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1
p. 3-40
PARALELLE BURLESQUE Ou Disseratation, ou Discours qu'on nommera comme on voudra, sur Homere & Rabelais.
Début :
Croyez-vous en vostre foy, qu'onques Homere écrivant l' [...]
Mots clefs :
Rabelais, Homère, Vin, Anciens et Modernes, Auteur, Réputation, Lecteur, Digression
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texteReconnaissance textuelle : PARALELLE BURLESQUE Ou Disseratation, ou Discours qu'on nommera comme on voudra, sur Homere & Rabelais.
fARALELLEKVRLESgVE
OuVijfertation, ouDiscours qu'-
on nommera, comme on voudra surHomère&Rabelais. ,
Crrrycz.
- vous en Toflre
foy
9
anonques Homère
écrivant C1Iliade&1'0..
dyj[ee>penja(l és allegories
lesquelles de luyont calefreté
Plutarque, Heraclides,&
c. Si lecroyez,
pourquoynecroirez-vous
lluJJi merveilles occultes
dans ces miennesjoyeuses
&nouvelles chroniques,
combienqu'en les dictant
ny pensasse non plus que
vous, qui par avantu
re beuvezcomme moy;
carà la composition de ce
Livrejeneperdis,n'employay
onquesplus ny autre
temps que celuy de ma
refection
,
sçavoir ep lnbeuvant
& mangeant;
aussi est-ce la jufle heure
décrire ces hautes matieres
&sciencesprofondes,
tomme bien jçarvoitfaire
Homeredont le /abeur
sentoit plus le vin
que l'huile. Autant en dira
quelque Turlupin de
mes livres, ce que prendray
àgloire: car, ocombien
l'odeur du vin est
Pli,içflriand,ri.,înt, priant,
plusceleste & delicieux
quel'huile.
C'cft à peu près dans ces
termes que Rabelais vers
l'an *55o. commença luimême
pour moy, sans le
sçavoirle paralelle que
je devais faire en iy(f.
d'Homere & de luy.
Ces deux Autheurs
ont premièrement cela
de commun j
qu'ils êtoient
nez pour la Poëlie
;ilne manque à Ra-
AI
belais pour estre grand
Poëre que d'avoir écrit
en Vers: son Livre efb
un Poëme en Prose,
quoy qu'il n'ait point dit
d'abord 3
Deesse chantez
Gargantua,&c.Ilprend
sa Lyre d'un air (Impte
comme Hbnlcre, ils
promettent peu l'un &:
l'autre, maisils donnent
beaucoup dans la suite ;
en commençant ce paralelle
,
je promets peu
ainsi qu'Homere^c^onne
beaucoup, ôc je ne
donneray presque rien;
il faut bien qu'il y ait
quelque difference entre
Homere & moy.
Avant que de comparer
les ouvrages de nos
deux Autheurs, comparons
la réputation de l'un
à celle de l'autre
, comparons-
les pourtant sans
comparaison, de peur
d'offenser quelqu'un;
respectons - les comme
-
comme s'ils estoient en:
J core en vie. Encomparant
deux Poëtes, deux
Avocats, deux Medercins,
même deux Magistrats
diray-je aussi
deuxHéros,Ton offen-
[e au moins l'un des
deux; toutparalelle ofsense
l'homme
, parce
que chaque homme se
« croit unique en son espece
: appellons donc cecy
braadinlagee pllultoest q.u-e pa- - Le ton sèrieuX' gâterait
tout: Homere Ô£
consors ic fâcheroient (I
j'empruntois la Lyre divine
pour chanrer Rabelais
; maisRabelais eil
bon Compagnon. Il me
prêtera bien son fiile,.
même pour mettre Homere
au-dessus de luy.
yy- Revenons à nos mou*
y, tons, diroiticy Maistre
y, François,paralellifons
yy
la haute & llliritlque;'
„ renommée Homerien-
»ne, à la renomméeRabc!
aiuenne., de son
temps &dunôtre
nonmoins grande en cf
dimention domina- c€
tion & tyranie, quoi- ee
que Picholine au gré
d'aucuns
, eu égard
aux pays&sujets qu'-
elle domine &tyranni- cc
se : car réputationHomerienne
regne & regna
és cerveaux heroï- e€
ques, scientifiques
, C,"
Philosophiques, Meta-,,,c
physiques
, Alchimi.
„ miques & Cabalis-
„tiques, & Rabelai-
„
sienne,manienerégné
s,
qu'és cerveaux joyeux
des Paht-igruel/fies>
)'
lequel mot de Pantagrueliste
seroit pour-
„ tant par - avanture
>,
mieux & plus sensé-
,', ment fignJÍlcatifJ que
„ nlll autre des grands
„ mots ci-dessussi l'on
5,
l'interpretoir à force
„ d'erudidonjSe de
„ han, han, comme on
faitaucuns jïiot grecs c<
Hoiperiens,inintcll ,,"
giblesaux
-
bonnesc<
gensnon-érudits.<c
Mais je m'amuseu
,,
trop à lanterner & cf
baguenauder endigrç(
fionsjdigressîons'f
Aulfm sont au Le<5teur
ce que font au Voya- «5
geur ,landes arides, u
sabloneuses
)
Se alte- ct
rantes, partant,vite, «
alerte de hait, de <f Jhait,doublons le pas,,
-,
s le pas-,
- - -' jk
-
yy courons aubut,allons
„ au fait,idest, buvons
,, fra is.
Aristote n'a peut-estre
pas dit avant moy que la
beauté de l'ouvrage fait
d'abord la réputation de
l'Auteur,& qu'ensuite la
réputation de l'Auteur
fait souvent la beauté de
l'ouvrage; les beautez réelles
qui sont dans Rabelais
lui ont sans doute d'abord
acquis sa réputation,
mais ensuite sa réputation
a fait trouver dans ses ouvrages
bien des beautez
qui n'y sont pas; je ivay
-garde de croirequ'il en
10it ainsi duPoëteGrec,
chut. laissons parler un
homme plus hardi que
moy ,
c'est Montagne. un Autheur, dit-il,
suissegagner cela d'attirer
,.& embesoignerapréssoy
la Posterité, ce que nonseulementl'habileté.
&
Jiijfifance>mais autantou
ylus lafaveurfortuite du
sijet & autres hasards
peuventgagner, qu'au demeurantun
Autheurse
presente ou par bètise ou
parfinese,unpeu obscurement,
&diversement>
ne luy chaille, nombre
d'esprits le belutant~tese-
(COUtint, en exprimeront
quantite de formes
9 ou
Jelcna ou à cosé , ou au
contraire de la sienne &
qui toutes luyferont honlicur;
c'tj.ce quiafait va"
loir plufteursebofes de
neant, qui a mis ericredirplusieurs
anciens eCrits) t'T,
les Ilchargez.,detoute/orle
de bautez, qu'on avoulu,
une même chose recevant
mille &mille
, &autant
qu'il nous plaist d'images
~& considerationsdiverses ; Est-ilpossiblequ'Homere
ait dit tout ce qu'on luy
fait dire, ~&c.
Est-il possible aussi que
Rabelais ait pensé tout ce
qu'on luy fait penser ?
Non sans doute
, on a
voulujustifier par des applications
fines & détournées,
plusieurs tirades inG..
pides où tombentnecessairement
ceux qui veulent
roûjours parler & toûjours
plaisanter ; quelque fond
de gayeté qu'on puisse
avoir,onn'est pas plaisant
toutes les fois qu'on plaifante
: il faut pardonner
au plus agreable convive
deux turlupinadespourun
bon mot, &C au plus
grand Poëte deux pensées
simplement communes ,
pour unesublimementsimple.
Je ne parle pas d'Homere
deà, diroit Rabe- tcf
lais, il est en les moindres
lanternages fubli- <€
mirifiquemententoufiafmé
; je le vois tout cc"
embrasé .& tout embrasant
d'un feu A- tcf
pollonien; mais après
tout il n'y a point de
feu sans fumée, comme
aussi n'y a-t-il point de
fumée sans feu: fumée
„ je nomme en ce dernier
„cas, réputationodoran-
„ te , comme fumée de
cassolette, ou comme
„ vapeur de musc&d'am-
„ bre- gris delectant les
„ bonnes & fortes testes,
„ mais entestans parfois
j, aucuns à teste-foible,si
„ aucunes y a.
„ Je voulois donc dire
J) par ce didon de fu-
~J
111ée làns feu , que ré-- putatioii ne va point
fê sans merite,laquelle
maxime les fabula- cc
teurs anciens eussent
ainsi allegorisée.
