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1
p. 35-36
MADRIGAL. A. M. T. D. C.
Début :
Des Fleurs envoyées avec les Vers que vous allez lire, / L'Hyver avecque ses rigueurs [...]
Mots clefs :
Hiver, Fleurs, Peines, Amour, Vérité
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texteReconnaissance textuelle : MADRIGAL. A. M. T. D. C.
Des Fleurs envoyées avec les
Vers que vous allez lire , ont ferd'Etrennes
pour une fort belle vy
Dame.
36 MERCURE
L'
MADRIGAL.
A. M. T. D. C.
'Hyver avecque fes rigueurs
N'a pu faire mourir ces Fleurs.
Philis, c'eft voftre destinée.
Nul iour, nul mois , ny nulle année
Ne terniront voftre beauté,
Mais à dire la verité,
Quoy que vous soyez tres- bienfaite,
Ilfaut pour devenir parfaite ,
Et rendre nos joursfortunez ,
Que ce qu'aux autres vous donnez ,
Vous lepreniez pour vos Etrennes ,
Et vous foulagere leurs peines ;
C'est àdire qu'à vostre tour
Vous prendre du feu de l'amour.
Vers que vous allez lire , ont ferd'Etrennes
pour une fort belle vy
Dame.
36 MERCURE
L'
MADRIGAL.
A. M. T. D. C.
'Hyver avecque fes rigueurs
N'a pu faire mourir ces Fleurs.
Philis, c'eft voftre destinée.
Nul iour, nul mois , ny nulle année
Ne terniront voftre beauté,
Mais à dire la verité,
Quoy que vous soyez tres- bienfaite,
Ilfaut pour devenir parfaite ,
Et rendre nos joursfortunez ,
Que ce qu'aux autres vous donnez ,
Vous lepreniez pour vos Etrennes ,
Et vous foulagere leurs peines ;
C'est àdire qu'à vostre tour
Vous prendre du feu de l'amour.
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Résumé : MADRIGAL. A. M. T. D. C.
Le poète offre des fleurs et des vers à Philis pour la nouvelle année, symbolisant sa beauté durable. Il affirme que ni le temps ni l'hiver ne peuvent altérer sa beauté. Pour atteindre la perfection et rendre les jours heureux, elle doit accepter et offrir de l'amour, soulageant ainsi les peines des autres.
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2
p. 269-270
XI.
Début :
J'Ay découvert la verité / Ceux qui ont trouvé ce mesme Mot, sont Messieurs de [...]
Mots clefs :
Vérité, Obscurité, Lanterne
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texteReconnaissance textuelle : XI.
XI.
Ay découvert la verité
De cette docte obfcurité
Et je confens que l'on me berne
Si ce n'eft pas une Lanterne .
DROUET, Curé de S. Nicolas
au Mans.
Ceux qui ont trouvé ce mesme Mot,
font Meffieurs de l'Hospital , Lieute
nant au Grenier à Sel ; F. le Vaffeur
Cadet , Mathematicien ; P. Carrier,
de Rouen ; Foly , de S. Bonoist de
Beauvais ; F. Francard ; La Croix,
des Gobelins ; Dês Portes ; Teftards
Baco ; Ponier ; P. D. de Blais ; Le
Cadet de Breteuil , de la vieille Ruë
du Temple ; De la Faye ; T. Gaudeloup
; Il Conte Domenigo de Charloiis
; L'Oedipe de la Rue des Lavandieres
; L'Olivier de Peronne ; L'AZ
iij
270
... Extraordinaire
mant de la Belle Anceaume ; L'Abbé
Romieu ; Le Gardien de la Belle Clai-
" &Son ron ; l'heureux Galopin
aimable future Galopine. MefdemoifellesNanon
Chefferet ; Niares; S. Blimont
, & Biffard ; Les Belles de la
Ruë S. Denis ; la Femme fans regret;
& la Compagnie du R. de S. Germain
en Laye.
Ay découvert la verité
De cette docte obfcurité
Et je confens que l'on me berne
Si ce n'eft pas une Lanterne .
DROUET, Curé de S. Nicolas
au Mans.
Ceux qui ont trouvé ce mesme Mot,
font Meffieurs de l'Hospital , Lieute
nant au Grenier à Sel ; F. le Vaffeur
Cadet , Mathematicien ; P. Carrier,
de Rouen ; Foly , de S. Bonoist de
Beauvais ; F. Francard ; La Croix,
des Gobelins ; Dês Portes ; Teftards
Baco ; Ponier ; P. D. de Blais ; Le
Cadet de Breteuil , de la vieille Ruë
du Temple ; De la Faye ; T. Gaudeloup
; Il Conte Domenigo de Charloiis
; L'Oedipe de la Rue des Lavandieres
; L'Olivier de Peronne ; L'AZ
iij
270
... Extraordinaire
mant de la Belle Anceaume ; L'Abbé
Romieu ; Le Gardien de la Belle Clai-
" &Son ron ; l'heureux Galopin
aimable future Galopine. MefdemoifellesNanon
Chefferet ; Niares; S. Blimont
, & Biffard ; Les Belles de la
Ruë S. Denis ; la Femme fans regret;
& la Compagnie du R. de S. Germain
en Laye.
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Résumé : XI.
Le texte relate la découverte d'une vérité symbolisée par une lanterne. Plusieurs personnes, dont le Curé Drouet, des notables comme Meffieurs de l'Hospital et P. Carrier, ainsi que des artisans et des résidents anonymes, ont reconnu cette lanterne. La liste inclut également la 'Compagnie du R. de S. Germain en Laye'.
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3
p. 319-318
QUELLE FORTUNE EST la plus satisfaisante en Amour, celle d'un Amant dont les soins sont receus d'abord agréablement, & presque aussi tost recompensez ; ou le bonheur de celuy, qui apres avoir aimé quelque temps sans espérance, trouve enfin le coeur de sa Maistresse sensible.
Début :
Quand on obtient facilement [...]
Mots clefs :
Amour, Amant, Vérité, Beauté, Mépris, Sensible, Raisonnement
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texteReconnaissance textuelle : QUELLE FORTUNE EST la plus satisfaisante en Amour, celle d'un Amant dont les soins sont receus d'abord agréablement, & presque aussi tost recompensez ; ou le bonheur de celuy, qui apres avoir aimé quelque temps sans espérance, trouve enfin le coeur de sa Maistresse sensible.
QUELLE FORTUNE EST
la plus fatisfaifante en Amour , celle
d'un Amant dont les foins font receus
d'abord agréablement , & prefque auffi
toft recompenfez ; ou le bonheur de
celuy, qui apres avoir aimé quelque
temps fans efpérance , trouve enfin le
coeur de fa Maiftreffe fenfible.
Q
Vand on obtient facilement
Une jeune Beauté qu'on aime,
L'amour d'abord fuft- il extréme,
Dans lafuite l'on eft fatisfait rarements
Maisplus, avant la récompenfe ,
Un Amant voit de réfiftance,
Et plus il a de peine à pouvoir obtenir
L'Objet qui caufefon martire,
a
Plus leplaifir eft grand quand il peut par-
Ventr
A lapoffeffion de celle qu'il defire.
Oronte & Licidas prouveront mieux que
moy
)
Ddij
316 Extraordinaire
.
Cette Verité que j'avance.
Le premier dés l'abord uit recevoirfafox
allAvec prompta reconnoiffance,
Et la jeune Cloris qu'il voulut rechercher
Fut bien-toft mife enfa puiffance;
On la vit enfin s'attacher :
A get Amant dont le mérite
Eftoit accompagné d'une fage conduire.
Leur Hymen s'accomplit ; & le moment
fatal
Quidevoit caufer leur divorce,
Se couvrant à leurs yeux d'une fubtile
amorce,
Voulutfairefon coup dés le jourNuptial.
Cloris dans le Feftin vit paroiftxe Nicandre
Qui la regardoit d'un oeil tendre,
Elle devintfenfible , & répondant des
yeux
Afon muet langage,
Elle devint bientoft volage ,
Etne fit que chercher le moment précieux
Afin depouvoir entendre
du Mercure Galant.
317
Une déclaration
Quefit l'amoureux Nicandre
Defafollepaffion .
Elle oublia bien- toft cette foy conjugate`
Qu'elle devoit garder meſme malgré la
mort,
Et d'une ame inconftante, infidelle, inégale,
Elle fit éprouverun effroyablefort
Afon Epoux le pauvre Oronte,
Quine la trouva plus qu'un objet defa
bonte.
La haine & la rigueur, l'opprobre & le
mépris,
'
Furent dorénavant les Prix
Dont il vitque certe Infidelle
Voulutrécompenferſon amour &fonzile.
Mais au contraire Licidas.
Que l'on vit millefoss invoquer le trépas,
Nepouvant rendre Iris fenfible
Aux tendres mouvemens qui partoient de
fon cours
318 Extraordinaire
C
Employant tout le foin poffible
Afinde luy caufer unepareille ardeur,
Apres avoirfouffert , pleuré, priéfans ceffe
Cecher objet de fa tendreffe,
byer
Arriva ce jour bienheureux
Qu'il vit récompenferfesvoeux. 70
Depuis ce temps leur amour mutuelles
Paroift auxyeux de tous devoir eftre éter
nelle.
"Ainfi donc je conclus de cé raiſonnement ."
Que d'un amour trop prompt il naift d'é
trangesfuites;
Où quand il n'eft formé qu'apres plufieurs
poursuites,
Rarement on n'en voit qu'un bon évenement;
Et qu'enfin pour avoir toûjours l'ame contente,
Laderniere Fortune eft plusfatisfaisante.
la plus fatisfaifante en Amour , celle
d'un Amant dont les foins font receus
d'abord agréablement , & prefque auffi
toft recompenfez ; ou le bonheur de
celuy, qui apres avoir aimé quelque
temps fans efpérance , trouve enfin le
coeur de fa Maiftreffe fenfible.
Q
Vand on obtient facilement
Une jeune Beauté qu'on aime,
L'amour d'abord fuft- il extréme,
Dans lafuite l'on eft fatisfait rarements
Maisplus, avant la récompenfe ,
Un Amant voit de réfiftance,
Et plus il a de peine à pouvoir obtenir
L'Objet qui caufefon martire,
a
Plus leplaifir eft grand quand il peut par-
Ventr
A lapoffeffion de celle qu'il defire.
Oronte & Licidas prouveront mieux que
moy
)
Ddij
316 Extraordinaire
.
Cette Verité que j'avance.
Le premier dés l'abord uit recevoirfafox
allAvec prompta reconnoiffance,
Et la jeune Cloris qu'il voulut rechercher
Fut bien-toft mife enfa puiffance;
On la vit enfin s'attacher :
A get Amant dont le mérite
Eftoit accompagné d'une fage conduire.
Leur Hymen s'accomplit ; & le moment
fatal
Quidevoit caufer leur divorce,
Se couvrant à leurs yeux d'une fubtile
amorce,
Voulutfairefon coup dés le jourNuptial.
Cloris dans le Feftin vit paroiftxe Nicandre
Qui la regardoit d'un oeil tendre,
Elle devintfenfible , & répondant des
yeux
Afon muet langage,
Elle devint bientoft volage ,
Etne fit que chercher le moment précieux
Afin depouvoir entendre
du Mercure Galant.
317
Une déclaration
Quefit l'amoureux Nicandre
Defafollepaffion .
Elle oublia bien- toft cette foy conjugate`
Qu'elle devoit garder meſme malgré la
mort,
Et d'une ame inconftante, infidelle, inégale,
Elle fit éprouverun effroyablefort
Afon Epoux le pauvre Oronte,
Quine la trouva plus qu'un objet defa
bonte.
La haine & la rigueur, l'opprobre & le
mépris,
'
Furent dorénavant les Prix
Dont il vitque certe Infidelle
Voulutrécompenferſon amour &fonzile.
Mais au contraire Licidas.
Que l'on vit millefoss invoquer le trépas,
Nepouvant rendre Iris fenfible
Aux tendres mouvemens qui partoient de
fon cours
318 Extraordinaire
C
Employant tout le foin poffible
Afinde luy caufer unepareille ardeur,
Apres avoirfouffert , pleuré, priéfans ceffe
Cecher objet de fa tendreffe,
byer
Arriva ce jour bienheureux
Qu'il vit récompenferfesvoeux. 70
Depuis ce temps leur amour mutuelles
Paroift auxyeux de tous devoir eftre éter
nelle.
"Ainfi donc je conclus de cé raiſonnement ."
Que d'un amour trop prompt il naift d'é
trangesfuites;
Où quand il n'eft formé qu'apres plufieurs
poursuites,
Rarement on n'en voit qu'un bon évenement;
Et qu'enfin pour avoir toûjours l'ame contente,
Laderniere Fortune eft plusfatisfaisante.
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Résumé : QUELLE FORTUNE EST la plus satisfaisante en Amour, celle d'un Amant dont les soins sont receus d'abord agréablement, & presque aussi tost recompensez ; ou le bonheur de celuy, qui apres avoir aimé quelque temps sans espérance, trouve enfin le coeur de sa Maistresse sensible.
Le texte examine deux types de fortunes en amour. La première concerne un amant dont les vœux sont rapidement exaucés. La seconde décrit un amant qui, après avoir aimé sans espoir, voit finalement sa maîtresse s'adoucir. Le texte affirme que l'amour facilement obtenu peut devenir extrême au début mais se raréfie ensuite. À l'inverse, un amour obtenu après résistance et peine procure un plaisir plus grand. L'exemple d'Oronte illustre la première fortune. Oronte reçoit promptement l'affection de Cloris, qu'il épouse. Cependant, Cloris devient infidèle dès le jour des noces, causant une grande souffrance à Oronte. Licidas incarne la seconde fortune. Après avoir souffert et prié sans cesse, Licidas voit enfin ses vœux récompensés. Son amour pour Iris, après de nombreuses poursuites, devient mutuel et éternel. Le texte conclut que la fortune la plus satisfaisante est celle où l'amour naît après plusieurs poursuites, plutôt qu'un amour trop prompt qui peut mener à des suites étranges.
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3
4
p. 15-31
LA FRANCE AU ROY, SUR L'EXTIRPATION DE L'HERESIE.
Début :
On ne doit point s'étonner apres tous ces soins, / Grand Roy, qui dans l'Eglise avez le Droit d'Ainesse, [...]
Mots clefs :
Louanges, Monarque, Chevalier de Longueil, Hérésie, Lois, Église, Couronne, Honneur, Grandeur, Monstres, Conversion, Tyrans, Vérité, Auteurs, Guerre
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LA FRANCE AU ROY, SUR L'EXTIRPATION DE L'HERESIE.
On ne doit point s'étonner
apres tous ces foins , qui font
fuivis tous les jours de fuccez
tres- favorables , fi l'on entend
retentir de toutes parts les
loüanges de noftre augufte
Monarque. Je croy ne pouvoir
vous les faire entendre
16 MERCURE
d'une maniére plus agréable ,
qu'en vous envoyant les Vers
que vous allez lire . Ils font de
M'le Chevalier de Longueil,
qui ſe diſtingue autant par les
belles Lettres que par les Mathématiques
. Če Gentilhomme
qui demeure en Anjou ,
eft de l'Illuftre Maifon de
Longueil , qui a l'honneur de
voir encore aujourd'huy M¹
le Préfident de Maifons, exercer
une des premiéres Charges
de la Juſtice , avec toute
la réputation que ſes Ance
ftres ont acquife pendant les
trois derniers Siécles , & fen
GALANT.
17
3
>
M' le Préfident de Maiſons.
fon Pere , Surintendant des
Finances en celuy- cy. Il
femble que M' le Chevalier
de Longueil ait voulu imiter
dans ces vers le zéle de Chriftophe
de Longueil , le plus
celebre Orateur Latin , que las
France ait eu jufques à luy ,,
lequel déclama dans l'Eglife
de S. Pierre , en prefence dus
Pape Leon X. cette éloquente
Oraifon , qu'il avoit compofée
contre l'Heréfie de Luther
alors naiffante , & qui fe:
trouve dans fes Ouvrages.
Février
1685-
B
18 MERCURE
SZ-SSSESES:S22SSSS
LA FRANCE
AU ROY,
SUR L'EXTIRPATION
DE L'HERESIE.
G
·RAND ROT , quidas l'Eglife
avez le Droit d' Aineffe ,
Et aans fesfaintes Loixpuifez voftre
Sageffe,
Pour régir des François l'Empire
glorieux,
Qu'a fignalé la Foy de vos premiers
Aуeux;
Cher Prince, à qui le Ciel adonné ma
Couronne,
Pourtenir en vos mains tous les ordres
qu'il donne,
GALANT rep
Rétablir des Autels les bonneurs méprifez
Réunir tant de coeurs fi long- temps
divifex, A
Et pour rendre à mes Lys cette pure
innocence,
Qu'ils reçûrent du lien de leurfainte
naiffance.
Apres m'avoirportée à ce baut point:
d'honneur,
Qui refléchitfur- moy vostre propre
Grandeur;
M'avoir donné du Rhin la Barriere
fameuse,
Faitcoulerfous mesLoix , & l'Efcaur »
& la Meufe;
Avoirpour le Commerce ouvert de
nouveaux Ports ,
De Pinde & du Couchant attiré les
tréfors;
Et pour joindre les Mers, prodiguanst
Les miracles ,
20 MERCURE
Des Rochers & des Eauxforcé tous les
obftacles;
Apresm'avoir donné, par lefecours
des Arts,
Defuperbes Palais , & defameux
Ramparts,
Et par tant de travaux, qu'en tous
lieux on renomme,
Eait voir qu'eftre François, c'eft eftre
plus qu'un Homme;
Par un reffentiment digne de vos
bienfaits,
Je viens du Monde entier vous offrir
les refpects,
Et donner pour Garans de ma reconnoiffance,
Les coeurs de vos Sujets,& mon obeïf
fance.
De mefme que la Terre au retour du
Printemps
Découvre defes Fleurs les Rubis éclas
tans.ક
GALANT 20
Etpourenfaire hommage au Roy de la
Nature,
Semble luy présenter la naiffante
verdure;
Telle, &plus redevable à vos ſoins
glorieux,
Jétale mon bonheur & mapompe à
vos yeux
Mais le Ciel a voulu qu'à de plus
nobles marques akt
Vousfuffiez reconnu le plus grand
des Monarques,
Et qu'un pieux Héros dans la prospé
rité,
Travaillantfans relâche à l'immortalité,
Extirpast l'Heréfie, & coupantfes
racines,
Enfin d'avec mes Lys feparast les
Epines..
Depuis unfiécle, on plus, mes Peuples
vas Sujets
22 MERCURE
Ont pour ce grand deſcin formé de.
vains projets...
Les Charles , les Henrys, & voftre
auguste Pere,
Ontcombatu ce,Monftre , & n'ontpú
le défaires
Et P.Universconnoist,fans en estre
jaloux,
Qu'il n'eftoitréfervé
qu'à vos illu .
ftres coups.
QuelSpectacle de voir mon Roy cou
vert degloire,
Faire de Conftantin revivre lamémoire
,
Elevercomme luy l'Etendart de la
Croix,
Faireregnerceluy qui fait regner les.
Roys ,
Contrefes Ennemisprendre en main.
fa quercite,
Et vanger en Chrétien fon Eglife
fidelle!
GALANT. 23
4
Oxy , Dicu mefmejaloux deſespra..
pres honneurs.
S'estfait en tous les temps de pieux:
Défenfeurs;
Lug - mefme a foûtenu le coeur des
Macabées,
Pour vaincre d'un Tyran les nom
breufes Armées;
Et l'heureufe valeur du Berger d'If
raël,
Pour délivrer les Iuifs , fut l'ouvrage
du Ciel."
Voftre tour eft venu, Grand Prince, il
vous appelle,
Pour eftre l'Héritier de leur glaire
immortelle..
Oquej'aime à vous voir, épris de
cette ardeur,
Chercher tous les moyens de diffiper
L'erreur;
Dufameux Bofsüet emprunter l'élo-
∙quence,
24 MERCURE
Et dujufte Tellier confulter lapru
dence;
Exciter Chanvallon, dont lafainte
ferveur,
D'Aurele & d Auguſtin imitant la
douceur,
Propofe du Clergé la Lettre Paftorale, -
Pour attirer les coeurs que retient la
Cabale,
Etjoindre àleurs travaux la libéra--
lité,
Lamajefté des Loix, l'exemple, & -
L'équités
Des Nouveaux Convertis foûtenirl'indigence,
Etpunirdes Relaps l'odieufe incon--
Stance!
D'unfage & puiffant Roy falutaire
rigueur,
Qui détermine au Bien la liberté du
coeur
maiss
GALANT. 25
Mais quey ! doit-on ainfi nommer
voftrejustice,
Qui pardonne à tous ceux qui renoncentau
vice?
Elle qui n'interdit les emplois glorieux
Quejufques au moment que l'Homme
ouvre les yeux.
Quand par voftre bonté, dont elle est
prévenuë,
De ceux qui la craignoient le nombre
diminuë;
Lorsque vous adoptez cesgenéreux
Enfans,
Dont les Peres, fans vous, deviendroient
les Tyrans;
On quand vos foins heureux, cherchant
avec tendreffe
Ceux que la Grace touche, & la Verité
preſſe,
Font voir avec éclat d'illuftres Déferteurs,
Fevrier 1685. C
26 MERCURE
Minifires de Satan , abjurer leurs »
erreurs.
Puiffe du GrandLOVIS l'infatiga
ble zéle
Aux Héros à venir eftre un parfait
modelle;
Ou fi de l'imiter on tâche vaincment,
Que du moins on l'admire avec étonnement,
Dans le défir de voir réunis à l'Eglife
Les coeurs defes Sujets, que le Schifme
divife,
S'eftimer fortuné, fi defon Bras un
jour
Il payoit la valeur de cet heureux
retour.
Maisformez d'autres voeux, Prince
trop magnanime,
Le Ciel ne veut de vous qu'un tribut
légitime:
Gardez ce Bras vainqueur, que craint
tout l'Univers,
GALANT 27
Pour punir les Mechans, & leur donnerdes
fers.
Ce Bras, par qui la Foy de fes droits
refaifie,
Ajufque dans Strasbourg détrôné ››
PHeréfie ;
Et qui pour la détruire enfes Retranchemens,
then war
Renverse d'unſignalfes plus chers
monumens:
Pourfuir voftrejuftice, oùfe cachera-telle?
Lefameux Montauban,
l'orgueilleufe
Rochelle,
Nifmes & Montpellier, avec tant
d'autres
Lieux ,
Où l'audace Herétique a bravé vos
Ayeux,
Ont vû tomber les Murs qui lay fervoient
d'azile.
L'Anglois, qui lafoûtint, luy devient
inutile.
28 MERCURE
L'Union d'Allemagne &defes Novateurs
Est le Phantome vain de nos Réfor
mateurs,
Et leur ambition clairement décou
verte,
Enfaveur de l'Etat doit avancer leur
perte.
Sans répandre leurfang, vousfçavez,
m'en vanger;
Fousles traitez en Perc, & l'onles
voit changer;
Mais
pour
les coeurs d'airain ayez
moins de clémence.
De cet illuftre Grec imitez la pru
.
dence,
Qui ne pouvoit fouffrir le dernier.
Rejetton
Qui pust de Troye un jour refufciter
le
nom,
Et rangerfur les Grecs la bonte de
Afie.
GALANT. 29
Vous connoiffez, Grand Roy, ce que
peut l'Heréfie;
Cet Hydre renaissant, de monfang
alteré,
Monftre des coeursféduits follement
revéré.
Et vous, Sujets ingrats, rebelles
Herétiques,
Quejay vus les Autheurs des miferes
publiques,
Volontaires Profcrits , ambitieuxTitans,
Nourris du mefme lait de mes plus
chers Enfans;
De quel Démon pouffez , de quelle
barbarie,
Avez - vous déchiré le fein de la
Patrie?
Mes Fleuves teints defang, & mes
Roys méprifez,
LesTemples mis en cendre , & les
Autels brifez,
30 MERCURE
Sont les affreux effets de ces triftes
journées,
oùjay vi mafortune &ma gloire
bornées,
Quandl'erreur populaire infectant
les grands coeurs,
De mes pres Hérosfaifoitfes Protecicurs.
Dreux, S. Deni ,Farnac, font les têmoins
fidelles
Des premieres horreurs de ces Guerres
cruelles,
où j'ay, quand vostre fer ne me refpectoir
plus,
Couronné les Vainqueurs, &pleuré
les Vaincus.
Soit de tels attentats l'audace terminée;
Mon Roytientfous ſes pieds la Difcorde
enchaînée.
Pourriez - vousfoûtenir; impuiſſans
Factieux,
GALANT 31
Les regards d'un Héros toûjours
victorieux,
Etfaire foulever les Cevennesfidel
les?
Non, a Religion ne fait point de
rebelles.
Grand Monarque, achevez la Conqueftedes
coeurs,
Elle doit égaler les vaincus aux Vainqucurs;
Etfaites avouer à la plus noire envie,
Que le Nom de LOVIS ,fatal à
l'Heréfie,
Dans l'Eglife & l'Etat rétablit l'u
nité;
Et que celuy de GRAND, tantdefois
mérité,
Vientmoins de vos Exploits , qu'honore
la Vistoire,
Que de la Pieté que marque voftre
Hiftoire.
apres tous ces foins , qui font
fuivis tous les jours de fuccez
tres- favorables , fi l'on entend
retentir de toutes parts les
loüanges de noftre augufte
Monarque. Je croy ne pouvoir
vous les faire entendre
16 MERCURE
d'une maniére plus agréable ,
qu'en vous envoyant les Vers
que vous allez lire . Ils font de
M'le Chevalier de Longueil,
qui ſe diſtingue autant par les
belles Lettres que par les Mathématiques
. Če Gentilhomme
qui demeure en Anjou ,
eft de l'Illuftre Maifon de
Longueil , qui a l'honneur de
voir encore aujourd'huy M¹
le Préfident de Maifons, exercer
une des premiéres Charges
de la Juſtice , avec toute
la réputation que ſes Ance
ftres ont acquife pendant les
trois derniers Siécles , & fen
GALANT.
17
3
>
M' le Préfident de Maiſons.
fon Pere , Surintendant des
Finances en celuy- cy. Il
femble que M' le Chevalier
de Longueil ait voulu imiter
dans ces vers le zéle de Chriftophe
de Longueil , le plus
celebre Orateur Latin , que las
France ait eu jufques à luy ,,
lequel déclama dans l'Eglife
de S. Pierre , en prefence dus
Pape Leon X. cette éloquente
Oraifon , qu'il avoit compofée
contre l'Heréfie de Luther
alors naiffante , & qui fe:
trouve dans fes Ouvrages.
Février
1685-
B
18 MERCURE
SZ-SSSESES:S22SSSS
LA FRANCE
AU ROY,
SUR L'EXTIRPATION
DE L'HERESIE.
G
·RAND ROT , quidas l'Eglife
avez le Droit d' Aineffe ,
Et aans fesfaintes Loixpuifez voftre
Sageffe,
Pour régir des François l'Empire
glorieux,
Qu'a fignalé la Foy de vos premiers
Aуeux;
Cher Prince, à qui le Ciel adonné ma
Couronne,
Pourtenir en vos mains tous les ordres
qu'il donne,
GALANT rep
Rétablir des Autels les bonneurs méprifez
Réunir tant de coeurs fi long- temps
divifex, A
Et pour rendre à mes Lys cette pure
innocence,
Qu'ils reçûrent du lien de leurfainte
naiffance.
Apres m'avoirportée à ce baut point:
d'honneur,
Qui refléchitfur- moy vostre propre
Grandeur;
M'avoir donné du Rhin la Barriere
fameuse,
Faitcoulerfous mesLoix , & l'Efcaur »
& la Meufe;
Avoirpour le Commerce ouvert de
nouveaux Ports ,
De Pinde & du Couchant attiré les
tréfors;
Et pour joindre les Mers, prodiguanst
Les miracles ,
20 MERCURE
Des Rochers & des Eauxforcé tous les
obftacles;
Apresm'avoir donné, par lefecours
des Arts,
Defuperbes Palais , & defameux
Ramparts,
Et par tant de travaux, qu'en tous
lieux on renomme,
Eait voir qu'eftre François, c'eft eftre
plus qu'un Homme;
Par un reffentiment digne de vos
bienfaits,
Je viens du Monde entier vous offrir
les refpects,
Et donner pour Garans de ma reconnoiffance,
Les coeurs de vos Sujets,& mon obeïf
fance.
De mefme que la Terre au retour du
Printemps
Découvre defes Fleurs les Rubis éclas
tans.ક
GALANT 20
Etpourenfaire hommage au Roy de la
Nature,
Semble luy présenter la naiffante
verdure;
Telle, &plus redevable à vos ſoins
glorieux,
Jétale mon bonheur & mapompe à
vos yeux
Mais le Ciel a voulu qu'à de plus
nobles marques akt
Vousfuffiez reconnu le plus grand
des Monarques,
Et qu'un pieux Héros dans la prospé
rité,
Travaillantfans relâche à l'immortalité,
Extirpast l'Heréfie, & coupantfes
racines,
Enfin d'avec mes Lys feparast les
Epines..
Depuis unfiécle, on plus, mes Peuples
vas Sujets
22 MERCURE
Ont pour ce grand deſcin formé de.
vains projets...
Les Charles , les Henrys, & voftre
auguste Pere,
Ontcombatu ce,Monftre , & n'ontpú
le défaires
Et P.Universconnoist,fans en estre
jaloux,
Qu'il n'eftoitréfervé
qu'à vos illu .
ftres coups.
QuelSpectacle de voir mon Roy cou
vert degloire,
Faire de Conftantin revivre lamémoire
,
Elevercomme luy l'Etendart de la
Croix,
Faireregnerceluy qui fait regner les.
Roys ,
Contrefes Ennemisprendre en main.
fa quercite,
Et vanger en Chrétien fon Eglife
fidelle!
GALANT. 23
4
Oxy , Dicu mefmejaloux deſespra..
pres honneurs.
S'estfait en tous les temps de pieux:
Défenfeurs;
Lug - mefme a foûtenu le coeur des
Macabées,
Pour vaincre d'un Tyran les nom
breufes Armées;
Et l'heureufe valeur du Berger d'If
raël,
Pour délivrer les Iuifs , fut l'ouvrage
du Ciel."
Voftre tour eft venu, Grand Prince, il
vous appelle,
Pour eftre l'Héritier de leur glaire
immortelle..
Oquej'aime à vous voir, épris de
cette ardeur,
Chercher tous les moyens de diffiper
L'erreur;
Dufameux Bofsüet emprunter l'élo-
∙quence,
24 MERCURE
Et dujufte Tellier confulter lapru
dence;
Exciter Chanvallon, dont lafainte
ferveur,
D'Aurele & d Auguſtin imitant la
douceur,
Propofe du Clergé la Lettre Paftorale, -
Pour attirer les coeurs que retient la
Cabale,
Etjoindre àleurs travaux la libéra--
lité,
Lamajefté des Loix, l'exemple, & -
L'équités
Des Nouveaux Convertis foûtenirl'indigence,
Etpunirdes Relaps l'odieufe incon--
Stance!
D'unfage & puiffant Roy falutaire
rigueur,
Qui détermine au Bien la liberté du
coeur
maiss
GALANT. 25
Mais quey ! doit-on ainfi nommer
voftrejustice,
Qui pardonne à tous ceux qui renoncentau
vice?
Elle qui n'interdit les emplois glorieux
Quejufques au moment que l'Homme
ouvre les yeux.
Quand par voftre bonté, dont elle est
prévenuë,
De ceux qui la craignoient le nombre
diminuë;
Lorsque vous adoptez cesgenéreux
Enfans,
Dont les Peres, fans vous, deviendroient
les Tyrans;
On quand vos foins heureux, cherchant
avec tendreffe
Ceux que la Grace touche, & la Verité
preſſe,
Font voir avec éclat d'illuftres Déferteurs,
Fevrier 1685. C
26 MERCURE
Minifires de Satan , abjurer leurs »
erreurs.
Puiffe du GrandLOVIS l'infatiga
ble zéle
Aux Héros à venir eftre un parfait
modelle;
Ou fi de l'imiter on tâche vaincment,
Que du moins on l'admire avec étonnement,
Dans le défir de voir réunis à l'Eglife
Les coeurs defes Sujets, que le Schifme
divife,
S'eftimer fortuné, fi defon Bras un
jour
Il payoit la valeur de cet heureux
retour.
Maisformez d'autres voeux, Prince
trop magnanime,
Le Ciel ne veut de vous qu'un tribut
légitime:
Gardez ce Bras vainqueur, que craint
tout l'Univers,
GALANT 27
Pour punir les Mechans, & leur donnerdes
fers.
Ce Bras, par qui la Foy de fes droits
refaifie,
Ajufque dans Strasbourg détrôné ››
PHeréfie ;
Et qui pour la détruire enfes Retranchemens,
then war
Renverse d'unſignalfes plus chers
monumens:
Pourfuir voftrejuftice, oùfe cachera-telle?
Lefameux Montauban,
l'orgueilleufe
Rochelle,
Nifmes & Montpellier, avec tant
d'autres
Lieux ,
Où l'audace Herétique a bravé vos
Ayeux,
Ont vû tomber les Murs qui lay fervoient
d'azile.
L'Anglois, qui lafoûtint, luy devient
inutile.
28 MERCURE
L'Union d'Allemagne &defes Novateurs
Est le Phantome vain de nos Réfor
mateurs,
Et leur ambition clairement décou
verte,
Enfaveur de l'Etat doit avancer leur
perte.
Sans répandre leurfang, vousfçavez,
m'en vanger;
Fousles traitez en Perc, & l'onles
voit changer;
Mais
pour
les coeurs d'airain ayez
moins de clémence.
De cet illuftre Grec imitez la pru
.
dence,
Qui ne pouvoit fouffrir le dernier.
Rejetton
Qui pust de Troye un jour refufciter
le
nom,
Et rangerfur les Grecs la bonte de
Afie.
GALANT. 29
Vous connoiffez, Grand Roy, ce que
peut l'Heréfie;
Cet Hydre renaissant, de monfang
alteré,
Monftre des coeursféduits follement
revéré.
Et vous, Sujets ingrats, rebelles
Herétiques,
Quejay vus les Autheurs des miferes
publiques,
Volontaires Profcrits , ambitieuxTitans,
Nourris du mefme lait de mes plus
chers Enfans;
De quel Démon pouffez , de quelle
barbarie,
Avez - vous déchiré le fein de la
Patrie?
Mes Fleuves teints defang, & mes
Roys méprifez,
LesTemples mis en cendre , & les
Autels brifez,
30 MERCURE
Sont les affreux effets de ces triftes
journées,
oùjay vi mafortune &ma gloire
bornées,
Quandl'erreur populaire infectant
les grands coeurs,
De mes pres Hérosfaifoitfes Protecicurs.
Dreux, S. Deni ,Farnac, font les têmoins
fidelles
Des premieres horreurs de ces Guerres
cruelles,
où j'ay, quand vostre fer ne me refpectoir
plus,
Couronné les Vainqueurs, &pleuré
les Vaincus.
Soit de tels attentats l'audace terminée;
Mon Roytientfous ſes pieds la Difcorde
enchaînée.
Pourriez - vousfoûtenir; impuiſſans
Factieux,
GALANT 31
Les regards d'un Héros toûjours
victorieux,
Etfaire foulever les Cevennesfidel
les?
Non, a Religion ne fait point de
rebelles.
Grand Monarque, achevez la Conqueftedes
coeurs,
Elle doit égaler les vaincus aux Vainqucurs;
Etfaites avouer à la plus noire envie,
Que le Nom de LOVIS ,fatal à
l'Heréfie,
Dans l'Eglife & l'Etat rétablit l'u
nité;
Et que celuy de GRAND, tantdefois
mérité,
Vientmoins de vos Exploits , qu'honore
la Vistoire,
Que de la Pieté que marque voftre
Hiftoire.
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Résumé : LA FRANCE AU ROY, SUR L'EXTIRPATION DE L'HERESIE.
Le poème adressé au roi Louis XIV, écrit par le Chevalier de Longueil, membre d'une famille distinguée par ses contributions aux lettres et aux mathématiques, célèbre les exploits du roi et ses efforts pour extirper l'hérésie en France. Le texte loue le roi pour ses actions en faveur de la foi catholique, comparant ses efforts à ceux des grands rois et héros du passé. Il met en avant les succès militaires du roi ainsi que ses réformes administratives, telles que l'ouverture de nouveaux ports et la construction de palais et de remparts. Le poème souligne la détermination du roi à éradiquer l'hérésie et à réunir les cœurs divisés, soulignant son rôle de défenseur de la foi et de l'unité nationale. Le texte se termine par une exhortation au roi de continuer ses efforts pour maintenir la paix et la justice dans le royaume.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 318-323
Comédies nouvelles, [titre d'après la table]
Début :
Les Comédiens François représentent depuis un mois une Tragédie intitulée [...]
Mots clefs :
Tragédie, Comédien, Larmes, Pièces, Représentation, Bon goût, Vérité, Auteur, Acte, Personnages, Comédie, Vices
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texteReconnaissance textuelle : Comédies nouvelles, [titre d'après la table]
Les Comédiens François repréfentent
depuis un mois une
Tragédie intitulée Andronic. Cet
Ouvrage eft le charme de la Cour
& de Paris. Il tire des larmes des
plus infenfibles ; & l'ona rien vû
depuis long temps , qui ait eu un
auffi grand fuccés. La Comédie
de l'Ufurier , qu'on jouë alterGALANT.
319
nativement avec cette Piéce , n'a
pas efté traitée d'abord fi favorablement
, & plufieurs ont imité
le Marquis de la Critique de l'E .
cole des Femmes. C'eft le fort
des Piéces qui reprennent les vices,
d'eftre condamnées dans les
premieres Repréſentations. Le
chagrin de fe reconnoiftre dans
des Portraits genéraux , & de
s'accufer en fecret des defauts .
qu'on blâme , oblige ceux qui fe
les reprochent à eux -meſmes , à ›
décrier une Piéce , afin d'empêcher
qu'on ne la voye ; mais les
Gens finceres & de bon gouft,
rétabliffent dans la fuite ce que
ces Critiques intéreffez ont tâché
d'abatre . C'est ce qui ne
pouvoit manquer à l'Ufurier, puis
que la Piéce paffe pour bien
320 MERCURE
écrite , & bien conduire , & qu'on
Y rit depuis le commencement
jufques à la fin , fans qu'il y ait
ny fade plaifancerie , ny équivoque
dont la modeftie puiffe eftre
bleffée. Ainfi l'on n'y peut rire
que de la verité des chofes qu'on
y dit en reprenant les defauts des
Hommes . Ces fortes de chofes
ne peuvent rendre un Autheur
blâmable . Quand on fera voir
que de certains Courtifans font
gueux par leur faute , loin de s'en
fâcher,ils doivent remercier ceux
qui en leur faifant ouvrir les yeux ,
leur donnent moyen d'éviter leur
ruine entiere. Il eft fi vray qu'on
n'a pas eu deffein de choquer la
Cour dans cette Piéce , qu'apres
avoir donné dans un Acte un Por.
trait des Courtiſans qui vivent
GALANT. 321
1
dans le defordre, on en donne un
dans l'Acte qui fuit , entièrement
à l'avantage de la Cour. On s'eft
réché fur ce que dans cette Piéce
on avoit mis des Abb.z fur le
Théatre ; mais fi ceux qui critiquent
cet endroit , l'avoient bien
examiné , ils connoiftroient que
le Perfonnage qu'ils prennent
pour un Abbé , n'eft qu'un des
Ufurpateurs de ce Tître , qui s'en
fervent feulement afin d'eftre
mieux receus dans les Compagnies
; de forte qu'on ne peut
faire aucune comparaifon de ce
Perfonnage avec un veritable
Abbé. D'ailleurs quand c'en feroit
un , on ne pourroit alleguer
qu'il defigne particulierement
aucun Abbé , puis qu'il dit des
chofes genérales , & qui ne peu
322 MERCURE
"
vent eftre appliquées à une mef
me Perfonne. Cela fait voir
que
c'eft fort injuftement que l'on
impute à un Particulier ce qui en
regarde plus de cent . Il en eft de
mefme des Banquiers dont on
parle dans la Piéce. Il cft certain
que l'Autheur n'en a eu aucun
en veuë , mais feulement les vices
de leur Profeffion. Ceux qui prêtent
à ufure , peuvent ne fe pas
corriger pour cela , mais le Pu
blic fera du moins averty de
beaucoup de chofes qu'il doit
éviter à leur égard . Cette maniere
de corriger les vices a efté
trouvée fi utile de tout temps ,
que les Anciens fe fervoient de
Mafques femblables à ceux dont
ils vouloient faire voir les - defauts,
afin de les faire remarquer
GALANT. 323
au Public Il n'en eft pas de mê
me aujourd'huy ; & l'on n'attaque
à la Comédie que les vices,
& non pas les Hommes.
depuis un mois une
Tragédie intitulée Andronic. Cet
Ouvrage eft le charme de la Cour
& de Paris. Il tire des larmes des
plus infenfibles ; & l'ona rien vû
depuis long temps , qui ait eu un
auffi grand fuccés. La Comédie
de l'Ufurier , qu'on jouë alterGALANT.
319
nativement avec cette Piéce , n'a
pas efté traitée d'abord fi favorablement
, & plufieurs ont imité
le Marquis de la Critique de l'E .
cole des Femmes. C'eft le fort
des Piéces qui reprennent les vices,
d'eftre condamnées dans les
premieres Repréſentations. Le
chagrin de fe reconnoiftre dans
des Portraits genéraux , & de
s'accufer en fecret des defauts .
qu'on blâme , oblige ceux qui fe
les reprochent à eux -meſmes , à ›
décrier une Piéce , afin d'empêcher
qu'on ne la voye ; mais les
Gens finceres & de bon gouft,
rétabliffent dans la fuite ce que
ces Critiques intéreffez ont tâché
d'abatre . C'est ce qui ne
pouvoit manquer à l'Ufurier, puis
que la Piéce paffe pour bien
320 MERCURE
écrite , & bien conduire , & qu'on
Y rit depuis le commencement
jufques à la fin , fans qu'il y ait
ny fade plaifancerie , ny équivoque
dont la modeftie puiffe eftre
bleffée. Ainfi l'on n'y peut rire
que de la verité des chofes qu'on
y dit en reprenant les defauts des
Hommes . Ces fortes de chofes
ne peuvent rendre un Autheur
blâmable . Quand on fera voir
que de certains Courtifans font
gueux par leur faute , loin de s'en
fâcher,ils doivent remercier ceux
qui en leur faifant ouvrir les yeux ,
leur donnent moyen d'éviter leur
ruine entiere. Il eft fi vray qu'on
n'a pas eu deffein de choquer la
Cour dans cette Piéce , qu'apres
avoir donné dans un Acte un Por.
trait des Courtiſans qui vivent
GALANT. 321
1
dans le defordre, on en donne un
dans l'Acte qui fuit , entièrement
à l'avantage de la Cour. On s'eft
réché fur ce que dans cette Piéce
on avoit mis des Abb.z fur le
Théatre ; mais fi ceux qui critiquent
cet endroit , l'avoient bien
examiné , ils connoiftroient que
le Perfonnage qu'ils prennent
pour un Abbé , n'eft qu'un des
Ufurpateurs de ce Tître , qui s'en
fervent feulement afin d'eftre
mieux receus dans les Compagnies
; de forte qu'on ne peut
faire aucune comparaifon de ce
Perfonnage avec un veritable
Abbé. D'ailleurs quand c'en feroit
un , on ne pourroit alleguer
qu'il defigne particulierement
aucun Abbé , puis qu'il dit des
chofes genérales , & qui ne peu
322 MERCURE
"
vent eftre appliquées à une mef
me Perfonne. Cela fait voir
que
c'eft fort injuftement que l'on
impute à un Particulier ce qui en
regarde plus de cent . Il en eft de
mefme des Banquiers dont on
parle dans la Piéce. Il cft certain
que l'Autheur n'en a eu aucun
en veuë , mais feulement les vices
de leur Profeffion. Ceux qui prêtent
à ufure , peuvent ne fe pas
corriger pour cela , mais le Pu
blic fera du moins averty de
beaucoup de chofes qu'il doit
éviter à leur égard . Cette maniere
de corriger les vices a efté
trouvée fi utile de tout temps ,
que les Anciens fe fervoient de
Mafques femblables à ceux dont
ils vouloient faire voir les - defauts,
afin de les faire remarquer
GALANT. 323
au Public Il n'en eft pas de mê
me aujourd'huy ; & l'on n'attaque
à la Comédie que les vices,
& non pas les Hommes.
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Résumé : Comédies nouvelles, [titre d'après la table]
Les Comédiens Français jouent depuis un mois la tragédie 'Andronic', qui connaît un grand succès à la cour et à Paris. La comédie 'L'Ufurier', alternée avec 'Andronic', a d'abord été mal reçue, certains critiques la comparant à la critique de l'École des Femmes. Les pièces dénonçant les vices sont souvent mal accueillies lors des premières représentations, car les spectateurs se reconnaissent dans les portraits tracés. Cependant, les gens sincères et de bon goût finissent par rétablir la réputation de la pièce. 'L'Ufurier' est bien écrite et offre un rire constant sans recourir à des plaisanteries fades ou blessantes. Le rire provient de la vérité des choses reprochées aux hommes. La pièce ne vise pas à choquer la cour, alternant entre des portraits de courtisans vivant dans le désordre et des portraits flatteurs de la cour. Les critiques ont également reproché la présence d'abbés sur scène, mais le personnage en question est un usurpateur du titre. Les banquiers mentionnés ne sont pas visés individuellement, mais leurs vices professionnels sont mis en lumière pour avertir le public. Cette méthode de correction des vices est jugée utile et a été utilisée par les Anciens pour faire remarquer les défauts au public. Aujourd'hui, on attaque les vices et non les hommes à la comédie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 180-185
AVIS DONNÉ A MADEMOISELLE ........... de l'infidelité que luy faisoit sont Amant.
Début :
On croit peut tout ce qu'on nous dit [...]
Mots clefs :
Secret, Vérité, Âme, Injustice, Crime, Jalousie, Coeur, Amant, Charme, Clémence
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AVIS DONNÉ A MADEMOISELLE ........... de l'infidelité que luy faisoit sont Amant.
AVIS DONNE' A MADEMOISELLE
de l'infidelit que
1iiy faisoit son Amant. ONcroit peu tout ce qu'on nomdit.
Contre le cher Objet de mftre tendre
flâme, -
Et la Vérité mesme, à convaincre mftre
Ame,
:AHrqjt bien de la peine, &feroitfmr
créditNoflrecoeur
en secret qui pour luy s'interesse,
NsUl dit que ceftpeut-eifreunpiege qui
luydresse
P'n fourbe, un calomniateur,
Quetoutsoncrimeefifonmalheur,
Quon luy fait injuflice,& qu'a tort
on l'accuse.
Nom foupfonnonsfowvent le Dénonciateur,
Ou de haine, ou d'envie, ou de jaloufc
rufeÔ
Nous le jugeonstoujours trop credule*,
r. l'erreur
D'uneapparence, ou vaine, outràmpeu*
Je
, ou cotifttfe.
Tout eji fufpecl, tout efl abus
On le , juge innocent p&rcequ'on lefouhaitte,
On demande une preuve & plus claire
-& plus nette , On se flatteon balance,en doute tout
au plus,
.duplus hommede biennotre foy, se rifuft;,
Et de ce crime enfin
}
malgrénous anvaincus,
Vn resse de tendresse on l'ébfiiut, ou t'ex~
cufe®. 0- Jeneconnaisquetroplepéril cfutje cours,
Mdis bien plus que la peur vofire imereft
me touche,
Et ne pouvant de quelques jours
Vousfaireentendre par ma èmche
Uinconfiancede€Udamû,
- .:'
J'ay crû qu'an moins parcette Lettre
se dévots au plîetofi vous en donner "V
Et que vous pouviez, me permettra
Cette petite liberté,
Qu'après toutje ne prens que pour vofire
fervtce.
Heureux dans mon dessein pourveu qu'il
reussisse!
Cependantjemefuisflatté
Que mon zele ardent & sincere,
Et mesmea voftrecoeurutile&faiutaire,
N'aveit rien qui dufi vous diplairl
4Vy qui pufi contremoy vouscar.fer du
dépit.
J$olcy donc, belle Iris, ce secret a'importance
Et le v,eritable recit
Defaprodigieufe & nouvelleinconfiance- CT Tantofiriennesi si doux, rien si beau
que vos yeux,
Tantofi cefont vos 'blonds cheveux
R.i meritent cette louange;
TantofifiIon en croit cet infidelleAmanti
Voflre teint efi celuy d'un Angeil ; revienne dans un moment,
Par un contrairesentiment
* Il dira qu'il n'efi rien qui vAillel
Et vofireport & vofire taille;
Aujourd'huyvefire belle humeur
L?enchante& luy ravit, le coeur;
Ce fera demain autre chose,
Il voudra me/me que la Rose
N'aitpoint f(u'àvcftre ce brillant coloris
bouche; que le lys
Y,usle cede dabord, & confesseà
honte
Quevofireblancheur le fUrTnDnt
yous diray-je ce quil me dit
Lundy matindevostre espritt
Ce ntjlo't que delicilteffi.
Quelumiere
} que politesse
Que , complaisance
, que douceur,
Et le foir changeant de langage>
Que rien negalotvostre coeur>
Quifourfes vrais stmis estoit plein de
chaleur; •'Que le tour de vostre visage
Avoit je ne sçay quels appas
Que toutes les autres n'ont pas.
Helas! mon cher Tircis, ajoûta-t-il tllcore
, -Que la charmante Iris que j'aime, que
j'adore,
A de grace en ce qu'elle fait!
Mais pour achever ce Portrait
Qui me semble peu digne d'elle,
Ah! quefon Ame estgrande! Ah! qu'-
elle est bonne & belle! m
Enfincest ainsi chaque jour
Que ce trop aimable volage
Entre vous mesmese partage,
Et que tous vosappasl'engageans tout à :
tour,
Il change & d'objet &- d'amour.
Hê bien, Iris, hé bien d'une telle incon--
fiance
Que dit tout bas vofirecouroux?
Le zele qui m'attache a vous,
Devvitilgarder le silence ?
Ma;! je le dis encor, tout criminel qu'il 4
On a peine à punir un coupable qui
pla-fl1- El le coeur en secret qui veut son iJmo-
-
cence, 1 Pesant soncrime & son amour, ttant de feux dans la balance
Qu'avec cette prompte ajfifls.nce
Le Baffm qui levait se rab/ffe à [on.
-tour
YIS le cossé de la clrmttJce.
de l'infidelit que
1iiy faisoit son Amant. ONcroit peu tout ce qu'on nomdit.
Contre le cher Objet de mftre tendre
flâme, -
Et la Vérité mesme, à convaincre mftre
Ame,
:AHrqjt bien de la peine, &feroitfmr
créditNoflrecoeur
en secret qui pour luy s'interesse,
NsUl dit que ceftpeut-eifreunpiege qui
luydresse
P'n fourbe, un calomniateur,
Quetoutsoncrimeefifonmalheur,
Quon luy fait injuflice,& qu'a tort
on l'accuse.
Nom foupfonnonsfowvent le Dénonciateur,
Ou de haine, ou d'envie, ou de jaloufc
rufeÔ
Nous le jugeonstoujours trop credule*,
r. l'erreur
D'uneapparence, ou vaine, outràmpeu*
Je
, ou cotifttfe.
Tout eji fufpecl, tout efl abus
On le , juge innocent p&rcequ'on lefouhaitte,
On demande une preuve & plus claire
-& plus nette , On se flatteon balance,en doute tout
au plus,
.duplus hommede biennotre foy, se rifuft;,
Et de ce crime enfin
}
malgrénous anvaincus,
Vn resse de tendresse on l'ébfiiut, ou t'ex~
cufe®. 0- Jeneconnaisquetroplepéril cfutje cours,
Mdis bien plus que la peur vofire imereft
me touche,
Et ne pouvant de quelques jours
Vousfaireentendre par ma èmche
Uinconfiancede€Udamû,
- .:'
J'ay crû qu'an moins parcette Lettre
se dévots au plîetofi vous en donner "V
Et que vous pouviez, me permettra
Cette petite liberté,
Qu'après toutje ne prens que pour vofire
fervtce.
Heureux dans mon dessein pourveu qu'il
reussisse!
Cependantjemefuisflatté
Que mon zele ardent & sincere,
Et mesmea voftrecoeurutile&faiutaire,
N'aveit rien qui dufi vous diplairl
4Vy qui pufi contremoy vouscar.fer du
dépit.
J$olcy donc, belle Iris, ce secret a'importance
Et le v,eritable recit
Defaprodigieufe & nouvelleinconfiance- CT Tantofiriennesi si doux, rien si beau
que vos yeux,
Tantofi cefont vos 'blonds cheveux
R.i meritent cette louange;
TantofifiIon en croit cet infidelleAmanti
Voflre teint efi celuy d'un Angeil ; revienne dans un moment,
Par un contrairesentiment
* Il dira qu'il n'efi rien qui vAillel
Et vofireport & vofire taille;
Aujourd'huyvefire belle humeur
L?enchante& luy ravit, le coeur;
Ce fera demain autre chose,
Il voudra me/me que la Rose
N'aitpoint f(u'àvcftre ce brillant coloris
bouche; que le lys
Y,usle cede dabord, & confesseà
honte
Quevofireblancheur le fUrTnDnt
yous diray-je ce quil me dit
Lundy matindevostre espritt
Ce ntjlo't que delicilteffi.
Quelumiere
} que politesse
Que , complaisance
, que douceur,
Et le foir changeant de langage>
Que rien negalotvostre coeur>
Quifourfes vrais stmis estoit plein de
chaleur; •'Que le tour de vostre visage
Avoit je ne sçay quels appas
Que toutes les autres n'ont pas.
Helas! mon cher Tircis, ajoûta-t-il tllcore
, -Que la charmante Iris que j'aime, que
j'adore,
A de grace en ce qu'elle fait!
Mais pour achever ce Portrait
Qui me semble peu digne d'elle,
Ah! quefon Ame estgrande! Ah! qu'-
elle est bonne & belle! m
Enfincest ainsi chaque jour
Que ce trop aimable volage
Entre vous mesmese partage,
Et que tous vosappasl'engageans tout à :
tour,
Il change & d'objet &- d'amour.
Hê bien, Iris, hé bien d'une telle incon--
fiance
Que dit tout bas vofirecouroux?
Le zele qui m'attache a vous,
Devvitilgarder le silence ?
Ma;! je le dis encor, tout criminel qu'il 4
On a peine à punir un coupable qui
pla-fl1- El le coeur en secret qui veut son iJmo-
-
cence, 1 Pesant soncrime & son amour, ttant de feux dans la balance
Qu'avec cette prompte ajfifls.nce
Le Baffm qui levait se rab/ffe à [on.
-tour
YIS le cossé de la clrmttJce.
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7
p. 235-249
Ils vont faire compliment à Monsieur le Prince, sur la mort de feu Monsieur le Prince. Détail de toute la conversation qu'ils ont eue avec son Altesse Serenissime. [titre d'après la table]
Début :
Ces Ambassadeurs s'estant fait faire des habits noirs pour [...]
Mots clefs :
Monsieur le Prince, Louis II de Bourbon-Condé, Henri-Jules de Bourbon-Condé, Roi de Siam, Mort, Deuil, Visite, Rois, Témoigner, Vérité, Père, Entretenir, Joie, Tristesse, Perte, France, Chantilly, Mauvais chemins
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texteReconnaissance textuelle : Ils vont faire compliment à Monsieur le Prince, sur la mort de feu Monsieur le Prince. Détail de toute la conversation qu'ils ont eue avec son Altesse Serenissime. [titre d'après la table]
Ces Ambaſſadeurs s'eſtant
fait faire des habits noirs
pour ſe mettre en deüil , à
cauſe de la mort de Monfieur
le Prince , quoyque l'ufage
de leur Païs ne foit pas
de porter de ces fortes d'habirs,
crûrent devoir aller faire
leurs complimens de condoleance
à Monfieur le Duc,
à preſent Monfieur le Prince.
Vij
236 IV. P. du Voyage
fonAlteffe Sereniffime leur
donna ladroite .On leur avoit
préparé trois fauteüils, où ils
s'affirent. Ils dirent , qu'ils
avoient toujours conçu, que toutes
les foisqu'ils pourroient avoir
Phonneur de voir ce Prince, ce
feroitpour eux un tres-grandfujet
de joye , & que cependant
ta viſite qu'ils luy rendoient
toit une viſite de tristeſſe , puisqu'ils
venoient particulierement
pourluy témoigner la part qu'ils
avoient prife à la perte qu'il
avoitfaite. Monfieur le Prince
répondit , qu'il leur estoit exef
trêmement obligé de lapart qu'ils
desAmb. de Siam. 237
prenoient à fon affliction ; que
quoyque feu Monsieur le Prince
SonPere ne les eust pas vûs, cependant
il les estimoit beaucoup
par tout ce qu'on luy avoit rapporté
qu'ils avoient dit ,
qu'ils avoient fait depuis qu'ils
eſtoient arrivez en France ,qu'il
fçavoitqu'il ſouhaitoit de les recevoir
à Chantilly , & de leur
témoigner par la maniere dont
il les auroit traitez, la confideration
qu'il avoit pour eux, &
fon estime pour le Roy, leur
Maistre. Les Ambaſſadeurs
répondirent , qu'ils pouvoient
L'affeurer de la douleur qu'au
238 IV. P. du Voyage
roit le Roy de Siam , quand
il sçauroit la mort de Monfieur
le Prince ; que c'estoit , non
Seulement une perte pour la
France , mais aussi pour tous les
Rois , amis de la France ,
même pour le monde entier, qui
perdoit un deses plus grands ornemens
; qu'ils n'estoient pas
feulement certains de la douleur
qu'auroit le Roy de Siam , à
cauſe de l'amitiéqu'il avoit pour
le Roy,&pour toute la Famille
Roiale; mais qu'ils appuyoient
eette certitude , fur ce qu'il y a
déja quelques années, qu'un faux
bruit s'estant répandu jusqu'à
des Amb, de Siam. 239
Siam , de la mort de Monfieur
le Prince , ils avoient vû que
le Roy de Siam y avoit effé extrémement
ſenſible ,& que ne
s'eſtant pas trouvé en ce tempslà
dans l'occaſion d'envoyer une
Ambaſſade en France , il avoit
ordonné àfon premier Miniftre
d'écrire aux Ministres du Roy,
pour témoigner à Sa Majesté
combien il avoit esté touché de
la perte que Sa Majesté &toute
la France avoit faite à la
mort d'un ſi grand Prince ; Que
lors que Mr le Chevalier de
Chaument estoit arrivé à Siam,
le Roy leur Maître avoit recen
240 IV. P. diu Voyage
beaucoup de jove d'apprendre que
cette nouvelle estoit fauffe. II
ajoûta , qu'ils s'est moient malheureux
d'eſtre obligez de porter
avec trop de verité une fi triste
nouvelle à Siam. Monfieur le
Prince répondit , qu'il estoit
trés -fenſible à l'honneur que le
Roy de Siam luy faisoit, en prenant
tant depart à ce qui regar
doit feu Monfieur fon Pere ; que
Monsieur le Prince avoit toute
forte d'estime pour le Roy de
Siam, & qu'il se feroit fait un
plaifir trés-particulier de les entretenir
à fond, & en détail des
grandes qualitez de ce Monar
ques
des Amb. de Siam. 241
que ; que l'idée qu'il en avoit
luy avoit fait souhaiter d'apprendre
de plus en plus ce qui le
regardoit , & qu'il avoit eſté
prevenu par la mort. LesAmbaſſadeurs
repliquerent , que
cette mort fi precipitée leur avoit
d'autant plus causé de tristeſſe,
que divers accidens imprevûs
avoient rompu pluſieurs fois les
meſures qu'ils avoient piſes pour
luy rendre leurs devoirs : Que
le jour même qu'ils devoient ar
river à Chantilly , ils avoient
appris que Monfieur le Prince en
estoit party pourse rendre àFon
cainebleau, à cause de la mala
242 IV P du Voyage
die de Madame la Ducheffe de
Bourbon ; Que voulant aller à
Fontainebleau, on leur avoit dit
qu'ilferoit plus agreable àMonfieur
le Prince qu'ils attendiffent
àfon retour ; &qu'enfin la mort
de ce grand Prince arrivée les
mettoit pour jamais hors d'estat
d'avoir cet honneur. Monfieur
le Prince, aprés leur avoir dit
que Monfieur ſon Pere auroit
eu auſſi beaucoup de
joye de les voir, leur demanda
comment ils eſtoient contens
du Voyage qu'ils ve
noient de faire. Il ajoûta
qu'il craignoit que les mau-
1
des Amb de Siam. 243
vais temps , les mauvais chemins
& le froid même , ne
leur cuffent causé beaucoup
d'incommodité , & que cela
n'euſt empéché qu'ils n'eufſent
eu la fatisfaction qu'ils
pouvoient attendre , de ce
qu'on leur avoit fait voir. Ils
répondirent , qu'il y avoit eu
àla verité quelques mauvais
chemins ; mais que pour lefroid
il avoit esté fort moderé; cequ'ils
attribuoient au grand me.
rite du Roy , er à la puiſſance
de la bonté particuliere dont fon
Alteſſe les honoroit ; que d'ail
Leurs , les grandes & belles
Xij
244 IV. P. du Voyage
chofes qu'ils avoient vûes enfi
grand nombre , ne leur avoient
presque laiſſé le temps de penfer
qu'à ce qu'ils voyoient ,
qu'enfin les bons ordres que
le Roy avoitfait donner le
Join qu'on avoit pris d'eux ,leur
avoient rendu ce Voyage trésagreable
& nullement incommode.
Monfieur le Prince leur
demanda ce qui leur avoit plû
davantage Ils répondirent ,
qu'ils avoient admiré le prodigieux
nombre de Places & de
ddee FFoorrttiiffiiccaattiioonnss,, &le bon or
dre qu'on y obfervoit , & qu'entre
lis VillesDunkerque &Lif-
L
desAmb. de Siam 245
les avoient frapez davantage .
Monfieur le Prince leur demanda
encore, ſi c'eſtoit de
cette maniere qu'on fortifioit
Ies Places de Siam. Ils dirent
qu'il y avoit quelque chose de
Semblable, &qu'ily avoit auf-
Si quelque chose de different ;
qu'ily avoit plusieurs endroits
que les Rivieres & les grandes
Eaux fortifioientbeaucoup par
elles mesmes, & d'autres , comme
Banco , Porcelouc , & quelques
autres Villes qui estoient
affezfortifiéesſelon les manieres
d'Europe , quoyqu'il n'y euft
pas un fi grand nombre de For-
X jij
246 IV. P. du Voyage
tifications, mais qu'en ces matie
res, on do't avoir beaucoup d'égard
à la maniere dont lesEnnemis
peuvent attaquer ,
que c'eſt ſur cela qu'on employe
icy beaucoup de Fortifications
qui ne paroiffent pas si necef
faires à Siam. Monfieur le
Prince leur dit, que paſſant
àlaVille de Condé, ils avoient
donné un mot qui marquoit l'eftime
qu'ilsfaisoientdeMonfieur
Son Pere, &que luy ayantluy
mefme rapporté ce mot, il l'avoit
eu pour fort agreable. Ce
Prince ajoûta , qu'ayant connu
leurmerite qui feroitſouhai-
:
desAmb. de Siam. 247
ter de les voir ſouvent ,
d'entretenir commerce avec eux,
ily avoit lieu de s'affliger de
ce que la distance des lieux ne
laiſſoitpas mesme l'efperance de
les pouvoir revoir. Ils répartirent
, qu'à la verité l'éloignement
estoit grand , mais que
l'amitié qui estoit entre les deux
Rois , prenant de jour en jour
de nouveaux accroiffemens , il
n'estoit pas à desesperer que le
Roy leurMaître ne les honor
encore quelque jour de ses commandemens
de fes ordres.
Monfieur le Prince leur dit
encore , qu'il auroit bien fou
X iiij
248 IV.P. du Voyage
haité de leur marquer la confi
deration qu'il avoit pour eux ,
en leur rendant quelqueſervice,
à quoy l'Ambaſſadeur répondit,
que la bonté qu'il leur
avoit témoignée, auroit fait que
s'ils en cuffent eu beſoin, ils auroient
pris la liberté de recourir
àluy ; mais que le Roy avoit
prévenu tous leurs defirs ; qu'ils
ne laiſſoient pas d'avoir pour
luy toute la reconnoiſſance poffible,
& qu'ils le prioient de
contribuer toûjours dans lafuite,
àà entretenir l'union entre les
deux Rois, & de leur conferver
fa bienveillance. Aprés cela,
or
desAmb. de Siam. 249
ils ſe leverent , & Monfieur
le Prince les accompagna
juſqu'à l'entrée de fon appartement.
Ils alterent de là
rendre viſite à Madame la
Princeſſe , à laquelle ils témoignerent
leur douleur fur
la mort de Monfieur le
Prince.
fait faire des habits noirs
pour ſe mettre en deüil , à
cauſe de la mort de Monfieur
le Prince , quoyque l'ufage
de leur Païs ne foit pas
de porter de ces fortes d'habirs,
crûrent devoir aller faire
leurs complimens de condoleance
à Monfieur le Duc,
à preſent Monfieur le Prince.
Vij
236 IV. P. du Voyage
fonAlteffe Sereniffime leur
donna ladroite .On leur avoit
préparé trois fauteüils, où ils
s'affirent. Ils dirent , qu'ils
avoient toujours conçu, que toutes
les foisqu'ils pourroient avoir
Phonneur de voir ce Prince, ce
feroitpour eux un tres-grandfujet
de joye , & que cependant
ta viſite qu'ils luy rendoient
toit une viſite de tristeſſe , puisqu'ils
venoient particulierement
pourluy témoigner la part qu'ils
avoient prife à la perte qu'il
avoitfaite. Monfieur le Prince
répondit , qu'il leur estoit exef
trêmement obligé de lapart qu'ils
desAmb. de Siam. 237
prenoient à fon affliction ; que
quoyque feu Monsieur le Prince
SonPere ne les eust pas vûs, cependant
il les estimoit beaucoup
par tout ce qu'on luy avoit rapporté
qu'ils avoient dit ,
qu'ils avoient fait depuis qu'ils
eſtoient arrivez en France ,qu'il
fçavoitqu'il ſouhaitoit de les recevoir
à Chantilly , & de leur
témoigner par la maniere dont
il les auroit traitez, la confideration
qu'il avoit pour eux, &
fon estime pour le Roy, leur
Maistre. Les Ambaſſadeurs
répondirent , qu'ils pouvoient
L'affeurer de la douleur qu'au
238 IV. P. du Voyage
roit le Roy de Siam , quand
il sçauroit la mort de Monfieur
le Prince ; que c'estoit , non
Seulement une perte pour la
France , mais aussi pour tous les
Rois , amis de la France ,
même pour le monde entier, qui
perdoit un deses plus grands ornemens
; qu'ils n'estoient pas
feulement certains de la douleur
qu'auroit le Roy de Siam , à
cauſe de l'amitiéqu'il avoit pour
le Roy,&pour toute la Famille
Roiale; mais qu'ils appuyoient
eette certitude , fur ce qu'il y a
déja quelques années, qu'un faux
bruit s'estant répandu jusqu'à
des Amb, de Siam. 239
Siam , de la mort de Monfieur
le Prince , ils avoient vû que
le Roy de Siam y avoit effé extrémement
ſenſible ,& que ne
s'eſtant pas trouvé en ce tempslà
dans l'occaſion d'envoyer une
Ambaſſade en France , il avoit
ordonné àfon premier Miniftre
d'écrire aux Ministres du Roy,
pour témoigner à Sa Majesté
combien il avoit esté touché de
la perte que Sa Majesté &toute
la France avoit faite à la
mort d'un ſi grand Prince ; Que
lors que Mr le Chevalier de
Chaument estoit arrivé à Siam,
le Roy leur Maître avoit recen
240 IV. P. diu Voyage
beaucoup de jove d'apprendre que
cette nouvelle estoit fauffe. II
ajoûta , qu'ils s'est moient malheureux
d'eſtre obligez de porter
avec trop de verité une fi triste
nouvelle à Siam. Monfieur le
Prince répondit , qu'il estoit
trés -fenſible à l'honneur que le
Roy de Siam luy faisoit, en prenant
tant depart à ce qui regar
doit feu Monfieur fon Pere ; que
Monsieur le Prince avoit toute
forte d'estime pour le Roy de
Siam, & qu'il se feroit fait un
plaifir trés-particulier de les entretenir
à fond, & en détail des
grandes qualitez de ce Monar
ques
des Amb. de Siam. 241
que ; que l'idée qu'il en avoit
luy avoit fait souhaiter d'apprendre
de plus en plus ce qui le
regardoit , & qu'il avoit eſté
prevenu par la mort. LesAmbaſſadeurs
repliquerent , que
cette mort fi precipitée leur avoit
d'autant plus causé de tristeſſe,
que divers accidens imprevûs
avoient rompu pluſieurs fois les
meſures qu'ils avoient piſes pour
luy rendre leurs devoirs : Que
le jour même qu'ils devoient ar
river à Chantilly , ils avoient
appris que Monfieur le Prince en
estoit party pourse rendre àFon
cainebleau, à cause de la mala
242 IV P du Voyage
die de Madame la Ducheffe de
Bourbon ; Que voulant aller à
Fontainebleau, on leur avoit dit
qu'ilferoit plus agreable àMonfieur
le Prince qu'ils attendiffent
àfon retour ; &qu'enfin la mort
de ce grand Prince arrivée les
mettoit pour jamais hors d'estat
d'avoir cet honneur. Monfieur
le Prince, aprés leur avoir dit
que Monfieur ſon Pere auroit
eu auſſi beaucoup de
joye de les voir, leur demanda
comment ils eſtoient contens
du Voyage qu'ils ve
noient de faire. Il ajoûta
qu'il craignoit que les mau-
1
des Amb de Siam. 243
vais temps , les mauvais chemins
& le froid même , ne
leur cuffent causé beaucoup
d'incommodité , & que cela
n'euſt empéché qu'ils n'eufſent
eu la fatisfaction qu'ils
pouvoient attendre , de ce
qu'on leur avoit fait voir. Ils
répondirent , qu'il y avoit eu
àla verité quelques mauvais
chemins ; mais que pour lefroid
il avoit esté fort moderé; cequ'ils
attribuoient au grand me.
rite du Roy , er à la puiſſance
de la bonté particuliere dont fon
Alteſſe les honoroit ; que d'ail
Leurs , les grandes & belles
Xij
244 IV. P. du Voyage
chofes qu'ils avoient vûes enfi
grand nombre , ne leur avoient
presque laiſſé le temps de penfer
qu'à ce qu'ils voyoient ,
qu'enfin les bons ordres que
le Roy avoitfait donner le
Join qu'on avoit pris d'eux ,leur
avoient rendu ce Voyage trésagreable
& nullement incommode.
Monfieur le Prince leur
demanda ce qui leur avoit plû
davantage Ils répondirent ,
qu'ils avoient admiré le prodigieux
nombre de Places & de
ddee FFoorrttiiffiiccaattiioonnss,, &le bon or
dre qu'on y obfervoit , & qu'entre
lis VillesDunkerque &Lif-
L
desAmb. de Siam 245
les avoient frapez davantage .
Monfieur le Prince leur demanda
encore, ſi c'eſtoit de
cette maniere qu'on fortifioit
Ies Places de Siam. Ils dirent
qu'il y avoit quelque chose de
Semblable, &qu'ily avoit auf-
Si quelque chose de different ;
qu'ily avoit plusieurs endroits
que les Rivieres & les grandes
Eaux fortifioientbeaucoup par
elles mesmes, & d'autres , comme
Banco , Porcelouc , & quelques
autres Villes qui estoient
affezfortifiéesſelon les manieres
d'Europe , quoyqu'il n'y euft
pas un fi grand nombre de For-
X jij
246 IV. P. du Voyage
tifications, mais qu'en ces matie
res, on do't avoir beaucoup d'égard
à la maniere dont lesEnnemis
peuvent attaquer ,
que c'eſt ſur cela qu'on employe
icy beaucoup de Fortifications
qui ne paroiffent pas si necef
faires à Siam. Monfieur le
Prince leur dit, que paſſant
àlaVille de Condé, ils avoient
donné un mot qui marquoit l'eftime
qu'ilsfaisoientdeMonfieur
Son Pere, &que luy ayantluy
mefme rapporté ce mot, il l'avoit
eu pour fort agreable. Ce
Prince ajoûta , qu'ayant connu
leurmerite qui feroitſouhai-
:
desAmb. de Siam. 247
ter de les voir ſouvent ,
d'entretenir commerce avec eux,
ily avoit lieu de s'affliger de
ce que la distance des lieux ne
laiſſoitpas mesme l'efperance de
les pouvoir revoir. Ils répartirent
, qu'à la verité l'éloignement
estoit grand , mais que
l'amitié qui estoit entre les deux
Rois , prenant de jour en jour
de nouveaux accroiffemens , il
n'estoit pas à desesperer que le
Roy leurMaître ne les honor
encore quelque jour de ses commandemens
de fes ordres.
Monfieur le Prince leur dit
encore , qu'il auroit bien fou
X iiij
248 IV.P. du Voyage
haité de leur marquer la confi
deration qu'il avoit pour eux ,
en leur rendant quelqueſervice,
à quoy l'Ambaſſadeur répondit,
que la bonté qu'il leur
avoit témoignée, auroit fait que
s'ils en cuffent eu beſoin, ils auroient
pris la liberté de recourir
àluy ; mais que le Roy avoit
prévenu tous leurs defirs ; qu'ils
ne laiſſoient pas d'avoir pour
luy toute la reconnoiſſance poffible,
& qu'ils le prioient de
contribuer toûjours dans lafuite,
àà entretenir l'union entre les
deux Rois, & de leur conferver
fa bienveillance. Aprés cela,
or
desAmb. de Siam. 249
ils ſe leverent , & Monfieur
le Prince les accompagna
juſqu'à l'entrée de fon appartement.
Ils alterent de là
rendre viſite à Madame la
Princeſſe , à laquelle ils témoignerent
leur douleur fur
la mort de Monfieur le
Prince.
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Résumé : Ils vont faire compliment à Monsieur le Prince, sur la mort de feu Monsieur le Prince. Détail de toute la conversation qu'ils ont eue avec son Altesse Serenissime. [titre d'après la table]
Les ambassadeurs de Siam, vêtus de noir en signe de deuil pour la mort de Monsieur le Prince, rendirent visite à son fils, désormais Monsieur le Prince. Ils exprimèrent leur tristesse et leur soutien, malgré les coutumes de leur pays qui ne prévoyaient pas de tels habits. Monsieur le Prince les remercia et souligna l'estime qu'il avait pour eux, bien qu'il n'ait pas connu leur père. Les ambassadeurs assurèrent que le roi de Siam serait profondément affecté par cette perte, rappelant un précédent épisode où un faux bruit de la mort du prince avait suscité une grande émotion à Siam. Ils regrettèrent de ne pas avoir pu rendre hommage au prince défunt en raison de divers imprévus. Monsieur le Prince exprima son désir de mieux connaître le roi de Siam et ses qualités. Les ambassadeurs discutèrent également des fortifications en France et à Siam, notant des similitudes et des différences. Ils admirèrent particulièrement les places fortifiées de Dunkerque et Lille. La visite se conclut par des échanges sur les relations diplomatiques et l'amitié entre les deux royaumes, avec des promesses de maintenir et renforcer cette union. Les ambassadeurs se rendirent ensuite chez Madame la Princesse pour lui témoigner leur douleur.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 335-342
Portrait de l'esprit des trois Ambassadeurs. [titre d'après la table]
Début :
Je ne dois rien dire icy davantage de l'esprit [...]
Mots clefs :
Esprit, Ambassadeurs, Premier ambassadeur, Second ambassadeur, Troisième ambassadeur, Vérité, Storf, Grandeur, Indes, Roi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Portrait de l'esprit des trois Ambassadeurs. [titre d'après la table]
Jes
ne doisriendire icy davanta
ge de l'eſprit du premier Am--
baffadeur, puiſqu'en recevant
cette lettre,vous aurés la qua
triéme Relation remplie de
toutes leschoſes quil'ont fait
briller , & de tout ce qu'il as
dit de ſpirituel , mais j'y dois
encore ajoûter que fans fortir
de fon caractere , il a fait
voir des bontés & des honneſtetés
ſi grandes pour tous
ceux qui luy ont rendu quel
que ſervice, ou meſme qui ne
luy ont fait que des civilités ,
qu'on n'apûle voir deux fois
336 IV.P. duVoyage
fans eftre charmé de ſes ma
nieres. Il a remporté un ſenſis
ble deplaifir , de n'avoir pû
faire des preſens à tous ceux
à qui il a crûavoir obligation.
Il a dit cent fois qu'il croyoit
qu'apres le Roy , & les Princess
à qui il en a fait , il
pas imaginé qu'il dût estre redevable
à tant de perſonnes qui
ſeſont portées d'elles- mefmes à
luy rendre ſervice , & mesme a
vec empreſſement , &à les divertir,&
qui luy ont fait auffi
quelques petits prefens, mais que
L'éloignement des lieux n'empêchoitpas
qu'il ne s'en souvinst,
ne s'estoit
ني
des Amb. de Siam. 337
qu'ils le connoiſtroient par le
retour des Vaiſſeaux. Je dois
pourbeaucoup de raiſons , &
pour rendre juſtice à la verité
, vous marquer icy , que je
n'ay rien fait dire par le premier
Ambaſſadeur dans mes
trois Relations precedentes ,
&dans celle que je vous envoye
aujourd'huy , qu'il n'ait
veritablement dit luy-mefme.
J'ay tout ſceu d'original , c'eſt
à dire , ou par M Torf , qui
ne les a pas quittés d'un moment
, ou par les perſonnes à
qui cet Ambaſſadeur a fait
des reparties ſi ſpirituelles, ou
Ff
338 IV.P.du Voyage
- par moy meſme qui ay eu
I'honneur d'aller en pluſieurs
endroits avec eux dans leur
propre Carroffe , & de manger
à leur table. Ainfije n'ay
rien mis ſur des oüy dire , &
j'ay pluſtoſt oublié qu'ajoûté.
On ne doutera point
que je n'aye dit la verité, lors
qu'on fera reflexion, que ceux
à qui je marque qu'on a fait
des réponſes ſi ſpirituelles,
pourroient me démentir , ſi
on ne leur avoit pas dit les
chofes que je rapporte . On ne
peut rien ajoûter à ce que cét
Ambaſſadeur a dit du Roy ,
des Amb. de Siam. 339
a ſouvent
mais ce qu'ily a de remarquable
, c'eſt qu'il n'a loüé Sa
Majesté que fur des faits, mais
auſſi n'a-r'il point manqué de
luy donner de juftes loüanges
, quand les occafions s'en
ſont prefentées. Il
dit que le recit qu'on luy avoit
fait de la grandeur , & de la
perſonne de ce grand Monarque,
n'approchoit pas de ce qu'il avoit
vû. Aufſi doit-on avoüer
que l'air de bonté qui ſe trouve
meſlé avec l'air majestueux
de ce Prince , eft au deſſus de
toutes fortes d'expreffions.
Je ne puis finir ſans vous
Ffij
340 IV. P. du Voyage
dire auſſi quelque choſe des
deux autres Ambaſſadeurs. Le
ſecond que je vous ay déja
dit avoir fait de grands Voyages
, eſt d'une fincerité qu'il
feroit difficile d'exprimer : il
eſt ennemy de la flatterie , &
fait profeſſion de dire toûjoursla
verité,enfin I onpeut
dire que c'eſt unparfaitement
honneſte homme. Son efprit
n'a pû briller , parce que n'étant
pas premier Ambaffadeur
, il n'a guere eu d'occaſions
de parler. Le troifiéme
en a encore eu moins , parce
qu'il n'eſt que le dernier,auſſi
desAmb. de Siam. 341
eft - il encore jeune , &n'a eſté
envoyé qu'afin d'eſtre honoré
du titre d'Ambaſſadeur , &
parce que fon pere avoit eſté
nommé pour aller en Portugal
dans la meſme qualité. Ce
qu'ily a de plus remarquable
dans cette Ambaſſade , c'eſt
que nous n'avions point encore
vû en France d'Ambaffadeurs
Extraordinaires des In--
des. Cependant on doit peu
s'eſtonner qu'il en ſoit venu
de ſi loin , puifque la grandeur
duRoy fait faire tous lesjours
des chofes bien plus ſurpre
Ffiij
342 IV . P. du Vovage
nantes , & dont il n'y avoit
point encore eu d'exemple .
FIN.
ne doisriendire icy davanta
ge de l'eſprit du premier Am--
baffadeur, puiſqu'en recevant
cette lettre,vous aurés la qua
triéme Relation remplie de
toutes leschoſes quil'ont fait
briller , & de tout ce qu'il as
dit de ſpirituel , mais j'y dois
encore ajoûter que fans fortir
de fon caractere , il a fait
voir des bontés & des honneſtetés
ſi grandes pour tous
ceux qui luy ont rendu quel
que ſervice, ou meſme qui ne
luy ont fait que des civilités ,
qu'on n'apûle voir deux fois
336 IV.P. duVoyage
fans eftre charmé de ſes ma
nieres. Il a remporté un ſenſis
ble deplaifir , de n'avoir pû
faire des preſens à tous ceux
à qui il a crûavoir obligation.
Il a dit cent fois qu'il croyoit
qu'apres le Roy , & les Princess
à qui il en a fait , il
pas imaginé qu'il dût estre redevable
à tant de perſonnes qui
ſeſont portées d'elles- mefmes à
luy rendre ſervice , & mesme a
vec empreſſement , &à les divertir,&
qui luy ont fait auffi
quelques petits prefens, mais que
L'éloignement des lieux n'empêchoitpas
qu'il ne s'en souvinst,
ne s'estoit
ني
des Amb. de Siam. 337
qu'ils le connoiſtroient par le
retour des Vaiſſeaux. Je dois
pourbeaucoup de raiſons , &
pour rendre juſtice à la verité
, vous marquer icy , que je
n'ay rien fait dire par le premier
Ambaſſadeur dans mes
trois Relations precedentes ,
&dans celle que je vous envoye
aujourd'huy , qu'il n'ait
veritablement dit luy-mefme.
J'ay tout ſceu d'original , c'eſt
à dire , ou par M Torf , qui
ne les a pas quittés d'un moment
, ou par les perſonnes à
qui cet Ambaſſadeur a fait
des reparties ſi ſpirituelles, ou
Ff
338 IV.P.du Voyage
- par moy meſme qui ay eu
I'honneur d'aller en pluſieurs
endroits avec eux dans leur
propre Carroffe , & de manger
à leur table. Ainfije n'ay
rien mis ſur des oüy dire , &
j'ay pluſtoſt oublié qu'ajoûté.
On ne doutera point
que je n'aye dit la verité, lors
qu'on fera reflexion, que ceux
à qui je marque qu'on a fait
des réponſes ſi ſpirituelles,
pourroient me démentir , ſi
on ne leur avoit pas dit les
chofes que je rapporte . On ne
peut rien ajoûter à ce que cét
Ambaſſadeur a dit du Roy ,
des Amb. de Siam. 339
a ſouvent
mais ce qu'ily a de remarquable
, c'eſt qu'il n'a loüé Sa
Majesté que fur des faits, mais
auſſi n'a-r'il point manqué de
luy donner de juftes loüanges
, quand les occafions s'en
ſont prefentées. Il
dit que le recit qu'on luy avoit
fait de la grandeur , & de la
perſonne de ce grand Monarque,
n'approchoit pas de ce qu'il avoit
vû. Aufſi doit-on avoüer
que l'air de bonté qui ſe trouve
meſlé avec l'air majestueux
de ce Prince , eft au deſſus de
toutes fortes d'expreffions.
Je ne puis finir ſans vous
Ffij
340 IV. P. du Voyage
dire auſſi quelque choſe des
deux autres Ambaſſadeurs. Le
ſecond que je vous ay déja
dit avoir fait de grands Voyages
, eſt d'une fincerité qu'il
feroit difficile d'exprimer : il
eſt ennemy de la flatterie , &
fait profeſſion de dire toûjoursla
verité,enfin I onpeut
dire que c'eſt unparfaitement
honneſte homme. Son efprit
n'a pû briller , parce que n'étant
pas premier Ambaffadeur
, il n'a guere eu d'occaſions
de parler. Le troifiéme
en a encore eu moins , parce
qu'il n'eſt que le dernier,auſſi
desAmb. de Siam. 341
eft - il encore jeune , &n'a eſté
envoyé qu'afin d'eſtre honoré
du titre d'Ambaſſadeur , &
parce que fon pere avoit eſté
nommé pour aller en Portugal
dans la meſme qualité. Ce
qu'ily a de plus remarquable
dans cette Ambaſſade , c'eſt
que nous n'avions point encore
vû en France d'Ambaffadeurs
Extraordinaires des In--
des. Cependant on doit peu
s'eſtonner qu'il en ſoit venu
de ſi loin , puifque la grandeur
duRoy fait faire tous lesjours
des chofes bien plus ſurpre
Ffiij
342 IV . P. du Vovage
nantes , & dont il n'y avoit
point encore eu d'exemple .
FIN.
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Résumé : Portrait de l'esprit des trois Ambassadeurs. [titre d'après la table]
Le texte décrit les qualités et les actions des ambassadeurs de Siam en France. Le premier ambassadeur est présenté comme spirituel, bon et honnête, regrettant de ne pouvoir offrir des présents à tous ceux qui l'ont aidé. Le second ambassadeur est sincère et honnête, mais a eu peu d'occasions de parler. Le troisième est jeune et a été nommé pour des raisons honorifiques. Le narrateur assure la véracité de ses récits, affirmant avoir rapporté des propos authentiques des ambassadeurs, obtenus directement ou par des témoins fiables. Il met en avant la grandeur et la bonté du roi de France, telles que perçues par les ambassadeurs. Cette mission est notable car il s'agit des premiers ambassadeurs extraordinaires des Indes en France, soulignant l'attrait du roi qui attire des visiteurs de loin.
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9
p. 116-121
Description d'un Tableau de l'Albane, [titre d'après la table]
Début :
Comme vous aimez la diversité des matieres, & que [...]
Mots clefs :
Paix, Vérité, Éternel, Tableau de l'Albane
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Description d'un Tableau de l'Albane, [titre d'après la table]
Comme vous aimez la diversité des matieres, & que
vous avez oüyJ ditesvous,
parler il y a
long-temps d'un
Tableau de l'Albane, qui cft
dans le Cabinet du Roy, &
que vous souhaitez d'en avoirs
une Description qui est fort
curicuse, & que les plus grands
Peintres & les Curieux ont pris
foin de rechercher, je vous en
envoye une dont la tecturc
vous fera sans doute beaucoup
de plaisir.
j
Le conseil éternel de Dieuayant
resolu le Mystere de l'Incarnation du Verbe, les Personnes de
la Sainte Trinité l'accomplirent
dans la plenitude des temps. Le
Pere Eternel envoyal'Ange Gabriel à
la Vierge Marie pour luyN
en porter la nouvelle. C'est le moJ*
ment où illuy donne cet ordre que-..-
FrançoisAlbano l'un des plus
sçavans & des plus agreables
Peintres d'Italie, e grand oncle
duPape, a
voulu exprimer dans
l'excellent Tableau connu par la
gloire de l'Albane, çy* qui estdans
le Cabinrt du Roy.
Il est dans un ovale couchée,
au haut de laquelle se voit le Ciel
ouvert
,
brillant d'une lumiere
douce,répanduësurles Chœurs des
Anges, qui paroissent dans le respect & l'admiration de ce quise
pass. C'est ce qui a
donné au
Tableau le nom de la Gloire.
Le Pere Eternely efl representéau milieu avec toute sa Majesté ajjtisur les Cherubins, CM
sur les Trônes
3
tenant sous pt
droite un globed'azur
,
symbole
du Monde, dont il veut la reparation, étendant la gauche pour
donnerses ordres à l'Archange,
qui paroît au dessous dans le milieu des airs avec une grace &
une legeretéadmirable. Plus bas
est un Ange d'un Ordre inférieur,
qui tient une branche de lis pour
marquer la pureté de la personne
qui doit avoir part au mystere,
(7 qui estdel'invention du Peintre.
Elle est admirable dans les quatre figures de Femmes, dont il a
placé deux de chaque côté du
Tableau , & qui font posées fûtdes nuages. Les deuxdu cote droit
représentent laJustice & la Paix,
&* celles du cotégauchela Nhfericorde e la Vérité, felon le paf
sage de David au Pfaumc84:
y. 11.qui ditque la misericorde & la verité se sont rencontrées
,
& que ln Justice & la
Paix se font embrassées. On
sçait que le Prophete parloit alors
de l'Incarnation,Cque c.efi dans
ce grandMystere que ces
attributs
divins
,
qui sembloient oppose
sefont réünis pour le salut des
hommes, dont la Justice (;f la
Vérité demandaient la punition,
pendant
pendant que la misericorde & la
paix sollicitoient leur reconciliation.
Rien riefl plus heureusement
represente
3
puisque c'estl'accomplissement du Conseil éternel, que
toutes les parties de
ce
belouvrage concourent a exprimer; aussi le
Peintre qui en connoissoit bien le
merite, disoit quil devoit estre à
une teste couronnée. E per una
testa coronata.
L'Original de
ce
Tableaufut
apporté de Boulogne.
vous avez oüyJ ditesvous,
parler il y a
long-temps d'un
Tableau de l'Albane, qui cft
dans le Cabinet du Roy, &
que vous souhaitez d'en avoirs
une Description qui est fort
curicuse, & que les plus grands
Peintres & les Curieux ont pris
foin de rechercher, je vous en
envoye une dont la tecturc
vous fera sans doute beaucoup
de plaisir.
j
Le conseil éternel de Dieuayant
resolu le Mystere de l'Incarnation du Verbe, les Personnes de
la Sainte Trinité l'accomplirent
dans la plenitude des temps. Le
Pere Eternel envoyal'Ange Gabriel à
la Vierge Marie pour luyN
en porter la nouvelle. C'est le moJ*
ment où illuy donne cet ordre que-..-
FrançoisAlbano l'un des plus
sçavans & des plus agreables
Peintres d'Italie, e grand oncle
duPape, a
voulu exprimer dans
l'excellent Tableau connu par la
gloire de l'Albane, çy* qui estdans
le Cabinrt du Roy.
Il est dans un ovale couchée,
au haut de laquelle se voit le Ciel
ouvert
,
brillant d'une lumiere
douce,répanduësurles Chœurs des
Anges, qui paroissent dans le respect & l'admiration de ce quise
pass. C'est ce qui a
donné au
Tableau le nom de la Gloire.
Le Pere Eternely efl representéau milieu avec toute sa Majesté ajjtisur les Cherubins, CM
sur les Trônes
3
tenant sous pt
droite un globed'azur
,
symbole
du Monde, dont il veut la reparation, étendant la gauche pour
donnerses ordres à l'Archange,
qui paroît au dessous dans le milieu des airs avec une grace &
une legeretéadmirable. Plus bas
est un Ange d'un Ordre inférieur,
qui tient une branche de lis pour
marquer la pureté de la personne
qui doit avoir part au mystere,
(7 qui estdel'invention du Peintre.
Elle est admirable dans les quatre figures de Femmes, dont il a
placé deux de chaque côté du
Tableau , & qui font posées fûtdes nuages. Les deuxdu cote droit
représentent laJustice & la Paix,
&* celles du cotégauchela Nhfericorde e la Vérité, felon le paf
sage de David au Pfaumc84:
y. 11.qui ditque la misericorde & la verité se sont rencontrées
,
& que ln Justice & la
Paix se font embrassées. On
sçait que le Prophete parloit alors
de l'Incarnation,Cque c.efi dans
ce grandMystere que ces
attributs
divins
,
qui sembloient oppose
sefont réünis pour le salut des
hommes, dont la Justice (;f la
Vérité demandaient la punition,
pendant
pendant que la misericorde & la
paix sollicitoient leur reconciliation.
Rien riefl plus heureusement
represente
3
puisque c'estl'accomplissement du Conseil éternel, que
toutes les parties de
ce
belouvrage concourent a exprimer; aussi le
Peintre qui en connoissoit bien le
merite, disoit quil devoit estre à
une teste couronnée. E per una
testa coronata.
L'Original de
ce
Tableaufut
apporté de Boulogne.
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Résumé : Description d'un Tableau de l'Albane, [titre d'après la table]
Le tableau 'La Gloire' de François Albano, peintre italien, illustre le mystère de l'Incarnation du Verbe. Conservé dans le Cabinet du Roi, il montre le moment où le Père Éternel envoie l'Ange Gabriel annoncer à la Vierge Marie l'Incarnation. La composition est structurée en plusieurs niveaux : en haut, le ciel est ouvert et illuminé, entouré de chœurs d'anges. Le Père Éternel, au centre, tient un globe azur symbolisant le monde et donne des ordres à l'Archange Gabriel. Un ange inférieur tient une branche de lis, symbolisant la pureté. De chaque côté du tableau, sur des nuages, se trouvent quatre figures féminines : à droite, la Justice et la Paix, et à gauche, la Miséricorde et la Vérité, en référence au Psaume 84. Ces attributs divins, souvent opposés, se réunissent pour le salut des hommes, soulignant l'accomplissement du conseil éternel de Dieu. Le peintre considérait cette œuvre digne d'une tête couronnée. L'original de ce tableau a été apporté de Boulogne.
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10
p. 280-290
POEME Qui a remporté le Prix, par le Jugement de l'Academie des Jeux Floraux, sur la Verité.
Début :
En vous parlant de ceux qui ont remporté cette année les / L'Homme est il insensible à l'éclat de tes traits, [...]
Mots clefs :
Jeux floraux, Prix, Vérité, Sagesse, Astres, Aveuglement, Chercher
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texteReconnaissance textuelle : POEME Qui a remporté le Prix, par le Jugement de l'Academie des Jeux Floraux, sur la Verité.
En vous parlant deceuxqui
ont remporté cette année les
Prix des Jeux Floraux de T-oulouse, je vous ay parlé iccc-'
luy qui regarde la Vérité, composé par Mr l'Abbé Asselin.
On assure generalement guti
tousceuxqui ont travatiHcccc-1
te année pour ces Prix ont fait
de si beaux Ouvrages, qu'il a'
esté difficile d'adjuger les Prix,
ce qui doit augmenter lajlwre
Mr l'Abbé AtfcliIL
1
POEME
Qui a
remporté le Prix, par Le
Jugement de l'Academie des
Jeux Floraux, sur la Vérité.
L'Homme est-il insensible à l'éclat de tes traits,
Ou bien, loin de ses yeux tU-tu
fuipour jamais,
Verité,qu'à mes vœux dérobent
mille obstacles?
Toûjours avec lefaux je confonds
tes Oracles.
Pour fuir en te cherchant les
écueils que je crains,
Sers deguide toi-mêmeàmespas
incertains.
May 1 7 10. Aa
rar nos préjuge.-< seuls gouver.
nez dans l'enfance
, , L'erreuren nos
espritsprévient
la connoissance.
Que fert de réfléchir dans une autresaison t
Le joug de l'habitude asservit la
raifort,
Toujours loin du droitsens entraine:t par les AHtres,
Sur leurs fauxjugemens s'assermissent les nôtres;
Et de l'opinionesclaves malheureux
,
Nous vivons, nouspartons, &
nous pensons comme eux.
Loin du peupleséduitpar devaines images,
Chercherons-nous levraisuries
traces des Sages t
Jouets d'un faux éclatqui nous
éblouit tous,
Par des sentiers divers ils errent
comme nous.
Philosophes
en proyeàvotre incertitude
y Quel estpour votre espritlefruit
de votre étude ?
De quelqueconnoissance ose-t-il
Toujours
seflatter
plus
?
incertain,il riapprend qu'à douter.
Maisquoi?son impuissance irrite
son audace:
Dansses vastesprojets ilrieflrien
qu'il riembrajjc. ,
Aa.ij
Prétendant tout connoître, en sa
témérité
Par les bornes du monde il n'est
point arrêté.
Il veut d'un premier Etre appro.
fondir l'EjJence,
Il sondesesDecrets, mesure sa
Puielaance.
Aveugle!aquel excès porte-t-il
son orgueil!
Desa foible raison un atome efi
l'écueil.
Lassé sans s'arrêter & vaincu
sans se rendre,
C'estenvain qu'ils'obstine à voit"
loir le comprendre ;
Rencontrant l'infini dans un corps
limité.
Il conçoit d-autant moins qu'il 4
plusmédité.
Grand Dieu, dans Fembarrdf
qui confondsa foiblesse
, Quel est de tes desseins la profonde
fag,,ff! -
Les objetsqu'àsesjeux tu fçtts
envelope,
Rempliroientunesprit que tu dois
occuper.
Lorsqu'il jouit des biens que ta
main lui dispense,
Que luisert d'en chercher l'originâ
& l'essence ?
Pardessoins assidus qui confumeni
ses jours
Que luisert d'observer les Aftril
dans leurcours;
D'examiner si l'air, lefeu, la
terre Cm l'onde
Sont autant d'élemens qui composent lemonde:
Ousi, sans l'achon de leur concours divers,
Un principe plus simple a
forme
l'Univers !
Ilsçait à l'infini diviser des espaces,
Comparer des côtez, mesurer des
surfaces :
Des angles differens que forment
tous les corps,
Ilsçait approfondir les dijfrens
rapports.
Inutilestravaux! frivole connoissance!
Quel avantage a-t-il sur une
humble ignorance?
Pour s'occuper ainsi trop avaredu
temps,
Le vrai Sage ensçait mieux menager les instans.
Pourquoi j'embarrasserd'unevaine chimere?
Il est icipour l'homme un point,
seul necessaire.
Il doit, peu curieux etun sterile
sçavoir,
Chercher les vérité% quifondent
son devoir.
Les chercher.! ah! bien loin que
ce foin l'interesse,
C'est a les eviter qu'il s'applique
sans cesse.
La Nature enson cœur avoitfiû
les tracer;
Que ne tente.t-il pointpourles
en effacer!
Il a
fallu pour lui fous l'attrait
d'un vain songe
Couvrir
ces vérité^ du voile du
mensonge:
Et par des fictionsoccupant son
loisiir,
Cacher l'utilité fous l'appas dtt
plaisir.
Allais ennemi du vraidont il
craint de s'instruire,
Jusquesàl'ignorer a-t-il pû si
seduïre ?
Envain, pour s'endormir ausi;"
despassions, Son
Son esprit se dérobe à
ses reflexions:
Dans quelque Aveuglement qu'il
s'efforce de vivre,
La lumiere qu'il fuit vient par
tout lepoursuivre :
Eclairé malgré lui par un instinct
divin,
Il connoît un principe, il redoute
une fin.
Dans les remords pressans que le
crime fait naître,
Il tremble fous la main dont il a
reçu*l'être /> 1 :
Et contraint en secret d'adorerson
pouvoir,
Il sent la écrite qu'il n'a pas
voulu voir.
ont remporté cette année les
Prix des Jeux Floraux de T-oulouse, je vous ay parlé iccc-'
luy qui regarde la Vérité, composé par Mr l'Abbé Asselin.
On assure generalement guti
tousceuxqui ont travatiHcccc-1
te année pour ces Prix ont fait
de si beaux Ouvrages, qu'il a'
esté difficile d'adjuger les Prix,
ce qui doit augmenter lajlwre
Mr l'Abbé AtfcliIL
1
POEME
Qui a
remporté le Prix, par Le
Jugement de l'Academie des
Jeux Floraux, sur la Vérité.
L'Homme est-il insensible à l'éclat de tes traits,
Ou bien, loin de ses yeux tU-tu
fuipour jamais,
Verité,qu'à mes vœux dérobent
mille obstacles?
Toûjours avec lefaux je confonds
tes Oracles.
Pour fuir en te cherchant les
écueils que je crains,
Sers deguide toi-mêmeàmespas
incertains.
May 1 7 10. Aa
rar nos préjuge.-< seuls gouver.
nez dans l'enfance
, , L'erreuren nos
espritsprévient
la connoissance.
Que fert de réfléchir dans une autresaison t
Le joug de l'habitude asservit la
raifort,
Toujours loin du droitsens entraine:t par les AHtres,
Sur leurs fauxjugemens s'assermissent les nôtres;
Et de l'opinionesclaves malheureux
,
Nous vivons, nouspartons, &
nous pensons comme eux.
Loin du peupleséduitpar devaines images,
Chercherons-nous levraisuries
traces des Sages t
Jouets d'un faux éclatqui nous
éblouit tous,
Par des sentiers divers ils errent
comme nous.
Philosophes
en proyeàvotre incertitude
y Quel estpour votre espritlefruit
de votre étude ?
De quelqueconnoissance ose-t-il
Toujours
seflatter
plus
?
incertain,il riapprend qu'à douter.
Maisquoi?son impuissance irrite
son audace:
Dansses vastesprojets ilrieflrien
qu'il riembrajjc. ,
Aa.ij
Prétendant tout connoître, en sa
témérité
Par les bornes du monde il n'est
point arrêté.
Il veut d'un premier Etre appro.
fondir l'EjJence,
Il sondesesDecrets, mesure sa
Puielaance.
Aveugle!aquel excès porte-t-il
son orgueil!
Desa foible raison un atome efi
l'écueil.
Lassé sans s'arrêter & vaincu
sans se rendre,
C'estenvain qu'ils'obstine à voit"
loir le comprendre ;
Rencontrant l'infini dans un corps
limité.
Il conçoit d-autant moins qu'il 4
plusmédité.
Grand Dieu, dans Fembarrdf
qui confondsa foiblesse
, Quel est de tes desseins la profonde
fag,,ff! -
Les objetsqu'àsesjeux tu fçtts
envelope,
Rempliroientunesprit que tu dois
occuper.
Lorsqu'il jouit des biens que ta
main lui dispense,
Que luisert d'en chercher l'originâ
& l'essence ?
Pardessoins assidus qui confumeni
ses jours
Que luisert d'observer les Aftril
dans leurcours;
D'examiner si l'air, lefeu, la
terre Cm l'onde
Sont autant d'élemens qui composent lemonde:
Ousi, sans l'achon de leur concours divers,
Un principe plus simple a
forme
l'Univers !
Ilsçait à l'infini diviser des espaces,
Comparer des côtez, mesurer des
surfaces :
Des angles differens que forment
tous les corps,
Ilsçait approfondir les dijfrens
rapports.
Inutilestravaux! frivole connoissance!
Quel avantage a-t-il sur une
humble ignorance?
Pour s'occuper ainsi trop avaredu
temps,
Le vrai Sage ensçait mieux menager les instans.
Pourquoi j'embarrasserd'unevaine chimere?
Il est icipour l'homme un point,
seul necessaire.
Il doit, peu curieux etun sterile
sçavoir,
Chercher les vérité% quifondent
son devoir.
Les chercher.! ah! bien loin que
ce foin l'interesse,
C'est a les eviter qu'il s'applique
sans cesse.
La Nature enson cœur avoitfiû
les tracer;
Que ne tente.t-il pointpourles
en effacer!
Il a
fallu pour lui fous l'attrait
d'un vain songe
Couvrir
ces vérité^ du voile du
mensonge:
Et par des fictionsoccupant son
loisiir,
Cacher l'utilité fous l'appas dtt
plaisir.
Allais ennemi du vraidont il
craint de s'instruire,
Jusquesàl'ignorer a-t-il pû si
seduïre ?
Envain, pour s'endormir ausi;"
despassions, Son
Son esprit se dérobe à
ses reflexions:
Dans quelque Aveuglement qu'il
s'efforce de vivre,
La lumiere qu'il fuit vient par
tout lepoursuivre :
Eclairé malgré lui par un instinct
divin,
Il connoît un principe, il redoute
une fin.
Dans les remords pressans que le
crime fait naître,
Il tremble fous la main dont il a
reçu*l'être /> 1 :
Et contraint en secret d'adorerson
pouvoir,
Il sent la écrite qu'il n'a pas
voulu voir.
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Résumé : POEME Qui a remporté le Prix, par le Jugement de l'Academie des Jeux Floraux, sur la Verité.
Le poème 'Qui a remporté le Prix, par Le Jugement de l'Académie des Jeux Floraux, sur la Vérité' est l'œuvre de l'Abbé Asselin. Il traite de la quête de la vérité et des obstacles que l'homme rencontre dans cette recherche. L'auteur met en évidence que les préjugés et les habitudes empêchent souvent les individus de percevoir la vérité, les incitant à suivre les opinions des autres plutôt que de chercher la sagesse par eux-mêmes. Le poème critique également les philosophes, qui, malgré leurs études approfondies, restent incertains et incapables de connaître pleinement la vérité. Ils tentent de comprendre l'infini et les desseins de Dieu, mais leur raison limitée les en empêche. L'auteur suggère que l'homme devrait se concentrer sur les vérités nécessaires à son devoir plutôt que de s'engager dans des recherches vaines et frivoles. Le texte conclut en soulignant que, malgré ses efforts pour éviter la vérité, l'homme est toujours éclairé par un instinct divin qui lui fait connaître et redouter un principe supérieur et une fin ultime. Même dans ses remords, il sent la présence d'un pouvoir supérieur qu'il ne peut ignorer.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 58-59
Par Monsieur P ....
Début :
Le mensonge est dans le vin, quand le vin est dans [...]
Mots clefs :
Vin, Mensonge, Vérité
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texteReconnaissance textuelle : Par Monsieur P ....
PdrMonfieu, P.1
Lemensonge estdansle
vin, quandle vin cf^c^ns
Ja cave du Cabaretier,
qui vous donne levin
d'Orleans en jurant que
c'est du vin deChampagne.
Laverité est dans le
vin, lorsqu'un bon Gentilhomme
de Brie vous donne
le vin de son crû, &
vous le donne pour tel:
mais son vin de Brie produit
le mensonge, quanc le convive complaisant lui
dit que le vin de son crû
vaut du vin de Bourgogne.
Lemensonge estdansle
vin, quandle vin cf^c^ns
Ja cave du Cabaretier,
qui vous donne levin
d'Orleans en jurant que
c'est du vin deChampagne.
Laverité est dans le
vin, lorsqu'un bon Gentilhomme
de Brie vous donne
le vin de son crû, &
vous le donne pour tel:
mais son vin de Brie produit
le mensonge, quanc le convive complaisant lui
dit que le vin de son crû
vaut du vin de Bourgogne.
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12
p. 79-85
EPISTRE A M. DE S... sur la Peinture.
Début :
Art merveilleux, art enchanteur, [...]
Mots clefs :
Art, Peinture, Imposture, Nature, Mémoire, Vérité, Émouvoir
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EPISTRE A M. DE S... sur la Peinture.
EPISTRE A M. DE S.
sur la Peinture.
A Rt merveilleux, art
enchanteur,
Dont l'ingenieuseimpofturc
Charme les yeux, touche
le coeur,
Aimable & divine Peinture,
Qu'on peut justement appeller
La rivale de la nature,
C'est de toy que je vais parDes
Héros tu cheris la gloire,
Tu nous rends les siecles
passez, '¡
Tu fais revivre la mémoire
Des exploits que le temps
avoit presque effacez.
La verité, qui te- sert de
modele,
Se trouve dans tes fictions;
Par toy l'ame la plus rebelle
-
Sent émouvoir ses passions.
Peins
- tu le meurtre & le
carnage,
Traces-tu d'un combat les
sanglantes horreurs;
Du soldat animé je redoute
la rage,
Et mes yeux des vaincus
distinguent les vain- -
queurs.
Fais-tu voir un riant bocage
Trompé par cette vive image)
Je promene de toutes parts
Avecavidité mes curieux
regars; t) J' y vois de clairs ruisseaux
couler dans une plaine,
Ma main impatiente y veut
cueillir des fleurs,
De Flore & des zephirs j'y
crois sentir l'haleine,
Et mes sensenchantez goûtent
mille douceurs.
Tu sçais nous inspirer la
haine, la tendresse,
Tu nous transportes où tu
veux;
Par toy l'amant joüit sans
cesse
Du plus doux objet de [es
voeux.
Qui mieux que toy, S.
inimitable,
Dont les talens sont si vantez,
De cette science admirable
Sent & fait sentir les beautez?
Tu cannois des couleurs
l'agreable harmonie;
Lorsque tu veux faireun tableau,
Minerve guide ton genie,
Et l'Amour conduit ton pinceau.
A tes portraits tu donnes
l'ame,
L'audacieux fils de Japet,
Qui du ciel déroba la flâme,
T'apprit sans doute son secret.
Ta Sufanne m'inspire une
fage tendresse
; Etonné des attraits qu'elle
offre à mes regards,
Je n'ose condamner l'excufable
foiblesse
De tes impudiques vieillards.
Qu'un critique jaloux contre
toy se déchaîne,
Dans ta pieuse Madelaine
Je reproche trop de beau-
# ce, Il nous montre son ignorance,
Et tous ses murmures font
vains;
Tu fais aimer la penitence
Sous les couleurs donc tu
la peins.
,
Le vif portrait d'Adélaïde
Eli si naturel & si beau,
Qu'un jour on doutera s'il
n'est point du pinceau
Oudu Titien, ou du Guide.
En exprimant ces traits,
cet air noble & brillant,
Tu joignis tant d'appas,
tant de graces ensemble,
Que ce portrait est ressemblant
A qui personne ne ressemble.
sur la Peinture.
A Rt merveilleux, art
enchanteur,
Dont l'ingenieuseimpofturc
Charme les yeux, touche
le coeur,
Aimable & divine Peinture,
Qu'on peut justement appeller
La rivale de la nature,
C'est de toy que je vais parDes
Héros tu cheris la gloire,
Tu nous rends les siecles
passez, '¡
Tu fais revivre la mémoire
Des exploits que le temps
avoit presque effacez.
La verité, qui te- sert de
modele,
Se trouve dans tes fictions;
Par toy l'ame la plus rebelle
-
Sent émouvoir ses passions.
Peins
- tu le meurtre & le
carnage,
Traces-tu d'un combat les
sanglantes horreurs;
Du soldat animé je redoute
la rage,
Et mes yeux des vaincus
distinguent les vain- -
queurs.
Fais-tu voir un riant bocage
Trompé par cette vive image)
Je promene de toutes parts
Avecavidité mes curieux
regars; t) J' y vois de clairs ruisseaux
couler dans une plaine,
Ma main impatiente y veut
cueillir des fleurs,
De Flore & des zephirs j'y
crois sentir l'haleine,
Et mes sensenchantez goûtent
mille douceurs.
Tu sçais nous inspirer la
haine, la tendresse,
Tu nous transportes où tu
veux;
Par toy l'amant joüit sans
cesse
Du plus doux objet de [es
voeux.
Qui mieux que toy, S.
inimitable,
Dont les talens sont si vantez,
De cette science admirable
Sent & fait sentir les beautez?
Tu cannois des couleurs
l'agreable harmonie;
Lorsque tu veux faireun tableau,
Minerve guide ton genie,
Et l'Amour conduit ton pinceau.
A tes portraits tu donnes
l'ame,
L'audacieux fils de Japet,
Qui du ciel déroba la flâme,
T'apprit sans doute son secret.
Ta Sufanne m'inspire une
fage tendresse
; Etonné des attraits qu'elle
offre à mes regards,
Je n'ose condamner l'excufable
foiblesse
De tes impudiques vieillards.
Qu'un critique jaloux contre
toy se déchaîne,
Dans ta pieuse Madelaine
Je reproche trop de beau-
# ce, Il nous montre son ignorance,
Et tous ses murmures font
vains;
Tu fais aimer la penitence
Sous les couleurs donc tu
la peins.
,
Le vif portrait d'Adélaïde
Eli si naturel & si beau,
Qu'un jour on doutera s'il
n'est point du pinceau
Oudu Titien, ou du Guide.
En exprimant ces traits,
cet air noble & brillant,
Tu joignis tant d'appas,
tant de graces ensemble,
Que ce portrait est ressemblant
A qui personne ne ressemble.
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Résumé : EPISTRE A M. DE S... sur la Peinture.
L'épître à M. de S. sur la peinture célèbre cet art comme un moyen de captiver les yeux et toucher le cœur. La peinture est décrite comme la rivale de la nature, capable de raviver la mémoire des exploits passés et de faire revivre des événements presque oubliés. Elle utilise la vérité comme modèle et émeut même les âmes les plus rebelles. Que ce soit en représentant des scènes de violence ou des paysages idylliques, la peinture suscite des émotions intenses et transporte le spectateur dans des mondes variés. L'auteur admire particulièrement les talents de M. de S., soulignant son habileté à créer des œuvres où Minerve guide le génie et l'Amour conduit le pinceau. Les portraits de M. de S. sont si vivants qu'ils semblent dotés d'une âme. L'épître mentionne également des œuvres spécifiques, comme une Suzanne inspirant une douce tendresse et une Madeleine dont la beauté suscite des critiques jalouses mais vaines. Enfin, le portrait d'Adélaïde est loué pour sa noblesse et sa beauté, au point de rivaliser avec ceux des grands maîtres comme Titien ou Le Guide.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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13
p. 149-166
Memoire Littéraire.
Début :
J'ay promis des liaisons. Il faut tenir parole. Mais je / La Médecine a pris naissance des observations, dont le hazard [...]
Mots clefs :
Liaisons, Mémoires littéraires, Médecine, Maladies, Ouvrage, Ouvrages, Nouveauté, Vérité, Remède, Nature
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Memoire Littéraire.
J'ay promis des liaiſons.
Il faut tenir parole. Mais je
ne ſçay comment m'y prendre
pour paffer d'une façon agra
Niij
150 MERCURE
ble & naturelle , d'une matiere
que je connois un peu ,
à une que je ne connois point
du tour. On m'a fait preſent
de deux Memoires Litteraires
fur la Medecine; on m'aſſure
qu'ils annoncent des chofes
qu'ils
dont l'uſage eft excellent pour
prolonger nos jours. C'eſt co
que je ne ſçay pas encore , parce
que je n'ay jamais cû beſoin
de l'apprendre.
Quoy qu'il en ſoit , ils me
paroiſſent affez bien écrits , &
la force de leurs raiſonnemens
qui me fait en quelque facon
juger du merite de leurs AuGALANT
S
teurs ,
noMemoite Litteraire
R
of La Medecine a pris naiſſancodesobfervations
,dont lehazard
fut peüt- eſtre la premiere
&la plus feconde ſource,
aprés tuy vint l'experience, qui
les multiplia durant pluſieurs
Siecles , & forma le premier
plan d'un art qui devoit reme
dier aux maladies dont la fant
té des hommes eſt ſi ſouvent
combatuë. Cette Medecine
empirique n'eſtoit d'abord oc-
Niiij
152 MERCURE
cupée qu'à reconnoître les vertus
des Simples & de leurs differ
ens mélanges : Mais la diverfiré
deleurs effets , ſelon les
differences des accidens , ou
celles du temperament , de
l'âge, du temps , du licu , des
alimens , des paffions de l'ame
, &c. fit bien- toſt connoiſtre
que puiſque la nature,
plus changeanteque Prothée,
ne ſetrouve preſque jamais la
même , il falloit entrer dans
le détail de ſes inconſtances
pour y trouver la regle de la
juſte application des remedes.
Cette folide reflexion donna
GALANT
lieu de romarquer tous les
ſignes, qui établiſſent les pré
ſages des maladies qui diſtinguent
les unes des autres, qui
marquent leurs eſpeces dans
chaque genre , & font juger
de leurs caufes & de leurs ef
fets. Une auffi utile recherche
produifit les regles& les prin.
cipes du grand Art de guerir;
cette étude enfantales divinso
racles queHippocrateaprés les
célebresMedecin de l'Ecole de
Cnyde& les Prêtres du Tem
ple d'Eſculape, raſſembla dans
ſes ouvrages qui l'ont immortalifé
, ces fondemens de la
154 MERCURE
Medecine , avoüez, de toutes
les Ecoles du monde , auffi
anciens& auffi nouveaux que
la verité,ſont les ſeuls qui ont
mis le prix à la doctrine des
Medecins de tous les temps:
au lieu que les,vains rafine,
mens des Siſtemes , enfans
d'une ignorance preſomptucuſe
, quelques legitimes qu'ils
ayont paru , n'ont jamais porté
bien loin la Renomée deleurs
Auteurs , ni fixé pour longtemps
llastention des habiles
Praticiens. En effet quoy que
des conjectures vray- fomblables
leurs en impofent quel
2GALANT. 155
quefois , ils n'ont pas de peine
à ſe détromper, ſi- toſt qu'ils
rappellent de leurs préjugez à
la reglede l'obſervation. Ces
démarches de la nature dans
les maladies , ces points fixez
que le Medecin nedoit jamais
perdre de veuë , rempliffent
toutes les pages du ſçavant
livresde Lommius , dont Mon.
fieur le Breton , Docteur en
Medecinede la Falculté de Paris
a mis au jour l'excellente
traduction , qu'il en a faire ,
ſous le titre de Tableau des
maladies , où l'on découvre leurs
fignes & leurs évenemens, tra
156 MERCURE
duit du latın de Lommius , 4-
vec de nouvelles remarques ; ouvrage
qui renferme les obferuations
les plus importantes pour
acquerir une parfaite connoissance
detoutes les maladies , en prévoir
les ſuites , en pénétrer les cauſes ,
s' aßurer de leurs remed. s. A
Paris , chez Claude Jombert
Libraire.Quay des Augustins à
la defcente du Pont Neuf.
On vend chez le même Libraire
un Livre nouveau , inti
tulé, Principes de Phifique ,rapportez
à la Medecine Pratique,
& autres traitezsur cet Art,par
Mr Chambon, cy- devantMede
GALANT. }}
cin de Jean Sobieski , Roy de
Pologne.
**Cet ouvrage ſeroit nouveau
ſi la verité n'eſtoit pas de
tous les temps. Il eſt néan
moins nouveau en la maniere
de la propoſer. Tout lemonde
ſçait que chaque choſe àfa
naiſſance , c'est- à-dire eft faite
de l'union des ſes principes,
fonaccroiſſement , lamaturité,
ſon décroiſſement ,& en
fin ſa diſolution. C'eſt un or
drede la naturetoûjoursconftante
dans ſon inconſtance.
Il n'y a point de Phyficien qui
ne ſoit convaincude cette verité.
Cependant on nes'eftoit
158 MERCURE
3
&
point encore avisé dans les
Ecoles de parler ainfi ; parce
que des principes ſi faciles
fi ſurs ne plaifent pas aux perſonnes
qui aiment à faire mif.
tere de tout , & peut- eftre à
égarer les autres , afin de les
ramener par plufieurs détours,
au chemin d'où ils oftoient
partisang b
Mr Chambon qui joint
une sextrémehidroiture de
coeur àune parfaire connoif
fance de la nature, à évité
l'écücil des Phyſiciens ordinaires
, & nous propoſe dans
cet ouvrage les principes les
plus facilespavec une netteté
GALANT. 139
toute finguliere. La nature ,
dit- il , fait tous ſes ouvrages
en diffolvant & en coagulant;
lorſqu'elle diffout elte sein
erude; & lorſqu'elle coagule
elle cuir &meunit. C'eſt fur
ce grand principe que roule
rouve la Phyſique r& toute la
Medecine, Car enfin lainatu
reou coagule ondiffour ou
fe ropoſe quandfes ouvrages
font à leur matafités Ibreſt
vrayqu'elle nedemeute guard
en reposh qulellé,n'a pas
pluſtoſt conduit ſesouvrages
àleur perfection ,qu'elle travaille
à les détruige. Tout
160 MERCURE
ace
que doit donc faire un fage
Medecin eſt de ſuivre, la
nature dans ſes operations
fin d'empêcher les coagulations
prématurées,&les diſſolutions
trop precipitées.L'une
fert de romede à l'autre, la
coagulation empêche da trop
grande diffolution , lai diễ
folution bempèche da nerop
grande coagulations Opine
peut pas donner d'idée plus
fimple desoperations de la na
ture , & du devoirdes Medeeins
qucocelle-lashion flokar
-De ce principe il s'enfuit
quola ſaignée eſt ſouvent la
choſe
GALANT. 161
choſe la plus dangereuſe de
toutes celles que pratiquent
aujourd'huy les Medecins , &
qui a affez de rapport avec ces
fortes de remedes communs
qu'on diftribuë dans les boutiques
, ainſi que Mr Chambon
ledémontre dans ſon ouvrage.
En effet , ou le ſang
tend à ſe coaguler, ce qui cauferoit
des obſtructions dans
les viſeerés ou à ſe diffoudre ,
ce qui en ruineroit le baume ;
car de dire qu'il peut pêcher
en quantité, c'eſt une prévention
qui n'eſt formée fur
aucun princip craifonnable ,
Juin 1714.
162 MERCURE
s'il ſe coagule il y a des
remedes pour empêcher cet
te coagulation , & pour le re
mettre à fon bon naturel , s'il
tend à la diſſolution de ſes
principes,on peut l'empêcher
par des remedes coagulants.
Tous les corps , die Me
Chambon , ſont compoſez de
fel , de ſouffre & de Mercure.
La partie mercuriale continuët'il
, fait la fluidité ; la ſaline
fait le poids & la fixité , & k
fouffre la fuſibilité, le reſſerrement
,les faveurs & les couleurs.
Suivant ce principe , il
traise amplement des teintures
GALANT. 163
dont il donne les préparations
avec la netteté, & fa profondeur
ordinaire .
Il paffe de là au mal deNaples
que les Napolitains appellent
le mal François , dont il
explique la nature & les differentes
fortes conformement à
fes principes ; & aprés avoir
montré que le Mercure ne le
peut guerir radicalement , il
propoſe des ſpecifiques pour
lestrois eſpeces de cette maladie
ſçavoir la naiſſance, l'inveterée,&
l'hereditaire. Labontéde
cesſpecifiques eſt prouvée
par des raiſonnemens , & par
Oij
164 MERCURE
les experiences qu'il en faites à
cette occaſion; ildonne lespréparations
du Mercure , de
l'antimoine , du plomb , de
l'Elixir animal , de Lilium ,des
pilulles , &c. De- là pour récréer
le Lecteur , il paſſe au
récit de ſon voyage dans les
Monts de Pologne , où il entra
dans les mines de ſel , de
ſouffre, de bitume& autres ,
dont il rapporte les particula
ritez , & plufieurs autres mer
veilles de la même Pologne,
avec beaucoup d'exactitude
&de politeffe. Enfin il finit
par un traité de l'apoplexic
GALANT. 165
dontil explique la nature d'une
maniere mécanique &
conforme à fes principes ; enfuite
il établit les differentes
efpeces d'apoplexie ,& donne
les préparations des remedes
neceffaires dans ces fortes de
maladies.
On peut dire en general
que cet ouvrage eft , pour fa
folidité , fa varieté & fa nouveauté
, un des plus beaux
Chefs-d'oeuvres de la Medeci
ne,&de la Phyſique. Il ſeroit à
fouhaiter que l'Auteur voulût
faire part au Public des autres
découvertes qu'il a faites fur
166 MERCURE
quantité d'autres maladies ,
avec leurs remedes : ce ſeroir
luy faire un preſent d'autant
plus eftimable , que l'homme
n'ariende plus cher,ny de plus
précieux que la ſanté. Sans
elle il ne fait que languir ; les
plaiſirs n'ont pour luy aucun
charme , & il eſt incommode
non ſeulement à tout le monde
, mais encore à luy-même.
Il faut tenir parole. Mais je
ne ſçay comment m'y prendre
pour paffer d'une façon agra
Niij
150 MERCURE
ble & naturelle , d'une matiere
que je connois un peu ,
à une que je ne connois point
du tour. On m'a fait preſent
de deux Memoires Litteraires
fur la Medecine; on m'aſſure
qu'ils annoncent des chofes
qu'ils
dont l'uſage eft excellent pour
prolonger nos jours. C'eſt co
que je ne ſçay pas encore , parce
que je n'ay jamais cû beſoin
de l'apprendre.
Quoy qu'il en ſoit , ils me
paroiſſent affez bien écrits , &
la force de leurs raiſonnemens
qui me fait en quelque facon
juger du merite de leurs AuGALANT
S
teurs ,
noMemoite Litteraire
R
of La Medecine a pris naiſſancodesobfervations
,dont lehazard
fut peüt- eſtre la premiere
&la plus feconde ſource,
aprés tuy vint l'experience, qui
les multiplia durant pluſieurs
Siecles , & forma le premier
plan d'un art qui devoit reme
dier aux maladies dont la fant
té des hommes eſt ſi ſouvent
combatuë. Cette Medecine
empirique n'eſtoit d'abord oc-
Niiij
152 MERCURE
cupée qu'à reconnoître les vertus
des Simples & de leurs differ
ens mélanges : Mais la diverfiré
deleurs effets , ſelon les
differences des accidens , ou
celles du temperament , de
l'âge, du temps , du licu , des
alimens , des paffions de l'ame
, &c. fit bien- toſt connoiſtre
que puiſque la nature,
plus changeanteque Prothée,
ne ſetrouve preſque jamais la
même , il falloit entrer dans
le détail de ſes inconſtances
pour y trouver la regle de la
juſte application des remedes.
Cette folide reflexion donna
GALANT
lieu de romarquer tous les
ſignes, qui établiſſent les pré
ſages des maladies qui diſtinguent
les unes des autres, qui
marquent leurs eſpeces dans
chaque genre , & font juger
de leurs caufes & de leurs ef
fets. Une auffi utile recherche
produifit les regles& les prin.
cipes du grand Art de guerir;
cette étude enfantales divinso
racles queHippocrateaprés les
célebresMedecin de l'Ecole de
Cnyde& les Prêtres du Tem
ple d'Eſculape, raſſembla dans
ſes ouvrages qui l'ont immortalifé
, ces fondemens de la
154 MERCURE
Medecine , avoüez, de toutes
les Ecoles du monde , auffi
anciens& auffi nouveaux que
la verité,ſont les ſeuls qui ont
mis le prix à la doctrine des
Medecins de tous les temps:
au lieu que les,vains rafine,
mens des Siſtemes , enfans
d'une ignorance preſomptucuſe
, quelques legitimes qu'ils
ayont paru , n'ont jamais porté
bien loin la Renomée deleurs
Auteurs , ni fixé pour longtemps
llastention des habiles
Praticiens. En effet quoy que
des conjectures vray- fomblables
leurs en impofent quel
2GALANT. 155
quefois , ils n'ont pas de peine
à ſe détromper, ſi- toſt qu'ils
rappellent de leurs préjugez à
la reglede l'obſervation. Ces
démarches de la nature dans
les maladies , ces points fixez
que le Medecin nedoit jamais
perdre de veuë , rempliffent
toutes les pages du ſçavant
livresde Lommius , dont Mon.
fieur le Breton , Docteur en
Medecinede la Falculté de Paris
a mis au jour l'excellente
traduction , qu'il en a faire ,
ſous le titre de Tableau des
maladies , où l'on découvre leurs
fignes & leurs évenemens, tra
156 MERCURE
duit du latın de Lommius , 4-
vec de nouvelles remarques ; ouvrage
qui renferme les obferuations
les plus importantes pour
acquerir une parfaite connoissance
detoutes les maladies , en prévoir
les ſuites , en pénétrer les cauſes ,
s' aßurer de leurs remed. s. A
Paris , chez Claude Jombert
Libraire.Quay des Augustins à
la defcente du Pont Neuf.
On vend chez le même Libraire
un Livre nouveau , inti
tulé, Principes de Phifique ,rapportez
à la Medecine Pratique,
& autres traitezsur cet Art,par
Mr Chambon, cy- devantMede
GALANT. }}
cin de Jean Sobieski , Roy de
Pologne.
**Cet ouvrage ſeroit nouveau
ſi la verité n'eſtoit pas de
tous les temps. Il eſt néan
moins nouveau en la maniere
de la propoſer. Tout lemonde
ſçait que chaque choſe àfa
naiſſance , c'est- à-dire eft faite
de l'union des ſes principes,
fonaccroiſſement , lamaturité,
ſon décroiſſement ,& en
fin ſa diſolution. C'eſt un or
drede la naturetoûjoursconftante
dans ſon inconſtance.
Il n'y a point de Phyficien qui
ne ſoit convaincude cette verité.
Cependant on nes'eftoit
158 MERCURE
3
&
point encore avisé dans les
Ecoles de parler ainfi ; parce
que des principes ſi faciles
fi ſurs ne plaifent pas aux perſonnes
qui aiment à faire mif.
tere de tout , & peut- eftre à
égarer les autres , afin de les
ramener par plufieurs détours,
au chemin d'où ils oftoient
partisang b
Mr Chambon qui joint
une sextrémehidroiture de
coeur àune parfaire connoif
fance de la nature, à évité
l'écücil des Phyſiciens ordinaires
, & nous propoſe dans
cet ouvrage les principes les
plus facilespavec une netteté
GALANT. 139
toute finguliere. La nature ,
dit- il , fait tous ſes ouvrages
en diffolvant & en coagulant;
lorſqu'elle diffout elte sein
erude; & lorſqu'elle coagule
elle cuir &meunit. C'eſt fur
ce grand principe que roule
rouve la Phyſique r& toute la
Medecine, Car enfin lainatu
reou coagule ondiffour ou
fe ropoſe quandfes ouvrages
font à leur matafités Ibreſt
vrayqu'elle nedemeute guard
en reposh qulellé,n'a pas
pluſtoſt conduit ſesouvrages
àleur perfection ,qu'elle travaille
à les détruige. Tout
160 MERCURE
ace
que doit donc faire un fage
Medecin eſt de ſuivre, la
nature dans ſes operations
fin d'empêcher les coagulations
prématurées,&les diſſolutions
trop precipitées.L'une
fert de romede à l'autre, la
coagulation empêche da trop
grande diffolution , lai diễ
folution bempèche da nerop
grande coagulations Opine
peut pas donner d'idée plus
fimple desoperations de la na
ture , & du devoirdes Medeeins
qucocelle-lashion flokar
-De ce principe il s'enfuit
quola ſaignée eſt ſouvent la
choſe
GALANT. 161
choſe la plus dangereuſe de
toutes celles que pratiquent
aujourd'huy les Medecins , &
qui a affez de rapport avec ces
fortes de remedes communs
qu'on diftribuë dans les boutiques
, ainſi que Mr Chambon
ledémontre dans ſon ouvrage.
En effet , ou le ſang
tend à ſe coaguler, ce qui cauferoit
des obſtructions dans
les viſeerés ou à ſe diffoudre ,
ce qui en ruineroit le baume ;
car de dire qu'il peut pêcher
en quantité, c'eſt une prévention
qui n'eſt formée fur
aucun princip craifonnable ,
Juin 1714.
162 MERCURE
s'il ſe coagule il y a des
remedes pour empêcher cet
te coagulation , & pour le re
mettre à fon bon naturel , s'il
tend à la diſſolution de ſes
principes,on peut l'empêcher
par des remedes coagulants.
Tous les corps , die Me
Chambon , ſont compoſez de
fel , de ſouffre & de Mercure.
La partie mercuriale continuët'il
, fait la fluidité ; la ſaline
fait le poids & la fixité , & k
fouffre la fuſibilité, le reſſerrement
,les faveurs & les couleurs.
Suivant ce principe , il
traise amplement des teintures
GALANT. 163
dont il donne les préparations
avec la netteté, & fa profondeur
ordinaire .
Il paffe de là au mal deNaples
que les Napolitains appellent
le mal François , dont il
explique la nature & les differentes
fortes conformement à
fes principes ; & aprés avoir
montré que le Mercure ne le
peut guerir radicalement , il
propoſe des ſpecifiques pour
lestrois eſpeces de cette maladie
ſçavoir la naiſſance, l'inveterée,&
l'hereditaire. Labontéde
cesſpecifiques eſt prouvée
par des raiſonnemens , & par
Oij
164 MERCURE
les experiences qu'il en faites à
cette occaſion; ildonne lespréparations
du Mercure , de
l'antimoine , du plomb , de
l'Elixir animal , de Lilium ,des
pilulles , &c. De- là pour récréer
le Lecteur , il paſſe au
récit de ſon voyage dans les
Monts de Pologne , où il entra
dans les mines de ſel , de
ſouffre, de bitume& autres ,
dont il rapporte les particula
ritez , & plufieurs autres mer
veilles de la même Pologne,
avec beaucoup d'exactitude
&de politeffe. Enfin il finit
par un traité de l'apoplexic
GALANT. 165
dontil explique la nature d'une
maniere mécanique &
conforme à fes principes ; enfuite
il établit les differentes
efpeces d'apoplexie ,& donne
les préparations des remedes
neceffaires dans ces fortes de
maladies.
On peut dire en general
que cet ouvrage eft , pour fa
folidité , fa varieté & fa nouveauté
, un des plus beaux
Chefs-d'oeuvres de la Medeci
ne,&de la Phyſique. Il ſeroit à
fouhaiter que l'Auteur voulût
faire part au Public des autres
découvertes qu'il a faites fur
166 MERCURE
quantité d'autres maladies ,
avec leurs remedes : ce ſeroir
luy faire un preſent d'autant
plus eftimable , que l'homme
n'ariende plus cher,ny de plus
précieux que la ſanté. Sans
elle il ne fait que languir ; les
plaiſirs n'ont pour luy aucun
charme , & il eſt incommode
non ſeulement à tout le monde
, mais encore à luy-même.
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Résumé : Memoire Littéraire.
Le texte aborde la médecine et deux mémoires littéraires sur ce sujet. L'auteur exprime son intérêt pour une matière qu'il ne connaît pas encore, tout en reconnaissant la qualité des mémoires qu'il a lus. La médecine, née des observations et de l'expérience accumulées sur plusieurs siècles, était initialement empirique. Elle a évolué pour reconnaître les vertus des simples et leurs mélanges. La variabilité des effets des remèdes en fonction de divers facteurs a conduit à une réflexion approfondie sur les inconstances de la nature, aboutissant à l'établissement des signes présageant les maladies et à la formulation des règles et principes de l'art de guérir. Hippocrate, après les médecins de l'École de Cnide et les prêtres du Temple d'Esculape, a rassemblé ces fondements dans ses ouvrages, considérés comme les plus anciens et les plus novateurs. Les systèmes vains et présomptueux n'ont pas porté loin la renommée de leurs auteurs. Les démarches de la nature dans les maladies et les points fixes que le médecin ne doit jamais perdre de vue sont détaillés dans les livres de Lommius, traduits par Monsieur le Breton. Le texte mentionne également un ouvrage de Monsieur Chambon, ancien médecin de Jean Sobieski, roi de Pologne. Cet ouvrage présente les principes de la physique appliqués à la médecine pratique. Chambon explique que la nature agit par dissolution et coagulation, et que le rôle du médecin est de suivre ces opérations pour empêcher les coagulations prématurées et les dissolutions trop précipitées. Il critique la saignée, jugée souvent dangereuse, et propose des remèdes alternatifs. Chambon traite également du mal de Naples, de l'apoplexie et partage ses observations sur les mines de Pologne. L'ouvrage est loué pour sa solidité, sa variété et sa nouveauté, et l'auteur espère que Chambon partagera d'autres découvertes sur les maladies et leurs remèdes.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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14
p. 133
ENIGME.
