et de la derniere
celule : cete casse est divisée en soissante
compartimens, cassetìns, celules , logetes
ou boulins ; c'est-à-dire en deus
rans de trente celules quarées chacun , et
c'est-là le segond bureau ou casseau de la
segonde classe pour le latin , en atendant
la troisième aussi de soissante cassetins
pour le françois , les chiftes , la ponctuation
, l'ortografe des lètres et des sons et
pour la troisiéme classe.
On passera ensuite au quatrième casseau
ou bureau pour le rudiment pratique de
la quatrième classe. Le bureau complet
sera donc de sis rangées de trente cassetins
chacune ; quatre pour l'imprimerie
du latin et du françois , et deus pour le
rudiment. On poura le faire faire tout
d'un tems pour épargner le bois , la hau
teur et la façon du bureau ; en couvrant
d'une housse les rangées superieures
dont l'enfant n'aura pas d'abord l'usage :
I. Vol.
ce
2564 MERCURE DE FRANCE
ce voile piquera sa curiosité et lui donera
de l'impatience pour l'usage des autres
rangées , ainsi qu'on l'a déja dit dans les
letres sur le bureau tipografique , inserées.
dans les mercures des mois de Juin et
de Juillet 1730.
Les logetes doivent ètre un peu plus.
profondes que la longueur des cartes ;
savoir , les trente celules pour ranger et
mètre les petites lètres , les lètres dou-
Bles , etc. et les trente autres celules ou
cassetins pour les grandes lètres ou capitales
, etc. le quaré des celules doit ètre
proportioné à la longueur et à la largeur
des cartes dont on veut se servir ; ensorte:
que l'enfant puisse mètre aisément sa main
dans chaque celule pour y poser ou en
prendre les cartes : on parlera ci - dessous ;
des autresrans de logetes.il faudra marquer
abécédiquement au bureau latin chaque
celule d'en bas de sa petite lètre, et cèle d'ens
haut de sa lètre capitale : après quoi l'on
peut montrer à l'enfant l'art d'imprimer
le tème qu'on lui dicte , ou qu'on lui
done sur une carte ou sur un papier mis
assés haut sur un petit pupitre à jour et
de fil d'archal au milieu de son imprimerie
ou sur la table mème du bureau ; l'on
fera séparer tous les mots avec une carte:
blanche ou par une petite distance , pour
aprendre à l'enfant à distinguer les mots..
La Vali
On
DECEMBRE. 1730. 2565
On ne sauroit croire combien il profite
en imprimant quelques mots sous le dictamen
des uns et des autres , cela lui for
me l'oreille, et lui done ensuite une gran
de facilité pour l'ortografe des ïeus er
d'usage.
,
Il faut qu'il y ait au moins quinze ou
vint lètres dans chaque celule et un
plus grand nombre de voyèles , de liquides
et de certaines consones de plus d'usage
, afin de pouvoir composer plusieurs
lignes de tème tout de suite. Pour rendre
plus large la table du bureau , à mesure
que l'enfant croitra en age et en sience
on peut reculer la caisse de l'imprimerie
ou l'exhausser pour l'apuyer sur le deriere
du bureau , ou pour la metre contre le
mur d'un cabinet , de la chambre de l'enfant
ou autre lieu convenable. Je crois ce
pendant qu'il est mieus que le tout soit
isolé et portatif même au milieu de la
chambre ou du cabinet de l'enfant.
On aura des cartes marquées d'une virgule
pour séparer les mots au comencement
de l'exercice tipografique , afin
d'en rendre à l'enfant la lecture plus aisée
, moins confuse , et de lui aprendre
à distinguer les mots ; il faut mème que
l'enfant lise ou qu'il apèle les virgules et
les poins qui se trouvent dans ses leçons
ce qui l'acoutumera à observér les pauses.
Ja Vola ik
2566 MERCURE DE FRANCE
il ne sera pas mal aussi qu'il nome la quant
tième des pages , à la vue des chifres dont
elles sont cotées : cela sera d'autant plus
alsé , que les chifres entrent dans la com
position des tèmes , et que l'enfant de
trois ans quatre mois dont on a parlé
s'en servolt come il se servott des letres
, quoique tous les chifres fussent en
core dans une seule logere du petit bureau
latin . Le maître pour soulager l'enfant ,
lira à son tour jusqu'à la virgule ou jus
qu'au point.
Tous ceus qui vèront ce bureau et cite
imprimerie pouront dicter et faire imprimer
leurs noms, ou quelques autres mots
et encourager l'enfant à l'exercice du bus
reau qu'il faut continuer pendant lontems
quoique dans la suite l'enfant se serve de
livres pour dire sa leçon en latin et en
François. Le téme étant fait , on regarde
s'il n'y a point de fautes , et l'on montre
à l'enfant la manière de les coriger et de
distribuer les lètres , ou de les remetre
chacune dans sa celule , ce qu'il trouvera
facile aprés avoir su les ranger sur la table
du premier bureau .
S.§. 5. Description du bureau tipografique
latin-françois.
Les montans ou le bois qui forme les
celules
DECEMBRE. 1730. 2567
(
celules de haut en bas en ligne pèrpendiculaire
n'est que de deus à trois lignes
d'épaisseur , excepté le premier et le dernier
qui auront neuf lignes pour fortifier
la caisse , l'assemblage ou le bâti exterieur
; et les traverses ou le bois qui le
croise horisontalement et en rayons est
alternativement , c'est à dire le premier ,
le troisième , le cinquième , et le sétième
de neuf lignes , ou de la hauteur des letres
capitales. si l'enfant est déja un peu
grand , on poura doner neuf lignes à toutes
les traverses pour la comodité des étiquetes
de tous les rans de cassetins , chaque
celule à vide a en tout sens le quaré
long d'une carte tant pour la hauteur que
pour la largeur à vide , avec l'aisance nécessaire
pour le jeu tipografique. La profondeur
d'une celule est come l'étui de
quatre à cinq jeus de cartes ; de manière
que la main puisse les y mètre et les en
tirer facilement . Enfin les dimensions des
cartes doivent regler cèles du bureau et
des casseaus de l'imprimerie , ce qu'un
menuisier doit bien observer , en mesurant
avec exactitude une carte pour chaque
logète, ceus qui ne voudront pas
doner tant de longueur au bureau regleront
les dimensions de leurs cartes
par cèles des logétes du bureau qu'ils comanderont
selon l'endroit où ils le voudront
8
I. Vol.
2568 MERCURE DE FRANCE
€
dront placer , car il faut que la carte ou
la log te donent les dimensions l'une de
l'autre , et c'est ainsi qu'on l'a pratiqué
dans un grand colège pour le bureau d'un
jeune seigneur.
L'auteur dans une planche gravée exprès
done le plan , la description , le dessein
du bureau, des celules ; et des exemples
de la garniture de letres , afin qu'on
voie plus facilement de quèle manière on
doit les distribuer.chacun peut se faire un
plan sans s'asservir à l'abécédique ; si
P'on suit cet ordre , c'est pour faciliter à
-un enfant l'usage des dictionaires , et de
la table des matières des livres qui suivent
aussi l'ordre abécédique .
>
Le premier rang des celules d'en bas ,
- est pour les petites letres apelées ordinal
: rement letres du bas ou mineures ; c'est
pourquoi on l'apèle aussi le petit ordinaìre.
Après les logetes du z , de l' , de
P'è ouvert et de l'é fermé , on metra dans
· la vintneuvième logete les cartes ou les
tèmes donés sur l'histoire , sur la bible ,
sur les génealogies , sur la cronologie et sur
la géografie , et dans la trentième logere
les tèmes qui roulent sur la France , sur
l'Europe etc.
Le segond rang contient les grandes
letres apelées capitales , majeures ou majuscules
que les espagnols apelent aussi
I.Vol
verfales
DECEMBRE. 1730. 2569
versales ; c'est pourquoi on l'apele le grand.
ordinaire la vintneuvième logete sera.
pour les époques , l'histoire sainte , les listes
etc. la trentième pour les époques
P'histoire profane , la fable etc. ou bien on
se contentera de metre en haut les deus
étiquetes hist. s. hist . p. et en bas les autres
deus étiquetes géogr. fable.
5
Le troisième rang est pour toutes les
combinaisons de letres qui donent les mèmes
sons simples qu'exprime le rang des
letres ordinaires ; c'est pourquoi on l'apele
le premier rang composé ; ainsi à la cofone
de l'o et à la logete du 3 rang , on
met les diftongues oculaires au , ean , qui
en deus ou en trois letres expriment le
pur son de l'o , cette distinction et cet
ordre métodique donent d'abord à l'enfant
des idées inconues à la plupart des
maitres d'école . car s'il m'est permis de
le dire , on ne rougit pas d'ignorer l'algebre
; mais on est très honteus d'ignorer
ce qu'un petit enfant aprend d'abord
au bureau , sur la nature des letres et des
sons de la langue françoise , et ce que
tous les maîtres , tous les regens , et tous
les professeurs devroient savoir . Pour profiter
des logetes de reste , on met à la se
èt à la colone du H le mot magasin expliqué
ailleurs ; à la 10 tèmes à faire ; à
la 11 tèmes faits à la colone du Z , on
DANI. Vol.
met
2570 MERCURE DE FRANCE
met nombres , chifres ou livret ; et aus deus
dernieres les poins de suspension , d'interuption
.... , les paragrafes §§ , les piés
de mouche ¶¶ , les guillemets « » , les
signes de plus , de moins ,
d'égalité , et les traits ou tiréts
que les imprimeurs apelent division , qui
coupent, replient et divisent les mots qu'on;
n'a pu achever au bout de la ligne , ou qui
lient des mots composés, come porte-feuille,
tourne-broche etc. on tiendra tous les autres
signes et les asterisques dans ces deus
derniéres logetes du troisième rang de
cassetins .
Le quatrième rang est pour des sons.
diférens , placés néanmoins dans la colone
de la letre avec laquele ils ont le plus de
raport à l'oreille où à l'euil ; le reste come
poins , virgules , apostrofes , parentèses ,
crochets etc. est mis à discretion dans les
celules vides du 4 rang qu'on apele le
segond rang composé , ensorte que les deus
premiers rans sont dits simples , parceque
leurs celules contiènent les simples letres,
et les deus autres rans sont dits composés ,
parceque leurs celules contiènent de dou
bles consones , de doubles letres , de doubles
sons , et enfin des diftongues par
raport à l'euil ou à l'oreille. Pour profiter
du vide des colones M, N, on y a mis
les diftongues oi et ni , qui reviènent sou
GAL. Vol.
vent
DECEMBRE. 1730. 2571
vent dans les mots des tèmes , des frases ,
ou du discours , et pour distinguer le son
de la voyele è ou of du mot il conoìt , de
la diftongue oi du mot roi , on emploie
l'ì grave , come dans les mots il avoit , ils
portoient etc. et l'on emploie l'i ordinaìre
dans les mots loi , roi etc. ensorte que 1ì
grave servira à indiquer l'è ouvert composé
de deus letres dans les mots françois,
maitre , peine etc. et l'i algu indiquera l'ẻ
fermé composé aussi de deus letres dans
les mots j'ai , je ferai plaisir etc. ce qui
şera tres utile non seulement à l'enfant ,
mais encore aus étrangers et aus gens de
province peu au fait de la prononciation
des e simples , ou composés de plusieurs
letres.
On metra aussi au quatrième rang la
voyele eu au haut de la colone e ,
d'autant
que la prononciation en est presque come
cèle de l'é muet françois ou soutenu et
d'une seule lètre ; au lieu que la difton
gue oculaire eu est dans un sens l'e fran
çois soutenu de deus letres ... Le son
gne françois sera mis à la 7 celule au
haut de la colone g , parceque le mot copar
un g ; en Espagne et en portugal
on le metroit au fi ou au nh , colone
du n...Le son che françois , au mème
rang , et au haut de la colone du jou du
sonjeja , parceque le son françois che ost
I. Vol.
mence
le
2372 MERCURE DE FRANCE
le son fort du foible jes en Alemagne ,
on metroit le che à la colone du sch , parceque
les Alemans n'ont point de jou
le son du ge dans leur langue ... Les sons
ill , lh , ille mouillés , au haut de la colonel
, par raport à l'euil plutot qu'à l'oreille
; car en Italie on le metroit au gli ,
colone du g ... La voyele on au haut de
la colone o , par raport à l'euil plutot qu'à
l'oreilles en Italie , en Efpagne , en Âlemagne
, on metroit l'ou à la colone de l'u
qu'on y prononce on . ceci doit fe pratiquer
de mème pour le grec , l'ebreu
Parabe , et toutes les langues .
> > > , >
On doit metre les cinq voyeles nasales
ã‚é‚í‚õ‚ú¸ avant les chifres , et tout
de suite , pour en faciliter l'usage à l'enfant
qui compose sur la table du bureau .
Les dis chifres arabes seront mis aus dis
dernieres logétes avec des chifres romains
pour composer en françois et en latin .
c'est cète rangée de trente cassetins qui
a obligé à en doner autant aus autres
rans. on doit encore dire ici qu'on ne
sépare pas toujours par des virgules ou
par des poins les diférentes combinat
sons ou les diférens signes indiqués pour
la mème logete dans la planche du bureau
, parceque l'on a craint que le lecteur
n'imaginât ces virgules et ces poins
être nécessaires sur les cartes des mèmes
I. Vol.
logetes,
DECEMBRE. 1730. 257 3
logètes , come , par exemple, le point des
cartes marquées d'un c. au dessous de
la logete des chifres VI , 6.
La logète du magasin , du suplement.
ou du plein bureau , apelée la bureaulade
sert à l'enfant pour mètre les mots et les
tèmes composés , lorsque la table du bureau
est pleine , ou que l'enfant pressé
permet qu'un autre range les cartes après
qu'il a lui seul composé le tème , le tout
pour diversifier , et plaire en instruisant,
bien loin de dégouter. on trouvera à
peu près de mème la raison de chaque
chose , si l'on veut bien se doner la peìne
d'y faire un peu d'atention , come on
l'a déja dit bien des fois dans la manière
d'apeler les letres et les sons simples ou
composés par raport aus ieus ou à l'oreille.
§. 6. Garniture ou assortiment de cartes
Pour les quatre rans de casseins du bureau
tipografique.
Pour garnir le bureau tipografique , il
faudra mètre sur des cartes séparément
non seulement les lètres , mais encore
leurs diférentes combinaisons pour exprimer
les sons simples ou composés , ce qui
servira beaucoup à l'ortografe des ieus et
de l'oreille , et donera plus de facilité et
de varieté pour le jeu tipografique , que
I. Vol. B n'en
2574 MERCURE DE FRANCE
n'en pouroit doner une imprimerie ordinaire.
D'ailleurs l'avantage de pouvoir
lire et composer en latin et en françois
dès le premier jour de l'exercice , est un
avantage qui fera toujours taire les esprits
prévenus , incapables avec les métodes
vulgaires de montrer l'ortografe et
le latin à un petit enfant , avant qu'il
comance d'aprendre à écrire un autre
avantage du bureau , c'est de soulager les
maitres, les régens, et les professeurs , en
leur formant de bons écoliers , et les rendant
en moins de tems plus fermes sur
la téorie et sur la pratique des premiers
élemens literaires, que ne le sont ordinalrement
la plupart des enfans condanés à
Particulation des anciènes métodes , ce
qui démontre l'utilité et la compatibilité
de l'exercice du bureau avec tous les devoirs
des meilleurs colèges.
TABLE des letres , des sons simples ;
des sons composés et des combinaisons
necessaires pour la garniture du bureau
tipografique.
GARNITURE,
Logetes.
a
aa. à. á. â. a. ǎ. af. ha. has. aë.
ê.
с ce. è . é. ë.
iii. . . . . . I. if. hi. ic,
e. ĕ. ef. he.
I
I. Vol.
DECEMBRE. 1730. 2575
ô. ō. ŏ. ef. ho. hof. au. cau. haw
ooo. ò. 6.
u uu. ù. ú. ü. û. ũ . ŭ, uſ. hu. huſ, cu. ".
b bb. be, bd..hr .
с cc. ç . &t . c'. ce.
ddd. d'. de. 2ª.
fff. ph. ft. fs. ff. fi . ffi . ft. ft. pht. phth. phr.
phl. phe.
ggggu. ga. go . gh. ghe, gue.
hha. he, hi. hơ. hư. hy . heu . hai. hon.
kke. ky. que. ca, co. cu. qu.
1 11. P. le .
mmm. m. m³, m². m. m²®, m¹è, me, m², meat.
n
Me. MM .
nn. ñ. n'. n ° . n. ne.
P PP. pe. pn. pt. ps. PP.
q cq. qua, que , qui, quo . qu. qu'. quæ . q;, qui
r rr. rh. r'. re. " . RR..
iss. fl. fs, sl. fc. fç.fl. ff. sph. fph. fg. fi . fm.
ſp. ſq. ſqu. ft. fth . ffi. se. ſe. ci. ce. i. S. st.
• fee SS. ç.
t tt. th. thrh.thl. t '. te. .. a. &e. Ato. Au.
V v. w. W. ve. Ve.
Je. j'.ge. gi. ginta.
X x. xc. gz. kf. xc. xfc.
yhy. ys. yf. hys. ii. iï.-ÿ.
Z z. ze.
ง.0
ès. èf. cis. ci. ey. al. ay. ais. aî. aient.oiens
oi. oy. hai. hay. ols. oit.
é aí . oe. oe. &. &. ét. Æ. E.
eu eû. eus . heu . `oeu. oei,
I. Vol. Bij
OW
2576 MERCURE DE FRANCE
Ou ou. où. ouf. oû . hou.
ch ch. che,
gn gn. gn. gne. gne.
lh_lhe . il. ill. ille . lle. 1.
ã an. a. é: hen. em . han. hã. aën, aon , ham,
èn. èm. ein . èí. eim. hin . hĩ ein .
1 in. im. ain aim. aĩ. ein . eĩ. ìn , ain.
Õ on . om, hon . hõ . hom
ū un. um . hum . hun , hũ, cũ .
Diftongues.
Oi ois. oĩ. oin. oy. hoi . hoy oic.
ui uis. uĩ. uin, uy. hui. huy. uic.
Suplement.
a
ante 60ante. 20ª.
i 20leme , ier.
f Fin. Finis.
Įginta 30. 40ginia .
Ponctuation. , ; : . ? !
Chifres. 0. 1. 2. ༣. 4.
·
+
5. 6. 7. 8.
I. II. III. IV. V. VI. VII . VIII.
9. 0. 10 .....
IX. X.
31. & c.
XXXI. & c.
Signes . ( ) .. [ ] *. §. ¶. + ----
တ
& &c.
des enfans , et sur l'atirail literaire
du bureau tipografique.
MONSIEUR ,
Je n'aurois jamais osé doner dans le
Mercare de France la suite de l'atirail literaire
d'un enfant , si des pèrsones de
merite ne m'avoient fait remarquer que
ce journal étoit plus nécessaire et plus
instructif dans les provinces et dans les
patis étrangers que dans la capitale , et
que mon scrupule étoit mal fondé. Tous
les livres , m'a- t- on dit, ne peuvent ni ne
doivent ètre livres amusans , de mode
de
passage , et d'une seule espece de lec
teurs , come les voyages de Gulliver , etc.
I. Fel.
Votre
DECEMBRE. 1730. 2333
Votre ouvrage contient la premiere doc
trine , l'érudition élémentaire , cela sufit ,
m'a-t-on repliqué , pour justifier le motif
de vos petits essais literaires ; les parens
et les maîtres curieus en fait d'éducation
le penseront ainsi ,à Paris mème . Dailleurs
les provinces demandent des bureaus ; il
est donc mieus de leur donér la manière
de les faire faire chès eus à bon marché
que de les mètre dans la nécessité d'en
faire venir de plus chèrs , lentement et à
grans frais. Ces raisons m'ont facilement
détèrminé à tâcher de mètre le lecteur
atentif au fait de la construction , del'intelligence
, et de l'usage des petits meubles
literaires que je propose de livrér de
bone heure aus jeunes enfans , et aus autres
enfans de tout age qui ont le malheur
d'avoir été négligés ou retardés pendant
bien des anées.
§ . 1. Cassète abecédique , pour un enfant
de dens à trois ans , et de tout age.
La cassète abécédique , est le premier
meuble litéraire qu'il faudroit livrer à un
enfant de deus à trois ans . Cete cassète doit
ètre de carton; on peut la renforcer d'une
toile colée en dehors , et mètre des bandes
de parchemin à tous les angles exte
rieurs : la charniere de la cassète doit ètre
de toile , de parchemin , ou de peau , afin
A iiij qu'elle I. Vol.
2556 MERCURE DE FRANCE
qu'elle puisse resister aus mouvemens
Continuels ausquels elle sera exposée ..
Après avoir compassé , coupé , cousu
COlé
, et façoné cète cassète , il faudra l'habiller
de lètres , et de silabes ; enjoliver
tous les coins et toutes les bordures avec
du papier doré , marbré , ou tel autre
qu'on voudra y mètre , pour marquer le
quaré , ou le cadre des faces de la cas
sète. On donera au comancement de l'A
B , C latin , et en petit caractère , la
feuille des premières combinaisons élémantaires
, qu'il faudra faire imprimer
d'un caractère proportioné à la grandeur
de la cassète. Cète feuille est , pour ainsi.
dire , l'abrégé de l'a ,b, c latin , et l'on ne
sauroit y tenir un petit enfant trop lontems
pourvu qu'on ait soin de lui faire
lire sur sa cassète les combinaisons , non
seulement de gauche à droite , mais encore
de droite à gauche ; de haut en bas ,
et de bas en haut , ou en colones , etc.
Le premier des deus petits cotés à
droite , contient les lètres du grand A,B,
C latin , avec leur dénomination , ou le
nom doné et preté à chaque consone pour
rendre selon cète nouvèle métode l'art.
de lire plus aisé : On met donc dans ce
quaré de la cassète , n ° . 1. les voyèles
grandes et petites , et les lètres capitales.
avec leurs noms , Aa , Ee , Ii , Oo ,
I.Vok U u
DECEMBRE. 1730. 2357
3
U u. A , Be , Ceke , De , E , Fe , etc.
que
Le segond des deus petits cotés de la
cassète , à gauche , contient le petit a , b,c
latin , à coté du grand , lètre à lètre ; afin
l'enfant qui conoit bien les grandes
lètres , puisse facilement et presque de lui
mème aprendre ensuite à distinguer les
petites : On met donc , n ° . z . A a , Bb ,
Cc , Dd , etc. on y ajoute les principales
Higatures , les lètres doubles , et quelques
abreviations , sur lesquèles il est inutile
de s'arèter beaucoup de peur de dégouter
l'enfant.
La premiere des grandes faces de la
cassète et sur le devant , contiènt , n° . 3 .
en deus colones , les combinaisons élémentaires
du Ab , eb , ib , ob , ub , etc..
Le dessous de la cassète pouroit avoir
: quatre clous de léton , rivés en dedans ;;
savoir un à chaque angle pour servir de
pié et conserver cete face , sur laquelle ,
et sur cèle du couvercle en dedans , on
peut mètre une bèle crois de JESUS,come
La base , le principe , et la fin de toute action
cretiène.
Le deriere de la cassète contiendra , nº
4.et en deus colones , les combinaisons
du Ba , be , bi , bo , bu , etc. dans lesque
les on fera remarquer les changemiens .
qu'on a crit necessaires pour doner de
bons principes sur les combinaisons , Ca
: bokeb AV fo
2558 MERCURE DE FRANCE
fe , fi , co , qu ; Ga , je , ji , go , gu ; Ja ,
ge , gi , jo , ju ; Sa , ce , ci , fo , fu ; Ta ,
te , tici , to , tu , etc.
Le dessus du couvercle de la cassète
contiendra , nº. 5. n ° . 6. les combinaisons
du Bla , ble , bli , blo , blu , etc. et cèles
du Bra , bre , bri , bro , bru , etc ... N° 7.
les combinaisons des quatre petites lètres
ressemblantes , b , d , p , q , combinées
avec leurs quatre capitales, et ensuite avec
les cinq voyeles , come Bb , Dd , Pp ,
Qq , etc. Ba , de , pi , qu , bo , etc.
No. 8. des sons particuliers à la langue
françoise. A l'égard des cinq faces qui restent
au dedans de la cassète , il sufit qu'èles
solent couvertes de papier blanc , pour
faire mieus paroitre les lètres des cartes
que l'enfant y tiendra.
1
Cète cassète servira à faire dire la leçon
en badinant , et à tenir les cartons et les
jeus des cartes abecediques , qui ont servi
de premier amusement à l'enfant, et qu'il
peut ranger sur une table en les nomant
, jusqu'à ce qu'il soit en état d'avoir
le petit bureau tipografique , sur lequel
il rangera les premieres combinalsons,
Ab , eb , ib , ob , ub , etc. On poura
lui doner ces premieres combinaisons
avec un petit casseau de carton et de sis
logetes , qui entrera dans la cassète , de
mème que les petits cartons élémentaires ,
|
1. Vol. sur
DECEMBRE . 1730. 2559
sur lesquels on aura fait coler les quarés
de la feuille imprimée pour habiller la
cassete ; elle poura aussi servir à tenir une
garniture de bureau pour les persones
curieuses de ce petit atirail literaire.
§ . 2. Foureau ou Tablier du petit bõhome ,
pour l'usage du bureau.
L'on fera à l'enfant un tablier de quelque
bone toile rousse ou grise , afin de
conserver ses habits . Ce tablier poura s'apeler
en badinant , la bavète ou le tablier de
docteur ; il est necessaire pour y faire deus
poches , l'une servira à metre les cartes
des letres et des mots en rouge pour le
latin , et l'autre servira à mèrre les cartes
en noir pour le françois , lorsque l'enfant
comencera de travailler à la table du
bureau de laquèle au reste il ne faut pas
oublier de bien faire abatre la vive arète,à
cause du frotement continuel de l'enfant.
§. 3. Description du premier et petit bureaus
qui sert à la premiere claffe.
Dès qu'un enfant conoit bien les lètres
par l'exercice des jeus de cartes abécédiques
et de la cassete , on peut lui doner
un petit bureau semblable à ceus dont les
directeurs et les comis de la Poste se servent
en province pour ranger les lètres
missives qu'ils mèrent en colones vis - à-
1. Fol.
Αν
via
2560 MERCURE DE FRANCE
vis les lètres initiales des noms ausquels
les missives sont adressées. il faut donc
avoir une table de la largeur de cinq ou
sis cartes rangées , ensorte que cèles des
c'nq voyeles A , E , I , O , U , et des
combinaisons Ab , eb , ib , ob , ub , etc..
puissent ètre mises en colones sur la largeur
de ce bureau . il doit avoir la longueur
de trente cartes rangées de suite,
plus ou moins , selon le nombre des logetes
que l'on voudra doner à la caisse
de l'imprimerie ; et selon la grandeur des
cartes dont on se servira pour garnir le
bureau . La largeur de la table sera divisée
par quatre ou cinq lignes paralèles , qui
dans la suite serviront d'alignement et:
de reglèt à l'enfant qui doit imprimer oa
composer son tème sur cète table.
و
On peut doner à la table la longueurde
trente cassetins outre l'épaisseur
des montans ou du bois de séparation ;,
ce qu'il est aisé de mesurer : ensuite on
fait les trois liteaus , bandes , regles ou
rebors de la hauteur d'environ quatre pou
ces , ou de la hauteur d'une carte , l'un
de la longueur , et les autres deus pour la
largeur du bureau. Avant que de poserd'une
maniere fixe ou mobile à discretion,.
la tringle , la regle , le long liteau ou rebord
du derriere de la table , il faut lediviser
en trente parties , et marquer le
& Fet milicu
DECEMBRE. 1730. 2560
milieu de chaque partie d'une des lètres de
FABC, observant d'y imprimer la grandeet
la petite lètre ensemble , l'une sous.
Pautre , c'est- à- dire le grand A , sur le
petit as le B capital sur le petit b , et
ainsi de tout l'A BC , depuis les lètres.
Aa , Bb , jusqu'à cèles du Zz , sans oublier
l'Ex , l'a , ni les lètres doubles ,.
&t , ft , fl , etc. de même que les chifres et
les caracteres ou lès signes de la ponctua
tion , etc. que Fon rangera selon l'ordreobservé
dans la planche du bureau tipo
grafique que j'ai fait graver exprès. il sera.
peut-être mieus de doner à l'enfant un
casseau d'un seul rang de logètes , où il
puisse tenir les grandes et les petites kètress ,
Page et la taille décideront entre la trin
gle et le casseau d'un rang de logètes..
Les deus petits liteaus , rebors ou consoles
des cotés n'étant que pour retenir les
cartes , rendre le bureau plus solide , et
pour fermer la caisse , on peut arondir er:
façoner ces deus consoles par le bout , afin
que l'enfant ne puisse en ètre incomode :
après quoi l'on peut clouer les liteaus ou
rebors et metre ce bureau contre un mur
sur deus chaises , sur un chassis , sur deus
petits bancs ou deus petits traitaus dont
les piés soient solides et proportionés à
La taille de l'enfant. On poura , si l'on
eur, metre de petits tiroirs à ce bureau:
La bata
1
2562 MERCURE DE FRANCE
et couvrir la table , d'une basane , d'un
maroquin noir ou d'une toile cirée ; ce qui
n'est pas absolument necessaire, si le bois
est neuf, sans noeuds et bien uni : d'ailleurs
on pouroit faire la table de ce bureau
brisée en deus ; ce qui serviroit pour
les diferens ages et les diferens tèmes de
l'enfant , et mème pour ètre plus facilement
placé contre la muraille et transporté
de la vile à la campagne , come une
table brisée , qui ensuite relevée , ferme
roit la caisse du colombier literaire , et
ocuperoìt moins de place. On poura mètre
un petit rideau de tafetas ou de toile
pour couvrir le colombier quand on ne
s'en servira pas , une toile cirée sera peutètre
d'un mème usage , on doit en tout
chercher l'utilité , la comodité et la propreté.
S. 4. Casse d'imprimerie en colombier à
quatre rans de trente cassetins chacun.
3
Quand l'enfant sera fort sur l'exercice
de la cassète et du premier bureau , on
peut encore pour le divertir en l'instruisant
, lui doner une casse d'imprimerie ,
avec laquèle il composera et décomposera
les silabes , les mots , et les lignes qu'on
lui présentera écrites ou imprimées ; er
cela s'apelera l'exercice du tème en lat`n ou
en françois , selon les lignes et les tèmes
I. Vol.
qu'on
DECEMBRE. 1730. 2563
qu'on lui donera par la suite en ces langues-
là . Cète imprimerie en colombier
est composée d'un casseau qu'on met sur
la table du premier et petit bureau contre
le plus long liteau ou le deriere de cète
table , y étant assés fixe par
des crochets ,
des pitons , des clous à vis , des boutons
ou des chevilles de fer qui traversent l'épaisseur
des deus petits liteaus ou consoles
, et le bois de la premiere et de la derniere
celule : cete casse est divisée en soissante
compartimens, cassetìns, celules , logetes
ou boulins ; c'est-à-dire en deus
rans de trente celules quarées chacun , et
c'est-là le segond bureau ou casseau de la
segonde classe pour le latin , en atendant
la troisième aussi de soissante cassetins
pour le françois , les chiftes , la ponctuation
, l'ortografe des lètres et des sons et
pour la troisiéme classe.
On passera ensuite au quatrième casseau
ou bureau pour le rudiment pratique de
la quatrième classe. Le bureau complet
sera donc de sis rangées de trente cassetins
chacune ; quatre pour l'imprimerie
du latin et du françois , et deus pour le
rudiment. On poura le faire faire tout
d'un tems pour épargner le bois , la hau
teur et la façon du bureau ; en couvrant
d'une housse les rangées superieures
dont l'enfant n'aura pas d'abord l'usage :
I. Vol.
ce
2564 MERCURE DE FRANCE
ce voile piquera sa curiosité et lui donera
de l'impatience pour l'usage des autres
rangées , ainsi qu'on l'a déja dit dans les
letres sur le bureau tipografique , inserées.
dans les mercures des mois de Juin et
de Juillet 1730.
Les logetes doivent ètre un peu plus.
profondes que la longueur des cartes ;
savoir , les trente celules pour ranger et
mètre les petites lètres , les lètres dou-
Bles , etc. et les trente autres celules ou
cassetins pour les grandes lètres ou capitales
, etc. le quaré des celules doit ètre
proportioné à la longueur et à la largeur
des cartes dont on veut se servir ; ensorte:
que l'enfant puisse mètre aisément sa main
dans chaque celule pour y poser ou en
prendre les cartes : on parlera ci - dessous ;
des autresrans de logetes.il faudra marquer
abécédiquement au bureau latin chaque
celule d'en bas de sa petite lètre, et cèle d'ens
haut de sa lètre capitale : après quoi l'on
peut montrer à l'enfant l'art d'imprimer
le tème qu'on lui dicte , ou qu'on lui
done sur une carte ou sur un papier mis
assés haut sur un petit pupitre à jour et
de fil d'archal au milieu de son imprimerie
ou sur la table mème du bureau ; l'on
fera séparer tous les mots avec une carte:
blanche ou par une petite distance , pour
aprendre à l'enfant à distinguer les mots..
La Vali
On
DECEMBRE. 1730. 2565
On ne sauroit croire combien il profite
en imprimant quelques mots sous le dictamen
des uns et des autres , cela lui for
me l'oreille, et lui done ensuite une gran
de facilité pour l'ortografe des ïeus er
d'usage.
,
Il faut qu'il y ait au moins quinze ou
vint lètres dans chaque celule et un
plus grand nombre de voyèles , de liquides
et de certaines consones de plus d'usage
, afin de pouvoir composer plusieurs
lignes de tème tout de suite. Pour rendre
plus large la table du bureau , à mesure
que l'enfant croitra en age et en sience
on peut reculer la caisse de l'imprimerie
ou l'exhausser pour l'apuyer sur le deriere
du bureau , ou pour la metre contre le
mur d'un cabinet , de la chambre de l'enfant
ou autre lieu convenable. Je crois ce
pendant qu'il est mieus que le tout soit
isolé et portatif même au milieu de la
chambre ou du cabinet de l'enfant.
On aura des cartes marquées d'une virgule
pour séparer les mots au comencement
de l'exercice tipografique , afin
d'en rendre à l'enfant la lecture plus aisée
, moins confuse , et de lui aprendre
à distinguer les mots ; il faut mème que
l'enfant lise ou qu'il apèle les virgules et
les poins qui se trouvent dans ses leçons
ce qui l'acoutumera à observér les pauses.
Ja Vola ik
2566 MERCURE DE FRANCE
il ne sera pas mal aussi qu'il nome la quant
tième des pages , à la vue des chifres dont
elles sont cotées : cela sera d'autant plus
alsé , que les chifres entrent dans la com
position des tèmes , et que l'enfant de
trois ans quatre mois dont on a parlé
s'en servolt come il se servott des letres
, quoique tous les chifres fussent en
core dans une seule logere du petit bureau
latin . Le maître pour soulager l'enfant ,
lira à son tour jusqu'à la virgule ou jus
qu'au point.
Tous ceus qui vèront ce bureau et cite
imprimerie pouront dicter et faire imprimer
leurs noms, ou quelques autres mots
et encourager l'enfant à l'exercice du bus
reau qu'il faut continuer pendant lontems
quoique dans la suite l'enfant se serve de
livres pour dire sa leçon en latin et en
François. Le téme étant fait , on regarde
s'il n'y a point de fautes , et l'on montre
à l'enfant la manière de les coriger et de
distribuer les lètres , ou de les remetre
chacune dans sa celule , ce qu'il trouvera
facile aprés avoir su les ranger sur la table
du premier bureau .
S.§. 5. Description du bureau tipografique
latin-françois.
Les montans ou le bois qui forme les
celules
DECEMBRE. 1730. 2567
(
celules de haut en bas en ligne pèrpendiculaire
n'est que de deus à trois lignes
d'épaisseur , excepté le premier et le dernier
qui auront neuf lignes pour fortifier
la caisse , l'assemblage ou le bâti exterieur
; et les traverses ou le bois qui le
croise horisontalement et en rayons est
alternativement , c'est à dire le premier ,
le troisième , le cinquième , et le sétième
de neuf lignes , ou de la hauteur des letres
capitales. si l'enfant est déja un peu
grand , on poura doner neuf lignes à toutes
les traverses pour la comodité des étiquetes
de tous les rans de cassetins , chaque
celule à vide a en tout sens le quaré
long d'une carte tant pour la hauteur que
pour la largeur à vide , avec l'aisance nécessaire
pour le jeu tipografique. La profondeur
d'une celule est come l'étui de
quatre à cinq jeus de cartes ; de manière
que la main puisse les y mètre et les en
tirer facilement . Enfin les dimensions des
cartes doivent regler cèles du bureau et
des casseaus de l'imprimerie , ce qu'un
menuisier doit bien observer , en mesurant
avec exactitude une carte pour chaque
logète, ceus qui ne voudront pas
doner tant de longueur au bureau regleront
les dimensions de leurs cartes
par cèles des logétes du bureau qu'ils comanderont
selon l'endroit où ils le voudront
8
I. Vol.
2568 MERCURE DE FRANCE
€
dront placer , car il faut que la carte ou
la log te donent les dimensions l'une de
l'autre , et c'est ainsi qu'on l'a pratiqué
dans un grand colège pour le bureau d'un
jeune seigneur.
L'auteur dans une planche gravée exprès
done le plan , la description , le dessein
du bureau, des celules ; et des exemples
de la garniture de letres , afin qu'on
voie plus facilement de quèle manière on
doit les distribuer.chacun peut se faire un
plan sans s'asservir à l'abécédique ; si
P'on suit cet ordre , c'est pour faciliter à
-un enfant l'usage des dictionaires , et de
la table des matières des livres qui suivent
aussi l'ordre abécédique .
>
Le premier rang des celules d'en bas ,
- est pour les petites letres apelées ordinal
: rement letres du bas ou mineures ; c'est
pourquoi on l'apèle aussi le petit ordinaìre.
Après les logetes du z , de l' , de
P'è ouvert et de l'é fermé , on metra dans
· la vintneuvième logete les cartes ou les
tèmes donés sur l'histoire , sur la bible ,
sur les génealogies , sur la cronologie et sur
la géografie , et dans la trentième logere
les tèmes qui roulent sur la France , sur
l'Europe etc.
Le segond rang contient les grandes
letres apelées capitales , majeures ou majuscules
que les espagnols apelent aussi
I.Vol
verfales
DECEMBRE. 1730. 2569
versales ; c'est pourquoi on l'apele le grand.
ordinaire la vintneuvième logete sera.
pour les époques , l'histoire sainte , les listes
etc. la trentième pour les époques
P'histoire profane , la fable etc. ou bien on
se contentera de metre en haut les deus
étiquetes hist. s. hist . p. et en bas les autres
deus étiquetes géogr. fable.
5
Le troisième rang est pour toutes les
combinaisons de letres qui donent les mèmes
sons simples qu'exprime le rang des
letres ordinaires ; c'est pourquoi on l'apele
le premier rang composé ; ainsi à la cofone
de l'o et à la logete du 3 rang , on
met les diftongues oculaires au , ean , qui
en deus ou en trois letres expriment le
pur son de l'o , cette distinction et cet
ordre métodique donent d'abord à l'enfant
des idées inconues à la plupart des
maitres d'école . car s'il m'est permis de
le dire , on ne rougit pas d'ignorer l'algebre
; mais on est très honteus d'ignorer
ce qu'un petit enfant aprend d'abord
au bureau , sur la nature des letres et des
sons de la langue françoise , et ce que
tous les maîtres , tous les regens , et tous
les professeurs devroient savoir . Pour profiter
des logetes de reste , on met à la se
èt à la colone du H le mot magasin expliqué
ailleurs ; à la 10 tèmes à faire ; à
la 11 tèmes faits à la colone du Z , on
DANI. Vol.
met
2570 MERCURE DE FRANCE
met nombres , chifres ou livret ; et aus deus
dernieres les poins de suspension , d'interuption
.... , les paragrafes §§ , les piés
de mouche ¶¶ , les guillemets « » , les
signes de plus , de moins ,
d'égalité , et les traits ou tiréts
que les imprimeurs apelent division , qui
coupent, replient et divisent les mots qu'on;
n'a pu achever au bout de la ligne , ou qui
lient des mots composés, come porte-feuille,
tourne-broche etc. on tiendra tous les autres
signes et les asterisques dans ces deus
derniéres logetes du troisième rang de
cassetins .
Le quatrième rang est pour des sons.
diférens , placés néanmoins dans la colone
de la letre avec laquele ils ont le plus de
raport à l'oreille où à l'euil ; le reste come
poins , virgules , apostrofes , parentèses ,
crochets etc. est mis à discretion dans les
celules vides du 4 rang qu'on apele le
segond rang composé , ensorte que les deus
premiers rans sont dits simples , parceque
leurs celules contiènent les simples letres,
et les deus autres rans sont dits composés ,
parceque leurs celules contiènent de dou
bles consones , de doubles letres , de doubles
sons , et enfin des diftongues par
raport à l'euil ou à l'oreille. Pour profiter
du vide des colones M, N, on y a mis
les diftongues oi et ni , qui reviènent sou
GAL. Vol.
vent
DECEMBRE. 1730. 2571
vent dans les mots des tèmes , des frases ,
ou du discours , et pour distinguer le son
de la voyele è ou of du mot il conoìt , de
la diftongue oi du mot roi , on emploie
l'ì grave , come dans les mots il avoit , ils
portoient etc. et l'on emploie l'i ordinaìre
dans les mots loi , roi etc. ensorte que 1ì
grave servira à indiquer l'è ouvert composé
de deus letres dans les mots françois,
maitre , peine etc. et l'i algu indiquera l'ẻ
fermé composé aussi de deus letres dans
les mots j'ai , je ferai plaisir etc. ce qui
şera tres utile non seulement à l'enfant ,
mais encore aus étrangers et aus gens de
province peu au fait de la prononciation
des e simples , ou composés de plusieurs
letres.
On metra aussi au quatrième rang la
voyele eu au haut de la colone e ,
d'autant
que la prononciation en est presque come
cèle de l'é muet françois ou soutenu et
d'une seule lètre ; au lieu que la difton
gue oculaire eu est dans un sens l'e fran
çois soutenu de deus letres ... Le son
gne françois sera mis à la 7 celule au
haut de la colone g , parceque le mot copar
un g ; en Espagne et en portugal
on le metroit au fi ou au nh , colone
du n...Le son che françois , au mème
rang , et au haut de la colone du jou du
sonjeja , parceque le son françois che ost
I. Vol.
mence
le
2372 MERCURE DE FRANCE
le son fort du foible jes en Alemagne ,
on metroit le che à la colone du sch , parceque
les Alemans n'ont point de jou
le son du ge dans leur langue ... Les sons
ill , lh , ille mouillés , au haut de la colonel
, par raport à l'euil plutot qu'à l'oreille
; car en Italie on le metroit au gli ,
colone du g ... La voyele on au haut de
la colone o , par raport à l'euil plutot qu'à
l'oreilles en Italie , en Efpagne , en Âlemagne
, on metroit l'ou à la colone de l'u
qu'on y prononce on . ceci doit fe pratiquer
de mème pour le grec , l'ebreu
Parabe , et toutes les langues .
> > > , >
On doit metre les cinq voyeles nasales
ã‚é‚í‚õ‚ú¸ avant les chifres , et tout
de suite , pour en faciliter l'usage à l'enfant
qui compose sur la table du bureau .
Les dis chifres arabes seront mis aus dis
dernieres logétes avec des chifres romains
pour composer en françois et en latin .
c'est cète rangée de trente cassetins qui
a obligé à en doner autant aus autres
rans. on doit encore dire ici qu'on ne
sépare pas toujours par des virgules ou
par des poins les diférentes combinat
sons ou les diférens signes indiqués pour
la mème logete dans la planche du bureau
, parceque l'on a craint que le lecteur
n'imaginât ces virgules et ces poins
être nécessaires sur les cartes des mèmes
I. Vol.
logetes,
DECEMBRE. 1730. 257 3
logètes , come , par exemple, le point des
cartes marquées d'un c. au dessous de
la logete des chifres VI , 6.
La logète du magasin , du suplement.
ou du plein bureau , apelée la bureaulade
sert à l'enfant pour mètre les mots et les
tèmes composés , lorsque la table du bureau
est pleine , ou que l'enfant pressé
permet qu'un autre range les cartes après
qu'il a lui seul composé le tème , le tout
pour diversifier , et plaire en instruisant,
bien loin de dégouter. on trouvera à
peu près de mème la raison de chaque
chose , si l'on veut bien se doner la peìne
d'y faire un peu d'atention , come on
l'a déja dit bien des fois dans la manière
d'apeler les letres et les sons simples ou
composés par raport aus ieus ou à l'oreille.
§. 6. Garniture ou assortiment de cartes
Pour les quatre rans de casseins du bureau
tipografique.
Pour garnir le bureau tipografique , il
faudra mètre sur des cartes séparément
non seulement les lètres , mais encore
leurs diférentes combinaisons pour exprimer
les sons simples ou composés , ce qui
servira beaucoup à l'ortografe des ieus et
de l'oreille , et donera plus de facilité et
de varieté pour le jeu tipografique , que
I. Vol. B n'en
2574 MERCURE DE FRANCE
n'en pouroit doner une imprimerie ordinaire.
D'ailleurs l'avantage de pouvoir
lire et composer en latin et en françois
dès le premier jour de l'exercice , est un
avantage qui fera toujours taire les esprits
prévenus , incapables avec les métodes
vulgaires de montrer l'ortografe et
le latin à un petit enfant , avant qu'il
comance d'aprendre à écrire un autre
avantage du bureau , c'est de soulager les
maitres, les régens, et les professeurs , en
leur formant de bons écoliers , et les rendant
en moins de tems plus fermes sur
la téorie et sur la pratique des premiers
élemens literaires, que ne le sont ordinalrement
la plupart des enfans condanés à
Particulation des anciènes métodes , ce
qui démontre l'utilité et la compatibilité
de l'exercice du bureau avec tous les devoirs
des meilleurs colèges.
TABLE des letres , des sons simples ;
des sons composés et des combinaisons
necessaires pour la garniture du bureau
tipografique.
GARNITURE,
Logetes.
a
aa. à. á. â. a. ǎ. af. ha. has. aë.
ê.
с ce. è . é. ë.
iii. . . . . . I. if. hi. ic,
e. ĕ. ef. he.
I
I. Vol.
DECEMBRE. 1730. 2575
ô. ō. ŏ. ef. ho. hof. au. cau. haw
ooo. ò. 6.
u uu. ù. ú. ü. û. ũ . ŭ, uſ. hu. huſ, cu. ".
b bb. be, bd..hr .
с cc. ç . &t . c'. ce.
ddd. d'. de. 2ª.
fff. ph. ft. fs. ff. fi . ffi . ft. ft. pht. phth. phr.
phl. phe.
ggggu. ga. go . gh. ghe, gue.
hha. he, hi. hơ. hư. hy . heu . hai. hon.
kke. ky. que. ca, co. cu. qu.
1 11. P. le .
mmm. m. m³, m². m. m²®, m¹è, me, m², meat.
n
Me. MM .
nn. ñ. n'. n ° . n. ne.
P PP. pe. pn. pt. ps. PP.
q cq. qua, que , qui, quo . qu. qu'. quæ . q;, qui
r rr. rh. r'. re. " . RR..
iss. fl. fs, sl. fc. fç.fl. ff. sph. fph. fg. fi . fm.
ſp. ſq. ſqu. ft. fth . ffi. se. ſe. ci. ce. i. S. st.
• fee SS. ç.
t tt. th. thrh.thl. t '. te. .. a. &e. Ato. Au.
V v. w. W. ve. Ve.
Je. j'.ge. gi. ginta.
X x. xc. gz. kf. xc. xfc.
yhy. ys. yf. hys. ii. iï.-ÿ.
Z z. ze.
ง.0
ès. èf. cis. ci. ey. al. ay. ais. aî. aient.oiens
oi. oy. hai. hay. ols. oit.
é aí . oe. oe. &. &. ét. Æ. E.
eu eû. eus . heu . `oeu. oei,
I. Vol. Bij
OW
2576 MERCURE DE FRANCE
Ou ou. où. ouf. oû . hou.
ch ch. che,
gn gn. gn. gne. gne.
lh_lhe . il. ill. ille . lle. 1.
ã an. a. é: hen. em . han. hã. aën, aon , ham,
èn. èm. ein . èí. eim. hin . hĩ ein .
1 in. im. ain aim. aĩ. ein . eĩ. ìn , ain.
Õ on . om, hon . hõ . hom
ū un. um . hum . hun , hũ, cũ .
Diftongues.
Oi ois. oĩ. oin. oy. hoi . hoy oic.
ui uis. uĩ. uin, uy. hui. huy. uic.
Suplement.
a
ante 60ante. 20ª.
i 20leme , ier.
f Fin. Finis.
Įginta 30. 40ginia .
Ponctuation. , ; : . ? !
Chifres. 0. 1. 2. ༣. 4.
·
+
5. 6. 7. 8.
I. II. III. IV. V. VI. VII . VIII.
9. 0. 10 .....
IX. X.
31. & c.
XXXI. & c.
Signes . ( ) .. [ ] *. §. ¶. + ----
တ
& &c.
Fermer
Résumé : SETIEME LETRE sur la bibliotèque des enfans, et sur l'atirail literaire du bureau tipografique.
La septième lettre traite de la bibliothèque des enfants et de l'atelier littéraire du bureau typographique. L'auteur, encouragé par des personnes de mérite, décide de publier des essais littéraires destinés aux enfants, jugés nécessaires et instructifs, notamment dans les provinces et à l'étranger. Ces ouvrages visent à fournir une éducation élémentaire et à répondre à la demande des parents et des maîtres curieux d'éducation. L'auteur décrit plusieurs outils pédagogiques : 1. **Cassette abécédique** : Destinée aux enfants de deux à trois ans, elle est fabriquée en carton renforcé et contient des lettres et des syllabes. Elle permet d'apprendre les combinaisons élémentaires de manière ludique. 2. **Tablier du petit bonhomme** : Un tablier avec des poches pour ranger les cartes des lettres et des mots, utile pour protéger les habits de l'enfant pendant ses activités. 3. **Premier petit bureau** : Similaire à ceux utilisés par les directeurs de la Poste, il permet de ranger les lettres et les combinaisons syllabiques. Il est conçu pour être adapté à la taille de l'enfant et peut être fixé contre un mur. 4. **Casse d'imprimerie en colombier** : Utilisée pour composer et décomposer les syllabes, les mots et les lignes. Elle est divisée en compartiments pour organiser les lettres et les signes de ponctuation. L'auteur insiste sur l'importance de ces outils pour l'éducation des enfants, en les rendant accessibles et pratiques. Le bureau typographique est conçu pour l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Il est organisé en cellules contenant des lettres et des signes typographiques, classées abécédiquement avec les petites lettres en bas et les lettres capitales en haut. L'enfant peut imprimer des mots dictés ou donnés sur des cartes, en séparant les mots par des cartes blanches ou des distances pour apprendre à les distinguer. Le bureau évolue avec l'enfant, en reculant ou en exhaussant la caisse de l'imprimerie pour agrandir la table. Des cartes marquées de virgules et de points facilitent la lecture et apprennent les pauses. L'enfant peut également nommer la quantité des pages et utiliser les chiffres, qui entrent dans la composition des thèmes. Les cellules sont organisées en rangs pour les petites lettres, les lettres capitales, les combinaisons de lettres produisant des sons simples, et les sons différents. Des signes typographiques comme les points de suspension, les paragraphes, les guillemets, et les traits d'union sont également inclus. Le texte mentionne l'utilité du bureau pour l'apprentissage de l'orthographe et la facilité qu'il offre pour lire et composer en latin et en français dès le premier jour. Il soulage les maîtres en formant de bons écoliers plus rapidement et efficacement que les méthodes traditionnelles.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
14
p. 2770-2800
SUITE de la setième lètre, sur la bibliotèque des enfans, etc.
Début :
§. 7. Casseau portatif de sis celules. En augmentant peu à peu les meubles [...]
Mots clefs :
Enfant, Enfants, Cartes, Jeu, Méthode, Apprentissage, Verbes, Déclinaison, Exercice, Dictionnaire, Bureau typographique, Bureau, Exemple, Latin, Français
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE de la setième lètre, sur la bibliotèque des enfans, etc.
SUITE de la setième lètre , sur la
bibliotèque des enfans , etc ..
§. 7. Casseau portatif de sis celules.
Ebles literaires de l'enfant , on augaugmentant
peu à peu les meumonte
en même tems le nombre de ses
idées ; on passe du simple au composé, et
du facile au dificile , ou au moins facile.
L'enfant reçoit encore avec plaisir un casseau
portatifde sis celules , trois en haut
et trois en bas , pour les tèmes à lire ou
à faire ; savoir , deus celules pour les
tèmes françois , deus pour les tèmes latins,
II.Vol
et
DECEMBRE. 1730. 2771
et deus pour les tèmes en caractères itafiques
ou manuscrits. Ce casseau poura
entrer dans la cassète , et servir à tenir
les premières cartes donées à l'enfant , et
mème à tenir ensuite le jeu des declinaisons
et des conjugaisons .
Il faut avoir soin de retirer de ces sis
logètes , et en l'absence de l'enfant, les tèmes
qu'il a bien lus, bien faits , et en faire
de petits jeus , dans lesquels on poura de
tems en tems le faire relire après avoir
batu , melé et doné à couper les cartes ,
come l'on a fait en lui montrant à conoltre
les lètres ; cète aparence de jeu
réussit toujours. D'ailleurs , si l'on ne retiroit
de tems en tems quelques tèmes
de ces log tes , le grand nombre pourolt
fatiguer l'élève et mème le dégouter. On
doit y laisser cependant les tèmes historiques
, conus et afectionés ; de peur de
facher l'enfant . très - sensible à l'enlevement
de ses petits éfets. Tout est digne
d'atention , quand on veut voir de grans
progrès , tels qu'on les a vus dans un enfant
qui à trois ans , et sans épeler ,
lisoit bien dans plusieurs livres latins et
françois, et mème dans des manuscrits .
On n'auroit jamais cru que dans quel
ques mois de plus , il ût pris plaísir à séparer
lui- mème les tèmes qu'il savoit bien
Lire , d'avec les autres , et de les mètre
13
II. Vola
dans .
2772 MERCURE DE FRANCE
dans des celules diférentes . L'enfant lisoit
seul distinctement et à haute vois , dans
divers petits livres et sur des cartons ,
pendant des heures entieres , et toujours
avec plaisir et en badinant , si l'on avoit
voulu le suivre il auroit lassé les autres ,
plutot que de se lasser lui- mème , il aìmolt
à lire à haute vois , quoique seul ; le
petit Guillot fait à peu près la mème chose
dans le fameus colège où il est à present
, avec son bureau tipografique. La
plupart des écoliers ne lisent pas volontiers
seuls , ils ont d'ailleurs peine à lire ,
faute d'avoir été bien montrés , ou pour
avoir été rebutés par les épines de la métode
vulgaire , ou faute d'habitude à pouvoir
lire à livre ouvert toute sorte de livres
françois et latins , en prose et en vers.
Au moindre dégout ou ennui qu'on apercevoit
dans le petit Candiac , on le menoit
d'abord ailleurs , et ce n'étoit que
par récompense qu'une autrefois on le remetoit
en possession de son cabinet ; on
ne le menaçoit de l'en faire fortir .que
pour le punir de quelque faute morale ,
et non literaire ; ce qui produisoit tout
l'éfet possible : le bureau étoit toujours
inocent , et cheri de l'enfant.
§ . 8. Porte-tèmes , sac , etc.
La métode du bureau tipografique est
II. Vol.
si
DECEMBRE . 1730. 2773
si amusante dans le plus fort de son instruction
, qu'elle fournit tous les jours
quelque idée nouvele et ingénieuse pour
augmenter le nombre des éfets et des
idées literaires de l'enfant. Il faudra lui
doner un petit sac dans lequel il puisse
tenir une centaine de cartes numerotées ,
qui seront autant de tèmes choisis sur
l'histoire et sur la fable. On poura aussi
faire à l'enfant un joli porte- tèmes de sis
poches , numerotées de bas en haut , I.
2. 3. 4. 5. 6. pour y tenir les tèmes d'une,
de deus , de trois , de quatre , de cinq
et de sis lignes. Ce porte- tèmes fait de
quelque étofe , peut être pendu à un
clou , à un crochet , et à la hauteur de
l'enfant, qui y tiendra ses tèmes les plus
beaus. Cète espece de trousse servira aussi
ensuite pour les sis cas des terminaisons ,
des noms , ou des declinaisons ; pour les
modes et les tems des verbes conjugués ,
etc. Le bureau de l'imprimerie devenant
familier à l'enfant , on doit songer à celui
du rudiment pratique , et à celui du dictionaire
que l'on ppeeuutt aussi réduire en
casserins , pour suivre la rapidité des progrès
literaires de l'enfant amusé et ocupé
des jeus tipografiques.
§. 9. Rudiment pratique.
Le rudiment composé d'un casseau
II.Vol.
de
1774 MERCURE DE FRANCE
de deus rans de cassetins , met aus cinq
premiers d'en bas les cinq declinaisons ,
ou les cas et leurs terminaisons a , a, am,
â; arum , abus , is , as , etc. us , i , 0,um,
eorum , is , os , etc. et au 6 cassetin on.
met encore de semblables terminaisons
pour les noms des cinq declinaisons ;
aus cinq logètes d'en haut on met les
cinq pronoms, ego, tu , ille, hic,qui, en latin
et en françois , chaque cas séparement
sur des cartes en noir et en rouge ou en
caractére manuscrit ; et à la 6 , les ter
minaisons enclitiques des pronoms.Exem
ple en latin ; nam , libet , etc. exemple en
françois , ci , la , - meme , etc..
Les cinq logètes suivantes sont pour
présent , l'imparfait , le passé ou le prétérit
parfait , le plusque parfait, et le fu
tur de l'indicatif ; et les cinq logètes d'en
bas sont pour les mèmes tems du subjonctif;
les deus suivantes d'en haut sont
l'une pour l'impératif , l'autre pour le
gérondif et les supins ; les deus d'en bas,
Fune pour l'infinitif et l'autre. pour les
participes actifs et passifs . Ensuite en haut
les figuratives ou les terminaisons actives
; et en bas les terminaisons passives
des verbes , quoiqu'il y en ait déja de distribuées
dans les logètes de tous les tems
de chaque mode.
· -
**
le
Les quatre logètes suivantes en haut et
.
II. Vol. en
DECEMBRE. 1730. 2775
en bas sont pour mètre des exemples des
verbes comuns , déponens , neutres , irégu
liers ,fubstantifs , vocatifs , défectifs , impersonels
, réciproques, etc. selon l'ordre que
chacun jugera le plus convenable , sans
s'asservir à aucun . On doit encore dire ici
que metant toutes les parties du discours
dans des logètes , c'est moins pour faciliter
à l'enfant l'expedition de son tème
que pour lui aprendre à conoìtre et
sentir l'usage de toutes ces diferentes parties
du discours , et cela dans un age propre
à saisir plutot par pratique que par
téorie le distinctif et la nature de tous
les mots apelés vulgairement parties d'oraison.
Si les maitres se flatent de pouvoir
bien endoctriner leurs élèves avec ·
ła seule métode des rudimens vulgaires;
à plus forte raison doivent- ils esperer de
le faire encore mieux , plus facilement
et plutot avec le nouveau secours du
bureau tipografique à cent quatre- vint
bouches toujours ouvertes pour l'ins
truction de l'enfant.
La logète suivante qui est à la colone
T, contient en haut les terminaisons
françoises des verbes, et en bas les terminaisons
françoises des noms , et des
et des pronoms.
Quand l'enfant saura distinguer les
verbes substantifs et auxiliaires je suis ,
etc. j'ai , etc. il faudra les distribuer dans
11. Vol..
Ies
2776 MERCURE DE FRANCE
و
les logètes des tems , de l'indicatif et du
fubjonctif, afin qu'il aprene à mieus connoitre
par pratique et par sentiment ,
les modes , les tems , les persones , et les
nombres des verbes. Des dis logètes suivantes
, la ie en haut contient le verbe
auxiliaire françois , je suis , tu es , il est ,
etc. et en bas le verbe auxiliaire ; j'ai ,
tu as , il a , etc. la 2º en haut , contient des
noms substantifs et en bas , l'article
françois le , la , les , etc. Cète logète de
l'article françois est d'un grand usage et
instruit de bone heure l'enfant , la 3e en
haut , contient des adjectifs , des positifs,
des comparatifs , et des superlatifs ; et
en bas , des terminaisons pour les dégrés
de comparaison ; exemp. ïor, ïus , ssimus ,
etc. la 4 , haut et bas , toute sorte de
pronoms , françois et latins , démonstratifs
et possessifs ; la se en haut , des verbes
françois ; et en bas , des participes
françois le 6 en haut est pour les participes
, les questions de lieu , les indéclinables
, adverbes , prépositions , conjonctions
, et interjections en latin; et en
bas pour
les mèmes mots françois, c'est-àdire
que les particules séparables et inséparables
pouront aussi y avoir place. Ces
mèmes mots passeront ensuite dans les
logètes du dictionaire , selon l'ordre abécédique.
Les quatre logètes suivantes en
;
II. Vol. haut
DECEMBRE. 1730. 2777
haut , sont pour les genres , les déclinaisons
, les conjugaisons
, et la sintaxe. On
peut y mètre bien des noms , des verbes
et les principales
regles de la métode de
MM. de P.R. ou de meilleures, en prose et
non en vers;ce qui fournira le sujet de plus
sieurs petits tèmes élementaires
, en latin
et en françois , en glose , mot à mot , ou
en interlinéaire
. Les quatre derniéres
logètes
d'en bas sont pour doner des exemples
de toutes ces regles , et de toutes ces
espèces
exemple
: Hic homo , inis. amo ,
avi. ego amo deum , etc. ce qui seroit trop
long à détailler
ici ; on prendra donc là
peine d'aler voir la garniture
et l'assortiment
de quelque bureau complet et ent
plein exercice,come celui du petit Guillot,
qui en sis mois , a apris à lire le latin
le françois , et le grec , et qui sans savoir
écrire s'ocupe
avec succès à la version
et à la composition
des tèmes qu'on lui
done sur des cartes ou sur des livres , et
qu'on tache de lui rendre sensibles par
la doctrine
tipografique
, et par la prati
que journalière
de la version interlinéaire
.
§ .10. Dictionaire
de sis rans de cassetins.
Le dictionaire composé d'un casseau de
sis rangées de 22 ou de go celules chacune ,
metra abecediquement dans la 1 rangée
en bas les verbes et les participes ; dans la
II.Vol.
2de
2778 MERCURE DE FRANCE
2 de, en montant on metra les noms adjec
tifs ; dans la 3e les noms apellatifs ; dans
la 4. les indeclinables , come adverbes ,
prépositions, conjonctions, interjections ;
dans la s . les noms propres qui sont autant
de racines historiques qu'il faut do
her et prodiguer à l'enfant selon son age ,
son état , sa condition et surtout relativement
à la profession à laquelle on le
destine. Dans la 6 rangée on y tiendra le
magasin abécedique des mots de toute
partie du discours , l'étiquete des rangées
sera mise perpendiculairement sur le bois
du premier montant à la tête de chaque
rang ; et l'on metra les letres de l'A , B
Chorisontalement au haut de chaque
colone sur le bois de la plus haute traver
, la letre K sera mise à coté du Qan
haut de sa colone , et les letres X , Y , Z
feront l'étiquete de la 22° colone qui est
la derniere du dictionaìre ; on pouroit se
passer des autres huit colones, suposé que
l'endroit ne permit pas toute la longueur
du dictionaire ou de la bibliotèque de
l'enfant. Les montans et les traversans
du dictionaire ne sont que de trois à
quatre
lignes d'épaisseur , excepté ceus de la
caisse ou du bâtis exterieur qui seront de
neuf lignes ou de la hauteur du corps
des lètres capitales qui doivent servir à
étiqueter les rans et les colones des cassetins.
Pour
DECEMBRE. 1730. 2779
Pour profiter des huit dernières logètes
de chaque rang , on poura mètre au haut
de la colone de la 23 logète , et sur le
bois de la traverse , l'étiquète du mot
noms ; et au bas de la colone sur le bois
de la plus basse travèrse on metra la lètre
a pour indiquer la logète de la 1 ° declinaison
; les autres trous de la colone
pouront également servir pour les autres
declinaisons ; et la 6. logète de cète colone
sera pour les noms de nombre. La
24. colone en haut sera marquée du mot
pronoms et le bas de la colone sera marqué
du mot ego ; les autres logètes de la colone
étant pour toute sorte de pronoms.
Les 25 et 26 colones en haut seront
marquées des mots verbes , verbes ; et au
plus bas elles seront marquées des mots
indicatif, subjonctif; ces logètes serviront
de suplément et de magasin pour tenir
les cartes qui ne pouront plus ètre mises
ou contenues dans les logètes du rudiment
, etc.
,
,
Les quatre dernieres colones en haut
et sur le bois de la traverse , seront marquées
des mots histoire , fable , géografie
cronologie quand le mot ne poura pas
ètre mis tout au long , on le metra en
abregé ou simplement en petites lètres
initiales ; au bas de ces quatre colones et
sur le bois de la traverse on metra les
mots
2-780 MERCURE DE FRANCE
mots bible , mitologie , sphere , époques , en
petites lètres initiales , files capitales ocupent
trop d'espace. La caisse de ce dictionaire
sera mise en long ou d'une maniere
brisée et en plusieurs lignes vis- àvis
du bureau tipografique , ou à coté
ou deriere et adossée selon que le lieu et
les fenètres de la chambre le permetront.
§ . 11. Claffes du bureau tipografique.
Je divise en quatre classes l'exercice du
bureau tipografique
,
Premiere classe.
Pour le jeu de la première classe , je
tire au hazard de la cassete abécédique
les cartes X , M , C , T , S , P , F , G , J
etc. après quoi je montre à un enfant de
deus à trois ans , ou à sa gouvernante la
manière de ranger ces mèmes cartes sur
la table du premier bureau abécédique
c'est à dire de les présenter et de les poser
vis à vis la mème letre ou figure marquée
sur chaque carte. Je mets donc la
carte X vis à vis la letre ou caractère X ,
la carte M vis à vis la letre M ; je fais
la mème chose des autres cartes tirées au
hazard , et je les présente tout le long de
1'4 BC etc. qui regne imprimé sur le lia
b c
2
II. Vol. teau ,
DECEMBRE. 1730. 2781
prateau
, la tringle ou la regle de bois qui
indique vis à vis de l'enfant le deriere
de la table abécédique , come on le
tique en province aus bureaus de la poste,
L'enfant qui ne sait pas encore le nom des
letres poura cependant présenter , et ranger
les cartes vis à vis les signes dont elles
sont marquées , en atendant qu'il sache
leur nom et leur vraie dénomination , ce
qui doit ètre estimé environ la moitié de
la silabisation . un enfant sourd et muet
peut être mis de bone heure à l'exercice
du bureau tipografique , et y aprendre
par les ieus la plupart des choses que les
autres aprènent par l'oreille.
2º Claffe.
Un enfant qui conoìt bien la figure
le vrai nom et la valeur réèle et efective
des letres doit ètre mis à l'exercice de la
segonde classe du bureau latin composé
de deus rans de logetes , l'un pour l'usage
des letres capitales , et l'autre pour
celui des petites letres . Je montre donc à
l'enfant et à son domestique la manière
de ranger , de composer , d'imprimer ou
d'écrire sur la table du bureau tipografique
les 16 cartes ou les 16 letres nécessaires
pour former la ligne des deus mots
latins dominus dominorum , et ensuite les
yint et une cartes ou letres nécessaires
44. Vol
pour
2781 MERCURE DE FRANCE
former une autre ligne composée
pour
de ces sis mots françois mon dieu , je vous
aime bien. Je fais pratiquer la mème chose
à l'égard des autres mots latins ou
françois , c'est à dire que l'enfant les imprime
et les écrit en quelque manière par
le moyen de l'ABC mouvant , en employant
, etrange ant sur la table en une
ligne autant de cartes qu'il y a de letres
dans chaque mot , ou dans chaque frase
qu'on lui done à imprimer.
fais
3º Claffe.
Lorsque l'enfant a travaillé avec succès
à l'exercice de la segonde classe , je le
passer au plutot au jeu de la troisième
classe ou du bureau françois latin , et je
lui montre pour lors la manière d'imprimer
les mots et les frases , non seulement
letre à letre , come le pratiquent
les imprimeurs ordinaires , mais encore
selon le sistème des sons de la langue françoise
; c'est à dire , que je lui enseigne à
chercher métodiquement les 16. cartes ou
les 16 letres nécessaires pour former la
mème ligne déja imprimée en 21. letres,
mon dieu , je vous aime bien , et c'est ici la
véritable et la principale classe où l'enfant
aprend par pratique et par téorie l'usage
des letres , des sons , des chifres , et des
signes employés dans l'impression des
II. Vollivres
DECEMBRE.
1730.
2791
livres ; c'est ici qu'il se forme dabord à
l'ortografe des sons et de l'oreille , en
atendant qu'il aprene l'ortografe des ieus
ou de l'usage vulgaire.
4. Classe.
Quand
l'enfant sait
imprimer letre
letre , et selon les sons de la langue , les
mots et les lignes qu'on lui dicte ou qu'on
lui done sur une carte , je le mets à la
quatrième classe . C'est cèle du casseau du
rudiment
pratique , et je lui montre à
imprimer non seulement letre à letre,sonà
son , mais encore mot à mot ,
employant
par exemple ,sis cartes pour former la mè
me ligne ci dessus ,mon dieu , je vous aime
bien , et ainsi des autres lignes en latin et
en
françois , come on l'a fait en composant
le tème gravé au bas de la planche
du bureau
tipografique §. 12 .
L'avantage des deus premieres classes
consiste à pouvoir amuser et instruire les
enfans de bone heure ; et par une métode
plus agréable , plus courte , plus facile et
plus sure que la métode vulgaire .
L'avantage de la troisième classe est de
mètre les petits enfans en état non seulement
de
travailler utilement seuls et en
l'absence des maitres , mais encore d'aprendre
de bone heure à conoìtre , à sentir,
et à distinguer les sons de chaque mot,
II. Vol.
Co
2792 MERCURE DE FRANCE
ce que bien des gramaìriens , s'il m'est
permis de le dire , ignorent toute leur vie.
L'avantage de la quatrième classe est de
metre un enfant en état d'aprendre les
langues mortes,avant que de savoir écrire,
en imprimant sur la table du bureau les
mots , les lignes et les tèmes qu'on lui aura
dictés ou qu'on lui aura donés sur des
cartes. Or tous ces avantages incomparablement
plus grans que les avantages des
métodes et des rudimens vulgaires, doivent
nécessairement influer en bien sur
la suite des études et même sur toute
la vie ; car par là on préserve les enfans:
de l'oisiveté , de la fénéantise etc. et on
leur épargne les dégouts et l'amertume
des métodes vulgaires , en un mot , on
leur done de bone heure le gout du travail
, du devoir , et des bones choses , ce
que l'experience a déja heureusement
confirmé sur plusieurs enfans.
,
§. 12. Exemple de deus petits tèmes gravés
sur laplanche de la bibliotèque des enfans,
et donés sur une carte à un enfant qui
doit les composer sur la table du les bure an
tipografique.
L'enfant aïant lu et relu ces tèmes ;
poura ensuite les composer sur la table
du bureau , de la mème maniere qu'il l'a
II. Vol.
praz
DECEMBRE. 1730 2793
pratiqué à l'égard des lètres , et des
mieres combinaisons en latin et en françois.
9
ab bo fli pru Bb
Dd Pp Qq & f
§ J'aime Dieu , parce qu'il
¶ Ego amo Deum , quia ille
eft bo ainfi foit - il.
eft bon Amen
A Paris ce 29. Jui
Parifiis die XXIX . Junii
1730. &c. Fin.
M. DCC. XXX. &c. Finis.
pre-
Pour lui montrer cet exercice , je prens
dans sa cassete les deus crois de pardieu
ou de Jesus , les dis combinaisons des
lètres qui ont servi de premier amusement
literaire , je range surla table les
dis cartes de ces dis combinaisons élementaires
; mais pour le tème interlinéaire
latin-françois , j'ai recours au
F
4
1
II. Vol Bij grand
2794 MERCURE DE FRANCE
·
grand bureau , et je prens dans les lọ-
gètes des signes le paragrafe §.et le pié de
mouche , ensuite je cherche le J' ou
lej capital apostrofé dans la celule du
J , ou dans cèle du pronom de la première
persone ( Ego ) J' , je du rudiment
pratique , que je continue toujours d'expliquer
à l'enfant. Je prens la diftongue
oculaire ai dans la troisième colone ou
celule des è ouverts composés de plusieurs
lètres et au- dessous de la celule des chifres
VII 7. ensuite le m et l'e muet dans leurs
celules , ce qui me done le premier mot
en quatre sons et en quatre cartes , que
je range à l'ordinaire . Ce seroit, par exemple
, une faute tipografique dans cète
classe , d'avoir employé les deus cartes a
pour le seul son de l'è ouvert du
et i
mot j'aime.
Pour le latin j'opère de- mème , je prens
en caracteres rouges italiques ou diferens
et manuscrits , le pronom Ego, dans la lo- gète
des pronoms
de la premiere
perso- ne et le mot amo dans le rudiment
ou
dans le dictionaire
pratique
, à la logète
des verbes ; ce que je montre
et explique
peu à peu à l'enfant , pour lui rendre
sensibles
toutes les parties du discours
. Dn poura composer
le françois
tout de
suite , et après cela le latin , ou chaque
langue mot à mot, ce qui fera plus d'im-
II. Vol. pres
DECEMBRE. 1730. 2795
de pression à l'enfant , et lui permetra
bien espacer les lètres et les mots , mais
il sera bon de pratiquer l'une et l'autre
manière pour varier l'exercice du jeu tipografique.
Je
prens le D capital
, la voyele
i et la
diftongue
oculaire
eu , dans
leurs
celules
,
et je range
ensuite
les trois
cartes
des trois
sons
du mot
Dien. Ce seroit
une faute
tipografique
dans
cette
classe
, d'employer
les deus
cartes
e et u pour
le seul son de
l'e françois
soutenu
en ; l'enfant
qui ,dans
la segonde
classe
, comence
d'imprimer
ou de composer
avec
le seul
premier
bureau
latin
, suivra
le sistème
des lètres
,
come
les imprimeurs
ordinaires
, mais
dès.
que l'enfant
sera mis au bureau
françoislatin
de la troisième
classe
, il doit
ètre
enseigné
et montré
selon
le sistème
des
sons. Je prens
le mot
Deus
dans
le dictionaire
à la celule
D des
noms
apellatifs
, et je mets un m sur le s du mot
Deus,
ou bien
je prens
um dans
la logète
des
terminaisons
des noms
, et je le mets
sur l'us
du mème
mot
Deus , ou bien
je prens
le
D , l'e et l'um
dans
leurs
logètes
, de mème
que les virgules
.
Je trouverai parceque dans le dictionalre
à la celule P des indéclinables , ou les
trois silabes par , ce , qu' , dans trois logètes
diferentes , savoir par , dans la lo-
II. Vol. B iij gète
2796 MERCURE DE FRANCE
gète des indeclinables du bureau tipografique;
ce, dans la celule du pronom hic, et
le qu'apostrofé dans cèle du pronom relatif
qui ou dans la troisiéme celule de la colone
q composé. Je trouve également il dans la
celule du pronom de la troisiéme persone.
La setiéme celule du plus haut rang où
est le tems present de l'indicatif , done
le verbe est , à moins qu'il ne soit encore
dans la celule du verbe substantif, qui est
dans le mème rang. Le mot bo , se prend
dans la logète du b , et dans cèle de la
voyele nazale , en deus cartes pour les
deus sons , au lieu d'en doner trois , qui
d'abord pourolent induire l'enfant en erreur
et lui faire lire b , o , ne , au lieu de
b, ō; ce qui est important pour faire bien
distinguer le n consone et le n nazal ;
distinction utile , qui ne doit point scandaliser
les témoins de cet exercice literaire
, puisque les voyeles nazales á , é ,
í , õ , ũ , où les voyeles à titres se trouvent
non - seulement dans de vieus livres,
mais encore dans des breviaires et dans
des HEURES de l'anée courante. Le latìn
se compose de mème , on prend quia
dans la celule des indéclinables du bureau
ou du dictionaire , et ille , est dans
leurs celules come en françois , de mème
que pour le mot bonus , qu'on trouvera
dans la celule B des noms adjectifs , ou
II.Vol.
bien
DECEMBRE. 1730. 2797
bien on prendra les lètres b , o , n , dans
leurs celules , et le bus ou le petit abregé
dans la troisième celule de la colone u .
Pour le mot composé ainsi soit- il , je
prens un ai d'une seule carte dans les
celules des voyèles nazales ; si , s , oit,-il,
dans leurs logères ; savoir , si , dans la
troisiéme logète de la colone f, qui me
done le s ; oit , dans les terminaisons des
verbes françois ; le tiret apelé division ,
dans les logères des signes , et il dans
cèle de la troisiéme persone . Le mot latin
amen , se trouvera dans la celule A des
indéclinables du dictionaire tipografique ;
les poins dans leur logète ; là accentué
dans la troisième logète de la colone a ;
pour le mot Paris , on cherchera et l'on
a toutes les lètres de ce mot ,a moins
qu'on ne l'ut mis dans la logète des noms
substantifs , dans la logète géografique , ou
dans la logète des noms propres à la lètre
P du dictionìare ; ce, dans la celule du
pronom hit ; 29. et 1730. en latin et en
françois dans la logète du livrèt , ou dans
la derniere des chifres . Ju , en trois cartes
pour les trois sons pris dans les trois celules
du J , u , 7 : etc. dans la troisieme
celule de la colone ; fi en deus cartes
pour les deus sons f, i , pris dans leurs celules
, et le mot finis dans la logète F
des mots apellatifs du dictionaire tipo-
1.
II. Vol. Bilj gra2798
MERCURE DE FRANCE
grafique. Le mot die latin est pris dans la
logète des paradigmes ou des exemples
de la cinquieme déclinaison , etc.
la
On voit par la composition de ce petit
tème , de quelle naniere on doit s'y prendre
pour tous les autres , l'essentiel est
de bien expliquer et de bien faire sentir
à l'enfant la nature , l'usage de chaque
partie du discours , en començant par
langue françoise et passant ensuite à la
langue latine , c'est ainsi qu'on montrera
peu à peu et en mème tems les raports
d'une langue à l'autre. Quand l'enfant
aura plusieurs fois le mème mot dans
son tème , il ne le trouvera qu'une fois
dans le dictionaìre de son bureau , et cela
sufit , ensuite il composera les autres avec
les lètres et les sons de l'A B C mouvant ,
selon les règles de la segonde et de la troisième
classe , je dis ceci par raport aus
mots de moins d'usage , et non pour les
verbes auxiliaires , les pronoms , les prépositions
, l'article et autres mots qui revienent
souvent. J'oubliois de dire que
quand le mot latin sera le mème que le
mot françois , à la terminaison près , il
sufira d'ajouter cète terminaison latine
sous le mot françois ; par exemple : pour
metre à l'acusatif les mots action , immortalité
, etc. on aprendra à l'enfant qu'il
sufit de metre les cartes onem sous l'o d'ac
II. Vol.
tion
DECEMBRE . 1730. 279 9
tion , et cèles d'atem , sous l'é du mot immortalité,
ce qui doit s'entendre et se pra
tiquer pour toutes les parties du discours
déclinables , indéclinables et conjugables,
qui ne seront distinguées du latin que
par les seules terminaisons , et c'est ici
que l'enfant comence de bone heure à
mieus apercevoir les raports et les diferences
de la langue latine et de la langue
françoise avantage téorique et pratique,
que ne peuvent doner aussi - tot les
rudimens ordinaires , fussent- ils tous les
jours articulés et récités sans faute depuis
le comencement jusqu'à la fin.
En voilà , je pense , bien assés pour
metre au fait les maitres judicieus et non
prévenus , qui n'ignorent pas tout à-fait
la doctrine des sons de la langue françoise ,
ceus qui n'en ont aucune conoìssance
pouront lire les essais de M. l'Abé de Dangeau
, et la grammaire du R. P. Buffier
suposé que ces maitres aiment l'analise des
choses et les reflexions sur cète matiere ,
sans quoi ils ne pouront jamais savoir ces
minuties à fond, l'étude én est cependant
nécessaire aus bons maitres qui se piquent
de bien montrer ; l'indiference ou le mépris
sur cet article ne peut jamais leur
faire honeur. Quelques petites que puissent
paroître ces minuties et ces reflexions
aus ïeus de ceus de certaines persones in-
II.Vel.
Bv Ca
2800 MERCURE DE FRANCE
capables de juger du pris et du vraì mérite
des petites choses , il n'en est pas
moins vrai que les maltres , les régens , et
les professeurs payés pour enseigner les
enfans , doivent ètre des premiers à
aprouver la métode du bureau tipografique
suposé qu'elle produise les efets
avantageus que je lui atribue , et qu'elle
alt en bien des choses la superiorité que
je luidone sur toute autre métode conue,
verité que je vais démontrer dans la huitiélètre
et que je ne crains point de publier
tous les jours au centre mème du pays latin,
en faveur des enfans de notre Empire et
des enfans de toute l'Europe . Je suis , etc.
Nota. Les persones curieuses de lire toutes
Les letres sur la biblioteque des enfans , prendront
la peine d'en comencer la lecture dans
le segond volume du Mercure du mois de
Juin 1730 .
On trouvera dans le Mereure de Janvier
un abregé somaire , ou une récapitulation de
tous les avantages de la métode du bureau.
pografique.
bibliotèque des enfans , etc ..
§. 7. Casseau portatif de sis celules.
Ebles literaires de l'enfant , on augaugmentant
peu à peu les meumonte
en même tems le nombre de ses
idées ; on passe du simple au composé, et
du facile au dificile , ou au moins facile.
L'enfant reçoit encore avec plaisir un casseau
portatifde sis celules , trois en haut
et trois en bas , pour les tèmes à lire ou
à faire ; savoir , deus celules pour les
tèmes françois , deus pour les tèmes latins,
II.Vol
et
DECEMBRE. 1730. 2771
et deus pour les tèmes en caractères itafiques
ou manuscrits. Ce casseau poura
entrer dans la cassète , et servir à tenir
les premières cartes donées à l'enfant , et
mème à tenir ensuite le jeu des declinaisons
et des conjugaisons .
Il faut avoir soin de retirer de ces sis
logètes , et en l'absence de l'enfant, les tèmes
qu'il a bien lus, bien faits , et en faire
de petits jeus , dans lesquels on poura de
tems en tems le faire relire après avoir
batu , melé et doné à couper les cartes ,
come l'on a fait en lui montrant à conoltre
les lètres ; cète aparence de jeu
réussit toujours. D'ailleurs , si l'on ne retiroit
de tems en tems quelques tèmes
de ces log tes , le grand nombre pourolt
fatiguer l'élève et mème le dégouter. On
doit y laisser cependant les tèmes historiques
, conus et afectionés ; de peur de
facher l'enfant . très - sensible à l'enlevement
de ses petits éfets. Tout est digne
d'atention , quand on veut voir de grans
progrès , tels qu'on les a vus dans un enfant
qui à trois ans , et sans épeler ,
lisoit bien dans plusieurs livres latins et
françois, et mème dans des manuscrits .
On n'auroit jamais cru que dans quel
ques mois de plus , il ût pris plaísir à séparer
lui- mème les tèmes qu'il savoit bien
Lire , d'avec les autres , et de les mètre
13
II. Vola
dans .
2772 MERCURE DE FRANCE
dans des celules diférentes . L'enfant lisoit
seul distinctement et à haute vois , dans
divers petits livres et sur des cartons ,
pendant des heures entieres , et toujours
avec plaisir et en badinant , si l'on avoit
voulu le suivre il auroit lassé les autres ,
plutot que de se lasser lui- mème , il aìmolt
à lire à haute vois , quoique seul ; le
petit Guillot fait à peu près la mème chose
dans le fameus colège où il est à present
, avec son bureau tipografique. La
plupart des écoliers ne lisent pas volontiers
seuls , ils ont d'ailleurs peine à lire ,
faute d'avoir été bien montrés , ou pour
avoir été rebutés par les épines de la métode
vulgaire , ou faute d'habitude à pouvoir
lire à livre ouvert toute sorte de livres
françois et latins , en prose et en vers.
Au moindre dégout ou ennui qu'on apercevoit
dans le petit Candiac , on le menoit
d'abord ailleurs , et ce n'étoit que
par récompense qu'une autrefois on le remetoit
en possession de son cabinet ; on
ne le menaçoit de l'en faire fortir .que
pour le punir de quelque faute morale ,
et non literaire ; ce qui produisoit tout
l'éfet possible : le bureau étoit toujours
inocent , et cheri de l'enfant.
§ . 8. Porte-tèmes , sac , etc.
La métode du bureau tipografique est
II. Vol.
si
DECEMBRE . 1730. 2773
si amusante dans le plus fort de son instruction
, qu'elle fournit tous les jours
quelque idée nouvele et ingénieuse pour
augmenter le nombre des éfets et des
idées literaires de l'enfant. Il faudra lui
doner un petit sac dans lequel il puisse
tenir une centaine de cartes numerotées ,
qui seront autant de tèmes choisis sur
l'histoire et sur la fable. On poura aussi
faire à l'enfant un joli porte- tèmes de sis
poches , numerotées de bas en haut , I.
2. 3. 4. 5. 6. pour y tenir les tèmes d'une,
de deus , de trois , de quatre , de cinq
et de sis lignes. Ce porte- tèmes fait de
quelque étofe , peut être pendu à un
clou , à un crochet , et à la hauteur de
l'enfant, qui y tiendra ses tèmes les plus
beaus. Cète espece de trousse servira aussi
ensuite pour les sis cas des terminaisons ,
des noms , ou des declinaisons ; pour les
modes et les tems des verbes conjugués ,
etc. Le bureau de l'imprimerie devenant
familier à l'enfant , on doit songer à celui
du rudiment pratique , et à celui du dictionaire
que l'on ppeeuutt aussi réduire en
casserins , pour suivre la rapidité des progrès
literaires de l'enfant amusé et ocupé
des jeus tipografiques.
§. 9. Rudiment pratique.