Réputation mariée à
Merite, a engendré Prévention
1 , & par aprés
Prévention,Fille née de,
Réputation,a engendré
sa Merebienplusgrande
& plus belle que n'estoit
naturellement, lors que
fut mariée à Merite. ; -
Homere a environ
: deux millesix cens ans
de réputation acquise ;'),
Rabelais n'en a qu'environ
cent soixante ;
Corneille n'en a qu'environ
cinquante:lequel
des trois doit l'emporter.
A juger seulement par
l'âge des réputations
, ,.
c'est peut-estre la plus
jeune; car plus une réputation
vieillit, plus elle
estabsorbée dans le vaste
fein de la Prévention.
.-j.Vingt ou trente ans
aprés la mort d'un Aut1
heur y c''e1s1t .à' peu pré1s -
là vraye distance ; c'est
le vray point de vûë
d'où , je voudrois juger
de sa réputation.
-
En voyant Homere
àtravers vingt-six siecles
- imaginez - vous
voir de loin une femme
à travers un brouillard
épais; quelqu'un qui en
feroit devenu amoureux
par ouirdire auroit beau
vous crier: voyez-vous
la délicatesse de ces
traits,la douce vivacité
de ces yeux, la nuance
imperceptible des lys &c
des roses de ce tein délicat
; mais sur tout remarquez
bien ce je ne
sçay quoy , ces graces.
Hé morbleu, répondriez-
vous à cet Amant
enthousiasmé,comment
voulez-vous que j'en juge
, à travers d'un tel
broüillard ; il faudroit
quejeusse les yeux d'un
Linx,ou ceux de l'Amour.
;
Voyez
Voyez au contraire un
Autheur de trop prés
,
c'est encore pis ; la réputation
d'un Autheur
vivant est offusquée par
la jalousie de ses contemporains
, par la cabale;
,
on estime mêmesesouvrages
selon le crédit qu'.
il a, selon sa qualité, ses
richesses , ses moeurs ;
que sçai - je moy, mille
autres sujets de prévention
: par exemple, nous
ne sçaurions nous imaginerqu'un
hommeque
nous voyons de si prés
soit si grand homme :
comment seroit-il divin,
nousle voyons boire &
manger avec nous, &c
nous luyentendons sou.
vent dire à tableplus
de sottises qu'à ce gros
yvrognesimple & pesant,
quiparlant& beu.
vant avec une égalité
merveilleuse ,soutient
beaucoup mieux ridée
q^Uon nousavoicdonnée
de luy, que cet Auteur ne
soutient celle que ses livres
nous avoient donnée
de l'élevarion de son genie.
Revenons à nostre
point deVue que je placerois
environ vingt ou
trente ans après la mort
d'un Autheur, afin que
dégagé des préventions
dont je viens de parler,
on puisse juger de toutes
les beautez del'ouvra,
par rapport au goust,aux
moeurs , aux usages, aux
proprietez de la langue,
& à cent autres circont
tances qu'il est essentiel
de bien sçavoir, pour
porter un jugement équitable
& de l'ouvrage
& de l'Auteur, maissur
tout de l'Auteur, car on
peut quelquefois juger
d'un ouvrage par l'ouvrage
seul, mais on ne
sçauroit juger du mérité
d'un Autheur que par
rapport au siecleoù il
a vécu.
, Mais lesujet que je
traiteme mène plus loin
que je n'avois crû ; je
voulois parler feulement
dans ce mois-cy de la ré.
putation, de nos deux
Autheurs,8cdelà préventionqu'on
a pour
eux Réputation ,Prévention;
c'estoù je m'étois
borné. Quelles borlies.,
grand Dieu! le chapitre
de la Prévention
feule rempliroit mille
volumes àne faire qu'un
petitarticle sur chacun
des préjugez qui entrent
dans la composition des
jugemens des hommes : il pourra donc encore
dans la suite m'échaper
quelques traits non-envenimez,
contre la prévention
qu'on a pour les
Anciens; & comme cette
prévention pourroit
allerjusqu'àm'accufer
d'estre prévenu pour
les Modernes, il faut
se dèclarer. Je croy
donc que tout confideré
tout compensé
Homme , pour Homme,
Auteur pour Auteur.
Teste pour Teste ,Ancien,
Moderne, tout est
à peu près égal; parce
que les coeurs & les cerveaux
sont à peu prés fabriquez
comme ils étoient
jadis. A l'égard
d'Homere & de Rabelais,
je les crois chacun
dans leur genre grands
& excellens Autheurs' ';
c'est assez dire pour Rabelais
, mais je crains
d'avoir trop peu dit
en l'honneur d'Homere.
Ceux qui le divinisent,
& qui sont dévoilez à
son culte voudroient-ils
me forcer à l'adorer comme
ils sont.
A ce propos ilme souvient
de ce que dit Rabelais,
non en ses livres
connus, mais en quelque
sien manuscrit. Croyezdonc
si voulez que c'est
baliverne posthume du
grand Balivernier Maître
François.
- Un jour Panurge dans
un Caveau du Temple
6 renommé de 14 dive
-
Bouteille buvoit debout,
-& buvant avaloit, &;,
avalant se déledoit, &. se
-
délectant chantoit : Hé
bon bon bon,que le Vin
- el bon, par mafoy j'en
-rueux boire: Or comme il
chantoit & beuvoit sur
ce ton, un Sacrificateur-
-zélé de l'antique & dive
Bouteille,s'avança tout
courroucé
, vers Panurge
3Ci qu'en son courroux
il l'appella buveur profane
; qu'est-ce à dire,
répliqua le Buveur moderne
: n'est point profane
qui bon Vin boit-, •
qui bon Vin aime, &
qui bon Vin chante.
Non certes,dit le Sacrificateur,
mais tu bois debout,
& c'est mal - fait
car il faut boire à genoux,
tu chante fimpiement
que le Vin est bon ;
il faut chanter qu'il est
divin,car c'est vin grec.
Hé, que m'importe,dit
Panurge, vin Grec ou
Bourguignon, ny celuy-
ci, ny celuy-là, ny
aucun Vin n'estchose
divine: non ce n'est: que
boisson humaine,& pour
ce j'en boiray tout ce
qu'humainen peut boire
humainement & ne la
boiray que debout, ou
assis à table,ouà che*
val
, car on boit aussi le
vin de cheval,mais à
genoux on ne but oncques,
& n'y boiray mie.
Alors le Sacrificateur
homme gravement colerique
n'enrendit point
railleriey & à grands,
coups de Tirfe voulut
faire agenouiller le bon
Panurge; mais luy s'obstinoit
à boire debout,
criant seulement, Bon,
bon,bon, vin pour moy
bon , bon me suffit,bon
veut tout dire. 0 tu diras
divin
3
crioit le Sacrificateur
, tu en viendras
à mon mot; divin,
divin, crioit l'un en battant
: bon bon,bon,
crioit l'autre en buvant
en forte qu'entre ces
deux obstinez ne pou.
voitavenir, non plus
qu'aux Ecoles Aristoteliciennes
aucune folotion
raisonnable. Devinez
qu'elle fut celle-cy,
A force de boire&;
d'avoir bû, le vin manqua
à Panurge, qui pour
lors cria commec'estoit
sa coûtume, des que [a
bouteilleestoit vuide, il
cria, dis-je, du vin, du
vin:enforce quele Sacrificateur
crut oiiir divin?
divin,cette équivoque
Panurgienne finit
ainsi le debat au Temple
de la dive Bouteille, sans
quoy ces deux obstinez y
croient encore, l'un à
battre &c l'autre à boire.
i,:
Autant en pend à
Foeit à quiconque voudra
crier en lisant Homere,
beau, beau beau,
admirable
,
sublime ce
n'est rien dire si l'on ne
crie divin, divin
Or apres ce conte bon
ou mauvais , selon le
Lecteur, adieu vous di-,
fent Homere & Rabelais
jusqu'aux Calendes
Mercuriales du prochain
mois. Si pour lors devriez
revoir Mercure paralelliisant
vous, après
avoir tousse un coup en
boirez trois ou quatre ;
ensuitebesicles pren- drez, si debesicles usez,
& alors lirez peut-estre
merveilles & peut-estre
billevezées
OuVijfertation, ouDiscours qu'-
on nommera, comme on voudra surHomère&Rabelais. ,
Crrrycz.
