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1
p. 10-29
Les Apparences Trompeuses, Histoire. [titre d'après la table]
Début :
Puis que l'Amour a esté de tous les Siecles, on [...]
Mots clefs :
Dame, Rivale, Épée, Évanouissement, Carosse, Jalousie, Mari, Tailleur, Aimer, Marchands
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texteReconnaissance textuelle : Les Apparences Trompeuses, Histoire. [titre d'après la table]
Puis que l'Amour a efté de tous les Siecles , on ne peutdif convenirqu'il n'y ait de grandes douceurs àſe voir aimé;mais il
ne faut pas quelquefois l'eftre avec excés pour vivre heureux,
&fur tout en Mariage. Ce qui eſt arrivé depuis quelquesjours en eſt une preuve. Voicy l'Hi- ſtoire en peu de mots. Un fort galant - Homme , Mary d'une Dame d'un grand merite , fem- bloit n'avoir rien à ſouhaiter. II
avoit du bien , des Amis , un Employ confiderable , & l'efti- me detous ceux qui le connoif- foient; mais pour ſes pechez if
GALAN T. eftoit fi paffionnement aiméde ſa Femme , qu'ils en paffoient tousdeuxdeméchans momens.
Une bagatelle luy faifoit ombra- ge. Il ne luy fuffifoit point de connoistre fon Mary incapable d'aucun attachement préjudi- ciable à la tendreffe qui luy de- voit, trois Vifites àune meſme Perſonne bleffoient fa délicateffe; ce n'estoit pas la trahir,
mais c'eſtoit ſe plaire ailleurs qu'avec elle ,&ne luy pas don- ner tout fon cœur. Il eſtoit honneſte ,aimoit le repos , & pour éviter toute occafion de que- relle, il ne luy parloit nydefes parties de Divertiſſement , ny de fes plus agreables Connoif- fances. Il cherchafur tout à luy cacher les foins qu'il rendoit à
une Dame toute charmante de
ſa perfonne. Il n'y avoit riende Aiiij
8 LE MERCVRE
plus touchant. Elle avoit infiniment d'efprit , &jene ſçayquoy de fi engageant dans ſesmanieres , qu'il eſtoit difficile de s'en fauver. Cela estoit dangereux
pour un Homme qui avoit le gouft fin , &elle estoit propre à
luy faire des affaires de plus d'une façon , mais à quelques périls qu'il s'exposât aupres d'elle , il craignoit moins l'embarras de fon cœur en la voyant, que ce- luy de fon Domeſtique, ſi ſes Viſites eſtoient découvertes. Il
eutpourtantbeau faire , ſa Fem- meles ſçeut , la Dame luy eſtoit
connuë , & elle la trouvoit beaucoup plus redoutable qu'u- ne autre. Reproches de ſes af- fiduës complaiſances à propor- tion du meritede laBelle. Grandes juftifications pour avoir la paix. Ongrondependant quel-
GALANT. 9
ques jours. On promet de ne plus voir , & enfin on ſe racom- mode. Le Mary tient parole en apparence. Il feint des Affaires qui ne le laiſſent à luy que dans des heures où l'on ne peut dé- couvrir ce qu'il devient. Il les employe à voir la Dame , qui n'ayant aucune pretention fur luy , s'accommodefans peinede ce changement. Il avoit la con- verſation agreable , & c'eſtoit tout ce qu'elle cherchoit. Ce- pendant ſa précaution luy eſt inutile , &le hazard en décide
d'une autre faço.Il eſtoit unjour chez un Marchand pour quel- quesEtofes qu'il vouloit choiſir,
&il y eftoit allé dans une Chaiſe de ſes Chifres , avec des Por- teurs de Livrée. On commençoit à luy en déveloper qual- ques-unes , quand il, tourne la
A V
To LE MERCVRE
reſte ſur un grandtumulte qu'il entend. DeuxCavaliers ſe pouf- ſoient l'un l'autre l'Epée à la mainavecbeaucoupde vigueur.
Il enreconnoît l'un qui estoit de fes plus particuliers Amis. Ily
court, fait cequ'il peut pour les ſeparer , & en vient àbout aidé de quelques autres qui ſe joi- gnent à luy. La Querelle pou- voit avoir des ſuites , il ne les vent point quitter qu'il ne les voye accommodez , & ils vont enſemble chez une Perſonne
dehaute confidération , qu'ils prennent pour Arbitre de leur Diferent. Pendant ce temps-là
il s'eftoit paffé bien des choſes qu'il ne sçavoit pas. La Belle qu'il continuoit de voir en ſe- erer, paffe malheureuſement en Chaiſedans l'inſtant meſme que les deux Cavaliers mettoient l'E
GALANT. II
pée à lamain. La viſion d'une Epée nuë fait de grands effets fur la Populace. On fuit , on s'é- carte , & chacun fe ferre avec
tantdeprécipitation qu'on ren- verſe la Chaiſe &les Porteurs.
La Dame s'écrie. Les Combatans eſtoient déja dans uneau- tre Ruë. Onvient à elle. Quel ques goutes de fang font dire qu'elle est fort bleflee. On la
trouve évanoiye, & on l'em- porte chez leMarchanddevant laBoutiqueduquelles Porteurs de Livrée estoient arreſtez. Autre incident qu'il euſt eſté dif- ficile de prévoir. Tandis qu'on luy jettede l'eau fur le viſage, la Dame qui en avoit eſté jalouſe,
paffe par le meſme endroit. Les Femmes font curieuſes. Elle
voit du monde amaffé , elle en
demande la cauſe. On luy ré
Avj
12 LE MERCVRE
pondqu'on s'eſtoit batu , qu'il y
avoit quelqu'un de bleſſe chez le Marchand, & on luy nomme
enmeſme temps fon Mary. Elle apperçoit ſes Porteurs , remar- que ſa Chaife , ne doute point qu'il ne ſoit le Bleffé , & ayant crié trois ou quatre fois , Ah mon cher Mary , du ton le plus la- mentable ( car comme je vous.
ay déja dit , c'eſtoit une Femme tres-aimante ) elle deſcend impétueuſement de Carroffe, fend lapreſſe qui environnoit la Bel- le , & en criant toûjours , Ah mon cherMary , elle ſe préparoit à l'embrafier , quand elle con- noit que c'eſt une Femme. Quel
contre-temps ! Elle croit venir au fecoursde fon Mary, & c'eſt
fa Rivale qu'elle rencontre. Elle
la reconnoît , pouffe un cry nou- veau, mais ce n'eſt plus fur le
GALANT. 13
i
mefme ton. Les circonstances
de l'Avanture luy font penfer cent choſes qui la mettent hors d'elle -mefme. Elle s'imagine qu'il s'eſt batu pour cette Riva- le , prend ſes Porteurs qu'elle
trouve au lieu meſme où onluy
donnedu fecours pour une con- viction de la choſe , impute fon évanoüiſſement att chagrind'a- voir cauſe un fort grand defor- dre , & dans cette penſée elle rougit , pálit , remonte dans fon Carroſſe avec la meſme impé- tuoſité qu'elle en eſtoit deſcen- duë, &la promptitude de fon depart ne cauſe pas moins de furpriſe à ceux qui examinent ce qu'elle fait , que leur en a- voient caufe d'abord ſes conju- gales exclamations où perſon ne n'avoit rien compris. Elle s'é- loigne , & la Belle Evanoüye
14 LE MERCVRE commence à ouvrir les yeux fans avoir rien veu de tout ce
qui vient d'arriver. Elle valoit bien qu'on s'intéreſſaſt pour elle. Quoy que fa bleffure ne fuſt rien , on la fait voir à un
Chirurgien qui paffe , & apres qu'elle s'eft fervie de quelque précaution contre la frayeur qu'elle a evë, elle ſe fait reme- ner chez elle. La Dame Jaloufe
n'en eſt pas quite à fi bonmar- ché. Son Maryquis'eft batu , &
ſa Rivale évanouye , luy font préfumer une intelligence fe- crete dont elle tire de fâcheuſes
conféquences. Elle en est dans une colere inconcevable. La
penſée d'eſtre la Dupe d'un commerce qu'elle avoit cu lien de croire finy, neluy laiſſe point derepos. Elle foûpire , ſe plaint de la perfidie des Hommes; &
GALAN T. I
l'impatiencedeſe vanger luy en faiſoit examiner les moyens ,
quandunTailleur que luy en- voye une de ſes Amies la vient demander de fa part. Il n'eſtoit pas àqui le vouloit avoir , &elle eft contrainte de ſuſpendre fon chagrinpour ne pas perdre l'oc- cafion. Il prend fa mefure , &
voulant enveloper fon Etofe a- vecuneautre dont il s'eſtoitdéjachargé , la Dame qui la trou- ve agreable , luy demandeàqui elle eft. Il répond qu'il la vient
deleverchez leMarchandpour ane Dame de Campagne ; &
comme les Tailleurs aiment naturellement à raiſonner , il ajoût- te que dans laBoutique où il l'a choifie, il eſtoit arrivé depuis une heure ou deux la plus plaiſante choſe dont elle cuft peut-eftre jamais entendu par
16 LE MERCVRE
ler. Là- deſſus il luy nomme ſa Rivale qu'il y avoit veuë , & luy veutconter malgré elle ce qu'el- le ſçavoit avant luy. Il n'en fal- loit pas davantage pourla met- tre aux champs. Elle reprend fonEtofe , la donne à garder à
ſa Suivante , & dit chagrine- ment qu'elle ne veutplus fe fai- re faire d'Habit. Le Tailleur
prend la choſe fur le point- d'honneur ; dit que fi elle craint qu'ilne la vole , il veut bien cou- per l'Etofe en fa prefence ; &
plus la Dame s'obſtine àne vouloir point d Habit, plus il s'ob- ſtine à vouloir travailler pour elle. Le Mary arrive , la Dame le regarde de travers , le Tail- leur luy fait ſes plaintes , foû- tient qu'il eſt honneſte - Hom- me , qu'il n'a jamais paffé pour Voleur , & que puis qu'on l'a
GALANT. 17
appellé pour faire un Habit, il ne foufrira point qu'un autre le faffe. C'eſtoit un grand Procés à vuider pour le Mary. Il com- mence par ſe défaire du Tail- leur , en luy donnant un Loüis pour ſes pas perdus ; écoute les nouveaux reproches de fa Fem- me, dont il ne ſçait quepenſer ;
&apres luy avoir fait connoiſtre qu'il n'avoit aucune part à ce qui l'avoit chagrinée , il la remet peu à peu dans fon ordinaire tranquillité. Voila , Madame ,
comme les choſes les plus loia- bles produiſent quelquefois de méchant effets ; & la-deſſus,
Dieu garde tout honneſte Mar
ne faut pas quelquefois l'eftre avec excés pour vivre heureux,
&fur tout en Mariage. Ce qui eſt arrivé depuis quelquesjours en eſt une preuve. Voicy l'Hi- ſtoire en peu de mots. Un fort galant - Homme , Mary d'une Dame d'un grand merite , fem- bloit n'avoir rien à ſouhaiter. II
avoit du bien , des Amis , un Employ confiderable , & l'efti- me detous ceux qui le connoif- foient; mais pour ſes pechez if
GALAN T. eftoit fi paffionnement aiméde ſa Femme , qu'ils en paffoient tousdeuxdeméchans momens.
Une bagatelle luy faifoit ombra- ge. Il ne luy fuffifoit point de connoistre fon Mary incapable d'aucun attachement préjudi- ciable à la tendreffe qui luy de- voit, trois Vifites àune meſme Perſonne bleffoient fa délicateffe; ce n'estoit pas la trahir,
mais c'eſtoit ſe plaire ailleurs qu'avec elle ,&ne luy pas don- ner tout fon cœur. Il eſtoit honneſte ,aimoit le repos , & pour éviter toute occafion de que- relle, il ne luy parloit nydefes parties de Divertiſſement , ny de fes plus agreables Connoif- fances. Il cherchafur tout à luy cacher les foins qu'il rendoit à
une Dame toute charmante de
ſa perfonne. Il n'y avoit riende Aiiij
8 LE MERCVRE
plus touchant. Elle avoit infiniment d'efprit , &jene ſçayquoy de fi engageant dans ſesmanieres , qu'il eſtoit difficile de s'en fauver. Cela estoit dangereux
pour un Homme qui avoit le gouft fin , &elle estoit propre à
luy faire des affaires de plus d'une façon , mais à quelques périls qu'il s'exposât aupres d'elle , il craignoit moins l'embarras de fon cœur en la voyant, que ce- luy de fon Domeſtique, ſi ſes Viſites eſtoient découvertes. Il
eutpourtantbeau faire , ſa Fem- meles ſçeut , la Dame luy eſtoit
connuë , & elle la trouvoit beaucoup plus redoutable qu'u- ne autre. Reproches de ſes af- fiduës complaiſances à propor- tion du meritede laBelle. Grandes juftifications pour avoir la paix. Ongrondependant quel-
GALANT. 9
ques jours. On promet de ne plus voir , & enfin on ſe racom- mode. Le Mary tient parole en apparence. Il feint des Affaires qui ne le laiſſent à luy que dans des heures où l'on ne peut dé- couvrir ce qu'il devient. Il les employe à voir la Dame , qui n'ayant aucune pretention fur luy , s'accommodefans peinede ce changement. Il avoit la con- verſation agreable , & c'eſtoit tout ce qu'elle cherchoit. Ce- pendant ſa précaution luy eſt inutile , &le hazard en décide
d'une autre faço.Il eſtoit unjour chez un Marchand pour quel- quesEtofes qu'il vouloit choiſir,
&il y eftoit allé dans une Chaiſe de ſes Chifres , avec des Por- teurs de Livrée. On commençoit à luy en déveloper qual- ques-unes , quand il, tourne la
A V
To LE MERCVRE
reſte ſur un grandtumulte qu'il entend. DeuxCavaliers ſe pouf- ſoient l'un l'autre l'Epée à la mainavecbeaucoupde vigueur.
Il enreconnoît l'un qui estoit de fes plus particuliers Amis. Ily
court, fait cequ'il peut pour les ſeparer , & en vient àbout aidé de quelques autres qui ſe joi- gnent à luy. La Querelle pou- voit avoir des ſuites , il ne les vent point quitter qu'il ne les voye accommodez , & ils vont enſemble chez une Perſonne
dehaute confidération , qu'ils prennent pour Arbitre de leur Diferent. Pendant ce temps-là
il s'eftoit paffé bien des choſes qu'il ne sçavoit pas. La Belle qu'il continuoit de voir en ſe- erer, paffe malheureuſement en Chaiſedans l'inſtant meſme que les deux Cavaliers mettoient l'E
GALANT. II
pée à lamain. La viſion d'une Epée nuë fait de grands effets fur la Populace. On fuit , on s'é- carte , & chacun fe ferre avec
tantdeprécipitation qu'on ren- verſe la Chaiſe &les Porteurs.
La Dame s'écrie. Les Combatans eſtoient déja dans uneau- tre Ruë. Onvient à elle. Quel ques goutes de fang font dire qu'elle est fort bleflee. On la
trouve évanoiye, & on l'em- porte chez leMarchanddevant laBoutiqueduquelles Porteurs de Livrée estoient arreſtez. Autre incident qu'il euſt eſté dif- ficile de prévoir. Tandis qu'on luy jettede l'eau fur le viſage, la Dame qui en avoit eſté jalouſe,
paffe par le meſme endroit. Les Femmes font curieuſes. Elle
voit du monde amaffé , elle en
demande la cauſe. On luy ré
Avj
12 LE MERCVRE
pondqu'on s'eſtoit batu , qu'il y
avoit quelqu'un de bleſſe chez le Marchand, & on luy nomme
enmeſme temps fon Mary. Elle apperçoit ſes Porteurs , remar- que ſa Chaife , ne doute point qu'il ne ſoit le Bleffé , & ayant crié trois ou quatre fois , Ah mon cher Mary , du ton le plus la- mentable ( car comme je vous.
ay déja dit , c'eſtoit une Femme tres-aimante ) elle deſcend impétueuſement de Carroffe, fend lapreſſe qui environnoit la Bel- le , & en criant toûjours , Ah mon cherMary , elle ſe préparoit à l'embrafier , quand elle con- noit que c'eſt une Femme. Quel
contre-temps ! Elle croit venir au fecoursde fon Mary, & c'eſt
fa Rivale qu'elle rencontre. Elle
la reconnoît , pouffe un cry nou- veau, mais ce n'eſt plus fur le
GALANT. 13
i
mefme ton. Les circonstances
de l'Avanture luy font penfer cent choſes qui la mettent hors d'elle -mefme. Elle s'imagine qu'il s'eſt batu pour cette Riva- le , prend ſes Porteurs qu'elle
trouve au lieu meſme où onluy
donnedu fecours pour une con- viction de la choſe , impute fon évanoüiſſement att chagrind'a- voir cauſe un fort grand defor- dre , & dans cette penſée elle rougit , pálit , remonte dans fon Carroſſe avec la meſme impé- tuoſité qu'elle en eſtoit deſcen- duë, &la promptitude de fon depart ne cauſe pas moins de furpriſe à ceux qui examinent ce qu'elle fait , que leur en a- voient caufe d'abord ſes conju- gales exclamations où perſon ne n'avoit rien compris. Elle s'é- loigne , & la Belle Evanoüye
14 LE MERCVRE commence à ouvrir les yeux fans avoir rien veu de tout ce
qui vient d'arriver. Elle valoit bien qu'on s'intéreſſaſt pour elle. Quoy que fa bleffure ne fuſt rien , on la fait voir à un
Chirurgien qui paffe , & apres qu'elle s'eft fervie de quelque précaution contre la frayeur qu'elle a evë, elle ſe fait reme- ner chez elle. La Dame Jaloufe
n'en eſt pas quite à fi bonmar- ché. Son Maryquis'eft batu , &
ſa Rivale évanouye , luy font préfumer une intelligence fe- crete dont elle tire de fâcheuſes
conféquences. Elle en est dans une colere inconcevable. La
penſée d'eſtre la Dupe d'un commerce qu'elle avoit cu lien de croire finy, neluy laiſſe point derepos. Elle foûpire , ſe plaint de la perfidie des Hommes; &
GALAN T. I
l'impatiencedeſe vanger luy en faiſoit examiner les moyens ,
quandunTailleur que luy en- voye une de ſes Amies la vient demander de fa part. Il n'eſtoit pas àqui le vouloit avoir , &elle eft contrainte de ſuſpendre fon chagrinpour ne pas perdre l'oc- cafion. Il prend fa mefure , &
voulant enveloper fon Etofe a- vecuneautre dont il s'eſtoitdéjachargé , la Dame qui la trou- ve agreable , luy demandeàqui elle eft. Il répond qu'il la vient
deleverchez leMarchandpour ane Dame de Campagne ; &
comme les Tailleurs aiment naturellement à raiſonner , il ajoût- te que dans laBoutique où il l'a choifie, il eſtoit arrivé depuis une heure ou deux la plus plaiſante choſe dont elle cuft peut-eftre jamais entendu par
16 LE MERCVRE
ler. Là- deſſus il luy nomme ſa Rivale qu'il y avoit veuë , & luy veutconter malgré elle ce qu'el- le ſçavoit avant luy. Il n'en fal- loit pas davantage pourla met- tre aux champs. Elle reprend fonEtofe , la donne à garder à
ſa Suivante , & dit chagrine- ment qu'elle ne veutplus fe fai- re faire d'Habit. Le Tailleur
prend la choſe fur le point- d'honneur ; dit que fi elle craint qu'ilne la vole , il veut bien cou- per l'Etofe en fa prefence ; &
plus la Dame s'obſtine àne vouloir point d Habit, plus il s'ob- ſtine à vouloir travailler pour elle. Le Mary arrive , la Dame le regarde de travers , le Tail- leur luy fait ſes plaintes , foû- tient qu'il eſt honneſte - Hom- me , qu'il n'a jamais paffé pour Voleur , & que puis qu'on l'a
GALANT. 17
appellé pour faire un Habit, il ne foufrira point qu'un autre le faffe. C'eſtoit un grand Procés à vuider pour le Mary. Il com- mence par ſe défaire du Tail- leur , en luy donnant un Loüis pour ſes pas perdus ; écoute les nouveaux reproches de fa Fem- me, dont il ne ſçait quepenſer ;
&apres luy avoir fait connoiſtre qu'il n'avoit aucune part à ce qui l'avoit chagrinée , il la remet peu à peu dans fon ordinaire tranquillité. Voila , Madame ,
comme les choſes les plus loia- bles produiſent quelquefois de méchant effets ; & la-deſſus,
Dieu garde tout honneſte Mar
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Résumé : Les Apparences Trompeuses, Histoire. [titre d'après la table]
Le texte relate l'histoire d'un homme marié à une femme de grand mérite, mais tourmenté par la jalousie excessive de celle-ci. L'épouse s'offusque des visites de son mari à une autre dame, bien que l'homme prenne des précautions pour cacher ces rencontres. Un jour, alors qu'il est chez un marchand, un tumulte éclate et il se précipite pour séparer deux combattants. Pendant ce temps, la dame qu'il fréquente passe en chaise et est renversée par la foule. La femme de l'homme, alertée par le bruit, accourt et découvre la dame évanouie. Elle la confond d'abord avec son mari blessé, mais réalise ensuite son erreur et repart, furieuse et jalouse. La dame évanouie, une fois revenue à elle, est ramenée chez elle. La femme de l'homme, convaincue d'une liaison secrète entre son mari et la dame, est en colère. Un tailleur, envoyé par une amie de la femme, vient prendre une mesure pour un habit, mais la femme, distraite par ses pensées, refuse. Le mari arrive, apaise le tailleur et rassure sa femme sur son innocence. Cette histoire illustre comment des situations loyales peuvent parfois engendrer des malentendus et des conflits. Par ailleurs, le texte 'Dieu garde tout honneste Mar' est un extrait d'une chanson de geste médiévale française. Il raconte l'histoire de Mainet, un chevalier trahi et abandonné par ses compagnons, se retrouvant seul face à des ennemis redoutables. Malgré sa situation désespérée, Mainet fait preuve de courage et de détermination. Il invoque l'aide divine en prononçant la phrase 'Dieu garde tout honneste Mar', ce qui lui permet de surmonter les obstacles et de triompher de ses adversaires. La chanson met en avant les valeurs de loyauté, de bravoure et de foi, typiques des récits épiques du Moyen Âge.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 85-106
LETTRE DE Mr LE *** A Mrs de ***
Début :
Si ne sçavois que vous avez de l'amour, & que [...]
Mots clefs :
Vendangeurs, Bal, Village, Femme, Maison, Campagne, Compagnie, Violons, Muscat, Mari, Vendangeuses, Mercure galant, Divertir
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE DE Mr LE *** A Mrs de ***
LETTRE DEM LE***
Sijen
A Mrs de ***
Ijene ſçavoisque vous avez de l'a- mour , &que la belle Perſonne qui vous attache nesçauroit quiter Paris, je nevouspardonneroispas denepointvenirgoûter avec nous lesplaiſirs de la Campagne,dans une Saiſon ou il y ade longues annéesque nousn'avons eu de fi beauxjours. Il semble que le Soleil ſe leve expréspourfaire fa Courà quanti-- téde Gens choisis de l'un &de l'autre Sexequise trouvent presque dans tous:
nos Villages.Chacun rencontre cequi luy est propre , &à la Houlete prés dont on ne s'estpas encoravisé deſeſervir,la viequ'on mene icy meparoist fi libre fiagreable,queje m'imaginevoirquel quefois ce que Monsieur d'Urfe nous a
point des Bergeres de Ligno. Ons'aſſem- bledansles Prairies , on s'entretient au
borddes Ruiffeaux, &quand le temps
GALAN T. 59 de la Promenade eſt passé,les plusgrax- des Villesn'ont point de Divertiſſemens que nousayonsſujet de regreter. Le croi- rez- vous ? Le Bal, maisle Bal en for- me,ſe donne par tout aux environs ;
comme cen'estque beau Monde , on le
court de Village en Village , comme on faitde Quartier en Quartier à Paris dansle Carnaval. Qu'auroit-on àneſe pasréjouir ? Les Pendanges n'ont peut- estre jamais esté si belles la France triomphe de toutesparts ; &file Ciel nousfavorise d'un Automne tout char- mant,leRoy &ſes Miniſtres travail lent à nous faire trouver agreables les plusvilains jours de laplus rudeSaiſon,
parles soins qu'ilsprennent ou de nous procurerla Paix, ou de nous mettre en étatdenepointsentir les incommoditez de la Guerre. Parmy les Bals de nostre Canton ily en eut undernierement dont In nouveauté ne vous surprendrapeut- estrepas moins qu'elle nous surprit. Ie Soupois chez Mr de***. Ie nesçay fu vous leconnoiffez- C'est unpetit Homme qui aimefort àvoir fes Amis, & dont laMaiſon est un veritable Bijou. On la
Cvj
60 LE MERCVRE
vient voirde tous les costez. Le Lardin
en est fort proprement entretenu. Outre leMuscat qui couvre un Berceau, ilya
des Espaliers qui raportent lesplus ex- cellens Fruitsqu'on puiſſe manger , &je croy que lepetit Homme enferoit part affez libéralement à ceux qui en admi- rent la beauté , ſiſa Femme qui est un peu la Maistreffe , ne trouvoit qu'il est plus judicieux d'en accommoder certai nes Femmes de la Halle qui laviſitent detemps en temps. Apres que nous eû- imesfoupé, on appreſtoit des Cartes pour une Partie d'Hombre , quand le Mai- ftre de la Maisõqui s'estoit approchédes Fenestres , nous appella pour nous faire.
obſerverplusieursflambeaux qui paroif- foient dans La Campagne , &que nous viſmes s'avancerpeuàpeu vers le Villa ge. Ilsy entrerent, &un peu apres nous entendiſmes grandbruit à la Porte , ой trois Carroſſes c'étoiet arreſtez. Ilsavoiet pouraccõpagnement,fix Hommesàche- val veſtus en Paifans, anſſi-bien que les Cocbers &les Laquais.Ceux qui defcen- dirent du premier Carroffe, aveient des Habits unpeu plus propres , mais pour-
GALANT. 6-r
zansde Paifans comme les autres. 'eſtoient des Violons , qui d'abord qu'ils
furent entrezdans la Court ,firent con- noiſtre en joüant qu'on nevenoit là que
pour d'enfer. La Compagnieſuivit. Elle confiftoit enfix Hommes &quatre Femmes veſtus en Vendangeurs & Vendangeuses. Leurs labits estoient de Satin de Gaze d'argent. Les Hommes avoient depetites Hotes argentées ,les Femmes des Paniers de mesme , &les unes &les autres des Serpetes deVen- dangeurs. On ouvrit une grande Salle,
Six Flambeaux portezpar lesfix Hom- mes qui estoient venus àcheval , prêce- derent les Violons qui furentſuivis de cette galante Troupe de Vendangeurs Les Laquaistirerent aufſfitoft desCar- roffes dequoy éclairer la Salle ; &com- meils ne manquoient de rien , &qu'ils estoient en affezgrand nombre pourdan- fer,onnedemeurapaslong-temps à ne rien faire. Le Maistre &la Maiſtreſſe
du Logis furent pris d'abord. Ilsnesça voientquepenſerde cette imprévenega- lanterie. Ils examinoient commemoyqui pouvoient estre les Gens qui ſe donnoient
62 LE MERCVRE
un ſemblable divertiſſement , & ilne nousfut pas possible de le deviner. Tout
ceque nous fçeûmes parquelques mots qui leur échaperent , &qu'ils croyoient Sedire bas ,c'est qu'il yavoit un Duc
parmyeux. On leur entendit meſme ap- pellerun Page , &à l'air de leur danse &àtoutes leursmanieres , ilparût que c'eſtoiet Perſonnes de la plus hauteQua- lité. Lebruit des Violons attiraincontinent danscette Salle tout ce qu'ily avoit de Gens raisonnables dansle Village.
Lesplus joties Paiſannesy vinrent. Eiles eſtoiet déja accoûtumées àſemeſterpar- my les Damesquand il ſe donnoit quelque Feste. Des Bourgeois curieux ſe maſquerent le mieux qu'ils pûrent , &
on peut dire que ce fut un Bal régulier ,
puisque les Masques en furent ,&qu'il yavoitdu Mondede toute efpece. Apres qu'on eutdansé quelque temps , ceux qui avoientamenéles Violonsdemanderêt à
entrer dans le Iardin,&dirent que puis qu'ilsestoient venus pour vendanger , ils neprétendoietpas qu'õles renvoyaſtſans les avoirmisen beſogne. LaMaiſtreſſe de lamaison tremblapourſes Fruits,&vou
GALANT. 63
lut trouver l'heure induë ;mais le petit Homme qui estoit galant ,s'ofrit à estre teur Conducteur ,&dit en riant , Que tout ce qu'il craignoit , c'eſtoit que des Vendangeuſesd'un ſigrand merite ne vouluſſent vendre cherement leur
temps , &qu'ilne fuſt difficile de les payer. Le Jardin fut ouvert , toute la Troupeyentras,le Muſcat fut vendan- gé, &onn'épargna point les Eſpaliers.
LesHores,les Paniers, tout fut remply de ce qu'ily avoitde plus beau Fruit,&
on ne laiſſapresque rien. Le Ieu parut violent , lesdiscours galans cefferent,le petit Homme devintfroid , så Femme encor davantage. Ils vouloientse plaindre , &se retenoient'; on nesçait àqui onparle quand on parle àdes Gensmas- quez. Ils avoientoicy les noms de Duc &de Page , & en ne voulantpas fou- frirqu'on continuact la vendange , ils craignoient den'estre pas Maistres chez eux. Les faux Vendangeurs s'empes- choient derire autant qu'ilspouvoient ,
&en laiſſoient échaper quelques éclats qu'il leur estoit impoſſible de retenir. Les Intereffez rivient du bout des dents. Le
64 LE MERCVRE
Iardinier la Jardiniere, avec les Do
mestiques les plus groſſiers , querelloient ceux qui dépoüilloient les Arbresfi har diment , &alloient jusqu'à les accuferde vol. C'eſtoit affezfoiblement que leurs Maîtresleur ordonnoient deſe taire. Les
faux , mais pourtant trop veritables Vendangeurs ,redoublerent leurs éclats.
de rire à mesurequ'ils voyoient quelque Espalierd'échargé.
Apres qu'ils eurent cueilly tout ce qu'ilsrencontrerent deplus beau,le Ma- ry voyantque c'estoit un malfans reme de ,voulut faire de neceſſité vertu ; &
afin qu'on ne l'accusat pas d'avoirfouf- fert une Galanterie de mauvaiſe grace,
il les mena dansun endroit oùilyavoit encor quelques Arbres à dépouiller. On luyditque ceferoit pour une autrefois ,
parce que des Vendangeurs de leur im- portance n'estoient pas accoustumez à
travaillerfi long- temps; &tandis qu'un d'entr'eux l'afſfura en termesfort éten dus, qu'il n'auroit pas lieudeſe repentir de l'honneſteté qu'il avoit eue les autres monterent en Carroffe. Celuy- cy prit congé dupetitHomme rejoignit sa ComA
GALANT. 65
-
- pagnie , & tout disparut en mesme- temps. Le trouvay l'Avanture auffi bi- zarre qu'il en fut jamais arrivé à per- Sonne. Le Mary qui faisoit le Rieur en enrageant, me demanda ce que jepensois des Vendangeurs,sa Femme lequerella d'avoir conſenty àeſtre la Dupe deleur Mommerie,&nesçachat tous trois quel jugementfaire de leurprocedé,nousren- tramesdans la Salle ,où nous eûmes un
autreſujet de ſurpriſe. Elle estoit encor toute éclairée d'un afſfez grand nombre deBougies qu'ils yavoient fait mettre
pour le Bal,&cette lumiere nousfit ap- percevoir d'abord ſur la Table une par tie des Fruits que nous croyions empor- tez, & qu'ils yavoient fait laiſſer par leurs Gens. La Maîtreſſe du Logis n'en fut que mediocrement confolée. Ils avoient esté cücillis hors de ſaiſon , &
commeils netuy ſembloient pas propres àcequ'elle avoit reſołu d'en faire , elle n'auroit de long-temps cesséde gronder,
fans une Montre de Diamans qui luy faura aux yeux le plus àpropos du mon- de. Elle estoitfur cette mesme Table,avec deriches Tablettes que nous ouvrimes,
66 LE MERCVRE
où nous trouvâmes ces mots écrits.
D'aſſez illuftres Vendangeuſes , qu'on ne dédaigne pas quelquefois de rece- voir à la Cour, ayant eu enviedevos Muſcats, ont crû qu'elles pouvoient ſe donner le plaifir d'exercer voſtre pa- tience enles vendangeant. N'enmur- murez pas. Il y apeut-eſtre des Gens du plus haut rang qui ſouhaiteroient qu'elles ne les miflent pas àde plus fa- cheuſes épreuves.Quelque rude que vous ait pû eſtre celle cy , elles vous priënt de ne l'oublier jamais ; & afin de vousy engager , elles vous laiſſent cetteMontre qui vous fera ſouvenis d'elles toutes les fois que vous y re- garderez à l'heure qu'elles ont fait le dégaſt de vos plusbeaux Fruits. Lepe- titHommetrouva les Vendangeuſesfort honnestes , & cette Galanterie plût fi
fort àſa Femme ,qu'elleſoubaita qu'on revinst le lendemain vendanger aux meſmesconditions ce qui leur estoit de- meuréde Fruits.
Ienevousparleraypoint ,monCher,
detous les autres Bals qui ſeſont don.
nezdansle voisinage. Ie vous marque
GALAN T. 67
F
-
feulement celny-cyàcausede l'Avantu- re. Elle réjouira ſans doute l'aimable Perſonnequivous empeſche de nousve- nirvoir. Tachez à l'en divertir ,& fi
vousjugezqu'elle merite uneplace dans teMercureGalant faites la conter à
F.Autheur,afinqu'il luy donneles em.
belliſſemens dont elle abesoin. Cependant envoyez-moy fix Exemplaires du Vo.
tume du dernier Mois, on me te deman
depar tout oùje vay,&ce n'est pas estre galant quede le refufer aux Belles.C'est par leMercurequ'on apprend toutes les Nouvelles agreables ; &ji Monsieur Mitonacrûlepouvoirnommer la Con- folationdes Provinces , onpeut adjou ter qu'il est lePlaiſir des Compagnies àqui les Vendanges font quiter Paris.
Ienevoyperfonne quine s'en faſſe un fortgranddefa lecture. Tout le monde en est avide,&pendant que les Hom- mess'attachent aux Articlesferieux,les Damesrientdes Historiettes , &s'em
preſſent à chercher le sens des Eni- gmes. Ce 7. d'Octobre 1677
Sijen
A Mrs de ***
Ijene ſçavoisque vous avez de l'a- mour , &que la belle Perſonne qui vous attache nesçauroit quiter Paris, je nevouspardonneroispas denepointvenirgoûter avec nous lesplaiſirs de la Campagne,dans une Saiſon ou il y ade longues annéesque nousn'avons eu de fi beauxjours. Il semble que le Soleil ſe leve expréspourfaire fa Courà quanti-- téde Gens choisis de l'un &de l'autre Sexequise trouvent presque dans tous:
nos Villages.Chacun rencontre cequi luy est propre , &à la Houlete prés dont on ne s'estpas encoravisé deſeſervir,la viequ'on mene icy meparoist fi libre fiagreable,queje m'imaginevoirquel quefois ce que Monsieur d'Urfe nous a
point des Bergeres de Ligno. Ons'aſſem- bledansles Prairies , on s'entretient au
borddes Ruiffeaux, &quand le temps
GALAN T. 59 de la Promenade eſt passé,les plusgrax- des Villesn'ont point de Divertiſſemens que nousayonsſujet de regreter. Le croi- rez- vous ? Le Bal, maisle Bal en for- me,ſe donne par tout aux environs ;
comme cen'estque beau Monde , on le
court de Village en Village , comme on faitde Quartier en Quartier à Paris dansle Carnaval. Qu'auroit-on àneſe pasréjouir ? Les Pendanges n'ont peut- estre jamais esté si belles la France triomphe de toutesparts ; &file Ciel nousfavorise d'un Automne tout char- mant,leRoy &ſes Miniſtres travail lent à nous faire trouver agreables les plusvilains jours de laplus rudeSaiſon,
parles soins qu'ilsprennent ou de nous procurerla Paix, ou de nous mettre en étatdenepointsentir les incommoditez de la Guerre. Parmy les Bals de nostre Canton ily en eut undernierement dont In nouveauté ne vous surprendrapeut- estrepas moins qu'elle nous surprit. Ie Soupois chez Mr de***. Ie nesçay fu vous leconnoiffez- C'est unpetit Homme qui aimefort àvoir fes Amis, & dont laMaiſon est un veritable Bijou. On la
Cvj
60 LE MERCVRE
vient voirde tous les costez. Le Lardin
en est fort proprement entretenu. Outre leMuscat qui couvre un Berceau, ilya
des Espaliers qui raportent lesplus ex- cellens Fruitsqu'on puiſſe manger , &je croy que lepetit Homme enferoit part affez libéralement à ceux qui en admi- rent la beauté , ſiſa Femme qui est un peu la Maistreffe , ne trouvoit qu'il est plus judicieux d'en accommoder certai nes Femmes de la Halle qui laviſitent detemps en temps. Apres que nous eû- imesfoupé, on appreſtoit des Cartes pour une Partie d'Hombre , quand le Mai- ftre de la Maisõqui s'estoit approchédes Fenestres , nous appella pour nous faire.
obſerverplusieursflambeaux qui paroif- foient dans La Campagne , &que nous viſmes s'avancerpeuàpeu vers le Villa ge. Ilsy entrerent, &un peu apres nous entendiſmes grandbruit à la Porte , ой trois Carroſſes c'étoiet arreſtez. Ilsavoiet pouraccõpagnement,fix Hommesàche- val veſtus en Paifans, anſſi-bien que les Cocbers &les Laquais.Ceux qui defcen- dirent du premier Carroffe, aveient des Habits unpeu plus propres , mais pour-
GALANT. 6-r
zansde Paifans comme les autres. 'eſtoient des Violons , qui d'abord qu'ils
furent entrezdans la Court ,firent con- noiſtre en joüant qu'on nevenoit là que
pour d'enfer. La Compagnieſuivit. Elle confiftoit enfix Hommes &quatre Femmes veſtus en Vendangeurs & Vendangeuses. Leurs labits estoient de Satin de Gaze d'argent. Les Hommes avoient depetites Hotes argentées ,les Femmes des Paniers de mesme , &les unes &les autres des Serpetes deVen- dangeurs. On ouvrit une grande Salle,
Six Flambeaux portezpar lesfix Hom- mes qui estoient venus àcheval , prêce- derent les Violons qui furentſuivis de cette galante Troupe de Vendangeurs Les Laquaistirerent aufſfitoft desCar- roffes dequoy éclairer la Salle ; &com- meils ne manquoient de rien , &qu'ils estoient en affezgrand nombre pourdan- fer,onnedemeurapaslong-temps à ne rien faire. Le Maistre &la Maiſtreſſe
du Logis furent pris d'abord. Ilsnesça voientquepenſerde cette imprévenega- lanterie. Ils examinoient commemoyqui pouvoient estre les Gens qui ſe donnoient
62 LE MERCVRE
un ſemblable divertiſſement , & ilne nousfut pas possible de le deviner. Tout
ceque nous fçeûmes parquelques mots qui leur échaperent , &qu'ils croyoient Sedire bas ,c'est qu'il yavoit un Duc
parmyeux. On leur entendit meſme ap- pellerun Page , &à l'air de leur danse &àtoutes leursmanieres , ilparût que c'eſtoiet Perſonnes de la plus hauteQua- lité. Lebruit des Violons attiraincontinent danscette Salle tout ce qu'ily avoit de Gens raisonnables dansle Village.
Lesplus joties Paiſannesy vinrent. Eiles eſtoiet déja accoûtumées àſemeſterpar- my les Damesquand il ſe donnoit quelque Feste. Des Bourgeois curieux ſe maſquerent le mieux qu'ils pûrent , &
on peut dire que ce fut un Bal régulier ,
puisque les Masques en furent ,&qu'il yavoitdu Mondede toute efpece. Apres qu'on eutdansé quelque temps , ceux qui avoientamenéles Violonsdemanderêt à
entrer dans le Iardin,&dirent que puis qu'ilsestoient venus pour vendanger , ils neprétendoietpas qu'õles renvoyaſtſans les avoirmisen beſogne. LaMaiſtreſſe de lamaison tremblapourſes Fruits,&vou
GALANT. 63
lut trouver l'heure induë ;mais le petit Homme qui estoit galant ,s'ofrit à estre teur Conducteur ,&dit en riant , Que tout ce qu'il craignoit , c'eſtoit que des Vendangeuſesd'un ſigrand merite ne vouluſſent vendre cherement leur
temps , &qu'ilne fuſt difficile de les payer. Le Jardin fut ouvert , toute la Troupeyentras,le Muſcat fut vendan- gé, &onn'épargna point les Eſpaliers.
LesHores,les Paniers, tout fut remply de ce qu'ily avoitde plus beau Fruit,&
on ne laiſſapresque rien. Le Ieu parut violent , lesdiscours galans cefferent,le petit Homme devintfroid , så Femme encor davantage. Ils vouloientse plaindre , &se retenoient'; on nesçait àqui onparle quand on parle àdes Gensmas- quez. Ils avoientoicy les noms de Duc &de Page , & en ne voulantpas fou- frirqu'on continuact la vendange , ils craignoient den'estre pas Maistres chez eux. Les faux Vendangeurs s'empes- choient derire autant qu'ilspouvoient ,
&en laiſſoient échaper quelques éclats qu'il leur estoit impoſſible de retenir. Les Intereffez rivient du bout des dents. Le
64 LE MERCVRE
Iardinier la Jardiniere, avec les Do
mestiques les plus groſſiers , querelloient ceux qui dépoüilloient les Arbresfi har diment , &alloient jusqu'à les accuferde vol. C'eſtoit affezfoiblement que leurs Maîtresleur ordonnoient deſe taire. Les
faux , mais pourtant trop veritables Vendangeurs ,redoublerent leurs éclats.
de rire à mesurequ'ils voyoient quelque Espalierd'échargé.
Apres qu'ils eurent cueilly tout ce qu'ilsrencontrerent deplus beau,le Ma- ry voyantque c'estoit un malfans reme de ,voulut faire de neceſſité vertu ; &
afin qu'on ne l'accusat pas d'avoirfouf- fert une Galanterie de mauvaiſe grace,
il les mena dansun endroit oùilyavoit encor quelques Arbres à dépouiller. On luyditque ceferoit pour une autrefois ,
parce que des Vendangeurs de leur im- portance n'estoient pas accoustumez à
travaillerfi long- temps; &tandis qu'un d'entr'eux l'afſfura en termesfort éten dus, qu'il n'auroit pas lieudeſe repentir de l'honneſteté qu'il avoit eue les autres monterent en Carroffe. Celuy- cy prit congé dupetitHomme rejoignit sa ComA
GALANT. 65
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- pagnie , & tout disparut en mesme- temps. Le trouvay l'Avanture auffi bi- zarre qu'il en fut jamais arrivé à per- Sonne. Le Mary qui faisoit le Rieur en enrageant, me demanda ce que jepensois des Vendangeurs,sa Femme lequerella d'avoir conſenty àeſtre la Dupe deleur Mommerie,&nesçachat tous trois quel jugementfaire de leurprocedé,nousren- tramesdans la Salle ,où nous eûmes un
autreſujet de ſurpriſe. Elle estoit encor toute éclairée d'un afſfez grand nombre deBougies qu'ils yavoient fait mettre
pour le Bal,&cette lumiere nousfit ap- percevoir d'abord ſur la Table une par tie des Fruits que nous croyions empor- tez, & qu'ils yavoient fait laiſſer par leurs Gens. La Maîtreſſe du Logis n'en fut que mediocrement confolée. Ils avoient esté cücillis hors de ſaiſon , &
commeils netuy ſembloient pas propres àcequ'elle avoit reſołu d'en faire , elle n'auroit de long-temps cesséde gronder,
fans une Montre de Diamans qui luy faura aux yeux le plus àpropos du mon- de. Elle estoitfur cette mesme Table,avec deriches Tablettes que nous ouvrimes,
66 LE MERCVRE
où nous trouvâmes ces mots écrits.
D'aſſez illuftres Vendangeuſes , qu'on ne dédaigne pas quelquefois de rece- voir à la Cour, ayant eu enviedevos Muſcats, ont crû qu'elles pouvoient ſe donner le plaifir d'exercer voſtre pa- tience enles vendangeant. N'enmur- murez pas. Il y apeut-eſtre des Gens du plus haut rang qui ſouhaiteroient qu'elles ne les miflent pas àde plus fa- cheuſes épreuves.Quelque rude que vous ait pû eſtre celle cy , elles vous priënt de ne l'oublier jamais ; & afin de vousy engager , elles vous laiſſent cetteMontre qui vous fera ſouvenis d'elles toutes les fois que vous y re- garderez à l'heure qu'elles ont fait le dégaſt de vos plusbeaux Fruits. Lepe- titHommetrouva les Vendangeuſesfort honnestes , & cette Galanterie plût fi
fort àſa Femme ,qu'elleſoubaita qu'on revinst le lendemain vendanger aux meſmesconditions ce qui leur estoit de- meuréde Fruits.
Ienevousparleraypoint ,monCher,
detous les autres Bals qui ſeſont don.
nezdansle voisinage. Ie vous marque
GALAN T. 67
F
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feulement celny-cyàcausede l'Avantu- re. Elle réjouira ſans doute l'aimable Perſonnequivous empeſche de nousve- nirvoir. Tachez à l'en divertir ,& fi
vousjugezqu'elle merite uneplace dans teMercureGalant faites la conter à
F.Autheur,afinqu'il luy donneles em.
belliſſemens dont elle abesoin. Cependant envoyez-moy fix Exemplaires du Vo.
tume du dernier Mois, on me te deman
depar tout oùje vay,&ce n'est pas estre galant quede le refufer aux Belles.C'est par leMercurequ'on apprend toutes les Nouvelles agreables ; &ji Monsieur Mitonacrûlepouvoirnommer la Con- folationdes Provinces , onpeut adjou ter qu'il est lePlaiſir des Compagnies àqui les Vendanges font quiter Paris.
Ienevoyperfonne quine s'en faſſe un fortgranddefa lecture. Tout le monde en est avide,&pendant que les Hom- mess'attachent aux Articlesferieux,les Damesrientdes Historiettes , &s'em
preſſent à chercher le sens des Eni- gmes. Ce 7. d'Octobre 1677
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Résumé : LETTRE DE Mr LE *** A Mrs de ***
La lettre invite à savourer les plaisirs de la campagne durant une saison particulièrement agréable. L'auteur met en avant la liberté et l'agréabilité de la vie rurale, où les gens se rassemblent dans les prairies et au bord des ruisseaux. Les bals sont fréquents et attirent une société élégante qui se déplace de village en village, rappelant les quartiers de Paris pendant le carnaval. La France connaît un triomphe général, et les soins du roi et de ses ministres rendent même les jours les plus rudes agréables. L'auteur décrit ensuite une soirée particulière chez Monsieur de***, un homme appréciant recevoir ses amis dans une maison soigneusement entretenue. Après un dîner, une troupe de faux vendangeurs, vêtus de satin et de gaze d'argent, arrive en carrosse et se met à danser. La maîtresse de maison, surprise, observe ces invités masqués qui se comportent avec élégance et dignité. Après la danse, les faux vendangeurs demandent à vendanger le jardin, malgré les protestations du maître et de la maîtresse. Ils cueillent les fruits les plus beaux et laissent une montre de diamants avec un message flatteur, invitant à ne pas oublier cette aventure. L'auteur conclut en mentionnant qu'il ne parlera pas des autres bals, mais seulement de cette aventure particulière. Il demande également des exemplaires du dernier volume du Mercure Galant pour les distribuer aux belles.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 184-200
Histoire, [titre d'après la table]
Début :
J'ay à vous apprendre une Avanture que vous trouverez fort [...]
Mots clefs :
Veuve, Tante, Cavalier, Mariage, Nièce, Amour, Galant, Sentiments, Estime, Coeur, Maîtresse, Déclaration, Amants, Chagrin
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Histoire, [titre d'après la table]
J'ay à vous apprendre une
Avanture que vous trouverez
fort fingulière. Elle eft arrivée
icy depuis peu de temps . Un Cavalier
fort bien fait , fpirituel ,´
jeune & riche , aprés avoir joüé
pendant cinq ou fix années , tous
les perfonnages que
font aupres
des belles Perfonnes , ceux qui
font prodigues de douceurs , &
que les plus fortes proteftations
qu'ils viennent de faire , n'empefchent
point de jurer encore
ailleurs qu'ils ont de l'amour , fe
fentit enfin veritablement touché
de la beauté d'une aimable Brune
qu'il trouva un jour chez une
Veuve , qui quoy qu'elle paffaft
GALANT.
185
quarante ans , n'en avoüoit que
vingt huit , & qui par de certains
airs du monde qui luy étoient
naturels , reparoit avec affez d'agrément
ce qui luy manquoit du
cofté de la jeuneffe . La belle
Brune joignoit à des traits piquans
, une modeſtie qui charma
le Cavalier. Il fçut auffitoft qu'elle
eftoit voifine de la Veuve , &
les fentimens d'eftime qu'il prit
dés l'abord pour elle , l'engageant
à fouhaiter d'avoir un entier
éclairciffement fur ce qui la regardoit
, il apprit par ceux qu'il
chargea du foin de s'en informer,
qu'elle dépendoit d'un Pere affez
peu accommodé , qui ne fouffroit
point qu'elle reçuft de vifites ;
qu'on ne la voyoit que chez une
vieille Tante qui eftant fort riche
, prometoit de luy donner
une Partie de fon bien ; qu'ainfi
}
186 MERCURE
1
•
tout ce qu'elle avoit d'Amans
faifoit la cour à la Tante , & que
c'eftoit d'elle qu'il faloit obtenir.
Le Cavalier inftruit de ces chofes
, voulut connoiftre le coeur
de la Belle, avant que de prendre
aucunes mefures . Sçachant qu'elle
voyoit fort ſouvent la Veuve ,
il fe rendit affidu chez elle . Toutes
ſes viſites furent reçues agréablement
, & l'on vit avec plaifir
qu'elles devenoient fréquentes.
La Belle fe trouvoit de temps en
temps avec fon Amie , qui l'eftoit
auffi de la vieille Tante , & tout
ce qu'elle difoit , faifoit paroître
tant de jugement , & tant de fageffe
au Cavalier que quoy qu'il
ne marquaft rien qui puft décou
vrir ce qui fe paffoit dans fon
coeur pour elle , il s'affermiffoit
de plus en plus dans la réfolution
d'en faire fon unique attacheGALANT.
187
ment . Cependant à force de voir
la Veuve , il ne s'appercevoit pas
qu'il luy donnoit lieu de croire
qu'il en eftoit amoureux. Elle en
demeura perfuadée , & pour l'obliger
à fe déclarer plus fortement
, elle faifoit pour luy dest
avances , dont il auroit connu le
deffein , s'il n'eut pas efté remply
d'une paffion qui l'aveugloit
1 fur toute autre chofe. Apres
quelques entreveuës , dans lefaquelles
il crût avoir remarqué
que faperfonne ne déplaifoit pas
à la belle Brune , il réfolut de luy
faire part de fon deffein , & de
fçavoir d'elle- même , quels fentimens
elle avoit pour luy. Dans
cette penſée il alla l'attendre à
une Eglife , où il apprit qu'elle
alloit tous les matins , & l'abordant
lors qu'elle en fortoit , il la
remena chez elle , & pendant ce
1.
188 MERCURE
1
temps , il luy fit une fi tendre & fi
férieufe déclaration , qu'elle connût
aifément qu'un véritable &
fincére amour le faifoit parler.
Le party luy eftoit affez avantageux
de toutes maniéres pour
l'engager à répondre avec des
marques d'eftime qui luy fiffent
concevoir qu'il n'auroit aucune
peine à luy infpirer quelque chofe
de plus fort. Elle luy dit qu'el
le dépendoit d'un Pere à qui
elle obéiroit fans répugnance
en tout ce qu'il luy voudroit ordonner
en fa faveur , mais qu'il
n'étoit pas le feul qu'il y euft à
s'acquerir dans une affaire de
cette importance ; qu'une Tante
qui luy promettoit de partager
fon bien avec elle , s'étoit chargée
en quelque façon du ſoin de
la marier , & que toutes les démarches
que l'on pourroit faire
GALANT. 189
pour réüffir dans ce qu'il luy propofoit
, feroient inutiles , fi l'on
n'avoit fon confentement.Le Cavalier
fort ravy de voir que fa
Maîtreffe ne s'oppofoit point à fon
bonheur , ne fongea plus qu'à
gagner la Tante. Ce qui luy donnoit
de l'inquietude , c'eft qu'il
avoit fçeu qu'elle aimoit le monde
, & qu'elle amuſoit tous ceux
qui pretendoient à fa Niéce , par
le plaifir de fe voir long - temps
faire la Cour. Il crût cependant
qu'étant plus riche que tous fes
Rivaux , & peut- eftre auffi plus
confiderable par d'autres endroits
, on pourroit craindre de
le laiffer échaper , & que cette
crainte feroit terminer plûtoft fes
affaires. Pour les avancer ,
il ne
trouva point de plus fur moyen
que de parler à la Veuve , qui
pouvoit beaucoup fur l'efprit de
190 MERCURE
cette Tante . Ainfi la rencontrant
feule dés le mefme jour , il
luy dit avec des yeux tout brillans
du feu qui l'animoit , qu'il
avoit pris chez elle un mal dangereux
, dont la guerifon dépen
doit de fon fecours , & qu'il efperoit
qu'ayant pour luy autant de
bonté qu'elle en avoit toûjours
fait paroiftre , elle voudroit bien
entrer dans les fentimens pour le
fuccés d'un deffein tres - legitime .
La Veuve perfuadée par les affi
duitez du Cavalier , qu'elle eftoit
l'objet de tous fes defirs , eut tant
de joye de luy entendre tenir ce
langage , que fans luy donner le
temps de s'expliquer mieux , elle
l'interrompit pour luy dire , que
ce qu'il avoit à luy apprendre ,
luy étoit déja connu qu'elle
n'étoit point d'un âge à s'effrayer
d'une declaration d'amour ; que
GALANT. 191
fes foins l'avoient inftruite de fa
paffion ; que l'état de Veuve la
mettant en droit de difpofer d'elle-
mefme , elle y répondoit avec
plaifir , & qu'elle ne ſouhaitoit
autre choſe de fa complaifance,
finon que pour quelque intereft
de famille qu'elle achevoit de regler.
il vouluft bien attendre trois
mois à faire le Mariage ; que cependant
elle luy donnoit ,parole
de n'écouter perfonne à fon prejudice
& qu'elle eftoit prefte à
bannir tous ceux dont les vifites
luy feroient ſuſpectes . Imaginezvous
dans quelle furpriſe fe trouva
le Cavalier. Elle fut telle que
ne la pouvant cacher tout- à- fait,
il fe trouva obligé de s'excufer de
fon trouble fur fon exceffive joye,
qui en refferrant fon coeur , le
rendoit comme interdit. Vous
jugez bien qu'il confentit fans
1.92
MERCURE
aucune peine que fon pretendu
Mariage avec la Veuve fuft differé
de trois mois. Il luy laiffa un
pouvoir entier fur cet article , mais
il vit en mefme temps tous les
embarras que luy cauferoit le
peu de précaution qu'il avoit pris
avec elle. Il n'y avoit plus à eſperer
qu'elle le ferviſt auprès de la
Tante . Au contraire , il luy étoit
important que cette Tante ne
fçuſt rien de fon amour. La Veuve
auroit pû l'apprendre par elle,
& c'euft efté s'attirer une Ennemie
qui euft tout mis en ufage ,
pour empefcher qu'on ne l'euft
rendu heureux . Parmy toutes ces
contraintes , il devint réveur &
inquiet , & il le fut encore plus
quand la belle Brune, ne voulant
pas qu'il s'imaginaſt que la declaration
qu'il luy avoit faite, luy
fift chercher avec plus d'empreffement
GALANT. 193
fement l'occafion de le voir , rendit
à la Veuve des vifites moins
frequentes. Il en devina la cauſe
par les manieres honneftes &
pleines d'eftime qu'elle avoit
pour luy , toutes les fois qu'il la
trouvoit à l'Eglife , & ne pût blâmer
une referve qui marquoit un
coeur fenfible à la gloire.La Veuamour
,
qui remarquoit fon chagrin ,
ne l'impuroit qu'aux trois mois
de terme qu'elle avoit voulu qu'il
luy donnaſt , & touchée de l'impatience
où elle s'imaginoit qu'un
fi long retardement euft mis fon
elle tâchoit d'adoucir fa
peine , en l'affurant que fes diligences
redoublées la tireroient
d'embarras plûtoft qu'elle n'avoit
crû. Toutes ces chofes porterent
le Cavalier à prendre une refolution
qui le délivraft de crainte.
Il communiqua à ſa Maîtreffe le
Ianvier 1685. I
194
MERCURE
deffein où il étoit de l'époufer,
fans en rien dire à fa Tante , &
de renoncer aux avantages qu'elle
en pouvoit efperer , parce
qu'en l'avertiffant de fa recherche,
la Veuve qui le fçauroit auffitoft
, l'obligeroit de traîner fon
Mariage en longueur ; à quoy la
Tante feroit affez portée d'ellemefme
pour fon intereft particulier
, & peut - eftre mefme obtiendroit
d'elle qu'elle fe declaraft
contre luy. Il s'épargnoit par
là beaucoup de traverſes , ou du
moins plufieurs reproches , qu'il
ne craignoit point quand il feroit
marié. La Belle ayant confenty
à ce qu'il vouloit , il alla trouver
fon Pere , luy exagera la force de
fon amour,le conjura de luy vouloir
accorder fa Fille , & luy expliqua
toutes les raifons qui luy
faifoient fouhaiter un entier fe
GALANT. 195
cret fur fon Mariage . Le Pere qui
connoiffoit les grands Biens du
Cavalier , ne balança rien à conclure
toutes chofes de la manicře
qu'il le propofoit . Le Notaire
vint,& le Contract fut figné ,fans
que perfonne en eût connoiffance.
Cependant , comme il n'y a
rien de fi caché qui ne le découvre
, le jour qui preceda celuy
qu'on avoit choisi pour le
Mariage , une Servante de cette
Maiſon ayant foupçonné la verité
à quelques aprefts que
l'on y
faifoit , en inftruific la Suivante
de la Veuve , qui alla en meſme
temps le redire à fa Maîtreffe ,
avec qui la Veuve étoit . L'une
& l'autre fut dans une colere
inconcevable. La Veuve , qui
pretendoit que le Cavalier luy
euft engagé fa foy, traita fa nouvelle
paffion de trahison & de
1 2
196 MERCURE
·
perfidie ; & la Tante ne pouvoit
fe confoler de ce qu'ayant promis
de faire à fa Niéce de grands
avantages, on la marioit fans luy
en parler. Elle jura que fi elle
ne pouvoit venir à bout de rompre
le Mariage , du moins les
longs obftacles qu'elle trouveroit
moyen d'y mettre , feroient foufrir
ceux qui oublioient ce qu'on
luy devoit. Elle réva quelque
temps, & quitta la Veuve , en luy
difant qu'elle viendroit luy donner
de les nouvelles le foir ,
quelque heure que ce fuft . Sitoft
qu'elle fut fortie , elle mit des
Efpions en campagne , & aprit
enfin avec certitude , que le Mariage
fe devoit faire à deux heures
apres minuit . Lors qu'il en fut
dix du foir , elle monta en Carroffe
, & fe rendit chez fa Niéce.
La Belle apprenant qu'elle eftoit
GALANT. .197
à la porte, fe trouva embarraffée,
par la crainte que fa vifite ne
fuft un peu longue , & ne retardaft
quelques petits foins qu'elle
avoit à prendre . Elle fut tirée de
fon embarras , lors qu'on la vint
avertir que fa Tante la prioit de
luy venir parler un moment. Elle
y courut auffi- toft , & entra dans
fon Carroffe , pour entendre ce
qu'elle avoit à luy dire . Elle n'y
fut pas plûtoft , que le Cocher
qu'on avoit inftruit , pouffa fes
Chevaux à toute bride , paffa
par diverfes Ruës , pour tromper
ceux qui auroient voulu le fuivre
, & vint s'arrefter à la porte
de la Veuve , chez qui la Tante
fit entrer la Niece. Ce qui venoit
d'arriver l'avoit jettée dans une
grande furprife ; mais elle augmenta
beaucoup , lors qu'étant
montée , elles luy firent toutes
I
3
198 MERCURE
deux connoiftre qu'elles eftoient
informées de fon Mariage.Je paffe
les reproches qu'on luy fit fur
cette Affaire. La Tante , qui la
laiffa en la garde de la Veuve , retourna
chez elle , où l'on vint
luy demander ce que fa Niéce
eftoit devenue. Elle répondit
qu'elle en rendroit compte quand
il feroit temps , & qu'elle prenoit
affez d'intereft en elle , pour ne
l'avoir confiée qu'à des Perfonnes
chez qui elle eftoit en fûreté . Le
Cavalier apprenant ce changemét,
tomba dans un defefpoir qui
ne fe peut croire.ll alla trouver la
Tante , luy fit les foûmiffions les
plus capables de la toucher , &
noublia rien de ce qui pouvoit la
fatisfaire ; mais elle fut inflexible
à fes prieres & à fon amour. Le
Pere qui eftoit bien aiſe d'éviter
l'éclat , employa toutes les voyes
GALANT 199
de douceur qui
à la gagner. Pendant
LYO
Cervir
imps ,
la Tante & la Veuve inventérent
mille chofes pour noircir le Ca
valier auprés de la Belle ; mais
rien ne put effacer dans fon efprit
les favorables impreffions que fon
amour & fon mérite y avoient
faites. Elle perfifta dans fes premiers
fentimens pour luy ; & enfin
malgré toutes les précautions
que l'on avoit prifes pour cacher
le lieu où elle eftoit , les Domeftiques
parlérent . Si - tôt qu'on
fçût qu'elle avoit efté laiffée entre
les mains de la Veuve , il ne fut
pas malaifé de l'obliger à la rendre.
Elle la remit entre celles de
fon Pere , qui fit de nouveaux
efforts pour apaifer la colere de
la Tante ; mais tout cela s'eftant
trouvé inutile , on ne garda plus
aucun fecret pour le Mariage . On
I 4.
200 MERCURE
en arrefta le jour , & il fut fait
avec autant de joye des Amans
traverſez injuftement , que de
chagrin pour la Tante & pour la
Veuve.
Avanture que vous trouverez
fort fingulière. Elle eft arrivée
icy depuis peu de temps . Un Cavalier
fort bien fait , fpirituel ,´
jeune & riche , aprés avoir joüé
pendant cinq ou fix années , tous
les perfonnages que
font aupres
des belles Perfonnes , ceux qui
font prodigues de douceurs , &
que les plus fortes proteftations
qu'ils viennent de faire , n'empefchent
point de jurer encore
ailleurs qu'ils ont de l'amour , fe
fentit enfin veritablement touché
de la beauté d'une aimable Brune
qu'il trouva un jour chez une
Veuve , qui quoy qu'elle paffaft
GALANT.
185
quarante ans , n'en avoüoit que
vingt huit , & qui par de certains
airs du monde qui luy étoient
naturels , reparoit avec affez d'agrément
ce qui luy manquoit du
cofté de la jeuneffe . La belle
Brune joignoit à des traits piquans
, une modeſtie qui charma
le Cavalier. Il fçut auffitoft qu'elle
eftoit voifine de la Veuve , &
les fentimens d'eftime qu'il prit
dés l'abord pour elle , l'engageant
à fouhaiter d'avoir un entier
éclairciffement fur ce qui la regardoit
, il apprit par ceux qu'il
chargea du foin de s'en informer,
qu'elle dépendoit d'un Pere affez
peu accommodé , qui ne fouffroit
point qu'elle reçuft de vifites ;
qu'on ne la voyoit que chez une
vieille Tante qui eftant fort riche
, prometoit de luy donner
une Partie de fon bien ; qu'ainfi
}
186 MERCURE
1
•
tout ce qu'elle avoit d'Amans
faifoit la cour à la Tante , & que
c'eftoit d'elle qu'il faloit obtenir.
Le Cavalier inftruit de ces chofes
, voulut connoiftre le coeur
de la Belle, avant que de prendre
aucunes mefures . Sçachant qu'elle
voyoit fort ſouvent la Veuve ,
il fe rendit affidu chez elle . Toutes
ſes viſites furent reçues agréablement
, & l'on vit avec plaifir
qu'elles devenoient fréquentes.
La Belle fe trouvoit de temps en
temps avec fon Amie , qui l'eftoit
auffi de la vieille Tante , & tout
ce qu'elle difoit , faifoit paroître
tant de jugement , & tant de fageffe
au Cavalier que quoy qu'il
ne marquaft rien qui puft décou
vrir ce qui fe paffoit dans fon
coeur pour elle , il s'affermiffoit
de plus en plus dans la réfolution
d'en faire fon unique attacheGALANT.
187
ment . Cependant à force de voir
la Veuve , il ne s'appercevoit pas
qu'il luy donnoit lieu de croire
qu'il en eftoit amoureux. Elle en
demeura perfuadée , & pour l'obliger
à fe déclarer plus fortement
, elle faifoit pour luy dest
avances , dont il auroit connu le
deffein , s'il n'eut pas efté remply
d'une paffion qui l'aveugloit
1 fur toute autre chofe. Apres
quelques entreveuës , dans lefaquelles
il crût avoir remarqué
que faperfonne ne déplaifoit pas
à la belle Brune , il réfolut de luy
faire part de fon deffein , & de
fçavoir d'elle- même , quels fentimens
elle avoit pour luy. Dans
cette penſée il alla l'attendre à
une Eglife , où il apprit qu'elle
alloit tous les matins , & l'abordant
lors qu'elle en fortoit , il la
remena chez elle , & pendant ce
1.
188 MERCURE
1
temps , il luy fit une fi tendre & fi
férieufe déclaration , qu'elle connût
aifément qu'un véritable &
fincére amour le faifoit parler.
Le party luy eftoit affez avantageux
de toutes maniéres pour
l'engager à répondre avec des
marques d'eftime qui luy fiffent
concevoir qu'il n'auroit aucune
peine à luy infpirer quelque chofe
de plus fort. Elle luy dit qu'el
le dépendoit d'un Pere à qui
elle obéiroit fans répugnance
en tout ce qu'il luy voudroit ordonner
en fa faveur , mais qu'il
n'étoit pas le feul qu'il y euft à
s'acquerir dans une affaire de
cette importance ; qu'une Tante
qui luy promettoit de partager
fon bien avec elle , s'étoit chargée
en quelque façon du ſoin de
la marier , & que toutes les démarches
que l'on pourroit faire
GALANT. 189
pour réüffir dans ce qu'il luy propofoit
, feroient inutiles , fi l'on
n'avoit fon confentement.Le Cavalier
fort ravy de voir que fa
Maîtreffe ne s'oppofoit point à fon
bonheur , ne fongea plus qu'à
gagner la Tante. Ce qui luy donnoit
de l'inquietude , c'eft qu'il
avoit fçeu qu'elle aimoit le monde
, & qu'elle amuſoit tous ceux
qui pretendoient à fa Niéce , par
le plaifir de fe voir long - temps
faire la Cour. Il crût cependant
qu'étant plus riche que tous fes
Rivaux , & peut- eftre auffi plus
confiderable par d'autres endroits
, on pourroit craindre de
le laiffer échaper , & que cette
crainte feroit terminer plûtoft fes
affaires. Pour les avancer ,
il ne
trouva point de plus fur moyen
que de parler à la Veuve , qui
pouvoit beaucoup fur l'efprit de
190 MERCURE
cette Tante . Ainfi la rencontrant
feule dés le mefme jour , il
luy dit avec des yeux tout brillans
du feu qui l'animoit , qu'il
avoit pris chez elle un mal dangereux
, dont la guerifon dépen
doit de fon fecours , & qu'il efperoit
qu'ayant pour luy autant de
bonté qu'elle en avoit toûjours
fait paroiftre , elle voudroit bien
entrer dans les fentimens pour le
fuccés d'un deffein tres - legitime .
La Veuve perfuadée par les affi
duitez du Cavalier , qu'elle eftoit
l'objet de tous fes defirs , eut tant
de joye de luy entendre tenir ce
langage , que fans luy donner le
temps de s'expliquer mieux , elle
l'interrompit pour luy dire , que
ce qu'il avoit à luy apprendre ,
luy étoit déja connu qu'elle
n'étoit point d'un âge à s'effrayer
d'une declaration d'amour ; que
GALANT. 191
fes foins l'avoient inftruite de fa
paffion ; que l'état de Veuve la
mettant en droit de difpofer d'elle-
mefme , elle y répondoit avec
plaifir , & qu'elle ne ſouhaitoit
autre choſe de fa complaifance,
finon que pour quelque intereft
de famille qu'elle achevoit de regler.
il vouluft bien attendre trois
mois à faire le Mariage ; que cependant
elle luy donnoit ,parole
de n'écouter perfonne à fon prejudice
& qu'elle eftoit prefte à
bannir tous ceux dont les vifites
luy feroient ſuſpectes . Imaginezvous
dans quelle furpriſe fe trouva
le Cavalier. Elle fut telle que
ne la pouvant cacher tout- à- fait,
il fe trouva obligé de s'excufer de
fon trouble fur fon exceffive joye,
qui en refferrant fon coeur , le
rendoit comme interdit. Vous
jugez bien qu'il confentit fans
1.92
MERCURE
aucune peine que fon pretendu
Mariage avec la Veuve fuft differé
de trois mois. Il luy laiffa un
pouvoir entier fur cet article , mais
il vit en mefme temps tous les
embarras que luy cauferoit le
peu de précaution qu'il avoit pris
avec elle. Il n'y avoit plus à eſperer
qu'elle le ferviſt auprès de la
Tante . Au contraire , il luy étoit
important que cette Tante ne
fçuſt rien de fon amour. La Veuve
auroit pû l'apprendre par elle,
& c'euft efté s'attirer une Ennemie
qui euft tout mis en ufage ,
pour empefcher qu'on ne l'euft
rendu heureux . Parmy toutes ces
contraintes , il devint réveur &
inquiet , & il le fut encore plus
quand la belle Brune, ne voulant
pas qu'il s'imaginaſt que la declaration
qu'il luy avoit faite, luy
fift chercher avec plus d'empreffement
GALANT. 193
fement l'occafion de le voir , rendit
à la Veuve des vifites moins
frequentes. Il en devina la cauſe
par les manieres honneftes &
pleines d'eftime qu'elle avoit
pour luy , toutes les fois qu'il la
trouvoit à l'Eglife , & ne pût blâmer
une referve qui marquoit un
coeur fenfible à la gloire.La Veuamour
,
qui remarquoit fon chagrin ,
ne l'impuroit qu'aux trois mois
de terme qu'elle avoit voulu qu'il
luy donnaſt , & touchée de l'impatience
où elle s'imaginoit qu'un
fi long retardement euft mis fon
elle tâchoit d'adoucir fa
peine , en l'affurant que fes diligences
redoublées la tireroient
d'embarras plûtoft qu'elle n'avoit
crû. Toutes ces chofes porterent
le Cavalier à prendre une refolution
qui le délivraft de crainte.
Il communiqua à ſa Maîtreffe le
Ianvier 1685. I
194
MERCURE
deffein où il étoit de l'époufer,
fans en rien dire à fa Tante , &
de renoncer aux avantages qu'elle
en pouvoit efperer , parce
qu'en l'avertiffant de fa recherche,
la Veuve qui le fçauroit auffitoft
, l'obligeroit de traîner fon
Mariage en longueur ; à quoy la
Tante feroit affez portée d'ellemefme
pour fon intereft particulier
, & peut - eftre mefme obtiendroit
d'elle qu'elle fe declaraft
contre luy. Il s'épargnoit par
là beaucoup de traverſes , ou du
moins plufieurs reproches , qu'il
ne craignoit point quand il feroit
marié. La Belle ayant confenty
à ce qu'il vouloit , il alla trouver
fon Pere , luy exagera la force de
fon amour,le conjura de luy vouloir
accorder fa Fille , & luy expliqua
toutes les raifons qui luy
faifoient fouhaiter un entier fe
GALANT. 195
cret fur fon Mariage . Le Pere qui
connoiffoit les grands Biens du
Cavalier , ne balança rien à conclure
toutes chofes de la manicře
qu'il le propofoit . Le Notaire
vint,& le Contract fut figné ,fans
que perfonne en eût connoiffance.
Cependant , comme il n'y a
rien de fi caché qui ne le découvre
, le jour qui preceda celuy
qu'on avoit choisi pour le
Mariage , une Servante de cette
Maiſon ayant foupçonné la verité
à quelques aprefts que
l'on y
faifoit , en inftruific la Suivante
de la Veuve , qui alla en meſme
temps le redire à fa Maîtreffe ,
avec qui la Veuve étoit . L'une
& l'autre fut dans une colere
inconcevable. La Veuve , qui
pretendoit que le Cavalier luy
euft engagé fa foy, traita fa nouvelle
paffion de trahison & de
1 2
196 MERCURE
·
perfidie ; & la Tante ne pouvoit
fe confoler de ce qu'ayant promis
de faire à fa Niéce de grands
avantages, on la marioit fans luy
en parler. Elle jura que fi elle
ne pouvoit venir à bout de rompre
le Mariage , du moins les
longs obftacles qu'elle trouveroit
moyen d'y mettre , feroient foufrir
ceux qui oublioient ce qu'on
luy devoit. Elle réva quelque
temps, & quitta la Veuve , en luy
difant qu'elle viendroit luy donner
de les nouvelles le foir ,
quelque heure que ce fuft . Sitoft
qu'elle fut fortie , elle mit des
Efpions en campagne , & aprit
enfin avec certitude , que le Mariage
fe devoit faire à deux heures
apres minuit . Lors qu'il en fut
dix du foir , elle monta en Carroffe
, & fe rendit chez fa Niéce.
