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1
p. 202-207
REFLEXIONS sur la médisance.
Début :
La médisance est la seule injustice contre laquelle on ne [...]
Mots clefs :
Médisance, Réflexions, Parlement, Malignité, Malicieux, Médisants, Mensonge, Envie, Calomnie, Oisiveté
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS sur la médisance.
REFLEXIONS
sur la médijAnct.
LA médisanceest la feule
injusticecontrelaquelle on
ne sçauroit jamais gagner
son procés sans dépens: elle
casse les Arrêts du Parlement.
Les mouvemens qu'-
on se donne pour se justifier
ne fervent qu'à augmenter
le branle de la mé-,
difance. Quand l'air est agité
, tous les corpsqu'on
tneuc en augmententl'agitation
; ilfaut le laisser le
reposer delui-même, Se
mprendure egarrde.de le re-t aplusde
La médisanceaplusde
talent pour persuader que
l'éloquence & la raisonjon
ne croit aisément le mal
qu'on nous dit dautrui^
que parce qu'on s'enient
capable. ? -Une bonne c hose dans
la bouche d'un homme
d'esprit devient une forifa
dans l'oreille d'un sot. i>
."h Pourquoy voulez',;"",vous
que leshommes ménagent
vos défauts, quand vousne
ménagez pas leur maligni- e&qu'au contraire vous
l'augmentez par vôtre imprudence?
Celui qui commence
l'embrasement, & celui qui
le nourrit sont également
coupables
.- Il faut moins d:çlprit
pour être malin que pour
z.icre bon , quand onest
malicieux dans le coeur. Il
faut plus d'esprit pour découvrir
les bons endroits
.ties hommes, comme plus
tares &plus difficiles, que
es mauvais, qui fautent aux
yeux.
Nous devons sçavoir gré
lux médisans, de nous don-1
ties tout le plaisir qu'il y a, irire de son prochain.
Le Tasserépondit un
jour, sur ce qu'on lui dit
dqiur'auint certain homme méde
lui par-tout:LaisfeXjéfaire,
dit-il en riant,
encore ,({J.au'.-il bien mieux
qu'il dise mal de moy à tout
le monde, que tout le monde
lui en dije de moy. •
;: Comme on disoit un
joijr àNicandre que les 4*-
giensparloient mal de lui
LaiffeZ-les faire, dit-il,il
fbnt A.D?{punk de parler ma
dun homme de bien.
Unhomme accusé à tort
devant Auguste, après skétre
justifié : Une Autre fiisJ
dit-il, ne IfJOIU enqueréz des
honnêtes gens qu'à ceux qui
leur rejjembltnt. *
Le mensonge & l'envie
pere Ôc meredela calomnie,
& la curiosité sa nour.
rice,habitét chez l'oisivété.
Elle s'exerce continuellement
à renverser les bâtimens
de la societé, commence
par enenlever les
piliers , & en mine peu à
peulavoûte. Quandelle ne
peut blesser la vertu, elle
fenfume)lx.-la facilite à se
faire croire par un Juge
qui examine tout, & qui
est toujours disposé à coniUwncr,
sur la médijAnct.
LA médisanceest la feule
injusticecontrelaquelle on
ne sçauroit jamais gagner
son procés sans dépens: elle
casse les Arrêts du Parlement.
Les mouvemens qu'-
on se donne pour se justifier
ne fervent qu'à augmenter
le branle de la mé-,
difance. Quand l'air est agité
, tous les corpsqu'on
tneuc en augmententl'agitation
; ilfaut le laisser le
reposer delui-même, Se
mprendure egarrde.de le re-t aplusde
La médisanceaplusde
talent pour persuader que
l'éloquence & la raisonjon
ne croit aisément le mal
qu'on nous dit dautrui^
que parce qu'on s'enient
capable. ? -Une bonne c hose dans
la bouche d'un homme
d'esprit devient une forifa
dans l'oreille d'un sot. i>
."h Pourquoy voulez',;"",vous
que leshommes ménagent
vos défauts, quand vousne
ménagez pas leur maligni- e&qu'au contraire vous
l'augmentez par vôtre imprudence?
Celui qui commence
l'embrasement, & celui qui
le nourrit sont également
coupables
.- Il faut moins d:çlprit
pour être malin que pour
z.icre bon , quand onest
malicieux dans le coeur. Il
faut plus d'esprit pour découvrir
les bons endroits
.ties hommes, comme plus
tares &plus difficiles, que
es mauvais, qui fautent aux
yeux.
Nous devons sçavoir gré
lux médisans, de nous don-1
ties tout le plaisir qu'il y a, irire de son prochain.
Le Tasserépondit un
jour, sur ce qu'on lui dit
dqiur'auint certain homme méde
lui par-tout:LaisfeXjéfaire,
dit-il en riant,
encore ,({J.au'.-il bien mieux
qu'il dise mal de moy à tout
le monde, que tout le monde
lui en dije de moy. •
;: Comme on disoit un
joijr àNicandre que les 4*-
giensparloient mal de lui
LaiffeZ-les faire, dit-il,il
fbnt A.D?{punk de parler ma
dun homme de bien.
Unhomme accusé à tort
devant Auguste, après skétre
justifié : Une Autre fiisJ
dit-il, ne IfJOIU enqueréz des
honnêtes gens qu'à ceux qui
leur rejjembltnt. *
Le mensonge & l'envie
pere Ôc meredela calomnie,
& la curiosité sa nour.
rice,habitét chez l'oisivété.
Elle s'exerce continuellement
à renverser les bâtimens
de la societé, commence
par enenlever les
piliers , & en mine peu à
peulavoûte. Quandelle ne
peut blesser la vertu, elle
fenfume)lx.-la facilite à se
faire croire par un Juge
qui examine tout, & qui
est toujours disposé à coniUwncr,
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Résumé : REFLEXIONS sur la médisance.
Le texte aborde la médisance comme une injustice difficile à contrer sans en subir les conséquences. Les tentatives de justification exacerbent le problème, à l'instar des corps qui augmentent l'agitation de l'air. La médisance est plus convaincante que l'éloquence et la raison, car les individus croient plus facilement les mauvaises rumeurs s'ils s'estiment capables de les commettre. Une parole sage peut devenir une folie selon l'interprétation. Les hommes doivent donc éviter de nourrir la malignité des autres, car ceux qui initient et entretiennent la médisance sont également responsables. Il faut plus d'esprit pour être bon que pour être malin. Les médisants trouvent du plaisir à critiquer autrui. Des exemples historiques, comme le Tasse et Nicandre, montrent qu'il vaut mieux ignorer les médisants. Auguste, quant à lui, ne s'informait des honnêtes gens qu'auprès de ceux qui leur ressemblaient. Le mensonge, l'envie et la curiosité alimentent la calomnie, tandis que l'oisiveté l'héberge. La médisance vise à détruire la société en attaquant d'abord ses piliers, puis la voûte. Lorsqu'elle ne peut blesser la vertu, elle se contente de la souiller, exploitant la facilité à se faire croire par un juge curieux et disposé à condamner.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 1319-1330
LETTRE pour servir de réponse à la Letre de M.... écrite de Grenoble, & inserée dans le Mercure du mois de Mai 1730.
Début :
Il est vrai, Monsieur, que le livre anoncé sous le titre, d'ABC DE CANDIAC [...]
Mots clefs :
Enfants, Étude, Réflexions, A, B, C Français, A, B, C Latin, Leçons
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE pour servir de réponse à la Letre de M.... écrite de Grenoble, & inserée dans le Mercure du mois de Mai 1730.
LETRE pour fervir de réponse à la
Letre de M.... écrite de Grenoble , &
inferée dans le Mercure du mois de Mai
1730 .
I
Left vrai , Monfieur , que le livre
anoncé fous le titre , d'A B C DE CANDIAC
auroit déja du paroitre , mais cela
n'a pas abfolument dépendu de l'auteur ;
come il fouhaite doner une Edition paffable
& corecte , il n'a voulu prendre au
cun engagement avec des libraires , fe
fatant d'avoir dans peu la liberté de
mieux faire avec quelque imprimeur . Le
titre d'ABC de Candiac aïant paru
trop fimple à bien des perfones , on lui
a confeillé d'en prendre un autre moins
vague , & qui donat une idée plus exacte
de fon ouvrage ; c'eft pourquoi il l'a intitulé
, LA BIBLIOTEQUE DES ENFANS , OU
LES PREMIERS ELEMENS DES LETRES , &c.
11. Vol. Cvj & c'eft
1320 MERCURE DE FRANCE
& c'eft fous ce titre qu'il en a obtenu le
privilege.
Voici , Monfieur , le plan de fon ouvrage.
Il eft divifé en deux volumes , l'un
pour le maitre , & l'autre
pour l'enfant. >
Celui de l'enfant, ou de pure pratique , eft.
divifé en cinq parties.
La premiere partie contient en cinquante
leçons, trois A B C latins ; favoir,
le premier en vint & une petites leçons ?
pour les letres , voyeles ou confones ;
grandes & petites : les confones avec
leur nom ou fans leur nom ; reffemblantes
ou non reffemblantes ; letres grifes
romaines , & italiques ; letres à poins , à
titres , à trema , à accens ; voyeles naza
fes ; diftongues , fons fimples , ou compofés
; confones fortes , confones foibles ; letres
fiflantes , afpirées ; letres doubles , ligatures
, &s ..... Le fegond A B C´latin
en quinze petites leçons , eft pour les
combinaiſons des confones avec les voye
fes initiales , finales , & mediales ; pour:
les combinaiſons des confones à double
emploi , ufage ou valeur , come font les .
letres c, g ,f, t, x, y , & c. pour les combinaifons
des letres liquides ou coulantes.
1, r; pour les combinaifons des caracte
resch , ph , rb , th , & des letres dificiles
pour les combinaifons des confones fimples
, doubles , fortes ou foibles , & c. ....
2.
II. Fol
Le
JUIN 1730. 1321
Le troifiéme A B C latin en quatorze petites
leçons , contient les monofilabes latins
la filabifation , ou l'art d'épeler toute
forte de polifilabes & de mots dificiles
faits exprès , ou choifis dans les livres ; des
mots , fans voyeles , & de vieux mots la
tins abregés ou non abrégés.
La fegonde partie contient auffi trois
ABC françois en deux cens & tant de
leçons ; favoir le premier en huit petites
leçons pour les voyeles latines & les
voyeles françoifes; pour les confones avec:
leur nom ou fans leur nom ; pour les fons .
fimples ou compofés ; pour toutes les combinaiſons
des confonnes , foibles ou fortes;
pour les combinaiſons des fons fecs, liquides,
& mouillés , &c....Le fegond ABC
françois en fix petites leçons contient les
monofilabes françois , & la filabifation ,
ou l'art d'épeler toute forte de mots &c.
... Le troifiéme ABC plus étendu ,
contient toutes les autres combinaiſons.
neceffaires , & quantité de leçons de lecture,
variées par diferens fujets fur les le
tres & fur les nombres ; & enfin une no →
menclature des arts & des fiences , fuivie
de la doctrine chrétienne , & du calen--
drier de Jules-Cefar à côté de notre al--
manac. On parlera des autres trois parties
dans le mercure du mois prochain .
Le volume du maître , qui fervira en-
JI. Vol fuite
122 MERCURE DE FRANCE
fuite à l'enfant , eft auffi diviſé en cinq
parties ; la premiere partie contient en
cent & tant de pages la preface de l'ou--
vrage, & les réflexions ou inftructions neceffaires
fur tout l'atirail literaire que l'on
peut doner à un petit enfant , come
des jeux de cartes , une caffete , & un bureau
abécédiques ; une caffe d'imprimerie
, en colombier , la fuite du bureau tipografique
, latin- françois , un rudiment
pratique ; & enfin le dictionaire du bureau
tipografique ; cette même partie con--
tient les reflexions , & les remarques fur
les cinquante leçons des trois A B C la
rins.
ge.
La fegonde partie en cent & tant de
pages , contient d'abord les reflexions
nerales , & préliminaires fur l'étude de la
langue françoife , & des fons qui la dif--
tinguent des autres langues ; & enſuite
des remarques grammaticales fur les leçons
des trois A B C françois.
La troifiéme partie en trente & tant de
pages , contient une réponse aux raifonemens
, ou aux préjugés de M. l'Abe
Regnier dans fon traité de l'ortografe , &
quelques reflexions fur l'ortografe des dic
tionaires de Richelet , de Furetiere , det
Trevoux , de l'Academie Françoife , & def
Academie d'Espagne.
La quatrième partie , en foixanté &
II. Vol.
*tane™
JUIN. 1730 1323
tant de pages , contient
dans un ordre
cronologique
des extraits
critiques
d'une'
trentaine
d'auteurs
, par rapport à la tradition
de l'ortografe
& de les principes
,
fuivis ou changés
depuis
près de deux
fiecles. Cette partie poura être augmen
tée à mesure que les ortografiftes
anciens
ou modernes
tomberont
fous la main de
l'auteur de ce petit ouvrage.
La cinquième partie contient les inf
tructions préliminaires fur le rudiment
pratique de la langue latine , & des refle
xions fur les petits exercices de l'enfant ,
auquel les parens fouhaitent de doner
une noble & belle éducation .
Voilà , Monfieur , l'idée la plus apro
chante que je puiffe vous doner de cet
ouvrage , l'auteur , felon les principes de
Ramus , infifte toujours beaucoup fur la
pratique , parce qu'il croit plus aife de faire
agir les enfans , que de les faire raifo- '
ner ; c'eft travaillet en pure perte que de
les arêter lontems fur des fpeculations
qui vont à prouver l'utilité des regles ,
au lieu de les faire paffer au plutôt à la
pratique même de ces regles. Il a ceperdant
expliqué fa métode auffi clairement
qu'il lui a été poffible , il a même pris à
tâche de rendre raifon de tout dans le
corps de l'ouvrage , & de répondre à
toutes les dificultés raifonables qu'on
NII Vol
peut
1324 MERCURE DE FRANCE
R
peut former contre cette nouvele maniere
d'inftruire les enfans .
Il ya deux fortes de perfones que l'auteur
ne s'eft jamais flaté de pouvoir convaincre.
Il met au premier rang ceux qui ,
par un entêtement exceffiffur l'exactitude,
de leurs recherches , croient que tout eft
trouvé , parce qu'il leur plaît de croire
qu'ils n'ont plus rien à aprendre ; dans
cette idée ils n'ont que du mépris pour les
nouveles découvertes , & ne laiffent tout
au plus aux autres que la gloire d'ateindre
au dégré de favoir ,
ou la. la trop
opinion de leur fufifance les a placés. Le
plus court avec eux , c'eft de les abandoner
à leur fauffe préfomtion , qui n'a rien
de réel que l'ignorance où elle les retient,
& le ridicule qui en eft inféparable.
bone
La fegonde efpece de gens , ce font
ceux qui par une déference aveugle pour
ceux qui nous ont devancés dans la catiere
des belles letres , fe bornent uniquement
à favoir les opinions des autres ;
come le travail eft inféparable de la recherche
, ils aiment mieux fupofer que les
ancienes métodes font bones & fufifan--
tes , que de fe charger du foin d'examiner :
fi les nouveles ne valent pas mieux . On va .
toujours bien felon eux , quand on eft
dans un chemin batu , quelque long qu'il
Loit , & quelque embaras qu'on y trouve ;
II. Vol. comme™
y
JUIN 1730 1325
come fi l'avantage d'ariver plutot , &
plus comodément ne valoit pas la peine
de tenter une nouvele route. Du refte
fujets modeftes & foumis dans la republique
des letres , ils ne mettent point de
diference entre une hardieffe outrée, toujours
prete à tout contredire , & une ho
nete liberté qui fe referve le droit de
choifir entre le bien & le mieux : fcrupu
leufement atachés à leur routine , ils s'y
repofent come dans une poffeffionoù perfone
n'eft en droit de les troubler. Les
premiers qu'on peut apeler des demi-favans
glorieux , font trop entêtés de leur
propre merite , ceux- ci de celui d'autruis
cette double difpofition , également bla
mable & dans les uns & dans les autres ,
aretera toujours le progrès des fiences.
à moins qu'on ne prene le parti de fe metre
au-deflus de la fote vanité des premiers
, & de la timidité de ces derniers .
Il y a plus de quinfe ans que l'Auteur
de cette metode fit quelque étude des fons
de la langue françoife , & cela pour profiter
un peu du fejour de Paris où il fe
trouvoit alors. Il mit fes reflexions fur le
papier , mais pour lui feul , ou tout au
plus pour quelques amis . De retour en
province , il eut ocafion de faire l'effai
de cette doctrine des fons : & avec un
peu d'aplication & de travail , il mit dans
II. Vol
peu
1326 MERCURE DE FRANCE
peu de tems une gouvernante en état de
montrer les letres & les fons à un enfant
de deux ans ; ce qu'on pouroit même
pratiquer encore plutôt , fi les enfans
étoient pour l'ordinaire capables d'articuler
des fons avant ce tems là. Cet effai
réuffit fi bien , que l'enfant conut toutes
les letres grandes & petites à l'âge de
trente mois , & qu'à trois ans il lut paſſablement
le françois & le latin , l'heureux
fuccès fur la premiere de ces deux langues
aïant porté l'auteur à tenter la même
chofe fur la fegonde.
On croit ordinairement qu'il eft inutile
, indiferent , & peut- etre meme dangereux
de montrer les lètres à un enfant
dès qu'il fait articuler quelques filabes .
Bien des gens s'imaginent que de comancer
deux ou trois ans plutot ou plus tard, cela
ne fauroit guere influer ni en bien nien mak
dans le refte de la vie ; & qu'enfin l'education
tardive peut mener également à la
perfection ; c'eft là , ce me femble , un
prejugé que l'ignorance & la coutume
paroiffent n'avoir déja que trop autorifé;
car le degout de la plupart des écoliers
ne vient peut- etre pas moins d'une édu
cation tardive que d'un defaut de difpo
fition à l'étude. Je penfe donc avec l'auteur
qu'il feroit très utile que l'enfant pût
lire auffi tot qu'il fait parler ; cela lui do-
I I. Vol. neroit
UIN. 1730.
1327
neroit plus de facilité dans toutes les études.
La diference d'un enfant qui lit à
trois ans , & de celui qui à peine lit à ſept ,
doit etre contée pour beaucoup dans la
fuite des études. Il y a tant de chofes à
aprendre , qu'on ne fauroit trop tôt comancer.
On ne prend pour pretexte la
fanté , la foibleffe , ou la vivacité d'un enfant
, que pour fe juftifier foi meme , &
pour excufer un ufage fuivi par imitation
plutot que par raifon ; chacun pouroit
fournir fur autrui , & peut-etre fur foi
même , des exemples de cet abus .
D'où vient que les ainés , les enfans uniques
, ou les enfans le plus cheris , font
ordinairement moins avancés dans les étu
des que les autres : c'eft qu'on les a mis
trop tard à l'abc , ou peut être trop tôt
fur des livres ordinaires & mal faits : on
a rempli de fimples puerilités leur imagination
tendre ; ils ont grandi dans l'exereice
continuel des badinages ; ils ont enfuite
peine à les facrifier aux leçons inftructives
& penibles qu'on leur done
D'ailleurs enfeveli dans les prejugés , on
aime mieux en general voir vivre fon
enfant dans l'ignorance , que de s'expofer
à la crainte mal fondée , de le perdre fort
favant ; & l'on conclud fans raifon que la
frence abrege leurs jours , come fi l'ignorance
& l'oifiveté prometoient une plus
II. Vol. longue
1328 MERCURE DE FRANCE
longue vie . Quelques particuliers peuvent,
l'imaginer ainfi , mais le Public penſe &
taifone plus jufte.
pas mal
Puifque les autorités & les exemples
font ordinairement plus d'impreffion que
les fimples raifonemens , il n'eft
d'en raporter ici quelques uns. Certaines
perfones ont cru , dit Quintilien , qu'il ne
faut pas entreprendre de rien enfeigner
aux enfans avant fept ans : mais ceux qui
come Chrifipe , ne veulent pas qu'aucun
age foit exemt d'aplication , l'entendent
bien mieux. Car quoiqu'il laiffe l'enfant
entre les mains des femmes jufqu'à trois
ans , il veut qu'elles prenent foin dès ce
tems là de lui former l'efprit par les meil-
Ieures inftructions qu'elles font capables
de doner. Et pourquoi ce meme age , qui
eft déja fufceptible d'impreffion pour
les
moeurs , ne le feroit- il pas auffi des premiers
elemens de literature ?
Socrate lontems auparavant avoit fait
comprendre à fes diciples que les enfans
qui favent parler , & qui comancent à
faire paroitre du dicernement , ne font
point trop jeunes pour les fiences. Ariftote
& Platon l'ont penfé de même : &
fi Quintilien déja cité , M. le Fevre , Madame
Dacier , & beaucoup de favans , ont
eu le malheur de perdre leurs enfans ce-
Jebres , doit on conclure qu'il font morts
II. Vol. par
JUIN. 1730. 1329
par des excès d'étude ? la tendreffe paternele
des favans eft elle moins naturele que
celle des autres homes ? font ils plus avcuglés
, & moins atentifs lorfqu'il s'agit
des égars & des menagemens neceffaires à
la confervation des enfans le plus cheris ?
Il eft vrai que les énemis de l'étude l'a
cufent d'etre meurtriere , & difent qu'elle
affaffine les enfans ou qu'elle les empêche
de croitre. Dès qu'il meurt quelque enfant
celebre les études , les ignorans
ne manquent pas d'en acufer ces mêmes
études ; c'eft la maniere dont ils s'y prenent
pour confoler des parens afligés , &
cela fans faire atention au nombre infini
d'enfans qui restent nains ou qui meurent
malgré leur parfaite ignorance & au
par
و
grand nombre de ceux qui vivent au delà
de quatre vints ans quoiqu'ils aient comencé
de fort bone heure à étudier . On
fait que le Cardinal Lugo dès l'âge de trois
ans fit paroitre fon heureux genie ; car il
favoit lire les imprimés & les manufcrits.
Bayle en parle dans fon dictionaire. Le
Taffe à l'age de trois ans , comença à étu
dier la gramaire ; & il fe portoit à l'étude
avec tant d'ardeur & tant de gout , que
fon pere n'hefita point à l'envoyer au co
lege des Jefuites , dès l'ege de quatre ans.
Sous ces habiles maitres le petit Torquato
fit de fi grans progrès , qu'à fept ans il
II. Vol. favoir
1330 MERCURE DE FRANCE
favoit parfaitement le latin , & tres palla
blement le grec. La fuite des nouveles
d'Amfterdam du 30 avril 1726 parloit
du petit Jean Filipe Baratier de Schwal
bach , qui comença d'aprendre les letres
avant l'age de deux ans. Mais ctier des
enfans morts, aux ïeux des ignorans , c'eſt
prefque decrier une métode : citer das
enfans étrangers , c'eft s'expofer à n'etre
pas cru : il en faut donc citer qui foient
en vie , & à Paris , la choſe eft aisée , &
ce fera pour un autre Mercure.Je fuis, &c.
Letre de M.... écrite de Grenoble , &
inferée dans le Mercure du mois de Mai
1730 .
I
Left vrai , Monfieur , que le livre
anoncé fous le titre , d'A B C DE CANDIAC
auroit déja du paroitre , mais cela
n'a pas abfolument dépendu de l'auteur ;
come il fouhaite doner une Edition paffable
& corecte , il n'a voulu prendre au
cun engagement avec des libraires , fe
fatant d'avoir dans peu la liberté de
mieux faire avec quelque imprimeur . Le
titre d'ABC de Candiac aïant paru
trop fimple à bien des perfones , on lui
a confeillé d'en prendre un autre moins
vague , & qui donat une idée plus exacte
de fon ouvrage ; c'eft pourquoi il l'a intitulé
, LA BIBLIOTEQUE DES ENFANS , OU
LES PREMIERS ELEMENS DES LETRES , &c.
11. Vol. Cvj & c'eft
1320 MERCURE DE FRANCE
& c'eft fous ce titre qu'il en a obtenu le
privilege.
Voici , Monfieur , le plan de fon ouvrage.
Il eft divifé en deux volumes , l'un
pour le maitre , & l'autre
pour l'enfant. >
Celui de l'enfant, ou de pure pratique , eft.
divifé en cinq parties.
La premiere partie contient en cinquante
leçons, trois A B C latins ; favoir,
le premier en vint & une petites leçons ?
pour les letres , voyeles ou confones ;
grandes & petites : les confones avec
leur nom ou fans leur nom ; reffemblantes
ou non reffemblantes ; letres grifes
romaines , & italiques ; letres à poins , à
titres , à trema , à accens ; voyeles naza
fes ; diftongues , fons fimples , ou compofés
; confones fortes , confones foibles ; letres
fiflantes , afpirées ; letres doubles , ligatures
, &s ..... Le fegond A B C´latin
en quinze petites leçons , eft pour les
combinaiſons des confones avec les voye
fes initiales , finales , & mediales ; pour:
les combinaiſons des confones à double
emploi , ufage ou valeur , come font les .
letres c, g ,f, t, x, y , & c. pour les combinaifons
des letres liquides ou coulantes.
1, r; pour les combinaifons des caracte
resch , ph , rb , th , & des letres dificiles
pour les combinaifons des confones fimples
, doubles , fortes ou foibles , & c. ....
2.
II. Fol
Le
JUIN 1730. 1321
Le troifiéme A B C latin en quatorze petites
leçons , contient les monofilabes latins
la filabifation , ou l'art d'épeler toute
forte de polifilabes & de mots dificiles
faits exprès , ou choifis dans les livres ; des
mots , fans voyeles , & de vieux mots la
tins abregés ou non abrégés.
La fegonde partie contient auffi trois
ABC françois en deux cens & tant de
leçons ; favoir le premier en huit petites
leçons pour les voyeles latines & les
voyeles françoifes; pour les confones avec:
leur nom ou fans leur nom ; pour les fons .
fimples ou compofés ; pour toutes les combinaiſons
des confonnes , foibles ou fortes;
pour les combinaiſons des fons fecs, liquides,
& mouillés , &c....Le fegond ABC
françois en fix petites leçons contient les
monofilabes françois , & la filabifation ,
ou l'art d'épeler toute forte de mots &c.
... Le troifiéme ABC plus étendu ,
contient toutes les autres combinaiſons.
neceffaires , & quantité de leçons de lecture,
variées par diferens fujets fur les le
tres & fur les nombres ; & enfin une no →
menclature des arts & des fiences , fuivie
de la doctrine chrétienne , & du calen--
drier de Jules-Cefar à côté de notre al--
manac. On parlera des autres trois parties
dans le mercure du mois prochain .
Le volume du maître , qui fervira en-
JI. Vol fuite
122 MERCURE DE FRANCE
fuite à l'enfant , eft auffi diviſé en cinq
parties ; la premiere partie contient en
cent & tant de pages la preface de l'ou--
vrage, & les réflexions ou inftructions neceffaires
fur tout l'atirail literaire que l'on
peut doner à un petit enfant , come
des jeux de cartes , une caffete , & un bureau
abécédiques ; une caffe d'imprimerie
, en colombier , la fuite du bureau tipografique
, latin- françois , un rudiment
pratique ; & enfin le dictionaire du bureau
tipografique ; cette même partie con--
tient les reflexions , & les remarques fur
les cinquante leçons des trois A B C la
rins.
ge.
La fegonde partie en cent & tant de
pages , contient d'abord les reflexions
nerales , & préliminaires fur l'étude de la
langue françoife , & des fons qui la dif--
tinguent des autres langues ; & enſuite
des remarques grammaticales fur les leçons
des trois A B C françois.
La troifiéme partie en trente & tant de
pages , contient une réponse aux raifonemens
, ou aux préjugés de M. l'Abe
Regnier dans fon traité de l'ortografe , &
quelques reflexions fur l'ortografe des dic
tionaires de Richelet , de Furetiere , det
Trevoux , de l'Academie Françoife , & def
Academie d'Espagne.
La quatrième partie , en foixanté &
II. Vol.
*tane™
JUIN. 1730 1323
tant de pages , contient
dans un ordre
cronologique
des extraits
critiques
d'une'
trentaine
d'auteurs
, par rapport à la tradition
de l'ortografe
& de les principes
,
fuivis ou changés
depuis
près de deux
fiecles. Cette partie poura être augmen
tée à mesure que les ortografiftes
anciens
ou modernes
tomberont
fous la main de
l'auteur de ce petit ouvrage.
La cinquième partie contient les inf
tructions préliminaires fur le rudiment
pratique de la langue latine , & des refle
xions fur les petits exercices de l'enfant ,
auquel les parens fouhaitent de doner
une noble & belle éducation .
Voilà , Monfieur , l'idée la plus apro
chante que je puiffe vous doner de cet
ouvrage , l'auteur , felon les principes de
Ramus , infifte toujours beaucoup fur la
pratique , parce qu'il croit plus aife de faire
agir les enfans , que de les faire raifo- '
ner ; c'eft travaillet en pure perte que de
les arêter lontems fur des fpeculations
qui vont à prouver l'utilité des regles ,
au lieu de les faire paffer au plutôt à la
pratique même de ces regles. Il a ceperdant
expliqué fa métode auffi clairement
qu'il lui a été poffible , il a même pris à
tâche de rendre raifon de tout dans le
corps de l'ouvrage , & de répondre à
toutes les dificultés raifonables qu'on
NII Vol
peut
1324 MERCURE DE FRANCE
R
peut former contre cette nouvele maniere
d'inftruire les enfans .
Il ya deux fortes de perfones que l'auteur
ne s'eft jamais flaté de pouvoir convaincre.
Il met au premier rang ceux qui ,
par un entêtement exceffiffur l'exactitude,
de leurs recherches , croient que tout eft
trouvé , parce qu'il leur plaît de croire
qu'ils n'ont plus rien à aprendre ; dans
cette idée ils n'ont que du mépris pour les
nouveles découvertes , & ne laiffent tout
au plus aux autres que la gloire d'ateindre
au dégré de favoir ,
ou la. la trop
opinion de leur fufifance les a placés. Le
plus court avec eux , c'eft de les abandoner
à leur fauffe préfomtion , qui n'a rien
de réel que l'ignorance où elle les retient,
& le ridicule qui en eft inféparable.
bone
La fegonde efpece de gens , ce font
ceux qui par une déference aveugle pour
ceux qui nous ont devancés dans la catiere
des belles letres , fe bornent uniquement
à favoir les opinions des autres ;
come le travail eft inféparable de la recherche
, ils aiment mieux fupofer que les
ancienes métodes font bones & fufifan--
tes , que de fe charger du foin d'examiner :
fi les nouveles ne valent pas mieux . On va .
toujours bien felon eux , quand on eft
dans un chemin batu , quelque long qu'il
Loit , & quelque embaras qu'on y trouve ;
II. Vol. comme™
y
JUIN 1730 1325
come fi l'avantage d'ariver plutot , &
plus comodément ne valoit pas la peine
de tenter une nouvele route. Du refte
fujets modeftes & foumis dans la republique
des letres , ils ne mettent point de
diference entre une hardieffe outrée, toujours
prete à tout contredire , & une ho
nete liberté qui fe referve le droit de
choifir entre le bien & le mieux : fcrupu
leufement atachés à leur routine , ils s'y
repofent come dans une poffeffionoù perfone
n'eft en droit de les troubler. Les
premiers qu'on peut apeler des demi-favans
glorieux , font trop entêtés de leur
propre merite , ceux- ci de celui d'autruis
cette double difpofition , également bla
mable & dans les uns & dans les autres ,
aretera toujours le progrès des fiences.
à moins qu'on ne prene le parti de fe metre
au-deflus de la fote vanité des premiers
, & de la timidité de ces derniers .
Il y a plus de quinfe ans que l'Auteur
de cette metode fit quelque étude des fons
de la langue françoife , & cela pour profiter
un peu du fejour de Paris où il fe
trouvoit alors. Il mit fes reflexions fur le
papier , mais pour lui feul , ou tout au
plus pour quelques amis . De retour en
province , il eut ocafion de faire l'effai
de cette doctrine des fons : & avec un
peu d'aplication & de travail , il mit dans
II. Vol
peu
1326 MERCURE DE FRANCE
peu de tems une gouvernante en état de
montrer les letres & les fons à un enfant
de deux ans ; ce qu'on pouroit même
pratiquer encore plutôt , fi les enfans
étoient pour l'ordinaire capables d'articuler
des fons avant ce tems là. Cet effai
réuffit fi bien , que l'enfant conut toutes
les letres grandes & petites à l'âge de
trente mois , & qu'à trois ans il lut paſſablement
le françois & le latin , l'heureux
fuccès fur la premiere de ces deux langues
aïant porté l'auteur à tenter la même
chofe fur la fegonde.
On croit ordinairement qu'il eft inutile
, indiferent , & peut- etre meme dangereux
de montrer les lètres à un enfant
dès qu'il fait articuler quelques filabes .
Bien des gens s'imaginent que de comancer
deux ou trois ans plutot ou plus tard, cela
ne fauroit guere influer ni en bien nien mak
dans le refte de la vie ; & qu'enfin l'education
tardive peut mener également à la
perfection ; c'eft là , ce me femble , un
prejugé que l'ignorance & la coutume
paroiffent n'avoir déja que trop autorifé;
car le degout de la plupart des écoliers
ne vient peut- etre pas moins d'une édu
cation tardive que d'un defaut de difpo
fition à l'étude. Je penfe donc avec l'auteur
qu'il feroit très utile que l'enfant pût
lire auffi tot qu'il fait parler ; cela lui do-
I I. Vol. neroit
UIN. 1730.
1327
neroit plus de facilité dans toutes les études.
La diference d'un enfant qui lit à
trois ans , & de celui qui à peine lit à ſept ,
doit etre contée pour beaucoup dans la
fuite des études. Il y a tant de chofes à
aprendre , qu'on ne fauroit trop tôt comancer.
On ne prend pour pretexte la
fanté , la foibleffe , ou la vivacité d'un enfant
, que pour fe juftifier foi meme , &
pour excufer un ufage fuivi par imitation
plutot que par raifon ; chacun pouroit
fournir fur autrui , & peut-etre fur foi
même , des exemples de cet abus .
D'où vient que les ainés , les enfans uniques
, ou les enfans le plus cheris , font
ordinairement moins avancés dans les étu
des que les autres : c'eft qu'on les a mis
trop tard à l'abc , ou peut être trop tôt
fur des livres ordinaires & mal faits : on
a rempli de fimples puerilités leur imagination
tendre ; ils ont grandi dans l'exereice
continuel des badinages ; ils ont enfuite
peine à les facrifier aux leçons inftructives
& penibles qu'on leur done
D'ailleurs enfeveli dans les prejugés , on
aime mieux en general voir vivre fon
enfant dans l'ignorance , que de s'expofer
à la crainte mal fondée , de le perdre fort
favant ; & l'on conclud fans raifon que la
frence abrege leurs jours , come fi l'ignorance
& l'oifiveté prometoient une plus
II. Vol. longue
1328 MERCURE DE FRANCE
longue vie . Quelques particuliers peuvent,
l'imaginer ainfi , mais le Public penſe &
taifone plus jufte.
pas mal
Puifque les autorités & les exemples
font ordinairement plus d'impreffion que
les fimples raifonemens , il n'eft
d'en raporter ici quelques uns. Certaines
perfones ont cru , dit Quintilien , qu'il ne
faut pas entreprendre de rien enfeigner
aux enfans avant fept ans : mais ceux qui
come Chrifipe , ne veulent pas qu'aucun
age foit exemt d'aplication , l'entendent
bien mieux. Car quoiqu'il laiffe l'enfant
entre les mains des femmes jufqu'à trois
ans , il veut qu'elles prenent foin dès ce
tems là de lui former l'efprit par les meil-
Ieures inftructions qu'elles font capables
de doner. Et pourquoi ce meme age , qui
eft déja fufceptible d'impreffion pour
les
moeurs , ne le feroit- il pas auffi des premiers
elemens de literature ?
Socrate lontems auparavant avoit fait
comprendre à fes diciples que les enfans
qui favent parler , & qui comancent à
faire paroitre du dicernement , ne font
point trop jeunes pour les fiences. Ariftote
& Platon l'ont penfé de même : &
fi Quintilien déja cité , M. le Fevre , Madame
Dacier , & beaucoup de favans , ont
eu le malheur de perdre leurs enfans ce-
Jebres , doit on conclure qu'il font morts
II. Vol. par
JUIN. 1730. 1329
par des excès d'étude ? la tendreffe paternele
des favans eft elle moins naturele que
celle des autres homes ? font ils plus avcuglés
, & moins atentifs lorfqu'il s'agit
des égars & des menagemens neceffaires à
la confervation des enfans le plus cheris ?
Il eft vrai que les énemis de l'étude l'a
cufent d'etre meurtriere , & difent qu'elle
affaffine les enfans ou qu'elle les empêche
de croitre. Dès qu'il meurt quelque enfant
celebre les études , les ignorans
ne manquent pas d'en acufer ces mêmes
études ; c'eft la maniere dont ils s'y prenent
pour confoler des parens afligés , &
cela fans faire atention au nombre infini
d'enfans qui restent nains ou qui meurent
malgré leur parfaite ignorance & au
par
و
grand nombre de ceux qui vivent au delà
de quatre vints ans quoiqu'ils aient comencé
de fort bone heure à étudier . On
fait que le Cardinal Lugo dès l'âge de trois
ans fit paroitre fon heureux genie ; car il
favoit lire les imprimés & les manufcrits.
Bayle en parle dans fon dictionaire. Le
Taffe à l'age de trois ans , comença à étu
dier la gramaire ; & il fe portoit à l'étude
avec tant d'ardeur & tant de gout , que
fon pere n'hefita point à l'envoyer au co
lege des Jefuites , dès l'ege de quatre ans.
Sous ces habiles maitres le petit Torquato
fit de fi grans progrès , qu'à fept ans il
II. Vol. favoir
1330 MERCURE DE FRANCE
favoit parfaitement le latin , & tres palla
blement le grec. La fuite des nouveles
d'Amfterdam du 30 avril 1726 parloit
du petit Jean Filipe Baratier de Schwal
bach , qui comença d'aprendre les letres
avant l'age de deux ans. Mais ctier des
enfans morts, aux ïeux des ignorans , c'eſt
prefque decrier une métode : citer das
enfans étrangers , c'eft s'expofer à n'etre
pas cru : il en faut donc citer qui foient
en vie , & à Paris , la choſe eft aisée , &
ce fera pour un autre Mercure.Je fuis, &c.
Fermer
Résumé : LETTRE pour servir de réponse à la Letre de M.... écrite de Grenoble, & inserée dans le Mercure du mois de Mai 1730.