- vous en Toflre
foy
9
anonques Homère
écrivant C1Iliade&1'0..
dyj[ee>penja(l és allegories
lesquelles de luyont calefreté
Plutarque, Heraclides,&
c. Si lecroyez,
pourquoynecroirez-vous
lluJJi merveilles occultes
dans ces miennesjoyeuses
&nouvelles chroniques,
combienqu'en les dictant
ny pensasse non plus que
vous, qui par avantu
re beuvezcomme moy;
carà la composition de ce
Livrejeneperdis,n'employay
onquesplus ny autre
temps que celuy de ma
refection
,
sçavoir ep lnbeuvant
& mangeant;
aussi est-ce la jufle heure
décrire ces hautes matieres
&sciencesprofondes,
tomme bien jçarvoitfaire
Homeredont le /abeur
sentoit plus le vin
que l'huile. Autant en dira
quelque Turlupin de
mes livres, ce que prendray
àgloire: car, ocombien
l'odeur du vin est
Pli,içflriand,ri.,înt, priant,
plusceleste & delicieux
quel'huile.
C'cft à peu près dans ces
termes que Rabelais vers
l'an *55o. commença luimême
pour moy, sans le
sçavoirle paralelle que
je devais faire en iy(f.
d'Homere & de luy.
Ces deux Autheurs
ont premièrement cela
de commun j
qu'ils êtoient
nez pour la Poëlie
;ilne manque à Ra-
AI
belais pour estre grand
Poëre que d'avoir écrit
en Vers: son Livre efb
un Poëme en Prose,
quoy qu'il n'ait point dit
d'abord 3
Deesse chantez
Gargantua,&c.Ilprend
sa Lyre d'un air (Impte
comme Hbnlcre, ils
promettent peu l'un &:
l'autre, maisils donnent
beaucoup dans la suite ;
en commençant ce paralelle
,
je promets peu
ainsi qu'Homere^c^onne
beaucoup, ôc je ne
donneray presque rien;
il faut bien qu'il y ait
quelque difference entre
Homere & moy.
Avant que de comparer
les ouvrages de nos
deux Autheurs, comparons
la réputation de l'un
à celle de l'autre
, comparons-
les pourtant sans
comparaison, de peur
d'offenser quelqu'un;
respectons - les comme
-
comme s'ils estoient en:
J core en vie. Encomparant
deux Poëtes, deux
Avocats, deux Medercins,
même deux Magistrats
diray-je aussi
deuxHéros,Ton offen-
[e au moins l'un des
deux; toutparalelle ofsense
l'homme
, parce
que chaque homme se
« croit unique en son espece
: appellons donc cecy
braadinlagee pllultoest q.u-e pa- - Le ton sèrieuX' gâterait
tout: Homere Ô£
consors ic fâcheroient (I
j'empruntois la Lyre divine
pour chanrer Rabelais
; maisRabelais eil
bon Compagnon. Il me
prêtera bien son fiile,.
même pour mettre Homere
au-dessus de luy.
yy- Revenons à nos mou*
y, tons, diroiticy Maistre
y, François,paralellifons
yy
la haute & llliritlque;'
„ renommée Homerien-
»ne, à la renomméeRabc!
aiuenne., de son
temps &dunôtre
nonmoins grande en cf
dimention domina- c€
tion & tyranie, quoi- ee
que Picholine au gré
d'aucuns
, eu égard
aux pays&sujets qu'-
elle domine &tyranni- cc
se : car réputationHomerienne
regne & regna
és cerveaux heroï- e€
ques, scientifiques
, C,"
Philosophiques, Meta-,,,c
physiques
, Alchimi.
„ miques & Cabalis-
„tiques, & Rabelai-
„
sienne,manienerégné
s,
qu'és cerveaux joyeux
des Paht-igruel/fies>
)'
lequel mot de Pantagrueliste
seroit pour-
„ tant par - avanture
>,
mieux & plus sensé-
,', ment fignJÍlcatifJ que
„ nlll autre des grands
„ mots ci-dessussi l'on
5,
l'interpretoir à force
„ d'erudidonjSe de
„ han, han, comme on
faitaucuns jïiot grecs c<
Hoiperiens,inintcll ,,"
giblesaux
-
bonnesc<
gensnon-érudits.<c
Mais je m'amuseu
,,
trop à lanterner & cf
baguenauder endigrç(
fionsjdigressîons'f
Aulfm sont au Le<5teur
ce que font au Voya- «5
geur ,landes arides, u
sabloneuses
)
Se alte- ct
rantes, partant,vite, «
alerte de hait, de <f Jhait,doublons le pas,,
-,
s le pas-,
- - -' jk
-
yy courons aubut,allons
„ au fait,idest, buvons
,, fra is.
Aristote n'a peut-estre
pas dit avant moy que la
beauté de l'ouvrage fait
d'abord la réputation de
l'Auteur,& qu'ensuite la
réputation de l'Auteur
fait souvent la beauté de
l'ouvrage; les beautez réelles
qui sont dans Rabelais
lui ont sans doute d'abord
acquis sa réputation,
mais ensuite sa réputation
a fait trouver dans ses ouvrages
bien des beautez
qui n'y sont pas; je ivay
-garde de croirequ'il en
10it ainsi duPoëteGrec,
chut. laissons parler un
homme plus hardi que
moy ,
c'est Montagne. un Autheur, dit-il,
suissegagner cela d'attirer
,.& embesoignerapréssoy
la Posterité, ce que nonseulementl'habileté.
&
Jiijfifance>mais autantou
ylus lafaveurfortuite du
sijet & autres hasards
peuventgagner, qu'au demeurantun
Autheurse
presente ou par bètise ou
parfinese,unpeu obscurement,
&diversement>
ne luy chaille, nombre
d'esprits le belutant~tese-
(COUtint, en exprimeront
quantite de formes
9 ou
Jelcna ou à cosé , ou au
contraire de la sienne &
qui toutes luyferont honlicur;
c'tj.ce quiafait va"
loir plufteursebofes de
neant, qui a mis ericredirplusieurs
anciens eCrits) t'T,
les Ilchargez.,detoute/orle
de bautez, qu'on avoulu,
une même chose recevant
mille &mille
, &autant
qu'il nous plaist d'images
~& considerationsdiverses ; Est-ilpossiblequ'Homere
ait dit tout ce qu'on luy
fait dire, ~&c.
Est-il possible aussi que
Rabelais ait pensé tout ce
qu'on luy fait penser ?
Non sans doute
, on a
voulujustifier par des applications
fines & détournées,
plusieurs tirades inG..
pides où tombentnecessairement
ceux qui veulent
roûjours parler & toûjours
plaisanter ; quelque fond
de gayeté qu'on puisse
avoir,onn'est pas plaisant
toutes les fois qu'on plaifante
: il faut pardonner
au plus agreable convive
deux turlupinadespourun
bon mot, &C au plus
grand Poëte deux pensées
simplement communes ,
pour unesublimementsimple.
Je ne parle pas d'Homere
deà, diroit Rabe- tcf
lais, il est en les moindres
lanternages fubli- <€
mirifiquemententoufiafmé
; je le vois tout cc"
embrasé .& tout embrasant
d'un feu A- tcf
pollonien; mais après
tout il n'y a point de
feu sans fumée, comme
aussi n'y a-t-il point de
fumée sans feu: fumée
„ je nomme en ce dernier
„cas, réputationodoran-
„ te , comme fumée de
cassolette, ou comme
„ vapeur de musc&d'am-
„ bre- gris delectant les
„ bonnes & fortes testes,
„ mais entestans parfois
j, aucuns à teste-foible,si
„ aucunes y a.
„ Je voulois donc dire
J) par ce didon de fu-
~J
111ée làns feu , que ré-- putatioii ne va point
fê sans merite,laquelle
maxime les fabula- cc
teurs anciens eussent
ainsi allegorisée.
Réputation mariée à
Merite, a engendré Prévention
1 , & par aprés
Prévention,Fille née de,
Réputation,a engendré
sa Merebienplusgrande
& plus belle que n'estoit
naturellement, lors que
fut mariée à Merite. ; -
Homere a environ
: deux millesix cens ans
de réputation acquise ;'),
Rabelais n'en a qu'environ
cent soixante ;
Corneille n'en a qu'environ
cinquante:lequel
des trois doit l'emporter.
A juger seulement par
l'âge des réputations
, ,.
c'est peut-estre la plus
jeune; car plus une réputation
vieillit, plus elle
estabsorbée dans le vaste
fein de la Prévention.
.-j.Vingt ou trente ans
aprés la mort d'un Aut1
heur y c''e1s1t .à' peu pré1s -
là vraye distance ; c'est
le vray point de vûë
d'où , je voudrois juger
de sa réputation.