La Belle apprenant qu'elle eftoit
GALANT. .197
à la porte, fe trouva embarraffée,
par la crainte que fa vifite ne
fuft un peu longue , & ne retardaft
quelques petits foins qu'elle
avoit à prendre . Elle fut tirée de
fon embarras , lors qu'on la vint
avertir que fa Tante la prioit de
luy venir parler un moment. Elle
y courut auffi- toft , & entra dans
fon Carroffe , pour entendre ce
qu'elle avoit à luy dire . Elle n'y
fut pas plûtoft , que le Cocher
qu'on avoit inftruit , pouffa fes
Chevaux à toute bride , paffa
par diverfes Ruës , pour tromper
ceux qui auroient voulu le fuivre
, & vint s'arrefter à la porte
de la Veuve , chez qui la Tante
fit entrer la Niece. Ce qui venoit
d'arriver l'avoit jettée dans une
grande furprife ; mais elle augmenta
beaucoup , lors qu'étant
montée , elles luy firent toutes
I
3
198 MERCURE
deux connoiftre qu'elles eftoient
informées de fon Mariage.Je paffe
les reproches qu'on luy fit fur
cette Affaire. La Tante , qui la
laiffa en la garde de la Veuve , retourna
chez elle , où l'on vint
luy demander ce que fa Niéce
eftoit devenue. Elle répondit
qu'elle en rendroit compte quand
il feroit temps , & qu'elle prenoit
affez d'intereft en elle , pour ne
l'avoir confiée qu'à des Perfonnes
chez qui elle eftoit en fûreté . Le
Cavalier apprenant ce changemét,
tomba dans un defefpoir qui
ne fe peut croire.ll alla trouver la
Tante , luy fit les foûmiffions les
plus capables de la toucher , &
noublia rien de ce qui pouvoit la
fatisfaire ; mais elle fut inflexible
à fes prieres & à fon amour. Le
Pere qui eftoit bien aiſe d'éviter
l'éclat , employa toutes les voyes
GALANT 199
de douceur qui
à la gagner. Pendant
LYO
Cervir
imps ,
la Tante & la Veuve inventérent
mille chofes pour noircir le Ca
valier auprés de la Belle ; mais
rien ne put effacer dans fon efprit
les favorables impreffions que fon
amour & fon mérite y avoient
faites. Elle perfifta dans fes premiers
fentimens pour luy ; & enfin
malgré toutes les précautions
que l'on avoit prifes pour cacher
le lieu où elle eftoit , les Domeftiques
parlérent . Si - tôt qu'on
fçût qu'elle avoit efté laiffée entre
les mains de la Veuve , il ne fut
pas malaifé de l'obliger à la rendre.
Elle la remit entre celles de
fon Pere , qui fit de nouveaux
efforts pour apaifer la colere de
la Tante ; mais tout cela s'eftant
trouvé inutile , on ne garda plus
aucun fecret pour le Mariage . On
I 4.
200 MERCURE
en arrefta le jour , & il fut fait
avec autant de joye des Amans
traverſez injuftement , que de
chagrin pour la Tante & pour la
Veuve.
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Résumé : Histoire, [titre d'après la table]
Un jeune cavalier, riche et spirituel, est séduit par une aimable brune rencontrée chez une veuve charmante. La brune, modeste et belle, dépend d'un père sévère et d'une tante riche. Le cavalier, désirant connaître ses sentiments, lui déclare son amour et obtient une réponse favorable, sous réserve du consentement de son père et de sa tante. Il cherche alors à gagner la faveur de la tante en passant par la veuve, qui accepte de l'aider mais impose un délai de trois mois pour le mariage. La brune, pour éviter les soupçons, réduit ses visites à la veuve. Le cavalier décide d'épouser la brune sans informer la tante pour éviter les obstacles. Il obtient le consentement du père de la brune et signe le contrat de mariage en secret. Cependant, une servante découvre la vérité et informe la veuve, qui entre en colère. La tante, furieuse, enlève la brune et la confie à la veuve pour contrecarrer le mariage. Le cavalier tente en vain de raisonner la tante et le père. La tante et la veuve cherchent à discréditer le cavalier auprès de la brune, mais celle-ci reste fidèle à ses sentiments. Finalement, la brune est rendue à son père, et le mariage est célébré malgré les tentatives de la tante et de la veuve pour l'empêcher.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 108-126
Histoire, [titre d'après la table]
Début :
Il est dangereux de forcer l'amour à se tourner en fureur ; [...]
Mots clefs :
Belle, Cavalier, Amour, Mariage, Demoiselle, Amants, Adorateur, Coeur, Destin funeste, Scrupule, Charme, Passion, Obstacle, Promesses, Gloire, Désespoir, Jalousie, Honneur, Blessures , Malheur, Peine
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Histoire, [titre d'après la table]
Il eſt dangereux de forcer
l'amour à le tourner en fu
reur ; il en arrive ordinairement
des fuites funeftes , &
ce qui s'eft paffé depuis peu
de temps dans une des plus
grandes Villes du Royaume,.
confirme les fanglans exemples
que nous en trouvons
dans les Hiftoires. Une jeu
ne Demoiselle naturellement
fenfible à la gloire , & pleine
de cette louable & noble
fierté , qui donne un nouveau
merite aux belles Perfonnes
, vivoit dans une con--
duite qui la mettoit à cou
GALANT. 109
vert de toute cenfure. L'agrément
de ſes manieres , joint
à un brillant d'efprit qui la
diftinguoit avec beaucoup
d'avantage , luy attiroit des
Amans de tous côtez . Elle
recevoit leurs foins , fans
marquer de préférence , &
confervoit une égalité , qui
n'en rebutant aucun leur
faifoit connoître qu'elle vouloit
fe donner le temps de
choifir. C'eftoit en effet fon
but ; elle gardoit avec eux
la plus éxacte regularité ; ne
leur permettant ny vifites
affidues , ny empreffemens
110 MERCURE
trop remarquables
. Ainſi la
bienséance
régloit tous les
égards complaifans
qu'elle
croyoit leur devoir ; & la raifon
demeurant
toûjours maîtreffe
de fes fentimens
, elle
attendoit qu'elle connût aſſez
bien leurs differens caractepour
pouvoir faire un
res
-
heureux , fans fe rendre
malheureuſe , ou qu'il s'offrist
un Party plus confiderable
, qui déterminaft fon
choix. Elle approchoit de
vingt ans , quand un Cavalier
affez bienfait vint fe méler
parmy fes Adorateurs
GALANT. I
Comme il n'avoit ny plus de
naiffance , ny plus de bien
que les autres il ne reçût
la mefme honne .
d'elle
que
fteté
qu'elle
avoit
pour
tous
;
& cette
maniere
trop
indifferente
l'auroit
fans
doute
obligé
de
renoncer
à la voir
,
fi par
une
vanité
que
quelques
bonnes
fortunes
luy
avoient
fait
prendre
, il n'euſt
trouvé
de
la
honte
à ne
pas
venir
à bout
de
toucher
un
coeur
qui
avoit
toûjours
paru
infenfible
. C'eftoit
un
homme
d'un
efprit
infinuant
, &
qui
fçavoit
les
moyens
de
112 MERCURE
plaire mieux que perfonne
du monde , quand il vouloit
les mettre en ufage. Il feignit
d'eftre content des conditions
que luy préſcrivit la
Belle , & fans fe plaindre du
peu de liberté qu'elle luy laiffoit
pour les vifites , il la vit
encore plus rarement qu'elle
ne parut le fouhaiter. Il eſt
vray qu'il repara
le manque
d'empreffement qu'il fembloit
avoir pour elle , par le
foin qu'il prit de ſe trouver
aux lieux de devotion où elle
alloit ordinairement . Il la faluoit
fans luy parler que des
GALANT. 113
1
yeux , & ne manquoit pas .
dans la premiere entreveuë ,
de faire valoir d'une maniere
galante le facrifice qu'il luy
avoit fait en s'impofant la
contrainte de ne luy rien dire
, pour ne pas donner ma--
tiere à fes fcrupules. Il prenoit
d'ailleurs un plaifir par--
ticulier à élever fon merite :
devant tous ceux qui la connoiffoient
, & ce qu'elle en
apprenoit la flatoit en même
temps , & luy donnoir de l'e
ftime pour le Cavalier . Tou--
tes ces chofes firent l'effet
qu'il avoit prévû. On fou-
Mars 1685. KA
114 MERCURE
haita de s'en faire aimer. I
s'en apperçût ; & rendit des
foins un peu plus frequens,
en proteſtant que fon refpect
luy en feroit toûjours retrancher
ce qu'on trouveroit contre
les regles . La Belle qui
commençoit à eftre touchée,
adoucit en fa faveur la feve
rité de fes maximes . Elle apprehenda
qu'il n'euft trop d'exactitude
à luy, obéir , fi elle
vouloit s'opposer à ſes affi
duitez & trouvant dans fa
converfation un charme fecret
qu'elle n'avoit point fen
ty dans celle des autres , elle
GALANT. 115
crût que ce feroit ufer de:
trop de rigueur envers eile .
même , que de fe refoudre à
s'en priver. Tous fes Amans
eurent bientôt remarqué le
progrés avantageux que le
Cavalier faifoit dans fon
coeur. Ils le voyoient applaudy
fur toutes chofes ; & le
dépit les forçant d'éteindre
leur paffion , ils fe retirerent,
& laifferent leur Rival fansaucun
obftacle qui puft troubler
fes deffeins . Ce fut alors
la Belle ouvrit les yeuxque
fur le pas qu'elle avoit fait.
Le Cavalier demeuré feul au-
Kij
116 MERCURE
prés d'elle , fit examiner le
changement que l'Amour
mettoit dans fa conduite .
Toute la Ville en parla ; &
ce murmure l'ayant obligée
à s'expliquer avec luy , il
luy répondit qu'elle devoit
peu s'embaraffer de ce qu'on
penfoit de l'un & de l'autre ,
fi elle l'aimoit affez pour
vouloir bien devenir fa Fem-
; que c'eftoit dans cette
veuë qu'il avoit pris de l'attachement
pour elle ; & que·
ne fouhaitant rien avec plus
d'ardeur que de l'époufer , il
luy demandoit feulement un
me
GALANT. 117
peu
de temps pour obtenir
le confentement d'un Oncle
dont il efperoit quelque a .
vantage . Je ne puis vous dire
s'il parloit fincerement ; ce
qu'il y a de certain , c'est que
la Belle fe laiffa perfuader ..
Les promeffes que luy fit le:
Cavalier la fatisfirent &%
croyant n'avoir befoin de reputation
que pour luy , elle
fe mit peu en peine d'eftre
juftifiée envers le Public
pourvûqu'un homme qu'elle
regardoit comme fon Mary,
n'euft point fujet de fe plaindre.
Une année entiere fe
;
118 MERCURE
paffa de cette forte . Elle par
la plufieurs fois d'accomplir
le Mariage , & le fâcheux
obftacle d'un Oncle difficile
à ménager empéchoit toû
jours qu'on n'éxecutaft ce
qu'on luy avoit promis . Cependant
le Cavalier qui ne
s'eftoit obftiné à cette conquefte
, que par un vain ſentiment
de gloire , s'en dégoûta
quand elle fut faite.
L'amour de la Belle ne pouvant
plus s'augmenter , il
ceffa d'avoir pour elle les
mêmes empreffemens qui
faifoient d'abord tout fon
GALANT. 119
bonheur. Elle s'en plaignit ,
& il rejetta fur fes plaintes
trop continuelles les manie
res froides qu'il ne pouvoit
s'empécher de laiffer paroître.
Elles luy fervirent même
de prétexte pour eftre moins
affidu. Les reproches redoublerent
; & leurs converfations
n'eftant plus remplies
que de chofes chagrinantes
,
le Cavalier s'éloigna entierement.
Ce fut pour la Belle un
fujet de defefpoir qu'on ne
fçauroit exprimer . Elle envoya
plufieurs perfonnes
chez luy , elle y alla elle mê120
MERCURE
me ; & fes réponſes eſtant
toûjours qu'il l'épouferoit fitôt
qu'il auroit gagné l'efprit
de fon Oncle , elle luy fit
propofer un mariage fecret .
Il rejetta cette propofition
d'une maniere qui fit connoiſtre
à la Belle , qu'elle
efperoit inutilement luy faire
tenir parole . L'excés de fon
déplaifir égala celuy de fon
amour. Elle aimoit le Cavalier
éperdument ; & quand
elle cuft pû changer cet amour
en haine , aprés l'éclat
qu'avoient fait les chofes ,
l'intereft de fon honneur l'auroit
GALANT. 121
roit obligé à l'époufer. Toutes
les voyes de douceur
ayant manqué de fuccez,
elle forma une refolution qui
n'eftoit pas de fon fexe . Elle
employa quelque temps à
s'y affermir , & s'informa cependant
de ce que faiſoit ſon
Infidele. Elle découvrit qu'il
voyoit ſouvent une jeune
Veuve , chez qui il paffoit la
plupart des foirs. La jaloufie
augmentant fa rage , elle prit
un habit d'homme , & encouragée
par fon amour &
par la juftice de fa cauſe , elle
alla l'attendre un foir dans
Mars 1685.
L
{
122 MERCURE
une affez large ruë où elle
fçavoit qu'il devoit paffer. La
Lune eftoit alors dans fon
༣ ་
plein , & favorifoit fon entre
prife. Le Cavalier revenant
chez luy comme de coûtume
, elle l'aborda ; & à peine
luy euft- elle dit quelques paroles
, qu'il la connût à fa
voix. Il plaifanta fur cette
metamorphofe ; & la Belle .
luy déclarant d'un ton refo
lu , qu'il faloit fur l'heure ve
nir luy figner un contract de
mariage , ou luy arracher la
vie , il continua de plaifanter .
La Belle outrée de fes raille
GALANT. 123
3
ries , éxecuta ce qu'elle avoit
refolu . Elle mit l'épée à la
main ; & le contraignant de
l'y mettre auffi , elle l'attaqua
avec tant de force , que
quelque foin qu'il prît de
parer , il fut percé de deux
coups qui le jetterent par
terre. Il tomba , en difant
qu'il eftoit mort. La Belle fa.
tisfaite & defefperée en méme
temps de fa vengeance ,
cria au fecours fans vouloir
prendre la fuite . Les Voifins
parurent , & on porta
Bleffé chez un Chirurgien
qui demeuroit à vingt pas
·le
Lij
124 MERCURE
de là. Les bleffures du Cava
lier eftant mortelles , il n'eut
que le temps de déclarer
qu'il meritoit fon malheur;
qu'il avoit voulu tromper la
Belle , & qu'il en eſtoit juftement
puny. Il ajouta qu'-
elle eftoit fa Femme par la
promeffe qu'il luy avoit faite
plufieurs fois de l'époufer;
qu'il vouloit qu'on la reconnuft
pour telle , & qu'il la
prioit de luy pardonner les
déplaifirs que fon injuſtice
luy avoit caufez. Il mourut
en achevant ces paroles , &
la laiffa dans une douleur qui
GALANT. 125
paffe tout ce qu'on peut s'en
imaginer. Le repentir qu'il
avoit marqué luy rendit tout
fon amour ; & le defefpoir
où elle tomba , ne fit que
trop voir combien il avoit de
violence. Jugez de la ſurpriſe
de ceux qui eftoient preſens,
dé voir une Fille ` déguifée en
Homme , & qui demandoit
par grace qu'on vängeaſt ſur
elle la mort d'un Amant qu'
elle avoit dû facrifier à fa
gloire. Elle dit les chofes du
monde les plus touchantes ;
& il n'y eut perfonne qui ne
partageât la peine . Je n'ay
Liij
126 MERCURE
point fçeû ce que la Justice
avoit ordonné contre elle .
Son crime eft de ceux que
l'honneur fait faire , & il en
eft peu qui ne femblent excufables
, quand ils partent
d'une caufe dont on n'a point
les
à rougir.
l'amour à le tourner en fu
reur ; il en arrive ordinairement
des fuites funeftes , &
ce qui s'eft paffé depuis peu
de temps dans une des plus
grandes Villes du Royaume,.
confirme les fanglans exemples
que nous en trouvons
dans les Hiftoires. Une jeu
ne Demoiselle naturellement
fenfible à la gloire , & pleine
de cette louable & noble
fierté , qui donne un nouveau
merite aux belles Perfonnes
, vivoit dans une con--
duite qui la mettoit à cou
GALANT. 109
vert de toute cenfure. L'agrément
de ſes manieres , joint
à un brillant d'efprit qui la
diftinguoit avec beaucoup
d'avantage , luy attiroit des
Amans de tous côtez . Elle
recevoit leurs foins , fans
marquer de préférence , &
confervoit une égalité , qui
n'en rebutant aucun leur
faifoit connoître qu'elle vouloit
fe donner le temps de
choifir. C'eftoit en effet fon
but ; elle gardoit avec eux
la plus éxacte regularité ; ne
leur permettant ny vifites
affidues , ny empreffemens
110 MERCURE
trop remarquables
. Ainſi la
bienséance
régloit tous les
égards complaifans
qu'elle
croyoit leur devoir ; & la raifon
demeurant
toûjours maîtreffe
de fes fentimens
, elle
attendoit qu'elle connût aſſez
bien leurs differens caractepour
pouvoir faire un
res
-
heureux , fans fe rendre
malheureuſe , ou qu'il s'offrist
un Party plus confiderable
, qui déterminaft fon
choix. Elle approchoit de
vingt ans , quand un Cavalier
affez bienfait vint fe méler
parmy fes Adorateurs
GALANT. I
Comme il n'avoit ny plus de
naiffance , ny plus de bien
que les autres il ne reçût
la mefme honne .
d'elle
que
fteté
qu'elle
avoit
pour
tous
;
& cette
maniere
trop
indifferente
l'auroit
fans
doute
obligé
de
renoncer
à la voir
,
fi par
une
vanité
que
quelques
bonnes
fortunes
luy
avoient
fait
prendre
, il n'euſt
trouvé
de
la
honte
à ne
pas
venir
à bout
de
toucher
un
coeur
qui
avoit
toûjours
paru
infenfible
. C'eftoit
un
homme
d'un
efprit
infinuant
, &
qui
fçavoit
les
moyens
de
112 MERCURE
plaire mieux que perfonne
du monde , quand il vouloit
les mettre en ufage. Il feignit
d'eftre content des conditions
que luy préſcrivit la
Belle , & fans fe plaindre du
peu de liberté qu'elle luy laiffoit
pour les vifites , il la vit
encore plus rarement qu'elle
ne parut le fouhaiter. Il eſt
vray qu'il repara
le manque
d'empreffement qu'il fembloit
avoir pour elle , par le
foin qu'il prit de ſe trouver
aux lieux de devotion où elle
alloit ordinairement . Il la faluoit
fans luy parler que des
GALANT. 113
1
yeux , & ne manquoit pas .
dans la premiere entreveuë ,
de faire valoir d'une maniere
galante le facrifice qu'il luy
avoit fait en s'impofant la
contrainte de ne luy rien dire
, pour ne pas donner ma--
tiere à fes fcrupules. Il prenoit
d'ailleurs un plaifir par--
ticulier à élever fon merite :
devant tous ceux qui la connoiffoient
, & ce qu'elle en
apprenoit la flatoit en même
temps , & luy donnoir de l'e
ftime pour le Cavalier . Tou--
tes ces chofes firent l'effet
qu'il avoit prévû. On fou-
Mars 1685. KA
114 MERCURE
haita de s'en faire aimer. I
s'en apperçût ; & rendit des
foins un peu plus frequens,
en proteſtant que fon refpect
luy en feroit toûjours retrancher
ce qu'on trouveroit contre
les regles . La Belle qui
commençoit à eftre touchée,
adoucit en fa faveur la feve
rité de fes maximes . Elle apprehenda
qu'il n'euft trop d'exactitude
à luy, obéir , fi elle
vouloit s'opposer à ſes affi
duitez & trouvant dans fa
converfation un charme fecret
qu'elle n'avoit point fen
ty dans celle des autres , elle
GALANT. 115
crût que ce feroit ufer de:
trop de rigueur envers eile .
même , que de fe refoudre à
s'en priver. Tous fes Amans
eurent bientôt remarqué le
progrés avantageux que le
Cavalier faifoit dans fon
coeur. Ils le voyoient applaudy
fur toutes chofes ; & le
dépit les forçant d'éteindre
leur paffion , ils fe retirerent,
& laifferent leur Rival fansaucun
obftacle qui puft troubler
fes deffeins . Ce fut alors
la Belle ouvrit les yeuxque
fur le pas qu'elle avoit fait.
Le Cavalier demeuré feul au-
Kij
116 MERCURE
prés d'elle , fit examiner le
changement que l'Amour
mettoit dans fa conduite .
Toute la Ville en parla ; &
ce murmure l'ayant obligée
à s'expliquer avec luy , il
luy répondit qu'elle devoit
peu s'embaraffer de ce qu'on
penfoit de l'un & de l'autre ,
fi elle l'aimoit affez pour
vouloir bien devenir fa Fem-
; que c'eftoit dans cette
veuë qu'il avoit pris de l'attachement
pour elle ; & que·
ne fouhaitant rien avec plus
d'ardeur que de l'époufer , il
luy demandoit feulement un
me
GALANT. 117
peu
de temps pour obtenir
le confentement d'un Oncle
dont il efperoit quelque a .
vantage . Je ne puis vous dire
s'il parloit fincerement ; ce
qu'il y a de certain , c'est que
la Belle fe laiffa perfuader ..
Les promeffes que luy fit le:
Cavalier la fatisfirent &%
croyant n'avoir befoin de reputation
que pour luy , elle
fe mit peu en peine d'eftre
juftifiée envers le Public
pourvûqu'un homme qu'elle
regardoit comme fon Mary,
n'euft point fujet de fe plaindre.
Une année entiere fe
;
118 MERCURE
paffa de cette forte . Elle par
la plufieurs fois d'accomplir
le Mariage , & le fâcheux
obftacle d'un Oncle difficile
à ménager empéchoit toû
jours qu'on n'éxecutaft ce
qu'on luy avoit promis . Cependant
le Cavalier qui ne
s'eftoit obftiné à cette conquefte
, que par un vain ſentiment
de gloire , s'en dégoûta
quand elle fut faite.
L'amour de la Belle ne pouvant
plus s'augmenter , il
ceffa d'avoir pour elle les
mêmes empreffemens qui
faifoient d'abord tout fon
GALANT. 119
bonheur. Elle s'en plaignit ,
& il rejetta fur fes plaintes
trop continuelles les manie
res froides qu'il ne pouvoit
s'empécher de laiffer paroître.
Elles luy fervirent même
de prétexte pour eftre moins
affidu. Les reproches redoublerent
; & leurs converfations
n'eftant plus remplies
que de chofes chagrinantes
,
le Cavalier s'éloigna entierement.
Ce fut pour la Belle un
fujet de defefpoir qu'on ne
fçauroit exprimer . Elle envoya
plufieurs perfonnes
chez luy , elle y alla elle mê120
MERCURE
me ; & fes réponſes eſtant
toûjours qu'il l'épouferoit fitôt
qu'il auroit gagné l'efprit
de fon Oncle , elle luy fit
propofer un mariage fecret .
Il rejetta cette propofition
d'une maniere qui fit connoiſtre
à la Belle , qu'elle
efperoit inutilement luy faire
tenir parole . L'excés de fon
déplaifir égala celuy de fon
amour. Elle aimoit le Cavalier
éperdument ; & quand
elle cuft pû changer cet amour
en haine , aprés l'éclat
qu'avoient fait les chofes ,
l'intereft de fon honneur l'auroit
GALANT. 121
roit obligé à l'époufer. Toutes
les voyes de douceur
ayant manqué de fuccez,
elle forma une refolution qui
n'eftoit pas de fon fexe . Elle
employa quelque temps à
s'y affermir , & s'informa cependant
de ce que faiſoit ſon
Infidele. Elle découvrit qu'il
voyoit ſouvent une jeune
Veuve , chez qui il paffoit la
plupart des foirs. La jaloufie
augmentant fa rage , elle prit
un habit d'homme , & encouragée
par fon amour &
par la juftice de fa cauſe , elle
alla l'attendre un foir dans
Mars 1685.
L
{
122 MERCURE
une affez large ruë où elle
fçavoit qu'il devoit paffer. La
Lune eftoit alors dans fon
༣ ་
plein , & favorifoit fon entre
prife. Le Cavalier revenant
chez luy comme de coûtume
, elle l'aborda ; & à peine
luy euft- elle dit quelques paroles
, qu'il la connût à fa
voix. Il plaifanta fur cette
metamorphofe ; & la Belle .
luy déclarant d'un ton refo
lu , qu'il faloit fur l'heure ve
nir luy figner un contract de
mariage , ou luy arracher la
vie , il continua de plaifanter .
La Belle outrée de fes raille
GALANT. 123
3
ries , éxecuta ce qu'elle avoit
refolu . Elle mit l'épée à la
main ; & le contraignant de
l'y mettre auffi , elle l'attaqua
avec tant de force , que
quelque foin qu'il prît de
parer , il fut percé de deux
coups qui le jetterent par
terre. Il tomba , en difant
qu'il eftoit mort. La Belle fa.
tisfaite & defefperée en méme
temps de fa vengeance ,
cria au fecours fans vouloir
prendre la fuite . Les Voifins
parurent , & on porta
Bleffé chez un Chirurgien
qui demeuroit à vingt pas
·le
Lij
124 MERCURE
de là. Les bleffures du Cava
lier eftant mortelles , il n'eut
que le temps de déclarer
qu'il meritoit fon malheur;
qu'il avoit voulu tromper la
Belle , & qu'il en eſtoit juftement
puny. Il ajouta qu'-
elle eftoit fa Femme par la
promeffe qu'il luy avoit faite
plufieurs fois de l'époufer;
qu'il vouloit qu'on la reconnuft
pour telle , & qu'il la
prioit de luy pardonner les
déplaifirs que fon injuſtice
luy avoit caufez. Il mourut
en achevant ces paroles , &
la laiffa dans une douleur qui
GALANT. 125
paffe tout ce qu'on peut s'en
imaginer. Le repentir qu'il
avoit marqué luy rendit tout
fon amour ; & le defefpoir
où elle tomba , ne fit que
trop voir combien il avoit de
violence. Jugez de la ſurpriſe
de ceux qui eftoient preſens,
dé voir une Fille ` déguifée en
Homme , & qui demandoit
par grace qu'on vängeaſt ſur
elle la mort d'un Amant qu'
elle avoit dû facrifier à fa
gloire. Elle dit les chofes du
monde les plus touchantes ;
& il n'y eut perfonne qui ne
partageât la peine . Je n'ay
Liij
126 MERCURE
point fçeû ce que la Justice
avoit ordonné contre elle .
Son crime eft de ceux que
l'honneur fait faire , & il en
eft peu qui ne femblent excufables
, quand ils partent
d'une caufe dont on n'a point
les
à rougir.
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Résumé : Histoire, [titre d'après la table]
Le texte narre l'histoire d'une jeune demoiselle résidant dans une grande ville du royaume. Réputée pour sa sensibilité à la gloire et sa fierté, elle attire de nombreux admirateurs grâce à son charme et son esprit brillant. Elle veille à maintenir une conduite irréprochable, évitant les visites fréquentes et les démonstrations excessives, tout en laissant le temps à ses admirateurs de la convaincre. Parmi ses admirateurs, un cavalier se distingue par son esprit fin et ses bonnes fortunes. Bien qu'il feigne de se conformer aux règles de la jeune femme, il utilise divers stratagèmes pour gagner son affection, tels que la fréquenter dans des lieux de dévotion et la flatter publiquement. La jeune femme finit par s'attacher à lui, adoucissant ses principes. Ses autres admirateurs, jaloux, se retirent, laissant le champ libre au cavalier. Après une année de promesses de mariage, le cavalier, lassé par son succès, commence à négliger la jeune femme. Elle tente de le retenir, mais il refuse de s'engager. Désespérée, elle décide de le confronter déguisée en homme et le blesse mortellement lors d'un duel. Avant de mourir, le cavalier reconnaît ses torts et demande pardon, confirmant leur union par promesse. La jeune femme, dévastée, est laissée dans un état de profond désespoir.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
5
p. 256-272
Histoire, [titre d'après la table]
Début :
On m'a conté une chose fort particuliere, arrivée icy sur [...]
Mots clefs :
Carnaval, Déguisements, Cavalier, Dame, Filles, Richesse, Honnêteté, Soeurs, Coeur, Charme, Belle, Correspondance, Mariage, Passion, Comédie, Galanterie, Bal, Assemblée, Amour, Divertissement, Amants, Hasard, Masques, Attaque, Diamant, Bourse, Mémoire, Jugement
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Histoire, [titre d'après la table]
On m'a conté une choſe
fort particuliere , arrivée icy
ſur la fin du Carnaval. C'eſt
la ſaiſon des Déguiſemens , &
par conféquent des Avantures.
Un Cavalier d'une Province
éloignée, eſlant venu à
Paris pour y acquerir d'air de
liberté & de politeffe qui diftingue
ceux qui ont veu le
monde , prit habitude chez
uneDame tres ſpirituelle, qui
cultiva cette connoiſſance
GALANT. 297
Voit
avec tout le ſoin qu'elle de-
Elle avoit deux Filles,
toutes deuxbien faites , & la
fortune ne luy ayant pascité
favorable , il eſtoit de l'inte
reſt de l'une & de l'autre que
ſa politique ménageaft ceux
que desviſites un peu affidues
pouvoient engager à prendre
feu Le Cavalier eſtoit
tiche , & cette ſeule raifon
euſtportéla Dame àtous les
égards qu'elle avoit pour luy,
quand mesme il n'auroit efte
confiderable par aucun merite.
Il n'eut pendant quel
que temps que des complai
Avril 1685. Y
258 MERCURE
fances genérales que l'hon
neſteté oblige d'avoir pour
toutes les Dames. On le recevoit
agréablement ,& les
deux Soeurs a l'envy luy faifoient
paroiſtre toute l'eſtime
que la bien ſéance leur pou
voit permettre , fans qu'aucunempreſſement
particulier
pour l'une ou pour l'autremarquaft
le choix de ſon coeur,
mais enfin il s'attacha à l'Aînée,&
l'égalité d'humeur qu'il
luy trouva fut pour luy un fi
grand charme qu'il mit
tous ſes foins à s'en faire
,
aimer. Vous jugez bien qu'il
GALANT. 259
n'eut pas de peine à y reüf
fir. La Belle eſtoit dans des
dipoſitions qui avoient en
quelque forte prévenu fess
voeux , & la Mere authori--
ſant la correſpondance que le
Cavalier luy demandoit, il cute
le plaifir de ſe voir aimé dés
qu'il ſe fut déclaré Amant.
Oneuſtbien voulu qu'il euſt
arreſté le Mariage , mais ill
eſtoit dangereux de l'en pref
fer , & on jugea à propos
d'attendre que fa paflion
mieux affermie l'euft mis en
état de ne point examiner les
peu d'avantage qu'il devoit
2
Yij
260 MERCURE
tirer de cette alliance. 10Gefie
pendant ce ne furent plus
que des Parties de plaifire Le
Cavalier voulant divertir das
belle Maiſtreſſe , la menoit
ſouvent à la Comédie ou à
l'Opera , & cherchoit d'ail
leurs tout ce qui pouvoit
contribuer à luy donner de la
joye. Le temps de la Foire
eſtant venu , ils yallérent
pluſieurs fois enſemble ,& ild
luy faifoir toûjours quelque
Preſent. La Mere avoit part
à ſes liberalitez , & comme il
aidoit à entretenir le Jeu chez
elle, ſes viſites affiduës luy
GALANT.261
eſtoient utiles de bien des
manieres. La fin du Carna
val approchoit , & la Belle
ayant un jour témoigné qu'
elle avoit envie de courir le
Bal , le Cavalier ſongea aufh
toftà la fatisfaire. Il alla cher ) {
cher des habits fort riches,
les fit porter chez la Dame,
& chacun choifit ce qu'il
voulut. Les deux Filles s'habillerenten
Hommes à la
Françoiſe avec des écharpes
magnifiques ,& les autres ornemens
qui pouvoient ſervin
à leur donner de l'éclat &
a. Mere & le Cavalier ſe dé262
MERCURE
guiférenten Arméniens. La
galanterie eſtoit jointe, à la
propreté & cette petite
Troupe meritoit bien qu'on
la regardaft. Le Cavalier
qui aimoit le jeu , ayant
accoûtumé de porter beaucoup
d'argent , la Belle vouloit
qu'il laiſſaſt ſa bourſe.
La Mere dit là deſſus , que
puis qu'on croyoit qu'il n'y
euſt pas feureté entiere à ſe
trouver le foir dans lesRuës,
elle aimoit mieux rompre la
Partie , que de s'expoſer
à une mauvaiſe rencontre...
Le Cavalier ne manqua pas
GALANT. 263
de répondre , qu'elle estoit fi
peu à craindre , par le bon
ordre que les Magittrats y
avoient mis , que quand il
auroit mille piſtoles , il iroit
luy ſeul par tout Paris , aufli
ſeurement que s'il eſtoit efcorté
de tous les Archersdu
Guet. En meſme temps il
donna à la Belle un Diamant
qui estoit de prix , pour tenir
fon Maſque , & ils montérent
tous en Carroffe, pour
aller dans le Fauxbourg Saint
Germain , où ils apprirent
qu'il y avoit une tres - belle
Affemblée. L'affluence des
264 MERCURE
Maſques leur permit à peine
d'y entrer , mais enfin le Ca
valier s'eſtant fait jour dans
la foule , ils arrivérent juſqu'à
la Salle du Bal. Les Luftres
dont elle eſtoit éclairée , relevoient
merveilleuſement la
beautéde leurs Habits. Toute
Affemblée les remarqua, &
cela fut cauſe qu'on les fic
d'abord dancer. Ils s'en aqui
térent avec une grace qui leur
attira de grandes honnettetez
du Maistre de la Mifon...
Il leur fit donner des ſiéges,
& le Cavalier prit place au
prés de la Belle. Tandis que
l'Amour
GALANT 265
!
l'Amour leur fourniffoit le
ſujetd'un entretien agréable,
la Mere & la Soeur n'estoient
occupées qu'à regarder ; &
s'ennuyant d'eftre toûjours
dans le meſme endroit , elles
ſe firent un divertiſſement
d'aller dans toute la Salle
nouer converſation avec les
Maſques qu'elles y trouvé
rent. On en voyoit fans cefle
entrer de nouveaux ,
confufiony devint fi grande,
qu'onfut enfin obligé de faire
ceffer les Violons. Les deux
Amans ſe leverent , & aprés
avoir cherché inutilement la
Avril1685. Z
&
266MERCURE
1
T
Mere & la Soeur , ils defoendirent
en bas , croyant les y
rencontrer. Ils n'y furent pas
plûtoſt qu'ils les apperceu
rent. Le Cavalier prit la Mere
par la main & fit paſſer
les deux Sceoeurs devant. On
ne fongea qu'à fe hater de
fortir , & ils monterent tous
quatre en Carroſſe, ſans ſe
dire rien . Le Cocher , qui
en partant du Logis avoit cu
ordre de les mener à un ſecond
Bal , en prit le chemin.
Apeine avoit il fait deux cens
pas , que le Cavalier ofta fon
maſque , pour demander à
}
GALANT. 267
7
la Mere fi elle s'estoit un peu
divertie. Cette Mere préten
düe fut fort ſurpriſe d'enten
dre une voix qu'elle ne cong
noiffoit point. Elle cria au
Cocher qu'il arreſtaſt ; & le
Cavalier & fa Maiſtreſſe ne fu
rent pas moins étonnez que
les deux autres, d'une mépriſe
qui les mettoit tous dans un
parcil embarras. Le hazard
avoit voulu qu'unHomme di
ſtingué dans la Robe, s'eſtoir
déguisé avec ſa Femme , ſa
Soeur, & fa Fille, delamesmo
forte que le Cavalier & lesq
trois Femmes dont il s'eſtoit
Zij
268 MERCURE
fait le Conducteur , c'eſt à
dire , deux en Arméniens,
&deux en habits à la Françoife.
Ils s'eſtoiem perdus
parmy la foule des Maſques,
&dans la confufion la Femme
& la Fille de l'Homme
de Robe , avoient pris le Cat
valier & la Belle pour les
deux Perſonnes qu'elles cherchoient.
Il fut queſtion de
retourner à ce premier Bal,
pour tirer de peine ceux qu'-
on y avoit laiſſez ; & lon
prenoit deja cette route , lors
que dix Hommes maſquez
approchérent duCarroffe. Ils
10
GALANT 269
forcérent le Cocher à quiter
le ſiege , & l'un d'eux s'y
eftant mis , conduiſit le Cavalier
& les trois Dames aſſez
loin dans le Fauxbourg. Le
Carroſſe s'eſtant enfin arrefté,
ceux qui l'eſcortoient leur
dirent qu'il y alloit de leur
vie s'ils faifoient du bruit , &
qu'on n'en vouloit qu'à leurs
Habits . La réſiſtance auroit
efté inutile. Ainſi le meilleur
Party qu'ils virent à prendre,
fut de defcendre fort paifiblement
, & d'entrer dans
une Maiſon de peu d'apparence,
qui leur fut ouverte
•
Z iij
270 MURCURE
Lalces Maſques un peu trop
officielux prirent la peine de
les décharger de tous d'équi
page qui avoit ſervy ales dé
guifer , & les revétirentà peu
de frais ,&feulementpourles
garantir du froid Quredes
Habits la Belle laiſſa fon Dia,
mant, de Cavalier fa bourfe,
&une fort belle Montre , &&
les deux Dames , ce qu'elles
avoient qui valoin la peine
d'eſtregardé. Apres les avoin
ainſi dépoüillez , ces Voleurs
leur demandérent où ils vou
loient qu'onlesreménaſt. Le
Cavalier & laDame ſe nom
上
GALANIM 271
mérent,&on les remit chez
eux. L'Homme de Robe ayat
retrouvé la Femmes, felper
ſuada que le Cavalier n'avoir
imité fon déguisement que
pour faire réüffir le vol qui
venoit d'eſtre commis ,& ne
doutant point qu'il n'euft
efté d'intelligence avec les
Voleurs , il commença con
tre luy des procédures qui
apparemment auront de la
fuires De l'autre coſtéle Cab
valier touché de fa perre, ſe
mit dans l'efprit que la Mere
della Belle n'avoit témoigné
vouloir rompre la partic
•
272MERCURE
€
quand on luy avoit propoſe
de laiſſer ſabourſe , que pour
Fobliger à la porter , &s'ima
ginant qu'elle s'eftoit cachée
àdeſſein parmy les Maſques
pour l'engager à fortir fans
elle, il la crut complice de
fon avanture. Ainfi fon chagrin
ayant étouffé l'amour , il
fait contr'elle les mefmes
pourſuites que fait contre luy
PHomme de Robe. L'acharnement
eft grand à plaider
de part & d'autre. Voila,
Madame , ce que portemon
Memoire.On m'aſſeure qu'il
eft vray dans toutes les cir
conſtances.
fort particuliere , arrivée icy
ſur la fin du Carnaval. C'eſt
la ſaiſon des Déguiſemens , &
par conféquent des Avantures.
Un Cavalier d'une Province
éloignée, eſlant venu à
Paris pour y acquerir d'air de
liberté & de politeffe qui diftingue
ceux qui ont veu le
monde , prit habitude chez
uneDame tres ſpirituelle, qui
cultiva cette connoiſſance
GALANT. 297
Voit
avec tout le ſoin qu'elle de-
Elle avoit deux Filles,
toutes deuxbien faites , & la
fortune ne luy ayant pascité
favorable , il eſtoit de l'inte
reſt de l'une & de l'autre que
ſa politique ménageaft ceux
que desviſites un peu affidues
pouvoient engager à prendre
feu Le Cavalier eſtoit
tiche , & cette ſeule raifon
euſtportéla Dame àtous les
égards qu'elle avoit pour luy,
quand mesme il n'auroit efte
confiderable par aucun merite.
Il n'eut pendant quel
que temps que des complai
Avril 1685. Y
258 MERCURE
fances genérales que l'hon
neſteté oblige d'avoir pour
toutes les Dames. On le recevoit
agréablement ,& les
deux Soeurs a l'envy luy faifoient
paroiſtre toute l'eſtime
que la bien ſéance leur pou
voit permettre , fans qu'aucunempreſſement
particulier
pour l'une ou pour l'autremarquaft
le choix de ſon coeur,
mais enfin il s'attacha à l'Aînée,&
l'égalité d'humeur qu'il
luy trouva fut pour luy un fi
grand charme qu'il mit
tous ſes foins à s'en faire
,
aimer. Vous jugez bien qu'il
GALANT. 259
n'eut pas de peine à y reüf
fir. La Belle eſtoit dans des
dipoſitions qui avoient en
quelque forte prévenu fess
voeux , & la Mere authori--
ſant la correſpondance que le
Cavalier luy demandoit, il cute
le plaifir de ſe voir aimé dés
qu'il ſe fut déclaré Amant.
Oneuſtbien voulu qu'il euſt
arreſté le Mariage , mais ill
eſtoit dangereux de l'en pref
fer , & on jugea à propos
d'attendre que fa paflion
mieux affermie l'euft mis en
état de ne point examiner les
peu d'avantage qu'il devoit
2
Yij
260 MERCURE
tirer de cette alliance. 10Gefie
pendant ce ne furent plus
que des Parties de plaifire Le
Cavalier voulant divertir das
belle Maiſtreſſe , la menoit
ſouvent à la Comédie ou à
l'Opera , & cherchoit d'ail
leurs tout ce qui pouvoit
contribuer à luy donner de la
joye. Le temps de la Foire
eſtant venu , ils yallérent
pluſieurs fois enſemble ,& ild
luy faifoir toûjours quelque
Preſent. La Mere avoit part
à ſes liberalitez , & comme il
aidoit à entretenir le Jeu chez
elle, ſes viſites affiduës luy
GALANT.261
eſtoient utiles de bien des
manieres. La fin du Carna
val approchoit , & la Belle
ayant un jour témoigné qu'
elle avoit envie de courir le
Bal , le Cavalier ſongea aufh
toftà la fatisfaire. Il alla cher ) {
cher des habits fort riches,
les fit porter chez la Dame,
& chacun choifit ce qu'il
voulut. Les deux Filles s'habillerenten
Hommes à la
Françoiſe avec des écharpes
magnifiques ,& les autres ornemens
qui pouvoient ſervin
à leur donner de l'éclat &
a. Mere & le Cavalier ſe dé262
MERCURE
guiférenten Arméniens. La
galanterie eſtoit jointe, à la
propreté & cette petite
Troupe meritoit bien qu'on
la regardaft. Le Cavalier
qui aimoit le jeu , ayant
accoûtumé de porter beaucoup
d'argent , la Belle vouloit
qu'il laiſſaſt ſa bourſe.
La Mere dit là deſſus , que
puis qu'on croyoit qu'il n'y
euſt pas feureté entiere à ſe
trouver le foir dans lesRuës,
elle aimoit mieux rompre la
Partie , que de s'expoſer
à une mauvaiſe rencontre...
Le Cavalier ne manqua pas
GALANT. 263
de répondre , qu'elle estoit fi
peu à craindre , par le bon
ordre que les Magittrats y
avoient mis , que quand il
auroit mille piſtoles , il iroit
luy ſeul par tout Paris , aufli
ſeurement que s'il eſtoit efcorté
de tous les Archersdu
Guet. En meſme temps il
donna à la Belle un Diamant
qui estoit de prix , pour tenir
fon Maſque , & ils montérent
tous en Carroffe, pour
aller dans le Fauxbourg Saint
Germain , où ils apprirent
qu'il y avoit une tres - belle
Affemblée. L'affluence des
264 MERCURE
Maſques leur permit à peine
d'y entrer , mais enfin le Ca
valier s'eſtant fait jour dans
la foule , ils arrivérent juſqu'à
la Salle du Bal. Les Luftres
dont elle eſtoit éclairée , relevoient
merveilleuſement la
beautéde leurs Habits. Toute
Affemblée les remarqua, &
cela fut cauſe qu'on les fic
d'abord dancer. Ils s'en aqui
térent avec une grace qui leur
attira de grandes honnettetez
du Maistre de la Mifon...
Il leur fit donner des ſiéges,
& le Cavalier prit place au
prés de la Belle. Tandis que
l'Amour
GALANT 265
!
l'Amour leur fourniffoit le
ſujetd'un entretien agréable,
la Mere & la Soeur n'estoient
occupées qu'à regarder ; &
s'ennuyant d'eftre toûjours
dans le meſme endroit , elles
ſe firent un divertiſſement
d'aller dans toute la Salle
nouer converſation avec les
Maſques qu'elles y trouvé
rent. On en voyoit fans cefle
entrer de nouveaux ,
confufiony devint fi grande,
qu'onfut enfin obligé de faire
ceffer les Violons. Les deux
Amans ſe leverent , & aprés
avoir cherché inutilement la
Avril1685. Z
&
266MERCURE
1
T
Mere & la Soeur , ils defoendirent
en bas , croyant les y
rencontrer. Ils n'y furent pas
plûtoſt qu'ils les apperceu
rent. Le Cavalier prit la Mere
par la main & fit paſſer
les deux Sceoeurs devant. On
ne fongea qu'à fe hater de
fortir , & ils monterent tous
quatre en Carroſſe, ſans ſe
dire rien . Le Cocher , qui
en partant du Logis avoit cu
ordre de les mener à un ſecond
Bal , en prit le chemin.
Apeine avoit il fait deux cens
pas , que le Cavalier ofta fon
maſque , pour demander à
}
GALANT. 267
7
la Mere fi elle s'estoit un peu
divertie. Cette Mere préten
düe fut fort ſurpriſe d'enten
dre une voix qu'elle ne cong
noiffoit point. Elle cria au
Cocher qu'il arreſtaſt ; & le
Cavalier & fa Maiſtreſſe ne fu
rent pas moins étonnez que
les deux autres, d'une mépriſe
qui les mettoit tous dans un
parcil embarras. Le hazard
avoit voulu qu'unHomme di
ſtingué dans la Robe, s'eſtoir
déguisé avec ſa Femme , ſa
Soeur, & fa Fille, delamesmo
forte que le Cavalier & lesq
trois Femmes dont il s'eſtoit
Zij
268 MERCURE
fait le Conducteur , c'eſt à
dire , deux en Arméniens,
&deux en habits à la Françoife.
Ils s'eſtoiem perdus
parmy la foule des Maſques,
&dans la confufion la Femme
& la Fille de l'Homme
de Robe , avoient pris le Cat
valier & la Belle pour les
deux Perſonnes qu'elles cherchoient.
Il fut queſtion de
retourner à ce premier Bal,
pour tirer de peine ceux qu'-
on y avoit laiſſez ; & lon
prenoit deja cette route , lors
que dix Hommes maſquez
approchérent duCarroffe. Ils
10
GALANT 269
forcérent le Cocher à quiter
le ſiege , & l'un d'eux s'y
eftant mis , conduiſit le Cavalier
& les trois Dames aſſez
loin dans le Fauxbourg. Le
Carroſſe s'eſtant enfin arrefté,
ceux qui l'eſcortoient leur
dirent qu'il y alloit de leur
vie s'ils faifoient du bruit , &
qu'on n'en vouloit qu'à leurs
Habits . La réſiſtance auroit
efté inutile. Ainſi le meilleur
Party qu'ils virent à prendre,
fut de defcendre fort paifiblement
, & d'entrer dans
une Maiſon de peu d'apparence,
qui leur fut ouverte
•
Z iij
270 MURCURE
Lalces Maſques un peu trop
officielux prirent la peine de
les décharger de tous d'équi
page qui avoit ſervy ales dé
guifer , & les revétirentà peu
de frais ,&feulementpourles
garantir du froid Quredes
Habits la Belle laiſſa fon Dia,
mant, de Cavalier fa bourfe,
&une fort belle Montre , &&
les deux Dames , ce qu'elles
avoient qui valoin la peine
d'eſtregardé. Apres les avoin
ainſi dépoüillez , ces Voleurs
leur demandérent où ils vou
loient qu'onlesreménaſt. Le
Cavalier & laDame ſe nom
上
GALANIM 271
mérent,&on les remit chez
eux. L'Homme de Robe ayat
retrouvé la Femmes, felper
ſuada que le Cavalier n'avoir
imité fon déguisement que
pour faire réüffir le vol qui
venoit d'eſtre commis ,& ne
doutant point qu'il n'euft
efté d'intelligence avec les
Voleurs , il commença con
tre luy des procédures qui
apparemment auront de la
fuires De l'autre coſtéle Cab
valier touché de fa perre, ſe
mit dans l'efprit que la Mere
della Belle n'avoit témoigné
vouloir rompre la partic
•
272MERCURE
€
quand on luy avoit propoſe
de laiſſer ſabourſe , que pour
Fobliger à la porter , &s'ima
ginant qu'elle s'eftoit cachée
àdeſſein parmy les Maſques
pour l'engager à fortir fans
elle, il la crut complice de
fon avanture. Ainfi fon chagrin
ayant étouffé l'amour , il
fait contr'elle les mefmes
pourſuites que fait contre luy
PHomme de Robe. L'acharnement
eft grand à plaider
de part & d'autre. Voila,
Madame , ce que portemon
Memoire.On m'aſſeure qu'il
eft vray dans toutes les cir
conſtances.
Fermer
6
p. 1-76
HISTOIRE toute veritable.
Début :
Dans les Ilsles d'Hieres est scitué entre des rochers [...]
Mots clefs :
Îles d'Hyères, Amant, Vaisseau, Amour, Homme, Soeur, Capitaine, Château, Surprise, Passion, Roman, Chambre, Mariage, Négociant, Gentilhomme, Rochers, Mari, Bonheur, Fortune, Esprit, Fille, Joie, Mérite, Équivoque , Valets, Mer, Maître, Lecteur, Infidélité, Rivage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE toute veritable.
DAns les Isles d'Hieres
cft scitué entre
;:
des rochers, sur le bord
1
de la mer, un petit Chasteau
antique, dont la
deicription.xnericeroii
d'occuper trentepagedansun
Roman Espagnol
maisl'impatience
du Lecteur François
paslè à present pour alIcJ
au fait , par dessus le
descriptions, &les converfations
qui amufoien
si agréablement nospe
res^5 je ne parleray dota
icyque d'une allée d'O
rangers fort commun
dans lesIslesd-Hieres
c'est fous ces Orangers
qui couvrent une espece
de terrasse naturelle, que
se promenoient au mois
de Septembre dernier,
deux foeurs, dont le pere
habite ce Chasteauiblitaire.
L'aisnée de ces deux
soeurs peut estrecitée
pour belle, & la cadette
est très-jolie
,
l'une est
faite pour causer de l'admiration,
l'autre est plus
propre à donner de Pal
mour ; raifnée que je
nommeray Lucille, a du
merveilleux dans l'esprit;
Marianne sa cadette si
contente d'avoir du naturel
& del'enjouement
elle joint à cela un bot
coeur & beaucoup de
raison: Lucilleaaussi de
la raison, mais ellç a ui
fond de fierté, Se d'à
mour pour ellemesme
qui lempesche d'aimé
les autres. Marianne ai
moit sa soeur tendre
ment, quoyque cette aisnée
méprisante prit sur
elle certaine superiorité
,
que les semmes graves
croyent
-
avoir sur les enjouées.
Lucilles'avançoit
à pas lents vers le bout de
la terrasse qui regarde la
mer,elle estoit triste depuis
quelques jours, Marianne
,
la plaifancoitsur
ce que leur pere vouloit
lamarier par interest de
famille à un Gentilhomme
voisin, qui n'estoit ny
jeune ny aimable. Ce
mariagene vous convient
gueres, luy disoit Marianne
en badinant jvom
ejfie{ née pôur époujer à
la fin d'un Roman, quelque
Gyrus9 ou quelque
Qroftdate.
Lucilleavoiteneffet,
cet esprit romanesque àpresent
banni de Paris &
des Provincesmefiiie, &
relegué dans quelque
Chasteau defèrt comme
celuy qu'habitoit Lucilleoù
l'on n'a d'autre
societé que celle des Romans.
Elle tenoit alors en
main celuy de Hero
dont elle avoit leu , certainsendroits
tres - convenables
aux idées qui
l'occupoient
,
& après
avoir long-temps parcouru
des yeux la pleine
mer ,
elle tombadans,
une rêverie profonde:
Marianne lapriadeluy,
en dire la cause, elle
ne respondoit que par
des soupirs
,
mais Marianne
la pressa tant
qu'elle résolut enfinde
rompre le silence. D'abord,
malgré sa fierté
naturelle, elle s'abbaissa
jusqu'à embrassèr sa ca- dette
,
& l'embrassa
de bon coeur, car elle
aimoit tendrement ceux
dont elle avoitbesoin,
Ensuite,presentant d'un
air précieux son Livre
ouvert à Marianne, liseZ,
luy dit-elle
,
lifcz> icy les
inquietudes ce les allarmes
de la tendreHero,
attendant sur une tour
son cherLeandrequi devoit
traverser les mers
pourvenir au rendez:
vous. Je n'ay pas besoin
de lire ce Livre, luy ref:
pondit Marianne, pour
jçavoirque vous attendez
comme Hero
, un cher
Leandre. La parente de
ce Leandre
,
ma conté
rvoftre avanture , que
FAJ feint d'ignorer par
discretion f5 parrejpe£f
pour mon aisnée;je sçais
qu'enquittant cette Ijle,.
où il vint ily a quelques
mois, il vouspromit dj
revenirpour vous demander
en mariage à mon
pere. '1;
Lucille la voyant si
bien instruite, acheva de
luy faire confidence de
son amour, c'est-à-dire,
de l'amour qu'elle s'imaginoit
avoir car lesrichesses
& la qualité dec
son Leandre l'avoient
beaucoup plus touchée
que son merite, mais
elle se piquoit de grands
fentinlents, &à force de
les affeder.,elles-li-naginoit
ressentir ce qu'elle ne
faisoitqu'imaginer
: elle
n'avoit alors que la poësie
de l'amour dans lateste3
& elle dit à Marianne
tout cequ'on pourroit
écrire de mieux sur la
plus belle passion dit
monde.
Venonsaujait,luydit
Marianne, Leandre est
très- riche: le maryque
mon pere vous donne ne test gueres, (jf je rveux
bien epoujerceluy-cy pour
wous laisserlibrea9epoufer
l'autre> j'obtiendray cela
de mon pere.
Le pere estoit un bon
gentilhomme, qui charmé
de l'humeur de Marianne
,Taimoit beaucoup
plus que son aisnée
,
c'estoit à table sur
tout que le bon homme,
sensible auplaisir du bon
vin & de l'enjouement
de sa cadette,regloit avec
elle les affaires de sa samille
; elle eut pourtant
de la peine à obtenir de
ce pere scrupuleux sur le
droit d'aisnesse, qu'il mariast
une cadette avant
une aisnée, il fallut que
Lucillecedaft ion droit
d'aisnesse à Marianne par
un écrit qui fut signé à
table:&Lucillen'osant
dire sonvray motifà son
pere,dit seulement,qu'-
ellesentoit jenescay quelle
antipathiepour le mary
quelle cedoit à sa flEur.
On plaisanta beaucoup
sur ce mary cedé avec
le droit d'aisnesse
,
le
bon homme but à la
fanté de Marianne devenuë
l'aisnée, le mariage
fut resolu, & l'on le fit
agréer au gentilhomme,
qui aima mieux Marianne
que Lucille, parce
qu'en effet
, quoyque
moins belle, elle se faifmoit
beauecouprpl.us ai- Le mariage résolu, les
deux foeurs furent également
contentes; car Marianneindifférente
sur ses
propres interests, partageoit
sincerement avec
sa soeur l'esperance d'une
fortune brillante : cependant
quelques jours s'écoulerent
,
& le temps
que Leandre avoit marqué
pour ion retour, ettoit
desja passé. Lucille
commençoit à ressentir
de mortelles inquietudes,
& Marianne retardoit de
jouren jourson petit establissement,
resoluë de le
ceder à sa soeur en cas
que l'autre luy manquait.
::..
Un jour enfin elles estoient
toutes deux au
bout de cette mesme terrasse
d'oùl'ondécouvroit
la pleine mer. Lucille
avoit
avoit les yeux fixez vers
la rade de Toulon, d'où
devoit partir celuy qui
nes'estoit separé d'elle
que pour aller disposer
fès parents à ce mariage:
elle estoit plongée dans
la tristesse lorsqu'elle apperceut
un vaisseau; cet
objet la transporta de
joye, comme s'il n'eust
pû y avoir sur la mer que
le vaisseau qui devoit luy
ramenerson amant; sa
joye futbien plus grande
encore;lorsqu'un vent
qui s'éleva,sembla pouf
fer ce vaisseau du costé
de son Isle; mais ce vent
ne fut pas long-temps favorable
à ses desirs. Ce
vaisseaus'aprochoitpourtant
d'une grande vitesse,
mais il se forma tout à
coup une tempeste si fiirieuse
,
qu'elle luy fit
voir des abysmesouverts
pour son Leandre.La Romanesque
Lucille diroit
sans doute en racontant
cet endroit de ion hiitoire
: que la tourmente nefut
pas moins orageusè,.
dansson coeur quesur Itt;
mer où le vaisseaupensa
perir.
Après quelques heures
de peril, un coup de
vent jetta le vaisseau sur
le rivage entre des rochers
qui joignent 1q
Chasteau, jugez du plaisir
qu'eutLucille en voyranet
sotnéAm.ant en seuLeandre
devoit se trouver
à son retour chez une
voisine où s'estoient faites
les premieres entreveuës
,
elle estoit
pour lors au Chasteau
où les deux soeurs coururent
l'avertir de ce
qu'elles venoient devoir,
& elles jugerent à propos
de n'en point encore
parler au pere. Lucille
luy dit qu'elle alloit coucher
ce soir-là chez cette
voisine, car elle y alloit
assez souvent,& Marianne
resta pour tenir compagnie
à son pere ,qui
ne pouvoit se
,
d'ellepas.ser
;
Un moment aprèsque
Lucille & la voisine furent
montées en carosse.,
un homme du vaisseau
vint demander à parler
au maistreduChasteau,
cet homme estoit une cCpece
de valet grossier qui
debuta par un recit douloureux
de ce que son
jeune maistre avoit souffert
pendant la tcmpefie).
& pour exciter la compassion,
il s'eftendoit sur
les bonnes qualitez de ce,
jeune maistre qui demandoitdu
secours & le couvert
pour cette nuit.
Le pere qui estoit le
meilleurhommedumonde
,
fit allumer au plus
viste des flambeaux, parce
qu'il estoit presque
nuit; il voulut aller luymesme
aurivage où Marianne
le suivit,curieuse
de voir l'Amant de sa
soeur, &' ne doutant
point qu'il n'eust pris le
pretexte de la tempeste ,
pour venir incognito dans
le Chasteauoù il pourroit
voir Lucille plus
promptement que chez
sa parente.
En marchant vers le
rivage on apperceut à la
lueurd'autres flambeaux
dans un chemin creux
entre des rochers, plusieurs
valets occupez autour
du nouveau debarqué,
qui fatigué de ce
qu'il avoit souffert, tomba
dans une espece d'évanoüissement,
l'on s'arresta
quelque temps pour
luy donner du secours :
Marianne le consideroit
attentivement
,
elle admiroit
sa bonne mine,
& l'admira tant, qu'elle
ne put s'empescher ,elle
quin'estoit point envieu-
Lé, d'envier à sa ïbeur le
bonheur
bonheurd'avoir un tel
Amant;cependant il revenoit
à luy, il souffroit
beaucoup; mais dès qu'il
eut jetté les yeuxsur Marianne,
son mal fut suspendu,
il ne sentit plus
que leplaisir de la voir.
Admirez icy lavariété
des effets de l'amour, la
vivacité naturelle de Marianne
,
est tout à coup
rallentie par une passion
naissante, pendant qu'un
homme presque mortest
ranimé par un feu dont
la, violence se fit sentir
au premier coup d'oeil,
jamais passion ne fut plus
vive dans sa naissance;
comment est-ilpossible,
dira-t'on quece Leandre,
tout occupéd'une autre
passion qui luy fait traverser
les mers pour Lucille,
soit d'abord si sensible
pour Marianne. Il
n'est pas encore temps de
respondre à cette question.
Imaginez-vousseulementun
hommequine
languit plus que d'a
mour ; les yeux fixez
sur Marianne, qui avoit
les siens baissez contre
terre ,
ils estoient
muets l'un & l'autre, 6C
le pere marchant entre
eux deux, fournissoitseul
à la conversation sans se
douter de la cau se de leur
silence. Enfin ils arrivent
au Chasteau,oùMarianne
donne d'abord
tous ses soins, elle court,
elle ordonne, elle s'empresse
pour cet hoste ai-
Jnahle avec un zele qu'-
elle ne croit encore anirne
que par latendresse
de l'hospitalité: le pere
donna ordre qu'on ailaft
avertir Lucille de revenir
au plustost pour rendre
la compagnie plus agréable
à son nouvel hoste
qu'on avoit laissé seul en
liberté avec ses valets
dans une chambre.
On alla avertir Lucille
chez sa voisine
,
elle
vint au plus viste, elle
estoit au camble de sa
joyc,&Marianne au contraire
commençoitàeftrc
fort chagrine, cette vertueuse
fille s'estoit desja
apperceuë de son amour,
elle avoit honte de se
trouver rivale de la soeur,
mais elle prit dans le moment
une forte resolutiondevaincre
une passion
si contraire aux sentimens
vertueux qui luy
estroient naturels ; elle
court au devant de Lucille,&
la felicite de
bonne foy
,
elle fait l'éloge
de celuy qui vient
d'arriver
elle luy exagere
tout ce qu'elle st
trouvé d'aimable dans sa
phisionomie,
dans l'og
air, & se laissant insensiblement
emporter au
plaisir de le louër
,
elle
luy en fait une peinture
si vive qu'elle se la grave
dans le coeur à elle-mesme,
encore plus prorondementqu'elle
n'y estoit;
elle finit cet éloge par un
soupir, en s'écriant: Ah,
ma soeur, que rvous estes
heureuse ! &£ faisant aufsitost
reflexion sur ce
soupir, elle resta muette,
confuse, & fort surprise
de seretrouver encore
•
amoureuse après avoir
resolu de ne l'estre plus.
Lucille en attendant
que [on Leandre parust,
fit force reflexions Romanelques
lur la singularité
de cette avanture ;
je fuis enchantée, difoitelle
, du procédé mysterieux
de cet Amant delicat
,
il feint de s'évanoüir
entre des rochers
en presence de mon pere,
pour avoir un prétexte
de venir,incognito me furprendre
agréablement,
je veux moy par delicatesse
aussi, luy laisser le
plaisir de me croire surprise,
& je seindray dèsqu'il
paroiftra un estonnement
extreme de trouver
dans un hoste inconnu
l'objet charmant.
En cet endroit Lucille
fut interrompue par un
valet qui vint annoncer
le souper, les deux foeur£
entrerent dans la salle
par une porte pendant
que le pere y entroit par
l'autre avec l'objet cher,
mant, qui s'avança pour
saluërLucille: dès quelle
l'apperceut elle fit
un cri, & resta immobile
, quoy qu'elle eust
promis de feindre de la
surprise; Marianne trouva
la feinte un peu outrée;
le pere n'y prit pointgarde,
parce qu'il ne prenoit
garde à rien, tantil estoit
bon homme,
Lucille estoit réelle*
ment tres eftonnée
,
SC
on le feroit à moins, car
cet inconnu n'estoit
point le Leandre qu'-
elle attendoit, c'estoit
un jeune négociant, mais
aussi aimable par son air
& par sa figure que le
Cavalier le plus galant.
Il estoit tres riche
,
ôd
rapportoit des Indes
quantité de marchandé
ses dans son vaisseau
,
il
avoit esté surpris d'un
vent contraire, en tou..
chantla Rade de Toulon,
& jetté, comme vous
avez veu, dans cette iHe.
Ce jeune Amant se
mit à table avec le pere
&: les deux filles, le fou-i
per ne fut pas fort guay ,
il n'y avoir que le perc
de content
,
aussin'y
avoit-il que luy qui parlait
, le negociant encore
estourdi du naufrage,&€
beaucoup plus de son
nouvel amour , ne respondoit
que par quelques
mots de politesse,
& ce qui paroistra surprenant
icy, c'est, qu'en
deux heures de temps
qu'on fut à table, ny là
pere ny les filles ne s'apperceurent
point de foa
amour; Lucille ne pouvant
regarder ce faux
Leandre sans douleur,
eut tousjours les yeux
baissez, & Mariannes'estant
apperceuë qu'elle
prenoit trop de plaisîr à
le voir, s'en punissoit en
ne le regardant qu'à la
dérobée; à l'égard du
pere il estoit bien esloignéde
devinerun amour
si prompt &, si violent.
Il faut remarquer icy
que le pere qui estoit bon
convive, excitoit sans
cesse son hoste à boire,&
ses filles à le réjoüir :
Qî£ejl donc devenue ta
belle humeur? disoit il à
Marianne, aussitostelle
s'efforçoit de paroistre
enjoüée, & comme les
plaisanteries ne viennent
pas aisément a ceux qui
les cherchent, la première
qui luy vint, fut sur
le droit d'aisnesse
,
qui
faisoit depuis quelques
jours le sujet de leurs
conversations, jesuis fort
surprise, dit Marianne à
son pere , que vous me
demandiez de la guayeté
quand je dois estre serieuse,
la gravité m'appartientcomme
à l'aisnée, 8c
l'enjouement est le partage
des cadettes: & le
negociant conclut naturellement
de là que Marianne
estoit l'aisnée, Sc
c'est ce qui fit le lendemain
un Equivoque facheux,
le pere ne se souvenant
plus de ces pro
posde table, son caractere
estoit d'oublierau se,
cond verre de vintout ce
que le premier luy avoit
faitdire,enfin après avoir
bien régalé son hoste
,
il
leconduisitàsa chambre;
&Lucillequirestaseule
avec sa soeur luyapprit
que ce n'estoit point là
son Amant. Quelle joye
eust esté celle de Marianne
ne si elleavoiteu le coeur
moins bon, mais elle fut
presque aussiaffligée de
la tristesse de sa soeur.,
qu'elle fut contente de
n'avoir plus de rivale.,
Les deux soeurs se retirèrent
chacune dans
leur chambre où elles ne
dormirent gueres. Marianne
s'abandonna sans
fcrupule à toutes les idées
qui pouvoient flatter son
amour, & Lucille ne faifoit
que de tristes reflexions
,
desesperant de rc4
voir jamais ce Leandre , de qui elle esperoit sa fortune,
mais elle estoitdestinée
à estre rejouië par
tous les événements qui
chagrineroient Mariant
ne : le jeune négociant
estoit vif dans £espat
sions,& de plus il n'avoit
pas le loisir de languir;
il falloit quil s'en retournast
aux Indes, Il prit
sa resolution aussi promptement
queson-amour
luy estoit venu. Le pere
entrant le matin dans sa
chambre,, luy demanda
s'il avoit bien passé la
nuit: Helas, luy rcfpondit-
il, je l'ay fort mal
poejjsée, maisj'ay huit cens
millefrancsd'gaernt ccoormn*-
ptant, le pere ne comprenoit
rien d'abord à cette
éloquence de négociant
1; l'Amantpaflîoanés'expliqua.
plus clairement
ensuite ,il luy demanda
ça, mariage f-. fille aifnée^
ils estoient l'un & l'autre;
pleins de franchise, leur
affaire fut bien tost concluë,
& le pere sortit de
la chambre, conjurant
son hoste de prendre
quelques heures de repos
pendant qu'il iroit
annoncer cette bonne
nouvelle à safille aimée,
ce bon homme estoit si
transporté qu'il ne se fouvint
point alors des plaisanteries
qu'onavoit faites
à table Cuxlc droit
d'aisnesse de Marianne
que le négociant avoit
prises à la lettre. Cet
équivoque fut bien triste
pour Marianne au mo-*
ment que le pere vint annoncer
à Lucille que le
riche negociant estoit
amoureux d'elle,&Lucille
voyant le négociant
beaucoup plus riche que:
son Leandre, ne pensa
plusqu'à justifier son inconfiance
par de grande
Íentiments, & elle en
trouvoit sur tout,pour
& contre, son devoir luy
en fournissoit un, il est
beau desacrifierson a,
mour a lavoloté d'un pere.
A l'égard de Mariant
ne ellefe feroit livrée dabord
auplaisir devoir sa
soeur bien pourveuë
ceuss esté là son premier
mouvement, mais un
autre premier mouvez
ment la sassit: quelle dou-r
leur d'apprendre que celuy
qu'elle aime ,
eili
amoureux de sa soeur.
Pendant que toutcecy
se passoit au Chasteau,
Leandre , le veritable
Leandre arriva chez sa
parente, qui vint avec
empressement en avertir
Lucille, mais elle la trou-
Va insensible à cette nouvelle
, sa belle passion
avoit disparu, Leandre
devoit arriverplustost
elle jugea par delicatesse,
qu'un Amantqui venoit
trop tard aurendez-vous,
n'ayantque cinquante
milleescus; meritoit bien
quon le facrifiaft à un
mary de huit cens mille
livres. La parente de
Leandre s'écria. d'abord
sur une infidélité si lfiar-"
quéé>maisLucille luy
prouva par les regles de
Xofçipm leplusfiné que
Leandre avoit le premier
tort ,que les feuç^de
coeur ne ie pardonnent
point, que plus une fem*
meaime., Rlus-.;clle doit
se
se venger, & que la vengeance
la plus delicate
qu'on puisseprendre d'un
Amant qui oublie c'etf
d'oublieraussi.
Lucille
,
après s'estre
très spirituellement justifiée
, courut à sa toillette
se parer, pour estre belle
comme un astre au reveil
de son Amant, & la parente
de Leandrequis'in
reressoit à luy parune ve.
ritable amitié, retourna
chez elle si indignée, qu'
elle convainquit bientost
Leandre de l'infidélitéde
Lucille, & Leandre resolut
de quitter cette IHe
dès le mesme jour pour
n'y retournerjamais.
Marianne de soncossé
ne songeoit qu'à bien cacher
son amour & sa
douleur à un pere tout
occupé de ce qui pouvoit
plaireà sonnouveau gendre
: Viens, mafille, ditil
à Marianne, viens avec
moytfaijons-luj voir par
nos empressements îtfîfar
nos carresses, qu'il entre
dans unefamille qui aura
pour luy toutessortes d'at.
tentions, il les mérité bien,
n'est-ce pas, mafille, conviens
avec rfioy que tu as
là un aimablebeaufrere
:-
Marianne le suivoit
sans luy respondre, très
affmogée de n'estre que la
belle foeur de ce beaufrere
charmant; Dès qu'ils
furent à la porte de sa
chambre, Marianne detourna
les yeux. çrjak
gnant d'envisagerle peril.
Son père entra le prêt
mier
,
&dit à nostré
Amant que sa filleaisnée
alloit venir le trquvef),
qu'elle avoit pour luy
toute la reconnoissance
possible, &C mesme desja
de l'stime, Cepetit trait
de flatterie échappa à cet
homme si franc; l'amour
& les grandes richesses
changent toujours quelque
petite choseau coeur
du plus honneste homme
,
cependant Marianne
s'avançoit lentement.
Dès que nostre Amant
la vit entrer il courut au
devant d'elle, & luy dit
Cent choses plus passionnées
les unes que les autres;
enfin aprés avoir exprimé
ses transports par
tout ce qu'on peut dire,
il ne parla plus,parce que
les paroles luy manquoient.
, Marianne estoit si surprise
& si troublée,qu'elle
ne put prononcer un
fcul mot; le pere ne fut
pas moins estonné ,ils
resterenttous troismuets
&immobiles:cefut pendant
cette scene muette
que Lucille vint a pas
mesurez, grands airs majestueux
& tendres, brillante
& parée comme
une Divinité qui vient
chercher desadorations.
Pendant qu'elle s'avance
le pere rappelle dans fcn
idée les plaisanteriesdu
souper qui avoient donné
lieu à l'équivoque, &
pendant qu'il l'éclaircir
; Lucille va tousjours son
chemin
,
fait une reverence
au Negociant, qui
baisseles yeux, interdit
&confus,elle prend cetro
confusionpourla pudeur
d'un amant timide, elle
minaude pour tascher de
le rassurer ; mais le pauvre
jeunehomme ne pouvant
soustenir cette situation,
sort doucement de
la chambre sans riendire.
Que croira-t-elle d'un
tel procédé? l'amour peut
rendre un amant muet,
mais il ne le fait point
fuir: Lucille estonnée
regarde sa soeurqui 11ose
luy apprendre son malheur
, le pere n'a pas le
courage de la detromper.
Il fort, Marianne le fuit,
& Lucille reste feule au
milieu de la chambre, jugez
de son embarras, elle
; '-
n'en feroit jamais sortie
d'elle-mesme ; elle n'estoit
pas d'un caractere à
deviner qu'on pu st aimer
sa soeur plus qu'elle. Je
n'ay point sceu par qui
elle fut detrompée ; mais
quoy qu'elle fust accablée
du coup, elle ne perdit
point certaine presence
d'esprit qu'ont les
femmes, & sur toutcelles
qui font un peu coquettes
; elle court chez
sa voisine pour tascher
de ratrapperson vray
Leandre, je ne sçay si
elle y reussira.
Le pere voyant sortir
Lucille du Chasteau,
crut qu'elle n'alloit chez
cettevoisine que pour
n' estre point tesmoin du
bonheur de sa soeur. On
ne songea qu'aux préparatifs
de la nôce, avant
laquelle le Negociant
vouloit faire voir beaucoup
d'effets qu'il avoit
dansson vaisseau, dont
le Capitaine commençoit
a s'impatienter, car
le vaisseau radoubé estoit
prest à repartir. CeCapitaine
estoit un homme
franc, le meilleur amy
du monde, & fort attachéauNégociant,
c'estoit
son compagnon de
voyage,il l'aimoit comme
un pere, cestoit son
conseil, & pour ainsidire
,
son tuteur, il attendoit
avec impatience des
nouvelles de fbn amy;
mais vous avezveuqtfé
l'amour la tropoccupé,
il ne se souvintduCapitaine
qu'en le voyantentrer
dans le Chasteau
,
il
courut l'embrasser, & ce
fut un signal naturel à
tous ceux du Chaftcau
pour luy faire unaccuëil
gracieux; il y fut receu
comme l'amy du gendre
de la maison
,
il receut
toutes ces gracieusetez
fort froidement, parce
qu'il estoit fortfroid dm,
fo11 naturel. On estoit
pour lors à table
, on fit
rapporter du vin pour
émouvoir le fang froid
du Capitaine,chacun luy
porta la santé de son jeune
amy, & 4e là maistrciïc
: a la sante de mon
gendre,disoit le pere ,
tope à mon beaupere
,
disoit
le Négociant : à tout
celaleCapitaine ouvroit
-
les yeux Se les oreilles,
estonné comme vous
pouvez vous l'imaginer
il avoit crcu trouver ron
amy malade
,
gesné &
mal à son 21fe-1 comme
on l'esten maison étrangère
avec des hostesqu'-
on incommode, & il le
trouve en joye
, en liberté
comme dans sa famille
,
ilne pouvoit rien
comprendre àcette avanture
,
c'estoit un misantrope
marin
y
homme
flegmatique, mais qui
prenoit aisément son party:
ilécoutatout,& après
avoir révé un moment il
rompit le silence par une
plaisanterie àik façon : à
la jante des nouveaux
Efoux
,
dit-il, & de bon
coeur,j'aime les mariages
de table moy y car ils se
font en un momentse
rompent de rnejine.
