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p. 148-174
ARCHITECTURE. LETTRE A M. L'ABBÉ R*** fur une très-mauvaise plaisanterie qu'il a laissé imprimer dans le Mercure du mois de Décembre 1754, par une société d'Architectes, qui pourroient bien aussi prétendre être du premier mérite & de la premiere réputation, quoiqu'ils ne soient pas de l'Académie.
Début :
Nous sommes surpris, Monsieur, qu'un homme d'esprit & un aussi bon citoyen [...]
Mots clefs :
Société d'architectes, Architecture, Architecture antique, Architectes, Génie, Public, Paris, Manière, Genre, Goût, Art, Vérité, Réputation, Mérite
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texteReconnaissance textuelle : ARCHITECTURE. LETTRE A M. L'ABBÉ R*** fur une très-mauvaise plaisanterie qu'il a laissé imprimer dans le Mercure du mois de Décembre 1754, par une société d'Architectes, qui pourroient bien aussi prétendre être du premier mérite & de la premiere réputation, quoiqu'ils ne soient pas de l'Académie.
LETTRE A M. L'ABBE' R ***
fur une très - mauvaise plaifanterie qu'il a
laiffe imprimer dans le Mercure du mois
de Décembre 17 54 › par une société d'Architectes
, qui pourroient bien auffi prétendre
être du premier mérite & de la premiere
réputation , quoiqu'ils ne foient pas
de l'Académie.
N
Ousfommes furpris, Monfieur, qu'un
homme d'efprit & un auffi bon citoyen
que vous , ait autorifé un écrit fatyrique
, dont le but eft fi évidemment de
renverser l'Architecture moderne , & de
détruire la confiance que l'on accorde aux
Architectes , en mettant le public à portée
de juger par lui-même du bien ou du mal
des ouvrages que nous faifons pour lui
FEVRIER. 1755. 149
Pouvons-nous croire que vous n'ayez pas
apperçu cette conféquence ? ou que l'ayant
vue vous n'ayez pas eu quelque fcrupule
de vous prêter à décrier des inventions
qui depuis tant de tems font les délices de
Paris , & qu'enfin les étrangers commencent
à goûter avec une avidité finguliere
Il eft aifé de deviner d'où partent ces
plaintes , & nous ne croirons pas auffi
facilement que vous que ce foient fimplement
les idées d'un feul artiſte. C'eſt
un complot formé par plufieurs qui , à la
vérité , ont da mérite dans leur genre ,
mais qui feroient mieux de s'y attacher
que de fe mêler d'un art qui eft fi fort
au- deffus de la fphere de leurs conoiffances.
Nous foupçonnons avec raifon quelques
Peintres célebres de tremper dans
cette conjuration ; malheur à eux fi nous
le découvrons. Ils ont déja pû remarquer
que pour nous avoir fâché , nous avons
fupprimé de tous les édifices modernes
la grande peinture d'hiftoire. Nous leur
avions laiffé par grace quelque deffus de
porte; mais nous les forcerons dans ce dernier
retranchement , & nous les réduirons
à ne plus faire que dé petits tableaux de
modes , & encore en camaïeux . Qu'ils faffent
attention que nous avons l'invention
des vernis : le public a beau fe plaindre de
G iij
So MERCURE DE FRANCE!
leur peu de durée , il fera verni & rever
ni. Cependant nous voulons bien ne pas
attribuer ces critiques à mauvaife volonté,
mais plutôt au malheur qu'ils ont de s'être
formé le goût en Italie. Ils y ont vû ces
reftes d'architecture antique , que tout le
monde eft convenu d'admirer , fans que
nous puiffions deviner pourquoi. C'eft ,
dit-on , un air de grandeur & de fimpli
cité qui en fait le caractere. On y trouve
une régularité fymmétrique , des richeffes
répandues avec économie & entremêlées
de grandes parties qui y donnent du repos
. Ils s'en laiffent éblouir , & reviennent
ici remplis de prétendus , principes , qui ne
font dans le fond que des préjugés , &
qui , grace à la mode agréable que nous
avons amenée , ne peuvent leur être d'aucun
ufage. Nous nous fommes bien gardés
de faire pareille folie ; & tandis que nos
camarades font allés perdre leur tems à
admirer & à étudier avec bien des fatigues
cette trifte architecture , nous nous fommes
appliqués à faire ici des connoiffan
ces & à répandre de toutes parts nos gentilles
productions.
4
On nous a des obligations infinies :
nous avons affaire à une nation gaie qu'il
faut amufer ; nous avons répandu l'agré
ment & la gaieté par tout . Au bon vieux
FEVRIER. 1755 151
4
"
tems on croyoit que les Eglifes devoient
préfenter uunn aaffppeecctt ggrraavvee & même fevere ;
les perfonnes les plus diffipées pouvoient
à peine y entrer, fans s'y trouver pénétrées
d'idées férieufes. Nous avons bien changé
tout cela ; il n'y a pas maintenant de
cabinet de toilette plus joli que les chapelles
que nous y décorons. Si l'on y met
encore quelques tombeaux , nous les contournons
gentiment , nous les dorons par
tout , enfin nous leur ôtons tout ce qu'ils
pourroient avoir de lugubre : il n'y a pas
jufquà nos confeffionaux qui ont un air
de galanterie.
Si l'on a égard à l'avancement de l'art ,
quelle extenfion ne lui avons - nous pas
procuré nous avons multiplié le nombre
des Architectes excellens à tel point que
la quantité en eft prefque innombrable.
Ce talent qui , dans le fyftême de l'architecture
antique , eft hériffé de difficultés ,
devient dans le nôtre la chofe du monde
la plus aifée ; & l'expérience fait voir que
le maître Maçon le plus borné du côté du
deffein & du goût , dès qu'il a travaillé
quelque tems fous nos ordres , fe trouve
en état de fe déclarer architecte , & à bien
peu de chofe près auffi bon que nous .
Nous ajoûterons à la gloire de la France
& à fon avantage , que les étrangers com-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
mencent à adopter notre goût , & qu'il y
a apparence qu'ils viendront en foule l'apprendre
chez nous. Les Anglois même , fi
jaloux de notre fupériorité dans tous les
arts , en font devenus fi foux qu'ils en
ont abandonné leur Inigo Jones , & leur
habitude de copier exactement les ouvrages
de Palladio. Ce qui pourra peut- être
nuire à cet avantage , c'eft l'imprudence
qu'on a eu de laiffer graver quelques- unes
de nos décorations de portes & de cheminées
, qui d'abord ont apprêté à rire aux
autres nations , parce qu'ils n'en fentoient
pas toute la beauté ; mais qu'enfuite ils
n'ont pu fe refufer d'imiter. Malheureuſement
ces eftampes dévoilent notre fecret ,
qui d'ailleurs n'eft pas difficile à appren
dre , & l'on peut trouver en tout pays un
grand nombre de génies propres à faifir
ces graces légeres. Au refte , fi cela arrive ,
nous nous en confolerons en citoyens de
l'univers , & nous nous féliciterons d'avoir
rendu tous les hommes architectes à
peu
de frais. Ces grands avantages nous
ont coûté quelques peines ; on ne détruit
pas facilement les idées du beau , reçues
dans une nation éclairée & dans un fiécle
qu'on fe figuroit devoir fervir de modele à
tous ceux qui le fuivroient . Il étoit appuyé
fur les plus grands noms ; il falloit
FEVRIER . 1755 153
trouver auffi quelques noms célebres qui
puffent nous fervir d'appui. On avoit découvert
prefque tout ce qui pouvoit fe
faire de beau dans ce genre , & les génies
ordinaires ne pouvoient prétendre qu'à être
imitateurs ; deux ou trois perfonnes auroient
paru avec éclat , & les autres feroient
demeurées dans l'oubli Il falloit
donc trouver un nouveau genre d'architecture
où chacun pût fe diftinguer , &
faire goûter au public des moyens d'être
habile homme qui fuffent à la portée de
tout le monde : cependant il ne falloit pas
'choquer groffierement les préjugés reçus ,
en mettant tout d'un coup au jour des nouveautés
trop éloignées du goût 1egnant ,
& rifquer de fe faire fifler fans retour.
Le fameux Oppenor nous fervit dans ces
commencemens avec beaucoup de zéle ;
il s'étoit fait une grande réputation par fes
deffeins ; la touche hardie qu'il y donnoit ,
féduifit prefque tout le monde , & on fut
long - tems à s'appercevoir qu'ils ne faifoient
pas le même effet en exécution . Il
fe fervit abondamment de nos ornemens
favoris , & les mit en crédit. Il nous eft
même encore d'une grande utilité , & nous
pouvons compter au nombre des nôtres
ceux qui le prennent pour modele . Cependant
ce n'étoit pas encore l'homme
Gv
154 MERCURE DE FRANCE:
qu'il nous falloit ; il ne pouvoit s'empê
cher de retomber fouvent dans l'architecture
ancienne , qu'il avoit étudiée dans fa
jeuneffe. Nous trouvâmes un appui plus .
folide dans les talens du grand Meiffonnier.
Il avoit à la vérité étudié en
Italie ,
& par conféquent n'étoit pas entierement
des nôtres ; mais comme il y avoit fagement
préféré le goût de Borromini au goût
ennuyeux de l'antique , il s'étoit par là
rapproché de nous ; car le Borromini a rendu
à l'Italie le même fervice que nous
avons rendu à la France , en y introduifant
une architecture gaie & indépendante
de toutes les régles de ce que l'on appelloit
anciennement le bon goût . Les Italiens ont
depuis bien perfectionné cette premiere
tentative , & du côté de l'architecture plai
fante ils ne nous le cédent en rien . Leur
goût n'eft pas le nôtre dans ce nouveau
genre , il est beaucoup plus lourd ; mais
nous avons cela de commun , que nous
avons également abandonné toutes les
vieilles modes pour lefquelles on avoit un
refpect fuperftitieux . Meiffonnier commen-
са à détruire toutes les lignes droites qui
étoient du vieil ufage ; il tourna & fit
bomber les corniches de toutes façons , il
les ceintra en haut & en bas , en devant ,
en arriere , donna des formes à tout , mêFEVRIER.
1755 155
me aux moulures qui en paroiffoient les
moins fufceptibles ; il inventa les contraftes
, c'est-à- dire qu'il bannit la fymmétrie
& qu'il ne fit plus les deux côtés des panneaux
femblables l'un à l'autre ; au contraire
, ces côtés fembloient fe défier à qui
s'éloigneroit le plus , & de la maniere la
plus finguliere , de la ligne droite à laquelle
ils avoient jufqu'alors été affervis .
Rien n'eſt fi admirable que de voir de
-quelle maniere il engageoit les corniches
des marbres les plus durs à fe prêter avec
complaifance aux bizarreries ingénieufes
des formes de cartels ou autres chofes qui
-devoient porter deffus. Les balcons ou les
-rampes d'efcalier n'eurent plus la permiffion
de paffer droit leur chemin ; il leur
fallut ferpenter à fa volonté , & les matieres
les plus roides devinrent fouples fous
fa main triomphante. Ce fut lui qui mic
-en vogue ces charmans contours en S , que
votre auteur croit rendre ridicules , en difant
que leur origine vient des maîtres
Ecrivains ; comme fi les arts ne devoient
pas le prêter des fecours mutuels il les
employa par tout , & à proprement parler
fes deffeins , même pour des plans de bâtimens
, ne furent qu'une combinaifon de
cette forme dans tous les fens poffibles . Il
nous apprit à terminer nos moulures en
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
rouleau , lorfque nous ne fçaurions com
ment les lier les unes aux autres , & mille
autres chofes non moins admirables qu'il
feroit trop long de vous citer : enfin l'on
peut dire que nous n'avons rien produit
depuis dont on ne trouve les femences
dans fes ouvrages. Quels fervices n'a-t- il
pas rendus à l'orfevrerie ? il rejetta bien
loin toutes les formes quarrées , rondes ou
ovales , & toutes ces moulures dont les
ornemens repérés avec exactitude donnent
tant de fujétion ; avec fes chers contours
en S , il remplaça tout. Ce qu'il y a
de particulier , c'eft qu'en moins de rien
l'orfevrerie & les bijoux devinrent trèsaifés
à traiter avec génie. En vain le célebré
Germain voulut s'opposer au torrent
& foutenir le vieux goût dont il avoit été
bercé dans fon enfance , fa réputation même
en fut quelque peu éclipfée , & il fe
vit fouvent préférer Meiffonnier , par l'appui
que nous lui donnions fous main ; cependant
, le croiriez-vous ! ce grand Meiffonnier
n'étoit pas encore notre homme ,
il tenoit trop à ce qu'ils appellent grande.
maniere. De plus il eut l'imprudence de
laiffer graver plufieurs ouvrages de lui , &
mit par là le public à portée de voir que
ce génie immenfe qu'on lui croyoit , n'étoit
qu'une répétition ennuyeufe des mê
FEVRIER. 1755 157
mes formes. Il fe décrédita , & nous l'abandonnâmes
d'autant plus facilement ,
que malgré les fecours que nous lui avions
prêtés pour l'établiſſement de fa réputation
, il ne vouloit point faire corps avec
& nous traitoit hautement d'igno- nous ,
rans : quelle ingratitude !
Nous fimes enfin la découverte du héros
dont nous avions befoin. Ce fut un
Sculpteur , qui n'avoit point pû fe gâter à
Rome , car il n'y avoit point été , bien
qu'il eût vû beaucoup de pays. Il s'étoit
formé avec nous , & avoit fi bien goûté
notre maniere , & fi peu ces prétendues
régles anciennes , que rien ne pouvoit reftreindre
l'abondance de fon génie . Il fçavoit
affez d'architecture ancienne pour ne
pas contrecarrer directement ceux qui y
tenoient avec trop d'obftination ; mais il
la déguifoit avec tant d'adreffe qu'il avoit
le mérite de l'invention , & qu'on ne la
reconnoiffoit qu'à peine. Il allégea toutes
ces moulures & tous ces profils où Oppenor
& Meiffonnier avoient voulu conferver
un caractere qu'ils appelloient mâle ; il
les traita d'une délicateffe qui les fait prefque
échapper à la vûe ; il trouva dans les
mêmes efpaces le moyen d'en mettre fix
fois davantage ; il s'affranchit tout d'un
coup de la loi qu'ils s'étoient follement
18 MERCURE DE FRANCE.
impofée de lier toujours leurs ornemens les
uns aux autres ; il les divifa , les coupa
en mille pieces , toujours terminées par ce
-rouleau qui eft notre principale reffource ;
& afin que ceux qui aimoient la liaiſon
ne s'apperçuffent pas trop de ces interruptions
, il fit paroître des liaiſons apparen
tes , par le fecours d'une fleur , qui ellemême
ne tenoit à rien , ou par quelque légereté
également ingénieufe ; il renonça
pour jamais à la régle & au compas : on
avoit déja banni la fymmetrie , il rencherit
encore là-deffus . S'il lui échappa quelquefois
de faire des panneaux femblables
l'un à l'autre , il mit ces objets fymmétriques
fi loin l'un de l'autre , qu'il auroit
fallu une attention bien fuivie pour s'appercevoir
de leur reffemblance. Aux agra
fes du ceintre des croifées qui ci-devant
ne repréfentoient que la clef de l'arc décorée
, il fubftitua de petits cartels enrichis
de mille gentilleffes & pofés de travers
, dont le pendant fe trouvoit à l'au
tre extrêmité du bâtiment . C'eſt à lui qu'on
doit l'emploi abondant des palmiers , qui
à la vérité avoient été trouvés avant lui ,
& que votre auteur blâme fi ridiculement.