La lettre répond à une précédente missive de M.... concernant la publication d'un ouvrage initialement intitulé 'A B C DE CANDIAC'. L'auteur a retardé la publication pour garantir une édition correcte et a changé le titre en 'LA BIBLIOTEQUE DES ENFANS, OU LES PREMIERS ELEMENS DES LETRES'. Cet ouvrage est divisé en deux volumes : un destiné au maître et un autre à l'enfant. Le volume de l'enfant est structuré en cinq parties, chacune contenant des leçons sur les lettres latines et françaises, les combinaisons de consonnes et de voyelles, ainsi que des exercices de lecture. Le volume du maître inclut des préfaces, des instructions et des réflexions sur l'enseignement des lettres. L'auteur souligne l'importance de la pratique et de l'apprentissage précoce des lettres, critiquant ceux qui s'opposent aux nouvelles méthodes éducatives par entêtement ou par déférence aveugle aux anciennes méthodes. Il mentionne des exemples historiques, tels que Quintilien, Socrate, Aristote et Platon, pour soutenir l'idée que les enfants peuvent commencer à apprendre dès un jeune âge. Le texte aborde également les cas exceptionnels de jeunes enfants prodiges et les critiques associées à ces exemples. Il note que certains enfants montrent des talents précoces malgré les nombreux cas d'enfants qui restent en retard ou meurent. Par exemple, le Cardinal Lugo lisait à l'âge de trois ans, comme le rapporte Bayle dans son dictionnaire. Torquato Tasso, à trois ans, commençait à étudier la grammaire avec une telle ardeur que son père l'envoya au collège des Jésuites à quatre ans. À sept ans, Tasso maîtrisait parfaitement le latin et avait des connaissances en grec. Le texte cite également Jean Philippe Baratier de Schwalbach, qui apprenait à lire avant l'âge de deux ans, selon des nouvelles d'Amsterdam du 30 avril 1726. Cependant, mentionner des enfants morts ou étrangers peut discréditer une méthode ou sembler incroyable. Le texte conclut en indiquant qu'il est facile de trouver des exemples d'enfants prodiges à Paris et promet de les citer dans un autre Mercure.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
3
p. 106-122
Bibliotheque des Poëtes Latins, &c. [titre d'après la table]
Début :
LA BIBLIOTHEQUE des Poëtes Latins et François, Ouvrage aussi utile [...]
Mots clefs :
Poésie, Compilation , Maximes, Morale, Noblot, Latin, Français, Alphabétique , Éducation, Réflexions
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Bibliotheque des Poëtes Latins, &c. [titre d'après la table]
LA BIBLIOTHEQUE des Poëtes Latins et
François, Ouvrage aussi utile pour former
le
JANVIER . 1731. 107
le coeur , qu'agréable pour orner l'esprit,
Accipite hæc animis, lætasque advertite mentes :
Nemo ex hoc numero mihi non donatus abibit.
Virg. Æn. 5.
AParis , chez Rollin , fils , Quay des Auguftins
, vol. in 12. 1731.
Le Public doit cette compilation à
M. Noblot , Auteur d'une Géographie
universelle , imprimée en 1723. chez
Osmont. Il paroît par le choix des passages
des Poëtes Latins et François sur des
sujets détachez et rangez par ordre alphabetique
, que l'Auteur a eu en vue d'être
également utile aux hommes de Lettres ,
et à ceux qui aspirent à cette qualité , en
fournissant aux uns un délassement agréa
ble au sortir de leur Cabinet , et aux autres
des matériaux pour se former le goût
et sçavoir distinguer dans les Ouvrages
qu'ils lisent , les endroits les plus remarquables.
M. Noblot a eu soin , comme le remarque
la Préface , et comme on peut
s'en convaincre par la lecture de son Recueil
, de ne donner que les plus belles
Maximes dont les Poëtes sont remplis ,
er de mettre à celles qui sont équivoques,
des correctifs suffisans dans le précis qu'il
donne en François de chaque pensée des
Poëtes. Il n'a encore donné qu'un premier
168 MERCURE DE FRANCE.
mier Tome qui finit par la lettre E. en
rapportant les Refléxions et les Passages
des Poëtes sur les envieux ; et il avertit
le Public à la fin de son Livre , que si
ce premier Tome mérite son Approbation
, il donnera incessamment la suite
qui est toute prête d'être imprimée.
Sans prévenir le jugement respectable
du Public , nous croyons pouvoir dire
avec M. le Moine , Docteur de Sorbonne
qui a donné son Approbation à l'Ouvrage,
que cet Auteur y choisit avec discernement
les matieres qu'il traite , qu'il y définit
chaque chose avec justesse et précision , et
qu'il ramasse ce que les meilleurs Poëtes
anciens et modernes , Latins et François ,
ont dit de Moral sur les objets que son
Ouvrage nous présente ; nous ne croyons
pas y devoir ajoûter les Poëtes Grecs que
Auteur n'a pas eu en vûë dans ce Recueil
, quoique M. le Moine les ait joints
aux Poëtes Latins et François dans son
Approbation.M.Noblot aura, sans doute,
plus d'attention dans la suite de són Ouvrage
à faire imprimer avec exactitude
les Passages des Poëtes Latins ; car l'Imprimeur
a glissé dans ce premier Tome
un nombre assez considerable de fautes.
Pour donner une idée du Livre qui
vient de paroître , nous allons rapporter
quelques sujets que traite l'Auteur , et
sans
JANVIER. 17317 109
sans entrer dans un détail qui nous meneroit
trop loin , nous nous bornerons
à quelques traits particuliers . M. Noblot
dit sur l'adversité , qu'elle est un état
fâcheux où l'on se trouve réduit par la
perte de la santé , de l'honneur , ou des
biens. Elle est , pour ainsi dire , la Pierre
de touche de l'amitié.Ovide se plaint ainsi
d'un de ses amis qui l'abandonne dans son
malheur.
Dum meapuppiserat valida fundata carina,
Qui mecum velles currere , primus eras.
Nunc, quia contraxit vultum fortuna , recedis.
Auxilio postquàm scis opus esse tuo .
Dissimulas etiam, nec me vis nosse videri ,
Quisque sit , audito nomine , Naso rogas
&c.
Aut age dic aliquam que te mutaverit iram ;
Nam nisi justa tua est , justa querela
mea est.
De Pont. 1. 4. El. 3 .
Il fait voir ensuite à ce faux ami que
la fortune aussi legere que les feuilles et
que le vent même , peut le jetter dans de
pareilles disgraces. Le même Poëte écrivant
à un fidele ami , lui promet un éternel
souvenir de ses services , et ajoute que
c'est dans l'adversité qu'on reconnoit
quels sont les vrais amis .
F Horace
410 MERCURE DE FRANCE.
Horace , L. 2. Od . 3. exhorte à souffrir
patiemment la mauvaise fortune, et à ne
point abuser de la prosperité.
Æquam memento rebus in arduis
Servare mentem , non secùs in bonis.
Ab insolenti temperatam ,
Latitiâ, moriture Deli
L'adversité est encore la Pierre de touche
qui distingue la vraye grandeur d'ame
de celle qui n'est qu'apparente.
Quo magis in dubiis hominum fpectare periclis,
Convenit, adversisque in rebus noscere quid sit;
Nam vere voces tùm primùm pectore ab imo ,
Ejiciuntur , et eripitur persona, manet res,
Lucret. 1. 3 .
M. Rousseau a heureusement imité
cette derniere pensée dans son Ode sur
la Fortune .
Montrez -nous , Guerriers magnanimes ,
Votre vertu dans tout son jour.
Voyons comment vos coeurs sublimes ,
Du sort soutiendront le retour .
Tant que sa faveur vous seconde ,
Vous êtes les Maîtres du Monde ,
Votre gloire nous éblouit ;
Mais au moindre revers funeste ,
Le masque tombe , l'homme reste ,
Et le Héros s'évanouit.
L'AMJANVIER.
1731. III
L'AMBITION.
L'Ambition est un desir ardent de s'é.
lever au - dessus des autres , et pour y parvenir
on viole souvent les loix les plus
sacrées ; mais à peine est- on sorti d'une
heureuse médiocrité, qu'on perd la trans
quillité et le repos.
Quisquis medium defugit iter ,
Stabili nunquàm tramite curret ;
dit Seneque.
L'Ambition ne finit qu'avec la vie ;
telle est celle de tous les Conquerans ,
et telle fut celle de Pirrhus , Roi d'Epire.
Le conseil que Cineas , son Confident
donnoit à ce Roi ambitieux , étoit plein
de bon sens . Car qu'étoit- il besoin que
ce Prince courût les Terres et les Mers
pour trouver un repos dont il pouvoit
joüir sans sortir de l'Epire.
Le conseil étoit sage et facile à gouter :
Pyrrhus vivoit heureux, s'il eût pû l'écouter :
Mais à l'ambition opposer la prudence ,
C'est aux Prélats de Cour prêcher la résidence;
Despr. Ep. 1.
L'Ambition d'Alexandre n'eut aussi
d'autre terme que sa vie.
Unas Pellao juveni non sufficit orbis :
Fij
Estuat
112 MERCURE DE FRANCE.
Estuat infelix angufto limite mundi ,
Ut Gyara clausus scopulis , parvâque seripho :
Cum tamen àfigulis munitam intraverit urbem,
Sarcophago contentus erit . Mors solafatetur,
Quantula sint hominum corpuscula .
Juvenal. Sat. 10.
Ce fougueux l'Angeli , qui de sang alteré ,
Maître du monde entier , s'y trouvoit trop serré.
Despr. Sat.10.
La vraye grandeur et l'héroïsme des
Princes ne consiste pas à établir leur gloire
sur la ruine des Empires.
Il eft plus d'une gloire. Envain aux Conquerans ,
L'erreur parmi les Rois donne les premiers rangs.
Entre les grands Héros ce sont les plus vulgaires;
Chaque siecle est fécond en heureux Témeraires a
Mais un Roi vraiment Roi , qui sage en ses projets
,
Sçache en un calme heureux maintenir ses Sujets;
Qui du bonheur public ait cimenté sa gloire ,
Il faut pour le trouver courir toute l'Histoire.
Tel fut cet Empereur .
Qui soupiroit le soir si sa main fortunée ,
N'avoit par ses bienfatts signalé sa journée.
Despr. Ep. 1.
JANVIER. 1731. 113
M. Rousseau touche très-bien cet endroit
dans son Ode sur la Fortune.
Juges insensez que nous sommes !
Nous admirons de tels exploits :
Est-ce donc le malheur des hommes
Qui fait la vertu des grands Rois ?
Leur gloire féconde en ruines ,
Sans le meurtre et sans les rapines ,
Ne sçauroit-elle subsister ?
Images des Dieux sur la terre ,
Est- ce par des coups de Tonnerre ,
Que leur grandeur doit éclater ?
Portrait d'un vrai Héros.
Quel est donc le Héros solide ;
Dont la gloire ne soit qu'à lui è
C'est un Roi que l'équité guide ,
Et dont les vertus sont l'appui.
modele , Qui prenant Titus pour
Du bonheur d'un Peuple fidele
Fait le plus cher de ses souhaits ;
Qui fuit la basse flatterie ,
Et qui , Pere de la Patrie ,
Compte ses jours par ses bienfaits."
Pour montrer combien les fruits de
P'ambition produisent d'amertume , M.
Noblot rapporte fort à propos la Fable
du Roi et du Berger, composée par M.de
Fiij la
114 MERCURE DE FRANCE
la Fontaine , et un endroit de du Bartas,
où ce Poëte ancien reproche avec beaucoup
de feu et de vehemence aux Rois
guerriers et avides de sang leur cruel desir
de s'élever sur les débris des autres.
Il faut encore voir ce que l'Auteur
rapporte sur les caracteres du vrai ami ;
on y voit avec plaisir la Fable du même
la Fontaine sur les deux amis , et les paroles
de Socrate à ceux qui trouvoient sa
maison trop petite.
Plût au Ciel
que
de vrais amis
Telle qu'elle est , dit-il , elle put être pleine !
Le bon Socrate avoit raison
De trouver pour ceux là trop grande sa maison
Chacun se dit ami ; mais fol qui s'y repose.
Rien n'est plus commun que le nom ¿
Rien n'est plus rare que la chose.
Vulgare amici nomen ; sedrara est fides. Phæd..
L. 3. F. 9.
Nous souhaiterions que les bornes d'un
Extrait nous permissent de suivre l'Auteur
dans ce qu'il dit sur l'amitié , sur l'avare
&c.
BIENFAIT.
On appelle bienfait un don , une grace,
un bon office et tout ce que l'on fait pour
obliger quelqu'un. M. Noblot apporte
l'exemple
JANVIER . 1731.
l'exemple d'Arcesilais qui montre un
ami prévenant et bienfaisant. Nous ren- >
voyons là- dessus le Lecteur au Livre même.
Nos bienfaits doivent se répandre plutôt
sur les necessiteux que sur d'autres.
Benefacta male locata , malefacta arbitror ,
Dit Ennius , cité par Ciceron. Le bienfait
bien placé n'oblige pas seulement ceux
à qui il est accordé , mais encore tous
les gens de bien.
Beneficium dignis ubi das omnes obligas. Pub
Syr.
Le bien qu'on fait aux personnes vertueuses
n'est jamais perdu.
Bonis quod benefit baud perit. Plaut. Rud.
Faire du bien à un autre , c'est s'en faire
à soi même.
Quid exprobas benè quod fecisti , tibi fecisti,
non mihi. Plaut. Trinum.
En rappeler le souvenir , c'est le reprocher.
Nam istae commemoratio
Quasi exprobratio est iramemoris beneficis.
On perd le mérite du bienfait en le
publiant.
Fiiij Un
16 MERCURE DE FRANCE
Un bienfait perd sa grace à le trop publier ;
Qui veut qu'on s'en souvienne , il le doit oublier.
Corn.
Crede mihi , quamvis ingentia , posthume dona ,
Auctoris pereunt garrulitate sui. Mart.
L. 5. Ep. 52.
Vanter un bienfait , c'est s'en payer.
Si Charles par son crédit
M'a fait un plaisir extrême ,
J'en suis quitte ; il l'a tant dit
Qu'il s'en est payé lui- même.Gomés .
Mais il faut payer les bienfaits au moins
de reconnoissance .
•
Beneficia plura recipit qui sçit reddere . Pubi
Syr.
BONHEUR.
Le bonheur consiste dans la possession
des biens que l'on desire ; mais cette possession
n'est parfaite que dans le Ciel .
L'Auteur auroit pû le prouver par ces
Vers de S. Prosper.
Felices verè faciunt semperque beatos ,
De vero et summo gaudia capta bono.
Il ne consiste point dans la gloire ni
dans les plaisirs . L'homme peut être heureux
sans être puissant et sans être élevé ;
mais
JANVIER.
117
1731.
mais on est assez aveugle pour chercher
le bonheur où il n'est pas.
Eheu quàm miseros tramite devio ,
Abducit ignorantia !
Non aurum in viridi queritis arbore ,
Nec vite gemmas carpitis &c.
Quid dignum stolidis mentibus imprecor ?
Opes , honores ambiunt ;
Et cùm falsa gravi mole paraverint ,
Tùm vera agnoscant bona. Boët. L 30
Metrum . 8.
- M. Noblot auroit pû ajoûter ce beau
passage d'Horace. Od. 8. L. 4.
Non possidentem multa vocaveris
Rectè beatum ; rectiùs occupat
Nomen beati , qui Deorum
Muneribus sapienter uti ,
Duramque callet pauperiem pati ;
Pejusque letho flagitium timet &c.
Cependant les hommes au lieu de s'at
tacher au vrai bonheur , se reposent sur
des biens fragiles. Ici M. Noblot rapporte
le bel endroit de la Tragédie de
Polieucte qui commence par ces Vers..
Source délicieuse , en misere féconde ,
Que voulez-vous de moi , flateuse voluptés
F v
Honteux
118 MERCURE DE FRANCE
Honteux attachement de la chair et du monde ,
Que ne me quittez vous quand je vous ai quitté ?
Toute votre felicité ,
Sujette à l'instabilité ,
En moins de rien tombe par terre
Et comme elle a l'éclat du verre ,
Elle en a la fragilité. &c .
Le bonheur qu'on goute dans le Ciel
est le seul solide , le seul immuable ...
Saintes douceurs du Ciel , adorables idées ,
Vous remplissez un coeur qui vous peut recevoir;
De vos sacrés attraits les ames possedées
Ne conçoivent plus rien qui les puisse émouvoir..
Vous promettez beaucoup, et donnez davantage;
Vos biens ne sont point inconstans
Et l'heureux trépas que j'attends.
Ne sert que d'un heureux passage
Pour nous introduire au partage
Qui nous rend à jamais contens. Ibid.
Sur la CHARITE' . M. Noblot rapporte
le beau Cantique que M. Racine a
composé sur elle. Nous renvoyons au
Recueil même..
L'Article sur DIEU est très bien touché.
Dieu , dit-il , ne peut être défini ,
parcequ'il est incompréhensible.
Nous devons avant toutes choses honorer
Dieu .
ImJANVIER.
1731. 119
Imprimis venerare Deos. Virg. Georg. 1 .
Et commencer par lui toutes nos actions..
Ab Love principium. Idem.
C'est Dieu qui a fait le monde , qui le
gouverne et qui l'entretient dans ce bel
ordre où nous le voyons. L'Auteur cite
ici un beau passage de Boëce , qu'il faut
lire dans l'Ouvrage même. La composi
tion du Monde prouve l'existence de
Dieu , selon Manilius.
2
C
Quis credat tantas operum , sine numine , moles
Ex minimis , coecoque creatum foedere mundum.
Elle montre encore la gloire de Dieu .
L'Ode de M. Rousseau sur le Pseaume
Coeli enarrant gloriam Dei , vient ici très
à propos
.
Les Temples et les Autels qui plaisent
le plus à Dieu , sont nos coeurs ; ce sont
eux qu'il veut pour presens.
Nulla autem effigies , nulli commissa metallo
Forma Dei : mentes habitare et pectora gaudet.
Stat. Thebaid. 1. 12.
Quid Coelo dabimus , quantum est quid veneass
omne ,
Impendendus bomo est
ipso. Manil. 1. 4.-
Deus esse ut possit im
Fvi Dieu
120 MERCURE DE FRANCE.
Dieu nous aime mieux que nous ne
nous aimons nous- mêmes .
Carior est illis , ( superis ) homo quàm sibi.
Juv. Sat. 10.
La confiance qu'on met en Dieu ne
peut être ébranlée . Il faut lire sur ce sujet
l'Ode de M. Rousseau , sur le Pseaume
Qui habitat , que l'Auteur rapporte.
Nous ne pouvons suivre l'Auteur dans
la suite des Passages qu'il réunit sur cet
article , comme sur les autres . On trouve
sur celui -cy des traits de Racine , de
Racan , de Rousseau et d'autres Poëtes
qui conviennent parfaitement au sujet ;
et qui font honneur également aux Poëtes
qui les ont produits , et au judicieux
Auteur qui les rassemble.
On y trouve plusieurs Passages Latins.
qui sont pris dans un sens adapté ; mais
dont l'application , heureuse qu'en fait
M. Noblot , ne fait point de tort ni à la
Citation , ni au corps de l'Ouvrage.
CAS DE CONSCIENCE sur le Jubilé,
et l'administration du Sacrement de Pénitence
, sur le Jeûne du Carême , sur
les Danses , sur l'yvrognerie , décidez par
les Docteurs de la Faculté de Théologie
de Paris ; Brochure in 12. A Paris , ruë
S. Jacques chez Ph. N. Lottn.
CON
JANVIER . 1731. 121
CONDUITE pour sanctifier le jour
Anniversaire du Baptême , avec des Regles
et des Maximes pour vivre chrétiennement
dans chaque état , in 18. Prix
1. livre 5. sols. Chez le même.
CATECHISME des Dimanches et des
Fêtes principales de l'année , où on faiť
connoître la sainteté de ces jours , avec
la maniere de les sanctifier. On y a joint
quelques Instructions sur les Pelerinages ,
les Confreries et les Paroisses . in 18. Prix
20. sols. Idem.
INSTRUCTIONS CHRETIENNES
sur le Carnaval . in 12. Prix 25. sols , Idem
INSTRUCTIONS CHRETIENNES
sur les Bains. Brochure in 8. Idem.
MAXIMES CHRETIENNES sur la
Pénitence , sur la Communion , sur le
Jeûne du Carême , sur les Spectacles ,
sur les devoirs des Ouvriers , & c. Brochure
in 24. Idem.
Le R.P. de la Boissiere, Prêtre de l'Ora
toire , après avoir prêché plus de quarante
ans dans Paris avec un grand succés
, se voyant par son grand âge hors.
d'état de continuer , s'est déterminé à
donner
122 MERCURE DE FRANCE
donner au Public ses Sermons . Les trois
premiers Volumes parurent au commencement
de l'an 1730. chez Henry , Libraire
, rue S. Jacques ; le favorable accueil
que leur a fait le Public , a porté
ce Pere à donner chez le même Libraire
la suite , elle comprend les Misteres , les
Panegyriques et l'Oraison Funebre de
Madame Mollé , Abbesse ; ils sont en
vente depuis peu de jours , et comme
ses Panegyriques ont été toujours regardez
comme des modeles en ce genre ,
il est à présumer que le . Public ne les
recevra pas moins favorablement que ce
qui a précedé. Le tout fait six Volumes
in 12 .
François, Ouvrage aussi utile pour former
le
JANVIER . 1731. 107
le coeur , qu'agréable pour orner l'esprit,
Accipite hæc animis, lætasque advertite mentes :
Nemo ex hoc numero mihi non donatus abibit.
Virg. Æn. 5.
AParis , chez Rollin , fils , Quay des Auguftins
, vol. in 12. 1731.
Le Public doit cette compilation à
M. Noblot , Auteur d'une Géographie
universelle , imprimée en 1723. chez
Osmont. Il paroît par le choix des passages
des Poëtes Latins et François sur des
sujets détachez et rangez par ordre alphabetique
, que l'Auteur a eu en vue d'être
également utile aux hommes de Lettres ,
et à ceux qui aspirent à cette qualité , en
fournissant aux uns un délassement agréa
ble au sortir de leur Cabinet , et aux autres
des matériaux pour se former le goût
et sçavoir distinguer dans les Ouvrages
qu'ils lisent , les endroits les plus remarquables.
M. Noblot a eu soin , comme le remarque
la Préface , et comme on peut
s'en convaincre par la lecture de son Recueil
, de ne donner que les plus belles
Maximes dont les Poëtes sont remplis ,
er de mettre à celles qui sont équivoques,
des correctifs suffisans dans le précis qu'il
donne en François de chaque pensée des
Poëtes. Il n'a encore donné qu'un premier
168 MERCURE DE FRANCE.
mier Tome qui finit par la lettre E. en
rapportant les Refléxions et les Passages
des Poëtes sur les envieux ; et il avertit
le Public à la fin de son Livre , que si
ce premier Tome mérite son Approbation
, il donnera incessamment la suite
qui est toute prête d'être imprimée.
Sans prévenir le jugement respectable
du Public , nous croyons pouvoir dire
avec M. le Moine , Docteur de Sorbonne
qui a donné son Approbation à l'Ouvrage,
que cet Auteur y choisit avec discernement
les matieres qu'il traite , qu'il y définit
chaque chose avec justesse et précision , et
qu'il ramasse ce que les meilleurs Poëtes
anciens et modernes , Latins et François ,
ont dit de Moral sur les objets que son
Ouvrage nous présente ; nous ne croyons
pas y devoir ajoûter les Poëtes Grecs que
Auteur n'a pas eu en vûë dans ce Recueil
, quoique M. le Moine les ait joints
aux Poëtes Latins et François dans son
Approbation.M.Noblot aura, sans doute,
plus d'attention dans la suite de són Ouvrage
à faire imprimer avec exactitude
les Passages des Poëtes Latins ; car l'Imprimeur
a glissé dans ce premier Tome
un nombre assez considerable de fautes.
Pour donner une idée du Livre qui
vient de paroître , nous allons rapporter
quelques sujets que traite l'Auteur , et
sans
JANVIER. 17317 109
sans entrer dans un détail qui nous meneroit
trop loin , nous nous bornerons
à quelques traits particuliers . M. Noblot
dit sur l'adversité , qu'elle est un état
fâcheux où l'on se trouve réduit par la
perte de la santé , de l'honneur , ou des
biens. Elle est , pour ainsi dire , la Pierre
de touche de l'amitié.Ovide se plaint ainsi
d'un de ses amis qui l'abandonne dans son
malheur.
Dum meapuppiserat valida fundata carina,
Qui mecum velles currere , primus eras.
Nunc, quia contraxit vultum fortuna , recedis.
Auxilio postquàm scis opus esse tuo .
Dissimulas etiam, nec me vis nosse videri ,
Quisque sit , audito nomine , Naso rogas
&c.
Aut age dic aliquam que te mutaverit iram ;
Nam nisi justa tua est , justa querela
mea est.
De Pont. 1. 4. El. 3 .
Il fait voir ensuite à ce faux ami que
la fortune aussi legere que les feuilles et
que le vent même , peut le jetter dans de
pareilles disgraces. Le même Poëte écrivant
à un fidele ami , lui promet un éternel
souvenir de ses services , et ajoute que
c'est dans l'adversité qu'on reconnoit
quels sont les vrais amis .
F Horace
410 MERCURE DE FRANCE.
Horace , L. 2. Od . 3. exhorte à souffrir
patiemment la mauvaise fortune, et à ne
point abuser de la prosperité.
Æquam memento rebus in arduis
Servare mentem , non secùs in bonis.
Ab insolenti temperatam ,
Latitiâ, moriture Deli
L'adversité est encore la Pierre de touche
qui distingue la vraye grandeur d'ame
de celle qui n'est qu'apparente.
Quo magis in dubiis hominum fpectare periclis,
Convenit, adversisque in rebus noscere quid sit;
Nam vere voces tùm primùm pectore ab imo ,
Ejiciuntur , et eripitur persona, manet res,
Lucret. 1. 3 .
M. Rousseau a heureusement imité
cette derniere pensée dans son Ode sur
la Fortune .
Montrez -nous , Guerriers magnanimes ,
Votre vertu dans tout son jour.
Voyons comment vos coeurs sublimes ,
Du sort soutiendront le retour .
Tant que sa faveur vous seconde ,
Vous êtes les Maîtres du Monde ,
Votre gloire nous éblouit ;
Mais au moindre revers funeste ,
Le masque tombe , l'homme reste ,
Et le Héros s'évanouit.
L'AMJANVIER.
1731. III
L'AMBITION.
L'Ambition est un desir ardent de s'é.
lever au - dessus des autres , et pour y parvenir
on viole souvent les loix les plus
sacrées ; mais à peine est- on sorti d'une
heureuse médiocrité, qu'on perd la trans
quillité et le repos.
Quisquis medium defugit iter ,
Stabili nunquàm tramite curret ;
dit Seneque.
L'Ambition ne finit qu'avec la vie ;
telle est celle de tous les Conquerans ,
et telle fut celle de Pirrhus , Roi d'Epire.
Le conseil que Cineas , son Confident
donnoit à ce Roi ambitieux , étoit plein
de bon sens . Car qu'étoit- il besoin que
ce Prince courût les Terres et les Mers
pour trouver un repos dont il pouvoit
joüir sans sortir de l'Epire.
Le conseil étoit sage et facile à gouter :
Pyrrhus vivoit heureux, s'il eût pû l'écouter :
Mais à l'ambition opposer la prudence ,
C'est aux Prélats de Cour prêcher la résidence;
Despr. Ep. 1.
L'Ambition d'Alexandre n'eut aussi
d'autre terme que sa vie.
Unas Pellao juveni non sufficit orbis :
Fij
Estuat
112 MERCURE DE FRANCE.
Estuat infelix angufto limite mundi ,
Ut Gyara clausus scopulis , parvâque seripho :
Cum tamen àfigulis munitam intraverit urbem,
Sarcophago contentus erit . Mors solafatetur,
Quantula sint hominum corpuscula .
Juvenal. Sat. 10.
Ce fougueux l'Angeli , qui de sang alteré ,
Maître du monde entier , s'y trouvoit trop serré.
Despr. Sat.10.
La vraye grandeur et l'héroïsme des
Princes ne consiste pas à établir leur gloire
sur la ruine des Empires.
Il eft plus d'une gloire. Envain aux Conquerans ,
L'erreur parmi les Rois donne les premiers rangs.
Entre les grands Héros ce sont les plus vulgaires;
Chaque siecle est fécond en heureux Témeraires a
Mais un Roi vraiment Roi , qui sage en ses projets
,
Sçache en un calme heureux maintenir ses Sujets;
Qui du bonheur public ait cimenté sa gloire ,
Il faut pour le trouver courir toute l'Histoire.
Tel fut cet Empereur .
Qui soupiroit le soir si sa main fortunée ,
N'avoit par ses bienfatts signalé sa journée.
Despr. Ep. 1.
JANVIER. 1731. 113
M. Rousseau touche très-bien cet endroit
dans son Ode sur la Fortune.
Juges insensez que nous sommes !
Nous admirons de tels exploits :
Est-ce donc le malheur des hommes
Qui fait la vertu des grands Rois ?
Leur gloire féconde en ruines ,
Sans le meurtre et sans les rapines ,
Ne sçauroit-elle subsister ?
Images des Dieux sur la terre ,
Est- ce par des coups de Tonnerre ,
Que leur grandeur doit éclater ?
Portrait d'un vrai Héros.
Quel est donc le Héros solide ;
Dont la gloire ne soit qu'à lui è
C'est un Roi que l'équité guide ,
Et dont les vertus sont l'appui.
modele , Qui prenant Titus pour
Du bonheur d'un Peuple fidele
Fait le plus cher de ses souhaits ;
Qui fuit la basse flatterie ,
Et qui , Pere de la Patrie ,
Compte ses jours par ses bienfaits."
Pour montrer combien les fruits de
P'ambition produisent d'amertume , M.
Noblot rapporte fort à propos la Fable
du Roi et du Berger, composée par M.de
Fiij la
114 MERCURE DE FRANCE
la Fontaine , et un endroit de du Bartas,
où ce Poëte ancien reproche avec beaucoup
de feu et de vehemence aux Rois
guerriers et avides de sang leur cruel desir
de s'élever sur les débris des autres.
Il faut encore voir ce que l'Auteur
rapporte sur les caracteres du vrai ami ;
on y voit avec plaisir la Fable du même
la Fontaine sur les deux amis , et les paroles
de Socrate à ceux qui trouvoient sa
maison trop petite.
Plût au Ciel
que
de vrais amis
Telle qu'elle est , dit-il , elle put être pleine !
Le bon Socrate avoit raison
De trouver pour ceux là trop grande sa maison
Chacun se dit ami ; mais fol qui s'y repose.
Rien n'est plus commun que le nom ¿
Rien n'est plus rare que la chose.
Vulgare amici nomen ; sedrara est fides. Phæd..
L. 3. F. 9.
Nous souhaiterions que les bornes d'un
Extrait nous permissent de suivre l'Auteur
dans ce qu'il dit sur l'amitié , sur l'avare
&c.
BIENFAIT.
On appelle bienfait un don , une grace,
un bon office et tout ce que l'on fait pour
obliger quelqu'un. M. Noblot apporte
l'exemple
JANVIER . 1731.
l'exemple d'Arcesilais qui montre un
ami prévenant et bienfaisant. Nous ren- >
voyons là- dessus le Lecteur au Livre même.
Nos bienfaits doivent se répandre plutôt
sur les necessiteux que sur d'autres.
Benefacta male locata , malefacta arbitror ,
Dit Ennius , cité par Ciceron. Le bienfait
bien placé n'oblige pas seulement ceux
à qui il est accordé , mais encore tous
les gens de bien.
Beneficium dignis ubi das omnes obligas. Pub
Syr.
Le bien qu'on fait aux personnes vertueuses
n'est jamais perdu.
Bonis quod benefit baud perit. Plaut. Rud.
Faire du bien à un autre , c'est s'en faire
à soi même.
Quid exprobas benè quod fecisti , tibi fecisti,
non mihi. Plaut. Trinum.
En rappeler le souvenir , c'est le reprocher.
Nam istae commemoratio
Quasi exprobratio est iramemoris beneficis.
On perd le mérite du bienfait en le
publiant.
Fiiij Un
16 MERCURE DE FRANCE
Un bienfait perd sa grace à le trop publier ;
Qui veut qu'on s'en souvienne , il le doit oublier.
Corn.
Crede mihi , quamvis ingentia , posthume dona ,
Auctoris pereunt garrulitate sui. Mart.
L. 5. Ep. 52.
Vanter un bienfait , c'est s'en payer.
Si Charles par son crédit
M'a fait un plaisir extrême ,
J'en suis quitte ; il l'a tant dit
Qu'il s'en est payé lui- même.Gomés .
Mais il faut payer les bienfaits au moins
de reconnoissance .
•
Beneficia plura recipit qui sçit reddere . Pubi
Syr.
BONHEUR.
Le bonheur consiste dans la possession
des biens que l'on desire ; mais cette possession
n'est parfaite que dans le Ciel .
L'Auteur auroit pû le prouver par ces
Vers de S. Prosper.
Felices verè faciunt semperque beatos ,
De vero et summo gaudia capta bono.
Il ne consiste point dans la gloire ni
dans les plaisirs . L'homme peut être heureux
sans être puissant et sans être élevé ;
mais
JANVIER.
117
1731.
mais on est assez aveugle pour chercher
le bonheur où il n'est pas.
Eheu quàm miseros tramite devio ,
Abducit ignorantia !
Non aurum in viridi queritis arbore ,
Nec vite gemmas carpitis &c.
Quid dignum stolidis mentibus imprecor ?
Opes , honores ambiunt ;
Et cùm falsa gravi mole paraverint ,
Tùm vera agnoscant bona. Boët. L 30
Metrum . 8.
- M. Noblot auroit pû ajoûter ce beau
passage d'Horace. Od. 8. L. 4.
Non possidentem multa vocaveris
Rectè beatum ; rectiùs occupat
Nomen beati , qui Deorum
Muneribus sapienter uti ,
Duramque callet pauperiem pati ;
Pejusque letho flagitium timet &c.
Cependant les hommes au lieu de s'at
tacher au vrai bonheur , se reposent sur
des biens fragiles. Ici M. Noblot rapporte
le bel endroit de la Tragédie de
Polieucte qui commence par ces Vers..
Source délicieuse , en misere féconde ,
Que voulez-vous de moi , flateuse voluptés
F v
Honteux
118 MERCURE DE FRANCE
Honteux attachement de la chair et du monde ,
Que ne me quittez vous quand je vous ai quitté ?
Toute votre felicité ,
Sujette à l'instabilité ,
En moins de rien tombe par terre
Et comme elle a l'éclat du verre ,
Elle en a la fragilité. &c .
Le bonheur qu'on goute dans le Ciel
est le seul solide , le seul immuable ...
Saintes douceurs du Ciel , adorables idées ,
Vous remplissez un coeur qui vous peut recevoir;
De vos sacrés attraits les ames possedées
Ne conçoivent plus rien qui les puisse émouvoir..
Vous promettez beaucoup, et donnez davantage;
Vos biens ne sont point inconstans
Et l'heureux trépas que j'attends.
Ne sert que d'un heureux passage
Pour nous introduire au partage
Qui nous rend à jamais contens. Ibid.
Sur la CHARITE' . M. Noblot rapporte
le beau Cantique que M. Racine a
composé sur elle. Nous renvoyons au
Recueil même..
L'Article sur DIEU est très bien touché.
Dieu , dit-il , ne peut être défini ,
parcequ'il est incompréhensible.
Nous devons avant toutes choses honorer
Dieu .
ImJANVIER.
1731. 119
Imprimis venerare Deos. Virg. Georg. 1 .
Et commencer par lui toutes nos actions..
Ab Love principium. Idem.
C'est Dieu qui a fait le monde , qui le
gouverne et qui l'entretient dans ce bel
ordre où nous le voyons. L'Auteur cite
ici un beau passage de Boëce , qu'il faut
lire dans l'Ouvrage même. La composi
tion du Monde prouve l'existence de
Dieu , selon Manilius.
2
C
Quis credat tantas operum , sine numine , moles
Ex minimis , coecoque creatum foedere mundum.
Elle montre encore la gloire de Dieu .
L'Ode de M. Rousseau sur le Pseaume
Coeli enarrant gloriam Dei , vient ici très
à propos
.
Les Temples et les Autels qui plaisent
le plus à Dieu , sont nos coeurs ; ce sont
eux qu'il veut pour presens.
Nulla autem effigies , nulli commissa metallo
Forma Dei : mentes habitare et pectora gaudet.
Stat. Thebaid. 1. 12.
Quid Coelo dabimus , quantum est quid veneass
omne ,
Impendendus bomo est
ipso. Manil. 1. 4.-
Deus esse ut possit im
Fvi Dieu
120 MERCURE DE FRANCE.
Dieu nous aime mieux que nous ne
nous aimons nous- mêmes .
Carior est illis , ( superis ) homo quàm sibi.
Juv. Sat. 10.
La confiance qu'on met en Dieu ne
peut être ébranlée . Il faut lire sur ce sujet
l'Ode de M. Rousseau , sur le Pseaume
Qui habitat , que l'Auteur rapporte.
Nous ne pouvons suivre l'Auteur dans
la suite des Passages qu'il réunit sur cet
article , comme sur les autres . On trouve
sur celui -cy des traits de Racine , de
Racan , de Rousseau et d'autres Poëtes
qui conviennent parfaitement au sujet ;
et qui font honneur également aux Poëtes
qui les ont produits , et au judicieux
Auteur qui les rassemble.
On y trouve plusieurs Passages Latins.
qui sont pris dans un sens adapté ; mais
dont l'application , heureuse qu'en fait
M. Noblot , ne fait point de tort ni à la
Citation , ni au corps de l'Ouvrage.
CAS DE CONSCIENCE sur le Jubilé,
et l'administration du Sacrement de Pénitence
, sur le Jeûne du Carême , sur
les Danses , sur l'yvrognerie , décidez par
les Docteurs de la Faculté de Théologie
de Paris ; Brochure in 12. A Paris , ruë
S. Jacques chez Ph. N. Lottn.
CON
JANVIER . 1731. 121
CONDUITE pour sanctifier le jour
Anniversaire du Baptême , avec des Regles
et des Maximes pour vivre chrétiennement
dans chaque état , in 18. Prix
1. livre 5. sols. Chez le même.
CATECHISME des Dimanches et des
Fêtes principales de l'année , où on faiť
connoître la sainteté de ces jours , avec
la maniere de les sanctifier. On y a joint
quelques Instructions sur les Pelerinages ,
les Confreries et les Paroisses . in 18. Prix
20. sols. Idem.
INSTRUCTIONS CHRETIENNES
sur le Carnaval . in 12. Prix 25. sols , Idem
INSTRUCTIONS CHRETIENNES
sur les Bains. Brochure in 8. Idem.
MAXIMES CHRETIENNES sur la
Pénitence , sur la Communion , sur le
Jeûne du Carême , sur les Spectacles ,
sur les devoirs des Ouvriers , & c. Brochure
in 24. Idem.
Le R.P. de la Boissiere, Prêtre de l'Ora
toire , après avoir prêché plus de quarante
ans dans Paris avec un grand succés
, se voyant par son grand âge hors.
d'état de continuer , s'est déterminé à
donner
122 MERCURE DE FRANCE
donner au Public ses Sermons . Les trois
premiers Volumes parurent au commencement
de l'an 1730. chez Henry , Libraire
, rue S. Jacques ; le favorable accueil
que leur a fait le Public , a porté
ce Pere à donner chez le même Libraire
la suite , elle comprend les Misteres , les
Panegyriques et l'Oraison Funebre de
Madame Mollé , Abbesse ; ils sont en
vente depuis peu de jours , et comme
ses Panegyriques ont été toujours regardez
comme des modeles en ce genre ,
il est à présumer que le . Public ne les
recevra pas moins favorablement que ce
qui a précedé. Le tout fait six Volumes
in 12 .