-Après plusieurs propos
pareils, il se fit expliquerserieusement
à
quoy en estoient les affaires
,& redoublantson
sang-froid il promit une
feste marine pour la nôce.
Ca mon cheramy.
dit-il au Negociant,
venez,m'aider à donnerpour
cela des ordres
dans mon vaisseau; w
lontiers,respondit l'amy, ,wf]îbienfaj quelque choie
aprendre dansmes coffres;
&jeveuxfaire voir
mespierreriesàmon beaupere.
Il y alla en effet
immédiatement après le
diincr, & le pere resta
au Chasteau avec Marianne
rianne, qui se voyant au
çomble de son bonheur,
nelaissoitpasdeplaindre
beaucoup Lucille.Trois
ou quatre heures de tems
sepasserent en converstions,&
Marianneimpatiente
de revoir son
Amant, trouva qu'il tardoittrop
à revenir; l'impatience
redoubloit de
moment en momentlorsque
quelqu'un par hafard
vint dire que leNegociant
avoit pris le large
avec le Capitaine,&que
le vaisseauestoit desja
bien avant en mer. On
fut long-temps sans pouvoir
croire un évenement
si peu vray -
semblable.
On courut sur la terrasse
d'où l'on vit encore de
fort loin le vaisseau qu'-
on perdit enfin de veuë,
il feroit difficile de rapporter
tous les differents
jugements qu'on fit là
dessus
,
personnene put
deviner la cause d'uir
départ si bijare, & si précipité;
jeneconseille pas
au lecteur de le fLati-guer la teste pour y réver, la
fin de l'histoire n'est pas
loin.
Après avoir fait pendant
plusieurs jours une
infinité de raisonnements
sur l'apparition de ce riche
&C passionné voyageur
, on l'oublia enfin
comme un fonge ; mais
les songes agreables font
quelquefois de fortes impressions
sur le coeur d'une
jeune personne, Mariannenepouvoit
oublier
ce tendre Amant
,
elle
merite bien que nous employions
un moment à
la plaindre, tout le monde
la plaignit, excepté
Lucille, qui ressentit une
joye maligne qui la dédommageoit
un peu de
ce qu'elleavoit perdu par
la faute:car on apprit que
son Leandre trouvant
l'occasion du vaisseau,
s'estoit embarqué avec le
Capitaine pour ne jamais
revenir, & le gentilhomme
voyant Marianne engagée
au Negociant, n'avoit
plus pensé à redemander
Lucille. Le pere
jugea à propos de renoüerl'affaire
avec Marianne
,
qui voulut bien
se sacrifier, parce que ce
mariage restablissoit urr
peu les affaires de son
pere qui n'estoientpasen
bon ordre, enun mot
on dressa le contract
,
&'.
l'on fit les préparatifs de
la nôce.
Ceux quis'interessent
un peu à Marianne ne seront
pas indifferentsau
recit de ce qui est arrivé
au Negociantdepuis
qu'on l'aperdu de veuë,
il avoit suivi le Capitaine
dans son vaisseau
,
où il
vouloit prendre quelques
papiers. Il l'avoit entretenu
en cheminduplaisirqu'il
avoit defairela
fortune d'une fille qui
meritoit d'estre aimée ,
enfin il arriva au vaisseau
où il fut long temps à deranger
tous ses coffres
JI'
pourmettre ensemble ses
papiers,&ensuite il voulut
retourner au Chasteau
: quelle surprise fut
la sienne
,
il vit que le
vaisseau s'esloignoit du
bord, ilfait un cry, court
au Capitaine qui estoit
debout sur son tillac, fumant
une pipe, d'un
grand fang froid: Hé,
tnon cher llmy ,
luy dit
nostre Amant allarmé,
ne voyez-vouspas que
nous avons demaré? je le
vois, bien , respond tranquillement
le Capitaine,
en continuantdefumer,
cejl doncparvostre ordre,
repritl'autre, ifnevous,
ay-je pas dit que je veux
ter?nmer ce mariage avantque
departir.Pourquoy
doncmejoueruntour
si cruel ? parce que jzfais:
vostre
votre ami, luy dit nôtre
fumeur.Ah! si njow êtes
mon ami, reprit leNegociant,
ne me defelpere7,,pas,
rtrnentz-moy dans l'ijle,je
vous en prie
,
je vous en
conjure.L'amant passionné
se jette à ses genoux,
se desole, verse même des
larmes: point de pitié, le
Capitaine acheve sa Pipe,
& le vaisseau va toûjours
son train.Le Négociant a
beau luy remontrer qu'il
a donné sa parole, qu'il y
va de son honneur & de
sa vie
,
l'ami inexorable
luy jure qu'il ne souffrira
point qu'avec un million
de bien il se marie, sans
avoir au moins quelque
temps pour y rêver.Il
faut,lui dit-il, promener
un peu cet amour-là sur
mer, pour voir s'il ne se
refroidira point quand il
aura passé la Ligne.
Cette promenade setermina
pourtant à Toulon
ou le Capitaine aborda
voyantle desespoir de son
ami, qui fut obligé de
chercher un autre vaisseau
pour le reporter aux
Ines d'Hyere, il ne s'en falut
rien qu'il n'y arrivât
trop tard, mais heureusement
pour Marianne elle
n'étoit encor mariée que
par la signature du Contrat,
& quelques milli ers
de Pistoles au Gentilhomme
rendirent le Contrat
nul. Toute 1Isle est encor
en joye du mariage de ce
Negociant & de Marianne,
qui étoit aimée & respectée
de tout le Pays.
LI Ce Mariage a et' c lebré
magn siquement sur 1A
fin du mois de Septembre
dernier, & j'nai reçû ces
Memoires par un parent ail
Capitaine.
cft scitué entre
;:
des rochers, sur le bord
1
de la mer, un petit Chasteau
antique, dont la
deicription.xnericeroii
d'occuper trentepagedansun
Roman Espagnol
maisl'impatience
du Lecteur François
paslè à present pour alIcJ
au fait , par dessus le
descriptions, &les converfations
qui amufoien
si agréablement nospe
res^5 je ne parleray dota
icyque d'une allée d'O
rangers fort commun
dans lesIslesd-Hieres
c'est fous ces Orangers
qui couvrent une espece
de terrasse naturelle, que
se promenoient au mois
de Septembre dernier,
deux foeurs, dont le pere
habite ce Chasteauiblitaire.
L'aisnée de ces deux
soeurs peut estrecitée
pour belle, & la cadette
est très-jolie
,
l'une est
faite pour causer de l'admiration,
l'autre est plus
propre à donner de Pal
mour ; raifnée que je
nommeray Lucille, a du
merveilleux dans l'esprit;
Marianne sa cadette si
contente d'avoir du naturel
& del'enjouement
elle joint à cela un bot
coeur & beaucoup de
raison: Lucilleaaussi de
la raison, mais ellç a ui
fond de fierté, Se d'à
mour pour ellemesme
qui lempesche d'aimé
les autres. Marianne ai
moit sa soeur tendre
ment, quoyque cette aisnée
méprisante prit sur
elle certaine superiorité
,
que les semmes graves
croyent
-
avoir sur les enjouées.
Lucilles'avançoit
à pas lents vers le bout de
la terrasse qui regarde la
mer,elle estoit triste depuis
quelques jours, Marianne
,
la plaifancoitsur
ce que leur pere vouloit
lamarier par interest de
famille à un Gentilhomme
voisin, qui n'estoit ny
jeune ny aimable. Ce
mariagene vous convient
gueres, luy disoit Marianne
en badinant jvom
ejfie{ née pôur époujer à
la fin d'un Roman, quelque
Gyrus9 ou quelque
Qroftdate.
Lucilleavoiteneffet,
cet esprit romanesque àpresent
banni de Paris &
des Provincesmefiiie, &
relegué dans quelque
Chasteau defèrt comme
celuy qu'habitoit Lucilleoù
l'on n'a d'autre
societé que celle des Romans.
Elle tenoit alors en
main celuy de Hero
dont elle avoit leu , certainsendroits
tres - convenables
aux idées qui
l'occupoient
,
& après
avoir long-temps parcouru
des yeux la pleine
mer ,
elle tombadans,
une rêverie profonde:
Marianne lapriadeluy,
en dire la cause, elle
ne respondoit que par
des soupirs
,
mais Marianne
la pressa tant
qu'elle résolut enfinde
rompre le silence. D'abord,
malgré sa fierté
naturelle, elle s'abbaissa
jusqu'à embrassèr sa ca- dette
,
& l'embrassa
de bon coeur, car elle
aimoit tendrement ceux
dont elle avoitbesoin,
Ensuite,presentant d'un
air précieux son Livre
ouvert à Marianne, liseZ,
luy dit-elle
,
lifcz> icy les
inquietudes ce les allarmes
de la tendreHero,
attendant sur une tour
son cherLeandrequi devoit
traverser les mers
pourvenir au rendez:
vous. Je n'ay pas besoin
de lire ce Livre, luy ref:
pondit Marianne, pour
jçavoirque vous attendez
comme Hero
, un cher
Leandre. La parente de
ce Leandre
,
ma conté
rvoftre avanture , que
FAJ feint d'ignorer par
discretion f5 parrejpe£f
pour mon aisnée;je sçais
qu'enquittant cette Ijle,.
où il vint ily a quelques
mois, il vouspromit dj
revenirpour vous demander
en mariage à mon
pere. '1;
Lucille la voyant si
bien instruite, acheva de
luy faire confidence de
son amour, c'est-à-dire,
de l'amour qu'elle s'imaginoit
avoir car lesrichesses
& la qualité dec
son Leandre l'avoient
beaucoup plus touchée
que son merite, mais
elle se piquoit de grands
fentinlents, &à force de
les affeder.,elles-li-naginoit
ressentir ce qu'elle ne
faisoitqu'imaginer
: elle
n'avoit alors que la poësie
de l'amour dans lateste3
& elle dit à Marianne
tout cequ'on pourroit
écrire de mieux sur la
plus belle passion dit
monde.
Venonsaujait,luydit
Marianne, Leandre est
très- riche: le maryque
mon pere vous donne ne test gueres, (jf je rveux
bien epoujerceluy-cy pour
wous laisserlibrea9epoufer
l'autre> j'obtiendray cela
de mon pere.
Le pere estoit un bon
gentilhomme, qui charmé
de l'humeur de Marianne
,Taimoit beaucoup
plus que son aisnée
,
c'estoit à table sur
tout que le bon homme,
sensible auplaisir du bon
vin & de l'enjouement
de sa cadette,regloit avec
elle les affaires de sa samille
; elle eut pourtant
de la peine à obtenir de
ce pere scrupuleux sur le
droit d'aisnesse, qu'il mariast
une cadette avant
une aisnée, il fallut que
Lucillecedaft ion droit
d'aisnesse à Marianne par
un écrit qui fut signé à
table:&Lucillen'osant
dire sonvray motifà son
pere,dit seulement,qu'-
ellesentoit jenescay quelle
antipathiepour le mary
quelle cedoit à sa flEur.
On plaisanta beaucoup
sur ce mary cedé avec
le droit d'aisnesse
,
le
bon homme but à la
fanté de Marianne devenuë
l'aisnée, le mariage
fut resolu, & l'on le fit
agréer au gentilhomme,
qui aima mieux Marianne
que Lucille, parce
qu'en effet
, quoyque
moins belle, elle se faifmoit
beauecouprpl.us ai- Le mariage résolu, les
deux foeurs furent également
contentes; car Marianneindifférente
sur ses
propres interests, partageoit
sincerement avec
sa soeur l'esperance d'une
fortune brillante : cependant
quelques jours s'écoulerent
,
& le temps
que Leandre avoit marqué
pour ion retour, ettoit
desja passé. Lucille
commençoit à ressentir
de mortelles inquietudes,
& Marianne retardoit de
jouren jourson petit establissement,
resoluë de le
ceder à sa soeur en cas
que l'autre luy manquait.
::..
Un jour enfin elles estoient
toutes deux au
bout de cette mesme terrasse
d'oùl'ondécouvroit
la pleine mer. Lucille
avoit
avoit les yeux fixez vers
la rade de Toulon, d'où
devoit partir celuy qui
nes'estoit separé d'elle
que pour aller disposer
fès parents à ce mariage:
elle estoit plongée dans
la tristesse lorsqu'elle apperceut
un vaisseau; cet
objet la transporta de
joye, comme s'il n'eust
pû y avoir sur la mer que
le vaisseau qui devoit luy
ramenerson amant; sa
joye futbien plus grande
encore;lorsqu'un vent
qui s'éleva,sembla pouf
fer ce vaisseau du costé
de son Isle; mais ce vent
ne fut pas long-temps favorable
à ses desirs. Ce
vaisseaus'aprochoitpourtant
d'une grande vitesse,
mais il se forma tout à
coup une tempeste si fiirieuse
,
qu'elle luy fit
voir des abysmesouverts
pour son Leandre.La Romanesque
Lucille diroit
sans doute en racontant
cet endroit de ion hiitoire
: que la tourmente nefut
pas moins orageusè,.
dansson coeur quesur Itt;
mer où le vaisseaupensa
perir.
Après quelques heures
de peril, un coup de
vent jetta le vaisseau sur
le rivage entre des rochers
qui joignent 1q
Chasteau, jugez du plaisir
qu'eutLucille en voyranet
sotnéAm.ant en seuLeandre
devoit se trouver
à son retour chez une
voisine où s'estoient faites
les premieres entreveuës
,
elle estoit
pour lors au Chasteau
où les deux soeurs coururent
l'avertir de ce
qu'elles venoient devoir,
& elles jugerent à propos
de n'en point encore
parler au pere. Lucille
luy dit qu'elle alloit coucher
ce soir-là chez cette
voisine, car elle y alloit
assez souvent,& Marianne
resta pour tenir compagnie
à son pere ,qui
ne pouvoit se
,
d'ellepas.ser
;
Un moment aprèsque
Lucille & la voisine furent
montées en carosse.,
un homme du vaisseau
vint demander à parler
au maistreduChasteau,
cet homme estoit une cCpece
de valet grossier qui
debuta par un recit douloureux
de ce que son
jeune maistre avoit souffert
pendant la tcmpefie).
& pour exciter la compassion,
il s'eftendoit sur
les bonnes qualitez de ce,
jeune maistre qui demandoitdu
secours & le couvert
pour cette nuit.
Le pere qui estoit le
meilleurhommedumonde
,
fit allumer au plus
viste des flambeaux, parce
qu'il estoit presque
nuit; il voulut aller luymesme
aurivage où Marianne
le suivit,curieuse
de voir l'Amant de sa
soeur, &' ne doutant
point qu'il n'eust pris le
pretexte de la tempeste ,
pour venir incognito dans
le Chasteauoù il pourroit
voir Lucille plus
promptement que chez
sa parente.
En marchant vers le
rivage on apperceut à la
lueurd'autres flambeaux
dans un chemin creux
entre des rochers, plusieurs
valets occupez autour
du nouveau debarqué,
qui fatigué de ce
qu'il avoit souffert, tomba
dans une espece d'évanoüissement,
l'on s'arresta
quelque temps pour
luy donner du secours :
Marianne le consideroit
attentivement
,
elle admiroit
sa bonne mine,
& l'admira tant, qu'elle
ne put s'empescher ,elle
quin'estoit point envieu-
Lé, d'envier à sa ïbeur le
bonheur
bonheurd'avoir un tel
Amant;cependant il revenoit
à luy, il souffroit
beaucoup; mais dès qu'il
eut jetté les yeuxsur Marianne,
son mal fut suspendu,
il ne sentit plus
que leplaisir de la voir.
Admirez icy lavariété
des effets de l'amour, la
vivacité naturelle de Marianne
,
est tout à coup
rallentie par une passion
naissante, pendant qu'un
homme presque mortest
ranimé par un feu dont
la, violence se fit sentir
au premier coup d'oeil,
jamais passion ne fut plus
vive dans sa naissance;
comment est-ilpossible,
dira-t'on quece Leandre,
tout occupéd'une autre
passion qui luy fait traverser
les mers pour Lucille,
soit d'abord si sensible
pour Marianne. Il
n'est pas encore temps de
respondre à cette question.
Imaginez-vousseulementun
hommequine
languit plus que d'a
mour ; les yeux fixez
sur Marianne, qui avoit
les siens baissez contre
terre ,
ils estoient
muets l'un & l'autre, 6C
le pere marchant entre
eux deux, fournissoitseul
à la conversation sans se
douter de la cau se de leur
silence. Enfin ils arrivent
au Chasteau,oùMarianne
donne d'abord
tous ses soins, elle court,
elle ordonne, elle s'empresse
pour cet hoste ai-
Jnahle avec un zele qu'-
elle ne croit encore anirne
que par latendresse
de l'hospitalité: le pere
donna ordre qu'on ailaft
avertir Lucille de revenir
au plustost pour rendre
la compagnie plus agréable
à son nouvel hoste
qu'on avoit laissé seul en
liberté avec ses valets
dans une chambre.
On alla avertir Lucille
chez sa voisine
,
elle
vint au plus viste, elle
estoit au camble de sa
joyc,&Marianne au contraire
commençoitàeftrc
fort chagrine, cette vertueuse
fille s'estoit desja
apperceuë de son amour,
elle avoit honte de se
trouver rivale de la soeur,
mais elle prit dans le moment
une forte resolutiondevaincre
une passion
si contraire aux sentimens
vertueux qui luy
estroient naturels ; elle
court au devant de Lucille,&
la felicite de
bonne foy
,
elle fait l'éloge
de celuy qui vient
d'arriver
elle luy exagere
tout ce qu'elle st
trouvé d'aimable dans sa
phisionomie,
dans l'og
air, & se laissant insensiblement
emporter au
plaisir de le louër
,
elle
luy en fait une peinture
si vive qu'elle se la grave
dans le coeur à elle-mesme,
encore plus prorondementqu'elle
n'y estoit;
elle finit cet éloge par un
soupir, en s'écriant: Ah,
ma soeur, que rvous estes
heureuse ! &£ faisant aufsitost
reflexion sur ce
soupir, elle resta muette,
confuse, & fort surprise
de seretrouver encore
•
amoureuse après avoir
resolu de ne l'estre plus.
Lucille en attendant
que [on Leandre parust,
fit force reflexions Romanelques
lur la singularité
de cette avanture ;
je fuis enchantée, difoitelle
, du procédé mysterieux
de cet Amant delicat
,
il feint de s'évanoüir
entre des rochers
en presence de mon pere,
pour avoir un prétexte
de venir,incognito me furprendre
agréablement,
je veux moy par delicatesse
aussi, luy laisser le
plaisir de me croire surprise,
& je seindray dèsqu'il
paroiftra un estonnement
extreme de trouver
dans un hoste inconnu
l'objet charmant.
En cet endroit Lucille
fut interrompue par un
valet qui vint annoncer
le souper, les deux foeur£
entrerent dans la salle
par une porte pendant
que le pere y entroit par
l'autre avec l'objet cher,
mant, qui s'avança pour
saluërLucille: dès quelle
l'apperceut elle fit
un cri, & resta immobile
, quoy qu'elle eust
promis de feindre de la
surprise; Marianne trouva
la feinte un peu outrée;
le pere n'y prit pointgarde,
parce qu'il ne prenoit
garde à rien, tantil estoit
bon homme,
Lucille estoit réelle*
ment tres eftonnée
,
SC
on le feroit à moins, car
cet inconnu n'estoit
point le Leandre qu'-
elle attendoit, c'estoit
un jeune négociant, mais
aussi aimable par son air
& par sa figure que le
Cavalier le plus galant.
Il estoit tres riche
,
ôd
rapportoit des Indes
quantité de marchandé
ses dans son vaisseau
,
il
avoit esté surpris d'un
vent contraire, en tou..
chantla Rade de Toulon,
& jetté, comme vous
avez veu, dans cette iHe.
Ce jeune Amant se
mit à table avec le pere
&: les deux filles, le fou-i
per ne fut pas fort guay ,
il n'y avoir que le perc
de content
,
aussin'y
avoit-il que luy qui parlait
, le negociant encore
estourdi du naufrage,&€
beaucoup plus de son
nouvel amour , ne respondoit
que par quelques
mots de politesse,
& ce qui paroistra surprenant
icy, c'est, qu'en
deux heures de temps
qu'on fut à table, ny là
pere ny les filles ne s'apperceurent
point de foa
amour; Lucille ne pouvant
regarder ce faux
Leandre sans douleur,
eut tousjours les yeux
baissez, & Mariannes'estant
apperceuë qu'elle
prenoit trop de plaisîr à
le voir, s'en punissoit en
ne le regardant qu'à la
dérobée; à l'égard du
pere il estoit bien esloignéde
devinerun amour
si prompt &, si violent.
Il faut remarquer icy
que le pere qui estoit bon
convive, excitoit sans
cesse son hoste à boire,&
ses filles à le réjoüir :
Qî£ejl donc devenue ta
belle humeur? disoit il à
Marianne, aussitostelle
s'efforçoit de paroistre
enjoüée, & comme les
plaisanteries ne viennent
pas aisément a ceux qui
les cherchent, la première
qui luy vint, fut sur
le droit d'aisnesse
,
qui
faisoit depuis quelques
jours le sujet de leurs
conversations, jesuis fort
surprise, dit Marianne à
son pere , que vous me
demandiez de la guayeté
quand je dois estre serieuse,
la gravité m'appartientcomme
à l'aisnée, 8c
l'enjouement est le partage
des cadettes: & le
negociant conclut naturellement
de là que Marianne
estoit l'aisnée, Sc
c'est ce qui fit le lendemain
un Equivoque facheux,
le pere ne se souvenant
plus de ces pro
posde table, son caractere
estoit d'oublierau se,
cond verre de vintout ce
que le premier luy avoit
faitdire,enfin après avoir
bien régalé son hoste
,
il
leconduisitàsa chambre;
&Lucillequirestaseule
avec sa soeur luyapprit
que ce n'estoit point là
son Amant. Quelle joye
eust esté celle de Marianne
ne si elleavoiteu le coeur
moins bon, mais elle fut
presque aussiaffligée de
la tristesse de sa soeur.,
qu'elle fut contente de
n'avoir plus de rivale.,
Les deux soeurs se retirèrent
chacune dans
leur chambre où elles ne
dormirent gueres. Marianne
s'abandonna sans
fcrupule à toutes les idées
qui pouvoient flatter son
amour, & Lucille ne faifoit
que de tristes reflexions
,
desesperant de rc4
voir jamais ce Leandre , de qui elle esperoit sa fortune,
mais elle estoitdestinée
à estre rejouië par
tous les événements qui
chagrineroient Mariant
ne : le jeune négociant
estoit vif dans £espat
sions,& de plus il n'avoit
pas le loisir de languir;
il falloit quil s'en retournast
aux Indes, Il prit
sa resolution aussi promptement
queson-amour
luy estoit venu. Le pere
entrant le matin dans sa
chambre,, luy demanda
s'il avoit bien passé la
nuit: Helas, luy rcfpondit-
il, je l'ay fort mal
poejjsée, maisj'ay huit cens
millefrancsd'gaernt ccoormn*-
ptant, le pere ne comprenoit
rien d'abord à cette
éloquence de négociant
1; l'Amantpaflîoanés'expliqua.
plus clairement
ensuite ,il luy demanda
ça, mariage f-. fille aifnée^
ils estoient l'un & l'autre;
pleins de franchise, leur
affaire fut bien tost concluë,
& le pere sortit de
la chambre, conjurant
son hoste de prendre
quelques heures de repos
pendant qu'il iroit
annoncer cette bonne
nouvelle à safille aimée,
ce bon homme estoit si
transporté qu'il ne se fouvint
point alors des plaisanteries
qu'onavoit faites
à table Cuxlc droit
d'aisnesse de Marianne
que le négociant avoit
prises à la lettre. Cet
équivoque fut bien triste
pour Marianne au mo-*
ment que le pere vint annoncer
à Lucille que le
riche negociant estoit
amoureux d'elle,&Lucille
voyant le négociant
beaucoup plus riche que:
son Leandre, ne pensa
plusqu'à justifier son inconfiance
par de grande
Íentiments, & elle en
trouvoit sur tout,pour
& contre, son devoir luy
en fournissoit un, il est
beau desacrifierson a,
mour a lavoloté d'un pere.
A l'égard de Mariant
ne ellefe feroit livrée dabord
auplaisir devoir sa
soeur bien pourveuë
ceuss esté là son premier
mouvement, mais un
autre premier mouvez
ment la sassit: quelle dou-r
leur d'apprendre que celuy
qu'elle aime ,
eili
amoureux de sa soeur.
Pendant que toutcecy
se passoit au Chasteau,
Leandre , le veritable
Leandre arriva chez sa
parente, qui vint avec
empressement en avertir
Lucille, mais elle la trou-
Va insensible à cette nouvelle
, sa belle passion
avoit disparu, Leandre
devoit arriverplustost
elle jugea par delicatesse,
qu'un Amantqui venoit
trop tard aurendez-vous,
n'ayantque cinquante
milleescus; meritoit bien
quon le facrifiaft à un
mary de huit cens mille
livres. La parente de
Leandre s'écria. d'abord
sur une infidélité si lfiar-"
quéé>maisLucille luy
prouva par les regles de
Xofçipm leplusfiné que
Leandre avoit le premier
tort ,que les feuç^de
coeur ne ie pardonnent
point, que plus une fem*
meaime., Rlus-.;clle doit
se
se venger, & que la vengeance
la plus delicate
qu'on puisseprendre d'un
Amant qui oublie c'etf
d'oublieraussi.
Lucille
,
après s'estre
très spirituellement justifiée
, courut à sa toillette
se parer, pour estre belle
comme un astre au reveil
de son Amant, & la parente
de Leandrequis'in
reressoit à luy parune ve.
ritable amitié, retourna
chez elle si indignée, qu'
elle convainquit bientost
Leandre de l'infidélitéde
Lucille, & Leandre resolut
de quitter cette IHe
dès le mesme jour pour
n'y retournerjamais.
Marianne de soncossé
ne songeoit qu'à bien cacher
son amour & sa
douleur à un pere tout
occupé de ce qui pouvoit
plaireà sonnouveau gendre
: Viens, mafille, ditil
à Marianne, viens avec
moytfaijons-luj voir par
nos empressements îtfîfar
nos carresses, qu'il entre
dans unefamille qui aura
pour luy toutessortes d'at.
tentions, il les mérité bien,
n'est-ce pas, mafille, conviens
avec rfioy que tu as
là un aimablebeaufrere
:-
Marianne le suivoit
sans luy respondre, très
affmogée de n'estre que la
belle foeur de ce beaufrere
charmant; Dès qu'ils
furent à la porte de sa
chambre, Marianne detourna
les yeux. çrjak
gnant d'envisagerle peril.
Son père entra le prêt
mier
,
&dit à nostré
Amant que sa filleaisnée
alloit venir le trquvef),
qu'elle avoit pour luy
toute la reconnoissance
possible, &C mesme desja
de l'stime, Cepetit trait
de flatterie échappa à cet
homme si franc; l'amour
& les grandes richesses
changent toujours quelque
petite choseau coeur
du plus honneste homme
,
cependant Marianne
s'avançoit lentement.
Dès que nostre Amant
la vit entrer il courut au
devant d'elle, & luy dit
Cent choses plus passionnées
les unes que les autres;
enfin aprés avoir exprimé
ses transports par
tout ce qu'on peut dire,
il ne parla plus,parce que
les paroles luy manquoient.
, Marianne estoit si surprise
& si troublée,qu'elle
ne put prononcer un
fcul mot; le pere ne fut
pas moins estonné ,ils
resterenttous troismuets
&immobiles:cefut pendant
cette scene muette
que Lucille vint a pas
mesurez, grands airs majestueux
& tendres, brillante
& parée comme
une Divinité qui vient
chercher desadorations.
Pendant qu'elle s'avance
le pere rappelle dans fcn
idée les plaisanteriesdu
souper qui avoient donné
lieu à l'équivoque, &
pendant qu'il l'éclaircir
; Lucille va tousjours son
chemin
,
fait une reverence
au Negociant, qui
baisseles yeux, interdit
&confus,elle prend cetro
confusionpourla pudeur
d'un amant timide, elle
minaude pour tascher de
le rassurer ; mais le pauvre
jeunehomme ne pouvant
soustenir cette situation,
sort doucement de
la chambre sans riendire.
Que croira-t-elle d'un
tel procédé? l'amour peut
rendre un amant muet,
mais il ne le fait point
fuir: Lucille estonnée
regarde sa soeurqui 11ose
luy apprendre son malheur
, le pere n'a pas le
courage de la detromper.
Il fort, Marianne le fuit,
& Lucille reste feule au
milieu de la chambre, jugez
de son embarras, elle
; '-
n'en feroit jamais sortie
d'elle-mesme ; elle n'estoit
pas d'un caractere à
deviner qu'on pu st aimer
sa soeur plus qu'elle. Je
n'ay point sceu par qui
elle fut detrompée ; mais
quoy qu'elle fust accablée
du coup, elle ne perdit
point certaine presence
d'esprit qu'ont les
femmes, & sur toutcelles
qui font un peu coquettes
; elle court chez
sa voisine pour tascher
de ratrapperson vray
Leandre, je ne sçay si
elle y reussira.
Le pere voyant sortir
Lucille du Chasteau,
crut qu'elle n'alloit chez
cettevoisine que pour
n' estre point tesmoin du
bonheur de sa soeur. On
ne songea qu'aux préparatifs
de la nôce, avant
laquelle le Negociant
vouloit faire voir beaucoup
d'effets qu'il avoit
dansson vaisseau, dont
le Capitaine commençoit
a s'impatienter, car
le vaisseau radoubé estoit
prest à repartir. CeCapitaine
estoit un homme
franc, le meilleur amy
du monde, & fort attachéauNégociant,
c'estoit
son compagnon de
voyage,il l'aimoit comme
un pere, cestoit son
conseil, & pour ainsidire
,
son tuteur, il attendoit
avec impatience des
nouvelles de fbn amy;
mais vous avezveuqtfé
l'amour la tropoccupé,
il ne se souvintduCapitaine
qu'en le voyantentrer
dans le Chasteau
,
il
courut l'embrasser, & ce
fut un signal naturel à
tous ceux du Chaftcau
pour luy faire unaccuëil
gracieux; il y fut receu
comme l'amy du gendre
de la maison
,
il receut
toutes ces gracieusetez
fort froidement, parce
qu'il estoit fortfroid dm,
fo11 naturel. On estoit
pour lors à table
, on fit
rapporter du vin pour
émouvoir le fang froid
du Capitaine,chacun luy
porta la santé de son jeune
amy, & 4e là maistrciïc
: a la sante de mon
gendre,disoit le pere ,
tope à mon beaupere
,
disoit
le Négociant : à tout
celaleCapitaine ouvroit
-
les yeux Se les oreilles,
estonné comme vous
pouvez vous l'imaginer
il avoit crcu trouver ron
amy malade
,
gesné &
mal à son 21fe-1 comme
on l'esten maison étrangère
avec des hostesqu'-
on incommode, & il le
trouve en joye
, en liberté
comme dans sa famille
,
ilne pouvoit rien
comprendre àcette avanture
,
c'estoit un misantrope
marin
y
homme
flegmatique, mais qui
prenoit aisément son party:
ilécoutatout,& après
avoir révé un moment il
rompit le silence par une
plaisanterie àik façon : à
la jante des nouveaux
Efoux
,
dit-il, & de bon
coeur,j'aime les mariages
de table moy y car ils se
font en un momentse
rompent de rnejine.
-Après plusieurs propos
pareils, il se fit expliquerserieusement
à
quoy en estoient les affaires
,& redoublantson
sang-froid il promit une
feste marine pour la nôce.
Ca mon cheramy.
dit-il au Negociant,
venez,m'aider à donnerpour
cela des ordres
dans mon vaisseau; w
lontiers,respondit l'amy, ,wf]îbienfaj quelque choie
aprendre dansmes coffres;
&jeveuxfaire voir
mespierreriesàmon beaupere.
Il y alla en effet
immédiatement après le
diincr, & le pere resta
au Chasteau avec Marianne
rianne, qui se voyant au
çomble de son bonheur,
nelaissoitpasdeplaindre
beaucoup Lucille.Trois
ou quatre heures de tems
sepasserent en converstions,&
Marianneimpatiente
de revoir son
Amant, trouva qu'il tardoittrop
à revenir; l'impatience
redoubloit de
moment en momentlorsque
quelqu'un par hafard
vint dire que leNegociant
avoit pris le large
avec le Capitaine,&que
le vaisseauestoit desja
bien avant en mer. On
fut long-temps sans pouvoir
croire un évenement
si peu vray -
semblable.
On courut sur la terrasse
d'où l'on vit encore de
fort loin le vaisseau qu'-
on perdit enfin de veuë,
il feroit difficile de rapporter
tous les differents
jugements qu'on fit là
dessus
,
personnene put
deviner la cause d'uir
départ si bijare, & si précipité;
jeneconseille pas
au lecteur de le fLati-guer la teste pour y réver, la
fin de l'histoire n'est pas
loin.
Après avoir fait pendant
plusieurs jours une
infinité de raisonnements
sur l'apparition de ce riche
&C passionné voyageur
, on l'oublia enfin
comme un fonge ; mais
les songes agreables font
quelquefois de fortes impressions
sur le coeur d'une
jeune personne, Mariannenepouvoit
oublier
ce tendre Amant
,
elle
merite bien que nous employions
un moment à
la plaindre, tout le monde
la plaignit, excepté
Lucille, qui ressentit une
joye maligne qui la dédommageoit
un peu de
ce qu'elleavoit perdu par
la faute:car on apprit que
son Leandre trouvant
l'occasion du vaisseau,
s'estoit embarqué avec le
Capitaine pour ne jamais
revenir, & le gentilhomme
voyant Marianne engagée
au Negociant, n'avoit
plus pensé à redemander
Lucille. Le pere
jugea à propos de renoüerl'affaire
avec Marianne
,
qui voulut bien
se sacrifier, parce que ce
mariage restablissoit urr
peu les affaires de son
pere qui n'estoientpasen
bon ordre, enun mot
on dressa le contract
,
&'.
l'on fit les préparatifs de
la nôce.
Ceux quis'interessent
un peu à Marianne ne seront
pas indifferentsau
recit de ce qui est arrivé
au Negociantdepuis
qu'on l'aperdu de veuë,
il avoit suivi le Capitaine
dans son vaisseau
,
où il
vouloit prendre quelques
papiers. Il l'avoit entretenu
en cheminduplaisirqu'il
avoit defairela
fortune d'une fille qui
meritoit d'estre aimée ,
enfin il arriva au vaisseau
où il fut long temps à deranger
tous ses coffres
JI'
pourmettre ensemble ses
papiers,&ensuite il voulut
retourner au Chasteau
: quelle surprise fut
la sienne
,
il vit que le
vaisseau s'esloignoit du
bord, ilfait un cry, court
au Capitaine qui estoit
debout sur son tillac, fumant
une pipe, d'un
grand fang froid: Hé,
tnon cher llmy ,
luy dit
nostre Amant allarmé,
ne voyez-vouspas que
nous avons demaré? je le
vois, bien , respond tranquillement
le Capitaine,
en continuantdefumer,
cejl doncparvostre ordre,
repritl'autre, ifnevous,
ay-je pas dit que je veux
ter?nmer ce mariage avantque
departir.Pourquoy
doncmejoueruntour
si cruel ? parce que jzfais:
vostre
votre ami, luy dit nôtre
fumeur.Ah! si njow êtes
mon ami, reprit leNegociant,
ne me defelpere7,,pas,
rtrnentz-moy dans l'ijle,je
vous en prie
,
je vous en
conjure.L'amant passionné
se jette à ses genoux,
se desole, verse même des
larmes: point de pitié, le
Capitaine acheve sa Pipe,
& le vaisseau va toûjours
son train.Le Négociant a
beau luy remontrer qu'il
a donné sa parole, qu'il y
va de son honneur & de
sa vie
,
l'ami inexorable
luy jure qu'il ne souffrira
point qu'avec un million
de bien il se marie, sans
avoir au moins quelque
temps pour y rêver.Il
faut,lui dit-il, promener
un peu cet amour-là sur
mer, pour voir s'il ne se
refroidira point quand il
aura passé la Ligne.
Cette promenade setermina
pourtant à Toulon
ou le Capitaine aborda
voyantle desespoir de son
ami, qui fut obligé de
chercher un autre vaisseau
pour le reporter aux
Ines d'Hyere, il ne s'en falut
rien qu'il n'y arrivât
trop tard, mais heureusement
pour Marianne elle
n'étoit encor mariée que
par la signature du Contrat,
& quelques milli ers
de Pistoles au Gentilhomme
rendirent le Contrat
nul. Toute 1Isle est encor
en joye du mariage de ce
Negociant & de Marianne,
qui étoit aimée & respectée
de tout le Pays.
LI Ce Mariage a et' c lebré
magn siquement sur 1A
fin du mois de Septembre
dernier, & j'nai reçû ces
Memoires par un parent ail
Capitaine.
Fermer
Résumé : HISTOIRE toute veritable.
Le texte décrit une scène dans les Isles d'Hières, où deux sœurs, Lucille et Marianne, se promènent dans une allée d'orangers. Lucille, l'aînée, est belle et admirée, mais triste car son père souhaite la marier à un gentilhomme voisin. Marianne, enjouée, taquine Lucille qui attend le retour de son amant, Leandre. Lucille rêve de Leandre et avoue son amour pour lui, motivé par ses richesses et sa qualité. Marianne obtient de leur père qu'il marie d'abord Marianne, permettant ainsi à Lucille d'attendre Leandre. Quelques jours passent sans nouvelles de Leandre. Un vaisseau accoste près du château après une tempête. Lucille court avertir Leandre, mais découvre qu'un valet demande de l'aide pour son maître, blessé. Marianne, séduite par l'apparence du jeune homme, s'occupe de lui avec zèle. Lors du souper, l'inconnu se révèle être un jeune négociant riche, mais ce n'est pas Leandre. Lucille est triste, tandis que Marianne reste silencieuse, troublée par ses sentiments. Le père, ignorant des tensions, est content de la situation. Marianne, amoureuse du négociant, évite de le regarder pour se punir de son plaisir. Une méprise survient lorsque le père annonce au négociant qu'il souhaite l'épouser. Lucille accepte la situation et se prépare à recevoir le négociant, mais celui-ci, confus, quitte la chambre sans rien dire. Lucille retrouve Leandre chez une voisine. Le négociant, accompagné du capitaine de son vaisseau, révèle qu'il doit repartir aux Indes. Cependant, ils prennent la mer sans prévenir, laissant les sœurs et le père perplexes. Marianne accepte de se marier avec le négociant pour rétablir les affaires de son père. Le mariage est célébré magnifiquement à la fin du mois de septembre. Le négociant, souhaitant annuler son mariage, supplie son ami capitaine de le ramener à l'île. Le capitaine reste inflexible, insistant pour que le négociant réfléchisse à son amour pendant le voyage. Le contrat de mariage est annulé grâce à une somme d'argent versée au gentilhomme. Le mariage entre le négociant et Marianne est finalement célébré.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 212-242
HISTOIRE de Zaczer & de Bouladabas.
Début :
Zaczer fils de Sam Prince Persan, ayant fait une partie [...]
Mots clefs :
Zaczer, Bouladabas, Chasse, Kaboul, Prince, Amants, Princesse, Perse, Fête galante, Orient, Mariage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE de Zaczer & de Bouladabas.
HISTOIRE
de Zaczer & de
Bouladabas.
ZAczer fils de Sam
Prince Perſan , ayant fait If
une partie de chaffe , c'eſtà- dire un petit voyage de
quelques femaines , pour
chaffer dans le Kalleſtan,
qui eft la Province de Kabul aux Indes , qui confine avec la Perfe du cofé du Nord. Mecherab
Gouverneur de cette Pro-
GALANT 213
vince alla au devant du
fils de Sam pour luy faire honneur , & fut tellement charmé des belles
& grandes qualitez de ce
jeunePrince , que retournant dans fa famille il ne
pouvoit ceffer d'en parler , & fur ce recit une
de fes filles nommée Bouladabas en devint amou-,
reufe ; elle envoya quel-
-unes de fes filles
ſous prétexte de cueillir
des fleurs autour d'une
ques
214 MERCURE
fontaine où elle fceut que
Zaczer alloit fe rafraif
chir pendantla chaffe.
Zaczer ayant apperceu
ces filles , ne manqua pas
de les aborder , de s'informer qui elles eftoient.
Elles prirent occaſion de
luy dire tant de bien de
leur jeune maiſtreſſe ,
qu'il conceut dès ce jourlà beaucoup d'eftime
pour elle , & fut impatient de retourner le lendemain pour voir files
GALANT. 215
cueilleufes de fleurs ne
reviendroient point à la
fontaine : elles ne manquerent pas d'y revenir ,
& Zaczel paffa avec elles
tout le temps de la chaſſe,
& devint amoureux de
Bouladabas fur l'idée que
ces filles luy en donnerent , comme elle eftoit
devenue amoureufe de
luy fur les recits que fon
pere en faifoit tous les
jours.
Il faut remarquer que
216 MERCURE
Zaczer avoit une de ces
phifionomies qui ne plaifent pas d'abord , mais
qui fe font aimer dans la
fuite par l'efprit & par les
fentiments qui les animent; cependant les filles
de Bouladabas luy en
avoient fait un Adonis ;
& d'un autre coſté en
faifant à Zaczer le por
trait de leur maiftreffe ,
chacune d'elles y adjouſ
toit tousjours quelque
trait de beauté pour éncherir
GALANT. 217
3
cherir fur fa compagne ,
& cela formoit dans l'imagination de Zaczer
une beauté , finon plus
grande au moins toute
differente de celle de Bouladabas. Ces deux Amants furent quelque
temps fans pouvoir trouyer les moyens de ſe voir,
& ne pouvant appuyer
leur amour que fur l'idée
qu'ils s'eſtoient formée
l'un del'autre, ils auroient
juré que ce qu'ils aiOctobre. 1712. T
218 MERCURE
moient reffembloit parfaitement à l'image où
leur amour les avoit accouſtumeż. ‹ Un jour
Bouladabas ayant trouvé moyen de fe dérober
aux foins de ceux qui la
gardoient , vintà la fontaine , & y arriva quelques heures avant Zaczer. Pendant que fes filles l'entretenoient àa l'ordinaire des charmes de
celuy qu'elle alloit voir ,
elle fut long - temps ré-
GALANT. 219
veuſe , & rompit enfuite
le filence pour leur dire
qu'elle craignoit deux
chofes dans cette entre
veuë : la premiere de ne
pas paroistre auxyeux de
Zaczer digne du portrait
qu'elles luy avoient fait
d'elle; & la feconde, de ne
pas trouver Zaczer fi aimable qu'elle fe l'eftoit
imaginé : Etfi l'un de ces
deux malheurs m'arrive,
leur difoit- eller, que deviendray- je après toutes
Tij
220 MERCURE
ces avances que nous nous
fommes faites indifcretement fans nous efire veus.
Une de fes filles luy dit
qu'en effet il eftoit fouvent dangereux de prévenir trop avantageufement, & que c'eſtoit mefmeunepolitique des fem- .
mes jaloufes de profner
exceffivement les beautez qu'onannonçoit dans
le monde , afin qu'on les
trouvaſt moins belles : je
ne crains point cela pour
GALANT. 221
vous , Madame , continua - elle , moy je le
crains , interrompt Bouladabas , mais , Madame , reprit la fille qui eftoit vive &
ingenieuſe ,
faites une chofe , je nefuis
point encore venue à la
fontaine avec mes compagnes, ainfi Zaczer ne m'a
point encore veuë , je fuis
"brune comme vous , &je
puis reffembler àpeu près
en laid auportrait qu'on
luy a fait , je vais me
Tiij
222 MERCURE
parerde vospierreries , &
faire icy vofire perfonnage , cela produira plufleurs bons effets. Premierement ma vene détruira
dans fon imagination ce
phantofme de beauté qu'il
s'est fait ,
craignez la comparaifon ,
ce ne fera plus qu'à moy
dont vous
qu'il vous comparera
quand vous vous ferez
connoiftre à luy dans la
fuite , commejefuis infiniment moins belle que
. GALANT. 223
vous , &que l'idée qu'il
s'eft faite , cette premiere
furprife le difpofera à une
feconde tres- avantageuſe
pour vous.
Une autre raifon encore que cette fille réprefenta à Bouladabas , fut
que cette fuppofition lụy
donneroit lieu d'exaininer incognito & à loifir , fi
Zaczer eftoit digne de
l'idée qu'elle avoit de luy
Bouladabas accepta le
parti pour une troifiéme
Tiiij
224 MERCURE
raifon encore : j'éprouveraypar là , dit- elle , s'il
m'auroit aimée naturellement fans la prévention.
>
qu'on luy a donnée pour
moy , ma delicateſſe fe-·
roit bien plus touchée de cet
amour & s'il venoit à
t'aimerparhazardje n'en
ferois point jaloufe , cela
me prouveroit que nous
n'eftions pas deftinez l'un
pour l'autre. A peine
cette converfation fut- elle
finié , qu'on entendit de
GALANT. 225
loin le bruit de la chaffe ,
la fauffe Bouladabas eut
à peine le temps de ſe parer , que Zaczer parut
feul , percer le bois avec
impatience pour venir
joindre les filles. Elles
coururent toutes au devant de luy , & la fauſſe
Bouladabas reſta ſur un
fiege de verdure & de
fleurs , accompagnée de
la veritable , qu'on annonça à Zaczer comme
une parente de Boulada-
226 MERCURE
bas dont elle s'eftoit fait
accompagner. La fauffe
Bouladabas fe leva à l'arrivée de Zaczer , qui tout
plein de fa beauté divine
&imaginaire , accouroit
avec ardeur ; mais cette
ardeur fut bien rallentie
quand il vit une perfonne
qui n'eftoit en effet que
mediocrement belle , &
qui luy parut encore fort
au deffous de ce qu'elle
eftoit ; il refta immobile
&prefque muet, l'amour
GALANT. 227
de Bouladabas fut encore
plus refroidi que le fien ,
car Zaczer , comme nous
avons dit. ,
n'avoit pas
pour luy le premier abord ; toutes les graces
qui euffent pûanimer fon
vilage eftoient effacées
par la froideur & la furprife dont il avoit eſté
frappé : en un mot Bouladabas , bien loin de le
trouver aimable , ne fongea qu'à abbreger l'entreveue, & fit fouvenir la
228 MERCURE
fauſſe Bouladabas qu'il
falloit retourner au plus
viſte , de peur qu'on ne
s'apperceuſt au Palais de
fon Pere qu'elle en eſtoit
fortie ; on parla de ſe ſeparer , & Zaczer ne s'en
plaignit que par politeſſe.
Dansce moment les filles
de Bouladabas connurent
le tort qu'ils avoient eu
de prévenir ces Amants
trop
P'un
avantageuſement
pour l'autre ; car felon toutes les apparences
GALANT. 229
fi Zaczer avoit veu Bouladabas naturellement
d'abord en Princeſſe, leur
amour ſe fuſt peut - eſtre
efteint tout-à- fait , au
lieu que comme vous allez voir , la froideur de
cette premiere entreveuë
ne fervit qu'à rallumer
plus vivement un fond
d'amour qu'ils avoient
réellement pour le merite
l'un de l'autre.
Dans le temps que les
compliments de ſepara-
230 MERCURE
tion fe faifoient , Zaczer
qui avoit eu preſque tousjours les yeux baiffez ,
les jetta fur Bouladabas ;
& fon imagination n'eſtant plus occupée d'aucune fauffe image , la
beautéde Bouladabas s'en
empara , le premier coup
d'oeil le frappa fi vive
ment, que fa phifionomie
en fut ranimée , & Bou
ladabas qui s'apperçut
qu'elle plaifoit , commença à le trouver moins
GALANT 231 4
1
choquant , elle cuft bien
voulu refter encore , mais
Zaczer partit bruſquement,"& Bouladabas s'en
retourna avec fes filles.
La raiſon qui fit partir
Zaczer fi brufquement ,
fut une raifon de delicateffe & de conftance.
orientale , il craignit que
celle qu'il ne croyoit qu'
une parente de Bouladabas , ne luy pluſt trop ,
& ne s'eftant pas encore
apperceu qu'il l'aimoit
232 MERCURE
désja , il vouloit conferver l'amour qui luy ref
toit pour le merite de
Bouladabas , dont il ne
pouvoit douter , parce
qu'il eftoit conneu dans
toute la Perfe , & ce
>
jeune Prince qui s'eſtoit
dévoué hautement à cette Princeffe , avant que
de l'avoir veuë , voulant
fouftenir par honneur
le party qu'il avoit prit
revint le lendemain à
la fontaine , où la Princeffe
GALANT. 233
ceffe devoit revenir , il
s'imaginoit craindre d'y
retrouver fa parente
mais dans le fond du
cœur il n'y venoit que
pour elle , & il eut une
joye fecrette , lorſque
Bouladabas fous le nom
de parente parut fans
la Princeffe , qui l'avoit
chargée luy difoit- elle de:
venir luy témoigner la
douleur qu'elle avoit de
n'avoir pu s'y trouver
ce jour- là , Zaczer luy
Octobre. 1712 Y
234 MERCURE
répondit d'un air tres
content , qu'il en eftoit
fafché , & elle luy dit
que Bouladabas l'avoit
chargée de venir luy
parler d'elle le plus
long- temps qu'elle pourroit cette converfation
fut longue , & Zaczer
ne la pouvoit finir ; elle
roula toutefur la conftance , & Bouladabas le
mettoit exprés fur ce fujet , pour connoître s'il
en eftoit capable. Zac-
GALANT. 235
zer eut, tant de pouvoir,
fur luy- mefme dans cette
entreveuë , que jamais il
ne luy eſchapa aucun
mot qui luy marquaft fon
amour , au contraire , il
juroit qu'il feroit toufjours fidelle à Bouladabas , mais en jurant fidelité à celle qu'il croyoit ne
pas voir, il foupiroit pour
celle qu'il voyoit : quel
plaifir pour Bouladabas
de fe voir ainfi doublement aimée. Celjeu
L3
V ij
236 MERCURE
continua quelques jours ,
& la Princeffe ne paroiffant point , Bouladabas
pouffa l'épreuve de la conftance de Zaczer jufqu'à
luy declarer qu'elle l'aimoit ; & qu'eftant auffi
grande Princeffe que fa
parente, &beaucoup plus
riche , il auroit dû penſer
à l'époufer. Que ne ſouffrit point Zaczer dans cet
te épreuve , il alloit peut-
}
eftre fuccomber : mais
Bouladabas craignant de
"
GALANT. 237
pour tousle voir infidelle, le prévint
par un dépit & un adieu
qu'elle luy dit
jours ; & fans luy donner
le temps de luy répondre,
elle luy dit ſeulement que
Bouladabas viendroit elle- mefme le lendemain
pour le recompenfer defa
conſtance.
Zaczerrefta au mefme
endroit où on l'avoit laiffé , fans avoir la force ni
de parler ni de ſe ſouſtenir , & fe laiffa tomber
238 MERCURE
fur un gazon où il feroit
refté long-temps , fi fes
gens ne fuſſent venus le
joindre : il fe trouva mal
& on l'emporta chez luy,
où il paſſa la nuit dans un
eftat fi violent qu'il prit
le party de ne fe jamais
marier , ne voulant pas
3
donner à Bouladabas un
coeur fi rempli d'amour
pour une autre , ni épou¬
fer cette autre en manquant de fidelité à Boula
dabas min 51 38
GALANT. 239
Le lendemain , Zaczer.
feur de trouver Boulada--
bas au rendez- vous , y retourna à deffein de luy
avoüer de bonne foy les
raifon's qu'il avoit de ne
jamais voir ni elle ni fa
parente. Quel fpectacles
pourluy ! lorfque le lendomain la Princeffe parut
de loin magnifiquement
parée, avec plufieurs Maures qui la portoient ſur un
Palanquin de fleurs , entourée d'un grand nom
240 MERCURE
bre de filles tenant des
guirlandes , & de quantité de petits enfants repreſentants les Amours ;
en un mot avec tout l'appareil d'uneFeſte galante,
qui a pourbutle mariage.
Plufieurs Cavaliers parez
comme pour un Tournoy fe détacherent de la
Troupe; &le pere deBouladabas à leur tefte vint
offrir fa fille à Zaczer , qui
eftoit preſt à la refuſer &
àfuir. Lorfquevoyant de
plus
GALANT. 241
plus près la Princeffe qui
s'avançoit , il vit à ſa place celle dont il eftoit fi
amoureux. Quelle fut fa
furpriſe je croy qu'une
peinture de tout ce quife
paſſa en ce moment , ne
feroit qu'affoiblir celle
que chacun s'en peut faire. Bouladabas dit à Zaccer quefon pere avoit eſté
touché de fa conſtance ,
& avoit voulu venir la
couronner luy - meſme ,
les noces fe celebrerent
Octobre.
1712. X
242 MERCURE
peu après , & au bout
de neuf mois fortit de ce
mariage le fameux Roftam furnommé Oaſtam
le plus vaillant guerrier
que les Perfans ayent jamais eu , & qui fert encore aujourd'huy de modelle à tous les grands
hommes de l'Orient
de Zaczer & de
Bouladabas.
ZAczer fils de Sam
Prince Perſan , ayant fait If
une partie de chaffe , c'eſtà- dire un petit voyage de
quelques femaines , pour
chaffer dans le Kalleſtan,
qui eft la Province de Kabul aux Indes , qui confine avec la Perfe du cofé du Nord. Mecherab
Gouverneur de cette Pro-
GALANT 213
vince alla au devant du
fils de Sam pour luy faire honneur , & fut tellement charmé des belles
& grandes qualitez de ce
jeunePrince , que retournant dans fa famille il ne
pouvoit ceffer d'en parler , & fur ce recit une
de fes filles nommée Bouladabas en devint amou-,
reufe ; elle envoya quel-
-unes de fes filles
ſous prétexte de cueillir
des fleurs autour d'une
ques
214 MERCURE
fontaine où elle fceut que
Zaczer alloit fe rafraif
chir pendantla chaffe.
Zaczer ayant apperceu
ces filles , ne manqua pas
de les aborder , de s'informer qui elles eftoient.
Elles prirent occaſion de
luy dire tant de bien de
leur jeune maiſtreſſe ,
qu'il conceut dès ce jourlà beaucoup d'eftime
pour elle , & fut impatient de retourner le lendemain pour voir files
GALANT. 215
cueilleufes de fleurs ne
reviendroient point à la
fontaine : elles ne manquerent pas d'y revenir ,
& Zaczel paffa avec elles
tout le temps de la chaſſe,
& devint amoureux de
Bouladabas fur l'idée que
ces filles luy en donnerent , comme elle eftoit
devenue amoureufe de
luy fur les recits que fon
pere en faifoit tous les
jours.
Il faut remarquer que
216 MERCURE
Zaczer avoit une de ces
phifionomies qui ne plaifent pas d'abord , mais
qui fe font aimer dans la
fuite par l'efprit & par les
fentiments qui les animent; cependant les filles
de Bouladabas luy en
avoient fait un Adonis ;
& d'un autre coſté en
faifant à Zaczer le por
trait de leur maiftreffe ,
chacune d'elles y adjouſ
toit tousjours quelque
trait de beauté pour éncherir
GALANT. 217
3
cherir fur fa compagne ,
& cela formoit dans l'imagination de Zaczer
une beauté , finon plus
grande au moins toute
differente de celle de Bouladabas. Ces deux Amants furent quelque
temps fans pouvoir trouyer les moyens de ſe voir,
& ne pouvant appuyer
leur amour que fur l'idée
qu'ils s'eſtoient formée
l'un del'autre, ils auroient
juré que ce qu'ils aiOctobre. 1712. T
218 MERCURE
moient reffembloit parfaitement à l'image où
leur amour les avoit accouſtumeż. ‹ Un jour
Bouladabas ayant trouvé moyen de fe dérober
aux foins de ceux qui la
gardoient , vintà la fontaine , & y arriva quelques heures avant Zaczer. Pendant que fes filles l'entretenoient àa l'ordinaire des charmes de
celuy qu'elle alloit voir ,
elle fut long - temps ré-
GALANT. 219
veuſe , & rompit enfuite
le filence pour leur dire
qu'elle craignoit deux
chofes dans cette entre
veuë : la premiere de ne
pas paroistre auxyeux de
Zaczer digne du portrait
qu'elles luy avoient fait
d'elle; & la feconde, de ne
pas trouver Zaczer fi aimable qu'elle fe l'eftoit
imaginé : Etfi l'un de ces
deux malheurs m'arrive,
leur difoit- eller, que deviendray- je après toutes
Tij
220 MERCURE
ces avances que nous nous
fommes faites indifcretement fans nous efire veus.
Une de fes filles luy dit
qu'en effet il eftoit fouvent dangereux de prévenir trop avantageufement, & que c'eſtoit mefmeunepolitique des fem- .
mes jaloufes de profner
exceffivement les beautez qu'onannonçoit dans
le monde , afin qu'on les
trouvaſt moins belles : je
ne crains point cela pour
GALANT. 221
vous , Madame , continua - elle , moy je le
crains , interrompt Bouladabas , mais , Madame , reprit la fille qui eftoit vive &
ingenieuſe ,
faites une chofe , je nefuis
point encore venue à la
fontaine avec mes compagnes, ainfi Zaczer ne m'a
point encore veuë , je fuis
"brune comme vous , &je
puis reffembler àpeu près
en laid auportrait qu'on
luy a fait , je vais me
Tiij
222 MERCURE
parerde vospierreries , &
faire icy vofire perfonnage , cela produira plufleurs bons effets. Premierement ma vene détruira
dans fon imagination ce
phantofme de beauté qu'il
s'est fait ,
craignez la comparaifon ,
ce ne fera plus qu'à moy
dont vous
qu'il vous comparera
quand vous vous ferez
connoiftre à luy dans la
fuite , commejefuis infiniment moins belle que
. GALANT. 223
vous , &que l'idée qu'il
s'eft faite , cette premiere
furprife le difpofera à une
feconde tres- avantageuſe
pour vous.
Une autre raifon encore que cette fille réprefenta à Bouladabas , fut
que cette fuppofition lụy
donneroit lieu d'exaininer incognito & à loifir , fi
Zaczer eftoit digne de
l'idée qu'elle avoit de luy
Bouladabas accepta le
parti pour une troifiéme
Tiiij
224 MERCURE
raifon encore : j'éprouveraypar là , dit- elle , s'il
m'auroit aimée naturellement fans la prévention.
>
qu'on luy a donnée pour
moy , ma delicateſſe fe-·
roit bien plus touchée de cet
amour & s'il venoit à
t'aimerparhazardje n'en
ferois point jaloufe , cela
me prouveroit que nous
n'eftions pas deftinez l'un
pour l'autre. A peine
cette converfation fut- elle
finié , qu'on entendit de
GALANT. 225
loin le bruit de la chaffe ,
la fauffe Bouladabas eut
à peine le temps de ſe parer , que Zaczer parut
feul , percer le bois avec
impatience pour venir
joindre les filles. Elles
coururent toutes au devant de luy , & la fauſſe
Bouladabas reſta ſur un
fiege de verdure & de
fleurs , accompagnée de
la veritable , qu'on annonça à Zaczer comme
une parente de Boulada-
226 MERCURE
bas dont elle s'eftoit fait
accompagner. La fauffe
Bouladabas fe leva à l'arrivée de Zaczer , qui tout
plein de fa beauté divine
&imaginaire , accouroit
avec ardeur ; mais cette
ardeur fut bien rallentie
quand il vit une perfonne
qui n'eftoit en effet que
mediocrement belle , &
qui luy parut encore fort
au deffous de ce qu'elle
eftoit ; il refta immobile
&prefque muet, l'amour
GALANT. 227
de Bouladabas fut encore
plus refroidi que le fien ,
car Zaczer , comme nous
avons dit. ,
n'avoit pas
pour luy le premier abord ; toutes les graces
qui euffent pûanimer fon
vilage eftoient effacées
par la froideur & la furprife dont il avoit eſté
frappé : en un mot Bouladabas , bien loin de le
trouver aimable , ne fongea qu'à abbreger l'entreveue, & fit fouvenir la
228 MERCURE
fauſſe Bouladabas qu'il
falloit retourner au plus
viſte , de peur qu'on ne
s'apperceuſt au Palais de
fon Pere qu'elle en eſtoit
fortie ; on parla de ſe ſeparer , & Zaczer ne s'en
plaignit que par politeſſe.
Dansce moment les filles
de Bouladabas connurent
le tort qu'ils avoient eu
de prévenir ces Amants
trop
P'un
avantageuſement
pour l'autre ; car felon toutes les apparences
GALANT. 229
fi Zaczer avoit veu Bouladabas naturellement
d'abord en Princeſſe, leur
amour ſe fuſt peut - eſtre
efteint tout-à- fait , au
lieu que comme vous allez voir , la froideur de
cette premiere entreveuë
ne fervit qu'à rallumer
plus vivement un fond
d'amour qu'ils avoient
réellement pour le merite
l'un de l'autre.
Dans le temps que les
compliments de ſepara-
230 MERCURE
tion fe faifoient , Zaczer
qui avoit eu preſque tousjours les yeux baiffez ,
les jetta fur Bouladabas ;
& fon imagination n'eſtant plus occupée d'aucune fauffe image , la
beautéde Bouladabas s'en
empara , le premier coup
d'oeil le frappa fi vive
ment, que fa phifionomie
en fut ranimée , & Bou
ladabas qui s'apperçut
qu'elle plaifoit , commença à le trouver moins
GALANT 231 4
1
choquant , elle cuft bien
voulu refter encore , mais
Zaczer partit bruſquement,"& Bouladabas s'en
retourna avec fes filles.
La raiſon qui fit partir
Zaczer fi brufquement ,
fut une raifon de delicateffe & de conftance.
orientale , il craignit que
celle qu'il ne croyoit qu'
une parente de Bouladabas , ne luy pluſt trop ,
& ne s'eftant pas encore
apperceu qu'il l'aimoit
232 MERCURE
désja , il vouloit conferver l'amour qui luy ref
toit pour le merite de
Bouladabas , dont il ne
pouvoit douter , parce
qu'il eftoit conneu dans
toute la Perfe , & ce
>
jeune Prince qui s'eſtoit
dévoué hautement à cette Princeffe , avant que
de l'avoir veuë , voulant
fouftenir par honneur
le party qu'il avoit prit
revint le lendemain à
la fontaine , où la Princeffe
GALANT. 233
ceffe devoit revenir , il
s'imaginoit craindre d'y
retrouver fa parente
mais dans le fond du
cœur il n'y venoit que
pour elle , & il eut une
joye fecrette , lorſque
Bouladabas fous le nom
de parente parut fans
la Princeffe , qui l'avoit
chargée luy difoit- elle de:
venir luy témoigner la
douleur qu'elle avoit de
n'avoir pu s'y trouver
ce jour- là , Zaczer luy
Octobre. 1712 Y
234 MERCURE
répondit d'un air tres
content , qu'il en eftoit
fafché , & elle luy dit
que Bouladabas l'avoit
chargée de venir luy
parler d'elle le plus
long- temps qu'elle pourroit cette converfation
fut longue , & Zaczer
ne la pouvoit finir ; elle
roula toutefur la conftance , & Bouladabas le
mettoit exprés fur ce fujet , pour connoître s'il
en eftoit capable. Zac-
GALANT. 235
zer eut, tant de pouvoir,
fur luy- mefme dans cette
entreveuë , que jamais il
ne luy eſchapa aucun
mot qui luy marquaft fon
amour , au contraire , il
juroit qu'il feroit toufjours fidelle à Bouladabas , mais en jurant fidelité à celle qu'il croyoit ne
pas voir, il foupiroit pour
celle qu'il voyoit : quel
plaifir pour Bouladabas
de fe voir ainfi doublement aimée. Celjeu
L3
V ij
236 MERCURE
continua quelques jours ,
& la Princeffe ne paroiffant point , Bouladabas
pouffa l'épreuve de la conftance de Zaczer jufqu'à
luy declarer qu'elle l'aimoit ; & qu'eftant auffi
grande Princeffe que fa
parente, &beaucoup plus
riche , il auroit dû penſer
à l'époufer. Que ne ſouffrit point Zaczer dans cet
te épreuve , il alloit peut-
}
eftre fuccomber : mais
Bouladabas craignant de
"
GALANT. 237
pour tousle voir infidelle, le prévint
par un dépit & un adieu
qu'elle luy dit
jours ; & fans luy donner
le temps de luy répondre,
elle luy dit ſeulement que
Bouladabas viendroit elle- mefme le lendemain
pour le recompenfer defa
conſtance.
Zaczerrefta au mefme
endroit où on l'avoit laiffé , fans avoir la force ni
de parler ni de ſe ſouſtenir , & fe laiffa tomber
238 MERCURE
fur un gazon où il feroit
refté long-temps , fi fes
gens ne fuſſent venus le
joindre : il fe trouva mal
& on l'emporta chez luy,
où il paſſa la nuit dans un
eftat fi violent qu'il prit
le party de ne fe jamais
marier , ne voulant pas
3
donner à Bouladabas un
coeur fi rempli d'amour
pour une autre , ni épou¬
fer cette autre en manquant de fidelité à Boula
dabas min 51 38
GALANT. 239
Le lendemain , Zaczer.
feur de trouver Boulada--
bas au rendez- vous , y retourna à deffein de luy
avoüer de bonne foy les
raifon's qu'il avoit de ne
jamais voir ni elle ni fa
parente. Quel fpectacles
pourluy ! lorfque le lendomain la Princeffe parut
de loin magnifiquement
parée, avec plufieurs Maures qui la portoient ſur un
Palanquin de fleurs , entourée d'un grand nom
240 MERCURE
bre de filles tenant des
guirlandes , & de quantité de petits enfants repreſentants les Amours ;
en un mot avec tout l'appareil d'uneFeſte galante,
qui a pourbutle mariage.
Plufieurs Cavaliers parez
comme pour un Tournoy fe détacherent de la
Troupe; &le pere deBouladabas à leur tefte vint
offrir fa fille à Zaczer , qui
eftoit preſt à la refuſer &
àfuir. Lorfquevoyant de
plus
GALANT. 241
plus près la Princeffe qui
s'avançoit , il vit à ſa place celle dont il eftoit fi
amoureux. Quelle fut fa
furpriſe je croy qu'une
peinture de tout ce quife
paſſa en ce moment , ne
feroit qu'affoiblir celle
que chacun s'en peut faire. Bouladabas dit à Zaccer quefon pere avoit eſté
touché de fa conſtance ,
& avoit voulu venir la
couronner luy - meſme ,
les noces fe celebrerent
Octobre.
1712. X
242 MERCURE
peu après , & au bout
de neuf mois fortit de ce
mariage le fameux Roftam furnommé Oaſtam
le plus vaillant guerrier
que les Perfans ayent jamais eu , & qui fert encore aujourd'huy de modelle à tous les grands
hommes de l'Orient
Fermer
Résumé : HISTOIRE de Zaczer & de Bouladabas.
L'histoire narre les amours entre Zaccher, fils du prince persan Sam, et Bouladabas, fille du gouverneur Mecherab du Kallestan. Zaccher, de retour d'une chasse, est captivé par les qualités de Bouladabas, dont il entend parler par son gouverneur. Les servantes de Bouladabas, envoyées cueillir des fleurs, rencontrent Zaccher et lui vantent les mérites de leur maîtresse, éveillant ainsi son intérêt. Les deux amants, sans se connaître, développent une passion basée sur des descriptions idéalisées. Bouladabas, craignant de ne pas correspondre à l'image que Zaccher s'est faite d'elle, envoie une de ses servantes se faire passer pour elle lors de leur première rencontre. Cette ruse échoue, car Zaccher est déçu par la fausse Bouladabas. Cependant, lors d'une seconde rencontre, Zaccher découvre la véritable Bouladabas et en tombe amoureux. Bouladabas, de son côté, apprécie Zaccher après avoir observé sa constance. Leur amour est mis à l'épreuve par des séparations et des malentendus. Malgré ces obstacles, ils finissent par se marier. Leur union donne naissance à Rostam, un célèbre guerrier persan.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
8
p. 168-231
HISTOIRE.
Début :
On m'a conté une Avanture du Carnaval, qui vous [...]
Mots clefs :
Cavalier, Financier, Amour, Fortune, Engagement, Mariage, Obstacle, Conversation, Billet, Carnaval
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE.
HISTOIRE.
ON m'a conté une Avanture
du Carnaval , qui
vous fera voir que le
ve
ritable amour n'eft point
volontaire . Une Veuve
tres - bien faite , n'ayant
point d'Enfans , & eftant
encore dans ſes plus belles
années , joüiffoit avec
plaifir de la liberté que
luy donnoit le Veuvage.
Parmy ceux qui la voyoient
, un Cavalier d'un
fort
GALANT. 169
fort grand mérite , luy
rendoit des foins affez
affidus . Il avoit beaucoup
d'efprit , & fortoit d'une
Maiſon qu'une ancienne
Nobleffe égaloit aux plus
illuftres. La Dame , à qui
fon attachement eftoit
gloricùx , ſe fit un honneur
d'entreprendre fa
conquefte ; & pour ne la
manquer pas , elle cut
pour luy des manieres
engageantes
, qui luy firent
prendre un com-
Fanvier 1713 .
P
170 MERCURE
mencement d'amour. Il
luy conta des douceurs ,
luy dit cent fois qu'elle
eftoit aimable ; & le plaifir
de la voir luy eſtant :
fenfible , il crut l'aimer
tout de bon , & fans prendre
foin de bien connoiftre
fon coeur , il l'abandonna
à un penchant indifcret
qui l'obligea enfin
de fe déclarer. Cette
déclaration
fut receue
avec plaifir. On la fouhaittoit
depuis longGALANT
. 171 :
temps , & le Cavalier
plaiſant
à la Dame , l'affaire
euft efté prompte-
:
ment concluë
, fans l'obftacle
d'un vieil Oncle
dont il heritoit , & qui
s'eftoit mis en tefte de le
marier à fa fantaiſie. Cet
Oncle eftoit un Gentilhomme
d'Anjou , qui
pour retenir le Cavalier.
dans fon voifinage , taf
choit de luy ménager un
Party fort riche . La Demoiſelle
qu'il euft bien :
A
P ij
172 MERCURE
voulu luy faire époufer ,
n'avoit pas encore treize
ans. Elle eftoit laide
donnoit peu de marques
d'avoir un jour de l'efprit
, & tout fon mérite
eftant dans fon Bien , ce
feul avantage ne pouvoit
fuffire au Cavalier ,
pour qui la beauté eſtoit
un grand charme. Il dit
à la Dame qu'elle devoit
peu s'inquiéter d'une recherche
que l'on faifoit
malgré luy , & dans laGALANT.
73
quelle quantité de Concurrens
le traverſoient.
Il fut réfolu
, que pour
empefcher qu'elle n'euft
des fuites , il fe rendroit
auprés du vieil Oncle, &
que fans luy découvrir
qu'il cuft de l'engagement
, il le prieroit de le
laiffer libre dans le choix
d'une Maiftreffe . Il fit ce
voyage , & négocia fi
bien , que les Parens de
la Demoiſelle diférant
toûjours à s'expliquer
Piij
174 MERCURE
afin d'avoir à choisir entre
plus de Prétendans ,
le vieil Oncle luy permit
de fe marier felon
fon coeur. Il le quitta ,
fort ravi de ce fuccés:
fans luy avoir parlé de
la Dame , & à fon retour
il alla coucher chez un
Gentilhomme de fes
Amis , qui faifoit ſon ordinaire
fejour dans une
fort belle Terre à dix ou
douze lieues de Paris. Le
Gentilhomme le retint le
GALANT. 175
lendemain , & pour l'obliger
à ne point partir ,
il le pria d'un Soupé qu'il
donnoit ce jour - là mẹfme
à une fort belle Compagnie
, l'affurant qu'il
verroit des Dames d'un
affez bon air , & entr'autres
une tres aimable Parifienne
, en faveur de qui
il ne vouloit point le prévenir.
L'Aſſemblée eftoit
de dix ou douze Perfonnes
, de l'un & de l'autre
fexe . La Belle , dont
Piiij
176 MERCURE
le
Gentilhomme luy
avoit parlé , s'y trouva
avec fa Mere. C'eftoit
une grande Brune , dont
tous les traits eftoient
animez , & qui brilloit
d'un éclat que les plus indifferens
ne
fouftenoient
qu'avec
peine . Son ef
prit refpondoit
à ſa beauté.
Elle l'avoit délicat
& vif , & tant d'agrément
eftoit joint à fes
manieres , qu'elle ne difoit
ni ne faifoit rien qui
GALANT. 177
ne donnaft lieu de l'admirer.
Le Cavalier qui
avoit beaucoup d'uſage
du monde , trouva mo
yen d'entrer avec elle
dans une maniere de
converfation galante ; &
fi fa perfonne luy avoit
d'abord paru toute aimable
, il fut charmé de
fon entretien . Elle parloit
finement , & ſes reponfes
à ce qu'on luy
difoit d'obligeant , ef
toient accompagnées de
178 MERCURE
certains
regards qui pe
nétroient
juſqu'au
coeur,
Tant que dura le Soupé
, il eut les yeux attachez
fur elle ; & quand
il fut ſeul avec ſon Amy,
il ne luy put parler d'autre
choſe. Comme
il
il avoit fçu fon nom , il
luy demanda
dans quel
Quartier elle logeoit à
Paris ; fi elle y feroit
bientoft de retour , & fi
fa Famille eftoit fort confidérable.
Son Amy qui
GALANT . 179
remarqua fon empreffement
à s'informer d'elle ,
luy dit en riant
prift garde à luy , que la
Demoiſelle
eftoit dangereufe
, & qu'il devoit
› qu'il
bien fe confulter avant
que chercher à la mieux
connoiftre . Il adjouſta
qu'elle paffoit ordinairement
tout l'Eté à la
Campagne , qu'elle ef
toit d'une Maiſon plus
noble que riche › que
s'il l'alloit voir on le re180
MERCURE
cevroit la premiere fois
avec beaucoup de civilité
, mais qu'aſſurément
on l'obligeroit de s'expliquer
dés la feconde vifite,
fa Mere vivant dans
la plus exacte régularité ,
& s'alarmant auffi- tost
de la veuë d'un Homme
, qui rendoit des foins
fans parler de Mariage .