-
En voyant Homere
àtravers vingt-six siecles
- imaginez - vous
voir de loin une femme
à travers un brouillard
épais; quelqu'un qui en
feroit devenu amoureux
par ouirdire auroit beau
vous crier: voyez-vous
la délicatesse de ces
traits,la douce vivacité
de ces yeux, la nuance
imperceptible des lys &c
des roses de ce tein délicat
; mais sur tout remarquez
bien ce je ne
sçay quoy , ces graces.
Hé morbleu, répondriez-
vous à cet Amant
enthousiasmé,comment
voulez-vous que j'en juge
, à travers d'un tel
broüillard ; il faudroit
quejeusse les yeux d'un
Linx,ou ceux de l'Amour.
;
Voyez
Voyez au contraire un
Autheur de trop prés
,
c'est encore pis ; la réputation
d'un Autheur
vivant est offusquée par
la jalousie de ses contemporains
, par la cabale;
,
on estime mêmesesouvrages
selon le crédit qu'.
il a, selon sa qualité, ses
richesses , ses moeurs ;
que sçai - je moy, mille
autres sujets de prévention
: par exemple, nous
ne sçaurions nous imaginerqu'un
hommeque
nous voyons de si prés
soit si grand homme :
comment seroit-il divin,
nousle voyons boire &
manger avec nous, &c
nous luyentendons sou.
vent dire à tableplus
de sottises qu'à ce gros
yvrognesimple & pesant,
quiparlant& beu.
vant avec une égalité
merveilleuse ,soutient
beaucoup mieux ridée
q^Uon nousavoicdonnée
de luy, que cet Auteur ne
soutient celle que ses livres
nous avoient donnée
de l'élevarion de son genie.
Revenons à nostre
point deVue que je placerois
environ vingt ou
trente ans après la mort
d'un Autheur, afin que
dégagé des préventions
dont je viens de parler,
on puisse juger de toutes
les beautez del'ouvra,
par rapport au goust,aux
moeurs , aux usages, aux
proprietez de la langue,
& à cent autres circont
tances qu'il est essentiel
de bien sçavoir, pour
porter un jugement équitable
& de l'ouvrage
& de l'Auteur, maissur
tout de l'Auteur, car on
peut quelquefois juger
d'un ouvrage par l'ouvrage
seul, mais on ne
sçauroit juger du mérité
d'un Autheur que par
rapport au siecleoù il
a vécu.
, Mais lesujet que je
traiteme mène plus loin
que je n'avois crû ; je
voulois parler feulement
dans ce mois-cy de la ré.
putation, de nos deux
Autheurs,8cdelà préventionqu'on
a pour
eux Réputation ,Prévention;
c'estoù je m'étois
borné. Quelles borlies.,
grand Dieu! le chapitre
de la Prévention
feule rempliroit mille
volumes àne faire qu'un
petitarticle sur chacun
des préjugez qui entrent
dans la composition des
jugemens des hommes : il pourra donc encore
dans la suite m'échaper
quelques traits non-envenimez,
contre la prévention
qu'on a pour les
Anciens; & comme cette
prévention pourroit
allerjusqu'àm'accufer
d'estre prévenu pour
les Modernes, il faut
se dèclarer. Je croy
donc que tout confideré
tout compensé
Homme , pour Homme,
Auteur pour Auteur.
Teste pour Teste ,Ancien,
Moderne, tout est
à peu près égal; parce
que les coeurs & les cerveaux
sont à peu prés fabriquez
comme ils étoient
jadis. A l'égard
d'Homere & de Rabelais,
je les crois chacun
dans leur genre grands
& excellens Autheurs' ';
c'est assez dire pour Rabelais
, mais je crains
d'avoir trop peu dit
en l'honneur d'Homere.
Ceux qui le divinisent,
& qui sont dévoilez à
son culte voudroient-ils
me forcer à l'adorer comme
ils sont.
A ce propos ilme souvient
de ce que dit Rabelais,
non en ses livres
connus, mais en quelque
sien manuscrit. Croyezdonc
si voulez que c'est
baliverne posthume du
grand Balivernier Maître
François.
- Un jour Panurge dans
un Caveau du Temple
6 renommé de 14 dive
-
Bouteille buvoit debout,
-& buvant avaloit, &;,
avalant se déledoit, &. se
-
délectant chantoit : Hé
bon bon bon,que le Vin
- el bon, par mafoy j'en
-rueux boire: Or comme il
chantoit & beuvoit sur
ce ton, un Sacrificateur-
-zélé de l'antique & dive
Bouteille,s'avança tout
courroucé
, vers Panurge
3Ci qu'en son courroux
il l'appella buveur profane
; qu'est-ce à dire,
répliqua le Buveur moderne
: n'est point profane
qui bon Vin boit-, •
qui bon Vin aime, &
qui bon Vin chante.
Non certes,dit le Sacrificateur,
mais tu bois debout,
& c'est mal - fait
car il faut boire à genoux,
tu chante fimpiement
que le Vin est bon ;
il faut chanter qu'il est
divin,car c'est vin grec.
Hé, que m'importe,dit
Panurge, vin Grec ou
Bourguignon, ny celuy-
ci, ny celuy-là, ny
aucun Vin n'estchose
divine: non ce n'est: que
boisson humaine,& pour
ce j'en boiray tout ce
qu'humainen peut boire
humainement & ne la
boiray que debout, ou
assis à table,ouà che*
val
, car on boit aussi le
vin de cheval,mais à
genoux on ne but oncques,
& n'y boiray mie.
Alors le Sacrificateur
homme gravement colerique
n'enrendit point
railleriey & à grands,
coups de Tirfe voulut
faire agenouiller le bon
Panurge; mais luy s'obstinoit
à boire debout,
criant seulement, Bon,
bon,bon, vin pour moy
bon , bon me suffit,bon
veut tout dire. 0 tu diras
divin
3
crioit le Sacrificateur
, tu en viendras
à mon mot; divin,
divin, crioit l'un en battant
: bon bon,bon,
crioit l'autre en buvant
en forte qu'entre ces
deux obstinez ne pou.
voitavenir, non plus
qu'aux Ecoles Aristoteliciennes
aucune folotion
raisonnable. Devinez
qu'elle fut celle-cy,
A force de boire&;
d'avoir bû, le vin manqua
à Panurge, qui pour
lors cria commec'estoit
sa coûtume, des que [a
bouteilleestoit vuide, il
cria, dis-je, du vin, du
vin:enforce quele Sacrificateur
crut oiiir divin?
divin,cette équivoque
Panurgienne finit
ainsi le debat au Temple
de la dive Bouteille, sans
quoy ces deux obstinez y
croient encore, l'un à
battre &c l'autre à boire.
i,:
Autant en pend à
Foeit à quiconque voudra
crier en lisant Homere,
beau, beau beau,
admirable
,
sublime ce
n'est rien dire si l'on ne
crie divin, divin
Or apres ce conte bon
ou mauvais , selon le
Lecteur, adieu vous di-,
fent Homere & Rabelais
jusqu'aux Calendes
Mercuriales du prochain
mois. Si pour lors devriez
revoir Mercure paralelliisant
vous, après
avoir tousse un coup en
boirez trois ou quatre ;
ensuitebesicles pren- drez, si debesicles usez,
& alors lirez peut-estre
merveilles & peut-estre
billevezées
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Résumé : PARALELLE BURLESQUE Ou Disseratation, ou Discours qu'on nommera comme on voudra, sur Homere & Rabelais.
Le texte compare deux auteurs majeurs de la littérature, Homère et Rabelais. Homère, auteur de l'Iliade et de l'Odyssée, utilisait des allégories que des écrivains comme Plutarque et Héraclide ont commentées. Rabelais, vers 1550, a établi un parallèle entre lui-même et Homère, soulignant que les deux étaient nés pour la poésie, bien que Rabelais ait écrit en prose. L'auteur invite le lecteur à croire en des merveilles occultes dans ses propres œuvres, écrites dans un état d'ivresse, tout comme Homère. La réputation des deux auteurs est également comparée. Homère est respecté dans les cercles héroïques, scientifiques et philosophiques, tandis que Rabelais est apprécié dans les cercles joyeux et pantagruéliques. La réputation d'Homère est estimée à environ deux mille six cents ans, celle de Rabelais à environ cent soixante, et celle de Corneille à environ cinquante. L'auteur note que juger de la réputation d'un auteur est difficile, soit à cause de la distance temporelle, soit à cause des préjugés contemporains. L'auteur conclut en affirmant que, toutes choses considérées, les auteurs anciens et modernes sont à peu près égaux. Il croit qu'Homère et Rabelais sont tous deux grands et excellents auteurs dans leurs genres respectifs. Le texte se termine par une anecdote impliquant Panurge et un sacrificateur, illustrant la dispute sur la divinité du vin, et par une comparaison entre les admirateurs d'Homère et ceux de Rabelais.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 22-33
Les Modernes sont-ils en effet plus éclairés ou plus avancés que les Anciens dans le chemin de la vérité ?*
Début :
Il y a long-tems qu'on a dit que la premiere fois que l'erreur étoit le partage [...]