Le rudiment composé d'un casseau
II.Vol.
de
1774 MERCURE DE FRANCE
de deus rans de cassetins , met aus cinq
premiers d'en bas les cinq declinaisons ,
ou les cas et leurs terminaisons a , a, am,
â; arum , abus , is , as , etc. us , i , 0,um,
eorum , is , os , etc. et au 6 cassetin on.
met encore de semblables terminaisons
pour les noms des cinq declinaisons ;
aus cinq logètes d'en haut on met les
cinq pronoms, ego, tu , ille, hic,qui, en latin
et en françois , chaque cas séparement
sur des cartes en noir et en rouge ou en
caractére manuscrit ; et à la 6 , les ter
minaisons enclitiques des pronoms.Exem
ple en latin ; nam , libet , etc. exemple en
françois , ci , la , - meme , etc..
Les cinq logètes suivantes sont pour
présent , l'imparfait , le passé ou le prétérit
parfait , le plusque parfait, et le fu
tur de l'indicatif ; et les cinq logètes d'en
bas sont pour les mèmes tems du subjonctif;
les deus suivantes d'en haut sont
l'une pour l'impératif , l'autre pour le
gérondif et les supins ; les deus d'en bas,
Fune pour l'infinitif et l'autre. pour les
participes actifs et passifs . Ensuite en haut
les figuratives ou les terminaisons actives
; et en bas les terminaisons passives
des verbes , quoiqu'il y en ait déja de distribuées
dans les logètes de tous les tems
de chaque mode.
· -
**
le
Les quatre logètes suivantes en haut et
.
II. Vol. en
DECEMBRE. 1730. 2775
en bas sont pour mètre des exemples des
verbes comuns , déponens , neutres , irégu
liers ,fubstantifs , vocatifs , défectifs , impersonels
, réciproques, etc. selon l'ordre que
chacun jugera le plus convenable , sans
s'asservir à aucun . On doit encore dire ici
que metant toutes les parties du discours
dans des logètes , c'est moins pour faciliter
à l'enfant l'expedition de son tème
que pour lui aprendre à conoìtre et
sentir l'usage de toutes ces diferentes parties
du discours , et cela dans un age propre
à saisir plutot par pratique que par
téorie le distinctif et la nature de tous
les mots apelés vulgairement parties d'oraison.
Si les maitres se flatent de pouvoir
bien endoctriner leurs élèves avec ·
ła seule métode des rudimens vulgaires;
à plus forte raison doivent- ils esperer de
le faire encore mieux , plus facilement
et plutot avec le nouveau secours du
bureau tipografique à cent quatre- vint
bouches toujours ouvertes pour l'ins
truction de l'enfant.
La logète suivante qui est à la colone
T, contient en haut les terminaisons
françoises des verbes, et en bas les terminaisons
françoises des noms , et des
et des pronoms.
Quand l'enfant saura distinguer les
verbes substantifs et auxiliaires je suis ,
etc. j'ai , etc. il faudra les distribuer dans
11. Vol..
Ies
2776 MERCURE DE FRANCE
و
les logètes des tems , de l'indicatif et du
fubjonctif, afin qu'il aprene à mieus connoitre
par pratique et par sentiment ,
les modes , les tems , les persones , et les
nombres des verbes. Des dis logètes suivantes
, la ie en haut contient le verbe
auxiliaire françois , je suis , tu es , il est ,
etc. et en bas le verbe auxiliaire ; j'ai ,
tu as , il a , etc. la 2º en haut , contient des
noms substantifs et en bas , l'article
françois le , la , les , etc. Cète logète de
l'article françois est d'un grand usage et
instruit de bone heure l'enfant , la 3e en
haut , contient des adjectifs , des positifs,
des comparatifs , et des superlatifs ; et
en bas , des terminaisons pour les dégrés
de comparaison ; exemp. ïor, ïus , ssimus ,
etc. la 4 , haut et bas , toute sorte de
pronoms , françois et latins , démonstratifs
et possessifs ; la se en haut , des verbes
françois ; et en bas , des participes
françois le 6 en haut est pour les participes
, les questions de lieu , les indéclinables
, adverbes , prépositions , conjonctions
, et interjections en latin; et en
bas pour
les mèmes mots françois, c'est-àdire
que les particules séparables et inséparables
pouront aussi y avoir place. Ces
mèmes mots passeront ensuite dans les
logètes du dictionaire , selon l'ordre abécédique.
Les quatre logètes suivantes en
;
II. Vol. haut
DECEMBRE. 1730. 2777
haut , sont pour les genres , les déclinaisons
, les conjugaisons
, et la sintaxe. On
peut y mètre bien des noms , des verbes
et les principales
regles de la métode de
MM. de P.R. ou de meilleures, en prose et
non en vers;ce qui fournira le sujet de plus
sieurs petits tèmes élementaires
, en latin
et en françois , en glose , mot à mot , ou
en interlinéaire
. Les quatre derniéres
logètes
d'en bas sont pour doner des exemples
de toutes ces regles , et de toutes ces
espèces
exemple
: Hic homo , inis. amo ,
avi. ego amo deum , etc. ce qui seroit trop
long à détailler
ici ; on prendra donc là
peine d'aler voir la garniture
et l'assortiment
de quelque bureau complet et ent
plein exercice,come celui du petit Guillot,
qui en sis mois , a apris à lire le latin
le françois , et le grec , et qui sans savoir
écrire s'ocupe
avec succès à la version
et à la composition
des tèmes qu'on lui
done sur des cartes ou sur des livres , et
qu'on tache de lui rendre sensibles par
la doctrine
tipografique
, et par la prati
que journalière
de la version interlinéaire
.
§ .10. Dictionaire
de sis rans de cassetins.
Le dictionaire composé d'un casseau de
sis rangées de 22 ou de go celules chacune ,
metra abecediquement dans la 1 rangée
en bas les verbes et les participes ; dans la
II.Vol.
2de
2778 MERCURE DE FRANCE
2 de, en montant on metra les noms adjec
tifs ; dans la 3e les noms apellatifs ; dans
la 4. les indeclinables , come adverbes ,
prépositions, conjonctions, interjections ;
dans la s . les noms propres qui sont autant
de racines historiques qu'il faut do
her et prodiguer à l'enfant selon son age ,
son état , sa condition et surtout relativement
à la profession à laquelle on le
destine. Dans la 6 rangée on y tiendra le
magasin abécedique des mots de toute
partie du discours , l'étiquete des rangées
sera mise perpendiculairement sur le bois
du premier montant à la tête de chaque
rang ; et l'on metra les letres de l'A , B
Chorisontalement au haut de chaque
colone sur le bois de la plus haute traver
, la letre K sera mise à coté du Qan
haut de sa colone , et les letres X , Y , Z
feront l'étiquete de la 22° colone qui est
la derniere du dictionaìre ; on pouroit se
passer des autres huit colones, suposé que
l'endroit ne permit pas toute la longueur
du dictionaire ou de la bibliotèque de
l'enfant. Les montans et les traversans
du dictionaire ne sont que de trois à
quatre
lignes d'épaisseur , excepté ceus de la
caisse ou du bâtis exterieur qui seront de
neuf lignes ou de la hauteur du corps
des lètres capitales qui doivent servir à
étiqueter les rans et les colones des cassetins.
Pour
DECEMBRE. 1730. 2779
Pour profiter des huit dernières logètes
de chaque rang , on poura mètre au haut
de la colone de la 23 logète , et sur le
bois de la traverse , l'étiquète du mot
noms ; et au bas de la colone sur le bois
de la plus basse travèrse on metra la lètre
a pour indiquer la logète de la 1 ° declinaison
; les autres trous de la colone
pouront également servir pour les autres
declinaisons ; et la 6. logète de cète colone
sera pour les noms de nombre. La
24. colone en haut sera marquée du mot
pronoms et le bas de la colone sera marqué
du mot ego ; les autres logètes de la colone
étant pour toute sorte de pronoms.
Les 25 et 26 colones en haut seront
marquées des mots verbes , verbes ; et au
plus bas elles seront marquées des mots
indicatif, subjonctif; ces logètes serviront
de suplément et de magasin pour tenir
les cartes qui ne pouront plus ètre mises
ou contenues dans les logètes du rudiment
, etc.
,
,
Les quatre dernieres colones en haut
et sur le bois de la traverse , seront marquées
des mots histoire , fable , géografie
cronologie quand le mot ne poura pas
ètre mis tout au long , on le metra en
abregé ou simplement en petites lètres
initiales ; au bas de ces quatre colones et
sur le bois de la traverse on metra les
mots
2-780 MERCURE DE FRANCE
mots bible , mitologie , sphere , époques , en
petites lètres initiales , files capitales ocupent
trop d'espace. La caisse de ce dictionaire
sera mise en long ou d'une maniere
brisée et en plusieurs lignes vis- àvis
du bureau tipografique , ou à coté
ou deriere et adossée selon que le lieu et
les fenètres de la chambre le permetront.
§ . 11. Claffes du bureau tipografique.
Je divise en quatre classes l'exercice du
bureau tipografique
,
Premiere classe.
Pour le jeu de la première classe , je
tire au hazard de la cassete abécédique
les cartes X , M , C , T , S , P , F , G , J
etc. après quoi je montre à un enfant de
deus à trois ans , ou à sa gouvernante la
manière de ranger ces mèmes cartes sur
la table du premier bureau abécédique
c'est à dire de les présenter et de les poser
vis à vis la mème letre ou figure marquée
sur chaque carte. Je mets donc la
carte X vis à vis la letre ou caractère X ,
la carte M vis à vis la letre M ; je fais
la mème chose des autres cartes tirées au
hazard , et je les présente tout le long de
1'4 BC etc. qui regne imprimé sur le lia
b c
2
II. Vol. teau ,
DECEMBRE. 1730. 2781
prateau
, la tringle ou la regle de bois qui
indique vis à vis de l'enfant le deriere
de la table abécédique , come on le
tique en province aus bureaus de la poste,
L'enfant qui ne sait pas encore le nom des
letres poura cependant présenter , et ranger
les cartes vis à vis les signes dont elles
sont marquées , en atendant qu'il sache
leur nom et leur vraie dénomination , ce
qui doit ètre estimé environ la moitié de
la silabisation . un enfant sourd et muet
peut être mis de bone heure à l'exercice
du bureau tipografique , et y aprendre
par les ieus la plupart des choses que les
autres aprènent par l'oreille.
2º Claffe.
Un enfant qui conoìt bien la figure
le vrai nom et la valeur réèle et efective
des letres doit ètre mis à l'exercice de la
segonde classe du bureau latin composé
de deus rans de logetes , l'un pour l'usage
des letres capitales , et l'autre pour
celui des petites letres . Je montre donc à
l'enfant et à son domestique la manière
de ranger , de composer , d'imprimer ou
d'écrire sur la table du bureau tipografique
les 16 cartes ou les 16 letres nécessaires
pour former la ligne des deus mots
latins dominus dominorum , et ensuite les
yint et une cartes ou letres nécessaires
44. Vol
pour
2781 MERCURE DE FRANCE
former une autre ligne composée
pour
de ces sis mots françois mon dieu , je vous
aime bien. Je fais pratiquer la mème chose
à l'égard des autres mots latins ou
françois , c'est à dire que l'enfant les imprime
et les écrit en quelque manière par
le moyen de l'ABC mouvant , en employant
, etrange ant sur la table en une
ligne autant de cartes qu'il y a de letres
dans chaque mot , ou dans chaque frase
qu'on lui done à imprimer.
fais
3º Claffe.
Lorsque l'enfant a travaillé avec succès
à l'exercice de la segonde classe , je le
passer au plutot au jeu de la troisième
classe ou du bureau françois latin , et je
lui montre pour lors la manière d'imprimer
les mots et les frases , non seulement
letre à letre , come le pratiquent
les imprimeurs ordinaires , mais encore
selon le sistème des sons de la langue françoise
; c'est à dire , que je lui enseigne à
chercher métodiquement les 16. cartes ou
les 16 letres nécessaires pour former la
mème ligne déja imprimée en 21. letres,
mon dieu , je vous aime bien , et c'est ici la
véritable et la principale classe où l'enfant
aprend par pratique et par téorie l'usage
des letres , des sons , des chifres , et des
signes employés dans l'impression des
II. Vollivres
DECEMBRE.
1730.
2791
livres ; c'est ici qu'il se forme dabord à
l'ortografe des sons et de l'oreille , en
atendant qu'il aprene l'ortografe des ieus
ou de l'usage vulgaire.
4. Classe.
Quand
l'enfant sait
imprimer letre
letre , et selon les sons de la langue , les
mots et les lignes qu'on lui dicte ou qu'on
lui done sur une carte , je le mets à la
quatrième classe . C'est cèle du casseau du
rudiment
pratique , et je lui montre à
imprimer non seulement letre à letre,sonà
son , mais encore mot à mot ,
employant
par exemple ,sis cartes pour former la mè
me ligne ci dessus ,mon dieu , je vous aime
bien , et ainsi des autres lignes en latin et
en
françois , come on l'a fait en composant
le tème gravé au bas de la planche
du bureau
tipografique §. 12 .
L'avantage des deus premieres classes
consiste à pouvoir amuser et instruire les
enfans de bone heure ; et par une métode
plus agréable , plus courte , plus facile et
plus sure que la métode vulgaire .
L'avantage de la troisième classe est de
mètre les petits enfans en état non seulement
de
travailler utilement seuls et en
l'absence des maitres , mais encore d'aprendre
de bone heure à conoìtre , à sentir,
et à distinguer les sons de chaque mot,
II. Vol.
Co
2792 MERCURE DE FRANCE
ce que bien des gramaìriens , s'il m'est
permis de le dire , ignorent toute leur vie.
L'avantage de la quatrième classe est de
metre un enfant en état d'aprendre les
langues mortes,avant que de savoir écrire,
en imprimant sur la table du bureau les
mots , les lignes et les tèmes qu'on lui aura
dictés ou qu'on lui aura donés sur des
cartes. Or tous ces avantages incomparablement
plus grans que les avantages des
métodes et des rudimens vulgaires, doivent
nécessairement influer en bien sur
la suite des études et même sur toute
la vie ; car par là on préserve les enfans:
de l'oisiveté , de la fénéantise etc. et on
leur épargne les dégouts et l'amertume
des métodes vulgaires , en un mot , on
leur done de bone heure le gout du travail
, du devoir , et des bones choses , ce
que l'experience a déja heureusement
confirmé sur plusieurs enfans.
,
§. 12. Exemple de deus petits tèmes gravés
sur laplanche de la bibliotèque des enfans,
et donés sur une carte à un enfant qui
doit les composer sur la table du les bure an
tipografique.
L'enfant aïant lu et relu ces tèmes ;
poura ensuite les composer sur la table
du bureau , de la mème maniere qu'il l'a
II. Vol.
praz
DECEMBRE. 1730 2793
pratiqué à l'égard des lètres , et des
mieres combinaisons en latin et en françois.
9
ab bo fli pru Bb
Dd Pp Qq & f
§ J'aime Dieu , parce qu'il
¶ Ego amo Deum , quia ille
eft bo ainfi foit - il.
eft bon Amen
A Paris ce 29. Jui
Parifiis die XXIX . Junii
1730. &c. Fin.
M. DCC. XXX. &c. Finis.
pre-
Pour lui montrer cet exercice , je prens
dans sa cassete les deus crois de pardieu
ou de Jesus , les dis combinaisons des
lètres qui ont servi de premier amusement
literaire , je range surla table les
dis cartes de ces dis combinaisons élementaires
; mais pour le tème interlinéaire
latin-françois , j'ai recours au
F
4
1
II. Vol Bij grand
2794 MERCURE DE FRANCE
·
grand bureau , et je prens dans les lọ-
gètes des signes le paragrafe §.et le pié de
mouche , ensuite je cherche le J' ou
lej capital apostrofé dans la celule du
J , ou dans cèle du pronom de la première
persone ( Ego ) J' , je du rudiment
pratique , que je continue toujours d'expliquer
à l'enfant. Je prens la diftongue
oculaire ai dans la troisième colone ou
celule des è ouverts composés de plusieurs
lètres et au- dessous de la celule des chifres
VII 7. ensuite le m et l'e muet dans leurs
celules , ce qui me done le premier mot
en quatre sons et en quatre cartes , que
je range à l'ordinaire . Ce seroit, par exemple
, une faute tipografique dans cète
classe , d'avoir employé les deus cartes a
pour le seul son de l'è ouvert du
et i
mot j'aime.
Pour le latin j'opère de- mème , je prens
en caracteres rouges italiques ou diferens
et manuscrits , le pronom Ego, dans la lo- gète
des pronoms
de la premiere
perso- ne et le mot amo dans le rudiment
ou
dans le dictionaire
pratique
, à la logète
des verbes ; ce que je montre
et explique
peu à peu à l'enfant , pour lui rendre
sensibles
toutes les parties du discours
. Dn poura composer
le françois
tout de
suite , et après cela le latin , ou chaque
langue mot à mot, ce qui fera plus d'im-
II. Vol. pres
DECEMBRE. 1730. 2795
de pression à l'enfant , et lui permetra
bien espacer les lètres et les mots , mais
il sera bon de pratiquer l'une et l'autre
manière pour varier l'exercice du jeu tipografique.
Je
prens le D capital
, la voyele
i et la
diftongue
oculaire
eu , dans
leurs
celules
,
et je range
ensuite
les trois
cartes
des trois
sons
du mot
Dien. Ce seroit
une faute
tipografique
dans
cette
classe
, d'employer
les deus
cartes
e et u pour
le seul son de
l'e françois
soutenu
en ; l'enfant
qui ,dans
la segonde
classe
, comence
d'imprimer
ou de composer
avec
le seul
premier
bureau
latin
, suivra
le sistème
des lètres
,
come
les imprimeurs
ordinaires
, mais
dès.
que l'enfant
sera mis au bureau
françoislatin
de la troisième
classe
, il doit
ètre
enseigné
et montré
selon
le sistème
des
sons. Je prens
le mot
Deus
dans
le dictionaire
à la celule
D des
noms
apellatifs
, et je mets un m sur le s du mot
Deus,
ou bien
je prens
um dans
la logète
des
terminaisons
des noms
, et je le mets
sur l'us
du mème
mot
Deus , ou bien
je prens
le
D , l'e et l'um
dans
leurs
logètes
, de mème
que les virgules
.
Je trouverai parceque dans le dictionalre
à la celule P des indéclinables , ou les
trois silabes par , ce , qu' , dans trois logètes
diferentes , savoir par , dans la lo-
II. Vol. B iij gète
2796 MERCURE DE FRANCE
gète des indeclinables du bureau tipografique;
ce, dans la celule du pronom hic, et
le qu'apostrofé dans cèle du pronom relatif
qui ou dans la troisiéme celule de la colone
q composé. Je trouve également il dans la
celule du pronom de la troisiéme persone.
La setiéme celule du plus haut rang où
est le tems present de l'indicatif , done
le verbe est , à moins qu'il ne soit encore
dans la celule du verbe substantif, qui est
dans le mème rang. Le mot bo , se prend
dans la logète du b , et dans cèle de la
voyele nazale , en deus cartes pour les
deus sons , au lieu d'en doner trois , qui
d'abord pourolent induire l'enfant en erreur
et lui faire lire b , o , ne , au lieu de
b, ō; ce qui est important pour faire bien
distinguer le n consone et le n nazal ;
distinction utile , qui ne doit point scandaliser
les témoins de cet exercice literaire
, puisque les voyeles nazales á , é ,
í , õ , ũ , où les voyeles à titres se trouvent
non - seulement dans de vieus livres,
mais encore dans des breviaires et dans
des HEURES de l'anée courante. Le latìn
se compose de mème , on prend quia
dans la celule des indéclinables du bureau
ou du dictionaire , et ille , est dans
leurs celules come en françois , de mème
que pour le mot bonus , qu'on trouvera
dans la celule B des noms adjectifs , ou
II.Vol.
bien
DECEMBRE. 1730. 2797
bien on prendra les lètres b , o , n , dans
leurs celules , et le bus ou le petit abregé
dans la troisième celule de la colone u .
Pour le mot composé ainsi soit- il , je
prens un ai d'une seule carte dans les
celules des voyèles nazales ; si , s , oit,-il,
dans leurs logères ; savoir , si , dans la
troisiéme logète de la colone f, qui me
done le s ; oit , dans les terminaisons des
verbes françois ; le tiret apelé division ,
dans les logères des signes , et il dans
cèle de la troisiéme persone . Le mot latin
amen , se trouvera dans la celule A des
indéclinables du dictionaire tipografique ;
les poins dans leur logète ; là accentué
dans la troisième logète de la colone a ;
pour le mot Paris , on cherchera et l'on
a toutes les lètres de ce mot ,a moins
qu'on ne l'ut mis dans la logète des noms
substantifs , dans la logète géografique , ou
dans la logète des noms propres à la lètre
P du dictionìare ; ce, dans la celule du
pronom hit ; 29. et 1730. en latin et en
françois dans la logète du livrèt , ou dans
la derniere des chifres . Ju , en trois cartes
pour les trois sons pris dans les trois celules
du J , u , 7 : etc. dans la troisieme
celule de la colone ; fi en deus cartes
pour les deus sons f, i , pris dans leurs celules
, et le mot finis dans la logète F
des mots apellatifs du dictionaire tipo-
1.
II. Vol. Bilj gra2798
MERCURE DE FRANCE
grafique. Le mot die latin est pris dans la
logète des paradigmes ou des exemples
de la cinquieme déclinaison , etc.
la
On voit par la composition de ce petit
tème , de quelle naniere on doit s'y prendre
pour tous les autres , l'essentiel est
de bien expliquer et de bien faire sentir
à l'enfant la nature , l'usage de chaque
partie du discours , en començant par
langue françoise et passant ensuite à la
langue latine , c'est ainsi qu'on montrera
peu à peu et en mème tems les raports
d'une langue à l'autre. Quand l'enfant
aura plusieurs fois le mème mot dans
son tème , il ne le trouvera qu'une fois
dans le dictionaìre de son bureau , et cela
sufit , ensuite il composera les autres avec
les lètres et les sons de l'A B C mouvant ,
selon les règles de la segonde et de la troisième
classe , je dis ceci par raport aus
mots de moins d'usage , et non pour les
verbes auxiliaires , les pronoms , les prépositions
, l'article et autres mots qui revienent
souvent. J'oubliois de dire que
quand le mot latin sera le mème que le
mot françois , à la terminaison près , il
sufira d'ajouter cète terminaison latine
sous le mot françois ; par exemple : pour
metre à l'acusatif les mots action , immortalité
, etc. on aprendra à l'enfant qu'il
sufit de metre les cartes onem sous l'o d'ac
II. Vol.
tion
DECEMBRE . 1730. 279 9
tion , et cèles d'atem , sous l'é du mot immortalité,
ce qui doit s'entendre et se pra
tiquer pour toutes les parties du discours
déclinables , indéclinables et conjugables,
qui ne seront distinguées du latin que
par les seules terminaisons , et c'est ici
que l'enfant comence de bone heure à
mieus apercevoir les raports et les diferences
de la langue latine et de la langue
françoise avantage téorique et pratique,
que ne peuvent doner aussi - tot les
rudimens ordinaires , fussent- ils tous les
jours articulés et récités sans faute depuis
le comencement jusqu'à la fin.
En voilà , je pense , bien assés pour
metre au fait les maitres judicieus et non
prévenus , qui n'ignorent pas tout à-fait
la doctrine des sons de la langue françoise ,
ceus qui n'en ont aucune conoìssance
pouront lire les essais de M. l'Abé de Dangeau
, et la grammaire du R. P. Buffier
suposé que ces maitres aiment l'analise des
choses et les reflexions sur cète matiere ,
sans quoi ils ne pouront jamais savoir ces
minuties à fond, l'étude én est cependant
nécessaire aus bons maitres qui se piquent
de bien montrer ; l'indiference ou le mépris
sur cet article ne peut jamais leur
faire honeur. Quelques petites que puissent
paroître ces minuties et ces reflexions
aus ïeus de ceus de certaines persones in-
II.Vel.
Bv Ca
2800 MERCURE DE FRANCE
capables de juger du pris et du vraì mérite
des petites choses , il n'en est pas
moins vrai que les maltres , les régens , et
les professeurs payés pour enseigner les
enfans , doivent ètre des premiers à
aprouver la métode du bureau tipografique
suposé qu'elle produise les efets
avantageus que je lui atribue , et qu'elle
alt en bien des choses la superiorité que
je luidone sur toute autre métode conue,
verité que je vais démontrer dans la huitiélètre
et que je ne crains point de publier
tous les jours au centre mème du pays latin,
en faveur des enfans de notre Empire et
des enfans de toute l'Europe . Je suis , etc.
Nota. Les persones curieuses de lire toutes
Les letres sur la biblioteque des enfans , prendront
la peine d'en comencer la lecture dans
le segond volume du Mercure du mois de
Juin 1730 .
On trouvera dans le Mereure de Janvier
un abregé somaire , ou une récapitulation de
tous les avantages de la métode du bureau.
pografique.
Fermer
Résumé : SUITE de la setième lètre, sur la bibliotèque des enfans, etc.
Le texte présente diverses méthodes pédagogiques pour enseigner la lecture et l'écriture aux enfants, en utilisant des outils et techniques spécifiques. Un casseau portatif de six cellules permet d'organiser les thèmes à lire ou à faire, avec des cellules dédiées aux thèmes en français, en latin, et en caractères italiques ou manuscrits. Ce casseau peut également contenir des cartes et des jeux éducatifs. Les enfants reçoivent des thèmes à lire ou à compléter, et les thèmes bien réussis sont retirés pour éviter la fatigue et le dégoût. Les thèmes historiques, connus et appréciés, sont conservés pour ne pas frustrer l'enfant. L'apprentissage est rendu amusant et les progrès sont récompensés. D'autres outils mentionnés incluent un porte-thèmes avec six poches numérotées pour organiser les thèmes par nombre de lignes, et un rudiment pratique composé de deux rangées de cassetins pour apprendre les déclinaisons, les pronoms et les conjugaisons. Le dictionnaire est organisé en six rangées de cellules pour classer les verbes, les noms, les adjectifs, les indéclinables, les noms propres et divers mots de la langue. Le texte insiste sur l'importance de la pratique et de l'amusement dans l'apprentissage. Il mentionne des exemples d'enfants ayant rapidement appris à lire et à écrire grâce à ces méthodes. Les classes d'exercice du bureau typographique sont divisées en quatre catégories pour structurer l'apprentissage. La première classe permet aux enfants d'associer des cartes à des lettres ou des figures sur une table abécédique. La deuxième classe introduit l'usage des lettres capitales et petites pour composer des mots latins et français. La troisième classe enseigne la composition des mots selon les sons de la langue française, formant ainsi une base solide en orthographe. La quatrième classe permet aux enfants d'imprimer des mots et des phrases entières, en latin et en français, en utilisant des cartes et des sons. Le texte souligne également l'importance de la maîtrise des rudiments de la langue française pour les enseignants. Il recommande la lecture des essais de l'Abbé de Dangeau et de la grammaire du Père Buffier pour ceux qui ignorent la doctrine des sons de la langue française. Les enseignants doivent apprécier l'analyse et la réflexion sur cette matière pour en maîtriser les détails. La méthode du bureau typographique est présentée comme supérieure aux autres, et ses avantages sont détaillés dans la huitième lettre. Le texte se conclut par une invitation à consulter les lettres sur la bibliothèque des enfants dans le second volume du Mercure de juin 1730, et un abrégé des avantages de la méthode dans le Mercure de janvier.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
15
p. 106-122
Bibliotheque des Poëtes Latins, &c. [titre d'après la table]
Début :
LA BIBLIOTHEQUE des Poëtes Latins et François, Ouvrage aussi utile [...]
Mots clefs :
Poésie, Compilation , Maximes, Morale, Noblot, Latin, Français, Alphabétique , Éducation, Réflexions
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Bibliotheque des Poëtes Latins, &c. [titre d'après la table]
LA BIBLIOTHEQUE des Poëtes Latins et
François, Ouvrage aussi utile pour former
le
JANVIER . 1731. 107
le coeur , qu'agréable pour orner l'esprit,
Accipite hæc animis, lætasque advertite mentes :
Nemo ex hoc numero mihi non donatus abibit.
Virg. Æn. 5.
AParis , chez Rollin , fils , Quay des Auguftins
, vol. in 12. 1731.
Le Public doit cette compilation à
M. Noblot , Auteur d'une Géographie
universelle , imprimée en 1723. chez
Osmont. Il paroît par le choix des passages
des Poëtes Latins et François sur des
sujets détachez et rangez par ordre alphabetique
, que l'Auteur a eu en vue d'être
également utile aux hommes de Lettres ,
et à ceux qui aspirent à cette qualité , en
fournissant aux uns un délassement agréa
ble au sortir de leur Cabinet , et aux autres
des matériaux pour se former le goût
et sçavoir distinguer dans les Ouvrages
qu'ils lisent , les endroits les plus remarquables.
M. Noblot a eu soin , comme le remarque
la Préface , et comme on peut
s'en convaincre par la lecture de son Recueil
, de ne donner que les plus belles
Maximes dont les Poëtes sont remplis ,
er de mettre à celles qui sont équivoques,
des correctifs suffisans dans le précis qu'il
donne en François de chaque pensée des
Poëtes. Il n'a encore donné qu'un premier
168 MERCURE DE FRANCE.
mier Tome qui finit par la lettre E. en
rapportant les Refléxions et les Passages
des Poëtes sur les envieux ; et il avertit
le Public à la fin de son Livre , que si
ce premier Tome mérite son Approbation
, il donnera incessamment la suite
qui est toute prête d'être imprimée.
Sans prévenir le jugement respectable
du Public , nous croyons pouvoir dire
avec M. le Moine , Docteur de Sorbonne
qui a donné son Approbation à l'Ouvrage,
que cet Auteur y choisit avec discernement
les matieres qu'il traite , qu'il y définit
chaque chose avec justesse et précision , et
qu'il ramasse ce que les meilleurs Poëtes
anciens et modernes , Latins et François ,
ont dit de Moral sur les objets que son
Ouvrage nous présente ; nous ne croyons
pas y devoir ajoûter les Poëtes Grecs que
Auteur n'a pas eu en vûë dans ce Recueil
, quoique M. le Moine les ait joints
aux Poëtes Latins et François dans son
Approbation.M.Noblot aura, sans doute,
plus d'attention dans la suite de són Ouvrage
à faire imprimer avec exactitude
les Passages des Poëtes Latins ; car l'Imprimeur
a glissé dans ce premier Tome
un nombre assez considerable de fautes.
Pour donner une idée du Livre qui
vient de paroître , nous allons rapporter
quelques sujets que traite l'Auteur , et
sans
JANVIER. 17317 109
sans entrer dans un détail qui nous meneroit
trop loin , nous nous bornerons
à quelques traits particuliers . M. Noblot
dit sur l'adversité , qu'elle est un état
fâcheux où l'on se trouve réduit par la
perte de la santé , de l'honneur , ou des
biens. Elle est , pour ainsi dire , la Pierre
de touche de l'amitié.Ovide se plaint ainsi
d'un de ses amis qui l'abandonne dans son
malheur.
Dum meapuppiserat valida fundata carina,
Qui mecum velles currere , primus eras.
Nunc, quia contraxit vultum fortuna , recedis.
Auxilio postquàm scis opus esse tuo .
Dissimulas etiam, nec me vis nosse videri ,
Quisque sit , audito nomine , Naso rogas
&c.
Aut age dic aliquam que te mutaverit iram ;
Nam nisi justa tua est , justa querela
mea est.
De Pont. 1. 4. El. 3 .
Il fait voir ensuite à ce faux ami que
la fortune aussi legere que les feuilles et
que le vent même , peut le jetter dans de
pareilles disgraces. Le même Poëte écrivant
à un fidele ami , lui promet un éternel
souvenir de ses services , et ajoute que
c'est dans l'adversité qu'on reconnoit
quels sont les vrais amis .
F Horace
410 MERCURE DE FRANCE.
Horace , L. 2. Od . 3. exhorte à souffrir
patiemment la mauvaise fortune, et à ne
point abuser de la prosperité.
Æquam memento rebus in arduis
Servare mentem , non secùs in bonis.
Ab insolenti temperatam ,
Latitiâ, moriture Deli
L'adversité est encore la Pierre de touche
qui distingue la vraye grandeur d'ame
de celle qui n'est qu'apparente.
Quo magis in dubiis hominum fpectare periclis,
Convenit, adversisque in rebus noscere quid sit;
Nam vere voces tùm primùm pectore ab imo ,
Ejiciuntur , et eripitur persona, manet res,
Lucret. 1. 3 .
M. Rousseau a heureusement imité
cette derniere pensée dans son Ode sur
la Fortune .
Montrez -nous , Guerriers magnanimes ,
Votre vertu dans tout son jour.
Voyons comment vos coeurs sublimes ,
Du sort soutiendront le retour .
Tant que sa faveur vous seconde ,
Vous êtes les Maîtres du Monde ,
Votre gloire nous éblouit ;
Mais au moindre revers funeste ,
Le masque tombe , l'homme reste ,
Et le Héros s'évanouit.
L'AMJANVIER.
1731. III
L'AMBITION.
L'Ambition est un desir ardent de s'é.
lever au - dessus des autres , et pour y parvenir
on viole souvent les loix les plus
sacrées ; mais à peine est- on sorti d'une
heureuse médiocrité, qu'on perd la trans
quillité et le repos.
Quisquis medium defugit iter ,
Stabili nunquàm tramite curret ;
dit Seneque.
L'Ambition ne finit qu'avec la vie ;
telle est celle de tous les Conquerans ,
et telle fut celle de Pirrhus , Roi d'Epire.
Le conseil que Cineas , son Confident
donnoit à ce Roi ambitieux , étoit plein
de bon sens . Car qu'étoit- il besoin que
ce Prince courût les Terres et les Mers
pour trouver un repos dont il pouvoit
joüir sans sortir de l'Epire.
Le conseil étoit sage et facile à gouter :
Pyrrhus vivoit heureux, s'il eût pû l'écouter :
Mais à l'ambition opposer la prudence ,
C'est aux Prélats de Cour prêcher la résidence;
Despr. Ep. 1.
L'Ambition d'Alexandre n'eut aussi
d'autre terme que sa vie.
Unas Pellao juveni non sufficit orbis :
Fij
Estuat
112 MERCURE DE FRANCE.
Estuat infelix angufto limite mundi ,
Ut Gyara clausus scopulis , parvâque seripho :
Cum tamen àfigulis munitam intraverit urbem,
Sarcophago contentus erit . Mors solafatetur,
Quantula sint hominum corpuscula .
Juvenal. Sat. 10.
Ce fougueux l'Angeli , qui de sang alteré ,
Maître du monde entier , s'y trouvoit trop serré.
Despr. Sat.10.
La vraye grandeur et l'héroïsme des
Princes ne consiste pas à établir leur gloire
sur la ruine des Empires.
Il eft plus d'une gloire. Envain aux Conquerans ,
L'erreur parmi les Rois donne les premiers rangs.
Entre les grands Héros ce sont les plus vulgaires;
Chaque siecle est fécond en heureux Témeraires a
Mais un Roi vraiment Roi , qui sage en ses projets
,
Sçache en un calme heureux maintenir ses Sujets;
Qui du bonheur public ait cimenté sa gloire ,
Il faut pour le trouver courir toute l'Histoire.
Tel fut cet Empereur .
Qui soupiroit le soir si sa main fortunée ,
N'avoit par ses bienfatts signalé sa journée.
Despr. Ep. 1.
JANVIER. 1731. 113
M. Rousseau touche très-bien cet endroit
dans son Ode sur la Fortune.
Juges insensez que nous sommes !
Nous admirons de tels exploits :
Est-ce donc le malheur des hommes
Qui fait la vertu des grands Rois ?
Leur gloire féconde en ruines ,
Sans le meurtre et sans les rapines ,
Ne sçauroit-elle subsister ?
Images des Dieux sur la terre ,
Est- ce par des coups de Tonnerre ,
Que leur grandeur doit éclater ?
Portrait d'un vrai Héros.
Quel est donc le Héros solide ;
Dont la gloire ne soit qu'à lui è
C'est un Roi que l'équité guide ,
Et dont les vertus sont l'appui.
modele , Qui prenant Titus pour
Du bonheur d'un Peuple fidele
Fait le plus cher de ses souhaits ;
Qui fuit la basse flatterie ,
Et qui , Pere de la Patrie ,
Compte ses jours par ses bienfaits."
Pour montrer combien les fruits de
P'ambition produisent d'amertume , M.
Noblot rapporte fort à propos la Fable
du Roi et du Berger, composée par M.de
Fiij la
114 MERCURE DE FRANCE
la Fontaine , et un endroit de du Bartas,
où ce Poëte ancien reproche avec beaucoup
de feu et de vehemence aux Rois
guerriers et avides de sang leur cruel desir
de s'élever sur les débris des autres.
Il faut encore voir ce que l'Auteur
rapporte sur les caracteres du vrai ami ;
on y voit avec plaisir la Fable du même
la Fontaine sur les deux amis , et les paroles
de Socrate à ceux qui trouvoient sa
maison trop petite.
Plût au Ciel
que
de vrais amis
Telle qu'elle est , dit-il , elle put être pleine !
Le bon Socrate avoit raison
De trouver pour ceux là trop grande sa maison
Chacun se dit ami ; mais fol qui s'y repose.
Rien n'est plus commun que le nom ¿
Rien n'est plus rare que la chose.
Vulgare amici nomen ; sedrara est fides. Phæd..
L. 3. F. 9.
Nous souhaiterions que les bornes d'un
Extrait nous permissent de suivre l'Auteur
dans ce qu'il dit sur l'amitié , sur l'avare
&c.
BIENFAIT.
On appelle bienfait un don , une grace,
un bon office et tout ce que l'on fait pour
obliger quelqu'un. M. Noblot apporte
l'exemple
JANVIER . 1731.
l'exemple d'Arcesilais qui montre un
ami prévenant et bienfaisant. Nous ren- >
voyons là- dessus le Lecteur au Livre même.
Nos bienfaits doivent se répandre plutôt
sur les necessiteux que sur d'autres.
Benefacta male locata , malefacta arbitror ,
Dit Ennius , cité par Ciceron. Le bienfait
bien placé n'oblige pas seulement ceux
à qui il est accordé , mais encore tous
les gens de bien.
Beneficium dignis ubi das omnes obligas. Pub
Syr.
Le bien qu'on fait aux personnes vertueuses
n'est jamais perdu.
Bonis quod benefit baud perit. Plaut. Rud.
Faire du bien à un autre , c'est s'en faire
à soi même.
Quid exprobas benè quod fecisti , tibi fecisti,
non mihi. Plaut. Trinum.
En rappeler le souvenir , c'est le reprocher.
Nam istae commemoratio
Quasi exprobratio est iramemoris beneficis.
On perd le mérite du bienfait en le
publiant.
Fiiij Un
16 MERCURE DE FRANCE
Un bienfait perd sa grace à le trop publier ;
Qui veut qu'on s'en souvienne , il le doit oublier.
Corn.
Crede mihi , quamvis ingentia , posthume dona ,
Auctoris pereunt garrulitate sui. Mart.
L. 5. Ep. 52.
Vanter un bienfait , c'est s'en payer.
Si Charles par son crédit
M'a fait un plaisir extrême ,
J'en suis quitte ; il l'a tant dit
Qu'il s'en est payé lui- même.Gomés .
Mais il faut payer les bienfaits au moins
de reconnoissance .
•
Beneficia plura recipit qui sçit reddere . Pubi
Syr.
BONHEUR.
Le bonheur consiste dans la possession
des biens que l'on desire ; mais cette possession
n'est parfaite que dans le Ciel .
L'Auteur auroit pû le prouver par ces
Vers de S. Prosper.
Felices verè faciunt semperque beatos ,
De vero et summo gaudia capta bono.
Il ne consiste point dans la gloire ni
dans les plaisirs . L'homme peut être heureux
sans être puissant et sans être élevé ;
mais
JANVIER.
117
1731.
mais on est assez aveugle pour chercher
le bonheur où il n'est pas.
Eheu quàm miseros tramite devio ,
Abducit ignorantia !
Non aurum in viridi queritis arbore ,
Nec vite gemmas carpitis &c.
Quid dignum stolidis mentibus imprecor ?
Opes , honores ambiunt ;
Et cùm falsa gravi mole paraverint ,
Tùm vera agnoscant bona. Boët. L 30
Metrum . 8.
- M. Noblot auroit pû ajoûter ce beau
passage d'Horace. Od. 8. L. 4.
Non possidentem multa vocaveris
Rectè beatum ; rectiùs occupat
Nomen beati , qui Deorum
Muneribus sapienter uti ,
Duramque callet pauperiem pati ;
Pejusque letho flagitium timet &c.
Cependant les hommes au lieu de s'at
tacher au vrai bonheur , se reposent sur
des biens fragiles. Ici M. Noblot rapporte
le bel endroit de la Tragédie de
Polieucte qui commence par ces Vers..
Source délicieuse , en misere féconde ,
Que voulez-vous de moi , flateuse voluptés
F v
Honteux
118 MERCURE DE FRANCE
Honteux attachement de la chair et du monde ,
Que ne me quittez vous quand je vous ai quitté ?
Toute votre felicité ,
Sujette à l'instabilité ,
En moins de rien tombe par terre
Et comme elle a l'éclat du verre ,
Elle en a la fragilité. &c .
Le bonheur qu'on goute dans le Ciel
est le seul solide , le seul immuable ...
Saintes douceurs du Ciel , adorables idées ,
Vous remplissez un coeur qui vous peut recevoir;
De vos sacrés attraits les ames possedées
Ne conçoivent plus rien qui les puisse émouvoir..
Vous promettez beaucoup, et donnez davantage;
Vos biens ne sont point inconstans
Et l'heureux trépas que j'attends.
Ne sert que d'un heureux passage
Pour nous introduire au partage
Qui nous rend à jamais contens. Ibid.
Sur la CHARITE' . M. Noblot rapporte
le beau Cantique que M. Racine a
composé sur elle. Nous renvoyons au
Recueil même..
L'Article sur DIEU est très bien touché.
Dieu , dit-il , ne peut être défini ,
parcequ'il est incompréhensible.
Nous devons avant toutes choses honorer
Dieu .
ImJANVIER.
1731. 119
Imprimis venerare Deos. Virg. Georg. 1 .
Et commencer par lui toutes nos actions..
Ab Love principium. Idem.
C'est Dieu qui a fait le monde , qui le
gouverne et qui l'entretient dans ce bel
ordre où nous le voyons. L'Auteur cite
ici un beau passage de Boëce , qu'il faut
lire dans l'Ouvrage même. La composi
tion du Monde prouve l'existence de
Dieu , selon Manilius.
2
C
Quis credat tantas operum , sine numine , moles
Ex minimis , coecoque creatum foedere mundum.
Elle montre encore la gloire de Dieu .
L'Ode de M. Rousseau sur le Pseaume
Coeli enarrant gloriam Dei , vient ici très
à propos
.
Les Temples et les Autels qui plaisent
le plus à Dieu , sont nos coeurs ; ce sont
eux qu'il veut pour presens.
Nulla autem effigies , nulli commissa metallo
Forma Dei : mentes habitare et pectora gaudet.
Stat. Thebaid. 1. 12.
Quid Coelo dabimus , quantum est quid veneass
omne ,
Impendendus bomo est
ipso. Manil. 1. 4.-
Deus esse ut possit im
Fvi Dieu
120 MERCURE DE FRANCE.
Dieu nous aime mieux que nous ne
nous aimons nous- mêmes .
Carior est illis , ( superis ) homo quàm sibi.
Juv. Sat. 10.
La confiance qu'on met en Dieu ne
peut être ébranlée . Il faut lire sur ce sujet
l'Ode de M. Rousseau , sur le Pseaume
Qui habitat , que l'Auteur rapporte.
Nous ne pouvons suivre l'Auteur dans
la suite des Passages qu'il réunit sur cet
article , comme sur les autres . On trouve
sur celui -cy des traits de Racine , de
Racan , de Rousseau et d'autres Poëtes
qui conviennent parfaitement au sujet ;
et qui font honneur également aux Poëtes
qui les ont produits , et au judicieux
Auteur qui les rassemble.
On y trouve plusieurs Passages Latins.
qui sont pris dans un sens adapté ; mais
dont l'application , heureuse qu'en fait
M. Noblot , ne fait point de tort ni à la
Citation , ni au corps de l'Ouvrage.
CAS DE CONSCIENCE sur le Jubilé,
et l'administration du Sacrement de Pénitence
, sur le Jeûne du Carême , sur
les Danses , sur l'yvrognerie , décidez par
les Docteurs de la Faculté de Théologie
de Paris ; Brochure in 12. A Paris , ruë
S. Jacques chez Ph. N. Lottn.
CON
JANVIER . 1731. 121
CONDUITE pour sanctifier le jour
Anniversaire du Baptême , avec des Regles
et des Maximes pour vivre chrétiennement
dans chaque état , in 18. Prix
1. livre 5. sols. Chez le même.
CATECHISME des Dimanches et des
Fêtes principales de l'année , où on faiť
connoître la sainteté de ces jours , avec
la maniere de les sanctifier. On y a joint
quelques Instructions sur les Pelerinages ,
les Confreries et les Paroisses . in 18. Prix
20. sols. Idem.
INSTRUCTIONS CHRETIENNES
sur le Carnaval . in 12. Prix 25. sols , Idem
INSTRUCTIONS CHRETIENNES
sur les Bains. Brochure in 8. Idem.
MAXIMES CHRETIENNES sur la
Pénitence , sur la Communion , sur le
Jeûne du Carême , sur les Spectacles ,
sur les devoirs des Ouvriers , & c. Brochure
in 24. Idem.
Le R.P. de la Boissiere, Prêtre de l'Ora
toire , après avoir prêché plus de quarante
ans dans Paris avec un grand succés
, se voyant par son grand âge hors.
d'état de continuer , s'est déterminé à
donner
122 MERCURE DE FRANCE
donner au Public ses Sermons . Les trois
premiers Volumes parurent au commencement
de l'an 1730. chez Henry , Libraire
, rue S. Jacques ; le favorable accueil
que leur a fait le Public , a porté
ce Pere à donner chez le même Libraire
la suite , elle comprend les Misteres , les
Panegyriques et l'Oraison Funebre de
Madame Mollé , Abbesse ; ils sont en
vente depuis peu de jours , et comme
ses Panegyriques ont été toujours regardez
comme des modeles en ce genre ,
il est à présumer que le . Public ne les
recevra pas moins favorablement que ce
qui a précedé. Le tout fait six Volumes
in 12 .
François, Ouvrage aussi utile pour former
le
JANVIER . 1731. 107
le coeur , qu'agréable pour orner l'esprit,
Accipite hæc animis, lætasque advertite mentes :
Nemo ex hoc numero mihi non donatus abibit.
Virg. Æn. 5.
AParis , chez Rollin , fils , Quay des Auguftins
, vol. in 12. 1731.
Le Public doit cette compilation à
M. Noblot , Auteur d'une Géographie
universelle , imprimée en 1723. chez
Osmont. Il paroît par le choix des passages
des Poëtes Latins et François sur des
sujets détachez et rangez par ordre alphabetique
, que l'Auteur a eu en vue d'être
également utile aux hommes de Lettres ,
et à ceux qui aspirent à cette qualité , en
fournissant aux uns un délassement agréa
ble au sortir de leur Cabinet , et aux autres
des matériaux pour se former le goût
et sçavoir distinguer dans les Ouvrages
qu'ils lisent , les endroits les plus remarquables.
M. Noblot a eu soin , comme le remarque
la Préface , et comme on peut
s'en convaincre par la lecture de son Recueil
, de ne donner que les plus belles
Maximes dont les Poëtes sont remplis ,
er de mettre à celles qui sont équivoques,
des correctifs suffisans dans le précis qu'il
donne en François de chaque pensée des
Poëtes. Il n'a encore donné qu'un premier
168 MERCURE DE FRANCE.
mier Tome qui finit par la lettre E. en
rapportant les Refléxions et les Passages
des Poëtes sur les envieux ; et il avertit
le Public à la fin de son Livre , que si
ce premier Tome mérite son Approbation
, il donnera incessamment la suite
qui est toute prête d'être imprimée.
Sans prévenir le jugement respectable
du Public , nous croyons pouvoir dire
avec M. le Moine , Docteur de Sorbonne
qui a donné son Approbation à l'Ouvrage,
que cet Auteur y choisit avec discernement
les matieres qu'il traite , qu'il y définit
chaque chose avec justesse et précision , et
qu'il ramasse ce que les meilleurs Poëtes
anciens et modernes , Latins et François ,
ont dit de Moral sur les objets que son
Ouvrage nous présente ; nous ne croyons
pas y devoir ajoûter les Poëtes Grecs que
Auteur n'a pas eu en vûë dans ce Recueil
, quoique M. le Moine les ait joints
aux Poëtes Latins et François dans son
Approbation.M.Noblot aura, sans doute,
plus d'attention dans la suite de són Ouvrage
à faire imprimer avec exactitude
les Passages des Poëtes Latins ; car l'Imprimeur
a glissé dans ce premier Tome
un nombre assez considerable de fautes.
Pour donner une idée du Livre qui
vient de paroître , nous allons rapporter
quelques sujets que traite l'Auteur , et
sans
JANVIER. 17317 109
sans entrer dans un détail qui nous meneroit
trop loin , nous nous bornerons
à quelques traits particuliers . M. Noblot
dit sur l'adversité , qu'elle est un état
fâcheux où l'on se trouve réduit par la
perte de la santé , de l'honneur , ou des
biens. Elle est , pour ainsi dire , la Pierre
de touche de l'amitié.Ovide se plaint ainsi
d'un de ses amis qui l'abandonne dans son
malheur.
Dum meapuppiserat valida fundata carina,
Qui mecum velles currere , primus eras.
Nunc, quia contraxit vultum fortuna , recedis.
Auxilio postquàm scis opus esse tuo .
Dissimulas etiam, nec me vis nosse videri ,
Quisque sit , audito nomine , Naso rogas
&c.
Aut age dic aliquam que te mutaverit iram ;
Nam nisi justa tua est , justa querela
mea est.
De Pont. 1. 4. El. 3 .
Il fait voir ensuite à ce faux ami que
la fortune aussi legere que les feuilles et
que le vent même , peut le jetter dans de
pareilles disgraces. Le même Poëte écrivant
à un fidele ami , lui promet un éternel
souvenir de ses services , et ajoute que
c'est dans l'adversité qu'on reconnoit
quels sont les vrais amis .
F Horace
410 MERCURE DE FRANCE.
Horace , L. 2. Od . 3. exhorte à souffrir
patiemment la mauvaise fortune, et à ne
point abuser de la prosperité.
Æquam memento rebus in arduis
Servare mentem , non secùs in bonis.
Ab insolenti temperatam ,
Latitiâ, moriture Deli
L'adversité est encore la Pierre de touche
qui distingue la vraye grandeur d'ame
de celle qui n'est qu'apparente.
Quo magis in dubiis hominum fpectare periclis,
Convenit, adversisque in rebus noscere quid sit;
Nam vere voces tùm primùm pectore ab imo ,
Ejiciuntur , et eripitur persona, manet res,
Lucret. 1. 3 .
M. Rousseau a heureusement imité
cette derniere pensée dans son Ode sur
la Fortune .
Montrez -nous , Guerriers magnanimes ,
Votre vertu dans tout son jour.
Voyons comment vos coeurs sublimes ,
Du sort soutiendront le retour .
Tant que sa faveur vous seconde ,
Vous êtes les Maîtres du Monde ,
Votre gloire nous éblouit ;
Mais au moindre revers funeste ,
Le masque tombe , l'homme reste ,
Et le Héros s'évanouit.
L'AMJANVIER.
1731. III
L'AMBITION.
L'Ambition est un desir ardent de s'é.
lever au - dessus des autres , et pour y parvenir
on viole souvent les loix les plus
sacrées ; mais à peine est- on sorti d'une
heureuse médiocrité, qu'on perd la trans
quillité et le repos.
Quisquis medium defugit iter ,
Stabili nunquàm tramite curret ;
dit Seneque.
L'Ambition ne finit qu'avec la vie ;
telle est celle de tous les Conquerans ,
et telle fut celle de Pirrhus , Roi d'Epire.
Le conseil que Cineas , son Confident
donnoit à ce Roi ambitieux , étoit plein
de bon sens . Car qu'étoit- il besoin que
ce Prince courût les Terres et les Mers
pour trouver un repos dont il pouvoit
joüir sans sortir de l'Epire.
Le conseil étoit sage et facile à gouter :
Pyrrhus vivoit heureux, s'il eût pû l'écouter :
Mais à l'ambition opposer la prudence ,
C'est aux Prélats de Cour prêcher la résidence;
Despr. Ep. 1.
L'Ambition d'Alexandre n'eut aussi
d'autre terme que sa vie.
Unas Pellao juveni non sufficit orbis :
Fij
Estuat
112 MERCURE DE FRANCE.
Estuat infelix angufto limite mundi ,
Ut Gyara clausus scopulis , parvâque seripho :
Cum tamen àfigulis munitam intraverit urbem,
Sarcophago contentus erit . Mors solafatetur,
Quantula sint hominum corpuscula .
Juvenal. Sat. 10.
Ce fougueux l'Angeli , qui de sang alteré ,
Maître du monde entier , s'y trouvoit trop serré.
Despr. Sat.10.
La vraye grandeur et l'héroïsme des
Princes ne consiste pas à établir leur gloire
sur la ruine des Empires.
Il eft plus d'une gloire. Envain aux Conquerans ,
L'erreur parmi les Rois donne les premiers rangs.
Entre les grands Héros ce sont les plus vulgaires;
Chaque siecle est fécond en heureux Témeraires a
Mais un Roi vraiment Roi , qui sage en ses projets
,
Sçache en un calme heureux maintenir ses Sujets;
Qui du bonheur public ait cimenté sa gloire ,
Il faut pour le trouver courir toute l'Histoire.
Tel fut cet Empereur .
Qui soupiroit le soir si sa main fortunée ,
N'avoit par ses bienfatts signalé sa journée.
Despr. Ep. 1.
JANVIER. 1731. 113
M. Rousseau touche très-bien cet endroit
dans son Ode sur la Fortune.
Juges insensez que nous sommes !
Nous admirons de tels exploits :
Est-ce donc le malheur des hommes
Qui fait la vertu des grands Rois ?
Leur gloire féconde en ruines ,
Sans le meurtre et sans les rapines ,
Ne sçauroit-elle subsister ?
Images des Dieux sur la terre ,
Est- ce par des coups de Tonnerre ,
Que leur grandeur doit éclater ?
Portrait d'un vrai Héros.
Quel est donc le Héros solide ;
Dont la gloire ne soit qu'à lui è
C'est un Roi que l'équité guide ,
Et dont les vertus sont l'appui.
modele , Qui prenant Titus pour
Du bonheur d'un Peuple fidele
Fait le plus cher de ses souhaits ;
Qui fuit la basse flatterie ,
Et qui , Pere de la Patrie ,
Compte ses jours par ses bienfaits."
Pour montrer combien les fruits de
P'ambition produisent d'amertume , M.
Noblot rapporte fort à propos la Fable
du Roi et du Berger, composée par M.de
Fiij la
114 MERCURE DE FRANCE
la Fontaine , et un endroit de du Bartas,
où ce Poëte ancien reproche avec beaucoup
de feu et de vehemence aux Rois
guerriers et avides de sang leur cruel desir
de s'élever sur les débris des autres.
Il faut encore voir ce que l'Auteur
rapporte sur les caracteres du vrai ami ;
on y voit avec plaisir la Fable du même
la Fontaine sur les deux amis , et les paroles
de Socrate à ceux qui trouvoient sa
maison trop petite.
Plût au Ciel
que
de vrais amis
Telle qu'elle est , dit-il , elle put être pleine !
Le bon Socrate avoit raison
De trouver pour ceux là trop grande sa maison
Chacun se dit ami ; mais fol qui s'y repose.
Rien n'est plus commun que le nom ¿
Rien n'est plus rare que la chose.
Vulgare amici nomen ; sedrara est fides. Phæd..
L. 3. F. 9.
Nous souhaiterions que les bornes d'un
Extrait nous permissent de suivre l'Auteur
dans ce qu'il dit sur l'amitié , sur l'avare
&c.
BIENFAIT.
On appelle bienfait un don , une grace,
un bon office et tout ce que l'on fait pour
obliger quelqu'un. M. Noblot apporte
l'exemple
JANVIER . 1731.
l'exemple d'Arcesilais qui montre un
ami prévenant et bienfaisant. Nous ren- >
voyons là- dessus le Lecteur au Livre même.
Nos bienfaits doivent se répandre plutôt
sur les necessiteux que sur d'autres.
Benefacta male locata , malefacta arbitror ,
Dit Ennius , cité par Ciceron. Le bienfait
bien placé n'oblige pas seulement ceux
à qui il est accordé , mais encore tous
les gens de bien.
Beneficium dignis ubi das omnes obligas. Pub
Syr.
Le bien qu'on fait aux personnes vertueuses
n'est jamais perdu.
Bonis quod benefit baud perit. Plaut. Rud.
Faire du bien à un autre , c'est s'en faire
à soi même.
Quid exprobas benè quod fecisti , tibi fecisti,
non mihi. Plaut. Trinum.
En rappeler le souvenir , c'est le reprocher.
Nam istae commemoratio
Quasi exprobratio est iramemoris beneficis.
On perd le mérite du bienfait en le
publiant.
Fiiij Un
16 MERCURE DE FRANCE
Un bienfait perd sa grace à le trop publier ;
Qui veut qu'on s'en souvienne , il le doit oublier.
Corn.
Crede mihi , quamvis ingentia , posthume dona ,
Auctoris pereunt garrulitate sui. Mart.
L. 5. Ep. 52.
Vanter un bienfait , c'est s'en payer.
Si Charles par son crédit
M'a fait un plaisir extrême ,
J'en suis quitte ; il l'a tant dit
Qu'il s'en est payé lui- même.Gomés .
Mais il faut payer les bienfaits au moins
de reconnoissance .
•
Beneficia plura recipit qui sçit reddere . Pubi
Syr.
BONHEUR.
Le bonheur consiste dans la possession
des biens que l'on desire ; mais cette possession
n'est parfaite que dans le Ciel .
L'Auteur auroit pû le prouver par ces
Vers de S. Prosper.
Felices verè faciunt semperque beatos ,
De vero et summo gaudia capta bono.
Il ne consiste point dans la gloire ni
dans les plaisirs . L'homme peut être heureux
sans être puissant et sans être élevé ;
mais
JANVIER.
117
1731.
mais on est assez aveugle pour chercher
le bonheur où il n'est pas.
Eheu quàm miseros tramite devio ,
Abducit ignorantia !
Non aurum in viridi queritis arbore ,
Nec vite gemmas carpitis &c.
Quid dignum stolidis mentibus imprecor ?
Opes , honores ambiunt ;
Et cùm falsa gravi mole paraverint ,
Tùm vera agnoscant bona. Boët. L 30
Metrum . 8.
- M. Noblot auroit pû ajoûter ce beau
passage d'Horace. Od. 8. L. 4.
Non possidentem multa vocaveris
Rectè beatum ; rectiùs occupat
Nomen beati , qui Deorum
Muneribus sapienter uti ,
Duramque callet pauperiem pati ;
Pejusque letho flagitium timet &c.
Cependant les hommes au lieu de s'at
tacher au vrai bonheur , se reposent sur
des biens fragiles. Ici M. Noblot rapporte
le bel endroit de la Tragédie de
Polieucte qui commence par ces Vers..
Source délicieuse , en misere féconde ,
Que voulez-vous de moi , flateuse voluptés
F v
Honteux
118 MERCURE DE FRANCE
Honteux attachement de la chair et du monde ,
Que ne me quittez vous quand je vous ai quitté ?
Toute votre felicité ,
Sujette à l'instabilité ,
En moins de rien tombe par terre
Et comme elle a l'éclat du verre ,
Elle en a la fragilité. &c .
Le bonheur qu'on goute dans le Ciel
est le seul solide , le seul immuable ...
Saintes douceurs du Ciel , adorables idées ,
Vous remplissez un coeur qui vous peut recevoir;
De vos sacrés attraits les ames possedées
Ne conçoivent plus rien qui les puisse émouvoir..
Vous promettez beaucoup, et donnez davantage;
Vos biens ne sont point inconstans
Et l'heureux trépas que j'attends.
Ne sert que d'un heureux passage
Pour nous introduire au partage
Qui nous rend à jamais contens. Ibid.
Sur la CHARITE' . M. Noblot rapporte
le beau Cantique que M. Racine a
composé sur elle. Nous renvoyons au
Recueil même..
L'Article sur DIEU est très bien touché.
Dieu , dit-il , ne peut être défini ,
parcequ'il est incompréhensible.
Nous devons avant toutes choses honorer
Dieu .
ImJANVIER.
1731. 119
Imprimis venerare Deos. Virg. Georg. 1 .
Et commencer par lui toutes nos actions..
Ab Love principium. Idem.
C'est Dieu qui a fait le monde , qui le
gouverne et qui l'entretient dans ce bel
ordre où nous le voyons. L'Auteur cite
ici un beau passage de Boëce , qu'il faut
lire dans l'Ouvrage même. La composi
tion du Monde prouve l'existence de
Dieu , selon Manilius.
2
C
Quis credat tantas operum , sine numine , moles
Ex minimis , coecoque creatum foedere mundum.
Elle montre encore la gloire de Dieu .
L'Ode de M. Rousseau sur le Pseaume
Coeli enarrant gloriam Dei , vient ici très
à propos
.
Les Temples et les Autels qui plaisent
le plus à Dieu , sont nos coeurs ; ce sont
eux qu'il veut pour presens.
Nulla autem effigies , nulli commissa metallo
Forma Dei : mentes habitare et pectora gaudet.
Stat. Thebaid. 1. 12.
Quid Coelo dabimus , quantum est quid veneass
omne ,
Impendendus bomo est
ipso. Manil. 1. 4.-
Deus esse ut possit im
Fvi Dieu
120 MERCURE DE FRANCE.
Dieu nous aime mieux que nous ne
nous aimons nous- mêmes .
Carior est illis , ( superis ) homo quàm sibi.
Juv. Sat. 10.
La confiance qu'on met en Dieu ne
peut être ébranlée . Il faut lire sur ce sujet
l'Ode de M. Rousseau , sur le Pseaume
Qui habitat , que l'Auteur rapporte.
Nous ne pouvons suivre l'Auteur dans
la suite des Passages qu'il réunit sur cet
article , comme sur les autres . On trouve
sur celui -cy des traits de Racine , de
Racan , de Rousseau et d'autres Poëtes
qui conviennent parfaitement au sujet ;
et qui font honneur également aux Poëtes
qui les ont produits , et au judicieux
Auteur qui les rassemble.
On y trouve plusieurs Passages Latins.
qui sont pris dans un sens adapté ; mais
dont l'application , heureuse qu'en fait
M. Noblot , ne fait point de tort ni à la
Citation , ni au corps de l'Ouvrage.
CAS DE CONSCIENCE sur le Jubilé,
et l'administration du Sacrement de Pénitence
, sur le Jeûne du Carême , sur
les Danses , sur l'yvrognerie , décidez par
les Docteurs de la Faculté de Théologie
de Paris ; Brochure in 12. A Paris , ruë
S. Jacques chez Ph. N. Lottn.
CON
JANVIER . 1731. 121
CONDUITE pour sanctifier le jour
Anniversaire du Baptême , avec des Regles
et des Maximes pour vivre chrétiennement
dans chaque état , in 18. Prix
1. livre 5. sols. Chez le même.
CATECHISME des Dimanches et des
Fêtes principales de l'année , où on faiť
connoître la sainteté de ces jours , avec
la maniere de les sanctifier. On y a joint
quelques Instructions sur les Pelerinages ,
les Confreries et les Paroisses . in 18. Prix
20. sols. Idem.
INSTRUCTIONS CHRETIENNES
sur le Carnaval . in 12. Prix 25. sols , Idem
INSTRUCTIONS CHRETIENNES
sur les Bains. Brochure in 8. Idem.
MAXIMES CHRETIENNES sur la
Pénitence , sur la Communion , sur le
Jeûne du Carême , sur les Spectacles ,
sur les devoirs des Ouvriers , & c. Brochure
in 24. Idem.
Le R.P. de la Boissiere, Prêtre de l'Ora
toire , après avoir prêché plus de quarante
ans dans Paris avec un grand succés
, se voyant par son grand âge hors.
d'état de continuer , s'est déterminé à
donner
122 MERCURE DE FRANCE
donner au Public ses Sermons . Les trois
premiers Volumes parurent au commencement
de l'an 1730. chez Henry , Libraire
, rue S. Jacques ; le favorable accueil
que leur a fait le Public , a porté
ce Pere à donner chez le même Libraire
la suite , elle comprend les Misteres , les
Panegyriques et l'Oraison Funebre de
Madame Mollé , Abbesse ; ils sont en
vente depuis peu de jours , et comme
ses Panegyriques ont été toujours regardez
comme des modeles en ce genre ,
il est à présumer que le . Public ne les
recevra pas moins favorablement que ce
qui a précedé. Le tout fait six Volumes
in 12 .
Fermer
Résumé : Bibliotheque des Poëtes Latins, &c. [titre d'après la table]
Le texte présente la 'Bibliothèque des Poètes Latins et François' de M. Noblot, publiée en janvier 1731. Cet ouvrage compile des passages de poètes latins et français sur divers sujets, classés par ordre alphabétique. Noblot vise à offrir un délassement agréable aux hommes de lettres et des matériaux pour former le goût des aspirants. Il a sélectionné les plus belles maximes des poètes et ajouté des correctifs pour les pensées équivoques. Le premier tome, couvrant la lettre E, traite notamment de l'adversité et de l'ambition. L'adversité est décrite comme un état fâcheux où l'on perd la santé, l'honneur ou les biens, et elle est la pierre de touche de l'amitié. Ovide et Horace exhortent à la patience face à la mauvaise fortune et à la reconnaissance des vrais amis. L'ambition est présentée comme un désir ardent de s'élever au-dessus des autres, souvent au prix de la tranquillité et du repos. Des exemples de l'ambition de Pirrhus et d'Alexandre sont donnés, ainsi que des conseils de sagesse pour éviter ces travers. Le texte mentionne également des réflexions sur le bienfait, le bonheur, et la charité. Le bonheur est défini comme la possession des biens désirés, parfaite seulement dans le Ciel. La charité est illustrée par un cantique de M. Racine. L'ouvrage inclut des approbations et des recommandations, notamment celle du Docteur de Sorbonne M. le Moine, qui loue le discernement et la précision de Noblot. Le texte traite également de la dévotion et de la spiritualité, soulignant que les temples et autels les plus agréables à Dieu sont les cœurs humains. Il cite plusieurs passages latins pour appuyer cette idée, notamment des extraits de Stace, Manilius et Juvénal, qui mettent en avant l'amour de Dieu pour l'humanité et la confiance que l'on doit lui accorder. Le texte mentionne également une ode de Rousseau et des passages de Racine, Racan et d'autres poètes qui illustrent bien le sujet. En outre, le texte liste plusieurs brochures et ouvrages religieux disponibles à Paris, tels que des guides pour sanctifier le jour anniversaire du baptême, un catéchisme pour les dimanches et fêtes principales, des instructions sur le carnaval, les bains, la pénitence, la communion, le jeûne du carême, et les devoirs des ouvriers. Il mentionne également la publication des sermons du Père de la Boissière, qui a prêché pendant plus de quarante ans à Paris avec succès. Ces sermons, comprenant des mystères, des panégyriques et une oraison funèbre, sont disponibles en six volumes.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
16
p. 935-943
Discours du P. de le Sante. Extrait, [titre d'après la table]
Début :
Nous avions promis un Extrait du Discours Latin que le [...]
Mots clefs :
Discours latin, Orateur, Français, Histoire, Caractère des français, Rois de France
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Discours du P. de le Sante. Extrait, [titre d'après la table]
NOUVELLES LITTERAIRES
N
DES BEAUX ARTS, &c.
Ous avions promis un Extrait du
Discours Latin que le R. P. de la
Sante , Professeur de Rhétorique au Collége de Louis le Grand, prononça au mois
de Janvier , devant une illustre et nom
breuse Assemblée , sur l'Histoire de Fran
ce: Voici cet Extrait.
Dans son Exorde , l'Orateur témoigne
sa surprise , sur ce que les François ont
un si petit nombre d'Ecrivains qui ayent réüssi nous donner une Histoire complette et achevée de la Nation , eux qui
écrivent si volontiers , et avec assez de
succès sur d'autres sujets , et même sur
PHistoire. Après quelques discussions , le
P. la Sante en rejette la cause , sur ceque
Histoite de France est par elle - même
aussi difficile à écrire , qu'elle est agréable
à lire. Et voilà les deux Propositions qui
partagent son Discours.
E iij
Dan's
936 MERCURE DE " FRANCE
Dans la premiere Partie , l'Orateur ne
voit rien de plus brillant pour un homme de Lettres que de réussir dans l'Histoi
re. Mais cela même, selon lui , en fait la
grande difficulté. L'historien soutient en
quelque sorte le Personnage de Juge et
de Maître.Son Tribunal est comme placé
entre les siécles passez et les siècles à ve÷
nir , pourjuger ceux-là , et instruire ceuxcy.
Les principales qualitez d'un homme
qui veut écrire notre Histoire , sont un
bon esprit , unjugement sain , utie profonde connoissance de cette Histoire ; un
amour impartial de la vérité, un stile décemment poli ; de sorte que pour former
un Ecrivain de ce caractere, il faut réunir
les talens naturels , l'usage de la vie ; un
travail pénible , une raison supérieure, et
toute la culture que l'art peut donner.
Lucien et Ciceron ont dequoi épouvan
ter quiconque entreprend d'écrire l'Histoire , par la singularité des talens qu'ils
exigent pour écrire ; l'un , l'Histoire Gre
que; l'autre , l'Histoire Romaine. Or ce
n'est rien , selon notre Orateur ; si l'on
compare les difficultés , dont parlent ces
grands hommes , à celles que notre Histoire oppose à ceux qui entreprennent de
la manier.
Y
MAY. 1732 937
Y a-t-il d'Histoire qui comprenne un
plus ample détail de faits et d'évenemens
obscurs dans leur origine, envelopez dans
leurs causes , reculez dans la suite des sié
cles , éloignez dans la vaste étendue du
Théatre où ils se sont passez , et tout-àfait merveilleux dans leur issue , quoique
dépouillez du faux merveilleux des faBles des Grecs et des Romains ?
et
Une des grandes difficultez de notre
Histoire vient de ce que le caractere des
François , formé dans un climat doux
temperé, demande une modération d'esprit extraordinaire , dans tout homme
qui entreprend de plaire à la Nation, par
un Ouvrage comme celui- là , qui est plus
particulierement fait qu'aucune autre espece d'Ouvrage pour la Nation.Cette raison est fort ingénieusement trouvée , et a
même un fonds de vérité. Il 'est pourtant
vrai que Paterculus, Tacite et Mainbourg
à qui l'Orateur reproche justement leurs
excès d'esprit , de politique ou de feu d'imagination , ont toujours trouvé et trouveront sans doute toujours des Lecteurs
et des admirateurs , même en grand nombre parmi nous.
Le P. de la Sante veut qu'une Histoire
de France ressemble à un grand Fleuve ,
dont les eaux claires , quoique profondes,
E iiij rou- 419.03
938 MERCURE DE FRANCE
roulent avec majesté leurs flors, et il com
pare les petites Histoires , dont notre Nation ne laisse pas de se faire un assez agréable amusement;à ces Eaux,détournées dans
des Canaux, qui s'élancent en Jets- d'eaux,
en Cascades , et prenent toutes sortes de
formes , plus propres à repaître là vaine
curiosité des Spectateurs , qu'à fertiliser
les Jardins qu'elles font semblant d'arroser.
·
L'Orateur écarte toutes ces gentillesses
de notre Histoire , et ne la consacre qu'à
nourrir solidement l'esprit. Pour cela il
exige unjugement sain et une grande sagacité de critique dans quiconque veut y
réussir. Il touche à cette occasion la diversité des opinions , sur l'origine des
François , sur les commencemens de la
Monarchie , que quelques uns fixent à
Clovis , que d'autres font remonter
Pharamond ; les differends du Roy Philippe le Bel avec le Pape Boniface VIII.
sur lesquels sans rien ôter à nos Rois, sans
trop donner aux Papes ; il faut se souvenir qu'on est François , qu'on est Catholique , qu'on est Historien ; trois qualitez.
qu'on n'allie pasfacilement sans une gran
de solidité d'esprit , sans un grand art de narration.
Pour ce qui est de l'érudition d'un His.
torien
MAY, 1732. 939
torien de France, il est visible qu'elle doit
être des plus étendues ; nulle Monarchie,
nul Empire n'ayant égalé celui- cy pour
la durée. Car les Dominations des Assyrtens a été de mille ans , celle des Medes
⚫de 300 , celle des Perses 230 , celle des
Macédoniens 640, celle des Romains 1200.
L'Empire François compte plus de 1300
ans.
L'Orateur après avoir parlé de l'amour
de la vérité qui doit animer un Historien de France , et du stile pur et noble
qu'on en exige , fait le caractere de nos
principaux Historiens. Il rend justice à
Mezerai , et ne dit rien de trop en faveur
du P. Daniel , applaudissant à ce que celui-là a de bon , et ne dissimulant pas ce
que ce dernier a de mauvais.
Dans la seconde Partie de ce Discours
il entreprend de prouver , ce qui est sans
doute plus facile, que l'histoire de France,
est des plus agréables à lire, sur tout pour
les François.
Deux sortes de gens lisent l'Histoire
les uns pour lire et s'amuser , les autres
pour s'instruire et profiter ; ceux- là ne
veulent que des fleurs , ceux-cy veulent
des fruits ; pour contenter tous les goûts,
il faut plaire et instruire ; et c'est dequoi
le P. de la Sante croit notre Histoire tout
E v à
940 MERCURE DE FRANCE
à- fait capable ; de plaire par la singularité
des évenemens , d'instruire par la gramdeur des exemples.
Cet Orateur ne laisse pas de citer des
traits merveilleux de l'Histoire de France,
qui peuvent aller de pair avec plusieurs
traits de l'Histoire Romaine.Clovis est un
vrai conquerant; la défaite du Général des
Romains, et celle d'Alaric, Roy des Visi
gots les grands exploits de Charlemagne , et bien d'autres , étonneroient bien
autant , si les esprits n'étoient déja étonnez et comme gagnez par l'Histoire Romaine , dont on se trouve tout préoccupé lorsqu'on commence, en France même,
à lire l'Histoire de France. On n'est plus
alors si jeune ni si capable d'éblouissement;ón ne trouve donc rien de nouveau,
on ne revoit que des coppies , et les Romains restent toujours en possession d'un
esprit nourri de la Langue même de Ro
me, avant que d'avoir connu celle de son
Païs ailleurs que dans des conversations
familieres et domestiques.
L'Orateur François se sert de tout, même
de nos défaites et de nos malheurs qu'il
met en parallele avec ceux des Romains.
Nos Rois pris à Pavie et à Poitiers , nos
Vêpres Siciliennes , avec les Fourches caudines , avec la Bataille de Cannes , &c.-
Tout
M.AY. 1732 942
Tout cela ya au but , et fait le merveilleux et l'amusement d'une histoire.
2
Le Pont de Naples, deffendu par Bayard,
vaut bien celui de Rome deff ndu par
Cocles;à Clelie on compare fort à propos la Pucelle d'Orleans , aux Camilles et
aux Marcels Bertrand du Guesclin ; aux
Luculles et aux Pompées , le Maréchal de
Boucicaut, aux Scipions le Comte de Dunois ; aux Vespasiens , Godefroi de Bouillon ; à Germanicus , le Comte de Montfort ; à Drusus , le Maréchal de Brisac ; à
Fabricius , Catinat ; à Emilius , Luxembourg; à Fabius , Turenne ; à César
Condé,
Après ce parallele avec les Romains
l'Orateur défie et peutbien défier toutes
les autres Nations ensemble de l'empor
ter sur les François. Il passe ensuite à l'instruction , dont il prétend que notre Histoire est plus pleine qu'aucune autre.
Et il est vrai que rien n'égale, par exemple , la constance des François à maintenir
leurs Loix, sur tout les Loix fondamenta
les du Royaume , telles que la Loy Sali
que. Il est étonnant , et peut être unique
de voir une Loy portée par les hommes ,
mais , sans doute , tout à fait inspirée de
Dieu , se maintenir, pendant un si long,
E vj tems
942 MERCURE DE FRANCE
temps sans altération ; et cela malgré
des efforts extraordinaires faits en divers
temps par l'Angleterre , par l'Espagne ,
et par la France même , qui n'a pourtant
jamais osé franchir cette Barriere , lors
qu'il a fallu en venir à une décision précise et positive.
L'amour des François pour leurs Rois légitimes , leur fidelité inviolable ont constamment maintenu une Loy si belle' , si
sage , si divine qui rend cet Empire com- me éternel ; et cet amour et cette fidelité
deviennent , par là-même , un des grands
exemples , une des plus solides instruc
tions , qu'aucune histoire puisse soutenir.
L'ardeur des François pour les Croisades , n'est pas sans instruction non plus,
et on y trouve pour le moins autant de
bien à imiter dans l'ente rise , que de
mauvais à éviter dans l'execution . Mais
leur constance à proscrire toute Hérésie ,
tout Fanatisme , toute Religion nouvelle
est aus i d'un grand exemple. L'Arianisme
et les autres erreurs des Grecs ne purent
jamais s'y glisser , les Albigeois ne firent pas de grands progrès. Le Calvinisme
se glissa pas tout, s'empara de tout et à la
fin ne tint rien. Il est surprenant qu'on
ite par tout le François comme un molele de légereté et d'inconstance. On en
juge
MAY. 1732. 943
juge par de petits airs , de petites manieres qui épuisent la vivacité de la Nation , et par là -même , lui laissent toute
sa solidité , toute sa maturité pour les
choses essentielles qui en valent la peine,
C'est par le fond même et par de grands
résultats qu'on doit juger en general d'une Nation comme la nôtre.
N
DES BEAUX ARTS, &c.
Ous avions promis un Extrait du
Discours Latin que le R. P. de la
Sante , Professeur de Rhétorique au Collége de Louis le Grand, prononça au mois
de Janvier , devant une illustre et nom
breuse Assemblée , sur l'Histoire de Fran
ce: Voici cet Extrait.
Dans son Exorde , l'Orateur témoigne
sa surprise , sur ce que les François ont
un si petit nombre d'Ecrivains qui ayent réüssi nous donner une Histoire complette et achevée de la Nation , eux qui
écrivent si volontiers , et avec assez de
succès sur d'autres sujets , et même sur
PHistoire. Après quelques discussions , le
P. la Sante en rejette la cause , sur ceque
Histoite de France est par elle - même
aussi difficile à écrire , qu'elle est agréable
à lire. Et voilà les deux Propositions qui
partagent son Discours.
E iij
Dan's
936 MERCURE DE " FRANCE
Dans la premiere Partie , l'Orateur ne
voit rien de plus brillant pour un homme de Lettres que de réussir dans l'Histoi
re. Mais cela même, selon lui , en fait la
grande difficulté. L'historien soutient en
quelque sorte le Personnage de Juge et
de Maître.Son Tribunal est comme placé
entre les siécles passez et les siècles à ve÷
nir , pourjuger ceux-là , et instruire ceuxcy.
Les principales qualitez d'un homme
qui veut écrire notre Histoire , sont un
bon esprit , unjugement sain , utie profonde connoissance de cette Histoire ; un
amour impartial de la vérité, un stile décemment poli ; de sorte que pour former
un Ecrivain de ce caractere, il faut réunir
les talens naturels , l'usage de la vie ; un
travail pénible , une raison supérieure, et
toute la culture que l'art peut donner.
Lucien et Ciceron ont dequoi épouvan
ter quiconque entreprend d'écrire l'Histoire , par la singularité des talens qu'ils
exigent pour écrire ; l'un , l'Histoire Gre
que; l'autre , l'Histoire Romaine. Or ce
n'est rien , selon notre Orateur ; si l'on
compare les difficultés , dont parlent ces
grands hommes , à celles que notre Histoire oppose à ceux qui entreprennent de
la manier.
Y
MAY. 1732 937
Y a-t-il d'Histoire qui comprenne un
plus ample détail de faits et d'évenemens
obscurs dans leur origine, envelopez dans
leurs causes , reculez dans la suite des sié
cles , éloignez dans la vaste étendue du
Théatre où ils se sont passez , et tout-àfait merveilleux dans leur issue , quoique
dépouillez du faux merveilleux des faBles des Grecs et des Romains ?
et
Une des grandes difficultez de notre
Histoire vient de ce que le caractere des
François , formé dans un climat doux
temperé, demande une modération d'esprit extraordinaire , dans tout homme
qui entreprend de plaire à la Nation, par
un Ouvrage comme celui- là , qui est plus
particulierement fait qu'aucune autre espece d'Ouvrage pour la Nation.Cette raison est fort ingénieusement trouvée , et a
même un fonds de vérité. Il 'est pourtant
vrai que Paterculus, Tacite et Mainbourg
à qui l'Orateur reproche justement leurs
excès d'esprit , de politique ou de feu d'imagination , ont toujours trouvé et trouveront sans doute toujours des Lecteurs
et des admirateurs , même en grand nombre parmi nous.
Le P. de la Sante veut qu'une Histoire
de France ressemble à un grand Fleuve ,
dont les eaux claires , quoique profondes,
E iiij rou- 419.03
938 MERCURE DE FRANCE
roulent avec majesté leurs flors, et il com
pare les petites Histoires , dont notre Nation ne laisse pas de se faire un assez agréable amusement;à ces Eaux,détournées dans
des Canaux, qui s'élancent en Jets- d'eaux,
en Cascades , et prenent toutes sortes de
formes , plus propres à repaître là vaine
curiosité des Spectateurs , qu'à fertiliser
les Jardins qu'elles font semblant d'arroser.
·
L'Orateur écarte toutes ces gentillesses
de notre Histoire , et ne la consacre qu'à
nourrir solidement l'esprit. Pour cela il
exige unjugement sain et une grande sagacité de critique dans quiconque veut y
réussir. Il touche à cette occasion la diversité des opinions , sur l'origine des
François , sur les commencemens de la
Monarchie , que quelques uns fixent à
Clovis , que d'autres font remonter
Pharamond ; les differends du Roy Philippe le Bel avec le Pape Boniface VIII.
sur lesquels sans rien ôter à nos Rois, sans
trop donner aux Papes ; il faut se souvenir qu'on est François , qu'on est Catholique , qu'on est Historien ; trois qualitez.
qu'on n'allie pasfacilement sans une gran
de solidité d'esprit , sans un grand art de narration.
Pour ce qui est de l'érudition d'un His.
torien
MAY, 1732. 939
torien de France, il est visible qu'elle doit
être des plus étendues ; nulle Monarchie,
nul Empire n'ayant égalé celui- cy pour
la durée. Car les Dominations des Assyrtens a été de mille ans , celle des Medes
⚫de 300 , celle des Perses 230 , celle des
Macédoniens 640, celle des Romains 1200.
L'Empire François compte plus de 1300
ans.
L'Orateur après avoir parlé de l'amour
de la vérité qui doit animer un Historien de France , et du stile pur et noble
qu'on en exige , fait le caractere de nos
principaux Historiens. Il rend justice à
Mezerai , et ne dit rien de trop en faveur
du P. Daniel , applaudissant à ce que celui-là a de bon , et ne dissimulant pas ce
que ce dernier a de mauvais.
Dans la seconde Partie de ce Discours
il entreprend de prouver , ce qui est sans
doute plus facile, que l'histoire de France,
est des plus agréables à lire, sur tout pour
les François.
Deux sortes de gens lisent l'Histoire
les uns pour lire et s'amuser , les autres
pour s'instruire et profiter ; ceux- là ne
veulent que des fleurs , ceux-cy veulent
des fruits ; pour contenter tous les goûts,
il faut plaire et instruire ; et c'est dequoi
le P. de la Sante croit notre Histoire tout
E v à
940 MERCURE DE FRANCE
à- fait capable ; de plaire par la singularité
des évenemens , d'instruire par la gramdeur des exemples.
Cet Orateur ne laisse pas de citer des
traits merveilleux de l'Histoire de France,
qui peuvent aller de pair avec plusieurs
traits de l'Histoire Romaine.Clovis est un
vrai conquerant; la défaite du Général des
Romains, et celle d'Alaric, Roy des Visi
gots les grands exploits de Charlemagne , et bien d'autres , étonneroient bien
autant , si les esprits n'étoient déja étonnez et comme gagnez par l'Histoire Romaine , dont on se trouve tout préoccupé lorsqu'on commence, en France même,
à lire l'Histoire de France. On n'est plus
alors si jeune ni si capable d'éblouissement;ón ne trouve donc rien de nouveau,
on ne revoit que des coppies , et les Romains restent toujours en possession d'un
esprit nourri de la Langue même de Ro
me, avant que d'avoir connu celle de son
Païs ailleurs que dans des conversations
familieres et domestiques.
L'Orateur François se sert de tout, même
de nos défaites et de nos malheurs qu'il
met en parallele avec ceux des Romains.
Nos Rois pris à Pavie et à Poitiers , nos
Vêpres Siciliennes , avec les Fourches caudines , avec la Bataille de Cannes , &c.-
Tout
M.AY. 1732 942
Tout cela ya au but , et fait le merveilleux et l'amusement d'une histoire.
2
Le Pont de Naples, deffendu par Bayard,
vaut bien celui de Rome deff ndu par
Cocles;à Clelie on compare fort à propos la Pucelle d'Orleans , aux Camilles et
aux Marcels Bertrand du Guesclin ; aux
Luculles et aux Pompées , le Maréchal de
Boucicaut, aux Scipions le Comte de Dunois ; aux Vespasiens , Godefroi de Bouillon ; à Germanicus , le Comte de Montfort ; à Drusus , le Maréchal de Brisac ; à
Fabricius , Catinat ; à Emilius , Luxembourg; à Fabius , Turenne ; à César
Condé,
Après ce parallele avec les Romains
l'Orateur défie et peutbien défier toutes
les autres Nations ensemble de l'empor
ter sur les François. Il passe ensuite à l'instruction , dont il prétend que notre Histoire est plus pleine qu'aucune autre.