Il établit folidement l'ufage de fupprimer
tous les plafonds , en faifant faire à des
Sculpteurs , à bon marché , de jolies petites
FEVRIER.
1755 159
dentelles en bas- relief , qui réuffirent fi
bien , qu'on prit le fage parti de fupprimer
les corniches des appartemens pour les enrichir
de ces charmantes dentelles . C'eft
notre triomphe que cette profcription des
corniches ; rien ne nous donnoit plus de
fujétion que ces miferes antiques dont on
les ornoit , & aufquelles votre écrivain
paroît fi attaché. Il y falloit une exactitude
& une jufteffe , qui pour peu qu'on y
manquât , fe déceloit d'abord à des yeux
un peu feveres. Nous regrettons encore
ce grand homme , quoique fes merveilleux
talens ayent été remplacés fur le champ
par quantité de Sculpteurs , non moins
abondans que lui dans cette forte de génie.
C'eft à lui que nous avons l'obligation
de cette fupériorité que nous avons acqui
fe , & que nous fçaurons conferver ; & on
peut dire à fa gloire que tout ce qui s'éloigne
du goût antique lui doit fon inven
tion , ou fa perfection.
}
En fuivant fes principes , nous avons
abfolument rejetté tous ces anciens plafonds
chargés de fculptures & de dorures ,
qui à la vérité avoient de la magnificence ,
& contre lefquels nous n'avons rien à dire
, fi ce n'eft qu'ils ne font plus de mode.
En dépit des cris de toute l'Académie de
Peinture , nous avons fçu perfuader à tous
160
MERCURE DE
FRANCE.
tes les
perſonnes chez qui nous avons
quelque crédit , que les plafonds peints
obfcurciffent les
appartemens & les rendent
triftes.
Inutilement veut- on nous repréfenter
que nous avons
juſtement dans
notre fiécle des Peintres , dont la couleur
eft très-agréable , & qui aiment à rendre
leurs tableaux
lumineux ; qu'en traitant
les plafonds d'une couleur claire ils n'auroient
point le
defagrément qu'on reproche
aux anciens , & qu'ils auroient de plus
le mérite de
repréfenter quelque chofe
d'amufant par le fujet , &
d'agréable par
la variété des couleurs. Les Peintres n'y
gagneront rien , ils nous ont irrité en méprifant
nos premieres
productions ; & nous
voulons d'autant plus les perdre que nous
n'efperons pas de pouvoir les gagner ; ils
ne fe rendroient qu'avec des
reftrictions
qui ne font pas de notre goût. Les Sculp
seurs de figures feront auffi compris dans
cette
profcription ; ils feroient encore plus
à portée de nous faire de mauvaiſes chicanes.
Notre
Sculpteur favori nous a don
né mille moyens de nous paffer d'eux : aù
lieu de tout cela il a imaginé une rofette
charmante , qu'à peine on
apperçoit , &
qu'il met au milieu du plancher , à l'endroit
où
s'attache le luftre : voilà ce qu'on
préfère avec raiſon aux plus belles produce
FEVRIER. 1755
161
tions de leur art. Il y a encore un petit
nombre de criards qui répandent par-tour
que le bon goût eft perdu , & qu'il y a
très- peu d'Architectes qui entendent la
décoration ; que c'eft le grand goût de la
décoration qui fait le caractere effentiel
de l'Architecte . Nous détruifons tous ces
argumens , en foutenant hautement que
ce qui diftingue l'Architecte , eft l'art de
la diftribution. Ils ont beau dire qu'elle
n'eft pas auffi difficile que nous voulons
le faire croire , & qu'il eft évident qu'avec
un peu d'intelligence chaque particulier
peut arranger fa maifon d'une maniere
qui lui foit commode , relativement aux
befoins de fon état ; que la difficulté que
le particulier ne fçauroit lever , ni nous
non plus , & qui demande toutes les lumieres
d'un grand architecte , eft d'ajuſter
cette diftribution commode avec une décoration
exacte , fymmétrique , & dans ce
qu'ils appellent le bon goût , foit dans les
dehors , foit dans les dedans voilà juſtement
ce qui nous rendra toujours victorieux.
Comme notre architecture n'a aucunes
régles qui l'aftreignent , qu'elle eſt
commode , & qu'en quelque façon elle
prête , nous nous fommes faits un grand
nombre de partifans qui fatisfaits de notre
facilité à remplir toutes leurs fantaisies ,
162 MERCURE DE FRANCE.
›
nous foutiendront toujours. Nous voudrions
bien voir ces Meffieurs de l'antique
entreprendre de décorer l'extérieur d'un
bâtiment avec toutes les fujétions que
nous leur avons impofées. Comme les plus
grands cris avoient d'abord été contre nos
décorations extérieures , parce qu'elles
étoient expofées à la vûe de tout le monde ;
que d'ailleurs le vuide ne coûte rien à décorer
, & ne donne point de prife à la critique
, nous avons amené la multitude des
fenêtres, qui a parfaitement bien réuffi ; car
il eft infiniment agréable d'avoir trois fenê
tres dans une chambre , qui jadis en auroit
eu à peine deux. Cela donne à la vérité
plus de froid dans l'hiver & plus de chaleur
dans l'été mais que nous importe ? il n'en
-eſt
: pas moins fûr qu'à préſent chacun veut
que fa maifon foit toute percée , & que
-nos Meffieurs du goût ancien , qui ne fçavent
décorer que du plein , n'y trouvent
plus de place. Qu'ils y mettent , s'ils le peutvent
, de leurs fenêtres décorées , qu'ils
tâchent d'y placer leurs frontons à l'antique
, qui , difent - ils , décorent la fenêtre
, & mettent à couvert ceux qui y
font nous y avons remédié en élevant
les fenêtres jufques au haut du plancher.
Rien n'eft fi amufant que de voir un
pauvre architecte revenant d'Italie , à qui
:
FEVRIER. 1755 163
(
"
Ton donne une pareille cage à décorer , ſe
tordre l'imagination pour y appliquer ces
chers principes , qu'il s'eft donné tant de
peine à apprendre ; & s'il lui arrive d'y
réuffir , ce qu'il ne peut fans diminuer les
croifées , c'eſt alors que nous faifons voir
clairement combien fa production eft trifte
& mauffade . Vous ne verrez pas clair chez
vous , leur difons- nous , vous n'aurez pas
d'air pour refpirer , à peine verrez- vous le
foleil dans les beaux jours : ces nouveaux artiftes
fe retirent confus,& font enfin obligés
de fe joindre à nous , pour trouver jour à
percer dans le monde. Nous n'avons pas encore
entierement abandonné les frontons
dont les anciens fe fervoient pour terminer
le haut de leurs bâtimens , & qui repréfentoient
le toît , quoique nous aimions bien
mieux employer certaines terminaiſons en
façon d'orfevrerie , qui font de notre crû.
A l'égard des frontons , nous avons du
moins trouvé le moyen de les placer ou
on ne s'attendoit pas à les voir ; nous les
mettons au premier étage , & plus heureufement
encore au fecond ; & nous ne manquons
gueres d'élever un étage au -deffus
, afin qu'ils ayent le moins de rapport
qu'il eft poffible avec ceux des anciens.
Nous avons ou peu s'en faut , banni les
colonnes , uniquement parce que c'eft un
164 MERCURE DE FRANCE
→
des plus beaux ornemens de ce trifte goût
ancien , & nous ne les rétablirons que
lorfque nous aurons trouvé le moyen de
les rendre fi nouvelles qu'elles n'ayent plus
aucune reffemblance avec toutes ces antiquailles.
D'ailleurs elles ne fçauroient s'accommoder
avec nos gentilleffes légeres ,
elles font paroître mefquin tout ce qui
les accompagne. Beaucoup de gens tenoient
encore à cette forte d'ornement , qui leur
paroiffoit avoir une grande beauté mais
nous avons fçu perfuader aux uns , que
cela coûtoit beaucoup plus que toutes les
chofes que nous leur faifions , quoique
peut-être en économifant bien , cela pût
ne revenir qu'à la même dépenſe ; aux
autres , que cette décoration ne convenoit
point à leur état , & qu'elle étoit reſervée
pour les temples de Dieu & les palais des
Rois ; que quelques énormes dépenfes que
nous leur fiffions faire chez eux , perfonne
n'en fçauroit rien , quoiqu'ils le fiffent
voir à tout le monde ; au lieu qu'une petite
colonnade , qui ne coûteroit peut-être
gueres , feroit un bruit épouventable dans
Paris. Nous avons accepté les pilaftres jufqu'à
un certain point , c'eft- à- dire forfque
nous avons pû les dépayfer par des
chapiteaux divertiffans. Les piédeftaux font
auffi reçus chez nous , mais nous avons
FEVRIER. 1755. 165
·
trouvé l'art de les contourner , en élargiffant
par le bas , comme s'ils crevoient fous
le fardeau , ou plus gaiement encore , en
les faifant enfler du haut , & toujours en
S, comme s'ils réuniffoient leur force en
cę lieu
ce pour mieux porter. Mais où notre
génie triomphe , c'eſt dans les bordures
des deffus de porte , que nous pouvons
nous vanter d'avoir varié prefque à l'infini.
Les Peintres nous en maudiffent , parce
qu'ils ne fçavent comment compofer leurs
fujets avec les incurfions que nos ornemens
font fur leur toile ; mais tant pis
pour eux : lorfque nous faifons une fi grande
dépenfe de génie , ils peuvent bien auffi
s'évertuer ; ce font des efpéces de bouts
rimés que nous leur donnons à remplir.
Il auroit pû refter quelque reffource à la
vieille architecture pour fe produire à Paris
; mais nous avons coupé l'arbre dans fa
racine , en annonçant la mode des petits
appartemens , & nous avons fappé l'ancien
préjugé , qui vouloit que les perfonnes
diftinguées par leur état caffent un appar !
tement de répréfentation grand & magnifique.
Nous efperons que dorénavant la
regle fera que plus la perfonne fera élevée
en dignité , plus fon appartement fera
patit : vous voyez qu'alors il fera difficile
de nous faire defemparer, Ceux qui poure
GG MERCURE DE FRANCE.
ront faire de la dépenfe , ne la feront qu'en
petit , & s'adrefferont à nous. Il ne reſtera
pour occuper ces Meffieurs , que ceux qui
n'ont pas le moyen de rien faire.
Voyez , je vous prie , l'impertinence de
votre auteur critique ; il s'ennuye , dit- il ,
de voir par-tout des croifées ceintrées ,
mais il n'ofe pas difconvenir que cette forte
de croifée ne foit bonne . Peut-on avoir
trop d'une bonne chofe ? & pourquoi veutil
qu'on aille fe fatiguer l'imagination pour
trouver des variétés , lorfqu'une chofe eft
de mode , & qu'on eft fûr du fuccès ? Ne
voit-il pas que toutes nos portes , nos cheminées
, nos fenêtres , avec leur plat-bandeau
, font à peu près la même choſe :
puifqu'on en eft content , pourquoi fe tuer
à en chercher d'autres ? Il blâme nos portes
oùles moulures fe tournent circulairement ;
invention heureuſe que nous appliquons à
tout avec le plus grand fuccès. Il faut :
qu'il foit bien étranger lui-même dans
Paris , pour ne pas fçavoir de qui nous
la - tenons. C'est d'un Architecte à qui les
amateurs de l'antique donnent le nom de
grand. Le célébre François Manſard la
employée dans fon portail des Filles de :
Sainte Marie , rue Saint Antoine ; voilà
une autorité qu'il ne peut recufer.Pour vous
faire voir combien cette forte de fronton
FEVRIER. 1755 . 1671
7
réuffit quand elle eft traitée à notre façon ,
& combien elle l'emporte fur l'architecture
ancienne ; comparez le portail des Capucines
de la place de Louis le Grand ,
morceau fi admirable qu'on vient de le
reftaurer , de peur que la poſtérité n'en fût
privée ; comparez- le avec le portail à colonnes
de l'Affomption , qui n'en eft pas
loin , & vous toucherez au doigt la différence
qui eft entre nous & les Architectes:
du fiécle paffé.
Mais laiffons là ce critique ; ce feroitperdre
le tems que de s'amufer à lui démontrer
en détail l'abfurdité de fes jugemens.
Nous ne vous diffimulerons pas que
nous fommes actuellement dans une pofi-:
tion un peu critique , & qu'une révolu-.
tion dans le goût de l'architecture nous
paroîtroit prochaine fi nous la croyions
poffible. Il fe rencontre actuellement plufeurs
obftacles à nos progrès ; maudite
foit cette architecture antique , fa féduction
, dont on a bien de la peine à revenir
lorfqu'une fois on s'y eft laiffé prendre
nous a enlevé un protecteur qui auroit
peut- être été pour nous l'appui le plus fo
lide , fi nous avions été chargés du foin
de l'endocriner. Pourquoi aller chercher
bien loin ce qu'on peut trouver chez foi
nous amufons en inftruifant ; ne peut-on
168 MERCURE DE FRANCE.
pas ſe former le goût en voyant nos deffeins
de boudoirs , de garde-robes , de
pavillons à la Turque , de cabinets à la
Chinoife ? Est- ce quelque chofe de fort
agréable que cette Eglife demefurée de S.
Pierre , ou que cette rotonde antique , dont
le portail n'a qu'un ordre dans une hauteur
où nous , qui avons du génie , aurions
trouvé de la place pour en mettre au moins
trois il n'eft pas concevable qu'on puiffe
balancer. Cependant cette perte eft irrépa
rable : cela eft defolant ; car tous les projets
que nous préfentons paroiffent comiques
à des yeux ainfi prévenus . Nous avons
même tenté de mêler quelque chofe d'antique
dans nos deffeins , voyez quel facrifice
! pour faire paffer avec notre marchandife
, tout cela fans fuccès : on nous
devine d'abord.
Autre obſtacle qui eft une fuite du premier.