Début :
Presqu'aussitôt que je suis née, [...]
Mots clefs :
Vérité
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ENIGME.
ENIGM E.
PReſqu'anſſitôt que je ſuis née ,
Je cours le monde me vois deftinée
A paffer ma jeuneffe entre les mains d'autrui.
Pour m'y faire valoir , j'ai votre fçavoirfaire ,
Coquettes , qu'on voit aujourd'hui
1
Si fçavantes en l'art d'amuser & de plaire.
Je cours à l'artifice, & m'en pare fi bien ,
Quefous ce faux dehors , & piquante & jolie,
Je fuis de mille gens , comme vous , accueillie ;
Mais pour moi tous ces gens nefentiroient plus rien ,
Le croirés-vous , fi toute nue
Je m'offrois feulement un inflant à leur vue,
PReſqu'anſſitôt que je ſuis née ,
Je cours le monde me vois deftinée
A paffer ma jeuneffe entre les mains d'autrui.
Pour m'y faire valoir , j'ai votre fçavoirfaire ,
Coquettes , qu'on voit aujourd'hui
1
Si fçavantes en l'art d'amuser & de plaire.
Je cours à l'artifice, & m'en pare fi bien ,
Quefous ce faux dehors , & piquante & jolie,
Je fuis de mille gens , comme vous , accueillie ;
Mais pour moi tous ces gens nefentiroient plus rien ,
Le croirés-vous , fi toute nue
Je m'offrois feulement un inflant à leur vue,
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15
p. 2382-2398
LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
Début :
Lorsque vous m'avez fait l'honneur, Monsieur, de me proposer la question [...]
Mots clefs :
Poètes, Poésie, Orateur, Éloquence, Discours, Homère, Expression, Force, Vérité, Racine, Homme, Esprit, Âme, Discours
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
LETTRE fur la gloire des Orateurs
& des Poëtes.
Lorfque vous m'avez fait l'honneur
Monfieur , de me propofer la queftion
, fçavoir : Si la gloire des Orateurs eft
preferable à celle des Poëtes , je l'avois déja
lue dans le Mercure du mois du Juin
premier Volume. Il eft certain que ceux
qui excellent dans des fujets difficiles , &
en même-tems très utiles , & très agréa
bles , acquierent plus de gloire & d'honneur
que ceux qui excellent dans des fujets
qui le font beaucoup moins. Pour ju
ger plus fainement de la queſtion dont il
s'agit , il fuffit d'examiner deux chofes ;
la
NOVEMBRE . 1730. 2383
la premiere
quel eft celui de ces deux
genres du Difcours ou de la Poëfie qui
demande plus de talens
pour y exceller
& la feconde : quel eft le plus utile & le
plus agréable.
*
a Les Poëtes comme les Orateurs fe
propofent
d'inftruire
& de plaire , tous leurs efforts tendent à cette même fin
mais ils y arrivent les uns & les autres
par des voyes bien differentes . b L'inven
tion , la difpofition
, l'élocution
, la mémoire
& la prononciation
font tout le mérite des Orateurs. La Poëfie eft affujetie
à un bien plus grand nombre de regles.
Le Poëte Epique doit d'abord former
un plan ingénieux
de toute la fuite
de fon action , en tranfportant
dès l'entrée
fon Lecteur au milieu , ou prefque à la fin
du fujet , en lui laiffant croire qu'il n'a
plus qu'un pas à faire pour voir la conclufion
de l'action , en faifant naître enfuite
mille obftacles qui la reculent , &
qui irritent les defirs du Lecteur , en lui
rappellant
les évenemens
qui ont précedé
,
, par des récits placés avec bienfeance,
en les amenant enfin avec des liaiſons &
à Cic. de Oratore.
b Quintil.
* Arift. Poët.
Horat. Art. Poët.
-
Defpr. Art. Poës.
Cüiti des
2384 MERCURE DE FRANCE
des préparations qui reveillent fa curiofité
, qui l'intereffent de plus en plus ,
qui l'entretiennent dans une douce inquiétude
, & le menent de ſurpriſe en
furprife jufqu'au dénouement ; récits cu
rieux , expreffions vives & furprenantes ,
defcriptions riches & agréables , compa
raifons nobles , difcours touchans , incidens
nouveaux , rencontres inopinées ,
paffions bien peintes ; joignez à cela une
ingénieufe diftribution de toutes ces parties
, avec une verfification harmonieuſe ,
pure & variée ; voilà des beautés prefque
toutes inconnuës à l'Orateur . * Ciceron
lui - même , d'ailleurs fi rempli d'eſtime
pour l'Eloquence , ne peut pas s'empêcher
de mettre la Poëfie beaucoup au- deffus
de la Profe : elle eft , dit- il , un enthoufiafme
un tranfport divin qui éleve
P'homme au- deffus de lui-même ; les vers
que nous avons de lui , quoique mauvais
, nous font bien voir le cas qu'il
faifoit de la Poëfie , il fit auffi tout ce qu'il
pût pour y réuffir ; mais tout grand Órateur
qu'il étoit, il n'avoit pas affez d'imagination
, & il manquoit des autres talens
neceffaires pour devenir un bon
Poëte.
,
Il faut affurément de grands talens
* De Orati
pour
NOVEMBRE . 1730. •
238 5
pour faire un bon Orateur , de la fécondité
dans l'invention , de la nobleffe dans
les idées & dans les fentimens , de l'ima
gination , de la magnificence & de la hardieffe
dans les expreffions . Les mêmes talens
font neceffaires à la Poëfie ; mais il
faut les poffeder dans un degré bien plus.
parfait pour y réuffir ; elle cherche les
penfées & les expreffions les plus nobles,
elle accumule les figures les plus hardies,
elle multiplie les comparaifons & les
images les plus vives , elle parcourt la
nature , & en épuife les richeffes pour
peindre ce qu'elle fent , elle ſe plaît à im→
primer à fes paroles le nombre , la mefu
re & la cadence ; la Poëfie doit être élevée
& foutenue par tout ce qu'on peut imaginer
de plus vif & de plus ingenieux ; en
un mot , elle change tout , mais elle le
change en beau:
* Là pour nous enchanter tout eft mis en
usage ;
Tout prend un corps , une ame , un eſprit , un
viſage ;
·Chaque vertu devient une Divinité ;
Minerve eft la prudence , & Venus la beauté,
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerres
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre .
Un orage terrible aux yeux des Matelois
* Defer. Art. Poët. Chant 111.
(
C v C'efe
2386 MERCURE DE FRANCE
Ceft Neptune en couroux qui gourmande les
flots.
Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentiffe,
C'est une Nymphe en pleurs qui fe plaint de
Narciffe.
'Ainfi dans cet amas de nobles fictions
Le Poëte s'égaye en mille inventions ,
Orne , éleve , embellit , agrandit toutes chofes,
Et trouve fous fa main des fleurs toujours éclo
Jes
La Profe n'oblige pas à tant de frais ,
& ne prépare pas à tant de chofes ; au
contraire il faut que l'imagination regne
dans les Vers , & s'ils ne font rehauffés
par quelque penfées fublimes , ou fines &
délicates , ils font froids & languiffans ; la
Poëfie ne fouffre rien de médiocre : ainfi
ce n'eſt pas fans raison que l'on a comparé
les Poëtes aux Cavaliers à caufe du feu &
de la rapidité qui animent la Poëſie , &
les Orateurs aux Fantaffins qui marchent
plus tranquilement & avec moins de bruit.
D'ailleurs la Poëfie s'exerce fur toutes
fortes de genres , le badin , le férieux , le
comique le tragique , l'héroïque. Le
foin des troupeaux , les beautés de la nature
& les plaifirs ruftiques en font fouvent
les plus nobles fujets. Enfin Moïſe
Ifaïe , David ne trouverent que la Poëfie
digne de chanter les louanges du Créa-
,
teur
NOVEMBRE . 1730. 2387
teur , de relever fes divins attributs & de
celebrer fes bienfaits ; les Dieux de la Fa
ble , les Héros , les fondateurs des Villes
& les liberateurs de la Patrie auroient
dédaigné tout autre langage ; la Poëfic
feule étoit capable de celebrer leur gloire
& leurs exploits. * Auffi ne fe fervoit- on
anciennement que de la Poëfie : tout jufqu'à
l'hipire même étoit écrit en Vers ,
& l'on ne commença que fort tard à employer
la Profe . La Nature comme épuifée
ne pouvant plus foutenir le langage
fublime de la Poëfie , fut obligée d'avoir
recours à un Difcours moins cadencé &
moins difficile.
Tous les bons connoiffeurs , entr'autres
le P. Bouhours , le P. Rapin , le P. Le
Boffu & M. Daubignac conviennent que
le Poëme Epique eft le chef- d'oeuvre de
l'efprit humain. Avons - nous quelque
harrangue où il y ait tant de fublime ,
d'élevation & de jugement que dans
P'Iliade ou l'Eneide. L'Eloquence ellemême
n'est jamais employée avec plus
d'éclat & plus de fuccès que lors qu'elle
eft foutenue par la Poëffe. Y a - t'il en
effet quelque genre d'Eloquence dont les
Poëmes d'Homere ne fourniffent des mo
deles parfaits ? c'eft chez lui que les Ora-
* Plutarq
C vj teurs
2388 MERCURE DE FRANCE
teurs ont puifé les regles & les beautés
de leur art , ce n'eft qu'en l'imitant qu'ils
ont acquis de la gloire . Pour fe convaincre
de cette verité il fuffit de jetter les
yeux fur quelques unes de fes Harangues
, & l'on conviendra fans peine qu'elles
font au- deffus des plus belles de Ciceron
& de Demofthenes auffi bien que des Modernes.
Les Harangues d'Uliffe de Phenix
& d'Ajax qui furent députés par
l'Armée des Grecs vers Achile pour l'engager
à reprendre les armes , font de ce
genre. Il faut voir a l'art admirable avec
lequel Homere fait parler le Prince d'Ithaque
: il paroît d'abord embaraffé & timide
, les yeux fixes & baiffés , fans geſte
& fans mouvement , ayant affaire à un
homme difficile & intraitable , il employe
des manieres infinuantes , douces & touchantes
; mais quand il s'eft animé ce n'eſt
plus le même homme , & femblable à un
torrent qui tombe avec impétuofité du
haut d'un rocher , il entraîne tous les efprits
par la force de fon éloquence. Les
deux autres ne parlent pas avec moins
d'art moins de force & d'adreffe , & il
eft remarquable que chaque perfonage
parle toujours felon fon caractere , ce qui¹
fait une des principales beautés du Poëa
Il. III. 2. 16. 224
me
NOVEMBRE . 1730 : 238 g*
me Epique. Rien n'eft plus éloquent que
le petit Difcours d'Antiloque à Achile ,
par lequel il lui apprend la mort de Pa
trocle . L'endroit a où Hector prêt d'aller
au combat, fait ſes adieux à Andromaque
& embraffe Aftianax , eft un des plus
beaux & des plus touchans. M. Racine
en a imité une partie dans l'endroit où
Andromaque parle ainfi à ſa confidente :
bab ! de quel fouvenir viens- tu frapper mon
ame !
Quoi ! Cephife , j'irai voir expirer encor
Ce fils , ma feule joye , & l'image d'Hector ?
Ce fils que de fa flamme il me laiſſa pourgage?
Helas je m'en fonviens , le jour que son courage
Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas ,
Il demanda fon fils , & le prit dans fes bras :
Chere Epouse ( dit- il , en effuyant mes larmes )
J'ignore quelfuccès lè fort garde à mes armes ,
Je te laiffe mon fils , pour gage de ma fòi ;
S'il me perdje prétends qu'il me retrouve en
toi;
Si d'un heureux hymen la mémoire t'eſt chere
Montre au fils à quel point tu chériffois le
pere.
Le Difcours de Priam à Achille
a Il VI. 390. 494 •
b Androm . Act. 117. Scen. VIII.
, par
lequel
2390 MERCURE DE FRANCE
lequel il lui demande le corps de fon fils
Hector , renferme encore des beautés admirables.
Pour les bien fentir il faut fe
rappeller le caractere d'Achille , brufque,
violent & intraitable ; mais il étoit fils
& avoit un pere , & c'eft par où Priam
commence & finit fon difcours . Etant entré
dans la tente d'Achille , il ſe jette à
fes genoux , lui baife la main ; Achille
eft fort furpris d'un fpectacle fi imprévu ,
tous ceux qui l'environnent font dans le
même étonnement & gardent un profond
filence . Alors Priam prenant la parole :
Divin Achille , dit-il , fouvenez - vous
que vous avez un pere avancé en âge comme
moi , & peut- être de même accablé de
maux , fans fecours & fans appui ; mais il
fait que vous vivez , & la douce efperance
de revoir bientôt un fils tendrement aimé le
foutient & le confole : & moi le plus infortuné
des peres de cette troupe nombreufe d'enfans
dont j'étois environné , je n'en ai confervé
aucun : j'en avois cinquante quand les
Grecs aborderent fur ce rivage , le cruel Mars
me les aprefque tous ravis : l'unique qui me
reftoit , feule reffource de ma famille & de
Troye , mon cher Hector , vient d'expirer
fous votre bras vainqueur en deffendant genereuſementfa
Patrie. Je viens ici chargé de
* II. XXIV. 48ĥ
préfens
4
NOVEMBRE. 1730. 239T
prefens pour racheter fon corps : Achille
Taiffez- vous fléchir par le fouvenir de votre
pere , par le refpect que vous devez aux
Dieux , par la vie de mes cruels malheurs
Fut-il jamais un pere plus à plaindre que
moi qui fuis obligé de baifer une main bomicide
, encore fumante du fang de mes enfans.
par
C'eſt la nature même qui s'exprime
la bouche de ce venerable Vieillard
& quelque impitoyable que fut Achille ,
Il ne pût refifter à un Difcours fi touchant,
le doux nom de pere lui arracha des lar
mes. Il eft aifé de comprendre que la Profe
fait perdre à ce Difcours une partie de fa
beauté , il a bien plus de grace & de force
revêtu de tout l'éclat des expreffions
Poëtiques. Il y a dans Homere une infinité
d'autres endroits , peut- être encore
plus beaux ; mais il faut fe borner.
L'éloquence de la Chaire & du Barreau
font affurément d'une grande utilité,
& il faut convenir qu'on a bien de l'obligation
à ceux qui veulent bien y em-
.ployer leurs talens. Mais après tout tous
nos Orateurs enfemble ne fourniroient
pas un endroit qui exprimât avec tant,
d'éclat , de nobleffe & d'élevation la gran
deur & la puiffance du fouverain Maître
de l'Univers que ces Vers de Racine.
Que
2392 MERCURE DE FRANCE
a Que peuvent contre lui tous les Rois de la
terre i
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre,
Pour diffiper leur ligue il n'a qu'à ſe montrer ;
Il parle , dans la poudre il les fait tous renfrer.
Au feul fon de fa voix la mer fuit , le Ciel
tremble ;
Il voit comme un néant tout l'Univers enfemble
,
Et les foibles Mortels , vains jouets du trépas ,
Sont tous devant fes yeux comme s'ils n'étoienz
pas.
Que de grandeur ! que de nobleffe !
qui ne fent que les mêmes penfées tournées
en Profe par une habile main perdroient
toute leur grace & toute leur force.
Voici un endroit dans le même goût,
tiré d'un de nos plus celebres Orateurs.
O Dieu terrible , mais jufte dans vos confeils
fur les enfans des hommes , vous difpofez
& des Vainqueurs & des Victoires pour
accomplir vos volontés & faire craindre vos
jugemens votre puiſſance renverse ceux que
votre puissance avoit élevés : vous immolez
à votre fouveraine grandeur de grandes victimes
, & vous frappez quand il vous plaît
ces têtes illuftres que vous avez tant de fois
couronnées..
a Efther Att. II. Scen. K
Cee
NOVEMBRE. 1730. 2393
Cet endroit , quoique grand , eft bien
au-deffous des Vers de Racine , c'eſt cependant
un des plus grands efforts de
l'éloquence de M. Flechier, a Cet autre
trait du même Poëte , quoiqu'en un feul
Vers , n'eſt pas moins inimitable à l'Orateur.
b Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point
d'autre crainte.
Pour prouver fans réplique combien
la Poëfie prête à PEloquence , que l'on
mette en Profe les morceaux les plus éloquens
des Poëtes , qu'on les revête de
toutes les expreffions les plus brillantes ;
& l'on jugera aifément combien ils per
dent dans ce changement. Je pourrois
en donner des exemples d'Homere , de
Sophocle & des autres Poëtes , & citer
tous nos Traducteurs ; mais je renvoye
au feul récit de Theramene dans la Tragédie
de Phedre de Racine , & je prie les
partifans de l'éloquence de la Profe de le
rendre fans l'harmonie des Vers auffi touchant
, auffi vif , j'ajoûte même auffi effrayant
qu'il l'eft dans ce Poëte. Qu'un
habile Poëte, au contraire , prenne les endroits
les plus éloquens & les plus pathe
a Oraif. Funebre de M. de Turr.
b Athalie , A &t . 1. Scen. X.
tiques
2394 MERCURE DE FRANCE
tiques de Demofthenes & de Ciceron
qu'il les pare de tous les ornemens de ce
même recit de Theramene , & l'on juge
ra alors combien ils y auront gagné.
Y a t'il quelque chofe qui foit fi propre
à infpirer des fentimens nobles & genereux
fur la Religion que ce que Cor
neille fait dire à Polieucte ; les mêmes Y
chofes en Profe feroient belles, fans doute,
mais bien plus froides & plus languiffantes.
Quelle eft la Harangue qui renferme
une plus belle morale que celle que
Rouffeau a inferée dans fon Ode fur la
Fortune ? trouve- t'on quelque part la ve
tité accompagnée de tant d'agrémens &
de tant de force.
Fortune dont la main couronné
Les forfaits les plus inoùis ,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis ;
Jufques à quand , trompeuſe Idole
D'un culte honteux & frivole
Honorerons- nous tes Autels ?
Verra t'on toujours tes caprices
Confacrés par les facrifices ,
Et par l'hommage des mortels . &c.
Toute la fuite de cette Ode renfermé
une infinité de traits admirables ; je pourois
NOVEMBRE. 1730. 2395
rois ajoûter encore les Odes facrées du
même Auteur qui font bien au - deffus de
celle ci , les Pleaumes de Madame Des
Houllieres , ceux de Malherbe &c . où l'on
trouve des traits que l'éloquence la plus
vive ne sçauroit imiter. Mais fi on vouloit
rapporter tout ce qu'il y a de plus
beau tant en Vers qu'en Proſe , on ne finiroit
point.
On s'ennuye du moins en beaucoup
d'endroits d'un beau Sermon qui contient
les mêmes penſées fur les mêmes fujets
, qui annonce les mêmes verités
qu'une Piece de Poëfie , les vers nous y
rendent beaucoup plus fenfibles , on eſt
plus
plus touché , on entre plus dans toutes
les paffions du Poëte , on s'efforce de la
fuivre , on ſe plaît à fes expreffions , on
aime fes penfées qu'on tâche de retenir ,
on fe fait même un plaifir & un honneur
de les reciter. L'éloquence férieuſe de
F'Orateur fait bien moins d'impreffion
que ces peintures vives & naturelles
du vice que
le Poëte fçait rendre fi méprifable
, & ce n'eft
fans raifon que
Rouffeau a dit que
pas
Des fictions la vive liberté
Peint fouvent mieux l'austere verité
Que neferoit la froideur Monacale
D'une lugubre & pefante morale.
En
2396 MERCURE DE FRANCË
cette
En effet , rien ne touche le coeur de
l'homme , rien n'eft capable de lui faire
impreffion que ce qui lui plaît ; la Poëfie
nous montre la verité avec un viſage
doux & riant , par là elle l'infinue adroitement
entraînés par le plaifir , nous
entrons infenfiblement dans les fentimens
du Poëte , dans fes maximes ; nous prenons
de lui cette nobleffe , cette grandeur
d'ame , ce défintereffement
haine de l'injuftice & cet amour de la
vertu qui éclatent de toutes parts dans
fes Vers. La verité , au contraire , dite
par un Orateur , nous paroît bien plus
fevere , elle n'eft pas accompagnée de ces
graces , de ces ornemens , enfin de toutes
čes beautés qui la rendent aimable , l'efprit
fe ferme à fa voix , & fi quelquefois
on l'écoute , ce n'eft que par un grand
effort de la raifon. Quelqu'un dira peutêtre
que l'éloquence oratoire eft plus utile
à l'Orateur pour fa fortune , & on aura
raifon de dire comme Bachaumont :
a Non non , les doctes damoiselles
N'eurent jamais un bon morceau
Et ces vieilles fempiternelles
Ne burent jamais que de l'eau.
Les Poëtes ont toujours été bien éloia
Voyage de Bach. & de la Chapelle.
gnés
NOVEMBRE. 1730. 2397
grés de cette avidité qui fait dire à tant
de
gens
•
Quærenda pecunia primùm eft
Virtus poft nummos.
Je ne doute point que les gens d'efprit
& de bon goût , les Heros & fur tout le
beau fexe, à qui la Poëfie a fait tant d'honneur
, & dont elle a fi fouvent relevé la
beauté & le mérite , ne préferent la gloire
des Poëtes à celle des Orateurs , &
quand je n'aurois que leur fuffrage j'aurois
toujours celui de la plus brillante
partie du monde . Au refte , on peut encore
juger de la gloire des Poëtes par l'eftime
& la veneration qu'ont eûs pour eux
de tout tems les hommes les plus illuftres
& les plus grands Princes. b Ptolomée
Philopator fit élever un Temple à Homere
; il l'y plaça fur un Trône , & fit repréfenter
autour de lui les fept Villes qui
Te difputoient l'honneur de fa naiffance.
c. Alexandre avoit toujours l'Iliade fous
le chevet de fon lit , enfermé dans la caffete
de Cyrus. d Hyparque , Prince des
Athéniens , envoya une Galere exprès
chercher Anacréon pour faire honneur à
b Elien.
Plutarq. in Vita Alexand.
Elien,
yous
2398 MERCURE DE FRANCE
fa Patrie. Hyeron de Syracufe voulut
avoir Pindare & Simonide à fa Cour .
& perfonne n'ignore que dans le fac
de Thebes Alexandre ordonna qu'on
épargnat la maiſon & la famille du pre
mier des deux Poëtes que je viens de nommer.
On fçait le crédit qu'eurent Virgile
& Horace à la Cour d'Augufte , & enfin
l'eftime particuliere dont Louis XIV. a
toujours honoré nos Poëtes François , Mais
pourquoi chercher de nouvelles preuves?
Le langage des hommes égalera- t'il jamais
le langage des Dieux ? Je fens bien
que je dois me borner à ce petit nombre
de réfléxions , quoiqu'il foit difficile d'être
court en parlant des beautés de la
Poëfie , où l'on trouve tant de choſes qui
enchantent que l'on en pourroit dire ce
que difoit Tibulle de toutes les actions
de fa Maîtreffe
Componit furtim , fubfequiturque decor.
J'ai l'honneur d'être & c .
& des Poëtes.
Lorfque vous m'avez fait l'honneur
Monfieur , de me propofer la queftion
, fçavoir : Si la gloire des Orateurs eft
preferable à celle des Poëtes , je l'avois déja
lue dans le Mercure du mois du Juin
premier Volume. Il eft certain que ceux
qui excellent dans des fujets difficiles , &
en même-tems très utiles , & très agréa
bles , acquierent plus de gloire & d'honneur
que ceux qui excellent dans des fujets
qui le font beaucoup moins. Pour ju
ger plus fainement de la queſtion dont il
s'agit , il fuffit d'examiner deux chofes ;
la
NOVEMBRE . 1730. 2383
la premiere
quel eft celui de ces deux
genres du Difcours ou de la Poëfie qui
demande plus de talens
pour y exceller
& la feconde : quel eft le plus utile & le
plus agréable.
*
a Les Poëtes comme les Orateurs fe
propofent
d'inftruire
& de plaire , tous leurs efforts tendent à cette même fin
mais ils y arrivent les uns & les autres
par des voyes bien differentes . b L'inven
tion , la difpofition
, l'élocution
, la mémoire
& la prononciation
font tout le mérite des Orateurs. La Poëfie eft affujetie
à un bien plus grand nombre de regles.
Le Poëte Epique doit d'abord former
un plan ingénieux
de toute la fuite
de fon action , en tranfportant
dès l'entrée
fon Lecteur au milieu , ou prefque à la fin
du fujet , en lui laiffant croire qu'il n'a
plus qu'un pas à faire pour voir la conclufion
de l'action , en faifant naître enfuite
mille obftacles qui la reculent , &
qui irritent les defirs du Lecteur , en lui
rappellant
les évenemens
qui ont précedé
,
, par des récits placés avec bienfeance,
en les amenant enfin avec des liaiſons &
à Cic. de Oratore.
b Quintil.
* Arift. Poët.
Horat. Art. Poët.
-
Defpr. Art. Poës.
Cüiti des
2384 MERCURE DE FRANCE
des préparations qui reveillent fa curiofité
, qui l'intereffent de plus en plus ,
qui l'entretiennent dans une douce inquiétude
, & le menent de ſurpriſe en
furprife jufqu'au dénouement ; récits cu
rieux , expreffions vives & furprenantes ,
defcriptions riches & agréables , compa
raifons nobles , difcours touchans , incidens
nouveaux , rencontres inopinées ,
paffions bien peintes ; joignez à cela une
ingénieufe diftribution de toutes ces parties
, avec une verfification harmonieuſe ,
pure & variée ; voilà des beautés prefque
toutes inconnuës à l'Orateur . * Ciceron
lui - même , d'ailleurs fi rempli d'eſtime
pour l'Eloquence , ne peut pas s'empêcher
de mettre la Poëfie beaucoup au- deffus
de la Profe : elle eft , dit- il , un enthoufiafme
un tranfport divin qui éleve
P'homme au- deffus de lui-même ; les vers
que nous avons de lui , quoique mauvais
, nous font bien voir le cas qu'il
faifoit de la Poëfie , il fit auffi tout ce qu'il
pût pour y réuffir ; mais tout grand Órateur
qu'il étoit, il n'avoit pas affez d'imagination
, & il manquoit des autres talens
neceffaires pour devenir un bon
Poëte.
,
Il faut affurément de grands talens
* De Orati
pour
NOVEMBRE . 1730. •
238 5
pour faire un bon Orateur , de la fécondité
dans l'invention , de la nobleffe dans
les idées & dans les fentimens , de l'ima
gination , de la magnificence & de la hardieffe
dans les expreffions . Les mêmes talens
font neceffaires à la Poëfie ; mais il
faut les poffeder dans un degré bien plus.
parfait pour y réuffir ; elle cherche les
penfées & les expreffions les plus nobles,
elle accumule les figures les plus hardies,
elle multiplie les comparaifons & les
images les plus vives , elle parcourt la
nature , & en épuife les richeffes pour
peindre ce qu'elle fent , elle ſe plaît à im→
primer à fes paroles le nombre , la mefu
re & la cadence ; la Poëfie doit être élevée
& foutenue par tout ce qu'on peut imaginer
de plus vif & de plus ingenieux ; en
un mot , elle change tout , mais elle le
change en beau:
* Là pour nous enchanter tout eft mis en
usage ;
Tout prend un corps , une ame , un eſprit , un
viſage ;
·Chaque vertu devient une Divinité ;
Minerve eft la prudence , & Venus la beauté,
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerres
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre .
Un orage terrible aux yeux des Matelois
* Defer. Art. Poët. Chant 111.
(
C v C'efe
2386 MERCURE DE FRANCE
Ceft Neptune en couroux qui gourmande les
flots.
Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentiffe,
C'est une Nymphe en pleurs qui fe plaint de
Narciffe.
'Ainfi dans cet amas de nobles fictions
Le Poëte s'égaye en mille inventions ,
Orne , éleve , embellit , agrandit toutes chofes,
Et trouve fous fa main des fleurs toujours éclo
Jes
La Profe n'oblige pas à tant de frais ,
& ne prépare pas à tant de chofes ; au
contraire il faut que l'imagination regne
dans les Vers , & s'ils ne font rehauffés
par quelque penfées fublimes , ou fines &
délicates , ils font froids & languiffans ; la
Poëfie ne fouffre rien de médiocre : ainfi
ce n'eſt pas fans raison que l'on a comparé
les Poëtes aux Cavaliers à caufe du feu &
de la rapidité qui animent la Poëſie , &
les Orateurs aux Fantaffins qui marchent
plus tranquilement & avec moins de bruit.
D'ailleurs la Poëfie s'exerce fur toutes
fortes de genres , le badin , le férieux , le
comique le tragique , l'héroïque. Le
foin des troupeaux , les beautés de la nature
& les plaifirs ruftiques en font fouvent
les plus nobles fujets. Enfin Moïſe
Ifaïe , David ne trouverent que la Poëfie
digne de chanter les louanges du Créa-
,
teur
NOVEMBRE . 1730. 2387
teur , de relever fes divins attributs & de
celebrer fes bienfaits ; les Dieux de la Fa
ble , les Héros , les fondateurs des Villes
& les liberateurs de la Patrie auroient
dédaigné tout autre langage ; la Poëfic
feule étoit capable de celebrer leur gloire
& leurs exploits. * Auffi ne fe fervoit- on
anciennement que de la Poëfie : tout jufqu'à
l'hipire même étoit écrit en Vers ,
& l'on ne commença que fort tard à employer
la Profe . La Nature comme épuifée
ne pouvant plus foutenir le langage
fublime de la Poëfie , fut obligée d'avoir
recours à un Difcours moins cadencé &
moins difficile.
Tous les bons connoiffeurs , entr'autres
le P. Bouhours , le P. Rapin , le P. Le
Boffu & M. Daubignac conviennent que
le Poëme Epique eft le chef- d'oeuvre de
l'efprit humain. Avons - nous quelque
harrangue où il y ait tant de fublime ,
d'élevation & de jugement que dans
P'Iliade ou l'Eneide. L'Eloquence ellemême
n'est jamais employée avec plus
d'éclat & plus de fuccès que lors qu'elle
eft foutenue par la Poëffe. Y a - t'il en
effet quelque genre d'Eloquence dont les
Poëmes d'Homere ne fourniffent des mo
deles parfaits ? c'eft chez lui que les Ora-
* Plutarq
C vj teurs
2388 MERCURE DE FRANCE
teurs ont puifé les regles & les beautés
de leur art , ce n'eft qu'en l'imitant qu'ils
ont acquis de la gloire . Pour fe convaincre
de cette verité il fuffit de jetter les
yeux fur quelques unes de fes Harangues
, & l'on conviendra fans peine qu'elles
font au- deffus des plus belles de Ciceron
& de Demofthenes auffi bien que des Modernes.
Les Harangues d'Uliffe de Phenix
& d'Ajax qui furent députés par
l'Armée des Grecs vers Achile pour l'engager
à reprendre les armes , font de ce
genre. Il faut voir a l'art admirable avec
lequel Homere fait parler le Prince d'Ithaque
: il paroît d'abord embaraffé & timide
, les yeux fixes & baiffés , fans geſte
& fans mouvement , ayant affaire à un
homme difficile & intraitable , il employe
des manieres infinuantes , douces & touchantes
; mais quand il s'eft animé ce n'eſt
plus le même homme , & femblable à un
torrent qui tombe avec impétuofité du
haut d'un rocher , il entraîne tous les efprits
par la force de fon éloquence. Les
deux autres ne parlent pas avec moins
d'art moins de force & d'adreffe , & il
eft remarquable que chaque perfonage
parle toujours felon fon caractere , ce qui¹
fait une des principales beautés du Poëa
Il. III. 2. 16. 224
me
NOVEMBRE . 1730 : 238 g*
me Epique. Rien n'eft plus éloquent que
le petit Difcours d'Antiloque à Achile ,
par lequel il lui apprend la mort de Pa
trocle . L'endroit a où Hector prêt d'aller
au combat, fait ſes adieux à Andromaque
& embraffe Aftianax , eft un des plus
beaux & des plus touchans. M. Racine
en a imité une partie dans l'endroit où
Andromaque parle ainfi à ſa confidente :
bab ! de quel fouvenir viens- tu frapper mon
ame !
Quoi ! Cephife , j'irai voir expirer encor
Ce fils , ma feule joye , & l'image d'Hector ?
Ce fils que de fa flamme il me laiſſa pourgage?
Helas je m'en fonviens , le jour que son courage
Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas ,
Il demanda fon fils , & le prit dans fes bras :
Chere Epouse ( dit- il , en effuyant mes larmes )
J'ignore quelfuccès lè fort garde à mes armes ,
Je te laiffe mon fils , pour gage de ma fòi ;
S'il me perdje prétends qu'il me retrouve en
toi;
Si d'un heureux hymen la mémoire t'eſt chere
Montre au fils à quel point tu chériffois le
pere.
Le Difcours de Priam à Achille
a Il VI. 390. 494 •
b Androm . Act. 117. Scen. VIII.
, par
lequel
2390 MERCURE DE FRANCE
lequel il lui demande le corps de fon fils
Hector , renferme encore des beautés admirables.
Pour les bien fentir il faut fe
rappeller le caractere d'Achille , brufque,
violent & intraitable ; mais il étoit fils
& avoit un pere , & c'eft par où Priam
commence & finit fon difcours . Etant entré
dans la tente d'Achille , il ſe jette à
fes genoux , lui baife la main ; Achille
eft fort furpris d'un fpectacle fi imprévu ,
tous ceux qui l'environnent font dans le
même étonnement & gardent un profond
filence . Alors Priam prenant la parole :
Divin Achille , dit-il , fouvenez - vous
que vous avez un pere avancé en âge comme
moi , & peut- être de même accablé de
maux , fans fecours & fans appui ; mais il
fait que vous vivez , & la douce efperance
de revoir bientôt un fils tendrement aimé le
foutient & le confole : & moi le plus infortuné
des peres de cette troupe nombreufe d'enfans
dont j'étois environné , je n'en ai confervé
aucun : j'en avois cinquante quand les
Grecs aborderent fur ce rivage , le cruel Mars
me les aprefque tous ravis : l'unique qui me
reftoit , feule reffource de ma famille & de
Troye , mon cher Hector , vient d'expirer
fous votre bras vainqueur en deffendant genereuſementfa
Patrie. Je viens ici chargé de
* II. XXIV. 48ĥ
préfens
4
NOVEMBRE. 1730. 239T
prefens pour racheter fon corps : Achille
Taiffez- vous fléchir par le fouvenir de votre
pere , par le refpect que vous devez aux
Dieux , par la vie de mes cruels malheurs
Fut-il jamais un pere plus à plaindre que
moi qui fuis obligé de baifer une main bomicide
, encore fumante du fang de mes enfans.
par
C'eſt la nature même qui s'exprime
la bouche de ce venerable Vieillard
& quelque impitoyable que fut Achille ,
Il ne pût refifter à un Difcours fi touchant,
le doux nom de pere lui arracha des lar
mes. Il eft aifé de comprendre que la Profe
fait perdre à ce Difcours une partie de fa
beauté , il a bien plus de grace & de force
revêtu de tout l'éclat des expreffions
Poëtiques. Il y a dans Homere une infinité
d'autres endroits , peut- être encore
plus beaux ; mais il faut fe borner.
L'éloquence de la Chaire & du Barreau
font affurément d'une grande utilité,
& il faut convenir qu'on a bien de l'obligation
à ceux qui veulent bien y em-
.ployer leurs talens. Mais après tout tous
nos Orateurs enfemble ne fourniroient
pas un endroit qui exprimât avec tant,
d'éclat , de nobleffe & d'élevation la gran
deur & la puiffance du fouverain Maître
de l'Univers que ces Vers de Racine.
Que
2392 MERCURE DE FRANCE
a Que peuvent contre lui tous les Rois de la
terre i
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre,
Pour diffiper leur ligue il n'a qu'à ſe montrer ;
Il parle , dans la poudre il les fait tous renfrer.
Au feul fon de fa voix la mer fuit , le Ciel
tremble ;
Il voit comme un néant tout l'Univers enfemble
,
Et les foibles Mortels , vains jouets du trépas ,
Sont tous devant fes yeux comme s'ils n'étoienz
pas.
Que de grandeur ! que de nobleffe !
qui ne fent que les mêmes penfées tournées
en Profe par une habile main perdroient
toute leur grace & toute leur force.
Voici un endroit dans le même goût,
tiré d'un de nos plus celebres Orateurs.
O Dieu terrible , mais jufte dans vos confeils
fur les enfans des hommes , vous difpofez
& des Vainqueurs & des Victoires pour
accomplir vos volontés & faire craindre vos
jugemens votre puiſſance renverse ceux que
votre puissance avoit élevés : vous immolez
à votre fouveraine grandeur de grandes victimes
, & vous frappez quand il vous plaît
ces têtes illuftres que vous avez tant de fois
couronnées..
a Efther Att. II. Scen. K
Cee
NOVEMBRE. 1730. 2393
Cet endroit , quoique grand , eft bien
au-deffous des Vers de Racine , c'eſt cependant
un des plus grands efforts de
l'éloquence de M. Flechier, a Cet autre
trait du même Poëte , quoiqu'en un feul
Vers , n'eſt pas moins inimitable à l'Orateur.
b Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point
d'autre crainte.
Pour prouver fans réplique combien
la Poëfie prête à PEloquence , que l'on
mette en Profe les morceaux les plus éloquens
des Poëtes , qu'on les revête de
toutes les expreffions les plus brillantes ;
& l'on jugera aifément combien ils per
dent dans ce changement. Je pourrois
en donner des exemples d'Homere , de
Sophocle & des autres Poëtes , & citer
tous nos Traducteurs ; mais je renvoye
au feul récit de Theramene dans la Tragédie
de Phedre de Racine , & je prie les
partifans de l'éloquence de la Profe de le
rendre fans l'harmonie des Vers auffi touchant
, auffi vif , j'ajoûte même auffi effrayant
qu'il l'eft dans ce Poëte. Qu'un
habile Poëte, au contraire , prenne les endroits
les plus éloquens & les plus pathe
a Oraif. Funebre de M. de Turr.
b Athalie , A &t . 1. Scen. X.
tiques
2394 MERCURE DE FRANCE
tiques de Demofthenes & de Ciceron
qu'il les pare de tous les ornemens de ce
même recit de Theramene , & l'on juge
ra alors combien ils y auront gagné.
Y a t'il quelque chofe qui foit fi propre
à infpirer des fentimens nobles & genereux
fur la Religion que ce que Cor
neille fait dire à Polieucte ; les mêmes Y
chofes en Profe feroient belles, fans doute,
mais bien plus froides & plus languiffantes.
Quelle eft la Harangue qui renferme
une plus belle morale que celle que
Rouffeau a inferée dans fon Ode fur la
Fortune ? trouve- t'on quelque part la ve
tité accompagnée de tant d'agrémens &
de tant de force.
Fortune dont la main couronné
Les forfaits les plus inoùis ,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis ;
Jufques à quand , trompeuſe Idole
D'un culte honteux & frivole
Honorerons- nous tes Autels ?
Verra t'on toujours tes caprices
Confacrés par les facrifices ,
Et par l'hommage des mortels . &c.
Toute la fuite de cette Ode renfermé
une infinité de traits admirables ; je pourois
NOVEMBRE. 1730. 2395
rois ajoûter encore les Odes facrées du
même Auteur qui font bien au - deffus de
celle ci , les Pleaumes de Madame Des
Houllieres , ceux de Malherbe &c . où l'on
trouve des traits que l'éloquence la plus
vive ne sçauroit imiter. Mais fi on vouloit
rapporter tout ce qu'il y a de plus
beau tant en Vers qu'en Proſe , on ne finiroit
point.
On s'ennuye du moins en beaucoup
d'endroits d'un beau Sermon qui contient
les mêmes penſées fur les mêmes fujets
, qui annonce les mêmes verités
qu'une Piece de Poëfie , les vers nous y
rendent beaucoup plus fenfibles , on eſt
plus
plus touché , on entre plus dans toutes
les paffions du Poëte , on s'efforce de la
fuivre , on ſe plaît à fes expreffions , on
aime fes penfées qu'on tâche de retenir ,
on fe fait même un plaifir & un honneur
de les reciter. L'éloquence férieuſe de
F'Orateur fait bien moins d'impreffion
que ces peintures vives & naturelles
du vice que
le Poëte fçait rendre fi méprifable
, & ce n'eft
fans raifon que
Rouffeau a dit que
pas
Des fictions la vive liberté
Peint fouvent mieux l'austere verité
Que neferoit la froideur Monacale
D'une lugubre & pefante morale.
En
2396 MERCURE DE FRANCË
cette
En effet , rien ne touche le coeur de
l'homme , rien n'eft capable de lui faire
impreffion que ce qui lui plaît ; la Poëfie
nous montre la verité avec un viſage
doux & riant , par là elle l'infinue adroitement
entraînés par le plaifir , nous
entrons infenfiblement dans les fentimens
du Poëte , dans fes maximes ; nous prenons
de lui cette nobleffe , cette grandeur
d'ame , ce défintereffement
haine de l'injuftice & cet amour de la
vertu qui éclatent de toutes parts dans
fes Vers. La verité , au contraire , dite
par un Orateur , nous paroît bien plus
fevere , elle n'eft pas accompagnée de ces
graces , de ces ornemens , enfin de toutes
čes beautés qui la rendent aimable , l'efprit
fe ferme à fa voix , & fi quelquefois
on l'écoute , ce n'eft que par un grand
effort de la raifon. Quelqu'un dira peutêtre
que l'éloquence oratoire eft plus utile
à l'Orateur pour fa fortune , & on aura
raifon de dire comme Bachaumont :
a Non non , les doctes damoiselles
N'eurent jamais un bon morceau
Et ces vieilles fempiternelles
Ne burent jamais que de l'eau.
Les Poëtes ont toujours été bien éloia
Voyage de Bach. & de la Chapelle.
gnés
NOVEMBRE. 1730. 2397
grés de cette avidité qui fait dire à tant
de
gens
•
Quærenda pecunia primùm eft
Virtus poft nummos.
Je ne doute point que les gens d'efprit
& de bon goût , les Heros & fur tout le
beau fexe, à qui la Poëfie a fait tant d'honneur
, & dont elle a fi fouvent relevé la
beauté & le mérite , ne préferent la gloire
des Poëtes à celle des Orateurs , &
quand je n'aurois que leur fuffrage j'aurois
toujours celui de la plus brillante
partie du monde . Au refte , on peut encore
juger de la gloire des Poëtes par l'eftime
& la veneration qu'ont eûs pour eux
de tout tems les hommes les plus illuftres
& les plus grands Princes. b Ptolomée
Philopator fit élever un Temple à Homere
; il l'y plaça fur un Trône , & fit repréfenter
autour de lui les fept Villes qui
Te difputoient l'honneur de fa naiffance.
c. Alexandre avoit toujours l'Iliade fous
le chevet de fon lit , enfermé dans la caffete
de Cyrus. d Hyparque , Prince des
Athéniens , envoya une Galere exprès
chercher Anacréon pour faire honneur à
b Elien.
Plutarq. in Vita Alexand.
Elien,
yous
2398 MERCURE DE FRANCE
fa Patrie. Hyeron de Syracufe voulut
avoir Pindare & Simonide à fa Cour .
& perfonne n'ignore que dans le fac
de Thebes Alexandre ordonna qu'on
épargnat la maiſon & la famille du pre
mier des deux Poëtes que je viens de nommer.
On fçait le crédit qu'eurent Virgile
& Horace à la Cour d'Augufte , & enfin
l'eftime particuliere dont Louis XIV. a
toujours honoré nos Poëtes François , Mais
pourquoi chercher de nouvelles preuves?
Le langage des hommes égalera- t'il jamais
le langage des Dieux ? Je fens bien
que je dois me borner à ce petit nombre
de réfléxions , quoiqu'il foit difficile d'être
court en parlant des beautés de la
Poëfie , où l'on trouve tant de choſes qui
enchantent que l'on en pourroit dire ce
que difoit Tibulle de toutes les actions
de fa Maîtreffe
Componit furtim , fubfequiturque decor.
J'ai l'honneur d'être & c .
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Résumé : LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
La lettre compare la gloire des orateurs à celle des poètes, en soulignant que ceux qui excellent dans des sujets difficiles, utiles et agréables acquièrent plus de renommée. Pour évaluer cette question, l'auteur propose d'examiner le talent requis et l'utilité de chaque domaine. Les poètes et les orateurs visent à instruire et à plaire, mais par des moyens différents. Les orateurs se distinguent par l'invention, la disposition, l'élocution, la mémoire et la prononciation. La poésie, quant à elle, est soumise à plus de règles et nécessite un plan ingénieux, des descriptions riches et des expressions vives. Cicéron, bien qu'il admire l'éloquence, reconnaît la supériorité de la poésie, qu'il décrit comme un enthousiasme divin. La poésie demande des talents plus élevés, tels que la fécondité dans l'invention, la noblesse des idées et une imagination riche. Elle transforme tout en beauté et utilise des fictions nobles pour enchanter le lecteur. La poésie s'exerce dans divers genres, du badin au sérieux, et a été utilisée par des figures bibliques comme Moïse et David pour chanter les louanges du Créateur. Les anciens utilisaient la poésie pour tous les écrits, y compris l'histoire, et n'ont commencé à utiliser la prose que plus tard. Des experts comme le Père Bouhours et le Père Rapin conviennent que le poème épique est le chef-d'œuvre de l'esprit humain. Les harangues d'Homère sont citées comme des modèles parfaits d'éloquence, surpassant même celles de Cicéron et Démosthène. Par exemple, la harangue d'Ulysse à Achille est louée pour son art et sa force. Enfin, la lettre compare des extraits de la poésie de Racine et de l'éloquence de Flechier, concluant que les pensées poétiques, même traduites en prose, perdent de leur grâce et de leur force. La poésie est ainsi présentée comme supérieure en termes de sublimité, d'élévation et de jugement.
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16
p. 1053-1056
ODE SACRÉE, Tirée du Pseaume In Exitu Israël de Ægypto, &c.
Début :
Quand Israël quitta la Terre [...]
Mots clefs :
Ode sacrée, Psaume, Israël, Héritage, Mer, Hébreux, Vérité, Sagesse, Gentils, Lumière
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ODE SACRÉE, Tirée du Pseaume In Exitu Israël de Ægypto, &c.
ODE SACRE'E ,
Tirée du Pseaume
In Exitu Israël de Ægypto , &c.
QUand Israël quitta la Terre
Des barbares Egyptiens ,
Celui qui commande au Tonnerre ,
Brisa ses funestes liens :
Il le prit pour son héritage ;
La Mer s'ouvrit à son passage ,
Le Jourdain suspendit ses Eaux ;
Les Colines et les Montagnes ,
Sauterent comme en nos Campagnes
Nous voyons bondir les Troupeaux.
O Mer en nauffrages féconde ,
A l'aspect du Camp des Hébreux ,
Pourquoi retiras-tu ton Onde ?
Jour1054
MERCURE DE FRANCE
Jourdain , pourquoi fuir devant eux ?
Monts orgueilleux , et vous , Colines ,
Les Moutons des Plaines voisines ,
Vous virent imiter leurs sauts ;
Grand Dieu ! la Terre en ta presence ,
S'émeut en voyant ta puissance ,
Un Rocher forme des Ruisseaux.
諾
Etre éternel ! que la memoire ,
De tant de Miracles divers ,
Ne tourne point à notre gloire ,
Qu'elle t'annonce à l'Univers ;
Que ta Verité , ta clémence ,
Ta Sagesse et ta Providence ,
Te manifestent aux Humains ;
Qu'ils sçachent qu'Israël révere ,
Le Maître du Ciel , qui sçait faire ,
Tout ce qu'embrassent ses desseins.
Les Gentils ont des Dieux frivoles
Qu'ils se sont eux-mêmes formez ,
Sourdes et trompeuses Idoles ,
Dont les yeux sont toujours fermez ;
Leurs pieds , leurs mains sont immobiles ;
De Métal masses inutiles ,
Vous êtes des Etres muets ;
Puissent
MAY.
1055 1731.
Puissent vous devenir semblables ,
Tous ceux qui croiront secourables ,
Des Dieux que les hommes ont faits.
Israël mit son esperance ,
Dans l'assistance du Seigneur ;
Aron invoqua sa puissance ,
Il s'est montré leur Protecteur ;
Celui qui craint de lui déplaire
Dans sa bonté sans cesse espere ,
Et toujours éprouve ses soins :
Combien de fois ce tendre Pere ,
Sans attendre notre Priere
A-t'il prévenu nos besoins ?
,
;
Son Peuple , de sa bienveillance ,
Mille fois sentit les effets ;
Ceux qui réverent sa puissance ,
Par lui sont comblez de bienfaits
Dans la splendeur ou l'indigence ,
Son incomparable clémence ,
Ecoute également leurs voeux .
Puissent vos enfans et vous- même ,
Etre benis du Dieu suprême ,
Qui créa la Terre et les Cieux !
Son
1056 MERCURE DE FRANCE
Son Trône au-delà du Tonnerre ,
Brille dans la celeste Cour :
Du néant il tira la Terre ,
Pour en faire notre séjour ,
Seigneur , dans la nuit éternelle ,
Tombeau de l'Ame criminelle ,
On ne benit point tes faveurs ;
Mais nous qui suivons ta lumiere ,
Durant l'Eternelle carriere ,
Nous celebrerons tes grandeurs.
Par M. de Sainte Palaye , de Montfort-
Lamaury
Tirée du Pseaume
In Exitu Israël de Ægypto , &c.
QUand Israël quitta la Terre
Des barbares Egyptiens ,
Celui qui commande au Tonnerre ,
Brisa ses funestes liens :
Il le prit pour son héritage ;
La Mer s'ouvrit à son passage ,
Le Jourdain suspendit ses Eaux ;
Les Colines et les Montagnes ,
Sauterent comme en nos Campagnes
Nous voyons bondir les Troupeaux.
O Mer en nauffrages féconde ,
A l'aspect du Camp des Hébreux ,
Pourquoi retiras-tu ton Onde ?
Jour1054
MERCURE DE FRANCE
Jourdain , pourquoi fuir devant eux ?
Monts orgueilleux , et vous , Colines ,
Les Moutons des Plaines voisines ,
Vous virent imiter leurs sauts ;
Grand Dieu ! la Terre en ta presence ,
S'émeut en voyant ta puissance ,
Un Rocher forme des Ruisseaux.
諾
Etre éternel ! que la memoire ,
De tant de Miracles divers ,
Ne tourne point à notre gloire ,
Qu'elle t'annonce à l'Univers ;
Que ta Verité , ta clémence ,
Ta Sagesse et ta Providence ,
Te manifestent aux Humains ;
Qu'ils sçachent qu'Israël révere ,
Le Maître du Ciel , qui sçait faire ,
Tout ce qu'embrassent ses desseins.
Les Gentils ont des Dieux frivoles
Qu'ils se sont eux-mêmes formez ,
Sourdes et trompeuses Idoles ,
Dont les yeux sont toujours fermez ;
Leurs pieds , leurs mains sont immobiles ;
De Métal masses inutiles ,
Vous êtes des Etres muets ;
Puissent
MAY.
1055 1731.
Puissent vous devenir semblables ,
Tous ceux qui croiront secourables ,
Des Dieux que les hommes ont faits.
Israël mit son esperance ,
Dans l'assistance du Seigneur ;
Aron invoqua sa puissance ,
Il s'est montré leur Protecteur ;
Celui qui craint de lui déplaire
Dans sa bonté sans cesse espere ,
Et toujours éprouve ses soins :
Combien de fois ce tendre Pere ,
Sans attendre notre Priere
A-t'il prévenu nos besoins ?
,
;
Son Peuple , de sa bienveillance ,
Mille fois sentit les effets ;
Ceux qui réverent sa puissance ,
Par lui sont comblez de bienfaits
Dans la splendeur ou l'indigence ,
Son incomparable clémence ,
Ecoute également leurs voeux .
Puissent vos enfans et vous- même ,
Etre benis du Dieu suprême ,
Qui créa la Terre et les Cieux !
Son
1056 MERCURE DE FRANCE
Son Trône au-delà du Tonnerre ,
Brille dans la celeste Cour :
Du néant il tira la Terre ,
Pour en faire notre séjour ,
Seigneur , dans la nuit éternelle ,
Tombeau de l'Ame criminelle ,
On ne benit point tes faveurs ;
Mais nous qui suivons ta lumiere ,
Durant l'Eternelle carriere ,
Nous celebrerons tes grandeurs.
Par M. de Sainte Palaye , de Montfort-
Lamaury
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Résumé : ODE SACRÉE, Tirée du Pseaume In Exitu Israël de Ægypto, &c.
L'ode sacrée, extraite du Psaume 'In Exitu Israël de Ægypto', commémore la libération d'Israël de l'esclavage en Égypte. Dieu, maître du tonnerre, a brisé les chaînes des Hébreux et leur a ouvert un passage à travers la mer Rouge et le Jourdain. Les montagnes et les collines ont bondi à sa présence, démontrant sa puissance. La mer, le Jourdain et les montagnes sont interpellés pour souligner leur soumission devant Dieu. Le texte insiste sur le fait que la mémoire de ces miracles doit servir à la glorification de Dieu, et non à la gloire humaine. Il met en avant la vérité, la clémence, la sagesse et la providence divines, contrastant avec les idoles muettes et inutiles des Gentils. Israël, en espérant dans l'assistance du Seigneur, a toujours été protégé et béni par Dieu, qui prévient les besoins de son peuple et écoute leurs vœux. L'ode se conclut par une invocation à Dieu, créateur de la Terre et des Cieux, dont le trône brille dans la cour céleste. Elle exprime le désir que les bénédictions divines soient sur les enfants et les fidèles, qui célébreront éternellement les grandeurs de Dieu.
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17
p. 1252-1254
L'AIGLON ET LE GEAY. FABLE. Présentée à Monseigneur le Comte de Clermont, par M. de Castera, au sujet du Livre intitulé le Théatre des Passions et de la Fortune, que l'Autheur a dedié à son Altesse Serenissime.
Début :
Dans un agréable Bocage, [...]
Mots clefs :
Bocage, Aiglon, Geay, Oiseau, Orgueil, Rossignols, Naïveté, Vérité, Style
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'AIGLON ET LE GEAY. FABLE. Présentée à Monseigneur le Comte de Clermont, par M. de Castera, au sujet du Livre intitulé le Théatre des Passions et de la Fortune, que l'Autheur a dedié à son Altesse Serenissime.
JUIN 1731. 1241
}
****************
LETTRE de M. D. L. R. sur un
Ouvrage du R. P. Feijoo , Benedictin
Espagnol.
.
entre les
傻
l'Ouvrage dont vous avez entendu
parler. C'est M. Boyer , Docteur en Me
decine de la Faculté de Montpellier , et
Docteur- Régent en celle de Paris , qui l'a
apporté d'Eſpagne , depuis peu de tems .
Vous sçavez que ce Medecin partit d'ici
sur la fin du mois de Juillet dernier pour
le rétablissement de la santé de M. le
Marquis de Brancars , Ambassadeur de
France à la Cour de S. M. Catholique ;
vous sçavez aussi qu'il a fait un voyage
heureux, et qu'il a ramené M. l'Ambassa
deur parfaitement guéri.
Mais vous pouvez ignorer que notre
Medecin , toujours attentif sur la Litte
rature , et mettant tout à profit à cet
égard , quand il est obligé de voyager ,
n'a pas manqué d'apporter plusieurs Li
vres Espagnols , des meilleurs et des plus
nouveaux. Celui pour lequel vous vous
interessez , ne pouvoit pas être oublié ;
en voici le Titre.
I. Vol. THEA
1242 MERCURE DE FRANCE
THEATRO CRITICO , UNIVERSAL,
O Discursos varios en toto genero de Ma
terias para desengano de Errores comunes.
Dedicado A RP P. Fr. Joseph de Bar
nuero , General de la Congregacion de San
Benito de Espana , Inglaterra , & c. Escrito
por El M. R. P. M. Fr. Benito Jeronymo
Feijoo , Maestro General de la Religion de
San Benito , y Cathedratico de Visperas de
Theologia de la Universidad de Oviedo.
Tercera Impression En Madrid : En la
Imprenta de Francisco del Hierro , Anno de
M. DCC . XXIX . C'est-à -dire , THEA
TRE CRITIQUE UNIVERSEL , ou Discours
divers sur toute sorte de sujets pour désa
buser les hommes des erreurs communes
et ordinaires . Dédié au Reverendissime
Pere General de la Congrégation de saint
Benoît , établie en Espagne , en Angle
terre, &c. Composé par le R. P. BENOIST
JEROSME FEIJOO , Maître ou Professeur
General dans la même Congrégation ,
Professeur en Thélogie de l'Université
d'Oviedo; quatre Volumes in 4% Troisiéme
Edition. A Madrid , de l'Imprimerie de
François del Hierro , M. DCC. XXIX .
On trouve à la tête du premier Vo
lume une Epitre Dédicatoire fort bien
tournée , adressée au R. P. General Jo
seph de Barnuero , lequel , outre cette
I.Vol.
qualité
JUIN. 1731. 1243
qualité , avoit été le Maître des Etudes
de Théologie de l'Auteur , dans l'Uni
versité de Salamanque. Les Approba
tions de divers Docteurs suivent cette
Dédicace.
Une courte Préface qui déclare les in
tentions du P. Feijoo , et qui fait voir
l'ordre et la disposition de tout son Ou
vrage , est précedée d'une Lettre de Don
Louis de Salazar , Commandeur de l'Or
dre de Calatrava , Conseiller du Conseil
Royal des Ordres , et premier Historio
graphe de Castille et des Indes . Cette
Lettre écrite à notre Auteur le 11. Août
1726. est un Eloge raisonné de son Théa
tre critique ; on peut dire que le suffrage
de ce Seigneur en a entraîné quantité
d'autres , et qu'il n'avoit paru depuis
long- temps de Livre en Espagne plus ge
neralement estimé. D'un autre côté le
R. P. Jean de Champverd , de la Com
pagnie de Jesus , Docteur et Professeur
en Théologie de l'Université d'Alcala ,
Théologien du Roi , et Examinateur Sy
nodal de l'Archevêché de Tolede , pa
roît si content de cet Ouvrage , qu'il nous
assure dans son Approbation , que son
Auteur devoit être appellé le Maître Ge
neral de tous les Arts et des Sciences.
Ce premier Volume de 400. pages
I. Vol. contient
1244 MERCURE DE FRANCE
contient seize Discours divisez chacun en
plusieurs Paragraphes ou Articles . Le
1. Discours est intitulé la Voix du Peuple.
Le II. la Vertu et le Vice. Le III . L'ob
scurité et la haute fortune. IV. La plus
fine Politique. V. La Medecine. VI. Ré
gime pour la conservation de la santé.
VII. La Deffense de la Profession Litte
raire. VIII. L'Astrologie Judiciaire et les
Almanachs. IX. Les Eclipses. X. Les Co
metes. XI. Les Années Climateriques .
XII. La Vieillesse du Monde. XIII . Con
tre les Philosophes modernes . XIV. La
Musique des Eglises . XV. Parallele des
Langues. XVI . Apologie des femmes.
Toutes ces Dissertations fournissent une
lecture agréable et variée , elles sont bien
écrites , et instruisent de beaucoup de
choses. Les Medecins ne sont pas bien
traitez dans la V. s'ils s'avisent de mar
quer à notre Auteur quelque ressenti
ment , les Femmes , et sur tout les Fem
mes sçavantes et vertueuses , seront obli
gées , par reconnoissance , de prendre sa
deffense ; car rien n'est plus recherché
plus obligeant , plus étendu dans le I.Vo
lume , que la XVI. et derniere Disserta
tion , qui est toute employée à la deffense
du beau Sexe. Vous en jugerez si je puis
un jour vous en procurer la lecture .
I. Vol
Passons
JUIN. 1731.
1245
S
1
e.
Passons cependant au second Volume.
T.II. seconde Edition M. DCC . XXX .
Ce volume , comme le précedent, est orné
d'une Dedicace , addressée à un autre
Mecéne , et munie d'Approbations ma
gnifiques. La plus étendue et la plus fla
teuse , est sans doute celle du R. P. Este
van de la Torre , Professeur géneral des
Benedictins d'Espagne , Abbé de S. Vin
cent d'Oviedo , Professeur en Théologie ,
et de l'Ecriture Sainte en l'Université de
la même Ville , lequel paroît si prévenu
du merite de cet ouvrage , et de la haute
capacité de son Autheur , qu'il ne fait
point de difficulté de lui appliquer ce que
le Sçavant P. Mabillon a dit de l'ouvrage
de S. Bernard , de Consideratione , addressé
au Pape Eugene. Hac sane fuit Bernardi
dexteritas , ut , quam primum ejus Libri de
Consideratione in publicum prodiere , eos
certatim exquisierunt , lectitarunt , amave
runt universi. L'Approbateur ne doutant
point qu'il n'arrive la même chose à l'égard
de ce second volume , n'oublie pas dans
cette occasion d'appliquer aussi à nôtre
Autheur ce passage connu de l'Ecriture .
Faciendi plures Libros nullus eft finis.
Ecclesiast. C. 12.v. 12. C'est , dit- il , sui
vre à la lettre le conseil du Sage , on ne
doit , pour ainsi dire , point finir quand
1. Vol. on
1246 MERCURE DE FRANCE
on écrit des livres qui enseignent à dé
tromper les hommes de leurs erreurs , et
à établir des veritez . Enfin le R. P. Joseph
Navajas, Trinitaire, Professeur en Théo
logie , et Examinateur de l'Archevêché
de Toléde , en donnant aussi son attache
et ces éloges à ce livre , ne craint pas de
rien exagerer en le nommant une Biblio
theque entiere.
Hic liber est , Lector , librorum magna sup→
pellex.
Et non exigua Bibliotheca , lege.
Les Dissertations contenues dans ce
second Tome de plus de 400. pages , sont
précedées d'une assés courte Preface , la
quelle a deux principaux Objets : le pre
mier de remercier le public du favorable
accueil qu'il a fait au premier volume ,
le second de parler de quelques envieux ,
qui ont publié des écrits peu mésurés
contre ce livre. Chose inévitable et arri
vée dans tous les temps , à l'égard même
des Autheurs du premier merite. Sur
quoy le P. Feijoo nous parle des disgra
ces qu'eurent à essuyer en France deux cé
lebres Académiciens , sçavoir Pierre Cor
neille et Jean -Louis de Balzac , que les
suffrages du public dédomagerent ample
I. Vol. ment
JUIN. 1731 1247
ment, sur tout , dit- il , le grand Corneille,
qui ne succomba point sous le poids du
credit d'un fameux Ministre , et de la
censure de l'Academie el formidable Cuer
po
de la Academia Francesa , non pas , ajoû
te-t'il, qu'il veuille se comparer à ces deux
grands Genies , mais rappellant seulement
ce fameux exemple,à cause de la parité de
situation où la Fortune le met aujour
d'hui . Il se justifie ensuite sur le titre de
son Ouvrage,où il ne trouve rien de cette
présomption que ses Adversaires luy ont
reprochée. Il a jugé à propos , nous dit-il ,
enfin , par le conseil de personnes sages ,
de publier à la fin de ce second Tome
les deux réponses Apologetiques qu'on y
trouvera. Celle qui regarde le Docteur
Ros est en latin , parceque ce Docteur l'a
attaqué en la même Langue . Il a aussi fait
imprimer la lettre Apologetique du Doc
teur Martinez , crainte, dit il , que ce trait
précieux de sa plume ne soit enseveli dans
l'oubli , tout ce que ce sage et éloquent
Autheur écrit étant digne de l'immorta
lité ; c'est ainsi que nôtre autheur parle
de son Adversaire . A l'égard de la criti
que du Docteur Ros , elle étoit trop lon
gue pour l'imprimer pareillement à la
fin de ce second volume.
>
Les Dissertations qui le composent sont
4. Vol.
au
1248 MERCURE DE FRANCE
au nombre de quinze , dont je me con
tenterai de vous rapporter les titres. I.
Les Guerres Philosophiques . II . L'Histoi
re Naturelle. III. L'Art Divinatoire.
I V. Les Propheties supposées. V. L'Usage
de la Magie . VI. Les modes. VII. La
Vieillesse Morale du Genre Humain .
VIII. La Science Aparente et Superfi
ciele. IX. L'Antipathie entre les Fran
çois et les Espagnols. X. Les Jours Cri
tiques. XI. Le Poids de l'Air. XII . La
Sphere du Feu. XIII. L'Antiperistase .
XIV. Paradoxes Phisiques . XV. Table
contenant la comparaison des Nations..
Ces quinze Discours sont suivis de trois
morceaux de Critique anoncés dans la
Préface, qui ont été composez dépuis l'im
pression du premier volume , lequel en a été
l'occasion.Le premier est intituléCarta De
fensiva & c. ou , Lettre Apologetique de
Don Martin Martinez Docteur en Mede
cine , Medecin de la Maison du Roy, Pro
fesseur d'Anatomie , et actuellement Presi
dent de la Societé Royale des Sciences de
Seville & c.Sur le premier Tome du Thea
tre critique universel du R. P. Feijoo . Il y a
de trés bonnes choses dans cette Lettre ,
elle donne our ainsi dire , un nouveau
lustre au Theatre critique , sur lequel l'Au
theur avoit prié le Medecin de lui mar
I.Vol.
quer
JUIN. 1731. 1249
quer ses sentimens. Il s'en acquitte en
parcourant toutes les dissertations , et en
discourant sommairement sur chacune.
Il paroît que ce Docteur a réservé toute
son érudition , et toute sa critique , à
l'égard de celle qui regarde la Medecine.
Le P. Feijoo a dû s'y attendre aprés tout
ce qu'il a dit de cette science dans sa V.
Dissert. du premier vol. M. Martinez fait
non seulement l'Apologie de la Medeci
ne et des Medecins , mais l'Eloge de cette
Science , et de ceux qui l'ont professée
dans tous les temps ; sur quoy ce Doc
teur nous étale une grande lecture et des
Recherches singulieres. Je vais en éfleurer
quelques -unes. Les Egyptiens , dit il
faisoient des Medecins leurs Prêtres , et
des Prêtres leurs Rois , sur quoy les an
ciens Historiens nous ont conservé cette
formule. Medicus non es ; nolo te constitue
re Regem. Giges et Sapor Rois des Medes
ont été Medecins , sans parler des Prin
ces qui l'ont pareillement été parmi les
Perses , les Arabes , les Syriens & c . La lis
te de ces Rois ou Princes Medecins , est
longue chez nôtre Docteur , et on est tout
étonné d'y trouver des Sujets d'un grand
nom , mais peu connus de côté la ; par
exemple , Hercule , Alexandre le Grand ,
l'Empereur Hadrien &c. Vous jugez bien ,
I. Vol.
Monsieur
1250 MERCURE DE FRANCE
Monsieur que le Pere de la Medecine
Grecque , le Prince , et le Chef de tous'
les Medecins qui sont venus depuis , je
veux dire, Hippocrate , n'est pas oublié;
il finit par lui sa liste et ses éloges , en re
marquant que les Grecs rendirent à ce
grand Homme des honneurs divins , et les
mêmes qu'ils rendoient à Hercule. M.
Martinez pouvoit ajoûter qu'on frappa
aussi pour lui des Medailles ; vous avez
vû . Monsieur , chez
chez moy la
gravure
d'une de ces Medailles où l'on voit d'un
côté la tête d'Hippocrate et autour IП...
TOY et sur le Revers le fameux Baton
d'Esculape entouré d'un Serpent avec ce
mot KION , pour signifier que la
Medaille a été frappée par les habitans de
l'Isle de Cos , Patrie d'Hippocrate , sur
quoy je vous entretiendrai un jour plus
précisement dans un autre Ecrit .
,
Les Medecins chrétiens d'un rang il
lustre , sont joints à ceux du Paganisme.
L'Auteur prend les choses de bien haut ,
il trouve dans des temps posterieurs des
Papes , des Cardinaux , des Prelats Me
decins ; je vous renvoye là dessus au livre
même.
Le second morceau de critique est la Ré
ponse du P. Feijoo à la lettre dont je viens
de vous donner une idée du Docteur
I. Vol. Martinez
JUIN. 1731.
7251
Martinez. Cette Réponse est sage et ac
compagnée de tous les égards , et de tous
les ménagemens qui ne se rencontrent
guéres ordinairement entre des Sçavans
qui écrivent l'un contre l'autre , pour
soutenir des opinions differentes . L'habi
le et poli Benedictin avoue même obli
geamment à son Antagoniste , qu'il ne
fait aucun doute que dans cette contesta
tion litteraire ils ne soient au fond tous
deux de même sentiment ; car , dit- il ,
vous ne disconvenez point que la Mede
cine ne soit accompagnée d'incertitude ,
et moi je n'ay jamais nié positivement
l'utilité de cette Science. Quoique la
Réponse dont il s'agit icy soit addressée
au Docteur Martinez même , elle est pré
cedée d'une Epitre Dedicatoire à l'Illus
triss. Don Fr. Joseph Garcia , Evêque de
Siguenza , pour le remercier de l'accueil
favorable qu'il a fait au premier vol . du
Theatre Critique, et pour le prier de pro
teger également et l'ouvrage et l'Autheur.
Je ne vous dirai rien de la derniere
Piece , parce qu'elle roule a peu prés sur
le même sujet , et que je suis bien aise
que vous en jugiez un jour par vous mê
me ; je me prépare cependant à vous ren
dre compte de la suite de cet Ouvrage
et je suis toujours. & c.
A Paris ce 19. Fevrier 1731 .
I. Vol. с L'AIGLON
1252 MERCURE DE FRANCE
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
L'AIGLON ET LE GEAY.
FABLE.
Presentée à Monseigneur le Comte de Cler
mont , par M. de Castera , au sujet du
Livre intitulé le Théatre des Passions et
de la Fortune , que l'Autheur a dedié à
Son Altesse Serenissime.
D Ans un agréable Bocage .
Brilloit un Aiglon glorieux ,
Affable , doux , de beau plumage.
Et qui portoit dans l'éclat de ses yeux
L'infaillible Présage
D'une ame noble et d'un coeur généreux ;
Dés le moment de sa naissance
Hebé , les Graces , et l'Amour ,
Auprés de lui fixerent leur séjour ,
Pour prendre soin de son enfance ;
Jamais les accents douloureux ,
D'un Oyseau triste et malheureux ,
A son oreille en vain ne se firent entendre :
Exempt du chimerique orgueil ,
Qui des grands aveuglés est l'ordinaire écueil ;
De son rang il sçavoit descendre ;
Il sçavoit asservir son coeur ,
Aux Loix d'une amitié tendre et pleine d'ardeurs
1
1. Vol.
Rossignols ,
JUIN.
1253 1731.
Rossignols , Serins et Fauvettes ,
Eternisoient la gloire de leur nom ;
En consacrant à cet illustre Aiglon,
Leurs Refrains et leur's Chansonnettes
Parmi les aimables accents ,
་ ་
Dont ces Chantres Divins varioient leurMusique,'
Un Geay d'humeur simple et rustique ,
Ösa mêler ces fredons glapissants :
Son jargon étoit rude ,
Mais il parloit avec naïveté.
Dire toujours la verité ,
C'étoit et sa Devise et son unique étude.
On lui cria quelle témérité
Enfle aujourd'hui ta voix sans methode et sans
grace ?
Entre les Hôtes du Parnasse.
Apollon ne t'a point compté :
Je sçais bien,repond- t'il, que ma voix est grossiere,
Mais aussi je connois la générosité ,
Qui de l'Auguste Aiglon forme le caractére ,
Mon hommage est juste et sincere ,
Il ne sera point rebuté ;
L'Offrande d'un berger qui vit dans l'innocence ;
Touche le coeur des Immortels ;
Souvent plus de Magnificence
Attire leur mépris , et ternit leurs Autels ;
D'ailleurs , si pour louer cet Aiglon magnanime ?
Il faut àson merite égaler notre voix ,
I. Vol
Les
Cij
1254 MERCURE DE FRANCE
Les plus sçavants Hôtes des bois
N'ont pû l'entreprendre sans crime,
Seigneur , cette allusion ,
Exempte de tout nuage ,
Sous le Portrait de l'Aiglon ,
Dépeint icy vôtre image.
tel que le Geay sans étude et sans fard,
J'ose vous consacrer
mes veilles
¿
D'autres
pourront
avec plus d'Art
Prendre un style pompeux pour charmer vos
oreilles ;
Pour moy
Ecrire poliment surpasse mon pouvoir ,
Je dis ce que je pense , et c'est tout mon sçavoir,
}
****************
LETTRE de M. D. L. R. sur un
Ouvrage du R. P. Feijoo , Benedictin
Espagnol.
.
entre les
傻
l'Ouvrage dont vous avez entendu
parler. C'est M. Boyer , Docteur en Me
decine de la Faculté de Montpellier , et
Docteur- Régent en celle de Paris , qui l'a
apporté d'Eſpagne , depuis peu de tems .
Vous sçavez que ce Medecin partit d'ici
sur la fin du mois de Juillet dernier pour
le rétablissement de la santé de M. le
Marquis de Brancars , Ambassadeur de
France à la Cour de S. M. Catholique ;
vous sçavez aussi qu'il a fait un voyage
heureux, et qu'il a ramené M. l'Ambassa
deur parfaitement guéri.
Mais vous pouvez ignorer que notre
Medecin , toujours attentif sur la Litte
rature , et mettant tout à profit à cet
égard , quand il est obligé de voyager ,
n'a pas manqué d'apporter plusieurs Li
vres Espagnols , des meilleurs et des plus
nouveaux. Celui pour lequel vous vous
interessez , ne pouvoit pas être oublié ;
en voici le Titre.
I. Vol. THEA
1242 MERCURE DE FRANCE
THEATRO CRITICO , UNIVERSAL,
O Discursos varios en toto genero de Ma
terias para desengano de Errores comunes.
Dedicado A RP P. Fr. Joseph de Bar
nuero , General de la Congregacion de San
Benito de Espana , Inglaterra , & c. Escrito
por El M. R. P. M. Fr. Benito Jeronymo
Feijoo , Maestro General de la Religion de
San Benito , y Cathedratico de Visperas de
Theologia de la Universidad de Oviedo.
Tercera Impression En Madrid : En la
Imprenta de Francisco del Hierro , Anno de
M. DCC . XXIX . C'est-à -dire , THEA
TRE CRITIQUE UNIVERSEL , ou Discours
divers sur toute sorte de sujets pour désa
buser les hommes des erreurs communes
et ordinaires . Dédié au Reverendissime
Pere General de la Congrégation de saint
Benoît , établie en Espagne , en Angle
terre, &c. Composé par le R. P. BENOIST
JEROSME FEIJOO , Maître ou Professeur
General dans la même Congrégation ,
Professeur en Thélogie de l'Université
d'Oviedo; quatre Volumes in 4% Troisiéme
Edition. A Madrid , de l'Imprimerie de
François del Hierro , M. DCC. XXIX .
On trouve à la tête du premier Vo
lume une Epitre Dédicatoire fort bien
tournée , adressée au R. P. General Jo
seph de Barnuero , lequel , outre cette
I.Vol.
qualité
JUIN. 1731. 1243
qualité , avoit été le Maître des Etudes
de Théologie de l'Auteur , dans l'Uni
versité de Salamanque. Les Approba
tions de divers Docteurs suivent cette
Dédicace.
Une courte Préface qui déclare les in
tentions du P. Feijoo , et qui fait voir
l'ordre et la disposition de tout son Ou
vrage , est précedée d'une Lettre de Don
Louis de Salazar , Commandeur de l'Or
dre de Calatrava , Conseiller du Conseil
Royal des Ordres , et premier Historio
graphe de Castille et des Indes . Cette
Lettre écrite à notre Auteur le 11. Août
1726. est un Eloge raisonné de son Théa
tre critique ; on peut dire que le suffrage
de ce Seigneur en a entraîné quantité
d'autres , et qu'il n'avoit paru depuis
long- temps de Livre en Espagne plus ge
neralement estimé. D'un autre côté le
R. P. Jean de Champverd , de la Com
pagnie de Jesus , Docteur et Professeur
en Théologie de l'Université d'Alcala ,
Théologien du Roi , et Examinateur Sy
nodal de l'Archevêché de Tolede , pa
roît si content de cet Ouvrage , qu'il nous
assure dans son Approbation , que son
Auteur devoit être appellé le Maître Ge
neral de tous les Arts et des Sciences.
Ce premier Volume de 400. pages
I. Vol. contient
1244 MERCURE DE FRANCE
contient seize Discours divisez chacun en
plusieurs Paragraphes ou Articles . Le
1. Discours est intitulé la Voix du Peuple.
Le II. la Vertu et le Vice. Le III . L'ob
scurité et la haute fortune. IV. La plus
fine Politique. V. La Medecine. VI. Ré
gime pour la conservation de la santé.
VII. La Deffense de la Profession Litte
raire. VIII. L'Astrologie Judiciaire et les
Almanachs. IX. Les Eclipses. X. Les Co
metes. XI. Les Années Climateriques .
XII. La Vieillesse du Monde. XIII . Con
tre les Philosophes modernes . XIV. La
Musique des Eglises . XV. Parallele des
Langues. XVI . Apologie des femmes.
Toutes ces Dissertations fournissent une
lecture agréable et variée , elles sont bien
écrites , et instruisent de beaucoup de
choses. Les Medecins ne sont pas bien
traitez dans la V. s'ils s'avisent de mar
quer à notre Auteur quelque ressenti
ment , les Femmes , et sur tout les Fem
mes sçavantes et vertueuses , seront obli
gées , par reconnoissance , de prendre sa
deffense ; car rien n'est plus recherché
plus obligeant , plus étendu dans le I.Vo
lume , que la XVI. et derniere Disserta
tion , qui est toute employée à la deffense
du beau Sexe. Vous en jugerez si je puis
un jour vous en procurer la lecture .
I. Vol
Passons
JUIN. 1731.
1245
S
1
e.
Passons cependant au second Volume.
T.II. seconde Edition M. DCC . XXX .
Ce volume , comme le précedent, est orné
d'une Dedicace , addressée à un autre
Mecéne , et munie d'Approbations ma
gnifiques. La plus étendue et la plus fla
teuse , est sans doute celle du R. P. Este
van de la Torre , Professeur géneral des
Benedictins d'Espagne , Abbé de S. Vin
cent d'Oviedo , Professeur en Théologie ,
et de l'Ecriture Sainte en l'Université de
la même Ville , lequel paroît si prévenu
du merite de cet ouvrage , et de la haute
capacité de son Autheur , qu'il ne fait
point de difficulté de lui appliquer ce que
le Sçavant P. Mabillon a dit de l'ouvrage
de S. Bernard , de Consideratione , addressé
au Pape Eugene. Hac sane fuit Bernardi
dexteritas , ut , quam primum ejus Libri de
Consideratione in publicum prodiere , eos
certatim exquisierunt , lectitarunt , amave
runt universi. L'Approbateur ne doutant
point qu'il n'arrive la même chose à l'égard
de ce second volume , n'oublie pas dans
cette occasion d'appliquer aussi à nôtre
Autheur ce passage connu de l'Ecriture .
Faciendi plures Libros nullus eft finis.
Ecclesiast. C. 12.v. 12. C'est , dit- il , sui
vre à la lettre le conseil du Sage , on ne
doit , pour ainsi dire , point finir quand
1. Vol. on
1246 MERCURE DE FRANCE
on écrit des livres qui enseignent à dé
tromper les hommes de leurs erreurs , et
à établir des veritez . Enfin le R. P. Joseph
Navajas, Trinitaire, Professeur en Théo
logie , et Examinateur de l'Archevêché
de Toléde , en donnant aussi son attache
et ces éloges à ce livre , ne craint pas de
rien exagerer en le nommant une Biblio
theque entiere.
Hic liber est , Lector , librorum magna sup→
pellex.
Et non exigua Bibliotheca , lege.
Les Dissertations contenues dans ce
second Tome de plus de 400. pages , sont
précedées d'une assés courte Preface , la
quelle a deux principaux Objets : le pre
mier de remercier le public du favorable
accueil qu'il a fait au premier volume ,
le second de parler de quelques envieux ,
qui ont publié des écrits peu mésurés
contre ce livre. Chose inévitable et arri
vée dans tous les temps , à l'égard même
des Autheurs du premier merite. Sur
quoy le P. Feijoo nous parle des disgra
ces qu'eurent à essuyer en France deux cé
lebres Académiciens , sçavoir Pierre Cor
neille et Jean -Louis de Balzac , que les
suffrages du public dédomagerent ample
I. Vol. ment
JUIN. 1731 1247
ment, sur tout , dit- il , le grand Corneille,
qui ne succomba point sous le poids du
credit d'un fameux Ministre , et de la
censure de l'Academie el formidable Cuer
po
de la Academia Francesa , non pas , ajoû
te-t'il, qu'il veuille se comparer à ces deux
grands Genies , mais rappellant seulement
ce fameux exemple,à cause de la parité de
situation où la Fortune le met aujour
d'hui . Il se justifie ensuite sur le titre de
son Ouvrage,où il ne trouve rien de cette
présomption que ses Adversaires luy ont
reprochée. Il a jugé à propos , nous dit-il ,
enfin , par le conseil de personnes sages ,
de publier à la fin de ce second Tome
les deux réponses Apologetiques qu'on y
trouvera. Celle qui regarde le Docteur
Ros est en latin , parceque ce Docteur l'a
attaqué en la même Langue . Il a aussi fait
imprimer la lettre Apologetique du Doc
teur Martinez , crainte, dit il , que ce trait
précieux de sa plume ne soit enseveli dans
l'oubli , tout ce que ce sage et éloquent
Autheur écrit étant digne de l'immorta
lité ; c'est ainsi que nôtre autheur parle
de son Adversaire . A l'égard de la criti
que du Docteur Ros , elle étoit trop lon
gue pour l'imprimer pareillement à la
fin de ce second volume.
>
Les Dissertations qui le composent sont
4. Vol.
au
1248 MERCURE DE FRANCE
au nombre de quinze , dont je me con
tenterai de vous rapporter les titres. I.
Les Guerres Philosophiques . II . L'Histoi
re Naturelle. III. L'Art Divinatoire.
I V. Les Propheties supposées. V. L'Usage
de la Magie . VI. Les modes. VII. La
Vieillesse Morale du Genre Humain .
VIII. La Science Aparente et Superfi
ciele. IX. L'Antipathie entre les Fran
çois et les Espagnols. X. Les Jours Cri
tiques. XI. Le Poids de l'Air. XII . La
Sphere du Feu. XIII. L'Antiperistase .
XIV. Paradoxes Phisiques . XV. Table
contenant la comparaison des Nations..
Ces quinze Discours sont suivis de trois
morceaux de Critique anoncés dans la
Préface, qui ont été composez dépuis l'im
pression du premier volume , lequel en a été
l'occasion.Le premier est intituléCarta De
fensiva & c. ou , Lettre Apologetique de
Don Martin Martinez Docteur en Mede
cine , Medecin de la Maison du Roy, Pro
fesseur d'Anatomie , et actuellement Presi
dent de la Societé Royale des Sciences de
Seville & c.Sur le premier Tome du Thea
tre critique universel du R. P. Feijoo . Il y a
de trés bonnes choses dans cette Lettre ,
elle donne our ainsi dire , un nouveau
lustre au Theatre critique , sur lequel l'Au
theur avoit prié le Medecin de lui mar
I.Vol.
quer
JUIN. 1731. 1249
quer ses sentimens. Il s'en acquitte en
parcourant toutes les dissertations , et en
discourant sommairement sur chacune.
Il paroît que ce Docteur a réservé toute
son érudition , et toute sa critique , à
l'égard de celle qui regarde la Medecine.
Le P. Feijoo a dû s'y attendre aprés tout
ce qu'il a dit de cette science dans sa V.
Dissert. du premier vol. M. Martinez fait
non seulement l'Apologie de la Medeci
ne et des Medecins , mais l'Eloge de cette
Science , et de ceux qui l'ont professée
dans tous les temps ; sur quoy ce Doc
teur nous étale une grande lecture et des
Recherches singulieres. Je vais en éfleurer
quelques -unes. Les Egyptiens , dit il
faisoient des Medecins leurs Prêtres , et
des Prêtres leurs Rois , sur quoy les an
ciens Historiens nous ont conservé cette
formule. Medicus non es ; nolo te constitue
re Regem. Giges et Sapor Rois des Medes
ont été Medecins , sans parler des Prin
ces qui l'ont pareillement été parmi les
Perses , les Arabes , les Syriens & c . La lis
te de ces Rois ou Princes Medecins , est
longue chez nôtre Docteur , et on est tout
étonné d'y trouver des Sujets d'un grand
nom , mais peu connus de côté la ; par
exemple , Hercule , Alexandre le Grand ,
l'Empereur Hadrien &c. Vous jugez bien ,
I. Vol.
Monsieur
1250 MERCURE DE FRANCE
Monsieur que le Pere de la Medecine
Grecque , le Prince , et le Chef de tous'
les Medecins qui sont venus depuis , je
veux dire, Hippocrate , n'est pas oublié;
il finit par lui sa liste et ses éloges , en re
marquant que les Grecs rendirent à ce
grand Homme des honneurs divins , et les
mêmes qu'ils rendoient à Hercule. M.
Martinez pouvoit ajoûter qu'on frappa
aussi pour lui des Medailles ; vous avez
vû . Monsieur , chez
chez moy la
gravure
d'une de ces Medailles où l'on voit d'un
côté la tête d'Hippocrate et autour IП...
TOY et sur le Revers le fameux Baton
d'Esculape entouré d'un Serpent avec ce
mot KION , pour signifier que la
Medaille a été frappée par les habitans de
l'Isle de Cos , Patrie d'Hippocrate , sur
quoy je vous entretiendrai un jour plus
précisement dans un autre Ecrit .
,
Les Medecins chrétiens d'un rang il
lustre , sont joints à ceux du Paganisme.
L'Auteur prend les choses de bien haut ,
il trouve dans des temps posterieurs des
Papes , des Cardinaux , des Prelats Me
decins ; je vous renvoye là dessus au livre
même.
Le second morceau de critique est la Ré
ponse du P. Feijoo à la lettre dont je viens
de vous donner une idée du Docteur
I. Vol. Martinez
JUIN. 1731.
7251
Martinez. Cette Réponse est sage et ac
compagnée de tous les égards , et de tous
les ménagemens qui ne se rencontrent
guéres ordinairement entre des Sçavans
qui écrivent l'un contre l'autre , pour
soutenir des opinions differentes . L'habi
le et poli Benedictin avoue même obli
geamment à son Antagoniste , qu'il ne
fait aucun doute que dans cette contesta
tion litteraire ils ne soient au fond tous
deux de même sentiment ; car , dit- il ,
vous ne disconvenez point que la Mede
cine ne soit accompagnée d'incertitude ,
et moi je n'ay jamais nié positivement
l'utilité de cette Science. Quoique la
Réponse dont il s'agit icy soit addressée
au Docteur Martinez même , elle est pré
cedée d'une Epitre Dedicatoire à l'Illus
triss. Don Fr. Joseph Garcia , Evêque de
Siguenza , pour le remercier de l'accueil
favorable qu'il a fait au premier vol . du
Theatre Critique, et pour le prier de pro
teger également et l'ouvrage et l'Autheur.
Je ne vous dirai rien de la derniere
Piece , parce qu'elle roule a peu prés sur
le même sujet , et que je suis bien aise
que vous en jugiez un jour par vous mê
me ; je me prépare cependant à vous ren
dre compte de la suite de cet Ouvrage
et je suis toujours. & c.
A Paris ce 19. Fevrier 1731 .
I. Vol. с L'AIGLON
1252 MERCURE DE FRANCE
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
L'AIGLON ET LE GEAY.
FABLE.
Presentée à Monseigneur le Comte de Cler
mont , par M. de Castera , au sujet du
Livre intitulé le Théatre des Passions et
de la Fortune , que l'Autheur a dedié à
Son Altesse Serenissime.
D Ans un agréable Bocage .
Brilloit un Aiglon glorieux ,
Affable , doux , de beau plumage.
Et qui portoit dans l'éclat de ses yeux
L'infaillible Présage
D'une ame noble et d'un coeur généreux ;
Dés le moment de sa naissance
Hebé , les Graces , et l'Amour ,
Auprés de lui fixerent leur séjour ,
Pour prendre soin de son enfance ;
Jamais les accents douloureux ,
D'un Oyseau triste et malheureux ,
A son oreille en vain ne se firent entendre :
Exempt du chimerique orgueil ,
Qui des grands aveuglés est l'ordinaire écueil ;
De son rang il sçavoit descendre ;
Il sçavoit asservir son coeur ,
Aux Loix d'une amitié tendre et pleine d'ardeurs
1
1. Vol.
Rossignols ,
JUIN.
1253 1731.
Rossignols , Serins et Fauvettes ,
Eternisoient la gloire de leur nom ;
En consacrant à cet illustre Aiglon,
Leurs Refrains et leur's Chansonnettes
Parmi les aimables accents ,
་ ་
Dont ces Chantres Divins varioient leurMusique,'
Un Geay d'humeur simple et rustique ,
Ösa mêler ces fredons glapissants :
Son jargon étoit rude ,
Mais il parloit avec naïveté.
Dire toujours la verité ,
C'étoit et sa Devise et son unique étude.
On lui cria quelle témérité
Enfle aujourd'hui ta voix sans methode et sans
grace ?
Entre les Hôtes du Parnasse.
Apollon ne t'a point compté :
Je sçais bien,repond- t'il, que ma voix est grossiere,
Mais aussi je connois la générosité ,
Qui de l'Auguste Aiglon forme le caractére ,
Mon hommage est juste et sincere ,
Il ne sera point rebuté ;
L'Offrande d'un berger qui vit dans l'innocence ;
Touche le coeur des Immortels ;
Souvent plus de Magnificence
Attire leur mépris , et ternit leurs Autels ;
D'ailleurs , si pour louer cet Aiglon magnanime ?
Il faut àson merite égaler notre voix ,
I. Vol
Les
Cij
1254 MERCURE DE FRANCE
Les plus sçavants Hôtes des bois
N'ont pû l'entreprendre sans crime,
Seigneur , cette allusion ,
Exempte de tout nuage ,
Sous le Portrait de l'Aiglon ,
Dépeint icy vôtre image.
tel que le Geay sans étude et sans fard,
J'ose vous consacrer
mes veilles
¿
D'autres
pourront
avec plus d'Art
Prendre un style pompeux pour charmer vos
oreilles ;
Pour moy
Ecrire poliment surpasse mon pouvoir ,
Je dis ce que je pense , et c'est tout mon sçavoir,
Fermer
Résumé : L'AIGLON ET LE GEAY. FABLE. Présentée à Monseigneur le Comte de Clermont, par M. de Castera, au sujet du Livre intitulé le Théatre des Passions et de la Fortune, que l'Autheur a dedié à son Altesse Serenissime.
En juin 1731, une lettre mentionne un ouvrage du Père Benito Jerónimo Feijoo, bénédictin espagnol. Cet ouvrage, intitulé 'Théâtre critique universel' ou 'Discursos varios en todo genero de materias para desengano de errores comunes', est dédié au Père Joseph de Barnuero, général de la Congrégation de Saint-Benoît en Espagne et en Angleterre. L'ouvrage, en quatre volumes, a été imprimé pour la troisième fois à Madrid en 1729. Il contient des discours variés sur divers sujets visant à désabuser les hommes des erreurs communes. L'ouvrage a été apporté en France par M. Boyer, un médecin de la Faculté de Montpellier et docteur-régent à Paris, qui s'était rendu en Espagne pour soigner le Marquis de Brancars, ambassadeur de France. Boyer, attentif à la littérature, a rapporté plusieurs livres espagnols, dont celui de Feijoo. Le premier volume, de 400 pages, comprend seize discours sur des sujets tels que la voix du peuple, la vertu et le vice, la médecine, l'astrologie, et une apologie des femmes. Le second volume, également de plus de 400 pages, contient quinze discours et est précédé d'une préface remerciant le public et répondant à des critiques. Les approbations de divers docteurs soulignent la qualité et l'importance de l'ouvrage. Le Docteur Martinez, dans une lettre apologétique, défend la médecine et les médecins contre les critiques de Feijoo. Feijoo répond à Martinez de manière respectueuse, reconnaissant les incertitudes de la médecine tout en affirmant son utilité. L'ouvrage a reçu des éloges de plusieurs personnalités, notamment Don Luis de Salazar et le Père Jean de Champverd. Par ailleurs, une lettre et une fable intitulée 'L'Aiglon et le Geai' sont présentées à Monseigneur le Comte de Clermont par M. de Castera. La lettre, datée du 19 février 1731, mentionne que l'auteur ne commentera pas la dernière pièce, préférant que le destinataire en juge par lui-même. Il se prépare à rendre compte de la suite de l'ouvrage. La fable raconte l'histoire d'un aiglon glorieux, affable et doux, né avec des qualités nobles et un cœur généreux. Dès sa naissance, les Grâces, l'Amour et Hébé veillent sur lui. L'aiglon est exempt d'orgueil et sait descendre de son rang pour des amitiés tendres. Les rossignols, serins et fauvettes chantent sa gloire, tandis qu'un geai, avec une voix rude mais naïve, ose également lui rendre hommage. Le geai explique que sa vérité et sa sincérité sont plus précieuses que des louanges pompeuses. Il compare l'aiglon au Comte de Clermont, soulignant que son hommage, bien que simple, est sincère et touchant. Le geai affirme que les offrandes des bergers innocents peuvent toucher les cœurs des immortels, contrairement aux magnificences qui peuvent attirer le mépris.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
18
p. 1721-1736
LETTRE de M. de Voltaire, à Messieurs les Auteurs du Nouvelliste.
Début :
MESSIEURS, On m'a fait tenir à la Campagne où je suis près de Canterbury, depuis quatre [...]
Mots clefs :
Nouvelliste, Canterbury, Lettres, Jalousie, Politesse française, Vérité, Ouvrages, Mémoire, Scène française
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. de Voltaire, à Messieurs les Auteurs du Nouvelliste.
LETTRE de M. de Voltaire , à Messieurs
les Auteurs du Nouvellifte.
.
MESSIEURS
t
On m'a fait tenir à la Campagne où
E
je
1722 MERCURE
DE FRANCE
je suis près de Canterbury , depuis quatre
mois , les Lettres que vous publiez
avec succès en France depuis environ ce
tems.
J'ai vu dans votre dix - huitiéme Lettre
, des plaintes injurieuses que l'on vous
addresse contre moi , sur lesquelles il
est juste que j'aye l'honneur de vous écrire
, moins pour ma propre justification ,
que pour l'intérêt de la vérité.
Un ami , ou peut-être un parent de feu
M. de Campistron , me fait des reproches
pleins d'amertume et de dureté , de
ce que j'ai , dit il , insulté à la mémoire
de cet illustre Ecrivain dans une brochure
de ma façon , et que je me suis servi
de ces termes indécens de pauvre Campistron.
Il auroit, sans doute, raison de me
faire ce reproche , et vous Messieurs , de
l'imprimer, si j'avois , en effet , été coupa
ble d'une groffiereté si éloignée de mes
mours. C'a été pour moi une surprise
également vive et douloureuse , de voir
que l'on m'impute de pareilles sottises.
Je ne sçai ce que c'est que cette brochure
, je n'en ai jamais entendu parler.
Je n'ai fait aucune brochure en ma vie ;
et si jamais homme devoit être à l'abri
d'une pareille accusation , j'ose dire que
c'étoit moi , Messieurs.
DeJUILLET.
1731. 1723
Depuis l'âge de seize ans , où quel
ques Vers un peu satyriques , et par conséquent
très -condamnables avoient échapé
à l'imprudence de mon âge , et au
ressentiment d'une injuftice , je me suis
imposé la loi de ne jamais tomber dans
ce déteftable genre d'écrire. Je passe mes
jours dans les souffrances continuelles de
corps qui m'accablent , et dans l'étude
des bons Livres qui me console : j'apprens
quelquefois dans mon lit que l'on m'impute
à Paris des Pieces fugitives que je n'ai
jamais vûës , et que je ne verrai jamais ;
je ne puis attribuer ces accusations frivoles
à aucune jalousie d'Auteur ; car
qui pourroit être jaloux de moy ! mais
quelque motif qu'on ait pû avoir pour
me charger de pareils Ecrits , je déclare ici
une bonne fois pour toutes , qu'il n'y a
personne en France qui puisse dire que je
lui aye jamais fait voir , depuis que j'suis
hors de l'enfance , aucun Ecrit satyrique
en vers ou en prose. Et celui- là se
montre qui puisse seulement avancer que
j'aye jamais applaudi un seul de ces Ecrits ,
dont le mérite consiste à flater la malignité
humaine.
que
Non- seulement je ne me suis jamais
servi de termes injurieux , soit de bouche,
soit par écrit , en citant feu M. de Campistron
E ij
1724 MEAU
FRANCE DE
pistron , dont la mémoire ne doit pas être
indifferente aux Gens de Lettres , mais je,
me suis toûjours revolté contre cette coutume
impolie qu'ont prise plusieurs jeunes
Gens , d'appeller par leur simple
pom des Auteurs illuftres qui méritent
des égards.
›
J'ai trouvé toûjours indigne de la politesse
Françoise , et du respect que les
Hommes se doivent les uns aux autres ,
de dire Fontenelles , Chaulieu , Crebillon,
la Motte , Raimond , &c. et j'ose dire que
j'ai corrigé quelques personnes de ces manieres
indécentes de parler , qui sont toûjours
insultantes pour les vivans , et dont
on ne doit se servir envers les morts que
quand ils commencent à devenir anciens
pour nous. Le peu de Curieux qui pourront
jetter les yeux sur les Préfaces de
quelques Pieces de Théatre que j'ai hazardées
, verront que je dis toûjours le Grand
Corneille , qui a pour nous le mérite de
l'antiquité ; et je dis M. Racine et M. Despreaux
, parce qu'ils sont presque mes
contemporains .
Il est vrai que dans la Préface d'une
Tragédie addressée à Mylord Bullingbrooke
rendant compte à cet illustre
Anglois des défauts et des beautez de
notre Théatre , je me suis plaint avec justice
JUILLET. 1731. 1725
tice que la galanterie dégrade parmi nous
la dignité de la Scene ; j'ai dit , et je le
dis encore , que l'on avoit applaudi ces
Vers de l'Alcibiade indignes de la Tragédie.
Hélas ! qu'eſt - il besoin de m'en entretenir ?
Mon penchant à l'amour, je l'avouerai fans peine,
Fut de tous mes malheurs la cause trop certainé:
Mais bien qu'il m'ait causé des chagrins , des
soupirs ,
Je n'ai pu refuser mon ame à ses plaisirs :
Car enfin , Amintas , quoi qu'on en puisse dire ,'
Il n'eft rien de semblable à ce qu'il nous inspire
Où trouve-t- on ailleurs cette vive douceur
Capable d'enlever et de calmer un coeur ?
Ah! lorsque penetré d'un amour véritable ,
Et gémissant aux pieds d'un objet adorable ,
J'ai connu dans ses yeux timides ou distraits
Que mes soins de son coeur avoient troublé la
·
paix ;
Que par l'aveu secret d'une ardeur mutuelle
La mienne a pris encore une force nouvelle ;
Dans ces tendres instans j'ai toujours éprouvé
Qu'un mortel peut sentir un honheur achevé .
J'aurois pû dire avec la même vérité ,
que les derniers Ouvrages du Grand Cor
'neille sont indignes de lui et fort infé-
E iij rieurs
1726 MERCURE DE FRANCE
rieurs à cet Alcibiade , et que la Berenice
de M. Racine n'eft qu'une Elegie bien
écrite , sans offenser la mémoire de ces
grands Hommes. Ce sont les fautes des
Ecrivains illustres qui nous instruisent ;
j'ai crû même faire honneur à M. de Campistron
en le citant à des Etrangers à qui
je parlois de la Scéne Françoise , de même
que je croirois rendre hommage à la mémoire
de l'inimitable Moliere , si pour
faire sentir les défauts de notre Scéne comique
, je disois que d'ordinaire les intrigues
de nos Comédies ne sont ménagées
que par des Valets , que les plaisanteries
ne sont presque jamais dans la bouche des
Maîtres , et que j'apportasse en preuve la
plupart des Pieces de ce charmant génie ,
qui malgré ce défaut et celui de ses dénouëmens
, est si au- dessus de Plaute et
de Terence .
J'ai ajoûté qu'Alcibiade est une Piece
suivie , mais foiblement écrite ; le défenseur
de M. de Campistron m'en fait un
crime ; mais qu'il me soit permis de me
servir de la réponse d'Horace.
Nempe incomposito dixi pede currere versus
Lucili quis tam lucili fautor inepte eft
Ut non hoc fateatur ?
JUILLET. 1731 1727
·
On me demande ce que j'entends par
un stile foible , je pourrois répondre , le
mien. Mais je vais tâcher de débrouiller
cette idée , afin que cet Ecrit ne soit pas
absolument inutile , et que ne pouvant
- par mon exemple prouver ce que c'est
qu'un stile noble et fort , j'essaye au moins
d'expliquer mes conjectures , et de justifier
ce que je pense en général d'un ftile de
la Tragedie d'Alcibiade.
Le stile fort et vigoureux , tel qu'il
convient à la Tragedie , est celui qui ne
dit ni trop ni trop peu , et qui fait toujours
des Tableaux à l'esprit , sans s'écarter
un moment de la passion.
Ainsi Cléopâtre dans la Rodogune
s'écrie :
> Trône , à t'abandonner je ne puis consentir
Par un coup de tonnere il en vaut mieux fortir
Tombe sur moi le Ciel pourvû que je me vange.
.. Voilà du stile très- fort , et peut être
trop.
Le Vers qui suit
Il vaut mieux meriter le sort le plus étrange ,
est du stile le plus foible.
> Le stile foible , non- seulement en Tra
gédie , mais en toute Poësie , consiste en-
E. iiij
core
1728
MERCURE DE FRANCE
core à laisser tomber ses Vers deux à deux;
sans entremêler de longues périodes et de
courtes , et sans varier la mesure , à rimer
trop en épithetes , à prodiguer des
expressions trop communes , à répéter
souvent les mêmes mots , à ne pas se servir
à propos des
conjonctions qui paroissent
inutiles aux esprits peu instruits , et
qui
contribuent cependant beaucoup à l'élegance
du Discours.
Tantumferiesjuncturaque pollent.
Ce sont toutes ces finesses
imperceptibles
qui font en même tems la difficulté
et la perfection de l'Art. In tenui labor
at tenuis non gloria.
J'ouvre dans ce moment le Volume
des Tragedies de M. de
Campistron , et
je vois à la premiere Scéne de l'Alcibiade .
Quelle que soit pour nous la tendresse des Rois ,
Un moment leur suffit pour faire un autre choix .
Je dis que ces Vers sans être absolument
mauvais , sont foibles et sans beauté.
Pierre Corneille ayant la même chose à
dire ,
s'exprime ainsi :
Et malgré ce pouvoir dont l'éclat nous séduir,
Si-tôt qu'il nous veut perdre, un coup d'oeil nous
détruit ,
Ce
JUILLET. 1731. 1729
Ce quelle que soit de l'Alcibiade fait languir
le Vers ; de plus , Un moment leur
suffit pourfaire un autre choix , ne fait pas à
beaucoup près une peinture si vive que ce
Vers ; Si-tôt qu'il nous veut perdre , un coup
d'oeil nous détruit.
Je vois dans ces premieres Scénes d'Alcibiade
:
Mille exemples connus de ces fameux revers.
Affoiblit notre empire ; et dans mille combats,
Nous cache mille soins dont il est agité.
El a mille vertus dignes du diadême.
Le sort le plus cruel , mille tourmens affreux.
Je dis que ce mot mille si souvent rế-
peté , et sur tout dans des Vers assez läches
, affoiblit le stile au point de le gâter;
que la Piece est pleine de ces termes oisifs
, qui remplissent languissamment l'Emistiche
des Vers : je m'offre de prouver
à qui voudra , que presque tous les Vers
de cet Ouvrage sont énervez par ces pe
tits défauts de détail , qui répandent leur
langueur sur toute la diction. Si j'avois
vécu du tems de M. de Campistron , et
que j'eusse eû l'honneur d'être son ami , je
lui aurois dit à lui-même ce que je dis ici
au Public , et j'aurois fait tous mes efforts.
pour obtenir de lui qu'il retouchât le stile
E v de
1730 MERCURE DE FRANCE
de cette Piece , qui seroit devenue avec
plus de soin un très - bon Ouvrage. En
un mor , je lui aurois parlé , comme je
fais ici , pour la perfection d'un Art qu'il
cultivoit d'ailleurs avec succès.
Le fameux Acteur qui représenta si
long- tems Alcibiade , cachoit toutes les
foiblesses de la diction par les charmes:
de son recit : en effet , l'on peut dire d'une
Tragedie comme d'une Histoire : Historia
quoque modo scripta benè legitur,et Tragedia
quoque modo scripta benè representatur,
mais les yeux duLecteur sont des juges plus.
difficiles que les oreilles du Spectateur.
Celui qui lit ces Vers d'Alcibiade.
Je répondrai , Seigneur , avec la liberté ,
D'un Grec qui ne sçait pas cacher la verité.
se ressouvient à l'instant de ces deux beaux
Vers de Britannicus ..
e répondrai , Madame , avec la liberté ,.
D'un Soldat qui sçait mal farder la vérité..
Il voit d'abord que les Vers de M. Ra-.
cine sont pleins d'une harmonie singu
liere , qui caractérise en quelque façon
par cette cesure coupée , d'un Soldat
, au lieu que les Vers d'Alcibiade sont
rampans et sans force. En second lieu , il
Burrus
cft
JUILLET. 1731. 1731
est choqué d'une imitation si marquée.
En troisiéme lieu , il ne peut
souffrir que
le citoyen d'un pays renommé par l'Eloquence
et par l'artifice , donne à ces
mêmes Grecs un caractére qu'ils n'avoient
pas.
Vous allez attaquer des peubles indomptables , "
Sur leurs propres foyers plus qu'ailleurs redou
tables..
On voit par tout la même langeur de
stile. Ces rimes d'Epithetes indomptables
redoutables , choquent l'oreille délicate du
connoisseur qui veut des choses , et qui
ne trouve que des sons. Sur leurs propres
foyers plus qu'ailleurs , est trop simple même
pour de la Prose..
Je n'ai trouvé aucun homme de Lettres
qui n'ait été de mon avis , et qui ne soit
convenu avec moi que le stile de cette
Piece est en général très-languissant. J'ajoûterai
même que c'eft la diction seule
qui abbaisse M. de Campistron au des
sous de Monsieur Racine . J'ai toûjours
soutenu que les Pieces de M. de
Campistron étoient pour le moins aussi
régulierement conduites , que toutes celles
de l'illustre Racine ; mais il n'y a que
la Poësie de stile qui fasse la perfection :
des Ouvrages en vers. M. de Campistrom
E vj.
l'ai
#732 MERCURE DE FRANCE
l'a toûjours trop negligée , il n'a imité ſe
coloris de M. Racine que d'un pinceau timide
; il manque à cet Auteur , d'ailleurs
judicieux et tendre , ces beautés de détail
, et ces expressions heureuses qui sont
l'ame de la Poësie , et qui font le mérite
des Homere , des Virgile , des Tasse , des
Milton , des Pope , des Corneille , des Racine
, des Boileau..
Je n'ai donc avancé qu'une verité , et
même une verité utile pour les Belles- Lettres
, et c'est parce qu'elle est vérité qu'elle
m'attire des injures.
vante que
L'Anonime ( quel qu'il soit ) me dit à
la suite de plusieurs personnalitez , que je
suis un trés- mauvais modéle . Mais au
moins il ne le dit qu'après moi , je ne me
de connoître mon art et mon
impuissance. Il dit d'ailleurs ( ce qui n'est
point une injure , mais une Critique
permise , que ma Tragedie de Brutus est
très-défectueuse. Qui le sçait mieux que
moi ? C'est parce que j'étois très- convaincu
des défauts de cette Piece , que je la
refusai constamment un an entier aux
Comédiens. Depuis même je l'ai fort retouchée
, j'ai retourné ce terrain ingrat où
j'avois travaillé si long- tems avec tant de
peine et si peu de fruit. Il n'y a aucun de
mes foibles Ouvrages , que je ne corrige
tous
JUILLET. 1731. 1733
-
tous les jours dans les intervalles de mes
maladies. Non seulement je vois mes
fautes , mais j'ai obligation à ceux qui
m'en reprennent , et je n'ai jamais répondu
à une Critique , qu'en tâchant de me
corriger.
Cette verité que j'aime dans les autres,.
j'ai droit d'exiger que les autres la souffrent
en moi . M. de la Motte sçait avec
quelle franchise je lui ai parlé , et que je
l'estime assez pour lui dire , quand j'ai
l'honneur de le voir , quelques défauts
que je crois appercevoir dans ses ingénieux
Ouvrages. Il seroit honteux que la flaterie
infectât le petit nombre d'hommes qui
pensent. Mais plus j'aime la verité
plus je haïs et dédaigne la Satire , qui n'est
jamais que le langage de l'envie. Les Auteurs
qui veulent apprendre à penser aux
autres hommes , doivent leur donner des
exemples de politesse comme d'éloquence
, et joindre les bienséances de la société
à celles du stile. Faut- il que ceux qui cherchent
la gloire , courent à la honte par
leurs querelles litteraires , et que les Gens
d'esprit deviennent souvent la risée des
sots !
On m'a souvent envoyé en Angleterre
des Epigrammes et des petites Satyres contre
M. de Fontenelle ; j'ai eu soin de dire
pous
1734 MERCURE DE FRANCE
pour l'honneur de mes compatriotes , que
ces petits traits qu'on lui décoche , ressemblent
aux injures que l'esclave disoit autrefois
aux triomphateurs. Je crois que c'est
être bon François de détourner autant qu'il
est en moi, le soupçon qu'on a dans les Païs
étrangers , que les François ne rendent jamais
justice à leurs contemporains. Soyons:
justes , Messieurs , ne craignons ni de blâmer
, ni surtout de louer , ce qui le mérite.
Ne lisons point Pertharite , mais
pleurons à Polieucte . Oublions avec M. de
Fontenelle des Lettres composées dans sa
jeunesse , mais apprenons par coeur , s'il
est possible , les Mondes , la Préface de
l'Académie des Sciences , & c. Disons si
vous voulez , à M. de la Motte , qu'il n'a
pas assez bien traduit l'Iliade , mais n'oublions
pas un mot des belles Odes et des
autres Pieces heureuses qu'il a faites. C'est
ne pas payer ses dettes , que de refuser de
justes louanges . Elles sont l'unique récompense
des Gens de Lettres , et qui
Leur payera ce tribut : si- non nous , qui
courant à peu près la même carriere , de
vons connoître mieux que d'autres la difficulté
et le prix d'un bon Ouvrage ?
J'ai entendu dire souvent en France que
tout est dégénéré , et qu'il y a en tout
genre une disette d'hommes étonnante..
Les
JUILLET. 1737 1735
Les Etrangers n'entendent à Paris que
ces discours ; et ils nous croient aisément
sur notre parole cependant quel est le
siécle où l'esprit humain ait fait plus de
progrès que parmi nous ? Voici un jeune
homme de seize ans qui exécute en effet
ce qu'on a dit autrefois de M. Pascal , et
qui donne un Traité sur les Courbes qui
feroit honneuraux plus grands Géometres ..
L'esprit de raison pénetre si bien dans les
Ecoles , qu'elles commencent à rejetter
également , et les absurditez inintelligi
bles d'Aristote , et les chiméres ingénieuses
de Descartes. Combien d'excellentes
Hisroires n'avons nous pas depuis trente
ans ? Il y en a telle qui se lit avec plus de:
plaisir que Philippes de Comines ; il est
vrai qu'on n'ose l'avouer tout haut , parce
que l'Aureur est encore vivant , et le
moyen d'estimer un contemporain autant
qu'un homme mort il y a plus de deux
cens ans !
Ploravêre suis non respondere favorem
Speratum meritis .
Personne n'ose convenir franchement
des richesses de son siècle . Nous sommes.
comme les avares qui disent toûjours que
le tems est dur. J'abuse de votre patience ,,
Messieurs
JJ
1736 MERCURE DE FRANCE
Messieurs , pardonnez cette longue Lettre
et toutes ces réflexions , au devoir d'un
honnête homme qui a dû se justifier, et à
mon amour extrême pour les Lettres
pour ma Patrie et pour la vérité. Je suis ,
Messieurs , &c. VOLTAIRE.
A Fakener , près de Canterbury , ce 20.
Fuin. 1. Juillet.
les Auteurs du Nouvellifte.
.
MESSIEURS
t
On m'a fait tenir à la Campagne où
E
je
1722 MERCURE
DE FRANCE
je suis près de Canterbury , depuis quatre
mois , les Lettres que vous publiez
avec succès en France depuis environ ce
tems.
J'ai vu dans votre dix - huitiéme Lettre
, des plaintes injurieuses que l'on vous
addresse contre moi , sur lesquelles il
est juste que j'aye l'honneur de vous écrire
, moins pour ma propre justification ,
que pour l'intérêt de la vérité.
Un ami , ou peut-être un parent de feu
M. de Campistron , me fait des reproches
pleins d'amertume et de dureté , de
ce que j'ai , dit il , insulté à la mémoire
de cet illustre Ecrivain dans une brochure
de ma façon , et que je me suis servi
de ces termes indécens de pauvre Campistron.
Il auroit, sans doute, raison de me
faire ce reproche , et vous Messieurs , de
l'imprimer, si j'avois , en effet , été coupa
ble d'une groffiereté si éloignée de mes
mours. C'a été pour moi une surprise
également vive et douloureuse , de voir
que l'on m'impute de pareilles sottises.
Je ne sçai ce que c'est que cette brochure
, je n'en ai jamais entendu parler.
Je n'ai fait aucune brochure en ma vie ;
et si jamais homme devoit être à l'abri
d'une pareille accusation , j'ose dire que
c'étoit moi , Messieurs.
DeJUILLET.
1731. 1723
Depuis l'âge de seize ans , où quel
ques Vers un peu satyriques , et par conséquent
très -condamnables avoient échapé
à l'imprudence de mon âge , et au
ressentiment d'une injuftice , je me suis
imposé la loi de ne jamais tomber dans
ce déteftable genre d'écrire. Je passe mes
jours dans les souffrances continuelles de
corps qui m'accablent , et dans l'étude
des bons Livres qui me console : j'apprens
quelquefois dans mon lit que l'on m'impute
à Paris des Pieces fugitives que je n'ai
jamais vûës , et que je ne verrai jamais ;
je ne puis attribuer ces accusations frivoles
à aucune jalousie d'Auteur ; car
qui pourroit être jaloux de moy ! mais
quelque motif qu'on ait pû avoir pour
me charger de pareils Ecrits , je déclare ici
une bonne fois pour toutes , qu'il n'y a
personne en France qui puisse dire que je
lui aye jamais fait voir , depuis que j'suis
hors de l'enfance , aucun Ecrit satyrique
en vers ou en prose. Et celui- là se
montre qui puisse seulement avancer que
j'aye jamais applaudi un seul de ces Ecrits ,
dont le mérite consiste à flater la malignité
humaine.
que
Non- seulement je ne me suis jamais
servi de termes injurieux , soit de bouche,
soit par écrit , en citant feu M. de Campistron
E ij
1724 MEAU
FRANCE DE
pistron , dont la mémoire ne doit pas être
indifferente aux Gens de Lettres , mais je,
me suis toûjours revolté contre cette coutume
impolie qu'ont prise plusieurs jeunes
Gens , d'appeller par leur simple
pom des Auteurs illuftres qui méritent
des égards.
›
J'ai trouvé toûjours indigne de la politesse
Françoise , et du respect que les
Hommes se doivent les uns aux autres ,
de dire Fontenelles , Chaulieu , Crebillon,
la Motte , Raimond , &c. et j'ose dire que
j'ai corrigé quelques personnes de ces manieres
indécentes de parler , qui sont toûjours
insultantes pour les vivans , et dont
on ne doit se servir envers les morts que
quand ils commencent à devenir anciens
pour nous. Le peu de Curieux qui pourront
jetter les yeux sur les Préfaces de
quelques Pieces de Théatre que j'ai hazardées
, verront que je dis toûjours le Grand
Corneille , qui a pour nous le mérite de
l'antiquité ; et je dis M. Racine et M. Despreaux
, parce qu'ils sont presque mes
contemporains .
Il est vrai que dans la Préface d'une
Tragédie addressée à Mylord Bullingbrooke
rendant compte à cet illustre
Anglois des défauts et des beautez de
notre Théatre , je me suis plaint avec justice
JUILLET. 1731. 1725
tice que la galanterie dégrade parmi nous
la dignité de la Scene ; j'ai dit , et je le
dis encore , que l'on avoit applaudi ces
Vers de l'Alcibiade indignes de la Tragédie.
Hélas ! qu'eſt - il besoin de m'en entretenir ?
Mon penchant à l'amour, je l'avouerai fans peine,
Fut de tous mes malheurs la cause trop certainé:
Mais bien qu'il m'ait causé des chagrins , des
soupirs ,
Je n'ai pu refuser mon ame à ses plaisirs :
Car enfin , Amintas , quoi qu'on en puisse dire ,'
Il n'eft rien de semblable à ce qu'il nous inspire
Où trouve-t- on ailleurs cette vive douceur
Capable d'enlever et de calmer un coeur ?
Ah! lorsque penetré d'un amour véritable ,
Et gémissant aux pieds d'un objet adorable ,
J'ai connu dans ses yeux timides ou distraits
Que mes soins de son coeur avoient troublé la
·
paix ;
Que par l'aveu secret d'une ardeur mutuelle
La mienne a pris encore une force nouvelle ;
Dans ces tendres instans j'ai toujours éprouvé
Qu'un mortel peut sentir un honheur achevé .
J'aurois pû dire avec la même vérité ,
que les derniers Ouvrages du Grand Cor
'neille sont indignes de lui et fort infé-
E iij rieurs
1726 MERCURE DE FRANCE
rieurs à cet Alcibiade , et que la Berenice
de M. Racine n'eft qu'une Elegie bien
écrite , sans offenser la mémoire de ces
grands Hommes. Ce sont les fautes des
Ecrivains illustres qui nous instruisent ;
j'ai crû même faire honneur à M. de Campistron
en le citant à des Etrangers à qui
je parlois de la Scéne Françoise , de même
que je croirois rendre hommage à la mémoire
de l'inimitable Moliere , si pour
faire sentir les défauts de notre Scéne comique
, je disois que d'ordinaire les intrigues
de nos Comédies ne sont ménagées
que par des Valets , que les plaisanteries
ne sont presque jamais dans la bouche des
Maîtres , et que j'apportasse en preuve la
plupart des Pieces de ce charmant génie ,
qui malgré ce défaut et celui de ses dénouëmens
, est si au- dessus de Plaute et
de Terence .
J'ai ajoûté qu'Alcibiade est une Piece
suivie , mais foiblement écrite ; le défenseur
de M. de Campistron m'en fait un
crime ; mais qu'il me soit permis de me
servir de la réponse d'Horace.
Nempe incomposito dixi pede currere versus
Lucili quis tam lucili fautor inepte eft
Ut non hoc fateatur ?
JUILLET. 1731 1727
·
On me demande ce que j'entends par
un stile foible , je pourrois répondre , le
mien. Mais je vais tâcher de débrouiller
cette idée , afin que cet Ecrit ne soit pas
absolument inutile , et que ne pouvant
- par mon exemple prouver ce que c'est
qu'un stile noble et fort , j'essaye au moins
d'expliquer mes conjectures , et de justifier
ce que je pense en général d'un ftile de
la Tragedie d'Alcibiade.
Le stile fort et vigoureux , tel qu'il
convient à la Tragedie , est celui qui ne
dit ni trop ni trop peu , et qui fait toujours
des Tableaux à l'esprit , sans s'écarter
un moment de la passion.
Ainsi Cléopâtre dans la Rodogune
s'écrie :
> Trône , à t'abandonner je ne puis consentir
Par un coup de tonnere il en vaut mieux fortir
Tombe sur moi le Ciel pourvû que je me vange.
.. Voilà du stile très- fort , et peut être
trop.
Le Vers qui suit
Il vaut mieux meriter le sort le plus étrange ,
est du stile le plus foible.
> Le stile foible , non- seulement en Tra
gédie , mais en toute Poësie , consiste en-
E. iiij
core
1728
MERCURE DE FRANCE
core à laisser tomber ses Vers deux à deux;
sans entremêler de longues périodes et de
courtes , et sans varier la mesure , à rimer
trop en épithetes , à prodiguer des
expressions trop communes , à répéter
souvent les mêmes mots , à ne pas se servir
à propos des
conjonctions qui paroissent
inutiles aux esprits peu instruits , et
qui
contribuent cependant beaucoup à l'élegance
du Discours.
Tantumferiesjuncturaque pollent.
Ce sont toutes ces finesses
imperceptibles
qui font en même tems la difficulté
et la perfection de l'Art. In tenui labor
at tenuis non gloria.
J'ouvre dans ce moment le Volume
des Tragedies de M. de
Campistron , et
je vois à la premiere Scéne de l'Alcibiade .
Quelle que soit pour nous la tendresse des Rois ,
Un moment leur suffit pour faire un autre choix .
Je dis que ces Vers sans être absolument
mauvais , sont foibles et sans beauté.
Pierre Corneille ayant la même chose à
dire ,
s'exprime ainsi :
Et malgré ce pouvoir dont l'éclat nous séduir,
Si-tôt qu'il nous veut perdre, un coup d'oeil nous
détruit ,
Ce
JUILLET. 1731. 1729
Ce quelle que soit de l'Alcibiade fait languir
le Vers ; de plus , Un moment leur
suffit pourfaire un autre choix , ne fait pas à
beaucoup près une peinture si vive que ce
Vers ; Si-tôt qu'il nous veut perdre , un coup
d'oeil nous détruit.
Je vois dans ces premieres Scénes d'Alcibiade
:
Mille exemples connus de ces fameux revers.
Affoiblit notre empire ; et dans mille combats,
Nous cache mille soins dont il est agité.
El a mille vertus dignes du diadême.
Le sort le plus cruel , mille tourmens affreux.
Je dis que ce mot mille si souvent rế-
peté , et sur tout dans des Vers assez läches
, affoiblit le stile au point de le gâter;
que la Piece est pleine de ces termes oisifs
, qui remplissent languissamment l'Emistiche
des Vers : je m'offre de prouver
à qui voudra , que presque tous les Vers
de cet Ouvrage sont énervez par ces pe
tits défauts de détail , qui répandent leur
langueur sur toute la diction. Si j'avois
vécu du tems de M. de Campistron , et
que j'eusse eû l'honneur d'être son ami , je
lui aurois dit à lui-même ce que je dis ici
au Public , et j'aurois fait tous mes efforts.
pour obtenir de lui qu'il retouchât le stile
E v de
1730 MERCURE DE FRANCE
de cette Piece , qui seroit devenue avec
plus de soin un très - bon Ouvrage. En
un mor , je lui aurois parlé , comme je
fais ici , pour la perfection d'un Art qu'il
cultivoit d'ailleurs avec succès.
Le fameux Acteur qui représenta si
long- tems Alcibiade , cachoit toutes les
foiblesses de la diction par les charmes:
de son recit : en effet , l'on peut dire d'une
Tragedie comme d'une Histoire : Historia
quoque modo scripta benè legitur,et Tragedia
quoque modo scripta benè representatur,
mais les yeux duLecteur sont des juges plus.
difficiles que les oreilles du Spectateur.
Celui qui lit ces Vers d'Alcibiade.
Je répondrai , Seigneur , avec la liberté ,
D'un Grec qui ne sçait pas cacher la verité.
se ressouvient à l'instant de ces deux beaux
Vers de Britannicus ..
e répondrai , Madame , avec la liberté ,.
D'un Soldat qui sçait mal farder la vérité..
Il voit d'abord que les Vers de M. Ra-.
cine sont pleins d'une harmonie singu
liere , qui caractérise en quelque façon
par cette cesure coupée , d'un Soldat
, au lieu que les Vers d'Alcibiade sont
rampans et sans force. En second lieu , il
Burrus
cft
JUILLET. 1731. 1731
est choqué d'une imitation si marquée.
En troisiéme lieu , il ne peut
souffrir que
le citoyen d'un pays renommé par l'Eloquence
et par l'artifice , donne à ces
mêmes Grecs un caractére qu'ils n'avoient
pas.
Vous allez attaquer des peubles indomptables , "
Sur leurs propres foyers plus qu'ailleurs redou
tables..
On voit par tout la même langeur de
stile. Ces rimes d'Epithetes indomptables
redoutables , choquent l'oreille délicate du
connoisseur qui veut des choses , et qui
ne trouve que des sons. Sur leurs propres
foyers plus qu'ailleurs , est trop simple même
pour de la Prose..
Je n'ai trouvé aucun homme de Lettres
qui n'ait été de mon avis , et qui ne soit
convenu avec moi que le stile de cette
Piece est en général très-languissant. J'ajoûterai
même que c'eft la diction seule
qui abbaisse M. de Campistron au des
sous de Monsieur Racine . J'ai toûjours
soutenu que les Pieces de M. de
Campistron étoient pour le moins aussi
régulierement conduites , que toutes celles
de l'illustre Racine ; mais il n'y a que
la Poësie de stile qui fasse la perfection :
des Ouvrages en vers. M. de Campistrom
E vj.
l'ai
#732 MERCURE DE FRANCE
l'a toûjours trop negligée , il n'a imité ſe
coloris de M. Racine que d'un pinceau timide
; il manque à cet Auteur , d'ailleurs
judicieux et tendre , ces beautés de détail
, et ces expressions heureuses qui sont
l'ame de la Poësie , et qui font le mérite
des Homere , des Virgile , des Tasse , des
Milton , des Pope , des Corneille , des Racine
, des Boileau..
Je n'ai donc avancé qu'une verité , et
même une verité utile pour les Belles- Lettres
, et c'est parce qu'elle est vérité qu'elle
m'attire des injures.
vante que
L'Anonime ( quel qu'il soit ) me dit à
la suite de plusieurs personnalitez , que je
suis un trés- mauvais modéle . Mais au
moins il ne le dit qu'après moi , je ne me
de connoître mon art et mon
impuissance. Il dit d'ailleurs ( ce qui n'est
point une injure , mais une Critique
permise , que ma Tragedie de Brutus est
très-défectueuse. Qui le sçait mieux que
moi ? C'est parce que j'étois très- convaincu
des défauts de cette Piece , que je la
refusai constamment un an entier aux
Comédiens. Depuis même je l'ai fort retouchée
, j'ai retourné ce terrain ingrat où
j'avois travaillé si long- tems avec tant de
peine et si peu de fruit. Il n'y a aucun de
mes foibles Ouvrages , que je ne corrige
tous
JUILLET. 1731. 1733
-
tous les jours dans les intervalles de mes
maladies. Non seulement je vois mes
fautes , mais j'ai obligation à ceux qui
m'en reprennent , et je n'ai jamais répondu
à une Critique , qu'en tâchant de me
corriger.
Cette verité que j'aime dans les autres,.
j'ai droit d'exiger que les autres la souffrent
en moi . M. de la Motte sçait avec
quelle franchise je lui ai parlé , et que je
l'estime assez pour lui dire , quand j'ai
l'honneur de le voir , quelques défauts
que je crois appercevoir dans ses ingénieux
Ouvrages. Il seroit honteux que la flaterie
infectât le petit nombre d'hommes qui
pensent. Mais plus j'aime la verité
plus je haïs et dédaigne la Satire , qui n'est
jamais que le langage de l'envie. Les Auteurs
qui veulent apprendre à penser aux
autres hommes , doivent leur donner des
exemples de politesse comme d'éloquence
, et joindre les bienséances de la société
à celles du stile. Faut- il que ceux qui cherchent
la gloire , courent à la honte par
leurs querelles litteraires , et que les Gens
d'esprit deviennent souvent la risée des
sots !
On m'a souvent envoyé en Angleterre
des Epigrammes et des petites Satyres contre
M. de Fontenelle ; j'ai eu soin de dire
pous
1734 MERCURE DE FRANCE
pour l'honneur de mes compatriotes , que
ces petits traits qu'on lui décoche , ressemblent
aux injures que l'esclave disoit autrefois
aux triomphateurs. Je crois que c'est
être bon François de détourner autant qu'il
est en moi, le soupçon qu'on a dans les Païs
étrangers , que les François ne rendent jamais
justice à leurs contemporains. Soyons:
justes , Messieurs , ne craignons ni de blâmer
, ni surtout de louer , ce qui le mérite.
Ne lisons point Pertharite , mais
pleurons à Polieucte . Oublions avec M. de
Fontenelle des Lettres composées dans sa
jeunesse , mais apprenons par coeur , s'il
est possible , les Mondes , la Préface de
l'Académie des Sciences , & c. Disons si
vous voulez , à M. de la Motte , qu'il n'a
pas assez bien traduit l'Iliade , mais n'oublions
pas un mot des belles Odes et des
autres Pieces heureuses qu'il a faites. C'est
ne pas payer ses dettes , que de refuser de
justes louanges . Elles sont l'unique récompense
des Gens de Lettres , et qui
Leur payera ce tribut : si- non nous , qui
courant à peu près la même carriere , de
vons connoître mieux que d'autres la difficulté
et le prix d'un bon Ouvrage ?
J'ai entendu dire souvent en France que
tout est dégénéré , et qu'il y a en tout
genre une disette d'hommes étonnante..
Les
JUILLET. 1737 1735
Les Etrangers n'entendent à Paris que
ces discours ; et ils nous croient aisément
sur notre parole cependant quel est le
siécle où l'esprit humain ait fait plus de
progrès que parmi nous ? Voici un jeune
homme de seize ans qui exécute en effet
ce qu'on a dit autrefois de M. Pascal , et
qui donne un Traité sur les Courbes qui
feroit honneuraux plus grands Géometres ..
L'esprit de raison pénetre si bien dans les
Ecoles , qu'elles commencent à rejetter
également , et les absurditez inintelligi
bles d'Aristote , et les chiméres ingénieuses
de Descartes. Combien d'excellentes
Hisroires n'avons nous pas depuis trente
ans ? Il y en a telle qui se lit avec plus de:
plaisir que Philippes de Comines ; il est
vrai qu'on n'ose l'avouer tout haut , parce
que l'Aureur est encore vivant , et le
moyen d'estimer un contemporain autant
qu'un homme mort il y a plus de deux
cens ans !
Ploravêre suis non respondere favorem
Speratum meritis .
Personne n'ose convenir franchement
des richesses de son siècle . Nous sommes.
comme les avares qui disent toûjours que
le tems est dur. J'abuse de votre patience ,,
Messieurs
JJ
1736 MERCURE DE FRANCE
Messieurs , pardonnez cette longue Lettre
et toutes ces réflexions , au devoir d'un
honnête homme qui a dû se justifier, et à
mon amour extrême pour les Lettres
pour ma Patrie et pour la vérité. Je suis ,
Messieurs , &c. VOLTAIRE.
A Fakener , près de Canterbury , ce 20.
Fuin. 1. Juillet.
Fermer
Résumé : LETTRE de M. de Voltaire, à Messieurs les Auteurs du Nouvelliste.
Voltaire, depuis Canterbury, répond aux accusations publiées dans le Mercure de France. Un ami ou parent de feu M. de Campistron l'accuse d'avoir insulté la mémoire de cet écrivain dans une brochure. Voltaire nie catégoriquement avoir écrit cette brochure et affirme n'avoir jamais produit d'écrits satiriques depuis l'âge de seize ans. Il souligne qu'il passe ses jours dans les souffrances physiques et l'étude des bons livres, et qu'il n'a jamais été impliqué dans des écrits injurieux. Voltaire explique qu'il respecte la mémoire des auteurs illustres et qu'il a toujours évité d'utiliser des termes impolis pour parler des écrivains. Il mentionne avoir critiqué la pièce 'Alcibiade' de Campistron pour son style faible, mais sans intention d'insulter l'auteur. Il compare des vers de Campistron à ceux de Corneille et Racine pour illustrer ses points sur la qualité du style. Voltaire conclut en affirmant qu'il n'a fait que dire la vérité sur les défauts de la pièce, ce qui lui a attiré des injures. Il reconnaît les défauts de ses propres œuvres et les corrige constamment. Dans une autre lettre, Voltaire exprime son attachement à la vérité et son aversion pour la satire, qu'il considère comme le langage de l'envie. Il souligne l'importance de la politesse et des bienséances dans les écrits littéraires. Voltaire mentionne avoir reçu des épigrammes contre M. de Fontenelle et affirme que ces attaques ressemblent aux insultes d'un esclave envers un triomphateur. Il encourage à rendre justice aux contemporains et à louer les œuvres méritantes, citant des exemples comme les 'Mondes' de Fontenelle et les traductions de M. de la Motte. Voltaire conteste l'idée que la France manque d'hommes de talent, citant des progrès récents en mathématiques et en histoire. Il critique ceux qui se plaignent de la dégénérescence de leur époque et affirme que le siècle actuel a vu des avancées significatives. Il conclut en se justifiant pour la longueur de sa lettre, motivée par son amour pour les lettres, la patrie et la vérité.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
19
p. 2581-2584
L'ADORATION DES MAGES. POEME.
Mots clefs :
Adoration, Mages, Bethléem, Sceau, Vérité, Cantiques
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'ADORATION DES MAGES. POEME.
L'ADORATION DES MAGES .
J
POEM E.
E chante les saints Rois qui des bords de l'Asie
,
Vinrent à Bethéem adorer le Messie ,
Et qui par
leur respects , leur amour et leur foy ,
Furent marquez du Sceau de la nouvelle loy.
!