Et il est vrai que rien n'égale, par exemple , la constance des François à maintenir
leurs Loix, sur tout les Loix fondamenta
les du Royaume , telles que la Loy Sali
que. Il est étonnant , et peut être unique
de voir une Loy portée par les hommes ,
mais , sans doute , tout à fait inspirée de
Dieu , se maintenir, pendant un si long,
E vj tems
942 MERCURE DE FRANCE
temps sans altération ; et cela malgré
des efforts extraordinaires faits en divers
temps par l'Angleterre , par l'Espagne ,
et par la France même , qui n'a pourtant
jamais osé franchir cette Barriere , lors
qu'il a fallu en venir à une décision précise et positive.
L'amour des François pour leurs Rois légitimes , leur fidelité inviolable ont constamment maintenu une Loy si belle' , si
sage , si divine qui rend cet Empire com- me éternel ; et cet amour et cette fidelité
deviennent , par là-même , un des grands
exemples , une des plus solides instruc
tions , qu'aucune histoire puisse soutenir.
L'ardeur des François pour les Croisades , n'est pas sans instruction non plus,
et on y trouve pour le moins autant de
bien à imiter dans l'ente rise , que de
mauvais à éviter dans l'execution . Mais
leur constance à proscrire toute Hérésie ,
tout Fanatisme , toute Religion nouvelle
est aus i d'un grand exemple. L'Arianisme
et les autres erreurs des Grecs ne purent
jamais s'y glisser , les Albigeois ne firent pas de grands progrès. Le Calvinisme
se glissa pas tout, s'empara de tout et à la
fin ne tint rien. Il est surprenant qu'on
ite par tout le François comme un molele de légereté et d'inconstance. On en
juge
MAY. 1732. 943
juge par de petits airs , de petites manieres qui épuisent la vivacité de la Nation , et par là -même , lui laissent toute
sa solidité , toute sa maturité pour les
choses essentielles qui en valent la peine,
C'est par le fond même et par de grands
résultats qu'on doit juger en general d'une Nation comme la nôtre.
Fermer
Résumé : Discours du P. de le Sante. Extrait, [titre d'après la table]
Le Père de la Sante, professeur de rhétorique au Collège de Louis le Grand, a prononcé un discours en janvier devant une assemblée nombreuse et illustre. Il exprime sa surprise que les Français, malgré leur talent pour l'écriture, aient peu d'historiens ayant réussi à produire une histoire complète et achevée de la France. Il attribue cette difficulté à la complexité de l'histoire française, qui est à la fois difficile à écrire et agréable à lire. Dans la première partie de son discours, l'orateur souligne que l'histoire est un domaine où les écrivains peuvent briller, mais où les défis sont nombreux. L'historien doit être un juge impartial, placé entre les siècles passés et futurs, avec des qualités telles qu'un bon esprit, un jugement sain, une connaissance profonde de l'histoire, un amour impartial de la vérité et un style décemment poli. Les difficultés de l'histoire française sont comparées à celles des histoires grecque et romaine, décrites par Lucien et Cicéron. L'orateur mentionne également les particularités du caractère français, formé dans un climat tempéré, qui nécessite une modération d'esprit extraordinaire. Il compare l'histoire de France à un grand fleuve aux eaux claires et profondes, contrastant avec les petites histoires qui amusent mais ne nourrissent pas solidement l'esprit. La seconde partie du discours met en avant l'agrément de l'histoire de France, riche en événements singuliers et en exemples grandioses. L'orateur cite des traits merveilleux de l'histoire française, comparables à ceux de l'histoire romaine, et souligne la constance des Français à maintenir leurs lois fondamentales, comme la loi salique. Il mentionne également l'amour des Français pour leurs rois légitimes et leur fidélité inviolable, ainsi que leur ardeur pour les croisades et leur constance à proscrire les hérésies. Malgré les jugements extérieurs sur la légèreté et l'inconstance des Français, l'orateur affirme que la nation montre une grande solidité et maturité dans les choses essentielles.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
17
p. 91-95
Glossaire en neuf Langues, &c. [titre d'après la table]
Début :
GLOSSARIUM Enneasticu, seu Dictionarium novum, &c. c'est-à-dire, Glossaire [...]
Mots clefs :
Langues, Latin, Dictionnaires, Dictionnaire, Programme, Français, Grec
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Glossaire en neuf Langues, &c. [titre d'après la table]
GLOSSARIUM Enrzemticitm m4 Dictia-î
rmrium nez/nm , 0c. dest-à-dire , Glasmi
re- en neuf Langues, ou Dictionnaire nou
ycau pqur. lïntclligenceïde neuf Lan-f
. . _ E vj gues ,
9s.» MER CURE DE FRÂNCE
l
gucs , ÿçavoit : le Latin , le François , PIS‘;
talien , l’Anglois , ‘lilzspagnol , l’Allc——
mand , FHebreu , le Grec Littoral et le»
Grec Vulgaire , disposé suivant une Mé
thode qui forme pour ces neuf Langues
soixante et douze Dictionnaires complets
et. très-utiles , non-seulement aux gens
(le Lettres , mais aussi âceux «qui n’ont
aucune teinture de Latin , comme les
femmes et toutes les autres personnes qui
«par leur éducation et par leur état se
\
trouvent bornées a leur Langue mater
nelle : Ouvrage postume du R. P. Cas
sien , Capucin. . .
sCct Ouvrage est annoncé au Public. par
un Programme Latin et François , impri
’mé en 1731, qui ‘n’est venu que‘ depuis
à notre connaissance. lîsuraisons qui ont porté l’AOutneuyr àtrcooumve
poser cet Ouvrage; la maniere dontil a
eré distribué et dont il doit être imprimé ,‘
suivant l'étendue‘ et Perdre du Manuscrit
de l’Auteu-r. _
L’Auteur du Programme passe ensuite
au dessein et à la division de l’Ouvrage s
il fait remarquer jusquï‘: quel point ce
Dictionnaire se multiplie par le moyen du.
Latin , et quelle est son utilité. Il donne:
une idée generale des 72 Dictionnaires
que ces neuf Langues fournissent, et que
ce
4 4 k Ë
Î JA.N'V I E R.‘ 1733.‘ d 9g‘
ce Glossaire explique dans route leur‘
êtenduèäfll fait voir la difietence de cet’
Ouvrage d’avec les autres Dictionnaires
en plusieurs Langues : il donne ensuite le‘
Prospectus de POuvrage et de ses parties ;
après quoi il fait quelques remarques qui _
servent à entendre Pample détail qu’il‘
donne enouize de ces Dictionnaires , qui;
montent jusqu’â 144.. Il y a joint une‘
Méthode en faveur de ceux qui ne sça
vent pas le Latin , quoique le Latin soit
la clef de ce Dictionnaire , pour qu’ils
' puissent s’en servir utilement à apprendre
es Langues qu’ils veulent sçavoit. _
-» On y trouve enfin dans la Conclusion
du Programme un ex osé de la capacité
du Pere Cassien danslp
Eanguts, papacité que quelques Curieux
ont trouvee msques dans le nom de ce
Pere. Les Approbations terminent le Pro
gramme.
» Voilà, pour ainsi dire, une Esquisse du
Glossaire , disons quelque chose des ce
que le Programme rapporte en détail.
Nous y apprenons que le R. P. Cassien
plein d’un zele ‘tout-âfait loüable , réso
lut de donner en faveur de ‘ceux qui pot-i
tent parmi les Nations la prédication de
lOEvangile , un Dictionnaire qui pût leur
a connoissancc des
faciliter la cqnnoissance des Langues , qui.
SQÏXÎ
n
,4. MERCURE DE "FRANC!
sont les plus étenduës dans Plîurope.‘
Comme il les possedoit parfaitement , il
résolut d'abord de donner un Dictionnai
re en six Langues , sçavolt le Latin , le
François , l‘Italien , l’Anglois , le Grec
Littcral et le Grec Vulgaire. Ce Diction
naire devoir par le moyen du Latin Four
nir jusqifä trente Dictionnaires: en effet ,1
il le composa et en» fit même imprimer;
le Projet: il en ajoûta ensuite trois autres,‘
sçavoir l’Hebreu , l’vAllemand et l’Es a
gnol. Pour l’Allemand il en a acheve le
premierxDictiontiaitc , quiest de l’Alle
mand en François et en Latin ; mais pour
le second qui est celui du Latin en Fran
çois et en Allemand ,il ne pût Fachever,
prévenu par la mort.
M. de Vogel, à la sollicitation du Pere
Urse Capucin , a suppléé à cette perte ,
et c’est à ses travaux que le Public est re
devable de la perfection de ce Diction-q
mire. L’Ouvrage est divisé en deux par
tiez. : dans la premiereJes mots latins sont
expliquez dans les huit autres Langues g
dans la seconde , les huit Langues séparé
ment sont traduites en Latin. Or , en
multi liant les raports avec lacs Langues qu'ondeecxepslieqxupeli,caettiodnes
ces Langues les unes avec les autres , on.
montre que ce Dictionnaire qui fait envi...
. Ion
JANVIER} .1733." 9;‘
ron deux volumes In folio , tient lieu de
r44. Dictionnaires , dont l'acquisition se
roit impossible à bien des personnes. De—'__
là on apperçoit facilement l'utilité et tout
l'avantage de ce Glossaire. Il sufiira pour
faire connoîrre le mérite de cet Ouvrage
de faire remarquer que M. l’Abbî- Renau
a6: , qui ,' comme l’on sçait , avoir des
connoissances si profondes et si étenduës
sur les Langues , en fit Péloge dans Pap
probation qu'il donna àPAuteuren 171 r.
rapportée à lafin du Projet.
Nbublions pas d’avertir les Libraires
q-uo le Programme détaille en particulier,
la maniere dont ils doivent im rimer ce
Dictionnaire , et la forme qu’i s lui doi
vent donner _, eu égard au nombre et à la
grandeur des volumes dans lesquels ils le
distribueront. Le Programme se trouve
à Paris chez le sieur LangloisJm primeur,
ruë S. Etienne d’Egrès , au bon Pas:
tout.
rmrium nez/nm , 0c. dest-à-dire , Glasmi
re- en neuf Langues, ou Dictionnaire nou
ycau pqur. lïntclligenceïde neuf Lan-f
. . _ E vj gues ,
9s.» MER CURE DE FRÂNCE
l
gucs , ÿçavoit : le Latin , le François , PIS‘;
talien , l’Anglois , ‘lilzspagnol , l’Allc——
mand , FHebreu , le Grec Littoral et le»
Grec Vulgaire , disposé suivant une Mé
thode qui forme pour ces neuf Langues
soixante et douze Dictionnaires complets
et. très-utiles , non-seulement aux gens
(le Lettres , mais aussi âceux «qui n’ont
aucune teinture de Latin , comme les
femmes et toutes les autres personnes qui
«par leur éducation et par leur état se
\
trouvent bornées a leur Langue mater
nelle : Ouvrage postume du R. P. Cas
sien , Capucin. . .
sCct Ouvrage est annoncé au Public. par
un Programme Latin et François , impri
’mé en 1731, qui ‘n’est venu que‘ depuis
à notre connaissance. lîsuraisons qui ont porté l’AOutneuyr àtrcooumve
poser cet Ouvrage; la maniere dontil a
eré distribué et dont il doit être imprimé ,‘
suivant l'étendue‘ et Perdre du Manuscrit
de l’Auteu-r. _
L’Auteur du Programme passe ensuite
au dessein et à la division de l’Ouvrage s
il fait remarquer jusquï‘: quel point ce
Dictionnaire se multiplie par le moyen du.
Latin , et quelle est son utilité. Il donne:
une idée generale des 72 Dictionnaires
que ces neuf Langues fournissent, et que
ce
4 4 k Ë
Î JA.N'V I E R.‘ 1733.‘ d 9g‘
ce Glossaire explique dans route leur‘
êtenduèäfll fait voir la difietence de cet’
Ouvrage d’avec les autres Dictionnaires
en plusieurs Langues : il donne ensuite le‘
Prospectus de POuvrage et de ses parties ;
après quoi il fait quelques remarques qui _
servent à entendre Pample détail qu’il‘
donne enouize de ces Dictionnaires , qui;
montent jusqu’â 144.. Il y a joint une‘
Méthode en faveur de ceux qui ne sça
vent pas le Latin , quoique le Latin soit
la clef de ce Dictionnaire , pour qu’ils
' puissent s’en servir utilement à apprendre
es Langues qu’ils veulent sçavoit. _
-» On y trouve enfin dans la Conclusion
du Programme un ex osé de la capacité
du Pere Cassien danslp
Eanguts, papacité que quelques Curieux
ont trouvee msques dans le nom de ce
Pere. Les Approbations terminent le Pro
gramme.
» Voilà, pour ainsi dire, une Esquisse du
Glossaire , disons quelque chose des ce
que le Programme rapporte en détail.
Nous y apprenons que le R. P. Cassien
plein d’un zele ‘tout-âfait loüable , réso
lut de donner en faveur de ‘ceux qui pot-i
tent parmi les Nations la prédication de
lOEvangile , un Dictionnaire qui pût leur
a connoissancc des
faciliter la cqnnoissance des Langues , qui.
SQÏXÎ
n
,4. MERCURE DE "FRANC!
sont les plus étenduës dans Plîurope.‘
Comme il les possedoit parfaitement , il
résolut d'abord de donner un Dictionnai
re en six Langues , sçavolt le Latin , le
François , l‘Italien , l’Anglois , le Grec
Littcral et le Grec Vulgaire. Ce Diction
naire devoir par le moyen du Latin Four
nir jusqifä trente Dictionnaires: en effet ,1
il le composa et en» fit même imprimer;
le Projet: il en ajoûta ensuite trois autres,‘
sçavoir l’Hebreu , l’vAllemand et l’Es a
gnol. Pour l’Allemand il en a acheve le
premierxDictiontiaitc , quiest de l’Alle
mand en François et en Latin ; mais pour
le second qui est celui du Latin en Fran
çois et en Allemand ,il ne pût Fachever,
prévenu par la mort.
M. de Vogel, à la sollicitation du Pere
Urse Capucin , a suppléé à cette perte ,
et c’est à ses travaux que le Public est re
devable de la perfection de ce Diction-q
mire. L’Ouvrage est divisé en deux par
tiez. : dans la premiereJes mots latins sont
expliquez dans les huit autres Langues g
dans la seconde , les huit Langues séparé
ment sont traduites en Latin. Or , en
multi liant les raports avec lacs Langues qu'ondeecxepslieqxupeli,caettiodnes
ces Langues les unes avec les autres , on.
montre que ce Dictionnaire qui fait envi...
. Ion
JANVIER} .1733." 9;‘
ron deux volumes In folio , tient lieu de
r44. Dictionnaires , dont l'acquisition se
roit impossible à bien des personnes. De—'__
là on apperçoit facilement l'utilité et tout
l'avantage de ce Glossaire. Il sufiira pour
faire connoîrre le mérite de cet Ouvrage
de faire remarquer que M. l’Abbî- Renau
a6: , qui ,' comme l’on sçait , avoir des
connoissances si profondes et si étenduës
sur les Langues , en fit Péloge dans Pap
probation qu'il donna àPAuteuren 171 r.
rapportée à lafin du Projet.
Nbublions pas d’avertir les Libraires
q-uo le Programme détaille en particulier,
la maniere dont ils doivent im rimer ce
Dictionnaire , et la forme qu’i s lui doi
vent donner _, eu égard au nombre et à la
grandeur des volumes dans lesquels ils le
distribueront. Le Programme se trouve
à Paris chez le sieur LangloisJm primeur,
ruë S. Etienne d’Egrès , au bon Pas:
tout.
Fermer
Résumé : Glossaire en neuf Langues, &c. [titre d'après la table]
Le texte présente un ouvrage intitulé 'Glossarium Enzementicum m4 Dictia-î', également connu sous le nom de 'Dictionnaire neuf Langues'. Cet ouvrage posthume du Père Cassien, capucin, vise à faciliter la connaissance des langues les plus répandues en Europe. Il inclut le latin, le français, l'italien, l'anglais, l'espagnol, l'allemand, l'hébreu, le grec littéral et le grec vulgaire. Structuré en soixante-douze dictionnaires complets, il est utile tant pour les lettrés que pour ceux n'ayant aucune connaissance de latin, comme les femmes et d'autres personnes limitées à leur langue maternelle. L'ouvrage a été annoncé par un programme latin et français imprimé en 1731. Le Père Cassien, motivé par le désir de faciliter la prédication de l'Évangile, avait initialement prévu un dictionnaire en six langues, mais en a finalement ajouté trois autres. M. de Vogel a complété l'œuvre après la mort du Père Cassien. Le dictionnaire est divisé en deux parties : la première explique les mots latins dans les huit autres langues, et la seconde traduit les huit langues en latin. Ainsi, il équivaut à cent quarante-quatre dictionnaires, rendant son acquisition plus accessible. Le programme détaille également la méthode d'impression et de distribution de l'ouvrage, disponible chez le sieur Langlois à Paris. L'Abbé Renaudot, connu pour ses profondes connaissances linguistiques, a approuvé l'ouvrage.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
18
p. 261-284
DISSERTATION sur les Enseignes Militaires des François, par M. Beneton de Perrin, Ecuyer, ancien Gendarme de la Garde du Roi.
Début :
PREMIERE PARTIE. Depuis que les hommes poussés par l'ambition [...]
Mots clefs :
Père Martin, Enseignes militaires, Rois, Bannière, Église, Symboles, Guerre, Religion, Reliques, Français, Saints, Militaires, Étendards, Romains, Royaume, Drapeaux, Peuples, Dévotion, Figures, Protection, Armées
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DISSERTATION sur les Enseignes Militaires des François, par M. Beneton de Perrin, Ecuyer, ancien Gendarme de la Garde du Roi.
DISSERTATION sur les Enseignes
Militaires des François , par M. Beneton
de Perrin , Ecuyer , ancien Gendarme
de la Garde du Roi.
PREMIERE PARTIE.
Dambition curent songé à dominer
les uns sur les autres , et qu'en conséquence
ils se furent assemblés en troupes
pour attaquer , ou pour se deffendre
ils prirent des marques militaires , soit
Epuis que les hommes poussés par
262 MERCURE DE FRANCE
en couleurs , soit en figures pour se reconnoître
dans les Combats , et ce sont
ces marques qu'on peut encore appeller
signes et symboles , qu'on a ensuite nom
més Enseignes , Drapeaux et Etendarts.
Chaque Nation regarda les siennes
avec un respect et une veneration infinie
, elles servoient à exciter en eux la
valeur et l'envie de bien faire , pour éviter
la honte de les laisser tomber en la
puissance de l'ennemi ; leur perte fut regardée
comme un affront insigne , et ceux
qui les portoient étoient punis de mort
quand ils les perdoient par négligence ou
par lâcheté.
Les Juifs eurent des Enseignes , chacu
ne des douze Tribus avoit la sienne d'une
couleur particuliere , et sur laquelle
étoit le Symbole , qui la désignoit,suivant
la Prophetie de Jacob.
Dans l'Ecriture , et en particulier dans
les Pseaumes , il est souvent parlé en ´un
sens allegorique du Lion de la Tribu de
Juda , du Navire de Zabulon , des Etoiles
ou du Firmament d'Isachar.
Du tems des Machabées les Drapeaux
Hebreux étoient chargés de quatre lettres
équivalentes à celles- ci , MCBI,
qui signifioient selon quelques Commentateurs
, quis sicut tn in Diis Domine ? La
force
FEVRIER. 1733. 253
force de la Guerre est dans le Seigneur
nul n'est égale à lui . Ce sont ces quatre
lettres qui firent donner le nom de Machabée
à la race de celui qui le premier
les fit mettre sur les Etendarts qu'il leva
pour la deffense de la vraie Religion .
C'était dès ces tems- là , et ça été toujours
depuis l'usage des Juifs , de faire des
noms artificiels avec les premieres` lettres
des differens mots qui doivent entrer
dans les noms propres . De là sont venus
les termes de Radaq , de Ralbag
de
Rambana , &c. pour Rabbi David Kimchi
, Rabbi Levi - ben- genson , et Rabbi
Moses ben-maïmon , qui semblent ne rien
signifier à ceux qui ne sçavent pas ces
sortes d'Anagrames; plusieurs autres semblables
mots, dont on a ignoré la veritable
signification , ont fourni aux Cabba
listes les noms qu'ils ont donné aux intelligences
superieures .
Semiramis , Reine des Assyriens étoit
appellée en langage du pays Chemirmor ,
mot qui signifioit aussi une Colombe
de-là vient que les Enseignes de cet Empite
étoient chargées de ces Oyseaux pour
conserver le souvenir de l'Heroïne , de
qui il tenoit son premier éclat ; et quand
les Prophetes exhortoient les Juifs à la
pénitence , ils les menaçoient de cette
Colom
264 MERCURE DE FRANCE
<
Colombe Assyrienne , comme du fleau
de la vengeance Divine le plus à crain
dre.
Semiramis pourroit bien être la Venus
de Phenicie , que les Poëtes nous représentent
sur un Char traîné par des Colombes.
Selon que les Peuples ont été plus ou
moins policés, ils ont aussi employé pour
Drapeaux , ou Etendarts , des choses plus
ou moins recherchées.
Les Romains dans les commencemens
se contentoient de mettre un paquet
d'herbes au bout d'une picque . On sçait
que les Tartares se sont servi de queues
de Cheval , ce qui est encore en usage
chez les Turcs.
Lorsqu'on découvrit l'Amérique , les
habitans de ces vastes contrées n'avoient
pour Enseignes que de grands bâtons ornés
de plumes d'Oyseaux qu'ils appelloient
Calumets.
Les Romains mitent ensuite au bout de
la picque des représentations d'animaux ,
comme celles du Loup , du Cheval , du
Sanglier , du Minotaure , &c. C'est Pline
( L. X. C. IV. ) qui nous l'apprend ,
et ses Commentateurs donnent pour la
plûpart des raisons politiques de ces usages
; ils prétendent, par exemple, que le
Mino
FEVRIER, 1733. 265
Minotaure devoit faire ressouvenir les
gens de Guerre de garder le silence sur les
Entreprises projettées , et ce seroit apparemment
dans cet esprit que Festus appelle
la principale vertu militaire , la Religion
du secret.
Je suis persuadé que tous les animaux
qui servoient d'Enseignes aux Romains
n'étoient que les signes emblématiques
des Divinitez de l'Etat, et c'est pour cela,
sans doute , que l'Aigle étant le Symbole
de Jupiter , le Consul Marius voulut.
qu'elle eut le premier rang parmi les Etendarts.
Les Romains alloient donc à la Guerre
avec ces Symboles de leur culte , et lors
qu'ils eurent pris la coûtume de déïfier
leurs Empereurs , les Portraits de ces Princes
formerent chez eux de nouveaux Etendarts
, qu'ils joignirent aux anciens. Le
respect que les Soldats rendoient à leurs
Enseignes montroit qu'ils les regardoient
comme quelque chose de sacré .
C'étoit devant elles que se faisoient les
Sermens de fidelité , et les engagemens du
Service Militaire ; on les prenoit à témoins
des Traitez de Paix , et des promesses
faites aux Etrangers , on les encençoit
, et on les honoroit de plusieurs
autres cerémonies de Religion.
Le
266 MERCURE DE FRANCE:
Le bois, ou le métail étoient les matieres
dont on faisoit les Enseignes , et pour
la forme elles étoient en Sculpture entiere
, ou en bas relief, dans des Médaillons
au-dessous desquelles pendoit en forme
de Banniere un petit morceau d'Etoffe
quarré , dont la couleur distinguoit
les Légions les unes des autres.
Il y avoit aussi des Drapeaux d'Etoffe
sans aucunes figures , et ils étoient de
differentes couleurs ; cela s'apprend par
la maniere que les Romains avoient d'enrôler
des Soldats dans les pressans besoins
.
Le Géneral que la République avoit
désigné pour commander l'Armée montoit
au Capitole ; là il élevoit deux de ses
Drapeaux , l'un rouge qui étoit la mar
que de l'Infanterie , l'autre bleu qui étoit
celle de la Cavalerie ; ensuite à haute
voix il prononçoit ces paroles : Que ceuse
qui aiment le salut de la République ne tarà
me suivre. dent
pas
Ceux qui vouloient aller à la Guerre
chacun, suivant son inclination de servir
à pied , ou à cheval , se rangeoient sous
l'un des deux Drapeaux , et cette maniere
de faire des levées extraordinaires se nom
moit évocation.
Jusqu'au tems de Constantin il n'y
·
et
FEVRIER. 1733. 267
eut point de changement dans les Enseignes
Romaines : mais alors le Christianisme
, qui s'établissoit par tout l'Empire,
y en apporta. Les , Aigles , et les Croix
allerent de compagnie ; il se fit un mêlange
des usages de la vieille Religion
avec ceux de la nouvelle , et les Fideles.
étant alors absolument désabusés des erreurs
du Paganisme , et se trouvant en
très-grand nombre dans les Armées de
Constantin , et de ses Successeurs , il n'y
avoit plus à craindre qu'ils prostituassent
leur adoration aux Symboles des anciennes
Divinitez , comme ils avoient fait
auparavant.
Par là s'introduisit une espèce d'indifférence
pour toutes sortes d'Etendarts , et
au milieu du Christianis me même on
retint ces Symboles , inventés autrefois
par les Payens , qu'on jugea toujours utiles
pour la distinction , et qui devenoient
sans conséquence pour des Soldats Chré
tiens , instruits , et constans dans leur
Religion
Les Empereurs depuis Constantin eurent
pour principale Enseigne de Guerre
le Labarum qui étoit une petite Banniere
de couleur de pourpre , sur laquelle
étoit brodé le Monograme de
CHRIST ,
228 MERCURE DE FRANCE
CHRIST, Signe adorable de notre Rédemp
tion .
*
Les autres Nations Etrangeres que les
Romains nous ont fait connoître avoient
aussi leurs Signes Militaires. Tacite nous
apprend que ceux des Germains étoient
Les figures des bêtes communes dans les
Forêts que les peuples habitoient , et selon
le Pere Martin , ces bêtes étoient aussi
les Symboles de leurs Divinitez . On sçait
que c'est de l'union de ces Peuples ligués
ensemble qu'a été formée la Nation Françoise
ce qui fit que cette Nation eut
pendant long- tems differens Symboles
sur ses Etendarts , on y voyoit des Lions ,
des Serpens et des Crapeaux .
Tout cela sert à expliquer la prétenduë
Prophetie de Sainte Hildegarde , qui dans
ses révélations , en parlant de la ruine de
Rome par les Nations de la Germanie
assûre que Dieu donnera aux Francs le
Camp des prostituez , et que le Lion brisera
l'Aigle avec le secours du Serpent.
Cela servira encore à faire voir que
dans le XII . siécle , où vivoit cette Sainte
, les François n'avoient pas perdu la
* Dom Jacques Martin , dans son Livre sur la
Religion des Gaulois.
con :
FEVRIER. 1733 269
connoissance de leurs anciens Symboles
militaires et sur quels fondemens nos
vieux Historiens ont crû que les premieres
Armes du Royaume avoient été des
Crapaux.
:
Quand les François entrerent dans les
Gaules , ils étoient déja partagés en deux,
branches , l'une dite des Ripuaires , et
l'autre des Sicambres. Chacune de ces
branches avoit son Symbole celui de
la premiere étoit l'Epée , qui désignoit
Mars , Dieu principal de la Nation ; et la
seconde avoit pour le sien une tête de
Boeuf , ou un Apis , Dieu des Egyptiens ,
dont une partie des Francs tiroit son
origine.
J'ai montré dans ma Dissertation sur .
l'origine des François , que Sesostris ayant
poussé ses Conquêtes jusqu'aux Palus méo-´
tides , laissa plusieurs Egyptiens et Cananéens
qui s'établirent dans ces Contrées
d'où ils se sont répandus en differens tems
dans la Pannonie , et jusques dans la Germanie
, après s'être mêlés avec les Scytes
, et d'autres Peuples Septentrionaux.
Le Tombeau de Childeric découvert au
siécle passé , et dans lequel se trouverent
plusieursTêtes d'Apis, prouve que leSymbole
de ce Dicu étoit un des signes militaires
des François ; ainsi les Fleurs de
D lys
>
270 MERCURE DE FRANCE
lys qui sont depuis long- tems le caracte→
re distinctif de notre Nation , pouvoient
être aussi- bien des Lotus Egyptiens que
des Iris , ou des Flambes des Marais de
Batavie.
L'Ecriture des premiers Empires étoit
en caracteres symboliques , Les Caldéens
et les Egyptiens avoient des hierogliphes
pour exprimer leurs pensées , et les termes
des Sciences qu'ils cultivoient , surtout
de l'Astronomie ; cela se prouve par
les figures d'animaux dont ils marquoient
les Constellations célestes , que nous mar
quons encore des mêmes figures depuis
eux .
Les grands Empires de l'Orient ont
conservé depuis leur fondation jusqu'à
présent des Symboles distinctifs.Les Turcs!
ont le Croissant , les Persans ont un
Lion surmonté d'un Soleil Levant.
Le principal Kam des Tartares a un
Hibou , l'Empereur de la Chine un Dragon
, et les Mandarins qui sont les
Grands de cet Empire , portent sur leurs
habits des figures d'Oyseaux , et d'animaux
pour distinguer les differentes classes
que composent ces Seigneurs , ce qui
fait la même distinction que font les
marques particulieres de chacun de nos
Ordres de Chevalerie,
Les
FEVRIER. 17330 271
Les François garderent les Symboles
dont je viens de parler jusqu'au tems de
Clovis ; mais ce Roi après sa conversion ,
profitant du conseil salutaire que lui avoit
donné S. Remy : Mitis depone colla sicam
ber : adora quod incendisti , incende quod
adorasti , d'adorer ce qu'il avoit brûlé
et de brûler ce qu'il avoit adoré , fit mettre
des Croix sur ses Etendarts , et donna
à ce Signe respectable de la Religion qu'il
venoit d'embrasser , la premiere place sur
tous les autres dont sa Nation s'étoit servi
jusqu'alors.
J'ai dit plus haut que les Romains regardoient
leurs Enseignes comme quelque
chose de sacré , ils n'étoient pas les
seuls qui fussent dans cet usage , les autres
Nations payennes l'avoient de même
, ce qui me donne occasion de distinguer
deux sortes de signes militaires , les
uns de dévotion , faits pour exciter la
pieté dans les Soldats , et pour les mieux
contenir par la vue de ces Signes misterieux
de la Religion qu'ils professoient.
Et les autres inventez pour exciter simplement
la valeur . Ainsi on portoit dans,
les Armées des marques sacrées , et des
marques d'honneurs ou de politique.
>
Cette distinction est de tous les tems ;
Dij ct
272 MERCURE DE FRANCE
&
et a été chez tous les Peuples qui n'alloient
point à la Guerre sans des objets visibles
de leur culte.
Les Perses adorateurs du Soleil y al
loient avec le feu perpetuel qu'ils entretenoient
soigneusement sur des Autels -portatifs
.
Les Israëlites depuis Moyse jusqu'au
tems des Rois, n'entreprenoient point de
Guerres que l'Arche d'Alliance ne fut
presque toujours portée , pour montrer
que c'étoit de l'ordre du Seigneur qu'ils
les entreprenoient et qu'ils mettoient en
lui toute leur confiance.
Les Empereurs Grecs faisoient porter
la vraie Croix de Jesus- Christ dans les
Armées destinées à combattre pour la
Religion , ce qui fit tomber plusieurs fois
cette sainte Relique au pouvoir de ses
ennemis . Tous les Souverains des Monarchies
qui se formerent des débris de l'Empire
Romain , si tôt qu'ils eurent embrassé
le Christianisme , se firent un devoir
de n'aller à la Guerre qu'avec des
Reliques , et principalement de celles des
Saints qu'ils reconnoissoient comme leurs
Apôtres , et dont ils se firent des Patrons
pour reclamer leurs secours dans les pres
sans besoins.
Les Gots du Royaume d'Arragon se
voyant
FÉVRIER. 1733. 273
voyant attaquez par Childebert Roi de
France , furent au-devant de lui avec les
Reliques de S. Vincent , pour obtenir
plus facilement la paix de ce Prince.
On portoit processionellement les Châsses
des Saints sur les murailles d'une Ville
assiegée , et les yeux de la foi faisoient
souvent appercevoir aux peuples, assiegez
ces saints Protecteurs en qui ils avoient
confiance , qui paroissoient armés pour
les deffendre .
Les Apôtres S. Pierre et S. Paul combatirent
visiblement pour le Pape saint
Léon , lors de l'irruption d'Attila ; et les
Chrétiens d'Espagne virent plusieurs fois
S. Jacques , l'épée à la main , leur aider à
repousser les Maures.
Il ne faut pas douter par tous ces exem →
ples que les Rois de France , Successeurs
de Clovis , n'ayent eu aussi le même usage
, et qu'outre les Enseignes chargées de
Croix , ces Princes ne fissent porter à la
Guerre des Châsses pleines de Reliques.
Auguste Galland , dans un Ouvrage
qu'il a composé sur le même sujet que je
traite , pour n'avoir pas senti la distinction
qu'il faut faire des Enseignes pieuses ,
de celles de pure politique , est tombé
dans l'erreur de croire que la Chape de
Diij S.
.
274 MERCURE DE FRANCE
S. Martin , portée autrefois dans les Armées
Françoises , étoit positivement le
Manteau de ce Saint , que l'on attachoit
à une picque pour en faire la principale
Enseigne. Débrouillons un peu ce que
c'étoit que cette Chape , et montrons
qu'elle étoit toute differente de ce qu'on
nommoit Enseigne principale , ou nationale
, et que si on lui veut conserver le
nom d'Enseigne , elle ne sera que du nombre
de celles que j'ai nommées sacrées
pour les distinguer des autres qui étoient
purement des Symboles propres à exciter.
la valeur & le courage .
Chaque Nation chrétienne en prenant
un Saint , pour reclamer sa protection auprès
de Dieu , en choisissoit ordinairement
un qui eut vêcu parmi eux , et à qui
elle fut redevable de sa conversion
cette raison auroit dû engager les François
à prendre pour Patron ,ou S. Irenée , ou
l'un des sept Evêques reconnus unanimement
pour les premiers Apôtres des Gaules
.
Mais comme il auroit été difficile de
s'accorder sur celui de ces Saints , qui auroit
merité la préférence , et que chaque
Province auroit voulu avoir le Saint de
qui elle tenoit la foi , on se détermina insensiblement
à faire choix de S. Martin
EvêFEVRIER.
1733 275
1
Evêque de Tours , dont le souvenir des
mérites éclatans se conservoit encore par
une tradition vivante , et par les miracles
qui s'opéroient à son Tombeau , qui
étoit devenu par là le lieu le plus saint, et
le plus fréquenté du Royaume , comme
nous l'apprenons de S. Grégoire , un de
ses Successeurs. La Ville de Tours étoit
le centre du Royaume , et une de ses
Villes capitales , tout cela acheva de déterminer
les François à regarder S. Martin
comme leur principal Patron , et à
lui donner le premier rang sur tous les
autres Saints Missionnaires , qui avoient
prêché la Foi en France.
Ce que je viens de dire n'est pas une
simple conjecture ; nos anciennes Histoires
font assez connoître que la dévotion
à S. Martin , étoit si grande dans les
premiers siècles de la Monarchie , qu'il
n'étoit appellé que le Saint et le tres - Saint,
sans autre addition de nom : Dominus ,
Sanctus Dominus , gloriosissimus Dominus ;
la mémoire de ce Saint devint en si grande
veneration par toute la France que
jour de sa Fête étoit l'Epoque du renouvellement
de toutes les affaires civiles :
c'est pourquoi l'on y joignoit les Festins , et
les Réjouissances publiques, comme pour
servir d'heureux présage de ce qui devoit
D iiij
le
ar276
MERCURE DE FRANCE
arriver pendant l'année. Les Grands Parlemens
ne s'assembloient que pendant
l'octave qui suivoit cette Fête.
La dévotion generale de tout le peuple
envers S. Martin , procura de si grands
biens à l'Eglise où étoit son Tombeau par
l'affluance des Pelerins qui y laissoient de
Riches offrandes , que lorsque cette Eglise
, qui étoit d'abord une Abbaye de
l'Ordre de S. Benoît , fut secularisée l'an
848. par l'Empereur Charles - le -Chauve ;
ce Prince , à l'exemple de ses Prédecesseurs
, se fit un devoir de s'en déclarer le
Protecteur, et peu de temps après il y mit
un Abbé laïc , pour en administrer le
temporel.
Tous les Souverains ont de droit la Garde
et la Protection des Grandes Eglises
de leurs Etats . Sans faire remonter l'origine
de ce droit à Constantin , je remarquerai
seulement que depuis que Pepin et
son Fils Charlemagne se furent rendus
les deffenseurs de l'Eglise Romaine contre
les Lombards , les Successeurs de ces deux
Princes ne crurent pas avilir leur dignité,
en y ajoutant quelquefois la qualité d'Avoué
des Eglises les plus celebres de leur
Royaume. Louis , Roy de Germanie , fut
Advoüé de l'Abbaye de S.Gal, en Suisse ,
et l'Empereur Othon I. de celle de Gemblou
, en Brabant,
Hus
FEVRIER . 1733 277
Hugues Capet étant monté sur le
Trône , se démit de la qualité d'Abbé
Laïc de S. Martin de Tours , que ses
Ancêtres avoient portée depuis le Prince
Robert le Fort , se réservant néanmoins
pour lui et ses Successcurs , le Titre de
Chanoine d'honneur, pour montrer qu'il
prétendoit toujours conserver le droit de
Protection , que les Rois , ses Prédeces
seurs avoient voulu avoir sur cette fameuse
Abbaye.
Les premiers de nos Monarques qui s'obligerent
par piété , à proteger l'Abbaye
de S. Martin , pour montrer publiquement
que la dévotion étoit le seul motif
qui les engageoit , mirent la Banniere de
cette Abbaye au nombre de leurs Enseignes
generales , et par là cette Banniere ,
qui n'auroit dû paroître que dans les occasions
où il falloit soûtenir le temporel
de l'Abbaye , ayant été portée dans toutes
les grandes Expeditions que nos Rois
entreprirent , elle devint bien-tôt la prin
cipale Enseigne de la Nation .
La dévotion de nos Princes envers saint
Martin ne se borna pas là ; mais par une
suite de l'ancien usage , toutes les fois que
la Banniere de ce Saint alloit à l'Armée ,
elle étoit suivie des Reliques du Saint
même ; on ne trouvera rien d'extraordi-
D v naire
278 MERCURE DE FRANCE
naire dans cette pratique , si on se souvient
des exemples que j'ai donnez cy dessus ,
elle se perpetua tant que durerent les
Guerres contre Is Sarasins et les Normands
, qui ravagerent la France pendant
les 8,5 et 10 siécles . Ces Gurres étant
toutes des Guerres de Religion , on sentoit
alors mieux que dans tout autre
temps , combien on avoit besoin des secours
du Ciel , et de l'intercession des
Saints Patrons pour les obtenir. -
On ignoreroit entierement ce que c'étoit
que ces Reliques de S. Martin , portées
à l'Armée , sans une des Formules de la
Collection de Marculfe , qui nous apprend
que nos Rois avoient toujours près d'eux
un Oratoire ou Châsse qui contenoit en
tr'autres Reliques , des Vêtemens de S.
Martin ; que cet Oratoire nommé Cappa
Sanci Martini , suivoit par tout les Rois,
et sur tout à l'Armée , et qu'on avoit coutume
de faire jurer dessus ceux qui vouloient
se purger des crimes dont ils étoient
accusés.
Le mot de Châsse dérivé de celui de
Capsa , présente toujours l'idée d'une
chos qui couvre , ou qui en renferme
une autres ainsi on peut dire également
des Reliques enchassées , ou enchappées.
Dans la suite ces Châsses ou Chappes ,
que
FEVRIER . 1733 279
que l'on portoit dans les voyages furent
appellées Chapelles ; on disoit la Messe
dessus dans les Campemens ; la Coutu
me de l'Eglise ayant toujours été d'offrir
le Sacrifice sur les Reliques des Saints , et
les Prêtres qui désservoient ces Chapelles
furent nommez Chapellains . Valafrid
Strabon confirme ce que j'avance , et dit
en termes précis , que le Titre de Chapelain
fut donné à ceux qui portoient la
Chappe de S. Martin , et les autres Reliques
; preuve entiere que par ce mot de
Chapelle , il ne s'agit que de Reliquaires
portés par des Prêtres destinés à ces
fonctions , et non pas d'un Etendart qui
ne doit être porté que par gens en état de
le deffendre.
Quand le Clergé d'une Eglise recevoit un
Avoué , ou un Abbé Laïc , ce n'étoit
point en lui présentant les ornemens
convenables au Sacerdoce . Un Abbé ,
Prêtre , étoit investi par la Crosse et l'Anneau
; pour l'Avoué il ne l'étoit que par
la Banniere de l'Eglise qu'on lui mettoit
à la main .
Le Pape Leon II. avant que de couronner
l'Empereur Charlemagne , l'établit
Deffenseur du Patrimoine de Saint
Pierre , en lui mettant en main l'Etendart
des Saints Apôtres , ou le Gonfalon
D vj de
280 MERCURE DE FRANCE
de l'Eglise , et de la Ville de Rome. Les
Comtes d'Auvergne prirent pour Armorries
la Banniere de l'Eglise de Brioude ,
depuis qu'ils eurent la protection de cette
Eglise .
Cette idée de protection a passé des
choses Saintes dans les Civiles ; et delà est
venu que dans plusieurs Républiques , le
Chef en est nommé Gonfaloniers qualité
Sinonime à celle de Protecteur et de
Conservateur des libertés du Peuple.
あ
Toutes les Cérémonies d'Eglise ayant
quelque chose d'auguste et de vénérable,
de-là les Deffenseurs de ces Eglises , qui
n'auroient dû se servir des Bannieres Écclésiastiques
que dans les occasions où il
s'agissoit de deffendre les biens du Saint
auquel ils étoient vouez . Ils ne laisserent
pas de se servir de ces Bannieres dans les
Guerres , qui ne les regardoient que directement
; ainsi par cette raison ( que j'al
déja dite ) les Rois de France faisoient
porter dans toutes leurs Guerres la Banniere
de S.Martin , et honoroient de cette
commission le premier Officier de leur
Couronne , pour montrer l'estime et le
respect qu'ils avoient pour cette Banniere
.
La dignité de Maire du Palais ayant été
éteinte avec la premiere Race de nos
Rois,
FEVRIER. 1733. 281
-
Rois , le premier Officier de la Couronne
étoit le Grand - Sénéchal. Lorsque la
Banniere de S. Martin devint l'Enseigne
principale de la Nation , cette importan
tante Charge , qui étoit la premiere da
Royaume , depuis qu'il n'y avoit plus de
Maire duPalais ,étoit possedée par lesComtes
d'Anjou ; ce qui fit que ces Comtes fu
rent les premiers honorez de la Dignité
de Porte Banniere de S.Martin , qui étoit
fa même chose que Grand- Enseigne de la
Couronne.
Les trois Dignités de Comte , de Sénéchal
, et de Porte Enseigne n'étoient
entrées dans cette Maison que par commission
, comme l'étoient sous les deux
premieres Races toutes les Dignités de
PEtat ; mais ces Comtes , à l'exemple des
autres Grands Vassaux , ayant retenu ces
trois Charges à titre héréditaire , ils prétendirent
avoir acquis par là le droit de
Conprotection sur l'Eglise de S. Martin ;
et les derniers Rois de la seconde Race
ayant négligé de le leur contester , il s'en
mirent si- bien en possession , qu'ils commirent
à leur tour d'autres Gentilhommes
, comme les Seigneurs de Preüilly et
de Partenay , pour porter en leur nom la
Banniere de S. Martin .
Toutes ces nouveautés ne trouverent
point
282 MERCURE DE FRANCE
point d'obstacle dans leur éxécution ,
parce que les Rois de la troisiéme Race
n'ayant plus que la Suseraineté de l'Anjou
, de la Touraine , et des Provinces
voisines , ils se choisirent un autre S. Patron
plus près du lieu de leur demeure ;
pour n'être pas obligés d'en aller cher
cher un dans des Païs dont ils n'avoient
plus la domination en entier ; cela fit diminuer
peu à peu la dévotion envers Saint
Martin , sur tout dans les Provinces qui
resterent immédiatement soumises à la
Couronne ; et nos Rois , depuis Hugues-
Caper, ayant fixé leur séjour à Paris . Saint
Denis , Patron de leur Capitale , le fut
bien- tôt de tout le Royaume.
Avant que de finir cette premiere Partie
de ma Dissertation , je ferai encore remarquer
que si Auguste Galland avoit
bien examiné lesPassages dont il s'est servî
pour prouver que la Chappe de S. Martin
étoit une Enseigne de Guerre , il auroit
trouvé dans le Rituel même de cette
Eglise , ( qu'il cite souvent ) des preuves
contraires a son sentiment.
Ce Rituel , en parlant des prérogatives
de distinction que les Comtes d'Anjou
avoient sur l'Abbaïe de S. Martin , marque
celle- ci : Ipse habet vexillum beati
Martini quotiens vadit in bello. Aux autres
1
FEVRIER. 1733. 283
tres endroits de ce Rituel le mot de
Vexillum y est toujours employé quand il
s'agit de quelque Acte Militaire ; et celui
de Cappa n'est emploïé que pour les Actions
purement Ecclésiastiques .
Comment ne pas sentir que ces deux
mots signifioient deux choses differèn
tes ? Er comment de Sçavans Critiques,
ont - ils pû être incertains sur ce que l'on
devoit entendre par la Chappe de S. Mar
tins et pancher à croire que c'étoit un
Manteau qui servoit d'Eténdart ? Une
pareille opinion est bonne à faire croire
apocriphe l'Histoire de la Chemise du
Sultan Saladin , qui après la mort de ce
Sultan , fut mise ( dit on ) au bout d'une
Pique , et promenée par toute son Ar
mée , pendant qu'un Hérault qui préce
doit , crioit à haute voix : Voici tout ce
qui reste de ce grand Homme Les Historiens
qui ont suivi Galland dans son erreur
, ne l'ont fait que pour n'avoir pas
sçu les doubles Symboles Militaires dont
on se servoit dans les Armées, et quisont
l'origine de ce qui se pratique encore en
donnant l'Ordre , ou le mot du Guet , à
la Guerre , ou dans les Villes fermées , qui
est de mettre ensemble le nom d'un Saint
et le nom d'une Ville , comme S. George
et Vandôme , &c,
An284
MERCURE
DE FRANCE
Anciennement quand les Comtes et les
Barons menoient leurs Vassaux à la Guerre
, chacun de ces Seigneurs avoit son cri
particulier , pour ranimer le courage de sa
Troupe dans les dangers , et pour faciliter
le raliement dans une déroute ; ce cri
militaire étoit , ou le nom de famille du
Chef de la Troupe , ou un mot pris à sa
fantaisie , auquel on joignoit souvent le
nom d'un Saint à qui le Chef avoit dé
votion.Comme
Notre - Dame de Chartres,
pour les Comtes de Champagne ;et Montjoye
, S. Denis. Ce dernier cri étoit celui
des Rois de France. J'en donnerai
l'explication dans la seconde partie de
cette Dissertation , en continuant de parler
des Enseignes Militaires des François,
et sur tout du fameux Oriflamme , sur
lequel j'ai à dire des choses nouvelles .
Militaires des François , par M. Beneton
de Perrin , Ecuyer , ancien Gendarme
de la Garde du Roi.
PREMIERE PARTIE.
Dambition curent songé à dominer
les uns sur les autres , et qu'en conséquence
ils se furent assemblés en troupes
pour attaquer , ou pour se deffendre
ils prirent des marques militaires , soit
Epuis que les hommes poussés par
262 MERCURE DE FRANCE
en couleurs , soit en figures pour se reconnoître
dans les Combats , et ce sont
ces marques qu'on peut encore appeller
signes et symboles , qu'on a ensuite nom
més Enseignes , Drapeaux et Etendarts.
Chaque Nation regarda les siennes
avec un respect et une veneration infinie
, elles servoient à exciter en eux la
valeur et l'envie de bien faire , pour éviter
la honte de les laisser tomber en la
puissance de l'ennemi ; leur perte fut regardée
comme un affront insigne , et ceux
qui les portoient étoient punis de mort
quand ils les perdoient par négligence ou
par lâcheté.
Les Juifs eurent des Enseignes , chacu
ne des douze Tribus avoit la sienne d'une
couleur particuliere , et sur laquelle
étoit le Symbole , qui la désignoit,suivant
la Prophetie de Jacob.
Dans l'Ecriture , et en particulier dans
les Pseaumes , il est souvent parlé en ´un
sens allegorique du Lion de la Tribu de
Juda , du Navire de Zabulon , des Etoiles
ou du Firmament d'Isachar.
Du tems des Machabées les Drapeaux
Hebreux étoient chargés de quatre lettres
équivalentes à celles- ci , MCBI,
qui signifioient selon quelques Commentateurs
, quis sicut tn in Diis Domine ? La
force
FEVRIER. 1733. 253
force de la Guerre est dans le Seigneur
nul n'est égale à lui . Ce sont ces quatre
lettres qui firent donner le nom de Machabée
à la race de celui qui le premier
les fit mettre sur les Etendarts qu'il leva
pour la deffense de la vraie Religion .
C'était dès ces tems- là , et ça été toujours
depuis l'usage des Juifs , de faire des
noms artificiels avec les premieres` lettres
des differens mots qui doivent entrer
dans les noms propres . De là sont venus
les termes de Radaq , de Ralbag
de
Rambana , &c. pour Rabbi David Kimchi
, Rabbi Levi - ben- genson , et Rabbi
Moses ben-maïmon , qui semblent ne rien
signifier à ceux qui ne sçavent pas ces
sortes d'Anagrames; plusieurs autres semblables
mots, dont on a ignoré la veritable
signification , ont fourni aux Cabba
listes les noms qu'ils ont donné aux intelligences
superieures .
Semiramis , Reine des Assyriens étoit
appellée en langage du pays Chemirmor ,
mot qui signifioit aussi une Colombe
de-là vient que les Enseignes de cet Empite
étoient chargées de ces Oyseaux pour
conserver le souvenir de l'Heroïne , de
qui il tenoit son premier éclat ; et quand
les Prophetes exhortoient les Juifs à la
pénitence , ils les menaçoient de cette
Colom
264 MERCURE DE FRANCE
<
Colombe Assyrienne , comme du fleau
de la vengeance Divine le plus à crain
dre.
Semiramis pourroit bien être la Venus
de Phenicie , que les Poëtes nous représentent
sur un Char traîné par des Colombes.
Selon que les Peuples ont été plus ou
moins policés, ils ont aussi employé pour
Drapeaux , ou Etendarts , des choses plus
ou moins recherchées.
Les Romains dans les commencemens
se contentoient de mettre un paquet
d'herbes au bout d'une picque . On sçait
que les Tartares se sont servi de queues
de Cheval , ce qui est encore en usage
chez les Turcs.
Lorsqu'on découvrit l'Amérique , les
habitans de ces vastes contrées n'avoient
pour Enseignes que de grands bâtons ornés
de plumes d'Oyseaux qu'ils appelloient
Calumets.
Les Romains mitent ensuite au bout de
la picque des représentations d'animaux ,
comme celles du Loup , du Cheval , du
Sanglier , du Minotaure , &c. C'est Pline
( L. X. C. IV. ) qui nous l'apprend ,
et ses Commentateurs donnent pour la
plûpart des raisons politiques de ces usages
; ils prétendent, par exemple, que le
Mino
FEVRIER, 1733. 265
Minotaure devoit faire ressouvenir les
gens de Guerre de garder le silence sur les
Entreprises projettées , et ce seroit apparemment
dans cet esprit que Festus appelle
la principale vertu militaire , la Religion
du secret.
Je suis persuadé que tous les animaux
qui servoient d'Enseignes aux Romains
n'étoient que les signes emblématiques
des Divinitez de l'Etat, et c'est pour cela,
sans doute , que l'Aigle étant le Symbole
de Jupiter , le Consul Marius voulut.
qu'elle eut le premier rang parmi les Etendarts.
Les Romains alloient donc à la Guerre
avec ces Symboles de leur culte , et lors
qu'ils eurent pris la coûtume de déïfier
leurs Empereurs , les Portraits de ces Princes
formerent chez eux de nouveaux Etendarts
, qu'ils joignirent aux anciens. Le
respect que les Soldats rendoient à leurs
Enseignes montroit qu'ils les regardoient
comme quelque chose de sacré .
C'étoit devant elles que se faisoient les
Sermens de fidelité , et les engagemens du
Service Militaire ; on les prenoit à témoins
des Traitez de Paix , et des promesses
faites aux Etrangers , on les encençoit
, et on les honoroit de plusieurs
autres cerémonies de Religion.
Le
266 MERCURE DE FRANCE:
Le bois, ou le métail étoient les matieres
dont on faisoit les Enseignes , et pour
la forme elles étoient en Sculpture entiere
, ou en bas relief, dans des Médaillons
au-dessous desquelles pendoit en forme
de Banniere un petit morceau d'Etoffe
quarré , dont la couleur distinguoit
les Légions les unes des autres.
Il y avoit aussi des Drapeaux d'Etoffe
sans aucunes figures , et ils étoient de
differentes couleurs ; cela s'apprend par
la maniere que les Romains avoient d'enrôler
des Soldats dans les pressans besoins
.
Le Géneral que la République avoit
désigné pour commander l'Armée montoit
au Capitole ; là il élevoit deux de ses
Drapeaux , l'un rouge qui étoit la mar
que de l'Infanterie , l'autre bleu qui étoit
celle de la Cavalerie ; ensuite à haute
voix il prononçoit ces paroles : Que ceuse
qui aiment le salut de la République ne tarà
me suivre. dent
pas
Ceux qui vouloient aller à la Guerre
chacun, suivant son inclination de servir
à pied , ou à cheval , se rangeoient sous
l'un des deux Drapeaux , et cette maniere
de faire des levées extraordinaires se nom
moit évocation.
Jusqu'au tems de Constantin il n'y
·
et
FEVRIER. 1733. 267
eut point de changement dans les Enseignes
Romaines : mais alors le Christianisme
, qui s'établissoit par tout l'Empire,
y en apporta. Les , Aigles , et les Croix
allerent de compagnie ; il se fit un mêlange
des usages de la vieille Religion
avec ceux de la nouvelle , et les Fideles.
étant alors absolument désabusés des erreurs
du Paganisme , et se trouvant en
très-grand nombre dans les Armées de
Constantin , et de ses Successeurs , il n'y
avoit plus à craindre qu'ils prostituassent
leur adoration aux Symboles des anciennes
Divinitez , comme ils avoient fait
auparavant.
Par là s'introduisit une espèce d'indifférence
pour toutes sortes d'Etendarts , et
au milieu du Christianis me même on
retint ces Symboles , inventés autrefois
par les Payens , qu'on jugea toujours utiles
pour la distinction , et qui devenoient
sans conséquence pour des Soldats Chré
tiens , instruits , et constans dans leur
Religion
Les Empereurs depuis Constantin eurent
pour principale Enseigne de Guerre
le Labarum qui étoit une petite Banniere
de couleur de pourpre , sur laquelle
étoit brodé le Monograme de
CHRIST ,
228 MERCURE DE FRANCE
CHRIST, Signe adorable de notre Rédemp
tion .
*
Les autres Nations Etrangeres que les
Romains nous ont fait connoître avoient
aussi leurs Signes Militaires. Tacite nous
apprend que ceux des Germains étoient
Les figures des bêtes communes dans les
Forêts que les peuples habitoient , et selon
le Pere Martin , ces bêtes étoient aussi
les Symboles de leurs Divinitez . On sçait
que c'est de l'union de ces Peuples ligués
ensemble qu'a été formée la Nation Françoise
ce qui fit que cette Nation eut
pendant long- tems differens Symboles
sur ses Etendarts , on y voyoit des Lions ,
des Serpens et des Crapeaux .
Tout cela sert à expliquer la prétenduë
Prophetie de Sainte Hildegarde , qui dans
ses révélations , en parlant de la ruine de
Rome par les Nations de la Germanie
assûre que Dieu donnera aux Francs le
Camp des prostituez , et que le Lion brisera
l'Aigle avec le secours du Serpent.
Cela servira encore à faire voir que
dans le XII . siécle , où vivoit cette Sainte
, les François n'avoient pas perdu la
* Dom Jacques Martin , dans son Livre sur la
Religion des Gaulois.
con :
FEVRIER. 1733 269
connoissance de leurs anciens Symboles
militaires et sur quels fondemens nos
vieux Historiens ont crû que les premieres
Armes du Royaume avoient été des
Crapaux.
:
Quand les François entrerent dans les
Gaules , ils étoient déja partagés en deux,
branches , l'une dite des Ripuaires , et
l'autre des Sicambres. Chacune de ces
branches avoit son Symbole celui de
la premiere étoit l'Epée , qui désignoit
Mars , Dieu principal de la Nation ; et la
seconde avoit pour le sien une tête de
Boeuf , ou un Apis , Dieu des Egyptiens ,
dont une partie des Francs tiroit son
origine.
J'ai montré dans ma Dissertation sur .
l'origine des François , que Sesostris ayant
poussé ses Conquêtes jusqu'aux Palus méo-´
tides , laissa plusieurs Egyptiens et Cananéens
qui s'établirent dans ces Contrées
d'où ils se sont répandus en differens tems
dans la Pannonie , et jusques dans la Germanie
, après s'être mêlés avec les Scytes
, et d'autres Peuples Septentrionaux.
Le Tombeau de Childeric découvert au
siécle passé , et dans lequel se trouverent
plusieursTêtes d'Apis, prouve que leSymbole
de ce Dicu étoit un des signes militaires
des François ; ainsi les Fleurs de
D lys
>
270 MERCURE DE FRANCE
lys qui sont depuis long- tems le caracte→
re distinctif de notre Nation , pouvoient
être aussi- bien des Lotus Egyptiens que
des Iris , ou des Flambes des Marais de
Batavie.
L'Ecriture des premiers Empires étoit
en caracteres symboliques , Les Caldéens
et les Egyptiens avoient des hierogliphes
pour exprimer leurs pensées , et les termes
des Sciences qu'ils cultivoient , surtout
de l'Astronomie ; cela se prouve par
les figures d'animaux dont ils marquoient
les Constellations célestes , que nous mar
quons encore des mêmes figures depuis
eux .
Les grands Empires de l'Orient ont
conservé depuis leur fondation jusqu'à
présent des Symboles distinctifs.Les Turcs!
ont le Croissant , les Persans ont un
Lion surmonté d'un Soleil Levant.
Le principal Kam des Tartares a un
Hibou , l'Empereur de la Chine un Dragon
, et les Mandarins qui sont les
Grands de cet Empire , portent sur leurs
habits des figures d'Oyseaux , et d'animaux
pour distinguer les differentes classes
que composent ces Seigneurs , ce qui
fait la même distinction que font les
marques particulieres de chacun de nos
Ordres de Chevalerie,
Les
FEVRIER. 17330 271
Les François garderent les Symboles
dont je viens de parler jusqu'au tems de
Clovis ; mais ce Roi après sa conversion ,
profitant du conseil salutaire que lui avoit
donné S. Remy : Mitis depone colla sicam
ber : adora quod incendisti , incende quod
adorasti , d'adorer ce qu'il avoit brûlé
et de brûler ce qu'il avoit adoré , fit mettre
des Croix sur ses Etendarts , et donna
à ce Signe respectable de la Religion qu'il
venoit d'embrasser , la premiere place sur
tous les autres dont sa Nation s'étoit servi
jusqu'alors.
J'ai dit plus haut que les Romains regardoient
leurs Enseignes comme quelque
chose de sacré , ils n'étoient pas les
seuls qui fussent dans cet usage , les autres
Nations payennes l'avoient de même
, ce qui me donne occasion de distinguer
deux sortes de signes militaires , les
uns de dévotion , faits pour exciter la
pieté dans les Soldats , et pour les mieux
contenir par la vue de ces Signes misterieux
de la Religion qu'ils professoient.
Et les autres inventez pour exciter simplement
la valeur . Ainsi on portoit dans,
les Armées des marques sacrées , et des
marques d'honneurs ou de politique.
>
Cette distinction est de tous les tems ;
Dij ct
272 MERCURE DE FRANCE
&
et a été chez tous les Peuples qui n'alloient
point à la Guerre sans des objets visibles
de leur culte.
Les Perses adorateurs du Soleil y al
loient avec le feu perpetuel qu'ils entretenoient
soigneusement sur des Autels -portatifs
.
Les Israëlites depuis Moyse jusqu'au
tems des Rois, n'entreprenoient point de
Guerres que l'Arche d'Alliance ne fut
presque toujours portée , pour montrer
que c'étoit de l'ordre du Seigneur qu'ils
les entreprenoient et qu'ils mettoient en
lui toute leur confiance.
Les Empereurs Grecs faisoient porter
la vraie Croix de Jesus- Christ dans les
Armées destinées à combattre pour la
Religion , ce qui fit tomber plusieurs fois
cette sainte Relique au pouvoir de ses
ennemis . Tous les Souverains des Monarchies
qui se formerent des débris de l'Empire
Romain , si tôt qu'ils eurent embrassé
le Christianisme , se firent un devoir
de n'aller à la Guerre qu'avec des
Reliques , et principalement de celles des
Saints qu'ils reconnoissoient comme leurs
Apôtres , et dont ils se firent des Patrons
pour reclamer leurs secours dans les pres
sans besoins.
Les Gots du Royaume d'Arragon se
voyant
FÉVRIER. 1733. 273
voyant attaquez par Childebert Roi de
France , furent au-devant de lui avec les
Reliques de S. Vincent , pour obtenir
plus facilement la paix de ce Prince.
On portoit processionellement les Châsses
des Saints sur les murailles d'une Ville
assiegée , et les yeux de la foi faisoient
souvent appercevoir aux peuples, assiegez
ces saints Protecteurs en qui ils avoient
confiance , qui paroissoient armés pour
les deffendre .
Les Apôtres S. Pierre et S. Paul combatirent
visiblement pour le Pape saint
Léon , lors de l'irruption d'Attila ; et les
Chrétiens d'Espagne virent plusieurs fois
S. Jacques , l'épée à la main , leur aider à
repousser les Maures.
Il ne faut pas douter par tous ces exem →
ples que les Rois de France , Successeurs
de Clovis , n'ayent eu aussi le même usage
, et qu'outre les Enseignes chargées de
Croix , ces Princes ne fissent porter à la
Guerre des Châsses pleines de Reliques.
Auguste Galland , dans un Ouvrage
qu'il a composé sur le même sujet que je
traite , pour n'avoir pas senti la distinction
qu'il faut faire des Enseignes pieuses ,
de celles de pure politique , est tombé
dans l'erreur de croire que la Chape de
Diij S.
.
274 MERCURE DE FRANCE
S. Martin , portée autrefois dans les Armées
Françoises , étoit positivement le
Manteau de ce Saint , que l'on attachoit
à une picque pour en faire la principale
Enseigne. Débrouillons un peu ce que
c'étoit que cette Chape , et montrons
qu'elle étoit toute differente de ce qu'on
nommoit Enseigne principale , ou nationale
, et que si on lui veut conserver le
nom d'Enseigne , elle ne sera que du nombre
de celles que j'ai nommées sacrées
pour les distinguer des autres qui étoient
purement des Symboles propres à exciter.
la valeur & le courage .
Chaque Nation chrétienne en prenant
un Saint , pour reclamer sa protection auprès
de Dieu , en choisissoit ordinairement
un qui eut vêcu parmi eux , et à qui
elle fut redevable de sa conversion
cette raison auroit dû engager les François
à prendre pour Patron ,ou S. Irenée , ou
l'un des sept Evêques reconnus unanimement
pour les premiers Apôtres des Gaules
.
Mais comme il auroit été difficile de
s'accorder sur celui de ces Saints , qui auroit
merité la préférence , et que chaque
Province auroit voulu avoir le Saint de
qui elle tenoit la foi , on se détermina insensiblement
à faire choix de S. Martin
EvêFEVRIER.
1733 275
1
Evêque de Tours , dont le souvenir des
mérites éclatans se conservoit encore par
une tradition vivante , et par les miracles
qui s'opéroient à son Tombeau , qui
étoit devenu par là le lieu le plus saint, et
le plus fréquenté du Royaume , comme
nous l'apprenons de S. Grégoire , un de
ses Successeurs. La Ville de Tours étoit
le centre du Royaume , et une de ses
Villes capitales , tout cela acheva de déterminer
les François à regarder S. Martin
comme leur principal Patron , et à
lui donner le premier rang sur tous les
autres Saints Missionnaires , qui avoient
prêché la Foi en France.
Ce que je viens de dire n'est pas une
simple conjecture ; nos anciennes Histoires
font assez connoître que la dévotion
à S. Martin , étoit si grande dans les
premiers siècles de la Monarchie , qu'il
n'étoit appellé que le Saint et le tres - Saint,
sans autre addition de nom : Dominus ,
Sanctus Dominus , gloriosissimus Dominus ;
la mémoire de ce Saint devint en si grande
veneration par toute la France que
jour de sa Fête étoit l'Epoque du renouvellement
de toutes les affaires civiles :
c'est pourquoi l'on y joignoit les Festins , et
les Réjouissances publiques, comme pour
servir d'heureux présage de ce qui devoit
D iiij
le
ar276
MERCURE DE FRANCE
arriver pendant l'année. Les Grands Parlemens
ne s'assembloient que pendant
l'octave qui suivoit cette Fête.
La dévotion generale de tout le peuple
envers S. Martin , procura de si grands
biens à l'Eglise où étoit son Tombeau par
l'affluance des Pelerins qui y laissoient de
Riches offrandes , que lorsque cette Eglise
, qui étoit d'abord une Abbaye de
l'Ordre de S. Benoît , fut secularisée l'an
848. par l'Empereur Charles - le -Chauve ;
ce Prince , à l'exemple de ses Prédecesseurs
, se fit un devoir de s'en déclarer le
Protecteur, et peu de temps après il y mit
un Abbé laïc , pour en administrer le
temporel.
Tous les Souverains ont de droit la Garde
et la Protection des Grandes Eglises
de leurs Etats . Sans faire remonter l'origine
de ce droit à Constantin , je remarquerai
seulement que depuis que Pepin et
son Fils Charlemagne se furent rendus
les deffenseurs de l'Eglise Romaine contre
les Lombards , les Successeurs de ces deux
Princes ne crurent pas avilir leur dignité,
en y ajoutant quelquefois la qualité d'Avoué
des Eglises les plus celebres de leur
Royaume. Louis , Roy de Germanie , fut
Advoüé de l'Abbaye de S.Gal, en Suisse ,
et l'Empereur Othon I. de celle de Gemblou
, en Brabant,
Hus
FEVRIER . 1733 277
Hugues Capet étant monté sur le
Trône , se démit de la qualité d'Abbé
Laïc de S. Martin de Tours , que ses
Ancêtres avoient portée depuis le Prince
Robert le Fort , se réservant néanmoins
pour lui et ses Successcurs , le Titre de
Chanoine d'honneur, pour montrer qu'il
prétendoit toujours conserver le droit de
Protection , que les Rois , ses Prédeces
seurs avoient voulu avoir sur cette fameuse
Abbaye.
Les premiers de nos Monarques qui s'obligerent
par piété , à proteger l'Abbaye
de S. Martin , pour montrer publiquement
que la dévotion étoit le seul motif
qui les engageoit , mirent la Banniere de
cette Abbaye au nombre de leurs Enseignes
generales , et par là cette Banniere ,
qui n'auroit dû paroître que dans les occasions
où il falloit soûtenir le temporel
de l'Abbaye , ayant été portée dans toutes
les grandes Expeditions que nos Rois
entreprirent , elle devint bien-tôt la prin
cipale Enseigne de la Nation .
La dévotion de nos Princes envers saint
Martin ne se borna pas là ; mais par une
suite de l'ancien usage , toutes les fois que
la Banniere de ce Saint alloit à l'Armée ,
elle étoit suivie des Reliques du Saint
même ; on ne trouvera rien d'extraordi-
D v naire
278 MERCURE DE FRANCE
naire dans cette pratique , si on se souvient
des exemples que j'ai donnez cy dessus ,
elle se perpetua tant que durerent les
Guerres contre Is Sarasins et les Normands
, qui ravagerent la France pendant
les 8,5 et 10 siécles . Ces Gurres étant
toutes des Guerres de Religion , on sentoit
alors mieux que dans tout autre
temps , combien on avoit besoin des secours
du Ciel , et de l'intercession des
Saints Patrons pour les obtenir. -
On ignoreroit entierement ce que c'étoit
que ces Reliques de S. Martin , portées
à l'Armée , sans une des Formules de la
Collection de Marculfe , qui nous apprend
que nos Rois avoient toujours près d'eux
un Oratoire ou Châsse qui contenoit en
tr'autres Reliques , des Vêtemens de S.
Martin ; que cet Oratoire nommé Cappa
Sanci Martini , suivoit par tout les Rois,
et sur tout à l'Armée , et qu'on avoit coutume
de faire jurer dessus ceux qui vouloient
se purger des crimes dont ils étoient
accusés.
Le mot de Châsse dérivé de celui de
Capsa , présente toujours l'idée d'une
chos qui couvre , ou qui en renferme
une autres ainsi on peut dire également
des Reliques enchassées , ou enchappées.
Dans la suite ces Châsses ou Chappes ,
que
FEVRIER . 1733 279
que l'on portoit dans les voyages furent
appellées Chapelles ; on disoit la Messe
dessus dans les Campemens ; la Coutu
me de l'Eglise ayant toujours été d'offrir
le Sacrifice sur les Reliques des Saints , et
les Prêtres qui désservoient ces Chapelles
furent nommez Chapellains . Valafrid
Strabon confirme ce que j'avance , et dit
en termes précis , que le Titre de Chapelain
fut donné à ceux qui portoient la
Chappe de S. Martin , et les autres Reliques
; preuve entiere que par ce mot de
Chapelle , il ne s'agit que de Reliquaires
portés par des Prêtres destinés à ces
fonctions , et non pas d'un Etendart qui
ne doit être porté que par gens en état de
le deffendre.
Quand le Clergé d'une Eglise recevoit un
Avoué , ou un Abbé Laïc , ce n'étoit
point en lui présentant les ornemens
convenables au Sacerdoce . Un Abbé ,
Prêtre , étoit investi par la Crosse et l'Anneau
; pour l'Avoué il ne l'étoit que par
la Banniere de l'Eglise qu'on lui mettoit
à la main .
Le Pape Leon II. avant que de couronner
l'Empereur Charlemagne , l'établit
Deffenseur du Patrimoine de Saint
Pierre , en lui mettant en main l'Etendart
des Saints Apôtres , ou le Gonfalon
D vj de
280 MERCURE DE FRANCE
de l'Eglise , et de la Ville de Rome. Les
Comtes d'Auvergne prirent pour Armorries
la Banniere de l'Eglise de Brioude ,
depuis qu'ils eurent la protection de cette
Eglise .
Cette idée de protection a passé des
choses Saintes dans les Civiles ; et delà est
venu que dans plusieurs Républiques , le
Chef en est nommé Gonfaloniers qualité
Sinonime à celle de Protecteur et de
Conservateur des libertés du Peuple.
あ
Toutes les Cérémonies d'Eglise ayant
quelque chose d'auguste et de vénérable,
de-là les Deffenseurs de ces Eglises , qui
n'auroient dû se servir des Bannieres Écclésiastiques
que dans les occasions où il
s'agissoit de deffendre les biens du Saint
auquel ils étoient vouez . Ils ne laisserent
pas de se servir de ces Bannieres dans les
Guerres , qui ne les regardoient que directement
; ainsi par cette raison ( que j'al
déja dite ) les Rois de France faisoient
porter dans toutes leurs Guerres la Banniere
de S.Martin , et honoroient de cette
commission le premier Officier de leur
Couronne , pour montrer l'estime et le
respect qu'ils avoient pour cette Banniere
.
La dignité de Maire du Palais ayant été
éteinte avec la premiere Race de nos
Rois,
FEVRIER. 1733. 281
-
Rois , le premier Officier de la Couronne
étoit le Grand - Sénéchal. Lorsque la
Banniere de S. Martin devint l'Enseigne
principale de la Nation , cette importan
tante Charge , qui étoit la premiere da
Royaume , depuis qu'il n'y avoit plus de
Maire duPalais ,étoit possedée par lesComtes
d'Anjou ; ce qui fit que ces Comtes fu
rent les premiers honorez de la Dignité
de Porte Banniere de S.Martin , qui étoit
fa même chose que Grand- Enseigne de la
Couronne.
Les trois Dignités de Comte , de Sénéchal
, et de Porte Enseigne n'étoient
entrées dans cette Maison que par commission
, comme l'étoient sous les deux
premieres Races toutes les Dignités de
PEtat ; mais ces Comtes , à l'exemple des
autres Grands Vassaux , ayant retenu ces
trois Charges à titre héréditaire , ils prétendirent
avoir acquis par là le droit de
Conprotection sur l'Eglise de S. Martin ;
et les derniers Rois de la seconde Race
ayant négligé de le leur contester , il s'en
mirent si- bien en possession , qu'ils commirent
à leur tour d'autres Gentilhommes
, comme les Seigneurs de Preüilly et
de Partenay , pour porter en leur nom la
Banniere de S. Martin .
Toutes ces nouveautés ne trouverent
point
282 MERCURE DE FRANCE
point d'obstacle dans leur éxécution ,
parce que les Rois de la troisiéme Race
n'ayant plus que la Suseraineté de l'Anjou
, de la Touraine , et des Provinces
voisines , ils se choisirent un autre S. Patron
plus près du lieu de leur demeure ;
pour n'être pas obligés d'en aller cher
cher un dans des Païs dont ils n'avoient
plus la domination en entier ; cela fit diminuer
peu à peu la dévotion envers Saint
Martin , sur tout dans les Provinces qui
resterent immédiatement soumises à la
Couronne ; et nos Rois , depuis Hugues-
Caper, ayant fixé leur séjour à Paris . Saint
Denis , Patron de leur Capitale , le fut
bien- tôt de tout le Royaume.
Avant que de finir cette premiere Partie
de ma Dissertation , je ferai encore remarquer
que si Auguste Galland avoit
bien examiné lesPassages dont il s'est servî
pour prouver que la Chappe de S. Martin
étoit une Enseigne de Guerre , il auroit
trouvé dans le Rituel même de cette
Eglise , ( qu'il cite souvent ) des preuves
contraires a son sentiment.
Ce Rituel , en parlant des prérogatives
de distinction que les Comtes d'Anjou
avoient sur l'Abbaïe de S. Martin , marque
celle- ci : Ipse habet vexillum beati
Martini quotiens vadit in bello. Aux autres
1
FEVRIER. 1733. 283
tres endroits de ce Rituel le mot de
Vexillum y est toujours employé quand il
s'agit de quelque Acte Militaire ; et celui
de Cappa n'est emploïé que pour les Actions
purement Ecclésiastiques .
Comment ne pas sentir que ces deux
mots signifioient deux choses differèn
tes ? Er comment de Sçavans Critiques,
ont - ils pû être incertains sur ce que l'on
devoit entendre par la Chappe de S. Mar
tins et pancher à croire que c'étoit un
Manteau qui servoit d'Eténdart ? Une
pareille opinion est bonne à faire croire
apocriphe l'Histoire de la Chemise du
Sultan Saladin , qui après la mort de ce
Sultan , fut mise ( dit on ) au bout d'une
Pique , et promenée par toute son Ar
mée , pendant qu'un Hérault qui préce
doit , crioit à haute voix : Voici tout ce
qui reste de ce grand Homme Les Historiens
qui ont suivi Galland dans son erreur
, ne l'ont fait que pour n'avoir pas
sçu les doubles Symboles Militaires dont
on se servoit dans les Armées, et quisont
l'origine de ce qui se pratique encore en
donnant l'Ordre , ou le mot du Guet , à
la Guerre , ou dans les Villes fermées , qui
est de mettre ensemble le nom d'un Saint
et le nom d'une Ville , comme S. George
et Vandôme , &c,
An284
MERCURE
DE FRANCE
Anciennement quand les Comtes et les
Barons menoient leurs Vassaux à la Guerre
, chacun de ces Seigneurs avoit son cri
particulier , pour ranimer le courage de sa
Troupe dans les dangers , et pour faciliter
le raliement dans une déroute ; ce cri
militaire étoit , ou le nom de famille du
Chef de la Troupe , ou un mot pris à sa
fantaisie , auquel on joignoit souvent le
nom d'un Saint à qui le Chef avoit dé
votion.Comme
Notre - Dame de Chartres,
pour les Comtes de Champagne ;et Montjoye
, S. Denis. Ce dernier cri étoit celui
des Rois de France. J'en donnerai
l'explication dans la seconde partie de
cette Dissertation , en continuant de parler
des Enseignes Militaires des François,
et sur tout du fameux Oriflamme , sur
lequel j'ai à dire des choses nouvelles .
Fermer
Résumé : DISSERTATION sur les Enseignes Militaires des François, par M. Beneton de Perrin, Ecuyer, ancien Gendarme de la Garde du Roi.
La dissertation de M. Beneton de Perrin, ancien gendarme de la Garde du Roi, explore l'histoire des enseignes militaires des Français. Les enseignes, initialement des marques militaires sous forme de couleurs ou de figures, servaient à reconnaître les troupes sur le champ de bataille. Chaque nation vénérait ses enseignes, et leur perte était considérée comme un affront majeur. Les Juifs, par exemple, avaient des enseignes spécifiques pour chaque tribu, et les drapeaux des Machabées portaient les lettres MCBI, symbolisant la force divine. Les enseignes variaient selon les cultures : les Romains utilisaient des paquets d'herbes ou des représentations d'animaux, tandis que les Tartares et les Turcs employaient des queues de cheval. Les Amérindiens utilisaient des calumets ornés de plumes. Après l'adoption du christianisme, les Romains intégrèrent des symboles chrétiens comme le labarum, une bannière pourpre avec le monogramme de Christ. Les Français, issus de l'union de divers peuples germains, avaient des symboles variés comme des lions, des serpents et des crapauds. Après la conversion de Clovis, les croix furent ajoutées aux enseignes. Les enseignes étaient souvent considérées comme sacrées et servaient à exciter la piété et la valeur des soldats. Les Perses, les Israélites et les Empereurs grecs portaient également des symboles religieux lors des combats. Les reliques et les bannières saintes étaient couramment utilisées dans les armées chrétiennes. Les Goths d'Arragon portaient les reliques de Saint Vincent pour obtenir la paix face à Childebert, roi de France. Les chrétiens voyaient souvent leurs saints protecteurs armés pour les défendre. Les Apôtres Saint Pierre et Saint Paul combattirent pour le pape Saint Léon contre Attila, et Saint Jacques aida les chrétiens d'Espagne contre les Maures. En France, les rois successeurs de Clovis portaient des châsses pleines de reliques à la guerre. Les nations chrétiennes choisissaient souvent un saint local comme protecteur. Les Français adoptèrent Saint Martin de Tours, dont le tombeau était un lieu de pèlerinage important. La dévotion à Saint Martin était si grande que son jour de fête marquait le renouvellement des affaires civiles et les réjouissances publiques. Les souverains avaient le droit de protéger les grandes églises de leurs États. Les rois francs, comme Pépin et Charlemagne, se déclarèrent défenseurs de l'Église romaine et protecteurs des abbayes célèbres. La bannière de Saint Martin devint l'enseigne principale de la nation française, portée dans toutes les grandes expéditions. Elle était accompagnée des reliques du saint, surtout lors des guerres contre les Sarrasins et les Normands. Les rois avaient un oratoire contenant des vêtements de Saint Martin, utilisé pour les serments. Les chapelles, dérivées du mot 'chape' (reliquaire), étaient des lieux de messe dans les campements. Les chapelains étaient les prêtres chargés de porter les reliques. Les défenseurs des églises utilisaient les bannières ecclésiastiques même dans les guerres non directement liées à la défense des biens saints. Les cris de ralliement étaient également utilisés pour encourager les troupes et faciliter le ralliement en cas de déroute. Ces cris pouvaient être le nom de famille du chef ou un mot de son choix, souvent accompagné du nom d'un saint auquel le chef était dévot. Par exemple, les Comtes de Champagne utilisaient 'Notre-Dame de Chartres', et les Rois de France utilisaient 'Montjoye' et 'Saint-Denis'. L'auteur prévoit d'expliquer davantage les enseignes militaires des Français, notamment l'Oriflamme, dans une seconde partie de sa dissertation.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
19
p. 1413-1415
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Neufchâtel le 4. May 1733. au sujet d'un nouveau Journal, &c.
Début :
Vous voulez absolument que je vous donne des nouvelles de ce Pays-cy, [...]
Mots clefs :
Français, Suisse, Abbé, Mercure suisse, Muralt, Lettres sur les Anglais et les Français, France, Nouvelles littéraires, Bon sens
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre écrite de Neufchâtel le 4. May 1733. au sujet d'un nouveau Journal, &c.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de
Neufchâtel le 4. May 1733. au sujet
d'un nouveau Journal , & c.
V
Ous voulez absolument que je vous
donne des nouvelles de ce Pays- cy,
et sur tout des Nouvelles Litteraires ;
vous ne pensez donc pas comme beaucoup
de gens de votre Pays , qui s'imaginent
qu'en Suisse la Litterature est toutà
- fait négligée ; d'autres en outrant les
choses , nous disputent encore la poli- .
tesse , le bon sens et presque la raison.
On a eu le même préjugé à l'égard des
Orientaux en general , et à l'égard des
Turcs en particulier ; mais ceux- cy se
trouvent pleinement justifiez sur leur
ignorance prétendue , dans une Piece
nous avons lûe avec plaisir dans le Mercure
de France du mois dernier . Nous.
ne serons pas surpris que quelque Apologiste
prenne aussi un jour notre deffense
en main et désabuse du moins un
certain Public , de la mauvaise prévention
dont le vulgaire est rempli contre
la Nation Suisse.
que
En attendant , et pour commencer en
quelque façon cette Apologie , je vous
dirai qu'on imprime ici depuis le mois de
II. Vol.
Dé1414
MERCURE DE FRANCE
Décembre 1732. un Mercure Suisse , ou
Recueil de Nouvelles Historiques , Politi
ques , Litteraires et Curieuses , dont on paroît
assez content. Voici un petit Extrait
de celui du mois de Mars dernier ,
que
j'ai estimé digne de votre curiosité.
» En l'année 1726. l'Abbé D ... publia
» une Critique des Lettres de M. de Mu-
» ralt , sur les Moeurs des François et des
»
Anglois , sous ce titre : Apologie du ca-
» ractere des Anglois et des François , ou
Observations sur le Livre intitulé , Lettre
» sur les Anglois et les François , et sur les
»Voyages ; avec la deffense de la sixième
» Satyre de M. Despreaux , et la justificantion
du bel esprit François .
» Cet Abbé commence peu poliment
son Livre par ces mots : Dès que les
» Lettres sur les Anglois et les François
» et sur les Voyages , parurent , je les lûs
» avec une attention curieuse , et je fus bien
» aise de voir un Suisse penser. C'étoit loüer
le judicieux Auteur de ces Lettres , ( qui
» est Suisse ) d'une maniere peu convena-
» ble , et faire en même-temps insulte à
» toute sa Nation . Pour venger les Suis-
» ses , un d'entre eux , aussi peu poli que
» cet Abbé , et ami de M. de Muralt ,
»composa les Vers suivans. On nous prie
» de les inserer ici , parce qu'on ne les
II. Vol. >> a.
JUIN. 1733. 1415
a point encore vûs dans aucun Recueil,
mais on avertit que l'on n'y a nullement
en vûë tous les Auteurs François
en general. On sçait distinguer en Suisse
, tout comme ailleurs , le petit nombre
de bons Ecrivains , de la foule immense
des mauvais.Cette Epigramme ne
regarde donc aucun autre François que
les Auteurs de la classe de l'Abbé D ...
etit Abbé , le sçavoir vivre ,
'est point chez vous en lieu natal
t votre orgueil n'enfante un Livre ,
Que pour lancer un trait brutal .
ous pensiez donc , froid Satirique ,
Qu'avant Muralt , tout Helvetique ,
Ne pensoit point , ou pensoit mal ;
Et vous pensiez comme un cheval .
François , quittez vos fiers caprices ,
Connoissez mieux vos bons voisins .
Si vous pensiez , esprits trop vains ,
Autant , aussi bien que maints Suisses ;
Au lieu de vos tas d'Ecrivains ,
Pour la plupart fades Narcisses ,
La France auroit plus d'Esprits sains
Et qui pourvûs en hommes sages ,
Du bon sens des Treize Cantons ,
Ne produiroient que peu d'Ouvrages ;
Mais ces Ouvrages seroient bons.
Neufchâtel le 4. May 1733. au sujet
d'un nouveau Journal , & c.
V
Ous voulez absolument que je vous
donne des nouvelles de ce Pays- cy,
et sur tout des Nouvelles Litteraires ;
vous ne pensez donc pas comme beaucoup
de gens de votre Pays , qui s'imaginent
qu'en Suisse la Litterature est toutà
- fait négligée ; d'autres en outrant les
choses , nous disputent encore la poli- .
tesse , le bon sens et presque la raison.
On a eu le même préjugé à l'égard des
Orientaux en general , et à l'égard des
Turcs en particulier ; mais ceux- cy se
trouvent pleinement justifiez sur leur
ignorance prétendue , dans une Piece
nous avons lûe avec plaisir dans le Mercure
de France du mois dernier . Nous.
ne serons pas surpris que quelque Apologiste
prenne aussi un jour notre deffense
en main et désabuse du moins un
certain Public , de la mauvaise prévention
dont le vulgaire est rempli contre
la Nation Suisse.
que
En attendant , et pour commencer en
quelque façon cette Apologie , je vous
dirai qu'on imprime ici depuis le mois de
II. Vol.
Dé1414
MERCURE DE FRANCE
Décembre 1732. un Mercure Suisse , ou
Recueil de Nouvelles Historiques , Politi
ques , Litteraires et Curieuses , dont on paroît
assez content. Voici un petit Extrait
de celui du mois de Mars dernier ,
que
j'ai estimé digne de votre curiosité.
» En l'année 1726. l'Abbé D ... publia
» une Critique des Lettres de M. de Mu-
» ralt , sur les Moeurs des François et des
»
Anglois , sous ce titre : Apologie du ca-
» ractere des Anglois et des François , ou
Observations sur le Livre intitulé , Lettre
» sur les Anglois et les François , et sur les
»Voyages ; avec la deffense de la sixième
» Satyre de M. Despreaux , et la justificantion
du bel esprit François .