Les bâtimens du Roi nous ont donné
une exclufion totale ; tout ce qui s'y
fait fent la vieille architecture , & ce même
public , que nous comptions avoir ſubjugué
, s'écrie : voilà qui eft beau. Il y a
une fatalité attachée à cette vieille mode ,.
par-tout où elle fe montre elle nous dépare
; l'Académie même a peine à fe défendre
de cette contagion , il femble qu'elle
ne veuille plus donner de prix qu'à ceux
qui
FEVRIER. 1755. 169'
I
qui s'approchent le plus du goût de l'antique.
Cela nous expofe à des avanies , de
la part même de ces jeunes étourdis , qui fe
donnent les airs de rire de notre goût moderne.
Cette confpiration eft bien foutenue
; car , à ne vous rien céler , il y a encore
plufieurs Architectes de réputation
& même qui n'ont pas vû l'Italie , mais
qui par choix en ont adopté le goût , que
nous n'avons jamais pû attirer dans notre
parti . Il y a plus ; quelques - uns que nous
avons crû long tems des nôtres , à la
miere occafion qu'ils ont eu de faire quelque
chofe de remarquable , nous ont laiffés
là , & fe font jettés dans l'ancien
goût.
pre-
Vous êtes , fans doute , pénétré de compaffion
à la vûe du danger où nous nous
trouvons , & nous vous faifons pitié ; mais
confolez- vous , nous avons dés reffources
; nous fçaurons bien arrêter ces nouveaux
débarqués d'Italie . Nous leur oppoferons
tant d'obftacles que nous les empêcherons
de rien faire , & peut- être les'
forcerons-nous d'aller chez l'étranger exercer
des talens qui nous déplaifent. Ils aiment
à employer des colonnades avec des
architraves en plate - bande ; nous en déclarerons
la bâtiffe impoffible. Ils auront
beau citer la colonnade du Louvre , la
H
170 MERCURE DE FRANCE.
chapelle de Verſailles , & autres bâtimens
dont on ne peut contefter la folidité ; qui
eft - ce qui les en croira ? leur voix fera- telle
d'un plus grand poids que celle de
gens qui ont bâti des petites maifons par
milliers dans Paris ? mais voici l'argument
invincible que nous leur gardons pour le
dernier. Nous leur demanderons ce qu'ils
ont bâti : il faudra bien qu'ils conviennent
qu'ils n'en ont point encore eu l'occafion .
C'est là où nous les attendons : comment ,
dirons- nous , quelle imprudence ! confier
un bâtiment à un jeune homme fans expérience
? Cette objection eft fans réplique.
On ne s'avifera pas de faire réflexion
qu'un jeune homme de mérite , & d'un
caractere docile , peut facilement s'affocier
un homme qui , fans prétendre à la décoration
, ait une longue pratique du bâtiment
, & lui donneroit les confeils néceffaires
, en cas qu'il hazardât quelque chofe
de trop hardi ; que d'ailleurs il Y auroit
dans Paris bien des maifons en ruines , fi
le premier bâtiment de chaque Architecte
manquoit de folidité.
Au refte , ne croyez point que ce foit
dans le deffein de nuire à ces jeunes gens
que nous leur ferons ces difficultés : c'eft
uniquement pour leur bien , & pour leur
donner le tems , pendant quelques années ,
FEVRIER.
1755.171.
d'apprendre le bon goût que nous avons
établi , & de quitter leurs préjugés ultramontains
nous avons l'expérience que
cela a rarement manqué de nous réuffic .
: Si donc vous connoiffez cette fociété .
d'Artiſtes qui prend la liberté de nous blâmer
, avertiffez-les d'être plus retenus à
l'avenir ; leurs critiques font fuperflues.
Le public nous aime , nous l'avons accoutumé
à nous d'ailleurs chacun de ceux
qui font bâtir , même des édifices publics
, eft perfuadé que quiconque a les
fonds pour bâtir , a de droit les connoiffances
néceffaires pour le bien faire. Peuton
manquer de goût quand on a de l'argent
? Nous fommes déja fûrs des Procureurs
de la plupart des Communautés ,
des Marguilliers de prefque toutes les
Paroiffes , & de tant d'autres qui font
à la tête des entrepriſes. Enfin foyez certains
que nous & nos amis nous ferons
toujours le plus grand nombre. Nous fommes
, &c.
On voit que le faux bel efprit gagne les
beaux arts , ainfi que les belles- lettres . On
force la nature dans tous les genres , on
contourne les figures , on met tout en S :
qu'il y a de Meiffonniers en poëfie & en
éloquence , comme en architecture !
レン
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ARC DE TRIOMPHE à la gloire du Roi ,
qui a été élevé, fur les deffeins du Chevalier
Servandoni , le jour que M. le Duc de Gefvres
a pofé , au nom de Sa Majefté , la premiere
pierre de la place commencée devant
l'Eglife de S. Sulpice le 2 Octobre 1754 :
dédié à M. Dulau d'Allemans , Curé de S.
Sulpice , gravé par P. Patte , & fe vend
chez lui rue des Noyers , la fixieme porte .
cochere à droite en entrant par la rue Saint·
Jacques , grandeur de la feuille du nom de
Jefus. Prix 1 liv. 10 fols. I
L'eftampe que nous annonçons eft gravée
à l'aide d'une feule taille , ou ligne , à
peu près dans la maniere dont le célébre
Piranefi s'eft fervi pour rendre fes compofitions
d'architecture , dont les connoiffeurs
font tant de cas. Il feroit peut- être à fouhaiter
que cette manoeuvre de gravûre fut
ufitée en France ; elle pourroit donner à
nos eftampes d'architecture une perfection
qu'elles n'ont point eu jufqu'à préfent. En
effet , la pratique d'exprimer les ombres
dans les gravûres ordinaires de nos édifices
par deux tailles , c'eft-à- dire par deux ;
lignes qui s'entrecoupent quarrément ou
ea lofange , rend à la vérité ce genre de
gravûre aifé & expéditif ; mais elle lui ,
donne un air froid , commun , & une dureté
qui femble faire une efpéce d'injure
FEVRIER. 1755. 173
aux yeux ; c'eſt le jugement qu'ont tou-
-jours porté nos artiftes fur ces fortes d'ef
tampes. Auffi peut-on remarquer qu'on
n'a pas crû. devoir accorder à leurs Graveurs
aucune place dans nos Académies ,
foit de peinture , foit d'architecture ; ce
que l'on eût fait affurément , fi leurs talens
euffent paru aux connoiffeurs devoir
mériter quelque diftinction . On a effayé ,
dans la planche que nous propofons , de
mettre ce genre de gravûre dans quelque
eftime , par une nouvelle manoeuvre qui
fente l'art , & qui remédie aux défauts de
l'ancienne. Chaque ombre y eft énoncée
par une feule ligne , plus ou moins groffe
ou ferrée , dont la direction exprime continuellement
la perſpective du corps d'architecture
fur lequel elle eft portée. Afin d'ôter
toute dureté , on a affecté de ne point terminer
les extrêmités de chaque ombre par
aucune ligne , mais feulement par la fin de
toutes les lignes , qui forme l'ombre , ce qui
femble affez bien imiter les arrêtes de la pierre,
lefquelles confervent toujours une efpéce
de rondeur. Toutes les teintes générales ,
quelles qu'elles foient , y font exprimées
à la pointe féche , ce qui eft propre à donner
à cette gravûre un ton fuave , qui
femble participer de cette couleur aërienne
répandue fur la furface de nos bâtimens ;
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
ton auquel on ne peut atteindre avec le
fecours de l'eau forte , comme on le pratique
ordinairement. Au refte , c'eft à la
-vue de cette planche à parler en faveur des
avantages de fa nouvelle manoeuvre , & on
fe flatte qu'elle convaincra fans peine que
cette maniere de faire eft bien plus favora
ble que l'autre pour les effets de la perf
pective ; qu'elle eft analogue à la maniere
dont on deffine l'architecture à la plume ,
:& que la parfaite égalité qu'elle demande
doit fatisfaire agréablement la vue des fçavans
comme des ignorans ; quelques lignes
plus ou moins ferrées dans les ombres
étant capables d'y faire une difcordance
de ton irrémédiable , & qui faute aux yeux
de chacun . Cette maniere de traiter l'architecture
eft ; il eft vrai , très-laborieufe
& difficile à bien exécuter ; mais elle
pour-
.roit donner un prix à nos eftampes d'architecture
, & les élever à décorer avec diftinction
les cabinets des curieux.
F
C'eft aux artistes à apprécier ces réflexions,
par la comparaifon de l'eftampe qu'on leur
offre , avec celles que nous avons dans le
genre oppofé. Le feul but que l'on fe propofe
en les faifant , eft de contribuer à la
perfection d'un genre de gravure que l'on
n'a peut- être pas affez cherché jufqu'ici à
rendre recommendable,
fur une très - mauvaise plaifanterie qu'il a
laiffe imprimer dans le Mercure du mois
de Décembre 17 54 › par une société d'Architectes
, qui pourroient bien auffi prétendre
être du premier mérite & de la premiere
réputation , quoiqu'ils ne foient pas
de l'Académie.
N
Ousfommes furpris, Monfieur, qu'un
homme d'efprit & un auffi bon citoyen
que vous , ait autorifé un écrit fatyrique
, dont le but eft fi évidemment de
renverser l'Architecture moderne , & de
détruire la confiance que l'on accorde aux
Architectes , en mettant le public à portée
de juger par lui-même du bien ou du mal
des ouvrages que nous faifons pour lui
FEVRIER. 1755. 149
Pouvons-nous croire que vous n'ayez pas
apperçu cette conféquence ? ou que l'ayant
vue vous n'ayez pas eu quelque fcrupule
de vous prêter à décrier des inventions
qui depuis tant de tems font les délices de
Paris , & qu'enfin les étrangers commencent
à goûter avec une avidité finguliere
Il eft aifé de deviner d'où partent ces
plaintes , & nous ne croirons pas auffi
facilement que vous que ce foient fimplement
les idées d'un feul artiſte. C'eſt
un complot formé par plufieurs qui , à la
vérité , ont da mérite dans leur genre ,
mais qui feroient mieux de s'y attacher
que de fe mêler d'un art qui eft fi fort
au- deffus de la fphere de leurs conoiffances.
Nous foupçonnons avec raifon quelques
Peintres célebres de tremper dans
cette conjuration ; malheur à eux fi nous
le découvrons. Ils ont déja pû remarquer
que pour nous avoir fâché , nous avons
fupprimé de tous les édifices modernes
la grande peinture d'hiftoire. Nous leur
avions laiffé par grace quelque deffus de
porte; mais nous les forcerons dans ce dernier
retranchement , & nous les réduirons
à ne plus faire que dé petits tableaux de
modes , & encore en camaïeux . Qu'ils faffent
attention que nous avons l'invention
des vernis : le public a beau fe plaindre de
G iij
So MERCURE DE FRANCE!
leur peu de durée , il fera verni & rever
ni. Cependant nous voulons bien ne pas
attribuer ces critiques à mauvaife volonté,
mais plutôt au malheur qu'ils ont de s'être
formé le goût en Italie. Ils y ont vû ces
reftes d'architecture antique , que tout le
monde eft convenu d'admirer , fans que
nous puiffions deviner pourquoi. C'eft ,
dit-on , un air de grandeur & de fimpli
cité qui en fait le caractere. On y trouve
une régularité fymmétrique , des richeffes
répandues avec économie & entremêlées
de grandes parties qui y donnent du repos
. Ils s'en laiffent éblouir , & reviennent
ici remplis de prétendus , principes , qui ne
font dans le fond que des préjugés , &
qui , grace à la mode agréable que nous
avons amenée , ne peuvent leur être d'aucun
ufage. Nous nous fommes bien gardés
de faire pareille folie ; & tandis que nos
camarades font allés perdre leur tems à
admirer & à étudier avec bien des fatigues
cette trifte architecture , nous nous fommes
appliqués à faire ici des connoiffan
ces & à répandre de toutes parts nos gentilles
productions.
4
On nous a des obligations infinies :
nous avons affaire à une nation gaie qu'il
faut amufer ; nous avons répandu l'agré
ment & la gaieté par tout . Au bon vieux
FEVRIER. 1755 151
4
"
tems on croyoit que les Eglifes devoient
préfenter uunn aaffppeecctt ggrraavvee & même fevere ;
les perfonnes les plus diffipées pouvoient
à peine y entrer, fans s'y trouver pénétrées
d'idées férieufes. Nous avons bien changé
tout cela ; il n'y a pas maintenant de
cabinet de toilette plus joli que les chapelles
que nous y décorons. Si l'on y met
encore quelques tombeaux , nous les contournons
gentiment , nous les dorons par
tout , enfin nous leur ôtons tout ce qu'ils
pourroient avoir de lugubre : il n'y a pas
jufquà nos confeffionaux qui ont un air
de galanterie.
Si l'on a égard à l'avancement de l'art ,
quelle extenfion ne lui avons - nous pas
procuré nous avons multiplié le nombre
des Architectes excellens à tel point que
la quantité en eft prefque innombrable.
Ce talent qui , dans le fyftême de l'architecture
antique , eft hériffé de difficultés ,
devient dans le nôtre la chofe du monde
la plus aifée ; & l'expérience fait voir que
le maître Maçon le plus borné du côté du
deffein & du goût , dès qu'il a travaillé
quelque tems fous nos ordres , fe trouve
en état de fe déclarer architecte , & à bien
peu de chofe près auffi bon que nous .
Nous ajoûterons à la gloire de la France
& à fon avantage , que les étrangers com-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
mencent à adopter notre goût , & qu'il y
a apparence qu'ils viendront en foule l'apprendre
chez nous. Les Anglois même , fi
jaloux de notre fupériorité dans tous les
arts , en font devenus fi foux qu'ils en
ont abandonné leur Inigo Jones , & leur
habitude de copier exactement les ouvrages
de Palladio. Ce qui pourra peut- être
nuire à cet avantage , c'eft l'imprudence
qu'on a eu de laiffer graver quelques- unes
de nos décorations de portes & de cheminées
, qui d'abord ont apprêté à rire aux
autres nations , parce qu'ils n'en fentoient
pas toute la beauté ; mais qu'enfuite ils
n'ont pu fe refufer d'imiter. Malheureuſement
ces eftampes dévoilent notre fecret ,
qui d'ailleurs n'eft pas difficile à appren
dre , & l'on peut trouver en tout pays un
grand nombre de génies propres à faifir
ces graces légeres. Au refte , fi cela arrive ,
nous nous en confolerons en citoyens de
l'univers , & nous nous féliciterons d'avoir
rendu tous les hommes architectes à
peu
de frais. Ces grands avantages nous
ont coûté quelques peines ; on ne détruit
pas facilement les idées du beau , reçues
dans une nation éclairée & dans un fiécle
qu'on fe figuroit devoir fervir de modele à
tous ceux qui le fuivroient . Il étoit appuyé
fur les plus grands noms ; il falloit
FEVRIER . 1755 153
trouver auffi quelques noms célebres qui
puffent nous fervir d'appui. On avoit découvert
prefque tout ce qui pouvoit fe
faire de beau dans ce genre , & les génies
ordinaires ne pouvoient prétendre qu'à être
imitateurs ; deux ou trois perfonnes auroient
paru avec éclat , & les autres feroient
demeurées dans l'oubli Il falloit
donc trouver un nouveau genre d'architecture
où chacun pût fe diftinguer , &
faire goûter au public des moyens d'être
habile homme qui fuffent à la portée de
tout le monde : cependant il ne falloit pas
'choquer groffierement les préjugés reçus ,
en mettant tout d'un coup au jour des nouveautés
trop éloignées du goût 1egnant ,
& rifquer de fe faire fifler fans retour.