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Résumé : Bibliotheque des Poëtes Latins, &c. [titre d'après la table]
Le texte présente la 'Bibliothèque des Poètes Latins et François' de M. Noblot, publiée en janvier 1731. Cet ouvrage compile des passages de poètes latins et français sur divers sujets, classés par ordre alphabétique. Noblot vise à offrir un délassement agréable aux hommes de lettres et des matériaux pour former le goût des aspirants. Il a sélectionné les plus belles maximes des poètes et ajouté des correctifs pour les pensées équivoques. Le premier tome, couvrant la lettre E, traite notamment de l'adversité et de l'ambition. L'adversité est décrite comme un état fâcheux où l'on perd la santé, l'honneur ou les biens, et elle est la pierre de touche de l'amitié. Ovide et Horace exhortent à la patience face à la mauvaise fortune et à la reconnaissance des vrais amis. L'ambition est présentée comme un désir ardent de s'élever au-dessus des autres, souvent au prix de la tranquillité et du repos. Des exemples de l'ambition de Pirrhus et d'Alexandre sont donnés, ainsi que des conseils de sagesse pour éviter ces travers. Le texte mentionne également des réflexions sur le bienfait, le bonheur, et la charité. Le bonheur est défini comme la possession des biens désirés, parfaite seulement dans le Ciel. La charité est illustrée par un cantique de M. Racine. L'ouvrage inclut des approbations et des recommandations, notamment celle du Docteur de Sorbonne M. le Moine, qui loue le discernement et la précision de Noblot. Le texte traite également de la dévotion et de la spiritualité, soulignant que les temples et autels les plus agréables à Dieu sont les cœurs humains. Il cite plusieurs passages latins pour appuyer cette idée, notamment des extraits de Stace, Manilius et Juvénal, qui mettent en avant l'amour de Dieu pour l'humanité et la confiance que l'on doit lui accorder. Le texte mentionne également une ode de Rousseau et des passages de Racine, Racan et d'autres poètes qui illustrent bien le sujet. En outre, le texte liste plusieurs brochures et ouvrages religieux disponibles à Paris, tels que des guides pour sanctifier le jour anniversaire du baptême, un catéchisme pour les dimanches et fêtes principales, des instructions sur le carnaval, les bains, la pénitence, la communion, le jeûne du carême, et les devoirs des ouvriers. Il mentionne également la publication des sermons du Père de la Boissière, qui a prêché pendant plus de quarante ans à Paris avec succès. Ces sermons, comprenant des mystères, des panégyriques et une oraison funèbre, sont disponibles en six volumes.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 704-706
SOURIS nourrie par une Chatte. Extrait d'une Lettre écrite à M. D. L. R. par M. A. C. D. V. D. le 19. Janvier 1731.
Début :
Le fait qu'on vous a rapporté plusieurs fois, en passant et en repassant [...]
Mots clefs :
Chatte, Souris, Évreux, Férocité, Réflexions, Antipathie naturelle
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SOURIS nourrie par une Chatte. Extrait d'une Lettre écrite à M. D. L. R. par M. A. C. D. V. D. le 19. Janvier 1731.
SOURIS nourrie par une Chatte. Extrait
d'une Lettre écrite à M. D. L. R..
par M. A. C. D. V. D. le 19. Fanvier
1731.
Lie
E fait qu'on vous a rapporté plusieurs
fois , en passant et en repassant
par notre Ville , lorsque vous fréquentiez
la Normandie , et que vous me
rappellez dans votre derniere Lettre ,
avec prière de vous en bien marquer tou
tes les circonstances ; ce fait , dis -je , est
très-certain , et tel que je vais vous le
narrer.
En l'année 1664. dans cette Ville d'Evreux
, une Chatte ayant mis bas ses petits
chez le nommé Dupuis, ruë Trienne;
ce Dupuis trouva dans le même temps
une nichée de Souris dans sa maison
qu'il porta à sa Chatte. Elle les mangea
toutes , à la réserve d'une seule , qui
par hazard se trouva cachée sous elle ;
la petite Souris sucçoit le lait qui dégou
toit de la gueule des petits Chats , qui
tettoient
AVRIL. 1731. 701
tettoient leur mere. Cette Souris n'eut
pas plutôt gouté du lait de la Chatte
que celle- cy dépoüilla , pour ainsi dire ,
sa ferocité et son antipatie naturelle , caressa
la Souris et la nourrit , avec ses petits
Chats . Quelques Vieillards de ce temslà
certifient la chose comme témoins oculaires
; on la trouve écrite à peu près de
même dans les Memoires de feu M.Ruault,
Avocat d'Evreux , homme des plus sçavans
, des plus curieux , des moins crédules
de notre Province , qui a laissé quantité
de Memoires historiques , et dont
vous connoissez la réputation et les enfans
; voici comment finit le narré de notre
illustre Compatriote sur ce fait singulier.
»Presque toute la Ville alla voir
»cette Souris nourrie par une Chatte , j'y
allai moi-même , et je vis un Particu
lier prendre la Souris sous la Chatte er
>> la mettre au milieu de la Chambre. La
>> Chatte sortit aussi-tôt du lieu où elle
» étoit , reprit la Souris dans sa gueule ,
» la reporta sans lui faire aucun mal avec
» ses petits Chats , et lui fit des caresses
» surprenantes .
Ce fait , encore une fois , dont j'ai en
tendu parler toute ma vie , et dont nous
avons encore des temoins , se trouve tel que
je viens de vous le dire dans les Memoires
d'un vrai Sçavant , reconnu pour
tel
Dv
et
706 MERCURE DE FRANCE
et incapable d'en imposer au Public. M
fait même là - dessus quelques Refléxions
en Physicien , et en particulier sur la force
du fait , qui a , dit il , produit un effet
si contraire à la nature de ces deux Animaux
; mais je supprime et les Reflexions.
et les consequences qu'il en tire par rapport
aux Meres et aux Nourrices , pour
Jaisser à nos Physiciens modernes une entiere
liberté de méditer et de s'expliquer
sur un fait si extraordinaire.
d'une Lettre écrite à M. D. L. R..
par M. A. C. D. V. D. le 19. Fanvier
1731.
Lie
E fait qu'on vous a rapporté plusieurs
fois , en passant et en repassant
par notre Ville , lorsque vous fréquentiez
la Normandie , et que vous me
rappellez dans votre derniere Lettre ,
avec prière de vous en bien marquer tou
tes les circonstances ; ce fait , dis -je , est
très-certain , et tel que je vais vous le
narrer.
En l'année 1664. dans cette Ville d'Evreux
, une Chatte ayant mis bas ses petits
chez le nommé Dupuis, ruë Trienne;
ce Dupuis trouva dans le même temps
une nichée de Souris dans sa maison
qu'il porta à sa Chatte. Elle les mangea
toutes , à la réserve d'une seule , qui
par hazard se trouva cachée sous elle ;
la petite Souris sucçoit le lait qui dégou
toit de la gueule des petits Chats , qui
tettoient
AVRIL. 1731. 701
tettoient leur mere. Cette Souris n'eut
pas plutôt gouté du lait de la Chatte
que celle- cy dépoüilla , pour ainsi dire ,
sa ferocité et son antipatie naturelle , caressa
la Souris et la nourrit , avec ses petits
Chats . Quelques Vieillards de ce temslà
certifient la chose comme témoins oculaires
; on la trouve écrite à peu près de
même dans les Memoires de feu M.Ruault,
Avocat d'Evreux , homme des plus sçavans
, des plus curieux , des moins crédules
de notre Province , qui a laissé quantité
de Memoires historiques , et dont
vous connoissez la réputation et les enfans
; voici comment finit le narré de notre
illustre Compatriote sur ce fait singulier.
»Presque toute la Ville alla voir
»cette Souris nourrie par une Chatte , j'y
allai moi-même , et je vis un Particu
lier prendre la Souris sous la Chatte er
>> la mettre au milieu de la Chambre. La
>> Chatte sortit aussi-tôt du lieu où elle
» étoit , reprit la Souris dans sa gueule ,
» la reporta sans lui faire aucun mal avec
» ses petits Chats , et lui fit des caresses
» surprenantes .
Ce fait , encore une fois , dont j'ai en
tendu parler toute ma vie , et dont nous
avons encore des temoins , se trouve tel que
je viens de vous le dire dans les Memoires
d'un vrai Sçavant , reconnu pour
tel
Dv
et
706 MERCURE DE FRANCE
et incapable d'en imposer au Public. M
fait même là - dessus quelques Refléxions
en Physicien , et en particulier sur la force
du fait , qui a , dit il , produit un effet
si contraire à la nature de ces deux Animaux
; mais je supprime et les Reflexions.
et les consequences qu'il en tire par rapport
aux Meres et aux Nourrices , pour
Jaisser à nos Physiciens modernes une entiere
liberté de méditer et de s'expliquer
sur un fait si extraordinaire.
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Résumé : SOURIS nourrie par une Chatte. Extrait d'une Lettre écrite à M. D. L. R. par M. A. C. D. V. D. le 19. Janvier 1731.
En 1731, M. A. C. D. V. D. rapporte un événement survenu en 1664 à Évreux. Une chatte, ayant mis bas chez un certain Dupuis, se retrouva avec une nichée de souris. Elle en mangea toutes sauf une, qui se cachait. Cette souris, ayant goûté au lait de la chatte, fut adoptée et nourrie avec les chatons. Plusieurs témoins, dont des vieillards et l'avocat M. Ruault, confirmèrent ce fait. M. Ruault, connu pour sa curiosité et son sérieux, décrivit la scène où la chatte protégeait et caressait la souris. Ce récit, attesté par des témoins et des mémoires historiques, reste un sujet d'étude pour les physiciens modernes.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 992
AVIS de l'Auteur des Reflexions à l'occasion du Brutus, &c. inserées dans le dernier Mercure.
Début :
Les Reflexions que l'on a promises dans le Mercure d'Avril, sur la Tragedie de [...]
Mots clefs :
Avis, Réflexions, Brutus , Voltaire, Pièce, Corrections, Perfection
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texteReconnaissance textuelle : AVIS de l'Auteur des Reflexions à l'occasion du Brutus, &c. inserées dans le dernier Mercure.
AVIS de PAuteur des Reflexions
à Poccasion du Brutus , & c. inserées
dans le dernier Mercure.
>
Es Reflexions que l'on a promises dans
le Mercure d'Avril, sur la Tragedie de
Brutus , sont toutes prêtes. L'Auteur alloit
les donner , lorsqu'il a appris que M. de
Voltaire retouchoit à sa Piece. Comme
M.de Voltaire a toûjours bien réüssi aux
corrections quil a faites à ses differens
Ouvrages , et que l'Auteur des Reflexions
ne critique pas pour le plaisir de critiquer,
il attendra la nouvelle Edition du Brutus,
Si , comme il y a apparence , M. de
Voltaire a reparé les principales fautes
de sa Tragedie , on renfermera sans peine
des
Reflexions qui n'avoient pour princiep
que le desir de voir un bon Ouvrage
devenir meilleur. Si les corrections
ne répondent pas aux Reflexions , quant
aux Vers , et sur tout quant à la conduite
de la Piece , on les donnera toûjours dans
le même motif de
contribuer à la perfec
sion de cet
Ouvrage.
à Poccasion du Brutus , & c. inserées
dans le dernier Mercure.
>
Es Reflexions que l'on a promises dans
le Mercure d'Avril, sur la Tragedie de
Brutus , sont toutes prêtes. L'Auteur alloit
les donner , lorsqu'il a appris que M. de
Voltaire retouchoit à sa Piece. Comme
M.de Voltaire a toûjours bien réüssi aux
corrections quil a faites à ses differens
Ouvrages , et que l'Auteur des Reflexions
ne critique pas pour le plaisir de critiquer,
il attendra la nouvelle Edition du Brutus,
Si , comme il y a apparence , M. de
Voltaire a reparé les principales fautes
de sa Tragedie , on renfermera sans peine
des
Reflexions qui n'avoient pour princiep
que le desir de voir un bon Ouvrage
devenir meilleur. Si les corrections
ne répondent pas aux Reflexions , quant
aux Vers , et sur tout quant à la conduite
de la Piece , on les donnera toûjours dans
le même motif de
contribuer à la perfec
sion de cet
Ouvrage.
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Résumé : AVIS de l'Auteur des Reflexions à l'occasion du Brutus, &c. inserées dans le dernier Mercure.
L'auteur des Réflexions sur la tragédie de Brutus attend la nouvelle édition de la pièce de Voltaire. Si les corrections sont satisfaisantes, les Réflexions ne seront pas publiées. Sinon, elles le seront pour améliorer l'ouvrage, notamment les vers et la conduite de la pièce.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 1705-1713
COURS DE CHYMIE, DISCOURS.
Début :
Le lundi 2. de ce mois M. Lemery, Médecin de la Faculté de Paris, [...]
Mots clefs :
Académie royale des sciences, Cours de Chimie , Premier médecin du roi, Intendant du jardin royal, Réflexions, Sciences
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COURS DE CHYMIE, DISCOURS.
COURS DE CHYMIE ,
DISCOURS.
E lundi 2. de ce mois M. Lemery ,
LMédecin de la Faculté de Paris ,
Conseiller Médecin ordinaire du Roy ,
de l'Académie Royale des Sciences , nouvellement
reçû Professeur de Chymie au
Jardin Royal , à la place de feu M. Geoffroy
, y fit l'ouverture du Cours de Chymie.
Il avoit annoncé publiquement ,
qu'avant que d'entrer dans ce qu'il appelle
la Pratique de cette Science , c'està
- dire , les differentes préparations Chymiques
, il feroit plusieurs Discours sur
sa Théorie ; ce qu'il a executé en cinq
Discours differents , dont on n'avoit
point coutume avant lui de faire préceder
les démonstrations Chymiques : Mais
avant que d'entrer en matiere , il débuta
par un Discours oratoire , où M. Chirac ,
premier Médecin du Roy , et Intendant
du Jardin Royal , entre naturellement
pour beaucoup. Et ce qu'il y a d'heureux
pour l'Orateur , et de glorieux pour celui
dont on fait l'Eloge , c'est qu'il n'y
Dv entre
1706 MERCURE DE FRANCE
entre point aux dépens de la verité. Le
Public pourra en juger par la lecture du
Discours même, le voici :
Que ne puis-je oublier , Messieurs , que
ne pouvez- vous oublier vous -mêmes , quels
hommes ont rempli avant moi la place que·
j'occupe ! je paroîtrois ici avec moins de confusion
; et peut-être appercevriez- vous moins
ce qui me manque , si d'autres ne vous
avoient fait voir dans cette place toutes les
grandes qualités qu'elle demande. Vous avez
eu le plaisir d'y admirer plus d'une fois
te Collegue illustre à qui j'ai l'honneur de
succeder; il vous a appris , M". , à quoy.
vous deviés vos applaudissemens ; it
n'est plus possible de les surprendre , et
la difficulté de les meriter, ne me fait que
trop sentir le besoin que j'ai de vôtre indulgence..
C'est un usage établi de prouver
d'abord
l'utilité
d'une Science
dont on doit trai
ter. Je pourrois , M" vous faire voir que·
ce qu'on sçait sur la composition naturelle
des liqueurs differentes qui font partie de
nos corps , sur les alterations dont elles sont
susceptibles , sur la maniere dont elles se
dérangent , sur la nature des Remedes vége
Baux , animaux , et mineraux , n'est veriablement
dû qu'à la Chymie ; mais ce détail
, dont la preuve et l'éclaircissement nous
meneroient
JUILLET. 1731. 1707
meneroient un peu loin , se manifestera assés
par les Réflexions que nous aurons occasion
de faire sur les Operations Chymiques , qui
se feront en vôtre présence dans la suite de
ce Cours. D'ailleurs , qu'est-il nécessaire de
prouver l'utilité de la Chymie quel est
Phomme de bon sens qui en doute ? la Médecine
désavoitera- t- elle les secours qu'elle en
tire ? la Physique niera -t- elle qu'elle ne doive
une partie de ses progrés aux experiences
et aux raisonnemens qu'elle lui fournit ? et
n'est-ce pas en consequence de cette utilité
reconnue , que notre Auguste Monarque
qui ne se méprend point dans la protection
qu'il donne aux Sciences , accorde à celleci
une retraite honorable en ces lieux , et luž
prodigue des secours dignes de sa magnificen
ce , et de son discernement.
C'est à bajustesse de ce discernement qu'est
dû le choix du Chef illustre sous les auspices
et la direction duquel se font les Exercices
du Jardin Royal : Sa Majesté ne pouvoit
mieux faire sentir le cas qu'elle fair
de ces exercices , et son attention particuliere
2
lesfaire fleurir , par une administration
sage et éclairée , qu'en chargeant de cette
administration un anffi grand Maître que
Fest M. Chirac dans chacune des parties
de Médecine qui s'y enseignent , etpar là
aussi capable qu'il l'est de s'acquitter di-
D vj gnement
1708 MERCURE DE FRANCE
gnement d'un emploi de cette nature .
Cet employ , Messieurs , qui avant que
M. Chirac en eût été pourvû , avoit toujours
été une espece d'apanage des premiers
Médecins , est devenu entre ses mains le
gage du merite qu'on lui récennoissoit d'avance
, pourremplir unjour la premiere plaee
, et ce gage l'y désignoit dès-lors en quelque
maniere
Cette désignation , M" , se trouve aus
jourd'huy heureusement accomplie , et nous
voyons avec d'autant plus de joye , l'Intendance
du Jardin Royal réunie à la place de
premier Medecin , que cette intendance en
est naturellement une dépendance ou une attribution
, et qu'elle n'en avoit été dans la
personne de M. Chirac qu'une distraction
pour quelques années.
Arrêtons-nous un moment , M" , sur ce
dernier évênement , qui fait à la fois l'Elo
ge de la justice du Roy, la gloire de celui qui
en a receu les effets , et la satisfaction de
Doute la France , qui n'a plus d'allarmes sur
la plus précieuse santé de l'Univers , depuis
qu'elle la voit entre les mains du plus par
fait , et du plus digne de tous les Médecins
Les Places éminentes de la Médecine
s'obtiennent rarement sans beaucoup de sollicitations
et de brigues ; si le merite se joins
aux efforts qu'on fait pour réussir , ce merite
fait
JUILLET. 1731. 1709
fait quelquefois pencher la Balance de son
côté , d'autrefois et le plus souvent il dessert,
L'envie qui le regarde comme son plus grand
ennemi , ne manque guére à lui susciter les
obstacles les plus puissants, et par là vient
ordinairement à bout d'en triompher.
Delà le découragement de ceux qui moins
occupés de se procurer des protections brillantes
et utiles , que de multiplier le nombre de
leurs connoissances , et de se perfetionner de
plus en plus dans la Médecine , se voyent
frustrés injustement des récompenses qui der
voient naturellement les regarder , et qui pas
sent souvent entre les mains de gens aussi peu
versés dans la Théorie et la Pratique de leur
Art , que ceux qui en ont été exclus l'y font
beaucoup.
Delà vient encore que ceux en qui l'envie
de s'élever l'emporte de beaucoup sur
Le goût de leur profession , seul capable de
former degrands sujets , quand on s'y livre
tout entier , donnent tous leurs soins à se mênager
les secours que les veues de leur ambition
leur suggerent , et négligent d'autant
l'Etude d'une Science dont la vaste étendue
plusque suffisante pour occuper uniquement,
et sans partage , permet à peine quelques
moments de relache et de délassement.
Ces exemples pernicieux dont le frequent
succès
$710 MERCURE DE FRANCE
succès tout contraire qu'il est au bon ordre ,
et à la droite raison , produit tant d'imitateurs
, ne perdront- ils point de leur credit ?
et ne changera-t-on point de conduite en
considerant celle que l'illustre M. Chirac
a toujouts tenuë , et qui lui a si beureusement
et si glorieusement réussi.
Ennemi déclaré de ces souplesses , et de ces
sollicitations indignes qui ne deshonorent pas
moins ceux qui s'en laissent séduire , que
ceux qui ont la bassesse de les faire , on l'a
toujours vû le même dans tous les tems de sa
vie , il n'a point été audevant de la fortune
par des routes illegitimes , il l'a laissé agir
en sa faveur, ou s'il a cherché à se la rendrefavorable
, ce n'a été qu'à force d'étude
et de travail. $
+
C'est dans une Célèbre Faculté , où il a
professé avec éclat pendant plusieurs an
nées , qu'il a commencé àfaire ses preuves.
On l'y a vu uniquement occupe de guerir
on d'enseigner à le faire , travailler continuellement
et sans relâche , aux progrès et
à la perfection de la Médecine , et communiquer
liberalement , et sans reserve tout ce
qu'il sçavoit , à une foule d'Auditeurs , qui
venoient de toutes parts puiser dans cette
Sourceféconde , les lumieres dont ils avoient
Besoin.
C'est ainsi que M. Chirac a scû se faire
un
JUILLET. 1731. 1751
un si grand nombre de Partisans dans le Public
;C'est là la maniere dont il a crû pouvoir
briguer leurs suffrages , eh ! comment
ne seroit-il pas venu à bout de les obtenir?
les Eloges que la multitude de ses Disciples:
faisoient de leur Maître dans les differents
endroits de leur résidence , ne pouvoient être
suspects ils étoient unanimes ; la réconnoissance
et la verité les dictoient. D'ailleurs on
en trouvoit en quelque maniere la garantie
dans plusieurs de ces Disciples , le merite
qui les distinguoit , et qu'ils ne tenoient que
de lui , annonçoit la superiorité du sien ..
Il étoit bien difficile qu'une réputation
aussi brillante , aussi solide , et aussi justement
acquise que l'étoit celle de M.Chirac, ne
travaillat pas , même à son insçu,en sa faveur.
Quoique ceux qui dispensent lesgraces , Souvent
peu capables de le faire avec connoissance
de cause ou trop susceptibles de préventions
, n'accordent que trop ordinairement
aux importunitez et à la cabale , ce que la
justice réclame d'un autre côté ; il en est d'au
tres plus rares , à la verité , et plus judicieux ,
que le goût des Sciences,et l'étude qu'ils en ont
faite , a rendus plus clair- voyants, plus diffim
ciles à tromper , plus attachés au vray merite
et qui se trouvent par là plus à portée de
ne pas confondre les faux ou les demi Sçavants
avec ceux du premier ordre..
Tel
1712 MERCURE DE FRANCE
*
Tel étoit le grand Prince ami des Scien
ces , et Protecteur des Sçavants , qui jugeant
M. Chirac digne du dépost précieux de sa
santé , l'appella auprès de S. A. R. l'hon
nora de son estime et de toute sa confiance
et le recompensa par là des services que jus➡
qu'alors il avoit rendus au Public.
Cette nouvelle Dignité ne fut point changer
de conduite à M. Chirac ; il auroit pû
Pombre de ses Lauriers jouird'un repos merité
par ses travaux passés ; il auroit même pŵ
profiterhabilement de ce repos pour cultiver à
Loisir et plus sûrement un certain nombre d'a
mis , utiles dans l'occasion; mais il s'étoit livré
de trop bon coeur au Public, et à sa Profession
pour succomber à des vies de cette nature ;
d'ailleurs il sçavoit mieux qu'un autre , que
•quelque progrès qu'on aitfait dans la Médecine
, ce qu'on sçait est toujours fort au
dessous de ce qui reste à sçavoir, et que
quand on s'arrête au milieu de sa carriere ,
et qu'on n'est plus dans l'exercice actuel
non- seulement on n'avance plus , mais que
trace de ce qu'on sçavoit le mieux s'affoiblit
insensiblement faute d'être renouvellée ou enpar
la répetition des mêmes objets,
On chancelle quand il s'agit de se déterminer,
On s'enrouille petit àpetit , et le plus grand·
Praticien devient souvent par là un Méder
cin assés médiocre.
tretenuë
·la
C'est
JUILLET . 1731. 1713
C'estpour éviter une chute semblable
que
M. Chirac arrivé à Paris , où sa grande
réputation l'avoit déja de beaucoup devancé ,
s'y est prêté aussi-tôt à tous ceux qui ont eu
recours à ses lumieres ; on l'y a vû justifier
pleinement par ses discours , et par le succès
de sa pratique , tout ce que la rénommée
avoit publié en sa faveur. Loin de se rébuter
des fatigues inséparables d'un aufſt grand
employ que celui où il s'y est trouvé , fon ardeurpour
le travail s'est toujours accrue par
la multitude de ses affaires , et il s'y est donné
tout entier et sans partage , pendant une
longue suite d'années ; c'eft en primant aux
yeux du Public , et de l'aveu même de ses
Confreres , dans l'exercice de sa profession ,
qu'il est arrivé à ce baut degré de gloire ,
où Sa Majesté lui a fait l'honneur de l'appeller.
La brigue qu'il a toujours détestée ,
et qui n'avoit en aucune part à sa place
de premier Médecin de feu M. le Duc
d'Orleans , n'en a pas a pas eû davantage à selle
de premier Médecin du Roy. Quel bonheur !
si un si bel exemple pouvoit engager à ne
suivre dorénavant en pareil cas d'autre route
que celle qui a été tenue et tracée par M.
Chirac; le merite rentreroit bien- tôt par
dans tous les droits qui lui appartiennent
et dont il se voit presque toujours déchû
La cabale et par l'injustice.
DISCOURS.
E lundi 2. de ce mois M. Lemery ,
LMédecin de la Faculté de Paris ,
Conseiller Médecin ordinaire du Roy ,
de l'Académie Royale des Sciences , nouvellement
reçû Professeur de Chymie au
Jardin Royal , à la place de feu M. Geoffroy
, y fit l'ouverture du Cours de Chymie.
Il avoit annoncé publiquement ,
qu'avant que d'entrer dans ce qu'il appelle
la Pratique de cette Science , c'està
- dire , les differentes préparations Chymiques
, il feroit plusieurs Discours sur
sa Théorie ; ce qu'il a executé en cinq
Discours differents , dont on n'avoit
point coutume avant lui de faire préceder
les démonstrations Chymiques : Mais
avant que d'entrer en matiere , il débuta
par un Discours oratoire , où M. Chirac ,
premier Médecin du Roy , et Intendant
du Jardin Royal , entre naturellement
pour beaucoup. Et ce qu'il y a d'heureux
pour l'Orateur , et de glorieux pour celui
dont on fait l'Eloge , c'est qu'il n'y
Dv entre
1706 MERCURE DE FRANCE
entre point aux dépens de la verité. Le
Public pourra en juger par la lecture du
Discours même, le voici :
Que ne puis-je oublier , Messieurs , que
ne pouvez- vous oublier vous -mêmes , quels
hommes ont rempli avant moi la place que·
j'occupe ! je paroîtrois ici avec moins de confusion
; et peut-être appercevriez- vous moins
ce qui me manque , si d'autres ne vous
avoient fait voir dans cette place toutes les
grandes qualités qu'elle demande. Vous avez
eu le plaisir d'y admirer plus d'une fois
te Collegue illustre à qui j'ai l'honneur de
succeder; il vous a appris , M". , à quoy.
vous deviés vos applaudissemens ; it
n'est plus possible de les surprendre , et
la difficulté de les meriter, ne me fait que
trop sentir le besoin que j'ai de vôtre indulgence..
C'est un usage établi de prouver
d'abord
l'utilité
d'une Science
dont on doit trai
ter. Je pourrois , M" vous faire voir que·
ce qu'on sçait sur la composition naturelle
des liqueurs differentes qui font partie de
nos corps , sur les alterations dont elles sont
susceptibles , sur la maniere dont elles se
dérangent , sur la nature des Remedes vége
Baux , animaux , et mineraux , n'est veriablement
dû qu'à la Chymie ; mais ce détail
, dont la preuve et l'éclaircissement nous
meneroient
JUILLET. 1731. 1707
meneroient un peu loin , se manifestera assés
par les Réflexions que nous aurons occasion
de faire sur les Operations Chymiques , qui
se feront en vôtre présence dans la suite de
ce Cours. D'ailleurs , qu'est-il nécessaire de
prouver l'utilité de la Chymie quel est
Phomme de bon sens qui en doute ? la Médecine
désavoitera- t- elle les secours qu'elle en
tire ? la Physique niera -t- elle qu'elle ne doive
une partie de ses progrés aux experiences
et aux raisonnemens qu'elle lui fournit ? et
n'est-ce pas en consequence de cette utilité
reconnue , que notre Auguste Monarque
qui ne se méprend point dans la protection
qu'il donne aux Sciences , accorde à celleci
une retraite honorable en ces lieux , et luž
prodigue des secours dignes de sa magnificen
ce , et de son discernement.
C'est à bajustesse de ce discernement qu'est
dû le choix du Chef illustre sous les auspices
et la direction duquel se font les Exercices
du Jardin Royal : Sa Majesté ne pouvoit
mieux faire sentir le cas qu'elle fair
de ces exercices , et son attention particuliere
2
lesfaire fleurir , par une administration
sage et éclairée , qu'en chargeant de cette
administration un anffi grand Maître que
Fest M. Chirac dans chacune des parties
de Médecine qui s'y enseignent , etpar là
aussi capable qu'il l'est de s'acquitter di-
D vj gnement
1708 MERCURE DE FRANCE
gnement d'un emploi de cette nature .
Cet employ , Messieurs , qui avant que
M. Chirac en eût été pourvû , avoit toujours
été une espece d'apanage des premiers
Médecins , est devenu entre ses mains le
gage du merite qu'on lui récennoissoit d'avance
, pourremplir unjour la premiere plaee
, et ce gage l'y désignoit dès-lors en quelque
maniere
Cette désignation , M" , se trouve aus
jourd'huy heureusement accomplie , et nous
voyons avec d'autant plus de joye , l'Intendance
du Jardin Royal réunie à la place de
premier Medecin , que cette intendance en
est naturellement une dépendance ou une attribution
, et qu'elle n'en avoit été dans la
personne de M. Chirac qu'une distraction
pour quelques années.
Arrêtons-nous un moment , M" , sur ce
dernier évênement , qui fait à la fois l'Elo
ge de la justice du Roy, la gloire de celui qui
en a receu les effets , et la satisfaction de
Doute la France , qui n'a plus d'allarmes sur
la plus précieuse santé de l'Univers , depuis
qu'elle la voit entre les mains du plus par
fait , et du plus digne de tous les Médecins
Les Places éminentes de la Médecine
s'obtiennent rarement sans beaucoup de sollicitations
et de brigues ; si le merite se joins
aux efforts qu'on fait pour réussir , ce merite
fait
JUILLET. 1731. 1709
fait quelquefois pencher la Balance de son
côté , d'autrefois et le plus souvent il dessert,
L'envie qui le regarde comme son plus grand
ennemi , ne manque guére à lui susciter les
obstacles les plus puissants, et par là vient
ordinairement à bout d'en triompher.
Delà le découragement de ceux qui moins
occupés de se procurer des protections brillantes
et utiles , que de multiplier le nombre de
leurs connoissances , et de se perfetionner de
plus en plus dans la Médecine , se voyent
frustrés injustement des récompenses qui der
voient naturellement les regarder , et qui pas
sent souvent entre les mains de gens aussi peu
versés dans la Théorie et la Pratique de leur
Art , que ceux qui en ont été exclus l'y font
beaucoup.
Delà vient encore que ceux en qui l'envie
de s'élever l'emporte de beaucoup sur
Le goût de leur profession , seul capable de
former degrands sujets , quand on s'y livre
tout entier , donnent tous leurs soins à se mênager
les secours que les veues de leur ambition
leur suggerent , et négligent d'autant
l'Etude d'une Science dont la vaste étendue
plusque suffisante pour occuper uniquement,
et sans partage , permet à peine quelques
moments de relache et de délassement.
Ces exemples pernicieux dont le frequent
succès
$710 MERCURE DE FRANCE
succès tout contraire qu'il est au bon ordre ,
et à la droite raison , produit tant d'imitateurs
, ne perdront- ils point de leur credit ?
et ne changera-t-on point de conduite en
considerant celle que l'illustre M. Chirac
a toujouts tenuë , et qui lui a si beureusement
et si glorieusement réussi.
Ennemi déclaré de ces souplesses , et de ces
sollicitations indignes qui ne deshonorent pas
moins ceux qui s'en laissent séduire , que
ceux qui ont la bassesse de les faire , on l'a
toujours vû le même dans tous les tems de sa
vie , il n'a point été audevant de la fortune
par des routes illegitimes , il l'a laissé agir
en sa faveur, ou s'il a cherché à se la rendrefavorable
, ce n'a été qu'à force d'étude
et de travail. $
+
C'est dans une Célèbre Faculté , où il a
professé avec éclat pendant plusieurs an
nées , qu'il a commencé àfaire ses preuves.
On l'y a vu uniquement occupe de guerir
on d'enseigner à le faire , travailler continuellement
et sans relâche , aux progrès et
à la perfection de la Médecine , et communiquer
liberalement , et sans reserve tout ce
qu'il sçavoit , à une foule d'Auditeurs , qui
venoient de toutes parts puiser dans cette
Sourceféconde , les lumieres dont ils avoient
Besoin.
C'est ainsi que M. Chirac a scû se faire
un
JUILLET. 1731. 1751
un si grand nombre de Partisans dans le Public
;C'est là la maniere dont il a crû pouvoir
briguer leurs suffrages , eh ! comment
ne seroit-il pas venu à bout de les obtenir?
les Eloges que la multitude de ses Disciples:
faisoient de leur Maître dans les differents
endroits de leur résidence , ne pouvoient être
suspects ils étoient unanimes ; la réconnoissance
et la verité les dictoient. D'ailleurs on
en trouvoit en quelque maniere la garantie
dans plusieurs de ces Disciples , le merite
qui les distinguoit , et qu'ils ne tenoient que
de lui , annonçoit la superiorité du sien ..
Il étoit bien difficile qu'une réputation
aussi brillante , aussi solide , et aussi justement
acquise que l'étoit celle de M.Chirac, ne
travaillat pas , même à son insçu,en sa faveur.
Quoique ceux qui dispensent lesgraces , Souvent
peu capables de le faire avec connoissance
de cause ou trop susceptibles de préventions
, n'accordent que trop ordinairement
aux importunitez et à la cabale , ce que la
justice réclame d'un autre côté ; il en est d'au
tres plus rares , à la verité , et plus judicieux ,
que le goût des Sciences,et l'étude qu'ils en ont
faite , a rendus plus clair- voyants, plus diffim
ciles à tromper , plus attachés au vray merite
et qui se trouvent par là plus à portée de
ne pas confondre les faux ou les demi Sçavants
avec ceux du premier ordre..
Tel
1712 MERCURE DE FRANCE
*
Tel étoit le grand Prince ami des Scien
ces , et Protecteur des Sçavants , qui jugeant
M. Chirac digne du dépost précieux de sa
santé , l'appella auprès de S. A. R. l'hon
nora de son estime et de toute sa confiance
et le recompensa par là des services que jus➡
qu'alors il avoit rendus au Public.
Cette nouvelle Dignité ne fut point changer
de conduite à M. Chirac ; il auroit pû
Pombre de ses Lauriers jouird'un repos merité
par ses travaux passés ; il auroit même pŵ
profiterhabilement de ce repos pour cultiver à
Loisir et plus sûrement un certain nombre d'a
mis , utiles dans l'occasion; mais il s'étoit livré
de trop bon coeur au Public, et à sa Profession
pour succomber à des vies de cette nature ;
d'ailleurs il sçavoit mieux qu'un autre , que
•quelque progrès qu'on aitfait dans la Médecine
, ce qu'on sçait est toujours fort au
dessous de ce qui reste à sçavoir, et que
quand on s'arrête au milieu de sa carriere ,
et qu'on n'est plus dans l'exercice actuel
non- seulement on n'avance plus , mais que
trace de ce qu'on sçavoit le mieux s'affoiblit
insensiblement faute d'être renouvellée ou enpar
la répetition des mêmes objets,
On chancelle quand il s'agit de se déterminer,
On s'enrouille petit àpetit , et le plus grand·
Praticien devient souvent par là un Méder
cin assés médiocre.
tretenuë
·la
C'est
JUILLET . 1731. 1713
C'estpour éviter une chute semblable
que
M. Chirac arrivé à Paris , où sa grande
réputation l'avoit déja de beaucoup devancé ,
s'y est prêté aussi-tôt à tous ceux qui ont eu
recours à ses lumieres ; on l'y a vû justifier
pleinement par ses discours , et par le succès
de sa pratique , tout ce que la rénommée
avoit publié en sa faveur. Loin de se rébuter
des fatigues inséparables d'un aufſt grand
employ que celui où il s'y est trouvé , fon ardeurpour
le travail s'est toujours accrue par
la multitude de ses affaires , et il s'y est donné
tout entier et sans partage , pendant une
longue suite d'années ; c'eft en primant aux
yeux du Public , et de l'aveu même de ses
Confreres , dans l'exercice de sa profession ,
qu'il est arrivé à ce baut degré de gloire ,
où Sa Majesté lui a fait l'honneur de l'appeller.
La brigue qu'il a toujours détestée ,
et qui n'avoit en aucune part à sa place
de premier Médecin de feu M. le Duc
d'Orleans , n'en a pas a pas eû davantage à selle
de premier Médecin du Roy. Quel bonheur !
si un si bel exemple pouvoit engager à ne
suivre dorénavant en pareil cas d'autre route
que celle qui a été tenue et tracée par M.
Chirac; le merite rentreroit bien- tôt par
dans tous les droits qui lui appartiennent
et dont il se voit presque toujours déchû
La cabale et par l'injustice.
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Résumé : COURS DE CHYMIE, DISCOURS.
Le 2 juillet, Louis Lemery, médecin de la Faculté de Paris, conseiller du roi et professeur de chimie au Jardin Royal, a inauguré son cours de chimie en remplacement de M. Geoffroy. Avant d'aborder la pratique, Lemery a prononcé cinq discours théoriques, une méthode nouvelle. Il a débuté par un hommage à M. Chirac, premier médecin du roi et intendant du Jardin Royal, tout en restant fidèle à la vérité. Lemery a mis en avant l'importance de la chimie pour la médecine et la physique, soulignant que cette science est soutenue par le roi. Il a également loué la sagesse et la gestion éclairée de M. Chirac au Jardin Royal, notant que cette fonction est naturellement liée à celle de premier médecin. Le texte évoque la difficulté d'accéder à des postes éminents en médecine en raison des sollicitations et des intrigues. Lemery critique ceux qui recherchent des protections plutôt que de se consacrer à l'étude et à la perfection dans la médecine. Il admire M. Chirac pour son dévouement, son travail acharné et sa générosité dans le partage de ses connaissances, ce qui lui a valu une grande réputation et la confiance du roi. Malgré sa nouvelle dignité, Chirac a continué à se consacrer à sa profession, évitant la complaisance et les sollicitations indignes. Il a été reconnu pour ses compétences et son mérite, et non pour des faveurs ou des cabales. Lemery espère que l'exemple de Chirac encouragera d'autres à suivre une voie similaire, basée sur le mérite et le travail.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 2783-2789
RÉFLEXIONS de M. Simonnet, Prieur d'Heurgeville, près de Vernon, sur les deux Questions proposées dans le Mercure de Mai 1731.
Début :
I. QUESTION. Si l'Amour et la Raison peuvent se trouver en même temps dans [...]
Mots clefs :
Réflexions, Prieur, Amour, Raison, Enfants, Fibres
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texteReconnaissance textuelle : RÉFLEXIONS de M. Simonnet, Prieur d'Heurgeville, près de Vernon, sur les deux Questions proposées dans le Mercure de Mai 1731.