» Cet Abbé commence peu poliment
son Livre par ces mots : Dès que les
» Lettres sur les Anglois et les François
» et sur les Voyages , parurent , je les lûs
» avec une attention curieuse , et je fus bien
» aise de voir un Suisse penser. C'étoit loüer
le judicieux Auteur de ces Lettres , ( qui
» est Suisse ) d'une maniere peu convena-
» ble , et faire en même-temps insulte à
» toute sa Nation . Pour venger les Suis-
» ses , un d'entre eux , aussi peu poli que
» cet Abbé , et ami de M. de Muralt ,
»composa les Vers suivans. On nous prie
» de les inserer ici , parce qu'on ne les
II. Vol. >> a.
JUIN. 1733. 1415
a point encore vûs dans aucun Recueil,
mais on avertit que l'on n'y a nullement
en vûë tous les Auteurs François
en general. On sçait distinguer en Suisse
, tout comme ailleurs , le petit nombre
de bons Ecrivains , de la foule immense
des mauvais.Cette Epigramme ne
regarde donc aucun autre François que
les Auteurs de la classe de l'Abbé D ...
etit Abbé , le sçavoir vivre ,
'est point chez vous en lieu natal
t votre orgueil n'enfante un Livre ,
Que pour lancer un trait brutal .
ous pensiez donc , froid Satirique ,
Qu'avant Muralt , tout Helvetique ,
Ne pensoit point , ou pensoit mal ;
Et vous pensiez comme un cheval .
François , quittez vos fiers caprices ,
Connoissez mieux vos bons voisins .
Si vous pensiez , esprits trop vains ,
Autant , aussi bien que maints Suisses ;
Au lieu de vos tas d'Ecrivains ,
Pour la plupart fades Narcisses ,
La France auroit plus d'Esprits sains
Et qui pourvûs en hommes sages ,
Du bon sens des Treize Cantons ,
Ne produiroient que peu d'Ouvrages ;
Mais ces Ouvrages seroient bons.
Fermer
Résumé : EXTRAIT d'une Lettre écrite de Neufchâtel le 4. May 1733. au sujet d'un nouveau Journal, &c.
En mai 1733, un correspondant de Neufchâtel réfute les préjugés selon lesquels la littérature suisse serait négligée ou inférieure. Il compare ces préjugés à ceux existant envers les Orientaux et les Turcs, justifiés par une œuvre publiée dans le Mercure de France. Il espère qu'un jour, un apologiste défendra la Suisse contre ces mauvaises préventions. L'auteur mentionne la publication, depuis décembre 1732, du journal 'Mercure Suisse', contenant des nouvelles historiques, politiques, littéraires et curieuses. Il partage un extrait du Mercure Suisse de mars 1733, relatant une controverse littéraire de 1726. L'Abbé D... avait critiqué les 'Lettres de M. de Muralt' sur les mœurs des Français et des Anglais de manière impolie. Un Suisse, ami de M. de Muralt, avait répondu par une épigramme. L'auteur précise que cette épigramme ne vise pas tous les auteurs français, mais seulement ceux de la classe de l'Abbé D..., et que les Suisses savent distinguer les bons écrivains des mauvais.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
20
p. 1949-1974
LETTRE à l'Auteur du Projet d'une nouvelle Edition des Essais de Montaigne, imprimé dans le second volume du Mercure de Juin 1733. Par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croissic en Bretagne.
Début :
Les Essais de Montaigne ne m'eurent pas si-tôt passé par les mains, Monsieur, [...]
Mots clefs :
Montaigne, Style, Traduction, Langue, Homme, Lettre, Français, Pensée, Original, Épithète, Mal, Traduire, Virgile, Lettres, Anciens, Manière, Grand, Yeux, Auteurs, Marville
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE à l'Auteur du Projet d'une nouvelle Edition des Essais de Montaigne, imprimé dans le second volume du Mercure de Juin 1733. Par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croissic en Bretagne.
LETTRE à l'Auteur du Projet d'une
nouvelle Edition des Essais de Montaigne
, imprimé dans le second volume
du Mercure de Juin 1733. Par Mlle de
Malcrais de la Vigne , du Croissie en
Bretagne.
I
Lipas
Es Essais de Montaigne ne m'eurent
si-tôt passé
passé par
les mains , Monsieur
, que je me vis au nombre de ses
Partisans. J'admirai ses pensées , et je
n'aimai pas moins les graces et la naïveté
de son stile. Après ce début je puis vous
déclarer à la franquette ce que je pense.
de l'entreprise que vous formez d'ha
biller Montaigne à la moderne , changeant
sa fraise en tour de cou son pourpoint
éguilletté , en habit à paniers ; son
grand chapeau élevé en pain de sucre ,
en petit fin castor de la hauteur de quacre
doigts , &c.
Traduire en Langue Françoise un Auteur
Original , qui vivoit encore au com-
C men
1950 MERCURE DE FRANCE
que
mencement de 1592. et dont l'Ouvrage
est écrit dans la même Langue , me paroît
un projet d'une espece singuliere ,
et vous en convenez vous- même. Ce
n'est ppaass qquuee je nie l'échantillon
que
vous produisez de votre stile , n'ait du
mérite et qu'il ne vous fasse honneur ; il
est pur, élegant, harmonieux ; ses liaisons
peut-être un peu trop étudiées en font
un contraste avec celui de Seneque ,
qu'un Empereur Romain comparoit à
du sable sans chaux. Si la France n'eût
point vû naître un Montaigne avant
vous , vous pourriez , en continuant sur
le même ton , prétendre au même rang ;
mais souffrez que je vous dise que les
charmes de votre stile ne font que blanchir
, en voulant joûter contre ceux du
vieux et vrai Montaigne.
Il n'en est pas de la Traduction que
vous entreprenez , comme de rendre en
François un Auteur qui a travaillé avec
succès dans une Langue morte. Peu de
personnes sont en état de comparer le
Grec de l'Iliade avec la Traduction Françoise
de Me Dacier. Si ceux qui possedent
le mieux cette Langue , sont assez
habiles pour juger des pensées , ils ne
le sont point pour prononcer sûrement
sur l'expression , de- là vient que Me Dacier
་
SEPTEMBRE .
1733.
1951
cier
trouvera
toujours des
Avocats pour
et contre . L'un
soutiendra que tel endroit
est rendu à
merveille , un autre
prétendra
que non ; ou plutôt sans rien affirmer
, l'un dira credo di si et l'autre credo
di nà. Pour moi je
m'imagine que nous
marchons à tâtons dans le goût de l'Ansiquité
, et que la
prévention nous porte
souvent à regarder
comme
beautez dans
les
Anciens , ce qui n'est
souvent que
méprise ou
négligence. J'en ai vû , qui
ne
s'estimoient
chiens au petit collier
dans la
République des
Lettres , je les
ai vû , dis je , se
passionner
d'admiration
pour ce Vers de Virgile.
Cornua
velatarum
obvertimus
antennarum .
Admirez , me disoient- ils , la chute
grave de ces grands mots.Ils ne sont point
là sans dessein. Ne sentez vous pas dans
ce Vers
spondaïque le dur travail des
Matelots , qui se fatiguent à tourner les
Vergues d'un
Vaisseau , pesantes et chargées
de voilure ? Il me semble , répons
dois-je , que je sens quelque chose ; mais
n'y auroit- il point à craindre que vous
et moi nous ne fussions la duppe du préjugé
? L'idée
avantageuse et pleine de
respect que vos Maîtres vous inspirent
dès votre bas âge , pour tout ce qui nous
Cij reste
1952 MERCURE DE FRANCE
reste de ces celebres Auteurs , demeure ,
pour ainsi dire , cloüée dans vos têtes .
Mucho se conserva lo que en la mocedad
se deprende.
Si Virgile revenoit au monde , il nous
montreroit que nous louons dans ses Ouvrages
beaucoup de choses qu'il eût réformées
, s'il en cût eu le temps ou de
moins s'il l'eût pû faire ; et qu'au contraire
nous passons legerement sur plu
sieurs endroits dont il faisoit grande estime.
Cette Epithete , nous diroit- il , ce
monosillabe gracieux , à quoi vous ne
faites point attention , fut cause que je
veillai plus d'une nuit , et je vous jure
qu'il me fallut fouiller dans tous les
coins de mon cerveau avant que de parvenir
à le dénicher..
On raconte que notre Santeüil füt
travaillé d'une longue insomnie pour
trouver une Epithete qui pût exprimer
le son du marteau qui bat sur l'enclume.
Après bien des nuits passées commes
les Lievres , l'Epithete tant souha
tée se présenta , c'étoit refugus. Cette
rencontre fut pour lui un Montje
il se leve aussi - tôt , fait grand bruit
court par les Dortoirs , sans penser qu'il
étoit nud en chemise , frappe à toutes le
portes , les Chanoines se réveillent , l'a
larr
.
SEPTEMBRE . 1733. 1953
*
larme les saisit ; tous se figurent qu'un
subit incendie dans la maison est la
cause d'un pareil'vacarme. Enfin , quand
il fut question d'en sçavoir le sujet , Santeüil
leur apprit d'un ton fier , qu'il
avoit interrompu leur sommeil leur
pour
faire part d'une rare Epithete qu'il venoit
de trouver , ayant couru vainement
après elle pendant toute une Semaine..
Je vous laisse à penser si les Chanoines
se plurent beaucoup à cette farce ; ils
donnerent au D ..... l'Epithete et le
Poëte. N'importe , il les obligea de l'entendre
, sans quoi , point de patience . Les
Chanoines l'écouterent en se frottant les
yeux , et se hâterent d'applaudir , afin
de se défaire plus vîte d'un importun..
Santeuil retourna se coucher en faisant
des gambades , non moins content du
tour qu'il venoit de jouer , que d'avoir
trouvé l'Epithete qu'il cherchoit. Là finit
cette plaisante Scene que je ne donne
point pour article de foi.
C'est la gloire de passer pour avoir.
plus d'intelligence qu'un autre , qui engage
un Commentateur à se creuser le
erveau pour chercher dans cette Strophe
, dans cette expression d'Horace ,
un sens alambiqué dont personne n'ait
fait la découverte avant lui , quoique
Ciij nous
1954 MERCURE DE FRANCE
nous ne soyons pas plus au fait de la
propre signification des mots Grecs et
Latins , que de leur prononciation ; un
tel homme se croit un Christophle Colomb
dans le Pays des Belles- Lettres . Cependant
nous nous dépouillons nousmêmes
pour revétir les Anciens , et nous
donnons au Commentaire un temps qui
seroit plus utilement employé à l'invention
. C'est dans ce sens que je veux entendre
ici ce Passage de Quintilien : Supervacuus
foret in studiis longior labor , si nihil
liceret meliùs invenire præteritis. Il y en
a qui se sont figuré que Virgile dans
son Eglogue à Pollion , avoit prédit la
Naissance de Jesus- Christ . Les Romains
curieux d'apprendre ce qui leur devoit arriver
, avoient la superstition de le chercher
dans les Livres de ce Poëte , après
avoir choisi dans leur idée le premier ,
le second , ou tout autre Vers de la page
que le sort leur offroit , pour être l'interprete
du Destin . C'étoit- là ce qu'ils
appelloient Sortes Virgiliana . Nos premiers
François en croyoient autant des
Livres de la Sainte Ecriture . D'autres
non moins extravagans , se sont per
suadé que les principes de toutes les
Sciences et de la Magie même , étoient
renfermez dans les Poëmes d'Homere , et
LuSEPTEMBRE
. 1733. 1955
Lucien fait mention d'un faux Prophete
nommé Alexandre qui prétendoit qu'un
certain Vers d'Homere , écrit sur les portes
des Maisons , avoit la vertu de préserver
de la peste. Les hommes sont idolâtres
, non- seulement des Ouvrages d'esprit
des Anciens , mais même de tout ce
qui respire le moindre air d'Antiquité ,
et tel Curieux qui croiroit avoir parmi
ses possessions la Pantoufle de fer qui
sauta du pied d'Empedocle , quand il se
lança dans les flammes du Mont Etna, ne
voudroit peut-être pas faire échange de
cette Relique avec tous les Diamans du
Royaume de Golconde.
il`se
Tout beau , Mademoiselle , s'écriera
quelque Censeur aux sourcis herissez ,
compassant et nivelant toutes mes phra
ses , vous nous agencez ici de singulieres
digressions , et prenez un air scientifique
qui vous sied assez mal. Sçavez
vous qu'en vous écartant de votre sujet
vous péchez contre le précepte d'Horace.
Servetur ad imum;
Qualis ab incepto processerit , et sibi constet.
Et que vous donnez dans un si grand
ridicule , que l'Abbé Ménage , qui après
avoir parcouru dans sa cervelle , le La.
C iiij tium
1956 MERCURE DE FRANCE
tium , la Grece , l'Allemagne , l'Espagne ,
et peut- être la Chine et la Turquie
pour trouver l'origine du mot Equus
crut enfin l'avoir rencontré en Italie
et fit descendre en ligne directe ou collaterale
, Equus , du mot Italien Alfana
étimologie misérablement écorchée que
le Chevalier de Cailli ou d'Aceilli ;
fronda dans une jolie
Epigrammesétimologie
qui présente à mes yeux l'Arbre
Généalogique de plusieurs Maisons nouvellement
nobles , qui vont mandier à
prix d'argent en Irlande et en Italie , de
belles branches qu'elles entent ensuite
sur le tronc le plus. vil , de sorte qu'à
l'examiner de près , vous verriez du Laurier
, de l'Oranger , de l'Olivier et du,
Grenadier , entez sur un mauvais trou
de chou.
Si je fais des digressions dans la Lettre
que je vous adresse , Monsieur , ce
n'est point par affectation , mais par coûtume.
De plus comme il s'agit ici principalement
de Montaigne, je tache d'imiter
un peu son stile . Ses transitions sont fréquentes
, mais elles ont de la grace , et
comme elles se viennent placer pour l'or-,
dinaire très naturellement , l'Auteur fait
voir qu'il sçait écrire d'une maniere vive ,
aisée et indépendante. Cependant vous.
eussiez
SEPTEMBRE. 1733. 1957
eussiez pû l'attaquer en ce qu'il abandonne
quelquefois tellement son Sujet ,
que si l'on revient à voir comment il
a intitulé tel Chapitre , on s'imaginera
que l'Imprimeur s'est trompé et qu'il
a mis un titre au lieu d'un autre .
Vous aurez encore une nouvelle matiere
à me faire un procès , sur ce qu'en me :
déclarant contre ceux qui encensent à
l'aveugle les Anciens , et préconisent jusqu'à
leurs défauts , je me révolte contre
le desssein que vous avez de tourner
le Gaulois de Montaigne à la Françoise ,.
et que je semble braver le Précepte de
Macrobe , dans ses Saturnales , Vivamus:
moribus præteritis , præsentibus verbis loquamur.
Dans ce que j'ai avancé je n'ai
prétendu parler que des Langues mor--
tes. J'ai frondé les Commentaires prolixes
et superflus , sans condamner ab
solument les Traductions . J'ai blâmé :
Pidolâtrie sans desaprouver les sentimens
d'estime qu'on doit à tant de beautez
originales qui brillent dans les Livres des
Anciens .
Quant à Montaigne , je ne convien--
drai pas qu'il soit aussi Gaulois que vous
voudriez le faire croire. Si vous parliez
de traduire en François les Poësies Gau
loises de Bérenger , Comte de Provence,
GNI Ou
3
1958 MERCURE DE FRANCE
ou celle de Thibaut , Comte de Champagne
, qui rima d'amoureuses Chansons.
en l'honneur de la Reine Blanche , Mere
de S. Loiis ; à la bonne heure. Le stilede
ce temps- là est si different du nôtre,
qu'il semble que ce ne soit plus la même
Langue. Mais Montaigne , on l'entend ,
il n'est personne que son stile vif et varié
n'enchante , et je puis sans flaterie ,
ajuster à son sujet ces paroles d'un de
nos vieux Auteurs. C'est un bel esprit
doué de toutes les graces , gentillesses , cour
toisies et rondeurs que l'on peut souhaiter.
En effet il faut être perclus d'esprit , sh
l'on ne comprend point ses phrases les.
plus difficiles , pour peu qu'on s'y arrête.
L'utilité que produira votre Traduction
prétendue , ce sera de faire lire Montaigne
à quelques personnes curieuses de
voir la difference de son stile au vôtre..
Pour peu qu'en quelques endroits le vô
tre demeure au -dessous du sien , ses beautez
en recevront un nouvel éclat , et on
s'obstinera à lui trouver par tout le méme
mérite , afin de rabaisser celui de votre
Traduction . Il n'en est pas de Montaigne
comme de Nicole et de la Bruye ,
re. Quoique ceux- cy possedent bien leur
langue , neanmoins la plus grande partie
de leur valeur est dans les pensées ,
au
SEPTEMBRE . 1733. 1959.
au lieu que
les graces
de
l'autre sont
également
partagées
entre le sentiment
et la diction , toute vieille qu'elle est.
Quand il invente des termes , ils sont
expressifs et ne sçauroient se suppléer
avec le même
agrément et la même force.
Ses tours gascons qui dérident sa morale
, servent par tout à égayer le Lecteur.
Ses
négligences
mêmes ne sont
point
désagréables , ce sont des Ombres
au Tableau. Etienne
Pasquier , dans le
premier Livre de ses Lettres , blâme la
hardiesse de Clément Marot , qui s'avisa
mal-à- propos de ressacer le stile du Roman
de la Rose , commencé
par Guillaume
de Loris et continué par Clopinel.
Il n'y a , dit- il , homme docte entre
nous , qui ne lise les doctes Ecrits de Maître
Alain Chartier, et qui n'embrasse le Roman
de la Rose , lequel à la mienne volonté
, que par une bigarure de langage vieux
et nouveau , Clément Marot n'eût pas vou
In habiller à sa mode.
Mais examinons ce que signifie le terme
de Traduction , conformément au
sens qu'on lui a donné chez toutes les
Nations. Traduire , c'est , si je ne me ·
trompe , rendre en une autre Langue les
pensées , le stile et tout l'esprit d'un Au
seur. Votre Traduction peut- elle avoir
C vj
les
1960 MERCURE DE FRANCE
les qualitez prescrites ? Je ne sçaurois me
le persuader. Elle est faite en même
Langue , et par conséquent ne doit point
être appellée Traduction , et votre stile.
n'ayant nul rapport à celui de Montaigne
, ses pensées déguisées ne seront
aucunement semblables à elles - mêmes..
C'est pourquoi Scarron n'a point traduit.
l'Eneïde , mais il l'a parodié. Le stile de
Montaigne est un mêlange d'enjoüé et
de sérieux , assaisonné réciproquement
P'un par l'autre. Il ne paroît point qu'il
marche , mais qu'il voltige ; au lieu que
le vôtre cheminant d'un pas grave et
composé , représente un Magistrat qui
marche en Procession , et dont la pluye ,
la grêle et la foudre ne dérangeroient
pas la fiere contenance. ;
Sifractus illabatur Orbis , T
Impavidum ferient ruinas
Virgile se donna- t'il les airs de rajeu- ,
nir le bon homme Ennius ! et notre Ab
bé D. F *** Maître passé en fine plaisanterie
, oseroit- il couper la barbe à
Rabelais et le mutiler ? Ces soins scru
puleux convenoient seulement au P.
J*********qu'Apollon a établi son Chirur
gien Major sur le Parnasse , depuis lequel
temps un Poëte ne se hazarde
P
pas
même
SEPTEMBRE . 1733. 1964
même d'y prononcer le terme de fistula,.
de crainte que l'équivoque de quelque
maladie ne le fasse livrer entre ses mains
Au sur- plus la République des Lettres
n'y perdra rien , si Montaigne n'est point
lû de ceux qui sont rebutez de refléchiz
un moment sur quelques - unes de ses
phrases. Ce sont , sans doute , des génies
superficiels , incapables d'attention et
prêts peut- être à se dédire quand vous .
les aurez mis à même en couvrant le
vieux Montaigne d'une Rédingotre à la
mode. Le Bembo , dans ses Observations
sur la Langue Italienne , dit qu'il n'appartient
: pas à là Multitude de décider ·
des Ouvrages des Sçavans . Non è la Mul
titudine quella , che alle compositioni d'al
cun secolo dona grido , mà sono pochissimi
huomini di ciascun secolo , al giudicio de
quali , percioche sono essi più dotti degli
altri riputati , danno poi le Genti e la Multitudine
fede , che per se sola giudicare non
sa drittamente , è quella parte si piega colle :
sue voci , à che ella pochi huomini che io
dico sente piegare.
Les sçavans Jurisconsultes balancerent :
long- temps à traduire en notre Langue
les Instituts de Justinien , ne voulant
pas que ce précieux Abregé des Loix Romaines
, réservé pour les Juges et less
Avocats,
1962 MERCURE DE FRANCE
Avocats , s'avilit en passant par la Boutique
triviale des Procureurs , ausquels
il convient de travailler de la main de
toute façon , plutôt que de la tête . Ayols
les mêmes égards pour Montaigne , qui
n'en vaudra pas moins tout son prix ,
pour n'être point lû des Précieuses et
des petits Maîtres , Nation ignorante à
la fois et décisive , qui préfere le Roman
le plus plat aux Productions les plus solides.
Ah! Monsieur , que vous feriez une
oeuvre méritoire , et que vous rendriez
un grand service à la Province de Bretagne
, si vous vouliez , vous qui vous
montrez si charitable pour le Public
prendre la peine de traduire en François
intelligible notre Coûtume , dont les
Gauloises équivoques sont des pépinieres
de procès ! Mais ne vous fais - je point le
vôtre mal à propos , Monsieur ?voyons
et comparons quelques phrases de votre
Traduction avec l'Original .
Dans le premier Chapitre l'Auteur loüe
la constance du Capitaine Phiton , qui
témoignoit une insigne grandeur d'ame ,
au milieu des tourmens qu'on lui faisoit
souffrir , par les ordres de Denis le Tiran.
Il eut , dit Montaigne , le courage
toujours constant sans se perdre, et d'un visage
SEPTEMBRE . 1733. 1963
ge toujours ferme , alloit au contraire , ramentevant
à haute voix l'honorable et glorieuse
cause de sa mort , pour n'avoir voulu
rendre son Pays entre les mains d'un Tiran
, le menaçant d'une prochaine punition
des Dieux. Ce stile n'est- il pas nerveux ,
vif , soutenu , et comparable à celui dece
Rondeau dont la Bruyere fait si
grande estime.
Bien à propos s'en vint Ogier en France
Pour le Pays des Mécréans monder , &c.
Comparons maintenant au Gaulois de
Montaigne votre Traduction , mais Phiton
parut toujours ferme et constant , pu- ри
bliant à haute voix l'honorable et glorieuse
cause du tourment indigne qu'on lui faisoit
souffrir. Convenez que l'Original n'a pas
moins de force et de noblesse que la
Traduction ; qu'alloit est plus propre que
parut , d'autant que Phiton étoit foüetté
par les rues , et que publiant n'est pas.
si expressif que ramentevant , qui signifie
qu'il mettoit sous les yeux du Peuple
la peinture de ses genereux exploits ..
A la verité ramentevoir est un terme suranné
aujourd'hui , cependant il est noble
, et Malherbe l'a employé dans une
de ses plus belles Odes ..
La
1964 MERCURE DE FRANCE
La terreur des choses passées ,
A leurs yeux se ramentevant.
Et Racan , le plus illustre des Eleves:
de ce fameux Maître , en a fait usage.
en plus d'un endroit de ses aimables Poë
sies , comme dans une. Eglogue.
Cela ne sert de rien qu'à me ramentevoir .
Que je n'y verrai plus , & c. .
Je trouve tant d'énergie dans cette expression
, que je n'ai pas moins de regret
de sa perte que Pasquier en eut de.
celle de Chevalerie , Piétons , Enseigne
Coronale , en la pláce dèsquels on substitua
Cavalerie , Infanterie , Enseigne
Colonelle , quoique moins conformes à
l'étimologies que la Bruyere en eut dela
perte de maint et de moult , et que Voiture
en témoigna de la mauvaise chicanequ'on
intenta à Car , qui se vit à deux :
doigts de sa ruine. Le stile de Montai
gne est coupé , hardi , sententieux , et
ses libertez ne trouveront des Censeurs
que parmi les Pédans.
Cet Auteur après le morceau d'His--
toire que j'ai cité , fait tout à coup cette
refléxion qui s'échappe comme un trait ,.
et.qui a rapport à ce qu'il traite dans le
Cha-
.
SEPTEMBRE. 1733. 1961
Chapitre: Certes c'est un sujet merveilleusement
vain , divers et ondoyant que l'homme ; il
estenal aisé d'y fonder jugement constant et
uniforme. Ce qui est ainsi paraphrasé dans
votre Traduction . Au reste il ne manque
pas d'exemples contraires à ceux - cy , ce qui
fait voir l'inconstance , et si cela se peut dire
, la variation de l'homme dans les mêmes
circonstances , il agit differemment et
reçoit des mêmes objets des impressions tout
opposées , d'où il s'ensuit qu'il n'est pas sûr
d'en juger d'une maniere constante et uniforme.
La Traduction est plus polie et
plus déployés , mais l'Original est plus vif
et plus dégagé ; et de cet ondoyant , qu'en
avez-vous fait ? De cet ondoyant qui tout
seul vaut un discours entier C'est là que
se découvre le grand Art de la précision ,
et c'est dans ce goût délicat et serré que
l'admirable la Fontaine commence un
de ses Contes.
O combien l'homme est inconstant , divers ,
Foible , leger , tenant mal sa parole.
1
Quoique deux phrases ne soient pas
suffisantes pour faire le parallele de l'Original
, cependant je m'en tiendrai là.
Je les ai prises au hazard , et pour s'en
convaincre on n'a qu'à comparer la premiere
1966 MERCURE DE FRANCE
miere phrase de chaque Chapitre de l'Original
, avec la premiere de chaque Chapitre
de la Traduction . Pour faire court ,
je trouve Montaigne excellent tel qu'il
est , non que je prétende absolument le
justifier de quelques vices que vous censurez
; mais en ce Monde il n'est rien
d'accompli , le Soleil a ses taches , et les
hommes au-dessus du commun ne sont
pas moins extraordinaires dans leurs défauts
, que dans leurs vertus .
Hor superbite è via col viso altero ,
Figliuoli d'Eva , è non chinate'l volto ,
Si che veggiato il vostro mal sentero.
›
Dante , Purg. Canto 12.
Vigneul Marville , dans ses mélanges
d'Histoire et de Littérature , décide quel
quefois au hazard, du mérite des Auteurs.
Quand il rencontre juste, c'est pour l'ordinaire
un aveugle qui ne sçauroit marcher
sans bâton. Le jugement qu'il porte
des Essais de Montaigne dans son premier
volume , est copié d'après l'Auteur
de la Logique de Port- Royal , Pascal et
Malbranche ; qui devoient parler avec
plus de circonspection du Maître qui
leur apprit à penser ; quand ce n'eût été
que par reconnoissance.
Ce
SEPTEMBRE. 1733. 1967
Ce que le même Vigneul Marville soutient
dans son second volume , au sujet
de l'esprit de Montaigne , me paroît cependant
fort judicicux ; mais vous n'y
trouverez pas votre compte , vous qui
pensez à nous donner tout Montaigne à
votre guise. Tel que soit un Auteur , nous
dit il , il nefaut point le démembrer , on
aime mieux le voir tout entier avec ses deffauts
, que de le voir déchiré par piéces ; il
faut que
le corps et l'ame soient unis ensemble
; la séparation de quelque maniere qu'elle
se fasse ne sçauroit être avantageuse aw
tout et ne satisfera jamais le public.
Vigneul Marville , dans son troisième
volume , revient encore aux Essais de
Montaigne , preuve qu'il l'estimoit , car
d'un Auteur qu'on méprise , on ne s'en
embarasse pas tant ; mais il prend de travers
une partie du jugement qu'en a porté
Sorel , dans sa Bibliotheque Françoise.
Quelque favorable que lui soit Sorel , dit
Marville , il ne peut s'empêcher de dire que
ce n'est point une Lecture propre aux igno
rans , aux apprentifs et aux esprits foibles
qui ne pourroient suppléer au défaut de l'or
dre , ni profiter des pensées extraordinaires
et hardies de cet Ecrivain. Peut- on dire
après cela , que le jugement de Sorel soit
désavantageux à Montaigne , et qu'il ne
soit
1968 MERCURE DE FRANCE MERCU
soir plutôt en sa faveur que contre lui ?
Vigneul Marville étoit prévenu , enyvré
de Malbranche et de Pascal , il ne voyoit
pas que c'étoit la jalousie du métier qui
les forçoit à rabaisser Montaigne , et que
par conséquent ils ne devoient point être
témérairement crus sur leur parole, quoique
la Bruyere dût avoir les mêmes motifs
; néanmoins il en parle en juge intelligent
et désinterressé , et d'abord il
saute aux yeux , qu'il en veut à ces Critiques
chagrins , à ces Philosophes jaloux,
à ces Géometres pointilleux , qui ne sont
jamais contens que d'eux - mêmes. Voici :
les termes dont se sert la Bruyere : Deux
Ecrivains dans leurs Ouvrages ont blâme
Montaigne , queje ne crois pas , aussi - bien
qu'eux , exempt de toute sorte de blâme ; il
paroît que tous deux ne l'ont estimé en nulle:
maniere ; l'un ne pensoit pas assez pourgoû
ter un homme qui pense beaucoup , l'autre
pense trop subtilement , pour s'accommoder
des pensées qui sont naturelles ; Que cette :
critique est modeste ! que les Censeurs.
sont finement redressez , et que l'éloge
est délicat !
J'oubliois de vous demander , Monsieur
, pourquoi en traduisant Montaigne
, vous ne parlez pas de rendre en
Beaux Vers François les citations qu'il entrelasse
SEFTEMBRE . 1733. 1969
trelasse avec un art admirable , et qui ne
peuvent être supprimées qu'à son préjudice.
Questo , comme dit l'Italien , Guasterà
la coda alfagiana.
Au reste je rends justice à votre stile
dont les beautez , par rapport à ellesmêmes
sont tres bien entendues . Il n'y a
personne qui ne s'apperçoive en les lisant
, que vous n'en êtes point à votre
coup d'essai , ou que , si vous n'avez point
encore fait présent au public de quelque
Ouvrage , vous ne soyez en état de lui en
donner d'excellens , quand il vous plaira.
Je ne pense pas non plus que ma décision
doive servir de régle : je dis mon
sentiment , je puis me tromper , et
dans ces jours de dispute , il faudroit que
je fusse bien folle pour me proclamer infaillible.
Je ne doute pas même que votre
entreprise ne soit du goût d'une infinité
de personnes qui jugeront que je
rêve , et qui se diront l'une à l'autre :
An censes ullam anum tam deliram fuisse ?
Cependant cette Lettre ne sera point
sans quelque utilité , elle servira à prouver
en votre faveur que quelque bon que
puisse être un Ouvrage nouveau , il ne
parvient pas d'abord jusqu'à subir l'approbation
générale. Vous aurez votre
Four , vous critiquerez cette Lettre , le
1
stile
1970 MERCURE DE FRANCE
stile vous en paroîtra irrégul er ; lardé à
tort et à travers de citations estropiées ,
qui comme des pièces étrangeres , wit
nent mal - à - propos se placer dans l'échiquier.
Vous me donnerez le nom de
mauvais Singe de Mathanasius.
O la plaisante bigarure , direz- vous !
ôle rare et le nouveau parquet ! Ceci
n'est ni Voiture , ni Balzac , ni Bussi
ni Sévigné ; à quoi bon citer en Latin ,
en Italien , en Espagnol , ce qui peut
avoir la même grace en François ; ces reproches
, auxquels je me prépare , me
tappellent ce que j'ai lu dans les Lettres
d'Etienne Pasquier. Le passage est assez
divertissant , pour être rapporté tout au
long : Non seulement désire - je , dit cet
Auteur , que cette emploite se fasse ès Païs
qui sont contenus dans l'enceinte de notre
France ; mais aussi que nous passions tant
les Monts Pirénées que les Alpes , et désignions
avec les Langues qui ont quelque
communauté avec la nôtre , comme l'Espagnole
et l'Italienne , non pas pour ineptement
Italianiser, comme fent quelques Soldaıs , qui,
pourfaire paroître qu'ils ont été en Italie
couchent à chaque bout de champ quelques
mots Italiens. Il me souvient d'un Quidant
lequel demandant sa Berrette , pour son
Bonnet, et se courrouçant à son Valet qu'il ne
>
Lui
SEPTEMBRE. 1733. 1971
lui apportoit le Valet se sçut fort bien excuser
, lui disant qu'il estimoit qu'il commandoit
quelque chose à saservante Perrette.
La plaisanterie qui suit celle - ci dans la
même Lettre , est dans le même goût ,
mais elle est si gaillarde qu'il me suffira
d'y renvoyer le Lecteur ; quoiqu'après
un Prud'homme , tel que Pasquier , il
semble qu'il n'y ait point à risquer de
faire de faux pas dans le sentier de la
modestie.
Qu'il faut de travail pour se former
un stile , qui soit à la fois varié , léger ,
agréable et régulier ! l'un est diffus , enflé,
tonnant , le bon sens est noyé dans les
paroles ; l'autre est si pincé , si délicat
qu'il semble que ce soit une toile d'araignée
qui n'est bonne à rien , et dont les
filets sont si déliez qu'en souflant dessus ,
on jette au vent tout l'ouvrage. Cependant
tous les Auteurs se flattent d'écrire
naturellement, Je lus ces jours derniers
un Factum , cousu , brodé, rapetassé
recrépi de citations vagues et superflues
, et farci de plaisanteries fades et
amenées par force. Ce qui me fit rire ,
ce fut de voir citer les Eglogues de
Fontenelle dans un Ecrit où il ne s'agit
que de Dixmes ; mais j'entends , ou je
me trompe , tous nos Auteurs , Petits-
Mai1972
MERCURE DE FRANCE
Maîtres , qui se rassemblent en tumulte ,
et m'accusent devant Appollon, en criant
après moi , comme quand les Normands
appelloient de leurs débats à leur fince
Raoul , d'où nous est venu le terme de
Haro : Comment , me disent - ils , vous
osez nommer un Auteur aussi distingué
que l'est M. de Fontenelle , et le nommer
Fontenelle tout court , sans que son
nom soit précédé du terme cérémonieux
de Monsieur? Pardonnez moi , gens paîtris
de Musc et de Fard , et qui faites
gloire d'être tout confits en façons.
Je suis fiere et rustique , et j'ai l'ame grossiere.
Ne vous souvient il pas du trait d'un
Gascon , qui disoit nûment qu'il dînoit
chez Villars ; et sur ce que quelqu'un
l'argnoit , en lui représentant que le petit
mot de Monsieur ne lui eût point
écorché la bouche. Eh ! depuis quand , répondit-
il , dites vous Monsieur Pompée ,
Monsieur César , Monsieur Aléxandre ?
Je puis donc aussi riposter sur le même
ton : Depuis quand dites- vous Monsieur
Lucien , Monsieur Virgile Monsieur
Cicéron , Monsieur Pline ? Nos François
qui se portent un respect infini , ont appris
des Italiens , ce me semble , à se Mon→→
signoriser. Autrefois , et il n'y a pas long-
'
temps ,
SEPTEMBRE . 1733. 1973
temps , un Livre portoit le nom de son
Auteur , et même son nom de Baptême,
( ce qui paroîtroit aujourd'hui tenir du
campagnard ) ; cela , sans aller chercher
plus loin , et sans remonter jusqu'à Mə
rot , Saint Gélais , Malherbe, se peut voir
dans les premieres Editions de Corneille ,
de Boileau et de Racine, qui sont simplement
intitulées : Théatre de P. Corneille ,
Oeuvres de Nicolas Despreaux - Boileau ,
Oeuvres deRacine ; mais depuis que la plûpart
des Comédies ne sont que des tissus de
complimens , et lesTragédies de petits Ro-`
mans en rime ; tout sent parmi nous l'afféterie
et l'affectation ; et le superflu ne se
trouve pas moins dans le titre que dans le
corps de l'Ouvrage. A propos , de superflu
, je ne pense pas que je vous donne
beau jeu , et que vous me répondiez que
si le superflu domine jamais que que part,
c'est sur tout dans cette Lettre , où j'entasse
Discours sur Discours , qui ne tienment
presque point au sujet ; j'avouerai
qu'en commençant cette Lettre , mon
dessein n'étoit que de vous dire simplement
dans une demi page , ce que je
pense de votre projet de traduction ; mais
les phrases se sont insensiblement enfilées
comme des Patenottes , grosses ,
petites , et de toutes couleurs ; telle est
D ma
1974 MERCURE DE FRANCE
ma maniere d'écrire une Lettre promptes.
ment , sans apprêt , jettant sur le papier
tout ce qui se présente , pouvû qu'il ne
soit point absolument déraisonnable . Je
suis , Monsieur , & c.
Au Croisic en Bretagne , ce 7. Aoust.
nouvelle Edition des Essais de Montaigne
, imprimé dans le second volume
du Mercure de Juin 1733. Par Mlle de
Malcrais de la Vigne , du Croissie en
Bretagne.
I
Lipas
Es Essais de Montaigne ne m'eurent
si-tôt passé
passé par
les mains , Monsieur
, que je me vis au nombre de ses
Partisans. J'admirai ses pensées , et je
n'aimai pas moins les graces et la naïveté
de son stile. Après ce début je puis vous
déclarer à la franquette ce que je pense.
de l'entreprise que vous formez d'ha
biller Montaigne à la moderne , changeant
sa fraise en tour de cou son pourpoint
éguilletté , en habit à paniers ; son
grand chapeau élevé en pain de sucre ,
en petit fin castor de la hauteur de quacre
doigts , &c.
Traduire en Langue Françoise un Auteur
Original , qui vivoit encore au com-
C men
1950 MERCURE DE FRANCE
que
mencement de 1592. et dont l'Ouvrage
est écrit dans la même Langue , me paroît
un projet d'une espece singuliere ,
et vous en convenez vous- même. Ce
n'est ppaass qquuee je nie l'échantillon
que
vous produisez de votre stile , n'ait du
mérite et qu'il ne vous fasse honneur ; il
est pur, élegant, harmonieux ; ses liaisons
peut-être un peu trop étudiées en font
un contraste avec celui de Seneque ,
qu'un Empereur Romain comparoit à
du sable sans chaux. Si la France n'eût
point vû naître un Montaigne avant
vous , vous pourriez , en continuant sur
le même ton , prétendre au même rang ;
mais souffrez que je vous dise que les
charmes de votre stile ne font que blanchir
, en voulant joûter contre ceux du
vieux et vrai Montaigne.
Il n'en est pas de la Traduction que
vous entreprenez , comme de rendre en
François un Auteur qui a travaillé avec
succès dans une Langue morte. Peu de
personnes sont en état de comparer le
Grec de l'Iliade avec la Traduction Françoise
de Me Dacier. Si ceux qui possedent
le mieux cette Langue , sont assez
habiles pour juger des pensées , ils ne
le sont point pour prononcer sûrement
sur l'expression , de- là vient que Me Dacier
་
SEPTEMBRE .
1733.
1951
cier
trouvera
toujours des
Avocats pour
et contre . L'un
soutiendra que tel endroit
est rendu à
merveille , un autre
prétendra
que non ; ou plutôt sans rien affirmer
, l'un dira credo di si et l'autre credo
di nà. Pour moi je
m'imagine que nous
marchons à tâtons dans le goût de l'Ansiquité
, et que la
prévention nous porte
souvent à regarder
comme
beautez dans
les
Anciens , ce qui n'est
souvent que
méprise ou
négligence. J'en ai vû , qui
ne
s'estimoient
chiens au petit collier
dans la
République des
Lettres , je les
ai vû , dis je , se
passionner
d'admiration
pour ce Vers de Virgile.
Cornua
velatarum
obvertimus
antennarum .
Admirez , me disoient- ils , la chute
grave de ces grands mots.Ils ne sont point
là sans dessein. Ne sentez vous pas dans
ce Vers
spondaïque le dur travail des
Matelots , qui se fatiguent à tourner les
Vergues d'un
Vaisseau , pesantes et chargées
de voilure ? Il me semble , répons
dois-je , que je sens quelque chose ; mais
n'y auroit- il point à craindre que vous
et moi nous ne fussions la duppe du préjugé
? L'idée
avantageuse et pleine de
respect que vos Maîtres vous inspirent
dès votre bas âge , pour tout ce qui nous
Cij reste
1952 MERCURE DE FRANCE
reste de ces celebres Auteurs , demeure ,
pour ainsi dire , cloüée dans vos têtes .
Mucho se conserva lo que en la mocedad
se deprende.
Si Virgile revenoit au monde , il nous
montreroit que nous louons dans ses Ouvrages
beaucoup de choses qu'il eût réformées
, s'il en cût eu le temps ou de
moins s'il l'eût pû faire ; et qu'au contraire
nous passons legerement sur plu
sieurs endroits dont il faisoit grande estime.
Cette Epithete , nous diroit- il , ce
monosillabe gracieux , à quoi vous ne
faites point attention , fut cause que je
veillai plus d'une nuit , et je vous jure
qu'il me fallut fouiller dans tous les
coins de mon cerveau avant que de parvenir
à le dénicher..
On raconte que notre Santeüil füt
travaillé d'une longue insomnie pour
trouver une Epithete qui pût exprimer
le son du marteau qui bat sur l'enclume.
Après bien des nuits passées commes
les Lievres , l'Epithete tant souha
tée se présenta , c'étoit refugus. Cette
rencontre fut pour lui un Montje
il se leve aussi - tôt , fait grand bruit
court par les Dortoirs , sans penser qu'il
étoit nud en chemise , frappe à toutes le
portes , les Chanoines se réveillent , l'a
larr
.
SEPTEMBRE . 1733. 1953
*
larme les saisit ; tous se figurent qu'un
subit incendie dans la maison est la
cause d'un pareil'vacarme. Enfin , quand
il fut question d'en sçavoir le sujet , Santeüil
leur apprit d'un ton fier , qu'il
avoit interrompu leur sommeil leur
pour
faire part d'une rare Epithete qu'il venoit
de trouver , ayant couru vainement
après elle pendant toute une Semaine..
Je vous laisse à penser si les Chanoines
se plurent beaucoup à cette farce ; ils
donnerent au D ..... l'Epithete et le
Poëte. N'importe , il les obligea de l'entendre
, sans quoi , point de patience . Les
Chanoines l'écouterent en se frottant les
yeux , et se hâterent d'applaudir , afin
de se défaire plus vîte d'un importun..
Santeuil retourna se coucher en faisant
des gambades , non moins content du
tour qu'il venoit de jouer , que d'avoir
trouvé l'Epithete qu'il cherchoit. Là finit
cette plaisante Scene que je ne donne
point pour article de foi.
C'est la gloire de passer pour avoir.
plus d'intelligence qu'un autre , qui engage
un Commentateur à se creuser le
erveau pour chercher dans cette Strophe
, dans cette expression d'Horace ,
un sens alambiqué dont personne n'ait
fait la découverte avant lui , quoique
Ciij nous
1954 MERCURE DE FRANCE
nous ne soyons pas plus au fait de la
propre signification des mots Grecs et
Latins , que de leur prononciation ; un
tel homme se croit un Christophle Colomb
dans le Pays des Belles- Lettres . Cependant
nous nous dépouillons nousmêmes
pour revétir les Anciens , et nous
donnons au Commentaire un temps qui
seroit plus utilement employé à l'invention
. C'est dans ce sens que je veux entendre
ici ce Passage de Quintilien : Supervacuus
foret in studiis longior labor , si nihil
liceret meliùs invenire præteritis. Il y en
a qui se sont figuré que Virgile dans
son Eglogue à Pollion , avoit prédit la
Naissance de Jesus- Christ . Les Romains
curieux d'apprendre ce qui leur devoit arriver
, avoient la superstition de le chercher
dans les Livres de ce Poëte , après
avoir choisi dans leur idée le premier ,
le second , ou tout autre Vers de la page
que le sort leur offroit , pour être l'interprete
du Destin . C'étoit- là ce qu'ils
appelloient Sortes Virgiliana . Nos premiers
François en croyoient autant des
Livres de la Sainte Ecriture . D'autres
non moins extravagans , se sont per
suadé que les principes de toutes les
Sciences et de la Magie même , étoient
renfermez dans les Poëmes d'Homere , et
LuSEPTEMBRE
. 1733. 1955
Lucien fait mention d'un faux Prophete
nommé Alexandre qui prétendoit qu'un
certain Vers d'Homere , écrit sur les portes
des Maisons , avoit la vertu de préserver
de la peste. Les hommes sont idolâtres
, non- seulement des Ouvrages d'esprit
des Anciens , mais même de tout ce
qui respire le moindre air d'Antiquité ,
et tel Curieux qui croiroit avoir parmi
ses possessions la Pantoufle de fer qui
sauta du pied d'Empedocle , quand il se
lança dans les flammes du Mont Etna, ne
voudroit peut-être pas faire échange de
cette Relique avec tous les Diamans du
Royaume de Golconde.
il`se
Tout beau , Mademoiselle , s'écriera
quelque Censeur aux sourcis herissez ,
compassant et nivelant toutes mes phra
ses , vous nous agencez ici de singulieres
digressions , et prenez un air scientifique
qui vous sied assez mal. Sçavez
vous qu'en vous écartant de votre sujet
vous péchez contre le précepte d'Horace.
Servetur ad imum;
Qualis ab incepto processerit , et sibi constet.
Et que vous donnez dans un si grand
ridicule , que l'Abbé Ménage , qui après
avoir parcouru dans sa cervelle , le La.
C iiij tium
1956 MERCURE DE FRANCE
tium , la Grece , l'Allemagne , l'Espagne ,
et peut- être la Chine et la Turquie
pour trouver l'origine du mot Equus
crut enfin l'avoir rencontré en Italie
et fit descendre en ligne directe ou collaterale
, Equus , du mot Italien Alfana
étimologie misérablement écorchée que
le Chevalier de Cailli ou d'Aceilli ;
fronda dans une jolie
Epigrammesétimologie
qui présente à mes yeux l'Arbre
Généalogique de plusieurs Maisons nouvellement
nobles , qui vont mandier à
prix d'argent en Irlande et en Italie , de
belles branches qu'elles entent ensuite
sur le tronc le plus. vil , de sorte qu'à
l'examiner de près , vous verriez du Laurier
, de l'Oranger , de l'Olivier et du,
Grenadier , entez sur un mauvais trou
de chou.
Si je fais des digressions dans la Lettre
que je vous adresse , Monsieur , ce
n'est point par affectation , mais par coûtume.
De plus comme il s'agit ici principalement
de Montaigne, je tache d'imiter
un peu son stile . Ses transitions sont fréquentes
, mais elles ont de la grace , et
comme elles se viennent placer pour l'or-,
dinaire très naturellement , l'Auteur fait
voir qu'il sçait écrire d'une maniere vive ,
aisée et indépendante. Cependant vous.
eussiez
SEPTEMBRE. 1733. 1957
eussiez pû l'attaquer en ce qu'il abandonne
quelquefois tellement son Sujet ,
que si l'on revient à voir comment il
a intitulé tel Chapitre , on s'imaginera
que l'Imprimeur s'est trompé et qu'il
a mis un titre au lieu d'un autre .
Vous aurez encore une nouvelle matiere
à me faire un procès , sur ce qu'en me :
déclarant contre ceux qui encensent à
l'aveugle les Anciens , et préconisent jusqu'à
leurs défauts , je me révolte contre
le desssein que vous avez de tourner
le Gaulois de Montaigne à la Françoise ,.
et que je semble braver le Précepte de
Macrobe , dans ses Saturnales , Vivamus:
moribus præteritis , præsentibus verbis loquamur.
Dans ce que j'ai avancé je n'ai
prétendu parler que des Langues mor--
tes. J'ai frondé les Commentaires prolixes
et superflus , sans condamner ab
solument les Traductions . J'ai blâmé :
Pidolâtrie sans desaprouver les sentimens
d'estime qu'on doit à tant de beautez
originales qui brillent dans les Livres des
Anciens .
Quant à Montaigne , je ne convien--
drai pas qu'il soit aussi Gaulois que vous
voudriez le faire croire. Si vous parliez
de traduire en François les Poësies Gau
loises de Bérenger , Comte de Provence,
GNI Ou
3
1958 MERCURE DE FRANCE
ou celle de Thibaut , Comte de Champagne
, qui rima d'amoureuses Chansons.
en l'honneur de la Reine Blanche , Mere
de S. Loiis ; à la bonne heure. Le stilede
ce temps- là est si different du nôtre,
qu'il semble que ce ne soit plus la même
Langue. Mais Montaigne , on l'entend ,
il n'est personne que son stile vif et varié
n'enchante , et je puis sans flaterie ,
ajuster à son sujet ces paroles d'un de
nos vieux Auteurs. C'est un bel esprit
doué de toutes les graces , gentillesses , cour
toisies et rondeurs que l'on peut souhaiter.
En effet il faut être perclus d'esprit , sh
l'on ne comprend point ses phrases les.
plus difficiles , pour peu qu'on s'y arrête.
L'utilité que produira votre Traduction
prétendue , ce sera de faire lire Montaigne
à quelques personnes curieuses de
voir la difference de son stile au vôtre..
Pour peu qu'en quelques endroits le vô
tre demeure au -dessous du sien , ses beautez
en recevront un nouvel éclat , et on
s'obstinera à lui trouver par tout le méme
mérite , afin de rabaisser celui de votre
Traduction . Il n'en est pas de Montaigne
comme de Nicole et de la Bruye ,
re. Quoique ceux- cy possedent bien leur
langue , neanmoins la plus grande partie
de leur valeur est dans les pensées ,
au
SEPTEMBRE . 1733. 1959.
au lieu que
les graces
de
l'autre sont
également
partagées
entre le sentiment
et la diction , toute vieille qu'elle est.
Quand il invente des termes , ils sont
expressifs et ne sçauroient se suppléer
avec le même
agrément et la même force.
Ses tours gascons qui dérident sa morale
, servent par tout à égayer le Lecteur.
Ses
négligences
mêmes ne sont
point
désagréables , ce sont des Ombres
au Tableau. Etienne
Pasquier , dans le
premier Livre de ses Lettres , blâme la
hardiesse de Clément Marot , qui s'avisa
mal-à- propos de ressacer le stile du Roman
de la Rose , commencé
par Guillaume
de Loris et continué par Clopinel.
Il n'y a , dit- il , homme docte entre
nous , qui ne lise les doctes Ecrits de Maître
Alain Chartier, et qui n'embrasse le Roman
de la Rose , lequel à la mienne volonté
, que par une bigarure de langage vieux
et nouveau , Clément Marot n'eût pas vou
In habiller à sa mode.
Mais examinons ce que signifie le terme
de Traduction , conformément au
sens qu'on lui a donné chez toutes les
Nations. Traduire , c'est , si je ne me ·
trompe , rendre en une autre Langue les
pensées , le stile et tout l'esprit d'un Au
seur. Votre Traduction peut- elle avoir
C vj
les
1960 MERCURE DE FRANCE
les qualitez prescrites ? Je ne sçaurois me
le persuader. Elle est faite en même
Langue , et par conséquent ne doit point
être appellée Traduction , et votre stile.
n'ayant nul rapport à celui de Montaigne
, ses pensées déguisées ne seront
aucunement semblables à elles - mêmes..
C'est pourquoi Scarron n'a point traduit.
l'Eneïde , mais il l'a parodié. Le stile de
Montaigne est un mêlange d'enjoüé et
de sérieux , assaisonné réciproquement
P'un par l'autre. Il ne paroît point qu'il
marche , mais qu'il voltige ; au lieu que
le vôtre cheminant d'un pas grave et
composé , représente un Magistrat qui
marche en Procession , et dont la pluye ,
la grêle et la foudre ne dérangeroient
pas la fiere contenance. ;
Sifractus illabatur Orbis , T
Impavidum ferient ruinas
Virgile se donna- t'il les airs de rajeu- ,
nir le bon homme Ennius ! et notre Ab
bé D. F *** Maître passé en fine plaisanterie
, oseroit- il couper la barbe à
Rabelais et le mutiler ? Ces soins scru
puleux convenoient seulement au P.
J*********qu'Apollon a établi son Chirur
gien Major sur le Parnasse , depuis lequel
temps un Poëte ne se hazarde
P
pas
même
SEPTEMBRE . 1733. 1964
même d'y prononcer le terme de fistula,.
de crainte que l'équivoque de quelque
maladie ne le fasse livrer entre ses mains
Au sur- plus la République des Lettres
n'y perdra rien , si Montaigne n'est point
lû de ceux qui sont rebutez de refléchiz
un moment sur quelques - unes de ses
phrases. Ce sont , sans doute , des génies
superficiels , incapables d'attention et
prêts peut- être à se dédire quand vous .
les aurez mis à même en couvrant le
vieux Montaigne d'une Rédingotre à la
mode. Le Bembo , dans ses Observations
sur la Langue Italienne , dit qu'il n'appartient
: pas à là Multitude de décider ·
des Ouvrages des Sçavans . Non è la Mul
titudine quella , che alle compositioni d'al
cun secolo dona grido , mà sono pochissimi
huomini di ciascun secolo , al giudicio de
quali , percioche sono essi più dotti degli
altri riputati , danno poi le Genti e la Multitudine
fede , che per se sola giudicare non
sa drittamente , è quella parte si piega colle :
sue voci , à che ella pochi huomini che io
dico sente piegare.
Les sçavans Jurisconsultes balancerent :
long- temps à traduire en notre Langue
les Instituts de Justinien , ne voulant
pas que ce précieux Abregé des Loix Romaines
, réservé pour les Juges et less
Avocats,
1962 MERCURE DE FRANCE
Avocats , s'avilit en passant par la Boutique
triviale des Procureurs , ausquels
il convient de travailler de la main de
toute façon , plutôt que de la tête . Ayols
les mêmes égards pour Montaigne , qui
n'en vaudra pas moins tout son prix ,
pour n'être point lû des Précieuses et
des petits Maîtres , Nation ignorante à
la fois et décisive , qui préfere le Roman
le plus plat aux Productions les plus solides.
Ah! Monsieur , que vous feriez une
oeuvre méritoire , et que vous rendriez
un grand service à la Province de Bretagne
, si vous vouliez , vous qui vous
montrez si charitable pour le Public
prendre la peine de traduire en François
intelligible notre Coûtume , dont les
Gauloises équivoques sont des pépinieres
de procès ! Mais ne vous fais - je point le
vôtre mal à propos , Monsieur ?voyons
et comparons quelques phrases de votre
Traduction avec l'Original .
Dans le premier Chapitre l'Auteur loüe
la constance du Capitaine Phiton , qui
témoignoit une insigne grandeur d'ame ,
au milieu des tourmens qu'on lui faisoit
souffrir , par les ordres de Denis le Tiran.
Il eut , dit Montaigne , le courage
toujours constant sans se perdre, et d'un visage
SEPTEMBRE . 1733. 1963
ge toujours ferme , alloit au contraire , ramentevant
à haute voix l'honorable et glorieuse
cause de sa mort , pour n'avoir voulu
rendre son Pays entre les mains d'un Tiran
, le menaçant d'une prochaine punition
des Dieux. Ce stile n'est- il pas nerveux ,
vif , soutenu , et comparable à celui dece
Rondeau dont la Bruyere fait si
grande estime.
Bien à propos s'en vint Ogier en France
Pour le Pays des Mécréans monder , &c.
Comparons maintenant au Gaulois de
Montaigne votre Traduction , mais Phiton
parut toujours ferme et constant , pu- ри
bliant à haute voix l'honorable et glorieuse
cause du tourment indigne qu'on lui faisoit
souffrir. Convenez que l'Original n'a pas
moins de force et de noblesse que la
Traduction ; qu'alloit est plus propre que
parut , d'autant que Phiton étoit foüetté
par les rues , et que publiant n'est pas.
si expressif que ramentevant , qui signifie
qu'il mettoit sous les yeux du Peuple
la peinture de ses genereux exploits ..
A la verité ramentevoir est un terme suranné
aujourd'hui , cependant il est noble
, et Malherbe l'a employé dans une
de ses plus belles Odes ..
La
1964 MERCURE DE FRANCE
La terreur des choses passées ,
A leurs yeux se ramentevant.
Et Racan , le plus illustre des Eleves:
de ce fameux Maître , en a fait usage.
en plus d'un endroit de ses aimables Poë
sies , comme dans une. Eglogue.
Cela ne sert de rien qu'à me ramentevoir .
Que je n'y verrai plus , & c. .
Je trouve tant d'énergie dans cette expression
, que je n'ai pas moins de regret
de sa perte que Pasquier en eut de.
celle de Chevalerie , Piétons , Enseigne
Coronale , en la pláce dèsquels on substitua
Cavalerie , Infanterie , Enseigne
Colonelle , quoique moins conformes à
l'étimologies que la Bruyere en eut dela
perte de maint et de moult , et que Voiture
en témoigna de la mauvaise chicanequ'on
intenta à Car , qui se vit à deux :
doigts de sa ruine. Le stile de Montai
gne est coupé , hardi , sententieux , et
ses libertez ne trouveront des Censeurs
que parmi les Pédans.
Cet Auteur après le morceau d'His--
toire que j'ai cité , fait tout à coup cette
refléxion qui s'échappe comme un trait ,.
et.qui a rapport à ce qu'il traite dans le
Cha-
.
SEPTEMBRE. 1733. 1961
Chapitre: Certes c'est un sujet merveilleusement
vain , divers et ondoyant que l'homme ; il
estenal aisé d'y fonder jugement constant et
uniforme. Ce qui est ainsi paraphrasé dans
votre Traduction . Au reste il ne manque
pas d'exemples contraires à ceux - cy , ce qui
fait voir l'inconstance , et si cela se peut dire
, la variation de l'homme dans les mêmes
circonstances , il agit differemment et
reçoit des mêmes objets des impressions tout
opposées , d'où il s'ensuit qu'il n'est pas sûr
d'en juger d'une maniere constante et uniforme.
La Traduction est plus polie et
plus déployés , mais l'Original est plus vif
et plus dégagé ; et de cet ondoyant , qu'en
avez-vous fait ? De cet ondoyant qui tout
seul vaut un discours entier C'est là que
se découvre le grand Art de la précision ,
et c'est dans ce goût délicat et serré que
l'admirable la Fontaine commence un
de ses Contes.
O combien l'homme est inconstant , divers ,
Foible , leger , tenant mal sa parole.
1
Quoique deux phrases ne soient pas
suffisantes pour faire le parallele de l'Original
, cependant je m'en tiendrai là.
Je les ai prises au hazard , et pour s'en
convaincre on n'a qu'à comparer la premiere
1966 MERCURE DE FRANCE
miere phrase de chaque Chapitre de l'Original
, avec la premiere de chaque Chapitre
de la Traduction . Pour faire court ,
je trouve Montaigne excellent tel qu'il
est , non que je prétende absolument le
justifier de quelques vices que vous censurez
; mais en ce Monde il n'est rien
d'accompli , le Soleil a ses taches , et les
hommes au-dessus du commun ne sont
pas moins extraordinaires dans leurs défauts
, que dans leurs vertus .
Hor superbite è via col viso altero ,
Figliuoli d'Eva , è non chinate'l volto ,
Si che veggiato il vostro mal sentero.
›
Dante , Purg. Canto 12.
Vigneul Marville , dans ses mélanges
d'Histoire et de Littérature , décide quel
quefois au hazard, du mérite des Auteurs.
Quand il rencontre juste, c'est pour l'ordinaire
un aveugle qui ne sçauroit marcher
sans bâton. Le jugement qu'il porte
des Essais de Montaigne dans son premier
volume , est copié d'après l'Auteur
de la Logique de Port- Royal , Pascal et
Malbranche ; qui devoient parler avec
plus de circonspection du Maître qui
leur apprit à penser ; quand ce n'eût été
que par reconnoissance.
Ce
SEPTEMBRE. 1733. 1967
Ce que le même Vigneul Marville soutient
dans son second volume , au sujet
de l'esprit de Montaigne , me paroît cependant
fort judicicux ; mais vous n'y
trouverez pas votre compte , vous qui
pensez à nous donner tout Montaigne à
votre guise. Tel que soit un Auteur , nous
dit il , il nefaut point le démembrer , on
aime mieux le voir tout entier avec ses deffauts
, que de le voir déchiré par piéces ; il
faut que
le corps et l'ame soient unis ensemble
; la séparation de quelque maniere qu'elle
se fasse ne sçauroit être avantageuse aw
tout et ne satisfera jamais le public.
Vigneul Marville , dans son troisième
volume , revient encore aux Essais de
Montaigne , preuve qu'il l'estimoit , car
d'un Auteur qu'on méprise , on ne s'en
embarasse pas tant ; mais il prend de travers
une partie du jugement qu'en a porté
Sorel , dans sa Bibliotheque Françoise.
Quelque favorable que lui soit Sorel , dit
Marville , il ne peut s'empêcher de dire que
ce n'est point une Lecture propre aux igno
rans , aux apprentifs et aux esprits foibles
qui ne pourroient suppléer au défaut de l'or
dre , ni profiter des pensées extraordinaires
et hardies de cet Ecrivain. Peut- on dire
après cela , que le jugement de Sorel soit
désavantageux à Montaigne , et qu'il ne
soit
1968 MERCURE DE FRANCE MERCU
soir plutôt en sa faveur que contre lui ?
Vigneul Marville étoit prévenu , enyvré
de Malbranche et de Pascal , il ne voyoit
pas que c'étoit la jalousie du métier qui
les forçoit à rabaisser Montaigne , et que
par conséquent ils ne devoient point être
témérairement crus sur leur parole, quoique
la Bruyere dût avoir les mêmes motifs
; néanmoins il en parle en juge intelligent
et désinterressé , et d'abord il
saute aux yeux , qu'il en veut à ces Critiques
chagrins , à ces Philosophes jaloux,
à ces Géometres pointilleux , qui ne sont
jamais contens que d'eux - mêmes. Voici :
les termes dont se sert la Bruyere : Deux
Ecrivains dans leurs Ouvrages ont blâme
Montaigne , queje ne crois pas , aussi - bien
qu'eux , exempt de toute sorte de blâme ; il
paroît que tous deux ne l'ont estimé en nulle:
maniere ; l'un ne pensoit pas assez pourgoû
ter un homme qui pense beaucoup , l'autre
pense trop subtilement , pour s'accommoder
des pensées qui sont naturelles ; Que cette :
critique est modeste ! que les Censeurs.
sont finement redressez , et que l'éloge
est délicat !
J'oubliois de vous demander , Monsieur
, pourquoi en traduisant Montaigne
, vous ne parlez pas de rendre en
Beaux Vers François les citations qu'il entrelasse
SEFTEMBRE . 1733. 1969
trelasse avec un art admirable , et qui ne
peuvent être supprimées qu'à son préjudice.
Questo , comme dit l'Italien , Guasterà
la coda alfagiana.
Au reste je rends justice à votre stile
dont les beautez , par rapport à ellesmêmes
sont tres bien entendues . Il n'y a
personne qui ne s'apperçoive en les lisant
, que vous n'en êtes point à votre
coup d'essai , ou que , si vous n'avez point
encore fait présent au public de quelque
Ouvrage , vous ne soyez en état de lui en
donner d'excellens , quand il vous plaira.
Je ne pense pas non plus que ma décision
doive servir de régle : je dis mon
sentiment , je puis me tromper , et
dans ces jours de dispute , il faudroit que
je fusse bien folle pour me proclamer infaillible.
Je ne doute pas même que votre
entreprise ne soit du goût d'une infinité
de personnes qui jugeront que je
rêve , et qui se diront l'une à l'autre :
An censes ullam anum tam deliram fuisse ?
Cependant cette Lettre ne sera point
sans quelque utilité , elle servira à prouver
en votre faveur que quelque bon que
puisse être un Ouvrage nouveau , il ne
parvient pas d'abord jusqu'à subir l'approbation
générale. Vous aurez votre
Four , vous critiquerez cette Lettre , le
1
stile
1970 MERCURE DE FRANCE
stile vous en paroîtra irrégul er ; lardé à
tort et à travers de citations estropiées ,
qui comme des pièces étrangeres , wit
nent mal - à - propos se placer dans l'échiquier.
Vous me donnerez le nom de
mauvais Singe de Mathanasius.
O la plaisante bigarure , direz- vous !
ôle rare et le nouveau parquet ! Ceci
n'est ni Voiture , ni Balzac , ni Bussi
ni Sévigné ; à quoi bon citer en Latin ,
en Italien , en Espagnol , ce qui peut
avoir la même grace en François ; ces reproches
, auxquels je me prépare , me
tappellent ce que j'ai lu dans les Lettres
d'Etienne Pasquier. Le passage est assez
divertissant , pour être rapporté tout au
long : Non seulement désire - je , dit cet
Auteur , que cette emploite se fasse ès Païs
qui sont contenus dans l'enceinte de notre
France ; mais aussi que nous passions tant
les Monts Pirénées que les Alpes , et désignions
avec les Langues qui ont quelque
communauté avec la nôtre , comme l'Espagnole
et l'Italienne , non pas pour ineptement
Italianiser, comme fent quelques Soldaıs , qui,
pourfaire paroître qu'ils ont été en Italie
couchent à chaque bout de champ quelques
mots Italiens. Il me souvient d'un Quidant
lequel demandant sa Berrette , pour son
Bonnet, et se courrouçant à son Valet qu'il ne
>
Lui
SEPTEMBRE. 1733. 1971
lui apportoit le Valet se sçut fort bien excuser
, lui disant qu'il estimoit qu'il commandoit
quelque chose à saservante Perrette.
La plaisanterie qui suit celle - ci dans la
même Lettre , est dans le même goût ,
mais elle est si gaillarde qu'il me suffira
d'y renvoyer le Lecteur ; quoiqu'après
un Prud'homme , tel que Pasquier , il
semble qu'il n'y ait point à risquer de
faire de faux pas dans le sentier de la
modestie.
Qu'il faut de travail pour se former
un stile , qui soit à la fois varié , léger ,
agréable et régulier ! l'un est diffus , enflé,
tonnant , le bon sens est noyé dans les
paroles ; l'autre est si pincé , si délicat
qu'il semble que ce soit une toile d'araignée
qui n'est bonne à rien , et dont les
filets sont si déliez qu'en souflant dessus ,
on jette au vent tout l'ouvrage. Cependant
tous les Auteurs se flattent d'écrire
naturellement, Je lus ces jours derniers
un Factum , cousu , brodé, rapetassé
recrépi de citations vagues et superflues
, et farci de plaisanteries fades et
amenées par force. Ce qui me fit rire ,
ce fut de voir citer les Eglogues de
Fontenelle dans un Ecrit où il ne s'agit
que de Dixmes ; mais j'entends , ou je
me trompe , tous nos Auteurs , Petits-
Mai1972
MERCURE DE FRANCE
Maîtres , qui se rassemblent en tumulte ,
et m'accusent devant Appollon, en criant
après moi , comme quand les Normands
appelloient de leurs débats à leur fince
Raoul , d'où nous est venu le terme de
Haro : Comment , me disent - ils , vous
osez nommer un Auteur aussi distingué
que l'est M. de Fontenelle , et le nommer
Fontenelle tout court , sans que son
nom soit précédé du terme cérémonieux
de Monsieur? Pardonnez moi , gens paîtris
de Musc et de Fard , et qui faites
gloire d'être tout confits en façons.
Je suis fiere et rustique , et j'ai l'ame grossiere.
Ne vous souvient il pas du trait d'un
Gascon , qui disoit nûment qu'il dînoit
chez Villars ; et sur ce que quelqu'un
l'argnoit , en lui représentant que le petit
mot de Monsieur ne lui eût point
écorché la bouche. Eh ! depuis quand , répondit-
il , dites vous Monsieur Pompée ,
Monsieur César , Monsieur Aléxandre ?
Je puis donc aussi riposter sur le même
ton : Depuis quand dites- vous Monsieur
Lucien , Monsieur Virgile Monsieur
Cicéron , Monsieur Pline ? Nos François
qui se portent un respect infini , ont appris
des Italiens , ce me semble , à se Mon→→
signoriser. Autrefois , et il n'y a pas long-
'
temps ,
SEPTEMBRE . 1733. 1973
temps , un Livre portoit le nom de son
Auteur , et même son nom de Baptême,
( ce qui paroîtroit aujourd'hui tenir du
campagnard ) ; cela , sans aller chercher
plus loin , et sans remonter jusqu'à Mə
rot , Saint Gélais , Malherbe, se peut voir
dans les premieres Editions de Corneille ,
de Boileau et de Racine, qui sont simplement
intitulées : Théatre de P. Corneille ,
Oeuvres de Nicolas Despreaux - Boileau ,
Oeuvres deRacine ; mais depuis que la plûpart
des Comédies ne sont que des tissus de
complimens , et lesTragédies de petits Ro-`
mans en rime ; tout sent parmi nous l'afféterie
et l'affectation ; et le superflu ne se
trouve pas moins dans le titre que dans le
corps de l'Ouvrage. A propos , de superflu
, je ne pense pas que je vous donne
beau jeu , et que vous me répondiez que
si le superflu domine jamais que que part,
c'est sur tout dans cette Lettre , où j'entasse
Discours sur Discours , qui ne tienment
presque point au sujet ; j'avouerai
qu'en commençant cette Lettre , mon
dessein n'étoit que de vous dire simplement
dans une demi page , ce que je
pense de votre projet de traduction ; mais
les phrases se sont insensiblement enfilées
comme des Patenottes , grosses ,
petites , et de toutes couleurs ; telle est
D ma
1974 MERCURE DE FRANCE
ma maniere d'écrire une Lettre promptes.
ment , sans apprêt , jettant sur le papier
tout ce qui se présente , pouvû qu'il ne
soit point absolument déraisonnable . Je
suis , Monsieur , & c.
Au Croisic en Bretagne , ce 7. Aoust.
Fermer
Résumé : LETTRE à l'Auteur du Projet d'une nouvelle Edition des Essais de Montaigne, imprimé dans le second volume du Mercure de Juin 1733. Par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croissic en Bretagne.
Mlle de Malcrais de la Vigne critique le projet de rééditer les *Essais* de Montaigne en les modernisant. Elle admire les pensées et le style de Montaigne, mais conteste l'idée de traduire un auteur français du XVIe siècle en français moderne. Elle reconnaît la qualité du style de l'éditeur, mais le compare défavorablement à celui de Montaigne, qu'elle juge plus nerveux, vif et soutenu. Elle souligne que traduire un auteur contemporain diffère de traduire un auteur d'une langue morte, comme Homère. Elle met en garde contre les préjugés qui peuvent faire admirer des aspects des anciens textes qui ne sont pas réellement admirables. La lettre inclut des digressions sur l'admiration excessive des anciens auteurs et des anecdotes sur des poètes comme Santeüil. L'auteure défend l'idée que Montaigne est déjà accessible et que sa langue, bien que vieille, est charmante et expressive. Elle conclut que la traduction moderne ne pourra pas capturer l'esprit et les grâces de l'original. Le texte compare également le style de Montaigne, mêlant l'enjoué et le sérieux, à celui du traducteur, plus grave et composé. Il critique la traduction, affirmant qu'elle manque de force et de noblesse par rapport à l'original. Le texte mentionne des critiques littéraires comme Vigneul Marville et La Bruyère, qui ont des avis variés sur les *Essais* de Montaigne. Il reconnaît les qualités du style du traducteur mais maintient que la traduction ne rend pas justice à l'original. L'auteur aborde également des sujets divers, comme les difficultés de créer un style d'écriture varié et agréable, et critique les auteurs qui écrivent de manière trop enflée ou trop délicate. Elle mentionne des anecdotes et des réflexions sur la communication et la littérature, soulignant l'importance de la spontanéité et de l'authenticité dans l'écriture.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
21
p. 2011-2021
MEMOIRE pour servir à l'Histoire des Hommes Illustres, dans la République des Lettres, &c. Tom. 20 et 21. A Paris, chez Briasson, ruë S. Jacques, à la Science. 1732.
Début :
Le premier de ces deux volumes contient les changemens, les corrections et [...]
Mots clefs :
Pontus de Tyard, Paris, Lyon, France, Jean de Tournes, Ouvrage, Volumes, Savants, Écrit, Traité, Français, Mamert Patisson
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : MEMOIRE pour servir à l'Histoire des Hommes Illustres, dans la République des Lettres, &c. Tom. 20 et 21. A Paris, chez Briasson, ruë S. Jacques, à la Science. 1732.
MEMOIRE pour servir à l'Histoire des Hommes
Illustres, dans la République des Let
tres, & c. Tom. 20 et 21. A Paris , chez.
Briasson , rue S. Jacques , à la Science..
173.2.
Le premier de ces deux volumes contient
les changemens , les corrections et
les additions que l'Auteur a trouvées à
propos de faire pour les Tomes 11. 11 .
13. 14. 15. 16. 17. et 18. précedens . Ony
remarque par tout son exactitude et
son amour pour la verité ; et qu'il ne
tient pas à ses soins infatigables , que
nous n'ayons en ce genre un Ouvrage
parfait. Ce vingtiéme tome contient aussi
trois Tables qui sont d'une grande utilité
dans un pareil Recueil ; sçavoir , une
Table Générale des Matiéres qni ont été
traitées par les Auteurs dont il est parlé
dans les neuf volumes précédens ; une
Table alphabétique des Auteurs , contenus
dans les 20 volumes de ces Mémoires;
et une Table Nécrologique, qui marque
la date de la mort des Sçavans contenus
dans les neuf volumes précédens.
Le
1012 MERCURE DE FRANCE
Le 21. dont nous avons icy à rendrè
compte , contient les Noms , l'Eloge et
le Catalogue raisonné de 36 Sçavans , qui
ont vécu en différens temps , et qui se
sont distinguez pour la plupart , dans la
République des Lettres. Tels sont , entre
les autres , le Cardinal Bessarion
Pontus de Tyard, Philippe Cluvier , Jean
Louis Vivés , Edouard Pocock , Nicolas
Rigault , Gilles - André de la Roque, Jean
Fronteau , et Louis Boivin.Pour ne point
exceder certaines bornes , nous nous contenterons
de rapporter icy ce que l'Auteur
expose au sujet de Pontus de Tyard .
PONTus de Tyard , Seigneur de Bissy ,
nâquit vers l'an 1521. au Château de Bissy
, dans le Diocèse de Mâcon , de Jean
de Tyard , Lieutenant General au Bailliage
du Mâconnois, et de Jeanne de Ganay
, fille d'un Chancelier de France.
Son nom est écrit tantôt Tyard , et
tantôt Thiard ; mais cette orthographe
est vicieuse il doit s'écrire Tyard ; c'est
ainsi que les meilleurs Auteurs l'ont écrit,
-et c'est ainsi qu'il l'a écrit lui- même.
Pour ce qui est du nom de Ponthus
c'est celui d'un Héros fabuleux , sur lequel
on a un Roman , qui est fort peu
connu , et qui se trouve dans le Catalogue
de la Bibliotheque de M. du Fay ,
Sous
SEPTEMBRE , 1733. 2013
Bous ce titre: Le Roman du noble Roy Ponthus
, fils du Roy de Galice , et de la belle
Sidoine, fille du Roy de Bretagne , in 4.sans
date , en Lettre Gothique . On étoit autrefois
dans l'usage de donner de semblables
noms aux Enfans ; ainsi Jamin , Poëte
comtemporain de Pontus de Tyard ,
a porté celui d'Amadis , dont le Roman
n'est ignoré de personne. M. de la Monnoye
, qui nous apprend ces particularitez
dans ses Additions , aux Jugemens des
Sçavans de Baillet , rapporte dans le Ménagiana
, tom. I. pag. 236. une plaisanterie
sur ce sujet , qu'il ne faut pas omettre,
Pontus de Tyard étant , dit- il , à la
» cérémonie d'un Baptême, en qualité de
>>Parrain ; le Curé faisoit difficulté de
» nommer l'Enfant , Pontus , sur ce qu'il
» ne connoissoit point de Saint de ce
» nom- là. Comment , lui dit l'Evêque 2
M. le Curé ,vous ne songez donc pas au
» Saint , dont l'Eglise fait mention dans
» l'Hymne : Quem terra , Pontus, athera ?
» A ces mots , le bon Curé , qui ne s'étoit
jamais fort chargé de latin ; Monsei-
» gneur , lui dit- il , je vous demande par
» don , il est vrai que je n'y songeois pas.
» Et là- dessus il baptisa l'enfant sous ce
» nom.
2014 MERCURE DE FRANCE
Il fut instruit avec beaucoup de soin ,
dès son enfance, dans les Langues Latine
et Grecque , et même dans l'Hebraïques
mais quoiqu'il affecte de faire parade de
cette derniere, dans son Traité : De recta
nominum impositione , ce qu'il en sçavoit
étoit fort peu de chose ; ce peu lui a fait
cependant trouver place dans la Gallia
Orientalis , de Colomies , parmi les Sçavans
Hébraïsans François.
La Poësie Françoise l'occupa aussi dans
sa jeunesse , et il acquit par là de la réputation.
Ronsard lui attribuë même la
gloire d'avoir le premier introduit les
Sonnets en France. Mais la fortune n'a
point été dans la suite aussi riante à l'égard
de ses Poësies, qu'elle le fut d'abord.
Il a contribué lui-même à les faire disgracier
, par le mépris qu'il en fit ,et qu'il
en inspira aux autres dans un âge plus
mûr.
Il quitta la Poësie , pour se donner
à des Etudes plus sérieuses , et passa à
la Philosophie , aux Mathématiques , et
enfin à la Théologie. La plupart de ses
Ouvrages sont des preuves des connoissances
qu'il avoit acquises dans toutes
ses Sciences. Mais elles étoient alors si
imparfaites , ou la maniere dont on s'y
prenoit pour les apprendre étoit si mauvaise
,
SEPTEMBRE. 1733. 2015
yaise , que tout ce qui nous reste de lui
est un cahos d'érudition mal dirigée , où
Il n'y a presque rien à apprendre.
passa quelques années à la Cour
Roy Henri III . qui conçut de l'afection
pour lui , et lui donna l'Evêché
de Châlons sur Saone , dont il prit possession
le 16. Juin 1578. après avoir été
quelques années Archidiacre de cette
Église et Protonotaire Apostolique.
S'étant trouvé le premier des Dépu
tez de sa Province , dans l'Assemblée
des Etats qui fut tenuë à Blois l'an 1588.
il soutint l'autorité du Roy contre le
reste du Clergé , qui favorisoit la ligue ,
et il parla en sa faveur avec tant de force
et de dignité , qu'il fit de fortes impressions
sur l'esprit de ceux qui assistoient
à cette Assemblée , et en ramena
plusieurs à leur devoir,
Après 20. ans d'Episcopat , se voyant
accablé par les années et affligé des troubles
qui agitoient le Royaume , il se démit
de son Evêché et en fit pourvoir
Cyrus de Tyard , son neveu . S'étant ensuite
retiré dans une de ses Terres , il
ne s'occupa plus que du soin de son saat
. Ce fut là qu'il mourut le 23. Sepembre
1605. âgé de 84. ans.
Il exprima ses sentimens sur sa mort
dans
2018 MERCURE DE FRANCE
dans ces Vers , qu'il composa lui - même
avant que de mourir .
Non teneor longe dulcisque cupidine vita
Sat vixit , cui non vita pudenda fuit.
Nec fama illustris me tangit gloria , forsan ;
Per genium vivent sat mea scripta suum.
Nil
que moror quo sint mea membra tegenda se
pulchro ;
Hac propria baredis sit pia cura mei.
Sed cupio ut tandem mens Christo inixa levetur;
Peccati duro pondere , ad Astra vehar.
Ces Vers ont été gravez sur un Monument
qu'on lui a rigé dans le Choeur
de l'Eglise Cathédrale de Châlons , avec
ces mots au bas .
Pontus Tyardaus Bissianus Ep. Cabil.
Extremum hoc voveb, scribebat,
Il conserva jusqu'à la fin de sa vie là
vigueur de son corps et de son esprit.
Comme il avoit un grand corps et qu'il
étoit assidu à l'étude , il mangeoit beaucoup
et bûvoit de- même , sans mettre
jamais d'eau dans son vin , si violent que
soient ceux qui croissent sur le bord de
La Saône. Ce qu'il y a de singulier , c'est
qu'en se mettant au lit , il avaloit toûjours
un grand verre de vin pur , sans
que
SEPTEMBRE. 1733. 2017
uc sa santé en fût jamais alterée. Baillet et
1x qui l'ont suivi , ont trouvé que ce
coit point assez , et ont substitué mal
propos , au grand verre dont parle
M. Thou , un pot , en disant qu'il avoit
coûtume de boire un pot de vin pur
avant que de s'endormir..
Catalogue de ses Ouvrages.
1. Erreurs Amoureuses. Lyon , Jean de
Tournes , 1549 . in 8.Il n'a pas mis son nom
à cet Ouvrage , qui contient plusieurs
Sonnets , divisez en trois Livres.
2. Solitaire premier , ou Prose des Mu
ses et de la Fureur Poëtique . Avec des Vers
Lyriques sur la fin . Lyon , Jean de Tournes
, 1552. in fol.
3. Solitaire second , on Prose des Muses.
Avec des Vers Lyriques sur la fin .
Lyon , Jean de Tournes , 1552. in 8.
4. Les Oeuvres Poëtiques de Pontus de
Tyard. A sçavoir , trois Livres des Erreurs,
Amoureuses. Un Livre de Vers
Lyriques. Un Recueil de ses nouvelles
Euvres Poëtiques . Paris , Galiot du Pré,
1573. in 4, Tout cela n'est plus recher
ché , ni presque connu de personne.
5. Leon Hebreu , de l'Amour , Dialo
gue, Lyon , Jean de Tournes
, issi.
in 8. Il parut la même année une autre
Tra
2018 MERCURE DE FRANCE
Traduction de l'Ouvrage de Leon , sous
ce titre La sainte Philosophie de l'Amour
de Leon Hebreu , traduite de l'Italien
par le sieur du Parc (Denis Sauvage.)
Lyon , Guillaume Roville , 1551. in 8.
Ce Livre ne méritoit pas qu'on prît tant
de peine pour lui.
6. Discours du Temps , de l'An et de
ses parties. Lyon , Jean de Tournes, 1556.
in & . It. Paris , et Mamert Patisson , 1556.
in 4. C'est l'Edition que du Verdier a
mise mal à propos , in folio.
7. L'Univers , on Discours des parties
et de la nature du Monde. Lyon , Jean
de Tournes , 1557. in 4. Il y a dans ce
Livre , au rapport de du Verdier , quelques
pages prises et traduites mot à mot
du Livre du Monde de Philon , Juif.
L'Auteur l'ayant depuis revû et augmenté
, le publia de nouveau sous le
titre suivant.
8. Deux Discours de la nature du Mon
de et de ses parties ; à sçavoir , le premier
Curieux , traitant des choses matérielles ; et
le second Curieux , des intellectuelles. Paris,
Mamert Patisson , 1578. in 4. On voit
à la tête un avant- Discours par J. D. du
Perron , Professeur du Roy aux Langues,
aux Mathématiques et en la Philosophic,
qui fut ensuite Cardinal.
9.
SEPTEMBRE 1733. 2019
9. Mantice , on Discours de la verité
divination par Astrologie. Lyon , Jean
de Tournes , 1558. in 4.
to. Ephemerides Octava Sphere , seu
Tabelle Diaria Ortus , Occasus , et mediationis
coeli illustrium stellarum inerransium
, pro universâ Galliâ , et his regionibus
que Polum Boreum elevatum habent
ad so, grad. Lugduni , Joan. Torà
39.
pasius
, 1562.
in
fol.
11. De Coelestibus Asterismis Poematium
ad Petrum Ronsardum. Paris , apud
Galeotum à Prato , 1573. in 4.
12. Homelies sur les Evangiles. Paris ;
Mamert Patisson , 1586. in 8.
13. Duodecim Fabula Fluviorum vel
Fontium : unà cum Descriptione pro Pictura
et Epigrammatis. Paris , Joan . Richer,
1586. in 8. Je ne sçai ce que c'est que
cet Ouvrage , ni en quelle Langue il est
écrits le P. Louis Jacob en rapporte ainsi
le titre , mais sans marquer s'il est écrit
en Latin ou en François.
14. Les Discours Philosophiques de Pontus
de Tyard. Paris , 1587. in 4. C'est un
Recueil des Ouvrages que j'ai marquez
au N° 2. 3. 6. E. 9.
15. Homelies sur le Décalogue. Paris ,
1588. in 8.
16. Extrait de la Généalogie de Hugues
Capes
2020 MERCURE DE FRANCE
Capet , Roy de France , et des premiers
Successeurs de la Race de Charlemagne en
France. Paris , Mamert Patisson , 1594.
in 8. M. de Thou , dans le 77. Livre de
son Histoire , attribue à Pontus de Tyard
cet Ouvrage , qui est anonyme , et Duchêne
, à la page 30. de sa Bibliotheque
des Historiens de France , dit qu'il l'a
fait pour servir de Réponse au Livre de
François de Rosieres, intitulé : Stemmata
Ducum Lotharingia. Paris , 1580. in fol.
17. Derecta nominum impositione . Lugduni
, Jacobus Roussin ; 1603. in 8 .
Pontus de Tyard , marque dans l'Epitre
à Louis de Tyard , son neveu , qui est
à la tête de ce petit Traité , que dans
le commencement des troubles de la
France , il avoit traduit du Grec deux
Opuscules de Philon , et qu'il avoit composé
ce Traité pour servir de Préface à
sa Traduction ; mais que Fréderic Morel
l'ayant prévenu en publiant une Version
Latine d'un de ces mêmes Opuscules
, et en promettant la Version de
l'autre , il avoit supprimé la sienne , et
sé contentoit de donner au Public l'Ouvrage
qu'il lui adressoit , avec quelques
Notes sur les Livres qu'il avoit traduits.
18. Annotationes in Libros Philonis Judai
, de Transnominatis , et Allegoria Sa
STR.
SEPTEMBRE . 1733. 2021
cra . A la suite du Traité précedent .