Le fameux Oppenor nous fervit dans ces
commencemens avec beaucoup de zéle ;
il s'étoit fait une grande réputation par fes
deffeins ; la touche hardie qu'il y donnoit ,
féduifit prefque tout le monde , & on fut
long - tems à s'appercevoir qu'ils ne faifoient
pas le même effet en exécution . Il
fe fervit abondamment de nos ornemens
favoris , & les mit en crédit. Il nous eft
même encore d'une grande utilité , & nous
pouvons compter au nombre des nôtres
ceux qui le prennent pour modele . Cependant
ce n'étoit pas encore l'homme
Gv
154 MERCURE DE FRANCE:
qu'il nous falloit ; il ne pouvoit s'empê
cher de retomber fouvent dans l'architecture
ancienne , qu'il avoit étudiée dans fa
jeuneffe. Nous trouvâmes un appui plus .
folide dans les talens du grand Meiffonnier.
Il avoit à la vérité étudié en
Italie ,
& par conféquent n'étoit pas entierement
des nôtres ; mais comme il y avoit fagement
préféré le goût de Borromini au goût
ennuyeux de l'antique , il s'étoit par là
rapproché de nous ; car le Borromini a rendu
à l'Italie le même fervice que nous
avons rendu à la France , en y introduifant
une architecture gaie & indépendante
de toutes les régles de ce que l'on appelloit
anciennement le bon goût . Les Italiens ont
depuis bien perfectionné cette premiere
tentative , & du côté de l'architecture plai
fante ils ne nous le cédent en rien . Leur
goût n'eft pas le nôtre dans ce nouveau
genre , il est beaucoup plus lourd ; mais
nous avons cela de commun , que nous
avons également abandonné toutes les
vieilles modes pour lefquelles on avoit un
refpect fuperftitieux . Meiffonnier commen-
са à détruire toutes les lignes droites qui
étoient du vieil ufage ; il tourna & fit
bomber les corniches de toutes façons , il
les ceintra en haut & en bas , en devant ,
en arriere , donna des formes à tout , mêFEVRIER.
1755 155
me aux moulures qui en paroiffoient les
moins fufceptibles ; il inventa les contraftes
, c'est-à- dire qu'il bannit la fymmétrie
& qu'il ne fit plus les deux côtés des panneaux
femblables l'un à l'autre ; au contraire
, ces côtés fembloient fe défier à qui
s'éloigneroit le plus , & de la maniere la
plus finguliere , de la ligne droite à laquelle
ils avoient jufqu'alors été affervis .
Rien n'eſt fi admirable que de voir de
-quelle maniere il engageoit les corniches
des marbres les plus durs à fe prêter avec
complaifance aux bizarreries ingénieufes
des formes de cartels ou autres chofes qui
-devoient porter deffus. Les balcons ou les
-rampes d'efcalier n'eurent plus la permiffion
de paffer droit leur chemin ; il leur
fallut ferpenter à fa volonté , & les matieres
les plus roides devinrent fouples fous
fa main triomphante. Ce fut lui qui mic
-en vogue ces charmans contours en S , que
votre auteur croit rendre ridicules , en difant
que leur origine vient des maîtres
Ecrivains ; comme fi les arts ne devoient
pas le prêter des fecours mutuels il les
employa par tout , & à proprement parler
fes deffeins , même pour des plans de bâtimens
, ne furent qu'une combinaifon de
cette forme dans tous les fens poffibles . Il
nous apprit à terminer nos moulures en
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
rouleau , lorfque nous ne fçaurions com
ment les lier les unes aux autres , & mille
autres chofes non moins admirables qu'il
feroit trop long de vous citer : enfin l'on
peut dire que nous n'avons rien produit
depuis dont on ne trouve les femences
dans fes ouvrages. Quels fervices n'a-t- il
pas rendus à l'orfevrerie ? il rejetta bien
loin toutes les formes quarrées , rondes ou
ovales , & toutes ces moulures dont les
ornemens repérés avec exactitude donnent
tant de fujétion ; avec fes chers contours
en S , il remplaça tout. Ce qu'il y a
de particulier , c'eft qu'en moins de rien
l'orfevrerie & les bijoux devinrent trèsaifés
à traiter avec génie. En vain le célebré
Germain voulut s'opposer au torrent
& foutenir le vieux goût dont il avoit été
bercé dans fon enfance , fa réputation même
en fut quelque peu éclipfée , & il fe
vit fouvent préférer Meiffonnier , par l'appui
que nous lui donnions fous main ; cependant
, le croiriez-vous ! ce grand Meiffonnier
n'étoit pas encore notre homme ,
il tenoit trop à ce qu'ils appellent grande.
maniere. De plus il eut l'imprudence de
laiffer graver plufieurs ouvrages de lui , &
mit par là le public à portée de voir que
ce génie immenfe qu'on lui croyoit , n'étoit
qu'une répétition ennuyeufe des mê
FEVRIER. 1755 157
mes formes. Il fe décrédita , & nous l'abandonnâmes
d'autant plus facilement ,
que malgré les fecours que nous lui avions
prêtés pour l'établiſſement de fa réputation
, il ne vouloit point faire corps avec
& nous traitoit hautement d'igno- nous ,
rans : quelle ingratitude !
Nous fimes enfin la découverte du héros
dont nous avions befoin. Ce fut un
Sculpteur , qui n'avoit point pû fe gâter à
Rome , car il n'y avoit point été , bien
qu'il eût vû beaucoup de pays. Il s'étoit
formé avec nous , & avoit fi bien goûté
notre maniere , & fi peu ces prétendues
régles anciennes , que rien ne pouvoit reftreindre
l'abondance de fon génie . Il fçavoit
affez d'architecture ancienne pour ne
pas contrecarrer directement ceux qui y
tenoient avec trop d'obftination ; mais il
la déguifoit avec tant d'adreffe qu'il avoit
le mérite de l'invention , & qu'on ne la
reconnoiffoit qu'à peine. Il allégea toutes
ces moulures & tous ces profils où Oppenor
& Meiffonnier avoient voulu conferver
un caractere qu'ils appelloient mâle ; il
les traita d'une délicateffe qui les fait prefque
échapper à la vûe ; il trouva dans les
mêmes efpaces le moyen d'en mettre fix
fois davantage ; il s'affranchit tout d'un
coup de la loi qu'ils s'étoient follement
18 MERCURE DE FRANCE.
impofée de lier toujours leurs ornemens les
uns aux autres ; il les divifa , les coupa
en mille pieces , toujours terminées par ce
-rouleau qui eft notre principale reffource ;
& afin que ceux qui aimoient la liaiſon
ne s'apperçuffent pas trop de ces interruptions
, il fit paroître des liaiſons apparen
tes , par le fecours d'une fleur , qui ellemême
ne tenoit à rien , ou par quelque légereté
également ingénieufe ; il renonça
pour jamais à la régle & au compas : on
avoit déja banni la fymmetrie , il rencherit
encore là-deffus . S'il lui échappa quelquefois
de faire des panneaux femblables
l'un à l'autre , il mit ces objets fymmétriques
fi loin l'un de l'autre , qu'il auroit
fallu une attention bien fuivie pour s'appercevoir
de leur reffemblance. Aux agra
fes du ceintre des croifées qui ci-devant
ne repréfentoient que la clef de l'arc décorée
, il fubftitua de petits cartels enrichis
de mille gentilleffes & pofés de travers
, dont le pendant fe trouvoit à l'au
tre extrêmité du bâtiment . C'eſt à lui qu'on
doit l'emploi abondant des palmiers , qui
à la vérité avoient été trouvés avant lui ,
& que votre auteur blâme fi ridiculement.
Il établit folidement l'ufage de fupprimer
tous les plafonds , en faifant faire à des
Sculpteurs , à bon marché , de jolies petites
FEVRIER.
1755 159
dentelles en bas- relief , qui réuffirent fi
bien , qu'on prit le fage parti de fupprimer
les corniches des appartemens pour les enrichir
de ces charmantes dentelles . C'eft
notre triomphe que cette profcription des
corniches ; rien ne nous donnoit plus de
fujétion que ces miferes antiques dont on
les ornoit , & aufquelles votre écrivain
paroît fi attaché. Il y falloit une exactitude
& une jufteffe , qui pour peu qu'on y
manquât , fe déceloit d'abord à des yeux
un peu feveres. Nous regrettons encore
ce grand homme , quoique fes merveilleux
talens ayent été remplacés fur le champ
par quantité de Sculpteurs , non moins
abondans que lui dans cette forte de génie.
C'eft à lui que nous avons l'obligation
de cette fupériorité que nous avons acqui
fe , & que nous fçaurons conferver ; & on
peut dire à fa gloire que tout ce qui s'éloigne
du goût antique lui doit fon inven
tion , ou fa perfection.
}
En fuivant fes principes , nous avons
abfolument rejetté tous ces anciens plafonds
chargés de fculptures & de dorures ,
qui à la vérité avoient de la magnificence ,
& contre lefquels nous n'avons rien à dire
, fi ce n'eft qu'ils ne font plus de mode.
En dépit des cris de toute l'Académie de
Peinture , nous avons fçu perfuader à tous
160
MERCURE DE
FRANCE.
tes les
perſonnes chez qui nous avons
quelque crédit , que les plafonds peints
obfcurciffent les
appartemens & les rendent
triftes.
Inutilement veut- on nous repréfenter
que nous avons
juſtement dans
notre fiécle des Peintres , dont la couleur
eft très-agréable , & qui aiment à rendre
leurs tableaux
lumineux ; qu'en traitant
les plafonds d'une couleur claire ils n'auroient
point le
defagrément qu'on reproche
aux anciens , & qu'ils auroient de plus
le mérite de
repréfenter quelque chofe
d'amufant par le fujet , &
d'agréable par
la variété des couleurs. Les Peintres n'y
gagneront rien , ils nous ont irrité en méprifant
nos premieres
productions ; & nous
voulons d'autant plus les perdre que nous
n'efperons pas de pouvoir les gagner ; ils
ne fe rendroient qu'avec des
reftrictions
qui ne font pas de notre goût. Les Sculp
seurs de figures feront auffi compris dans
cette
profcription ; ils feroient encore plus
à portée de nous faire de mauvaiſes chicanes.
Notre
Sculpteur favori nous a don
né mille moyens de nous paffer d'eux : aù
lieu de tout cela il a imaginé une rofette
charmante , qu'à peine on
apperçoit , &
qu'il met au milieu du plancher , à l'endroit
où
s'attache le luftre : voilà ce qu'on
préfère avec raiſon aux plus belles produce
FEVRIER. 1755
161
tions de leur art. Il y a encore un petit
nombre de criards qui répandent par-tour
que le bon goût eft perdu , & qu'il y a
très- peu d'Architectes qui entendent la
décoration ; que c'eft le grand goût de la
décoration qui fait le caractere effentiel
de l'Architecte . Nous détruifons tous ces
argumens , en foutenant hautement que
ce qui diftingue l'Architecte , eft l'art de
la diftribution. Ils ont beau dire qu'elle
n'eft pas auffi difficile que nous voulons
le faire croire , & qu'il eft évident qu'avec
un peu d'intelligence chaque particulier
peut arranger fa maifon d'une maniere
qui lui foit commode , relativement aux
befoins de fon état ; que la difficulté que
le particulier ne fçauroit lever , ni nous
non plus , & qui demande toutes les lumieres
d'un grand architecte , eft d'ajuſter
cette diftribution commode avec une décoration
exacte , fymmétrique , & dans ce
qu'ils appellent le bon goût , foit dans les
dehors , foit dans les dedans voilà juſtement
ce qui nous rendra toujours victorieux.
Comme notre architecture n'a aucunes
régles qui l'aftreignent , qu'elle eſt
commode , & qu'en quelque façon elle
prête , nous nous fommes faits un grand
nombre de partifans qui fatisfaits de notre
facilité à remplir toutes leurs fantaisies ,
162 MERCURE DE FRANCE.
›
nous foutiendront toujours. Nous voudrions
bien voir ces Meffieurs de l'antique
entreprendre de décorer l'extérieur d'un
bâtiment avec toutes les fujétions que
nous leur avons impofées. Comme les plus
grands cris avoient d'abord été contre nos
décorations extérieures , parce qu'elles
étoient expofées à la vûe de tout le monde ;
que d'ailleurs le vuide ne coûte rien à décorer
, & ne donne point de prife à la critique
, nous avons amené la multitude des
fenêtres, qui a parfaitement bien réuffi ; car
il eft infiniment agréable d'avoir trois fenê
tres dans une chambre , qui jadis en auroit
eu à peine deux. Cela donne à la vérité
plus de froid dans l'hiver & plus de chaleur
dans l'été mais que nous importe ? il n'en
-eſt
: pas moins fûr qu'à préſent chacun veut
que fa maifon foit toute percée , & que
-nos Meffieurs du goût ancien , qui ne fçavent
décorer que du plein , n'y trouvent
plus de place. Qu'ils y mettent , s'ils le peutvent
, de leurs fenêtres décorées , qu'ils
tâchent d'y placer leurs frontons à l'antique
, qui , difent - ils , décorent la fenêtre
, & mettent à couvert ceux qui y
font nous y avons remédié en élevant
les fenêtres jufques au haut du plancher.
Rien n'eft fi amufant que de voir un
pauvre architecte revenant d'Italie , à qui
:
FEVRIER. 1755 163
(
"
Ton donne une pareille cage à décorer , ſe
tordre l'imagination pour y appliquer ces
chers principes , qu'il s'eft donné tant de
peine à apprendre ; & s'il lui arrive d'y
réuffir , ce qu'il ne peut fans diminuer les
croifées , c'eſt alors que nous faifons voir
clairement combien fa production eft trifte
& mauffade . Vous ne verrez pas clair chez
vous , leur difons- nous , vous n'aurez pas
d'air pour refpirer , à peine verrez- vous le
foleil dans les beaux jours : ces nouveaux artiftes
fe retirent confus,& font enfin obligés
de fe joindre à nous , pour trouver jour à
percer dans le monde. Nous n'avons pas encore
entierement abandonné les frontons
dont les anciens fe fervoient pour terminer
le haut de leurs bâtimens , & qui repréfentoient
le toît , quoique nous aimions bien
mieux employer certaines terminaiſons en
façon d'orfevrerie , qui font de notre crû.