REFLEXIONS de M. Simonnet , Prieur
d'Heurgeville , près de Vernon sur
les deux Questions proposées dans le
Mercure de Mai 1731.
1. QUESTION. Si l'Amour et la Rai--
son peuvent se trouver en même temps danse
la même
personne &c ?:
T
Oute Passion dominante ne s'ac
corde point avec la raison : si elle
ne la banit pas entieremént , elle la rend
esclave , et ne lui laisse plus de mouve
ment ni d'action. Où la passion domine ,
la raison n'est plus la maîtresse ; il faut
donc ou qu'elle cede la place , ou qu'ellesoit
réduite à la servitude ..
Point de passion si imperieuse et si absolue
que l'Amour : tout lui cede. Dès
qu'il attaque , il est presque sûr de vainere
; A- til vaincu ? il use de sa victoire
avec hauteur. Quelquefois la raison crie ,
sagite , réclame ses droits : l'Amour ne
До Кова peut:
784 MERCURE DE FRANCE
peut souffrir cette importune ; d'abord
lui impose silence , et pour s'en débarasser
, il l'exclurt de sa domination . On sent
bien qu'on est en proye à un Tyran , on
soupire dans ses fers on voudroit les
briser , on rappelle la raison à son se
cours , mais elle est trop foible pour un
tel ennemi : il se jouë de ses attaques ,
et la répousse bien loin. Elle a beau reve
nir à la charge , et faire de nouveaux efforts
, P'Amour sçait s'en tirer avec avantage
, et n'en devient souvent que plus
fougueux.
Il parolt doux cependant , et c'est par
sa maligne douceur qu'il séduit , qu'il
s'insinue et qu'il triomphe aux dépens de
la raison. Les lumieres de celle - ci sont
bien- tôt éteintes , par les vapeurs enchanteresses
qu'il répand , et dont on es
comme enyvré.
L'Amour est un petit libertin qui
'entend point raison . S'il l'entendoit
il changeroit de nature ; s'il étoit sage ,
il ne seroit plus amour ; et comment seroit-
il sage ? Il marche en aveugle. La
folie et la témérité sont ses compagnes
inséparables. Il vole au gré de ses désirs
et ses désirs sont indiscrets. Il veut par
tout être maître à quelque prix que ce
soit avec son carquois et ses fléches em-
1 1. Vol
poi-
1
DECEMBRE. 1931. 2785
poisonnées il attaque les coeurs , les bles
se , les dompte , et dès-là , vertu , sagesse
prudence , et raison n'y peuvent plus
tenir.
Son air gracieux lui donne une facila
entrée ; mais à peine est- il en place , que
sa malice jouë son rôle , et quels ravages
ne fait-il pas ? Il va jusqu'à la fureur :
il ne respecte ni le sacré ni le profane s
pour satisfaire ses désirs ou son désespoir,
il n'épargne point le sang et le carnage ;
témoins tant d'histoires tragiques dont
l'amour est l'ame , et dont le monde est
continuellement le Theatre..
Si l'on aime raisonnablement , si l'on
se renferme dans les bornes du devoir
ce n'est plus amour , ce n'est plus cette
passion de jeunesse , passion aveugle
passion vive , inquiete , turbulente , ef-
Frenée , qui ne sent , qui n'écoute , qui
ne suit que son impetueuse ardeur.
Il est vrai que l'amour a regné dans le
coeur des plus grands hommes , dans les
sages même ; mais s'ils étoient grands
s'ils étoient sages , judicieux , raisonnables
, ce ne fut pas dans les accès de la
P sion ; car on les a vûs tomber , comme
les autres , dans des folies et dans des
extravagances , se ruiner , se dégrader ,
s'avilir par des actions basses et indignes.
S 1. Veh Om
2788 MERCURE DE FRANCE
On a vû un Salomon offrir de l'Encens
à des Idoles ét donner dans les der
niers excès. Si jamais la raison dut se
maintenir avec l'amour , et en moderer
des saillies , ce fut dans ce prodige de
sagesse : Exemple qui prouve assez com
bien la raison et l'amour sont incompa
tibles.
II. QUESTION. Quelle ett la Canes
Physique ou Morale de l'effet qui arrive
dans les Enfans qui meurent jeunes , après
savoir donné de grandes esperances , et dars
les Enfans dont la vivacité s'est changes
son 'stupidité ? & c.
H peut arriver
qu'un
grand
nombr
d'Enfans de toutes conditions meurenter
bas âge par des accidens inévitables . 11
ise trouve quelquefois en eux des semences
de corruption , qui , dans la suice ,
venant à se développer , gâtent toute la
substance de ces petits corps , et les fo at
tomber en pourriture. Il ne faut qu'une
intemperie de l'air , quelque souffle empoisonné
, un aliment mal- sain , ou peu
convenable 'une nourriture `trop forts
ou trop legere , pour endommager de
tendres Enfans , et les faire périr , pendant
que d'autres ne se trouveront pas
3
1.Vole
dans
DECEMBRE. 1731 2787
dans les mêmes circonstances , ou auront
le bonheur de s'en tirer par une forte
complexion à peu près comme des fruits
d'une même espece , sur le même arbre
dans la même exposition , les uns réüssissent
, pendant que quantité d'autres
tombent par differentes infortunes.
Pour ce qui regarde en particulier les
Enfans dont l'esprit et la vivacité promettent
beaucoup , on ne peut disconvenir
que le trop grand soin que l'on
prend de leur éducation , ne contribue
beaucoup à avancer leurs jours , ou à faire
dégenerer leur esprit en stupidité.
Dans ces Enfans les fibres sont plus
molles et plus flexibles , les petits vaisseaux
plus déliez , et par conséquent plus
foibles que dans les Enfans d'un genio
grossier et tardif , qui ne sont tels que
par la dureté et le peu de fléxibilité de
leurs organes ; c'est de l'aveu presque
universel , ce qui fait la difference des
uns et des autres.
Or quand on voit un Enfant né avec
cès heureuses et rares dispositions d'esprit
, on croit ne pouvoir trop tôt en
profiter. On pousse , on force , on accable
une imagination quelquefois déja
trop vive. Il suffit qu'elle plaise , qu'elle
charme , on ne craint point de la fati-
1. Vota
guer.
88 MERCURE DE FRANC
:
guer. De-là qu'arrive-t'il En peu de
temps les esprits s'épuisent , les fibres
s'émoussent et s'affoiblissent , les traces st
confondent : ces vaisseaux si délicats n'y
peuvent plus résister le jeu et tout le
ressort de la Nature manque insensible
ment : le corps se mine . et enfin tombe
en ruine ; ou s'il ne succombe pas à tant
d'efforts , la tête se dérange : cette grande
vivacité s'évanouit , et l'esprit disparoît ,
parce qu'il n'y a plus dans les organes
usez cette juste proportion qui devoit
P'entretenir.
Quelque excellent que soit un Arbre
si , lorsqu'il est jeune , on lui donn
trop de portée , si on lui laisse produir
une surabondance de fruits qui se mon
trent , il mourra bien-tôt , ou ne fera que
languir. Il en est de même d'un Enfant
plein d'esprit et de vivacité. Il ne demar
de qu'à produire les plus beaux fruits
mais dès que vous le surchargez
que vous voulez en tirer trop d'abord
c'est un grand hazard si vous ne le voyez
aussi-tôt déperir , et si une mort préma
turée ne vous l'enleve. Quelques-uns plus
robustes y résisteront mais le grand
nombre en sera la victime .
Pour obvier à un si funeste inconve
mient , on ne peut , avec trop d'atten
1. Vol
ci
tion
DECEMBRE 1731. 2789
tion , ménager ces jeunes esprits . Leur
extrême vivacité les porte assez d'ellemême
à vouloir tout connoître , tout
approfondir ; bien loin donc de les pousser
et de les animer , il faudroit ne les
faire avancer dans les études et dans les
differentes connoissances que pied à pied.
Plus ils apprennent facilement , plus on
devroit leur donner de récréations et de
divertissemens honnêtes ; les arracher
même à l'étude quand ils s'y veulent trop
appliquer , ne perdant jamais de vûë cette
sage maxime : L'Arc trop souvent tendu ,
ne peut durer long-temps.
d'Heurgeville , près de Vernon sur
les deux Questions proposées dans le
Mercure de Mai 1731.
1. QUESTION. Si l'Amour et la Rai--
son peuvent se trouver en même temps danse
la même
personne &c ?:
T
Oute Passion dominante ne s'ac
corde point avec la raison : si elle
ne la banit pas entieremént , elle la rend
esclave , et ne lui laisse plus de mouve
ment ni d'action. Où la passion domine ,
la raison n'est plus la maîtresse ; il faut
donc ou qu'elle cede la place , ou qu'ellesoit
réduite à la servitude ..
Point de passion si imperieuse et si absolue
que l'Amour : tout lui cede. Dès
qu'il attaque , il est presque sûr de vainere
; A- til vaincu ? il use de sa victoire
avec hauteur. Quelquefois la raison crie ,
sagite , réclame ses droits : l'Amour ne
До Кова peut:
784 MERCURE DE FRANCE
peut souffrir cette importune ; d'abord
lui impose silence , et pour s'en débarasser
, il l'exclurt de sa domination . On sent
bien qu'on est en proye à un Tyran , on
soupire dans ses fers on voudroit les
briser , on rappelle la raison à son se
cours , mais elle est trop foible pour un
tel ennemi : il se jouë de ses attaques ,
et la répousse bien loin. Elle a beau reve
nir à la charge , et faire de nouveaux efforts
, P'Amour sçait s'en tirer avec avantage
, et n'en devient souvent que plus
fougueux.
Il parolt doux cependant , et c'est par
sa maligne douceur qu'il séduit , qu'il
s'insinue et qu'il triomphe aux dépens de
la raison. Les lumieres de celle - ci sont
bien- tôt éteintes , par les vapeurs enchanteresses
qu'il répand , et dont on es
comme enyvré.
L'Amour est un petit libertin qui
'entend point raison . S'il l'entendoit
il changeroit de nature ; s'il étoit sage ,
il ne seroit plus amour ; et comment seroit-
il sage ? Il marche en aveugle. La
folie et la témérité sont ses compagnes
inséparables. Il vole au gré de ses désirs
et ses désirs sont indiscrets. Il veut par
tout être maître à quelque prix que ce
soit avec son carquois et ses fléches em-
1 1. Vol
poi-
1
DECEMBRE. 1931. 2785
poisonnées il attaque les coeurs , les bles
se , les dompte , et dès-là , vertu , sagesse
prudence , et raison n'y peuvent plus
tenir.
Son air gracieux lui donne une facila
entrée ; mais à peine est- il en place , que
sa malice jouë son rôle , et quels ravages
ne fait-il pas ? Il va jusqu'à la fureur :
il ne respecte ni le sacré ni le profane s
pour satisfaire ses désirs ou son désespoir,
il n'épargne point le sang et le carnage ;
témoins tant d'histoires tragiques dont
l'amour est l'ame , et dont le monde est
continuellement le Theatre..
Si l'on aime raisonnablement , si l'on
se renferme dans les bornes du devoir
ce n'est plus amour , ce n'est plus cette
passion de jeunesse , passion aveugle
passion vive , inquiete , turbulente , ef-
Frenée , qui ne sent , qui n'écoute , qui
ne suit que son impetueuse ardeur.
Il est vrai que l'amour a regné dans le
coeur des plus grands hommes , dans les
sages même ; mais s'ils étoient grands
s'ils étoient sages , judicieux , raisonnables
, ce ne fut pas dans les accès de la
P sion ; car on les a vûs tomber , comme
les autres , dans des folies et dans des
extravagances , se ruiner , se dégrader ,
s'avilir par des actions basses et indignes.
S 1. Veh Om
2788 MERCURE DE FRANCE
On a vû un Salomon offrir de l'Encens
à des Idoles ét donner dans les der
niers excès. Si jamais la raison dut se
maintenir avec l'amour , et en moderer
des saillies , ce fut dans ce prodige de
sagesse : Exemple qui prouve assez com
bien la raison et l'amour sont incompa
tibles.
II. QUESTION. Quelle ett la Canes
Physique ou Morale de l'effet qui arrive
dans les Enfans qui meurent jeunes , après
savoir donné de grandes esperances , et dars
les Enfans dont la vivacité s'est changes
son 'stupidité ? & c.
H peut arriver
qu'un
grand
nombr
d'Enfans de toutes conditions meurenter
bas âge par des accidens inévitables . 11
ise trouve quelquefois en eux des semences
de corruption , qui , dans la suice ,
venant à se développer , gâtent toute la
substance de ces petits corps , et les fo at
tomber en pourriture. Il ne faut qu'une
intemperie de l'air , quelque souffle empoisonné
, un aliment mal- sain , ou peu
convenable 'une nourriture `trop forts
ou trop legere , pour endommager de
tendres Enfans , et les faire périr , pendant
que d'autres ne se trouveront pas
3
1.Vole
dans
DECEMBRE. 1731 2787
dans les mêmes circonstances , ou auront
le bonheur de s'en tirer par une forte
complexion à peu près comme des fruits
d'une même espece , sur le même arbre
dans la même exposition , les uns réüssissent
, pendant que quantité d'autres
tombent par differentes infortunes.
Pour ce qui regarde en particulier les
Enfans dont l'esprit et la vivacité promettent
beaucoup , on ne peut disconvenir
que le trop grand soin que l'on
prend de leur éducation , ne contribue
beaucoup à avancer leurs jours , ou à faire
dégenerer leur esprit en stupidité.
Dans ces Enfans les fibres sont plus
molles et plus flexibles , les petits vaisseaux
plus déliez , et par conséquent plus
foibles que dans les Enfans d'un genio
grossier et tardif , qui ne sont tels que
par la dureté et le peu de fléxibilité de
leurs organes ; c'est de l'aveu presque
universel , ce qui fait la difference des
uns et des autres.
Or quand on voit un Enfant né avec
cès heureuses et rares dispositions d'esprit
, on croit ne pouvoir trop tôt en
profiter. On pousse , on force , on accable
une imagination quelquefois déja
trop vive. Il suffit qu'elle plaise , qu'elle
charme , on ne craint point de la fati-
1. Vota
guer.
88 MERCURE DE FRANC
:
guer. De-là qu'arrive-t'il En peu de
temps les esprits s'épuisent , les fibres
s'émoussent et s'affoiblissent , les traces st
confondent : ces vaisseaux si délicats n'y
peuvent plus résister le jeu et tout le
ressort de la Nature manque insensible
ment : le corps se mine . et enfin tombe
en ruine ; ou s'il ne succombe pas à tant
d'efforts , la tête se dérange : cette grande
vivacité s'évanouit , et l'esprit disparoît ,
parce qu'il n'y a plus dans les organes
usez cette juste proportion qui devoit
P'entretenir.
Quelque excellent que soit un Arbre
si , lorsqu'il est jeune , on lui donn
trop de portée , si on lui laisse produir
une surabondance de fruits qui se mon
trent , il mourra bien-tôt , ou ne fera que
languir. Il en est de même d'un Enfant
plein d'esprit et de vivacité. Il ne demar
de qu'à produire les plus beaux fruits
mais dès que vous le surchargez
que vous voulez en tirer trop d'abord
c'est un grand hazard si vous ne le voyez
aussi-tôt déperir , et si une mort préma
turée ne vous l'enleve. Quelques-uns plus
robustes y résisteront mais le grand
nombre en sera la victime .
Pour obvier à un si funeste inconve
mient , on ne peut , avec trop d'atten
1. Vol
ci
tion
DECEMBRE 1731. 2789
tion , ménager ces jeunes esprits . Leur
extrême vivacité les porte assez d'ellemême
à vouloir tout connoître , tout
approfondir ; bien loin donc de les pousser
et de les animer , il faudroit ne les
faire avancer dans les études et dans les
differentes connoissances que pied à pied.
Plus ils apprennent facilement , plus on
devroit leur donner de récréations et de
divertissemens honnêtes ; les arracher
même à l'étude quand ils s'y veulent trop
appliquer , ne perdant jamais de vûë cette
sage maxime : L'Arc trop souvent tendu ,
ne peut durer long-temps.
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Résumé : RÉFLEXIONS de M. Simonnet, Prieur d'Heurgeville, près de Vernon, sur les deux Questions proposées dans le Mercure de Mai 1731.
Le texte 'Réflexions de M. Simonnet, Prieur d'Heurgeville' traite de deux questions soulevées dans le Mercure de mai 1731. La première question porte sur la compatibilité de l'amour et de la raison. Simonnet soutient que toute passion dominante, notamment l'amour, est incompatible avec la raison. L'amour, qualifié de tyran, asservit la raison et la domine de manière impérieuse et absolue. Cette passion triomphe toujours au détriment de la raison, même chez les grands hommes et les sages, qui peuvent sombrer dans des folies et des extravagances sous son influence, comme en témoigne l'exemple de Salomon. La deuxième question explore les causes physiques ou morales de la mort prématurée des enfants prometteurs ou de la dégénérescence de leur vivacité en stupidité. Simonnet identifie plusieurs facteurs possibles, tels que des accidents inévitables, des semences de corruption ou des intempéries, qui peuvent entraîner la mort des enfants. Pour les enfants brillants, un excès de soin dans leur éducation peut épuiser leurs esprits et affaiblir leurs organes. Il compare cette situation à un jeune arbre surchargé de fruits, qui finit par mourir ou languir. Pour éviter ce phénomène, il est essentiel de ménager ces jeunes esprits, de leur offrir des récréations et de ne pas les surcharger d'études.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 112-114
Reflexions sur differens sujets, &c. [titre d'après la table]
Début :
REFLEXIONS sur differens Sujets de Physique, de Guerre, de Morale, [...]
Mots clefs :
Réflexions, Ignorance, Progrès, Révolutions, Théorie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Reflexions sur differens sujets, &c. [titre d'après la table]
REFLEXIONS sur differens Sujets de
Physique , de Guerre, de Morale , de Critique, d'Histoire , de Mathematique , &c.
Ouvrage Periodique , par M. de ....
le prix est de 4. sols petite brochure de
14. pagès in 8. AParis , chez F. le Breon , Quay de Conty , à l'Aigle d'or 1731.
Cette premiere feuille ne contient encore rien de ce que l'Auteur fait esperer.
C'est un Discours Préliminaire qui peut
servir dePréface à tout l'ouvrage Periodique qu'on annonce , et cet ouvrage de la
maniere dont on nous dit qu'il sera dispoSC
JANVIER. 1732. 113
sẽ et varié , pourra être utile et agréable.
Son But principal , dit- on , est l'utilité
des gens de Guerre. Un Officier dans une
Garnison , ou dans un Quartier , a bien
des heures de loisir qu'il ne sçait à quoi
employer , &c. Il ne faut pas s'étonner de
cette attention de l'Auteur pour les Offi
ciers ; il se déclare lui même homme de
Guerre; du reste il ne veut pas être connu.
Quoiqu'il en soit on peut attendre quel--
que chose de bon de l'execution de ce projet, s'il est vrai que de tous les Sujets par
ticuliers,contenus dans chaque feuille , distribuée toute sles semaines, il ne doit y en
avoir aucun qui nepuisse contribuer à polir l'esprit , à foriner le jugement , ou à redresser le cœur..
La troisiéme feuille est intitulée, Sur les
Sciencesqui conviennent à chaque Profession
commence ainsi,
2
La nécessité de s'intruire est commune:
à tous les hommes : ils naissent dans une
ignorance si profonde de toutes choses ,
qu'il n'y a que des soins continuels et une
application suiviequi puissent leur procurer les connoissances qui leur sont necessaires. Je suppose qu'on fût en France 30 .
ou 40. ans sans instruire la jeunesse , il n'y
a pas de doute qu'elle se reduiroit au même
pointe F. Y
114 MERCURE DE FRANCE
point d'obscurité , où sont à present l'E
gypte et la Grece, autrefois si Aleurissantes.
Uneinterruption de quelques années peutdétruire les progrès de plusieurs Siécles.
Dès que le malheur des tems où l'indolence des Peuples fait cesser leurs études et
leur application , ils retombent dans le
même état d'ignorance d'où leur travail
les avoit tirés.
Ces mêmes revolutions arrivent de tems:
en tems en particulier , à l'égard de cerraines professions; dès que l'émulation ou
la pratique en sont interrompues , elles
tombent dans une langueur qui approche
de l'extinction. Il y a 30. ou 40. ans que
la Sculpture fleurissoit parmi nous , à present nous n'avons personne qui remplace
les Pugets et les Girardons ; la Science de
la Guerre se neglige et s'oublie peu à peu.
Il est à souhaiter que la paix ne finisse
point; mais si elle cessoit dans 20.ans, lorsque tous les bons Officiers seront morts ou
décrepits , avec quelle ignorance ne feroiton pas la Guerre dans les premieres Campagnes , malgré les secours qu'on a dans
les bons livres que nous avons sur cette
matiere ? Le nombre des jeunes Officiers
qui s'appliquent veritablement à la theorie est si petit , qu'une grande armée ne s'en ressentiroit presque pas.
Physique , de Guerre, de Morale , de Critique, d'Histoire , de Mathematique , &c.
Ouvrage Periodique , par M. de ....
le prix est de 4. sols petite brochure de
14. pagès in 8. AParis , chez F. le Breon , Quay de Conty , à l'Aigle d'or 1731.
Cette premiere feuille ne contient encore rien de ce que l'Auteur fait esperer.
C'est un Discours Préliminaire qui peut
servir dePréface à tout l'ouvrage Periodique qu'on annonce , et cet ouvrage de la
maniere dont on nous dit qu'il sera dispoSC
JANVIER. 1732. 113
sẽ et varié , pourra être utile et agréable.
Son But principal , dit- on , est l'utilité
des gens de Guerre. Un Officier dans une
Garnison , ou dans un Quartier , a bien
des heures de loisir qu'il ne sçait à quoi
employer , &c. Il ne faut pas s'étonner de
cette attention de l'Auteur pour les Offi
ciers ; il se déclare lui même homme de
Guerre; du reste il ne veut pas être connu.
Quoiqu'il en soit on peut attendre quel--
que chose de bon de l'execution de ce projet, s'il est vrai que de tous les Sujets par
ticuliers,contenus dans chaque feuille , distribuée toute sles semaines, il ne doit y en
avoir aucun qui nepuisse contribuer à polir l'esprit , à foriner le jugement , ou à redresser le cœur..
La troisiéme feuille est intitulée, Sur les
Sciencesqui conviennent à chaque Profession
commence ainsi,
2
La nécessité de s'intruire est commune:
à tous les hommes : ils naissent dans une
ignorance si profonde de toutes choses ,
qu'il n'y a que des soins continuels et une
application suiviequi puissent leur procurer les connoissances qui leur sont necessaires. Je suppose qu'on fût en France 30 .
ou 40. ans sans instruire la jeunesse , il n'y
a pas de doute qu'elle se reduiroit au même
pointe F. Y
114 MERCURE DE FRANCE
point d'obscurité , où sont à present l'E
gypte et la Grece, autrefois si Aleurissantes.
Uneinterruption de quelques années peutdétruire les progrès de plusieurs Siécles.
Dès que le malheur des tems où l'indolence des Peuples fait cesser leurs études et
leur application , ils retombent dans le
même état d'ignorance d'où leur travail
les avoit tirés.
Ces mêmes revolutions arrivent de tems:
en tems en particulier , à l'égard de cerraines professions; dès que l'émulation ou
la pratique en sont interrompues , elles
tombent dans une langueur qui approche
de l'extinction. Il y a 30. ou 40. ans que
la Sculpture fleurissoit parmi nous , à present nous n'avons personne qui remplace
les Pugets et les Girardons ; la Science de
la Guerre se neglige et s'oublie peu à peu.
Il est à souhaiter que la paix ne finisse
point; mais si elle cessoit dans 20.ans, lorsque tous les bons Officiers seront morts ou
décrepits , avec quelle ignorance ne feroiton pas la Guerre dans les premieres Campagnes , malgré les secours qu'on a dans
les bons livres que nous avons sur cette
matiere ? Le nombre des jeunes Officiers
qui s'appliquent veritablement à la theorie est si petit , qu'une grande armée ne s'en ressentiroit presque pas.
Fermer
Résumé : Reflexions sur differens sujets, &c. [titre d'après la table]
L'ouvrage 'REFLEXIONS sur differens Sujets de Physique, de Guerre, de Morale, de Critique, d'Histoire, de Mathematique, &c.' est une publication périodique parue à Paris en 1731. Elle vise principalement à être utile aux militaires, notamment aux officiers en garnison ou en quartier, qui disposent de temps libre. L'auteur, un homme de guerre souhaitant rester anonyme, publie chaque semaine des feuilles abordant divers sujets pour enrichir l'esprit, former le jugement et redresser le cœur. La troisième feuille, intitulée 'Sur les Sciences qui conviennent à chaque Profession', insiste sur l'importance de l'instruction continue pour éviter l'ignorance. L'auteur cite l'exemple de l'Égypte et de la Grèce, où l'interruption des études a conduit à une perte de connaissances. Il souligne également le déclin de la sculpture et de la science de la guerre en France. L'auteur espère une paix durable mais craint que, en cas de guerre, celle-ci soit menée avec ignorance en raison du manque de jeunes officiers formés à la théorie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 215-229
REPONSE de M. l'Abbé Trublet, à la Lettre de M. Simonnet, imprimée dans le Mercure de Novembre 1731. au sujet des Refléxions sur la Politesse, imprimées dans le second volume du Mercure de Juin de la même année.
Début :
Je dois cette Réponse à M. Simonnet, parce que la [...]
Mots clefs :
Politesse, Réflexions, Critique, Penchant, Occasion, Civilité, Dissimulation
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texteReconnaissance textuelle : REPONSE de M. l'Abbé Trublet, à la Lettre de M. Simonnet, imprimée dans le Mercure de Novembre 1731. au sujet des Refléxions sur la Politesse, imprimées dans le second volume du Mercure de Juin de la même année.
REPONSE de M. l'Abbé Trublet ,
à la Lettre de M. Simonnet , imprimée
dans le Mercure de Novembre 1731..
au sujet des Refléxions sur la Politesse,.
imprimées dans le second volume du
Mercure de Juin de la même année.
J
E dois cette Réponse à M. Simonnet, parce que la Critique qu'il a faire
de mes Reflexions sur la Politesse , est
accompagnée de tous les égards qu'auroit
pû exiger un Auteur plus connu que
moi , et je la dois au Public , parce que J'ai
216 MERCURE DE FRANCE
j'ai lieu de croire qu'il a approuvé mes
Refléxions.
Il ne sera pas inutile , avant que d'aller plus loin , de dire comment et à quelle
occasion ces Refléxions ont été faites , et
de marquer le but que je m'y suis proposé ; cela seul y répandra de l'éclairciscement , et fera voir la verité de ce que
me mandoit un de mes amis , que plusieurs des Refléxions de M. S. sont vrayes
dans un sens , dans lequel les miennes ne
le sont peut- être pas , et n'ont pas besoin de l'être
M'entretenant un jour avec un Dame
de beaucoup d'esprit et de goût sur divers sujets de litterature , je lui dis qu'un
homme qui avoit lû et pensé , se faisoit
ordinairement une espece de sistême com
posé de ses propres pensées et de celles
des autres , sur les differentes matieres
qui étoient l'objet de ses Refléxions et
de ses lectures , que des exposez abregez
de ces sistêmes , des écrits dans lesquels
sans chercher le neuf, on se contenteroit de renfermer en peu de mots ce qui
s'est dit de meilleur sur chaque matiere ,
et de rapprocher ainsi un grand nombre
de veritez éparses en divers endroits
que des écrits , dis- je , de cette nature
pourroient être goutez des personnes in
telligentes
FEVRIER 1732. 217
telligentes qui aiment la précision , qui
se plaisent à voir plusieurs choses à la
fois , et , pour ainsi - dire , d'un seul coup
d'œil , et que les principes et les raisonnemens les plus connus paroîtroient comme nouveaux par un assemblage heureux
qui leur donneroit à tous plus de force
et de lumiere. Celle à qui j'avois l'honneur de parler , me fit celui de me dire
que je pourrois travailler avec succès ,
selon le plan que je venois de lui proposer; et moins dans l'esperance de réüssit et de remplir son idée et la mienne ,
que pour lui donner à peu près un exemple de la maniere dont je jugeois que ces
Ecrits devoient être composez , j'assem
blai les Refléxions sur la Politesse. Je
choisis cette matiere comme une de celles où on ale plus travaillé et comme une
des plus convenables à une Dame. Je
cherchai plutôt à me ressouvenir , qu'à
produire , à rappeller mes anciennes pensées , qu'à en trouver de nouvelles ,
je ne fis usage de mon esprit que pour
l'expression et l'arangement. Je voulois
faire dire de mon Ecrit , que si rien n'y
est traité , à proprement parler , tout y
est pourtant exprimé; par là je me suis
exposé à être obscur , ou du moins à n'ê
re pas toujours entendu ; d'ailleurs j'employe
218 MERCURE DE FRANCE
ploye quelquefois les mêmes termes dans
des sens un peu differens , des sens tantôt
plus , tantôt moins étendus. Par exemple,
je donne d'abord une définition ou plutôt une description de la Politesse , dans
laquelle je fais entrer tout ce qui la compose , pour ainsi - dire ; ensuite je laisse
presque tout cela pour ne prendre que ce
qui la caractérise plus précisément , ce
qui la distingue de la civilité même,qu'elle suppose , mais à laquelle elle ajoûte ;
et dans la suite du discours je parle de
la Politesse en la considerant tour - atour de ces deux manieres , l'une plus
generale , et l'autre plus particuliere
d'où il arrive que quelques- unes de mes
Refléxions exactement vrayes , ce me
semble , en prenant le terme de Politesse dans un certain sens , ne le sont
dans un autre. J'a- plus en le prenant
vois cru que personne n'y seroit trompé;
et qu'il seroit aisé de suppléer ce que je
ne marque pas distinctement ; je
trompé moi-mêmeen cela, puisqueM.S.qui certainement entend ces matieres , ne m'a
pas toûjours bien compris ; c'est la source
de plusieurs de ces Critiques , et j'en donnerai quelques exemples qui éclairciront
ma pensée.
me suis
M. S. me reproche principalement
trois
FEVRIER. 173.2. 219
trois choses sur lesquelles il s'étend beaucoup. La premiere , d'avoir élevé si haut
la Politesse , que très-peu de personnes ý
pourroient prétendre.
La seconde, de l'avoir rabaissée et dégradée jusqu'à la rendre vicieuse , ou au
moins defectueuse.
La troisième , de m'être trompé dans
quelques- uns des moyens que j'indique pour
acquerir ou perfectionner la Politesse. Éxaminons ces trois points en détail.
Le premier ne m'arrêtera gueres , parce qu'il n'est fondé que sur la distinction que je fais entre l'homme civil et
l'homme poli ; distinction trop bien établie et trop reconnue , pour avoir besoin
d'être prouvée. L'homme poli est necessairement civil ; mais l'homme simplement civil n'est pas encore poli , ne passera point du tout pour poli auprès des
connoisseurs , et ne doit point être appellé
poli , à prendre ce terme dans sa précision. La Politesse est quelque chose audelà de la civilité. Celle- cy regarde principalement le fond des choses , l'autre la
maniere de les dire et de les faire , et
M. S. convient que cette maniere est le
point capital de la Politesse.
A la verité , on ne parle pas ordinairement dans le monde avec cette exacte
justesse
220 MERCURE DE FRANCE
justesse; il y auroit même du ridicule à
l'affecter , ce seroit une sorte de pédanterie ; cependant il y a des occasions de
l'employer avec agrément , et quelquefois elle fait un bon mot. Par exemple , on loüera M.... d'être poli , quelqu'un répliquera , c'est un peu trop dire,
M.... n'est pas poli , il n'est que civil.
Certainement on l'entendra ; si son jugement est vrai on le trouvera bien exprimé , et ceux mêmes qui n'y avoient
pas fait refléxion jusqu'alors , sentiront
que ces deux mors , civil et poli , ne sont
pas synonimes et que l'un signifie plus que l'autre.
Mais , dit M. S. l'homme civil ne sçauroit manquer de plaire , j'en conviens ,
mais il plaira moins que l'homme vrayement poli. Il a le solide de la Politesse ,
cela est encore vrai , mais il n'en a pas
le caractere distinctif, il en a le meilleur
et au fond le plus estimable ; mais il
n'en a pas la fleur, le picquant, pour ainsi
dire , il n'a pas les agrémens fins et délicats , ce charme répandu sur les manieres , les discours de l'homme poli , ce
je ne sçai quoi qui embellit tout ce qu'il
fait , tout ce qu'il dit , et dont il s'agit
uniquement ici. Il y a plusieurs degrez
dans les qualitez morales , aussi-bien que
dans
FEVRIER 1732. 221 4
dans les qualitez Physiques , et ordinairement differens termes pour exprimer
ces differens degrez ; tels sont les mots
de valeur et d'intrépidité , &c. ... qu'on
n'employe pas toûjours indifferemment ;
à plus forte raison ne doit-on pas con-
: fondre les termes de Politesse et de Civilité , qui expriment des qualitez differentes , plutôt que les differens degrez
d'une même qualité. Il est aisé de répondre sur ces principes , aux autres diffi- cultez de M. S. Passons au second Chef
de sa Critique.
$
Il me reproche d'avoir mis au nombre.
des obstacles à la Politesse , le grand éloignement de tout déguisement et de toute
dissimulation ; le penchant à dire ce qu'on
pense , à témoigner ce qu'on sent et d'avoir donné pour une des raisons de la
rareté de la Politesse , que ce penchant est
très-commun et même naturel à l'homme. J'avoue que je ne conçois pas sur
quoi peut être fondée cette Critique. Ce
que j'ai dit , et qu'attaque M. S. on le dit
cent fois , et on le repete tous les jours.
Presque toutes les fautes contre la Politesse , viennent de trop de sincerité ; de
ce qu'on ne sçait point se contraindre
pour agir et pour parler comme la Politesse l'exigeroit, ou du moins our se taire.
B Je
222 MERCURE DE FRANCE
Je prie mes Lecteurs de faire ici leur
examen de conscience sur cette matiere ,
et je suis sûr qu'ils me rendront justice.
C'est un bon homme , dit- on de quelqu'un , un homme d'esprit même , mais
il est trop sincere ; cet homme d'esprit
voit et entend mille choses qui le choquent , malgré la douceur de son caractere , et il témoigne trop naturellement
son impression. Quand on a l'esprit juste
et le cœur bien fait , on n'a rien à déguiser ou à taire avec ses pareils ; ils seroient même offensez d'une conduite
moins sincere ; mais ne vit- on qu'avec
ses pareils , et plutôt où les trouve- t'on ?
Plus on a de discernement dans l'esprit ,
et si cela se peut dire , dans le cœur ,
plus on rencontre d'occasions de dissimuler.
Mais ce penchant à la sincerité est- il
si commun, est- il naturel à l'homme ?
Le monde n'est- il pas rempli de trompeurs , de fourbes ? oui , mais ils ne sont
pas nez tels , ils le sont devenus , ou plutôt ils sont nez avec les passions qui les
obligent à se déguiser pour les mieux satisfaire ; mais en même temps ils sont nez
avec le penchant à agir ouvertement , à
se montrer tels qu'ils sont , l'experience
leur en a fait voir les inconveniens , et
il
FEVRIER. 1732. 223
il leur a fallu bien des efforts pour le surmonter. J'en appelle aux plus habiles.
dans l'art de dissimuler. L'habitude sur
ce point ne détruit jamais la Nature ; la
dissimulation constante est un état vio.
lent , une espece d'esclavage auquel on
ne s'accoutume point ; elle coûte plus ou
moins , selon qu'on s'y est plus ou moins
exercé , et à proportion des interêts qui
engagent à la pratiquer ; mais elle coûte
toujours et ne cesse jamais d'être une
contrainte.
L'homme du monde qui a poussé le
plus loin la dissimulation et le déguisement , le Pape Sixte Quint , étoit né avec
le caractere le moins propre à dissimuler.
La premiere partie de sa vie offre une
foule de traits d'une vivacité imprudente
et d'une sincerité indiscrete. Sa jeunesse,
son enfance même, annoncerent l'homme
d'un génie superieur , le grand homme
l'habile politique ; l'homme rusé et arti
ficieux , n'avoient point été prévûs. Il
trompa d'autant mieux qu'on l'avoit vû
moins capable de tromper. Quelle fut
la cause d'un si grand changement ?
L'ambition, c'est- à- dire , la plus violente
de toutes les passions. Elle ne le changea neanmoins que par degrez , il devint
plus circonspect pour être Cardinal , et
artificieux pour être Pape. Bij C'est
224 MERCURE DE FRANCE
2
›C'est souvent , dit M. S. l'yvresse de quelque passion , plutôt que le naturel , qui fait
qu'on se montre par sonfoible et qu'on parle
plus qu'on ne voudroit. L'homme de sang
froid est ordinairement plus réservé. Voilà
justement la preuve de ce que je dis. C'est
dans la passion qu'on agit naturellement.
L'homme de sang froid se compose , se
réprime, prend garde à ce qu'il dit et à ce
qu'il fait , suit les regles de la prudence
plutôt que son penchant.
?
Mais doit-on autoriser cette politesse
artificieuse, et flatteuse,,. Non, sans doute.
Je l'ai peinte , je l'ai décrite , je ne l'ai
point approuvée ; bien loin d'avoir donné lieu de m'accuser de ce relâchement
je crains plutôt qu'on n'ait apperçu dans
mes Reflexions un peu de misantropie ;
et qu'on ne me soupçonne de les avoir
faites sur ce qui m'a déplu dans le commerce du monde.
M. S. explique très bien comment sans
blesser la Politesse , on peut contredire
adroitement les opinions ou les passions
d'autrui ; mais croit-il avoir également
sauvé les droits de la verité ? Au reste , il
ne me convenoit pas d'entrer dans ce détail
et avec quelque difference dans l'expression nous sommes d'accord au fond. Il ne
veut pas qu'on flatte la vanité , il veut
seu-
FEVRIER. 1737: 225
seulement qu'on la ménage. Qu'entend-il
par ces ménagemens ? Les borne-t`il au
silence ? à ne pas la choquer , à ne pas la
fatter directement ? La maxime commune que le silence ne dit rien , est fausse
en mille occasions . Le silence n'est presque jamais indifferent ; souvent il vaut
Fimprobation ou l'approbation la plus
marquée. Dans le premier cas ce n'est
plus ménager ; dans le second c'est flatter..
M. S. m'imputé d'avoir conseillé la flatterie et l'adulation. Je ne me suis point servi de ce terme , ils se prennent toujours
en mauvaise part ; au lieu que le terme
de flatter ne signifie souvent que plaire.
En un mot, on peut flatter l'amour propre d'autrui sans flatterie et sans adulation. Lorsqu'à la faveur de quelques louanges on fait passer des avis salutaires , une
correction utile ; lorsque dans la conversation , soit en la faisant tomber sur certains sujets , soit par une contradiction.
adroite , on donne lieu aux autres de paroître et de briller , et qu'on fait valoir
leur esprit , ne flatte- t'on pas leur vanité?