Mots clefs :
Anciens et Modernes, Vérité, Nature, Arts, Progrès, Découvertes
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texteReconnaissance textuelle : Les Modernes sont-ils en effet plus éclairés ou plus avancés que les Anciens dans le chemin de la vérité ?*
Les Modernes font - ils en effet plus éclairés on
plus avancés que les Anciens dans le chemin
de la vérité ? *
la Ly a long- tems qu'on a dit
I premiere fois quel'erreur étoit le partage
de l'homme ; mais il eft étonnant que
dans les fiécles les plus éclairés on n'ait
pas moins occafion de le dire que dans
ceuxque nous appellons faftueufement fiécles
d'ignorance. On a l'obligation au hazard
de quantité de découvertes avec lefquelles
on eft parvenu à détruire de vielles
erreurs ; mais les a- t- on remplacées par
des vérités neuves ? les hommes ont - ils
fait effectivement quelques pas depuis
qu'ils fe vantent de n'être plus dans les ténébres
? fçavent - ils être plus heureux ,
meilleurs , ou font - ils du moins plus
exempts de préjugés , ce qui feroit en effet
une fuite des progrès qu'ils auroient faits
dans la recherche de la vérité ? A la honte
de l'efpece on n'apperçoit aucun de ces
* Quoique ce morceau ait l'air d'être traité férieufement
, j'ai cru devoir plutôt le ranger dans
cet article que dans celui des fciences , par la raifon
qu'il en fait moins l'éloge que la critique , &
qu'il paroît être le réfultat des doutes d'un homme
d'efprit plutôt que des difcuffions d'un fçavant.
FEVRIER . 1755. 23
fruits ; l'humanité paye toujours le même
tribut à l'erreur , aux vices , aux miferes
de fa condition : c'est donc à tort qu'elle
fe vanteroit d'être plus éclairée , & que
notre âge prétendroit la moindre préférence
fur ceux qui l'ont devancé.
On ne croit plus , avec S. Auguftin , que
les antipodes ayent la tête en bas ; avec
Prolomée , que le ſoleil tourne , ni qu'il y
ait des cieux de cryſtal ; avec Ariftote , que
la nature ait horreur du vuide , ni que de
petits atomes crochus ayent formé par hazard
le monde que nous admirons , comme
le penfoit Epicure. On a découvert
malgré la Bulle d'un Pape qui prefcrivoit
de n'en rien croire , qu'à l'extrêmité de no
tre globe il fe trouvoit des êtres penfans à
peu- près comme nous , chez qui , fur l'opinion
que nous pouvions exifter auffi
bien qu'eux , on n'avoit jamais inquiété
perfonne , c'est-à- dire qu'à l'afpect d'un bâtiment
fort élevé , nous avons entrevû
long- tems que les derniers appartemens
pouvoient être occupés comme les
miers , & qu'après avoir parcouru pendant
bien des fiécles notre petite planete , fans
nous douter qu'elle en fut une , nous avons
fait enfin l'importante découverte que
nous ne l'habitions pas feuls. Les Efpagnols
orgueilleux de cet effort de leur ima
pre24
MERCURE DE FRANCE .
gination , exterminerent fans pitié des nations
entieres , parce qu'elles avoient beaucoup
d'or & point d'artillerie , & qu'elles
s'avifoient de vouloir fe gouverner par les
loix de leur pays. Ainfi la moitié du monde
eut à gémir de la curiofité de l'autre .
A l'aide d'une longue lunette , dont la
premiere idée appartient à des enfans , qui
n'eurent d'autre maître que le hazard ou
l'envie de jouer , on a fait quelque pas
dans l'Aftronomie ; le mouvement de ro-.
tation du foleil a paru démontré , on a
cru voir les Satellites de quelques planetes
; on a déterminé le nombre des étoiles 3:
on a fort ingénieufement remarqué que:
les aftres feroient néceffairement immo->
biles dans des cieux de cryftal ou de toute
autre matiere folide , & peu s'en fautqu'on
ne trouve Ptolomée ridicule , parce
que de fon tems des enfans ne s'étoient.
pas encore imaginés de faire un télescope.
Cependant on n'a pas mieux défini que lui
de quelle matiere étoit le ciel. Les mouvemens
des aftres mieux obfervés depuis l'invention
des lunettes , ont feulement perfuadé
qu'elle devoit être fluide ; mais que
dans cet efpace où les aftres font leurs
révolutions , il n'y ait que du vuide , comme
il paroît que Newton l'a penfé , ou
qu'il n'y foit femé que par intervalles , fe-
-
(*
lon
FEVRIER. 1755. 25
lon le fentiment de Gaffendi , ou qu'il foit
impoffible , comme l'imaginoit Descartes ,
c'est un problême que l'imagination peut
s'égayer à réfoudre , qui fera produire encore
une infinité de fyftêmes qu'on ne
prouvera point , car l'ufage eft de fuppofer
, mais qui rendront exactement raifon
de tous les phénomenes de la nature ; ce
feront de nouvelles rêveries fubftituées
aux anciennes . Heureufement que ce problême
n'eft pas infiniment utile au bonheur
de l'Etat ou de la fociété.
Qu'on ait affujetti les éclipfes au calcul
invention qui peut - être ne fait pas tant
honneur à l'efprit humain qu'on pourroit
l'imaginer , puifqu'un peuple qui n'eft pas
autrement fçavant , quoiqu'on ait bien
voulu le faire paffer pour tel , en fait ufage
depuis un tems immémorial ; qu'à la
faveur de l'expérience de Pafcal , on ait
foupçonné la pefanteur & le reffort de l'air,
qu'on ait fait enfin de fi grands progrès
la Phyfique expérimentale ; c'eft qu'il
eft tout naturel que les derniers venus
foient mieux inftruits de ce qui fe paffe
dans une ville , que ceux qui en font partis
les premiers. Nous avons profité des
petits journaux que nos peres nous ont
laiffés , & nous en faifons de petits à notre
tour que nous laiffons à nos neveux , qui
B
26 MERCURE DE FRANCE.
en feront encore après nous ; mais ils feroient
auffi ridicules de s'enorgueillir
beaucoup de leurs nouvelles découvertes ,
& de nous traiter de barbares pour ne leur
avoir pas tout appris , que nous le fommes
fans doute en faifant de pareils reproches
à nos ancêtres. La nature n'a pu être examinée
qu'en détail ; la vie de l'homme
trop bornée ne permet d'acquerir qu'un
très- petit nombre de connoiffances mêlées
de beaucoup d'erreurs ; la curiofité , fource
des unes: & des autres , à peine encouragée
par quelques fuccès , s'anéantit avec
nous. La génération qui nous fuit , profite
de nos erreurs pour les éviter , de nos connoiffances
pour lleess découvrir découvrir , nous devance
un peu , tombe à fon tour , & laiffe
à celle qui la fuivra de nouvelles lumieres
& de nouvelles fautes. Je ne vois dans ces
prétendus progrès dont nous tirons tant de
vanité , qu'une chaîne immenſe , dont quelques-
uns ont indiqué le métal , d'autres ,
fans deffein peut-être , en ont formé les
anneaux ; les plus adroits ont imaginé de
les affembler , la gloire en eft pour eux ;
mais les premiers ont tout le mérite , ou
devroient l'avoir fi nous étions juftes .
Sont - elles bien à nous d'ailleurs ces
découvertes dont nous nous glorifions ?
Qui me répondra que depuis que les géFEVRIER.