A l'égard des frontons , nous avons du
moins trouvé le moyen de les placer ou
on ne s'attendoit pas à les voir ; nous les
mettons au premier étage , & plus heureufement
encore au fecond ; & nous ne manquons
gueres d'élever un étage au -deffus
, afin qu'ils ayent le moins de rapport
qu'il eft poffible avec ceux des anciens.
Nous avons ou peu s'en faut , banni les
colonnes , uniquement parce que c'eft un
164 MERCURE DE FRANCE
→
des plus beaux ornemens de ce trifte goût
ancien , & nous ne les rétablirons que
lorfque nous aurons trouvé le moyen de
les rendre fi nouvelles qu'elles n'ayent plus
aucune reffemblance avec toutes ces antiquailles.
D'ailleurs elles ne fçauroient s'accommoder
avec nos gentilleffes légeres ,
elles font paroître mefquin tout ce qui
les accompagne. Beaucoup de gens tenoient
encore à cette forte d'ornement , qui leur
paroiffoit avoir une grande beauté mais
nous avons fçu perfuader aux uns , que
cela coûtoit beaucoup plus que toutes les
chofes que nous leur faifions , quoique
peut-être en économifant bien , cela pût
ne revenir qu'à la même dépenſe ; aux
autres , que cette décoration ne convenoit
point à leur état , & qu'elle étoit reſervée
pour les temples de Dieu & les palais des
Rois ; que quelques énormes dépenfes que
nous leur fiffions faire chez eux , perfonne
n'en fçauroit rien , quoiqu'ils le fiffent
voir à tout le monde ; au lieu qu'une petite
colonnade , qui ne coûteroit peut-être
gueres , feroit un bruit épouventable dans
Paris. Nous avons accepté les pilaftres jufqu'à
un certain point , c'eft- à- dire forfque
nous avons pû les dépayfer par des
chapiteaux divertiffans. Les piédeftaux font
auffi reçus chez nous , mais nous avons
FEVRIER. 1755. 165
·
trouvé l'art de les contourner , en élargiffant
par le bas , comme s'ils crevoient fous
le fardeau , ou plus gaiement encore , en
les faifant enfler du haut , & toujours en
S, comme s'ils réuniffoient leur force en
cę lieu
ce pour mieux porter. Mais où notre
génie triomphe , c'eſt dans les bordures
des deffus de porte , que nous pouvons
nous vanter d'avoir varié prefque à l'infini.
Les Peintres nous en maudiffent , parce
qu'ils ne fçavent comment compofer leurs
fujets avec les incurfions que nos ornemens
font fur leur toile ; mais tant pis
pour eux : lorfque nous faifons une fi grande
dépenfe de génie , ils peuvent bien auffi
s'évertuer ; ce font des efpéces de bouts
rimés que nous leur donnons à remplir.
Il auroit pû refter quelque reffource à la
vieille architecture pour fe produire à Paris
; mais nous avons coupé l'arbre dans fa
racine , en annonçant la mode des petits
appartemens , & nous avons fappé l'ancien
préjugé , qui vouloit que les perfonnes
diftinguées par leur état caffent un appar !
tement de répréfentation grand & magnifique.
Nous efperons que dorénavant la
regle fera que plus la perfonne fera élevée
en dignité , plus fon appartement fera
patit : vous voyez qu'alors il fera difficile
de nous faire defemparer, Ceux qui poure
GG MERCURE DE FRANCE.
ront faire de la dépenfe , ne la feront qu'en
petit , & s'adrefferont à nous. Il ne reſtera
pour occuper ces Meffieurs , que ceux qui
n'ont pas le moyen de rien faire.
Voyez , je vous prie , l'impertinence de
votre auteur critique ; il s'ennuye , dit- il ,
de voir par-tout des croifées ceintrées ,
mais il n'ofe pas difconvenir que cette forte
de croifée ne foit bonne . Peut-on avoir
trop d'une bonne chofe ? & pourquoi veutil
qu'on aille fe fatiguer l'imagination pour
trouver des variétés , lorfqu'une chofe eft
de mode , & qu'on eft fûr du fuccès ? Ne
voit-il pas que toutes nos portes , nos cheminées
, nos fenêtres , avec leur plat-bandeau
, font à peu près la même choſe :
puifqu'on en eft content , pourquoi fe tuer
à en chercher d'autres ? Il blâme nos portes
oùles moulures fe tournent circulairement ;
invention heureuſe que nous appliquons à
tout avec le plus grand fuccès. Il faut :
qu'il foit bien étranger lui-même dans
Paris , pour ne pas fçavoir de qui nous
la - tenons. C'est d'un Architecte à qui les
amateurs de l'antique donnent le nom de
grand. Le célébre François Manſard la
employée dans fon portail des Filles de :
Sainte Marie , rue Saint Antoine ; voilà
une autorité qu'il ne peut recufer.Pour vous
faire voir combien cette forte de fronton
FEVRIER. 1755 . 1671
7
réuffit quand elle eft traitée à notre façon ,
& combien elle l'emporte fur l'architecture
ancienne ; comparez le portail des Capucines
de la place de Louis le Grand ,
morceau fi admirable qu'on vient de le
reftaurer , de peur que la poſtérité n'en fût
privée ; comparez- le avec le portail à colonnes
de l'Affomption , qui n'en eft pas
loin , & vous toucherez au doigt la différence
qui eft entre nous & les Architectes:
du fiécle paffé.
Mais laiffons là ce critique ; ce feroitperdre
le tems que de s'amufer à lui démontrer
en détail l'abfurdité de fes jugemens.
Nous ne vous diffimulerons pas que
nous fommes actuellement dans une pofi-:
tion un peu critique , & qu'une révolu-.
tion dans le goût de l'architecture nous
paroîtroit prochaine fi nous la croyions
poffible. Il fe rencontre actuellement plufeurs
obftacles à nos progrès ; maudite
foit cette architecture antique , fa féduction
, dont on a bien de la peine à revenir
lorfqu'une fois on s'y eft laiffé prendre
nous a enlevé un protecteur qui auroit
peut- être été pour nous l'appui le plus fo
lide , fi nous avions été chargés du foin
de l'endocriner. Pourquoi aller chercher
bien loin ce qu'on peut trouver chez foi
nous amufons en inftruifant ; ne peut-on
168 MERCURE DE FRANCE.
pas ſe former le goût en voyant nos deffeins
de boudoirs , de garde-robes , de
pavillons à la Turque , de cabinets à la
Chinoife ? Est- ce quelque chofe de fort
agréable que cette Eglife demefurée de S.
Pierre , ou que cette rotonde antique , dont
le portail n'a qu'un ordre dans une hauteur
où nous , qui avons du génie , aurions
trouvé de la place pour en mettre au moins
trois il n'eft pas concevable qu'on puiffe
balancer. Cependant cette perte eft irrépa
rable : cela eft defolant ; car tous les projets
que nous préfentons paroiffent comiques
à des yeux ainfi prévenus . Nous avons
même tenté de mêler quelque chofe d'antique
dans nos deffeins , voyez quel facrifice
! pour faire paffer avec notre marchandife
, tout cela fans fuccès : on nous
devine d'abord.
Autre obſtacle qui eft une fuite du premier.
Les bâtimens du Roi nous ont donné
une exclufion totale ; tout ce qui s'y
fait fent la vieille architecture , & ce même
public , que nous comptions avoir ſubjugué
, s'écrie : voilà qui eft beau. Il y a
une fatalité attachée à cette vieille mode ,.
par-tout où elle fe montre elle nous dépare
; l'Académie même a peine à fe défendre
de cette contagion , il femble qu'elle
ne veuille plus donner de prix qu'à ceux
qui
FEVRIER. 1755. 169'
I
qui s'approchent le plus du goût de l'antique.
Cela nous expofe à des avanies , de
la part même de ces jeunes étourdis , qui fe
donnent les airs de rire de notre goût moderne.
Cette confpiration eft bien foutenue
; car , à ne vous rien céler , il y a encore
plufieurs Architectes de réputation
& même qui n'ont pas vû l'Italie , mais
qui par choix en ont adopté le goût , que
nous n'avons jamais pû attirer dans notre
parti . Il y a plus ; quelques - uns que nous
avons crû long tems des nôtres , à la
miere occafion qu'ils ont eu de faire quelque
chofe de remarquable , nous ont laiffés
là , & fe font jettés dans l'ancien
goût.
pre-
Vous êtes , fans doute , pénétré de compaffion
à la vûe du danger où nous nous
trouvons , & nous vous faifons pitié ; mais
confolez- vous , nous avons dés reffources
; nous fçaurons bien arrêter ces nouveaux
débarqués d'Italie . Nous leur oppoferons
tant d'obftacles que nous les empêcherons
de rien faire , & peut- être les'
forcerons-nous d'aller chez l'étranger exercer
des talens qui nous déplaifent. Ils aiment
à employer des colonnades avec des
architraves en plate - bande ; nous en déclarerons
la bâtiffe impoffible. Ils auront
beau citer la colonnade du Louvre , la
H
170 MERCURE DE FRANCE.
chapelle de Verſailles , & autres bâtimens
dont on ne peut contefter la folidité ; qui
eft - ce qui les en croira ? leur voix fera- telle
d'un plus grand poids que celle de
gens qui ont bâti des petites maifons par
milliers dans Paris ? mais voici l'argument
invincible que nous leur gardons pour le
dernier. Nous leur demanderons ce qu'ils
ont bâti : il faudra bien qu'ils conviennent
qu'ils n'en ont point encore eu l'occafion .
C'est là où nous les attendons : comment ,
dirons- nous , quelle imprudence ! confier
un bâtiment à un jeune homme fans expérience
? Cette objection eft fans réplique.
On ne s'avifera pas de faire réflexion
qu'un jeune homme de mérite , & d'un
caractere docile , peut facilement s'affocier
un homme qui , fans prétendre à la décoration
, ait une longue pratique du bâtiment
, & lui donneroit les confeils néceffaires
, en cas qu'il hazardât quelque chofe
de trop hardi ; que d'ailleurs il Y auroit
dans Paris bien des maifons en ruines , fi
le premier bâtiment de chaque Architecte
manquoit de folidité.
Au refte , ne croyez point que ce foit
dans le deffein de nuire à ces jeunes gens
que nous leur ferons ces difficultés : c'eft
uniquement pour leur bien , & pour leur
donner le tems , pendant quelques années ,
FEVRIER.
1755.171.
d'apprendre le bon goût que nous avons
établi , & de quitter leurs préjugés ultramontains
nous avons l'expérience que
cela a rarement manqué de nous réuffic .
: Si donc vous connoiffez cette fociété .
d'Artiſtes qui prend la liberté de nous blâmer
, avertiffez-les d'être plus retenus à
l'avenir ; leurs critiques font fuperflues.
Le public nous aime , nous l'avons accoutumé
à nous d'ailleurs chacun de ceux
qui font bâtir , même des édifices publics
, eft perfuadé que quiconque a les
fonds pour bâtir , a de droit les connoiffances
néceffaires pour le bien faire. Peuton
manquer de goût quand on a de l'argent
? Nous fommes déja fûrs des Procureurs
de la plupart des Communautés ,
des Marguilliers de prefque toutes les
Paroiffes , & de tant d'autres qui font
à la tête des entrepriſes. Enfin foyez certains
que nous & nos amis nous ferons
toujours le plus grand nombre. Nous fommes
, &c.
On voit que le faux bel efprit gagne les
beaux arts , ainfi que les belles- lettres . On
force la nature dans tous les genres , on
contourne les figures , on met tout en S :
qu'il y a de Meiffonniers en poëfie & en
éloquence , comme en architecture !
レン
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ARC DE TRIOMPHE à la gloire du Roi ,
qui a été élevé, fur les deffeins du Chevalier
Servandoni , le jour que M. le Duc de Gefvres
a pofé , au nom de Sa Majefté , la premiere
pierre de la place commencée devant
l'Eglife de S. Sulpice le 2 Octobre 1754 :
dédié à M. Dulau d'Allemans , Curé de S.
Sulpice , gravé par P. Patte , & fe vend
chez lui rue des Noyers , la fixieme porte .
cochere à droite en entrant par la rue Saint·
Jacques , grandeur de la feuille du nom de
Jefus. Prix 1 liv. 10 fols. I
L'eftampe que nous annonçons eft gravée
à l'aide d'une feule taille , ou ligne , à
peu près dans la maniere dont le célébre
Piranefi s'eft fervi pour rendre fes compofitions
d'architecture , dont les connoiffeurs
font tant de cas. Il feroit peut- être à fouhaiter
que cette manoeuvre de gravûre fut
ufitée en France ; elle pourroit donner à
nos eftampes d'architecture une perfection
qu'elles n'ont point eu jufqu'à préfent. En
effet , la pratique d'exprimer les ombres
dans les gravûres ordinaires de nos édifices
par deux tailles , c'eft-à- dire par deux ;
lignes qui s'entrecoupent quarrément ou
ea lofange , rend à la vérité ce genre de
gravûre aifé & expéditif ; mais elle lui ,
donne un air froid , commun , & une dureté
qui femble faire une efpéce d'injure
FEVRIER. 1755. 173
aux yeux ; c'eſt le jugement qu'ont tou-
-jours porté nos artiftes fur ces fortes d'ef
tampes. Auffi peut-on remarquer qu'on
n'a pas crû. devoir accorder à leurs Graveurs
aucune place dans nos Académies ,
foit de peinture , foit d'architecture ; ce
que l'on eût fait affurément , fi leurs talens
euffent paru aux connoiffeurs devoir
mériter quelque diftinction . On a effayé ,
dans la planche que nous propofons , de
mettre ce genre de gravûre dans quelque
eftime , par une nouvelle manoeuvre qui
fente l'art , & qui remédie aux défauts de
l'ancienne. Chaque ombre y eft énoncée
par une feule ligne , plus ou moins groffe
ou ferrée , dont la direction exprime continuellement
la perſpective du corps d'architecture
fur lequel elle eft portée. Afin d'ôter
toute dureté , on a affecté de ne point terminer
les extrêmités de chaque ombre par
aucune ligne , mais feulement par la fin de
toutes les lignes , qui forme l'ombre , ce qui
femble affez bien imiter les arrêtes de la pierre,
lefquelles confervent toujours une efpéce
de rondeur. Toutes les teintes générales ,
quelles qu'elles foient , y font exprimées
à la pointe féche , ce qui eft propre à donner
à cette gravûre un ton fuave , qui
femble participer de cette couleur aërienne
répandue fur la furface de nos bâtimens ;
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
ton auquel on ne peut atteindre avec le
fecours de l'eau forte , comme on le pratique
ordinairement. Au refte , c'eft à la
-vue de cette planche à parler en faveur des
avantages de fa nouvelle manoeuvre , & on
fe flatte qu'elle convaincra fans peine que
cette maniere de faire eft bien plus favora
ble que l'autre pour les effets de la perf
pective ; qu'elle eft analogue à la maniere
dont on deffine l'architecture à la plume ,
:& que la parfaite égalité qu'elle demande
doit fatisfaire agréablement la vue des fçavans
comme des ignorans ; quelques lignes
plus ou moins ferrées dans les ombres
étant capables d'y faire une difcordance
de ton irrémédiable , & qui faute aux yeux
de chacun . Cette maniere de traiter l'architecture
eft ; il eft vrai , très-laborieufe
& difficile à bien exécuter ; mais elle
pour-
.roit donner un prix à nos eftampes d'architecture
, & les élever à décorer avec diftinction
les cabinets des curieux.