19. Fragmentum Epistola pii cujusdam
Episcopi , quo Pseudo -Jesuita Caroli , et
ejs Congerronum maledicta repellit. Hanovix
, 1604. in 8. A la suite de Caroli
Molinai Consilium super commodis et in-
Commodis nova Secta Jesuitarum . Item.
dans la Bibliothecâ Pontificia , editâ à
Joanne Scherzero, Lipsiæ , 1677. in 4.
avec la Souscription P. T. E. C. qui signifie
Pontus Tyardaus Episcopus Cabilonensis.
Item. Traduit en François à la
page 378. du Livre de David Homme
intitulé : Le Contr' Assassin. Lyon , 1612 .
Illustres, dans la République des Let
tres, & c. Tom. 20 et 21. A Paris , chez.
Briasson , rue S. Jacques , à la Science..
173.2.
Le premier de ces deux volumes contient
les changemens , les corrections et
les additions que l'Auteur a trouvées à
propos de faire pour les Tomes 11. 11 .
13. 14. 15. 16. 17. et 18. précedens . Ony
remarque par tout son exactitude et
son amour pour la verité ; et qu'il ne
tient pas à ses soins infatigables , que
nous n'ayons en ce genre un Ouvrage
parfait. Ce vingtiéme tome contient aussi
trois Tables qui sont d'une grande utilité
dans un pareil Recueil ; sçavoir , une
Table Générale des Matiéres qni ont été
traitées par les Auteurs dont il est parlé
dans les neuf volumes précédens ; une
Table alphabétique des Auteurs , contenus
dans les 20 volumes de ces Mémoires;
et une Table Nécrologique, qui marque
la date de la mort des Sçavans contenus
dans les neuf volumes précédens.
Le
1012 MERCURE DE FRANCE
Le 21. dont nous avons icy à rendrè
compte , contient les Noms , l'Eloge et
le Catalogue raisonné de 36 Sçavans , qui
ont vécu en différens temps , et qui se
sont distinguez pour la plupart , dans la
République des Lettres. Tels sont , entre
les autres , le Cardinal Bessarion
Pontus de Tyard, Philippe Cluvier , Jean
Louis Vivés , Edouard Pocock , Nicolas
Rigault , Gilles - André de la Roque, Jean
Fronteau , et Louis Boivin.Pour ne point
exceder certaines bornes , nous nous contenterons
de rapporter icy ce que l'Auteur
expose au sujet de Pontus de Tyard .
PONTus de Tyard , Seigneur de Bissy ,
nâquit vers l'an 1521. au Château de Bissy
, dans le Diocèse de Mâcon , de Jean
de Tyard , Lieutenant General au Bailliage
du Mâconnois, et de Jeanne de Ganay
, fille d'un Chancelier de France.
Son nom est écrit tantôt Tyard , et
tantôt Thiard ; mais cette orthographe
est vicieuse il doit s'écrire Tyard ; c'est
ainsi que les meilleurs Auteurs l'ont écrit,
-et c'est ainsi qu'il l'a écrit lui- même.
Pour ce qui est du nom de Ponthus
c'est celui d'un Héros fabuleux , sur lequel
on a un Roman , qui est fort peu
connu , et qui se trouve dans le Catalogue
de la Bibliotheque de M. du Fay ,
Sous
SEPTEMBRE , 1733. 2013
Bous ce titre: Le Roman du noble Roy Ponthus
, fils du Roy de Galice , et de la belle
Sidoine, fille du Roy de Bretagne , in 4.sans
date , en Lettre Gothique . On étoit autrefois
dans l'usage de donner de semblables
noms aux Enfans ; ainsi Jamin , Poëte
comtemporain de Pontus de Tyard ,
a porté celui d'Amadis , dont le Roman
n'est ignoré de personne. M. de la Monnoye
, qui nous apprend ces particularitez
dans ses Additions , aux Jugemens des
Sçavans de Baillet , rapporte dans le Ménagiana
, tom. I. pag. 236. une plaisanterie
sur ce sujet , qu'il ne faut pas omettre,
Pontus de Tyard étant , dit- il , à la
» cérémonie d'un Baptême, en qualité de
>>Parrain ; le Curé faisoit difficulté de
» nommer l'Enfant , Pontus , sur ce qu'il
» ne connoissoit point de Saint de ce
» nom- là. Comment , lui dit l'Evêque 2
M. le Curé ,vous ne songez donc pas au
» Saint , dont l'Eglise fait mention dans
» l'Hymne : Quem terra , Pontus, athera ?
» A ces mots , le bon Curé , qui ne s'étoit
jamais fort chargé de latin ; Monsei-
» gneur , lui dit- il , je vous demande par
» don , il est vrai que je n'y songeois pas.
» Et là- dessus il baptisa l'enfant sous ce
» nom.
2014 MERCURE DE FRANCE
Il fut instruit avec beaucoup de soin ,
dès son enfance, dans les Langues Latine
et Grecque , et même dans l'Hebraïques
mais quoiqu'il affecte de faire parade de
cette derniere, dans son Traité : De recta
nominum impositione , ce qu'il en sçavoit
étoit fort peu de chose ; ce peu lui a fait
cependant trouver place dans la Gallia
Orientalis , de Colomies , parmi les Sçavans
Hébraïsans François.
La Poësie Françoise l'occupa aussi dans
sa jeunesse , et il acquit par là de la réputation.
Ronsard lui attribuë même la
gloire d'avoir le premier introduit les
Sonnets en France. Mais la fortune n'a
point été dans la suite aussi riante à l'égard
de ses Poësies, qu'elle le fut d'abord.
Il a contribué lui-même à les faire disgracier
, par le mépris qu'il en fit ,et qu'il
en inspira aux autres dans un âge plus
mûr.
Il quitta la Poësie , pour se donner
à des Etudes plus sérieuses , et passa à
la Philosophie , aux Mathématiques , et
enfin à la Théologie. La plupart de ses
Ouvrages sont des preuves des connoissances
qu'il avoit acquises dans toutes
ses Sciences. Mais elles étoient alors si
imparfaites , ou la maniere dont on s'y
prenoit pour les apprendre étoit si mauvaise
,
SEPTEMBRE. 1733. 2015
yaise , que tout ce qui nous reste de lui
est un cahos d'érudition mal dirigée , où
Il n'y a presque rien à apprendre.
passa quelques années à la Cour
Roy Henri III . qui conçut de l'afection
pour lui , et lui donna l'Evêché
de Châlons sur Saone , dont il prit possession
le 16. Juin 1578. après avoir été
quelques années Archidiacre de cette
Église et Protonotaire Apostolique.
S'étant trouvé le premier des Dépu
tez de sa Province , dans l'Assemblée
des Etats qui fut tenuë à Blois l'an 1588.
il soutint l'autorité du Roy contre le
reste du Clergé , qui favorisoit la ligue ,
et il parla en sa faveur avec tant de force
et de dignité , qu'il fit de fortes impressions
sur l'esprit de ceux qui assistoient
à cette Assemblée , et en ramena
plusieurs à leur devoir,
Après 20. ans d'Episcopat , se voyant
accablé par les années et affligé des troubles
qui agitoient le Royaume , il se démit
de son Evêché et en fit pourvoir
Cyrus de Tyard , son neveu . S'étant ensuite
retiré dans une de ses Terres , il
ne s'occupa plus que du soin de son saat
. Ce fut là qu'il mourut le 23. Sepembre
1605. âgé de 84. ans.
Il exprima ses sentimens sur sa mort
dans
2018 MERCURE DE FRANCE
dans ces Vers , qu'il composa lui - même
avant que de mourir .
Non teneor longe dulcisque cupidine vita
Sat vixit , cui non vita pudenda fuit.
Nec fama illustris me tangit gloria , forsan ;
Per genium vivent sat mea scripta suum.
Nil
que moror quo sint mea membra tegenda se
pulchro ;
Hac propria baredis sit pia cura mei.
Sed cupio ut tandem mens Christo inixa levetur;
Peccati duro pondere , ad Astra vehar.
Ces Vers ont été gravez sur un Monument
qu'on lui a rigé dans le Choeur
de l'Eglise Cathédrale de Châlons , avec
ces mots au bas .
Pontus Tyardaus Bissianus Ep. Cabil.
Extremum hoc voveb, scribebat,
Il conserva jusqu'à la fin de sa vie là
vigueur de son corps et de son esprit.
Comme il avoit un grand corps et qu'il
étoit assidu à l'étude , il mangeoit beaucoup
et bûvoit de- même , sans mettre
jamais d'eau dans son vin , si violent que
soient ceux qui croissent sur le bord de
La Saône. Ce qu'il y a de singulier , c'est
qu'en se mettant au lit , il avaloit toûjours
un grand verre de vin pur , sans
que
SEPTEMBRE. 1733. 2017
uc sa santé en fût jamais alterée. Baillet et
1x qui l'ont suivi , ont trouvé que ce
coit point assez , et ont substitué mal
propos , au grand verre dont parle
M. Thou , un pot , en disant qu'il avoit
coûtume de boire un pot de vin pur
avant que de s'endormir..
Catalogue de ses Ouvrages.
1. Erreurs Amoureuses. Lyon , Jean de
Tournes , 1549 . in 8.Il n'a pas mis son nom
à cet Ouvrage , qui contient plusieurs
Sonnets , divisez en trois Livres.
2. Solitaire premier , ou Prose des Mu
ses et de la Fureur Poëtique . Avec des Vers
Lyriques sur la fin . Lyon , Jean de Tournes
, 1552. in fol.
3. Solitaire second , on Prose des Muses.
Avec des Vers Lyriques sur la fin .
Lyon , Jean de Tournes , 1552. in 8.
4. Les Oeuvres Poëtiques de Pontus de
Tyard. A sçavoir , trois Livres des Erreurs,
Amoureuses. Un Livre de Vers
Lyriques. Un Recueil de ses nouvelles
Euvres Poëtiques . Paris , Galiot du Pré,
1573. in 4, Tout cela n'est plus recher
ché , ni presque connu de personne.
5. Leon Hebreu , de l'Amour , Dialo
gue, Lyon , Jean de Tournes
, issi.
in 8. Il parut la même année une autre
Tra
2018 MERCURE DE FRANCE
Traduction de l'Ouvrage de Leon , sous
ce titre La sainte Philosophie de l'Amour
de Leon Hebreu , traduite de l'Italien
par le sieur du Parc (Denis Sauvage.)
Lyon , Guillaume Roville , 1551. in 8.
Ce Livre ne méritoit pas qu'on prît tant
de peine pour lui.
6. Discours du Temps , de l'An et de
ses parties. Lyon , Jean de Tournes, 1556.
in & . It. Paris , et Mamert Patisson , 1556.
in 4. C'est l'Edition que du Verdier a
mise mal à propos , in folio.
7. L'Univers , on Discours des parties
et de la nature du Monde. Lyon , Jean
de Tournes , 1557. in 4. Il y a dans ce
Livre , au rapport de du Verdier , quelques
pages prises et traduites mot à mot
du Livre du Monde de Philon , Juif.
L'Auteur l'ayant depuis revû et augmenté
, le publia de nouveau sous le
titre suivant.
8. Deux Discours de la nature du Mon
de et de ses parties ; à sçavoir , le premier
Curieux , traitant des choses matérielles ; et
le second Curieux , des intellectuelles. Paris,
Mamert Patisson , 1578. in 4. On voit
à la tête un avant- Discours par J. D. du
Perron , Professeur du Roy aux Langues,
aux Mathématiques et en la Philosophic,
qui fut ensuite Cardinal.
9.
SEPTEMBRE 1733. 2019
9. Mantice , on Discours de la verité
divination par Astrologie. Lyon , Jean
de Tournes , 1558. in 4.
to. Ephemerides Octava Sphere , seu
Tabelle Diaria Ortus , Occasus , et mediationis
coeli illustrium stellarum inerransium
, pro universâ Galliâ , et his regionibus
que Polum Boreum elevatum habent
ad so, grad. Lugduni , Joan. Torà
39.
pasius
, 1562.
in
fol.
11. De Coelestibus Asterismis Poematium
ad Petrum Ronsardum. Paris , apud
Galeotum à Prato , 1573. in 4.
12. Homelies sur les Evangiles. Paris ;
Mamert Patisson , 1586. in 8.
13. Duodecim Fabula Fluviorum vel
Fontium : unà cum Descriptione pro Pictura
et Epigrammatis. Paris , Joan . Richer,
1586. in 8. Je ne sçai ce que c'est que
cet Ouvrage , ni en quelle Langue il est
écrits le P. Louis Jacob en rapporte ainsi
le titre , mais sans marquer s'il est écrit
en Latin ou en François.
14. Les Discours Philosophiques de Pontus
de Tyard. Paris , 1587. in 4. C'est un
Recueil des Ouvrages que j'ai marquez
au N° 2. 3. 6. E. 9.
15. Homelies sur le Décalogue. Paris ,
1588. in 8.
16. Extrait de la Généalogie de Hugues
Capes
2020 MERCURE DE FRANCE
Capet , Roy de France , et des premiers
Successeurs de la Race de Charlemagne en
France. Paris , Mamert Patisson , 1594.
in 8. M. de Thou , dans le 77. Livre de
son Histoire , attribue à Pontus de Tyard
cet Ouvrage , qui est anonyme , et Duchêne
, à la page 30. de sa Bibliotheque
des Historiens de France , dit qu'il l'a
fait pour servir de Réponse au Livre de
François de Rosieres, intitulé : Stemmata
Ducum Lotharingia. Paris , 1580. in fol.
17. Derecta nominum impositione . Lugduni
, Jacobus Roussin ; 1603. in 8 .
Pontus de Tyard , marque dans l'Epitre
à Louis de Tyard , son neveu , qui est
à la tête de ce petit Traité , que dans
le commencement des troubles de la
France , il avoit traduit du Grec deux
Opuscules de Philon , et qu'il avoit composé
ce Traité pour servir de Préface à
sa Traduction ; mais que Fréderic Morel
l'ayant prévenu en publiant une Version
Latine d'un de ces mêmes Opuscules
, et en promettant la Version de
l'autre , il avoit supprimé la sienne , et
sé contentoit de donner au Public l'Ouvrage
qu'il lui adressoit , avec quelques
Notes sur les Livres qu'il avoit traduits.
18. Annotationes in Libros Philonis Judai
, de Transnominatis , et Allegoria Sa
STR.
SEPTEMBRE . 1733. 2021
cra . A la suite du Traité précedent .
19. Fragmentum Epistola pii cujusdam
Episcopi , quo Pseudo -Jesuita Caroli , et
ejs Congerronum maledicta repellit. Hanovix
, 1604. in 8. A la suite de Caroli
Molinai Consilium super commodis et in-
Commodis nova Secta Jesuitarum . Item.
dans la Bibliothecâ Pontificia , editâ à
Joanne Scherzero, Lipsiæ , 1677. in 4.
avec la Souscription P. T. E. C. qui signifie
Pontus Tyardaus Episcopus Cabilonensis.
Item. Traduit en François à la
page 378. du Livre de David Homme
intitulé : Le Contr' Assassin. Lyon , 1612 .
Fermer
Résumé : MEMOIRE pour servir à l'Histoire des Hommes Illustres, dans la République des Lettres, &c. Tom. 20 et 21. A Paris, chez Briasson, ruë S. Jacques, à la Science. 1732.
Le texte présente deux volumes d'une œuvre intitulée 'Mémoire pour servir à l'Histoire des Hommes Illustres, dans la République des Lettres'. Le vingtième volume inclut des corrections et des additions pour les tomes précédents, ainsi que trois tables utiles : une Table Générale des Matières, une Table alphabétique des Auteurs et une Table Nécrologique. Le vingt-et-unième volume éloge 36 savants, dont Pontus de Tyard. Pontus de Tyard, né vers 1521 au Château de Bissy, reçut une éducation précoce en langues anciennes et en poésie. Il est reconnu pour avoir introduit les sonnets en France. Par la suite, il se consacra à des études plus sérieuses telles que la philosophie, les mathématiques et la théologie. Sa carrière le mena à la cour de Henri III, où il obtint l'évêché de Châlons-sur-Saône. Il soutint l'autorité royale lors des États de Blois en 1588. Après vingt ans d'épiscopat, il se retira et mourut en 1605 à l'âge de 84 ans. Le texte mentionne également plusieurs des œuvres de Tyard, qui couvrent une large gamme de genres, allant des poèmes à des traités théologiques et philosophiques.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
22
p. 226-227
GRANDE-BRETAGNE.
Début :
Le vaisseau le Cheval Marin arrivé de la Virginie le [...]
Mots clefs :
Londres, Major général Braddock, Colonel Dunbar, Français, Anglais, Bataille, Ohio, Wills's Creek, Conseils de régence
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : GRANDE-BRETAGNE.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 11 Septembre.
Le vaiffeau le Cheval Marin arrivé de la Virginie
le 23 d'Août , a apporté la nouvelle d'un
combat qui s'eft donné le 9 Juillet entre les François
& les Anglois , près de l'Ohio , & dans lequel
les premiers ont remporté l'avantage. La relation
que la Gazette de la Cour a publiée de cette action
contient les particularités fuivantes. Le Major général
Braddock , à la tête de deux mille hommes ,
s'eft porté à Wills's - Creek. Y ayant laiffé fes bagages
& fes provifions fous la garde d'un détachement
de huit cens hommes , commandé par le
Colonel Dunbar ; il s'eft avancé vers le fort du
Quefne avec douze cens hommes & dix pieces de
canon ; & le 8 Juillet i campa à dix milles de ce
fort . Le 9 , tandis qu'il s'en approchoit à travers
les bois , il fut attaqué par un corps de François
& d'Indiens . La vivacité de leur feu jetta le defordre
parmi les Anglois qui , malgré tous les efforts
que le Général & les Officiers firent pour les ral
lier , prirent la fuite. M. Braddock , après avoir
fait tout ce qu'on pouvoit attendre de fon courage
, & après avoir eu cinq chevaux tués fous lui,
fut obligé de fe retirer précipitamment à Wills'sOCTOBRE
1755. 217
Creek avec les débris de fes troupes . Quatre
jours après il y eft mort de deux bleffures qu'il
avoit reçues , l'une au bras , l'autre dans la poitrine.
Les Anglois ont perdu dans cette action vingt-
- cinq Officiers , & en ont eu trente-huit bleffés.
Entre les derniers font M. Jean de Saint Clair ,
Quartier-Maître général , MM . Robert Orme &
Roger Morris , Adjudans généraux de M. Braddock
; les Lieutenans Colonels Gage & Burton .
On compte entre les premiers le Colonel Halket
& le fils de M. Shirley , Gouverneur de la Virginie.
Le nombre des foldats tués monte à deux
cens hommes , & celui des bleifés au double .
Il s'eft tenu à l'occafion de cet événement plufieurs
Confeils de Régence. On affure que les
François ont marché à Wills's - reek pour attaquer
le détachement du Colonel Dunbar. Il y a
apparence que le Général Oglethorpe aura le
commandement en chef des troupes du Roi dans
P'Amérique feptentrionale , à la place du feu Major
Général Braddock.
On écrit de la nouvelle Ecoffe , que l'Amiral
Bofcawen étoit encore le 15 du mois de Juillet
dans le port d'Halifax avec douze vaiffeaux de
guerre. Selon les mêmes lettres , l'Amiral Holbourne
croifoit avec cinq vaiffeaux à la hauteur
de Louisbourg. Les nouvelles d'Irlande portent
qu'on a mis un embargo fur tous les bâtimens qai
fe trouvent dans le port de Cork.
DE LONDRES , le 11 Septembre.
Le vaiffeau le Cheval Marin arrivé de la Virginie
le 23 d'Août , a apporté la nouvelle d'un
combat qui s'eft donné le 9 Juillet entre les François
& les Anglois , près de l'Ohio , & dans lequel
les premiers ont remporté l'avantage. La relation
que la Gazette de la Cour a publiée de cette action
contient les particularités fuivantes. Le Major général
Braddock , à la tête de deux mille hommes ,
s'eft porté à Wills's - Creek. Y ayant laiffé fes bagages
& fes provifions fous la garde d'un détachement
de huit cens hommes , commandé par le
Colonel Dunbar ; il s'eft avancé vers le fort du
Quefne avec douze cens hommes & dix pieces de
canon ; & le 8 Juillet i campa à dix milles de ce
fort . Le 9 , tandis qu'il s'en approchoit à travers
les bois , il fut attaqué par un corps de François
& d'Indiens . La vivacité de leur feu jetta le defordre
parmi les Anglois qui , malgré tous les efforts
que le Général & les Officiers firent pour les ral
lier , prirent la fuite. M. Braddock , après avoir
fait tout ce qu'on pouvoit attendre de fon courage
, & après avoir eu cinq chevaux tués fous lui,
fut obligé de fe retirer précipitamment à Wills'sOCTOBRE
1755. 217
Creek avec les débris de fes troupes . Quatre
jours après il y eft mort de deux bleffures qu'il
avoit reçues , l'une au bras , l'autre dans la poitrine.
Les Anglois ont perdu dans cette action vingt-
- cinq Officiers , & en ont eu trente-huit bleffés.
Entre les derniers font M. Jean de Saint Clair ,
Quartier-Maître général , MM . Robert Orme &
Roger Morris , Adjudans généraux de M. Braddock
; les Lieutenans Colonels Gage & Burton .
On compte entre les premiers le Colonel Halket
& le fils de M. Shirley , Gouverneur de la Virginie.
Le nombre des foldats tués monte à deux
cens hommes , & celui des bleifés au double .
Il s'eft tenu à l'occafion de cet événement plufieurs
Confeils de Régence. On affure que les
François ont marché à Wills's - reek pour attaquer
le détachement du Colonel Dunbar. Il y a
apparence que le Général Oglethorpe aura le
commandement en chef des troupes du Roi dans
P'Amérique feptentrionale , à la place du feu Major
Général Braddock.
On écrit de la nouvelle Ecoffe , que l'Amiral
Bofcawen étoit encore le 15 du mois de Juillet
dans le port d'Halifax avec douze vaiffeaux de
guerre. Selon les mêmes lettres , l'Amiral Holbourne
croifoit avec cinq vaiffeaux à la hauteur
de Louisbourg. Les nouvelles d'Irlande portent
qu'on a mis un embargo fur tous les bâtimens qai
fe trouvent dans le port de Cork.
Fermer
Résumé : GRANDE-BRETAGNE.
Le 11 septembre, le vaisseau le Cheval Marin a rapporté un combat entre les Français et les Anglais près de l'Ohio le 9 juillet, où les Français ont remporté la victoire. Le Major général Braddock, à la tête de deux mille hommes, s'est dirigé vers Wills's Creek, laissant ses bagages sous la garde du Colonel Dunbar. Braddock a ensuite avancé vers le fort Duquesne avec douze cents hommes et dix pièces de canon. Le 9 juillet, il a été attaqué par des Français et des Indiens. La vivacité de leur feu a semé le désordre parmi les Anglais, qui ont pris la fuite malgré les efforts de Braddock. Braddock est mort quatre jours plus tard de ses blessures à Wills's Creek. Les Anglais ont perdu vingt-cinq officiers et en ont eu trente-huit blessés, dont Jean de Saint Clair et Robert Orme. Le nombre de soldats tués s'élève à deux cents, et celui des blessés au double. Plusieurs conseils de régence ont été tenus. L'Amiral Boscawen était à Halifax avec douze vaisseaux de guerre le 15 juillet, et l'Amiral Holbourne croisait près de Louisbourg. En Irlande, un embargo a été mis sur tous les bâtiments du port de Cork.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
23
p. 228-234
GRANDE-BRETAGNE.
Début :
Le Chevalier d'Abreu, Ministre d'Espagne, & Don Louis d'Acunha, Ministre [...]
Mots clefs :
Londres, Général, Colonel, Amérique, Indiens d'Amérique, Combats, Johnson, Vaisseaux, Français, Amiraux, Chambre des communes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES
, le 25 Novembre
.
Le Chevalier
d'Abreu
, Miniftre
d'Eſpagne
, &
Don Louis d'Acunha
, Miniftre
de Portugal
, ont
eu le mois paffé de fréquentes
conférences
avec
les Miniftres
du Roi. On affure qu'elles
ont roulé
fur la médiation
offerte par leurs Majeftés
Catholique
& très-fidele , pour accommoder
les différends
furvenus
entre cette Cour & celle de Fran- ce. Le bruit eft général
auffi que la commiffion de Don Mello de Caftro eft relative
à cet objet.
L'Amiral
Byng fit voile de ce port le 14 Octobre
avechuit vaiffeaux
de guerre. Il doit prendre
à Plymouth
quatre
autres vaiffeaux
& quelques
frégates
, & continuer
enfuite
fa route vers la Méditer- ranée. Les dernieres
nouvelles
de l'Amérique
portent
que le Général
Shirley
a commencé
l'âttaque
du Fort de la Couronne
, & que le Gouverneur
de la Virginie
fait lever avec toute la diligence
poffible
un Régiment
de douze cens hom- mes , dont le Colonel
Washington
aura le comDECEMBRE.
1755. 229
"
mandement . Selon les mêmes lettres , les Sauvages
font des courfes continuelles dans cette colonie ,
ainfi que dans la Pensilvanie & dans le Maryland ,
& ils y ont caufé beaucoup de ravages.
Une partie des cargaifons des bâtimens dont
les Anglois fe font emparés , dépériffant à bord ;
les propriétaires ont demandé la permiffion de
s'en défaire , offrant d'en remettre la valeur , fi les
circonstances l'exigent. En conféquence on a
commencé à vendre plufieurs des denrées & des
marchandiſes qui étoient fur ces bâtimens .
Voici les principales particularités que le Gouvernement
a jugé à propos de rendre publiques
au fujet de l'avantage remporté en Amérique par
Johnfon. Quelques Indiens , que ce Major Général
avoit envoyés à la découverte , lui vinrent
annoncer le 7 du mois de Septembre , qu'un détachement
de troupes Françoifes marchoit vers
un pofte avancé , où étoient deux cens cinquante
hommes du Régiment de New Hampshire , &
cinq Compagnies du Régiment de la Nouvelle
Yorck. Auffi-tôt le Sr Johnſon envoya ordre au
Colonel Blanchard , qui commandoit dans ce
pofte , de fe replier avec les troupes. On fut informé
la nuit fuivante , que les François étoient
arrivés à quatre milles en-deçà du pofte du Colonel
Blanchard . Le lendemain matin , on tint
Confeil de guerre. Il fut réfolu de détacher mille
hommes , fous le commandement du Colonel
Williams , pour aller à leur rencontre. Une heure
& demie après le départ de ce détachement ,
auquel fe joignirent deux cens Indiens , on entendit
tirer avec beaucoup de vivacité. On ne
douta point qu'il n'y eût une action d'engagée ,
& l'on jugea qu'elle fe paffoit à trois milles du
camp , où le feur Johnſon étoit rétranché près
230 MERCURE DE FRANCE.
du Lac Ceorges. Les feux des combattans s'ap
prochant peu à peu , il fut aifé de conjecturer
que les troupes du Colonel Williams étoient en
déroute. Le Lieutenant Colonel Colie fut détaché
en conféquence avec trois cens hommes pour favorifer
leur retraite . Entre dix & onze heures elles
revinrent en fort grand céfordre . A onze heures
& demie les François parurent. Ils n'étoient
qu'au nombre de dix - fept cens hommes , fçavoir
deux cens Grenadiers , huit cens Canadiens , &
fept cens Indiens . Ayant fait une courte halte à
cent cinquante toiles des retranchemens du Major
Général Johnſon , ils s'avancerent la bayonette
au bout du fufil , dirigeant leur principale attaque
vers le centre du camp . D'abord ils firent feu par
pelotons. Leurs décharges ne produifirent pas
beaucoup d'effet , parce que les Anglois étoient
Couverts d'un parapet . Ceux- ci commencerent à
faire jouer leur artillerie , & pour lors le combat
devint général . L'attaque des François fur des
plus vives. Ne pouvant entamer le centre du
camp , ils tournerent leurs efforts du côté de la
droite. Après avoir combattu jufqu'à quatre heures
après- midi avec une intrépidité peu commune
, ils furent enfin repouffes. Les Anglois les
voyant ébranlés , fortirent du retranchement , les
pourfuivirent , & firent trente prifonniers , parmi
fefquels eft le fieur de Dieskau , Général des trou
pes arrivées depuis peu de France en Canada. Il eſt
bleffé dangereufement d'un coup de feu à la jambe
, & de deux autres coup dans les deux hanches.
Son Major Général , & le fieur de Saint Pierre qui
commandoit les Indiens , ont été tués . On ne fçait
point au juſte à quoi monte la perte de part &
d'autre. Les uns prétendent que les François ont
perda mille hommes. Selon d'autres ils n'en ont
DECEMBRE.
1755. 231
perdu que fix cens. Du côté des Anglois , le Májor
General Johnſon a reçu un coup de feu dans
la cuifle , & l'on n'a pu retirer la balle de la plaie .
Le Colonel Williams , le Major Ashley , les Capitaines
Ingerzal , Putter , Ferral , Stodder , Mac-
Ginnes & Steven , ont perdu la vie dans le combat
du matin. A la défenſe du camp les Anglois
ont eu cent trente hommes tués , & foixante
bleffés. Le Colonel Titcomb eft du nombre des
premiers.
Les Seigneurs préfenterent le 14 de ce mois.
au Roi l'adreſſe fuivante. « Nous , les fideles Su-
»jets de Votre Majefté , les Loras Spirituels &
Temporels aflemblés en Parlement , deman
» dons la permiffion de la remercier de fa gra
>> cieuſe harangue émanée du trône . L'attention
» paternelle de Votre Majefté pour le bonheur
» de fes peuples , laquelle s'eft fait connoître dans
» toutes les occafions , fe manifefte d'une façon
» bien fenfible , dans cette conjoncture critique ,
» par l'ardent défir que Votre Majesté a montré
» de garantir la Grande Bretagne des calamités
de la guerre , & par la ferme réſolution où eft
» Votre Majesté de n'accepter que des propofi-
» tions raisonnables & honorables d'accommode-
» ment. Quand nous confidérons de quelle im-
>> portance la confervation des poffeffions de la
» Grande- Bretagne en Amérique eft au commer
» ce & à la prospérité de ces Royaumes , nous ne
>> pouvons voir avec indifférence tant d'ufurpa
» tions faites par la France dans le tems d'une pro-
» fonde paix, & contre la foi des traités les plus
>> folemnels. Rien ne peut furpaffer notre étonne
» ment d'une telle conduite , fi ce n'eft la recon-
>> noiffance que nous infpirent les foins pris par
» Votre Majesté pour protéger nos colonies con
232 MERCURE DE FRANCE .
>> tre les invaſions & contre les infultes , & pour
>> recouvrer les pays qui en ont été enlevés fi in-
» juftement. Si quelque Puiffance a pu fe trom-
» per jufqu'au point d'imaginer que Votre Ma-
»jefté & votre Parlement demeuraffent dans l'in-
» action à la vue de tant d'hoftilités que nous ne
> nous fommes point attirées , il y a long- tems
» qu'elle doit être revenue de fon erreur. Nous
reconnoiffons avec bien de la gratitude la fa-
» geffe & la bonté de Votre Majesté , dans la di-
» ligence qu'elle a apportée à multiplier fes ar-
>> memens maritimes , à augmenter les forces de
» terre , de maniere à procurer la fureté de fes
» peuples , fans leur impofer un fardeau trop
» onéreux , & à encourager les braves & fideles
fujets d'Amérique à faire en cette occaſion im-
» portante , tout ce que demandent d'eux leur
» devoir , leur bien- être & leur commun danger.
» Votre Majefté a fuffifamment prouvé qu'elle
» n'eft guidée par aucun motif d'ambition , ni par
>> aucun deffein d'exciter de nouveaux troubles .
» Sa prudence & fa magnanimité éclatent pleine-
>> ment par la difpofition où elle est de prévenir
» tout ce qui pourroit allumer en Europe une
» guerre générale , & de fe borner à pourſuivre
>> les fins falutaires & néceffaires qu'il lui a plu
» de nous expoſer. C'eft avec grand plaifir que
»>nous apprenons la déclaration pacifique de Sa
n Majefté Catholique. Une telle déclaration s'ac-
» corde parfaitement avec la bonne intelligence
>> qui fubfifte entre les deux Couronnes , & avec
» l'intérêt de toute l'Europe . Nous trahirions ce
» que nous devons à Votre Majefté & à notre Pa-
>> trie , fi nous ne promettions avec autant de fin-
» cérité que de zele , de féconder efficacement
» Votre Majesté dans une cauſe juſte & naționale,
DECEMBRE . 1755. 233
» Rien ne
manquera de notre part pour effectuer
» les affurances
que votre Parlement
vous a don-
» nées dans fa derniere feffion . Nous nous re-
» gardons comme obligés par les loix du devoir ,
» de l'honneur
& de la reconnoiffance
, à concou-
>> rir à toutes les mefures fages & indifpenfables
,
» que Votre Majefté a prifes pour la défenſe des
» droits de fa Couronne
, à faire échouer les ten-
» tatives qui pourroient
être faites par la France
» en haine de ces mefures , & à mettre Votre Ma-
» jefté en état de repouffer les entrepriſes
qui fe-
>> ront formées , non feulement
contre les Royau-
» mes , mais même contre fes autres Etats indé-
» pendans de la Couronne de la Grande-Bretagne,
» fuppofé qu'ils foient attaqués
à raifon de la
>> part que Votre Majefté a priſe à l'intérêt effen-
» tiel de cette Couronne . Animés de ces grandes
» & importantes
confidérations
, qu'il nous foit
» permis d'affurer Votre Majefté de notre fidélité
» & de notre attachement
pour fa perfonne
fa-
» crée , & de lui protefter que nous enviſageons
» le maintien de fon Gouvernement
& de la fucceffion
proteftante dans votre Royale Maifon ,
» comme le feul appui de notre Religion & de
» nos Libertés. Notre conduite inébranlable détrompera
quiconque fe feroit vainement flatté
» que des appareils menaçans puffent nous em-
» pêcher d'agir conféquemment à ces principes
» & elle prouvera que , quoique nous foyons bien
» éloignés de penfer à faire injure ou tort à quel-
» qu'un de nos voifins , nous fommes prêts à
» facrifier nos vies & nos fortunes pour la dé-
» fenſe de Votre Majefté , ainsi que pour la con-
» fervation des poffeffions , du commerce & des
» droits de la Grande-Bretagne. » Le Roi répondit
aux Seigneurs , Milords , je vous fais mes fin-
>
234 MERCURE DE FRANCE.
ceres remerciemens des marques d'affection & de
fidélité dont votre Adreffe eft remplie. Je vois avec
la plus grande fatisfaction le zele que vous montrez
pour ma perfonne & pour mon Gouvernement, auſſibien
que pour les véritables intérêts de votre patrie,
que je ne perdrai jamais de vue. Les affurances
que vous me donnez , de défendre méme mes
Etats indépendans de la Couronne de la Grande
Bretagne , font une forte preuve de votre attachement
pour moi, & de l'intérêt que vous prenez à
mon honneur. Rien ne me détournera de poursuivre
les mesures qui peuvent contribuer efficacement à
maintenir les poffeffions & les droits de la Nation ,
à nous procurer un accommodement folide
honorable.
L'adreffe qui fut préfentée le 15 par la Chambre
des Communes , eft conçue à peu - près dans
les mêmes termes que l'Adreffe de la Chambre-
Haute.
Les Amiraux Bofcawen , Moftyn & Holbourne
, font revenus d'Amérique avec leurs Efcadres
, lefquelles doivent être radoubées , afin de
fe remettre en mer , lorfque les circonftances
l'exigeront. Le vaiffeau de guerre François l'Efpérance
, a été conduit à Plymouth. Il a été pris
par l'efcadre de l'Amiral Weft , après avoir foutenu
un combat de quatre heures contre le vaiffeau
l'Orford , qu'il a fort maltraité , & un fecond
combat contre l'Amiral Weft lui- même . Comme
ce vaiffeau étoit fort vieux & criblé de coups ,
on y a mis le feu après en avoir retiré les agrets.
, le 25 Novembre
.
Le Chevalier
d'Abreu
, Miniftre
d'Eſpagne
, &
Don Louis d'Acunha
, Miniftre
de Portugal
, ont
eu le mois paffé de fréquentes
conférences
avec
les Miniftres
du Roi. On affure qu'elles
ont roulé
fur la médiation
offerte par leurs Majeftés
Catholique
& très-fidele , pour accommoder
les différends
furvenus
entre cette Cour & celle de Fran- ce. Le bruit eft général
auffi que la commiffion de Don Mello de Caftro eft relative
à cet objet.
L'Amiral
Byng fit voile de ce port le 14 Octobre
avechuit vaiffeaux
de guerre. Il doit prendre
à Plymouth
quatre
autres vaiffeaux
& quelques
frégates
, & continuer
enfuite
fa route vers la Méditer- ranée. Les dernieres
nouvelles
de l'Amérique
portent
que le Général
Shirley
a commencé
l'âttaque
du Fort de la Couronne
, & que le Gouverneur
de la Virginie
fait lever avec toute la diligence
poffible
un Régiment
de douze cens hom- mes , dont le Colonel
Washington
aura le comDECEMBRE.
1755. 229
"
mandement . Selon les mêmes lettres , les Sauvages
font des courfes continuelles dans cette colonie ,
ainfi que dans la Pensilvanie & dans le Maryland ,
& ils y ont caufé beaucoup de ravages.
Une partie des cargaifons des bâtimens dont
les Anglois fe font emparés , dépériffant à bord ;
les propriétaires ont demandé la permiffion de
s'en défaire , offrant d'en remettre la valeur , fi les
circonstances l'exigent. En conféquence on a
commencé à vendre plufieurs des denrées & des
marchandiſes qui étoient fur ces bâtimens .
Voici les principales particularités que le Gouvernement
a jugé à propos de rendre publiques
au fujet de l'avantage remporté en Amérique par
Johnfon. Quelques Indiens , que ce Major Général
avoit envoyés à la découverte , lui vinrent
annoncer le 7 du mois de Septembre , qu'un détachement
de troupes Françoifes marchoit vers
un pofte avancé , où étoient deux cens cinquante
hommes du Régiment de New Hampshire , &
cinq Compagnies du Régiment de la Nouvelle
Yorck. Auffi-tôt le Sr Johnſon envoya ordre au
Colonel Blanchard , qui commandoit dans ce
pofte , de fe replier avec les troupes. On fut informé
la nuit fuivante , que les François étoient
arrivés à quatre milles en-deçà du pofte du Colonel
Blanchard . Le lendemain matin , on tint
Confeil de guerre. Il fut réfolu de détacher mille
hommes , fous le commandement du Colonel
Williams , pour aller à leur rencontre. Une heure
& demie après le départ de ce détachement ,
auquel fe joignirent deux cens Indiens , on entendit
tirer avec beaucoup de vivacité. On ne
douta point qu'il n'y eût une action d'engagée ,
& l'on jugea qu'elle fe paffoit à trois milles du
camp , où le feur Johnſon étoit rétranché près
230 MERCURE DE FRANCE.
du Lac Ceorges. Les feux des combattans s'ap
prochant peu à peu , il fut aifé de conjecturer
que les troupes du Colonel Williams étoient en
déroute. Le Lieutenant Colonel Colie fut détaché
en conféquence avec trois cens hommes pour favorifer
leur retraite . Entre dix & onze heures elles
revinrent en fort grand céfordre . A onze heures
& demie les François parurent. Ils n'étoient
qu'au nombre de dix - fept cens hommes , fçavoir
deux cens Grenadiers , huit cens Canadiens , &
fept cens Indiens . Ayant fait une courte halte à
cent cinquante toiles des retranchemens du Major
Général Johnſon , ils s'avancerent la bayonette
au bout du fufil , dirigeant leur principale attaque
vers le centre du camp . D'abord ils firent feu par
pelotons. Leurs décharges ne produifirent pas
beaucoup d'effet , parce que les Anglois étoient
Couverts d'un parapet . Ceux- ci commencerent à
faire jouer leur artillerie , & pour lors le combat
devint général . L'attaque des François fur des
plus vives. Ne pouvant entamer le centre du
camp , ils tournerent leurs efforts du côté de la
droite. Après avoir combattu jufqu'à quatre heures
après- midi avec une intrépidité peu commune
, ils furent enfin repouffes. Les Anglois les
voyant ébranlés , fortirent du retranchement , les
pourfuivirent , & firent trente prifonniers , parmi
fefquels eft le fieur de Dieskau , Général des trou
pes arrivées depuis peu de France en Canada. Il eſt
bleffé dangereufement d'un coup de feu à la jambe
, & de deux autres coup dans les deux hanches.
Son Major Général , & le fieur de Saint Pierre qui
commandoit les Indiens , ont été tués . On ne fçait
point au juſte à quoi monte la perte de part &
d'autre. Les uns prétendent que les François ont
perda mille hommes. Selon d'autres ils n'en ont
DECEMBRE.
1755. 231
perdu que fix cens. Du côté des Anglois , le Májor
General Johnſon a reçu un coup de feu dans
la cuifle , & l'on n'a pu retirer la balle de la plaie .
Le Colonel Williams , le Major Ashley , les Capitaines
Ingerzal , Putter , Ferral , Stodder , Mac-
Ginnes & Steven , ont perdu la vie dans le combat
du matin. A la défenſe du camp les Anglois
ont eu cent trente hommes tués , & foixante
bleffés. Le Colonel Titcomb eft du nombre des
premiers.
Les Seigneurs préfenterent le 14 de ce mois.
au Roi l'adreſſe fuivante. « Nous , les fideles Su-
»jets de Votre Majefté , les Loras Spirituels &
Temporels aflemblés en Parlement , deman
» dons la permiffion de la remercier de fa gra
>> cieuſe harangue émanée du trône . L'attention
» paternelle de Votre Majefté pour le bonheur
» de fes peuples , laquelle s'eft fait connoître dans
» toutes les occafions , fe manifefte d'une façon
» bien fenfible , dans cette conjoncture critique ,
» par l'ardent défir que Votre Majesté a montré
» de garantir la Grande Bretagne des calamités
de la guerre , & par la ferme réſolution où eft
» Votre Majesté de n'accepter que des propofi-
» tions raisonnables & honorables d'accommode-
» ment. Quand nous confidérons de quelle im-
>> portance la confervation des poffeffions de la
» Grande- Bretagne en Amérique eft au commer
» ce & à la prospérité de ces Royaumes , nous ne
>> pouvons voir avec indifférence tant d'ufurpa
» tions faites par la France dans le tems d'une pro-
» fonde paix, & contre la foi des traités les plus
>> folemnels. Rien ne peut furpaffer notre étonne
» ment d'une telle conduite , fi ce n'eft la recon-
>> noiffance que nous infpirent les foins pris par
» Votre Majesté pour protéger nos colonies con
232 MERCURE DE FRANCE .
>> tre les invaſions & contre les infultes , & pour
>> recouvrer les pays qui en ont été enlevés fi in-
» juftement. Si quelque Puiffance a pu fe trom-
» per jufqu'au point d'imaginer que Votre Ma-
»jefté & votre Parlement demeuraffent dans l'in-
» action à la vue de tant d'hoftilités que nous ne
> nous fommes point attirées , il y a long- tems
» qu'elle doit être revenue de fon erreur. Nous
reconnoiffons avec bien de la gratitude la fa-
» geffe & la bonté de Votre Majesté , dans la di-
» ligence qu'elle a apportée à multiplier fes ar-
>> memens maritimes , à augmenter les forces de
» terre , de maniere à procurer la fureté de fes
» peuples , fans leur impofer un fardeau trop
» onéreux , & à encourager les braves & fideles
fujets d'Amérique à faire en cette occaſion im-
» portante , tout ce que demandent d'eux leur
» devoir , leur bien- être & leur commun danger.
» Votre Majefté a fuffifamment prouvé qu'elle
» n'eft guidée par aucun motif d'ambition , ni par
>> aucun deffein d'exciter de nouveaux troubles .
» Sa prudence & fa magnanimité éclatent pleine-
>> ment par la difpofition où elle est de prévenir
» tout ce qui pourroit allumer en Europe une
» guerre générale , & de fe borner à pourſuivre
>> les fins falutaires & néceffaires qu'il lui a plu
» de nous expoſer. C'eft avec grand plaifir que
»>nous apprenons la déclaration pacifique de Sa
n Majefté Catholique. Une telle déclaration s'ac-
» corde parfaitement avec la bonne intelligence
>> qui fubfifte entre les deux Couronnes , & avec
» l'intérêt de toute l'Europe . Nous trahirions ce
» que nous devons à Votre Majefté & à notre Pa-
>> trie , fi nous ne promettions avec autant de fin-
» cérité que de zele , de féconder efficacement
» Votre Majesté dans une cauſe juſte & naționale,
DECEMBRE . 1755. 233
» Rien ne
manquera de notre part pour effectuer
» les affurances
que votre Parlement
vous a don-
» nées dans fa derniere feffion . Nous nous re-
» gardons comme obligés par les loix du devoir ,
» de l'honneur
& de la reconnoiffance
, à concou-
>> rir à toutes les mefures fages & indifpenfables
,
» que Votre Majefté a prifes pour la défenſe des
» droits de fa Couronne
, à faire échouer les ten-
» tatives qui pourroient
être faites par la France
» en haine de ces mefures , & à mettre Votre Ma-
» jefté en état de repouffer les entrepriſes
qui fe-
>> ront formées , non feulement
contre les Royau-
» mes , mais même contre fes autres Etats indé-
» pendans de la Couronne de la Grande-Bretagne,
» fuppofé qu'ils foient attaqués
à raifon de la
>> part que Votre Majefté a priſe à l'intérêt effen-
» tiel de cette Couronne . Animés de ces grandes
» & importantes
confidérations
, qu'il nous foit
» permis d'affurer Votre Majefté de notre fidélité
» & de notre attachement
pour fa perfonne
fa-
» crée , & de lui protefter que nous enviſageons
» le maintien de fon Gouvernement
& de la fucceffion
proteftante dans votre Royale Maifon ,
» comme le feul appui de notre Religion & de
» nos Libertés. Notre conduite inébranlable détrompera
quiconque fe feroit vainement flatté
» que des appareils menaçans puffent nous em-
» pêcher d'agir conféquemment à ces principes
» & elle prouvera que , quoique nous foyons bien
» éloignés de penfer à faire injure ou tort à quel-
» qu'un de nos voifins , nous fommes prêts à
» facrifier nos vies & nos fortunes pour la dé-
» fenſe de Votre Majefté , ainsi que pour la con-
» fervation des poffeffions , du commerce & des
» droits de la Grande-Bretagne. » Le Roi répondit
aux Seigneurs , Milords , je vous fais mes fin-
>
234 MERCURE DE FRANCE.
ceres remerciemens des marques d'affection & de
fidélité dont votre Adreffe eft remplie. Je vois avec
la plus grande fatisfaction le zele que vous montrez
pour ma perfonne & pour mon Gouvernement, auſſibien
que pour les véritables intérêts de votre patrie,
que je ne perdrai jamais de vue. Les affurances
que vous me donnez , de défendre méme mes
Etats indépendans de la Couronne de la Grande
Bretagne , font une forte preuve de votre attachement
pour moi, & de l'intérêt que vous prenez à
mon honneur. Rien ne me détournera de poursuivre
les mesures qui peuvent contribuer efficacement à
maintenir les poffeffions & les droits de la Nation ,
à nous procurer un accommodement folide
honorable.
L'adreffe qui fut préfentée le 15 par la Chambre
des Communes , eft conçue à peu - près dans
les mêmes termes que l'Adreffe de la Chambre-
Haute.
Les Amiraux Bofcawen , Moftyn & Holbourne
, font revenus d'Amérique avec leurs Efcadres
, lefquelles doivent être radoubées , afin de
fe remettre en mer , lorfque les circonftances
l'exigeront. Le vaiffeau de guerre François l'Efpérance
, a été conduit à Plymouth. Il a été pris
par l'efcadre de l'Amiral Weft , après avoir foutenu
un combat de quatre heures contre le vaiffeau
l'Orford , qu'il a fort maltraité , & un fecond
combat contre l'Amiral Weft lui- même . Comme
ce vaiffeau étoit fort vieux & criblé de coups ,
on y a mis le feu après en avoir retiré les agrets.
Fermer
Résumé : GRANDE-BRETAGNE.
Le 25 novembre, le Chevalier d'Abreu, ministre d'Espagne, et Don Louis d'Acunha, ministre du Portugal, ont tenu des conférences fréquentes avec les ministres du Roi de Grande-Bretagne. Ces discussions portaient sur la médiation proposée par les monarques catholique et fidèle pour résoudre les différends entre la Grande-Bretagne et la France. Il est également mentionné que la commission de Don Mello de Castro est liée à cet objet. En mer, l'Amiral Byng a quitté Londres le 14 octobre avec plusieurs vaisseaux de guerre, devant rejoindre d'autres navires à Plymouth avant de se diriger vers la Méditerranée. En Amérique, le Général Shirley a attaqué le Fort de la Couronne, tandis que le Gouverneur de la Virginie a levé un régiment de douze cents hommes sous le commandement du Colonel Washington. Les Sauvages menaient des raids continus dans les colonies de Virginie, Pennsylvanie et Maryland, causant de nombreux ravages. Certaines cargaisons des bâtiments capturés par les Anglais se détérioraient, et les propriétaires ont demandé la permission de s'en débarrasser, offrant de rembourser leur valeur si nécessaire. Plusieurs denrées et marchandises ont ainsi été mises en vente. Le Gouvernement britannique a rendu publiques les particularités de l'avantage remporté par le Major Général Johnson en Amérique. Des Indiens envoyés en reconnaissance ont informé Johnson de l'approche de troupes françaises. Johnson a ordonné au Colonel Blanchard de se replier. Un conseil de guerre a ensuite décidé d'envoyer mille hommes sous le commandement du Colonel Williams pour intercepter les Français. Une bataille a suivi, au cours de laquelle les Français, au nombre de sept cent soixante-dix hommes, ont été repoussés. Les Britanniques ont fait trente prisonniers, dont le Baron de Dieskau, blessé. Les pertes britanniques incluaient plusieurs officiers et cent trente hommes tués, ainsi que soixante blessés. Les Seigneurs ont présenté au Roi une adresse remerciant Sa Majesté pour sa harangue et exprimant leur soutien aux mesures prises pour garantir la Grande-Bretagne contre les calamités de la guerre. Ils ont souligné l'importance de conserver les possessions britanniques en Amérique et ont promis leur fidélité et leur attachement au Roi et à son Gouvernement. Le Roi a répondu en exprimant sa satisfaction et en réaffirmant son engagement à défendre les droits et les possessions de la Nation. La Chambre des Communes a présenté une adresse similaire le 15 décembre. Les Amiraux Boscawen, Moffyn et Holbourne sont revenus d'Amérique avec leurs escadres, qui doivent être radoubées. Le vaisseau français L'Espérance, pris après un combat contre l'escadre de l'Amiral West, a été incendié en raison de ses dommages.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
24
p. 198-200
GRANDE-BRETAGNE.
Début :
La Cour a envoyé ordre à Portsmouth d'y préparer pour la [...]
Mots clefs :
Londres, Sa Majesté, Chambre des communes, Comte de Holderness, Amérique septentrionale, Régiment, Mobilisation, Français
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : GRANDE-BRETAGNE.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 25 Mars.
La Cour a envoyé ordre à Portſmouth d'y préparer
pour la Méditerranée une Eſcadre de dix
Vaiffeaux de guerre , dont les Amiraux Byng &
Weft auront le commandement . Les Commiffaires
de l'Amirauté ont fait arrêter à Sandwich l'équipage
d'une Chaloupe , qui a été détenue quelques
jours à Dunkerque , d'où elle a été relâchée .
Le 23 le Comte de Holderneff remit à la Chambre
, de la part du Roi , un Meffage , dont voici la
teneur. « Sa Majefté a reçu de différens endroits
» plufieurs avis réitérés , que la Cour de France
» a formé le projet de faire une invafion dans la
» Grande- Bretagne . Les grands préparatifs auf
» quels on travaille dans les Ports,de France , voiAVRIL.
1756.
199
» fins de mes Royaumes , & le langage que tien-
» nent les Miniftres François dans quelques Cours
étrangeres , ne laiffent prefque point lieu de
» douter de la réalité d'un tel deffein ; c'eft pour-
» quoi Sa Majesté a jugé qu'il étoit néceffaire de
>> vous faire part d'une nouvelle de fi haute im-
» portance pour le falut & le bonheur de la Na-
>> tion , & de vous informer qu'en conféquence
» des avis & des affurances de fon Parlement
» Elle a augmenté fes forces de terre & de mer ,
>> & pris les mesures convenables pour mettre fes
» Royaumes en état de défenſe contre une entrefon
prife conçue en haine des précautions dont Elle
» à ufé pour maintenir les droits & les poffeffions
» de la Couronne dans l'Amérique Septentrio-
» nale . Dans la vue de fe fortifier d'un nouveau
» fecours , Sa Majefté a requis que le Landgrave
» de Heffe-Caffel envoyât les troupes que par
» dernier Traité il eft obligé de fournir ; & les
» ordres font déja donnés pour leur tranſport. Sa
» Majesté fe repòfant fur la Protection Divine ,
>> ainfi que fur le zele & l'affection de ſes Sujets ,
» dont Elle a fait fi fouvent l'expérience , eft dé-
» terminée à ne négliger aucun moyen de fe dé-
>> fendre , & d'employer toutes les forces que Dieu
>> a mifes en fes mains , pour repouffer les efforts
>> hardis de fes ennemis. Elle ne doute point que
>> vous ne concouriez à un objet fi effentiel à
>> l'honneur de cette Couronne , au maintien de
» la Religion Proteftante , & à la confervation
» des libertés de ces Royaumes » . Le fieur Fox
porta à la Chambre des Communes un femblable
Meffage. Les deux Chambres ont préſenté chacune
une Adreffe à Sa Majefté pour l'affurer
qu'elles la feconderoient de tout leur pouvoir.
On affure que la Chambre des Communes , afin
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
de mettre le Roi en état de pourvoir plus efficacement
à la fureté de fa Perfonne & de fon Gouvernement
, autorifera Sa Majefté à emprunter jufqu'à
la concurrence d'un million fterling..
Tous les Officiers des troupes qui font en garnifon
à Gibraltar & dans l'Ile Minorque , partent
fucceffivement pour rejoindre leurs Corps . Le
Lord Bertie eft allé à Portfimouth , où il s'embarquera
pour Gibraltar avec fon Régiment . L'Amiral
Byng , à qui le Roi a donné le commandement
de l'Efcadre deftinée pour la Méditerranée ,
fe difpofe à mettre à la voile . On doit former
deux camps en Irlande , & l'on a ordonné d'y mettre
toutes les Milices fur pied.
DE LONDRES , le 25 Mars.
La Cour a envoyé ordre à Portſmouth d'y préparer
pour la Méditerranée une Eſcadre de dix
Vaiffeaux de guerre , dont les Amiraux Byng &
Weft auront le commandement . Les Commiffaires
de l'Amirauté ont fait arrêter à Sandwich l'équipage
d'une Chaloupe , qui a été détenue quelques
jours à Dunkerque , d'où elle a été relâchée .
Le 23 le Comte de Holderneff remit à la Chambre
, de la part du Roi , un Meffage , dont voici la
teneur. « Sa Majefté a reçu de différens endroits
» plufieurs avis réitérés , que la Cour de France
» a formé le projet de faire une invafion dans la
» Grande- Bretagne . Les grands préparatifs auf
» quels on travaille dans les Ports,de France , voiAVRIL.
1756.
199
» fins de mes Royaumes , & le langage que tien-
» nent les Miniftres François dans quelques Cours
étrangeres , ne laiffent prefque point lieu de
» douter de la réalité d'un tel deffein ; c'eft pour-
» quoi Sa Majesté a jugé qu'il étoit néceffaire de
>> vous faire part d'une nouvelle de fi haute im-
» portance pour le falut & le bonheur de la Na-
>> tion , & de vous informer qu'en conféquence
» des avis & des affurances de fon Parlement
» Elle a augmenté fes forces de terre & de mer ,
>> & pris les mesures convenables pour mettre fes
» Royaumes en état de défenſe contre une entrefon
prife conçue en haine des précautions dont Elle
» à ufé pour maintenir les droits & les poffeffions
» de la Couronne dans l'Amérique Septentrio-
» nale . Dans la vue de fe fortifier d'un nouveau
» fecours , Sa Majefté a requis que le Landgrave
» de Heffe-Caffel envoyât les troupes que par
» dernier Traité il eft obligé de fournir ; & les
» ordres font déja donnés pour leur tranſport. Sa
» Majesté fe repòfant fur la Protection Divine ,
>> ainfi que fur le zele & l'affection de ſes Sujets ,
» dont Elle a fait fi fouvent l'expérience , eft dé-
» terminée à ne négliger aucun moyen de fe dé-
>> fendre , & d'employer toutes les forces que Dieu
>> a mifes en fes mains , pour repouffer les efforts
>> hardis de fes ennemis. Elle ne doute point que
>> vous ne concouriez à un objet fi effentiel à
>> l'honneur de cette Couronne , au maintien de
» la Religion Proteftante , & à la confervation
» des libertés de ces Royaumes » . Le fieur Fox
porta à la Chambre des Communes un femblable
Meffage. Les deux Chambres ont préſenté chacune
une Adreffe à Sa Majefté pour l'affurer
qu'elles la feconderoient de tout leur pouvoir.
On affure que la Chambre des Communes , afin
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
de mettre le Roi en état de pourvoir plus efficacement
à la fureté de fa Perfonne & de fon Gouvernement
, autorifera Sa Majefté à emprunter jufqu'à
la concurrence d'un million fterling..
Tous les Officiers des troupes qui font en garnifon
à Gibraltar & dans l'Ile Minorque , partent
fucceffivement pour rejoindre leurs Corps . Le
Lord Bertie eft allé à Portfimouth , où il s'embarquera
pour Gibraltar avec fon Régiment . L'Amiral
Byng , à qui le Roi a donné le commandement
de l'Efcadre deftinée pour la Méditerranée ,
fe difpofe à mettre à la voile . On doit former
deux camps en Irlande , & l'on a ordonné d'y mettre
toutes les Milices fur pied.
Fermer
Résumé : GRANDE-BRETAGNE.
Le 25 mars 1756, la Cour britannique a ordonné la préparation d'une escadre de dix vaisseaux de guerre à Portsmouth, destinée à la Méditerranée, sous le commandement des amiraux Byng et West. Le 23 mars, le Comte de Holderness a informé la Chambre des préparatifs français pour une invasion de la Grande-Bretagne. En réponse, le Roi a augmenté les forces terrestres et navales et a pris des mesures de défense, incluant la requête d'envoi de troupes du Landgrave de Hesse-Cassel. Les Chambres ont assuré leur soutien au Roi et ont autorisé un emprunt d'un million de sterling pour la sécurité du Royaume. Les officiers des troupes à Gibraltar et Minorque ont rejoint leurs corps, et l'Amiral Byng se préparait à partir pour la Méditerranée. Deux camps devaient être formés en Irlande, et les milices y étaient mobilisées.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
25
p. 211-212
GRANDE-BRETAGNE.
Début :
On a reçu la confirmation que l'Escadre Françoise, commandée par M. Perrier de Salvert, [...]
Mots clefs :
Londres, Vaisseaux, Amiral Holbourne, Amérique, Siège du Fort de la Couronne, Tensions, Camps, Français, Fortifications
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : GRANDE-BRETAGNE.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 22 Avril.
On a reçu la confirmation
que l'Efcadre
Françoife
, commandée
par M. Perrier de Salvert ,
s'étoit emparée de trois Navires Anglois , dont un
a été conduit à Cadix , & les deux autres à Morlaix .
Le Vaiffeau de guerre le Newcastle
, de l'Eſcadre
de l'Amiral Hawke , a enlevé à la hauteur du Cap
Ortugal deux Bâtimens François : l'un de quatorze
canons & de cinquante
- fept hommes d'équipage
,
alloit au Cap Breton ; l'autre , chargé de vin ,
de
farine & de balles de moufquet , étoit deftiné pour
le Canada. L'Amiral
Holbourne
fit voile le is de
Plymouth
pour l'Amérique
avec quelques
Vaiffeaux
de guerre , & avec plufieurs
Bâtimens
de
tranfport
fur lefquels on a fait embarquer
le Régi
ment d'Otway
& celui des Montagnards
Ecoffois.
On équipe à Spithéad
une nouvelle
Efcadre de
huit Vaiffeaux
, dont l'Amiral Bofcawen
aura le
commandement
. Selon les lettres de la Virginie
on doit commencer
dans les premiers
jours du
mois prochain
le fiege du Fort de la Couronne
.
Les mêmes dépêches
affurent qu'on augmente
avec toute la diligence
poffible les fortifications
des principales
Villes des Colonies , & que l'on y
conftruit
divers Forts . On écrit d'Irlande
qu'on y
fait les difpofitions
néceffaires
pour les trois
camps que le Gouvernement
fe propofe d'y
former cette année. Le Lord Barrington
, Secretaire
de la Guerre , a annoncé
publiquement
, par
212 MERCURE DE FRANCE.
ordre du Roi , que la plupart des Régimens étant
complets , Sa Majefté juge à propos de fufpendre
l'exécution du Bill , qui ordonne de lever des foldats
par force.
>
Sa Majefté a fait fçavoir à M. le Chevalier de
Bouville commandant le Vaiffeau de guerre
François l'Espérance , & aux autres Officiers François
, prifonniers à Leycefter , qu'ils pouvoient
porter l'épée & fe promener hors de la Ville ,
pourvu qu'ils y rentraffent les foirs.
Tout le bois de fapin qui a été apporté en dernier
lieu de Norwege , a été acheté & embarqué
pour le Portugal . Les troupes n'attendent pour
camper que l'écoulement des eaux , qui en divers
endroits ont inondé une grande étendue de pays.
Le camp que l'on fe propofe de former dans les
environs de Cantorbery , fera composé de vingtcinq
mille hommes. On prépare des quartiers:
dans le Comte de Hampshire pour les troupes
Hanoveriennes & Heffoifes , qui débarqueront
dans un Port de cette Province.
Un Navire Anglois ayant échoué près de Calais ,
les François fe font emparés de fa cargaifon , &
ont fait l'équipage prifonnier. On équipe à Portf
mouth & à Plymouth deux Efcadres , dont le
public ignore la deſtination .
"
On affure que l'Amiral Byng est arrivé le 26
du mois dernier à Gibraltar. L'Efcadre de cet
Amiral fera renforcée de quatre Vaiffeaux , qui
doivent faire inceffamment voile de Spithéad.
DE LONDRES , le 22 Avril.
On a reçu la confirmation
que l'Efcadre
Françoife
, commandée
par M. Perrier de Salvert ,
s'étoit emparée de trois Navires Anglois , dont un
a été conduit à Cadix , & les deux autres à Morlaix .
Le Vaiffeau de guerre le Newcastle
, de l'Eſcadre
de l'Amiral Hawke , a enlevé à la hauteur du Cap
Ortugal deux Bâtimens François : l'un de quatorze
canons & de cinquante
- fept hommes d'équipage
,
alloit au Cap Breton ; l'autre , chargé de vin ,
de
farine & de balles de moufquet , étoit deftiné pour
le Canada. L'Amiral
Holbourne
fit voile le is de
Plymouth
pour l'Amérique
avec quelques
Vaiffeaux
de guerre , & avec plufieurs
Bâtimens
de
tranfport
fur lefquels on a fait embarquer
le Régi
ment d'Otway
& celui des Montagnards
Ecoffois.
On équipe à Spithéad
une nouvelle
Efcadre de
huit Vaiffeaux
, dont l'Amiral Bofcawen
aura le
commandement
. Selon les lettres de la Virginie
on doit commencer
dans les premiers
jours du
mois prochain
le fiege du Fort de la Couronne
.
Les mêmes dépêches
affurent qu'on augmente
avec toute la diligence
poffible les fortifications
des principales
Villes des Colonies , & que l'on y
conftruit
divers Forts . On écrit d'Irlande
qu'on y
fait les difpofitions
néceffaires
pour les trois
camps que le Gouvernement
fe propofe d'y
former cette année. Le Lord Barrington
, Secretaire
de la Guerre , a annoncé
publiquement
, par
212 MERCURE DE FRANCE.
ordre du Roi , que la plupart des Régimens étant
complets , Sa Majefté juge à propos de fufpendre
l'exécution du Bill , qui ordonne de lever des foldats
par force.
>
Sa Majefté a fait fçavoir à M. le Chevalier de
Bouville commandant le Vaiffeau de guerre
François l'Espérance , & aux autres Officiers François
, prifonniers à Leycefter , qu'ils pouvoient
porter l'épée & fe promener hors de la Ville ,
pourvu qu'ils y rentraffent les foirs.
Tout le bois de fapin qui a été apporté en dernier
lieu de Norwege , a été acheté & embarqué
pour le Portugal . Les troupes n'attendent pour
camper que l'écoulement des eaux , qui en divers
endroits ont inondé une grande étendue de pays.
Le camp que l'on fe propofe de former dans les
environs de Cantorbery , fera composé de vingtcinq
mille hommes. On prépare des quartiers:
dans le Comte de Hampshire pour les troupes
Hanoveriennes & Heffoifes , qui débarqueront
dans un Port de cette Province.
Un Navire Anglois ayant échoué près de Calais ,
les François fe font emparés de fa cargaifon , &
ont fait l'équipage prifonnier. On équipe à Portf
mouth & à Plymouth deux Efcadres , dont le
public ignore la deſtination .
"
On affure que l'Amiral Byng est arrivé le 26
du mois dernier à Gibraltar. L'Efcadre de cet
Amiral fera renforcée de quatre Vaiffeaux , qui
doivent faire inceffamment voile de Spithéad.
Fermer
Résumé : GRANDE-BRETAGNE.
Le 22 avril, des nouvelles rapportent que la frégate française commandée par M. Perrier de Salvert a capturé trois navires anglais. Le vaisseau britannique Newcastle, de l'escadre de l'amiral Hawke, a intercepté deux bâtiments français près du Cap Vertugal. L'amiral Holbourne a quitté Plymouth pour l'Amérique avec plusieurs vaisseaux et régiments. Une escadre de huit vaisseaux, commandée par l'amiral Boscawen, est en cours d'équipement à Spithead. En Virginie, le siège du Fort de la Couronne doit commencer début mai, tandis que les colonies renforcent leurs fortifications. En Irlande, trois camps doivent être formés. Le recrutement forcé des soldats est suspendu. Le roi a permis aux officiers français prisonniers à Leicester de porter l'épée. Tout le bois de sapin importé de Norvège a été acheté pour le Portugal. Les troupes attendent la baisse des eaux pour camper, notamment un camp de vingt-cinq mille hommes près de Cantorbery. Des quartiers sont préparés pour les troupes hanovriennes et hessoises. Un navire anglais échoué près de Calais a été capturé par les Français. Deux escadres sont en cours d'équipement à Portsmouth et Plymouth. L'amiral Byng est arrivé à Gibraltar et son escadre doit être renforcée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
26
p. 218-226
ARTICLES de la Capitulation proposée par Son Excellence le Lieutenant -Général BLAKNEY, pour la Garnison de Sa Majesté Britannique du Château de S.Philippe, Isle Minorque.
Début :
Que tous les actes d'hostilités cesseront jusqu'à ce que les Articles de la [...]
Mots clefs :
Articles de capitulation, Maréchal de Richelieu, Lieutenant général Blankey, Ile de Minorque, Prise du fort de Saint-Philippe, Fin des hostilités, Reddition, Garnison, Otages, Compensation, Accords, Français, Anglais, Artillerie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ARTICLES de la Capitulation proposée par Son Excellence le Lieutenant -Général BLAKNEY, pour la Garnison de Sa Majesté Britannique du Château de S.Philippe, Isle Minorque.
ARTICLES de la Capitulation propofee
par Son Excellence le Lieutenant - Général
BLAKNEY , pour la Garnifon de Sa Majefté
Britannique du Château S. Philippe ,
Ifle Minorque.
Articles demandés par Articles accordésparMon
le Gouverneur.
Q
fieur le Maréchal do
Richelieu.
ARTICLE PREMIER. - ·
Ue tous les actes d'hoftilités cefferont jufqu'à
ce que les Articles de la Capitulation foient convenus
& fignés .
ARTICLE II.
Qu'on accordera
A la Garnifon à fa
reddition tous les
honneurs de la guerre
, comme de fortir
le fufil fur l'épaule,
tambour battant
, enfeignes dé
ployées , 24 coups
à tirer par homme ,
mêche allumée ,
pieces de canon &
2 mortiers , avec 20
coups à tirer par cha-
4
La belle & courageufe
défenfe que les Anglois
ont faite , méritant toutes
les marques d'eſtime
& de véneration que tout
Militaire doit rendre à de
telles actions , & M. le
Maré hal de Richelieu
voulant faire connoître à
fon Excellence M. le Général
Blkuey fa confidération
& celle que mérite
la défenſe qu'il vient de
faire , accorde à la Garnifon
tous les honneurs militaires
dont elle peut
jouir dans la circonftanque
piece , un char- ce de fa fortie pour un
AOUST. 1756. 219
embarquement : fçayoir , riot couvert pour le
le fufil fur l'épaule , tambour
battant , drapeaux
déployés , 20 cartouches
par homme , & même
mêche allumée. Il con-
Tent que le Lieutenant
Général
Blakney & fa
Garniſon , pourront emporter
tous les effets
leur
appartiendront
&
qui pourront
tenir dans
des coffres : il leur feroit
inutile d'avoir des charriots
couverts , il n'y en
a point dans l'ifle ; ainfi
ils font refufés.
qui
Gouverneur , & 4
autres pour la Garnifon
, qui ne ſeront
vifités en aucun
cas.
ARTICLE
Toute la Garniſon Mi-
III.
Que toute la Gar
litaire & Civile ,
comprenifon
comprenant
nant fous le nom de citous
les Sujets de
S. M. Britannique ,
Civile comme Militaire
, auront tous
vile les Officiers de juftice
& de police , à la réferve
des naturels de
Pie , auront la permiffion
d'emporter leurs leurs bagages & efeffets
, & d'en difpofer
comme il vient d'être fets affurés , avec la
dit : mais toutes les dettes
de la Garnifon , qui auront
été connues légitimes
, envers les Sujets de
permiffion de les
emmener , & d'en
difpofer comme ils
fa Majefté très-Chrétien- jugeront à propos.
ne , parmi lesquels les
Minorcains doivent être compris , feront payées,
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
>
ARTICLE IV.
Que la Garnifon ,
comprenant les Officiers
, ouvriers , foldats
, & autres Sujets
de S. M. Britan
nique avec leurs
familles , qui voudront
quitter l'Ifle , conduiront par la plus
feront pourvus de fûre navigation jufqu'à
vaiffeaux de tranf- Gibraltar , dans le plus
ports convenables , court délai qu'il fera pof-
& conduits à Gi- fible , & les y débarqueront
tout de fuite , bien
braltar par la navi- entendu qu'après ce dégation
la plus cour- barquement , il fera fourte
& la plus directe , ni à ces bâtimens des paf-
& qu'ils y feront feports valables , afin de
débarqués auffitôt
leur arrivée , aux
dépens de la Couronne
de France , &
que les provifions
Il fera fourni les vaiffeaux
de tranfport de
de Sa Majefté très Chré
ceux qui font aux gages
tienne , & convenable
à
la Garnifon Militaire &
Civile du Fort S. Philippe
pour eux & leur famille
: ces Vaiffeaux les
leur feront fournies
de celles qui peuvent
être encore
exiftantes dans la
Place au moment
de la reddition >
leur
n'être pas inquietés dans
retour jufqu'aux
ports de France , où ils
devront aller , & il ſera
laiffé des ôtages pour la
tranfport & de leurs équipages
, que l'on remettra
au premier Bâtiment neutre
qui viendra les chercher
après le retour defdits
Bâtimens dans le
port
de France.
Il fera auffi accordé à
fûreté des Bâtimens de
pour le temps qu'ils la Garnifon des fubfiftanA
O UST. 1756. 221
'ces tant pour fon féjour
dans l'Iffe , que pour 12
jours de voyage , qui feront
prifes de celles qui
feront trouvées dans le
Fort Saint-Philippe , &
diftribuées fur le pied
qu'on a coutume de les
fournir à la garniſon Angloife
: & fi on a befoin
d'un fupplément , il fera
fourni en payant fuivant
ce qui fera réglé par les
Commiffaires de
d'autre.
part &
refter
pourroient
dans l'Ifle , & pour
celui de leur voyage
fur mer , & cela
dans la même proportion
qu'on leur
fournit actuellement.
Mais fi on
avoit befoin d'un
plus grand nombre ,
qu'ils feroient fournis
aux dépens de
la Couronne
France .
ARTICLE V.
Les bâtimens étant
prêts pour le tranfport
de
Que l'on fournira
des quartiers convenables
à la Garnifon
, avec un hôpital
propre pour les
malades & bleffés ,
pendant le temps
de la Garniſon , la fourniture
des quartiers demandés
devient inutile :
elle fortira de la Place
dans le plus court délai ,
pour le rendre à Gibraltar.
Et à l'égard de ceux
qui ne pourront être em- que l'on préparera
barqués tout de fuite , ils les bâtimens de
auront la liberté de refter tranfport : lequel
dans l'Ifle ; & il leur fera temps ne pourra pas
excéder celui d'un
fourni tous les fecours
dont ils auront befoin
pour fe rendre à Gibral- mois , à compter du
tar. Lorfqu'ils feront en jour de la fignature
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
de cette Capitulation
& à l'égard
de ceux qui fe trou
veront hors d'état
d'être embarqués ,
qu'ils pourront refter;
& il enfera pris
foin jufqu'à ce qu'ils
foient en état d'être
envoyés à Gibraltar
par une autre occafion.
état d'être embarqués , il
en fera dreflé un état , &
on laiffera aux vaiffeaux
les pafleports néceflaires
pour aller & revenir. Il
fera de même fourni un
hôpital pour les malades
& bleffés , ainfi qu'il fera
réglé par les Commiffaires
refpectifs.
ARTICLE VI.
Que le Gouverneur
ne pourra pas
être comptable pour
toutes les maifons
qui auront été brûlées
pendant le
Liege.
Accordé pour les maifons
détruites ou brûlées
pendant le fiege : mais on
reftituera plufieurs effets
& titres du Tribunal de
l'Amirauté , qui avoient
été tranſportés dans le
Fort , ainfi que les papiers
de l'Hôtel de Ville qui
ont été emportés par le
Receveur ,& les papiers & titres des Vaiffeaux marchands
François , concernant leur chargement , qui
ont été pareillement retenus.
ARTICLE VII.
Quand la Garni- On n'excitera aucun
fon fortira de la Place
, il ne fera permis
à perfonne de
débaucher les folfoldat
à déferter , & les
Officiers auront une entiere
autorité ſur eux júfqu'au
moment de l'embarquement.
A O UST. 1756. £23
dats pour les faire
déferter de leurs régimens
; & leurs
Officiers auront accès
auprès d'eux en
tout temps.
ARTICLE VIII.
Accordé.
On obfervera de
part & d'autre une
exacte difcipline
.
ARTICLE IX.
Son Excellence M. le
Général Blakney & M. le
:
Maréchal de Richelieu
.ne peuvent fixer ou éten
dre l'autorité des Rois
leurs Maîtres fur leurs
Sujets ce feroit y met
tre des limites que d'obliger
de recevoir dans
leurs Etats ceux qu'ils ne
jugeroient pas à propos
qui y fuflent ftables.
Que ceux des Habitans
de l'Ifle qui
ont joint les Anglois
pour la défenfe
de la Place , auront
permiffion
de
refter & de jouir de
leurs biens & effets
dans l'Ifle , fans être
inquiétés
.
ARTICLE X.
On reprendra de part Que tous les pri
& d'autre tous les prifonfonniers
de guerre
niers qui ont été faits de part & d'autre
pendant le fiege ; ainfi
les François en rendant feront rendus.
ceux qu'ils ont , il leur
fera reftitué les piquets
qui ont été pris en allant
joindre l'Efcadre Fran-
5 .
Kig
214 MERCURE DE FRANCE.
coife le jour que parut
PAmiral Bing devant
Mahon.
ARTICLE XI.
Que M. de Cuffinghan
, Ingénieur,
faifant le fervice de
volontaire pendant
le Siege , aura un
paffeport , & la permiffion
de fe retirer
où fes affaires
l'appelleront.
Accordo.
ARTICLE XII.
Sous les conditions
précédentes ,
Son Excellence M.
le Lieutenant Général
, Gouverneur ,
après que les ôtages
auront été donnés
de part & d'autre
pour la fidelle exécution
des Articles
ci- deffus ,
fent de livrer la
con-
Dès que les articles cideffus
auront été fignés ,
il fera livré une des portes
du Château aux François
, avec les Forts Malborough
& de S. Charles
, après avoir envoyé
les otages de part & d'autre
pour la fidelle éxécu–
tion des articles ci- deffus.
L'Eftacade qui eft dans
le Port , ſera levée ; &
l'entrée & fortie en feront
rendues libres à la
difpofition des François ,
jufqu'à l'entiere fortie de Place à Sa Majefté
Très -Chrétienne , la Garnifon ; & en attenavec
tous les maga- dant , les Commiffaires
de part & d'autre travail
A O UST. 1756 . 225
Ieront de la part de fon
Excellence M. de Blakney
, à faire les états des
magaſins militaires &
autres , & de la part de
fon Excellence M. le Maréchal
de Richelieu , à en
recevoir pour les livrer
aux Anglois ; ce qui a
convenu : il fera auffi livré
les Plans des Galleries
, Mines & autres ouvrages
fouterreins.
été
.
fins militaires , munitions
, canons &
mortiers , à la réferve
de ceux mentionnés
dans l'Article II :
comme auffi de
montrer aux Ingénieurs
toutes les
mines & les ouvrages
fouterreins.
Fait au Château
Fait à Saint-Philippe , de S.
Philippe , le
le 29 Juin 1756.
Approuvé , Guillaume
BLAKNEY.
28 Juin 1756.
Signé , Guillaume
BLAKNEY.
Tous les Articles ci - deffus fignés , &les ôtages
donnés , M. le Maréchal de Richelieu est entré dans
la Place leditjour 29 Juin , entre 89 heures du
matin. Il s'eft fait rendre compte de tout ce qui étoit
dans le Fort , dont voici le détail.
Garnifon trouvée au moment de fa reddition
2963 hommes de troupes.
240 pieces de canon faines & entieres , fans:
compter 40 autres pieces que M. le Maréchal avoit
fait enclouer pendant l'attaque..
Environ 70 Mortiers.
.700 milliers de poudre..
12000 Boulets .
15000 Bombes,
Les Ennemis ont perdu pendant le fiege beaucoup
moins de monde que nous , attendu les retraites.
les Cafmattes immenfes où ils fe retiroient , taillées
K.v.
226 MERCURE DE FRANCE.
dans le roc, & à l'abri du boulet & de la bombe.
Les François ont eu , depuis le commencement du
fiege jufqu'à la reddition du Fort , environ 1500
hommes tant de tués que de bleffés : il eft mort peu
de bleffés , parce que la cure des plaies réuſſiſſoit
fort bien dans cette Ifle. Les Chirurgiens même en
étoient étonnés.
Il s'eft trouvé dans le Fort beaucoup de vivres ;
als en avoient encore pour un temps confidérable :
mais lors de fa reddition , il y avoit huit jours que
les Affiégés n'avoient plus ni Vin , ni Eau - de- vie.
Depuis le commencement du Siege jufqu'à la red
dition , il n'y a jamais eu à l'Hôpital de l'armée
Françoife plus de 150 malades couramment ; &
que M. de Fronfac eft parti de Mahon ,
il n'y en avoit que ce nombre.
au moment
On laiffe pour Garniſon les Régimens ſuivans.
Le Royal Italien ; Médoc ; Talaru ; Royal Comtois
& Vermandois.
La Garnison Angloife a dû fortir de l'Ifle le &
Juillet.
M. le Comte de Lannion commandera en chef
les Forts de Pife Minorque.
M. le Duc de Fronfac , qui a porté la nouvelle
'de la prife des Forts , arriva à Paris la nuit du 9
au 10 Juillet : M. le Comte d'Egmont , qui a apporté
les articles de la Capitulation & la nouvelle
de l'évacuation entiere de la Place par les Anglois
, eft arrivé à Paris la nuit du 14 au 15 fuiwant.
M. de Fronfac eft parti le 26 Juillet de Paris
, pour aller rejoindre M. le Maréchal de Richelieu
, qui ne revient point.
Nous ne pouvons mieux terminer cette Relation
que par les Vers fuivans , qui font de M. de
Voltaire , & qui nous ont paru dignes de lui & da
Héros qu'ils célebrent .
par Son Excellence le Lieutenant - Général
BLAKNEY , pour la Garnifon de Sa Majefté
Britannique du Château S. Philippe ,
Ifle Minorque.
Articles demandés par Articles accordésparMon
le Gouverneur.
Q
fieur le Maréchal do
Richelieu.
ARTICLE PREMIER. - ·
Ue tous les actes d'hoftilités cefferont jufqu'à
ce que les Articles de la Capitulation foient convenus
& fignés .
ARTICLE II.
Qu'on accordera
A la Garnifon à fa
reddition tous les
honneurs de la guerre
, comme de fortir
le fufil fur l'épaule,
tambour battant
, enfeignes dé
ployées , 24 coups
à tirer par homme ,
mêche allumée ,
pieces de canon &
2 mortiers , avec 20
coups à tirer par cha-
4
La belle & courageufe
défenfe que les Anglois
ont faite , méritant toutes
les marques d'eſtime
& de véneration que tout
Militaire doit rendre à de
telles actions , & M. le
Maré hal de Richelieu
voulant faire connoître à
fon Excellence M. le Général
Blkuey fa confidération
& celle que mérite
la défenſe qu'il vient de
faire , accorde à la Garnifon
tous les honneurs militaires
dont elle peut
jouir dans la circonftanque
piece , un char- ce de fa fortie pour un
AOUST. 1756. 219
embarquement : fçayoir , riot couvert pour le
le fufil fur l'épaule , tambour
battant , drapeaux
déployés , 20 cartouches
par homme , & même
mêche allumée. Il con-
Tent que le Lieutenant
Général
Blakney & fa
Garniſon , pourront emporter
tous les effets
leur
appartiendront
&
qui pourront
tenir dans
des coffres : il leur feroit
inutile d'avoir des charriots
couverts , il n'y en
a point dans l'ifle ; ainfi
ils font refufés.
qui
Gouverneur , & 4
autres pour la Garnifon
, qui ne ſeront
vifités en aucun
cas.
ARTICLE
Toute la Garniſon Mi-
III.
Que toute la Gar
litaire & Civile ,
comprenifon
comprenant
nant fous le nom de citous
les Sujets de
S. M. Britannique ,
Civile comme Militaire
, auront tous
vile les Officiers de juftice
& de police , à la réferve
des naturels de
Pie , auront la permiffion
d'emporter leurs leurs bagages & efeffets
, & d'en difpofer
comme il vient d'être fets affurés , avec la
dit : mais toutes les dettes
de la Garnifon , qui auront
été connues légitimes
, envers les Sujets de
permiffion de les
emmener , & d'en
difpofer comme ils
fa Majefté très-Chrétien- jugeront à propos.
ne , parmi lesquels les
Minorcains doivent être compris , feront payées,
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
>
ARTICLE IV.
Que la Garnifon ,
comprenant les Officiers
, ouvriers , foldats
, & autres Sujets
de S. M. Britan
nique avec leurs
familles , qui voudront
quitter l'Ifle , conduiront par la plus
feront pourvus de fûre navigation jufqu'à
vaiffeaux de tranf- Gibraltar , dans le plus
ports convenables , court délai qu'il fera pof-
& conduits à Gi- fible , & les y débarqueront
tout de fuite , bien
braltar par la navi- entendu qu'après ce dégation
la plus cour- barquement , il fera fourte
& la plus directe , ni à ces bâtimens des paf-
& qu'ils y feront feports valables , afin de
débarqués auffitôt
leur arrivée , aux
dépens de la Couronne
de France , &
que les provifions
Il fera fourni les vaiffeaux
de tranfport de
de Sa Majefté très Chré
ceux qui font aux gages
tienne , & convenable
à
la Garnifon Militaire &
Civile du Fort S. Philippe
pour eux & leur famille
: ces Vaiffeaux les
leur feront fournies
de celles qui peuvent
être encore
exiftantes dans la
Place au moment
de la reddition >
leur
n'être pas inquietés dans
retour jufqu'aux
ports de France , où ils
devront aller , & il ſera
laiffé des ôtages pour la
tranfport & de leurs équipages
, que l'on remettra
au premier Bâtiment neutre
qui viendra les chercher
après le retour defdits
Bâtimens dans le
port
de France.
Il fera auffi accordé à
fûreté des Bâtimens de
pour le temps qu'ils la Garnifon des fubfiftanA
O UST. 1756. 221
'ces tant pour fon féjour
dans l'Iffe , que pour 12
jours de voyage , qui feront
prifes de celles qui
feront trouvées dans le
Fort Saint-Philippe , &
diftribuées fur le pied
qu'on a coutume de les
fournir à la garniſon Angloife
: & fi on a befoin
d'un fupplément , il fera
fourni en payant fuivant
ce qui fera réglé par les
Commiffaires de
d'autre.
part &
refter
pourroient
dans l'Ifle , & pour
celui de leur voyage
fur mer , & cela
dans la même proportion
qu'on leur
fournit actuellement.
Mais fi on
avoit befoin d'un
plus grand nombre ,
qu'ils feroient fournis
aux dépens de
la Couronne
France .
ARTICLE V.
Les bâtimens étant
prêts pour le tranfport
de
Que l'on fournira
des quartiers convenables
à la Garnifon
, avec un hôpital
propre pour les
malades & bleffés ,
pendant le temps
de la Garniſon , la fourniture
des quartiers demandés
devient inutile :
elle fortira de la Place
dans le plus court délai ,
pour le rendre à Gibraltar.
Et à l'égard de ceux
qui ne pourront être em- que l'on préparera
barqués tout de fuite , ils les bâtimens de
auront la liberté de refter tranfport : lequel
dans l'Ifle ; & il leur fera temps ne pourra pas
excéder celui d'un
fourni tous les fecours
dont ils auront befoin
pour fe rendre à Gibral- mois , à compter du
tar. Lorfqu'ils feront en jour de la fignature
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
de cette Capitulation
& à l'égard
de ceux qui fe trou
veront hors d'état
d'être embarqués ,
qu'ils pourront refter;
& il enfera pris
foin jufqu'à ce qu'ils
foient en état d'être
envoyés à Gibraltar
par une autre occafion.