Le Cavalier refva un
moment , & ne voulut
plus fçavoir où logeoit
la Belle. Il partit le jour
GALANT: 181
fuivant , & quoy qu'il
puft faire pour bannir
l'image qu'il en conſervoit
, il n'en fceut venir
à bout. Cette charmante
Perfonne luy eftoit toufjours
préfente , & il rêntra
à Paris l'efprit remply
d'elle. La Dame
pour qui il avoit fait
ce voyage , fçavoit à peu
prés jour de fon arriv
ée , & comme en le
revoyant elle avoit lieu
d'attendre de luy de
182 MERCURE
grandes marques de
joye , il fe trouvoit fort
embaraſſé de ne pouvoir
fe montrer à elle qu'avec
un eſprit diftrait . Il alla
la voir fi toft qu'il fut de .
retour , & fans trop fçavoir
pourquoy
,
cacha qu'il eut gagné
le vieil Oncle , & fe contenta
de dire qu'ayant
commencé de l'ébranler,
il avoit laiffé auprés de
luy des Gens qui feroient
le refte. Il gagnoit du
il
luy
GALANT . 183
temps par là , & fi quelquefois
il luy efchapoit
quelque refverie , il s'en
excufoit fur les nouvelles
qu'il difoit avoir receues
moins favorables
que fa paffion ne ſe les
eftoit promifes. Cependant
par la maniere dont
fon coeur eftoit touché ,
pour avoir veu une ſeule
fois la belle Brune , il
ouvrit les yeux fur le
faux amour qu'il avoit
pris pour la Dame , &
184 MERCURE
ne fentant point pour
elle la force de ce panchant
, qui l'entraifnoit
malgré luy vers l'autre
il commença
de trembler
de l'engagement où
il s'eſtoit mis . La Dam
qui s'ennuyoit du retardement
, luy dit plufieurs
fois qu'elle avoit
du Bien pour lui , &
elle , & que l'intéreſt
n'ayant point de
part à fon amour , elle
eftoit preſte à lui en donpour
elle
ner
GALANT. 185 .
ner des preuves fenfibles,
en l'époufant fans l'aveu
de l'Oncle. Le Cavalier
oppofoit tousjours que
ce feroit renoncer à une
importante Succeffion ,
& qu'il valoit mieux fe
contraindre encore pendant
quelque temps , que
de s'expoſer
à faire une
pertè fi confiderable
. La
belle faifon finit , & le
Cavalier , guéry enfin
par le temps d'une idée
flateufe qui l'avoit trop
Tanvier
1713. Q
186 MERCURE
occupé , fe préparoit à
dire à la Dame que fon
amour n'avoit plus d'obftacle
, lors qu'eftantvenu
un matin chez elle , il vit
entrer tout d'un coup
une Perfonne affez né
gligée , qui la courant
embraffer , en fut embraffée
de mefme avec
de fort tendres marques
d'une amitié réciproque
.
C'eftoit juſtement la bel
le Brune , qui eftant arrivée
de la Campagne
le
GALANT. 187
föir précedent , avoit
voulu la furprendre fans
luy faire faire aucun meſfage.
Elle demeuroit dans
fa mefme rue , & ce voi,
finage avoit donné lieu à
leur amitié. Jugez de l'étonnement
du Cavalier ,
quifrappéencore plus vi
vement par cette feconde
yeuë , eut de la peine à
cacher fon trouble. Il fit
compliment à cette belle
Perfonne ; & de la maniere
qu'il le fit, la Dame
Q ij
188 MERCURE
connut que ce n'eftoit
pas la premiere fois qu'ils
fe voyoient. Elle apprit
la rencontre du Soupé ,
& dit au Cavalier en
riant , que comme il verroit
ſouvent fon Amie
chez elle , c'eſtoit à luy à
ſe munir de fidelité pour
fe fauver de fes charmes .
On plaifanta là - deffus
& la converfation devint
tres- fpirituelle . Le Cavalier
qui reprit foudain
fon premier feu , réfolur
GALANT. 189
plus que jamais de faire
valoir l'obftacle de l'Oncle.
Rompre avec la Da
me , fe faire aimer de la
Belle , & obtenir l'une
fans ſe la voir diſputer
par l'autre, c'eſtoient des
chofes qui luy paroif
foient comme impoffi
bles ; mais il aimoit }
& quelques difficultez
qu'on ait à combatre , il
pour
fe
fuffit qu'on aime
mettre en tefte que l'on
peut furmonter tout!
190 MERCURE
L'affiduité qu'il avoit de
puis long - temps auprés
de la Dame , luy donnoit
occafion de fe rencontrer
chez elle dans les heures
que la Belle choififfoit
pour la venir voir . Il en
manqua peu , & s'obfer
va avec tant de foin , que
s'il tâchoit de luy paroiftre
agreable , c'eftoitfeu
lement par un enjoüe→
ment d'efprit , auquel il
fembloit que le coeur
n'euft point de part. L
GALANT . 191
faifoit des Vers . La Belle
en faifoit auffi d'affez naturels
; & comme il luy
en donnoit devant la
Dame , qui marquoient
avec des expreſſions trespaſſionnées
, combien il
tiroit de gloire du choix
qu'il avoit fait pour ai
mer , elle ne faifoit aucune
façon d'en apporter
d'autres quelques jours
aprés , qui l'exhortoient
à eftre fidelle à la Perfonne
du monde qui meri192
MERCURE
toit le mieux d'eftre aimée.
Tous les Vers du
Cavalier eftant faits d'u
ne maniere qui les faiſoit
appliquer à l'engagement
qu'il avoit avec la
Dame , elle n'eut aucun
foupçon de cejeu d'efprit
qui fe pratiquoit ouvertement
, & qui paroiffoit
tourner à fon avantage.
Ce fut par là cependant
que le Cavalier vint
à bout de fon deffein . Un
jour que la Dame l'avoit
laiffé
GALANT. 193
>
laiffé feul avec la Belle
il luy dit , en luy jettant
des regards tout pleins
d'amour,qu'il faifoit parfaitement
, ce que fes
Vers luy faifoient connoiftre
qu'elle fouhaitoit
qu'il fit ; c'eſt- à dire qu'il
aimoit
tousjours de plus
en plus la belle Perfonne
pour qui les fiens eftoient
faits. La Belle luy répondit
que fon Amie eftoit
trop aimable
pour n'inf
pirer pas la plus forte
Fanvier 1713. R
194 MERCURE
paffion ; & fur ce qu'il
adjouſta qu'il ne ſe tiendroit
heureux , que quand
fes Vers luy plairoient ,
faits pour une autre que
fon Amie , elle rougit,
demeura embaraſſée,
& quelque effort qu'elle
pour
fit
pour
cacher fon trouble
en détournant
le difcours
, il s'aperceut
aiſément
qu'elle eftoit entrée
dans ce qu'il avoit voulu
luy faire entendre , &
eut grande joye d'avoir
GALANT . 195
fait ce
premier pas. La
Dame rentra , & le Cavalier
demeura fort enjoüé.
Il fit d'autres Vers.
La Belley répondit à fon
ordinaire , & les confeils
qu'elle luy donnoit d'augmentet
tousjours ſa paſfion
, luy faiſant croire
qu'elle confentoit à eſtre
aimée , il réfolut de fe déclarer
fans aucun détour,
& profita pour cela des
moindres
occafions qu'il
cut de luy parler feul,
Rij
196 MERCURE
La Belle le traita d'extravagant
; mais quoy qu'elle
fit des plaifanteries de
tout ce qu'il luy diſoit de
paffionné , elle l'écoutoit
quoy qu'il vouluſt dire ';
ou fi quelquefois la bienféance
l'obligeoit à prendre
fon férieux , en mefme
temps qu'elle luy peignoit
la honte que fon infidelité
luy attireroit , la
douceur de fes regards
l'invitoit fecretement à
eftre infidelle, Comme
GALANT. 197
des
jamais il n'avoit
momens
à l'entretenir
, il
que
ne pouvoit s'expliquer
affez pour luy ofter ſes
fcrupules ; mais c'eftoit
tousjours beaucoup pour
fuy , qu'elle connuſt les
fentimens de fon coeur.
& qu'elle en fift un ſecret
à fon Amie. Tandis
que fa paffion prenoit
d'agreables efpérances
il arriva une choſe qui
luy fit croire que tout
confpiroit à le rendre
,
R iij
198 MERCURE
20
9: heureux. Un Financier ,
Favory de la Fortune ,
& qui fans aucun mérite
eftoit parvenu à de
grands Biens , ayant veu
la Dame en quelque lieu ,
fe laiffa piquer de fon
agrément , & ne doutant
point que le brillant de
fon or n'euft dequoy
charmer les plus délicates
, il la vint voir dés le
lendemain , & débuta
par le mariage. Il n'aimoit
point à languir , &
THEQUE
BEE
GALANT. 12
prompte déclar
une fi
tion luy épargnoit des
cerémonies d'Amant qui
YON
DE
LA
VILLE
n'eftoient point de fon
caractere.Quoy que la
Dame fuft fort incapable
d'eftre
ébloüye par le
Bien , elle crût que fes
affaires n'en iroient que
mieux , fi le Cavalier
craignoit de la perdre ;
& dans cette veuë , elle
répondit avec beaucoup
de reconnoiffance à la déclaration
du Financier ,
R iiij
100
MERCURE
& le pria feulement de
luy accorder un mois ,
pendant lequel ils fe connoiftroient
l'un l'autre.
Leterme eftoit long pour
luy . Il vouloit conclure ;
& fi la Dame l'euft crû ,
deux jours auroient terminé
la chofe . Il falut
pourtant qu'il s'accommodaft
du retardement
.
Elle conta l'avanture au
Cavalier , & la crainte
qu'il devoit avoir d'un
Rival fi
redoutable , ne
GALANT. 201
luy donna point plus
d'empreffement pour l'époufer.
Il dit à la Dame,
que plus la Fortune la
favorifoit , plus il fe
croyoit indigne qu'elle y
renonçaft pour luy , s'il
ne s'affuroit la Succeffion
de l'Oncle ; que cet Oncle
refuſoit tousjours de
s'expliquer , & qu'il falloit
attendre fa mort , qui
ne pouvoit qu'eftre proche
ou que fes Amis
euffent obtenu le confen
402 MERCURE
tement qu'il luy faifoit
demander. Il cruft la rebuter
par cette réponſe ,
& elle de fon cofté demeura
perfuadée qu'en
voyant fouvent le Financier
, elle le rendroit jaloux
, & que craignant
qu'elle ne changeaft ,
égards
il cefferoit d'avoir les
qui
choient de conclure Ainfi
elle fit tousjours bon
vifage au Financier
quoy que fes manieres
>
l'empefGALANT.
203
luy dépluffent ; & le Cavalier
par politique , luy
témoignoit quelquefois
qu'il en eftoit alarmé.
Elle répondoit qu'il avoit
fujet de l'eftre , que les
Femmes n'eftoient pas
tousjours conftantes , &
qu'un Financier qui offroit
toute forte d'avantages
, eftoit un Rival à
craindre. Le Cavalier ñe
fouhaitant rien plus ardemment
que de le voir
infidelle , luy diſoit en
204 MERCURE
ſoûpirant , que s'il arrivoit
que fon Rival fuft
heureux , il ne ſe plaindroitque
de fon malheur.
Pendant ce temps , le Financier
vit la belle Bru
ne. Comme elle plaifoit
à tout le monde , il ne
faut pas s'eftonner fi elle
luy plut. Il apprit qui
elle eftoit , & dit à la
Dame fort naïvement
qu'il eftoit fafché de ne
l'avoir pas connuë avant
elle ; qu'ayant tres - peu
GALANT. 205
de fortune , elle auroit
fur l'heure conſenti à l'efpoufer
, & n'euft pas mis
fon amour à une filongue
efpreuve. Cela luy
donnoit un nouveau prétexte
de preffer la Dame,
qui aprés pluſieurs remifes
eftoit fort embaraffée
de fe voir enfin dans les
derniers jours du Carnaval.
Le Financier prenoit
pour affront qu'elle prétendit
le faire encore attendre
aprés Pafques ; &
206 MERCURE
comme le temps qu'il
avoit efté contraint de
luy accorder , étoit expiré
depuis plus de quinze
jours , il vouloit abfolument
terminer ou
rompre
. Les chofes
eftoient
en cet eftat, quand
le Cavalier flaté des marques
d'estime qu'il rece,
voit de la belle Brune ,
crut qu'il y alloit de tout
fon bonheur de s'expliquer
avec elle plus pré:
cifément qu'il n'avoit
GALANT . 207
fait . Il l'attendit à l'Egli .
fe, d'où il revint plufieurs
fois fans luy parler , parce
qu'elle accompagnoit
fa Mere ; & enfin l'ayant
un jour trouvée feule , il
l'arrefta dans le temps
qu'elle en fortoit. La
Belle , à qui les occafions
de l'efcouter n'eftoient
pas tousjours préfentes ,
receut affez agreablement
tout ce qu'il luy dit
de fon amour ; & commeil
la preffoit de ſe dé208
MERCURE
clarer , elle répondit que
lors qu'il feroit fans engagement,
il n'auroit pas
lieu de fe plaindre d'elle.
L'inquiétude qu'elle fit
paroiftre d'eftre dans un
Lieu où elle pouvoit eſtre
obfervée , l'obligea de la
prier de luy en marquer
un autre , où il puſt en
liberté luy faire connoiftre
qu'elle n'avoit rien à
craindre d'un engagement
qui eftoit preſt de
finir. Elle ne luy fit aucune
GALANT . 209
cune réponſe , ſon Amie
ayant paru dans le mefme
temps. Elle venoit à
l'Eglife , & les avoit apperceus
de loin. L'action
avec laquelle
ils parloient
, luy ayant eſté
fufpecte , elle fut furpri
fe , quand elle aborda
la Belle , de la voir embaraffée.
Elle feignit de
ne le point remarquer ,
& aprés quelques paroles
des plus obligeantes ,
elle la quitta , & donna
Fanvier 1-13.
S
210 MERCURE
la main au Cavalier. Ils
entrerent à l'Eglife , &
la Belle alla chez elle . La
Dame eut déslors quelque
foupçon de l'amour
du Cavalier , & l'impatience
de s'en éclaircir ne
luy coufta pas de longues
peines , puifque le
hazard la fatisfit dés le
lendemain
. Elle régaloit
le foir une belle Compagnie
; & le Cavalier
qui s'eftoit rendu chez
elle avant tous les autres ,
,
GALANT. 211
laiffa tomber un Billet.
Elle mit le pied deſſus
fans qu'il y prift garde ,
& fe baiffantcomme pour
remedier à un Soulier
qui l'incommodoit , elle
s'en faifit adroitement.
& l'alla lire fi-toft qu'il
fut venu d'autre monde,
Elle reconnut foudain
l'écriture de la Belle. Le
Billet portoit , que s'il
vouloit continuer la converfation
dans laquelle
ils avoient efté interrom-
S ij
212 MERCURE
pus le jour précedent , il
pouvoit fe rendre fur les
onze heures du foir chez
Madame la Marquiſe de..
à qui on donnoit le Bal ;
que cette Maiſon eſtant
tres- voifine , elle y viendroit
en Egyptienne , &
qu'il pourroit luy faire
connoiftre s'il eftoit vray
que fa bonne fortune dépendiſt
d'elle. La lecture
de ce Billet convainquit
la Dame de l'intelligence
du Cavalier & de fon
GALANT . 213
Amie. Pour mieux fçavoir
jufqu'où elle alloit ,
elle fongea auffi - toſt à
prendre la place , ne dou
tant point que l'amourne
rendift le Cavalier dili
gent , & qu'elle ne puft
prévenir la Belle , en ve
nant au lieu marqué avant
l'heure qu'elle luy a
voit donné. Elles eftoient
toutes deux de la mefme
taille , & fous un mafque
, elle pouvoit déguifer
fa voix. Ce deffein ef
214 MERCURE
tant formé , elle donna
ordre à fa Suivante , de
luy tenir preſt un Habit
d'Egyptienne , & vint
retrouver la Compagnie
dans un enjoüement qui
ne pouvoit mieux cacher
qu'elle euft quelque chofe
en tefte . On foupa , &
incontinent aprés , elle
propofa diverfes tables de
Jeu. Elle fe mit d'une partie
d'Hombre; & leCavalier
qui avoit prié qu'on
le difpenfaft d'en eftre ,
1
GALANT . 215
fe retira dans le mefme
temps qu'il luy vit tenir
des Cartes. La Dame n'en
perdit point. Elle obligea
une Amie de prendre fon
Jeu pendant une heure ,
& eftant montée dans
fon Cabinet , elle s'habilla
fort
promptement
, &
courut au rendez - vous .
Elle eut bien- toft apperçeu
le Cavalier , qui
dans fon impatience obfervoit
tous les Maſques
qui entroient , & qui
216 MERCURE
voyant une Egyptienne ,
fut aifément trompé par
fa taille. Elle luy dit , en
le tirant un peu à l'écart ,
que fa ponctualité luy
devoit faire connoiftre
combien elle avoit trou
vé de charmes dans la
converfation qu'elle venoit
luy donner moyen
de pourfuivre. Les remercimens
du Cavalier furent
meflez de mille affurances
du plus tendre amour
, & aprés qu'il en
eur
GALANT. 217
cut exageré toute la force
, il luy dit qu'elle devoit
avoit l'efprit en repos
fur les reproches qui
lui
paroiffoient à craindre
du cofté de fon .
Amie ; qu'eftant réfolu
de ne
l'efpoufer jamais ,
il s'en
défendoit depuis
plus de quatre mois , fur
le prétendu obftacle d'un
Oncle qui ne lui cauſoit
aucun
embarras ; que rebutée
des
longueurs de
cet obftacle
Fanvier 1713 .
elle avoit
T
418 MERCURE
prefté l'oreille à un Financier
, dont le grand
Bien commençoit
à l'ébloüir
qu'il fe conduiroit
de fortequ'il l'obligeroit
enfin à ne pas laiffer
efchaper une fi grande
fortune ; & que quand
le Financier l'auroit efpoufée
, rien ne s'oppo
fant à leur amour , il leur
feroit fort aifé de le faire
réuffir , fans que l'un ny
l'autre en receuffent aus
cun blâme. La Dame
GALANT. (-119
feignit d'eftre fort contente
, & dit que pour
veu qu'il fuft conftant ,
elle voyoit tout à efperers
mais qu'il prift bien garde...
Il ne fouffrit point
"
qu'elle achevaft , & mille
fermens qui luy firent
voir la plus violente paffion
, furent la fin de cet
entretien
. La Dame parlant
tousjours au nom de
la Belle , témoigna craindre
que fa Mere qu'elle
-diſoit avoir laiffée endor-
Tij
240 MERCURE
mie , ne la demandaſt fi
elle venoit à s'éveiller ,
& elle fe hafta de fortir
fous ce prétexte. Le Ca-
-valier voulut la condui
re ; mais elle ufa d'une
autorité fi abfoluë pour
le faire demeurer , qu'il
fut contraint de luy
obeïr. Il refta peu dans
cette Aflemblée , & alla
chez luy refver en repos
à fon bonheur. La Belle
n'eftant venue qu'à minuit
, parce que fa Mere
GALANT. 12 #
s'eftoit couchée tard , l'at
tendit jufqu'à une heure,
& s'en retourna pleine
de dépit qu'il euft fäit ſi
peu de cas du feul rendez-
vous qu'il avoit eu
d'elle. Ce que je viens de
yous dire arriva le Jeudy
gras. Le lendemain , le
foin de la Dame fut d'e
•
xécuter ce qu'elle avoit
médité toute la nuit . Le
Financier vint la voir ; &
la preffa , comme il avoit
déja fait plus d'une fois ,
Tiij
22 MERCURE
de luy déclarer détermi
nement ce qu'elle avoit
réfolu de faire. Quelque
Bien qu'il euft , elle ne
balançoit point à demeurer
tousjours Veuve
plutoft que de faire un
choix qui gefnaft ſon
coeur , mais le Financier
luy eftoit utile pour la
yangeance qu'elle s'eſtoit
propolée. Elle connoiffoit
fon foible , & le
.
yoyant
dans l'enteſte
..
ment de ſe marier
avant
GALANT. 223
le Carefme , elle affecta
une bonne foy dont il
n'avoit aucun intéreſt à
développer
la caufe,
Aprés lui avoir marqué
grande paffion de le voit
tousjours de fes Amis
elle luy dit qu'elle avoit
tafché de rompre un engagement
fecret que le
Cavalier & elle avoient
pris enfemble , & què
n'en pouvant
venir à
4
bout , elle le prioit , puis
qu'il eftoit impoffible
Tiiij
124 MERCURE
qu'elle fe donnaft à lui ;.
de vouloir bien eſpouſer
une autre elle- mefme ;
qu'il connoiffoit fon Ame
; qu'elle eftoit tresbelle
, avoit mille bonnes
qualitez , & qu'en failant
la fortune d'une Fille de
naiffance , il trouvoit &
moyen de fe rendre heu
reux. Le Financier , dont
les yeux régloient l'amour
, n'eut aucune per
ne à confentir à l'échange.
Il répondit que la.
GALANT. 223
a
Demoiſelle luy plaifoit
affez , mais qu'il ne vou
doit donner aucune paro
le , à moins qu'on ne
Faffuraft que le Mariage
fe feroit en vingt- quatre
heures. La Dame qui ne
fouhaitoit rien tant que
la promptitude , fe chargea
du foin de cette affaire
, & luy demanda
le refte du jour pour la
propofer à la Mere de la
Belle. Jamais propofition
ne pouvoit donner plus :
226 MERCURE
de joye à cette Meré . II
fut arrefté qu'on garderoit
le fecret , & que 122
Fille elle mefme n'apren--
droit rien de ce Mariage
,
que dans le moment qu'il
faudroit qu'elle fignaft.
Le jour fuivant , qui ef
toit le Samedi , la Dame
amena le Financier chez
la Mere. Il l'entretint en
particuliers Le Notaire :
vint , & l'on fit alors fçavoir
à la Belle pourquoy
onl'avoit mandé . Le ton
GALANT . 227
abfolu dont fa Mere luy
parla , la haute fortune
que lui affuroit ce Maria!
ge , & le fujet qu'elle
croyoit avoir de fe plain
dre des mépris du Cava
lier , tout cela lui fit une
impreffion fi forte , qu'el
le figna comme on le
voulut. Le Financier
plein de joie , alla donner
ordre aux Bans , &
en fit publier un le lendemain
à la grande Mef
fe , aprés laquelle on les
28 MERCURE
maria . La Cerémonie ver
noit d'eftre faite , quand
le Cavalier entra dans
l'Eglife . Il connut bientoft
par l'empreffement
des Curieux , qu'il y
avoit une Mariće ; & en
tendant dire qu'elle eftoit
de qualité , il s'avança
pour la voir. Quel coup
de foudre quand il remarqua
la Belle ! Il fit
un cry qui furprit tous
ceux qui l'entendirent .
La Dame , qui eftoit du
n..
GALANT. 229
Mariage , tourna la teſte
vers luy , & fe fépara de
la Compagnie
, pour fe
donner le plaifir d'aller
infulter à fa douleur.
Ah , Madame , qu'ay-je
veu , lui dit- il tout conf-
-terné ? Sa réponſe fut
qu'elle eftoit contente ,
puis que le chagrin où il
eſtoit luy faifoit connoiftre
que rien ne manquoit
-à fa vangeance. Alors
elle luy parla du Billet
trouvé , de fon Perfon-
*
250 MERCURE
#
nage d'Egyptienne , du
bonheur qu'elle avoit eu
de marier promptement
la Belle ; & aprés luy
avoir dit qu'il pouvoit
donner fon coeur fans
appréhender qu'elle y
miſt obſtacle , elle le quita
, en luy défendant de
la voir jamais. Il demeura
abîmé dans fa douleur,
& le defefpoir d'avoir
perdu par fon imprudence
la feule perfonne qu'il
fe fentoit capable d'aiGALANT
. 431
mer , le rendant i confolable
, il abandonna Paris
, pour cacher à ſes
Amis l'accablement où
il fe trouvoit. On ne m'a
point dit fila fierté de la
Dame l'a guérie de fon
amour. Je fçay ſeulement
que le Financier
adore la Belle , & que
l'abondance où elle eft
de toutes chofes ne
luy laiffe aucun fujet de
regreter ce qu'elle a perdu.
ON m'a conté une Avanture
du Carnaval , qui
vous fera voir que le
ve
ritable amour n'eft point
volontaire . Une Veuve
tres - bien faite , n'ayant
point d'Enfans , & eftant
encore dans ſes plus belles
années , joüiffoit avec
plaifir de la liberté que
luy donnoit le Veuvage.
Parmy ceux qui la voyoient
, un Cavalier d'un
fort
GALANT. 169
fort grand mérite , luy
rendoit des foins affez
affidus . Il avoit beaucoup
d'efprit , & fortoit d'une
Maiſon qu'une ancienne
Nobleffe égaloit aux plus
illuftres. La Dame , à qui
fon attachement eftoit
gloricùx , ſe fit un honneur
d'entreprendre fa
conquefte ; & pour ne la
manquer pas , elle cut
pour luy des manieres
engageantes
, qui luy firent
prendre un com-
Fanvier 1713 .
P
170 MERCURE
mencement d'amour. Il
luy conta des douceurs ,
luy dit cent fois qu'elle
eftoit aimable ; & le plaifir
de la voir luy eſtant :
fenfible , il crut l'aimer
tout de bon , & fans prendre
foin de bien connoiftre
fon coeur , il l'abandonna
à un penchant indifcret
qui l'obligea enfin
de fe déclarer. Cette
déclaration
fut receue
avec plaifir. On la fouhaittoit
depuis longGALANT
. 171 :
temps , & le Cavalier
plaiſant
à la Dame , l'affaire
euft efté prompte-
:
ment concluë
, fans l'obftacle
d'un vieil Oncle
dont il heritoit , & qui
s'eftoit mis en tefte de le
marier à fa fantaiſie. Cet
Oncle eftoit un Gentilhomme
d'Anjou , qui
pour retenir le Cavalier.
dans fon voifinage , taf
choit de luy ménager un
Party fort riche . La Demoiſelle
qu'il euft bien :
A
P ij
172 MERCURE
voulu luy faire époufer ,
n'avoit pas encore treize
ans. Elle eftoit laide
donnoit peu de marques
d'avoir un jour de l'efprit
, & tout fon mérite
eftant dans fon Bien , ce
feul avantage ne pouvoit
fuffire au Cavalier ,
pour qui la beauté eſtoit
un grand charme. Il dit
à la Dame qu'elle devoit
peu s'inquiéter d'une recherche
que l'on faifoit
malgré luy , & dans laGALANT.
73
quelle quantité de Concurrens
le traverſoient.
Il fut réfolu
, que pour
empefcher qu'elle n'euft
des fuites , il fe rendroit
auprés du vieil Oncle, &
que fans luy découvrir
qu'il cuft de l'engagement
, il le prieroit de le
laiffer libre dans le choix
d'une Maiftreffe . Il fit ce
voyage , & négocia fi
bien , que les Parens de
la Demoiſelle diférant
toûjours à s'expliquer
Piij
174 MERCURE
afin d'avoir à choisir entre
plus de Prétendans ,
le vieil Oncle luy permit
de fe marier felon
fon coeur. Il le quitta ,
fort ravi de ce fuccés:
fans luy avoir parlé de
la Dame , & à fon retour
il alla coucher chez un
Gentilhomme de fes
Amis , qui faifoit ſon ordinaire
fejour dans une
fort belle Terre à dix ou
douze lieues de Paris. Le
Gentilhomme le retint le
GALANT. 175
lendemain , & pour l'obliger
à ne point partir ,
il le pria d'un Soupé qu'il
donnoit ce jour - là mẹfme
à une fort belle Compagnie
, l'affurant qu'il
verroit des Dames d'un
affez bon air , & entr'autres
une tres aimable Parifienne
, en faveur de qui
il ne vouloit point le prévenir.
L'Aſſemblée eftoit
de dix ou douze Perfonnes
, de l'un & de l'autre
fexe . La Belle , dont
Piiij
176 MERCURE
le
Gentilhomme luy
avoit parlé , s'y trouva
avec fa Mere. C'eftoit
une grande Brune , dont
tous les traits eftoient
animez , & qui brilloit
d'un éclat que les plus indifferens
ne
fouftenoient
qu'avec
peine . Son ef
prit refpondoit
à ſa beauté.
Elle l'avoit délicat
& vif , & tant d'agrément
eftoit joint à fes
manieres , qu'elle ne difoit
ni ne faifoit rien qui
GALANT. 177
ne donnaft lieu de l'admirer.
Le Cavalier qui
avoit beaucoup d'uſage
du monde , trouva mo
yen d'entrer avec elle
dans une maniere de
converfation galante ; &
fi fa perfonne luy avoit
d'abord paru toute aimable
, il fut charmé de
fon entretien . Elle parloit
finement , & ſes reponfes
à ce qu'on luy
difoit d'obligeant , ef
toient accompagnées de
178 MERCURE
certains
regards qui pe
nétroient
juſqu'au
coeur,
Tant que dura le Soupé
, il eut les yeux attachez
fur elle ; & quand
il fut ſeul avec ſon Amy,
il ne luy put parler d'autre
choſe. Comme
il
il avoit fçu fon nom , il
luy demanda
dans quel
Quartier elle logeoit à
Paris ; fi elle y feroit
bientoft de retour , & fi
fa Famille eftoit fort confidérable.
Son Amy qui
GALANT . 179
remarqua fon empreffement
à s'informer d'elle ,
luy dit en riant
prift garde à luy , que la
Demoiſelle
eftoit dangereufe
, & qu'il devoit
› qu'il
bien fe confulter avant
que chercher à la mieux
connoiftre . Il adjouſta
qu'elle paffoit ordinairement
tout l'Eté à la
Campagne , qu'elle ef
toit d'une Maiſon plus
noble que riche › que
s'il l'alloit voir on le re180
MERCURE
cevroit la premiere fois
avec beaucoup de civilité
, mais qu'aſſurément
on l'obligeroit de s'expliquer
dés la feconde vifite,
fa Mere vivant dans
la plus exacte régularité ,
& s'alarmant auffi- tost
de la veuë d'un Homme
, qui rendoit des foins
fans parler de Mariage .
Le Cavalier refva un
moment , & ne voulut
plus fçavoir où logeoit
la Belle. Il partit le jour
GALANT: 181
fuivant , & quoy qu'il
puft faire pour bannir
l'image qu'il en conſervoit
, il n'en fceut venir
à bout. Cette charmante
Perfonne luy eftoit toufjours
préfente , & il rêntra
à Paris l'efprit remply
d'elle. La Dame
pour qui il avoit fait
ce voyage , fçavoit à peu
prés jour de fon arriv
ée , & comme en le
revoyant elle avoit lieu
d'attendre de luy de
182 MERCURE
grandes marques de
joye , il fe trouvoit fort
embaraſſé de ne pouvoir
fe montrer à elle qu'avec
un eſprit diftrait . Il alla
la voir fi toft qu'il fut de .
retour , & fans trop fçavoir
pourquoy
,
cacha qu'il eut gagné
le vieil Oncle , & fe contenta
de dire qu'ayant
commencé de l'ébranler,
il avoit laiffé auprés de
luy des Gens qui feroient
le refte. Il gagnoit du
il
luy
GALANT . 183
temps par là , & fi quelquefois
il luy efchapoit
quelque refverie , il s'en
excufoit fur les nouvelles
qu'il difoit avoir receues
moins favorables
que fa paffion ne ſe les
eftoit promifes. Cependant
par la maniere dont
fon coeur eftoit touché ,
pour avoir veu une ſeule
fois la belle Brune , il
ouvrit les yeux fur le
faux amour qu'il avoit
pris pour la Dame , &
184 MERCURE
ne fentant point pour
elle la force de ce panchant
, qui l'entraifnoit
malgré luy vers l'autre
il commença
de trembler
de l'engagement où
il s'eſtoit mis . La Dam
qui s'ennuyoit du retardement
, luy dit plufieurs
fois qu'elle avoit
du Bien pour lui , &
elle , & que l'intéreſt
n'ayant point de
part à fon amour , elle
eftoit preſte à lui en donpour
elle
ner
GALANT. 185 .
ner des preuves fenfibles,
en l'époufant fans l'aveu
de l'Oncle. Le Cavalier
oppofoit tousjours que
ce feroit renoncer à une
importante Succeffion ,
& qu'il valoit mieux fe
contraindre encore pendant
quelque temps , que
de s'expoſer
à faire une
pertè fi confiderable
. La
belle faifon finit , & le
Cavalier , guéry enfin
par le temps d'une idée
flateufe qui l'avoit trop
Tanvier
1713. Q
186 MERCURE
occupé , fe préparoit à
dire à la Dame que fon
amour n'avoit plus d'obftacle
, lors qu'eftantvenu
un matin chez elle , il vit
entrer tout d'un coup
une Perfonne affez né
gligée , qui la courant
embraffer , en fut embraffée
de mefme avec
de fort tendres marques
d'une amitié réciproque
.
C'eftoit juſtement la bel
le Brune , qui eftant arrivée
de la Campagne
le
GALANT. 187
föir précedent , avoit
voulu la furprendre fans
luy faire faire aucun meſfage.
Elle demeuroit dans
fa mefme rue , & ce voi,
finage avoit donné lieu à
leur amitié. Jugez de l'étonnement
du Cavalier ,
quifrappéencore plus vi
vement par cette feconde
yeuë , eut de la peine à
cacher fon trouble. Il fit
compliment à cette belle
Perfonne ; & de la maniere
qu'il le fit, la Dame
Q ij
188 MERCURE
connut que ce n'eftoit
pas la premiere fois qu'ils
fe voyoient. Elle apprit
la rencontre du Soupé ,
& dit au Cavalier en
riant , que comme il verroit
ſouvent fon Amie
chez elle , c'eſtoit à luy à
ſe munir de fidelité pour
fe fauver de fes charmes .
On plaifanta là - deffus
& la converfation devint
tres- fpirituelle . Le Cavalier
qui reprit foudain
fon premier feu , réfolur
GALANT. 189
plus que jamais de faire
valoir l'obftacle de l'Oncle.
Rompre avec la Da
me , fe faire aimer de la
Belle , & obtenir l'une
fans ſe la voir diſputer
par l'autre, c'eſtoient des
chofes qui luy paroif
foient comme impoffi
bles ; mais il aimoit }
& quelques difficultez
qu'on ait à combatre , il
pour
fe
fuffit qu'on aime
mettre en tefte que l'on
peut furmonter tout!
190 MERCURE
L'affiduité qu'il avoit de
puis long - temps auprés
de la Dame , luy donnoit
occafion de fe rencontrer
chez elle dans les heures
que la Belle choififfoit
pour la venir voir . Il en
manqua peu , & s'obfer
va avec tant de foin , que
s'il tâchoit de luy paroiftre
agreable , c'eftoitfeu
lement par un enjoüe→
ment d'efprit , auquel il
fembloit que le coeur
n'euft point de part. L
GALANT . 191
faifoit des Vers . La Belle
en faifoit auffi d'affez naturels
; & comme il luy
en donnoit devant la
Dame , qui marquoient
avec des expreſſions trespaſſionnées
, combien il
tiroit de gloire du choix
qu'il avoit fait pour ai
mer , elle ne faifoit aucune
façon d'en apporter
d'autres quelques jours
aprés , qui l'exhortoient
à eftre fidelle à la Perfonne
du monde qui meri192
MERCURE
toit le mieux d'eftre aimée.
Tous les Vers du
Cavalier eftant faits d'u
ne maniere qui les faiſoit
appliquer à l'engagement
qu'il avoit avec la
Dame , elle n'eut aucun
foupçon de cejeu d'efprit
qui fe pratiquoit ouvertement
, & qui paroiffoit
tourner à fon avantage.
Ce fut par là cependant
que le Cavalier vint
à bout de fon deffein . Un
jour que la Dame l'avoit
laiffé
GALANT. 193
>
laiffé feul avec la Belle
il luy dit , en luy jettant
des regards tout pleins
d'amour,qu'il faifoit parfaitement
, ce que fes
Vers luy faifoient connoiftre
qu'elle fouhaitoit
qu'il fit ; c'eſt- à dire qu'il
aimoit
tousjours de plus
en plus la belle Perfonne
pour qui les fiens eftoient
faits. La Belle luy répondit
que fon Amie eftoit
trop aimable
pour n'inf
pirer pas la plus forte
Fanvier 1713. R
194 MERCURE
paffion ; & fur ce qu'il
adjouſta qu'il ne ſe tiendroit
heureux , que quand
fes Vers luy plairoient ,
faits pour une autre que
fon Amie , elle rougit,
demeura embaraſſée,
& quelque effort qu'elle
pour
fit
pour
cacher fon trouble
en détournant
le difcours
, il s'aperceut
aiſément
qu'elle eftoit entrée
dans ce qu'il avoit voulu
luy faire entendre , &
eut grande joye d'avoir
GALANT . 195
fait ce
premier pas. La
Dame rentra , & le Cavalier
demeura fort enjoüé.
Il fit d'autres Vers.
La Belley répondit à fon
ordinaire , & les confeils
qu'elle luy donnoit d'augmentet
tousjours ſa paſfion
, luy faiſant croire
qu'elle confentoit à eſtre
aimée , il réfolut de fe déclarer
fans aucun détour,
& profita pour cela des
moindres
occafions qu'il
cut de luy parler feul,
Rij
196 MERCURE
La Belle le traita d'extravagant
; mais quoy qu'elle
fit des plaifanteries de
tout ce qu'il luy diſoit de
paffionné , elle l'écoutoit
quoy qu'il vouluſt dire ';
ou fi quelquefois la bienféance
l'obligeoit à prendre
fon férieux , en mefme
temps qu'elle luy peignoit
la honte que fon infidelité
luy attireroit , la
douceur de fes regards
l'invitoit fecretement à
eftre infidelle, Comme
GALANT. 197
des
jamais il n'avoit
momens
à l'entretenir
, il
que
ne pouvoit s'expliquer
affez pour luy ofter ſes
fcrupules ; mais c'eftoit
tousjours beaucoup pour
fuy , qu'elle connuſt les
fentimens de fon coeur.
& qu'elle en fift un ſecret
à fon Amie. Tandis
que fa paffion prenoit
d'agreables efpérances
il arriva une choſe qui
luy fit croire que tout
confpiroit à le rendre
,
R iij
198 MERCURE
20
9: heureux. Un Financier ,
Favory de la Fortune ,
& qui fans aucun mérite
eftoit parvenu à de
grands Biens , ayant veu
la Dame en quelque lieu ,
fe laiffa piquer de fon
agrément , & ne doutant
point que le brillant de
fon or n'euft dequoy
charmer les plus délicates
, il la vint voir dés le
lendemain , & débuta
par le mariage. Il n'aimoit
point à languir , &
THEQUE
BEE
GALANT. 12
prompte déclar
une fi
tion luy épargnoit des
cerémonies d'Amant qui
YON
DE
LA
VILLE
n'eftoient point de fon
caractere.Quoy que la
Dame fuft fort incapable
d'eftre
ébloüye par le
Bien , elle crût que fes
affaires n'en iroient que
mieux , fi le Cavalier
craignoit de la perdre ;
& dans cette veuë , elle
répondit avec beaucoup
de reconnoiffance à la déclaration
du Financier ,
R iiij
100
MERCURE
& le pria feulement de
luy accorder un mois ,
pendant lequel ils fe connoiftroient
l'un l'autre.
Leterme eftoit long pour
luy . Il vouloit conclure ;
& fi la Dame l'euft crû ,
deux jours auroient terminé
la chofe . Il falut
pourtant qu'il s'accommodaft
du retardement
.
Elle conta l'avanture au
Cavalier , & la crainte
qu'il devoit avoir d'un
Rival fi
redoutable , ne
GALANT. 201
luy donna point plus
d'empreffement pour l'époufer.
Il dit à la Dame,
que plus la Fortune la
favorifoit , plus il fe
croyoit indigne qu'elle y
renonçaft pour luy , s'il
ne s'affuroit la Succeffion
de l'Oncle ; que cet Oncle
refuſoit tousjours de
s'expliquer , & qu'il falloit
attendre fa mort , qui
ne pouvoit qu'eftre proche
ou que fes Amis
euffent obtenu le confen
402 MERCURE
tement qu'il luy faifoit
demander. Il cruft la rebuter
par cette réponſe ,
& elle de fon cofté demeura
perfuadée qu'en
voyant fouvent le Financier
, elle le rendroit jaloux
, & que craignant
qu'elle ne changeaft ,
égards
il cefferoit d'avoir les
qui
choient de conclure Ainfi
elle fit tousjours bon
vifage au Financier
quoy que fes manieres
>
l'empefGALANT.
203
luy dépluffent ; & le Cavalier
par politique , luy
témoignoit quelquefois
qu'il en eftoit alarmé.
Elle répondoit qu'il avoit
fujet de l'eftre , que les
Femmes n'eftoient pas
tousjours conftantes , &
qu'un Financier qui offroit
toute forte d'avantages
, eftoit un Rival à
craindre. Le Cavalier ñe
fouhaitant rien plus ardemment
que de le voir
infidelle , luy diſoit en
204 MERCURE
ſoûpirant , que s'il arrivoit
que fon Rival fuft
heureux , il ne ſe plaindroitque
de fon malheur.
Pendant ce temps , le Financier
vit la belle Bru
ne. Comme elle plaifoit
à tout le monde , il ne
faut pas s'eftonner fi elle
luy plut. Il apprit qui
elle eftoit , & dit à la
Dame fort naïvement
qu'il eftoit fafché de ne
l'avoir pas connuë avant
elle ; qu'ayant tres - peu
GALANT. 205
de fortune , elle auroit
fur l'heure conſenti à l'efpoufer
, & n'euft pas mis
fon amour à une filongue
efpreuve. Cela luy
donnoit un nouveau prétexte
de preffer la Dame,
qui aprés pluſieurs remifes
eftoit fort embaraffée
de fe voir enfin dans les
derniers jours du Carnaval.
Le Financier prenoit
pour affront qu'elle prétendit
le faire encore attendre
aprés Pafques ; &
206 MERCURE
comme le temps qu'il
avoit efté contraint de
luy accorder , étoit expiré
depuis plus de quinze
jours , il vouloit abfolument
terminer ou
rompre
. Les chofes
eftoient
en cet eftat, quand
le Cavalier flaté des marques
d'estime qu'il rece,
voit de la belle Brune ,
crut qu'il y alloit de tout
fon bonheur de s'expliquer
avec elle plus pré:
cifément qu'il n'avoit
GALANT . 207
fait . Il l'attendit à l'Egli .
fe, d'où il revint plufieurs
fois fans luy parler , parce
qu'elle accompagnoit
fa Mere ; & enfin l'ayant
un jour trouvée feule , il
l'arrefta dans le temps
qu'elle en fortoit. La
Belle , à qui les occafions
de l'efcouter n'eftoient
pas tousjours préfentes ,
receut affez agreablement
tout ce qu'il luy dit
de fon amour ; & commeil
la preffoit de ſe dé208
MERCURE
clarer , elle répondit que
lors qu'il feroit fans engagement,
il n'auroit pas
lieu de fe plaindre d'elle.
L'inquiétude qu'elle fit
paroiftre d'eftre dans un
Lieu où elle pouvoit eſtre
obfervée , l'obligea de la
prier de luy en marquer
un autre , où il puſt en
liberté luy faire connoiftre
qu'elle n'avoit rien à
craindre d'un engagement
qui eftoit preſt de
finir. Elle ne luy fit aucune
GALANT . 209
cune réponſe , ſon Amie
ayant paru dans le mefme
temps. Elle venoit à
l'Eglife , & les avoit apperceus
de loin. L'action
avec laquelle
ils parloient
, luy ayant eſté
fufpecte , elle fut furpri
fe , quand elle aborda
la Belle , de la voir embaraffée.
Elle feignit de
ne le point remarquer ,
& aprés quelques paroles
des plus obligeantes ,
elle la quitta , & donna
Fanvier 1-13.
S
210 MERCURE
la main au Cavalier. Ils
entrerent à l'Eglife , &
la Belle alla chez elle . La
Dame eut déslors quelque
foupçon de l'amour
du Cavalier , & l'impatience
de s'en éclaircir ne
luy coufta pas de longues
peines , puifque le
hazard la fatisfit dés le
lendemain
. Elle régaloit
le foir une belle Compagnie
; & le Cavalier
qui s'eftoit rendu chez
elle avant tous les autres ,
,
GALANT. 211
laiffa tomber un Billet.
Elle mit le pied deſſus
fans qu'il y prift garde ,
& fe baiffantcomme pour
remedier à un Soulier
qui l'incommodoit , elle
s'en faifit adroitement.
& l'alla lire fi-toft qu'il
fut venu d'autre monde,
Elle reconnut foudain
l'écriture de la Belle. Le
Billet portoit , que s'il
vouloit continuer la converfation
dans laquelle
ils avoient efté interrom-
S ij
212 MERCURE
pus le jour précedent , il
pouvoit fe rendre fur les
onze heures du foir chez
Madame la Marquiſe de..
à qui on donnoit le Bal ;
que cette Maiſon eſtant
tres- voifine , elle y viendroit
en Egyptienne , &
qu'il pourroit luy faire
connoiftre s'il eftoit vray
que fa bonne fortune dépendiſt
d'elle. La lecture
de ce Billet convainquit
la Dame de l'intelligence
du Cavalier & de fon
GALANT . 213
Amie. Pour mieux fçavoir
jufqu'où elle alloit ,
elle fongea auffi - toſt à
prendre la place , ne dou
tant point que l'amourne
rendift le Cavalier dili
gent , & qu'elle ne puft
prévenir la Belle , en ve
nant au lieu marqué avant
l'heure qu'elle luy a
voit donné. Elles eftoient
toutes deux de la mefme
taille , & fous un mafque
, elle pouvoit déguifer
fa voix. Ce deffein ef
214 MERCURE
tant formé , elle donna
ordre à fa Suivante , de
luy tenir preſt un Habit
d'Egyptienne , & vint
retrouver la Compagnie
dans un enjoüement qui
ne pouvoit mieux cacher
qu'elle euft quelque chofe
en tefte . On foupa , &
incontinent aprés , elle
propofa diverfes tables de
Jeu. Elle fe mit d'une partie
d'Hombre; & leCavalier
qui avoit prié qu'on
le difpenfaft d'en eftre ,
1
GALANT . 215
fe retira dans le mefme
temps qu'il luy vit tenir
des Cartes. La Dame n'en
perdit point. Elle obligea
une Amie de prendre fon
Jeu pendant une heure ,
& eftant montée dans
fon Cabinet , elle s'habilla
fort
promptement
, &
courut au rendez - vous .
Elle eut bien- toft apperçeu
le Cavalier , qui
dans fon impatience obfervoit
tous les Maſques
qui entroient , & qui
216 MERCURE
voyant une Egyptienne ,
fut aifément trompé par
fa taille. Elle luy dit , en
le tirant un peu à l'écart ,
que fa ponctualité luy
devoit faire connoiftre
combien elle avoit trou
vé de charmes dans la
converfation qu'elle venoit
luy donner moyen
de pourfuivre. Les remercimens
du Cavalier furent
meflez de mille affurances
du plus tendre amour
, & aprés qu'il en
eur
GALANT. 217
cut exageré toute la force
, il luy dit qu'elle devoit
avoit l'efprit en repos
fur les reproches qui
lui
paroiffoient à craindre
du cofté de fon .
Amie ; qu'eftant réfolu
de ne
l'efpoufer jamais ,
il s'en
défendoit depuis
plus de quatre mois , fur
le prétendu obftacle d'un
Oncle qui ne lui cauſoit
aucun
embarras ; que rebutée
des
longueurs de
cet obftacle
Fanvier 1713 .
elle avoit
T
418 MERCURE
prefté l'oreille à un Financier
, dont le grand
Bien commençoit
à l'ébloüir
qu'il fe conduiroit
de fortequ'il l'obligeroit
enfin à ne pas laiffer
efchaper une fi grande
fortune ; & que quand
le Financier l'auroit efpoufée
, rien ne s'oppo
fant à leur amour , il leur
feroit fort aifé de le faire
réuffir , fans que l'un ny
l'autre en receuffent aus
cun blâme. La Dame
GALANT. (-119
feignit d'eftre fort contente
, & dit que pour
veu qu'il fuft conftant ,
elle voyoit tout à efperers
mais qu'il prift bien garde...
Il ne fouffrit point
"
qu'elle achevaft , & mille
fermens qui luy firent
voir la plus violente paffion
, furent la fin de cet
entretien
. La Dame parlant
tousjours au nom de
la Belle , témoigna craindre
que fa Mere qu'elle
-diſoit avoir laiffée endor-
Tij
240 MERCURE
mie , ne la demandaſt fi
elle venoit à s'éveiller ,
& elle fe hafta de fortir
fous ce prétexte. Le Ca-
-valier voulut la condui
re ; mais elle ufa d'une
autorité fi abfoluë pour
le faire demeurer , qu'il
fut contraint de luy
obeïr. Il refta peu dans
cette Aflemblée , & alla
chez luy refver en repos
à fon bonheur. La Belle
n'eftant venue qu'à minuit
, parce que fa Mere
GALANT. 12 #
s'eftoit couchée tard , l'at
tendit jufqu'à une heure,
& s'en retourna pleine
de dépit qu'il euft fäit ſi
peu de cas du feul rendez-
vous qu'il avoit eu
d'elle. Ce que je viens de
yous dire arriva le Jeudy
gras. Le lendemain , le
foin de la Dame fut d'e
•
xécuter ce qu'elle avoit
médité toute la nuit . Le
Financier vint la voir ; &
la preffa , comme il avoit
déja fait plus d'une fois ,
Tiij
22 MERCURE
de luy déclarer détermi
nement ce qu'elle avoit
réfolu de faire. Quelque
Bien qu'il euft , elle ne
balançoit point à demeurer
tousjours Veuve
plutoft que de faire un
choix qui gefnaft ſon
coeur , mais le Financier
luy eftoit utile pour la
yangeance qu'elle s'eſtoit
propolée. Elle connoiffoit
fon foible , & le
.
yoyant
dans l'enteſte
..
ment de ſe marier
avant
GALANT. 223
le Carefme , elle affecta
une bonne foy dont il
n'avoit aucun intéreſt à
développer
la caufe,
Aprés lui avoir marqué
grande paffion de le voit
tousjours de fes Amis
elle luy dit qu'elle avoit
tafché de rompre un engagement
fecret que le
Cavalier & elle avoient
pris enfemble , & què
n'en pouvant
venir à
4
bout , elle le prioit , puis
qu'il eftoit impoffible
Tiiij
124 MERCURE
qu'elle fe donnaft à lui ;.
de vouloir bien eſpouſer
une autre elle- mefme ;
qu'il connoiffoit fon Ame
; qu'elle eftoit tresbelle
, avoit mille bonnes
qualitez , & qu'en failant
la fortune d'une Fille de
naiffance , il trouvoit &
moyen de fe rendre heu
reux. Le Financier , dont
les yeux régloient l'amour
, n'eut aucune per
ne à confentir à l'échange.
Il répondit que la.
GALANT. 223
a
Demoiſelle luy plaifoit
affez , mais qu'il ne vou
doit donner aucune paro
le , à moins qu'on ne
Faffuraft que le Mariage
fe feroit en vingt- quatre
heures. La Dame qui ne
fouhaitoit rien tant que
la promptitude , fe chargea
du foin de cette affaire
, & luy demanda
le refte du jour pour la
propofer à la Mere de la
Belle. Jamais propofition
ne pouvoit donner plus :
226 MERCURE
de joye à cette Meré . II
fut arrefté qu'on garderoit
le fecret , & que 122
Fille elle mefme n'apren--
droit rien de ce Mariage
,
que dans le moment qu'il
faudroit qu'elle fignaft.
Le jour fuivant , qui ef
toit le Samedi , la Dame
amena le Financier chez
la Mere. Il l'entretint en
particuliers Le Notaire :
vint , & l'on fit alors fçavoir
à la Belle pourquoy
onl'avoit mandé . Le ton
GALANT . 227
abfolu dont fa Mere luy
parla , la haute fortune
que lui affuroit ce Maria!
ge , & le fujet qu'elle
croyoit avoir de fe plain
dre des mépris du Cava
lier , tout cela lui fit une
impreffion fi forte , qu'el
le figna comme on le
voulut. Le Financier
plein de joie , alla donner
ordre aux Bans , &
en fit publier un le lendemain
à la grande Mef
fe , aprés laquelle on les
28 MERCURE
maria . La Cerémonie ver
noit d'eftre faite , quand
le Cavalier entra dans
l'Eglife . Il connut bientoft
par l'empreffement
des Curieux , qu'il y
avoit une Mariće ; & en
tendant dire qu'elle eftoit
de qualité , il s'avança
pour la voir. Quel coup
de foudre quand il remarqua
la Belle ! Il fit
un cry qui furprit tous
ceux qui l'entendirent .
La Dame , qui eftoit du
n..
GALANT. 229
Mariage , tourna la teſte
vers luy , & fe fépara de
la Compagnie
, pour fe
donner le plaifir d'aller
infulter à fa douleur.
Ah , Madame , qu'ay-je
veu , lui dit- il tout conf-
-terné ? Sa réponſe fut
qu'elle eftoit contente ,
puis que le chagrin où il
eſtoit luy faifoit connoiftre
que rien ne manquoit
-à fa vangeance. Alors
elle luy parla du Billet
trouvé , de fon Perfon-
*
250 MERCURE
#
nage d'Egyptienne , du
bonheur qu'elle avoit eu
de marier promptement
la Belle ; & aprés luy
avoir dit qu'il pouvoit
donner fon coeur fans
appréhender qu'elle y
miſt obſtacle , elle le quita
, en luy défendant de
la voir jamais. Il demeura
abîmé dans fa douleur,
& le defefpoir d'avoir
perdu par fon imprudence
la feule perfonne qu'il
fe fentoit capable d'aiGALANT
. 431
mer , le rendant i confolable
, il abandonna Paris
, pour cacher à ſes
Amis l'accablement où
il fe trouvoit. On ne m'a
point dit fila fierté de la
Dame l'a guérie de fon
amour. Je fçay ſeulement
que le Financier
adore la Belle , & que
l'abondance où elle eft
de toutes chofes ne
luy laiffe aucun fujet de
regreter ce qu'elle a perdu.
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Résumé : HISTOIRE.
Le texte narre une aventure carnavalesque impliquant une veuve jeune et belle, jouissant de sa liberté, et un cavalier de grande valeur qui lui rend des visites régulières. La veuve, flattée par son attachement, cherche à le conquérir et finit par lui inspirer un début d'amour. Cependant, le cavalier est contraint par un vieil oncle de considérer un mariage avec une jeune fille riche mais laide. Pour éviter cette union, le cavalier négocie avec son oncle et obtient la liberté de choisir sa maîtresse. Lors d'un souper chez un ami, le cavalier rencontre une belle brune qui le charme profondément. De retour à Paris, il est troublé par cette nouvelle rencontre et commence à douter de ses sentiments pour la veuve. La veuve, ignorant ses tourments, lui propose de l'épouser sans l'accord de l'oncle. Le cavalier, de plus en plus épris de la brune, cherche à rompre avec la veuve sans la blesser. Un jour, la brune rend visite à la veuve, et le cavalier, surpris, doit cacher son trouble. Il continue de voir les deux femmes, utilisant des poèmes pour exprimer ses sentiments sans éveiller les soupçons. Finalement, il parvient à déclarer son amour à la brune, qui, bien que troublée, garde le secret. La situation se complique lorsque un financier riche déclare son amour à la veuve, qui accepte de le fréquenter pour rendre le cavalier jaloux. Le cavalier, malgré cette nouvelle menace, reste déterminé à conquérir la brune. La veuve refuse de renoncer à sa relation avec le cavalier tant qu'il ne lui assure pas la succession de son oncle. Cet oncle refuse de s'expliquer, et la veuve espère le rendre jaloux en fréquentant le financier. Le cavalier, de son côté, feint d'être alarmé par cette situation mais espère que la veuve sera infidèle. Le financier, quant à lui, rencontre la belle brune et exprime des regrets de ne pas l'avoir connue plus tôt. La veuve est pressée par le financier de prendre une décision avant Pâques. Pendant ce temps, le cavalier tente de s'expliquer avec la belle brune, qui accepte de l'écouter mais exige qu'il se déclare sans engagement. Leur conversation est interrompue par une amie de la belle brune, qui suspecte une liaison entre eux. La veuve, soupçonnant une relation entre le cavalier et la belle brune, décide de se déguiser en égyptienne pour rencontrer le cavalier à un rendez-vous. Elle apprend ainsi que le cavalier est prêt à épouser la belle brune pour éviter le financier. Pour se venger, la veuve organise rapidement le mariage entre la belle brune et le financier. Lors de la cérémonie de mariage, le cavalier découvre la supercherie et est dévasté. La veuve lui révèle alors comment elle a orchestré la situation et lui interdit de la revoir. Le cavalier, accablé par la perte de la veuve, quitte Paris. La veuve et le financier vivent heureux, et le financier adore la belle brune.
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9
p. 251-267
HISTOIRE de Bichon, Chienne favorite de Madame de P... presentée par Bichon mesme à sa belle Maistresse pour son Bouquet, le 21. de Janvier jour de sa Feste.
Début :
Vostre Bichon, vostre chere Maman [...]
Mots clefs :
Chien, Chienne, Amour, Jupiter, Yeux, Bichon
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texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE de Bichon, Chienne favorite de Madame de P... presentée par Bichon mesme à sa belle Maistresse pour son Bouquet, le 21. de Janvier jour de sa Feste.
HISTO IRE
de BichonyChienne
favorite de Madame
deP.presèntée par
Bichonmejmeasa belle
Maistressepourfin
Bouquet) lezi. dejanrrjierjour
de sa Fesie.
Ostre Bichon, vostre
chere Maman *
Pour son Bouquet vous
donne son Histoire,
Qui passeroit pour Fable
ou pour Roman
S'il estrien dedisette
à croire.
Quand il s'agit du pouvoir
de vos yeux; Mais puisqu'enfin je les
prefere aux Cieux
Que deformaisnul égard
ne m'arreste,
Je doisl'aveu, mesme en
dépit des Dieux , De vostregloire au jour
de vostre feste.
Gonnoissez-moy iàu$
la peau de Bichoa*
Vous possedez une
Chienne immortelle
Qui , vous adore, & qui
veut fous ce nom
Fuïr le sejour des enfans
de Cibelle
Pourvous servir,pour
vous suivreen tous
lieux;
Pour moy ce fort a d'autant
plus de charmes ,
Que vous pouvez m'aimer
sans qu'à vos yeux
Jamais ma mort puisse
couster des larmes :
Or lisez donc la suite
sansallarmes.
Ce chien fameux, ce
chien de si haut prix
Qui fut donné par Diane
à Procris
y Et par Procrisàson Epoux
Cephale,
Qui s'en feroit heureusement
servi
Si ce beau chien de bonté
sans égale,
Du Dard fataln'avoitestésuivi.
Lelape enfin, c'est son
nom,fut mon pere :
S'il s'affranchit de la dent
de Cerbere
Ovideassez vous en in
formera,
Et comme chien, de tout
ce qu'il sçut faire;
Venons àmoy. Sous le
nom deMoera
Je fus jadiscelebre da,. ns
la Grece,
Chienne n'aima jamais,
ny n'aimera,
Comme j'aimay * ma
! Erigone. 1
premiere Maistresse:
Je la perdis. Quel fut
mon desarroy ?
Jevalus seule un funebre
convoy; J'étourdis tant VQurJe,
v
le Crepuscule,
-
Des jours, des nuits, par
maint perçant abboy,
Mes cris des airs par le
perpendicule
Frappent si fort les oreilles
du Roy,
Qui sur l'Olympe aux
autres fait la loy,
-. Que
Que Jupiter au Ciel
m'immatricule:
Ma loyauté fit un Astre
de moy
Que les Mortels nommerent
Canicule.
Tout l'U nivers sçaitquel
fut mon employ ;
Embraser tout. Mais
certaines années
Je vis pourtant que malgré
tous mes soins
Soit par malin vouloir
des Destinés, Soit autrement,je réüC
fïflois moins.
On frissonnoit quelquefois
fous mon regne >
Quoy de baiser est-il.
temps que je craigne,
M'imaginois-je ? un foir
a Í/"ïl'e::'rt':.[l
( Quand ces pensées me
rendoient triste&
sombre)
Pour mon bonheur vos.
beaux yeux par hazard
Comme un éclair tout
autravers de l'ombre,
Jusques à moy lancerent
un regard.
J'en vis ~paslir les naifsaintes
estoiles,
Et de leurs feux ses flammes
triompher,
Quoiqu'un nuage eut
opposé ses voiles
Je m'en sentis moi-filer.
-- me rechauffer.
Ho! ho! pensai-jeÏlefl
une Mortelle
--
Qui d'un regard peut
mettre tout en feu
Allons la , voir, allons
apprendre un peu
A raffiner nostre metier
prés d'elle.
Voilà comment (jevous
en fais l'aveu)
Je vins chez vous, où
fous cette figure
De
-
me cacher j'eus la
précaution,
Laissant le foin à la Vierge,
au Lion
Pour quelques jours
d'embraser la nature.
Je crus d'abord dans
chacun de vos traits-
Revoir ce Dard du malheureux.
Cephale
Seur de ses coups, Se
dont le but jamais
Ne fut soustrait à sa
pointe fatale..
Vos traits font plus, &C
par leur grand fracas
Dans tous les coeurs il y
doit bien paroistre.
Dessein
,
hazard
, tout
fert à vos appas, Et vous portez bien fouventle
trépas
Où vous n'avez jamais
visé-peut-e.stre1.
Meres tremblez pour
vos adolescens;
Sagesvieillards malgré
vostre bon sens
Dans vos glaçons craignez
de voiréclore
-
Folles ardeurs. Et vous
jeune Procris,
A qui l'hymen paroist
l'amour encore
De ma!Maistresse.efloi.
gnez vos Maris,
Elleestautant à craindre
que taurorer
Dés qu'on la voit pour
tousjours on l'adore:
Telest enfin son empire
charmant
Qu'elle pourroit (chose
impossible à Flore)
Fixer le coeur de son
volage Amant.
De tous vos traitsquand
je fus bien instruite
Un beau matin je meditois
ma fuite
Au Diable zot. Sortir
d'auprés de vous
Qui le pourroit? j'en ai
trouvé le giste
Sibon pourmoy, si commode
)
si doux,
De ses honneurs que je
tiens le Ciel quitte.
Si Jupiter voyoit ce que
je voy , Pour partager vostre lit
comme moy , Jupiter mesme en descendroit
plus viste,
Qu'il ne fit pour Alemene
& Leda j
Jamais l'amour si bien ne
le guida.
Quoyque l'amour fait sa
grande
grande Marotte,
Il paroistroitchez vous *
tel que la Motte
Vient de le peindre au
haut du mont Ida.
Pour moy , mon Ciel
n'est qu'aux lieux où
vous estes,
Aux plus huppez j'y dame
le pion,
Et mets au rang des plus
vilaines bestes
* La Cynosure avec le
Scorpion.
Dans son Iliade,l.7.
PetiteOurse.
Prés de ma Reine orgueilleuxSagittaire
Je ne vous croy qu'un
Archer mal adroit
Prenez chacun quelque
trait de Cithere
Et nous verrons qui tirera
plus droit.
Je vous verrai briller
sans jalousie,
Adieu vous dis Ecrevis-
-
jeyPoissons,
Je mangeicy * soyes gras
Sç Pigeons
* J'en mstémoin le premier del'an,
Qui valent mieux que
la maigre Ambrozie.
de BichonyChienne
favorite de Madame
deP.presèntée par
Bichonmejmeasa belle
Maistressepourfin
Bouquet) lezi. dejanrrjierjour
de sa Fesie.
Ostre Bichon, vostre
chere Maman *
Pour son Bouquet vous
donne son Histoire,
Qui passeroit pour Fable
ou pour Roman
S'il estrien dedisette
à croire.
Quand il s'agit du pouvoir
de vos yeux; Mais puisqu'enfin je les
prefere aux Cieux
Que deformaisnul égard
ne m'arreste,
Je doisl'aveu, mesme en
dépit des Dieux , De vostregloire au jour
de vostre feste.
Gonnoissez-moy iàu$
la peau de Bichoa*
Vous possedez une
Chienne immortelle
Qui , vous adore, & qui
veut fous ce nom
Fuïr le sejour des enfans
de Cibelle
Pourvous servir,pour
vous suivreen tous
lieux;
Pour moy ce fort a d'autant
plus de charmes ,
Que vous pouvez m'aimer
sans qu'à vos yeux
Jamais ma mort puisse
couster des larmes :
Or lisez donc la suite
sansallarmes.
Ce chien fameux, ce
chien de si haut prix
Qui fut donné par Diane
à Procris
y Et par Procrisàson Epoux
Cephale,
Qui s'en feroit heureusement
servi
Si ce beau chien de bonté
sans égale,
Du Dard fataln'avoitestésuivi.
Lelape enfin, c'est son
nom,fut mon pere :
S'il s'affranchit de la dent
de Cerbere
Ovideassez vous en in
formera,
Et comme chien, de tout
ce qu'il sçut faire;
Venons àmoy. Sous le
nom deMoera
Je fus jadiscelebre da,. ns
la Grece,
Chienne n'aima jamais,
ny n'aimera,
Comme j'aimay * ma
! Erigone. 1
premiere Maistresse:
Je la perdis. Quel fut
mon desarroy ?
Jevalus seule un funebre
convoy; J'étourdis tant VQurJe,
v
le Crepuscule,
-
Des jours, des nuits, par
maint perçant abboy,
Mes cris des airs par le
perpendicule
Frappent si fort les oreilles
du Roy,
Qui sur l'Olympe aux
autres fait la loy,
-. Que
Que Jupiter au Ciel
m'immatricule:
Ma loyauté fit un Astre
de moy
Que les Mortels nommerent
Canicule.
Tout l'U nivers sçaitquel
fut mon employ ;
Embraser tout. Mais
certaines années
Je vis pourtant que malgré
tous mes soins
Soit par malin vouloir
des Destinés, Soit autrement,je réüC
fïflois moins.
On frissonnoit quelquefois
fous mon regne >
Quoy de baiser est-il.
temps que je craigne,
M'imaginois-je ? un foir
a Í/"ïl'e::'rt':.[l
( Quand ces pensées me
rendoient triste&
sombre)
Pour mon bonheur vos.
beaux yeux par hazard
Comme un éclair tout
autravers de l'ombre,
Jusques à moy lancerent
un regard.
J'en vis ~paslir les naifsaintes
estoiles,
Et de leurs feux ses flammes
triompher,
Quoiqu'un nuage eut
opposé ses voiles
Je m'en sentis moi-filer.
-- me rechauffer.
Ho! ho! pensai-jeÏlefl
une Mortelle
--
Qui d'un regard peut
mettre tout en feu
Allons la , voir, allons
apprendre un peu
A raffiner nostre metier
prés d'elle.
Voilà comment (jevous
en fais l'aveu)
Je vins chez vous, où
fous cette figure
De
-
me cacher j'eus la
précaution,
Laissant le foin à la Vierge,
au Lion
Pour quelques jours
d'embraser la nature.
Je crus d'abord dans
chacun de vos traits-
Revoir ce Dard du malheureux.
Cephale
Seur de ses coups, Se
dont le but jamais
Ne fut soustrait à sa
pointe fatale..
Vos traits font plus, &C
par leur grand fracas
Dans tous les coeurs il y
doit bien paroistre.
Dessein
,
hazard
, tout
fert à vos appas, Et vous portez bien fouventle
trépas
Où vous n'avez jamais
visé-peut-e.stre1.
Meres tremblez pour
vos adolescens;
Sagesvieillards malgré
vostre bon sens
Dans vos glaçons craignez
de voiréclore
-
Folles ardeurs. Et vous
jeune Procris,
A qui l'hymen paroist
l'amour encore
De ma!Maistresse.efloi.
gnez vos Maris,
Elleestautant à craindre
que taurorer
Dés qu'on la voit pour
tousjours on l'adore:
Telest enfin son empire
charmant
Qu'elle pourroit (chose
impossible à Flore)
Fixer le coeur de son
volage Amant.
De tous vos traitsquand
je fus bien instruite
Un beau matin je meditois
ma fuite
Au Diable zot. Sortir
d'auprés de vous
Qui le pourroit? j'en ai
trouvé le giste
Sibon pourmoy, si commode
)
si doux,
De ses honneurs que je
tiens le Ciel quitte.
Si Jupiter voyoit ce que
je voy , Pour partager vostre lit
comme moy , Jupiter mesme en descendroit
plus viste,
Qu'il ne fit pour Alemene
& Leda j
Jamais l'amour si bien ne
le guida.
Quoyque l'amour fait sa
grande
grande Marotte,
Il paroistroitchez vous *
tel que la Motte
Vient de le peindre au
haut du mont Ida.
Pour moy , mon Ciel
n'est qu'aux lieux où
vous estes,
Aux plus huppez j'y dame
le pion,
Et mets au rang des plus
vilaines bestes
* La Cynosure avec le
Scorpion.
Dans son Iliade,l.7.
PetiteOurse.
Prés de ma Reine orgueilleuxSagittaire
Je ne vous croy qu'un
Archer mal adroit
Prenez chacun quelque
trait de Cithere
Et nous verrons qui tirera
plus droit.
Je vous verrai briller
sans jalousie,
Adieu vous dis Ecrevis-
-
jeyPoissons,
Je mangeicy * soyes gras
Sç Pigeons
* J'en mstémoin le premier del'an,
Qui valent mieux que
la maigre Ambrozie.
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Résumé : HISTOIRE de Bichon, Chienne favorite de Madame de P... presentée par Bichon mesme à sa belle Maistresse pour son Bouquet, le 21. de Janvier jour de sa Feste.
Le poème narratif relate l'histoire de Bichon, une chienne immortelle et favorite de Madame de P., présentée lors de la fête de sa maîtresse. Bichon exprime son amour et sa dévotion envers Madame de P., comparant son histoire à celle de chiens célèbres de la mythologie grecque, tels que Lélaps, le chien de Diane et Procris, et Moéra, la chienne d'Érigone. Moéra, après la perte de sa maîtresse, fut transformée en astre par Jupiter et devint la Canicule, responsable de la chaleur estivale. Bichon raconte comment elle fut attirée par la beauté de Madame de P. et comment elle a choisi de la servir fidèlement. Le poème souligne la puissance des regards et des traits de la maîtresse, capables de séduire et de conquérir les cœurs. Bichon exprime également son désir de rester auprès de sa maîtresse, trouvant en elle un amour et une beauté sans pareil. Elle conclut en affirmant sa loyauté et son amour, prêtant à se comparer aux astres et aux constellations pour exalter la beauté et le pouvoir de sa maîtresse.
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10
p. 14-100
HISTOIRE nouvelle.
Début :
Je suis bien aise, Monsieur, de vous envoyer l'histoire [...]
Mots clefs :
Maison, Homme, Frères, Hommes, Filles, Palais, Amour, Honneur, Amis, Camarades, Guerre, Dieu, Traître, Amis, Yeux, Liberté, Carrosse, Esprit, Violence, Soldat, Circonstances, Sentinelle, Sentiments, Malheur, Seigneur, Troupes, Jardin, Ville, Victime, Cave
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE nouvelle.
HISTOIRE
JE fuis bich aife, Mon
ſieur, devous envoyer l'hif
toire des quatrespionniers
mois desterco campagne,
し
GALANT. 15
avant que l'armée du Prince
Eugene nous enferme
dans Mantouë, bu olorist
Ne vous imaginez pas
fur ce titre que je veüille
vous entretenir à preſent
de mille actions de valeur
qui ſe font , & s'oublient
ici tous les jours, Rienn'eſt
ſi commun que ces nouvelles;
parce que , qui dit
homme de guerre dic
homme d'honneur. Ilaya
preſqueperſonne qui n'aille
la guerre , par confequent
preſque tout le mondea
de l'honneur , & le heroif.
ف
16 MERCURE
me eſt la vertu detous les
hommes : maisje veux vous
faire le détail d'une intrigue
, dont les caprices du
fort femblent n'avoir amené
tous les incidens qui la
compoſent , que pour en
rendre les circonstances bizarres&
galantes plus intereſſantes
aux lecteurs.
Nous étions moüillez jufqu'aux
os , nos tentes& nos
barraques culbutées la
pluie , la grêle & le ton.
nerre avoient en plein Eté
répandu une effroyable nuit
au milieu du jour : nous
avions
GALANT
avions enfin marché dans
les tenebres pendant plus
de trois quarts d'heure ,
pour trouver quelque azi
le , lorſque nous arriva
mes, deux de mes amis &
moy , à la porte d'une caffine
à deux mille de Mani
touë. SainteColombe, Lieu
tenant de dragons dans
Fimarcon ,& Mauvilé, Capitained'infanterie
comme
moy , étoient les deux bra
vesquim'accompagnoient.
Désque nous eûmes gagné
cette amaiſon , nous fon
geâmes a nous charger de
Juin 714 .
1
18 MERCURE
1
javelles de ſarmens dont la
grange étoit pleine , pour
aller plutôt ſecher nos
habits. D'ailleurs , nous
croyions cette caffine del
ferte, comme elles l'étoient
preſque toutes aux envi
rons de Mantouë : mais en
ramaſſant les fagots que
nous deſtinions à nous fer
cher , nous fûmes, bien furpris
de trouver ſous nos
pieds des bayonnettes ,des
fufils& des piſtolets chars
gez , & quatre hommes
morts étendus ſous ounc
couche de foin Nous ting
GALANT. 19
2
mes auffitôt un petit conſeil
de guerre entre nous
trois , & en un moment
nous conclûmes que nous
devions nous munir premierement
des armes que
nous avions trouvées &
faire enfuite la viſite de
cette caffine. Cette refolution
priſe , nous arrivâmes
àune mauvaiſe porte , que
nous trouvâmes fermée.
Unbruit confus de voix&
de cris nous obligea à prêter
foreille. A l'inſtant nous
entendîmes un homme qui
difoit à fes camarades en
Bij
20 MERCURE
jurant : Morbleu la pitié eſt
une vertu qui ſied bien à
des gens indignes comme
vous ! Qui eſt-ce qui nous
ſçaura bon gré de nôtre
compaffion ? Ce ne ſera tout
au plus que nos méchantes
femmes , que ces chiens- là
deshonorent tous les jours.