1755. 27
nérations fe renouvellent fur la furface de
la terre , perfonne ne fes eut faites avant
nous ? Combien de nations enfeveliés fous
leurs ruines , dont il ne nous refte que des
idées imparfaites combien d'arts abfolument
perdus ? combien de monumens livrés
aux flammes ? It eft tel ouvrage qui lui
feul pourroit nous éclairer fur mille menfonges
, & nous découvrir autant de vérités
; n'en a- t- il point péri de cette efpece ,
ou par les ravages du tems , ou par les
incendies ? Quels peuples de l'antiquité le
retour des Lettres nous a- t- il fait connoître
? Les Grecs & les Romains , ignorans
fur leur origine, prévenus contre tout ce qui'
n'étoit pas de leur nation' , traitant de barbares
leurs voifins ou leurs ennemis , avec
autant d'injuftice peut-être que les Efpagnols
nommoient les Péruviens fauvages ,
dédaignant d'approfondir leurs moeurs ,
leurs caracteres , leurs traditions , leurs
ufages , ou les diffimulant par jalousie ,
& par conféquent incapables de nous en
inftruire. Comment les connoiffons- nous
encore ces Grecs & ces Romains ? à peuprès
comme par des relations imparfaites
nous connoiffons les peuples de l'Afrique
ou de l'Afie . Combien de peuples d'ailleurs
ces conquerans d'une partie du monde
n'ont- ils pas ignorés ? n'eft- il plus de cli-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
mats inconnus & penfons-nous qu'ils
n'auroient rien à nous apprendre ? N'a -ton
pas trouvé chez les Chinois , peuple
d'une vanité trop ridicule pour avoir un
mérite réel , l'ufage de l'Imprimerie & de
la poudre ? qui leur a donné l'idée de ces
arts fi nouveaux dans l'Europe , l'Imprimerie
fur-tout , qui mériteroit fi juftement
d'être admirée s'il étoit poffible qu'elle ne
perpétuât que des chofes dignes de l'être ?
Nous avons fait des progrès admirables
dans les méchaniques , nous avons fimplifié
des machines connues , nous en avons
créé d'autres ; mais qu'avons- nous exécuté
avec elles dont on ne trouve quelque
idée chez les anciens ? Ces hardis monumens
de l'antiquité la plus reculée , &
qui touche prefque aux premiers jours du
monde : les murs de Babylone , ces jardins
foutenus dans les airs , ces canaux vainqueurs
de l'Euphrate , ces pyramides de
l'Egypte , dont quelques - unes fubfiftent.
encore , ces fuperbes édifices élevés avec
la rapidité que l'hiftoire nous attefte ne
nous forcent- ils pas de convenir , ou que
les anciens avoient des reffources égales
aux nôtres , ou même qu'ils en avoient de
bien fupérieures ? On ne trouve pas feulement
chez eux les traces des arts utiles
on connoît le luxe des premiers Affyriens
་ ་
›
FEVRIER . 1755 29
& le luxe ne s'introduit dans un Empire
qu'à la fuite des arts d'agrémens.
Qu'il foit permis de faire une compa
raifon entre ces prétendus enfans de notre
induſtrie & ceux de notre imagination
les ſyſtêmes de la Phyfique , fur les principaux
phénomenes de la nature ; il n'en eft
aucun qui n'ait été renouvellé de quelques
anciennes écoles . Le mouvement de la terre
, la matiere fubtile , le plein , le vuide ,
la gravitation , le pur méchanifme des animaux
, opinion dangereufe , parce qu'elle
pourroit trop prouver l'existence des
tourbillons ; ces ingénieufes fictions attribuées
à nos Philofophes modernes , exiftoient
long- tems avant eux , nous en avons
les originaux dans cette foule de Philofophes
Grecs ; & qui fçait fi ces originaux
n'étoient pas encore des copies ? Il en eft
de même des hypothèfes métaphyfiques.
L'immortalité de l'ame , avant que la religion
nous en eût fait un dogme , l'unité
de Dieu , la diftinction des deux fubftances
, le ſyſtême du matérialiſme adopté
quant à la nature de l'ame , par quelques
Peres des premiers fiécles , qui ne la
croyoient pas moins immortelle , mais qui
confervoient encore des principes puifés
dans les écoles payennes je veux parler
de Tertullien , d'Arnobe , de Lactance . Le
B iij
MERCURE DE FRANCE.
libre arbitre , la fatalité , furent des queftions
qui trouverent autrefois , comme de
nos jours , des partifans ou des adverfaires.
L'Athéifme de Spinofa , fi bien attaqué
par Bayle , eft développé dans le fixieme
livre de l'Eneide . Les Dieux oififs d'Epicure
ont fervi de modele à celui des Déiftes.
Si donc l'efprit humain fe repéte luimême
depuis fi long tems dans les fciences
fpéculatives , rien ne me porte à le
croire plus varié , plus inventeur dans ce
qui tient aux arts.
Mais je veux que nos modernes ayent
réellement imaginé les opinions qu'on leur
attribue , nous n'aurions encore changé
que de fictions & d'abfurdités. Les idées
innées de Deſcartes , les Monades de Leibnitz
ne valent gueres mieux que les prétendues
rêveries des anciens . Nous nous
fommes comportés à leur égard , comme
'certains Anglois nous ont fait l'honneur
de nous traiter dans leurs ouvrages ; ils
copient nos auteurs , en nous difant des
injures. Sur quoi peut donc être fondé
l'orgueil des hommes ? Je veux bien fuppofer
que nous connoiffions un peu mieux
que nos ancêtres les contours du globe que
nous habitons ,enrichis de leurs remarques
& des nôtres , nous fommes un peu moins
étrangers dans notre patrie. Nous avons
FEVRIER. 1755. 31
multiplié nos plaifirs en nous affujettiffant
à de nouveaux befoins ; mais n'avons- nous
pas auffi doublé nos infortunes : Nous
voulons , à la faveur de l'expérience , avoir
jetté quelques lumieres fur le méchanifme
de la nature , mais les cauſes nous en fontelles
moins obfcures ? Nous lifons dans les
cieux , mais fommes nous plus éclairés fur
l'artifice de nos organes , fur l'union du
corps & de l'ame , ou fur leur mutuelle
dépendance ? Avons - nous quelque idée
plus diftincte des termes qui nous font les
plus familiers , de la matiere , de l'eſprit ,
du lieu , du tems , de l'infini , termes que
le peuple prononce tous les jours , fans
imaginer qu'il ne les entend pas ? étrange
foibleffe de l'efprit humain , qui ne femble
ignorer que ce qu'il auroit intérêt de
connoître ! Parfaitement inftruit de quelques
vérités indifférentes , mais les feules
qui lui foient démontrées , j'ofe le dire
même , qui femblent l'humilier par leur
petit nombre & par l'excès de leur éviden.
ce , elles ne fervent qu'à lui faire mieux
fentir qu'il eft né pour le doute.
Je ne fçais par quelle étonnante contradiction
quelques perfonnes plus zélées
qu'inftruites , ont affecté de confondre le
Pirrhoniſme & l'incrédulité. Cette réflexion
où m'a conduit mon fajet, mériteroit-
B iiij
MERCURE DE FRANCE.
*
elle - feule une differtation approfondie ?
Mais comme il est toujours précieux d'établir
une vérité , que
, que celle- ci d'ailleurs paroîtra
nouvelle , je l'appuyerai du moins
d'un fimple raifonnement auquel il eft , je
crois , difficile de fe refufer. Le Pirrhonifme
feul apprend à la raifon à s'humilier ,
en lui démontrant l'incertitude de fes connoiffances
; la religion exige de notre orgueil
la même foumiffion , les mêmes facrifices
: le Pirrhonifme eft donc de toutes
les fectes des Philofophes celle qui eft la
plus conforme à l'efprit de la religion , &
qui nous difpofe le plus naturellement à
l'embraffer. Mais on pourroit en abuſer ,
me dira- t- on : eh ! de quoi ne pourroit - on
pas abufer ? Tel étoit du moins le fentiment
de ce fameux Evêque d'Avranches ,
l'auteur de la Démonftration évangélique' ,
Prélat illuftre que l'Eglife regarde , ainfi
que M. Boffuet , comme une de fes lumieres
.
Quoi de plus capable de convaincre
l'homme de fa foibleffe que le tableau
malheureuſement trop fidele que je viens
de vous en préſenter ? Ses prétendus progrès
appréciés , dénués de la pompe dont
une vaine éloquence a coutume de les ennoblir
, nous paroiffent dans leur véritable
jour. Il n'eft ni plus vertueux , ni plus
FEVRIER. 1755. 33
tapproché du bonheur , ni moins efclave,
des illufions : il n'a donc rien fait pour
lui ; mais fon orgueil eft toujours le même
, c'eft qu'il eft homme .
plus avancés que les Anciens dans le chemin
de la vérité ? *
la Ly a long- tems qu'on a dit
I premiere fois quel'erreur étoit le partage
de l'homme ; mais il eft étonnant que
dans les fiécles les plus éclairés on n'ait
pas moins occafion de le dire que dans
ceuxque nous appellons faftueufement fiécles
d'ignorance. On a l'obligation au hazard
de quantité de découvertes avec lefquelles
on eft parvenu à détruire de vielles
erreurs ; mais les a- t- on remplacées par
des vérités neuves ? les hommes ont - ils
fait effectivement quelques pas depuis
qu'ils fe vantent de n'être plus dans les ténébres
? fçavent - ils être plus heureux ,
meilleurs , ou font - ils du moins plus
exempts de préjugés , ce qui feroit en effet
une fuite des progrès qu'ils auroient faits
dans la recherche de la vérité ? A la honte
de l'efpece on n'apperçoit aucun de ces
* Quoique ce morceau ait l'air d'être traité férieufement
, j'ai cru devoir plutôt le ranger dans
cet article que dans celui des fciences , par la raifon
qu'il en fait moins l'éloge que la critique , &
qu'il paroît être le réfultat des doutes d'un homme
d'efprit plutôt que des difcuffions d'un fçavant.