F
C'eft aux artistes à apprécier ces réflexions,
par la comparaifon de l'eftampe qu'on leur
offre , avec celles que nous avons dans le
genre oppofé. Le feul but que l'on fe propofe
en les faifant , eft de contribuer à la
perfection d'un genre de gravure que l'on
n'a peut- être pas affez cherché jufqu'ici à
rendre recommendable,
Fermer
Résumé : ARCHITECTURE. LETTRE A M. L'ABBÉ R*** fur une très-mauvaise plaisanterie qu'il a laissé imprimer dans le Mercure du mois de Décembre 1754, par une société d'Architectes, qui pourroient bien aussi prétendre être du premier mérite & de la premiere réputation, quoiqu'ils ne soient pas de l'Académie.
En décembre 1754, une lettre critique une plaisanterie publiée dans le Mercure, visant les architectes modernes. L'auteur s'étonne que M. l'Abbé R, homme d'esprit, ait autorisé cette satire, qui cherche à discréditer l'architecture moderne et à détruire la confiance du public. La lettre suggère un complot impliquant des peintres jaloux, influencés par l'architecture antique italienne, cherchant à imposer des préjugés obsolètes. Les architectes modernes se défendent en soulignant leur contribution à l'agrément de Paris et à l'extension de l'art architectural, adoptée même par les étrangers, comme les Anglais. Les architectes modernes critiquent l'imprudence de graver des décorations révélant leurs secrets. Ils ont trouvé des moyens pour que chacun puisse apprécier l'architecture, s'opposant aux idées du beau reçues dans une nation éclairée. Ils citent des figures comme Oppenord et Meissonnier, innovateurs en architecture. Ils célèbrent également un sculpteur formé en France, rompant avec les règles anciennes et les symétries rigides. Un architecte influent a popularisé l'utilisation abondante de palmiers et supprimé les plafonds traditionnels, les remplaçant par des dentelles en bas-relief sculptées. Cette approche a conduit à l'abandon des corniches ornées dans les appartements. L'auteur regrette la perte de cet architecte, bien que ses talents aient été rapidement remplacés par d'autres sculpteurs. Le texte critique les plafonds anciens, jugés démodés, et préfère les plafonds peints. Les sculpteurs de figures sont exclus en faveur de rosettes discrètes. L'auteur souligne la commodité et la flexibilité de leur architecture, permettant de satisfaire toutes les fantaisies des clients. Les fenêtres multiples sont préférées, malgré les inconvénients climatiques, et les frontons antiques sont modifiés pour éviter toute ressemblance avec les styles anciens. Les colonnes sont bannies en raison de leur association avec le goût ancien, et les pilastres sont acceptés seulement s'ils sont modifiés par des chapiteaux divertissants. La mode des petits appartements est promue, rendant les grands appartements de représentation obsolètes. Le texte critique un auteur s'ennuyant des croisées cintrées mais reconnaît leur qualité. Il défend l'utilisation des moulures circulaires, inspirées par François Mansart. En février 1755, une controverse architecturale en France oppose les architectes modernes à ceux influencés par le goût antique, souvent revenus d'Italie. Les auteurs expriment leur intention de contrer ces nouveaux architectes en remettant en question leur expérience et leur capacité à construire des bâtiments solides. Ils mentionnent une nouvelle technique de gravure architecturale, inspirée par Piranesi, visant à améliorer la qualité des estampes en France. Cette technique utilise une seule ligne pour exprimer les ombres, offrant une perspective plus douce et plus réaliste. Les auteurs espèrent que cette innovation sera reconnue et valorisée par les connaisseurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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p. 159-172
ARCHITECTURE. Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
Début :
Une société de Gens de Lettres, vient de publier un nouveau volume de ses [...]
Mots clefs :
Architecture, Architecte, Mémoires, Gloire, Architecture antique, Église, Édifices, Goût, Portail, Marchés, Louvre, Bâtiment, Société de gens de Lettres
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ARCHITECTURE. Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
ARCHITECTURE.
Mercure du mois de Juin de l'année 2355-
Ne fociété de Gens de Lettres , vient
de publier un nouveau volume de fes
Mémoires *.
C'eft une chofe admirable que la vertueuſe
ténacité avec laquelle cet illuftre
corps s'attache à multiplier fes découvertes
fur nos antiquités françoiſes .
J'en rendrai compte , non fuivant l'ordre
felon lequel les Mémoires font arrangés
dans le volume , mais en mettant de
* Ces mémoires fontd'autant plus rares , qu'ils
font l'ouvrage des fçavans qui font à naître , &
qu'ils ont été faits plufieurs fiecles après le nôtre.
Jufqu'ici l'érudition avoit employé fa fagacité à
débrouiller le cahos des tems paffés , mais elle
étend aujourd'hui fes lumieres jufqu'à percer les
ténébres d'un âge à venir. C'eſt donner un être à
la poffibilité , c'eft réaliſer les conjectures , & ( ce
que j'eftime le plus dans ce morceau , ) c'est trouver
une maniere auffi nouvelle qu'ingénieufe , de
louer le fiecle préfent , fans bleffer la modeftie de
perfonne. Je crois faire un vrai préſent au public
de l'inférer dans mon journal.
160 MERCURE DE FRANCE.
fuite ceux qui traittent des matieres qui ont
du rapport les unes aux autres. Ainfi , je
rapporterai d'abord ceux qui concernent
l'Architecture antique.
Le premier eft celui du célébre M. Scarcher
, déja connu par tant d'ouvrages remplis
de la plus profonde érudition , il Y
traite des reftes d'Architecture de l'ancienne
ville de Paris. Il prouve d'abord d'une
maniere irréfiftible que le quartier de la
Cour , que nous diftinguons fous le nom
de quartier de Verfailles , étoit autrefois
hors de la ville de Paris , & qu'il y avoit
même une étendue confidérable de terrein
inhabité entre l'une & l'autre , il prétend
qu'alors la ville n'avoit qu'environ une
lieue d'étendue. On eft furpris , fans doute ,
de voir que cette ville magnifique ait eû
de fifoibles commencemens. Cependant il
eft difficile de fe refufer à la force des
ves qu'il a recueillies avec un courage infatigable
dans une quantité prodigieufe
d'anciens livres qu'il lui a fallu parcourir.
Il entreprend de prouver que la ville finiffoit
où l'on voit à préfent cette admirable
ftatue du grand Roi Louis XV. qui fut
furnommé par fes fujets le Bien -aimé
comme on le voit par les infcriptions de
la ftatue qui nous refte auffi bien confervée
que fi elle fortoit de la fonte , & qui
preuJUILLET.
1755 161
durera moins encore que la mémoire d'un
fi beau titre & la gloire de ce grand Monarque.
Enfuite il fait voir par un raifonnement
très étendu & plein d'érudition , que le
pont qu'on nomme Royal a pris fon nom
de cette ſtatue, contre le fentiment de quelques-
uns qui croyent qu'il fe nommoit
ainfi avant qu'elle fut érigée, Ce qu'il dit
fur ce fujer eft fi evident qu'il ne femble
pas qu'on puiffe le contefter d'avantage.
Il paffe enfuite à des recherches trèscurieufes
fur le merveilleux bâtiment du
Louvre , il réfute furabondamment le mémoire
donné dans la même Société l'année
précédente où l'on avoit avancé que ce fuperbe
édifice avoit été achevé & porté à fon
entiere perfection fous le regne de Louis
XIV. fondé fur l'autorité des Hiftoires ,
confervées dans les anciennes bibliothetheques
; il fait voir qu'il a été long- temps
abandonné à caufe des guerres qui ont troublé
la fin du XVIIe fiécle & le commencement
du XVIII , & qui ont affuré à la
France la fupériorité fur fes voifins , la
fplendeur & le repos dont elle jouit depuis
ces deux fiécles également célébres . Il rapporte
à ce fujet un trait d'hiftoire curieux
où l'on voit que celui qui étoit alors à la
tête des Arts , fecondant avec zele & avec
162 MERCURE DE FRANCE.
un goût peu commun , les intentions & l'inclination
du Roy régnant , pour les grandes
chofes , entreprit de reftaurer & d'achever
cet édifice , dont une partie tomboit
en ruine. Il fixe la datte de cet important
événement vers le milieu du XVIIIe fiécle .
"
Il détruit enfuite entiérement l'objection
la plus impofante que fon antagoniſte
avoit alléguée contre la vérité de ce fait
qui étoit le peu de vraisemblance qu'il
trouvoit à croire qu'une perfonne en place
pût avoir abandonné la gloire de conftruire
de nouveaux édifices , & s'être contentée
de celle d'amener à leur fin les ouvrages
commencés par fes prédéceffeurs , qui
méritoient d'être confervés à la postérité.
M. Scarcher fait voir combien cette idée
eft fauffe , & qu'elle n'eft fondée que fur
la reffemblance que nous fuppofons entre
les hommes d'alors , & ceux du temps où
nous vivons. Il eſt bien vrai que de nos
jours nous voyons rarement achever les
grandes entrepriſes , parce qu'il eft du bon
air de ne point fuivre les maximes ni les
idées de fes prédéceffeurs , mais il n'en
étoit pas ainfi dans ces temps héroïques ;
chacun mettoit fa gloire à contribuer autant
qu'il étoit en lui à celle du Roy
régnant , & lorfque le moyen le plus digne
avoit été trouvé par fon devancier , on le
JUILLET. 1755. 163
fuivoit fans difficulté. D'ailleurs , on ne
peut pas dire que le Supérieur de ces tempslà
fe foit uniquement borné à fuivre ou à
finir ce que les autres avoient tracé . Il nous
refte plufieurs édifices très confidérables
& d'une grande beauté qui ont été commencés
& achevés fous ce regne.
On ne peut trop admirer la facilité & la
juftefle avec laquelle notre Sçavant éclaircit
ces temps que leur éloignement nous
rend fi obfcurs . Si d'une part il nous fait
voir avec certitude que ce fuperbe bâtiment
a été négligé pendant quelques années
, en même temps il s'éleve avec la plus
grande force contre ceux qui ont avancé
que pendant long-temps cet édifice a été
environné d'écuries , de petites maiſons ,
même d'échoppes. Il fait voir quelle abfurdité
il y a à penfer que dans un fiècle auffi
éclairé , on ait fouffert une pareille profanation
, ce qu'il dit là- deffus eft rempli
d'éloquence.
J'abrege quantité de réflexions non moins
curieufes qu'il fait fur les beautés du Lou
vre & qu'il faut lire dans l'original , pour
paffer à ce qu'il dit fur l'Eglife antique de
fainte Génevieve de la montagne. Il croit
que cet admirable édifice a été bâti par le
même architecte que le fuperbe périftile du
Louvre. La tradition reçue jufqu'à préfent
164 MERCURE DE FRANCE.
étoit que cette églife avoit été commencée
vers le milieu du dix -huitiéme fiécle : en
admettant fes preuves , il faudroit en établir
la datte environ un fiécle plûtôt , ce
qui répugne un peu à la beauté de fa confervation
, cependant les raifons qu'il apporte
ne font point à rejetter. Il s'appuie
fur le fentiment de nos plus habiles architectes
, qui en conſidérant la noble ſimplicité
du goût de cette architecture , y reconnoiffent
le même ſtile qu'au Louvre , quoique
dans une compofition différente. Ils
prétendent que le goût du dix- huitiéme
fiécle a été inférieur , à en juger par quelques
reftes de bâtimens dont la datte eft
certaine & par quelques écrits de ces
temps- là qui font remplis de plaintes contre
le mauvais goût qui régnoit alors , &
où l'on en explique les défauts de maniere
à nous en donner une idée affez diftincte.
Or , on ne voit aucun de ces défauts ni
dans cette églife , ni au Louvre ; au contraire
ces édifices font encore les regles du
vrai beau .
La feconde preuve qu'il tire du nom
de l'architecte , fait voir avec quelle fagacité
il éclaircit les antiquités les plus épineuſes.
L'hiſtoire nous a confervé le nom
de l'architecte de ce beau periftile du Louvre
qui regarde le Levant , il fe nommoit
JUILLE T. 1755. 165
Perrault. M. Scarcher prouve à travers
mille difficultés que c'eft ce même nom qui
eft tracé à fainte Genevieve , & qui eft tellement
effacé , qu'il n'y a qu'un homme
auffi verfé dans les antiquités que M. Scarcher
, qui puiffe nous en donner l'intelligence.