Le mot n'est point trop fort , il faut le
passer , et bien entendu il ne choque en
rien la bonne morale ; tous les égards
les tours fins , les ménagemens délicats
que prescrit M. S. se réduisent là તે
parler naturellement B iij Le
4
226 MERCURE DE FRANCE
Le troisiéme article de sa Critique regarde quelques- uns des moyens que j'ai
indiquez pour acquerir la Politesse ou
pour s'y perfectionner. Toute ma réponse
sera d'exposer de nouveau mes sentimens
sur ce sujet.
Le commerce des femmes est , dit on ,
communément la meilleure école de politesse , parce qu'on y trouve tout ensemble et des modeles excellens en ce genre
et des motifs pressants de travailler à
les imiter.Voilà donc deux raisons de l'utilité du commerce des femmes , par rapport à la Politesse. Elles sont très- polies
et on ne sçauroit leur plaire sans l'être.
Je cherche la principale de ces raisons ,
et je demande si ce n'est pas la derniere,
la necessité d'être poli pour se rendre
agréable aux Daines ? Ceux qui ont le
plus d'usage du monde me répondront
tous que c'est en ce sens principalement
qu'ils leur doivent la politesse qu'ils ont
acquise auprès d'elles , et que le desir de
leur plaire a plus contribué à les polir
que leurs exemples ; ils me diront même
qu'ils ont plutôt pensé à imiter les hommes polis que les femmes , dont la politesse est très- differente de la nôtre. En
un mot , les femmes sont pour les hommes d'excellens Maîtres de politesse , parce
FEVRIER 17328 227
ce que ce sont des Maîtres très- severes
et pourtant très-aimez.
Sur ce qu'une grande partie de la politesse et le plus difficile à pratiquer ,
consiste à souffrir l'impolitesse des autres
sans y tomber jamais , j'ai dit qu'il est
utile de se trouver quelquefois avec des
gens impolis. Voilà, dit M. S. un secret
admirable et tout nouveau de se perfectionner dans la pratique de la Politesse. Il n'y
a pourtant rien de plus simple et de plus
commun ; car la Politesse ne s'apprenant
bien que par l'usage , comment appren
dra-t'on cette partie de la Politesse qui
consiste à souffrir poliment l'impolitesse
des autres , si l'on ne se trouve quelquefois avec des gens impolis ? En ettet , Sup
posons un jeune homme qui n'a encore
vêcu qu'avec des personnes polies , dont
parconsequent il n'a jamais reçû d'impolitesse , elles lui auront dit, sans doute ,
qu'il n'y a jamais de raison légitime de
manquer à la politesse ; qu'il en faut
avoir avec ceux mêmes qui n'en ont pas
avec nous , et qu'en cette matiere , comme en toute autre , les fautes d'autrui ne
justifient point celles qu'elles nous font
faire. Belles et utiles leçons , foibles armes contre les premieres tentations que
donne une impolitesse reçue ; il en sera B iiij d'd'autant plus choqué qu'il est lui- même
plus poli , et par- là il cessera peut-être de
Î'être dans cette occasion. Mais l'usage du
monde où il ne trouvera que trop de gens
impolis,lui donnera bien- tôt une politesse
plus forte et plus robuste , si j'ose parler
ainsi , une politesse capable de se soutenir contre l'impolitesse même. Je crois
maintenant que M. S. ne trouvera plus
obscure l'application de ce principe que
des occasions fréquentes d'agir , en surmontant une difficulté considerable
avancent bien mieux que de simples exemples. Ces occasions , &c.... Sont celles
que donne l'impolitesse où l'on peut tomber à notre égard. La vertu n'éclate et
ne se perfectionne que par les difficultez
vaincues.
>
M. S. me reproche encore une contradiction , mais elle n'est qu'apparente , et
d'ailleurs cela est trop peu interressant
pour m'y arrêter. Voici donc un mot
seulement pour M. S. et pour ceux de
mes Lecteurs qui voudront se donner la
peine de comparer ensemble nos trois
Morceaux, lorsque j'ai dit que la Politesse
attire également l'estime et l'amour , c'est
en la considerant par rapport aux quaIltez de l'esprit et du cœur qu'elle supose,
ou du moins dont elle est l'apparence ;
et
FEVRIER. 1732. 229
et lorsque dans un autre endroit , après
avoir distingué trois sortes de mérites ,
le mérite estimable , le mérite aimable ,
et le mérite agréable , j'ai ajoûté que cette
derniere sorte de mérite est proprement
celui de la Politesse , alors je l'ai considerée selon son idée présise et par rapport
à ce qui fait son caractere particulier. En
voilà assez sur une chose peu importante.
M. S. a examiné mes Refléxions dans un
grand détail , c'est un honneur qu'il m'a
fait , et je l'en remercie ; mais il m'auroit
été impossible de le suivre dans tout ce
détail , sans tomber dans la langueur et
sans causer de l'ennui. L'Auteur qui compose une Critique a bien des avantages
sur celui qui doit lui répondre. Les matieres s'usent , on ne peut guere éviter
les redites , et les redites déplaisent. Ainsi
il est moins difficile de faire une Critique
agréable , que d'y répondre avec le même
agrément.
à la Lettre de M. Simonnet , imprimée
dans le Mercure de Novembre 1731..
au sujet des Refléxions sur la Politesse,.
imprimées dans le second volume du
Mercure de Juin de la même année.
J
E dois cette Réponse à M. Simonnet, parce que la Critique qu'il a faire
de mes Reflexions sur la Politesse , est
accompagnée de tous les égards qu'auroit
pû exiger un Auteur plus connu que
moi , et je la dois au Public , parce que J'ai
216 MERCURE DE FRANCE
j'ai lieu de croire qu'il a approuvé mes
Refléxions.
Il ne sera pas inutile , avant que d'aller plus loin , de dire comment et à quelle
occasion ces Refléxions ont été faites , et
de marquer le but que je m'y suis proposé ; cela seul y répandra de l'éclairciscement , et fera voir la verité de ce que
me mandoit un de mes amis , que plusieurs des Refléxions de M. S. sont vrayes
dans un sens , dans lequel les miennes ne
le sont peut- être pas , et n'ont pas besoin de l'être
M'entretenant un jour avec un Dame
de beaucoup d'esprit et de goût sur divers sujets de litterature , je lui dis qu'un
homme qui avoit lû et pensé , se faisoit
ordinairement une espece de sistême com
posé de ses propres pensées et de celles
des autres , sur les differentes matieres
qui étoient l'objet de ses Refléxions et
de ses lectures , que des exposez abregez
de ces sistêmes , des écrits dans lesquels
sans chercher le neuf, on se contenteroit de renfermer en peu de mots ce qui
s'est dit de meilleur sur chaque matiere ,
et de rapprocher ainsi un grand nombre
de veritez éparses en divers endroits
que des écrits , dis- je , de cette nature
pourroient être goutez des personnes in
telligentes
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telligentes qui aiment la précision , qui
se plaisent à voir plusieurs choses à la
fois , et , pour ainsi - dire , d'un seul coup
d'œil , et que les principes et les raisonnemens les plus connus paroîtroient comme nouveaux par un assemblage heureux
qui leur donneroit à tous plus de force
et de lumiere. Celle à qui j'avois l'honneur de parler , me fit celui de me dire
que je pourrois travailler avec succès ,
selon le plan que je venois de lui proposer; et moins dans l'esperance de réüssit et de remplir son idée et la mienne ,
que pour lui donner à peu près un exemple de la maniere dont je jugeois que ces
Ecrits devoient être composez , j'assem
blai les Refléxions sur la Politesse. Je
choisis cette matiere comme une de celles où on ale plus travaillé et comme une
des plus convenables à une Dame. Je
cherchai plutôt à me ressouvenir , qu'à
produire , à rappeller mes anciennes pensées , qu'à en trouver de nouvelles ,
je ne fis usage de mon esprit que pour
l'expression et l'arangement. Je voulois
faire dire de mon Ecrit , que si rien n'y
est traité , à proprement parler , tout y
est pourtant exprimé; par là je me suis
exposé à être obscur , ou du moins à n'ê
re pas toujours entendu ; d'ailleurs j'employe
218 MERCURE DE FRANCE
ploye quelquefois les mêmes termes dans
des sens un peu differens , des sens tantôt
plus , tantôt moins étendus. Par exemple,
je donne d'abord une définition ou plutôt une description de la Politesse , dans
laquelle je fais entrer tout ce qui la compose , pour ainsi - dire ; ensuite je laisse
presque tout cela pour ne prendre que ce
qui la caractérise plus précisément , ce
qui la distingue de la civilité même,qu'elle suppose , mais à laquelle elle ajoûte ;
et dans la suite du discours je parle de
la Politesse en la considerant tour - atour de ces deux manieres , l'une plus
generale , et l'autre plus particuliere
d'où il arrive que quelques- unes de mes
Refléxions exactement vrayes , ce me
semble , en prenant le terme de Politesse dans un certain sens , ne le sont
dans un autre. J'a- plus en le prenant
vois cru que personne n'y seroit trompé;
et qu'il seroit aisé de suppléer ce que je
ne marque pas distinctement ; je
trompé moi-mêmeen cela, puisqueM.S.qui certainement entend ces matieres , ne m'a
pas toûjours bien compris ; c'est la source
de plusieurs de ces Critiques , et j'en donnerai quelques exemples qui éclairciront
ma pensée.
me suis
M. S. me reproche principalement
trois
FEVRIER. 173.2. 219
trois choses sur lesquelles il s'étend beaucoup. La premiere , d'avoir élevé si haut
la Politesse , que très-peu de personnes ý
pourroient prétendre.
La seconde, de l'avoir rabaissée et dégradée jusqu'à la rendre vicieuse , ou au
moins defectueuse.
La troisième , de m'être trompé dans
quelques- uns des moyens que j'indique pour
acquerir ou perfectionner la Politesse. Éxaminons ces trois points en détail.
Le premier ne m'arrêtera gueres , parce qu'il n'est fondé que sur la distinction que je fais entre l'homme civil et
l'homme poli ; distinction trop bien établie et trop reconnue , pour avoir besoin
d'être prouvée. L'homme poli est necessairement civil ; mais l'homme simplement civil n'est pas encore poli , ne passera point du tout pour poli auprès des
connoisseurs , et ne doit point être appellé
poli , à prendre ce terme dans sa précision. La Politesse est quelque chose audelà de la civilité. Celle- cy regarde principalement le fond des choses , l'autre la
maniere de les dire et de les faire , et
M. S. convient que cette maniere est le
point capital de la Politesse.
A la verité , on ne parle pas ordinairement dans le monde avec cette exacte
justesse
220 MERCURE DE FRANCE
justesse; il y auroit même du ridicule à
l'affecter , ce seroit une sorte de pédanterie ; cependant il y a des occasions de
l'employer avec agrément , et quelquefois elle fait un bon mot. Par exemple , on loüera M.... d'être poli , quelqu'un répliquera , c'est un peu trop dire,
M.... n'est pas poli , il n'est que civil.
Certainement on l'entendra ; si son jugement est vrai on le trouvera bien exprimé , et ceux mêmes qui n'y avoient
pas fait refléxion jusqu'alors , sentiront
que ces deux mors , civil et poli , ne sont
pas synonimes et que l'un signifie plus que l'autre.
Mais , dit M. S. l'homme civil ne sçauroit manquer de plaire , j'en conviens ,
mais il plaira moins que l'homme vrayement poli. Il a le solide de la Politesse ,
cela est encore vrai , mais il n'en a pas
le caractere distinctif, il en a le meilleur
et au fond le plus estimable ; mais il
n'en a pas la fleur, le picquant, pour ainsi
dire , il n'a pas les agrémens fins et délicats , ce charme répandu sur les manieres , les discours de l'homme poli , ce
je ne sçai quoi qui embellit tout ce qu'il
fait , tout ce qu'il dit , et dont il s'agit
uniquement ici. Il y a plusieurs degrez
dans les qualitez morales , aussi-bien que
dans
FEVRIER 1732. 221 4
dans les qualitez Physiques , et ordinairement differens termes pour exprimer
ces differens degrez ; tels sont les mots
de valeur et d'intrépidité , &c. ... qu'on
n'employe pas toûjours indifferemment ;
à plus forte raison ne doit-on pas con-
: fondre les termes de Politesse et de Civilité , qui expriment des qualitez differentes , plutôt que les differens degrez
d'une même qualité. Il est aisé de répondre sur ces principes , aux autres diffi- cultez de M. S. Passons au second Chef
de sa Critique.
$
Il me reproche d'avoir mis au nombre.
des obstacles à la Politesse , le grand éloignement de tout déguisement et de toute
dissimulation ; le penchant à dire ce qu'on
pense , à témoigner ce qu'on sent et d'avoir donné pour une des raisons de la
rareté de la Politesse , que ce penchant est
très-commun et même naturel à l'homme. J'avoue que je ne conçois pas sur
quoi peut être fondée cette Critique. Ce
que j'ai dit , et qu'attaque M. S. on le dit
cent fois , et on le repete tous les jours.
Presque toutes les fautes contre la Politesse , viennent de trop de sincerité ; de
ce qu'on ne sçait point se contraindre
pour agir et pour parler comme la Politesse l'exigeroit, ou du moins our se taire.
B Je
222 MERCURE DE FRANCE
Je prie mes Lecteurs de faire ici leur
examen de conscience sur cette matiere ,
et je suis sûr qu'ils me rendront justice.
C'est un bon homme , dit- on de quelqu'un , un homme d'esprit même , mais
il est trop sincere ; cet homme d'esprit
voit et entend mille choses qui le choquent , malgré la douceur de son caractere , et il témoigne trop naturellement
son impression. Quand on a l'esprit juste
et le cœur bien fait , on n'a rien à déguiser ou à taire avec ses pareils ; ils seroient même offensez d'une conduite
moins sincere ; mais ne vit- on qu'avec
ses pareils , et plutôt où les trouve- t'on ?
Plus on a de discernement dans l'esprit ,
et si cela se peut dire , dans le cœur ,
plus on rencontre d'occasions de dissimuler.
Mais ce penchant à la sincerité est- il
si commun, est- il naturel à l'homme ?
Le monde n'est- il pas rempli de trompeurs , de fourbes ? oui , mais ils ne sont
pas nez tels , ils le sont devenus , ou plutôt ils sont nez avec les passions qui les
obligent à se déguiser pour les mieux satisfaire ; mais en même temps ils sont nez
avec le penchant à agir ouvertement , à
se montrer tels qu'ils sont , l'experience
leur en a fait voir les inconveniens , et
il
FEVRIER. 1732. 223
il leur a fallu bien des efforts pour le surmonter. J'en appelle aux plus habiles.
dans l'art de dissimuler. L'habitude sur
ce point ne détruit jamais la Nature ; la
dissimulation constante est un état vio.
lent , une espece d'esclavage auquel on
ne s'accoutume point ; elle coûte plus ou
moins , selon qu'on s'y est plus ou moins
exercé , et à proportion des interêts qui
engagent à la pratiquer ; mais elle coûte
toujours et ne cesse jamais d'être une
contrainte.
L'homme du monde qui a poussé le
plus loin la dissimulation et le déguisement , le Pape Sixte Quint , étoit né avec
le caractere le moins propre à dissimuler.
La premiere partie de sa vie offre une
foule de traits d'une vivacité imprudente
et d'une sincerité indiscrete. Sa jeunesse,
son enfance même, annoncerent l'homme
d'un génie superieur , le grand homme
l'habile politique ; l'homme rusé et arti
ficieux , n'avoient point été prévûs. Il
trompa d'autant mieux qu'on l'avoit vû
moins capable de tromper. Quelle fut
la cause d'un si grand changement ?
L'ambition, c'est- à- dire , la plus violente
de toutes les passions. Elle ne le changea neanmoins que par degrez , il devint
plus circonspect pour être Cardinal , et
artificieux pour être Pape. Bij C'est
224 MERCURE DE FRANCE
2
›C'est souvent , dit M. S. l'yvresse de quelque passion , plutôt que le naturel , qui fait
qu'on se montre par sonfoible et qu'on parle
plus qu'on ne voudroit. L'homme de sang
froid est ordinairement plus réservé. Voilà
justement la preuve de ce que je dis. C'est
dans la passion qu'on agit naturellement.
L'homme de sang froid se compose , se
réprime, prend garde à ce qu'il dit et à ce
qu'il fait , suit les regles de la prudence
plutôt que son penchant.
?
Mais doit-on autoriser cette politesse
artificieuse, et flatteuse,,. Non, sans doute.
Je l'ai peinte , je l'ai décrite , je ne l'ai
point approuvée ; bien loin d'avoir donné lieu de m'accuser de ce relâchement
je crains plutôt qu'on n'ait apperçu dans
mes Reflexions un peu de misantropie ;
et qu'on ne me soupçonne de les avoir
faites sur ce qui m'a déplu dans le commerce du monde.
M. S. explique très bien comment sans
blesser la Politesse , on peut contredire
adroitement les opinions ou les passions
d'autrui ; mais croit-il avoir également
sauvé les droits de la verité ? Au reste , il
ne me convenoit pas d'entrer dans ce détail
et avec quelque difference dans l'expression nous sommes d'accord au fond. Il ne
veut pas qu'on flatte la vanité , il veut
seu-
FEVRIER. 1737: 225
seulement qu'on la ménage. Qu'entend-il
par ces ménagemens ? Les borne-t`il au
silence ? à ne pas la choquer , à ne pas la
fatter directement ? La maxime commune que le silence ne dit rien , est fausse
en mille occasions . Le silence n'est presque jamais indifferent ; souvent il vaut
Fimprobation ou l'approbation la plus
marquée. Dans le premier cas ce n'est
plus ménager ; dans le second c'est flatter..
M. S. m'imputé d'avoir conseillé la flatterie et l'adulation. Je ne me suis point servi de ce terme , ils se prennent toujours
en mauvaise part ; au lieu que le terme
de flatter ne signifie souvent que plaire.
En un mot, on peut flatter l'amour propre d'autrui sans flatterie et sans adulation. Lorsqu'à la faveur de quelques louanges on fait passer des avis salutaires , une
correction utile ; lorsque dans la conversation , soit en la faisant tomber sur certains sujets , soit par une contradiction.
adroite , on donne lieu aux autres de paroître et de briller , et qu'on fait valoir
leur esprit , ne flatte- t'on pas leur vanité?
Le mot n'est point trop fort , il faut le
passer , et bien entendu il ne choque en
rien la bonne morale ; tous les égards
les tours fins , les ménagemens délicats
que prescrit M. S. se réduisent là તે
parler naturellement B iij Le
4
226 MERCURE DE FRANCE
Le troisiéme article de sa Critique regarde quelques- uns des moyens que j'ai
indiquez pour acquerir la Politesse ou
pour s'y perfectionner. Toute ma réponse
sera d'exposer de nouveau mes sentimens
sur ce sujet.
Le commerce des femmes est , dit on ,
communément la meilleure école de politesse , parce qu'on y trouve tout ensemble et des modeles excellens en ce genre
et des motifs pressants de travailler à
les imiter.Voilà donc deux raisons de l'utilité du commerce des femmes , par rapport à la Politesse. Elles sont très- polies
et on ne sçauroit leur plaire sans l'être.
Je cherche la principale de ces raisons ,
et je demande si ce n'est pas la derniere,
la necessité d'être poli pour se rendre
agréable aux Daines ? Ceux qui ont le
plus d'usage du monde me répondront
tous que c'est en ce sens principalement
qu'ils leur doivent la politesse qu'ils ont
acquise auprès d'elles , et que le desir de
leur plaire a plus contribué à les polir
que leurs exemples ; ils me diront même
qu'ils ont plutôt pensé à imiter les hommes polis que les femmes , dont la politesse est très- differente de la nôtre. En
un mot , les femmes sont pour les hommes d'excellens Maîtres de politesse , parce
FEVRIER 17328 227
ce que ce sont des Maîtres très- severes
et pourtant très-aimez.
Sur ce qu'une grande partie de la politesse et le plus difficile à pratiquer ,
consiste à souffrir l'impolitesse des autres
sans y tomber jamais , j'ai dit qu'il est
utile de se trouver quelquefois avec des
gens impolis. Voilà, dit M. S. un secret
admirable et tout nouveau de se perfectionner dans la pratique de la Politesse. Il n'y
a pourtant rien de plus simple et de plus
commun ; car la Politesse ne s'apprenant
bien que par l'usage , comment appren
dra-t'on cette partie de la Politesse qui
consiste à souffrir poliment l'impolitesse
des autres , si l'on ne se trouve quelquefois avec des gens impolis ? En ettet , Sup
posons un jeune homme qui n'a encore
vêcu qu'avec des personnes polies , dont
parconsequent il n'a jamais reçû d'impolitesse , elles lui auront dit, sans doute ,
qu'il n'y a jamais de raison légitime de
manquer à la politesse ; qu'il en faut
avoir avec ceux mêmes qui n'en ont pas
avec nous , et qu'en cette matiere , comme en toute autre , les fautes d'autrui ne
justifient point celles qu'elles nous font
faire. Belles et utiles leçons , foibles armes contre les premieres tentations que
donne une impolitesse reçue ; il en sera B iiij d'd'autant plus choqué qu'il est lui- même
plus poli , et par- là il cessera peut-être de
Î'être dans cette occasion. Mais l'usage du
monde où il ne trouvera que trop de gens
impolis,lui donnera bien- tôt une politesse
plus forte et plus robuste , si j'ose parler
ainsi , une politesse capable de se soutenir contre l'impolitesse même. Je crois
maintenant que M. S. ne trouvera plus
obscure l'application de ce principe que
des occasions fréquentes d'agir , en surmontant une difficulté considerable
avancent bien mieux que de simples exemples. Ces occasions , &c.... Sont celles
que donne l'impolitesse où l'on peut tomber à notre égard. La vertu n'éclate et
ne se perfectionne que par les difficultez
vaincues.
>
M. S. me reproche encore une contradiction , mais elle n'est qu'apparente , et
d'ailleurs cela est trop peu interressant
pour m'y arrêter. Voici donc un mot
seulement pour M. S. et pour ceux de
mes Lecteurs qui voudront se donner la
peine de comparer ensemble nos trois
Morceaux, lorsque j'ai dit que la Politesse
attire également l'estime et l'amour , c'est
en la considerant par rapport aux quaIltez de l'esprit et du cœur qu'elle supose,
ou du moins dont elle est l'apparence ;
et
FEVRIER. 1732. 229
et lorsque dans un autre endroit , après
avoir distingué trois sortes de mérites ,
le mérite estimable , le mérite aimable ,
et le mérite agréable , j'ai ajoûté que cette
derniere sorte de mérite est proprement
celui de la Politesse , alors je l'ai considerée selon son idée présise et par rapport
à ce qui fait son caractere particulier. En
voilà assez sur une chose peu importante.
M. S. a examiné mes Refléxions dans un
grand détail , c'est un honneur qu'il m'a
fait , et je l'en remercie ; mais il m'auroit
été impossible de le suivre dans tout ce
détail , sans tomber dans la langueur et
sans causer de l'ennui. L'Auteur qui compose une Critique a bien des avantages
sur celui qui doit lui répondre. Les matieres s'usent , on ne peut guere éviter
les redites , et les redites déplaisent. Ainsi
il est moins difficile de faire une Critique
agréable , que d'y répondre avec le même
agrément.
Fermer
Résumé : REPONSE de M. l'Abbé Trublet, à la Lettre de M. Simonnet, imprimée dans le Mercure de Novembre 1731. au sujet des Refléxions sur la Politesse, imprimées dans le second volume du Mercure de Juin de la même année.
L'abbé Trublet répond à la critique de M. Simonnet concernant ses 'Réflexions sur la Politesse', publiées dans le Mercure de Juin 1731. Trublet explique que ses réflexions ont été inspirées par une conversation avec une dame de lettres, qui l'a encouragé à compiler des pensées sur divers sujets littéraires. Il a choisi la politesse comme sujet, cherchant à rassembler des vérités éparses et à les présenter de manière concise et éclairante. Trublet reconnaît que son texte peut être obscur ou mal compris, notamment en raison de l'utilisation de termes dans des sens variés. Il répond aux trois principaux reproches de Simonnet : avoir élevé la politesse à un niveau inaccessible, l'avoir dégradée en la rendant vicieuse, et s'être trompé sur certains moyens pour l'acquérir. Trublet distingue la civilité, qui concerne le fond des choses, de la politesse, qui concerne la manière de les dire et de les faire. Il argue que la politesse ajoute un charme et des agréments fins aux manières et aux discours. Concernant la sincérité, Trublet affirme que la politesse exige souvent de la dissimulation, contrairement à ce que pense Simonnet. Il cite l'exemple du Pape Sixte Quint, qui a dû surmonter son naturel sincère pour devenir un habile politique. Trublet reconnaît que la politesse artificieuse et flatteuse n'est pas à approuver, mais il souligne que ses réflexions ne l'approuvent pas non plus. Le texte discute de l'importance du commerce des femmes dans l'apprentissage de la politesse. Il souligne que les femmes sont des maîtres sévères mais aimés, et que la nécessité de leur plaire est une motivation majeure pour acquérir la politesse. Cependant, l'auteur note que les hommes imitent souvent d'autres hommes polis plutôt que les femmes, dont la politesse diffère de la leur. Le texte aborde également la nécessité de se confronter à l'impolitesse pour perfectionner sa propre politesse. Il explique que les leçons théoriques sont insuffisantes face aux premières tentations d'impolitesse. L'expérience avec des gens impolis renforce une politesse plus robuste, capable de résister à l'impolitesse. Enfin, l'auteur répond à une critique de M. S. concernant une apparente contradiction dans ses réflexions sur la politesse. Il clarifie que la politesse attire l'estime et l'amour en raison des qualités de l'esprit et du cœur qu'elle suppose, mais qu'elle peut aussi être considérée comme un mérite agréable en soi. L'auteur remercie M. S. pour son examen détaillé mais note les difficultés de répondre à une critique sans tomber dans la redondance et l'ennui.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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10
p. 1114-1125
SUITE des Réflexions sur la Bizarerie de quelques usages, &c. Par M. CAPPERON, ancien Doyen de S. Maxent.
Début :
J'ai dit dans mes premieres Réfléxions sur la Bizarerie [...]
Mots clefs :
Bizarrerie, Usages, Noms, Religieux, Temps, Réflexions, Discours publics, Ouvrages, Titres, Prédicateurs
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE des Réflexions sur la Bizarerie de quelques usages, &c. Par M. CAPPERON, ancien Doyen de S. Maxent.
UITE des Réflexions sur la Bizarerie
de quelques usages , &c.
J
Par M. CAPPERON, ancien Doyen de S. Maxent.
A
'Ai dit dans mes premieres Réfléxions
sur la Bizarerie de divers usages , qui
ont été insérées dans les Mercures de France, des mois de Janvier et de Février derniers , que cette Bizarerie tiroit son origine de deux sortes de désirs, naturels à tous
les hommes ; sçavoir , du désir qu'ils ont
de satisfaire leurs sens , et de celui qui les
porte à suivre les inclinations secretes que
les passions leur inspirent. J'ai donné
dans ces premieres Réfléxions un échantillon des usages bizares qui sont sortis
de ce desir , qu'ont les hommes de satisfaire leurs sens ; et je vais parler icy de
ceuxque leurs passions differentes ont fait
regner dans certains temps..
Comme la plus belle qualité de l'homme, est d'avoir un esprit capable de pen- ser, de connoître et de raisonner ; il est
I. Vol. na-
JUIN. 1732 IES
naturel que , chacun se sentant pourvu
d'un don si précieux , on saisisse volon-.
tiers tous les moyens propres à faire remarquer aux autres toute la beauté et
toute l'excellence qu'il peut avoir. C'est
aussi ce qui ne manquera pas d'arriver.
Mais ce qu'il y a de singulier , c'est que
souvent le desir qu'on a de faire paroître
son esprit , monte jusqu'à un tel excès ,
que cessant alors de penser et de raisonner juste , lorsqu'on croit le faire briller
avec éclat, on le fair par des endroits, qui
font remarquertout le contraire ; son peu
d'étendue et de justesse par des bizareries
tres- sensibles; ce que je justifierai aisément
par celles que je vais rapporter.
On ne peut pas douter que ce ne soit
particulierement dans les Ecrits et dans les
Discours publics, qu'on s'attache le plus à
fairebriller son esprit.Premierement, parce qu'on a plus de facilité à le faire, ayant
plus de loisir pour choisir ses pensées ,
pour en voir la justesse , et pour leur
donner le tour et l'arrangement qui peuvent les rendre plus frapantes.
D'ailleurs ceux qui composent quelque Ouvrage , qu'ils sçavent devoir être
la ou entendu du public ; sçachant qu'il
doit être exposé à la critique , c'est pour
eux un éguillon tres -vif, qui les excite
1.Vol. puis
16 MERCURE DE FRANCE
puissamment à travailler à plaire aux
Lecteurs ou aux Auditeurs.
Cela posé, il est bon que je dise , que
voulant parler des usages bizares qui ont
quelquefois paru en fait de productions
d'esprit , je ne prétends pas relever toutes les manieres singulieres par lesquelles
certaines personnes ont affecté de se distinguer dans les Ouvrages de leur com
position ; tel qu'est ( par exemple) le stile
serré , sententieux et trop affecté de Seneque , que Quintilien a justement blâmé ;
d'autres qui ont crû orner leurs écrits par
des jeux de mots; et d'autres enfin, qui ont
prétendu se singulariser par un mélange
bizare du Sacré et du Prophane , par des
digressions trop fréquentes, des antithèses
trop multipliées , par un stile enfin trop
éloigné du naturel.
Mais pour m'attacher à quelque chose
de plus marqué , n'avouera- t- on pas que
c'étoit un usage tout- à-fait bizare quecelui qui dominoit sous le Regne de Charles IX. et qui consistoit , non seulement
à remplir les Livres et les Ecrits , que dis
je , jusqu'aux simples Lettres , d'une infinité de passages ? En sorte , dit Varillas ,
que Montluc , Evêque de Valence , écrivant à ce Prince , pour lui rendre compte
d'une Négociation où il étoit employé ,
<
1.Vol. n'ayant
JUIN. 1732. 1117
n'ayant pu faire entrer dans sa premiere
Lettre tous les Passages qu'il avoit préparés , il lui en écrivit une seconde , par
Je Courrier suivant , pour rapporter huis
autres Passages qui lui étoient restez.
Ne peut-on pas mettre dans la même
Classe des usages bizares , en fait d'Ouvrages d'esprit , les Vers burlesques qui
ont eu quelque vogue vers le milieu du
dernier siécle ? par lesquels on s'attachoit
à traduire avec travail et quelque sorte
d'esprit , d'excellens Ouvrages , et ces
Vers n'étoient ordinairement remplis que
de choses triviales , et souvent tres grossieres.
On doit mettre au même rang, ces
titres bizares qu'on a souvent donné àcerrains Livres , pour marquer d'une manicre mystérieuse , qu'on croyoit alors tresspirituelle , le sujet qui y étoit traité. Par
exemple, celui qui fut composé par un
Prêtre de Mante, sur les Antiennes qui
se disent quelques jours avant Noël , et
qui commencent par O ; qu'il in, itula :
La douce moëlle , et la saucefriande des Os
savoureux de l'Avent. Tel étoit un petit
Livre de Controverse , qui avoit pour titre: Lepetit Pistolet de poche , qui tire contre les Hérétiques. Un autre que j'ai lû sur
la pénitence , intitulé : Le Fuzil de laPéI.Vol. mitence
TI MERCURE DE FRANCE
nitence avec Allumette de l'Amour de
Dieu.
>
Après tout , la bizarerie de ces Titres ,
n'eut aucune suite. Il n'en fut pas de même
du Livre du P. Gille Gabriéli , qu'il intitula: Specimina Moralis Christiane et Diabolica. Ce qui l'obligea d'aller à Rome ,
pour se justifier sur la bizarerie de ce titre, qu'il fallut changer dans une nouvel- le édition faite en 1680.
Il ne s'est pas moins formé d'usages bizares , par rapport aux discours publics
de Religion , ou aux Sermons ; car quoique la premiere et la plus ancienne Méthode d'instruire les Peuples fut simple et
familiere, dans la vûë de se rendre également intelligible au commun des fidelles , et aux plus spirituels ; simplicité qui
a duré dans l'Orient , jusqu'au temps de
S. Grégoire de Nazianze ; et dans l'Occident, jusques vers le temps du Pape saint
Léon. Les Saints Evêques qui fleurirent
alors , crurent que les matiéres de la Religion , ne méritoient pas moins d'être
traitées avec toutes les beautez de l'éloquence, que les matiéres prophanes, dans
le dessein aussi , comme ils le disent euxmêmes , de donner à leurs discours, par la
délicatesse du stile , et par le brillant des
pensées , le même gout et le même attrait
1.Vol.
que
'JUIN.
17320 1119
que les miracles donnoient dans les premiers temps aux Discours des Apôtres èt
de leurs Disciples .
L'usage s'établit donc de prêcher avec
art et avec éloquence , ce qui a continué
depuis ; mais il faut avouer que , quoique
parmi les anciens et les modernes , il se
soit trouvé grand nombre d'Orateurs parfaits , qui par leurs Discours méthodiques , et véritablement éloquens , prononcez d'une maniere parfaitement convenable à la dignité et à la sainteté des
sujets , il n'a pas laissé que de s'introduire
de temps en temps quelques usages trop
bizares , pour une fonction aussi sainte et
aussi nécessaire au salut des Peuples.
N'étoit- ce pas , en effet, une bizarerie ,
que l'usage où on étoit il y a peu de siécles , de ne prêcher presqu'en Latin ? C'étoit encore l'usage dans le commencement
du dernier siécle , de remplir les Sermons
de Grec et de Latin. Cette méthode étoitelle fort utile à l'instruction des fidelles ?
Devoit elle faire paroître la justesse de
l'esprit du Prédicateur ? L'usage où l'on
a été à peu près dans le même temps ,
d'employer dans ces Discours, les Apophtegmes de Plutarque ( a ) des Lambeaux
·
( a ) Conceptions Théologiques au Sermon de Pierre de Besse.
1. Vol.
D de
1125 MERCURE DE FRANCE
de l'Histoire Prophane , ou des faits singuliers , souvent même supposezi cet usage , dis - je , étoit - il un usage bien convenable ? Celui encore d'apporter pour
preuve de ce qu'on avançoit , les pensées
quintessenciées de la Théologie Scholastique , émanées de la Philosophie d'Aristote. Il convenoit, sans doute , beaucoup
moins , dans ces Discours instituez pour
rendre la Religion respectable , et pour
faire observer la sévérite de ses maximes ,:
d'user de pensées ou d'expressions souvent fort triviales , propres à divertir et
à faire rire les Auditeurs ; en quoi , comme chacun sçait , le fameux Pere André
Bolanger , Religieux Augustin-Déchaussé , nommé vulgairement Le petit Pere
André , excelloit pardessus tous les autres , vers le milieu du dernier siécle. (b)
Enfin la bizarerie , en fait de Sermons,
est allée jusqu'à former un usage , où on
croiroit qu'il étoit du devoir du Prédicateur, pour donner plus de grace à son Discours , de tousser régulierement dans certains endroits de son Discours , qui paroissoit même alors si nécessaire , qu'on
voit encore aujourd'hui des Sermons imprimez de ce temps- là , où on a observé
de mettre à la marge , Hem, Hem, aux
( a) Mort le 2 Septembre 1657. âgé de 79 ans,
1. Vol. endroits
JUIN. 1732. II2I endroits où le Prédicateur devoit nécessairement tousser.
N'est- ce pas encore aujourd'hui unusage bien bizare, que celui de Prêcher.comme on fait en Italie , où selon ce qu'en
rapportent les Voyageurs, presque tous les Prédicateurs sont de vrais grimaciers, leurs
gêtes étant des gesticulations outrées , suivant les variations de la voix , passant plus
de vingt fois en un quart d'heure , du
fausset à la basse`, criant et s'agitant sans
cesse , se promenant avec chaleur et avec
bruit dans les Chaires , faites la plûpart en
forme de Balcons ou de Tribunes.
Qu'un tel usage est opposé à celui des
premiers siècles de l'Eglise , où nous
voyons , qu'une des raisons qu'apporte
rent les Peres, assemblez au Concile d'Antioche, tenu vers l'an 270, contre Paul de
Samosate , ( a ) pour faire connoître qu'ils
l'avoient justement condamnez ; c'étoit ,
disoient-ils , dans la Lettre synodale qu'ils
écrivirent , qu'outre ses erreurs , et sa vie
licencieuse , non-content d'avoir fait élever dans son Eglise un Tribunal plus haut
que de coûtume , où étoit posé son siége,
orné de tapis , il parloit en élevant ses
mains excessivement , frappant ses cuisses et remuant violemment les pieds
( a ) Eusebe , Hist. Eccles. lib. 7.
"
1. Vol. Dij battant
1122 MERCURE DE FRANCE
battant le Marche- pied de son Siége , affectant de parler d'une voix sourde, comme si elle fut sortie d'une cave ; en un
mot , se comportant, non pas comme un
modeste Prédicateur , mais comme un
Orateur qui harangue au Théatre.
Si le désir de faire paroître son esprit a produit differens usages assez bizares , ainsi qu'on vient de le voir , la complaisance qu'on a à se laisser donner des
distinctions peu convenables , n'en a pas
fourni un moindre nombre. Je n'en toucherai qu'un seul , pour ne pas pousser
ces réflexions trop loin , sçavoir l'usage
qui s'établit autrefois en Angleterre, lorsque la Religion Catholique y regnoit, de
donner aux Religieux et aux Religieuses
qui y étoient en grand nombre, les noms
de Domini et Domina, ce qui ne s'étoit pas
fait jusqu'alors,
Car suivant ce que S. Benoît avoit ordonné par sa Regle , ch. 63. il n'y avoit
précisément que le seul Abbé qu'on devoit nommer Domnus Abbas , comme un
diminutif du mot Dominus , qui signifie
Seigneur ou Monsieur, suivant notre maniere de parler, pour montrer que son autorité , quoiqu'émanée de Dieu , lui étoit
neanmoins très - subordonnée.. Selon la
même Regle , les anciens devoient nomI.Vol. mer
JUIN. 1732. 1123
mer les jeunes Religieux leurs freres , et
les jeunes devoient donner aux anciens le
nom de Nonni , qui équivaloit à celui de
Sancti. S. Jérôme l'employe en ce sens
dans sa Lettre 48. En effet , rien ne convenoit mieux , pour faire souvenir les
Anciens, qu'ils devoient être des modeles
de sainteté pour les jeunes Religieux.
Cet usage dura long - temps et s'observoit même parmi les séculiers , ce qui leur
donnoit lieu , de ne pas nommer autrement les Religieuses , les appellant des
Nonnes , des Nonnettes ou des Nonnains ;
et c'est par rapport à la signification de ce
nom de Nonna, qui signifie Saintes, qu'on
les nomme encore aujourd'hui Sancta
Moniales , en Latin. Les choses demeurerent en cet état , jusqu'à ce que les seculiers commencérent à y apporter du
changement. Dans la vûë de faire honneur aux simples Religieux des Abbayes,
ils qualifierent chaque particulier du nom
de Domnus , quoique ce nom , ne convint
, proprement qu'au seul Abbé ; à peu près
comme aujourd'hui les seculiers , pour
faire honneur au moindre Ecclésiastique, lui donnent le nom d'Abbé. Voilà
quelle est l'origine du nom de Dom , que
plusieurs Religieux ont conservé jusqu'à
nos jours , pendant que plusieurs autres
1.Vol. D iij ayant
7124 MERCURE DE FRANCE
ayant également abandonné les noms de
Nonni, et les Religieuses ceux de Nonna
ceux-là ont pris les noms de Peres et de
Freres ; et celles- ci , ceux de Meres et de
Sœurs.