FEVRIER . 1755. 23
fruits ; l'humanité paye toujours le même
tribut à l'erreur , aux vices , aux miferes
de fa condition : c'est donc à tort qu'elle
fe vanteroit d'être plus éclairée , & que
notre âge prétendroit la moindre préférence
fur ceux qui l'ont devancé.
On ne croit plus , avec S. Auguftin , que
les antipodes ayent la tête en bas ; avec
Prolomée , que le ſoleil tourne , ni qu'il y
ait des cieux de cryſtal ; avec Ariftote , que
la nature ait horreur du vuide , ni que de
petits atomes crochus ayent formé par hazard
le monde que nous admirons , comme
le penfoit Epicure. On a découvert
malgré la Bulle d'un Pape qui prefcrivoit
de n'en rien croire , qu'à l'extrêmité de no
tre globe il fe trouvoit des êtres penfans à
peu- près comme nous , chez qui , fur l'opinion
que nous pouvions exifter auffi
bien qu'eux , on n'avoit jamais inquiété
perfonne , c'est-à- dire qu'à l'afpect d'un bâtiment
fort élevé , nous avons entrevû
long- tems que les derniers appartemens
pouvoient être occupés comme les
miers , & qu'après avoir parcouru pendant
bien des fiécles notre petite planete , fans
nous douter qu'elle en fut une , nous avons
fait enfin l'importante découverte que
nous ne l'habitions pas feuls. Les Efpagnols
orgueilleux de cet effort de leur ima
pre24
MERCURE DE FRANCE .
gination , exterminerent fans pitié des nations
entieres , parce qu'elles avoient beaucoup
d'or & point d'artillerie , & qu'elles
s'avifoient de vouloir fe gouverner par les
loix de leur pays. Ainfi la moitié du monde
eut à gémir de la curiofité de l'autre .
A l'aide d'une longue lunette , dont la
premiere idée appartient à des enfans , qui
n'eurent d'autre maître que le hazard ou
l'envie de jouer , on a fait quelque pas
dans l'Aftronomie ; le mouvement de ro-.
tation du foleil a paru démontré , on a
cru voir les Satellites de quelques planetes
; on a déterminé le nombre des étoiles 3:
on a fort ingénieufement remarqué que:
les aftres feroient néceffairement immo->
biles dans des cieux de cryftal ou de toute
autre matiere folide , & peu s'en fautqu'on
ne trouve Ptolomée ridicule , parce
que de fon tems des enfans ne s'étoient.
pas encore imaginés de faire un télescope.
Cependant on n'a pas mieux défini que lui
de quelle matiere étoit le ciel. Les mouvemens
des aftres mieux obfervés depuis l'invention
des lunettes , ont feulement perfuadé
qu'elle devoit être fluide ; mais que
dans cet efpace où les aftres font leurs
révolutions , il n'y ait que du vuide , comme
il paroît que Newton l'a penfé , ou
qu'il n'y foit femé que par intervalles , fe-
-
(*
lon
FEVRIER. 1755. 25
lon le fentiment de Gaffendi , ou qu'il foit
impoffible , comme l'imaginoit Descartes ,
c'est un problême que l'imagination peut
s'égayer à réfoudre , qui fera produire encore
une infinité de fyftêmes qu'on ne
prouvera point , car l'ufage eft de fuppofer
, mais qui rendront exactement raifon
de tous les phénomenes de la nature ; ce
feront de nouvelles rêveries fubftituées
aux anciennes . Heureufement que ce problême
n'eft pas infiniment utile au bonheur
de l'Etat ou de la fociété.
Qu'on ait affujetti les éclipfes au calcul
invention qui peut - être ne fait pas tant
honneur à l'efprit humain qu'on pourroit
l'imaginer , puifqu'un peuple qui n'eft pas
autrement fçavant , quoiqu'on ait bien
voulu le faire paffer pour tel , en fait ufage
depuis un tems immémorial ; qu'à la
faveur de l'expérience de Pafcal , on ait
foupçonné la pefanteur & le reffort de l'air,
qu'on ait fait enfin de fi grands progrès
la Phyfique expérimentale ; c'eft qu'il
eft tout naturel que les derniers venus
foient mieux inftruits de ce qui fe paffe
dans une ville , que ceux qui en font partis
les premiers. Nous avons profité des
petits journaux que nos peres nous ont
laiffés , & nous en faifons de petits à notre
tour que nous laiffons à nos neveux , qui
B
26 MERCURE DE FRANCE.
en feront encore après nous ; mais ils feroient
auffi ridicules de s'enorgueillir
beaucoup de leurs nouvelles découvertes ,
& de nous traiter de barbares pour ne leur
avoir pas tout appris , que nous le fommes
fans doute en faifant de pareils reproches
à nos ancêtres. La nature n'a pu être examinée
qu'en détail ; la vie de l'homme
trop bornée ne permet d'acquerir qu'un
très- petit nombre de connoiffances mêlées
de beaucoup d'erreurs ; la curiofité , fource
des unes: & des autres , à peine encouragée
par quelques fuccès , s'anéantit avec
nous. La génération qui nous fuit , profite
de nos erreurs pour les éviter , de nos connoiffances
pour lleess découvrir découvrir , nous devance
un peu , tombe à fon tour , & laiffe
à celle qui la fuivra de nouvelles lumieres
& de nouvelles fautes. Je ne vois dans ces
prétendus progrès dont nous tirons tant de
vanité , qu'une chaîne immenſe , dont quelques-
uns ont indiqué le métal , d'autres ,
fans deffein peut-être , en ont formé les
anneaux ; les plus adroits ont imaginé de
les affembler , la gloire en eft pour eux ;
mais les premiers ont tout le mérite , ou
devroient l'avoir fi nous étions juftes .
Sont - elles bien à nous d'ailleurs ces
découvertes dont nous nous glorifions ?
Qui me répondra que depuis que les géFEVRIER.
1755. 27
nérations fe renouvellent fur la furface de
la terre , perfonne ne fes eut faites avant
nous ? Combien de nations enfeveliés fous
leurs ruines , dont il ne nous refte que des
idées imparfaites combien d'arts abfolument
perdus ? combien de monumens livrés
aux flammes ? It eft tel ouvrage qui lui
feul pourroit nous éclairer fur mille menfonges
, & nous découvrir autant de vérités
; n'en a- t- il point péri de cette efpece ,
ou par les ravages du tems , ou par les
incendies ? Quels peuples de l'antiquité le
retour des Lettres nous a- t- il fait connoître
? Les Grecs & les Romains , ignorans
fur leur origine, prévenus contre tout ce qui'
n'étoit pas de leur nation' , traitant de barbares
leurs voifins ou leurs ennemis , avec
autant d'injuftice peut-être que les Efpagnols
nommoient les Péruviens fauvages ,
dédaignant d'approfondir leurs moeurs ,
leurs caracteres , leurs traditions , leurs
ufages , ou les diffimulant par jalousie ,
& par conféquent incapables de nous en
inftruire. Comment les connoiffons- nous
encore ces Grecs & ces Romains ? à peuprès
comme par des relations imparfaites
nous connoiffons les peuples de l'Afrique
ou de l'Afie . Combien de peuples d'ailleurs
ces conquerans d'une partie du monde
n'ont- ils pas ignorés ? n'eft- il plus de cli-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
mats inconnus & penfons-nous qu'ils
n'auroient rien à nous apprendre ? N'a -ton
pas trouvé chez les Chinois , peuple
d'une vanité trop ridicule pour avoir un
mérite réel , l'ufage de l'Imprimerie & de
la poudre ? qui leur a donné l'idée de ces
arts fi nouveaux dans l'Europe , l'Imprimerie
fur-tout , qui mériteroit fi juftement
d'être admirée s'il étoit poffible qu'elle ne
perpétuât que des chofes dignes de l'être ?