état d'être embarqués , il
en fera dreflé un état , &
on laiffera aux vaiffeaux
les pafleports néceflaires
pour aller & revenir. Il
fera de même fourni un
hôpital pour les malades
& bleffés , ainfi qu'il fera
réglé par les Commiffaires
refpectifs.
ARTICLE VI.
Que le Gouverneur
ne pourra pas
être comptable pour
toutes les maifons
qui auront été brûlées
pendant le
Liege.
Accordé pour les maifons
détruites ou brûlées
pendant le fiege : mais on
reftituera plufieurs effets
& titres du Tribunal de
l'Amirauté , qui avoient
été tranſportés dans le
Fort , ainfi que les papiers
de l'Hôtel de Ville qui
ont été emportés par le
Receveur ,& les papiers & titres des Vaiffeaux marchands
François , concernant leur chargement , qui
ont été pareillement retenus.
ARTICLE VII.
Quand la Garni- On n'excitera aucun
fon fortira de la Place
, il ne fera permis
à perfonne de
débaucher les folfoldat
à déferter , & les
Officiers auront une entiere
autorité ſur eux júfqu'au
moment de l'embarquement.
A O UST. 1756. £23
dats pour les faire
déferter de leurs régimens
; & leurs
Officiers auront accès
auprès d'eux en
tout temps.
ARTICLE VIII.
Accordé.
On obfervera de
part & d'autre une
exacte difcipline
.
ARTICLE IX.
Son Excellence M. le
Général Blakney & M. le
:
Maréchal de Richelieu
.ne peuvent fixer ou éten
dre l'autorité des Rois
leurs Maîtres fur leurs
Sujets ce feroit y met
tre des limites que d'obliger
de recevoir dans
leurs Etats ceux qu'ils ne
jugeroient pas à propos
qui y fuflent ftables.
Que ceux des Habitans
de l'Ifle qui
ont joint les Anglois
pour la défenfe
de la Place , auront
permiffion
de
refter & de jouir de
leurs biens & effets
dans l'Ifle , fans être
inquiétés
.
ARTICLE X.
On reprendra de part Que tous les pri
& d'autre tous les prifonfonniers
de guerre
niers qui ont été faits de part & d'autre
pendant le fiege ; ainfi
les François en rendant feront rendus.
ceux qu'ils ont , il leur
fera reftitué les piquets
qui ont été pris en allant
joindre l'Efcadre Fran-
5 .
Kig
214 MERCURE DE FRANCE.
coife le jour que parut
PAmiral Bing devant
Mahon.
ARTICLE XI.
Que M. de Cuffinghan
, Ingénieur,
faifant le fervice de
volontaire pendant
le Siege , aura un
paffeport , & la permiffion
de fe retirer
où fes affaires
l'appelleront.
Accordo.
ARTICLE XII.
Sous les conditions
précédentes ,
Son Excellence M.
le Lieutenant Général
, Gouverneur ,
après que les ôtages
auront été donnés
de part & d'autre
pour la fidelle exécution
des Articles
ci- deffus ,
fent de livrer la
con-
Dès que les articles cideffus
auront été fignés ,
il fera livré une des portes
du Château aux François
, avec les Forts Malborough
& de S. Charles
, après avoir envoyé
les otages de part & d'autre
pour la fidelle éxécu–
tion des articles ci- deffus.
L'Eftacade qui eft dans
le Port , ſera levée ; &
l'entrée & fortie en feront
rendues libres à la
difpofition des François ,
jufqu'à l'entiere fortie de Place à Sa Majefté
Très -Chrétienne , la Garnifon ; & en attenavec
tous les maga- dant , les Commiffaires
de part & d'autre travail
A O UST. 1756 . 225
Ieront de la part de fon
Excellence M. de Blakney
, à faire les états des
magaſins militaires &
autres , & de la part de
fon Excellence M. le Maréchal
de Richelieu , à en
recevoir pour les livrer
aux Anglois ; ce qui a
convenu : il fera auffi livré
les Plans des Galleries
, Mines & autres ouvrages
fouterreins.
été
.
fins militaires , munitions
, canons &
mortiers , à la réferve
de ceux mentionnés
dans l'Article II :
comme auffi de
montrer aux Ingénieurs
toutes les
mines & les ouvrages
fouterreins.
Fait au Château
Fait à Saint-Philippe , de S.
Philippe , le
le 29 Juin 1756.
Approuvé , Guillaume
BLAKNEY.
28 Juin 1756.
Signé , Guillaume
BLAKNEY.
Tous les Articles ci - deffus fignés , &les ôtages
donnés , M. le Maréchal de Richelieu est entré dans
la Place leditjour 29 Juin , entre 89 heures du
matin. Il s'eft fait rendre compte de tout ce qui étoit
dans le Fort , dont voici le détail.
Garnifon trouvée au moment de fa reddition
2963 hommes de troupes.
240 pieces de canon faines & entieres , fans:
compter 40 autres pieces que M. le Maréchal avoit
fait enclouer pendant l'attaque..
Environ 70 Mortiers.
.700 milliers de poudre..
12000 Boulets .
15000 Bombes,
Les Ennemis ont perdu pendant le fiege beaucoup
moins de monde que nous , attendu les retraites.
les Cafmattes immenfes où ils fe retiroient , taillées
K.v.
226 MERCURE DE FRANCE.
dans le roc, & à l'abri du boulet & de la bombe.
Les François ont eu , depuis le commencement du
fiege jufqu'à la reddition du Fort , environ 1500
hommes tant de tués que de bleffés : il eft mort peu
de bleffés , parce que la cure des plaies réuſſiſſoit
fort bien dans cette Ifle. Les Chirurgiens même en
étoient étonnés.
Il s'eft trouvé dans le Fort beaucoup de vivres ;
als en avoient encore pour un temps confidérable :
mais lors de fa reddition , il y avoit huit jours que
les Affiégés n'avoient plus ni Vin , ni Eau - de- vie.
Depuis le commencement du Siege jufqu'à la red
dition , il n'y a jamais eu à l'Hôpital de l'armée
Françoife plus de 150 malades couramment ; &
que M. de Fronfac eft parti de Mahon ,
il n'y en avoit que ce nombre.
au moment
On laiffe pour Garniſon les Régimens ſuivans.
Le Royal Italien ; Médoc ; Talaru ; Royal Comtois
& Vermandois.
La Garnison Angloife a dû fortir de l'Ifle le &
Juillet.
M. le Comte de Lannion commandera en chef
les Forts de Pife Minorque.
M. le Duc de Fronfac , qui a porté la nouvelle
'de la prife des Forts , arriva à Paris la nuit du 9
au 10 Juillet : M. le Comte d'Egmont , qui a apporté
les articles de la Capitulation & la nouvelle
de l'évacuation entiere de la Place par les Anglois
, eft arrivé à Paris la nuit du 14 au 15 fuiwant.
M. de Fronfac eft parti le 26 Juillet de Paris
, pour aller rejoindre M. le Maréchal de Richelieu
, qui ne revient point.
Nous ne pouvons mieux terminer cette Relation
que par les Vers fuivans , qui font de M. de
Voltaire , & qui nous ont paru dignes de lui & da
Héros qu'ils célebrent .
Fermer
Résumé : ARTICLES de la Capitulation proposée par Son Excellence le Lieutenant -Général BLAKNEY, pour la Garnison de Sa Majesté Britannique du Château de S.Philippe, Isle Minorque.
Le texte expose les articles de la capitulation proposée par le Lieutenant-Général Blakney pour la garnison britannique du Château Saint-Philippe à Minorque, acceptés par le Maréchal de Richelieu. Les hostilités cesseront jusqu'à la signature des articles de la capitulation. La garnison britannique bénéficiera des honneurs de la guerre, incluant une sortie avec armes et drapeaux déployés, ainsi que des salves d'honneur. Le Maréchal de Richelieu reconnaît la défense courageuse des Anglais et accorde ces honneurs en signe de respect. La garnison pourra emporter ses effets personnels et sera transportée à Gibraltar avec des provisions et des navires appropriés. Les dettes légitimes de la garnison envers les sujets du roi de France seront payées. Les habitants de l'île ayant soutenu les Anglais pourront rester et jouir de leurs biens sans être inquiétés. Les prisonniers de guerre seront échangés. Les déserteurs ne seront pas autorisés à quitter leurs régiments. La discipline sera maintenue des deux côtés.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
27
p. 195-196
GRANDE BRETAGNE.
Début :
Nous avons appris, par un Paquebot que le Général London a [...]
Mots clefs :
Londres, Français, Fort d'Oswego, Siège, Lac Ontario, Amiral Norris, Vaisseaux de guerre, Emprunt, Roi de Prusse
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : GRANDE BRETAGNE.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 12 Octobre.
Nous avons appris , par un Paquebot que le
Général London a expédié de la Nouvelle Yorck ,
la fàcheufe nouvelle , que les François , ayant affiégé
dans le mois d'Août le Fort d'Ofwego , s'en
font rendus maîtres , après quelques jours d'une vigoureuſe
réſiſtance. Ce Fort eft fitué fur le Lac Ontario.
La Nation n'en poffede point d'autre dans
ces cantons. Ses établiſſemens vont fe trouver déformais
fort éloignés des Lacs ; & cette perte eft
regardée avec railon comme une des plus intéreſ
fantes qu'elle pût faire , tant pour fon commerce,
que relativement aux entrepriſes projettées contre
les François. L'Amiral Norris , avec les quatre
Vaiffeaux de guerre dont il a le commandement
eft arrivé à Plymouth.
Le Knès Gallitzin , Miniftre Plénipotentiaire
de l'Impératrice de Ruffie , a déclaré , dit- on , au
Miniftere , que cette Princeffe ne pouvoit fe dif
penfer de fournir à l'Impératrice Reine de Hongrie
& de Boheme les fecours ftipulés par les Traités
, qui fubfiftent entre les deux Puiances . On
prétend que le Parlement accordera pour l'année
prochaine un Subfide de onze millions fterlings.
Le Gouvernement a commencé de prendre à l'Echiquier
un emprunt de cinq cens mille livres
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
fterlings , à raifon de trois & demi pour cent
d'intérêt,
Si l'on en croit le bruit public , Sa Majefté
a fait payer par le Tréfor de fon Electorat de
Hanovre un million de livres fterlings au Roi
de Pruffe , afin de mettre ce Prince en état de
fuivre le plan concerté entre les deux Puiffances
pour parvenir à l'exécution de leurs vues reſpectives
. Les fommes que cette Cour & celle de Berlin
avoient à répéter l'une fur l'autre , font entièrement
liquidées . On affure que fi les Etats de
Roi en Allemagne font attaqués , Sa Majefté
fera d'abord la réquifition formelle du Corps de
cinquante cinq mille hommes , que l'Impératrice
de Ruffic s'eft engagée par le Traité de l'année
derniere , de faire paffer à la folde de la Grande-
Bretagne.
DE LONDRES , le 12 Octobre.
Nous avons appris , par un Paquebot que le
Général London a expédié de la Nouvelle Yorck ,
la fàcheufe nouvelle , que les François , ayant affiégé
dans le mois d'Août le Fort d'Ofwego , s'en
font rendus maîtres , après quelques jours d'une vigoureuſe
réſiſtance. Ce Fort eft fitué fur le Lac Ontario.
La Nation n'en poffede point d'autre dans
ces cantons. Ses établiſſemens vont fe trouver déformais
fort éloignés des Lacs ; & cette perte eft
regardée avec railon comme une des plus intéreſ
fantes qu'elle pût faire , tant pour fon commerce,
que relativement aux entrepriſes projettées contre
les François. L'Amiral Norris , avec les quatre
Vaiffeaux de guerre dont il a le commandement
eft arrivé à Plymouth.
Le Knès Gallitzin , Miniftre Plénipotentiaire
de l'Impératrice de Ruffie , a déclaré , dit- on , au
Miniftere , que cette Princeffe ne pouvoit fe dif
penfer de fournir à l'Impératrice Reine de Hongrie
& de Boheme les fecours ftipulés par les Traités
, qui fubfiftent entre les deux Puiances . On
prétend que le Parlement accordera pour l'année
prochaine un Subfide de onze millions fterlings.
Le Gouvernement a commencé de prendre à l'Echiquier
un emprunt de cinq cens mille livres
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
fterlings , à raifon de trois & demi pour cent
d'intérêt,
Si l'on en croit le bruit public , Sa Majefté
a fait payer par le Tréfor de fon Electorat de
Hanovre un million de livres fterlings au Roi
de Pruffe , afin de mettre ce Prince en état de
fuivre le plan concerté entre les deux Puiffances
pour parvenir à l'exécution de leurs vues reſpectives
. Les fommes que cette Cour & celle de Berlin
avoient à répéter l'une fur l'autre , font entièrement
liquidées . On affure que fi les Etats de
Roi en Allemagne font attaqués , Sa Majefté
fera d'abord la réquifition formelle du Corps de
cinquante cinq mille hommes , que l'Impératrice
de Ruffic s'eft engagée par le Traité de l'année
derniere , de faire paffer à la folde de la Grande-
Bretagne.
Fermer
Résumé : GRANDE BRETAGNE.
Le 12 octobre, des nouvelles de New York rapportent que les Français ont conquis le Fort d'Oswego après une résistance vigoureuse en août. Ce fort, situé sur le Lac Ontario, était la seule possession britannique dans la région, isolant ainsi les établissements britanniques des lacs. Cette perte est jugée significative pour le commerce britannique et les projets contre les Français. Par ailleurs, l'Amiral Norris est arrivé à Plymouth avec quatre vaisseaux de guerre. Le Prince Gallitzin, ministre plénipotentiaire de l'Impératrice de Russie, a informé le ministère que l'Impératrice ne pouvait fournir les secours stipulés par les traités à l'Impératrice Reine de Hongrie et de Bohême. Le Parlement britannique prévoit d'accorder un subside de onze millions de sterlings pour l'année prochaine. Le gouvernement a également lancé un emprunt de cinq cents mille livres sterlings à un taux d'intérêt de trois pour cent et demi. Selon des rumeurs, le roi de Grande-Bretagne aurait payé un million de livres sterlings au roi de Prusse pour soutenir un plan concerté entre les deux puissances. Les sommes à rembourser entre les cours de Londres et de Berlin sont entièrement liquidées. En cas d'attaque des États du roi en Allemagne, Sa Majesté britannique fera une requête formelle pour le corps de cinquante-cinq mille hommes que l'Impératrice de Russie s'est engagée à fournir à la Grande-Bretagne.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
28
p. 221-235
RELATION de ce qui s'est passé cette année en Canada, avec le journal historique du siege des Forts de Chouëguen ou Oswego, commencé le 11 Août 1756, & fini le 14 par la prise de ces Forts.
Début :
Les nouveaux préparatifs que les Anglois ont faits pour envahir nos possessions [...]
Mots clefs :
Amérique, Anglais, Canada, Français, Montréal, Marquis de Montcalm, Défense des frontières, Les sauvages, Marquis de Vaudreuil, Forts, Lac Ontario, Gouverneurs, Troupes, Mouvements des troupes, Bataillons, Régiments, Officiers, Rivières, Morts
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RELATION de ce qui s'est passé cette année en Canada, avec le journal historique du siege des Forts de Chouëguen ou Oswego, commencé le 11 Août 1756, & fini le 14 par la prise de ces Forts.
RELATION de ce qui s'eft paffé cette
année en Canada , avec le journal hiſtorique
du fiege des Forts de Choueguen ou
Ofwego, commencé le 11 Août 1756, co
fini le 14 par la prise de ces Forts.
LE
Es nouveaux préparatifs que les Anglois ont
faits pour envahir nos poffeffions en Amérique ,
malgré le mauvais fuccès de leurs entreprifes de
P'année derniere , ont été auffi publics en Europe
que dans le nouveau monde. On s'y étoit attendu
& dans les premiers jours d'Avril dernier , le Roi
fit partir , pour le Canada , un renfort de troupes
commandé par le Marquis de Montcalm ,
Maréchal de Camp.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
En attendant l'arrivée de ce fecours , & dès la
fin de la campagne derniere , le Marquis de Vaudreuil
, Gouverneur & Lieutenant Général de la
Nouvelle France , avoit pris de juftes meſures
pour la défenſe de nos frontieres. Ses arrangemens
avoient eu même pour objet de faire harceler
les Anglois dans leurs propres Colonies. Il a
tenu des détachemens en campagne durant tout
l'hyver. Les Sauvages ont tué beaucoup de monde ,
on a enlevé une quantité confiderable de beftiaux :
ily a eu un grand nombre de maifons & de magafins
brulés ; les campagnes ont été abandonnées
dans plufieurs endroits des frontieres des Colonies
Angloifes. Ces mouvemens divers ont efficacement
fervi , non feulement à augmenter le mécontentement
qu'avoit caufé parmi elles l'injuftice
des projets de leurs Gouverneurs , mais encore à
faire naître des embarras & des difficultés qui ont
empêché l'exécution de ces projets dans le printemps.
Le Marquis de Vaudreuil ne s'en eft pas tenu
là . Tandis que nos Partis fe fuccedoient fans
relâche fur les frontieres des Anglois , expofées à
leurs courſes , & défoloient furtout la Pensilvanie
, la Virginie & le Mariland , un Corps de nos
troupes , qu'il avoit placé fur la riviere S. Jean ,
y recueilloit les reftes épars des Acadiens chalés
de leurs habitations par les Anglois , & dont une
partie erroit alors dans les bois. La défenſe du
Fort du Quêne & de l'Ohio , ou de la belle Riviere
, étoit confiée à un corps de Canadiens & de
Sauvages commandés par le Sieur Dumas. Un
autre detachement d'environ 500 hommes , obfervoit
l'ennemi du côté du Fort Lydius . Le bataillon
du Régiment de la Reine & celui du Régiment
de Languedoc , campoient devant le Fort
2
N
༡༩.R
te
P
¿
C
DECEMBRE. 1756 . 223
de Carrillon , vers le Lac du Saint- Sacrement. Le
bataillon de Bearn étoit deſtiné pour le Fort de
Niagara , & celui de Guyenne pour le Fort Frontenac
, afin de défendre ces deux poftes importans
dont les ennemis paroiffoient méditer. l'attaque
pendant le cours de la campagne prête à s'ouvrir.
Dès le commencement de l'hyver , le Marquis
de Vaudreuil avoit été informé que , pour l'exécution
de ce projet , les Anglois faifoient raffembler
des troupes avec des provifions confidérables
dans les Forts de Choueguen près du Lac
Ontario ; & c'eft en conféquence de cet avis
qu'au mois de Mars dernier le fieur de Léry attaqua
par fes ordres un Fort où étoit le principal
entrepôt de ces approvifionnemens . Ce Fort
fut enlevé d'affaut & détruit avec tous les bâtimens
qui en dependoient ; & toutes les munitions
qui s'y trouvoient en grande quantité ,
furent enlevées , brûlées , ou jettées dans la Riviere.
Dans la vue de profiter de ce premier
fuccès , le Gouverneur- Général fit un autre détachement
de 700 hommes , Canadiens & Sauvages
, fous les ordres du fieur de Villiers , Capitaine
de la Colonie , pour refferrer les ennemis
de ce côté-là , obferver leurs mouvemens , &
intercepter les tranfports qu'ils pourroient faire
fur la riviere de Choueguen.
Ainfi tout étoit difpofé par le Marquis de Vaudreuil
pour une défenfive vigoureuſe dans les différentes
parties du Canada , fur les lacs Champlain
& du St. Sacrement , vers la Belle - Riviere , &
furtout du côté du lac Ontario , où la défenſe
de nos Forts & même l'attaque des poftes Anglois
avoient été fon objet principal dans la diftribution
des forces de la Colonie.
Tout le monde fçait que l'établiffement des
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Anglois fur le lac Ontario eft une invafion qu'ils
ont faite en pleine paix. Il n'étoit queftion d'abord
de leur part que d'une fimple Maiſon de
commerce. C'eft fous ce feul point de vue qu'ils
en firent la propofition en 1728 , aux Sauvages
Iroquois , qui ne les auroient pas vus tranquillement
fe fortifier tout d'un coup dans le voifinage
de leurs Habitations . On fentit cependant
dès - lors en Canada quel étoit leur véritable objet
dans cet Etabliffèment , qui devoit les mettre
à portée non feulement d'envahir le commerce
des Lacs que les François n'avoient jamais
partagé avec aucune Nation Européenne , mais
encore de couper , par le centre même de la
Colonie de Canada , la communication des poftes
qui en dépendent. Les Gouverneurs François
fe contenterent cependant de réclamer contre
cette ufurpation. Le Roi en fit porter dans
le temps des plaintes à la Cour Britanique , où
elles ont été conſtamment renouvellées dans toutes
les occafions . Mais les Anglois , fans ſe mettre
en peine de la juftice de ces plaintes , &
abufant toujours de l'efprit de paix qui a réglé
dans tous les temps la conduite de la France ,
ie font fortifiés peu à peu à Choueguen , de
maniere qu'ils y avoient établi trois Forts ,
fçavoir :
1º. Le Fort Ontario placé à la droite de la
Riviere , au milieu d'un plateau fort élevé. Il
confiftoit en un quatré de trente toifes de côté ,
dont les faces brifées par le milieu étoient flanquées
par un rédan placé à l'endroit de la brifure.
Il étoit fait de pieux de dix - huit pouces
de diametre applanis fur deux faces , parfaitement
bien joints l'un à l'autre , & fortans de terre de
de huit à neuf pieds . Le follé qui entouroit le
1
1
1
1
DECEMBRE . 1756. 225
Fort avoit dix-huit pieds de largeur fur huit de
profondeur. Les terres qu'on en avoit tirées
avoient été rejettées en glacis fur la contrefcarpe
& en talud fort roide fur la berme. On
avoit pratiqué des creneaux & des embrafures
dans les pieux à fleur de terre rejettée fur la
berme , & un échafaudage de charpente régnoit
tout autour , afin de tirer pardeffus . Il y avoit
huit canons & quatre mortiers à doubles grenades,
2 °. Le vieux Fort de Choueguen , fitué fur
la rive gauche de la Riviere , confiftant en une
Maifon à machicoulis & crénelée au rez de chauf
fée & au premier étage , dont les murs avoient
trois pieds d'épaiffeur & étoient entourés
à trois toiles de diftance d'une autre muraille
de quatre pieds d'épaiffeur fur dix de hauteur
, crénelée & flanquée par deux groffes tours
quarrées. Il y avoit de plus un retranchement
qui entouroit , du côté de la campagne , le
Fort où les Ennemis avoient placés dix- huit
pieces de canon & quinze mortiers & obufiers .
3°. Le Fort Georges , fitué à 300 toifes endelà
de celui de Choueguen fur une hauteur qui
le dominoit. Il étoit de pieux & aſſez mal retranché
en terre fur deux faces .
C'eft principalement au moyen des avantages
que cet Etabliffement donnoit aux Anglois ,
qu'ils s'étoient flattés d'envahir le Canada . Leur
deffein étoit d'abord , ainfi qu'on l'a dit , de
s'emparer du Fort de Niagara & de celui de Frontenac
. Maîtres de ces deux poftes , ils auroient coupé
abfolument la communication , non feulement
des Pays d'en haut , mais encore de la Louifiane
: ils auroient fait tomber une des principales
branches du commerce de Canada ; &
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
en enlevant à cette Colonie une partie de fes
Sauvages alliés , ils fe feroient trouvés à portée
de l'attaquer de toutes parts dans tous les Etabliflemens.
Telles étoient les vues , du moins apparentes
, des Anglois , & les difpofitions faites de notre
part , lorfque les troupes Françoiſes commandées
par le Marquis de Montcalm arriverent au
mois de Mai.
Dès que le Marquis de Vaudreuil eut reça
ce renfort , il envoya fur le lac du St. Sacrement
le bataillon de Royal Rouffillon qui en
faifoit partie. Le Bataillon de la Sarre fut envoyé
à Frontenac avec les deux Ingénieurs François
nouvellement débarqués , aux ordres du fieur
de Bourlamaque Colonel d'Infanterie , pour former
devant cette Place un Camp retranché. Le
Chevalier de Levis , Brigadier , fut deftiné à commander
fur le lac du St. Sacrement ; & le Marquis
de Montcalm devoit fe porter aux lieux
que les ennemis paroîtroient menacer le plus.
Vers le mois de Juin , il parut clairement
par le rapport des Sauvages envoyés à la découverte
, par les dépofitions de plufieurs prifonniers
, & par les préparatifs immenfes faits à
Albany & au Fort Lydius , que les Anglois
avoient des projets d'offenfive du côté de la
Pointe ou du lac du St. Sacrement. Ces nouvelles
confirmerent les Commandans François dans
le deffein d'une diverfion fur le lac Ontario ,
qui devenoit néceffaite pour attirer de ce côtélà
une partie des forces ennemies. Le Marquis
de Montcalm propofa de s'en charger , & même
de tenter , s'il étoit poffible , une entreprife
fur les Etabliffemens Anglois : entrepriſe
deja projettée depuis quelque temps par le Gou
་
་
DECEMBRE. 1756. 227
verneur- Général , qui n'avoit jamais perdu de
vue le fiege des Forts de Choueguen , dont il
connoiffoit toute l'importance. Ce Siege fut réfolu
par le Marquis de Vaudreuil , au cas que
l'état de la Place , & la lenteur des ennemis
permiffent de le former dans cette campagne ,
dont la faifon commençoit à s'avancer. Mais
une pareille expédition exigeoit de grands préparatifs
; les diftances étoient confidérables ; &
les tranfports ne pouvoient s'exécuter qu'avec
des peines & des longueurs infinies , à travers un
pays qui n'a d'autres chemins que des rivieres
remplies de fauts & de rapides , & des lacs où
la violence des vagues rend quelquefois la navigation
prefqu'impoffible . On ne pouvoit donc
fe flatter de réufhir dans ce projet qu'autant qu'il
ne feroit pas pénétré par les ennemis ; & qu'on
ne leur donneroit pas le temps de faire paffer
à Choueguen les nouveaux fecours qu'ils deftineroient
eux-mêmes pour l'attaque des deux
Forts François,
En conféquence le Marquis de Vaudreuil priv
toutes les mesures qui pouvoient accélérer nos
difpofitions & en cacher l'objet . Le fieur Bigot
Intendant du Canada vint à Montreal , & fe char--
gea d'amaffer des munitions de guerre & debouche
, d'en diligenter les convois & de les entretenir
fans interruption. Le fieur Rigaud de
Vaudreuil , Gouverneur des trois Rivieres , fut envoyé
avec un renfort de Canadiens & de Sauvages
, pour prendre le commandement du Camp
du fieur de Villiers . En même temps le fieur de
Bourlamaque reçut ordre de commencer à Frontenac
les préparatifs qu'on jugea néceffaires. Le
fieur de Combles Ingénieur , fut chargé d'aller
avec un détachement reconnoître Choi eguen. E
K. vj
228 MERCURE DE FRANCE.
tandis que tout fe difpofoit ainfi pour cette attaque
, dans la vue de donner le change aux
ennemis , le Marquis de Montcalm partit le 27
de Juin pour le Fort de Carrillon avec le Chevalier
de Levis. Les pofitions à prendre au fujet
de la défenfive dans cette partie , les fortifications
alors commencées à Carrillon , & les
mouvemens des Anglois à Albany , paroiffoient
en effet des raifons fuffifantes pour autorifer la
préfence du Marquis de Montcalm fur le lac
du St. Sacrement , comme dans le pofte où devoient
fe paffer les opérations les plus intéres-
Santes. Ce Général n'y étant resté que le temps
néceffaire pour préparer l'effentiel , & s'attirer
l'attention des Anglois , remit la défenſe de cette
Frontiere au Chevalier de Levis , en lui laiffant
un Corps de trois mille hommes , & reprit le
quinze de Juillet la route de Montreal , où il arriva
le dix -neuf du même mois. Il y reçut fes
dernieres inftructions pour l'entrepriſe contre
les Forts de Choueguen , à laquelle le Marquis
de Vaudreuil fe trouvoit engagé de plus en plus
par la nouvelle toute récente d'un fuccès qui
fembloit en faciliter l'exécution . C'eft celle de
l'échec que les ennemis avoient reçu dans les
premiers jours de Juillet fur le lac Ontario , où
le fieur de Villiers venoit de détruire un convoi
d'environ deux cens bâtimens , & de tuer
u de prendre prifonniers plus de cinq cens
hommes.
Le Marquis de Montcalm repartit de Montreal
le 21 de Juillet , & arriva le ving neuf
à Frontenac , où il trouva tout raffemblé , à
l'exception du détachement commandé par le fieur
Rigaud de Vaudreuil. Ce Corps s'étoit deja
porté fur la Riviere de Choueguen à la Baie
a
t
I
DECEMBRE. 1756. 229
de Niaouré , où le Marquis de Vaudreuil avoit
marqué le rendez -vous général des troupes deftinées
pour l'expédition .
Ces troupes formoient un Corps de trois
mille hommes , y compris le détachement du
fieur de Rigaud , qui devoit fervir d'avant- garde.
Elles étoient compofées des Bataillons de la Sarre
, Guyenne , & Bearn , ne faifant enfemble
que treize cens hommes , & d'environ dix- fept
cens foldats de la Colonie , Miliciens & Sauvages .
Le Marquis de Montcalm n'a pas perdu de
temps pour le mettre en état de partir du Fort
Frontenac. Aprés avoir fait dans cette Place les
préparatifs inféparables d'une opération nouvelle
en ce Pays , & qui préfentoit des difficultés
inconnues en Europe ; après avoir en même
temps pourvu aux difpofitions néceffaires
pour affurer la retraite , en cas que des forces
fupérieures la rendiffent inévitable , il a donné
ordre à deux barques armées fur le Lac Ontario
, l'une de douze , & l'autre de feize canons ,
de fe mettre en croifiere dans les parages de
Chouëguen. Il a établi une chaîne de découvreurs
, Canadiens & Sauvages , fur le chemin
de cette Place à la Ville d'Albanie , pour y intercepter
les Couriers ; & dès le 4 Août il s'eft
embarqué à Frontenac avec la premiere divifion
de fes Troupes , compofée du Bataillon de
la Sarre & de celui de Guyenne , avec 4 pieces
de canon , & eft arrivé le 6 à la Baie de
Niaouré , où la feconde divifion compofée du
Bataillon de Béarn , de Miliciens , & des Bateaux
chargés de l'Artillerie & des vivres , s'eft rendue
le huit.
Le même jour , le Marquis de Montcalm fit
partir l'avant-garde , commandée par le Sieur de
230 MERCURE DE FRANCE.
Rigaud , pour s'avancer à trois lieues de Chouëguen
dans une Anfe nommée l'Anfe- aux -Cabannes.
La premiere divifion y étant arrivée le 10 à
deux heures du matin , Pavant - garde fe porta
quatre heures après par terre & au travers des
bois , à une autre Anfe fituée à une demi- lieue
de Choueguen , pour y favorifer le débarquement
de l'artillerie & des troupes. La premiere divifion
fe rendit à minuit dans cette même Anfe. Le
Marquis de Montcalm parvint à faire établir
auffi -tôt une batterie fur le Lac Ontario , & les
troupes pafferent la nuit au bivouac à la tête des
bateaux.
Le 11 , à la pointe du jour , les Canadiens &
les Sauvages s'avancerent à un quart de lieue do
Fort Ontario , fitué , comme on l'a dit , fur la rive
droite de la Riviere de Chouëguen , & en formoient
l'inveftiffement. Le Sieur de Combles ,
Ingénieur , qui avoit été envoyé à trois heures du
matin pour déterminer cet inveſtiſſement & le
front de l'attaque , fut tué , en revenant de fa découverte
, par un de nos Sauvages qui l'avoit efcorté
, & qui dans l'obcurité le prit malheureuſement
pour un Anglois . Le Sieur Defandrouins ,
autre Ingénieur , qui par-là reftoit ſeul , traça â
travers des bois , en partie marécageux , un chemin
reconnu la veille , pour y conduire de l'Artillerie
; & ce chemin commencé le rr au matin ,
fut pouffé avec tant de vivacité, qu'il fe trouva perfectionné
le lendemain. On avoit en même temps
établi le Camp, la droite appuyée au Lac Ontario
, couverte par la batterie établie la veille , &
qui mettoit les Bateaux hors d'infulte ; & la gauche
à un marais impraticable.
La marche des François , que la précaution de
que de nuit, & d'entrer pour faire halte dans
n'aller
DECEMBRE . 1756. 13 .
les rivieres qui les couvroient , avoit jufqu'alors
dérobée aux Ennemis , leur fut annoncée le même
jour par les Sauvages , qui allerent fufiller juf
qu'au pied du Fort . Trois barques armées fortirent
à midi de la Riviere de Choueguen , vinrent
croifer devant le Camp, firent quelques décharges
de leur Artillerie ; mais le feu de notre batterie
les força de s'éloigner
Le 12 , à la pointe du jour, le Bataillon de Béarn
arriva avec les Bateaux de l'Artillerie & des vivres.
La décharge de ces Bateaux fut faite fur le champ,
en préfence des Barques Angloifes qui croifoient
devant le Camp : la batterie de la greve fut augmentée
le parc de l'Artillerie , & le dépôt des
vivres furent établis ; & le Sieur Pouchot , Capitaine
au Régiment de Béarn , reçut ordre de
faire fonction d'Ingénieur pendant le fiege. La
difpofition fut faite pour l'ouverture de la tranchée
le foir même le Marquis de Montcalm en
donna la direction au Sieur de Bourlamaque
Colonel d'Infanterie , & commanda fix piquets
de travailleurs de cinquante hommes chacun
pour cette nuit , avec deux compagnies de Grenadiers
& trois piquets pour les foutenir .
Avec toute la diligence poffible , on ne put
commencer qu'à minuit le travail de cette tranchée
, qui étoit plutôt une parallele d'environ ico
toifes de front , ouverte à 90 toifes du foffé du
Fort , dans un terrein embarraffé d'abattis & de
troncs d'arbres.Cette parallele achevée à cinq heures
du matin , fut perfectionnée par les travailleurs
du jour , qui y firent les chemins de communication
, & commencerent l'établiſſement des batteries
. Le feu des ennemis qui depuis la pointe du
jour avoit été très-vif , ceffa vers les fix heures
dufoir; & l'on s'apperçut que la Garniſon avoid
232 MERCURE DE FRANCE.
évacué le Fort Ontario , & paflé de l'autre côté
de la riviere dans celui de Choueguen. Elle abandonna
, en fe retirant , 8 pieces de canon & 4
mortiers.
Le Fort ayant auffitôt été occupé par les Grenadiers
de tranchée , des travailleurs furent commandés
pour continuer la communication de la
parallele au bord de la Riviere , où , dès l'entrée
de la nuit , on commença une grande batterie
placée de façon à pouvoir, non feulement battre
le Fort Choueguen & le chemin de ce Fort au Fort
Georges , mais encore prendre à revers le retranchement
qui entouroit le premier de ces Forts.
Vingt pieces de canon furent chariées à bras
d'hommes pendant la nuit ; & ce travail employa
toutes les troupes , à l'exception des piquets &
Gardes du camp.
Le 14 , à la pointe du jour , le Marquis de Montcalm
ordonna au Sieur de Rigaud de paffer à gué
de l'autre côté de la Riviere avec les Canadiens &
les Sauvages , de fe porter dans les bois , & d'inquiéter
la communication au Fort Georges où les
Ennemis paroiffoient faire de grandes difpofitions.
Le Sieur de Rigaud exécuta cet ordre fur le champ.
Quoiqu'il y ait beaucoup d'eau dans cette Riviere,
& que le courant en foit très- rapide , il s'y jetta ,
la traverfa avec les Canadiens & les Sauvages , les
uns à la nage , d'autres dans l'eau jufqu'à la ceinture
ou jufqu'au cou , & fe rendit à fa deftination
, fans que le feu de l'Ennemi fût capable d'arrêter
un feul Canadien , ni Sauvage.
A neuf heures , les Affiégeans eurent neuf pieces
de canon en état de tirer ; & quoique jufqu'alors
le feu des Affiégés eût été fupérieur , ils arborerent
à dix heures le Drapeau blanc . Le Sieur de
Rigaud renvoya au Marquis de Montcalm deux
DECEMBRE . 1756. 23.3
Officiers que le Commandant du Fort lui avoit
adreffés pour demander à capituler. Le Marquis
de Montcalm envoya le Sr de Bougainville , l'un
de fes Aides de Camp , pour fervir d'ôtage , &
propofer les articles de la capitulation , qui furent
que la Garnifon fe rendroit prifonniere de guerre,
& que les troupes Françoifes prendroient fur le
champ poffeffion des Forts . On a déja dit qu'elles
avoient occupé la veille celui d'Ontario . Čes articles
ayant été acceptés par le Commandant Anglois
, le Sieur de la Pauze , Aide-Major au Régiment
de Guyenne , faifant fonction de Major Général
, fut chargé par le Marquis de Montcalm de
les aller rédiger ; & le Sieur de Bourlamaque
nommé Commandant des Forts Georges & Chouëguen
, en prit poffeffion avec deux compagnies de
Grenadiers & les piquets de la tranchée. Il fut
chargé de la démolition de tous les Forts , & du
déblaiement de l'Artillerie , & des munitions de
guerre & de bouche qui s'y trouverent .
La célérité de nos ouvrages dans un terrein que
les Ennemis avoient jugé impraticable , l'établiſ
fement de nos batteries fait fi rapidement , l'idée
que ces travaux ont donnée du nombre des troupes
Françoifes , la mort du Colonel Mercer , Commandant
de Chouëguen , tué à huit heures du marin
, & plus que tout encore , la manoeuvre hardie
du Sieur de Rigaud , & li crainte des Canadiens
& des Sauvages qui faifoient déja feu fur le
Fort , ont fans doute déterminé les Aſſiégés à ne
pas faire une plus longue défenfe .
Ils ont perdu cent cinquante-deux hommes , y
compris quelques Soldats tués par les Sauvages en
voulant fe fauver dans les bois . Le nombre des prifonniers
a été de plus de feize cens , dont quatrevingts
Officiers. On a pris auffi ſept Bâtimens de
234 MERCURE DE FRANCE.
guerre , dont un de dix- huit canons , un de quatorze
, un de dix , un de huit , & les trois autres
armés de pierriers , outre deux cens bâtimens de
tranfport ; & les Officiers & Equipages de ces bâtimens
ont été compris dans la capitulation de la
Garnifon , qui étoit compofée de deux Régimens
de troupes réglées , de Shirley & de Pepperel , &
du Régiment de Milice de Shuyler. L'Artillerie
qu'on a prife , confifte en cent cinquante-cinq pieces
de canon , quatorze mortiers , cinq obuliers
& quarante-fept pierriers , qu'on a enlevés avec
une grande quantité de boulets , bombes , balles
& poudre , & un amas confidérable de vivres.
Le Marquis de Montcalm n'a perdu que trois
hommes , fçavoir un Canadien , un Soldat & un
Canonnier , outre la perte du Sieur de Combles ,
& il n'y a eu dans les différens corps de troupes ,
qui étoient fous fes ordres , qu'environ vingt
bleffés , qui tous le font fort légèrement. Le Sieur
de Bourlamaque & les Sieurs de Palmarol , Capitaine
de Grenadiers , & Duparquet , Capitaine au
Régiment de la Sarre , font de ce nombre.
P
P
д
C
to
d
C
0
é
d
fa
n
&
d
P
9
C1
'C
Le 21 du même mois d'Août , toutes les démolitions
étant achevées , le tranfport des prifonniers
, de l'artillerie & des vivres fait , le Marquis
de Montcalm fe rembarqua avec les troupes , &
fe rendit fur trois divifions à la Baie de Niaouré ,
d'où les différens Corps fe font portés aux deftinations
refpectives que leur avoit indiquées le Marquis
de Vaudreuil , qui a fait dépofer dans les
Eglifes de Québec &des trois Rivieres , avec les ]
cérémonies ordinaires , les quatre Drapeaux des
Régimens de troupes réglées de Shirley & Pepperel
, & celui du Régiment de Milices de Shuyler.
Le fuccès de cette expédition a répandu une
joie générale dans la Colonie , où l'on en connoît
C DECEMBRE. 1756. 235
plus qu'ailleurs tous les avantages . Elle fe trouve
par la délivrée des juftes inquiétudes que lui donnoit
l'établiffement de Choueguen. Elle voit la
communication avec le pays d'enhaut & avec
toutes les Nations Sauvages fes alliées , à l'abri
des troubles auxquels elle étoit expofee . Elle ne
craint plus d'être attaquée de ce côté - là , du
moins avec la fupériorité que donnoit aux Anglois
l'établiſſement qu'on vient de leur enlever ,
& qui les mettoit en état de dominer fur les Lacs ,
où ils avoient déja formé une Marine. Elle eft en
état déformais de réunir fes forces pour la défenſe
de fes frontieres , & elle a la fatisfaction de devoir
cet heureux changement dans fa fituation , aux
fecours puiffans que le Roi a eu la bonté de lui
envoyer.
Elle a fait éclater les fentimens les plus touchans
de refpect & de reconnoiffance pour ces
nouvelles marques de la protection de Sa Majefté ,
& elle feconde avec tout le zele qu'on peut attendre
du peuple le plus fidele & le plus attaché à fon
Prince , les foins infatigables que fe donnent
pour fa défenfe le Marquis de Vaudreuil , ainfi
que le Marquis de Montcalm , & les autres Officiers
qui en font chargés fous les ordres de ce
Gouverneur.
année en Canada , avec le journal hiſtorique
du fiege des Forts de Choueguen ou
Ofwego, commencé le 11 Août 1756, co
fini le 14 par la prise de ces Forts.
LE
Es nouveaux préparatifs que les Anglois ont
faits pour envahir nos poffeffions en Amérique ,
malgré le mauvais fuccès de leurs entreprifes de
P'année derniere , ont été auffi publics en Europe
que dans le nouveau monde. On s'y étoit attendu
& dans les premiers jours d'Avril dernier , le Roi
fit partir , pour le Canada , un renfort de troupes
commandé par le Marquis de Montcalm ,
Maréchal de Camp.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
En attendant l'arrivée de ce fecours , & dès la
fin de la campagne derniere , le Marquis de Vaudreuil
, Gouverneur & Lieutenant Général de la
Nouvelle France , avoit pris de juftes meſures
pour la défenſe de nos frontieres. Ses arrangemens
avoient eu même pour objet de faire harceler
les Anglois dans leurs propres Colonies. Il a
tenu des détachemens en campagne durant tout
l'hyver. Les Sauvages ont tué beaucoup de monde ,
on a enlevé une quantité confiderable de beftiaux :
ily a eu un grand nombre de maifons & de magafins
brulés ; les campagnes ont été abandonnées
dans plufieurs endroits des frontieres des Colonies
Angloifes. Ces mouvemens divers ont efficacement
fervi , non feulement à augmenter le mécontentement
qu'avoit caufé parmi elles l'injuftice
des projets de leurs Gouverneurs , mais encore à
faire naître des embarras & des difficultés qui ont
empêché l'exécution de ces projets dans le printemps.
Le Marquis de Vaudreuil ne s'en eft pas tenu
là . Tandis que nos Partis fe fuccedoient fans
relâche fur les frontieres des Anglois , expofées à
leurs courſes , & défoloient furtout la Pensilvanie
, la Virginie & le Mariland , un Corps de nos
troupes , qu'il avoit placé fur la riviere S. Jean ,
y recueilloit les reftes épars des Acadiens chalés
de leurs habitations par les Anglois , & dont une
partie erroit alors dans les bois. La défenſe du
Fort du Quêne & de l'Ohio , ou de la belle Riviere
, étoit confiée à un corps de Canadiens & de
Sauvages commandés par le Sieur Dumas. Un
autre detachement d'environ 500 hommes , obfervoit
l'ennemi du côté du Fort Lydius . Le bataillon
du Régiment de la Reine & celui du Régiment
de Languedoc , campoient devant le Fort
2
N
༡༩.R
te
P
¿
C
DECEMBRE. 1756 . 223
de Carrillon , vers le Lac du Saint- Sacrement. Le
bataillon de Bearn étoit deſtiné pour le Fort de
Niagara , & celui de Guyenne pour le Fort Frontenac
, afin de défendre ces deux poftes importans
dont les ennemis paroiffoient méditer. l'attaque
pendant le cours de la campagne prête à s'ouvrir.
Dès le commencement de l'hyver , le Marquis
de Vaudreuil avoit été informé que , pour l'exécution
de ce projet , les Anglois faifoient raffembler
des troupes avec des provifions confidérables
dans les Forts de Choueguen près du Lac
Ontario ; & c'eft en conféquence de cet avis
qu'au mois de Mars dernier le fieur de Léry attaqua
par fes ordres un Fort où étoit le principal
entrepôt de ces approvifionnemens . Ce Fort
fut enlevé d'affaut & détruit avec tous les bâtimens
qui en dependoient ; & toutes les munitions
qui s'y trouvoient en grande quantité ,
furent enlevées , brûlées , ou jettées dans la Riviere.
Dans la vue de profiter de ce premier
fuccès , le Gouverneur- Général fit un autre détachement
de 700 hommes , Canadiens & Sauvages
, fous les ordres du fieur de Villiers , Capitaine
de la Colonie , pour refferrer les ennemis
de ce côté-là , obferver leurs mouvemens , &
intercepter les tranfports qu'ils pourroient faire
fur la riviere de Choueguen.
Ainfi tout étoit difpofé par le Marquis de Vaudreuil
pour une défenfive vigoureuſe dans les différentes
parties du Canada , fur les lacs Champlain
& du St. Sacrement , vers la Belle - Riviere , &
furtout du côté du lac Ontario , où la défenſe
de nos Forts & même l'attaque des poftes Anglois
avoient été fon objet principal dans la diftribution
des forces de la Colonie.
Tout le monde fçait que l'établiffement des
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Anglois fur le lac Ontario eft une invafion qu'ils
ont faite en pleine paix. Il n'étoit queftion d'abord
de leur part que d'une fimple Maiſon de
commerce. C'eft fous ce feul point de vue qu'ils
en firent la propofition en 1728 , aux Sauvages
Iroquois , qui ne les auroient pas vus tranquillement
fe fortifier tout d'un coup dans le voifinage
de leurs Habitations . On fentit cependant
dès - lors en Canada quel étoit leur véritable objet
dans cet Etabliffèment , qui devoit les mettre
à portée non feulement d'envahir le commerce
des Lacs que les François n'avoient jamais
partagé avec aucune Nation Européenne , mais
encore de couper , par le centre même de la
Colonie de Canada , la communication des poftes
qui en dépendent. Les Gouverneurs François
fe contenterent cependant de réclamer contre
cette ufurpation. Le Roi en fit porter dans
le temps des plaintes à la Cour Britanique , où
elles ont été conſtamment renouvellées dans toutes
les occafions . Mais les Anglois , fans ſe mettre
en peine de la juftice de ces plaintes , &
abufant toujours de l'efprit de paix qui a réglé
dans tous les temps la conduite de la France ,
ie font fortifiés peu à peu à Choueguen , de
maniere qu'ils y avoient établi trois Forts ,
fçavoir :
1º. Le Fort Ontario placé à la droite de la
Riviere , au milieu d'un plateau fort élevé. Il
confiftoit en un quatré de trente toifes de côté ,
dont les faces brifées par le milieu étoient flanquées
par un rédan placé à l'endroit de la brifure.
Il étoit fait de pieux de dix - huit pouces
de diametre applanis fur deux faces , parfaitement
bien joints l'un à l'autre , & fortans de terre de
de huit à neuf pieds . Le follé qui entouroit le
1
1
1
1
DECEMBRE . 1756. 225
Fort avoit dix-huit pieds de largeur fur huit de
profondeur. Les terres qu'on en avoit tirées
avoient été rejettées en glacis fur la contrefcarpe
& en talud fort roide fur la berme. On
avoit pratiqué des creneaux & des embrafures
dans les pieux à fleur de terre rejettée fur la
berme , & un échafaudage de charpente régnoit
tout autour , afin de tirer pardeffus . Il y avoit
huit canons & quatre mortiers à doubles grenades,
2 °. Le vieux Fort de Choueguen , fitué fur
la rive gauche de la Riviere , confiftant en une
Maifon à machicoulis & crénelée au rez de chauf
fée & au premier étage , dont les murs avoient
trois pieds d'épaiffeur & étoient entourés
à trois toiles de diftance d'une autre muraille
de quatre pieds d'épaiffeur fur dix de hauteur
, crénelée & flanquée par deux groffes tours
quarrées. Il y avoit de plus un retranchement
qui entouroit , du côté de la campagne , le
Fort où les Ennemis avoient placés dix- huit
pieces de canon & quinze mortiers & obufiers .
3°. Le Fort Georges , fitué à 300 toifes endelà
de celui de Choueguen fur une hauteur qui
le dominoit. Il étoit de pieux & aſſez mal retranché
en terre fur deux faces .
C'eft principalement au moyen des avantages
que cet Etabliffement donnoit aux Anglois ,
qu'ils s'étoient flattés d'envahir le Canada . Leur
deffein étoit d'abord , ainfi qu'on l'a dit , de
s'emparer du Fort de Niagara & de celui de Frontenac
. Maîtres de ces deux poftes , ils auroient coupé
abfolument la communication , non feulement
des Pays d'en haut , mais encore de la Louifiane
: ils auroient fait tomber une des principales
branches du commerce de Canada ; &
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
en enlevant à cette Colonie une partie de fes
Sauvages alliés , ils fe feroient trouvés à portée
de l'attaquer de toutes parts dans tous les Etabliflemens.
Telles étoient les vues , du moins apparentes
, des Anglois , & les difpofitions faites de notre
part , lorfque les troupes Françoiſes commandées
par le Marquis de Montcalm arriverent au
mois de Mai.
Dès que le Marquis de Vaudreuil eut reça
ce renfort , il envoya fur le lac du St. Sacrement
le bataillon de Royal Rouffillon qui en
faifoit partie. Le Bataillon de la Sarre fut envoyé
à Frontenac avec les deux Ingénieurs François
nouvellement débarqués , aux ordres du fieur
de Bourlamaque Colonel d'Infanterie , pour former
devant cette Place un Camp retranché. Le
Chevalier de Levis , Brigadier , fut deftiné à commander
fur le lac du St. Sacrement ; & le Marquis
de Montcalm devoit fe porter aux lieux
que les ennemis paroîtroient menacer le plus.
Vers le mois de Juin , il parut clairement
par le rapport des Sauvages envoyés à la découverte
, par les dépofitions de plufieurs prifonniers
, & par les préparatifs immenfes faits à
Albany & au Fort Lydius , que les Anglois
avoient des projets d'offenfive du côté de la
Pointe ou du lac du St. Sacrement. Ces nouvelles
confirmerent les Commandans François dans
le deffein d'une diverfion fur le lac Ontario ,
qui devenoit néceffaite pour attirer de ce côtélà
une partie des forces ennemies. Le Marquis
de Montcalm propofa de s'en charger , & même
de tenter , s'il étoit poffible , une entreprife
fur les Etabliffemens Anglois : entrepriſe
deja projettée depuis quelque temps par le Gou
་
་
DECEMBRE. 1756. 227
verneur- Général , qui n'avoit jamais perdu de
vue le fiege des Forts de Choueguen , dont il
connoiffoit toute l'importance. Ce Siege fut réfolu
par le Marquis de Vaudreuil , au cas que
l'état de la Place , & la lenteur des ennemis
permiffent de le former dans cette campagne ,
dont la faifon commençoit à s'avancer. Mais
une pareille expédition exigeoit de grands préparatifs
; les diftances étoient confidérables ; &
les tranfports ne pouvoient s'exécuter qu'avec
des peines & des longueurs infinies , à travers un
pays qui n'a d'autres chemins que des rivieres
remplies de fauts & de rapides , & des lacs où
la violence des vagues rend quelquefois la navigation
prefqu'impoffible . On ne pouvoit donc
fe flatter de réufhir dans ce projet qu'autant qu'il
ne feroit pas pénétré par les ennemis ; & qu'on
ne leur donneroit pas le temps de faire paffer
à Choueguen les nouveaux fecours qu'ils deftineroient
eux-mêmes pour l'attaque des deux
Forts François,
En conféquence le Marquis de Vaudreuil priv
toutes les mesures qui pouvoient accélérer nos
difpofitions & en cacher l'objet . Le fieur Bigot
Intendant du Canada vint à Montreal , & fe char--
gea d'amaffer des munitions de guerre & debouche
, d'en diligenter les convois & de les entretenir
fans interruption. Le fieur Rigaud de
Vaudreuil , Gouverneur des trois Rivieres , fut envoyé
avec un renfort de Canadiens & de Sauvages
, pour prendre le commandement du Camp
du fieur de Villiers . En même temps le fieur de
Bourlamaque reçut ordre de commencer à Frontenac
les préparatifs qu'on jugea néceffaires. Le
fieur de Combles Ingénieur , fut chargé d'aller
avec un détachement reconnoître Choi eguen. E
K. vj
228 MERCURE DE FRANCE.
tandis que tout fe difpofoit ainfi pour cette attaque
, dans la vue de donner le change aux
ennemis , le Marquis de Montcalm partit le 27
de Juin pour le Fort de Carrillon avec le Chevalier
de Levis. Les pofitions à prendre au fujet
de la défenfive dans cette partie , les fortifications
alors commencées à Carrillon , & les
mouvemens des Anglois à Albany , paroiffoient
en effet des raifons fuffifantes pour autorifer la
préfence du Marquis de Montcalm fur le lac
du St. Sacrement , comme dans le pofte où devoient
fe paffer les opérations les plus intéres-
Santes. Ce Général n'y étant resté que le temps
néceffaire pour préparer l'effentiel , & s'attirer
l'attention des Anglois , remit la défenſe de cette
Frontiere au Chevalier de Levis , en lui laiffant
un Corps de trois mille hommes , & reprit le
quinze de Juillet la route de Montreal , où il arriva
le dix -neuf du même mois. Il y reçut fes
dernieres inftructions pour l'entrepriſe contre
les Forts de Choueguen , à laquelle le Marquis
de Vaudreuil fe trouvoit engagé de plus en plus
par la nouvelle toute récente d'un fuccès qui
fembloit en faciliter l'exécution . C'eft celle de
l'échec que les ennemis avoient reçu dans les
premiers jours de Juillet fur le lac Ontario , où
le fieur de Villiers venoit de détruire un convoi
d'environ deux cens bâtimens , & de tuer
u de prendre prifonniers plus de cinq cens
hommes.
Le Marquis de Montcalm repartit de Montreal
le 21 de Juillet , & arriva le ving neuf
à Frontenac , où il trouva tout raffemblé , à
l'exception du détachement commandé par le fieur
Rigaud de Vaudreuil. Ce Corps s'étoit deja
porté fur la Riviere de Choueguen à la Baie
a
t
I
DECEMBRE. 1756. 229
de Niaouré , où le Marquis de Vaudreuil avoit
marqué le rendez -vous général des troupes deftinées
pour l'expédition .
Ces troupes formoient un Corps de trois
mille hommes , y compris le détachement du
fieur de Rigaud , qui devoit fervir d'avant- garde.
Elles étoient compofées des Bataillons de la Sarre
, Guyenne , & Bearn , ne faifant enfemble
que treize cens hommes , & d'environ dix- fept
cens foldats de la Colonie , Miliciens & Sauvages .
Le Marquis de Montcalm n'a pas perdu de
temps pour le mettre en état de partir du Fort
Frontenac. Aprés avoir fait dans cette Place les
préparatifs inféparables d'une opération nouvelle
en ce Pays , & qui préfentoit des difficultés
inconnues en Europe ; après avoir en même
temps pourvu aux difpofitions néceffaires
pour affurer la retraite , en cas que des forces
fupérieures la rendiffent inévitable , il a donné
ordre à deux barques armées fur le Lac Ontario
, l'une de douze , & l'autre de feize canons ,
de fe mettre en croifiere dans les parages de
Chouëguen. Il a établi une chaîne de découvreurs
, Canadiens & Sauvages , fur le chemin
de cette Place à la Ville d'Albanie , pour y intercepter
les Couriers ; & dès le 4 Août il s'eft
embarqué à Frontenac avec la premiere divifion
de fes Troupes , compofée du Bataillon de
la Sarre & de celui de Guyenne , avec 4 pieces
de canon , & eft arrivé le 6 à la Baie de
Niaouré , où la feconde divifion compofée du
Bataillon de Béarn , de Miliciens , & des Bateaux
chargés de l'Artillerie & des vivres , s'eft rendue
le huit.
Le même jour , le Marquis de Montcalm fit
partir l'avant-garde , commandée par le Sieur de
230 MERCURE DE FRANCE.
Rigaud , pour s'avancer à trois lieues de Chouëguen
dans une Anfe nommée l'Anfe- aux -Cabannes.
La premiere divifion y étant arrivée le 10 à
deux heures du matin , Pavant - garde fe porta
quatre heures après par terre & au travers des
bois , à une autre Anfe fituée à une demi- lieue
de Choueguen , pour y favorifer le débarquement
de l'artillerie & des troupes. La premiere divifion
fe rendit à minuit dans cette même Anfe. Le
Marquis de Montcalm parvint à faire établir
auffi -tôt une batterie fur le Lac Ontario , & les
troupes pafferent la nuit au bivouac à la tête des
bateaux.
Le 11 , à la pointe du jour , les Canadiens &
les Sauvages s'avancerent à un quart de lieue do
Fort Ontario , fitué , comme on l'a dit , fur la rive
droite de la Riviere de Chouëguen , & en formoient
l'inveftiffement. Le Sieur de Combles ,
Ingénieur , qui avoit été envoyé à trois heures du
matin pour déterminer cet inveſtiſſement & le
front de l'attaque , fut tué , en revenant de fa découverte
, par un de nos Sauvages qui l'avoit efcorté
, & qui dans l'obcurité le prit malheureuſement
pour un Anglois . Le Sieur Defandrouins ,
autre Ingénieur , qui par-là reftoit ſeul , traça â
travers des bois , en partie marécageux , un chemin
reconnu la veille , pour y conduire de l'Artillerie
; & ce chemin commencé le rr au matin ,
fut pouffé avec tant de vivacité, qu'il fe trouva perfectionné
le lendemain. On avoit en même temps
établi le Camp, la droite appuyée au Lac Ontario
, couverte par la batterie établie la veille , &
qui mettoit les Bateaux hors d'infulte ; & la gauche
à un marais impraticable.
La marche des François , que la précaution de
que de nuit, & d'entrer pour faire halte dans
n'aller
DECEMBRE . 1756. 13 .
les rivieres qui les couvroient , avoit jufqu'alors
dérobée aux Ennemis , leur fut annoncée le même
jour par les Sauvages , qui allerent fufiller juf
qu'au pied du Fort . Trois barques armées fortirent
à midi de la Riviere de Choueguen , vinrent
croifer devant le Camp, firent quelques décharges
de leur Artillerie ; mais le feu de notre batterie
les força de s'éloigner
Le 12 , à la pointe du jour, le Bataillon de Béarn
arriva avec les Bateaux de l'Artillerie & des vivres.
La décharge de ces Bateaux fut faite fur le champ,
en préfence des Barques Angloifes qui croifoient
devant le Camp : la batterie de la greve fut augmentée
le parc de l'Artillerie , & le dépôt des
vivres furent établis ; & le Sieur Pouchot , Capitaine
au Régiment de Béarn , reçut ordre de
faire fonction d'Ingénieur pendant le fiege. La
difpofition fut faite pour l'ouverture de la tranchée
le foir même le Marquis de Montcalm en
donna la direction au Sieur de Bourlamaque
Colonel d'Infanterie , & commanda fix piquets
de travailleurs de cinquante hommes chacun
pour cette nuit , avec deux compagnies de Grenadiers
& trois piquets pour les foutenir .
Avec toute la diligence poffible , on ne put
commencer qu'à minuit le travail de cette tranchée
, qui étoit plutôt une parallele d'environ ico
toifes de front , ouverte à 90 toifes du foffé du
Fort , dans un terrein embarraffé d'abattis & de
troncs d'arbres.Cette parallele achevée à cinq heures
du matin , fut perfectionnée par les travailleurs
du jour , qui y firent les chemins de communication
, & commencerent l'établiſſement des batteries
. Le feu des ennemis qui depuis la pointe du
jour avoit été très-vif , ceffa vers les fix heures
dufoir; & l'on s'apperçut que la Garniſon avoid
232 MERCURE DE FRANCE.
évacué le Fort Ontario , & paflé de l'autre côté
de la riviere dans celui de Choueguen. Elle abandonna
, en fe retirant , 8 pieces de canon & 4
mortiers.
Le Fort ayant auffitôt été occupé par les Grenadiers
de tranchée , des travailleurs furent commandés
pour continuer la communication de la
parallele au bord de la Riviere , où , dès l'entrée
de la nuit , on commença une grande batterie
placée de façon à pouvoir, non feulement battre
le Fort Choueguen & le chemin de ce Fort au Fort
Georges , mais encore prendre à revers le retranchement
qui entouroit le premier de ces Forts.
Vingt pieces de canon furent chariées à bras
d'hommes pendant la nuit ; & ce travail employa
toutes les troupes , à l'exception des piquets &
Gardes du camp.
Le 14 , à la pointe du jour , le Marquis de Montcalm
ordonna au Sieur de Rigaud de paffer à gué
de l'autre côté de la Riviere avec les Canadiens &
les Sauvages , de fe porter dans les bois , & d'inquiéter
la communication au Fort Georges où les
Ennemis paroiffoient faire de grandes difpofitions.
Le Sieur de Rigaud exécuta cet ordre fur le champ.
Quoiqu'il y ait beaucoup d'eau dans cette Riviere,
& que le courant en foit très- rapide , il s'y jetta ,
la traverfa avec les Canadiens & les Sauvages , les
uns à la nage , d'autres dans l'eau jufqu'à la ceinture
ou jufqu'au cou , & fe rendit à fa deftination
, fans que le feu de l'Ennemi fût capable d'arrêter
un feul Canadien , ni Sauvage.
A neuf heures , les Affiégeans eurent neuf pieces
de canon en état de tirer ; & quoique jufqu'alors
le feu des Affiégés eût été fupérieur , ils arborerent
à dix heures le Drapeau blanc . Le Sieur de
Rigaud renvoya au Marquis de Montcalm deux
DECEMBRE . 1756. 23.3
Officiers que le Commandant du Fort lui avoit
adreffés pour demander à capituler. Le Marquis
de Montcalm envoya le Sr de Bougainville , l'un
de fes Aides de Camp , pour fervir d'ôtage , &
propofer les articles de la capitulation , qui furent
que la Garnifon fe rendroit prifonniere de guerre,
& que les troupes Françoifes prendroient fur le
champ poffeffion des Forts . On a déja dit qu'elles
avoient occupé la veille celui d'Ontario . Čes articles
ayant été acceptés par le Commandant Anglois
, le Sieur de la Pauze , Aide-Major au Régiment
de Guyenne , faifant fonction de Major Général
, fut chargé par le Marquis de Montcalm de
les aller rédiger ; & le Sieur de Bourlamaque
nommé Commandant des Forts Georges & Chouëguen
, en prit poffeffion avec deux compagnies de
Grenadiers & les piquets de la tranchée. Il fut
chargé de la démolition de tous les Forts , & du
déblaiement de l'Artillerie , & des munitions de
guerre & de bouche qui s'y trouverent .
La célérité de nos ouvrages dans un terrein que
les Ennemis avoient jugé impraticable , l'établiſ
fement de nos batteries fait fi rapidement , l'idée
que ces travaux ont donnée du nombre des troupes
Françoifes , la mort du Colonel Mercer , Commandant
de Chouëguen , tué à huit heures du marin
, & plus que tout encore , la manoeuvre hardie
du Sieur de Rigaud , & li crainte des Canadiens
& des Sauvages qui faifoient déja feu fur le
Fort , ont fans doute déterminé les Aſſiégés à ne
pas faire une plus longue défenfe .
Ils ont perdu cent cinquante-deux hommes , y
compris quelques Soldats tués par les Sauvages en
voulant fe fauver dans les bois . Le nombre des prifonniers
a été de plus de feize cens , dont quatrevingts
Officiers. On a pris auffi ſept Bâtimens de
234 MERCURE DE FRANCE.
guerre , dont un de dix- huit canons , un de quatorze
, un de dix , un de huit , & les trois autres
armés de pierriers , outre deux cens bâtimens de
tranfport ; & les Officiers & Equipages de ces bâtimens
ont été compris dans la capitulation de la
Garnifon , qui étoit compofée de deux Régimens
de troupes réglées , de Shirley & de Pepperel , &
du Régiment de Milice de Shuyler. L'Artillerie
qu'on a prife , confifte en cent cinquante-cinq pieces
de canon , quatorze mortiers , cinq obuliers
& quarante-fept pierriers , qu'on a enlevés avec
une grande quantité de boulets , bombes , balles
& poudre , & un amas confidérable de vivres.
Le Marquis de Montcalm n'a perdu que trois
hommes , fçavoir un Canadien , un Soldat & un
Canonnier , outre la perte du Sieur de Combles ,
& il n'y a eu dans les différens corps de troupes ,
qui étoient fous fes ordres , qu'environ vingt
bleffés , qui tous le font fort légèrement. Le Sieur
de Bourlamaque & les Sieurs de Palmarol , Capitaine
de Grenadiers , & Duparquet , Capitaine au
Régiment de la Sarre , font de ce nombre.
P
P
д
C
to
d
C
0
é
d
fa
n
&
d
P
9
C1
'C
Le 21 du même mois d'Août , toutes les démolitions
étant achevées , le tranfport des prifonniers
, de l'artillerie & des vivres fait , le Marquis
de Montcalm fe rembarqua avec les troupes , &
fe rendit fur trois divifions à la Baie de Niaouré ,
d'où les différens Corps fe font portés aux deftinations
refpectives que leur avoit indiquées le Marquis
de Vaudreuil , qui a fait dépofer dans les
Eglifes de Québec &des trois Rivieres , avec les ]
cérémonies ordinaires , les quatre Drapeaux des
Régimens de troupes réglées de Shirley & Pepperel
, & celui du Régiment de Milices de Shuyler.
Le fuccès de cette expédition a répandu une
joie générale dans la Colonie , où l'on en connoît
C DECEMBRE. 1756. 235
plus qu'ailleurs tous les avantages . Elle fe trouve
par la délivrée des juftes inquiétudes que lui donnoit
l'établiffement de Choueguen. Elle voit la
communication avec le pays d'enhaut & avec
toutes les Nations Sauvages fes alliées , à l'abri
des troubles auxquels elle étoit expofee . Elle ne
craint plus d'être attaquée de ce côté - là , du
moins avec la fupériorité que donnoit aux Anglois
l'établiſſement qu'on vient de leur enlever ,
& qui les mettoit en état de dominer fur les Lacs ,
où ils avoient déja formé une Marine. Elle eft en
état déformais de réunir fes forces pour la défenſe
de fes frontieres , & elle a la fatisfaction de devoir
cet heureux changement dans fa fituation , aux
fecours puiffans que le Roi a eu la bonté de lui
envoyer.
Elle a fait éclater les fentimens les plus touchans
de refpect & de reconnoiffance pour ces
nouvelles marques de la protection de Sa Majefté ,
& elle feconde avec tout le zele qu'on peut attendre
du peuple le plus fidele & le plus attaché à fon
Prince , les foins infatigables que fe donnent
pour fa défenfe le Marquis de Vaudreuil , ainfi
que le Marquis de Montcalm , & les autres Officiers
qui en font chargés fous les ordres de ce
Gouverneur.
Fermer
Résumé : RELATION de ce qui s'est passé cette année en Canada, avec le journal historique du siege des Forts de Chouëguen ou Oswego, commencé le 11 Août 1756, & fini le 14 par la prise de ces Forts.
En 1756, les Britanniques préparaient une invasion des possessions françaises en Amérique. En réponse, le roi de France envoya des renforts commandés par le Marquis de Montcalm. Le Marquis de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, avait déjà pris des mesures pour défendre les frontières et harceler les colonies britanniques. Des détachements français opérèrent durant l'hiver, perturbant les projets britanniques par des attaques sur les colons, le bétail et les maisons. Vaudreuil organisa la défense des forts et la protection des Acadiens déplacés. Il plaça des troupes stratégiquement, notamment sur la rivière Saint-Jean pour défendre le Fort du Quêne et l'Ohio, et observa les mouvements ennemis près du Fort Lydius. Les bataillons de la Reine et de Languedoc campaient près du Fort Carrillon, tandis que ceux de Bearn et de Guyenne étaient destinés aux forts Niagara et Frontenac. En mars, le Sieur de Léry attaqua et détruisit un fort britannique près du lac Ontario, capturant des munitions. Le Gouverneur général envoya ensuite 700 hommes sous les ordres du Sieur de Villiers pour observer les mouvements ennemis et intercepter leurs transports. Les Britanniques avaient établi trois forts à Choueguen (Oswego) sur le lac Ontario, violant les accords de paix et cherchant à contrôler le commerce des lacs et couper les communications françaises. À l'arrivée des troupes françaises commandées par Montcalm en mai, les préparatifs français étaient déjà en place. Le bataillon de Royal Roussillon fut envoyé sur le lac Saint-Sacrement, et celui de la Sarre à Frontenac. Le Chevalier de Lévis commanda sur le lac Saint-Sacrement, tandis que Montcalm se dirigea vers les zones menacées. En juin, des rapports indiquèrent que les Britanniques préparaient une offensive près du lac Saint-Sacrement. Les Français décidèrent de lancer une diversion sur le lac Ontario pour attirer les forces ennemies. Montcalm proposa de s'en charger et de tenter une attaque sur les établissements britanniques, notamment les forts de Choueguen. Le siège des forts de Choueguen fut résolu, mais les préparatifs nécessitaient du temps et de la discrétion. Le Sieur Bigot organisa les munitions et les convois. Le Sieur Rigaud de Vaudreuil prit le commandement du camp du Sieur de Villiers, et le Sieur de Bourlamaque commença les préparatifs à Frontenac. Le Sieur de Combles, ingénieur, fut envoyé en reconnaissance à Choueguen. Le 4 août, Montcalm s'embarqua à Frontenac avec la première division de ses troupes, composée des bataillons de la Sarre et de Guyenne, ainsi que quatre pièces de canon. Le 11 août, les Canadiens et les Sauvages investirent Fort Ontario. Le 12 août, le bataillon de Béarn arriva avec l'artillerie et les vivres. Une tranchée fut ouverte malgré les obstacles, et la garnison évacua Fort Ontario, abandonnant huit pièces de canon et quatre mortiers. Le 14 août, les assiégés arborèrent le drapeau blanc et acceptèrent la capitulation. La garnison ennemie perdit 152 hommes et plus de 620 prisonniers furent faits, incluant 80 officiers. Sept bâtiments de guerre et 200 bâtiments de transport furent capturés. Montcalm perdit trois hommes et environ vingt blessés légers. Le 21 août, après avoir achevé les démolitions et transporté les prisonniers, l'artillerie et les vivres, Montcalm se rembarqua avec les troupes. Cette expédition fut perçue comme un succès majeur, délivrant la colonie des inquiétudes causées par l'établissement de Choueguen et permettant de réunir les forces pour la défense des frontières.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
29
p. 206-208
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Montréal, le 6 Novembre.
Début :
Pendant que M. le Marquis de Montcalm faisoit, avec trois bataillons & 1500 hommes [...]
Mots clefs :
Montréal, Marquis de Montcalm, Siège de Chouagen, Chevalier de Leris, Bataillons, Camp de Carillon, Frontières, Les sauvages, Anglais, Français, Amérique
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre écrite de Montréal, le 6 Novembre.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Montréal
, le 6 Novembre .
PENDANT ENDANT que M. le Marquis de Montcalm faifoit
, avec trois bataillons & 1500 hommes de la
Colonie , le fiege de Chouagen , M. le Chevalier
de Leris , avec un corps de 3000 hommes , défendoit
la frontiere du Lac S. Sacrement. Une partie
de fes troupes étoit employée à y conſtruire le
Fort de Carillon , & l'autre occupoit en avant différens
poftes capables d'arrêter l'ennemi , s'il eût
voulu tenter l'exécution de projets annoncés dès la
campagne derniere . ; -
Le 6 Septembre , M. le Marquis de Montcalm
vint prendre le commandement du camp de Carillon
, & y amena deux des bataillons qui avoient
fait le fiege de Chouagen. Toutes les vues des ennemis
, depuis la perte de cette Place furtout ,
étoient dirigées vers cette frontiere . Ils y avoient
porté toutes leurs forces , & des préparatifs confidérables
fembloient annoncer qu'ils vouloient
nous venir attaquer avec un corps de 10 à 12000
hommes. Quoique nous n'en euffions pas plus de
4000 , nous étions prêts à les bien recevoir , &
leurs mouvemens ne nous ont jamais fait interrompre
les travaux de Carillon objet important
pour nous.
Tout s'eft enfin borné de part & d'autre à la
petite guerre. Nous y avons perdu 30 hommes environ,
prifonniers ou chevelures levées , & nos
MAR S. 1757. 207
A
Partis en ont pris ou tué près de 300. Un détachement
dans lequel j'avois été envoyé avec les
Sauvages , pour reconnoître le Fort Georges fitué
au fond du Lac S. Sacrement , a contraint les ennemis
d'abandonner des Illes qu'ils occupoient
dans ce Lac , & ayant rencontré un parti de 58
hommes à deux lieues du Fort , en a tué ou pris
57.
Les glaces ne permettent plus de tenir la campagne.
Norre arriere- garde , conduite par M. le
Chevalier de Leris , fe repliera du 10 au 15 : le
Fort de Carillon fera pour - lors en état de recevoir
& loger fa garnifon. Il eſt en vérité temps d'entrer
en quartier. J'ai fait dans mon particulier près de
soo lieues depuis mon arrivée en Canada.
Du côté de la belle riviere nous avons eu tout
l'avantage. Nos Sauvages ont fait abandonner les
habitations femées dans les vallées qui féparent les
chaînes des Apalaches , & forcé les Virginiens à ſe
retirer fur les bords de la mer . Les Anglois avoient
Jevées 1000 hommes équipés & matachés en
Sauvages , pour faire des courfes de ce côté. Cette
levée qui leur a coûté beaucoup , a aboutie à un
détachement qui eft venu mettre le feu à un Village
de Loups , & dont une partie a péri de mifere
dans les bois ; les autres ont été chaudement pourfuivis
par nos Sauvages , qui , je crois , leur ôteront
l'envie de les contrefaire .
Le corps que nous avions dans l'Acadie , s'eſt
foutenu toute la campagne , & a même pris aux
Anglois une grande quantité de beftiaux . Le Pere
Germain a raffemblé fur la Riviere & dans l'Ifle
S. Jean, environ 1500 Acadiens, que Penthoufiafme
du Miffionnaire anime . Des vaiffeaux de guerre
Anglois ont deux fois tenté une defcente à la
Baie de Gafpé : ils ont été repouffés avec perte
208 MERCURE DE FRANCE.
& nous sommes toujours maîtres de ce pofte im
portant. Les Sauvages des Pays d'en haut , excités .
par la prife de Chouagen , ont accepté la Hache
contre le Frere Coflar , & viendront nous joindre
će printemps. On dit même qu'il fe fait des mouvemens
en notre faveur dans le Confeil des cinq
Nations.
Telle a été la campagne en Amérique . Quoiqué
partout très- inférieurs en nombre aux ennemis ,
nous leur avons fermé les Pays d'en haut , en les
chaffant du Lac Ontario ; nous les avons empêché
d'exécuter leurs projets fur la frontiere du Lac S.
Sacrement , qu'ils menacent depuis trois ans , &
nous leur avons tué ou pris près de 4500 hommes
fans en perdre 100.
, le 6 Novembre .
PENDANT ENDANT que M. le Marquis de Montcalm faifoit
, avec trois bataillons & 1500 hommes de la
Colonie , le fiege de Chouagen , M. le Chevalier
de Leris , avec un corps de 3000 hommes , défendoit
la frontiere du Lac S. Sacrement. Une partie
de fes troupes étoit employée à y conſtruire le
Fort de Carillon , & l'autre occupoit en avant différens
poftes capables d'arrêter l'ennemi , s'il eût
voulu tenter l'exécution de projets annoncés dès la
campagne derniere . ; -
Le 6 Septembre , M. le Marquis de Montcalm
vint prendre le commandement du camp de Carillon
, & y amena deux des bataillons qui avoient
fait le fiege de Chouagen. Toutes les vues des ennemis
, depuis la perte de cette Place furtout ,
étoient dirigées vers cette frontiere . Ils y avoient
porté toutes leurs forces , & des préparatifs confidérables
fembloient annoncer qu'ils vouloient
nous venir attaquer avec un corps de 10 à 12000
hommes. Quoique nous n'en euffions pas plus de
4000 , nous étions prêts à les bien recevoir , &
leurs mouvemens ne nous ont jamais fait interrompre
les travaux de Carillon objet important
pour nous.
Tout s'eft enfin borné de part & d'autre à la
petite guerre. Nous y avons perdu 30 hommes environ,
prifonniers ou chevelures levées , & nos
MAR S. 1757. 207
A
Partis en ont pris ou tué près de 300. Un détachement
dans lequel j'avois été envoyé avec les
Sauvages , pour reconnoître le Fort Georges fitué
au fond du Lac S. Sacrement , a contraint les ennemis
d'abandonner des Illes qu'ils occupoient
dans ce Lac , & ayant rencontré un parti de 58
hommes à deux lieues du Fort , en a tué ou pris
57.
Les glaces ne permettent plus de tenir la campagne.
Norre arriere- garde , conduite par M. le
Chevalier de Leris , fe repliera du 10 au 15 : le
Fort de Carillon fera pour - lors en état de recevoir
& loger fa garnifon. Il eſt en vérité temps d'entrer
en quartier. J'ai fait dans mon particulier près de
soo lieues depuis mon arrivée en Canada.
Du côté de la belle riviere nous avons eu tout
l'avantage. Nos Sauvages ont fait abandonner les
habitations femées dans les vallées qui féparent les
chaînes des Apalaches , & forcé les Virginiens à ſe
retirer fur les bords de la mer . Les Anglois avoient
Jevées 1000 hommes équipés & matachés en
Sauvages , pour faire des courfes de ce côté. Cette
levée qui leur a coûté beaucoup , a aboutie à un
détachement qui eft venu mettre le feu à un Village
de Loups , & dont une partie a péri de mifere
dans les bois ; les autres ont été chaudement pourfuivis
par nos Sauvages , qui , je crois , leur ôteront
l'envie de les contrefaire .
Le corps que nous avions dans l'Acadie , s'eſt
foutenu toute la campagne , & a même pris aux
Anglois une grande quantité de beftiaux . Le Pere
Germain a raffemblé fur la Riviere & dans l'Ifle
S. Jean, environ 1500 Acadiens, que Penthoufiafme
du Miffionnaire anime . Des vaiffeaux de guerre
Anglois ont deux fois tenté une defcente à la
Baie de Gafpé : ils ont été repouffés avec perte
208 MERCURE DE FRANCE.
& nous sommes toujours maîtres de ce pofte im
portant. Les Sauvages des Pays d'en haut , excités .
par la prife de Chouagen , ont accepté la Hache
contre le Frere Coflar , & viendront nous joindre
će printemps. On dit même qu'il fe fait des mouvemens
en notre faveur dans le Confeil des cinq
Nations.
Telle a été la campagne en Amérique . Quoiqué
partout très- inférieurs en nombre aux ennemis ,
nous leur avons fermé les Pays d'en haut , en les
chaffant du Lac Ontario ; nous les avons empêché
d'exécuter leurs projets fur la frontiere du Lac S.
Sacrement , qu'ils menacent depuis trois ans , &
nous leur avons tué ou pris près de 4500 hommes
fans en perdre 100.
Fermer
Résumé : EXTRAIT d'une Lettre écrite de Montréal, le 6 Novembre.
En novembre 1757, le Marquis de Montcalm assiégeait Chouagen avec trois bataillons et 1500 hommes, tandis que le Chevalier de Leris défendait la frontière du Lac Saint-Sacrement avec 3000 hommes. Une partie de ces troupes construisait le Fort de Carillon, l'autre occupait des postes avancés. Le 6 septembre, Montcalm prit le commandement du camp de Carillon, renforcé par deux bataillons. Les ennemis, après avoir perdu Chouagen, concentraient leurs forces sur cette frontière, avec des préparatifs indiquant une attaque imminente par 10 000 à 12 000 hommes. Malgré leur infériorité numérique, les Français étaient prêts à défendre Carillon. Les affrontements se limitèrent à des escarmouches, avec environ 30 hommes français tués et près de 300 ennemis capturés ou tués. Un détachement français força les ennemis à abandonner des îles sur le Lac Saint-Sacrement et captura ou tua 57 hommes près du Fort Georges. Avec l'arrivée de l'hiver, les troupes se replièrent. Les Français et leurs alliés autochtones repoussèrent les Virginiens à la Belle Rivière et résistèrent aux attaques anglaises en Acadie. Les vaisseaux de guerre anglais tentèrent deux descentes à la Baie de Gaspé, mais furent repoussés. Les autochtones des Pays d'en haut se préparaient à rejoindre les Français au printemps. La campagne se conclut par une défense réussie des territoires français malgré leur infériorité numérique.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
30
p. *195-195
GRANDE BRETAGNE.
Début :
Des avis reçus d'Antigoa annoncent que les François se sont [...]
Mots clefs :
Londres, Français, Prise d'un fort, Afrique, Gouvernement de Gibraltar
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : GRANDE BRETAGNE.
GRANDE
BRETAGNE.
DE
LONDRES , le 19 Avril,
Des avis reçus d'Antigoa annoncent que les
François fe font emparés d'un Fort près de la riviete
de Gambie fur la côte d'Afrique. On conjecture
que c'eft l'Efcadre partie de Breſt au mois de Novembre
dernier , qui a été employée à cette expédition.
Sa Majesté a ôté au Lord Tyrawley le Gouver
nement de Gibraltar , pour le donner au Comte
de Humes.
BRETAGNE.
DE
LONDRES , le 19 Avril,
Des avis reçus d'Antigoa annoncent que les
François fe font emparés d'un Fort près de la riviete
de Gambie fur la côte d'Afrique. On conjecture
que c'eft l'Efcadre partie de Breſt au mois de Novembre
dernier , qui a été employée à cette expédition.
Sa Majesté a ôté au Lord Tyrawley le Gouver
nement de Gibraltar , pour le donner au Comte
de Humes.
Fermer
31
p. 206-207
De Barcelonne, le 20 Novembre.
Début :
Nous avons appris que le 9 de ce mois, il y eut à la hauteur [...]
Mots clefs :
Combat, Frégates, Français, Anglais, Blessés
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : De Barcelonne, le 20 Novembre.
De Barcelonne , le 20 Novembre.
Nous avons appris que le 9 de ce mois, il y eur
à la hauteur du Cap-Rofe , un combat très- vif
entre la Frégate Françoife , la Pleyade , & une
Frégate Angloife de 36 canons. Le combat dura
depuis une heure , jufqu'à fept heures du foir. La
Frégate Angloife fut contrainte de prendre la
JANVIER. 1759. 207
fuite , après avoir été défemparée de fon grand
mât de hune. La Pleyade la pourfuivit ; mais
ayant apperçu un Vailleau Anglois de haut bord ,
elle fit force de voile pour rejoindre deux Tartares
qu'elle eſcortoit . Le lendemain , elle prit un
Senaw , qui étoit à la fuite de la Frégate Angloife.
On n'y trouva que 4 hommes , 10 fufils , 4 pierriers
, & très-peu de vivres ; parce que l'Equipage
en avoit été retiré la veille , pour renforcer celui
de la Frégate. Le fieur Defepole , Lieutenant de
la Fleyade , a été bleffé légèrement à la cuiſſe.
Il n'y eut qu'un feul Matelot tué , & quelquesuns
bleflés .
Nous avons appris que le 9 de ce mois, il y eur
à la hauteur du Cap-Rofe , un combat très- vif
entre la Frégate Françoife , la Pleyade , & une
Frégate Angloife de 36 canons. Le combat dura
depuis une heure , jufqu'à fept heures du foir. La
Frégate Angloife fut contrainte de prendre la
JANVIER. 1759. 207
fuite , après avoir été défemparée de fon grand
mât de hune. La Pleyade la pourfuivit ; mais
ayant apperçu un Vailleau Anglois de haut bord ,
elle fit force de voile pour rejoindre deux Tartares
qu'elle eſcortoit . Le lendemain , elle prit un
Senaw , qui étoit à la fuite de la Frégate Angloife.
On n'y trouva que 4 hommes , 10 fufils , 4 pierriers
, & très-peu de vivres ; parce que l'Equipage
en avoit été retiré la veille , pour renforcer celui
de la Frégate. Le fieur Defepole , Lieutenant de
la Fleyade , a été bleffé légèrement à la cuiſſe.
Il n'y eut qu'un feul Matelot tué , & quelquesuns
bleflés .
Fermer
Résumé : De Barcelonne, le 20 Novembre.
Le 9 novembre, près du Cap-Rofe, la frégate française La Pleyade a affronté une frégate anglaise de 36 canons. Le combat a duré de une heure à sept heures du matin. La frégate anglaise, endommagée, a fui. La Pleyade a capturé un senau le lendemain. Le lieutenant Desepole a été légèrement blessé. Un matelot est mort et quelques autres ont été blessés.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
32
p. 199-204
DE LONDRES, le 20 Octobre.
Début :
La Cour a reçu plusieurs lettres du Canada, dont le contenu vient d'être [...]
Mots clefs :
Canada, Troupes, Général, Bataillons, Ennemis, Camp, Indiens d'Amérique, Français, Débarquement, Siège de Québec, Attaques, Blessés et morts, Grenadiers, Avantages, Commandant, Vaisseaux, Amiral, Forts, Capitaine, Courrier
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DE LONDRES, le 20 Octobre.
De
LONDRES , le 20 Octobre.
La Cour a reçu plufieurs lettres du Canada ,
dont le contenu vient d'être rendu public , Elles
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
portent en fubftance les nouvelles fuivantes :
Les troupes aux ordres du Général Wolf dé
barquerent le 2 Juin dans l'Ifle d'Orléans. Deux
jours après , le fieur Monckton , Brigadier , fut
détaché avec quatre bataillons pour déloger quel→
ques troupes ennemies , qui occupoient la pointe
de Lévi. Il fit cette entrepriſe le 30 , tandis qu'un
fecond détachement commandé par le Colonel
Carleton s'établiffoit à la pointe occidentale de
l'Ifle. On travailla aufſitôt à conſtruire des batte
ries à la pointe de Lévi . Seize cens Ennemis tra
verferent le fleuve dans l'intention de détruire
nos ouvrages ; mais ils furent repouffés & obligés
de fe retirer avec perte, La Compagnie du Capi +
taine Dancks , qui avoit éte poftée dans les bois
pour couvrir nos travailleurs , fut attaquée par
un corps d'Indiens , & entierement détruite.