O toi , divin rayon qui leur servit de guide
Esprit , qui rassuras leur démarche timide ,
Tu peus seul mé guider dans un si grand dessein,
Sans ton secours ma voix s'éforceroit en vain ,
Source de verité prête - moi ton langage ,
Que chacun dans mes vers admire ton ouvrage
Ce jour , cet heureux jour si long- tems attendu
Ne tient plus des humains le bonheur suspendu ,
Les Chantres immortels des celebrès portiques ,
Du Redempteur qui naît entonnent des Cantiques
L'Univers attentif applaudit aux Concerts
Dont la sainte harmonie éclate dans les airs.
Tout anonce sa gloire, et qui peut méconnoître ,
Le Sauveur d'Israël que la terre voit naître ?
Trois Rois , chéris du Dieu , qui répand ses
bienfaits ,
'Aperçoivent , ravis , le signal de la paix ,
2
E iij Es
2582 MERCURE DE FRANCE
Et par l'heureux secours d'un brillant caractere
Pénétrent le secret de l'auguste Myftere.
Le germe de la foy qui fructifie en eux ,
Les assure dèslors du succès de leurs veux ,
Et versant dans leurs coeurs une allégresse extrême,
Soumet à leur devoir , l'orgueil du diadême ,
Ils partent de ces bords , que d'un oeil tout rian
Embell it le Soleil , sorti de l'Orient ;
Le rayon répandu sous la voute azurée
Vient tracer à leurs yeux une route assurée,
Déja Sion les voit , cherchant le nouveau né ,
Rassembler autour d'eux , un grand peuple éton
né ,
Ils parlent et soudain Jérusalem se trouble ,
D'Herode , soupçonneux , l'épouvante redouble ;
Il consulte , effrayé , les Docteurs de la Loy ,
Mais leur réponse encore augmente son effroy ;
Et reveille en son coeur sa fureur homicide.
Le traitre cependant , sous un dehors perfide ,
Voit les Mages , s'informe , et cachant dans son
sein ,
Du plus noir attentat , le barbare dessein
Béthléem, leur dit - il , est l'endrolt où l'on pense.
Que le CHRIST des Hébreux peut avoir pris naissance
,
Allez lui rendre hommage , Hérode avec sa Cour,
Pour l'aller adorer , attend votre retour.
Cet Ennemi juré , de la race chérie ,
ComNOVEMBRE.
1731. 258 ž
Comme un loup ravissant , qu'anime la furie
Dans son piége bien - tôt croit tenir cet enfant ,,
Immolê sous les coups d'un Couteau triom
phant.
Ministre des enfers , ton esperance est vaine ;
Celui qui s'est soumis à la nature humaine ,
Est le Fils du Tres- haut , le même dont la voix "
Commande à l'Univers , et fait trembler les Rois
Son Berceau ne craint rien de tes mains criminelles
,
Un Chérubin le garde à l'ombre de ses aîles,
L'horreur d'un tel complot a fait pâlir les
cieux.
Hâtez - vous , sages Rois , d'abandonner ces
lieux ,
De vos pieds chancelans secouez la poussiere ;
Le rayon éclipsé , redonne sa lumiere.
Les Mages transportez d'amour et de plaisir ,
Découvrent le séjour , objet de leur désir .
Le celeste flambeau sur Béthléem s'arrête:
Son éclat est fixé sur une humble retraite ,
Là, se montre à leurs yeux l'enfant emmailloté
Entouré des rayons de sa divinité ;
Quel spectacle admirable ? Eh! quelle main puissante
Fait agir à l'instant la grace triomphante !
Leur coeur est devenu le
rampart de la foy ;
Les Mages transportez reconnoissent leur Roy ;
Et du Verbe fait chair , l'éclatante victoire ,
E iiij Et 1
2584 MERCURE DE FRANCE
Couronne l'Eternel d'une nouvelle gloire ,
Ces zélez courtisans ; ces illustres rivaux ,
Changez par l'Esprit Saint en des hommes nouveaux
,
Vont répandre chez eux la semence feconde ,
Qui doit de ses erreurs purifier le monde ;
Les Gentils au vrai Dieu consacrent leurs Autels ,
Entraînent avec eux le reste des mortels ;
Le Très- Haut s'applaudit , et pour prix de leur
zelę ,
Dans les Cieux leur prépare une Palme immortelle
.
J
POEM E.
E chante les saints Rois qui des bords de l'Asie
,
Vinrent à Bethéem adorer le Messie ,
Et qui par
leur respects , leur amour et leur foy ,
Furent marquez du Sceau de la nouvelle loy.
!
O toi , divin rayon qui leur servit de guide
Esprit , qui rassuras leur démarche timide ,
Tu peus seul mé guider dans un si grand dessein,
Sans ton secours ma voix s'éforceroit en vain ,
Source de verité prête - moi ton langage ,
Que chacun dans mes vers admire ton ouvrage
Ce jour , cet heureux jour si long- tems attendu
Ne tient plus des humains le bonheur suspendu ,
Les Chantres immortels des celebrès portiques ,
Du Redempteur qui naît entonnent des Cantiques
L'Univers attentif applaudit aux Concerts
Dont la sainte harmonie éclate dans les airs.
Tout anonce sa gloire, et qui peut méconnoître ,
Le Sauveur d'Israël que la terre voit naître ?
Trois Rois , chéris du Dieu , qui répand ses
bienfaits ,
'Aperçoivent , ravis , le signal de la paix ,
2
E iij Es
2582 MERCURE DE FRANCE
Et par l'heureux secours d'un brillant caractere
Pénétrent le secret de l'auguste Myftere.
Le germe de la foy qui fructifie en eux ,
Les assure dèslors du succès de leurs veux ,
Et versant dans leurs coeurs une allégresse extrême,
Soumet à leur devoir , l'orgueil du diadême ,
Ils partent de ces bords , que d'un oeil tout rian
Embell it le Soleil , sorti de l'Orient ;
Le rayon répandu sous la voute azurée
Vient tracer à leurs yeux une route assurée,
Déja Sion les voit , cherchant le nouveau né ,
Rassembler autour d'eux , un grand peuple éton
né ,
Ils parlent et soudain Jérusalem se trouble ,
D'Herode , soupçonneux , l'épouvante redouble ;
Il consulte , effrayé , les Docteurs de la Loy ,
Mais leur réponse encore augmente son effroy ;
Et reveille en son coeur sa fureur homicide.
Le traitre cependant , sous un dehors perfide ,
Voit les Mages , s'informe , et cachant dans son
sein ,
Du plus noir attentat , le barbare dessein
Béthléem, leur dit - il , est l'endrolt où l'on pense.
Que le CHRIST des Hébreux peut avoir pris naissance
,
Allez lui rendre hommage , Hérode avec sa Cour,
Pour l'aller adorer , attend votre retour.
Cet Ennemi juré , de la race chérie ,
ComNOVEMBRE.
1731. 258 ž
Comme un loup ravissant , qu'anime la furie
Dans son piége bien - tôt croit tenir cet enfant ,,
Immolê sous les coups d'un Couteau triom
phant.
Ministre des enfers , ton esperance est vaine ;
Celui qui s'est soumis à la nature humaine ,
Est le Fils du Tres- haut , le même dont la voix "
Commande à l'Univers , et fait trembler les Rois
Son Berceau ne craint rien de tes mains criminelles
,
Un Chérubin le garde à l'ombre de ses aîles,
L'horreur d'un tel complot a fait pâlir les
cieux.
Hâtez - vous , sages Rois , d'abandonner ces
lieux ,
De vos pieds chancelans secouez la poussiere ;
Le rayon éclipsé , redonne sa lumiere.
Les Mages transportez d'amour et de plaisir ,
Découvrent le séjour , objet de leur désir .
Le celeste flambeau sur Béthléem s'arrête:
Son éclat est fixé sur une humble retraite ,
Là, se montre à leurs yeux l'enfant emmailloté
Entouré des rayons de sa divinité ;
Quel spectacle admirable ? Eh! quelle main puissante
Fait agir à l'instant la grace triomphante !
Leur coeur est devenu le
rampart de la foy ;
Les Mages transportez reconnoissent leur Roy ;
Et du Verbe fait chair , l'éclatante victoire ,
E iiij Et 1
2584 MERCURE DE FRANCE
Couronne l'Eternel d'une nouvelle gloire ,
Ces zélez courtisans ; ces illustres rivaux ,
Changez par l'Esprit Saint en des hommes nouveaux
,
Vont répandre chez eux la semence feconde ,
Qui doit de ses erreurs purifier le monde ;
Les Gentils au vrai Dieu consacrent leurs Autels ,
Entraînent avec eux le reste des mortels ;
Le Très- Haut s'applaudit , et pour prix de leur
zelę ,
Dans les Cieux leur prépare une Palme immortelle
.
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Résumé : L'ADORATION DES MAGES. POEME.
Le poème 'L'Adoration des Mages' relate l'arrivée des Rois Mages d'Asie à Bethléem pour adorer le Messie. Guidés par un rayon divin et une étoile brillante, ils découvrent la naissance du Christ. Leur foi et leur respect les conduisent à Bethléem, où ils trouvent l'enfant emmailloté. Leur cœur est transformé par l'Esprit Saint, et ils repartent pour répandre la foi. À Jérusalem, leur arrivée trouble Hérode, qui consulte les Docteurs de la Loi et dissimule ses intentions meurtrières en les envoyant à Bethléem. Le Christ est protégé par un chérubin. Les Mages reconnaissent leur Roi et purifient le monde de ses erreurs. Les Gentils consacrent leurs autels au vrai Dieu, et le Très-Haut leur prépare une palme immortelle dans les Cieux.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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20
p. 2714-2719
EXTRAIT d'une Lettre, écrite par l'Auteur du Voyage de Normandie, à Monsieur...
Début :
Je suis obligé, pour l'amour de la verité et de la justice, de passer condamnation [...]
Mots clefs :
Voyage de Normandie, Episcopat de Saint Renobert, Vérité, Erreur, Note, Mercure
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre, écrite par l'Auteur du Voyage de Normandie, à Monsieur...
XTRAIT d'une Lettre , écrite par
l'Auteur du Voyage de Normandie , à
•
·Monsieur...
E suis obligé , pour l'amour de la ve
rité et de la justice, de passer condamnation sur deux ou trois fautes qui me
sont échappées dans la neuviéme Lettre
je me suis donné l'honneur de vous que
écrire , au sujet de mon Voyage de Basse
Normandie, imprimée dans le Mercure
Jrité et de la justice,
1. Vol. du
DECEMBRE. 1732. 2716
du mois d'Octobre dernier. La premiere
faute regarde le temps de l'Episcopat de
S. Renobert , Evêque de Bayeux , que je
reconnois , avec les meilleurs critiques ,
devoir être fixé dans le vII siécle , contre
la Chronologie du Païs , qui fait vivre ce
Saint au ou au 4 siecle, Je devois m'en
tenir là , et ne pas qualifier dans le même
endroit le même Saint de second Evêque de Bayeux ; ce qui ne peut s'accorder
avec l'exacte verité , ct avec la Chrono
logie , qui n'a semblé la mieux fondée.
Il se trouve une autre faute au même
endroit et sur le même sujet; mais elle est
si lourde et si frapante , que nul Lecteur
éclairé ne pourra jamais me l'imputer
personnellement. Je rapporte pour preuve que S. Renobert n'a vécu qu'au vn *
siecle qu'il assista en 630 à un Concile de Rheims. Au lieu de 630 , on a
imprimé 1630 ; mais cela , comme je l'ai
dit ne peut faire illusion à personne.
Cette preuve , au reste du temps de l'Episcopat de S. Reinobert , avoit déja été
employée par le R. P- Tournemine, dans
le Journal de Trevoux , d'Octobre 1714,
pag. 1780. contre l'Historien du Diocèse
de Bayeux , qu'une Legende fabuleuse
trompé sur cet article.
و
Une erreur plus considerable se trouve
I. Vol. Iiij
2716 MERCURE DE FRANCE
à la suite de ma Lettre , pag. 2128. à l'occasion de la ceremonie de la premiereEntrée publique des Evêques de Bayeuxdans cette Ville , et de la prise de possession de leur Eglise ; ceremonie dont
j'ai rapporté le précis , tiré du Procès .
verbal dressé en 1662. de ce qui fut observé en pareille occasion , à l'égard de
M. de Nesmond.
tre ,
Une Note mise au bas de cette page ,.
fait remarquer que la même ceremonie a
été renouvellée depuis peu de temps , à.
la prise de possession de M. de Luynes
actuellement Evêque de Bayeux , et qu'il.
ena paru une Relation en forme de Letaddressée par M. le Chevalier de
S.Jory , à Madame la Duchesse de Chevreuse , imprimée à Caën. Cette Relation , continue la Note , où il ne falloit
que de la simplicité et de l'exactitude, est
si pleine d'emphase et de choses déplacées , qu'on peut dire qu'elle n'a contenté personne.
Tout cela , à l'exception du renouvellement de la cerémonie, est erronné ; car la
veritable relation de cette cerémonie , qui
a été faite par M. le Chevalier de S. Jory , ne merite rien moins que cette qualification. Si quand on écrit on pouvoit
tout voir d'abord et tout éclaircir par soi1. vol. même
DECEMBRE. 1732. 2717
même , on ne seroit pas sujet à être trom-
, comme je l'ai effectivement été dans
le fait en question. Deux mots vont vous
apprendre comment.
•pé
>
Fort peu de tems après la prise de possession de M. de Luynes , un Professeur
d'Humanitez à Caën m'envoya une assez
ample relation de la cerémonie , compo
sée , disoit-il dans sa Lettre , par M. le
Chevalier de S. Jory en forme de Lettre
à M. la Duchesse de Chevreuse , et copiée sur l'Imprimé à Caën. Il est vrai que
cette copie étoit un Ouvrage tel que je
l'ai représenté dans la Note en question
et que personne de tous ceux à qui je le
communiquai n'en fut content : mais il
est vrai aussi que depuis l'impression de
ma IX. Lettre , la veritable Relation de
M. de S.Jory , imprimé à Caën chez Ca- velier , broch. in- 4. de 16 pages , adressée à Madame de Chevreuse , m'étant parvenue presque par hazard , j'ai reconnu
un Ouvrage tout différent , c'est-à- dire
une bonne Piéce , et fort bien écrite. J'ai
appris depuis que la personne , qui m'avoit envoyé la Relation manuscrite avoit
pris la liberté de la défigurer entierement
par des Additions , par des changemens
et par tout le mauvais qu'il y mit de son
chef, et jusqu'à des Vers de sa façon , ce
,
1. Vol. I iiij qui
2718 MERCURE DE FRANCE
qui donna lieu à ma remarque un peut
prématurée , et faite sur un veritable mal
entendu.
Je suis d'autant plus fâché de cette erreur , que je ne sçaurois trop-tôt rectifier , que plusieurs personnes de mérite
m'ont assûréque M. le Chevalier de S. Jory , que je n'ai pas l'honneur de connoître , est un très- galant homme qui pense
et écrit parfaitement bien, ce queje reconnois aujourd'hui moi- même , et que la
Remarque en question porte à faux , et
ne peut jamais le regarder.
.
L'Acte du doüaire de Judith , Comtesse de Normandie , de l'an 1008. publié
par D. Martenne dans le 1.tom. de ses
Anecdotes , qui contient les noms de plusieurs Bourgs de Normandie , fait actuellement le sujet des recherches dont
vous avez besoin. J'ai envoyé votre Mé
moire à notre habile Médecin de Caën
dont vous me parlez ; je sçai trop ce que
c'est que de s'adresser à des gens superficiels , ou prévenus de leur prétenduë capacité. Sa réponse , que j'attens, vous sera
exactement envoyée.
J'ai vu ici cet Eté le nouvel Historien
du Diocèse de Rouen. Il continuë son
travail avec toute l'ardeur possible , et il
ya tout lieu d'en attendre un bon suc1. Vel. cès.
DECEMBRE. 1732. 2719
cès. Vous avez vû un échantillon de son
exactitude et de son amour pour la verité.
dans un des derniers Mercures , à l'occasion de quelques Endroits de son Histoire
du Diocèse de Meaux. Tous les hommes
peuvent se tromper , mais tous ne sont
pas également disposez à reconnoître leurs
erreurs. Je suis , &c.
AParis , lex Decembre 1732.
l'Auteur du Voyage de Normandie , à
•
·Monsieur...
E suis obligé , pour l'amour de la ve
rité et de la justice, de passer condamnation sur deux ou trois fautes qui me
sont échappées dans la neuviéme Lettre
je me suis donné l'honneur de vous que
écrire , au sujet de mon Voyage de Basse
Normandie, imprimée dans le Mercure
Jrité et de la justice,
1. Vol. du
DECEMBRE. 1732. 2716
du mois d'Octobre dernier. La premiere
faute regarde le temps de l'Episcopat de
S. Renobert , Evêque de Bayeux , que je
reconnois , avec les meilleurs critiques ,
devoir être fixé dans le vII siécle , contre
la Chronologie du Païs , qui fait vivre ce
Saint au ou au 4 siecle, Je devois m'en
tenir là , et ne pas qualifier dans le même
endroit le même Saint de second Evêque de Bayeux ; ce qui ne peut s'accorder
avec l'exacte verité , ct avec la Chrono
logie , qui n'a semblé la mieux fondée.
Il se trouve une autre faute au même
endroit et sur le même sujet; mais elle est
si lourde et si frapante , que nul Lecteur
éclairé ne pourra jamais me l'imputer
personnellement. Je rapporte pour preuve que S. Renobert n'a vécu qu'au vn *
siecle qu'il assista en 630 à un Concile de Rheims. Au lieu de 630 , on a
imprimé 1630 ; mais cela , comme je l'ai
dit ne peut faire illusion à personne.
Cette preuve , au reste du temps de l'Episcopat de S. Reinobert , avoit déja été
employée par le R. P- Tournemine, dans
le Journal de Trevoux , d'Octobre 1714,
pag. 1780. contre l'Historien du Diocèse
de Bayeux , qu'une Legende fabuleuse
trompé sur cet article.
و
Une erreur plus considerable se trouve
I. Vol. Iiij
2716 MERCURE DE FRANCE
à la suite de ma Lettre , pag. 2128. à l'occasion de la ceremonie de la premiereEntrée publique des Evêques de Bayeuxdans cette Ville , et de la prise de possession de leur Eglise ; ceremonie dont
j'ai rapporté le précis , tiré du Procès .
verbal dressé en 1662. de ce qui fut observé en pareille occasion , à l'égard de
M. de Nesmond.
tre ,
Une Note mise au bas de cette page ,.
fait remarquer que la même ceremonie a
été renouvellée depuis peu de temps , à.
la prise de possession de M. de Luynes
actuellement Evêque de Bayeux , et qu'il.
ena paru une Relation en forme de Letaddressée par M. le Chevalier de
S.Jory , à Madame la Duchesse de Chevreuse , imprimée à Caën. Cette Relation , continue la Note , où il ne falloit
que de la simplicité et de l'exactitude, est
si pleine d'emphase et de choses déplacées , qu'on peut dire qu'elle n'a contenté personne.
Tout cela , à l'exception du renouvellement de la cerémonie, est erronné ; car la
veritable relation de cette cerémonie , qui
a été faite par M. le Chevalier de S. Jory , ne merite rien moins que cette qualification. Si quand on écrit on pouvoit
tout voir d'abord et tout éclaircir par soi1. vol. même
DECEMBRE. 1732. 2717
même , on ne seroit pas sujet à être trom-
, comme je l'ai effectivement été dans
le fait en question. Deux mots vont vous
apprendre comment.
•pé
>
Fort peu de tems après la prise de possession de M. de Luynes , un Professeur
d'Humanitez à Caën m'envoya une assez
ample relation de la cerémonie , compo
sée , disoit-il dans sa Lettre , par M. le
Chevalier de S. Jory en forme de Lettre
à M. la Duchesse de Chevreuse , et copiée sur l'Imprimé à Caën. Il est vrai que
cette copie étoit un Ouvrage tel que je
l'ai représenté dans la Note en question
et que personne de tous ceux à qui je le
communiquai n'en fut content : mais il
est vrai aussi que depuis l'impression de
ma IX. Lettre , la veritable Relation de
M. de S.Jory , imprimé à Caën chez Ca- velier , broch. in- 4. de 16 pages , adressée à Madame de Chevreuse , m'étant parvenue presque par hazard , j'ai reconnu
un Ouvrage tout différent , c'est-à- dire
une bonne Piéce , et fort bien écrite. J'ai
appris depuis que la personne , qui m'avoit envoyé la Relation manuscrite avoit
pris la liberté de la défigurer entierement
par des Additions , par des changemens
et par tout le mauvais qu'il y mit de son
chef, et jusqu'à des Vers de sa façon , ce
,
1. Vol. I iiij qui
2718 MERCURE DE FRANCE
qui donna lieu à ma remarque un peut
prématurée , et faite sur un veritable mal
entendu.
Je suis d'autant plus fâché de cette erreur , que je ne sçaurois trop-tôt rectifier , que plusieurs personnes de mérite
m'ont assûréque M. le Chevalier de S. Jory , que je n'ai pas l'honneur de connoître , est un très- galant homme qui pense
et écrit parfaitement bien, ce queje reconnois aujourd'hui moi- même , et que la
Remarque en question porte à faux , et
ne peut jamais le regarder.
.
L'Acte du doüaire de Judith , Comtesse de Normandie , de l'an 1008. publié
par D. Martenne dans le 1.tom. de ses
Anecdotes , qui contient les noms de plusieurs Bourgs de Normandie , fait actuellement le sujet des recherches dont
vous avez besoin. J'ai envoyé votre Mé
moire à notre habile Médecin de Caën
dont vous me parlez ; je sçai trop ce que
c'est que de s'adresser à des gens superficiels , ou prévenus de leur prétenduë capacité. Sa réponse , que j'attens, vous sera
exactement envoyée.
J'ai vu ici cet Eté le nouvel Historien
du Diocèse de Rouen. Il continuë son
travail avec toute l'ardeur possible , et il
ya tout lieu d'en attendre un bon suc1. Vel. cès.
DECEMBRE. 1732. 2719
cès. Vous avez vû un échantillon de son
exactitude et de son amour pour la verité.
dans un des derniers Mercures , à l'occasion de quelques Endroits de son Histoire
du Diocèse de Meaux. Tous les hommes
peuvent se tromper , mais tous ne sont
pas également disposez à reconnoître leurs
erreurs. Je suis , &c.
AParis , lex Decembre 1732.
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Résumé : EXTRAIT d'une Lettre, écrite par l'Auteur du Voyage de Normandie, à Monsieur...
Dans une lettre, un auteur corrige des erreurs présentes dans sa neuvième lettre publiée dans le Mercure de France en décembre 1732. Il reconnaît deux fautes concernant l'épiscopat de Saint Renobert, évêque de Bayeux. Premièrement, il situe son épiscopat au VIIe siècle, contrairement à la chronologie locale qui le place au IIIe ou IVe siècle. Deuxièmement, une faute d'impression indique que Saint Renobert aurait assisté à un concile en 1630 au lieu de 630. L'auteur mentionne également une erreur plus significative concernant la cérémonie de la première entrée publique des évêques de Bayeux. Il avait rapporté une relation erronée de cette cérémonie, basée sur une copie altérée par un professeur d'humanité de Caen. La véritable relation, écrite par le chevalier de Saint-Jory et adressée à la duchesse de Chevreuse, est bien écrite et mérite reconnaissance. L'auteur exprime son regret pour ces erreurs et souligne l'importance de la vérification des informations. Il mentionne également des recherches en cours sur l'acte du douaire de Judith, comtesse de Normandie, en 1008. Il parle aussi de l'historien du diocèse de Rouen, qui travaille avec exactitude et amour pour la vérité.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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21
p. 2806-2814
DISCOURS sur ces paroles: Le Sage profite de ses fautes.
Début :
L'Homme sujet aux passions et à l'erreur, en devient le joüet, quand il [...]
Mots clefs :
Sage, Erreur, Homme, Fragilité, Vérité, Misère, Orgueil, Ressources, Voeux
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texteReconnaissance textuelle : DISCOURS sur ces paroles: Le Sage profite de ses fautes.
DISCOURS sur ces paroles : Le Sage
profite de ses fautes,
L'
'Homme sujet aux passions et à l'erreur , en devient le jouet , quand il
s'y livres orgueilleux autant que miserable il ne rougit pas de sa misere. Il erre
presque à chaque instant , et attentif seulement à se dissimuler ses fautes , il ne
pense ni à les réparer , ni à s'en corriger ;
elles se multiplient cependant , et il s'endort au bord du précipice , où elles vont
bien-tôt l'entraîner.
Mais celui qui a appris à se connoître
soi- même , qui, convaincu de sa fragilité
loin de se flatter ou de s'étourdir sur ses
égaremens , s'occupe du soin d'y remédier ; celui-là est vraiment sage , il s'applique à connoître ses fautes , et il sçaię
en profiter.
I. Partie. Nous fuyons naturellement
tout ce qui peut diminuer en nous l'idée
de notre excellence ; chimere précieuse
que nous portons par tout avec nous , elle
domine sur nos actions et sur nos pensées ; c'est à nos yeux l'empire de la rai
son même ; et si chacun de nous en étoit
{
11. Vol, crû
DECEMBRE. 1932. 2807
crû sur son jugement , tous les autres
hommes reconnoîtroient sa superiorité
sans hesiter , et lui donneroient la préference qu'il se donne lui- même. Or , peuton avec ces principes penser seulement
qu'on soit susceptible d'erreur , et ne panche t'on pas vers l'opinion contraire?
Supposons cependant comme une vérité
connue , que tous les hommes conviennent interieurement qu'ils sont sujets à
faillir , le sentiment est inutile s'il ne les
porte à chercher à connoître leurs fautes
pour travailler à se corriger ; et je dis qu'il
que le Sage qui puisse se résoudre
dans cette vûë , à l'éxamen necessaire
pour les connoître , et que lui seul peut
parvenir à cette connoissance sans s'y
méprendre.
n'est
Quel autre que lui pourroit en être capable ? quel autre peut plier sa volonté
et chercher à découvrir toute sa misere?
Je m'en rapporte à vous hommes du siecle , soyez vous-mêmes les juges du Sage ;
dites-nous ce qu'il lui en coûte et ce qu'il
merite.
Que vous ayez une répugnance extrê
me pour cet éxamen , je n'en suis pas surpris ? car à quoi vous engage- t'il , à des
refléxions qui vous troublent , à des recherches qui vous gênent , que l'amour
II. Vol. Diij pro-
2808 MERCURE DE FRANCE
>
propre désayoüe , et dont il est allarmé ;
vous aimez cette douce indolence dans
laquelle vous avez accoûtumé de vivre
détournant les yeux de tout ce qui nous
choque , pour ne les arrêter que sur ce
qui vous flatte. Pouvez- vous vous en arracher sans effort , et rentrer dans vousmême pour y chercher vos défauts ; repasser sur vos foiblesses , vos caprices, vos
bévûës ; vous regarder, en un mot, par les
endroits les plus humiliants ? de quel
courage n'avez vous pas besoin ? que de
combats à livrer , que d'obstacles à surmonter ; il faut vous vaincre vous- même,
ou, pour mieux dire , il faut soumettre
un Tiran absolu , et quel tiran , l'orgueil
humain ! avouez le , l'entreprise est audessus de vos forces ; certe gloire est ré
servée au Sage.
Direz-vous que vous en avez triomphé,
et qu'il ne s'oppose plus à votre dessein ?
ne vous flattés pas la victoire est grande , il est vrai , mais elle n'est pas complette , tenés-vous toujours sur vos gardes l'ennemi que vous croyés avoir
dompté est ingenieux à réparer ses pertes ; s'il ne vous résiste plus à force ouverte , il employera la ruse et l'artifice
il ne sera pas moins dangereux dans cette
>
I. Vol. espe-
DECEMBRE. 1732. 2809
espece de combat : le Sage même a de la
peine à s'en garantir.
>
Atrendez - vous à le voir faire votre
apologie sur tous vos deffauts ; vous les
représenter au moins comme des qualitez indifférentes , peut être même comme
des vertus. Il vous déguisera vos fautes
cachera , ou ne vous montrera que dans
le lointain celles qu'il ne pourra pas colorer , vous justifiera sur toutes , et les
rejettera sur des causes étrangeres ; sur les
caprices de la fortune , la bizarrerie des
circonstances , la contrainte des bienséances ; en un mot , sur tout ce qui ne dépend pas de vous et vous serez seul
excusable , irréprehensible , loüable même; car ne vous y trompez pas ; si dans
le cours de votre vie vous avez acquis
quelque gloire , ou quelque avantage ,
c'est à votre merite seul que vous devez
l'attribuer ; le bien est venu et viendra
toujours de vous , le mal ne peut venir
que de l'injustice du sort.
C'est ainsi que notre orgüeil nousjoue
il nous aveugle pour nous conduire où il
veut , et comme il lui plaît ; heureux
l'homme qui en a secoué le joug , qui
sçait éviter ses pieges , et se dérober à ses
souplesses ! Cette felicité n'est pas un présent de la Nature , ou du hazard ; elle est
II. Vol. D
le iiij
2810 MERCURE DE FRANCE
le prix de l'étude , des refléxions , et des
efforts du Sage ; prix inestimable dont le
Sage fait un usage digne de lui , en s'appliquant à connoître ses fautes. Degagé
des liens dans lesquels les autres hommes
sont retenus , aucun obstacle ne l'arrête ;
il foüille dans les replis les plus secrets da
son cœur , éxamine , observe , médite
l'amour de la verité l'anime , elle est l'objet de toutes ses recherches , et la connoissance de ses fautes ne fait que l'exciter à des nouveaux progrès. Il ne se borne
pas seulement à les connoître , il a aussi
l'avantage d'en profiter.
II. Partie. Le Sage n'est pas plus susceptible de découragement que de présomption , son égalité ne se dément jamais. Il est moins troublé , moins abba
tu par la connoissance de ses fautes , qu'animé à les réparer. Il n'est occupé du
desir d'avancer de plus en plus dans le
chemin de la vertu , et tendant toujours
à ce but qu'il ne perd pas de vue , il tourne , en quelque sorte , à son utilité , ou à
sa gloire , ce qui fait le désespoir , ou la
honte de l'homme découragé.
Mais de quels moyens se sert il ? quelles sont ses ressources ? le Ciel l'a-t'il
mieux partagé que vous ? ou se trouveil toujours dans des circonstances si faII. Vol. vora-
DECEMBRE. 1732. 2811
vorables , qu'elles ne lui laissent presque
rien à faire pour réussir ? Non ; vous avez
reçû autant que lui ; ce qu'il a de plus il
le doit à lui- même ; c'est un bien acquis
que vous pouvez acquerir comme lui. Sa
prudence , sa fermeté , sa patience , son
activité , sa vigilance , vertus dont les
semences sont en vous comme en lui
mais qu'il a cultivées , lui rendent facile
ce que les vices contraires rendent impossible pour vous,
- D'où vient cette tristesse profonde ? cet
accablement qui vous interdit l'usage des
sens ? quel est l'évenement funeste qui le
cause ? est- ce un malheur irréparable ? je
le vois ; votre imprudence vous a attiré
quelque disgrace , et votre lâcheté ne
vous laisse de sentiment que pour suc-.
comber approchez , homme foible , venez apprendre du Sage , que les coups de
la fortune ne doivent jamais ni vous décourager , ni vous abbattre , et que vos
fautes même peuvent vous être utiles , si
vous sçavez en profiter.
:
Ses leçons vous toucheront si votre veritable interêt vous rouche ; il ne les réduit pas à une théorie stérile ; c'est une
pratique animée , dont il est lui- même
l'exemple Vous le verrez sensible aux divers accidens dont sa vie est traversée :
II. Vole Dy mais
2812 MERCURE DE FRANCE
mais d'une sensibilité ingenieuse qui lui
fournit les ressources , les expédiens et les
consolations qui vous manquent. Il s'applique à découvrir les causes de ces accidens : sont-ils arrivez par sa faute ? c'est
pour lui un sujet d'humilité : mais toujours ferme, toujours actif, il ne néglige
aucun des moyens honnêtes par lesquels
il peut y rémedier ; prudent, il choisit avec
discernement ceux qui sont les plus propres pour son dessein ; patient , il attend
sans murmure le succès qu'il peut se promettre raisonnablement ; modeste , il ne
s'applaudit pas ; la vanité et l'ostentation
n'eurent jamais de part à ses démar
ches.
Son attention s'étend à tout ce que la
combinaison des differentes circonstances
peut lui faire envisager ; rien ne lui échape. Il trouve toujours dans ses fautes même ou les moyens de les réparer , ou la
matiere d'un nouveau merite par l'usage
qu'il en sçait faire , et elles lui' servent
quelquefois à manifester ses talens inconnus jusques-là , et qui peut- être l'auroient
toujours été.
Si le Sage ne peut pas réparer toutes ses
fautes , il peut toujours en profiter , et il
en profite en effet : celles qui peuvent être
réparées occupent son activité , sa vigi- II. Vol. lance,
DECEMBRE. 1732. 2813
lance , sa prudence ; toutes exercent sa
fermeté , sa patience , et son humilité ;
vertus cheries ausquelles il doit cette égalité d'ame quiforme son caractere , et que
rien ne peut alterer ; elles lui tiennent lieu
des consolations les plus douces , et des
dédomagemens les plus désirables , parce
que les espérances et les avantages du siecle ne le touchent qu'à proportion du rapport qu'ils peuvent avoir avec ce bien
précieux qui fait sa felicité.
Mais il a encore d'autres ressources ; accoûtumé à refléchir et à méditer , les refléxions qu'il fait sur ses fautes , lui apprennent à en éviter de nouvelles ; elles lui
servent à former une régle de conduite
qu'il suit éxactement , et qui le garantit
des rechûtes. Ennemi du vice , il fuit les
occasions , et même les apparences du mal.
Zelé sectateur de la vertu , il se porte toujours au bien , et il aspire sans relâche à la
perfection.
C'est là l'objet de tous ses vœux , de
tous ses desirs , de tous ses efforts. Mais
travaillant sans cesse à se rendre meilleur
il est résigné en tout à la volonté de celui
qui couronne la Sagesse. Grand Dieu, faites que nous soyons ses imitateurs , et
donnez- nous un rayon de cette lumiere
qui conduit à la verité , pour qu'avec ce
11. Vol.
Dvj pi
2814 MERCURE DE FRANCE
divin secours nous puissions connoître
les fautes que nous avons commises contre
votre sainte Loy , les détester , et en profiter par une penitence salutaire qui les fasse servir en quelque sorte , à Votre
gloire , à l'édification de votre Eglise , et à notre sanctification.
Par M. D. S.
profite de ses fautes,
L'
'Homme sujet aux passions et à l'erreur , en devient le jouet , quand il
s'y livres orgueilleux autant que miserable il ne rougit pas de sa misere. Il erre
presque à chaque instant , et attentif seulement à se dissimuler ses fautes , il ne
pense ni à les réparer , ni à s'en corriger ;
elles se multiplient cependant , et il s'endort au bord du précipice , où elles vont
bien-tôt l'entraîner.
Mais celui qui a appris à se connoître
soi- même , qui, convaincu de sa fragilité
loin de se flatter ou de s'étourdir sur ses
égaremens , s'occupe du soin d'y remédier ; celui-là est vraiment sage , il s'applique à connoître ses fautes , et il sçaię
en profiter.
I. Partie. Nous fuyons naturellement
tout ce qui peut diminuer en nous l'idée
de notre excellence ; chimere précieuse
que nous portons par tout avec nous , elle
domine sur nos actions et sur nos pensées ; c'est à nos yeux l'empire de la rai
son même ; et si chacun de nous en étoit
{
11. Vol, crû
DECEMBRE. 1932. 2807
crû sur son jugement , tous les autres
hommes reconnoîtroient sa superiorité
sans hesiter , et lui donneroient la préference qu'il se donne lui- même. Or , peuton avec ces principes penser seulement
qu'on soit susceptible d'erreur , et ne panche t'on pas vers l'opinion contraire?
Supposons cependant comme une vérité
connue , que tous les hommes conviennent interieurement qu'ils sont sujets à
faillir , le sentiment est inutile s'il ne les
porte à chercher à connoître leurs fautes
pour travailler à se corriger ; et je dis qu'il
que le Sage qui puisse se résoudre
dans cette vûë , à l'éxamen necessaire
pour les connoître , et que lui seul peut
parvenir à cette connoissance sans s'y
méprendre.
n'est
Quel autre que lui pourroit en être capable ? quel autre peut plier sa volonté
et chercher à découvrir toute sa misere?
Je m'en rapporte à vous hommes du siecle , soyez vous-mêmes les juges du Sage ;
dites-nous ce qu'il lui en coûte et ce qu'il
merite.
Que vous ayez une répugnance extrê
me pour cet éxamen , je n'en suis pas surpris ? car à quoi vous engage- t'il , à des
refléxions qui vous troublent , à des recherches qui vous gênent , que l'amour
II. Vol. Diij pro-
2808 MERCURE DE FRANCE
>
propre désayoüe , et dont il est allarmé ;
vous aimez cette douce indolence dans
laquelle vous avez accoûtumé de vivre
détournant les yeux de tout ce qui nous
choque , pour ne les arrêter que sur ce
qui vous flatte. Pouvez- vous vous en arracher sans effort , et rentrer dans vousmême pour y chercher vos défauts ; repasser sur vos foiblesses , vos caprices, vos
bévûës ; vous regarder, en un mot, par les
endroits les plus humiliants ? de quel
courage n'avez vous pas besoin ? que de
combats à livrer , que d'obstacles à surmonter ; il faut vous vaincre vous- même,
ou, pour mieux dire , il faut soumettre
un Tiran absolu , et quel tiran , l'orgueil
humain ! avouez le , l'entreprise est audessus de vos forces ; certe gloire est ré
servée au Sage.
Direz-vous que vous en avez triomphé,
et qu'il ne s'oppose plus à votre dessein ?
ne vous flattés pas la victoire est grande , il est vrai , mais elle n'est pas complette , tenés-vous toujours sur vos gardes l'ennemi que vous croyés avoir
dompté est ingenieux à réparer ses pertes ; s'il ne vous résiste plus à force ouverte , il employera la ruse et l'artifice
il ne sera pas moins dangereux dans cette
>
I. Vol. espe-
DECEMBRE. 1732. 2809
espece de combat : le Sage même a de la
peine à s'en garantir.
>
Atrendez - vous à le voir faire votre
apologie sur tous vos deffauts ; vous les
représenter au moins comme des qualitez indifférentes , peut être même comme
des vertus. Il vous déguisera vos fautes
cachera , ou ne vous montrera que dans
le lointain celles qu'il ne pourra pas colorer , vous justifiera sur toutes , et les
rejettera sur des causes étrangeres ; sur les
caprices de la fortune , la bizarrerie des
circonstances , la contrainte des bienséances ; en un mot , sur tout ce qui ne dépend pas de vous et vous serez seul
excusable , irréprehensible , loüable même; car ne vous y trompez pas ; si dans
le cours de votre vie vous avez acquis
quelque gloire , ou quelque avantage ,
c'est à votre merite seul que vous devez
l'attribuer ; le bien est venu et viendra
toujours de vous , le mal ne peut venir
que de l'injustice du sort.
C'est ainsi que notre orgüeil nousjoue
il nous aveugle pour nous conduire où il
veut , et comme il lui plaît ; heureux
l'homme qui en a secoué le joug , qui
sçait éviter ses pieges , et se dérober à ses
souplesses ! Cette felicité n'est pas un présent de la Nature , ou du hazard ; elle est
II. Vol. D
le iiij
2810 MERCURE DE FRANCE
le prix de l'étude , des refléxions , et des
efforts du Sage ; prix inestimable dont le
Sage fait un usage digne de lui , en s'appliquant à connoître ses fautes. Degagé
des liens dans lesquels les autres hommes
sont retenus , aucun obstacle ne l'arrête ;
il foüille dans les replis les plus secrets da
son cœur , éxamine , observe , médite
l'amour de la verité l'anime , elle est l'objet de toutes ses recherches , et la connoissance de ses fautes ne fait que l'exciter à des nouveaux progrès. Il ne se borne
pas seulement à les connoître , il a aussi
l'avantage d'en profiter.
II. Partie. Le Sage n'est pas plus susceptible de découragement que de présomption , son égalité ne se dément jamais. Il est moins troublé , moins abba
tu par la connoissance de ses fautes , qu'animé à les réparer. Il n'est occupé du
desir d'avancer de plus en plus dans le
chemin de la vertu , et tendant toujours
à ce but qu'il ne perd pas de vue , il tourne , en quelque sorte , à son utilité , ou à
sa gloire , ce qui fait le désespoir , ou la
honte de l'homme découragé.
Mais de quels moyens se sert il ? quelles sont ses ressources ? le Ciel l'a-t'il
mieux partagé que vous ? ou se trouveil toujours dans des circonstances si faII. Vol. vora-
DECEMBRE. 1732. 2811
vorables , qu'elles ne lui laissent presque
rien à faire pour réussir ? Non ; vous avez
reçû autant que lui ; ce qu'il a de plus il
le doit à lui- même ; c'est un bien acquis
que vous pouvez acquerir comme lui. Sa
prudence , sa fermeté , sa patience , son
activité , sa vigilance , vertus dont les
semences sont en vous comme en lui
mais qu'il a cultivées , lui rendent facile
ce que les vices contraires rendent impossible pour vous,
- D'où vient cette tristesse profonde ? cet
accablement qui vous interdit l'usage des
sens ? quel est l'évenement funeste qui le
cause ? est- ce un malheur irréparable ? je
le vois ; votre imprudence vous a attiré
quelque disgrace , et votre lâcheté ne
vous laisse de sentiment que pour suc-.
comber approchez , homme foible , venez apprendre du Sage , que les coups de
la fortune ne doivent jamais ni vous décourager , ni vous abbattre , et que vos
fautes même peuvent vous être utiles , si
vous sçavez en profiter.
:
Ses leçons vous toucheront si votre veritable interêt vous rouche ; il ne les réduit pas à une théorie stérile ; c'est une
pratique animée , dont il est lui- même
l'exemple Vous le verrez sensible aux divers accidens dont sa vie est traversée :
II. Vole Dy mais
2812 MERCURE DE FRANCE
mais d'une sensibilité ingenieuse qui lui
fournit les ressources , les expédiens et les
consolations qui vous manquent. Il s'applique à découvrir les causes de ces accidens : sont-ils arrivez par sa faute ? c'est
pour lui un sujet d'humilité : mais toujours ferme, toujours actif, il ne néglige
aucun des moyens honnêtes par lesquels
il peut y rémedier ; prudent, il choisit avec
discernement ceux qui sont les plus propres pour son dessein ; patient , il attend
sans murmure le succès qu'il peut se promettre raisonnablement ; modeste , il ne
s'applaudit pas ; la vanité et l'ostentation
n'eurent jamais de part à ses démar
ches.
Son attention s'étend à tout ce que la
combinaison des differentes circonstances
peut lui faire envisager ; rien ne lui échape. Il trouve toujours dans ses fautes même ou les moyens de les réparer , ou la
matiere d'un nouveau merite par l'usage
qu'il en sçait faire , et elles lui' servent
quelquefois à manifester ses talens inconnus jusques-là , et qui peut- être l'auroient
toujours été.
Si le Sage ne peut pas réparer toutes ses
fautes , il peut toujours en profiter , et il
en profite en effet : celles qui peuvent être
réparées occupent son activité , sa vigi- II. Vol. lance,
DECEMBRE. 1732. 2813
lance , sa prudence ; toutes exercent sa
fermeté , sa patience , et son humilité ;
vertus cheries ausquelles il doit cette égalité d'ame quiforme son caractere , et que
rien ne peut alterer ; elles lui tiennent lieu
des consolations les plus douces , et des
dédomagemens les plus désirables , parce
que les espérances et les avantages du siecle ne le touchent qu'à proportion du rapport qu'ils peuvent avoir avec ce bien
précieux qui fait sa felicité.
Mais il a encore d'autres ressources ; accoûtumé à refléchir et à méditer , les refléxions qu'il fait sur ses fautes , lui apprennent à en éviter de nouvelles ; elles lui
servent à former une régle de conduite
qu'il suit éxactement , et qui le garantit
des rechûtes. Ennemi du vice , il fuit les
occasions , et même les apparences du mal.
Zelé sectateur de la vertu , il se porte toujours au bien , et il aspire sans relâche à la
perfection.
C'est là l'objet de tous ses vœux , de
tous ses desirs , de tous ses efforts. Mais
travaillant sans cesse à se rendre meilleur
il est résigné en tout à la volonté de celui
qui couronne la Sagesse. Grand Dieu, faites que nous soyons ses imitateurs , et
donnez- nous un rayon de cette lumiere
qui conduit à la verité , pour qu'avec ce
11. Vol.
Dvj pi
2814 MERCURE DE FRANCE
divin secours nous puissions connoître
les fautes que nous avons commises contre
votre sainte Loy , les détester , et en profiter par une penitence salutaire qui les fasse servir en quelque sorte , à Votre
gloire , à l'édification de votre Eglise , et à notre sanctification.
Par M. D. S.
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Résumé : DISCOURS sur ces paroles: Le Sage profite de ses fautes.
Le texte 'Discours sur ces paroles: Le Sage profite de ses fautes' analyse la nature humaine et la sagesse. L'homme, souvent dominé par ses passions et ses erreurs, tend à dissimuler ses fautes plutôt que de les réparer, ignorant ainsi les dangers qu'il encourt. Le sage, en revanche, reconnaît ses faiblesses et s'efforce de les corriger. Il évite tout ce qui pourrait diminuer son idée d'excellence, une chimère précieuse qu'il porte toujours avec lui et qui guide ses actions et ses pensées. Le texte souligne que tous les hommes reconnaissent intérieurement leur susceptibilité à l'erreur, mais ils doivent chercher à connaître leurs fautes pour se corriger. Le sage est le seul capable de cet examen nécessaire pour connaître ses fautes sans se méprendre. L'homme ordinaire, quant à lui, a une répugnance extrême pour cet examen, car il implique des réflexions troublantes et des recherches gênantes. L'amour-propre désavoue ces efforts et préfère l'indolence, détournant les yeux de ce qui choque pour ne voir que ce qui flatte. Le sage, animé par l'amour de la vérité, utilise ses fautes comme des occasions de progrès. Il ne se contente pas de les connaître, mais les utilise pour avancer dans le chemin de la vertu. Contrairement à l'homme ordinaire, le sage cultive des vertus telles que la prudence, la fermeté, la patience, l'activité et la vigilance. Ces vertus lui rendent faciles les actions que les vices contraires rendent impossibles pour les autres. Le texte conclut en exhortant à imiter le sage, à connaître et à détester les fautes pour en profiter par une pénitence salutaire, au service de la gloire divine et de la sanctification personnelle.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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22
p. 22-34
LETTRE écrite à une Dame de Province, au sujet de la Critique du Spectacle de la Nature, par le R. P. G. Minime, inserée dans le Mercure de France du mois de Novembre dernier.
Début :
Vous avez donc lû, Madame, le Spectacle de la Nature ? Ce que vous [...]
Mots clefs :
Spectacle de la nature, Dialogues, Vérité, Critiques, Poème dramatique, Pièces de théâtre, Jeunes gens, Silence, Personnages, Lettres, Savants, Critique
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite à une Dame de Province, au sujet de la Critique du Spectacle de la Nature, par le R. P. G. Minime, inserée dans le Mercure de France du mois de Novembre dernier.
L E TTR écrire à une Dame de Province,
au sujet dard, Critique du Spectacle de
la Nature, par le R 1’. G rMinime,
inserée dans le Mercure de F rance du
mai: de Novembre dernier.
Ous avezhclonc lû , Madame , le
Spectacle de la Nature? Ce que vous
A m’cn avez écrit , me fait connoxtre qu’en
-. ' ' - Provincq
.‘ 'J
JANVIER. ‘I753. ‘a;
Ÿrovince comme à Paris , il trouve des
Apologistes et des Critiques, et que le
nombre des premiers y est , comme ici ,
le plus grand. Ce que les autres trou
vent à redire dans cet Ouvrage , ne porte
et ne peut porter aucune atteinte à son
mérite. Les sujets y sont traitez avec‘ tant
de gtace et de solidité , que les plus dif
‘ficiles sont obligez d'avouer que ce ne
peut être que la production d’un habile
‘homme. Ce seroit peu que ce Livre n’eût.
d’autres avantages que les beautez de la
Langue, et qu'il ne présenxât à l'esprit
qu'une vaine recherche de choses qui
dans le fond nous interessent peu: il y
a, on le peut dire, un vrai profit, je
‘ne dis pas à le" lire , mais à l'étudier.
L’Auteur ne s’est pas contenté d‘y t'as
sembler tout ce qui est le plus capabe de
ïpicqucr la curiosité , il s’est aussi appli
‘qué à nous faire comprendre Pusage qu'on
en doit faire, et à prescrire les bornes
qu’elle doit avoir. -
Qlelque bonne idée, dites vous, que
vous en ayez , et quelque excellv nt que
cet Ouvrage vous ait paiû et vous pa
roisse encore, vous rie-pouvez» vous em
' “cher de vous rendre aux raisons du
. P. G. Minime, dont la Lettre Criti
z _ que est , au ‘jugement de plusicgurs. ,' fort
" " ' ‘ judicieuse
'14 MERCURE DE FRANCE
judicieuse. Il est vrai que d’abord on est
frappé de ce u’il dit; mais si on y
prend bien garde , c’est que son stile aisé
et insinuant fait recevoir pour bon tout
ce qui, éxauniné de près , paroît tout
autrement. Je vous exposerai, si vous
voulez bien me le permettre , quelques
réflexions que j'ai Faites sur cette Lettre,
et je serai assez témeraire pour hazarder
de dire librement ce que j'en pense. Je
ne Pentteprcnds que parce que FAuteur
du Spectacle de la Nature a résolu de ne
I
, as re ondre.
P ~,UP I O d l du .
u 1l me soit permis e e 1re. nos
Sçavans ne devroient pas affecter tant
dîndifference pour les Critiques que l’on
fait de leurs Ouvrages. Il y en a,sans
doute , qui ne méritent pas dattention.
I.e faux et l'absurde qui y domine, les
détruit assez, et le meilleur moyen de
réfuter les Auteurs de ces Critiques , est
de garder le silence en les laissant s’ap
plaudir d'un triomphe imaginaire. Mais
qu’en confonde les bonnes Critiques avec
les mauvaises, c’est ce qui ne peut être
qu’injuste,et même , si je l’ose dire , peu
conforme à la charité.
L‘Amo.ur de la paix ne peut être 1e
"principe d’une t lle conduite , et quand
Vil seroit vrai , personne ne s'en persuade
a
J A N VI E R.’ I753.‘ a‘;
"t'a. Les uns prendront le silence d"un Au
teur censuré pour un mépris , et les autres
pourun aveu de ses erreurs; ce qui me
paroi‘: égalemïtt dangereux. A quoi ne
s’emportent pas ceux qui se croyent mé-‘
Prisez E OEe d’invectives de leur partÊ
souvent dans des Ecrits publics. Que de
termes peu mesurez! Et, le dirai je ? que
dïnjures débitées avec amphase et d'une
maniere siindigne du Christianisme! mais
cela n’est propre qu’à ceux qui se croyent
mêprisez. Qie ne disent et que ne pensent
pas ceux qui ont connoissance et de l’Ou—
vrage et de sa Critique? ils se laissent fa-a
cilement emporter â de vains. discours,
delà à la médisance et insensiblement-à la
calomnie. _
Ceux qui au contraire ont assez de va-Î
nité pour regarder le silence d’un Auteur
contre lequel ils auront écrit , comme
un aveu des fautes qu’ils prétendront avoir
relevées , ceux-là , dis- je , ne tardent:
gueres de s’enhardir à quelque chose de
plus , ils se familiarisent avec leurs prê
jugez , et y entraînent les simples et les
ignorans; enfin ils se croyent de grands
génies, et cette erreur dont on ne tra
vaille pas â les désabuser , les engage à
deshonorer la République des Lettres par
des fratras de\ Livres qui ne contiennent
le plus souvent que des mots:
f2? MERCURE DE FRANCE
z On me dira que de véritables Chrétiens
ne tomberont jamais dans l’un ni dans
_1’autre de ces excès. Il est vrai: mais peut
_on se flatter qu’en n'a affaire qu‘à de tol
les gens e Tout un PubliÊnÆst-"il päs té-'
moin de ce qui se passe , et entte-t-il dans
des vuës si justes et si saintes? 1l est né:
cessaire de lui faire connoitre la vérité soie
en avoiiant ses fautes de bonne foi , soit
en réfutant sans aigreur ce qui est injuse
tement censuré. Pardonnezomoi , Maclay-Ï
_me , cette petite disgression , je reviens
à la lettre du R. P. G.
_ Je ne puis y souffrir les équivoques de
Ioäanges et de blâme qui y regnent. (Lie!
est le but de la Critique , si ce n’est de
faire connoîtrc la vérité et de combattre
_lc Faux? Dira-t-on que c’est remplir cc
but, lotsqu’on ne ÿexplique que d’une
maniere équivoque? Il faut, et surtout
dans la Satyre , ÿexpliquer nettement , et
ne point aller chercher du mistcre où il n’y
en a point. C’est abuser de la Critique ,‘
que de ne la pas faire servir à montrer la.
-verité dans tout son jour , et à ne la faire
appercevoir qu'au travers d’une fausse
lueur, ou même d’une épaisse obscurité.
Le R. P. G. auroit pu-temperer quelques
‘termes qui sonnent mal, mais sans doute
il a agi de bonne foi. Il ne fam pas lui
prem’
JANVIE RA.‘ 17332-17
prctcr trop de malice; cela sera échappe’ à
son attention, et il n’aura pas manqué de
se condamner le remier là-dessus.
Bien difierent e vous , Madame ,le R.‘
P. trouve les Dialogues du Spectacle de la
nature froids et languissanrs 5 la raison
qu’il‘cn donne, c'est que les Interlocu
teurs ne lui plaisent pas , parce qu’ils lui
sont inconnus. Il voudroit qu'au lieu de
ceux-ci , on eut fait parler un Dcscartes ,
un Rohault, un P. Malebranchc, 85e. Il
veut prouver son sentiment par l’exem
pie du Poëme Dramatique, et il seroit d'a
vis que, comme dans celui-ci , on n’in-‘
troduisit dans le Dialogue que des homà
mes célebres Je serois tenté de croire que
le R.. P. G. ne cormoît pas bien la nature
ni du Dialogue ni du Poëme Dramatique.‘
Il est vrai qu’on ne perd rien à ignorer
celui-ci et qu’un bon Religieux n’en doit
prepdreconnoissanccqueäpour être mieux
en etat de faire senrirJe anger des SPCC!
taeles. Mais il fandroit être plus circons
pect sur ce qu'on avance. Comparer le
Dialogue au PoëmeDramatique , des:
comparer un sim le appartement à un
grand Palais‘, et ire qu’on_ peut se for
mer la même idée de cet Appartement
que de tout le Palais cl’ont il n’esr qu’une
très-petite partie: sur ce pied un Palais
‘ CI
O
'23 MER CURE DE FRANCE
en contiendroit une centaine d’aurres ,
comme un Poëme Dramatique renferme
roqir en luièmême trente ou quarante au
tres Poëmes Dramatiques , puisque toutes
les Scenes sont presque toujours autant '
de Dialogues, il est inutile dînsisrer sur:
le faux de cette comparaison , il se fait
assez sentir de lui même. Je remarquerai
seulement que les Dialogues sont suscepÂ
Iibles du grand et du merveilleux; ce
pendant le R. P. G. semblene mettre de
difïerence entre les Pièces de Thèarrè et
l'es Dialogues qu’en ce que lcs sujets de
ceux cl sont plus paisibles et plus rran-.
quilès que ceux quioccupenr no‘; Thèarres.
Il cuOEsoit du témoignage et de Pexem
le de Ciccrompour‘ llcur moyen dïnrerespsreroulveesrleqcuteeulres mdeainls
un Dialogue èroit de nefaire parler que
de ‘grands hommes qui se fussent rendus
fameux dans les Sciences sur lesquelles on
veut discourir. Le R. P. G. auroir pu
employer de bonnes raisons pour assurer
son sentiment, plutosr que d’allcr cheræ
cher dans I-Iorace des passages qui ne re
äardentque les Pièces de Théarre. Je veux
ien pour un moment qu’il n'y air point
de diflërence ( quant au fond) entre le
Poëme Dramatique et: le Dialogue. Alors
si des Pièces de Thèarre ont eu un grand
succès
JANVIE RJ17”. 2’
"succès , quoique le fonds et les personna
ges soient de pures fictions, il faut con
venir que des Dialogues dont le sujet est
important , mais dont les interlocuteurs
«sont imaginez , peuvent et avec plus de.
raison que ces Pieces , être du goût des
Sçavans. Or presque toutes les Coméq
dies n’ont d’autre fonds que la fiction
et d'autres personnages que des noms en
l'ait. .
Je ne veux pour preuve de ceci ue
les Comedies de Terence; elles ont ait
tadmiration de tous les siecles et sont en
core aujourdbui les délices des amateurs
des Belles-Lettres. Cependant comment
connoîtuon les personnages qui y jouent
leurs rôles? quel est leur Pays ‘.7 quelles
sont leurs grandes actions P ou dira-fion
que ces Pieccs si parfaites, ne sont pas
es Poëmes Dramatiques?
Le précepte d’Horace de nîmroduire
sur la Scene que des Heros connus , ne re-u.
garde que le Tragique. Encore ce Poëre ne‘
dit-il pas qu’on ne puisse passer outre,
et la manierc dont il le propose est plu
_tôt un conseil qu'une reglc dont la pra.
tique soit absolument necessaire. Ccst ce
pendant â la Comedie plutôt qug 1a T,"
êdie , que le R. P, G. compare le Dia-ç
Îogue. Pourquoi donc citer Horaçe O _
. » n
3e MERCURE DE FRANCE
Ou accordera que le Dialogue feroit
Plus d’impression sur l’esprit des Lec
teurs si on n’y faisoit parler que des
rands hommes. Mais quoi 2 ne tiendra
‘t’il ’à l l l b h d ï
qu eut mettre (ans a ouc e es
discours qu’ils ont peut-être bien tenus
à quelques Particuliers , mais qui ne sont
peut-être jamais entrez ni dans leurs con
versations ni dans leurs disputes? Qïon
ne s’y trompe pas , les Dialogues de Ci
ceron ne sont pas tout-Êt-fait de l’ima
gination de ce sçavant Orateur; il n’a.a
fait dire à ses Interlocuteurs que ce qu’ils
avoienr dit entre eux 5 il est vrai qu'il a
poli leurs discours et que même il y a mis
du sien ; mais le fond est réel 3 ce qui est
nécessaire pour conserver la vrai-sem
blance. .
On peut dire la même chose de Platon.
Ces deux Auteûrs qu’en peut regarder
comme les plus sages et les plus éclairez
de PAntiquitÉ Payenne, nous ont laissé"
dans leurs Dialogues des Chefs-d'oeuvres
de l’Art. Mais ils ne sont faits que pour
"des hommes dont le jugement est formé.
Ces Dialogues s, tout beaux qu’ils sont ,
_ne pourroient, entre les mains de jeu;
nes gens , que leur causer du dégoût et
de l'ennui; tandis que je suis persuadé
que l'es‘ Entretiens ‘du Spectacle de la N44
‘ mm
J V Ï E R. I73;. 31;
mm les charmeront et ne les lasserone
iamais. Cependant les Interlocuteurs de
ces derniers sont deo personnages ima
ginez et ceux des autres sont des homo.
.mes de la plus haute réputation. Et qui
de ce catactere le R. P. G. auroit-il voulu
qu’on fit parler dans les Dialogues du
Spectacle de la Nature? M" Descartes ,
Gassendi , Rohault, Régis , «Sec? C’eûc
été sans doute un plaisant spectacle de
voir ces esprits sublimes , tout pleins de
‘grands objets qu’ils venoient de méditer,
en‘ venir tout d’un coup aux prises les
uns apec les autres sur un Insecte , un
Coquillage , un Poisson , un Oiseau , ôcc.‘
Voilà cependantce qui auroir été du goût
du R. P. Ne pourrdit-on pas lui deman
der s’il y a bien pensé ?
De plus , que fairedire 5. ces grandi
hommes sur des matieres ausquelles ils
ne se sont peut-être jamais arrêtés. Ou il
eût fallu les faire parler en Philosophes,
et‘ alors les jeunes gens pour qui prin
cipalempnt l’Ouvrage dont il s'agir a été
compose,.n’y ourroienratteindre; ou il
eût fallu les aire entrer clairs un Petit
détail de choses qui ne pouvoient être
nouvelles ni aux uns ni aux autres, ce
qui‘ ne seroit plus soutenir leurs carac
teres. Pourquoi le R. P. G. voudroit-il
a {IONS
‘g: MERCURE DE FRANCE
nous persuader qu’un jeune homme â la
{leur de son âge , soit inca able de Par
tention qu’il faut apporter a des Confeq
rences reglées, sur tout lorsque la ma
tiere qu’on y traite est curieuse , agréable
et‘ interessante i‘ Il n’est que trop vrai ;
les jeunes gens de condition sont pou:
‘la plupart ennemis de toute application
d'esprit à ce qui regarde la Religion e:
les Belles-Lettres, et c’est ce qu'on ne
peut trop déplorer. Mais aussi n’y a t’il
pas toûjours de ces heureux génies qui
se portent au bien dès leur jeunesse , _el:
qui saisissent avidement tout ce qu’ils
çroyent pouvoir contribuer à les‘ rendre
meilleurs? ne peut-on pas en supposer
cun pareil? ' v
Je ne sçai ce qui peut faire paroîtrc
méprlsables au R. P. les petits traits de
morale ré andus dans les Entretiens dont
il s’agit. c prétendu defiaut qu’on re
proche encore à un homme recomman
dable par sa pieté et par sa science , s'é
Vanoüitoit bien-tôt; si on pensoit une
bonne fois ue c’est pour jeunesse quclil écrigaussi-bl’iiennsqtruuectli’oAnudteeulra
du Spectacle d: la Nature. Les jeunes gens
font rarement refléxion sur ce qu'ils lisent,
ce qui fait qu’ils ne retirent aucun fruit de
routes leurs lecturesll est donc important
de
, JANVIER. 1733.‘ 5;!
de les accoûtumer de bonne heure à peu;
9er et à tirer d’utilcs leçons de tout ce
qui‘ passe devant leurs yeux. Je veux
bien que dans une Histoire composée
pourjdes Sçavans , on se d_ispense de met.
tre des Refléxions morales un peu éten
duës; mais on ne doit pas blâmer ceux
qui ppur Putilité des jeunes gens, ju,
genra propos d’en ‘user autrement. Si
tant de personnes s’élev_cnt contre cette
pratique-fil faut en convenir, des: que lfa.
mour propre n’y trouve pas son compte.
Une verité qu’on lui montre au doigt, lui
déplaît; il voudroit toujours avoir la satis
factionde l’appercevoir le premienCcst de
tous les ‘vices le plus dominant dans l’hom-,
me et le’ plus injurieux àlaMajesté divine;
dedesr cependant- celui qu’on‘ fomente
avec le plus d’ardeur , au lieu de tâcher
de le réprimer. Il est triste quede nos‘
jours on veüille en faire l’ame de l’ins
nruçriorndes Enfans. Grandinconvenieqt
que "des personnes sensées ont remarqué
ansAun‘ nouveausystême , qui d’ailleurs'
paropxtexcellent. . » ,_ .
_ lînfin le Portrait dt} ŸAne que le R.P.G;
a voulu tourneren ridicule , paroît tel
détache de ce qui précede et de ce qui
\5UlÎ. u’o_n le lise dans le Livrp même
e}: qufpn 1e liscisans préjugé , on n’y dé
couvrira
'54. MERCURE DE FRANCE
couvrira qu’un simple badinage , qugâ
la verité , auroir mieux convenu dansla.
bouche d’un Candidat de Réthorique.
' J ‘ai Fhbnneur d’être , Madame, ôcc.
Le x9 Dccembn 1732.
au sujet dard, Critique du Spectacle de
la Nature, par le R 1’. G rMinime,
inserée dans le Mercure de F rance du
mai: de Novembre dernier.
Ous avezhclonc lû , Madame , le
Spectacle de la Nature? Ce que vous
A m’cn avez écrit , me fait connoxtre qu’en
-. ' ' - Provincq
.‘ 'J
JANVIER. ‘I753. ‘a;
Ÿrovince comme à Paris , il trouve des
Apologistes et des Critiques, et que le
nombre des premiers y est , comme ici ,
le plus grand. Ce que les autres trou
vent à redire dans cet Ouvrage , ne porte
et ne peut porter aucune atteinte à son
mérite. Les sujets y sont traitez avec‘ tant
de gtace et de solidité , que les plus dif
‘ficiles sont obligez d'avouer que ce ne
peut être que la production d’un habile
‘homme. Ce seroit peu que ce Livre n’eût.
d’autres avantages que les beautez de la
Langue, et qu'il ne présenxât à l'esprit
qu'une vaine recherche de choses qui
dans le fond nous interessent peu: il y
a, on le peut dire, un vrai profit, je
‘ne dis pas à le" lire , mais à l'étudier.
L’Auteur ne s’est pas contenté d‘y t'as
sembler tout ce qui est le plus capabe de
ïpicqucr la curiosité , il s’est aussi appli
‘qué à nous faire comprendre Pusage qu'on
en doit faire, et à prescrire les bornes
qu’elle doit avoir. -
Qlelque bonne idée, dites vous, que
vous en ayez , et quelque excellv nt que
cet Ouvrage vous ait paiû et vous pa
roisse encore, vous rie-pouvez» vous em
' “cher de vous rendre aux raisons du
. P. G. Minime, dont la Lettre Criti
z _ que est , au ‘jugement de plusicgurs. ,' fort
" " ' ‘ judicieuse
'14 MERCURE DE FRANCE
judicieuse. Il est vrai que d’abord on est
frappé de ce u’il dit; mais si on y
prend bien garde , c’est que son stile aisé
et insinuant fait recevoir pour bon tout
ce qui, éxauniné de près , paroît tout
autrement. Je vous exposerai, si vous
voulez bien me le permettre , quelques
réflexions que j'ai Faites sur cette Lettre,
et je serai assez témeraire pour hazarder
de dire librement ce que j'en pense. Je
ne Pentteprcnds que parce que FAuteur
du Spectacle de la Nature a résolu de ne
I
, as re ondre.
P ~,UP I O d l du .
u 1l me soit permis e e 1re. nos
Sçavans ne devroient pas affecter tant
dîndifference pour les Critiques que l’on
fait de leurs Ouvrages. Il y en a,sans
doute , qui ne méritent pas dattention.
I.e faux et l'absurde qui y domine, les
détruit assez, et le meilleur moyen de
réfuter les Auteurs de ces Critiques , est
de garder le silence en les laissant s’ap
plaudir d'un triomphe imaginaire. Mais
qu’en confonde les bonnes Critiques avec
les mauvaises, c’est ce qui ne peut être
qu’injuste,et même , si je l’ose dire , peu
conforme à la charité.
L‘Amo.ur de la paix ne peut être 1e
"principe d’une t lle conduite , et quand
Vil seroit vrai , personne ne s'en persuade
a
J A N VI E R.’ I753.‘ a‘;
"t'a. Les uns prendront le silence d"un Au
teur censuré pour un mépris , et les autres
pourun aveu de ses erreurs; ce qui me
paroi‘: égalemïtt dangereux. A quoi ne
s’emportent pas ceux qui se croyent mé-‘
Prisez E OEe d’invectives de leur partÊ
souvent dans des Ecrits publics. Que de
termes peu mesurez! Et, le dirai je ? que
dïnjures débitées avec amphase et d'une
maniere siindigne du Christianisme! mais
cela n’est propre qu’à ceux qui se croyent
mêprisez. Qie ne disent et que ne pensent
pas ceux qui ont connoissance et de l’Ou—
vrage et de sa Critique? ils se laissent fa-a
cilement emporter â de vains. discours,
delà à la médisance et insensiblement-à la
calomnie. _
Ceux qui au contraire ont assez de va-Î
nité pour regarder le silence d’un Auteur
contre lequel ils auront écrit , comme
un aveu des fautes qu’ils prétendront avoir
relevées , ceux-là , dis- je , ne tardent:
gueres de s’enhardir à quelque chose de
plus , ils se familiarisent avec leurs prê
jugez , et y entraînent les simples et les
ignorans; enfin ils se croyent de grands
génies, et cette erreur dont on ne tra
vaille pas â les désabuser , les engage à
deshonorer la République des Lettres par
des fratras de\ Livres qui ne contiennent
le plus souvent que des mots:
f2? MERCURE DE FRANCE
z On me dira que de véritables Chrétiens
ne tomberont jamais dans l’un ni dans
_1’autre de ces excès. Il est vrai: mais peut
_on se flatter qu’en n'a affaire qu‘à de tol
les gens e Tout un PubliÊnÆst-"il päs té-'
moin de ce qui se passe , et entte-t-il dans
des vuës si justes et si saintes? 1l est né:
cessaire de lui faire connoitre la vérité soie
en avoiiant ses fautes de bonne foi , soit
en réfutant sans aigreur ce qui est injuse
tement censuré. Pardonnezomoi , Maclay-Ï
_me , cette petite disgression , je reviens
à la lettre du R. P. G.
_ Je ne puis y souffrir les équivoques de
Ioäanges et de blâme qui y regnent. (Lie!
est le but de la Critique , si ce n’est de
faire connoîtrc la vérité et de combattre
_lc Faux? Dira-t-on que c’est remplir cc
but, lotsqu’on ne ÿexplique que d’une
maniere équivoque? Il faut, et surtout
dans la Satyre , ÿexpliquer nettement , et
ne point aller chercher du mistcre où il n’y
en a point. C’est abuser de la Critique ,‘
que de ne la pas faire servir à montrer la.
-verité dans tout son jour , et à ne la faire
appercevoir qu'au travers d’une fausse
lueur, ou même d’une épaisse obscurité.
Le R. P. G. auroit pu-temperer quelques
‘termes qui sonnent mal, mais sans doute
il a agi de bonne foi. Il ne fam pas lui
prem’
JANVIE RA.‘ 17332-17
prctcr trop de malice; cela sera échappe’ à
son attention, et il n’aura pas manqué de
se condamner le remier là-dessus.
Bien difierent e vous , Madame ,le R.‘
P. trouve les Dialogues du Spectacle de la
nature froids et languissanrs 5 la raison
qu’il‘cn donne, c'est que les Interlocu
teurs ne lui plaisent pas , parce qu’ils lui
sont inconnus. Il voudroit qu'au lieu de
ceux-ci , on eut fait parler un Dcscartes ,
un Rohault, un P. Malebranchc, 85e. Il
veut prouver son sentiment par l’exem
pie du Poëme Dramatique, et il seroit d'a
vis que, comme dans celui-ci , on n’in-‘
troduisit dans le Dialogue que des homà
mes célebres Je serois tenté de croire que
le R.. P. G. ne cormoît pas bien la nature
ni du Dialogue ni du Poëme Dramatique.‘
Il est vrai qu’on ne perd rien à ignorer
celui-ci et qu’un bon Religieux n’en doit
prepdreconnoissanccqueäpour être mieux
en etat de faire senrirJe anger des SPCC!
taeles. Mais il fandroit être plus circons
pect sur ce qu'on avance. Comparer le
Dialogue au PoëmeDramatique , des:
comparer un sim le appartement à un
grand Palais‘, et ire qu’on_ peut se for
mer la même idée de cet Appartement
que de tout le Palais cl’ont il n’esr qu’une
très-petite partie: sur ce pied un Palais
‘ CI
O
'23 MER CURE DE FRANCE
en contiendroit une centaine d’aurres ,
comme un Poëme Dramatique renferme
roqir en luièmême trente ou quarante au
tres Poëmes Dramatiques , puisque toutes
les Scenes sont presque toujours autant '
de Dialogues, il est inutile dînsisrer sur:
le faux de cette comparaison , il se fait
assez sentir de lui même. Je remarquerai
seulement que les Dialogues sont suscepÂ
Iibles du grand et du merveilleux; ce
pendant le R. P. G. semblene mettre de
difïerence entre les Pièces de Thèarrè et
l'es Dialogues qu’en ce que lcs sujets de
ceux cl sont plus paisibles et plus rran-.
quilès que ceux quioccupenr no‘; Thèarres.
Il cuOEsoit du témoignage et de Pexem
le de Ciccrompour‘ llcur moyen dïnrerespsreroulveesrleqcuteeulres mdeainls
un Dialogue èroit de nefaire parler que
de ‘grands hommes qui se fussent rendus
fameux dans les Sciences sur lesquelles on
veut discourir. Le R. P. G. auroir pu
employer de bonnes raisons pour assurer
son sentiment, plutosr que d’allcr cheræ
cher dans I-Iorace des passages qui ne re
äardentque les Pièces de Théarre. Je veux
ien pour un moment qu’il n'y air point
de diflërence ( quant au fond) entre le
Poëme Dramatique et: le Dialogue. Alors
si des Pièces de Thèarre ont eu un grand
succès
JANVIE RJ17”. 2’
"succès , quoique le fonds et les personna
ges soient de pures fictions, il faut con
venir que des Dialogues dont le sujet est
important , mais dont les interlocuteurs
«sont imaginez , peuvent et avec plus de.
raison que ces Pieces , être du goût des
Sçavans. Or presque toutes les Coméq
dies n’ont d’autre fonds que la fiction
et d'autres personnages que des noms en
l'ait. .
Je ne veux pour preuve de ceci ue
les Comedies de Terence; elles ont ait
tadmiration de tous les siecles et sont en
core aujourdbui les délices des amateurs
des Belles-Lettres. Cependant comment
connoîtuon les personnages qui y jouent
leurs rôles? quel est leur Pays ‘.7 quelles
sont leurs grandes actions P ou dira-fion
que ces Pieccs si parfaites, ne sont pas
es Poëmes Dramatiques?
Le précepte d’Horace de nîmroduire
sur la Scene que des Heros connus , ne re-u.
garde que le Tragique. Encore ce Poëre ne‘
dit-il pas qu’on ne puisse passer outre,
et la manierc dont il le propose est plu
_tôt un conseil qu'une reglc dont la pra.
tique soit absolument necessaire. Ccst ce
pendant â la Comedie plutôt qug 1a T,"
êdie , que le R. P, G. compare le Dia-ç
Îogue. Pourquoi donc citer Horaçe O _
. » n
3e MERCURE DE FRANCE
Ou accordera que le Dialogue feroit
Plus d’impression sur l’esprit des Lec
teurs si on n’y faisoit parler que des
rands hommes. Mais quoi 2 ne tiendra
‘t’il ’à l l l b h d ï
qu eut mettre (ans a ouc e es
discours qu’ils ont peut-être bien tenus
à quelques Particuliers , mais qui ne sont
peut-être jamais entrez ni dans leurs con
versations ni dans leurs disputes? Qïon
ne s’y trompe pas , les Dialogues de Ci
ceron ne sont pas tout-Êt-fait de l’ima
gination de ce sçavant Orateur; il n’a.a
fait dire à ses Interlocuteurs que ce qu’ils
avoienr dit entre eux 5 il est vrai qu'il a
poli leurs discours et que même il y a mis
du sien ; mais le fond est réel 3 ce qui est
nécessaire pour conserver la vrai-sem
blance. .
On peut dire la même chose de Platon.
Ces deux Auteûrs qu’en peut regarder
comme les plus sages et les plus éclairez
de PAntiquitÉ Payenne, nous ont laissé"
dans leurs Dialogues des Chefs-d'oeuvres
de l’Art. Mais ils ne sont faits que pour
"des hommes dont le jugement est formé.
Ces Dialogues s, tout beaux qu’ils sont ,
_ne pourroient, entre les mains de jeu;
nes gens , que leur causer du dégoût et
de l'ennui; tandis que je suis persuadé
que l'es‘ Entretiens ‘du Spectacle de la N44
‘ mm
J V Ï E R. I73;. 31;
mm les charmeront et ne les lasserone
iamais. Cependant les Interlocuteurs de
ces derniers sont deo personnages ima
ginez et ceux des autres sont des homo.
.mes de la plus haute réputation. Et qui
de ce catactere le R. P. G. auroit-il voulu
qu’on fit parler dans les Dialogues du
Spectacle de la Nature? M" Descartes ,
Gassendi , Rohault, Régis , «Sec? C’eûc
été sans doute un plaisant spectacle de
voir ces esprits sublimes , tout pleins de
‘grands objets qu’ils venoient de méditer,
en‘ venir tout d’un coup aux prises les
uns apec les autres sur un Insecte , un
Coquillage , un Poisson , un Oiseau , ôcc.‘
Voilà cependantce qui auroir été du goût
du R. P. Ne pourrdit-on pas lui deman
der s’il y a bien pensé ?
De plus , que fairedire 5. ces grandi
hommes sur des matieres ausquelles ils
ne se sont peut-être jamais arrêtés. Ou il
eût fallu les faire parler en Philosophes,
et‘ alors les jeunes gens pour qui prin
cipalempnt l’Ouvrage dont il s'agir a été
compose,.n’y ourroienratteindre; ou il
eût fallu les aire entrer clairs un Petit
détail de choses qui ne pouvoient être
nouvelles ni aux uns ni aux autres, ce
qui‘ ne seroit plus soutenir leurs carac
teres. Pourquoi le R. P. G. voudroit-il
a {IONS
‘g: MERCURE DE FRANCE
nous persuader qu’un jeune homme â la
{leur de son âge , soit inca able de Par
tention qu’il faut apporter a des Confeq
rences reglées, sur tout lorsque la ma
tiere qu’on y traite est curieuse , agréable
et‘ interessante i‘ Il n’est que trop vrai ;
les jeunes gens de condition sont pou:
‘la plupart ennemis de toute application
d'esprit à ce qui regarde la Religion e:
les Belles-Lettres, et c’est ce qu'on ne
peut trop déplorer. Mais aussi n’y a t’il
pas toûjours de ces heureux génies qui
se portent au bien dès leur jeunesse , _el:
qui saisissent avidement tout ce qu’ils
çroyent pouvoir contribuer à les‘ rendre
meilleurs? ne peut-on pas en supposer
cun pareil? ' v
Je ne sçai ce qui peut faire paroîtrc
méprlsables au R. P. les petits traits de
morale ré andus dans les Entretiens dont
il s’agit. c prétendu defiaut qu’on re
proche encore à un homme recomman
dable par sa pieté et par sa science , s'é
Vanoüitoit bien-tôt; si on pensoit une
bonne fois ue c’est pour jeunesse quclil écrigaussi-bl’iiennsqtruuectli’oAnudteeulra
du Spectacle d: la Nature. Les jeunes gens
font rarement refléxion sur ce qu'ils lisent,
ce qui fait qu’ils ne retirent aucun fruit de
routes leurs lecturesll est donc important
de
, JANVIER. 1733.‘ 5;!
de les accoûtumer de bonne heure à peu;
9er et à tirer d’utilcs leçons de tout ce
qui‘ passe devant leurs yeux. Je veux
bien que dans une Histoire composée
pourjdes Sçavans , on se d_ispense de met.
tre des Refléxions morales un peu éten
duës; mais on ne doit pas blâmer ceux
qui ppur Putilité des jeunes gens, ju,
genra propos d’en ‘user autrement. Si
tant de personnes s’élev_cnt contre cette
pratique-fil faut en convenir, des: que lfa.
mour propre n’y trouve pas son compte.
Une verité qu’on lui montre au doigt, lui
déplaît; il voudroit toujours avoir la satis
factionde l’appercevoir le premienCcst de
tous les ‘vices le plus dominant dans l’hom-,
me et le’ plus injurieux àlaMajesté divine;
dedesr cependant- celui qu’on‘ fomente
avec le plus d’ardeur , au lieu de tâcher
de le réprimer. Il est triste quede nos‘
jours on veüille en faire l’ame de l’ins
nruçriorndes Enfans. Grandinconvenieqt
que "des personnes sensées ont remarqué
ansAun‘ nouveausystême , qui d’ailleurs'
paropxtexcellent. . » ,_ .
_ lînfin le Portrait dt} ŸAne que le R.P.G;
a voulu tourneren ridicule , paroît tel
détache de ce qui précede et de ce qui
\5UlÎ. u’o_n le lise dans le Livrp même
e}: qufpn 1e liscisans préjugé , on n’y dé
couvrira
'54. MERCURE DE FRANCE
couvrira qu’un simple badinage , qugâ
la verité , auroir mieux convenu dansla.
bouche d’un Candidat de Réthorique.
' J ‘ai Fhbnneur d’être , Madame, ôcc.
Le x9 Dccembn 1732.
Fermer
Résumé : LETTRE écrite à une Dame de Province, au sujet de la Critique du Spectacle de la Nature, par le R. P. G. Minime, inserée dans le Mercure de France du mois de Novembre dernier.
La lettre de L E TTR, publiée dans le Mercure de France de novembre 1752, examine la critique du 'Spectacle de la Nature' par le Père G. Minime. L'auteur note que cet ouvrage suscite des avis variés, tant en province qu'à Paris, et reconnaît ses mérites malgré les critiques. Il souligne que le livre offre un véritable profit à l'étude, au-delà des simples beautés linguistiques. L'auteur critique sévèrement la lettre du Père G. Minime, la qualifiant d'équivoque et malveillante, et regrette que l'auteur du 'Spectacle de la Nature' ne réponde pas aux critiques. Il insiste sur la nécessité de prendre en compte et de réfuter les critiques sans aigreur. L'auteur conteste également les comparaisons établies par le Père G. Minime entre le dialogue et le poème dramatique, défendant la pertinence des interlocuteurs imaginaires dans les dialogues. Il conclut en soulignant l'importance de la morale et de l'éducation des jeunes gens à travers des lectures appropriées. Par ailleurs, le texte aborde la pratique des réflexions morales dans l'écriture de l'histoire. Il reconnaît que, bien que les historiens puissent éviter ces réflexions dans des œuvres destinées à des savants, d'autres souhaitent les inclure pour l'utilité des jeunes gens. Cette pratique est critiquée, notamment parce qu'elle heurte l'amour-propre, un vice dominant et injurieux à la majesté divine, souvent encouragé plutôt que réprimé. L'auteur exprime sa tristesse face à l'intégration de ce vice dans l'éducation des enfants, soulignant un inconvénient remarqué par des personnes sensées. Le texte mentionne également un portrait ridicule d'une jeune fille, présenté comme un simple badinage plutôt qu'une critique sérieuse. La lettre se termine par l'expression de l'honneur de l'auteur à être au service de Madame, datée du 19 décembre 1732.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
23
p. 506
AUTRE LOGOGRYPHE.
Début :
Je suis en vous ce qui vous fait connoître, [...]
Mots clefs :
Vérité
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AUTRE LOGOGRYPHE.
AUTRE LOGOGRYPHE.
JE
E suis en vous ce qui vous fait connoître ;
Objet aimable ou peu charmant,
Un membre à part , ce changement ,
Exprime un Fruit que vous aimez peut- être,
L. H. D.
JE
E suis en vous ce qui vous fait connoître ;
Objet aimable ou peu charmant,
Un membre à part , ce changement ,
Exprime un Fruit que vous aimez peut- être,
L. H. D.
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24
p. 732
« Violette, est le mot de la premiere Enigme du mois de Mars ; la seconde, [...] »
Début :
Violette, est le mot de la premiere Enigme du mois de Mars ; la seconde, [...]
Mots clefs :
Violette, Sépulcre, Poste, Fourrage, Vérité
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Violette, est le mot de la premiere Enigme du mois de Mars ; la seconde, [...] »
Violette , est le mot de la premiere
Enigme du mois de Mars ; la seconde
doit s'expliquer par Sepulchre; et les trois
Logogryphes , par Poste , Fourage , Verité.
Enigme du mois de Mars ; la seconde
doit s'expliquer par Sepulchre; et les trois
Logogryphes , par Poste , Fourage , Verité.
Fermer
25
p. 846-849
LE PRÉJUGÉ. ODE A Mad. la Comtesse de ***
Début :
En vain la raison nous éclaire, [...]
Mots clefs :
Âme, Préjugé, Yeux, Orgueil, Raison, Vérité
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE PRÉJUGÉ. ODE A Mad. la Comtesse de ***
LE PRE JUGE .
O DE
A Mad. la Comtesse de ***
EN vain la raison nous éclaire
Et nous fait luire son flambeau ,
Le Préjugé toujours contraire ,
Place sur nos yeux son bandeau ,
Nous ne prenons que lui pour guide
La verité simple et timide ,
Ne sçauroit fixer nos esprits
Nous ne suivons que le caprice ,
Nous regions sur son injustice ,
Nos louanges et nos mépris.
鍛
Le Préjugé sous son Empire
Sçait assujettir l'Univers ;
Il nous séduit, il nous attire ,,
Par ses enchantemens divers ,
Dans notre ame trop prévenue ;,
L'orgueil avec art s'insinue ,
I rampe d'abord en naissant ,
Bien-tôt par un pouvoir suprême
MAY. 847
1733
1.oblige la Raison même ,
A plier sous son joug puissant.
來
Dans ses liens il nous engage ;
Tout conspire à le seconder ,
Inconstant , leger et volage ,
Contre lui qui peut nous garder ?
Nos passions le favorisent ,
Nos désirs , à l'envi , s'épuisent ,
A nous retenir sous ses loix ;
A l'amour propre il s'associe ;
C'est par lui qu'il se fortifie ,
Et qu'il sçait étendre ses droits.
Ainsi l'Amant , belle Comtesse ,
Quand l'aveugle Amour le séduit ,
Croit que l'objet de sa tendresse ,
Efface l'Astre qui nous luit ;
Bien- tôt de la Voûte azurée ,
Il fait descendre Citherée ,
Pour y faire asseoir son Iris ,
Les yeux de l'objet de sa flamme ,
Ont plus de force sur son ame ,
Que les tiens ou ceux de Cypris ,
L'homme sçavant dans son Musée ,
Par un faux espoir agité
Sc
$ 48 MERCURE DE FRANCE
Se flatte en son ame abusée ,
Qu'il va saisir la Verité;
Mais dans cette longue poursuite ,
Le Préjugé marche à sa suite ,
Et l'éblouit par ses lueurs ,
Séduit par l'apparence vaine ,
L'orgueil aveugle le promene ,
Dans un Labyrinthe d'erreurs .
Ce Rimeur , qui d'un vol sublime
S'eleve presque jusqu'aux Cieux
Espere en l'ardeur qui l'anime ,
D'être admis presque au rang des Dieux.
Dans son poëtique délire ,
Il croit que les sons de sa Lyre ,
Du noir oubli seront vainqueurs ;
Tout occupé de sa manie ,
Il n'accorde qu'à l'harmonie ,
Le pouvoir d'enchaîner les coeurs .
Mais c'est trop , ma Muse me quitte
Contente de ses foibles traits ;
Toi dans qui brille le mérite ,
Jette les yeux sur ces Portraits ,
Si tu m'accordes ton suffrage ,
Il sera pour moi le présage →
Du succès le plus éclatant ,
Le
•
MAY. 17330 849
Le Goût s'associant aux Graces ,
Se plaît à marcher sur tes traces ,
Applaudis-moi , je suis content.
Par M. Paparoche , de Carpentras.
O DE
A Mad. la Comtesse de ***
EN vain la raison nous éclaire
Et nous fait luire son flambeau ,
Le Préjugé toujours contraire ,
Place sur nos yeux son bandeau ,
Nous ne prenons que lui pour guide
La verité simple et timide ,
Ne sçauroit fixer nos esprits
Nous ne suivons que le caprice ,
Nous regions sur son injustice ,
Nos louanges et nos mépris.
鍛
Le Préjugé sous son Empire
Sçait assujettir l'Univers ;
Il nous séduit, il nous attire ,,
Par ses enchantemens divers ,
Dans notre ame trop prévenue ;,
L'orgueil avec art s'insinue ,
I rampe d'abord en naissant ,
Bien-tôt par un pouvoir suprême
MAY. 847
1733
1.oblige la Raison même ,
A plier sous son joug puissant.
來
Dans ses liens il nous engage ;
Tout conspire à le seconder ,
Inconstant , leger et volage ,
Contre lui qui peut nous garder ?
Nos passions le favorisent ,
Nos désirs , à l'envi , s'épuisent ,
A nous retenir sous ses loix ;
A l'amour propre il s'associe ;
C'est par lui qu'il se fortifie ,
Et qu'il sçait étendre ses droits.
Ainsi l'Amant , belle Comtesse ,
Quand l'aveugle Amour le séduit ,
Croit que l'objet de sa tendresse ,
Efface l'Astre qui nous luit ;
Bien- tôt de la Voûte azurée ,
Il fait descendre Citherée ,
Pour y faire asseoir son Iris ,
Les yeux de l'objet de sa flamme ,
Ont plus de force sur son ame ,
Que les tiens ou ceux de Cypris ,
L'homme sçavant dans son Musée ,
Par un faux espoir agité
Sc
$ 48 MERCURE DE FRANCE
Se flatte en son ame abusée ,
Qu'il va saisir la Verité;
Mais dans cette longue poursuite ,
Le Préjugé marche à sa suite ,
Et l'éblouit par ses lueurs ,
Séduit par l'apparence vaine ,
L'orgueil aveugle le promene ,
Dans un Labyrinthe d'erreurs .
Ce Rimeur , qui d'un vol sublime
S'eleve presque jusqu'aux Cieux
Espere en l'ardeur qui l'anime ,
D'être admis presque au rang des Dieux.
Dans son poëtique délire ,
Il croit que les sons de sa Lyre ,
Du noir oubli seront vainqueurs ;
Tout occupé de sa manie ,
Il n'accorde qu'à l'harmonie ,
Le pouvoir d'enchaîner les coeurs .
Mais c'est trop , ma Muse me quitte
Contente de ses foibles traits ;
Toi dans qui brille le mérite ,
Jette les yeux sur ces Portraits ,
Si tu m'accordes ton suffrage ,
Il sera pour moi le présage →
Du succès le plus éclatant ,
Le
•
MAY. 17330 849
Le Goût s'associant aux Graces ,
Se plaît à marcher sur tes traces ,
Applaudis-moi , je suis content.
Par M. Paparoche , de Carpentras.
Fermer
Résumé : LE PRÉJUGÉ. ODE A Mad. la Comtesse de ***
Le poème 'Le Préjugé' est dédié à Madame la Comtesse de ***. Il traite de l'influence des préjugés sur l'esprit humain, qui subsistent malgré la raison. Les préjugés dominent l'univers et séduisent les âmes, permettant à l'orgueil de s'imposer. Les passions, les désirs et l'amour-propre renforcent ces préjugés, les rendant difficiles à surmonter. Le poème illustre cette domination à travers des exemples tels qu'un amant aveuglé par l'amour, un savant égaré dans sa quête de vérité, et un poète orgueilleux. L'auteur, M. Paparoche de Carpentras, conclut en sollicitant le suffrage de la comtesse pour assurer le succès de son œuvre et exprime son espoir d'être applaudi.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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26
p. 1309-1322
REFLÉXIONS sur la Nature et la source du Sublime dans le Discours : sur le vrai philosophique du Discours Poëtique, et sur l'Analogie qui est la clef des Découvertes. Par L. P. C. J.
Début :
I. Ce Titre paroît annoncer des sujets fort differens. Mals la Philosophie [...]
Mots clefs :
Sublime, Vérité, Vrai, Pensée, Bien, Poète, Philosophe, Virgile, Beau, Esprit, Rapport, Analogie, Découverte, Sens, Traits
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REFLÉXIONS sur la Nature et la source du Sublime dans le Discours : sur le vrai philosophique du Discours Poëtique, et sur l'Analogie qui est la clef des Découvertes. Par L. P. C. J.
REFLEXIONS sur la Nature et la
source du Sublime dans le Discours : sur
le vrai philosophique du Discours Poëtique
, et sur l'Analogie qui est la clef
des Découvertes. Par L. P. C. J.
€
I.
C
E Titre paroît annoncer des sujets
fort differens . Mais la Philosophie
raproche souvent les extrémitez
en ramenant la multitude des apparences
à la réalité d'un Principe très- simple. Et
c'est par l'Analogie que la Philosophie
II. Vol. Cilj atteint
1310 MERCURE DE FRANCE
atteint à cette simplicité féconde de la
Nature.
2. En general cette Analogie nous apprend
, que s'il y a bien des Sciences et
des Arts , il n'y a pourtant qu'une verité ,
dont ces Arts et ces Sciences ne sont
,
que les differens points- de- vûë , les divers
aspects. La Poësie en particulier et
la Philosophie , quelque irréconciliables
qu'elles paroissent , ne different que par
là , par le point- de- vûë , par l'expression.
3. Le Poëte pense et parle. Le Philosophe
refléchit
raisonne et discourt ;
c'est- à- dire , le Poëte enveloppe dans une
pensée et souvent dans un mot le raisonnement
du Philosophe , et le Philophe
dans un raisonnement étendu , developpe
la pensée , le mot du Poëte.
C'est cet enveloppement et ce développement
seuls qui caracterisent les deux
genres , relativement l'un à l'autre.
4. Mais c'est toujours le même objet ,
la même nature , la même vérité , que
le Poëte et le Philosophe peignent également
, l'un en grand, l'autre en racour
ci et comme en miniature.
5. Lorsque cet objet est nouveau ,
merveilleux
élevé , interessant , qu'il
donne à penser , qu'il étend les vûës de
l'esprit , le Raisonnement philosophique
II. Vol.
JUIN. 1733 1311
que qui le développe , prend le nom de
Découverte , la pensée poetique qui le
révele , prend celui de Pensée sublime.
Venons à des Exemples.
6. Mais auparavant je dois poser comme
un Principe , cette maxime sublime
elle- même , de Despreaux , que
Rien n'est beau que le vrai, le vrai feul est aimable ,
Il doit degner par tout et même dans la Fable.
En effet la découverte du faux ne
peut être une vraye decouverte ; car découvrir
ce qui n'est pas, c'est bien pis que
de ne rien découvrir ; et une pensée fausse
ne sera jamais une belle pensée .
7. Cela supposé , Virgile peint la nuit,
en disant qu'elle ôte aux choses leurs
couleurs , rebus nox abstulit atra colores.
Cette idée est sublime , belle du moins ,
car je ne veux point de dispute. Or qu'estce
qui en fait la beauté ? Je le demande
aux Commentateurs. Mais que nous en
ont ils dit ? Des Tropes , des figures , des
allégories , des métaphores. Je ne connois
point tout cela. Mais je demande
encore si c'est du vrai , si c'est du faux
que Virgile nous donne- là.
8. Aristote nous a tracé les vrayes regles
de la Poëtique et même de la Rhéto
rique. Ce sera donc un Philosophe , ce
sera Descartes qui nous apprendra que
11. Vol
CY les
1212 MERCURE DE FRANCE
les couleurs n'étant qu'une lumiere mo
difiée , la nuit en chassant la lumiere a
chassé les couleurs ; et qu'ainsi la pensée de
Virgile a tous les caracteres du sublime
du grand , du beau , étant d'abord vraye ,
et ensuite nouvelle , merveilleuse,profonde
paradoxe même , et contraire au préjugé.
9. Car je pense que c'est par rapport
à nous et pour nous qu'une pensée est
sublime , c'est-à- dire , comme placée en
un lieu sublime , escarpé , difficile à atteindre
, et par là très - merveilleuse et
toute aimable , lorsqu'elle daigne en quel
que sorte s'abaisser jusqu'à nous qui n'aurions
pû , sans le secours du Poëte comme
inspiré et sans une espece
de secours
divin , nous élever jusqu'à elle.
10. Virgile dit ailleurs :
Provehimur portu terraque urbesque receduns.
"Nous sortons du Port , et nous voyons
les terres et les Villes se retirer . Cette image
est magnifique; mais ce n'est que parce
qu'elle est d'après nature et qu'elle renferme
une verité philosophique que le tems
nous a revelée , quoiqu'elle soit encore toute
paradoxe , toute sublime , toute poëtique
; Car l'Auteur n'est pas encore dans
le cas du sublatam ex oculis , & c. d'Horace .
11. Quelle est donc cette verité ? C'est
11. Vol.
eelle
JUIN. 1733. 1313
celle de la nature du mouvement , qui
n'a d'absolu que son existence , et dont
l'essence consiste dans un simple chan
gement de rapport de distance de divers
termes , dont l'un ne peut se mou .
voir sans qué les autres se meuvent aussi
je m'éloigne du Port , le Port s'éloigne
de moi , je fuis les terres et les Villes ,
les terres et les Villes me fuyent .
12. Cela est fort ; car les voila toujours
à la même place. Oui , les unes
par rapport aux autres ; et dans ce sens
me voila immobile moi- même à la même
place dans le Vaisseau qui m'emporte.-
Mais par rapport à ce Vaisseau et par
rapport à moi , tout l'Univers se remuë
lorsque nous nous remuons. La Rame ;
repousse le rivage ou Feau ; l'eau ou le
rivage repousse la Rame et le Vaisseau ;*
l'action et la réaction sont égales , la séparation
est réciproque. Mais ce siecle ..
n'a droit de jouir que des découvertes ›
du précedent , qui s'en mocquoit..
13. Laissons les discussions philosophi
ques écoutons les Commentateurs. Vous
êtes , me disent- ils , vous êtes duppe de
votre imagination. Il est vrai que les .
terres et les Villes semblent fuir . On s'imagine
qu'elles fuyent , c'est tout comme
si elles fayoient ; mais elles ne fuyent pass
II.. Vol. Cvjs poure
1314 M'ERCURE DE FRANCE
pour cela. L'expression de Virgile n'est
qu'une comparai on , une Analogie sousentendue
, une allégorie , une, métaphore.
Fort bien .
14. Mais je reviens à ma Regle , qui
n'est pas e imagination , et qui est ,
ce me semble , la plus solide Regie de
bon sens qu'on puisse consulter. Cela
est -il vrai ? cela est - il faux ? Virgile
ment-il? Virgile dit- il la vérité? S'il ment,
si sa pensée est fausse , elle n'est donc
pas belle , elle est frivole , sophistique ,
miserable ; fi elle est belle , admirable
sublime , comme on l'a cru jusqu'icy ,
je reviens à Despreaux , et je dis avec lui,
Rien n'est beau que le vrai , le vrai seul
&c. est ,
15. Je puis me tromper , mais il me
semble que bien des gens se repaissent
de choses vagues et qu'ils aiment à s'en
repaître , même dans les Sciences , et
sur tout dans ce qui s'appelle Belles- Lettres
. Tout y est plein de je ne sçai quoi
On diroir
que la précision des idées les
gêne , les contraint , leur paroît insup
portable. Ils sont toûjours en garde et
prets à combattre contre cette précision ,
comme les Romains pour leur liberté.
C'est la liberté d'esprit , en effet , qu'on
retrouve dans ces idées vagues qui le
II. Val. ber
JUIN. 1733 . ·1315
bercent doucement et le balancent entre
le oui et le non , entre le vrai et le faux.
Il en coûte , et il faut une espece d'effort
d'esprit pour se fixer à une verité
précise et indivisible.
"
16. Outre la paresse de l'esprit , il y a
encore un interêt de coeur , qui fait qu'on
aime à se tenir comme neutre entre la
plupart des veritez et des erreurs qui
leur sont opposées. Moyennant cette nou
tralité que l'inattention de l'esprit rend
facile , on est toujours prêt à se ranger
au parti que la passion du coeur rend le
plus agréable. Mais c'est là de la moralité .
17. Victrix causa Diis placuit, fed victa Catoni ,
dit Lucain , que Brebeuf,a rendu parc vers
Les Dieux servent Cesar , mais Caton fuit Pom
péc.
Cette pensée a eû des Approbateurs et
des Critiques. Les uns en ont fait un modele
de sublime , les autres l'ont cruë fausse
et purement enflée. C'est bien pis , d'autres.
l'ont traitée d'impie et de sacrilege . La
Philosophie seule a droit d'en décider .
18. Rien n'est plus simple que le fond
de verité philosophique , morale même
et presque théologique , que ce Vers de
Lucain renferme ou suppose. Les Dieux
ou plutôt Dieu tout miséricordieux et très
lent à punir , laisse souvent prosperer le
II. Vol. crime
T316 MERCURE DE FRANCE
crime dans cette vie et pour un temps.
Et bien nous en prend à tous ; que deviendrions-
nous si la peine suivoit de si
près le peché? Il n'en est pas de- même
des hommes ; il leur est expressément
enjoint de s'attacher immuablement au
parti de la justice ou de la verité connuë
,, sans en juger par les apparences
ni par aucune sorte d'évenement. Le
Commentaire est donc facile désormais.
Les Dieux servent César parce qu'il leur
plaît , placuit. Caton suit Pompée, parce
qu'il le doit.
19. Lucain est outré , dit-on ; cela se
peut quelquefois ; mais quelquefois il
peut n'
n'être que fort élevé , fort sublime..
Une verité n'est pas toujours mûre , même
pour la Poësie . Corneille n'a pas
laissé de meurir quelque traits de Lucain;
mais Corneille lui - même passe pour être
souvent guindé.
20. Ces quatre Vers ont été fort cri
tiquez.
Pleurez , pleurez mes yeux , et fondez - vous en eau,
La moitié de ma vie à mis l'autre au tombeau ,
Et me laisse à venger après ce coup funeste ,
Celle queje n'ai plus sur cellè qui me reste.
Je ne disconviendrai pas que la Poësie ,
sur tout la Dramatique , étant faite pour
II. Vol.
tout
JUI N. 1733. 1317
tout le monde , et ses beautez devant
consister dans des traits détachez et commeimperceptibles
plutôt que dans desRaisonnemens
Philosophiques un peu étendus
et développez . il n'y ait du trop dansces
Vers de Corneille.
21. Si le Poëte avoit pû renfermer lesmêmes
beautez dans un seul Vers ou deux
tout au plus , en jettant même un petit
nuage sur des veritez qu'il a renduës
trop sensibles , trop précises , trop dogmatiques
, rien n'auroit été plus sublime .
Car du reste je ne conviendrai pas qu'il
y ait du faux dans sa pensée . Chimene
peut regarder la vie de son Pere comme
la moitié de sa vie , aussi bien que celle
de son mari futur , puisque , selon l'Ecriture
, erunt duo in carne una. Et il n'y
a rien d'outré à dire qu'une fille se
partage entre ce Pere et ce Mari , et que
toute sa vie dépend des deux. Oui , mais
-H y en a donc trois parties ; celle du Pere,
celle du Mari et la sienne ? Et ce sont
des tiers et non des moitiez. Mauvaise
plaisanterie que celle-là . Chimene ne vit
plus en elle-même dès qu'elle se partage
ainsi Ce qui est si vrai , que si son Perc
et Rodrigue meurent , on ne s'attend
qu'à la voir mourir . Mais la verité ellemême
dépend de l'expression .
II. Vol.
22.
7318 MERCURE DE FRANCE
22. En géneral toute verité a droit de
plaire ; mais toute verité nouvelle , profonde,
sublime , éblouit et révolte même l'esprit
et souvent le coeur. Pour la faire
goûter il faut en temperer l'éclat. Or on
tempere cet éclat en l'enveloppant et ne
le laissant qu'entrevoir à demi comme
un trait vif qui perce et qui disparoît. Et
voilà le devoir et l'avantage de la Poësie.
23. Naturellement elle enveloppe et
elle doit envelopper les véritez. Double
avantage du Poëte . Sous cette enveloppe
et sous cet air mysterieux , qui n'est
qu'une affaire d'expression , les veritez
communes deviennent souvent nouvelles
et sublimes ; et les veritez nouvelles
et sublimes par elles mêmes, brillent toujours
assez sans ébloüir. L'enveloppe picque
toujours la curiosité , d'autant plus
qu'elle la satisfait moins.
24. Toute la gloire du Philosophe consiste
dans la découverte de la verité . Mais
une verité toute découverte , lorsqu'elle
est neuve , blesse la vûë et réveille souvent
la jalousie contre son Auteur. Un
génie à découvertes , comme un Descartes
, devroit , s'il étoit bien consulté , ne
proposer son sistême que sous l'envelope
de la Poësie et de la fiction. Il n'y perdroit
rien ; car tout nouveau sistême est
II. Vol.
toujours
JUIN. 1733 1319
toujours traité de fiction et de Roman ;
il y gagneroit même beaucoup. On court
après une verité qui se dérobe ; et un
bon Commentaire feroit bien - tôt adopter
comme philosophiques des veritez
qu'on auroit goûtées d'abord comme Poëtiques.
C'est par la fiction , c'est - à- dire ,
par l'invention qu'on est Poëte ; et lorsqu'on
est né Poëte , les Vers ou la Profe
ne sont plus que des formalitez , des expressions
arbitraires . Mais ces refléxions
viennent quelquefois trop tard .
25. Cependant la gloire du Philosophe
paroît l'emporter en un sens sur celle du
Poete. Celui cy a beau semer les plus
profondes veritez , il n'est jamais censé
parvenir jusqu'à la découverte , qui est
presque l'unique gloire de l'esprit humain.
Il n'y parvient pas non - plus ; il ne
voit la verité que comme il la présente
sous le voile , dans le nuage. C'est par
une espece d'instinct ou d'enthousiasme
et à la pointe de l'esprit , qu'il la saisiť
comme en passant. C'est inspiration , c'est
révélation , si l'on veut . Mais les Prophetes
ne comprennent pas toujours tout ce
que Dieu révele par leur organe à l'Univers.
Virgile , après avoir dit que la
nuit emporte les couleurs , auroit bien
pû n'être pas Cartésien sur l'article.
II. Vol. 26.
1320 MERCURE DE FRANCE
26. Mais comme c'est toujours la Nature
que le Poëte peint , le Philosophe
ne sçauroit trop méditer le sens profond
de tous les traits véritablement sublimes
qui sont répandus chez les Poëtes plus
que chez aucune autre sorte d'Ecrivains.
C'est- là le véritable emploi du Philosophe
, de comprendre ce que les autres
ne font que sentir , de tourner l'instinct
en pensée , la pensée en refléxion , la refléxion
en raisonnement. Je regarde tous
ces grands traits qu'on admire dans les
Poëtes comme autant de semences de dé-
Couvertes.
27. Or c'est l'Analogie qui rend ces
traits poëtiques , féconds en découvertes
Car ce qu'on appelle chez les Poëtes ou
chez les Orateurs , Métaphore, similitude ,
allégorie , figure ; un Philosophe , un
Géometre non hérissé l'appelle Analogie,
proportion , rapport. Toutes nos décou
vertes , toutes nos veritez scientifiques ,
ne sont que des veritez de rapport . Et
par là souvent le sens figuré dégenere
en sens propre , et la figure en réalité.
28. Je dirai quelle est ma regle en ce
point. Lorsque je rencontre quelqu'un de
ces traits poëtiques ou autres , concernant
la Nature , ou tout autre objet philosophique
, et que ce trait me paroît
1. Vol. beau
JUIN. 1733. 1321
beau et sublime , sur tout s'il paroît tel
au commun des Lecteurs , je commence
selon la Méthode de l'Analise géométrique,
par le supposer vrai , même litteralement
vrai. Ensuite par les conséquences
que j'en tire selon les regles du même
Art , je le vérifie . Et enfin après me l'être
démontré à moi -même , je me mets
en état de le démontrer aux autres.
29. Par exemple , tout ce que je viens
de dire , je crois le devoir à la maxime
de Despreaux ; que rien n'est beau que le
vrai. Ce Vers m'a bien mieux appris ce
que c'est que le sublime que tout le
Traité de Longin , traduit par le même
Despreaux ; Traité que j'avoue qui m'a
toujours paru fort beau , mais un peu
vague , un peu oratoire , et plus enflé
de discours , que nourri d'explication et
d'idées philosophiques.
30. Au lieu qu'en supposant la Maxime
en question , et partant de -là , il m'a
été facile de conclure que le sublime
consistoit dans une verité toute neuve
en elle même , ou dans son point-de- vûë,
ou par son expression , et présentée sous
une espece d'envelope qui en rehausse
l'éclat en le temperant. Le Fiat bux que
Longin trouve si sublime , ne l'est que par
le vrai nouveau , profond , merveilleux.
L.
II. Vol. 3L.
1322 MERCURE DE FRANCE
31. Qu'on parle d'un Ouvrage des
hommes , il faut bien des paroles , des
discours , des descriptions pour en faire
connoître la façon . Pour les Ouvrages
de Dieu , comme il n'a fallu qu'un mot
pour les faire , dixit et facta sunt , il ne
faut qu'un mot pour les peindre , et cette
peinture est toujours sublime , parce
qu'elle est extraordinaire , unique , divine.
source du Sublime dans le Discours : sur
le vrai philosophique du Discours Poëtique
, et sur l'Analogie qui est la clef
des Découvertes. Par L. P. C. J.
€
I.
C
E Titre paroît annoncer des sujets
fort differens . Mais la Philosophie
raproche souvent les extrémitez
en ramenant la multitude des apparences
à la réalité d'un Principe très- simple. Et
c'est par l'Analogie que la Philosophie
II. Vol. Cilj atteint
1310 MERCURE DE FRANCE
atteint à cette simplicité féconde de la
Nature.
2. En general cette Analogie nous apprend
, que s'il y a bien des Sciences et
des Arts , il n'y a pourtant qu'une verité ,
dont ces Arts et ces Sciences ne sont
,
que les differens points- de- vûë , les divers
aspects. La Poësie en particulier et
la Philosophie , quelque irréconciliables
qu'elles paroissent , ne different que par
là , par le point- de- vûë , par l'expression.
3. Le Poëte pense et parle. Le Philosophe
refléchit
raisonne et discourt ;
c'est- à- dire , le Poëte enveloppe dans une
pensée et souvent dans un mot le raisonnement
du Philosophe , et le Philophe
dans un raisonnement étendu , developpe
la pensée , le mot du Poëte.
C'est cet enveloppement et ce développement
seuls qui caracterisent les deux
genres , relativement l'un à l'autre.
4. Mais c'est toujours le même objet ,
la même nature , la même vérité , que
le Poëte et le Philosophe peignent également
, l'un en grand, l'autre en racour
ci et comme en miniature.
5. Lorsque cet objet est nouveau ,
merveilleux
élevé , interessant , qu'il
donne à penser , qu'il étend les vûës de
l'esprit , le Raisonnement philosophique
II. Vol.
JUIN. 1733 1311
que qui le développe , prend le nom de
Découverte , la pensée poetique qui le
révele , prend celui de Pensée sublime.
Venons à des Exemples.
6. Mais auparavant je dois poser comme
un Principe , cette maxime sublime
elle- même , de Despreaux , que
Rien n'est beau que le vrai, le vrai feul est aimable ,
Il doit degner par tout et même dans la Fable.
En effet la découverte du faux ne
peut être une vraye decouverte ; car découvrir
ce qui n'est pas, c'est bien pis que
de ne rien découvrir ; et une pensée fausse
ne sera jamais une belle pensée .
7. Cela supposé , Virgile peint la nuit,
en disant qu'elle ôte aux choses leurs
couleurs , rebus nox abstulit atra colores.
Cette idée est sublime , belle du moins ,
car je ne veux point de dispute. Or qu'estce
qui en fait la beauté ? Je le demande
aux Commentateurs. Mais que nous en
ont ils dit ? Des Tropes , des figures , des
allégories , des métaphores. Je ne connois
point tout cela. Mais je demande
encore si c'est du vrai , si c'est du faux
que Virgile nous donne- là.
8. Aristote nous a tracé les vrayes regles
de la Poëtique et même de la Rhéto
rique. Ce sera donc un Philosophe , ce
sera Descartes qui nous apprendra que
11. Vol
CY les
1212 MERCURE DE FRANCE
les couleurs n'étant qu'une lumiere mo
difiée , la nuit en chassant la lumiere a
chassé les couleurs ; et qu'ainsi la pensée de
Virgile a tous les caracteres du sublime
du grand , du beau , étant d'abord vraye ,
et ensuite nouvelle , merveilleuse,profonde
paradoxe même , et contraire au préjugé.
9. Car je pense que c'est par rapport
à nous et pour nous qu'une pensée est
sublime , c'est-à- dire , comme placée en
un lieu sublime , escarpé , difficile à atteindre
, et par là très - merveilleuse et
toute aimable , lorsqu'elle daigne en quel
que sorte s'abaisser jusqu'à nous qui n'aurions
pû , sans le secours du Poëte comme
inspiré et sans une espece
de secours
divin , nous élever jusqu'à elle.
10. Virgile dit ailleurs :
Provehimur portu terraque urbesque receduns.
"Nous sortons du Port , et nous voyons
les terres et les Villes se retirer . Cette image
est magnifique; mais ce n'est que parce
qu'elle est d'après nature et qu'elle renferme
une verité philosophique que le tems
nous a revelée , quoiqu'elle soit encore toute
paradoxe , toute sublime , toute poëtique
; Car l'Auteur n'est pas encore dans
le cas du sublatam ex oculis , & c. d'Horace .
11. Quelle est donc cette verité ? C'est
11. Vol.
eelle
JUIN. 1733. 1313
celle de la nature du mouvement , qui
n'a d'absolu que son existence , et dont
l'essence consiste dans un simple chan
gement de rapport de distance de divers
termes , dont l'un ne peut se mou .
voir sans qué les autres se meuvent aussi
je m'éloigne du Port , le Port s'éloigne
de moi , je fuis les terres et les Villes ,
les terres et les Villes me fuyent .
12. Cela est fort ; car les voila toujours
à la même place. Oui , les unes
par rapport aux autres ; et dans ce sens
me voila immobile moi- même à la même
place dans le Vaisseau qui m'emporte.-
Mais par rapport à ce Vaisseau et par
rapport à moi , tout l'Univers se remuë
lorsque nous nous remuons. La Rame ;
repousse le rivage ou Feau ; l'eau ou le
rivage repousse la Rame et le Vaisseau ;*
l'action et la réaction sont égales , la séparation
est réciproque. Mais ce siecle ..
n'a droit de jouir que des découvertes ›
du précedent , qui s'en mocquoit..
13. Laissons les discussions philosophi
ques écoutons les Commentateurs. Vous
êtes , me disent- ils , vous êtes duppe de
votre imagination. Il est vrai que les .
terres et les Villes semblent fuir . On s'imagine
qu'elles fuyent , c'est tout comme
si elles fayoient ; mais elles ne fuyent pass
II.. Vol. Cvjs poure
1314 M'ERCURE DE FRANCE
pour cela. L'expression de Virgile n'est
qu'une comparai on , une Analogie sousentendue
, une allégorie , une, métaphore.
Fort bien .
14. Mais je reviens à ma Regle , qui
n'est pas e imagination , et qui est ,
ce me semble , la plus solide Regie de
bon sens qu'on puisse consulter. Cela
est -il vrai ? cela est - il faux ? Virgile
ment-il? Virgile dit- il la vérité? S'il ment,
si sa pensée est fausse , elle n'est donc
pas belle , elle est frivole , sophistique ,
miserable ; fi elle est belle , admirable
sublime , comme on l'a cru jusqu'icy ,
je reviens à Despreaux , et je dis avec lui,
Rien n'est beau que le vrai , le vrai seul
&c. est ,
15. Je puis me tromper , mais il me
semble que bien des gens se repaissent
de choses vagues et qu'ils aiment à s'en
repaître , même dans les Sciences , et
sur tout dans ce qui s'appelle Belles- Lettres
. Tout y est plein de je ne sçai quoi
On diroir
que la précision des idées les
gêne , les contraint , leur paroît insup
portable. Ils sont toûjours en garde et
prets à combattre contre cette précision ,
comme les Romains pour leur liberté.
C'est la liberté d'esprit , en effet , qu'on
retrouve dans ces idées vagues qui le
II. Val. ber
JUIN. 1733 . ·1315
bercent doucement et le balancent entre
le oui et le non , entre le vrai et le faux.
Il en coûte , et il faut une espece d'effort
d'esprit pour se fixer à une verité
précise et indivisible.
"
16. Outre la paresse de l'esprit , il y a
encore un interêt de coeur , qui fait qu'on
aime à se tenir comme neutre entre la
plupart des veritez et des erreurs qui
leur sont opposées. Moyennant cette nou
tralité que l'inattention de l'esprit rend
facile , on est toujours prêt à se ranger
au parti que la passion du coeur rend le
plus agréable. Mais c'est là de la moralité .
17. Victrix causa Diis placuit, fed victa Catoni ,
dit Lucain , que Brebeuf,a rendu parc vers
Les Dieux servent Cesar , mais Caton fuit Pom
péc.
Cette pensée a eû des Approbateurs et
des Critiques. Les uns en ont fait un modele
de sublime , les autres l'ont cruë fausse
et purement enflée. C'est bien pis , d'autres.
l'ont traitée d'impie et de sacrilege . La
Philosophie seule a droit d'en décider .
18. Rien n'est plus simple que le fond
de verité philosophique , morale même
et presque théologique , que ce Vers de
Lucain renferme ou suppose. Les Dieux
ou plutôt Dieu tout miséricordieux et très
lent à punir , laisse souvent prosperer le
II. Vol. crime
T316 MERCURE DE FRANCE
crime dans cette vie et pour un temps.
Et bien nous en prend à tous ; que deviendrions-
nous si la peine suivoit de si
près le peché? Il n'en est pas de- même
des hommes ; il leur est expressément
enjoint de s'attacher immuablement au
parti de la justice ou de la verité connuë
,, sans en juger par les apparences
ni par aucune sorte d'évenement. Le
Commentaire est donc facile désormais.
Les Dieux servent César parce qu'il leur
plaît , placuit. Caton suit Pompée, parce
qu'il le doit.
19. Lucain est outré , dit-on ; cela se
peut quelquefois ; mais quelquefois il
peut n'
n'être que fort élevé , fort sublime..
Une verité n'est pas toujours mûre , même
pour la Poësie . Corneille n'a pas
laissé de meurir quelque traits de Lucain;
mais Corneille lui - même passe pour être
souvent guindé.
20. Ces quatre Vers ont été fort cri
tiquez.
Pleurez , pleurez mes yeux , et fondez - vous en eau,
La moitié de ma vie à mis l'autre au tombeau ,
Et me laisse à venger après ce coup funeste ,
Celle queje n'ai plus sur cellè qui me reste.
Je ne disconviendrai pas que la Poësie ,
sur tout la Dramatique , étant faite pour
II. Vol.
tout
JUI N. 1733. 1317
tout le monde , et ses beautez devant
consister dans des traits détachez et commeimperceptibles
plutôt que dans desRaisonnemens
Philosophiques un peu étendus
et développez . il n'y ait du trop dansces
Vers de Corneille.
21. Si le Poëte avoit pû renfermer lesmêmes
beautez dans un seul Vers ou deux
tout au plus , en jettant même un petit
nuage sur des veritez qu'il a renduës
trop sensibles , trop précises , trop dogmatiques
, rien n'auroit été plus sublime .
Car du reste je ne conviendrai pas qu'il
y ait du faux dans sa pensée . Chimene
peut regarder la vie de son Pere comme
la moitié de sa vie , aussi bien que celle
de son mari futur , puisque , selon l'Ecriture
, erunt duo in carne una. Et il n'y
a rien d'outré à dire qu'une fille se
partage entre ce Pere et ce Mari , et que
toute sa vie dépend des deux. Oui , mais
-H y en a donc trois parties ; celle du Pere,
celle du Mari et la sienne ? Et ce sont
des tiers et non des moitiez. Mauvaise
plaisanterie que celle-là . Chimene ne vit
plus en elle-même dès qu'elle se partage
ainsi Ce qui est si vrai , que si son Perc
et Rodrigue meurent , on ne s'attend
qu'à la voir mourir . Mais la verité ellemême
dépend de l'expression .
II. Vol.
22.
7318 MERCURE DE FRANCE
22. En géneral toute verité a droit de
plaire ; mais toute verité nouvelle , profonde,
sublime , éblouit et révolte même l'esprit
et souvent le coeur. Pour la faire
goûter il faut en temperer l'éclat. Or on
tempere cet éclat en l'enveloppant et ne
le laissant qu'entrevoir à demi comme
un trait vif qui perce et qui disparoît. Et
voilà le devoir et l'avantage de la Poësie.
23. Naturellement elle enveloppe et
elle doit envelopper les véritez. Double
avantage du Poëte . Sous cette enveloppe
et sous cet air mysterieux , qui n'est
qu'une affaire d'expression , les veritez
communes deviennent souvent nouvelles
et sublimes ; et les veritez nouvelles
et sublimes par elles mêmes, brillent toujours
assez sans ébloüir. L'enveloppe picque
toujours la curiosité , d'autant plus
qu'elle la satisfait moins.
24. Toute la gloire du Philosophe consiste
dans la découverte de la verité . Mais
une verité toute découverte , lorsqu'elle
est neuve , blesse la vûë et réveille souvent
la jalousie contre son Auteur. Un
génie à découvertes , comme un Descartes
, devroit , s'il étoit bien consulté , ne
proposer son sistême que sous l'envelope
de la Poësie et de la fiction. Il n'y perdroit
rien ; car tout nouveau sistême est
II. Vol.
toujours
JUIN. 1733 1319
toujours traité de fiction et de Roman ;
il y gagneroit même beaucoup. On court
après une verité qui se dérobe ; et un
bon Commentaire feroit bien - tôt adopter
comme philosophiques des veritez
qu'on auroit goûtées d'abord comme Poëtiques.
C'est par la fiction , c'est - à- dire ,
par l'invention qu'on est Poëte ; et lorsqu'on
est né Poëte , les Vers ou la Profe
ne sont plus que des formalitez , des expressions
arbitraires . Mais ces refléxions
viennent quelquefois trop tard .
25. Cependant la gloire du Philosophe
paroît l'emporter en un sens sur celle du
Poete. Celui cy a beau semer les plus
profondes veritez , il n'est jamais censé
parvenir jusqu'à la découverte , qui est
presque l'unique gloire de l'esprit humain.
Il n'y parvient pas non - plus ; il ne
voit la verité que comme il la présente
sous le voile , dans le nuage. C'est par
une espece d'instinct ou d'enthousiasme
et à la pointe de l'esprit , qu'il la saisiť
comme en passant. C'est inspiration , c'est
révélation , si l'on veut . Mais les Prophetes
ne comprennent pas toujours tout ce
que Dieu révele par leur organe à l'Univers.
Virgile , après avoir dit que la
nuit emporte les couleurs , auroit bien
pû n'être pas Cartésien sur l'article.
II. Vol. 26.
1320 MERCURE DE FRANCE
26. Mais comme c'est toujours la Nature
que le Poëte peint , le Philosophe
ne sçauroit trop méditer le sens profond
de tous les traits véritablement sublimes
qui sont répandus chez les Poëtes plus
que chez aucune autre sorte d'Ecrivains.
C'est- là le véritable emploi du Philosophe
, de comprendre ce que les autres
ne font que sentir , de tourner l'instinct
en pensée , la pensée en refléxion , la refléxion
en raisonnement. Je regarde tous
ces grands traits qu'on admire dans les
Poëtes comme autant de semences de dé-
Couvertes.
27. Or c'est l'Analogie qui rend ces
traits poëtiques , féconds en découvertes
Car ce qu'on appelle chez les Poëtes ou
chez les Orateurs , Métaphore, similitude ,
allégorie , figure ; un Philosophe , un
Géometre non hérissé l'appelle Analogie,
proportion , rapport. Toutes nos décou
vertes , toutes nos veritez scientifiques ,
ne sont que des veritez de rapport . Et
par là souvent le sens figuré dégenere
en sens propre , et la figure en réalité.
28. Je dirai quelle est ma regle en ce
point. Lorsque je rencontre quelqu'un de
ces traits poëtiques ou autres , concernant
la Nature , ou tout autre objet philosophique
, et que ce trait me paroît
1. Vol. beau
JUIN. 1733. 1321
beau et sublime , sur tout s'il paroît tel
au commun des Lecteurs , je commence
selon la Méthode de l'Analise géométrique,
par le supposer vrai , même litteralement
vrai. Ensuite par les conséquences
que j'en tire selon les regles du même
Art , je le vérifie . Et enfin après me l'être
démontré à moi -même , je me mets
en état de le démontrer aux autres.
29. Par exemple , tout ce que je viens
de dire , je crois le devoir à la maxime
de Despreaux ; que rien n'est beau que le
vrai. Ce Vers m'a bien mieux appris ce
que c'est que le sublime que tout le
Traité de Longin , traduit par le même
Despreaux ; Traité que j'avoue qui m'a
toujours paru fort beau , mais un peu
vague , un peu oratoire , et plus enflé
de discours , que nourri d'explication et
d'idées philosophiques.
30. Au lieu qu'en supposant la Maxime
en question , et partant de -là , il m'a
été facile de conclure que le sublime
consistoit dans une verité toute neuve
en elle même , ou dans son point-de- vûë,
ou par son expression , et présentée sous
une espece d'envelope qui en rehausse
l'éclat en le temperant. Le Fiat bux que
Longin trouve si sublime , ne l'est que par
le vrai nouveau , profond , merveilleux.
L.
II. Vol. 3L.
1322 MERCURE DE FRANCE
31. Qu'on parle d'un Ouvrage des
hommes , il faut bien des paroles , des
discours , des descriptions pour en faire
connoître la façon . Pour les Ouvrages
de Dieu , comme il n'a fallu qu'un mot
pour les faire , dixit et facta sunt , il ne
faut qu'un mot pour les peindre , et cette
peinture est toujours sublime , parce
qu'elle est extraordinaire , unique , divine.
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Résumé : REFLÉXIONS sur la Nature et la source du Sublime dans le Discours : sur le vrai philosophique du Discours Poëtique, et sur l'Analogie qui est la clef des Découvertes. Par L. P. C. J.
Le texte 'Réflexions sur la Nature et la source du Sublime dans le Discours' examine la relation entre la poésie et la philosophie, soulignant que ces deux disciplines, bien que différentes dans leur expression, partagent une même vérité. Le poète et le philosophe se distinguent par leur manière de présenter cette vérité : le poète l'enveloppe dans une pensée ou un mot, tandis que le philosophe la développe dans un raisonnement étendu. Les deux disciplines peignent le même objet, la même nature, mais différemment. Le texte insiste sur l'importance de la vérité dans la création poétique, citant la maxime de Boileau : 'Rien n'est beau que le vrai'. Il utilise des exemples, comme un vers de Virgile décrivant la nuit, pour illustrer comment une pensée poétique peut être sublime si elle est vraie et nouvelle. La philosophie, représentée par Descartes, explique que la pensée de Virgile est sublime car elle est basée sur une vérité scientifique. Le texte critique ceux qui préfèrent les idées vagues aux idées précises, soulignant que la vérité, même si elle est nouvelle et profonde, doit être enveloppée pour être appréciée. La poésie a ainsi le devoir d'envelopper les vérités pour les rendre sublimes et accessibles. La gloire du philosophe réside dans la découverte de la vérité, mais le poète, par son instinct et son enthousiasme, saisit la vérité de manière inspirée. Le philosophe doit méditer les traits sublimes des poètes pour en comprendre le sens profond. L'auteur décrit sa méthode pour vérifier les traits poétiques ou philosophiques. Lorsqu'il rencontre un trait beau et sublime, il le suppose vrai et le vérifie par les conséquences qu'il en tire. Par exemple, la maxime de Boileau 'rien n'est beau que le vrai' a mieux enseigné à l'auteur le sublime que le traité de Longin, jugé vague et oratoire. Le sublime est défini comme une vérité nouvelle, soit en elle-même, soit par son expression, présentée sous une forme qui en rehausse l'éclat. Pour les œuvres de Dieu, un seul mot suffit pour les décrire de manière sublime, car elles sont extraordinaires et divines.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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27
p. 1801
LOGOGRYPHUS.
Début :
Astra colo soboles aterni virgo tonantis, [...]
Mots clefs :
Vérité
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texteReconnaissance textuelle : LOGOGRYPHUS.
LOGOGRYPHUS.
AStra colo soboles aterni virgo tonantis ,
Raro terra tenet , fallacia tartara nunquam ,
Bina , meum , repetita dabit ter littera nomen ;
In partes , cautus , quod si diviseris aquas ;
Sancta, prior , tolerata diu jejunia claudet ,
Altera , Christiadum sacris sinit ire peractis
AStra colo soboles aterni virgo tonantis ,
Raro terra tenet , fallacia tartara nunquam ,
Bina , meum , repetita dabit ter littera nomen ;
In partes , cautus , quod si diviseris aquas ;
Sancta, prior , tolerata diu jejunia claudet ,
Altera , Christiadum sacris sinit ire peractis
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28
p. 2002
« Les Enigmes et Logogryphes du mois d'Août, doivent s'expliquer sur Toile, [...] »
Début :
Les Enigmes et Logogryphes du mois d'Août, doivent s'expliquer sur Toile, [...]
Mots clefs :
Toile, Fusil, Crosse, Crime, Pavot, Verdun, Vérité
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texteReconnaissance textuelle : « Les Enigmes et Logogryphes du mois d'Août, doivent s'expliquer sur Toile, [...] »
Les Enigmes et Logogryphes du mois
d'Août , doivent s'expliquer sur Toile
Fusil , Crosse , Crime , Pavot , Verdun
Verité.
d'Août , doivent s'expliquer sur Toile
Fusil , Crosse , Crime , Pavot , Verdun
Verité.
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29
p. 2819-2834
SECONDE Lettre de M. D. L. R. sur la Litterature des Mahometans, et sur celle des Turcs en particulier.
Début :
Je réponds, Monsieur, le plutôt qu'il m'est possible à la derniere Lettre que [...]
Mots clefs :
Littérature des mahométans, Turcs, Constantinople, Bibliothèque, Histoire, Ignorance, Sciences, Roi, Vérité, Paris, Levant, Lettres, Mosquée, Préjugé, Langues
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SECONDE Lettre de M. D. L. R. sur la Litterature des Mahometans, et sur celle des Turcs en particulier.
SECONDE Lettre de M. D. L. R.
sur la Litterature des Mahometans , et
sur celle des Turcs en particulier.
J
E réponds , Monsieur , le plutôt qu'il
m'est possible à la derniere Lettre que
vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
de Constantinople le 30 Mars dernier ,
et je commence par l'Article le plus es
sentiel et que vous me recommandez
particulierement. Vous me demandez si
j'ai prétendu parler bien sérieusement ,
II. Vol.
2820 MERCURE DE FRANCE
du moins s'il n'y a rien d'exagéré dans
la Lettre qui concerne la Litterature des
Mahometans et celle des Turcs en particulier
, que vous avez lue dans le Mercure
de Septembre 1732. ajoûtant que
vous attendez ma réponse pour me développer
les Reflexions que vous avez
faites là-dessus et que dès à présent, c'està-
dire , sans attendre ma Réponse , vous
êtes dans le Préjugé general que les Turcs
sont d'une ignorance crasse ,
très- peu
curieux d'en sortir , &c.
Je vous dirai d'abord , Monsieur , que
j'ai écrit très sérieusement sur le sujet en
question , que je ne crois pas avoir rien
exageré et que je n'ai rien avancé sans
autorité , sur quoi je vous renvoye à ma
Lettre même du Mercure , sans préjudice
des autres autoritez que je puis encore
vous alleguer.
J'ajoûterai à cette affirmation que ce
n'est pas mon Voyage du Levant seul
qui m'a détrompé sur la prétendue ignorance
des Turcs ; je suis allé dans l'Orient
presque avec le même Préjugé où
vous êtes aujourd'hui , et que plusieurs
années de séjour n'ont pas encore détruit
chez vous , Préjugé , pour le dire
en passant , qui empêche , qui ôte l'envie
de s'instruire et de parvenir à la découverte
de la verité.
DECEMBRE . 1733. 2827
Mon voyage ne m'a donné là - dessus
qu'une premiere lueur , mais cette lueur
est devenue lumiere et certitude par les
lectures que j'ai faites depuis mon retour
des ouvrages des Mahometans Anciens et
Modernes , qui fe trouvent dans la Bibliotheque
du Roy et ailleurs , et par le
long commerce que j'ai eû avec plusieurs
sçavans d'élite en érudition orientale ,
qui ont passé une partie de leur vie dans
le Levant et qui sont morts à Paris dans
une haute réputation de vertu , et d'amour
pour la verité. Je n'en nommerai
ici que deux , sçavoir.
François Peris de la Croix Parisien
Sécretaire , Interprete du Roy pour les
Langues Orientales , Professeur en Arabe
au Collège Royal , mort sur la fin de
l'année 1713. M. Colbert le fit passer
dans fa jeunesse et séjourner fuccessivement
à Alep , à Hispaham , à Constantinople
, pour apprendre en perfection les
trois principales Langues , l'Histoire , les
Coutumes & c . des Nations du Levant.
Dans son instruction , dont j'ai une copie,
cette habile Ministre lui ordonne de
s'instruire particulierement à l'égard des
Sciences et des Arts cultivez dans ces differens
Pays. M. Petis en rapporta beaucoup
de doctrine Orientale , dequoi il a
?
11, Vol. donné
822 MERCURE DE FRANCE
·
donné des preuves toute sa vie , et plusieurs
Manuscrits utiles , dont il a tra
duit une bonne partie , entre lesquels est
la curieuse Bibliotheque de Hadgi Calfa,
Turc moderne de Constantinople , * qui
feule est capable de détruire le Préjugé
commun de la prétendue ignorance des
Mahometans & c .
Et Antoine Galland de Noyon , de
PAcadémie Royale des Inscriptions et
des Belles Lettres associé à celle des
Ricovrati de Padoue , Antiquaire du Roy,
Professeur en Arabe au Collège Royal ,
mort au mois de Février 1715 Il suivie
le Marquis de Nointel dans fon Ambassade
de Constantinople , dans son voyage
de la Palestine,et dans sa visite des Echelles
du Levant. De retour en France il fit
encore dux voyages à Constantinople
et au Levant par les ordres de M M. Col
* Ce seul Ouvrage peut détromper bien des gens,
et même quelques Sçavans , qui croyent que les
Turcs et autres Mahometans négligent les Sciences ,
trompez par des Voyageurs , qui ne sçackant pas les
Langues , n'ont pas på conferer avec les Sçavans
des l'ays qu'ils ont parcourus . Cette Bibliotheque
est une veritable Encyclopedie de toutes les Sciences
et de tous les Arts chez les Orientaux . Préface de
P'Histoire de Tamerlan , traduite du Persan pat
M. Peus de la Croix, et donnée au Public après
sa mort. 4. vol. 1 12. Paris 1722.