Nous avons fait des progrès admirables
dans les méchaniques , nous avons fimplifié
des machines connues , nous en avons
créé d'autres ; mais qu'avons- nous exécuté
avec elles dont on ne trouve quelque
idée chez les anciens ? Ces hardis monumens
de l'antiquité la plus reculée , &
qui touche prefque aux premiers jours du
monde : les murs de Babylone , ces jardins
foutenus dans les airs , ces canaux vainqueurs
de l'Euphrate , ces pyramides de
l'Egypte , dont quelques - unes fubfiftent.
encore , ces fuperbes édifices élevés avec
la rapidité que l'hiftoire nous attefte ne
nous forcent- ils pas de convenir , ou que
les anciens avoient des reffources égales
aux nôtres , ou même qu'ils en avoient de
bien fupérieures ? On ne trouve pas feulement
chez eux les traces des arts utiles
on connoît le luxe des premiers Affyriens
་ ་
›
FEVRIER . 1755 29
& le luxe ne s'introduit dans un Empire
qu'à la fuite des arts d'agrémens.
Qu'il foit permis de faire une compa
raifon entre ces prétendus enfans de notre
induſtrie & ceux de notre imagination
les ſyſtêmes de la Phyfique , fur les principaux
phénomenes de la nature ; il n'en eft
aucun qui n'ait été renouvellé de quelques
anciennes écoles . Le mouvement de la terre
, la matiere fubtile , le plein , le vuide ,
la gravitation , le pur méchanifme des animaux
, opinion dangereufe , parce qu'elle
pourroit trop prouver l'existence des
tourbillons ; ces ingénieufes fictions attribuées
à nos Philofophes modernes , exiftoient
long- tems avant eux , nous en avons
les originaux dans cette foule de Philofophes
Grecs ; & qui fçait fi ces originaux
n'étoient pas encore des copies ? Il en eft
de même des hypothèfes métaphyfiques.
L'immortalité de l'ame , avant que la religion
nous en eût fait un dogme , l'unité
de Dieu , la diftinction des deux fubftances
, le ſyſtême du matérialiſme adopté
quant à la nature de l'ame , par quelques
Peres des premiers fiécles , qui ne la
croyoient pas moins immortelle , mais qui
confervoient encore des principes puifés
dans les écoles payennes je veux parler
de Tertullien , d'Arnobe , de Lactance . Le
B iij
MERCURE DE FRANCE.
libre arbitre , la fatalité , furent des queftions
qui trouverent autrefois , comme de
nos jours , des partifans ou des adverfaires.
L'Athéifme de Spinofa , fi bien attaqué
par Bayle , eft développé dans le fixieme
livre de l'Eneide . Les Dieux oififs d'Epicure
ont fervi de modele à celui des Déiftes.
Si donc l'efprit humain fe repéte luimême
depuis fi long tems dans les fciences
fpéculatives , rien ne me porte à le
croire plus varié , plus inventeur dans ce
qui tient aux arts.
Mais je veux que nos modernes ayent
réellement imaginé les opinions qu'on leur
attribue , nous n'aurions encore changé
que de fictions & d'abfurdités. Les idées
innées de Deſcartes , les Monades de Leibnitz
ne valent gueres mieux que les prétendues
rêveries des anciens . Nous nous
fommes comportés à leur égard , comme
'certains Anglois nous ont fait l'honneur
de nous traiter dans leurs ouvrages ; ils
copient nos auteurs , en nous difant des
injures. Sur quoi peut donc être fondé
l'orgueil des hommes ? Je veux bien fuppofer
que nous connoiffions un peu mieux
que nos ancêtres les contours du globe que
nous habitons ,enrichis de leurs remarques
& des nôtres , nous fommes un peu moins
étrangers dans notre patrie. Nous avons
FEVRIER. 1755. 31
multiplié nos plaifirs en nous affujettiffant
à de nouveaux befoins ; mais n'avons- nous
pas auffi doublé nos infortunes : Nous
voulons , à la faveur de l'expérience , avoir
jetté quelques lumieres fur le méchanifme
de la nature , mais les cauſes nous en fontelles
moins obfcures ? Nous lifons dans les
cieux , mais fommes nous plus éclairés fur
l'artifice de nos organes , fur l'union du
corps & de l'ame , ou fur leur mutuelle
dépendance ? Avons - nous quelque idée
plus diftincte des termes qui nous font les
plus familiers , de la matiere , de l'eſprit ,
du lieu , du tems , de l'infini , termes que
le peuple prononce tous les jours , fans
imaginer qu'il ne les entend pas ? étrange
foibleffe de l'efprit humain , qui ne femble
ignorer que ce qu'il auroit intérêt de
connoître ! Parfaitement inftruit de quelques
vérités indifférentes , mais les feules
qui lui foient démontrées , j'ofe le dire
même , qui femblent l'humilier par leur
petit nombre & par l'excès de leur éviden.
ce , elles ne fervent qu'à lui faire mieux
fentir qu'il eft né pour le doute.
Je ne fçais par quelle étonnante contradiction
quelques perfonnes plus zélées
qu'inftruites , ont affecté de confondre le
Pirrhoniſme & l'incrédulité. Cette réflexion
où m'a conduit mon fajet, mériteroit-
B iiij
MERCURE DE FRANCE.
*
elle - feule une differtation approfondie ?
Mais comme il est toujours précieux d'établir
une vérité , que
, que celle- ci d'ailleurs paroîtra
nouvelle , je l'appuyerai du moins
d'un fimple raifonnement auquel il eft , je
crois , difficile de fe refufer. Le Pirrhonifme
feul apprend à la raifon à s'humilier ,
en lui démontrant l'incertitude de fes connoiffances
; la religion exige de notre orgueil
la même foumiffion , les mêmes facrifices
: le Pirrhonifme eft donc de toutes
les fectes des Philofophes celle qui eft la
plus conforme à l'efprit de la religion , &
qui nous difpofe le plus naturellement à
l'embraffer. Mais on pourroit en abuſer ,
me dira- t- on : eh ! de quoi ne pourroit - on
pas abufer ? Tel étoit du moins le fentiment
de ce fameux Evêque d'Avranches ,
l'auteur de la Démonftration évangélique' ,
Prélat illuftre que l'Eglife regarde , ainfi
que M. Boffuet , comme une de fes lumieres
.
Quoi de plus capable de convaincre
l'homme de fa foibleffe que le tableau
malheureuſement trop fidele que je viens
de vous en préſenter ? Ses prétendus progrès
appréciés , dénués de la pompe dont
une vaine éloquence a coutume de les ennoblir
, nous paroiffent dans leur véritable
jour. Il n'eft ni plus vertueux , ni plus
FEVRIER. 1755. 33
tapproché du bonheur , ni moins efclave,
des illufions : il n'a donc rien fait pour
lui ; mais fon orgueil eft toujours le même
, c'eft qu'il eft homme .
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Résumé : Les Modernes sont-ils en effet plus éclairés ou plus avancés que les Anciens dans le chemin de la vérité ?*
Le texte examine la prétendue supériorité des Modernes par rapport aux Anciens en matière de connaissance et de progrès. Il reconnaît les avancées scientifiques des Modernes, mais souligne que les erreurs et les préjugés persistent. Les Modernes ont abandonné certaines croyances anciennes, comme celles des antipodes ou des cieux de cristal, mais n'ont pas nécessairement remplacé ces erreurs par des vérités nouvelles. Les progrès en astronomie et en physique sont mentionnés, mais relativisés par la persistance de nombreuses incertitudes et de systèmes hypothétiques. Le texte critique l'orgueil des Modernes qui se vantent de leurs découvertes sans reconnaître la contribution des générations précédentes. Il met en avant l'idée que les connaissances humaines se transmettent et s'accumulent au fil des générations, sans que chaque époque puisse revendiquer une supériorité absolue. Les avancées dans les arts mécaniques et les sciences spéculatives sont comparées à celles des Anciens, montrant que les Modernes n'ont souvent fait que renouveler des idées existantes. Le texte souligne également la limitation des connaissances humaines, qui restent fragmentaires et mêlées d'erreurs. Il conclut en soulignant l'humilité nécessaire face aux limites de la raison humaine, critiquant ceux qui confondent le pyrrhonisme avec l'incrédulité. Le pyrrhonisme, en démontrant l'incertitude des connaissances humaines, exige une soumission de l'orgueil similaire à celle requise par la religion, et prépare ainsi naturellement à l'acceptation de la foi religieuse. Cependant, il est reconnu que le pyrrhonisme pourrait être abusé, mais cette possibilité n'est pas unique à cette philosophie. Le texte mentionne l'évêque d'Avranches, auteur de la 'Démonstration évangélique', comme une figure respectée par l'Église et comparée à Bossuet. En somme, l'homme reste orgueilleux et faible, simplement parce qu'il est humain.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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