Pour moy , mon avis eft
que nous égorgions tout à
l'heure celui- ci. Mais d'où
te vient tant de lâcheté,
Barigelli? Tu n'es pas content
d'avoir ſurpris ce François
avec ta femme,tuveux
apparemment qu'il y re
GALANT. 21
tourne. Non non , dit Barigelli,
à Dieu ne plaiſe que
je laiſſe cet outrage impuni
; je ſuis maintenant le
maître de ma victime , elle
ne m'échapera pas : mais
je veux goûter à longs traits
le plaiſir de ma vengeance.d
Mon infidelle eſt enchaî
née dans ma cave ; je veux
que ce traître la voye expirer
de rage & de faim dans
les ſupplices que je lui def
tine , & qu'auprés d'elle ,
chargé de fers , il meure de
lamême mort qu'elle, Surat
le champ la compagnic ap-
J
22 MERCURE
7
prouva ce bel expedient
mais nous ne donnâmes
pas à ces Meſſieurs le loifir
de s'en applaudir longtemps.
Du premier coup
nous briſames la porte , &
nous fimes main baſſe , la
bayonnette au bout du fu
fil , fur ces honnêtes gens ,
qui ne s'attendoient pas à
cet aſſaut. Ils étoient quatre.
Nous lesbleſſames tous,
ſans en tuer un ; nous leur
liâmes les mains derriere
le dos , nous délivrâmes le
malheureux qu'ils alloient
1.
facrifier comme ja viens
GALANT. 23
de vous dire , nous lui donnâmes
des armes , & tous
enſemble nous allames
joindre un Capitaine de
nos amis , qui étoit détaché
avec cinquante hommes
à un mille de la caf
fine où nous étions , dans
une tour qui eft au milieu
d'un foffé plein d'eau , à la
moitié du chemin de la
montagne noire à Mand
Dés que nous fûmes ar
rivez à cette tour, le fenti
nelle avancé appella la gar
de qui vint nous recevoir,
24 MERCURE
1
Nous paſſames auffitôt a
vec tout notre monde au
corps de garde de l'Offi
cier , qui nous dit en riant :
Je ne ſçai quelle chere vous
faire,Meſſieurs ; vôtre com
pagnie eſt ſi nombreuſe ,
qu'à moins qu'on ne vous
trouve quelque choſe à
manger , vous pourrez bien
jeûner juſqu'à demain.
Mais , continua stil , en
m'adreſſant la parole , que
ſignifie ce triomphe ? Eltce
pour ſignaler davantage
vôtre arrivée dans matour ,
qué vous m'amenézpçes
capGALANT.
25
captifs enchaînez. Il n'eſt
pas , lui dis je , maintenant
queſtion du détail de ces
raiſons. Nous vous confignons
premierement ces
priſonniers , & en ſecond
lieu nous vous prions de
faire allumer du feu pour
nous ſecher , de faire apporter
du vin pour nous rafraîchir
, & d'envoyer à
cent pas d'ici nous acheter
poulets & dindons , pour
les manger à votre mode
morts ou vifs. Nous vous
dirons enſuite tout ce que
vous avez envie d'appren-
Juin 1714. C
26 MERCURE
dre. A peine l'Officier eur
ordonné à un de ſes ſoldats
d'aller nous chercher ces
denrées , que nous entendîmes
tirer un coup de fufil.
Auſfitôt on crie , à la
garde. Un Caporal & deux
foldats vont reconnoître
d'où vient cette alarme. Un
moment aprés on nous
amene une jeune fille fort
belle , &un jeune homme,
que le ſentinelle avoit bleſſé
du coup de fufil que nous
avions entendu tirer. L'imprudent
qui couroit aprés
cette fille ne s'étoit pas ar
GALANT.
27
rêté ſur le qui vive du foldat
en faction. On le panſa
fur le champ , & la fille ſe
retira avec nous dans la
chambre de l'Officier. Elle
ſe mit ſur un lit de paille
fraîche , où nous la laiſiames
repofer & foûpirer ,
juſqu'à ce que l'on nous cût
accommodé la viande que
le foldat nous apporta. Nous
fimes donner du pain & du
vin à nos prifonniers ; & de
nôtre côté , pendant que
nous mangions un fort
mauvais ſoupé avec beaucoupd'appetit,
la jeune fille,
Cij
28 MERCURE
qui n'en avoit gueres , m'a
dreſſa le beau difcours que
vous allez lire .
Eſt il poſſible,traître, dit.
elle , en me regardant avec
des yeux pleins d'amour&
de colere,&tenant à lamain
un de nos coûteaux qu'elle
ayoit pris ſur la table , que
tu ayes tant de peine à me
reconnoître ? Oui eſt il poffible
que tu me traites avec
tant de rigueur , & que tu
fois auſſi inſenſible que tu
l'es aux perils où je m'expoſe
pour toy Je ſuis bien
faché , lui disje , en lui ôGALANT.
29
!
tant doucement le coûteau
della main que vous me
donniez les noms de traître
& d'inſenſible ; je ne les
merite en verité point , &
je vous affure que depuis
que je ſuis en Italie , je n'ai
encore été ni amoureux ,
ni cruel. Comment , lâche,
tu ofes me dire en face
que
tu n'es pas amoureux ? Ne
t'appelles tu pas Olivier de
la Barriere ? Ne viens tu pas
loger à vingt pas de la porte
Pradelle , lorſque tu ne
couches pas au camp ? Ne
t'es tu pas arrêté trente fois
C iij
30
MERCURE
1
la nuit à ma grille ? Ne
m'as - tu pas écrit vingt lettres
, que j'ai cachées dans
nôtre jardin & ne reconnois-
tu pas enfin Vefpafia
Manelli ? En verité lui dis
je , quoique je fois perfuade
depuis long temps que vous
êtes une des plus belles
perſonnes de l'Italie , je ne
vous croyois pas encore fi
belle que vous l'êtes , & je
ne m'imaginois pas que
vous euffiez des ſentimens
fi avantageux pour moy .
Je ne vous ai jamais vûë
que la nuit à travers uneja
GALANT.
31
loufie affreuſe ; & comme
je n'établis gueres de préjugez
ſur des conjectures ,
je pouvois ( à la mode de
France ) vous dire & vous
écrire ſouvent que vous
êtes belle , que je vous aime
, & que je meurs pour
vous , ſans m'en ſouvenir
un quart - d'heure aprés
vous l'avoir dit : mais à prefent
, je vous jure devant
ces Meffieurs , qui font mes
camarades & mes amis ,
que je ne l'oublirai jamais.
Ajoûte , infolent , me ditelle
, tranſportée de fureur
C iiij
32
MERCURE
& de depit , ajoûte la raillerie
à l'outrage. Où ſuisje
, & que deviendrai - je ,
grand Dieu ! fi tes amis ,
qui te voyent & qui m'entendent
, font auffi ſcelerats
que toy ?
Mauvilé, que ce diſcours
attendriſſoit déja , me regarda
, pour voir ſi j'approuverois
qu'il lui proposât
des expediens pour la
dedommager de mon infidelité
pretenduë : mais le
ſens froid exceffif que j'affectois
avec une peine infinie
, n'étoit qu'un foible
GALANT.
33
voile dont je m'efforçois
de me fervir , pour eſſayer
de dérober à mes camarades
la connoiſſance de l'a
mour dont je commençois
à brûler pour elle Je temoignai
neanmoins à Mauvilé
que je ne deſapprouverois
point ce qu'il lui diroit
pour m'en défaire , ou
pour la conſoler. Ainſi jugeant
de mes ſentimens
par mes geftes : Mademoifelle
, lui dit- il en Italien
qu'il parloit à merveille ,
nous ſommes d'un pays où
tout ce qu'on appelle infi
34
MERCURE
delité ici eſt ſi bien établi ,
qu'il ſemblequ'on ne puiſſe
pas nous ôter la liberté de
changer , ſans nous ôter en
même temps le plus grand
agrément de la galanterie.
La conſtance eſt pour nous
autres François d'un uſage
ſi rare ou fi difficile , qu'on
diroit que nous avons attaché
une eſpece de honte
à nous en piquer : cependant
vous êtes ſi belle, que ,
fans balancer , je renoncerois
à toutes les modes de
mon pays , pour m'attacher
uniquement à vous , fi ,
GALANT.
35
guerie des tendres ſentimens
que vous avez pour
mon ami , vous me permettiez
de vous offrir un coeur
incapable des legeretez du
ſien. Je ne ſçai , lui répon-,
dit- elle , affectant une fermeté
mépriſante , ce que je
ne ferois pas pour me vanger,
ſi je le croyois ſenſible
aux offres que vous me faites
: mais , Monfieur , quelque
emportement que j'aye
marqué , il ne s'agit pas
maintenant d'amour , & je
ne ſuis venuë ici ni pour
yous ni pour lui. Enfin
56 MERCURE
lorſque j'ai fongé à profiter
de l'orage qu'il a fait au
jourd'hui , pour me délivrer
de la plus injuſte perfecu
tion du monde, je n'ai point
regardé cette tour comme
un lieu qui dût me ſervir
d'azile;& fans l'imprudence
du jeune homme qui m'a
poursuivie ,j'aurois pris ſur
la droite , j'aurois évité vôtre
fentinelle , & je ſerois à
preſent arrivée à une maifon
, où j'aurois trouvé plus
de commodité , plus de re
pos , & autant de fûreté qu'-
ici. J'ai ſeulement une gra
GALANT. 37
ce à vous demander ; je prie
l'Officier qui commande
dans ce fort de garder pendant
trois jours le jeune
homme que le ſentinelle a
bleffé , & de me laiſſer de.
main fortir ſeule de cette
tour avant le lever du ſoleil.
Elle nous acheva dette petite
harangue d'un air
touchant & fi naturel , que
je ne fus pas le maître de
mon premier mouvement.
Enfin il me fut impoffible
de diffimuler plus longtemps
, & de ne lui pas dire
avec chaleur : Non , belle
38 MERCURE
Vefpafie , je ne vous quitte
rai pas , je veux vous ſuivre
où vous irez , courir la même
fortune que vous , &
vous ſervir juſqu'à la mort.
Helas , me dit- elle , en mé
jettant , avec un ſoûpir , un
regard d'étonnements jus'il
vous eſt ſi facile de paffer
de l'indifference à l'amour,
ne dois-je pas apprehender
que vous ne repaffiez éga
lement bientôt de l'amour
à l'indifference ? Maisquoy
quilen
qu'il en puiſſe être , vous ne
ſçauriez me propoſer rien
que je n'accepte. Où pouGALANT.
39
vez- vous me ſuivre ? où me
voulez vous conduire?Tout
ce pays eft couvert d'enne
mis, les Imperiaux ont deux
ponts de bateaux fur le Pô ;
Borgoforte , Guastalla , &
San Benedetto , qui font
lesſeules portes par où nous
pourrions fortir , font les
poftes qu'ilsoccupent.Non,
lui dis-je , non , charmante
Vefpafie,ne cherchons point
de ces retraites ſcandaleuſes
dont l'uſage eſt impra.
ticable à des gens d'honneur.
C'eſt à Mantouë que
vous devez retourner avec
40 MERCURE
moy. Nous y entrerons par
la porte del Té. Ce ſera demain
unCapitaine de nôtre
regiment qui y montera la
garde , je prendrai avec lui
de juftes meſures pour vous
introduire dans la ville,ſans
que perſonne vous y voye
entrer , & je vous donnerai
un appartement , où je vous
aſſure qu'on ne viendra pas
yous troubler. Mais , mon
Dieu ! reprit elle , je tremble
que mes freres ne ſçachent
où je ſerai : ahd s'ils
me découvrent , je ſuis à jamais
perduë. Ne vous inquietez
GALANTA
41
quierez pointis lui dis -je
nous mettrons bon ordre à
vôtre fûreté , & je vous ret
pons que la maiſon de nôtre
General ne fera pas mieux
gardéeque la vôtre. Prenez
maintenant un eſprit de
confiance & de liberté , &
contez nous , s'il vous plaît,
par quel hazard vous vous
êtes ſauvée juſques dans
Cette tour.
T
Vous ſçavez , dit alors
Vefpafie , que je demeure à
vingt pas de la porte Pradelle:
mais vous ne sçauriez
vous imaginer dans quel
Juin 1714. D
42 MERCURE
esclavage j'ai vécu depuis
mon enfance juſqu'à preſent.
Je ſuis fille de Julio
Lanzilao . Cette Maiſon eft
ſi conue en Italie , que ce
nom ſuffit pour vous donner
une juſte idée de ma
naiſſance. Je n'avois que
quinze ans lorſque mon
pere mourut ; il y en a trois
depuis ſa mort , que deux
freres que j'ai , s'imaginant
avoir herité de l'autorité
que mon pere avoit fur
moy , comme des biens de
nôtre famille , ſe ſont rendus
les tyrans de ma liberté.
GALANT.
43
Ils ont contracté depuis
long-temps une amitié fi
étroite avec un Gentilhom
me de Mantouë , qu'on appelle
Valerio Colucci , ( que
je n'ai jamais pû ſouffrir )
qu'il y a deux ans qu'ils
sacharnent à vouloir me
rendre la victime de la
tendreſſe qu'ils ont pour
lui. Ma froideur & mes
mépris ont ſouvent rompu
toutes leurs meſures : mais
les mauvais traitemens qu'-
ils m'ont faits ne l'ont que
trop vangé de mon indifference.
Enfin laffé lui-
Dij
44
MERCURE
même de l'injustice de mes
freres , qui lui avoient donné
la liberté de me venir
voir quand il lui plairoit ,
il me dit , en entrant un
ſoir dans ma chambre , à
une heure où je n'avois
jamais vû perſonne : Je ne
ſçai , Mademoiselle , ſous
quel titre me preſenter à
vos yeux ; c'eſt moy ( qui
ſuis l'objet de vôtre haine )
que vous accuſez de la rigueur
de vos freres : mais
je veux , pour vous détromper
, être plus genereux à
vôtre endroit ,qu'ils ne font
GALANT.
45
obſtinez à vous perfecuter.
Secondez moy , & vous
verrez qu'inceſſamment je
vous affranchirai du joug
qu'ils vous ont impoſe.
Vo
Voicy mon deſſein. Vous
avez à un mille & demi de
la Madona della gratia² , un
Palais où demeure vôtre
tante , qui vous aime , &
dans la ville le Convent de
SainteTherese ; ( qui n'eſt pas
lazile le moins libre que
vous puiffiez trouver ) choifiſſez
l'une de ces deux
maiſons. Si je dois , lui disje
, compter de bonne foy
46 MERCURE
fur le ſecours dont vous me
flatez , mettez - moy entre
les mains de ma tante ; elle
eſt ſouveraine dans ſon Palais
, elle n'aime pas mes
freres , & je vivrai certainement
mieux avec elle
qu'ailleurs. Cela étant , me
répondit- il , affectez en leur
prefence plus de complaiſance
pour moy, & ne vous
effrayez plus tant de la propoſition
qu'ils vous feront
encore de nous unir enſemble.
Ecrivez cependant
à vôtre tante de vous en.
voyer aprés demain fon
GALANT.
47
caroſſe à la porte del Té. Je
lui ferai tenir vôtre lettre
par un inconnu , j'écarterai
les gardes qui vous envi
ronnent, je vous aiderai à
ſortir d'ici ; enfin , quoy
quoy qu'il m'en coûte , je
vous eſcorterai juſqu'au
rendez- vous , plus content,
dans mon malheur , d'être
moy-même la victime du
ſacrifice que je vous fais ,
que de vous voir plus longtemps
l'objet de la rigueur
de vos freres. Je reſtai plus
d'une heure fans pouvoir
me refoudre. Je me mis
:
48 MERCURE
moy-même à la place d'un
amant toûjours haï , tou
jours malheureux , & j'eus
une peine extreme à pou
voir accorder des foins fi
genereux avec un amour
fi malrecompensé : mais il
échape toûjours quelque
choſe à nos reflexions ;
ce qu'on ſouhaite fait oublier
ce qu'on riſque , &
nôtre bonne foy determine
ſouvent nôtre eſprit à ne
gliger les raifons de nôtre
défiance. Je ne fongeai pas
feulement qu'ile fuffifoit ,
pour me faire un procés
crimi.
GALANT.
49
criminel avec mes freres ,
qu'ils me ſoupçonnaſſent
d'avoir écrit à ma tante. En
un mot je donnai dans le
piege , &je confiai ce billet
àmon fourbe.
Jene vous fais part qu'en
tremblant , Madame , du plus
important fecret de ma vie :
jevais enfin fortir d'esclavage.
Valerio Colucci , que j'ai tou
jours crû d'intelligence avec
mes freres ,fe charge lui-même
duſoin de me remettre en vos
mains , pourveu que vôtre caroſſe
m'attende aprés demain
Juin 1714.
E
50
MERCURE
1
aufoir à la porte del Té.Jene
fçaipas ce que je ferai s'il me
tient parole : mais je m'imagine
que je vousprierai de me permettre
d'être aufſſi genercuſeque
lui , s'il fatisfait l'impatience
que j'ai de me rendre à vous.
Il reçut cette lettre fatale
de ma main ; il la baiſa
avec mille tranſports , &
fur le champ il s'en alla ,
aprés m'avoir dit encore :
J'en ai maintenant plus
qu'il n'en faut , belle Vefpafie
, pour vous tirer inceffamment
de la ſerviGALANT.
SI
tude où vous vivez .
Il n'y avoit alors , conti
nua telle en s'adreſſant à
moy , que quatre ou cinq
jours que vous m'aviez écrit,
Seigneur Olivier, que
l'on vous envoyoit avec vôtre
compagnie à la Madona
della gratia , où vous apprehendiez
fort de refter deux
ou trois mois en garniſon.
Le defir de m'approcher de
vous , l'intention de vous
écrire , & l'efperance de
vous voir m'avoient determinée
à preferer la maiſon
dema tante au Convent de
1
E ij
St MERCURE
fainte Thereſe. Ce n'étoit
même qu'à votre confideration
, & que pour enga
ger davantage Valerio Con
lucci dans mes interêts, que
je l'avois flaté dans lebillet
que je lui avois confié , de
l'eſpoir d'être auffi genereuſe
que lui : mais il ne fit
de ce malheureux billet ni
l'uſage que j'en aurois ap
prehendé du côté de mes
freres , ni celui que j'en au
rois eſperé du mien. Il s'en
fervit ſeulement pour rendre
ce gage de ma credulité
le garant de ſa précaus
GALANT!
53
tion. Le jour marqué pour
ma fuire , il fit tenir un caroſſe
ſur l'avenue decla
porte del Té, derriere lePalais
de Son Alteſſe Serenif.
ſime , où je m'étois renduë
d'affez bonne heure avec
Leonor,malheureuſe épouſe
d'un nommé Barigelli, à qui
j'avois fait confidence de
cette entrepriſe. Nous nous
étions retirées toutes deux
dans un cabinet fombre &
frais , en attendantValerio ,
lorſque vous arrivâtes aſſez
a propos avec Monfieur *
* Sainte Colombe.
Eiij
54
MERCURE
pour nous délivrer d'un
danger où nous aurions
peut- être ſuccombé fans
vous. Les promptes & funeſtes
circonstances dont
fut fuivie l'action que vous
fites pour nous vous priverent
du plaifir de connoître
les gens que vous veniez
de fauver , & nous de
la fatisfaction de vous en
marquer nôtre reconnoif
fance.
Vous êtes deux ici qui
m'entendez : mais ce que
je viens de dire eſt peutêtre
pour ces autres Mef
GALANT.
55
ſieurs une énigme , que je
vais leur débroüiller.
Quoique vous ſoyez étrangers
dans ce pays , il y
a déja ſi long- temps que
vous campez ſur le glacis
de Mantouë , & que vos
troupes font en garnifon
dans cette ville, que je croy
qu'il n'y a pas un François
parmi vousquineconnoiffe
à merveille toutes les maifons
de Son Alteſſe , & fur
tout le Palais del Tés ; aufli
nevous en parlerai- je point;
mais je vais vous raconter
ce qui m'arriva derniere
E inj
36 MERCURE
ment dans le jardin de ce
Palais .
Je m'étois , comme je
vous ai dit , retirée avec
Leonordans un cabinet ſom
bre , d'où ( l'eſprit rempli
d'inquietudes ) j'attendois
que Valerio vinſt me faire
fortir , pour me conduire au
caroſſe de ma tante ', qui
devoit me mener à laMadona.
Je commençois déja
même à m'ennuyer de ne
le pas voir arriver , lorſque
tout à coup je fus laiſie de
crainte & d'horreur , à la
vûë d'un ſerpent + d'une
GALANT. 57
groffeur énorme. Je vis ce
terrible animal fortir d'un
trou , qu'il avoit apparemment
pratiqué ſous le piéd'eſtal
d'une ſtatuë de Diane
, qui étoit à deux pas de
la porte du cabinet oùj'étois.
Je pouſſai auffitôt un
grand cri , qui lui fit tourner
la tête de mon côté ;
je tombai à l'inſtant , &je
m'évanoüis. Cependant ces
Meſſieurs * , qui ſe promenoient
alors affez prés du
cabinet , vinrent à mon ſecours.
J'ai ſçû de Leonor
* Olivier & Sainte Colombe.
58
MERCURE
qui eut plus de fermeré que
moy , ce que vous allez apprendre.
Le ferpent ne s'effraya
point de voir deux
hommes courir ſur lui l'é
péeà la main ; au contraire
il s'éleva de plus de deux
pieds de terre pour s'élancer
ſur ſes ennemis , qui
m'entendent , & qu'il auroit
certainement fort embaraſſez
, quelque braves
qu'ils foient , ſi dans le moment
qu'il fit ſon premier
faut le Seigneur Olivier n'avoit
pas eu l'adreſſe de lui
couper la tête , qui alla fur
GALANT.
59
le champ faire trois ou quatre
bonds à deux pas de lui,
pendant que le reſte de ſon
corps ſembloit le menacer
encore : mais à peine cette
action hardie fut achevée ,
que le perfide Valerio me
joignit avec trois eftafiers
qu'il avoit amenez avec lui .
Les morceaux difperfez du
ſerpent qui venoit d'être
tué , le defordre où il me
trouva , & deux hommes
- qu'il vit l'épée à la main à
la porte du lieu où j'érois ;
tout ce ſpectacle enfin ex-
-cita dans ſon ame de ſi fu60
MERCURE
ne dis
rieux mouvemens de ja
louſie , qu'aprés avoir abattu
mon voile ſur mon vi
ſage , il me prit bruſquement
par le bras , & me fir
fortir du jardin , ſans me
donner le loiſir , je ne
pas de remercier mes liberateurs
d'un ſi grand fervice
, mais même de me
faire reconnoître à leurs
yeux. Il me fit auſſitôt monter
avec Leonor dans le
caroffe qu'il nous avoit deftiné
; & au lieu de me me.
ner à la maiſon de ma tante
, il nous eſcorta avec ſes
GALANT. 61
eftafiers qui alloient avec
lui , tantôt devant , tantôt
derriere ,juſqu'à une caffine
qui eft à un mille d'ici , &
dont il étoit le maître : mais
il fut bien trompé , en arri
vantà la maison , d'y trouver
des hôtes qu'il n'y avoit
pas mandez. Une troupe de
deferteurs ( ou de bandits ,
ſijene metrompe ) en avoit
la veille enfoncé les portes;
elle en avoit afſommé le
fermier , pillé la baſſe cour,
la cuiſine ,la cave & le grenier,&
mis en un mottouse
lacaffinedansun fi grand
62 MERCURE
fi
defordre , que Valerio ne
put s'empêcher de ſe plaindre
de leur violence , & de
les menacer de les faire
punir.Ces furieuxà l'inftant
lechargerent lui &les fiens
cruellement , qu'aprés
l'avoirtué avecſes eſtafiers,
ils le jetterent avec ſes armes
, fon bagage & ſa compagnie
à l'entréede la grange.
Ils couvrirent ces corps
de quelques bottes de foin,
enſuite ils vinrent à nôtre
caroffe , où ils nous trouverent
effrayées mortellement
de tout ce que nous
GALANT.
63
venions de voir. Ils nous
tinrent d'abord pluſieurs
diſcours inutiles pour nous
raffurer ; puis ils nous firent
deſcendre dans la ſalle où
ils étoient , & dont la table
& le plancher étoient auſſi
mouillez du vin qu'ils avoient
répandu , que leurs
mains l'étoient encore du
ſang qu'ils venoient de verfer.
Cependant un d'entr'eux
', moins brutal que
- les autres , s'approcha de
. moy , & me dit d'un air
d'honnête homme: Je vous
trouverois , Madame , bien
64
MERCURE
plus à plaindre que vous ne
l'êtes , d'être tombée entre
nosmains , ſi je n'avois pas
ici une autorité que qui que
ce ſoit n'oſe me diſputer, &
fi toutes les graces que je
vois dans vôtre perſonne
ne me déterminoient pas à
vous conduire tout àl'heure
dansun lieu plus commode,
plus honnête & plus fûr.
Remontez en caroffe , &
laiſſez vous mener à la Cafa
bianca., C'est une maiſon
fort jolie , entourée d'eaux
de tous côtez , ſituée au
milieu d'un petit bois , derriere
GALANT 5
riere la montague noire :
en un mot c'eſt une elpece
de citadelle qu'on ne peut
preſque inſulter fans canón
Vous y prendrez,Madame,
le parti qui vous plaira , dés
que vous vous ferez remife
de la frayeur que vous ve
nez d'avoir. Au reſte , il me
paroît, à vôtre contenance,
que nous ne vous avons
pas fait grand tort de vous
délivrer des infolens qui
vous ont conduite ici : cependant
ſi nous vous avons
offenſée , apprencz-nous a
reparer cette offense ; ou fi
Juin 1714. F
!
66 MERCURE
nous vous avons rendu
ſervice , nous sommes prêts
à vous en rendre encore. Je
ne ſçai , lui dis - je , quel
nom donner à preſent à ce
que vous venez de faire ,
quoique vôtre diſcours
commence à me raffurer :
maisj'eſperetout dufecours
que vous m'offrez . Vous
avez raiſon , Madame , reprit
il, de compter ſur moy;
je ne veux être dans vôtre
eſprit que ce que vous pouvez
vous imaginer de meil.
leur. Hâtons - nous ſeulement
de nous éloigner d'ici,
GALANT. 67
quoique la nuit commence
à devenir fort noire , & ne
vous effrayez point de vous
voir accompagnée de gens
qui vous eſcorteront peutêtre
mieux que ne pourroit
faire une troupe de milice
bien diſciplinée. Ainſi nous
marchâmes environ deux
heures avant que d'arriver
à la Caſa bianca , où nous
entrâmes avec autant de
ceremonie,que fi on nous
avoit reçûs de nuit dans une
ville de guerre. Alors le
Commandant de cette petite
Place,qui étoit le même
Fij
68 MERCURE
homme qui depuis la maifon
de Valerio juſqu'à fon
Fort m'avoit traitée avec
tant de politeffe , me de
manda ſije voulois lui faire
l'honneur de fouper avec
lui. Je lui répondis qu'il
étoit le maître , que cependant
j'avois plus beſoin de
repos que de manger , &
que je lui ferois obligée s'il
vouloit plûtôt me permet
tre de m'enfermer &de me
coucher dans la chambre
qu'il me deſtinoit. Volontiers
, Madame , me dit il ;
vous pouvez vous coucher
GALANT. 69
quand il vous plaira , cela
ne vous empêchera pas de
fouper dans votre lit. Auffitôt
il nous mena ,Leonor
&moy, dansune chambre
perduë , où nous trouvâmes
deux lits affez propres.
Voila , me dit-il , le vôtre ,
Madame , & voila celui
de vôtre compagne. Pour
moy , vous me permettrez
de paſſer la nuit ſurun fiege
auprés de vous ; les partis
qui battent continuelle
ment la campagner nous.
obligent à veiller prefque
toutes les nuits &rib ne
70 MERCURE
fera pas mal à propos que
je ne m'éloigne pas de
vous , pour vous guerir des
frayeurs que pourroient
vous caufer certaines furprites
auſquelles je ne vous
croy gueres accoûtumées.
Je vais cependant , en attendant
le ſouper , placer
mes fentinelles , & donner
les ordres qui conviennent
pour prévenir mille accidens
dont nous ne pouvons
nous mettre à couvert que
par un excés de précaution.
Dés qu'il nous eut quitté ,
Leonormedit en ſoûpirant:
GALANT.
71
Eſt- il poffible qu'un ſi hơn.
nête homme faſſe unmétier
auſſi étrange que celuici
, & que nous joüions à
preſent dans le monde le
rôle que nous joions dans
cette maiſon . Je cours de
moindres riſques que vous,
n'étant ni ſi jeune , ni fi
belle : mais quand tout ſeroit
égal entre nous deux ,
eſt-il rien d'horrible comme
les projets que vos freres
&mon mari forment à
preſent contre nous ? De
quels crimes peut on ne
nous pas croire coupables ,
72
MERCURE
ſi l'on ſçait jamais tout ce
qui nous arrive aujourd'hui
? A peine échapées
d'un peril nous retombons
dans un autre plus grand.
Vous fuyez la tyrannie de
vos freres , un ſerpent nous
menace , deux avanturiers
nous en délivrent ; võrre
amant vous trahit , des fol
dats l'affomment ; une trou
pe d'inconnus nous entraî
ne au milieu d'un bois , ou
nous enferme dans une
maiſon , où tout nous me
nace de mille nouveau
malheurs. Que ne peut-ik
pas
GALANT.
73.
pas nous arriver encore ?
Tout cela neanmoins ſe
paſſe en moins d'un jour.
Enfin reſoluës le matin à
tenter une avanture qui
nous paroît raiſonnable ,
nous ſommes expolées &
determinées le ſoir à en affronter
mille étonnantes.
Les reflexions que je fais ,
lui dis-je, ne ſont pas moins
funeſtes que les vôtres , &
la mort me paroît moins
affreuſe que tous les perils
que j'enviſage : mais nous
n'avons qu'une nuit à paf
fer pour voir la fin de ce
Juin1714 G
74 MERCURE
defordre. Efperons , ma
chere Leonor, efperons tout
de l'humanité d'unhomme,
peut être affez malheureux
lui même pour avoir pitié
des miferables. Il eſt ( fuje
ne me trompe ) le chefdes
brigans qui font ici : mais
l'autorité qu'il a fur eux ,
& l'attention qu'il a pour
nous , nous mettent à l'a
bri de leurs inſultes. Je ne
İçai , reprit Leonor , d'où
naiſſent mes frayeurs : mais
je ſens qu'il n'y ariend'aſſez
fort en moy pour diffiper
Thorreur des preſſentimens.
A
GALANT.
75
qui m'environnent.Ce n'eft
pas d'aujourd'hui que je
connois le vilage de nôtre
hôte , & je ſuis fort trompée
s'il n'eſt pas le frere
d'un jeune homme dont je
vous ai parlé pluſieurs fois.
Demandez lui , ſitôt qu'il
ſera revenu , deiquelle ville
il eft , & s'il ne connoît pas
Juliano Foresti , natifdeCarpi
7 dans le Modenois . Ce
Juliano elt fils d'un François
& d'une Françoiſe , qui
auroient fort mal paffé leur
temps avec l'Inquifition, fi
Sun Dominiquain ne les
Gij
76 MERCURE
avoit pas aidez à ſe ſauver
de Modene avec leur fa
mille, le jour même qu'elle
avoit reſolu de les faire ar
rêter. Oui , dit-il,Madame,
en pouffant la porte avec
Violence,
violence , oui je ſuis le frere
deJuliano Foresti dont vous
parlez. J'ai entendu toute
vôtre converſation , & vos
dernieres paroles ne m'ont
que trop appris d'où naiffent
vos inquietudes : mais
ce frere , dont vous êtes en
prine , & qui paffe pour
François aufli bien que
moy, va vous coûter dee
GALANT.
77
ſoins bien plus importans ,
s'il n'arrive pas demaindici
avant la fin du jour. Vous
têtes Madame Leonor de
Guaſtalla , femme du Signor
Barigelli , citadin de Mantouë
: Dieu ſoit loüé , je
retrouverai peut- être mon
frere par vôtre moyen ; ou
du moins s'il eſt tombé
entre les mains de vôtre
époux , comme on me l'a
dit hier au foir , vous me
ſervirez d'ôtage pour lui.
Mais pourquoy , lui ditelle
, voudriez - vous me
rendre reſponſable d'un
Giij
78
MERCURE
malheur où je n'aurois aucune
part ? Si vôtre frere
s'intereſſoit en ma fortune ,
comme il paroît que vous
l'apprehendez , vous ne ſeriez
pas maintenant à la
peine de vous inquieter de
fon fort. Il feroit au contraire
à preſent ici , puiſque
je l'ai fait avertir il y a trois ly
jours de le tenir aujourd'hui
fur l'avenuë de la Madona ,
où nous comptions ce matin
, Vefpafie & moy , d'arriver
ce ſoir : mais nous
avons eſſuyé en une demijournée
tant d'horribles
GALANT.
79
1
avantures,que tout ce qu'on
peut imaginer de plus facheux
ne peut nous rendre
gueres plus malheureuſes
que nous le ſommes.
Sur ces entrefaites , un
foldat entra d'un air effrayé
dans la chambre où nous
étions. Il parla un moment
àl'oreillede ſon General ; II
prit un petit coffre qui étoit
fous le lit que j'occupois ,
il l'emporta,&s'en alla .Nôtre
hôte nous dit alors,avec
une contenance de fermeté
que peu de gens conſerveroient
comme lui dans une
Giij
80 MERCURE
pareille conjoncturesJe ne
Içai pas quelle ſeraila fin
de tout ceci : mais à bon
compte , Madame , tenezvous
prête à executer ſur le
champ , pour vôtre ſalut ,
tout ce que je vous dirai ,
ou tout ce que je vous en
verrai dire , fi mes affaires
m'appellent ailleurs.21On
vient de m'avertir qu'il
m'arrivoit ce ſoir une com
pagnie dont je me pafferois
fortbien: maisil n'importe,
je vais ſeulement efſayer
d'empêcher que les gens
qui nous rendent viſite ſi
GALANT S
,
tard , ne nous en rendent
demain marin une autre.
Nous avons pour nous de
ſecours de la nuit cette
maiſon, dontl'accés eft difficile
, un bon ruiſſeau qui
la borde , & des hommes
refolusd'endéfendre vigou.
reuſement tous les paſſages.
Ne vous alarmez point d'a
vance , & repoſez vous fur
moy du ſoin de vous tirer
de cette affaire , quelque
fuccés qu'elle ait Alors il
nous quitta , plus effrayées
des nouveaux malheurs
dont nous étions menacées
82 MERCURE
que perfuadées par fon eloquence
de l'execution de
ſes promeſſes. En moins
d'une heure nous entendîmes
tirer plus de cent coups
de fufil ; le bruit & le va-
.carme augmenterent bien.
tôt avec tant de fureur, que
nous ne doutâmes plus que
mille nouveaux ennemis ne
fuſſent dans la maifon: Leo
nor diſparut à l'inftant , ſoit
qu'elle eût trouvé quelque
azile d'où elle ne vouloit
pas répondre àmes cris, de
peur que je ne contribuaffe
à nous faire découvrir plû
GALANT. 83
tốt , ou ſoit que la crainte
lui eût ôté la liberténde
m'entendre. Cependant à
force de chercher & de
tâtonner dans la chambre ,
je trouvai ſous une natte de
jonc, qui ſervoit de tapif
ſerie , une eſpace de la hauteur
& de la largeur d'une
porte pratiquée dans la muraille.
J'y entrai auſſitôt en
tremblant ; àdeux pas plus
loin je reconnus que j'étois
ſur un escalier , dont je def
cendis tous les degrez , au
pied deſquels j'apperçus de
loin une perite lumiere
84 MERCURE
(
qu'on avoit eu la précaution
d'enfermer ſous un
tonneau. Je m'en approchai
d'abord afin de la
prendre pour m'aider à
fortir de cette affreuſe ca
verne : mais le bruit & le
defordre ſe multipliant
avec mes frayeurs , je l'é
teignis par malheur. Neanmoins
le terrain où j'étois
me paroiſſant aſſez uni , je
marchai juſqu'à ce qu'enfin
je rencontrar une ouverture
à moitié bouchée d'un
monceau de fumier. Alors
j'apperçus heureuſement
GALANT. 85
une étoile , dont la lueur
me ſervit de guide pour me
tirer avec bien de la peine
de ce trou , où je venois de
faire un voyage épouvantable.
Je repris courage ;
&aprés m'être avancée un
peu plus loin ,je me trouvai
àl'entrée d'un petit marais
fec ,& plein d'une infinité
de gros roſeaux beaucoup
plus hauts quemoy.Enfin
accablée de laffitude & de
peur je crusque je ne
pouvois rencontrer nulle
part un azile plus favorable
que celui- là en attendant
86 MERCURE
le jour : ainſi je m'enfonçai
dans ce marais , juſqu'à ce
que je ſentis que la terre ,
plus humide en certains
endroits , moliſſoitſous mes
pieds. Je m'aflis , &je prêtai
pendant deux heures atten.
tivement l'oreille à tout le
bruir qui ſortoit de la maifon
dont je venois de me
ſauver fix heureuſement.
J'entendis alors des hurlemens
effroyables , qui me
furent d'autant plus fenfibles
, que je crus mieux reconnoître
la voix de Leonor.
Cependant au point du
GALANT 87
jour cette maiſon, qui avoit
été pendant toute la nuitun
champ de carnage & d'horreurs
,me parut auſſi tran.
quille , que fielle n'avoit
jamais étéhabitée. Dés que
je me crus affez afſurée que
le filence regnoit dans ce
funeſte lieu ,je fortis de mes
roſeaux , pour gagner à
travers la campagne un
village qui n'en est éloigné
que de quelques centaines
de pas . J'y trouvai un bon
vieillard , que les perils
dont onnefticontinuellement
menacé dansunpays
88 MERCURE
occupé par deux armées
ennemies , n'avoient pû
determiner à abandonner
ſa maiſon comme ſes voi
fins. Cebon-homme , autant
reſpectablepar le nom.
bre de ſes ans , qu'il l'eſt
dis-je pleu
par fontexperience & fa
vertu , étoit affis fur une
pierre àſa porte lorſque je
parus àſes yeux. Mon pere,
lui dis je auflitouren pleurant
ayez pitié de moy;
je me meurs de laffitude ,
de frayeur & de faim. En-
-tez dans ma maiſon , ma
Elle une répondit- il , &
vous
GALANT
89
vous y repoſez , en attendant
que mon fils revienne
avec ma petite proviſion
qu'il eſt allé chercher. Il
me fit aſſeoir ſur ſon lit ,
où il m'apporta du pain &
du vin , que je trouvai excellent.
Peu à peu le courage
me revint ,&je m'endormis.
A mon réveil il me
fit manger un petit morceau
de la provifion que
ſon fils avoit apportée ; il
me pria enſuire de lui conter
tout ce que vous venez
d'entendre. La ſatisfaction
qu'il eut de m'avoir ſecou-
Juin 1714 H
१०
MERCURE
ruë ſi à propos le fit pleurer
de joyc. Enfin il me promit
de me donner ( lorſque je
voudrois ſortir de ſa maiſon
) ſon fils & ſa mule pour
meconduire chez matante.
Je reſtai neanmoins trois
jours enfermée & cachée
chez lui , & le quatriéme ,
qui eſt aujourd'hui , j'ai crû
que je ne pouvois point
trouver une occafion plus
favorable que celle de l'orage
qu'il a fait tantôt ,
pourme ſauver au Palais de
ma tante , ſans rencontrer
fur les chemins perſonne
:
GALANT
qui put me nuire : mais à
pcine ai je été avec mon
guide àun mille de la mai
fon de ce bon vieillard ,
que nous avons été atta
quez par le jeune homme
que votreſentinelle ableſſé.
C'eſt le plus jeune de mes
freres , qui ayant appris
apparemment que je n'étois
point chez ma tante ,
m'a attendue ſur les ave-
-nuës de ſon Palais , juſqu'à
- ce qu'il m'ait rencontrée :
mais heureuſement mon
conducteur a lutte contre
lui avec beaucoup de cou
Hij
$2 MERCURE
rage , pour me donner le
temps de me ſauver . J'ai
auſfitôt lâché la bride à ma
mule , qui m'a emportée à
travers les champsaved
tant de violence , qu'elle
m'a jettée par terre à cent
pas du ſentinelle qui m'a
remiſe entre vos mains. Je
vous prie maintenant de
vous informer de l'état où
font mon pauvre guide , fa
mule & mon frere: bab
Alors nous la remerciâ.
mes tous de la peine qu'elle
avoit priſe de nous conter
une histoire auſſi intereſſanGALANTA
dou
to quedaficine ; && dont le
recit ad contribua pas peu
à me revidre ſur le champ
éperdûment amoureux d'elle.
Cependantnous ne
tâmes point que Barigelli ,
qui étoit un de nos prifonniersine
pût nous apprendre
le reste de l'avanture de
Leonor.Nous le fîmes monterànôtre
chambreavec ſes
camarades , où aprés l'avoir
traité avec beaucoup de
douceur & d'honnêteté,
nous lui demandâmes ce
qu'étoit devenuë ſa femme.
Meffieurs,nous dit-il , i
94
MERCURE
yla plus de trois mois que
le perfide Juliano Foreſti ,
que vous avez aujourd'hui
dérobé à ma vangeance ,
& qui eft maintenant, aflis
auprés de vous , cherche à
me deshonorer. J'ai furpris
pluſieurs lettres , qui ne
m'ont que trop inſtruit de
•l'intelligence criminelle
qu'il entretient avec ma
femme , j'ai ſçû la partie
que la ſcelerate avoit faite
pour voir ce traître , ſous
le pretexte de conduire la
Signora Veſpaſia chez ſa
tante. J'ai été parfaitement
GALANTM
informé de tous leurs pas ;
& fans avoir pû m'attendre
àce qui leur est arrivé dans
la maiſon du malheureux
Valerio Colucci , je n'ai pas
laiſſé de prendre toutes les
meſures imaginables , &
d'aſſembler une trentaine
-de payſans bien armez pour
lui arracher mon infidelle.
Je me ſuis mis en embuscade
aux environs de la
Caſa bianca , queje ſçavois
être l'unique retraite de
Juliano , de ſon frere , &
de tous les brigans du pays.
J'ai attaqué la maison &
96 MERCURE
tous ceux qui la défendoient
; je les ai mis tous ,
avec mes troupes, en pieces
& en fuite ; j'ai enfin retrouvé
ma perfide époufe ,
que j'ai enchaînée dans ma
cave , &j'ai été à peine forti
de chez moy , que j'ai rencontré
le perfide Juliano,
qui ne ſçavoit encore rien
de ce qui s'étoit paffé 1t
nuit chez fon frere. Il n'y
avoit pas une heure que je
l'avois pris , lorſque vous
nous avez ſurpris nous mê
mes dans la caſſine de Va
lerio.
:
SciGALANT.
97
Seigneur Barigelli, lui dit
Veſpaſia,vôtre femmen'eſt
point coupable , & la for
tune qui nous a perlecutées
depuis quelques jours d'une
façon toute extraordinaire,
a caufé elle ſeule tous les
malheurs qui vous ont rendu
ſa fidelitéſuſpecte. Enfin
nous determinâmes Bari
gelli à faire grace à la femme
, nous gardames Juliano
dans la tour , pour sçavoir
par ſon moyen des nouvel
les de ſon frere& des bandits,
dont le pays Mantoüan
étoit couvert
Juin 714.
& dont il
1
98 MERCURE
étoit le chef. Nous fimes
envaintous nosefforts pour
rendre plus docile le frere
de Vefpafie , il fut toûjours
intraitable à ſon égard. Le
Commandant de la Tous
voyant que nous n'en pouvions
rien tirer , s'empara
de ſa perſonne pour les trois
jours que fa foeur nous avoit
demandez . Enfin charmé
de toutes les bonnes qua
litez,de cette belle fille jo
la remenaiàlaville,comme
je le lui avois promis ; je lui
trouvai une maiſon fûre &
je la fisfor
commode, d'ou
LYON
* 1893
GALANT
THEQUR
tirun mois aprés, pote
voyer avec unde mes
dans la Principauté d'Orange
, aprés l'avoir épouléc
ſecretement à Mantouë.
Je profiterai de la premiere
occafion pour vous
envoyer l'histoire du
malheureux Sainte Colombe
* , qui vient d'être
*Quelque extraordinaires que foient
les circonstances de cette h ſtoire , il y
avoit plus de10. ou 12. mille hommes
de nos troupes dans Mantouë lors
qu'elle arriva ainſi on peut compter
quoique je n apprehende pas que per-
Iſonne dopoſe contre moy , pour m'accufer
de fuppofer des faits inventez ,
que je la rendrai fidelement comme
elle eft. Ii
100 MERCURE
aſſaſſiné par un marijatoux.
JE fuis bich aife, Mon
ſieur, devous envoyer l'hif
toire des quatrespionniers
mois desterco campagne,
し
GALANT. 15
avant que l'armée du Prince
Eugene nous enferme
dans Mantouë, bu olorist
Ne vous imaginez pas
fur ce titre que je veüille
vous entretenir à preſent
de mille actions de valeur
qui ſe font , & s'oublient
ici tous les jours, Rienn'eſt
ſi commun que ces nouvelles;
parce que , qui dit
homme de guerre dic
homme d'honneur. Ilaya
preſqueperſonne qui n'aille
la guerre , par confequent
preſque tout le mondea
de l'honneur , & le heroif.
ف
16 MERCURE
me eſt la vertu detous les
hommes : maisje veux vous
faire le détail d'une intrigue
, dont les caprices du
fort femblent n'avoir amené
tous les incidens qui la
compoſent , que pour en
rendre les circonstances bizarres&
galantes plus intereſſantes
aux lecteurs.
Nous étions moüillez jufqu'aux
os , nos tentes& nos
barraques culbutées la
pluie , la grêle & le ton.
nerre avoient en plein Eté
répandu une effroyable nuit
au milieu du jour : nous
avions
GALANT
avions enfin marché dans
les tenebres pendant plus
de trois quarts d'heure ,
pour trouver quelque azi
le , lorſque nous arriva
mes, deux de mes amis &
moy , à la porte d'une caffine
à deux mille de Mani
touë. SainteColombe, Lieu
tenant de dragons dans
Fimarcon ,& Mauvilé, Capitained'infanterie
comme
moy , étoient les deux bra
vesquim'accompagnoient.
Désque nous eûmes gagné
cette amaiſon , nous fon
geâmes a nous charger de
Juin 714 .
1
18 MERCURE
1
javelles de ſarmens dont la
grange étoit pleine , pour
aller plutôt ſecher nos
habits. D'ailleurs , nous
croyions cette caffine del
ferte, comme elles l'étoient
preſque toutes aux envi
rons de Mantouë : mais en
ramaſſant les fagots que
nous deſtinions à nous fer
cher , nous fûmes, bien furpris
de trouver ſous nos
pieds des bayonnettes ,des
fufils& des piſtolets chars
gez , & quatre hommes
morts étendus ſous ounc
couche de foin Nous ting
GALANT. 19
2
mes auffitôt un petit conſeil
de guerre entre nous
trois , & en un moment
nous conclûmes que nous
devions nous munir premierement
des armes que
nous avions trouvées &
faire enfuite la viſite de
cette caffine. Cette refolution
priſe , nous arrivâmes
àune mauvaiſe porte , que
nous trouvâmes fermée.
Unbruit confus de voix&
de cris nous obligea à prêter
foreille. A l'inſtant nous
entendîmes un homme qui
difoit à fes camarades en
Bij
20 MERCURE
jurant : Morbleu la pitié eſt
une vertu qui ſied bien à
des gens indignes comme
vous ! Qui eſt-ce qui nous
ſçaura bon gré de nôtre
compaffion ? Ce ne ſera tout
au plus que nos méchantes
femmes , que ces chiens- là
deshonorent tous les jours.
Pour moy , mon avis eft
que nous égorgions tout à
l'heure celui- ci. Mais d'où
te vient tant de lâcheté,
Barigelli? Tu n'es pas content
d'avoir ſurpris ce François
avec ta femme,tuveux
apparemment qu'il y re
GALANT. 21
tourne. Non non , dit Barigelli,
à Dieu ne plaiſe que
je laiſſe cet outrage impuni
; je ſuis maintenant le
maître de ma victime , elle
ne m'échapera pas : mais
je veux goûter à longs traits
le plaiſir de ma vengeance.d
Mon infidelle eſt enchaî
née dans ma cave ; je veux
que ce traître la voye expirer
de rage & de faim dans
les ſupplices que je lui def
tine , & qu'auprés d'elle ,
chargé de fers , il meure de
lamême mort qu'elle, Surat
le champ la compagnic ap-
J
22 MERCURE
7
prouva ce bel expedient
mais nous ne donnâmes
pas à ces Meſſieurs le loifir
de s'en applaudir longtemps.
Du premier coup
nous briſames la porte , &
nous fimes main baſſe , la
bayonnette au bout du fu
fil , fur ces honnêtes gens ,
qui ne s'attendoient pas à
cet aſſaut. Ils étoient quatre.
Nous lesbleſſames tous,
ſans en tuer un ; nous leur
liâmes les mains derriere
le dos , nous délivrâmes le
malheureux qu'ils alloient
1.
facrifier comme ja viens
GALANT. 23
de vous dire , nous lui donnâmes
des armes , & tous
enſemble nous allames
joindre un Capitaine de
nos amis , qui étoit détaché
avec cinquante hommes
à un mille de la caf
fine où nous étions , dans
une tour qui eft au milieu
d'un foffé plein d'eau , à la
moitié du chemin de la
montagne noire à Mand
Dés que nous fûmes ar
rivez à cette tour, le fenti
nelle avancé appella la gar
de qui vint nous recevoir,
24 MERCURE
1
Nous paſſames auffitôt a
vec tout notre monde au
corps de garde de l'Offi
cier , qui nous dit en riant :
Je ne ſçai quelle chere vous
faire,Meſſieurs ; vôtre com
pagnie eſt ſi nombreuſe ,
qu'à moins qu'on ne vous
trouve quelque choſe à
manger , vous pourrez bien
jeûner juſqu'à demain.
Mais , continua stil , en
m'adreſſant la parole , que
ſignifie ce triomphe ? Eltce
pour ſignaler davantage
vôtre arrivée dans matour ,
qué vous m'amenézpçes
capGALANT.
25
captifs enchaînez. Il n'eſt
pas , lui dis je , maintenant
queſtion du détail de ces
raiſons. Nous vous confignons
premierement ces
priſonniers , & en ſecond
lieu nous vous prions de
faire allumer du feu pour
nous ſecher , de faire apporter
du vin pour nous rafraîchir
, & d'envoyer à
cent pas d'ici nous acheter
poulets & dindons , pour
les manger à votre mode
morts ou vifs. Nous vous
dirons enſuite tout ce que
vous avez envie d'appren-
Juin 1714. C
26 MERCURE
dre. A peine l'Officier eur
ordonné à un de ſes ſoldats
d'aller nous chercher ces
denrées , que nous entendîmes
tirer un coup de fufil.
Auſfitôt on crie , à la
garde. Un Caporal & deux
foldats vont reconnoître
d'où vient cette alarme. Un
moment aprés on nous
amene une jeune fille fort
belle , &un jeune homme,
que le ſentinelle avoit bleſſé
du coup de fufil que nous
avions entendu tirer. L'imprudent
qui couroit aprés
cette fille ne s'étoit pas ar
GALANT.
27
rêté ſur le qui vive du foldat
en faction. On le panſa
fur le champ , & la fille ſe
retira avec nous dans la
chambre de l'Officier. Elle
ſe mit ſur un lit de paille
fraîche , où nous la laiſiames
repofer & foûpirer ,
juſqu'à ce que l'on nous cût
accommodé la viande que
le foldat nous apporta. Nous
fimes donner du pain & du
vin à nos prifonniers ; & de
nôtre côté , pendant que
nous mangions un fort
mauvais ſoupé avec beaucoupd'appetit,
la jeune fille,
Cij
28 MERCURE
qui n'en avoit gueres , m'a
dreſſa le beau difcours que
vous allez lire .
Eſt il poſſible,traître, dit.
elle , en me regardant avec
des yeux pleins d'amour&
de colere,&tenant à lamain
un de nos coûteaux qu'elle
ayoit pris ſur la table , que
tu ayes tant de peine à me
reconnoître ? Oui eſt il poffible
que tu me traites avec
tant de rigueur , & que tu
fois auſſi inſenſible que tu
l'es aux perils où je m'expoſe
pour toy Je ſuis bien
faché , lui disje , en lui ôGALANT.
29
!
tant doucement le coûteau
della main que vous me
donniez les noms de traître
& d'inſenſible ; je ne les
merite en verité point , &
je vous affure que depuis
que je ſuis en Italie , je n'ai
encore été ni amoureux ,
ni cruel. Comment , lâche,
tu ofes me dire en face
que
tu n'es pas amoureux ? Ne
t'appelles tu pas Olivier de
la Barriere ? Ne viens tu pas
loger à vingt pas de la porte
Pradelle , lorſque tu ne
couches pas au camp ? Ne
t'es tu pas arrêté trente fois
C iij
30
MERCURE
1
la nuit à ma grille ? Ne
m'as - tu pas écrit vingt lettres
, que j'ai cachées dans
nôtre jardin & ne reconnois-
tu pas enfin Vefpafia
Manelli ? En verité lui dis
je , quoique je fois perfuade
depuis long temps que vous
êtes une des plus belles
perſonnes de l'Italie , je ne
vous croyois pas encore fi
belle que vous l'êtes , & je
ne m'imaginois pas que
vous euffiez des ſentimens
fi avantageux pour moy .
Je ne vous ai jamais vûë
que la nuit à travers uneja
GALANT.
31
loufie affreuſe ; & comme
je n'établis gueres de préjugez
ſur des conjectures ,
je pouvois ( à la mode de
France ) vous dire & vous
écrire ſouvent que vous
êtes belle , que je vous aime
, & que je meurs pour
vous , ſans m'en ſouvenir
un quart - d'heure aprés
vous l'avoir dit : mais à prefent
, je vous jure devant
ces Meffieurs , qui font mes
camarades & mes amis ,
que je ne l'oublirai jamais.
Ajoûte , infolent , me ditelle
, tranſportée de fureur
C iiij
32
MERCURE
& de depit , ajoûte la raillerie
à l'outrage. Où ſuisje
, & que deviendrai - je ,
grand Dieu ! fi tes amis ,
qui te voyent & qui m'entendent
, font auffi ſcelerats
que toy ?
Mauvilé, que ce diſcours
attendriſſoit déja , me regarda
, pour voir ſi j'approuverois
qu'il lui proposât
des expediens pour la
dedommager de mon infidelité
pretenduë : mais le
ſens froid exceffif que j'affectois
avec une peine infinie
, n'étoit qu'un foible
GALANT.
33
voile dont je m'efforçois
de me fervir , pour eſſayer
de dérober à mes camarades
la connoiſſance de l'a
mour dont je commençois
à brûler pour elle Je temoignai
neanmoins à Mauvilé
que je ne deſapprouverois
point ce qu'il lui diroit
pour m'en défaire , ou
pour la conſoler. Ainſi jugeant
de mes ſentimens
par mes geftes : Mademoifelle
, lui dit- il en Italien
qu'il parloit à merveille ,
nous ſommes d'un pays où
tout ce qu'on appelle infi
34
MERCURE
delité ici eſt ſi bien établi ,
qu'il ſemblequ'on ne puiſſe
pas nous ôter la liberté de
changer , ſans nous ôter en
même temps le plus grand
agrément de la galanterie.
La conſtance eſt pour nous
autres François d'un uſage
ſi rare ou fi difficile , qu'on
diroit que nous avons attaché
une eſpece de honte
à nous en piquer : cependant
vous êtes ſi belle, que ,
fans balancer , je renoncerois
à toutes les modes de
mon pays , pour m'attacher
uniquement à vous , fi ,
GALANT.
35
guerie des tendres ſentimens
que vous avez pour
mon ami , vous me permettiez
de vous offrir un coeur
incapable des legeretez du
ſien. Je ne ſçai , lui répon-,
dit- elle , affectant une fermeté
mépriſante , ce que je
ne ferois pas pour me vanger,
ſi je le croyois ſenſible
aux offres que vous me faites
: mais , Monfieur , quelque
emportement que j'aye
marqué , il ne s'agit pas
maintenant d'amour , & je
ne ſuis venuë ici ni pour
yous ni pour lui. Enfin
56 MERCURE
lorſque j'ai fongé à profiter
de l'orage qu'il a fait au
jourd'hui , pour me délivrer
de la plus injuſte perfecu
tion du monde, je n'ai point
regardé cette tour comme
un lieu qui dût me ſervir
d'azile;& fans l'imprudence
du jeune homme qui m'a
poursuivie ,j'aurois pris ſur
la droite , j'aurois évité vôtre
fentinelle , & je ſerois à
preſent arrivée à une maifon
, où j'aurois trouvé plus
de commodité , plus de re
pos , & autant de fûreté qu'-
ici. J'ai ſeulement une gra
GALANT. 37
ce à vous demander ; je prie
l'Officier qui commande
dans ce fort de garder pendant
trois jours le jeune
homme que le ſentinelle a
bleffé , & de me laiſſer de.
main fortir ſeule de cette
tour avant le lever du ſoleil.
Elle nous acheva dette petite
harangue d'un air
touchant & fi naturel , que
je ne fus pas le maître de
mon premier mouvement.
Enfin il me fut impoffible
de diffimuler plus longtemps
, & de ne lui pas dire
avec chaleur : Non , belle
38 MERCURE
Vefpafie , je ne vous quitte
rai pas , je veux vous ſuivre
où vous irez , courir la même
fortune que vous , &
vous ſervir juſqu'à la mort.
Helas , me dit- elle , en mé
jettant , avec un ſoûpir , un
regard d'étonnements jus'il
vous eſt ſi facile de paffer
de l'indifference à l'amour,
ne dois-je pas apprehender
que vous ne repaffiez éga
lement bientôt de l'amour
à l'indifference ? Maisquoy
quilen
qu'il en puiſſe être , vous ne
ſçauriez me propoſer rien
que je n'accepte. Où pouGALANT.
39
vez- vous me ſuivre ? où me
voulez vous conduire?Tout
ce pays eft couvert d'enne
mis, les Imperiaux ont deux
ponts de bateaux fur le Pô ;
Borgoforte , Guastalla , &
San Benedetto , qui font
lesſeules portes par où nous
pourrions fortir , font les
poftes qu'ilsoccupent.Non,
lui dis-je , non , charmante
Vefpafie,ne cherchons point
de ces retraites ſcandaleuſes
dont l'uſage eſt impra.
ticable à des gens d'honneur.
C'eſt à Mantouë que
vous devez retourner avec
40 MERCURE
moy. Nous y entrerons par
la porte del Té. Ce ſera demain
unCapitaine de nôtre
regiment qui y montera la
garde , je prendrai avec lui
de juftes meſures pour vous
introduire dans la ville,ſans
que perſonne vous y voye
entrer , & je vous donnerai
un appartement , où je vous
aſſure qu'on ne viendra pas
yous troubler. Mais , mon
Dieu ! reprit elle , je tremble
que mes freres ne ſçachent
où je ſerai : ahd s'ils
me découvrent , je ſuis à jamais
perduë. Ne vous inquietez
GALANTA
41
quierez pointis lui dis -je
nous mettrons bon ordre à
vôtre fûreté , & je vous ret
pons que la maiſon de nôtre
General ne fera pas mieux
gardéeque la vôtre. Prenez
maintenant un eſprit de
confiance & de liberté , &
contez nous , s'il vous plaît,
par quel hazard vous vous
êtes ſauvée juſques dans
Cette tour.
T
Vous ſçavez , dit alors
Vefpafie , que je demeure à
vingt pas de la porte Pradelle:
mais vous ne sçauriez
vous imaginer dans quel
Juin 1714. D
42 MERCURE
esclavage j'ai vécu depuis
mon enfance juſqu'à preſent.
Je ſuis fille de Julio
Lanzilao . Cette Maiſon eft
ſi conue en Italie , que ce
nom ſuffit pour vous donner
une juſte idée de ma
naiſſance. Je n'avois que
quinze ans lorſque mon
pere mourut ; il y en a trois
depuis ſa mort , que deux
freres que j'ai , s'imaginant
avoir herité de l'autorité
que mon pere avoit fur
moy , comme des biens de
nôtre famille , ſe ſont rendus
les tyrans de ma liberté.
GALANT.
43
Ils ont contracté depuis
long-temps une amitié fi
étroite avec un Gentilhom
me de Mantouë , qu'on appelle
Valerio Colucci , ( que
je n'ai jamais pû ſouffrir )
qu'il y a deux ans qu'ils
sacharnent à vouloir me
rendre la victime de la
tendreſſe qu'ils ont pour
lui. Ma froideur & mes
mépris ont ſouvent rompu
toutes leurs meſures : mais
les mauvais traitemens qu'-
ils m'ont faits ne l'ont que
trop vangé de mon indifference.
Enfin laffé lui-
Dij
44
MERCURE
même de l'injustice de mes
freres , qui lui avoient donné
la liberté de me venir
voir quand il lui plairoit ,
il me dit , en entrant un
ſoir dans ma chambre , à
une heure où je n'avois
jamais vû perſonne : Je ne
ſçai , Mademoiselle , ſous
quel titre me preſenter à
vos yeux ; c'eſt moy ( qui
ſuis l'objet de vôtre haine )
que vous accuſez de la rigueur
de vos freres : mais
je veux , pour vous détromper
, être plus genereux à
vôtre endroit ,qu'ils ne font
GALANT.
45
obſtinez à vous perfecuter.
Secondez moy , & vous
verrez qu'inceſſamment je
vous affranchirai du joug
qu'ils vous ont impoſe.
Vo
Voicy mon deſſein. Vous
avez à un mille & demi de
la Madona della gratia² , un
Palais où demeure vôtre
tante , qui vous aime , &
dans la ville le Convent de
SainteTherese ; ( qui n'eſt pas
lazile le moins libre que
vous puiffiez trouver ) choifiſſez
l'une de ces deux
maiſons. Si je dois , lui disje
, compter de bonne foy
46 MERCURE
fur le ſecours dont vous me
flatez , mettez - moy entre
les mains de ma tante ; elle
eſt ſouveraine dans ſon Palais
, elle n'aime pas mes
freres , & je vivrai certainement
mieux avec elle
qu'ailleurs. Cela étant , me
répondit- il , affectez en leur
prefence plus de complaiſance
pour moy, & ne vous
effrayez plus tant de la propoſition
qu'ils vous feront
encore de nous unir enſemble.
Ecrivez cependant
à vôtre tante de vous en.
voyer aprés demain fon
GALANT.
47
caroſſe à la porte del Té. Je
lui ferai tenir vôtre lettre
par un inconnu , j'écarterai
les gardes qui vous envi
ronnent, je vous aiderai à
ſortir d'ici ; enfin , quoy
quoy qu'il m'en coûte , je
vous eſcorterai juſqu'au
rendez- vous , plus content,
dans mon malheur , d'être
moy-même la victime du
ſacrifice que je vous fais ,
que de vous voir plus longtemps
l'objet de la rigueur
de vos freres. Je reſtai plus
d'une heure fans pouvoir
me refoudre. Je me mis
:
48 MERCURE
moy-même à la place d'un
amant toûjours haï , tou
jours malheureux , & j'eus
une peine extreme à pou
voir accorder des foins fi
genereux avec un amour
fi malrecompensé : mais il
échape toûjours quelque
choſe à nos reflexions ;
ce qu'on ſouhaite fait oublier
ce qu'on riſque , &
nôtre bonne foy determine
ſouvent nôtre eſprit à ne
gliger les raifons de nôtre
défiance. Je ne fongeai pas
feulement qu'ile fuffifoit ,
pour me faire un procés
crimi.
GALANT.
49
criminel avec mes freres ,
qu'ils me ſoupçonnaſſent
d'avoir écrit à ma tante. En
un mot je donnai dans le
piege , &je confiai ce billet
àmon fourbe.
Jene vous fais part qu'en
tremblant , Madame , du plus
important fecret de ma vie :
jevais enfin fortir d'esclavage.
Valerio Colucci , que j'ai tou
jours crû d'intelligence avec
mes freres ,fe charge lui-même
duſoin de me remettre en vos
mains , pourveu que vôtre caroſſe
m'attende aprés demain
Juin 1714.
E
50
MERCURE
1
aufoir à la porte del Té.Jene
fçaipas ce que je ferai s'il me
tient parole : mais je m'imagine
que je vousprierai de me permettre
d'être aufſſi genercuſeque
lui , s'il fatisfait l'impatience
que j'ai de me rendre à vous.
Il reçut cette lettre fatale
de ma main ; il la baiſa
avec mille tranſports , &
fur le champ il s'en alla ,
aprés m'avoir dit encore :
J'en ai maintenant plus
qu'il n'en faut , belle Vefpafie
, pour vous tirer inceffamment
de la ſerviGALANT.
SI
tude où vous vivez .
Il n'y avoit alors , conti
nua telle en s'adreſſant à
moy , que quatre ou cinq
jours que vous m'aviez écrit,
Seigneur Olivier, que
l'on vous envoyoit avec vôtre
compagnie à la Madona
della gratia , où vous apprehendiez
fort de refter deux
ou trois mois en garniſon.
Le defir de m'approcher de
vous , l'intention de vous
écrire , & l'efperance de
vous voir m'avoient determinée
à preferer la maiſon
dema tante au Convent de
1
E ij
St MERCURE
fainte Thereſe. Ce n'étoit
même qu'à votre confideration
, & que pour enga
ger davantage Valerio Con
lucci dans mes interêts, que
je l'avois flaté dans lebillet
que je lui avois confié , de
l'eſpoir d'être auffi genereuſe
que lui : mais il ne fit
de ce malheureux billet ni
l'uſage que j'en aurois ap
prehendé du côté de mes
freres , ni celui que j'en au
rois eſperé du mien. Il s'en
fervit ſeulement pour rendre
ce gage de ma credulité
le garant de ſa précaus
GALANT!
53
tion. Le jour marqué pour
ma fuire , il fit tenir un caroſſe
ſur l'avenue decla
porte del Té, derriere lePalais
de Son Alteſſe Serenif.
ſime , où je m'étois renduë
d'affez bonne heure avec
Leonor,malheureuſe épouſe
d'un nommé Barigelli, à qui
j'avois fait confidence de
cette entrepriſe. Nous nous
étions retirées toutes deux
dans un cabinet fombre &
frais , en attendantValerio ,
lorſque vous arrivâtes aſſez
a propos avec Monfieur *
* Sainte Colombe.
Eiij
54
MERCURE
pour nous délivrer d'un
danger où nous aurions
peut- être ſuccombé fans
vous. Les promptes & funeſtes
circonstances dont
fut fuivie l'action que vous
fites pour nous vous priverent
du plaifir de connoître
les gens que vous veniez
de fauver , & nous de
la fatisfaction de vous en
marquer nôtre reconnoif
fance.
Vous êtes deux ici qui
m'entendez : mais ce que
je viens de dire eſt peutêtre
pour ces autres Mef
GALANT.
55
ſieurs une énigme , que je
vais leur débroüiller.
Quoique vous ſoyez étrangers
dans ce pays , il y
a déja ſi long- temps que
vous campez ſur le glacis
de Mantouë , & que vos
troupes font en garnifon
dans cette ville, que je croy
qu'il n'y a pas un François
parmi vousquineconnoiffe
à merveille toutes les maifons
de Son Alteſſe , & fur
tout le Palais del Tés ; aufli
nevous en parlerai- je point;
mais je vais vous raconter
ce qui m'arriva derniere
E inj
36 MERCURE
ment dans le jardin de ce
Palais .
Je m'étois , comme je
vous ai dit , retirée avec
Leonordans un cabinet ſom
bre , d'où ( l'eſprit rempli
d'inquietudes ) j'attendois
que Valerio vinſt me faire
fortir , pour me conduire au
caroſſe de ma tante ', qui
devoit me mener à laMadona.
Je commençois déja
même à m'ennuyer de ne
le pas voir arriver , lorſque
tout à coup je fus laiſie de
crainte & d'horreur , à la
vûë d'un ſerpent + d'une
GALANT. 57
groffeur énorme. Je vis ce
terrible animal fortir d'un
trou , qu'il avoit apparemment
pratiqué ſous le piéd'eſtal
d'une ſtatuë de Diane
, qui étoit à deux pas de
la porte du cabinet oùj'étois.
Je pouſſai auffitôt un
grand cri , qui lui fit tourner
la tête de mon côté ;
je tombai à l'inſtant , &je
m'évanoüis. Cependant ces
Meſſieurs * , qui ſe promenoient
alors affez prés du
cabinet , vinrent à mon ſecours.
J'ai ſçû de Leonor
* Olivier & Sainte Colombe.
58
MERCURE
qui eut plus de fermeré que
moy , ce que vous allez apprendre.
Le ferpent ne s'effraya
point de voir deux
hommes courir ſur lui l'é
péeà la main ; au contraire
il s'éleva de plus de deux
pieds de terre pour s'élancer
ſur ſes ennemis , qui
m'entendent , & qu'il auroit
certainement fort embaraſſez
, quelque braves
qu'ils foient , ſi dans le moment
qu'il fit ſon premier
faut le Seigneur Olivier n'avoit
pas eu l'adreſſe de lui
couper la tête , qui alla fur
GALANT.
59
le champ faire trois ou quatre
bonds à deux pas de lui,
pendant que le reſte de ſon
corps ſembloit le menacer
encore : mais à peine cette
action hardie fut achevée ,
que le perfide Valerio me
joignit avec trois eftafiers
qu'il avoit amenez avec lui .
Les morceaux difperfez du
ſerpent qui venoit d'être
tué , le defordre où il me
trouva , & deux hommes
- qu'il vit l'épée à la main à
la porte du lieu où j'érois ;
tout ce ſpectacle enfin ex-
-cita dans ſon ame de ſi fu60
MERCURE
ne dis
rieux mouvemens de ja
louſie , qu'aprés avoir abattu
mon voile ſur mon vi
ſage , il me prit bruſquement
par le bras , & me fir
fortir du jardin , ſans me
donner le loiſir , je ne
pas de remercier mes liberateurs
d'un ſi grand fervice
, mais même de me
faire reconnoître à leurs
yeux. Il me fit auſſitôt monter
avec Leonor dans le
caroffe qu'il nous avoit deftiné
; & au lieu de me me.
ner à la maiſon de ma tante
, il nous eſcorta avec ſes
GALANT. 61
eftafiers qui alloient avec
lui , tantôt devant , tantôt
derriere ,juſqu'à une caffine
qui eft à un mille d'ici , &
dont il étoit le maître : mais
il fut bien trompé , en arri
vantà la maison , d'y trouver
des hôtes qu'il n'y avoit
pas mandez. Une troupe de
deferteurs ( ou de bandits ,
ſijene metrompe ) en avoit
la veille enfoncé les portes;
elle en avoit afſommé le
fermier , pillé la baſſe cour,
la cuiſine ,la cave & le grenier,&
mis en un mottouse
lacaffinedansun fi grand
62 MERCURE
fi
defordre , que Valerio ne
put s'empêcher de ſe plaindre
de leur violence , & de
les menacer de les faire
punir.Ces furieuxà l'inftant
lechargerent lui &les fiens
cruellement , qu'aprés
l'avoirtué avecſes eſtafiers,
ils le jetterent avec ſes armes
, fon bagage & ſa compagnie
à l'entréede la grange.
Ils couvrirent ces corps
de quelques bottes de foin,
enſuite ils vinrent à nôtre
caroffe , où ils nous trouverent
effrayées mortellement
de tout ce que nous
GALANT.
63
venions de voir. Ils nous
tinrent d'abord pluſieurs
diſcours inutiles pour nous
raffurer ; puis ils nous firent
deſcendre dans la ſalle où
ils étoient , & dont la table
& le plancher étoient auſſi
mouillez du vin qu'ils avoient
répandu , que leurs
mains l'étoient encore du
ſang qu'ils venoient de verfer.
Cependant un d'entr'eux
', moins brutal que
- les autres , s'approcha de
. moy , & me dit d'un air
d'honnête homme: Je vous
trouverois , Madame , bien
64
MERCURE
plus à plaindre que vous ne
l'êtes , d'être tombée entre
nosmains , ſi je n'avois pas
ici une autorité que qui que
ce ſoit n'oſe me diſputer, &
fi toutes les graces que je
vois dans vôtre perſonne
ne me déterminoient pas à
vous conduire tout àl'heure
dansun lieu plus commode,
plus honnête & plus fûr.
Remontez en caroffe , &
laiſſez vous mener à la Cafa
bianca., C'est une maiſon
fort jolie , entourée d'eaux
de tous côtez , ſituée au
milieu d'un petit bois , derriere
GALANT 5
riere la montague noire :
en un mot c'eſt une elpece
de citadelle qu'on ne peut
preſque inſulter fans canón
Vous y prendrez,Madame,
le parti qui vous plaira , dés
que vous vous ferez remife
de la frayeur que vous ve
nez d'avoir. Au reſte , il me
paroît, à vôtre contenance,
que nous ne vous avons
pas fait grand tort de vous
délivrer des infolens qui
vous ont conduite ici : cependant
ſi nous vous avons
offenſée , apprencz-nous a
reparer cette offense ; ou fi
Juin 1714. F
!
66 MERCURE
nous vous avons rendu
ſervice , nous sommes prêts
à vous en rendre encore. Je
ne ſçai , lui dis - je , quel
nom donner à preſent à ce
que vous venez de faire ,
quoique vôtre diſcours
commence à me raffurer :
maisj'eſperetout dufecours
que vous m'offrez . Vous
avez raiſon , Madame , reprit
il, de compter ſur moy;
je ne veux être dans vôtre
eſprit que ce que vous pouvez
vous imaginer de meil.
leur. Hâtons - nous ſeulement
de nous éloigner d'ici,
GALANT. 67
quoique la nuit commence
à devenir fort noire , & ne
vous effrayez point de vous
voir accompagnée de gens
qui vous eſcorteront peutêtre
mieux que ne pourroit
faire une troupe de milice
bien diſciplinée. Ainſi nous
marchâmes environ deux
heures avant que d'arriver
à la Caſa bianca , où nous
entrâmes avec autant de
ceremonie,que fi on nous
avoit reçûs de nuit dans une
ville de guerre. Alors le
Commandant de cette petite
Place,qui étoit le même
Fij
68 MERCURE
homme qui depuis la maifon
de Valerio juſqu'à fon
Fort m'avoit traitée avec
tant de politeffe , me de
manda ſije voulois lui faire
l'honneur de fouper avec
lui. Je lui répondis qu'il
étoit le maître , que cependant
j'avois plus beſoin de
repos que de manger , &
que je lui ferois obligée s'il
vouloit plûtôt me permet
tre de m'enfermer &de me
coucher dans la chambre
qu'il me deſtinoit. Volontiers
, Madame , me dit il ;
vous pouvez vous coucher
GALANT. 69
quand il vous plaira , cela
ne vous empêchera pas de
fouper dans votre lit. Auffitôt
il nous mena ,Leonor
&moy, dansune chambre
perduë , où nous trouvâmes
deux lits affez propres.