11. Vol. bert
DECEMBRE . 1733. 2823
1
bert er de Louvois , pour la recherche
des Medalles et des Manuscrits . ce qui
acheva de le perf.ctionner dans l'intelligence
des Langues , et dans la connoissance
de l'Histoire et de tout ce qui concerne
les Orientaux . Il étoit d'ailleurs bon
Critique , excellent Antiquaire et naturellement
Philofophe. Il a composé plusieurs
Ouvrages , dont quelques uns ont
été imprimez. De ses Manuscrits ceux
qui regardent l'Orient ont passé dans la
Bibliotheque du Roy. On lui doit l'Edition
de la Bibliotheque Crientale de
M. d'He belot , faite à Paris en 1697 ,
grand in fol.de 106 pag. et la belle Préface
qui est à la tête . a Preface dont la
(a) On fait quelque grace aux Arabes , et ils
passent pour avoir autrefois cult vé les Sciences aves
grande application. On attribue de la politesse aux
Per ans et on leur rend justice .Mais , par leur nom
seul , les Turcs sont tellement décriez , qu'il suffit
ordinairement de les nommer pour signifier une
Nation grossiere , barbare et d'une ignorance achevée
, et sous leur nom on entend parler de ceux qui
sont sous la domination de l'Empire Ottoman . Cependant
on leur fait injustice ; car sans s'arréter à
Les justifier ici de barbarie et de grossiereté , ce qui
demanderoit un détail .... On peut dire à l'égard
de l'ignorance , qu'ils ne cedent ni aux Arabės ni
aux Iersans dans les Sciences et dans les Belles- Lettrer
, communes à ces trois at.ons , et qu'ils les
cultivent presque dès le commencement de lcur Em-
II. Vol.
scule
2824 ME RCURE DE FRANCE
seule lecture est capable de détruire l'erreur
des Européens qui excluent la cul
ture des Sciences et des beaux Arts de
tout le Mahométisme.
Je pourrois , Monsieur , m'en tenir à
ces autoritez , persuadé qu'elles sont plus
que suffisantes pour confirmer tout ce
que j'ai avancé dans ma premiere Lettres
mais je ne puis omettre un troisiéme Témoin
qui se presente icy bien naturelle.
ment ; Témoin illustre et des plus recevables
sur le sujet qui est en question ;
c'est le fameux Comte de Marsigli, dort
on vient de publier un bel Ouvrage sur
l'Etat (a ) Militaire de l'Empire Ottoman ,
& c.
Ce Seigneur vint à Constantinople avec
pire. La Bibliotheque Orientale en fait foi, et observe
dans leur Histoire une suite continuelle de Docteurs
de leur Religion et de leur Loy , très fameux et
très estimez parmi eux , tant pa . leur Doctrine que
par leurs Ecrits. Ils ont aussi des Historiens trèscelebres
e: très - exacts des Actions de leurs Sultans ,
et on peut compter comme une marque de la délicatesse
de leur esprit le nombre considerable de leurs
Poëtes , qui montoit à 590. vers la fin du siecle
passé , & c. A. Galland , dans son Discours pour
servir de Préface à la Bibliotheque Orientale de
B. d'Herbelot.
(a ) STATO MILITARE dell' Imperio Ottomano
, &c. 1. vol . fol. A la Haye et à Amsterdam
1732.
11. Vol.
DECEM DK E. 1733. 2825
an Ambassadeur de la République de
Venise , n'étant encore âgé que de vingt
ans , dans le dessein de s'instruire à fond,
principalement sur le sujet que je viens
que
de dire , rempli auparavant des préjugez
ordinaires , & c . Il servit ensuite l'Empereur
dans les Guerres de Hongrie . Pris
par les Tartares,qui le vendirent au Pacha
de Témiswar , &c. il sçut mettre à profit
son infortune , pour acquerir toutes les
connoissances qui lui manquoient. Après
avoir recouvré sa liberté , il reprit ses
Emplois dans l'Armée Impériale , et il les
conserva jusqu'à la Paix de Carlowits
à laquelle il servit même utilement ; et ,
après la Paix il fut établi Commissaire
Général pour le Reglement des Limites.
Dans l'Ouvrage qui vient de paroître ,
où il ne s'agit rien moins que de Science
et de Litterature , l'Auteur n'a pû
s'empêcher de rendre là - dessus un témoignage
à la verité. Après avoir dépeint
les Turcs , qu'il dégrade tant qu'il
peut , indolens , mous , oisifs , sur tout
les Asiatiques , n'agissant que par nécessité
, &c. il se récrie contre nos préjugez
sur le point de leurs Etudes. Il par
fe de Constantinople et des autres grandes
Villes , » comme étant remplies de
Personnes instruites dans le Mahome-
II. Vol. Ꭰ tisme
2020 TRANCE
» tisme , qui sçavent au moins les trois
» Langues , le Turc , le Persan et l'A-
» rabe : Esprits cultivez en plus d'un gen-
» re de Litterature , Poëtes délicats , His-
» toriens polis , mais d'une exactitude ,
» scrupuleuse , et par là un peu ennuyeuxs
Dialecticiens subtils , Moralistes pro-
» fonds , Géomêtres , Astronomes , Géographes
, et par dessus tout grands Alchymistes
; ce qu'il a été en état , de :
» prouver par un Catalogue de plus de
» 86000 Ecrivains du dernier siécle , re
>> cueillis dans sa Bibliotheque de Boulogne
, et dont il à fourni une Copie:
» pour celle du Vatican . Si les Turcs
n'impriment pas , ce n'est pas , dit il ,
» qu'il ne leur soit libre de le faire ; leur
» motif est de ne pas empêcher une mul-
>> titude innombrable de Copistes de ga
» gner leur vie. On en comptoit 90009
>> pendant son séjour à Constantinople..
» Une autre sorte d'Etude , selon le mê
» me Auteur , c'est que nul Gouverne,
ment au monde n'est plus appliqué et
plus ponctuel que le Gouvernement
Turc , pour conserver des Registres
A
* Le Comte de Marsigli est de Boulogne , et y a
fondé une Académie . Il est des Académies Royales
des Sciences de Paris et de Montpellier , et de la
Societé Royale de Londres,
II. Vol exacts
DECEM DN E. 1733• 2027
exacts en tout ce qui regarde les Trai-,
a tez avec les Puissances Etrangeres , le..
» Domaine , le Cérémonial , l'Expédi
tion des Ordres , celles des Arrêts ou
Ordonnances et Commandemens ; l'E-
>> tat des Officiers en service , et singulie
☐rement les Finances.
Au reste , Monsieur , je vous connois
un si bon esprit , tant d'amour et de vénération
pour la vérité , pour me servir
de vos termes sur ce sujet , que je ne désespere
pas de vous voir changer un jour
de sentiment , sur tout si vous voulez
vous donner la peine d'apprendre seulement
le Turc , qui n'est pas une Langue
fort difficile, et dans laquelle je vous crois
déja initié;cela vous mettroit en état d'entrer
plus souvent dans cette grande Ville,
de laquelle vous êtes peut - être autant separé
par le préjugé , que par un petit bras
de Mer , et de vous instruire par vousmême
, en conferant avec les Gens de Lettres
, & c. Je ne doute pas que vous
in'ayez trouvé des Turcs d'une ignorance
crasse , et comme vous dites , tres- peu
curieux d'en sortir ; mais ce n'est pas
assez pour affirmet la même chose de
toute la Nation . Où ne trouve- t-on pas
dans l'Europe même , de la rusticité et de
l'ignorance ? On trouve aussi du goûr
II. Vol. Dij de
2808 MENCURE
de la Politesse , et de l'Erudition , quand
rien n'empêche d'en chercher. Mais en
voilà asez sur ce sujet.
Rien n'est plus sensé et plus dans le
vrai que ce que vous me dites , Monsieur,
sur l'impropriété du mot de Sophi , par
lequel les Ecrivains Européens , suivis en
dernier lieu par le a P. du Cerceau , désignent
le Roy de Perse. Vous convenez
qu'à ne consulter que la raison , cette
expression est tout- à fait vicieuse , comme
je l'ai prouvé dans un article de mes
Lettres , auquel votre politesse donne le
nom de Dissertation. La verité est qu'on
n'a point encore décidé dans les formes
que ce terme doive être proscrit parmi
ceux qui se piquent de parler correcte
ment mais en attendant cette décision ,
et malgré la continuation du mauvais
usage par des Ecrivains mal instruits , ou
entêtez , ibn'est pas moins certain qu'on
-he prescrit jamais contre la vérité et contre
la raison , et qu'il est toujours temps
de reclamer en leur faveur. L'usage ,j'en
-conviens ; décide le plus souvent en fait
de langue , au préjudice du bon sens et
des régles, mais c'est quand il ne s'agit
précisément que de la Grammaire. Icy il
( a ) Hissoire de la derniere Révolution de Perse
2 vol . in 12. Paris. 1728,
M. Vel.
s'agie
DECEMBRE . 1733. 2829
s'agit d'un point d'Histoire et de Critique.
J'espere m'étendre davantage sur
ce sujet dans un Ecrit que je prépare , et
qui soutiendra peut- être le titre que vous
voulez bien lui donner par avance .
J'ai enfin reçu depuis peu le beau Jusdam
, ou le Porte Lettres de fabrique
Turque , que vous m'aviez annoncé, orné
d'une broderie parlante ; et si cela se
peut dire , bien obligeante de la part de
ceux qui me font l'honneur de me l'envoyer.
Ils devoient en envoyer aussi l'interprétation
; car je ne sçai si nous aurons
bien réussi à expliquer les deux Vers Persans
qui sont si artistement brodez dessus.
C'est ce que vous pourrez faire examiner
par vos Experts . Voici comment
on a lû et interpreté icy cette galanterie
orientale.
Djah toй hemtchou ni i met ferdaous bi zevăl ,
Felicitas tua sicut gratia Paradisi sine defectu
Umr toй hemtchou middet eflāk bi chumăr,
Atas tua sicut spatium sæculorum sine numero.
On s'est servi de la Langue latine pour
mieux rendre l'original Persan , auquel
les Vers suivans , ajoutez par l'Autheur
ême de la Traduction , pourront servir
de Paraphrase :
II. Vol. Djij N...
2830 MERCURE DE FRANCE
N... qu'un bonheur durable
Soit compagnon de tes travaux ,
Qu'il soit exempt de tous les maux ,
Qu'aux biens du ciel il soit semblable.
Que des jours longs et gracieux
Rendenr ton sort digne d'envie ,
Que le terme du cours des Cieux
Soit aussi celui de ta vie.
J'ai reçu presque en même- tems et da
-même Païs , une très- belle Cornaline ,
qui à, sans doute, servi de Cachet à quelque
dévot Musulman de distinction , car
on y lit ces mots Arabes , tres-bien gravez
en caracteres Persans : Mazhar ila
faiz Aichay , c'est- à-dire , protegé par les
faveurs d'Aichay.
Aichay ou Aischah est une Personne
des plus respectables du Mahométisme
en qualité de troisiéme Femme de Mahomet
, et de Fille d'Abdallah , surnommé
depuis a Abubekre ou Pere de la Pudelle
, parce qu'à son exception , ce faux
Prophete n'a épousé que des Veuves . S'il
y a jamais eu des Héroïnes et des Femmes
sçavantes chez les Musulmans , cel
(a ) Abubckre , successeur immédiat de Mabomet
, et le premier des Califes.
11. Kola
k.
DECEMBRÉ . 1933 . 2831
le-cy doit être considérée comme la plus
celebre et la plus ancienne. Son autorité
dans la Religion fut grande de tout tems
parmi les Sunnites , ou les Orthodoxes
pour avoir retenu et transmis ce grand.
nombre de Paroles prétendues Remarquables
de Mahomet , et de Traditions ,
qui ont fait depuis un corps de Doctrine
appellé la Sunna. Aischah par cette raison
est souvent qualifiée de Nabiah ơs
de Prophétesse , et de Seddika , ou de témoin
fidele et authentique. Ils l'appel
lent aussi la Mere des Fidelles .
Sa renommée n'est gueres moins grande
dans l'Histoire du côté de la Politique
et du Gouvernement , et par la valeur
qu'elle fit enfin paroître à la fatale journée
du (a ) Chameau, dans la Bataille qu'elle
donna contre l'Armée d'Ali , pour vanger
la mort du Kalife - Othman , donnant
par sa présence et par son exemple le
mouvement et le courage à ses Troupes.
Bataille sanglante dans laquelle il y eut
près de zo mille Arabes de tuez sur la
place ; qu'elle perdit cependant avec sa
: ( a ) Ainsi nommée par les Historiens , à cause
du Chameau que montoit Aischah , lequel on ne
put jamais arrêter dans la mêlée , qu'en lui coupant
les Jarrets , ce qui donna lieu à la prise de la
Princesse , et à la déroute de son armée , c. )
II. Vol. D iiij.li2832
MERCURE DE FRANCE
liberté. Ali la lui rendit depuis , en la
renvoyant à Médine, où elle mourut l'an
58 de l'Hégire (a) , c'est à.dire fort âgée,
et fut inhumée auprès de Mahomet son
Epoux.
Je vous envoye avec plaisir, le Plan de
la Principale Face de la Mosquée de sainte
Sophie de Constantinople , gravé icy
par le Sr Surugue , Graveur du Roy , à
l'occasion duquel on a fait en peu de
mots la Description et l'Histoire de ce
fameux Temple, dans le II.Vol.du Mercure
de Juin 1732. Cette Description a
donné lieu à une Critique . M. A .. . de
Marseille , qui a séjourné à Constantinople
, soutient que l'eau de la Mer entre
dans les voutes souterraines , sur les
quelles tout l'Edifice est bâti , et qu'on
peut y aller en Batteau ; circonstance
qu'il ne falloit pas , dit-il , omettre dans
cette Description ; promettant de don
ner là-dessus un Ecrit , qu'il ne donne ce
pendant point.
J'admire , Monsieur , votre complaisance
, laquelle , quoique persuadé du
contraire , par la haute situation où se
trouve cette Mosquée , et par son grand
éloignement du Niveau de la Mer , vous
a porté à vouloir éclaircir ce fait extraor
(a ) 677 de JESUS -CHRIS T.
1x 11. Vol.
diDECEMBRE.
1733. 2833
'dinaire. Cet article de votre Lettre est
réjouissant ; il me semble vor ce vieux
Officier de la Mosquée , chargé du soin
de conduire par tout les Etrangers de
distinction , que vous avez consulté,douter
d'abord , si on lui parloit sérieusement
, puis hausser les épaules , éclater
de rire , et enfin après avoir repris son
sérieux , et bien promené sa main sur sa
barbe , vous assurer gravement qu'il n'y
avoit point d'autre Eau sous Sainte Sophie
, que celle d'une Citerne tres - spacieuse
, d'où on la tire pour l'usage des
Gens attachez au service de la Mosquée ,
par un Puits , dont l'ouverture est dans
le Temple même , et que le reste de ces
Voutes souterraines est divisé en plusieurs
Magazins remplis de Munitions de
Guerre , &c. Cet article mérite d'être
communiqué à M. A... si ses autres Mémoires
sur Constantinople ne sont pas
plus exacts , on ne lui conseille pas de les
mettre au jour.
Au reste j'ai été ravi de voir confirmer
par votre Officier de Sainte Sophie , tout
ce que Guillaume-Joseph Grelor, fameux
Ingénieur François , avoit déja dit de
Eaux souterraines de cette Mosquée
presque dans les mêmes termes , en mar
quant dans ses Plans , la Place précise
II. Vol Dv P
2834 MERCURE DE FRANCE
Puits , de la Citerne , des dégrez pour
descendre aux différens Robiners , & c,
Ce qui marque la grande exactitude de
ce Voyageur , envoyé exprès dans le Levant
par le feu Roy , et dont nous avons
un excellent Ouvrage sur Constantino
ple. Je suis , Monsieur , & c.
A Paris , ce fuillet 1733 .
sur la Litterature des Mahometans , et
sur celle des Turcs en particulier.
J
E réponds , Monsieur , le plutôt qu'il
m'est possible à la derniere Lettre que
vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
de Constantinople le 30 Mars dernier ,
et je commence par l'Article le plus es
sentiel et que vous me recommandez
particulierement. Vous me demandez si
j'ai prétendu parler bien sérieusement ,
II. Vol.
2820 MERCURE DE FRANCE
du moins s'il n'y a rien d'exagéré dans
la Lettre qui concerne la Litterature des
Mahometans et celle des Turcs en particulier
, que vous avez lue dans le Mercure
de Septembre 1732. ajoûtant que
vous attendez ma réponse pour me développer
les Reflexions que vous avez
faites là-dessus et que dès à présent, c'està-
dire , sans attendre ma Réponse , vous
êtes dans le Préjugé general que les Turcs
sont d'une ignorance crasse ,
très- peu
curieux d'en sortir , &c.
Je vous dirai d'abord , Monsieur , que
j'ai écrit très sérieusement sur le sujet en
question , que je ne crois pas avoir rien
exageré et que je n'ai rien avancé sans
autorité , sur quoi je vous renvoye à ma
Lettre même du Mercure , sans préjudice
des autres autoritez que je puis encore
vous alleguer.
J'ajoûterai à cette affirmation que ce
n'est pas mon Voyage du Levant seul
qui m'a détrompé sur la prétendue ignorance
des Turcs ; je suis allé dans l'Orient
presque avec le même Préjugé où
vous êtes aujourd'hui , et que plusieurs
années de séjour n'ont pas encore détruit
chez vous , Préjugé , pour le dire
en passant , qui empêche , qui ôte l'envie
de s'instruire et de parvenir à la découverte
de la verité.
DECEMBRE . 1733. 2827
Mon voyage ne m'a donné là - dessus
qu'une premiere lueur , mais cette lueur
est devenue lumiere et certitude par les
lectures que j'ai faites depuis mon retour
des ouvrages des Mahometans Anciens et
Modernes , qui fe trouvent dans la Bibliotheque
du Roy et ailleurs , et par le
long commerce que j'ai eû avec plusieurs
sçavans d'élite en érudition orientale ,
qui ont passé une partie de leur vie dans
le Levant et qui sont morts à Paris dans
une haute réputation de vertu , et d'amour
pour la verité. Je n'en nommerai
ici que deux , sçavoir.
François Peris de la Croix Parisien
Sécretaire , Interprete du Roy pour les
Langues Orientales , Professeur en Arabe
au Collège Royal , mort sur la fin de
l'année 1713. M. Colbert le fit passer
dans fa jeunesse et séjourner fuccessivement
à Alep , à Hispaham , à Constantinople
, pour apprendre en perfection les
trois principales Langues , l'Histoire , les
Coutumes & c . des Nations du Levant.
Dans son instruction , dont j'ai une copie,
cette habile Ministre lui ordonne de
s'instruire particulierement à l'égard des
Sciences et des Arts cultivez dans ces differens
Pays. M. Petis en rapporta beaucoup
de doctrine Orientale , dequoi il a
?
11, Vol. donné
822 MERCURE DE FRANCE
·
donné des preuves toute sa vie , et plusieurs
Manuscrits utiles , dont il a tra
duit une bonne partie , entre lesquels est
la curieuse Bibliotheque de Hadgi Calfa,
Turc moderne de Constantinople , * qui
feule est capable de détruire le Préjugé
commun de la prétendue ignorance des
Mahometans & c .
Et Antoine Galland de Noyon , de
PAcadémie Royale des Inscriptions et
des Belles Lettres associé à celle des
Ricovrati de Padoue , Antiquaire du Roy,
Professeur en Arabe au Collège Royal ,
mort au mois de Février 1715 Il suivie
le Marquis de Nointel dans fon Ambassade
de Constantinople , dans son voyage
de la Palestine,et dans sa visite des Echelles
du Levant. De retour en France il fit
encore dux voyages à Constantinople
et au Levant par les ordres de M M. Col
* Ce seul Ouvrage peut détromper bien des gens,
et même quelques Sçavans , qui croyent que les
Turcs et autres Mahometans négligent les Sciences ,
trompez par des Voyageurs , qui ne sçackant pas les
Langues , n'ont pas på conferer avec les Sçavans
des l'ays qu'ils ont parcourus . Cette Bibliotheque
est une veritable Encyclopedie de toutes les Sciences
et de tous les Arts chez les Orientaux . Préface de
P'Histoire de Tamerlan , traduite du Persan pat
M. Peus de la Croix, et donnée au Public après
sa mort. 4. vol. 1 12. Paris 1722.
11. Vol. bert
DECEMBRE . 1733. 2823
1
bert er de Louvois , pour la recherche
des Medalles et des Manuscrits . ce qui
acheva de le perf.ctionner dans l'intelligence
des Langues , et dans la connoissance
de l'Histoire et de tout ce qui concerne
les Orientaux . Il étoit d'ailleurs bon
Critique , excellent Antiquaire et naturellement
Philofophe. Il a composé plusieurs
Ouvrages , dont quelques uns ont
été imprimez. De ses Manuscrits ceux
qui regardent l'Orient ont passé dans la
Bibliotheque du Roy. On lui doit l'Edition
de la Bibliotheque Crientale de
M. d'He belot , faite à Paris en 1697 ,
grand in fol.de 106 pag. et la belle Préface
qui est à la tête . a Preface dont la
(a) On fait quelque grace aux Arabes , et ils
passent pour avoir autrefois cult vé les Sciences aves
grande application. On attribue de la politesse aux
Per ans et on leur rend justice .Mais , par leur nom
seul , les Turcs sont tellement décriez , qu'il suffit
ordinairement de les nommer pour signifier une
Nation grossiere , barbare et d'une ignorance achevée
, et sous leur nom on entend parler de ceux qui
sont sous la domination de l'Empire Ottoman . Cependant
on leur fait injustice ; car sans s'arréter à
Les justifier ici de barbarie et de grossiereté , ce qui
demanderoit un détail .... On peut dire à l'égard
de l'ignorance , qu'ils ne cedent ni aux Arabės ni
aux Iersans dans les Sciences et dans les Belles- Lettrer
, communes à ces trois at.ons , et qu'ils les
cultivent presque dès le commencement de lcur Em-
II. Vol.
scule
2824 ME RCURE DE FRANCE
seule lecture est capable de détruire l'erreur
des Européens qui excluent la cul
ture des Sciences et des beaux Arts de
tout le Mahométisme.
Je pourrois , Monsieur , m'en tenir à
ces autoritez , persuadé qu'elles sont plus
que suffisantes pour confirmer tout ce
que j'ai avancé dans ma premiere Lettres
mais je ne puis omettre un troisiéme Témoin
qui se presente icy bien naturelle.
ment ; Témoin illustre et des plus recevables
sur le sujet qui est en question ;
c'est le fameux Comte de Marsigli, dort
on vient de publier un bel Ouvrage sur
l'Etat (a ) Militaire de l'Empire Ottoman ,
& c.
Ce Seigneur vint à Constantinople avec
pire. La Bibliotheque Orientale en fait foi, et observe
dans leur Histoire une suite continuelle de Docteurs
de leur Religion et de leur Loy , très fameux et
très estimez parmi eux , tant pa . leur Doctrine que
par leurs Ecrits. Ils ont aussi des Historiens trèscelebres
e: très - exacts des Actions de leurs Sultans ,
et on peut compter comme une marque de la délicatesse
de leur esprit le nombre considerable de leurs
Poëtes , qui montoit à 590. vers la fin du siecle
passé , & c. A. Galland , dans son Discours pour
servir de Préface à la Bibliotheque Orientale de
B. d'Herbelot.
(a ) STATO MILITARE dell' Imperio Ottomano
, &c. 1. vol . fol. A la Haye et à Amsterdam
1732.
11. Vol.
DECEM DK E. 1733. 2825
an Ambassadeur de la République de
Venise , n'étant encore âgé que de vingt
ans , dans le dessein de s'instruire à fond,
principalement sur le sujet que je viens
que
de dire , rempli auparavant des préjugez
ordinaires , & c . Il servit ensuite l'Empereur
dans les Guerres de Hongrie . Pris
par les Tartares,qui le vendirent au Pacha
de Témiswar , &c. il sçut mettre à profit
son infortune , pour acquerir toutes les
connoissances qui lui manquoient. Après
avoir recouvré sa liberté , il reprit ses
Emplois dans l'Armée Impériale , et il les
conserva jusqu'à la Paix de Carlowits
à laquelle il servit même utilement ; et ,
après la Paix il fut établi Commissaire
Général pour le Reglement des Limites.
Dans l'Ouvrage qui vient de paroître ,
où il ne s'agit rien moins que de Science
et de Litterature , l'Auteur n'a pû
s'empêcher de rendre là - dessus un témoignage
à la verité. Après avoir dépeint
les Turcs , qu'il dégrade tant qu'il
peut , indolens , mous , oisifs , sur tout
les Asiatiques , n'agissant que par nécessité
, &c. il se récrie contre nos préjugez
sur le point de leurs Etudes. Il par
fe de Constantinople et des autres grandes
Villes , » comme étant remplies de
Personnes instruites dans le Mahome-
II. Vol. Ꭰ tisme
2020 TRANCE
» tisme , qui sçavent au moins les trois
» Langues , le Turc , le Persan et l'A-
» rabe : Esprits cultivez en plus d'un gen-
» re de Litterature , Poëtes délicats , His-
» toriens polis , mais d'une exactitude ,
» scrupuleuse , et par là un peu ennuyeuxs
Dialecticiens subtils , Moralistes pro-
» fonds , Géomêtres , Astronomes , Géographes
, et par dessus tout grands Alchymistes
; ce qu'il a été en état , de :
» prouver par un Catalogue de plus de
» 86000 Ecrivains du dernier siécle , re
>> cueillis dans sa Bibliotheque de Boulogne
, et dont il à fourni une Copie:
» pour celle du Vatican . Si les Turcs
n'impriment pas , ce n'est pas , dit il ,
» qu'il ne leur soit libre de le faire ; leur
» motif est de ne pas empêcher une mul-
>> titude innombrable de Copistes de ga
» gner leur vie. On en comptoit 90009
>> pendant son séjour à Constantinople..
» Une autre sorte d'Etude , selon le mê
» me Auteur , c'est que nul Gouverne,
ment au monde n'est plus appliqué et
plus ponctuel que le Gouvernement
Turc , pour conserver des Registres
A
* Le Comte de Marsigli est de Boulogne , et y a
fondé une Académie . Il est des Académies Royales
des Sciences de Paris et de Montpellier , et de la
Societé Royale de Londres,
II. Vol exacts
DECEM DN E. 1733• 2027
exacts en tout ce qui regarde les Trai-,
a tez avec les Puissances Etrangeres , le..
» Domaine , le Cérémonial , l'Expédi
tion des Ordres , celles des Arrêts ou
Ordonnances et Commandemens ; l'E-
>> tat des Officiers en service , et singulie
☐rement les Finances.
Au reste , Monsieur , je vous connois
un si bon esprit , tant d'amour et de vénération
pour la vérité , pour me servir
de vos termes sur ce sujet , que je ne désespere
pas de vous voir changer un jour
de sentiment , sur tout si vous voulez
vous donner la peine d'apprendre seulement
le Turc , qui n'est pas une Langue
fort difficile, et dans laquelle je vous crois
déja initié;cela vous mettroit en état d'entrer
plus souvent dans cette grande Ville,
de laquelle vous êtes peut - être autant separé
par le préjugé , que par un petit bras
de Mer , et de vous instruire par vousmême
, en conferant avec les Gens de Lettres
, & c. Je ne doute pas que vous
in'ayez trouvé des Turcs d'une ignorance
crasse , et comme vous dites , tres- peu
curieux d'en sortir ; mais ce n'est pas
assez pour affirmet la même chose de
toute la Nation . Où ne trouve- t-on pas
dans l'Europe même , de la rusticité et de
l'ignorance ? On trouve aussi du goûr
II. Vol. Dij de
2808 MENCURE
de la Politesse , et de l'Erudition , quand
rien n'empêche d'en chercher. Mais en
voilà asez sur ce sujet.
Rien n'est plus sensé et plus dans le
vrai que ce que vous me dites , Monsieur,
sur l'impropriété du mot de Sophi , par
lequel les Ecrivains Européens , suivis en
dernier lieu par le a P. du Cerceau , désignent
le Roy de Perse. Vous convenez
qu'à ne consulter que la raison , cette
expression est tout- à fait vicieuse , comme
je l'ai prouvé dans un article de mes
Lettres , auquel votre politesse donne le
nom de Dissertation. La verité est qu'on
n'a point encore décidé dans les formes
que ce terme doive être proscrit parmi
ceux qui se piquent de parler correcte
ment mais en attendant cette décision ,
et malgré la continuation du mauvais
usage par des Ecrivains mal instruits , ou
entêtez , ibn'est pas moins certain qu'on
-he prescrit jamais contre la vérité et contre
la raison , et qu'il est toujours temps
de reclamer en leur faveur. L'usage ,j'en
-conviens ; décide le plus souvent en fait
de langue , au préjudice du bon sens et
des régles, mais c'est quand il ne s'agit
précisément que de la Grammaire. Icy il
( a ) Hissoire de la derniere Révolution de Perse
2 vol . in 12. Paris. 1728,
M. Vel.
s'agie
DECEMBRE . 1733. 2829
s'agit d'un point d'Histoire et de Critique.
J'espere m'étendre davantage sur
ce sujet dans un Ecrit que je prépare , et
qui soutiendra peut- être le titre que vous
voulez bien lui donner par avance .
J'ai enfin reçu depuis peu le beau Jusdam
, ou le Porte Lettres de fabrique
Turque , que vous m'aviez annoncé, orné
d'une broderie parlante ; et si cela se
peut dire , bien obligeante de la part de
ceux qui me font l'honneur de me l'envoyer.
Ils devoient en envoyer aussi l'interprétation
; car je ne sçai si nous aurons
bien réussi à expliquer les deux Vers Persans
qui sont si artistement brodez dessus.
C'est ce que vous pourrez faire examiner
par vos Experts . Voici comment
on a lû et interpreté icy cette galanterie
orientale.
Djah toй hemtchou ni i met ferdaous bi zevăl ,
Felicitas tua sicut gratia Paradisi sine defectu
Umr toй hemtchou middet eflāk bi chumăr,
Atas tua sicut spatium sæculorum sine numero.
On s'est servi de la Langue latine pour
mieux rendre l'original Persan , auquel
les Vers suivans , ajoutez par l'Autheur
ême de la Traduction , pourront servir
de Paraphrase :
II. Vol. Djij N...
2830 MERCURE DE FRANCE
N... qu'un bonheur durable
Soit compagnon de tes travaux ,
Qu'il soit exempt de tous les maux ,
Qu'aux biens du ciel il soit semblable.
Que des jours longs et gracieux
Rendenr ton sort digne d'envie ,
Que le terme du cours des Cieux
Soit aussi celui de ta vie.
J'ai reçu presque en même- tems et da
-même Païs , une très- belle Cornaline ,
qui à, sans doute, servi de Cachet à quelque
dévot Musulman de distinction , car
on y lit ces mots Arabes , tres-bien gravez
en caracteres Persans : Mazhar ila
faiz Aichay , c'est- à-dire , protegé par les
faveurs d'Aichay.
Aichay ou Aischah est une Personne
des plus respectables du Mahométisme
en qualité de troisiéme Femme de Mahomet
, et de Fille d'Abdallah , surnommé
depuis a Abubekre ou Pere de la Pudelle
, parce qu'à son exception , ce faux
Prophete n'a épousé que des Veuves . S'il
y a jamais eu des Héroïnes et des Femmes
sçavantes chez les Musulmans , cel
(a ) Abubckre , successeur immédiat de Mabomet
, et le premier des Califes.
11. Kola
k.
DECEMBRÉ . 1933 . 2831
le-cy doit être considérée comme la plus
celebre et la plus ancienne. Son autorité
dans la Religion fut grande de tout tems
parmi les Sunnites , ou les Orthodoxes
pour avoir retenu et transmis ce grand.
nombre de Paroles prétendues Remarquables
de Mahomet , et de Traditions ,
qui ont fait depuis un corps de Doctrine
appellé la Sunna. Aischah par cette raison
est souvent qualifiée de Nabiah ơs
de Prophétesse , et de Seddika , ou de témoin
fidele et authentique. Ils l'appel
lent aussi la Mere des Fidelles .
Sa renommée n'est gueres moins grande
dans l'Histoire du côté de la Politique
et du Gouvernement , et par la valeur
qu'elle fit enfin paroître à la fatale journée
du (a ) Chameau, dans la Bataille qu'elle
donna contre l'Armée d'Ali , pour vanger
la mort du Kalife - Othman , donnant
par sa présence et par son exemple le
mouvement et le courage à ses Troupes.
Bataille sanglante dans laquelle il y eut
près de zo mille Arabes de tuez sur la
place ; qu'elle perdit cependant avec sa
: ( a ) Ainsi nommée par les Historiens , à cause
du Chameau que montoit Aischah , lequel on ne
put jamais arrêter dans la mêlée , qu'en lui coupant
les Jarrets , ce qui donna lieu à la prise de la
Princesse , et à la déroute de son armée , c. )
II. Vol. D iiij.li2832
MERCURE DE FRANCE
liberté. Ali la lui rendit depuis , en la
renvoyant à Médine, où elle mourut l'an
58 de l'Hégire (a) , c'est à.dire fort âgée,
et fut inhumée auprès de Mahomet son
Epoux.
Je vous envoye avec plaisir, le Plan de
la Principale Face de la Mosquée de sainte
Sophie de Constantinople , gravé icy
par le Sr Surugue , Graveur du Roy , à
l'occasion duquel on a fait en peu de
mots la Description et l'Histoire de ce
fameux Temple, dans le II.Vol.du Mercure
de Juin 1732. Cette Description a
donné lieu à une Critique . M. A .. . de
Marseille , qui a séjourné à Constantinople
, soutient que l'eau de la Mer entre
dans les voutes souterraines , sur les
quelles tout l'Edifice est bâti , et qu'on
peut y aller en Batteau ; circonstance
qu'il ne falloit pas , dit-il , omettre dans
cette Description ; promettant de don
ner là-dessus un Ecrit , qu'il ne donne ce
pendant point.
J'admire , Monsieur , votre complaisance
, laquelle , quoique persuadé du
contraire , par la haute situation où se
trouve cette Mosquée , et par son grand
éloignement du Niveau de la Mer , vous
a porté à vouloir éclaircir ce fait extraor
(a ) 677 de JESUS -CHRIS T.
1x 11. Vol.
diDECEMBRE.
1733. 2833
'dinaire. Cet article de votre Lettre est
réjouissant ; il me semble vor ce vieux
Officier de la Mosquée , chargé du soin
de conduire par tout les Etrangers de
distinction , que vous avez consulté,douter
d'abord , si on lui parloit sérieusement
, puis hausser les épaules , éclater
de rire , et enfin après avoir repris son
sérieux , et bien promené sa main sur sa
barbe , vous assurer gravement qu'il n'y
avoit point d'autre Eau sous Sainte Sophie
, que celle d'une Citerne tres - spacieuse
, d'où on la tire pour l'usage des
Gens attachez au service de la Mosquée ,
par un Puits , dont l'ouverture est dans
le Temple même , et que le reste de ces
Voutes souterraines est divisé en plusieurs
Magazins remplis de Munitions de
Guerre , &c. Cet article mérite d'être
communiqué à M. A... si ses autres Mémoires
sur Constantinople ne sont pas
plus exacts , on ne lui conseille pas de les
mettre au jour.
Au reste j'ai été ravi de voir confirmer
par votre Officier de Sainte Sophie , tout
ce que Guillaume-Joseph Grelor, fameux
Ingénieur François , avoit déja dit de
Eaux souterraines de cette Mosquée
presque dans les mêmes termes , en mar
quant dans ses Plans , la Place précise
II. Vol Dv P
2834 MERCURE DE FRANCE
Puits , de la Citerne , des dégrez pour
descendre aux différens Robiners , & c,
Ce qui marque la grande exactitude de
ce Voyageur , envoyé exprès dans le Levant
par le feu Roy , et dont nous avons
un excellent Ouvrage sur Constantino
ple. Je suis , Monsieur , & c.
A Paris , ce fuillet 1733 .
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Résumé : SECONDE Lettre de M. D. L. R. sur la Litterature des Mahometans, et sur celle des Turcs en particulier.
La lettre de M. D. L. R., datée de 1732, répond à une missive reçue de Constantinople le 30 mars 1732, qui interrogeait la véracité de ses propos sur la littérature des Mahometans et des Turcs, publiés dans le Mercure de Septembre 1732. L'auteur affirme avoir écrit sérieusement et sans exagération, s'appuyant sur des autorités et ses propres lectures. Il mentionne que son voyage au Levant et ses lectures des ouvrages orientaux, ainsi que ses échanges avec des savants comme François Pétis de la Croix et Antoine Galland, l'ont détrompé sur l'ignorance supposée des Turcs. Ces savants ont rapporté des connaissances orientales et des manuscrits précieux, comme la Bibliothèque de Hadji Calfa, qui démontre la culture scientifique et artistique des Orientaux. L'auteur cite également le Comte de Marsigli, dont l'ouvrage sur l'État militaire de l'Empire Ottoman atteste de la culture et des études des Turcs. Il encourage son correspondant à apprendre le turc pour se rendre compte par lui-même de la richesse littéraire et scientifique de cette nation. La lettre se termine par une discussion sur l'impropriété du terme 'Sophi' pour désigner le roi de Perse et l'annonce de la réception d'un porte-lettres turc brodé. Le texte traite également de divers sujets historiques et culturels. Il commence par une traduction en vers français d'un texte persan souhaitant un bonheur durable et exempt de maux. Il mentionne une cornaline gravée en caractères persans, appartenant à un dévot musulman, avec l'inscription 'Mazhar ila faiz Aichay', signifiant 'protégé par les faveurs d'Aichay'. Aichay, ou Aïcha, est identifiée comme la troisième femme de Mahomet et la fille d'Abdallah, surnommé Abou Bakr. Elle est respectée pour son savoir et son rôle dans la transmission des paroles de Mahomet, ce qui lui vaut le titre de 'Mère des Fidèles'. Aïcha est également célèbre pour son intervention dans la bataille du Chameau contre l'armée d'Ali, après l'assassinat du calife Othman. Elle fut capturée et plus tard libérée par Ali, retournant à Médine où elle mourut à un âge avancé. Le texte aborde également la mosquée Sainte-Sophie à Constantinople, en mentionnant une critique de M. A... de Marseille, qui affirme que l'eau de la mer pénètre dans les voûtes souterraines de la mosquée. Cette affirmation est contestée par un officier de la mosquée et confirmée par les observations de Guillaume-Joseph Grelot, un ingénieur français. Le texte se termine par une confirmation de l'exactitude des descriptions de Grelot concernant les eaux souterraines et les installations de la mosquée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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30
p. 254-269
REFLEXIONS de M. Simonnet Prieur d'Heurgeville, sur la Question proposée dans le Mercure d'Août 1733. Quel est l'état le plus propre à acquerir la Sagesse, de la Richesse ou de la Pauvreté.
Début :
Il est une vraye et une fausse Sagesse, et les hommes sont si aveugles ou si [...]
Mots clefs :
Sagesse, Richesses, Pauvreté, Passions, Riches, Vertu, Hommes, Vérité, Monde, Préjugés
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS de M. Simonnet Prieur d'Heurgeville, sur la Question proposée dans le Mercure d'Août 1733. Quel est l'état le plus propre à acquerir la Sagesse, de la Richesse ou de la Pauvreté.
REFLEXIONS de M. Simonnet
Prieur d'Heurgeville , sur la Question
proposée dans le Mercure d'Août 1733 .
Quel est l'état le plus propre à acquerir la
Sagesse , de la Richesse ou de la Pauvreté.
I
و
L est une vraye et une fausse Sagesse ,
et les hommes sont si aveugles ou si
pervers , qu'il est très - rare qu'ils ne recherchent
et n'estiment plutôt ce vain
fantôme de Sagesse que la Sagesse
même , qu'ils traitent de foiblesse et de
simplicité ; tant le déreglement du coeur
a répandu de profondes ténébres dans
l'esprit. Ce seroit donc " bâtir en l'air et
établir des principes sans fondement, que
de vouloir assigner l'état le plus favora
ble à la Sagesse , sans avoir auparavant
défini ce que l'on entend ordinairement,
et ce que l'on doit entendre par ce terme
si commun , mais dont on a des idées și
peu justes et si confuses.
En quoi le monde fait-il consister la
Sagesse ? Dans un extérieur de probité
que le coeur dément ; dans l'art de dissimuler
ses sentimens ; à parler d'une
façon et penser d'une autre ; à donner à
la fausseté, des couleurs de la verité; et à
couvrir
FEVRIER. 1734. 255
couvrir celle - ci des apparences odieuses
du mensonge ; à faire jouer mille ressorts
et mille machines pour venir à ses fins ;
et à engager les hommes droits dans les
piéges qu'on leur tend : c'est ce qu'on
nomme fine politique , Sagesse consommée.
Paroître avec un visage riant et un
visage ouvert , lorsque l'on est rongé intérieurement
d'envie , de jalousie , d'animosité
faire obligeamment mille offres
de services à ceux même que l'on verroit
avec joye perir et abîmer, parce que l'interêt
et l'ambition le demandent; sçavoir
prendre des souterrains qui cachent le
crime et l'injustice , pour se pousser et
faire son chemin à quelque prix que ce
soit ; se deffendre des vices grossiers ,
énormes et infamans , sans se mettre en
peine de toutes les horreurs qui se cachent
sous le voile des ténébres et du silence
; c'est ce qui s'appelle être Sage :
en un mot, certe Sagesse du monde n'est
que le déguisement des passions criminelles
dont on est l'esclave ; au lieu que
la vraie Sagesse en est la victoire et le
triomphe, ou du moins elle apprend à les
regler , à les moderer , à les maîtriser.
Il y en a qui mettent la Sagesse dans
une humeur sombre, mélancolique , austere
; dans un air triste et morne ; dans
C vj
une
256 MERCURE DE FRANCE
une certaine pesanteur ennuyeuse et à
charge à tout le monde ; mais ils se
trompent: la vraye sagesse n'a rien de farouche
ni de rebutant , c'est une vertu
de societé qui lie les hommes par la bonté
, la douceur , l'amitié sincere , qui les
instruit et les corrige , sans les choquer
ni les aigrir , elle s'insinue dans les coeurs
par des charmes dont ils ne peuvent se
deffendre. Quoiqu'elle soit ennemie du
déguisement et de la duplicité , elle
sçait dissimuler à propos, et semble ne pas
appereevoit ce qu'elle ne peut rectifier.
Elle fait valoir agréablement les interêts
de la justice et de la verité , et elle a le
secret de les rendre aimables ; si elle est
obligée de combattre vigoureusement
ou de souffrir pour les deffendre , elle le
fait avec joye , sans fiel , sans animosité.
Sa constance la soutient dans tous les
maux et dans les disgraces : quoiqu'elle
n'y soit pas insensible , elle aime mieux en
étre la victime que de les susciter, quand
elle le pourroit , à ceux qui se déclarent
ses ennemis .
Les Stoïciens se sont rendus ridicules,
par l'idée extravagante qu'ils donnoient
de leur Sage. A les entendre il étoit aussi
insensible qu'un rocher contte lequel
viennent se briser les flots de la Mer. Les
inforFEVRIER
. 1734. 257
infortunes , les pertes , les afflictions les
plus accablantes ne lui causoient pas la
moindre émotion. Il étoit à l'épreuve des
douleurs les plus cuisantes , des playes les
plus profondes , des plus terribles coups,
dont un homme puisse être frappé . Il n'y
avoit ni peines ni tourmens si affreux qui
pussent troubler la severité de son ame,
et l'empêcher d'être heureux. Voilà à
quelle outrance le feu de l'imagination
a porté des hommes , d'ailleurs éclairez
, qui faisoient l'admiration de leur
tems , et qui s'appliquoient uniquement
à la recherche de la Sagesse ; telle étoit
l'idée fausse et chimerique qu'ils en
avoient conçue , et qu'ils vouloient en faire
concevoir aux autres . Il falloit qu'ils connussent
bien peu l'Homme naturellement
si sensible et si délicat , pour le croire
capable d'une telle insensibilité , d'une
telle dureté , qui seroit contre sa nature
et qui dégenereroit en vice. Ils ne sçavoient
gueres ce que c'étoit que la vertu
pour en forger une de cette trempe. La
vertu ne consiste pas à être insensible
mais à vaincre la sensibilité par une fermeté
et une constance inébranlable qui
tienne inviolablement attaché au devoir.
C'est ainsi que de tout tems chacun
s'est figuré une Sagesse à son gré , et selon
258 MERCURE DE FRANCE;
,
lon son caprice; on est tombé tantôt dans
un excès, tantôt dans un autre . On a consulté
ses vûës , ses desseins , ses intérêts
pour paroître Sage sans l'être effectivement
, les passions se sont travesties et
ont voulu se montrer sous l'habillement
de la Sagesse ; mais si elles ont trompé
quelque tems les yeux des hommes peu
éclairez , on les a enfin reconnues pour
ce qu'elles étoient , et elles ont été honteu
sement dépouillées de ce vain ornement
dont elles avoient eu l'audace de se parer.
La parole du sage : rien de trop , est
peut-être la notion la plus juste , la plus
précise , la plus exacte que l'on puisse
donner de la vraie Sagesse. La difficulté
est de trouver et de garder ce juste milieu
en quoi elle consiste. Le sentier est extrémement
étroit et glissant ; il n'est pas
aisé de l'appercevoir , et il est presque
impossible de n'y pas broncher : delà
vient qu'il y a si peu de personnes qui
y entrent et qui s'y soutiennent. Les uns
sont trop promps , trop vifs , trop ardens ;
les autres trop flegmatiques , trop indolens
: vous en verrez qui affectent un
sérieux et une gravité qui glace : its
veulent paroître Sages et ce sont de vrais
Pedants; d'autres, pour éviter ce travers,
sont sottement folâtres et badins sans
>
rien
FEVRIER. 1734. 259
›
rien rabattre de la bonne opinion qu'ils
ont d'eux - mêmes ; beaucoup ont des manieres
trop libres et peu décentes , d'autres
sont trop resserrez , trop pointilleux .
Franchement à regarder les hommes tels
qu'ils sont , il n'y en a point dont on
puisse prononcer absolument qu'ils sont
Sages. Ils ont tous leurs défauts
et la
vraye Sagesse n'en souffre point , parce
que les défauts sont autant de dérangemens
de la raison , d'accès de folie , moins
durables , à la verité , et moins sensibles
mais aussi réels qu'une folie déclarée et
perseverante. La parfaite Sagesse est plutôt
dans le Ciel que sur la terre ; notre
partage est d'y tendre et d'en approcher
autant que la foiblesse humaine le permet
, en réprimant et retranchant lesdéfauts
que nous remarquons en nous : ( et
heureux qui les connoît ! c'est un commencement
de Sagesse , ) mais il ne faut
pas être assez vain pour s'imaginer jamais
de l'avoir acquise dans toute sa perfection.
·
Cette sublime vertu consiste donc dans
une certaine force , une certaine vigueur,
qui tient l'ame comme sur un point fixe
dans un exact équilibre entre l'excès.de
joye et de tristesse , de fermeté et de sensibilité,
d'amour et d'indifférence, de lentear
260 MERCURE DE FRANCE
>
teur et de vivacité , de bravoure et de
retenuë , de crainte et d'intrépidité ; qui
la rend maîtresse de tous ses mouvemens ,
qu'elle regle et qu'elle modere selon les
loix d'une raison éclairée qui la met audessus
de toute révolte des sens , de tout
déreglement des passions qu'elle gouverne
et qu'elle réduit avec un empire absolu.
Telle est la vraye Sagesse , qui convient
à l'homme,à laquelle il peut et doit
aspirer , mais dont, foible comme il est ,
il s'écartera toujours de quelque degré
à proportion de sa foiblesse ; s'il ne lus
est pas donné de parvenir au comble de
la perfection , où réside la Sagesse dans
son plein , il n'est pas moins obligé de
travailler à en approcher et à mesure qu'il
fera du progrès , on pourra dire qu'il
augmente en Sagesse .
у
Or en ce sens y a- t- il un état plus
propre que l'autre à l'acquerir ? la fausse
Sagesse est fort asservie à la situation des
personnes, et dépendante des circonstances
, des erreurs , des passions qui la favorisent
et qui la soutiennent. Il n'en est
pas ainsi de la vraie Sagesse ; elle est libre
et indépendante ; comme une puissante
Reine elle domine souverainement sur
tous les Etats , sur toutes les conditions;
Elle brille dans la prosperité , elle triomphe
FEVRIER 1734. 261
phe dans l'adversité les Richesses ne
peuvent la corrompre ; les miseres de la
Pauvreté ne peuvent l'avilir ; Elle habite
noblement dans la chaumière et s'assie
modestement sur le trône ; son éclat et
sa force se font sentir sous de vils haillons
, comme sous la pourpre
des Rois.
Elle appelle , elle invite tous les peuples ,
toutes les nations , tous les hommes jeunes
et vieux , grands et petits , riches et
pauvres ; mais qu'il y en a peu qui l'écoutent
! presque tous aiment mieux se laisser
entraîner par la passion , que conduire
par la Sagesse. C'est une lumiere bienfaisante
et universelle qui luit dans les ténébres
, mais les ténébres ne la com
prennent pas ; l'erreur , les préjugez ,
les passions dominantes du coeur humain
forment dans l'ame des nuages épais qui
empêchent ordinairement ses rayons d'y
pénétrer. Ainsi, quoique la Sagesse d'ellemême
soit indépendante , et que par sa
force elle puisse absolument surmonter
tous les obstacles et triompher de tous ses
ennemis ; il faut cependant avouer que
comme elle n'agit point avec violence ,
les oppositions qu'elle rencontre dans
certains états l'en éloignent ; il est
vrai que celui là est plus propre à l'acquerir
où elle trouve moins de résistance
et
262 MERCURE DE FRANCE
et où elle s'insinue avec plus de facilité.
Il s'agit donc ici d'exantiner lequel des
deux Etats de Richesse ou de Pauvreté
présente à la Sagesse plus ou moins de
difficultés et d'obstacles à surmonter: Ces
obstacles se réduisent , comme je l'ai déja
insinué, aux erreurs, aux préjugez , aux
passions .
Il est constant que dans l'état de Pauvreté
les erreurs et les préjugez sont en
plus petit nombre et moins difficiles à
vaincre. La verité s'y fait jour beaucoup
plus aisément chez les grands et les riches
dont elle ne peut presque aborder. Une
troupe de flatteurs les assiegent : on a
interêt de les menager ; on n'ose choquer
leurs préjugez et leur parler avec franchise
dans la crainte de s'attirer quelque
facheuse affaire . Si on leur annonce la verité
, ce n'est qu'avec des ménagemens
et des adoucissemens qui l'énervent et la
défigurent : rarement ils la reconnoissent
sous les déguisemens dont on la couvre
et encore plus rarement ils se l'appliquent.
Un homme qui se mêle d'instruire
ou de reprendre, quelque précaution qu'il
prenne pour le faire honnêtement , devient
importun et passe pour incivil
chez les personnes d'un certain rang : on
craint de le voir et il est trop heureux si
on
FEVRIER. 1734 263
on ne le chasse pas honteusement , si
même on ne lance pas contre lui quelques
traits d'indignation et de vengeance .
Les Petits et les pauvres sont plus dociles
et moins délicats , on en approche sans
peine ; on leur fait voir la verité dans
tout son jour ; on ne craint point de les
fatiguer de remontrances ; si quelquefois
ils ne les reçoivent pas bien , on en est
quitte pour avoir perdu sa peine ; du
moins ils ne sont pas redoutables. On
voit par expérience qu'ils ne tiennent pas
beaucoup aux erreurs et aux préjugez ,
quand on veut se donner le soin de les
instruire. D'ailleurs ils en ont moins que
les riches les faux principes du monde
ne leur ont pas si fort gâté l'esprit et cor.
rompu le jugement .
:
Il y a parmi les personnes du commun
plus de droiture , de simplicité , de candeur
; excellentes dispositions pour donner
entrée à la Sagesse . Ils n'ont pas de
si grands interêts qui les dominent et qui
les aveuglent ; ils ne sont pas étourdis
par tout ce tumulte , ces intrigues , ces
grands mouvemens qui agitent les riches
et qui étouffent la voix de la Sagesse . Les
passions les plus vives, les plus flatteuses,
ou les plus turbulentes qui dévorent
coux-ci , et qui ferment toutes les ave-
: nues
264 MERCURE DE FRANCE
و
nuës à la Sagesse , sont bien amorties
dans la Pauvreté , parce qu'elles n'y trouvent
presque point d'amorce . Ces dangereuses
maîtresses du coeur humain ne
font que languis dans un état où elles
manquent d'aliment , où rien ne les favorise
, où tout semble conjuré pour
leur perte. L'amour propre , ce tyran des
grandes fortunes est presque anéanti
dans les humiliations de la Pauvreté ;
l'ambition toujours inquiéte inquiéte et jamais
contente, n'y voit point de jour à se produire
et demeure sans action , sans mouvement
, dans une espece de l'éthargie,
l'attachement aux Richesses qui suit la
possession , cette honteuse ct insatiable
avarice n'a gueres lieu où elle ne sent rien
qui l'attire et qui puisse la contenter.
S'il y a quelques exemples du contraire,
ce sont des prodiges qui ne tirent pas
conséquence. Pour peu qu'on connoisse
de Pauvre , on le voit plus satisfait dans
les bornes étroites de sa condition , et
moins avide des biens périssables , que la
plupart des riches du siécle ; la volupté ,
des délices qui corrompent le coeur , qui
empoisonnent l'ame , et qui étouffent la
Sagesse , ces funestes syrenes qui attirent,
qui chatment, qui enchantent, pour donner
la mort , trouvent peu d'ouverture
dans
FEVRIER 1734. 265
dans un état dont la peine et le travail
sont inséparables , où l'on gagne difficilement
son pain à la sueur de son front,
où le corps est masté par de rudes et de
continuelles fatigues , où l'on ne voit aucune
des douceurs et des commoditez
qui engendrent et qui fomentent la mollesse.
La vie dure et laborieuse n'est pas
compatible avec les délicatesses de la sensualité
, dont les Richesses et l'abondance
sont le pernicieux aliment. Le Pauvre est
donc plus libre , plus dégagé , moins
esclave des passions.
Il faut avouer que ces veritez sont désolantes
pour les Riches , qui n'ont pas
perdu tout sentiment d'honneur et de
probité, et qui conservent encore du gout
pour la vertu. Tel est le danger de leur
état , qu'à moins qu'ils ne soient continuellement
en garde , et qu'ils n'ayent
le courage de rompre toutes ces barrieres,
de dissiper tous ces nuages , d'écarter
tous ces obstacles , la vraie Sagesse ne
peut avoir accès auprès d'eux . Rien n'est
plus propre à rabattre la présomption
trop ordinaire aux personnes distinguées
dans le monde par les faveurs de la fortune
, et à leur faire sentir combien est
injuste le mépris qu'ils font de la Pauvreté
, qui , à ne consulter même que les
lumieres
266 MERCURE DE FRANCE
lumieres naturelles , est préferable à l'affluence
des richesses , parce qu'elle est
plus favorable à la sagesse et à la vertu .
Les hommes les plus éclairez du Paganisme
, ces anciens Philosophes si cebres
dans l'Antiquité , s'accordent en
ce point avec les Chrétiens. Ils regardent
la pauvreté jointe à la frugalité et
à la vie dure , qui en sont les suites naturelles
, comme l'Ecole de la vertu . Au
contraire tout le soin , l'attirail , les agitations
qui accompagnent les richesses ,
leur paroissent un veritable esclavage, qui
entraîne celui de toutes les passions qu'elles
font naître et qu'elles nourrissent . Lycurgue
, ce fameux Législateur de Sparte ,
netrouva pas de moïen plus sûr et plus
puissant pour former les Laccdémoniensà
la sagesse et à la vertu , que de leur deffendre
l'usage de l'or et de l'argent.Jamais les
anciens Romains ne parurent si sages et si:
vertueux que lorsqu'ils témoignerent un
souverain mépris pour les richesses , et.
dès que l'abondance et le luxe s'y furent
introduits , ils tomberent dans les folies,
er les extravagances des passions les plus
effienées. Socrate , déclaré par l'Oracle ,,
l'homme le plus sage de la Grece , n'étoit
que le fils d'un simple Artisan , et
quoique l'éclat de son mérite eût pû le
mettre
FEVRIER 1734. 267
mettre au large et lui procurer les graces
de la fortune , il méprisa constammant
les richesses , et témoigna en toute
Occasion l'estime qu'il faisoit de la Pauvreté.
A la vûë de tout ce que la pompe
et le luxe pouvoient étaler de plus brillant
, il se félicitoit lui- même de pouvoir
s'en passer ; que de choses , disoit- il,
dont je n'ai pas besoin .
Que les Riches ne fassent donc point
si fort les hommes importans ; qu'ils ne
se flattent point tant des avantages d'une
florissante prosperité ; qu'ils ne regar
dent pas d'un air si méprisant ; qu'ils
ne traitent pas avec tant de hauteur et
de dureté le Pauvre qui les fait vivre de
son travail , de son industrie et qui les
aide de ses services , plus necessaires.
que ceux qu'ils peuvent eux mêmes lui
rendre . En vain possederoient- ils tous les
trésors du monde , sans le Laboureur ,
le Vigneron , le Jardinier qui cultivens
la terre ; avec tout leur or et leur
argent
ils n'auroient pas de quoi fournir aux
besoins les plus pressants de la vie ; sans
P'Artisan qui travaille utilement pour
cux , sans les Serviteurs qui sont à leurs .
gages ; malgré l'abondance de leurs richesses
, ils manqueroient d'habits pour
se couvrir , et seroient privez de toutes
les
268 MERCURE DE FRANCE
1
les commoditez et les délices qu'ils recherchent
avec tant d'empressement.
Quoique les Riches disent et pensent ,
ils ne peuvent se passer du Pauvre , et
le Pauvre pourroit absolument se passer
d'eux. Accoutumé à se contenter de peu
et à vivre frugalement du travail de ses
mais , il subsisteroit sans l'usage de l'or
et de l'argent ; il tireroit toujours de la
fécondité de la terre , les vrayes richesses
qu'elle renferme dans son sein et qu'elle
reproduit chaque année ; il vivroit tranquille,
sans les injustes vexations des Riches
qui s'engraissent de sa substance
qui lui ravissent trop souvent , par fraude
ou à force ouverte , le juste fruit de
ses travaux et le modique heritage de
ses peres . La sagesse et la vertu , quand
il a le bonheur de les posseder , sont les
seuls biens solides qu'on ne peut lui ôter;
ils lui appartiennent préferablement au
Riche,qui s'en rend indigne par le choix
qu'il fait des biens périssables ; les heureuses
dispositions qu'il y apporte par
son état même le dédommagent bien de
ce qui lui manque du côté de la fortune.
Nonobstant les préjugez contraires, on
ne peut disconvenir que naturellement
la prosperité n'aveugle et l'adversité ne
donne d'excellentes leçons de sagesse . Il
est
FEVRIER 1734. 269
est donc prouvé que la Richesse qui est
un état de prosperité , est moins propre
à l'acquerir que la Pauvreté , dont l'Adversité
est la fidelle Compagne .
La suite pour le Mercure prochain.
Prieur d'Heurgeville , sur la Question
proposée dans le Mercure d'Août 1733 .
Quel est l'état le plus propre à acquerir la
Sagesse , de la Richesse ou de la Pauvreté.
I
و
L est une vraye et une fausse Sagesse ,
et les hommes sont si aveugles ou si
pervers , qu'il est très - rare qu'ils ne recherchent
et n'estiment plutôt ce vain
fantôme de Sagesse que la Sagesse
même , qu'ils traitent de foiblesse et de
simplicité ; tant le déreglement du coeur
a répandu de profondes ténébres dans
l'esprit. Ce seroit donc " bâtir en l'air et
établir des principes sans fondement, que
de vouloir assigner l'état le plus favora
ble à la Sagesse , sans avoir auparavant
défini ce que l'on entend ordinairement,
et ce que l'on doit entendre par ce terme
si commun , mais dont on a des idées și
peu justes et si confuses.
En quoi le monde fait-il consister la
Sagesse ? Dans un extérieur de probité
que le coeur dément ; dans l'art de dissimuler
ses sentimens ; à parler d'une
façon et penser d'une autre ; à donner à
la fausseté, des couleurs de la verité; et à
couvrir
FEVRIER. 1734. 255
couvrir celle - ci des apparences odieuses
du mensonge ; à faire jouer mille ressorts
et mille machines pour venir à ses fins ;
et à engager les hommes droits dans les
piéges qu'on leur tend : c'est ce qu'on
nomme fine politique , Sagesse consommée.
Paroître avec un visage riant et un
visage ouvert , lorsque l'on est rongé intérieurement
d'envie , de jalousie , d'animosité
faire obligeamment mille offres
de services à ceux même que l'on verroit
avec joye perir et abîmer, parce que l'interêt
et l'ambition le demandent; sçavoir
prendre des souterrains qui cachent le
crime et l'injustice , pour se pousser et
faire son chemin à quelque prix que ce
soit ; se deffendre des vices grossiers ,
énormes et infamans , sans se mettre en
peine de toutes les horreurs qui se cachent
sous le voile des ténébres et du silence
; c'est ce qui s'appelle être Sage :
en un mot, certe Sagesse du monde n'est
que le déguisement des passions criminelles
dont on est l'esclave ; au lieu que
la vraie Sagesse en est la victoire et le
triomphe, ou du moins elle apprend à les
regler , à les moderer , à les maîtriser.
Il y en a qui mettent la Sagesse dans
une humeur sombre, mélancolique , austere
; dans un air triste et morne ; dans
C vj
une
256 MERCURE DE FRANCE
une certaine pesanteur ennuyeuse et à
charge à tout le monde ; mais ils se
trompent: la vraye sagesse n'a rien de farouche
ni de rebutant , c'est une vertu
de societé qui lie les hommes par la bonté
, la douceur , l'amitié sincere , qui les
instruit et les corrige , sans les choquer
ni les aigrir , elle s'insinue dans les coeurs
par des charmes dont ils ne peuvent se
deffendre. Quoiqu'elle soit ennemie du
déguisement et de la duplicité , elle
sçait dissimuler à propos, et semble ne pas
appereevoit ce qu'elle ne peut rectifier.
Elle fait valoir agréablement les interêts
de la justice et de la verité , et elle a le
secret de les rendre aimables ; si elle est
obligée de combattre vigoureusement
ou de souffrir pour les deffendre , elle le
fait avec joye , sans fiel , sans animosité.
Sa constance la soutient dans tous les
maux et dans les disgraces : quoiqu'elle
n'y soit pas insensible , elle aime mieux en
étre la victime que de les susciter, quand
elle le pourroit , à ceux qui se déclarent
ses ennemis .
Les Stoïciens se sont rendus ridicules,
par l'idée extravagante qu'ils donnoient
de leur Sage. A les entendre il étoit aussi
insensible qu'un rocher contte lequel
viennent se briser les flots de la Mer. Les
inforFEVRIER
. 1734. 257
infortunes , les pertes , les afflictions les
plus accablantes ne lui causoient pas la
moindre émotion. Il étoit à l'épreuve des
douleurs les plus cuisantes , des playes les
plus profondes , des plus terribles coups,
dont un homme puisse être frappé . Il n'y
avoit ni peines ni tourmens si affreux qui
pussent troubler la severité de son ame,
et l'empêcher d'être heureux. Voilà à
quelle outrance le feu de l'imagination
a porté des hommes , d'ailleurs éclairez
, qui faisoient l'admiration de leur
tems , et qui s'appliquoient uniquement
à la recherche de la Sagesse ; telle étoit
l'idée fausse et chimerique qu'ils en
avoient conçue , et qu'ils vouloient en faire
concevoir aux autres . Il falloit qu'ils connussent
bien peu l'Homme naturellement
si sensible et si délicat , pour le croire
capable d'une telle insensibilité , d'une
telle dureté , qui seroit contre sa nature
et qui dégenereroit en vice. Ils ne sçavoient
gueres ce que c'étoit que la vertu
pour en forger une de cette trempe. La
vertu ne consiste pas à être insensible
mais à vaincre la sensibilité par une fermeté
et une constance inébranlable qui
tienne inviolablement attaché au devoir.
C'est ainsi que de tout tems chacun
s'est figuré une Sagesse à son gré , et selon
258 MERCURE DE FRANCE;
,
lon son caprice; on est tombé tantôt dans
un excès, tantôt dans un autre . On a consulté
ses vûës , ses desseins , ses intérêts
pour paroître Sage sans l'être effectivement
, les passions se sont travesties et
ont voulu se montrer sous l'habillement
de la Sagesse ; mais si elles ont trompé
quelque tems les yeux des hommes peu
éclairez , on les a enfin reconnues pour
ce qu'elles étoient , et elles ont été honteu
sement dépouillées de ce vain ornement
dont elles avoient eu l'audace de se parer.
La parole du sage : rien de trop , est
peut-être la notion la plus juste , la plus
précise , la plus exacte que l'on puisse
donner de la vraie Sagesse. La difficulté
est de trouver et de garder ce juste milieu
en quoi elle consiste. Le sentier est extrémement
étroit et glissant ; il n'est pas
aisé de l'appercevoir , et il est presque
impossible de n'y pas broncher : delà
vient qu'il y a si peu de personnes qui
y entrent et qui s'y soutiennent. Les uns
sont trop promps , trop vifs , trop ardens ;
les autres trop flegmatiques , trop indolens
: vous en verrez qui affectent un
sérieux et une gravité qui glace : its
veulent paroître Sages et ce sont de vrais
Pedants; d'autres, pour éviter ce travers,
sont sottement folâtres et badins sans
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rien
FEVRIER. 1734. 259
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rien rabattre de la bonne opinion qu'ils
ont d'eux - mêmes ; beaucoup ont des manieres
trop libres et peu décentes , d'autres
sont trop resserrez , trop pointilleux .
Franchement à regarder les hommes tels
qu'ils sont , il n'y en a point dont on
puisse prononcer absolument qu'ils sont
Sages. Ils ont tous leurs défauts
et la
vraye Sagesse n'en souffre point , parce
que les défauts sont autant de dérangemens
de la raison , d'accès de folie , moins
durables , à la verité , et moins sensibles
mais aussi réels qu'une folie déclarée et
perseverante. La parfaite Sagesse est plutôt
dans le Ciel que sur la terre ; notre
partage est d'y tendre et d'en approcher
autant que la foiblesse humaine le permet
, en réprimant et retranchant lesdéfauts
que nous remarquons en nous : ( et
heureux qui les connoît ! c'est un commencement
de Sagesse , ) mais il ne faut
pas être assez vain pour s'imaginer jamais
de l'avoir acquise dans toute sa perfection.
·
Cette sublime vertu consiste donc dans
une certaine force , une certaine vigueur,
qui tient l'ame comme sur un point fixe
dans un exact équilibre entre l'excès.de
joye et de tristesse , de fermeté et de sensibilité,
d'amour et d'indifférence, de lentear
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teur et de vivacité , de bravoure et de
retenuë , de crainte et d'intrépidité ; qui
la rend maîtresse de tous ses mouvemens ,
qu'elle regle et qu'elle modere selon les
loix d'une raison éclairée qui la met audessus
de toute révolte des sens , de tout
déreglement des passions qu'elle gouverne
et qu'elle réduit avec un empire absolu.
Telle est la vraye Sagesse , qui convient
à l'homme,à laquelle il peut et doit
aspirer , mais dont, foible comme il est ,
il s'écartera toujours de quelque degré
à proportion de sa foiblesse ; s'il ne lus
est pas donné de parvenir au comble de
la perfection , où réside la Sagesse dans
son plein , il n'est pas moins obligé de
travailler à en approcher et à mesure qu'il
fera du progrès , on pourra dire qu'il
augmente en Sagesse .
у
Or en ce sens y a- t- il un état plus
propre que l'autre à l'acquerir ? la fausse
Sagesse est fort asservie à la situation des
personnes, et dépendante des circonstances
, des erreurs , des passions qui la favorisent
et qui la soutiennent. Il n'en est
pas ainsi de la vraie Sagesse ; elle est libre
et indépendante ; comme une puissante
Reine elle domine souverainement sur
tous les Etats , sur toutes les conditions;
Elle brille dans la prosperité , elle triomphe
FEVRIER 1734. 261
phe dans l'adversité les Richesses ne
peuvent la corrompre ; les miseres de la
Pauvreté ne peuvent l'avilir ; Elle habite
noblement dans la chaumière et s'assie
modestement sur le trône ; son éclat et
sa force se font sentir sous de vils haillons
, comme sous la pourpre
des Rois.
Elle appelle , elle invite tous les peuples ,
toutes les nations , tous les hommes jeunes
et vieux , grands et petits , riches et
pauvres ; mais qu'il y en a peu qui l'écoutent
! presque tous aiment mieux se laisser
entraîner par la passion , que conduire
par la Sagesse. C'est une lumiere bienfaisante
et universelle qui luit dans les ténébres
, mais les ténébres ne la com
prennent pas ; l'erreur , les préjugez ,
les passions dominantes du coeur humain
forment dans l'ame des nuages épais qui
empêchent ordinairement ses rayons d'y
pénétrer. Ainsi, quoique la Sagesse d'ellemême
soit indépendante , et que par sa
force elle puisse absolument surmonter
tous les obstacles et triompher de tous ses
ennemis ; il faut cependant avouer que
comme elle n'agit point avec violence ,
les oppositions qu'elle rencontre dans
certains états l'en éloignent ; il est
vrai que celui là est plus propre à l'acquerir
où elle trouve moins de résistance
et
262 MERCURE DE FRANCE
et où elle s'insinue avec plus de facilité.
Il s'agit donc ici d'exantiner lequel des
deux Etats de Richesse ou de Pauvreté
présente à la Sagesse plus ou moins de
difficultés et d'obstacles à surmonter: Ces
obstacles se réduisent , comme je l'ai déja
insinué, aux erreurs, aux préjugez , aux
passions .
Il est constant que dans l'état de Pauvreté
les erreurs et les préjugez sont en
plus petit nombre et moins difficiles à
vaincre. La verité s'y fait jour beaucoup
plus aisément chez les grands et les riches
dont elle ne peut presque aborder. Une
troupe de flatteurs les assiegent : on a
interêt de les menager ; on n'ose choquer
leurs préjugez et leur parler avec franchise
dans la crainte de s'attirer quelque
facheuse affaire . Si on leur annonce la verité
, ce n'est qu'avec des ménagemens
et des adoucissemens qui l'énervent et la
défigurent : rarement ils la reconnoissent
sous les déguisemens dont on la couvre
et encore plus rarement ils se l'appliquent.
Un homme qui se mêle d'instruire
ou de reprendre, quelque précaution qu'il
prenne pour le faire honnêtement , devient
importun et passe pour incivil
chez les personnes d'un certain rang : on
craint de le voir et il est trop heureux si
on
FEVRIER. 1734 263
on ne le chasse pas honteusement , si
même on ne lance pas contre lui quelques
traits d'indignation et de vengeance .
Les Petits et les pauvres sont plus dociles
et moins délicats , on en approche sans
peine ; on leur fait voir la verité dans
tout son jour ; on ne craint point de les
fatiguer de remontrances ; si quelquefois
ils ne les reçoivent pas bien , on en est
quitte pour avoir perdu sa peine ; du
moins ils ne sont pas redoutables. On
voit par expérience qu'ils ne tiennent pas
beaucoup aux erreurs et aux préjugez ,
quand on veut se donner le soin de les
instruire. D'ailleurs ils en ont moins que
les riches les faux principes du monde
ne leur ont pas si fort gâté l'esprit et cor.
rompu le jugement .
:
Il y a parmi les personnes du commun
plus de droiture , de simplicité , de candeur
; excellentes dispositions pour donner
entrée à la Sagesse . Ils n'ont pas de
si grands interêts qui les dominent et qui
les aveuglent ; ils ne sont pas étourdis
par tout ce tumulte , ces intrigues , ces
grands mouvemens qui agitent les riches
et qui étouffent la voix de la Sagesse . Les
passions les plus vives, les plus flatteuses,
ou les plus turbulentes qui dévorent
coux-ci , et qui ferment toutes les ave-
: nues
264 MERCURE DE FRANCE
و
nuës à la Sagesse , sont bien amorties
dans la Pauvreté , parce qu'elles n'y trouvent
presque point d'amorce . Ces dangereuses
maîtresses du coeur humain ne
font que languis dans un état où elles
manquent d'aliment , où rien ne les favorise
, où tout semble conjuré pour
leur perte. L'amour propre , ce tyran des
grandes fortunes est presque anéanti
dans les humiliations de la Pauvreté ;
l'ambition toujours inquiéte inquiéte et jamais
contente, n'y voit point de jour à se produire
et demeure sans action , sans mouvement
, dans une espece de l'éthargie,
l'attachement aux Richesses qui suit la
possession , cette honteuse ct insatiable
avarice n'a gueres lieu où elle ne sent rien
qui l'attire et qui puisse la contenter.
S'il y a quelques exemples du contraire,
ce sont des prodiges qui ne tirent pas
conséquence. Pour peu qu'on connoisse
de Pauvre , on le voit plus satisfait dans
les bornes étroites de sa condition , et
moins avide des biens périssables , que la
plupart des riches du siécle ; la volupté ,
des délices qui corrompent le coeur , qui
empoisonnent l'ame , et qui étouffent la
Sagesse , ces funestes syrenes qui attirent,
qui chatment, qui enchantent, pour donner
la mort , trouvent peu d'ouverture
dans
FEVRIER 1734. 265
dans un état dont la peine et le travail
sont inséparables , où l'on gagne difficilement
son pain à la sueur de son front,
où le corps est masté par de rudes et de
continuelles fatigues , où l'on ne voit aucune
des douceurs et des commoditez
qui engendrent et qui fomentent la mollesse.
La vie dure et laborieuse n'est pas
compatible avec les délicatesses de la sensualité
, dont les Richesses et l'abondance
sont le pernicieux aliment. Le Pauvre est
donc plus libre , plus dégagé , moins
esclave des passions.
Il faut avouer que ces veritez sont désolantes
pour les Riches , qui n'ont pas
perdu tout sentiment d'honneur et de
probité, et qui conservent encore du gout
pour la vertu. Tel est le danger de leur
état , qu'à moins qu'ils ne soient continuellement
en garde , et qu'ils n'ayent
le courage de rompre toutes ces barrieres,
de dissiper tous ces nuages , d'écarter
tous ces obstacles , la vraie Sagesse ne
peut avoir accès auprès d'eux . Rien n'est
plus propre à rabattre la présomption
trop ordinaire aux personnes distinguées
dans le monde par les faveurs de la fortune
, et à leur faire sentir combien est
injuste le mépris qu'ils font de la Pauvreté
, qui , à ne consulter même que les
lumieres
266 MERCURE DE FRANCE
lumieres naturelles , est préferable à l'affluence
des richesses , parce qu'elle est
plus favorable à la sagesse et à la vertu .
Les hommes les plus éclairez du Paganisme
, ces anciens Philosophes si cebres
dans l'Antiquité , s'accordent en
ce point avec les Chrétiens. Ils regardent
la pauvreté jointe à la frugalité et
à la vie dure , qui en sont les suites naturelles
, comme l'Ecole de la vertu . Au
contraire tout le soin , l'attirail , les agitations
qui accompagnent les richesses ,
leur paroissent un veritable esclavage, qui
entraîne celui de toutes les passions qu'elles
font naître et qu'elles nourrissent . Lycurgue
, ce fameux Législateur de Sparte ,
netrouva pas de moïen plus sûr et plus
puissant pour former les Laccdémoniensà
la sagesse et à la vertu , que de leur deffendre
l'usage de l'or et de l'argent.Jamais les
anciens Romains ne parurent si sages et si:
vertueux que lorsqu'ils témoignerent un
souverain mépris pour les richesses , et.
dès que l'abondance et le luxe s'y furent
introduits , ils tomberent dans les folies,
er les extravagances des passions les plus
effienées. Socrate , déclaré par l'Oracle ,,
l'homme le plus sage de la Grece , n'étoit
que le fils d'un simple Artisan , et
quoique l'éclat de son mérite eût pû le
mettre
FEVRIER 1734. 267
mettre au large et lui procurer les graces
de la fortune , il méprisa constammant
les richesses , et témoigna en toute
Occasion l'estime qu'il faisoit de la Pauvreté.
A la vûë de tout ce que la pompe
et le luxe pouvoient étaler de plus brillant
, il se félicitoit lui- même de pouvoir
s'en passer ; que de choses , disoit- il,
dont je n'ai pas besoin .
Que les Riches ne fassent donc point
si fort les hommes importans ; qu'ils ne
se flattent point tant des avantages d'une
florissante prosperité ; qu'ils ne regar
dent pas d'un air si méprisant ; qu'ils
ne traitent pas avec tant de hauteur et
de dureté le Pauvre qui les fait vivre de
son travail , de son industrie et qui les
aide de ses services , plus necessaires.
que ceux qu'ils peuvent eux mêmes lui
rendre . En vain possederoient- ils tous les
trésors du monde , sans le Laboureur ,
le Vigneron , le Jardinier qui cultivens
la terre ; avec tout leur or et leur
argent
ils n'auroient pas de quoi fournir aux
besoins les plus pressants de la vie ; sans
P'Artisan qui travaille utilement pour
cux , sans les Serviteurs qui sont à leurs .
gages ; malgré l'abondance de leurs richesses
, ils manqueroient d'habits pour
se couvrir , et seroient privez de toutes
les
268 MERCURE DE FRANCE
1
les commoditez et les délices qu'ils recherchent
avec tant d'empressement.
Quoique les Riches disent et pensent ,
ils ne peuvent se passer du Pauvre , et
le Pauvre pourroit absolument se passer
d'eux. Accoutumé à se contenter de peu
et à vivre frugalement du travail de ses
mais , il subsisteroit sans l'usage de l'or
et de l'argent ; il tireroit toujours de la
fécondité de la terre , les vrayes richesses
qu'elle renferme dans son sein et qu'elle
reproduit chaque année ; il vivroit tranquille,
sans les injustes vexations des Riches
qui s'engraissent de sa substance
qui lui ravissent trop souvent , par fraude
ou à force ouverte , le juste fruit de
ses travaux et le modique heritage de
ses peres . La sagesse et la vertu , quand
il a le bonheur de les posseder , sont les
seuls biens solides qu'on ne peut lui ôter;
ils lui appartiennent préferablement au
Riche,qui s'en rend indigne par le choix
qu'il fait des biens périssables ; les heureuses
dispositions qu'il y apporte par
son état même le dédommagent bien de
ce qui lui manque du côté de la fortune.
Nonobstant les préjugez contraires, on
ne peut disconvenir que naturellement
la prosperité n'aveugle et l'adversité ne
donne d'excellentes leçons de sagesse . Il
est
FEVRIER 1734. 269
est donc prouvé que la Richesse qui est
un état de prosperité , est moins propre
à l'acquerir que la Pauvreté , dont l'Adversité
est la fidelle Compagne .
La suite pour le Mercure prochain.
Fermer
Résumé : REFLEXIONS de M. Simonnet Prieur d'Heurgeville, sur la Question proposée dans le Mercure d'Août 1733. Quel est l'état le plus propre à acquerir la Sagesse, de la Richesse ou de la Pauvreté.
Le texte 'Réflexions de M. Simonnet, Prieur d'Heurgeville, sur la Question proposée dans le Mercure d'Août 1733' distingue la vraie sagesse de la fausse sagesse. La fausse sagesse est vue comme un masque des passions criminelles, marquée par la dissimulation et la manipulation. La vraie sagesse, en revanche, est une vertu sociale qui unit les hommes par la bonté, la douceur et l'amitié sincère. Elle sait également dissimuler à bon escient et rendre la justice et la vérité aimables. Le texte critique les Stoïciens pour leur vision extrême de la sagesse, qui prône une insensibilité totale aux malheurs. Il affirme que la véritable vertu consiste à dominer la sensibilité par une fermeté et une constance inébranlable. La sagesse est définie par la modération et l'équilibre entre les extrêmes, incarnée par la parole du sage : 'rien de trop'. La sagesse est indépendante des circonstances et peut être acquise dans tous les états, qu'il s'agisse de richesse ou de pauvreté. Cependant, la pauvreté présente moins d'obstacles à la sagesse, car elle est moins soumise aux erreurs, aux préjugés et aux passions. Les pauvres sont plus dociles et moins délicats, ce qui facilite l'accès à la vérité et à la sagesse. Les riches, en revanche, sont souvent entourés de flatteurs et craignent de choquer les préjugés, rendant l'accès à la vérité plus difficile. Le texte explore également la relation entre la richesse et la pauvreté, soulignant que l'avarice est omniprésente et difficile à satisfaire. Les pauvres, malgré leur condition modeste, sont souvent plus satisfaits et moins avides des biens matériels que les riches. La vie dure et laborieuse des pauvres les rend moins esclaves des passions et des délices qui corrompent l'âme. Les riches, en revanche, doivent constamment se garder des tentations pour accéder à la sagesse. La pauvreté, associée à la frugalité et à une vie dure, est présentée comme une école de vertu. Les philosophes anciens et les chrétiens s'accordent sur ce point. Lycurgue, par exemple, interdit l'usage de l'or et de l'argent à Sparte pour former les citoyens à la sagesse. Les Romains furent sages et vertueux tant qu'ils méprisèrent les richesses. Socrate, malgré son mérite, méprisa toujours les richesses et estima la pauvreté. Le texte invite les riches à ne pas se considérer comme supérieurs et à reconnaître leur dépendance envers les pauvres, sans qui ils ne pourraient subsister. Les pauvres, accoutumés à se contenter de peu, pourraient se passer des riches, contrairement à ces derniers. La sagesse et la vertu sont les seuls biens solides que les riches ne peuvent ôter aux pauvres. Enfin, le texte conclut que la prospérité aveugle tandis que l'adversité enseigne la sagesse, prouvant que la pauvreté est plus propice à l'acquisition de la sagesse que la richesse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
31
p. 1121-1128
REFLEXIONS.
Début :
Nihil veritas erubescit, nisi solummodò abscondi. Il y a à [...]
Mots clefs :
Réflexions, Vertu, Vertus, Vol, Vérité, Moquer, Engendrer, Perfection, Épreuve, Raisons
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
'hil veritas erubescit , nisi solummo
To abscondi.
Il y a à la Cour quatre bonnes Meres ,
qui ont quatre fort mauvais enfans ; sçavoir
, la Verité , qui engendre la haine s
la Prosperité , qui engendre , l'orgueil 3
la Séverité , qui engendre le périls et la
Familiarité qui engendre le mépris .
Amant veritatem lucentem , non redar
gueniem.
Le salaire des menteurs est de n'être
point crûs quand ils disent la verité.
Mendaci etiam verum dicenti non creditur.
Phédre.
Les raisons simples et foibles de ceux
qui deffendent la verité , font souvent
un meilleur effet que de plus fortes et
plus recherchées , en découvrant à quelles
extremitez sont réduits ceux qui veulent
la combattre . Il faut avouer cependant
qu'on fait quelquefois tort à la veẻ
par la maniere de la deffendre .
I. Vol. D iij
rité
Une
1122 MERCURE DE FRANCE
Une trop grande confiance d'avoir
trouvé la verité, et la persuasion qu'on en
a , empêchent souvent de la trouver en
effet.
Il faut proportionner les veritez
Saintes à l'intelligence humaine ; il est
de la prudence de ne pas exposer le
langage divin à l'insulte des prophanes ,
et au mépris de ceux qui condamnent
et blasphement tout ce qu'ils ignorent,
et qui , devenus semblables à des animaux
sans raison , corrompent tellement
leur esprit , qu'ils ne connoissent rien
que par le seul interêt de la Nature.
C'est souvent rendre la verité douteuse
et en prophaner la simplicité , que d'em
ployer trop d'éloquence pour l'établir.
Dans les Narrations , un Auteur qui
veut être crû , doit moins s'appliquer à
dire la verité , qu'à rendre croyable co
qu'il dit.
Les gens de bien ne disent rien de
vrai mollement , ni de faux hardiment.
Nequid falsi dicere audeat , nequid veri
non audeat.
Il n'y a rien de si aigu qui ne rebrousse
contre le bouclier de la verité.
I. Vol. Veritati
JUI N. 1734: 1123
Veritati præscribere nemo potest , non spas
tium temporum , non patrocinia personarum
, non privilegium nationum . Tertul.
Les Vertus chrétiennes n'étant pas
apposées entr'elles , la charité qu'on doit
à son prochain ne doit pas arrêter la
justice qu'on se doit à soi- même.
L'art de la dépravation ne se doit apprendre
nulle part. Les loix de l'honnêteté
doivent être scrupuleusement gar
dées par tout. Il ne faut point imprimer
de dangereuses pensées dans les esprits ,
sous prétexte de rendre le vice plus abominable
, ni les remplir de honteuses.
idées , lorsqu'il n'est question que de les
animer à la recherche de la gloire , en leur
représentant les plus éminentes vertus.
Quand on ne veut faire que ce qui
est permis , il est permis de faire tout
ce qu'on veut.
Le comble de la vertu c'est d'élever
son esprit au -dessus des promesses et des
menaces de la fortune.
On est parvenu à une extrême , vertu
quand on pardonne tout aux autres ,
D iiij comme I. Vol
1124 MERCURE DE FRANCE
comme si on faisoit tous les jours des
fautes, et qu'on s'abstint d'en faire, comme
si on ne pardonnoit rien à personne.
C'est un grand Art dans certaines occasions
, que de sçavoir soutenir la vertu
sans offenser ceux qui l'attaquent.
Combien de choses sont l'effet du dégoût
, de la bienséance ou de l'amour
de la santé , dont on fait honneur à la
Vertu .
On n'a que trop de penchant à fonder
son opposition à la pratique des vertus
chrétiennes sur l'impossibilité d'ar
teindre à la perfection des Saints ; et
l'on s'autorise à ne pas les imiter quand
leurs actions paroissent trop au dessus
des efforts ordinaires de la Nature .
On ne manque jamais d'occasion de
pratiquer la vertu . Nunquam potest nom
esse virtuti locus. Seneq. Medee.
Pour juger de la vertu d'un homme ,"
il faudroit lire dans le fond de son coeur
pour y découvrir les causes qui le font
agir , car ce sont les causes qui font la
vertu , et non pas les actions exterieures.
1. Vol.
Souvent
"
JUIN. 1734
1125
Souvent les plus grandes vertus des
Hommes ne sont que le triomphe d'une
passion moins criminelle sur une passion
plus criminelle ; ensorte que ceux
qu'on croit si vertueux , ne different des
autres que par le choix de certains deffauts
qui sont moins condamnez dans
le Monde.
De- même qu'il est plus aisé de pren
dre la maladie d'un autre , que de lui
donner la santé dont nous jouissons , nous
avons plus de facilité à contracter les
vices d'autrui , qu'à communiquer notre
vertu. Facilius est vitium contrahere quam
virtutem impertiri : quem admodum facilius
est morbo alieno infici , quàm sanitatem lar:
giri. S. Greg. de Nazianze.
La pauvreté n'ête pas les vertus , et les
riches ses ne les donnent point.
Avec de la vertu , de la capacité et
une bonne conduite , on peut être insupportable;
les manieres que l'on néglige
comme de petites choses , sont souvent
ce qui fait que les hommes décident
de nous en bien ou en mal. Une
legere attention à les avoir douces et
polies , prévient leurs jugemens. Il ne
I. Vol.
faut D v
116 MERCURE DE FRANCE
faut presque rien pour être crû fier , incivil
, méprisant , désobligeant. I fiut
encore moins pour être estimé tout le
con raire.
C'est une vertu bien legere que celle
qui n'a jamais été à l'épreuve.,
Il est beaucoup plus aisé de conserver
toute sa vertu , que de revenir à
elle , dès que nous avons fait un pas
qui nous en éloigne.
Ceux qui prétendent s'attirer des dé
ferences par de fausses vertus , se mocquent
de ceux de qui ils les prétendent ;
et ceux- cy , à leur tour , se mocquent
de ceux- là en leur rendant des respects
apparens , au lieu des véritables qu'ils
esperent.
le
La haute vertu imprime dans tous
les coeurs certains caracteres de veneration
que temps n'efface jamais . On
admirera toujours l'action de Camille ,
qui renvoya aux Siliques , leur Maître
d'Ecole , fouetté par la Jeunesse de leur
Ville qu'il avoit voulu livrer ; et celle
de Fabrice , qui avertit Pyrrhus , son Ennemi
, que son Medecin offroit de l'empoisonner.
I. Vol La
JUIN. 1734. 1127
La plupart des hommes ont mons
d'empressement à être vertueux , qu'à ,
le paroître.
Tanto major fama satis est , quàm
Virtutis : quis enim virtutem amplectitur ipsam ;
Pramia si tollas ? Juven. Sat 10. ,
Les vertus mêmes sont quelquefois dangereuses
dans un homme sans jugement.
Quand on conseille la vertu aux au
tres , on augmente les raisons que l'on
a de la pratiquer..
Dicta , factis de facientibus erubescunt.
Il est bien plus difficile de se soutenir
dans la perfection , que d'y atteindre.
peu
Il y a bien
de vertu de bon aloy;
parmi les plus sinceres
il y a toujours
un certain
exterieur
sévere et rebutant
, très utile à la vertu.
Il en est de la veritable vertu comme
des bons Parfums , qui n'ont jamais plus
d'odeur que quand on les pile ou qu'on
les brule. La vertu a besoin d'épreuve .
Marcet sine adversario virtus. Seneque .
La vertu, doit être sans excès , et la
La Vol D vj per116
MERCURE DE FRANCE
faut rien presque pour être crû fier , incivil
, méprisant , désobligeant. I fiue
encore moins pour être estimé tout le
con raire.
C'est une vertu bien legere que celle
qui n'a jamais été à l'épreuve.,
Il est beaucoup plus aisé de conserver
toute sa vertu , que de revenir à
elle , dès que nous avons fait un pas
qui nous en éloigne .
Ceux qui prétendent s'attirer des dé
ferences par de fausses vertus , se mocquent
de ceux de qui ils les prétendent s
et ceux - cy , à leur tour , se mocquent
de ceux - là en leur rendant des respects
apparens , au lieu des véritables qu'ils
esperent.
La haute vertu imprime dans tous
les coeurs certains caracteres de veneration
que le temps
n'efface jamais. On
admirera toujours l'action de Camille ,
qui renvoya aux Saliques , leur Maître
d'Ecole , fouetté par la Jeunesse de leur
Ville qu'il avoit voulu livrer ; et celle
de Fabrice , qui avertit Pyrrhus , son Ennemi
, que son Medecin offroit de l'empoisonner.
I. Vol
La
JUIN. 1734. 1127
La plupart des hommes ont mons
d'empressement à être vertueux , qu'à,
le paroître.
Tanto major fama satis est , quàm
Virtutis : quis enim virtutem amplectitur ipsam ;
Pramia si tollas ? Juven. Sat 10 .
Les vertus mêmes sont quelquefois dangereuses
dans un homme sans jugement.
Quand on conseille la vertu aux au
tses , on augmente les raisons que l'on
a de la pratiquer..
Dicta , factis de facientibus erubescunt.
Il est bien plus difficile de se soutenir
dans la perfection , que d'y atteindre .
Il y a bien peu de vertu de bon aloy;
parmi les plus sinceres il y a toujours
un certain exterieur sévere et rebutant,
très utile à la vertu.
Fl en est de la veritable vertu comme
des bons Parfums , qui n'ont jamais plus
d'odeur que quand on les pile ou qu'on
les brule. La vertu a besoin d'épreuve .
Marcet sine adversario virtus . Seneque .
La vertu doit être sans excès , et la
L Vol D vj per1128
MERCURE DE FRANCE
perfection même doit avoir ses bornes.
Oportet sapere usque ad sobrietatem. S. Paul.
Les richesses sont à la vertu ce que
le bagage est à une armée , qui quelque
fois l'empêche d'avancer , et d'autres fois
la fait aller bien loin. Bacon.
L'amour de la gloire et la crainte du
blâme , sont presque toujours les vrais
motifs de la vertu .
Non basta la Fortuna per ingrandire
gl'homini , senon vi concorre la virtùs ed è
vana la virtù dove manca la fortuna .
Il vitio non è sicuro , nemeno nel mez
delle virtù , per che contamina la virtù.
'hil veritas erubescit , nisi solummo
To abscondi.
Il y a à la Cour quatre bonnes Meres ,
qui ont quatre fort mauvais enfans ; sçavoir
, la Verité , qui engendre la haine s
la Prosperité , qui engendre , l'orgueil 3
la Séverité , qui engendre le périls et la
Familiarité qui engendre le mépris .
Amant veritatem lucentem , non redar
gueniem.
Le salaire des menteurs est de n'être
point crûs quand ils disent la verité.
Mendaci etiam verum dicenti non creditur.
Phédre.
Les raisons simples et foibles de ceux
qui deffendent la verité , font souvent
un meilleur effet que de plus fortes et
plus recherchées , en découvrant à quelles
extremitez sont réduits ceux qui veulent
la combattre . Il faut avouer cependant
qu'on fait quelquefois tort à la veẻ
par la maniere de la deffendre .
I. Vol. D iij
rité
Une
1122 MERCURE DE FRANCE
Une trop grande confiance d'avoir
trouvé la verité, et la persuasion qu'on en
a , empêchent souvent de la trouver en
effet.
Il faut proportionner les veritez
Saintes à l'intelligence humaine ; il est
de la prudence de ne pas exposer le
langage divin à l'insulte des prophanes ,
et au mépris de ceux qui condamnent
et blasphement tout ce qu'ils ignorent,
et qui , devenus semblables à des animaux
sans raison , corrompent tellement
leur esprit , qu'ils ne connoissent rien
que par le seul interêt de la Nature.
C'est souvent rendre la verité douteuse
et en prophaner la simplicité , que d'em
ployer trop d'éloquence pour l'établir.
Dans les Narrations , un Auteur qui
veut être crû , doit moins s'appliquer à
dire la verité , qu'à rendre croyable co
qu'il dit.
Les gens de bien ne disent rien de
vrai mollement , ni de faux hardiment.
Nequid falsi dicere audeat , nequid veri
non audeat.
Il n'y a rien de si aigu qui ne rebrousse
contre le bouclier de la verité.
I. Vol. Veritati
JUI N. 1734: 1123
Veritati præscribere nemo potest , non spas
tium temporum , non patrocinia personarum
, non privilegium nationum . Tertul.
Les Vertus chrétiennes n'étant pas
apposées entr'elles , la charité qu'on doit
à son prochain ne doit pas arrêter la
justice qu'on se doit à soi- même.
L'art de la dépravation ne se doit apprendre
nulle part. Les loix de l'honnêteté
doivent être scrupuleusement gar
dées par tout. Il ne faut point imprimer
de dangereuses pensées dans les esprits ,
sous prétexte de rendre le vice plus abominable
, ni les remplir de honteuses.
idées , lorsqu'il n'est question que de les
animer à la recherche de la gloire , en leur
représentant les plus éminentes vertus.
Quand on ne veut faire que ce qui
est permis , il est permis de faire tout
ce qu'on veut.
Le comble de la vertu c'est d'élever
son esprit au -dessus des promesses et des
menaces de la fortune.
On est parvenu à une extrême , vertu
quand on pardonne tout aux autres ,
D iiij comme I. Vol
1124 MERCURE DE FRANCE
comme si on faisoit tous les jours des
fautes, et qu'on s'abstint d'en faire, comme
si on ne pardonnoit rien à personne.
C'est un grand Art dans certaines occasions
, que de sçavoir soutenir la vertu
sans offenser ceux qui l'attaquent.
Combien de choses sont l'effet du dégoût
, de la bienséance ou de l'amour
de la santé , dont on fait honneur à la
Vertu .
On n'a que trop de penchant à fonder
son opposition à la pratique des vertus
chrétiennes sur l'impossibilité d'ar
teindre à la perfection des Saints ; et
l'on s'autorise à ne pas les imiter quand
leurs actions paroissent trop au dessus
des efforts ordinaires de la Nature .
On ne manque jamais d'occasion de
pratiquer la vertu . Nunquam potest nom
esse virtuti locus. Seneq. Medee.
Pour juger de la vertu d'un homme ,"
il faudroit lire dans le fond de son coeur
pour y découvrir les causes qui le font
agir , car ce sont les causes qui font la
vertu , et non pas les actions exterieures.
1. Vol.
Souvent
"
JUIN. 1734
1125
Souvent les plus grandes vertus des
Hommes ne sont que le triomphe d'une
passion moins criminelle sur une passion
plus criminelle ; ensorte que ceux
qu'on croit si vertueux , ne different des
autres que par le choix de certains deffauts
qui sont moins condamnez dans
le Monde.
De- même qu'il est plus aisé de pren
dre la maladie d'un autre , que de lui
donner la santé dont nous jouissons , nous
avons plus de facilité à contracter les
vices d'autrui , qu'à communiquer notre
vertu. Facilius est vitium contrahere quam
virtutem impertiri : quem admodum facilius
est morbo alieno infici , quàm sanitatem lar:
giri. S. Greg. de Nazianze.
La pauvreté n'ête pas les vertus , et les
riches ses ne les donnent point.
Avec de la vertu , de la capacité et
une bonne conduite , on peut être insupportable;
les manieres que l'on néglige
comme de petites choses , sont souvent
ce qui fait que les hommes décident
de nous en bien ou en mal. Une
legere attention à les avoir douces et
polies , prévient leurs jugemens. Il ne
I. Vol.
faut D v
116 MERCURE DE FRANCE
faut presque rien pour être crû fier , incivil
, méprisant , désobligeant. I fiut
encore moins pour être estimé tout le
con raire.
C'est une vertu bien legere que celle
qui n'a jamais été à l'épreuve.,
Il est beaucoup plus aisé de conserver
toute sa vertu , que de revenir à
elle , dès que nous avons fait un pas
qui nous en éloigne.
Ceux qui prétendent s'attirer des dé
ferences par de fausses vertus , se mocquent
de ceux de qui ils les prétendent ;
et ceux- cy , à leur tour , se mocquent
de ceux- là en leur rendant des respects
apparens , au lieu des véritables qu'ils
esperent.
le
La haute vertu imprime dans tous
les coeurs certains caracteres de veneration
que temps n'efface jamais . On
admirera toujours l'action de Camille ,
qui renvoya aux Siliques , leur Maître
d'Ecole , fouetté par la Jeunesse de leur
Ville qu'il avoit voulu livrer ; et celle
de Fabrice , qui avertit Pyrrhus , son Ennemi
, que son Medecin offroit de l'empoisonner.
I. Vol La
JUIN. 1734. 1127
La plupart des hommes ont mons
d'empressement à être vertueux , qu'à ,
le paroître.
Tanto major fama satis est , quàm
Virtutis : quis enim virtutem amplectitur ipsam ;
Pramia si tollas ? Juven. Sat 10. ,
Les vertus mêmes sont quelquefois dangereuses
dans un homme sans jugement.
Quand on conseille la vertu aux au
tres , on augmente les raisons que l'on
a de la pratiquer..
Dicta , factis de facientibus erubescunt.
Il est bien plus difficile de se soutenir
dans la perfection , que d'y atteindre.
peu
Il y a bien
de vertu de bon aloy;
parmi les plus sinceres
il y a toujours
un certain
exterieur
sévere et rebutant
, très utile à la vertu.
Il en est de la veritable vertu comme
des bons Parfums , qui n'ont jamais plus
d'odeur que quand on les pile ou qu'on
les brule. La vertu a besoin d'épreuve .
Marcet sine adversario virtus. Seneque .
La vertu, doit être sans excès , et la
La Vol D vj per116
MERCURE DE FRANCE
faut rien presque pour être crû fier , incivil
, méprisant , désobligeant. I fiue
encore moins pour être estimé tout le
con raire.
C'est une vertu bien legere que celle
qui n'a jamais été à l'épreuve.,
Il est beaucoup plus aisé de conserver
toute sa vertu , que de revenir à
elle , dès que nous avons fait un pas
qui nous en éloigne .
Ceux qui prétendent s'attirer des dé
ferences par de fausses vertus , se mocquent
de ceux de qui ils les prétendent s
et ceux - cy , à leur tour , se mocquent
de ceux - là en leur rendant des respects
apparens , au lieu des véritables qu'ils
esperent.
La haute vertu imprime dans tous
les coeurs certains caracteres de veneration
que le temps
n'efface jamais. On
admirera toujours l'action de Camille ,
qui renvoya aux Saliques , leur Maître
d'Ecole , fouetté par la Jeunesse de leur
Ville qu'il avoit voulu livrer ; et celle
de Fabrice , qui avertit Pyrrhus , son Ennemi
, que son Medecin offroit de l'empoisonner.
I. Vol
La
JUIN. 1734. 1127
La plupart des hommes ont mons
d'empressement à être vertueux , qu'à,
le paroître.
Tanto major fama satis est , quàm
Virtutis : quis enim virtutem amplectitur ipsam ;
Pramia si tollas ? Juven. Sat 10 .
Les vertus mêmes sont quelquefois dangereuses
dans un homme sans jugement.
Quand on conseille la vertu aux au
tses , on augmente les raisons que l'on
a de la pratiquer..
Dicta , factis de facientibus erubescunt.
Il est bien plus difficile de se soutenir
dans la perfection , que d'y atteindre .
Il y a bien peu de vertu de bon aloy;
parmi les plus sinceres il y a toujours
un certain exterieur sévere et rebutant,
très utile à la vertu.
Fl en est de la veritable vertu comme
des bons Parfums , qui n'ont jamais plus
d'odeur que quand on les pile ou qu'on
les brule. La vertu a besoin d'épreuve .
Marcet sine adversario virtus . Seneque .
La vertu doit être sans excès , et la
L Vol D vj per1128
MERCURE DE FRANCE
perfection même doit avoir ses bornes.
Oportet sapere usque ad sobrietatem. S. Paul.
Les richesses sont à la vertu ce que
le bagage est à une armée , qui quelque
fois l'empêche d'avancer , et d'autres fois
la fait aller bien loin. Bacon.
L'amour de la gloire et la crainte du
blâme , sont presque toujours les vrais
motifs de la vertu .
Non basta la Fortuna per ingrandire
gl'homini , senon vi concorre la virtùs ed è
vana la virtù dove manca la fortuna .
Il vitio non è sicuro , nemeno nel mez
delle virtù , per che contamina la virtù.
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Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore la complexité de la vérité et de la vertu, soulignant leurs aspects paradoxaux. À la Cour, quatre mères sont identifiées : la Vérité, qui engendre la haine ; la Prosperité, qui engendre l'orgueil ; la Sévérité, qui engendre les périls ; et la Familiarité, qui engendre le mépris. Les défenseurs de la vérité utilisent souvent des arguments simples mais efficaces, bien que leur manière de la défendre puisse parfois lui nuire. Une trop grande confiance en avoir trouvé la vérité empêche souvent de la découvrir réellement. Il est prudent de proportionner les vérités saintes à l'intelligence humaine et d'éviter d'exposer le langage divin aux profanes. Dans les narrations, un auteur doit rendre son récit croyable plutôt que de se contenter de dire la vérité. Les gens de bien ne disent rien de vrai mollement ni de faux hardiment. La vérité est inébranlable et ne peut être prescrite par le temps, les personnes ou les nations. Les vertus chrétiennes, bien que complémentaires, doivent être pratiquées avec justice et honnêteté. La vertu suprême est d'élever son esprit au-dessus des promesses et des menaces de la fortune. Pardonner aux autres et éviter de faire des fautes sont des signes de grande vertu. Le texte met en garde contre l'opposition à la pratique des vertus chrétiennes en se fondant sur l'impossibilité d'atteindre la perfection des saints. Les occasions de pratiquer la vertu sont toujours présentes. Les vertus des hommes sont souvent le triomphe d'une passion moins criminelle sur une autre plus criminelle. La pauvreté n'ôte pas les vertus, et les richesses ne les donnent pas. Les manières et l'attention aux détails sont cruciales pour être bien perçu. La véritable vertu est celle qui a été éprouvée et qui imprime des caractères de vénération dans les cœurs. Les hommes sont souvent plus empressés à paraître vertueux qu'à l'être réellement. Les vertus peuvent être dangereuses sans jugement. Conseiller la vertu aux autres renforce les raisons de la pratiquer soi-même. La vertu doit être sans excès et la perfection a ses limites. Les richesses peuvent soit entraver, soit favoriser la vertu. L'amour de la gloire et la crainte du blâme sont les motifs principaux de la vertu.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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32
p. 39-71
L'EDUCATION D'UN PRINCE.
Début :
Théophile. Voici un lieu fort champêtre, Prince ; [...]
Mots clefs :
Éducation, Éducation d'un prince, Prince, Hommes, Homme, Nature, Sang, Esprit, Seigneur, Raison, Vérité, Vertus, Gouverneur, Dialogue, Marivaux, Roi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'EDUCATION D'UN PRINCE.
L'EDUCATION D'UN PRINCE.
Cfont tres anciens. Un Seigneur qui
Es dialogues qu'on donne au public ,
hérita , il y a quelque tems , d'un de fes
parens , les trouva dans le château où ce
parent étoit mort ; ils étoient confondus
avec d'autres papiers extrêmement anciens
auffi ; on n'en a changé que le langage gaulois
, par lequel il paroît , au jugement de
quelques fçavans , qu'il y a pour le moins
quatre fiécles qu'ils font écrits . On ne fçait
point non plus quel en eft l'auteur ; tout ce
qu'on en peut croire , c'eft qu'ils ont fervi
à l'éducation de quelqu'un de nos Rois ,
ou de quelques Princes deftinés à regner.
Quoiqu'il en foit , en voici le premier ,
dont les détails font affez fimples . C'eſt un
40 MERCURE DE FRANCE.
Gouverneur & un jeune Prince qui s'entretiennent
enfemble , tous deux apparemment
fous des noms fuppofés , puifque le
Prince a celui de Théodofe , & le Gouver
neur celui de Théophile.
PREMIER DIALOGUE.
Théophile.
Voici un lieu fort champêtre , Prince ;
voulez- vous que nous nous y arrêtions ?
Théodofe.
Comme il vous plaira.
Théophile.
Vous me paroiffez aujourd'hui bien férieux
; la promenade vous ennuie-t-elle ?
Auriez vous mieux aimé refter avec ces
jeunes gens que nous venons de quitter ?
Théodofe.
Mais je vous avoue qu'ils m'amufoient,
Théophile.
Vous me fçavez donc bien mauvais gré
de vous avoir amené ici : n'eft- il pas vrai
que vous me trouvez dans mille momens
un homme bien incommode ? je pense que
DECEMBRE . 1754. 41
vous ne m'aimerez gueres quand vous
ferez débarraffé de moi.
Théodofe.
Pourquoi me dites- vous cela vous vous
trompez.
Théophile.
Combien de fois me fuis- je apperçu que
je vous fatiguois , que je vous étois defagréable
?
Théodofe.
Ah ! defagréable , c'eft trop dire : vous
m'avez quelquefois gêné , contrarié , quelquefois
fait faire des chofes qui n'étoient
pas de mon goût ; mais votre intention
étoit bonne , & je ne fuis pas affez injuſte
pour en être fâché contre vous.
Théophile.
C'est-à - dire que mes foins & mes attentions
ne m'ont point encore brouillé
avec vous ; que vous me pardonnez tout
le zele & même toute la tendreffe avec laquelle
j'ai travaillé à votre éducation : voilà
précisément ce que vous voulez bien
oublier en ma faveur .
Théodofe.
Ce n'eft point là ma pensée , & vous
42 MERCURE DE FRANCE.
me faites une vraie chicanne ; je viens
d'avouer que vous m'avez quelquefois chagriné
, mais que je compte cela pour rien ,
que je n'y fonge plus , que je n'en ai point
de rancune ; que puis-je dire de plus ?
Théophile.
Jugez-en vous - même. Si quelqu'un vous
voyoit dans un grand péril , qu'il ne pût
vous en tirer , vous fauver la vie qu'en
vous faifant une légere douleur , feroit- il
jufte lorsque vous feriez hors de danger ,
de vous en tenir à lui dire , vous m'avez
fait un petit mal , vous m'avez un peu trop
preffé le bras , mais je n'en ai point de rancune
, & je vous le pardonne è
Théodofe.
Ah ! vous avez raiſon , il y auroit une
ingratitude effroyable à ce que vous me
dites là ; mais c'eft de quoi il n'eft pas queftion
ici : je ne fçache pas que vous m'ayez
jamais fauvé la vie.
Théophile.
Non , le fervice que j'ai tâché de vous
rendre eft encore plus grand ; j'ai voulu
vous fauver du malheur de vivre fans gloire.
Je vous ai vû expofé à des défauts qui
auroient fait périr les qualités de votre
DECEMBRE.
1754 43
ame , & c'eſt à la plus noble partie de vousmême
que j'ai , pour ainfi dire , tâché de
conferver la vie. Je n'ai pû y réuffir qu'en
vous contrariant , qu'en vous gênant quelquefois
: il vous en a coûté de petits chagrins
; c'est là cette légere douleur dont je
parlois tout -à- l'heure : vous contentezvous
encore de dire , je n'y fonge plus.
Théodofe.
Non , Théophile , je me trompois , & je
me dédis de tout mon coeur ; je vous ai en
effet les plus grandes obligations.
Théophile.
Point du tout , je n'ai fait que mon devoir
, mais il y a eu du courage à le faire :
vous m'aimeriez bien davantage fi je l'avois
voulu ; il n'a tenu qu'à moi de vous être
extrêmement agréable , & de gagner pour
jamais vos bonnes graces ; ce n'eût été qu'à
vos dépens , à la vérité.
Théodofe.
A mes dépens , dites-vous ?
Théophile.
Oui , je n'avois qu'à vous trahir pour
vous plaire, qu'à négliger votre inftruction
, qu'à laiffer votre coeur & votre ef44
MERCURE DE FRANCE .
prit devenir ce qu'ils auroient pû , qu'à
vous abandonner à vos humeurs ,à vos impatiences
, à vos volontés impétueufes , à
votre dégoût pour tout ce qui n'étoit pas
diffipation & plaifir . Convenez - en , la
moindre petite contradiction vous irritoit ,
vous étoit infupportable ; & ce qui eft encore
pis , j'ai vu le tems où ceux qui vous
entouroient , n'étoient précisément pour
vous que des figures qui amufoient vos
yeux ; vous ne fçaviez pas que c'étoit des
hommes qui penfoient , qui vous examinoient
, qui vous jugeoient , qui ne demandoient
qu'à vous aimer , qu'à pouvoir
vous regarder comme l'objet de leur amour
& de leur efpérance . On peut vous dire cela
aujourd'hui que vous n'êtes plus de même ,
& que vous vous montrez aimable ; auffi
vous aime- t-on , auſſi ne voyez- vous autour
de vous que des vifages contens &
charmés
, que des refpects mêlés d'applau
diffement & de joie ; mais je n'en fuis pas
mieux avec vous , moi , pour vous avoir
appris à être bien avec tout le monde.
Theodofe.
Laiffons là ce que je vous ai répondu
d'abord , je le defavoue ; mais quand vous
dites qu'il n'y avoit qu'à m'abandonner à
mes défauts pour me plaire , que fçavez-
7
9
DECEMBRE. 1754. 45
vous fi je ne vous les aurois pas reprochés
quelque jour ?
Théophile.
Non , Prince , non , il n'y avoit rien à
craindre , vous ne les auriez jamais fçus ; il
faut avoir des vertus pour s'appercevoir
qu'on en manque , ou du moins pour être
fâché de n'en point avoir ; & des vertus ,
vous n'en auriez point eu : la maniere dont
je vous aurois élevé y auroit mis bon ordre
; & ce lâche Gouverneur qui vous auroit
épargné la peine de devenir vertueux
& raifonnable , qui vous auroit laiffé la
miférable douceur de vous gâter tout à vo
tre aiſe , vous feroit toujours refté dans
l'efprit comme l'homme du monde le plus
accommodant & du meilleur commerce ,
& non pas comme un homme à qui vous
pardonnez tout au plus le bien qu'il vous a
fait.
Théodofe.
Vous en revenez toujours à un mot que
j'ai dit fans réflexion.
Théophile.
Oui , Prince , je foupçonne quelquefois
que vous ne m'aimez
gueres , mais en re
vanche, on vous aimera , & je fuis content
; voilà ce que je vous devois à vous
46 MERCURE DE FRANCE.
& ce que je devois à tout le monde . Vous
fouvenez-vous d'un trait de l'hiftoire romaine
que nous lifions ce matin ? Qu'il me
tue , pourvu qu'il regne , difoit Agrippine en
parlant de Neron : & moi , j'ai dit fans
comparaifon , qu'il me haïffe pourvû qu'on
l'aime , qu'il ait tort avec moi pourvû qu'il
ne manque jamais à fa gloire , & qu'il
n'ait tort ni avec la raifon ni avec les ver
tus qu'il doit avoir.
Théodofe.
Qu'il me haïffe , dites -vous ; vous n'y
fongez pas , Théophile ; en vérité , m'en
foupçonnez -vous capable ?
ble
Théophile.
Lamaniere dont vous vous récriez fem
promettre qu'il n'en fera rien.
Théodofe.
Je vous en convaincrai encore mieux
dans les fuites , foyez en perfuadé.
Théophile.
Je crois vous entendre , Prince , & je
fuis extrêmement touché de ce témoigna
ge de votre bon coeur ; mais de grace , ne
vous y trompez point ; je ne vous rappelle
pas mes foins pour les vanter. Si je tâche
DECEMBRE. 1754. 47
de vous y rendre fenfible , c'eft afin que
vous les récompenfiez de votre confiance
& non pas de vos bienfaits. Nous allons
bientôt nous quitter , & j'ai beſoin aujour
d'hui que vous m'aimiez un peu ; mais c'eft
pour vous que j'en ai befoin , & non pas
our moi ; c'eft que vous m'en écouterez
plus volontiers fur ce qui me refte à vous
dire pour achever votre éducation,
Théodofe.
Ah ! parlez , Théophile , me voici , je
vousaffure , dans la difpofition où vous me
fouhaitez ; je fçai d'ailleurs que le tems
preffe , & que nous n'avons pas long- tems
â demeurer enſemble.
Théophile.
Et vous attendez que je n'y fois plus ?
n'eft- il vrai ? vous n'aurez plus de Gouverneur
, vous ferez plus libre , & cela
vous réjouit , convenez - en.
Théodofe.
Franchement il pourroit bien y avoir
quelque chofe de ce que vous dites là , &
le tout fans que je m'impatiente d'être
avec vous ; mais on aime à être le maître
de fes actions.
48 MERCURE DE FRANCE.
Théophile.
Raifonnons. Si juſqu'ici vous aviez été
le maître abfolu des vôtres , vous n'en auriez
peut-être pas fait une qui vous eût fait
honneur ; vous auriez gardé tous vos défauts
, par exemple.
Théodofe.
J'en ferois bien fâché.
Théophile.
C'est donc un bonheur pour vous de n'avoir
pas été votre maître. N'y a-t-il pas
de danger que vous le foyez aujourd'hui ?
ne vous défiez- vous pas de l'extrême envie
que vous avez de l'être : Votre raiſon
a fait du progrès fans doute ; mais prenez
garde : quand on eft fi impatient d'être
défait de fon Gouverneur , ne feroit- ce pas
figne qu'on a encore befoin de lui , qu'on
n'eft pas encore auffi raifonnable qu'on devroit
l'être car fi on l'étoit , ce Gouver
neur ne feroit plus fi incommode , il ne
gêneroit plus ; on feroit toujours d'accord
avec lui , il ne feroit plus que tenir compagnie
: qu'en pensez-vous ?
Théodofe.
Je rêve à votre réflexion .
Théophile:
DECEMBRE . 1754. 49
.
Théophile.
Il n'en eft pas de vous comme d'un particulier
de votre âge , votre liberté tire à
bien d'autres conféquences ; on fçaura bien
empêcher ce particulier d'abufer long- tems.
& à un certain point de la fienne ; mais
qui eft-ce qui vous empêchera d'abufer de
la vôtre qui eft- ce qui la réduira à de
juftes bornes ? quels fecours aura- t- on contre
vous que vos vertus , votre raiſon , vos
lumieres ? &
quoiqu'aujourd'hui vous ayez
de tout cela , êtes-vous für d'en avoir affez.
pour ne pas appréhender d'être parfaitement
libre ? Songez à ce que c'eft qu'une
liberté que votre âge & que l'impunité de
l'abus que vous en pouvez faire , rendront
fi dangereuſe. Si vous n'étiez pas naturellement
bon & généreux , fi vous n'aviez
pas le meilleur fond du monde , Prince ,
je ne vous tiendrois pas ce difcours - là
mais c'eft qu'avec vous il y a bien des reffources
, je vous connois , il n'y a que des
réflexions à vous faire faire.
Théodofe.
A la bonne heure , mais vous me faites
trembler ; je commence à craindre très-férieufement
de vous perdre.
11. Vol.
so MERCURE
DE FRANCE .
Théophile.
Voilà une crainte qui me charme , elle
part d'un fentiment qui vaut mieux que
tous les Gouverneurs du monde : ah ! que
je fuis content , & qu'elle nous annonce
une belle ame !
Il ne tiendra
Théodofe.
pas à moi que vous ne difiez
vrai ; courage , mettons à profit le tems
que nous avons à penfer enfemble
; nous
en refte-t-il beaucoup
?
Théophile.
Encore quelque mois .
Théodofe.
Cela eft bien court .
Théophile.
Je vous garantis que c'en fera plus qu'il
men faut pour un Prince capable de cette
réponſe là , fur-tout avec un homme qui
ne vous épargnera pas la vérité , d'autant
plus que vous n'avez que ce petit efpace
de tems-ci pour l'entendre , & qu'après
moi perfonne ne vous la dira peut-être ;
vous allez tomber entre les mains de gens
qui vous aimeront bien moins qu'ils n'auDECEMBRE.
1754.
ront envie que vous les aimiez , qui ne
voudront que vous plaire & non pas vous
inftruire , qui feront tout pour le plaifir
de votre amour propre , & rien le
pour
le profit de votre raifon .
Théodofe.
Mais n'y a-t-il pas
d'honnêtes gens qui
font d'un
caractere fûr , & d'un
honneur
à toute épreuve ?
Théophile.
Oui , il y en a par- tout , quoique tou
jours en petit nombre.
Théodofe.
Eh bien , j'aurai foin de me les attacher ;
de les
encourager à me parler ; je les préviendrai.
Théophile.
Vous le croyez que vous les préviendrez
; mais fi vous n'y prenez garde , je
vous avertis que ce feront ceux qui auront
le moins d'attrait pour vous , ceux pour
qui vous aurez le moins d'inclination &
que vous traiterez le plus froidement.
Théodofe.
Froidement moi qui me fens tant de
difpofition à les aimer , à les diftinguer ?
Cij
j2 MERCURE DE FRANCE.
Théophile.
Eh ! vous ne la garderez pas cette difpofition
là , leur caractere vous l'ôtera . Et
à propos de cela voulez- vous bien me dire
ce que vous penfez de Softene ? C'eſt un
des hommes de la Cour que vous voyez le
plus fouvent.
Theodofe.
Et un fort aimable homme , qui a tonjours
quelque chofe d'obligeant à vous dire
, & qui vous le dit avec grace , quoique
d'un air fimple & naturel . C'eſt un homme
que j'aime à voir , malgré la différence
de fon âge au mien , & je fuis perfuadé
qu'il m'aime un peu auffi . Je le fens à la
maniere dont il m'aborde , dont il me parle
, dont il écoute ce que je dis ; je n'ai
point encore trouvé d'efprit plus liant , plus
d'accord avec le mien.
Théophile.
Il eft vrai .
Théodofe.
Je ne penſe pas de même de Philante,
Je vous crois.
Théophile.
DECEMBRE . 1754 53
Théodofe.
Quelle différence ! celui- ci a un efprit
roide & férieux , je penfe qu'il n'eftime que
lui , car il n'approuve jamais rien ; ou s'il
approuve , c'est avec tant de réferve & d'un
air fi contraint , qu'on diroit qu'il a toujours
peur de vous donner trop de vanité ;
il est toujours de votre avis le moins qu'il
peut , & il vaudroit autant qu'il n'en fût
point du tout. Il y a quelques jours que
pendant que vous étiez fur la terraffe il
m'arriva de dire quelque chofe dont tout
le monde fe mit à rire , comme d'une fail
lie affez plaifante ; lui feul baiffa les yeux ,
en fouriant à la vérité , mais d'un fouris
qui fignifioit qu'on ne devoit pas rire.
Théophile.
Peut-être avoit-il raifon.
Théodofe.
Quoi ! raifon contre tout le monde ? eſtce
que jamais tout le monde a tort ? avoitil
plus d'efprit que trente perſonnes ?
Théophile.
Trente flateries font-elles une approbation
décident- elles de quelque chofe t
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
Théodofe.
Comme vous voudrez ; mais Philante
n'eft pas mon homme.
Théophile.
Vous avez cependant tant de difpofition
à aimer les gens d'un caractere für &
d'un honneur à toute epreuve ?
Théodofe.
Affûrément , & je le dis encore.
Théophile.
Eh bien ! Philante eft un de ces hommes
que vous avez deffein de prévenir & de
vous attacher.
Théodofe.
Vous me furprenez , cet honnêteté- là
a donc bien mauvaife grace à l'être.
Théophile.
Tous les honnêtes gens lui reffemblent ,
les graces de l'adulation & de la faufferé
leur manquent à tous ; ils aiment mieux
quand il faut opter , être vertueux qu'agréables.
Vous l'avez vu par Philante : il
n'a pu dans l'occafion & avec fa probité
louer en vous que ce qu'il y a vû de louaDECEMBRE.
1754. 55
ble, & a pris le parti de garder le filence
fur ce qui ne l'étoit pas ; la vérité ne lui
a pas permis de donner à votre amour propre
toutes les douceurs qu'il demandoit ,
& que Softene lui a données fans fcrupule :
voilà ce qui vous a rebuté de Philante
ce qui vous l'a fait trouver fi froid , fi
peu affectueux , fi difficile à contenter ;
voilà ce caractere quí dans fes pareils vous
paroîtra fi fec , fi auftere , & fi critique en
comparaifon de la foupleffe des Softene ,
avec qui vous contracterez un fi grand befoin
d'être applaudi , d'être encenfé , je
dirois prefque d'être adoré.
Théodofe .
Oh ! vous en dites trop ; me prendraije
pour une divinité ? me feront - ils accroire
que j'en fuis une .
Théophile .
Non , on ne va pas fi loin , on ne fçauroit
, & je pense que l'exemple de l'Empereur
Caïus , dont nous lifions l'hiftoire
ces jours paffés , ne gâtera à préſent perfonne
.
Théodofe .
Vous me parlez d'un extravagant , d'une
tête naturellement folle.
Ciiij
36 MERCURE DE FRANCE.
Théophile.
11 eft vrai ; mais malgré la foibleffe de
fa tête , s'il n'avoit jamais été qu'un particulier
, il ne feroit point tombé dans la
folie qu'il eut , & ce fut la hauteur de fa
place qui lui donna ce vertige . Aujourd'hui
les conditions comme la fienne ne
peuvent plus être fi funeftes à la raiſon ,
elles ne fçauroient faire des effets fi terribles
; la religion , nos principes , nos lumieres
ont rendu un pareil oubli de foimême
impoffible , il n'y a plus moyen de
s'égarer jufques-là , mais tout le danger
n'eft pas ôté , & fi l'on n'y prend garde , il
y a encore des étourdiffemens où l'on
peut tomber , & qui empêchent qu'on ne
fe connoiffe : on ne fe croit pas une divinité
, mais on ne fçait pas trop ce qu'on
eft ni pour qui l'on fe prend , on ne fe
définit point. Ce qui eft certain , c'eſt
qu'on fe croit bien différent des autres
hommes : on ne fe dit pas , je fuis d'une
autre nature qu'eux ; mais de la maniere
dont on l'entend , on fe dit à peu près la
la valeur de cela.
Theodofe.
Attendez donc ; me tromperois-je quand
je me croirai plus que les autres hommes ?
DECEMBRE.
$7
1754.
Théophile.
Non dans un fens , vous êtes infiniment
plus qu'eux ; dans un autre vous êtes précifément
ce qu'ils font. '
Théodofe.
Précifement ce qu'ils font ! quoi ! le fang
'dont je fors....
Théophile.
Eft confacré à nos refpects , & devenu le
plus noble fang du monde ; les hommes fe
font fait & ont dû fe faire une loi inviolable
de le refpecter ; voilà ce qui vous
met au-deffus de nous. Mais dans la nature
, votre fang , le mien , celui de tous les
hommes , c'eft la même chofe ; nous le tirons
tous d'une fource commune ; voilà
par où vous êtes ce que nous fommes.
Théodofe.
A la rigueur , ce que vous dites là eſt
vrai ; mais il me femble qu'à préſent tout
cela n'eft plus de même , & qu'il faut raifonner
autrement ; car enfin penfez -vous
de bonne foi qu'un valet de pied , qu'un
homme du peuple eft un homme comme
moi , & que je ne fuis qu'un homme comme
lui ?
C v.
58 MERCURE DE FRANCE
Théophile.
Oui , dans la nature .
Théodofe.
Mais cette nature ; eft- il encore ici queftion
d'elle comment l'entendez- vous ?
Théophile.
Tout fimplement ; il ne s'agit pas d'une
penſée hardie , je ne hazarde rien , je ne
fais point le Philofophe , & vous ne me
foupçonnez pas de vouloir diminuer de
vos prérogatives ?
Théodofe.
Ce n'eft
pas là ce que j'imagine.
Théophile.
Elles me font cheres , parce que c'eft vous
qui les avez ; elles me font facrées , parce
que vous les tenez , non feulement des
hommes , mais de Dieu même ; fans compter
que de toutes les façons de penfer , la
plus ridicule , la plus impertinente & la.
plus injufte feroit de vouloir déprimer la
grandeur de certaines conditions abfolument
néceffaires. Mais à l'égard de ce que
nous difions tout - à - l'heure , je parle en
homme qui fuit les lumieres du bon feas
DECEMBRE. 1754.. 59
le plus ordinaire , & la peine que vous
avez à m'entendre , vient de ce que je vous
difois tout à -l'heure , qui eft que dans le
rang où vous êtes on ne fçait pas trop
pour qui l'on fe prend ; ce n'eft pas que
vous ayez eu encore à faire aux fateurs ,
j'ai tâché de vous en garantir , vous êtes
né d'ailleurs avec beaucoup d'efprit ; cependant
l'orgueil de ce rang vous a déja
gagné , vous ne vous connoillez déja plus ,
& cela à caufe de cet empreffement qu'on
a pour vous voir de ces refpects que vous
trouvez fur votre paffage ; il n'en a pas
fallu davantage pour vous jetter dans une
illufion , dont je fuis fûr que vous allez rire
vous-même.
Théodofe.
Oh ! je n'y manquerai pas , je vous promets
d'en rire bien franchement fi j'ai
autant de tort que vous le dites : voyons ,
comment vous tirerez- vous de la
comparaifon
du valet de pied ?
Théophile.
Au lieu de lui , mettons un eſclave.
Théodofe.
C'est encore pis.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE:
Théophile.
C'eft que j'ai un fait amufant à vous
rapporter là - deffus. J'ai lû , je ne fçais plus
dans quel endroit , qu'un Roi de l'Afie encore
plus grand par fa fageffe que par ſa
puiffance , avoit un fils unique , que par un
article d'un traité de paix il avoit été obligé
de marier fort jeune. Ce fils avoit mille
vertus ; c'étoit le Prince de la plus grande
efpérance , mais il avoit un défaut qui
déparoit tout ; c'eſt qu'il ne daignoit s'humanifer
avec perfonne ; c'eft qu'il avoit
une fi fuperbe idée de fa condition , qu'il
auroit cru fe deshonorer par le commerce
des autres hommes , & qu'il les regardoit
comme de viles créatures , qu'il traitoit
doucement , parce qu'il étoit bon , mais
qui n'exiftoient que pour le fervir , que
pour lui obéir , & à qui il ne pouvoit décemment
parler que pour leur apprendre
fes volontés , fans y fouffrir de replique ;
car la moindre difcuffion lui paroiffoit familiere
& hardie , & il fçavoit l'arrêter par
un regard , ou par un mot qui faifoit rentrer
dans le néant dont on ofoit fortir devant
lui.
Théodofe.
Ah ! la trifte & ridicule façon de vivre ;
DECEMBRE . 1754. 61
je prévois la fin de l'hiftoire , ce Prince
là mourut d'ennui ?
Théophile.
Non , fon orgueil le foutenoit ; il lui
tenoit compagnie. Son pere qui gémiffoit
de le voir de cette humeur là , & qui en
fçavoit les conféquences , avoit beau lui
dire tout ce qu'il imaginoit de mieux pour
le rendre plus raifonnable là - deffus. Pour
le guérir de cette petiteffe d'efprit , il avoit
beau fe propofer pour exemple , lui qui
étoit Roi , lui qui regnoit & qui étoit cependant
fi acceffible , lui qui parloit à tout
le monde , qui donnoit à tout le monde le
droit de lui parler , & qui avoit autant
d'amis qu'il avoit de fujets qui l'entouroient
rien ne touchoit le fils. Il écoutoit
fon pere ; il le laiffoit dire , mais comme
un vieillard dont l'efprit avoit baiffé par
les années , & à l'âge duquel il falloit
donner le peu de dignité qu'il y avoit dans
fes remontrances.
Théodofe.
par-
Ce jeune Prince avoit donc été bien mal
élevé ?
Théophile.
Peut-être fon gouverneur l'avoit - il épar62
MERCURE DE FRANCE.
peur
gné de d'en être haï. Quoiqu'il
en foit , le Roi ne fçavoit
plus comment
s'y prendre
, & defefpéra
d'avoir
jamais
la
confolation
de le corriger
. Il le corrigea
pourtant
, fa tendreffe
ingénieufe
lui en fuggera
un moyen
qui lui réuffit. Je vous ai dit que le Prince
étoit marié ; ajoutez
à cela que la jeune Princeffe
touchoit
à l'inf tant de lui donner
un fils ; du moins fe
flattoit
-on que c'en feroit un. Oh ! vous remarquerez
qu'une
de ſes eſclaves
fe trou voit alors dans le même
cas qu'elle
, & n'attendoit
auffi que le moment
de mettre
un enfant au monde. Le Roi qui avoit fes vûes , s'arrangea
là- deffus , & prit des mefures
que
le hazard
favorifa
. Les deux
meres eurent
chacun
un fils ; & qui plus eft , l'enfant
royal & l'enfant
eſclave`na- quirent
dans le même quart d'heure
.
Théodofe.
A quoi cela aboutira-t-il ?
Théophile.
Le dernier ( je parle de l'efclave ) fut
auffi-tôt porté dans l'appartement de la
Princeffe , & mis fubtilement à côté du
petit Prince ; ils étoient tous deux accommodés
l'un comme l'autre ; on avoit feulement
eu la précaution de diftinguer le
DECEMBRE . 1754 .
63
petit Prince par une marque qui n'étoit
fçûe que du Roi & de fes confidens . Deux
enfans au lieu d'un , s'écria- t- on avec furprife
dans l'appartement , & qu'eft- ce que
cela fignifie qu'eft-ce qui a ofé apporter
l'autre comment fe trouve t-il là : & puis
à préfent comment démêler le Prince
jugez du bruit & de la rumeur.
Théodofe.
L'aventure étoit embarraffante.
Théophile.
Sur ces entrefaites , le Prince impatient
'de voir fon fils , arrive & demande qu'on
le lui montre. Hélas ! Seigneur , on ne
fçauroit , lui dit- on d'un air confterné ; il
ne vous est né qu'un Prince , & nous venons
de trouver deux enfans l'un auprès
de l'autre ; les voilà , & de vous dire lequel
des deux eft votre fils , c'est ce qui
nous eft abfolument impoffible. Le Prince,
en pâliffant , regarde ces deux enfans , &
Toupire de ne fçavoir à laquelle de ces
petites maffes de chair encore informes , il
doit ou fon amour ou fon mépris. Eh ! quel
eft donc l'infolent qui a ofé faire cet ou
trage au fang de fes maîtres , s'écria- t- il ?
A peine achevoit-il cette exclamation , que
tout-à- coup le Roi parut , fuivi de trois
64 MERCURE DE FRANCE.
ou quatre des plus vénérables Seigneurs
de l'Empire. Vous me paroiffez bien agi
té , mon fils , lui dit le Roi : il me femble
même avoir entendu que vous vous plaignez
d'un outrage ; de quoi eft- il queftion
? Ah ! Seigneur , lui répondit le Prince
, en lui montrant fes deux enfans , vous
me voyez au defefpoir : il n'y a point de
fupplice digne du crime dont il s'agit . J'ai
perdu mon fils , on l'a confondu avec je
ne fçais quelle vile créature qui m'empêche
de le reconnoître. Sauvez- moi de
l'affront de m'y tromper ; l'auteur de cet
attentat n'eft pas loin , qu'on le cherche ,
qu'on me venge , & que fon fupplice
effraye toute la terre.
Théodofe.
Ceci m'intéreſſe .
Théophile.
Il n'eft pas néceffaire de le chercher :
le voici , Prince ; c'eft moi , dit alors froidement
un de ces vénérables Seigneurs,
& dans cette action que vous appellez un
crime , je n'ai eu en vûe que votre gloire. Le
Roi fe plaint de ce que vous êtes trop fier ,
il gémit tous les jours de votre mépris
pour le refte des hommes ; & moi , pour
vous aider à le convaincre que vous avez
DECEMBRE. 1754.
65
raifon de les méprifer , & de les croire
d'une nature bien au-deffous de la vôtre ,
j'ai fait enlever un enfant qui vient de
naître , je l'ai fait mettre à côté de votre
fils , afin de vous donner une occaſion de
prouver que tout confondus qu'ils font ,
vous ne vous y tromperez pas , & que
vous n'en verrez pas moins les caracteres
de grandeur qui doivent diftinguer votre
augufte fang d'avec le vil fang des autres.
Au furplus , je n'ai pas rendu la diftinction
bien difficile à faire ; ce n'eſt pas même
un enfant noble , c'eft le fils d'un miférable
efclave que vous voyez à côté du
vôtre ; ainfi la différence eft fi énorme entr'eux
, que votre pénétration va fe jouer
de cette foible épreuve où je la mets.
Théodofe .
Ah le malin vieillard !
Théophile.
Au refte , Seigneur , ajouta-t-il , je me
Tuis menagé un moyen für de reconnoître
votre fils , il n'eft point confondu pour
moi ; mais s'il l'eft pour vous , je vous
: avertis que rien ne m'engagera à vous le
montrer , à moins que le Roi ne me l'ordonne.