Enfin les séculiers toujours attentifs à
donner des marques de leur estime et de
leur respect pour les Religieux et les Religieuses , crurent qu'il convenoit encore
d'introduire un usage nouveau , par rapport à leurs noms , et qu'il étoit de la politesse , de leur donner les noms dont on
usoit dans le monde envers les personnes
qui y avoient quelque distinction ; ce qui
s'établit d'autant plutôt en Angleterre ,
que les Religieux , et les Religieuses commençoient d'y vivre d'une maniere assez
séculiere. Ce fut donc alors , qu'on y
commença à donner dans la Langue du
païs aux Religieux et aux Religieuses, les
noms qui équivaloient à ceux de Messieurs et de Dames , c'est- à- dire, Domini ,
et de Domine , en Latin .
Il est vrai que ceux et celles qui étoient
les plus attachez à la perfection de leur
état souffrirent ce changement avec peine; les Supérieurs Ecclésiastiques en furent également choquez; jusques-là qu'un
Archevêque de Cantorbery , se crut obligé d'en faire publiquement ses plaintes
I. Vola dans
JUIN. 1731. 1125 dans une de ses Lettres Pastorales où en
s'addressant aux Religieux et aux Reli- gieuses , il leur disoit , ainsi le que rapporte le P. Thomassin dans sa Discipline Ecclesiastique , part. 4. liv. 1 , Sciatis
vos Monachos , vel Moniales esse, nonDominas, sicut nec Monachi possunt sine ri
diculo Domini appellari.
Cette distinction recherchée dans les
noms n'a pas été particuliere aux Religieux et aux Religieuses , elle l'a été et
l'est encore à beaucoup d'autres ; les Romains (a) de distinction se donnoient jusqu'à quatre noms ; sçavoir , l'avant nom,
le sur-nom, le proche- nom, et le nom; et
encore aujourd'hui c'est une distinction
qu'on affecte en Italie et en Allemagne ,
de donner aux personnes du premier
rang , sur tout aux Princes et aux Princesses , jusqu'à six ou sept noms de Saints
ou de Saintes à leur Batême; ce qu'on imite quelquefois en France et en Espagne..
( a) Alex. ab Alex. genial. dier. lib. 1. cap. 9.
A Eu, le 5 May 1732.
de quelques usages , &c.
J
Par M. CAPPERON, ancien Doyen de S. Maxent.
A
'Ai dit dans mes premieres Réfléxions
sur la Bizarerie de divers usages , qui
ont été insérées dans les Mercures de France, des mois de Janvier et de Février derniers , que cette Bizarerie tiroit son origine de deux sortes de désirs, naturels à tous
les hommes ; sçavoir , du désir qu'ils ont
de satisfaire leurs sens , et de celui qui les
porte à suivre les inclinations secretes que
les passions leur inspirent. J'ai donné
dans ces premieres Réfléxions un échantillon des usages bizares qui sont sortis
de ce desir , qu'ont les hommes de satisfaire leurs sens ; et je vais parler icy de
ceuxque leurs passions differentes ont fait
regner dans certains temps..
Comme la plus belle qualité de l'homme, est d'avoir un esprit capable de pen- ser, de connoître et de raisonner ; il est
I. Vol. na-
JUIN. 1732 IES
naturel que , chacun se sentant pourvu
d'un don si précieux , on saisisse volon-.
tiers tous les moyens propres à faire remarquer aux autres toute la beauté et
toute l'excellence qu'il peut avoir. C'est
aussi ce qui ne manquera pas d'arriver.
Mais ce qu'il y a de singulier , c'est que
souvent le desir qu'on a de faire paroître
son esprit , monte jusqu'à un tel excès ,
que cessant alors de penser et de raisonner juste , lorsqu'on croit le faire briller
avec éclat, on le fair par des endroits, qui
font remarquertout le contraire ; son peu
d'étendue et de justesse par des bizareries
tres- sensibles; ce que je justifierai aisément
par celles que je vais rapporter.
On ne peut pas douter que ce ne soit
particulierement dans les Ecrits et dans les
Discours publics, qu'on s'attache le plus à
fairebriller son esprit.Premierement, parce qu'on a plus de facilité à le faire, ayant
plus de loisir pour choisir ses pensées ,
pour en voir la justesse , et pour leur
donner le tour et l'arrangement qui peuvent les rendre plus frapantes.
D'ailleurs ceux qui composent quelque Ouvrage , qu'ils sçavent devoir être
la ou entendu du public ; sçachant qu'il
doit être exposé à la critique , c'est pour
eux un éguillon tres -vif, qui les excite
1.Vol. puis
16 MERCURE DE FRANCE
puissamment à travailler à plaire aux
Lecteurs ou aux Auditeurs.
Cela posé, il est bon que je dise , que
voulant parler des usages bizares qui ont
quelquefois paru en fait de productions
d'esprit , je ne prétends pas relever toutes les manieres singulieres par lesquelles
certaines personnes ont affecté de se distinguer dans les Ouvrages de leur com
position ; tel qu'est ( par exemple) le stile
serré , sententieux et trop affecté de Seneque , que Quintilien a justement blâmé ;
d'autres qui ont crû orner leurs écrits par
des jeux de mots; et d'autres enfin, qui ont
prétendu se singulariser par un mélange
bizare du Sacré et du Prophane , par des
digressions trop fréquentes, des antithèses
trop multipliées , par un stile enfin trop
éloigné du naturel.
Mais pour m'attacher à quelque chose
de plus marqué , n'avouera- t- on pas que
c'étoit un usage tout- à-fait bizare quecelui qui dominoit sous le Regne de Charles IX. et qui consistoit , non seulement
à remplir les Livres et les Ecrits , que dis
je , jusqu'aux simples Lettres , d'une infinité de passages ? En sorte , dit Varillas ,
que Montluc , Evêque de Valence , écrivant à ce Prince , pour lui rendre compte
d'une Négociation où il étoit employé ,
<
1.Vol. n'ayant
JUIN. 1732. 1117
n'ayant pu faire entrer dans sa premiere
Lettre tous les Passages qu'il avoit préparés , il lui en écrivit une seconde , par
Je Courrier suivant , pour rapporter huis
autres Passages qui lui étoient restez.
Ne peut-on pas mettre dans la même
Classe des usages bizares , en fait d'Ouvrages d'esprit , les Vers burlesques qui
ont eu quelque vogue vers le milieu du
dernier siécle ? par lesquels on s'attachoit
à traduire avec travail et quelque sorte
d'esprit , d'excellens Ouvrages , et ces
Vers n'étoient ordinairement remplis que
de choses triviales , et souvent tres grossieres.
On doit mettre au même rang, ces
titres bizares qu'on a souvent donné àcerrains Livres , pour marquer d'une manicre mystérieuse , qu'on croyoit alors tresspirituelle , le sujet qui y étoit traité. Par
exemple, celui qui fut composé par un
Prêtre de Mante, sur les Antiennes qui
se disent quelques jours avant Noël , et
qui commencent par O ; qu'il in, itula :
La douce moëlle , et la saucefriande des Os
savoureux de l'Avent. Tel étoit un petit
Livre de Controverse , qui avoit pour titre: Lepetit Pistolet de poche , qui tire contre les Hérétiques. Un autre que j'ai lû sur
la pénitence , intitulé : Le Fuzil de laPéI.Vol. mitence
TI MERCURE DE FRANCE
nitence avec Allumette de l'Amour de
Dieu.
>
Après tout , la bizarerie de ces Titres ,
n'eut aucune suite. Il n'en fut pas de même
du Livre du P. Gille Gabriéli , qu'il intitula: Specimina Moralis Christiane et Diabolica. Ce qui l'obligea d'aller à Rome ,
pour se justifier sur la bizarerie de ce titre, qu'il fallut changer dans une nouvel- le édition faite en 1680.
Il ne s'est pas moins formé d'usages bizares , par rapport aux discours publics
de Religion , ou aux Sermons ; car quoique la premiere et la plus ancienne Méthode d'instruire les Peuples fut simple et
familiere, dans la vûë de se rendre également intelligible au commun des fidelles , et aux plus spirituels ; simplicité qui
a duré dans l'Orient , jusqu'au temps de
S. Grégoire de Nazianze ; et dans l'Occident, jusques vers le temps du Pape saint
Léon. Les Saints Evêques qui fleurirent
alors , crurent que les matiéres de la Religion , ne méritoient pas moins d'être
traitées avec toutes les beautez de l'éloquence, que les matiéres prophanes, dans
le dessein aussi , comme ils le disent euxmêmes , de donner à leurs discours, par la
délicatesse du stile , et par le brillant des
pensées , le même gout et le même attrait
1.Vol.
que
'JUIN.
17320 1119
que les miracles donnoient dans les premiers temps aux Discours des Apôtres èt
de leurs Disciples .
L'usage s'établit donc de prêcher avec
art et avec éloquence , ce qui a continué
depuis ; mais il faut avouer que , quoique
parmi les anciens et les modernes , il se
soit trouvé grand nombre d'Orateurs parfaits , qui par leurs Discours méthodiques , et véritablement éloquens , prononcez d'une maniere parfaitement convenable à la dignité et à la sainteté des
sujets , il n'a pas laissé que de s'introduire
de temps en temps quelques usages trop
bizares , pour une fonction aussi sainte et
aussi nécessaire au salut des Peuples.
N'étoit- ce pas , en effet, une bizarerie ,
que l'usage où on étoit il y a peu de siécles , de ne prêcher presqu'en Latin ? C'étoit encore l'usage dans le commencement
du dernier siécle , de remplir les Sermons
de Grec et de Latin. Cette méthode étoitelle fort utile à l'instruction des fidelles ?
Devoit elle faire paroître la justesse de
l'esprit du Prédicateur ? L'usage où l'on
a été à peu près dans le même temps ,
d'employer dans ces Discours, les Apophtegmes de Plutarque ( a ) des Lambeaux
·
( a ) Conceptions Théologiques au Sermon de Pierre de Besse.
1. Vol.
D de
1125 MERCURE DE FRANCE
de l'Histoire Prophane , ou des faits singuliers , souvent même supposezi cet usage , dis - je , étoit - il un usage bien convenable ? Celui encore d'apporter pour
preuve de ce qu'on avançoit , les pensées
quintessenciées de la Théologie Scholastique , émanées de la Philosophie d'Aristote. Il convenoit, sans doute , beaucoup
moins , dans ces Discours instituez pour
rendre la Religion respectable , et pour
faire observer la sévérite de ses maximes ,:
d'user de pensées ou d'expressions souvent fort triviales , propres à divertir et
à faire rire les Auditeurs ; en quoi , comme chacun sçait , le fameux Pere André
Bolanger , Religieux Augustin-Déchaussé , nommé vulgairement Le petit Pere
André , excelloit pardessus tous les autres , vers le milieu du dernier siécle. (b)
Enfin la bizarerie , en fait de Sermons,
est allée jusqu'à former un usage , où on
croiroit qu'il étoit du devoir du Prédicateur, pour donner plus de grace à son Discours , de tousser régulierement dans certains endroits de son Discours , qui paroissoit même alors si nécessaire , qu'on
voit encore aujourd'hui des Sermons imprimez de ce temps- là , où on a observé
de mettre à la marge , Hem, Hem, aux
( a) Mort le 2 Septembre 1657. âgé de 79 ans,
1. Vol. endroits
JUIN. 1732. II2I endroits où le Prédicateur devoit nécessairement tousser.
N'est- ce pas encore aujourd'hui unusage bien bizare, que celui de Prêcher.comme on fait en Italie , où selon ce qu'en
rapportent les Voyageurs, presque tous les Prédicateurs sont de vrais grimaciers, leurs
gêtes étant des gesticulations outrées , suivant les variations de la voix , passant plus
de vingt fois en un quart d'heure , du
fausset à la basse`, criant et s'agitant sans
cesse , se promenant avec chaleur et avec
bruit dans les Chaires , faites la plûpart en
forme de Balcons ou de Tribunes.
Qu'un tel usage est opposé à celui des
premiers siècles de l'Eglise , où nous
voyons , qu'une des raisons qu'apporte
rent les Peres, assemblez au Concile d'Antioche, tenu vers l'an 270, contre Paul de
Samosate , ( a ) pour faire connoître qu'ils
l'avoient justement condamnez ; c'étoit ,
disoient-ils , dans la Lettre synodale qu'ils
écrivirent , qu'outre ses erreurs , et sa vie
licencieuse , non-content d'avoir fait élever dans son Eglise un Tribunal plus haut
que de coûtume , où étoit posé son siége,
orné de tapis , il parloit en élevant ses
mains excessivement , frappant ses cuisses et remuant violemment les pieds
( a ) Eusebe , Hist. Eccles. lib. 7.
"
1. Vol. Dij battant
1122 MERCURE DE FRANCE
battant le Marche- pied de son Siége , affectant de parler d'une voix sourde, comme si elle fut sortie d'une cave ; en un
mot , se comportant, non pas comme un
modeste Prédicateur , mais comme un
Orateur qui harangue au Théatre.
Si le désir de faire paroître son esprit a produit differens usages assez bizares , ainsi qu'on vient de le voir , la complaisance qu'on a à se laisser donner des
distinctions peu convenables , n'en a pas
fourni un moindre nombre. Je n'en toucherai qu'un seul , pour ne pas pousser
ces réflexions trop loin , sçavoir l'usage
qui s'établit autrefois en Angleterre, lorsque la Religion Catholique y regnoit, de
donner aux Religieux et aux Religieuses
qui y étoient en grand nombre, les noms
de Domini et Domina, ce qui ne s'étoit pas
fait jusqu'alors,
Car suivant ce que S. Benoît avoit ordonné par sa Regle , ch. 63. il n'y avoit
précisément que le seul Abbé qu'on devoit nommer Domnus Abbas , comme un
diminutif du mot Dominus , qui signifie
Seigneur ou Monsieur, suivant notre maniere de parler, pour montrer que son autorité , quoiqu'émanée de Dieu , lui étoit
neanmoins très - subordonnée.. Selon la
même Regle , les anciens devoient nomI.Vol. mer
JUIN. 1732. 1123
mer les jeunes Religieux leurs freres , et
les jeunes devoient donner aux anciens le
nom de Nonni , qui équivaloit à celui de
Sancti. S. Jérôme l'employe en ce sens
dans sa Lettre 48. En effet , rien ne convenoit mieux , pour faire souvenir les
Anciens, qu'ils devoient être des modeles
de sainteté pour les jeunes Religieux.
Cet usage dura long - temps et s'observoit même parmi les séculiers , ce qui leur
donnoit lieu , de ne pas nommer autrement les Religieuses , les appellant des
Nonnes , des Nonnettes ou des Nonnains ;
et c'est par rapport à la signification de ce
nom de Nonna, qui signifie Saintes, qu'on
les nomme encore aujourd'hui Sancta
Moniales , en Latin. Les choses demeurerent en cet état , jusqu'à ce que les seculiers commencérent à y apporter du
changement. Dans la vûë de faire honneur aux simples Religieux des Abbayes,
ils qualifierent chaque particulier du nom
de Domnus , quoique ce nom , ne convint
, proprement qu'au seul Abbé ; à peu près
comme aujourd'hui les seculiers , pour
faire honneur au moindre Ecclésiastique, lui donnent le nom d'Abbé. Voilà
quelle est l'origine du nom de Dom , que
plusieurs Religieux ont conservé jusqu'à
nos jours , pendant que plusieurs autres
1.Vol. D iij ayant
7124 MERCURE DE FRANCE
ayant également abandonné les noms de
Nonni, et les Religieuses ceux de Nonna
ceux-là ont pris les noms de Peres et de
Freres ; et celles- ci , ceux de Meres et de
Sœurs.
Enfin les séculiers toujours attentifs à
donner des marques de leur estime et de
leur respect pour les Religieux et les Religieuses , crurent qu'il convenoit encore
d'introduire un usage nouveau , par rapport à leurs noms , et qu'il étoit de la politesse , de leur donner les noms dont on
usoit dans le monde envers les personnes
qui y avoient quelque distinction ; ce qui
s'établit d'autant plutôt en Angleterre ,
que les Religieux , et les Religieuses commençoient d'y vivre d'une maniere assez
séculiere. Ce fut donc alors , qu'on y
commença à donner dans la Langue du
païs aux Religieux et aux Religieuses, les
noms qui équivaloient à ceux de Messieurs et de Dames , c'est- à- dire, Domini ,
et de Domine , en Latin .
Il est vrai que ceux et celles qui étoient
les plus attachez à la perfection de leur
état souffrirent ce changement avec peine; les Supérieurs Ecclésiastiques en furent également choquez; jusques-là qu'un
Archevêque de Cantorbery , se crut obligé d'en faire publiquement ses plaintes
I. Vola dans
JUIN. 1731. 1125 dans une de ses Lettres Pastorales où en
s'addressant aux Religieux et aux Reli- gieuses , il leur disoit , ainsi le que rapporte le P. Thomassin dans sa Discipline Ecclesiastique , part. 4. liv. 1 , Sciatis
vos Monachos , vel Moniales esse, nonDominas, sicut nec Monachi possunt sine ri
diculo Domini appellari.
Cette distinction recherchée dans les
noms n'a pas été particuliere aux Religieux et aux Religieuses , elle l'a été et
l'est encore à beaucoup d'autres ; les Romains (a) de distinction se donnoient jusqu'à quatre noms ; sçavoir , l'avant nom,
le sur-nom, le proche- nom, et le nom; et
encore aujourd'hui c'est une distinction
qu'on affecte en Italie et en Allemagne ,
de donner aux personnes du premier
rang , sur tout aux Princes et aux Princesses , jusqu'à six ou sept noms de Saints
ou de Saintes à leur Batême; ce qu'on imite quelquefois en France et en Espagne..
( a) Alex. ab Alex. genial. dier. lib. 1. cap. 9.
A Eu, le 5 May 1732.
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Résumé : SUITE des Réflexions sur la Bizarerie de quelques usages, &c. Par M. CAPPERON, ancien Doyen de S. Maxent.
Dans ses 'Réflexions sur la Bizarerie de quelques usages', M. Capperon, ancien Doyen de S. Maxent, examine les origines des usages bizarres, qu'il attribue à deux désirs naturels chez les hommes : satisfaire leurs sens et suivre leurs passions. Il distingue les usages bizarres issus du désir de faire briller son esprit, souvent au détriment de la justesse et de la raison. Capperon observe que les écrits et discours publics sont particulièrement propices à ces excès, car ils offrent plus de loisir pour choisir et arranger les pensées et sont soumis à la critique. Il cite divers exemples historiques, comme l'usage sous Charles IX de remplir les écrits de passages, ou les vers burlesques du milieu du XVIIe siècle qui traduisaient des œuvres excellentes en textes triviaux. Il mentionne également des titres bizarres donnés à certains livres, comme ceux du Père Gille Gabriéli, qui dut changer le titre de son ouvrage 'Specimina Moralis Christiane et Diabolica' pour éviter des controverses. Capperon aborde aussi les sermons, où des pratiques comme prêcher en latin ou remplir les discours de grec, de latin, ou d'apophtegmes de Plutarque étaient courantes. Il critique les prédicateurs qui utilisaient des expressions triviales pour divertir ou faire rire, et mentionne l'usage italien de gesticuler excessivement pendant les sermons. Il évoque également la complaisance des religieux à accepter des distinctions peu convenables, comme l'usage en Angleterre de donner aux religieux et religieuses les titres de Domini et Domina, ou plus tard, ceux de Messieurs et Dames. Cet usage a évolué au fil du temps, certains religieux adoptant les titres de Père et Frère, et les religieuses ceux de Mère et Sœur. Le texte traite également des réactions face à un changement dans l'usage des titres religieux. Les personnes attachées à la perfection de leur état et les supérieurs ecclésiastiques ont éprouvé des difficultés à accepter ce changement. Un archevêque de Cantorbéry a exprimé publiquement ses plaintes dans une lettre pastorale en juin 1731, adressée aux religieux et religieuses. Il les rappelait que les moines et moniales devaient être appelés 'Monachos' ou 'Moniales' et non 'Domine' ou 'Dominas'. Cette distinction des noms n'était pas unique aux religieux; les Romains de distinction portaient jusqu'à quatre noms, et cette pratique se retrouve encore en Italie et en Allemagne, où les personnes de haut rang, notamment les princes et princesses, reçoivent plusieurs noms de saints à leur baptême. Cette coutume est parfois imitée en France et en Espagne. Le texte est daté d'Eu, le 5 mai 1732.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 1518-1526
REFLEXIONS.
Début :
Il y a quantité d'occasions où les hommes devroient [...]
Mots clefs :
Réflexions, Erreur, Secrets de la nature, Divertir, Poison, Silence, Voile, Être sur ses gardes
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
IL
Ly a quantité d'occasions où les hommes devroient être un peu plus sur leur
garde ; car nous nous étonnons toûjours
trop des évenemens rares , et presque jamais assez de ceux qui sont frequens et
ordinaires; c'est souvent par ce mouvement qu'on tombe dans l'erreur et qu'on
ne s'applique pas comme il faut à péné- trer les secrets de la nature..
Tous les hommes sont flattez du talent
de divertir et de faire rire; mais c'est un
dangereux poison , contre lequel tout esprit raisonnable doit être en garde. Quand
onse donne dans le monde sur ce pied là,
on acquiert un tres- mauvais caractere, car
ceux même qui ont les plus heureuses
saillies , combien s'en faut-il qu'ils soient
plaisans toutes les fois qu'ils plaisantent ?-
On est presque toujours la dupe des
vertus qu'on admire ; car les hommes
sont le plus souvent humbles par vanité,
modestes par amour propre , polis par orgueil ; on paroît borné et simple pour
cacher
JUILLET. 1732. 1519
Cacher quelquefois l'ambition la plus dé- mesurée.
Quand on n'a pas le necessaire , on a
peu de goût pour le superflu. La cupidité ne se reveille et ne devient sans bornes,
qu'à mesure qu'on devient riche et opulent.
Rarement trouve t-on dans un même
homme , autant d'esprit que de goût ;
l'un prévaut presque toujours sur l'autre.
On montre plus de goût que d'esprit ,
quand l'amour propre et l'humeur ne
prévalent pas sur les lumieres naturelles.
Quand les deux Facultez sont dans un
égal dégré de sensibilité , on sent et on
juge sainement de tout. Mais qu'ils sont
rares ces naturels heureux ! Et combien
voit-on tous les jours de gens esclaves du
goût des autres , tour à tour agitez de
plaisir ou d'ennui sur leur parole , sans
parler des goûts faux , capricieux , incertai ns
On se trompe si on croit que l'avarice et la prodigalité ne se trouvent jamais ensemble. Quand l'orgueil est assez
fort , on voit pousser la dépense jusqu'à
F'excès ; et l'économie jusqu'à la lésine.
€ vj Dans
1520 MERCURE DE FRANCE.
Dans la Politique , on donne finiment
le change aux plus rusez , quand on sçait
dire à propos ce qu'il semble qu'on de- vroit taire.
. On peut être prudent sans finesse ,
mais on ne peut être fin sans prudence.
Il y a certaines injures qui punissent
plus ceux qui les font , que ceux contrequi elles sont faites.
Gli grandi , hanno. per loro particola
rissimo costume, di scriver nill'arena le
ingiure , che ricevano da gente vile ; in
saldissimo marmo , con indolebili carat→
teri , i soprammani cheson fatti loro da
gli huomini potenti ; essendo proprieta
del nobile scordarsi l'offese per magnani
mita, non perdonarle per necessita.
Le ingiurie si multiplicano, per assicu
rarsi dalle gia fatte...
Le mépris des injures leur ôte leur force , et le plaisir à ceux qui en sont les
Auteurs. Si vous y êtes sensible , il dépend du plus misérable ennemi , du plus
lâche curieux de troubler le repos de vor
tre vie.
On
JUILLET. 1732.
On est plus porté à venger une injure ,
qu'à reconnoître un bienfait , parce quela
reconnoissance se fait à nos dépens , et la
vengeance aux dépens d'autrui.
Les injures que l'on méprise , perdent
tout crédit ; si on s'en fâche , on donne à
connoître qu'on les a méritées. Convitia spreta enolescunt , si irascare agnita videntur.
Le crime est également grand de loüer
celui qui fait mal , et de blâmer celui qui
fait bien. ,
Il n'est point de douleur plus sensible
que celle d'avoir fait inutilement un grand
crime.
Maxima peccandi illecebra,spes impuni
tatis. Ciceron.
Un caractere de dignité augmente toujours le crime dans la personne de celui qui le commet.
Les grands crimes ne peuvent guere
être imaginez et supposez que par ceux
qui sont capables de les commettre.
Il
A
1522 MERCURE DE FRANCE
Il n'y a point de vertu sans couronne
ni de crime sans châtiment.
Ceux qui ont commis quelque crime ,
sont en quelque façon réduits à la necessité de mal faire , par le peu de seureté
qu'ils trouvent à faire bien. Ils n'osent
devenir innocens , de peur de se mettre
à la merci des Loix qu'ils ont offensées, et
continuent leurs fautes , parce qu'ils ne
voyent aucune apparence qu'on se contentât de leur repentir.
On a souvent observé que la plupart
des hommes ne font les grands crimes
et les grands maux que par les scrupules
qu'ils ont pour les moindres.
La reconnoissance rend la liberalité
plus agréable ; l'ingratitude la rend plus
éclatante. Liberalitatem jucundiorem debitor gratus, clariorem ingratus facit.
La liberalité est un trait de beauté
contre lequel peu de cœur sont à l'épreuve..
Un homme vraiment liberal n'est ja
mais prodigue; il aime mieux contrain
dre la générosité de son humeur , que de
tomber
JUILLET. 1732. 1523
tomber dans un état où il ait besoin de
celle des autres.
Quand on donne , il faut que la main
soit ouverte , mais non pas percées qu'il
en sorte quelque chose , mais qu'il n'em
tombe rien.
La Liberalité donne la Prodigalité
perd.
La Liberalité est d'un bien plus haut
prix, quand le bon goût , le discernement
et l'équité en reglent les profusions.
En donnant promptement, on fait une
double grace ; en differant, le don devient
une récompense d'avoir attendu.
On doit plutôt regarder dans le cœur
que dans la main de celui qui donne.
Selon Diodore de Sicile , il avoit un y
Lac en Ethiopie , qui troubloit tellement
P'esprit de ceux qui avoient bû de son
cau , qu'ils ne pouvoient rien cacher de
ce qu'ils sçavoient.
Personne ne revelera notre secret si nous
ne le revelons à personne. Alium silere quod voles
1524 -MER CURE DE FRANCE:
vales , primus sile. Seneq. Hippol. act. 3 , …….
Les contradictions nous doivent rendre
plus retenus, car souvent on ne nous contredit que pour nous engager à découvrirnos secrets.
Les Politiques ont une maniere de contredire , qui consiste quelquefois en un
doute affecté, en un mépris adroit, en une.
opiniâtreté apparenteà ne pas croire . C'est
par cette addresse qu'ils sondent le plus
profond des cœurs , et qu'ils en décou
vrent tous les secrets.
Ceux qui s'empressent de sçavoir les
affaires des autres , ont rarement assez de
discretion pour en garder le secret ; la cu
riosité qui les anime ne peutêtre bien con→→→
tente qu'elle n'instruise aussi les curicux.
Scire meum nihil est , nisi me scire hoc sciat› a
alter.
En une infinité d'occasions , il faut en
core plus de précaution pour ce que l'on
ne doit pas dire à ses amis , que pour ce
que l'on doit faire contre ses ennemis.
Il faut se taire , ou dire quelque chose
qui soit meilleur que le silence.
1
Les .
JUILLET. · 1732. 15253
Les jeunes gens disent ce qu'ils font, les
vieillards ce qu'ils ont fait , et les sots ca
qu'ils ont envie de faire.
Le Sage parle peu de ce qu'il sçait , et
jamais de ce qu'il ignore..
Quand on a une affaire bien à cœur ,
on la dit et on la repette sans cesse ; les
esprits qui sont en mouvement , conduisent toujours- là , et cette agitation fait
qu'on ne s'apperçoit nullement de ses re- dites.
La science de bien des gens n'est qu'un
enchaînement de mots ; tirez - les de leur
jargon , les voilà tout d'un coup dépour
vûs de science. Ils ont d'ailleurs l'avantage de l'étaler avec plus d'ostentation et
de facilité que ceux qui ont une vraye
capacité ; car dans les uns , c'est la mémoire et la routine seule qui agit ; dans
lès autres , c'est l'esprit et . le jugement.
Le Silence est un voile sous lequel l'î--
gnorance se cache d'ordinaire.
Rien n'est plus capable de décrier la
véritable piété , qu'une dévotion mal réglée, bizarre et incommode. La solidė
vertu
1526 MERCURE DE FRANCE
vertu n'est pas incompatible avec l'honnêteté et les bien-séances de la vie civile.
Sæpè jovem , memini , cum jam sua mittere
vellet
Fulmina , thure dato, sustinuisse manum . Ovid
Est Deus in nobis , et sunt commercia cœli ;
Sedibus æthereis spiritus ille venit. Ibid.
Rien n'est si sujet à l'illusion que les choses qui ont une apparence de piété ou de
Religion toutes sortes d'erreurs se glissent
et se cachent sous ce voile.
IL
Ly a quantité d'occasions où les hommes devroient être un peu plus sur leur
garde ; car nous nous étonnons toûjours
trop des évenemens rares , et presque jamais assez de ceux qui sont frequens et
ordinaires; c'est souvent par ce mouvement qu'on tombe dans l'erreur et qu'on
ne s'applique pas comme il faut à péné- trer les secrets de la nature..
Tous les hommes sont flattez du talent
de divertir et de faire rire; mais c'est un
dangereux poison , contre lequel tout esprit raisonnable doit être en garde. Quand
onse donne dans le monde sur ce pied là,
on acquiert un tres- mauvais caractere, car
ceux même qui ont les plus heureuses
saillies , combien s'en faut-il qu'ils soient
plaisans toutes les fois qu'ils plaisantent ?-
On est presque toujours la dupe des
vertus qu'on admire ; car les hommes
sont le plus souvent humbles par vanité,
modestes par amour propre , polis par orgueil ; on paroît borné et simple pour
cacher
JUILLET. 1732. 1519
Cacher quelquefois l'ambition la plus dé- mesurée.
Quand on n'a pas le necessaire , on a
peu de goût pour le superflu. La cupidité ne se reveille et ne devient sans bornes,
qu'à mesure qu'on devient riche et opulent.
Rarement trouve t-on dans un même
homme , autant d'esprit que de goût ;
l'un prévaut presque toujours sur l'autre.
On montre plus de goût que d'esprit ,
quand l'amour propre et l'humeur ne
prévalent pas sur les lumieres naturelles.
Quand les deux Facultez sont dans un
égal dégré de sensibilité , on sent et on
juge sainement de tout. Mais qu'ils sont
rares ces naturels heureux ! Et combien
voit-on tous les jours de gens esclaves du
goût des autres , tour à tour agitez de
plaisir ou d'ennui sur leur parole , sans
parler des goûts faux , capricieux , incertai ns
On se trompe si on croit que l'avarice et la prodigalité ne se trouvent jamais ensemble. Quand l'orgueil est assez
fort , on voit pousser la dépense jusqu'à
F'excès ; et l'économie jusqu'à la lésine.
€ vj Dans
1520 MERCURE DE FRANCE.
Dans la Politique , on donne finiment
le change aux plus rusez , quand on sçait
dire à propos ce qu'il semble qu'on de- vroit taire.
. On peut être prudent sans finesse ,
mais on ne peut être fin sans prudence.
Il y a certaines injures qui punissent
plus ceux qui les font , que ceux contrequi elles sont faites.
Gli grandi , hanno. per loro particola
rissimo costume, di scriver nill'arena le
ingiure , che ricevano da gente vile ; in
saldissimo marmo , con indolebili carat→
teri , i soprammani cheson fatti loro da
gli huomini potenti ; essendo proprieta
del nobile scordarsi l'offese per magnani
mita, non perdonarle per necessita.
Le ingiurie si multiplicano, per assicu
rarsi dalle gia fatte...
Le mépris des injures leur ôte leur force , et le plaisir à ceux qui en sont les
Auteurs. Si vous y êtes sensible , il dépend du plus misérable ennemi , du plus
lâche curieux de troubler le repos de vor
tre vie.
On
JUILLET. 1732.
On est plus porté à venger une injure ,
qu'à reconnoître un bienfait , parce quela
reconnoissance se fait à nos dépens , et la
vengeance aux dépens d'autrui.
Les injures que l'on méprise , perdent
tout crédit ; si on s'en fâche , on donne à
connoître qu'on les a méritées. Convitia spreta enolescunt , si irascare agnita videntur.
Le crime est également grand de loüer
celui qui fait mal , et de blâmer celui qui
fait bien. ,
Il n'est point de douleur plus sensible
que celle d'avoir fait inutilement un grand
crime.
Maxima peccandi illecebra,spes impuni
tatis. Ciceron.
Un caractere de dignité augmente toujours le crime dans la personne de celui qui le commet.
Les grands crimes ne peuvent guere
être imaginez et supposez que par ceux
qui sont capables de les commettre.
Il
A
1522 MERCURE DE FRANCE
Il n'y a point de vertu sans couronne
ni de crime sans châtiment.
Ceux qui ont commis quelque crime ,
sont en quelque façon réduits à la necessité de mal faire , par le peu de seureté
qu'ils trouvent à faire bien. Ils n'osent
devenir innocens , de peur de se mettre
à la merci des Loix qu'ils ont offensées, et
continuent leurs fautes , parce qu'ils ne
voyent aucune apparence qu'on se contentât de leur repentir.
On a souvent observé que la plupart
des hommes ne font les grands crimes
et les grands maux que par les scrupules
qu'ils ont pour les moindres.
La reconnoissance rend la liberalité
plus agréable ; l'ingratitude la rend plus
éclatante. Liberalitatem jucundiorem debitor gratus, clariorem ingratus facit.
La liberalité est un trait de beauté
contre lequel peu de cœur sont à l'épreuve..
Un homme vraiment liberal n'est ja
mais prodigue; il aime mieux contrain
dre la générosité de son humeur , que de
tomber
JUILLET. 1732. 1523
tomber dans un état où il ait besoin de
celle des autres.
Quand on donne , il faut que la main
soit ouverte , mais non pas percées qu'il
en sorte quelque chose , mais qu'il n'em
tombe rien.
La Liberalité donne la Prodigalité
perd.
La Liberalité est d'un bien plus haut
prix, quand le bon goût , le discernement
et l'équité en reglent les profusions.
En donnant promptement, on fait une
double grace ; en differant, le don devient
une récompense d'avoir attendu.
On doit plutôt regarder dans le cœur
que dans la main de celui qui donne.
Selon Diodore de Sicile , il avoit un y
Lac en Ethiopie , qui troubloit tellement
P'esprit de ceux qui avoient bû de son
cau , qu'ils ne pouvoient rien cacher de
ce qu'ils sçavoient.
Personne ne revelera notre secret si nous
ne le revelons à personne. Alium silere quod voles
1524 -MER CURE DE FRANCE:
vales , primus sile. Seneq. Hippol. act. 3 , …….
Les contradictions nous doivent rendre
plus retenus, car souvent on ne nous contredit que pour nous engager à découvrirnos secrets.
Les Politiques ont une maniere de contredire , qui consiste quelquefois en un
doute affecté, en un mépris adroit, en une.
opiniâtreté apparenteà ne pas croire . C'est
par cette addresse qu'ils sondent le plus
profond des cœurs , et qu'ils en décou
vrent tous les secrets.
Ceux qui s'empressent de sçavoir les
affaires des autres , ont rarement assez de
discretion pour en garder le secret ; la cu
riosité qui les anime ne peutêtre bien con→→→
tente qu'elle n'instruise aussi les curicux.
Scire meum nihil est , nisi me scire hoc sciat› a
alter.
En une infinité d'occasions , il faut en
core plus de précaution pour ce que l'on
ne doit pas dire à ses amis , que pour ce
que l'on doit faire contre ses ennemis.
Il faut se taire , ou dire quelque chose
qui soit meilleur que le silence.
1
Les .
JUILLET. · 1732. 15253
Les jeunes gens disent ce qu'ils font, les
vieillards ce qu'ils ont fait , et les sots ca
qu'ils ont envie de faire.
Le Sage parle peu de ce qu'il sçait , et
jamais de ce qu'il ignore..
Quand on a une affaire bien à cœur ,
on la dit et on la repette sans cesse ; les
esprits qui sont en mouvement , conduisent toujours- là , et cette agitation fait
qu'on ne s'apperçoit nullement de ses re- dites.
La science de bien des gens n'est qu'un
enchaînement de mots ; tirez - les de leur
jargon , les voilà tout d'un coup dépour
vûs de science. Ils ont d'ailleurs l'avantage de l'étaler avec plus d'ostentation et
de facilité que ceux qui ont une vraye
capacité ; car dans les uns , c'est la mémoire et la routine seule qui agit ; dans
lès autres , c'est l'esprit et . le jugement.
Le Silence est un voile sous lequel l'î--
gnorance se cache d'ordinaire.
Rien n'est plus capable de décrier la
véritable piété , qu'une dévotion mal réglée, bizarre et incommode. La solidė
vertu
1526 MERCURE DE FRANCE
vertu n'est pas incompatible avec l'honnêteté et les bien-séances de la vie civile.
Sæpè jovem , memini , cum jam sua mittere
vellet
Fulmina , thure dato, sustinuisse manum . Ovid
Est Deus in nobis , et sunt commercia cœli ;
Sedibus æthereis spiritus ille venit. Ibid.
Rien n'est si sujet à l'illusion que les choses qui ont une apparence de piété ou de
Religion toutes sortes d'erreurs se glissent
et se cachent sous ce voile.
Fermer
Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore divers aspects de la nature humaine et des comportements sociaux. Il met en garde contre l'ignorance des événements quotidiens et souligne les dangers du talent de divertir, qui peut nuire au caractère. Les hommes sont souvent hypocrites, dissimulant leurs véritables intentions derrière des vertus apparentes comme l'humilité, la modestie et la politesse. La cupidité tend à augmenter avec la richesse, et l'esprit ainsi que le goût sont rarement équilibrés chez une même personne. Le texte critique les faux goûts et les comportements influencés par l'amour-propre, notant que l'avarice et la prodigalité peuvent coexister chez une même personne, poussées par l'orgueil. En politique, la prudence et la finesse sont essentielles. Les injures peuvent être plus nuisibles pour ceux qui les profèrent que pour ceux qui les reçoivent. Les grands personnages doivent ignorer les offenses par magnanimité, mais ne pas les pardonner par nécessité. Mépriser les injures les affaiblit et évite de troubler sa vie. Le texte aborde également la reconnaissance et la vengeance, soulignant que les injures méprisées perdent leur force. Il condamne ceux qui louent le mal et blâment le bien, et note que les grands crimes sont souvent imaginés par ceux capables de les commettre. La vertu et le crime sont toujours récompensés ou punis. La libéralité est valorisée, mais elle doit être régie par le bon goût et l'équité. Donner promptement est plus gracieux que de différer. Il est préférable de juger la générosité de quelqu'un en regardant dans son cœur plutôt que dans sa main. Le texte met en garde contre les contradictions et la curiosité excessive, qui peuvent révéler des secrets. Les jeunes parlent de ce qu'ils font, les vieillards de ce qu'ils ont fait, et les sots de ce qu'ils ont envie de faire. Le sage parle peu de ce qu'il sait et jamais de ce qu'il ignore. La science de certains n'est qu'un enchaînement de mots, et le silence cache souvent l'ignorance. La véritable piété doit être compatible avec l'honnêteté et les bienséances de la vie civile.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 2772-2781
REFLEXIONS Sur l'Amour.