La premiere difficulté qui fe rencontre
eft que le nom de Perrault eft compofé
de huit lettres & qu'on n'en apperçoit
que fept dans les foibles traces qui restent
fur ce marbre ; mais nous verrons bien-tôt
comment on doit expliquer cela. Les deux
dernieres lettres de ce nom , qui fe voyent
encore affez diftin&tement , font OT, & il
ya tout lieu de croire que celle qui les
précede eft une L. M. Scarcher prouve premierement
par un grand nombre d'autorités
refpectables que les anciens François
prononçoient la diphtongue an , de même
que la lettre o , & qu'ainfi ils mettoient indifféremment
l'une pour l'autre. Cette découverte
répond en même temps d'une ma
niere évidente à la premiere difficulté des
fept premieres lettres qui fe trouvent à
fainte Génevieve au lieu de huit , que demande
fa fuppofition , car il eft clair qu'ici
la lettre o tient lieu de deux . Il reste la difficulté
de L qui fe trouve avant l'O , au
lieu que dans le nom de Perrault , elle ſe
trouve après an. 11 y fatisfait du moins
曩
166 MERCURE DE FRANCE .
d'une maniere probable , en difant qu'il eft
poffible que la modeſtie de l'architecte
l'ayant empêché d'y mettre lui-même fon
nom , il n'a été mis qu'après la mort , &
que ceux qui l'ont gravé , l'ont ainfi défiguré
, ou par corruption , ou plûtôt parce
que c'étoit en effet la véritable prononciation
de ce temps- là , comme nous voyons
encore dans le nôtre que les Allemands
prononcent Makre quoiqu'ils écrivent Maker
, ainfi on peut avoir prononcé OLT,
quoiqu'il foit écrit LOT. Nous nous fommes
un peu étendus fur cet article , quoique
nous l'ayons beaucoup abrégé , parce
que c'eft un des plus importans de ce fçavant
mémoire & celui où l'on découvre la
plus rare érudition ; s'il y a quelque choſe
qui paroiffe inadmiffible , c'eft cet excès
de modeſtie qu'il ſuppoſe dans un architecte
; mais encore une fois , nous ne deyons
pas juger des hommes de ces fiécles
vertueux par ceux du nôtre. Il reſte encore
une objection. Plufieurs fçavans ont prétendu
que la premiere lettre de ce nom eft
une S , & qu'il eft difficile avec les traces
qui en reftent d'en faire un P * . C'eſt là
* Il y en a qui vont plus loin . Ayant de meilleurs
yeux , ils ont cru entrevoir uneƒavant l , &
fuppléant à la diphtongue qui manque , ils ont
conjecturé que le véritable nom de l'architecte
JUILLET. 1755- 167
qu'il faut voir M. Scarcher employer toutes
les forces de fon éloquence pour y trouver
un P , il faut le lire dans l'original ,
mais il eft vrai qu'il eft bien difficile quand
on l'a lû de ne l'y pas trouver avec lui ,
malgré les difficultés que préfente l'infpection
du marbre.
M. Scarcher traite enfuite des reftes antiques
de l'Eglife de faint Pierre & faint
Paul , qu'une tradition fans fondement
nomme faint Sulpice. Il démontre que nous
n'avons pas cet édifice ( dont il ne refte
prefque que le portail ) tel qu'il a été bâti .
Que les arcades qui font au fecond ordre ,
y ont été conftruites depuis par quelque
raifon de folidité occafionnée par les ravages
du temps , & qu'il n'y a nulle apparènce
qu'un architecte de ce mérite eut mis ces
maffifs au fecond ordre n'en ayant pas mis
au premier , c'eft- à-dire , le fort fur le
foible. Il prouve encore que les coloffes
monftrueux qui font fur les tours , ont été
pareillement ajoûtés par quelque raifon de
dévotion populaire , qui a voulu que l'on
vit les patrons de cette églife les plus
grands qu'il étoit poffible ; que les tours
ont été terminées en ligne droite par l'architecte
premier auteur de cet édifice , &
étoit Sauflot ou Souflot. J'avoue que je ferois affez
de ce dernier ſentiment,
168 MERCURE DE FRANCE:
que le couronnement que nous y voyons
maintenant eft une augmentation faite
dans un fiecle où le goût avoit dégénéré.
Il ne paroît pas auffi bien fondé , lorfqu'il
foutient que le fronton eft dans le même
cas d'être venu après coup. Il prétend
décider le problême qui embarraffe tous
nos architectes , c'est - à - dire , l'impoffibilité
qu'il y a que l'églife dont nous jugeons
par quelques arcades demi ruinées
qui fubfiftent encore , puiffe avoir été liée
avec ce portail . En effet , on ne voit aucune
hauteur ni aucune ligne qui y ait du rapport.
Il dit qu'alors l'intérieur de l'égliſe
étoit à deux ordres l'un fur l'autre femblables
à ceux du portail avec un rang de galleries
regnant tout au tour, que cette églife
ayant été détruite ou par quelque accident
ou par la barbarie des fiecles fuivans , on a
édifié à fa place ce bâtiment irrégulier qui
s'y accorde fi peu ; ce qui donne quelque
vraisemblance à fa fuppofition , c'eft qu'indépendamment
de leur peu de rapport avec
le portail ces fragmens qui nous reftent
n'en ont pas même entr'eux . Ce fentiment
n'eft cependant pas fans difficulté , on a
peine à concevoir que dans l'efpace de
temps qui s'est écoulé depuis fa premiere
conftruction , une égliſe auffi bien bâtie
que celle qui devoit tenir à ce portail , ait
été
JUILLET. 1755. 169
été détruite , relevée une feconde fois aufli
folidement que nous le voyons par ces
reftes , & encore ruinée . On ne peut que
difficilement fuppofer qu'elle ait été abbattue
exprès , d'ailleurs nous ne connoiffons
point de fiecle de barbarie depuis ces temps
mémorables. Les arts ont toujours été floriffans
, & n'ont fait que fe perfectionner
jufqu'au point d'élévation où nous les
voyons maintenant. M. Scarcher permettra
que nous ne nous rendions pas encore
fur cet article , & que nous attendions des
preuves plus fortes que le temps & fon
profond fçavoir lui feront découvrir.
Notre favant auteur paffe enfuite à un
refte de bâtiment ancien qu'on croit avoir
été une églife fous l'invocation de faint
Roch. Ce qu'on trouve de plus fatisfaiſant
dans les réflexions de M. Scarcher fur cette
églife , ce font les raifons dont il s'appuye
pour détruire le fentiment de ceux qui foutiennent
que le double focle qui porte les
arcades de la nef a été apparent dans fa
premiere conftruction . Il fait voir que le
focle d'enbas étoit la fondation qui fe trouvoit
enfevelie dans l'intérieur du terrein
qu'il n'eft vifible que parce qu'on a baiffé
le terrein intérieur de l'églife , & combien
il eft ridicule de penfer que jamais aucun
architecte fe foit avifé de mettre deux fo-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cles l'un fur l'autre , & fi élévés que les
bazes des colonnes font de beaucoup audeffus
de la vue. Il établit une feconde
preuve fur ce qu'on trouve par d'anciennes
eftampes qu'on croit gravées dans ces mêmes
tems , qu'il y a eu 15 ou 16 marches
pour monter à cette églife , au lieu qu'à
préfent il ne s'en trouve que cinq. Selon
fon idée , on a détruit les marches qui
montoient jufqu'au niveau du premier
focle. Ce fentiment n'eft probable que dans
la fuppofition que les marches que l'on y
voit maintenant ne font point du tout les
anciennes , car il auroit fallu pour monter
jufqu'à la hauteur des bazes du portail
qu'elles n'euffent laiffé aucun pallier ; ce
qui , quoique poffible , laiffe quelque doute
, d'autant plus qu'en calculant la hauteur
& l'enfoncement que produifent un
nombre de marches femblables à celles qui
reftent , on n'y trouve pas un rapport jufte
avec le nombre des marches indiquées dans
l'eftampe , il eft vrai qu'il ajoute une raifon
plaufible pour remédier au défaut de
juftelle du calcul de ces marches , il fait
remarquer que naturellement le terrein
des villes fe hauffe par un abus auquel on
ne fonge point à tenir la main , parce que
l'on apporte toujours & qu'on ne remporte
jamais. Tout ceci porta un caractere de
JUILLET. 1755. 171
vraisemblance auquel on a peine à ſe
refufer.
·
Il entreprend de prouver que cette églife
précede au moins d'un fiecle le bâtiment
du Louvre , c'est- à- dire , avant que la bonne
architecture fut bien connue . Premierement
par le défaut infupportable des bazes
& des chapiteaux des colomnes qui ſe pénetrent
avec les pilaftres , défaut ridicule
qu'on n'eut jamais fouffert dans un fiecle
plus éclairé. Secondement , par les fauffes
courbes qui font l'enfoncement des efpeces
de niches où font les petites portes de
l'églife . Il prétend que ces courbes font
les effais par où l'on a commencé avant
que de trouver les formes régulieres . Cette
feconde preuve n'eſt pas de la force de la
premiere , car on trouve plufieurs édifices
dont la datte eft certaine , & qui font conftruits
plus d'un fiecle & demi après , où
l'on voit ces mêmes courbes employées &
de plus mauvaiſes encore , d'ailleurs plufieurs
fçavans prétendent quele propre de
l'efprit humain , eft de trouver d'abord
tour naturellement le fimple qui eft le vrai
beau ; & que le goût ne fe corrompt qu'à
force de vouloir aller au-delà.
Au refte , il eft fi difficile de pénétrer
dans ces tems anciens , que les conjectures
vraisemblables doivent être regardées
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
comme des démonftrations . Ce mémoire
renferme quantité de recherches intéreſfantes
aufquelles je renvoye le lecteur
pour ne pas être trop long.
Mercure du mois de Juin de l'année 2355-
Ne fociété de Gens de Lettres , vient
de publier un nouveau volume de fes
Mémoires *.
C'eft une chofe admirable que la vertueuſe
ténacité avec laquelle cet illuftre
corps s'attache à multiplier fes découvertes
fur nos antiquités françoiſes .
J'en rendrai compte , non fuivant l'ordre
felon lequel les Mémoires font arrangés
dans le volume , mais en mettant de
* Ces mémoires fontd'autant plus rares , qu'ils
font l'ouvrage des fçavans qui font à naître , &
qu'ils ont été faits plufieurs fiecles après le nôtre.
Jufqu'ici l'érudition avoit employé fa fagacité à
débrouiller le cahos des tems paffés , mais elle
étend aujourd'hui fes lumieres jufqu'à percer les
ténébres d'un âge à venir. C'eſt donner un être à
la poffibilité , c'eft réaliſer les conjectures , & ( ce
que j'eftime le plus dans ce morceau , ) c'est trouver
une maniere auffi nouvelle qu'ingénieufe , de
louer le fiecle préfent , fans bleffer la modeftie de
perfonne. Je crois faire un vrai préſent au public
de l'inférer dans mon journal.
160 MERCURE DE FRANCE.
fuite ceux qui traittent des matieres qui ont
du rapport les unes aux autres. Ainfi , je
rapporterai d'abord ceux qui concernent
l'Architecture antique.
Le premier eft celui du célébre M. Scarcher
, déja connu par tant d'ouvrages remplis
de la plus profonde érudition , il Y
traite des reftes d'Architecture de l'ancienne
ville de Paris. Il prouve d'abord d'une
maniere irréfiftible que le quartier de la
Cour , que nous diftinguons fous le nom
de quartier de Verfailles , étoit autrefois
hors de la ville de Paris , & qu'il y avoit
même une étendue confidérable de terrein
inhabité entre l'une & l'autre , il prétend
qu'alors la ville n'avoit qu'environ une
lieue d'étendue. On eft furpris , fans doute ,
de voir que cette ville magnifique ait eû
de fifoibles commencemens. Cependant il
eft difficile de fe refufer à la force des
ves qu'il a recueillies avec un courage infatigable
dans une quantité prodigieufe
d'anciens livres qu'il lui a fallu parcourir.
Il entreprend de prouver que la ville finiffoit
où l'on voit à préfent cette admirable
ftatue du grand Roi Louis XV. qui fut
furnommé par fes fujets le Bien -aimé
comme on le voit par les infcriptions de
la ftatue qui nous refte auffi bien confervée
que fi elle fortoit de la fonte , & qui
preuJUILLET.
1755 161
durera moins encore que la mémoire d'un
fi beau titre & la gloire de ce grand Monarque.
Enfuite il fait voir par un raifonnement
très étendu & plein d'érudition , que le
pont qu'on nomme Royal a pris fon nom
de cette ſtatue, contre le fentiment de quelques-
uns qui croyent qu'il fe nommoit
ainfi avant qu'elle fut érigée, Ce qu'il dit
fur ce fujer eft fi evident qu'il ne femble
pas qu'on puiffe le contefter d'avantage.
Il paffe enfuite à des recherches trèscurieufes
fur le merveilleux bâtiment du
Louvre , il réfute furabondamment le mémoire
donné dans la même Société l'année
précédente où l'on avoit avancé que ce fuperbe
édifice avoit été achevé & porté à fon
entiere perfection fous le regne de Louis
XIV. fondé fur l'autorité des Hiftoires ,
confervées dans les anciennes bibliothetheques
; il fait voir qu'il a été long- temps
abandonné à caufe des guerres qui ont troublé
la fin du XVIIe fiécle & le commencement
du XVIII , & qui ont affuré à la
France la fupériorité fur fes voifins , la
fplendeur & le repos dont elle jouit depuis
ces deux fiécles également célébres . Il rapporte
à ce fujet un trait d'hiftoire curieux
où l'on voit que celui qui étoit alors à la
tête des Arts , fecondant avec zele & avec
162 MERCURE DE FRANCE.
un goût peu commun , les intentions & l'inclination
du Roy régnant , pour les grandes
chofes , entreprit de reftaurer & d'achever
cet édifice , dont une partie tomboit
en ruine. Il fixe la datte de cet important
événement vers le milieu du XVIIIe fiécle .
"
Il détruit enfuite entiérement l'objection
la plus impofante que fon antagoniſte
avoit alléguée contre la vérité de ce fait
qui étoit le peu de vraisemblance qu'il
trouvoit à croire qu'une perfonne en place
pût avoir abandonné la gloire de conftruire
de nouveaux édifices , & s'être contentée
de celle d'amener à leur fin les ouvrages
commencés par fes prédéceffeurs , qui
méritoient d'être confervés à la postérité.
M. Scarcher fait voir combien cette idée
eft fauffe , & qu'elle n'eft fondée que fur
la reffemblance que nous fuppofons entre
les hommes d'alors , & ceux du temps où
nous vivons. Il eſt bien vrai que de nos
jours nous voyons rarement achever les
grandes entrepriſes , parce qu'il eft du bon
air de ne point fuivre les maximes ni les
idées de fes prédéceffeurs , mais il n'en
étoit pas ainfi dans ces temps héroïques ;
chacun mettoit fa gloire à contribuer autant
qu'il étoit en lui à celle du Roy
régnant , & lorfque le moyen le plus digne
avoit été trouvé par fon devancier , on le
JUILLET. 1755. 163
fuivoit fans difficulté. D'ailleurs , on ne
peut pas dire que le Supérieur de ces tempslà
fe foit uniquement borné à fuivre ou à
finir ce que les autres avoient tracé . Il nous
refte plufieurs édifices très confidérables
& d'une grande beauté qui ont été commencés
& achevés fous ce regne.
On ne peut trop admirer la facilité & la
juftefle avec laquelle notre Sçavant éclaircit
ces temps que leur éloignement nous
rend fi obfcurs . Si d'une part il nous fait
voir avec certitude que ce fuperbe bâtiment
a été négligé pendant quelques années
, en même temps il s'éleve avec la plus
grande force contre ceux qui ont avancé
que pendant long-temps cet édifice a été
environné d'écuries , de petites maiſons ,
même d'échoppes. Il fait voir quelle abfurdité
il y a à penfer que dans un fiècle auffi
éclairé , on ait fouffert une pareille profanation
, ce qu'il dit là- deffus eft rempli
d'éloquence.