Seigneur , dit alors le Prince à fon
pere , d'un air un peu confus , & preſque
66 MERCURE DE FRANCE.
la larme à l'oeil , ordonnez- lui donc qu'il
me le rende . Moi , Prince , lui répartit le
Roi faites- vous reflexion à ce que vous
me demandez ? eft- ce que la nature n'a
point marqué votre fils ? fi rien ne vous
l'indique ici , fi vous ne pouvez le retrouver
fans que je m'en mêle , eh ! que deviendra
l'opinion fuperbe que vous avez de
votre fang il faudra donc renoncer à croire
qu'il eft d'une autre forte que celui des autres
, & convenir que la nature à cet égard
n'a rien fait de particulier pour nous.
Théodofe.
Il avoit plus d'efprit que moi , s'il répondit
à cela.
Théophile.
L'hiftoire nous rapporte qu'il parut rêver
un inftant , & qu'enfuire il s'écria tout
d'un coup , je me rends , Seigneur , c'en
eft fait vous avez trouvé le fecret de m'éclairer
; la nature ne fait que des hommes
& point de Princes : je conçois maintenant
d'où mes droits tirent leur origine , je les
faifois venir de trop loin , & je rougis
de ma fierté paffée. Auffi -tôt le vieux Seigneur
alla prendre le petit Prince qu'il
préfenta à fon pere , après avoir tiré de
deffous les linges qui l'enveloppoient un
DECEMBRE. 1754. 67
billet que le Roi lui -même y avoit mis pour
le reconnoître. Le Prince , en pleurant de
joie , embraſſa fon fils , remercia mille fois
le vieux Seigneur qui avoit aidé le Roi
dans cet innocent artifice , & voulut tout
de fuite qu'on lui apportât l'enfant efclave
dont on s'étoit fervi pour l'inftruire , &
qu'il embraffa à fon tour , comme en reconnoiffance
du trait de lumiere qui venoit
de le frapper. Je t'affranchis , lui ditil
, en le preffant entre fes bras ; on t'élevera
avec mon fils , je lui apprendrai ce
que je te dois , tu lui ferviras de leçon
comme à moi , & tu me feras toujours.
cher , puifque c'eſt
venu raifonnable.
par toi que je fuis de-
Théodofe.
Votre Prince me fait pleurer.
Théophile.
pé-
Ah ! mon fils , s'écria alors le Roi ,
nétré d'attendriffement , que vous êtes bien
digne aujourd'hui d'être l'héritier d'un Empire
! que tant de raifon & que tant de
grandeur vous vengent bien de l'erreur où
vous étiez tombé !
Theodofe.
Ah ! que je fuis content de votre hif
68 MERCURE DE FRANCE.
toire ; me voilà bien raccommodé avec la
comparaison du valet- de - pied ; je lui ai
autant d'obligation que le Prince en avoit
au petit esclave. Mais dires moi , Théophile
, ce que vous venez de dire , & qui
eft fi vrai , tout le monde le fçait - il comme
il faut le fçavoir ? Je cherche un pes
à m'excufer. La plupart de nos jeunes gens
ne s'y trompent-ils pas auffi ? je vois bien
qu'ils me mettent au- deffus d'eux , mais il me
femble qu'ils ne croyent pas que tout homme
, dans la nature , eft leur femblable ;
ils s'imaginent qu'elle a auffi un fang à
part pour eux ; il n'eft ni fi beau ni fi
diftingué que le mien , mais il n'eſt pas de
l'efpéce de celui des autres ; qu'en ditesyous
?
Théophile.
Que non -feulement ces jeunes gens ne
fçavent pas que tout eft égal à cet égard ,
mais que des perfonnages très- graves &
très- fenfés l'oublient : je dis qu'ils l'oublient
, car il eft impoffible qu'ils l'ignorent
; & fi vous leur parlez de cette égalité
, ils ne la nieront pas , mais ils ne la
fçavent que pour en difcourir , & non pas
pour la croire ; ce n'eft pour eux qu'un
trait d'érudition , qu'une morale de converfation
, & non pas une vérité d'ufage.
DECEMBRE. 1754. 69
Théodofe .
J'ai encore une queſtion à vous faire :
ne dit-on pas fouvent , en parlant d'un
homme qu'on eftime , c'eft un homme qui
fe reffent de la nobleffe de fon fang.
"
Théophile.
Oui , il y a des
gens qui s'imaginent
qu'un fang tranfmis par un grand nombre
d'ayeux nobles , qui ont été élevés
dans la fierté de leur rang ; ils s'imaginent
, dis-je , que ce fang , tout venu qu'il
eft d'une fource commune , a acquis en
paffant , de certaines impreffions qui le diftinguent
d'un fang reçu de beaucoup d'ayeux
d'une petite condition ; & il fe pourroit
bien effectivement que cela fît des
différences : mais ces différences font- el
les avantageufes ? produifent- elles des vertus
? contribuent - elles à rendre l'ame plus
belle & plus raifonnable ? & la nature
là-deffus fuit-elle la vanité de notre opinion
il y auroit bien de la vifion a le
croire , d'autant plus qu'on a tant de preuves
du contraire : ne voit-on pas des hommes
du plus bas étage qui font des hommes
admirables ?
70 MERCURE DE FRANCE.
Théodofe.
Et l'hiſtoire ne nous montre- t- elle pas de
grands Seigneurs par la naiffance qui
avoient une ame indigne ? Allons , tout eft
dit fur cet article : la nature ne connoît
pas les nobles , elle ne les exempte de
rien , ils naiffent fouvent auffi infirmes de
corps , auffi courts d'efprit.
Théodofe .
Ils meurent de même , fans compter
que la fortune fe joue de leurs biens , de
leurs honneurs , que leur famille s'éteint
ou s'éclipfe ; n'y a- t- il pas une infinité de
races , & des plus illuftres , qu'on a perdu
de vûe , que la nature a continuées , mais
que la fortune a quittées , & dont les defcendans
méconnus rampent apparemment
dans la foule , labourent ou mendient
pendant que
de nouvelles races forties de
la pouffiere , font aujourd'hui les fieres &
les fuperbes , & s'éclipferont auffi , pour
faire à leur tour place à d'autres , un peu
plus tôt ou un peu plus tard ? c'eft un cercle
de viciffitudes qui enveloppe tout le
monde , c'eft par tout miferes communes.
Théodofe.
Changeons de matiere ; je me fens trop
DECEMBRE. 1754. 71
humilié de m'être trompé là - deffus , je
n'étois gueres Prince alors.
Théophile.
' En revanche vous l'êtes aujourd'hui beaucoup.
Mais il fe fait tard ; rentrons , Prince
, & demain , fi vous voulez , nous reprendrons
la même converfation.
Le Dialogue qu'on vient de lire eft de M.
de Marivaux. Il n'y a perfonne qui ne fente
que des développemens de cette naturefont trèspropres
à rendre plus raiſonnables & meilleurs
ceux que leur naiſſance appelle au trône.
Nous prévoyons avec joie que l'Amenr ne
pourra pas fe refufer au defir que le public lui
marquera de voir l'exécution entiere d'un des
plus beaux projets qu'on puiſſe former pour
bien de la fociété.
Cfont tres anciens. Un Seigneur qui
Es dialogues qu'on donne au public ,
hérita , il y a quelque tems , d'un de fes
parens , les trouva dans le château où ce
parent étoit mort ; ils étoient confondus
avec d'autres papiers extrêmement anciens
auffi ; on n'en a changé que le langage gaulois
, par lequel il paroît , au jugement de
quelques fçavans , qu'il y a pour le moins
quatre fiécles qu'ils font écrits . On ne fçait
point non plus quel en eft l'auteur ; tout ce
qu'on en peut croire , c'eft qu'ils ont fervi
à l'éducation de quelqu'un de nos Rois ,
ou de quelques Princes deftinés à regner.
Quoiqu'il en foit , en voici le premier ,
dont les détails font affez fimples . C'eſt un
40 MERCURE DE FRANCE.
Gouverneur & un jeune Prince qui s'entretiennent
enfemble , tous deux apparemment
fous des noms fuppofés , puifque le
Prince a celui de Théodofe , & le Gouver
neur celui de Théophile.
PREMIER DIALOGUE.
Théophile.
Voici un lieu fort champêtre , Prince ;
voulez- vous que nous nous y arrêtions ?
Théodofe.
Comme il vous plaira.
Théophile.
Vous me paroiffez aujourd'hui bien férieux
; la promenade vous ennuie-t-elle ?
Auriez vous mieux aimé refter avec ces
jeunes gens que nous venons de quitter ?
Théodofe.
Mais je vous avoue qu'ils m'amufoient,
Théophile.
Vous me fçavez donc bien mauvais gré
de vous avoir amené ici : n'eft- il pas vrai
que vous me trouvez dans mille momens
un homme bien incommode ? je pense que
DECEMBRE . 1754. 41
vous ne m'aimerez gueres quand vous
ferez débarraffé de moi.
Théodofe.
Pourquoi me dites- vous cela vous vous
trompez.
Théophile.
Combien de fois me fuis- je apperçu que
je vous fatiguois , que je vous étois defagréable
?
Théodofe.
Ah ! defagréable , c'eft trop dire : vous
m'avez quelquefois gêné , contrarié , quelquefois
fait faire des chofes qui n'étoient
pas de mon goût ; mais votre intention
étoit bonne , & je ne fuis pas affez injuſte
pour en être fâché contre vous.
Théophile.
C'est-à - dire que mes foins & mes attentions
ne m'ont point encore brouillé
avec vous ; que vous me pardonnez tout
le zele & même toute la tendreffe avec laquelle
j'ai travaillé à votre éducation : voilà
précisément ce que vous voulez bien
oublier en ma faveur .
Théodofe.
Ce n'eft point là ma pensée , & vous
42 MERCURE DE FRANCE.
me faites une vraie chicanne ; je viens
d'avouer que vous m'avez quelquefois chagriné
, mais que je compte cela pour rien ,
que je n'y fonge plus , que je n'en ai point
de rancune ; que puis-je dire de plus ?
Théophile.
Jugez-en vous - même. Si quelqu'un vous
voyoit dans un grand péril , qu'il ne pût
vous en tirer , vous fauver la vie qu'en
vous faifant une légere douleur , feroit- il
jufte lorsque vous feriez hors de danger ,
de vous en tenir à lui dire , vous m'avez
fait un petit mal , vous m'avez un peu trop
preffé le bras , mais je n'en ai point de rancune
, & je vous le pardonne è
Théodofe.
Ah ! vous avez raiſon , il y auroit une
ingratitude effroyable à ce que vous me
dites là ; mais c'eft de quoi il n'eft pas queftion
ici : je ne fçache pas que vous m'ayez
jamais fauvé la vie.
Théophile.
Non , le fervice que j'ai tâché de vous
rendre eft encore plus grand ; j'ai voulu
vous fauver du malheur de vivre fans gloire.
Je vous ai vû expofé à des défauts qui
auroient fait périr les qualités de votre
DECEMBRE.
1754 43
ame , & c'eſt à la plus noble partie de vousmême
que j'ai , pour ainfi dire , tâché de
conferver la vie. Je n'ai pû y réuffir qu'en
vous contrariant , qu'en vous gênant quelquefois
: il vous en a coûté de petits chagrins
; c'est là cette légere douleur dont je
parlois tout -à- l'heure : vous contentezvous
encore de dire , je n'y fonge plus.
Théodofe.
Non , Théophile , je me trompois , & je
me dédis de tout mon coeur ; je vous ai en
effet les plus grandes obligations.
Théophile.
Point du tout , je n'ai fait que mon devoir
, mais il y a eu du courage à le faire :
vous m'aimeriez bien davantage fi je l'avois
voulu ; il n'a tenu qu'à moi de vous être
extrêmement agréable , & de gagner pour
jamais vos bonnes graces ; ce n'eût été qu'à
vos dépens , à la vérité.
Théodofe.
A mes dépens , dites-vous ?
Théophile.
Oui , je n'avois qu'à vous trahir pour
vous plaire, qu'à négliger votre inftruction
, qu'à laiffer votre coeur & votre ef44
MERCURE DE FRANCE .
prit devenir ce qu'ils auroient pû , qu'à
vous abandonner à vos humeurs ,à vos impatiences
, à vos volontés impétueufes , à
votre dégoût pour tout ce qui n'étoit pas
diffipation & plaifir . Convenez - en , la
moindre petite contradiction vous irritoit ,
vous étoit infupportable ; & ce qui eft encore
pis , j'ai vu le tems où ceux qui vous
entouroient , n'étoient précisément pour
vous que des figures qui amufoient vos
yeux ; vous ne fçaviez pas que c'étoit des
hommes qui penfoient , qui vous examinoient
, qui vous jugeoient , qui ne demandoient
qu'à vous aimer , qu'à pouvoir
vous regarder comme l'objet de leur amour
& de leur efpérance . On peut vous dire cela
aujourd'hui que vous n'êtes plus de même ,
& que vous vous montrez aimable ; auffi
vous aime- t-on , auſſi ne voyez- vous autour
de vous que des vifages contens &
charmés
, que des refpects mêlés d'applau
diffement & de joie ; mais je n'en fuis pas
mieux avec vous , moi , pour vous avoir
appris à être bien avec tout le monde.
Theodofe.
Laiffons là ce que je vous ai répondu
d'abord , je le defavoue ; mais quand vous
dites qu'il n'y avoit qu'à m'abandonner à
mes défauts pour me plaire , que fçavez-
7
9
DECEMBRE. 1754. 45
vous fi je ne vous les aurois pas reprochés
quelque jour ?
Théophile.
Non , Prince , non , il n'y avoit rien à
craindre , vous ne les auriez jamais fçus ; il
faut avoir des vertus pour s'appercevoir
qu'on en manque , ou du moins pour être
fâché de n'en point avoir ; & des vertus ,
vous n'en auriez point eu : la maniere dont
je vous aurois élevé y auroit mis bon ordre
; & ce lâche Gouverneur qui vous auroit
épargné la peine de devenir vertueux
& raifonnable , qui vous auroit laiffé la
miférable douceur de vous gâter tout à vo
tre aiſe , vous feroit toujours refté dans
l'efprit comme l'homme du monde le plus
accommodant & du meilleur commerce ,
& non pas comme un homme à qui vous
pardonnez tout au plus le bien qu'il vous a
fait.
Théodofe.
Vous en revenez toujours à un mot que
j'ai dit fans réflexion.
Théophile.
Oui , Prince , je foupçonne quelquefois
que vous ne m'aimez
gueres , mais en re
vanche, on vous aimera , & je fuis content
; voilà ce que je vous devois à vous
46 MERCURE DE FRANCE.
& ce que je devois à tout le monde . Vous
fouvenez-vous d'un trait de l'hiftoire romaine
que nous lifions ce matin ? Qu'il me
tue , pourvu qu'il regne , difoit Agrippine en
parlant de Neron : & moi , j'ai dit fans
comparaifon , qu'il me haïffe pourvû qu'on
l'aime , qu'il ait tort avec moi pourvû qu'il
ne manque jamais à fa gloire , & qu'il
n'ait tort ni avec la raifon ni avec les ver
tus qu'il doit avoir.
Théodofe.
Qu'il me haïffe , dites -vous ; vous n'y
fongez pas , Théophile ; en vérité , m'en
foupçonnez -vous capable ?
ble
Théophile.
Lamaniere dont vous vous récriez fem
promettre qu'il n'en fera rien.
Théodofe.
Je vous en convaincrai encore mieux
dans les fuites , foyez en perfuadé.
Théophile.
Je crois vous entendre , Prince , & je
fuis extrêmement touché de ce témoigna
ge de votre bon coeur ; mais de grace , ne
vous y trompez point ; je ne vous rappelle
pas mes foins pour les vanter. Si je tâche
DECEMBRE. 1754. 47
de vous y rendre fenfible , c'eft afin que
vous les récompenfiez de votre confiance
& non pas de vos bienfaits. Nous allons
bientôt nous quitter , & j'ai beſoin aujour
d'hui que vous m'aimiez un peu ; mais c'eft
pour vous que j'en ai befoin , & non pas
our moi ; c'eft que vous m'en écouterez
plus volontiers fur ce qui me refte à vous
dire pour achever votre éducation,
Théodofe.
Ah ! parlez , Théophile , me voici , je
vousaffure , dans la difpofition où vous me
fouhaitez ; je fçai d'ailleurs que le tems
preffe , & que nous n'avons pas long- tems
â demeurer enſemble.
Théophile.
Et vous attendez que je n'y fois plus ?
n'eft- il vrai ? vous n'aurez plus de Gouverneur
, vous ferez plus libre , & cela
vous réjouit , convenez - en.
Théodofe.
Franchement il pourroit bien y avoir
quelque chofe de ce que vous dites là , &
le tout fans que je m'impatiente d'être
avec vous ; mais on aime à être le maître
de fes actions.
48 MERCURE DE FRANCE.
Théophile.
Raifonnons. Si juſqu'ici vous aviez été
le maître abfolu des vôtres , vous n'en auriez
peut-être pas fait une qui vous eût fait
honneur ; vous auriez gardé tous vos défauts
, par exemple.
Théodofe.
J'en ferois bien fâché.
Théophile.
C'est donc un bonheur pour vous de n'avoir
pas été votre maître. N'y a-t-il pas
de danger que vous le foyez aujourd'hui ?
ne vous défiez- vous pas de l'extrême envie
que vous avez de l'être : Votre raiſon
a fait du progrès fans doute ; mais prenez
garde : quand on eft fi impatient d'être
défait de fon Gouverneur , ne feroit- ce pas
figne qu'on a encore befoin de lui , qu'on
n'eft pas encore auffi raifonnable qu'on devroit
l'être car fi on l'étoit , ce Gouver
neur ne feroit plus fi incommode , il ne
gêneroit plus ; on feroit toujours d'accord
avec lui , il ne feroit plus que tenir compagnie
: qu'en pensez-vous ?
Théodofe.
Je rêve à votre réflexion .
Théophile:
DECEMBRE . 1754. 49
.
Théophile.
Il n'en eft pas de vous comme d'un particulier
de votre âge , votre liberté tire à
bien d'autres conféquences ; on fçaura bien
empêcher ce particulier d'abufer long- tems.
& à un certain point de la fienne ; mais
qui eft-ce qui vous empêchera d'abufer de
la vôtre qui eft- ce qui la réduira à de
juftes bornes ? quels fecours aura- t- on contre
vous que vos vertus , votre raiſon , vos
lumieres ? &
quoiqu'aujourd'hui vous ayez
de tout cela , êtes-vous für d'en avoir affez.
pour ne pas appréhender d'être parfaitement
libre ? Songez à ce que c'eft qu'une
liberté que votre âge & que l'impunité de
l'abus que vous en pouvez faire , rendront
fi dangereuſe. Si vous n'étiez pas naturellement
bon & généreux , fi vous n'aviez
pas le meilleur fond du monde , Prince ,
je ne vous tiendrois pas ce difcours - là
mais c'eft qu'avec vous il y a bien des reffources
, je vous connois , il n'y a que des
réflexions à vous faire faire.
Théodofe.
A la bonne heure , mais vous me faites
trembler ; je commence à craindre très-férieufement
de vous perdre.
11. Vol.
so MERCURE
DE FRANCE .
Théophile.
Voilà une crainte qui me charme , elle
part d'un fentiment qui vaut mieux que
tous les Gouverneurs du monde : ah ! que
je fuis content , & qu'elle nous annonce
une belle ame !
Il ne tiendra
Théodofe.
pas à moi que vous ne difiez
vrai ; courage , mettons à profit le tems
que nous avons à penfer enfemble
; nous
en refte-t-il beaucoup
?
Théophile.
Encore quelque mois .
Théodofe.
Cela eft bien court .
Théophile.
Je vous garantis que c'en fera plus qu'il
men faut pour un Prince capable de cette
réponſe là , fur-tout avec un homme qui
ne vous épargnera pas la vérité , d'autant
plus que vous n'avez que ce petit efpace
de tems-ci pour l'entendre , & qu'après
moi perfonne ne vous la dira peut-être ;
vous allez tomber entre les mains de gens
qui vous aimeront bien moins qu'ils n'auDECEMBRE.
1754.
ront envie que vous les aimiez , qui ne
voudront que vous plaire & non pas vous
inftruire , qui feront tout pour le plaifir
de votre amour propre , & rien le
pour
le profit de votre raifon .
Théodofe.
Mais n'y a-t-il pas
d'honnêtes gens qui
font d'un
caractere fûr , & d'un
honneur
à toute épreuve ?
Théophile.
Oui , il y en a par- tout , quoique tou
jours en petit nombre.
Théodofe.
Eh bien , j'aurai foin de me les attacher ;
de les
encourager à me parler ; je les préviendrai.
Théophile.
Vous le croyez que vous les préviendrez
; mais fi vous n'y prenez garde , je
vous avertis que ce feront ceux qui auront
le moins d'attrait pour vous , ceux pour
qui vous aurez le moins d'inclination &
que vous traiterez le plus froidement.
Théodofe.
Froidement moi qui me fens tant de
difpofition à les aimer , à les diftinguer ?
Cij
j2 MERCURE DE FRANCE.
Théophile.
Eh ! vous ne la garderez pas cette difpofition
là , leur caractere vous l'ôtera . Et
à propos de cela voulez- vous bien me dire
ce que vous penfez de Softene ? C'eſt un
des hommes de la Cour que vous voyez le
plus fouvent.
Theodofe.
Et un fort aimable homme , qui a tonjours
quelque chofe d'obligeant à vous dire
, & qui vous le dit avec grace , quoique
d'un air fimple & naturel . C'eſt un homme
que j'aime à voir , malgré la différence
de fon âge au mien , & je fuis perfuadé
qu'il m'aime un peu auffi . Je le fens à la
maniere dont il m'aborde , dont il me parle
, dont il écoute ce que je dis ; je n'ai
point encore trouvé d'efprit plus liant , plus
d'accord avec le mien.
Théophile.
Il eft vrai .
Théodofe.
Je ne penſe pas de même de Philante,
Je vous crois.
Théophile.
DECEMBRE . 1754 53
Théodofe.
Quelle différence ! celui- ci a un efprit
roide & férieux , je penfe qu'il n'eftime que
lui , car il n'approuve jamais rien ; ou s'il
approuve , c'est avec tant de réferve & d'un
air fi contraint , qu'on diroit qu'il a toujours
peur de vous donner trop de vanité ;
il est toujours de votre avis le moins qu'il
peut , & il vaudroit autant qu'il n'en fût
point du tout. Il y a quelques jours que
pendant que vous étiez fur la terraffe il
m'arriva de dire quelque chofe dont tout
le monde fe mit à rire , comme d'une fail
lie affez plaifante ; lui feul baiffa les yeux ,
en fouriant à la vérité , mais d'un fouris
qui fignifioit qu'on ne devoit pas rire.
Théophile.
Peut-être avoit-il raifon.
Théodofe.
Quoi ! raifon contre tout le monde ? eſtce
que jamais tout le monde a tort ? avoitil
plus d'efprit que trente perſonnes ?
Théophile.
Trente flateries font-elles une approbation
décident- elles de quelque chofe t
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
Théodofe.
Comme vous voudrez ; mais Philante
n'eft pas mon homme.
Théophile.
Vous avez cependant tant de difpofition
à aimer les gens d'un caractere für &
d'un honneur à toute epreuve ?
Théodofe.
Affûrément , & je le dis encore.
Théophile.
Eh bien ! Philante eft un de ces hommes
que vous avez deffein de prévenir & de
vous attacher.
Théodofe.
Vous me furprenez , cet honnêteté- là
a donc bien mauvaife grace à l'être.
Théophile.
Tous les honnêtes gens lui reffemblent ,
les graces de l'adulation & de la faufferé
leur manquent à tous ; ils aiment mieux
quand il faut opter , être vertueux qu'agréables.
Vous l'avez vu par Philante : il
n'a pu dans l'occafion & avec fa probité
louer en vous que ce qu'il y a vû de louaDECEMBRE.
1754. 55
ble, & a pris le parti de garder le filence
fur ce qui ne l'étoit pas ; la vérité ne lui
a pas permis de donner à votre amour propre
toutes les douceurs qu'il demandoit ,
& que Softene lui a données fans fcrupule :
voilà ce qui vous a rebuté de Philante
ce qui vous l'a fait trouver fi froid , fi
peu affectueux , fi difficile à contenter ;
voilà ce caractere quí dans fes pareils vous
paroîtra fi fec , fi auftere , & fi critique en
comparaifon de la foupleffe des Softene ,
avec qui vous contracterez un fi grand befoin
d'être applaudi , d'être encenfé , je
dirois prefque d'être adoré.
Théodofe .
Oh ! vous en dites trop ; me prendraije
pour une divinité ? me feront - ils accroire
que j'en fuis une .
Théophile .
Non , on ne va pas fi loin , on ne fçauroit
, & je pense que l'exemple de l'Empereur
Caïus , dont nous lifions l'hiftoire
ces jours paffés , ne gâtera à préſent perfonne
.
Théodofe .
Vous me parlez d'un extravagant , d'une
tête naturellement folle.
Ciiij
36 MERCURE DE FRANCE.
Théophile.
11 eft vrai ; mais malgré la foibleffe de
fa tête , s'il n'avoit jamais été qu'un particulier
, il ne feroit point tombé dans la
folie qu'il eut , & ce fut la hauteur de fa
place qui lui donna ce vertige . Aujourd'hui
les conditions comme la fienne ne
peuvent plus être fi funeftes à la raiſon ,
elles ne fçauroient faire des effets fi terribles
; la religion , nos principes , nos lumieres
ont rendu un pareil oubli de foimême
impoffible , il n'y a plus moyen de
s'égarer jufques-là , mais tout le danger
n'eft pas ôté , & fi l'on n'y prend garde , il
y a encore des étourdiffemens où l'on
peut tomber , & qui empêchent qu'on ne
fe connoiffe : on ne fe croit pas une divinité
, mais on ne fçait pas trop ce qu'on
eft ni pour qui l'on fe prend , on ne fe
définit point. Ce qui eft certain , c'eſt
qu'on fe croit bien différent des autres
hommes : on ne fe dit pas , je fuis d'une
autre nature qu'eux ; mais de la maniere
dont on l'entend , on fe dit à peu près la
la valeur de cela.
Theodofe.
Attendez donc ; me tromperois-je quand
je me croirai plus que les autres hommes ?
DECEMBRE.
$7
1754.
Théophile.
Non dans un fens , vous êtes infiniment
plus qu'eux ; dans un autre vous êtes précifément
ce qu'ils font. '
Théodofe.
Précifement ce qu'ils font ! quoi ! le fang
'dont je fors....
Théophile.
Eft confacré à nos refpects , & devenu le
plus noble fang du monde ; les hommes fe
font fait & ont dû fe faire une loi inviolable
de le refpecter ; voilà ce qui vous
met au-deffus de nous. Mais dans la nature
, votre fang , le mien , celui de tous les
hommes , c'eft la même chofe ; nous le tirons
tous d'une fource commune ; voilà
par où vous êtes ce que nous fommes.
Théodofe.
A la rigueur , ce que vous dites là eſt
vrai ; mais il me femble qu'à préſent tout
cela n'eft plus de même , & qu'il faut raifonner
autrement ; car enfin penfez -vous
de bonne foi qu'un valet de pied , qu'un
homme du peuple eft un homme comme
moi , & que je ne fuis qu'un homme comme
lui ?
C v.
58 MERCURE DE FRANCE
Théophile.
Oui , dans la nature .
Théodofe.
Mais cette nature ; eft- il encore ici queftion
d'elle comment l'entendez- vous ?
Théophile.
Tout fimplement ; il ne s'agit pas d'une
penſée hardie , je ne hazarde rien , je ne
fais point le Philofophe , & vous ne me
foupçonnez pas de vouloir diminuer de
vos prérogatives ?
Théodofe.
Ce n'eft
pas là ce que j'imagine.
Théophile.
Elles me font cheres , parce que c'eft vous
qui les avez ; elles me font facrées , parce
que vous les tenez , non feulement des
hommes , mais de Dieu même ; fans compter
que de toutes les façons de penfer , la
plus ridicule , la plus impertinente & la.
plus injufte feroit de vouloir déprimer la
grandeur de certaines conditions abfolument
néceffaires. Mais à l'égard de ce que
nous difions tout - à - l'heure , je parle en
homme qui fuit les lumieres du bon feas
DECEMBRE. 1754.. 59
le plus ordinaire , & la peine que vous
avez à m'entendre , vient de ce que je vous
difois tout à -l'heure , qui eft que dans le
rang où vous êtes on ne fçait pas trop
pour qui l'on fe prend ; ce n'eft pas que
vous ayez eu encore à faire aux fateurs ,
j'ai tâché de vous en garantir , vous êtes
né d'ailleurs avec beaucoup d'efprit ; cependant
l'orgueil de ce rang vous a déja
gagné , vous ne vous connoillez déja plus ,
& cela à caufe de cet empreffement qu'on
a pour vous voir de ces refpects que vous
trouvez fur votre paffage ; il n'en a pas
fallu davantage pour vous jetter dans une
illufion , dont je fuis fûr que vous allez rire
vous-même.
Théodofe.
Oh ! je n'y manquerai pas , je vous promets
d'en rire bien franchement fi j'ai
autant de tort que vous le dites : voyons ,
comment vous tirerez- vous de la
comparaifon
du valet de pied ?
Théophile.
Au lieu de lui , mettons un eſclave.
Théodofe.
C'est encore pis.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE:
Théophile.
C'eft que j'ai un fait amufant à vous
rapporter là - deffus. J'ai lû , je ne fçais plus
dans quel endroit , qu'un Roi de l'Afie encore
plus grand par fa fageffe que par ſa
puiffance , avoit un fils unique , que par un
article d'un traité de paix il avoit été obligé
de marier fort jeune. Ce fils avoit mille
vertus ; c'étoit le Prince de la plus grande
efpérance , mais il avoit un défaut qui
déparoit tout ; c'eſt qu'il ne daignoit s'humanifer
avec perfonne ; c'eft qu'il avoit
une fi fuperbe idée de fa condition , qu'il
auroit cru fe deshonorer par le commerce
des autres hommes , & qu'il les regardoit
comme de viles créatures , qu'il traitoit
doucement , parce qu'il étoit bon , mais
qui n'exiftoient que pour le fervir , que
pour lui obéir , & à qui il ne pouvoit décemment
parler que pour leur apprendre
fes volontés , fans y fouffrir de replique ;
car la moindre difcuffion lui paroiffoit familiere
& hardie , & il fçavoit l'arrêter par
un regard , ou par un mot qui faifoit rentrer
dans le néant dont on ofoit fortir devant
lui.
Théodofe.
Ah ! la trifte & ridicule façon de vivre ;
DECEMBRE . 1754. 61
je prévois la fin de l'hiftoire , ce Prince
là mourut d'ennui ?
Théophile.
Non , fon orgueil le foutenoit ; il lui
tenoit compagnie. Son pere qui gémiffoit
de le voir de cette humeur là , & qui en
fçavoit les conféquences , avoit beau lui
dire tout ce qu'il imaginoit de mieux pour
le rendre plus raifonnable là - deffus. Pour
le guérir de cette petiteffe d'efprit , il avoit
beau fe propofer pour exemple , lui qui
étoit Roi , lui qui regnoit & qui étoit cependant
fi acceffible , lui qui parloit à tout
le monde , qui donnoit à tout le monde le
droit de lui parler , & qui avoit autant
d'amis qu'il avoit de fujets qui l'entouroient
rien ne touchoit le fils. Il écoutoit
fon pere ; il le laiffoit dire , mais comme
un vieillard dont l'efprit avoit baiffé par
les années , & à l'âge duquel il falloit
donner le peu de dignité qu'il y avoit dans
fes remontrances.
Théodofe.
par-
Ce jeune Prince avoit donc été bien mal
élevé ?
Théophile.
Peut-être fon gouverneur l'avoit - il épar62
MERCURE DE FRANCE.
peur
gné de d'en être haï. Quoiqu'il
en foit , le Roi ne fçavoit
plus comment
s'y prendre
, & defefpéra
d'avoir
jamais
la
confolation
de le corriger
. Il le corrigea
pourtant
, fa tendreffe
ingénieufe
lui en fuggera
un moyen
qui lui réuffit. Je vous ai dit que le Prince
étoit marié ; ajoutez
à cela que la jeune Princeffe
touchoit
à l'inf tant de lui donner
un fils ; du moins fe
flattoit
-on que c'en feroit un. Oh ! vous remarquerez
qu'une
de ſes eſclaves
fe trou voit alors dans le même
cas qu'elle
, & n'attendoit
auffi que le moment
de mettre
un enfant au monde. Le Roi qui avoit fes vûes , s'arrangea
là- deffus , & prit des mefures
que
le hazard
favorifa
. Les deux
meres eurent
chacun
un fils ; & qui plus eft , l'enfant
royal & l'enfant
eſclave`na- quirent
dans le même quart d'heure
.
Théodofe.
A quoi cela aboutira-t-il ?
Théophile.
Le dernier ( je parle de l'efclave ) fut
auffi-tôt porté dans l'appartement de la
Princeffe , & mis fubtilement à côté du
petit Prince ; ils étoient tous deux accommodés
l'un comme l'autre ; on avoit feulement
eu la précaution de diftinguer le
DECEMBRE . 1754 .
63
petit Prince par une marque qui n'étoit
fçûe que du Roi & de fes confidens . Deux
enfans au lieu d'un , s'écria- t- on avec furprife
dans l'appartement , & qu'eft- ce que
cela fignifie qu'eft-ce qui a ofé apporter
l'autre comment fe trouve t-il là : & puis
à préfent comment démêler le Prince
jugez du bruit & de la rumeur.
Théodofe.
L'aventure étoit embarraffante.
Théophile.
Sur ces entrefaites , le Prince impatient
'de voir fon fils , arrive & demande qu'on
le lui montre. Hélas ! Seigneur , on ne
fçauroit , lui dit- on d'un air confterné ; il
ne vous est né qu'un Prince , & nous venons
de trouver deux enfans l'un auprès
de l'autre ; les voilà , & de vous dire lequel
des deux eft votre fils , c'est ce qui
nous eft abfolument impoffible. Le Prince,
en pâliffant , regarde ces deux enfans , &
Toupire de ne fçavoir à laquelle de ces
petites maffes de chair encore informes , il
doit ou fon amour ou fon mépris. Eh ! quel
eft donc l'infolent qui a ofé faire cet ou
trage au fang de fes maîtres , s'écria- t- il ?
A peine achevoit-il cette exclamation , que
tout-à- coup le Roi parut , fuivi de trois
64 MERCURE DE FRANCE.
ou quatre des plus vénérables Seigneurs
de l'Empire. Vous me paroiffez bien agi
té , mon fils , lui dit le Roi : il me femble
même avoir entendu que vous vous plaignez
d'un outrage ; de quoi eft- il queftion
? Ah ! Seigneur , lui répondit le Prince
, en lui montrant fes deux enfans , vous
me voyez au defefpoir : il n'y a point de
fupplice digne du crime dont il s'agit . J'ai
perdu mon fils , on l'a confondu avec je
ne fçais quelle vile créature qui m'empêche
de le reconnoître. Sauvez- moi de
l'affront de m'y tromper ; l'auteur de cet
attentat n'eft pas loin , qu'on le cherche ,
qu'on me venge , & que fon fupplice
effraye toute la terre.
Théodofe.
Ceci m'intéreſſe .
Théophile.
Il n'eft pas néceffaire de le chercher :
le voici , Prince ; c'eft moi , dit alors froidement
un de ces vénérables Seigneurs,
& dans cette action que vous appellez un
crime , je n'ai eu en vûe que votre gloire. Le
Roi fe plaint de ce que vous êtes trop fier ,
il gémit tous les jours de votre mépris
pour le refte des hommes ; & moi , pour
vous aider à le convaincre que vous avez
DECEMBRE. 1754.
65
raifon de les méprifer , & de les croire
d'une nature bien au-deffous de la vôtre ,
j'ai fait enlever un enfant qui vient de
naître , je l'ai fait mettre à côté de votre
fils , afin de vous donner une occaſion de
prouver que tout confondus qu'ils font ,
vous ne vous y tromperez pas , & que
vous n'en verrez pas moins les caracteres
de grandeur qui doivent diftinguer votre
augufte fang d'avec le vil fang des autres.
Au furplus , je n'ai pas rendu la diftinction
bien difficile à faire ; ce n'eſt pas même
un enfant noble , c'eft le fils d'un miférable
efclave que vous voyez à côté du
vôtre ; ainfi la différence eft fi énorme entr'eux
, que votre pénétration va fe jouer
de cette foible épreuve où je la mets.
Théodofe .
Ah le malin vieillard !
Théophile.
Au refte , Seigneur , ajouta-t-il , je me
Tuis menagé un moyen für de reconnoître
votre fils , il n'eft point confondu pour
moi ; mais s'il l'eft pour vous , je vous
: avertis que rien ne m'engagera à vous le
montrer , à moins que le Roi ne me l'ordonne.
Seigneur , dit alors le Prince à fon
pere , d'un air un peu confus , & preſque
66 MERCURE DE FRANCE.
la larme à l'oeil , ordonnez- lui donc qu'il
me le rende . Moi , Prince , lui répartit le
Roi faites- vous reflexion à ce que vous
me demandez ? eft- ce que la nature n'a
point marqué votre fils ? fi rien ne vous
l'indique ici , fi vous ne pouvez le retrouver
fans que je m'en mêle , eh ! que deviendra
l'opinion fuperbe que vous avez de
votre fang il faudra donc renoncer à croire
qu'il eft d'une autre forte que celui des autres
, & convenir que la nature à cet égard
n'a rien fait de particulier pour nous.
Théodofe.
Il avoit plus d'efprit que moi , s'il répondit
à cela.
Théophile.
L'hiftoire nous rapporte qu'il parut rêver
un inftant , & qu'enfuire il s'écria tout
d'un coup , je me rends , Seigneur , c'en
eft fait vous avez trouvé le fecret de m'éclairer
; la nature ne fait que des hommes
& point de Princes : je conçois maintenant
d'où mes droits tirent leur origine , je les
faifois venir de trop loin , & je rougis
de ma fierté paffée. Auffi -tôt le vieux Seigneur
alla prendre le petit Prince qu'il
préfenta à fon pere , après avoir tiré de
deffous les linges qui l'enveloppoient un
DECEMBRE. 1754. 67
billet que le Roi lui -même y avoit mis pour
le reconnoître. Le Prince , en pleurant de
joie , embraſſa fon fils , remercia mille fois
le vieux Seigneur qui avoit aidé le Roi
dans cet innocent artifice , & voulut tout
de fuite qu'on lui apportât l'enfant efclave
dont on s'étoit fervi pour l'inftruire , &
qu'il embraffa à fon tour , comme en reconnoiffance
du trait de lumiere qui venoit
de le frapper. Je t'affranchis , lui ditil
, en le preffant entre fes bras ; on t'élevera
avec mon fils , je lui apprendrai ce
que je te dois , tu lui ferviras de leçon
comme à moi , & tu me feras toujours.
cher , puifque c'eſt
venu raifonnable.
par toi que je fuis de-
Théodofe.
Votre Prince me fait pleurer.
Théophile.
pé-
Ah ! mon fils , s'écria alors le Roi ,
nétré d'attendriffement , que vous êtes bien
digne aujourd'hui d'être l'héritier d'un Empire
! que tant de raifon & que tant de
grandeur vous vengent bien de l'erreur où
vous étiez tombé !
Theodofe.
Ah ! que je fuis content de votre hif
68 MERCURE DE FRANCE.
toire ; me voilà bien raccommodé avec la
comparaison du valet- de - pied ; je lui ai
autant d'obligation que le Prince en avoit
au petit esclave. Mais dires moi , Théophile
, ce que vous venez de dire , & qui
eft fi vrai , tout le monde le fçait - il comme
il faut le fçavoir ? Je cherche un pes
à m'excufer. La plupart de nos jeunes gens
ne s'y trompent-ils pas auffi ? je vois bien
qu'ils me mettent au- deffus d'eux , mais il me
femble qu'ils ne croyent pas que tout homme
, dans la nature , eft leur femblable ;
ils s'imaginent qu'elle a auffi un fang à
part pour eux ; il n'eft ni fi beau ni fi
diftingué que le mien , mais il n'eſt pas de
l'efpéce de celui des autres ; qu'en ditesyous
?
Théophile.
Que non -feulement ces jeunes gens ne
fçavent pas que tout eft égal à cet égard ,
mais que des perfonnages très- graves &
très- fenfés l'oublient : je dis qu'ils l'oublient
, car il eft impoffible qu'ils l'ignorent
; & fi vous leur parlez de cette égalité
, ils ne la nieront pas , mais ils ne la
fçavent que pour en difcourir , & non pas
pour la croire ; ce n'eft pour eux qu'un
trait d'érudition , qu'une morale de converfation
, & non pas une vérité d'ufage.
DECEMBRE. 1754. 69
Théodofe .
J'ai encore une queſtion à vous faire :
ne dit-on pas fouvent , en parlant d'un
homme qu'on eftime , c'eft un homme qui
fe reffent de la nobleffe de fon fang.
"
Théophile.
Oui , il y a des
gens qui s'imaginent
qu'un fang tranfmis par un grand nombre
d'ayeux nobles , qui ont été élevés
dans la fierté de leur rang ; ils s'imaginent
, dis-je , que ce fang , tout venu qu'il
eft d'une fource commune , a acquis en
paffant , de certaines impreffions qui le diftinguent
d'un fang reçu de beaucoup d'ayeux
d'une petite condition ; & il fe pourroit
bien effectivement que cela fît des
différences : mais ces différences font- el
les avantageufes ? produifent- elles des vertus
? contribuent - elles à rendre l'ame plus
belle & plus raifonnable ? & la nature
là-deffus fuit-elle la vanité de notre opinion
il y auroit bien de la vifion a le
croire , d'autant plus qu'on a tant de preuves
du contraire : ne voit-on pas des hommes
du plus bas étage qui font des hommes
admirables ?
70 MERCURE DE FRANCE.
Théodofe.
Et l'hiſtoire ne nous montre- t- elle pas de
grands Seigneurs par la naiffance qui
avoient une ame indigne ? Allons , tout eft
dit fur cet article : la nature ne connoît
pas les nobles , elle ne les exempte de
rien , ils naiffent fouvent auffi infirmes de
corps , auffi courts d'efprit.
Théodofe .
Ils meurent de même , fans compter
que la fortune fe joue de leurs biens , de
leurs honneurs , que leur famille s'éteint
ou s'éclipfe ; n'y a- t- il pas une infinité de
races , & des plus illuftres , qu'on a perdu
de vûe , que la nature a continuées , mais
que la fortune a quittées , & dont les defcendans
méconnus rampent apparemment
dans la foule , labourent ou mendient
pendant que
de nouvelles races forties de
la pouffiere , font aujourd'hui les fieres &
les fuperbes , & s'éclipferont auffi , pour
faire à leur tour place à d'autres , un peu
plus tôt ou un peu plus tard ? c'eft un cercle
de viciffitudes qui enveloppe tout le
monde , c'eft par tout miferes communes.
Théodofe.
Changeons de matiere ; je me fens trop
DECEMBRE. 1754. 71
humilié de m'être trompé là - deffus , je
n'étois gueres Prince alors.
Théophile.
' En revanche vous l'êtes aujourd'hui beaucoup.
Mais il fe fait tard ; rentrons , Prince
, & demain , fi vous voulez , nous reprendrons
la même converfation.
Le Dialogue qu'on vient de lire eft de M.
de Marivaux. Il n'y a perfonne qui ne fente
que des développemens de cette naturefont trèspropres
à rendre plus raiſonnables & meilleurs
ceux que leur naiſſance appelle au trône.
Nous prévoyons avec joie que l'Amenr ne
pourra pas fe refufer au defir que le public lui
marquera de voir l'exécution entiere d'un des
plus beaux projets qu'on puiſſe former pour
bien de la fociété.
Fermer
Résumé : L'EDUCATION D'UN PRINCE.
Le texte présente un dialogue intitulé 'L'éducation d'un Prince', découvert dans un château et datant d'au moins quatre siècles. Les personnages principaux sont Théodose, un jeune prince, et Théophile, son gouverneur. Leur conversation révèle les efforts de Théophile pour éduquer et guider Théodose, malgré les résistances initiales du prince. Théophile explique que ses actions, parfois perçues comme désagréables, visaient à protéger Théodose des défauts et à le préparer à une vie glorieuse. Théodose finit par reconnaître les bienfaits de l'éducation stricte de Théophile. Théophile met en garde le prince contre les dangers de la liberté sans contrôle et l'importance de continuer à écouter des conseils honnêtes et bienveillants. Ils discutent également des personnes qui entoureront Théodose, notamment Softène, apprécié pour son caractère aimable, et Philante, perçu comme trop sérieux. Théophile exprime son souhait que Théodose continue à valoriser les conseils sincères et à se méfier des flatteurs. Théophile critique Philante, un homme honnête mais peu flatteur, que Théodose trouve froid et difficile à contenter. Théophile explique que Philante préfère la vérité à la flatterie, contrairement à Softène qui flatte excessivement. Théodose se compare à une divinité, mais Théophile le ramène à la réalité en évoquant l'exemple de l'empereur Caïus, dont l'orgueil fut exacerbé par sa position élevée. Théophile met en garde contre les dangers de l'orgueil et de l'illusion de supériorité, même si la religion et les lumières modernes rendent un tel oubli de soi impossible. Théophile raconte ensuite l'histoire d'un prince asiatique orgueilleux qui méprise les autres hommes. Le roi, son père, utilise une ruse pour lui faire comprendre son erreur : il place un enfant esclave à côté de son fils nouveau-né et demande au prince de les distinguer. Le prince, incapable de les différencier, réalise enfin la vanité de son orgueil. Le texte relate une conversation entre un Prince et Théophile, au cours de laquelle le Prince prend conscience de l'égalité naturelle entre les hommes. Le Roi, pour éclairer son fils, organise un stratagème impliquant un enfant esclave. Le Prince, après réflexion, reconnaît que la nature ne crée pas de princes, mais des hommes, et embrasse son fils ainsi que l'esclave, qu'il affranchit. Théophile et Théodofe discutent ensuite de la perception erronée des jeunes gens et des personnes influentes concernant la noblesse et l'égalité naturelle. Ils soulignent que la noblesse de sang n'apporte pas nécessairement des vertus ou des avantages moraux. Théodofe conclut en affirmant que la nature et la fortune traitent tous les hommes de manière égale, indépendamment de leur rang social. Le dialogue, écrit par Marivaux, vise à rendre plus raisonnables et meilleurs ceux appelés au trône.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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33
p. 22-33
Les Modernes sont-ils en effet plus éclairés ou plus avancés que les Anciens dans le chemin de la vérité ?*
Début :
Il y a long-tems qu'on a dit que la premiere fois que l'erreur étoit le partage [...]
Mots clefs :
Anciens et Modernes, Vérité, Nature, Arts, Progrès, Découvertes
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texteReconnaissance textuelle : Les Modernes sont-ils en effet plus éclairés ou plus avancés que les Anciens dans le chemin de la vérité ?*
Les Modernes font - ils en effet plus éclairés on
plus avancés que les Anciens dans le chemin
de la vérité ? *
la Ly a long- tems qu'on a dit
I premiere fois quel'erreur étoit le partage
de l'homme ; mais il eft étonnant que
dans les fiécles les plus éclairés on n'ait
pas moins occafion de le dire que dans
ceuxque nous appellons faftueufement fiécles
d'ignorance. On a l'obligation au hazard
de quantité de découvertes avec lefquelles
on eft parvenu à détruire de vielles
erreurs ; mais les a- t- on remplacées par
des vérités neuves ? les hommes ont - ils
fait effectivement quelques pas depuis
qu'ils fe vantent de n'être plus dans les ténébres
? fçavent - ils être plus heureux ,
meilleurs , ou font - ils du moins plus
exempts de préjugés , ce qui feroit en effet
une fuite des progrès qu'ils auroient faits
dans la recherche de la vérité ? A la honte
de l'efpece on n'apperçoit aucun de ces
* Quoique ce morceau ait l'air d'être traité férieufement
, j'ai cru devoir plutôt le ranger dans
cet article que dans celui des fciences , par la raifon
qu'il en fait moins l'éloge que la critique , &
qu'il paroît être le réfultat des doutes d'un homme
d'efprit plutôt que des difcuffions d'un fçavant.
FEVRIER . 1755. 23
fruits ; l'humanité paye toujours le même
tribut à l'erreur , aux vices , aux miferes
de fa condition : c'est donc à tort qu'elle
fe vanteroit d'être plus éclairée , & que
notre âge prétendroit la moindre préférence
fur ceux qui l'ont devancé.
On ne croit plus , avec S. Auguftin , que
les antipodes ayent la tête en bas ; avec
Prolomée , que le ſoleil tourne , ni qu'il y
ait des cieux de cryſtal ; avec Ariftote , que
la nature ait horreur du vuide , ni que de
petits atomes crochus ayent formé par hazard
le monde que nous admirons , comme
le penfoit Epicure. On a découvert
malgré la Bulle d'un Pape qui prefcrivoit
de n'en rien croire , qu'à l'extrêmité de no
tre globe il fe trouvoit des êtres penfans à
peu- près comme nous , chez qui , fur l'opinion
que nous pouvions exifter auffi
bien qu'eux , on n'avoit jamais inquiété
perfonne , c'est-à- dire qu'à l'afpect d'un bâtiment
fort élevé , nous avons entrevû
long- tems que les derniers appartemens
pouvoient être occupés comme les
miers , & qu'après avoir parcouru pendant
bien des fiécles notre petite planete , fans
nous douter qu'elle en fut une , nous avons
fait enfin l'importante découverte que
nous ne l'habitions pas feuls. Les Efpagnols
orgueilleux de cet effort de leur ima
pre24
MERCURE DE FRANCE .
gination , exterminerent fans pitié des nations
entieres , parce qu'elles avoient beaucoup
d'or & point d'artillerie , & qu'elles
s'avifoient de vouloir fe gouverner par les
loix de leur pays. Ainfi la moitié du monde
eut à gémir de la curiofité de l'autre .
A l'aide d'une longue lunette , dont la
premiere idée appartient à des enfans , qui
n'eurent d'autre maître que le hazard ou
l'envie de jouer , on a fait quelque pas
dans l'Aftronomie ; le mouvement de ro-.
tation du foleil a paru démontré , on a
cru voir les Satellites de quelques planetes
; on a déterminé le nombre des étoiles 3:
on a fort ingénieufement remarqué que:
les aftres feroient néceffairement immo->
biles dans des cieux de cryftal ou de toute
autre matiere folide , & peu s'en fautqu'on
ne trouve Ptolomée ridicule , parce
que de fon tems des enfans ne s'étoient.
pas encore imaginés de faire un télescope.
Cependant on n'a pas mieux défini que lui
de quelle matiere étoit le ciel. Les mouvemens
des aftres mieux obfervés depuis l'invention
des lunettes , ont feulement perfuadé
qu'elle devoit être fluide ; mais que
dans cet efpace où les aftres font leurs
révolutions , il n'y ait que du vuide , comme
il paroît que Newton l'a penfé , ou
qu'il n'y foit femé que par intervalles , fe-
-
(*
lon
FEVRIER. 1755. 25
lon le fentiment de Gaffendi , ou qu'il foit
impoffible , comme l'imaginoit Descartes ,
c'est un problême que l'imagination peut
s'égayer à réfoudre , qui fera produire encore
une infinité de fyftêmes qu'on ne
prouvera point , car l'ufage eft de fuppofer
, mais qui rendront exactement raifon
de tous les phénomenes de la nature ; ce
feront de nouvelles rêveries fubftituées
aux anciennes . Heureufement que ce problême
n'eft pas infiniment utile au bonheur
de l'Etat ou de la fociété.
Qu'on ait affujetti les éclipfes au calcul
invention qui peut - être ne fait pas tant
honneur à l'efprit humain qu'on pourroit
l'imaginer , puifqu'un peuple qui n'eft pas
autrement fçavant , quoiqu'on ait bien
voulu le faire paffer pour tel , en fait ufage
depuis un tems immémorial ; qu'à la
faveur de l'expérience de Pafcal , on ait
foupçonné la pefanteur & le reffort de l'air,
qu'on ait fait enfin de fi grands progrès
la Phyfique expérimentale ; c'eft qu'il
eft tout naturel que les derniers venus
foient mieux inftruits de ce qui fe paffe
dans une ville , que ceux qui en font partis
les premiers. Nous avons profité des
petits journaux que nos peres nous ont
laiffés , & nous en faifons de petits à notre
tour que nous laiffons à nos neveux , qui
B
26 MERCURE DE FRANCE.
en feront encore après nous ; mais ils feroient
auffi ridicules de s'enorgueillir
beaucoup de leurs nouvelles découvertes ,
& de nous traiter de barbares pour ne leur
avoir pas tout appris , que nous le fommes
fans doute en faifant de pareils reproches
à nos ancêtres. La nature n'a pu être examinée
qu'en détail ; la vie de l'homme
trop bornée ne permet d'acquerir qu'un
très- petit nombre de connoiffances mêlées
de beaucoup d'erreurs ; la curiofité , fource
des unes: & des autres , à peine encouragée
par quelques fuccès , s'anéantit avec
nous. La génération qui nous fuit , profite
de nos erreurs pour les éviter , de nos connoiffances
pour lleess découvrir découvrir , nous devance
un peu , tombe à fon tour , & laiffe
à celle qui la fuivra de nouvelles lumieres
& de nouvelles fautes. Je ne vois dans ces
prétendus progrès dont nous tirons tant de
vanité , qu'une chaîne immenſe , dont quelques-
uns ont indiqué le métal , d'autres ,
fans deffein peut-être , en ont formé les
anneaux ; les plus adroits ont imaginé de
les affembler , la gloire en eft pour eux ;
mais les premiers ont tout le mérite , ou
devroient l'avoir fi nous étions juftes .
Sont - elles bien à nous d'ailleurs ces
découvertes dont nous nous glorifions ?
Qui me répondra que depuis que les géFEVRIER.
1755. 27
nérations fe renouvellent fur la furface de
la terre , perfonne ne fes eut faites avant
nous ? Combien de nations enfeveliés fous
leurs ruines , dont il ne nous refte que des
idées imparfaites combien d'arts abfolument
perdus ? combien de monumens livrés
aux flammes ? It eft tel ouvrage qui lui
feul pourroit nous éclairer fur mille menfonges
, & nous découvrir autant de vérités
; n'en a- t- il point péri de cette efpece ,
ou par les ravages du tems , ou par les
incendies ? Quels peuples de l'antiquité le
retour des Lettres nous a- t- il fait connoître
? Les Grecs & les Romains , ignorans
fur leur origine, prévenus contre tout ce qui'
n'étoit pas de leur nation' , traitant de barbares
leurs voifins ou leurs ennemis , avec
autant d'injuftice peut-être que les Efpagnols
nommoient les Péruviens fauvages ,
dédaignant d'approfondir leurs moeurs ,
leurs caracteres , leurs traditions , leurs
ufages , ou les diffimulant par jalousie ,
& par conféquent incapables de nous en
inftruire. Comment les connoiffons- nous
encore ces Grecs & ces Romains ? à peuprès
comme par des relations imparfaites
nous connoiffons les peuples de l'Afrique
ou de l'Afie . Combien de peuples d'ailleurs
ces conquerans d'une partie du monde
n'ont- ils pas ignorés ? n'eft- il plus de cli-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
mats inconnus & penfons-nous qu'ils
n'auroient rien à nous apprendre ? N'a -ton
pas trouvé chez les Chinois , peuple
d'une vanité trop ridicule pour avoir un
mérite réel , l'ufage de l'Imprimerie & de
la poudre ? qui leur a donné l'idée de ces
arts fi nouveaux dans l'Europe , l'Imprimerie
fur-tout , qui mériteroit fi juftement
d'être admirée s'il étoit poffible qu'elle ne
perpétuât que des chofes dignes de l'être ?
Nous avons fait des progrès admirables
dans les méchaniques , nous avons fimplifié
des machines connues , nous en avons
créé d'autres ; mais qu'avons- nous exécuté
avec elles dont on ne trouve quelque
idée chez les anciens ? Ces hardis monumens
de l'antiquité la plus reculée , &
qui touche prefque aux premiers jours du
monde : les murs de Babylone , ces jardins
foutenus dans les airs , ces canaux vainqueurs
de l'Euphrate , ces pyramides de
l'Egypte , dont quelques - unes fubfiftent.
encore , ces fuperbes édifices élevés avec
la rapidité que l'hiftoire nous attefte ne
nous forcent- ils pas de convenir , ou que
les anciens avoient des reffources égales
aux nôtres , ou même qu'ils en avoient de
bien fupérieures ? On ne trouve pas feulement
chez eux les traces des arts utiles
on connoît le luxe des premiers Affyriens
་ ་
›
FEVRIER . 1755 29
& le luxe ne s'introduit dans un Empire
qu'à la fuite des arts d'agrémens.
Qu'il foit permis de faire une compa
raifon entre ces prétendus enfans de notre
induſtrie & ceux de notre imagination
les ſyſtêmes de la Phyfique , fur les principaux
phénomenes de la nature ; il n'en eft
aucun qui n'ait été renouvellé de quelques
anciennes écoles . Le mouvement de la terre
, la matiere fubtile , le plein , le vuide ,
la gravitation , le pur méchanifme des animaux
, opinion dangereufe , parce qu'elle
pourroit trop prouver l'existence des
tourbillons ; ces ingénieufes fictions attribuées
à nos Philofophes modernes , exiftoient
long- tems avant eux , nous en avons
les originaux dans cette foule de Philofophes
Grecs ; & qui fçait fi ces originaux
n'étoient pas encore des copies ? Il en eft
de même des hypothèfes métaphyfiques.
L'immortalité de l'ame , avant que la religion
nous en eût fait un dogme , l'unité
de Dieu , la diftinction des deux fubftances
, le ſyſtême du matérialiſme adopté
quant à la nature de l'ame , par quelques
Peres des premiers fiécles , qui ne la
croyoient pas moins immortelle , mais qui
confervoient encore des principes puifés
dans les écoles payennes je veux parler
de Tertullien , d'Arnobe , de Lactance . Le
B iij
MERCURE DE FRANCE.
libre arbitre , la fatalité , furent des queftions
qui trouverent autrefois , comme de
nos jours , des partifans ou des adverfaires.
L'Athéifme de Spinofa , fi bien attaqué
par Bayle , eft développé dans le fixieme
livre de l'Eneide . Les Dieux oififs d'Epicure
ont fervi de modele à celui des Déiftes.
Si donc l'efprit humain fe repéte luimême
depuis fi long tems dans les fciences
fpéculatives , rien ne me porte à le
croire plus varié , plus inventeur dans ce
qui tient aux arts.
Mais je veux que nos modernes ayent
réellement imaginé les opinions qu'on leur
attribue , nous n'aurions encore changé
que de fictions & d'abfurdités. Les idées
innées de Deſcartes , les Monades de Leibnitz
ne valent gueres mieux que les prétendues
rêveries des anciens . Nous nous
fommes comportés à leur égard , comme
'certains Anglois nous ont fait l'honneur
de nous traiter dans leurs ouvrages ; ils
copient nos auteurs , en nous difant des
injures. Sur quoi peut donc être fondé
l'orgueil des hommes ? Je veux bien fuppofer
que nous connoiffions un peu mieux
que nos ancêtres les contours du globe que
nous habitons ,enrichis de leurs remarques
& des nôtres , nous fommes un peu moins
étrangers dans notre patrie. Nous avons
FEVRIER. 1755. 31
multiplié nos plaifirs en nous affujettiffant
à de nouveaux befoins ; mais n'avons- nous
pas auffi doublé nos infortunes : Nous
voulons , à la faveur de l'expérience , avoir
jetté quelques lumieres fur le méchanifme
de la nature , mais les cauſes nous en fontelles
moins obfcures ? Nous lifons dans les
cieux , mais fommes nous plus éclairés fur
l'artifice de nos organes , fur l'union du
corps & de l'ame , ou fur leur mutuelle
dépendance ? Avons - nous quelque idée
plus diftincte des termes qui nous font les
plus familiers , de la matiere , de l'eſprit ,
du lieu , du tems , de l'infini , termes que
le peuple prononce tous les jours , fans
imaginer qu'il ne les entend pas ? étrange
foibleffe de l'efprit humain , qui ne femble
ignorer que ce qu'il auroit intérêt de
connoître ! Parfaitement inftruit de quelques
vérités indifférentes , mais les feules
qui lui foient démontrées , j'ofe le dire
même , qui femblent l'humilier par leur
petit nombre & par l'excès de leur éviden.
ce , elles ne fervent qu'à lui faire mieux
fentir qu'il eft né pour le doute.
Je ne fçais par quelle étonnante contradiction
quelques perfonnes plus zélées
qu'inftruites , ont affecté de confondre le
Pirrhoniſme & l'incrédulité. Cette réflexion
où m'a conduit mon fajet, mériteroit-
B iiij
MERCURE DE FRANCE.
*
elle - feule une differtation approfondie ?
Mais comme il est toujours précieux d'établir
une vérité , que
, que celle- ci d'ailleurs paroîtra
nouvelle , je l'appuyerai du moins
d'un fimple raifonnement auquel il eft , je
crois , difficile de fe refufer. Le Pirrhonifme
feul apprend à la raifon à s'humilier ,
en lui démontrant l'incertitude de fes connoiffances
; la religion exige de notre orgueil
la même foumiffion , les mêmes facrifices
: le Pirrhonifme eft donc de toutes
les fectes des Philofophes celle qui eft la
plus conforme à l'efprit de la religion , &
qui nous difpofe le plus naturellement à
l'embraffer. Mais on pourroit en abuſer ,
me dira- t- on : eh ! de quoi ne pourroit - on
pas abufer ? Tel étoit du moins le fentiment
de ce fameux Evêque d'Avranches ,
l'auteur de la Démonftration évangélique' ,
Prélat illuftre que l'Eglife regarde , ainfi
que M. Boffuet , comme une de fes lumieres
.
Quoi de plus capable de convaincre
l'homme de fa foibleffe que le tableau
malheureuſement trop fidele que je viens
de vous en préſenter ? Ses prétendus progrès
appréciés , dénués de la pompe dont
une vaine éloquence a coutume de les ennoblir
, nous paroiffent dans leur véritable
jour. Il n'eft ni plus vertueux , ni plus
FEVRIER. 1755. 33
tapproché du bonheur , ni moins efclave,
des illufions : il n'a donc rien fait pour
lui ; mais fon orgueil eft toujours le même
, c'eft qu'il eft homme .
plus avancés que les Anciens dans le chemin
de la vérité ? *
la Ly a long- tems qu'on a dit
I premiere fois quel'erreur étoit le partage
de l'homme ; mais il eft étonnant que
dans les fiécles les plus éclairés on n'ait
pas moins occafion de le dire que dans
ceuxque nous appellons faftueufement fiécles
d'ignorance. On a l'obligation au hazard
de quantité de découvertes avec lefquelles
on eft parvenu à détruire de vielles
erreurs ; mais les a- t- on remplacées par
des vérités neuves ? les hommes ont - ils
fait effectivement quelques pas depuis
qu'ils fe vantent de n'être plus dans les ténébres
? fçavent - ils être plus heureux ,
meilleurs , ou font - ils du moins plus
exempts de préjugés , ce qui feroit en effet
une fuite des progrès qu'ils auroient faits
dans la recherche de la vérité ? A la honte
de l'efpece on n'apperçoit aucun de ces
* Quoique ce morceau ait l'air d'être traité férieufement
, j'ai cru devoir plutôt le ranger dans
cet article que dans celui des fciences , par la raifon
qu'il en fait moins l'éloge que la critique , &
qu'il paroît être le réfultat des doutes d'un homme
d'efprit plutôt que des difcuffions d'un fçavant.
FEVRIER . 1755. 23
fruits ; l'humanité paye toujours le même
tribut à l'erreur , aux vices , aux miferes
de fa condition : c'est donc à tort qu'elle
fe vanteroit d'être plus éclairée , & que
notre âge prétendroit la moindre préférence
fur ceux qui l'ont devancé.
On ne croit plus , avec S. Auguftin , que
les antipodes ayent la tête en bas ; avec
Prolomée , que le ſoleil tourne , ni qu'il y
ait des cieux de cryſtal ; avec Ariftote , que
la nature ait horreur du vuide , ni que de
petits atomes crochus ayent formé par hazard
le monde que nous admirons , comme
le penfoit Epicure. On a découvert
malgré la Bulle d'un Pape qui prefcrivoit
de n'en rien croire , qu'à l'extrêmité de no
tre globe il fe trouvoit des êtres penfans à
peu- près comme nous , chez qui , fur l'opinion
que nous pouvions exifter auffi
bien qu'eux , on n'avoit jamais inquiété
perfonne , c'est-à- dire qu'à l'afpect d'un bâtiment
fort élevé , nous avons entrevû
long- tems que les derniers appartemens
pouvoient être occupés comme les
miers , & qu'après avoir parcouru pendant
bien des fiécles notre petite planete , fans
nous douter qu'elle en fut une , nous avons
fait enfin l'importante découverte que
nous ne l'habitions pas feuls. Les Efpagnols
orgueilleux de cet effort de leur ima
pre24
MERCURE DE FRANCE .
gination , exterminerent fans pitié des nations
entieres , parce qu'elles avoient beaucoup
d'or & point d'artillerie , & qu'elles
s'avifoient de vouloir fe gouverner par les
loix de leur pays. Ainfi la moitié du monde
eut à gémir de la curiofité de l'autre .
A l'aide d'une longue lunette , dont la
premiere idée appartient à des enfans , qui
n'eurent d'autre maître que le hazard ou
l'envie de jouer , on a fait quelque pas
dans l'Aftronomie ; le mouvement de ro-.
tation du foleil a paru démontré , on a
cru voir les Satellites de quelques planetes
; on a déterminé le nombre des étoiles 3:
on a fort ingénieufement remarqué que:
les aftres feroient néceffairement immo->
biles dans des cieux de cryftal ou de toute
autre matiere folide , & peu s'en fautqu'on
ne trouve Ptolomée ridicule , parce
que de fon tems des enfans ne s'étoient.
pas encore imaginés de faire un télescope.
Cependant on n'a pas mieux défini que lui
de quelle matiere étoit le ciel. Les mouvemens
des aftres mieux obfervés depuis l'invention
des lunettes , ont feulement perfuadé
qu'elle devoit être fluide ; mais que
dans cet efpace où les aftres font leurs
révolutions , il n'y ait que du vuide , comme
il paroît que Newton l'a penfé , ou
qu'il n'y foit femé que par intervalles , fe-
-
(*
lon
FEVRIER. 1755. 25
lon le fentiment de Gaffendi , ou qu'il foit
impoffible , comme l'imaginoit Descartes ,
c'est un problême que l'imagination peut
s'égayer à réfoudre , qui fera produire encore
une infinité de fyftêmes qu'on ne
prouvera point , car l'ufage eft de fuppofer
, mais qui rendront exactement raifon
de tous les phénomenes de la nature ; ce
feront de nouvelles rêveries fubftituées
aux anciennes . Heureufement que ce problême
n'eft pas infiniment utile au bonheur
de l'Etat ou de la fociété.
Qu'on ait affujetti les éclipfes au calcul
invention qui peut - être ne fait pas tant
honneur à l'efprit humain qu'on pourroit
l'imaginer , puifqu'un peuple qui n'eft pas
autrement fçavant , quoiqu'on ait bien
voulu le faire paffer pour tel , en fait ufage
depuis un tems immémorial ; qu'à la
faveur de l'expérience de Pafcal , on ait
foupçonné la pefanteur & le reffort de l'air,
qu'on ait fait enfin de fi grands progrès
la Phyfique expérimentale ; c'eft qu'il
eft tout naturel que les derniers venus
foient mieux inftruits de ce qui fe paffe
dans une ville , que ceux qui en font partis
les premiers. Nous avons profité des
petits journaux que nos peres nous ont
laiffés , & nous en faifons de petits à notre
tour que nous laiffons à nos neveux , qui
B
26 MERCURE DE FRANCE.
en feront encore après nous ; mais ils feroient
auffi ridicules de s'enorgueillir
beaucoup de leurs nouvelles découvertes ,
& de nous traiter de barbares pour ne leur
avoir pas tout appris , que nous le fommes
fans doute en faifant de pareils reproches
à nos ancêtres. La nature n'a pu être examinée
qu'en détail ; la vie de l'homme
trop bornée ne permet d'acquerir qu'un
très- petit nombre de connoiffances mêlées
de beaucoup d'erreurs ; la curiofité , fource
des unes: & des autres , à peine encouragée
par quelques fuccès , s'anéantit avec
nous. La génération qui nous fuit , profite
de nos erreurs pour les éviter , de nos connoiffances
pour lleess découvrir découvrir , nous devance
un peu , tombe à fon tour , & laiffe
à celle qui la fuivra de nouvelles lumieres
& de nouvelles fautes. Je ne vois dans ces
prétendus progrès dont nous tirons tant de
vanité , qu'une chaîne immenſe , dont quelques-
uns ont indiqué le métal , d'autres ,
fans deffein peut-être , en ont formé les
anneaux ; les plus adroits ont imaginé de
les affembler , la gloire en eft pour eux ;
mais les premiers ont tout le mérite , ou
devroient l'avoir fi nous étions juftes .
Sont - elles bien à nous d'ailleurs ces
découvertes dont nous nous glorifions ?
Qui me répondra que depuis que les géFEVRIER.
1755. 27
nérations fe renouvellent fur la furface de
la terre , perfonne ne fes eut faites avant
nous ? Combien de nations enfeveliés fous
leurs ruines , dont il ne nous refte que des
idées imparfaites combien d'arts abfolument
perdus ? combien de monumens livrés
aux flammes ? It eft tel ouvrage qui lui
feul pourroit nous éclairer fur mille menfonges
, & nous découvrir autant de vérités
; n'en a- t- il point péri de cette efpece ,
ou par les ravages du tems , ou par les
incendies ? Quels peuples de l'antiquité le
retour des Lettres nous a- t- il fait connoître
? Les Grecs & les Romains , ignorans
fur leur origine, prévenus contre tout ce qui'
n'étoit pas de leur nation' , traitant de barbares
leurs voifins ou leurs ennemis , avec
autant d'injuftice peut-être que les Efpagnols
nommoient les Péruviens fauvages ,
dédaignant d'approfondir leurs moeurs ,
leurs caracteres , leurs traditions , leurs
ufages , ou les diffimulant par jalousie ,
& par conféquent incapables de nous en
inftruire. Comment les connoiffons- nous
encore ces Grecs & ces Romains ? à peuprès
comme par des relations imparfaites
nous connoiffons les peuples de l'Afrique
ou de l'Afie . Combien de peuples d'ailleurs
ces conquerans d'une partie du monde
n'ont- ils pas ignorés ? n'eft- il plus de cli-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
mats inconnus & penfons-nous qu'ils
n'auroient rien à nous apprendre ? N'a -ton
pas trouvé chez les Chinois , peuple
d'une vanité trop ridicule pour avoir un
mérite réel , l'ufage de l'Imprimerie & de
la poudre ? qui leur a donné l'idée de ces
arts fi nouveaux dans l'Europe , l'Imprimerie
fur-tout , qui mériteroit fi juftement
d'être admirée s'il étoit poffible qu'elle ne
perpétuât que des chofes dignes de l'être ?
Nous avons fait des progrès admirables
dans les méchaniques , nous avons fimplifié
des machines connues , nous en avons
créé d'autres ; mais qu'avons- nous exécuté
avec elles dont on ne trouve quelque
idée chez les anciens ? Ces hardis monumens
de l'antiquité la plus reculée , &
qui touche prefque aux premiers jours du
monde : les murs de Babylone , ces jardins
foutenus dans les airs , ces canaux vainqueurs
de l'Euphrate , ces pyramides de
l'Egypte , dont quelques - unes fubfiftent.
encore , ces fuperbes édifices élevés avec
la rapidité que l'hiftoire nous attefte ne
nous forcent- ils pas de convenir , ou que
les anciens avoient des reffources égales
aux nôtres , ou même qu'ils en avoient de
bien fupérieures ? On ne trouve pas feulement
chez eux les traces des arts utiles
on connoît le luxe des premiers Affyriens
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FEVRIER . 1755 29
& le luxe ne s'introduit dans un Empire
qu'à la fuite des arts d'agrémens.
Qu'il foit permis de faire une compa
raifon entre ces prétendus enfans de notre
induſtrie & ceux de notre imagination
les ſyſtêmes de la Phyfique , fur les principaux
phénomenes de la nature ; il n'en eft
aucun qui n'ait été renouvellé de quelques
anciennes écoles . Le mouvement de la terre
, la matiere fubtile , le plein , le vuide ,
la gravitation , le pur méchanifme des animaux
, opinion dangereufe , parce qu'elle
pourroit trop prouver l'existence des
tourbillons ; ces ingénieufes fictions attribuées
à nos Philofophes modernes , exiftoient
long- tems avant eux , nous en avons
les originaux dans cette foule de Philofophes
Grecs ; & qui fçait fi ces originaux
n'étoient pas encore des copies ? Il en eft
de même des hypothèfes métaphyfiques.
L'immortalité de l'ame , avant que la religion
nous en eût fait un dogme , l'unité
de Dieu , la diftinction des deux fubftances
, le ſyſtême du matérialiſme adopté
quant à la nature de l'ame , par quelques
Peres des premiers fiécles , qui ne la
croyoient pas moins immortelle , mais qui
confervoient encore des principes puifés
dans les écoles payennes je veux parler
de Tertullien , d'Arnobe , de Lactance . Le
B iij
MERCURE DE FRANCE.
libre arbitre , la fatalité , furent des queftions
qui trouverent autrefois , comme de
nos jours , des partifans ou des adverfaires.
L'Athéifme de Spinofa , fi bien attaqué
par Bayle , eft développé dans le fixieme
livre de l'Eneide . Les Dieux oififs d'Epicure
ont fervi de modele à celui des Déiftes.
Si donc l'efprit humain fe repéte luimême
depuis fi long tems dans les fciences
fpéculatives , rien ne me porte à le
croire plus varié , plus inventeur dans ce
qui tient aux arts.
Mais je veux que nos modernes ayent
réellement imaginé les opinions qu'on leur
attribue , nous n'aurions encore changé
que de fictions & d'abfurdités. Les idées
innées de Deſcartes , les Monades de Leibnitz
ne valent gueres mieux que les prétendues
rêveries des anciens . Nous nous
fommes comportés à leur égard , comme
'certains Anglois nous ont fait l'honneur
de nous traiter dans leurs ouvrages ; ils
copient nos auteurs , en nous difant des
injures. Sur quoi peut donc être fondé
l'orgueil des hommes ? Je veux bien fuppofer
que nous connoiffions un peu mieux
que nos ancêtres les contours du globe que
nous habitons ,enrichis de leurs remarques
& des nôtres , nous fommes un peu moins
étrangers dans notre patrie. Nous avons
FEVRIER. 1755. 31
multiplié nos plaifirs en nous affujettiffant
à de nouveaux befoins ; mais n'avons- nous
pas auffi doublé nos infortunes : Nous
voulons , à la faveur de l'expérience , avoir
jetté quelques lumieres fur le méchanifme
de la nature , mais les cauſes nous en fontelles
moins obfcures ? Nous lifons dans les
cieux , mais fommes nous plus éclairés fur
l'artifice de nos organes , fur l'union du
corps & de l'ame , ou fur leur mutuelle
dépendance ? Avons - nous quelque idée
plus diftincte des termes qui nous font les
plus familiers , de la matiere , de l'eſprit ,
du lieu , du tems , de l'infini , termes que
le peuple prononce tous les jours , fans
imaginer qu'il ne les entend pas ? étrange
foibleffe de l'efprit humain , qui ne femble
ignorer que ce qu'il auroit intérêt de
connoître ! Parfaitement inftruit de quelques
vérités indifférentes , mais les feules
qui lui foient démontrées , j'ofe le dire
même , qui femblent l'humilier par leur
petit nombre & par l'excès de leur éviden.
ce , elles ne fervent qu'à lui faire mieux
fentir qu'il eft né pour le doute.
Je ne fçais par quelle étonnante contradiction
quelques perfonnes plus zélées
qu'inftruites , ont affecté de confondre le
Pirrhoniſme & l'incrédulité. Cette réflexion
où m'a conduit mon fajet, mériteroit-
B iiij
MERCURE DE FRANCE.
*
elle - feule une differtation approfondie ?
Mais comme il est toujours précieux d'établir
une vérité , que
, que celle- ci d'ailleurs paroîtra
nouvelle , je l'appuyerai du moins
d'un fimple raifonnement auquel il eft , je
crois , difficile de fe refufer. Le Pirrhonifme
feul apprend à la raifon à s'humilier ,
en lui démontrant l'incertitude de fes connoiffances
; la religion exige de notre orgueil
la même foumiffion , les mêmes facrifices
: le Pirrhonifme eft donc de toutes
les fectes des Philofophes celle qui eft la
plus conforme à l'efprit de la religion , &
qui nous difpofe le plus naturellement à
l'embraffer. Mais on pourroit en abuſer ,
me dira- t- on : eh ! de quoi ne pourroit - on
pas abufer ? Tel étoit du moins le fentiment
de ce fameux Evêque d'Avranches ,
l'auteur de la Démonftration évangélique' ,
Prélat illuftre que l'Eglife regarde , ainfi
que M. Boffuet , comme une de fes lumieres
.
Quoi de plus capable de convaincre
l'homme de fa foibleffe que le tableau
malheureuſement trop fidele que je viens
de vous en préſenter ? Ses prétendus progrès
appréciés , dénués de la pompe dont
une vaine éloquence a coutume de les ennoblir
, nous paroiffent dans leur véritable
jour. Il n'eft ni plus vertueux , ni plus
FEVRIER. 1755. 33
tapproché du bonheur , ni moins efclave,
des illufions : il n'a donc rien fait pour
lui ; mais fon orgueil eft toujours le même
, c'eft qu'il eft homme .
Fermer
Résumé : Les Modernes sont-ils en effet plus éclairés ou plus avancés que les Anciens dans le chemin de la vérité ?*
Le texte examine la prétendue supériorité des Modernes par rapport aux Anciens en matière de connaissance et de progrès. Il reconnaît les avancées scientifiques des Modernes, mais souligne que les erreurs et les préjugés persistent. Les Modernes ont abandonné certaines croyances anciennes, comme celles des antipodes ou des cieux de cristal, mais n'ont pas nécessairement remplacé ces erreurs par des vérités nouvelles. Les progrès en astronomie et en physique sont mentionnés, mais relativisés par la persistance de nombreuses incertitudes et de systèmes hypothétiques. Le texte critique l'orgueil des Modernes qui se vantent de leurs découvertes sans reconnaître la contribution des générations précédentes. Il met en avant l'idée que les connaissances humaines se transmettent et s'accumulent au fil des générations, sans que chaque époque puisse revendiquer une supériorité absolue. Les avancées dans les arts mécaniques et les sciences spéculatives sont comparées à celles des Anciens, montrant que les Modernes n'ont souvent fait que renouveler des idées existantes. Le texte souligne également la limitation des connaissances humaines, qui restent fragmentaires et mêlées d'erreurs. Il conclut en soulignant l'humilité nécessaire face aux limites de la raison humaine, critiquant ceux qui confondent le pyrrhonisme avec l'incrédulité. Le pyrrhonisme, en démontrant l'incertitude des connaissances humaines, exige une soumission de l'orgueil similaire à celle requise par la religion, et prépare ainsi naturellement à l'acceptation de la foi religieuse. Cependant, il est reconnu que le pyrrhonisme pourrait être abusé, mais cette possibilité n'est pas unique à cette philosophie. Le texte mentionne l'évêque d'Avranches, auteur de la 'Démonstration évangélique', comme une figure respectée par l'Église et comparée à Bossuet. En somme, l'homme reste orgueilleux et faible, simplement parce qu'il est humain.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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34
p. 148-174
ARCHITECTURE. LETTRE A M. L'ABBÉ R*** fur une très-mauvaise plaisanterie qu'il a laissé imprimer dans le Mercure du mois de Décembre 1754, par une société d'Architectes, qui pourroient bien aussi prétendre être du premier mérite & de la premiere réputation, quoiqu'ils ne soient pas de l'Académie.
Début :
Nous sommes surpris, Monsieur, qu'un homme d'esprit & un aussi bon citoyen [...]
Mots clefs :
Société d'architectes, Architecture, Architecture antique, Architectes, Génie, Public, Paris, Manière, Genre, Goût, Art, Vérité, Réputation, Mérite
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ARCHITECTURE. LETTRE A M. L'ABBÉ R*** fur une très-mauvaise plaisanterie qu'il a laissé imprimer dans le Mercure du mois de Décembre 1754, par une société d'Architectes, qui pourroient bien aussi prétendre être du premier mérite & de la premiere réputation, quoiqu'ils ne soient pas de l'Académie.
LETTRE A M. L'ABBE' R ***
fur une très - mauvaise plaifanterie qu'il a
laiffe imprimer dans le Mercure du mois
de Décembre 17 54 › par une société d'Architectes
, qui pourroient bien auffi prétendre
être du premier mérite & de la premiere
réputation , quoiqu'ils ne foient pas
de l'Académie.
N
Ousfommes furpris, Monfieur, qu'un
homme d'efprit & un auffi bon citoyen
que vous , ait autorifé un écrit fatyrique
, dont le but eft fi évidemment de
renverser l'Architecture moderne , & de
détruire la confiance que l'on accorde aux
Architectes , en mettant le public à portée
de juger par lui-même du bien ou du mal
des ouvrages que nous faifons pour lui
FEVRIER. 1755. 149
Pouvons-nous croire que vous n'ayez pas
apperçu cette conféquence ? ou que l'ayant
vue vous n'ayez pas eu quelque fcrupule
de vous prêter à décrier des inventions
qui depuis tant de tems font les délices de
Paris , & qu'enfin les étrangers commencent
à goûter avec une avidité finguliere
Il eft aifé de deviner d'où partent ces
plaintes , & nous ne croirons pas auffi
facilement que vous que ce foient fimplement
les idées d'un feul artiſte. C'eſt
un complot formé par plufieurs qui , à la
vérité , ont da mérite dans leur genre ,
mais qui feroient mieux de s'y attacher
que de fe mêler d'un art qui eft fi fort
au- deffus de la fphere de leurs conoiffances.
Nous foupçonnons avec raifon quelques
Peintres célebres de tremper dans
cette conjuration ; malheur à eux fi nous
le découvrons. Ils ont déja pû remarquer
que pour nous avoir fâché , nous avons
fupprimé de tous les édifices modernes
la grande peinture d'hiftoire. Nous leur
avions laiffé par grace quelque deffus de
porte; mais nous les forcerons dans ce dernier
retranchement , & nous les réduirons
à ne plus faire que dé petits tableaux de
modes , & encore en camaïeux . Qu'ils faffent
attention que nous avons l'invention
des vernis : le public a beau fe plaindre de
G iij
So MERCURE DE FRANCE!
leur peu de durée , il fera verni & rever
ni. Cependant nous voulons bien ne pas
attribuer ces critiques à mauvaife volonté,
mais plutôt au malheur qu'ils ont de s'être
formé le goût en Italie. Ils y ont vû ces
reftes d'architecture antique , que tout le
monde eft convenu d'admirer , fans que
nous puiffions deviner pourquoi. C'eft ,
dit-on , un air de grandeur & de fimpli
cité qui en fait le caractere. On y trouve
une régularité fymmétrique , des richeffes
répandues avec économie & entremêlées
de grandes parties qui y donnent du repos
. Ils s'en laiffent éblouir , & reviennent
ici remplis de prétendus , principes , qui ne
font dans le fond que des préjugés , &
qui , grace à la mode agréable que nous
avons amenée , ne peuvent leur être d'aucun
ufage. Nous nous fommes bien gardés
de faire pareille folie ; & tandis que nos
camarades font allés perdre leur tems à
admirer & à étudier avec bien des fatigues
cette trifte architecture , nous nous fommes
appliqués à faire ici des connoiffan
ces & à répandre de toutes parts nos gentilles
productions.
4
On nous a des obligations infinies :
nous avons affaire à une nation gaie qu'il
faut amufer ; nous avons répandu l'agré
ment & la gaieté par tout . Au bon vieux
FEVRIER. 1755 151
4
"
tems on croyoit que les Eglifes devoient
préfenter uunn aaffppeecctt ggrraavvee & même fevere ;
les perfonnes les plus diffipées pouvoient
à peine y entrer, fans s'y trouver pénétrées
d'idées férieufes. Nous avons bien changé
tout cela ; il n'y a pas maintenant de
cabinet de toilette plus joli que les chapelles
que nous y décorons. Si l'on y met
encore quelques tombeaux , nous les contournons
gentiment , nous les dorons par
tout , enfin nous leur ôtons tout ce qu'ils
pourroient avoir de lugubre : il n'y a pas
jufquà nos confeffionaux qui ont un air
de galanterie.
Si l'on a égard à l'avancement de l'art ,
quelle extenfion ne lui avons - nous pas
procuré nous avons multiplié le nombre
des Architectes excellens à tel point que
la quantité en eft prefque innombrable.
Ce talent qui , dans le fyftême de l'architecture
antique , eft hériffé de difficultés ,
devient dans le nôtre la chofe du monde
la plus aifée ; & l'expérience fait voir que
le maître Maçon le plus borné du côté du
deffein & du goût , dès qu'il a travaillé
quelque tems fous nos ordres , fe trouve
en état de fe déclarer architecte , & à bien
peu de chofe près auffi bon que nous .
Nous ajoûterons à la gloire de la France
& à fon avantage , que les étrangers com-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
mencent à adopter notre goût , & qu'il y
a apparence qu'ils viendront en foule l'apprendre
chez nous. Les Anglois même , fi
jaloux de notre fupériorité dans tous les
arts , en font devenus fi foux qu'ils en
ont abandonné leur Inigo Jones , & leur
habitude de copier exactement les ouvrages
de Palladio. Ce qui pourra peut- être
nuire à cet avantage , c'eft l'imprudence
qu'on a eu de laiffer graver quelques- unes
de nos décorations de portes & de cheminées
, qui d'abord ont apprêté à rire aux
autres nations , parce qu'ils n'en fentoient
pas toute la beauté ; mais qu'enfuite ils
n'ont pu fe refufer d'imiter. Malheureuſement
ces eftampes dévoilent notre fecret ,
qui d'ailleurs n'eft pas difficile à appren
dre , & l'on peut trouver en tout pays un
grand nombre de génies propres à faifir
ces graces légeres. Au refte , fi cela arrive ,
nous nous en confolerons en citoyens de
l'univers , & nous nous féliciterons d'avoir
rendu tous les hommes architectes à
peu
de frais. Ces grands avantages nous
ont coûté quelques peines ; on ne détruit
pas facilement les idées du beau , reçues
dans une nation éclairée & dans un fiécle
qu'on fe figuroit devoir fervir de modele à
tous ceux qui le fuivroient . Il étoit appuyé
fur les plus grands noms ; il falloit
FEVRIER . 1755 153
trouver auffi quelques noms célebres qui
puffent nous fervir d'appui. On avoit découvert
prefque tout ce qui pouvoit fe
faire de beau dans ce genre , & les génies
ordinaires ne pouvoient prétendre qu'à être
imitateurs ; deux ou trois perfonnes auroient
paru avec éclat , & les autres feroient
demeurées dans l'oubli Il falloit
donc trouver un nouveau genre d'architecture
où chacun pût fe diftinguer , &
faire goûter au public des moyens d'être
habile homme qui fuffent à la portée de
tout le monde : cependant il ne falloit pas
'choquer groffierement les préjugés reçus ,
en mettant tout d'un coup au jour des nouveautés
trop éloignées du goût 1egnant ,
& rifquer de fe faire fifler fans retour.
Le fameux Oppenor nous fervit dans ces
commencemens avec beaucoup de zéle ;
il s'étoit fait une grande réputation par fes
deffeins ; la touche hardie qu'il y donnoit ,
féduifit prefque tout le monde , & on fut
long - tems à s'appercevoir qu'ils ne faifoient
pas le même effet en exécution . Il
fe fervit abondamment de nos ornemens
favoris , & les mit en crédit. Il nous eft
même encore d'une grande utilité , & nous
pouvons compter au nombre des nôtres
ceux qui le prennent pour modele . Cependant
ce n'étoit pas encore l'homme
Gv
154 MERCURE DE FRANCE:
qu'il nous falloit ; il ne pouvoit s'empê
cher de retomber fouvent dans l'architecture
ancienne , qu'il avoit étudiée dans fa
jeuneffe. Nous trouvâmes un appui plus .
folide dans les talens du grand Meiffonnier.
Il avoit à la vérité étudié en
Italie ,
& par conféquent n'étoit pas entierement
des nôtres ; mais comme il y avoit fagement
préféré le goût de Borromini au goût
ennuyeux de l'antique , il s'étoit par là
rapproché de nous ; car le Borromini a rendu
à l'Italie le même fervice que nous
avons rendu à la France , en y introduifant
une architecture gaie & indépendante
de toutes les régles de ce que l'on appelloit
anciennement le bon goût . Les Italiens ont
depuis bien perfectionné cette premiere
tentative , & du côté de l'architecture plai
fante ils ne nous le cédent en rien . Leur
goût n'eft pas le nôtre dans ce nouveau
genre , il est beaucoup plus lourd ; mais
nous avons cela de commun , que nous
avons également abandonné toutes les
vieilles modes pour lefquelles on avoit un
refpect fuperftitieux . Meiffonnier commen-
са à détruire toutes les lignes droites qui
étoient du vieil ufage ; il tourna & fit
bomber les corniches de toutes façons , il
les ceintra en haut & en bas , en devant ,
en arriere , donna des formes à tout , mêFEVRIER.
1755 155
me aux moulures qui en paroiffoient les
moins fufceptibles ; il inventa les contraftes
, c'est-à- dire qu'il bannit la fymmétrie
& qu'il ne fit plus les deux côtés des panneaux
femblables l'un à l'autre ; au contraire
, ces côtés fembloient fe défier à qui
s'éloigneroit le plus , & de la maniere la
plus finguliere , de la ligne droite à laquelle
ils avoient jufqu'alors été affervis .
Rien n'eſt fi admirable que de voir de
-quelle maniere il engageoit les corniches
des marbres les plus durs à fe prêter avec
complaifance aux bizarreries ingénieufes
des formes de cartels ou autres chofes qui
-devoient porter deffus. Les balcons ou les
-rampes d'efcalier n'eurent plus la permiffion
de paffer droit leur chemin ; il leur
fallut ferpenter à fa volonté , & les matieres
les plus roides devinrent fouples fous
fa main triomphante. Ce fut lui qui mic
-en vogue ces charmans contours en S , que
votre auteur croit rendre ridicules , en difant
que leur origine vient des maîtres
Ecrivains ; comme fi les arts ne devoient
pas le prêter des fecours mutuels il les
employa par tout , & à proprement parler
fes deffeins , même pour des plans de bâtimens
, ne furent qu'une combinaifon de
cette forme dans tous les fens poffibles . Il
nous apprit à terminer nos moulures en
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
rouleau , lorfque nous ne fçaurions com
ment les lier les unes aux autres , & mille
autres chofes non moins admirables qu'il
feroit trop long de vous citer : enfin l'on
peut dire que nous n'avons rien produit
depuis dont on ne trouve les femences
dans fes ouvrages. Quels fervices n'a-t- il
pas rendus à l'orfevrerie ? il rejetta bien
loin toutes les formes quarrées , rondes ou
ovales , & toutes ces moulures dont les
ornemens repérés avec exactitude donnent
tant de fujétion ; avec fes chers contours
en S , il remplaça tout. Ce qu'il y a
de particulier , c'eft qu'en moins de rien
l'orfevrerie & les bijoux devinrent trèsaifés
à traiter avec génie. En vain le célebré
Germain voulut s'opposer au torrent
& foutenir le vieux goût dont il avoit été
bercé dans fon enfance , fa réputation même
en fut quelque peu éclipfée , & il fe
vit fouvent préférer Meiffonnier , par l'appui
que nous lui donnions fous main ; cependant
, le croiriez-vous ! ce grand Meiffonnier
n'étoit pas encore notre homme ,
il tenoit trop à ce qu'ils appellent grande.
maniere. De plus il eut l'imprudence de
laiffer graver plufieurs ouvrages de lui , &
mit par là le public à portée de voir que
ce génie immenfe qu'on lui croyoit , n'étoit
qu'une répétition ennuyeufe des mê
FEVRIER. 1755 157
mes formes. Il fe décrédita , & nous l'abandonnâmes
d'autant plus facilement ,
que malgré les fecours que nous lui avions
prêtés pour l'établiſſement de fa réputation
, il ne vouloit point faire corps avec
& nous traitoit hautement d'igno- nous ,
rans : quelle ingratitude !
Nous fimes enfin la découverte du héros
dont nous avions befoin. Ce fut un
Sculpteur , qui n'avoit point pû fe gâter à
Rome , car il n'y avoit point été , bien
qu'il eût vû beaucoup de pays. Il s'étoit
formé avec nous , & avoit fi bien goûté
notre maniere , & fi peu ces prétendues
régles anciennes , que rien ne pouvoit reftreindre
l'abondance de fon génie . Il fçavoit
affez d'architecture ancienne pour ne
pas contrecarrer directement ceux qui y
tenoient avec trop d'obftination ; mais il
la déguifoit avec tant d'adreffe qu'il avoit
le mérite de l'invention , & qu'on ne la
reconnoiffoit qu'à peine. Il allégea toutes
ces moulures & tous ces profils où Oppenor
& Meiffonnier avoient voulu conferver
un caractere qu'ils appelloient mâle ; il
les traita d'une délicateffe qui les fait prefque
échapper à la vûe ; il trouva dans les
mêmes efpaces le moyen d'en mettre fix
fois davantage ; il s'affranchit tout d'un
coup de la loi qu'ils s'étoient follement
18 MERCURE DE FRANCE.
impofée de lier toujours leurs ornemens les
uns aux autres ; il les divifa , les coupa
en mille pieces , toujours terminées par ce
-rouleau qui eft notre principale reffource ;
& afin que ceux qui aimoient la liaiſon
ne s'apperçuffent pas trop de ces interruptions
, il fit paroître des liaiſons apparen
tes , par le fecours d'une fleur , qui ellemême
ne tenoit à rien , ou par quelque légereté
également ingénieufe ; il renonça
pour jamais à la régle & au compas : on
avoit déja banni la fymmetrie , il rencherit
encore là-deffus . S'il lui échappa quelquefois
de faire des panneaux femblables
l'un à l'autre , il mit ces objets fymmétriques
fi loin l'un de l'autre , qu'il auroit
fallu une attention bien fuivie pour s'appercevoir
de leur reffemblance. Aux agra
fes du ceintre des croifées qui ci-devant
ne repréfentoient que la clef de l'arc décorée
, il fubftitua de petits cartels enrichis
de mille gentilleffes & pofés de travers
, dont le pendant fe trouvoit à l'au
tre extrêmité du bâtiment . C'eſt à lui qu'on
doit l'emploi abondant des palmiers , qui
à la vérité avoient été trouvés avant lui ,
& que votre auteur blâme fi ridiculement.
Il établit folidement l'ufage de fupprimer
tous les plafonds , en faifant faire à des
Sculpteurs , à bon marché , de jolies petites
FEVRIER.
1755 159
dentelles en bas- relief , qui réuffirent fi
bien , qu'on prit le fage parti de fupprimer
les corniches des appartemens pour les enrichir
de ces charmantes dentelles . C'eft
notre triomphe que cette profcription des
corniches ; rien ne nous donnoit plus de
fujétion que ces miferes antiques dont on
les ornoit , & aufquelles votre écrivain
paroît fi attaché. Il y falloit une exactitude
& une jufteffe , qui pour peu qu'on y
manquât , fe déceloit d'abord à des yeux
un peu feveres. Nous regrettons encore
ce grand homme , quoique fes merveilleux
talens ayent été remplacés fur le champ
par quantité de Sculpteurs , non moins
abondans que lui dans cette forte de génie.
C'eft à lui que nous avons l'obligation
de cette fupériorité que nous avons acqui
fe , & que nous fçaurons conferver ; & on
peut dire à fa gloire que tout ce qui s'éloigne
du goût antique lui doit fon inven
tion , ou fa perfection.
}
En fuivant fes principes , nous avons
abfolument rejetté tous ces anciens plafonds
chargés de fculptures & de dorures ,
qui à la vérité avoient de la magnificence ,
& contre lefquels nous n'avons rien à dire
, fi ce n'eft qu'ils ne font plus de mode.
En dépit des cris de toute l'Académie de
Peinture , nous avons fçu perfuader à tous
160
MERCURE DE
FRANCE.
tes les
perſonnes chez qui nous avons
quelque crédit , que les plafonds peints
obfcurciffent les
appartemens & les rendent
triftes.
Inutilement veut- on nous repréfenter
que nous avons
juſtement dans
notre fiécle des Peintres , dont la couleur
eft très-agréable , & qui aiment à rendre
leurs tableaux
lumineux ; qu'en traitant
les plafonds d'une couleur claire ils n'auroient
point le
defagrément qu'on reproche
aux anciens , & qu'ils auroient de plus
le mérite de
repréfenter quelque chofe
d'amufant par le fujet , &
d'agréable par
la variété des couleurs. Les Peintres n'y
gagneront rien , ils nous ont irrité en méprifant
nos premieres
productions ; & nous
voulons d'autant plus les perdre que nous
n'efperons pas de pouvoir les gagner ; ils
ne fe rendroient qu'avec des
reftrictions
qui ne font pas de notre goût. Les Sculp
seurs de figures feront auffi compris dans
cette
profcription ; ils feroient encore plus
à portée de nous faire de mauvaiſes chicanes.
Notre
Sculpteur favori nous a don
né mille moyens de nous paffer d'eux : aù
lieu de tout cela il a imaginé une rofette
charmante , qu'à peine on
apperçoit , &
qu'il met au milieu du plancher , à l'endroit
où
s'attache le luftre : voilà ce qu'on
préfère avec raiſon aux plus belles produce
FEVRIER. 1755
161
tions de leur art. Il y a encore un petit
nombre de criards qui répandent par-tour
que le bon goût eft perdu , & qu'il y a
très- peu d'Architectes qui entendent la
décoration ; que c'eft le grand goût de la
décoration qui fait le caractere effentiel
de l'Architecte . Nous détruifons tous ces
argumens , en foutenant hautement que
ce qui diftingue l'Architecte , eft l'art de
la diftribution. Ils ont beau dire qu'elle
n'eft pas auffi difficile que nous voulons
le faire croire , & qu'il eft évident qu'avec
un peu d'intelligence chaque particulier
peut arranger fa maifon d'une maniere
qui lui foit commode , relativement aux
befoins de fon état ; que la difficulté que
le particulier ne fçauroit lever , ni nous
non plus , & qui demande toutes les lumieres
d'un grand architecte , eft d'ajuſter
cette diftribution commode avec une décoration
exacte , fymmétrique , & dans ce
qu'ils appellent le bon goût , foit dans les
dehors , foit dans les dedans voilà juſtement
ce qui nous rendra toujours victorieux.
Comme notre architecture n'a aucunes
régles qui l'aftreignent , qu'elle eſt
commode , & qu'en quelque façon elle
prête , nous nous fommes faits un grand
nombre de partifans qui fatisfaits de notre
facilité à remplir toutes leurs fantaisies ,
162 MERCURE DE FRANCE.
›
nous foutiendront toujours. Nous voudrions
bien voir ces Meffieurs de l'antique
entreprendre de décorer l'extérieur d'un
bâtiment avec toutes les fujétions que
nous leur avons impofées. Comme les plus
grands cris avoient d'abord été contre nos
décorations extérieures , parce qu'elles
étoient expofées à la vûe de tout le monde ;
que d'ailleurs le vuide ne coûte rien à décorer
, & ne donne point de prife à la critique
, nous avons amené la multitude des
fenêtres, qui a parfaitement bien réuffi ; car
il eft infiniment agréable d'avoir trois fenê
tres dans une chambre , qui jadis en auroit
eu à peine deux. Cela donne à la vérité
plus de froid dans l'hiver & plus de chaleur
dans l'été mais que nous importe ? il n'en
-eſt
: pas moins fûr qu'à préſent chacun veut
que fa maifon foit toute percée , & que
-nos Meffieurs du goût ancien , qui ne fçavent
décorer que du plein , n'y trouvent
plus de place. Qu'ils y mettent , s'ils le peutvent
, de leurs fenêtres décorées , qu'ils
tâchent d'y placer leurs frontons à l'antique
, qui , difent - ils , décorent la fenêtre
, & mettent à couvert ceux qui y
font nous y avons remédié en élevant
les fenêtres jufques au haut du plancher.
Rien n'eft fi amufant que de voir un
pauvre architecte revenant d'Italie , à qui
:
FEVRIER. 1755 163
(
"
Ton donne une pareille cage à décorer , ſe
tordre l'imagination pour y appliquer ces
chers principes , qu'il s'eft donné tant de
peine à apprendre ; & s'il lui arrive d'y
réuffir , ce qu'il ne peut fans diminuer les
croifées , c'eſt alors que nous faifons voir
clairement combien fa production eft trifte
& mauffade . Vous ne verrez pas clair chez
vous , leur difons- nous , vous n'aurez pas
d'air pour refpirer , à peine verrez- vous le
foleil dans les beaux jours : ces nouveaux artiftes
fe retirent confus,& font enfin obligés
de fe joindre à nous , pour trouver jour à
percer dans le monde. Nous n'avons pas encore
entierement abandonné les frontons
dont les anciens fe fervoient pour terminer
le haut de leurs bâtimens , & qui repréfentoient
le toît , quoique nous aimions bien
mieux employer certaines terminaiſons en
façon d'orfevrerie , qui font de notre crû.
A l'égard des frontons , nous avons du
moins trouvé le moyen de les placer ou
on ne s'attendoit pas à les voir ; nous les
mettons au premier étage , & plus heureufement
encore au fecond ; & nous ne manquons
gueres d'élever un étage au -deffus
, afin qu'ils ayent le moins de rapport
qu'il eft poffible avec ceux des anciens.
Nous avons ou peu s'en faut , banni les
colonnes , uniquement parce que c'eft un
164 MERCURE DE FRANCE
→
des plus beaux ornemens de ce trifte goût
ancien , & nous ne les rétablirons que
lorfque nous aurons trouvé le moyen de
les rendre fi nouvelles qu'elles n'ayent plus
aucune reffemblance avec toutes ces antiquailles.
D'ailleurs elles ne fçauroient s'accommoder
avec nos gentilleffes légeres ,
elles font paroître mefquin tout ce qui
les accompagne. Beaucoup de gens tenoient
encore à cette forte d'ornement , qui leur
paroiffoit avoir une grande beauté mais
nous avons fçu perfuader aux uns , que
cela coûtoit beaucoup plus que toutes les
chofes que nous leur faifions , quoique
peut-être en économifant bien , cela pût
ne revenir qu'à la même dépenſe ; aux
autres , que cette décoration ne convenoit
point à leur état , & qu'elle étoit reſervée
pour les temples de Dieu & les palais des
Rois ; que quelques énormes dépenfes que
nous leur fiffions faire chez eux , perfonne
n'en fçauroit rien , quoiqu'ils le fiffent
voir à tout le monde ; au lieu qu'une petite
colonnade , qui ne coûteroit peut-être
gueres , feroit un bruit épouventable dans
Paris. Nous avons accepté les pilaftres jufqu'à
un certain point , c'eft- à- dire forfque
nous avons pû les dépayfer par des
chapiteaux divertiffans. Les piédeftaux font
auffi reçus chez nous , mais nous avons
FEVRIER. 1755. 165
·
trouvé l'art de les contourner , en élargiffant
par le bas , comme s'ils crevoient fous
le fardeau , ou plus gaiement encore , en
les faifant enfler du haut , & toujours en
S, comme s'ils réuniffoient leur force en
cę lieu
ce pour mieux porter. Mais où notre
génie triomphe , c'eſt dans les bordures
des deffus de porte , que nous pouvons
nous vanter d'avoir varié prefque à l'infini.
Les Peintres nous en maudiffent , parce
qu'ils ne fçavent comment compofer leurs
fujets avec les incurfions que nos ornemens
font fur leur toile ; mais tant pis
pour eux : lorfque nous faifons une fi grande
dépenfe de génie , ils peuvent bien auffi
s'évertuer ; ce font des efpéces de bouts
rimés que nous leur donnons à remplir.
Il auroit pû refter quelque reffource à la
vieille architecture pour fe produire à Paris
; mais nous avons coupé l'arbre dans fa
racine , en annonçant la mode des petits
appartemens , & nous avons fappé l'ancien
préjugé , qui vouloit que les perfonnes
diftinguées par leur état caffent un appar !
tement de répréfentation grand & magnifique.
Nous efperons que dorénavant la
regle fera que plus la perfonne fera élevée
en dignité , plus fon appartement fera
patit : vous voyez qu'alors il fera difficile
de nous faire defemparer, Ceux qui poure
GG MERCURE DE FRANCE.
ront faire de la dépenfe , ne la feront qu'en
petit , & s'adrefferont à nous. Il ne reſtera
pour occuper ces Meffieurs , que ceux qui
n'ont pas le moyen de rien faire.
Voyez , je vous prie , l'impertinence de
votre auteur critique ; il s'ennuye , dit- il ,
de voir par-tout des croifées ceintrées ,
mais il n'ofe pas difconvenir que cette forte
de croifée ne foit bonne . Peut-on avoir
trop d'une bonne chofe ? & pourquoi veutil
qu'on aille fe fatiguer l'imagination pour
trouver des variétés , lorfqu'une chofe eft
de mode , & qu'on eft fûr du fuccès ? Ne
voit-il pas que toutes nos portes , nos cheminées
, nos fenêtres , avec leur plat-bandeau
, font à peu près la même choſe :
puifqu'on en eft content , pourquoi fe tuer
à en chercher d'autres ? Il blâme nos portes
oùles moulures fe tournent circulairement ;
invention heureuſe que nous appliquons à
tout avec le plus grand fuccès. Il faut :
qu'il foit bien étranger lui-même dans
Paris , pour ne pas fçavoir de qui nous
la - tenons. C'est d'un Architecte à qui les
amateurs de l'antique donnent le nom de
grand. Le célébre François Manſard la
employée dans fon portail des Filles de :
Sainte Marie , rue Saint Antoine ; voilà
une autorité qu'il ne peut recufer.Pour vous
faire voir combien cette forte de fronton
FEVRIER. 1755 . 1671
7
réuffit quand elle eft traitée à notre façon ,
& combien elle l'emporte fur l'architecture
ancienne ; comparez le portail des Capucines
de la place de Louis le Grand ,
morceau fi admirable qu'on vient de le
reftaurer , de peur que la poſtérité n'en fût
privée ; comparez- le avec le portail à colonnes
de l'Affomption , qui n'en eft pas
loin , & vous toucherez au doigt la différence
qui eft entre nous & les Architectes:
du fiécle paffé.
Mais laiffons là ce critique ; ce feroitperdre
le tems que de s'amufer à lui démontrer
en détail l'abfurdité de fes jugemens.
Nous ne vous diffimulerons pas que
nous fommes actuellement dans une pofi-:
tion un peu critique , & qu'une révolu-.
tion dans le goût de l'architecture nous
paroîtroit prochaine fi nous la croyions
poffible. Il fe rencontre actuellement plufeurs
obftacles à nos progrès ; maudite
foit cette architecture antique , fa féduction
, dont on a bien de la peine à revenir
lorfqu'une fois on s'y eft laiffé prendre
nous a enlevé un protecteur qui auroit
peut- être été pour nous l'appui le plus fo
lide , fi nous avions été chargés du foin
de l'endocriner. Pourquoi aller chercher
bien loin ce qu'on peut trouver chez foi
nous amufons en inftruifant ; ne peut-on
168 MERCURE DE FRANCE.
pas ſe former le goût en voyant nos deffeins
de boudoirs , de garde-robes , de
pavillons à la Turque , de cabinets à la
Chinoife ? Est- ce quelque chofe de fort
agréable que cette Eglife demefurée de S.
Pierre , ou que cette rotonde antique , dont
le portail n'a qu'un ordre dans une hauteur
où nous , qui avons du génie , aurions
trouvé de la place pour en mettre au moins
trois il n'eft pas concevable qu'on puiffe
balancer. Cependant cette perte eft irrépa
rable : cela eft defolant ; car tous les projets
que nous préfentons paroiffent comiques
à des yeux ainfi prévenus . Nous avons
même tenté de mêler quelque chofe d'antique
dans nos deffeins , voyez quel facrifice
! pour faire paffer avec notre marchandife
, tout cela fans fuccès : on nous
devine d'abord.
Autre obſtacle qui eft une fuite du premier.
Les bâtimens du Roi nous ont donné
une exclufion totale ; tout ce qui s'y
fait fent la vieille architecture , & ce même
public , que nous comptions avoir ſubjugué
, s'écrie : voilà qui eft beau. Il y a
une fatalité attachée à cette vieille mode ,.
par-tout où elle fe montre elle nous dépare
; l'Académie même a peine à fe défendre
de cette contagion , il femble qu'elle
ne veuille plus donner de prix qu'à ceux
qui
FEVRIER. 1755. 169'
I
qui s'approchent le plus du goût de l'antique.
Cela nous expofe à des avanies , de
la part même de ces jeunes étourdis , qui fe
donnent les airs de rire de notre goût moderne.
Cette confpiration eft bien foutenue
; car , à ne vous rien céler , il y a encore
plufieurs Architectes de réputation
& même qui n'ont pas vû l'Italie , mais
qui par choix en ont adopté le goût , que
nous n'avons jamais pû attirer dans notre
parti . Il y a plus ; quelques - uns que nous
avons crû long tems des nôtres , à la
miere occafion qu'ils ont eu de faire quelque
chofe de remarquable , nous ont laiffés
là , & fe font jettés dans l'ancien
goût.
pre-
Vous êtes , fans doute , pénétré de compaffion
à la vûe du danger où nous nous
trouvons , & nous vous faifons pitié ; mais
confolez- vous , nous avons dés reffources
; nous fçaurons bien arrêter ces nouveaux
débarqués d'Italie . Nous leur oppoferons
tant d'obftacles que nous les empêcherons
de rien faire , & peut- être les'
forcerons-nous d'aller chez l'étranger exercer
des talens qui nous déplaifent. Ils aiment
à employer des colonnades avec des
architraves en plate - bande ; nous en déclarerons
la bâtiffe impoffible. Ils auront
beau citer la colonnade du Louvre , la
H
170 MERCURE DE FRANCE.
chapelle de Verſailles , & autres bâtimens
dont on ne peut contefter la folidité ; qui
eft - ce qui les en croira ? leur voix fera- telle
d'un plus grand poids que celle de
gens qui ont bâti des petites maifons par
milliers dans Paris ? mais voici l'argument
invincible que nous leur gardons pour le
dernier. Nous leur demanderons ce qu'ils
ont bâti : il faudra bien qu'ils conviennent
qu'ils n'en ont point encore eu l'occafion .
C'est là où nous les attendons : comment ,
dirons- nous , quelle imprudence ! confier
un bâtiment à un jeune homme fans expérience
? Cette objection eft fans réplique.
On ne s'avifera pas de faire réflexion
qu'un jeune homme de mérite , & d'un
caractere docile , peut facilement s'affocier
un homme qui , fans prétendre à la décoration
, ait une longue pratique du bâtiment
, & lui donneroit les confeils néceffaires
, en cas qu'il hazardât quelque chofe
de trop hardi ; que d'ailleurs il Y auroit
dans Paris bien des maifons en ruines , fi
le premier bâtiment de chaque Architecte
manquoit de folidité.
Au refte , ne croyez point que ce foit
dans le deffein de nuire à ces jeunes gens
que nous leur ferons ces difficultés : c'eft
uniquement pour leur bien , & pour leur
donner le tems , pendant quelques années ,
FEVRIER.
1755.171.
d'apprendre le bon goût que nous avons
établi , & de quitter leurs préjugés ultramontains
nous avons l'expérience que
cela a rarement manqué de nous réuffic .
: Si donc vous connoiffez cette fociété .
d'Artiſtes qui prend la liberté de nous blâmer
, avertiffez-les d'être plus retenus à
l'avenir ; leurs critiques font fuperflues.
Le public nous aime , nous l'avons accoutumé
à nous d'ailleurs chacun de ceux
qui font bâtir , même des édifices publics
, eft perfuadé que quiconque a les
fonds pour bâtir , a de droit les connoiffances
néceffaires pour le bien faire. Peuton
manquer de goût quand on a de l'argent
? Nous fommes déja fûrs des Procureurs
de la plupart des Communautés ,
des Marguilliers de prefque toutes les
Paroiffes , & de tant d'autres qui font
à la tête des entrepriſes. Enfin foyez certains
que nous & nos amis nous ferons
toujours le plus grand nombre. Nous fommes
, &c.
On voit que le faux bel efprit gagne les
beaux arts , ainfi que les belles- lettres . On
force la nature dans tous les genres , on
contourne les figures , on met tout en S :
qu'il y a de Meiffonniers en poëfie & en
éloquence , comme en architecture !
レン
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ARC DE TRIOMPHE à la gloire du Roi ,
qui a été élevé, fur les deffeins du Chevalier
Servandoni , le jour que M. le Duc de Gefvres
a pofé , au nom de Sa Majefté , la premiere
pierre de la place commencée devant
l'Eglife de S. Sulpice le 2 Octobre 1754 :
dédié à M. Dulau d'Allemans , Curé de S.
Sulpice , gravé par P. Patte , & fe vend
chez lui rue des Noyers , la fixieme porte .
cochere à droite en entrant par la rue Saint·
Jacques , grandeur de la feuille du nom de
Jefus. Prix 1 liv. 10 fols. I
L'eftampe que nous annonçons eft gravée
à l'aide d'une feule taille , ou ligne , à
peu près dans la maniere dont le célébre
Piranefi s'eft fervi pour rendre fes compofitions
d'architecture , dont les connoiffeurs
font tant de cas. Il feroit peut- être à fouhaiter
que cette manoeuvre de gravûre fut
ufitée en France ; elle pourroit donner à
nos eftampes d'architecture une perfection
qu'elles n'ont point eu jufqu'à préfent. En
effet , la pratique d'exprimer les ombres
dans les gravûres ordinaires de nos édifices
par deux tailles , c'eft-à- dire par deux ;
lignes qui s'entrecoupent quarrément ou
ea lofange , rend à la vérité ce genre de
gravûre aifé & expéditif ; mais elle lui ,
donne un air froid , commun , & une dureté
qui femble faire une efpéce d'injure
FEVRIER. 1755. 173
aux yeux ; c'eſt le jugement qu'ont tou-
-jours porté nos artiftes fur ces fortes d'ef
tampes. Auffi peut-on remarquer qu'on
n'a pas crû. devoir accorder à leurs Graveurs
aucune place dans nos Académies ,
foit de peinture , foit d'architecture ; ce
que l'on eût fait affurément , fi leurs talens
euffent paru aux connoiffeurs devoir
mériter quelque diftinction . On a effayé ,
dans la planche que nous propofons , de
mettre ce genre de gravûre dans quelque
eftime , par une nouvelle manoeuvre qui
fente l'art , & qui remédie aux défauts de
l'ancienne. Chaque ombre y eft énoncée
par une feule ligne , plus ou moins groffe
ou ferrée , dont la direction exprime continuellement
la perſpective du corps d'architecture
fur lequel elle eft portée. Afin d'ôter
toute dureté , on a affecté de ne point terminer
les extrêmités de chaque ombre par
aucune ligne , mais feulement par la fin de
toutes les lignes , qui forme l'ombre , ce qui
femble affez bien imiter les arrêtes de la pierre,
lefquelles confervent toujours une efpéce
de rondeur. Toutes les teintes générales ,
quelles qu'elles foient , y font exprimées
à la pointe féche , ce qui eft propre à donner
à cette gravûre un ton fuave , qui
femble participer de cette couleur aërienne
répandue fur la furface de nos bâtimens ;
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
ton auquel on ne peut atteindre avec le
fecours de l'eau forte , comme on le pratique
ordinairement. Au refte , c'eft à la
-vue de cette planche à parler en faveur des
avantages de fa nouvelle manoeuvre , & on
fe flatte qu'elle convaincra fans peine que
cette maniere de faire eft bien plus favora
ble que l'autre pour les effets de la perf
pective ; qu'elle eft analogue à la maniere
dont on deffine l'architecture à la plume ,
:& que la parfaite égalité qu'elle demande
doit fatisfaire agréablement la vue des fçavans
comme des ignorans ; quelques lignes
plus ou moins ferrées dans les ombres
étant capables d'y faire une difcordance
de ton irrémédiable , & qui faute aux yeux
de chacun . Cette maniere de traiter l'architecture
eft ; il eft vrai , très-laborieufe
& difficile à bien exécuter ; mais elle
pour-
.roit donner un prix à nos eftampes d'architecture
, & les élever à décorer avec diftinction
les cabinets des curieux.
F
C'eft aux artistes à apprécier ces réflexions,
par la comparaifon de l'eftampe qu'on leur
offre , avec celles que nous avons dans le
genre oppofé. Le feul but que l'on fe propofe
en les faifant , eft de contribuer à la
perfection d'un genre de gravure que l'on
n'a peut- être pas affez cherché jufqu'ici à
rendre recommendable,
fur une très - mauvaise plaifanterie qu'il a
laiffe imprimer dans le Mercure du mois
de Décembre 17 54 › par une société d'Architectes
, qui pourroient bien auffi prétendre
être du premier mérite & de la premiere
réputation , quoiqu'ils ne foient pas
de l'Académie.
N
Ousfommes furpris, Monfieur, qu'un
homme d'efprit & un auffi bon citoyen
que vous , ait autorifé un écrit fatyrique
, dont le but eft fi évidemment de
renverser l'Architecture moderne , & de
détruire la confiance que l'on accorde aux
Architectes , en mettant le public à portée
de juger par lui-même du bien ou du mal
des ouvrages que nous faifons pour lui
FEVRIER. 1755. 149
Pouvons-nous croire que vous n'ayez pas
apperçu cette conféquence ? ou que l'ayant
vue vous n'ayez pas eu quelque fcrupule
de vous prêter à décrier des inventions
qui depuis tant de tems font les délices de
Paris , & qu'enfin les étrangers commencent
à goûter avec une avidité finguliere
Il eft aifé de deviner d'où partent ces
plaintes , & nous ne croirons pas auffi
facilement que vous que ce foient fimplement
les idées d'un feul artiſte. C'eſt
un complot formé par plufieurs qui , à la
vérité , ont da mérite dans leur genre ,
mais qui feroient mieux de s'y attacher
que de fe mêler d'un art qui eft fi fort
au- deffus de la fphere de leurs conoiffances.
Nous foupçonnons avec raifon quelques
Peintres célebres de tremper dans
cette conjuration ; malheur à eux fi nous
le découvrons. Ils ont déja pû remarquer
que pour nous avoir fâché , nous avons
fupprimé de tous les édifices modernes
la grande peinture d'hiftoire. Nous leur
avions laiffé par grace quelque deffus de
porte; mais nous les forcerons dans ce dernier
retranchement , & nous les réduirons
à ne plus faire que dé petits tableaux de
modes , & encore en camaïeux . Qu'ils faffent
attention que nous avons l'invention
des vernis : le public a beau fe plaindre de
G iij
So MERCURE DE FRANCE!
leur peu de durée , il fera verni & rever
ni. Cependant nous voulons bien ne pas
attribuer ces critiques à mauvaife volonté,
mais plutôt au malheur qu'ils ont de s'être
formé le goût en Italie. Ils y ont vû ces
reftes d'architecture antique , que tout le
monde eft convenu d'admirer , fans que
nous puiffions deviner pourquoi. C'eft ,
dit-on , un air de grandeur & de fimpli
cité qui en fait le caractere. On y trouve
une régularité fymmétrique , des richeffes
répandues avec économie & entremêlées
de grandes parties qui y donnent du repos
. Ils s'en laiffent éblouir , & reviennent
ici remplis de prétendus , principes , qui ne
font dans le fond que des préjugés , &
qui , grace à la mode agréable que nous
avons amenée , ne peuvent leur être d'aucun
ufage. Nous nous fommes bien gardés
de faire pareille folie ; & tandis que nos
camarades font allés perdre leur tems à
admirer & à étudier avec bien des fatigues
cette trifte architecture , nous nous fommes
appliqués à faire ici des connoiffan
ces & à répandre de toutes parts nos gentilles
productions.
4
On nous a des obligations infinies :
nous avons affaire à une nation gaie qu'il
faut amufer ; nous avons répandu l'agré
ment & la gaieté par tout . Au bon vieux
FEVRIER. 1755 151
4
"
tems on croyoit que les Eglifes devoient
préfenter uunn aaffppeecctt ggrraavvee & même fevere ;
les perfonnes les plus diffipées pouvoient
à peine y entrer, fans s'y trouver pénétrées
d'idées férieufes. Nous avons bien changé
tout cela ; il n'y a pas maintenant de
cabinet de toilette plus joli que les chapelles
que nous y décorons. Si l'on y met
encore quelques tombeaux , nous les contournons
gentiment , nous les dorons par
tout , enfin nous leur ôtons tout ce qu'ils
pourroient avoir de lugubre : il n'y a pas
jufquà nos confeffionaux qui ont un air
de galanterie.
Si l'on a égard à l'avancement de l'art ,
quelle extenfion ne lui avons - nous pas
procuré nous avons multiplié le nombre
des Architectes excellens à tel point que
la quantité en eft prefque innombrable.
Ce talent qui , dans le fyftême de l'architecture
antique , eft hériffé de difficultés ,
devient dans le nôtre la chofe du monde
la plus aifée ; & l'expérience fait voir que
le maître Maçon le plus borné du côté du
deffein & du goût , dès qu'il a travaillé
quelque tems fous nos ordres , fe trouve
en état de fe déclarer architecte , & à bien
peu de chofe près auffi bon que nous .
Nous ajoûterons à la gloire de la France
& à fon avantage , que les étrangers com-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
mencent à adopter notre goût , & qu'il y
a apparence qu'ils viendront en foule l'apprendre
chez nous. Les Anglois même , fi
jaloux de notre fupériorité dans tous les
arts , en font devenus fi foux qu'ils en
ont abandonné leur Inigo Jones , & leur
habitude de copier exactement les ouvrages
de Palladio. Ce qui pourra peut- être
nuire à cet avantage , c'eft l'imprudence
qu'on a eu de laiffer graver quelques- unes
de nos décorations de portes & de cheminées
, qui d'abord ont apprêté à rire aux
autres nations , parce qu'ils n'en fentoient
pas toute la beauté ; mais qu'enfuite ils
n'ont pu fe refufer d'imiter. Malheureuſement
ces eftampes dévoilent notre fecret ,
qui d'ailleurs n'eft pas difficile à appren
dre , & l'on peut trouver en tout pays un
grand nombre de génies propres à faifir
ces graces légeres. Au refte , fi cela arrive ,
nous nous en confolerons en citoyens de
l'univers , & nous nous féliciterons d'avoir
rendu tous les hommes architectes à
peu
de frais. Ces grands avantages nous
ont coûté quelques peines ; on ne détruit
pas facilement les idées du beau , reçues
dans une nation éclairée & dans un fiécle
qu'on fe figuroit devoir fervir de modele à
tous ceux qui le fuivroient . Il étoit appuyé
fur les plus grands noms ; il falloit
FEVRIER . 1755 153
trouver auffi quelques noms célebres qui
puffent nous fervir d'appui. On avoit découvert
prefque tout ce qui pouvoit fe
faire de beau dans ce genre , & les génies
ordinaires ne pouvoient prétendre qu'à être
imitateurs ; deux ou trois perfonnes auroient
paru avec éclat , & les autres feroient
demeurées dans l'oubli Il falloit
donc trouver un nouveau genre d'architecture
où chacun pût fe diftinguer , &
faire goûter au public des moyens d'être
habile homme qui fuffent à la portée de
tout le monde : cependant il ne falloit pas
'choquer groffierement les préjugés reçus ,
en mettant tout d'un coup au jour des nouveautés
trop éloignées du goût 1egnant ,
& rifquer de fe faire fifler fans retour.
Le fameux Oppenor nous fervit dans ces
commencemens avec beaucoup de zéle ;
il s'étoit fait une grande réputation par fes
deffeins ; la touche hardie qu'il y donnoit ,
féduifit prefque tout le monde , & on fut
long - tems à s'appercevoir qu'ils ne faifoient
pas le même effet en exécution . Il
fe fervit abondamment de nos ornemens
favoris , & les mit en crédit. Il nous eft
même encore d'une grande utilité , & nous
pouvons compter au nombre des nôtres
ceux qui le prennent pour modele . Cependant
ce n'étoit pas encore l'homme
Gv
154 MERCURE DE FRANCE:
qu'il nous falloit ; il ne pouvoit s'empê
cher de retomber fouvent dans l'architecture
ancienne , qu'il avoit étudiée dans fa
jeuneffe. Nous trouvâmes un appui plus .
folide dans les talens du grand Meiffonnier.
Il avoit à la vérité étudié en
Italie ,
& par conféquent n'étoit pas entierement
des nôtres ; mais comme il y avoit fagement
préféré le goût de Borromini au goût
ennuyeux de l'antique , il s'étoit par là
rapproché de nous ; car le Borromini a rendu
à l'Italie le même fervice que nous
avons rendu à la France , en y introduifant
une architecture gaie & indépendante
de toutes les régles de ce que l'on appelloit
anciennement le bon goût . Les Italiens ont
depuis bien perfectionné cette premiere
tentative , & du côté de l'architecture plai
fante ils ne nous le cédent en rien . Leur
goût n'eft pas le nôtre dans ce nouveau
genre , il est beaucoup plus lourd ; mais
nous avons cela de commun , que nous
avons également abandonné toutes les
vieilles modes pour lefquelles on avoit un
refpect fuperftitieux . Meiffonnier commen-
са à détruire toutes les lignes droites qui
étoient du vieil ufage ; il tourna & fit
bomber les corniches de toutes façons , il
les ceintra en haut & en bas , en devant ,
en arriere , donna des formes à tout , mêFEVRIER.
1755 155
me aux moulures qui en paroiffoient les
moins fufceptibles ; il inventa les contraftes
, c'est-à- dire qu'il bannit la fymmétrie
& qu'il ne fit plus les deux côtés des panneaux
femblables l'un à l'autre ; au contraire
, ces côtés fembloient fe défier à qui
s'éloigneroit le plus , & de la maniere la
plus finguliere , de la ligne droite à laquelle
ils avoient jufqu'alors été affervis .
Rien n'eſt fi admirable que de voir de
-quelle maniere il engageoit les corniches
des marbres les plus durs à fe prêter avec
complaifance aux bizarreries ingénieufes
des formes de cartels ou autres chofes qui
-devoient porter deffus. Les balcons ou les
-rampes d'efcalier n'eurent plus la permiffion
de paffer droit leur chemin ; il leur
fallut ferpenter à fa volonté , & les matieres
les plus roides devinrent fouples fous
fa main triomphante. Ce fut lui qui mic
-en vogue ces charmans contours en S , que
votre auteur croit rendre ridicules , en difant
que leur origine vient des maîtres
Ecrivains ; comme fi les arts ne devoient
pas le prêter des fecours mutuels il les
employa par tout , & à proprement parler
fes deffeins , même pour des plans de bâtimens
, ne furent qu'une combinaifon de
cette forme dans tous les fens poffibles . Il
nous apprit à terminer nos moulures en
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
rouleau , lorfque nous ne fçaurions com
ment les lier les unes aux autres , & mille
autres chofes non moins admirables qu'il
feroit trop long de vous citer : enfin l'on
peut dire que nous n'avons rien produit
depuis dont on ne trouve les femences
dans fes ouvrages. Quels fervices n'a-t- il
pas rendus à l'orfevrerie ? il rejetta bien
loin toutes les formes quarrées , rondes ou
ovales , & toutes ces moulures dont les
ornemens repérés avec exactitude donnent
tant de fujétion ; avec fes chers contours
en S , il remplaça tout. Ce qu'il y a
de particulier , c'eft qu'en moins de rien
l'orfevrerie & les bijoux devinrent trèsaifés
à traiter avec génie. En vain le célebré
Germain voulut s'opposer au torrent
& foutenir le vieux goût dont il avoit été
bercé dans fon enfance , fa réputation même
en fut quelque peu éclipfée , & il fe
vit fouvent préférer Meiffonnier , par l'appui
que nous lui donnions fous main ; cependant
, le croiriez-vous ! ce grand Meiffonnier
n'étoit pas encore notre homme ,
il tenoit trop à ce qu'ils appellent grande.
maniere. De plus il eut l'imprudence de
laiffer graver plufieurs ouvrages de lui , &
mit par là le public à portée de voir que
ce génie immenfe qu'on lui croyoit , n'étoit
qu'une répétition ennuyeufe des mê
FEVRIER. 1755 157
mes formes. Il fe décrédita , & nous l'abandonnâmes
d'autant plus facilement ,
que malgré les fecours que nous lui avions
prêtés pour l'établiſſement de fa réputation
, il ne vouloit point faire corps avec
& nous traitoit hautement d'igno- nous ,
rans : quelle ingratitude !
Nous fimes enfin la découverte du héros
dont nous avions befoin. Ce fut un
Sculpteur , qui n'avoit point pû fe gâter à
Rome , car il n'y avoit point été , bien
qu'il eût vû beaucoup de pays. Il s'étoit
formé avec nous , & avoit fi bien goûté
notre maniere , & fi peu ces prétendues
régles anciennes , que rien ne pouvoit reftreindre
l'abondance de fon génie . Il fçavoit
affez d'architecture ancienne pour ne
pas contrecarrer directement ceux qui y
tenoient avec trop d'obftination ; mais il
la déguifoit avec tant d'adreffe qu'il avoit
le mérite de l'invention , & qu'on ne la
reconnoiffoit qu'à peine. Il allégea toutes
ces moulures & tous ces profils où Oppenor
& Meiffonnier avoient voulu conferver
un caractere qu'ils appelloient mâle ; il
les traita d'une délicateffe qui les fait prefque
échapper à la vûe ; il trouva dans les
mêmes efpaces le moyen d'en mettre fix
fois davantage ; il s'affranchit tout d'un
coup de la loi qu'ils s'étoient follement
18 MERCURE DE FRANCE.
impofée de lier toujours leurs ornemens les
uns aux autres ; il les divifa , les coupa
en mille pieces , toujours terminées par ce
-rouleau qui eft notre principale reffource ;
& afin que ceux qui aimoient la liaiſon
ne s'apperçuffent pas trop de ces interruptions
, il fit paroître des liaiſons apparen
tes , par le fecours d'une fleur , qui ellemême
ne tenoit à rien , ou par quelque légereté
également ingénieufe ; il renonça
pour jamais à la régle & au compas : on
avoit déja banni la fymmetrie , il rencherit
encore là-deffus . S'il lui échappa quelquefois
de faire des panneaux femblables
l'un à l'autre , il mit ces objets fymmétriques
fi loin l'un de l'autre , qu'il auroit
fallu une attention bien fuivie pour s'appercevoir
de leur reffemblance. Aux agra
fes du ceintre des croifées qui ci-devant
ne repréfentoient que la clef de l'arc décorée
, il fubftitua de petits cartels enrichis
de mille gentilleffes & pofés de travers
, dont le pendant fe trouvoit à l'au
tre extrêmité du bâtiment . C'eſt à lui qu'on
doit l'emploi abondant des palmiers , qui
à la vérité avoient été trouvés avant lui ,
& que votre auteur blâme fi ridiculement.
Il établit folidement l'ufage de fupprimer
tous les plafonds , en faifant faire à des
Sculpteurs , à bon marché , de jolies petites
FEVRIER.
1755 159
dentelles en bas- relief , qui réuffirent fi
bien , qu'on prit le fage parti de fupprimer
les corniches des appartemens pour les enrichir
de ces charmantes dentelles . C'eft
notre triomphe que cette profcription des
corniches ; rien ne nous donnoit plus de
fujétion que ces miferes antiques dont on
les ornoit , & aufquelles votre écrivain
paroît fi attaché. Il y falloit une exactitude
& une jufteffe , qui pour peu qu'on y
manquât , fe déceloit d'abord à des yeux
un peu feveres. Nous regrettons encore
ce grand homme , quoique fes merveilleux
talens ayent été remplacés fur le champ
par quantité de Sculpteurs , non moins
abondans que lui dans cette forte de génie.
C'eft à lui que nous avons l'obligation
de cette fupériorité que nous avons acqui
fe , & que nous fçaurons conferver ; & on
peut dire à fa gloire que tout ce qui s'éloigne
du goût antique lui doit fon inven
tion , ou fa perfection.
}
En fuivant fes principes , nous avons
abfolument rejetté tous ces anciens plafonds
chargés de fculptures & de dorures ,
qui à la vérité avoient de la magnificence ,
& contre lefquels nous n'avons rien à dire
, fi ce n'eft qu'ils ne font plus de mode.
En dépit des cris de toute l'Académie de
Peinture , nous avons fçu perfuader à tous
160
MERCURE DE
FRANCE.
tes les
perſonnes chez qui nous avons
quelque crédit , que les plafonds peints
obfcurciffent les
appartemens & les rendent
triftes.
Inutilement veut- on nous repréfenter
que nous avons
juſtement dans
notre fiécle des Peintres , dont la couleur
eft très-agréable , & qui aiment à rendre
leurs tableaux
lumineux ; qu'en traitant
les plafonds d'une couleur claire ils n'auroient
point le
defagrément qu'on reproche
aux anciens , & qu'ils auroient de plus
le mérite de
repréfenter quelque chofe
d'amufant par le fujet , &
d'agréable par
la variété des couleurs. Les Peintres n'y
gagneront rien , ils nous ont irrité en méprifant
nos premieres
productions ; & nous
voulons d'autant plus les perdre que nous
n'efperons pas de pouvoir les gagner ; ils
ne fe rendroient qu'avec des
reftrictions
qui ne font pas de notre goût. Les Sculp
seurs de figures feront auffi compris dans
cette
profcription ; ils feroient encore plus
à portée de nous faire de mauvaiſes chicanes.