Début :
Le desir d'être aimé est un des plus grands effets de l'aveuglement des [...]
Mots clefs :
Amour, Réflexions, Désir d'être aimé, Aveuglement, Craintes, Confiance, Mérite, Dangereux, Crédulité, Dire
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS Sur l'Amour.
REFLEXIONS
Sur l'Amour.
E desir d'être aimé est un des plus
Lrands effets de l'aveuglement des
hommes. C'est la ruine des esprits , la
corruption des mœurs , la perte de la liberté , l'obsession des hommes et le plus
grand de tous les maux ; cependant la
misere humaine nous persuade que c'est le comble de la felicité.
Tout ce qui a rapport à l'objet aimé
est beau, parfait , admirable : Allucinatur
quisquis amat in eo quod amat. Plutarque.
Ceux qui sont aimez , adoptent les erreurs et les prennent pour des témoigna
ges des veritez les plus constantes ; ils
II. Vol. croyent
DECEMBRE. 1732. 2773
croyent ne pouvoir errer. Cela n'est pas
surprenant , car ceux qui nous aiment ne
sçauroient nous faire ouvrir les yeux , et
c'est une grande pitié de ne pouvoir être
repris ni corrigez que par ceux qui ne
sçauroient ni nous reprendre ni nous corriger. Hoc impedit quod nimis nobis pla
cemus. Seneque.
C'est le propre de l'Amour malheureux:
de s'abandonner à des soupçons et à des
craintes indignes qu'il condamne lui - même, et qui, en le persecutant , ne laissent
pas de l'engager dans des démarches souvent suivies d'un long repentir.
Les craintes de l'amour , disposent toujours à une confiance flateuse , qui fait
croire avec plaisir ce qui justifie la
sonne qu'on aime.
perQuand on mérite d'être aimé , on se
flate toûjours de l'être , et presque toujours plus qu'on ne l'est en effet.
Plus on aime tard et plus fortement
on aime.
Urit amorgravius , quò seriùs urimur intus. Ovide,
Sape venit magnofœnore tardus amor.
On II. Vol.
2774 MERCURE DE FRANCE
On ne doit jamais se picquer d'être
le martyr de la vanité ou du caprice
d'une Belle. On doit cesser d'aimer
aussi-tôt qu'on cesse d'être bien traité ;
car pourquoi vouloir malgré la Loi na
turelle , se faire un tourment de ce qu'elle a donné à l'homme comme un plaisir ?
nous devons cependant plaindre ceux
que l'erreur commune engage dans d'autres sentimens et qui sont les victimes
de leur propre aveuglement.
Amore si finge fanciullo per significar che per placarsi pretende doni : si
finge però anco cieco , per lasciarsi rapire quanto possiede.
Il n'est point de forme sous laquelle
l'Amour ne se déguise pour s'insinuer
dans un cœur , jusqu'à prendre celle de
la raison et de la vertu .
Un amour extrême est capable de faire
'dire tout ce qu'on ne pense pas , quand on
croit se pouvoir procurer ce qu'on desire.
L'amour est une contagion qui se communique presque toûjours par la fréquentation de ceux qui sont susceptibles de
cette passion.
II Vol. Ceux
DECEMBRE. 1732. 2775
Ceux qui n'aiment pas , ont rarement
de grandes joyes ; ceux qui aiment , ont
souvent de grandes tristesses.
Parmi les Amans la haine n'est bien
souvent qu'un amour déguisé ; mais
l'indifference est une veritable preuve
d'un amour éteint.
Amantes amoris nebulis obcacati falsa
pro veris accipiunt.
Plus l'amour est contraint , plus il est
ardent. Per vincula cresco.
On s'estimeroit heureux en amour , si
ce qui manque à notre félicité ne faisoit
celle de personne,
L'amour devient un plaisir bien froid,
s'il n'est attisé par la difficulté.
Quand un cœur tendre est assez irrité
pour devenir cruel , il passe d'un extrémité à l'autre , et la mesure de sa tendresse naturelle , devient celle de sa cruauté.
L'amour est plus dangereux et plus
outré aux vieillards qu'aux jeunes gens.
L'autunno del' età fassi ad un core ,
Tutt'amor . tutt'angoscia, è tutto ardore. Sperauza.
II. Vol. La
2776 MERCURE DE FRANCE
La vertu est une perfection de l'ame ;
l'amour est une imperfection , en ce qu'il
fait aimer en autrui ce qui nous manque
en nous-mêmes.
La crédulité, naturelle à l'amour, laisse
rarement la raison agir avec toutes ses
lumieres dans l'esprit d'un Amant ; elle
fait trouver possible les choses les plus
étranges , lorsqu'elles s'accordent avec ce
qu'on souhaite.
Laura dell'amore e un'esalatione pes
tifera , che ci offusca la ragione.
L'amour vous attaque inutilement , si
vous vous occupez par le travail et l'application : Otia si tollas , perere cupidinis arcus.
Il n'est pas sûr que l'amour fondé sur
la beauté , dure autant qu'elle ; mais il
est indubitable qu'il meurt avec elle.
Le bon homme Brantome , dit agréa
blement que qui veut être aimé sans aimer, ressemble à celui qui veut allumer
son flambeau avec une torche éteinte.
Qui aime est plus heureux que qui
II. Vol. est
DECEMBRE. 1732. 2777
est aimé. Cependant il est plus noble et
il devroit nous être plus agréable d'être
servis , que de servir.
Celui qui a de la haine est plus blamable que celui qui est haï. Or celui qui
aimedoit l'emporter sur celui qui est aimé;
car celui qui oblige, est plus genereux que
celui qui est obligé. L'amour de l'Amant fait la reconnoissance de la personne aimée , comme plus parfait et plus
digne. Les choses inanimées peuvent être
aimées , mais elles ne sçauroient jamais
aimer. Cognosci enim et amari etiam in carentibus anima existit at cognoscere et
amore rebus animatis. Arist. Melius est
amare quam amari. id. Divinior est amator,
quam amatus , est enim numinis afflatu per- citus. Plat.
Les Italiens disent proverbialement :
Amore , subito nato morire , se non e nodrito
dalla speranza.
C'est une grande question de sçavoir
si on a plus de mérite auprès d'une Maîtresse , en lui marquant beaucoup d'empressement , qu'en ne lui en témoignant
que peu,
Chi e amato perde la liberta , perche
II. Vol.
2778 MERCURE DE FRANCE
e obligato a suo dispetto ad amare chi
l'ama.
Quand on a veritablement donné son
cœur , on n'a plus rien qui ne soit au
pouvoir de celle qui le possede,
En guerre et en amour , les yeux sont
les premiers vaincus. Gli occhi , disent
les Italiens , sone sempre principio e fine
d'amore.
Quand on est bien amoureux on est
très- retenu par la crainte de déplaire à
l'objet aimé. Les médiocres passions inspitent toutes sortes de téméritez.
L'amour est le Roy des jeunes gens et
le Tyran des vieillards.
Le relâchement et le dégoût suivent
ordinairement les amours où il n'entre
que de la volupté.
Une infidelité qu'on prend soin de
cacher , promet plutôt un retour qu'un
engagement où l'on ne garde point de
mesures.
Comme les petits feux s'éteignent par
II. Vol les .
DECEMBRE. 1732. 2779
les grands orages, et les grands s'augmentent ; de même l'amour médiocre se refroidit par les difficultez , mais le grand
s'accroît.
Le Char de l'Amour est tiré par des
Lions , pour montrer que ce Dieu sçait
soumettre les animaux les plus féroces.
On ne se croit jamais miserable quand
on aime bien ; mais on croit l'avoir été
quand on n'aime plus.
L'amour est de telle nature , qu'il ne
peut jamais causer de plaisirs tranquilles ;
et soit qu'il donne de la joye où de la
douleur , c'est presque toûjours en desordre et avec tumulte et agitation..
Les premieres passions sont si bien les
plus fortes , qu'on pourroit dire que Souvent plus on aime , moins on sçait aimer.
L'amour qui s'établit par vanité , n'est
que vanité , et ne peut subsister. L'amour
fondé sur la beauté , meurt avec elle ;
l'amour qui vient par des interêts de famille , n'est qu'avarice ; l'amour que la
jeunesse inspire , n'est que legereté ; l'amour qui naît du tempéramment , est
11. Vol.
C aveugle
2780 MERCURE DE FRANCE
aveugle et grossier ; il n'y a que l'amour
que l'estime et la vertu font naître qui
soit solide et qu'on doive loüer.
Un homme bien amoureux , fait de
soi- même un spectacle très- agréable pour
la personne qu'il aime.
La perte des personnes dont nous som❤
mes aimez , est bien plus irréparable que
celle des personnes que nous aimons.
Une belle femme , d'un esprit médio.
cre , fait aisément beaucoup de conquêtes , mais elle ne les garde pas longtemps ; une femme d'esprit sans beauté
en fait peu et difficilement , mais elles
sont infiniment plus durables.
L'amour et la haine marchent souvent ensemble. Les Italiens disent , l'odio
non e contratrie d'Amore , ma sequaci d'amore.
Les larmes des femmes et les soupirs
des Amans , sont deux choses inépuisables , l'une ne coûte guere plus que l'autre , car la source en est intarissable ; c'est
comme un Bassin qui se remplit à me
sure qu'on y puise.
II. Vol. Selon
DECEMBRE. 1732 2781
Selon le Proverbe Espagnol : Mucho
sabe la zarra , pero sabe mas la Dona enamorada.
On a beau dire , une femme est bien
à plaindre quand elle a tout ensemble
de l'amour et de la vertu.
La prudence et l'amour ne sont pas
faits l'un pour l'autre. Tandis que l'amour croît , la prudence diminuë.
Vouloir qu'on soit amoureux avec mesure , c'est vouloir qu'on soit fou avec
raison.
Dans les commencemens d'une tendre
passion , on est trop crédule ; on l'est
trop peu dans la suite . De- là les inquietudes , les soupçons , les reproches , les -
ruptures.
Sur l'Amour.
E desir d'être aimé est un des plus
Lrands effets de l'aveuglement des
hommes. C'est la ruine des esprits , la
corruption des mœurs , la perte de la liberté , l'obsession des hommes et le plus
grand de tous les maux ; cependant la
misere humaine nous persuade que c'est le comble de la felicité.
Tout ce qui a rapport à l'objet aimé
est beau, parfait , admirable : Allucinatur
quisquis amat in eo quod amat. Plutarque.
Ceux qui sont aimez , adoptent les erreurs et les prennent pour des témoigna
ges des veritez les plus constantes ; ils
II. Vol. croyent
DECEMBRE. 1732. 2773
croyent ne pouvoir errer. Cela n'est pas
surprenant , car ceux qui nous aiment ne
sçauroient nous faire ouvrir les yeux , et
c'est une grande pitié de ne pouvoir être
repris ni corrigez que par ceux qui ne
sçauroient ni nous reprendre ni nous corriger. Hoc impedit quod nimis nobis pla
cemus. Seneque.
C'est le propre de l'Amour malheureux:
de s'abandonner à des soupçons et à des
craintes indignes qu'il condamne lui - même, et qui, en le persecutant , ne laissent
pas de l'engager dans des démarches souvent suivies d'un long repentir.
Les craintes de l'amour , disposent toujours à une confiance flateuse , qui fait
croire avec plaisir ce qui justifie la
sonne qu'on aime.
perQuand on mérite d'être aimé , on se
flate toûjours de l'être , et presque toujours plus qu'on ne l'est en effet.
Plus on aime tard et plus fortement
on aime.
Urit amorgravius , quò seriùs urimur intus. Ovide,
Sape venit magnofœnore tardus amor.
On II. Vol.
2774 MERCURE DE FRANCE
On ne doit jamais se picquer d'être
le martyr de la vanité ou du caprice
d'une Belle. On doit cesser d'aimer
aussi-tôt qu'on cesse d'être bien traité ;
car pourquoi vouloir malgré la Loi na
turelle , se faire un tourment de ce qu'elle a donné à l'homme comme un plaisir ?
nous devons cependant plaindre ceux
que l'erreur commune engage dans d'autres sentimens et qui sont les victimes
de leur propre aveuglement.
Amore si finge fanciullo per significar che per placarsi pretende doni : si
finge però anco cieco , per lasciarsi rapire quanto possiede.
Il n'est point de forme sous laquelle
l'Amour ne se déguise pour s'insinuer
dans un cœur , jusqu'à prendre celle de
la raison et de la vertu .
Un amour extrême est capable de faire
'dire tout ce qu'on ne pense pas , quand on
croit se pouvoir procurer ce qu'on desire.
L'amour est une contagion qui se communique presque toûjours par la fréquentation de ceux qui sont susceptibles de
cette passion.
II Vol. Ceux
DECEMBRE. 1732. 2775
Ceux qui n'aiment pas , ont rarement
de grandes joyes ; ceux qui aiment , ont
souvent de grandes tristesses.
Parmi les Amans la haine n'est bien
souvent qu'un amour déguisé ; mais
l'indifference est une veritable preuve
d'un amour éteint.
Amantes amoris nebulis obcacati falsa
pro veris accipiunt.
Plus l'amour est contraint , plus il est
ardent. Per vincula cresco.
On s'estimeroit heureux en amour , si
ce qui manque à notre félicité ne faisoit
celle de personne,
L'amour devient un plaisir bien froid,
s'il n'est attisé par la difficulté.
Quand un cœur tendre est assez irrité
pour devenir cruel , il passe d'un extrémité à l'autre , et la mesure de sa tendresse naturelle , devient celle de sa cruauté.
L'amour est plus dangereux et plus
outré aux vieillards qu'aux jeunes gens.
L'autunno del' età fassi ad un core ,
Tutt'amor . tutt'angoscia, è tutto ardore. Sperauza.
II. Vol. La
2776 MERCURE DE FRANCE
La vertu est une perfection de l'ame ;
l'amour est une imperfection , en ce qu'il
fait aimer en autrui ce qui nous manque
en nous-mêmes.
La crédulité, naturelle à l'amour, laisse
rarement la raison agir avec toutes ses
lumieres dans l'esprit d'un Amant ; elle
fait trouver possible les choses les plus
étranges , lorsqu'elles s'accordent avec ce
qu'on souhaite.
Laura dell'amore e un'esalatione pes
tifera , che ci offusca la ragione.
L'amour vous attaque inutilement , si
vous vous occupez par le travail et l'application : Otia si tollas , perere cupidinis arcus.
Il n'est pas sûr que l'amour fondé sur
la beauté , dure autant qu'elle ; mais il
est indubitable qu'il meurt avec elle.
Le bon homme Brantome , dit agréa
blement que qui veut être aimé sans aimer, ressemble à celui qui veut allumer
son flambeau avec une torche éteinte.
Qui aime est plus heureux que qui
II. Vol. est
DECEMBRE. 1732. 2777
est aimé. Cependant il est plus noble et
il devroit nous être plus agréable d'être
servis , que de servir.
Celui qui a de la haine est plus blamable que celui qui est haï. Or celui qui
aimedoit l'emporter sur celui qui est aimé;
car celui qui oblige, est plus genereux que
celui qui est obligé. L'amour de l'Amant fait la reconnoissance de la personne aimée , comme plus parfait et plus
digne. Les choses inanimées peuvent être
aimées , mais elles ne sçauroient jamais
aimer. Cognosci enim et amari etiam in carentibus anima existit at cognoscere et
amore rebus animatis. Arist. Melius est
amare quam amari. id. Divinior est amator,
quam amatus , est enim numinis afflatu per- citus. Plat.
Les Italiens disent proverbialement :
Amore , subito nato morire , se non e nodrito
dalla speranza.
C'est une grande question de sçavoir
si on a plus de mérite auprès d'une Maîtresse , en lui marquant beaucoup d'empressement , qu'en ne lui en témoignant
que peu,
Chi e amato perde la liberta , perche
II. Vol.
2778 MERCURE DE FRANCE
e obligato a suo dispetto ad amare chi
l'ama.
Quand on a veritablement donné son
cœur , on n'a plus rien qui ne soit au
pouvoir de celle qui le possede,
En guerre et en amour , les yeux sont
les premiers vaincus. Gli occhi , disent
les Italiens , sone sempre principio e fine
d'amore.
Quand on est bien amoureux on est
très- retenu par la crainte de déplaire à
l'objet aimé. Les médiocres passions inspitent toutes sortes de téméritez.
L'amour est le Roy des jeunes gens et
le Tyran des vieillards.
Le relâchement et le dégoût suivent
ordinairement les amours où il n'entre
que de la volupté.
Une infidelité qu'on prend soin de
cacher , promet plutôt un retour qu'un
engagement où l'on ne garde point de
mesures.
Comme les petits feux s'éteignent par
II. Vol les .
DECEMBRE. 1732. 2779
les grands orages, et les grands s'augmentent ; de même l'amour médiocre se refroidit par les difficultez , mais le grand
s'accroît.
Le Char de l'Amour est tiré par des
Lions , pour montrer que ce Dieu sçait
soumettre les animaux les plus féroces.
On ne se croit jamais miserable quand
on aime bien ; mais on croit l'avoir été
quand on n'aime plus.
L'amour est de telle nature , qu'il ne
peut jamais causer de plaisirs tranquilles ;
et soit qu'il donne de la joye où de la
douleur , c'est presque toûjours en desordre et avec tumulte et agitation..
Les premieres passions sont si bien les
plus fortes , qu'on pourroit dire que Souvent plus on aime , moins on sçait aimer.
L'amour qui s'établit par vanité , n'est
que vanité , et ne peut subsister. L'amour
fondé sur la beauté , meurt avec elle ;
l'amour qui vient par des interêts de famille , n'est qu'avarice ; l'amour que la
jeunesse inspire , n'est que legereté ; l'amour qui naît du tempéramment , est
11. Vol.
C aveugle
2780 MERCURE DE FRANCE
aveugle et grossier ; il n'y a que l'amour
que l'estime et la vertu font naître qui
soit solide et qu'on doive loüer.
Un homme bien amoureux , fait de
soi- même un spectacle très- agréable pour
la personne qu'il aime.
La perte des personnes dont nous som❤
mes aimez , est bien plus irréparable que
celle des personnes que nous aimons.
Une belle femme , d'un esprit médio.
cre , fait aisément beaucoup de conquêtes , mais elle ne les garde pas longtemps ; une femme d'esprit sans beauté
en fait peu et difficilement , mais elles
sont infiniment plus durables.
L'amour et la haine marchent souvent ensemble. Les Italiens disent , l'odio
non e contratrie d'Amore , ma sequaci d'amore.
Les larmes des femmes et les soupirs
des Amans , sont deux choses inépuisables , l'une ne coûte guere plus que l'autre , car la source en est intarissable ; c'est
comme un Bassin qui se remplit à me
sure qu'on y puise.
II. Vol. Selon
DECEMBRE. 1732 2781
Selon le Proverbe Espagnol : Mucho
sabe la zarra , pero sabe mas la Dona enamorada.
On a beau dire , une femme est bien
à plaindre quand elle a tout ensemble
de l'amour et de la vertu.
La prudence et l'amour ne sont pas
faits l'un pour l'autre. Tandis que l'amour croît , la prudence diminuë.
Vouloir qu'on soit amoureux avec mesure , c'est vouloir qu'on soit fou avec
raison.
Dans les commencemens d'une tendre
passion , on est trop crédule ; on l'est
trop peu dans la suite . De- là les inquietudes , les soupçons , les reproches , les -
ruptures.
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Résumé : REFLEXIONS Sur l'Amour.
Le texte 'Réflexions sur l'Amour' examine les multiples facettes de l'amour et ses impacts sur les individus. L'amour est présenté comme un puissant facteur d'aveuglement, entraînant la ruine des esprits, la corruption des mœurs et la perte de la liberté. Contrairement à la croyance populaire, il est considéré comme le plus grand des maux plutôt qu'une source de bonheur. Les personnes amoureuses tendent à idéaliser l'objet de leur affection, trouvant en lui des qualités parfaites et adoptant ses erreurs comme des vérités. L'amour malheureux est marqué par des soupçons et des craintes, menant souvent à des actions regrettables. L'amour est décrit comme une contagion qui se transmet par la fréquentation. Ceux qui n'aiment pas connaissent rarement de grandes joies, tandis que ceux qui aiment éprouvent souvent de grandes tristesses. La haine entre amants est souvent un amour déguisé, mais l'indifférence signale un amour éteint. L'amour contraint est plus ardent et plus dangereux chez les vieillards que chez les jeunes. La vertu est vue comme une perfection de l'âme, tandis que l'amour est une imperfection, car il fait aimer en autrui ce qui manque en soi. L'amour est influencé par la crédulité, qui empêche la raison d'agir pleinement dans l'esprit de l'amant. L'amour fondé sur la beauté ne dure pas autant qu'elle. Celui qui aime est plus heureux que celui qui est aimé, bien que servir soit plus noble. L'amour est comparé à un roi pour les jeunes et à un tyran pour les vieillards. Les premières passions sont les plus fortes, mais l'amour véritable naît de l'estime et de la vertu. Enfin, le texte note que l'amour et la haine marchent souvent ensemble, et que les larmes des femmes et les soupirs des amants sont inépuisables.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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13
p. 1990-2002
REFLEXIONS.
Début :
Les hommes ne sçavent ni donner ni perdre à propos. [...]
Mots clefs :
Hommes, Mal, Mérite, Beauté, Politesse, Bienfaits, Esprit, Homme, Femmes, Justice, Grandeur, Paraître, Vertu, Réflexions, Défauts, Monde
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
Lperdre à
propos .
Es hommes ne sçavent ni donner ni
Pecuniam in loco negligere , maximum interdum
lucrum est. Terence . Adelph.
L'esprit de l'homme se connoît à ses
paroles et sa naissance ou son éducation
à ses actions.
C'est le destin de l'homme de ne jamais
SEPTEMBRE . 1733. 1991
mais connoîce Son vrai bien , et de chercher
courant à être plus mal , pour vou
mieux.
Il est plus aisé d'abuser les hommes
par une narration où il entre du merveilleux
, que de les instruire par un
récit simple et naïf.
Nous sommes presque tous de telle
condition , que nous sommes fâchez d'être
ce que nous sommes.
On ne doit jamais parler de soi ni en
bien , parce qu'on ne nous croit point ,
ni en mal , parce qu'on en croit plus
qu'on n'en dit.
Les hommes prétendent que les femmes
leur sont fort inferieures en mérite , cependant
ils ne veulent leur passer aucun
défaut , et ils éclatent en mauvaise
humeur quand elles en remarquent quelqu'un
marqué en eux . Ils devroient opter
, s'appliquer à avoir moins de défauts
qu'elles , ou avoir moins de sévérité pour
les leurs.
Un homme toujours satisfait de luimême
, l'est peu souvent des autres ; rarement
on l'est de lui.
On
1992 MERCURE DE FRANCE
On trouve bien des hommes qui s'avoient
avares , vindicatifs , yvrognes ,
orgueilleux , poltrons même ; mais l'en
vie et l'ingratitude sont des passions si
lâches et si odieuses, que jamais personne
n'en demeura d'accord. Il n'y a point
de vertus compatibles avec les vices , et
point de crimes ausquels elles ne puissent
conduire.
La plupart des hommes ont bien plus
d'affectation et d'adresse pour excuser
leurs fautes , que d'attention pour n'en
point commettre.
Quand on paroît aimable aux yeux
des hommes , on paroît à leur esprit
tout ce qu'on veut .
Il n'est pas plus dangereux de faire du
mal à la plupart des hommes , que de
leur faire trop de bien .
Les hommes ont plus d'interêt à cor
riger les défauts de l'esprit , que ceux du
corps ; ils agissent cependant comme s'ile
étoi.nt persuadez du contraire.
Les hommes ont une application continuelle
à cacher et à déguiser leurs vices
СБ
SEPTEMBRE. 1733. 1993
et leurs défauts ; ils auroient peut- être
moins de peine à s'en corriger.
La vertu est souvent voilée par la modestie
, et le vice par l'hypocrisie ; ainsi
il est bien difficile de pouvoir penetrer
l'interieur des hommes.
Il est aussi avantageux aux hommes
de publier les bienfaits qu'ils reçoivent,
u'il leur est desavantageux de se plaindre
de leurs disgraces.
qu'il
Les hommes sont aveugles dans leurs
desirs , leurs pensées sont trompeuses ,
leurs discours et leurs esperances folles ,
et leurs apétits dereglez. Omnes decipimur
specie recti , dit Horace . Car à plusieurs
une blessure a procuré la santé ,
et l'on s'est trouvé quelquefois au comble
de la gloire , quand on ne devoit attendre
que l'infamie ou la mort.
Les hommes ne sont pas obligez d'être
bien faits , d'êtres riches ; ils sont obligez
d'avoir de la probité et de l'honneur,
Les hommes trouvent presque toujours
la peine , quand ils la fuyent avec
trop d'empressement.
Etre
1994 MERCURE DE FRANCE
Etre utile au Public , est un call tere
brillant ; ne nuire à personne , est un
état de vertu obscur , mais for rava Il
faudroit que les hommes avant que d'êtres
utiles au Public , cessassent de nuire
à qui que ce soit.
On doit plaindre presque également
un homme riche qui n'a qu'une bonne table
, et un pauvre qui n'a que de l'apétit.
C'est une grande foiblesse à un Prince
de n'oser refuser justement ce qu'on ose
bien lui demander sans avoir égard à
la justice.
Les Grands , pour l'ordinaire , se contentent
de sentir qu'on leur est agréàble
, sans approfondir si on mérite de
l'être. Leur plus importante occupation
cependant devroit être de connoître les
hommes , puisqu'ils veulent passer pour
les images de la divinité ; mais ils craignent
en cela de se détromper , de peur
de trouver souvent leurs Favoris indignes
de leurs bontez , et les autres hommes
qu'ils ne regardent pas , dignes de
plus de distinction .
Les Souverains se picquent d'ordinaire
de
SEPTEMBRE. 1733. 1995
7
de constance ; ils condamneroient plutôt
leurs propres Enfans que de blâmer
un Sujet choisi de leur main . Ils ne crais
tant de paroître malheureux
dat leur famille
Pears
jugemens.
, que mal- habiles dans
Ifatti de Principi , hanno ogn'altra facsia
che la vera.
Il est bien rare que les Grands n'abusent
pas de leur grandeur.
Il y a cette difference entre le Peuple
et les Grands ; que celui - là perd fa- .
cilement le souvenir des bienfaits et des
injures , au lieu que celui- cy oublie facilement
les plaisirs reçûs , et se souvient
toujours des injures.
Plusieurs méprisent la grandeur , afin
de s'élever dans leur imagination audessus
des Grands et de se bâtir ainsi une
grandeur imaginaire. De même qu'en
méprisant les richesses, c'est souvent pour
se faire un petit trésor de vanité , qui
tienne lieu de ce qu'on n'a pas.
Les Princes doivent être extrémement
attentifs à moderer tellement , même
leurs
1996 MERCURE DE FRANCE
à
leurs vertus , que l'une ne nuise pas
l'autre par son excès . Prendre garde sur
tout que leur justice et leur bonté ne
s'entre- détruise ; car à vouloir êne trop
juste , on devient odieux ; à vouloir être
trop bon , on devient méprisable.
L'estime des Grands est quelquefois
facile à acquerir , mais elle est toujours
difficile à conserver.
Selon le sentiment d'Epicure , il doit
être plus agréable de donner que de recevoir.
L'ingratitude même ne doit pas nous
empêcher de faire du bien , car il vaut
encore mieux que les bienfaits se perdent
dans les mains des ingrats , que
dans les nôtres.
Rien ne s'achette plus cherement que
ce qu'on achette par les prieres.
L'avidité de recevoir un nouveau bien--
fait , fait oublier celui qu'on a déja reçû .
Cupiditas accipiendorum oblivionem facit
acceptorum. Seneq .
Nous traçons sur la poussiere les bienfaits
SEPTEMBRE . 1733. 1997
faits que nous recevons , et nous gravons
sur le marbre le mal qu'on nous
fait , dit un Ancien.
Un bienfait desaprouvé n'est gra
ce que pour un seul , et c'est une injure
pour plusieurs.
Le bienfait n'est tel que par le bon
usage qu'en fait celui qui le reçoit .
De toutes les choses du monde , celle
qui vieillit le plus aisément et le plu
tôt , c'est le bienfair.
- Plusieurs sçavent perdre leurs biens ;
mais peu les sçavent donner .
Faire du bien aux méchants
souvent faire du mal aux bons.
c'est
Presque toujours lorsque les bienfaits
vont trop loin , la haine prend la place
de la reconnoissance.
Il y a des plaisirs dont on se paye par
ses mains ; celui d'en faire aux autres
est de cette nature.
I Beneficii ordinariamente si vedono
E contra
1998 MERCURE DE FRANCE
sontra cambiati , con ingratitudine infinita ;
più per l'impertinenza che il Benef
usa nell'esigere la gratitudine del of
altrui , che per la discortesia di d
il beneficio.
Gli Beneficii si ricevano sempre volentieri
, ma non sempre volentieri si vede il
Benefattore.
Nous sommes toujours extrémement
agréables à ceux à qui nous donnons
occasion de l'être.
Une femme ne trouve rien de si diffi
cile à faire que de s'accoûtumer à n'être
plus belle , quand elle l'a été pare
faitement,
Il n'y a pas de femme , si laide soitelle
, qui ne se trouve quelque trait de
beauté.
Sibi quaque videtur amanda,
Pessima sit , nulli non sua forma placet.
Ovid. de Art. Am. L. 23
La beauté dans le Sexe expose à tant
de périls , qu'il est bien difficile qu'on
ne succombe pas à quelques- uns .
Les
SEPTEMBRE. 1733. 1999
gou-
Les femmes ont souvent raison de vouloir
, à quelque prix que ce soit , paroître
belies, puisque c'est tout ce que les hommes
leur ont laissé ; car , point de
vernement pour elles , point d'autorité
absoluë , point de conduite d'ames , point
de pouvoir dans l'Eglise , point de possession
de Charges , point d'entrée dans
le Secret des affaires d'Etat.Il semble même
qu'on leur veuille ôter jusqu'à l'esprit
, en traitant de précieuses celles qui
en font paroître. Laissons -leur donc la
beauté , et quand elles n'en ont point ,
laissons - leur du moins le plaisir de croire
qu'elles en ont.
La laideur fait quelquefois présumer la
vertu où elle n'est pas ; et la beauté a
cela de funeste , qu'on croit les belles
personnes capables de toutes les foiblesses
qu'elles causent .
La beauté sans la grace, est un apas sans
hameçon.
En désirant trop ardemment de plaire,
on ne se rend pas plus aimable.
La réputation qui vient de la beauté
est quelque chose de si délicat parmi les
E ij
Fem-
885481
2000 MERCURE DE FRANCE
Femmes, qu'encore qu'elles ayent la plus
grande indifférence du monde pour quel
qu'un , jamais pourtant cette indirerence
n'ira jusqu'à vouloir que ce quelqu'un
porte ailleurs ses hommages et ses soupirs.
Tant de fierté qu'on voudra , une
belle personne regarde toujours la fuite
d'un amant sans mérite si on veut , et
qu'elle n'estime pas , comme autant de
diminué sur son empire.
Il
y
des beautez si engageantes , que
si on ne fuit , sans hésiter, on ne fuit pas
loin. On ne peut aller tout au plus que
de la longueur de ses chaînes.
Le véritable Efprit de Politesse consiste
dans une certaine attention à faire ensorte
que par nos paroles et par nos manieres
, les autres soient contens de nous
et d'eux -mêmes.
L'incivilité n'est pas un vice de l'ame ;
elle est l'effet de plusieurs vices ; de la
sotte vanité , de l'ignorance de ses devoirs
, de la paresse , de la stupidité , de
la distraction , du mépris des autres de
la jalousie , & c.
Rien n'est plus contraire à la véritable
poSEPTEMDA
E. *733• 2001
politesse et à la bienséance , que
de l'observer
avec trop d'affectation ; c'est s'incommoder
, c'est s'embarrasser , pour incommoder
, pour embarrasser les autres.
Il eft presqu'autant contre la bienséance
de se cachet en faisant le bien , que de
chercher à se faire voir en faisant le mal.
Tel croit mériter le nom de Poli , qui
ne mérite que celui de Dameret ou de
Pindariseur. La vraie Politesse est souvent
confondue avec des qualitez qui
méritent plus de blâme que de loüange.
On doit obeir sans cesse à la Loy des
usages et des bienséances ; il n'y a que
les Loix de la necessité qui nous dispensent
de toutes les autres.
On voit beaucoup de gens qui sçavent
comme on vit , mais fort peu qui sçachent
vivre ; c'est qu'on est trop curieux
de sçavoir ce que le monde fait , et qu'on
ne l'est pas assez de ce qu'il devroit
Faire.
La Politesse ne donne pas le mérite ,
mais elle le rend agréable , sans elle ildevient
presque insupportable , car il est
farauche et sans agrément. E iij
2002 MERCURE DE FRANCE
"
On perd presque tout le mérite du
bien,si on le fait sans Politesse ; unc mauvaise
maniere gâte tout , elle, défigure
même la justice et la raison .
Le chef- d'oeuvre de la Politesse est de
n'insulter jamais à ceux qui en manquent,
et de se contenter de les instruire par
l'exemple , sans rien faire davantage .
Lperdre à
propos .
Es hommes ne sçavent ni donner ni
Pecuniam in loco negligere , maximum interdum
lucrum est. Terence . Adelph.
L'esprit de l'homme se connoît à ses
paroles et sa naissance ou son éducation
à ses actions.
C'est le destin de l'homme de ne jamais
SEPTEMBRE . 1733. 1991
mais connoîce Son vrai bien , et de chercher
courant à être plus mal , pour vou
mieux.
Il est plus aisé d'abuser les hommes
par une narration où il entre du merveilleux
, que de les instruire par un
récit simple et naïf.
Nous sommes presque tous de telle
condition , que nous sommes fâchez d'être
ce que nous sommes.
On ne doit jamais parler de soi ni en
bien , parce qu'on ne nous croit point ,
ni en mal , parce qu'on en croit plus
qu'on n'en dit.
Les hommes prétendent que les femmes
leur sont fort inferieures en mérite , cependant
ils ne veulent leur passer aucun
défaut , et ils éclatent en mauvaise
humeur quand elles en remarquent quelqu'un
marqué en eux . Ils devroient opter
, s'appliquer à avoir moins de défauts
qu'elles , ou avoir moins de sévérité pour
les leurs.
Un homme toujours satisfait de luimême
, l'est peu souvent des autres ; rarement
on l'est de lui.
On
1992 MERCURE DE FRANCE
On trouve bien des hommes qui s'avoient
avares , vindicatifs , yvrognes ,
orgueilleux , poltrons même ; mais l'en
vie et l'ingratitude sont des passions si
lâches et si odieuses, que jamais personne
n'en demeura d'accord. Il n'y a point
de vertus compatibles avec les vices , et
point de crimes ausquels elles ne puissent
conduire.
La plupart des hommes ont bien plus
d'affectation et d'adresse pour excuser
leurs fautes , que d'attention pour n'en
point commettre.
Quand on paroît aimable aux yeux
des hommes , on paroît à leur esprit
tout ce qu'on veut .
Il n'est pas plus dangereux de faire du
mal à la plupart des hommes , que de
leur faire trop de bien .
Les hommes ont plus d'interêt à cor
riger les défauts de l'esprit , que ceux du
corps ; ils agissent cependant comme s'ile
étoi.nt persuadez du contraire.
Les hommes ont une application continuelle
à cacher et à déguiser leurs vices
СБ
SEPTEMBRE. 1733. 1993
et leurs défauts ; ils auroient peut- être
moins de peine à s'en corriger.
La vertu est souvent voilée par la modestie
, et le vice par l'hypocrisie ; ainsi
il est bien difficile de pouvoir penetrer
l'interieur des hommes.
Il est aussi avantageux aux hommes
de publier les bienfaits qu'ils reçoivent,
u'il leur est desavantageux de se plaindre
de leurs disgraces.
qu'il
Les hommes sont aveugles dans leurs
desirs , leurs pensées sont trompeuses ,
leurs discours et leurs esperances folles ,
et leurs apétits dereglez. Omnes decipimur
specie recti , dit Horace . Car à plusieurs
une blessure a procuré la santé ,
et l'on s'est trouvé quelquefois au comble
de la gloire , quand on ne devoit attendre
que l'infamie ou la mort.
Les hommes ne sont pas obligez d'être
bien faits , d'êtres riches ; ils sont obligez
d'avoir de la probité et de l'honneur,
Les hommes trouvent presque toujours
la peine , quand ils la fuyent avec
trop d'empressement.
Etre
1994 MERCURE DE FRANCE
Etre utile au Public , est un call tere
brillant ; ne nuire à personne , est un
état de vertu obscur , mais for rava Il
faudroit que les hommes avant que d'êtres
utiles au Public , cessassent de nuire
à qui que ce soit.
On doit plaindre presque également
un homme riche qui n'a qu'une bonne table
, et un pauvre qui n'a que de l'apétit.
C'est une grande foiblesse à un Prince
de n'oser refuser justement ce qu'on ose
bien lui demander sans avoir égard à
la justice.
Les Grands , pour l'ordinaire , se contentent
de sentir qu'on leur est agréàble
, sans approfondir si on mérite de
l'être. Leur plus importante occupation
cependant devroit être de connoître les
hommes , puisqu'ils veulent passer pour
les images de la divinité ; mais ils craignent
en cela de se détromper , de peur
de trouver souvent leurs Favoris indignes
de leurs bontez , et les autres hommes
qu'ils ne regardent pas , dignes de
plus de distinction .
Les Souverains se picquent d'ordinaire
de
SEPTEMBRE. 1733. 1995
7
de constance ; ils condamneroient plutôt
leurs propres Enfans que de blâmer
un Sujet choisi de leur main . Ils ne crais
tant de paroître malheureux
dat leur famille
Pears
jugemens.
, que mal- habiles dans
Ifatti de Principi , hanno ogn'altra facsia
che la vera.
Il est bien rare que les Grands n'abusent
pas de leur grandeur.
Il y a cette difference entre le Peuple
et les Grands ; que celui - là perd fa- .
cilement le souvenir des bienfaits et des
injures , au lieu que celui- cy oublie facilement
les plaisirs reçûs , et se souvient
toujours des injures.
Plusieurs méprisent la grandeur , afin
de s'élever dans leur imagination audessus
des Grands et de se bâtir ainsi une
grandeur imaginaire. De même qu'en
méprisant les richesses, c'est souvent pour
se faire un petit trésor de vanité , qui
tienne lieu de ce qu'on n'a pas.