Voila , me dit-il , le vôtre ,
Madame , & voila celui
de vôtre compagne. Pour
moy , vous me permettrez
de paſſer la nuit ſurun fiege
auprés de vous ; les partis
qui battent continuelle
ment la campagner nous.
obligent à veiller prefque
toutes les nuits &rib ne
70 MERCURE
fera pas mal à propos que
je ne m'éloigne pas de
vous , pour vous guerir des
frayeurs que pourroient
vous caufer certaines furprites
auſquelles je ne vous
croy gueres accoûtumées.
Je vais cependant , en attendant
le ſouper , placer
mes fentinelles , & donner
les ordres qui conviennent
pour prévenir mille accidens
dont nous ne pouvons
nous mettre à couvert que
par un excés de précaution.
Dés qu'il nous eut quitté ,
Leonormedit en ſoûpirant:
GALANT.
71
Eſt- il poffible qu'un ſi hơn.
nête homme faſſe unmétier
auſſi étrange que celuici
, & que nous joüions à
preſent dans le monde le
rôle que nous joions dans
cette maiſon . Je cours de
moindres riſques que vous,
n'étant ni ſi jeune , ni fi
belle : mais quand tout ſeroit
égal entre nous deux ,
eſt-il rien d'horrible comme
les projets que vos freres
&mon mari forment à
preſent contre nous ? De
quels crimes peut on ne
nous pas croire coupables ,
72
MERCURE
ſi l'on ſçait jamais tout ce
qui nous arrive aujourd'hui
? A peine échapées
d'un peril nous retombons
dans un autre plus grand.
Vous fuyez la tyrannie de
vos freres , un ſerpent nous
menace , deux avanturiers
nous en délivrent ; võrre
amant vous trahit , des fol
dats l'affomment ; une trou
pe d'inconnus nous entraî
ne au milieu d'un bois , ou
nous enferme dans une
maiſon , où tout nous me
nace de mille nouveau
malheurs. Que ne peut-ik
pas
GALANT.
73.
pas nous arriver encore ?
Tout cela neanmoins ſe
paſſe en moins d'un jour.
Enfin reſoluës le matin à
tenter une avanture qui
nous paroît raiſonnable ,
nous ſommes expolées &
determinées le ſoir à en affronter
mille étonnantes.
Les reflexions que je fais ,
lui dis-je, ne ſont pas moins
funeſtes que les vôtres , &
la mort me paroît moins
affreuſe que tous les perils
que j'enviſage : mais nous
n'avons qu'une nuit à paf
fer pour voir la fin de ce
Juin1714 G
74 MERCURE
defordre. Efperons , ma
chere Leonor, efperons tout
de l'humanité d'unhomme,
peut être affez malheureux
lui même pour avoir pitié
des miferables. Il eſt ( fuje
ne me trompe ) le chefdes
brigans qui font ici : mais
l'autorité qu'il a fur eux ,
& l'attention qu'il a pour
nous , nous mettent à l'a
bri de leurs inſultes. Je ne
İçai , reprit Leonor , d'où
naiſſent mes frayeurs : mais
je ſens qu'il n'y ariend'aſſez
fort en moy pour diffiper
Thorreur des preſſentimens.
A
GALANT.
75
qui m'environnent.Ce n'eft
pas d'aujourd'hui que je
connois le vilage de nôtre
hôte , & je ſuis fort trompée
s'il n'eſt pas le frere
d'un jeune homme dont je
vous ai parlé pluſieurs fois.
Demandez lui , ſitôt qu'il
ſera revenu , deiquelle ville
il eft , & s'il ne connoît pas
Juliano Foresti , natifdeCarpi
7 dans le Modenois . Ce
Juliano elt fils d'un François
& d'une Françoiſe , qui
auroient fort mal paffé leur
temps avec l'Inquifition, fi
Sun Dominiquain ne les
Gij
76 MERCURE
avoit pas aidez à ſe ſauver
de Modene avec leur fa
mille, le jour même qu'elle
avoit reſolu de les faire ar
rêter. Oui , dit-il,Madame,
en pouffant la porte avec
Violence,
violence , oui je ſuis le frere
deJuliano Foresti dont vous
parlez. J'ai entendu toute
vôtre converſation , & vos
dernieres paroles ne m'ont
que trop appris d'où naiffent
vos inquietudes : mais
ce frere , dont vous êtes en
prine , & qui paffe pour
François aufli bien que
moy, va vous coûter dee
GALANT.
77
ſoins bien plus importans ,
s'il n'arrive pas demaindici
avant la fin du jour. Vous
têtes Madame Leonor de
Guaſtalla , femme du Signor
Barigelli , citadin de Mantouë
: Dieu ſoit loüé , je
retrouverai peut- être mon
frere par vôtre moyen ; ou
du moins s'il eſt tombé
entre les mains de vôtre
époux , comme on me l'a
dit hier au foir , vous me
ſervirez d'ôtage pour lui.
Mais pourquoy , lui ditelle
, voudriez - vous me
rendre reſponſable d'un
Giij
78
MERCURE
malheur où je n'aurois aucune
part ? Si vôtre frere
s'intereſſoit en ma fortune ,
comme il paroît que vous
l'apprehendez , vous ne ſeriez
pas maintenant à la
peine de vous inquieter de
fon fort. Il feroit au contraire
à preſent ici , puiſque
je l'ai fait avertir il y a trois ly
jours de le tenir aujourd'hui
fur l'avenuë de la Madona ,
où nous comptions ce matin
, Vefpafie & moy , d'arriver
ce ſoir : mais nous
avons eſſuyé en une demijournée
tant d'horribles
GALANT.
79
1
avantures,que tout ce qu'on
peut imaginer de plus facheux
ne peut nous rendre
gueres plus malheureuſes
que nous le ſommes.
Sur ces entrefaites , un
foldat entra d'un air effrayé
dans la chambre où nous
étions. Il parla un moment
àl'oreillede ſon General ; II
prit un petit coffre qui étoit
fous le lit que j'occupois ,
il l'emporta,&s'en alla .Nôtre
hôte nous dit alors,avec
une contenance de fermeté
que peu de gens conſerveroient
comme lui dans une
Giij
80 MERCURE
pareille conjoncturesJe ne
Içai pas quelle ſeraila fin
de tout ceci : mais à bon
compte , Madame , tenezvous
prête à executer ſur le
champ , pour vôtre ſalut ,
tout ce que je vous dirai ,
ou tout ce que je vous en
verrai dire , fi mes affaires
m'appellent ailleurs.21On
vient de m'avertir qu'il
m'arrivoit ce ſoir une com
pagnie dont je me pafferois
fortbien: maisil n'importe,
je vais ſeulement efſayer
d'empêcher que les gens
qui nous rendent viſite ſi
GALANT S
,
tard , ne nous en rendent
demain marin une autre.
Nous avons pour nous de
ſecours de la nuit cette
maiſon, dontl'accés eft difficile
, un bon ruiſſeau qui
la borde , & des hommes
refolusd'endéfendre vigou.
reuſement tous les paſſages.
Ne vous alarmez point d'a
vance , & repoſez vous fur
moy du ſoin de vous tirer
de cette affaire , quelque
fuccés qu'elle ait Alors il
nous quitta , plus effrayées
des nouveaux malheurs
dont nous étions menacées
82 MERCURE
que perfuadées par fon eloquence
de l'execution de
ſes promeſſes. En moins
d'une heure nous entendîmes
tirer plus de cent coups
de fufil ; le bruit & le va-
.carme augmenterent bien.
tôt avec tant de fureur, que
nous ne doutâmes plus que
mille nouveaux ennemis ne
fuſſent dans la maifon: Leo
nor diſparut à l'inftant , ſoit
qu'elle eût trouvé quelque
azile d'où elle ne vouloit
pas répondre àmes cris, de
peur que je ne contribuaffe
à nous faire découvrir plû
GALANT. 83
tốt , ou ſoit que la crainte
lui eût ôté la liberténde
m'entendre. Cependant à
force de chercher & de
tâtonner dans la chambre ,
je trouvai ſous une natte de
jonc, qui ſervoit de tapif
ſerie , une eſpace de la hauteur
& de la largeur d'une
porte pratiquée dans la muraille.
J'y entrai auſſitôt en
tremblant ; àdeux pas plus
loin je reconnus que j'étois
ſur un escalier , dont je def
cendis tous les degrez , au
pied deſquels j'apperçus de
loin une perite lumiere
84 MERCURE
(
qu'on avoit eu la précaution
d'enfermer ſous un
tonneau. Je m'en approchai
d'abord afin de la
prendre pour m'aider à
fortir de cette affreuſe ca
verne : mais le bruit & le
defordre ſe multipliant
avec mes frayeurs , je l'é
teignis par malheur. Neanmoins
le terrain où j'étois
me paroiſſant aſſez uni , je
marchai juſqu'à ce qu'enfin
je rencontrar une ouverture
à moitié bouchée d'un
monceau de fumier. Alors
j'apperçus heureuſement
GALANT. 85
une étoile , dont la lueur
me ſervit de guide pour me
tirer avec bien de la peine
de ce trou , où je venois de
faire un voyage épouvantable.
Je repris courage ;
&aprés m'être avancée un
peu plus loin ,je me trouvai
àl'entrée d'un petit marais
fec ,& plein d'une infinité
de gros roſeaux beaucoup
plus hauts quemoy.Enfin
accablée de laffitude & de
peur je crusque je ne
pouvois rencontrer nulle
part un azile plus favorable
que celui- là en attendant
86 MERCURE
le jour : ainſi je m'enfonçai
dans ce marais , juſqu'à ce
que je ſentis que la terre ,
plus humide en certains
endroits , moliſſoitſous mes
pieds. Je m'aflis , &je prêtai
pendant deux heures atten.
tivement l'oreille à tout le
bruir qui ſortoit de la maifon
dont je venois de me
ſauver fix heureuſement.
J'entendis alors des hurlemens
effroyables , qui me
furent d'autant plus fenfibles
, que je crus mieux reconnoître
la voix de Leonor.
Cependant au point du
GALANT 87
jour cette maiſon, qui avoit
été pendant toute la nuitun
champ de carnage & d'horreurs
,me parut auſſi tran.
quille , que fielle n'avoit
jamais étéhabitée. Dés que
je me crus affez afſurée que
le filence regnoit dans ce
funeſte lieu ,je fortis de mes
roſeaux , pour gagner à
travers la campagne un
village qui n'en est éloigné
que de quelques centaines
de pas . J'y trouvai un bon
vieillard , que les perils
dont onnefticontinuellement
menacé dansunpays
88 MERCURE
occupé par deux armées
ennemies , n'avoient pû
determiner à abandonner
ſa maiſon comme ſes voi
fins. Cebon-homme , autant
reſpectablepar le nom.
bre de ſes ans , qu'il l'eſt
dis-je pleu
par fontexperience & fa
vertu , étoit affis fur une
pierre àſa porte lorſque je
parus àſes yeux. Mon pere,
lui dis je auflitouren pleurant
ayez pitié de moy;
je me meurs de laffitude ,
de frayeur & de faim. En-
-tez dans ma maiſon , ma
Elle une répondit- il , &
vous
GALANT
89
vous y repoſez , en attendant
que mon fils revienne
avec ma petite proviſion
qu'il eſt allé chercher. Il
me fit aſſeoir ſur ſon lit ,
où il m'apporta du pain &
du vin , que je trouvai excellent.
Peu à peu le courage
me revint ,&je m'endormis.
A mon réveil il me
fit manger un petit morceau
de la provifion que
ſon fils avoit apportée ; il
me pria enſuire de lui conter
tout ce que vous venez
d'entendre. La ſatisfaction
qu'il eut de m'avoir ſecou-
Juin 1714 H
१०
MERCURE
ruë ſi à propos le fit pleurer
de joyc. Enfin il me promit
de me donner ( lorſque je
voudrois ſortir de ſa maiſon
) ſon fils & ſa mule pour
meconduire chez matante.
Je reſtai neanmoins trois
jours enfermée & cachée
chez lui , & le quatriéme ,
qui eſt aujourd'hui , j'ai crû
que je ne pouvois point
trouver une occafion plus
favorable que celle de l'orage
qu'il a fait tantôt ,
pourme ſauver au Palais de
ma tante , ſans rencontrer
fur les chemins perſonne
:
GALANT
qui put me nuire : mais à
pcine ai je été avec mon
guide àun mille de la mai
fon de ce bon vieillard ,
que nous avons été atta
quez par le jeune homme
que votreſentinelle ableſſé.
C'eſt le plus jeune de mes
freres , qui ayant appris
apparemment que je n'étois
point chez ma tante ,
m'a attendue ſur les ave-
-nuës de ſon Palais , juſqu'à
- ce qu'il m'ait rencontrée :
mais heureuſement mon
conducteur a lutte contre
lui avec beaucoup de cou
Hij
$2 MERCURE
rage , pour me donner le
temps de me ſauver . J'ai
auſfitôt lâché la bride à ma
mule , qui m'a emportée à
travers les champsaved
tant de violence , qu'elle
m'a jettée par terre à cent
pas du ſentinelle qui m'a
remiſe entre vos mains. Je
vous prie maintenant de
vous informer de l'état où
font mon pauvre guide , fa
mule & mon frere: bab
Alors nous la remerciâ.
mes tous de la peine qu'elle
avoit priſe de nous conter
une histoire auſſi intereſſanGALANTA
dou
to quedaficine ; && dont le
recit ad contribua pas peu
à me revidre ſur le champ
éperdûment amoureux d'elle.
Cependantnous ne
tâmes point que Barigelli ,
qui étoit un de nos prifonniersine
pût nous apprendre
le reste de l'avanture de
Leonor.Nous le fîmes monterànôtre
chambreavec ſes
camarades , où aprés l'avoir
traité avec beaucoup de
douceur & d'honnêteté,
nous lui demandâmes ce
qu'étoit devenuë ſa femme.
Meffieurs,nous dit-il , i
94
MERCURE
yla plus de trois mois que
le perfide Juliano Foreſti ,
que vous avez aujourd'hui
dérobé à ma vangeance ,
& qui eft maintenant, aflis
auprés de vous , cherche à
me deshonorer. J'ai furpris
pluſieurs lettres , qui ne
m'ont que trop inſtruit de
•l'intelligence criminelle
qu'il entretient avec ma
femme , j'ai ſçû la partie
que la ſcelerate avoit faite
pour voir ce traître , ſous
le pretexte de conduire la
Signora Veſpaſia chez ſa
tante. J'ai été parfaitement
GALANTM
informé de tous leurs pas ;
& fans avoir pû m'attendre
àce qui leur est arrivé dans
la maiſon du malheureux
Valerio Colucci , je n'ai pas
laiſſé de prendre toutes les
meſures imaginables , &
d'aſſembler une trentaine
-de payſans bien armez pour
lui arracher mon infidelle.
Je me ſuis mis en embuscade
aux environs de la
Caſa bianca , queje ſçavois
être l'unique retraite de
Juliano , de ſon frere , &
de tous les brigans du pays.
J'ai attaqué la maison &
96 MERCURE
tous ceux qui la défendoient
; je les ai mis tous ,
avec mes troupes, en pieces
& en fuite ; j'ai enfin retrouvé
ma perfide époufe ,
que j'ai enchaînée dans ma
cave , &j'ai été à peine forti
de chez moy , que j'ai rencontré
le perfide Juliano,
qui ne ſçavoit encore rien
de ce qui s'étoit paffé 1t
nuit chez fon frere. Il n'y
avoit pas une heure que je
l'avois pris , lorſque vous
nous avez ſurpris nous mê
mes dans la caſſine de Va
lerio.
:
SciGALANT.
97
Seigneur Barigelli, lui dit
Veſpaſia,vôtre femmen'eſt
point coupable , & la for
tune qui nous a perlecutées
depuis quelques jours d'une
façon toute extraordinaire,
a caufé elle ſeule tous les
malheurs qui vous ont rendu
ſa fidelitéſuſpecte. Enfin
nous determinâmes Bari
gelli à faire grace à la femme
, nous gardames Juliano
dans la tour , pour sçavoir
par ſon moyen des nouvel
les de ſon frere& des bandits,
dont le pays Mantoüan
étoit couvert
Juin 714.
& dont il
1
98 MERCURE
étoit le chef. Nous fimes
envaintous nosefforts pour
rendre plus docile le frere
de Vefpafie , il fut toûjours
intraitable à ſon égard. Le
Commandant de la Tous
voyant que nous n'en pouvions
rien tirer , s'empara
de ſa perſonne pour les trois
jours que fa foeur nous avoit
demandez . Enfin charmé
de toutes les bonnes qua
litez,de cette belle fille jo
la remenaiàlaville,comme
je le lui avois promis ; je lui
trouvai une maiſon fûre &
je la fisfor
commode, d'ou
LYON
* 1893
GALANT
THEQUR
tirun mois aprés, pote
voyer avec unde mes
dans la Principauté d'Orange
, aprés l'avoir épouléc
ſecretement à Mantouë.
Je profiterai de la premiere
occafion pour vous
envoyer l'histoire du
malheureux Sainte Colombe
* , qui vient d'être
*Quelque extraordinaires que foient
les circonstances de cette h ſtoire , il y
avoit plus de10. ou 12. mille hommes
de nos troupes dans Mantouë lors
qu'elle arriva ainſi on peut compter
quoique je n apprehende pas que per-
Iſonne dopoſe contre moy , pour m'accufer
de fuppofer des faits inventez ,
que je la rendrai fidelement comme
elle eft. Ii
100 MERCURE
aſſaſſiné par un marijatoux.
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Résumé : HISTOIRE nouvelle.
Le texte relate plusieurs intrigues militaires et amoureuses se déroulant pendant la campagne de Mantoue. Un officier et deux de ses amis, Sainte-Colombe et Mauvilé, cherchent refuge dans une ferme après une marche éprouvante sous une pluie torrentielle. Ils découvrent des armes et des cadavres dans la grange, ce qui les pousse à explorer la ferme. Ils surprennent alors un groupe d'hommes discutant de la vengeance à infliger à un prisonnier français. Les officiers interviennent, libèrent le prisonnier et capturent les assaillants. Ils se rendent ensuite dans une tour où ils rencontrent une jeune femme, Vespasia Manelli, et un jeune homme blessé. Vespasia révèle qu'elle est amoureuse de l'officier, Olivier de la Barrière, et exprime sa colère face à son indifférence apparente. Après des échanges tendus, Olivier avoue ses sentiments et propose à Vespasia de la protéger en la ramenant à Mantoue. Vespasia accepte et raconte son évasion de sa maison où elle vivait dans l'esclavage. Le texte décrit également la situation d'une jeune femme de dix-huit ans, dont le père est décédé trois ans auparavant. Ses deux frères, s'imaginant héritiers de l'autorité paternelle, se comportent en tyrans envers elle. Ils entretiennent une amitié étroite avec Valerio Colucci, un gentilhomme de Mantoue, que la jeune femme n'apprécie pas. Depuis deux ans, ses frères et Colucci cherchent à la marier contre son gré. La jeune femme, lassée de cette situation, accepte un plan de Colucci pour l'emmener chez sa tante. Cependant, le jour prévu pour la fuite, un serpent apparaît et effraie la jeune femme. Deux hommes, Olivier et Sainte-Colombe, viennent à son secours et tuent le serpent. Colucci arrive alors avec des estafiers et emmène la jeune femme dans une maison où ils sont attaqués par des bandits. Ces derniers, après avoir maîtrisé Colucci, offrent à la jeune femme de l'emmener dans une maison plus sûre, la Casa Bianca. La jeune femme accepte et est escortée jusqu'à cette demeure, où elle passe la nuit en sécurité. Le texte relate également les aventures de Leonor et Galant, menacés par des brigands et des ennemis. Leonor exprime ses craintes et ses réflexions sur les événements qui se succèdent rapidement. Un homme, qui se révèle être le frère de Juliano Foresti, les aide à se protéger. Leonor reconnaît cet homme et lui demande des informations sur son frère. L'homme révèle qu'il est à la recherche de son frère et qu'il utilise Leonor comme otage. Leonor explique qu'elle a tenté de prévenir Juliano des dangers, mais qu'ils ont rencontré de nombreux obstacles. Une nuit, Leonor se cache dans une caverne et entend des hurlements effroyables. Le matin suivant, elle se rend dans un village où un vieillard l'accueille et la protège. Après trois jours, elle décide de se rendre au palais de sa tante, mais est attaquée par son frère. Elle parvient à s'échapper et est finalement ramenée en sécurité. Le texte se termine par l'arrivée de Barigelli, qui raconte comment il a découvert la trahison de sa femme et de Juliano Foresti, et comment il a tenté de les capturer. Enfin, le texte mentionne des événements survenus en juin 714, impliquant des figures politiques et militaires. Une femme, dont la fidélité a été mise en doute, est à l'origine de divers malheurs. Bari Gelli obtient une grâce pour cette femme, tandis que Juliano est retenu dans une tour pour obtenir des informations sur son frère et les bandits qui sévissent dans le pays mantouan, dont il est le chef. Des efforts sont déployés pour rendre le frère de Vespasie plus docile, mais sans succès. Le commandant de la tour le retient alors pendant trois jours. Une jeune fille, appréciée pour ses qualités, est ramenée en ville et installée dans une maison sûre et confortable. Quelques mois plus tard, elle est envoyée en secret dans la Principauté d'Orange. Le narrateur mentionne également l'intention d'envoyer l'histoire du malheureux Sainte-Colombe, assassiné par un marijatoux. Lors des événements, environ 10 000 à 12 000 hommes des troupes étaient présents à Mantoue. Le narrateur assure qu'il relatera fidèlement les faits, sans inventer de détails.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 6-53
HISTOIRE nouvelle.
Début :
Il y a environ six semaines que Don Alonzo de [...]
Mots clefs :
Maison, Chevalier, Dames, Madrid, Cavaliers
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texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE nouvelle.
HISTOIRE
nouvelle.
IL y a environ lîx femaines
que Don Alonzo de
Cordouë,qui aune fort
belle maison de campagne
dans le village àzLegane^
m'invita à aller passer les
quinze premiers jours du
printempschez lui. Sa soeur,
qui est une fort aimable
fille, & qui avoit pour moy
1
des;bontezi que jene meritois
pas,, ; dévoies nous y
tenir-compagnie ; samaîtrelie
y devoir être avec
elle,30c Fernando dtb Rio
nôtre intime ami 3à qui
nous avions proposé quelques
jours auparavant de
(e mettre de la partie, a3a.
voit consentià être des notrès,
qu'à condition que sa
maîtresse en feroit aussi, te
que nous ne sortirions de
chez nôtre hôte, que pour
aller passer une autre quinzaine
à la maison de Pinto4.
Nous lui promîmes tout cc
u'il voulut^ lc.jaalpcii;
pour cette panses,.a^&enak
barquâmes nosrrpikBaflaes
dans un même'caroflfc, &
nous les simes*parrir<de,Ma-,
drid;deuxL>heurfifn«.valu
nous,afin.qu'elkaeuffen£
le tempsdesemettreàleur
aise, & de ..fc':¿repQ{et. ea
nbuss.ittçn(Jant:riI>£nôtre
cbuà nousimontâiries aussi
en carosse, aprésavoir ordonne
à nos valetsdeiious
tenir à l'entrée de la tfiuifc
nos chevaux prêtsapports
de la Vegts. Nôtre intention
écoit de nouspromener
mPxmo Kiejp.f,juiquSL
ce que nous pûssions prositc$
jdu. clair deL'une, pour
nous rendre plus fraîchement
àLeganez, ou nous
devions-nous mettre à taille
en arrivant. n-croitmieux'!-;,.' concerte
en apparence., que
çpî:te«partie-cependant elle
tournatout de travers pour
mes amis, pour leurs maîtreflfes
, & fort heureuse- ipçjitp<?urt.moy.
LesDames., que nous
avions eu lafage precautipn
de faire partir deux
bonnes heures avant nous
pour leur commodité, avoient ordonné à leurcocher
de marcher doucementypour
serendre ense
promenant à Leganez. Elles
avoient même déja fait
plus de la moitié du chemin,
lorsque deux Cavaliers,
qui s'étoient mis en
embuscade derriere une petite
hauteur, pour les voir
passer sans être vus, àrriverent
àtoute bride à leur
carosse. Vous n'avez pas un
moment de temps à per- dre, Mesdames, pour retourner
en diligence à Madrid
, leur dirent ils tout
hors d'haleine. Alonzo de
Cordoue, Fernando del
Rio, & un de leurs amis
qui etolt avec eux, viennent
de se faire une des
plus cruelles affaires du
monde. ils ont, je ne sçai "-
comment, insusté deux Dîmes
qui se promenoient au
Prado;elles s'en sont plaintes
à Don Lope de Cereza
qu'elles ont renconrré.
Ce Cavalier, qui est sans
doutede leurs amis, a voulu
sur le champ tirer raisonde
cette insulte. Leurs carosses
se sont accrochez; ils se
sont donne parole, ils,o-nt
pris le chemin de Val/ecas *
& là, trois contre trois,ils
se sont battus à oucrance.
Nous ayons vu la fin de ce combat, dont le détail funeste
ne seviroit quaaugmenter
vosalarmes, ôc qu'à
retarder le prompr secours
qu'ils attendent apparemment
de vous. Si
nous ne vous avions pas
* C*ef}Hnvillage cjtiifournit da
f un à bla Irii
> comme Gomjfc en fournit à Parisrenconcréesen
chemin,
nous aurions été vous chercher
jusques à Leganez
,
pour vousramener à Madrid,
à leur prière:mais heifc
reufement/nous sommes
encoreiiprocheau,lieuoù
leicombacvient de -faîpaJa (, fer, îqiienvretQunnantJ fias
vos pas, & prenant lapremiererouteà
droite, vous
verrez! de vos propres yeux
ôc lecham de bataille,&
peut-être même les com- battans.: ':
¡!!'j Ces deux,.,tendres dépit*
tez.finireiuiieur recit d'un
air si touchant, qu'ils per.
suaderent nos pauvres Dames,
qui donnerent de si
bonne grace dans le panneau,
queleurs nouveaux
guides, pour éviternôtre
rencontre, leur firent abandonnerle
grancLxrhemin
de Leganez;&fan^:trouver
aucune trace de nôtre
avanture, les firent rentrer
dans Madriduninstant avpantoqur'onteery:
sfer.mât , lei
D'un autre côté, pendantque
nousrte,fongibns
qu'à nous proencmurâraw
4qililcme^(/i%u Prado,voici
cequi nou^.arriya,
Nous remarquâmes un
c^roflfe d^fts lequel ;4toieac
qu0tr&0^ti- ïpicfiçdetempsentemps
les rideaux dont elles se
"rorvoient ;.oôllr fç cacher
JprÉque gqvkctl aurjpîTjéscFçlles.
Laplushabile
deces Dames me parla discreçemencaveç
ses ,doigts?J
êçaussiclairement queje
vous parléavec la bouche.
:M$lJ.Uv,roYfJz ,Chevalier,
me dit : elle,-aller, souper
^jour^Tyûîtegancziî
niais, je^bu^èn?empccticrai
bien.Ne témoignezrien
à-vosamis-dè- la menace
•-«jue^jfc*vqas* -fivous vouiez*<^ie<jerv<ôfii
de'doiirt-
8)magêIl agrc&bletfieriÉ"1du
:.fouper que-jê~ivous1 ferai
perdre0.Jhlui''tjépondii lîir
-dé tëàêhite*iQti ]»pà"daâs'ftc
-inertie'laijga la maujreîTe de»nousjoüer
ct.el;courIqu'a'llui='plaireit',
pourveu1qu'elles»engageât
a me
tenir-àla. litfcrtJaîpâ-
,
rôle qu'elle^me»*dotm&ic. ,medire elfe
: 3&? pour
:
jEÛeusTeacfeerJtë'ijcu°iP|*Se
nous
nous venions dç^jouer,2clhî3
dit touthaut:Eloignonsnvoiluessd,
qeucie,sdeCpauvisaplileurss,idn'cuin:'
quart d'heurequ'ils ~jpj~b
menentà côtedenous
n'ont pas seulement eUiJaj
politesse de nous ,q,jfF u~!~
parole obligeante. Çc^
cher, quitte la filedescarosses,
& mene-nous hor» ldelaville.
encore un..
tour de promenade , §3
avant qu'on fermâtles pqç,.,
tes8 de la ville ,nous ga",
gnâmes celle def laVega,
f
où nous montâmes à cheval
pour nous rendre à Le ganez.
A deux cens pas de Madrid
un vieillard, qui depuis
plus de vingt ans demande
l'aumône sur le grand chemin,
nouscria de sa hute :
Dieu vousgarde, Chevaliers
..Alonzo de Cordouë, ta mere
-se meurt ; Fernando delRio,
ta maîtresse te trahit ; Mirador,
la tiennet'attend.Vieillard
,lui dis- je,qui t'a appris
ces étranges nouvelles?
Ne m'en demande pas davantage,
me répondit-il,
donne-moy feulement l'aumône
, & va-t-en ou ton
honneur t'appelle.Reçois
cette aumône, luidit atiffi
tôt Alonzo,&dis moy dé
qui tu sçais la nouvelle que
tu viens de m'apprendre?
Je ne veux pointde ton
aumône,reprit le vieillard;
d'abord que tu attaches une
condition au bienque tu
me dois faire. Et toy, dit il
à Fernando, qui as compté
de passer quinze jours à Leganez,
& autant àPinto,
croy-moy,va-t-en à Aranjikï('*
, ravir ou ceder ta
maîtresse à ton rival. Cet
oracle nous cau sa des mouyemens
fort differens.Nous
restâmessur legrand ~he~
min,comme trois :hommes
qui ne sçavent où don.
ner df^a tête, Alonzoapprehendtfyep
raison de
ne pouvoir pasrentrerdans
la ville,Fernando juroit
qu'il étoitsipeu amoureux,
quoy ,q.u'il.,,cmaîtres,
le9quïl ne craignoit presque
ni concurrencç,niinfi-,
delité; & je sçavois de mon
côté moins que pcrfpnneoù^
monhonneur mappellôic.
Quoique je ne doutasse
point que la situation où
nousnous trouvions alors
ne fût un effet de la menace
de l'invisible
,
qui s'étoit
(ervie à la promenade de
ses doigts pour m'annoncer
l'intention quelle avoit de
se divertir à nos dépens; je
n'envifageois encore dans
cet exploit ni honneur, ni
gloire à acquérir.,,, Cependant nous nous
déterminâmes à ne nous
soinsquitter en dépit qç;
oracle, ôç nous fûmesau
galop jusquesà L^ganez*
Nous trouvâmestoutesles
portes de la maison d'Alonzo
fermées. Nous fîmes
grand bruit pour nous les
faire ouvrir; personne ne
vint. A la finresolus d'en
enfoncer une, une vieille,
que nôtre vacarme avoit
arrachée de son grabat,
parut à la fenêtre, & nous
demanda d'une voix tremblante,
quinous étions. Qui
je suis, infâmeDuegna 10 !
lui dit A lonzo, ne connoistu
pas ton maître ? Non,
reprit la vieille,il ya longtempsqu'il
est mort. Sivous,
demandez des prieres, j'en1
vais dire, pour vous: adieu,
bonsoir. Nous nous mîmes
alors à rire, & a jurer en
gens qui trouvoient la plaisanterie
bonne & mauvaise.
A la finnéanmoins nous
fîmestantde bruit, qu'on
vint nous ouvrir, maisd'une
façon qui nous surprit encore
plus que le compila
ment de la vieille. Six
grands estaffiers, a4 rmez de
buffles, de brogueles11, & de
longues épées, tenant chacun
un grand flambeau de
cire jauneà leurmain droite,
le chapeau retapé fut
les yeux, les cheveux luisans
derriere l'oreille, la
moustache retroussée, & le
broquele à la main gauche,
faisant un demi cercle autour
de deux grandes Dames
vêtues de noir,voilées,
& qui accordoient douloureusement
les plaintifs accens
de leurs voix aux cen..,
dres sons de leurs guitarres,
nous ouvrirent enfin la
porte en cadence.
Il J'oubliai alors qu'on m'avoit
donné le mot pour
respecter, comme mescamarades,
marades,les acteurs& les
actrices de cette ceremonie,
& aprèsavoiradmiré.,
auffiimmobilequ'eux,toute
la gravitéde ce fpfél-acle,
Alonzoleur dit:Mesdames,
trouveriez - vous mauvais
quej'entrassechezmoy > Npsn1a;îtrk(ses,iluidirencelles-
tnf;cmbi-,&, assez nonchalament,
ne reçoivent
guer-csde-vjfîtesàpareille
heures.Et sansdaigner leu-
•temènt^faiireattention qu-
:AJonw&¥ehoit: d©fle4ir demander
lapermission d'entrer
dans sa maison :
Gomibien
êtes-vous, continuerent-
elles? Estes-vous gens
de paix & d'honneur? te
avez-vousautant de ressources
de gayété, que
nous avons desujets d'affliction?
Aussitôt elles recommencerent
à selamenter
;
elles nousfirent signe
de marcher gravementderriere
elles. Ellesnous tour:,
nerent le dos, & nous les
suivîmesjusques dans jine
grandesalle,ou nous trou-
1vâmes deuxautresDagie* sur des ejlems11 de
jonçsi.•* • .»
Voici, Mesdames, leur
dirent nos conductrices,
trois étrangers que nous
vous presentons : c'est apparemment
le droit d'hofpitalité
qu'ils vous demandent
pour cette nuit; si vous
les recevez, ou jugez, vous
à propos qu'on les mette?
Voyez, dit l'une de ces
Dames
,
si la Guitanaest
couchée; ( c'étoitjustement
la vieille qui nous
avoit parlé par la fenêtre)
si elle l'est
,
qu'on la fasse
lever, & qu'elle cede son
lit à ces Meilleurs. Elle est
,
de fort bonne conversation,
& je ne doute point
qu'elle ne les amuse agréablement
jusqu'au jour,de la
bizarrerie des contes qu'
elle leur fera. Elle a àsa
part autant d'années qu'eux
trois: mais qu'importe?
«ellelaelg'esperirtfiai.n.,jeune & , 1
Et Mesdames, leur dit
Alonzo,je consens que vous
soyiez lesmaîtresses dans
jna maison
;
elles rirent à ce
mot: mais de grâce ne m'ex
posez pas aux trois plus
fâcheux inconveniensdu
monde ; elles rirent encore
plus fort. J'amene mes amis
chez moy y
vôtre presence
m'ôte la liberté de les y
recevoir.Nous mourons de
faim, & vous avez l'inhumanité
de nous envoyer
coucher sans souper. Enfin,
pour me dédommager de
l'infortune de ne trouvet
ni mes domestiques, ni à
boire,nià manger dans ma
maison
, vous nous condamnez
à passer la nuit avec
vôtre Guitana. Ellesrirent
plus fort encore qu'elles
n'avoientri ,
elles le leverent
en un clin d'oeil3 elles
firent une piroüette sur la
pointe du pied, la reverence,
& s'enallerent.
Nos deux guides & les six
estaffiers qui nous avoient
amenezdans la salle, nous
abandonnerent comme elles
;
ainsi nous nousregardâmes
tous trois avec les
plus plaisantes figures du
monde, au milieu d'un
grand vestibule
,
qui, par
la desertion de la compa.
gnie, ne Ce trouva plus éclairé
que de la tremblante
lueur d'une misèrable lampe
quin'avoit au plus
iqu'tin«,,,demi-quart d'heure
:de, foible lumiere à nous
prêter.
VotoaDios*,dit Alonzo,
dont la tête commençoit à
s'échauffer de tout ce manege,
je ne me sens gueres
d'humeur à entendre raillene
plus long temps; & si
je ne vois bientôt la fin de
cet enchantement
,
malheurà
qui metombera sous
la main. Gardez-vous bien,
luidit Fernando, de faire
ici le fanfaron; il me paroît
*fc Tlil drmnf à Dieu.
que ces gensxhnerispenibaj.
rassent gucjesnioe;carillon
dont voarJesiiîieriacex
nous pourrions bien, dans
l'obscurité quinous talonne
, nous enteégorger au
milieu des tenebres, comme
les soldats de Cadmus.
Croyez-moy, prenons patience,
& préparons-nous
de bonnegrâce à quelque
nouvelle avanture. Je
suis
persuadé qu'on n'a point
ici de mauvaise intention
contre nous; on veut rire à
nos dépens, laissons lesgens
se divertir tout leur saoul,
cecitournera peut - erre a
bien. Ma foy, cUs-je à mon
tour,voila leseul parti que
nous ayons à prendre. Là
finirentnos propos &nôtre lampe;:<
A l'instant nous entendîmes
quelqu'un marcher
fort doucement vers le coin
ou nous nousétions retranchez.
Qui vive, dit Alonzo
? Ayez pitié de mes larmes
& de majeunesse, genereux
Chevaliers, nous
.-répondit' une voix languissante
,
& permettez - moy
de chercher auprès de vous
un azile contre l'ennemi
qui me poursuit. Où êtes
vous?Donnezmoy la main,
souffrez que je m'asseyeà
côté de vous, asseyez-vous
atusosi, &irapperen.ez mon his-
Il y a cinquante-quatre
ans, trois mois & dix sept
jours quej'epousai en secondes
t noces un, jeune
homme natif d'Aranjuez.
J'ai vécu en paix & en joye
avec luis pendant environ
dix huit ans. L'année desa
mort je pris un troisiéme
mari du même lieu
9- nous
passames dix-huit bonnes
années ensemble ,&il y a
dix-huit ans que je fuis veuve
: quelle pitié!
Maudite Guitana, lui dit
Alonzo! ( car à ce compte
c'est toy qui nous parles)
puises-tu crever tout à
l'heure. Que tes jours finis
Tent avec ce calcul, ajouta
Fernando. Guitana,lui disjje,
puissiez-vous vivre trente
sixansencore. Parbleu,
Mirador, reprit Alonzo,
voila de la complaisance &
des voeux bien employez!
Mirador, me dit la vieille
d'un ron tremblant,jevous
remercie du souhait obligeant
que vous faites pour
moy : aussîtôt me sentant
à côtéd'elle, & sûre de ne
se pas tromper, elle me prit
la main, dont en remuant
les doigts ; eHem'anura.
qu'elle n'étoit nila laide,
ni la décrepite Guitanaque
mes amis croyoient entendre.
Cependant en s'entre
renant avec moy d'une
façon qur donnoit à son
esprit la liberté de me dire
les plus jolies choses du j monde, elle nous conta feconte
que je vais vous lire.
Elle fitmalicieujemejtt&avec
Juccés ,pour endormirmescamarades,
cequebien des raconun.
f ontsans dessein.
Miguel Cervantes, : : avjCC
son vilain Chevalierde la
trillefigure, est encore ua
plaisant original, de pretendre
nous bercer des
impertinences de Sancho
& des sotoses de son maître.
SaDorothée,son avanture
de la Sierra Morena sa caverne
de Montefinos & ses
noces de Gamache, ne sont
ijuc des balivernes,en
comparaison de l'histoire
de mes troisièmes noces.
Je vins au monde il y a
quelques années dans le
village d'Aranjuez. Mon
nom est Guitana Pecarilla.
le fuis fille de Bartholomeo
Valisco
,
vieux Chrétien,
homme noble, & qui a
toujours vécu dans l'Ofcu,
rite, parce qu'il a toujours
été pauvre. J'ai été mariée
à quinze ans, veuve àdixneuf,
remariée à vingt,
veuve encore à trente-huit,
& mariée pour la derniere
fois à trente-neuf. C'el
justementl'histoire- de ce
dernier mariage que vous 1
allez entendre.
Lebienheureux Bertrand
de Fontcaral * vint un jour
à Aranjuez,où ilm'aima
des qu'il me vit. Il avoit
épousé est premières noces
Felicitana l-a Lavandera, ** à
Madrid. Felicianaavoit un
frère, qui dans les premieres
années de sa jeunesse
avoit été amoureux
de la fille de Martin d'Or-
* yiUdge.§ù sifait le meilleur
vinMufiéti qui je koive À M*-
Àrtd. '.; ** SUnckiJfcHfe* J
taleza. Ils'étoitmême battu
deux ou trois fois pour elle'
à la puerta del Sol. * Elle
s'appelloit en son jnotn
Maria Planta&j(otxl2,~
marie, qui e, 'toic>çommt
je vous l'aidéjàdit., le
b-erCr!de., FcliciapftjW?JL,a-.
validera,s^p^eiloii- Ptâro
MorentKV©ttsfç&Ur£$doiiC
que dés queMaria Planta
futassurée del'aîHQjW
que Pedro Jv4oçôap;
pour jslle., /Sisrçfôluijeai:
d'aller s'établiràVallado-
-.\01 1 -'; d* Prortieddit S.ole.il, Place de MYI" i.''1\ of.
lid.*
lid*Vous m'entendez bien.
Imaginez-vous donc qu'ils
crurent qu'on ne manque-
,foir, pas,de couriraprès
eux pour les ramenerà
Madrid:mais ils se tromperent
,
& on fc moqua
deux, & la preuve qu'on
s'en moqua, c'est qu'ils,ne
furent pas plutôt partis)
qu'on ne se souvint pas seulement
de les avoir jamais
jvûs,,êc oncques depuis on
n'a entendu parler d'eux;
iàrtt- yaqu'ils furentenc'*^
tile 'de la 'vieilleCaffilie, art*
cier-tieA'cptW/'e des Rois £E{pagne.
fuite à une Fête de Taureaux.
13 Vous m'entendez
bien?. Mais vous ne me
répondez pas. Je croy en
bonne foy que vous dormez
! Dieu soit loüé ! Mirador,
me dit-elleàl'orciJIeJ
une autre fois j'acheverai
mon histoire : ne
troublons point le repos de
ces Messieurs, & songeons
feulement à nous éloigner
d'eux le plus doucement
que nous pourrons.
Nous prî1\mes 'à1t\âton1le
chemin de la porre, nous
traversâmes le jardin, &
nous arrivâmes enfin dans
une petite chambre,où, à
la faveur deslumières dont
elle et-oic éclairée,je vis- la
plusbettepersonne qui ion:
en Espagne. Transporté du
plaisir d'une si heureuse
découverte,je me jecrai à
ses Pieds sans pouvoir
seulement lui dire une parole.
Cependant elle m'ordonna
de me lever, & elle
me dit: Le temps est maintenantsiprécieux
pour
nous, que vous ne fçauriez
vous imaginer combien il
'ïïoCre*-cft1- important d'en
profiter. Mangez vîte un
morceau, montons en carosse,
& ne vous informez
pas feulement du lieu où
j'ai envie de vous mener.
Je n'ai à present besoin de
rien, Madame,lui dis- je,
& je fuis prêt à aller avec
vous par tout où vous voudrez.
Elle fit monter dans
un carosse desuite les femmes
qui luiavoient servi à
jouer la comedie dans la
maison d'Alonzo., qui fut
vuide en un moment, &
elle monta avec moy dans
le sîen.Nousmarchâmes
le reste de la nuit, & environ
une heure aprés le
lever du Soleil, nous arrivâmes
au Puerto de las Salinas.
14
Chemin faisant elle me
conta,comment elle avoit
conduit cette entreprise,
dontmes camarades venoient
d'être, ôc dévoient
être encore bien plus embarassez
que moy.
.;; Jenesçai pas, me ditelle
, si vous; avez ajoute
beaucoup de foy à ce que
je vous ai dit du nombre
demesmariages &de mes
années. Vous m'avezvûe
assez en un moment,pour
sçavoir maintenant ce que
vous en devez croire ; aulïï
n'élit plus à preient ques-
-
tion que de vous expliquer
les motifs de la plaisanterie
quej'ai faite à vos amis
Monnomest DonaInes
~.deF,ucnteHermofk, Jesuis feule heritiere du nom ,
des armes-ôc desbiens de
ma famille, qui est une
des plus illustres de l'Andalousie.
Il y a trois mois
qoc'jeîpams deSevillt15,
pourmerendre à Madrid,
1
où les parens de mon mari,
dont je fuis veuve depuis
un an, m avoient intenté
un procés sur les articles
les plus considerables de sa
succession. Je fuis venuë (comme eux) solliciter mes
Juges. Mes intérêts leur
ont paru si legirimes,& ma
cause si claire &: si juste,que,
malgré la lenteur des procedures
de cette Cour,j'ai,
en six semaines & sans appel
, gagné mon procès
avec dépens, au souverain
ConseildeCamille.
:IIy,a - un moisqu'occupée
du foin de m'arranger pour
retourner en Andalousié',
j'entendis dire tant de bien
de vous chez la Comtesse
de Tavara mon amie,que
je resolus de vous faire
examiner desi prés pendant
le reste de mon séjour à
Madrid, que nulle de vos
démarches ne pût échaper
à ma connoissance.
Chaque jour mes espions
6deles, que j'entrerenois
jusques dans vôtre maison,
me rendoient compte indirectement
de vos pas, de
vos plaisirs, & de vos intentions.
tentions. J'ai sçû par leur
moyen la partie que vous
aviez concertée avec Alonzo
de Cordoüa&Fernando
del Rio. Enfin ce n'estqu'à.
vôtre consideration que j'ai
trouvé hier le secret de
m'emparer de la maison
d'Alonzo, & d'en écarter
les femmes qui devorent
s'y rendre.Je vous ai averti
demondesseinàla promenade,
j'ai député les cava- liers qui ont ramené vos
Dames a Madrid, j'ai fait
parler le vu illard que vous
avez rencontrésur le grand
chemin
,
j'ai joüé moymême
le rôle de la Guitana,
qui n'est qu'un fantôme de
mon invention;j'ai détaché
les six estaffiers & les deux
filles qui vous ont ouvert la
porte avec tant de ceremonie
: en un mot j'ai reüssi
dans le projet que j'avois
formé de vous arracher de
cette maison. Je vous ai
promis enfin de vous recompenser
du souper que
j'avois resolu de vous faire
perdre. Je suis prête à vous
tenir tria parole. Si ma
performe & monbien ont
de quoy flater vôtre amour
& vôtre ambition, je vous
sacrifiel'un & l'autre, pour
m',unir à*jamais à, vous.
Ravi de la tendresse de
cette belle veuve, je baisai
sa main avec transport
, lk
j'acceptai
, avec une joye
inexprimable, des conditions
si avantageuses. Je
lui demandai quinze jours
pour venir regler mesaffaiasaMadrid,
& je suisà
laveille d'allerlaretrouver
en Andalousie. Voila,
"m0tt ami > la nouvelle de
flàofc mariage, que je voulois
vous apprendre. Dieu
vous donne unefehimç
comme la mienne.
J'ai appris par une lettre,
que j'ai reçuedepuisquelques
jours de Madrid,que
le Chevalier de Mirador
avoir eu bien des obstacles
à surmonter avant que(1^
prompt hymen dont il se
flatoit, lors qu'il me conta
son histoire, l'unîtàla belle
veuve. Il y a une,intrigue
si particulière, & des mouvemens
si interessans dans
la suite, decetteavanture,
que je croy , ne pp.UYgjr
promettre rien de plus
arhufant que la secondé
partie de cette Nouvelle ,
que je donnerai une autre
fois. Je ne l'aurois point
partagee comme je fais, si
jen'avois pas crû les remarques
qu'on va lire, &
quine sont imprimées en
nulendroit,aussi divertissantes,
ôc plus utiles que
l'histoire.
nouvelle.
IL y a environ lîx femaines
que Don Alonzo de
Cordouë,qui aune fort
belle maison de campagne
dans le village àzLegane^
m'invita à aller passer les
quinze premiers jours du
printempschez lui. Sa soeur,
qui est une fort aimable
fille, & qui avoit pour moy
1
des;bontezi que jene meritois
pas,, ; dévoies nous y
tenir-compagnie ; samaîtrelie
y devoir être avec
elle,30c Fernando dtb Rio
nôtre intime ami 3à qui
nous avions proposé quelques
jours auparavant de
(e mettre de la partie, a3a.
voit consentià être des notrès,
qu'à condition que sa
maîtresse en feroit aussi, te
que nous ne sortirions de
chez nôtre hôte, que pour
aller passer une autre quinzaine
à la maison de Pinto4.
Nous lui promîmes tout cc
u'il voulut^ lc.jaalpcii;
pour cette panses,.a^&enak
barquâmes nosrrpikBaflaes
dans un même'caroflfc, &
nous les simes*parrir<de,Ma-,
drid;deuxL>heurfifn«.valu
nous,afin.qu'elkaeuffen£
le tempsdesemettreàleur
aise, & de ..fc':¿repQ{et. ea
nbuss.ittçn(Jant:riI>£nôtre
cbuà nousimontâiries aussi
en carosse, aprésavoir ordonne
à nos valetsdeiious
tenir à l'entrée de la tfiuifc
nos chevaux prêtsapports
de la Vegts. Nôtre intention
écoit de nouspromener
mPxmo Kiejp.f,juiquSL
ce que nous pûssions prositc$
jdu. clair deL'une, pour
nous rendre plus fraîchement
àLeganez, ou nous
devions-nous mettre à taille
en arrivant. n-croitmieux'!-;,.' concerte
en apparence., que
çpî:te«partie-cependant elle
tournatout de travers pour
mes amis, pour leurs maîtreflfes
, & fort heureuse- ipçjitp<?urt.moy.
LesDames., que nous
avions eu lafage precautipn
de faire partir deux
bonnes heures avant nous
pour leur commodité, avoient ordonné à leurcocher
de marcher doucementypour
serendre ense
promenant à Leganez. Elles
avoient même déja fait
plus de la moitié du chemin,
lorsque deux Cavaliers,
qui s'étoient mis en
embuscade derriere une petite
hauteur, pour les voir
passer sans être vus, àrriverent
àtoute bride à leur
carosse. Vous n'avez pas un
moment de temps à per- dre, Mesdames, pour retourner
en diligence à Madrid
, leur dirent ils tout
hors d'haleine. Alonzo de
Cordoue, Fernando del
Rio, & un de leurs amis
qui etolt avec eux, viennent
de se faire une des
plus cruelles affaires du
monde. ils ont, je ne sçai "-
comment, insusté deux Dîmes
qui se promenoient au
Prado;elles s'en sont plaintes
à Don Lope de Cereza
qu'elles ont renconrré.
Ce Cavalier, qui est sans
doutede leurs amis, a voulu
sur le champ tirer raisonde
cette insulte. Leurs carosses
se sont accrochez; ils se
sont donne parole, ils,o-nt
pris le chemin de Val/ecas *
& là, trois contre trois,ils
se sont battus à oucrance.
Nous ayons vu la fin de ce combat, dont le détail funeste
ne seviroit quaaugmenter
vosalarmes, ôc qu'à
retarder le prompr secours
qu'ils attendent apparemment
de vous. Si
nous ne vous avions pas
* C*ef}Hnvillage cjtiifournit da
f un à bla Irii
> comme Gomjfc en fournit à Parisrenconcréesen
chemin,
nous aurions été vous chercher
jusques à Leganez
,
pour vousramener à Madrid,
à leur prière:mais heifc
reufement/nous sommes
encoreiiprocheau,lieuoù
leicombacvient de -faîpaJa (, fer, îqiienvretQunnantJ fias
vos pas, & prenant lapremiererouteà
droite, vous
verrez! de vos propres yeux
ôc lecham de bataille,&
peut-être même les com- battans.: ':
¡!!'j Ces deux,.,tendres dépit*
tez.finireiuiieur recit d'un
air si touchant, qu'ils per.
suaderent nos pauvres Dames,
qui donnerent de si
bonne grace dans le panneau,
queleurs nouveaux
guides, pour éviternôtre
rencontre, leur firent abandonnerle
grancLxrhemin
de Leganez;&fan^:trouver
aucune trace de nôtre
avanture, les firent rentrer
dans Madriduninstant avpantoqur'onteery:
sfer.mât , lei
D'un autre côté, pendantque
nousrte,fongibns
qu'à nous proencmurâraw
4qililcme^(/i%u Prado,voici
cequi nou^.arriya,
Nous remarquâmes un
c^roflfe d^fts lequel ;4toieac
qu0tr&0^ti- ïpicfiçdetempsentemps
les rideaux dont elles se
"rorvoient ;.oôllr fç cacher
JprÉque gqvkctl aurjpîTjéscFçlles.
Laplushabile
deces Dames me parla discreçemencaveç
ses ,doigts?J
êçaussiclairement queje
vous parléavec la bouche.
:M$lJ.Uv,roYfJz ,Chevalier,
me dit : elle,-aller, souper
^jour^Tyûîtegancziî
niais, je^bu^èn?empccticrai
bien.Ne témoignezrien
à-vosamis-dè- la menace
•-«jue^jfc*vqas* -fivous vouiez*<^ie<jerv<ôfii
de'doiirt-
8)magêIl agrc&bletfieriÉ"1du
:.fouper que-jê~ivous1 ferai
perdre0.Jhlui''tjépondii lîir
-dé tëàêhite*iQti ]»pà"daâs'ftc
-inertie'laijga la maujreîTe de»nousjoüer
ct.el;courIqu'a'llui='plaireit',
pourveu1qu'elles»engageât
a me
tenir-àla. litfcrtJaîpâ-
,
rôle qu'elle^me»*dotm&ic. ,medire elfe
: 3&? pour
:
jEÛeusTeacfeerJtë'ijcu°iP|*Se
nous
nous venions dç^jouer,2clhî3
dit touthaut:Eloignonsnvoiluessd,
qeucie,sdeCpauvisaplileurss,idn'cuin:'
quart d'heurequ'ils ~jpj~b
menentà côtedenous
n'ont pas seulement eUiJaj
politesse de nous ,q,jfF u~!~
parole obligeante. Çc^
cher, quitte la filedescarosses,
& mene-nous hor» ldelaville.
encore un..
tour de promenade , §3
avant qu'on fermâtles pqç,.,
tes8 de la ville ,nous ga",
gnâmes celle def laVega,
f
où nous montâmes à cheval
pour nous rendre à Le ganez.
A deux cens pas de Madrid
un vieillard, qui depuis
plus de vingt ans demande
l'aumône sur le grand chemin,
nouscria de sa hute :
Dieu vousgarde, Chevaliers
..Alonzo de Cordouë, ta mere
-se meurt ; Fernando delRio,
ta maîtresse te trahit ; Mirador,
la tiennet'attend.Vieillard
,lui dis- je,qui t'a appris
ces étranges nouvelles?
Ne m'en demande pas davantage,
me répondit-il,
donne-moy feulement l'aumône
, & va-t-en ou ton
honneur t'appelle.Reçois
cette aumône, luidit atiffi
tôt Alonzo,&dis moy dé
qui tu sçais la nouvelle que
tu viens de m'apprendre?
Je ne veux pointde ton
aumône,reprit le vieillard;
d'abord que tu attaches une
condition au bienque tu
me dois faire. Et toy, dit il
à Fernando, qui as compté
de passer quinze jours à Leganez,
& autant àPinto,
croy-moy,va-t-en à Aranjikï('*
, ravir ou ceder ta
maîtresse à ton rival. Cet
oracle nous cau sa des mouyemens
fort differens.Nous
restâmessur legrand ~he~
min,comme trois :hommes
qui ne sçavent où don.
ner df^a tête, Alonzoapprehendtfyep
raison de
ne pouvoir pasrentrerdans
la ville,Fernando juroit
qu'il étoitsipeu amoureux,
quoy ,q.u'il.,,cmaîtres,
le9quïl ne craignoit presque
ni concurrencç,niinfi-,
delité; & je sçavois de mon
côté moins que pcrfpnneoù^
monhonneur mappellôic.
Quoique je ne doutasse
point que la situation où
nousnous trouvions alors
ne fût un effet de la menace
de l'invisible
,
qui s'étoit
(ervie à la promenade de
ses doigts pour m'annoncer
l'intention quelle avoit de
se divertir à nos dépens; je
n'envifageois encore dans
cet exploit ni honneur, ni
gloire à acquérir.,,, Cependant nous nous
déterminâmes à ne nous
soinsquitter en dépit qç;
oracle, ôç nous fûmesau
galop jusquesà L^ganez*
Nous trouvâmestoutesles
portes de la maison d'Alonzo
fermées. Nous fîmes
grand bruit pour nous les
faire ouvrir; personne ne
vint. A la finresolus d'en
enfoncer une, une vieille,
que nôtre vacarme avoit
arrachée de son grabat,
parut à la fenêtre, & nous
demanda d'une voix tremblante,
quinous étions. Qui
je suis, infâmeDuegna 10 !
lui dit A lonzo, ne connoistu
pas ton maître ? Non,
reprit la vieille,il ya longtempsqu'il
est mort. Sivous,
demandez des prieres, j'en1
vais dire, pour vous: adieu,
bonsoir. Nous nous mîmes
alors à rire, & a jurer en
gens qui trouvoient la plaisanterie
bonne & mauvaise.
A la finnéanmoins nous
fîmestantde bruit, qu'on
vint nous ouvrir, maisd'une
façon qui nous surprit encore
plus que le compila
ment de la vieille. Six
grands estaffiers, a4 rmez de
buffles, de brogueles11, & de
longues épées, tenant chacun
un grand flambeau de
cire jauneà leurmain droite,
le chapeau retapé fut
les yeux, les cheveux luisans
derriere l'oreille, la
moustache retroussée, & le
broquele à la main gauche,
faisant un demi cercle autour
de deux grandes Dames
vêtues de noir,voilées,
& qui accordoient douloureusement
les plaintifs accens
de leurs voix aux cen..,
dres sons de leurs guitarres,
nous ouvrirent enfin la
porte en cadence.
Il J'oubliai alors qu'on m'avoit
donné le mot pour
respecter, comme mescamarades,
marades,les acteurs& les
actrices de cette ceremonie,
& aprèsavoiradmiré.,
auffiimmobilequ'eux,toute
la gravitéde ce fpfél-acle,
Alonzoleur dit:Mesdames,
trouveriez - vous mauvais
quej'entrassechezmoy > Npsn1a;îtrk(ses,iluidirencelles-
tnf;cmbi-,&, assez nonchalament,
ne reçoivent
guer-csde-vjfîtesàpareille
heures.Et sansdaigner leu-
•temènt^faiireattention qu-
:AJonw&¥ehoit: d©fle4ir demander
lapermission d'entrer
dans sa maison :
Gomibien
êtes-vous, continuerent-
elles? Estes-vous gens
de paix & d'honneur? te
avez-vousautant de ressources
de gayété, que
nous avons desujets d'affliction?
Aussitôt elles recommencerent
à selamenter
;
elles nousfirent signe
de marcher gravementderriere
elles. Ellesnous tour:,
nerent le dos, & nous les
suivîmesjusques dans jine
grandesalle,ou nous trou-
1vâmes deuxautresDagie* sur des ejlems11 de
jonçsi.•* • .»
Voici, Mesdames, leur
dirent nos conductrices,
trois étrangers que nous
vous presentons : c'est apparemment
le droit d'hofpitalité
qu'ils vous demandent
pour cette nuit; si vous
les recevez, ou jugez, vous
à propos qu'on les mette?
Voyez, dit l'une de ces
Dames
,
si la Guitanaest
couchée; ( c'étoitjustement
la vieille qui nous
avoit parlé par la fenêtre)
si elle l'est
,
qu'on la fasse
lever, & qu'elle cede son
lit à ces Meilleurs. Elle est
,
de fort bonne conversation,
& je ne doute point
qu'elle ne les amuse agréablement
jusqu'au jour,de la
bizarrerie des contes qu'
elle leur fera. Elle a àsa
part autant d'années qu'eux
trois: mais qu'importe?
«ellelaelg'esperirtfiai.n.,jeune & , 1
Et Mesdames, leur dit
Alonzo,je consens que vous
soyiez lesmaîtresses dans
jna maison
;
elles rirent à ce
mot: mais de grâce ne m'ex
posez pas aux trois plus
fâcheux inconveniensdu
monde ; elles rirent encore
plus fort. J'amene mes amis
chez moy y
vôtre presence
m'ôte la liberté de les y
recevoir.Nous mourons de
faim, & vous avez l'inhumanité
de nous envoyer
coucher sans souper. Enfin,
pour me dédommager de
l'infortune de ne trouvet
ni mes domestiques, ni à
boire,nià manger dans ma
maison
, vous nous condamnez
à passer la nuit avec
vôtre Guitana. Ellesrirent
plus fort encore qu'elles
n'avoientri ,
elles le leverent
en un clin d'oeil3 elles
firent une piroüette sur la
pointe du pied, la reverence,
& s'enallerent.
Nos deux guides & les six
estaffiers qui nous avoient
amenezdans la salle, nous
abandonnerent comme elles
;
ainsi nous nousregardâmes
tous trois avec les
plus plaisantes figures du
monde, au milieu d'un
grand vestibule
,
qui, par
la desertion de la compa.
gnie, ne Ce trouva plus éclairé
que de la tremblante
lueur d'une misèrable lampe
quin'avoit au plus
iqu'tin«,,,demi-quart d'heure
:de, foible lumiere à nous
prêter.
VotoaDios*,dit Alonzo,
dont la tête commençoit à
s'échauffer de tout ce manege,
je ne me sens gueres
d'humeur à entendre raillene
plus long temps; & si
je ne vois bientôt la fin de
cet enchantement
,
malheurà
qui metombera sous
la main. Gardez-vous bien,
luidit Fernando, de faire
ici le fanfaron; il me paroît
*fc Tlil drmnf à Dieu.
que ces gensxhnerispenibaj.
rassent gucjesnioe;carillon
dont voarJesiiîieriacex
nous pourrions bien, dans
l'obscurité quinous talonne
, nous enteégorger au
milieu des tenebres, comme
les soldats de Cadmus.
Croyez-moy, prenons patience,
& préparons-nous
de bonnegrâce à quelque
nouvelle avanture. Je
suis
persuadé qu'on n'a point
ici de mauvaise intention
contre nous; on veut rire à
nos dépens, laissons lesgens
se divertir tout leur saoul,
cecitournera peut - erre a
bien. Ma foy, cUs-je à mon
tour,voila leseul parti que
nous ayons à prendre. Là
finirentnos propos &nôtre lampe;:<
A l'instant nous entendîmes
quelqu'un marcher
fort doucement vers le coin
ou nous nousétions retranchez.
Qui vive, dit Alonzo
? Ayez pitié de mes larmes
& de majeunesse, genereux
Chevaliers, nous
.-répondit' une voix languissante
,
& permettez - moy
de chercher auprès de vous
un azile contre l'ennemi
qui me poursuit. Où êtes
vous?Donnezmoy la main,
souffrez que je m'asseyeà
côté de vous, asseyez-vous
atusosi, &irapperen.ez mon his-
Il y a cinquante-quatre
ans, trois mois & dix sept
jours quej'epousai en secondes
t noces un, jeune
homme natif d'Aranjuez.
J'ai vécu en paix & en joye
avec luis pendant environ
dix huit ans. L'année desa
mort je pris un troisiéme
mari du même lieu
9- nous
passames dix-huit bonnes
années ensemble ,&il y a
dix-huit ans que je fuis veuve
: quelle pitié!
Maudite Guitana, lui dit
Alonzo! ( car à ce compte
c'est toy qui nous parles)
puises-tu crever tout à
l'heure. Que tes jours finis
Tent avec ce calcul, ajouta
Fernando. Guitana,lui disjje,
puissiez-vous vivre trente
sixansencore. Parbleu,
Mirador, reprit Alonzo,
voila de la complaisance &
des voeux bien employez!
Mirador, me dit la vieille
d'un ron tremblant,jevous
remercie du souhait obligeant
que vous faites pour
moy : aussîtôt me sentant
à côtéd'elle, & sûre de ne
se pas tromper, elle me prit
la main, dont en remuant
les doigts ; eHem'anura.
qu'elle n'étoit nila laide,
ni la décrepite Guitanaque
mes amis croyoient entendre.
Cependant en s'entre
renant avec moy d'une
façon qur donnoit à son
esprit la liberté de me dire
les plus jolies choses du j monde, elle nous conta feconte
que je vais vous lire.
Elle fitmalicieujemejtt&avec
Juccés ,pour endormirmescamarades,
cequebien des raconun.
f ontsans dessein.
Miguel Cervantes, : : avjCC
son vilain Chevalierde la
trillefigure, est encore ua
plaisant original, de pretendre
nous bercer des
impertinences de Sancho
& des sotoses de son maître.
SaDorothée,son avanture
de la Sierra Morena sa caverne
de Montefinos & ses
noces de Gamache, ne sont
ijuc des balivernes,en
comparaison de l'histoire
de mes troisièmes noces.
Je vins au monde il y a
quelques années dans le
village d'Aranjuez. Mon
nom est Guitana Pecarilla.
le fuis fille de Bartholomeo
Valisco
,
vieux Chrétien,
homme noble, & qui a
toujours vécu dans l'Ofcu,
rite, parce qu'il a toujours
été pauvre. J'ai été mariée
à quinze ans, veuve àdixneuf,
remariée à vingt,
veuve encore à trente-huit,
& mariée pour la derniere
fois à trente-neuf. C'el
justementl'histoire- de ce
dernier mariage que vous 1
allez entendre.
Lebienheureux Bertrand
de Fontcaral * vint un jour
à Aranjuez,où ilm'aima
des qu'il me vit. Il avoit
épousé est premières noces
Felicitana l-a Lavandera, ** à
Madrid. Felicianaavoit un
frère, qui dans les premieres
années de sa jeunesse
avoit été amoureux
de la fille de Martin d'Or-
* yiUdge.§ù sifait le meilleur
vinMufiéti qui je koive À M*-
Àrtd. '.; ** SUnckiJfcHfe* J
taleza. Ils'étoitmême battu
deux ou trois fois pour elle'
à la puerta del Sol. * Elle
s'appelloit en son jnotn
Maria Planta&j(otxl2,~
marie, qui e, 'toic>çommt
je vous l'aidéjàdit., le
b-erCr!de., FcliciapftjW?JL,a-.
validera,s^p^eiloii- Ptâro
MorentKV©ttsfç&Ur£$doiiC
que dés queMaria Planta
futassurée del'aîHQjW
que Pedro Jv4oçôap;
pour jslle., /Sisrçfôluijeai:
d'aller s'établiràVallado-
-.\01 1 -'; d* Prortieddit S.ole.il, Place de MYI" i.''1\ of.
lid.*
lid*Vous m'entendez bien.
Imaginez-vous donc qu'ils
crurent qu'on ne manque-
,foir, pas,de couriraprès
eux pour les ramenerà
Madrid:mais ils se tromperent
,
& on fc moqua
deux, & la preuve qu'on
s'en moqua, c'est qu'ils,ne
furent pas plutôt partis)
qu'on ne se souvint pas seulement
de les avoir jamais
jvûs,,êc oncques depuis on
n'a entendu parler d'eux;
iàrtt- yaqu'ils furentenc'*^
tile 'de la 'vieilleCaffilie, art*
cier-tieA'cptW/'e des Rois £E{pagne.
fuite à une Fête de Taureaux.
13 Vous m'entendez
bien?. Mais vous ne me
répondez pas. Je croy en
bonne foy que vous dormez
! Dieu soit loüé ! Mirador,
me dit-elleàl'orciJIeJ
une autre fois j'acheverai
mon histoire : ne
troublons point le repos de
ces Messieurs, & songeons
feulement à nous éloigner
d'eux le plus doucement
que nous pourrons.
Nous prî1\mes 'à1t\âton1le
chemin de la porre, nous
traversâmes le jardin, &
nous arrivâmes enfin dans
une petite chambre,où, à
la faveur deslumières dont
elle et-oic éclairée,je vis- la
plusbettepersonne qui ion:
en Espagne. Transporté du
plaisir d'une si heureuse
découverte,je me jecrai à
ses Pieds sans pouvoir
seulement lui dire une parole.
Cependant elle m'ordonna
de me lever, & elle
me dit: Le temps est maintenantsiprécieux
pour
nous, que vous ne fçauriez
vous imaginer combien il
'ïïoCre*-cft1- important d'en
profiter. Mangez vîte un
morceau, montons en carosse,
& ne vous informez
pas feulement du lieu où
j'ai envie de vous mener.
Je n'ai à present besoin de
rien, Madame,lui dis- je,
& je fuis prêt à aller avec
vous par tout où vous voudrez.
Elle fit monter dans
un carosse desuite les femmes
qui luiavoient servi à
jouer la comedie dans la
maison d'Alonzo., qui fut
vuide en un moment, &
elle monta avec moy dans
le sîen.Nousmarchâmes
le reste de la nuit, & environ
une heure aprés le
lever du Soleil, nous arrivâmes
au Puerto de las Salinas.
14
Chemin faisant elle me
conta,comment elle avoit
conduit cette entreprise,
dontmes camarades venoient
d'être, ôc dévoient
être encore bien plus embarassez
que moy.
.;; Jenesçai pas, me ditelle
, si vous; avez ajoute
beaucoup de foy à ce que
je vous ai dit du nombre
demesmariages &de mes
années. Vous m'avezvûe
assez en un moment,pour
sçavoir maintenant ce que
vous en devez croire ; aulïï
n'élit plus à preient ques-
-
tion que de vous expliquer
les motifs de la plaisanterie
quej'ai faite à vos amis
Monnomest DonaInes
~.deF,ucnteHermofk, Jesuis feule heritiere du nom ,
des armes-ôc desbiens de
ma famille, qui est une
des plus illustres de l'Andalousie.
Il y a trois mois
qoc'jeîpams deSevillt15,
pourmerendre à Madrid,
1
où les parens de mon mari,
dont je fuis veuve depuis
un an, m avoient intenté
un procés sur les articles
les plus considerables de sa
succession. Je fuis venuë (comme eux) solliciter mes
Juges. Mes intérêts leur
ont paru si legirimes,& ma
cause si claire &: si juste,que,
malgré la lenteur des procedures
de cette Cour,j'ai,
en six semaines & sans appel
, gagné mon procès
avec dépens, au souverain
ConseildeCamille.
:IIy,a - un moisqu'occupée
du foin de m'arranger pour
retourner en Andalousié',
j'entendis dire tant de bien
de vous chez la Comtesse
de Tavara mon amie,que
je resolus de vous faire
examiner desi prés pendant
le reste de mon séjour à
Madrid, que nulle de vos
démarches ne pût échaper
à ma connoissance.
Chaque jour mes espions
6deles, que j'entrerenois
jusques dans vôtre maison,
me rendoient compte indirectement
de vos pas, de
vos plaisirs, & de vos intentions.
tentions. J'ai sçû par leur
moyen la partie que vous
aviez concertée avec Alonzo
de Cordoüa&Fernando
del Rio. Enfin ce n'estqu'à.
vôtre consideration que j'ai
trouvé hier le secret de
m'emparer de la maison
d'Alonzo, & d'en écarter
les femmes qui devorent
s'y rendre.Je vous ai averti
demondesseinàla promenade,
j'ai député les cava- liers qui ont ramené vos
Dames a Madrid, j'ai fait
parler le vu illard que vous
avez rencontrésur le grand
chemin
,
j'ai joüé moymême
le rôle de la Guitana,
qui n'est qu'un fantôme de
mon invention;j'ai détaché
les six estaffiers & les deux
filles qui vous ont ouvert la
porte avec tant de ceremonie
: en un mot j'ai reüssi
dans le projet que j'avois
formé de vous arracher de
cette maison. Je vous ai
promis enfin de vous recompenser
du souper que
j'avois resolu de vous faire
perdre. Je suis prête à vous
tenir tria parole. Si ma
performe & monbien ont
de quoy flater vôtre amour
& vôtre ambition, je vous
sacrifiel'un & l'autre, pour
m',unir à*jamais à, vous.
Ravi de la tendresse de
cette belle veuve, je baisai
sa main avec transport
, lk
j'acceptai
, avec une joye
inexprimable, des conditions
si avantageuses. Je
lui demandai quinze jours
pour venir regler mesaffaiasaMadrid,
& je suisà
laveille d'allerlaretrouver
en Andalousie. Voila,
"m0tt ami > la nouvelle de
flàofc mariage, que je voulois
vous apprendre. Dieu
vous donne unefehimç
comme la mienne.
J'ai appris par une lettre,
que j'ai reçuedepuisquelques
jours de Madrid,que
le Chevalier de Mirador
avoir eu bien des obstacles
à surmonter avant que(1^
prompt hymen dont il se
flatoit, lors qu'il me conta
son histoire, l'unîtàla belle
veuve. Il y a une,intrigue
si particulière, & des mouvemens
si interessans dans
la suite, decetteavanture,
que je croy , ne pp.UYgjr
promettre rien de plus
arhufant que la secondé
partie de cette Nouvelle ,
que je donnerai une autre
fois. Je ne l'aurois point
partagee comme je fais, si
jen'avois pas crû les remarques
qu'on va lire, &
quine sont imprimées en
nulendroit,aussi divertissantes,
ôc plus utiles que
l'histoire.
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Résumé : HISTOIRE nouvelle.
Le texte narre une aventure de Don Alonzo de Cordoue et ses amis, qui se rendent à Leganez pour célébrer les premiers jours du printemps. Don Alonzo invite son narrateur, sa sœur et leurs maîtresses, ainsi que Fernando del Rio et sa maîtresse. Ils prévoient de se promener au Prado avant de se rendre à Leganez. Cependant, leur plan est perturbé lorsque les maîtresses des hommes sont interceptées par deux cavaliers qui les ramènent à Madrid sous prétexte d'une querelle entre leurs compagnons et Don Lope de Cereza. Pendant ce temps, les hommes remarquent un carrosse où des femmes se cachent. L'une d'elles les invite à souper chez elle à Leganez. Les hommes acceptent et se rendent à la maison, où ils sont accueillis par des femmes qui les conduisent dans une grande salle. Après une série de railleries, les femmes quittent la pièce, laissant les hommes dans l'obscurité. Une vieille femme, se faisant passer pour Guitana, leur raconte son histoire. Elle a été mariée trois fois et est actuellement veuve. Elle commence à narrer ses aventures, mais s'endort. Le narrateur et la vieille femme se retirent dans une chambre, où il découvre une belle personne. Elle lui ordonne de se préparer rapidement pour un voyage, sans révéler la destination. L'intrigue se révèle plus complexe lorsque la femme se fait passer pour une Gitane et enlève l'homme. Elle lui révèle ensuite son véritable nom : Dona Inès de Fuente Hermosa. Elle est l'héritière d'une famille illustre d'Andalousie et vient de gagner un procès à Madrid concernant la succession de son défunt mari. Intriguée par les louanges entendues à son sujet, elle a surveillé l'homme et a orchestré son enlèvement pour l'éloigner d'une maison où il devait se rendre. Elle lui propose de l'épouser, ce qu'il accepte avec joie. L'homme doit régler ses affaires à Madrid avant de la rejoindre en Andalousie. Le narrateur mentionne également une lettre reçue de Madrid, indiquant que le Chevalier de Mirador a rencontré des obstacles avant son mariage avec une belle veuve. Le texte se termine par une promesse de révéler la suite de cette aventure dans une seconde partie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 8-84
LE NAUFRAGE au port. HISTOIRE.