Le camp du Général Wolf n'étoit féparé de celui
du Marquis de Montcalm ,que par la riviere de
Montmorenci. Nos troupes firent pluſieurs tenta
tives pour paffer cette riviere;mais elles trouverent
le bod oppofé tout-à-fait inacceffible ; & les Indiens
qui le gardoient leur tuerent une quarantaine
d'hommes. Le 31 Juillet le Général Wolf fir
embarquer à la pointe de Lévi un détachement
fur les efquifs de la flotte. Le vaiffeau le Centurion
entra dans le canal pour protéger les troupes
contre le feu des batteries de l'Ennemi . On gar
nit d'artillerie les hauteurs. Treize Compagnies
de Grenadiers aborderent avec deux cens hommes
du ſecond bataillon Américain . Ils avoient
ordre de ne commencer l'attaque que lorsqu'ils
verroient les brigades des fieurs Monckton &
Townshend à portée de les foutenir. Leur ardeur
ne leur permit pas d'attendre ce fecours.
Ils attaquerent une redoute , & furent foudrøyés
par le feu des François. Il fallut les rappeller , &.
DECEMBRE . 1759. 201
renoncer à cette attaque , où nous avons eu deux
cens hommes tués , & près de fept cens bleffés.
Quelques jours après le Général Wolf envoya
à Chambaud un détachement de douze cen's
hommes , & le magafin que les ennemis y avoient
formé fut brûlé . Ce Général , de concert avec
l'Amiral Saunders , reconnut attentivement l'état
de la place , & la pofition de l'armée Françoife
qui occupoit un camp retranché le long de la
côte de Beauport , depuis la riviere de Saint-
Charles,jufqu'au faut de Montmorency : Il jugea
qu'il étoit impoffible de réuffir dans le fiége de
Québec , à moins qu'on ne vînt à bout de tirer
l'armée Françoile de fa pofition & de l'engager
à une bataille. Après avoir pris l'avis des Officiers-
Généraux , il fut réfolu qu'une partie de la flotte
remonteroit la riviere pour attaquer les vailleaux
ennemis , & que les bateaux plats feroient employés
à débarquer les troupes à trois milles au
dellas de la ville. Cette réfolution fut exécutée le
8 Septembre.
Le débarquement fe fit le 11 une heure avant
le jour à quelque diſtance du Cap Diamant . Le
lendemain l'action s'engagea. Le front de l'ennemi
étoit couvert par des brouffail es. Les François
commencerent l'attaque & chargerent notre
droite avec beaucoup de vivacité . Cette attaque
devint funefte aux deux Généraux. Le Marquis
de Montcalm fut tué à la tête de fes bataillons.
Le Général Wolf eut le même fort ; & les Commandans
en fecond des deux troupes furent
dangereufement bleffés . On fe battit de part &
d'autre avec acharnement. Nos Grenadiers for--
dirent fur l'ennemi la bayonnette au bout du
fufil , & le firent plier de toute part. L'attaque
Fut moins vive à notre gauche. L'Ennemi tenta
plufieurs fois de prendre en flancs mais fes
Iy
202 MERCURE DE FRANCE.
mouvemens furent toujours arrêtés par l'activité
de nos troupes : enfin reſtés maîtres du champ de
bataille , nous nous emparâmes d'une pièce de
canon , & nous fimes quatorze Officiers prifonniers
de guerre.
Notre avantage avoit été confidérable , mais
il n'étoit pas décifif. Nos Généraux prirent toutes
les mesures néceffaires pour bien fortifier leur
camp. Le 17 , nous n'avions point encore de
batterie établie , & les travaux de la tranchée
étoient à peine commencés . Sur le foir , contre
notre attente , le Commandant de la Place
demanda à capituler. Les articles furent dreffés
pendant la nuit , & fignés le jour fuivant à huit
heures du matin. Nos Généraux ont accordé à
la garniſon tous les honneurs de la guerre. Les
habitans ont été maintenus dans leurs poffeffions ,
& dans la jouiffance de leurs priviléges . On s'eft
engagé à leur conferver le libre exercice de leur
religion . On s'eft déterminé à leur accorder toutes
leurs demandes , parce que la faifon étoit déjà
bien avancée , & qu'on craignoit qu'une plus
longue résistance de leur part n'expofât les
troupes & furtout la flotte à de fâcheux accidens .
La garniſon vient d'être embarquée fur plufieurs
de nos bâtimens , qui doivent la conduire
en France , où elle a demandé d'être tranfportée.
Nous avons trouvé dans la ville fix petits
canons de bronze , cent quatre-vingt-dix canons
de fer , feize mortiers, & quantité de bombes , de
boulets & de munitions. ( L'arrivée des Officiers
François les met à portée de détruire la mauvaile
impreffion que les papiers Anglois ont pu donner
fur leur conduite. )
Du 28.
L'Amiral Saunders a fait embarquer la Garni
fon Françoile de Quebec , avec tous les priſonDECEMBRE.
1759. 203
niers que nos troupes ont fait dans le Canada. Il
mande qu'il a eu avis que les François ont abandonné
tous les Forts qu'ils avoient fur l'Ohio ,
après les avoir démolis ; & qu'ils ont fait dire aux
Indiens qu'ils étoient obligés de fe rapprocher de
Montréal , mais qu'ils efpéroient de retourner
fur l'Ohio l'année prochaine .
Du 6 Novembre.
Depuis qu'on a été informé que le Capitaine
Thurot étoit parti de Dunkerque, on a été trèsattentif
à découvrir la route de fon eſcadre , & à
prendre des mefures pour faire échouer fes def
Teins que l'on ignore. Quelques bâtimens Hollandois
qui font entrés dans nos Ports ont déclaré
qu'ils avoient apperçu cette efcadre à la hauteur
de Texel , faifant voile vers le Nord. Le Chef
d'Efcadre Boys a ordre de la poursuivre. Il arriva
le 25 du mois dernier à Edimbourg , où il s'arrêta
quelques heures pour renouveller fes provifions ;
& il en partit enfuite pour aller à la recherche de
cet ennemi. On a détaché plufieurs corvettes qui
ont ordre de croifer le long des Côtes orientales
d'Angleterre & d'Ecoffe. Le Chevalier Brett doit
fe porter inceffamment fur la Côte d'Irlande ,
pour veiller à la fureté de ce Royaume.
L'Amiral Broderick continue de croifer à la
hauteur de Cadix , pour empêcher la fortie des
vaiffeaux qui faifoient partie de l'efcadre du fieur
de la Clue , & qui ont relâché dans ce Port. Le
Chef d'Elcadre Duff eft avec dix vailleaux devant
la baye de Quiberon en Bretagne.
L'Amiral Hawke eft devant Breft avec vingtun
vaiffeaux de ligne. Il a informé la Cour que
le Maréchal de Conflans avoit reçu des ordres
pofitifs de mettre à la voile, & qu'on doit s'at
tendre qu'il les exécutera inceffamment . L'efca
dre de l'Amiral Hawke a été affoiblie par l'e
I vj
204 MERCURE DE FRANCE..
détachementqu'il a eu ordre de faire de quelques
vaiffeaux de guerre qui font partis pour aller
croifer à la hauteur du Cap de Finiftere. L'objet
de ce détachement eft d'arrêter l'efcadre du fieur
de Bompart , qui eft en route pour revenir fur
les Côtes de France.
150
Le 31 , on dépêcha un Courier au Roi de Pruffe.
On le dit chargé de porter à ce Prince le renouvellement
du Traité de Subfide entre les Cours
de Londres & de Berlin. Le fubfi te accordé à Sa
Majefté Pruffienne pour l'année prochaine , eft
d'un million de livres fterling. On affure que le
Traité avec le Landgrave de Helle- Caffel fera renouvellé
incellamment , & que ce Prince fournira
un nouveau corps de fix mille hommes à la
folde de l'Angleterre .
Un Courier arriva de Petersbourg ce même
jour. On n'a rien publié jufqu'à prélent du contenu
de les dépêches . Mais on fçait que le fieur
Keith , Miniftre du Roi à la Cour de Ruffie , a été
trompé dans l'efpérance qu'il avoit conçue d'engager
cette Couronne à retirer les troupes.
LONDRES , le 20 Octobre.
La Cour a reçu plufieurs lettres du Canada ,
dont le contenu vient d'être rendu public , Elles
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
portent en fubftance les nouvelles fuivantes :
Les troupes aux ordres du Général Wolf dé
barquerent le 2 Juin dans l'Ifle d'Orléans. Deux
jours après , le fieur Monckton , Brigadier , fut
détaché avec quatre bataillons pour déloger quel→
ques troupes ennemies , qui occupoient la pointe
de Lévi. Il fit cette entrepriſe le 30 , tandis qu'un
fecond détachement commandé par le Colonel
Carleton s'établiffoit à la pointe occidentale de
l'Ifle. On travailla aufſitôt à conſtruire des batte
ries à la pointe de Lévi . Seize cens Ennemis tra
verferent le fleuve dans l'intention de détruire
nos ouvrages ; mais ils furent repouffés & obligés
de fe retirer avec perte, La Compagnie du Capi +
taine Dancks , qui avoit éte poftée dans les bois
pour couvrir nos travailleurs , fut attaquée par
un corps d'Indiens , & entierement détruite.
Le camp du Général Wolf n'étoit féparé de celui
du Marquis de Montcalm ,que par la riviere de
Montmorenci. Nos troupes firent pluſieurs tenta
tives pour paffer cette riviere;mais elles trouverent
le bod oppofé tout-à-fait inacceffible ; & les Indiens
qui le gardoient leur tuerent une quarantaine
d'hommes. Le 31 Juillet le Général Wolf fir
embarquer à la pointe de Lévi un détachement
fur les efquifs de la flotte. Le vaiffeau le Centurion
entra dans le canal pour protéger les troupes
contre le feu des batteries de l'Ennemi . On gar
nit d'artillerie les hauteurs. Treize Compagnies
de Grenadiers aborderent avec deux cens hommes
du ſecond bataillon Américain . Ils avoient
ordre de ne commencer l'attaque que lorsqu'ils
verroient les brigades des fieurs Monckton &
Townshend à portée de les foutenir. Leur ardeur
ne leur permit pas d'attendre ce fecours.
Ils attaquerent une redoute , & furent foudrøyés
par le feu des François. Il fallut les rappeller , &.
DECEMBRE . 1759. 201
renoncer à cette attaque , où nous avons eu deux
cens hommes tués , & près de fept cens bleffés.
Quelques jours après le Général Wolf envoya
à Chambaud un détachement de douze cen's
hommes , & le magafin que les ennemis y avoient
formé fut brûlé . Ce Général , de concert avec
l'Amiral Saunders , reconnut attentivement l'état
de la place , & la pofition de l'armée Françoife
qui occupoit un camp retranché le long de la
côte de Beauport , depuis la riviere de Saint-
Charles,jufqu'au faut de Montmorency : Il jugea
qu'il étoit impoffible de réuffir dans le fiége de
Québec , à moins qu'on ne vînt à bout de tirer
l'armée Françoile de fa pofition & de l'engager
à une bataille. Après avoir pris l'avis des Officiers-
Généraux , il fut réfolu qu'une partie de la flotte
remonteroit la riviere pour attaquer les vailleaux
ennemis , & que les bateaux plats feroient employés
à débarquer les troupes à trois milles au
dellas de la ville. Cette réfolution fut exécutée le
8 Septembre.
Le débarquement fe fit le 11 une heure avant
le jour à quelque diſtance du Cap Diamant . Le
lendemain l'action s'engagea. Le front de l'ennemi
étoit couvert par des brouffail es. Les François
commencerent l'attaque & chargerent notre
droite avec beaucoup de vivacité . Cette attaque
devint funefte aux deux Généraux. Le Marquis
de Montcalm fut tué à la tête de fes bataillons.
Le Général Wolf eut le même fort ; & les Commandans
en fecond des deux troupes furent
dangereufement bleffés . On fe battit de part &
d'autre avec acharnement. Nos Grenadiers for--
dirent fur l'ennemi la bayonnette au bout du
fufil , & le firent plier de toute part. L'attaque
Fut moins vive à notre gauche. L'Ennemi tenta
plufieurs fois de prendre en flancs mais fes
Iy
202 MERCURE DE FRANCE.
mouvemens furent toujours arrêtés par l'activité
de nos troupes : enfin reſtés maîtres du champ de
bataille , nous nous emparâmes d'une pièce de
canon , & nous fimes quatorze Officiers prifonniers
de guerre.
Notre avantage avoit été confidérable , mais
il n'étoit pas décifif. Nos Généraux prirent toutes
les mesures néceffaires pour bien fortifier leur
camp. Le 17 , nous n'avions point encore de
batterie établie , & les travaux de la tranchée
étoient à peine commencés . Sur le foir , contre
notre attente , le Commandant de la Place
demanda à capituler. Les articles furent dreffés
pendant la nuit , & fignés le jour fuivant à huit
heures du matin. Nos Généraux ont accordé à
la garniſon tous les honneurs de la guerre. Les
habitans ont été maintenus dans leurs poffeffions ,
& dans la jouiffance de leurs priviléges . On s'eft
engagé à leur conferver le libre exercice de leur
religion . On s'eft déterminé à leur accorder toutes
leurs demandes , parce que la faifon étoit déjà
bien avancée , & qu'on craignoit qu'une plus
longue résistance de leur part n'expofât les
troupes & furtout la flotte à de fâcheux accidens .
La garniſon vient d'être embarquée fur plufieurs
de nos bâtimens , qui doivent la conduire
en France , où elle a demandé d'être tranfportée.
Nous avons trouvé dans la ville fix petits
canons de bronze , cent quatre-vingt-dix canons
de fer , feize mortiers, & quantité de bombes , de
boulets & de munitions. ( L'arrivée des Officiers
François les met à portée de détruire la mauvaile
impreffion que les papiers Anglois ont pu donner
fur leur conduite. )
Du 28.
L'Amiral Saunders a fait embarquer la Garni
fon Françoile de Quebec , avec tous les priſonDECEMBRE.
1759. 203
niers que nos troupes ont fait dans le Canada. Il
mande qu'il a eu avis que les François ont abandonné
tous les Forts qu'ils avoient fur l'Ohio ,
après les avoir démolis ; & qu'ils ont fait dire aux
Indiens qu'ils étoient obligés de fe rapprocher de
Montréal , mais qu'ils efpéroient de retourner
fur l'Ohio l'année prochaine .
Du 6 Novembre.
Depuis qu'on a été informé que le Capitaine
Thurot étoit parti de Dunkerque, on a été trèsattentif
à découvrir la route de fon eſcadre , & à
prendre des mefures pour faire échouer fes def
Teins que l'on ignore. Quelques bâtimens Hollandois
qui font entrés dans nos Ports ont déclaré
qu'ils avoient apperçu cette efcadre à la hauteur
de Texel , faifant voile vers le Nord. Le Chef
d'Efcadre Boys a ordre de la poursuivre. Il arriva
le 25 du mois dernier à Edimbourg , où il s'arrêta
quelques heures pour renouveller fes provifions ;
& il en partit enfuite pour aller à la recherche de
cet ennemi. On a détaché plufieurs corvettes qui
ont ordre de croifer le long des Côtes orientales
d'Angleterre & d'Ecoffe. Le Chevalier Brett doit
fe porter inceffamment fur la Côte d'Irlande ,
pour veiller à la fureté de ce Royaume.
L'Amiral Broderick continue de croifer à la
hauteur de Cadix , pour empêcher la fortie des
vaiffeaux qui faifoient partie de l'efcadre du fieur
de la Clue , & qui ont relâché dans ce Port. Le
Chef d'Elcadre Duff eft avec dix vailleaux devant
la baye de Quiberon en Bretagne.
L'Amiral Hawke eft devant Breft avec vingtun
vaiffeaux de ligne. Il a informé la Cour que
le Maréchal de Conflans avoit reçu des ordres
pofitifs de mettre à la voile, & qu'on doit s'at
tendre qu'il les exécutera inceffamment . L'efca
dre de l'Amiral Hawke a été affoiblie par l'e
I vj
204 MERCURE DE FRANCE..
détachementqu'il a eu ordre de faire de quelques
vaiffeaux de guerre qui font partis pour aller
croifer à la hauteur du Cap de Finiftere. L'objet
de ce détachement eft d'arrêter l'efcadre du fieur
de Bompart , qui eft en route pour revenir fur
les Côtes de France.
150
Le 31 , on dépêcha un Courier au Roi de Pruffe.
On le dit chargé de porter à ce Prince le renouvellement
du Traité de Subfide entre les Cours
de Londres & de Berlin. Le fubfi te accordé à Sa
Majefté Pruffienne pour l'année prochaine , eft
d'un million de livres fterling. On affure que le
Traité avec le Landgrave de Helle- Caffel fera renouvellé
incellamment , & que ce Prince fournira
un nouveau corps de fix mille hommes à la
folde de l'Angleterre .
Un Courier arriva de Petersbourg ce même
jour. On n'a rien publié jufqu'à prélent du contenu
de les dépêches . Mais on fçait que le fieur
Keith , Miniftre du Roi à la Cour de Ruffie , a été
trompé dans l'efpérance qu'il avoit conçue d'engager
cette Couronne à retirer les troupes.
Fermer
Résumé : DE LONDRES, le 20 Octobre.
En 1759, des événements militaires significatifs se sont déroulés au Canada. Le 2 juin, les troupes du Général Wolfe ont débarqué sur l'île d'Orléans. Le Brigadier Monckton a été chargé de déloger des troupes ennemies à la pointe de Lévi, tandis que le Colonel Carleton établissait une position à l'ouest de l'île. Les Britanniques ont construit des batteries à la pointe de Lévi, repoussant une attaque ennemie de 160 hommes. Cependant, une compagnie britannique a été détruite par des Indiens. Le 31 juillet, Wolfe a tenté une attaque sur les lignes françaises mais a subi de lourdes pertes. Quelques jours plus tard, un détachement britannique a brûlé un magasin ennemi à Chambaud. Wolfe et l'Amiral Saunders ont décidé d'attaquer Québec en remontant la rivière et en débarquant les troupes à trois milles de la ville. Le 11 septembre, les troupes ont débarqué près du Cap Diamant et ont engagé le combat le lendemain. Les généraux Wolfe et Montcalm ont été tués. Les Britanniques ont pris le contrôle du champ de bataille, capturant des prisonniers et des canons. Le commandant français a demandé à capituler le 17 septembre. Les Britanniques ont accordé à la garnison les honneurs de la guerre et ont embarqué les prisonniers pour la France. Par ailleurs, l'Amiral Saunders a reçu des informations sur l'abandon des forts français sur l'Ohio. En Europe, des mesures ont été prises pour contrer les mouvements de l'escadre française du Capitaine Thurot. Divers amiraux britanniques surveillaient les côtes pour empêcher les sorties de vaisseaux français. Un traité de subside entre l'Angleterre et la Prusse a été renouvelé, et un courier a été envoyé à Petersbourg sans que le contenu des dépêches soit divulgué.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
33
p. 195-197
DE LONDRES, le 11 Novembre.
Début :
L'expédition tentée contre Sutatte a eu le succès qu'on desiroit. [...]
Mots clefs :
Flotte anglaise, Bombay, Débarquement, Troupes, Attaque, Désertion, Parlement, Discours, Succès des armes, Sa Majesté anglaise, Caroline, Sauvages, Colonies, Attaques, Forts, Capitaine, New York, Français, Expéditions, Officiers, Québec
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DE LONDRES, le 11 Novembre.
DE LONDRES , le 11 Novembre.
L'expédition tentée contre Suratte a eu le fuccès
qu'on defiroit. La flotte partit de Bombai à la fin
de Février. Les troupes de débarquement étoient
comparées de huit cens Européens & de trois
mille Cipayes. On arriva heureuſement ſur la
côte; mais quand il fut queftion d'entrer dans la
riviere , on ne pût faire aucun ulage des gros
vaiffeaux . On eut beaucoup de peine à faire avancer
jufqu'à la ville un bâtiment de vingt pièces
de canon , & quatre galiotes à bombes. Les troupes
débarquèrent ; elles attaquèrent la place , &
furent repouffées deux fois avec beaucoup de
perte. La défertion , qui devint confidérable , en
diminua encore le nombre. On tenta un dernier
effort. Le bâtiment & les galiotes eurent ordre
de rompre la chaîne qui fermoir l'entrée du port.
Dès que la chaîne fut rompue , on reprit l'attaque
de la place , & dans l'efpace de quatre heures
ony jetta quarante - deux bombes & cinq cens
boulets. La garnifon répondit à ce feu violent par
celui de quatre batteries, qui tuèrent ou bleſsèrent
près de la moitié des équipages de nos bâtimens.
Le 2 Mars le Château capitula , & nos troupes
entrèrent dans la place .
Du 16.
Le 13 de ce mois , le Parlement fut aſſemblé.
Les féances commencèrent dans les deux Cham-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
bres par la lecture d'un Difcours qui leur fut
adreffé de la part du Roi. Ce Difcours rappelle
les principaux fuccès qui ont couronné les armes
de Sa Majesté. Le Roi déclare que comme il n'a
point commencé la guerre par des vues d'ambi
tion , il eft fort éloigné de la continuer par un
motif de reffentiment ; qu'il defire fincèrement de
voir la paix rétablie , & qu'il écoutera volontiers
les propofitions qui pourront lui être faites , pourvu
qu'elles foient honorables pour Sa Majesté &
pour les Alliés.
Du 30.
Nous venons de recevoir les nouvelles fuivantes
de Charleſtown dans la Caroline . Les François
ont mis en mouvement la Nation Indienne
des Chorokées . Ces Sauvages au nombre de trois
mille hommes ont pénétré dans quelques - unes
de nos Colonies. Ils ont paru dans le voisinage
du Fort Laudon , & ont enlevé la chevelure à
quelques foldats de la garnison de ce Fort. Les
habitans de ces contrées ont pris l'épouvante à
leur approche , & ont cherché un afyle dans le
Fort Prince-George. Ils ont rencontré dans les
bois plufieurs partis de ces Sauvages , dont ils
n'ont évité la fureur qu'en abandonnant la plus
grande partie de leurs effets . Plufieurs des Indiens
qui avoient marqué le plus de zèle pour
nos intérêts , font juftement foupçonnés de fomenter
la guerre. Plufieurs établiflemens de
grande valeur ont été abandonnés . Les Fermiers
& les Cultivateurs ont pris la fuite , pour ne
pas demeurer expofés à la cruauté des Sauvages.
Le Capitaine , Stuart marche avec un Corps
de troupes vers le pays des Cherokées . On efpere
beaucoup de l'habileté & de la bravoure de
cet Officier. Les Compagnies Provinciales & fes
Milices ont ordre de fe tenir prêtes à marcher.
JANVIER. 1966 . 197
Ön mande de la nouvelle York les détails
fuivans. Les troupes aux ordres du Général Amherft
ont été occupées jufqu'au 10 Octobre à
fortifier la pointe de la Couronne . On a entrepris
d'y conftruire trois Forts fur les hauteurs
qui commandent cette Place. Dès les premiers
jours d'Octobre , le Général Amherst fit fes dif
pofitions pour traverfer le Lac Champlin. Toutes
les difpofitions étant faites pour l'embarquement,
les troupes au nombre de quatre mille cinq cens
hommes , fe rendirent à bord des bateaux . Le
11 Novembre la flotte mit à la voile , & quelques
jours après elle mouilla à la hauteur du
Fort Saint Jean. Trois bâtimens François étoient
fur cette côte. Le Général Amherſt les fit attaquer.
Deux furent coulés à fond , & le troifiéme
échoua . Les vents contraires empêcherent ce Général
de poursuivre fon expédition ; & le 21 , il
fut obligé de revenir à la pointe de la Couronne .
Un corps de dix mille hommes de troupes fran
çoifes occupe différens poftes , & ne laifle aucune
fureté entre Québec & la pointe de la Couronne.
Le Général Amherſt a beaucoup à craindre
d'un Corps i nombreux. Les Officiers qui le
commandoient , annoncent faas diffimulation ,
qu'auffitôt que la glace fera affez forte pour porter
leur artillerie , ils paroîtront fur les murs de
Québec.
L'expédition tentée contre Suratte a eu le fuccès
qu'on defiroit. La flotte partit de Bombai à la fin
de Février. Les troupes de débarquement étoient
comparées de huit cens Européens & de trois
mille Cipayes. On arriva heureuſement ſur la
côte; mais quand il fut queftion d'entrer dans la
riviere , on ne pût faire aucun ulage des gros
vaiffeaux . On eut beaucoup de peine à faire avancer
jufqu'à la ville un bâtiment de vingt pièces
de canon , & quatre galiotes à bombes. Les troupes
débarquèrent ; elles attaquèrent la place , &
furent repouffées deux fois avec beaucoup de
perte. La défertion , qui devint confidérable , en
diminua encore le nombre. On tenta un dernier
effort. Le bâtiment & les galiotes eurent ordre
de rompre la chaîne qui fermoir l'entrée du port.
Dès que la chaîne fut rompue , on reprit l'attaque
de la place , & dans l'efpace de quatre heures
ony jetta quarante - deux bombes & cinq cens
boulets. La garnifon répondit à ce feu violent par
celui de quatre batteries, qui tuèrent ou bleſsèrent
près de la moitié des équipages de nos bâtimens.
Le 2 Mars le Château capitula , & nos troupes
entrèrent dans la place .
Du 16.
Le 13 de ce mois , le Parlement fut aſſemblé.
Les féances commencèrent dans les deux Cham-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
bres par la lecture d'un Difcours qui leur fut
adreffé de la part du Roi. Ce Difcours rappelle
les principaux fuccès qui ont couronné les armes
de Sa Majesté. Le Roi déclare que comme il n'a
point commencé la guerre par des vues d'ambi
tion , il eft fort éloigné de la continuer par un
motif de reffentiment ; qu'il defire fincèrement de
voir la paix rétablie , & qu'il écoutera volontiers
les propofitions qui pourront lui être faites , pourvu
qu'elles foient honorables pour Sa Majesté &
pour les Alliés.
Du 30.
Nous venons de recevoir les nouvelles fuivantes
de Charleſtown dans la Caroline . Les François
ont mis en mouvement la Nation Indienne
des Chorokées . Ces Sauvages au nombre de trois
mille hommes ont pénétré dans quelques - unes
de nos Colonies. Ils ont paru dans le voisinage
du Fort Laudon , & ont enlevé la chevelure à
quelques foldats de la garnison de ce Fort. Les
habitans de ces contrées ont pris l'épouvante à
leur approche , & ont cherché un afyle dans le
Fort Prince-George. Ils ont rencontré dans les
bois plufieurs partis de ces Sauvages , dont ils
n'ont évité la fureur qu'en abandonnant la plus
grande partie de leurs effets . Plufieurs des Indiens
qui avoient marqué le plus de zèle pour
nos intérêts , font juftement foupçonnés de fomenter
la guerre. Plufieurs établiflemens de
grande valeur ont été abandonnés . Les Fermiers
& les Cultivateurs ont pris la fuite , pour ne
pas demeurer expofés à la cruauté des Sauvages.
Le Capitaine , Stuart marche avec un Corps
de troupes vers le pays des Cherokées . On efpere
beaucoup de l'habileté & de la bravoure de
cet Officier. Les Compagnies Provinciales & fes
Milices ont ordre de fe tenir prêtes à marcher.
JANVIER. 1966 . 197
Ön mande de la nouvelle York les détails
fuivans. Les troupes aux ordres du Général Amherft
ont été occupées jufqu'au 10 Octobre à
fortifier la pointe de la Couronne . On a entrepris
d'y conftruire trois Forts fur les hauteurs
qui commandent cette Place. Dès les premiers
jours d'Octobre , le Général Amherst fit fes dif
pofitions pour traverfer le Lac Champlin. Toutes
les difpofitions étant faites pour l'embarquement,
les troupes au nombre de quatre mille cinq cens
hommes , fe rendirent à bord des bateaux . Le
11 Novembre la flotte mit à la voile , & quelques
jours après elle mouilla à la hauteur du
Fort Saint Jean. Trois bâtimens François étoient
fur cette côte. Le Général Amherſt les fit attaquer.
Deux furent coulés à fond , & le troifiéme
échoua . Les vents contraires empêcherent ce Général
de poursuivre fon expédition ; & le 21 , il
fut obligé de revenir à la pointe de la Couronne .
Un corps de dix mille hommes de troupes fran
çoifes occupe différens poftes , & ne laifle aucune
fureté entre Québec & la pointe de la Couronne.
Le Général Amherſt a beaucoup à craindre
d'un Corps i nombreux. Les Officiers qui le
commandoient , annoncent faas diffimulation ,
qu'auffitôt que la glace fera affez forte pour porter
leur artillerie , ils paroîtront fur les murs de
Québec.
Fermer
Résumé : DE LONDRES, le 11 Novembre.
Le 11 novembre, une expédition contre Suratte a réussi. La flotte, partie de Bombay fin février, comprenait huit cents Européens et trois mille Cipayes. Après un débarquement réussi, les troupes ont rencontré des difficultés avec les gros vaisseaux pour avancer vers la ville. Un bâtiment de vingt pièces de canon et quatre galiotes à bombes ont été utilisés pour rompre la chaîne fermant l'entrée du port. Après un assaut intense de quatre heures, la garnison a capitulé le 2 mars, permettant aux troupes d'entrer dans la place. Le 16 novembre, le Parlement a été assemblé et les féances ont commencé par la lecture d'un discours du roi. Ce discours rappelait les succès militaires et exprimait le désir du roi de rétablir la paix de manière honorable. Le 30 novembre, des nouvelles de Charlestown en Caroline ont rapporté que les Français avaient incité la nation indienne des Cherokées à attaquer les colonies. Trois mille Sauvages ont pénétré dans les colonies, semant la peur parmi les habitants. Le Capitaine Stuart a été envoyé avec des troupes pour contrer cette menace. À New York, les troupes du Général Amherst ont fortifié la pointe de la Couronne et ont tenté de traverser le Lac Champlain. Cependant, des vents contraires ont obligé le Général à revenir. Un corps de dix mille troupes françaises occupe divers postes entre Québec et la pointe de la Couronne, posant une menace significative.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
34
p. 197-198
De LONDRES, le 24 Juin.
Début :
Quoique les forces navales de l'Angleterr n'ayant jamais été si formidables [...]
Mots clefs :
Forces navales, Angleterre, Vaisseaux, Pertes, Caroline, Guerre, Amérique, Colons, Négociants, Québec, Défaite, Français, Marche
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : De LONDRES, le 24 Juin.
De LONDRES , le 24 Juin.
Quoique les forces navales de l'Angleterr
n'ayent jamais été fi formidables qu'à préfent , le
commerce de la nation ne laiffe pas de fouffrir
beaucoup des prifes que les Armateurs François
font continuellement. On compte deux cens de
nos Vailleaux pris depuis le commencement de
Mars ; fçavoir , trente deux au mois de Mars ,
quarante-fept dans le cours d'Avril , quatre- vingt
en Mai & quarante- un depuis le commencement
de ce mois . On obferve, avec chagrin, cet accroiffement
journalier de nos pertes . Toutes ces prifes
font évaluées à quatre cens cinquante mille livres
fterlings.
On s'apprête dans la Caroline à pouffer vigoureulement
la guerre contre les Chiroquois Nous
avons remporté fur cux quelques avantages , mais
peu décififs . Les Colons qui habitent leurs frontierés
font toujours dans la derniere confternation ,
& ils abandonnent le pays de crainte d'être les
victimes de leur cruauté.
Les Négocians qui ont fait des envois pour
Québec , font dans de grandes allarmes depuis
lés fâcheufes nouvelles que l'on a reçues de la
défaite des troupes du Brigadier général Murray .
On dit que les François , profitant de leur avan
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
tage , ont continué leur marche vers cette Capitale
du Canada , & que nos troupes l'ont abandonnées
Quoique les forces navales de l'Angleterr
n'ayent jamais été fi formidables qu'à préfent , le
commerce de la nation ne laiffe pas de fouffrir
beaucoup des prifes que les Armateurs François
font continuellement. On compte deux cens de
nos Vailleaux pris depuis le commencement de
Mars ; fçavoir , trente deux au mois de Mars ,
quarante-fept dans le cours d'Avril , quatre- vingt
en Mai & quarante- un depuis le commencement
de ce mois . On obferve, avec chagrin, cet accroiffement
journalier de nos pertes . Toutes ces prifes
font évaluées à quatre cens cinquante mille livres
fterlings.
On s'apprête dans la Caroline à pouffer vigoureulement
la guerre contre les Chiroquois Nous
avons remporté fur cux quelques avantages , mais
peu décififs . Les Colons qui habitent leurs frontierés
font toujours dans la derniere confternation ,
& ils abandonnent le pays de crainte d'être les
victimes de leur cruauté.
Les Négocians qui ont fait des envois pour
Québec , font dans de grandes allarmes depuis
lés fâcheufes nouvelles que l'on a reçues de la
défaite des troupes du Brigadier général Murray .
On dit que les François , profitant de leur avan
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
tage , ont continué leur marche vers cette Capitale
du Canada , & que nos troupes l'ont abandonnées
Fermer
Résumé : De LONDRES, le 24 Juin.
Le 24 juin à Londres, malgré la supériorité navale britannique, le commerce national subit des pertes significatives dues aux captures de navires par les armateurs français. Depuis mars, 200 vaisseaux ont été capturés : 32 en mars, 47 en avril, 80 en mai et 41 en juin. Ces pertes, évaluées à 450 000 livres sterling, augmentent quotidiennement, provoquant une grande inquiétude. En Caroline, les préparatifs pour la guerre contre les Chiroquois sont en cours. Quelques avantages ont été obtenus, mais ils ne sont pas décisifs. Les colons frontaliers vivent dans la consternation et abandonnent leurs terres par crainte des attaques. Les négociants envoyant des marchandises à Québec sont alarmés par la défaite des troupes du brigadier général Murray. Les Français, profitant de leur avantage, avancent vers Québec, contraignant les troupes britanniques à se retirer.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
35
p. 202-203
Extrait de la Gazette Extraordinaire de la Cour de Londres, du 17 Juin.
Début :
Un Officier arrivé aujourd'hui d'Hallifax, Ville de la nouvelle Ecosse, [...]
Mots clefs :
Écosse, Brigadier, Québec, Français, Attaque, Forces armées, Combat, Vaisseaux, Ministère anglais, Général Laudon, Officiers, Prisonniers, Artillerie, Ennemis, Défense
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Extrait de la Gazette Extraordinaire de la Cour de Londres, du 17 Juin.
Extrait de la Gazette Extraordinaire de la Cour
de Londres , du 17 Juin.
»Un Officier arrivé aujourd'hui d'Hallifax ,
" Ville de la nouvelle Ecofle , en a apporté la
nouvelle que , le 28 du mois d'Avril dernier ,
» le Brigadier Général Murray , avec trois mille
>>hommes de la garnifon de Québec , avoit at-
» taqué près de cette Place l'Armée des Fran-
» çois , que l'on fuppofoit être compoſée de tou-
>> tes les forces qu'ils ont en Canada , & qui étoit
>> en marche pour venir elle - même attaquer
>> cette Ville ; qu'après un combat fort vif &
>> une perte confidérable de ſes troupes , il avoit
» été obligé , par la fupériorité des Ennemis , de
» fe retirer derrière Québec , & d'abandonner
» même aux Troupes Françoifes plufieurs piéces
>> de canon qu'il n'avoit pû emmener. Le Briga-
>> dier Murrai ajoute , qu'il faifoit toutes les dif-
>> pofitions nécellaires pour faire dans cette Place
» la plus vigoureuſe défenſe juſqu'à l'arrivée des
» vailleaux de Sa Majefté Britannique , partisd'Hallifax
fous les ordres du Lord Colville ,
>> pour ſe rendre dans la riviere de S. Laurent.
JUILLET. 1760. 203
Les Lettres particulieres de Londres , d'après
les notions données par le Ministère Britannique
, difent que l'armée du Général Murrai
perdu onze cens hommes tant tués que priſonniers
, tout ſon canon & fon bagage ; & que l'on
croit que la Ville de Québec s'eft rendue au
vainqueur , fon ancien Maître. Depuis cette nouvelle
, les papiers publics ont baiffé confidérablement
en Angleterre.
Nous avons appris le 30 du mois dernier , la
nouvelle que le Général de Laudon avoit attaqué
près de Landshut un Corps de Troupes Pruffiennes
commandé par le Général Fouquet . Ce
Corps qui , de l'aveu de plufieurs Officiers Pruffiens
, étoit de quinze mille hommes , a été totalement
détruit ; & tout ce qui n'a pas été tué ,
a été fait prifonnier. On ne compte pas qu'il fe
foit échappé deux à trois cens hommes. Le Général
Fouquet a été bleffé & fait prifonnier avec
quatre autres Généraux . Toute l'artillerie , dont
on ne fait pas encore la quantité , & tous les bagages
, ont été pris. L'attaque a commencé le 22 ,
à une heure après minuit , & a fini à 8 heures du
matin. L'ennemi s'eft défendu avec beaucoup d'opiniâtreté
, d'une montagne à l'autre , & il a été
fuivi partout avec la plus grande ardeur de la
part des troupes Autrichiennes , qui ont fait des
merveilles. Deux ou trois petits Corps ont pris
l'ennemi par les derrières ; ils ont décidé fa perte,
par la frayeur que ces attaques inattendues lui
ont caufée .
de Londres , du 17 Juin.
»Un Officier arrivé aujourd'hui d'Hallifax ,
" Ville de la nouvelle Ecofle , en a apporté la
nouvelle que , le 28 du mois d'Avril dernier ,
» le Brigadier Général Murray , avec trois mille
>>hommes de la garnifon de Québec , avoit at-
» taqué près de cette Place l'Armée des Fran-
» çois , que l'on fuppofoit être compoſée de tou-
>> tes les forces qu'ils ont en Canada , & qui étoit
>> en marche pour venir elle - même attaquer
>> cette Ville ; qu'après un combat fort vif &
>> une perte confidérable de ſes troupes , il avoit
» été obligé , par la fupériorité des Ennemis , de
» fe retirer derrière Québec , & d'abandonner
» même aux Troupes Françoifes plufieurs piéces
>> de canon qu'il n'avoit pû emmener. Le Briga-
>> dier Murrai ajoute , qu'il faifoit toutes les dif-
>> pofitions nécellaires pour faire dans cette Place
» la plus vigoureuſe défenſe juſqu'à l'arrivée des
» vailleaux de Sa Majefté Britannique , partisd'Hallifax
fous les ordres du Lord Colville ,
>> pour ſe rendre dans la riviere de S. Laurent.
JUILLET. 1760. 203
Les Lettres particulieres de Londres , d'après
les notions données par le Ministère Britannique
, difent que l'armée du Général Murrai
perdu onze cens hommes tant tués que priſonniers
, tout ſon canon & fon bagage ; & que l'on
croit que la Ville de Québec s'eft rendue au
vainqueur , fon ancien Maître. Depuis cette nouvelle
, les papiers publics ont baiffé confidérablement
en Angleterre.
Nous avons appris le 30 du mois dernier , la
nouvelle que le Général de Laudon avoit attaqué
près de Landshut un Corps de Troupes Pruffiennes
commandé par le Général Fouquet . Ce
Corps qui , de l'aveu de plufieurs Officiers Pruffiens
, étoit de quinze mille hommes , a été totalement
détruit ; & tout ce qui n'a pas été tué ,
a été fait prifonnier. On ne compte pas qu'il fe
foit échappé deux à trois cens hommes. Le Général
Fouquet a été bleffé & fait prifonnier avec
quatre autres Généraux . Toute l'artillerie , dont
on ne fait pas encore la quantité , & tous les bagages
, ont été pris. L'attaque a commencé le 22 ,
à une heure après minuit , & a fini à 8 heures du
matin. L'ennemi s'eft défendu avec beaucoup d'opiniâtreté
, d'une montagne à l'autre , & il a été
fuivi partout avec la plus grande ardeur de la
part des troupes Autrichiennes , qui ont fait des
merveilles. Deux ou trois petits Corps ont pris
l'ennemi par les derrières ; ils ont décidé fa perte,
par la frayeur que ces attaques inattendues lui
ont caufée .
Fermer
Résumé : Extrait de la Gazette Extraordinaire de la Cour de Londres, du 17 Juin.
La Gazette Extraordinaire de la Cour de Londres du 17 juin 1760 rapporte qu'un officier arrivé d'Hallifax a annoncé qu'au 28 avril précédent, le Brigadier Général Murray, à la tête de trois mille hommes de la garnison de Québec, a affronté l'armée française près de Québec. Cette armée française, supposée rassembler toutes les forces du Canada, se dirigeait vers Québec pour l'attaquer. Après un combat intense et des pertes significatives, Murray a dû se retirer derrière les murs de Québec, abandonnant plusieurs pièces de canon. Murray a déclaré qu'il préparait une défense vigoureuse jusqu'à l'arrivée des vaisseaux britanniques commandés par le Lord Colville. Des lettres de Londres indiquent que l'armée de Murray a perdu onze cents hommes, tués ou prisonniers, ainsi que tout son canon et son bagage. Il est également rapporté que la ville de Québec s'est rendue aux forces victorieuses, entraînant une baisse notable des valeurs des papiers publics en Angleterre. Par ailleurs, le 30 du mois précédent, le Général de Laudon a attaqué près de Landshut un corps de troupes prussiennes commandé par le Général Fouquet. Ce corps, composé de quinze mille hommes, a été totalement détruit, avec seulement deux à trois cents hommes ayant pu s'échapper. Fouquet et quatre autres généraux ont été blessés et faits prisonniers. Toute l'artillerie et les bagages ont été capturés. L'attaque, commencée à une heure après minuit, s'est terminée à huit heures du matin. Les troupes autrichiennes ont montré une grande ardeur et ont pris l'ennemi par surprise, contribuant à sa défaite.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
36
p. *192-192
De Londres, le 10 Octobre.
Début :
On apporta, le 5 de ce mois, au Roi la nouvelle que la Ville [...]
Mots clefs :
Montréal, Capitulation, Ministère, Gazette extraordinaire, Français, Religion
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : De Londres, le 10 Octobre.
De Londres , le 10 Octobre.
On apporta , le S de ce mois , au Roi la nouvelle
que la Ville de Montréal avoit capitulé le 8
du mois dernier. Le Miniftere a fait imprimer
une
Cazette extraordinaire
, pour faire part au Public
de cet événement. Par la Capitulation , les troupes
Françoifes
qui défendoient
le Canada doivent
être traníportées en France aux frais de Sa Majeté
, & ne ferviront point pendant cette guerre,
Les habitans du Pays font maintenus
dans leurs
priviléges & dans le libre exercice de leur Religion.
On apporta , le S de ce mois , au Roi la nouvelle
que la Ville de Montréal avoit capitulé le 8
du mois dernier. Le Miniftere a fait imprimer
une
Cazette extraordinaire
, pour faire part au Public
de cet événement. Par la Capitulation , les troupes
Françoifes
qui défendoient
le Canada doivent
être traníportées en France aux frais de Sa Majeté
, & ne ferviront point pendant cette guerre,
Les habitans du Pays font maintenus
dans leurs
priviléges & dans le libre exercice de leur Religion.
Fermer
Résumé : De Londres, le 10 Octobre.
Le 10 octobre, Londres annonce la capitulation de Montréal le 8 septembre. Les troupes françaises seront rapatriées en France aux frais du roi. Les habitants conservent leurs privilèges et la liberté religieuse. Une gazette extraordinaire informe le public.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
37
p. 35
VERS sur le Tableau du ROI, représenté par les VERTUS.
Début :
PAR l'ingénieux artifice [...]
Mots clefs :
Louis, Pinceau, Optique, Amour, Français
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VERS sur le Tableau du ROI, représenté par les VERTUS.
VERS fur le Tableau du ROI , repréfenté
par
PA
les VERTUS .
AR l'ingénieux artifice
Et de l'optique & du pinceau ,
Les Vertus , & furtout la Bonté , la Juftice ;
De Louis offrent le tableau.
Si dans un autre perſpective ,
On peignoit les coeurs des François ;
De ces coeurs réunis la peinture native
De l'Amour offriroit les traits.
Par M. l'Abbé AUBERT .
par
PA
les VERTUS .
AR l'ingénieux artifice
Et de l'optique & du pinceau ,
Les Vertus , & furtout la Bonté , la Juftice ;
De Louis offrent le tableau.
Si dans un autre perſpective ,
On peignoit les coeurs des François ;
De ces coeurs réunis la peinture native
De l'Amour offriroit les traits.
Par M. l'Abbé AUBERT .
Fermer
38
p. 16-62
LES SOLITAIRES DES PYRÉNÉES. NOUVELLE Espagnole & Françoise.
Début :
SUR ces Monts qui séparent l'Espagne d'avec la France, deux Hermites [...]
Mots clefs :
Comte, Marquis, Ermite, Larmes, Ennemie, Haine, Monde, Espagnol, Français, Vengeance
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LES SOLITAIRES DES PYRÉNÉES. NOUVELLE Espagnole & Françoise.
LES SOLITAIRES DES PYRÉNÉES
NOUVELLE Espagnole & Françoise.
SUR OUR ces Monts qui féparent l'Efpagne
d'avec la France , deux Hermites
T'un François , l'autre Efpagnol , ' habitoient
à peu de diftance l'un de Pautre.
Leur âge étoit à- peu-près égal , &
MA I. 1763. 17
** peu avancé , leur figure des plus avantageufe,
même fous leur habit difforme,
leur conduite entièrement oppofée à
celle des Hermites ordinaires. Ils ne
mandioient pas , ne recevoient ni dons
ni vifites , fçavoient lire & lifoient.
Leur premierfoin avoit été de fe fuir ;leur
conduite réciproque les rapprocha : ils
fe virent fouvent & fe parlerent fans
défiance. En un mot , ils étoient voifins
fans être ennemis , chofe prèſque
auffi rare entre des Emules de cette
nature , qu'entre des Rivaux de toute
autre efpéce .
Chacun d'eux avoit un fecond , fur
lequel il fe repofoit de certains menus
détails. L'Hermite François dur
particulièrement applaudir aux foins de
fon jeune Difciple. C'étoit un modèle
d'attachement , de zéle & d'activité. Nulle
fatigue ne le rebutoit , nulle démarche
ne lui fembloit pénible. A peine , ce→
pendant , paroiffoit- il toucher à fa quinziéme
année. Toutes les grâces de la
jeuneffe & de la beauté brilloient fur
fon vifage on l'eût pris pour l'Amour
qui , par divertiffement , s'étoit affublé
d'un froc .
t
Un jour qu'il étoit abfent , le Reclus
Espagnol vint converfer avec le Fran- -
-
18 MERCURE DE FRANCE .
çois. Non , difoit-il à ce dernier , le chétif
habit qui vous couvre, ne peut vous
déguifer àà mes yeux. Vous n'étiez
point fait pour être ainfi vêtu , logé ,
couché , en un mot pour vous enfevelir
dans ces montagnes . Quelque incident
vous aura fait renoncer au monde .
Mais fongez qu'il en faut de bien cruels ,
ou de bien bizarres , pour juftifier une
telle réfolution . Oh ! s'il eft ainfi , reprit
celui à qui il parloit , je fuis plus que
juftifié. Mais vous même quels bifarres ,
ou quels fâcheux incidens vous ont fait
prendre une réfolution toute pareille à
la-mienne ?
.
Il eft vrai , repliqua l'Espagnol qui
vouloit caufer , & qui ne trouvoit nuk
danger à le faire , il eft vrai que je n'étois
point né pour m'affubler d'un fac ,
me nourrir de racines & coucher fur
la dure. Il eft encore vrai que je mitige
en fecret cette auftérité apparente.
Mais une foule de difgraces & de fautes
m'a rendu ce déguiſement néceffaire ...
Oh! vos travers & vos malheurs n'ont jamais
pû égaler les miens , interrompit
l'autre Hermite . Vous en allez juger ,
ajouta l'Eſpagnol. Premierement je fuiss
marié. Et moi auffi , reprit l'Hermite
François . J'aime ma femme qui me fuit,
MA I. 1763 . 19
ajouta le premier : Je fuis ma femme
qui m'aime , repliqua le fecond .
L'ESPAGNOL.
J'époufai la mienne par ſupercherie.
LE FRANÇOIS
.
On y eut recours pour me faire époufer
la mienne.
L'ESPAGNOL.
Je l'aimerai toujours.
LE
FRANÇOIS.
Je doute que je puiffe l'aimer jamais.
Voilà effectivement , reprit l'Hermite
Espagnol , un contrafte auffi bifarre que
marqué. Mais voyons jufqu'où il peut
s'étendre. Je vais commencer , perfuadé
que vous imiterez ma franchife & ma
confiance .
Frère Paul, tel qu'on fe figure ici le
voir en moi , eft à Madrid le Comte
d'Ol.... Ma Maiſon eft ancienne & illuftrée
, ma fortune affez confidérable .
J'ai fervi mon Roi avec zéle & avec fuccès
dans fes armées. C'étoit en Italie où
la guerre fe faifoit . J'y formai quelque
liaifon avec le Comte de C.... S .... nom
qui n'étoit pas le fien propre , mais qu'il
devoit à une action des plus éclatantes.
Vous fçavez que c'eft l'ufage en Efpagne
de donner à un Officier qui fe
diftingue , le nom même du lieu où il
s'eft diftingué récompenfe la plus flat20
MERCURE DE FRANCE .
teufe pour une âme noble. D'ailleurs ,
le Comte avoit par lui-même de la naiffance
& de la fortune :
avantages qui lui
en affuroient un autre bien digne d'envie.
Il devoit à fon retour époufer Dona
Léonor , une des plus belles perfonnes
de toutes les Efpagnes ; mais en
même-temps une des plus altières . Elle
femble avoir oublié cette fenfibilité fi
naturelle à fon fexe & furtout dans cette
Contrée , pour emprunter toute la
hauteur du nôtre. L'orgueil eft fa paffion
la plus décidée ; elle veut des efclaves
plutôt que des amans. Je ne la connoiffois
quede nom & n'en étoispas mieux
cónnu ; comme cependant elle étoit née
mon ennemie , c'est-à- dire qu'il y avoit
entré ma famille & la fienne , une de
cés haines héréditaires qu'on prend ridiculement
foin de perpétuer dans chaque
génération , j'étois loin d'adopter cette
haine injufte. J'éprouvai même un fentiment
bien oppofé à l'afpect du portrait
de Dona Léonor. Sa famille l'avoit
envoyé au Comte en attendant qu'il pût
aller prendre poffeffion du modèle . Mais
il me parut moins ébloui que moi- même,
des charmes qu'étaloit cette peinturé
. Il me fembla trop peu occupé du
bonheur qui l'attendoit ; loin de fe liMA
I. 1763.
21
vrer à une joie vive & bien fondée , il
étoit rêveur & mélancolique ; il ne répondoit
qu'avec embarras aux queſtions
qu'on lui faifoit fur fon futur mariage.
Enfin , il me donna lieu de juger qu'il
ne s'y difpofoit qu'avec répugnance :
découverte qui me caufoit une extrême
furpriſe.
La guerre fe faifoit avec vivacité
les rencontres étoient fréquentes &
meurtrières. Le Comte fut un jour commandé
pour une expédition fecrette ;
je le fus moi -même pour le foutenir. Il
tomba dans une embuscade & ſe vit enveloppé
par une Troupe bien fupérieure
à la fienne . J'arrivai à temps pour la dégager
; mais déja le Comte étoit bleffé
, renversé de cheval fans connoiffance
& prêt à être foulé aux pieds par
ceux des ennemis. Je le fis fecourir
tandis que je faifois tête aux Allemans
qu'une Troupe nouvelle venoit de renforcer.
Enfin , après une mêlée furieuſe
l'avantage nous demeura. Je fis tranf
porter le Comte au Quartier- Général
où les plus habiles Chirurgiens défefpérèrent
de fa vie. Ce fut dans ce moment ,
qu'un Soldat de ma Troupe m'offrit le
portrait de Léonor. Il l'avoit pris dans
la poche d'un Soldat ennemi qui avant
,
"
22 MERCURE DE FRANCE .
d'être tué avoit eu la précaution de fouiller
le Comte . L'état où étoit reduit ce
dernier , & furtout l'envie de garder
le portrait de Léonor , m'en fit fufpendre
la reftitution . Je fis remettre la boëte
parmi les effets du bleffé , après en avoir
détaché la miniature qu'elle renfermoit.
L'indulgente Loi de la galanterie tolère
aifément ces fortes de larcins. Je crus
qu'elle m'autorifoit à me faire fur ce
point, l'héritier du Comte , fuppofé qu'il
ne guérît pas de fes bleffures.
Il étoit encore dans l'état le plus équivoque
, lorsqu'une paix fubite fépara
les Armées & que des motifs
preffans me rappellerent en Eſpagne . Je
me rendis à Séville ; c'étoit le féjour
qu'habitoit Dona Léonor. Je parvins à
la voir , mais fans me faire connoître
fans même avoir pû en être remarqué.
Elle me parut encore plus belle en réalité
que dans fon portrait. J'en devins
éperdûment épris . Mais en même-temps ,
je frémis des obftacles que l'antipathie
de nos familles alloit oppofer à cet
amour.
J'éffayai quelques voies de réconciliation
; toutes furent inutiles. Dans cet
intervalle , le Comte de C .... S .... guéri
de fes bleffures , avoit été nommé GouMA
I. 1763. 23
verneur d'Oran & étoit parti du fein
de l'Italie même , pour fe rendre à cette
- Ville d'Afrique . Vous fçavez que le Gouverneur
de cette Place ne peut s'en ab-
- fenter fous aucun prétexte. Ce pofte
- n'eft pour lui qu'une prifon honorable ,
& le nouveau Gouverneur jugeoit Dona
Léonor très-propre à égayer cette prifon.
Il jugeoit bien ; mais il s'y prit
mal. Ne pouvant agir par lui- même
il choifit pour député un de fes principaux
domestiques , Africain d'origine ,
& mille fois plus intéreffé que cette origine
ne le fuppofe . Je lui avois été utile
en Italie , où dès-lors il fervoit le Comte.
Le hafard me le fit rencontrer comme il
débarquoit à Cadix . Il me reconnut ,
m'aborda , & m'apprit le fujet de fon
voyage. Il venoit , me dit-il , demander
au nom de fon maître , DonaLéonor
à fes parens.Cette nouvelle me fit pâlir ,
& l'Africain s'en apperçut. Il ofa me
faire différentes queftions qui toutes
avoient pour but & de me marquer
du zéle , & de m'arracher mon
fecret. Je crus pouvoir le lui confier ; je
lui avouai que mon trépas étoit certain
fi quelqu'autre que moi épouſoit Dona
Léonor.
L'Africain parut un inftant rêveur ;
24 MERCURE DE FRANCE.
7
•
après quoi il ajouta , qu'il fcavoit un fecret
pour conferver mes jours ; mais
que les fiens feroient par la fort expofés
& fa fortune perdue fans reffource .
Je lui offris , pour le raffurer , ma protection
, & une récompenfe proportion-
-née à ce grand fervice. Je ne prévoyois
pas qu'il pût m'en rendre d'autres que
de faire manquer le mariage qu'il s'étoit
chargé de faire réuffir , & , en effer
c'étoit déja beaucoup. Mais l'Afriquain
ofa davantage. Il me propofa de me
-fubftituer à la place de fon maître : chofe
, felon lui , fort aifée & très-excufable.
Quant à moi , elle me parut & plus
difficile & très-peu thonnête. C'étoit
néanmoins le feul expédient qui me reftât.
Que n'ofepointun amourimpétueux ,
à qui les moyens ordinaires manquent
pour arriver à fon but , & , furtout , à
qui la route opposée offre un moyen
für d'y parvenir ? En effet , l'Agent du
Comte étoit muni des atteftations les
plus claires , les plus authentiques . Il
n'étoit pas poffible de révoquer fa miffion
en doute. Ce n'eft pas tout , le
Comte marquoit expreffément que fur
la réponse de fon Envoyé , il viendroit
lui- même effectuer en perfonne l'alliance
qu'il follicitoit par un tiers. L'âge de
ce
1
MA I.
1753. 25
cè rival étoit d'environ dix ans plus
avancé que le mien ; mais cette différence
étoit peu remarquable . Il y avoit ,
d'ailleurs , entre notre taille & nos traits
ce rapport qui peut faire illufion à des
yeux peu familiarifés avec l'objet qu'on
veut remplacer ; & ce qui achevoit de
rendre cette illufion facile , c'eſt que le
Comte abfent de fon pays depuis vingt
ans , étoit abfolument inconnu à Dona
Léonor ; il n'étoit guère mieux connu
perfonnellement des autres parens de
cette belle Efpagnole . Tant de facilités
me féduifirent. Ainfi nous convînmes
l'Africain & moi , qu'il feroit , en effet
la demande au nom du Gouverneur ;
mais qu'il fubftitueroit mon portrait au
fien. J'y joignis même pour plus d'authenticité
, celui de Dona Léonor auquel
j'avois fait adapter une boëte toute femblable
à celle que j'avois reftituée au
Comte. Ce que nous avions prévu arriva.
La propofition du Gouverneur d'Oran
fut approuvée de toute la famille de
Dona Léonor ; & ce que je n'avois ofé
prévoir , mon portrait plut à cette jeune
& altière beauté. Vous préfumez bien
que l'Agent du Comte lui écrivit d'un
ftyle à le clouer plus que jamais à fon
rocher. Mais tandis que ce rival , trom-
B
26 · MERCURE DE FRANCE .
4 pé par cette lettre , regardoit fa démarche
comme infructueufe , j'en recueillois
hardiment les fruits.
Au bout d'un intervalle raiſonnable ,
je me préfente fous le nom du Comte, accompagné
de quelques amis qui approuvoient
& fervoient mon ftratagême.
C'étoit vers le foir , & la cérémonie
ne fut pas même différée jufqu'au matin.
Je motivai cette extrême diligence
de l'abfolue néceffité qui me rappelloit
à mon Gouvernement , du danger qu'il.
y auroit pour moi à être furpris en
Efpagne. Ces raifons étoient plaufibles
, & elles furent goûtées . Nous nous
acheminâmes , fans différer vers le
Port de Cadix , où un Vaiffeau nous
attendoit. Une vieille tante de Dona
Léonor, & qui l'avoit élevée , voulut
s'embarquer avec elle : je ne m'y oppofai
pas , mais je n'y confentis qu'à
regret. Dona Padilla , ( c'eft le nom
de cette tante ) étoit doublement mon
ennemie , & par rapport à la haine héréditaire
dont j'ai déja parlé , & parce
que mon père avoit refufé de mettre
fin à cette haine , en époufant Dona
Padilla forte d'injure qu'une femme
ne peut naturellement oublier , & que
celle- ci avoit toujours préfente. QuoiM
A I. 1763. 27
'qu'il en foit , nous partimes . Le Pilote
avoit le mot , & d'ailleurs , le Détroit
de Gibraltar que nous paffames , acheva
de tranquillifer la vieille tante qui fe
piquoit de connoître la Carte. Elle ne
douta plus que nous n'allaffions en
Afrique. Pour ma nouvelle épouſe ,
elle étoit feule avec moi dans la principale
chambre du Vaiffeau , & elle ne
s'apperçut ni ne s'informa de rien qui
concernât le trajet que nous avions à
faire. Nous continuâmes ainfi à côtoyer
de loin les terres d'Efpagne qu'on
perfuadoit à la vieille être celles d'Afrique
, & nous arrivâmes à Alicant ,
que la tante & la niéce prirent pour
la Ville dont j'étois Gouverneur. Il
étoit prèfque nuit ; circonftance qui
aidoit encore à l'illufion . J'avois , d'ailleurs
, envoyé d'avance mes ordres par
terre. Une voiture lefte & commode
nous attendoit au Port. Je fis traverfer
la Ville à mes deux compagnes de
voyage & les conduifis en toute diligence
à quelques liéues de là dans un
Château qui m'appartient. Je voulois
encore diffimuler , au moins , quelques
jours ; mais les foupçons de l'une & de
l'autre devinrent fi marqués , fi preffans
, qu'il fallut enfin me réfoudre à
1
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
parler net. Je leur déclarai que je n'étois
ni le Comte de C ... S... ni le Gouverneur
d'Oran mais que mon nom valoit ,
pour le moins , celui que j'avois emprunté
; que je pouvois prétendre aux
mêmes emplois que mon rival ; que
ma fortune égaloit la fienne , & qu'à
mon amour l'emportoit
coup für
fur le fien .
Comment reçut - on votre aveu ? interrompit
brufquement l'Hermite François.
On ne peut pas plus mal , répondit
l'Efpagnol. Je le crois reprit fière
Pacôme ( c'eft le nom que s'étoit donné
l'autre Cenobite. ) Et pourquoi , replifrère
Paul , en êtes -vous fi intimement
perfuadé ? C'eſt , ajouta frèrẻ
Pacôme , que j'ai moi -même éffuyé un
pareil aveu , que certainement je l'ai
reçu plus mal encore. Mais pourſuivez
votre récit. Le prétendu frère le continua
en ces termes :
qua
&
Non , je ne puis vous exprimer la
furpriſe où ce difcours jetta & la tante
& la nièce. Jufqu'à ce moment Dona
Léonor m'avoit prodigué les marques
de la plus vive tendreffe. Quelle fut
ma douleur de la voir défapprouver
hautement mon ftratagême ! Je lui
proteſtai qu'il ne m'avoit été dicté que
M A I. 1763. 29
par l'amour, & par l'impoffibilité de
pouvoir l'obtenir autrement ; que j'avois
un rang à lui donner , & que
j'étois prêt à réparer tout ce qui dans
cette affaire pouvoit pécher par la
forme , puifqu'auffi bien il n'y avoit
plus rien à réparer quant au fond. Je
vis le moment où Dona Léonor alloit
oublier fon courroux ; mais la vieille
tante étoit infléxible , & l'afcendant
qu'elle avoit für fa nièce l'emporta fur
celui que je croyois y avoir moi-même.
Je continuai cependant à les traiter avec
tous les égards poffibles. Elles avoient
tout à fouhait , excepté la liberté de
m'échapper , & même celle de faire
fçavoir à leur famille l'efpéce de captivité
où je les retenois. D'un autre côté
leurs parens les croyoient en Afrique ;
mais le Gouverneur d'Oran ne tarda
pas à les détromper. Impatient de ne
recevoir aucunes nouvelles de fon député
, il prit le parti d'en dépêcher un
fecond. Celui- ci le fervit plus fidélement
que l'autre , peut-être parce qu'il
ne trouva pas la même occafion de le
trahir. Le Comte apprit par lui une
partie de ce qui s'étoit paffé & devina
fe refte. Jugez de fa rage & de fa confufion
! Ce qui achevoit de le défeſpé-
B iij
30
'MERCURE DE FRANCE ,
1er étoit de ne pouvoir fans déshonneur
& fans crime s'abfenter de la
Fortereffe qui lui étoit confiée. Il préféra
enfin fa vengeance à fa fortune
demanda un fucceffeur , l'obtint & ſe
rendit fur les lieux pour vérifier le
rapport de fon nouveau confident &
toute la perfidie de l'ancien .
-
Là il apprit tout ce qu'il defiroit &
craignoit d'apprendre . On lui confirma
qu'un prétendu Gouverneur d'Oran
avoit époufé , & par conféquent enlevé
celle qu'il fe propofoit d'épouſer
lui-même. Il lui refloit à fçavoir quel
étoit ce raviffeur , quelle route il avoit
prife , quelle retraite il avoit choifie,
Peut être n'efpéroit - il pas découvrir
fi promptement toutes ces choſes ;
mais le hafard le fervit mieux qu'il ne
l'efpéroit. Un Matelot qui fit avec nous
le trajet de Cadix à Alicante & quit
étoit de Séville , y revint ayant oui
parler du rapt de Dona Léonor, il dit
publiquement avoir aidé à la conduire.
à Alicante . Le Comte , à cette nouvelle
, ne confulte que fa fureur. Il fe rend
par terre & en pofte à Alicante. Le
mier objet qui s'offre à fa vue eft l'Africain
qui l'a trahi. Celui- ci l'ayant
reconnu cherchoit à l'éviter ; mais ce
preM
A I. 1763. 31
•
.
fut en vain. Ta mort eft certaine , lui
dit le Comte en le joignant , fi tu ne
me détailles ton infâme trahifon , & fi
tu ne m'introduis jufques chez ton complice
. L'Africain , demi-mort de frayeur,
me nomma à fon ancien Maître. Le
Comte fut très -furpris de trouver en
moi celui qu'il cherchoit ; mais il n'en
fut que plus irrité. Il perfifta à vouloir
être conduit & introduit chez moi.
J'avoue que mon étonnement & ma
confufion furent extrêmes en le voyant
paroître. Je ne fçavois quel difcours lui
adreffer; il me prévint. Dom Fernand ,
me dit- il , tu vois en moi l'homme du
monde que tu as le plus vivement outragé,
Peut-être te dois- je la vie ; mais
tu viens de me ravir l'honneur : la
compenfation n'eft pas éxacte . J'ai ofé
pénétrer chez toi fans fuite & fans défiance
. J'aurois pu recourir aux voies
toujours lentes , & fouvent peu fûres
de la Juftice ; mais des hommes tels
que nous doivent fe faire juftice euxmêmes.
Choifis fans différer l'inſtant
& le lieu .
Il est trop jufte , lui répondis- je , de
vous donner la fatisfaction que vous
éxigez . C'eft , d'ailleurs , la feule qui
foit en mon pouvoir & en ma volonté.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Car vous n'efpérez pas , fans doute ,
que je vous céde jamais Dona Léonor ?
Je vous ai enlevé cet objet que vous
n'aimiez qu'en idée & que j'aimois
réellement. J'ai emprunté votre nom
pour arriver à mon but. Non que j'aie
à rougir du mien & qu'il n'égale peutêtre
l'éclat du vôtre ; mais il s'agiffoit
de tromper une haine injufte & implacable.
J'y ai réuffi par ce moyen.
C'est une rufe qui eft d'ufage à la
guerre & qui eft , au moins , tolérable
en amour. Quoiqu'il en foit , votre
reffentiment eft légitime , & me voilà
prêt à vous fuivre. Je l'exhortai , cependant
, à prendre quelque repos , &
même quelques rafraîchiffemens. Il me
témoigna n'avoir envie que de fe battre.
Je le mis bientôt à même de fe
fatisfaire . Il fortit fans affectation ; je le
fuivis de près ; & à peu de distance de
mon Château , nous commençâmes un
combat des plus animés . Je n'ignorois
point à quel homme j'avois affaire , & il
remplit toute l'idée que j'avois eu de lui .
Je l'avouerai même , je ne combattois
fans remords. Il me bleffa avant
que j'euffe pu lui porter aucune atteinte .
Je redoublai mes éfforts & le bleffai à
mon tour. Deux autres bleffures que
pas
M A I. 1763. 33
2
je lui fis ne purent le réduire à demander
quartier. Mais , enfin , il tomba
affoibli par la perte de fon fang. Je ne
me permis point de défarmer un fi
brave homme ; je m'éloignai en lui
promettant un prompt fecours. Ce fut ,
en effet , mon premier foin. Un de
mes gens qui étoit Chirurgien , voulut
d'abord me panfer. Je m'y oppofai , &
le conduifis , moi - même , auprès du
Comte qui avoit perdu toute connoiffance.
On lui mit le premier appareil
fur le champ de bataille même : après
quoi je le fis tranfporter chez moi le
plus doucement. qu'il fut poffible. Ses
bleffures étoient confidérables ; cependant
le Chirurgien jugea qu'elles pour
roient n'être pas mortelles. Il reprit un
peu fes fens , & je m'éloignai , tant
pour ne point le mortifier par ma préfence
, que pour me faire panfer moimême
.
Revenu entiérement à lui , le Comte
demanda chez qui il étoit. J'avois défendu
qu'on l'en inftruisît. Il reçut pour
réponse qu'il étoit en lieu de paix &
de fûreté ; qu'il n'eût d'autre . inquiétude
que de fe guérir. On . avoit pour
lui les attentions les plus empreffées
& j'avois de mon côté celle de ne point
B.v.
34 MERCURE DE FRANCE .
m'offrir à fa vue . Etonné , cependant ,
de ne voir paroître que des domeſtiques
, il réitéra fes queftions ; & les réponfes
de mes gens étant toujours àpeu
- près les mêmes , il foupçonna ce
qu'on lui cachoit avec tant de foin.
Pourquoi , demanda- t-il encore , pourquoi
celui qui en ufe avec moi fi généreufement
, me croit- il moins généreux
que lui ? Ce difcours m'ayant été
de nouveau tranfmis , je fis dire au
Comte , qu'une bleffure affez confidérable
m'avoit jufqu'alors contraint de
garder la chambre ; mais que j'efpérois
aller bientôt m'informer en perfonne de
fa propre fituation . Cette réponſe parut
le fatisfaire .
Il est temps de revenir à Dona Léonor.
Elle & fa vieille tante habitoient
toujours mon Château ; mais la partie:
qu'elles occupoient n'avoit nulle communication
avec le refte . Il eût été plus.
éffentiel pour moi d'interrompre toute
communication entr'elles. Mes complaifances
euffent pù adoucir Dona
Léonor , que les confeils de fa tante aigriffoient
de plus en plus contre moi .
Une jeune perfonne excufe toujours
affez facilement les fautes que l'amour
fait commettre ; mais il n'eft aucun âge
MA I. 1763. 31
où une femme puiffe oublier une injure
qui part du mépris ou de l'indifférence
auffi Dona Padilla eût - elle
voulu fe venger de celle de feu mon
père fur toute fa poftérite.
Dona Padilla & fa niéce avoient vu
des fenêtres de leur pavillon , ce qui
s'étoit paffé durant & après mon combat
contre Dom Tellez. Elles ignoroient
le nom de mon Adverfaire , & je n'avois
pas moi-même fait réflexion qu'elles
.pouvoient nous appercevoir dans
ce moment. Je fuis für que les voeux de
Dona Padilla furent tous contre moi ;
& ce qui m'afflige beaucoup plus , j'ignore
fi fa niéce ne fut pas fur ce point
d'accord avec elle. Au furplus , ce com
bat étoit une énigme pour l'une & pour
l'autre . Ce fut apparemment pour la développer
, ou du moins , pour vérifier
leurs foupçons à cet égard , que Donar
Padilla me fit demander un entretien.
Elle ignoroit que je fuffe bleffé. Je ne
Pen fis pas inftruire. On lui dit feulement
de ma part , qu'une incommodité fubite
m'empêchoit de me rendre auprès
d'elle. A cela près , je lui laiffois la liberté.
de prévenir ma vifite ; & , en effet , elle
la prévint. Je n'appercus ni fur fon front,
ni dans fes difcours , aucune marque.de
B.vj
36 MERCURE DE FRANCE.
haine. Elle diffimula au point que je
crus que le temps & fes propres ré--
flexions l'avoient entiérement changée .
J'avoue , me difoit elle , du ton le plus
véridique , j'avoue que certaine prévention
héréditaire m'anima contre vous
dès l'inftant où vous vous fites connoître .
Mais enfin j'ai fenti que cette prévention
étoit injufte , & que d'ailleurs ce
malheur fuppofé étoit fans reméde. J'eſ
pére avec le temps perfuader la même
chofe à ma niéce , qui me voyant changée
à votre égard , imitera bien volontiers
mon exemple.
Il fuffit d'aimer pour être crédule. Je ne
foupçonnai aucun artifice dans ce difcours.
Je jurai à Dona Padilla une reconnoiffance
, un dévouement éternel.
Je voulois , malgré l'état d'épuisement
où je me trouvois , je voulois , dis-je
aller trouver fa niéce & lui renouveller
Poffre de tout réparer , offre tant de
fois renouvellée en vain. Mais Dona Padilla
s'oppofa à cette démarche , me
promit d'applanir toutes les difficultés ,
& me laiffa ivre d'efpérance & de joie.
Le jour fuivant y mit le comble . Js
vis la tante & la niéce entrer dans ma
chambre ; je crus voir , dans les yeux de
cette dernière, plus que l'autre ne m'avoi
M. A. & 1763. 37
promis. Dès- lors elles jouirent d'une
liberté entière , de même que leur fuite.
Il est vrai que l'évafion d'un de leurs
domeſtiques me donna quelque inquiétude
; mais la franchiſe apparente de
l'une & de l'autre me raffura. Je portai
la confiance jufqu'à leur apprendre que
L'adverfaire avec qui elles m'avoient
vu aux prifes , étoit le Comte lui -même ;
qu'il étoit dans mon Château , & qu'il
leur feroit libre au premier jour de lui
parler. La crainte,d'occafionner à celuici
quelque révolution fâcheufe , m'empêchafeule
d'avancer le moment de cette
entrevue. Il convenoit , d'ailleurs , que
j'euffe d'abord avec lui un entretien par
ticulier. Lui-même defiroit me voir , &
je me rendis à fon invitation . Il m'adref
fa la parole auffitôt qu'il m'apperçut.
Marquis , me dit-il , il ne peut plus y
avoir de rivalité entre nous . Votre bras
m'a vaincu ; vos procédés me défarment
; jouiffez en paix du tréfor que
vous fçavez fi bien défendre. Braye.Comte
, lui répondis -je , un homme tel que
vous , n'a de fu érieurs ni en courage ,
ni en générofité. Il me demanda , s'il
ne lui feroit pas permis d'envifager , au
moins une fois , Dona Léonor. J'y confentis
fur le champ , perfuadé que tou
38 MERCURE DE FRANCE.
"
tes fes anciennes prétentions fur elle ne
pouvoient plus décemment exifter. Je
fçavois , d'ailleurs , que Dona Padilla
defiroit cette entrevue autant que luimême.
Auffi ne fe fit-elle point trop attendre.
Elle vint accompagnée de fa
niéce.
C'étoit quelque chofe d'affez nouveau
qu'une pareille fituation : j'examinai
en filence & le Comte & Dona
Léonor. Elle a tant de charmes que je
ne fus pas furpris de voir mon ancien
rival tout prêt à le redevenir. Il perdit
& la parole & toute contenance en la
voyant. Pour elle je n'apperçus prèsqu'aucune
altération fur fon vifage , &
cette extrême tranquillité rappella toute
la mienne.
Je l'avoue , il n'échappa à Dom Tellez
aucun difcours qui annoncât ni defir ,
ni efpérance de fa part. I y auroit eu
de la barbarie à exiger qu'il étouffat jufqu'aux
regrets . Il eut même la force de
n'en témoigner qu'autant que la politeffe
fembloit le lui préfcrire ; mais il fut moins
réfervé dans l'entretien que nous eumes
tête-à-tête. Il m'avoua qu'il feroit audeffus
de fes forces de me la céder fi
el'e pouvoit encore faire l'objet d'une
difpute. Avouez en même - temps , lui
MA I. 1763. 39
dis-je , qu'il a pû être au-deffus des miennes
de me la laiffer ravir , pouvant me
l'affurer ? Le Comte me fit un autre
aveu que je n'attendois pas . Il me dit ,
qu'en lui enlevant Dona Léonor , je lui
épargnois un parjure ; qu'il étoit fécrettement
lié en France , & que cet évenement
joint à fes remords , l'alloit rendre
à fes premières chaînes. En attendant
, il s'offrit d'être médiateur auprès
de la niéce & de la tante. Ce fut lui qui
m'inftruifit que la première feroit bientôt
appaifée , fi la feconde pouvoit l'être .
Je le conjurai de redoubler fes efforts
auprès d'elle. Ses bleffures étoient àpeu-
près guéries , & fon zéle pour mes
intérêts fembloit s'accroitre à chaque
inftant. Mais la haine de Dona Padilla
étoit toujours la même.
Retiré unjour au fond de mon cabinet
, j'y étois abîmé dans une rêverie
mélancolique & profonde . Elle fut brufquement
interrompue par le Comte.
Âmi , me dit-il d'un ton vif& pénétré ,
vous être trahi , vous êtes vendu . Une
nombreuſe troupe d'Alguafils affiége le
Château , & leur Chef demande à vous
parler de la part du Roi . C'eft un trait de
la vengeance de Dona Padilla : mais
décidez promptement ce qu'il faut faire .
40 MERCURE DE FRANCE.
Faut- il réfifter ? me voilà prêt à verfer
tout mon fang pour vous.
Courageux ami , lui répondis -je , vor
tre générofité vous perdroit fans me
fauver. Il nous fiéroit mal de réfifter
aux ordres d'un Roi que nous avons
fi bien fervi . Gardez- vous , reprit- il avec
vivacité , gardez-vous bien d'obéir entiérement
: vous êtes perdu fi on vous
arrête. Eh que puis -je donc faire ? ajou
tai- je. Vous déguifer & difparoître ,
pourſuivit-il : je vais vous en donner les
moyens ; je vais me livrer à votre place
& fous votre nom . Je ne fuis pas plus
connu de cette vile troupe que vousmême
. Il fera facile de lui faire prendre
le change . Il vous fera également aifé
d'être inftruit de ce qui fe paffe . J'efpére
que le temps & mes foins accommoderont
toutes choſes .
Ce confeil me donna à rêver ; mais
l'inftant d'après je rougis de mes foupçons
; d'ailleurs , confidérant qu'il ne
pouvoit y avoir aucun rifque pour le
Comte , & qu'à tout événement , je
pourrois toujours venir le dégager , je
confentis à ce qu'il- éxigeoit.
Dona Padilla , qui fans doute craignoit
mon reffentiment , s'étoit renfermée
dans fon pavillon avec fa niéce.
M.A.F. 1763. 41
Elle aidoit par là , à notre ftratagême.
Auffi eut-il un plein fuccès. On conduifit
le Comte à la Ville Capitale de
Murcie. I refta feulement chez moi
jufqu'à nouvel ordre , quelques : Alguafils
, canaille qu'avec le fecours de mes
gens , il m'eût été facile d'exterminer ;
mais je n'en avois aucune idée pour le
moment . J'étois bien éloigné de fonger
à compromettre Dom Tellez plus qu'il
n'avoit voulu l'être . Couvert d'habits
fimples , après avoir donné mes ordres
à mes principaux. domeftiques , j'allois
abandonner ma maifon à mon ennemie
& à fes fatellites ; jallois m'éloigner ,
même fans chercher à voir Dona Léonor
: le hazard vint l'offrir à mes yeux.
Je la rencontrai noyée dans fes larmes
& dans l'agitation la plus vive . Quand
même elle ne m'eût pas reconnu , je
n'aurois pu m'empêcher de me faire
connoître à elle , je n'en n'eus pas befoin.
Qui êtes-vous , me dit- elle avec une exclamation
involontaire & qui auroit pû
s'attribuer à la joie ; par quel prodige
êtes-vous encore ici ? Je n'y ferai pas
long-temps , lui repliquai - je , vous me
voyez prêt à m'éxiler de ma propre demeure
vos voeux & ceux de votre tante
barbare feront bientôt , remplis. Dona
42. MERCURE DE FRANCE.
Léonor ne répondit rien , mais fes lar
mes continuoient à couler. Hé bien ,
ajoutai-je , s'il eft vrai que vous ne foyez
pas mon ennemie , fuyons enſemble ;
tout éxil , tout climat me fera doux , fi
vous l'habitez avec moi. Non , repritelle
en fanglottant , non , une telle démarche
ne m'eft ni permiſe , ni poffible.
Un Cloître auftère va enfevelir ma
honte & tout efpoir de réunion avec
vous.... A ces mots , elle s'évanouit.
J'étois hors de moi-même . J'appellai
quelques domeftiques. Ils accoururent
& avec eux l'implacable vieille. Elle
me reconnut ; elle frémit & reprocha
à trois Alguafils qui fe trouvoient là ,
d'avoir manqué leur proye ; ajoutant ,
avec des cris furieux , que j'étois Dom
Fernand. Cet excès d'audace mit le
comble à ma fureur. J'allois immoler
cette mégère ; un refte d'orgueil me
retint ; mais rien ne put m'empêcher de
fondre avec rage fur les fatellites qui.
me crioient de merendre . Un de ces miférables
tomba à mes pieds percé de
coups ; les deux autres firent feu en
s'éloignant. Ils me manquerent ; mais
en revanche , une des deux balles alla
caffer le bras droit à la barbare Padilla.
Mes domeftiques accoururent en
MA I. 1763. 43
armes. Les Archers ne fe trouvant pas
les plus forts , & éffrayés de ce qu'ils .
venoient de faire , fe virent eux - mêmes
obligés de fe rendre .
J'ordonnai des fecours à ma cruelle
ennemie. Son accident jettoit fa nièce
dans une défolation trop grande pour
qu'il fut poffible de lui parler d'autre
chofe. La nuit avançoit , & j'avois
mille raifons d'en profiter pour mon
départ. Ainfi je m'éloignai accompagné
d'un feul domeftique. Chemin faiſant
je réfléchis que l'affaire étoit devenue.
plus grave ; qu'il pourroit y avoir quelque
danger pour Dom Tellez. Je ne ba-
Jançai pas ; je m'acheminai vers le lieu
de fa détention , réfolu de me ſubſtituer
à fa place. Il jouiffoit d'un affez grande
liberté , & j'eus celle de lui parler têteà-
tête. Mon arrivée lui caufa autant de
furprife que d'inquiétude ; mais je prévins
les queftions qu'il alloit me faire..
Ami , lui dis -je , c'eft trop vous compromettre
& vous expofer : les circonf
tances ne font plus les mêmes & je dois.
feul en courir les rifques . Alors je l'inſtruifis
de ce qui s'étoit paffé depuis
l'infant de fon départ. Et c'eft pour
cela , reprit-il vivement , que vous deez
plus que jamais vous éloigner . Les
44 MERCURE DE FRANCE .
rifques feront toujours beaucoup plus
grands pour vous que pour moi . La
mort de l'Alguafil & l'arrêt des autres
ne font rien . En vain lui oppofai - je les
raifons les plus preffantes. Il ne les approuva
pas plus que les premières ; &
malgré toute ma répugnance , il me
fallut moi-même céder aux fiennes.
Mes larmes coulerent en embraffant
ce généreux ami . J'érrai quelque temps
d'un lieu à l'autre , toujours déguiſé &
toujours méconnu . Un émiffaire fidéle
m'inftruifoit de tout ce qu'il m'importoit
de fçavoir. J'appris qu'une troupe
nombreuſe d'Aguafils avoit de nouveau
reparu chez moi ; que Dona Padilla ,
prefque guérie de fa bleffure , ne pour
fuivoit que moi feul & non ceux qui
l'avoient bleffée ; que mes gens étoient
à- peu-près efclaves dans mon Château ;
& que mon ennemie y commandoit
en maîtreffe. Le Comte lui-même s'eft
vu pris à partie par Dona Padilla &
par fes frères. Il a eu recours au Roi
qui s'eft réfervé la décifion de ce procès
bifarre. Mais vous fçavez l'efpéce
de maladie dont ce Monarque eſt attaqué
depuis plufieurs mois. Il ne peut
ni donner aucune audiance , ni s'occuper
d'aucune affaire ; & , cependant le
M A I. 1763. 45
Comte eft toujours prifonnier ; Dona
Padilla toujours implacable , Dona
Léonor toujours ingrate , & moi tou
jours fugitif. Enfin , las d'érrer de Province
en Province , j'ai choifi ces montagnes
pour afyle & cet habit pour
dernier déguisement. J'en ai fecrettement
fait inftruire mon généreux rival ,
& je n'apprends pas que rien en ait
encore inftruit mes perfécuteurs. Mais
avouez , ajouta l'Efpagnol , qu'il en
faut fouvent moins pour fe faire Hermite
, & que de plus foibles difgraces
Vous retiennent enfeveli dans cette
Grotte ?
C'eft précisément ce que je n'avouerai
pas , reprit l'Hermite François. Mon
récit , il est vrai , fera plus court que
le vôtre & moins rempli d'héroïſme ;
mais vous allez voir fi j'ai eu de bonnes
raifons pour fuir le monde , les
hommes du bon ton & , fur- tout , les
femmes , quelque ton qu'elles puffent
prendre.
Comme il achevoit ces mots , fon
jeune compagnon entra pour quelque
motifindifférent. Il parut l'inftant d'après
vouloir fe retirer. Non , lui dit
frère Pacóme , demeurez avec nous.
Le récit que je vais commencer pourra
46 MERCURE DE FRANCE.
vous être utile. On s'épargne bien des
fottifes quand on fait une mûre attention
à celles d'autrui . Le jeune Solitaire
obéit en rougiffant ; & fon Patron
pourfuivit en ces termes.
Mon nom eft le Comte D ..... à
peixe forti du Collége où j'avois perdu
huit à dix ans , j'allai en perdre àpeu-
près autant a fréquenter la Cour ,
les cercles , & à tromper les femmes.
Elles ne tarderent pas à prendre leur
revanche .
J'étois fort lié avec le jeune Marquis
de P .... Nous avions l'un & l'autre la
même conduite , les mêmes penchans ,
les mêmes fociétés , les mêmes travers .
Le hafard voulut encore que nous
donnaffions dans la même intrigue , &
bientôt après dans le même piége .
Doricourt , c'eft le nom que je donné
au Marquis , me procura entrée chez
Belife , veuve encore affez jeune pour
avoir des prétentions ; mais qui les portoit
un peu trop loin . Je lui plus fans
le vouloir , & juftement lorfque Doricourt
ne vouloit plus lui plaire. De fon
côté elle ne vouloit rien perdre ; elle
prétendoit garder fes anciens captifs &
en faire de nouveaux . Nous nous concertâmes
Doricourt & moi pour la tromM
A I. 1763. 47
per & nous y réuffimes. Elle nous
croyoit rivaux & non confidens l'un de
l'autre . Mais le hafard vint la tirer d'erreur.
On l'inftruifit de nos démarches
publiques & fecrettes . Elle vit , fans
en pouvoir douter , que de deux amans
qu'elle croyoit avoir, il ne lui en reftoit
pas même un. Jugez de fon dépit ! Elle
diffimula cependant ; chofe affez rare
dans une femme irritée , & qu'irrite un
outrage de cette eſpéce.
La forte de vengeance qu'elle imagina
fut auffi bitarre qu'exactement remplie.