Notre
Sculpteur favori nous a don
né mille moyens de nous paffer d'eux : aù
lieu de tout cela il a imaginé une rofette
charmante , qu'à peine on
apperçoit , &
qu'il met au milieu du plancher , à l'endroit
où
s'attache le luftre : voilà ce qu'on
préfère avec raiſon aux plus belles produce
FEVRIER. 1755
161
tions de leur art. Il y a encore un petit
nombre de criards qui répandent par-tour
que le bon goût eft perdu , & qu'il y a
très- peu d'Architectes qui entendent la
décoration ; que c'eft le grand goût de la
décoration qui fait le caractere effentiel
de l'Architecte . Nous détruifons tous ces
argumens , en foutenant hautement que
ce qui diftingue l'Architecte , eft l'art de
la diftribution. Ils ont beau dire qu'elle
n'eft pas auffi difficile que nous voulons
le faire croire , & qu'il eft évident qu'avec
un peu d'intelligence chaque particulier
peut arranger fa maifon d'une maniere
qui lui foit commode , relativement aux
befoins de fon état ; que la difficulté que
le particulier ne fçauroit lever , ni nous
non plus , & qui demande toutes les lumieres
d'un grand architecte , eft d'ajuſter
cette diftribution commode avec une décoration
exacte , fymmétrique , & dans ce
qu'ils appellent le bon goût , foit dans les
dehors , foit dans les dedans voilà juſtement
ce qui nous rendra toujours victorieux.
Comme notre architecture n'a aucunes
régles qui l'aftreignent , qu'elle eſt
commode , & qu'en quelque façon elle
prête , nous nous fommes faits un grand
nombre de partifans qui fatisfaits de notre
facilité à remplir toutes leurs fantaisies ,
162 MERCURE DE FRANCE.
›
nous foutiendront toujours. Nous voudrions
bien voir ces Meffieurs de l'antique
entreprendre de décorer l'extérieur d'un
bâtiment avec toutes les fujétions que
nous leur avons impofées. Comme les plus
grands cris avoient d'abord été contre nos
décorations extérieures , parce qu'elles
étoient expofées à la vûe de tout le monde ;
que d'ailleurs le vuide ne coûte rien à décorer
, & ne donne point de prife à la critique
, nous avons amené la multitude des
fenêtres, qui a parfaitement bien réuffi ; car
il eft infiniment agréable d'avoir trois fenê
tres dans une chambre , qui jadis en auroit
eu à peine deux. Cela donne à la vérité
plus de froid dans l'hiver & plus de chaleur
dans l'été mais que nous importe ? il n'en
-eſt
: pas moins fûr qu'à préſent chacun veut
que fa maifon foit toute percée , & que
-nos Meffieurs du goût ancien , qui ne fçavent
décorer que du plein , n'y trouvent
plus de place. Qu'ils y mettent , s'ils le peutvent
, de leurs fenêtres décorées , qu'ils
tâchent d'y placer leurs frontons à l'antique
, qui , difent - ils , décorent la fenêtre
, & mettent à couvert ceux qui y
font nous y avons remédié en élevant
les fenêtres jufques au haut du plancher.
Rien n'eft fi amufant que de voir un
pauvre architecte revenant d'Italie , à qui
:
FEVRIER. 1755 163
(
"
Ton donne une pareille cage à décorer , ſe
tordre l'imagination pour y appliquer ces
chers principes , qu'il s'eft donné tant de
peine à apprendre ; & s'il lui arrive d'y
réuffir , ce qu'il ne peut fans diminuer les
croifées , c'eſt alors que nous faifons voir
clairement combien fa production eft trifte
& mauffade . Vous ne verrez pas clair chez
vous , leur difons- nous , vous n'aurez pas
d'air pour refpirer , à peine verrez- vous le
foleil dans les beaux jours : ces nouveaux artiftes
fe retirent confus,& font enfin obligés
de fe joindre à nous , pour trouver jour à
percer dans le monde. Nous n'avons pas encore
entierement abandonné les frontons
dont les anciens fe fervoient pour terminer
le haut de leurs bâtimens , & qui repréfentoient
le toît , quoique nous aimions bien
mieux employer certaines terminaiſons en
façon d'orfevrerie , qui font de notre crû.
A l'égard des frontons , nous avons du
moins trouvé le moyen de les placer ou
on ne s'attendoit pas à les voir ; nous les
mettons au premier étage , & plus heureufement
encore au fecond ; & nous ne manquons
gueres d'élever un étage au -deffus
, afin qu'ils ayent le moins de rapport
qu'il eft poffible avec ceux des anciens.
Nous avons ou peu s'en faut , banni les
colonnes , uniquement parce que c'eft un
164 MERCURE DE FRANCE
→
des plus beaux ornemens de ce trifte goût
ancien , & nous ne les rétablirons que
lorfque nous aurons trouvé le moyen de
les rendre fi nouvelles qu'elles n'ayent plus
aucune reffemblance avec toutes ces antiquailles.
D'ailleurs elles ne fçauroient s'accommoder
avec nos gentilleffes légeres ,
elles font paroître mefquin tout ce qui
les accompagne. Beaucoup de gens tenoient
encore à cette forte d'ornement , qui leur
paroiffoit avoir une grande beauté mais
nous avons fçu perfuader aux uns , que
cela coûtoit beaucoup plus que toutes les
chofes que nous leur faifions , quoique
peut-être en économifant bien , cela pût
ne revenir qu'à la même dépenſe ; aux
autres , que cette décoration ne convenoit
point à leur état , & qu'elle étoit reſervée
pour les temples de Dieu & les palais des
Rois ; que quelques énormes dépenfes que
nous leur fiffions faire chez eux , perfonne
n'en fçauroit rien , quoiqu'ils le fiffent
voir à tout le monde ; au lieu qu'une petite
colonnade , qui ne coûteroit peut-être
gueres , feroit un bruit épouventable dans
Paris. Nous avons accepté les pilaftres jufqu'à
un certain point , c'eft- à- dire forfque
nous avons pû les dépayfer par des
chapiteaux divertiffans. Les piédeftaux font
auffi reçus chez nous , mais nous avons
FEVRIER. 1755. 165
·
trouvé l'art de les contourner , en élargiffant
par le bas , comme s'ils crevoient fous
le fardeau , ou plus gaiement encore , en
les faifant enfler du haut , & toujours en
S, comme s'ils réuniffoient leur force en
cę lieu
ce pour mieux porter. Mais où notre
génie triomphe , c'eſt dans les bordures
des deffus de porte , que nous pouvons
nous vanter d'avoir varié prefque à l'infini.
Les Peintres nous en maudiffent , parce
qu'ils ne fçavent comment compofer leurs
fujets avec les incurfions que nos ornemens
font fur leur toile ; mais tant pis
pour eux : lorfque nous faifons une fi grande
dépenfe de génie , ils peuvent bien auffi
s'évertuer ; ce font des efpéces de bouts
rimés que nous leur donnons à remplir.
Il auroit pû refter quelque reffource à la
vieille architecture pour fe produire à Paris
; mais nous avons coupé l'arbre dans fa
racine , en annonçant la mode des petits
appartemens , & nous avons fappé l'ancien
préjugé , qui vouloit que les perfonnes
diftinguées par leur état caffent un appar !
tement de répréfentation grand & magnifique.
Nous efperons que dorénavant la
regle fera que plus la perfonne fera élevée
en dignité , plus fon appartement fera
patit : vous voyez qu'alors il fera difficile
de nous faire defemparer, Ceux qui poure
GG MERCURE DE FRANCE.
ront faire de la dépenfe , ne la feront qu'en
petit , & s'adrefferont à nous. Il ne reſtera
pour occuper ces Meffieurs , que ceux qui
n'ont pas le moyen de rien faire.
Voyez , je vous prie , l'impertinence de
votre auteur critique ; il s'ennuye , dit- il ,
de voir par-tout des croifées ceintrées ,
mais il n'ofe pas difconvenir que cette forte
de croifée ne foit bonne . Peut-on avoir
trop d'une bonne chofe ? & pourquoi veutil
qu'on aille fe fatiguer l'imagination pour
trouver des variétés , lorfqu'une chofe eft
de mode , & qu'on eft fûr du fuccès ? Ne
voit-il pas que toutes nos portes , nos cheminées
, nos fenêtres , avec leur plat-bandeau
, font à peu près la même choſe :
puifqu'on en eft content , pourquoi fe tuer
à en chercher d'autres ? Il blâme nos portes
oùles moulures fe tournent circulairement ;
invention heureuſe que nous appliquons à
tout avec le plus grand fuccès. Il faut :
qu'il foit bien étranger lui-même dans
Paris , pour ne pas fçavoir de qui nous
la - tenons. C'est d'un Architecte à qui les
amateurs de l'antique donnent le nom de
grand. Le célébre François Manſard la
employée dans fon portail des Filles de :
Sainte Marie , rue Saint Antoine ; voilà
une autorité qu'il ne peut recufer.Pour vous
faire voir combien cette forte de fronton
FEVRIER. 1755 . 1671
7
réuffit quand elle eft traitée à notre façon ,
& combien elle l'emporte fur l'architecture
ancienne ; comparez le portail des Capucines
de la place de Louis le Grand ,
morceau fi admirable qu'on vient de le
reftaurer , de peur que la poſtérité n'en fût
privée ; comparez- le avec le portail à colonnes
de l'Affomption , qui n'en eft pas
loin , & vous toucherez au doigt la différence
qui eft entre nous & les Architectes:
du fiécle paffé.
Mais laiffons là ce critique ; ce feroitperdre
le tems que de s'amufer à lui démontrer
en détail l'abfurdité de fes jugemens.
Nous ne vous diffimulerons pas que
nous fommes actuellement dans une pofi-:
tion un peu critique , & qu'une révolu-.
tion dans le goût de l'architecture nous
paroîtroit prochaine fi nous la croyions
poffible. Il fe rencontre actuellement plufeurs
obftacles à nos progrès ; maudite
foit cette architecture antique , fa féduction
, dont on a bien de la peine à revenir
lorfqu'une fois on s'y eft laiffé prendre
nous a enlevé un protecteur qui auroit
peut- être été pour nous l'appui le plus fo
lide , fi nous avions été chargés du foin
de l'endocriner. Pourquoi aller chercher
bien loin ce qu'on peut trouver chez foi
nous amufons en inftruifant ; ne peut-on
168 MERCURE DE FRANCE.
pas ſe former le goût en voyant nos deffeins
de boudoirs , de garde-robes , de
pavillons à la Turque , de cabinets à la
Chinoife ? Est- ce quelque chofe de fort
agréable que cette Eglife demefurée de S.
Pierre , ou que cette rotonde antique , dont
le portail n'a qu'un ordre dans une hauteur
où nous , qui avons du génie , aurions
trouvé de la place pour en mettre au moins
trois il n'eft pas concevable qu'on puiffe
balancer. Cependant cette perte eft irrépa
rable : cela eft defolant ; car tous les projets
que nous préfentons paroiffent comiques
à des yeux ainfi prévenus . Nous avons
même tenté de mêler quelque chofe d'antique
dans nos deffeins , voyez quel facrifice
! pour faire paffer avec notre marchandife
, tout cela fans fuccès : on nous
devine d'abord.
Autre obſtacle qui eft une fuite du premier.
Les bâtimens du Roi nous ont donné
une exclufion totale ; tout ce qui s'y
fait fent la vieille architecture , & ce même
public , que nous comptions avoir ſubjugué
, s'écrie : voilà qui eft beau. Il y a
une fatalité attachée à cette vieille mode ,.
par-tout où elle fe montre elle nous dépare
; l'Académie même a peine à fe défendre
de cette contagion , il femble qu'elle
ne veuille plus donner de prix qu'à ceux
qui
FEVRIER. 1755. 169'
I
qui s'approchent le plus du goût de l'antique.
Cela nous expofe à des avanies , de
la part même de ces jeunes étourdis , qui fe
donnent les airs de rire de notre goût moderne.
Cette confpiration eft bien foutenue
; car , à ne vous rien céler , il y a encore
plufieurs Architectes de réputation
& même qui n'ont pas vû l'Italie , mais
qui par choix en ont adopté le goût , que
nous n'avons jamais pû attirer dans notre
parti . Il y a plus ; quelques - uns que nous
avons crû long tems des nôtres , à la
miere occafion qu'ils ont eu de faire quelque
chofe de remarquable , nous ont laiffés
là , & fe font jettés dans l'ancien
goût.
pre-
Vous êtes , fans doute , pénétré de compaffion
à la vûe du danger où nous nous
trouvons , & nous vous faifons pitié ; mais
confolez- vous , nous avons dés reffources
; nous fçaurons bien arrêter ces nouveaux
débarqués d'Italie . Nous leur oppoferons
tant d'obftacles que nous les empêcherons
de rien faire , & peut- être les'
forcerons-nous d'aller chez l'étranger exercer
des talens qui nous déplaifent. Ils aiment
à employer des colonnades avec des
architraves en plate - bande ; nous en déclarerons
la bâtiffe impoffible. Ils auront
beau citer la colonnade du Louvre , la
H
170 MERCURE DE FRANCE.
chapelle de Verſailles , & autres bâtimens
dont on ne peut contefter la folidité ; qui
eft - ce qui les en croira ? leur voix fera- telle
d'un plus grand poids que celle de
gens qui ont bâti des petites maifons par
milliers dans Paris ? mais voici l'argument
invincible que nous leur gardons pour le
dernier. Nous leur demanderons ce qu'ils
ont bâti : il faudra bien qu'ils conviennent
qu'ils n'en ont point encore eu l'occafion .
C'est là où nous les attendons : comment ,
dirons- nous , quelle imprudence ! confier
un bâtiment à un jeune homme fans expérience
? Cette objection eft fans réplique.
On ne s'avifera pas de faire réflexion
qu'un jeune homme de mérite , & d'un
caractere docile , peut facilement s'affocier
un homme qui , fans prétendre à la décoration
, ait une longue pratique du bâtiment
, & lui donneroit les confeils néceffaires
, en cas qu'il hazardât quelque chofe
de trop hardi ; que d'ailleurs il Y auroit
dans Paris bien des maifons en ruines , fi
le premier bâtiment de chaque Architecte
manquoit de folidité.
Au refte , ne croyez point que ce foit
dans le deffein de nuire à ces jeunes gens
que nous leur ferons ces difficultés : c'eft
uniquement pour leur bien , & pour leur
donner le tems , pendant quelques années ,
FEVRIER.
1755.171.
d'apprendre le bon goût que nous avons
établi , & de quitter leurs préjugés ultramontains
nous avons l'expérience que
cela a rarement manqué de nous réuffic .
: Si donc vous connoiffez cette fociété .
d'Artiſtes qui prend la liberté de nous blâmer
, avertiffez-les d'être plus retenus à
l'avenir ; leurs critiques font fuperflues.
Le public nous aime , nous l'avons accoutumé
à nous d'ailleurs chacun de ceux
qui font bâtir , même des édifices publics
, eft perfuadé que quiconque a les
fonds pour bâtir , a de droit les connoiffances
néceffaires pour le bien faire. Peuton
manquer de goût quand on a de l'argent
? Nous fommes déja fûrs des Procureurs
de la plupart des Communautés ,
des Marguilliers de prefque toutes les
Paroiffes , & de tant d'autres qui font
à la tête des entrepriſes. Enfin foyez certains
que nous & nos amis nous ferons
toujours le plus grand nombre. Nous fommes
, &c.
On voit que le faux bel efprit gagne les
beaux arts , ainfi que les belles- lettres . On
force la nature dans tous les genres , on
contourne les figures , on met tout en S :
qu'il y a de Meiffonniers en poëfie & en
éloquence , comme en architecture !
レン
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ARC DE TRIOMPHE à la gloire du Roi ,
qui a été élevé, fur les deffeins du Chevalier
Servandoni , le jour que M. le Duc de Gefvres
a pofé , au nom de Sa Majefté , la premiere
pierre de la place commencée devant
l'Eglife de S. Sulpice le 2 Octobre 1754 :
dédié à M. Dulau d'Allemans , Curé de S.
Sulpice , gravé par P. Patte , & fe vend
chez lui rue des Noyers , la fixieme porte .
cochere à droite en entrant par la rue Saint·
Jacques , grandeur de la feuille du nom de
Jefus. Prix 1 liv. 10 fols. I
L'eftampe que nous annonçons eft gravée
à l'aide d'une feule taille , ou ligne , à
peu près dans la maniere dont le célébre
Piranefi s'eft fervi pour rendre fes compofitions
d'architecture , dont les connoiffeurs
font tant de cas. Il feroit peut- être à fouhaiter
que cette manoeuvre de gravûre fut
ufitée en France ; elle pourroit donner à
nos eftampes d'architecture une perfection
qu'elles n'ont point eu jufqu'à préfent. En
effet , la pratique d'exprimer les ombres
dans les gravûres ordinaires de nos édifices
par deux tailles , c'eft-à- dire par deux ;
lignes qui s'entrecoupent quarrément ou
ea lofange , rend à la vérité ce genre de
gravûre aifé & expéditif ; mais elle lui ,
donne un air froid , commun , & une dureté
qui femble faire une efpéce d'injure
FEVRIER. 1755. 173
aux yeux ; c'eſt le jugement qu'ont tou-
-jours porté nos artiftes fur ces fortes d'ef
tampes. Auffi peut-on remarquer qu'on
n'a pas crû. devoir accorder à leurs Graveurs
aucune place dans nos Académies ,
foit de peinture , foit d'architecture ; ce
que l'on eût fait affurément , fi leurs talens
euffent paru aux connoiffeurs devoir
mériter quelque diftinction . On a effayé ,
dans la planche que nous propofons , de
mettre ce genre de gravûre dans quelque
eftime , par une nouvelle manoeuvre qui
fente l'art , & qui remédie aux défauts de
l'ancienne. Chaque ombre y eft énoncée
par une feule ligne , plus ou moins groffe
ou ferrée , dont la direction exprime continuellement
la perſpective du corps d'architecture
fur lequel elle eft portée. Afin d'ôter
toute dureté , on a affecté de ne point terminer
les extrêmités de chaque ombre par
aucune ligne , mais feulement par la fin de
toutes les lignes , qui forme l'ombre , ce qui
femble affez bien imiter les arrêtes de la pierre,
lefquelles confervent toujours une efpéce
de rondeur. Toutes les teintes générales ,
quelles qu'elles foient , y font exprimées
à la pointe féche , ce qui eft propre à donner
à cette gravûre un ton fuave , qui
femble participer de cette couleur aërienne
répandue fur la furface de nos bâtimens ;
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
ton auquel on ne peut atteindre avec le
fecours de l'eau forte , comme on le pratique
ordinairement. Au refte , c'eft à la
-vue de cette planche à parler en faveur des
avantages de fa nouvelle manoeuvre , & on
fe flatte qu'elle convaincra fans peine que
cette maniere de faire eft bien plus favora
ble que l'autre pour les effets de la perf
pective ; qu'elle eft analogue à la maniere
dont on deffine l'architecture à la plume ,
:& que la parfaite égalité qu'elle demande
doit fatisfaire agréablement la vue des fçavans
comme des ignorans ; quelques lignes
plus ou moins ferrées dans les ombres
étant capables d'y faire une difcordance
de ton irrémédiable , & qui faute aux yeux
de chacun . Cette maniere de traiter l'architecture
eft ; il eft vrai , très-laborieufe
& difficile à bien exécuter ; mais elle
pour-
.roit donner un prix à nos eftampes d'architecture
, & les élever à décorer avec diftinction
les cabinets des curieux.
F
C'eft aux artistes à apprécier ces réflexions,
par la comparaifon de l'eftampe qu'on leur
offre , avec celles que nous avons dans le
genre oppofé. Le feul but que l'on fe propofe
en les faifant , eft de contribuer à la
perfection d'un genre de gravure que l'on
n'a peut- être pas affez cherché jufqu'ici à
rendre recommendable,
Fermer
Résumé : ARCHITECTURE. LETTRE A M. L'ABBÉ R*** fur une très-mauvaise plaisanterie qu'il a laissé imprimer dans le Mercure du mois de Décembre 1754, par une société d'Architectes, qui pourroient bien aussi prétendre être du premier mérite & de la premiere réputation, quoiqu'ils ne soient pas de l'Académie.
En décembre 1754, une lettre critique une plaisanterie publiée dans le Mercure, visant les architectes modernes. L'auteur s'étonne que M. l'Abbé R, homme d'esprit, ait autorisé cette satire, qui cherche à discréditer l'architecture moderne et à détruire la confiance du public. La lettre suggère un complot impliquant des peintres jaloux, influencés par l'architecture antique italienne, cherchant à imposer des préjugés obsolètes. Les architectes modernes se défendent en soulignant leur contribution à l'agrément de Paris et à l'extension de l'art architectural, adoptée même par les étrangers, comme les Anglais. Les architectes modernes critiquent l'imprudence de graver des décorations révélant leurs secrets. Ils ont trouvé des moyens pour que chacun puisse apprécier l'architecture, s'opposant aux idées du beau reçues dans une nation éclairée. Ils citent des figures comme Oppenord et Meissonnier, innovateurs en architecture. Ils célèbrent également un sculpteur formé en France, rompant avec les règles anciennes et les symétries rigides. Un architecte influent a popularisé l'utilisation abondante de palmiers et supprimé les plafonds traditionnels, les remplaçant par des dentelles en bas-relief sculptées. Cette approche a conduit à l'abandon des corniches ornées dans les appartements. L'auteur regrette la perte de cet architecte, bien que ses talents aient été rapidement remplacés par d'autres sculpteurs. Le texte critique les plafonds anciens, jugés démodés, et préfère les plafonds peints. Les sculpteurs de figures sont exclus en faveur de rosettes discrètes. L'auteur souligne la commodité et la flexibilité de leur architecture, permettant de satisfaire toutes les fantaisies des clients. Les fenêtres multiples sont préférées, malgré les inconvénients climatiques, et les frontons antiques sont modifiés pour éviter toute ressemblance avec les styles anciens. Les colonnes sont bannies en raison de leur association avec le goût ancien, et les pilastres sont acceptés seulement s'ils sont modifiés par des chapiteaux divertissants. La mode des petits appartements est promue, rendant les grands appartements de représentation obsolètes. Le texte critique un auteur s'ennuyant des croisées cintrées mais reconnaît leur qualité. Il défend l'utilisation des moulures circulaires, inspirées par François Mansart. En février 1755, une controverse architecturale en France oppose les architectes modernes à ceux influencés par le goût antique, souvent revenus d'Italie. Les auteurs expriment leur intention de contrer ces nouveaux architectes en remettant en question leur expérience et leur capacité à construire des bâtiments solides. Ils mentionnent une nouvelle technique de gravure architecturale, inspirée par Piranesi, visant à améliorer la qualité des estampes en France. Cette technique utilise une seule ligne pour exprimer les ombres, offrant une perspective plus douce et plus réaliste. Les auteurs espèrent que cette innovation sera reconnue et valorisée par les connaisseurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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34
35
p. 31-44
FRAGMENT D'un Ouvrage de M. de Marivaux, qui a pour titre : Réflexions sur l'esprit humain, à l'occasion de Corneille & de Racine.
Début :
Il y a deux sortes de grands hommes à qui l'humanité doit ses connoissances & [...]
Mots clefs :
Corneille, Racine, Science, Sciences, Esprit, Esprit humain, Beaux esprits, Génie, Savoir, Société, Vérité, Hommes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : FRAGMENT D'un Ouvrage de M. de Marivaux, qui a pour titre : Réflexions sur l'esprit humain, à l'occasion de Corneille & de Racine.
FRAGMENT
D'un Ouvrage de M. de Marivaux ,
qui a pour titre : Réflexions fur
l'efprit humain , à l'occafion de
Corneille & de Racine.
L
Il y
a deux fortes de grands hommes à
qui l'humanité doit fes connoiffances &
fes moeurs , & fans qui le paffage de tant
de conquérans auroit condamné la terre
à refter ignorante & féroce : deux fortes
de grands hommes , qu'on peut appeller les
bienfaicteurs du monde , & les répara
teurs de fes vraies pertes.
J'entends par les uns , ces hommes immortels
qui ont pénétré dans la connoiffance
de la vérité , & dont les erreurs mê
me ont fouvent conduit à la lumiere. Ces
Philofophes , tant ceux de l'antiquité dont
les noms font affez connus , que ceux de
notre âge , tels que Defcartes , Newton ,
Mallebranche , Locke , &c .
J'entends par les autres , ces grands génies
qu'on appelle quelquefois beaux efprits
; ces critiques férieux ou badins de
ce que nous fommes ; ces peintres fubli-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
-
mes des grandeurs & des miferes de l'ame
humaine , & qui même en nous inftruifant
dans leurs ouvrages , nous perfuadent à
force de plaifir , qu'ils n'ont pour objet
que de nous plaire , & de charmer notre
loifir ; & je mets Corneille & Racine parmi
ce qu'il y a de plus refpectable dans
l'ordre de ceux- ci , fans parler de ceux de
nos jours , qu'il n'eft pas tems de nommer
en public , que la postérité dédommagera
du filence qu'il faut qu'on obſerve
aujourd'hui fur eux , & dont l'envie contemporaine
qui les loue à fa maniere , les
dédommage dès à préfent en s'irritant contre
eux.
Communément dans le monde , ce n'eſt
qu'avec une extrême admiration qu'on
parle de ceux que je nomme Philofophes ;
on va jufqu'à la vénération pour eux , &
c'eſt un hommage qui leur eft dû .
On ne va pas fi loin pour ces génies
entre lefquels j'ai compté Corneille &
Racine ; on leur donne cependant de trèsgrands
éloges : on a même auffi de l'admiration
pour eux , mais une admiration
bien moins férieuſe , bien plus familiere
qui les honore beaucoup moins que celle
dont on eft pénétré pour les Philofophes.
Et ce n'eft pas là leur rendre juftice ;
s'il n'y avoit que la raifon qui fe mêlât de
AVRIL. 1755 33
nos jugemens , elle defavoueroit cette inégalité
de ppaarrttaaggee qquuee les Philofophes même
, tout Philofophes qu'ils font , ne rejettent
pas , qu'il leur fiéroit pourtant
de rejetter , & qu'on ne peut attribuer
qu'à l'ignorance du commun des hommes.
Ces hommes , en général , ne cultivent
pas les fciences , ils n'en connoiffent que
le nom qui leur en impofe , & leur imagination
, refpectueufement étonnée des
grandes matieres qu'elles traitent , acheve
de leur tendre ces matieres encore plus
inacceffibles .
De là vient qu'ils regardent les Philofophes
comme des intelligences qui ont
approfondi des myfteres , & à qui feuls
il appartient de nous donner le merveil
leux fpectacle des forces & de la dignité
de l'efprit humain .
A l'égard des autres grands génies ,
pourquoi les met - on dans un ordre inférieur
pourquoi n'a- t-on pas la même
idée de la capacité dont ils ont befoin ?
'C'eft que leurs ouvrages ne font une
énigme pour perfonne ; c'eft que le fujet
fur lequel ils travaillent
, a le défaut d'être
à la portée de tous les hommes.
Il ne s'y agit que de nous , c'est -à - dire
de l'ame humaine que nous connoiffons
Bv .
34
MERCURE
DE FRANCE
.
tant par le moyen de la nôtre , qui nous
explique celle des autres .
Toutes les ames , depuis la plus foible
jufqu'à la plus forte , depuis la plus vile
jufqu'à la plus noble ; toutes les ames ont
une reffemblance générale : il y a de tout
dans chacune d'elles , nous avons tous des
commencemens de ce qui nous manque ,
par où nous fommes plus ou moins en
état de fentir & d'entendre les différences
qui nous diftinguent .
Et c'est là ce qui nous procurant quelques
lumieres communes avec les génies
dont je parle , nous mene à penfer que
leur fcience n'eft pas un grand myftere ,
& n'eft dans le fond que la fcience de
tout le monde.
Il eft vrai qu'on n'a pas comme eux l'heureux
talent d'écrire ce qu'on fçait ; mais à
ce talent près , qui n'eft qu'une maniere
d'avoir de l'efprit , rien n'empêche qu'on
n'en fçache autant qu'eux ; & on voit combien
ils perdent à cette opinion- là .
Auffi tout lecteur ou tout fpectateur ,
avant qu'il les admire , commence- t- il par
être leur juge , & prefque toujours leur
critique ; & de pareilles fonctions ne difpofent
pas l'admirateur à bien fentir la
fupériorité qu'ils ont fur lui ; il a fait trop
de comparaiſon avec eux pour être fort
A V RIL. 1755. 35
étonné de ce qu'ils valent. Et d'ailleurs
de quoi les loue- t- il ? ce n'eſt pas de l'inftruction
qu'il en tire , elle paffe en lui fans
qu'il s'en apperçoive ; c'eft de l'extrême
plaifir qu'ils lui font , & il eft fûr que
ce plaifir là leur nuit encore , ils en paroiffent
moins importans ; il n'y a point
affez de dignité à plaire : c'eft bien le
mérite le plus aimable , mais en général ,
ce n'eft pas le plus honoré.
On voit même des gens qui tiennent
au- deffons d'eux de s'occuper d'un ouvrage
d'efprit qui plaît ; c'eft à cette marque
là qu'ils le dédaignent comme frivole ,
& nos grands hommes pourroient bien devoir
à tout ce que je viens de dire , le titre
familier , & fouvent moqueur , de beaux
efprits , qu'on leur donne pendant qu'ils
vivent , qui , à la vérité , s'annoblit beaucoup
quand ils ne font plus , & qui d'ordinaire
fe convertit en celui de grands
génies , qu'on ne leur difpute pas alors.
Non qu'ils ayent enrichi le monde d'aucune
découverte , ce n'eft pas là ce qu'on
entend les belles chofes qu'ils nous difent
ne nous frappent pas même comme
nouvelles ; on croit toujours les reconnoître
, on les avoit déja entrevues , mais
jufqu'à eux on en étoit refté là , & jamais
on ne les avoit vûes d'affez près , ni affez
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
fixément pour pouvoir les dire ; eux feuls
ont fçu les faifir & les exprimer avec ane
vérité qui nous pénétre , & les ont rendues
conformément aux expériences les plus
intimes de notre ame : ce qui fait un accident
bien neuf & bien original . Voilà
ce qu'on leur attribue .
Ainfi ils ne font fublimes que d'après
nous qui le fommes foncierement autant
qu'eux , & c'eft dans leur fublimité que
nous nous imaginons contempler la nôtre.
Ainfi ils ne nous apprennent rien de nous
qui nous foit inconnu ; mais le portrait le
plus frappant qu'on nous ait donné de ce
que nous fommes , celui où nous voyons le
mieux combien nous fommes grands dans
nos vertus , terribles dans nos paſſions ,
celui où nous avons l'honneur de démêler
nos foibleſſes avec la fagacité la plus fine ,
& par conféquent la plus confolante ; celui
où nous nous fentons le plus fuperbement
étonnés de l'audace , & du courage
, de la fierté , de la fageffe , j'ofe
dire auffi de la redoutable iniquité dont
nous fommes capables ( car cette iniquité ,
même en nous faifant frémir , nous entretient
encore de nos forces ) ; enfin le portrait
qui nous peint le mieux l'importance
& la fingularité de cet être qu'on appelle
homme , & qui eft chacun de nous , c'eſt
AVRIL.' 1755 .
37
deux à qui nous le devons.
Ce font eux , à notre avis , qui nous
avertiffent de tout l'efprit qui eft en nous ,
qui y repofoit à notre infçu , & qui eft
une fecrette acquifition de lumiere & de
fentiment que nous croyons avoir faite ,
& dont nous ne jouiffons qu'avec eux ;
voilà ce que nous en penfons.
De forte que ce n'eft pas précisément
leur efprit qui nous furprend, c'eft l'induftrie
qu'ils ont de nous rappeller le nôtre
; voilà en quoi ils nous charment.
C'est-à-dire que nous les chériffons
parce qu'ils nous vantent , ou que nous
les admirons parce qu'ils nous valent ; au
lieu que nous refpectons les Philofophes
parce qu'ils nous humilient.
Et je n'attaque point ce refpect là , qui
n'eſt d'ailleurs fi humiliant qu'il le pa
pas.
roît.
Ce n'eft pas précisément devant les
Philofophes que nous nous humilions , ilne
faut pas qu'ils l'entendent ainfi ; c'eft
à l'efprit humain , dont chacun de nous a
fa portion , que nous entendons rendre
hommage.
Nous reffemblons à ces cadets qui ;
quoique réduits à une légitime , s'enorgueilliffent
pourtant dans leurs aînés de la
grandeur & des richeffes de leur maison.
38 MERCURE DE FRANCE.
Mais les autres grands génies font- ils
moins dans ce fens nos aînés que les Philofophes
& pour quitter toute comparaifon
, font- ils en effet partagés d'une capacité
de moindre valeur , ou d'une efpéce
inférieure ?
Nous le croyons , j'ai déja dit en paffant
ce qui nous mène à le croire ; ne ferionsnous
pas dans l'erreur ? il y a des choſes
qui ont un air de vérité , mais qui n'en
ont que l'air , & il fe pourroit bien que
nous fiffions injure au don d'efprit peutêtre
le plus rare , au genre de penfée qui
caractériſe le plus un être intelligent.
Je doute du moins que le vrai Philofophe
, & je ne parle pas du pur Géometre
ou du fimple Mathématicien , mais de
l'homme qui penfe , de l'homme capable
de mefurer la fublimité de ces deux différens
ordres d'efprit ; je doute que cet homme
fût de notre fentiment .
Au défaut des réflexions qu'il feroit
là - deffus , tenons- nous en à celles que le
plus fimple bon fens
dicter , & que je
vais rapporter , après avoir encore une fois
établi bien exactement la.queftion.
peut
Une ſcience , je dis celle de nos grands
génies , où nous fommes tous , difonsnous
, plus ou moins initiés , qui n'eft une
énigme pour perfonne , pas même dans fes
A V RI- L. ∙1755 .
39
>
profondeurs qu'on ne nous apprend point ,
qu'on ne fait que nous rappeller comme
fublimes , quand on nous les préfente , &
jamais comme inconnues ; une fcience , au
moyen de laquelle on peut bien nous charmer
mais non pas nous inftruire ; une
fcience qu'on apprend fans qu'on y penſe ,
fans qu'on fçache qu'on l'étudie , ne le cede-
t- elle pas à des fciences fi difficiles , que
le commun des hommes eft réduit à n'en
connoître que le nom , qui donnent à ceux
qui les fçavent , des connoiffances d'une
utilité admirable ; à des fciences apparemment
plus étrangeres à l'efprit humain en
général , puifqu'il faut expreffément & péniblement
les apprendre pour les fçavoir ,
& que peu de gens , après une étude même
affidue , y font du progrès ?
Voilà des objections qui paroiffent fortes
, & c'eſt leur force apparente qui fait
qu'on s'y repofe , & qu'on s'y fie.
Tâchons d'en démêler la valeur.
Le vrai Philofophe dont je parlois toutà-
l'heure , ne voudroit pas qu'on s'y trompât
même en fa faveur : une impoſture de
notre imagination , fi ce que nous penfons
en eft une , n'eft pas digne de lui,
A l'égard de ces hommes qui nous abandonneroient
volontiers à notre illufion làdeffus
, pour profiter de l'injufte & faux
40 MERCURE DE FRANCE.
honneur qu'elle leur feroit , ils ne méri
tent pas qu'on les ménage examinons
donc.
La fcience du coeur humain , qui eft
celle des grands génies , appellés d'abord
beaux efprits , n'eft , dit -on , une énigme
pour perfonne ; tout le monde l'entend
& qui plus eft , on l'apprend fans qu'on y
penſe d'accord. :
Mais de ce qu'il nous eft plus aifé de
l'apprendre que les autres fciences , en
doit-on conclure qu'elle eft par elle-même
moins difficile ou moins profonde que ces
autres fciences ? non , & c'eft ici où eft le
fophifme.
Car cette facilité que nous trouvons
a
l'apprendre
plus ou moins , & qui nous
diffimule fa profondeur
, ne vient point de
fa nature , mais bien de la nature de la
fociété que nous avons enfemble
.
Ce n'eft pas que cette fcience foit effectivement
plus aifée que les autres , c'eſt la
maniere dont nous l'apprenons , qui nous
la fait paroître telle , comme nous le verrons
dans un moment .
D'un autre côté , il faut étudier trèsexpreffément
& très- péniblement les autres
fciences , pour les fçavoir ; d'accord auffi .
Mais ce n'eft pas non plus qu'à force de
profondeur elles ayent par elles-mêmes le
AVRIL. 1755. 41
·
privilege particulier , & comme excluff ,
d'être plus difficiles que la fcience de nos
grands génies . C'eft encore la nature de
notre fociété qui produit cette difficulté
accidentelle , & le travail folitaire & affidu
qu'elles exigent ; on pourroit les acquerir
à moins de frais.
En un mot , c'eſt cette fociété qui nous
oblige à de très-grands efforts pour les fçavoir
, & qui ne nous ouvre point d'autre
voie.
C'eft auffi cette fociété qui nous difpen
fe de ces mêmes efforts pour fçavoir l'autre,
& je vais m'expliquer.
Figurons- nous une fcience d'une pratique
fi urgente , qu'il faut abfolument que
tout homme , quel qu'il foit , la fçache
plus ou moins & de très- bonne heure , fous
peine de ne pouvoir être admis à ce concours
d'intérêts , de relations , & de befoins
réciproques qui nous uniffent les uns & les
autres.
Mais en même tems figurons - nous une
fcience que par bonheur tous les hommes
apprennent inévitablement entr'eux.
Telle eft la fcience du coeur humain ,
celle des grands hommes dont il eft queftion
.
D'une part , la néceffité abfolue de la
fçavoir ; de l'autre , la continuité inévita42
MERCURE DE FRANCE.
ble des leçons qu'on en reçoit de toutes
parts , font qu'elle ne fçauroit refter une
énigme pour perſonne.
Comment , en effet , feroit - il poffible
qu'on ne la fçût pas plus ou moins.
Ce n'eft pas dans les livres qu'on l'apprend
, c'eft elle au contraire qui nous
explique les livres , & qui nous met en
état d'en profiter ; il faut d'avance la fçavoir
un peu pour les entendre .
pour vous en
Elle n'a pas non plus fes profeffeurs à
part , à peine fuffiroient - ils
donner la plus légere idée , & rien de ce
que je dis là n'en feroit une connoiffance
inévitable . C'eft la fociété , c'est toute l'humanité
même qui en tient la feule école
qui foit convenable , école toujours ouverte
, où tout homme étudie les autres ,
& en eft étudié à fon tour ; où tout homme
eſt tour à tour écolier & maître.
Cette fcience réfide dans le commerce
que nous avons tous , & fans exception ;
enfemble.
Nous en commençons l'infenfible & continuelle
étude prefqu'en voyant le jour.
t
Nous vivons avec les fujets de la fcience
, avec les hommes qui ne traitent que
d'elle , avec leurs paffions , qui l'enfeignent
aux nôtres , & qui même en nous
trompant nous l'enfeignent encore ; car c'eſt
AVRIL. 1755. 43
une inftruction de plus que d'y avoir été
trompé il n'y a rien à cet égard là de
perdu avec les hommes.
Voilà donc tout citoyen du monde , né
avec le fens commun , le plus fimple & le
plus médiocre ; le voilà prefque dans l'impoffibilité
d'ignorer totalement la fcience
dont il eft queſtion , puifqu'il en reçoit
des leçons continuelles , puifqu'elles le
pourfuivent , & qu'il ne peut les fuir.
Ce n'eft pas là tout , c'eft qu'à l'impoffibilité
comme infurmontable de ne pas
s'inftruire plus ou moins de cette fcience
qui n'eft que la connoiffance des hommes ,
fe joint pour lui une autre caufe d'inftruc
tion
que je crois encore plus fure , & c'eſt
une néceffité abfolue d'être attentif aux leçons
qu'on lui en donne .
Car où pourroit être fa place ? & que
deviendroit-il dans cette humanité affemblée
, s'il n'y pouvoit ni conquérir ni correfpondre
à rien de ce qui s'y paffe , s'il
n'entendoit rien aux moeurs de l'ame humaine
, ni à tant d'intérêts férieux ou frivoles
, généraux ou particuliers qui , tour
à tour , nous uniffent ou nous divifent ?
Que deviendroit- il fi faute de ces notions
de fentiment que nous prenons entre
nous & qui nous dirigent , fi dans l'ignorance
de ce qui nuit ou de ce qui fert
44 MERCURE DE FRANCE.
dans le monde , & fi par conféquent ex
pofé par là à n'agir prefque jamais qu'à
contre- fens , il alloit miferablement heurtant
tous les efprits , comme un aveugle
va heurtant tous les corps.
Il faut donc néceffairement qu'il con
noiffe les hommes , il ne fçauroit fe foute
tenir parmi eux qu'à cette condition là.
Il y va de tour pour lui d'être à certain
point au fait de ce qu'ils font pour ſçavoir
y accommoder ce qu'il eft , pour ju→
ger d'eux , finon finement , du moins au
dégré fuffifant de jufteffe qui convient à
fon état , & à la forte de liaifon ordinaire
ou fortuite qu'il a avec eux.
•
Ily ya toujours de fa fortune , toujours
de fon repos , fouvent de fon honneur
quelquefois de ſa vie ; quelquefois du re-
'pos , de l'honneur , de la fortune & de la
vie des autres.
D'un Ouvrage de M. de Marivaux ,
qui a pour titre : Réflexions fur
l'efprit humain , à l'occafion de
Corneille & de Racine.
L
Il y
a deux fortes de grands hommes à
qui l'humanité doit fes connoiffances &
fes moeurs , & fans qui le paffage de tant
de conquérans auroit condamné la terre
à refter ignorante & féroce : deux fortes
de grands hommes , qu'on peut appeller les
bienfaicteurs du monde , & les répara
teurs de fes vraies pertes.
J'entends par les uns , ces hommes immortels
qui ont pénétré dans la connoiffance
de la vérité , & dont les erreurs mê
me ont fouvent conduit à la lumiere. Ces
Philofophes , tant ceux de l'antiquité dont
les noms font affez connus , que ceux de
notre âge , tels que Defcartes , Newton ,
Mallebranche , Locke , &c .
J'entends par les autres , ces grands génies
qu'on appelle quelquefois beaux efprits
; ces critiques férieux ou badins de
ce que nous fommes ; ces peintres fubli-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
-
mes des grandeurs & des miferes de l'ame
humaine , & qui même en nous inftruifant
dans leurs ouvrages , nous perfuadent à
force de plaifir , qu'ils n'ont pour objet
que de nous plaire , & de charmer notre
loifir ; & je mets Corneille & Racine parmi
ce qu'il y a de plus refpectable dans
l'ordre de ceux- ci , fans parler de ceux de
nos jours , qu'il n'eft pas tems de nommer
en public , que la postérité dédommagera
du filence qu'il faut qu'on obſerve
aujourd'hui fur eux , & dont l'envie contemporaine
qui les loue à fa maniere , les
dédommage dès à préfent en s'irritant contre
eux.
Communément dans le monde , ce n'eſt
qu'avec une extrême admiration qu'on
parle de ceux que je nomme Philofophes ;
on va jufqu'à la vénération pour eux , &
c'eſt un hommage qui leur eft dû .
On ne va pas fi loin pour ces génies
entre lefquels j'ai compté Corneille &
Racine ; on leur donne cependant de trèsgrands
éloges : on a même auffi de l'admiration
pour eux , mais une admiration
bien moins férieuſe , bien plus familiere
qui les honore beaucoup moins que celle
dont on eft pénétré pour les Philofophes.
Et ce n'eft pas là leur rendre juftice ;
s'il n'y avoit que la raifon qui fe mêlât de
AVRIL. 1755 33
nos jugemens , elle defavoueroit cette inégalité
de ppaarrttaaggee qquuee les Philofophes même
, tout Philofophes qu'ils font , ne rejettent
pas , qu'il leur fiéroit pourtant
de rejetter , & qu'on ne peut attribuer
qu'à l'ignorance du commun des hommes.
Ces hommes , en général , ne cultivent
pas les fciences , ils n'en connoiffent que
le nom qui leur en impofe , & leur imagination
, refpectueufement étonnée des
grandes matieres qu'elles traitent , acheve
de leur tendre ces matieres encore plus
inacceffibles .
De là vient qu'ils regardent les Philofophes
comme des intelligences qui ont
approfondi des myfteres , & à qui feuls
il appartient de nous donner le merveil
leux fpectacle des forces & de la dignité
de l'efprit humain .
A l'égard des autres grands génies ,
pourquoi les met - on dans un ordre inférieur
pourquoi n'a- t-on pas la même
idée de la capacité dont ils ont befoin ?
'C'eft que leurs ouvrages ne font une
énigme pour perfonne ; c'eft que le fujet
fur lequel ils travaillent
, a le défaut d'être
à la portée de tous les hommes.
Il ne s'y agit que de nous , c'est -à - dire
de l'ame humaine que nous connoiffons
Bv .
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MERCURE
DE FRANCE
.
tant par le moyen de la nôtre , qui nous
explique celle des autres .
Toutes les ames , depuis la plus foible
jufqu'à la plus forte , depuis la plus vile
jufqu'à la plus noble ; toutes les ames ont
une reffemblance générale : il y a de tout
dans chacune d'elles , nous avons tous des
commencemens de ce qui nous manque ,
par où nous fommes plus ou moins en
état de fentir & d'entendre les différences
qui nous diftinguent .
Et c'est là ce qui nous procurant quelques
lumieres communes avec les génies
dont je parle , nous mene à penfer que
leur fcience n'eft pas un grand myftere ,
& n'eft dans le fond que la fcience de
tout le monde.
Il eft vrai qu'on n'a pas comme eux l'heureux
talent d'écrire ce qu'on fçait ; mais à
ce talent près , qui n'eft qu'une maniere
d'avoir de l'efprit , rien n'empêche qu'on
n'en fçache autant qu'eux ; & on voit combien
ils perdent à cette opinion- là .
Auffi tout lecteur ou tout fpectateur ,
avant qu'il les admire , commence- t- il par
être leur juge , & prefque toujours leur
critique ; & de pareilles fonctions ne difpofent
pas l'admirateur à bien fentir la
fupériorité qu'ils ont fur lui ; il a fait trop
de comparaiſon avec eux pour être fort
A V RIL. 1755. 35
étonné de ce qu'ils valent. Et d'ailleurs
de quoi les loue- t- il ? ce n'eſt pas de l'inftruction
qu'il en tire , elle paffe en lui fans
qu'il s'en apperçoive ; c'eft de l'extrême
plaifir qu'ils lui font , & il eft fûr que
ce plaifir là leur nuit encore , ils en paroiffent
moins importans ; il n'y a point
affez de dignité à plaire : c'eft bien le
mérite le plus aimable , mais en général ,
ce n'eft pas le plus honoré.
On voit même des gens qui tiennent
au- deffons d'eux de s'occuper d'un ouvrage
d'efprit qui plaît ; c'eft à cette marque
là qu'ils le dédaignent comme frivole ,
& nos grands hommes pourroient bien devoir
à tout ce que je viens de dire , le titre
familier , & fouvent moqueur , de beaux
efprits , qu'on leur donne pendant qu'ils
vivent , qui , à la vérité , s'annoblit beaucoup
quand ils ne font plus , & qui d'ordinaire
fe convertit en celui de grands
génies , qu'on ne leur difpute pas alors.
Non qu'ils ayent enrichi le monde d'aucune
découverte , ce n'eft pas là ce qu'on
entend les belles chofes qu'ils nous difent
ne nous frappent pas même comme
nouvelles ; on croit toujours les reconnoître
, on les avoit déja entrevues , mais
jufqu'à eux on en étoit refté là , & jamais
on ne les avoit vûes d'affez près , ni affez
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
fixément pour pouvoir les dire ; eux feuls
ont fçu les faifir & les exprimer avec ane
vérité qui nous pénétre , & les ont rendues
conformément aux expériences les plus
intimes de notre ame : ce qui fait un accident
bien neuf & bien original . Voilà
ce qu'on leur attribue .
Ainfi ils ne font fublimes que d'après
nous qui le fommes foncierement autant
qu'eux , & c'eft dans leur fublimité que
nous nous imaginons contempler la nôtre.
Ainfi ils ne nous apprennent rien de nous
qui nous foit inconnu ; mais le portrait le
plus frappant qu'on nous ait donné de ce
que nous fommes , celui où nous voyons le
mieux combien nous fommes grands dans
nos vertus , terribles dans nos paſſions ,
celui où nous avons l'honneur de démêler
nos foibleſſes avec la fagacité la plus fine ,
& par conféquent la plus confolante ; celui
où nous nous fentons le plus fuperbement
étonnés de l'audace , & du courage
, de la fierté , de la fageffe , j'ofe
dire auffi de la redoutable iniquité dont
nous fommes capables ( car cette iniquité ,
même en nous faifant frémir , nous entretient
encore de nos forces ) ; enfin le portrait
qui nous peint le mieux l'importance
& la fingularité de cet être qu'on appelle
homme , & qui eft chacun de nous , c'eſt
AVRIL.' 1755 .
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deux à qui nous le devons.
Ce font eux , à notre avis , qui nous
avertiffent de tout l'efprit qui eft en nous ,
qui y repofoit à notre infçu , & qui eft
une fecrette acquifition de lumiere & de
fentiment que nous croyons avoir faite ,
& dont nous ne jouiffons qu'avec eux ;
voilà ce que nous en penfons.
De forte que ce n'eft pas précisément
leur efprit qui nous furprend, c'eft l'induftrie
qu'ils ont de nous rappeller le nôtre
; voilà en quoi ils nous charment.
C'est-à-dire que nous les chériffons
parce qu'ils nous vantent , ou que nous
les admirons parce qu'ils nous valent ; au
lieu que nous refpectons les Philofophes
parce qu'ils nous humilient.
Et je n'attaque point ce refpect là , qui
n'eſt d'ailleurs fi humiliant qu'il le pa
pas.
roît.
Ce n'eft pas précisément devant les
Philofophes que nous nous humilions , ilne
faut pas qu'ils l'entendent ainfi ; c'eft
à l'efprit humain , dont chacun de nous a
fa portion , que nous entendons rendre
hommage.
Nous reffemblons à ces cadets qui ;
quoique réduits à une légitime , s'enorgueilliffent
pourtant dans leurs aînés de la
grandeur & des richeffes de leur maison.
38 MERCURE DE FRANCE.
Mais les autres grands génies font- ils
moins dans ce fens nos aînés que les Philofophes
& pour quitter toute comparaifon
, font- ils en effet partagés d'une capacité
de moindre valeur , ou d'une efpéce
inférieure ?
Nous le croyons , j'ai déja dit en paffant
ce qui nous mène à le croire ; ne ferionsnous
pas dans l'erreur ? il y a des choſes
qui ont un air de vérité , mais qui n'en
ont que l'air , & il fe pourroit bien que
nous fiffions injure au don d'efprit peutêtre
le plus rare , au genre de penfée qui
caractériſe le plus un être intelligent.
Je doute du moins que le vrai Philofophe
, & je ne parle pas du pur Géometre
ou du fimple Mathématicien , mais de
l'homme qui penfe , de l'homme capable
de mefurer la fublimité de ces deux différens
ordres d'efprit ; je doute que cet homme
fût de notre fentiment .
Au défaut des réflexions qu'il feroit
là - deffus , tenons- nous en à celles que le
plus fimple bon fens
dicter , & que je
vais rapporter , après avoir encore une fois
établi bien exactement la.queftion.
peut
Une ſcience , je dis celle de nos grands
génies , où nous fommes tous , difonsnous
, plus ou moins initiés , qui n'eft une
énigme pour perfonne , pas même dans fes
A V RI- L. ∙1755 .
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profondeurs qu'on ne nous apprend point ,
qu'on ne fait que nous rappeller comme
fublimes , quand on nous les préfente , &
jamais comme inconnues ; une fcience , au
moyen de laquelle on peut bien nous charmer
mais non pas nous inftruire ; une
fcience qu'on apprend fans qu'on y penſe ,
fans qu'on fçache qu'on l'étudie , ne le cede-
t- elle pas à des fciences fi difficiles , que
le commun des hommes eft réduit à n'en
connoître que le nom , qui donnent à ceux
qui les fçavent , des connoiffances d'une
utilité admirable ; à des fciences apparemment
plus étrangeres à l'efprit humain en
général , puifqu'il faut expreffément & péniblement
les apprendre pour les fçavoir ,
& que peu de gens , après une étude même
affidue , y font du progrès ?
Voilà des objections qui paroiffent fortes
, & c'eſt leur force apparente qui fait
qu'on s'y repofe , & qu'on s'y fie.
Tâchons d'en démêler la valeur.
Le vrai Philofophe dont je parlois toutà-
l'heure , ne voudroit pas qu'on s'y trompât
même en fa faveur : une impoſture de
notre imagination , fi ce que nous penfons
en eft une , n'eft pas digne de lui,
A l'égard de ces hommes qui nous abandonneroient
volontiers à notre illufion làdeffus
, pour profiter de l'injufte & faux
40 MERCURE DE FRANCE.
honneur qu'elle leur feroit , ils ne méri
tent pas qu'on les ménage examinons
donc.
La fcience du coeur humain , qui eft
celle des grands génies , appellés d'abord
beaux efprits , n'eft , dit -on , une énigme
pour perfonne ; tout le monde l'entend
& qui plus eft , on l'apprend fans qu'on y
penſe d'accord. :
Mais de ce qu'il nous eft plus aifé de
l'apprendre que les autres fciences , en
doit-on conclure qu'elle eft par elle-même
moins difficile ou moins profonde que ces
autres fciences ? non , & c'eft ici où eft le
fophifme.
Car cette facilité que nous trouvons
a
l'apprendre
plus ou moins , & qui nous
diffimule fa profondeur
, ne vient point de
fa nature , mais bien de la nature de la
fociété que nous avons enfemble
.
Ce n'eft pas que cette fcience foit effectivement
plus aifée que les autres , c'eſt la
maniere dont nous l'apprenons , qui nous
la fait paroître telle , comme nous le verrons
dans un moment .
D'un autre côté , il faut étudier trèsexpreffément
& très- péniblement les autres
fciences , pour les fçavoir ; d'accord auffi .
Mais ce n'eft pas non plus qu'à force de
profondeur elles ayent par elles-mêmes le
AVRIL. 1755. 41
·
privilege particulier , & comme excluff ,
d'être plus difficiles que la fcience de nos
grands génies . C'eft encore la nature de
notre fociété qui produit cette difficulté
accidentelle , & le travail folitaire & affidu
qu'elles exigent ; on pourroit les acquerir
à moins de frais.
En un mot , c'eſt cette fociété qui nous
oblige à de très-grands efforts pour les fçavoir
, & qui ne nous ouvre point d'autre
voie.
C'eft auffi cette fociété qui nous difpen
fe de ces mêmes efforts pour fçavoir l'autre,
& je vais m'expliquer.
Figurons- nous une fcience d'une pratique
fi urgente , qu'il faut abfolument que
tout homme , quel qu'il foit , la fçache
plus ou moins & de très- bonne heure , fous
peine de ne pouvoir être admis à ce concours
d'intérêts , de relations , & de befoins
réciproques qui nous uniffent les uns & les
autres.
Mais en même tems figurons - nous une
fcience que par bonheur tous les hommes
apprennent inévitablement entr'eux.
Telle eft la fcience du coeur humain ,
celle des grands hommes dont il eft queftion
.
D'une part , la néceffité abfolue de la
fçavoir ; de l'autre , la continuité inévita42
MERCURE DE FRANCE.
ble des leçons qu'on en reçoit de toutes
parts , font qu'elle ne fçauroit refter une
énigme pour perſonne.
Comment , en effet , feroit - il poffible
qu'on ne la fçût pas plus ou moins.
Ce n'eft pas dans les livres qu'on l'apprend
, c'eft elle au contraire qui nous
explique les livres , & qui nous met en
état d'en profiter ; il faut d'avance la fçavoir
un peu pour les entendre .
pour vous en
Elle n'a pas non plus fes profeffeurs à
part , à peine fuffiroient - ils
donner la plus légere idée , & rien de ce
que je dis là n'en feroit une connoiffance
inévitable . C'eft la fociété , c'est toute l'humanité
même qui en tient la feule école
qui foit convenable , école toujours ouverte
, où tout homme étudie les autres ,
& en eft étudié à fon tour ; où tout homme
eſt tour à tour écolier & maître.
Cette fcience réfide dans le commerce
que nous avons tous , & fans exception ;
enfemble.
Nous en commençons l'infenfible & continuelle
étude prefqu'en voyant le jour.
t
Nous vivons avec les fujets de la fcience
, avec les hommes qui ne traitent que
d'elle , avec leurs paffions , qui l'enfeignent
aux nôtres , & qui même en nous
trompant nous l'enfeignent encore ; car c'eſt
AVRIL. 1755. 43
une inftruction de plus que d'y avoir été
trompé il n'y a rien à cet égard là de
perdu avec les hommes.
Voilà donc tout citoyen du monde , né
avec le fens commun , le plus fimple & le
plus médiocre ; le voilà prefque dans l'impoffibilité
d'ignorer totalement la fcience
dont il eft queſtion , puifqu'il en reçoit
des leçons continuelles , puifqu'elles le
pourfuivent , & qu'il ne peut les fuir.
Ce n'eft pas là tout , c'eft qu'à l'impoffibilité
comme infurmontable de ne pas
s'inftruire plus ou moins de cette fcience
qui n'eft que la connoiffance des hommes ,
fe joint pour lui une autre caufe d'inftruc
tion
que je crois encore plus fure , & c'eſt
une néceffité abfolue d'être attentif aux leçons
qu'on lui en donne .
Car où pourroit être fa place ? & que
deviendroit-il dans cette humanité affemblée
, s'il n'y pouvoit ni conquérir ni correfpondre
à rien de ce qui s'y paffe , s'il
n'entendoit rien aux moeurs de l'ame humaine
, ni à tant d'intérêts férieux ou frivoles
, généraux ou particuliers qui , tour
à tour , nous uniffent ou nous divifent ?
Que deviendroit- il fi faute de ces notions
de fentiment que nous prenons entre
nous & qui nous dirigent , fi dans l'ignorance
de ce qui nuit ou de ce qui fert
44 MERCURE DE FRANCE.
dans le monde , & fi par conféquent ex
pofé par là à n'agir prefque jamais qu'à
contre- fens , il alloit miferablement heurtant
tous les efprits , comme un aveugle
va heurtant tous les corps.
Il faut donc néceffairement qu'il con
noiffe les hommes , il ne fçauroit fe foute
tenir parmi eux qu'à cette condition là.
Il y va de tour pour lui d'être à certain
point au fait de ce qu'ils font pour ſçavoir
y accommoder ce qu'il eft , pour ju→
ger d'eux , finon finement , du moins au
dégré fuffifant de jufteffe qui convient à
fon état , & à la forte de liaifon ordinaire
ou fortuite qu'il a avec eux.
•
Ily ya toujours de fa fortune , toujours
de fon repos , fouvent de fon honneur
quelquefois de ſa vie ; quelquefois du re-
'pos , de l'honneur , de la fortune & de la
vie des autres.
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Résumé : FRAGMENT D'un Ouvrage de M. de Marivaux, qui a pour titre : Réflexions sur l'esprit humain, à l'occasion de Corneille & de Racine.
Dans son ouvrage 'Réflexions sur l'esprit humain, à l'occasion de Corneille et de Racine', Marivaux distingue deux catégories de grands hommes ayant contribué aux connaissances et aux mœurs humaines : les philosophes et les génies littéraires. Les philosophes, tels que Descartes, Newton, Malebranche et Locke, sont admirés pour leurs contributions intellectuelles et leurs découvertes de la vérité, même si leurs erreurs ont parfois conduit à la lumière. Les génies littéraires, que Marivaux appelle 'beaux esprits', sont des critiques sérieux ou badins de la condition humaine. Ils instruisent et plaisent à travers leurs œuvres, charmant les lecteurs par leur capacité à peindre les grandeurs et les misères de l'âme humaine. Corneille et Racine sont cités comme exemples éminents de cette catégorie. Cependant, le commun des hommes tend à admirer moins les génies littéraires que les philosophes, en raison de l'ignorance des sciences et de l'imagination respectueuse qu'ils inspirent. Les œuvres des génies littéraires ne sont pas perçues comme des énigmes, car elles traitent de sujets accessibles à tous, comme l'âme humaine. Marivaux souligne que cette distinction est injuste et découle de l'ignorance du public. Il argue que les génies littéraires, bien qu'ils ne découvrent pas de nouvelles vérités, ont le talent de formuler et d'exprimer avec vérité les expériences intimes de l'âme humaine, créant ainsi des œuvres originales et frappantes. En conclusion, Marivaux suggère que les génies littéraires, en rappelant aux hommes leur propre esprit, méritent autant de respect que les philosophes. Il invite à reconsidérer la valeur de ces deux types de contributions à la connaissance humaine.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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36
p. 33-43
ÉLOGE DU MENSONGE. A Damon.
Début :
Vieillirons-nous dans les entraves, [...]
Mots clefs :
Mensonge, Yeux, Amour, Nature, Vérité, Coeurs, Âme, Fleurs, Destin
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ÉLOGE DU MENSONGE. A Damon.
ÉLOGE DU MENSONGE.
A Damon.
Vieillirons -nous dans les entraves ,
Martyrs de notre auftérité ?
Cher Damon , de la vérité
Ne verra-t-on que nous d'efclaves ?
De ce perfonnage onéreux
Abjurons la morgue importune ,
Et fans faire les rigoureux ,
Mentons , puifque tout ment , fuivons la loi
commune.
Tu ris : tu prens cette leçon
Pour un frivole badinage ;
Mais je prétens à ce foupçon
Faire fuccéder ton fuffrage.
Raifonnons. Entraîné par une vaine erreur ,
Tu crus la vérité digne de préférence ;
Mais par quel attrait féducteur
Mérite -t-elle ta conftance ?
Eft-ce par un air fec , un ton fouvent grondeur ?
Sans foupleffe , fans complaifance ,
Que fait- elle pour le bonheur ?
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Peut- elle l'emporter fur un rival aimable ?
Le menfonge riant , ce zélé bienfaiteur
Au contraire toujours affable ,
Par de là nos defirs nous comble de faveurs .
C'eft lui dont la main fecourable
Sur un affreux deftin fçait répandre des fleurs ;
Il féduit les efprits , il enchaîne les coeurs :
Nous lui devons enfin l'utile & l'agréable.
Damon , je n'exagere point ;
Sui moi pour éclaircir ce point.
Cet eſpace inconnu d'où nous vient la lumiere ,
Où des foleils fans nombre étincellent fans fin ,
Fut jadis une mer de fubtile matiere ,
Où le noyoit l'efprit humain.
Mon impofteur par fa bonté féconde ,
Dans ce cahos vous fabriqua des cieux ;
Fit mieux encor ; il les peupla de Dieux
Qu'il enfanta pour régir ce bas-monde.
A chacun d'eux il impofa fes loix ;
Son premier-né fut armé du tonnerre ;
L'un fit aimer , l'autre alluma la guerre ;
Ainfi de tous il fixa les emplois.
Il leur bâtit des temples fur la terre ,
Sur leurs autels il fit fumer l'encens ;
Bref , il voulut que de ces Dieux naifans.
L'homme attendît les biens & la mifere.
De tel événement vulgaire
Qu'on croiroit digne de mépris ,
Souvent il fçut faire un mystere ,
JUILLE T. 1755. 35
Lui donnant à propos ce divin caractere ,
Qui du peuple étonné fubjugue les efprits .
Autrefois à fon gré les Vautours , les Corneilles
Prophétifoient dans l'air par d'utiles ébats ;
Le bourdonnement des abeilles
Préfageoit le fort des combats ,
Et cent fois il fixa le deftin des états
Par d'auffi burleſques merveilles .
Combien de conquérans & de héros fameux
Verroient retrancher de leur gloire ,
S'il laiffoit redire à l'hiſtoire
Ce que le fort a fait pour eux ;
S'il ne nous déguifoit leurs honteufes foibleffes ;
Et fi d'un voile généreux ,
Il ne couvroit leurs petiteffes.
Laiffant à part ces hauts objets ;
C'eft dans le commerce ordinaire ,
Que du menfonge néceffaire
Tu vas admirer les bienfaits .
Pour ne point offenſer notre délicateſſe ,
Il s'y montre toujours fous un titre emprunté ;
Gardant l'incognito fous ceux de politeffe ,
D'amitié, d'amour , de tendreffe ,
Souvent même de charité ,
Seul il fait tous les frais de la fociété .
Suppofons un moment que le ciel en colere
Contraignit les mortels par un arrêt févere ,
A peindre dans leurs moeurs & dans tớis lears
discours ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Ces fecrets fentimens dont ils gênent le cours ;
Quelle honte pour notre espece !
Paris plus effrayant que les antres des ours
Deviendroit un féjour d'horreur & de triſtelle !
Tu verrois , cher ami , les trois quarts des humains
S'accablant tour à tour de leur indifférence ;
De leur haine , de leurs dédains ,
S'annoncer par leur
arrogance
Qu'ils font prêts d'en venir aux mains.
Tu verrois des enfans , des héritiers avides ,
Sur des biens à venir trop lents
Attacher fans pudeur des regards dévorans
Et par des foupirs homicides
Compter les jours de leurs parens.
Dans les chaînes du mariage
Des captifs inquiets , victimes de P'humeur
Feroient par leur bifarre aigreur
Un enfer de leur esclavage.
Maint ami prétendu , léger , intéreſſé ,
Négligeant de voiler fon ame déteſtable ,
Ne fe montreroit empreffé
Que pour l'amuſement , la fortune & la table.
L'incorrigible protegé .
Dans les yeux du patron , ou glacés ou mauffades
,
Dans d'affligeantes rebuffades.
Liroit clairement fon congé..
Un amant brutal & volage
JUILLET. 1755 3.7 .
Sans prélude , fans petits foins ,
Offriroit à fa belle un infipide hommage
Toujours reglé fur fes befoins .
L'amante fans fard , fans fineffe ,
Soumise à fon vainqueur dès le premier inftant ,
Ne prendroit d'autre avis pour marquer la foibleffe
,
Que celui d'un groffier penchant.
Leurs defirs amortis diffipant toute ivreffe ,
Un prompt & fot dégoût finiroir le roman .
Tel feroit l'homme vrai guidé par ſa nature.
Mais détournons les yeux de ce tableau pervers ,
Et parcourons le bien que l'utile impofture
Fait en réformant l'univers .
L'intérêt , l'envie & la haine
Frémiffent vainement dans l'abîme des coeurs ;
La bienféance les enchaîne
Et dérobe au grand jour leurs perfides noirceurs.
L'homme , bien loin d'être farouche ,
D'un amour fraternel , prend les dehors ' trompeurs
;
Ses yeux font careffans , fes geftes font flateurs ,
Et le miel coule de ſa bouche.
A travers les égards , les doux empreffemens ,
Les foins refpectueux , la tendre inquiétude ;
Les yeux même les plus perçans
Pourroient - ils découvrir l'avide ingratitude
Des héritiers & des enfans ?
Şi maudire leur joug & perdre patience ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Eft le deftin fecret d'une foule d'époux ,
Le fçavoir vivre & la décence
De la tendreffe encor confervent l'apparence ,
Et couvrent au moins les dégoûts.
D'équivoques amis le monde entier foiſonne
Mais le peu de fincérité ,
L'intérêt & la vanité
Dont à bon droit on les foupçonne
S'éclipfent fous l'amenité ,
Sous l'air fagement affecté
De n'en vouloir qu'à la perfonne.
Le moins fenfible protecteur
Sous un mafque riant déguifant fa froideur ,
D'une féduifante fumée
Sçait repaître l'ame affamée
D'un fuppliant perfécuteur .
L'amour ne feroit qu'un fonge ,
Une puérilité ;
Mais l'officieux menfonge ,
L'érige en divinité ;
Redoutable par les armes ,
Ou foumettant à fes charmes
Le coeur le plus indompté ,
Il change en idolâtrie
Notre goût pour la beauté.
L'art de la coquetterie
Fut lui feul inventé ,
par
Et fans la fupercherie
Seroit-il exécuté ?
JUILLET. 39 1755.
*
Pour obtenir douce chance ,
L'amant jure la conftance
Et projette un autre amour :
à fon tour ;
L'amante trompe
Feint une pudeur craintive ,
Et pour s'affurer d'un coeur ,
Cache Pardeur la plus vive
Sous l'air froid & la rigueur.
Friands de tendres premices
Cherchons-nous la nouveauté ?
Malgré leur habileté ,
Nos belles font les novices ;
Un ton de naïveté ,
Mille obligeans artifices
Flattent notre vanité.
Si l'ufage des délices
Eteint leur vivacité ;
Le jeu fçavant des caprices
Rameine la volupté.
C'eſt ainfi qu'une folie
Devient par la tricherie
Le plaifir le plus vanté.
C'eft ainfi que dans la vie
Mutuelle duperie ,
Fait notre, félicité.
Si tu veux ajoûter un dégré d'évidence
Aux preuves de mon fentiment ,
Suivons notre Protée exerçant fa puiffance
Sur ces arts renommés on regne l'agrément..
40 MERCURE DE FRANCE.
Sans lui que feroit l'éloquence
Un infupportable talent .
Prives la de fes fleurs ; elle eft fans véhémence ,
Elle rampe fans ornemens :
Mais ces brillantes fleurs , métaphore , hyperbole
,
Allégorie & parabole ,
Et cent noms qu'à citer je perdrois trop de tems ;
Du menfonge orateur font les noms différens .
En vain fa rare modeftie
Permet qu'on invoque Apollon ;
Je ne m'y méprens point ; il est le feul génie
Qui préfide au facré vallon .
Pere de toute illufion ,
Seul il peut fouffler la manie
De plaire par la fiction.
Vois- tu prendre aux vertus , à chaque paffion ,
Un corps , la parole & la vie ?
C'est lui qui les perfonnifie.
Il déraisonne enfin dans tout égarement
D'une bouillante fantaisie :
Qui , mentir agréablement
Fait tout l'art de la poëfie .
Que vois-je , cher Damon ? que d'objets raviffans
!
Arrêtons - nous à ce ſpectacle ,
Où tout eft chef- d'oeuvre & miracle ,
Où tout enleve l'ame en ſurprenant les fens.
Quel pouvoir divin ou magique
JUILLET. 1755. 41
Fait qu'une e pace fi borné
Paroît vafte à mes yeux , & le plus magnifique
Que jamais nature ait orné ?
Qui fçut y renfermer ces fuperbes montagnes ,
Ces rochers , ces fombres forêts ,
Ces fleuves effrayans , ces riantes campagnes ,
Ces riches temples , ces palais ?
Quel génie ou démon pour enchanter ma vûe ,
A fes ordres audacieux
Fit obéir le ciel , la terre & l'étendue ?
Sans doute , quelqu'il foit , c'eſt l'émule des
Dieux.
Une amufante fymphonie
Des chantres des forêts imite les accens !
Que dis- je ? roffignols , ah ! c'eft vous que j'entens
,
De vos tendres concerts la champêtre harmonie
Me fait goûter ici les charmes du printemps.
Des ruiffeaux , l'aimable murmure
Vient s'unir à vos fons dictés par la nature :
On ne me trompe point , tout eft vrai , je le fens .
Mais grands Dieux ! quel revers étrange !
Le plaifir fuit , la scène change ;
Eole à leur fureur abandonne les vents.
Quels effroyables fifflemens !
L'air mugit , le tonnerre gronde !
Un defordre bruyant , le choc des élémens ,
Tout femble m'annoncer le dernier jour da
monde !
42 MERCURE DE FRANCE .
Fuyons vers quelqu'antre écarté ,
Echappons , s'il fe peut , à ce cruel orage ..
Mais je rougis de ma fimplicité.
J'ai pris pour la réalité
Ce qui n'en étoit que l'image.
Ces murmures , ces bruits , ces champêtres concerts
,
Ne font dus qu'aux accords d'une adroite mufique
;
Et ces payfages divers
Sont les jeux d'un pinceau que dirigea l'optique.
Mais de ces arts ingénieux
Comment s'opperent les merveilles ?
Servandoni ment à nos yeux ,
Et Rameau ment à nos oreilles.
En un mot tout ment ici -bas ;
A cet ordre commun , il n'eft rien de rebelle .
Eh ! pourquoi l'univers ne mentiroit- il pas a
Il imite en ce point le plus parfait modele.
L'or des aftres , l'azur des cieux
Sont une éternelle impofture ;
Toute erreur invincible à nos fens curieux
Eft menfonge de la nature .
Mais tu verrois fans fin les preuves s'amaffer ,
Si j'approfondiffois un fujet fi fertile ;
Pour terminer en omets mille ,
Dans la crainte de te laffer..
Je te laiffe à pourſuivré une route facile ..
Réfléchis à loifir : & , tout bien médité ,
JUILLET. 1755 . 43
Tu diras comme moi que notre utilité
A prefque interdit tout azile
A l'impuiffante vérité.
Où fe reffugira cette illuftre bannie ?
L'abandonnerons-nous à tant d'ignominie ?
Non : retirons la par pitié.
Logeons la dans nos coeurs : que toute notre vie ,
Elle y préfide à l'amitié.
A Damon.
Vieillirons -nous dans les entraves ,
Martyrs de notre auftérité ?
Cher Damon , de la vérité
Ne verra-t-on que nous d'efclaves ?
De ce perfonnage onéreux
Abjurons la morgue importune ,
Et fans faire les rigoureux ,
Mentons , puifque tout ment , fuivons la loi
commune.
Tu ris : tu prens cette leçon
Pour un frivole badinage ;
Mais je prétens à ce foupçon
Faire fuccéder ton fuffrage.
Raifonnons. Entraîné par une vaine erreur ,
Tu crus la vérité digne de préférence ;
Mais par quel attrait féducteur
Mérite -t-elle ta conftance ?
Eft-ce par un air fec , un ton fouvent grondeur ?
Sans foupleffe , fans complaifance ,
Que fait- elle pour le bonheur ?
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Peut- elle l'emporter fur un rival aimable ?
Le menfonge riant , ce zélé bienfaiteur
Au contraire toujours affable ,
Par de là nos defirs nous comble de faveurs .
C'eft lui dont la main fecourable
Sur un affreux deftin fçait répandre des fleurs ;
Il féduit les efprits , il enchaîne les coeurs :
Nous lui devons enfin l'utile & l'agréable.
Damon , je n'exagere point ;
Sui moi pour éclaircir ce point.
Cet eſpace inconnu d'où nous vient la lumiere ,
Où des foleils fans nombre étincellent fans fin ,
Fut jadis une mer de fubtile matiere ,
Où le noyoit l'efprit humain.
Mon impofteur par fa bonté féconde ,
Dans ce cahos vous fabriqua des cieux ;
Fit mieux encor ; il les peupla de Dieux
Qu'il enfanta pour régir ce bas-monde.
A chacun d'eux il impofa fes loix ;
Son premier-né fut armé du tonnerre ;
L'un fit aimer , l'autre alluma la guerre ;
Ainfi de tous il fixa les emplois.
Il leur bâtit des temples fur la terre ,
Sur leurs autels il fit fumer l'encens ;
Bref , il voulut que de ces Dieux naifans.
L'homme attendît les biens & la mifere.
De tel événement vulgaire
Qu'on croiroit digne de mépris ,
Souvent il fçut faire un mystere ,
JUILLE T. 1755. 35
Lui donnant à propos ce divin caractere ,
Qui du peuple étonné fubjugue les efprits .
Autrefois à fon gré les Vautours , les Corneilles
Prophétifoient dans l'air par d'utiles ébats ;
Le bourdonnement des abeilles
Préfageoit le fort des combats ,
Et cent fois il fixa le deftin des états
Par d'auffi burleſques merveilles .
Combien de conquérans & de héros fameux
Verroient retrancher de leur gloire ,
S'il laiffoit redire à l'hiſtoire
Ce que le fort a fait pour eux ;
S'il ne nous déguifoit leurs honteufes foibleffes ;
Et fi d'un voile généreux ,
Il ne couvroit leurs petiteffes.
Laiffant à part ces hauts objets ;
C'eft dans le commerce ordinaire ,
Que du menfonge néceffaire
Tu vas admirer les bienfaits .
Pour ne point offenſer notre délicateſſe ,
Il s'y montre toujours fous un titre emprunté ;
Gardant l'incognito fous ceux de politeffe ,
D'amitié, d'amour , de tendreffe ,
Souvent même de charité ,
Seul il fait tous les frais de la fociété .
Suppofons un moment que le ciel en colere
Contraignit les mortels par un arrêt févere ,
A peindre dans leurs moeurs & dans tớis lears
discours ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Ces fecrets fentimens dont ils gênent le cours ;
Quelle honte pour notre espece !
Paris plus effrayant que les antres des ours
Deviendroit un féjour d'horreur & de triſtelle !
Tu verrois , cher ami , les trois quarts des humains
S'accablant tour à tour de leur indifférence ;
De leur haine , de leurs dédains ,
S'annoncer par leur
arrogance
Qu'ils font prêts d'en venir aux mains.
Tu verrois des enfans , des héritiers avides ,
Sur des biens à venir trop lents
Attacher fans pudeur des regards dévorans
Et par des foupirs homicides
Compter les jours de leurs parens.
Dans les chaînes du mariage
Des captifs inquiets , victimes de P'humeur
Feroient par leur bifarre aigreur
Un enfer de leur esclavage.
Maint ami prétendu , léger , intéreſſé ,
Négligeant de voiler fon ame déteſtable ,
Ne fe montreroit empreffé
Que pour l'amuſement , la fortune & la table.
L'incorrigible protegé .
Dans les yeux du patron , ou glacés ou mauffades
,
Dans d'affligeantes rebuffades.
Liroit clairement fon congé..
Un amant brutal & volage
JUILLET. 1755 3.7 .
Sans prélude , fans petits foins ,
Offriroit à fa belle un infipide hommage
Toujours reglé fur fes befoins .
L'amante fans fard , fans fineffe ,
Soumise à fon vainqueur dès le premier inftant ,
Ne prendroit d'autre avis pour marquer la foibleffe
,
Que celui d'un groffier penchant.
Leurs defirs amortis diffipant toute ivreffe ,
Un prompt & fot dégoût finiroir le roman .
Tel feroit l'homme vrai guidé par ſa nature.
Mais détournons les yeux de ce tableau pervers ,
Et parcourons le bien que l'utile impofture
Fait en réformant l'univers .
L'intérêt , l'envie & la haine
Frémiffent vainement dans l'abîme des coeurs ;
La bienféance les enchaîne
Et dérobe au grand jour leurs perfides noirceurs.
L'homme , bien loin d'être farouche ,
D'un amour fraternel , prend les dehors ' trompeurs
;
Ses yeux font careffans , fes geftes font flateurs ,
Et le miel coule de ſa bouche.
A travers les égards , les doux empreffemens ,
Les foins refpectueux , la tendre inquiétude ;
Les yeux même les plus perçans
Pourroient - ils découvrir l'avide ingratitude
Des héritiers & des enfans ?
Şi maudire leur joug & perdre patience ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Eft le deftin fecret d'une foule d'époux ,
Le fçavoir vivre & la décence
De la tendreffe encor confervent l'apparence ,
Et couvrent au moins les dégoûts.
D'équivoques amis le monde entier foiſonne
Mais le peu de fincérité ,
L'intérêt & la vanité
Dont à bon droit on les foupçonne
S'éclipfent fous l'amenité ,
Sous l'air fagement affecté
De n'en vouloir qu'à la perfonne.
Le moins fenfible protecteur
Sous un mafque riant déguifant fa froideur ,
D'une féduifante fumée
Sçait repaître l'ame affamée
D'un fuppliant perfécuteur .
L'amour ne feroit qu'un fonge ,
Une puérilité ;
Mais l'officieux menfonge ,
L'érige en divinité ;
Redoutable par les armes ,
Ou foumettant à fes charmes
Le coeur le plus indompté ,
Il change en idolâtrie
Notre goût pour la beauté.
L'art de la coquetterie
Fut lui feul inventé ,
par
Et fans la fupercherie
Seroit-il exécuté ?
JUILLET. 39 1755.
*
Pour obtenir douce chance ,
L'amant jure la conftance
Et projette un autre amour :
à fon tour ;
L'amante trompe
Feint une pudeur craintive ,
Et pour s'affurer d'un coeur ,
Cache Pardeur la plus vive
Sous l'air froid & la rigueur.
Friands de tendres premices
Cherchons-nous la nouveauté ?
Malgré leur habileté ,
Nos belles font les novices ;
Un ton de naïveté ,
Mille obligeans artifices
Flattent notre vanité.
Si l'ufage des délices
Eteint leur vivacité ;
Le jeu fçavant des caprices
Rameine la volupté.
C'eſt ainfi qu'une folie
Devient par la tricherie
Le plaifir le plus vanté.
C'eft ainfi que dans la vie
Mutuelle duperie ,
Fait notre, félicité.
Si tu veux ajoûter un dégré d'évidence
Aux preuves de mon fentiment ,
Suivons notre Protée exerçant fa puiffance
Sur ces arts renommés on regne l'agrément..
40 MERCURE DE FRANCE.
Sans lui que feroit l'éloquence
Un infupportable talent .
Prives la de fes fleurs ; elle eft fans véhémence ,
Elle rampe fans ornemens :
Mais ces brillantes fleurs , métaphore , hyperbole
,
Allégorie & parabole ,
Et cent noms qu'à citer je perdrois trop de tems ;
Du menfonge orateur font les noms différens .
En vain fa rare modeftie
Permet qu'on invoque Apollon ;
Je ne m'y méprens point ; il est le feul génie
Qui préfide au facré vallon .
Pere de toute illufion ,
Seul il peut fouffler la manie
De plaire par la fiction.
Vois- tu prendre aux vertus , à chaque paffion ,
Un corps , la parole & la vie ?
C'est lui qui les perfonnifie.
Il déraisonne enfin dans tout égarement
D'une bouillante fantaisie :
Qui , mentir agréablement
Fait tout l'art de la poëfie .
Que vois-je , cher Damon ? que d'objets raviffans
!
Arrêtons - nous à ce ſpectacle ,
Où tout eft chef- d'oeuvre & miracle ,
Où tout enleve l'ame en ſurprenant les fens.
Quel pouvoir divin ou magique
JUILLET. 1755. 41
Fait qu'une e pace fi borné
Paroît vafte à mes yeux , & le plus magnifique
Que jamais nature ait orné ?
Qui fçut y renfermer ces fuperbes montagnes ,
Ces rochers , ces fombres forêts ,
Ces fleuves effrayans , ces riantes campagnes ,
Ces riches temples , ces palais ?
Quel génie ou démon pour enchanter ma vûe ,
A fes ordres audacieux
Fit obéir le ciel , la terre & l'étendue ?
Sans doute , quelqu'il foit , c'eſt l'émule des
Dieux.
Une amufante fymphonie
Des chantres des forêts imite les accens !
Que dis- je ? roffignols , ah ! c'eft vous que j'entens
,
De vos tendres concerts la champêtre harmonie
Me fait goûter ici les charmes du printemps.
Des ruiffeaux , l'aimable murmure
Vient s'unir à vos fons dictés par la nature :
On ne me trompe point , tout eft vrai , je le fens .
Mais grands Dieux ! quel revers étrange !
Le plaifir fuit , la scène change ;
Eole à leur fureur abandonne les vents.
Quels effroyables fifflemens !
L'air mugit , le tonnerre gronde !
Un defordre bruyant , le choc des élémens ,
Tout femble m'annoncer le dernier jour da
monde !
42 MERCURE DE FRANCE .
Fuyons vers quelqu'antre écarté ,
Echappons , s'il fe peut , à ce cruel orage ..
Mais je rougis de ma fimplicité.
J'ai pris pour la réalité
Ce qui n'en étoit que l'image.
Ces murmures , ces bruits , ces champêtres concerts
,
Ne font dus qu'aux accords d'une adroite mufique
;
Et ces payfages divers
Sont les jeux d'un pinceau que dirigea l'optique.
Mais de ces arts ingénieux
Comment s'opperent les merveilles ?
Servandoni ment à nos yeux ,
Et Rameau ment à nos oreilles.
En un mot tout ment ici -bas ;
A cet ordre commun , il n'eft rien de rebelle .
Eh ! pourquoi l'univers ne mentiroit- il pas a
Il imite en ce point le plus parfait modele.
L'or des aftres , l'azur des cieux
Sont une éternelle impofture ;
Toute erreur invincible à nos fens curieux
Eft menfonge de la nature .
Mais tu verrois fans fin les preuves s'amaffer ,
Si j'approfondiffois un fujet fi fertile ;
Pour terminer en omets mille ,
Dans la crainte de te laffer..
Je te laiffe à pourſuivré une route facile ..
Réfléchis à loifir : & , tout bien médité ,
JUILLET. 1755 . 43
Tu diras comme moi que notre utilité
A prefque interdit tout azile
A l'impuiffante vérité.
Où fe reffugira cette illuftre bannie ?
L'abandonnerons-nous à tant d'ignominie ?
Non : retirons la par pitié.
Logeons la dans nos coeurs : que toute notre vie ,
Elle y préfide à l'amitié.
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Résumé : ÉLOGE DU MENSONGE. A Damon.
Le texte 'Éloge du mensonge' explore la nécessité et les bienfaits du mensonge dans la société. L'auteur s'adresse à Damon pour démontrer que la vérité n'est pas toujours bénéfique et que le mensonge, sous diverses formes, joue un rôle essentiel dans les relations humaines et la vie quotidienne. Il argue que la vérité est souvent austère et intransigeante, tandis que le mensonge, plus aimable et flexible, contribue au bonheur et à l'harmonie sociale. L'auteur illustre son propos en montrant comment le mensonge structure l'univers et les croyances religieuses. Il explique que les dieux et leurs lois ont été créés par le mensonge pour régir le monde et donner un sens aux événements. Il cite également des exemples historiques où le mensonge a été utilisé pour exalter la gloire des conquérants et des héros en dissimulant leurs faiblesses. Dans la vie quotidienne, le mensonge est présenté comme indispensable pour maintenir la politesse, l'amitié, l'amour et la charité. Sans lui, les relations humaines seraient marquées par l'indifférence, la haine et les conflits. L'auteur décrit un scénario où les gens exprimeraient leurs véritables sentiments, conduisant à une société chaotique et hostile. Il conclut en affirmant que le mensonge est omniprésent et nécessaire dans les arts, la littérature et la poésie. Il cite des exemples comme l'éloquence, la coquetterie et les spectacles, où le mensonge enrichit et embellit la réalité. L'auteur invite Damon à reconnaître l'utilité du mensonge et à l'accepter comme une composante essentielle de la vie humaine.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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37
p. 8-45
ROSALIE. Histoire véritable, par M. Y....
Début :
Le vice n'est jamais estimable, mais il cesse d'être odieux quand il n'a point [...]
Mots clefs :
Coeur, Amour, Honneur, Parents, Bonheur, Yeux, Vertu, Orgueil, Fortune, Famille, Passion, Amant, Moeurs, Larmes, Sensibilité, Confiance, Mains, Honte, Vérité, Conseils, Notaire, Générosité
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ROSALIE. Histoire véritable, par M. Y....
ROSAL I E.
Hiftoire véritable , par M.Y....
L'celle d'être odieux quand il n'a point
E vice n'eft jamais eftimable , mais il
:
étouffé les qualités de l'ame. Une foiblefle
de coeur prend auffi fouvent fon origine
dans une certaine facilité d'humeur que
dans l'attrait du plaifir. Un amant fe préfente
, ou il eft enjoué , ou il eft homie à
fentiment. Le premier eft le moins dangereux
, il ne féduit jamais qu'une étourdie ,
& il ne triomphe que dans une faillie téméraire
Le fecond , plus refpectueux en
apparence , va à fon but par la délicateſſe
vante fa conftance, déclame contre les perfides,
& finit par l'être. Que devient une jeune
perfonne qui dans l'ivreffe de la gaieté
s'eft laiffée furprendre , ou qui eft tonbée
dans le piége d'une paffion décorée extérieurement
par le fentiment ? ce que font prefque
toutes celles qui ont débuté par une
fragilité ; elles fe familiarifent avec le vice ,
elles s'y précipitent ; l'amour du luxe & de
l'oifeveté les y entretient ; elles ont des
modeles , elles veulent y atteindre ; incapables
d'un attachement fincere elles en
AOUS T 1755. 9.
affectent l'expreffion , elles ont été la dupe
d'un homme , & elles fe vengent fur
toute l'efpece. Heureufes celles dont le
le coeur n'eft point affez dépravé pour fe
refufer aux inftances de la vertu qui cherche
à y rentrer .
Telle étoit Rofalie , elle étoit galante
avec une forte de décence . Ses moeurs
étoient déréglées , mais elle fçavoit louer
& admirer la vertu . Ses yeux pleins de
douceur & de vérité annonçoient fa franchife.
On entrevoyoit bien dans fa démarche
, dans fes manieres le manege de
la coquetterie , mais fon langage étoit modefte
, & elle ne s'abandonna jamais à ces
intempérances de langue , qui caractériſent
fi baffement fes femblables. Fidele à fes
engagemens , elle les envifagea toujours
comme des liens qu'elle ne pouvoit rompre
fans ingratitude , & les conventions
faites , l'offre la plus éblouiffante n'auroit
pû la déterminer à une perfidie.
Elle ne fut jamais parjure la premiere.
Son coeur plus fenfible à la reconnoiffance
qu'à l'amour , étoit incapable de fe laiffer
féduire à l'appas de l'intérêt & aux charmes
de l'inconftance . Solitaire , laborieuſe ,
fobre , elle eût fait les délices d'un mari ,
fi une premiere foibleffe ne l'eût en quelque
façon fixée à un état dont elle ne
A v
To MERCURE DE FRANCE.
pouvoit parler fans rougir. Affable , compatiffante
, généreufe , elle ne voyoit ja→
mais un malheureux fans lui tendre une
main fecourable ; & quand on parloit de
fes bienfaits , on difoit que le vice étoit
devenu tributaire de la vertu . Des lectures
fenfées avoient ranimé dans fon coeur les .
germes d'un beau naturel . Elle y fentoit
renaître le defir d'une conduite raifonnable
, elle vouloit fe dégager , & elle méditoit
même depuis long-tems une retraite
qui la fauvât de la honte d'avoir mal vécu ,
& du ridicule de mieux vivre , mais elle
avoit été arrêtée par un obftacle , elle avoit
voulu fe faire une fortune qui put la mettre
à l'abri des tentations qu'elle infpiroit , &
des offres des féducteurs : enfin elle vouloit
être vertueufe à fon aife ; elle ambitionnoit
deux cens mille francs , & par
dégrés elle étoit parvenue à les avoir. Contente
de ce que la fortune & l'amour lui
avoient procuré , elle avoit congédié fon
dernier amant , elle fe préparoit à fuir loin
de Paris les occafions d'une rechûte.
Ce fut alors qu'un jeune Gentilhomme
nommé Terlieu , vint loger dans une petite
chambre qui étoit de plain pied à l'appartement
qu'elle occupoit. Il fortoit tous
les jours à fept heures du matin , il rentroit
à midi pour fe renfermer , & il borA
O UST. 1955. 11
noit à une révérence muette fon cérémonial
avec fa voifine. La fingularité de la
vie de ce jeune homme irrita la curiofité
de Rofalie. Un jour qu'il venoit de rentrer
, elle s'approche de la porte de fa
chambre , prête l'oreille , porte un regard
fur le trou de la ferrure , & voit l'infortuné
Terlieu qui dînoit avec du pain
fec , chaque morceau étoit accompagné
d'un gémiffement , & fes larmes en fai
foient l'affaifonnement. Quel fpectacle
pour une ame fenfible ! celle de Rofalie
en fut pénétrée de douleur . Dans ce mo
ment une autre avec les vûes les plus pures ,
eût été peut-être indiferette , elle fe für
écriée , & généreufement inhumaine elle
eût décelé la mifere de Terlieu ; mais Rofalie
qui fçavoit combien il eft douloureux
d'être furpris dans les befoins de l'indigen
ce, rentra promptement chez elle pour y attendre
l'occafion d'être fecourable avec le
refpect qu'on doit aux infortunés. Elle épia
le lendemain l'inftant où Terlieu étoit dans
l'habitude de fe retirer , & pour que fon
deffein parut être amené par le hazard
elle fit tranfporter fon métier de tapifferie
dans fon anti- chambre , dont elle eur
foin de tenir la porte ouverte.
Terlieu accablé de fatigue & de trifteffe
parur à fon heure ordinaire , fit fa révé-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
rence , & alloit fe jetter dans l'obfcurité
de fa petite chambre , lorfque Rofalie ,
avec ce ton de voix aifé & poli , qui eſt
naturel au beau fexe , lui dit : En vérité ,
Monfieur , j'ai en vous un étrange voifin ;
j'avois penfé qu'une femme , quelle qu'elle
fût, pouvoit mériter quelque chofe par-delà
une révérence. Ou vous êtes bien farouche
, ou je vous parois bien méprifable . Si
vous me connoiffez , j'ai tort de me, plaindre
, & votre dedain m'annonce un homme
de la vertu la plus fcrupuleuſe , & dèslors
j'en réclame les confeils & les fecours.
Seroit-ce auffi que cette févérité que je lis
fur votre front prendroit fa caufe de quelque
chagrin qui vous accable ? Souffrez
que je m'y intereffe. Entrez , Monfieur , je
Vous fupplie : que fçavons- nous fi le fort
ne nous raffemble point pour nous être
mutuellement utiles ? je fuis feule , mon
dîner eft prêt , faites moi , je vous conjure
, l'honneur de le partager avec moi :
j'ai quelquefois un peu de gaieté dans
l'efprit , je pourrai peut-être vous diffiper.
Mademoiſelle , répondit Terlieu , vous
méritez fans doute d'être connue , & l'accueil
dont vous m'honorez ,, annonce en
vous un beau caractere. Qui que vous
foyez , il m'eft bien doux de trouver quel
1
1
A O UST . 1755. 13
qu'un qui ait la générofité de s'appercevoir
que je fuis malheureux . Depuis quinze
jours que je fuis à Paris , je ne ceffe
d'importuner tous ceux fur la fenfibilité
defquels j'ai des droits , & vous êtes la
premiere perfonne qui m'ait favorisé de
quelques paroles de bienveillance . N'imputez
point de grace , Mademoiſelle , ni
à orgueil ni à mépris ma négligence à votre
égard : fi vous avez connu l'infortune ,
vous devez fçavoir qu'elle eft timide . On
fe préfente de mauvaife grace , quand le
coeur eft dans la peine. L'affliction appéfantit
l'efprit , elle défigure les traits , elle
dégrade le maintien , & elle verſe une
efpece de ridicule fur tout l'extérieur de
la perfonne qui fouffre . Vous êtes aimable
, vous êtes fpirituelle , vous me paroiffez
dans l'abondance ; me convenoit- il
de venir empoifonner les douceurs de votre
vie ? Si vous êtes généreufe , comme
j'ai lieu de le croire , vous auriez pris part
à mes maux je vous aurois attriftée .
Monfieur , répliqua Rofalie , je ne fuis
point affez vaine pour me flater du bonheur
de vous rendre fervice , mais je puis
me vanter que je ferois bien glorieufe fi
je pouvois contribuer à vous confoler , à
vous encourager. J'ai de grands défauts ,
mes moeurs ne font rien moins que régu14
MERCURE DE FRANCE.
lieres , mais mon coeur eft fenfible au fort
des malheureux ; il ne me refte que cette
vertu ; elle feule me foutient , me ranime ,
& me fait efperer le retour de celles que
j'ai négligées. Daignez , Monfieur , par
un peu de confiance , favorifer ce préfage.
Que rifquez- vous ? vos aveux ne feront
fûrement pas auffi humilians que les miens,
& cependant je vous ai donné l'exemple
d'une fincérité peu commune. Je ne puis
croire que ce foit votre mauvaiſe fortune
qui vous afflige. Avec de l'efprit , de la
jeuneffe , un extérieur auffi noble , on
manque rarement de reffources . Vous foupirez
? c'est donc l'honneur , c'est donc la
crainte d'y manquer , ou de le perdre qui
caufe la confternation où je vous vois.
Oui , cette peine eft la feule qui puiffe
ébranler celui qui en fait profeflion.
Voilà , s'écria Terlieu avec une forte
d'emportement , voilà l'unique motif de
mon défeſpoir , voilà ce qui déchire
mon coeur , voilà ce qui me rend la vic
infupportable . Vous defirez fçavoir mon
fecret , je ne réfifte point à la douceur
de vous le confier ; apprenez donc que
je n'ai rien , apprenez que je ne puis
fubfifter qu'en immolant aux befoins de
la vie cethonneur qui m'eft fi cher. Je fuis
Gentilhomme , j'ai fervi , je viens d'être
réformé je follicite , j'importune .... &
A O UST. 1755. 15
qui ! des gens qui portent mon nom , des
gens qui font dans l'abondance , dans les
honneurs , dans les dignités . Qu'en ai - je
obtenu ? des refus , des défaites , des dédains
, des hauteurs , le croirez - vous , Mademoiſelle
, le plus humain d'entr'eux ,
fans refpect pour lui- même , vient d'avoir
l'infolence de me propofer un emploi dans
les plus baffes fonctions de la Finance ! le
malheureux fembloit s'applaudir de l'indigne
faveur qu'il avoir obtenue pour moi .
Je l'avouerai , je n'ai pû être maître de
mon reffentiment. Confus , outré , j'ai déchiré
& jetté au vifage de mon lache bienfaiteur
le brevet humiliant qu'il a ofé me
préſenter. Heureux au moins d'avoir appris
à connoître les hommes , plus heureux
encore fi je puis parvenir à fuir , à
oublier , à détefter des parens qui veulent
que je deshonore le nom qu'ils portent. Je
fçais bien que ce n'eft point là le ton de
l'indigence ; que plus humble , plus modefte
, elle doit fe plier aux circonftances ;
que la nobleffe eft un malheur de plus
quand on eft pauvre , qu'enfin la fierté
eft déplacée quand les reffources de la vie
manquent. J'ai peut- être eu tort de rejetter
celles qui m'ont été offertes . J'avouerai
même que mon orgueil eut fléchi fi j'euffe
pû envifager dans l'exercice d'un pofté de
16 MERCURE DE FRANCE.
quoi fubfifter un peu honnêtement ; mais
s'avilir pour tourmenter laborieufement
les autres ; ah ! Mademoiſelle , c'eſt à quoi
je n'ai pû me réfoudre .
Monfieur , reprit Rofalie , je ne fçais fi
je dois applaudir à cette délicateffe , mais
je fens que je ne puis vous blâmer. Votre
fituation ne peut être plus fâcheufe .
Voici quelqu'un qui monte , remettezvous
, je vous prie , & tachez de vous
rendre aux graces de votre naturel ; il n'eft
pas convenable qu'on life dans vos yeux
l'abattement de votre coeur : fouffrez que
je me réſerve ſeule le trifte plaifir de vous
entendre , & de vous confoler . Ah ! c'eſt
Orphife , continua Rofalie fur le ton de la
gaieté , approche mon amie & félicitemoi
.... & de quoi , répliqua Orphife en
l'interrompant , eft- ce fur le parti fingulier
que tu prens d'abandonner Paris à la fleur
de ton âge , & d'aller te confiner en prude
prématurée dans la noble chaumiere dont
tu médites l'acquifition ? mais vraiment
tu vas embraffer un genre de vie fort attrayant.
Fort bien , répondit Rofalie , raille
, diverti- toi mais tes plaifanteries ne
me détourneront point du deffein que j'ai
pris. Je venois cependant te prier d'un
fouper.... Je ne foupe plus que chez moi ,
répliqua Rofalie. Mais toi - même tu me
?
}
AOUS T. 1755. 17
paroiffois déterminée à fuivre mon exemple.
C'étoit , répodit Orphiſe dans un accès
d'humeur , j'extravaguois. Une nouvelle
conquête m'a ramenée au fens commun.
Tant pis .... Ah ! point de morale.
Dînons. On fervit.
Pendant qu'elles furent à table , Orphiſe
parla feule , badina Rofalie , prit Terlicu
pour un fot , en conféquence le perfifa.
Pour lui il mangea peu : éroit- ce faute
d'appétit non , peut être ; mais il n'ofa
en avoir. Le caffé pris , Orphife fit fes
adieux , & fe recommanda ironiquement
aux prieres de la belle pénitente .
Rofalie débarraffée d'une visite auffi
choquante qu'importune , fit paffer Terlieu
dans fon fallon de compagnie. Après
un filence de quelques inftans , pendant
lequel Terlieu , les yeux baiffés , lui ménageoit
le plaifir de pouvoir le fixer avec
cette noble compaffion dont fe laiffent
toucher les belles ames à l'afpect des infor
tunés ; elle prit la parole , & lui dit ,
Monfieur , que je vous ai d'obligation ! la
confiance dont vous m'avez honorée , eft
de tous les événemens de ma vie celui qui
m'a le plus flatée , & l'impreffion qu'elle
fait fur mon coeur me caufe une joie ....
Pardonnez -moi ce mot, celle que je reffens
ne doit point vous affliger , elle ne peut
18 MERCURE DE FRANCE.
vous être injurieufe , je ne la tiens que
du bonheur de partager vos peines. Oui ,
Monfieur , ma fenfibilité pour votre fituation
me perfuade que j'étois née pour
la vertu ; mais que dis-je ? A quoi vous
peut être bon fon retour chez moi , fi
vous ne me croyez digne de vous en donner
des preuves. Vous rougiffez : hélas ,
je vois bien que je ne mérite point cette
gloire , foyez , je vous prie , plus génćreux
, ou du moins faites- moi la grace de
penfer qu'en me refufant vous m'humiliez
d'une façon bien cruelle.
• Vous êtes maîtreffe de mon fecret , répondit
Terlieu , ne me mettez point dans
Je cas de me repentir de vous l'avoir confié
: je ne m'en défends point , j'ai trouvé
quelques charmes à vous le révéler ; j'avouerai
même que mon coeur avoit un befoin
extrême de cette confolation : il me
femble que je refpire avec plus de facilité .
Je vous dois donc , Mademoiſelle , ce
commencement de foulagement ; c'est beaucoup
de fouffrir moins , quand on a beaucoup
fouffert. Permettez que je borne à
cette obligation toutes celles que je pourrois
efperer de votre générofité. Ne mefufez
point , je vous prie de la connoiffance
que vous avez de mon fort ; il ne
peut être plus cruel , mais je fçaurai le
-
AOUST. 1755. 19
fupporter fans en être accablé . C'en eft fair,
je reprens courage ; j'ai trouvé quelqu'un
qui me plaint. Au refte , Mademoiſelle ,
je manquerois à la reconnoiffance fi je
renonçois entierement à vos bontés ; &
puifque vous me permettez de vous voir ,
je viendrai vous inftruire tous les jours de
ce que mes démarches & mes follicitations
auront opéré je recevrai vos confeils
avec docilité , mais auflì c'est tout ce
qu'il vous fera permis de m'offrir , autrement
je cefferois .... N'achevez pas , répliqua
Rofalie en l'interrompant , je n'aime
point les menaces. Dites - moi , Monfieur
, eft-ce que l'infortune rend les hommes
intraitables ? eft - ce qu'elle répand
fur les moeurs , fur les manieres , une inquiétude
fauvage : eft- ce qu'elle prête au
langage de la féchereffe , de la dureté ?
s'il eft ainfi , elle eft bien à redouter. N'eftpas
vrai que vous n'étiez point tel dans
la prospérité ? vous n'euffiez point alors
rejetté une offre de fervice .
il
J'en conviens , répondit Terlieu , j'euſſeaccepté
parce que je pouvois efperer de rendre
, mais à préfent je ne le puis en confcience.
Quant à cette dureté que vous
me reprochez , j'avouerai que je la crois
honorable , néceſſaire même à celui qui eft
dans la peine. Elle annonce de la fermeté ,
20 MERCURE DE FRANCE.
elle repouffe l'orgueil de ceux qui font
dans l'opulence , elle fait refpecter le miférable.
L'humilité du maintien , la modeftie
, la timidité du langage donneroient
trop d'avantage à ceux qui ne font que
riches ; car enfin celui qui rampe , court
les rifques d'être écrasé.
Et vous êtes , reprit Rofalie , dans l'appréhenfion
que je ne me prévale des aveux
que vous m'avez fait : oui , dans mon dépit
vous me faites imaginer des fouhaits
extravagants je l'efpere au moins , votre
mauvaife fortune me vengera , vos parens
font de monftres ... que je ferois contente
s'ils vous rebutoient au point que vous
fuffiez forcé d'avoir recours à cette Rofalie
que vous dédaignez , puifque vous ne
la croyez point capable de vous obliger
dans le fecret de fa confcience.
Sur le point de quitter Paris je voulois
en fortir en faifant une action qui pût.
tranquilifer mes remors , & m'ouvrir la
route des vértus que je me propofe ; le hazard
, ou pour mieux dire , le ciel permet
que je falfe votre connoiffance ; je
crois que vous m'êtes adreffé pour vous ,
être fecourable , & je ne trouve en vous
que la fierté la plus inflexible . Hé bien ,
n'y fongeons plus . Cependant puis- je vous
demander fi vous envifagez quelques refA
OU ST. 1755. 21
fources plus fateufes que celles que vous
pourriez efperer de votre famille ?
Aucune , répondit Terlieu , j'ai bien
quelques amis ; mais comme je ne les
tiens que du plaifir , je n'y compte point.
Quoi ! reprit Rofalie , le néceffaire eft
prêt de vous manquer ,
& vous vous
amufez à folliciter des parens : c'est bien
mal à propos que l'on prétend que la néceffité
eft ingénieufe ! N'auriez - vous de
l'efprit que pour refléchir fur vos peines ?
que pour en méditer l'amertume ? Allez
Monfieur , allez faire un tour de promenade
: rêvez , imaginez , faites même ce
qu'on appelle des châteaux en Eſpagne ; il
eft quelquefois des illufions que la fortune
fe plaît à réalifer : il eft vrai qu'elles fe
réduifent prefque toujours à des chimeres ,
mais elles exercent l'efprit , elles amufent
l'imagination , elles bercent les chagrins ,
& c'eft autant de gagné fur les réflexions
affligeantes. Je vais de mon côté me donner
la torture : heureufe fi je fuis affez ingénieufe
pour trouver quelque expédient
qui puiffe adoucir vos peines , & contenter
l'envie extrême que j'ai de contribuer
à votre bonheur !
Terlieu fe leva pour fortir , & Roſalie
en le reconduifant le pria de venir manger
le foir un poulet avec elle , afin de
22 MERCURE DE FRANCE.
raifonner , & de concerter enfemble ce
que leur auroit fuggeré leur imagination ;
mais pour être plus fûre de l'exactitude de
Terlicu au rendez - vous , elle lui gliffa
adroitement une bourfe dans fa poche.
Terlieu alla s'enfoncer dans l'allée la plus
folitaire du Luxembourg , il y rêva beaucoup
& très infructueufement.
Tous les hommes ne font point féconds
en reffources ; les plus fpirituels font ordinairement
ceux qui en trouvent le moins.
Les idées , à force de fe multiplier , fe confondent
; d'ailleurs on voit trouble dans
l'infortune .
Il n'eft que deux fortes d'induſtrie ; l'une
légitime , c'eft celle des bras , du travail ,
& le préjugé y a attaché une honte : Terlieu
étoit Gentilhomme , il n'a donc pû en
être exemt.
L'autre induftrie , nommée par dégradation
l'induſtrie par excellence , eft celle
qui s'affigne des revenus fur la fottife , la
facilité , les foibleffes & les paffions d'autrui
; mais comme elle eft incompatible
avec la probité , Terlieu en étoit incapable.
Il y avoit deux heures que cet infortuné
Gentilhomme tourmenté par fon inquiétude,
marchoit à grands pas en croyant
fe promener , lorfque fouillant fans deffein
dans fa poche , il y fentit une bourſe.
AOUST. 1755. 23
Cette découverte décida promptement fon
retour ; le moindre délai pouvoit , felon
lui , faire fuppofer de l'incertitude dans
fon procédé ; il craignoit qu'on ne le foup.
çonnâc même d'avoir combattu contre la
tentation.
Il arrive effoufflé , franchit rapidement
l'efcalier de Rofalie , il entre ; celle - ci qui
le voit hors d'haleine , ne lui donne pas le
tems de s'expliquer , & débute par une
queftion vague ; lui fans parler , jette la
bourfe fur une table ; Rofalie affecte une
furpriſe de fatisfaction , & lui fait compli
ment fur le bonheur qu'il a eu de trouver
un ami généreux . Terlieu protefte très -férieufement
qu'il n'a parlé à qui que ce
fort ; celle- ci infifte fur l'heureuſe rencontre
qu'il a faite , Terlieu fe fâche , il eft ,
dit-il , outragé , il jure qu'il ne reverra de
fa vie Rofalie , fi elle ne reprend un argent
qui lui appartient : Elle s'en défend ,
elle en nie la proprieté , elle ofe foutenir
qu'elle ne fçait ce qu'on veut lui dire ;
quelle rare effronterie ! elle eut peut - être
pouffé plus loin l'opiniâtreté , fi elle ne fe
fut avifée de rougir . Rofalie rougir . Quoi!
une fille qui a vécu dans le defordre fe
laiffe démentir par le coloris involontaire
de la franchife? Hé pourquoi non ! quand
le motif en eft fi beau . On rougit bien des
24 MERCURE DE FRANCE.
mage
premieres paroles d'obfcénité qu'on entend
, parce que le coeur eft neuf ; celui
de Rofalie reprend fa premiere pureté ,
elle a donc pu rougir d'un menfonge généreux
, & rendre en même tems cet homà
la vérité. La conviction étoit trop
claire pour que fon obftination put durer
plus long - temps ; elle reprit fa bourſe
avec un dépit fi brufque qu'elle lui échappa
des mains , & qu'elle alla frapper conire
une commode où elle s'ouvrit en répandant
fur le parquet une cinquantaine
de louis. Comme Terlieu fe mit en devoir
de les ramaffer , Rofalie lui dit d'un ton
ironique & piqué : Monfieur , ne prenez
point cette peine , je fuis bien aiſe de ſçavoir
fi le compte y eft : vous m'avez pouffée
à bout par votre peu de confiance en
moi , il eft jufte qu'à mon tour j'en manque
à votre égard .
Je fais trop de cas de cette colere
pour
m'en offenfer , reprit Terlieu , le fond
m'en paroît trop refpectacle
. Puis- je , con- tinua - t-il , fans vous irriter , vous avertir
que j'apperçois
dans ce coin quelques
louis qui ont échappé
à vos recherches
? Puis- je , répliqua
Rofalie fur le même
ton , fans vous irriter , vous annoncer
que
vous êtes des mortels le plus bizarre & le
plus haïffable
? Refferrerai
-je , continua-telle
A O UST. 1755. 25
elle d'une voix modefte & attendrie l'ar-:
gent de cet ami du Luxembourg. Oui ,
Mademoiselle , répondit Terlieu d'un ton
ferme , je vous prie de le lui rendre , & de
le remercier de ma part.
la
Ils alloient continuer ces débats de générofité
mutuelle , lorqu'on vint avertir
que le fouper étoit fervi ; au moins , Monfieur
, dit Rofalie , vous me ferez peut -être
grace de me tenir campagnie très-volontiers
, répondit Terlieu , il y a trop à
gagner pour moi , & voilà le feul cas où
il peut m'être permis de vous montrer que
j'entends mes intérêts ; bien entendu cependant
que vous aurez moins d'humeur.
Je m'y engage , reprit- elle , pourvû que je
puiffe vous gronder , fi vous ne penfez pas
à ma fantaifie. Allons promptement manger
un morceau , je fuis fort impatiente
d'apprendre à quoi auront abouti les rêveries
de votre promenade . Vous parlerez
le premier , après quoi je vous ferai part
de mes idées , & nous verrons qui de nous
deux aura faifi le meilleur expédient.
Pendant le tems qu'ils furent à table ;
Rofalie déploya toutes les graces de fon
efprit pour égayer Terlicu , mais avec la
délicateffe dont on doit uſer avec un coeur
fermé à la joie , & avec cette circonfpection
qui met en défaut la malignité atten-
B
26- MERCURE DE FRANCE.
tive des domeftiques. Le deffert fervi elle
les renvoya en leur ordonnant de ne point
entrer qu'elle n'eut fonné. Ils eurent beau
raifonner entr'eux ; l'extérieur de Terlieu ,
l'accablement où ils le voyoient , & plus
que cela encore , la médiocrité très - négligée
de fon ajuftement dérouterent leurs.
conjectures.
Monfieur , dit alors Rofalie en reprenant
la parole , nota voilà feuls , perfonne
ne peut nous entendre ; faites- moi.
part , je vous prie , de ce que vous avez,
imaginé. Je ſerai bien charmée ſi vous me
mettez dans le cas de vous applaudir , plus
encore fi je puis ajouter quelques réflexions
utiles à vos projets .... parlez donc.
grace.q
de
Hé ! que puis- je vous dire , répondit-il ,
finon que dans l'état où je fuis il ne m'eft
pas poffible de penfer. J'ai eu beau creufer
ma tête , il n'en eft rien forti qui ne fut dé
raifonnable , extravagant , au-deffous du
fens commun. Jugez , Mademoiſelle , de
la mifere d'un efprit retréci par
l'infortu
ne ; il n'a pu me procurer que la reffource
de m'expatrier en entrant au fervice de la
Compagnie des Indes : qu'en penfez- vous ?>
ce parti vous paroît- il fi ridicule ?
Non , Monfieur , reprit- elle , je yous y
exhorterai même , dès que vous m'aurez
L
A OUST. 1755. 27
promis de mettre eu ufage l'expédient que
je vais vous donner : écoutez -moi attentivement
, ne m'interrompez pas , & furtout
point de faillie d'orgueil. Votre famille
, je le fçais , jouit de toutes les diftinctions
que donne l'opulence , & qu'on
accorde à celles qui ont bien mérité du
Prince & de la patrie. Je conçois qu'elle
pourra vous refufer de nouveau les fecours
que vous êtes en droit d'en exiger , mais
je ne puis penfer qu'elle fouffrit que vous
vous deshonorafliez . C'eft fur cette délicateffe
que j'établis l'efpoir dont je me flate
pour vous , & j'ofe croire que vous arracherez
de la vanité de vos parens ce que
vos inftances ne pourroient obtenir de
leur bienveillance . Dès demain , Monfieur ,
retournez les voir ; qu'ils lifent fur votre
front ce que la douleur a de plus attendriffant
: priez , preffez , humiliez - vous
même , & ne rougiffez point d'employer
les expreffions les plus foumifes. Si vous
ne les touchez point , s'ils font impitoyables
, ofez leur dire , avec la fureur dans
les yeux , que vous allez prendre un parti
fi indigne du nom qu'ils portent , que l'opprobre
en rejaillira fur eux . Oui, Monfieur,
menacez-les....Non , je crois vous connoître
, vous n'en aurez jamais la force . Par
grace , M. de Terlieu , prenez fur vous
Bij
28. MERCURE DE FRANCE.
de proférer des paroles feules capables
d'effrayer vos parens , & d'intéreffer en
votre faveur , je ne dis pas leur fenfibilité ,
mais au moins leur orgueil.
Qu'allez -vous me propofer , répliqua
Terlieu avec agitation ? vous me faites
frémir.
Ne craignez rien , répondit Rofalie , ce
n'eft qu'une menace dont le but eſt d'allarmer
des gens qui n'auroient point encore
renoncé à l'honneur , qui conféquemment
peut faire un grand effet , mais dont
je ferai toujours bien loin de vous confeiller
, ni même d'en fouffrir l'exécution. Baiffez
les yeux , ne me regardez point de grace;
je ne pourrois mettre au jour mon idée
fi vous me fixiez . Dès que vous aurez épuifé
tout ce que l'éloquence du befoin a de plus
pathétique ; dès que vous aurez déſeſpéré
d'émouvoir vos indignes parens , ofez leur
dire que leur barbarie vous détermine à
profiter de la fenfibilité d'une fille qui a
vécu dans le défordre , que Rofalie plus
généreuse qu'eux , ne peut fouffrir qu'an
homme comme vous paffe fes jours dans
la mifere , que Rofalie , .. hélas ! elle n'eft
que trop connue , que Rofalie vous offre
de partager fa fortune , & que vous êtes
prêt de contracter avec elle un mariage......
Je n'acheve point ; ce fera à vous , MonAOUST.
1755. 29
fieur , à finir le tableau , & à y mettre une
expreffion , & des couleurs dignes du fujet.
Terlieu alors leva les yeux , & Rofalie y
vit un trouble , & quelques larmes qu'elle
ne fit as femblant d'appercevoir. Qu'avez-
vous ? continua-t- elle , vos regards
m'inqui tent , & je crains fort que l'expédient
que je viens de vous propofer ne
vous révolte ; mais enfin , s'il réuffiffoit
m'en fçauriez-vous mauvais gré ? que rifquez-
vous d'en hafarder l'épreuve ?
Un malheur nouveau qui acheveroit de
m'accabler , s'écria Terlieu , mes cruels
parens ne manqueroient point d'attenter à
votre liberté , & je ferois la caufe & le prétexte
d'une barbarie.
Hé ! Monfieur , reprit elle , courons - en
les rifques , fi cette violence peut rendre
votre fort plus heureux. La perte de la
liberté n'eft point un fi grand mal pour quiconque
eft déterminé à renoncer au monde.
D'ailleurs il fuffira à ma juftification ,
& à la vôtre que l'on fçache que ce n'étoit
qu'une rufe imaginée pour amener vos
parens à la néceffité de vous rendre fervice ;
& comme il fera de l'intérêt de votre honneur
de défavouer un bruit auffi ridicule ,
l'amour qu'on vous connoît pour la vérité ,
ne laiffera aucun doute & nous nous
trouverons juſtifiés tous les deux .
,
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Ah Rofalie , Rofalie ! répliqua Terlieu ,
en foupirant , terminons un entretien dont
les fuites deviendroient trop à craindre
pour moi. Je vous quitte pénétré d'admiration
, & peut-être d'un fentiment encore
plus intéreffant. Oui , je ferai ufage de vos
confeils ; je verrai demain ma famille .....
Mais hélas ! je ne fçai fi vous ne me faites
point defirer d'être rebuté de nouveau . Je
ne puis dire ce que mon coeur reffent , mais
il vous refpecte déja , & vraisemblablement
il ne fe refufera pas long-temps à ce
que la tendreffe a de plus féduifant.
Monfieur , reprit Rofalie , allez vous
repofer , vous avez befoin de rafraîchir
votre fang ; vous venez de me prouver
qu'il eft un peu échauffé. Je préfume que
le fommeil vous rendra votre raison , &
qu'à votre reveil , où vous rirez , où vous
rougirez du petit délire de la veille.
Fort bien , répliqua Terlieu en fouriant,
voilà un agrément de plus dans votre ef
prit , & vous entendez fupérieurement la
raillerie . Oui , Rofalie , je vais me retirer ,
mais avec la certitude de ne point dormir ,
& comptez que fi le fommeil me furprend,
mon imagination , ou pour mieux dice ,
mon coeur ne fera occupé que de vous.
Terlieu tint parole , il ne ferma point
l'oeil de la nuit , & cependant il ne la trouA
O UST. 1755: 31
va pas longue. Le jour venu , il fut incertain
s'il iroit de nouveau importuner fa
famille , ou s'il fuivroit le penchant d'une
paffion que le mérite de Rofalie avoit fait
naître en fon coeur , & que les réflexions
ou peut-être les illufions de la nuit avoient
fortifiée. Après avoir combattu quelque
tems entre ces deux partis , le foin de fa
réputation l'emporta fur un amour que fa
raifon plus tranquille lui repréfentoit malgré
lui fous un point de vûe un peu déshonorant
. Quelle fituation ? l'amour , la pauvreté
, defirer d'être aimé , d'être heureux ,
& n'ofer fe livrer à des penchans fi naturels
! Partez Terlieu , vous avez promis ,
& votre honneur exige que vous faffiez du
moins encore une démarche avant de fonger
au coeur de Rofalie.
La fortune ne le fervit jamais mieux
qu'en lui faiſant effuyer des dédains nouveaux
de la part de fa famille. Les prieres ,
les inftances , les fupplications qu'il eut le
courage d'employer , ne lui attirerent que
des rebuts , que des outrages. Ses parens imputerent
à fa baffefle les larmes qu'il verfa.
Outré , défefpéré , il mit en oeuvre fa derniere
reffource ; il leur peignit avec les
couleurs les plus effrayantes l'alliance dont
il les menaça de fouiller leur nom ; ce tableau
ne fit qu'ajouter au mépris dont ils
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
l'accablerent , & l'un d'eux en parlant au
nom de tous , & fans en être défavoué
par
un feul , eut la lâcheté de lui dire : hé >
Monfieur , concluez ; que nous importe la
femme que vous prendrez , pourvu qu'elle
nous débarraffe de votre vûe , & de vos
importunités. Au refte , nous vous défavouons
dès ce jour pour parent , & fi vous
avez le front d'ofer dire que vous nous appartenez
, nous fçaurons réprimer votre
infolence.
Et moi , Meffieurs , répliqua fierement
Terlieu , je le publierai partout , non pas
que je tienne à honneur d'être votre plus
proche parent , mais afin que perfonne n'ignore
que vous êtes plus indignes que moimême
du fang qui coule dans nos veines ,
& que fi je fuis réduit à le deshonorer , ce
font vos duretés qui m'y ont forcé. Adieu ,
Meffieurs , & pour toujours.
Terlieu courut promtement répandre
dans le fein de la généreufe Rofalie les
horreurs qu'il venoit d'entendre. C'en eft
fait , s'écria-t-il en entrant , je n'ai que
vous au monde , vous me tenez lieu d'amis
, de parens , de famille. Oui , Roſalie,
continua-t-il , en tombant à fes genoux ,
c'eft à vous feule que je veux appartenir ,
de vous feule je veux dépendre , & votre
coeur eft le feul bien que j'ambitionne.
AOUST. 1755. 33
Soyez , je vous conjure , magnanime au
point de croire que ce n'eſt pas l'extrémité
où je me trouve , qui me fait deficer le
bonheur de vous plaire : comptez qu'un motifauffi
bas eft trop au deffous de ce que vous
m'infpirez , & d'un coeur comme le mien.
Eh , vous ne méritez point que je vous
écoute , lui répondit , Rofalie , fi vous me
croyez capable d'un tel foupçon. Levezvous
, Monfieur , on pourroit vous furprendre
dans une attitude qu'il ne me convient
plus de fouffrir , on croiroit que je
la tolere , & elle feroit douter de la fincérité
du parti que j'ai pris de renoncer à mes
égaremens ..... Je voudrois , repliqua Terlieu
en l'interrompant , avoir mille témoins
de l'hommage que je vous rends , & je fuis
fûr qu'il n'en feroit pas un qui n'y applaudit
, fi je l'inſtruifois de la force des raifons
qui me l'arrachent , & des vertus que
j'honore en vous.
J'avois efpéré , reprit elle , que le fommeil
auroit diffipé le vertige qui vous trou
bloit hier au foir. Je fuis fâchée , & prefque
irritée que ce mal vous tourmente encore.
Par grace , daignez en guérir . Il feroit
honteux que vous n'en euffiez point le
courage. Oui , Monfieur , j'afpire à votre
eftime , & non pas à votre coeur , & je ne
pourrois me difpenfer de renoncer à l'une
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
fi vous vous obſtiniez à m'offrir l'autre.
Et moi , répondit tendrement Terlieu ,
je veux les acquérir toutes deux. Ne féparons
point deux fentimens qui ne peuvent
fubfifter l'un fans l'autre : leur réunion fera
votre bonheur & le mien. Ah , Roſalie
nous fommes dignes de le goûter long - tems,
fi nous fommes capables de les concilier.
Belles fpéculations , repliqua t- elle , qui
prouvent bien que vous m'aimez , mais qui
ne me raffurent point fur la crainte de l'avenir
! Je le dis fans rougir , j'ai entendu
tant de fois de ces propos , tant de femmes
en ont été les victimes qu'il eft téméraire
d'y ajouter foi . Dans l'emportement de la
paffion , les promeffes ne coutent rien , on
ne croit pas même pouvoir y manquer ; &
puifque les mépris , les dégouts fe font !
fentir dans les mariages affortis par l'égalité
des conditions , & par la pureté reciproque
des moeurs , que ne dois-je point
redouter de l'union que vous me propofez?
vous en rougiriez bientôt vous -même , la
haine fuccéderoit au repentir , & je tarde-
Bois peu à fuccomber fous le poids de l'honneur
que vous m'auriez fait . Croyez- moi ,
Monfieur , ne nous expofons point à des
peines inévitables . Qu'il nous fuffife que
l'on fçache que Terlieu pénétré de reconnoiffance
pour Rofalie lui a offert une
AOUST. 1755 35
main qu'elle a eu le refpect de ne point accepter.
Un trait de cette nature nous fera
bien plus glorieux qu'une témérité qui
peut
faire mon malheur en vous couvrant
de honte. Que mon refus , je vous prie ;
ne vous afflige point. Laiffez- moi jouir
d'une fenfibilité plus noble mille fois que
le retour que vous pourriez efpérer de la
foibleffe de mon coeur. Souffrez que je
m'en tienne au bonheur de vous obliger ,
& comptez qu'il me fera bien plus doux
de le faire par fentiment que par devoir.
Non , Rofalie , reprit Terlieu , votre
refus entraîne néceffairement le mien. Le
titre d'époux peut feul me faire accepter
vos bontés. Vos craintes fur l'avenir m'ou '
tragent ! Ah ! bien loin de m'aimer , vous
ne m'eftimez pas , la pitié eſt le feul fentiment
qui vous parle en ma faveur. Adieu ,
je vous quitte plus malheureux encore que
lorfque j'ai commencé à vous connoître ;
j'avois un défefpoir de moins dans le coeur.
Terlieu fe leva en fixant tendrement
Rofalie , fit un foupir en couvrant fon viſage
avec fes mains , & alla fe jetter dans fa
petite chambre. Il n'y fut pas long tems
Rofalie le coeur ferré de la douleur la plus
vive , fonna pour avoir du fecours. Elle
en avoit un befoin réel. Sa femme de
chambre la trouva dans un étouffement
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
affreux & fans connoiffance. Elle donna
un peu de jour à fa refpiration , elle la traîna
de fon mieux fur une ducheffe , & après
l'avoir queftionnée à plufieurs repriſes ,
elle n'en put tirer que ces paroles : ah Terlieu
, Terlieu ! cette exclamation , quoique
inconcevable pour elle , la détermina à
l'aller prier de venir voir Rofalie . Ilentre ,
la trouve pâle , les yeux éteints , & preſque
auffi foible qu'elle , il tombe à fes genoux ,
il prend une de ſes mains qu'il baigne de
fes larmes : elle entr'ouvre un oeil languiffant
, & d'une voix qui expiroit fur fes lévres
, voilà , dit- elle , l'état où me réduifent
la dureté de vos refus , & les aveux
d'une paffion qu'il eft honteux pour vous
de reffentir. Monfieur , continua t- elle ,
ne me voyez plus , & fi vous prenez quelque
intérêt à mon repos , à ma fanté , ne
ne vous obftinez plus à me refufer la fatisfaction
fecrette que j'exige de vous. Dans
huit jours je ne ferai plus à Paris , & puifqu'il
eft indifpenfable que nous nous féparions
, laiffez - moi acquérir le droit de m'informer
de l'état de vos affaires , laiffez- moi
enfin acheter l'honneur d'être dans votre
fouvenir.
Si l'état où je vous vois , repliqua Terlieu
, m'accabloit moins , je vous le dis ,
Rofalie , je ne pourrois peut- être me conAOUST
. 1755 37
tenir. Quoi , vous avez la cruauté de m'annoncer
qu'il faut que je renonce au ſeul
bien qui me refte ? dans huit jours je ne
vous verrai plus ! non , il n'eft pas poffible
que je ceffe de vous voir : quelque retraite
que vous choififfiez , je fçaurai vous y découvrir
; je fçaurai y porter un amour que
vous vous lafferez peutêtre de rebuter. La
voilà , dirai-je , cette Rofalie , cet affemblage
refpectable , de grandeur , de foibleffe
! Hélas , elle ne m'a pas jugé digne
de l'accompagner , & de la guider dans le
fentier de la vertu , elle ne m'a pas jugé
digne de vivre heureuſement & vertueufement
avec elle . Me fera-t-il permis au
moins , continua- t- il , d'un ton paffionné ,
& en reprenant une main qu'on n'eut pas
la force de retirer , de jouir pendant le peu
de temps que vous refterez à Paris , du
bonheur de vous voir ce fera , n'en doutez
point , les feuls beaux jours de ma vie.
Il ne tiendroit qu'à vous d'en prolonger le
cours & la félicité ; mais vous l'avez déci
dé , & vous voulez que je vive éternellement
malheureux .
Retirez- vous , dir Rofalie à fa femme
de chambre , je me fens mieux , & foyez
difcrette , je vous prie. Comment , Monfieur
, continua- t - elle , vous voulez tout
obtenir , & vous n'accordez rien ? oui ,
vous ferez le maître de me voir , & vous
8 MERCURE DE FRANCE.
fçaurez le nom du lieu où je vais fixer mom
féjour , mais c'eſt à une condition ; & s'il
eft vrai que vous m'aimiez , je veux me
prévaloir de l'afcendant qu'une maitreſſe
eft en droit de prendre fur fon amant . Vous
allez me traiter de bizarre , d'opiniâtre :
hé , dites- moi , Monfieur , qui de nous
deux l'eft d'avantage ? je fuis laffe de prier,
il est temps que je commande. Ceton ,
vous paroît fingulier ; je conviens qu'il
tient un peu du dépit je l'avoue , ceci
commence à me fatiguer , à me tourmenter.
Finiffons par un mot fans replique. Voilà.
ma bourfe ; ce qu'il vous plaira d'y prendre
déterminera en proportion la confiance
que vous voulez que j'aye en vous , l'eftime
que je dois faire de votre perfonne ,
& le dégré de votre amour pour moi.
Hé , je la prens toute entiere , s'écria
Terlieu en la faififfant des deux mains .
Et moi , reprit Rofalie , je vous embraffe.
Oui , mon cher Terlieu , vous m'aimez
, j'ai triomphé de votre orgueil. Ne
prenez point cette faillie pour un emportement
de tendreffe , elle eft née dans la:
joie involontaire de mon ame , & non pas
dans les tranfports d'une paffion infenfée .
Terlieu fe retira , le coeur trafporté de
joie , & de la plus flatteufe efpérance , &
Rofalie charmée d'être parvenue à contenter
fon inclination bienfaifante , s'occupa
A OUST . 1755.
39
une partie de la nuit du deffein de fa re
traite , & des mefures néceffaires à fon
départ. Le lendemain elle fortit fur les
neuf heures du matin pour aller conclure
l'acquifition d'une terre . Elle dîna , & ſoupa
avec Terlieu , elle affecta pendant toute
la journée une fatisfaction & une gaieté qui
ne laifferent à fon amant aucun foupçon
du deffein qu'elle avoit pris de partir à la
pointe du jour. Quelle accablante nouvelle
pour Terlieu , lorfqu'il apprit le départ de
Rofalie ! Il faut avoir aimé pour bien fentir
l'état d'un coeur qui eft privé de l'objet
qu'il adore. Tous les maux raffemblés ne
font rien en comparaifon. C'eft la fecouffe
la plus violente que l'ame puiffe recevoir
& c'eft la dernière épreuve de la fermeté
humaine. Terlieu abbattu & prefque ftupide
, alloit fuccomber fous le poids de fa
douleur , lorfqu'il lui fut remis un billet
de la part de Rofalie. Hélas , il ne fit qu'ajouter
à fes tourmens . Il l'ouvre en frémiffant
, & lit , .....
*
Monfieur , renfermons- nous , je vous
prie , dans les bornes d'une pure amitié.
»J'ai dû fuir , & c'eft l'eftime que je vous
dois qui a précipité mon départ . Vous
» me ferez toujours cher , vous recevrez
» de mes nouvelles ; je ne fuis point faite
»pour oublier un homme de votre mérite ..
» Encore une fois tenons- nous- en aux en40
MERCURE DE FRANCE.
" gagemens de la plus inviolable amitié
" c'eft le feul fentiment qui puiffe nous
» convenir , & c'eft celui qui me fait pren-
» dre la qualité de votre meilleure amie.
Rofalie .
Ah cruelle , s'écria Terlieu ! vous fuyez,
vous m'abandonnez ! & vous ne me laiffez
pour reffource que les offres d'une froide
& triſte amitié ! non , Rofalie , elle ne
peut fuffire à mon coeur. Mais que dis je
hélas ! vous ne m'aimez point . Cette tranquillité
, cette joie dont vous jouiffiez hier
à mes yeux , ne me prouvent que trop que
je vous fuis indifférent. Que j'étois crédule!
que j'étois aveugle de les interpréter en ma
faveur ! Amant trop préfomptueux , je les
ai prifes pour des marques de la fatisfaction
que vous reffentiez d'être fûre de mon
coeur. Quel étrange compofé que votre caractere
! vous avez l'ame généreufe , noble;
des vertus réelles me forcent à vous admirer
, je ne puis réfifter à l'impreffion qu'elles
font fur moi , elles y font naître la paffion
la plus tendre , la plus refpectable , je
crois recevoir des mains de votre amour
les bienfaits dont vous me comblez , &
vous partez ! j'ignore où vous êtes ! Dieu !
fe peut - il qu'un coeur qui. m'a paru auffi
franc , auffi fincere , ait pu être capable
d'une diffimulation auſſi réfléchie , auffi
A OUST . 1755. 41
perfide. Vous partez ! ..... & vous ne me
laiſſez que le repentir , & la honte d'avoir
fuccombé aux inftances de votre indigne
générofité. Oui , je fçaurai vous découvrir,
je fçaurai répandre à vos pieds ce que contient
cette bourfe infultante , .... je fçaurai
mourir à vos yeux.
Il s'habille à la hâte , il alloit fortir lorf
qu'on vint frapper à fa porte. Il ouvre , il
voit un homme qui lui demande s'il n'a
pas l'honneur de parler à M. de Terlieu .
C'est moi -même , répondit- il fechement
mais pardon , Monfieur , je n'ai pas le
temps de vous entendre. Monfieur , repliqua
l'inconnu , je ne vous importunerai
pas longtems , je n'ai befoin que de votre
fignature , vous avez acquis une terre , en
voici le contrat de vente , & il eft néceffaire
que votre nom figné devant moi , en conftate
la validité. Que voulez - vous dire ,
reprit Terlieu ? ou vous êtes fou , ou je
rêve. Monfieur , dit l'inconnu , je fuis
Notaire ; il n'y a guerres de fous dans ma
profeffion. Je vous protefte que vous êtes
trés-éveillé , & qu'un acte de ma façon n'a
point du tout l'air d'un rêve. Ah , Rofalie,
s'écria Terlieu ! C'eft elle-même , reprit le
Notaire. Voici une plume , fignez . Non ,
Monfieur , répondit Terlieu , je ne puis
m'y réfoudre , remportez votre acte , &
dites-moi feulement où eft fituée cette terre.