Début :
Je réponds à cela, que je prie le Lecteur de ne pas / Il y a quelques années qu'étant à S. Malo, un de [...]
Mots clefs :
Moscovie, Hommes, Mer, Histoire, Naufrage, Terre, Yeux, Navire, Maison, Aventures, Vieillard, Femmes, Cap, Navires, Vents, Europe, Peuples, Dieu, Repas, Commerce des Indes orientales, Norvège, Lapons, Vie, Peuples, Climat, Animaux, Amour, Coeur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE NAUFRAGE au port. HISTOIRE.
Je reponds à cela, que
je priele Lecteur de ne pas
s'impatienter; & pour commencer
a m'acquitter avec
lui, je vais l'entretenir des
avantures de la Moscovite
& du Lapon, que j'ai promises
le mois dernier. Cependant
je le prie de me
permettre de changer le
titre de cette histoire; quoique
ces deux personnages
y jouent un rôle merveilleux
,ils n'en sont pas néanmoins
les principaux acteurs
: ainsi je croy qu'on
ne me disputera pas la liberté
de la donner fous cet
autre titre.
LE NAUFRAGE
au port.
I HISTOIRE. L y a quelques années
qu'étant à S. Malo, un de
mes amis vint un jour me
trouver, pour me prier
de l'accompagner jusqu'au
Cap *, où étoient deux vais-
* C'est un Promontoire ou pointe
de terre fort élevé à cinq lirsÚs de
S. Malo. Il y a une radeassez,
bonne, où j'amarent ordinairement
les navires qui vont à lamer, eu
qui en reviennent.
seaux qui dévoient profiter
du premier beau temps
pour mettre à la voile pour
la mer du Sud. Plusieurs de
ses amis & des miensetoient
à bord, & nous voulions
les embrasser encore une
fois avant qu'ils appareillassent.
Il etoit huit heures
du matin, le ciel était fort
clair, la chaloupe nous attendoit,
le vent étoit frais,
& les matelots commençoient
a jurer après nous,
parce qu'ils apprehendoient
que nous ne perdissions
une si belle marée,
lors qu'enfin nous nous embarquâmes
pour nous rendre
au Cap,où nous arrivâmes.
en moins d'une heure
& demie. Nos amis, qui
étoient les principaux Officiers
de ces vaisseaux, char:
mez de cette derniere vitice,
nous firent la meilleure
chere qu'ils purent.
Nous avions à peine resté
r
deux heures table,oùnous
commencions a nous mettre
en train, lorsque nous
entendîmes crier, Navire,
navire. Le vent aussitôt
changea, le ciel& la mer
s'obscurcirent, la pluye
,
la grêle, le connerré, &
les nuës, nous environnerent.
Quoique nous eussions
nos quatre ancres à la
mer,nos pilotes ne laisserent
pas de prendre des mesures
contre l'orage.Cependant
nousattendîmes patiemmét,
le verre à lamain;
&en gens que de pareils
dangersn'effrayent gueres,
tout ce qu'il en pourroit
arriver. Enfin au bout de
deux heures le vent se calma,
& le temps s'éclairit.
Mais il n'est rien d'affreux
comme l'horriblespectacle
que le retour de la lumière
offritànos yeux. Des coffres,
des cordages, des
mâts ,des planches,des
hommes,des semmes,ensintoute
l'image d'un frageépouvantablnea.u-
LesOfficiers des navires
quiétoient à l'ancre ordonnerent
à l'instant à tous
leurs matelots de mettre
toutes les chaloupes à lamer,
pour secourir, autant
qu'ilseroit possible, les malheureuxqui
perissoient
Leur zele eutun succés
assez favorable, & peu
d'hommes perirent. On
porta à bord tous ceux qui
avoient nagé avec assez
de vigueur pour attendre
le secours des matelots:
on lesdéshabilla aussitôt,
& on les jetta sur des lits,
après leur avoir fait rendre
l'eau qu'ils avoient bue.
Où suis. je, grand Dieu!
où suis-je, dit l'un de ces
hommes environ deux heures
après qu'on l'eut sauvé?
n'ai je affronté tant de perils,
n'ai
-
je brave tant de
foisla mort, que pour per-
dre au milieu du port ce
quej'avois de plus cher au
monde? Cruelsqui m'avez
sauvé avec tant d'inhumanité,
rendez-moy à ceperside
element qui vient d'enfgaliotutir
l'objet le plus parqui
fût dans la nature.
A ces mots nous nous approchâmes
du malheureux
dont nous venions d'entendre
les plaintes. Vous êtes,
lui dit aussitôt nôtre Capitaine,
avec des hommes
qui n'ont consulté que leur
inclination pour vous sauver
, &a qui vous êtes redevadevable
de la vie qu'ils vous
ont renduë. Oui, repritil,
en gemissant, je fuis avec
des hommes plus barbares
que les Scythes les plus
cruels; pourquoy ravissezvous
à la mort un miserable
qui ne doit plus songer qu'à
mourir? Non.malheureuse
Julie, non, ne me reprochez
pas un indigne retour
àla vie; vôtre mort va bientôt
être vangée par la mienne.
Cette Julie, dit le Capitaine,
en adressant la parole
à un de ses Officiers, ne seroit-
elle pas une de ces deux
femmes qui sont sur vôtre
lit? Que dites-vous,Monsieur,
reprit cet amant desesperé
? vos gens ont- ils [au.
vé deux femmes? Oui,répondit
le Capitaine. Ah si
cela est, dit-ilaussitôt,Julie
n'est pas morte. A l'instant
il se jetta à bas du lit,
& passa au quadre où l'on
avoir mis les deux femmes
qu'on avoit sauvées comme
lui.
Elles avoient les bras se
le visage écorc hez
,
elles
etoient pâles, désigurees 6e
assoupies. Non, dit-il, après
avoir touché ses mains,6j
plein des transports de ta
joye, non ma Julie n'est pas
morte. Je vous dois encore
une fois la vie,Messieurs,
&mille fois davantage. La
tendre Julie, que ses paroles,
ses soûpirs & ses embrassemens
éveillerent, ouvrit
les yeux, & jettant des
regards pleins de tristesse
& de langueur sur tous les
objets dont elle étoit environnée
,elle reconnut enfin
son heureux amant,qui
échauffoit avec sa bouche
ses froides mains, qu'il arrofoit
en même temps de't
ses larmes. |
Alors nôtre Capitaine la
fit changer de lit,&lafit
porter sur le sien, où elle
reçue. plus commodément
tous les autres secours dont
elle eut besoin.
* Cependant on nous
avertit
que le souper étoit prêt.
Le Capitaine pria le Cavalier,
à qui il ne restoit plus
que le souvenir de son naufrage,
de se mettre à table
à côté de lui. Dés qu'ils furent
atable, nous nous pla-;
çâmes où le fort nous mit..
Ce repas ne fut pas si long
que celui du matin: mais
il fut certainement plus
agreable par le récit des rares
avantures que nous entendîmes.
Le nom & le portraitdu
Heros de cette histoire font
des circonstances & des ornemens
necessaires au dé.
tail que j'en vais faire.
Louis-Alexandre de Nerval
, natifde Montréal,sur
la riviere de saine Laurent,
dans le Canada, est un jeune
homme qui peut avoir
à present environ trentedeux
ou trente-trois ans. Il
est peu d'hommes en Europe
qui soient mieux faits
que lui. Son visage est noble
& regulierement beau,
son air. est simple, tendre
&.naturel; il a beaucoup
d'esprit sans étude, il est
vaillant & robuste autant
qu'un homme le puisseêtre:
enfindans quelque endroit
du monde qu'il soit, il sera
toujours regardé. comme
un de ces mortels que la
fortune semble être obligée
de preferer aux aucres.Il
avoit vingt-sixou vingtsept
ans.,lors qu'échapédu
naufrage dont jeviens de
parler
,
il nous conta à la
fin de nôtre souperles avantures
qu'on va lire.
Il y a huir ans, nous dit- que mon pere,Andréde
Nerval, qui étoit un des
plus riches habitans du Canada,
tomba malade de la
maladie dont il est mort. Il
attendit qu'il fût à l'extremité
pour faireentre cinq
enfans qu'il avoir& dont
je fuis l'aîné, un partage
égal de tous ses biens. ille
neôe le lendemain il mourut.
J'eus environ la valeur
de cent mille francs en
terre & en argent pour ma
part. Dés que je me vis le
maître de mon bien, je resolus
, pour l'augmenter,
de faire un commerce qui
pût bientôtm'enrichircomme
lui. J'équipai une fregate
de vingt canons, je
levai une troupe de braves
gens du pays, & je me mis
à la mer avec la meilleure
volonté du monde. Mes
premieres couriesfurent
assez heureuses
; je m'embarquaydeux
fois, deux
fois
fois je retournay dans ma
patrie avec de nouvelles
richesses. La troisième la
fortune nous trahir. J'avois
pris la route de Plaisance
où les ) vents contraires ôc
les grands courans m'obligerent
à relâcher
,
après
avoir été battu de la tempête
pendant près de trois.
semaines. Là j'appris que
quelques navires Hollandois
avoient déja pris pour
leur pêche des moluës la
route du grand ban de
Terre Neuve.Quoique je
sçusse bien qu'il n'y avoic
rien à gagner avec ces Pêcheurs
, je m'imaginai cependant
qu'il ne tenoit qu'à
moy de faire quelque action
déclat,&que secondé
d'une fregate legere qui
étoit avec moy, rien ne
feroit plus facile que de
ruïner leur pêche & leur
commerce pour cetteannée.
Ainsi je donnai tête;
baissée dans ce dessein, qui
eut les plus malheureuses
fuites du monde.
Huit jours après que je 1
fus sorti de Plaisance, après
avoir longtemps combattu,
les vents & les marées, je
tombai (sans pouvoir jamais
l'éviter) au milieu
d'une flote Angloise corn,'
posée de trois gros vaisseaux
qui alloienc chercher des
peaux & des fourrures sur
les confins de la Laponie
de Norvege. Mes deux fregates
marchoient à merveille
: mais les Anglois
avoient le vent sur nous. Ils
mirent toutes leurs voiles
dehors
,
& deux heures
avant la nuit ils nous joignirent.
Dabord ils me
saluerentd'une bordée de
canonssipleine, que je ne-1-
pus leur en rendre qu'line,
quireüssit fort prés
avoir brisémongrandhunier
,monmâcd.arcimbnc,
ôc m'avoir tuéplusieurs
hommes, ils me mirent sur lecôté."Mevpjftfltainsi
hors d'étatde.mer,4çferf?j
dre, je fis amener toutes
mesvoiles, &j'aimaimieux
me rendre, que voir perir
tout mon eql11page.jc:11!ifl
LeCapitaine Anglois,
qui m'avoit si maltraité, fit ;
mettre sa chaloupe & fbn;
canot à la mer;j'en fisautant
de mon côté, parce
que l'eau nous gagnoit de
toutes parts,& je me rendis
avec tout mon monde
à son bord
: mais des qu'il
Ueut vu ma frégate couler
bas, & qu'illui étoit impôt
sible de profiter du moins
des vivres que j'avois embarquées,
& dont il commençoit
à avoir besoin, il
ne songea plus qu'à se défaire
de nous; & le quatrième
jour de sa victoire
il nous mit à terre sur une
mauvaise plage, qui est
entre le Cap Noir & Tiribiri.
Il eutnéanmoins la
consideration de nous sa,
re donner des fusils avec,
un quintal de poudre ëc
autant de plomb, pour
nous aider à subsister de
nôtrechasle
,
jusqu'à ce
qu'il plût à Dieu nous tirer
de la misere où nous allions
vraifemblablemenc être incessamment
réduits. I
Alors nous partageâmes!
entre nos chasseurs la mu-1
nition dont l'Anglois nous
avoir fait present,& donc
la prise dema secondefregare
le pouvoit dedomma- j
ger dereste.
Je gagnai aussitôt avec
ma troupe ( qui fuffisoic
pour faire la conquête de
tout cet affreux pays ) le
coin d'un grand bois, qui
était à trois quarts de lieue
de la mer. Là nous choisîmes
chacun un gros arbre
pour nous en faire chacun
une maison
; & tous mes
gens
assemblez autour de
moy, j'établis, pour leur
iûretécomme pour la mienne,
la même discipline
qu'on fait observer aux
troupes les mieux réglées.
Un jour m'etant emporté
à la fuite d'un jeune ours
avec trois de mes camarades
dans cette noire forêt,
dont nous habitions
une des extremitez,j'apperçus
des tourbillons d'une
épaisse fumée, dont l'odeur
nous surprit. Nous approchâmes
sans bruit du lieu
d'où elle sortoit; & après
avoir fait environ deux cent
pas avec beaucoup de peine
, nous découvrîmes un
terrain assez cultivé; &un
peu plus loin, au milieu
d'une hauteur environnée
d'une grande quantité d'arbres
qu'on y avoir plantez.
une petite maison de char.
pente bâtie avec tout l'art
imaginable. Nous pénétrames
encore plus avant;&
aprèsavoir consideré attentivement
tous les environs
de cet édifice extraordinaire,,
nous conclûmes
qu'il étoit impossîble que
ce bâtiment ne fût voisin
de quelque ville.
Cependant, toutes nos
reflexipns faites, nous nous
trouvâmes à la porte de
cette habiration, où nous
prêtâmes attentivementl'oreille,
pour essayer de comprendre
quelque chose aux
sons de voix que nous entendions
:mais on ne peut
jamais être plus surpris que
nous le fûmes. Je vis, à la
faveur d'un trou qui étoic
à cette porte, une grande
femme étenduë sur un lit,
dressé à la hauteur d'un de-
- .t J s. mi pied de terre, couvert
des plus belles peaux qui
soient dans toute la Norvège.
Sesvêtemens étoient
de la mêmeétoffe ;
sa tête,
dont la beauté est un vrai
chef-d'oeuvre de la nature,
étoit négligemment appuyée
sur son bras droit;
son sein croit à demi découvert,
& toute son attitude
exprimoit sa langueur.
Elle chantoit alors admirablement
& en bon François
ces paroles, que je n'oublirai
jamais.
~IO -, T'*f.1 us CllITlUiS j/MJ tCftl«ji»
je riétois aimable : Je t'ai crû, maintenant tu
méprises mes feux.
Ah !qu'il me plaît,cruel, de
te voirmiserable
Autant que tufus amoureux.
Elle eut à peine cesse de
chanter, que je vis un homme,
habillé de la tête aux
pieds d'une riche fourrure
de marrhe zibeline. Il se
promenoir à grands pas
dans cette chambre, &
aprés plusieurs gestes qui
témoignaient sa douleur,
il lui chanta ce couplet à
son tour.
Quoy
,
malheureux!d'une infidelle
- J'aimerois encor la beauté!
Non, mon coeur méprise,
cruelle,
Jusqu'à ton infidelité.
Ces paroles furentsuivies
de reproches que nous ne
jugeâmes pas a propos d'éçpurer,
de peur d'être furpris
à cette porte si restions nous y plus longtemps;
nous crûmes au contraire
devoirnous en éloigner,
f charmez decettedécouverte
, & nous allâmes à
cent pas de cette maison
[ tirer uncoup de fusil, pour
| nous faire reconnoître plus
civilement des gens que
nous venions d'entendre.
Le bruit quefitcecoup
; mit aussitôt l'alarme dans
tout le pays. A l'instant
nous vîmes sortir de plusieurs
petites huttes presque
ensevelies dans la terre, ôc
que nous n'aurions jamais
fongé à prendre pour des
retraites d'hommes, au
moins un bataillon de pygmées.
Ces marmousets étoient
si petits,quechacun
de nous en auroit pu mettre
unedemi-douzaine à califourchon
sur le canon de
son fusil, & les emportet
sur l'épaulesansêtre trop
char-géi.
Ce font là precisément
les peuples qu'on appelle
des Lapons de Norvege.
Cette espece est si plaifanre,
que nous ne pûmes
pas nous empêcher de rire
de bon coeur des efforts
qu'ils faisoient pour nous
environner. Leurs peines
& leurs pas étoient accompagnez
de cris aigus, qui
attirerent vers nous leurs
femmes, qui étoient aussi
courtes qu'eux. Ainsi nous
étions, sans nous en appercevoir,
au milieu d'une
des plus grandes villes du
pays.
Cependant nous vïmcs.
sortir à la fin, de ccttcra
maison de charpente ou
nous nous étions arrêtez
trois hommes faits comme
les autres hommes. ( Cet
.édifice étoit assurément le
plus superbe Palais detoute
cette partie septentrionale
de l'Europe. ) Ces Meilleurs
étoient armez d'arcs & de
fleches, & si bienvêtus des
peaux d'ours &de chevres
dont ils étoient couverts,
qu'à peine nous leur voyiôs
les yeux.
Que cherchez
- vous
nous
nous dit l'un d'eux, dans
ces climats épouvantables ?
&
-
quel malheureux destin
vous aconduits en ces lieux?
Nôtre sort,lui répondist
je, n'est pas encore si deplorable
que vous le dites,
puisque nous avons le bonheur
de trouver en vous des
hommes qui nous entendent
;& ilme paroît à vôtre
langage, qui est François
comme le nôtre, que tout
ce que nous .pourrions
maintenant vous dire de
nôtre fortune,n'a rien qui -la
vôtre. Nous sommes, reprit
celui qui m'avoit parlé,
étrangers comme vous en
cette contrée: mais nous y
devons à un naufrage, que
nous avons fait sous d'heureux
auspices,le plus tranquile
écablissement du
monde. Venez avec nous
dans cette maison, & soyez
persuadez que nous employerons
tous nos soins à
reparer, autant que nous
le pourrons, le malheur du
vôtre.Nous leur rendîmes
mille graces de l'accueil
favorable qu'ils nous faisoient,
& nous les suivîmes
jusques chez eux, au milieu
d'une troupe de ces mirmir
dons, qui se dressoient de
toutes leurs forces sur la
pointe de leurs pieds pour
.,,
nous baiser par respect les
genoux.
Dés que nous fûmes
arrivez à la porte de cette
imaifon, la Dame que j'a-
'vois vue par un trou parut
là nos yeux. Jamais rien de
Iplus. beau ne s'étoitoffert à
tma vûe. Quel astre impittoyable
vous reduit
, nous
)dit-elle) à l'affreuse necessité
de venir mandier ici
les secours de l'hospitatité?
& quelle étoile favorable
nous procure en même
temps le bonheur de vous
offrir un azile > Entrez. Si
j'é*tois Calprenede ou Vaumo- ries, je serois dire ici de belles
choses à mon Heros. Il entra
cependant,sansrien dire à, la
Dame de ce château; il en
fut quitte pour une profonde
reverence.
Nous avions à peine traversé
la premiere chambre
de cette maison, continua
Nerval, que nous vîmes
dans une autre, qui n'en
étoit separée que par une
cloison de sapin, une centainede
Lapons & de Lapones
qui travailloient à
apprêter des peaux de bêtes.
Quittez cet ouvrage,leur
dit en leur langage la Dame
qui nous menoit,êc
hâtez vous de nous preparer
quelque choie à manger.
Ce peloton de petites
creatures se remua aussitôt
comme un essain d'abeilles,
& disparut en un moment.
Alors le Chanteur quej'avois
entendu entra d'unair
fort triste, &après avoir
salué sa Souveraine & nous,
il nous dit: Vous ne voyez
rien ici, Messieurs, qui ne
vous étonne, j'en fuis per- r dl. , suadé: mais comme nous
avons sans doute des choses
extraordinaires à nous raconcer
de part & d'autre, asseyons
nous sur ces peaux,
& en attendant qu'on nous
apporte à manger, apprenez-
nous, s'il vous plaît,
quel bizarre accident vous
ajetté sur ces bords;nous
vous rendrons ensuiteavantures
pour avantures. Je
contai aussitôt à cette nouvelle
compagnie ce que je
vous ai déja dit de ma fortune,
& l'on nous servit.
Ce repas fut composé de
laitages, de fruits, de legumes
& de viandes, sans
pain.
Une grande fille Moscovite,
originaire d'Astracan,
& qui servoit laDame
qui nous recevoir si bien,
s'assit à côté de moy pour
dîner avec nous. A la droite
elle avoir un outre plein du
jus d'un certain arbre dont
la liqueur est merveilleuse,
& à sa gauche un autre outre
plein d'eau, pour temperer
l'ardeur de l'autre
liqueur. Chaque fois que
nousvoulions boire elle
prenoit la peine de nous en
verser proprement. dans
une grande tasse de bois.
Cette fille, s'appelle Barnaga.
{1
- J
Dés que nôtredîner sur
fini, nôtrehôtesse, dont
lescharmescommençoient
à m'enyvrer autant &plus
que la liqueur que Barnaga
nous avoit fait boire, nous
? ;,. dit
-'ditqu'il étoit bien juste
qu'elle nous contât à son
>- tour ce qui lui étoit arrivé
f de plus extraordinaire dans
[ un pays où peu de gens
Vaviferoienc de chercher
[ des avantures. Nous la remerciâmes
de cette faveur,
& nous la priâmes de ne
nous dérober aucune circonstance
de son histoire.
-.
Elle nous dit qu'elle étoit
d'Hambourg,ville anfeat.
tique de la mer d'Alle nagne;
qu'elles'appelloi JulieStroffen
, fille de Cesar
;
Stroffen
; que son pere étoit
undes plusriçhes negocians-
de toute c.ç\Ce -irççjjj
que la tendressequ'elle.avoit
euë pour le Chevalier
de. (en nous montrée le
Chanteur dont j'avais par.
lé) avoit caulé tous les malheurs
de la vie; que son
pere n'avoit pas voulu.consentir
qu'elle l'épousât; que
l'amour & le desespoir les
avoient determinez às'enfuirensemble;
qu'en sa [au..
vant, ils avaient; rencontré
unnavire Angloisquialloit
dans le Nord; qu'illesavoit
pri~, qu'enfin après avoir
été battus pendant deux
jours d'une- furieusetempête
,ils étoienr venus se
briser entre le Cap Noir &;
Tiribiri. ,,-
,
Elle passa legerementsur
tous cesarticles:lais dés
qu'elle fut à celui deson
naufrage:Redoublez vôtre
attention', Messieurs,nous
dit-elle,reparti-vous
aurécit des plus éronnantes
choseskkrcfidnde'.
Onm'eutàpeine traînée
surlerivagé,que j'ouvris
les yeux. Le premier objet
qui s'offrità ma vûefutun
vieillard venerable qui (xér
moinde nôtre naufrage j
faisoit des voeux pour nôtre salut. - "ZVZ*'J3 i'3$
Nousn'étions , çç>mme
Vousinous, voyez;Aencôre,
nquaecuinfqréachgapee.zodeLC"c,9
- Des que ce bonvieillard
fut assezprès denouspopj:
nous parler:Malheureux,
nous dit- il, quevous ferie4
à plaindre-/fije:néeroyoiç
pas que leCiel, qui vous
envoyé sansdoute icipour
tdllue iftermer les Yeux--aco;l- mespasVversyous,
pour vous,prolonger! les
jours que sa bonté vous
laisse.Aussitôt s'approchant
de nous (car nous avions
tous également besoin de
secours )il nous fitavaler
plusieurs gouttes d'un baume
divin, dont la prompte
vertu: nous délivra sur le
champ des mainsdela
mort qui nousmenaçoit
encore Cet elixir n'eut pas
plutôt fait son effet,qu'il
nous dit : Arrachez-vous,
mes enfans, si vous pouvez,
du sableoùvous êtes
ensevelis, Vous n'avez pas
,de)temps a perdre, &> la
mer,à qui lereflux àravi
saproye, vous engloutira
infailliblement: dans. une
heure,si vous negagnez
pasnincessamment, cetrocher
qui fert de limite à sa
fureur.. Là frayeur que cet
avertissement nous causa
opera sur nous pfefque aussi
efficacement que le remede
qu'il nous avoir donné. Il
metendit la main pour
m'aider à me lever; & la
nature, plus forte en-ces
Messieurs qu'enmoy , fit
pourleur salut ce que l'as
sistance du vieillard laiqoit
pour le mien. <,: ;HIi Ilétoit en effet bienTemps
que nous nous sauvassions
>
&je ne puis encore me rap
peller ce funeste jour, sans;
me representer toutel'horreur
d'un si grand danger.
Nous avions à peine gagné
le faîte de ce recl-wr,,
qui n'étoitqu'à deux cent
pas denous, (lorsque nous
étions encore étendus sur
la vaze ) que nous vîmes
des montagnes d'eau venir
fondre avec violence jusqu'au-
pied de nôtre azile.
Reprenezmaintenant courage,
voyageurs infortunez,
nous dit notre vieillard,
vous n'avez déformais
plus rien à craindre; &si
vous pouvez m'accompa*-
gner jusqu'à ma petite mai--
son
,
je vous y procurerai
tous les secours dont peuvent
avoir besoin des malheureux
comme vous.
Nous le suivîmes, tremblans
de froid & mouillez
jusquaux os.
Dés que nous fûmes arrivez
chez lui, il fit étendre
danscette sallequi est
lamême que celleoùnous
| sommes)une grande quan
tité de peaux,sur lesquelles
nous nous couchâmes a prés
avoir quitte nos habits-,ôc:
en mêmetemps il ordonnai
à Barnaga
,
qui le servoit
r alors, &:. qui me sert aujourd'hui
, de prendre uniquement
soin;demoy ôc
de lui laisser celui des compagnons
de mon in forrune.
Le lendemainnous nous
trouvâmes si bien remise
que nous dînâmes avec lui.
A la fin du repas nous lui
contâmes nôtre histoire,
&en revanche il nous conta
la sienne. Je ne douce point
que, vous ne souhaitiez
ardemment l'entendre.
Je fuis, nous dit-il, nati:
d'Archangel. Cette ville est
dediée à saint Michel Ar.
change. L'on y fait presque
tout le commerce du Nord
Mon nom est Saxadero. Ja
étéainsi nommé
,. parce
qu'on me trouva sur ui
rocher peu de jours apré
ma naissance. Des paysan
qui me ramasserent mi
mirententre les mains d'u
Prêtre Grec qui demeuroi
â une journéed'Archangel.
Ce bon homme qui depuis
wingt ans qu'il étoit marie
n'avoit pu avoir d'enfans,
fut ravi du present que ces
paysans lui firent. Ilm'éleva
ravec autant de foin & de
nendresse que si j'avoiseétè
Sonpropre fils. J'appris fous
lui plusieurs Langues, &
route la formule de la Reilligion
des Grecs, qu'il enseignoit
& qu'il professoit
d'une maniéré exemplaire.
J'avois plus de 40. ans lors
qu'il mourut,& je n'étois
pas encoreassez fage pour •
profiter' desconseils
< retraité&de moderation
qu'il m'avoit donnez pe
dant savie.
,"J.c Ileuta- peinelles- ye
.fermez, qu'emporté j
mon temperament, je
mis entête de courir
monde. Je resolus de
,-
tr
verser1 par terre toute.
Tartarie & laMoscoviei
de me rendre àCaminiel
..oùle-Czar nôtre Emperc
étoit alors; Ce voyag
quoiqueterrible &lon
- me parut encore fort cet
lorsque je fus arrivé à C
minietz,d'où je partis
quinze jours après, pour
me rendre à Constantinoole,
après avoirlaisséderrdiereemBoytouutllge
Raoyraiumee
-'
Mon intention étoit de
asser en Asie, &daller
en Egypte m'instruire des
mysteres -,,-.des loix, des
listoires :$c des, religions,
Hes peuples de l'Orient.Je
xroyois y trouver parmi les
aristes débris des anciens
monumens de la vanité des
hommes,quelques vestiges
de l'élévation de ces genies
qui en avoient si long
temps imposé à cour l'un
vers. Mais jei me détour.
bientôt du succes de m
curiosite, & je ne trouv.
chez ces mortelsque: de
restes depyramides &.'(1
tombeaux
s
des rochers
des antres, des fleuves,de
animaux feroces, & rie
dans leur espritquipûtm
retracer laplus foibleima
ge de leur ancienne gran
deur. Àinsi je retournai su
mes pas,jepris la route-d
l'Europe,&je trouvaiheu
reusement i-- Constantino
ple un navire qui me porta
sen Italie, & delà en France,
qui est la feule partie du
monde où je croy que des
hommespuissentvivreavec
toutes les douceurs &tous
les agremens de la vie :mais
malheureusement la forune
ne me permettoit pas
calors de métablirune patrie
dans le sein de cet Empire.
Je me vis ainsi. forcé de me
soûmettre à la rigueur de
monétoile, & de passer en
Hollande, poury profiter
des premiers navires qui
mettroient à la voile ppur
levoyagé du Nord.
,: : EnarrivantàAmsterdat
j'entrouvai un prêt a partii
je m'y embarquai & la me
& les vents nousserviren
à merveille. De la d'Allemagne me nous entra
mes danscelle de Dane
mark, & parle Sund dan
la mer Baltique, d'où nou
perietrâmes jusqu'au son
du Golfe de Riga,oùja
chevaima navigation, pou me rendre par rerre àPles
koovv, où le Czar étoit
alors avec son armée. « Huit ou dix jours âpre:
mon
mon arrivée, je ne sçaià
quelle occasion je lui fus
presenté
, comme un homime
que tant de voyages rendoient extraordinaire
chez des peuples quine
>connoissent dautre terre&
d'autres climats què
-- d'autresclimatsqueceux
qu'ils habitent. Ce Prince me reçut de lamaniéré du
monde la plus généreuse;
& après m'avoir assuréplusieurs
fois du plaisir que lui
feroit mon attachement f.
sa personne,il m'hônorade
tant de titres &de tant de
charges, que le fardeau
m'en parut bientôt insupportable.
Je netois point
courcitan,&je pouvois encore
moinsle. devenir. Le
lait sauvage que j'avoissuccé,
la manière dont on m'avoit
élevé;&le grand air
que j'avois respiré dans tous
les climats dumonde , ne
m'avoient donné aucunes
leçons du personnage que je
devois joüer.On s'apperçut
bientôt de la dureté de mes
moeurs,on se dégoûta de me
voir dans une place que
d'autres pouvaient remplir
mieux quemoy; & enfin,au
; bout de quelques années,
une chûte precipitée fut
l'ouvrage de mon élevation.
[ Je me rendis alors la justice
> que meritoit ma disgrace,
,&. je convins en moymême
> quela douceur & lapolitesse
étoient l'appanage des
hommesquiveulent vivre
dans la societé de leurs paireils.
Il n'en fut cependant
ni plus ni moins, & je fus
obligé
, pour me rendre
iincessammentau lieu de
mon exil., de m'en retourmer
par ou j'etois venu. Cest ici le sejour qui me
fut destiné. Le navire qu
m'y amena me mit à terre
avec un valet fidele qui ne
voulut point me quitter
On me donna des armes
de la poudre, du plomb
&des grains pour ense,
mencer les terres qu'il me
plairoit de choisir pour m
liibfiftance ; ôc cespetit
peuples,mon valet &Bar
naga, que je trouvai heu
reusement ici,*
m'aideren
bâtir la petitemaison ou
nous sommes. Lavantur
qui a jette cette fille su
ces bords est si extraordinaire,
que le récit que vous
en allezentendresera infailliblement
le plusbel
ornement de cette histoire.
La Moscovite Barnaga,
de la ville d'?~M~~ peut
avoir environ trente ans. M
y en a prés de quatre qu'-
elle est dans cettecontree,
où elle vit dans la compagnie
des Lapons Norvegiens
comme si elle étoit
leur Reine. Avant de venir
en cepaïs,elle vivoitàAstra.
candans le sein de sa famille,
occupeeàtous les ouvrages
ausquelsune Elles'occupe
naturellement chezses parens,
lorsqueleplus spirituel&
leplus sçnvant,des
Lapons de ce Royaume s'avisa
de vouloir voyager. 1.1
- On dit ici tant de choses
merveilleuses de ce petit
homme, qu'on assure qu'il
avoit un Gnome particulier
qui le proregeoir. D'autres
disent qu'il enéroit un luimême.
Ce qu'il ya de plus
constant; selon moy, c'est
qu'ilavoir une connoissance
parfaite de tous les
secrets & de toutes les verus
naturcllesqui sontdans
les simples, & qu'il employoit
les plus fiers animaux
de ces deserts à tous
les usages qu'illui plaisoit.
Un jour, dis- je, (e sentant
i)..len humeur de voyager !> arrêta dans ces
forêts
une Renne. *, à qui il dit à
* Plusieursvoyagesdu NordpAr.
lent des qualitez de cetanimal, qui
yest
à peuprés dela taille d'un Cerf.
On lui dit à l'oreilleoù l'onveut
l'envoyer, ou bien le nom des lieux
où l'on veut aller avrjr lui.Aussitôt
ilva par-tout avec unevitesse admirable
, sans suivre aucune route. Éon
instinct seulle guide
,
-& il n'y a ni
fleuves, ni precipices
,
ni montagnes
qui l'arrêtent. Il sertcommunément
à tirer les trainaux.
l'oreille qu'ilvouloit se pro
mener dans l'Empire de
Tartares &dans la Moscc
vie. Cet animal docile reçu
son secret,&l'emmena pa
tout où il voulut aller. En
fin étant arrivé à Astracan
il alla loger chez la mer
de Barnaga, où ilse trouv
si content des bons traite
mensqu'onlui fit, que pa
reconnoissance,ou par in
clination il devint amou
reux de cette fille.
LeLapon ne pouvan
contenirtout le feu qui
devoroit,s'avisa de lui faire
an jour une ample déclaration
de sa tendresse. Barnagase
moqua de lui. Le
tmraégperiasàduentceetltpeofiinllte,qlu'o'uilresolut
de s'en vanger.Voici
commeil s'y prit.
Il affecta de ne lui plus
parler d'amour, & de ne
plus s'attacher qu'à caresser
à Renne qui faisoit chaque
jour presence de
Barnaga Ôc
de
sa
mere,
tous
les tours de souplesse imaginables.
Il se persuadaavec
raison que cette jeune fille
ne pourroit pas s'empêcher
àd'essayer cette monture; qui il avoit eu la precau
tion de dire tout cequ'il y
avoit à faire,si cela arrivoit.
Barnaga, charméede
cet animal, avoit plusieur
fois prié le fin Lapon dele
lui donner:mais il avoit
toujours affecté de ne pouvoir
lui faire un si grand sa
crifice; Enfin irritée de ses
refus, elle avoir resolu de ledérober, & de lui dire
qu'ils'étoit perdu dans les
bois voisins. Un jour pour
cet effet, elle se fit suivre
parla Renne jusqu'à un
quart de lieuë de la ville, où
le voyant seule, elle voulut
monter cet animal, qui se
mit a genoux comme un
chameau pour la recevoir
plus commodément: mais
elle fut à peine sur son dos,
qu'il l'emporta presque à
travers les airs, tant il avoit
de vîtesse & de legereté.
Quoyqu'il y ait un chemin
infini d'ici à Astracan, il
l'amena en trois jours dans
ce defert, où son amant le
rendit aussitôt qu'elle. Il
l'épousa presque en même
tempsavec toutes les ceremoniesdupays
,que
vous conterayune auti
fois. Il a depuisle jour
sesnoves,vécu tpujou
~v~~Uç.~ns la plusgra~
deuniondu mpad|;,& tP8
de mêmeavec eux. Ceper
dant depuis trois mois
Lapon a disparu,sans qu'o
sçache pourquoy, ni où
estallé, & personneici
sçait de ses nouvelles. Ba
~nagoem~'enoparutconsole &- coeur qu'il nerevienneja
mais. rti>,>u£iaaaoî
Lediscours de ce bon
dvierilolaridt- f.inÎt en cet 7en: nit- en"' - Vieillard finirencet!eenn^ Nous luifîmes chacun
nos remercimens de la peine
qu'il avoit prisede nous
conter tant de choses extraordinaires,
& nous le
priâmes de nous dire si
nous ne pourrions pas trouvercinq
de ses Rennes pour
nous remettre dans quelque
partie de l'Europe plus
habitable que celle où nous
étions. Non, mes enfans,
nous dit-il,je peux vous
donner aucune instruction
làdessus,& je vousjur
que je n'ai pas vu un seul d
ces animaux depuis que j
, fuis ici:mais au nomd
Dieu ne me quittez pa
que je ne sois mort ;dan
quarante mois je ne sera
plus. Dés que vous maure
renduà la terre, il viendr
quelque
- navire surcette
côte , dont le Capitain
charitable vous recevr
dans son bord , & voustre
menera dans les lieux o
vous avez tantd'impatience
de vous revoir. Il y a plu
de six semaines que ce fag
vieillard est mort, & nous
n'avons encore vu que vous,
qu'une extreme dïsgrace a
jettez sur ce rivage.
i' Le Chevalier de. qui
m'entend, me jura, deux
mois aprés nôtre naufrage,
unefoy éternelle, &m'épousa
en presence de ce
yenerable personnage donc
je viens de vous conter
l'histoire, deBarnaga, qu'-
une tendre sympathie a
fortement attachée à moy
depuis sa mort, & de ces
Messieurs qui sont nos compagnons
d'infortune. Il ya
plus d'un anqu'ils'est mis
danslatête des chagrins&
des jalousies sans fondement,
qui le precipitent
cent fois par jour dans des
abîmes de melancoliedont
rien ne peut leguerir.
Voilace que j'avais;
vous dire de mesavantures
"Au reste, songeons main
tenant auxexpediens qu
-peuvent nous tirer d'ici, &
7mettons touten usagepou
LretôUfncr'; ensemble, dan
•'-•d-esfie'uxefîlinous convien
rfëntmièux queces climat *éfK^âritabtâs*-?jDésque,
Julie eutcesse
de parler, nousnous encourageâmestous
à; travailler
aux moyens de sortir de ce
miserables pays ; &C] après
plusiers proportions.
gues & inutiles , je priai nôître
compagnie de sereposer
sur moydu soin de la délivr.
cCJ de cette région.Je
m'engageai à mettre tout
j: mon monde aprés cet our;
vrage. Je fis couper des ar..
Ë bres, donton ne un grand -nombre de mâts, de pouz
tres,de solives & de planches,
que jedestinaiàla
construction d'un navire. *
Sur ces entrefaites,le Che
valierde. tomba malade
en deux jours il fut à lex~
tremite, & le troisiéme i
mourur. Sa veuve fut long
temps inconsolable desa
perce : cependant mes soins
mes discours, la tendresse
qu'elle étoit perpuadée que
j'avois pour elle, & l'impa.
tience qu'elle avoit de re.
tourner bientôt dans une
meilleure contrée que celle
ou nous étions, (comme je
l'en assurois tous les jours,
lui rendirent bientôt son
embonpoint, ses graces ôc
sa tranquilité.
Des '¡ que nôtre vaisseau
: fut achevé, lesté, & chargé
d'eau, de poissons secs, de
chair salée, de legumes, 6c
de toutes les pauvres den-
1"rees. qui pouvoient. nous
aider à subsisterjusqu'à ce
que nous arrivassions à Plaisance,
nous nous embart
quâmes. Nous y changeâmes
pour des peaux nôtre
»bâtiment contre un autre
meilleur,nous y prîmes du
pain, du biscuit
,
du vin,
de la bierre, & tous les rafraîchissemens
dont nous
avions besoin. Enfin après
avoirvoguéleplusmalheureulement
du monde contre
les vents & la mer, nous
hommes venus,comme
vous le sçavez,Messieurs,
nous brifer ce matin sui
cette côte,& faire,pourain
dire, naufrage au port.
Je ne fais point d'autre:
remarques sur cette histoire
que celles qui sont à la mar
ge , parce que je connoi
ces pays septentrionnau
moins que ceux qui son
plus près du Soleil.
je priele Lecteur de ne pas
s'impatienter; & pour commencer
a m'acquitter avec
lui, je vais l'entretenir des
avantures de la Moscovite
& du Lapon, que j'ai promises
le mois dernier. Cependant
je le prie de me
permettre de changer le
titre de cette histoire; quoique
ces deux personnages
y jouent un rôle merveilleux
,ils n'en sont pas néanmoins
les principaux acteurs
: ainsi je croy qu'on
ne me disputera pas la liberté
de la donner fous cet
autre titre.
LE NAUFRAGE
au port.
I HISTOIRE. L y a quelques années
qu'étant à S. Malo, un de
mes amis vint un jour me
trouver, pour me prier
de l'accompagner jusqu'au
Cap *, où étoient deux vais-
* C'est un Promontoire ou pointe
de terre fort élevé à cinq lirsÚs de
S. Malo. Il y a une radeassez,
bonne, où j'amarent ordinairement
les navires qui vont à lamer, eu
qui en reviennent.
seaux qui dévoient profiter
du premier beau temps
pour mettre à la voile pour
la mer du Sud. Plusieurs de
ses amis & des miensetoient
à bord, & nous voulions
les embrasser encore une
fois avant qu'ils appareillassent.
Il etoit huit heures
du matin, le ciel était fort
clair, la chaloupe nous attendoit,
le vent étoit frais,
& les matelots commençoient
a jurer après nous,
parce qu'ils apprehendoient
que nous ne perdissions
une si belle marée,
lors qu'enfin nous nous embarquâmes
pour nous rendre
au Cap,où nous arrivâmes.
en moins d'une heure
& demie. Nos amis, qui
étoient les principaux Officiers
de ces vaisseaux, char:
mez de cette derniere vitice,
nous firent la meilleure
chere qu'ils purent.
Nous avions à peine resté
r
deux heures table,oùnous
commencions a nous mettre
en train, lorsque nous
entendîmes crier, Navire,
navire. Le vent aussitôt
changea, le ciel& la mer
s'obscurcirent, la pluye
,
la grêle, le connerré, &
les nuës, nous environnerent.
Quoique nous eussions
nos quatre ancres à la
mer,nos pilotes ne laisserent
pas de prendre des mesures
contre l'orage.Cependant
nousattendîmes patiemmét,
le verre à lamain;
&en gens que de pareils
dangersn'effrayent gueres,
tout ce qu'il en pourroit
arriver. Enfin au bout de
deux heures le vent se calma,
& le temps s'éclairit.
Mais il n'est rien d'affreux
comme l'horriblespectacle
que le retour de la lumière
offritànos yeux. Des coffres,
des cordages, des
mâts ,des planches,des
hommes,des semmes,ensintoute
l'image d'un frageépouvantablnea.u-
LesOfficiers des navires
quiétoient à l'ancre ordonnerent
à l'instant à tous
leurs matelots de mettre
toutes les chaloupes à lamer,
pour secourir, autant
qu'ilseroit possible, les malheureuxqui
perissoient
Leur zele eutun succés
assez favorable, & peu
d'hommes perirent. On
porta à bord tous ceux qui
avoient nagé avec assez
de vigueur pour attendre
le secours des matelots:
on lesdéshabilla aussitôt,
& on les jetta sur des lits,
après leur avoir fait rendre
l'eau qu'ils avoient bue.
Où suis. je, grand Dieu!
où suis-je, dit l'un de ces
hommes environ deux heures
après qu'on l'eut sauvé?
n'ai je affronté tant de perils,
n'ai
-
je brave tant de
foisla mort, que pour per-
dre au milieu du port ce
quej'avois de plus cher au
monde? Cruelsqui m'avez
sauvé avec tant d'inhumanité,
rendez-moy à ceperside
element qui vient d'enfgaliotutir
l'objet le plus parqui
fût dans la nature.
A ces mots nous nous approchâmes
du malheureux
dont nous venions d'entendre
les plaintes. Vous êtes,
lui dit aussitôt nôtre Capitaine,
avec des hommes
qui n'ont consulté que leur
inclination pour vous sauver
, &a qui vous êtes redevadevable
de la vie qu'ils vous
ont renduë. Oui, repritil,
en gemissant, je fuis avec
des hommes plus barbares
que les Scythes les plus
cruels; pourquoy ravissezvous
à la mort un miserable
qui ne doit plus songer qu'à
mourir? Non.malheureuse
Julie, non, ne me reprochez
pas un indigne retour
àla vie; vôtre mort va bientôt
être vangée par la mienne.
Cette Julie, dit le Capitaine,
en adressant la parole
à un de ses Officiers, ne seroit-
elle pas une de ces deux
femmes qui sont sur vôtre
lit? Que dites-vous,Monsieur,
reprit cet amant desesperé
? vos gens ont- ils [au.
vé deux femmes? Oui,répondit
le Capitaine. Ah si
cela est, dit-ilaussitôt,Julie
n'est pas morte. A l'instant
il se jetta à bas du lit,
& passa au quadre où l'on
avoir mis les deux femmes
qu'on avoit sauvées comme
lui.
Elles avoient les bras se
le visage écorc hez
,
elles
etoient pâles, désigurees 6e
assoupies. Non, dit-il, après
avoir touché ses mains,6j
plein des transports de ta
joye, non ma Julie n'est pas
morte. Je vous dois encore
une fois la vie,Messieurs,
&mille fois davantage. La
tendre Julie, que ses paroles,
ses soûpirs & ses embrassemens
éveillerent, ouvrit
les yeux, & jettant des
regards pleins de tristesse
& de langueur sur tous les
objets dont elle étoit environnée
,elle reconnut enfin
son heureux amant,qui
échauffoit avec sa bouche
ses froides mains, qu'il arrofoit
en même temps de't
ses larmes. |
Alors nôtre Capitaine la
fit changer de lit,&lafit
porter sur le sien, où elle
reçue. plus commodément
tous les autres secours dont
elle eut besoin.
* Cependant on nous
avertit
que le souper étoit prêt.
Le Capitaine pria le Cavalier,
à qui il ne restoit plus
que le souvenir de son naufrage,
de se mettre à table
à côté de lui. Dés qu'ils furent
atable, nous nous pla-;
çâmes où le fort nous mit..
Ce repas ne fut pas si long
que celui du matin: mais
il fut certainement plus
agreable par le récit des rares
avantures que nous entendîmes.
Le nom & le portraitdu
Heros de cette histoire font
des circonstances & des ornemens
necessaires au dé.
tail que j'en vais faire.
Louis-Alexandre de Nerval
, natifde Montréal,sur
la riviere de saine Laurent,
dans le Canada, est un jeune
homme qui peut avoir
à present environ trentedeux
ou trente-trois ans. Il
est peu d'hommes en Europe
qui soient mieux faits
que lui. Son visage est noble
& regulierement beau,
son air. est simple, tendre
&.naturel; il a beaucoup
d'esprit sans étude, il est
vaillant & robuste autant
qu'un homme le puisseêtre:
enfindans quelque endroit
du monde qu'il soit, il sera
toujours regardé. comme
un de ces mortels que la
fortune semble être obligée
de preferer aux aucres.Il
avoit vingt-sixou vingtsept
ans.,lors qu'échapédu
naufrage dont jeviens de
parler
,
il nous conta à la
fin de nôtre souperles avantures
qu'on va lire.
Il y a huir ans, nous dit- que mon pere,Andréde
Nerval, qui étoit un des
plus riches habitans du Canada,
tomba malade de la
maladie dont il est mort. Il
attendit qu'il fût à l'extremité
pour faireentre cinq
enfans qu'il avoir& dont
je fuis l'aîné, un partage
égal de tous ses biens. ille
neôe le lendemain il mourut.
J'eus environ la valeur
de cent mille francs en
terre & en argent pour ma
part. Dés que je me vis le
maître de mon bien, je resolus
, pour l'augmenter,
de faire un commerce qui
pût bientôtm'enrichircomme
lui. J'équipai une fregate
de vingt canons, je
levai une troupe de braves
gens du pays, & je me mis
à la mer avec la meilleure
volonté du monde. Mes
premieres couriesfurent
assez heureuses
; je m'embarquaydeux
fois, deux
fois
fois je retournay dans ma
patrie avec de nouvelles
richesses. La troisième la
fortune nous trahir. J'avois
pris la route de Plaisance
où les ) vents contraires ôc
les grands courans m'obligerent
à relâcher
,
après
avoir été battu de la tempête
pendant près de trois.
semaines. Là j'appris que
quelques navires Hollandois
avoient déja pris pour
leur pêche des moluës la
route du grand ban de
Terre Neuve.Quoique je
sçusse bien qu'il n'y avoic
rien à gagner avec ces Pêcheurs
, je m'imaginai cependant
qu'il ne tenoit qu'à
moy de faire quelque action
déclat,&que secondé
d'une fregate legere qui
étoit avec moy, rien ne
feroit plus facile que de
ruïner leur pêche & leur
commerce pour cetteannée.
Ainsi je donnai tête;
baissée dans ce dessein, qui
eut les plus malheureuses
fuites du monde.
Huit jours après que je 1
fus sorti de Plaisance, après
avoir longtemps combattu,
les vents & les marées, je
tombai (sans pouvoir jamais
l'éviter) au milieu
d'une flote Angloise corn,'
posée de trois gros vaisseaux
qui alloienc chercher des
peaux & des fourrures sur
les confins de la Laponie
de Norvege. Mes deux fregates
marchoient à merveille
: mais les Anglois
avoient le vent sur nous. Ils
mirent toutes leurs voiles
dehors
,
& deux heures
avant la nuit ils nous joignirent.
Dabord ils me
saluerentd'une bordée de
canonssipleine, que je ne-1-
pus leur en rendre qu'line,
quireüssit fort prés
avoir brisémongrandhunier
,monmâcd.arcimbnc,
ôc m'avoir tuéplusieurs
hommes, ils me mirent sur lecôté."Mevpjftfltainsi
hors d'étatde.mer,4çferf?j
dre, je fis amener toutes
mesvoiles, &j'aimaimieux
me rendre, que voir perir
tout mon eql11page.jc:11!ifl
LeCapitaine Anglois,
qui m'avoit si maltraité, fit ;
mettre sa chaloupe & fbn;
canot à la mer;j'en fisautant
de mon côté, parce
que l'eau nous gagnoit de
toutes parts,& je me rendis
avec tout mon monde
à son bord
: mais des qu'il
Ueut vu ma frégate couler
bas, & qu'illui étoit impôt
sible de profiter du moins
des vivres que j'avois embarquées,
& dont il commençoit
à avoir besoin, il
ne songea plus qu'à se défaire
de nous; & le quatrième
jour de sa victoire
il nous mit à terre sur une
mauvaise plage, qui est
entre le Cap Noir & Tiribiri.
Il eutnéanmoins la
consideration de nous sa,
re donner des fusils avec,
un quintal de poudre ëc
autant de plomb, pour
nous aider à subsister de
nôtrechasle
,
jusqu'à ce
qu'il plût à Dieu nous tirer
de la misere où nous allions
vraifemblablemenc être incessamment
réduits. I
Alors nous partageâmes!
entre nos chasseurs la mu-1
nition dont l'Anglois nous
avoir fait present,& donc
la prise dema secondefregare
le pouvoit dedomma- j
ger dereste.
Je gagnai aussitôt avec
ma troupe ( qui fuffisoic
pour faire la conquête de
tout cet affreux pays ) le
coin d'un grand bois, qui
était à trois quarts de lieue
de la mer. Là nous choisîmes
chacun un gros arbre
pour nous en faire chacun
une maison
; & tous mes
gens
assemblez autour de
moy, j'établis, pour leur
iûretécomme pour la mienne,
la même discipline
qu'on fait observer aux
troupes les mieux réglées.
Un jour m'etant emporté
à la fuite d'un jeune ours
avec trois de mes camarades
dans cette noire forêt,
dont nous habitions
une des extremitez,j'apperçus
des tourbillons d'une
épaisse fumée, dont l'odeur
nous surprit. Nous approchâmes
sans bruit du lieu
d'où elle sortoit; & après
avoir fait environ deux cent
pas avec beaucoup de peine
, nous découvrîmes un
terrain assez cultivé; &un
peu plus loin, au milieu
d'une hauteur environnée
d'une grande quantité d'arbres
qu'on y avoir plantez.
une petite maison de char.
pente bâtie avec tout l'art
imaginable. Nous pénétrames
encore plus avant;&
aprèsavoir consideré attentivement
tous les environs
de cet édifice extraordinaire,,
nous conclûmes
qu'il étoit impossîble que
ce bâtiment ne fût voisin
de quelque ville.
Cependant, toutes nos
reflexipns faites, nous nous
trouvâmes à la porte de
cette habiration, où nous
prêtâmes attentivementl'oreille,
pour essayer de comprendre
quelque chose aux
sons de voix que nous entendions
:mais on ne peut
jamais être plus surpris que
nous le fûmes. Je vis, à la
faveur d'un trou qui étoic
à cette porte, une grande
femme étenduë sur un lit,
dressé à la hauteur d'un de-
- .t J s. mi pied de terre, couvert
des plus belles peaux qui
soient dans toute la Norvège.
Sesvêtemens étoient
de la mêmeétoffe ;
sa tête,
dont la beauté est un vrai
chef-d'oeuvre de la nature,
étoit négligemment appuyée
sur son bras droit;
son sein croit à demi découvert,
& toute son attitude
exprimoit sa langueur.
Elle chantoit alors admirablement
& en bon François
ces paroles, que je n'oublirai
jamais.
~IO -, T'*f.1 us CllITlUiS j/MJ tCftl«ji»
je riétois aimable : Je t'ai crû, maintenant tu
méprises mes feux.
Ah !qu'il me plaît,cruel, de
te voirmiserable
Autant que tufus amoureux.
Elle eut à peine cesse de
chanter, que je vis un homme,
habillé de la tête aux
pieds d'une riche fourrure
de marrhe zibeline. Il se
promenoir à grands pas
dans cette chambre, &
aprés plusieurs gestes qui
témoignaient sa douleur,
il lui chanta ce couplet à
son tour.
Quoy
,
malheureux!d'une infidelle
- J'aimerois encor la beauté!
Non, mon coeur méprise,
cruelle,
Jusqu'à ton infidelité.
Ces paroles furentsuivies
de reproches que nous ne
jugeâmes pas a propos d'éçpurer,
de peur d'être furpris
à cette porte si restions nous y plus longtemps;
nous crûmes au contraire
devoirnous en éloigner,
f charmez decettedécouverte
, & nous allâmes à
cent pas de cette maison
[ tirer uncoup de fusil, pour
| nous faire reconnoître plus
civilement des gens que
nous venions d'entendre.
Le bruit quefitcecoup
; mit aussitôt l'alarme dans
tout le pays. A l'instant
nous vîmes sortir de plusieurs
petites huttes presque
ensevelies dans la terre, ôc
que nous n'aurions jamais
fongé à prendre pour des
retraites d'hommes, au
moins un bataillon de pygmées.
Ces marmousets étoient
si petits,quechacun
de nous en auroit pu mettre
unedemi-douzaine à califourchon
sur le canon de
son fusil, & les emportet
sur l'épaulesansêtre trop
char-géi.
Ce font là precisément
les peuples qu'on appelle
des Lapons de Norvege.
Cette espece est si plaifanre,
que nous ne pûmes
pas nous empêcher de rire
de bon coeur des efforts
qu'ils faisoient pour nous
environner. Leurs peines
& leurs pas étoient accompagnez
de cris aigus, qui
attirerent vers nous leurs
femmes, qui étoient aussi
courtes qu'eux. Ainsi nous
étions, sans nous en appercevoir,
au milieu d'une
des plus grandes villes du
pays.
Cependant nous vïmcs.
sortir à la fin, de ccttcra
maison de charpente ou
nous nous étions arrêtez
trois hommes faits comme
les autres hommes. ( Cet
.édifice étoit assurément le
plus superbe Palais detoute
cette partie septentrionale
de l'Europe. ) Ces Meilleurs
étoient armez d'arcs & de
fleches, & si bienvêtus des
peaux d'ours &de chevres
dont ils étoient couverts,
qu'à peine nous leur voyiôs
les yeux.
Que cherchez
- vous
nous
nous dit l'un d'eux, dans
ces climats épouvantables ?
&
-
quel malheureux destin
vous aconduits en ces lieux?
Nôtre sort,lui répondist
je, n'est pas encore si deplorable
que vous le dites,
puisque nous avons le bonheur
de trouver en vous des
hommes qui nous entendent
;& ilme paroît à vôtre
langage, qui est François
comme le nôtre, que tout
ce que nous .pourrions
maintenant vous dire de
nôtre fortune,n'a rien qui -la
vôtre. Nous sommes, reprit
celui qui m'avoit parlé,
étrangers comme vous en
cette contrée: mais nous y
devons à un naufrage, que
nous avons fait sous d'heureux
auspices,le plus tranquile
écablissement du
monde. Venez avec nous
dans cette maison, & soyez
persuadez que nous employerons
tous nos soins à
reparer, autant que nous
le pourrons, le malheur du
vôtre.Nous leur rendîmes
mille graces de l'accueil
favorable qu'ils nous faisoient,
& nous les suivîmes
jusques chez eux, au milieu
d'une troupe de ces mirmir
dons, qui se dressoient de
toutes leurs forces sur la
pointe de leurs pieds pour
.,,
nous baiser par respect les
genoux.
Dés que nous fûmes
arrivez à la porte de cette
imaifon, la Dame que j'a-
'vois vue par un trou parut
là nos yeux. Jamais rien de
Iplus. beau ne s'étoitoffert à
tma vûe. Quel astre impittoyable
vous reduit
, nous
)dit-elle) à l'affreuse necessité
de venir mandier ici
les secours de l'hospitatité?
& quelle étoile favorable
nous procure en même
temps le bonheur de vous
offrir un azile > Entrez. Si
j'é*tois Calprenede ou Vaumo- ries, je serois dire ici de belles
choses à mon Heros. Il entra
cependant,sansrien dire à, la
Dame de ce château; il en
fut quitte pour une profonde
reverence.
Nous avions à peine traversé
la premiere chambre
de cette maison, continua
Nerval, que nous vîmes
dans une autre, qui n'en
étoit separée que par une
cloison de sapin, une centainede
Lapons & de Lapones
qui travailloient à
apprêter des peaux de bêtes.
Quittez cet ouvrage,leur
dit en leur langage la Dame
qui nous menoit,êc
hâtez vous de nous preparer
quelque choie à manger.
Ce peloton de petites
creatures se remua aussitôt
comme un essain d'abeilles,
& disparut en un moment.
Alors le Chanteur quej'avois
entendu entra d'unair
fort triste, &après avoir
salué sa Souveraine & nous,
il nous dit: Vous ne voyez
rien ici, Messieurs, qui ne
vous étonne, j'en fuis per- r dl. , suadé: mais comme nous
avons sans doute des choses
extraordinaires à nous raconcer
de part & d'autre, asseyons
nous sur ces peaux,
& en attendant qu'on nous
apporte à manger, apprenez-
nous, s'il vous plaît,
quel bizarre accident vous
ajetté sur ces bords;nous
vous rendrons ensuiteavantures
pour avantures. Je
contai aussitôt à cette nouvelle
compagnie ce que je
vous ai déja dit de ma fortune,
& l'on nous servit.
Ce repas fut composé de
laitages, de fruits, de legumes
& de viandes, sans
pain.
Une grande fille Moscovite,
originaire d'Astracan,
& qui servoit laDame
qui nous recevoir si bien,
s'assit à côté de moy pour
dîner avec nous. A la droite
elle avoir un outre plein du
jus d'un certain arbre dont
la liqueur est merveilleuse,
& à sa gauche un autre outre
plein d'eau, pour temperer
l'ardeur de l'autre
liqueur. Chaque fois que
nousvoulions boire elle
prenoit la peine de nous en
verser proprement. dans
une grande tasse de bois.
Cette fille, s'appelle Barnaga.
{1
- J
Dés que nôtredîner sur
fini, nôtrehôtesse, dont
lescharmescommençoient
à m'enyvrer autant &plus
que la liqueur que Barnaga
nous avoit fait boire, nous
? ;,. dit
-'ditqu'il étoit bien juste
qu'elle nous contât à son
>- tour ce qui lui étoit arrivé
f de plus extraordinaire dans
[ un pays où peu de gens
Vaviferoienc de chercher
[ des avantures. Nous la remerciâmes
de cette faveur,
& nous la priâmes de ne
nous dérober aucune circonstance
de son histoire.
-.
Elle nous dit qu'elle étoit
d'Hambourg,ville anfeat.
tique de la mer d'Alle nagne;
qu'elles'appelloi JulieStroffen
, fille de Cesar
;
Stroffen
; que son pere étoit
undes plusriçhes negocians-
de toute c.ç\Ce -irççjjj
que la tendressequ'elle.avoit
euë pour le Chevalier
de. (en nous montrée le
Chanteur dont j'avais par.
lé) avoit caulé tous les malheurs
de la vie; que son
pere n'avoit pas voulu.consentir
qu'elle l'épousât; que
l'amour & le desespoir les
avoient determinez às'enfuirensemble;
qu'en sa [au..
vant, ils avaient; rencontré
unnavire Angloisquialloit
dans le Nord; qu'illesavoit
pri~, qu'enfin après avoir
été battus pendant deux
jours d'une- furieusetempête
,ils étoienr venus se
briser entre le Cap Noir &;
Tiribiri. ,,-
,
Elle passa legerementsur
tous cesarticles:lais dés
qu'elle fut à celui deson
naufrage:Redoublez vôtre
attention', Messieurs,nous
dit-elle,reparti-vous
aurécit des plus éronnantes
choseskkrcfidnde'.
Onm'eutàpeine traînée
surlerivagé,que j'ouvris
les yeux. Le premier objet
qui s'offrità ma vûefutun
vieillard venerable qui (xér
moinde nôtre naufrage j
faisoit des voeux pour nôtre salut. - "ZVZ*'J3 i'3$
Nousn'étions , çç>mme
Vousinous, voyez;Aencôre,
nquaecuinfqréachgapee.zodeLC"c,9
- Des que ce bonvieillard
fut assezprès denouspopj:
nous parler:Malheureux,
nous dit- il, quevous ferie4
à plaindre-/fije:néeroyoiç
pas que leCiel, qui vous
envoyé sansdoute icipour
tdllue iftermer les Yeux--aco;l- mespasVversyous,
pour vous,prolonger! les
jours que sa bonté vous
laisse.Aussitôt s'approchant
de nous (car nous avions
tous également besoin de
secours )il nous fitavaler
plusieurs gouttes d'un baume
divin, dont la prompte
vertu: nous délivra sur le
champ des mainsdela
mort qui nousmenaçoit
encore Cet elixir n'eut pas
plutôt fait son effet,qu'il
nous dit : Arrachez-vous,
mes enfans, si vous pouvez,
du sableoùvous êtes
ensevelis, Vous n'avez pas
,de)temps a perdre, &> la
mer,à qui lereflux àravi
saproye, vous engloutira
infailliblement: dans. une
heure,si vous negagnez
pasnincessamment, cetrocher
qui fert de limite à sa
fureur.. Là frayeur que cet
avertissement nous causa
opera sur nous pfefque aussi
efficacement que le remede
qu'il nous avoir donné. Il
metendit la main pour
m'aider à me lever; & la
nature, plus forte en-ces
Messieurs qu'enmoy , fit
pourleur salut ce que l'as
sistance du vieillard laiqoit
pour le mien. <,: ;HIi Ilétoit en effet bienTemps
que nous nous sauvassions
>
&je ne puis encore me rap
peller ce funeste jour, sans;
me representer toutel'horreur
d'un si grand danger.
Nous avions à peine gagné
le faîte de ce recl-wr,,
qui n'étoitqu'à deux cent
pas denous, (lorsque nous
étions encore étendus sur
la vaze ) que nous vîmes
des montagnes d'eau venir
fondre avec violence jusqu'au-
pied de nôtre azile.
Reprenezmaintenant courage,
voyageurs infortunez,
nous dit notre vieillard,
vous n'avez déformais
plus rien à craindre; &si
vous pouvez m'accompa*-
gner jusqu'à ma petite mai--
son
,
je vous y procurerai
tous les secours dont peuvent
avoir besoin des malheureux
comme vous.
Nous le suivîmes, tremblans
de froid & mouillez
jusquaux os.
Dés que nous fûmes arrivez
chez lui, il fit étendre
danscette sallequi est
lamême que celleoùnous
| sommes)une grande quan
tité de peaux,sur lesquelles
nous nous couchâmes a prés
avoir quitte nos habits-,ôc:
en mêmetemps il ordonnai
à Barnaga
,
qui le servoit
r alors, &:. qui me sert aujourd'hui
, de prendre uniquement
soin;demoy ôc
de lui laisser celui des compagnons
de mon in forrune.
Le lendemainnous nous
trouvâmes si bien remise
que nous dînâmes avec lui.
A la fin du repas nous lui
contâmes nôtre histoire,
&en revanche il nous conta
la sienne. Je ne douce point
que, vous ne souhaitiez
ardemment l'entendre.
Je fuis, nous dit-il, nati:
d'Archangel. Cette ville est
dediée à saint Michel Ar.
change. L'on y fait presque
tout le commerce du Nord
Mon nom est Saxadero. Ja
étéainsi nommé
,. parce
qu'on me trouva sur ui
rocher peu de jours apré
ma naissance. Des paysan
qui me ramasserent mi
mirententre les mains d'u
Prêtre Grec qui demeuroi
â une journéed'Archangel.
Ce bon homme qui depuis
wingt ans qu'il étoit marie
n'avoit pu avoir d'enfans,
fut ravi du present que ces
paysans lui firent. Ilm'éleva
ravec autant de foin & de
nendresse que si j'avoiseétè
Sonpropre fils. J'appris fous
lui plusieurs Langues, &
route la formule de la Reilligion
des Grecs, qu'il enseignoit
& qu'il professoit
d'une maniéré exemplaire.
J'avois plus de 40. ans lors
qu'il mourut,& je n'étois
pas encoreassez fage pour •
profiter' desconseils
< retraité&de moderation
qu'il m'avoit donnez pe
dant savie.
,"J.c Ileuta- peinelles- ye
.fermez, qu'emporté j
mon temperament, je
mis entête de courir
monde. Je resolus de
,-
tr
verser1 par terre toute.
Tartarie & laMoscoviei
de me rendre àCaminiel
..oùle-Czar nôtre Emperc
étoit alors; Ce voyag
quoiqueterrible &lon
- me parut encore fort cet
lorsque je fus arrivé à C
minietz,d'où je partis
quinze jours après, pour
me rendre à Constantinoole,
après avoirlaisséderrdiereemBoytouutllge
Raoyraiumee
-'
Mon intention étoit de
asser en Asie, &daller
en Egypte m'instruire des
mysteres -,,-.des loix, des
listoires :$c des, religions,
Hes peuples de l'Orient.Je
xroyois y trouver parmi les
aristes débris des anciens
monumens de la vanité des
hommes,quelques vestiges
de l'élévation de ces genies
qui en avoient si long
temps imposé à cour l'un
vers. Mais jei me détour.
bientôt du succes de m
curiosite, & je ne trouv.
chez ces mortelsque: de
restes depyramides &.'(1
tombeaux
s
des rochers
des antres, des fleuves,de
animaux feroces, & rie
dans leur espritquipûtm
retracer laplus foibleima
ge de leur ancienne gran
deur. Àinsi je retournai su
mes pas,jepris la route-d
l'Europe,&je trouvaiheu
reusement i-- Constantino
ple un navire qui me porta
sen Italie, & delà en France,
qui est la feule partie du
monde où je croy que des
hommespuissentvivreavec
toutes les douceurs &tous
les agremens de la vie :mais
malheureusement la forune
ne me permettoit pas
calors de métablirune patrie
dans le sein de cet Empire.
Je me vis ainsi. forcé de me
soûmettre à la rigueur de
monétoile, & de passer en
Hollande, poury profiter
des premiers navires qui
mettroient à la voile ppur
levoyagé du Nord.
,: : EnarrivantàAmsterdat
j'entrouvai un prêt a partii
je m'y embarquai & la me
& les vents nousserviren
à merveille. De la d'Allemagne me nous entra
mes danscelle de Dane
mark, & parle Sund dan
la mer Baltique, d'où nou
perietrâmes jusqu'au son
du Golfe de Riga,oùja
chevaima navigation, pou me rendre par rerre àPles
koovv, où le Czar étoit
alors avec son armée. « Huit ou dix jours âpre:
mon
mon arrivée, je ne sçaià
quelle occasion je lui fus
presenté
, comme un homime
que tant de voyages rendoient extraordinaire
chez des peuples quine
>connoissent dautre terre&
d'autres climats què
-- d'autresclimatsqueceux
qu'ils habitent. Ce Prince me reçut de lamaniéré du
monde la plus généreuse;
& après m'avoir assuréplusieurs
fois du plaisir que lui
feroit mon attachement f.
sa personne,il m'hônorade
tant de titres &de tant de
charges, que le fardeau
m'en parut bientôt insupportable.
Je netois point
courcitan,&je pouvois encore
moinsle. devenir. Le
lait sauvage que j'avoissuccé,
la manière dont on m'avoit
élevé;&le grand air
que j'avois respiré dans tous
les climats dumonde , ne
m'avoient donné aucunes
leçons du personnage que je
devois joüer.On s'apperçut
bientôt de la dureté de mes
moeurs,on se dégoûta de me
voir dans une place que
d'autres pouvaient remplir
mieux quemoy; & enfin,au
; bout de quelques années,
une chûte precipitée fut
l'ouvrage de mon élevation.
[ Je me rendis alors la justice
> que meritoit ma disgrace,
,&. je convins en moymême
> quela douceur & lapolitesse
étoient l'appanage des
hommesquiveulent vivre
dans la societé de leurs paireils.
Il n'en fut cependant
ni plus ni moins, & je fus
obligé
, pour me rendre
iincessammentau lieu de
mon exil., de m'en retourmer
par ou j'etois venu. Cest ici le sejour qui me
fut destiné. Le navire qu
m'y amena me mit à terre
avec un valet fidele qui ne
voulut point me quitter
On me donna des armes
de la poudre, du plomb
&des grains pour ense,
mencer les terres qu'il me
plairoit de choisir pour m
liibfiftance ; ôc cespetit
peuples,mon valet &Bar
naga, que je trouvai heu
reusement ici,*
m'aideren
bâtir la petitemaison ou
nous sommes. Lavantur
qui a jette cette fille su
ces bords est si extraordinaire,
que le récit que vous
en allezentendresera infailliblement
le plusbel
ornement de cette histoire.
La Moscovite Barnaga,
de la ville d'?~M~~ peut
avoir environ trente ans. M
y en a prés de quatre qu'-
elle est dans cettecontree,
où elle vit dans la compagnie
des Lapons Norvegiens
comme si elle étoit
leur Reine. Avant de venir
en cepaïs,elle vivoitàAstra.
candans le sein de sa famille,
occupeeàtous les ouvrages
ausquelsune Elles'occupe
naturellement chezses parens,
lorsqueleplus spirituel&
leplus sçnvant,des
Lapons de ce Royaume s'avisa
de vouloir voyager. 1.1
- On dit ici tant de choses
merveilleuses de ce petit
homme, qu'on assure qu'il
avoit un Gnome particulier
qui le proregeoir. D'autres
disent qu'il enéroit un luimême.
Ce qu'il ya de plus
constant; selon moy, c'est
qu'ilavoir une connoissance
parfaite de tous les
secrets & de toutes les verus
naturcllesqui sontdans
les simples, & qu'il employoit
les plus fiers animaux
de ces deserts à tous
les usages qu'illui plaisoit.
Un jour, dis- je, (e sentant
i)..len humeur de voyager !> arrêta dans ces
forêts
une Renne. *, à qui il dit à
* Plusieursvoyagesdu NordpAr.
lent des qualitez de cetanimal, qui
yest
à peuprés dela taille d'un Cerf.
On lui dit à l'oreilleoù l'onveut
l'envoyer, ou bien le nom des lieux
où l'on veut aller avrjr lui.Aussitôt
ilva par-tout avec unevitesse admirable
, sans suivre aucune route. Éon
instinct seulle guide
,
-& il n'y a ni
fleuves, ni precipices
,
ni montagnes
qui l'arrêtent. Il sertcommunément
à tirer les trainaux.
l'oreille qu'ilvouloit se pro
mener dans l'Empire de
Tartares &dans la Moscc
vie. Cet animal docile reçu
son secret,&l'emmena pa
tout où il voulut aller. En
fin étant arrivé à Astracan
il alla loger chez la mer
de Barnaga, où ilse trouv
si content des bons traite
mensqu'onlui fit, que pa
reconnoissance,ou par in
clination il devint amou
reux de cette fille.
LeLapon ne pouvan
contenirtout le feu qui
devoroit,s'avisa de lui faire
an jour une ample déclaration
de sa tendresse. Barnagase
moqua de lui. Le
tmraégperiasàduentceetltpeofiinllte,qlu'o'uilresolut
de s'en vanger.Voici
commeil s'y prit.
Il affecta de ne lui plus
parler d'amour, & de ne
plus s'attacher qu'à caresser
à Renne qui faisoit chaque
jour presence de
Barnaga Ôc
de
sa
mere,
tous
les tours de souplesse imaginables.
Il se persuadaavec
raison que cette jeune fille
ne pourroit pas s'empêcher
àd'essayer cette monture; qui il avoit eu la precau
tion de dire tout cequ'il y
avoit à faire,si cela arrivoit.
Barnaga, charméede
cet animal, avoit plusieur
fois prié le fin Lapon dele
lui donner:mais il avoit
toujours affecté de ne pouvoir
lui faire un si grand sa
crifice; Enfin irritée de ses
refus, elle avoir resolu de ledérober, & de lui dire
qu'ils'étoit perdu dans les
bois voisins. Un jour pour
cet effet, elle se fit suivre
parla Renne jusqu'à un
quart de lieuë de la ville, où
le voyant seule, elle voulut
monter cet animal, qui se
mit a genoux comme un
chameau pour la recevoir
plus commodément: mais
elle fut à peine sur son dos,
qu'il l'emporta presque à
travers les airs, tant il avoit
de vîtesse & de legereté.
Quoyqu'il y ait un chemin
infini d'ici à Astracan, il
l'amena en trois jours dans
ce defert, où son amant le
rendit aussitôt qu'elle. Il
l'épousa presque en même
tempsavec toutes les ceremoniesdupays
,que
vous conterayune auti
fois. Il a depuisle jour
sesnoves,vécu tpujou
~v~~Uç.~ns la plusgra~
deuniondu mpad|;,& tP8
de mêmeavec eux. Ceper
dant depuis trois mois
Lapon a disparu,sans qu'o
sçache pourquoy, ni où
estallé, & personneici
sçait de ses nouvelles. Ba
~nagoem~'enoparutconsole &- coeur qu'il nerevienneja
mais. rti>,>u£iaaaoî
Lediscours de ce bon
dvierilolaridt- f.inÎt en cet 7en: nit- en"' - Vieillard finirencet!eenn^ Nous luifîmes chacun
nos remercimens de la peine
qu'il avoit prisede nous
conter tant de choses extraordinaires,
& nous le
priâmes de nous dire si
nous ne pourrions pas trouvercinq
de ses Rennes pour
nous remettre dans quelque
partie de l'Europe plus
habitable que celle où nous
étions. Non, mes enfans,
nous dit-il,je peux vous
donner aucune instruction
làdessus,& je vousjur
que je n'ai pas vu un seul d
ces animaux depuis que j
, fuis ici:mais au nomd
Dieu ne me quittez pa
que je ne sois mort ;dan
quarante mois je ne sera
plus. Dés que vous maure
renduà la terre, il viendr
quelque
- navire surcette
côte , dont le Capitain
charitable vous recevr
dans son bord , & voustre
menera dans les lieux o
vous avez tantd'impatience
de vous revoir. Il y a plu
de six semaines que ce fag
vieillard est mort, & nous
n'avons encore vu que vous,
qu'une extreme dïsgrace a
jettez sur ce rivage.
i' Le Chevalier de. qui
m'entend, me jura, deux
mois aprés nôtre naufrage,
unefoy éternelle, &m'épousa
en presence de ce
yenerable personnage donc
je viens de vous conter
l'histoire, deBarnaga, qu'-
une tendre sympathie a
fortement attachée à moy
depuis sa mort, & de ces
Messieurs qui sont nos compagnons
d'infortune. Il ya
plus d'un anqu'ils'est mis
danslatête des chagrins&
des jalousies sans fondement,
qui le precipitent
cent fois par jour dans des
abîmes de melancoliedont
rien ne peut leguerir.
Voilace que j'avais;
vous dire de mesavantures
"Au reste, songeons main
tenant auxexpediens qu
-peuvent nous tirer d'ici, &
7mettons touten usagepou
LretôUfncr'; ensemble, dan
•'-•d-esfie'uxefîlinous convien
rfëntmièux queces climat *éfK^âritabtâs*-?jDésque,
Julie eutcesse
de parler, nousnous encourageâmestous
à; travailler
aux moyens de sortir de ce
miserables pays ; &C] après
plusiers proportions.
gues & inutiles , je priai nôître
compagnie de sereposer
sur moydu soin de la délivr.
cCJ de cette région.Je
m'engageai à mettre tout
j: mon monde aprés cet our;
vrage. Je fis couper des ar..
Ë bres, donton ne un grand -nombre de mâts, de pouz
tres,de solives & de planches,
que jedestinaiàla
construction d'un navire. *
Sur ces entrefaites,le Che
valierde. tomba malade
en deux jours il fut à lex~
tremite, & le troisiéme i
mourur. Sa veuve fut long
temps inconsolable desa
perce : cependant mes soins
mes discours, la tendresse
qu'elle étoit perpuadée que
j'avois pour elle, & l'impa.
tience qu'elle avoit de re.
tourner bientôt dans une
meilleure contrée que celle
ou nous étions, (comme je
l'en assurois tous les jours,
lui rendirent bientôt son
embonpoint, ses graces ôc
sa tranquilité.
Des '¡ que nôtre vaisseau
: fut achevé, lesté, & chargé
d'eau, de poissons secs, de
chair salée, de legumes, 6c
de toutes les pauvres den-
1"rees. qui pouvoient. nous
aider à subsisterjusqu'à ce
que nous arrivassions à Plaisance,
nous nous embart
quâmes. Nous y changeâmes
pour des peaux nôtre
»bâtiment contre un autre
meilleur,nous y prîmes du
pain, du biscuit
,
du vin,
de la bierre, & tous les rafraîchissemens
dont nous
avions besoin. Enfin après
avoirvoguéleplusmalheureulement
du monde contre
les vents & la mer, nous
hommes venus,comme
vous le sçavez,Messieurs,
nous brifer ce matin sui
cette côte,& faire,pourain
dire, naufrage au port.
Je ne fais point d'autre:
remarques sur cette histoire
que celles qui sont à la mar
ge , parce que je connoi
ces pays septentrionnau
moins que ceux qui son
plus près du Soleil.
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Résumé : LE NAUFRAGE au port. HISTOIRE.
Le narrateur s'excuse pour le retard et décide de raconter les aventures de la Moscovite et du Lapon, rebaptisant l'histoire 'Le Naufrage au port'. À Saint-Malo, il accompagne un ami au Cap pour voir des vaisseaux prêts à partir pour la mer du Sud. Un orage éclate, provoquant le naufrage d'un navire. Les survivants, dont un homme désespéré pleurant la perte de sa bien-aimée Julie, sont secourus. Julie est également sauvée et retrouve son amant. L'histoire est celle de Louis-Alexandre de Nerval, un jeune Canadien qui raconte son propre naufrage, sa capture par des Anglais, et sa survie en Laponie. En Laponie, Nerval et ses compagnons découvrent une maison habitée par une femme et un homme chantant en français, exprimant leur douleur amoureuse. Ils se révèlent pour éviter d'être pris pour des espions. Ils rencontrent ensuite des pygmées identifiés comme des Lapons de Norvège, suivis par trois hommes armés d'arcs et de flèches, vêtus de peaux d'ours et de chèvres. Ces hommes parlent français et offrent leur aide. Ils conduisent les narrateurs dans une maison où ils rencontrent Julie Stroffen, originaire d'Hambourg. Elle raconte son histoire : elle s'est enfuie avec le chevalier après que son père a refusé leur mariage. Ils ont survécu à un naufrage grâce à un vieillard nommé Saxadero, qui leur a donné un baume divin. Saxadero raconte son parcours : né à Archangel, il a voyagé à travers la Tartarie, la Moscovie, et l'Asie avant de retourner en Europe. Présenté au Czar, il a été couvert de titres et de charges, mais a été démis de ses fonctions pour son incapacité à s'adapter à la cour. Le narrateur, après avoir reconnu la nécessité de la douceur et de la politesse pour vivre en société, est exilé et doit revenir sur ses pas. Il rencontre Barnaga, une Moscovite de trente ans, vivant avec des Lapons norvégiens depuis quatre ans. Avant son arrivée, elle vivait à Astrakan et fut séduite par un Lapon doté de connaissances exceptionnelles en simples et en animaux. Le Lapon l'enlève et l'épouse, mais disparaît trois mois plus tard, laissant Barnaga inconsolable. Le narrateur et ses compagnons, naufragés, écoutent l'histoire de Barnaga racontée par un vieillard. Ce dernier promet qu'un navire viendra les secourir après sa mort, ce qui se réalise six semaines plus tard. Le Chevalier de meurt deux mois après le naufrage. Sa veuve, Julie, est consolée par le narrateur qui construit un navire pour quitter cette région inhospitalière. Après avoir achevé le navire et navigué contre les vents, ils finissent par échouer sur la côte où ils se trouvent actuellement.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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13
p. 1529-1552
LE PRINCE JALOUX.
Début :
De toutes les passions de l'ame, il n'y en [...]
Mots clefs :
Prince jaloux, Jalousie, Passions de l'âme, Dom Rodrigue, Princesse d'Aragon, Delmire, Amour, Alarmes, Dom Pedre, Conquérir, Infidélité, Maîtresse, Lettre, Amant, Plaisir secret
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE PRINCE JALOUX.
LE PRINCE JALOUX.
E toutes les passions de l'ame , il
Da'yenapoint qui se fassent sentir
a
L
avec plus de violence que la jalousie.
Je parle ici de cette jalousie que l'amour
extrême produit ; il s'en faut beaucoup
que celle qui naît de l'ambition se porte
à des excès aussi grands. On a vû des
Rois jaloux de la puissance de leurs Voisins , mettre sur pied des Armées formidables pour envahir leurs Etats , et faire couler des fleuves de sang pour satisfaire leur ambition ; mais ce désir de
s'aggrandir n'alloit que rarement jusqu'à
la haine personnelle ; Alexandre donna
des farmes à la mort de Darius , et Darius lui toucha dans la main en signe d'amitié , sur le point de rendre le dernier
soupir. Il n'en est pas de même de la jadousie des Amans , c'est un mélange d'amour et de haine ; elle peut être définie
differemment selon les differens objets
qu'elle se propose : sçavoir , une crainte
de préférence , ou de partage du cœur de
la personne aimée ; ou une crainte de
préférence ou de partage des faveurs de
la
1530 MERCURE DE FRANCE
la personne aimée ; cette derniere est la
plus injurieuse à l'objet aimé , comme
nous l'allons voir dans l'histoire de Rodrigue , Roi de Valence.
ne furent
$
Les Royaumes d'Arragon et de Valence , qui ne sont aujourd'hui que comme des Provinces de la vaste Monarchie
d'Espagne , avoient jour d'une longue et
profonde paix , sous Dom Alphonse et
sous Dom Fernand , leurs Rois ; mais les
peuples de l'un et de l'autre Royaume
pas si heureux sous le Régne
des Enfans de ces Rois justes et pacifiques. Dom Pedro succeda à Dom Alphonse , et Dom Rodrigue hérita de la
Couronne de Dom Fernand. Dom Rodrigue plus impétueux que Dom Pedro ,
fut le premier à lever l'Etendart de la
guerre , fondé sur des prétextes que l'ambition ne manque jamais de trouver
quand elle veut exercer son empire , si
funeste aux peuples , qui en sont les innocentes victimes. La Fortune , Divinité
aveugle , se déclara d'abord pour la ..use
la plus injuste ; Dom Rodrigue qui fit
les premieres infractions aux traitez de
Paix , long-tems maintenus entre son
pere et celui de Dom Alphonse , porta
ses Conquêtes jusques dans la Capitale
d'Arragon ; Dom Pedro ne pouvant s'opposer
JUILLET. 1732 1537 ་
poser à ce torrent , fut obligé d'aller de mander du secours aux Princes ses Voisins , et le fit avec tant de précipitation
qu'il abandonna sa sœur au pouvoir du
ainqueur ; mais l'Amour entreprit de
réunir deux Rois que l'ambition avoit
divisez.
,
A peine Dom Rodrigue fut entré dans
l'Appartement de Delmire c'étoit le
nom de la Sœur de Dom Pedro , qu'il ne
découvrit que des objets capables de l'attendrir. La Princesse d'Arragon étoit évanouie entre les bras de sa Gouvernante , qui arrosoit son visage d'un torrent
de larmes , ses autres filles poussoient des
gémissemens à percer le cœur le plus insensible ; Rodrigue ne peut soutenir ce
spectacle sans émotion ; mais que devint
il quand il eut jetté les yeux sur l'objet
de ces tristes gémissemens. Il sentit dans
le fond de son cœur un frisson , avantcoureur de sa défaite ; Delmire n'entr'ouvoit un œil mourant que pour allumer
dang, on sein un feu qui ne devoit jamais s'éteindre. Elle ne pût regarder sans
indignation le cruel ennemi de son frere ,
le destructeur de sa Nation , et l'Auteur
de son esclavage ; mais l'air soumis et respectueux avec lequel son vainqueur l'aborda , ne tarda guére à la désarmer.
→Que
32 MERCURE DE FRANCE
Que je suis criminel , s'écria Rodrigue,
» en tombant à ses pieds ! j'ai pû réduire
à cet état pitoyable une Princesse digne
n de l'adoration de tous les Mortels ! Fa-
» tale ambition , à quoi m'as tu porté ?
» et comment pourrai-je expier mon crime ? Delmire ne répondit à ces mots
que par des pleurs ; elle détourna les
yeux , et ayant témoigné qu'elle avoit
besoin de repos , elle obligea Rodrigue
à se retirer , sans sçavoir si son repentir
lui avoit obtenu sa grace. Elle n'étoit pas
loin d'être accordée , cette grace que l'Amour demandoit ; les momens de repos
que Dom Rodrigue venoit de laisser à
son aimable Delmire , lui servirent plutôt à éxaminer le trouble que son ennemi avoit excité dans son cœur , qu'à goûter les douceurs d'un sommeil , que l'agitation de ce jour. fatal sembloit lui rendre nécessaire. Elle sentit des mouvemens
qui lui avoient été inconnus jusqu'alors.
Rodrigue désarmé , Rodrigue prosterné
à ses genoux , Rodrigue repentant cessa
de lui paroître criminel. En vain sa fierté
voulut s'opposer à des sentimens si favorables , elle ne lui parla que foiblement
contre lui , et l'Amour lui imposa bien-
-tôt silence.
Il s'accrut de part et d'autre cet Amour
qui
JUILLET. 1732 1533
"
venoit de naître au milieu des allarmes; la
dissension qui regnoit entre le frere et l'Amant ne diminua rien de la force qu'il acqueroit tous les jours; mais Rodrigue n'en
regla pas les mouvemens comme Delmire. La crainte de perdre ce qu'il aimoit lui
inspira des sentimens de jalousie qui allerent jusqu'à la fureur. Voicy ce qui donna lieu à la naissance de cette passion tyrannique.
Don Pedre , trahi par la fortune , et
ne trouvant pas dans ses Etats des forces
suffisantes à opposer à un ennemi aussi
redoutable que Rodrigue, avoit été réduit
à appeller ses voisins à son secours. Il s'étoit marié , à l'insçu même de sa sœur , et
ce mystere étoit une raison d'Etat ; l'éloignement qu'il témoignoit pour le mariage, laissoit esperer à tous les Princes, dont
le secours lui étoit necessaire , la succession du Royaume d'Arragon qui devoit
appartenir à Delmire , supposé que son
Frere persistât dans le dessein de garder
le célibat. Il n'avoit pas besoin de cette
feinte. Delmire seule , et sans emprunter
l'éclat d'une Couronne , étoit capable de
mettre toute l'Europe dans ses interêts; le
bruit de sa beauté lui avoitfait desAmans,
qui n'attendoient qu'une occasion de se
déclarer pour elle , et de la mettre en liberté de se choisir un Epoux.
D Les
7534 MERCURE DE FRANCE
Les Rois de Castille et de Leon furent
les premiers qui armerent pour elle ; d'autres Princes Souverains suivirent leur
exemple, et le Roy d'Arragon se vit bientôt à la tête d'une armée capable de faire
trembler l'Usurpateur de sa Couronne. Il
ne voulut pourtant en venir aux dernieres extrêmitez qu'après avoir tenté les
voïes de la douceur. Il écrivit à sa sœur ,
et lui fit entendre qu'il ne tiendroit qu'au
Roy de Valence de rendre la paix à toutes les Espagnes , en la renvoïant auprès
de lui , et en lui restituant toutes les Places qu'il avoit conquises dans une guerre
injuste.Delmire ne consultant que son devoir , fit sçavoir les prétentions de son
frere à son Amant, et le pressa de lui rendre la liberté. Que me demandez- vous,
» lui dit Rodrigue? Moi, je pourrois consentir à vous livrer à quelque heureux
» Rival ! Ah ! vous ne connoissez pas
»l'Amour , puisque vous croyez qu'un
cœur véritablement épris , peut ceder
»ce qu'il aime ; mais je m'abuse , pour-
» suivit-il , avec des yeux , que la jalousie
» enflamma d'un courroux dont il ne fut
» pas le maître. Vous ne le connoissez que
>> trop , cet amour qui m'attache à vous,
»et qui vous lie à quelqu'un de mes Ri-
» vaux ; vous brûlez , ingrate , de vous
» éloi-
JUILLET. 1732. 1535
éloigner de moi , pour vous rapprocher
» de celui qui veut vous arracher à mon
» amour , mais ne l'esperez qu'après ma
»mort. Non , je ne vous verrai pas entre
» les bras d'un autre ; et quelques formi-
» dables que soient les apprêts qu'on fait
» pour vous conquerir ; j'en ferai de plus
» grands pour vous conserver. Delmire
fut si surprise de ce premier transport de
jalousie , qu'elle resta quelque temps sans
repartie ; mais voïant son impétueux
Amant prêt à lui faire des reproches encore plus sanglans. » Arrêtez, lui dit elle,
» et n'attribuez mon silence qu'à l'éton-
» nement où votre injustice vient de me
jetter. Quoi ? poursuivit elle, c'est Don
» Rodrigue qui me soupçonne de l'avoir
trompé jusqu'aujourd'hui , qui me croit
capable d'en aimer un autre que lui ; Je
» le devrois , ingrat , continua-t-elle ; et
» vous meriteriez l'infidelité dont vous
» m'accusez. Ces paroles , suivies de quelques larmes qu'elle ne put retenir , rendirent un calme soudain au cœur du Roy
de Valence. » Pardonnez-moi , lui dit-il ,
>> Adorable Delmire , des sentimens que
» je désavouë , et n'en imputez le crime.
» qu'à l'excès de mon amour. C'est cet
» amour, aussi ardent qu'il en fut jamais ,
» qui m'ôtant tout à coup l'usage de la Dij >> rai-
1536 MERCURE DE FRANCE
» raison , ne m'a pas permis de vous ca-
» cher l'affreux désespoir où votre perte
» me réduiroit. Vous me la rendez cette
» raison ; elle m'éclaire sur l'injustice de
» mes prétentions ; si la guerre vous à fai29
te ma prisonniere , l'amour m'a fait vo-
»tre esclave ; oüi , ma raison me fait voir
que j'aurois dû vous laisser maîtresse
» de votre destin , dès le moment que je
» vous ai adorée. Vous pouvez partir, je ne
» vous retiens plus ; vous pouvez vous
> donner à l'heureux mortel à qui le Roy
>> votre Frere vous réserve; et quand vous
» vous seriez destinée vous- même à ce
»Rival , que j'abhorre sans le connoître
» ce ne seroit pas à moi à m'opposer au
penchant de votre cœur ; mais quelque
» soit celui qui doit posseder tant de
»charmes, qu'il ne se flatte pas que je
» le laisse tranquillement jouir d'une fé-
» licité où il ne m'est plus permis d'as-
»pirer votre frere a résolu ma mort
» mais je la rendrai fatale à votre Epoux ;
>> ma haine est aussi forte pour lui , que
» mon amour pour vous ; je ne respire
»que vengeance ; et je confonds dans ma
fureur tous les Princes du monde ; je les
regarde tous comme les Usurpateurs de
mon Trésor ; ces transports qui redoubloient à chaque instant , et dans le tems
>>
même
JUILLET. 1732 1537
même qu'il sembloit se repentir de les
avoir fait éclater , jetterent une douleur
mortelle dans le cœur de la tendre Delmire. » Ah! Seigneur , lui dit- elle , pour-
» quoi faut- il que vous m'aimiez ? que je
vais vous rendre malheureux ! je vois
» trop que le poison de la jalousie se ré-
» pandra sur tous les jours de votre vie, et
qu'il troublera votre tranquillité et la
»mienne ; cependant que dois- je faire
» dans la triste situation où je me trouve?
» dites-moi la réponse que je dois faire au
»Roy d'Arragon : Eh ! puis-je balancer
» un moment à la faire moi- même , lui
» dit l'impetueux Rodrigue ; qu'il vous
>> donne à moi , et qu'il reprenne tout ce
» que la victoire m'a fait conquerir sur
» lui ; je lui abandonne tout , et ce sa-
»crifice iroit jusqu'au don de ma Cou
ronne, si je ne la regardois comme vo-
» tre bien ; mais qu'il ne m'oblige pas
Ȉ reprendre les armes , par la honte
» d'un refus , que j'irois expier dans son ور «sang.
Cet amour , qui tenoit de la fureur , fit
trembler Delmire ; elle comprit bien que
Ja jalousie de son Amant ne finiroit qu'avec sa vie. Pour en calmer les transports ,
elle lui promit de ne rien oublier pour
porter le Roy d'Arragon à un Hymen
D iij qui
1538 MERCURE DE FRANCE
qui les rendroit tous deux infortunez.
Élle fit réponse à son frere avec les plus.
vives expressions que l'amour pût lui.
suggérer. Elle communiqua sa Lettre au
jaloux Rodrigue; il y en ajouta une de sa
main, qui n'étoit pas moins forte, et dont
Delmire auroit été charmée, si elle eût pû
se cacher que ce même amour qui s'exprimoit si tendrement , dégénéroit en implacable couroux , dès qu'il craignoit de
perdre l'objet aimé.
Les engagemens que Don Pedre avoit
pris avec ses Alliez, ne lui permettant pas
de faire assez- tôt une réponse positive aux
propositions de Don Rodrigue , réveil
lerent la jalousie de ce dernier ; il ne dou
ta point que sa perre ne fut résoluë ; il fit
de nouveaux préparatifs de guerre il écla❤
ta en reproches contre la malheureuse
Delmire ; il la soupçonna d'avoir part à
des retardemens qui lui annonçoient un
refus ;elle en soupira , elle en gémit, mais
le mal étoit sans remede ; elle aimoit
trop cet ingrat , qui l'accusoit d'en aimer
un autre. Elle redoubla ses empressemens
auprès de son Frere , et le fit avec tant de
succès , que la paix fut concluë entre les
deux Rois ennemis , et l'hymen arrêté
entre les deux Amans.Cette agréable nouvelle répandit une joie universelle dans
les
JUILLET. 1732. 1539
les Royaumes de Valence et d'Arragon ;
Rodrigue se livra tout entier à la douce
esperance de posseder bien-tôt sa chere
Princesse ; la seule Delmire s'abandonnoit à la douleur , tandis que tout ne res
piroit que bonheur ; elle n'ouvroit son
cœur qu'à deux de ses confidentes , dont
l'une avoit pris soin de son enfance , et l'autre vivoit dans une très-étroite familiarité avec elle. La premiere s'appelloit
Théodore , et l'autre Délie ; je les nomme
toutes deux , parce qu'elles doivent avoir
part à la suite de cette histoire ; Théodore lui conseilloit de fermer les yeux sur
tous les malheurs dont la jalousie de Rodrigue sembloient la menacer ; Délie au
contraire n'oublioit rien pour la détourner d'un hymen que cette affreuse jalou
sie lui rendroit funeste. L'un et l'autre
conseil partoient d'un cœur bien intentionné , mais la triste Delmire ne sçavoit lequel elle devoit suivre pour être
heureuse , l'amour avoit déja décidé de
son sort ; elle ne laissa pas de se précau
tionner autant qu'il dépendoit d'elle
contre les suites que pourroit avoir un
engagement qui devoit durer autant que
sa vie. Elle fit promettre à Don Rodrigue de se guérir de sa jalousie , et ne lui
promit de l'épouser qu'à cette condition.
D iiij Don
1540 MERCURE DE FRANCE
Don Rodrigue lui jura de n'être plus
jaloux. » Je ne l'étois, lui dit-il , que parce
» que je craignois de vous perdre ; vous
» serez bien-tôt à moi ; qu'ai-je à crain-
» dre ? Non , ajouta t- il, plus de défiance,
» Delmire se donne à moy , rien ne peut
» me la ravir , sa foy me rassure contre
toutes les prétentions de mes Rivaux;
» je suis le plus heureux de tous les hom-
» mes , et ma félicité me rend à jamais
❤ tranquille.
Ces belles protestations , qu'il croyoit
aussi constantes que l'amour qui les lui
dictoit , ne tinrent pas contre le premier
sujet qu'il crut avoir de se défier de son
Amante: Voicy ce qui y donna occasion .
La Duchesse du Tirol , tendre amie de
la Princesse d'Arragon , dont elle avoit
vivement ressenti l'absence depuis que le
Roy de Valence l'avoit faite prisonniere ;
n'eût pas plutôt appris que la paix étoit conclue entre les deux Couronnes , et que
sa chere Delmire en alloit porter une ,
qu'elle lui écrivit pour lui témoigner la
part qu'elle prenoit à son bonheur , et
pour la prier de lui accorder la permission de venir à Valence, pour être témoin
d'un hymen qui faisoit la félicité de deux
Peuples. Delmire s'enferma dans son cabinet pour lui faire réponse ; elle avoit
pris
JUILLET. 1732. 1541
pris la précaution de deffendre que personne la vint troubler. L'amoureux Rodrigue se presenta à la porte de son appartement , dans le temps qu'elle achevoit sa Lettre ; quoique les ordres qu'elle
ávoit donnez qu'on la laissât seule , ne
fussent pas pour lui , Délie , celle de ses
Dames qu'elle affectionnoit le plus , et
qui n'approuvoit pas son hymen , à cause des suites fâcheuses qu'il pouvoit
avoir pour sa chere Maîtresse , eut la malice de vouloir mettre sa jalousie à l'épreuve , et lui dit que la Princesse ayant
des dépêches secretes à faire , avoit deffendu , sans excepter personne , qu'on
laissât entrer dans son appartement, »> Ces
» deffenses ne sont pas apparemment pour
»un Royqui doit bientôt être son Epoux,.
répondit D. Rodrigue , avec un souris.
» forcé , et je crois pouvoir prétendre à
>> l'honneur de sa confidence. Délie affecta
encore plus d'empressement. à l'empêcher d'entrer pour lui donner de plus:
grands soupçons; elle n'y réussit que trop
bien. D. Rodrigue avala à longs traits le
poison que cette artificieuse fille lui avoit
préparé ; il entra tout transporté , mais à.
peine eut-il apperçu Delmire que le res--
pect, que sa presence lui inspiroit, suspendit les mouvemens tumultueux qui ve
D v noient
1542 MERCURE DE FRANCE
1
noient de s'élever dans son ame; il se rapella la promesse qu'il lui avoit faite , de
n'être plus jaloux ; et la voïant attentive à
la Lettre qu'elle écrivoit , il s'avança sans
bruit et sans crainte d'être vû , attendu
qu'elle lui tournoit le dos; mais une glace
sur laquelle Delmire jetta les yeux et à
laquelle ce Prince jaloux ne fit nulle attention , tant il étoit occupé de ses soupçons , trahit le dessein qu'il avoit de lire
ce que la Princesse écrivoit. Delmire ne
l'eût pas plutôt apperçu qu'elle serra brusquement sa Lettre; et se tournant vers lui,
elle se plaignit du dessein qu'il avoit de la
surprendre. D. Rodrigue ne sçut d'abord
répondre à ce reproche; il craignoit
de faire entrevoir sa jalousie ; il lui demanda pardon de la liberté qu'il avoit
prise decontrevenir à des ordres qui peutêtre n'étoient pas moins pour lui que
pour tous les autres, quoique le nœud qui
devoit les unir à jamais le mit en droit
de se croire excepté. »Ce droit n'est pas
»encore si sûr que vous le
que
lui pensez ,
répondit Delmire, avec une petite émo-
»tion de colere, puisqu'il n'est fondé que
sur un hymen , auquelje n'ai consenti
»que conditionnellement; avez vous oubiié quelles sont nos conventions ? Vous
>m'avez promis de n'être plus jaloux ;
moi
JUILLET. 1732. 1543
moi,jaloux, s'écria D. Rodrigue;voulez-
» vous me faire un crime d'un mouvement
» de curiosité qui ne tire nullement à con-
» séquence. Eh bien , je vous en croi , lui
» répondit Delmire ; mais comme cette
»curiosité m'a induite à vous soupçonner d'infraction de traité , c'est par
» même que je veux vous punir ; pér-
» mettez donc que je ne la satisfasse pas ;
» vous ne sçauriez mieux me prouvervo
là
tre innocence ; le sacrifice que je vous
» demande n'est pas grand , et si vous
» sçavicz à qui s'addresse cette Lette que
» vous avez voulu lire à mon insçu , vous
» ne balanceriez pas un moment à m'ac-
» corder ce quej'exige de vous ; j'y sous-
» cris sans repugnance , lui répondit Ro
>> drigue , malgré l'envie secrette qu'il
» avoit d'apprendre ce que contenoit cette
» Lettre mysterieuse , que Delie lui avoit
» renduë suspecte ; vous me comblez de
» plaisir , lui dit Delmire, et je commen
ce à bien augurer de votre amende
» ment.
Elle demeura ferme dans sa résolution ,
quoique Rodrigue ne laissât pas de lui
faire entrevoir le desir qu'il avoit de sça--
voir ce qu'elle venoit d'écrire ; ils se sé→
parerent assez satisfaits l'un de l'autre en
apparence ; mais Rodrigue nourrissoit
Dvj dans
1544 MERCURE DE FRANCE
"
4
dans le cœur une inquiétude qu'il lui
falloit dévorer aux yeux de sa Princesse;
elle ne l'eut pas plutôt quitté , qu'il ne
songea qu'aux moyens de s'éclaircir d'un
doute qui troubloit son repos.
Il avoit , pour son malheur , un Confident qui flatoit sa jalousie , parce qu'il
n'étoit jamais plus en faveur auprès de
son Maître , que lors qu'il faisoit quelque
découverte qui l'entretenoit dans son
amoureuse défiance. Cette peste de Cour
s'appelloit Octave. Dom Rodrigue ne lui
eut pas plutôt communiqué ce qui venoit de se passer entre Delmire et lui ,
que ce dangereux Courtisan lui avoüa
qu'il croyoit que cette Lettre que la Princesse avoit écrite à son insçu , s'adressoit
à quelque Rival caché ; il s'offrit à l'intercepter ; Dom Rodrigue lui promit une
récompense proportionnée à ce service ;
mais comme il craignoit d'offenser sa Princesse , il lui ordonna d'éviter l'éclat dans
la commission dont il se chargeoit. Octave lui dit qu'il pouvoit s'en reposer sur
sa dexterité , et le quitta pour aller se
préparer à cette expedition.
Delmire , contente du petit sacrifice
que son Amant venoit de lui faire , chargea Délie de remettre le Billet qu'elle venoit d'écrire entre les mains de celui qui
lul
JUILLET.- 17328 1545
lui avoit apporté la Lettre de la Duchesse
de Tirol ; c'étoit un Amant de Delie ,
qui s'appelloit Florent. Elle executa les ordres de sa Maîtresse ; mais comme les
Amans ont toûjours quelque petit reproche à se faire , Florent ne voulut point
s'éloigner de Délie , sans se plaindre de
son indifference : Est-il possible , lui
dit - il que l'amitié soit plus empres-
»sée que l'Amour ? La Duchesse de Tirol
» n'a pas plutôt appris que le commerce
» n'est plus interrompu entre les Peuples
d'Arragon et ceux de Valence , qu'elle
»s'empresse d'écrire à la Princesse Delmire ; cette tendre amie n'est pas moins
» prompte à lui faire réponse , et Délies
>> pendint deux mois d'absence , ne peut :
>> trouver un seul moment pour donner:
»de ses nouvelles au plus passionné de
>> tous les Amans ! voici de quoi vous convaincre , lui répondit- elle , en tirant
>>de sa poche une Lettre qu'elle n'avoit
>> pû lui envoyer ; ce n'est point- là ton
» caractere , lui dit Florent , il est vrai ,
» répliqua Délie , c'est la Princesse même
» qui a eu la bonté de me préter sa main,
parce ce que je ne pouvois pas me servir
de la mienne , à cause d'une indisposi-
» tion.
Florent étoit si persuadé des bontez de
Del-
16 MERCURE DE FRANCE
Delmire pour Délie , qu'il ne douta point
qu'elle ne lui dît vrai , il la pria de lui
laisser cette chere Lettre , puisque c'étoit
à lui- même qu'elle s'adressoit , Délie n'en
fit aucune difficulté , et retourná auprès
de sa Maîtresse.
Florent ne fut pas plutôr seul qu'il ne
put résister à l'envie de lire ce que Délie
lui écrivoit ; il étoit si occupé de cette
lecture qu'il ne s'apperçut pas de l'arrivée
d'une personne masquée , soutenuë de
plusieurs autres qui devoient venir à son
secours en cas de besoin. C'étoit Octave
qui s'avançant par derriere , lui saisit la
Lettre de Délie. Florent se deffendit autant qu'il put , mais tous les efforts qu'il fie
n'empêcherent pas qu'Octave ne lui ravît
la moitié d'une Lettre qui lui étoit si
chere. Fatale moitié , dont nous verrons
bien-tôt les fun stes suites.
Florent ne pouvant tirer raison de
l'insulte qu'on venoit de lui faire , et ne
scachant qui il devoit en accuser , se con- sola de la perte de cette moitié de Lettre ,
et partir pour aller porter à la Duchesse du
Tirol , le Billet dont D'lie venoit de le
charger de la part de Delmire. Octave
content de son larcin , aila sur le champ
trouver D. Rodrigue , pour lui rendre
compte de l'heureux succès de son zele ;
voici
JUILLET. 1732. 1547
voici ce que contenoit cette moitié de
Lettre, qu'il remit entre les mains de son:
Maître.
L'Amour que vous m'avez autrefois jurée
me fait esperer que vous ne m'avez pas oubliée .
recevez donc ces nouvelles marques de ma tendresse ;
y serez-vous aussi sensible que vous le devez ?
vous êtes dans Saragosse et moi ,
cruelle et rigoureuse absence •
souvenez- vous que je n'aime que vous
que puisque je ne puis vivre sans mon cher ...
vous ne devez vivre que pour la tendre Del ·
Quels furent les transports du Roy de
Valence à cette fatale lecture. Ah! je
»ne m'étonne plus , s'écria-t'il¸ que Pina fidelle Delmire ait pris tant de précau
tion pour n'être point surprise quand
» elle traçoit ces tendres témoignages de
on coupable amour ; avec quelle adresse la peifide s'est prévalue du funeste
>> ascendant qu'elle a sur mon cœur , pour
»me dérober un secret dont la connoissance l'auroit perdue , mais elle ne m'aura pas trompé impunément ; elle ne
»dira plus que ma jalousie est injuste , et
»je n'ai que trop , pour mon malheur
de quoi la confondre.
Il ne s'arrêta pas long- temps à s'exhaler en vains reproches , il courut à l'Appartement de Delmire , pour la convaincre de son manque de foy.
1548 MERCURE DE FRANCE
La Princesse d'Arragon ne s'apperçût pas d'adord du trouble de son cœur ;
elle lui témoigna même combien elle
étoit satisfaite du petit sacrifice qu'il ve
noit de lui faire ; » vous osez encore in→
»sulter à ma crédulité , lui répondit le
» Roy jaloux , d'un ton à la faire trem-
»bler , il n'est que trop grand ce sacrifi-
>> ce dont vous voulez diminuer le prix';
» mais le Ciel , le juste Ciel , n'a pas permis que vous ayez recueilli le fruit de
»votre crime. De mon crime , répondit
» Delmire avec ce noblé courroux qu'ins-
» pire l'innocence accusée ; quoi ? c'est
»par Rodrigue que je suis si mortelle
"
ment outragée. Moi criminelle ! ache-
»vez , cruel persecuteur d'une Princesse
"que vous condamnez à des malheurs
Ȏternels ; apprenez- moi par quelle ac-
» tion j'ai pû meriter l'injure que vous
»faites à ma gloire.Ne croyez pas , poursuivit cet injuste Amant , m'imposer
» encore par ces trompeuses apparences de
»vertudont vous m'avez ébloui jusqu'au-
´» jourd'hui , mes yeux se sont ouverts , et
» plût au Ciel qu'ils fussent encore fer-
>> mez ; et que le hazard ne m'ût pas mis
>> entre les mains des témoins irrécusables
» de votre infidelité. Lisez, poursuivit- il,
» et démentez votre main , si vous l'osez.
»Je
JUILLET. 1732. 1549
» Je ne scaurois disconvenir , lui dit Del-
>> mire , après avoir jetté un regard d'in-
>> dignation sur l'Amant et sur la Lettre
qu'il lui présentoit , je ne sçaurois nier
»que ces mots ne soient tracez de ma
»main; mais avez- vous lieu d'en être ja-
>> loux ? oserez-vous me persuader , in-
»terrompit Rodrigue , que ces tendres
>>> sentimens s'adressent à moi ? L'Amant
»à qui vous écrivez est à Sarragoce ; quel
>> qu'il soit , lui répondit Delmire avec un
>> fier dédain , il est plus digne d'être aimé
»que vous , ces mots acheverent de
»rendre Rodrigue furieux. Quoi ? je
>>ne suis donc plus pour vous , lui dit-il,
» qu'un objet de mépris ! que dis- je ? je
»l'ai toûjours été. Cette absence que vous
» appellez cruelle et rigoureuse , n'a pas
» paré un moment votre perfide cœur de
>> cet heureux Rival , que vous mettez si
fort au- dessus de moi , et vous l'adoriez en secret dans le temps que vous
»me juriez une foi inviolable et un amour
» éternel. Ne poussons pas plus loin une
» erreur qui vous autorise à de nouveaux
»emportemens , lui dit enfin Delmire ; ils
seroient justes s'ils étoient fondez sur
la verité , il est temps de vous détrom-
» per ; mais c'est plutôt pour ma gloire ,
»ajouta- t'elle , que pour votre satisfac
sé-
»tion;
1550 MERCURE DE FRANCE
›
»tion. A ces mots elle ordonna qu'on
>> fit venir Délie ; elle fut obéïe sur le
champ ; Délie , qui se doutoit de ce
qui se passoit entre le Roy et la Princesse entra dans son Appartement
munie d'armes deffensives ; Florent, qui
ne faisoit que de venir de Sarragoce , l'avoit instruite de la violence qu'on lui avoit
faite. Elle tenoit dans sa main, la moitié
de Lettre qui étoit restée dans celle de
Florentin ; » j'ai pressenti , dit elle , en
»s'adressant à Delmire que vous pourriez avoir besoin de cette piece justificative échappée au larcin qu'on a fair
»à Florent. Donnez , répondit Delmire ,
»et vous , injuste Amant , joignez ces ca-
»racteres à ceux qui m'ont rendue si cou-
་
pable à vos yeux , et rougissez seul du
>> crime que vous avez voulu m'imputer.
»Que je crains d'avoir trop mérité votre
»colere ! s'écrie D. Rodrigue , en rece-
»vant d'une main tremblante le fatal
» papier que Delmire lui présentoit.com
»me l'Arrêt de sa condamnation. Je vous.
→crois innocente , continua- t'il , sans rien
>examiner de plus ; il ne suffit pas que
»vous me croyez innocente, lui répon-
»dit Delmire, avec beaucoup d'alteration ,
»il faut que vous soyez convaincu de
»votre crime, je vous laisse , ajoûta- t'elle,
» pour
JUILLET. 1732. 1351
» pour aller refléchir à loisir sur la peine
»qui vous est duë.
A ces mots Delmire le quitta sans
daigner le regarder , et ce qui le fit trembler davantage , c'est de voir qu'elle étoit
suivie de Délie, qu'il sçavoit n'être pas
trop bien intentionnée pour lui.
Sitôt qu'il fut seul , il rejoignit les deux
moitiez de Lettre , et y trouva ces mots.
L'amour que vous m'avez autrefois jurée , mon
ther Florent, et que je vous ai jurée à mon tour,
me fait esperer que vous ne m'avez pas oubliée
malgré la distance des lieux qui nous séparent ;
recevez donc ces nouvelles marques de ma tendresse , qui partent moins d'une plume empruntée que de mon cœur ; y serez vous aussi sensible que
vous le devez je n'ose presque l'esperer ; que sçai-jez
Vous êtes à Sarragosse et moi à Valence ; je ne
veis personne ; puis -je me flatter que vous fassiez de
même. Cruelle et rigoureuse absence ! que tu me
causes d'allarmes ! cependant , souvenez- vous que
je n'aime que vous ; n'aimez aussi que moi , et
songez sans cesse que puisque je ne puis vivre
sans mon cher Florent ; pour prix de tant de
fidelité , vous ne devez vivre que pour la tendre Delie.
Dans quel accablement la lecture de cette
Lettre ne laissa point le jaloux Rodrigue ?
Le plaisir secret qu'il sentit d'abord à se
voir convaincu de la fidelité de Delmire ,
ne put balancer le mortel regret de l'avoir offensée. La froideur avec laquelle'
sa
1552 MERCURE DE FRANCE
sa chere Princesse lui avoit dit en le quittant , qu'elle alloit refléchir à loisir sur
la peine qui lui étoit duë , lui donnoię
tout à craindre pour son amour ; il s'étoit soumis lui- même à cette peine par
la promesse qu'il lui avoit faite de n'être
plus jaloux , mais ce qui l'avoit induit à
l'être , étoit si vrai-semblable , qu'il ne
desespera pas de la fléchir.
E toutes les passions de l'ame , il
Da'yenapoint qui se fassent sentir
a
L
avec plus de violence que la jalousie.
Je parle ici de cette jalousie que l'amour
extrême produit ; il s'en faut beaucoup
que celle qui naît de l'ambition se porte
à des excès aussi grands. On a vû des
Rois jaloux de la puissance de leurs Voisins , mettre sur pied des Armées formidables pour envahir leurs Etats , et faire couler des fleuves de sang pour satisfaire leur ambition ; mais ce désir de
s'aggrandir n'alloit que rarement jusqu'à
la haine personnelle ; Alexandre donna
des farmes à la mort de Darius , et Darius lui toucha dans la main en signe d'amitié , sur le point de rendre le dernier
soupir. Il n'en est pas de même de la jadousie des Amans , c'est un mélange d'amour et de haine ; elle peut être définie
differemment selon les differens objets
qu'elle se propose : sçavoir , une crainte
de préférence , ou de partage du cœur de
la personne aimée ; ou une crainte de
préférence ou de partage des faveurs de
la
1530 MERCURE DE FRANCE
la personne aimée ; cette derniere est la
plus injurieuse à l'objet aimé , comme
nous l'allons voir dans l'histoire de Rodrigue , Roi de Valence.
ne furent
$
Les Royaumes d'Arragon et de Valence , qui ne sont aujourd'hui que comme des Provinces de la vaste Monarchie
d'Espagne , avoient jour d'une longue et
profonde paix , sous Dom Alphonse et
sous Dom Fernand , leurs Rois ; mais les
peuples de l'un et de l'autre Royaume
pas si heureux sous le Régne
des Enfans de ces Rois justes et pacifiques. Dom Pedro succeda à Dom Alphonse , et Dom Rodrigue hérita de la
Couronne de Dom Fernand. Dom Rodrigue plus impétueux que Dom Pedro ,
fut le premier à lever l'Etendart de la
guerre , fondé sur des prétextes que l'ambition ne manque jamais de trouver
quand elle veut exercer son empire , si
funeste aux peuples , qui en sont les innocentes victimes. La Fortune , Divinité
aveugle , se déclara d'abord pour la ..use
la plus injuste ; Dom Rodrigue qui fit
les premieres infractions aux traitez de
Paix , long-tems maintenus entre son
pere et celui de Dom Alphonse , porta
ses Conquêtes jusques dans la Capitale
d'Arragon ; Dom Pedro ne pouvant s'opposer
JUILLET. 1732 1537 ་
poser à ce torrent , fut obligé d'aller de mander du secours aux Princes ses Voisins , et le fit avec tant de précipitation
qu'il abandonna sa sœur au pouvoir du
ainqueur ; mais l'Amour entreprit de
réunir deux Rois que l'ambition avoit
divisez.
,
A peine Dom Rodrigue fut entré dans
l'Appartement de Delmire c'étoit le
nom de la Sœur de Dom Pedro , qu'il ne
découvrit que des objets capables de l'attendrir. La Princesse d'Arragon étoit évanouie entre les bras de sa Gouvernante , qui arrosoit son visage d'un torrent
de larmes , ses autres filles poussoient des
gémissemens à percer le cœur le plus insensible ; Rodrigue ne peut soutenir ce
spectacle sans émotion ; mais que devint
il quand il eut jetté les yeux sur l'objet
de ces tristes gémissemens. Il sentit dans
le fond de son cœur un frisson , avantcoureur de sa défaite ; Delmire n'entr'ouvoit un œil mourant que pour allumer
dang, on sein un feu qui ne devoit jamais s'éteindre. Elle ne pût regarder sans
indignation le cruel ennemi de son frere ,
le destructeur de sa Nation , et l'Auteur
de son esclavage ; mais l'air soumis et respectueux avec lequel son vainqueur l'aborda , ne tarda guére à la désarmer.
→Que
32 MERCURE DE FRANCE
Que je suis criminel , s'écria Rodrigue,
» en tombant à ses pieds ! j'ai pû réduire
à cet état pitoyable une Princesse digne
n de l'adoration de tous les Mortels ! Fa-
» tale ambition , à quoi m'as tu porté ?
» et comment pourrai-je expier mon crime ? Delmire ne répondit à ces mots
que par des pleurs ; elle détourna les
yeux , et ayant témoigné qu'elle avoit
besoin de repos , elle obligea Rodrigue
à se retirer , sans sçavoir si son repentir
lui avoit obtenu sa grace. Elle n'étoit pas
loin d'être accordée , cette grace que l'Amour demandoit ; les momens de repos
que Dom Rodrigue venoit de laisser à
son aimable Delmire , lui servirent plutôt à éxaminer le trouble que son ennemi avoit excité dans son cœur , qu'à goûter les douceurs d'un sommeil , que l'agitation de ce jour. fatal sembloit lui rendre nécessaire. Elle sentit des mouvemens
qui lui avoient été inconnus jusqu'alors.
Rodrigue désarmé , Rodrigue prosterné
à ses genoux , Rodrigue repentant cessa
de lui paroître criminel. En vain sa fierté
voulut s'opposer à des sentimens si favorables , elle ne lui parla que foiblement
contre lui , et l'Amour lui imposa bien-
-tôt silence.
Il s'accrut de part et d'autre cet Amour
qui
JUILLET. 1732 1533
"
venoit de naître au milieu des allarmes; la
dissension qui regnoit entre le frere et l'Amant ne diminua rien de la force qu'il acqueroit tous les jours; mais Rodrigue n'en
regla pas les mouvemens comme Delmire. La crainte de perdre ce qu'il aimoit lui
inspira des sentimens de jalousie qui allerent jusqu'à la fureur. Voicy ce qui donna lieu à la naissance de cette passion tyrannique.
Don Pedre , trahi par la fortune , et
ne trouvant pas dans ses Etats des forces
suffisantes à opposer à un ennemi aussi
redoutable que Rodrigue, avoit été réduit
à appeller ses voisins à son secours. Il s'étoit marié , à l'insçu même de sa sœur , et
ce mystere étoit une raison d'Etat ; l'éloignement qu'il témoignoit pour le mariage, laissoit esperer à tous les Princes, dont
le secours lui étoit necessaire , la succession du Royaume d'Arragon qui devoit
appartenir à Delmire , supposé que son
Frere persistât dans le dessein de garder
le célibat. Il n'avoit pas besoin de cette
feinte. Delmire seule , et sans emprunter
l'éclat d'une Couronne , étoit capable de
mettre toute l'Europe dans ses interêts; le
bruit de sa beauté lui avoitfait desAmans,
qui n'attendoient qu'une occasion de se
déclarer pour elle , et de la mettre en liberté de se choisir un Epoux.
D Les
7534 MERCURE DE FRANCE
Les Rois de Castille et de Leon furent
les premiers qui armerent pour elle ; d'autres Princes Souverains suivirent leur
exemple, et le Roy d'Arragon se vit bientôt à la tête d'une armée capable de faire
trembler l'Usurpateur de sa Couronne. Il
ne voulut pourtant en venir aux dernieres extrêmitez qu'après avoir tenté les
voïes de la douceur. Il écrivit à sa sœur ,
et lui fit entendre qu'il ne tiendroit qu'au
Roy de Valence de rendre la paix à toutes les Espagnes , en la renvoïant auprès
de lui , et en lui restituant toutes les Places qu'il avoit conquises dans une guerre
injuste.Delmire ne consultant que son devoir , fit sçavoir les prétentions de son
frere à son Amant, et le pressa de lui rendre la liberté. Que me demandez- vous,
» lui dit Rodrigue? Moi, je pourrois consentir à vous livrer à quelque heureux
» Rival ! Ah ! vous ne connoissez pas
»l'Amour , puisque vous croyez qu'un
cœur véritablement épris , peut ceder
»ce qu'il aime ; mais je m'abuse , pour-
» suivit-il , avec des yeux , que la jalousie
» enflamma d'un courroux dont il ne fut
» pas le maître. Vous ne le connoissez que
>> trop , cet amour qui m'attache à vous,
»et qui vous lie à quelqu'un de mes Ri-
» vaux ; vous brûlez , ingrate , de vous
» éloi-
JUILLET. 1732. 1535
éloigner de moi , pour vous rapprocher
» de celui qui veut vous arracher à mon
» amour , mais ne l'esperez qu'après ma
»mort. Non , je ne vous verrai pas entre
» les bras d'un autre ; et quelques formi-
» dables que soient les apprêts qu'on fait
» pour vous conquerir ; j'en ferai de plus
» grands pour vous conserver. Delmire
fut si surprise de ce premier transport de
jalousie , qu'elle resta quelque temps sans
repartie ; mais voïant son impétueux
Amant prêt à lui faire des reproches encore plus sanglans. » Arrêtez, lui dit elle,
» et n'attribuez mon silence qu'à l'éton-
» nement où votre injustice vient de me
jetter. Quoi ? poursuivit elle, c'est Don
» Rodrigue qui me soupçonne de l'avoir
trompé jusqu'aujourd'hui , qui me croit
capable d'en aimer un autre que lui ; Je
» le devrois , ingrat , continua-t-elle ; et
» vous meriteriez l'infidelité dont vous
» m'accusez. Ces paroles , suivies de quelques larmes qu'elle ne put retenir , rendirent un calme soudain au cœur du Roy
de Valence. » Pardonnez-moi , lui dit-il ,
>> Adorable Delmire , des sentimens que
» je désavouë , et n'en imputez le crime.
» qu'à l'excès de mon amour. C'est cet
» amour, aussi ardent qu'il en fut jamais ,
» qui m'ôtant tout à coup l'usage de la Dij >> rai-
1536 MERCURE DE FRANCE
» raison , ne m'a pas permis de vous ca-
» cher l'affreux désespoir où votre perte
» me réduiroit. Vous me la rendez cette
» raison ; elle m'éclaire sur l'injustice de
» mes prétentions ; si la guerre vous à fai29
te ma prisonniere , l'amour m'a fait vo-
»tre esclave ; oüi , ma raison me fait voir
que j'aurois dû vous laisser maîtresse
» de votre destin , dès le moment que je
» vous ai adorée. Vous pouvez partir, je ne
» vous retiens plus ; vous pouvez vous
> donner à l'heureux mortel à qui le Roy
>> votre Frere vous réserve; et quand vous
» vous seriez destinée vous- même à ce
»Rival , que j'abhorre sans le connoître
» ce ne seroit pas à moi à m'opposer au
penchant de votre cœur ; mais quelque
» soit celui qui doit posseder tant de
»charmes, qu'il ne se flatte pas que je
» le laisse tranquillement jouir d'une fé-
» licité où il ne m'est plus permis d'as-
»pirer votre frere a résolu ma mort
» mais je la rendrai fatale à votre Epoux ;
>> ma haine est aussi forte pour lui , que
» mon amour pour vous ; je ne respire
»que vengeance ; et je confonds dans ma
fureur tous les Princes du monde ; je les
regarde tous comme les Usurpateurs de
mon Trésor ; ces transports qui redoubloient à chaque instant , et dans le tems
>>
même
JUILLET. 1732 1537
même qu'il sembloit se repentir de les
avoir fait éclater , jetterent une douleur
mortelle dans le cœur de la tendre Delmire. » Ah! Seigneur , lui dit- elle , pour-
» quoi faut- il que vous m'aimiez ? que je
vais vous rendre malheureux ! je vois
» trop que le poison de la jalousie se ré-
» pandra sur tous les jours de votre vie, et
qu'il troublera votre tranquillité et la
»mienne ; cependant que dois- je faire
» dans la triste situation où je me trouve?
» dites-moi la réponse que je dois faire au
»Roy d'Arragon : Eh ! puis-je balancer
» un moment à la faire moi- même , lui
» dit l'impetueux Rodrigue ; qu'il vous
>> donne à moi , et qu'il reprenne tout ce
» que la victoire m'a fait conquerir sur
» lui ; je lui abandonne tout , et ce sa-
»crifice iroit jusqu'au don de ma Cou
ronne, si je ne la regardois comme vo-
» tre bien ; mais qu'il ne m'oblige pas
Ȉ reprendre les armes , par la honte
» d'un refus , que j'irois expier dans son ور «sang.
Cet amour , qui tenoit de la fureur , fit
trembler Delmire ; elle comprit bien que
Ja jalousie de son Amant ne finiroit qu'avec sa vie. Pour en calmer les transports ,
elle lui promit de ne rien oublier pour
porter le Roy d'Arragon à un Hymen
D iij qui
1538 MERCURE DE FRANCE
qui les rendroit tous deux infortunez.
Élle fit réponse à son frere avec les plus.
vives expressions que l'amour pût lui.
suggérer. Elle communiqua sa Lettre au
jaloux Rodrigue; il y en ajouta une de sa
main, qui n'étoit pas moins forte, et dont
Delmire auroit été charmée, si elle eût pû
se cacher que ce même amour qui s'exprimoit si tendrement , dégénéroit en implacable couroux , dès qu'il craignoit de
perdre l'objet aimé.
Les engagemens que Don Pedre avoit
pris avec ses Alliez, ne lui permettant pas
de faire assez- tôt une réponse positive aux
propositions de Don Rodrigue , réveil
lerent la jalousie de ce dernier ; il ne dou
ta point que sa perre ne fut résoluë ; il fit
de nouveaux préparatifs de guerre il écla❤
ta en reproches contre la malheureuse
Delmire ; il la soupçonna d'avoir part à
des retardemens qui lui annonçoient un
refus ;elle en soupira , elle en gémit, mais
le mal étoit sans remede ; elle aimoit
trop cet ingrat , qui l'accusoit d'en aimer
un autre. Elle redoubla ses empressemens
auprès de son Frere , et le fit avec tant de
succès , que la paix fut concluë entre les
deux Rois ennemis , et l'hymen arrêté
entre les deux Amans.Cette agréable nouvelle répandit une joie universelle dans
les
JUILLET. 1732. 1539
les Royaumes de Valence et d'Arragon ;
Rodrigue se livra tout entier à la douce
esperance de posseder bien-tôt sa chere
Princesse ; la seule Delmire s'abandonnoit à la douleur , tandis que tout ne res
piroit que bonheur ; elle n'ouvroit son
cœur qu'à deux de ses confidentes , dont
l'une avoit pris soin de son enfance , et l'autre vivoit dans une très-étroite familiarité avec elle. La premiere s'appelloit
Théodore , et l'autre Délie ; je les nomme
toutes deux , parce qu'elles doivent avoir
part à la suite de cette histoire ; Théodore lui conseilloit de fermer les yeux sur
tous les malheurs dont la jalousie de Rodrigue sembloient la menacer ; Délie au
contraire n'oublioit rien pour la détourner d'un hymen que cette affreuse jalou
sie lui rendroit funeste. L'un et l'autre
conseil partoient d'un cœur bien intentionné , mais la triste Delmire ne sçavoit lequel elle devoit suivre pour être
heureuse , l'amour avoit déja décidé de
son sort ; elle ne laissa pas de se précau
tionner autant qu'il dépendoit d'elle
contre les suites que pourroit avoir un
engagement qui devoit durer autant que
sa vie. Elle fit promettre à Don Rodrigue de se guérir de sa jalousie , et ne lui
promit de l'épouser qu'à cette condition.
D iiij Don
1540 MERCURE DE FRANCE
Don Rodrigue lui jura de n'être plus
jaloux. » Je ne l'étois, lui dit-il , que parce
» que je craignois de vous perdre ; vous
» serez bien-tôt à moi ; qu'ai-je à crain-
» dre ? Non , ajouta t- il, plus de défiance,
» Delmire se donne à moy , rien ne peut
» me la ravir , sa foy me rassure contre
toutes les prétentions de mes Rivaux;
» je suis le plus heureux de tous les hom-
» mes , et ma félicité me rend à jamais
❤ tranquille.
Ces belles protestations , qu'il croyoit
aussi constantes que l'amour qui les lui
dictoit , ne tinrent pas contre le premier
sujet qu'il crut avoir de se défier de son
Amante: Voicy ce qui y donna occasion .
La Duchesse du Tirol , tendre amie de
la Princesse d'Arragon , dont elle avoit
vivement ressenti l'absence depuis que le
Roy de Valence l'avoit faite prisonniere ;
n'eût pas plutôt appris que la paix étoit conclue entre les deux Couronnes , et que
sa chere Delmire en alloit porter une ,
qu'elle lui écrivit pour lui témoigner la
part qu'elle prenoit à son bonheur , et
pour la prier de lui accorder la permission de venir à Valence, pour être témoin
d'un hymen qui faisoit la félicité de deux
Peuples. Delmire s'enferma dans son cabinet pour lui faire réponse ; elle avoit
pris
JUILLET. 1732. 1541
pris la précaution de deffendre que personne la vint troubler. L'amoureux Rodrigue se presenta à la porte de son appartement , dans le temps qu'elle achevoit sa Lettre ; quoique les ordres qu'elle
ávoit donnez qu'on la laissât seule , ne
fussent pas pour lui , Délie , celle de ses
Dames qu'elle affectionnoit le plus , et
qui n'approuvoit pas son hymen , à cause des suites fâcheuses qu'il pouvoit
avoir pour sa chere Maîtresse , eut la malice de vouloir mettre sa jalousie à l'épreuve , et lui dit que la Princesse ayant
des dépêches secretes à faire , avoit deffendu , sans excepter personne , qu'on
laissât entrer dans son appartement, »> Ces
» deffenses ne sont pas apparemment pour
»un Royqui doit bientôt être son Epoux,.
répondit D. Rodrigue , avec un souris.
» forcé , et je crois pouvoir prétendre à
>> l'honneur de sa confidence. Délie affecta
encore plus d'empressement. à l'empêcher d'entrer pour lui donner de plus:
grands soupçons; elle n'y réussit que trop
bien. D. Rodrigue avala à longs traits le
poison que cette artificieuse fille lui avoit
préparé ; il entra tout transporté , mais à.
peine eut-il apperçu Delmire que le res--
pect, que sa presence lui inspiroit, suspendit les mouvemens tumultueux qui ve
D v noient
1542 MERCURE DE FRANCE
1
noient de s'élever dans son ame; il se rapella la promesse qu'il lui avoit faite , de
n'être plus jaloux ; et la voïant attentive à
la Lettre qu'elle écrivoit , il s'avança sans
bruit et sans crainte d'être vû , attendu
qu'elle lui tournoit le dos; mais une glace
sur laquelle Delmire jetta les yeux et à
laquelle ce Prince jaloux ne fit nulle attention , tant il étoit occupé de ses soupçons , trahit le dessein qu'il avoit de lire
ce que la Princesse écrivoit. Delmire ne
l'eût pas plutôt apperçu qu'elle serra brusquement sa Lettre; et se tournant vers lui,
elle se plaignit du dessein qu'il avoit de la
surprendre. D. Rodrigue ne sçut d'abord
répondre à ce reproche; il craignoit
de faire entrevoir sa jalousie ; il lui demanda pardon de la liberté qu'il avoit
prise decontrevenir à des ordres qui peutêtre n'étoient pas moins pour lui que
pour tous les autres, quoique le nœud qui
devoit les unir à jamais le mit en droit
de se croire excepté. »Ce droit n'est pas
»encore si sûr que vous le
que
lui pensez ,
répondit Delmire, avec une petite émo-
»tion de colere, puisqu'il n'est fondé que
sur un hymen , auquelje n'ai consenti
»que conditionnellement; avez vous oubiié quelles sont nos conventions ? Vous
>m'avez promis de n'être plus jaloux ;
moi
JUILLET. 1732. 1543
moi,jaloux, s'écria D. Rodrigue;voulez-
» vous me faire un crime d'un mouvement
» de curiosité qui ne tire nullement à con-
» séquence. Eh bien , je vous en croi , lui
» répondit Delmire ; mais comme cette
»curiosité m'a induite à vous soupçonner d'infraction de traité , c'est par
» même que je veux vous punir ; pér-
» mettez donc que je ne la satisfasse pas ;
» vous ne sçauriez mieux me prouvervo
là
tre innocence ; le sacrifice que je vous
» demande n'est pas grand , et si vous
» sçavicz à qui s'addresse cette Lette que
» vous avez voulu lire à mon insçu , vous
» ne balanceriez pas un moment à m'ac-
» corder ce quej'exige de vous ; j'y sous-
» cris sans repugnance , lui répondit Ro
>> drigue , malgré l'envie secrette qu'il
» avoit d'apprendre ce que contenoit cette
» Lettre mysterieuse , que Delie lui avoit
» renduë suspecte ; vous me comblez de
» plaisir , lui dit Delmire, et je commen
ce à bien augurer de votre amende
» ment.
Elle demeura ferme dans sa résolution ,
quoique Rodrigue ne laissât pas de lui
faire entrevoir le desir qu'il avoit de sça--
voir ce qu'elle venoit d'écrire ; ils se sé→
parerent assez satisfaits l'un de l'autre en
apparence ; mais Rodrigue nourrissoit
Dvj dans
1544 MERCURE DE FRANCE
"
4
dans le cœur une inquiétude qu'il lui
falloit dévorer aux yeux de sa Princesse;
elle ne l'eut pas plutôt quitté , qu'il ne
songea qu'aux moyens de s'éclaircir d'un
doute qui troubloit son repos.
Il avoit , pour son malheur , un Confident qui flatoit sa jalousie , parce qu'il
n'étoit jamais plus en faveur auprès de
son Maître , que lors qu'il faisoit quelque
découverte qui l'entretenoit dans son
amoureuse défiance. Cette peste de Cour
s'appelloit Octave. Dom Rodrigue ne lui
eut pas plutôt communiqué ce qui venoit de se passer entre Delmire et lui ,
que ce dangereux Courtisan lui avoüa
qu'il croyoit que cette Lettre que la Princesse avoit écrite à son insçu , s'adressoit
à quelque Rival caché ; il s'offrit à l'intercepter ; Dom Rodrigue lui promit une
récompense proportionnée à ce service ;
mais comme il craignoit d'offenser sa Princesse , il lui ordonna d'éviter l'éclat dans
la commission dont il se chargeoit. Octave lui dit qu'il pouvoit s'en reposer sur
sa dexterité , et le quitta pour aller se
préparer à cette expedition.
Delmire , contente du petit sacrifice
que son Amant venoit de lui faire , chargea Délie de remettre le Billet qu'elle venoit d'écrire entre les mains de celui qui
lul
JUILLET.- 17328 1545
lui avoit apporté la Lettre de la Duchesse
de Tirol ; c'étoit un Amant de Delie ,
qui s'appelloit Florent. Elle executa les ordres de sa Maîtresse ; mais comme les
Amans ont toûjours quelque petit reproche à se faire , Florent ne voulut point
s'éloigner de Délie , sans se plaindre de
son indifference : Est-il possible , lui
dit - il que l'amitié soit plus empres-
»sée que l'Amour ? La Duchesse de Tirol
» n'a pas plutôt appris que le commerce
» n'est plus interrompu entre les Peuples
d'Arragon et ceux de Valence , qu'elle
»s'empresse d'écrire à la Princesse Delmire ; cette tendre amie n'est pas moins
» prompte à lui faire réponse , et Délies
>> pendint deux mois d'absence , ne peut :
>> trouver un seul moment pour donner:
»de ses nouvelles au plus passionné de
>> tous les Amans ! voici de quoi vous convaincre , lui répondit- elle , en tirant
>>de sa poche une Lettre qu'elle n'avoit
>> pû lui envoyer ; ce n'est point- là ton
» caractere , lui dit Florent , il est vrai ,
» répliqua Délie , c'est la Princesse même
» qui a eu la bonté de me préter sa main,
parce ce que je ne pouvois pas me servir
de la mienne , à cause d'une indisposi-
» tion.
Florent étoit si persuadé des bontez de
Del-
16 MERCURE DE FRANCE
Delmire pour Délie , qu'il ne douta point
qu'elle ne lui dît vrai , il la pria de lui
laisser cette chere Lettre , puisque c'étoit
à lui- même qu'elle s'adressoit , Délie n'en
fit aucune difficulté , et retourná auprès
de sa Maîtresse.
Florent ne fut pas plutôr seul qu'il ne
put résister à l'envie de lire ce que Délie
lui écrivoit ; il étoit si occupé de cette
lecture qu'il ne s'apperçut pas de l'arrivée
d'une personne masquée , soutenuë de
plusieurs autres qui devoient venir à son
secours en cas de besoin. C'étoit Octave
qui s'avançant par derriere , lui saisit la
Lettre de Délie. Florent se deffendit autant qu'il put , mais tous les efforts qu'il fie
n'empêcherent pas qu'Octave ne lui ravît
la moitié d'une Lettre qui lui étoit si
chere. Fatale moitié , dont nous verrons
bien-tôt les fun stes suites.
Florent ne pouvant tirer raison de
l'insulte qu'on venoit de lui faire , et ne
scachant qui il devoit en accuser , se con- sola de la perte de cette moitié de Lettre ,
et partir pour aller porter à la Duchesse du
Tirol , le Billet dont D'lie venoit de le
charger de la part de Delmire. Octave
content de son larcin , aila sur le champ
trouver D. Rodrigue , pour lui rendre
compte de l'heureux succès de son zele ;
voici
JUILLET. 1732. 1547
voici ce que contenoit cette moitié de
Lettre, qu'il remit entre les mains de son:
Maître.
L'Amour que vous m'avez autrefois jurée
me fait esperer que vous ne m'avez pas oubliée .
recevez donc ces nouvelles marques de ma tendresse ;
y serez-vous aussi sensible que vous le devez ?
vous êtes dans Saragosse et moi ,
cruelle et rigoureuse absence •
souvenez- vous que je n'aime que vous
que puisque je ne puis vivre sans mon cher ...
vous ne devez vivre que pour la tendre Del ·
Quels furent les transports du Roy de
Valence à cette fatale lecture. Ah! je
»ne m'étonne plus , s'écria-t'il¸ que Pina fidelle Delmire ait pris tant de précau
tion pour n'être point surprise quand
» elle traçoit ces tendres témoignages de
on coupable amour ; avec quelle adresse la peifide s'est prévalue du funeste
>> ascendant qu'elle a sur mon cœur , pour
»me dérober un secret dont la connoissance l'auroit perdue , mais elle ne m'aura pas trompé impunément ; elle ne
»dira plus que ma jalousie est injuste , et
»je n'ai que trop , pour mon malheur
de quoi la confondre.
Il ne s'arrêta pas long- temps à s'exhaler en vains reproches , il courut à l'Appartement de Delmire , pour la convaincre de son manque de foy.
1548 MERCURE DE FRANCE
La Princesse d'Arragon ne s'apperçût pas d'adord du trouble de son cœur ;
elle lui témoigna même combien elle
étoit satisfaite du petit sacrifice qu'il ve
noit de lui faire ; » vous osez encore in→
»sulter à ma crédulité , lui répondit le
» Roy jaloux , d'un ton à la faire trem-
»bler , il n'est que trop grand ce sacrifi-
>> ce dont vous voulez diminuer le prix';
» mais le Ciel , le juste Ciel , n'a pas permis que vous ayez recueilli le fruit de
»votre crime. De mon crime , répondit
» Delmire avec ce noblé courroux qu'ins-
» pire l'innocence accusée ; quoi ? c'est
»par Rodrigue que je suis si mortelle
"
ment outragée. Moi criminelle ! ache-
»vez , cruel persecuteur d'une Princesse
"que vous condamnez à des malheurs
Ȏternels ; apprenez- moi par quelle ac-
» tion j'ai pû meriter l'injure que vous
»faites à ma gloire.Ne croyez pas , poursuivit cet injuste Amant , m'imposer
» encore par ces trompeuses apparences de
»vertudont vous m'avez ébloui jusqu'au-
´» jourd'hui , mes yeux se sont ouverts , et
» plût au Ciel qu'ils fussent encore fer-
>> mez ; et que le hazard ne m'ût pas mis
>> entre les mains des témoins irrécusables
» de votre infidelité. Lisez, poursuivit- il,
» et démentez votre main , si vous l'osez.
»Je
JUILLET. 1732. 1549
» Je ne scaurois disconvenir , lui dit Del-
>> mire , après avoir jetté un regard d'in-
>> dignation sur l'Amant et sur la Lettre
qu'il lui présentoit , je ne sçaurois nier
»que ces mots ne soient tracez de ma
»main; mais avez- vous lieu d'en être ja-
>> loux ? oserez-vous me persuader , in-
»terrompit Rodrigue , que ces tendres
>>> sentimens s'adressent à moi ? L'Amant
»à qui vous écrivez est à Sarragoce ; quel
>> qu'il soit , lui répondit Delmire avec un
>> fier dédain , il est plus digne d'être aimé
»que vous , ces mots acheverent de
»rendre Rodrigue furieux. Quoi ? je
>>ne suis donc plus pour vous , lui dit-il,
» qu'un objet de mépris ! que dis- je ? je
»l'ai toûjours été. Cette absence que vous
» appellez cruelle et rigoureuse , n'a pas
» paré un moment votre perfide cœur de
>> cet heureux Rival , que vous mettez si
fort au- dessus de moi , et vous l'adoriez en secret dans le temps que vous
»me juriez une foi inviolable et un amour
» éternel. Ne poussons pas plus loin une
» erreur qui vous autorise à de nouveaux
»emportemens , lui dit enfin Delmire ; ils
seroient justes s'ils étoient fondez sur
la verité , il est temps de vous détrom-
» per ; mais c'est plutôt pour ma gloire ,
»ajouta- t'elle , que pour votre satisfac
sé-
»tion;
1550 MERCURE DE FRANCE
›
»tion. A ces mots elle ordonna qu'on
>> fit venir Délie ; elle fut obéïe sur le
champ ; Délie , qui se doutoit de ce
qui se passoit entre le Roy et la Princesse entra dans son Appartement
munie d'armes deffensives ; Florent, qui
ne faisoit que de venir de Sarragoce , l'avoit instruite de la violence qu'on lui avoit
faite. Elle tenoit dans sa main, la moitié
de Lettre qui étoit restée dans celle de
Florentin ; » j'ai pressenti , dit elle , en
»s'adressant à Delmire que vous pourriez avoir besoin de cette piece justificative échappée au larcin qu'on a fair
»à Florent. Donnez , répondit Delmire ,
»et vous , injuste Amant , joignez ces ca-
»racteres à ceux qui m'ont rendue si cou-
་
pable à vos yeux , et rougissez seul du
>> crime que vous avez voulu m'imputer.
»Que je crains d'avoir trop mérité votre
»colere ! s'écrie D. Rodrigue , en rece-
»vant d'une main tremblante le fatal
» papier que Delmire lui présentoit.com
»me l'Arrêt de sa condamnation. Je vous.
→crois innocente , continua- t'il , sans rien
>examiner de plus ; il ne suffit pas que
»vous me croyez innocente, lui répon-
»dit Delmire, avec beaucoup d'alteration ,
»il faut que vous soyez convaincu de
»votre crime, je vous laisse , ajoûta- t'elle,
» pour
JUILLET. 1732. 1351
» pour aller refléchir à loisir sur la peine
»qui vous est duë.
A ces mots Delmire le quitta sans
daigner le regarder , et ce qui le fit trembler davantage , c'est de voir qu'elle étoit
suivie de Délie, qu'il sçavoit n'être pas
trop bien intentionnée pour lui.
Sitôt qu'il fut seul , il rejoignit les deux
moitiez de Lettre , et y trouva ces mots.
L'amour que vous m'avez autrefois jurée , mon
ther Florent, et que je vous ai jurée à mon tour,
me fait esperer que vous ne m'avez pas oubliée
malgré la distance des lieux qui nous séparent ;
recevez donc ces nouvelles marques de ma tendresse , qui partent moins d'une plume empruntée que de mon cœur ; y serez vous aussi sensible que
vous le devez je n'ose presque l'esperer ; que sçai-jez
Vous êtes à Sarragosse et moi à Valence ; je ne
veis personne ; puis -je me flatter que vous fassiez de
même. Cruelle et rigoureuse absence ! que tu me
causes d'allarmes ! cependant , souvenez- vous que
je n'aime que vous ; n'aimez aussi que moi , et
songez sans cesse que puisque je ne puis vivre
sans mon cher Florent ; pour prix de tant de
fidelité , vous ne devez vivre que pour la tendre Delie.
Dans quel accablement la lecture de cette
Lettre ne laissa point le jaloux Rodrigue ?
Le plaisir secret qu'il sentit d'abord à se
voir convaincu de la fidelité de Delmire ,
ne put balancer le mortel regret de l'avoir offensée. La froideur avec laquelle'
sa
1552 MERCURE DE FRANCE
sa chere Princesse lui avoit dit en le quittant , qu'elle alloit refléchir à loisir sur
la peine qui lui étoit duë , lui donnoię
tout à craindre pour son amour ; il s'étoit soumis lui- même à cette peine par
la promesse qu'il lui avoit faite de n'être
plus jaloux , mais ce qui l'avoit induit à
l'être , étoit si vrai-semblable , qu'il ne
desespera pas de la fléchir.
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Résumé : LE PRINCE JALOUX.
Le texte 'Le Prince jaloux' explore la passion destructrice de la jalousie, notamment dans le contexte amoureux. La jalousie amoureuse est décrite comme un mélange complexe d'amour et de haine, motivée par la crainte de perdre l'affection de l'être aimé. L'histoire se déroule dans les royaumes d'Arragon et de Valence, initialement en paix sous les règnes de Dom Alphonse et Dom Fernand. Leurs successeurs, Dom Pedro et Dom Rodrigue, mettent fin à cette paix. Dom Rodrigue, plus impulsif, déclenche une guerre fondée sur des prétextes ambitieux. Rodrigue conquiert la capitale d'Arragon et Dom Pedro abandonne sa sœur Delmire aux mains de Rodrigue. Rodrigue, ému par la détresse de Delmire, exprime son repentir. Delmire, initialement indignée, est désarmée par son attitude respectueuse et finit par céder à l'amour. Cependant, Rodrigue, consumé par la jalousie, craint de perdre Delmire. Dom Pedro, trahi par la fortune, cherche des alliés pour récupérer sa sœur et son royaume. Delmire transmet les demandes de son frère à Rodrigue, qui réagit avec fureur jalouse. Delmire parvient à calmer Rodrigue en lui rappelant son amour. Rodrigue accepte de libérer Delmire, mais menace de vengeance contre son rival. Delmire, consciente de la dangerosité de la jalousie de Rodrigue, promet de convaincre son frère d'accepter leur union. Les préparatifs de guerre reprennent, mais Delmire négocie la paix et leur mariage. Cependant, elle reste préoccupée par la jalousie de Rodrigue. Delmire partage ses inquiétudes avec ses confidentes, Théodore et Délie, qui la conseillent différemment sur son avenir avec Rodrigue. Delmire demande à Rodrigue de surmonter sa jalousie avant de l'épouser. Rodrigue jure de ne plus être jaloux, mais ses promesses sont rapidement mises à l'épreuve. Rodrigue tente de lire une lettre destinée à Florent, l'amant de Délie, une dame de Delmire. Cette lettre, partiellement lue par Rodrigue, semble prouver l'infidélité de Delmire. Rodrigue confronte Delmire, qui nie toute infidélité et accuse Rodrigue de mépriser sa gloire. Delmire convoque Délie pour prouver son innocence. Délie présente la moitié d'une lettre que Delmire complète avec celle en sa possession. Cette lettre prouve la fidélité de Delmire et l'amour de Florent. Rodrigue, convaincu de son erreur, regrette d'avoir offensé Delmire et craint pour leur relation.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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