J'abrege quantité de réflexions non moins
curieufes qu'il fait fur les beautés du Lou
vre & qu'il faut lire dans l'original , pour
paffer à ce qu'il dit fur l'Eglife antique de
fainte Génevieve de la montagne. Il croit
que cet admirable édifice a été bâti par le
même architecte que le fuperbe périftile du
Louvre. La tradition reçue jufqu'à préfent
164 MERCURE DE FRANCE.
étoit que cette églife avoit été commencée
vers le milieu du dix -huitiéme fiécle : en
admettant fes preuves , il faudroit en établir
la datte environ un fiécle plûtôt , ce
qui répugne un peu à la beauté de fa confervation
, cependant les raifons qu'il apporte
ne font point à rejetter. Il s'appuie
fur le fentiment de nos plus habiles architectes
, qui en conſidérant la noble ſimplicité
du goût de cette architecture , y reconnoiffent
le même ſtile qu'au Louvre , quoique
dans une compofition différente. Ils
prétendent que le goût du dix- huitiéme
fiécle a été inférieur , à en juger par quelques
reftes de bâtimens dont la datte eft
certaine & par quelques écrits de ces
temps- là qui font remplis de plaintes contre
le mauvais goût qui régnoit alors , &
où l'on en explique les défauts de maniere
à nous en donner une idée affez diftincte.
Or , on ne voit aucun de ces défauts ni
dans cette églife , ni au Louvre ; au contraire
ces édifices font encore les regles du
vrai beau .
La feconde preuve qu'il tire du nom
de l'architecte , fait voir avec quelle fagacité
il éclaircit les antiquités les plus épineuſes.
L'hiſtoire nous a confervé le nom
de l'architecte de ce beau periftile du Louvre
qui regarde le Levant , il fe nommoit
JUILLE T. 1755. 165
Perrault. M. Scarcher prouve à travers
mille difficultés que c'eft ce même nom qui
eft tracé à fainte Genevieve , & qui eft tellement
effacé , qu'il n'y a qu'un homme
auffi verfé dans les antiquités que M. Scarcher
, qui puiffe nous en donner l'intelligence.
La premiere difficulté qui fe rencontre
eft que le nom de Perrault eft compofé
de huit lettres & qu'on n'en apperçoit
que fept dans les foibles traces qui restent
fur ce marbre ; mais nous verrons bien-tôt
comment on doit expliquer cela. Les deux
dernieres lettres de ce nom , qui fe voyent
encore affez diftin&tement , font OT, & il
ya tout lieu de croire que celle qui les
précede eft une L. M. Scarcher prouve premierement
par un grand nombre d'autorités
refpectables que les anciens François
prononçoient la diphtongue an , de même
que la lettre o , & qu'ainfi ils mettoient indifféremment
l'une pour l'autre. Cette découverte
répond en même temps d'une ma
niere évidente à la premiere difficulté des
fept premieres lettres qui fe trouvent à
fainte Génevieve au lieu de huit , que demande
fa fuppofition , car il eft clair qu'ici
la lettre o tient lieu de deux . Il reste la difficulté
de L qui fe trouve avant l'O , au
lieu que dans le nom de Perrault , elle ſe
trouve après an. 11 y fatisfait du moins
曩
166 MERCURE DE FRANCE .
d'une maniere probable , en difant qu'il eft
poffible que la modeſtie de l'architecte
l'ayant empêché d'y mettre lui-même fon
nom , il n'a été mis qu'après la mort , &
que ceux qui l'ont gravé , l'ont ainfi défiguré
, ou par corruption , ou plûtôt parce
que c'étoit en effet la véritable prononciation
de ce temps- là , comme nous voyons
encore dans le nôtre que les Allemands
prononcent Makre quoiqu'ils écrivent Maker
, ainfi on peut avoir prononcé OLT,
quoiqu'il foit écrit LOT. Nous nous fommes
un peu étendus fur cet article , quoique
nous l'ayons beaucoup abrégé , parce
que c'eft un des plus importans de ce fçavant
mémoire & celui où l'on découvre la
plus rare érudition ; s'il y a quelque choſe
qui paroiffe inadmiffible , c'eft cet excès
de modeſtie qu'il ſuppoſe dans un architecte
; mais encore une fois , nous ne deyons
pas juger des hommes de ces fiécles
vertueux par ceux du nôtre. Il reſte encore
une objection. Plufieurs fçavans ont prétendu
que la premiere lettre de ce nom eft
une S , & qu'il eft difficile avec les traces
qui en reftent d'en faire un P * . C'eſt là
* Il y en a qui vont plus loin . Ayant de meilleurs
yeux , ils ont cru entrevoir uneƒavant l , &
fuppléant à la diphtongue qui manque , ils ont
conjecturé que le véritable nom de l'architecte
JUILLET. 1755- 167
qu'il faut voir M. Scarcher employer toutes
les forces de fon éloquence pour y trouver
un P , il faut le lire dans l'original ,
mais il eft vrai qu'il eft bien difficile quand
on l'a lû de ne l'y pas trouver avec lui ,
malgré les difficultés que préfente l'infpection
du marbre.
M. Scarcher traite enfuite des reftes antiques
de l'Eglife de faint Pierre & faint
Paul , qu'une tradition fans fondement
nomme faint Sulpice. Il démontre que nous
n'avons pas cet édifice ( dont il ne refte
prefque que le portail ) tel qu'il a été bâti .
Que les arcades qui font au fecond ordre ,
y ont été conftruites depuis par quelque
raifon de folidité occafionnée par les ravages
du temps , & qu'il n'y a nulle apparènce
qu'un architecte de ce mérite eut mis ces
maffifs au fecond ordre n'en ayant pas mis
au premier , c'eft- à-dire , le fort fur le
foible. Il prouve encore que les coloffes
monftrueux qui font fur les tours , ont été
pareillement ajoûtés par quelque raifon de
dévotion populaire , qui a voulu que l'on
vit les patrons de cette églife les plus
grands qu'il étoit poffible ; que les tours
ont été terminées en ligne droite par l'architecte
premier auteur de cet édifice , &
étoit Sauflot ou Souflot. J'avoue que je ferois affez
de ce dernier ſentiment,
168 MERCURE DE FRANCE:
que le couronnement que nous y voyons
maintenant eft une augmentation faite
dans un fiecle où le goût avoit dégénéré.
Il ne paroît pas auffi bien fondé , lorfqu'il
foutient que le fronton eft dans le même
cas d'être venu après coup. Il prétend
décider le problême qui embarraffe tous
nos architectes , c'est - à - dire , l'impoffibilité
qu'il y a que l'églife dont nous jugeons
par quelques arcades demi ruinées
qui fubfiftent encore , puiffe avoir été liée
avec ce portail . En effet , on ne voit aucune
hauteur ni aucune ligne qui y ait du rapport.
Il dit qu'alors l'intérieur de l'égliſe
étoit à deux ordres l'un fur l'autre femblables
à ceux du portail avec un rang de galleries
regnant tout au tour, que cette églife
ayant été détruite ou par quelque accident
ou par la barbarie des fiecles fuivans , on a
édifié à fa place ce bâtiment irrégulier qui
s'y accorde fi peu ; ce qui donne quelque
vraisemblance à fa fuppofition , c'eft qu'indépendamment
de leur peu de rapport avec
le portail ces fragmens qui nous reftent
n'en ont pas même entr'eux . Ce fentiment
n'eft cependant pas fans difficulté , on a
peine à concevoir que dans l'efpace de
temps qui s'est écoulé depuis fa premiere
conftruction , une égliſe auffi bien bâtie
que celle qui devoit tenir à ce portail , ait
été
JUILLET. 1755. 169
été détruite , relevée une feconde fois aufli
folidement que nous le voyons par ces
reftes , & encore ruinée . On ne peut que
difficilement fuppofer qu'elle ait été abbattue
exprès , d'ailleurs nous ne connoiffons
point de fiecle de barbarie depuis ces temps
mémorables. Les arts ont toujours été floriffans
, & n'ont fait que fe perfectionner
jufqu'au point d'élévation où nous les
voyons maintenant. M. Scarcher permettra
que nous ne nous rendions pas encore
fur cet article , & que nous attendions des
preuves plus fortes que le temps & fon
profond fçavoir lui feront découvrir.
Notre favant auteur paffe enfuite à un
refte de bâtiment ancien qu'on croit avoir
été une églife fous l'invocation de faint
Roch. Ce qu'on trouve de plus fatisfaiſant
dans les réflexions de M. Scarcher fur cette
églife , ce font les raifons dont il s'appuye
pour détruire le fentiment de ceux qui foutiennent
que le double focle qui porte les
arcades de la nef a été apparent dans fa
premiere conftruction . Il fait voir que le
focle d'enbas étoit la fondation qui fe trouvoit
enfevelie dans l'intérieur du terrein
qu'il n'eft vifible que parce qu'on a baiffé
le terrein intérieur de l'églife , & combien
il eft ridicule de penfer que jamais aucun
architecte fe foit avifé de mettre deux fo-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cles l'un fur l'autre , & fi élévés que les
bazes des colonnes font de beaucoup audeffus
de la vue. Il établit une feconde
preuve fur ce qu'on trouve par d'anciennes
eftampes qu'on croit gravées dans ces mêmes
tems , qu'il y a eu 15 ou 16 marches
pour monter à cette églife , au lieu qu'à
préfent il ne s'en trouve que cinq. Selon
fon idée , on a détruit les marches qui
montoient jufqu'au niveau du premier
focle. Ce fentiment n'eft probable que dans
la fuppofition que les marches que l'on y
voit maintenant ne font point du tout les
anciennes , car il auroit fallu pour monter
jufqu'à la hauteur des bazes du portail
qu'elles n'euffent laiffé aucun pallier ; ce
qui , quoique poffible , laiffe quelque doute
, d'autant plus qu'en calculant la hauteur
& l'enfoncement que produifent un
nombre de marches femblables à celles qui
reftent , on n'y trouve pas un rapport jufte
avec le nombre des marches indiquées dans
l'eftampe , il eft vrai qu'il ajoute une raifon
plaufible pour remédier au défaut de
juftelle du calcul de ces marches , il fait
remarquer que naturellement le terrein
des villes fe hauffe par un abus auquel on
ne fonge point à tenir la main , parce que
l'on apporte toujours & qu'on ne remporte
jamais. Tout ceci porta un caractere de
JUILLET. 1755. 171
vraisemblance auquel on a peine à ſe
refufer.
·
Il entreprend de prouver que cette églife
précede au moins d'un fiecle le bâtiment
du Louvre , c'est- à- dire , avant que la bonne
architecture fut bien connue . Premierement
par le défaut infupportable des bazes
& des chapiteaux des colomnes qui ſe pénetrent
avec les pilaftres , défaut ridicule
qu'on n'eut jamais fouffert dans un fiecle
plus éclairé. Secondement , par les fauffes
courbes qui font l'enfoncement des efpeces
de niches où font les petites portes de
l'églife . Il prétend que ces courbes font
les effais par où l'on a commencé avant
que de trouver les formes régulieres . Cette
feconde preuve n'eſt pas de la force de la
premiere , car on trouve plufieurs édifices
dont la datte eft certaine , & qui font conftruits
plus d'un fiecle & demi après , où
l'on voit ces mêmes courbes employées &
de plus mauvaiſes encore , d'ailleurs plufieurs
fçavans prétendent quele propre de
l'efprit humain , eft de trouver d'abord
tour naturellement le fimple qui eft le vrai
beau ; & que le goût ne fe corrompt qu'à
force de vouloir aller au-delà.
Au refte , il eft fi difficile de pénétrer
dans ces tems anciens , que les conjectures
vraisemblables doivent être regardées
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
comme des démonftrations . Ce mémoire
renferme quantité de recherches intéreſfantes
aufquelles je renvoye le lecteur
pour ne pas être trop long.
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Résumé : ARCHITECTURE. Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
Le Mercure de juin 1755 présente un nouveau volume des Mémoires de la Société de Gens de Lettres, qui se distingue par son exploration des antiquités françaises, y compris celles des siècles futurs. Le journal souligne la ténacité et l'érudition de cette société, qui étend ses recherches au-delà des temps passés pour éclairer les époques à venir. L'article se concentre sur les mémoires relatifs à l'architecture antique, notamment ceux de M. Scarcher. Ce dernier traite des vestiges architecturaux de l'ancienne ville de Paris, prouvant que le quartier de la Cour, aujourd'hui connu sous le nom de quartier de Versailles, était autrefois en dehors de la ville. Il démontre également que Paris avait une étendue limitée à l'époque, environ une lieue. Scarcher examine ensuite la statue de Louis XV et le pont Royal, affirmant que ce dernier tire son nom de la statue. Il réfute une affirmation précédente selon laquelle le Louvre aurait été achevé sous le règne de Louis XIV, expliquant que l'édifice a été négligé en raison des guerres et restauré au milieu du XVIIIe siècle. Le texte aborde également l'église Sainte-Geneviève, que Scarcher attribue au même architecte que le péristyle du Louvre, Perrault. Il discute des difficultés de lecture des inscriptions et des preuves historiques pour soutenir ses assertions. Scarcher traite également des vestiges de l'église Saint-Pierre-et-Saint-Paul, aujourd'hui connue sous le nom de Saint-Sulpice, démontrant que l'édifice a subi des modifications au fil du temps. Il conclut que l'église actuelle ne correspond pas à l'original et que certaines parties ont été ajoutées pour des raisons de solidité ou de dévotion populaire. Scarcher conteste l'idée que le double socle des arcades de la nef de l'église dédiée à saint Roch ait été visible lors de la première construction. Il argue que le socle inférieur était enfoui et n'est visible que parce que le terrain intérieur a été abaissé. Il trouve ridicule l'hypothèse que deux socles aient été construits l'un sur l'autre à une telle hauteur. Scarcher présente des preuves basées sur des anciennes estampes montrant 15 ou 16 marches pour accéder à l'église, contre cinq actuellement. Il suggère que les marches originales ont été détruites et que le terrain des villes tend à s'élever naturellement. Enfin, Scarcher tente de démontrer que cette église précède de plus d'un siècle le bâtiment du Louvre, avant que l'architecture ne soit bien maîtrisée. Il cite des défauts dans les bases et chapiteaux des colonnes, ainsi que des courbes incorrectes dans les niches des portes. Cependant, cette seconde preuve est contestée par des savants qui affirment que l'esprit humain trouve d'abord le beau simple et que le goût se corrompt en cherchant à aller au-delà.
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