42 MERCURE DE FRANCE.
C'eft préciſement , répliqua le Notaire , ce
qui m'eft défendu , & vous ne pourrez en
être inftruit qu'après avoir figné. Allons
donc , reprit Terlieu en verfant un torrent
de larmes , donnez cette plume . Voilà qui
eft à merveille , dit le Notaire , & voici
une expédition de l'acte. Vous pouvez
aller prendre poffeffion quand vous le
jugerez à propos. Adieu , Monfieur , je
vous fouhaite un bon voyage ; faites , je
vous prie , mes complimens à l'inimitable
Rofalie. Ah , Monfieur , reprit Terlieu en
le reconduifant , elle ne tardera gueres à
les recevoir.
Son premier foin fut de chercher dans
l'acte qui venoit de lui être remis le nom
de la province , & du lieu dont Rofalie
avoit pris le chemin ; il alla tour de fuite
prendre des chevaux de pofte. Qu'ils alloient
lentement felon lui ! après avoir
couru , fans prendre aucun repos pendant
trente- fix heures , il arriva prefqu'en même
temps que Rofalie. Quoi , c'est vous ? lui
dit-elle en fouriant , que venez -vous faire
ici ? vous rendre hommage de ma terre ,
répondit- il , en lui baifant la main , en
prendre poffeffion , & époufer mon amie.
Je ne vous attendois pas fitôt , reprit- elle ,
& j'efpérois que vous me laifferiez le temps
de rendre ce féjour plus digne de vous recevoir.
Hé , que lui manque-t-il pour me
A OUST. 43 1755 .
plaire , pour m'y fixer , repliqua- t- il , vous
y êtes , je n'y vois , & je n'y verrai jamais
que ma chere Rofalie . J'ai de l'inclination
à vous croire , lui dit-elle , en le regardant
tendrement , & mon coeur , je le fens , auroit
de la peine à fe refufer à ce que vous
lui infpirez ; il eft prêt à fe rendre à vos
defirs . Mais encore une fois , mon cher
Terlieu , interrogez le vôtre , ou pour
mieux dire , écoutez les confeils de votre
raifon. Nepouvons- nous vivre fous les loix
de l'amitié? & ne craignez- vous point que
celles de l'hymen n'en troublent la pureté ,
n'en appéfantiffent le joug ? Et cette terre ,
repliqua- t-il , peut- elle m'appartenir , fi je
n'acquiers votre main ? D'ailleurs , y fongez-
vous , Rofalie ? je vivrois avec vous ,
& je n'aurois d'autre titre pour jouir de ce
bonheur que celui de l'amitié ? Penſezvous
que la médifance nous épargnât en
vain nous vivrions dans l'innocence , la
calomnie , cette ennemie irréconciliable
des moeurs les plus chaftes , ne tarderoit
pas à fouiller la pureté de notre amitié
& elle y fuppoferoit des liens qui nous
deshonoreroient. Mais enfin , reprit Rofalie
, à quels propos , à quelles indignes
conjectures ne vous expofez- vous point ?
on dira que Terlieu n'ayant pû foutenir le
poids de fon infortune , a mieux aimé re
44 MERCURE DE FRANCE .
chercher la main de Rofalie que de lan
guir dans une honorable pauvreté. Vains
difcours , s'écria Terlieu , qui ne peuvent
m'allarmer ! venez , répondrai - je , à la malignité
, à l'orgueil ; venez , fi vous êtes
capables d'une légitime admiration , reconnoître
en Rofalie un coeur plus noble , une
ame plus pure que les vôtres . Vous n'avez
que l'écorce des vertus , ou vous ne les pratiquez
que par oftentation , & Rofalie en
avouant fes égaremens a la force d'y renoncer
, & les épure par le repentir , par
la bienfaifance. Apprenez vils efclaves de
la vanité que la plus fage des bienséances
eft de s'unir avec un coeur qu'on eſt fûr
d'eftimer , & que le lien d'une reconnoiffance
mutuelle eft le feul qui puiffe éternifer
l'amour. Je ne réfifte plus , reprit Rofalie
, je me rends à la jufteffe de vos raifons
, & plus encore à la confiance que la
bonté , que la nobleffe de votre coeur ne
ceffent de répandre dans le mien : le don
que je vous ferai de ma main n'approchera
jamais du retour que j'en efpere .
Terlieu & Rofalie allerent fe jurer une
fidélité inviolable aux pieds des autels , où
au défaut de parens , tous les pauvres des
environs leur fervirent de témoins , de famille
, & en quelque façon de convives ,
puifqu'ils partagerent la joie des deux
A OUST. 1755 45
époux à une table abondante qui leur fut
fervie. Terlieu & Rofalie goûtent depuis
long- temps les délices d'une flâme fincere.
Leur maison eft le féjour des vertus . Ils en
font les modeles. On les cite avec éloge ,
on les montre avec admiration , on fe fait
honneur de les voir , on les écoute avec
reſpect , & , comme partout ailleurs , pref
que perfonne n'a le courage de les imiter.
Hiftoire véritable , par M.Y....
L'celle d'être odieux quand il n'a point
E vice n'eft jamais eftimable , mais il
:
étouffé les qualités de l'ame. Une foiblefle
de coeur prend auffi fouvent fon origine
dans une certaine facilité d'humeur que
dans l'attrait du plaifir. Un amant fe préfente
, ou il eft enjoué , ou il eft homie à
fentiment. Le premier eft le moins dangereux
, il ne féduit jamais qu'une étourdie ,
& il ne triomphe que dans une faillie téméraire
Le fecond , plus refpectueux en
apparence , va à fon but par la délicateſſe
vante fa conftance, déclame contre les perfides,
& finit par l'être. Que devient une jeune
perfonne qui dans l'ivreffe de la gaieté
s'eft laiffée furprendre , ou qui eft tonbée
dans le piége d'une paffion décorée extérieurement
par le fentiment ? ce que font prefque
toutes celles qui ont débuté par une
fragilité ; elles fe familiarifent avec le vice ,
elles s'y précipitent ; l'amour du luxe & de
l'oifeveté les y entretient ; elles ont des
modeles , elles veulent y atteindre ; incapables
d'un attachement fincere elles en
AOUS T 1755. 9.
affectent l'expreffion , elles ont été la dupe
d'un homme , & elles fe vengent fur
toute l'efpece. Heureufes celles dont le
le coeur n'eft point affez dépravé pour fe
refufer aux inftances de la vertu qui cherche
à y rentrer .
Telle étoit Rofalie , elle étoit galante
avec une forte de décence . Ses moeurs
étoient déréglées , mais elle fçavoit louer
& admirer la vertu . Ses yeux pleins de
douceur & de vérité annonçoient fa franchife.
On entrevoyoit bien dans fa démarche
, dans fes manieres le manege de
la coquetterie , mais fon langage étoit modefte
, & elle ne s'abandonna jamais à ces
intempérances de langue , qui caractériſent
fi baffement fes femblables. Fidele à fes
engagemens , elle les envifagea toujours
comme des liens qu'elle ne pouvoit rompre
fans ingratitude , & les conventions
faites , l'offre la plus éblouiffante n'auroit
pû la déterminer à une perfidie.
Elle ne fut jamais parjure la premiere.
Son coeur plus fenfible à la reconnoiffance
qu'à l'amour , étoit incapable de fe laiffer
féduire à l'appas de l'intérêt & aux charmes
de l'inconftance . Solitaire , laborieuſe ,
fobre , elle eût fait les délices d'un mari ,
fi une premiere foibleffe ne l'eût en quelque
façon fixée à un état dont elle ne
A v
To MERCURE DE FRANCE.
pouvoit parler fans rougir. Affable , compatiffante
, généreufe , elle ne voyoit ja→
mais un malheureux fans lui tendre une
main fecourable ; & quand on parloit de
fes bienfaits , on difoit que le vice étoit
devenu tributaire de la vertu . Des lectures
fenfées avoient ranimé dans fon coeur les .
germes d'un beau naturel . Elle y fentoit
renaître le defir d'une conduite raifonnable
, elle vouloit fe dégager , & elle méditoit
même depuis long-tems une retraite
qui la fauvât de la honte d'avoir mal vécu ,
& du ridicule de mieux vivre , mais elle
avoit été arrêtée par un obftacle , elle avoit
voulu fe faire une fortune qui put la mettre
à l'abri des tentations qu'elle infpiroit , &
des offres des féducteurs : enfin elle vouloit
être vertueufe à fon aife ; elle ambitionnoit
deux cens mille francs , & par
dégrés elle étoit parvenue à les avoir. Contente
de ce que la fortune & l'amour lui
avoient procuré , elle avoit congédié fon
dernier amant , elle fe préparoit à fuir loin
de Paris les occafions d'une rechûte.
Ce fut alors qu'un jeune Gentilhomme
nommé Terlieu , vint loger dans une petite
chambre qui étoit de plain pied à l'appartement
qu'elle occupoit. Il fortoit tous
les jours à fept heures du matin , il rentroit
à midi pour fe renfermer , & il borA
O UST. 1955. 11
noit à une révérence muette fon cérémonial
avec fa voifine. La fingularité de la
vie de ce jeune homme irrita la curiofité
de Rofalie. Un jour qu'il venoit de rentrer
, elle s'approche de la porte de fa
chambre , prête l'oreille , porte un regard
fur le trou de la ferrure , & voit l'infortuné
Terlieu qui dînoit avec du pain
fec , chaque morceau étoit accompagné
d'un gémiffement , & fes larmes en fai
foient l'affaifonnement. Quel fpectacle
pour une ame fenfible ! celle de Rofalie
en fut pénétrée de douleur . Dans ce mo
ment une autre avec les vûes les plus pures ,
eût été peut-être indiferette , elle fe für
écriée , & généreufement inhumaine elle
eût décelé la mifere de Terlieu ; mais Rofalie
qui fçavoit combien il eft douloureux
d'être furpris dans les befoins de l'indigen
ce, rentra promptement chez elle pour y attendre
l'occafion d'être fecourable avec le
refpect qu'on doit aux infortunés. Elle épia
le lendemain l'inftant où Terlieu étoit dans
l'habitude de fe retirer , & pour que fon
deffein parut être amené par le hazard
elle fit tranfporter fon métier de tapifferie
dans fon anti- chambre , dont elle eur
foin de tenir la porte ouverte.
Terlieu accablé de fatigue & de trifteffe
parur à fon heure ordinaire , fit fa révé-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
rence , & alloit fe jetter dans l'obfcurité
de fa petite chambre , lorfque Rofalie ,
avec ce ton de voix aifé & poli , qui eſt
naturel au beau fexe , lui dit : En vérité ,
Monfieur , j'ai en vous un étrange voifin ;
j'avois penfé qu'une femme , quelle qu'elle
fût, pouvoit mériter quelque chofe par-delà
une révérence. Ou vous êtes bien farouche
, ou je vous parois bien méprifable . Si
vous me connoiffez , j'ai tort de me, plaindre
, & votre dedain m'annonce un homme
de la vertu la plus fcrupuleuſe , & dèslors
j'en réclame les confeils & les fecours.
Seroit-ce auffi que cette févérité que je lis
fur votre front prendroit fa caufe de quelque
chagrin qui vous accable ? Souffrez
que je m'y intereffe. Entrez , Monfieur , je
Vous fupplie : que fçavons- nous fi le fort
ne nous raffemble point pour nous être
mutuellement utiles ? je fuis feule , mon
dîner eft prêt , faites moi , je vous conjure
, l'honneur de le partager avec moi :
j'ai quelquefois un peu de gaieté dans
l'efprit , je pourrai peut-être vous diffiper.
Mademoiſelle , répondit Terlieu , vous
méritez fans doute d'être connue , & l'accueil
dont vous m'honorez ,, annonce en
vous un beau caractere. Qui que vous
foyez , il m'eft bien doux de trouver quel
1
1
A O UST . 1755. 13
qu'un qui ait la générofité de s'appercevoir
que je fuis malheureux . Depuis quinze
jours que je fuis à Paris , je ne ceffe
d'importuner tous ceux fur la fenfibilité
defquels j'ai des droits , & vous êtes la
premiere perfonne qui m'ait favorisé de
quelques paroles de bienveillance . N'imputez
point de grace , Mademoiſelle , ni
à orgueil ni à mépris ma négligence à votre
égard : fi vous avez connu l'infortune ,
vous devez fçavoir qu'elle eft timide . On
fe préfente de mauvaife grace , quand le
coeur eft dans la peine. L'affliction appéfantit
l'efprit , elle défigure les traits , elle
dégrade le maintien , & elle verſe une
efpece de ridicule fur tout l'extérieur de
la perfonne qui fouffre . Vous êtes aimable
, vous êtes fpirituelle , vous me paroiffez
dans l'abondance ; me convenoit- il
de venir empoifonner les douceurs de votre
vie ? Si vous êtes généreufe , comme
j'ai lieu de le croire , vous auriez pris part
à mes maux je vous aurois attriftée .
Monfieur , répliqua Rofalie , je ne fuis
point affez vaine pour me flater du bonheur
de vous rendre fervice , mais je puis
me vanter que je ferois bien glorieufe fi
je pouvois contribuer à vous confoler , à
vous encourager. J'ai de grands défauts ,
mes moeurs ne font rien moins que régu14
MERCURE DE FRANCE.
lieres , mais mon coeur eft fenfible au fort
des malheureux ; il ne me refte que cette
vertu ; elle feule me foutient , me ranime ,
& me fait efperer le retour de celles que
j'ai négligées. Daignez , Monfieur , par
un peu de confiance , favorifer ce préfage.
Que rifquez- vous ? vos aveux ne feront
fûrement pas auffi humilians que les miens,
& cependant je vous ai donné l'exemple
d'une fincérité peu commune. Je ne puis
croire que ce foit votre mauvaiſe fortune
qui vous afflige. Avec de l'efprit , de la
jeuneffe , un extérieur auffi noble , on
manque rarement de reffources . Vous foupirez
? c'est donc l'honneur , c'est donc la
crainte d'y manquer , ou de le perdre qui
caufe la confternation où je vous vois.
Oui , cette peine eft la feule qui puiffe
ébranler celui qui en fait profeflion.
Voilà , s'écria Terlieu avec une forte
d'emportement , voilà l'unique motif de
mon défeſpoir , voilà ce qui déchire
mon coeur , voilà ce qui me rend la vic
infupportable . Vous defirez fçavoir mon
fecret , je ne réfifte point à la douceur
de vous le confier ; apprenez donc que
je n'ai rien , apprenez que je ne puis
fubfifter qu'en immolant aux befoins de
la vie cethonneur qui m'eft fi cher. Je fuis
Gentilhomme , j'ai fervi , je viens d'être
réformé je follicite , j'importune .... &
A O UST. 1755. 15
qui ! des gens qui portent mon nom , des
gens qui font dans l'abondance , dans les
honneurs , dans les dignités . Qu'en ai - je
obtenu ? des refus , des défaites , des dédains
, des hauteurs , le croirez - vous , Mademoiſelle
, le plus humain d'entr'eux ,
fans refpect pour lui- même , vient d'avoir
l'infolence de me propofer un emploi dans
les plus baffes fonctions de la Finance ! le
malheureux fembloit s'applaudir de l'indigne
faveur qu'il avoir obtenue pour moi .
Je l'avouerai , je n'ai pû être maître de
mon reffentiment. Confus , outré , j'ai déchiré
& jetté au vifage de mon lache bienfaiteur
le brevet humiliant qu'il a ofé me
préſenter. Heureux au moins d'avoir appris
à connoître les hommes , plus heureux
encore fi je puis parvenir à fuir , à
oublier , à détefter des parens qui veulent
que je deshonore le nom qu'ils portent. Je
fçais bien que ce n'eft point là le ton de
l'indigence ; que plus humble , plus modefte
, elle doit fe plier aux circonftances ;
que la nobleffe eft un malheur de plus
quand on eft pauvre , qu'enfin la fierté
eft déplacée quand les reffources de la vie
manquent. J'ai peut- être eu tort de rejetter
celles qui m'ont été offertes . J'avouerai
même que mon orgueil eut fléchi fi j'euffe
pû envifager dans l'exercice d'un pofté de
16 MERCURE DE FRANCE.
quoi fubfifter un peu honnêtement ; mais
s'avilir pour tourmenter laborieufement
les autres ; ah ! Mademoiſelle , c'eſt à quoi
je n'ai pû me réfoudre .
Monfieur , reprit Rofalie , je ne fçais fi
je dois applaudir à cette délicateffe , mais
je fens que je ne puis vous blâmer. Votre
fituation ne peut être plus fâcheufe .
Voici quelqu'un qui monte , remettezvous
, je vous prie , & tachez de vous
rendre aux graces de votre naturel ; il n'eft
pas convenable qu'on life dans vos yeux
l'abattement de votre coeur : fouffrez que
je me réſerve ſeule le trifte plaifir de vous
entendre , & de vous confoler . Ah ! c'eſt
Orphife , continua Rofalie fur le ton de la
gaieté , approche mon amie & félicitemoi
.... & de quoi , répliqua Orphife en
l'interrompant , eft- ce fur le parti fingulier
que tu prens d'abandonner Paris à la fleur
de ton âge , & d'aller te confiner en prude
prématurée dans la noble chaumiere dont
tu médites l'acquifition ? mais vraiment
tu vas embraffer un genre de vie fort attrayant.
Fort bien , répondit Rofalie , raille
, diverti- toi mais tes plaifanteries ne
me détourneront point du deffein que j'ai
pris. Je venois cependant te prier d'un
fouper.... Je ne foupe plus que chez moi ,
répliqua Rofalie. Mais toi - même tu me
?
}
AOUS T. 1755. 17
paroiffois déterminée à fuivre mon exemple.
C'étoit , répodit Orphiſe dans un accès
d'humeur , j'extravaguois. Une nouvelle
conquête m'a ramenée au fens commun.
Tant pis .... Ah ! point de morale.
Dînons. On fervit.
Pendant qu'elles furent à table , Orphiſe
parla feule , badina Rofalie , prit Terlicu
pour un fot , en conféquence le perfifa.
Pour lui il mangea peu : éroit- ce faute
d'appétit non , peut être ; mais il n'ofa
en avoir. Le caffé pris , Orphife fit fes
adieux , & fe recommanda ironiquement
aux prieres de la belle pénitente .
Rofalie débarraffée d'une visite auffi
choquante qu'importune , fit paffer Terlieu
dans fon fallon de compagnie. Après
un filence de quelques inftans , pendant
lequel Terlieu , les yeux baiffés , lui ménageoit
le plaifir de pouvoir le fixer avec
cette noble compaffion dont fe laiffent
toucher les belles ames à l'afpect des infor
tunés ; elle prit la parole , & lui dit ,
Monfieur , que je vous ai d'obligation ! la
confiance dont vous m'avez honorée , eft
de tous les événemens de ma vie celui qui
m'a le plus flatée , & l'impreffion qu'elle
fait fur mon coeur me caufe une joie ....
Pardonnez -moi ce mot, celle que je reffens
ne doit point vous affliger , elle ne peut
18 MERCURE DE FRANCE.
vous être injurieufe , je ne la tiens que
du bonheur de partager vos peines. Oui ,
Monfieur , ma fenfibilité pour votre fituation
me perfuade que j'étois née pour
la vertu ; mais que dis-je ? A quoi vous
peut être bon fon retour chez moi , fi
vous ne me croyez digne de vous en donner
des preuves. Vous rougiffez : hélas ,
je vois bien que je ne mérite point cette
gloire , foyez , je vous prie , plus génćreux
, ou du moins faites- moi la grace de
penfer qu'en me refufant vous m'humiliez
d'une façon bien cruelle.
• Vous êtes maîtreffe de mon fecret , répondit
Terlieu , ne me mettez point dans
Je cas de me repentir de vous l'avoir confié
: je ne m'en défends point , j'ai trouvé
quelques charmes à vous le révéler ; j'avouerai
même que mon coeur avoit un befoin
extrême de cette confolation : il me
femble que je refpire avec plus de facilité .
Je vous dois donc , Mademoiſelle , ce
commencement de foulagement ; c'est beaucoup
de fouffrir moins , quand on a beaucoup
fouffert. Permettez que je borne à
cette obligation toutes celles que je pourrois
efperer de votre générofité. Ne mefufez
point , je vous prie de la connoiffance
que vous avez de mon fort ; il ne
peut être plus cruel , mais je fçaurai le
-
AOUST. 1755. 19
fupporter fans en être accablé . C'en eft fair,
je reprens courage ; j'ai trouvé quelqu'un
qui me plaint. Au refte , Mademoiſelle ,
je manquerois à la reconnoiffance fi je
renonçois entierement à vos bontés ; &
puifque vous me permettez de vous voir ,
je viendrai vous inftruire tous les jours de
ce que mes démarches & mes follicitations
auront opéré je recevrai vos confeils
avec docilité , mais auflì c'est tout ce
qu'il vous fera permis de m'offrir , autrement
je cefferois .... N'achevez pas , répliqua
Rofalie en l'interrompant , je n'aime
point les menaces. Dites - moi , Monfieur
, eft-ce que l'infortune rend les hommes
intraitables ? eft - ce qu'elle répand
fur les moeurs , fur les manieres , une inquiétude
fauvage : eft- ce qu'elle prête au
langage de la féchereffe , de la dureté ?
s'il eft ainfi , elle eft bien à redouter. N'eftpas
vrai que vous n'étiez point tel dans
la prospérité ? vous n'euffiez point alors
rejetté une offre de fervice .
il
J'en conviens , répondit Terlieu , j'euſſeaccepté
parce que je pouvois efperer de rendre
, mais à préfent je ne le puis en confcience.
Quant à cette dureté que vous
me reprochez , j'avouerai que je la crois
honorable , néceſſaire même à celui qui eft
dans la peine. Elle annonce de la fermeté ,
20 MERCURE DE FRANCE.
elle repouffe l'orgueil de ceux qui font
dans l'opulence , elle fait refpecter le miférable.
L'humilité du maintien , la modeftie
, la timidité du langage donneroient
trop d'avantage à ceux qui ne font que
riches ; car enfin celui qui rampe , court
les rifques d'être écrasé.
Et vous êtes , reprit Rofalie , dans l'appréhenfion
que je ne me prévale des aveux
que vous m'avez fait : oui , dans mon dépit
vous me faites imaginer des fouhaits
extravagants je l'efpere au moins , votre
mauvaife fortune me vengera , vos parens
font de monftres ... que je ferois contente
s'ils vous rebutoient au point que vous
fuffiez forcé d'avoir recours à cette Rofalie
que vous dédaignez , puifque vous ne
la croyez point capable de vous obliger
dans le fecret de fa confcience.
Sur le point de quitter Paris je voulois
en fortir en faifant une action qui pût.
tranquilifer mes remors , & m'ouvrir la
route des vértus que je me propofe ; le hazard
, ou pour mieux dire , le ciel permet
que je falfe votre connoiffance ; je
crois que vous m'êtes adreffé pour vous ,
être fecourable , & je ne trouve en vous
que la fierté la plus inflexible . Hé bien ,
n'y fongeons plus . Cependant puis- je vous
demander fi vous envifagez quelques refA
OU ST. 1755. 21
fources plus fateufes que celles que vous
pourriez efperer de votre famille ?
Aucune , répondit Terlieu , j'ai bien
quelques amis ; mais comme je ne les
tiens que du plaifir , je n'y compte point.
Quoi ! reprit Rofalie , le néceffaire eft
prêt de vous manquer ,
& vous vous
amufez à folliciter des parens : c'est bien
mal à propos que l'on prétend que la néceffité
eft ingénieufe ! N'auriez - vous de
l'efprit que pour refléchir fur vos peines ?
que pour en méditer l'amertume ? Allez
Monfieur , allez faire un tour de promenade
: rêvez , imaginez , faites même ce
qu'on appelle des châteaux en Eſpagne ; il
eft quelquefois des illufions que la fortune
fe plaît à réalifer : il eft vrai qu'elles fe
réduifent prefque toujours à des chimeres ,
mais elles exercent l'efprit , elles amufent
l'imagination , elles bercent les chagrins ,
& c'eft autant de gagné fur les réflexions
affligeantes. Je vais de mon côté me donner
la torture : heureufe fi je fuis affez ingénieufe
pour trouver quelque expédient
qui puiffe adoucir vos peines , & contenter
l'envie extrême que j'ai de contribuer
à votre bonheur !
Terlieu fe leva pour fortir , & Roſalie
en le reconduifant le pria de venir manger
le foir un poulet avec elle , afin de
22 MERCURE DE FRANCE.
raifonner , & de concerter enfemble ce
que leur auroit fuggeré leur imagination ;
mais pour être plus fûre de l'exactitude de
Terlicu au rendez - vous , elle lui gliffa
adroitement une bourfe dans fa poche.
Terlieu alla s'enfoncer dans l'allée la plus
folitaire du Luxembourg , il y rêva beaucoup
& très infructueufement.
Tous les hommes ne font point féconds
en reffources ; les plus fpirituels font ordinairement
ceux qui en trouvent le moins.
Les idées , à force de fe multiplier , fe confondent
; d'ailleurs on voit trouble dans
l'infortune .
Il n'eft que deux fortes d'induſtrie ; l'une
légitime , c'eft celle des bras , du travail ,
& le préjugé y a attaché une honte : Terlieu
étoit Gentilhomme , il n'a donc pû en
être exemt.
L'autre induftrie , nommée par dégradation
l'induſtrie par excellence , eft celle
qui s'affigne des revenus fur la fottife , la
facilité , les foibleffes & les paffions d'autrui
; mais comme elle eft incompatible
avec la probité , Terlieu en étoit incapable.
Il y avoit deux heures que cet infortuné
Gentilhomme tourmenté par fon inquiétude,
marchoit à grands pas en croyant
fe promener , lorfque fouillant fans deffein
dans fa poche , il y fentit une bourſe.
AOUST. 1755. 23
Cette découverte décida promptement fon
retour ; le moindre délai pouvoit , felon
lui , faire fuppofer de l'incertitude dans
fon procédé ; il craignoit qu'on ne le foup.
çonnâc même d'avoir combattu contre la
tentation.
Il arrive effoufflé , franchit rapidement
l'efcalier de Rofalie , il entre ; celle - ci qui
le voit hors d'haleine , ne lui donne pas le
tems de s'expliquer , & débute par une
queftion vague ; lui fans parler , jette la
bourfe fur une table ; Rofalie affecte une
furpriſe de fatisfaction , & lui fait compli
ment fur le bonheur qu'il a eu de trouver
un ami généreux . Terlieu protefte très -férieufement
qu'il n'a parlé à qui que ce
fort ; celle- ci infifte fur l'heureuſe rencontre
qu'il a faite , Terlieu fe fâche , il eft ,
dit-il , outragé , il jure qu'il ne reverra de
fa vie Rofalie , fi elle ne reprend un argent
qui lui appartient : Elle s'en défend ,
elle en nie la proprieté , elle ofe foutenir
qu'elle ne fçait ce qu'on veut lui dire ;
quelle rare effronterie ! elle eut peut - être
pouffé plus loin l'opiniâtreté , fi elle ne fe
fut avifée de rougir . Rofalie rougir . Quoi!
une fille qui a vécu dans le defordre fe
laiffe démentir par le coloris involontaire
de la franchife? Hé pourquoi non ! quand
le motif en eft fi beau . On rougit bien des
24 MERCURE DE FRANCE.
mage
premieres paroles d'obfcénité qu'on entend
, parce que le coeur eft neuf ; celui
de Rofalie reprend fa premiere pureté ,
elle a donc pu rougir d'un menfonge généreux
, & rendre en même tems cet homà
la vérité. La conviction étoit trop
claire pour que fon obftination put durer
plus long - temps ; elle reprit fa bourſe
avec un dépit fi brufque qu'elle lui échappa
des mains , & qu'elle alla frapper conire
une commode où elle s'ouvrit en répandant
fur le parquet une cinquantaine
de louis. Comme Terlieu fe mit en devoir
de les ramaffer , Rofalie lui dit d'un ton
ironique & piqué : Monfieur , ne prenez
point cette peine , je fuis bien aiſe de ſçavoir
fi le compte y eft : vous m'avez pouffée
à bout par votre peu de confiance en
moi , il eft jufte qu'à mon tour j'en manque
à votre égard .
Je fais trop de cas de cette colere
pour
m'en offenfer , reprit Terlieu , le fond
m'en paroît trop refpectacle
. Puis- je , con- tinua - t-il , fans vous irriter , vous avertir
que j'apperçois
dans ce coin quelques
louis qui ont échappé
à vos recherches
? Puis- je , répliqua
Rofalie fur le même
ton , fans vous irriter , vous annoncer
que
vous êtes des mortels le plus bizarre & le
plus haïffable
? Refferrerai
-je , continua-telle
A O UST. 1755. 25
elle d'une voix modefte & attendrie l'ar-:
gent de cet ami du Luxembourg. Oui ,
Mademoiselle , répondit Terlieu d'un ton
ferme , je vous prie de le lui rendre , & de
le remercier de ma part.
la
Ils alloient continuer ces débats de générofité
mutuelle , lorqu'on vint avertir
que le fouper étoit fervi ; au moins , Monfieur
, dit Rofalie , vous me ferez peut -être
grace de me tenir campagnie très-volontiers
, répondit Terlieu , il y a trop à
gagner pour moi , & voilà le feul cas où
il peut m'être permis de vous montrer que
j'entends mes intérêts ; bien entendu cependant
que vous aurez moins d'humeur.
Je m'y engage , reprit- elle , pourvû que je
puiffe vous gronder , fi vous ne penfez pas
à ma fantaifie. Allons promptement manger
un morceau , je fuis fort impatiente
d'apprendre à quoi auront abouti les rêveries
de votre promenade . Vous parlerez
le premier , après quoi je vous ferai part
de mes idées , & nous verrons qui de nous
deux aura faifi le meilleur expédient.
Pendant le tems qu'ils furent à table ;
Rofalie déploya toutes les graces de fon
efprit pour égayer Terlicu , mais avec la
délicateffe dont on doit uſer avec un coeur
fermé à la joie , & avec cette circonfpection
qui met en défaut la malignité atten-
B
26- MERCURE DE FRANCE.
tive des domeftiques. Le deffert fervi elle
les renvoya en leur ordonnant de ne point
entrer qu'elle n'eut fonné. Ils eurent beau
raifonner entr'eux ; l'extérieur de Terlieu ,
l'accablement où ils le voyoient , & plus
que cela encore , la médiocrité très - négligée
de fon ajuftement dérouterent leurs.
conjectures.
Monfieur , dit alors Rofalie en reprenant
la parole , nota voilà feuls , perfonne
ne peut nous entendre ; faites- moi.
part , je vous prie , de ce que vous avez,
imaginé. Je ſerai bien charmée ſi vous me
mettez dans le cas de vous applaudir , plus
encore fi je puis ajouter quelques réflexions
utiles à vos projets .... parlez donc.
grace.q
de
Hé ! que puis- je vous dire , répondit-il ,
finon que dans l'état où je fuis il ne m'eft
pas poffible de penfer. J'ai eu beau creufer
ma tête , il n'en eft rien forti qui ne fut dé
raifonnable , extravagant , au-deffous du
fens commun. Jugez , Mademoiſelle , de
la mifere d'un efprit retréci par
l'infortu
ne ; il n'a pu me procurer que la reffource
de m'expatrier en entrant au fervice de la
Compagnie des Indes : qu'en penfez- vous ?>
ce parti vous paroît- il fi ridicule ?
Non , Monfieur , reprit- elle , je yous y
exhorterai même , dès que vous m'aurez
L
A OUST. 1755. 27
promis de mettre eu ufage l'expédient que
je vais vous donner : écoutez -moi attentivement
, ne m'interrompez pas , & furtout
point de faillie d'orgueil. Votre famille
, je le fçais , jouit de toutes les diftinctions
que donne l'opulence , & qu'on
accorde à celles qui ont bien mérité du
Prince & de la patrie. Je conçois qu'elle
pourra vous refufer de nouveau les fecours
que vous êtes en droit d'en exiger , mais
je ne puis penfer qu'elle fouffrit que vous
vous deshonorafliez . C'eft fur cette délicateffe
que j'établis l'efpoir dont je me flate
pour vous , & j'ofe croire que vous arracherez
de la vanité de vos parens ce que
vos inftances ne pourroient obtenir de
leur bienveillance . Dès demain , Monfieur ,
retournez les voir ; qu'ils lifent fur votre
front ce que la douleur a de plus attendriffant
: priez , preffez , humiliez - vous
même , & ne rougiffez point d'employer
les expreffions les plus foumifes. Si vous
ne les touchez point , s'ils font impitoyables
, ofez leur dire , avec la fureur dans
les yeux , que vous allez prendre un parti
fi indigne du nom qu'ils portent , que l'opprobre
en rejaillira fur eux . Oui, Monfieur,
menacez-les....Non , je crois vous connoître
, vous n'en aurez jamais la force . Par
grace , M. de Terlieu , prenez fur vous
Bij
28. MERCURE DE FRANCE.
de proférer des paroles feules capables
d'effrayer vos parens , & d'intéreffer en
votre faveur , je ne dis pas leur fenfibilité ,
mais au moins leur orgueil.
Qu'allez -vous me propofer , répliqua
Terlieu avec agitation ? vous me faites
frémir.
Ne craignez rien , répondit Rofalie , ce
n'eft qu'une menace dont le but eſt d'allarmer
des gens qui n'auroient point encore
renoncé à l'honneur , qui conféquemment
peut faire un grand effet , mais dont
je ferai toujours bien loin de vous confeiller
, ni même d'en fouffrir l'exécution. Baiffez
les yeux , ne me regardez point de grace;
je ne pourrois mettre au jour mon idée
fi vous me fixiez . Dès que vous aurez épuifé
tout ce que l'éloquence du befoin a de plus
pathétique ; dès que vous aurez déſeſpéré
d'émouvoir vos indignes parens , ofez leur
dire que leur barbarie vous détermine à
profiter de la fenfibilité d'une fille qui a
vécu dans le défordre , que Rofalie plus
généreuse qu'eux , ne peut fouffrir qu'an
homme comme vous paffe fes jours dans
la mifere , que Rofalie , .. hélas ! elle n'eft
que trop connue , que Rofalie vous offre
de partager fa fortune , & que vous êtes
prêt de contracter avec elle un mariage......
Je n'acheve point ; ce fera à vous , MonAOUST.
1755. 29
fieur , à finir le tableau , & à y mettre une
expreffion , & des couleurs dignes du fujet.
Terlieu alors leva les yeux , & Rofalie y
vit un trouble , & quelques larmes qu'elle
ne fit as femblant d'appercevoir. Qu'avez-
vous ? continua-t- elle , vos regards
m'inqui tent , & je crains fort que l'expédient
que je viens de vous propofer ne
vous révolte ; mais enfin , s'il réuffiffoit
m'en fçauriez-vous mauvais gré ? que rifquez-
vous d'en hafarder l'épreuve ?
Un malheur nouveau qui acheveroit de
m'accabler , s'écria Terlieu , mes cruels
parens ne manqueroient point d'attenter à
votre liberté , & je ferois la caufe & le prétexte
d'une barbarie.
Hé ! Monfieur , reprit elle , courons - en
les rifques , fi cette violence peut rendre
votre fort plus heureux. La perte de la
liberté n'eft point un fi grand mal pour quiconque
eft déterminé à renoncer au monde.
D'ailleurs il fuffira à ma juftification ,
& à la vôtre que l'on fçache que ce n'étoit
qu'une rufe imaginée pour amener vos
parens à la néceffité de vous rendre fervice ;
& comme il fera de l'intérêt de votre honneur
de défavouer un bruit auffi ridicule ,
l'amour qu'on vous connoît pour la vérité ,
ne laiffera aucun doute & nous nous
trouverons juſtifiés tous les deux .
,
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Ah Rofalie , Rofalie ! répliqua Terlieu ,
en foupirant , terminons un entretien dont
les fuites deviendroient trop à craindre
pour moi. Je vous quitte pénétré d'admiration
, & peut-être d'un fentiment encore
plus intéreffant. Oui , je ferai ufage de vos
confeils ; je verrai demain ma famille .....
Mais hélas ! je ne fçai fi vous ne me faites
point defirer d'être rebuté de nouveau . Je
ne puis dire ce que mon coeur reffent , mais
il vous refpecte déja , & vraisemblablement
il ne fe refufera pas long-temps à ce
que la tendreffe a de plus féduifant.
Monfieur , reprit Rofalie , allez vous
repofer , vous avez befoin de rafraîchir
votre fang ; vous venez de me prouver
qu'il eft un peu échauffé. Je préfume que
le fommeil vous rendra votre raison , &
qu'à votre reveil , où vous rirez , où vous
rougirez du petit délire de la veille.
Fort bien , répliqua Terlieu en fouriant,
voilà un agrément de plus dans votre ef
prit , & vous entendez fupérieurement la
raillerie . Oui , Rofalie , je vais me retirer ,
mais avec la certitude de ne point dormir ,
& comptez que fi le fommeil me furprend,
mon imagination , ou pour mieux dice ,
mon coeur ne fera occupé que de vous.
Terlieu tint parole , il ne ferma point
l'oeil de la nuit , & cependant il ne la trouA
O UST. 1755: 31
va pas longue. Le jour venu , il fut incertain
s'il iroit de nouveau importuner fa
famille , ou s'il fuivroit le penchant d'une
paffion que le mérite de Rofalie avoit fait
naître en fon coeur , & que les réflexions
ou peut-être les illufions de la nuit avoient
fortifiée. Après avoir combattu quelque
tems entre ces deux partis , le foin de fa
réputation l'emporta fur un amour que fa
raifon plus tranquille lui repréfentoit malgré
lui fous un point de vûe un peu déshonorant
. Quelle fituation ? l'amour , la pauvreté
, defirer d'être aimé , d'être heureux ,
& n'ofer fe livrer à des penchans fi naturels
! Partez Terlieu , vous avez promis ,
& votre honneur exige que vous faffiez du
moins encore une démarche avant de fonger
au coeur de Rofalie.
La fortune ne le fervit jamais mieux
qu'en lui faiſant effuyer des dédains nouveaux
de la part de fa famille. Les prieres ,
les inftances , les fupplications qu'il eut le
courage d'employer , ne lui attirerent que
des rebuts , que des outrages. Ses parens imputerent
à fa baffefle les larmes qu'il verfa.
Outré , défefpéré , il mit en oeuvre fa derniere
reffource ; il leur peignit avec les
couleurs les plus effrayantes l'alliance dont
il les menaça de fouiller leur nom ; ce tableau
ne fit qu'ajouter au mépris dont ils
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
l'accablerent , & l'un d'eux en parlant au
nom de tous , & fans en être défavoué
par
un feul , eut la lâcheté de lui dire : hé >
Monfieur , concluez ; que nous importe la
femme que vous prendrez , pourvu qu'elle
nous débarraffe de votre vûe , & de vos
importunités. Au refte , nous vous défavouons
dès ce jour pour parent , & fi vous
avez le front d'ofer dire que vous nous appartenez
, nous fçaurons réprimer votre
infolence.
Et moi , Meffieurs , répliqua fierement
Terlieu , je le publierai partout , non pas
que je tienne à honneur d'être votre plus
proche parent , mais afin que perfonne n'ignore
que vous êtes plus indignes que moimême
du fang qui coule dans nos veines ,
& que fi je fuis réduit à le deshonorer , ce
font vos duretés qui m'y ont forcé. Adieu ,
Meffieurs , & pour toujours.
Terlieu courut promtement répandre
dans le fein de la généreufe Rofalie les
horreurs qu'il venoit d'entendre. C'en eft
fait , s'écria-t-il en entrant , je n'ai que
vous au monde , vous me tenez lieu d'amis
, de parens , de famille. Oui , Roſalie,
continua-t-il , en tombant à fes genoux ,
c'eft à vous feule que je veux appartenir ,
de vous feule je veux dépendre , & votre
coeur eft le feul bien que j'ambitionne.
AOUST. 1755. 33
Soyez , je vous conjure , magnanime au
point de croire que ce n'eſt pas l'extrémité
où je me trouve , qui me fait deficer le
bonheur de vous plaire : comptez qu'un motifauffi
bas eft trop au deffous de ce que vous
m'infpirez , & d'un coeur comme le mien.
Eh , vous ne méritez point que je vous
écoute , lui répondit , Rofalie , fi vous me
croyez capable d'un tel foupçon. Levezvous
, Monfieur , on pourroit vous furprendre
dans une attitude qu'il ne me convient
plus de fouffrir , on croiroit que je
la tolere , & elle feroit douter de la fincérité
du parti que j'ai pris de renoncer à mes
égaremens ..... Je voudrois , repliqua Terlieu
en l'interrompant , avoir mille témoins
de l'hommage que je vous rends , & je fuis
fûr qu'il n'en feroit pas un qui n'y applaudit
, fi je l'inſtruifois de la force des raifons
qui me l'arrachent , & des vertus que
j'honore en vous.
J'avois efpéré , reprit elle , que le fommeil
auroit diffipé le vertige qui vous trou
bloit hier au foir. Je fuis fâchée , & prefque
irritée que ce mal vous tourmente encore.
Par grace , daignez en guérir . Il feroit
honteux que vous n'en euffiez point le
courage. Oui , Monfieur , j'afpire à votre
eftime , & non pas à votre coeur , & je ne
pourrois me difpenfer de renoncer à l'une
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
fi vous vous obſtiniez à m'offrir l'autre.
Et moi , répondit tendrement Terlieu ,
je veux les acquérir toutes deux. Ne féparons
point deux fentimens qui ne peuvent
fubfifter l'un fans l'autre : leur réunion fera
votre bonheur & le mien. Ah , Roſalie
nous fommes dignes de le goûter long - tems,
fi nous fommes capables de les concilier.
Belles fpéculations , repliqua t- elle , qui
prouvent bien que vous m'aimez , mais qui
ne me raffurent point fur la crainte de l'avenir
! Je le dis fans rougir , j'ai entendu
tant de fois de ces propos , tant de femmes
en ont été les victimes qu'il eft téméraire
d'y ajouter foi . Dans l'emportement de la
paffion , les promeffes ne coutent rien , on
ne croit pas même pouvoir y manquer ; &
puifque les mépris , les dégouts fe font !
fentir dans les mariages affortis par l'égalité
des conditions , & par la pureté reciproque
des moeurs , que ne dois-je point
redouter de l'union que vous me propofez?
vous en rougiriez bientôt vous -même , la
haine fuccéderoit au repentir , & je tarde-
Bois peu à fuccomber fous le poids de l'honneur
que vous m'auriez fait . Croyez- moi ,
Monfieur , ne nous expofons point à des
peines inévitables . Qu'il nous fuffife que
l'on fçache que Terlieu pénétré de reconnoiffance
pour Rofalie lui a offert une
AOUST. 1755 35
main qu'elle a eu le refpect de ne point accepter.
Un trait de cette nature nous fera
bien plus glorieux qu'une témérité qui
peut
faire mon malheur en vous couvrant
de honte. Que mon refus , je vous prie ;
ne vous afflige point. Laiffez- moi jouir
d'une fenfibilité plus noble mille fois que
le retour que vous pourriez efpérer de la
foibleffe de mon coeur. Souffrez que je
m'en tienne au bonheur de vous obliger ,
& comptez qu'il me fera bien plus doux
de le faire par fentiment que par devoir.
Non , Rofalie , reprit Terlieu , votre
refus entraîne néceffairement le mien. Le
titre d'époux peut feul me faire accepter
vos bontés. Vos craintes fur l'avenir m'ou '
tragent ! Ah ! bien loin de m'aimer , vous
ne m'eftimez pas , la pitié eſt le feul fentiment
qui vous parle en ma faveur. Adieu ,
je vous quitte plus malheureux encore que
lorfque j'ai commencé à vous connoître ;
j'avois un défefpoir de moins dans le coeur.
Terlieu fe leva en fixant tendrement
Rofalie , fit un foupir en couvrant fon viſage
avec fes mains , & alla fe jetter dans fa
petite chambre. Il n'y fut pas long tems
Rofalie le coeur ferré de la douleur la plus
vive , fonna pour avoir du fecours. Elle
en avoit un befoin réel. Sa femme de
chambre la trouva dans un étouffement
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
affreux & fans connoiffance. Elle donna
un peu de jour à fa refpiration , elle la traîna
de fon mieux fur une ducheffe , & après
l'avoir queftionnée à plufieurs repriſes ,
elle n'en put tirer que ces paroles : ah Terlieu
, Terlieu ! cette exclamation , quoique
inconcevable pour elle , la détermina à
l'aller prier de venir voir Rofalie . Ilentre ,
la trouve pâle , les yeux éteints , & preſque
auffi foible qu'elle , il tombe à fes genoux ,
il prend une de ſes mains qu'il baigne de
fes larmes : elle entr'ouvre un oeil languiffant
, & d'une voix qui expiroit fur fes lévres
, voilà , dit- elle , l'état où me réduifent
la dureté de vos refus , & les aveux
d'une paffion qu'il eft honteux pour vous
de reffentir. Monfieur , continua t- elle ,
ne me voyez plus , & fi vous prenez quelque
intérêt à mon repos , à ma fanté , ne
ne vous obftinez plus à me refufer la fatisfaction
fecrette que j'exige de vous. Dans
huit jours je ne ferai plus à Paris , & puifqu'il
eft indifpenfable que nous nous féparions
, laiffez - moi acquérir le droit de m'informer
de l'état de vos affaires , laiffez- moi
enfin acheter l'honneur d'être dans votre
fouvenir.
Si l'état où je vous vois , repliqua Terlieu
, m'accabloit moins , je vous le dis ,
Rofalie , je ne pourrois peut- être me conAOUST
. 1755 37
tenir. Quoi , vous avez la cruauté de m'annoncer
qu'il faut que je renonce au ſeul
bien qui me refte ? dans huit jours je ne
vous verrai plus ! non , il n'eft pas poffible
que je ceffe de vous voir : quelque retraite
que vous choififfiez , je fçaurai vous y découvrir
; je fçaurai y porter un amour que
vous vous lafferez peutêtre de rebuter. La
voilà , dirai-je , cette Rofalie , cet affemblage
refpectable , de grandeur , de foibleffe
! Hélas , elle ne m'a pas jugé digne
de l'accompagner , & de la guider dans le
fentier de la vertu , elle ne m'a pas jugé
digne de vivre heureuſement & vertueufement
avec elle . Me fera-t-il permis au
moins , continua- t- il , d'un ton paffionné ,
& en reprenant une main qu'on n'eut pas
la force de retirer , de jouir pendant le peu
de temps que vous refterez à Paris , du
bonheur de vous voir ce fera , n'en doutez
point , les feuls beaux jours de ma vie.
Il ne tiendroit qu'à vous d'en prolonger le
cours & la félicité ; mais vous l'avez déci
dé , & vous voulez que je vive éternellement
malheureux .
Retirez- vous , dir Rofalie à fa femme
de chambre , je me fens mieux , & foyez
difcrette , je vous prie. Comment , Monfieur
, continua- t - elle , vous voulez tout
obtenir , & vous n'accordez rien ? oui ,
vous ferez le maître de me voir , & vous
8 MERCURE DE FRANCE.
fçaurez le nom du lieu où je vais fixer mom
féjour , mais c'eſt à une condition ; & s'il
eft vrai que vous m'aimiez , je veux me
prévaloir de l'afcendant qu'une maitreſſe
eft en droit de prendre fur fon amant . Vous
allez me traiter de bizarre , d'opiniâtre :
hé , dites- moi , Monfieur , qui de nous
deux l'eft d'avantage ? je fuis laffe de prier,
il est temps que je commande. Ceton ,
vous paroît fingulier ; je conviens qu'il
tient un peu du dépit je l'avoue , ceci
commence à me fatiguer , à me tourmenter.
Finiffons par un mot fans replique. Voilà.
ma bourfe ; ce qu'il vous plaira d'y prendre
déterminera en proportion la confiance
que vous voulez que j'aye en vous , l'eftime
que je dois faire de votre perfonne ,
& le dégré de votre amour pour moi.
Hé , je la prens toute entiere , s'écria
Terlieu en la faififfant des deux mains .
Et moi , reprit Rofalie , je vous embraffe.
Oui , mon cher Terlieu , vous m'aimez
, j'ai triomphé de votre orgueil. Ne
prenez point cette faillie pour un emportement
de tendreffe , elle eft née dans la:
joie involontaire de mon ame , & non pas
dans les tranfports d'une paffion infenfée .
Terlieu fe retira , le coeur trafporté de
joie , & de la plus flatteufe efpérance , &
Rofalie charmée d'être parvenue à contenter
fon inclination bienfaifante , s'occupa
A OUST . 1755.
39
une partie de la nuit du deffein de fa re
traite , & des mefures néceffaires à fon
départ. Le lendemain elle fortit fur les
neuf heures du matin pour aller conclure
l'acquifition d'une terre . Elle dîna , & ſoupa
avec Terlieu , elle affecta pendant toute
la journée une fatisfaction & une gaieté qui
ne laifferent à fon amant aucun foupçon
du deffein qu'elle avoit pris de partir à la
pointe du jour. Quelle accablante nouvelle
pour Terlieu , lorfqu'il apprit le départ de
Rofalie ! Il faut avoir aimé pour bien fentir
l'état d'un coeur qui eft privé de l'objet
qu'il adore. Tous les maux raffemblés ne
font rien en comparaifon. C'eft la fecouffe
la plus violente que l'ame puiffe recevoir
& c'eft la dernière épreuve de la fermeté
humaine. Terlieu abbattu & prefque ftupide
, alloit fuccomber fous le poids de fa
douleur , lorfqu'il lui fut remis un billet
de la part de Rofalie. Hélas , il ne fit qu'ajouter
à fes tourmens . Il l'ouvre en frémiffant
, & lit , .....
*
Monfieur , renfermons- nous , je vous
prie , dans les bornes d'une pure amitié.
»J'ai dû fuir , & c'eft l'eftime que je vous
dois qui a précipité mon départ . Vous
» me ferez toujours cher , vous recevrez
» de mes nouvelles ; je ne fuis point faite
»pour oublier un homme de votre mérite ..
» Encore une fois tenons- nous- en aux en40
MERCURE DE FRANCE.
" gagemens de la plus inviolable amitié
" c'eft le feul fentiment qui puiffe nous
» convenir , & c'eft celui qui me fait pren-
» dre la qualité de votre meilleure amie.
Rofalie .
Ah cruelle , s'écria Terlieu ! vous fuyez,
vous m'abandonnez ! & vous ne me laiffez
pour reffource que les offres d'une froide
& triſte amitié ! non , Rofalie , elle ne
peut fuffire à mon coeur. Mais que dis je
hélas ! vous ne m'aimez point . Cette tranquillité
, cette joie dont vous jouiffiez hier
à mes yeux , ne me prouvent que trop que
je vous fuis indifférent. Que j'étois crédule!
que j'étois aveugle de les interpréter en ma
faveur ! Amant trop préfomptueux , je les
ai prifes pour des marques de la fatisfaction
que vous reffentiez d'être fûre de mon
coeur. Quel étrange compofé que votre caractere
! vous avez l'ame généreufe , noble;
des vertus réelles me forcent à vous admirer
, je ne puis réfifter à l'impreffion qu'elles
font fur moi , elles y font naître la paffion
la plus tendre , la plus refpectable , je
crois recevoir des mains de votre amour
les bienfaits dont vous me comblez , &
vous partez ! j'ignore où vous êtes ! Dieu !
fe peut - il qu'un coeur qui. m'a paru auffi
franc , auffi fincere , ait pu être capable
d'une diffimulation auſſi réfléchie , auffi
A OUST . 1755. 41
perfide. Vous partez ! ..... & vous ne me
laiſſez que le repentir , & la honte d'avoir
fuccombé aux inftances de votre indigne
générofité. Oui , je fçaurai vous découvrir,
je fçaurai répandre à vos pieds ce que contient
cette bourfe infultante , .... je fçaurai
mourir à vos yeux.
Il s'habille à la hâte , il alloit fortir lorf
qu'on vint frapper à fa porte. Il ouvre , il
voit un homme qui lui demande s'il n'a
pas l'honneur de parler à M. de Terlieu .
C'est moi -même , répondit- il fechement
mais pardon , Monfieur , je n'ai pas le
temps de vous entendre. Monfieur , repliqua
l'inconnu , je ne vous importunerai
pas longtems , je n'ai befoin que de votre
fignature , vous avez acquis une terre , en
voici le contrat de vente , & il eft néceffaire
que votre nom figné devant moi , en conftate
la validité. Que voulez - vous dire ,
reprit Terlieu ? ou vous êtes fou , ou je
rêve. Monfieur , dit l'inconnu , je fuis
Notaire ; il n'y a guerres de fous dans ma
profeffion. Je vous protefte que vous êtes
trés-éveillé , & qu'un acte de ma façon n'a
point du tout l'air d'un rêve. Ah , Rofalie,
s'écria Terlieu ! C'eft elle-même , reprit le
Notaire. Voici une plume , fignez . Non ,
Monfieur , répondit Terlieu , je ne puis
m'y réfoudre , remportez votre acte , &
dites-moi feulement où eft fituée cette terre.
42 MERCURE DE FRANCE.
C'eft préciſement , répliqua le Notaire , ce
qui m'eft défendu , & vous ne pourrez en
être inftruit qu'après avoir figné. Allons
donc , reprit Terlieu en verfant un torrent
de larmes , donnez cette plume . Voilà qui
eft à merveille , dit le Notaire , & voici
une expédition de l'acte. Vous pouvez
aller prendre poffeffion quand vous le
jugerez à propos. Adieu , Monfieur , je
vous fouhaite un bon voyage ; faites , je
vous prie , mes complimens à l'inimitable
Rofalie. Ah , Monfieur , reprit Terlieu en
le reconduifant , elle ne tardera gueres à
les recevoir.
Son premier foin fut de chercher dans
l'acte qui venoit de lui être remis le nom
de la province , & du lieu dont Rofalie
avoit pris le chemin ; il alla tour de fuite
prendre des chevaux de pofte. Qu'ils alloient
lentement felon lui ! après avoir
couru , fans prendre aucun repos pendant
trente- fix heures , il arriva prefqu'en même
temps que Rofalie. Quoi , c'est vous ? lui
dit-elle en fouriant , que venez -vous faire
ici ? vous rendre hommage de ma terre ,
répondit- il , en lui baifant la main , en
prendre poffeffion , & époufer mon amie.
Je ne vous attendois pas fitôt , reprit- elle ,
& j'efpérois que vous me laifferiez le temps
de rendre ce féjour plus digne de vous recevoir.
Hé , que lui manque-t-il pour me
A OUST. 43 1755 .
plaire , pour m'y fixer , repliqua- t- il , vous
y êtes , je n'y vois , & je n'y verrai jamais
que ma chere Rofalie . J'ai de l'inclination
à vous croire , lui dit-elle , en le regardant
tendrement , & mon coeur , je le fens , auroit
de la peine à fe refufer à ce que vous
lui infpirez ; il eft prêt à fe rendre à vos
defirs . Mais encore une fois , mon cher
Terlieu , interrogez le vôtre , ou pour
mieux dire , écoutez les confeils de votre
raifon. Nepouvons- nous vivre fous les loix
de l'amitié? & ne craignez- vous point que
celles de l'hymen n'en troublent la pureté ,
n'en appéfantiffent le joug ? Et cette terre ,
repliqua- t-il , peut- elle m'appartenir , fi je
n'acquiers votre main ? D'ailleurs , y fongez-
vous , Rofalie ? je vivrois avec vous ,
& je n'aurois d'autre titre pour jouir de ce
bonheur que celui de l'amitié ? Penſezvous
que la médifance nous épargnât en
vain nous vivrions dans l'innocence , la
calomnie , cette ennemie irréconciliable
des moeurs les plus chaftes , ne tarderoit
pas à fouiller la pureté de notre amitié
& elle y fuppoferoit des liens qui nous
deshonoreroient. Mais enfin , reprit Rofalie
, à quels propos , à quelles indignes
conjectures ne vous expofez- vous point ?
on dira que Terlieu n'ayant pû foutenir le
poids de fon infortune , a mieux aimé re
44 MERCURE DE FRANCE .
chercher la main de Rofalie que de lan
guir dans une honorable pauvreté. Vains
difcours , s'écria Terlieu , qui ne peuvent
m'allarmer ! venez , répondrai - je , à la malignité
, à l'orgueil ; venez , fi vous êtes
capables d'une légitime admiration , reconnoître
en Rofalie un coeur plus noble , une
ame plus pure que les vôtres . Vous n'avez
que l'écorce des vertus , ou vous ne les pratiquez
que par oftentation , & Rofalie en
avouant fes égaremens a la force d'y renoncer
, & les épure par le repentir , par
la bienfaifance. Apprenez vils efclaves de
la vanité que la plus fage des bienséances
eft de s'unir avec un coeur qu'on eſt fûr
d'eftimer , & que le lien d'une reconnoiffance
mutuelle eft le feul qui puiffe éternifer
l'amour. Je ne réfifte plus , reprit Rofalie
, je me rends à la jufteffe de vos raifons
, & plus encore à la confiance que la
bonté , que la nobleffe de votre coeur ne
ceffent de répandre dans le mien : le don
que je vous ferai de ma main n'approchera
jamais du retour que j'en efpere .
Terlieu & Rofalie allerent fe jurer une
fidélité inviolable aux pieds des autels , où
au défaut de parens , tous les pauvres des
environs leur fervirent de témoins , de famille
, & en quelque façon de convives ,
puifqu'ils partagerent la joie des deux
A OUST. 1755 45
époux à une table abondante qui leur fut
fervie. Terlieu & Rofalie goûtent depuis
long- temps les délices d'une flâme fincere.
Leur maison eft le féjour des vertus . Ils en
font les modeles. On les cite avec éloge ,
on les montre avec admiration , on fe fait
honneur de les voir , on les écoute avec
reſpect , & , comme partout ailleurs , pref
que perfonne n'a le courage de les imiter.
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Résumé : ROSALIE. Histoire véritable, par M. Y....
Le texte raconte l'histoire de Rosalie, une femme aux mœurs déréglées mais admirant la vertu. Ses yeux francs révèlent sa franchise, bien qu'elle soit coquette. Fidèle à ses engagements, elle est plus sensible à la reconnaissance qu'à l'amour. Solitaire et laborieuse, elle aspire à une conduite raisonnable et médite une retraite pour échapper à la honte de sa vie passée. Rosalie observe Terlieu, un jeune gentilhomme vivant dans la pauvreté et la tristesse. Touchée par sa misère, elle l'invite à dîner et apprend qu'il est noble mais réformé, refusant des emplois humiliants pour subvenir à ses besoins. Terlieu avoue son désespoir face à l'ingratitude de sa famille, qui le méprise malgré ses efforts pour conserver son honneur. Rosalie décide de l'aider secrètement et l'invite à dîner en présence de son amie Orphise. Après le départ d'Orphise, Rosalie exprime à Terlieu sa volonté de l'aider, espérant prouver sa propre vertu retrouvée. Terlieu, par orgueil, refuse son aide, mais Rosalie lui offre discrètement une bourse d'argent. Une dispute s'ensuit, mais Rosalie finit par admettre avoir donné l'argent. Terlieu insiste pour rendre la bourse, mais ils décident de partager un repas pour discuter de solutions. Terlieu propose de s'expatrier en entrant au service de la Compagnie des Indes. Rosalie l'encourage à demander de l'aide à sa famille en jouant sur leur orgueil et leur honneur. Plus tard, Rosalie suggère à Terlieu de contracter un mariage pour partager sa fortune, mais Terlieu exprime ses craintes concernant la réaction de sa famille. Rosalie le rassure en proposant une ruse pour justifier leur union. Terlieu, troublé, quitte Rosalie en exprimant son admiration et son affection croissante. Il passe une nuit sans sommeil, hésitant entre sa passion pour Rosalie et la nécessité de préserver son honneur. Le lendemain, il tente de convaincre sa famille, mais se heurte à leur mépris et à leur refus. Désespéré, il retourne voir Rosalie, lui avouant son amour et son désir de dépendre uniquement d'elle. Rosalie, bien que touchée, exprime ses doutes sur la durabilité de leur amour et les risques associés à leur union. Elle refuse sa proposition, préférant préserver leur honneur. Terlieu, désespéré, se retire dans sa chambre. Rosalie, affaiblie par l'émotion, est secourue par sa femme de chambre. Terlieu revient auprès de Rosalie, qui lui annonce son départ imminent de Paris. Après une discussion intense, Rosalie accepte finalement l'amour de Terlieu, triomphant de son orgueil. Terlieu quitte Rosalie, le cœur rempli de joie et d'espoir. Rosalie, après une journée avec Terlieu en feignant la gaieté, quitte ce dernier à l'aube sans révéler ses intentions. Terlieu, désemparé, reçoit une lettre de Rosalie où elle lui demande de se contenter d'une amitié pure. Terlieu, désespéré, est ensuite interrompu par un notaire qui lui présente un contrat de vente d'une terre acquise par Rosalie. Terlieu, après avoir signé le contrat, part à la recherche de Rosalie et la retrouve. Rosalie tente de maintenir leur relation dans le cadre de l'amitié, mais Terlieu insiste sur l'importance de légitimer leur amour par le mariage pour éviter les médisances. Rosalie finit par accepter et ils se marient, entourés des pauvres des environs. Depuis lors, Terlieu et Rosalie vivent heureux et sont admirés pour leur vertu et leur amour sincère.
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38
p. 187-191
Réflexions sur la sixiéme observation que le sieur Darluc, Médecin de Callian, a fait insérer dans le premier volume du Mercure de Juin.
Début :
Si tout écrivain est obligé de prendre la vérité pour guide, nul ne contracte [...]
Mots clefs :
Vérité, Médecin, Observation, Observateur, Maladie
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texteReconnaissance textuelle : Réflexions sur la sixiéme observation que le sieur Darluc, Médecin de Callian, a fait insérer dans le premier volume du Mercure de Juin.
Réflexions fur la fixiéme obfervation que le
fieur Darluc , Médecin de Callian , a
fait inférer dans le premier volume du
Mercure de Juin.
Sla
vérité
I tout écrivain eft obligé de prendre
la vérité pour guide , nul ne contracte
plus étroitement cette obligation que celui
qui écrit pour l'inftruction du public , &
pour le bien de la fociété . Plus on eft louable
par le motif que l'on fe propofe , plus
on eft blamable quand on s'écarte des bornes
de la vérité .
J'avoue qu'en lifant les obfervations
que M. Darluc , Médcin de Callian , a fait
inférer dans le Mercure du mois de Juin $
je fus fort édifié du zéle qui l'animoit , &
des fentimens qu'il y étaloit fous l'enveloppe
de la modeftie ; mais en jettant les
yeux fur la fixiéme obfervation , j'eus
beaucoup à rabattre de cette premiere idée.
Elle roule fur un fait dont j'ai été témoin ,
que M. Darluc a accommodé à fa guife
pour en faire une obfervation qui augmentât
le nombre des autres , & leur donnât
du poids.
&
L'Obfervateur devoit plus de juftice
1
188 MERCURE DE FRANCE.
à ·la vérité qu'il a fardée avec art , & à moi
qu'il a déprimé avec une habileté maligne.
L'honneur m'engage à rendre compte aú
public de ma conduite pour me juftifier à
fes yeux , & l'amour de la vérité veut que
j'expoſe ingénuement le fait , afin que ce
même public réduife l'obſervation à fa
jufte valeur.
Ce fut au mois de Septembre 1754 ,
que je fus appellé pour traiter la fille du Sr
Ferran , Aubergifte de la ville de Graffe ,
mordue par un chien au métacarpe gauche.
Cette morfure étoit fort légere , quoiqu'en
dife l'obfervateur , elle n'intéreffoit
que la peau.
Cependant , comme en pareil cas rien
n'eſt à négliger , & que tout peut tirer à
conféquence , je traitai cette maladie avec
toute la précaution poffible. Mon premier
foin fut de faire des fcarifications , & une
ligature au-deffus du poignet , & je laiſſai
faigner la partie plus de tems même que ne
demandoit l'état de la maladie. Je lavai la
main avec une eau thériacale , j'appliquai
enfuite fur la plaie , partie égale de thériaque
& d'huile de fcorpion. Quelque
tems après j'employai pendant huit à dix
jours un doux fuppuratif , qui n'empêcha
pourtant pas la playe de fe confolider. En
me fervant de ces topiques , je ne manquai
SEPTEMBRE. 1755 189
point de donner à la malade les antidotes
convénables. Les remédes ainfi adminif
trés , étoient , comme l'on voit , plus que
fuffifans pour remédier à tout inconvé
nient , fuppofé même que la maladie n'eût
pas été équivoque.
On peut fe perfuader aifément que M.
Darluc , appellé fur cette entrefaite , ne
pouvoit manquer d'avoir beau jeu . Il fut
préfenté au fieur Ferran par fon maître de
Mufique , comme un renommé guériffeur
de la rage. Le Chirurgien ne fut point
appellé , ce qui affurement n'eft pas une
preuve de la prudence du Médecin ;
auffi n'agit- il que par maniere d'acquit.
Je ne fçais comment il ofe avancer que la
cicatrice de la plaie étoit fort douloureuſe ;
puifque de l'aveu de tous les parens , la
malade n'y a jamais reffenti la moindre
douleur : convenons auffi que fes remédes
euſſent éte bien infuffifans , fi la perfonne
eût été réellement hydrophobique.
1°. La pommade mercurielle étoit en
trop petite quantité pour produire l'effet
qu'on s'en promettoit . Il eft certain que
dans quinze jours le virus devoit avoir
fait bien des progrès , & avoir impreigné
toute la maffe des humeurs , par conféquent
fuffiroit- il de faire quelques légeres
frictions fur la partie offenſée ?
190 MERCURE DE FRANCE.
2º . Les frictions furent faites par la
mere de la fille ; rare prudence de la part
du Médecin , de confier à une femme cette
opération délicate , & d'où il fait dépendre
la guérifon de la maladie !
3 °. La malade ne fut affujettie à aucune
eſpèce de régime.
Le turbith minéral , dont l'obfervateur
faifoit un fecret de l'air , n'a du tout point
été pris par la fille , fes parens ayant affez
de lumiere pour comprendre l'inutilité &
le danger de ce remède donné à un âge
fi tendre ( environ quatre ans. )
Au furplus M. Darluc auroit dû , avant
que d'employer fon prétendu fpécifique ,
prendre les informations néceffaires , il
auroit appris que le même chien , qu'il dit
vraisemblablement enragé , ne l'étoit vraifemblablement
pas ; puifqu'il en avoit
mordu bien d'autres qui ne le furent jamais
: D'ailleurs , m'étant enquis avec ſoin
de tout ce qu'avoit fait ce chien , je n'ai
pas pû tirer la moindre induction qu'il
fut attaqué de la rage.
Voilà en abrégé l'hiftoire véritable de
tout ce qui s'eft paffé au fujet de cette prétendue
maladie . J'ai crû que la justice &
la vérité exigeoient de moi cet élairciffement.
Je n'ai pas prétendu par - là nuire à
la réputation de M. Darluc , qui peut être
SEPTEMBRE. 1755. 191
d'ailleurs un homme très- eftimable . Je ne
voudrois pas même que l'on mît fes autres
obfervations en parallele avec celle - ci ,
je voudrois feulement , je ne m'en cache
point , le rendre plus exact obfervateur &
plus équitable juge.
Crefp , Doyen des Maîtres
en Chirurgie.
A Graffe , ce 5 Juillet 1755 .
fieur Darluc , Médecin de Callian , a
fait inférer dans le premier volume du
Mercure de Juin.
Sla
vérité
I tout écrivain eft obligé de prendre
la vérité pour guide , nul ne contracte
plus étroitement cette obligation que celui
qui écrit pour l'inftruction du public , &
pour le bien de la fociété . Plus on eft louable
par le motif que l'on fe propofe , plus
on eft blamable quand on s'écarte des bornes
de la vérité .
J'avoue qu'en lifant les obfervations
que M. Darluc , Médcin de Callian , a fait
inférer dans le Mercure du mois de Juin $
je fus fort édifié du zéle qui l'animoit , &
des fentimens qu'il y étaloit fous l'enveloppe
de la modeftie ; mais en jettant les
yeux fur la fixiéme obfervation , j'eus
beaucoup à rabattre de cette premiere idée.
Elle roule fur un fait dont j'ai été témoin ,
que M. Darluc a accommodé à fa guife
pour en faire une obfervation qui augmentât
le nombre des autres , & leur donnât
du poids.
&
L'Obfervateur devoit plus de juftice
1
188 MERCURE DE FRANCE.
à ·la vérité qu'il a fardée avec art , & à moi
qu'il a déprimé avec une habileté maligne.
L'honneur m'engage à rendre compte aú
public de ma conduite pour me juftifier à
fes yeux , & l'amour de la vérité veut que
j'expoſe ingénuement le fait , afin que ce
même public réduife l'obſervation à fa
jufte valeur.
Ce fut au mois de Septembre 1754 ,
que je fus appellé pour traiter la fille du Sr
Ferran , Aubergifte de la ville de Graffe ,
mordue par un chien au métacarpe gauche.
Cette morfure étoit fort légere , quoiqu'en
dife l'obfervateur , elle n'intéreffoit
que la peau.
Cependant , comme en pareil cas rien
n'eſt à négliger , & que tout peut tirer à
conféquence , je traitai cette maladie avec
toute la précaution poffible. Mon premier
foin fut de faire des fcarifications , & une
ligature au-deffus du poignet , & je laiſſai
faigner la partie plus de tems même que ne
demandoit l'état de la maladie. Je lavai la
main avec une eau thériacale , j'appliquai
enfuite fur la plaie , partie égale de thériaque
& d'huile de fcorpion. Quelque
tems après j'employai pendant huit à dix
jours un doux fuppuratif , qui n'empêcha
pourtant pas la playe de fe confolider. En
me fervant de ces topiques , je ne manquai
SEPTEMBRE. 1755 189
point de donner à la malade les antidotes
convénables. Les remédes ainfi adminif
trés , étoient , comme l'on voit , plus que
fuffifans pour remédier à tout inconvé
nient , fuppofé même que la maladie n'eût
pas été équivoque.
On peut fe perfuader aifément que M.
Darluc , appellé fur cette entrefaite , ne
pouvoit manquer d'avoir beau jeu . Il fut
préfenté au fieur Ferran par fon maître de
Mufique , comme un renommé guériffeur
de la rage. Le Chirurgien ne fut point
appellé , ce qui affurement n'eft pas une
preuve de la prudence du Médecin ;
auffi n'agit- il que par maniere d'acquit.
Je ne fçais comment il ofe avancer que la
cicatrice de la plaie étoit fort douloureuſe ;
puifque de l'aveu de tous les parens , la
malade n'y a jamais reffenti la moindre
douleur : convenons auffi que fes remédes
euſſent éte bien infuffifans , fi la perfonne
eût été réellement hydrophobique.
1°. La pommade mercurielle étoit en
trop petite quantité pour produire l'effet
qu'on s'en promettoit . Il eft certain que
dans quinze jours le virus devoit avoir
fait bien des progrès , & avoir impreigné
toute la maffe des humeurs , par conféquent
fuffiroit- il de faire quelques légeres
frictions fur la partie offenſée ?
190 MERCURE DE FRANCE.
2º . Les frictions furent faites par la
mere de la fille ; rare prudence de la part
du Médecin , de confier à une femme cette
opération délicate , & d'où il fait dépendre
la guérifon de la maladie !
3 °. La malade ne fut affujettie à aucune
eſpèce de régime.
Le turbith minéral , dont l'obfervateur
faifoit un fecret de l'air , n'a du tout point
été pris par la fille , fes parens ayant affez
de lumiere pour comprendre l'inutilité &
le danger de ce remède donné à un âge
fi tendre ( environ quatre ans. )
Au furplus M. Darluc auroit dû , avant
que d'employer fon prétendu fpécifique ,
prendre les informations néceffaires , il
auroit appris que le même chien , qu'il dit
vraisemblablement enragé , ne l'étoit vraifemblablement
pas ; puifqu'il en avoit
mordu bien d'autres qui ne le furent jamais
: D'ailleurs , m'étant enquis avec ſoin
de tout ce qu'avoit fait ce chien , je n'ai
pas pû tirer la moindre induction qu'il
fut attaqué de la rage.
Voilà en abrégé l'hiftoire véritable de
tout ce qui s'eft paffé au fujet de cette prétendue
maladie . J'ai crû que la justice &
la vérité exigeoient de moi cet élairciffement.
Je n'ai pas prétendu par - là nuire à
la réputation de M. Darluc , qui peut être
SEPTEMBRE. 1755. 191
d'ailleurs un homme très- eftimable . Je ne
voudrois pas même que l'on mît fes autres
obfervations en parallele avec celle - ci ,
je voudrois feulement , je ne m'en cache
point , le rendre plus exact obfervateur &
plus équitable juge.
Crefp , Doyen des Maîtres
en Chirurgie.
A Graffe , ce 5 Juillet 1755 .
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Résumé : Réflexions sur la sixiéme observation que le sieur Darluc, Médecin de Callian, a fait insérer dans le premier volume du Mercure de Juin.
Le texte est une réfutation d'une observation médicale publiée par le médecin Darluc dans le Mercure de Juin. L'auteur, un chirurgien de Graffe, critique la cinquième observation de Darluc, qui concerne le traitement d'une fille mordue par un chien. L'auteur affirme avoir été témoin des faits et conteste la version de Darluc, qu'il juge inexacte et malveillante. Il décrit son propre traitement de la morsure, qui était légère et n'affectait que la peau. Il a utilisé des scarifications, une ligature, des lavages avec une eau thériacale, et des applications de thériaque et d'huile de scorpion, ainsi que des antidotes appropriés. Darluc, appelé plus tard, a utilisé des remèdes insuffisants et n'a pas suivi les précautions nécessaires. L'auteur souligne que le chien n'était probablement pas enragé, car il avait mordu d'autres personnes sans les rendre malades. Il conclut en affirmant que la justice et la vérité l'ont poussé à clarifier les faits, sans intention de nuire à la réputation de Darluc, mais pour encourager une observation plus exacte et équitable.
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39
p. 107-121
« Nous avons annoncé au mois de Septembre la nouvelle Collection académique, [...] »
Début :
Nous avons annoncé au mois de Septembre la nouvelle Collection académique, [...]
Mots clefs :
Collection, Nature, Vérité, Docteur, Académies, Médecine, Découvertes, Philosophie, Physique, Discours
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texteReconnaissance textuelle : « Nous avons annoncé au mois de Septembre la nouvelle Collection académique, [...] »
Nous avons annoncé au mois de Septembre
la nouvelle Collection académique ,
c. avec promeffe d'en parler plus expreffément
une autre fois . Nous allons la
remplir . La feule infpection de fon titre a
dû déja faire connoître l'étendue du projet
de l'Editeur.
Cet ouvrage eft précédé d'un beau difcours
préliminaire qui préfente des vues
très- philofophiques . Elles font juger avantageufement
du mérite de M. Gueneau
qui en eft l'Auteur. Comme il fent vivement
l'importance des vérités phyfiques
que cette collection a pour objet , il s'exprime
de même. Les matieres les plus abftraites
deviennent intéreffantes fous une
main auffi habile que la fienne . Il joint à
la profondeur du raifonnement l'éloquence
du ftyle ; deux qualités d'autant plus
dignes d'éloges , qu'elles ne vont pas toujours
enfemble.
On n'entend pas ici cette éloquence qui
cherche à furprendre par de fauffes lueurs ,
& qui fait difparoître la vérité fous des
ornemens qui lui font étrangers. Toat
homme qui penfe en philofophe , eft bien
éloigné de l'employer à un pareil ufage.
Ce feroit prendre l'abus de l'éloquence
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
pour l'eloquence elle- même , qui a pour
bale la folidité du jugement . On entend
donc par là cette énergie d'expreffion qui
communique ,, pour ainfi dire , la vie aux
idées dont elle rend la force plus fenfible ,
en leur prêtant un nouvel éclat . M. Gueneau
débute par des réflexions générales fur
la marche de l'efprit humain dans le développement
des connoillances qui appartiennent
à l'étude de la nature Il en marque
les progrès , & failit avec art tous
les rapports qui en dépendent. Il infifte
particulierement fur la néceffité de l'obfervation
, dont il analyſe les principes . It
approfondit la méthode qui doit fervir de
guide aux Obfervateurs dans leurs recherches
,pour
arriver à la certitude phyfique.
»Le premier objet ( dit- il ) qui fe préten-
» te à obferver , celui qu'il nous importe le
» plus de bien connoître , c'eft nous- mêmes.
Cette efpece d'obfervation inté-
» rieure doit précéder toute autre obfer-
» vation , & peut feule nous rendre capables
de juger fainement des êtres qui
» font hors de nous En effet nous ne connoiffons
point immédiatement ces êtres ;
nous ne pourrons jamais pénétrer leur
nature intime , & leur effence réelle ; les
idées que nous en avons , fe terminent
à leur furface , & même à parler rigouDECEMBRE
. 1755. 109
"
reuſement , nous n'appercevons point
» ces furfaces , mais feulement les impref-
»fions qu'elles font fur nos organes . Tou-
» tes ces vérités font certaines pour quiconque
fçait réfléchir ; & s'il eft abfurde à
» l'Egoifte d'en conclure qu'il exifte ſeul ;
»de suppofer que ce qu'on appelle les ob-
» jets extérieurs , ne font autre choſe que
»fes différentes manieres de voir , & n'ont
» aucune réalité hors de lui ; de fe perfua-
» der que les limites de fon être font celles
» de la nature ; & de vouloir ainfi réduire
» l'univers aux dime fons d'un atome ,
» il eft raisonnable aufli d'avouer que la
» maniere dont nous connoiffons notre
» exiftence , eft très- différente de celle
» dont nous connoiffons toute autre exif-
"tence : la premiere eft une confcience
intime , un fentiment profond ; la fe-
» conde eft une conféquence déduite de
» cette vérité premiere : la certitude eft
égale des deux côtés ; mais la preuve
» n'eft pas la même. Dans le premier cas ,
» ceft une lumiere directe immédiate-
»ment préfente à notre ame ; dans le fe-
»' cond , c'est une lumiere réfléchie par des
objets extérieurs , & modifiée par nos
» fens. Car nos fens font la feule voye
≫ par laquelle nous puiffions communi-
" quer avec la nature ; c'eft un milieu
110 MERCURE DE FRANCE.
22
interpofé entre notre ame & le monde
» phyfique'; milieu à travers lequel paf-
» fent néceffairement les images des cho-
» fes , ou plutôt les ombres projettées fur
» notre fens intérieur. Il faut donc avant
" tout travailler à épurer ce milieu , & à
» écarter tout ce qui pourroit alterer ces
images primitives , & les teindre de
couleurs étrangeres ; ou du moins il faut
» fe mettre en état de reconnoître , & même
de rectifier les altérations qu'elles
» fubiffent à leur paffage. »
"
"3
D
Ce que nous venons de rapporter du
Difcours de M. Gueneau , montre qu'il
employe heureufement les notions métaphyfiques
dans la définition des chofes
dont il traite , & fuffit en même-temps ,
pour donner une idée de fa maniere d'écrire
, analogue à fa façon de penfer. Nous
ajouterons un autre morceau qui nous paroît
frappé au même coin. Il s'agit de repréfenter
les effets que le préjugé a coututume
de produire , & les funeftes fuites
qu'il entraîne après lui : Voici comme s'explique
l'Auteur. » Le préjugé eft le plus
grand ennemi de la vérité , & par con-
» féquent de l'homme , puifque l'hom-
» me ne peut fe rendre heureux que par
« la connoiffance de la vérité. Cet enne-
» mi nous obféde dès notre naiffance ,
DECEMBRE. 1755. Τ
ou plutôt il femble être né avec nous :
» à peine notrepaupiere commence à s'ou-
» vrir , qu'il nous enveloppe de fes om-
» bres : fon murmure confus eft le pre-
» mier bruit qui frappe nos oreilles ; &
» nos premiers regards font fouillés par
l'erreur. A mefure que nos facultés fe
développent , le préjugé fe les affujetir ,
& fe fortifie avec elles : non- feulement
» il falfifie le témoignage de nos lens ,
» il obfurcit encore les foibles lueurs de
» notre raifon. L'éducation , l'exemples,
23
toute communication avec les autres
» hommes , lui fervent fouvent de moyen
» pour accroître & perpétuer fa contagion
: quelquefois il fe fait la guerre à
» lui-même , pour triompher de nous plus
furement ; il n'eft point de formes qu'il
» ne prenne pour nous fubjuguer , ou pour
» nous féduire , & jamais il n'eft plus ter-
» rible , que lorfqu'il fe produit fous des
» dehors refpectés. Cependant il nuit en
» core moins à la vérité par les menfonges
qu'il accrédite , que par le vice qu'il
» introduit dans la méthode de raifonner.»
M. Gueneau propofe enfuite le reméde
qu'il faut appliquer au mal , & il qualifie
ce reméde de donte méthodique. » C'est
( continue- t'il ) cette ignorance de convention,
par laquelle un Philofophe s'é-
و د
"""
112 MERCURE DE FRANCE.
و ر
"
» leve au - deffus de fes opinions , que le
vulgaire appelle fes connoillances , afin
» de les juger toutes avec une fermeté
» éclairée , d'affigner à chacune fon dégré
précis de probabilité , de rejetter
» toutes celles qui ne font point fondées ,
» & de s'attacher inviolablement à la vé-
» rité mieux connue. Ce doute eft appellé
» méthodique , parce qu'il fuppofe une
méthode fure de diftinguer l'obfcur de
» l'évident , le faux du vrai , & même le
» vrai du vaiſemblable. Il ne fufpend no-
» tre jugement , que lorfque la lumiere
» vient à nous manquer : il differe effen-
» tiellement du Pyrrhonifme , qui n'eſt
» autre chofe que le défefpoir d'un efprit
» foible , qui a fçu fe defabufer de fes pré-
» jugés , mais qui n'ayant pas le courage
» de chercher la vérité , fait de vains ef-
» forts pour l'anéantir. Le doute philofophique
eft aucontraire le premier effort
» d'une ame généreufe , qui veut fecouer
» le joug de l'erreur : c'eft le premier pas
» qu'il faut faire pour arriver à la cer-
» titude , & il n'est pas moins oppofé à
l'aveugle indécifion du Pyrrhonien , qu'à
» l'aveugle témérité du Dogmatique . C'eft
» moins un doute réel , qu'un examen
» après coup , par lequel la raifon rentre
» dans fes droits , & ſe prépare à la vérité ,
"
و ر
DECEMBRE . 1755. 113
en fe dégageant des entraves de l'opi-
» nion. "
Il ne faudroit pas moins que copier le
Difcours d'un bout à l'autre , pour mettre
à portée de juger de la jufteffe des remarques
de M. Gueneau , & en même- temps
faire appercevoir l'enchaînement de fes
idées , avec leur dépendance mutuelle .
C'est pourquoi nous ne pouvons trop
en recommander la lecture , qui fervira à
confirmer la bonne opinion que nous
avons conçue du travail de l'Auteur. L'é
poque de la révolution que la Philofophie
a éprouvée dans ces derniers fiécles , fixe
toute fon attention . Elle doit fe rapporter
à la naiffance de ces Grands hommes , qui
ont diffipé les ténébres que la Scholaftique
avoit répandues fur les Sciences . On
voit ici paroître tour à tour le Chancelier
Bacon , Galilée , Defcartes , Mallebranche ,
Leibnitz & Newton , qu'il fuffit de nommer
pour faire leur éloge. M. Gueneau
puife dans le vrai les traits que fa plume
lui fournit , pour caracteriſer là trempe
de leur efprit. L'équité dirige par - tout les
jugemens , lorfqu'il eft queftion d'apprécier
le mérite de leurs découvertes . Il
procéde à l'examen des hypotèfes qu'il
fçait réduite à leur jufte valeur . Descartes
ne trouve dans l'Auteur qu'un Cenfeur
114 MERCURE DE FRANCE.
éclairé qui témoigne fon eftimne pour lui ,
dans le temps même qu'il appuye le plus
fortement fur les erreurs qui font parti
culieres à ce Philofophe. Elles apprennent
à fe tenir en garde contre les écarts de l'imagination
, à laquelle Defcartes femble
avoir donné trop d'effor dans la maniere
d'établir fon fyftême Phyfique . Il y a
moyen de les rectifier par les propres principes
de fa Méthode qui a tracé la route
qui conduit à la vérité. L'Auteur reconnoît
avec plaifir les obligations infinies
que l'on a à ce grand homme , dont le
génie vafte & profond embraffoit les ob
jets les plus fublimes , comme il eſt aiſé
de s'en convaincre par fes Méditations .
S'il n'a pas toujours réuffi dans l'explication
des loix de la nature , ce n'eſt pas
une raifon pour lui refufer un talent fu
périeur , & encore moins pour le traiter
avec mépris. C'est ce que font pourtant
certains Modernes , dont une prévention
outrée régle tous les fentimens . Sa réputation
ne fera pas moins en fureté , pour
être uniquement attaquée par des gens que
les préjugés fubjuguent .
.. On ne fera fans doute pas fâché de fçavoir
comment M. Gueneau a faifi le caractere
de la Philofophie du célébre Anglois
, de qui les opinions font à préſent
DECEMBRE. 1755. IT'S
dominantes . Voici ce qu'il dit à ce fujet .
» Enfin Newton parut , étonna l'Univers ,
» & l'éclaira d'un nouveau jour : il pur-
» gea la Philofophie de tout ce que le Car-
» téfianiſme y avoit laiffé ou mis d'erreur
» & d'incertitude : il ia ramena de la fpé-
» culation des caufes poffibles à l'obfer-
» vation des effets récis : il penfa que fi
» l'on connoiffoit bien l'enchaînement &
la loi de tous les phénomenes , on con-
» noîtroit affez la nature : il regarda les
» hypothèſes commes ces nuages voltigeans
, qu'amene un tourbillon qu'un
» fouffle diffipe , & qui interceptent la
»lumiere, ou qui l'alterent en la réfléchiffant.
Ces principes joints à de grandes
a vues , à une fagacité prodigieufe , & à
» un travail infatigable , le conduifirent à
» des découvertes également hautes & fo-
» lides .
M. Gueneau entre enfuite dans le dérail
du plan fur lequel la Collellion Académique
a été exécutée , & nous inftruit du
but que l'on s'y eft propofé . Cet Ouvrage
porte de lui -même fa recommandation
fans qu'il foit befoin de s'étendre fur les
avantages inconteftables qui lui font propres.
C'est une tâche que l'Editeur a
très -bien remplie . Il fait honneur de la
premiere idée de cette Collection , à feu M.
T16 MERCURE DE FRANCE.
Berryat , Docteur en Médecine , & Correfpondant
de l'Académie Royale des
Sciences de Paris . Il ne doute pas que ce
projet n'eût reçu fous les mains de cet habile
homme toute l'étendue & toute la
perfection qu'il comportoit , fi fa mort
n'eût mis un obftacle invincible à l'éxécution
de fes vues fur cet article. M. Gueneau
s'eft donc à fon défaut chargé de l'entrepriſe
, dont l'importance a engagé plufieurs
Gens de Lettres à s'affocier à fes
travaux , pour concourir avec lui par leurs
foins , à la publication de ce vafte Recueil.
11 obferve que le nombre des Académies
qui fe multiplient tous les jours
rend cette Collection abfolument néceffaire
: elle offre tout ce que les compilations
peuvent avoir d'avantageux , & eft
exempte des défauts qui leur font ordinaires
. Nous ofons dire de plus que le
difcernement qu'on remarque dans le
choix des fujets qui conftituent ce Recueil,
la rend très- estimable . Son objet eft de renfermer
les obfervations & les découvertes
faites depuis le renouvellement de la Philofophie
, par les plus fameux Phyficiens
de l'Europe , fur l'Histoire Naturelle & la
Botanique , la Phyſique expérimentale & la
Chimie , la Médecine & l'Anatomie. Les
Mémoires des Académies célébres , & les
,
DECEMBRE. 1755. 117
bons Ouvrages périodiques de France ,
d'Angleterre, d'Italie & d'Allemagne , doivent
fournir les materiaux de cette Collection.
On fe propofe de raffembler avec
foin en moins de quarante Volumes , tous
les faits relatifs à ces trois parties de la
Philofopie naturelle ; ce qui épargnera la
peine de les chercher dans plus de huit
cens Volumes originaux écrits en différentes
langues , où ils font répandus. On
s'eft attaché dans leur arrangement à l'ordre
des temps , parce qu'il eft le plus propre
l'inftruction des Lecteurs. Il n'y a qu'une
circonftance où l'on a cru devoir s'en écar
ter ; c'eft lorfqu'il a fallu rapprocher cer
tains faits , qui n'empruntent leur évidence
que de leur réunion. On aura dans cette
Collection , une fuite d'expériences &
d'obfervations comme enchaînées les unes'
aux autres : les voies de la comparaifon
qu'elle facilitera , rendront par ce moyen
leur utilité plus fenfible. Elle a d'autant
plus de droit de s'attendre à un accueil favorable
de la part des perfonnes qui s'oc
cupent de l'étude de la nature ; que le fuccès
des diverfes piéces qu'elle met fous
leurs yeux , eft confirmé depuis long temps
par le fceau de l'approbation publique.
Il ne paroît encore que trois Volumes ; on
en promet un quatrième pour Pâques 1756,
1S MERCURE DE FRANCE.
& on s'engage à donner les autres fucceffivement
de fix mois en fix mois . Nous
allons expofer un précis des matieres qu'ils .
contiennent , felon la divifion qui leur appartient.
C'est tout ce que nous pouvons faire pour
un Ouvrage , qui par fa nature n'eſt guete
fufceptible d'extrait. Les trois parties
différentes qui entrent dans fa compofition
, peuvent-être détachées ; de forte.
qu'il fera facile d'en former trois fuites
féparées , dont chacune fera complete en:
fon genre. En ce cas , ceux qui voudront
fe borner à l'acquifition de l'une des trois ,
auront la liberté de fe fatifaire . Cependant
nous croyons que toutes les trois préfentent
des chofes capables d'intereffer la
curiofité des Sçavans , & de les déterminer
par conféquent à acquérir la Collection
entiere. Le premier Volume comprend ,
outre le Difcours préliminaire dont nous
avons déja parlé , tout ce que l'Académie
del Cimento de Florence a mis au jour fous
le titre d'Effais d'Expériences Phyfiques, avec
les additions du Docteur Muffchenbroek ,
qui font en notes, Elles roulent fur les obfervations
poftérieures , comparées avec
celles des Phyficiens de Florence , & traitent
de quantité de découvertes du Docteur
Muffchenbroek lui-même , fur toutes forDECEMBRE.
1755 119
es de matieres ; mais particulierement fur
la formation de la glace , fur l'expanfion
des folides caufés par l'action de la chaleur
, fur l'effervefcence réfultant des différens
mélanges , &c. Le nouvel Editeur
a joint un extrait des vingt premieres années
du Journal des Sçavans , où l'on a réuni
toutes les piéces de ce Journal , qui ont
rapport à l'objet de la Collection Académique.
Le fecond Volume contient les quatorze
premieres années des Tranfactions Philo-
Sophiques de la Société Royale de Londres ,
& la Collection Philofophique publiée par le
Docteur Hook , pour remplir une lacune
de près de cinq années , qui fe trouve dans
la fuite des Tranfallions , depuis 1678 .
jufqu'en 1683 .
La premiere Décurie des Ephémérides
de l'Académie des Curieux de la Nature
Allemagne , & la moitié de la feconde
Décurie , qui va jufqu'en 1686. font la:
matiere du troifiéme Volume,
Il eft jufte que nous fallions connoître
les noms des Gens de Lettres à qui le Public
eft redevable de la traduction des
piéces qui compofent les Recueils Originaux
, d'où ont été tirés ces premiers Volumes
de la Collection Académique .
On ne les fçauroit trop louer d'avoir tra120
MERCURE DE FRANCE.
vaillé à tranſmettre dans notre Langue , les
grandes découvertes qu'elles renferment.
Le Traducteur des Effais de l'Académie
del Cimento , a voulu garder l'Anonyme ,
& cela par des motifs qu'on ne fpécifie
point. On nous apprend que M. Lavirotte,
Docteur-Régent de la Faculté de Médecine
de Paris , Cenfeur Royal , & l'un des
Auteurs du Journal des Sçavans , a pris
fur lui le foin de revoir la traduction de ce
Morceau .
Ce qui paroît des Tranfactions Philofophiques
, a été traduit par M. Roux , Docteur
en Médecine , par M. Larcher , par
M. le Chevalier de Buffon , & par M.
Daubenton , frere aîné de l'Académicien
du même nom, & l'un des Auteurs de
l'Encyclopedie.
Les articles qui concernent l'Agriculture
, ont été confiés à M. Daubenton ; &
il étoit mal aifé de choisir quelqu'un qui
fût plus en état que lui de fe bien acquitter
de cette partie qu'il poffede à fonds .
Les Ephém rides d'Allemagne ont été
traduites par M. Nadaut , Avocat Général
Honoraire de la Chambre des Comptes de
Dijon , & Correfpondant de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , & par M.
Daubenton le jeune, proche parent de ceux
du même nom , que nous venons de citer.
M.
DECEMBRE . 1755. 121
M. Barberet , Docteur en Médecine à Dijon
, a dreffé les Tables Alphabétiques rai .
Jonnées , qui font à la fin de chaque Volume.
Il eſt aifé de fentir les avantages
attachés à cette Collection , par ce détail
qui indique le fonds de l'Ouvrage. Nous
ajouterons qu'elle eft enrichie de plus de
150 figures , fur près de So planches en
taille- douce. Il faut dire à la louange des
Libraires affociés , qu'il n'ont rien épargné
de tout ce qui dépend de l'Art Typogra
phique , dont l'exécution répond parfaitement
à la beauté de l'entreprife .
Nous n'appuierons pas davantage fur
les éloges que méritent les vues de l'Editeur
, & les travaux de fes collegues . Ce
font autant de moyens qui concourent à
rendre la nouvelle Collection infiniment
précieufe aux connoiffeurs , & à leur faire
défirer avec empreffement les volumes fuivans.
la nouvelle Collection académique ,
c. avec promeffe d'en parler plus expreffément
une autre fois . Nous allons la
remplir . La feule infpection de fon titre a
dû déja faire connoître l'étendue du projet
de l'Editeur.
Cet ouvrage eft précédé d'un beau difcours
préliminaire qui préfente des vues
très- philofophiques . Elles font juger avantageufement
du mérite de M. Gueneau
qui en eft l'Auteur. Comme il fent vivement
l'importance des vérités phyfiques
que cette collection a pour objet , il s'exprime
de même. Les matieres les plus abftraites
deviennent intéreffantes fous une
main auffi habile que la fienne . Il joint à
la profondeur du raifonnement l'éloquence
du ftyle ; deux qualités d'autant plus
dignes d'éloges , qu'elles ne vont pas toujours
enfemble.
On n'entend pas ici cette éloquence qui
cherche à furprendre par de fauffes lueurs ,
& qui fait difparoître la vérité fous des
ornemens qui lui font étrangers. Toat
homme qui penfe en philofophe , eft bien
éloigné de l'employer à un pareil ufage.
Ce feroit prendre l'abus de l'éloquence
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
pour l'eloquence elle- même , qui a pour
bale la folidité du jugement . On entend
donc par là cette énergie d'expreffion qui
communique ,, pour ainfi dire , la vie aux
idées dont elle rend la force plus fenfible ,
en leur prêtant un nouvel éclat . M. Gueneau
débute par des réflexions générales fur
la marche de l'efprit humain dans le développement
des connoillances qui appartiennent
à l'étude de la nature Il en marque
les progrès , & failit avec art tous
les rapports qui en dépendent. Il infifte
particulierement fur la néceffité de l'obfervation
, dont il analyſe les principes . It
approfondit la méthode qui doit fervir de
guide aux Obfervateurs dans leurs recherches
,pour
arriver à la certitude phyfique.
»Le premier objet ( dit- il ) qui fe préten-
» te à obferver , celui qu'il nous importe le
» plus de bien connoître , c'eft nous- mêmes.
Cette efpece d'obfervation inté-
» rieure doit précéder toute autre obfer-
» vation , & peut feule nous rendre capables
de juger fainement des êtres qui
» font hors de nous En effet nous ne connoiffons
point immédiatement ces êtres ;
nous ne pourrons jamais pénétrer leur
nature intime , & leur effence réelle ; les
idées que nous en avons , fe terminent
à leur furface , & même à parler rigouDECEMBRE
. 1755. 109
"
reuſement , nous n'appercevons point
» ces furfaces , mais feulement les impref-
»fions qu'elles font fur nos organes . Tou-
» tes ces vérités font certaines pour quiconque
fçait réfléchir ; & s'il eft abfurde à
» l'Egoifte d'en conclure qu'il exifte ſeul ;
»de suppofer que ce qu'on appelle les ob-
» jets extérieurs , ne font autre choſe que
»fes différentes manieres de voir , & n'ont
» aucune réalité hors de lui ; de fe perfua-
» der que les limites de fon être font celles
» de la nature ; & de vouloir ainfi réduire
» l'univers aux dime fons d'un atome ,
» il eft raisonnable aufli d'avouer que la
» maniere dont nous connoiffons notre
» exiftence , eft très- différente de celle
» dont nous connoiffons toute autre exif-
"tence : la premiere eft une confcience
intime , un fentiment profond ; la fe-
» conde eft une conféquence déduite de
» cette vérité premiere : la certitude eft
égale des deux côtés ; mais la preuve
» n'eft pas la même. Dans le premier cas ,
» ceft une lumiere directe immédiate-
»ment préfente à notre ame ; dans le fe-
»' cond , c'est une lumiere réfléchie par des
objets extérieurs , & modifiée par nos
» fens. Car nos fens font la feule voye
≫ par laquelle nous puiffions communi-
" quer avec la nature ; c'eft un milieu
110 MERCURE DE FRANCE.
22
interpofé entre notre ame & le monde
» phyfique'; milieu à travers lequel paf-
» fent néceffairement les images des cho-
» fes , ou plutôt les ombres projettées fur
» notre fens intérieur. Il faut donc avant
" tout travailler à épurer ce milieu , & à
» écarter tout ce qui pourroit alterer ces
images primitives , & les teindre de
couleurs étrangeres ; ou du moins il faut
» fe mettre en état de reconnoître , & même
de rectifier les altérations qu'elles
» fubiffent à leur paffage. »
"
"3
D
Ce que nous venons de rapporter du
Difcours de M. Gueneau , montre qu'il
employe heureufement les notions métaphyfiques
dans la définition des chofes
dont il traite , & fuffit en même-temps ,
pour donner une idée de fa maniere d'écrire
, analogue à fa façon de penfer. Nous
ajouterons un autre morceau qui nous paroît
frappé au même coin. Il s'agit de repréfenter
les effets que le préjugé a coututume
de produire , & les funeftes fuites
qu'il entraîne après lui : Voici comme s'explique
l'Auteur. » Le préjugé eft le plus
grand ennemi de la vérité , & par con-
» féquent de l'homme , puifque l'hom-
» me ne peut fe rendre heureux que par
« la connoiffance de la vérité. Cet enne-
» mi nous obféde dès notre naiffance ,
DECEMBRE. 1755. Τ
ou plutôt il femble être né avec nous :
» à peine notrepaupiere commence à s'ou-
» vrir , qu'il nous enveloppe de fes om-
» bres : fon murmure confus eft le pre-
» mier bruit qui frappe nos oreilles ; &
» nos premiers regards font fouillés par
l'erreur. A mefure que nos facultés fe
développent , le préjugé fe les affujetir ,
& fe fortifie avec elles : non- feulement
» il falfifie le témoignage de nos lens ,
» il obfurcit encore les foibles lueurs de
» notre raifon. L'éducation , l'exemples,
23
toute communication avec les autres
» hommes , lui fervent fouvent de moyen
» pour accroître & perpétuer fa contagion
: quelquefois il fe fait la guerre à
» lui-même , pour triompher de nous plus
furement ; il n'eft point de formes qu'il
» ne prenne pour nous fubjuguer , ou pour
» nous féduire , & jamais il n'eft plus ter-
» rible , que lorfqu'il fe produit fous des
» dehors refpectés. Cependant il nuit en
» core moins à la vérité par les menfonges
qu'il accrédite , que par le vice qu'il
» introduit dans la méthode de raifonner.»
M. Gueneau propofe enfuite le reméde
qu'il faut appliquer au mal , & il qualifie
ce reméde de donte méthodique. » C'est
( continue- t'il ) cette ignorance de convention,
par laquelle un Philofophe s'é-
و د
"""
112 MERCURE DE FRANCE.
و ر
"
» leve au - deffus de fes opinions , que le
vulgaire appelle fes connoillances , afin
» de les juger toutes avec une fermeté
» éclairée , d'affigner à chacune fon dégré
précis de probabilité , de rejetter
» toutes celles qui ne font point fondées ,
» & de s'attacher inviolablement à la vé-
» rité mieux connue. Ce doute eft appellé
» méthodique , parce qu'il fuppofe une
méthode fure de diftinguer l'obfcur de
» l'évident , le faux du vrai , & même le
» vrai du vaiſemblable. Il ne fufpend no-
» tre jugement , que lorfque la lumiere
» vient à nous manquer : il differe effen-
» tiellement du Pyrrhonifme , qui n'eſt
» autre chofe que le défefpoir d'un efprit
» foible , qui a fçu fe defabufer de fes pré-
» jugés , mais qui n'ayant pas le courage
» de chercher la vérité , fait de vains ef-
» forts pour l'anéantir. Le doute philofophique
eft aucontraire le premier effort
» d'une ame généreufe , qui veut fecouer
» le joug de l'erreur : c'eft le premier pas
» qu'il faut faire pour arriver à la cer-
» titude , & il n'est pas moins oppofé à
l'aveugle indécifion du Pyrrhonien , qu'à
» l'aveugle témérité du Dogmatique . C'eft
» moins un doute réel , qu'un examen
» après coup , par lequel la raifon rentre
» dans fes droits , & ſe prépare à la vérité ,
"
و ر
DECEMBRE . 1755. 113
en fe dégageant des entraves de l'opi-
» nion. "
Il ne faudroit pas moins que copier le
Difcours d'un bout à l'autre , pour mettre
à portée de juger de la jufteffe des remarques
de M. Gueneau , & en même- temps
faire appercevoir l'enchaînement de fes
idées , avec leur dépendance mutuelle .
C'est pourquoi nous ne pouvons trop
en recommander la lecture , qui fervira à
confirmer la bonne opinion que nous
avons conçue du travail de l'Auteur. L'é
poque de la révolution que la Philofophie
a éprouvée dans ces derniers fiécles , fixe
toute fon attention . Elle doit fe rapporter
à la naiffance de ces Grands hommes , qui
ont diffipé les ténébres que la Scholaftique
avoit répandues fur les Sciences . On
voit ici paroître tour à tour le Chancelier
Bacon , Galilée , Defcartes , Mallebranche ,
Leibnitz & Newton , qu'il fuffit de nommer
pour faire leur éloge. M. Gueneau
puife dans le vrai les traits que fa plume
lui fournit , pour caracteriſer là trempe
de leur efprit. L'équité dirige par - tout les
jugemens , lorfqu'il eft queftion d'apprécier
le mérite de leurs découvertes . Il
procéde à l'examen des hypotèfes qu'il
fçait réduite à leur jufte valeur . Descartes
ne trouve dans l'Auteur qu'un Cenfeur
114 MERCURE DE FRANCE.
éclairé qui témoigne fon eftimne pour lui ,
dans le temps même qu'il appuye le plus
fortement fur les erreurs qui font parti
culieres à ce Philofophe. Elles apprennent
à fe tenir en garde contre les écarts de l'imagination
, à laquelle Defcartes femble
avoir donné trop d'effor dans la maniere
d'établir fon fyftême Phyfique . Il y a
moyen de les rectifier par les propres principes
de fa Méthode qui a tracé la route
qui conduit à la vérité. L'Auteur reconnoît
avec plaifir les obligations infinies
que l'on a à ce grand homme , dont le
génie vafte & profond embraffoit les ob
jets les plus fublimes , comme il eſt aiſé
de s'en convaincre par fes Méditations .
S'il n'a pas toujours réuffi dans l'explication
des loix de la nature , ce n'eſt pas
une raifon pour lui refufer un talent fu
périeur , & encore moins pour le traiter
avec mépris. C'est ce que font pourtant
certains Modernes , dont une prévention
outrée régle tous les fentimens . Sa réputation
ne fera pas moins en fureté , pour
être uniquement attaquée par des gens que
les préjugés fubjuguent .
.. On ne fera fans doute pas fâché de fçavoir
comment M. Gueneau a faifi le caractere
de la Philofophie du célébre Anglois
, de qui les opinions font à préſent
DECEMBRE. 1755. IT'S
dominantes . Voici ce qu'il dit à ce fujet .
» Enfin Newton parut , étonna l'Univers ,
» & l'éclaira d'un nouveau jour : il pur-
» gea la Philofophie de tout ce que le Car-
» téfianiſme y avoit laiffé ou mis d'erreur
» & d'incertitude : il ia ramena de la fpé-
» culation des caufes poffibles à l'obfer-
» vation des effets récis : il penfa que fi
» l'on connoiffoit bien l'enchaînement &
la loi de tous les phénomenes , on con-
» noîtroit affez la nature : il regarda les
» hypothèſes commes ces nuages voltigeans
, qu'amene un tourbillon qu'un
» fouffle diffipe , & qui interceptent la
»lumiere, ou qui l'alterent en la réfléchiffant.
Ces principes joints à de grandes
a vues , à une fagacité prodigieufe , & à
» un travail infatigable , le conduifirent à
» des découvertes également hautes & fo-
» lides .
M. Gueneau entre enfuite dans le dérail
du plan fur lequel la Collellion Académique
a été exécutée , & nous inftruit du
but que l'on s'y eft propofé . Cet Ouvrage
porte de lui -même fa recommandation
fans qu'il foit befoin de s'étendre fur les
avantages inconteftables qui lui font propres.
C'est une tâche que l'Editeur a
très -bien remplie . Il fait honneur de la
premiere idée de cette Collection , à feu M.
T16 MERCURE DE FRANCE.
Berryat , Docteur en Médecine , & Correfpondant
de l'Académie Royale des
Sciences de Paris . Il ne doute pas que ce
projet n'eût reçu fous les mains de cet habile
homme toute l'étendue & toute la
perfection qu'il comportoit , fi fa mort
n'eût mis un obftacle invincible à l'éxécution
de fes vues fur cet article. M. Gueneau
s'eft donc à fon défaut chargé de l'entrepriſe
, dont l'importance a engagé plufieurs
Gens de Lettres à s'affocier à fes
travaux , pour concourir avec lui par leurs
foins , à la publication de ce vafte Recueil.
11 obferve que le nombre des Académies
qui fe multiplient tous les jours
rend cette Collection abfolument néceffaire
: elle offre tout ce que les compilations
peuvent avoir d'avantageux , & eft
exempte des défauts qui leur font ordinaires
. Nous ofons dire de plus que le
difcernement qu'on remarque dans le
choix des fujets qui conftituent ce Recueil,
la rend très- estimable . Son objet eft de renfermer
les obfervations & les découvertes
faites depuis le renouvellement de la Philofophie
, par les plus fameux Phyficiens
de l'Europe , fur l'Histoire Naturelle & la
Botanique , la Phyſique expérimentale & la
Chimie , la Médecine & l'Anatomie. Les
Mémoires des Académies célébres , & les
,
DECEMBRE. 1755. 117
bons Ouvrages périodiques de France ,
d'Angleterre, d'Italie & d'Allemagne , doivent
fournir les materiaux de cette Collection.
On fe propofe de raffembler avec
foin en moins de quarante Volumes , tous
les faits relatifs à ces trois parties de la
Philofopie naturelle ; ce qui épargnera la
peine de les chercher dans plus de huit
cens Volumes originaux écrits en différentes
langues , où ils font répandus. On
s'eft attaché dans leur arrangement à l'ordre
des temps , parce qu'il eft le plus propre
l'inftruction des Lecteurs. Il n'y a qu'une
circonftance où l'on a cru devoir s'en écar
ter ; c'eft lorfqu'il a fallu rapprocher cer
tains faits , qui n'empruntent leur évidence
que de leur réunion. On aura dans cette
Collection , une fuite d'expériences &
d'obfervations comme enchaînées les unes'
aux autres : les voies de la comparaifon
qu'elle facilitera , rendront par ce moyen
leur utilité plus fenfible. Elle a d'autant
plus de droit de s'attendre à un accueil favorable
de la part des perfonnes qui s'oc
cupent de l'étude de la nature ; que le fuccès
des diverfes piéces qu'elle met fous
leurs yeux , eft confirmé depuis long temps
par le fceau de l'approbation publique.
Il ne paroît encore que trois Volumes ; on
en promet un quatrième pour Pâques 1756,
1S MERCURE DE FRANCE.
& on s'engage à donner les autres fucceffivement
de fix mois en fix mois . Nous
allons expofer un précis des matieres qu'ils .
contiennent , felon la divifion qui leur appartient.
C'est tout ce que nous pouvons faire pour
un Ouvrage , qui par fa nature n'eſt guete
fufceptible d'extrait. Les trois parties
différentes qui entrent dans fa compofition
, peuvent-être détachées ; de forte.
qu'il fera facile d'en former trois fuites
féparées , dont chacune fera complete en:
fon genre. En ce cas , ceux qui voudront
fe borner à l'acquifition de l'une des trois ,
auront la liberté de fe fatifaire . Cependant
nous croyons que toutes les trois préfentent
des chofes capables d'intereffer la
curiofité des Sçavans , & de les déterminer
par conféquent à acquérir la Collection
entiere. Le premier Volume comprend ,
outre le Difcours préliminaire dont nous
avons déja parlé , tout ce que l'Académie
del Cimento de Florence a mis au jour fous
le titre d'Effais d'Expériences Phyfiques, avec
les additions du Docteur Muffchenbroek ,
qui font en notes, Elles roulent fur les obfervations
poftérieures , comparées avec
celles des Phyficiens de Florence , & traitent
de quantité de découvertes du Docteur
Muffchenbroek lui-même , fur toutes forDECEMBRE.
1755 119
es de matieres ; mais particulierement fur
la formation de la glace , fur l'expanfion
des folides caufés par l'action de la chaleur
, fur l'effervefcence réfultant des différens
mélanges , &c. Le nouvel Editeur
a joint un extrait des vingt premieres années
du Journal des Sçavans , où l'on a réuni
toutes les piéces de ce Journal , qui ont
rapport à l'objet de la Collection Académique.
Le fecond Volume contient les quatorze
premieres années des Tranfactions Philo-
Sophiques de la Société Royale de Londres ,
& la Collection Philofophique publiée par le
Docteur Hook , pour remplir une lacune
de près de cinq années , qui fe trouve dans
la fuite des Tranfallions , depuis 1678 .
jufqu'en 1683 .
La premiere Décurie des Ephémérides
de l'Académie des Curieux de la Nature
Allemagne , & la moitié de la feconde
Décurie , qui va jufqu'en 1686. font la:
matiere du troifiéme Volume,
Il eft jufte que nous fallions connoître
les noms des Gens de Lettres à qui le Public
eft redevable de la traduction des
piéces qui compofent les Recueils Originaux
, d'où ont été tirés ces premiers Volumes
de la Collection Académique .
On ne les fçauroit trop louer d'avoir tra120
MERCURE DE FRANCE.
vaillé à tranſmettre dans notre Langue , les
grandes découvertes qu'elles renferment.
Le Traducteur des Effais de l'Académie
del Cimento , a voulu garder l'Anonyme ,
& cela par des motifs qu'on ne fpécifie
point. On nous apprend que M. Lavirotte,
Docteur-Régent de la Faculté de Médecine
de Paris , Cenfeur Royal , & l'un des
Auteurs du Journal des Sçavans , a pris
fur lui le foin de revoir la traduction de ce
Morceau .
Ce qui paroît des Tranfactions Philofophiques
, a été traduit par M. Roux , Docteur
en Médecine , par M. Larcher , par
M. le Chevalier de Buffon , & par M.
Daubenton , frere aîné de l'Académicien
du même nom, & l'un des Auteurs de
l'Encyclopedie.
Les articles qui concernent l'Agriculture
, ont été confiés à M. Daubenton ; &
il étoit mal aifé de choisir quelqu'un qui
fût plus en état que lui de fe bien acquitter
de cette partie qu'il poffede à fonds .
Les Ephém rides d'Allemagne ont été
traduites par M. Nadaut , Avocat Général
Honoraire de la Chambre des Comptes de
Dijon , & Correfpondant de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , & par M.
Daubenton le jeune, proche parent de ceux
du même nom , que nous venons de citer.
M.
DECEMBRE . 1755. 121
M. Barberet , Docteur en Médecine à Dijon
, a dreffé les Tables Alphabétiques rai .
Jonnées , qui font à la fin de chaque Volume.
Il eſt aifé de fentir les avantages
attachés à cette Collection , par ce détail
qui indique le fonds de l'Ouvrage. Nous
ajouterons qu'elle eft enrichie de plus de
150 figures , fur près de So planches en
taille- douce. Il faut dire à la louange des
Libraires affociés , qu'il n'ont rien épargné
de tout ce qui dépend de l'Art Typogra
phique , dont l'exécution répond parfaitement
à la beauté de l'entreprife .
Nous n'appuierons pas davantage fur
les éloges que méritent les vues de l'Editeur
, & les travaux de fes collegues . Ce
font autant de moyens qui concourent à
rendre la nouvelle Collection infiniment
précieufe aux connoiffeurs , & à leur faire
défirer avec empreffement les volumes fuivans.
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Résumé : « Nous avons annoncé au mois de Septembre la nouvelle Collection académique, [...] »
Le texte annonce la publication d'une nouvelle Collection académique, précédée d'un discours préliminaire de M. Gueneau. Ce discours expose des vues philosophiques et met en avant l'importance des vérités physiques. Gueneau combine profondeur de réflexion et éloquence stylistique, tout en évitant l'éloquence trompeuse. Il insiste sur l'observation et la méthode pour atteindre la certitude physique, commençant par l'observation de soi-même avant d'explorer le monde extérieur. Le préjugé est identifié comme un ennemi de la vérité, et Gueneau propose un doute méthodique pour le combattre. Le texte mentionne également des figures historiques telles que Bacon, Galilée, Descartes, Malebranche, Leibniz et Newton, soulignant leurs contributions à la philosophie et à la science. La Collection académique vise à rassembler les observations et découvertes des plus célèbres physiciens européens dans divers domaines scientifiques, évitant ainsi la dispersion des informations dans de nombreux volumes originaux. Le texte précise que trois volumes sont déjà publiés, avec un quatrième prévu pour Pâques 1756. Cette collection facilite la comparaison entre expériences et observations et est destinée aux personnes étudiant la nature. Elle a déjà reçu l'approbation publique. Le premier volume inclut les 'Essais d'Expériences Physiques' de l'Académie del Cimento de Florence, avec des additions du Docteur Musschenbroek, traitant de diverses découvertes, notamment sur la formation de la glace et l'expansion des solides chauffés. Il comprend également un extrait des vingt premières années du 'Journal des Sçavans'. Le deuxième volume contient les quatorze premières années des 'Transactions Philosophiques' de la Société Royale de Londres et une collection philosophique du Docteur Hook. Le troisième volume présente les 'Éphémérides' de l'Académie des Curieux de la Nature en Allemagne, couvrant les années jusqu'en 1686. Les traductions des textes originaux ont été réalisées par plusieurs savants, dont M. Lavirotte, M. Roux, M. Larcher, le Chevalier de Buffon, M. Daubenton, M. Nadaut, et M. Barberet. La collection est enrichie de plus de 150 figures sur près de 50 planches en taille-douce et bénéficie d'une excellente qualité typographique.
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40
p. 202-204
SUPPLÉMENT A L'ARTICLE CHIRURGIE.
Début :
Des gens sans doute mal intentionnés, & jaloux de voir que le remede de M. [...]
Mots clefs :
Sieur Keyfer, Jalousie, Considération, Soldats, Dragées, Rumeurs, Vérité, Guérison, Santé
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUPPLÉMENT A L'ARTICLE CHIRURGIE.
SUPPLÉMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE.
Hôpital de M. le Maréchal- Duc de Biron.
Des gens fans doute mal intentionnés , & jaloux
de voir que le remede de M. Keyfer non ſeulement
ne s'eft point encore démenti dans fes effets , mais
même acquiert de jour en jour la confidération
qu'il mérite , répandant fans ceffe dans Paris des
impoſtures malignes contre le remede & fes effets ,
en difant , tantôt que quantité de Soldats traités
par les dragées ont été manqués , & ont eù re-
Cours aux traitemens des Hôpitaux publics , tantôt
que la plus grande partie a la poitrine affectée &
Peftomac dérangé , tantôt qu'il fe donne des frictions
clandeftines à l'Hôpital de M. le Maréchal ,
impoſture d'autant plus groffiere & d'autant plus
ftupidement imaginée , qu'il y a trop d'yeux
non fufpects pour éclairer chaque jour les
traitemens qui s'y font , & que d'ailleurs on ne
fe fert pas même pour les panfemens de remedes
ordinaires ; pour
confondre toutes ces fauffetés
& faire une fois pour toutes parler la vérité , qui
feule préfide à cet Hôpital , M. le Maréchal ordonna
le onze du mois dernier , qu'il fût fait une
revue générale de tous les Soldats qui ont été
traités jufqu'à ce jour par ce remede , non feulement
dans fon Hôpital depuis fon établiſſement
mais même de ceux qui l'ont été il y a quinze &
dix-huit mois dans le temps des expériences faites
au Fauxbourg S.Jacques . En conféquence de quoi
>
AVRIL 1757. 203
>
cette revue s'étant faite ledit jour chez M. de
Cornillon , Major du Régiment des Gardes Fran
çoifes , en fa préfence , & celle d'un grand nom◄
bre d'Officiers & Sergens , par Meffieurs Guérin
Chirurgien-Major des Moufquetaires , Bourbelain
& Dieuzayde , Adminiſtrateurs de l'Hôpital
nous croyons devoir rendre compte & expoſer
aux yeux du Public les noms d'une trentaine de
ces Soldats traités tels qu'on les a pu raffembler ;
le refte étant abfent par congé ou montant alors
la garde à Verſailles , ajoutant néanmoins que les
Sergens des Compagnies des Soldats abfens , ont
certifié leur bon état , & qu'à leur retour il en
fera faite une pareille revue dont nous rendrons
également compte.
Etat des Soldats traités il y a 15 ou 18 mois an
: Fauxbourg Saint Jacques dans le temps des
expériences.
Bellerose , Saint-Julien , Francoeur , Laliberté ,
Tranquille , Maffon , Valentin , Laplume , Comtois
, Caumont , Latendreffe , Lefueur , Beauget ,
Lavigne , Leger.
Etat des Soldats nouvellement traités dans
l'Hôpital.
Francoeur , Simon , Blandin , Comtois , Léopold
, Lavertu , Gabriel , Acoulon , Dauvin ,
Laplante , Bavoyau , Vermenthon , Laloés , Lami
, Lourder , Briffau .
Certificat de M. Guerin , & de MM. Bourbelain
Dieuzayde.
Nous fouffignés , Chirurgien-Major des Monf
quetaires , invité par M, le Maréchal de Biron à
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
faire une revue générale de tous les Soldats du
Régiment des Gardes , traités , tant au Fauxbourg
S. Jacques , depuis le 22 Octobre 1756 , que dans
l'Hôpital du Fauxbourg S. Marceau , par les dragées
anti- véneriennes de M. Keyfer ; & nous
Bourbelain & Dieuzayde , Adminiſtrateurs dudit
Hôpital , certifions à M. le Maréchal , & à qui
il appartiendra , que tous les malades qui nous
ont été préſentés & dont les noms font ci - deffus ,
font parfaitement guéris , jouiffent de la meilleure
Tanté , & ne fe font plaint en aucune façon
de la poitrine ni de l'eftomac. En foi de quoi
nous avons figné le préfent Certificat. A Paris ,
le 12 Mars 1757. Guerin, Bourbelain , Dieuzayde.
Comme les effets des dragées anti- vénériennes
paroiffent aujourd'hui bien conftatés , & ne laiſfent
plus rien à defirer dans les comptes que nous
allons continuer de rendre tous les mois des nouveaux
traitemens , nous épargnerons aux yeux
de nos Lecteurs les détails défagréables que nous
avons inférés précédemment , & nous défignerons
feulement les noms des différens Malades, & ceux
de leurs Compagnies.
M. Keyfer nous prie de répéter qu'il fupplie
le Public d'être en garde , & de n'ajouter aucune
foi à quantité de gens qui ofent fe vanter d'avoir
de fes dragées , gens qui les contrefont , & defquels
il feroit à craindre qu'on ne devînt la
dupe, & peut-être la victime , ne répondant que
de celles qui feront adminiftrées par lui-même ,
ou par fes Affociés qui font actuellement au fait
de fa méthode.
I prie les perfonnes qui ont à lui écrire
d'adreffer leurs lettres rue & Ife S. Louis
A L'ARTICLE CHIRURGIE.
Hôpital de M. le Maréchal- Duc de Biron.
Des gens fans doute mal intentionnés , & jaloux
de voir que le remede de M. Keyfer non ſeulement
ne s'eft point encore démenti dans fes effets , mais
même acquiert de jour en jour la confidération
qu'il mérite , répandant fans ceffe dans Paris des
impoſtures malignes contre le remede & fes effets ,
en difant , tantôt que quantité de Soldats traités
par les dragées ont été manqués , & ont eù re-
Cours aux traitemens des Hôpitaux publics , tantôt
que la plus grande partie a la poitrine affectée &
Peftomac dérangé , tantôt qu'il fe donne des frictions
clandeftines à l'Hôpital de M. le Maréchal ,
impoſture d'autant plus groffiere & d'autant plus
ftupidement imaginée , qu'il y a trop d'yeux
non fufpects pour éclairer chaque jour les
traitemens qui s'y font , & que d'ailleurs on ne
fe fert pas même pour les panfemens de remedes
ordinaires ; pour
confondre toutes ces fauffetés
& faire une fois pour toutes parler la vérité , qui
feule préfide à cet Hôpital , M. le Maréchal ordonna
le onze du mois dernier , qu'il fût fait une
revue générale de tous les Soldats qui ont été
traités jufqu'à ce jour par ce remede , non feulement
dans fon Hôpital depuis fon établiſſement
mais même de ceux qui l'ont été il y a quinze &
dix-huit mois dans le temps des expériences faites
au Fauxbourg S.Jacques . En conféquence de quoi
>
AVRIL 1757. 203
>
cette revue s'étant faite ledit jour chez M. de
Cornillon , Major du Régiment des Gardes Fran
çoifes , en fa préfence , & celle d'un grand nom◄
bre d'Officiers & Sergens , par Meffieurs Guérin
Chirurgien-Major des Moufquetaires , Bourbelain
& Dieuzayde , Adminiſtrateurs de l'Hôpital
nous croyons devoir rendre compte & expoſer
aux yeux du Public les noms d'une trentaine de
ces Soldats traités tels qu'on les a pu raffembler ;
le refte étant abfent par congé ou montant alors
la garde à Verſailles , ajoutant néanmoins que les
Sergens des Compagnies des Soldats abfens , ont
certifié leur bon état , & qu'à leur retour il en
fera faite une pareille revue dont nous rendrons
également compte.
Etat des Soldats traités il y a 15 ou 18 mois an
: Fauxbourg Saint Jacques dans le temps des
expériences.
Bellerose , Saint-Julien , Francoeur , Laliberté ,
Tranquille , Maffon , Valentin , Laplume , Comtois
, Caumont , Latendreffe , Lefueur , Beauget ,
Lavigne , Leger.
Etat des Soldats nouvellement traités dans
l'Hôpital.
Francoeur , Simon , Blandin , Comtois , Léopold
, Lavertu , Gabriel , Acoulon , Dauvin ,
Laplante , Bavoyau , Vermenthon , Laloés , Lami
, Lourder , Briffau .
Certificat de M. Guerin , & de MM. Bourbelain
Dieuzayde.
Nous fouffignés , Chirurgien-Major des Monf
quetaires , invité par M, le Maréchal de Biron à
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
faire une revue générale de tous les Soldats du
Régiment des Gardes , traités , tant au Fauxbourg
S. Jacques , depuis le 22 Octobre 1756 , que dans
l'Hôpital du Fauxbourg S. Marceau , par les dragées
anti- véneriennes de M. Keyfer ; & nous
Bourbelain & Dieuzayde , Adminiſtrateurs dudit
Hôpital , certifions à M. le Maréchal , & à qui
il appartiendra , que tous les malades qui nous
ont été préſentés & dont les noms font ci - deffus ,
font parfaitement guéris , jouiffent de la meilleure
Tanté , & ne fe font plaint en aucune façon
de la poitrine ni de l'eftomac. En foi de quoi
nous avons figné le préfent Certificat. A Paris ,
le 12 Mars 1757. Guerin, Bourbelain , Dieuzayde.
Comme les effets des dragées anti- vénériennes
paroiffent aujourd'hui bien conftatés , & ne laiſfent
plus rien à defirer dans les comptes que nous
allons continuer de rendre tous les mois des nouveaux
traitemens , nous épargnerons aux yeux
de nos Lecteurs les détails défagréables que nous
avons inférés précédemment , & nous défignerons
feulement les noms des différens Malades, & ceux
de leurs Compagnies.
M. Keyfer nous prie de répéter qu'il fupplie
le Public d'être en garde , & de n'ajouter aucune
foi à quantité de gens qui ofent fe vanter d'avoir
de fes dragées , gens qui les contrefont , & defquels
il feroit à craindre qu'on ne devînt la
dupe, & peut-être la victime , ne répondant que
de celles qui feront adminiftrées par lui-même ,
ou par fes Affociés qui font actuellement au fait
de fa méthode.
I prie les perfonnes qui ont à lui écrire
d'adreffer leurs lettres rue & Ife S. Louis
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Résumé : SUPPLÉMENT A L'ARTICLE CHIRURGIE.
Le texte est un supplément à un article sur la chirurgie, traitant de l'hôpital du Maréchal-Duc de Biron. Des rumeurs malveillantes circulent concernant le remède de M. Keyfer, affirmant que des soldats traités par ce remède ont échoué et ont dû recourir à des soins hospitaliers publics, ou qu'ils souffrent de problèmes pulmonaires et gastriques. Ces allégations incluent également des accusations de frictions clandestines à l'hôpital. Pour réfuter ces fausses informations, le Maréchal a ordonné une revue générale des soldats traités par le remède de M. Keyfer. Cette revue a eu lieu le 11 avril 1757 chez M. de Cornillon, sous la supervision d'officiers et de chirurgiens. Une trentaine de soldats ont été examinés et déclarés guéris et en bonne santé. Les sergents des compagnies absentes ont certifié l'état de santé des soldats manquants. Un certificat signé par M. Guerin, Bourbelain et Dieuzayde confirme que les soldats traités par les dragées anti-vénériennes de M. Keyfer sont parfaitement guéris et ne souffrent d'aucun problème pulmonaire ou gastrique. M. Keyfer met en garde le public contre les contrefaçons de son remède et invite les personnes souhaitant le contacter à lui écrire rue et île Saint-Louis.
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41
p. 211
« M. Keyser ose se flatter que le Public reconnoîtra de plus en plus la [...] »
Début :
M. Keyser ose se flatter que le Public reconnoîtra de plus en plus la [...]
Mots clefs :
Vérité, Authentique, Attestations, Ennemis
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « M. Keyser ose se flatter que le Public reconnoîtra de plus en plus la [...] »
M. Keyfer ofe fe flatter que le Public reconnoîtra
de plus en plus la vérité , & qu'il verra que
les atteftations auffi authentiques & auffi multipliées
, qu'il a l'honneur de lui préfenter tous les
mois , & venant de toutes parts , mériteront bien
plus de foi que les mauvais & faux Libelles que
la noirceur de fes ennemis ofé enfanter dans la
feule vue de lui nuire , & auxquels il ne répondra
plus par la fuite.
de plus en plus la vérité , & qu'il verra que
les atteftations auffi authentiques & auffi multipliées
, qu'il a l'honneur de lui préfenter tous les
mois , & venant de toutes parts , mériteront bien
plus de foi que les mauvais & faux Libelles que
la noirceur de fes ennemis ofé enfanter dans la
feule vue de lui nuire , & auxquels il ne répondra
plus par la fuite.
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42
p. 208-211
Expériences qui viennent d'être faites dans l'Hôpital Militaire de Strasbourg, sous le bon plaisir de M. l'Intendant d'Alsace, & sous les yeux de Messieurs les Médecins & Chirurgiens dudit Hôpital.
Début :
J'ai l'honneur de vous adresser, Monsieur, un état de cinq malades attaqués [...]
Mots clefs :
Malades, Maladie vénérienne, M. Keyser, Chirurgien-Major de l'hôpital militaire, Vérité, Symptômes, Ulcères, Soldats, Guérison, Pustules, Douleurs, Certificats
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Expériences qui viennent d'être faites dans l'Hôpital Militaire de Strasbourg, sous le bon plaisir de M. l'Intendant d'Alsace, & sous les yeux de Messieurs les Médecins & Chirurgiens dudit Hôpital.
Expériences qui viennent d'être faites dans l'Hopital
Militaire de Strasbourg ,fous le bon plaifir
de M. l'Intendant d'Alface , & fous les yeux de
Meffieurs les Médecins & Chirurgiens dudit Hô◄
pital.
Lettre de M. le Riche , Chirurgien-Major de l'Hôpital
Militaire de Strasbourg , à M. Keyfer , en
datte du 28 Mai 1758.
J'ai l'honneur de vous adreffer , Monfieur , un
'état de cinq malades attaqués de la maladie vénérienne
, que j'ai traités avec vos dragées , & fuivant
votre méthode de les adminiftrer. Vous ver
rez que le fuccès ne pouvoit en être plus complet ,
JULLET. 1758. 200
ni les atteftations plus authentiques. Il n'y a cependant
rien d'exagéré , ni qui ne foit conforme
à la plus exacte vérité . Je ne vous diffimulerai pas ,
Monfieur , que j'avois befoin de ces preuves pour
croire. Accoutumé depuis très - long- temps à employer
le mercure par les frictions , je ne croyois
pas que toute autre maniere de le donner pût pro
duire de fi bons effets que votre découverte ; mais
je ſuis défabulé , & il eft jufte que j'en faffe l'a
veu. Une circonstance qui me plaît encore , & à
laquelle on doit faire attention , c'eft que la cure
de cette maladie par vos dragées , eft beaucoup
plus courte que par les frictions , plus commode ,
& qu'elle eft pour le moins auffi sûre.
J'ai l'honneur d'être , & c. Le Riche , Chirur
gien Major de l'Hôpital Militaire de Strasbourg .
Etat de cinq malades attaqués de la maladie vénérienne
, qui ont été traités à l'Hôpital Militaire .
de Strasbourg avec les dragées de M. Keyfer ,
fuivantfa méthode , par les foins de M. le Riche,
Chirurgien Major dudit Hôpital , avecla permiffion
de M. le Baron de Lucé , Intendant de la
Province d'Alface.
Le nommé Antoine Buiron , dit Saint Flours ,
Grenadier au Régiment de la Roche -Aymond ,
Compagnie de Saint Fal , eft entré à l'Hôpital le
7 d'Avril , a commencé à être traité le 23 , & en
eft forti le 18 Mai parfaitement guéri , & les forces
rétablies. Les fimptômes de fa maladie étoient
entr'autres des puftules ulcérées.
Le nommé Jean -Baptifte - Jofeph Robelot , Cavalier
au Régiment de Grammont , Compagnie
de Toulle , eft entré à l'hôpital le 23 Mars , fon
traitement a commencé le 10 Avril , & a fini le 12
Mai. Il avoit des puftules ulcérées & des excroiffances.
Il a été parfaitement guéri des unes & des
autres.
210 MERCURE DERANCE!
Le nommé Nicolas la Forge , Cavalier au Rés
giment de Bezons , Compagnie de Ponti , eft entré
à l'hôpital le 23 Mars. Son traitement a commencé
le 10 Avril & a fini le 14 Mai . Il avoit
pour fymptômes des puftules ulcérées , & des
douleurs aux extrêmités fupérieures & inférieures ,
-particulièrement au bras gauche dont il pouvoit
à peine faire ufage. Les puftules font effacées & les
douleurs ont difparues.
Le nommé Gabriel- Pierre , dit d'Arras, Sappeur
au Régiment du Corps royal d'Artillerie , Compagnie
de Clinchamp , eft entré à l'hôpital le 21
Mars . Son traitement a commencé le 10 du mois
`d'Avril , & a fini le 14 Mai. Il avoit pour ſymptômes
un ulcere aux côtés de la luette , lequel lui
étoit furvenu après d'autres maladies vénériennes
bien caractérisées , & il en eft parfaitement guéri.
Le nommé Vidal Eftreman , dit la Jeuneffe ,
foldat au Régiment de Bauvoifis , Compagnie de
la Tour , eft entré à l'hôpital les Avril , ayant un
bubon à laine droite , qui a été ouvert , & autres
fymptômes. Son traitement a commencé le 20
Avril , & a fini le 20 Mai. Il eſt parfaitement guéri .
Certificat de Meffieurs les Médecins & Chirurgiens
qui ont fuivi ces traitemens.
Nous , Médecins , Chirurgiens-Majors & Aides
de l'Hôpital Militaire de Strasbourg , fouffignés
eertifions & atteftons que nous avons vifité trèsfcrupuleufement
les malades dénommés au préfent
état , & que nous avons trouvé qu'ils avoient
chacun les fymptômes propres & particuliers de
la maladie vénérienne dont il eft fait mention à
chaque article féparé. Que nous nous fommes
tranfportés plufieurs fois dans la falle où ils ont
été traités par l'invitation de M. le Riche , Chiturgien-
Major chargé de ce traitement , pour voir
JUI LET. 1758. 211
de quelle maniere le ragées antivénériennes ont
agi fur eux. Que nous avons appris & obfervés en
interrogeant lefdits malades , que ce remede produifoit
des évacuations fûres , douces & aifées ,
tant par les felles , que par les urines & légere
falivation ; & que la guérifon de ces malades
ayant été une fuite de l'adminiftration des dragées
, nous eftimons qu'elles peuvent être employées
avec les meilleurs fuccès pour la guérifon
de cette maladie. Fait à Strasbourg , le 25 du mois
de Mai 1798. Guérin , Docteur en Médecine ;
Paris , Docteur en Médecine ; le Riche , Chirurgien-
Major ; Domergue , Chirurgien - Major en
fecond ; le Riche , Chirurgien Aide- Major ; Barbezant
, Chirurgien Aide- Major.