Jufques-là le jeune Solitaire qu'on.
avoit contraint d'écouter ce récit , avoit
laiffé entrevoir beaucoup d'émotion ;
mais elle redoubla à ces derniers mots.
Il vouloit fortir un nouvel ordre de
fon Mentor l'obligea de refter. Voici
comme l'Hermite Comte , pourſuivit
fon difcours.
Belife avoit deux Niéces qu'elle faifoit
élever dans deux couvents féparés.
Elles étoient feules , & n'avoient que
quatorze à quinze ans. Des Niéces de
cette figure & de cet âge déplaiſent toujours
à une Tante qui a l'ambition de
plaire ; & Belife les tenoit féqueftrées ,
moins pour les empêcher de voir que
d'être vues. Telle étoit , du moins , fa
18 MERCURE DE FRANCE.
premiere intention . Nous contribuâmes
à la faire changer. Belife réfolut de faire
fervir la beauté de fes Niéces à fa
vengeance. Quiconque ne fçauroit pas.
jufqu'où une femme peut la porter ,
douteroit à coup fùr du ftratagême que
celle - ci mit en ufage. Elle commença
par exciter entre nous quelque réfroidiffement
; après quoi elle nous parla
à chacun en particulier , d'une Niéce
qu'elle faifoit élever dans tel couvent.
Elle avoit fes raifons pour ne nous parler
que d'une Niéce & non de deux. Je
fus le premier qu'elle pria de l'accompagner
dans une vifite qu'elle fit à l'une
d'entr'elles , c'eft a dire à celles que.
Belife vouloit me faire connoître . Elle
defiroit que j'en devînffe épris ; & dès
cette premiere vifite , elle dut s'appercevoir
que j'en étois plus que frappé.
Ces fortes de vifites fe multiplioient.
Cependant je crus voir que la jeune
perfonne ne les trouvoit point trop fréquentes.
Belife ne me gênoit en rien làdeffus
. Elle éxigeoit feulement que j'en
fiffe mystère à Doricourt : difcrétion
qui me coûtoit peu. Il fuffit d'aimer
pour fçavoir fe taire à propos ; & j'aimois
déja trop , pour ne pas redouter un
rival. Ce qu'il y a de plus particulier
- -
dans
MA I. 1763. 49
dans cette avanture , c'eft que Doricourt
ufoit de la même circonfpection envers
moi , & croyoit avoir les mêmes raiſons
d'en ufer ainfi . Belife l'avoit introduit
auprès de fon autre niéce, en fe gardant
bien de lui parler de la premiere. D'ailleurs
, la feconde avoit affez de charmes
pour qu'on ne s'informât point fi elle
avoit une foeur. Elle plut à Doricourt ,
& ce qui prouve beaucoup plus , furtout
dans un petit -maître , elle lui ôta
toute envie de plaire à d'autres , toute
envie de publier qu'il lui plaifoit. Nous
nous félicitions chacun à part & de notre
découverte , & de notre prudence .
Nous crûmes , furtout , l'avoir portée
fort loin un jour que le hazard nous réunit
en particulier , Doricourt & moi.
Eh bien , Comte , me dit- il , où en
es-tu avec Belife ? C'eſt à moi , répondis-
je , à te faire cette queftion ; vous
êtes trop fouvent enfemble pour qu'on
puiffe vous y croire mal . Ma foi , mon
cher , reprit - il d'un ton à demi ironique
, je trouve à cette femme des reffources
prodigieufes dans l'efprit. J'ai
tant vu d'Agnès m'ennuyer , que j'en
reviens à l'expérimentée Belife.C'eft bien
penfé , repliquai-je à-peu-près fur le
même ton ; j'ai moi - même quelques
}
C
50 MERCURE DE FRANCE .
vues fur fon expérience. Ainfi notre rivalité
ne fera bientôt plus un jeu . Soit ,
ajouta Doricourt ; il faut en courir les
rifques. Nous joignimes à ce perfifflage
beaucoup d'autres propos équivalens ; &
nous nous quittâmes fort contens de
nous-mêmes & très- difpofés à nous
divertir aux dépens l'un de l'autre .
>
Celle qui réellement fe jouoit de nous
deux alloit à fon but fans s'arrêter. Elle
vit que nous étions trop vivement épris
pour n'être
pas facilement trompés. Elle
eut de plus recours à l'artifice pour nous
faire courir au piége qu'elle nous tendoit.
Ce fut encore à moi qu'elle s'adreffa
d'abord. Ma niéce, me dit- elle un jour,
fe difpofe à partir pour l'Espagne ..
Pour l'Espagne ! m'écriai-je , avec une
furpriſe douloureufe ! oui , répondit- elle
avec un fang froid étudié ; ce Royaume
fut la patrie de fon père qui n'eft plus ;
fa mère elle-même eft morte au monde,
& m'a laiffé un abfolu pouvoir fur la
deftinée de fa fille. Je l'interrompis encore
par de nouvelles queftions , & elle
entra dans de plus grands détails ; mais
je dois vous les épargner. Il vous fuffira
d'apprendre en bref que le père de Lucile
, Efpagnol de naiffance , avoit ſéjourné
quelque temps à Paris ; qu'il y
époufa fecrettement la foeur de Belife ;
MA I. 1763 . 51
qu'obligé de quitter fubitement la France
avant que d'avoir pu faire approuver
fon mariage à fa famille , il ne put
emmener avec lui ni fon épouse , ni
une fille qu'il en avoit eue & qu'on faifoit
élever fecrettement ; qu'au bout de
quelque temps on apprit la nouvelle de
fa mort; que fa veuve ne fe croyant
plus à temps de déclarer fon mariage ,
avoit cru devoir renoncer au monde &
s'étoit enfermée dans un cloître . Tel
fut en gros le récit de Belife. Il étoit
fincére , excepté qu'au lieu d'une fille ,
fa foeur avoit donné le jour à deux.
Elle ajouta que la famille de feu fon
beau-frère , inftruite de l'éxiſtence de
Lucile & touchée de fon état , ſe diſpofoit
volontairement à la reconnoître ;
mais qu'elle éxigeoit que Lucile paſſât
en Espagne , d'où jamais , fans doute
elle ne reviendroit en France .
" Je frémis à ce difcours ; je me jettai
aux pieds de Belife & lui fis l'aveu de
ce que je reffentois pour fa charmante
niéce. Elle en parut furprife , & encore
plus fatisfaite. J'augurai bien de cette
joie , parce que j'en ignorois la vraie
caufe. Il eft fâcheux , me dit- elle , que
vous ayez tant tardé à vous expliquer ;
j'aurois pu faire pour vous il y a quel-
Cij
$ 2 MERCURE DE FRANCE.
ques jours , ce qui n'eft plus en mon
pouvoir actuellement. Eh , pourquoi ?
lui demandai - je avec vivacité. Parce
que l'Ambaffadeur d'Efpagne , preffe
le départ de ma niéce ..... Et depuis
quand ? . Depuis hier . Ah ! reprisje
avec tranfport , fouffrez que j'épouse
Lucile dès aujourd'hui. Doucement ,
doucement , repliqua Belife en fouriant ;
ces mariages impromptus font pour
l'ordinaire peu folides ; & d'ailleurs
que diront nos Efpagnols ? Mon nom ,
ajoutai-je , eft d'un ordre à figurer
côté des plus grands noms d'Espagne ;
ma fortune eft au-deffus de la médiocre
; la destinée de votre niéce dépend
encore de vous : daignez combler le
bonheur de la mienne. Il faut donc ,
reprit-elle , fans négliger les précautions ,
ufer de diligence , afin que je puiffe
fuppofer avoir été prévenue trop tard.
C'étoit foufcrire à ma demande , & je
ne m'occupai plus que du bonheur
dont j'allois jouir.
Durant ce temps Belife employoit
auprès de Doricourt les mêmes artifices
& avec le même fuccès. Il eut auffi peu
de défiance & autant d'empreffement
que moi - même ; & trois jours après
toutes les difficultés furent applanies ,
M A I. 1763. 53
tous les arrangemens préliminaires éffectués.
Belife employa cet intervalle à
préparer la fcène cruelle & bifarre qu'elle
vouloit nous faire éffuyer. Sans faire
part de fes vues à perfonne , pas même
à fes niéces , elle les fit troquer de demeure
, c'est-à-dire , qu'elle transféra
J'une à la place de l'autre. Il y avoit
entr'elles cette reffemblance de famille
affez ordinaire , & cette égalité de charmes
affez rare entre foeurs. Circonftance
qui aida encore au ftratagême de leur
tante. Cette perfide avoit eu foin de
nous perſuader , & toujours chacun à
part , que ce mariage devoit être fait
à bas bruit & prèſqu'à la dérobée. Le
mien fe fit à une heure du matin , &
celui du Marquis à deux . Notre impa
tience feconda les vues de la perfide
Belife ; & j'étois déja l'époux de la foeur
de Lucile , que je croyois encore l'être
de Lucile même. Certains difcours que
me tint ma nouvelle époufe , me parurent
cependant incompréhensibles . J'avois
moi- même quelques idées que je
ne concevois pas. l'inftant de les éclaircir
approchoit . Nous nous rendîmes à
l'appartement de Relife . Comment vous
exprimer mon étonnement ! Le premier
objet qui me frappa fut Lucile
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
aflife à côté du Marquis. Il ne fut pas
moins étonné de reconnoître Sophie
dans celle que je conduifois par la main.
Un cri perçant nous échappe à tous
deux à la fois. Sophie & Lucile en jettent
un femblable & s'évanouiffent. Je
cours à Lucile & le Marquis à Sophie.
Elles reprennent enfin connoiffance ,
mais ce fut pour paroître encore plus
agitées. Une fombre horreur nous pénétroit
tous , & nous ôtoit la force d'entrer
en explication . Pour y mettre le
comble , Belife entre avec un air mo
queur & fatisfait. Elle prévint nos juftes
reproches. Enfin , je fuis vengée , s'écria
cette femme abominable ; je fuis
vengée & vous êtes punis : j'ai fait de
vous un éxemple digne de corriger tous
vos femblables des vaines tracafferies
& de la fatuité. Vous m'avez. fçu jouer ;
& j'ai pris ma revanche . Puiffiez -vous
fentir tout le ridicule de votre fituation !
Peu s'en fallut que je ne cédaffe à
l'impétuofité de ma fureur. Il en eût
coûté la vie à celle qui la provoquoit
avec tant d'audace . Le Marquis reſtoit
pétrifié : Sophie & Lucile fondoient en
larmes. Leur cruelle tante reprit ainfi
la parole. Ces deux jeunes victimes de
ma vengeance n'en font point les comMA
I. 1763. 55
plices. Leur naiffance eft telle que je
vous l'ai fait connoître ; mes biens feront
même un jour pour elles. Croyezmoi
donc l'un & l'autre ; fubiffez paifiblement
votre deftinée. Elle ne peut
longtemps être à charge à des hommes:
de votre caractère. Je vous épargne le
ridicule d'aimer vos femmes.
Je frémiffois de voir cette perfide
jouer à l'épigramme dans un pareil moment.
Doricourt y repliqua par quelques
traits fanglans ; il m'en échappa quelques-
uns à moi - même ; mais bientôt
j'eus regret de m'avilir ainfi : c'étoit
d'ailleurs un mal fans reméde . Ce qui
acheva de m'adoucir un peu fut de voir
Sophie à mes pieds me conjurer avec.
fanglots , avec larmes , de ne point la
livrer à l'opprobre & au défefpoir . Une
jeune Beauté a bien du pouvoir quand
elle pleure & s'humilie jufqu'à ce point.
J'étois ému , attendri : je jettai involonrairement
les yeux fur Lucile & je la
vis dans la même fituation que Sophie ;
je la vis aux pieds de Doricourt . Quel
affreux coup d'oeil ! & que devins -je à
cet afpect ! Doricourt parut lui - même
frémir de voir Sophie à mes pieds ; &
fans doute Sophie , & fans doute Lucile ,
éprouvoient en elles-mêmes des mou-
C iv
56 MERCURE DE FRANCE.
vemens tous femblables , des combats
non moins horribles. Je tire le rideau
fur une fituation trop difficile à peindre.
Nous relevâmes les deux fuppliantes ;
après quoi je fortis & Sophie me fuivit ,
plutôt que je ne l'emmenai . Il en fut
de même de Lucile à l'égard du Marquis.
Un mois s'écoula , durant lequel
nous nous vîmes affez peu , & toujours
avec les mêmes regrets. Je dois cependant
l'avouer , Sophie me parut céder
affez facilement à la néceffité. Je n'ai
rien remarqué de fa part qu'il foit poffible
d'attribuer à aucune répugnance
pour moi. Bientôt même je crus y
voir un attachement réel ; mais l'image
de Lucile m'étoit toujours préfente. Je
réfolus de quitter les lieux qu'elle habitoit
; je partis avec Sophie pour une de
mes Terres fituée en Languedoc. J'y
appris au bout de quelques mois que
Lucile avoit fuccombé à fa langueur ,
& que Doricourt devenu veuf , oublioit
qu'il eût jamais été époux. Pour
moi , ne pouvant pas plus m'accoutumer
à l'être en Province qu'à Paris , &
la Paix ne me fourniffant aucun objet
de diftraction , je pris le parti d'abandonner
furtivement ma Terre & de
venir habiter ces lieux éfcarpés . Je
M A I. 1763. 57
n'inftruifis perfonne de mon deffein &
Sophie moins encore que tout autre.
Je me bornai à lui laiffer par écrit certaiá
nes régles de conduite , avec un pouvoir
abfolu de diriger tous mes biens
à fa volonté. J'ignore l'ufage qu'elle
fait & de ce pouvoir & de mes confeils
& de la liberté que je lui laiffe . Je
l'eftime & la plains. C'est tout ce que
mon coeur peut faire de plus pour elle ,
& certainement ce n'eft pas affez .
En parlant ainfi , le faux Hermite
s'apperçut que le jeune frère qu'il avoit
contraint de l'écouter , fondoit endarmes
& fembloit prêt à s'évanouir. Comment
donc lui dit-il , je ne croyois
pas avoir fait un narré fi pathétique .
Mais lui- même perdit toute contenance
en examinant le jeune Solitaire de plus
près. Que vois-je s'écria-t-il , eſt- ce
vous , infortunée Sophie ? Vous que je
fuis , que j'abandonne & qui venez me
chercher jufques dans cette folitude ?
Sophie ( car en effet c'étoit elle ) tomba
à fes pieds pour toute réponſe. Elle
voulut parler ; fes foupirs & fes fanglots
lui couperent la voix. Le Comte la releva
en l'embraffant , & laiffa lui-même
échapper quelques larmes. L'admiration
, la pitié , peut- être auffi un com-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE,
mencement de tendreffe , pénétroient
& agitoient fon âme. Il demanda à
Sophie comment elle avoit pu découvrir
le lieu de fa retraite ? Ce n'a été
reprit- elle , qu'après les recherches les
plus conftantes & les plus pénibles..
Quelqu'un que le hafard avoit inftruit
de votre métamorphofe , me fit part
de fa découverte , & j'en profitai fur le
champp ....... Que vous êtes heureux !
dit alors l'Hermite Efpagnol à fon
confrère , & que je ferois heureux moimême
fi l'ingrate Léonor vouloit imiter
l'aimable & rendre Sophie !
A l'inftant même il apperçoit plufieurs
perfonnes qui dirigeoient leurs pas vers
la folitude efcarpée. Il y avoit parmi
cette troupe quelques femmes voilées ,
& l'une d'entr'elles étoit conduite par
le Comte de C ... S ... Que vois -je ? dit
alors le Marquis d'Ol .... ah puiffent mes
foupçons fe vérifier ! En parlant ainfi
lui-même s'avançoit vers le Comte ,
qui eut peine à le reconnoître fous fon
déguisement. Quittez , lui dit ce dernier
, en l'embraffant , quittez ce ridicule
attirail. Vos périls & vos malheurs fontpaffés.
Le Roi vous rend fa bienveil
lance , Dona Léonor fa tendreffe , &
ce qui vous étonnera beaucoup plus ,
MA I. 1763 . 59
Dona Padilla met fin à fa haine....
Ciel s'écria le faux Hermite , un fi
heureux changement eft il poffible ?
En croirai-je votre récit ?... Croyez- en
Dona Léonor même , dit cette belle Efpagnole
en fe dévoilant , & mouillant
de fes larmes une des mains que fon
époux lui préfentoit ; croyez qu'en me
déclarant votre ennemie , j'ai toujours
fait une horrible violence à mon coeur.
..
à
La joie du Marquis étoit à ſon com--
ble. On entra dans la cabane de l'Hermite
François , que l'Espagnol fit d'a
bord connoître pour ce qu'il étoit réellement.
Que ne vous dois-je point
mon cher Comte , difoit le Marquis
fon ancien rival ! votre générofité ne
s'eft point démentie : elle feule pouvoit
me tirer du précipice où m'avoit jetté
mon imprudence. J'ai fait ce que j'ai
pû , reprit le Comte ; votre bonne for .
tune a fait le refte. Le Roi , informé
par moi-même de toute l'avanture , l'a
trouvée des plus fingulières: Les Loix
étoient contre vous ; mais il m'a laiffe
juge des Loix. Vous voyez que la décifion
n'a pû que vous être favorable.
C'eût été cependant peu de chofe en
core , fi Dona Padilla & fa charmante
niéce cuffent perfifté à vous être con
7
"
G vj
60 MERCURE DE FRANCE.
traires. Les larmes de Dona Léonor ont
fléchi cette parénte fi long - temps infléxible.
Vous n'avez plus d'ennemis
& vous retrouvez une épouſe qui vous
aime. Pour moi , ajouta le Comte en
foupirant , je vais paffer en France où
j'euffe pû jouir autrefois d'un pareil
avantage ; mais je n'oſe ni ne dois l'efpérer
déformais. Une abfence de dix
ans , un abandon de ma part auffi entier
qu'inéxcufable , le honteux projet
de manquer à ma foi jurée & reçue ,
en voilà plus qu'il ne faut pour m'avoir
banni du coeur de la tendre Orphife.
Ce nom fit jetter à Sophie un cri perçant
& qui étonna toute l'affemblée.
Depuis l'inftant de l'arrivée du Comte
de C... S... , cette jeune Françoiſe toujours
travestie , n'avoit ceffé de l'envifager
avec une attention mêlée de faififfement
; mais au nom d'Orphife , tous
fes doutes parurent éclaircis. Elle vint
toute en larmes embraffer les genoux du
Comte. Eft- ce vous Dom Tellez ? lui
dit- elle en fanglotant , eſt-ce vous , mon
père ! ah ! la nature me parle trop vivement
pour vouloir me tromper . Dix
ans d'abſence n'ont pû effacer vos traits
de mon fouvenir ; ils me font toujours
préfens , malgré l'âge tendre où je reçus
MA I. 1763.
61
vos adieux paternels. Daignez vousmême
reconnoître une de vos filles , l'infortunée
Sophie.
Il feroit difficile. d'exprimer tout ce
qui fe paffoit alors dans l'âme du Comte.
Quoi ? vous ma fille ! s'écrioit- il en la
relevant & la preffant avec tendreffe ;
vous dans ces lieux , & fous cet extérieur
! Que fignifie cette étrange métamorphofe
?
On lui en expliqua le motif en peu
de mots. L'époux de Sophie , à qui elle
devenoit plus chère d'un inftant à l'autre
, apprit à ſon Beau - père ( car en effet
c'étoit lui ) qu'avant même fon arrivée ,
leur départ de cette folitude étoit réfolu ,
leur réunion décidée . Et Orphife , s'écria
de nouveau le Comte de C.... S .....
Orphife eft- elle encore en état , ou dans
le deffein de me pardonner ? Son Gendre
lui répond qu'Orphife éxifte encore ,
& éxifte pour lui ; mais que depuis fon
départ , elle s'eft entiérement derobée
au monde. Ce difcours ne fit qu'accroî
tre le defir qu'avoit fon époux de fe
réunir à elle ; & comme chacun dans
cette affemblée avoit fes motifs d'impatience
, on fe hâta réciproquement d'abandonner
le double Hermitage. Les
deux Hermites ne fe quitterent qu'avec
62 MERCURE DE FRANCE.
de vifs regrets , & beaucoup de promef
fes de franchir fouvent les Pyrénées pour
fe revoir. Ce qui arriva plus d'une fois.
par la fuite. Il arriva auffi que ceux d'entre
ces époux qui s'étoient crûs d'abord
trompés , en rendirent grace au hazard ;
que les deux tantes parurent avoir tout
oublié , & moururent de rage en moins.
de fix mois ; & que chacun des trois
couples répétoit à part en fe félicitant :
Peut- être nous aimerions-nous moins
fi nous nousfuffions aimé toujours.
"
Par M. DE La DixmeriEL.
NOUVELLE Espagnole & Françoise.
SUR OUR ces Monts qui féparent l'Efpagne
d'avec la France , deux Hermites
T'un François , l'autre Efpagnol , ' habitoient
à peu de diftance l'un de Pautre.
Leur âge étoit à- peu-près égal , &
MA I. 1763. 17
** peu avancé , leur figure des plus avantageufe,
même fous leur habit difforme,
leur conduite entièrement oppofée à
celle des Hermites ordinaires. Ils ne
mandioient pas , ne recevoient ni dons
ni vifites , fçavoient lire & lifoient.
Leur premierfoin avoit été de fe fuir ;leur
conduite réciproque les rapprocha : ils
fe virent fouvent & fe parlerent fans
défiance. En un mot , ils étoient voifins
fans être ennemis , chofe prèſque
auffi rare entre des Emules de cette
nature , qu'entre des Rivaux de toute
autre efpéce .
Chacun d'eux avoit un fecond , fur
lequel il fe repofoit de certains menus
détails. L'Hermite François dur
particulièrement applaudir aux foins de
fon jeune Difciple. C'étoit un modèle
d'attachement , de zéle & d'activité. Nulle
fatigue ne le rebutoit , nulle démarche
ne lui fembloit pénible. A peine , ce→
pendant , paroiffoit- il toucher à fa quinziéme
année. Toutes les grâces de la
jeuneffe & de la beauté brilloient fur
fon vifage on l'eût pris pour l'Amour
qui , par divertiffement , s'étoit affublé
d'un froc .
t
Un jour qu'il étoit abfent , le Reclus
Espagnol vint converfer avec le Fran- -
-
18 MERCURE DE FRANCE .
çois. Non , difoit-il à ce dernier , le chétif
habit qui vous couvre, ne peut vous
déguifer àà mes yeux. Vous n'étiez
point fait pour être ainfi vêtu , logé ,
couché , en un mot pour vous enfevelir
dans ces montagnes . Quelque incident
vous aura fait renoncer au monde .
Mais fongez qu'il en faut de bien cruels ,
ou de bien bizarres , pour juftifier une
telle réfolution . Oh ! s'il eft ainfi , reprit
celui à qui il parloit , je fuis plus que
juftifié. Mais vous même quels bifarres ,
ou quels fâcheux incidens vous ont fait
prendre une réfolution toute pareille à
la-mienne ?
.
Il eft vrai , repliqua l'Espagnol qui
vouloit caufer , & qui ne trouvoit nuk
danger à le faire , il eft vrai que je n'étois
point né pour m'affubler d'un fac ,
me nourrir de racines & coucher fur
la dure. Il eft encore vrai que je mitige
en fecret cette auftérité apparente.
Mais une foule de difgraces & de fautes
m'a rendu ce déguiſement néceffaire ...
Oh! vos travers & vos malheurs n'ont jamais
pû égaler les miens , interrompit
l'autre Hermite . Vous en allez juger ,
ajouta l'Eſpagnol. Premierement je fuiss
marié. Et moi auffi , reprit l'Hermite
François . J'aime ma femme qui me fuit,
MA I. 1763 . 19
ajouta le premier : Je fuis ma femme
qui m'aime , repliqua le fecond .
L'ESPAGNOL.
J'époufai la mienne par ſupercherie.
LE FRANÇOIS
.
On y eut recours pour me faire époufer
la mienne.
L'ESPAGNOL.
Je l'aimerai toujours.
LE
FRANÇOIS.
Je doute que je puiffe l'aimer jamais.
Voilà effectivement , reprit l'Hermite
Espagnol , un contrafte auffi bifarre que
marqué. Mais voyons jufqu'où il peut
s'étendre. Je vais commencer , perfuadé
que vous imiterez ma franchife & ma
confiance .
Frère Paul, tel qu'on fe figure ici le
voir en moi , eft à Madrid le Comte
d'Ol.... Ma Maiſon eft ancienne & illuftrée
, ma fortune affez confidérable .
J'ai fervi mon Roi avec zéle & avec fuccès
dans fes armées. C'étoit en Italie où
la guerre fe faifoit . J'y formai quelque
liaifon avec le Comte de C.... S .... nom
qui n'étoit pas le fien propre , mais qu'il
devoit à une action des plus éclatantes.
Vous fçavez que c'eft l'ufage en Efpagne
de donner à un Officier qui fe
diftingue , le nom même du lieu où il
s'eft diftingué récompenfe la plus flat20
MERCURE DE FRANCE .
teufe pour une âme noble. D'ailleurs ,
le Comte avoit par lui-même de la naiffance
& de la fortune :
avantages qui lui
en affuroient un autre bien digne d'envie.
Il devoit à fon retour époufer Dona
Léonor , une des plus belles perfonnes
de toutes les Efpagnes ; mais en
même-temps une des plus altières . Elle
femble avoir oublié cette fenfibilité fi
naturelle à fon fexe & furtout dans cette
Contrée , pour emprunter toute la
hauteur du nôtre. L'orgueil eft fa paffion
la plus décidée ; elle veut des efclaves
plutôt que des amans. Je ne la connoiffois
quede nom & n'en étoispas mieux
cónnu ; comme cependant elle étoit née
mon ennemie , c'est-à- dire qu'il y avoit
entré ma famille & la fienne , une de
cés haines héréditaires qu'on prend ridiculement
foin de perpétuer dans chaque
génération , j'étois loin d'adopter cette
haine injufte. J'éprouvai même un fentiment
bien oppofé à l'afpect du portrait
de Dona Léonor. Sa famille l'avoit
envoyé au Comte en attendant qu'il pût
aller prendre poffeffion du modèle . Mais
il me parut moins ébloui que moi- même,
des charmes qu'étaloit cette peinturé
. Il me fembla trop peu occupé du
bonheur qui l'attendoit ; loin de fe liMA
I. 1763.
21
vrer à une joie vive & bien fondée , il
étoit rêveur & mélancolique ; il ne répondoit
qu'avec embarras aux queſtions
qu'on lui faifoit fur fon futur mariage.
Enfin , il me donna lieu de juger qu'il
ne s'y difpofoit qu'avec répugnance :
découverte qui me caufoit une extrême
furpriſe.
La guerre fe faifoit avec vivacité
les rencontres étoient fréquentes &
meurtrières. Le Comte fut un jour commandé
pour une expédition fecrette ;
je le fus moi -même pour le foutenir. Il
tomba dans une embuscade & ſe vit enveloppé
par une Troupe bien fupérieure
à la fienne . J'arrivai à temps pour la dégager
; mais déja le Comte étoit bleffé
, renversé de cheval fans connoiffance
& prêt à être foulé aux pieds par
ceux des ennemis. Je le fis fecourir
tandis que je faifois tête aux Allemans
qu'une Troupe nouvelle venoit de renforcer.
Enfin , après une mêlée furieuſe
l'avantage nous demeura. Je fis tranf
porter le Comte au Quartier- Général
où les plus habiles Chirurgiens défefpérèrent
de fa vie. Ce fut dans ce moment ,
qu'un Soldat de ma Troupe m'offrit le
portrait de Léonor. Il l'avoit pris dans
la poche d'un Soldat ennemi qui avant
,
"
22 MERCURE DE FRANCE .
d'être tué avoit eu la précaution de fouiller
le Comte . L'état où étoit reduit ce
dernier , & furtout l'envie de garder
le portrait de Léonor , m'en fit fufpendre
la reftitution . Je fis remettre la boëte
parmi les effets du bleffé , après en avoir
détaché la miniature qu'elle renfermoit.
L'indulgente Loi de la galanterie tolère
aifément ces fortes de larcins. Je crus
qu'elle m'autorifoit à me faire fur ce
point, l'héritier du Comte , fuppofé qu'il
ne guérît pas de fes bleffures.
Il étoit encore dans l'état le plus équivoque
, lorsqu'une paix fubite fépara
les Armées & que des motifs
preffans me rappellerent en Eſpagne . Je
me rendis à Séville ; c'étoit le féjour
qu'habitoit Dona Léonor. Je parvins à
la voir , mais fans me faire connoître
fans même avoir pû en être remarqué.
Elle me parut encore plus belle en réalité
que dans fon portrait. J'en devins
éperdûment épris . Mais en même-temps ,
je frémis des obftacles que l'antipathie
de nos familles alloit oppofer à cet
amour.
J'éffayai quelques voies de réconciliation
; toutes furent inutiles. Dans cet
intervalle , le Comte de C .... S .... guéri
de fes bleffures , avoit été nommé GouMA
I. 1763. 23
verneur d'Oran & étoit parti du fein
de l'Italie même , pour fe rendre à cette
- Ville d'Afrique . Vous fçavez que le Gouverneur
de cette Place ne peut s'en ab-
- fenter fous aucun prétexte. Ce pofte
- n'eft pour lui qu'une prifon honorable ,
& le nouveau Gouverneur jugeoit Dona
Léonor très-propre à égayer cette prifon.
Il jugeoit bien ; mais il s'y prit
mal. Ne pouvant agir par lui- même
il choifit pour député un de fes principaux
domestiques , Africain d'origine ,
& mille fois plus intéreffé que cette origine
ne le fuppofe . Je lui avois été utile
en Italie , où dès-lors il fervoit le Comte.
Le hafard me le fit rencontrer comme il
débarquoit à Cadix . Il me reconnut ,
m'aborda , & m'apprit le fujet de fon
voyage. Il venoit , me dit-il , demander
au nom de fon maître , DonaLéonor
à fes parens.Cette nouvelle me fit pâlir ,
& l'Africain s'en apperçut. Il ofa me
faire différentes queftions qui toutes
avoient pour but & de me marquer
du zéle , & de m'arracher mon
fecret. Je crus pouvoir le lui confier ; je
lui avouai que mon trépas étoit certain
fi quelqu'autre que moi épouſoit Dona
Léonor.
L'Africain parut un inftant rêveur ;
24 MERCURE DE FRANCE.
7
•
après quoi il ajouta , qu'il fcavoit un fecret
pour conferver mes jours ; mais
que les fiens feroient par la fort expofés
& fa fortune perdue fans reffource .
Je lui offris , pour le raffurer , ma protection
, & une récompenfe proportion-
-née à ce grand fervice. Je ne prévoyois
pas qu'il pût m'en rendre d'autres que
de faire manquer le mariage qu'il s'étoit
chargé de faire réuffir , & , en effer
c'étoit déja beaucoup. Mais l'Afriquain
ofa davantage. Il me propofa de me
-fubftituer à la place de fon maître : chofe
, felon lui , fort aifée & très-excufable.
Quant à moi , elle me parut & plus
difficile & très-peu thonnête. C'étoit
néanmoins le feul expédient qui me reftât.
Que n'ofepointun amourimpétueux ,
à qui les moyens ordinaires manquent
pour arriver à fon but , & , furtout , à
qui la route opposée offre un moyen
für d'y parvenir ? En effet , l'Agent du
Comte étoit muni des atteftations les
plus claires , les plus authentiques . Il
n'étoit pas poffible de révoquer fa miffion
en doute. Ce n'eft pas tout , le
Comte marquoit expreffément que fur
la réponse de fon Envoyé , il viendroit
lui- même effectuer en perfonne l'alliance
qu'il follicitoit par un tiers. L'âge de
ce
1
MA I.
1753. 25
cè rival étoit d'environ dix ans plus
avancé que le mien ; mais cette différence
étoit peu remarquable . Il y avoit ,
d'ailleurs , entre notre taille & nos traits
ce rapport qui peut faire illufion à des
yeux peu familiarifés avec l'objet qu'on
veut remplacer ; & ce qui achevoit de
rendre cette illufion facile , c'eſt que le
Comte abfent de fon pays depuis vingt
ans , étoit abfolument inconnu à Dona
Léonor ; il n'étoit guère mieux connu
perfonnellement des autres parens de
cette belle Efpagnole . Tant de facilités
me féduifirent. Ainfi nous convînmes
l'Africain & moi , qu'il feroit , en effet
la demande au nom du Gouverneur ;
mais qu'il fubftitueroit mon portrait au
fien. J'y joignis même pour plus d'authenticité
, celui de Dona Léonor auquel
j'avois fait adapter une boëte toute femblable
à celle que j'avois reftituée au
Comte. Ce que nous avions prévu arriva.
La propofition du Gouverneur d'Oran
fut approuvée de toute la famille de
Dona Léonor ; & ce que je n'avois ofé
prévoir , mon portrait plut à cette jeune
& altière beauté. Vous préfumez bien
que l'Agent du Comte lui écrivit d'un
ftyle à le clouer plus que jamais à fon
rocher. Mais tandis que ce rival , trom-
B
26 · MERCURE DE FRANCE .
4 pé par cette lettre , regardoit fa démarche
comme infructueufe , j'en recueillois
hardiment les fruits.
Au bout d'un intervalle raiſonnable ,
je me préfente fous le nom du Comte, accompagné
de quelques amis qui approuvoient
& fervoient mon ftratagême.
C'étoit vers le foir , & la cérémonie
ne fut pas même différée jufqu'au matin.
Je motivai cette extrême diligence
de l'abfolue néceffité qui me rappelloit
à mon Gouvernement , du danger qu'il.
y auroit pour moi à être furpris en
Efpagne. Ces raifons étoient plaufibles
, & elles furent goûtées . Nous nous
acheminâmes , fans différer vers le
Port de Cadix , où un Vaiffeau nous
attendoit. Une vieille tante de Dona
Léonor, & qui l'avoit élevée , voulut
s'embarquer avec elle : je ne m'y oppofai
pas , mais je n'y confentis qu'à
regret. Dona Padilla , ( c'eft le nom
de cette tante ) étoit doublement mon
ennemie , & par rapport à la haine héréditaire
dont j'ai déja parlé , & parce
que mon père avoit refufé de mettre
fin à cette haine , en époufant Dona
Padilla forte d'injure qu'une femme
ne peut naturellement oublier , & que
celle- ci avoit toujours préfente. QuoiM
A I. 1763. 27
'qu'il en foit , nous partimes . Le Pilote
avoit le mot , & d'ailleurs , le Détroit
de Gibraltar que nous paffames , acheva
de tranquillifer la vieille tante qui fe
piquoit de connoître la Carte. Elle ne
douta plus que nous n'allaffions en
Afrique. Pour ma nouvelle épouſe ,
elle étoit feule avec moi dans la principale
chambre du Vaiffeau , & elle ne
s'apperçut ni ne s'informa de rien qui
concernât le trajet que nous avions à
faire. Nous continuâmes ainfi à côtoyer
de loin les terres d'Efpagne qu'on
perfuadoit à la vieille être celles d'Afrique
, & nous arrivâmes à Alicant ,
que la tante & la niéce prirent pour
la Ville dont j'étois Gouverneur. Il
étoit prèfque nuit ; circonftance qui
aidoit encore à l'illufion . J'avois , d'ailleurs
, envoyé d'avance mes ordres par
terre. Une voiture lefte & commode
nous attendoit au Port. Je fis traverfer
la Ville à mes deux compagnes de
voyage & les conduifis en toute diligence
à quelques liéues de là dans un
Château qui m'appartient. Je voulois
encore diffimuler , au moins , quelques
jours ; mais les foupçons de l'une & de
l'autre devinrent fi marqués , fi preffans
, qu'il fallut enfin me réfoudre à
1
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
parler net. Je leur déclarai que je n'étois
ni le Comte de C ... S... ni le Gouverneur
d'Oran mais que mon nom valoit ,
pour le moins , celui que j'avois emprunté
; que je pouvois prétendre aux
mêmes emplois que mon rival ; que
ma fortune égaloit la fienne , & qu'à
mon amour l'emportoit
coup für
fur le fien .
Comment reçut - on votre aveu ? interrompit
brufquement l'Hermite François.
On ne peut pas plus mal , répondit
l'Efpagnol. Je le crois reprit fière
Pacôme ( c'eft le nom que s'étoit donné
l'autre Cenobite. ) Et pourquoi , replifrère
Paul , en êtes -vous fi intimement
perfuadé ? C'eſt , ajouta frèrẻ
Pacôme , que j'ai moi -même éffuyé un
pareil aveu , que certainement je l'ai
reçu plus mal encore. Mais pourſuivez
votre récit. Le prétendu frère le continua
en ces termes :
qua
&
Non , je ne puis vous exprimer la
furpriſe où ce difcours jetta & la tante
& la nièce. Jufqu'à ce moment Dona
Léonor m'avoit prodigué les marques
de la plus vive tendreffe. Quelle fut
ma douleur de la voir défapprouver
hautement mon ftratagême ! Je lui
proteſtai qu'il ne m'avoit été dicté que
M A I. 1763. 29
par l'amour, & par l'impoffibilité de
pouvoir l'obtenir autrement ; que j'avois
un rang à lui donner , & que
j'étois prêt à réparer tout ce qui dans
cette affaire pouvoit pécher par la
forme , puifqu'auffi bien il n'y avoit
plus rien à réparer quant au fond. Je
vis le moment où Dona Léonor alloit
oublier fon courroux ; mais la vieille
tante étoit infléxible , & l'afcendant
qu'elle avoit für fa nièce l'emporta fur
celui que je croyois y avoir moi-même.
Je continuai cependant à les traiter avec
tous les égards poffibles. Elles avoient
tout à fouhait , excepté la liberté de
m'échapper , & même celle de faire
fçavoir à leur famille l'efpéce de captivité
où je les retenois. D'un autre côté
leurs parens les croyoient en Afrique ;
mais le Gouverneur d'Oran ne tarda
pas à les détromper. Impatient de ne
recevoir aucunes nouvelles de fon député
, il prit le parti d'en dépêcher un
fecond. Celui- ci le fervit plus fidélement
que l'autre , peut-être parce qu'il
ne trouva pas la même occafion de le
trahir. Le Comte apprit par lui une
partie de ce qui s'étoit paffé & devina
fe refte. Jugez de fa rage & de fa confufion
! Ce qui achevoit de le défeſpé-
B iij
30
'MERCURE DE FRANCE ,
1er étoit de ne pouvoir fans déshonneur
& fans crime s'abfenter de la
Fortereffe qui lui étoit confiée. Il préféra
enfin fa vengeance à fa fortune
demanda un fucceffeur , l'obtint & ſe
rendit fur les lieux pour vérifier le
rapport de fon nouveau confident &
toute la perfidie de l'ancien .
-
Là il apprit tout ce qu'il defiroit &
craignoit d'apprendre . On lui confirma
qu'un prétendu Gouverneur d'Oran
avoit époufé , & par conféquent enlevé
celle qu'il fe propofoit d'épouſer
lui-même. Il lui refloit à fçavoir quel
étoit ce raviffeur , quelle route il avoit
prife , quelle retraite il avoit choifie,
Peut être n'efpéroit - il pas découvrir
fi promptement toutes ces choſes ;
mais le hafard le fervit mieux qu'il ne
l'efpéroit. Un Matelot qui fit avec nous
le trajet de Cadix à Alicante & quit
étoit de Séville , y revint ayant oui
parler du rapt de Dona Léonor, il dit
publiquement avoir aidé à la conduire.
à Alicante . Le Comte , à cette nouvelle
, ne confulte que fa fureur. Il fe rend
par terre & en pofte à Alicante. Le
mier objet qui s'offre à fa vue eft l'Africain
qui l'a trahi. Celui- ci l'ayant
reconnu cherchoit à l'éviter ; mais ce
preM
A I. 1763. 31
•
.
fut en vain. Ta mort eft certaine , lui
dit le Comte en le joignant , fi tu ne
me détailles ton infâme trahifon , & fi
tu ne m'introduis jufques chez ton complice
. L'Africain , demi-mort de frayeur,
me nomma à fon ancien Maître. Le
Comte fut très -furpris de trouver en
moi celui qu'il cherchoit ; mais il n'en
fut que plus irrité. Il perfifta à vouloir
être conduit & introduit chez moi.
J'avoue que mon étonnement & ma
confufion furent extrêmes en le voyant
paroître. Je ne fçavois quel difcours lui
adreffer; il me prévint. Dom Fernand ,
me dit- il , tu vois en moi l'homme du
monde que tu as le plus vivement outragé,
Peut-être te dois- je la vie ; mais
tu viens de me ravir l'honneur : la
compenfation n'eft pas éxacte . J'ai ofé
pénétrer chez toi fans fuite & fans défiance
. J'aurois pu recourir aux voies
toujours lentes , & fouvent peu fûres
de la Juftice ; mais des hommes tels
que nous doivent fe faire juftice euxmêmes.
Choifis fans différer l'inſtant
& le lieu .
Il est trop jufte , lui répondis- je , de
vous donner la fatisfaction que vous
éxigez . C'eft , d'ailleurs , la feule qui
foit en mon pouvoir & en ma volonté.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Car vous n'efpérez pas , fans doute ,
que je vous céde jamais Dona Léonor ?
Je vous ai enlevé cet objet que vous
n'aimiez qu'en idée & que j'aimois
réellement. J'ai emprunté votre nom
pour arriver à mon but. Non que j'aie
à rougir du mien & qu'il n'égale peutêtre
l'éclat du vôtre ; mais il s'agiffoit
de tromper une haine injufte & implacable.
J'y ai réuffi par ce moyen.
C'est une rufe qui eft d'ufage à la
guerre & qui eft , au moins , tolérable
en amour. Quoiqu'il en foit , votre
reffentiment eft légitime , & me voilà
prêt à vous fuivre. Je l'exhortai , cependant
, à prendre quelque repos , &
même quelques rafraîchiffemens. Il me
témoigna n'avoir envie que de fe battre.
Je le mis bientôt à même de fe
fatisfaire . Il fortit fans affectation ; je le
fuivis de près ; & à peu de distance de
mon Château , nous commençâmes un
combat des plus animés . Je n'ignorois
point à quel homme j'avois affaire , & il
remplit toute l'idée que j'avois eu de lui .
Je l'avouerai même , je ne combattois
fans remords. Il me bleffa avant
que j'euffe pu lui porter aucune atteinte .
Je redoublai mes éfforts & le bleffai à
mon tour. Deux autres bleffures que
pas
M A I. 1763. 33
2
je lui fis ne purent le réduire à demander
quartier. Mais , enfin , il tomba
affoibli par la perte de fon fang. Je ne
me permis point de défarmer un fi
brave homme ; je m'éloignai en lui
promettant un prompt fecours. Ce fut ,
en effet , mon premier foin. Un de
mes gens qui étoit Chirurgien , voulut
d'abord me panfer. Je m'y oppofai , &
le conduifis , moi - même , auprès du
Comte qui avoit perdu toute connoiffance.
On lui mit le premier appareil
fur le champ de bataille même : après
quoi je le fis tranfporter chez moi le
plus doucement. qu'il fut poffible. Ses
bleffures étoient confidérables ; cependant
le Chirurgien jugea qu'elles pour
roient n'être pas mortelles. Il reprit un
peu fes fens , & je m'éloignai , tant
pour ne point le mortifier par ma préfence
, que pour me faire panfer moimême
.
Revenu entiérement à lui , le Comte
demanda chez qui il étoit. J'avois défendu
qu'on l'en inftruisît. Il reçut pour
réponse qu'il étoit en lieu de paix &
de fûreté ; qu'il n'eût d'autre . inquiétude
que de fe guérir. On . avoit pour
lui les attentions les plus empreffées
& j'avois de mon côté celle de ne point
B.v.
34 MERCURE DE FRANCE .
m'offrir à fa vue . Etonné , cependant ,
de ne voir paroître que des domeſtiques
, il réitéra fes queftions ; & les réponfes
de mes gens étant toujours àpeu
- près les mêmes , il foupçonna ce
qu'on lui cachoit avec tant de foin.
Pourquoi , demanda- t-il encore , pourquoi
celui qui en ufe avec moi fi généreufement
, me croit- il moins généreux
que lui ? Ce difcours m'ayant été
de nouveau tranfmis , je fis dire au
Comte , qu'une bleffure affez confidérable
m'avoit jufqu'alors contraint de
garder la chambre ; mais que j'efpérois
aller bientôt m'informer en perfonne de
fa propre fituation . Cette réponſe parut
le fatisfaire .
Il est temps de revenir à Dona Léonor.
Elle & fa vieille tante habitoient
toujours mon Château ; mais la partie:
qu'elles occupoient n'avoit nulle communication
avec le refte . Il eût été plus.
éffentiel pour moi d'interrompre toute
communication entr'elles. Mes complaifances
euffent pù adoucir Dona
Léonor , que les confeils de fa tante aigriffoient
de plus en plus contre moi .
Une jeune perfonne excufe toujours
affez facilement les fautes que l'amour
fait commettre ; mais il n'eft aucun âge
MA I. 1763. 31
où une femme puiffe oublier une injure
qui part du mépris ou de l'indifférence
auffi Dona Padilla eût - elle
voulu fe venger de celle de feu mon
père fur toute fa poftérite.
Dona Padilla & fa niéce avoient vu
des fenêtres de leur pavillon , ce qui
s'étoit paffé durant & après mon combat
contre Dom Tellez. Elles ignoroient
le nom de mon Adverfaire , & je n'avois
pas moi-même fait réflexion qu'elles
.pouvoient nous appercevoir dans
ce moment. Je fuis für que les voeux de
Dona Padilla furent tous contre moi ;
& ce qui m'afflige beaucoup plus , j'ignore
fi fa niéce ne fut pas fur ce point
d'accord avec elle. Au furplus , ce com
bat étoit une énigme pour l'une & pour
l'autre . Ce fut apparemment pour la développer
, ou du moins , pour vérifier
leurs foupçons à cet égard , que Donar
Padilla me fit demander un entretien.
Elle ignoroit que je fuffe bleffé. Je ne
Pen fis pas inftruire. On lui dit feulement
de ma part , qu'une incommodité fubite
m'empêchoit de me rendre auprès
d'elle. A cela près , je lui laiffois la liberté.
de prévenir ma vifite ; & , en effet , elle
la prévint. Je n'appercus ni fur fon front,
ni dans fes difcours , aucune marque.de
B.vj
36 MERCURE DE FRANCE.
haine. Elle diffimula au point que je
crus que le temps & fes propres ré--
flexions l'avoient entiérement changée .
J'avoue , me difoit elle , du ton le plus
véridique , j'avoue que certaine prévention
héréditaire m'anima contre vous
dès l'inftant où vous vous fites connoître .
Mais enfin j'ai fenti que cette prévention
étoit injufte , & que d'ailleurs ce
malheur fuppofé étoit fans reméde. J'eſ
pére avec le temps perfuader la même
chofe à ma niéce , qui me voyant changée
à votre égard , imitera bien volontiers
mon exemple.
Il fuffit d'aimer pour être crédule. Je ne
foupçonnai aucun artifice dans ce difcours.
Je jurai à Dona Padilla une reconnoiffance
, un dévouement éternel.
Je voulois , malgré l'état d'épuisement
où je me trouvois , je voulois , dis-je
aller trouver fa niéce & lui renouveller
Poffre de tout réparer , offre tant de
fois renouvellée en vain. Mais Dona Padilla
s'oppofa à cette démarche , me
promit d'applanir toutes les difficultés ,
& me laiffa ivre d'efpérance & de joie.
Le jour fuivant y mit le comble . Js
vis la tante & la niéce entrer dans ma
chambre ; je crus voir , dans les yeux de
cette dernière, plus que l'autre ne m'avoi
M. A. & 1763. 37
promis. Dès- lors elles jouirent d'une
liberté entière , de même que leur fuite.
Il est vrai que l'évafion d'un de leurs
domeſtiques me donna quelque inquiétude
; mais la franchiſe apparente de
l'une & de l'autre me raffura. Je portai
la confiance jufqu'à leur apprendre que
L'adverfaire avec qui elles m'avoient
vu aux prifes , étoit le Comte lui -même ;
qu'il étoit dans mon Château , & qu'il
leur feroit libre au premier jour de lui
parler. La crainte,d'occafionner à celuici
quelque révolution fâcheufe , m'empêchafeule
d'avancer le moment de cette
entrevue. Il convenoit , d'ailleurs , que
j'euffe d'abord avec lui un entretien par
ticulier. Lui-même defiroit me voir , &
je me rendis à fon invitation . Il m'adref
fa la parole auffitôt qu'il m'apperçut.
Marquis , me dit-il , il ne peut plus y
avoir de rivalité entre nous . Votre bras
m'a vaincu ; vos procédés me défarment
; jouiffez en paix du tréfor que
vous fçavez fi bien défendre. Braye.Comte
, lui répondis -je , un homme tel que
vous , n'a de fu érieurs ni en courage ,
ni en générofité. Il me demanda , s'il
ne lui feroit pas permis d'envifager , au
moins une fois , Dona Léonor. J'y confentis
fur le champ , perfuadé que tou
38 MERCURE DE FRANCE.
"
tes fes anciennes prétentions fur elle ne
pouvoient plus décemment exifter. Je
fçavois , d'ailleurs , que Dona Padilla
defiroit cette entrevue autant que luimême.
Auffi ne fe fit-elle point trop attendre.
Elle vint accompagnée de fa
niéce.
C'étoit quelque chofe d'affez nouveau
qu'une pareille fituation : j'examinai
en filence & le Comte & Dona
Léonor. Elle a tant de charmes que je
ne fus pas furpris de voir mon ancien
rival tout prêt à le redevenir. Il perdit
& la parole & toute contenance en la
voyant. Pour elle je n'apperçus prèsqu'aucune
altération fur fon vifage , &
cette extrême tranquillité rappella toute
la mienne.
Je l'avoue , il n'échappa à Dom Tellez
aucun difcours qui annoncât ni defir ,
ni efpérance de fa part. I y auroit eu
de la barbarie à exiger qu'il étouffat jufqu'aux
regrets . Il eut même la force de
n'en témoigner qu'autant que la politeffe
fembloit le lui préfcrire ; mais il fut moins
réfervé dans l'entretien que nous eumes
tête-à-tête. Il m'avoua qu'il feroit audeffus
de fes forces de me la céder fi
el'e pouvoit encore faire l'objet d'une
difpute. Avouez en même - temps , lui
MA I. 1763. 39
dis-je , qu'il a pû être au-deffus des miennes
de me la laiffer ravir , pouvant me
l'affurer ? Le Comte me fit un autre
aveu que je n'attendois pas . Il me dit ,
qu'en lui enlevant Dona Léonor , je lui
épargnois un parjure ; qu'il étoit fécrettement
lié en France , & que cet évenement
joint à fes remords , l'alloit rendre
à fes premières chaînes. En attendant
, il s'offrit d'être médiateur auprès
de la niéce & de la tante. Ce fut lui qui
m'inftruifit que la première feroit bientôt
appaifée , fi la feconde pouvoit l'être .
Je le conjurai de redoubler fes efforts
auprès d'elle. Ses bleffures étoient àpeu-
près guéries , & fon zéle pour mes
intérêts fembloit s'accroitre à chaque
inftant. Mais la haine de Dona Padilla
étoit toujours la même.
Retiré unjour au fond de mon cabinet
, j'y étois abîmé dans une rêverie
mélancolique & profonde . Elle fut brufquement
interrompue par le Comte.
Âmi , me dit-il d'un ton vif& pénétré ,
vous être trahi , vous êtes vendu . Une
nombreuſe troupe d'Alguafils affiége le
Château , & leur Chef demande à vous
parler de la part du Roi . C'eft un trait de
la vengeance de Dona Padilla : mais
décidez promptement ce qu'il faut faire .
40 MERCURE DE FRANCE.
Faut- il réfifter ? me voilà prêt à verfer
tout mon fang pour vous.
Courageux ami , lui répondis -je , vor
tre générofité vous perdroit fans me
fauver. Il nous fiéroit mal de réfifter
aux ordres d'un Roi que nous avons
fi bien fervi . Gardez- vous , reprit- il avec
vivacité , gardez-vous bien d'obéir entiérement
: vous êtes perdu fi on vous
arrête. Eh que puis -je donc faire ? ajou
tai- je. Vous déguifer & difparoître ,
pourſuivit-il : je vais vous en donner les
moyens ; je vais me livrer à votre place
& fous votre nom . Je ne fuis pas plus
connu de cette vile troupe que vousmême
. Il fera facile de lui faire prendre
le change . Il vous fera également aifé
d'être inftruit de ce qui fe paffe . J'efpére
que le temps & mes foins accommoderont
toutes choſes .
Ce confeil me donna à rêver ; mais
l'inftant d'après je rougis de mes foupçons
; d'ailleurs , confidérant qu'il ne
pouvoit y avoir aucun rifque pour le
Comte , & qu'à tout événement , je
pourrois toujours venir le dégager , je
confentis à ce qu'il- éxigeoit.
Dona Padilla , qui fans doute craignoit
mon reffentiment , s'étoit renfermée
dans fon pavillon avec fa niéce.
M.A.F. 1763. 41
Elle aidoit par là , à notre ftratagême.
Auffi eut-il un plein fuccès. On conduifit
le Comte à la Ville Capitale de
Murcie. I refta feulement chez moi
jufqu'à nouvel ordre , quelques : Alguafils
, canaille qu'avec le fecours de mes
gens , il m'eût été facile d'exterminer ;
mais je n'en avois aucune idée pour le
moment . J'étois bien éloigné de fonger
à compromettre Dom Tellez plus qu'il
n'avoit voulu l'être . Couvert d'habits
fimples , après avoir donné mes ordres
à mes principaux. domeftiques , j'allois
abandonner ma maifon à mon ennemie
& à fes fatellites ; jallois m'éloigner ,
même fans chercher à voir Dona Léonor
: le hazard vint l'offrir à mes yeux.
Je la rencontrai noyée dans fes larmes
& dans l'agitation la plus vive . Quand
même elle ne m'eût pas reconnu , je
n'aurois pu m'empêcher de me faire
connoître à elle , je n'en n'eus pas befoin.
Qui êtes-vous , me dit- elle avec une exclamation
involontaire & qui auroit pû
s'attribuer à la joie ; par quel prodige
êtes-vous encore ici ? Je n'y ferai pas
long-temps , lui repliquai - je , vous me
voyez prêt à m'éxiler de ma propre demeure
vos voeux & ceux de votre tante
barbare feront bientôt , remplis. Dona
42. MERCURE DE FRANCE.
Léonor ne répondit rien , mais fes lar
mes continuoient à couler. Hé bien ,
ajoutai-je , s'il eft vrai que vous ne foyez
pas mon ennemie , fuyons enſemble ;
tout éxil , tout climat me fera doux , fi
vous l'habitez avec moi. Non , repritelle
en fanglottant , non , une telle démarche
ne m'eft ni permiſe , ni poffible.
Un Cloître auftère va enfevelir ma
honte & tout efpoir de réunion avec
vous.... A ces mots , elle s'évanouit.
J'étois hors de moi-même . J'appellai
quelques domeftiques. Ils accoururent
& avec eux l'implacable vieille. Elle
me reconnut ; elle frémit & reprocha
à trois Alguafils qui fe trouvoient là ,
d'avoir manqué leur proye ; ajoutant ,
avec des cris furieux , que j'étois Dom
Fernand. Cet excès d'audace mit le
comble à ma fureur. J'allois immoler
cette mégère ; un refte d'orgueil me
retint ; mais rien ne put m'empêcher de
fondre avec rage fur les fatellites qui.
me crioient de merendre . Un de ces miférables
tomba à mes pieds percé de
coups ; les deux autres firent feu en
s'éloignant. Ils me manquerent ; mais
en revanche , une des deux balles alla
caffer le bras droit à la barbare Padilla.
Mes domeftiques accoururent en
MA I. 1763. 43
armes. Les Archers ne fe trouvant pas
les plus forts , & éffrayés de ce qu'ils .
venoient de faire , fe virent eux - mêmes
obligés de fe rendre .
J'ordonnai des fecours à ma cruelle
ennemie. Son accident jettoit fa nièce
dans une défolation trop grande pour
qu'il fut poffible de lui parler d'autre
chofe. La nuit avançoit , & j'avois
mille raifons d'en profiter pour mon
départ. Ainfi je m'éloignai accompagné
d'un feul domeftique. Chemin faiſant
je réfléchis que l'affaire étoit devenue.
plus grave ; qu'il pourroit y avoir quelque
danger pour Dom Tellez. Je ne ba-
Jançai pas ; je m'acheminai vers le lieu
de fa détention , réfolu de me ſubſtituer
à fa place. Il jouiffoit d'un affez grande
liberté , & j'eus celle de lui parler têteà-
tête. Mon arrivée lui caufa autant de
furprife que d'inquiétude ; mais je prévins
les queftions qu'il alloit me faire..
Ami , lui dis -je , c'eft trop vous compromettre
& vous expofer : les circonf
tances ne font plus les mêmes & je dois.
feul en courir les rifques . Alors je l'inſtruifis
de ce qui s'étoit paffé depuis
l'infant de fon départ. Et c'eft pour
cela , reprit-il vivement , que vous deez
plus que jamais vous éloigner . Les
44 MERCURE DE FRANCE .
rifques feront toujours beaucoup plus
grands pour vous que pour moi . La
mort de l'Alguafil & l'arrêt des autres
ne font rien . En vain lui oppofai - je les
raifons les plus preffantes. Il ne les approuva
pas plus que les premières ; &
malgré toute ma répugnance , il me
fallut moi-même céder aux fiennes.
Mes larmes coulerent en embraffant
ce généreux ami . J'érrai quelque temps
d'un lieu à l'autre , toujours déguiſé &
toujours méconnu . Un émiffaire fidéle
m'inftruifoit de tout ce qu'il m'importoit
de fçavoir. J'appris qu'une troupe
nombreuſe d'Aguafils avoit de nouveau
reparu chez moi ; que Dona Padilla ,
prefque guérie de fa bleffure , ne pour
fuivoit que moi feul & non ceux qui
l'avoient bleffée ; que mes gens étoient
à- peu-près efclaves dans mon Château ;
& que mon ennemie y commandoit
en maîtreffe. Le Comte lui-même s'eft
vu pris à partie par Dona Padilla &
par fes frères. Il a eu recours au Roi
qui s'eft réfervé la décifion de ce procès
bifarre. Mais vous fçavez l'efpéce
de maladie dont ce Monarque eſt attaqué
depuis plufieurs mois. Il ne peut
ni donner aucune audiance , ni s'occuper
d'aucune affaire ; & , cependant le
M A I. 1763. 45
Comte eft toujours prifonnier ; Dona
Padilla toujours implacable , Dona
Léonor toujours ingrate , & moi tou
jours fugitif. Enfin , las d'érrer de Province
en Province , j'ai choifi ces montagnes
pour afyle & cet habit pour
dernier déguisement. J'en ai fecrettement
fait inftruire mon généreux rival ,
& je n'apprends pas que rien en ait
encore inftruit mes perfécuteurs. Mais
avouez , ajouta l'Efpagnol , qu'il en
faut fouvent moins pour fe faire Hermite
, & que de plus foibles difgraces
Vous retiennent enfeveli dans cette
Grotte ?
C'eft précisément ce que je n'avouerai
pas , reprit l'Hermite François. Mon
récit , il est vrai , fera plus court que
le vôtre & moins rempli d'héroïſme ;
mais vous allez voir fi j'ai eu de bonnes
raifons pour fuir le monde , les
hommes du bon ton & , fur- tout , les
femmes , quelque ton qu'elles puffent
prendre.
Comme il achevoit ces mots , fon
jeune compagnon entra pour quelque
motifindifférent. Il parut l'inftant d'après
vouloir fe retirer. Non , lui dit
frère Pacóme , demeurez avec nous.
Le récit que je vais commencer pourra
46 MERCURE DE FRANCE.
vous être utile. On s'épargne bien des
fottifes quand on fait une mûre attention
à celles d'autrui . Le jeune Solitaire
obéit en rougiffant ; & fon Patron
pourfuivit en ces termes.
Mon nom eft le Comte D ..... à
peixe forti du Collége où j'avois perdu
huit à dix ans , j'allai en perdre àpeu-
près autant a fréquenter la Cour ,
les cercles , & à tromper les femmes.
Elles ne tarderent pas à prendre leur
revanche .
J'étois fort lié avec le jeune Marquis
de P .... Nous avions l'un & l'autre la
même conduite , les mêmes penchans ,
les mêmes fociétés , les mêmes travers .
Le hafard voulut encore que nous
donnaffions dans la même intrigue , &
bientôt après dans le même piége .
Doricourt , c'eft le nom que je donné
au Marquis , me procura entrée chez
Belife , veuve encore affez jeune pour
avoir des prétentions ; mais qui les portoit
un peu trop loin . Je lui plus fans
le vouloir , & juftement lorfque Doricourt
ne vouloit plus lui plaire. De fon
côté elle ne vouloit rien perdre ; elle
prétendoit garder fes anciens captifs &
en faire de nouveaux . Nous nous concertâmes
Doricourt & moi pour la tromM
A I. 1763. 47
per & nous y réuffimes. Elle nous
croyoit rivaux & non confidens l'un de
l'autre . Mais le hafard vint la tirer d'erreur.
On l'inftruifit de nos démarches
publiques & fecrettes . Elle vit , fans
en pouvoir douter , que de deux amans
qu'elle croyoit avoir, il ne lui en reftoit
pas même un. Jugez de fon dépit ! Elle
diffimula cependant ; chofe affez rare
dans une femme irritée , & qu'irrite un
outrage de cette eſpéce.
La forte de vengeance qu'elle imagina
fut auffi bitarre qu'exactement remplie.
Jufques-là le jeune Solitaire qu'on.
avoit contraint d'écouter ce récit , avoit
laiffé entrevoir beaucoup d'émotion ;
mais elle redoubla à ces derniers mots.
Il vouloit fortir un nouvel ordre de
fon Mentor l'obligea de refter. Voici
comme l'Hermite Comte , pourſuivit
fon difcours.
Belife avoit deux Niéces qu'elle faifoit
élever dans deux couvents féparés.
Elles étoient feules , & n'avoient que
quatorze à quinze ans. Des Niéces de
cette figure & de cet âge déplaiſent toujours
à une Tante qui a l'ambition de
plaire ; & Belife les tenoit féqueftrées ,
moins pour les empêcher de voir que
d'être vues. Telle étoit , du moins , fa
18 MERCURE DE FRANCE.
premiere intention . Nous contribuâmes
à la faire changer. Belife réfolut de faire
fervir la beauté de fes Niéces à fa
vengeance. Quiconque ne fçauroit pas.
jufqu'où une femme peut la porter ,
douteroit à coup fùr du ftratagême que
celle - ci mit en ufage. Elle commença
par exciter entre nous quelque réfroidiffement
; après quoi elle nous parla
à chacun en particulier , d'une Niéce
qu'elle faifoit élever dans tel couvent.
Elle avoit fes raifons pour ne nous parler
que d'une Niéce & non de deux. Je
fus le premier qu'elle pria de l'accompagner
dans une vifite qu'elle fit à l'une
d'entr'elles , c'eft a dire à celles que.
Belife vouloit me faire connoître . Elle
defiroit que j'en devînffe épris ; & dès
cette premiere vifite , elle dut s'appercevoir
que j'en étois plus que frappé.
Ces fortes de vifites fe multiplioient.
Cependant je crus voir que la jeune
perfonne ne les trouvoit point trop fréquentes.
Belife ne me gênoit en rien làdeffus
. Elle éxigeoit feulement que j'en
fiffe mystère à Doricourt : difcrétion
qui me coûtoit peu. Il fuffit d'aimer
pour fçavoir fe taire à propos ; & j'aimois
déja trop , pour ne pas redouter un
rival. Ce qu'il y a de plus particulier
- -
dans
MA I. 1763. 49
dans cette avanture , c'eft que Doricourt
ufoit de la même circonfpection envers
moi , & croyoit avoir les mêmes raiſons
d'en ufer ainfi . Belife l'avoit introduit
auprès de fon autre niéce, en fe gardant
bien de lui parler de la premiere. D'ailleurs
, la feconde avoit affez de charmes
pour qu'on ne s'informât point fi elle
avoit une foeur. Elle plut à Doricourt ,
& ce qui prouve beaucoup plus , furtout
dans un petit -maître , elle lui ôta
toute envie de plaire à d'autres , toute
envie de publier qu'il lui plaifoit. Nous
nous félicitions chacun à part & de notre
découverte , & de notre prudence .
Nous crûmes , furtout , l'avoir portée
fort loin un jour que le hazard nous réunit
en particulier , Doricourt & moi.
Eh bien , Comte , me dit- il , où en
es-tu avec Belife ? C'eſt à moi , répondis-
je , à te faire cette queftion ; vous
êtes trop fouvent enfemble pour qu'on
puiffe vous y croire mal . Ma foi , mon
cher , reprit - il d'un ton à demi ironique
, je trouve à cette femme des reffources
prodigieufes dans l'efprit. J'ai
tant vu d'Agnès m'ennuyer , que j'en
reviens à l'expérimentée Belife.C'eft bien
penfé , repliquai-je à-peu-près fur le
même ton ; j'ai moi - même quelques
}
C
50 MERCURE DE FRANCE .
vues fur fon expérience. Ainfi notre rivalité
ne fera bientôt plus un jeu . Soit ,
ajouta Doricourt ; il faut en courir les
rifques. Nous joignimes à ce perfifflage
beaucoup d'autres propos équivalens ; &
nous nous quittâmes fort contens de
nous-mêmes & très- difpofés à nous
divertir aux dépens l'un de l'autre .
>
Celle qui réellement fe jouoit de nous
deux alloit à fon but fans s'arrêter. Elle
vit que nous étions trop vivement épris
pour n'être
pas facilement trompés. Elle
eut de plus recours à l'artifice pour nous
faire courir au piége qu'elle nous tendoit.
Ce fut encore à moi qu'elle s'adreffa
d'abord. Ma niéce, me dit- elle un jour,
fe difpofe à partir pour l'Espagne ..
Pour l'Espagne ! m'écriai-je , avec une
furpriſe douloureufe ! oui , répondit- elle
avec un fang froid étudié ; ce Royaume
fut la patrie de fon père qui n'eft plus ;
fa mère elle-même eft morte au monde,
& m'a laiffé un abfolu pouvoir fur la
deftinée de fa fille. Je l'interrompis encore
par de nouvelles queftions , & elle
entra dans de plus grands détails ; mais
je dois vous les épargner. Il vous fuffira
d'apprendre en bref que le père de Lucile
, Efpagnol de naiffance , avoit ſéjourné
quelque temps à Paris ; qu'il y
époufa fecrettement la foeur de Belife ;
MA I. 1763 . 51
qu'obligé de quitter fubitement la France
avant que d'avoir pu faire approuver
fon mariage à fa famille , il ne put
emmener avec lui ni fon épouse , ni
une fille qu'il en avoit eue & qu'on faifoit
élever fecrettement ; qu'au bout de
quelque temps on apprit la nouvelle de
fa mort; que fa veuve ne fe croyant
plus à temps de déclarer fon mariage ,
avoit cru devoir renoncer au monde &
s'étoit enfermée dans un cloître . Tel
fut en gros le récit de Belife. Il étoit
fincére , excepté qu'au lieu d'une fille ,
fa foeur avoit donné le jour à deux.
Elle ajouta que la famille de feu fon
beau-frère , inftruite de l'éxiſtence de
Lucile & touchée de fon état , ſe diſpofoit
volontairement à la reconnoître ;
mais qu'elle éxigeoit que Lucile paſſât
en Espagne , d'où jamais , fans doute
elle ne reviendroit en France .
" Je frémis à ce difcours ; je me jettai
aux pieds de Belife & lui fis l'aveu de
ce que je reffentois pour fa charmante
niéce. Elle en parut furprife , & encore
plus fatisfaite. J'augurai bien de cette
joie , parce que j'en ignorois la vraie
caufe. Il eft fâcheux , me dit- elle , que
vous ayez tant tardé à vous expliquer ;
j'aurois pu faire pour vous il y a quel-
Cij
$ 2 MERCURE DE FRANCE.
ques jours , ce qui n'eft plus en mon
pouvoir actuellement. Eh , pourquoi ?
lui demandai - je avec vivacité. Parce
que l'Ambaffadeur d'Efpagne , preffe
le départ de ma niéce ..... Et depuis
quand ? . Depuis hier . Ah ! reprisje
avec tranfport , fouffrez que j'épouse
Lucile dès aujourd'hui. Doucement ,
doucement , repliqua Belife en fouriant ;
ces mariages impromptus font pour
l'ordinaire peu folides ; & d'ailleurs
que diront nos Efpagnols ? Mon nom ,
ajoutai-je , eft d'un ordre à figurer
côté des plus grands noms d'Espagne ;
ma fortune eft au-deffus de la médiocre
; la destinée de votre niéce dépend
encore de vous : daignez combler le
bonheur de la mienne. Il faut donc ,
reprit-elle , fans négliger les précautions ,
ufer de diligence , afin que je puiffe
fuppofer avoir été prévenue trop tard.
C'étoit foufcrire à ma demande , & je
ne m'occupai plus que du bonheur
dont j'allois jouir.
Durant ce temps Belife employoit
auprès de Doricourt les mêmes artifices
& avec le même fuccès. Il eut auffi peu
de défiance & autant d'empreffement
que moi - même ; & trois jours après
toutes les difficultés furent applanies ,
M A I. 1763. 53
tous les arrangemens préliminaires éffectués.
Belife employa cet intervalle à
préparer la fcène cruelle & bifarre qu'elle
vouloit nous faire éffuyer. Sans faire
part de fes vues à perfonne , pas même
à fes niéces , elle les fit troquer de demeure
, c'est-à-dire , qu'elle transféra
J'une à la place de l'autre. Il y avoit
entr'elles cette reffemblance de famille
affez ordinaire , & cette égalité de charmes
affez rare entre foeurs. Circonftance
qui aida encore au ftratagême de leur
tante. Cette perfide avoit eu foin de
nous perſuader , & toujours chacun à
part , que ce mariage devoit être fait
à bas bruit & prèſqu'à la dérobée. Le
mien fe fit à une heure du matin , &
celui du Marquis à deux . Notre impa
tience feconda les vues de la perfide
Belife ; & j'étois déja l'époux de la foeur
de Lucile , que je croyois encore l'être
de Lucile même. Certains difcours que
me tint ma nouvelle époufe , me parurent
cependant incompréhensibles . J'avois
moi- même quelques idées que je
ne concevois pas. l'inftant de les éclaircir
approchoit . Nous nous rendîmes à
l'appartement de Relife . Comment vous
exprimer mon étonnement ! Le premier
objet qui me frappa fut Lucile
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
aflife à côté du Marquis. Il ne fut pas
moins étonné de reconnoître Sophie
dans celle que je conduifois par la main.
Un cri perçant nous échappe à tous
deux à la fois. Sophie & Lucile en jettent
un femblable & s'évanouiffent. Je
cours à Lucile & le Marquis à Sophie.
Elles reprennent enfin connoiffance ,
mais ce fut pour paroître encore plus
agitées. Une fombre horreur nous pénétroit
tous , & nous ôtoit la force d'entrer
en explication . Pour y mettre le
comble , Belife entre avec un air mo
queur & fatisfait. Elle prévint nos juftes
reproches. Enfin , je fuis vengée , s'écria
cette femme abominable ; je fuis
vengée & vous êtes punis : j'ai fait de
vous un éxemple digne de corriger tous
vos femblables des vaines tracafferies
& de la fatuité. Vous m'avez. fçu jouer ;
& j'ai pris ma revanche . Puiffiez -vous
fentir tout le ridicule de votre fituation !
Peu s'en fallut que je ne cédaffe à
l'impétuofité de ma fureur. Il en eût
coûté la vie à celle qui la provoquoit
avec tant d'audace . Le Marquis reſtoit
pétrifié : Sophie & Lucile fondoient en
larmes. Leur cruelle tante reprit ainfi
la parole. Ces deux jeunes victimes de
ma vengeance n'en font point les comMA
I. 1763. 55
plices. Leur naiffance eft telle que je
vous l'ai fait connoître ; mes biens feront
même un jour pour elles. Croyezmoi
donc l'un & l'autre ; fubiffez paifiblement
votre deftinée. Elle ne peut
longtemps être à charge à des hommes:
de votre caractère. Je vous épargne le
ridicule d'aimer vos femmes.
Je frémiffois de voir cette perfide
jouer à l'épigramme dans un pareil moment.
Doricourt y repliqua par quelques
traits fanglans ; il m'en échappa quelques-
uns à moi - même ; mais bientôt
j'eus regret de m'avilir ainfi : c'étoit
d'ailleurs un mal fans reméde . Ce qui
acheva de m'adoucir un peu fut de voir
Sophie à mes pieds me conjurer avec.
fanglots , avec larmes , de ne point la
livrer à l'opprobre & au défefpoir . Une
jeune Beauté a bien du pouvoir quand
elle pleure & s'humilie jufqu'à ce point.
J'étois ému , attendri : je jettai involonrairement
les yeux fur Lucile & je la
vis dans la même fituation que Sophie ;
je la vis aux pieds de Doricourt . Quel
affreux coup d'oeil ! & que devins -je à
cet afpect ! Doricourt parut lui - même
frémir de voir Sophie à mes pieds ; &
fans doute Sophie , & fans doute Lucile ,
éprouvoient en elles-mêmes des mou-
C iv
56 MERCURE DE FRANCE.
vemens tous femblables , des combats
non moins horribles. Je tire le rideau
fur une fituation trop difficile à peindre.
Nous relevâmes les deux fuppliantes ;
après quoi je fortis & Sophie me fuivit ,
plutôt que je ne l'emmenai . Il en fut
de même de Lucile à l'égard du Marquis.
Un mois s'écoula , durant lequel
nous nous vîmes affez peu , & toujours
avec les mêmes regrets. Je dois cependant
l'avouer , Sophie me parut céder
affez facilement à la néceffité. Je n'ai
rien remarqué de fa part qu'il foit poffible
d'attribuer à aucune répugnance
pour moi. Bientôt même je crus y
voir un attachement réel ; mais l'image
de Lucile m'étoit toujours préfente. Je
réfolus de quitter les lieux qu'elle habitoit
; je partis avec Sophie pour une de
mes Terres fituée en Languedoc. J'y
appris au bout de quelques mois que
Lucile avoit fuccombé à fa langueur ,
& que Doricourt devenu veuf , oublioit
qu'il eût jamais été époux. Pour
moi , ne pouvant pas plus m'accoutumer
à l'être en Province qu'à Paris , &
la Paix ne me fourniffant aucun objet
de diftraction , je pris le parti d'abandonner
furtivement ma Terre & de
venir habiter ces lieux éfcarpés . Je
M A I. 1763. 57
n'inftruifis perfonne de mon deffein &
Sophie moins encore que tout autre.
Je me bornai à lui laiffer par écrit certaiá
nes régles de conduite , avec un pouvoir
abfolu de diriger tous mes biens
à fa volonté. J'ignore l'ufage qu'elle
fait & de ce pouvoir & de mes confeils
& de la liberté que je lui laiffe . Je
l'eftime & la plains. C'est tout ce que
mon coeur peut faire de plus pour elle ,
& certainement ce n'eft pas affez .
En parlant ainfi , le faux Hermite
s'apperçut que le jeune frère qu'il avoit
contraint de l'écouter , fondoit endarmes
& fembloit prêt à s'évanouir. Comment
donc lui dit-il , je ne croyois
pas avoir fait un narré fi pathétique .
Mais lui- même perdit toute contenance
en examinant le jeune Solitaire de plus
près. Que vois-je s'écria-t-il , eſt- ce
vous , infortunée Sophie ? Vous que je
fuis , que j'abandonne & qui venez me
chercher jufques dans cette folitude ?
Sophie ( car en effet c'étoit elle ) tomba
à fes pieds pour toute réponſe. Elle
voulut parler ; fes foupirs & fes fanglots
lui couperent la voix. Le Comte la releva
en l'embraffant , & laiffa lui-même
échapper quelques larmes. L'admiration
, la pitié , peut- être auffi un com-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE,
mencement de tendreffe , pénétroient
& agitoient fon âme. Il demanda à
Sophie comment elle avoit pu découvrir
le lieu de fa retraite ? Ce n'a été
reprit- elle , qu'après les recherches les
plus conftantes & les plus pénibles..
Quelqu'un que le hafard avoit inftruit
de votre métamorphofe , me fit part
de fa découverte , & j'en profitai fur le
champp ....... Que vous êtes heureux !
dit alors l'Hermite Efpagnol à fon
confrère , & que je ferois heureux moimême
fi l'ingrate Léonor vouloit imiter
l'aimable & rendre Sophie !
A l'inftant même il apperçoit plufieurs
perfonnes qui dirigeoient leurs pas vers
la folitude efcarpée. Il y avoit parmi
cette troupe quelques femmes voilées ,
& l'une d'entr'elles étoit conduite par
le Comte de C ... S ... Que vois -je ? dit
alors le Marquis d'Ol .... ah puiffent mes
foupçons fe vérifier ! En parlant ainfi
lui-même s'avançoit vers le Comte ,
qui eut peine à le reconnoître fous fon
déguisement. Quittez , lui dit ce dernier
, en l'embraffant , quittez ce ridicule
attirail. Vos périls & vos malheurs fontpaffés.
Le Roi vous rend fa bienveil
lance , Dona Léonor fa tendreffe , &
ce qui vous étonnera beaucoup plus ,
MA I. 1763 . 59
Dona Padilla met fin à fa haine....
Ciel s'écria le faux Hermite , un fi
heureux changement eft il poffible ?
En croirai-je votre récit ?... Croyez- en
Dona Léonor même , dit cette belle Efpagnole
en fe dévoilant , & mouillant
de fes larmes une des mains que fon
époux lui préfentoit ; croyez qu'en me
déclarant votre ennemie , j'ai toujours
fait une horrible violence à mon coeur.
..
à
La joie du Marquis étoit à ſon com--
ble. On entra dans la cabane de l'Hermite
François , que l'Espagnol fit d'a
bord connoître pour ce qu'il étoit réellement.
Que ne vous dois-je point
mon cher Comte , difoit le Marquis
fon ancien rival ! votre générofité ne
s'eft point démentie : elle feule pouvoit
me tirer du précipice où m'avoit jetté
mon imprudence. J'ai fait ce que j'ai
pû , reprit le Comte ; votre bonne for .
tune a fait le refte. Le Roi , informé
par moi-même de toute l'avanture , l'a
trouvée des plus fingulières: Les Loix
étoient contre vous ; mais il m'a laiffe
juge des Loix. Vous voyez que la décifion
n'a pû que vous être favorable.
C'eût été cependant peu de chofe en
core , fi Dona Padilla & fa charmante
niéce cuffent perfifté à vous être con
7
"
G vj
60 MERCURE DE FRANCE.
traires. Les larmes de Dona Léonor ont
fléchi cette parénte fi long - temps infléxible.
Vous n'avez plus d'ennemis
& vous retrouvez une épouſe qui vous
aime. Pour moi , ajouta le Comte en
foupirant , je vais paffer en France où
j'euffe pû jouir autrefois d'un pareil
avantage ; mais je n'oſe ni ne dois l'efpérer
déformais. Une abfence de dix
ans , un abandon de ma part auffi entier
qu'inéxcufable , le honteux projet
de manquer à ma foi jurée & reçue ,
en voilà plus qu'il ne faut pour m'avoir
banni du coeur de la tendre Orphife.
Ce nom fit jetter à Sophie un cri perçant
& qui étonna toute l'affemblée.
Depuis l'inftant de l'arrivée du Comte
de C... S... , cette jeune Françoiſe toujours
travestie , n'avoit ceffé de l'envifager
avec une attention mêlée de faififfement
; mais au nom d'Orphife , tous
fes doutes parurent éclaircis. Elle vint
toute en larmes embraffer les genoux du
Comte. Eft- ce vous Dom Tellez ? lui
dit- elle en fanglotant , eſt-ce vous , mon
père ! ah ! la nature me parle trop vivement
pour vouloir me tromper . Dix
ans d'abſence n'ont pû effacer vos traits
de mon fouvenir ; ils me font toujours
préfens , malgré l'âge tendre où je reçus
MA I. 1763.
61
vos adieux paternels. Daignez vousmême
reconnoître une de vos filles , l'infortunée
Sophie.
Il feroit difficile. d'exprimer tout ce
qui fe paffoit alors dans l'âme du Comte.
Quoi ? vous ma fille ! s'écrioit- il en la
relevant & la preffant avec tendreffe ;
vous dans ces lieux , & fous cet extérieur
! Que fignifie cette étrange métamorphofe
?
On lui en expliqua le motif en peu
de mots. L'époux de Sophie , à qui elle
devenoit plus chère d'un inftant à l'autre
, apprit à ſon Beau - père ( car en effet
c'étoit lui ) qu'avant même fon arrivée ,
leur départ de cette folitude étoit réfolu ,
leur réunion décidée . Et Orphife , s'écria
de nouveau le Comte de C.... S .....
Orphife eft- elle encore en état , ou dans
le deffein de me pardonner ? Son Gendre
lui répond qu'Orphife éxifte encore ,
& éxifte pour lui ; mais que depuis fon
départ , elle s'eft entiérement derobée
au monde. Ce difcours ne fit qu'accroî
tre le defir qu'avoit fon époux de fe
réunir à elle ; & comme chacun dans
cette affemblée avoit fes motifs d'impatience
, on fe hâta réciproquement d'abandonner
le double Hermitage. Les
deux Hermites ne fe quitterent qu'avec
62 MERCURE DE FRANCE.
de vifs regrets , & beaucoup de promef
fes de franchir fouvent les Pyrénées pour
fe revoir. Ce qui arriva plus d'une fois.
par la fuite. Il arriva auffi que ceux d'entre
ces époux qui s'étoient crûs d'abord
trompés , en rendirent grace au hazard ;
que les deux tantes parurent avoir tout
oublié , & moururent de rage en moins.
de fix mois ; & que chacun des trois
couples répétoit à part en fe félicitant :
Peut- être nous aimerions-nous moins
fi nous nousfuffions aimé toujours.
"
Par M. DE La DixmeriEL.
Fermer
Résumé : LES SOLITAIRES DES PYRÉNÉES. NOUVELLE Espagnole & Françoise.
Le texte 'Les Solitaires des Pyrénées' raconte l'histoire de deux ermites, un Français et un Espagnol, vivant isolés dans les Pyrénées. Ces hommes, d'âge avancé et de figure respectable malgré leurs habits simples, ne mendiaient pas et savaient lire et écrire. Leur conduite différait de celle des ermites ordinaires, et ils se voyaient souvent sans méfiance. Un jour, l'ermite espagnol, nommé Frère Paul, se rendit chez l'ermite français en son absence. Il exprima son étonnement face à la décision de ce dernier de se retirer du monde, révélant qu'il avait des raisons similaires pour adopter cette vie solitaire. Lors de leur conversation, ils découvrirent qu'ils étaient tous deux mariés. L'ermite espagnol, le Comte d'Ol..., avait épousé Dona Léonor en se faisant passer pour le Comte de C.... S...., un ami blessé au combat. L'ermite français, quant à lui, avait été forcé d'épouser sa femme pour des raisons similaires. Le Comte d'Ol... raconta comment il avait utilisé un portrait de Dona Léonor pour la séduire, profitant de l'absence prolongée du véritable Comte de C.... S.... en Afrique. Il avait ainsi réussi à épouser Dona Léonor et à la conduire dans son château, en dissimulant la vérité à sa famille et à sa tante, Dona Padilla. L'intrigue se complexifie avec l'intervention de plusieurs personnages. Un homme, se faisant passer pour le Comte de C... S... et le Gouverneur d'Oran, révèle à Dona Léonor et sa tante qu'il n'est pas celui qu'il prétend être mais que son nom vaut au moins autant. Il avoue son amour pour Dona Léonor et affirme que sa fortune et ses prétentions sont égales à celles de son rival. La révélation est mal reçue, surtout par la tante, qui reste inflexible malgré les protestations de l'homme. Le Gouverneur d'Oran, apprenant la situation, envoie un émissaire qui confirme les faits. Furieux et confus, il décide de se venger et se rend sur les lieux. Il découvre que l'imposteur a épousé Dona Léonor. Avec l'aide d'un matelot, il retrouve l'homme et le défie en duel. Blessés tous les deux, le Comte est soigné dans le château de son adversaire. Pendant ce temps, Dona Léonor et sa tante sont retenues dans le château. La tante, Dona Padilla, est initialement hostile mais finit par changer d'avis. Elle rencontre l'homme et lui assure qu'elle convaincra sa nièce d'accepter la situation. L'homme, blessé, rencontre le Comte et ils conviennent de mettre fin à leur rivalité. Le Comte demande à voir Dona Léonor une dernière fois, mais il est clair que leurs sentiments passés ne peuvent plus exister. Finalement, l'homme et Dona Léonor semblent prêts à vivre en paix. Le texte relate ensuite une série d'événements impliquant le Comte, Dona Léonor, Dona Padilla et un groupe d'Alguazils. Le Comte révèle qu'en enlevant Dona Léonor, il épargne un parjure à un homme en France. Il propose de médiatiser entre Dona Léonor et sa tante, Dona Padilla. Le Comte apprend que Dona Léonor sera bientôt apaisée si sa tante l'est également. Il conjure le Comte de redoubler ses efforts auprès de Dona Padilla, dont la haine reste inchangée. Un jour, le Comte interrompt une rêverie mélancolique pour annoncer que le narrateur est trahi et que des Alguazils assiègent le château. Il suggère que c'est la vengeance de Dona Padilla. Le Comte propose de se déguiser et de disparaître, offrant de se livrer à sa place. Le narrateur accepte, et le Comte est conduit à la ville capitale de Murcie. Le narrateur, déguisé, rencontre Dona Léonor en larmes. Elle révèle qu'elle entrera dans un couvent, ce qui la fait s'évanouir. Une altercation s'ensuit avec Dona Padilla et les Alguazils, au cours de laquelle Dona Padilla est blessée. Le narrateur s'éloigne ensuite, accompagné d'un domestique. Il réfléchit aux dangers pour le Comte et décide de se substituer à lui. Le Comte, cependant, insiste pour que le narrateur s'éloigne. Le narrateur erre déguisé, apprenant que Dona Padilla et les Alguazils continuent de le poursuivre. Le Comte est toujours prisonnier, et le roi, malade, ne peut intervenir.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer