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1
p. 312-313
SENTIMENS D'UNE BELLE qui se repent de n'avoir pas conservé une Conqueste qu'elle avoit faite. / MADRIGAL.
Début :
Lors que Tircis bruloit d'amour, [...]
Mots clefs :
Amour, Art de plaire, Serments, Changement, Mal, Coeur, Vengeance, Martyre
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texteReconnaissance textuelle : SENTIMENS D'UNE BELLE qui se repent de n'avoir pas conservé une Conqueste qu'elle avoit faite. / MADRIGAL.
SENTIMENS D'UNE BELLE
qui fe repent de n'avoir pas confervé
une Conquefte qu'elle:
avoit faite.
MADRIGAL.
Ors
que
Queje
Tircis bruloit d'amour,
Que je le voyais chaque jour
Avec empressement chercher l' Art de me
plaire,
Et qu'il me paroiffoitfincere:
Que parmillefermens, mais fermensfu
perfluss
du Mercure Galant. 31
Il me juroit d'eftre fidelle & tendre,
Et queles yeux m'en difoient encor plus,
Il avoit beau parler, je ne daignois l'en...
tendre:
Et par un changement queje nepuis comprendre,
Si- toft que més mépris l'ont forcé de
changer,
L'Amour, pour le vanger,
M'afait connoistreque je l'aime,
Et je me veux un mal extréme,
D'avoir pû voirfon coeur fe dégager.
Je m'en repens , Amour , ceffe demou
trager,
Soulage unfi cruel martires,
Et fi jamais dans ton Empire
Fe puis charmer quelque Berger,
Je te promets, Amour , de le bien ménager.
DIEREVILLE
qui fe repent de n'avoir pas confervé
une Conquefte qu'elle:
avoit faite.
MADRIGAL.
Ors
que
Queje
Tircis bruloit d'amour,
Que je le voyais chaque jour
Avec empressement chercher l' Art de me
plaire,
Et qu'il me paroiffoitfincere:
Que parmillefermens, mais fermensfu
perfluss
du Mercure Galant. 31
Il me juroit d'eftre fidelle & tendre,
Et queles yeux m'en difoient encor plus,
Il avoit beau parler, je ne daignois l'en...
tendre:
Et par un changement queje nepuis comprendre,
Si- toft que més mépris l'ont forcé de
changer,
L'Amour, pour le vanger,
M'afait connoistreque je l'aime,
Et je me veux un mal extréme,
D'avoir pû voirfon coeur fe dégager.
Je m'en repens , Amour , ceffe demou
trager,
Soulage unfi cruel martires,
Et fi jamais dans ton Empire
Fe puis charmer quelque Berger,
Je te promets, Amour , de le bien ménager.
DIEREVILLE
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Résumé : SENTIMENS D'UNE BELLE qui se repent de n'avoir pas conservé une Conqueste qu'elle avoit faite. / MADRIGAL.
Le madrigal 'Sentimens d'une belle' relate les regrets d'une femme d'avoir repoussé Tircis, un homme amoureux. Après l'avoir dédaigné, elle réalise son amour pour lui. Elle supplie l'Amour de soulager ses souffrances et promet de mieux traiter un futur amant.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 3-37
NOUVELLE. EPISTRE CRITIQUE à Monsieur .... faite à l'occasion d'un Ouvrage d'esprit obscur & guindé qu'on luy a envoyé dans sa retraite , il feint ingénieusement que depuis qu'il est hors de Paris tous les Ouvrages y sont devenus obscurs & guindez comme celuy qui luy a esté envoyé.
Début :
Depuis un temps mon silence en fait foy, [...]
Mots clefs :
Cantons, Magistrat, Paris, Mal, Lunettes, Lettres secrètes, Franchise, Oracle, Guindé, Code
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texteReconnaissance textuelle : NOUVELLE. EPISTRE CRITIQUE à Monsieur .... faite à l'occasion d'un Ouvrage d'esprit obscur & guindé qu'on luy a envoyé dans sa retraite , il feint ingénieusement que depuis qu'il est hors de Paris tous les Ouvrages y sont devenus obscurs & guindez comme celuy qui luy a esté envoyé.
NOUVELLE.
EPISTRE CRITlQUE
a Monsieur.faite
à l'occasion d'un Ouvrage
d'esprit obfckr
&guindéqu'on luy a
envoye dans sa retraite,
il feintingénieusement
quedepuisqu'il
est hors de Paris tous
les Ouvrages y sont
devenus obscurs (S
guindez comme celuy
qui luy a ejie envoyé.
DEpuis un temps mon
silence en fait foy,
Dans vos cantons n'oserois
plus écrire,
Grand Magistrat, si demandez
pourquoy , ,
Tout bonnement je m'en
vais vous le dire.
En maint écrit qu'à
Paris on admire,
Ou peu s'en faut
, ne
puis comprendre rien,
Le stile en est tres beau,
je le vois bien;
Mais tel qu'ilest, si n'y
puis rien entendre;
N'ay-je pas lieu d'apprehender
quau mien
Paris aussi ne puisse rien
comprendre?
Grand malm'en veux &
ne fuis point touché
D'avoir 1 esprit si dur 6C
si bouché,
Car j'ay beau faire, 6C
hausser mes lunettes,
Et Prose & Vers tout est
si haut perché
Qu'également je m'y
1 trouve empesché,
Et c'est tousjours pour
moy Lettres secrettes,
Goute n'y vois. Oh! que
tout a changé
Pour le langage, &que
dans la grand' Ville
Depuis le temps que j'en
fuis délogé
On s'est rendu subite--
ment habille !
Un point pourtant sur
cela m'a surpris,
Vous le dirai - je, excusez
ma franchise,
C'estvous, Seigneur, qui
causez ma surprise,
Tout ce qui part de vous
est d'un grand prix,
Et peut servir de régle
& de modelle;
C'estvérité dont personne
n'appelle,
Jugez par là de mon eftonnement.
Lorsqu'en discours sortis
de vostre bouche
A nousforains transmis
fidellement,
J'ay trouve tout énonce
clairement,
Rien de forcé, rien d'obscur,
rien de louche:
Est-ce donc là, d'abord
me suis-je dit,
Ce Magistrat dont par
toute la France
-
On prise tant le merveilleux
esprit ?
On vante tant la force &
l'éloquence? -
Je le croyois un Oracle
du temps,
Et cependant il parle, èC
je l'entens !
Je vous le dis, Seigneur,
c'est grand dommage,
Cette clarté qui fut une
, vertu
Au temps passé
,
n'est
plus du bel usage, --
Et ne voudrois en donnerunfestu:
On la souffroit jadis dans
lelangage
Quand on parloit afin
d'estre entendu;
Mais aujourd'huy que
l'on devient plus fagey
Adieu vous dis, son cre-
1 dit est perdu;
On a raison
, tout estoit
confondu.
Dans ce temps-là le peuple,
la canaille
Mettoit le nez dans les
meilleurs écrits
J'
Et décidoit souvent vaille
que vaille,
Chose indecente, & que
nos beaux esprits
N'ont deu souffrir
,
ils;
ont mis si bon ordre
A cet énorme Se vicieux
abus,
Que leurs écrits sont autant
de Rebus,
Enigmes mesme, & n'est
aisé d'y mordre;
Qui le pourroit? ils ne
se montrent plus
Qu'enveloppez de nuages
confus:
Impunément ils bravent
les orages
Tousjours guindez dans
le plus haut des airs;
De temps en temps du
fond de ces nuages
On voit sortir desflammesdes
éclairs ;
Un peu de bruit, &
beaucoup de fumée ;
Puis un essain, soidisant
Renommée,
Veut qu'on admire cC
nous en fait la loy ;
On obeït
, on crie à la
merveille,
Je crie aussi sans trop sçavoir
pourquoy ;
Mais si m'allois faire tirer
l'oreille
Aurais bientost la grand'
bande sur moy :
Pourquoi de peur qu'on
aille s'y méprendre
Je le déclare entant qu'il
est besoin,
Et s'il le faut vous en
prens à tesmoin,
J'admire tout sans le pouvoir
comprendre.
Pour ces Messieurs plus
ne puis,ni ne dois;
Car de vouloir que je les
-
puisse entendre
C'en feroit trop ,
Seigneur,
& je lescroy
Trop gens d'honneur,
: & trop de bonne foy
Pour l'exiger, bien loin
de le prétendre 1
Tous au contraire entre
eux-mesmes tout bas
Sont convenus qu'ils ne
s'entendroient pas.
Voila, Seigneur, touchant
le beau langage
Sur le Parnasse, un grand
remu-ménage:
Or il s'agit de prendre
son parti,
Avisez-y) vous estes bon
& sage:
Mais n'en voudrez avoir
.;
le dementi,
Je le vois bien, ÔC tiendrez
tousjours ferme
Pour le vieil goust. Qu'-
]entens-je par ce terme? entens celui d'Horace
& Ciceron,
Encor faut-il en conserver
le germe,
Et luy laisser au moins
- quelque Patron,
Vous risquez moins que
bien d'autres à l'estre.
Comme en cet art vous
estes un grand Maistre,
Peut-estre à vous le pardonnerat-
on!
, Anous chetifs, recognez
en Province,
Suivre convient l'usage
qui prévaut,
Pour
Pour resister nostre credit
est mince;
Et quant à moi qui crains
un peu la pince,
Bon-gré mal-gré c'est un
faire le faut:
Ma coustume est de peur
qu'on ne me sonde,
D'estre tousjours le premier
à crier,
Comme Salie, ami de
tout le monde,
Sur ce pied-là ne me suis
fait prier.
J'ai donc voulu,suivant
le nouveau Code,
Qu'ont establi maints &
maints beaux esprits,
Penfer
,
écrire & parler
-
à leur mode;
Ors écoutez comment je
my fuis pris.
En premier lieu j'aifait
plier bagage
An grand Virgile, Horace,
& leurs conforts , Vivants compris aussibien
que les morts;
Tels ont cedé sans murjii;
mure à l'orage ;
D'autres ont fait un peu
plus les mutins,
Mais beaucoup moins les
.1 Grecs que les Latins.
Juvenal chef de la mutinerie
, Ma regardé d'abord du
haut en bas,
Et me quittant aussi-tost
en furie,
A pris sa courseulira
sauromatas.
Vous faites bien ma dit
tout bas Horace,
Nous gasterions le bon
goust d'aujourd'hui,
Etj'en ferois autant à vostre
place;
Perse vouloit s'enaller
avec lui,
L'ai retenu par la manche
& pour cause;
Les Orateurs & tous les
gens deProse,
Grands chicaneurs ont
voulu marchander,
Et Ciceron pour la cause
publique,
Comme autrefois tousjours
prestàplaider,
A débuté par une Philippique,
J'estois perdu si j'avois
écouté
,
Mais l'ai d'abord dès FE"
xorde arresté ; -
Disant à tous, Medicursi
point de replique,
J'en suis honteux, mais
l'Arrest est porté, -.
En vous gardant l'on eust
mieux fait peut-estre,
Et resteriez si j'en estois
lemaistre : ,-
Mais comme fuis de l'avis
des plus forts
Voici la porte & voilà la
fenestre ;
Pouvez opter, mais vous
irez dehors
Plus indigné que confus
de l'ouvrage,
0 temps, ô moeurs ! s'écrioit
Ciceron.
Brefdu vieux temps dans
ce commun naufrager,
Ne se sauva que
PerîeSe
Lycophron,
Or ces Messieurs ayant
* tous pris la fuitey.
Vous jugez bien que justesse,
raison
Clarté, bon , sens
,
crai-
; gnant mesme poursuite
A petit bruit sortirent à
leur fuite ;
Nul ne resta, tout vuida
la maifbn,
Ce fut, Seigneur, une
belle décharge;
Auparavant j'estois comme
en prison:
Mais eux partis je me vois
bien au large.
Comment! tandis qu'ay
suivi leurs leçons,
Cent fois par jour j'estois
à la torture :
Pour faire un Vers c'estoit
plus de façons,
Heureux le mot qui passoit
sans rature,
Tantost le tour paroissoit
trop guindé,
Tantostla Phrase embarrassée,
obscure L'un , ne vouloit d'un terme
hasardé,
L'autre trouvoitl'expression
trop dure,
Tousjours
Tousjours la Regle &
l'Equerre à la main
Il , me falloit suivre jùf.
qu'à la fin
Le plan tracé sous peine
de censure,
M'en écarter n'estoit gueres
permis,
Mesme en donnant
mieux que n avois
promis.
Juste en ce point,il falloit
l'estre encore
Dans l'hyperbole&dans
la metaphore, -
Pour tel écart qui feroit
encensé,
Au temps present sous
nom de noble audace
Me fuis souventveu rudement
tancé;
Rien n'estoit beau s'il
n'estoitàsa place.
Les ornemens aûssî que
de raison
Estoientdemijfe3 &c l'on
pouyoit sansdoute
Cueillir des fleurs quand
c'estoit la saison,
Mais ilfalloit les trouver
V-• !
: sur sa route; > Le Synonime enhabit retourné,
Quoy qu'éclatant :n'cftoit
pas pardonné,
La plus pompeuse &
brillante épitete
On larayoit quand;;eilc
estoit muette. .- Pour un seul terme ou
froid ou négligé,
C'estoit pitié,lonnieuft
devisagé.
Rien ne passoits'il neftoitdecalibre;
Que vous dirai-jeenfin?
j'estoisàbout:
Orsdesormaisai secoüé
le joug,
Etje puis dire à present
je fuislibre;
Aussi bientostverrez ma
plumeenl'air,
En imitantlestile noble
& rare
Del'éloquentChancelier
de Navarre,
A chaque trait élancer
un éclair:
Je vais d'abord [our enrichir
mes rimes,
faire un amasde briUans
synonimes,
Et par cet art aujoufd'huy
si commun,
Dire en vingt mots ce
qu'on peut dire en un.
Tout paroistra, jusques
aux moindres fornettes,
Enluminé de nobles épitetes,
Et dansla foule égaré,
confondu,
L'objet qui plus dévoie
frapper laveuë,
Enveloppéde cette epaiC
: senuë,
Se trouvera presque
comme perdu
Enbel esprit qui creuse
& subtilise,
Je veux mefaire un patois
à ma guise,
Et sans toucher aux ter-
-; mes establis,
Que malgré nous maintient
un vieil usage,
Sous mesmes mots autrement
assortis,
Fairetrouver tout un autre
langage
Pour me former un stile
tout nouveau,
Un stile auquel nul au-
: ,
treneressemble; ;
J'accouplerai d'un bizar-
,
re pinceau
Traits qui jamais ne se
c
font vous ensemble:
Mon arc sur tout brillera
dans letour,
J'aurai grand foin qu'au
1,
langage il responde,
Tout fera neuf
, tout
~viendra par détour,
Ne fallust il dans ma ver-
-
ve seconde
Quevous donner feule-
- :j ment le bonjour,
J'amenerai cela du bout
du monde.
De suivre un ordre & se
tracer un plan,
D'avoir unbut, & ten-
:
dre à quelque chose
C'estestre esclave, & se
faire un Tyran,
Pour tien n'en veux, &
quoyque je propose,
£en avertis,&Cqu'on
l'entende bien.
C'est sans In'afireindre"
oum'engager a rien,
Je veux errer maistre de
la campagne,
Traisnant par tout mes
lecteurs esbahis
Tantost en France, SG
tantost en Espagney
Qui me suivra verra bien
du pays ;
J'irai bien viste,& me
suive qui m'aime,
Pas ne responds pourtant
qu'en me suivant
On ne se perde, helas
'xa le plus souvent
Dans mes écarts je me "perditmoi-mesme.
L'ouvrage fait, ilfaudra consulter,
Ainsi qu'en doit user tout
homme sage,
Simesme encor s'en tolere
l'usage :
Mais en ce point ne pre..
:
tends imiter
Cequefaisoitcet Auteur
quel'onvante,
Qui pour se rendre intelligible
entout,
Sur ses écrits consultoit
saservante.
Tout au rebours je veux
gens de haut goust,
Esprits perçants, déliez
& sublimes,
Devinant tout; puis leur
lisant mes rimes
Je leur crierai: dites par
vostrefoi,
M'entendez-vous? gens
': de bien, dites-moi;
Moins ils pourront com*
p,rendreà mon ou- f-.vwgeV'»Ï
Plus le croiraideslors de
bonalloy,
Et sur cela ne veuxd'aït
tre suffrage.
Vousblasmerezle pairi,
que je. prens,
Mais quoi,fèigneui',qae
voulez-vous qu'on fâflê,
Il se faut bien accommoi,
-
,
derautemps; .~,'
J'aimelapaix,je crains
; les différents,
..Et.-
-
ne veux point me
broüiller au Parnasse;
Mais après toutque
ront nos neveux? Ce qu'ilsdiront,ce sont
debeaux morveux
Pour nous reprendre ils
n'oseroient sans doute
Et puis d'ailleurssices
petits esprits
Veulent jamais gloser sur
nos écHtsy
Quinauts seront, car ils
n'y verront goute.
EPISTRE CRITlQUE
a Monsieur.faite
à l'occasion d'un Ouvrage
d'esprit obfckr
&guindéqu'on luy a
envoye dans sa retraite,
il feintingénieusement
quedepuisqu'il
est hors de Paris tous
les Ouvrages y sont
devenus obscurs (S
guindez comme celuy
qui luy a ejie envoyé.
DEpuis un temps mon
silence en fait foy,
Dans vos cantons n'oserois
plus écrire,
Grand Magistrat, si demandez
pourquoy , ,
Tout bonnement je m'en
vais vous le dire.
En maint écrit qu'à
Paris on admire,
Ou peu s'en faut
, ne
puis comprendre rien,
Le stile en est tres beau,
je le vois bien;
Mais tel qu'ilest, si n'y
puis rien entendre;
N'ay-je pas lieu d'apprehender
quau mien
Paris aussi ne puisse rien
comprendre?
Grand malm'en veux &
ne fuis point touché
D'avoir 1 esprit si dur 6C
si bouché,
Car j'ay beau faire, 6C
hausser mes lunettes,
Et Prose & Vers tout est
si haut perché
Qu'également je m'y
1 trouve empesché,
Et c'est tousjours pour
moy Lettres secrettes,
Goute n'y vois. Oh! que
tout a changé
Pour le langage, &que
dans la grand' Ville
Depuis le temps que j'en
fuis délogé
On s'est rendu subite--
ment habille !
Un point pourtant sur
cela m'a surpris,
Vous le dirai - je, excusez
ma franchise,
C'estvous, Seigneur, qui
causez ma surprise,
Tout ce qui part de vous
est d'un grand prix,
Et peut servir de régle
& de modelle;
C'estvérité dont personne
n'appelle,
Jugez par là de mon eftonnement.
Lorsqu'en discours sortis
de vostre bouche
A nousforains transmis
fidellement,
J'ay trouve tout énonce
clairement,
Rien de forcé, rien d'obscur,
rien de louche:
Est-ce donc là, d'abord
me suis-je dit,
Ce Magistrat dont par
toute la France
-
On prise tant le merveilleux
esprit ?
On vante tant la force &
l'éloquence? -
Je le croyois un Oracle
du temps,
Et cependant il parle, èC
je l'entens !
Je vous le dis, Seigneur,
c'est grand dommage,
Cette clarté qui fut une
, vertu
Au temps passé
,
n'est
plus du bel usage, --
Et ne voudrois en donnerunfestu:
On la souffroit jadis dans
lelangage
Quand on parloit afin
d'estre entendu;
Mais aujourd'huy que
l'on devient plus fagey
Adieu vous dis, son cre-
1 dit est perdu;
On a raison
, tout estoit
confondu.
Dans ce temps-là le peuple,
la canaille
Mettoit le nez dans les
meilleurs écrits
J'
Et décidoit souvent vaille
que vaille,
Chose indecente, & que
nos beaux esprits
N'ont deu souffrir
,
ils;
ont mis si bon ordre
A cet énorme Se vicieux
abus,
Que leurs écrits sont autant
de Rebus,
Enigmes mesme, & n'est
aisé d'y mordre;
Qui le pourroit? ils ne
se montrent plus
Qu'enveloppez de nuages
confus:
Impunément ils bravent
les orages
Tousjours guindez dans
le plus haut des airs;
De temps en temps du
fond de ces nuages
On voit sortir desflammesdes
éclairs ;
Un peu de bruit, &
beaucoup de fumée ;
Puis un essain, soidisant
Renommée,
Veut qu'on admire cC
nous en fait la loy ;
On obeït
, on crie à la
merveille,
Je crie aussi sans trop sçavoir
pourquoy ;
Mais si m'allois faire tirer
l'oreille
Aurais bientost la grand'
bande sur moy :
Pourquoi de peur qu'on
aille s'y méprendre
Je le déclare entant qu'il
est besoin,
Et s'il le faut vous en
prens à tesmoin,
J'admire tout sans le pouvoir
comprendre.
Pour ces Messieurs plus
ne puis,ni ne dois;
Car de vouloir que je les
-
puisse entendre
C'en feroit trop ,
Seigneur,
& je lescroy
Trop gens d'honneur,
: & trop de bonne foy
Pour l'exiger, bien loin
de le prétendre 1
Tous au contraire entre
eux-mesmes tout bas
Sont convenus qu'ils ne
s'entendroient pas.
Voila, Seigneur, touchant
le beau langage
Sur le Parnasse, un grand
remu-ménage:
Or il s'agit de prendre
son parti,
Avisez-y) vous estes bon
& sage:
Mais n'en voudrez avoir
.;
le dementi,
Je le vois bien, ÔC tiendrez
tousjours ferme
Pour le vieil goust. Qu'-
]entens-je par ce terme? entens celui d'Horace
& Ciceron,
Encor faut-il en conserver
le germe,
Et luy laisser au moins
- quelque Patron,
Vous risquez moins que
bien d'autres à l'estre.
Comme en cet art vous
estes un grand Maistre,
Peut-estre à vous le pardonnerat-
on!
, Anous chetifs, recognez
en Province,
Suivre convient l'usage
qui prévaut,
Pour
Pour resister nostre credit
est mince;
Et quant à moi qui crains
un peu la pince,
Bon-gré mal-gré c'est un
faire le faut:
Ma coustume est de peur
qu'on ne me sonde,
D'estre tousjours le premier
à crier,
Comme Salie, ami de
tout le monde,
Sur ce pied-là ne me suis
fait prier.
J'ai donc voulu,suivant
le nouveau Code,
Qu'ont establi maints &
maints beaux esprits,
Penfer
,
écrire & parler
-
à leur mode;
Ors écoutez comment je
my fuis pris.
En premier lieu j'aifait
plier bagage
An grand Virgile, Horace,
& leurs conforts , Vivants compris aussibien
que les morts;
Tels ont cedé sans murjii;
mure à l'orage ;
D'autres ont fait un peu
plus les mutins,
Mais beaucoup moins les
.1 Grecs que les Latins.
Juvenal chef de la mutinerie
, Ma regardé d'abord du
haut en bas,
Et me quittant aussi-tost
en furie,
A pris sa courseulira
sauromatas.
Vous faites bien ma dit
tout bas Horace,
Nous gasterions le bon
goust d'aujourd'hui,
Etj'en ferois autant à vostre
place;
Perse vouloit s'enaller
avec lui,
L'ai retenu par la manche
& pour cause;
Les Orateurs & tous les
gens deProse,
Grands chicaneurs ont
voulu marchander,
Et Ciceron pour la cause
publique,
Comme autrefois tousjours
prestàplaider,
A débuté par une Philippique,
J'estois perdu si j'avois
écouté
,
Mais l'ai d'abord dès FE"
xorde arresté ; -
Disant à tous, Medicursi
point de replique,
J'en suis honteux, mais
l'Arrest est porté, -.
En vous gardant l'on eust
mieux fait peut-estre,
Et resteriez si j'en estois
lemaistre : ,-
Mais comme fuis de l'avis
des plus forts
Voici la porte & voilà la
fenestre ;
Pouvez opter, mais vous
irez dehors
Plus indigné que confus
de l'ouvrage,
0 temps, ô moeurs ! s'écrioit
Ciceron.
Brefdu vieux temps dans
ce commun naufrager,
Ne se sauva que
PerîeSe
Lycophron,
Or ces Messieurs ayant
* tous pris la fuitey.
Vous jugez bien que justesse,
raison
Clarté, bon , sens
,
crai-
; gnant mesme poursuite
A petit bruit sortirent à
leur fuite ;
Nul ne resta, tout vuida
la maifbn,
Ce fut, Seigneur, une
belle décharge;
Auparavant j'estois comme
en prison:
Mais eux partis je me vois
bien au large.
Comment! tandis qu'ay
suivi leurs leçons,
Cent fois par jour j'estois
à la torture :
Pour faire un Vers c'estoit
plus de façons,
Heureux le mot qui passoit
sans rature,
Tantost le tour paroissoit
trop guindé,
Tantostla Phrase embarrassée,
obscure L'un , ne vouloit d'un terme
hasardé,
L'autre trouvoitl'expression
trop dure,
Tousjours
Tousjours la Regle &
l'Equerre à la main
Il , me falloit suivre jùf.
qu'à la fin
Le plan tracé sous peine
de censure,
M'en écarter n'estoit gueres
permis,
Mesme en donnant
mieux que n avois
promis.
Juste en ce point,il falloit
l'estre encore
Dans l'hyperbole&dans
la metaphore, -
Pour tel écart qui feroit
encensé,
Au temps present sous
nom de noble audace
Me fuis souventveu rudement
tancé;
Rien n'estoit beau s'il
n'estoitàsa place.
Les ornemens aûssî que
de raison
Estoientdemijfe3 &c l'on
pouyoit sansdoute
Cueillir des fleurs quand
c'estoit la saison,
Mais ilfalloit les trouver
V-• !
: sur sa route; > Le Synonime enhabit retourné,
Quoy qu'éclatant :n'cftoit
pas pardonné,
La plus pompeuse &
brillante épitete
On larayoit quand;;eilc
estoit muette. .- Pour un seul terme ou
froid ou négligé,
C'estoit pitié,lonnieuft
devisagé.
Rien ne passoits'il neftoitdecalibre;
Que vous dirai-jeenfin?
j'estoisàbout:
Orsdesormaisai secoüé
le joug,
Etje puis dire à present
je fuislibre;
Aussi bientostverrez ma
plumeenl'air,
En imitantlestile noble
& rare
Del'éloquentChancelier
de Navarre,
A chaque trait élancer
un éclair:
Je vais d'abord [our enrichir
mes rimes,
faire un amasde briUans
synonimes,
Et par cet art aujoufd'huy
si commun,
Dire en vingt mots ce
qu'on peut dire en un.
Tout paroistra, jusques
aux moindres fornettes,
Enluminé de nobles épitetes,
Et dansla foule égaré,
confondu,
L'objet qui plus dévoie
frapper laveuë,
Enveloppéde cette epaiC
: senuë,
Se trouvera presque
comme perdu
Enbel esprit qui creuse
& subtilise,
Je veux mefaire un patois
à ma guise,
Et sans toucher aux ter-
-; mes establis,
Que malgré nous maintient
un vieil usage,
Sous mesmes mots autrement
assortis,
Fairetrouver tout un autre
langage
Pour me former un stile
tout nouveau,
Un stile auquel nul au-
: ,
treneressemble; ;
J'accouplerai d'un bizar-
,
re pinceau
Traits qui jamais ne se
c
font vous ensemble:
Mon arc sur tout brillera
dans letour,
J'aurai grand foin qu'au
1,
langage il responde,
Tout fera neuf
, tout
~viendra par détour,
Ne fallust il dans ma ver-
-
ve seconde
Quevous donner feule-
- :j ment le bonjour,
J'amenerai cela du bout
du monde.
De suivre un ordre & se
tracer un plan,
D'avoir unbut, & ten-
:
dre à quelque chose
C'estestre esclave, & se
faire un Tyran,
Pour tien n'en veux, &
quoyque je propose,
£en avertis,&Cqu'on
l'entende bien.
C'est sans In'afireindre"
oum'engager a rien,
Je veux errer maistre de
la campagne,
Traisnant par tout mes
lecteurs esbahis
Tantost en France, SG
tantost en Espagney
Qui me suivra verra bien
du pays ;
J'irai bien viste,& me
suive qui m'aime,
Pas ne responds pourtant
qu'en me suivant
On ne se perde, helas
'xa le plus souvent
Dans mes écarts je me "perditmoi-mesme.
L'ouvrage fait, ilfaudra consulter,
Ainsi qu'en doit user tout
homme sage,
Simesme encor s'en tolere
l'usage :
Mais en ce point ne pre..
:
tends imiter
Cequefaisoitcet Auteur
quel'onvante,
Qui pour se rendre intelligible
entout,
Sur ses écrits consultoit
saservante.
Tout au rebours je veux
gens de haut goust,
Esprits perçants, déliez
& sublimes,
Devinant tout; puis leur
lisant mes rimes
Je leur crierai: dites par
vostrefoi,
M'entendez-vous? gens
': de bien, dites-moi;
Moins ils pourront com*
p,rendreà mon ou- f-.vwgeV'»Ï
Plus le croiraideslors de
bonalloy,
Et sur cela ne veuxd'aït
tre suffrage.
Vousblasmerezle pairi,
que je. prens,
Mais quoi,fèigneui',qae
voulez-vous qu'on fâflê,
Il se faut bien accommoi,
-
,
derautemps; .~,'
J'aimelapaix,je crains
; les différents,
..Et.-
-
ne veux point me
broüiller au Parnasse;
Mais après toutque
ront nos neveux? Ce qu'ilsdiront,ce sont
debeaux morveux
Pour nous reprendre ils
n'oseroient sans doute
Et puis d'ailleurssices
petits esprits
Veulent jamais gloser sur
nos écHtsy
Quinauts seront, car ils
n'y verront goute.
Fermer
Résumé : NOUVELLE. EPISTRE CRITIQUE à Monsieur .... faite à l'occasion d'un Ouvrage d'esprit obscur & guindé qu'on luy a envoyé dans sa retraite , il feint ingénieusement que depuis qu'il est hors de Paris tous les Ouvrages y sont devenus obscurs & guindez comme celuy qui luy a esté envoyé.
L'épître critique adressée à un grand magistrat retraité exprime la difficulté de l'auteur à comprendre les écrits contemporains parisiens. Il contraste l'obscurité de ces œuvres avec la clarté des discours du magistrat. L'auteur déplore que la clarté, autrefois valorisée, soit désormais délaissée au profit d'un style obscur et guindé, destiné à impressionner plutôt qu'à être compris. L'auteur décrit un changement radical dans le langage littéraire, où les écrits sont devenus des énigmes inaccessibles au commun des mortels. Il critique les auteurs contemporains qui, par orgueil, écrivent de manière obscure pour se distinguer. L'auteur décide alors de se conformer à ce nouveau style pour éviter les critiques, mais exprime son désir de revenir à une écriture plus claire et accessible. Il mentionne avoir banni les classiques comme Virgile et Horace, et avoir résisté aux tentatives de Cicéron et des orateurs de le convaincre de suivre leur exemple. Il se libère ainsi des contraintes du style actuel et aspire à créer un langage nouveau et personnel, rempli de synonymes et d'épithètes nobles, pour se démarquer tout en restant compréhensible pour les esprits subtils. L'auteur conclut en exprimant son souhait de ne pas se conformer aux attentes des critiques contemporains, préférant errer librement dans son écriture et laisser aux générations futures le jugement sur son œuvre.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 49-93
De la necessité de la critique, ou le grand Prevôt du Parnasse.
Début :
On gronde contre la satyre, [...]
Mots clefs :
Critique, Mal, Écrire, Ronsard, Bon, Visage, Satire, Prévôt, Cotin, Boileau
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texteReconnaissance textuelle : De la necessité de la critique, ou le grand Prevôt du Parnasse.
De la necessité de la critique,
ou le grand Prevôt
du Parnasse.
ON gronde contre la
satyre,
Et Cotin dit qu'on a raison:
Mais quoy que Cotin puisse
dire,
Dans l'étrange demangeaison
Qu'en nôtre siecle on a d'écrire
Ilnous faut ce cotre poison.
Ecrire en vers, écrire en
prose,
Au temps passé c'était un
art,
Au temps present c'est autre
chose:
Tant bien que mal, à tout
hazard,
Rime qui veut, qui veut
compose,
Se dit habile
, ou le suppose,
Entre au chorus, ou chante
a part,
Est pour un tiers, ou pour
un quart,
Fournie le texte, en fait la
glose,
Et tout le monde en veut
sa part.
Dites- nous, Muses, d'où
peut naître
, Cette heureusefeondité?
f Est-on savant quand on
-1-1 veut l'être?
j; Cela n'a pastoujours été;
Il en coûtoit à nos ancêtres
Ce , ne fut pas pour eux un
;,- jeu:
Ce qui coûtoit à ces grands
Maîtres,
D'où vient nous coûte-t-il
>
si peu?
Vanité sotte! qui presume
Par un aveugle & fol orgüell
De son efpric ôc de sa plume:
Voila d'abord le grand écüeil.
Item, le Temple de Memoire
Est un trés-dangereux appas:
Mais en griffonnant pour
la gloire
L'encre toûjours ne coule
pas,
Et quelquefois avient le
cas
Que l'on caffe son écritoire.
Item, soit à bon titreou
non,
On dit, mes oeuvres, mon
Libraire,
Et l'on voit en gros caractere
Afficher son livre & son
nom.
Item, chacun a sa folie;
Item, aujourd'hui tout est
bon,
Et tout ouvrage se publie.
Ce qu'un homme a rêvé la
nuit,
Ce qu'il a dit à sa servante,
Ce qu'il fait entre sept &
huit,
Qu'on l'imprime & le mette
en vente,
L'ouvrage trouve du débit;
Et quelquefois, sans qu'il
s'en vante,
L'auteur y gagne un bon
habit.
Item, quand on ne fçaic
mieux faire,
On forge, on ment dans
un écrit.
Item, on ne sçauroit se- taire,
Et nous avons tous trop
d'esprit.
Autre grand item, il faut vivre;
Voila comment se fait un
livre.
: De là nous viennent à foisonv
Maigres livrets de toute
forte;
Ils n'ont ni rime, ni raison,
Cela se vend toûjours, qu'-
importe?
Tous les sujets sont presque
usez
5 Et tous les titres épuisez,
Jusques à des Contes de
Fée,
Dont on a fait long-temps
trophée.
Le desordre croît tous les
jours,
Je crie, & j'appelle au secours;
Quand viendra-t-il quelque
critique
Pour reformer un tel abus,
Et purger nôtreRépubli-
,
que
De tant d'Ecrivains de Bibus?
A l'aspect d'un censeur farouche
Qui sçait faire valoir ses
droits,
Un pauvre auteur craindra
latouche,
Et devant que d'ouvrir la
bouche,
Y pensera plus de deux
fois.
Je touche une fâcheuse
corde,
Et crois déjà de tous côtez
Entendre à ce funeste exorde
Nombre d'auteurs épouvantez
Crier tout haut, Misericorde.
Soit fait, Messieurs,j'en
luisd'accord:
Mais quand le public en
furie
Contre vous & vos oeuvres
crie
Misericorde encor plus
fort,
Que lui répondre, je vous
prie?
1 C'est un mal, iél ne dis pas
non,
Qu'un censeurrigide & severe,
Qui le prend sur Le plus
haut ton,
Qu'on hait, & pourtant
qu'on revere:
Mais si c'est un mal
,
c'est
souvent
Un mal pour nous bien necessaire;
Un critique en pays sçavant
Fait le métier de Commisfaire.
Bornonsnous,sans aller
plus loin, *
A la feule gent poëtique;
Plus que tout autre elle a
-
besoin
Pour Commissaire,d'un critique.
1
Les Poëtes sont insolens,
Et souvent les plus miserables
Se trouvent les plus intraitables;
Fiers de leurs pretendus talens,
v
Ils prendront le pas au Parnaisse
Et sur Virgile & sur Horace,
S'il nest des censeurs vigilans
Pour chasser ces passe-volans,
-
Et marquer à chacun sa
place. -
D'abord ces petits avortons
Viennent se couler à tâ..
cons,
Ils sont soûmis, humbles,
dociles,
Souples à prendre les leçons
Des Horaces & desVirgiles,
Et devant ces auteurs habiles
Sont muëts comme des
poissons:
Mais quand enfin cette vermine
Sur leParnasse a pris racine,
Elle s'ameute & forme un
corps
Qui se révolte & se mutine.
,Dés qu'une fois elle domine,
Adieu Virgile & ses consors;
Dans quelque coin on les
consine,
Et si Phebus faisoit la mi
ne,
Lui-même on le mettroit
dehors.
*
Comment Ronsard & sa
pleyade, -
Dont un tem ps le regne a
duré,
Nousl'avoient ilsdéfiguré
Dans leur grotesque mascarade?
Plus bigaré qu'un Arlequin
Affublé d'un vieux cafaquin,
Fait a peu prés à la Françoise,
Mais d'étoffe antique &
Gauloise,
Sans goût, sans air, le tout
enfin
Brodé de Grec Ôc de Latin.
C'étoit dans ce bel équipage
Qu'Apollon noir comme
un lutin
Se faisoit partout rendre
hommage:
Mais après un long esclavage,
tEnfiin Méalhe,rbe en eut pi- tIC
J Et l'ayant pris en amitié,
Lui débarboüilla le visage,
Et le remit sur le bon pié,
Renvoyant à la friperie
Ses haillons & sa broderie.
Alors dans le sacré vallon
On
On décria la vieille mode,
Et Malherbe fous Apollon
Fit publier un nouveau code,
Défendant ces vieux passemens
Qu'avec de grands empressemens
On alloit chercher piece à
piece
Au Latium ôc dans la Grece.
Ronsard en fut triste & mâri
Perdant beaucoup à ce décri:
Il en pleura même, & de
rage
Il se souffleta le visage,
Es s'alla cacher dans un trou
En se souffletant tout son
soû.
Les Muses rn'iernefi,rent que
Et demandoient par quel
hazard
., Ronsard if-vanté pour bien dire
Donnoitdes soufflets à Kon*
fard.
Cependant tour changea
de face
Sur l'Helicon &:. le Parnasse;
C'étoit un air de propreté
Plein de grandeur & de
noblesse
; Rien de fade ni d'affecté
N'en alteroit la dignité ;
Le bon goût & la politesse
Brilloient dans la simplicite,
Laissant la frivole parure
Aux fades heros de Ro-
! mans: On emprunta de la nature
Ses plus superbes ornemens.
Vous eussiez vu les jours de
fêtes
Phebus & les neuf d#d:es
Soeurs.
N'employer pour orner
leurs réces
Que dès lauriers mêlez de
fleurs:- Mais cette mode trop unie
Ennuya bientôt, nos Fran-
-
çois; -
Au mépris, des nouvelles
loix
/Ils revinrent à leur génie,
Et reclamerent tous leurs
droits.
Nous aimons trop la bigarure
Jenepuis le dire assez haut
Voila nôtre premier défauc,
Et c'est depuis long temps
qu'il dure:
Il durera,j'enluis garanr,
Quoique le bon lens en
1 murmure.
Si l'on le quitte, on le reprend
Même en dépit de la cen- tre :
On veut du rare ôc du nouveau
#<i Le tout sans regle & sans
mesure,
On outre, on casse le pinceu:
Mais à charger trop le tableau,
On vient à gâter la peinture,
Et voulant le porrrait trop
beau,
On fait grimacer la figure.
Soit-Poëtes, soit Orateurs , C'estlàqu'en sont bien des
auteurs.
Nous nous mettons à la
torture
Pour alambiquer un écrit,
Nous voulons partout de
l'esprir,
Du brillant, de l'enluminure.
C'est un abus, ne forçons
rien,
Laissons travailler la nature,
Et sans effort nous ferons
bien;
Il en coûre pour l'ordinaire
Par cet entêtement fatal
Plus à certains pour faire
mal,
Qu'il n'en coûteroit pour
bien faire.
Mevoila dans un fort beau
champ:
Mais je prêche,& peut- être
ennuye
Comme bien d'autres en
prêchant.
Je finis donc, & je m'essuye.
Bel exemple sans me flater,
Si l'on vouloir en profiter.
Or durant cette maladie
Dont l'Helicon futinfecte,
On bannit la simplicité
SousMalherbe tant applaudie,
Pointes, équivoques dans
peu,
Et jeux de mots vinrent en
jeu:
On
On vit l'assemblage gro.
tesque
Du serieux ôc du burlefque;
Le Phebus, le Gali-Mathias
Parurent avec assurance,
t Et comme si l'on n'étoit
pas
Assez fou, quand on veut
en France,
On fut avec avidité
j Chercher jusques dansl'I
j taliGl
;
Des secours dont par charite
Elle assista nôtre folie.
Apollon se tuoit envain
De faife mainte remontrance,
Et de prêcher à toute outrance,
Nos gens suivoienttoujours
leur train,
Et tout alloit en decadence.
Mais quand ce Dieu plein
de prudence
Eut pris Boileau pour son
Prévôt,
Combiend'auteurs firent le
faut?
- On voyait décaler en bna-
-, -.
-
de
,
Tous ces Messieurs de contrebande.
Chapelain couvert de lauriers
Sauta lui-même des premiers
Et perdit,dit-o,n, dans la
crotte
Et sa perruque & sa calotte.
Il crioit prêt à trébucher:
Sauvez l'honneur de la pucelle.
Mais Boileau plus dur qu'un
rocher
N'eut pitié ni de lui, ni
d'elle.
Pradon voulant parlementer,,
Fit d'abord de la resistance,
Et parut quelque temps luter,
Même en Poëte d'importance;
Il appella de la sentence:
Mais il salut toûjours [au.
ter,
Et l'on n'a point jugé l'infiance.
Sous le manteau de Regulus
On eût épargné sa personne
Mais le pauvre homme n'a-
-
voit plus
Que le just-au-corps d'An-
-tigone. Quinaut par la foule emporte,
Quinaut même fie la culbute:.
Mais un appel interjetté
, Le vangea bientôt de sa
chute.
On vit les Musses en rumeur
A l'envi prendre en main
sa cause.
Quelques gens de mau
vaise humeur
Vouloient pouffer plus loin
la chose,
Insistant qu'on fîst au plûtôt
Le procès au pauvre Prevot:
Mais helas ! qu'un Prévôt
s'echape,
Le cas estdigne de pardon
;
Il n'est pas infaillible, non:
Plus ne pretendroir, fût-il
Pape.
Cependant les plus emportez
Dans cette. émeute générale
Estoient les rimeurs maltraitez.
Les Cotins chefs de la ca- A
bale
Murmuroient & crioient
tout haut:
Voyez-moy ce Prevôt de bale,
Il n'a pas épargné Quinaut.
Mais Phebusd'uneoeillade
fiere
Les rejettant avec mépris,
Leur dit d'un ton ferme &
severe:
Paix, canailles de beaux
esprits,
Qui n'avez fait ici que braire;
Si sur Quinauton s'est mélpris,
J'y veillerai, c'est mon af-
*
faire;
Quantàvous, perdez toue
espoir,
Et ne me rompez plus la
tête,
Mon Prévôt a fait son devoir.
Ainsi se calma la tempête,
Et Quinaut s'étant presenté,
Dans ses griefs fut écouré.
On déclara, vû la Requête,
Bien appelle comme, d'abus,
Dont le Prévôt resta camus.
Il fut même sur le Parnasse
Reglé sans contestation,
Qu'auprès d'Orphée &
d'Amphion
Il iroit reprendre sa place;
Et puis Phebus, d'un air
humain,
Lui mit sa propre lyre en
main,
Non que la sienne fût usée:
Mais par un noble & fier
dédain
De la voir à tort meprisee,
En tombantillavoit briféc.
On en fit recueillir soudain
Tous les morceaux jusques
au moindre:
Mais on les recueillit en
vain,
Et l'on ne put bien les rejoindre.
Tel fut le destin de Quinaut,
Seul de tous où le Commissaire,
A son égard un peu Corfaire,
- S'était trouvé pris en dé- faut: Pourtant en paya-t-il l'amende
,
Et de mainte Mufe en couroux
Essuya verte reprimande,
On a dit même quelques
coups.
Dans tout le reste irréprochabie,
Faisant sa charge avec hauceur,
A tout mauvais & sot auteur
II fut Prevôt inexorable
Sur les grands chemins
d'Helicon)
Donc il fit presque un Montfaucon.
On voyoit de loin les sque-
-lettes
De cent miserables Poètesy-
Exemple dont le seul afpeér
Tenoit les rimeurs en respect.
Il est bien vrai qu'en sa
vieillesse
Il laissa tour à l'ab andon,
Et fit sa charge avec molette.
Quand on est vieux, on
devient bon.
Un reste de terreur cmpreinte
Retenoit pourtant les efprits,
Et l'on ne pensoit qu'avec
crainte
Au fort de tant d'auteurs
proscrits.
Dans cette vieillesse impuissante
Son ombre encore menaçante
Arrêtoit les plus resolus:;
Mais cette ombre fiere ôc
glaçante,
Cette ombre même, helas!
nest plus.
Cependant danscetinterregne
Tout dégénéré & déperit;
Et faute d'un Prevôt qu'on
craigne,
Chacun sur pied de bel
esprit
Arbore déja son enseigne.
Les Cotins bravant les lardons,
De tous côtez (emblenc renaître,
Et comme en un temps de
pardons,
On voit hardiment reparaître
Les Pelletiers & les Pradons.
Apollon, c'est vous que
j'appelle,
Dece mal arrêtez le cours; Le prix de la gloire immortelle
Est en proye aux joueurs de
viele,
Et la plus brillante des
Cours,
Vôtre Cour, autrefois si
belle,
Devient un Grenier de Ga.,
belle,
Et s'encanaille tous les
jours.
Déja qui veut sur le Parnasse
S'établit comme en son
foyer:
Tel croit tour charmer, qui
croasse;
Tel en chantant semble
aboyer;
Tel rimant sans grâce efficace,
Passe tout le jour à broyer,
Et fait des vers, qui, quoy
qu'il sa sse,
-
Semblent tous faits par contumace.
Tel pour tout titre & tout
loyer
Tire
Tire du fonddesa besace
Des vers qu'il prit à la tirace,.
«
Sçavant dans l'art de g1 iboyer.
Confonduparmi cette cras
se
Corneille, pour garder sa
place,
En est reduit à guerroyer,
Et Racine rencontre en
face
Tantôcle Clerc, tantôt
Boyer.
Quel depit pour le grand
Horace!
D'avoir à soûtenir l'audace
D'un fat qui vient le coudoyer.
Le mal plus loin va se répandre,
Si l'on n'y met ordre au plûtôr5
Muses, songez à vous défendre:
Au fpecifiquc, un bon Prévôt.
Un bon Prévôt ! mais où le
prendre?
Je pourrois, s'il m'étoit
permis,
En nommer un, digne de
l'être:
Par ses soins en honneur
remis,
Et plus grand qu'iln'étoit
peut-être,
Homere assez le fait connOlere.
II a tous les talens qu'il faut
Pour un employ si necessaire;
Je ne lui vois qu'un seul
défaut,
C'est que ce métier salutaire
De blâmer ce qui doit dé.
plaire,
De reprendre & n'épargner
rien,
Ce métier qu'il seroit si
bien,
Il ne voudra jamais le faire.
Attaqué par maint traie
selon,
Jamais cótre le noirfrelon
Il n'employa ses nobles
veilles
Et comme le Roy des abeilles
Il fut toujours sans aiguillon.
A son défaut, cherchez
quelqu'autre,
Qui plus hardi, qui moins
humain,
, Pour vôtregloire & pour
la nôtre
Ose à l'oeuvre mettre la
main.
Du Parnasse arbitre supra
me,
Si
vousprisez
Sivouspriiez mon zzcellce
extrême,
Faites-le voirenm'exau,
çant: Helas peut -
être en vous
pressant
Fais-je des voeux contre
moy-même !
ou le grand Prevôt
du Parnasse.
ON gronde contre la
satyre,
Et Cotin dit qu'on a raison:
Mais quoy que Cotin puisse
dire,
Dans l'étrange demangeaison
Qu'en nôtre siecle on a d'écrire
Ilnous faut ce cotre poison.
Ecrire en vers, écrire en
prose,
Au temps passé c'était un
art,
Au temps present c'est autre
chose:
Tant bien que mal, à tout
hazard,
Rime qui veut, qui veut
compose,
Se dit habile
, ou le suppose,
Entre au chorus, ou chante
a part,
Est pour un tiers, ou pour
un quart,
Fournie le texte, en fait la
glose,
Et tout le monde en veut
sa part.
Dites- nous, Muses, d'où
peut naître
, Cette heureusefeondité?
f Est-on savant quand on
-1-1 veut l'être?
j; Cela n'a pastoujours été;
Il en coûtoit à nos ancêtres
Ce , ne fut pas pour eux un
;,- jeu:
Ce qui coûtoit à ces grands
Maîtres,
D'où vient nous coûte-t-il
>
si peu?
Vanité sotte! qui presume
Par un aveugle & fol orgüell
De son efpric ôc de sa plume:
Voila d'abord le grand écüeil.
Item, le Temple de Memoire
Est un trés-dangereux appas:
Mais en griffonnant pour
la gloire
L'encre toûjours ne coule
pas,
Et quelquefois avient le
cas
Que l'on caffe son écritoire.
Item, soit à bon titreou
non,
On dit, mes oeuvres, mon
Libraire,
Et l'on voit en gros caractere
Afficher son livre & son
nom.
Item, chacun a sa folie;
Item, aujourd'hui tout est
bon,
Et tout ouvrage se publie.
Ce qu'un homme a rêvé la
nuit,
Ce qu'il a dit à sa servante,
Ce qu'il fait entre sept &
huit,
Qu'on l'imprime & le mette
en vente,
L'ouvrage trouve du débit;
Et quelquefois, sans qu'il
s'en vante,
L'auteur y gagne un bon
habit.
Item, quand on ne fçaic
mieux faire,
On forge, on ment dans
un écrit.
Item, on ne sçauroit se- taire,
Et nous avons tous trop
d'esprit.
Autre grand item, il faut vivre;
Voila comment se fait un
livre.
: De là nous viennent à foisonv
Maigres livrets de toute
forte;
Ils n'ont ni rime, ni raison,
Cela se vend toûjours, qu'-
importe?
Tous les sujets sont presque
usez
5 Et tous les titres épuisez,
Jusques à des Contes de
Fée,
Dont on a fait long-temps
trophée.
Le desordre croît tous les
jours,
Je crie, & j'appelle au secours;
Quand viendra-t-il quelque
critique
Pour reformer un tel abus,
Et purger nôtreRépubli-
,
que
De tant d'Ecrivains de Bibus?
A l'aspect d'un censeur farouche
Qui sçait faire valoir ses
droits,
Un pauvre auteur craindra
latouche,
Et devant que d'ouvrir la
bouche,
Y pensera plus de deux
fois.
Je touche une fâcheuse
corde,
Et crois déjà de tous côtez
Entendre à ce funeste exorde
Nombre d'auteurs épouvantez
Crier tout haut, Misericorde.
Soit fait, Messieurs,j'en
luisd'accord:
Mais quand le public en
furie
Contre vous & vos oeuvres
crie
Misericorde encor plus
fort,
Que lui répondre, je vous
prie?
1 C'est un mal, iél ne dis pas
non,
Qu'un censeurrigide & severe,
Qui le prend sur Le plus
haut ton,
Qu'on hait, & pourtant
qu'on revere:
Mais si c'est un mal
,
c'est
souvent
Un mal pour nous bien necessaire;
Un critique en pays sçavant
Fait le métier de Commisfaire.
Bornonsnous,sans aller
plus loin, *
A la feule gent poëtique;
Plus que tout autre elle a
-
besoin
Pour Commissaire,d'un critique.
1
Les Poëtes sont insolens,
Et souvent les plus miserables
Se trouvent les plus intraitables;
Fiers de leurs pretendus talens,
v
Ils prendront le pas au Parnaisse
Et sur Virgile & sur Horace,
S'il nest des censeurs vigilans
Pour chasser ces passe-volans,
-
Et marquer à chacun sa
place. -
D'abord ces petits avortons
Viennent se couler à tâ..
cons,
Ils sont soûmis, humbles,
dociles,
Souples à prendre les leçons
Des Horaces & desVirgiles,
Et devant ces auteurs habiles
Sont muëts comme des
poissons:
Mais quand enfin cette vermine
Sur leParnasse a pris racine,
Elle s'ameute & forme un
corps
Qui se révolte & se mutine.
,Dés qu'une fois elle domine,
Adieu Virgile & ses consors;
Dans quelque coin on les
consine,
Et si Phebus faisoit la mi
ne,
Lui-même on le mettroit
dehors.
*
Comment Ronsard & sa
pleyade, -
Dont un tem ps le regne a
duré,
Nousl'avoient ilsdéfiguré
Dans leur grotesque mascarade?
Plus bigaré qu'un Arlequin
Affublé d'un vieux cafaquin,
Fait a peu prés à la Françoise,
Mais d'étoffe antique &
Gauloise,
Sans goût, sans air, le tout
enfin
Brodé de Grec Ôc de Latin.
C'étoit dans ce bel équipage
Qu'Apollon noir comme
un lutin
Se faisoit partout rendre
hommage:
Mais après un long esclavage,
tEnfiin Méalhe,rbe en eut pi- tIC
J Et l'ayant pris en amitié,
Lui débarboüilla le visage,
Et le remit sur le bon pié,
Renvoyant à la friperie
Ses haillons & sa broderie.
Alors dans le sacré vallon
On
On décria la vieille mode,
Et Malherbe fous Apollon
Fit publier un nouveau code,
Défendant ces vieux passemens
Qu'avec de grands empressemens
On alloit chercher piece à
piece
Au Latium ôc dans la Grece.
Ronsard en fut triste & mâri
Perdant beaucoup à ce décri:
Il en pleura même, & de
rage
Il se souffleta le visage,
Es s'alla cacher dans un trou
En se souffletant tout son
soû.
Les Muses rn'iernefi,rent que
Et demandoient par quel
hazard
., Ronsard if-vanté pour bien dire
Donnoitdes soufflets à Kon*
fard.
Cependant tour changea
de face
Sur l'Helicon &:. le Parnasse;
C'étoit un air de propreté
Plein de grandeur & de
noblesse
; Rien de fade ni d'affecté
N'en alteroit la dignité ;
Le bon goût & la politesse
Brilloient dans la simplicite,
Laissant la frivole parure
Aux fades heros de Ro-
! mans: On emprunta de la nature
Ses plus superbes ornemens.
Vous eussiez vu les jours de
fêtes
Phebus & les neuf d#d:es
Soeurs.
N'employer pour orner
leurs réces
Que dès lauriers mêlez de
fleurs:- Mais cette mode trop unie
Ennuya bientôt, nos Fran-
-
çois; -
Au mépris, des nouvelles
loix
/Ils revinrent à leur génie,
Et reclamerent tous leurs
droits.
Nous aimons trop la bigarure
Jenepuis le dire assez haut
Voila nôtre premier défauc,
Et c'est depuis long temps
qu'il dure:
Il durera,j'enluis garanr,
Quoique le bon lens en
1 murmure.
Si l'on le quitte, on le reprend
Même en dépit de la cen- tre :
On veut du rare ôc du nouveau
#<i Le tout sans regle & sans
mesure,
On outre, on casse le pinceu:
Mais à charger trop le tableau,
On vient à gâter la peinture,
Et voulant le porrrait trop
beau,
On fait grimacer la figure.
Soit-Poëtes, soit Orateurs , C'estlàqu'en sont bien des
auteurs.
Nous nous mettons à la
torture
Pour alambiquer un écrit,
Nous voulons partout de
l'esprir,
Du brillant, de l'enluminure.
C'est un abus, ne forçons
rien,
Laissons travailler la nature,
Et sans effort nous ferons
bien;
Il en coûre pour l'ordinaire
Par cet entêtement fatal
Plus à certains pour faire
mal,
Qu'il n'en coûteroit pour
bien faire.
Mevoila dans un fort beau
champ:
Mais je prêche,& peut- être
ennuye
Comme bien d'autres en
prêchant.
Je finis donc, & je m'essuye.
Bel exemple sans me flater,
Si l'on vouloir en profiter.
Or durant cette maladie
Dont l'Helicon futinfecte,
On bannit la simplicité
SousMalherbe tant applaudie,
Pointes, équivoques dans
peu,
Et jeux de mots vinrent en
jeu:
On
On vit l'assemblage gro.
tesque
Du serieux ôc du burlefque;
Le Phebus, le Gali-Mathias
Parurent avec assurance,
t Et comme si l'on n'étoit
pas
Assez fou, quand on veut
en France,
On fut avec avidité
j Chercher jusques dansl'I
j taliGl
;
Des secours dont par charite
Elle assista nôtre folie.
Apollon se tuoit envain
De faife mainte remontrance,
Et de prêcher à toute outrance,
Nos gens suivoienttoujours
leur train,
Et tout alloit en decadence.
Mais quand ce Dieu plein
de prudence
Eut pris Boileau pour son
Prévôt,
Combiend'auteurs firent le
faut?
- On voyait décaler en bna-
-, -.
-
de
,
Tous ces Messieurs de contrebande.
Chapelain couvert de lauriers
Sauta lui-même des premiers
Et perdit,dit-o,n, dans la
crotte
Et sa perruque & sa calotte.
Il crioit prêt à trébucher:
Sauvez l'honneur de la pucelle.
Mais Boileau plus dur qu'un
rocher
N'eut pitié ni de lui, ni
d'elle.
Pradon voulant parlementer,,
Fit d'abord de la resistance,
Et parut quelque temps luter,
Même en Poëte d'importance;
Il appella de la sentence:
Mais il salut toûjours [au.
ter,
Et l'on n'a point jugé l'infiance.
Sous le manteau de Regulus
On eût épargné sa personne
Mais le pauvre homme n'a-
-
voit plus
Que le just-au-corps d'An-
-tigone. Quinaut par la foule emporte,
Quinaut même fie la culbute:.
Mais un appel interjetté
, Le vangea bientôt de sa
chute.
On vit les Musses en rumeur
A l'envi prendre en main
sa cause.
Quelques gens de mau
vaise humeur
Vouloient pouffer plus loin
la chose,
Insistant qu'on fîst au plûtôt
Le procès au pauvre Prevot:
Mais helas ! qu'un Prévôt
s'echape,
Le cas estdigne de pardon
;
Il n'est pas infaillible, non:
Plus ne pretendroir, fût-il
Pape.
Cependant les plus emportez
Dans cette. émeute générale
Estoient les rimeurs maltraitez.
Les Cotins chefs de la ca- A
bale
Murmuroient & crioient
tout haut:
Voyez-moy ce Prevôt de bale,
Il n'a pas épargné Quinaut.
Mais Phebusd'uneoeillade
fiere
Les rejettant avec mépris,
Leur dit d'un ton ferme &
severe:
Paix, canailles de beaux
esprits,
Qui n'avez fait ici que braire;
Si sur Quinauton s'est mélpris,
J'y veillerai, c'est mon af-
*
faire;
Quantàvous, perdez toue
espoir,
Et ne me rompez plus la
tête,
Mon Prévôt a fait son devoir.
Ainsi se calma la tempête,
Et Quinaut s'étant presenté,
Dans ses griefs fut écouré.
On déclara, vû la Requête,
Bien appelle comme, d'abus,
Dont le Prévôt resta camus.
Il fut même sur le Parnasse
Reglé sans contestation,
Qu'auprès d'Orphée &
d'Amphion
Il iroit reprendre sa place;
Et puis Phebus, d'un air
humain,
Lui mit sa propre lyre en
main,
Non que la sienne fût usée:
Mais par un noble & fier
dédain
De la voir à tort meprisee,
En tombantillavoit briféc.
On en fit recueillir soudain
Tous les morceaux jusques
au moindre:
Mais on les recueillit en
vain,
Et l'on ne put bien les rejoindre.
Tel fut le destin de Quinaut,
Seul de tous où le Commissaire,
A son égard un peu Corfaire,
- S'était trouvé pris en dé- faut: Pourtant en paya-t-il l'amende
,
Et de mainte Mufe en couroux
Essuya verte reprimande,
On a dit même quelques
coups.
Dans tout le reste irréprochabie,
Faisant sa charge avec hauceur,
A tout mauvais & sot auteur
II fut Prevôt inexorable
Sur les grands chemins
d'Helicon)
Donc il fit presque un Montfaucon.
On voyoit de loin les sque-
-lettes
De cent miserables Poètesy-
Exemple dont le seul afpeér
Tenoit les rimeurs en respect.
Il est bien vrai qu'en sa
vieillesse
Il laissa tour à l'ab andon,
Et fit sa charge avec molette.
Quand on est vieux, on
devient bon.
Un reste de terreur cmpreinte
Retenoit pourtant les efprits,
Et l'on ne pensoit qu'avec
crainte
Au fort de tant d'auteurs
proscrits.
Dans cette vieillesse impuissante
Son ombre encore menaçante
Arrêtoit les plus resolus:;
Mais cette ombre fiere ôc
glaçante,
Cette ombre même, helas!
nest plus.
Cependant danscetinterregne
Tout dégénéré & déperit;
Et faute d'un Prevôt qu'on
craigne,
Chacun sur pied de bel
esprit
Arbore déja son enseigne.
Les Cotins bravant les lardons,
De tous côtez (emblenc renaître,
Et comme en un temps de
pardons,
On voit hardiment reparaître
Les Pelletiers & les Pradons.
Apollon, c'est vous que
j'appelle,
Dece mal arrêtez le cours; Le prix de la gloire immortelle
Est en proye aux joueurs de
viele,
Et la plus brillante des
Cours,
Vôtre Cour, autrefois si
belle,
Devient un Grenier de Ga.,
belle,
Et s'encanaille tous les
jours.
Déja qui veut sur le Parnasse
S'établit comme en son
foyer:
Tel croit tour charmer, qui
croasse;
Tel en chantant semble
aboyer;
Tel rimant sans grâce efficace,
Passe tout le jour à broyer,
Et fait des vers, qui, quoy
qu'il sa sse,
-
Semblent tous faits par contumace.
Tel pour tout titre & tout
loyer
Tire
Tire du fonddesa besace
Des vers qu'il prit à la tirace,.
«
Sçavant dans l'art de g1 iboyer.
Confonduparmi cette cras
se
Corneille, pour garder sa
place,
En est reduit à guerroyer,
Et Racine rencontre en
face
Tantôcle Clerc, tantôt
Boyer.
Quel depit pour le grand
Horace!
D'avoir à soûtenir l'audace
D'un fat qui vient le coudoyer.
Le mal plus loin va se répandre,
Si l'on n'y met ordre au plûtôr5
Muses, songez à vous défendre:
Au fpecifiquc, un bon Prévôt.
Un bon Prévôt ! mais où le
prendre?
Je pourrois, s'il m'étoit
permis,
En nommer un, digne de
l'être:
Par ses soins en honneur
remis,
Et plus grand qu'iln'étoit
peut-être,
Homere assez le fait connOlere.
II a tous les talens qu'il faut
Pour un employ si necessaire;
Je ne lui vois qu'un seul
défaut,
C'est que ce métier salutaire
De blâmer ce qui doit dé.
plaire,
De reprendre & n'épargner
rien,
Ce métier qu'il seroit si
bien,
Il ne voudra jamais le faire.
Attaqué par maint traie
selon,
Jamais cótre le noirfrelon
Il n'employa ses nobles
veilles
Et comme le Roy des abeilles
Il fut toujours sans aiguillon.
A son défaut, cherchez
quelqu'autre,
Qui plus hardi, qui moins
humain,
, Pour vôtregloire & pour
la nôtre
Ose à l'oeuvre mettre la
main.
Du Parnasse arbitre supra
me,
Si
vousprisez
Sivouspriiez mon zzcellce
extrême,
Faites-le voirenm'exau,
çant: Helas peut -
être en vous
pressant
Fais-je des voeux contre
moy-même !
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Résumé : De la necessité de la critique, ou le grand Prevôt du Parnasse.
Le texte 'De la nécessité de la critique, ou le grand Prévôt du Parnasse' critique la prolifération de mauvais écrivains et l'absence de critique rigoureuse dans le monde littéraire. L'auteur déplore que, contrairement aux époques passées où écrire était un art exigeant, l'écriture est aujourd'hui accessible à tous, souvent sans talent ni effort. Il observe que la vanité et la quête de gloire poussent les auteurs à publier des œuvres de mauvaise qualité, parfois même mensongères ou plagiaires. L'auteur souligne l'importance d'un critique sévère pour purger la république littéraire de ces mauvais écrivains. Il rappelle l'exemple de Malherbe, qui avait réformé la poésie française en bannissant les vieilles modes et en imposant un nouveau code de goût. Cependant, cette réforme n'a pas duré, et les écrivains français sont revenus à leurs anciennes habitudes, préférant la bigarrure et le nouveau au détriment de la simplicité et de la qualité. Le texte mentionne également l'exemple de Boileau, nommé Prévôt du Parnasse par Apollon, qui a sévèrement critiqué et sanctionné les mauvais poètes, comme Chapelain et Pradon. Cependant, même Boileau a commis une erreur en condamnant injustement Quinaut, qui a finalement été réhabilité. L'auteur conclut en appelant à la nomination d'un nouveau Prévôt du Parnasse, capable de restaurer l'ordre et la qualité dans la littérature. Il suggère Homère pour ce rôle, bien que ce dernier refuse probablement de s'engager dans une tâche aussi ingrate. Le texte présente également une métaphore comparant un roi à une abeille, soulignant qu'il fut toujours sans aiguillon, c'est-à-dire sans agressivité. Il exprime le souhait de trouver un successeur plus audacieux et moins humain pour assurer la gloire collective. Le poète se désigne comme l'arbitre suprême du Parnasse, invitant quelqu'un à prendre sa place. Il mentionne son extrême célébrité et exprime un dilemme intérieur, se demandant s'il ne formule pas des vœux contre lui-même en souhaitant être remplacé.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 1136-1142
REFLEXIONS sur la Question proposée dans le Mercure de Mars dernier. Pourquoi a-t'on plus de peine à pardonner à ceux qui prennent plaisir à voir les personnes calomniées, qu'à ceux qui sont Auteurs de la calomnie.
Début :
Il est naturel de pérvoir que l'on pourroit douter du fait énoncé dans [...]
Mots clefs :
Calomnie, Question, Personnes, Mal, Pardonner, Vol, Imagination
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS sur la Question proposée dans le Mercure de Mars dernier. Pourquoi a-t'on plus de peine à pardonner à ceux qui prennent plaisir à voir les personnes calomniées, qu'à ceux qui sont Auteurs de la calomnie.
REFLEXIONS sur la Question proposée
dans le Mercure de Mars dernier .
Pourquoi a- t'on plus de peine à pardonner
à ceux qui prennent plaisir à voir les
personnes calomniées , qu'à ceux qui sont
Auteurs de la calomnie.
Lest naturel de prévoir que l'on
pourroit douter du fait énoncé dans
cette Question ; il se trouvera peut- être
1. Vol. peu
JUIN. 1733
1137
peu de personnes qui le connoissent par
experience , et encore moins qui se le
persuadent sans en avoir des preuves. A
la premiere vûë on jugeroit que tout le
poids de l'animosité et de l'indignation
devroit tomber plutôt sur les Auteurs
de la calomnie . Le crime le plus énorme
paroîtroit moins pardonnable et parconsequent
plus difficile à oublier ; or on
ne peut douter que celui qui invente
une calomnie ne soit beaucoup plus criminel
que ceux qui l'approuvent ou qui
s'en réjouissent, puisqu'il est la cause premiere
et principale du dépérissement ou
de la ruine entiere de l'honneur. Coml'on
sup- ment donc accorder le fait que
pose avec la raison ?
Mais il ne faut pas toujours chercher
la raison dans la passion ; il est même assez
rare que celle- cy , quand elle est violente,
ne l'obscurcisse ou ne l'éteigne presqu'entierement.
La haine est une passion
des plus vives , des plus impétueuses
des plus difficiles à surmonter ; il ne faut
donc pas être surpris si dans ses furieux
accès elle n'écoute pas la raison , si elle
est capricieuse et qu'elle s'acharne sans
discernement sur le premier objet qui
la frappe et qui l'anime.
Cependant j'aurois peine à souscrire à
I. Vol.
la
1138 MERCURE DE FRANCE
la Question de fait dans toute sa géné
ralité. Je veux bien croire qu'il se trouve
des personnes qui ont plus de peine à
pardonner à ceux qui se font un plaisir
de les voir calomniées ; mais est - il
à présumer que cela arrive toujours , ou
même ordinairement , comme on le donne
à entendre dans la Question proposée
? Peut-on supposer comme un fait
constant que tout le monde prend le
même parti , a les mêthes interêts , les
mêmes vûës , la même difficulté dans la
comparaison des Auteurs et des Approbateurs
de la calomnie ? Ne seroit-il
point mieux de dire que cette détermination
dépend du génie , du caractere
des personnes et de la diversité des circonstances,
qui font que les uns sont plus
frappez de la malice des Calomniateurs ,
et d'autres plus touchez de l'indigne complaisance
de ceux qui les approuvent et
qui se réjouissent aux dépens d'une rêputation
décriée ?
Les Esprits sont si differens , les tours
d'imagination si diversifiez , les circonstances
si variées , qu'on ne peut rien statuer
de fixe sur quelques exemples que
l'on pourroit alleguer pour établir la généralité
du fait ; Ainsi le point juste de
la difficulté consiste à sçavoir pourquoi
1. Vol.
quelJUIN.
1733 1139
quelques- uns ont plus de peine à pardonner
à ceux qui prennent plaisir à
voir les personnes calomniées , qu'à ceux
qui sont auteursdes calomnies ? Čela peut
venir de differentes causes.
1º. Il n'est pas ordinaire qu'un homme
cherche de sang froid à nous faire du
mal , et qu'il ait l'ame assez noire pour
répandre contre nous de faux bruits , sans
qu'il se croye lui - même offensé ; qu'il
s'imagine avoir lieu de se plaindre de
nous , et que , de quelque maniere que ce
soit , imprudemment ou même innocemment
, notre conduite , nos manieres , nos
discours ayent donné lieu à son animosité.
Il n'en est pas de même de ceux qui
se plaisent à l'entendre , et qui se réjouissent
de nous voir déchirez par sa mauvaise
langue . Ils n'y ont le plus souvent
aucun interêt , ils ne sçauroient alleguer
aucun prétexte pour se déclarer nos ennemis
; on suppose que ce ne peut être
que pure malignité , et que la seule dépravation
du coeur les porte à se réjouir
du mal qu'on nous fait et à voir avec
plaisir les traits que la calomnie lance
contre nous. S'ils ne sont pas dans le
fond les plus coupables , ils peuvent cependant
le paroître à cet égard et dans
ce point de vûë qui frappera la personne
1
1. Vol. E offensée;
1140 MERCURE DE FRANCE
offensée ; et elle sera plus difficile à en
revenir.
2º. Si ceux qui se réjouissent de voir
une personne deshonorée par la calomnie
, sont de ses parens , de ses amis , et
semblent plus obligez que d'autres à
prendre sa deffense , on conçoit aisément
que cette personne pourra être plus outrée
de colere contre des parens si dénaturez
, contre des amis si infidelles
contre des gens si lâches et si traîtres
que contre le premier mobile des sinis.
tres impressions qui le décréditent dans
le monde , et qu'elle aura plus de peine
à se résoudre de leur pardonner.
,
3. Celui dont l'honneur est attaqué
fera peut- être attention que la calomnie
tomberoit d'elle- même, s'il ne se trouvoit
personne qui la reçût avec plaisir . Saisi
de cette pensée , il s'en prendra principalement
à ceux qu'il croira lui avoir
fait plus de tort , en donnant cours aux
mauvais bruits qui se repandent sur son
compte , et qu'il n'auroit tenu qu'à eux
d'arrêter par le mépris ou l'indignation
qu'ils eussent témoignée au calomniateur;
pendant qu'un autre dans la même situarion
, sera tout occupé de l'injustice criante
du détracteur qui l'a noirci d'un crime
supposé, qu'il ne regardera que lui , qu'il
L. Vol. en
JUIN. 1733. 1141
en fera l'unique ou le principal objet de
sa haine. Tout cela ne dépend que de
l'imagination et de la maniere dont on
conçoit une même chose qui a differentes
faces.
4°. La calomnie reçûë avec plaisir , se
divulgue de même, et prend de nouveaux
accroissemens en passant de bouche en
bouche. On enchérit sur ce que l'on a
entendu dire , on y ajoute de nouveaux
traits encore plus perçans et plus mortels
, ou du moins on l'autorise , on l'appuye
, on lui donne plus de force ; et
si le fourbe qui l'a inventée n'est pas
croyable par lui-même , il le devient par
l'aveu et l'approbation des personnes qui
se plaisent à l'entendre , et qui témoi
gnent ajoûter foi à ses discours impos
teurs. La calomnie ainsi soutenue et ac
créditée pourra faire de plus cruelles
blessures dans celui qu'elle attaque ;
il en aura le coeur plus ulceré contre les
personnes par la faute desquelles il s'apperçoit
que le mal devient presque irréparable.
Mais il faut qu'il s'en apperçoive
, qu'il y fasse attention , et qu'il en
soit plus touché que de la malice même
du premier auteur de la calomnie , ce
qui n'arrive qu'en certaines rencontres.
Enfin plusieurs ne remontent point à
1. Vel.
Eij l'origine
142 MERCURE DE FRANCE
l'origine du mal , et ne regardent que ce
qui les blesse immédiatement. Cet air de
joye et de satisfaction qu'ils remarquent
dans les personnes qui applaudissent à la
calomnie , les pénetre vivement , et leur
fait presque oublier la calomnie même
et son auteur ; ils s'imaginent que c'est.
les insulter dans leur malheur que d'y
prendre plaisir , et cette insulte leur est
plus sensible que le mal qu'on leur fait 3
Ils n'y voyent que malignité , que cruauté
, qu'inhumanité , mais c'est leur imagination
qui travaille et qui grossit les
objets. La plupart de ceux qui se plaisent
à écouter les médisances , le font plutôt
par legereté et par un penchant trop naturel
à l'homme , qui le porte à s'entretenir
volontiers des défauts de ses semblables,
et à se réjouir quand on les releve,
sans presque s'appercevoir de ce déreglement
et y faire réfléxion.
Je ne prétends pas par là excuser ces
sortes de personnes qui sont réellement
très-coupables , mon dessein est seulement
de faire sentir qu'elles ne le song
pas plus que les auteurs de la calomnie
et que c'est sans raison qu'on a quelque
fois plus de peine à leur pardonner.
S. L. SIMONNET , Prieur d'Heurgeville ,
dans le Mercure de Mars dernier .
Pourquoi a- t'on plus de peine à pardonner
à ceux qui prennent plaisir à voir les
personnes calomniées , qu'à ceux qui sont
Auteurs de la calomnie.
Lest naturel de prévoir que l'on
pourroit douter du fait énoncé dans
cette Question ; il se trouvera peut- être
1. Vol. peu
JUIN. 1733
1137
peu de personnes qui le connoissent par
experience , et encore moins qui se le
persuadent sans en avoir des preuves. A
la premiere vûë on jugeroit que tout le
poids de l'animosité et de l'indignation
devroit tomber plutôt sur les Auteurs
de la calomnie . Le crime le plus énorme
paroîtroit moins pardonnable et parconsequent
plus difficile à oublier ; or on
ne peut douter que celui qui invente
une calomnie ne soit beaucoup plus criminel
que ceux qui l'approuvent ou qui
s'en réjouissent, puisqu'il est la cause premiere
et principale du dépérissement ou
de la ruine entiere de l'honneur. Coml'on
sup- ment donc accorder le fait que
pose avec la raison ?
Mais il ne faut pas toujours chercher
la raison dans la passion ; il est même assez
rare que celle- cy , quand elle est violente,
ne l'obscurcisse ou ne l'éteigne presqu'entierement.
La haine est une passion
des plus vives , des plus impétueuses
des plus difficiles à surmonter ; il ne faut
donc pas être surpris si dans ses furieux
accès elle n'écoute pas la raison , si elle
est capricieuse et qu'elle s'acharne sans
discernement sur le premier objet qui
la frappe et qui l'anime.
Cependant j'aurois peine à souscrire à
I. Vol.
la
1138 MERCURE DE FRANCE
la Question de fait dans toute sa géné
ralité. Je veux bien croire qu'il se trouve
des personnes qui ont plus de peine à
pardonner à ceux qui se font un plaisir
de les voir calomniées ; mais est - il
à présumer que cela arrive toujours , ou
même ordinairement , comme on le donne
à entendre dans la Question proposée
? Peut-on supposer comme un fait
constant que tout le monde prend le
même parti , a les mêthes interêts , les
mêmes vûës , la même difficulté dans la
comparaison des Auteurs et des Approbateurs
de la calomnie ? Ne seroit-il
point mieux de dire que cette détermination
dépend du génie , du caractere
des personnes et de la diversité des circonstances,
qui font que les uns sont plus
frappez de la malice des Calomniateurs ,
et d'autres plus touchez de l'indigne complaisance
de ceux qui les approuvent et
qui se réjouissent aux dépens d'une rêputation
décriée ?
Les Esprits sont si differens , les tours
d'imagination si diversifiez , les circonstances
si variées , qu'on ne peut rien statuer
de fixe sur quelques exemples que
l'on pourroit alleguer pour établir la généralité
du fait ; Ainsi le point juste de
la difficulté consiste à sçavoir pourquoi
1. Vol.
quelJUIN.
1733 1139
quelques- uns ont plus de peine à pardonner
à ceux qui prennent plaisir à
voir les personnes calomniées , qu'à ceux
qui sont auteursdes calomnies ? Čela peut
venir de differentes causes.
1º. Il n'est pas ordinaire qu'un homme
cherche de sang froid à nous faire du
mal , et qu'il ait l'ame assez noire pour
répandre contre nous de faux bruits , sans
qu'il se croye lui - même offensé ; qu'il
s'imagine avoir lieu de se plaindre de
nous , et que , de quelque maniere que ce
soit , imprudemment ou même innocemment
, notre conduite , nos manieres , nos
discours ayent donné lieu à son animosité.
Il n'en est pas de même de ceux qui
se plaisent à l'entendre , et qui se réjouissent
de nous voir déchirez par sa mauvaise
langue . Ils n'y ont le plus souvent
aucun interêt , ils ne sçauroient alleguer
aucun prétexte pour se déclarer nos ennemis
; on suppose que ce ne peut être
que pure malignité , et que la seule dépravation
du coeur les porte à se réjouir
du mal qu'on nous fait et à voir avec
plaisir les traits que la calomnie lance
contre nous. S'ils ne sont pas dans le
fond les plus coupables , ils peuvent cependant
le paroître à cet égard et dans
ce point de vûë qui frappera la personne
1
1. Vol. E offensée;
1140 MERCURE DE FRANCE
offensée ; et elle sera plus difficile à en
revenir.
2º. Si ceux qui se réjouissent de voir
une personne deshonorée par la calomnie
, sont de ses parens , de ses amis , et
semblent plus obligez que d'autres à
prendre sa deffense , on conçoit aisément
que cette personne pourra être plus outrée
de colere contre des parens si dénaturez
, contre des amis si infidelles
contre des gens si lâches et si traîtres
que contre le premier mobile des sinis.
tres impressions qui le décréditent dans
le monde , et qu'elle aura plus de peine
à se résoudre de leur pardonner.
,
3. Celui dont l'honneur est attaqué
fera peut- être attention que la calomnie
tomberoit d'elle- même, s'il ne se trouvoit
personne qui la reçût avec plaisir . Saisi
de cette pensée , il s'en prendra principalement
à ceux qu'il croira lui avoir
fait plus de tort , en donnant cours aux
mauvais bruits qui se repandent sur son
compte , et qu'il n'auroit tenu qu'à eux
d'arrêter par le mépris ou l'indignation
qu'ils eussent témoignée au calomniateur;
pendant qu'un autre dans la même situarion
, sera tout occupé de l'injustice criante
du détracteur qui l'a noirci d'un crime
supposé, qu'il ne regardera que lui , qu'il
L. Vol. en
JUIN. 1733. 1141
en fera l'unique ou le principal objet de
sa haine. Tout cela ne dépend que de
l'imagination et de la maniere dont on
conçoit une même chose qui a differentes
faces.
4°. La calomnie reçûë avec plaisir , se
divulgue de même, et prend de nouveaux
accroissemens en passant de bouche en
bouche. On enchérit sur ce que l'on a
entendu dire , on y ajoute de nouveaux
traits encore plus perçans et plus mortels
, ou du moins on l'autorise , on l'appuye
, on lui donne plus de force ; et
si le fourbe qui l'a inventée n'est pas
croyable par lui-même , il le devient par
l'aveu et l'approbation des personnes qui
se plaisent à l'entendre , et qui témoi
gnent ajoûter foi à ses discours impos
teurs. La calomnie ainsi soutenue et ac
créditée pourra faire de plus cruelles
blessures dans celui qu'elle attaque ;
il en aura le coeur plus ulceré contre les
personnes par la faute desquelles il s'apperçoit
que le mal devient presque irréparable.
Mais il faut qu'il s'en apperçoive
, qu'il y fasse attention , et qu'il en
soit plus touché que de la malice même
du premier auteur de la calomnie , ce
qui n'arrive qu'en certaines rencontres.
Enfin plusieurs ne remontent point à
1. Vel.
Eij l'origine
142 MERCURE DE FRANCE
l'origine du mal , et ne regardent que ce
qui les blesse immédiatement. Cet air de
joye et de satisfaction qu'ils remarquent
dans les personnes qui applaudissent à la
calomnie , les pénetre vivement , et leur
fait presque oublier la calomnie même
et son auteur ; ils s'imaginent que c'est.
les insulter dans leur malheur que d'y
prendre plaisir , et cette insulte leur est
plus sensible que le mal qu'on leur fait 3
Ils n'y voyent que malignité , que cruauté
, qu'inhumanité , mais c'est leur imagination
qui travaille et qui grossit les
objets. La plupart de ceux qui se plaisent
à écouter les médisances , le font plutôt
par legereté et par un penchant trop naturel
à l'homme , qui le porte à s'entretenir
volontiers des défauts de ses semblables,
et à se réjouir quand on les releve,
sans presque s'appercevoir de ce déreglement
et y faire réfléxion.
Je ne prétends pas par là excuser ces
sortes de personnes qui sont réellement
très-coupables , mon dessein est seulement
de faire sentir qu'elles ne le song
pas plus que les auteurs de la calomnie
et que c'est sans raison qu'on a quelque
fois plus de peine à leur pardonner.
S. L. SIMONNET , Prieur d'Heurgeville ,
Fermer
Résumé : REFLEXIONS sur la Question proposée dans le Mercure de Mars dernier. Pourquoi a-t'on plus de peine à pardonner à ceux qui prennent plaisir à voir les personnes calomniées, qu'à ceux qui sont Auteurs de la calomnie.
Le texte publié dans le Mercure de France en juin 1733 aborde la difficulté de pardonner à ceux qui prennent plaisir à voir les personnes calomniées par rapport à ceux qui sont auteurs de la calomnie. Cette observation semble paradoxale, car la calomnie est un crime grave. Cependant, la haine, une passion violente, peut obscurcir la raison et rendre difficile le discernement. L'auteur ne généralise pas cette observation et suggère que la difficulté de pardonner dépend du caractère des personnes et des circonstances. Plusieurs raisons expliquent pourquoi certains trouvent plus difficile de pardonner à ceux qui se réjouissent des calomnies. Premièrement, les calomniateurs ont souvent un motif personnel, tandis que ceux qui se réjouissent des calomnies agissent par pure malignité. Deuxièmement, si les personnes qui se réjouissent des calomnies sont des parents ou des amis, la colère peut être plus intense. Troisièmement, la victime peut blâmer ceux qui donnent crédit aux calomnies, car cela permet à la calomnie de se propager. Enfin, la calomnie, une fois approuvée, se divulgue et s'amplifie, causant des blessures plus profondes. L'auteur conclut que la plupart des gens qui se réjouissent des médisances le font par légèreté et un penchant naturel à critiquer les autres, sans se rendre compte de leur déraison. Il ne cherche pas à excuser ces personnes, mais à expliquer pourquoi elles peuvent sembler aussi coupables que les auteurs de la calomnie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 1949-1974
LETTRE à l'Auteur du Projet d'une nouvelle Edition des Essais de Montaigne, imprimé dans le second volume du Mercure de Juin 1733. Par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croissic en Bretagne.
Début :
Les Essais de Montaigne ne m'eurent pas si-tôt passé par les mains, Monsieur, [...]
Mots clefs :
Montaigne, Style, Traduction, Langue, Homme, Lettre, Français, Pensée, Original, Épithète, Mal, Traduire, Virgile, Lettres, Anciens, Manière, Grand, Yeux, Auteurs, Marville
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE à l'Auteur du Projet d'une nouvelle Edition des Essais de Montaigne, imprimé dans le second volume du Mercure de Juin 1733. Par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croissic en Bretagne.
LETTRE à l'Auteur du Projet d'une
nouvelle Edition des Essais de Montaigne
, imprimé dans le second volume
du Mercure de Juin 1733. Par Mlle de
Malcrais de la Vigne , du Croissie en
Bretagne.
I
Lipas
Es Essais de Montaigne ne m'eurent
si-tôt passé
passé par
les mains , Monsieur
, que je me vis au nombre de ses
Partisans. J'admirai ses pensées , et je
n'aimai pas moins les graces et la naïveté
de son stile. Après ce début je puis vous
déclarer à la franquette ce que je pense.
de l'entreprise que vous formez d'ha
biller Montaigne à la moderne , changeant
sa fraise en tour de cou son pourpoint
éguilletté , en habit à paniers ; son
grand chapeau élevé en pain de sucre ,
en petit fin castor de la hauteur de quacre
doigts , &c.
Traduire en Langue Françoise un Auteur
Original , qui vivoit encore au com-
C men
1950 MERCURE DE FRANCE
que
mencement de 1592. et dont l'Ouvrage
est écrit dans la même Langue , me paroît
un projet d'une espece singuliere ,
et vous en convenez vous- même. Ce
n'est ppaass qquuee je nie l'échantillon
que
vous produisez de votre stile , n'ait du
mérite et qu'il ne vous fasse honneur ; il
est pur, élegant, harmonieux ; ses liaisons
peut-être un peu trop étudiées en font
un contraste avec celui de Seneque ,
qu'un Empereur Romain comparoit à
du sable sans chaux. Si la France n'eût
point vû naître un Montaigne avant
vous , vous pourriez , en continuant sur
le même ton , prétendre au même rang ;
mais souffrez que je vous dise que les
charmes de votre stile ne font que blanchir
, en voulant joûter contre ceux du
vieux et vrai Montaigne.
Il n'en est pas de la Traduction que
vous entreprenez , comme de rendre en
François un Auteur qui a travaillé avec
succès dans une Langue morte. Peu de
personnes sont en état de comparer le
Grec de l'Iliade avec la Traduction Françoise
de Me Dacier. Si ceux qui possedent
le mieux cette Langue , sont assez
habiles pour juger des pensées , ils ne
le sont point pour prononcer sûrement
sur l'expression , de- là vient que Me Dacier
་
SEPTEMBRE .
1733.
1951
cier
trouvera
toujours des
Avocats pour
et contre . L'un
soutiendra que tel endroit
est rendu à
merveille , un autre
prétendra
que non ; ou plutôt sans rien affirmer
, l'un dira credo di si et l'autre credo
di nà. Pour moi je
m'imagine que nous
marchons à tâtons dans le goût de l'Ansiquité
, et que la
prévention nous porte
souvent à regarder
comme
beautez dans
les
Anciens , ce qui n'est
souvent que
méprise ou
négligence. J'en ai vû , qui
ne
s'estimoient
chiens au petit collier
dans la
République des
Lettres , je les
ai vû , dis je , se
passionner
d'admiration
pour ce Vers de Virgile.
Cornua
velatarum
obvertimus
antennarum .
Admirez , me disoient- ils , la chute
grave de ces grands mots.Ils ne sont point
là sans dessein. Ne sentez vous pas dans
ce Vers
spondaïque le dur travail des
Matelots , qui se fatiguent à tourner les
Vergues d'un
Vaisseau , pesantes et chargées
de voilure ? Il me semble , répons
dois-je , que je sens quelque chose ; mais
n'y auroit- il point à craindre que vous
et moi nous ne fussions la duppe du préjugé
? L'idée
avantageuse et pleine de
respect que vos Maîtres vous inspirent
dès votre bas âge , pour tout ce qui nous
Cij reste
1952 MERCURE DE FRANCE
reste de ces celebres Auteurs , demeure ,
pour ainsi dire , cloüée dans vos têtes .
Mucho se conserva lo que en la mocedad
se deprende.
Si Virgile revenoit au monde , il nous
montreroit que nous louons dans ses Ouvrages
beaucoup de choses qu'il eût réformées
, s'il en cût eu le temps ou de
moins s'il l'eût pû faire ; et qu'au contraire
nous passons legerement sur plu
sieurs endroits dont il faisoit grande estime.
Cette Epithete , nous diroit- il , ce
monosillabe gracieux , à quoi vous ne
faites point attention , fut cause que je
veillai plus d'une nuit , et je vous jure
qu'il me fallut fouiller dans tous les
coins de mon cerveau avant que de parvenir
à le dénicher..
On raconte que notre Santeüil füt
travaillé d'une longue insomnie pour
trouver une Epithete qui pût exprimer
le son du marteau qui bat sur l'enclume.
Après bien des nuits passées commes
les Lievres , l'Epithete tant souha
tée se présenta , c'étoit refugus. Cette
rencontre fut pour lui un Montje
il se leve aussi - tôt , fait grand bruit
court par les Dortoirs , sans penser qu'il
étoit nud en chemise , frappe à toutes le
portes , les Chanoines se réveillent , l'a
larr
.
SEPTEMBRE . 1733. 1953
*
larme les saisit ; tous se figurent qu'un
subit incendie dans la maison est la
cause d'un pareil'vacarme. Enfin , quand
il fut question d'en sçavoir le sujet , Santeüil
leur apprit d'un ton fier , qu'il
avoit interrompu leur sommeil leur
pour
faire part d'une rare Epithete qu'il venoit
de trouver , ayant couru vainement
après elle pendant toute une Semaine..
Je vous laisse à penser si les Chanoines
se plurent beaucoup à cette farce ; ils
donnerent au D ..... l'Epithete et le
Poëte. N'importe , il les obligea de l'entendre
, sans quoi , point de patience . Les
Chanoines l'écouterent en se frottant les
yeux , et se hâterent d'applaudir , afin
de se défaire plus vîte d'un importun..
Santeuil retourna se coucher en faisant
des gambades , non moins content du
tour qu'il venoit de jouer , que d'avoir
trouvé l'Epithete qu'il cherchoit. Là finit
cette plaisante Scene que je ne donne
point pour article de foi.
C'est la gloire de passer pour avoir.
plus d'intelligence qu'un autre , qui engage
un Commentateur à se creuser le
erveau pour chercher dans cette Strophe
, dans cette expression d'Horace ,
un sens alambiqué dont personne n'ait
fait la découverte avant lui , quoique
Ciij nous
1954 MERCURE DE FRANCE
nous ne soyons pas plus au fait de la
propre signification des mots Grecs et
Latins , que de leur prononciation ; un
tel homme se croit un Christophle Colomb
dans le Pays des Belles- Lettres . Cependant
nous nous dépouillons nousmêmes
pour revétir les Anciens , et nous
donnons au Commentaire un temps qui
seroit plus utilement employé à l'invention
. C'est dans ce sens que je veux entendre
ici ce Passage de Quintilien : Supervacuus
foret in studiis longior labor , si nihil
liceret meliùs invenire præteritis. Il y en
a qui se sont figuré que Virgile dans
son Eglogue à Pollion , avoit prédit la
Naissance de Jesus- Christ . Les Romains
curieux d'apprendre ce qui leur devoit arriver
, avoient la superstition de le chercher
dans les Livres de ce Poëte , après
avoir choisi dans leur idée le premier ,
le second , ou tout autre Vers de la page
que le sort leur offroit , pour être l'interprete
du Destin . C'étoit- là ce qu'ils
appelloient Sortes Virgiliana . Nos premiers
François en croyoient autant des
Livres de la Sainte Ecriture . D'autres
non moins extravagans , se sont per
suadé que les principes de toutes les
Sciences et de la Magie même , étoient
renfermez dans les Poëmes d'Homere , et
LuSEPTEMBRE
. 1733. 1955
Lucien fait mention d'un faux Prophete
nommé Alexandre qui prétendoit qu'un
certain Vers d'Homere , écrit sur les portes
des Maisons , avoit la vertu de préserver
de la peste. Les hommes sont idolâtres
, non- seulement des Ouvrages d'esprit
des Anciens , mais même de tout ce
qui respire le moindre air d'Antiquité ,
et tel Curieux qui croiroit avoir parmi
ses possessions la Pantoufle de fer qui
sauta du pied d'Empedocle , quand il se
lança dans les flammes du Mont Etna, ne
voudroit peut-être pas faire échange de
cette Relique avec tous les Diamans du
Royaume de Golconde.
il`se
Tout beau , Mademoiselle , s'écriera
quelque Censeur aux sourcis herissez ,
compassant et nivelant toutes mes phra
ses , vous nous agencez ici de singulieres
digressions , et prenez un air scientifique
qui vous sied assez mal. Sçavez
vous qu'en vous écartant de votre sujet
vous péchez contre le précepte d'Horace.
Servetur ad imum;
Qualis ab incepto processerit , et sibi constet.
Et que vous donnez dans un si grand
ridicule , que l'Abbé Ménage , qui après
avoir parcouru dans sa cervelle , le La.
C iiij tium
1956 MERCURE DE FRANCE
tium , la Grece , l'Allemagne , l'Espagne ,
et peut- être la Chine et la Turquie
pour trouver l'origine du mot Equus
crut enfin l'avoir rencontré en Italie
et fit descendre en ligne directe ou collaterale
, Equus , du mot Italien Alfana
étimologie misérablement écorchée que
le Chevalier de Cailli ou d'Aceilli ;
fronda dans une jolie
Epigrammesétimologie
qui présente à mes yeux l'Arbre
Généalogique de plusieurs Maisons nouvellement
nobles , qui vont mandier à
prix d'argent en Irlande et en Italie , de
belles branches qu'elles entent ensuite
sur le tronc le plus. vil , de sorte qu'à
l'examiner de près , vous verriez du Laurier
, de l'Oranger , de l'Olivier et du,
Grenadier , entez sur un mauvais trou
de chou.
Si je fais des digressions dans la Lettre
que je vous adresse , Monsieur , ce
n'est point par affectation , mais par coûtume.
De plus comme il s'agit ici principalement
de Montaigne, je tache d'imiter
un peu son stile . Ses transitions sont fréquentes
, mais elles ont de la grace , et
comme elles se viennent placer pour l'or-,
dinaire très naturellement , l'Auteur fait
voir qu'il sçait écrire d'une maniere vive ,
aisée et indépendante. Cependant vous.
eussiez
SEPTEMBRE. 1733. 1957
eussiez pû l'attaquer en ce qu'il abandonne
quelquefois tellement son Sujet ,
que si l'on revient à voir comment il
a intitulé tel Chapitre , on s'imaginera
que l'Imprimeur s'est trompé et qu'il
a mis un titre au lieu d'un autre .
Vous aurez encore une nouvelle matiere
à me faire un procès , sur ce qu'en me :
déclarant contre ceux qui encensent à
l'aveugle les Anciens , et préconisent jusqu'à
leurs défauts , je me révolte contre
le desssein que vous avez de tourner
le Gaulois de Montaigne à la Françoise ,.
et que je semble braver le Précepte de
Macrobe , dans ses Saturnales , Vivamus:
moribus præteritis , præsentibus verbis loquamur.
Dans ce que j'ai avancé je n'ai
prétendu parler que des Langues mor--
tes. J'ai frondé les Commentaires prolixes
et superflus , sans condamner ab
solument les Traductions . J'ai blâmé :
Pidolâtrie sans desaprouver les sentimens
d'estime qu'on doit à tant de beautez
originales qui brillent dans les Livres des
Anciens .
Quant à Montaigne , je ne convien--
drai pas qu'il soit aussi Gaulois que vous
voudriez le faire croire. Si vous parliez
de traduire en François les Poësies Gau
loises de Bérenger , Comte de Provence,
GNI Ou
3
1958 MERCURE DE FRANCE
ou celle de Thibaut , Comte de Champagne
, qui rima d'amoureuses Chansons.
en l'honneur de la Reine Blanche , Mere
de S. Loiis ; à la bonne heure. Le stilede
ce temps- là est si different du nôtre,
qu'il semble que ce ne soit plus la même
Langue. Mais Montaigne , on l'entend ,
il n'est personne que son stile vif et varié
n'enchante , et je puis sans flaterie ,
ajuster à son sujet ces paroles d'un de
nos vieux Auteurs. C'est un bel esprit
doué de toutes les graces , gentillesses , cour
toisies et rondeurs que l'on peut souhaiter.
En effet il faut être perclus d'esprit , sh
l'on ne comprend point ses phrases les.
plus difficiles , pour peu qu'on s'y arrête.
L'utilité que produira votre Traduction
prétendue , ce sera de faire lire Montaigne
à quelques personnes curieuses de
voir la difference de son stile au vôtre..
Pour peu qu'en quelques endroits le vô
tre demeure au -dessous du sien , ses beautez
en recevront un nouvel éclat , et on
s'obstinera à lui trouver par tout le méme
mérite , afin de rabaisser celui de votre
Traduction . Il n'en est pas de Montaigne
comme de Nicole et de la Bruye ,
re. Quoique ceux- cy possedent bien leur
langue , neanmoins la plus grande partie
de leur valeur est dans les pensées ,
au
SEPTEMBRE . 1733. 1959.
au lieu que
les graces
de
l'autre sont
également
partagées
entre le sentiment
et la diction , toute vieille qu'elle est.
Quand il invente des termes , ils sont
expressifs et ne sçauroient se suppléer
avec le même
agrément et la même force.
Ses tours gascons qui dérident sa morale
, servent par tout à égayer le Lecteur.
Ses
négligences
mêmes ne sont
point
désagréables , ce sont des Ombres
au Tableau. Etienne
Pasquier , dans le
premier Livre de ses Lettres , blâme la
hardiesse de Clément Marot , qui s'avisa
mal-à- propos de ressacer le stile du Roman
de la Rose , commencé
par Guillaume
de Loris et continué par Clopinel.
Il n'y a , dit- il , homme docte entre
nous , qui ne lise les doctes Ecrits de Maître
Alain Chartier, et qui n'embrasse le Roman
de la Rose , lequel à la mienne volonté
, que par une bigarure de langage vieux
et nouveau , Clément Marot n'eût pas vou
In habiller à sa mode.
Mais examinons ce que signifie le terme
de Traduction , conformément au
sens qu'on lui a donné chez toutes les
Nations. Traduire , c'est , si je ne me ·
trompe , rendre en une autre Langue les
pensées , le stile et tout l'esprit d'un Au
seur. Votre Traduction peut- elle avoir
C vj
les
1960 MERCURE DE FRANCE
les qualitez prescrites ? Je ne sçaurois me
le persuader. Elle est faite en même
Langue , et par conséquent ne doit point
être appellée Traduction , et votre stile.
n'ayant nul rapport à celui de Montaigne
, ses pensées déguisées ne seront
aucunement semblables à elles - mêmes..
C'est pourquoi Scarron n'a point traduit.
l'Eneïde , mais il l'a parodié. Le stile de
Montaigne est un mêlange d'enjoüé et
de sérieux , assaisonné réciproquement
P'un par l'autre. Il ne paroît point qu'il
marche , mais qu'il voltige ; au lieu que
le vôtre cheminant d'un pas grave et
composé , représente un Magistrat qui
marche en Procession , et dont la pluye ,
la grêle et la foudre ne dérangeroient
pas la fiere contenance. ;
Sifractus illabatur Orbis , T
Impavidum ferient ruinas
Virgile se donna- t'il les airs de rajeu- ,
nir le bon homme Ennius ! et notre Ab
bé D. F *** Maître passé en fine plaisanterie
, oseroit- il couper la barbe à
Rabelais et le mutiler ? Ces soins scru
puleux convenoient seulement au P.
J*********qu'Apollon a établi son Chirur
gien Major sur le Parnasse , depuis lequel
temps un Poëte ne se hazarde
P
pas
même
SEPTEMBRE . 1733. 1964
même d'y prononcer le terme de fistula,.
de crainte que l'équivoque de quelque
maladie ne le fasse livrer entre ses mains
Au sur- plus la République des Lettres
n'y perdra rien , si Montaigne n'est point
lû de ceux qui sont rebutez de refléchiz
un moment sur quelques - unes de ses
phrases. Ce sont , sans doute , des génies
superficiels , incapables d'attention et
prêts peut- être à se dédire quand vous .
les aurez mis à même en couvrant le
vieux Montaigne d'une Rédingotre à la
mode. Le Bembo , dans ses Observations
sur la Langue Italienne , dit qu'il n'appartient
: pas à là Multitude de décider ·
des Ouvrages des Sçavans . Non è la Mul
titudine quella , che alle compositioni d'al
cun secolo dona grido , mà sono pochissimi
huomini di ciascun secolo , al giudicio de
quali , percioche sono essi più dotti degli
altri riputati , danno poi le Genti e la Multitudine
fede , che per se sola giudicare non
sa drittamente , è quella parte si piega colle :
sue voci , à che ella pochi huomini che io
dico sente piegare.
Les sçavans Jurisconsultes balancerent :
long- temps à traduire en notre Langue
les Instituts de Justinien , ne voulant
pas que ce précieux Abregé des Loix Romaines
, réservé pour les Juges et less
Avocats,
1962 MERCURE DE FRANCE
Avocats , s'avilit en passant par la Boutique
triviale des Procureurs , ausquels
il convient de travailler de la main de
toute façon , plutôt que de la tête . Ayols
les mêmes égards pour Montaigne , qui
n'en vaudra pas moins tout son prix ,
pour n'être point lû des Précieuses et
des petits Maîtres , Nation ignorante à
la fois et décisive , qui préfere le Roman
le plus plat aux Productions les plus solides.
Ah! Monsieur , que vous feriez une
oeuvre méritoire , et que vous rendriez
un grand service à la Province de Bretagne
, si vous vouliez , vous qui vous
montrez si charitable pour le Public
prendre la peine de traduire en François
intelligible notre Coûtume , dont les
Gauloises équivoques sont des pépinieres
de procès ! Mais ne vous fais - je point le
vôtre mal à propos , Monsieur ?voyons
et comparons quelques phrases de votre
Traduction avec l'Original .
Dans le premier Chapitre l'Auteur loüe
la constance du Capitaine Phiton , qui
témoignoit une insigne grandeur d'ame ,
au milieu des tourmens qu'on lui faisoit
souffrir , par les ordres de Denis le Tiran.
Il eut , dit Montaigne , le courage
toujours constant sans se perdre, et d'un visage
SEPTEMBRE . 1733. 1963
ge toujours ferme , alloit au contraire , ramentevant
à haute voix l'honorable et glorieuse
cause de sa mort , pour n'avoir voulu
rendre son Pays entre les mains d'un Tiran
, le menaçant d'une prochaine punition
des Dieux. Ce stile n'est- il pas nerveux ,
vif , soutenu , et comparable à celui dece
Rondeau dont la Bruyere fait si
grande estime.
Bien à propos s'en vint Ogier en France
Pour le Pays des Mécréans monder , &c.
Comparons maintenant au Gaulois de
Montaigne votre Traduction , mais Phiton
parut toujours ferme et constant , pu- ри
bliant à haute voix l'honorable et glorieuse
cause du tourment indigne qu'on lui faisoit
souffrir. Convenez que l'Original n'a pas
moins de force et de noblesse que la
Traduction ; qu'alloit est plus propre que
parut , d'autant que Phiton étoit foüetté
par les rues , et que publiant n'est pas.
si expressif que ramentevant , qui signifie
qu'il mettoit sous les yeux du Peuple
la peinture de ses genereux exploits ..
A la verité ramentevoir est un terme suranné
aujourd'hui , cependant il est noble
, et Malherbe l'a employé dans une
de ses plus belles Odes ..
La
1964 MERCURE DE FRANCE
La terreur des choses passées ,
A leurs yeux se ramentevant.
Et Racan , le plus illustre des Eleves:
de ce fameux Maître , en a fait usage.
en plus d'un endroit de ses aimables Poë
sies , comme dans une. Eglogue.
Cela ne sert de rien qu'à me ramentevoir .
Que je n'y verrai plus , & c. .
Je trouve tant d'énergie dans cette expression
, que je n'ai pas moins de regret
de sa perte que Pasquier en eut de.
celle de Chevalerie , Piétons , Enseigne
Coronale , en la pláce dèsquels on substitua
Cavalerie , Infanterie , Enseigne
Colonelle , quoique moins conformes à
l'étimologies que la Bruyere en eut dela
perte de maint et de moult , et que Voiture
en témoigna de la mauvaise chicanequ'on
intenta à Car , qui se vit à deux :
doigts de sa ruine. Le stile de Montai
gne est coupé , hardi , sententieux , et
ses libertez ne trouveront des Censeurs
que parmi les Pédans.
Cet Auteur après le morceau d'His--
toire que j'ai cité , fait tout à coup cette
refléxion qui s'échappe comme un trait ,.
et.qui a rapport à ce qu'il traite dans le
Cha-
.
SEPTEMBRE. 1733. 1961
Chapitre: Certes c'est un sujet merveilleusement
vain , divers et ondoyant que l'homme ; il
estenal aisé d'y fonder jugement constant et
uniforme. Ce qui est ainsi paraphrasé dans
votre Traduction . Au reste il ne manque
pas d'exemples contraires à ceux - cy , ce qui
fait voir l'inconstance , et si cela se peut dire
, la variation de l'homme dans les mêmes
circonstances , il agit differemment et
reçoit des mêmes objets des impressions tout
opposées , d'où il s'ensuit qu'il n'est pas sûr
d'en juger d'une maniere constante et uniforme.
La Traduction est plus polie et
plus déployés , mais l'Original est plus vif
et plus dégagé ; et de cet ondoyant , qu'en
avez-vous fait ? De cet ondoyant qui tout
seul vaut un discours entier C'est là que
se découvre le grand Art de la précision ,
et c'est dans ce goût délicat et serré que
l'admirable la Fontaine commence un
de ses Contes.
O combien l'homme est inconstant , divers ,
Foible , leger , tenant mal sa parole.
1
Quoique deux phrases ne soient pas
suffisantes pour faire le parallele de l'Original
, cependant je m'en tiendrai là.
Je les ai prises au hazard , et pour s'en
convaincre on n'a qu'à comparer la premiere
1966 MERCURE DE FRANCE
miere phrase de chaque Chapitre de l'Original
, avec la premiere de chaque Chapitre
de la Traduction . Pour faire court ,
je trouve Montaigne excellent tel qu'il
est , non que je prétende absolument le
justifier de quelques vices que vous censurez
; mais en ce Monde il n'est rien
d'accompli , le Soleil a ses taches , et les
hommes au-dessus du commun ne sont
pas moins extraordinaires dans leurs défauts
, que dans leurs vertus .
Hor superbite è via col viso altero ,
Figliuoli d'Eva , è non chinate'l volto ,
Si che veggiato il vostro mal sentero.
›
Dante , Purg. Canto 12.
Vigneul Marville , dans ses mélanges
d'Histoire et de Littérature , décide quel
quefois au hazard, du mérite des Auteurs.
Quand il rencontre juste, c'est pour l'ordinaire
un aveugle qui ne sçauroit marcher
sans bâton. Le jugement qu'il porte
des Essais de Montaigne dans son premier
volume , est copié d'après l'Auteur
de la Logique de Port- Royal , Pascal et
Malbranche ; qui devoient parler avec
plus de circonspection du Maître qui
leur apprit à penser ; quand ce n'eût été
que par reconnoissance.
Ce
SEPTEMBRE. 1733. 1967
Ce que le même Vigneul Marville soutient
dans son second volume , au sujet
de l'esprit de Montaigne , me paroît cependant
fort judicicux ; mais vous n'y
trouverez pas votre compte , vous qui
pensez à nous donner tout Montaigne à
votre guise. Tel que soit un Auteur , nous
dit il , il nefaut point le démembrer , on
aime mieux le voir tout entier avec ses deffauts
, que de le voir déchiré par piéces ; il
faut que
le corps et l'ame soient unis ensemble
; la séparation de quelque maniere qu'elle
se fasse ne sçauroit être avantageuse aw
tout et ne satisfera jamais le public.
Vigneul Marville , dans son troisième
volume , revient encore aux Essais de
Montaigne , preuve qu'il l'estimoit , car
d'un Auteur qu'on méprise , on ne s'en
embarasse pas tant ; mais il prend de travers
une partie du jugement qu'en a porté
Sorel , dans sa Bibliotheque Françoise.
Quelque favorable que lui soit Sorel , dit
Marville , il ne peut s'empêcher de dire que
ce n'est point une Lecture propre aux igno
rans , aux apprentifs et aux esprits foibles
qui ne pourroient suppléer au défaut de l'or
dre , ni profiter des pensées extraordinaires
et hardies de cet Ecrivain. Peut- on dire
après cela , que le jugement de Sorel soit
désavantageux à Montaigne , et qu'il ne
soit
1968 MERCURE DE FRANCE MERCU
soir plutôt en sa faveur que contre lui ?
Vigneul Marville étoit prévenu , enyvré
de Malbranche et de Pascal , il ne voyoit
pas que c'étoit la jalousie du métier qui
les forçoit à rabaisser Montaigne , et que
par conséquent ils ne devoient point être
témérairement crus sur leur parole, quoique
la Bruyere dût avoir les mêmes motifs
; néanmoins il en parle en juge intelligent
et désinterressé , et d'abord il
saute aux yeux , qu'il en veut à ces Critiques
chagrins , à ces Philosophes jaloux,
à ces Géometres pointilleux , qui ne sont
jamais contens que d'eux - mêmes. Voici :
les termes dont se sert la Bruyere : Deux
Ecrivains dans leurs Ouvrages ont blâme
Montaigne , queje ne crois pas , aussi - bien
qu'eux , exempt de toute sorte de blâme ; il
paroît que tous deux ne l'ont estimé en nulle:
maniere ; l'un ne pensoit pas assez pourgoû
ter un homme qui pense beaucoup , l'autre
pense trop subtilement , pour s'accommoder
des pensées qui sont naturelles ; Que cette :
critique est modeste ! que les Censeurs.
sont finement redressez , et que l'éloge
est délicat !
J'oubliois de vous demander , Monsieur
, pourquoi en traduisant Montaigne
, vous ne parlez pas de rendre en
Beaux Vers François les citations qu'il entrelasse
SEFTEMBRE . 1733. 1969
trelasse avec un art admirable , et qui ne
peuvent être supprimées qu'à son préjudice.
Questo , comme dit l'Italien , Guasterà
la coda alfagiana.
Au reste je rends justice à votre stile
dont les beautez , par rapport à ellesmêmes
sont tres bien entendues . Il n'y a
personne qui ne s'apperçoive en les lisant
, que vous n'en êtes point à votre
coup d'essai , ou que , si vous n'avez point
encore fait présent au public de quelque
Ouvrage , vous ne soyez en état de lui en
donner d'excellens , quand il vous plaira.
Je ne pense pas non plus que ma décision
doive servir de régle : je dis mon
sentiment , je puis me tromper , et
dans ces jours de dispute , il faudroit que
je fusse bien folle pour me proclamer infaillible.
Je ne doute pas même que votre
entreprise ne soit du goût d'une infinité
de personnes qui jugeront que je
rêve , et qui se diront l'une à l'autre :
An censes ullam anum tam deliram fuisse ?
Cependant cette Lettre ne sera point
sans quelque utilité , elle servira à prouver
en votre faveur que quelque bon que
puisse être un Ouvrage nouveau , il ne
parvient pas d'abord jusqu'à subir l'approbation
générale. Vous aurez votre
Four , vous critiquerez cette Lettre , le
1
stile
1970 MERCURE DE FRANCE
stile vous en paroîtra irrégul er ; lardé à
tort et à travers de citations estropiées ,
qui comme des pièces étrangeres , wit
nent mal - à - propos se placer dans l'échiquier.
Vous me donnerez le nom de
mauvais Singe de Mathanasius.
O la plaisante bigarure , direz- vous !
ôle rare et le nouveau parquet ! Ceci
n'est ni Voiture , ni Balzac , ni Bussi
ni Sévigné ; à quoi bon citer en Latin ,
en Italien , en Espagnol , ce qui peut
avoir la même grace en François ; ces reproches
, auxquels je me prépare , me
tappellent ce que j'ai lu dans les Lettres
d'Etienne Pasquier. Le passage est assez
divertissant , pour être rapporté tout au
long : Non seulement désire - je , dit cet
Auteur , que cette emploite se fasse ès Païs
qui sont contenus dans l'enceinte de notre
France ; mais aussi que nous passions tant
les Monts Pirénées que les Alpes , et désignions
avec les Langues qui ont quelque
communauté avec la nôtre , comme l'Espagnole
et l'Italienne , non pas pour ineptement
Italianiser, comme fent quelques Soldaıs , qui,
pourfaire paroître qu'ils ont été en Italie
couchent à chaque bout de champ quelques
mots Italiens. Il me souvient d'un Quidant
lequel demandant sa Berrette , pour son
Bonnet, et se courrouçant à son Valet qu'il ne
>
Lui
SEPTEMBRE. 1733. 1971
lui apportoit le Valet se sçut fort bien excuser
, lui disant qu'il estimoit qu'il commandoit
quelque chose à saservante Perrette.
La plaisanterie qui suit celle - ci dans la
même Lettre , est dans le même goût ,
mais elle est si gaillarde qu'il me suffira
d'y renvoyer le Lecteur ; quoiqu'après
un Prud'homme , tel que Pasquier , il
semble qu'il n'y ait point à risquer de
faire de faux pas dans le sentier de la
modestie.
Qu'il faut de travail pour se former
un stile , qui soit à la fois varié , léger ,
agréable et régulier ! l'un est diffus , enflé,
tonnant , le bon sens est noyé dans les
paroles ; l'autre est si pincé , si délicat
qu'il semble que ce soit une toile d'araignée
qui n'est bonne à rien , et dont les
filets sont si déliez qu'en souflant dessus ,
on jette au vent tout l'ouvrage. Cependant
tous les Auteurs se flattent d'écrire
naturellement, Je lus ces jours derniers
un Factum , cousu , brodé, rapetassé
recrépi de citations vagues et superflues
, et farci de plaisanteries fades et
amenées par force. Ce qui me fit rire ,
ce fut de voir citer les Eglogues de
Fontenelle dans un Ecrit où il ne s'agit
que de Dixmes ; mais j'entends , ou je
me trompe , tous nos Auteurs , Petits-
Mai1972
MERCURE DE FRANCE
Maîtres , qui se rassemblent en tumulte ,
et m'accusent devant Appollon, en criant
après moi , comme quand les Normands
appelloient de leurs débats à leur fince
Raoul , d'où nous est venu le terme de
Haro : Comment , me disent - ils , vous
osez nommer un Auteur aussi distingué
que l'est M. de Fontenelle , et le nommer
Fontenelle tout court , sans que son
nom soit précédé du terme cérémonieux
de Monsieur? Pardonnez moi , gens paîtris
de Musc et de Fard , et qui faites
gloire d'être tout confits en façons.
Je suis fiere et rustique , et j'ai l'ame grossiere.
Ne vous souvient il pas du trait d'un
Gascon , qui disoit nûment qu'il dînoit
chez Villars ; et sur ce que quelqu'un
l'argnoit , en lui représentant que le petit
mot de Monsieur ne lui eût point
écorché la bouche. Eh ! depuis quand , répondit-
il , dites vous Monsieur Pompée ,
Monsieur César , Monsieur Aléxandre ?
Je puis donc aussi riposter sur le même
ton : Depuis quand dites- vous Monsieur
Lucien , Monsieur Virgile Monsieur
Cicéron , Monsieur Pline ? Nos François
qui se portent un respect infini , ont appris
des Italiens , ce me semble , à se Mon→→
signoriser. Autrefois , et il n'y a pas long-
'
temps ,
SEPTEMBRE . 1733. 1973
temps , un Livre portoit le nom de son
Auteur , et même son nom de Baptême,
( ce qui paroîtroit aujourd'hui tenir du
campagnard ) ; cela , sans aller chercher
plus loin , et sans remonter jusqu'à Mə
rot , Saint Gélais , Malherbe, se peut voir
dans les premieres Editions de Corneille ,
de Boileau et de Racine, qui sont simplement
intitulées : Théatre de P. Corneille ,
Oeuvres de Nicolas Despreaux - Boileau ,
Oeuvres deRacine ; mais depuis que la plûpart
des Comédies ne sont que des tissus de
complimens , et lesTragédies de petits Ro-`
mans en rime ; tout sent parmi nous l'afféterie
et l'affectation ; et le superflu ne se
trouve pas moins dans le titre que dans le
corps de l'Ouvrage. A propos , de superflu
, je ne pense pas que je vous donne
beau jeu , et que vous me répondiez que
si le superflu domine jamais que que part,
c'est sur tout dans cette Lettre , où j'entasse
Discours sur Discours , qui ne tienment
presque point au sujet ; j'avouerai
qu'en commençant cette Lettre , mon
dessein n'étoit que de vous dire simplement
dans une demi page , ce que je
pense de votre projet de traduction ; mais
les phrases se sont insensiblement enfilées
comme des Patenottes , grosses ,
petites , et de toutes couleurs ; telle est
D ma
1974 MERCURE DE FRANCE
ma maniere d'écrire une Lettre promptes.
ment , sans apprêt , jettant sur le papier
tout ce qui se présente , pouvû qu'il ne
soit point absolument déraisonnable . Je
suis , Monsieur , & c.
Au Croisic en Bretagne , ce 7. Aoust.
nouvelle Edition des Essais de Montaigne
, imprimé dans le second volume
du Mercure de Juin 1733. Par Mlle de
Malcrais de la Vigne , du Croissie en
Bretagne.
I
Lipas
Es Essais de Montaigne ne m'eurent
si-tôt passé
passé par
les mains , Monsieur
, que je me vis au nombre de ses
Partisans. J'admirai ses pensées , et je
n'aimai pas moins les graces et la naïveté
de son stile. Après ce début je puis vous
déclarer à la franquette ce que je pense.
de l'entreprise que vous formez d'ha
biller Montaigne à la moderne , changeant
sa fraise en tour de cou son pourpoint
éguilletté , en habit à paniers ; son
grand chapeau élevé en pain de sucre ,
en petit fin castor de la hauteur de quacre
doigts , &c.
Traduire en Langue Françoise un Auteur
Original , qui vivoit encore au com-
C men
1950 MERCURE DE FRANCE
que
mencement de 1592. et dont l'Ouvrage
est écrit dans la même Langue , me paroît
un projet d'une espece singuliere ,
et vous en convenez vous- même. Ce
n'est ppaass qquuee je nie l'échantillon
que
vous produisez de votre stile , n'ait du
mérite et qu'il ne vous fasse honneur ; il
est pur, élegant, harmonieux ; ses liaisons
peut-être un peu trop étudiées en font
un contraste avec celui de Seneque ,
qu'un Empereur Romain comparoit à
du sable sans chaux. Si la France n'eût
point vû naître un Montaigne avant
vous , vous pourriez , en continuant sur
le même ton , prétendre au même rang ;
mais souffrez que je vous dise que les
charmes de votre stile ne font que blanchir
, en voulant joûter contre ceux du
vieux et vrai Montaigne.
Il n'en est pas de la Traduction que
vous entreprenez , comme de rendre en
François un Auteur qui a travaillé avec
succès dans une Langue morte. Peu de
personnes sont en état de comparer le
Grec de l'Iliade avec la Traduction Françoise
de Me Dacier. Si ceux qui possedent
le mieux cette Langue , sont assez
habiles pour juger des pensées , ils ne
le sont point pour prononcer sûrement
sur l'expression , de- là vient que Me Dacier
་
SEPTEMBRE .
1733.
1951
cier
trouvera
toujours des
Avocats pour
et contre . L'un
soutiendra que tel endroit
est rendu à
merveille , un autre
prétendra
que non ; ou plutôt sans rien affirmer
, l'un dira credo di si et l'autre credo
di nà. Pour moi je
m'imagine que nous
marchons à tâtons dans le goût de l'Ansiquité
, et que la
prévention nous porte
souvent à regarder
comme
beautez dans
les
Anciens , ce qui n'est
souvent que
méprise ou
négligence. J'en ai vû , qui
ne
s'estimoient
chiens au petit collier
dans la
République des
Lettres , je les
ai vû , dis je , se
passionner
d'admiration
pour ce Vers de Virgile.
Cornua
velatarum
obvertimus
antennarum .
Admirez , me disoient- ils , la chute
grave de ces grands mots.Ils ne sont point
là sans dessein. Ne sentez vous pas dans
ce Vers
spondaïque le dur travail des
Matelots , qui se fatiguent à tourner les
Vergues d'un
Vaisseau , pesantes et chargées
de voilure ? Il me semble , répons
dois-je , que je sens quelque chose ; mais
n'y auroit- il point à craindre que vous
et moi nous ne fussions la duppe du préjugé
? L'idée
avantageuse et pleine de
respect que vos Maîtres vous inspirent
dès votre bas âge , pour tout ce qui nous
Cij reste
1952 MERCURE DE FRANCE
reste de ces celebres Auteurs , demeure ,
pour ainsi dire , cloüée dans vos têtes .
Mucho se conserva lo que en la mocedad
se deprende.
Si Virgile revenoit au monde , il nous
montreroit que nous louons dans ses Ouvrages
beaucoup de choses qu'il eût réformées
, s'il en cût eu le temps ou de
moins s'il l'eût pû faire ; et qu'au contraire
nous passons legerement sur plu
sieurs endroits dont il faisoit grande estime.
Cette Epithete , nous diroit- il , ce
monosillabe gracieux , à quoi vous ne
faites point attention , fut cause que je
veillai plus d'une nuit , et je vous jure
qu'il me fallut fouiller dans tous les
coins de mon cerveau avant que de parvenir
à le dénicher..
On raconte que notre Santeüil füt
travaillé d'une longue insomnie pour
trouver une Epithete qui pût exprimer
le son du marteau qui bat sur l'enclume.
Après bien des nuits passées commes
les Lievres , l'Epithete tant souha
tée se présenta , c'étoit refugus. Cette
rencontre fut pour lui un Montje
il se leve aussi - tôt , fait grand bruit
court par les Dortoirs , sans penser qu'il
étoit nud en chemise , frappe à toutes le
portes , les Chanoines se réveillent , l'a
larr
.
SEPTEMBRE . 1733. 1953
*
larme les saisit ; tous se figurent qu'un
subit incendie dans la maison est la
cause d'un pareil'vacarme. Enfin , quand
il fut question d'en sçavoir le sujet , Santeüil
leur apprit d'un ton fier , qu'il
avoit interrompu leur sommeil leur
pour
faire part d'une rare Epithete qu'il venoit
de trouver , ayant couru vainement
après elle pendant toute une Semaine..
Je vous laisse à penser si les Chanoines
se plurent beaucoup à cette farce ; ils
donnerent au D ..... l'Epithete et le
Poëte. N'importe , il les obligea de l'entendre
, sans quoi , point de patience . Les
Chanoines l'écouterent en se frottant les
yeux , et se hâterent d'applaudir , afin
de se défaire plus vîte d'un importun..
Santeuil retourna se coucher en faisant
des gambades , non moins content du
tour qu'il venoit de jouer , que d'avoir
trouvé l'Epithete qu'il cherchoit. Là finit
cette plaisante Scene que je ne donne
point pour article de foi.
C'est la gloire de passer pour avoir.
plus d'intelligence qu'un autre , qui engage
un Commentateur à se creuser le
erveau pour chercher dans cette Strophe
, dans cette expression d'Horace ,
un sens alambiqué dont personne n'ait
fait la découverte avant lui , quoique
Ciij nous
1954 MERCURE DE FRANCE
nous ne soyons pas plus au fait de la
propre signification des mots Grecs et
Latins , que de leur prononciation ; un
tel homme se croit un Christophle Colomb
dans le Pays des Belles- Lettres . Cependant
nous nous dépouillons nousmêmes
pour revétir les Anciens , et nous
donnons au Commentaire un temps qui
seroit plus utilement employé à l'invention
. C'est dans ce sens que je veux entendre
ici ce Passage de Quintilien : Supervacuus
foret in studiis longior labor , si nihil
liceret meliùs invenire præteritis. Il y en
a qui se sont figuré que Virgile dans
son Eglogue à Pollion , avoit prédit la
Naissance de Jesus- Christ . Les Romains
curieux d'apprendre ce qui leur devoit arriver
, avoient la superstition de le chercher
dans les Livres de ce Poëte , après
avoir choisi dans leur idée le premier ,
le second , ou tout autre Vers de la page
que le sort leur offroit , pour être l'interprete
du Destin . C'étoit- là ce qu'ils
appelloient Sortes Virgiliana . Nos premiers
François en croyoient autant des
Livres de la Sainte Ecriture . D'autres
non moins extravagans , se sont per
suadé que les principes de toutes les
Sciences et de la Magie même , étoient
renfermez dans les Poëmes d'Homere , et
LuSEPTEMBRE
. 1733. 1955
Lucien fait mention d'un faux Prophete
nommé Alexandre qui prétendoit qu'un
certain Vers d'Homere , écrit sur les portes
des Maisons , avoit la vertu de préserver
de la peste. Les hommes sont idolâtres
, non- seulement des Ouvrages d'esprit
des Anciens , mais même de tout ce
qui respire le moindre air d'Antiquité ,
et tel Curieux qui croiroit avoir parmi
ses possessions la Pantoufle de fer qui
sauta du pied d'Empedocle , quand il se
lança dans les flammes du Mont Etna, ne
voudroit peut-être pas faire échange de
cette Relique avec tous les Diamans du
Royaume de Golconde.
il`se
Tout beau , Mademoiselle , s'écriera
quelque Censeur aux sourcis herissez ,
compassant et nivelant toutes mes phra
ses , vous nous agencez ici de singulieres
digressions , et prenez un air scientifique
qui vous sied assez mal. Sçavez
vous qu'en vous écartant de votre sujet
vous péchez contre le précepte d'Horace.
Servetur ad imum;
Qualis ab incepto processerit , et sibi constet.
Et que vous donnez dans un si grand
ridicule , que l'Abbé Ménage , qui après
avoir parcouru dans sa cervelle , le La.
C iiij tium
1956 MERCURE DE FRANCE
tium , la Grece , l'Allemagne , l'Espagne ,
et peut- être la Chine et la Turquie
pour trouver l'origine du mot Equus
crut enfin l'avoir rencontré en Italie
et fit descendre en ligne directe ou collaterale
, Equus , du mot Italien Alfana
étimologie misérablement écorchée que
le Chevalier de Cailli ou d'Aceilli ;
fronda dans une jolie
Epigrammesétimologie
qui présente à mes yeux l'Arbre
Généalogique de plusieurs Maisons nouvellement
nobles , qui vont mandier à
prix d'argent en Irlande et en Italie , de
belles branches qu'elles entent ensuite
sur le tronc le plus. vil , de sorte qu'à
l'examiner de près , vous verriez du Laurier
, de l'Oranger , de l'Olivier et du,
Grenadier , entez sur un mauvais trou
de chou.
Si je fais des digressions dans la Lettre
que je vous adresse , Monsieur , ce
n'est point par affectation , mais par coûtume.
De plus comme il s'agit ici principalement
de Montaigne, je tache d'imiter
un peu son stile . Ses transitions sont fréquentes
, mais elles ont de la grace , et
comme elles se viennent placer pour l'or-,
dinaire très naturellement , l'Auteur fait
voir qu'il sçait écrire d'une maniere vive ,
aisée et indépendante. Cependant vous.
eussiez
SEPTEMBRE. 1733. 1957
eussiez pû l'attaquer en ce qu'il abandonne
quelquefois tellement son Sujet ,
que si l'on revient à voir comment il
a intitulé tel Chapitre , on s'imaginera
que l'Imprimeur s'est trompé et qu'il
a mis un titre au lieu d'un autre .
Vous aurez encore une nouvelle matiere
à me faire un procès , sur ce qu'en me :
déclarant contre ceux qui encensent à
l'aveugle les Anciens , et préconisent jusqu'à
leurs défauts , je me révolte contre
le desssein que vous avez de tourner
le Gaulois de Montaigne à la Françoise ,.
et que je semble braver le Précepte de
Macrobe , dans ses Saturnales , Vivamus:
moribus præteritis , præsentibus verbis loquamur.
Dans ce que j'ai avancé je n'ai
prétendu parler que des Langues mor--
tes. J'ai frondé les Commentaires prolixes
et superflus , sans condamner ab
solument les Traductions . J'ai blâmé :
Pidolâtrie sans desaprouver les sentimens
d'estime qu'on doit à tant de beautez
originales qui brillent dans les Livres des
Anciens .
Quant à Montaigne , je ne convien--
drai pas qu'il soit aussi Gaulois que vous
voudriez le faire croire. Si vous parliez
de traduire en François les Poësies Gau
loises de Bérenger , Comte de Provence,
GNI Ou
3
1958 MERCURE DE FRANCE
ou celle de Thibaut , Comte de Champagne
, qui rima d'amoureuses Chansons.
en l'honneur de la Reine Blanche , Mere
de S. Loiis ; à la bonne heure. Le stilede
ce temps- là est si different du nôtre,
qu'il semble que ce ne soit plus la même
Langue. Mais Montaigne , on l'entend ,
il n'est personne que son stile vif et varié
n'enchante , et je puis sans flaterie ,
ajuster à son sujet ces paroles d'un de
nos vieux Auteurs. C'est un bel esprit
doué de toutes les graces , gentillesses , cour
toisies et rondeurs que l'on peut souhaiter.
En effet il faut être perclus d'esprit , sh
l'on ne comprend point ses phrases les.
plus difficiles , pour peu qu'on s'y arrête.
L'utilité que produira votre Traduction
prétendue , ce sera de faire lire Montaigne
à quelques personnes curieuses de
voir la difference de son stile au vôtre..
Pour peu qu'en quelques endroits le vô
tre demeure au -dessous du sien , ses beautez
en recevront un nouvel éclat , et on
s'obstinera à lui trouver par tout le méme
mérite , afin de rabaisser celui de votre
Traduction . Il n'en est pas de Montaigne
comme de Nicole et de la Bruye ,
re. Quoique ceux- cy possedent bien leur
langue , neanmoins la plus grande partie
de leur valeur est dans les pensées ,
au
SEPTEMBRE . 1733. 1959.
au lieu que
les graces
de
l'autre sont
également
partagées
entre le sentiment
et la diction , toute vieille qu'elle est.
Quand il invente des termes , ils sont
expressifs et ne sçauroient se suppléer
avec le même
agrément et la même force.
Ses tours gascons qui dérident sa morale
, servent par tout à égayer le Lecteur.
Ses
négligences
mêmes ne sont
point
désagréables , ce sont des Ombres
au Tableau. Etienne
Pasquier , dans le
premier Livre de ses Lettres , blâme la
hardiesse de Clément Marot , qui s'avisa
mal-à- propos de ressacer le stile du Roman
de la Rose , commencé
par Guillaume
de Loris et continué par Clopinel.
Il n'y a , dit- il , homme docte entre
nous , qui ne lise les doctes Ecrits de Maître
Alain Chartier, et qui n'embrasse le Roman
de la Rose , lequel à la mienne volonté
, que par une bigarure de langage vieux
et nouveau , Clément Marot n'eût pas vou
In habiller à sa mode.
Mais examinons ce que signifie le terme
de Traduction , conformément au
sens qu'on lui a donné chez toutes les
Nations. Traduire , c'est , si je ne me ·
trompe , rendre en une autre Langue les
pensées , le stile et tout l'esprit d'un Au
seur. Votre Traduction peut- elle avoir
C vj
les
1960 MERCURE DE FRANCE
les qualitez prescrites ? Je ne sçaurois me
le persuader. Elle est faite en même
Langue , et par conséquent ne doit point
être appellée Traduction , et votre stile.
n'ayant nul rapport à celui de Montaigne
, ses pensées déguisées ne seront
aucunement semblables à elles - mêmes..
C'est pourquoi Scarron n'a point traduit.
l'Eneïde , mais il l'a parodié. Le stile de
Montaigne est un mêlange d'enjoüé et
de sérieux , assaisonné réciproquement
P'un par l'autre. Il ne paroît point qu'il
marche , mais qu'il voltige ; au lieu que
le vôtre cheminant d'un pas grave et
composé , représente un Magistrat qui
marche en Procession , et dont la pluye ,
la grêle et la foudre ne dérangeroient
pas la fiere contenance. ;
Sifractus illabatur Orbis , T
Impavidum ferient ruinas
Virgile se donna- t'il les airs de rajeu- ,
nir le bon homme Ennius ! et notre Ab
bé D. F *** Maître passé en fine plaisanterie
, oseroit- il couper la barbe à
Rabelais et le mutiler ? Ces soins scru
puleux convenoient seulement au P.
J*********qu'Apollon a établi son Chirur
gien Major sur le Parnasse , depuis lequel
temps un Poëte ne se hazarde
P
pas
même
SEPTEMBRE . 1733. 1964
même d'y prononcer le terme de fistula,.
de crainte que l'équivoque de quelque
maladie ne le fasse livrer entre ses mains
Au sur- plus la République des Lettres
n'y perdra rien , si Montaigne n'est point
lû de ceux qui sont rebutez de refléchiz
un moment sur quelques - unes de ses
phrases. Ce sont , sans doute , des génies
superficiels , incapables d'attention et
prêts peut- être à se dédire quand vous .
les aurez mis à même en couvrant le
vieux Montaigne d'une Rédingotre à la
mode. Le Bembo , dans ses Observations
sur la Langue Italienne , dit qu'il n'appartient
: pas à là Multitude de décider ·
des Ouvrages des Sçavans . Non è la Mul
titudine quella , che alle compositioni d'al
cun secolo dona grido , mà sono pochissimi
huomini di ciascun secolo , al giudicio de
quali , percioche sono essi più dotti degli
altri riputati , danno poi le Genti e la Multitudine
fede , che per se sola giudicare non
sa drittamente , è quella parte si piega colle :
sue voci , à che ella pochi huomini che io
dico sente piegare.
Les sçavans Jurisconsultes balancerent :
long- temps à traduire en notre Langue
les Instituts de Justinien , ne voulant
pas que ce précieux Abregé des Loix Romaines
, réservé pour les Juges et less
Avocats,
1962 MERCURE DE FRANCE
Avocats , s'avilit en passant par la Boutique
triviale des Procureurs , ausquels
il convient de travailler de la main de
toute façon , plutôt que de la tête . Ayols
les mêmes égards pour Montaigne , qui
n'en vaudra pas moins tout son prix ,
pour n'être point lû des Précieuses et
des petits Maîtres , Nation ignorante à
la fois et décisive , qui préfere le Roman
le plus plat aux Productions les plus solides.
Ah! Monsieur , que vous feriez une
oeuvre méritoire , et que vous rendriez
un grand service à la Province de Bretagne
, si vous vouliez , vous qui vous
montrez si charitable pour le Public
prendre la peine de traduire en François
intelligible notre Coûtume , dont les
Gauloises équivoques sont des pépinieres
de procès ! Mais ne vous fais - je point le
vôtre mal à propos , Monsieur ?voyons
et comparons quelques phrases de votre
Traduction avec l'Original .
Dans le premier Chapitre l'Auteur loüe
la constance du Capitaine Phiton , qui
témoignoit une insigne grandeur d'ame ,
au milieu des tourmens qu'on lui faisoit
souffrir , par les ordres de Denis le Tiran.
Il eut , dit Montaigne , le courage
toujours constant sans se perdre, et d'un visage
SEPTEMBRE . 1733. 1963
ge toujours ferme , alloit au contraire , ramentevant
à haute voix l'honorable et glorieuse
cause de sa mort , pour n'avoir voulu
rendre son Pays entre les mains d'un Tiran
, le menaçant d'une prochaine punition
des Dieux. Ce stile n'est- il pas nerveux ,
vif , soutenu , et comparable à celui dece
Rondeau dont la Bruyere fait si
grande estime.
Bien à propos s'en vint Ogier en France
Pour le Pays des Mécréans monder , &c.
Comparons maintenant au Gaulois de
Montaigne votre Traduction , mais Phiton
parut toujours ferme et constant , pu- ри
bliant à haute voix l'honorable et glorieuse
cause du tourment indigne qu'on lui faisoit
souffrir. Convenez que l'Original n'a pas
moins de force et de noblesse que la
Traduction ; qu'alloit est plus propre que
parut , d'autant que Phiton étoit foüetté
par les rues , et que publiant n'est pas.
si expressif que ramentevant , qui signifie
qu'il mettoit sous les yeux du Peuple
la peinture de ses genereux exploits ..
A la verité ramentevoir est un terme suranné
aujourd'hui , cependant il est noble
, et Malherbe l'a employé dans une
de ses plus belles Odes ..
La
1964 MERCURE DE FRANCE
La terreur des choses passées ,
A leurs yeux se ramentevant.
Et Racan , le plus illustre des Eleves:
de ce fameux Maître , en a fait usage.
en plus d'un endroit de ses aimables Poë
sies , comme dans une. Eglogue.
Cela ne sert de rien qu'à me ramentevoir .
Que je n'y verrai plus , & c. .
Je trouve tant d'énergie dans cette expression
, que je n'ai pas moins de regret
de sa perte que Pasquier en eut de.
celle de Chevalerie , Piétons , Enseigne
Coronale , en la pláce dèsquels on substitua
Cavalerie , Infanterie , Enseigne
Colonelle , quoique moins conformes à
l'étimologies que la Bruyere en eut dela
perte de maint et de moult , et que Voiture
en témoigna de la mauvaise chicanequ'on
intenta à Car , qui se vit à deux :
doigts de sa ruine. Le stile de Montai
gne est coupé , hardi , sententieux , et
ses libertez ne trouveront des Censeurs
que parmi les Pédans.
Cet Auteur après le morceau d'His--
toire que j'ai cité , fait tout à coup cette
refléxion qui s'échappe comme un trait ,.
et.qui a rapport à ce qu'il traite dans le
Cha-
.
SEPTEMBRE. 1733. 1961
Chapitre: Certes c'est un sujet merveilleusement
vain , divers et ondoyant que l'homme ; il
estenal aisé d'y fonder jugement constant et
uniforme. Ce qui est ainsi paraphrasé dans
votre Traduction . Au reste il ne manque
pas d'exemples contraires à ceux - cy , ce qui
fait voir l'inconstance , et si cela se peut dire
, la variation de l'homme dans les mêmes
circonstances , il agit differemment et
reçoit des mêmes objets des impressions tout
opposées , d'où il s'ensuit qu'il n'est pas sûr
d'en juger d'une maniere constante et uniforme.
La Traduction est plus polie et
plus déployés , mais l'Original est plus vif
et plus dégagé ; et de cet ondoyant , qu'en
avez-vous fait ? De cet ondoyant qui tout
seul vaut un discours entier C'est là que
se découvre le grand Art de la précision ,
et c'est dans ce goût délicat et serré que
l'admirable la Fontaine commence un
de ses Contes.
O combien l'homme est inconstant , divers ,
Foible , leger , tenant mal sa parole.
1
Quoique deux phrases ne soient pas
suffisantes pour faire le parallele de l'Original
, cependant je m'en tiendrai là.
Je les ai prises au hazard , et pour s'en
convaincre on n'a qu'à comparer la premiere
1966 MERCURE DE FRANCE
miere phrase de chaque Chapitre de l'Original
, avec la premiere de chaque Chapitre
de la Traduction . Pour faire court ,
je trouve Montaigne excellent tel qu'il
est , non que je prétende absolument le
justifier de quelques vices que vous censurez
; mais en ce Monde il n'est rien
d'accompli , le Soleil a ses taches , et les
hommes au-dessus du commun ne sont
pas moins extraordinaires dans leurs défauts
, que dans leurs vertus .
Hor superbite è via col viso altero ,
Figliuoli d'Eva , è non chinate'l volto ,
Si che veggiato il vostro mal sentero.
›
Dante , Purg. Canto 12.
Vigneul Marville , dans ses mélanges
d'Histoire et de Littérature , décide quel
quefois au hazard, du mérite des Auteurs.
Quand il rencontre juste, c'est pour l'ordinaire
un aveugle qui ne sçauroit marcher
sans bâton. Le jugement qu'il porte
des Essais de Montaigne dans son premier
volume , est copié d'après l'Auteur
de la Logique de Port- Royal , Pascal et
Malbranche ; qui devoient parler avec
plus de circonspection du Maître qui
leur apprit à penser ; quand ce n'eût été
que par reconnoissance.
Ce
SEPTEMBRE. 1733. 1967
Ce que le même Vigneul Marville soutient
dans son second volume , au sujet
de l'esprit de Montaigne , me paroît cependant
fort judicicux ; mais vous n'y
trouverez pas votre compte , vous qui
pensez à nous donner tout Montaigne à
votre guise. Tel que soit un Auteur , nous
dit il , il nefaut point le démembrer , on
aime mieux le voir tout entier avec ses deffauts
, que de le voir déchiré par piéces ; il
faut que
le corps et l'ame soient unis ensemble
; la séparation de quelque maniere qu'elle
se fasse ne sçauroit être avantageuse aw
tout et ne satisfera jamais le public.
Vigneul Marville , dans son troisième
volume , revient encore aux Essais de
Montaigne , preuve qu'il l'estimoit , car
d'un Auteur qu'on méprise , on ne s'en
embarasse pas tant ; mais il prend de travers
une partie du jugement qu'en a porté
Sorel , dans sa Bibliotheque Françoise.
Quelque favorable que lui soit Sorel , dit
Marville , il ne peut s'empêcher de dire que
ce n'est point une Lecture propre aux igno
rans , aux apprentifs et aux esprits foibles
qui ne pourroient suppléer au défaut de l'or
dre , ni profiter des pensées extraordinaires
et hardies de cet Ecrivain. Peut- on dire
après cela , que le jugement de Sorel soit
désavantageux à Montaigne , et qu'il ne
soit
1968 MERCURE DE FRANCE MERCU
soir plutôt en sa faveur que contre lui ?
Vigneul Marville étoit prévenu , enyvré
de Malbranche et de Pascal , il ne voyoit
pas que c'étoit la jalousie du métier qui
les forçoit à rabaisser Montaigne , et que
par conséquent ils ne devoient point être
témérairement crus sur leur parole, quoique
la Bruyere dût avoir les mêmes motifs
; néanmoins il en parle en juge intelligent
et désinterressé , et d'abord il
saute aux yeux , qu'il en veut à ces Critiques
chagrins , à ces Philosophes jaloux,
à ces Géometres pointilleux , qui ne sont
jamais contens que d'eux - mêmes. Voici :
les termes dont se sert la Bruyere : Deux
Ecrivains dans leurs Ouvrages ont blâme
Montaigne , queje ne crois pas , aussi - bien
qu'eux , exempt de toute sorte de blâme ; il
paroît que tous deux ne l'ont estimé en nulle:
maniere ; l'un ne pensoit pas assez pourgoû
ter un homme qui pense beaucoup , l'autre
pense trop subtilement , pour s'accommoder
des pensées qui sont naturelles ; Que cette :
critique est modeste ! que les Censeurs.
sont finement redressez , et que l'éloge
est délicat !
J'oubliois de vous demander , Monsieur
, pourquoi en traduisant Montaigne
, vous ne parlez pas de rendre en
Beaux Vers François les citations qu'il entrelasse
SEFTEMBRE . 1733. 1969
trelasse avec un art admirable , et qui ne
peuvent être supprimées qu'à son préjudice.
Questo , comme dit l'Italien , Guasterà
la coda alfagiana.
Au reste je rends justice à votre stile
dont les beautez , par rapport à ellesmêmes
sont tres bien entendues . Il n'y a
personne qui ne s'apperçoive en les lisant
, que vous n'en êtes point à votre
coup d'essai , ou que , si vous n'avez point
encore fait présent au public de quelque
Ouvrage , vous ne soyez en état de lui en
donner d'excellens , quand il vous plaira.
Je ne pense pas non plus que ma décision
doive servir de régle : je dis mon
sentiment , je puis me tromper , et
dans ces jours de dispute , il faudroit que
je fusse bien folle pour me proclamer infaillible.
Je ne doute pas même que votre
entreprise ne soit du goût d'une infinité
de personnes qui jugeront que je
rêve , et qui se diront l'une à l'autre :
An censes ullam anum tam deliram fuisse ?
Cependant cette Lettre ne sera point
sans quelque utilité , elle servira à prouver
en votre faveur que quelque bon que
puisse être un Ouvrage nouveau , il ne
parvient pas d'abord jusqu'à subir l'approbation
générale. Vous aurez votre
Four , vous critiquerez cette Lettre , le
1
stile
1970 MERCURE DE FRANCE
stile vous en paroîtra irrégul er ; lardé à
tort et à travers de citations estropiées ,
qui comme des pièces étrangeres , wit
nent mal - à - propos se placer dans l'échiquier.
Vous me donnerez le nom de
mauvais Singe de Mathanasius.
O la plaisante bigarure , direz- vous !
ôle rare et le nouveau parquet ! Ceci
n'est ni Voiture , ni Balzac , ni Bussi
ni Sévigné ; à quoi bon citer en Latin ,
en Italien , en Espagnol , ce qui peut
avoir la même grace en François ; ces reproches
, auxquels je me prépare , me
tappellent ce que j'ai lu dans les Lettres
d'Etienne Pasquier. Le passage est assez
divertissant , pour être rapporté tout au
long : Non seulement désire - je , dit cet
Auteur , que cette emploite se fasse ès Païs
qui sont contenus dans l'enceinte de notre
France ; mais aussi que nous passions tant
les Monts Pirénées que les Alpes , et désignions
avec les Langues qui ont quelque
communauté avec la nôtre , comme l'Espagnole
et l'Italienne , non pas pour ineptement
Italianiser, comme fent quelques Soldaıs , qui,
pourfaire paroître qu'ils ont été en Italie
couchent à chaque bout de champ quelques
mots Italiens. Il me souvient d'un Quidant
lequel demandant sa Berrette , pour son
Bonnet, et se courrouçant à son Valet qu'il ne
>
Lui
SEPTEMBRE. 1733. 1971
lui apportoit le Valet se sçut fort bien excuser
, lui disant qu'il estimoit qu'il commandoit
quelque chose à saservante Perrette.
La plaisanterie qui suit celle - ci dans la
même Lettre , est dans le même goût ,
mais elle est si gaillarde qu'il me suffira
d'y renvoyer le Lecteur ; quoiqu'après
un Prud'homme , tel que Pasquier , il
semble qu'il n'y ait point à risquer de
faire de faux pas dans le sentier de la
modestie.
Qu'il faut de travail pour se former
un stile , qui soit à la fois varié , léger ,
agréable et régulier ! l'un est diffus , enflé,
tonnant , le bon sens est noyé dans les
paroles ; l'autre est si pincé , si délicat
qu'il semble que ce soit une toile d'araignée
qui n'est bonne à rien , et dont les
filets sont si déliez qu'en souflant dessus ,
on jette au vent tout l'ouvrage. Cependant
tous les Auteurs se flattent d'écrire
naturellement, Je lus ces jours derniers
un Factum , cousu , brodé, rapetassé
recrépi de citations vagues et superflues
, et farci de plaisanteries fades et
amenées par force. Ce qui me fit rire ,
ce fut de voir citer les Eglogues de
Fontenelle dans un Ecrit où il ne s'agit
que de Dixmes ; mais j'entends , ou je
me trompe , tous nos Auteurs , Petits-
Mai1972
MERCURE DE FRANCE
Maîtres , qui se rassemblent en tumulte ,
et m'accusent devant Appollon, en criant
après moi , comme quand les Normands
appelloient de leurs débats à leur fince
Raoul , d'où nous est venu le terme de
Haro : Comment , me disent - ils , vous
osez nommer un Auteur aussi distingué
que l'est M. de Fontenelle , et le nommer
Fontenelle tout court , sans que son
nom soit précédé du terme cérémonieux
de Monsieur? Pardonnez moi , gens paîtris
de Musc et de Fard , et qui faites
gloire d'être tout confits en façons.
Je suis fiere et rustique , et j'ai l'ame grossiere.
Ne vous souvient il pas du trait d'un
Gascon , qui disoit nûment qu'il dînoit
chez Villars ; et sur ce que quelqu'un
l'argnoit , en lui représentant que le petit
mot de Monsieur ne lui eût point
écorché la bouche. Eh ! depuis quand , répondit-
il , dites vous Monsieur Pompée ,
Monsieur César , Monsieur Aléxandre ?
Je puis donc aussi riposter sur le même
ton : Depuis quand dites- vous Monsieur
Lucien , Monsieur Virgile Monsieur
Cicéron , Monsieur Pline ? Nos François
qui se portent un respect infini , ont appris
des Italiens , ce me semble , à se Mon→→
signoriser. Autrefois , et il n'y a pas long-
'
temps ,
SEPTEMBRE . 1733. 1973
temps , un Livre portoit le nom de son
Auteur , et même son nom de Baptême,
( ce qui paroîtroit aujourd'hui tenir du
campagnard ) ; cela , sans aller chercher
plus loin , et sans remonter jusqu'à Mə
rot , Saint Gélais , Malherbe, se peut voir
dans les premieres Editions de Corneille ,
de Boileau et de Racine, qui sont simplement
intitulées : Théatre de P. Corneille ,
Oeuvres de Nicolas Despreaux - Boileau ,
Oeuvres deRacine ; mais depuis que la plûpart
des Comédies ne sont que des tissus de
complimens , et lesTragédies de petits Ro-`
mans en rime ; tout sent parmi nous l'afféterie
et l'affectation ; et le superflu ne se
trouve pas moins dans le titre que dans le
corps de l'Ouvrage. A propos , de superflu
, je ne pense pas que je vous donne
beau jeu , et que vous me répondiez que
si le superflu domine jamais que que part,
c'est sur tout dans cette Lettre , où j'entasse
Discours sur Discours , qui ne tienment
presque point au sujet ; j'avouerai
qu'en commençant cette Lettre , mon
dessein n'étoit que de vous dire simplement
dans une demi page , ce que je
pense de votre projet de traduction ; mais
les phrases se sont insensiblement enfilées
comme des Patenottes , grosses ,
petites , et de toutes couleurs ; telle est
D ma
1974 MERCURE DE FRANCE
ma maniere d'écrire une Lettre promptes.
ment , sans apprêt , jettant sur le papier
tout ce qui se présente , pouvû qu'il ne
soit point absolument déraisonnable . Je
suis , Monsieur , & c.
Au Croisic en Bretagne , ce 7. Aoust.
Fermer
Résumé : LETTRE à l'Auteur du Projet d'une nouvelle Edition des Essais de Montaigne, imprimé dans le second volume du Mercure de Juin 1733. Par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croissic en Bretagne.
Mlle de Malcrais de la Vigne critique le projet de rééditer les *Essais* de Montaigne en les modernisant. Elle admire les pensées et le style de Montaigne, mais conteste l'idée de traduire un auteur français du XVIe siècle en français moderne. Elle reconnaît la qualité du style de l'éditeur, mais le compare défavorablement à celui de Montaigne, qu'elle juge plus nerveux, vif et soutenu. Elle souligne que traduire un auteur contemporain diffère de traduire un auteur d'une langue morte, comme Homère. Elle met en garde contre les préjugés qui peuvent faire admirer des aspects des anciens textes qui ne sont pas réellement admirables. La lettre inclut des digressions sur l'admiration excessive des anciens auteurs et des anecdotes sur des poètes comme Santeüil. L'auteure défend l'idée que Montaigne est déjà accessible et que sa langue, bien que vieille, est charmante et expressive. Elle conclut que la traduction moderne ne pourra pas capturer l'esprit et les grâces de l'original. Le texte compare également le style de Montaigne, mêlant l'enjoué et le sérieux, à celui du traducteur, plus grave et composé. Il critique la traduction, affirmant qu'elle manque de force et de noblesse par rapport à l'original. Le texte mentionne des critiques littéraires comme Vigneul Marville et La Bruyère, qui ont des avis variés sur les *Essais* de Montaigne. Il reconnaît les qualités du style du traducteur mais maintient que la traduction ne rend pas justice à l'original. L'auteur aborde également des sujets divers, comme les difficultés de créer un style d'écriture varié et agréable, et critique les auteurs qui écrivent de manière trop enflée ou trop délicate. Elle mentionne des anecdotes et des réflexions sur la communication et la littérature, soulignant l'importance de la spontanéité et de l'authenticité dans l'écriture.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
6
p. 1990-2002
REFLEXIONS.
Début :
Les hommes ne sçavent ni donner ni perdre à propos. [...]
Mots clefs :
Hommes, Mal, Mérite, Beauté, Politesse, Bienfaits, Esprit, Homme, Femmes, Justice, Grandeur, Paraître, Vertu, Réflexions, Défauts, Monde
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
Lperdre à
propos .
Es hommes ne sçavent ni donner ni
Pecuniam in loco negligere , maximum interdum
lucrum est. Terence . Adelph.
L'esprit de l'homme se connoît à ses
paroles et sa naissance ou son éducation
à ses actions.
C'est le destin de l'homme de ne jamais
SEPTEMBRE . 1733. 1991
mais connoîce Son vrai bien , et de chercher
courant à être plus mal , pour vou
mieux.
Il est plus aisé d'abuser les hommes
par une narration où il entre du merveilleux
, que de les instruire par un
récit simple et naïf.
Nous sommes presque tous de telle
condition , que nous sommes fâchez d'être
ce que nous sommes.
On ne doit jamais parler de soi ni en
bien , parce qu'on ne nous croit point ,
ni en mal , parce qu'on en croit plus
qu'on n'en dit.
Les hommes prétendent que les femmes
leur sont fort inferieures en mérite , cependant
ils ne veulent leur passer aucun
défaut , et ils éclatent en mauvaise
humeur quand elles en remarquent quelqu'un
marqué en eux . Ils devroient opter
, s'appliquer à avoir moins de défauts
qu'elles , ou avoir moins de sévérité pour
les leurs.
Un homme toujours satisfait de luimême
, l'est peu souvent des autres ; rarement
on l'est de lui.
On
1992 MERCURE DE FRANCE
On trouve bien des hommes qui s'avoient
avares , vindicatifs , yvrognes ,
orgueilleux , poltrons même ; mais l'en
vie et l'ingratitude sont des passions si
lâches et si odieuses, que jamais personne
n'en demeura d'accord. Il n'y a point
de vertus compatibles avec les vices , et
point de crimes ausquels elles ne puissent
conduire.
La plupart des hommes ont bien plus
d'affectation et d'adresse pour excuser
leurs fautes , que d'attention pour n'en
point commettre.
Quand on paroît aimable aux yeux
des hommes , on paroît à leur esprit
tout ce qu'on veut .
Il n'est pas plus dangereux de faire du
mal à la plupart des hommes , que de
leur faire trop de bien .
Les hommes ont plus d'interêt à cor
riger les défauts de l'esprit , que ceux du
corps ; ils agissent cependant comme s'ile
étoi.nt persuadez du contraire.
Les hommes ont une application continuelle
à cacher et à déguiser leurs vices
СБ
SEPTEMBRE. 1733. 1993
et leurs défauts ; ils auroient peut- être
moins de peine à s'en corriger.
La vertu est souvent voilée par la modestie
, et le vice par l'hypocrisie ; ainsi
il est bien difficile de pouvoir penetrer
l'interieur des hommes.
Il est aussi avantageux aux hommes
de publier les bienfaits qu'ils reçoivent,
u'il leur est desavantageux de se plaindre
de leurs disgraces.
qu'il
Les hommes sont aveugles dans leurs
desirs , leurs pensées sont trompeuses ,
leurs discours et leurs esperances folles ,
et leurs apétits dereglez. Omnes decipimur
specie recti , dit Horace . Car à plusieurs
une blessure a procuré la santé ,
et l'on s'est trouvé quelquefois au comble
de la gloire , quand on ne devoit attendre
que l'infamie ou la mort.
Les hommes ne sont pas obligez d'être
bien faits , d'êtres riches ; ils sont obligez
d'avoir de la probité et de l'honneur,
Les hommes trouvent presque toujours
la peine , quand ils la fuyent avec
trop d'empressement.
Etre
1994 MERCURE DE FRANCE
Etre utile au Public , est un call tere
brillant ; ne nuire à personne , est un
état de vertu obscur , mais for rava Il
faudroit que les hommes avant que d'êtres
utiles au Public , cessassent de nuire
à qui que ce soit.
On doit plaindre presque également
un homme riche qui n'a qu'une bonne table
, et un pauvre qui n'a que de l'apétit.
C'est une grande foiblesse à un Prince
de n'oser refuser justement ce qu'on ose
bien lui demander sans avoir égard à
la justice.
Les Grands , pour l'ordinaire , se contentent
de sentir qu'on leur est agréàble
, sans approfondir si on mérite de
l'être. Leur plus importante occupation
cependant devroit être de connoître les
hommes , puisqu'ils veulent passer pour
les images de la divinité ; mais ils craignent
en cela de se détromper , de peur
de trouver souvent leurs Favoris indignes
de leurs bontez , et les autres hommes
qu'ils ne regardent pas , dignes de
plus de distinction .
Les Souverains se picquent d'ordinaire
de
SEPTEMBRE. 1733. 1995
7
de constance ; ils condamneroient plutôt
leurs propres Enfans que de blâmer
un Sujet choisi de leur main . Ils ne crais
tant de paroître malheureux
dat leur famille
Pears
jugemens.
, que mal- habiles dans
Ifatti de Principi , hanno ogn'altra facsia
che la vera.
Il est bien rare que les Grands n'abusent
pas de leur grandeur.
Il y a cette difference entre le Peuple
et les Grands ; que celui - là perd fa- .
cilement le souvenir des bienfaits et des
injures , au lieu que celui- cy oublie facilement
les plaisirs reçûs , et se souvient
toujours des injures.
Plusieurs méprisent la grandeur , afin
de s'élever dans leur imagination audessus
des Grands et de se bâtir ainsi une
grandeur imaginaire. De même qu'en
méprisant les richesses, c'est souvent pour
se faire un petit trésor de vanité , qui
tienne lieu de ce qu'on n'a pas.
Les Princes doivent être extrémement
attentifs à moderer tellement , même
leurs
1996 MERCURE DE FRANCE
à
leurs vertus , que l'une ne nuise pas
l'autre par son excès . Prendre garde sur
tout que leur justice et leur bonté ne
s'entre- détruise ; car à vouloir êne trop
juste , on devient odieux ; à vouloir être
trop bon , on devient méprisable.
L'estime des Grands est quelquefois
facile à acquerir , mais elle est toujours
difficile à conserver.
Selon le sentiment d'Epicure , il doit
être plus agréable de donner que de recevoir.
L'ingratitude même ne doit pas nous
empêcher de faire du bien , car il vaut
encore mieux que les bienfaits se perdent
dans les mains des ingrats , que
dans les nôtres.
Rien ne s'achette plus cherement que
ce qu'on achette par les prieres.
L'avidité de recevoir un nouveau bien--
fait , fait oublier celui qu'on a déja reçû .
Cupiditas accipiendorum oblivionem facit
acceptorum. Seneq .
Nous traçons sur la poussiere les bienfaits
SEPTEMBRE . 1733. 1997
faits que nous recevons , et nous gravons
sur le marbre le mal qu'on nous
fait , dit un Ancien.
Un bienfait desaprouvé n'est gra
ce que pour un seul , et c'est une injure
pour plusieurs.
Le bienfait n'est tel que par le bon
usage qu'en fait celui qui le reçoit .
De toutes les choses du monde , celle
qui vieillit le plus aisément et le plu
tôt , c'est le bienfair.
- Plusieurs sçavent perdre leurs biens ;
mais peu les sçavent donner .
Faire du bien aux méchants
souvent faire du mal aux bons.
c'est
Presque toujours lorsque les bienfaits
vont trop loin , la haine prend la place
de la reconnoissance.
Il y a des plaisirs dont on se paye par
ses mains ; celui d'en faire aux autres
est de cette nature.
I Beneficii ordinariamente si vedono
E contra
1998 MERCURE DE FRANCE
sontra cambiati , con ingratitudine infinita ;
più per l'impertinenza che il Benef
usa nell'esigere la gratitudine del of
altrui , che per la discortesia di d
il beneficio.
Gli Beneficii si ricevano sempre volentieri
, ma non sempre volentieri si vede il
Benefattore.
Nous sommes toujours extrémement
agréables à ceux à qui nous donnons
occasion de l'être.
Une femme ne trouve rien de si diffi
cile à faire que de s'accoûtumer à n'être
plus belle , quand elle l'a été pare
faitement,
Il n'y a pas de femme , si laide soitelle
, qui ne se trouve quelque trait de
beauté.
Sibi quaque videtur amanda,
Pessima sit , nulli non sua forma placet.
Ovid. de Art. Am. L. 23
La beauté dans le Sexe expose à tant
de périls , qu'il est bien difficile qu'on
ne succombe pas à quelques- uns .
Les
SEPTEMBRE. 1733. 1999
gou-
Les femmes ont souvent raison de vouloir
, à quelque prix que ce soit , paroître
belies, puisque c'est tout ce que les hommes
leur ont laissé ; car , point de
vernement pour elles , point d'autorité
absoluë , point de conduite d'ames , point
de pouvoir dans l'Eglise , point de possession
de Charges , point d'entrée dans
le Secret des affaires d'Etat.Il semble même
qu'on leur veuille ôter jusqu'à l'esprit
, en traitant de précieuses celles qui
en font paroître. Laissons -leur donc la
beauté , et quand elles n'en ont point ,
laissons - leur du moins le plaisir de croire
qu'elles en ont.
La laideur fait quelquefois présumer la
vertu où elle n'est pas ; et la beauté a
cela de funeste , qu'on croit les belles
personnes capables de toutes les foiblesses
qu'elles causent .
La beauté sans la grace, est un apas sans
hameçon.
En désirant trop ardemment de plaire,
on ne se rend pas plus aimable.
La réputation qui vient de la beauté
est quelque chose de si délicat parmi les
E ij
Fem-
885481
2000 MERCURE DE FRANCE
Femmes, qu'encore qu'elles ayent la plus
grande indifférence du monde pour quel
qu'un , jamais pourtant cette indirerence
n'ira jusqu'à vouloir que ce quelqu'un
porte ailleurs ses hommages et ses soupirs.
Tant de fierté qu'on voudra , une
belle personne regarde toujours la fuite
d'un amant sans mérite si on veut , et
qu'elle n'estime pas , comme autant de
diminué sur son empire.
Il
y
des beautez si engageantes , que
si on ne fuit , sans hésiter, on ne fuit pas
loin. On ne peut aller tout au plus que
de la longueur de ses chaînes.
Le véritable Efprit de Politesse consiste
dans une certaine attention à faire ensorte
que par nos paroles et par nos manieres
, les autres soient contens de nous
et d'eux -mêmes.
L'incivilité n'est pas un vice de l'ame ;
elle est l'effet de plusieurs vices ; de la
sotte vanité , de l'ignorance de ses devoirs
, de la paresse , de la stupidité , de
la distraction , du mépris des autres de
la jalousie , & c.