Militaire de Strasbourg ,fous le bon plaifir
de M. l'Intendant d'Alface , & fous les yeux de
Meffieurs les Médecins & Chirurgiens dudit Hô◄
pital.
Lettre de M. le Riche , Chirurgien-Major de l'Hôpital
Militaire de Strasbourg , à M. Keyfer , en
datte du 28 Mai 1758.
J'ai l'honneur de vous adreffer , Monfieur , un
'état de cinq malades attaqués de la maladie vénérienne
, que j'ai traités avec vos dragées , & fuivant
votre méthode de les adminiftrer. Vous ver
rez que le fuccès ne pouvoit en être plus complet ,
JULLET. 1758. 200
ni les atteftations plus authentiques. Il n'y a cependant
rien d'exagéré , ni qui ne foit conforme
à la plus exacte vérité . Je ne vous diffimulerai pas ,
Monfieur , que j'avois befoin de ces preuves pour
croire. Accoutumé depuis très - long- temps à employer
le mercure par les frictions , je ne croyois
pas que toute autre maniere de le donner pût pro
duire de fi bons effets que votre découverte ; mais
je ſuis défabulé , & il eft jufte que j'en faffe l'a
veu. Une circonstance qui me plaît encore , & à
laquelle on doit faire attention , c'eft que la cure
de cette maladie par vos dragées , eft beaucoup
plus courte que par les frictions , plus commode ,
& qu'elle eft pour le moins auffi sûre.
J'ai l'honneur d'être , & c. Le Riche , Chirur
gien Major de l'Hôpital Militaire de Strasbourg .
Etat de cinq malades attaqués de la maladie vénérienne
, qui ont été traités à l'Hôpital Militaire .
de Strasbourg avec les dragées de M. Keyfer ,
fuivantfa méthode , par les foins de M. le Riche,
Chirurgien Major dudit Hôpital , avecla permiffion
de M. le Baron de Lucé , Intendant de la
Province d'Alface.
Le nommé Antoine Buiron , dit Saint Flours ,
Grenadier au Régiment de la Roche -Aymond ,
Compagnie de Saint Fal , eft entré à l'Hôpital le
7 d'Avril , a commencé à être traité le 23 , & en
eft forti le 18 Mai parfaitement guéri , & les forces
rétablies. Les fimptômes de fa maladie étoient
entr'autres des puftules ulcérées.
Le nommé Jean -Baptifte - Jofeph Robelot , Cavalier
au Régiment de Grammont , Compagnie
de Toulle , eft entré à l'hôpital le 23 Mars , fon
traitement a commencé le 10 Avril , & a fini le 12
Mai. Il avoit des puftules ulcérées & des excroiffances.
Il a été parfaitement guéri des unes & des
autres.
210 MERCURE DERANCE!
Le nommé Nicolas la Forge , Cavalier au Rés
giment de Bezons , Compagnie de Ponti , eft entré
à l'hôpital le 23 Mars. Son traitement a commencé
le 10 Avril & a fini le 14 Mai . Il avoit
pour fymptômes des puftules ulcérées , & des
douleurs aux extrêmités fupérieures & inférieures ,
-particulièrement au bras gauche dont il pouvoit
à peine faire ufage. Les puftules font effacées & les
douleurs ont difparues.
Le nommé Gabriel- Pierre , dit d'Arras, Sappeur
au Régiment du Corps royal d'Artillerie , Compagnie
de Clinchamp , eft entré à l'hôpital le 21
Mars . Son traitement a commencé le 10 du mois
`d'Avril , & a fini le 14 Mai. Il avoit pour ſymptômes
un ulcere aux côtés de la luette , lequel lui
étoit furvenu après d'autres maladies vénériennes
bien caractérisées , & il en eft parfaitement guéri.
Le nommé Vidal Eftreman , dit la Jeuneffe ,
foldat au Régiment de Bauvoifis , Compagnie de
la Tour , eft entré à l'hôpital les Avril , ayant un
bubon à laine droite , qui a été ouvert , & autres
fymptômes. Son traitement a commencé le 20
Avril , & a fini le 20 Mai. Il eſt parfaitement guéri .
Certificat de Meffieurs les Médecins & Chirurgiens
qui ont fuivi ces traitemens.
Nous , Médecins , Chirurgiens-Majors & Aides
de l'Hôpital Militaire de Strasbourg , fouffignés
eertifions & atteftons que nous avons vifité trèsfcrupuleufement
les malades dénommés au préfent
état , & que nous avons trouvé qu'ils avoient
chacun les fymptômes propres & particuliers de
la maladie vénérienne dont il eft fait mention à
chaque article féparé. Que nous nous fommes
tranfportés plufieurs fois dans la falle où ils ont
été traités par l'invitation de M. le Riche , Chiturgien-
Major chargé de ce traitement , pour voir
JUI LET. 1758. 211
de quelle maniere le ragées antivénériennes ont
agi fur eux. Que nous avons appris & obfervés en
interrogeant lefdits malades , que ce remede produifoit
des évacuations fûres , douces & aifées ,
tant par les felles , que par les urines & légere
falivation ; & que la guérifon de ces malades
ayant été une fuite de l'adminiftration des dragées
, nous eftimons qu'elles peuvent être employées
avec les meilleurs fuccès pour la guérifon
de cette maladie. Fait à Strasbourg , le 25 du mois
de Mai 1798. Guérin , Docteur en Médecine ;
Paris , Docteur en Médecine ; le Riche , Chirurgien-
Major ; Domergue , Chirurgien - Major en
fecond ; le Riche , Chirurgien Aide- Major ; Barbezant
, Chirurgien Aide- Major.
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Résumé : Expériences qui viennent d'être faites dans l'Hôpital Militaire de Strasbourg, sous le bon plaisir de M. l'Intendant d'Alsace, & sous les yeux de Messieurs les Médecins & Chirurgiens dudit Hôpital.
Le document décrit des expériences réalisées à l'Hôpital Militaire de Strasbourg sous la supervision de M. l'Intendant d'Alsace et en présence des médecins et chirurgiens de l'hôpital. Une lettre datée du 28 mai 1758, rédigée par M. le Riche, Chirurgien-Major, adresse à M. Keyfer un rapport sur le traitement de cinq malades atteints de la maladie vénérienne. Le traitement a été effectué à l'aide de dragées et de la méthode de M. Keyfer. Le succès du traitement est complet et authentique, sans exagération. M. le Riche, initialement sceptique, reconnaît l'efficacité des dragées, qui permettent une guérison plus rapide et plus commode que les frictions au mercure traditionnelles. Les cinq malades traités sont : 1. Antoine Buiron, grenadier, entré le 7 avril, guéri le 18 mai. 2. Jean-Baptiste-Joseph Robelot, cavalier, entré le 23 mars, guéri le 12 mai. 3. Nicolas la Forge, cavalier, entré le 23 mars, guéri le 14 mai. 4. Gabriel-Pierre, sappeur, entré le 21 mars, guéri le 14 mai. 5. Vidal Estreman, soldat, entré le 1er avril, guéri le 20 mai. Un certificat des médecins et chirurgiens de l'hôpital confirme la guérison des malades et l'efficacité des dragées antivénériennes, observant des évacuations sûres et douces. Le document est signé par plusieurs médecins et chirurgiens le 25 mai 1758.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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43
p. 211-212
« M. Keyser supplie le Public d'observer que voila déja plus de trente [...] »
Début :
M. Keyser supplie le Public d'observer que voila déja plus de trente [...]
Mots clefs :
M. Keyser, Villes, Satisfaction, Remèdes, Hôpital, Correspondances, Vérité
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « M. Keyser supplie le Public d'observer que voila déja plus de trente [...] »
M. Keyſer ſupplie le Public d'obſerver que
voila déja plus de trente des principales villes du
royaume , qui ont fait avec la plus grande fatisfaction
, les épreuves les plus authentiques de fes
dragées , qu'il n'y a peut- être jamais eu de remede
dont on ait rendu un compte fi exact , &
qui ait fubi autant d'examens , puiſqu'indépen
damment d'un hôpital fondé en ſa faveur, & treize
traitemens confécutifs qui y ont déja été faits , il
réſulte de tous les endroits où il l'a envoyé , des
témoignages à la vérité deſquels il ſeroit impoffible
de ſe refufer ; & il ofe fe flotter de n'avoir plus
beſoin d'afficher dorénavant , la continuité de ſes
ſuccès , pour perfuader le Public , & étouffer les
faux & mauvais propos que la jaloufie de ſes adverſaires
ſe plaît d'enfanter chaque jour.
Il prie Meſſieurs ſes Correſpondans de ne pas
s'impatienter s'ils ne trouvent pas encore leurs
Lettres& Certificats inférés dans les Mercures , ne
pouvant en mettre que deux ou trois à la fois ,
12 MERCURE DE FRANCE .
&les annoncer les uns après les autres.
Il eſpere donner dans les volumes prochains,
la lifte générale de ſes correſpondans actuels , &
n'attend plus pour cela , que les réponſes de quelques-
uns , &la fin des épreuves de quelques autres.
Il a l'honneur de prévenir auſſi ceux qui pourroient
par fauſſe prévention ou autres raiſons , ne
pas deſirer de voir leurs noms inférés dans la liſte ,
de lui en écrire avant le 15 Octobre , ne voulant
les gêner en aucune façon , & ne leur demandant
que ce que la vérité & la justice pourront leur
dicter à cet égard pour le bien de l'humanité.
voila déja plus de trente des principales villes du
royaume , qui ont fait avec la plus grande fatisfaction
, les épreuves les plus authentiques de fes
dragées , qu'il n'y a peut- être jamais eu de remede
dont on ait rendu un compte fi exact , &
qui ait fubi autant d'examens , puiſqu'indépen
damment d'un hôpital fondé en ſa faveur, & treize
traitemens confécutifs qui y ont déja été faits , il
réſulte de tous les endroits où il l'a envoyé , des
témoignages à la vérité deſquels il ſeroit impoffible
de ſe refufer ; & il ofe fe flotter de n'avoir plus
beſoin d'afficher dorénavant , la continuité de ſes
ſuccès , pour perfuader le Public , & étouffer les
faux & mauvais propos que la jaloufie de ſes adverſaires
ſe plaît d'enfanter chaque jour.
Il prie Meſſieurs ſes Correſpondans de ne pas
s'impatienter s'ils ne trouvent pas encore leurs
Lettres& Certificats inférés dans les Mercures , ne
pouvant en mettre que deux ou trois à la fois ,
12 MERCURE DE FRANCE .
&les annoncer les uns après les autres.
Il eſpere donner dans les volumes prochains,
la lifte générale de ſes correſpondans actuels , &
n'attend plus pour cela , que les réponſes de quelques-
uns , &la fin des épreuves de quelques autres.
Il a l'honneur de prévenir auſſi ceux qui pourroient
par fauſſe prévention ou autres raiſons , ne
pas deſirer de voir leurs noms inférés dans la liſte ,
de lui en écrire avant le 15 Octobre , ne voulant
les gêner en aucune façon , & ne leur demandant
que ce que la vérité & la justice pourront leur
dicter à cet égard pour le bien de l'humanité.
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Résumé : « M. Keyser supplie le Public d'observer que voila déja plus de trente [...] »
M. Keyser annonce que ses dragées, un remède dont l'efficacité est prouvée, ont été testées avec satisfaction dans plus de trente villes principales du royaume. Les preuves de son efficacité incluent la création d'un hôpital et treize traitements consécutifs réalisés dans cet établissement. Des témoignages de diverses régions confirment ces résultats, rendant toute contestation impossible. M. Keyser affirme ne plus avoir besoin de publier continuellement ses succès malgré les critiques de ses adversaires jaloux. Il demande à ses correspondants de ne pas s'impatienter si leurs lettres et certificats ne sont pas immédiatement publiés dans les Mercures, car il ne peut en publier que deux ou trois à la fois. Il prévoit de publier prochainement une liste générale de ses correspondants actuels, en attendant les réponses de certains et la fin des épreuves d'autres. M. Keyser prévient également ceux qui ne souhaitent pas voir leurs noms publiés de le lui écrire avant le 15 octobre, afin de respecter leur volonté et la vérité.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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44
p. 207
Eclaircissement de quelques faits concernant l'Hôpital.
Début :
Quelques Soldats qui ont passé par cet Hôpital, & qui y ont été [...]
Mots clefs :
Soldats, Hôpital, Traitement, Maladies vénériennes, M. Keyser, Honte, Vérité, Guérison
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Eclaircissement de quelques faits concernant l'Hôpital.
Eclairciffemens de quelques faits concernant.
l'Hôpital.
Quelques Soldats qui ont paffé par cet Hôpital ,
& qui y ont été traités , & bien radicalement guéris
de la maladie Vénérienne , gens accoutumés au
libertinage , & que rien ne peut corriger , ayant
regagné de nouveaux maux , au lieu de fe repréfenter
à l'Hôpital , ont mieux aimé s'aller faire
traiter incognito dans les Hôpitaux publics , ce
qui leur eft fort permis , parce qu'aucun foldat n'a
jamais été gêné ni forcé de venir dans celui - ci ,
mais comme ces gens malades de nouveau , par
leur faute , difent avoir paffé par les remedes de
M. Keyſer , fans avouer leur déreglement , on
doit à la vérité de dire qu'ils n'y avoient pas moins
été guéris , & que la raifon qui les empêche de fe
repréfenter eft:""
1º. La honte de retomber perpétuellement dans
le même vice.
2º. La crainte de la punition comme mauvais
fujets reconnus.
3 °. Qu'ils font bien plus gênés dans leur Hôpital
par les défenfes qui y font faites de leur laiffer
voir leurs créatures , & des étrangers , que dans
aucun autre Hôpital où ils ont la liberté de voir
toutes perfonnes qu'ils veulent. Ces faits font dans
la plus exacte vérité , & feront atteftés par per
fonnes impartiales , & non fufpectes.
l'Hôpital.
Quelques Soldats qui ont paffé par cet Hôpital ,
& qui y ont été traités , & bien radicalement guéris
de la maladie Vénérienne , gens accoutumés au
libertinage , & que rien ne peut corriger , ayant
regagné de nouveaux maux , au lieu de fe repréfenter
à l'Hôpital , ont mieux aimé s'aller faire
traiter incognito dans les Hôpitaux publics , ce
qui leur eft fort permis , parce qu'aucun foldat n'a
jamais été gêné ni forcé de venir dans celui - ci ,
mais comme ces gens malades de nouveau , par
leur faute , difent avoir paffé par les remedes de
M. Keyſer , fans avouer leur déreglement , on
doit à la vérité de dire qu'ils n'y avoient pas moins
été guéris , & que la raifon qui les empêche de fe
repréfenter eft:""
1º. La honte de retomber perpétuellement dans
le même vice.
2º. La crainte de la punition comme mauvais
fujets reconnus.
3 °. Qu'ils font bien plus gênés dans leur Hôpital
par les défenfes qui y font faites de leur laiffer
voir leurs créatures , & des étrangers , que dans
aucun autre Hôpital où ils ont la liberté de voir
toutes perfonnes qu'ils veulent. Ces faits font dans
la plus exacte vérité , & feront atteftés par per
fonnes impartiales , & non fufpectes.
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Résumé : Eclaircissement de quelques faits concernant l'Hôpital.
Certains soldats, traités et guéris de la maladie vénérienne à l'Hôpital, rechutent et préfèrent se faire soigner incognito dans des hôpitaux publics plutôt que de revenir à l'Hôpital. Ces soldats, habitués au libertinage et difficiles à corriger, ne sont jamais contraints de revenir. Ils attribuent leur guérison aux remèdes de M. Keyser sans reconnaître leurs dérèglements. Plusieurs raisons expliquent leur absence : la honte de retomber dans le même vice, la crainte de la punition en tant que mauvais sujets, et les restrictions imposées à l'Hôpital concernant la visite de leurs compagnes ou d'étrangers. Ces faits sont présentés comme véridiques et peuvent être attestés par des personnes impartiales et non suspectes.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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45
p. 212-215
« L[e] sieur Keyser a l'honneur de prévenir le Public, qu'ayant été attaqué de nouveau dans [...] »
Début :
L[e] sieur Keyser a l'honneur de prévenir le Public, qu'ayant été attaqué de nouveau dans [...]
Mots clefs :
M. Keyser, Attaque, Ouvrage, Défense, Vérité, Remède, Académie des sciences, Composants, Effets secondaires, Certificats, Cure, Palliatif, Maréchal de Biron, Témoignages de patients, Dragées
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « L[e] sieur Keyser a l'honneur de prévenir le Public, qu'ayant été attaqué de nouveau dans [...] »
Lfeur
Keyfer
a
l'honneur
de
prévenir
le
P
blic
,
qu'ayant
été
attaqué
de nouveau
dans
un
Livre
,
qui a
pour
titre
,
Traité
des
Tumeurs
&
Ulceres
,
de
la
façon
la
plus
injufte
&
la
pl
légere
,
il
vient d'y
répondre par
un
écrit
part
culier
qui
fe
trouve chez
le fieur
Delornel
Mar
chand
Libraire
,
rue du
Foin
;
il
le ſupplie
de
lit
attentivement
les
objets
de
défenſes
, d'obfervet
la
vérité
&
l'autenticité
des
Certificats
qu'il
a
pro
duit
,
&
d'être
perfuadé
qu'il
n'y a
rien
avant
qu'il
ne
foit
en
état
de prouver
aux
yeux
de
tou
l'Univers
: il
n'a
jufqu'ici
combattu
tous
fes
Ad
verfaires
qu'avec
les
armes de
la
vérité
; il
cre
être
au
moment de
les faire taire
pour
toujours
,
AOUST
.
1759
.
213
&
l'Académie
des
Sciences
,
qui veut
bien être
ſon
Juge
,
prononcera
bientôt
fur
la
compofition
defon
remède
,
fur
les
effets
&
fon
efficacité
;
cette
Académie
ayant
déja
nominé
pour
cela
des
Com-
miffaires
dont
les
talens
,
les
lumières
&
la
haute
réputation
ne
lui
laiſſent
rien
à
defirer
.
En
atten-
´
dant
il
croit
devoir
donner
ici
l'Extrait
court
&
fuccinct
de
la
dernière attaque qui
lui
a
été
faite
de
la
part
de
l'Auteur
anonyme du
Traité des
Tumeurs
,
&
celui
de
la
réponſe
qu'il
a
faite
.
Premièrement
,
fon
Aggrelleur
foupçonne
,
préfume
,
&
quoiqu'il
n'en
convienne
point
,
conclut
même
qu'il
doit
entrer
du
Sublimé
cor-
rofif
dans
la
compofition
de
fon
remède
.
Il
rap-
porte
pour
appuyer
les
conjectures
&
les
foupçons
une
expérience
frivole
; il
donne
les
raisons
les
plus
fuperficielles
;
il
cherche
à
perfuader
,
&
par
conféquent
il
effraye
injuftement
le
Public
.
A cela le fieur Keyſer répond par des analyſes
aurentiques faites à Paris & dans les Provinces par
les plus habiles Gens de l'Art. Tous atteſtent n'a-
voir trouvé dans la décompofition de fon reméde,
aucun atôme de Sublimé. Par conféquent l'impu-
tation tombe d'elle-même. On a fçu meme depuis
que l'Anonyme s'en étoit affuré par fes propres
expériences , & qu'il étoit convenu qu'il n'y avoit
point de Sublimé.
Secondement , l'Anonyme fe déchaîne contre
les effets du reméde. A le croire ce ne font que
nauſies , vomiſlemens , coliques , inflammations ,
effets pernicieux , funefles &c.
A cela le fieur Keyſer répond en offrant de
-préfenter à l'Anonime ( ne pouvant citer mille au❤
tres malades qu'il a traités , qu'il a bien guéris ,
& qui fe portent à merveille j 400 Soldats guéris
dans l'Hôpital de Monfi ur le Maréchal de Bi-
ron ; il produir les Certificats les plus autenti-
ques de Paris , & de la Province. Tous les Gens
£
14
MERCURE
DE
FRANCE
.
de
l'Art
qui
les
ont
donnés
atteſtent après
avoit
traité
avec
fon
reméde
les
uns to
Malades
,
les autres
30
,
ainſi
du
reſte
,
n'en
avoir
jamzi
vû
réſulter
le
moindre
accident
.
Par
conséquen
F'Anonyme
qui
ne
connoît point
le
reméde
,
qui
n'a jamais
traité
avec
,
qui
n'a
même
vû
traiter
perfonne
,
a
feul
vû
tous ces
mauvais
effets
.
Que
répondre à
cela
? Le
Public
jugera
fi
les
témoigna
ges
de
plus
de
cent perfonnes
habiles
dans
l'Ar
de
la
Médecine
,
&
de
la
Chirurgie
,
connues
pour
les plus
honnêtes
gens
,
peuvent
avoir
été
toutes
gagnées pour
s'accorder
à
dire
un
bien
général
d'une chofe
auffi
dangereufe
,
&
furtout
lorfque
l'on
prouve
qu'il
n'eft
pas
mort
en
feul
homme
far quatre
cens
.
D'ailleurs
comme
il
vient
d'être
démontré
dans
l'Article
précédent
qu'il n'y a
pas
de Sublimé
corrofif
,
il
eſt
clair
que
les
effets da
reméde
ne
peuvent
être
tels
que
l'Anonyme
les
fuppofe
.
Troifiémement
,
l'Anonyme
ne
s'en
tient
pas
là
,
il
veut encore
que
le
reméde
foit
infuffifant
,
que
les
cures
prétendues
ne
foient
que
palliatives
,
&
qu'il
faut
en
revenir
aux
frictions
&
c
.
A
cela
le fieur
Keyſer
offre
encore de
préfente
fes
400
Soldats
pour
fubir
l'examen
de
l'Anonyme
lui
-
même
,
il
produit
les
Certificats
de
perfonne
habiles
qui
atteftent
qu'il
s'en
eft fait
chaque
an
née
depuis quatre ans
une
revue générale
,
que
les guérifons
fe
font trouvées conftantes
&
foli-
des
que
les
Soldats
jouiffent
de
la
meilleure
fanté
.
Tous
les
Correfpóndans
du
feur
Keyſer
qui
ont
traité
une
multitude
de Malades
,
difent
la
même
choſe
;
perfonne ne
vient
le
plaindre
d'avoir
été
manqué
.
M.
le Maréchal de Biron
,
fi
connu par
fon
amour
pour
la vérité
,
pour
la
juftice
&
pour
le
bien public
,
veut bien appuyer
toutes ces preuves
AOUST
.
1759
.
211de
fon
témoignage
.
Il
a
en
main
les
originaux
de
tous
les
Certificats
;
il
va
les
dépofer
de
la
part
du
Roi
entre
les
mains
de l'Académie
.
Enfin
le
feur
Keyſer
offre
à
l'Anonyme
de
traiter
ſous
les
yeur
douze Malades
qu'il
choifira
lui
-
même
,
&
de
ne
pas
leur
donner une
ſeule
dragée
qu'en ſa
préſence
:
il
ſupplie
l'Académie
de
nommer
des
Commiflaires
pour
en
faire
autant
fous
leurs
yeux
.
Que
peut
-
il
faire
de
plus
?
&
comment
ſe
refuſer
à
des preuves
de
cette
force
?
Keyfer
a
l'honneur
de
prévenir
le
P
blic
,
qu'ayant
été
attaqué
de nouveau
dans
un
Livre
,
qui a
pour
titre
,
Traité
des
Tumeurs
&
Ulceres
,
de
la
façon
la
plus
injufte
&
la
pl
légere
,
il
vient d'y
répondre par
un
écrit
part
culier
qui
fe
trouve chez
le fieur
Delornel
Mar
chand
Libraire
,
rue du
Foin
;
il
le ſupplie
de
lit
attentivement
les
objets
de
défenſes
, d'obfervet
la
vérité
&
l'autenticité
des
Certificats
qu'il
a
pro
duit
,
&
d'être
perfuadé
qu'il
n'y a
rien
avant
qu'il
ne
foit
en
état
de prouver
aux
yeux
de
tou
l'Univers
: il
n'a
jufqu'ici
combattu
tous
fes
Ad
verfaires
qu'avec
les
armes de
la
vérité
; il
cre
être
au
moment de
les faire taire
pour
toujours
,
AOUST
.
1759
.
213
&
l'Académie
des
Sciences
,
qui veut
bien être
ſon
Juge
,
prononcera
bientôt
fur
la
compofition
defon
remède
,
fur
les
effets
&
fon
efficacité
;
cette
Académie
ayant
déja
nominé
pour
cela
des
Com-
miffaires
dont
les
talens
,
les
lumières
&
la
haute
réputation
ne
lui
laiſſent
rien
à
defirer
.
En
atten-
´
dant
il
croit
devoir
donner
ici
l'Extrait
court
&
fuccinct
de
la
dernière attaque qui
lui
a
été
faite
de
la
part
de
l'Auteur
anonyme du
Traité des
Tumeurs
,
&
celui
de
la
réponſe
qu'il
a
faite
.
Premièrement
,
fon
Aggrelleur
foupçonne
,
préfume
,
&
quoiqu'il
n'en
convienne
point
,
conclut
même
qu'il
doit
entrer
du
Sublimé
cor-
rofif
dans
la
compofition
de
fon
remède
.
Il
rap-
porte
pour
appuyer
les
conjectures
&
les
foupçons
une
expérience
frivole
; il
donne
les
raisons
les
plus
fuperficielles
;
il
cherche
à
perfuader
,
&
par
conféquent
il
effraye
injuftement
le
Public
.
A cela le fieur Keyſer répond par des analyſes
aurentiques faites à Paris & dans les Provinces par
les plus habiles Gens de l'Art. Tous atteſtent n'a-
voir trouvé dans la décompofition de fon reméde,
aucun atôme de Sublimé. Par conféquent l'impu-
tation tombe d'elle-même. On a fçu meme depuis
que l'Anonyme s'en étoit affuré par fes propres
expériences , & qu'il étoit convenu qu'il n'y avoit
point de Sublimé.
Secondement , l'Anonyme fe déchaîne contre
les effets du reméde. A le croire ce ne font que
nauſies , vomiſlemens , coliques , inflammations ,
effets pernicieux , funefles &c.
A cela le fieur Keyſer répond en offrant de
-préfenter à l'Anonime ( ne pouvant citer mille au❤
tres malades qu'il a traités , qu'il a bien guéris ,
& qui fe portent à merveille j 400 Soldats guéris
dans l'Hôpital de Monfi ur le Maréchal de Bi-
ron ; il produir les Certificats les plus autenti-
ques de Paris , & de la Province. Tous les Gens
£
14
MERCURE
DE
FRANCE
.
de
l'Art
qui
les
ont
donnés
atteſtent après
avoit
traité
avec
fon
reméde
les
uns to
Malades
,
les autres
30
,
ainſi
du
reſte
,
n'en
avoir
jamzi
vû
réſulter
le
moindre
accident
.
Par
conséquen
F'Anonyme
qui
ne
connoît point
le
reméde
,
qui
n'a jamais
traité
avec
,
qui
n'a
même
vû
traiter
perfonne
,
a
feul
vû
tous ces
mauvais
effets
.
Que
répondre à
cela
? Le
Public
jugera
fi
les
témoigna
ges
de
plus
de
cent perfonnes
habiles
dans
l'Ar
de
la
Médecine
,
&
de
la
Chirurgie
,
connues
pour
les plus
honnêtes
gens
,
peuvent
avoir
été
toutes
gagnées pour
s'accorder
à
dire
un
bien
général
d'une chofe
auffi
dangereufe
,
&
furtout
lorfque
l'on
prouve
qu'il
n'eft
pas
mort
en
feul
homme
far quatre
cens
.
D'ailleurs
comme
il
vient
d'être
démontré
dans
l'Article
précédent
qu'il n'y a
pas
de Sublimé
corrofif
,
il
eſt
clair
que
les
effets da
reméde
ne
peuvent
être
tels
que
l'Anonyme
les
fuppofe
.
Troifiémement
,
l'Anonyme
ne
s'en
tient
pas
là
,
il
veut encore
que
le
reméde
foit
infuffifant
,
que
les
cures
prétendues
ne
foient
que
palliatives
,
&
qu'il
faut
en
revenir
aux
frictions
&
c
.
A
cela
le fieur
Keyſer
offre
encore de
préfente
fes
400
Soldats
pour
fubir
l'examen
de
l'Anonyme
lui
-
même
,
il
produit
les
Certificats
de
perfonne
habiles
qui
atteftent
qu'il
s'en
eft fait
chaque
an
née
depuis quatre ans
une
revue générale
,
que
les guérifons
fe
font trouvées conftantes
&
foli-
des
que
les
Soldats
jouiffent
de
la
meilleure
fanté
.
Tous
les
Correfpóndans
du
feur
Keyſer
qui
ont
traité
une
multitude
de Malades
,
difent
la
même
choſe
;
perfonne ne
vient
le
plaindre
d'avoir
été
manqué
.
M.
le Maréchal de Biron
,
fi
connu par
fon
amour
pour
la vérité
,
pour
la
juftice
&
pour
le
bien public
,
veut bien appuyer
toutes ces preuves
AOUST
.
1759
.
211de
fon
témoignage
.
Il
a
en
main
les
originaux
de
tous
les
Certificats
;
il
va
les
dépofer
de
la
part
du
Roi
entre
les
mains
de l'Académie
.
Enfin
le
feur
Keyſer
offre
à
l'Anonyme
de
traiter
ſous
les
yeur
douze Malades
qu'il
choifira
lui
-
même
,
&
de
ne
pas
leur
donner une
ſeule
dragée
qu'en ſa
préſence
:
il
ſupplie
l'Académie
de
nommer
des
Commiflaires
pour
en
faire
autant
fous
leurs
yeux
.
Que
peut
-
il
faire
de
plus
?
&
comment
ſe
refuſer
à
des preuves
de
cette
force
?
Fermer
Résumé : « L[e] sieur Keyser a l'honneur de prévenir le Public, qu'ayant été attaqué de nouveau dans [...] »
Le sieur Keyfer a publié une déclaration en réponse à une attaque dans un livre intitulé 'Traité des Tumeurs & Ulcères'. Il a rédigé une réponse disponible chez le libraire Delornel et invite le public à examiner les preuves et certificats qu'il a fournis pour appuyer ses affirmations. Keyfer affirme n'avoir jamais utilisé d'autres moyens que la vérité pour se défendre et se dit prêt à faire taire ses détracteurs. L'Académie des Sciences, chargée de juger de la composition et de l'efficacité de son remède, a nommé des commissaires compétents. En attendant leur verdict, Keyfer présente un extrait de la dernière attaque et de sa réponse. L'auteur anonyme du 'Traité des Tumeurs' accuse Keyfer d'utiliser du sublimé corrosif dans son remède. Keyfer réfute cette accusation en produisant des analyses authentiques réalisées par des experts, confirmant l'absence de sublimé. L'anonyme critique également les effets du remède, les qualifiant de pernicieux et funestes. Keyfer répond en offrant de présenter 400 soldats guéris à l'hôpital de Montsurr, sous la supervision du Maréchal de Biron, ainsi que des certificats authentiques de médecins et chirurgiens attestant de l'efficacité et de la sécurité de son remède. Il propose également de traiter douze malades choisis par l'anonyme sous la supervision de l'Académie des Sciences pour prouver l'efficacité de son remède.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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46
p. 219-224
Lettre de M. Keyser à Messieurs ses Correspondans, tant dans les principales Villes du Royaume, que dans l'étranger.
Début :
J'ai reçu, Messieurs, toutes les Lettres dont vous m'avez honoré. [...]
Mots clefs :
Vérité, Critiques, Remède, Certificats, Fausses accusations, Amitié, Médecins, Cure, Composants, Maréchal de Biron
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Lettre de M. Keyser à Messieurs ses Correspondans, tant dans les principales Villes du Royaume, que dans l'étranger.
LETTRE de M. Keyfer à Meffieurs fes
Correfpondans , tant dans les principales
Villes du Royaume , que dans
l'étranger.
J'AI ' AI reçu , Meffieurs , toutes les Lettres dont
vous m'avez honoré . Je fais fenfible comme je
le dois à toutes les marques de bonté & de zèle
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
que vous n'avez ceffé de me témoigner jufqu'ici,
Je vous fais mille remercimens du mépris & du
renvoi que vous m'avez fait du fot imprimé en
forme de prophétie , qui vous a été adreflé fans
doute par quelqu'un de ces Anonymes dont les
écrits font auffi méprifables que leurs perfonnes ,
gens qui ne s'occupent qu'à imaginer des noirceurs
pour fatisfaire à la fois leur jaloufie & leur
envie de nuire. Je fuis également pénétré de reconnoiffance
du peu de croyance que vous avez
donnée à tout ce que l'Auteur du Traité des Tumeurs
& Ulcères a légèrement avancé contre
mon remède , dont vous connoiſſez & avez été
à portée de voir les effets beaucoup mieux que lui.
Vous fçavez , Meffieurs , que lorſqu'il a été
queftion de vous envoyer ce remède , je ne vous
ai jamais demandé que ce que l'honneur , la jultice
& la vérité pouvoient exiger de vous . Jefuis
même perfuadé que j'aurois très- mal réuffi s'il
en eût été autrement . Vous fçavez qu'aucun motif
d'intérêt n'eft encore entré dans notre corref
pondance , puifque non feulement je ne vous ai
encore fixé aucun prix , mais que je vous ai toujours
prié de faire des effais , de m'en dire votre
fentiment avec franchiſe , & de foulager les Pauvres
dans l'occafion . Ce font ici des faits , Meffieurs:
vous fçavez qu'il n'y a point de myſtères
entre nous , & que je ne vous ai jamais demandé
pi grace ni faveur. La querelle que l'on me fait ,"
quoiqu'injufte & défapprouvée des honnêtes
gens , devient longue & férieufe. C'eſt la cauſe du
Public , c'eft la vôtre , c'eſt la mienne , & il eſt
aifé de voir que je ne crains pas de la plaider
ouvertement , ne voulant avoir que la vérité pour
moi , & ne réclamant que ce que vous m'avez.
mandé avoir fait & vu.
Yous avez depuis quatre ans eu la bonić de
DECEMBRE. 1759 2212
me témoigner par quantité de lettres remiſes à
Mgr le Maréchal Duc de Biron , & qui feront
préfentées avant qu'il foit peu à l'Académie des
Sciences, une fatisfaction générale, en m'envoyant
même les détails des guérifons nombreuſes &
étonnantes que vous avez opérées partout. Suivant
vos certificats , vos lettres & vos aveux , je
les ai fucceffivement fait inférer dans les différens
Mercures.
Vous fçavez , Meffieurs , fi ces détails ont été
faux , fi vos Certificats ont été factices , mendics
ou extorqués , & vous trouverez fans doute bien
fingulier , pour ne pas dire plus , que fans voir ,
fans rien examiner , dans le temps que j'annonce
que ces Pièces font entre les mains d'un Maréchal
de France , il fe trouve quelqu'un qui ofe les
combattre , doute de leur réalité , & veuille raifonner
imprudemment de ce qu'il ne connoît
pas.
Vous avez reconnu de plus par les analyfes que
vous avez bien voulu faire faire partout fous VOS
yeux , & celles que vous avez faites vous-même ,
la légéreté de la premiere imputation de mon
adverfaire , n'ayant trouvé ni reconnu aucune
trace de Sublimé corrofif dans le remède ; cependant
je dois vous prévenir que quoiqu'il en ait été
bien perfuadé lui - même , ou qu'il air du moins
fait lemblant de l'être , il vient de m'attaquer
de nouveau , & avec plus de vivacité que jamais
dans un extrait de fon dernier ouvrage accompagné
de Lettres qu'il a intitulées Lettres de Mé--
decins de Paris , dé Province , &c . Or comme
vous êtes , Meffieurs , en état actuellement de fçavoir
à quoi vous en tenir par vos propres faits anciens
& journaliers , je vous prie de vouloir bien
faire acheter ces belles & magnifiques lettres
ou plutôt libelles contre moi , qui ne fe vendent:
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
que 18 fols chez Cavelier à Paris , afin de comparer
tous les raifonnemens dont elles font remplies
avec ce que vous avez vû .
Je finis en vous priant de me continuer votre
amitié , mais en vous recommandant de n'avoir ja
mais que le bien public en vue , de n'avoir à
mon égard aucune complaifance quelconque.
Dans les cas où vous ne feriez pas contens ,
ou que vous auriez des raifons particulieres de
ne plus vous fervir de mon remede , je vous
fupplie de l'abandonner ou de me le renvoyer
tout uniment , mon intention n'ayant jamais
été de vous demander grace , ni faveur , ni de
vous gêner d'aucune façon ; ayant , ( quelque ,
chofe que puiffe dire mon adverfaire , ) beaucoup
moins en vue les motifs d'intérêt & de fortune ,
que l'avantage public & le falut des Citoyens.
Quant aux autres reproches que non adverfaire
me fait dans fes lettres , j'aurai l'honneur
de lui répondre inceffamment , & je ne fuis pas
embarraffé de mettre les perfonnes vraies &
impartiales de mon parti , comme je me flatte
de l'avoir toujours fait. En attendant je vous prie
d'être perfuadés que tant que vous verrez fubfifter
cet Hôpital , ce fera une preuve indubitable
de l'efficacité de mon remede ; car il feroit extra--
vagant de croire que M. le Maréchal de Biron
s'obftinât à l'y faire adminiftrer à moins d'une
fuite conftante de guérifons réelles.
Quelqu'un qui avant de fe inettre en état
de connoître & de juger mon remede difoit?
tout haut à qui vouloit l'entendre qu'il m'écraféroit
; qui ayant vu en diverfes occafions de
belles cures & des effets étonnans , toujours feul
de fon avis , toujours déclamant contre moi
fans juftice & fans raifon , quoi qu'ayent pu lu
DECEMBRE. 1759: 223
•
dire plufieurs Médecins célèbres & d'habiles Chirurgiens
, n'a jamais voulu convenir ni´de la ma- ´
ladie , ni de la guérifon ;
Quelqu'un qui ayant reconnu chez MM. Piat
& Cadet la premiere erreur à l'égard du fubli
mé corrofif, ayant dit en préfence de témoinst
qu'il étoit galant homme , qu'il fe rétracteroit ,.
loin de fuivre ces fentimens généreux , imagine?
& employe de nouveaux moyens pour m'écra--
fer & intimider le Public mal - à- propos ;
Quelqu'un qui lorfque j'ai cité 3 ou 4 mille
cures operées par vous , Meffieurs , & par moi ,
tant à Paris que dans les Provinces , ne dédaigne
pas de fe joindre avec le fieur Thomas & le
heur Maunier pour me fufciter un pauvre garcon
Perruquier qui n'a pas été traité par moi
libertin obftiné qu'on n'a pas guéri à caufe'
de fa débauche continuelle même pendant le:
traitement , qui n'a pris qu'une centaine de dragées
au plus , lorfqu'il en faut cinq à fix cent:
pour un traitement ; à qui l'on a fait figner un
certificat qu'il défavoue par un autre certificat qui
eft entre les mains de M. le Maréchal de Biron ;
Quelqu'un qui lorfque l'Académie des Scien--
ces eft fuppliée de vouloir bien examiner & juger
publiquement la compofition du remede &
fes effets , moyen approuvé du Public & de tous
les honnêtes gens , n'a rien de plus preffé que de
faire affembler la Faculté pour tâcher de s'oppofer
à cette démarche , & finit par pier la
compétence de l'Académie , quoiqu'il y ait plufieurs
de fes Confreres , & d'habiles Chirurgiens
reconnus pour être plus en état que qui que ce
foit de terminer la querelle d'une façon juſte &
décente ;
Quelqu'un enfin qui n'a mis dans tout ceci
que de l'injuftice , de l'entêtement & de l'animo
224 MERCURE DE FRANCE.
fité , n'eft pas je crois au tribunal des gens équi
tables & éclau és un ennemi bien redoutable.
Plufieurs de vous , Mellieurs , m'offrent d'écrire
à mon adverfaire & de lui prouver que fes raifonnemens
ne tiennent pas contre des faits . J'accepte
vos offres ; mais en même temps M. le Maréchal
Duc de Biron m'ordonne de vous mander
de vouloir bien lui envoyer directement la copie
fignée des lettres que vous écrirez au Médecin
, ou bien un détail abrégé de ce que vous avez
fait , de ce que vous avez vu , & de ce que vous
penfez du remede; mondit Seigneur voulant outre
les preuves qu'il a acquifes , connoître la vérité de
toutes parts. Vous êtes foixante ; il n'y a parmi
vous que deux perſonnes à qui on puiffe donner
le nom de mes élèves ; cette cauſe vous intérelle .
Soyez mes juges , & montrez- vous foit en me
confondant , foit en confondant mon adverfaire,
les Partifans de la vérité.
Jai l'honnneur d'être & c. KEYSER.
Correfpondans , tant dans les principales
Villes du Royaume , que dans
l'étranger.
J'AI ' AI reçu , Meffieurs , toutes les Lettres dont
vous m'avez honoré . Je fais fenfible comme je
le dois à toutes les marques de bonté & de zèle
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
que vous n'avez ceffé de me témoigner jufqu'ici,
Je vous fais mille remercimens du mépris & du
renvoi que vous m'avez fait du fot imprimé en
forme de prophétie , qui vous a été adreflé fans
doute par quelqu'un de ces Anonymes dont les
écrits font auffi méprifables que leurs perfonnes ,
gens qui ne s'occupent qu'à imaginer des noirceurs
pour fatisfaire à la fois leur jaloufie & leur
envie de nuire. Je fuis également pénétré de reconnoiffance
du peu de croyance que vous avez
donnée à tout ce que l'Auteur du Traité des Tumeurs
& Ulcères a légèrement avancé contre
mon remède , dont vous connoiſſez & avez été
à portée de voir les effets beaucoup mieux que lui.
Vous fçavez , Meffieurs , que lorſqu'il a été
queftion de vous envoyer ce remède , je ne vous
ai jamais demandé que ce que l'honneur , la jultice
& la vérité pouvoient exiger de vous . Jefuis
même perfuadé que j'aurois très- mal réuffi s'il
en eût été autrement . Vous fçavez qu'aucun motif
d'intérêt n'eft encore entré dans notre corref
pondance , puifque non feulement je ne vous ai
encore fixé aucun prix , mais que je vous ai toujours
prié de faire des effais , de m'en dire votre
fentiment avec franchiſe , & de foulager les Pauvres
dans l'occafion . Ce font ici des faits , Meffieurs:
vous fçavez qu'il n'y a point de myſtères
entre nous , & que je ne vous ai jamais demandé
pi grace ni faveur. La querelle que l'on me fait ,"
quoiqu'injufte & défapprouvée des honnêtes
gens , devient longue & férieufe. C'eſt la cauſe du
Public , c'eft la vôtre , c'eſt la mienne , & il eſt
aifé de voir que je ne crains pas de la plaider
ouvertement , ne voulant avoir que la vérité pour
moi , & ne réclamant que ce que vous m'avez.
mandé avoir fait & vu.
Yous avez depuis quatre ans eu la bonić de
DECEMBRE. 1759 2212
me témoigner par quantité de lettres remiſes à
Mgr le Maréchal Duc de Biron , & qui feront
préfentées avant qu'il foit peu à l'Académie des
Sciences, une fatisfaction générale, en m'envoyant
même les détails des guérifons nombreuſes &
étonnantes que vous avez opérées partout. Suivant
vos certificats , vos lettres & vos aveux , je
les ai fucceffivement fait inférer dans les différens
Mercures.
Vous fçavez , Meffieurs , fi ces détails ont été
faux , fi vos Certificats ont été factices , mendics
ou extorqués , & vous trouverez fans doute bien
fingulier , pour ne pas dire plus , que fans voir ,
fans rien examiner , dans le temps que j'annonce
que ces Pièces font entre les mains d'un Maréchal
de France , il fe trouve quelqu'un qui ofe les
combattre , doute de leur réalité , & veuille raifonner
imprudemment de ce qu'il ne connoît
pas.
Vous avez reconnu de plus par les analyfes que
vous avez bien voulu faire faire partout fous VOS
yeux , & celles que vous avez faites vous-même ,
la légéreté de la premiere imputation de mon
adverfaire , n'ayant trouvé ni reconnu aucune
trace de Sublimé corrofif dans le remède ; cependant
je dois vous prévenir que quoiqu'il en ait été
bien perfuadé lui - même , ou qu'il air du moins
fait lemblant de l'être , il vient de m'attaquer
de nouveau , & avec plus de vivacité que jamais
dans un extrait de fon dernier ouvrage accompagné
de Lettres qu'il a intitulées Lettres de Mé--
decins de Paris , dé Province , &c . Or comme
vous êtes , Meffieurs , en état actuellement de fçavoir
à quoi vous en tenir par vos propres faits anciens
& journaliers , je vous prie de vouloir bien
faire acheter ces belles & magnifiques lettres
ou plutôt libelles contre moi , qui ne fe vendent:
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
que 18 fols chez Cavelier à Paris , afin de comparer
tous les raifonnemens dont elles font remplies
avec ce que vous avez vû .
Je finis en vous priant de me continuer votre
amitié , mais en vous recommandant de n'avoir ja
mais que le bien public en vue , de n'avoir à
mon égard aucune complaifance quelconque.
Dans les cas où vous ne feriez pas contens ,
ou que vous auriez des raifons particulieres de
ne plus vous fervir de mon remede , je vous
fupplie de l'abandonner ou de me le renvoyer
tout uniment , mon intention n'ayant jamais
été de vous demander grace , ni faveur , ni de
vous gêner d'aucune façon ; ayant , ( quelque ,
chofe que puiffe dire mon adverfaire , ) beaucoup
moins en vue les motifs d'intérêt & de fortune ,
que l'avantage public & le falut des Citoyens.
Quant aux autres reproches que non adverfaire
me fait dans fes lettres , j'aurai l'honneur
de lui répondre inceffamment , & je ne fuis pas
embarraffé de mettre les perfonnes vraies &
impartiales de mon parti , comme je me flatte
de l'avoir toujours fait. En attendant je vous prie
d'être perfuadés que tant que vous verrez fubfifter
cet Hôpital , ce fera une preuve indubitable
de l'efficacité de mon remede ; car il feroit extra--
vagant de croire que M. le Maréchal de Biron
s'obftinât à l'y faire adminiftrer à moins d'une
fuite conftante de guérifons réelles.
Quelqu'un qui avant de fe inettre en état
de connoître & de juger mon remede difoit?
tout haut à qui vouloit l'entendre qu'il m'écraféroit
; qui ayant vu en diverfes occafions de
belles cures & des effets étonnans , toujours feul
de fon avis , toujours déclamant contre moi
fans juftice & fans raifon , quoi qu'ayent pu lu
DECEMBRE. 1759: 223
•
dire plufieurs Médecins célèbres & d'habiles Chirurgiens
, n'a jamais voulu convenir ni´de la ma- ´
ladie , ni de la guérifon ;
Quelqu'un qui ayant reconnu chez MM. Piat
& Cadet la premiere erreur à l'égard du fubli
mé corrofif, ayant dit en préfence de témoinst
qu'il étoit galant homme , qu'il fe rétracteroit ,.
loin de fuivre ces fentimens généreux , imagine?
& employe de nouveaux moyens pour m'écra--
fer & intimider le Public mal - à- propos ;
Quelqu'un qui lorfque j'ai cité 3 ou 4 mille
cures operées par vous , Meffieurs , & par moi ,
tant à Paris que dans les Provinces , ne dédaigne
pas de fe joindre avec le fieur Thomas & le
heur Maunier pour me fufciter un pauvre garcon
Perruquier qui n'a pas été traité par moi
libertin obftiné qu'on n'a pas guéri à caufe'
de fa débauche continuelle même pendant le:
traitement , qui n'a pris qu'une centaine de dragées
au plus , lorfqu'il en faut cinq à fix cent:
pour un traitement ; à qui l'on a fait figner un
certificat qu'il défavoue par un autre certificat qui
eft entre les mains de M. le Maréchal de Biron ;
Quelqu'un qui lorfque l'Académie des Scien--
ces eft fuppliée de vouloir bien examiner & juger
publiquement la compofition du remede &
fes effets , moyen approuvé du Public & de tous
les honnêtes gens , n'a rien de plus preffé que de
faire affembler la Faculté pour tâcher de s'oppofer
à cette démarche , & finit par pier la
compétence de l'Académie , quoiqu'il y ait plufieurs
de fes Confreres , & d'habiles Chirurgiens
reconnus pour être plus en état que qui que ce
foit de terminer la querelle d'une façon juſte &
décente ;
Quelqu'un enfin qui n'a mis dans tout ceci
que de l'injuftice , de l'entêtement & de l'animo
224 MERCURE DE FRANCE.
fité , n'eft pas je crois au tribunal des gens équi
tables & éclau és un ennemi bien redoutable.
Plufieurs de vous , Mellieurs , m'offrent d'écrire
à mon adverfaire & de lui prouver que fes raifonnemens
ne tiennent pas contre des faits . J'accepte
vos offres ; mais en même temps M. le Maréchal
Duc de Biron m'ordonne de vous mander
de vouloir bien lui envoyer directement la copie
fignée des lettres que vous écrirez au Médecin
, ou bien un détail abrégé de ce que vous avez
fait , de ce que vous avez vu , & de ce que vous
penfez du remede; mondit Seigneur voulant outre
les preuves qu'il a acquifes , connoître la vérité de
toutes parts. Vous êtes foixante ; il n'y a parmi
vous que deux perſonnes à qui on puiffe donner
le nom de mes élèves ; cette cauſe vous intérelle .
Soyez mes juges , & montrez- vous foit en me
confondant , foit en confondant mon adverfaire,
les Partifans de la vérité.
Jai l'honnneur d'être & c. KEYSER.
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Résumé : Lettre de M. Keyser à Messieurs ses Correspondans, tant dans les principales Villes du Royaume, que dans l'étranger.
M. Keyfer écrit une lettre à ses correspondants dans diverses villes du Royaume et à l'étranger pour exprimer sa gratitude pour leur soutien et leur zèle. Il remercie également ses correspondants d'avoir ignoré et renvoyé un écrit anonyme diffamatoire et de ne pas avoir cru aux accusations du Traité des Tumeurs et Ulcères contre son remède. Keyfer souligne que sa correspondance avec eux n'a jamais été motivée par l'intérêt personnel et qu'il n'a jamais demandé de faveur ou de grâce. Il mentionne une querelle injuste et longue qui se prolonge, affirmant qu'il ne craint pas de la plaider ouvertement, ne voulant que la vérité. Depuis quatre ans, Keyfer a reçu des lettres de satisfaction générale, notamment via le Maréchal Duc de Biron, concernant les guérisons opérées grâce à son remède. Ces témoignages ont été publiés dans divers Mercures. Il invite ses correspondants à acheter et comparer les lettres diffamatoires récemment publiées contre lui, afin de les confronter avec les faits qu'ils ont observés. Keyfer conclut en demandant à ses correspondants de continuer leur amitié tout en ayant uniquement le bien public en vue. Il les encourage à abandonner ou à lui renvoyer son remède s'ils ne sont pas satisfaits, affirmant que son intention n'a jamais été de demander des faveurs ou de les gêner. Il promet de répondre aux autres reproches de son adversaire et de prouver l'efficacité de son remède, soutenu par les guérisons constantes observées à l'hôpital sous la direction du Maréchal de Biron.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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47
p. 199-200
AVIS.
Début :
Le Courier Politique, ou Gazette de Francfort a commencé le 17 Juin 1760 avant [...]
Mots clefs :
Gazette, Parution, Bulletins des armées, Auteur, Vérité, Information rapide, Abonnement
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AVIS.
A VI S.
LE COURIER POLITIQUE , OU GAZETTE DE FRANCFORT
a commencé le 17 Juin 1760 avant l'ouver
ture de la Campagne , & paroîtra régulierement
deux fois par semaine. C'elt principalement pour
l'armée deFrance que l'on a établi cette Gazette.On
y trouve exactement tous les bulletins des armées
de Broglie , de Daun & de l'Empire. Le Lecteur
appercevra ailément, que l'Auteur écrit fans paffion
& fans partialité , & qu'inftruit le premier des faits
qui fe paffent , pour ainfi dire , fous les yeux, par
le voifinage de l'armée de France , il n'a d'autre
vue que de nous les faire parvenir dans leur nouveauté
, & avec la plus exacte vérité .
L'année d'abonnement de cette Gazette eft de
trente-fix livres , & commencera au premier ordinaire
du mois de Janvier prochain . Pour le la pro
curer en France , il faut s'adreſſer ou au Bureau
général des . Gazettes étrangeres , rue & vis- à-vis
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
la grille des Mathurins, ou aux Bureaux particuliers
des Provinces.
L'Auteur de cette Gazette fait paroître les mêmes
jours un Courier littéraire , dans lequel on
donne une notice courte des Livres qui paroiffent :
le Bureau des Gazettes étrangères n'en eft pas chargé.
Pour fe le procurer , on pourra s'adreſſer à fon
Auteur , à Francfort , en attendant qu'il indique
ceux chez qui on le trouvera en France.
LE COURIER POLITIQUE , OU GAZETTE DE FRANCFORT
a commencé le 17 Juin 1760 avant l'ouver
ture de la Campagne , & paroîtra régulierement
deux fois par semaine. C'elt principalement pour
l'armée deFrance que l'on a établi cette Gazette.On
y trouve exactement tous les bulletins des armées
de Broglie , de Daun & de l'Empire. Le Lecteur
appercevra ailément, que l'Auteur écrit fans paffion
& fans partialité , & qu'inftruit le premier des faits
qui fe paffent , pour ainfi dire , fous les yeux, par
le voifinage de l'armée de France , il n'a d'autre
vue que de nous les faire parvenir dans leur nouveauté
, & avec la plus exacte vérité .
L'année d'abonnement de cette Gazette eft de
trente-fix livres , & commencera au premier ordinaire
du mois de Janvier prochain . Pour le la pro
curer en France , il faut s'adreſſer ou au Bureau
général des . Gazettes étrangeres , rue & vis- à-vis
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
la grille des Mathurins, ou aux Bureaux particuliers
des Provinces.
L'Auteur de cette Gazette fait paroître les mêmes
jours un Courier littéraire , dans lequel on
donne une notice courte des Livres qui paroiffent :
le Bureau des Gazettes étrangères n'en eft pas chargé.
Pour fe le procurer , on pourra s'adreſſer à fon
Auteur , à Francfort , en attendant qu'il indique
ceux chez qui on le trouvera en France.
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Résumé : AVIS.
Le 'Courier Politique, ou Gazette de Francfort' a été lancé le 17 juin 1760, avant le début de la campagne militaire. Cette gazette est principalement destinée à l'armée de France et publie deux fois par semaine les bulletins des armées de Broglie, de Daun et de l'Empire. L'auteur affirme écrire sans passion ni partialité, en se basant sur des faits observés de près grâce à la proximité avec l'armée de France, garantissant ainsi la nouveauté et l'exactitude des informations. L'abonnement annuel coûte trente-six livres et commence au premier ordinaire du mois de janvier. En France, la gazette peut être obtenue au Bureau général des Gazettes étrangères, rue et vis-à-vis la grille des Mathurins, ou auprès des bureaux particuliers des provinces. L'auteur publie également un 'Courier littéraire' les mêmes jours, fournissant des notices courtes des livres récemment parus. Ce dernier peut être obtenu en s'adressant directement à l'auteur à Francfort, en attendant qu'il indique les points de distribution en France.
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48
p. 15-21
LETTRE de Mlle *** à Madame... sur l'ÉMILE de M. ROUSSEAU. 1762.
Début :
VOUS me demandez, Madame, quels sont mes amusemens à la campagne ? [...]
Mots clefs :
Amusements, Campagne, Jeu, Lecture, Misanthropie, Vérité
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de Mlle *** à Madame... sur l'ÉMILE de M. ROUSSEAU. 1762.
LETTRE de Mlle *** à Madame...
fur l'ÉMILE de M. ROUSSEAU ..
VOUS
17628
me demandez ,, Madame
quels font mes amuſemens à la campagne
? vous pouvez vous les imaginer
fans peine , la promenade , la chaffe , la
pêche , le jeu , la table , & puis le jeu
encore , car cet éternel jeu ne finit jamais
; un peu de lecture , quelques réflexions
bonnes bonnes ou mauvaiſes ;
voilà ce qui nous occupe , non pas
fans regretter Paris : car j'aime le Spec--
tacle , il n'y en a point ici : je chéris
la liberté , on en connoît ici que le
nom : on vous l'ôte a force de fe van--
ter qu'on vous la donne. Je conviens .
qu'on a partout des devoirs de fociété
à obferver , mais ils font plus gênans
à la campagne . Si le coeur étoit.
de la partie ; fi le dévoir devenoit un
16 MERCURE DE FRANCE.
goût , il feroit plus facile à remplir.
Mais on fe voit de trop près pour ne
fe point connoître ; & il eft difficile
de s'aimer , quand on fe connoît fi
bien. Pour me fauver de la néceffité de
jouer , je fuppofe quelquefois que j'ai
des brochures à lire qu'il me faut renvoyer
à Paris , & je dis fouvent la
vérité. Je n'ai eu que quatre jours le
livre d'Emile , & vous m'avouerez que
ce n'eft pas affez .Jel'ai cependant lû tout
entier, excepté une bonne partie de la pro
feffion de foi duVicaireSavoyard.M.Rouf
feau écrit trop bien , pour qu'on puiffe
fe refufer à l'envie & au plaifir de le
lire. J'ai reconnu dans fon Emile , l'aureur
de la nouvelle Heloïfe ; mais je
ne reconnois plus l'Auteur des difcours
contre les Sciences , & fur l'égalité des
conditions , ni même de la lettre contre
les Spectacles. On pardonnoit à M.
Rouffeau , un peu de mifantropie en
faveur de la pureté de fa morale . Il
nous difoit quelquefois des vérités un
peu trop dures ; mais il les difoit avec
l'énergie qu'elles infpirent. Si la vérité
ne plaît pas toujours , elle a du moins
le droit de convaincre. M. Rouffeau
ſe plaint de nos moeurs , il a raiſon . Je
crains bien que leur maligne influence
MARS. 1763. 17
n'ait aniolli les fiennes. Ce Philofophe
févère a déridé fon front. Dans fon
Emile il difcute des matières qui ne
me paroiffent guères propre à l'éducation
d'un jeune homme . Et je crois
qu'en pareil cas les leçons intéreffent
plus le maître que l'écolier. Peut- être ,
Madame , allez -vous me taxer d'ingratitude
envers M. Rouffeau ; vous me
repréſenterez que je lui dois avec mon
fexe beaucoup de reconnoiffance , de
tout le bien qu'il en dit , de ce qu'il
daigne même en parler , foit en bien
foit en mal. Mais je ne crois pas qu'il
fe faffe pour cela beaucoup de violence.
Il aime trop les femmes pour n'y pas
penfer , & pour n'en pas parler plus
qu'il ne voudroit. On m'avoit déja
prévenue qu'il nous exaltoit beaucoup
dans fon dernier ouvrage : je n'en
puis difconvenir. Mais nous ne devons
pas , ce me femble , en tirer beaucoup
de vanité. Il a eu foin d'effacer par le
trait le plus humiliant , tout le plaifir
que cela pouvoit nous faire. Il veut
qu'une femme foit femme , & rien de
plus. Si la comparaiſon eft permiſe
Joferai représenter à M. Rouſſeau ,
qu'un homme élevé comme tout homme
l'eft felon ſon état , eft bien plus
18 MERCURE DE FRANCE.
au- deffus de fon Etre , qu'un femme.
Cependant fouvent vous le voyez qui
non content de l'éducations qu'on lui
donne , veut franchir les bornes qu'elle
lui prefcrit. Son genie tranſcendant veut
être créateur. Il ajoute aux Arts & aux
Sciences , qu'il pofféde , & veut en
produire de nouvelles . S'il s'abîme dans
dans la fpéculation , il veut lire jufques
dans l'avenir ; il interroge les aftres ,
il mefure leur étendue , leur distance ,
il prédit les révolutions qui doivent
leur arriver ; il fait plus , il veut comprendre
celui qui les a créés. Tandis
qu'il n'eft point de limites pour fon
efprit curieux , qu'il veut pénétrer ce
qui eft impénétrable , & percer le voile
que la Providence a mis fur fes décrets ;
enfin tandis qu'il s'éleve juſqu'à la Divinité
même , il ne fera pas permis à
une femme de s'élever feulement jufqu'à
l'homme , en defirant la moindre partie
de l'éducation qu'on lui donne !
Seroit- ce en l'imitant qu'on fe rendroit
indigne de lui ? je conviens qu'il faut
que chacun refte dans fa fphère ; mais
celle d'une femme eft bien étroite , &
il eft naturel de chercher à fortir de
fa prifon. Je conviens qu'il y a des devoirs
d'état à remplir ; que ceux d'une
MARS. 1763. 19
femme font éffentiels , & qu'elle doit les
préférer à toute autre occupation. Mais
enfin toutes les femmes n'ont pas
dirai-je,le bonheur ? ..le mot feroit peutêtre
hazardé : toutes les femmes , dis -je ,
Ine font pas mères; ainfi elles ne peuvent
pas toutes être entourées de hardes d'En--
fans. Que celles qui n'ont pas ce glorieux
avantage, ayent la liberté du moins
d'être entourées de brochures ; il leur ref
tera encore affez de temps pour cultiver
leurs charmes , & pour plaire même
à M. Rouleau. Mais me dira-t- il ,
elles
auront le titre de bel-efprit , & toutefille
bel- efprit , reflera fille , tant qu'ily aura
des hommes fenfes fur la terre ? Heureufement
, qu'ils ne le font pas tous , &
les Demoiſelles beaux-efprits, ne trou--
veront que trop à qui s'allier . Mais fi
elles ne trouvoient pas. ( Le Ciel nous.
offre quelquefois des Phénomènes , la
terre pourroit en offrir à fan tour , ) fi
les hommes alloient devenir raiſonna--
bles ? Eh bien , elles auroient toujours
le tire de bel efprit , & à peu de frais ,
s'il faut feulement pour l'acquérir être
entourées de brochures . Si elles font for
cées de garder le célibat : cet état peut
avoir fes douceurs ; & quoiqu'en dife
M. Diderot , dans fon Père de Famille,,
1
20 MERCURE DE FRANCE.
il ne prépare pas toujours des regrets. La
liberté qu'il laiffe , peut dédommager du
ridicule attaché au bel - efprit . Mais M.
Rouſſeau me paroît trop généreux , de
rejetter ce ridicule fur nous feules : nous
fommes trop juftes pour le recevoir
entierement ; & nous nous contentons
d'en accepter au plus la moité : car
fi l'on compte au Parnaffe neuf Mufes
pour un Apollon , à peine peut-on compter
ici-bas , une mufe pour un bien plus
grand nombre d'Apollons ; & malgré
leur rareté , M. Rouffeau femble douter
encore de leur propre éxiſtence !
Je lui pardonne de nous avoir menacées
de ne point trouver d'époux ce font
de ces malheurs qu'on peut fupporter;
d'ailleurs , l'effet ne fuit pas toujours la
menace. Je lui pardonne auffi de nous
accufer de n'avoir point de génie ; nous
nous contentons de l'efprit , puifqu'il
veut bien nous le laiffer. Mais je ne
lui pardonne point d'ofer affurer , que
toute femme qui écrit a quelqu'un
qui lui conduit la main. Il ne nous
laiffe pas même la gloire de faire du
mauvais. Je ne fçai ; mais il me femble
qu'un Auteur eft trop amoureux de
fes ouvrages , pour les donner ainfi gra
tuitement. Il auroit pourtant dû nom-
?
MARS. 1763. 21
mer les plumes élégantes qui ont bien
voulu facrifier leur gloire à celles des
Sévignés , des la Suze , & des autres
Dames illuftres du dernier fiécle.
A l'égard des modernes qui ont quelque
réputation , M. Rouffeau auroit
pû les prier de fe laiffer enfermer ſeulement
vingt-quatre heures , avec de l'encre
& du papier , & par ce qu'elles auroient
produit , il auroit jugé de leurs
talens. Vous me direz , fans doute ,
Madame , qu'on peur douter de bien
des chofes , lorfqu'on doute de la révélation
: mais tout ce que M. Rouſſeau
dira contre notre Religion , ne lui portera
aucune atteinte. Qu'il prenne le
ton férieux , où le ton ironique , fes
raiſonnemens ne pourront l'ébranler ;
la Religion fe foutient d'elle-même , &
trouve un défenfeur dans chaque confcience
. Mais nous, qui ofera nous défendre
, quand M. Rouffeau nous attaque ?
Il faut donc fe taire , car je n'ai déjà
peut- être que trop parlé. Permettez -moi
feulement, de vous affurer de la vive
fincérité des fentimens avec lesquels
J'ai l'honneur d'être , & c.
fur l'ÉMILE de M. ROUSSEAU ..
VOUS
17628
me demandez ,, Madame
quels font mes amuſemens à la campagne
? vous pouvez vous les imaginer
fans peine , la promenade , la chaffe , la
pêche , le jeu , la table , & puis le jeu
encore , car cet éternel jeu ne finit jamais
; un peu de lecture , quelques réflexions
bonnes bonnes ou mauvaiſes ;
voilà ce qui nous occupe , non pas
fans regretter Paris : car j'aime le Spec--
tacle , il n'y en a point ici : je chéris
la liberté , on en connoît ici que le
nom : on vous l'ôte a force de fe van--
ter qu'on vous la donne. Je conviens .
qu'on a partout des devoirs de fociété
à obferver , mais ils font plus gênans
à la campagne . Si le coeur étoit.
de la partie ; fi le dévoir devenoit un
16 MERCURE DE FRANCE.
goût , il feroit plus facile à remplir.
Mais on fe voit de trop près pour ne
fe point connoître ; & il eft difficile
de s'aimer , quand on fe connoît fi
bien. Pour me fauver de la néceffité de
jouer , je fuppofe quelquefois que j'ai
des brochures à lire qu'il me faut renvoyer
à Paris , & je dis fouvent la
vérité. Je n'ai eu que quatre jours le
livre d'Emile , & vous m'avouerez que
ce n'eft pas affez .Jel'ai cependant lû tout
entier, excepté une bonne partie de la pro
feffion de foi duVicaireSavoyard.M.Rouf
feau écrit trop bien , pour qu'on puiffe
fe refufer à l'envie & au plaifir de le
lire. J'ai reconnu dans fon Emile , l'aureur
de la nouvelle Heloïfe ; mais je
ne reconnois plus l'Auteur des difcours
contre les Sciences , & fur l'égalité des
conditions , ni même de la lettre contre
les Spectacles. On pardonnoit à M.
Rouffeau , un peu de mifantropie en
faveur de la pureté de fa morale . Il
nous difoit quelquefois des vérités un
peu trop dures ; mais il les difoit avec
l'énergie qu'elles infpirent. Si la vérité
ne plaît pas toujours , elle a du moins
le droit de convaincre. M. Rouffeau
ſe plaint de nos moeurs , il a raiſon . Je
crains bien que leur maligne influence
MARS. 1763. 17
n'ait aniolli les fiennes. Ce Philofophe
févère a déridé fon front. Dans fon
Emile il difcute des matières qui ne
me paroiffent guères propre à l'éducation
d'un jeune homme . Et je crois
qu'en pareil cas les leçons intéreffent
plus le maître que l'écolier. Peut- être ,
Madame , allez -vous me taxer d'ingratitude
envers M. Rouffeau ; vous me
repréſenterez que je lui dois avec mon
fexe beaucoup de reconnoiffance , de
tout le bien qu'il en dit , de ce qu'il
daigne même en parler , foit en bien
foit en mal. Mais je ne crois pas qu'il
fe faffe pour cela beaucoup de violence.
Il aime trop les femmes pour n'y pas
penfer , & pour n'en pas parler plus
qu'il ne voudroit. On m'avoit déja
prévenue qu'il nous exaltoit beaucoup
dans fon dernier ouvrage : je n'en
puis difconvenir. Mais nous ne devons
pas , ce me femble , en tirer beaucoup
de vanité. Il a eu foin d'effacer par le
trait le plus humiliant , tout le plaifir
que cela pouvoit nous faire. Il veut
qu'une femme foit femme , & rien de
plus. Si la comparaiſon eft permiſe
Joferai représenter à M. Rouſſeau ,
qu'un homme élevé comme tout homme
l'eft felon ſon état , eft bien plus
18 MERCURE DE FRANCE.
au- deffus de fon Etre , qu'un femme.
Cependant fouvent vous le voyez qui
non content de l'éducations qu'on lui
donne , veut franchir les bornes qu'elle
lui prefcrit. Son genie tranſcendant veut
être créateur. Il ajoute aux Arts & aux
Sciences , qu'il pofféde , & veut en
produire de nouvelles . S'il s'abîme dans
dans la fpéculation , il veut lire jufques
dans l'avenir ; il interroge les aftres ,
il mefure leur étendue , leur distance ,
il prédit les révolutions qui doivent
leur arriver ; il fait plus , il veut comprendre
celui qui les a créés. Tandis
qu'il n'eft point de limites pour fon
efprit curieux , qu'il veut pénétrer ce
qui eft impénétrable , & percer le voile
que la Providence a mis fur fes décrets ;
enfin tandis qu'il s'éleve juſqu'à la Divinité
même , il ne fera pas permis à
une femme de s'élever feulement jufqu'à
l'homme , en defirant la moindre partie
de l'éducation qu'on lui donne !
Seroit- ce en l'imitant qu'on fe rendroit
indigne de lui ? je conviens qu'il faut
que chacun refte dans fa fphère ; mais
celle d'une femme eft bien étroite , &
il eft naturel de chercher à fortir de
fa prifon. Je conviens qu'il y a des devoirs
d'état à remplir ; que ceux d'une
MARS. 1763. 19
femme font éffentiels , & qu'elle doit les
préférer à toute autre occupation. Mais
enfin toutes les femmes n'ont pas
dirai-je,le bonheur ? ..le mot feroit peutêtre
hazardé : toutes les femmes , dis -je ,
Ine font pas mères; ainfi elles ne peuvent
pas toutes être entourées de hardes d'En--
fans. Que celles qui n'ont pas ce glorieux
avantage, ayent la liberté du moins
d'être entourées de brochures ; il leur ref
tera encore affez de temps pour cultiver
leurs charmes , & pour plaire même
à M. Rouleau. Mais me dira-t- il ,
elles
auront le titre de bel-efprit , & toutefille
bel- efprit , reflera fille , tant qu'ily aura
des hommes fenfes fur la terre ? Heureufement
, qu'ils ne le font pas tous , &
les Demoiſelles beaux-efprits, ne trou--
veront que trop à qui s'allier . Mais fi
elles ne trouvoient pas. ( Le Ciel nous.
offre quelquefois des Phénomènes , la
terre pourroit en offrir à fan tour , ) fi
les hommes alloient devenir raiſonna--
bles ? Eh bien , elles auroient toujours
le tire de bel efprit , & à peu de frais ,
s'il faut feulement pour l'acquérir être
entourées de brochures . Si elles font for
cées de garder le célibat : cet état peut
avoir fes douceurs ; & quoiqu'en dife
M. Diderot , dans fon Père de Famille,,
1
20 MERCURE DE FRANCE.
il ne prépare pas toujours des regrets. La
liberté qu'il laiffe , peut dédommager du
ridicule attaché au bel - efprit . Mais M.
Rouſſeau me paroît trop généreux , de
rejetter ce ridicule fur nous feules : nous
fommes trop juftes pour le recevoir
entierement ; & nous nous contentons
d'en accepter au plus la moité : car
fi l'on compte au Parnaffe neuf Mufes
pour un Apollon , à peine peut-on compter
ici-bas , une mufe pour un bien plus
grand nombre d'Apollons ; & malgré
leur rareté , M. Rouffeau femble douter
encore de leur propre éxiſtence !
Je lui pardonne de nous avoir menacées
de ne point trouver d'époux ce font
de ces malheurs qu'on peut fupporter;
d'ailleurs , l'effet ne fuit pas toujours la
menace. Je lui pardonne auffi de nous
accufer de n'avoir point de génie ; nous
nous contentons de l'efprit , puifqu'il
veut bien nous le laiffer. Mais je ne
lui pardonne point d'ofer affurer , que
toute femme qui écrit a quelqu'un
qui lui conduit la main. Il ne nous
laiffe pas même la gloire de faire du
mauvais. Je ne fçai ; mais il me femble
qu'un Auteur eft trop amoureux de
fes ouvrages , pour les donner ainfi gra
tuitement. Il auroit pourtant dû nom-
?
MARS. 1763. 21
mer les plumes élégantes qui ont bien
voulu facrifier leur gloire à celles des
Sévignés , des la Suze , & des autres
Dames illuftres du dernier fiécle.
A l'égard des modernes qui ont quelque
réputation , M. Rouffeau auroit
pû les prier de fe laiffer enfermer ſeulement
vingt-quatre heures , avec de l'encre
& du papier , & par ce qu'elles auroient
produit , il auroit jugé de leurs
talens. Vous me direz , fans doute ,
Madame , qu'on peur douter de bien
des chofes , lorfqu'on doute de la révélation
: mais tout ce que M. Rouſſeau
dira contre notre Religion , ne lui portera
aucune atteinte. Qu'il prenne le
ton férieux , où le ton ironique , fes
raiſonnemens ne pourront l'ébranler ;
la Religion fe foutient d'elle-même , &
trouve un défenfeur dans chaque confcience
. Mais nous, qui ofera nous défendre
, quand M. Rouffeau nous attaque ?
Il faut donc fe taire , car je n'ai déjà
peut- être que trop parlé. Permettez -moi
feulement, de vous affurer de la vive
fincérité des fentimens avec lesquels
J'ai l'honneur d'être , & c.
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Résumé : LETTRE de Mlle *** à Madame... sur l'ÉMILE de M. ROUSSEAU. 1762.
Dans sa lettre à Madame, Mlle *** décrit ses activités à la campagne, qui incluent des promenades, la chasse, la pêche, le jeu et un peu de lecture. Elle regrette de ne pas avoir plus de temps pour lire 'Émile' de Jean-Jacques Rousseau, bien qu'elle ait lu la majeure partie du livre, à l'exception de la profession de foi du Vicaire savoyard. Elle reconnaît Rousseau comme l'auteur de 'La Nouvelle Héloïse' mais ne retrouve pas le Rousseau des 'Discours contre les Sciences' ou de la lettre contre les Spectacles. Mlle *** critique Rousseau pour avoir adouci ses positions morales et pour avoir discuté de sujets inappropriés pour l'éducation d'un jeune homme dans 'Émile'. Elle souligne que Rousseau, malgré sa misanthropie, a une vision exaltée des femmes tout en les limitant à leur rôle traditionnel. Elle argue que les femmes devraient avoir plus de liberté et d'éducation, même si elles ne sont pas mères. Elle conteste l'idée de Rousseau que les femmes écrivains sont nécessairement guidées par quelqu'un d'autre et défend la capacité des femmes à écrire et à avoir de l'esprit. Enfin, Mlle *** affirme que les attaques de Rousseau contre la religion ne l'ébranleront pas et exprime son désir de se défendre contre ses critiques.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
49
p. 45-60
ESSAI Philosophique sur les Caractères distinctifs du vrai Philosophe. Ævo rarissima nostro simplicitas. Ovid. arte amandi, l. 1. v. 241. Réfléxions préliminaires.
Début :
LA Philosophie n'a jamais été plus vantée que dans ce Siécle, où ses loix [...]
Mots clefs :
Vérité, Philosophe, Vertus, Sentiments, Mensonge, Amitié, Mœurs , Erreurs, Candeur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ESSAI Philosophique sur les Caractères distinctifs du vrai Philosophe. Ævo rarissima nostro simplicitas. Ovid. arte amandi, l. 1. v. 241. Réfléxions préliminaires.
ESSAI Philofophique fur les Caractè
res diftinctifs du vrai Philofophe.
Evo rariffima noftro fimplicitas.
Ovid. arte amandi , l. 1. v . 241.
Réfléxions préliminaires .
LA Philofophie n'a jamais été plus
vantée que dans ce Siécle , où fes loix
cependant
& fes maximes font moins
fuivies & plus négligées. Enfut- il en
effet un plus fécond en prétendus Philofophes
dont les moeurs font fi éloignées
de cette fimplicité , de cette droiture
de coeur qui caractériſent
ſi parfaitement
le vrai Sage ?
» Des prétentions , dit M. le Franc
» de Pompignan , ne font pas des titres.
» On n'eft pas toujours Philofophe pour
» avoir fait des Traités de Morale , fon-
» dé les profondeurs de la Métaphyfi-
"
que , atteint les hauteurs de la plus
» fublime Géométrie , révélé les fecrets
» de l'Hiftoire Naturelle , deviné le fyf-
» tême de l'Univers.
46 MERCURE DE FRANCE.
כ
"
» Le Sçavant inftruit & rendu meilleur
par fes Livres voilà l'homme
» de Lettres ; le Sage vertueux & chré-
» tien , voilà le Philofophe . Ce n'eft
> donc pas la profeffion feule des Let-
» tres & des Sciences qui en fait la gloi-
» re & l'utilité.
Ouvrons les yeux fur les érreurs de
notre Siécle , cherchons à connoître
cette vraie Philofophie ; qu'elle foit l'objet
de notre étude & de nos defirs ; &
que fes difciples zélés , fes fectateurs fidéles
foient nos modéles & nos maîtres.
Regarderai -je comme Philofophe ce
Stoïcien aveugle & indifférent à tous
les événemens heureux ou malheureux
qui fe paffent fur la Scène du monde ?
qui contemple d'un oeil fec & tranquille
cette mer orageufe fi féconde en écueils
& en naufrages ? L'humanité gémit dans
l'accablement & l'oppreffion ; la Nature
fouffre .... Il eft fourd aux cris de la douleur
; fon âme barbare eft inacceffible à
tout fentiment de pitié. L'innocence
perfécutée implore en vain fon fecours;
il détourne les yeux pour fuir un fpectacle
qui pourroit l'attendrir : il fe fait
gloire de fe rendre maître des mouvemens
de fon coeur & de triompher des
affections de fon âme . Malheureux ! tu
AVRIL 1763. 47
te prives du feul plaifir des gens de
bien ; celui de partager les pleurs & les
peines de tes femblables.
Je ne m'occupe point des Rois, de leurs querelles
Que me fait le fuccès d'an fiége ou d'un combat?
Je laiffe à nos oififs ces affaires d'Etat :
Je m'embarraffe peu da Pays que j'habite ;
Le véritable Sage eft un Cofmopolite.
On tient à la Patrie & c'eft le feul lien ?
Fi donc ! c'eft fe borner que d'être Citoyen.
Loin de ces grands rever s qui défolent le monde ,
Le Sage vit chez lui dans une paix profondes
Il détourne les yeux de ces objets d'horreur ;
Il eſt fon feul Monarque & fon Légiflateur :
Rien ne peut altérer le bonheur de fon Etre ;
C'eſt aux Grands à calmer les troubles qu'ils font
naître.
L'efprit Philofophique,
Ne doit point déroger jufqu'à la politique.
Ces Guerres , ces Traités , tous ces riens importans,
S'enfoncent par degrésdans l'abîme des temps.
Quels monftres dans la Nature &
pour la Société , que des hommes revêtus
d'un pareil caractère !
48 MERCURE DE FRANCE.
Accorderai-je le titre de Philofophe
cet Auteur licentieux & téméraire , qui
ne laiffe rien échapper à la malignité
de fa plume , aux faillies déréglées de
fon efprit ; qui voulant tout foumettre
à l'empire abfolu de fa Raifon orgueilleufe
, profcrit , renverſe , détruit tout
ce qui eft au-deffus de fon impérieuſe
intelligence ?
Sera-ce à cet homme envieux & jaloux
du mérite d'autrui , qui flétrit
l'honneur même dans fa noble carrière ;
qui s'efforce d'obfcurcir les vertus & le
mérite de l'homme de bien , & d'établir
fur les ruines & les débris de fa fortune ,
fa propre grandeur , fa réputation & fa
gloire ?
maux
Sera- ce enfin à celui qui par un paradoxe
auffi
abfurde.qu'extravagant , réduit
l'homme à la condition des anile
dégrade & fe dégrade luimême
? Qui voudroit anéantir cette
feule Raifon même qui le diftingue des
animaux ftupides & groffiers ? ....
L'indignation qu'il fait éclater contre elle ,
eft lapreuve la plus authentique de fa
foibleffe & de fon impuiffance.
9 Corriger l'homme de fes défauts
profcrire les érreurs , s'élever contre fes
égaremens, lui faire connoître l'étendue
de
AVRIL. 1763. 49
de fes devoirs , lui repréfenter la grandeur
de fa deftination , blâmer l'abus
de fes paffions , lui dévoiler la dépravation
de fon coeur , rappeller enfin
l'homme à l'homme même ; voilà ce qui
caractériſe le vrai Philofophe , ce Philofophe
éclairé , cet ami de l'humanité
ce Maître du Monde , ce vrai Sage fi
digne de nos hommages & de nos fentimens
. Peignons-le ce vrai Philofophe ;
& pour imiter un modéle fi précieux ,
appliquons-nous à le connoître.
•
Le vrai Philofophe , par la droiture
de fon coeur , par les reffources d'une
raifon mûre & réfléchie , cherche à acquerir
les lumières fi néceffaires à
l'homme pour connoître la verité.
Sourd aux prejugés du fiécle , il triomphe
aifément des fiens : c'eft , dit
Platon , un ouvrage de patience dont
le temps amène le fuccès. La patience
qui fert à l'acquifition de la véritable
gloire , eft la feule vertu qui puiffe en
faire jouir , & qui tranquilife l'âme au
milieu des orages de la vie.
Quoi de plus digne en effet de la
fpeculation d'un vrai Philofophe , que
cet amour du vrai , que cet attrait puiffant
pour la vertu , ce commerce tendre
& précieux de l'amitié
II. Vol.
cette aimable
C
So MERCURE DE FRANCE .
candeur de moeurs , ce défintéreffement
noble & généreux ?
Philofophes vertueux ! mes modéles
& mes Maîtres ne font- ce pas là vos
obligations & les loix que vous vous
êtes préfcrites à-vous mêmes ? La verité
qui vous guide, perce & diffipe les nuages
de l'erreur & de l'ignorance. L'Incertitude
du coeur & de l'efprit trouve
au milieu de vous fes doutes éclaircis ;
le libertinage voit fes déréglemens profcrits
la décence & la pureté de vos
moeurs eft une critique en action de la
corruption du fiécle. Cette ftupide indifférence
, de l'âme ou plutôt cet orgueil
ftoïque & monstrueux eft forcé
par votre exemple d'abjurer fon infenfibilité
dure & opiniâtre. Amitié ! vertu !
générofité ! Il eft encore pour vous des
afyles privilégiés fur la terre ; on trouve
encore des coeurs dignes de vous en fervir
, & capables d'apprécier vos bienfaits.
Le Philofophe à l'abri de l'erreur,
parce qu'il marche avec précaution , le
Philofophe ne fe laiffe point éblouir par
les preftiges de l'illufion : le préjugé qui
régle & motive les jugemens de la plupart
des hommes , lui oppofe en vain fes voiles
ténébreux , pour derober à fa fagacité
& à fa pénétration des connoiffances
AVRIL. 1763. SI
utiles & lumineufes fon génie les déchire
, diffipe , perce leur obſcurité ;
c'eft le foleil qui chaffe les nuages.
-Les plaifirs bruyans ne font pas du
goût du vrai Philofophe ; leur frivolité
fixe à peine fon attention : ils ne font à
fes yeux que des bijoux fragiles. Il fcait
réprimer fes paffions, contenir fes defirs ,
recevoir le plaifir avec réfléxion , le
ménager avec économie , en ufer avec
difcrétion , & en jouir plus long - temps .
L'ambition , la feule permife à l'homme
, eft de chercher à s'inftruire & à fe
rendre utile à la focieté, à préférer le bien
public à fon bien particulier. L'héroïfme
de la vertu peut lui préfcrire des facrifices
qui coûtent à l'amour- propre &
quelquefois aux fentimens de la Nature ,
aux liens du fang & de l'amitié la plus
tendre en s'y foumettant , la gloire &
l'honneur deviennent fa récompenfe.
Caton le dévoue au falut de la patrie;
Brutus immole fa tendreffe paternelle à
la jufte févérité des loix : ces grands
hommes étoient citoyens avant que
d'être pères & maîtres de leurs actions
& de leurs fentimens. Ces traits frappans
& fublimes ne font point au- deffus
de notre fphère, Tous les grands hommes
qui nous ont précédés , eurent des
C ij
52 MERCURE DE FRANCE.
2
C
foibleffes & des vertus. l'Expérience
que nous fournit l'hiftoire d'une longue
fuite de fiécles , nous a appris à éviter
leurs foibleffes ; la Religion hous apprend
à rectifier les motifs de nos actions
, & nous procure l'avantage précieux
de furpaffer même leurs vertus.
"
Eh , pourquoi nous croire dégénérés
des vertus de nos ancêtres ? Ne furent-
-ils pas des hommes comme nous , fujets
aux mêmes paffions & aux mêmes foibleffes
?... Devenons moins légers , tâchons
de réfléchir , cherchons & chériffons
le bien , refpectons la vértu ,
favourons les douceurs de l'amitié , prévenons
les befoins des hommes , fou-
-venons- nous enfin que nous fommes
citoyens de l'Univers , que notre patrie
eft partout , & que nos obligations fe
multiplient à proportion que le nombre.
de nos femblables s'étend , & que leurs
befoins s'augmentent
LE PHILOSOPHÉ AMI DE LA VÉRITÉ,
Premier Caractère.
Le vrai Philofophe n'eft autre chofe
que l'homme honnête , l'ami du vrai &
de toutes les vertus , re
AVRIL 1763.1 53
Inviolablement attaché a fes devoirs ,
la vérité régle toutes fes démarches . La
droiture de fon coeur eft la premiere
verru qui éclate dans fes actions. Ennei
du menfonge & de tout artifice , il
en ignore les obliques détours. Il ne
cherche point les tenébres de la nuit
pour cacher à la lumiere la honte d'une
conduite irrégulière ou criminelle ; il
cherche le grand jour parce qu'il eft
ennemi du crime ; nul reproche fecret
ne le trouble ; il marche & fe préfente à
découvert ; fon extérieur annonce la
candeur & la paix de fon âme . Tout ce
qui offenfe la droiture de fon coeur , a
feul droit de le révolter. C'eſt dans ce cas
feulement , qu'il permet à fon âme de
franchir les bornes de la modération.
Véhément, plein de feu dans fes difcours,
c'eft Demofthene qui foudroye l'incré
dulité des Athéniens.
1
- Les fentimens de l'homme vrai font
des Oracles du monde. Roi de lui -même,
habile furveillant , il commande en
Souverain à fes paffions. La vérité feule
l'intéreffe : l'impreffion que la vérité
fait fur fon efprit & fur fon coeur , eſt un
fentiment de plaifir. Sagement avare
des mouvemens de fon âme , il ne les
prodigue point avec légéreté ; une mé-
C iij
$4 MERCURE DE FRANCE .
thode fare dirige toutes fes opérations :
Il combine , il choifit , il réfléchit : fes
fentimens enfin prennent l'éffor avec
cette mâle fécurité que donne la conviction
.
Vérité généreuſe ! es- tu donc ignorée
Et du féjour des Rois à jamais retirée ?
31
Nourri loin du menfonge & de l'efprit des Cours;
J'ignore de tout art les obliques détours :
Mais libré également d'eſpérance & de crainte
J'agirai fans foibleffe & parlerai fans feinte :
On expofe toujours avec autorité
La caufe de l'honneur & de la vérité.
GRESSET .
2
L'eftime de l'homme vrai fait néceffairement
notre apologie ; elle fait
préfumer notre mérite , nous fuppofe
des vertus , & nous fait juger dignes
de l'eftime des autres.
L'élévation de l'âme eft auffi l'appanage
du vrai Philofphe. Tout eft grand ;
tout eft noble & fublime dans les âmes
généreufes. L'homme vrai eft l'ami de
Toutes les vertus , parce que les vertus
feules peuvent produire la véritable
gloire il ne s'enorgueillit point de fon
excellence & de fa fupériorité. Sa modeftie
fert de contrepoids à fon amourAVRIL.
1763. 55
propre. Sa cenfure n'eft pas amère : il
plaint les érreurs ; il fe rappelle qu'il eſt
homme , & que par la corruption de
fa nature, il n'eft point inacceffible aux
foibleffes de l'humanité. La douceur de
fon caractère, la candeur de fes moeurs,
cette fage défiance de lui-même , cette
réferve fcrupuleufe font pour fes fières
un motif de confolation , de joie , &
d'inftruction .
La jufteffe & la folidité de l'efprit
font également le partage du vrai Philofophe.
Les objets qui nous environ
nent , intéreffent plus ou moins l'home
me fpéculatif : l'homme vrai & judicieux
ne fe laiffe frapper qu'avec raifon
; il ne voit jamais par les yeux de
la prévention ; examinateur fcrupuleux
il épure les chofes dans le creufet du bon
fens , & lorfqu'il eft convaincu qu'elles
font exemptes d'alliage & d'infidélité , il
prononce avec cette fermeté de courage
qu'infpire la certitude. Il n'a lieu ni de
craindre , ni de fe repentir ; les fages précautions
qu'il a prifes , les recherches
exactes qu'il a faites , les lumières qu'il a
confultées , le mettent à l'abri de toute
erreur.
A cet efprit jufte & folide je n'oppoferai
point une forte d'efprit de frivolité ;
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
un efprit leger & volage qui comme lë
papillon voltige d'objets en objets fans
jamais fixer fon inconftance ; un efprit
d'Ergotifme qui ne fe plaît que dans la
difpute & foutient avec le même enthoufiafme
le vrai & le faux ; un efprit
de paradoxe qui fe fingularife par une
façon de penfer extraordinaire & qui ne
peut être propre qu'à lui ; un efprit de
perfifflage qui toujours monté fur des
échaffes , toujours guindé , fe laiffe
éblouir de tout ce qu'il voit : les moindres
objets fe métamorphofent dans fon
imagination extravagante , en images
gigantefques : c'eft un affemblage confus
d'idées neuves , bizarres & burlefques
, des traits de lumière avec d'épaiffes
tenébres , des écarts de génie &
de raifon. Il n'eft point furpris , mais
il eft pétrifié ; il n'eft point fâché , mais
défefperé ; il n'eft point fatigué , mais
excédé ; il n'aime point avec paffion ,
mais avec fureur ; on n'eft point aimable
, mais adorable : en un mot le langage
du bel- efprit à la mode , fon maintien
, fes attitudes , fes démarches , fes
actions font des mouvemens convulfifs
qui demandent un reméde prompt
& néceffaire , l'inoculation du bon fens.
Le Philofophe ami du vrai , fçait facrifier
l'efprit à ſon devoir. Son eſprit
AVRIL. 1763. 57
lui préfente une faillie qui peut bleffer l'amitié
ou flétrir la réputation; il l'étouffe ,
il la rejette généreufement , perfuadé que
cette fureur de l'efprit n'eft que frivolité
; frivolité fouvent très- dangereufe !
L'efprit folide n'eft donc autre chofe
que le bon efprit . Son étude eft la recherche
de la vérité ; fes productions
ne refpirent que l'amour du bien public
, le bonheur de fes femblables .
l'agrément & la joie de la Société.
Le Philofophe eft également vrai
dans fes paroles . Le Grand Corneille
en nous tranfmettant dans fa Comédie
du Menteur cette belle maxime de
Phédre : Mendaci ne verum quidem di
centi creditur ; nous fait fentir combien
la Vérité perd , lorfqu'elle paffe par une
bouche impure .
Quand un Menteur la dit ,
En paffant par fa bouche elle perd fon crédit .
Le vrai Sage n'ouvre la bouche que
pour rendre témoignage à la Vérité. Fidéle
dans fes promeffes , vrai dans fes
paroles , la lâche crainte , la baffe flaterie,
le refpect humain ne peuvent étouf
fer la Vérité dans fa bouche , qui en
eft l'organe pur & refpectable.
Cy
$538 MERCURE DE FRANCE.
En toute occafion la Vérité m'enchante ;
Et je l'aime encor mieux fière & déföbligeante
Qu'un menfonge flateur dont le miel empefté
Par un coeur délicat eſt toujours déteſté.
DESTOUCHES.
耙
La Vérité , dit M. de la Rochefou
cault , eft l'aliment des efprits ; elle fait
plus que les nourrir , elle les échauffe ,
elle eft le premier moteur de leur activité
; elle eft le rayon du Soleil , qui
n'étant que lumière & que feu par fa
nature , développe & met en mouvement
les germes renfermés dans notre
âme fur laquelle il agit.
Le menfonge eft une apoftafie du
coeur & de l'efprit. Celui qui fe déshonore
par le menfonge , renonce authentiquement
au titre d'honnête homme ; il
viole les loix les plus facrées , il infulte
au genre humain , fe couvre d'opprobre
, & devient l'objet de la déteftation
publique. La naiffance ne donne point
le privilége de cotoyer à fon gré la Vérité
; le bel- efprit celui d'avancer certaines
anecdotes médifantes ou fuppofées
, fous prétexte d'amufer la Société.
La valeur n'apprendpoint la fourbe à ſon Ecole.
Tout homme de courage eft homme de parole ;
AVRIL. 1763: 59
A des vices fi bas il ne peut confentir ;
Et fuit plus que la mort la honte de mentir.
Mais laiffe-moi parler , toi de qui l'impoſture
Souille honteuſement le don de la Nature :
Qui fe dit Gentilhomme & ment comme tu fais
Il ment , quand il le dit , & ne le fut jamais.
Eft- il vice plus bas ? Eft-il tache plus noire ?
Plus indigne d'un homme élevé pour la gloire ?
Eft-il quelque foibleſſe , eſt-il quelqu'action
Dont un coeur vraiment noble ait plus d'averfion?
P. CORNEILLE.
Le fordide intérêt , ce motif fi bas ,
pouroit-il fermer la bouche à l'honnête
homme? lui feroit-il trahir la caufe de
la Vérité ? Son honneur lui eft plus cher
que toutes les fortunes du monde . Un
appas fi humiliant eft indigne de lui.
Trop grand , trop vrai , trop généreux ,
il eft à l'abri de la féduction , Des moyens
fi déshonorans , des motifs fi vils & fi
bas font le partage des âmes mercenaires
qui font trafic de leur fentimens ; le
menfonge & la fourberie font pour
elles une reffource de fubfiftance & une
forte de bien -être.
Le respect humain eft un vain prétexte
pour cacher aux autres la vérité . La
crainte de déplaire eft un motif injufte
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
qui n'excitera jamais l'homme de bien
à la trahir ; & le filence de la flaterie
n'eft pas moins condamnable que fon
langage. La complaifance en pareil cas
n'eft infpirée que par l'amour de foimême
: c'est beaucoup moins chercher
ce qui eft vertueux & honnête , que ce
qui eft agréable & utile.
Loin d'ici ces précautions d'une fauffe
prudence , ces ménagemens cruels fi
préjudiciables au bien de la Société. Les
Rois , les Grands de la Tèrre ont encore
plus befoin que le commun des hommes
d'entendre la vérité. Plus ils font élevés
, plus ils ont d'orages à craindre ,
de tempêtes à redouter. L'homme vrai
le Philofophe vertueux eft le feul
Pilote auquel on doit avoir recours. Lui
feul peutfürement diriger notre courſe ,
& nous conduire heureuſement au port.
DAGUES DE CLAIRFONTAINE.
La fuite au Mercure prochain.
res diftinctifs du vrai Philofophe.
Evo rariffima noftro fimplicitas.
Ovid. arte amandi , l. 1. v . 241.
Réfléxions préliminaires .
LA Philofophie n'a jamais été plus
vantée que dans ce Siécle , où fes loix
cependant
& fes maximes font moins
fuivies & plus négligées. Enfut- il en
effet un plus fécond en prétendus Philofophes
dont les moeurs font fi éloignées
de cette fimplicité , de cette droiture
de coeur qui caractériſent
ſi parfaitement
le vrai Sage ?
» Des prétentions , dit M. le Franc
» de Pompignan , ne font pas des titres.
» On n'eft pas toujours Philofophe pour
» avoir fait des Traités de Morale , fon-
» dé les profondeurs de la Métaphyfi-
"
que , atteint les hauteurs de la plus
» fublime Géométrie , révélé les fecrets
» de l'Hiftoire Naturelle , deviné le fyf-
» tême de l'Univers.
46 MERCURE DE FRANCE.
כ
"
» Le Sçavant inftruit & rendu meilleur
par fes Livres voilà l'homme
» de Lettres ; le Sage vertueux & chré-
» tien , voilà le Philofophe . Ce n'eft
> donc pas la profeffion feule des Let-
» tres & des Sciences qui en fait la gloi-
» re & l'utilité.
Ouvrons les yeux fur les érreurs de
notre Siécle , cherchons à connoître
cette vraie Philofophie ; qu'elle foit l'objet
de notre étude & de nos defirs ; &
que fes difciples zélés , fes fectateurs fidéles
foient nos modéles & nos maîtres.
Regarderai -je comme Philofophe ce
Stoïcien aveugle & indifférent à tous
les événemens heureux ou malheureux
qui fe paffent fur la Scène du monde ?
qui contemple d'un oeil fec & tranquille
cette mer orageufe fi féconde en écueils
& en naufrages ? L'humanité gémit dans
l'accablement & l'oppreffion ; la Nature
fouffre .... Il eft fourd aux cris de la douleur
; fon âme barbare eft inacceffible à
tout fentiment de pitié. L'innocence
perfécutée implore en vain fon fecours;
il détourne les yeux pour fuir un fpectacle
qui pourroit l'attendrir : il fe fait
gloire de fe rendre maître des mouvemens
de fon coeur & de triompher des
affections de fon âme . Malheureux ! tu
AVRIL 1763. 47
te prives du feul plaifir des gens de
bien ; celui de partager les pleurs & les
peines de tes femblables.
Je ne m'occupe point des Rois, de leurs querelles
Que me fait le fuccès d'an fiége ou d'un combat?
Je laiffe à nos oififs ces affaires d'Etat :
Je m'embarraffe peu da Pays que j'habite ;
Le véritable Sage eft un Cofmopolite.
On tient à la Patrie & c'eft le feul lien ?
Fi donc ! c'eft fe borner que d'être Citoyen.
Loin de ces grands rever s qui défolent le monde ,
Le Sage vit chez lui dans une paix profondes
Il détourne les yeux de ces objets d'horreur ;
Il eſt fon feul Monarque & fon Légiflateur :
Rien ne peut altérer le bonheur de fon Etre ;
C'eſt aux Grands à calmer les troubles qu'ils font
naître.
L'efprit Philofophique,
Ne doit point déroger jufqu'à la politique.
Ces Guerres , ces Traités , tous ces riens importans,
S'enfoncent par degrésdans l'abîme des temps.
Quels monftres dans la Nature &
pour la Société , que des hommes revêtus
d'un pareil caractère !
48 MERCURE DE FRANCE.
Accorderai-je le titre de Philofophe
cet Auteur licentieux & téméraire , qui
ne laiffe rien échapper à la malignité
de fa plume , aux faillies déréglées de
fon efprit ; qui voulant tout foumettre
à l'empire abfolu de fa Raifon orgueilleufe
, profcrit , renverſe , détruit tout
ce qui eft au-deffus de fon impérieuſe
intelligence ?
Sera-ce à cet homme envieux & jaloux
du mérite d'autrui , qui flétrit
l'honneur même dans fa noble carrière ;
qui s'efforce d'obfcurcir les vertus & le
mérite de l'homme de bien , & d'établir
fur les ruines & les débris de fa fortune ,
fa propre grandeur , fa réputation & fa
gloire ?
maux
Sera- ce enfin à celui qui par un paradoxe
auffi
abfurde.qu'extravagant , réduit
l'homme à la condition des anile
dégrade & fe dégrade luimême
? Qui voudroit anéantir cette
feule Raifon même qui le diftingue des
animaux ftupides & groffiers ? ....
L'indignation qu'il fait éclater contre elle ,
eft lapreuve la plus authentique de fa
foibleffe & de fon impuiffance.
9 Corriger l'homme de fes défauts
profcrire les érreurs , s'élever contre fes
égaremens, lui faire connoître l'étendue
de
AVRIL. 1763. 49
de fes devoirs , lui repréfenter la grandeur
de fa deftination , blâmer l'abus
de fes paffions , lui dévoiler la dépravation
de fon coeur , rappeller enfin
l'homme à l'homme même ; voilà ce qui
caractériſe le vrai Philofophe , ce Philofophe
éclairé , cet ami de l'humanité
ce Maître du Monde , ce vrai Sage fi
digne de nos hommages & de nos fentimens
. Peignons-le ce vrai Philofophe ;
& pour imiter un modéle fi précieux ,
appliquons-nous à le connoître.
•
Le vrai Philofophe , par la droiture
de fon coeur , par les reffources d'une
raifon mûre & réfléchie , cherche à acquerir
les lumières fi néceffaires à
l'homme pour connoître la verité.
Sourd aux prejugés du fiécle , il triomphe
aifément des fiens : c'eft , dit
Platon , un ouvrage de patience dont
le temps amène le fuccès. La patience
qui fert à l'acquifition de la véritable
gloire , eft la feule vertu qui puiffe en
faire jouir , & qui tranquilife l'âme au
milieu des orages de la vie.
Quoi de plus digne en effet de la
fpeculation d'un vrai Philofophe , que
cet amour du vrai , que cet attrait puiffant
pour la vertu , ce commerce tendre
& précieux de l'amitié
II. Vol.
cette aimable
C
So MERCURE DE FRANCE .
candeur de moeurs , ce défintéreffement
noble & généreux ?
Philofophes vertueux ! mes modéles
& mes Maîtres ne font- ce pas là vos
obligations & les loix que vous vous
êtes préfcrites à-vous mêmes ? La verité
qui vous guide, perce & diffipe les nuages
de l'erreur & de l'ignorance. L'Incertitude
du coeur & de l'efprit trouve
au milieu de vous fes doutes éclaircis ;
le libertinage voit fes déréglemens profcrits
la décence & la pureté de vos
moeurs eft une critique en action de la
corruption du fiécle. Cette ftupide indifférence
, de l'âme ou plutôt cet orgueil
ftoïque & monstrueux eft forcé
par votre exemple d'abjurer fon infenfibilité
dure & opiniâtre. Amitié ! vertu !
générofité ! Il eft encore pour vous des
afyles privilégiés fur la terre ; on trouve
encore des coeurs dignes de vous en fervir
, & capables d'apprécier vos bienfaits.
Le Philofophe à l'abri de l'erreur,
parce qu'il marche avec précaution , le
Philofophe ne fe laiffe point éblouir par
les preftiges de l'illufion : le préjugé qui
régle & motive les jugemens de la plupart
des hommes , lui oppofe en vain fes voiles
ténébreux , pour derober à fa fagacité
& à fa pénétration des connoiffances
AVRIL. 1763. SI
utiles & lumineufes fon génie les déchire
, diffipe , perce leur obſcurité ;
c'eft le foleil qui chaffe les nuages.
-Les plaifirs bruyans ne font pas du
goût du vrai Philofophe ; leur frivolité
fixe à peine fon attention : ils ne font à
fes yeux que des bijoux fragiles. Il fcait
réprimer fes paffions, contenir fes defirs ,
recevoir le plaifir avec réfléxion , le
ménager avec économie , en ufer avec
difcrétion , & en jouir plus long - temps .
L'ambition , la feule permife à l'homme
, eft de chercher à s'inftruire & à fe
rendre utile à la focieté, à préférer le bien
public à fon bien particulier. L'héroïfme
de la vertu peut lui préfcrire des facrifices
qui coûtent à l'amour- propre &
quelquefois aux fentimens de la Nature ,
aux liens du fang & de l'amitié la plus
tendre en s'y foumettant , la gloire &
l'honneur deviennent fa récompenfe.
Caton le dévoue au falut de la patrie;
Brutus immole fa tendreffe paternelle à
la jufte févérité des loix : ces grands
hommes étoient citoyens avant que
d'être pères & maîtres de leurs actions
& de leurs fentimens. Ces traits frappans
& fublimes ne font point au- deffus
de notre fphère, Tous les grands hommes
qui nous ont précédés , eurent des
C ij
52 MERCURE DE FRANCE.
2
C
foibleffes & des vertus. l'Expérience
que nous fournit l'hiftoire d'une longue
fuite de fiécles , nous a appris à éviter
leurs foibleffes ; la Religion hous apprend
à rectifier les motifs de nos actions
, & nous procure l'avantage précieux
de furpaffer même leurs vertus.
"
Eh , pourquoi nous croire dégénérés
des vertus de nos ancêtres ? Ne furent-
-ils pas des hommes comme nous , fujets
aux mêmes paffions & aux mêmes foibleffes
?... Devenons moins légers , tâchons
de réfléchir , cherchons & chériffons
le bien , refpectons la vértu ,
favourons les douceurs de l'amitié , prévenons
les befoins des hommes , fou-
-venons- nous enfin que nous fommes
citoyens de l'Univers , que notre patrie
eft partout , & que nos obligations fe
multiplient à proportion que le nombre.
de nos femblables s'étend , & que leurs
befoins s'augmentent
LE PHILOSOPHÉ AMI DE LA VÉRITÉ,
Premier Caractère.
Le vrai Philofophe n'eft autre chofe
que l'homme honnête , l'ami du vrai &
de toutes les vertus , re
AVRIL 1763.1 53
Inviolablement attaché a fes devoirs ,
la vérité régle toutes fes démarches . La
droiture de fon coeur eft la premiere
verru qui éclate dans fes actions. Ennei
du menfonge & de tout artifice , il
en ignore les obliques détours. Il ne
cherche point les tenébres de la nuit
pour cacher à la lumiere la honte d'une
conduite irrégulière ou criminelle ; il
cherche le grand jour parce qu'il eft
ennemi du crime ; nul reproche fecret
ne le trouble ; il marche & fe préfente à
découvert ; fon extérieur annonce la
candeur & la paix de fon âme . Tout ce
qui offenfe la droiture de fon coeur , a
feul droit de le révolter. C'eſt dans ce cas
feulement , qu'il permet à fon âme de
franchir les bornes de la modération.
Véhément, plein de feu dans fes difcours,
c'eft Demofthene qui foudroye l'incré
dulité des Athéniens.
1
- Les fentimens de l'homme vrai font
des Oracles du monde. Roi de lui -même,
habile furveillant , il commande en
Souverain à fes paffions. La vérité feule
l'intéreffe : l'impreffion que la vérité
fait fur fon efprit & fur fon coeur , eſt un
fentiment de plaifir. Sagement avare
des mouvemens de fon âme , il ne les
prodigue point avec légéreté ; une mé-
C iij
$4 MERCURE DE FRANCE .
thode fare dirige toutes fes opérations :
Il combine , il choifit , il réfléchit : fes
fentimens enfin prennent l'éffor avec
cette mâle fécurité que donne la conviction
.
Vérité généreuſe ! es- tu donc ignorée
Et du féjour des Rois à jamais retirée ?
31
Nourri loin du menfonge & de l'efprit des Cours;
J'ignore de tout art les obliques détours :
Mais libré également d'eſpérance & de crainte
J'agirai fans foibleffe & parlerai fans feinte :
On expofe toujours avec autorité
La caufe de l'honneur & de la vérité.
GRESSET .
2
L'eftime de l'homme vrai fait néceffairement
notre apologie ; elle fait
préfumer notre mérite , nous fuppofe
des vertus , & nous fait juger dignes
de l'eftime des autres.
L'élévation de l'âme eft auffi l'appanage
du vrai Philofphe. Tout eft grand ;
tout eft noble & fublime dans les âmes
généreufes. L'homme vrai eft l'ami de
Toutes les vertus , parce que les vertus
feules peuvent produire la véritable
gloire il ne s'enorgueillit point de fon
excellence & de fa fupériorité. Sa modeftie
fert de contrepoids à fon amourAVRIL.
1763. 55
propre. Sa cenfure n'eft pas amère : il
plaint les érreurs ; il fe rappelle qu'il eſt
homme , & que par la corruption de
fa nature, il n'eft point inacceffible aux
foibleffes de l'humanité. La douceur de
fon caractère, la candeur de fes moeurs,
cette fage défiance de lui-même , cette
réferve fcrupuleufe font pour fes fières
un motif de confolation , de joie , &
d'inftruction .
La jufteffe & la folidité de l'efprit
font également le partage du vrai Philofophe.
Les objets qui nous environ
nent , intéreffent plus ou moins l'home
me fpéculatif : l'homme vrai & judicieux
ne fe laiffe frapper qu'avec raifon
; il ne voit jamais par les yeux de
la prévention ; examinateur fcrupuleux
il épure les chofes dans le creufet du bon
fens , & lorfqu'il eft convaincu qu'elles
font exemptes d'alliage & d'infidélité , il
prononce avec cette fermeté de courage
qu'infpire la certitude. Il n'a lieu ni de
craindre , ni de fe repentir ; les fages précautions
qu'il a prifes , les recherches
exactes qu'il a faites , les lumières qu'il a
confultées , le mettent à l'abri de toute
erreur.
A cet efprit jufte & folide je n'oppoferai
point une forte d'efprit de frivolité ;
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
un efprit leger & volage qui comme lë
papillon voltige d'objets en objets fans
jamais fixer fon inconftance ; un efprit
d'Ergotifme qui ne fe plaît que dans la
difpute & foutient avec le même enthoufiafme
le vrai & le faux ; un efprit
de paradoxe qui fe fingularife par une
façon de penfer extraordinaire & qui ne
peut être propre qu'à lui ; un efprit de
perfifflage qui toujours monté fur des
échaffes , toujours guindé , fe laiffe
éblouir de tout ce qu'il voit : les moindres
objets fe métamorphofent dans fon
imagination extravagante , en images
gigantefques : c'eft un affemblage confus
d'idées neuves , bizarres & burlefques
, des traits de lumière avec d'épaiffes
tenébres , des écarts de génie &
de raifon. Il n'eft point furpris , mais
il eft pétrifié ; il n'eft point fâché , mais
défefperé ; il n'eft point fatigué , mais
excédé ; il n'aime point avec paffion ,
mais avec fureur ; on n'eft point aimable
, mais adorable : en un mot le langage
du bel- efprit à la mode , fon maintien
, fes attitudes , fes démarches , fes
actions font des mouvemens convulfifs
qui demandent un reméde prompt
& néceffaire , l'inoculation du bon fens.
Le Philofophe ami du vrai , fçait facrifier
l'efprit à ſon devoir. Son eſprit
AVRIL. 1763. 57
lui préfente une faillie qui peut bleffer l'amitié
ou flétrir la réputation; il l'étouffe ,
il la rejette généreufement , perfuadé que
cette fureur de l'efprit n'eft que frivolité
; frivolité fouvent très- dangereufe !
L'efprit folide n'eft donc autre chofe
que le bon efprit . Son étude eft la recherche
de la vérité ; fes productions
ne refpirent que l'amour du bien public
, le bonheur de fes femblables .
l'agrément & la joie de la Société.
Le Philofophe eft également vrai
dans fes paroles . Le Grand Corneille
en nous tranfmettant dans fa Comédie
du Menteur cette belle maxime de
Phédre : Mendaci ne verum quidem di
centi creditur ; nous fait fentir combien
la Vérité perd , lorfqu'elle paffe par une
bouche impure .
Quand un Menteur la dit ,
En paffant par fa bouche elle perd fon crédit .
Le vrai Sage n'ouvre la bouche que
pour rendre témoignage à la Vérité. Fidéle
dans fes promeffes , vrai dans fes
paroles , la lâche crainte , la baffe flaterie,
le refpect humain ne peuvent étouf
fer la Vérité dans fa bouche , qui en
eft l'organe pur & refpectable.
Cy
$538 MERCURE DE FRANCE.
En toute occafion la Vérité m'enchante ;
Et je l'aime encor mieux fière & déföbligeante
Qu'un menfonge flateur dont le miel empefté
Par un coeur délicat eſt toujours déteſté.
DESTOUCHES.
耙
La Vérité , dit M. de la Rochefou
cault , eft l'aliment des efprits ; elle fait
plus que les nourrir , elle les échauffe ,
elle eft le premier moteur de leur activité
; elle eft le rayon du Soleil , qui
n'étant que lumière & que feu par fa
nature , développe & met en mouvement
les germes renfermés dans notre
âme fur laquelle il agit.
Le menfonge eft une apoftafie du
coeur & de l'efprit. Celui qui fe déshonore
par le menfonge , renonce authentiquement
au titre d'honnête homme ; il
viole les loix les plus facrées , il infulte
au genre humain , fe couvre d'opprobre
, & devient l'objet de la déteftation
publique. La naiffance ne donne point
le privilége de cotoyer à fon gré la Vérité
; le bel- efprit celui d'avancer certaines
anecdotes médifantes ou fuppofées
, fous prétexte d'amufer la Société.
La valeur n'apprendpoint la fourbe à ſon Ecole.
Tout homme de courage eft homme de parole ;
AVRIL. 1763: 59
A des vices fi bas il ne peut confentir ;
Et fuit plus que la mort la honte de mentir.
Mais laiffe-moi parler , toi de qui l'impoſture
Souille honteuſement le don de la Nature :
Qui fe dit Gentilhomme & ment comme tu fais
Il ment , quand il le dit , & ne le fut jamais.
Eft- il vice plus bas ? Eft-il tache plus noire ?
Plus indigne d'un homme élevé pour la gloire ?
Eft-il quelque foibleſſe , eſt-il quelqu'action
Dont un coeur vraiment noble ait plus d'averfion?
P. CORNEILLE.
Le fordide intérêt , ce motif fi bas ,
pouroit-il fermer la bouche à l'honnête
homme? lui feroit-il trahir la caufe de
la Vérité ? Son honneur lui eft plus cher
que toutes les fortunes du monde . Un
appas fi humiliant eft indigne de lui.
Trop grand , trop vrai , trop généreux ,
il eft à l'abri de la féduction , Des moyens
fi déshonorans , des motifs fi vils & fi
bas font le partage des âmes mercenaires
qui font trafic de leur fentimens ; le
menfonge & la fourberie font pour
elles une reffource de fubfiftance & une
forte de bien -être.
Le respect humain eft un vain prétexte
pour cacher aux autres la vérité . La
crainte de déplaire eft un motif injufte
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
qui n'excitera jamais l'homme de bien
à la trahir ; & le filence de la flaterie
n'eft pas moins condamnable que fon
langage. La complaifance en pareil cas
n'eft infpirée que par l'amour de foimême
: c'est beaucoup moins chercher
ce qui eft vertueux & honnête , que ce
qui eft agréable & utile.
Loin d'ici ces précautions d'une fauffe
prudence , ces ménagemens cruels fi
préjudiciables au bien de la Société. Les
Rois , les Grands de la Tèrre ont encore
plus befoin que le commun des hommes
d'entendre la vérité. Plus ils font élevés
, plus ils ont d'orages à craindre ,
de tempêtes à redouter. L'homme vrai
le Philofophe vertueux eft le feul
Pilote auquel on doit avoir recours. Lui
feul peutfürement diriger notre courſe ,
& nous conduire heureuſement au port.
DAGUES DE CLAIRFONTAINE.
La fuite au Mercure prochain.
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Résumé : ESSAI Philosophique sur les Caractères distinctifs du vrai Philosophe. Ævo rarissima nostro simplicitas. Ovid. arte amandi, l. 1. v. 241. Réfléxions préliminaires.
Le texte explore la véritable philosophie et les caractéristiques du vrai philosophe, soulignant que, bien que la philosophie soit valorisée de nos jours, ses principes sont souvent ignorés. Le vrai philosophe se distingue par sa simplicité et sa droiture de cœur, contrairement à ceux qui se prétendent philosophes mais manquent de vertu et de droiture. Ces derniers peuvent avoir écrit des traités de morale ou exploré des domaines scientifiques, mais ils ne possèdent pas les qualités morales nécessaires. Le vrai philosophe est décrit comme instruit et amélioré par ses lectures, vertueux et chrétien. Il ne se contente pas de la profession des lettres et des sciences pour se glorifier ou être utile. Le texte met en garde contre les erreurs du siècle et appelle à connaître et à étudier la véritable philosophie. Il critique les stoïciens indifférents aux événements du monde et les auteurs licencieux qui détruisent tout par orgueil. Le vrai philosophe corrige les défauts des hommes, proscrit les erreurs et élève les âmes vers la vertu. Il est caractérisé par la droiture de cœur, la raison mûre et réfléchie, et la patience nécessaire pour acquérir les lumières nécessaires à la connaissance de la vérité. Il est sourd aux préjugés du siècle, triomphe de ses propres préjugés, et cherche à acquérir les lumières nécessaires pour connaître la vérité. Il est patient, vertueux, et aime la vérité et la vertu. Il est un modèle de droiture, de candeur, et de désintéressement noble et généreux. Le texte conclut en soulignant que le vrai philosophe est honnête, ami de la vérité et des vertus, attaché à ses devoirs, et régit toutes ses démarches par la vérité. Il est ennemi du mensonge et de tout artifice, cherche la lumière pour annoncer la candeur et la paix de son âme, et est véhément et plein de feu dans ses discours. Il critique également le langage affecté et les comportements excessifs de l'esprit à la mode, qualifiés de convulsifs et nécessitant un remède prompt. Le philosophe ami du vrai sacrifie l'esprit à son devoir et rejette les frivolités dangereuses. L'esprit solide, ou bon esprit, se distingue par la recherche de la vérité et l'amour du bien public. La vérité est présentée comme essentielle et purifiante, contrairement au mensonge qui déshonore et insulte le genre humain. La valeur et le courage sont associés à l'honnêteté et à la parole donnée. Le respect humain et la flatterie sont condamnés, car ils masquent la vérité et sont motivés par l'amour-propre. Les rois et les grands ont besoin de la vérité pour éviter les dangers, et seul le philosophe vertueux peut les guider.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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50
p. 196-200
LETTRE à l'Auteur du MERCURE.
Début :
J'espere, Monsieur, que dans la partie de votre Journal que vous réservez [...]
Mots clefs :
Lettre, Ouvrage, M. Turmeau, Maison des Turmea, Noblesse, Fortune, Médiocrité, Mariage, Famille, Énonciation, Vérité, Succession
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE à l'Auteur du MERCURE.
LETTRE à l'Auteur du MERCURE. *
A Paris , le 24 Mars 1764.
J''EESSPPEERREE ,, Monfieur , que dans la partie de votre
Journal que vous réservez aux Annonces généalogiques
, vous voudrez bien inférer cette Lettre.
L'intérêt que je prends à M. Turmeau de la Morandiere
, mon parent , me fait fouhaiter de détruire
la furprife que bien des perfonnes ont reffentie à
l'occafion de ce qu'il dit de fes Ayeux dans fon
* L'abondance des matières eft caufe que cette
Lettre n'a point paru plutôt dans le Mercure.
JUILLET . 1764. 197
Ouvrage intitulé , Principes politiques fur le rap- .
pel des Proteftans en France.
Son nom eft Turmeau : le furnom de la Morandiere
eft celui d'un petit Fief fitué à deux lieues
de Romorantin , fur le bord du Cher , dont les
Turmeau ont communément porté le nom par
préférence à leur propre nom & a celui des autres
Fiefs qui leur appartenoient : tels que la Grande-.
Maifon de Parpeçay , la Jarrerie , &c . Il y a cependant
eu des Turmeau des Beraudières & des
Turmeau de la Grange.
Les Turmeau font du nombre des anciennes
Nobleffes ils font compris dans le Catalogue des
Familles nobles de Blois , fait par Bernier en
1682. Il eft vrai que commé il y a plus de cent
cinquante ans qu'ils font pauvres , ils ont été
tellement ignorés , que Bernier les a cru éteints .
On ne connoît pas leur origine : il y a lieu de
croire qu'ils ons été appellés avec les Brachet dans
le Bléfois en 151s par Louife , Ducheffe d' Angou
lême , lorfque François I. fon fils monta fur le
Trône. Un fait conftant , c'eft que Jean Brachet,,
qui avoit été Précepteur de François I , donna
l'une de fes filles en mariage à un des Aïeux, pa-,
ternels de M. de la Morandiere , avec une portion
du Fief fis à Romorantin , qui lui avoit été donné
par Madame d' Angoulême , de forte que ce Fief
s'appella le Fief de Turmeau. Il fubfifte encore
fous ce nom , quoique très dénaturé.
La médiocrité de la fortune de fes defcendans ,
les Guerres Civiles , le peu de durée de la faveur,
des Brachet , ont été autant de caufes d'éloignement
& d'oubli . Malgré ces contre temps , les.
Turmeau & les Brachet ont fouvent renouvellé
par des mariages leur ancienne alliance , & c'eft
de ces mariages que M. de la Morandiere tire lon
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
droit au Collège de Boily pour y placer fes en
fans , comme parens du Fondateur.
Il eft à obferver que dans la généalogie des
Chartier, qui eft commune aux Maifons de Gefres
, de Molé , d'Ormefon , de Montholon , &
autres qui ont , comme lui , droit au Collège au
même titre de parenté , il eft ignoré , fi Françoife
Chartier dont il defcend , a eu postérité.
Quelque pauvre que foit cette Famille , on ne
peut lui reprocher comme à beaucoup d'autres
qui figurent aujourd'hui , qu'elle ait un feul rejetton
qui ait exercé aucune profeffion méchanique
ou humiliante. Tous ont été voués depuis un
remps immémorial à la Magiftrature ou au Barreau.
Les uns ont été Châtelains ou Procureurs du
Roi de Romorantin , oa Juges Royaux ; les autres
ont été Avocats au Parlement ou dans d'autres
Places analogues , & tous ont fait de grandes
Alliances. Il y a fort peu de Maiſons à la Cour
auxquelles cette Famille n'ait l'honneur d'apparrenir.
La mère de fon père étoit Charlotte de Bafoges
de Boismaitre , laquelle étoit petite-fille de
Marguerite de Caftelnau , foeur du Marquis de-
Caftelnau , Ambaffadeur en Angleterre , &
grande- tante du Maréchal de France . L'Abbé
Te Laboureur a dit à l'Article de Marguerite de Caf
telnau , qu'elle mourut fans poſtérité.
Heft , Monfieur , bien fingulier , que dans une
même Généalogie , on trouve trois énonciations
auffi peu éxactes . Bernier a dit que les Turmeau
étoient éteints ; l'ancien Rédacteur de la généalogie
du Collège de Boiffy paroît faire conjecturer
que Françoife Chartier étoit morte fans postérité ;
& le Laboureur annonce le même fait contre les
enfans de Madame de Boismaitre .
Aujourd'hui M. de la Morandiere rapporte des
JUILLET. 1764. 199
L
titres non équivoques pour prouver le peu d'éxactitude
de ces trois énonciations. Il eft fans contredit
de la Famille Turmeau de Blois ; il vient de
prouver fon droit au Collège de Boiffy , comme
defcendant de Françoife Chartier , mariée à
Etienne Bracher , & il a le contrat de mariage
de Charlotte de Bafoges , Dame de Boismaitre
fon aïeule paternelle , petite-fille de Marguerite
de Caftelnau.
D'après cet expofé , la furpriſe du Public difparoîtra
en fentant que dans ce qu'a dit M. de laMorandiere
dans fon Ouvrage , il a eu principalement
en vue fes Aieux maternels . Il a donc été fondé à
dire que les Aïeux ( Brachet , Chartier , Caftelnau
& beaucoup d'autres que ces mêmes alliances lui
ont donné , ) ont rempli pendant cinq fiécles de
très-grandes places à la Cour. La médiocrité de
la fortune de fes Aïeux paternels depuis plus
d'un fiécle ne doit rien faire contre lui. On fait
qu'il y a des Maiſons illuftres dont plufieurs rejettons
font tombés dans l'oubli par le défaut de
fortune. On peut encore ajouter en faveur des
Turmeau que s'ils ont eu l'honneur de s'allier
conftamment avec les bonnes Maifons de la Province
qu'ils ont habitée , plufieurs Gentilshommes
ont pris alliance dans cette famille. La Bifaïeule
de M. le Comte de Riocourt étoit une Turmeau ,
de la branche des Seigneurs de Monteaux , &c .
Les alliances ont été fréquentes & réciproques
avec les Familles Gallus de Rioubert Brachet
de la Milletiere & de Pormoran , Pajon Devillai
mes, Dauvergne , Leclerc de Douy , &c.
Meffieurs de Montmorency & de Fains , ont
recueilli la fucceffion d'un Montmorency , Seigneur
de Neavy- le-Palliou , au partage de laquelle fe
préfenta comme parent il y a vingt einq ans le
Iiv
200 MERCURE DE FRANCE.
père de M. de la Morandiere . A la vérité il n'y
eur aucune portion , parce qu'on lui fit croire qu'il
étoit parent plus éloigné du défunt que les copartageans.
Je fais qu'il eſt dans l'intention d'examiner
s'il ne pourroit pas revenir également
contre cette exclufion à la fucceffion de cette
branche Montmorency , comme il revient aujour
d'hui contre les énonciations qui fembloient détruire
fes Aïeuls tant paternels que maternels.
J'ai l'honneur d'être &c.
PAJON DE MONCATS.
Lafuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
A Paris , le 24 Mars 1764.
J''EESSPPEERREE ,, Monfieur , que dans la partie de votre
Journal que vous réservez aux Annonces généalogiques
, vous voudrez bien inférer cette Lettre.
L'intérêt que je prends à M. Turmeau de la Morandiere
, mon parent , me fait fouhaiter de détruire
la furprife que bien des perfonnes ont reffentie à
l'occafion de ce qu'il dit de fes Ayeux dans fon
* L'abondance des matières eft caufe que cette
Lettre n'a point paru plutôt dans le Mercure.
JUILLET . 1764. 197
Ouvrage intitulé , Principes politiques fur le rap- .
pel des Proteftans en France.
Son nom eft Turmeau : le furnom de la Morandiere
eft celui d'un petit Fief fitué à deux lieues
de Romorantin , fur le bord du Cher , dont les
Turmeau ont communément porté le nom par
préférence à leur propre nom & a celui des autres
Fiefs qui leur appartenoient : tels que la Grande-.
Maifon de Parpeçay , la Jarrerie , &c . Il y a cependant
eu des Turmeau des Beraudières & des
Turmeau de la Grange.
Les Turmeau font du nombre des anciennes
Nobleffes ils font compris dans le Catalogue des
Familles nobles de Blois , fait par Bernier en
1682. Il eft vrai que commé il y a plus de cent
cinquante ans qu'ils font pauvres , ils ont été
tellement ignorés , que Bernier les a cru éteints .
On ne connoît pas leur origine : il y a lieu de
croire qu'ils ons été appellés avec les Brachet dans
le Bléfois en 151s par Louife , Ducheffe d' Angou
lême , lorfque François I. fon fils monta fur le
Trône. Un fait conftant , c'eft que Jean Brachet,,
qui avoit été Précepteur de François I , donna
l'une de fes filles en mariage à un des Aïeux, pa-,
ternels de M. de la Morandiere , avec une portion
du Fief fis à Romorantin , qui lui avoit été donné
par Madame d' Angoulême , de forte que ce Fief
s'appella le Fief de Turmeau. Il fubfifte encore
fous ce nom , quoique très dénaturé.
La médiocrité de la fortune de fes defcendans ,
les Guerres Civiles , le peu de durée de la faveur,
des Brachet , ont été autant de caufes d'éloignement
& d'oubli . Malgré ces contre temps , les.
Turmeau & les Brachet ont fouvent renouvellé
par des mariages leur ancienne alliance , & c'eft
de ces mariages que M. de la Morandiere tire lon
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
droit au Collège de Boily pour y placer fes en
fans , comme parens du Fondateur.
Il eft à obferver que dans la généalogie des
Chartier, qui eft commune aux Maifons de Gefres
, de Molé , d'Ormefon , de Montholon , &
autres qui ont , comme lui , droit au Collège au
même titre de parenté , il eft ignoré , fi Françoife
Chartier dont il defcend , a eu postérité.
Quelque pauvre que foit cette Famille , on ne
peut lui reprocher comme à beaucoup d'autres
qui figurent aujourd'hui , qu'elle ait un feul rejetton
qui ait exercé aucune profeffion méchanique
ou humiliante. Tous ont été voués depuis un
remps immémorial à la Magiftrature ou au Barreau.
Les uns ont été Châtelains ou Procureurs du
Roi de Romorantin , oa Juges Royaux ; les autres
ont été Avocats au Parlement ou dans d'autres
Places analogues , & tous ont fait de grandes
Alliances. Il y a fort peu de Maiſons à la Cour
auxquelles cette Famille n'ait l'honneur d'apparrenir.
La mère de fon père étoit Charlotte de Bafoges
de Boismaitre , laquelle étoit petite-fille de
Marguerite de Caftelnau , foeur du Marquis de-
Caftelnau , Ambaffadeur en Angleterre , &
grande- tante du Maréchal de France . L'Abbé
Te Laboureur a dit à l'Article de Marguerite de Caf
telnau , qu'elle mourut fans poſtérité.
Heft , Monfieur , bien fingulier , que dans une
même Généalogie , on trouve trois énonciations
auffi peu éxactes . Bernier a dit que les Turmeau
étoient éteints ; l'ancien Rédacteur de la généalogie
du Collège de Boiffy paroît faire conjecturer
que Françoife Chartier étoit morte fans postérité ;
& le Laboureur annonce le même fait contre les
enfans de Madame de Boismaitre .
Aujourd'hui M. de la Morandiere rapporte des
JUILLET. 1764. 199
L
titres non équivoques pour prouver le peu d'éxactitude
de ces trois énonciations. Il eft fans contredit
de la Famille Turmeau de Blois ; il vient de
prouver fon droit au Collège de Boiffy , comme
defcendant de Françoife Chartier , mariée à
Etienne Bracher , & il a le contrat de mariage
de Charlotte de Bafoges , Dame de Boismaitre
fon aïeule paternelle , petite-fille de Marguerite
de Caftelnau.
D'après cet expofé , la furpriſe du Public difparoîtra
en fentant que dans ce qu'a dit M. de laMorandiere
dans fon Ouvrage , il a eu principalement
en vue fes Aieux maternels . Il a donc été fondé à
dire que les Aïeux ( Brachet , Chartier , Caftelnau
& beaucoup d'autres que ces mêmes alliances lui
ont donné , ) ont rempli pendant cinq fiécles de
très-grandes places à la Cour. La médiocrité de
la fortune de fes Aïeux paternels depuis plus
d'un fiécle ne doit rien faire contre lui. On fait
qu'il y a des Maiſons illuftres dont plufieurs rejettons
font tombés dans l'oubli par le défaut de
fortune. On peut encore ajouter en faveur des
Turmeau que s'ils ont eu l'honneur de s'allier
conftamment avec les bonnes Maifons de la Province
qu'ils ont habitée , plufieurs Gentilshommes
ont pris alliance dans cette famille. La Bifaïeule
de M. le Comte de Riocourt étoit une Turmeau ,
de la branche des Seigneurs de Monteaux , &c .
Les alliances ont été fréquentes & réciproques
avec les Familles Gallus de Rioubert Brachet
de la Milletiere & de Pormoran , Pajon Devillai
mes, Dauvergne , Leclerc de Douy , &c.
Meffieurs de Montmorency & de Fains , ont
recueilli la fucceffion d'un Montmorency , Seigneur
de Neavy- le-Palliou , au partage de laquelle fe
préfenta comme parent il y a vingt einq ans le
Iiv
200 MERCURE DE FRANCE.
père de M. de la Morandiere . A la vérité il n'y
eur aucune portion , parce qu'on lui fit croire qu'il
étoit parent plus éloigné du défunt que les copartageans.
Je fais qu'il eſt dans l'intention d'examiner
s'il ne pourroit pas revenir également
contre cette exclufion à la fucceffion de cette
branche Montmorency , comme il revient aujour
d'hui contre les énonciations qui fembloient détruire
fes Aïeuls tant paternels que maternels.
J'ai l'honneur d'être &c.
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Résumé : LETTRE à l'Auteur du MERCURE.
La lettre datée du 24 mars 1764, adressée à l'auteur du Mercure, vise à rectifier des informations erronées concernant la famille de M. Turmeau de la Morandiere. L'auteur souhaite clarifier les origines et la noblesse de cette famille, souvent méconnues ou mal interprétées. La famille Turmeau porte le surnom de la Morandiere, issu d'un fief près de Romorantin. Elle est une ancienne famille noble, mentionnée dans le catalogue des familles nobles de Blois en 1682. Leur origine exacte est inconnue, mais il est probable qu'ils aient été appelés en Berry par Louise d'Angoulême au début du XVIe siècle. Un fait avéré est que Jean Brachet, précepteur de François Ier, a marié l'une de ses filles à un ancêtre de M. de la Morandiere, lui transmettant ainsi un fief. Malgré des périodes de pauvreté et d'oubli, les Turmeau ont maintenu leur noblesse et ont souvent renouvelé leurs alliances avec d'autres familles nobles par des mariages. M. de la Morandiere revendique ainsi des droits au Collège de Boily grâce à ces alliances. La lettre souligne que, bien que la famille soit modeste, elle n'a jamais exercé de professions méprisables. Les Turmeau ont traditionnellement été impliqués dans la magistrature ou le barreau, et ont fait de nombreuses alliances prestigieuses. La mère du père de M. de la Morandiere était Charlotte de Bafoges de Boismaitre, petite-fille de Marguerite de Castelnau, sœur du Marquis de Castelnau, ambassadeur en Angleterre. L'auteur critique les erreurs trouvées dans diverses généalogies, notamment celles de Bernier, du rédacteur du Collège de Boily, et de l'Abbé Te Laboureur. M. de la Morandiere a fourni des preuves pour corriger ces erreurs, démontrant ainsi la continuité de sa lignée et ses droits nobles. Enfin, la lettre mentionne que la famille Turmeau a souvent été alliée à des maisons illustres et que des gentilshommes ont pris des alliances dans cette famille. Elle conclut en exprimant l'intention de M. de la Morandiere de réexaminer une exclusion de succession dans la branche Montmorency.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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