Rien n'est plus contraire à la véritable
poSEPTEMDA
E. *733• 2001
politesse et à la bienséance , que
de l'observer
avec trop d'affectation ; c'est s'incommoder
, c'est s'embarrasser , pour incommoder
, pour embarrasser les autres.
Il eft presqu'autant contre la bienséance
de se cachet en faisant le bien , que de
chercher à se faire voir en faisant le mal.
Tel croit mériter le nom de Poli , qui
ne mérite que celui de Dameret ou de
Pindariseur. La vraie Politesse est souvent
confondue avec des qualitez qui
méritent plus de blâme que de loüange.
On doit obeir sans cesse à la Loy des
usages et des bienséances ; il n'y a que
les Loix de la necessité qui nous dispensent
de toutes les autres.
On voit beaucoup de gens qui sçavent
comme on vit , mais fort peu qui sçachent
vivre ; c'est qu'on est trop curieux
de sçavoir ce que le monde fait , et qu'on
ne l'est pas assez de ce qu'il devroit
Faire.
La Politesse ne donne pas le mérite ,
mais elle le rend agréable , sans elle ildevient
presque insupportable , car il est
farauche et sans agrément. E iij
2002 MERCURE DE FRANCE
"
On perd presque tout le mérite du
bien,si on le fait sans Politesse ; unc mauvaise
maniere gâte tout , elle, défigure
même la justice et la raison .
Le chef- d'oeuvre de la Politesse est de
n'insulter jamais à ceux qui en manquent,
et de se contenter de les instruire par
l'exemple , sans rien faire davantage .
Lperdre à
propos .
Es hommes ne sçavent ni donner ni
Pecuniam in loco negligere , maximum interdum
lucrum est. Terence . Adelph.
L'esprit de l'homme se connoît à ses
paroles et sa naissance ou son éducation
à ses actions.
C'est le destin de l'homme de ne jamais
SEPTEMBRE . 1733. 1991
mais connoîce Son vrai bien , et de chercher
courant à être plus mal , pour vou
mieux.
Il est plus aisé d'abuser les hommes
par une narration où il entre du merveilleux
, que de les instruire par un
récit simple et naïf.
Nous sommes presque tous de telle
condition , que nous sommes fâchez d'être
ce que nous sommes.
On ne doit jamais parler de soi ni en
bien , parce qu'on ne nous croit point ,
ni en mal , parce qu'on en croit plus
qu'on n'en dit.
Les hommes prétendent que les femmes
leur sont fort inferieures en mérite , cependant
ils ne veulent leur passer aucun
défaut , et ils éclatent en mauvaise
humeur quand elles en remarquent quelqu'un
marqué en eux . Ils devroient opter
, s'appliquer à avoir moins de défauts
qu'elles , ou avoir moins de sévérité pour
les leurs.
Un homme toujours satisfait de luimême
, l'est peu souvent des autres ; rarement
on l'est de lui.
On
1992 MERCURE DE FRANCE
On trouve bien des hommes qui s'avoient
avares , vindicatifs , yvrognes ,
orgueilleux , poltrons même ; mais l'en
vie et l'ingratitude sont des passions si
lâches et si odieuses, que jamais personne
n'en demeura d'accord. Il n'y a point
de vertus compatibles avec les vices , et
point de crimes ausquels elles ne puissent
conduire.
La plupart des hommes ont bien plus
d'affectation et d'adresse pour excuser
leurs fautes , que d'attention pour n'en
point commettre.
Quand on paroît aimable aux yeux
des hommes , on paroît à leur esprit
tout ce qu'on veut .
Il n'est pas plus dangereux de faire du
mal à la plupart des hommes , que de
leur faire trop de bien .
Les hommes ont plus d'interêt à cor
riger les défauts de l'esprit , que ceux du
corps ; ils agissent cependant comme s'ile
étoi.nt persuadez du contraire.
Les hommes ont une application continuelle
à cacher et à déguiser leurs vices
СБ
SEPTEMBRE. 1733. 1993
et leurs défauts ; ils auroient peut- être
moins de peine à s'en corriger.
La vertu est souvent voilée par la modestie
, et le vice par l'hypocrisie ; ainsi
il est bien difficile de pouvoir penetrer
l'interieur des hommes.
Il est aussi avantageux aux hommes
de publier les bienfaits qu'ils reçoivent,
u'il leur est desavantageux de se plaindre
de leurs disgraces.
qu'il
Les hommes sont aveugles dans leurs
desirs , leurs pensées sont trompeuses ,
leurs discours et leurs esperances folles ,
et leurs apétits dereglez. Omnes decipimur
specie recti , dit Horace . Car à plusieurs
une blessure a procuré la santé ,
et l'on s'est trouvé quelquefois au comble
de la gloire , quand on ne devoit attendre
que l'infamie ou la mort.
Les hommes ne sont pas obligez d'être
bien faits , d'êtres riches ; ils sont obligez
d'avoir de la probité et de l'honneur,
Les hommes trouvent presque toujours
la peine , quand ils la fuyent avec
trop d'empressement.
Etre
1994 MERCURE DE FRANCE
Etre utile au Public , est un call tere
brillant ; ne nuire à personne , est un
état de vertu obscur , mais for rava Il
faudroit que les hommes avant que d'êtres
utiles au Public , cessassent de nuire
à qui que ce soit.
On doit plaindre presque également
un homme riche qui n'a qu'une bonne table
, et un pauvre qui n'a que de l'apétit.
C'est une grande foiblesse à un Prince
de n'oser refuser justement ce qu'on ose
bien lui demander sans avoir égard à
la justice.
Les Grands , pour l'ordinaire , se contentent
de sentir qu'on leur est agréàble
, sans approfondir si on mérite de
l'être. Leur plus importante occupation
cependant devroit être de connoître les
hommes , puisqu'ils veulent passer pour
les images de la divinité ; mais ils craignent
en cela de se détromper , de peur
de trouver souvent leurs Favoris indignes
de leurs bontez , et les autres hommes
qu'ils ne regardent pas , dignes de
plus de distinction .
Les Souverains se picquent d'ordinaire
de
SEPTEMBRE. 1733. 1995
7
de constance ; ils condamneroient plutôt
leurs propres Enfans que de blâmer
un Sujet choisi de leur main . Ils ne crais
tant de paroître malheureux
dat leur famille
Pears
jugemens.
, que mal- habiles dans
Ifatti de Principi , hanno ogn'altra facsia
che la vera.
Il est bien rare que les Grands n'abusent
pas de leur grandeur.
Il y a cette difference entre le Peuple
et les Grands ; que celui - là perd fa- .
cilement le souvenir des bienfaits et des
injures , au lieu que celui- cy oublie facilement
les plaisirs reçûs , et se souvient
toujours des injures.
Plusieurs méprisent la grandeur , afin
de s'élever dans leur imagination audessus
des Grands et de se bâtir ainsi une
grandeur imaginaire. De même qu'en
méprisant les richesses, c'est souvent pour
se faire un petit trésor de vanité , qui
tienne lieu de ce qu'on n'a pas.
Les Princes doivent être extrémement
attentifs à moderer tellement , même
leurs
1996 MERCURE DE FRANCE
à
leurs vertus , que l'une ne nuise pas
l'autre par son excès . Prendre garde sur
tout que leur justice et leur bonté ne
s'entre- détruise ; car à vouloir êne trop
juste , on devient odieux ; à vouloir être
trop bon , on devient méprisable.
L'estime des Grands est quelquefois
facile à acquerir , mais elle est toujours
difficile à conserver.
Selon le sentiment d'Epicure , il doit
être plus agréable de donner que de recevoir.
L'ingratitude même ne doit pas nous
empêcher de faire du bien , car il vaut
encore mieux que les bienfaits se perdent
dans les mains des ingrats , que
dans les nôtres.
Rien ne s'achette plus cherement que
ce qu'on achette par les prieres.
L'avidité de recevoir un nouveau bien--
fait , fait oublier celui qu'on a déja reçû .
Cupiditas accipiendorum oblivionem facit
acceptorum. Seneq .
Nous traçons sur la poussiere les bienfaits
SEPTEMBRE . 1733. 1997
faits que nous recevons , et nous gravons
sur le marbre le mal qu'on nous
fait , dit un Ancien.
Un bienfait desaprouvé n'est gra
ce que pour un seul , et c'est une injure
pour plusieurs.
Le bienfait n'est tel que par le bon
usage qu'en fait celui qui le reçoit .
De toutes les choses du monde , celle
qui vieillit le plus aisément et le plu
tôt , c'est le bienfair.
- Plusieurs sçavent perdre leurs biens ;
mais peu les sçavent donner .
Faire du bien aux méchants
souvent faire du mal aux bons.
c'est
Presque toujours lorsque les bienfaits
vont trop loin , la haine prend la place
de la reconnoissance.
Il y a des plaisirs dont on se paye par
ses mains ; celui d'en faire aux autres
est de cette nature.
I Beneficii ordinariamente si vedono
E contra
1998 MERCURE DE FRANCE
sontra cambiati , con ingratitudine infinita ;
più per l'impertinenza che il Benef
usa nell'esigere la gratitudine del of
altrui , che per la discortesia di d
il beneficio.
Gli Beneficii si ricevano sempre volentieri
, ma non sempre volentieri si vede il
Benefattore.
Nous sommes toujours extrémement
agréables à ceux à qui nous donnons
occasion de l'être.
Une femme ne trouve rien de si diffi
cile à faire que de s'accoûtumer à n'être
plus belle , quand elle l'a été pare
faitement,
Il n'y a pas de femme , si laide soitelle
, qui ne se trouve quelque trait de
beauté.
Sibi quaque videtur amanda,
Pessima sit , nulli non sua forma placet.
Ovid. de Art. Am. L. 23
La beauté dans le Sexe expose à tant
de périls , qu'il est bien difficile qu'on
ne succombe pas à quelques- uns .
Les
SEPTEMBRE. 1733. 1999
gou-
Les femmes ont souvent raison de vouloir
, à quelque prix que ce soit , paroître
belies, puisque c'est tout ce que les hommes
leur ont laissé ; car , point de
vernement pour elles , point d'autorité
absoluë , point de conduite d'ames , point
de pouvoir dans l'Eglise , point de possession
de Charges , point d'entrée dans
le Secret des affaires d'Etat.Il semble même
qu'on leur veuille ôter jusqu'à l'esprit
, en traitant de précieuses celles qui
en font paroître. Laissons -leur donc la
beauté , et quand elles n'en ont point ,
laissons - leur du moins le plaisir de croire
qu'elles en ont.
La laideur fait quelquefois présumer la
vertu où elle n'est pas ; et la beauté a
cela de funeste , qu'on croit les belles
personnes capables de toutes les foiblesses
qu'elles causent .
La beauté sans la grace, est un apas sans
hameçon.
En désirant trop ardemment de plaire,
on ne se rend pas plus aimable.
La réputation qui vient de la beauté
est quelque chose de si délicat parmi les
E ij
Fem-
885481
2000 MERCURE DE FRANCE
Femmes, qu'encore qu'elles ayent la plus
grande indifférence du monde pour quel
qu'un , jamais pourtant cette indirerence
n'ira jusqu'à vouloir que ce quelqu'un
porte ailleurs ses hommages et ses soupirs.
Tant de fierté qu'on voudra , une
belle personne regarde toujours la fuite
d'un amant sans mérite si on veut , et
qu'elle n'estime pas , comme autant de
diminué sur son empire.
Il
y
des beautez si engageantes , que
si on ne fuit , sans hésiter, on ne fuit pas
loin. On ne peut aller tout au plus que
de la longueur de ses chaînes.
Le véritable Efprit de Politesse consiste
dans une certaine attention à faire ensorte
que par nos paroles et par nos manieres
, les autres soient contens de nous
et d'eux -mêmes.
L'incivilité n'est pas un vice de l'ame ;
elle est l'effet de plusieurs vices ; de la
sotte vanité , de l'ignorance de ses devoirs
, de la paresse , de la stupidité , de
la distraction , du mépris des autres de
la jalousie , & c.
Rien n'est plus contraire à la véritable
poSEPTEMDA
E. *733• 2001
politesse et à la bienséance , que
de l'observer
avec trop d'affectation ; c'est s'incommoder
, c'est s'embarrasser , pour incommoder
, pour embarrasser les autres.
Il eft presqu'autant contre la bienséance
de se cachet en faisant le bien , que de
chercher à se faire voir en faisant le mal.
Tel croit mériter le nom de Poli , qui
ne mérite que celui de Dameret ou de
Pindariseur. La vraie Politesse est souvent
confondue avec des qualitez qui
méritent plus de blâme que de loüange.
On doit obeir sans cesse à la Loy des
usages et des bienséances ; il n'y a que
les Loix de la necessité qui nous dispensent
de toutes les autres.
On voit beaucoup de gens qui sçavent
comme on vit , mais fort peu qui sçachent
vivre ; c'est qu'on est trop curieux
de sçavoir ce que le monde fait , et qu'on
ne l'est pas assez de ce qu'il devroit
Faire.
La Politesse ne donne pas le mérite ,
mais elle le rend agréable , sans elle ildevient
presque insupportable , car il est
farauche et sans agrément. E iij
2002 MERCURE DE FRANCE
"
On perd presque tout le mérite du
bien,si on le fait sans Politesse ; unc mauvaise
maniere gâte tout , elle, défigure
même la justice et la raison .
Le chef- d'oeuvre de la Politesse est de
n'insulter jamais à ceux qui en manquent,
et de se contenter de les instruire par
l'exemple , sans rien faire davantage .
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Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore diverses réflexions sur la nature humaine et les comportements sociaux. Il met en lumière la difficulté des hommes à reconnaître et à rechercher leur véritable bien, souvent préférant le malheur. Les récits merveilleux trompent plus facilement les hommes que les récits simples. La plupart des gens sont insatisfaits de leur condition et évitent de parler de leurs défauts. Les hommes critiquent les femmes pour leurs défauts tout en étant intolérants aux remarques sur les leurs. Les vices comme l'avarice et l'ingratitude sont rarement admis par ceux qui les possèdent. Les hommes cachent et déguisent leurs défauts plutôt que de les corriger. La vertu est souvent voilée par la modestie, tandis que le vice l'est par l'hypocrisie. Il est avantageux de publier les bienfaits reçus et désavantageux de se plaindre des malheurs. Les hommes sont aveugles dans leurs désirs et leurs pensées sont trompeuses. Les grands et les souverains ont souvent des comportements contradictoires, abusant de leur pouvoir et étant intolérants aux critiques. Les bienfaits sont souvent oubliés rapidement, tandis que les injures sont gravées dans la mémoire. La beauté chez les femmes expose à des périls et est souvent la seule chose qu'elles peuvent utiliser pour se distinguer. La véritable politesse consiste à rendre les autres contents d'eux-mêmes et de soi, sans affectation. L'incivilité est l'effet de plusieurs vices, et la politesse rend le mérite agréable.
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7
p. 210-211
AVIS.
Début :
Le Sieur Fagonde, Marchand à Paris, rue S. Denis, à côté de Sainte [...]
Mots clefs :
Sieur Fagonde, Eau anticaustique, Brûlures, Guérison, Mal, Peau, Fièvre, Douleur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AVIS.
AVIS.
La Sieur Fagonde , Marchand à Paris , rue S.
Denis , à côté de Sainte Catherine , à l'enſeigne
de la Toilette , débite l'Eau anticauftique , ainfi
appellée à caufe de fa vertu fouveraine pour la
guériſon prompte & sûre de toutes fortes de brûlures
, de quelque nature qu'elles puiffent être.
Perfonne n'ignore combien eft vive la douleur
excitée par l'action du feu ; la guériſon d'une brû-
Jure eft ordinairement affez longue , parce que le
mal augmente pendant dix à douze jours. Ce n'eft
d'abord qu'une rougeur plus ou moins grande;
furviennent enfuite des tumeurs féreuſes , vulgairement
appellées cloches ; la partie affligée fe
gonfle , & s'enfiamme de plus en plus : tout cela
eft accompagné de douleurs aigues qui fouvent oc
cafionnent la fievre ; la peau du malade fe roidit ;
les petites fibres ne pouvant plus faire leurs fonctions
, le détruiſent ; & enfin on refte ſouvent eftropié.
La liqueur anticauftique , appliquée àfroid , &
fouvent renouvellée , remédie tous ces accidens
: elle commence par appaifer la douleur , &
elle arrête enfuite très- promptement tout le
grès que le mal pourroit faire.
proAVRIL.
1757. 211
Le prix eft de 3 liv. le flacon de demi-fetier ;
le demi -flacon , 30 fols. Cette eau peut fe tranfporter
en tous lieux , & fe conſerve toujours ,
pourvu que les bouteilles foient bien bouchées.
La Sieur Fagonde , Marchand à Paris , rue S.
Denis , à côté de Sainte Catherine , à l'enſeigne
de la Toilette , débite l'Eau anticauftique , ainfi
appellée à caufe de fa vertu fouveraine pour la
guériſon prompte & sûre de toutes fortes de brûlures
, de quelque nature qu'elles puiffent être.
Perfonne n'ignore combien eft vive la douleur
excitée par l'action du feu ; la guériſon d'une brû-
Jure eft ordinairement affez longue , parce que le
mal augmente pendant dix à douze jours. Ce n'eft
d'abord qu'une rougeur plus ou moins grande;
furviennent enfuite des tumeurs féreuſes , vulgairement
appellées cloches ; la partie affligée fe
gonfle , & s'enfiamme de plus en plus : tout cela
eft accompagné de douleurs aigues qui fouvent oc
cafionnent la fievre ; la peau du malade fe roidit ;
les petites fibres ne pouvant plus faire leurs fonctions
, le détruiſent ; & enfin on refte ſouvent eftropié.
La liqueur anticauftique , appliquée àfroid , &
fouvent renouvellée , remédie tous ces accidens
: elle commence par appaifer la douleur , &
elle arrête enfuite très- promptement tout le
grès que le mal pourroit faire.
proAVRIL.
1757. 211
Le prix eft de 3 liv. le flacon de demi-fetier ;
le demi -flacon , 30 fols. Cette eau peut fe tranfporter
en tous lieux , & fe conſerve toujours ,
pourvu que les bouteilles foient bien bouchées.
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Résumé : AVIS.
L'avis traite de la vente de l'Eau anticauffique par le Sieur Fagonde, marchand à Paris, rue Saint-Denis, près de Sainte Catherine, à l'enseigne de la Toilette. Cette eau est reconnue pour son efficacité dans le traitement rapide et sûr des brûlures, indépendamment de leur nature. Les brûlures causent une douleur intense et une guérison lente, souvent accompagnée de complications telles que des rougeurs, des tumeurs, des gonflements, des inflammations, des douleurs aiguës, de la fièvre, et parfois des séquelles esthétiques. L'Eau anticauffique, appliquée à froid et renouvelée fréquemment, soulage la douleur et arrête rapidement la progression des dommages. Le prix de l'Eau anticauffique est de 3 livres pour un flacon de demi-setier et de 30 sols pour un demi-flacon. Elle peut être transportée et conservée dans des bouteilles bien bouchées.
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8
p. 211-212
AUTRE.
Début :
Le sieur Fagonde, Marchand à Paris, rue Saint Denis, à côté de Sainte [...]
Mots clefs :
Eau anticaustique, Guérison, Brûlures, Mal, Cloques, Apaisement
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AUTRE.
AUTRE.
Life
La fieur Fagonde, Marchand à Paris , rue Saine
Denis, à côté de Sainte Catherine , à l'enfeigne
de la Toilette , débite roujours avee fuccès , l'ean
Anticauftique , ainfi appellée à caufe de fa vertu
fouveraine , pour la guérifon prompte & fure de
toutes fortes de brûlures de quelque nature
qu'elles puiffent être . Perfonne n'ignore combien
eft vive la douleur excitée par l'action du
feu: la guérifon d'une brûlure eft ordinairement
affez longue , parce que le mal augmente pendant
dix à douzejours. Ce n'eft d'abord qu'une
longeur plus ou moins grande : furviennent en
fuire des tumeurs féruſes , vulgairement appel.
212 MERCURE DE FRANCE:
lées cloches , la partie affligée ſe gonfle , & s'er
flamme de plus en plus , tout cela eſt accompagné
de douleurs aiguës , qui fouvent occafionnent
la fièvre , la peau du malade ſe roidit , lés
petites fibres ne pouvant plus faire leurs fonctions
fe détruifent , & enfin on refte fouvent eſtropié
La liqueur Anticauftique , appliquée à froid , &
fouvent renouvellée , remedie à tous ces accidens
: elle commence par appaiſer la douleur ,
& elle arrête enfuite très-promptement tous les
progrès que le mal pourroit faire. Le prix eſt de
3 liv. le flacon de demi- fetier , le demi facon
30 fols. Cette eau peut le tranſporter en tous
lieux & fe conferve toujours , pourvu que les bouteilles
foient bien bouchées. On donnera une
inftruction pour l'employer.
Life
La fieur Fagonde, Marchand à Paris , rue Saine
Denis, à côté de Sainte Catherine , à l'enfeigne
de la Toilette , débite roujours avee fuccès , l'ean
Anticauftique , ainfi appellée à caufe de fa vertu
fouveraine , pour la guérifon prompte & fure de
toutes fortes de brûlures de quelque nature
qu'elles puiffent être . Perfonne n'ignore combien
eft vive la douleur excitée par l'action du
feu: la guérifon d'une brûlure eft ordinairement
affez longue , parce que le mal augmente pendant
dix à douzejours. Ce n'eft d'abord qu'une
longeur plus ou moins grande : furviennent en
fuire des tumeurs féruſes , vulgairement appel.
212 MERCURE DE FRANCE:
lées cloches , la partie affligée ſe gonfle , & s'er
flamme de plus en plus , tout cela eſt accompagné
de douleurs aiguës , qui fouvent occafionnent
la fièvre , la peau du malade ſe roidit , lés
petites fibres ne pouvant plus faire leurs fonctions
fe détruifent , & enfin on refte fouvent eſtropié
La liqueur Anticauftique , appliquée à froid , &
fouvent renouvellée , remedie à tous ces accidens
: elle commence par appaiſer la douleur ,
& elle arrête enfuite très-promptement tous les
progrès que le mal pourroit faire. Le prix eſt de
3 liv. le flacon de demi- fetier , le demi facon
30 fols. Cette eau peut le tranſporter en tous
lieux & fe conferve toujours , pourvu que les bouteilles
foient bien bouchées. On donnera une
inftruction pour l'employer.
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Résumé : AUTRE.
Le texte est une annonce publicitaire pour une liqueur nommée 'Eau Anticaustique', vendue par la fleur Fagonde, marchand à Paris, rue Sainte-Denis, près de Sainte Catherine, sous l'enseigne de la Toilette. Cette eau est reconnue pour son efficacité dans le traitement rapide et sûr des brûlures. Les brûlures sont décrites comme extrêmement douloureuses, avec des symptômes tels que des douleurs vives, des tumeurs, des cloques, un gonflement, une inflammation, et parfois de la fièvre. Ces complications peuvent entraîner une rigidité de la peau, une destruction des fibres, et une estropie. L'Eau Anticaustique, appliquée à froid et renouvelée fréquemment, apaise la douleur et stoppe la progression des dommages. Elle est disponible à 3 livres le flacon de demi-setier et 30 sols le demi-flacon. Les bouteilles doivent être bien bouchées pour assurer une conservation et un transport faciles. Une instruction pour son utilisation est fournie.
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