Les Princes doivent être extrémement
attentifs à moderer tellement , même
leurs
1996 MERCURE DE FRANCE
à
leurs vertus , que l'une ne nuise pas
l'autre par son excès . Prendre garde sur
tout que leur justice et leur bonté ne
s'entre- détruise ; car à vouloir êne trop
juste , on devient odieux ; à vouloir être
trop bon , on devient méprisable.
L'estime des Grands est quelquefois
facile à acquerir , mais elle est toujours
difficile à conserver.
Selon le sentiment d'Epicure , il doit
être plus agréable de donner que de recevoir.
L'ingratitude même ne doit pas nous
empêcher de faire du bien , car il vaut
encore mieux que les bienfaits se perdent
dans les mains des ingrats , que
dans les nôtres.
Rien ne s'achette plus cherement que
ce qu'on achette par les prieres.
L'avidité de recevoir un nouveau bien--
fait , fait oublier celui qu'on a déja reçû .
Cupiditas accipiendorum oblivionem facit
acceptorum. Seneq .
Nous traçons sur la poussiere les bienfaits
SEPTEMBRE . 1733. 1997
faits que nous recevons , et nous gravons
sur le marbre le mal qu'on nous
fait , dit un Ancien.
Un bienfait desaprouvé n'est gra
ce que pour un seul , et c'est une injure
pour plusieurs.
Le bienfait n'est tel que par le bon
usage qu'en fait celui qui le reçoit .
De toutes les choses du monde , celle
qui vieillit le plus aisément et le plu
tôt , c'est le bienfair.
- Plusieurs sçavent perdre leurs biens ;
mais peu les sçavent donner .
Faire du bien aux méchants
souvent faire du mal aux bons.
c'est
Presque toujours lorsque les bienfaits
vont trop loin , la haine prend la place
de la reconnoissance.
Il y a des plaisirs dont on se paye par
ses mains ; celui d'en faire aux autres
est de cette nature.
I Beneficii ordinariamente si vedono
E contra
1998 MERCURE DE FRANCE
sontra cambiati , con ingratitudine infinita ;
più per l'impertinenza che il Benef
usa nell'esigere la gratitudine del of
altrui , che per la discortesia di d
il beneficio.
Gli Beneficii si ricevano sempre volentieri
, ma non sempre volentieri si vede il
Benefattore.
Nous sommes toujours extrémement
agréables à ceux à qui nous donnons
occasion de l'être.
Une femme ne trouve rien de si diffi
cile à faire que de s'accoûtumer à n'être
plus belle , quand elle l'a été pare
faitement,
Il n'y a pas de femme , si laide soitelle
, qui ne se trouve quelque trait de
beauté.
Sibi quaque videtur amanda,
Pessima sit , nulli non sua forma placet.
Ovid. de Art. Am. L. 23
La beauté dans le Sexe expose à tant
de périls , qu'il est bien difficile qu'on
ne succombe pas à quelques- uns .
Les
SEPTEMBRE. 1733. 1999
gou-
Les femmes ont souvent raison de vouloir
, à quelque prix que ce soit , paroître
belies, puisque c'est tout ce que les hommes
leur ont laissé ; car , point de
vernement pour elles , point d'autorité
absoluë , point de conduite d'ames , point
de pouvoir dans l'Eglise , point de possession
de Charges , point d'entrée dans
le Secret des affaires d'Etat.Il semble même
qu'on leur veuille ôter jusqu'à l'esprit
, en traitant de précieuses celles qui
en font paroître. Laissons -leur donc la
beauté , et quand elles n'en ont point ,
laissons - leur du moins le plaisir de croire
qu'elles en ont.
La laideur fait quelquefois présumer la
vertu où elle n'est pas ; et la beauté a
cela de funeste , qu'on croit les belles
personnes capables de toutes les foiblesses
qu'elles causent .
La beauté sans la grace, est un apas sans
hameçon.
En désirant trop ardemment de plaire,
on ne se rend pas plus aimable.
La réputation qui vient de la beauté
est quelque chose de si délicat parmi les
E ij
Fem-
885481
2000 MERCURE DE FRANCE
Femmes, qu'encore qu'elles ayent la plus
grande indifférence du monde pour quel
qu'un , jamais pourtant cette indirerence
n'ira jusqu'à vouloir que ce quelqu'un
porte ailleurs ses hommages et ses soupirs.
Tant de fierté qu'on voudra , une
belle personne regarde toujours la fuite
d'un amant sans mérite si on veut , et
qu'elle n'estime pas , comme autant de
diminué sur son empire.
Il
y
des beautez si engageantes , que
si on ne fuit , sans hésiter, on ne fuit pas
loin. On ne peut aller tout au plus que
de la longueur de ses chaînes.
Le véritable Efprit de Politesse consiste
dans une certaine attention à faire ensorte
que par nos paroles et par nos manieres
, les autres soient contens de nous
et d'eux -mêmes.
L'incivilité n'est pas un vice de l'ame ;
elle est l'effet de plusieurs vices ; de la
sotte vanité , de l'ignorance de ses devoirs
, de la paresse , de la stupidité , de
la distraction , du mépris des autres de
la jalousie , & c.
Rien n'est plus contraire à la véritable
poSEPTEMDA
E. *733• 2001
politesse et à la bienséance , que
de l'observer
avec trop d'affectation ; c'est s'incommoder
, c'est s'embarrasser , pour incommoder
, pour embarrasser les autres.
Il eft presqu'autant contre la bienséance
de se cachet en faisant le bien , que de
chercher à se faire voir en faisant le mal.
Tel croit mériter le nom de Poli , qui
ne mérite que celui de Dameret ou de
Pindariseur. La vraie Politesse est souvent
confondue avec des qualitez qui
méritent plus de blâme que de loüange.
On doit obeir sans cesse à la Loy des
usages et des bienséances ; il n'y a que
les Loix de la necessité qui nous dispensent
de toutes les autres.
On voit beaucoup de gens qui sçavent
comme on vit , mais fort peu qui sçachent
vivre ; c'est qu'on est trop curieux
de sçavoir ce que le monde fait , et qu'on
ne l'est pas assez de ce qu'il devroit
Faire.
La Politesse ne donne pas le mérite ,
mais elle le rend agréable , sans elle ildevient
presque insupportable , car il est
farauche et sans agrément. E iij
2002 MERCURE DE FRANCE
"
On perd presque tout le mérite du
bien,si on le fait sans Politesse ; unc mauvaise
maniere gâte tout , elle, défigure
même la justice et la raison .
Le chef- d'oeuvre de la Politesse est de
n'insulter jamais à ceux qui en manquent,
et de se contenter de les instruire par
l'exemple , sans rien faire davantage .
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Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore diverses réflexions sur la nature humaine et les comportements sociaux. Il met en lumière la difficulté des hommes à reconnaître et à rechercher leur véritable bien, souvent préférant le malheur. Les récits merveilleux trompent plus facilement les hommes que les récits simples. La plupart des gens sont insatisfaits de leur condition et évitent de parler de leurs défauts. Les hommes critiquent les femmes pour leurs défauts tout en étant intolérants aux remarques sur les leurs. Les vices comme l'avarice et l'ingratitude sont rarement admis par ceux qui les possèdent. Les hommes cachent et déguisent leurs défauts plutôt que de les corriger. La vertu est souvent voilée par la modestie, tandis que le vice l'est par l'hypocrisie. Il est avantageux de publier les bienfaits reçus et désavantageux de se plaindre des malheurs. Les hommes sont aveugles dans leurs désirs et leurs pensées sont trompeuses. Les grands et les souverains ont souvent des comportements contradictoires, abusant de leur pouvoir et étant intolérants aux critiques. Les bienfaits sont souvent oubliés rapidement, tandis que les injures sont gravées dans la mémoire. La beauté chez les femmes expose à des périls et est souvent la seule chose qu'elles peuvent utiliser pour se distinguer. La véritable politesse consiste à rendre les autres contents d'eux-mêmes et de soi, sans affectation. L'incivilité est l'effet de plusieurs vices, et la politesse rend le mérite agréable.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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14
p. 2196-2197
« PENSÉES MORALES ET CHRÉTUEBBES sur le texte de la Genése ; dédiées à [...] »
Début :
PENSÉES MORALES ET CHRÉTUEBBES sur le texte de la Genése ; dédiées à [...]
Mots clefs :
Réflexions, Maison, Pensées morales et chrétiennes, Des fonctions et du devoir d'un officier de cavalerie, Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France
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texteReconnaissance textuelle : « PENSÉES MORALES ET CHRÉTUEBBES sur le texte de la Genése ; dédiées à [...] »
ENSE'ES MORALES ET CHRE'TIENNES
sur le texte de la Genése ; dédiées à
M. le Duc d'Orleans , par M. l'Abbé le
Mere. A Roüen et se vend à Paris , ruë
Saint Jacques , chez Osmont. 1733. 2 volt
in 12.
DES FONCTIONS ET DU DEVOIR d'un Of
ficier de Cavalerie , avec des Réfléxions
sur l'Art Militaire , et sur le premier et le
second tome des Commentaires de Polybe
, par M. Folard. A Paris , rue S. Facques
chez Ganeau , in 12. prix 45 sols ,
et sans les Réfléxions , 30 sols,
HISTOIRE GENEALOGIQUE et Chronologique
de la Maison Royale de France.
des Pairs , Grands Officiers de la Couronne
, de la Maison du Roy , et des anciens
Barons du Royaume , avec les qualitez
, l'origine , le progrès et les armes
de leurs Familles ; ensemble les Statuts
et le Catalogue des Chevaliers , Commandeurs
et Officiers de l'Ordre du S.Esprit ;
Le
OCTOBRE . 1733. 2197
le tout dressé sur les Titres originaux,
sur les Registres des Chartres du Roy,du
Parlement , de la Chambre des Comptes
et du Châtelet de Paris , Cartulaires, Manuscrits
de la Biblioteque du Roy et d'autres
Cabinets curieux . Par le P. Anselme
Augustin déchaussé; continuée par M.Dufourny
; revue , corrigée et augmentée
par les soins du P. Ange et du P. Simplicien
, Augustins déchaussés : Par la Compagnie
des Libraires; in fol. 1733.7 ›
9 vol.
sur le texte de la Genése ; dédiées à
M. le Duc d'Orleans , par M. l'Abbé le
Mere. A Roüen et se vend à Paris , ruë
Saint Jacques , chez Osmont. 1733. 2 volt
in 12.
DES FONCTIONS ET DU DEVOIR d'un Of
ficier de Cavalerie , avec des Réfléxions
sur l'Art Militaire , et sur le premier et le
second tome des Commentaires de Polybe
, par M. Folard. A Paris , rue S. Facques
chez Ganeau , in 12. prix 45 sols ,
et sans les Réfléxions , 30 sols,
HISTOIRE GENEALOGIQUE et Chronologique
de la Maison Royale de France.
des Pairs , Grands Officiers de la Couronne
, de la Maison du Roy , et des anciens
Barons du Royaume , avec les qualitez
, l'origine , le progrès et les armes
de leurs Familles ; ensemble les Statuts
et le Catalogue des Chevaliers , Commandeurs
et Officiers de l'Ordre du S.Esprit ;
Le
OCTOBRE . 1733. 2197
le tout dressé sur les Titres originaux,
sur les Registres des Chartres du Roy,du
Parlement , de la Chambre des Comptes
et du Châtelet de Paris , Cartulaires, Manuscrits
de la Biblioteque du Roy et d'autres
Cabinets curieux . Par le P. Anselme
Augustin déchaussé; continuée par M.Dufourny
; revue , corrigée et augmentée
par les soins du P. Ange et du P. Simplicien
, Augustins déchaussés : Par la Compagnie
des Libraires; in fol. 1733.7 ›
9 vol.
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Résumé : « PENSÉES MORALES ET CHRÉTUEBBES sur le texte de la Genése ; dédiées à [...] »
Le document de 1733 présente trois ouvrages. Le premier, 'Ense'ES MORALES ET CHRE'TIENNES', est basé sur le texte de la Genèse et dédié à M. le Duc d'Orléans. Il est écrit par l'Abbé le Mere et disponible à Rouen et Paris chez Osmont, en deux volumes in-12. Le second ouvrage, 'DES FONCTIONS ET DU DEVOIR d'un Of ficier de Cavalerie', inclut des réflexions sur l'art militaire et des commentaires de Polybe, par M. Folard. Il est vendu à Paris chez Ganeau, en in-12, au prix de 45 sols avec les réflexions et 30 sols sans elles. Enfin, 'HISTOIRE GENEALOGIQUE et Chronologique de la Maison Royale de France' traite des pairs, grands officiers de la couronne, de la maison du roi, et des anciens barons du royaume. Cet ouvrage, compilé à partir de divers titres originaux et manuscrits, est rédigé par le P. Anselme, continué par M. Dufourny, et revu par les Pères Ange et Simplicien. Il est publié par la Compagnie des Libraires en neuf volumes in-folio.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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15
p. 2549-2556
DISCOURS de M. de Ponsan, Trésorier de France à Toulouse, prononcé dans l'Académie des Jeux Floraux peu de temps après sa reception.
Début :
MESSIEURS, Vos nouveaux Confreres seroient fondez à demander que vous [...]
Mots clefs :
Amour, Sujet, Amitié, Ouvrage, Matière, Lettre, Réflexions, Goût, Esprits, Confrères, Académie des jeux floraux
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texteReconnaissance textuelle : DISCOURS de M. de Ponsan, Trésorier de France à Toulouse, prononcé dans l'Académie des Jeux Floraux peu de temps après sa reception.
DISCOURS de M. de Ponsan , Trésorier,
de France à Toulouse , prononcé, dans »
l'Académie des Jeux Floraux peu de
temps après sa reception...
MESSIE ESSIEURS,
EURS
,
Vos nouveaux Confreres seroient fondez
à demander que vous eussiez pour
eux la condescendance de les dispensers
de remplir leur tour dans vos conferen
I. Vel A.Y COS S
2550 MERCURE DE FRANCE
ces ; avant qu'ils fussent obligez de parler
devant vous , il seroit juste qu'ils eus
sent joui quelque temps de l'avantage de
vous entendre ; le respect que j'ai pour
vos usages , m'engage à m'y conformer ,
ils me seront toujours plus chers. que mes.
interêts ; je connois tout le danger de ce
que j'ose entreprendre ; mais je m'y expose
d'autant plus volontiers , que je croi
qu'il n'y a pas moins de modestie à subir
votre fine et judicieuse critique , qu'à
n'oser la soutenir ; une attention cons
tante à ne rien mettre sous vos yeux ,
pourroit bien être soupçonnée de quelque
présomption ; rien ne seroit en
moi plus déplacé qu'une pareille pru--
dence; je n'ai pas àà craindre de craindre de compromettre
une réputation acquise ; ce sentiment
trop précautionné a quelquefois
séduit de grands hommes ; ils n'ont pas
sans doute fait attention qu'il est trespréjudiciable
aux interêts du public ; il
lui enleve les avantages que pourroient
lui procurer des Esprits, d'ailleurs excellens
; on a lieu d'être surpris qu'oubliant
ce qu'ils doivent à la société , ils veuil--
lent se condamner au silence , et priver
leurs bons Ouvrages de la lumiere , à
cause que malheureusement pour nous ,
ils se sont fait une idée de perfection à
Vol.
laeDECEMBRE
. 1733. 4551
laquelle ils ne croient jamais pouvoir atteindre
; il seroit à souhaiter que quelque
Génie du premier Ordre , écrivit sur
cette matiere , il tâcheroit de guérir l'esprit
de cette orgueilleuse modestie , et
désabuseroit d'une ambition qui devient
infructueuse , parce qu'elle est démesurée.
Pous vous , Messieurs , vous ne vous
laissez pas surprendre à ces piéges de l'amour
propre ; votre goût pour les Belles
Lettres maintient avec ardeur les travaux
Litteraires de cette ancienne Académie ;
vous remplissez tour à tour nos séances
par des Ouvrages pleins d'agrément , et
en même temps tres utiles , ce qui me
met en droit de dire avec Horace , que
tout ce qui vient de vous est marqué au.
coin de la perfection :
Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci.
Depuis que j'ai l'honneur d'être témoin
de vos occupations Académiques ( 1 ).
un de vos plus zélez confreres a fait voir
dans un ingénieux Dialogue que l'imagi
nation et la raison se nuisent réciproquement.
Nous devons moderer les fougues
de l'une , fuir les contraintes de l'autre , eten
exciter les lenteurs ; celle - ci nous gê--
(11) M. le Chevalier Daliés,.
I: Vol . A vj
2552 MERCURE DE FRANCE
ne ; celle-là nous égare ; elles peuvent
pourtant se prêter de mutuels secours :-
pour tourner leurs défauts à notre avantage
, il ne faut que mettre en pratique .
les excellens préceptes qui sont semez
dans le Dialogue dont je parle.
Nous avons ensuite écouté avec beau-..
coup de plaisir , la lecture ( 1 ) d'un ou
vrage mêlé de recherches utiles et curieuses
, qui explique le chimérique projet
de cet avanturier , qui prétendoic
avoir un secret pour changer le Fer en
Cuivre , et qui abusa dans cette Ville , il
y a quelques années , de la crédulité de
ceux qui mirent en lui une confiance intéressée
; rien n'égale les illusions de la
Chimie , lorsque sa folle ambition la
porte à s'occuper de la transmutation
des Métaux ; on peut bien dire que l'imagination
égare alors la raison;le grand
oeuvre ne peut faire perdre le temps
qu'aux petits Esprits ; les vaines recherches
qu'on en fait se réduisent à acque
rir à grands frais l'indigence ..
L'Auteur ( 2 ) des Réfléxions sur le
goût nous a donné par cet Ouvrage une
( ) Cet Ouvrage est de M. le Marquis d'Aus-
Bone.
( 2 ) Les Réfléxions sont de M. Rabaudy Vis
ruier de Toulouse
Jakdla..
nou
DECEMBRE. 1733 25535
;
nouvelle preuve de sa délicatesse; il nous .
a fourni en même - temps des Préceptes.
et des Exemples ; ce sujet étoit digne de.
son choix le public ne sçauroit trop ,
marquer sa reconnoissance aux personnes
qui veulent bien tâcher d'établir quelque
chose de certain sur une matiere aussi
importante, et qui ne devient que trop
arbitraire.
Des obstacles , sans doute considéra-,
bles , nous ont privez de la satisfaction.
d'entendre deux autres de nos Confreres; ..
leurs excuses ne sçauroient être aussi lé-..
gitimes que mes regrets ; ils ne peuventqu'être
grands , dès qu'ils sont proportionnez
à ce que je crois avoir perdu ; ils .
seroient extrêmes, si je ne me flattois que ,
cette perte n'est pas irréparable.
L'impossibilité où je me trouve , Messieurs
, de vous procurer dans cette Séan-.
ce autant de plaisir que j'en ai goûté dans
les précédentes , mortifie ma reconnois-,
sance , qui certainement ne seroit pas en
reste , s'il ne falloit beaucoup d'esprit ene
cette occasion pour m'acquitter envers
vous ; je ne négligerai rien pour tâcher
du moins de vous faire connoître ma.
bonne volonté , le hazard m'a fourni le.
sujet sur lequel je vais vous parler.
Je reçûs il y a quelques jours une. Let-
•
JVola
2554 MERCURE DE FRANCE
tre d'une Dame , et comme elle me demandoit
une réponse fort longue , je lui
addressai , après avoir répondu à sa ettre
, un petit Ouvrage pour l'amuser
dans sa Campagne. Je prens la liberté de
vous le présenter pour remplir mon tour
dans cette Séance.
La Dame à laquelle s'addresse ma Lettre
est de ces Personnes dont la beauté
fait le moindre mérite ; elle a le précieux
secret de plaire à tout le monde , et d'obtenir
toutes les préférences ,avec ces avantages
vous n'aurez pas de peine à croire
qu'elle ait inspiré beaucoup de passions ;
mais , ce qui est plus glorieux , elle a sçû
s'attacher plusieurs amis; faites- moi l'honneur
, Messieurs , de croire sur ma parole
, quelque incroïable que cela soit , que
cette Dame , malgré le nombre et le mérite
de ses Amans , a toujours méprisé
l'Amour , et a fait grand cas de l'amitié 3 .
vous voïez par là que son discernement
exquis , l'a mise au dessus des préjugez.
les plus établis , et des usages les mieux
observez ; elle a de l'esprit infiniment, ses
pensées sont ingénicuses , solides et enjouées,
ses expressions sont fortes et pleines
de sens , elle aime , mais sans mali--
gnité , tout ce qui attaque les moeurs corrompues
du siécle ; elle peint vivement
I. Vol. less
DECEMBR E. 1733 . 2555
es travers et les ridicules ; son heureux
génie est fertile en traits que l'amour propre
qualifie d'outrez , et qu'on pourroit
souvent regarder comme adoucis , si l'on
connoissoit toute la malice des hommes.
Les Personnes qui n'aiment pas les
propos
galans ne trouveront rien dans ma
Lettre , sur ce sujet, qui puisse n'être pas
de leur goût , quoiqu'elle soit addressée
à une Dame ; toute ma galanterie se réduit
à lui dire galament , si cela se peut ,
que je n'ai jamais eu d'amour pour elle ;
mon dessein est de lui parler en general
de l'amitié , de faire les éloges de cette
vertu , de démasquer l'amour , et d'établir
la superiorité que l'amitié a sur lui ;
ce sujet fait naître des réfléxions dont je
tâche de tirer parti , pour mêler , s'il .
m'est possible , quelque utilité avec des
badinages.
Quis vetat.
Ridendo dicere verum 2
De pareils sujets ne sont pas déplacez
dans nos Conferences. Messieurs de l'Académie
Françoise s'occupoient dans les
premiers temps à faire de petits Discours
sur telle matiére qu'il leur plaisoit ; ces
Ouvrages n'ont pas été imprimez , mais
Pillustre Historien de cette celebre Com-
La Vol.. pagnie
2556 MERCURE DE FRANCE
pagnie nous apprend que M. Porcheres
Laugier parla sur les différences et les
conformitez qui sont entre l'amour et
l'amitié. M.Chapelain fit un Discours contre
l'amour. M. Desmarais fit une Dissertation
sur l'amour des Esprits , et M. de
Boissat en fit une autre sur l'amour des
corps . J'ai cru que je pouvois après ces
modelles , traiter icy un sujet qui a beaucoup
de rapport avec ceux là .
Comme ma Lettre n'est pas une fiction
, et que je l'ai véritablement écrite
pour répondre à celle que j'avois reçûë ,
il n'est pas possible qu'il n'y ait des choses
personnelles ; je n'ai pû les supprimer
sans déranger le tissu de ce petit Ouvrage
; je ne sçai , Messieus , si je n'abuserai ·
pas , en vous les lisant , de l'entiere liberté
que vous donnez sur le choix des
sujets ; j'use de cette liberté en commençant
par vous lire , avant que d'entrer en
matière sur le sujet annoncé, ma réponse
à la Lettre de cette Dame.
de France à Toulouse , prononcé, dans »
l'Académie des Jeux Floraux peu de
temps après sa reception...
MESSIE ESSIEURS,
EURS
,
Vos nouveaux Confreres seroient fondez
à demander que vous eussiez pour
eux la condescendance de les dispensers
de remplir leur tour dans vos conferen
I. Vel A.Y COS S
2550 MERCURE DE FRANCE
ces ; avant qu'ils fussent obligez de parler
devant vous , il seroit juste qu'ils eus
sent joui quelque temps de l'avantage de
vous entendre ; le respect que j'ai pour
vos usages , m'engage à m'y conformer ,
ils me seront toujours plus chers. que mes.
interêts ; je connois tout le danger de ce
que j'ose entreprendre ; mais je m'y expose
d'autant plus volontiers , que je croi
qu'il n'y a pas moins de modestie à subir
votre fine et judicieuse critique , qu'à
n'oser la soutenir ; une attention cons
tante à ne rien mettre sous vos yeux ,
pourroit bien être soupçonnée de quelque
présomption ; rien ne seroit en
moi plus déplacé qu'une pareille pru--
dence; je n'ai pas àà craindre de craindre de compromettre
une réputation acquise ; ce sentiment
trop précautionné a quelquefois
séduit de grands hommes ; ils n'ont pas
sans doute fait attention qu'il est trespréjudiciable
aux interêts du public ; il
lui enleve les avantages que pourroient
lui procurer des Esprits, d'ailleurs excellens
; on a lieu d'être surpris qu'oubliant
ce qu'ils doivent à la société , ils veuil--
lent se condamner au silence , et priver
leurs bons Ouvrages de la lumiere , à
cause que malheureusement pour nous ,
ils se sont fait une idée de perfection à
Vol.
laeDECEMBRE
. 1733. 4551
laquelle ils ne croient jamais pouvoir atteindre
; il seroit à souhaiter que quelque
Génie du premier Ordre , écrivit sur
cette matiere , il tâcheroit de guérir l'esprit
de cette orgueilleuse modestie , et
désabuseroit d'une ambition qui devient
infructueuse , parce qu'elle est démesurée.
Pous vous , Messieurs , vous ne vous
laissez pas surprendre à ces piéges de l'amour
propre ; votre goût pour les Belles
Lettres maintient avec ardeur les travaux
Litteraires de cette ancienne Académie ;
vous remplissez tour à tour nos séances
par des Ouvrages pleins d'agrément , et
en même temps tres utiles , ce qui me
met en droit de dire avec Horace , que
tout ce qui vient de vous est marqué au.
coin de la perfection :
Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci.
Depuis que j'ai l'honneur d'être témoin
de vos occupations Académiques ( 1 ).
un de vos plus zélez confreres a fait voir
dans un ingénieux Dialogue que l'imagi
nation et la raison se nuisent réciproquement.
Nous devons moderer les fougues
de l'une , fuir les contraintes de l'autre , eten
exciter les lenteurs ; celle - ci nous gê--
(11) M. le Chevalier Daliés,.
I: Vol . A vj
2552 MERCURE DE FRANCE
ne ; celle-là nous égare ; elles peuvent
pourtant se prêter de mutuels secours :-
pour tourner leurs défauts à notre avantage
, il ne faut que mettre en pratique .
les excellens préceptes qui sont semez
dans le Dialogue dont je parle.
Nous avons ensuite écouté avec beau-..
coup de plaisir , la lecture ( 1 ) d'un ou
vrage mêlé de recherches utiles et curieuses
, qui explique le chimérique projet
de cet avanturier , qui prétendoic
avoir un secret pour changer le Fer en
Cuivre , et qui abusa dans cette Ville , il
y a quelques années , de la crédulité de
ceux qui mirent en lui une confiance intéressée
; rien n'égale les illusions de la
Chimie , lorsque sa folle ambition la
porte à s'occuper de la transmutation
des Métaux ; on peut bien dire que l'imagination
égare alors la raison;le grand
oeuvre ne peut faire perdre le temps
qu'aux petits Esprits ; les vaines recherches
qu'on en fait se réduisent à acque
rir à grands frais l'indigence ..
L'Auteur ( 2 ) des Réfléxions sur le
goût nous a donné par cet Ouvrage une
( ) Cet Ouvrage est de M. le Marquis d'Aus-
Bone.
( 2 ) Les Réfléxions sont de M. Rabaudy Vis
ruier de Toulouse
Jakdla..
nou
DECEMBRE. 1733 25535
;
nouvelle preuve de sa délicatesse; il nous .
a fourni en même - temps des Préceptes.
et des Exemples ; ce sujet étoit digne de.
son choix le public ne sçauroit trop ,
marquer sa reconnoissance aux personnes
qui veulent bien tâcher d'établir quelque
chose de certain sur une matiere aussi
importante, et qui ne devient que trop
arbitraire.
Des obstacles , sans doute considéra-,
bles , nous ont privez de la satisfaction.
d'entendre deux autres de nos Confreres; ..
leurs excuses ne sçauroient être aussi lé-..
gitimes que mes regrets ; ils ne peuventqu'être
grands , dès qu'ils sont proportionnez
à ce que je crois avoir perdu ; ils .
seroient extrêmes, si je ne me flattois que ,
cette perte n'est pas irréparable.
L'impossibilité où je me trouve , Messieurs
, de vous procurer dans cette Séan-.
ce autant de plaisir que j'en ai goûté dans
les précédentes , mortifie ma reconnois-,
sance , qui certainement ne seroit pas en
reste , s'il ne falloit beaucoup d'esprit ene
cette occasion pour m'acquitter envers
vous ; je ne négligerai rien pour tâcher
du moins de vous faire connoître ma.
bonne volonté , le hazard m'a fourni le.
sujet sur lequel je vais vous parler.
Je reçûs il y a quelques jours une. Let-
•
JVola
2554 MERCURE DE FRANCE
tre d'une Dame , et comme elle me demandoit
une réponse fort longue , je lui
addressai , après avoir répondu à sa ettre
, un petit Ouvrage pour l'amuser
dans sa Campagne. Je prens la liberté de
vous le présenter pour remplir mon tour
dans cette Séance.
La Dame à laquelle s'addresse ma Lettre
est de ces Personnes dont la beauté
fait le moindre mérite ; elle a le précieux
secret de plaire à tout le monde , et d'obtenir
toutes les préférences ,avec ces avantages
vous n'aurez pas de peine à croire
qu'elle ait inspiré beaucoup de passions ;
mais , ce qui est plus glorieux , elle a sçû
s'attacher plusieurs amis; faites- moi l'honneur
, Messieurs , de croire sur ma parole
, quelque incroïable que cela soit , que
cette Dame , malgré le nombre et le mérite
de ses Amans , a toujours méprisé
l'Amour , et a fait grand cas de l'amitié 3 .
vous voïez par là que son discernement
exquis , l'a mise au dessus des préjugez.
les plus établis , et des usages les mieux
observez ; elle a de l'esprit infiniment, ses
pensées sont ingénicuses , solides et enjouées,
ses expressions sont fortes et pleines
de sens , elle aime , mais sans mali--
gnité , tout ce qui attaque les moeurs corrompues
du siécle ; elle peint vivement
I. Vol. less
DECEMBR E. 1733 . 2555
es travers et les ridicules ; son heureux
génie est fertile en traits que l'amour propre
qualifie d'outrez , et qu'on pourroit
souvent regarder comme adoucis , si l'on
connoissoit toute la malice des hommes.
Les Personnes qui n'aiment pas les
propos
galans ne trouveront rien dans ma
Lettre , sur ce sujet, qui puisse n'être pas
de leur goût , quoiqu'elle soit addressée
à une Dame ; toute ma galanterie se réduit
à lui dire galament , si cela se peut ,
que je n'ai jamais eu d'amour pour elle ;
mon dessein est de lui parler en general
de l'amitié , de faire les éloges de cette
vertu , de démasquer l'amour , et d'établir
la superiorité que l'amitié a sur lui ;
ce sujet fait naître des réfléxions dont je
tâche de tirer parti , pour mêler , s'il .
m'est possible , quelque utilité avec des
badinages.
Quis vetat.
Ridendo dicere verum 2
De pareils sujets ne sont pas déplacez
dans nos Conferences. Messieurs de l'Académie
Françoise s'occupoient dans les
premiers temps à faire de petits Discours
sur telle matiére qu'il leur plaisoit ; ces
Ouvrages n'ont pas été imprimez , mais
Pillustre Historien de cette celebre Com-
La Vol.. pagnie
2556 MERCURE DE FRANCE
pagnie nous apprend que M. Porcheres
Laugier parla sur les différences et les
conformitez qui sont entre l'amour et
l'amitié. M.Chapelain fit un Discours contre
l'amour. M. Desmarais fit une Dissertation
sur l'amour des Esprits , et M. de
Boissat en fit une autre sur l'amour des
corps . J'ai cru que je pouvois après ces
modelles , traiter icy un sujet qui a beaucoup
de rapport avec ceux là .
Comme ma Lettre n'est pas une fiction
, et que je l'ai véritablement écrite
pour répondre à celle que j'avois reçûë ,
il n'est pas possible qu'il n'y ait des choses
personnelles ; je n'ai pû les supprimer
sans déranger le tissu de ce petit Ouvrage
; je ne sçai , Messieus , si je n'abuserai ·
pas , en vous les lisant , de l'entiere liberté
que vous donnez sur le choix des
sujets ; j'use de cette liberté en commençant
par vous lire , avant que d'entrer en
matière sur le sujet annoncé, ma réponse
à la Lettre de cette Dame.
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Résumé : DISCOURS de M. de Ponsan, Trésorier de France à Toulouse, prononcé dans l'Académie des Jeux Floraux peu de temps après sa reception.
M. de Ponsan, Trésorier de France à Toulouse, a prononcé un discours à l'Académie des Jeux Floraux peu après sa réception. Il commence par exprimer son respect pour les usages de l'Académie et sa volonté de s'y conformer. Ponsan reconnaît le danger de s'exprimer devant une assemblée critique mais affirme que subir cette critique est une forme de modestie. Il critique ceux qui, par excès de prudence, se privent de contribuer au public par peur de ne pas atteindre la perfection. Ponsan loue l'Académie pour son goût des Belles Lettres et ses travaux littéraires, citant Horace pour souligner la perfection des œuvres académiques. Il mentionne un dialogue sur l'imagination et la raison, ainsi qu'un ouvrage sur un projet chimérique de transformer le fer en cuivre, illustrant comment l'imagination peut égarer la raison. Le discours se poursuit avec la présentation d'un ouvrage sur le goût, suivi de regrets pour l'absence de deux confrères. Ponsan exprime ensuite sa difficulté à égaler les plaisirs des séances précédentes et présente une lettre adressée à une dame, qui est le sujet de son intervention. Cette dame, connue pour sa beauté et son esprit, a toujours privilégié l'amitié à l'amour. La lettre vise à discuter de l'amitié, à démasquer l'amour et à établir la supériorité de l'amitié. Ponsan justifie son choix de sujet en citant des exemples de l'Académie Française, qui traitait de thèmes similaires. Il conclut en lisant sa réponse à la lettre de la dame, malgré la présence de détails personnels qu'il n'a pas pu supprimer.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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16
p. 2808-2816
REFLEXIONS.
Début :
Selon ce proverbe plein de sens ; Non e degne di esser obedito, chi non ha [...]
Mots clefs :
Colère, Amis, Avarice, Réflexions, Amour, Juge, Monde
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
Elon ce proverbe plein de sens ; Non
e degne di esser obedito , chi non ha ·
modo di esser amato.
II. Vol. Gli
DECEMBRE. 1733. 2809
Gli amici falsi sono come l'ombra dell
borivolo , che se il tempo è soreno apparisce
, s'è nebulose s'asconde.
Dans quelque liaison qu'on soit avec
son ami , et quelque épreuve qu'on en
ait faite , il est toujours d'un homme
sage de se réserver un secret pour soimême.
Ama ut oditurus , odi ut amaturus ....
En amitié on ne commence guere sans
y penser , mais en amour on commence
toujours sans refléxion. Aussi tous les
commencemens de l'amour sont semblables
, mais les suites sont differentes.
Les retours de l'amitié sont difficiles ;
ceux de l'amour sont fort aisez .
Quand nos amis nous ont trompés , on
ne doit avoir que de l'indifference pour
eux ; mais on doit toujours de la sensibilité
à leurs malheurs.
Quand on sçait se faire des amis par
ses bienfaits plutôt que par son mérite ,
on est bien digne d'en avoir , mais on
n'en a pas pour cela.
Un bon coeur approuve autant la ma-
11. Vol. Cv xime
2810 MERCURE DE FRANCE
xime de ne haïr que comme pouvant
aimer un jour , qu'il déteste celle de
n'aimer que comme si un jour on devoit
haïr.
Amigo de todos y ninguno , tode es uno.
De amigo reconciliado , guarte del come
del Diablo.
Quien de todos es amigo , o es muy pobre,
• muy rico.
Il vaut mieux être juge entre ses ennemis
qu'entre ses amis , parce qu'étant
juge entre ses ennemis. , on est assuré
au moins de se faire un ami ; mais étant
juge entre ses amis , on est assuré de se
faire un ennemi et quelquefois plusieurs.
L'avarice est un mal si incurable , qu'il
semble que le temps et la mort même
ne peuvent rien sur sa tyrannie.
La prodigalité est un grand vice à la
verité , mais qui ne fait du mal qu'à
soi même et dont les autres se trouvent
bien. L'avarice est odieuse à tout le monde
, elle nuit à soi et aux autres . Nullum
etiam vitium tetrius avaritia , dit Ciceron,
I I. Vol.
pròligus
DECEMBRE. 1733. 2817
prodigus avaro esse melior videtur , quia
ipso multis , illiberalis nemini prodest , immo
nec sibi quidam utilis avaritia .
La prodigalité peut se guérir , mais
l'avarice est une maladie désesperée qui
croît avec l'âge.
Chaque passion a ses plaisirs , et quoi
qu'on regarde la vie d'un avaricieux comme
la plus miserable du monde, jusqueslà
qu'on croit que le plus grand mal qui
puisse lui arriver , c'est qu'il vive longtemps
; cependant le plaisir qu'il a de
posseder son argent , de le voir , de le
compter , d'y songer , lui tient lieu des
plus grandes joyes , et il n'y en a point
dans le monde auxquelles il fut si sensible.
L'Avare croit qu'il n'aura jamais assez
de biens ; son avidité pour ceux qu'il
n'a pas , lui ôte le moyen de jouir de
ceux qui sont en sa possession , et on
peut dire que les richesses le possedent
et qu'il ne les possede pas.
Un Avare ne fait du bien à personne ,
pas même à soy ; et il n'use pas plus
de ce qu'il a , comme de ce qu'il n'a pas.
Tam deest avaro quod habet , quam quod
non habet . Horat .
II. Vol
V ] L
2812 MERCURE DE FRANCE
L'avarice loüable est celle du temps ,
qu'on ne sçauroit trop ménager.
On est toujours très- étroitement attaché
à ce qu'on craint de perdre , et
à ce que les autres nous envient , en sorte
qu'on peut assurer qu'un Avare cesseroit
de l'être , s'il pouvoit se persuader
que personne ne lui envie ses richesses
et qu'il les possedera toujours ; l'inquiétude
nourrit l'amour qu'on a pour elles.
Non luget quisquis laudari , Gallia quarit ;
Ille dolet verè , qui sine teste dolet . Mart.
Les pleurs d'un heritier sont des ris
cachez sous un masque . Heredis fletus sub
persona risus est. Publ. Syrus.
Les disgraces et les infortunes nous
surprendroient moins si nous faisions reflexion
sur la condition de notre nature
et sur les miseres qui en sont inséparables.
On ne doit pas plus se desesperer dans
l'adversité , que se confier trop dans la
prosperité.
Quelque inégalité qui paroisse dans La
distribution des adversitez , Socrate as-
II. Vol. sure
DECEMBRE. 1733 2813
sure que si chacun apportoit toutes ses
peines pour être mises avec celles des
autres , et ensuite partagées entre tous
les hommes en parties égales , chacun
reprendroit bien vîte les siennes , sans
vouloir les partager.
Dans toutes les disgraces qui peuvent
arriver pendant la vie , le comble de
l'infortune c'est d'avoir été heureux . In
omni adversitate fortuna in felicissimum
genus est infortunii , fuisse foelicem. Boece ,
1. 2. de Consolat.
Les grandes afflictions sont muettes ,
et les petites parlent . Cura leves loquuntur
, ingentes stupent. Senec .
Le souvenir des plaisirs passez est d'un
foible secours aux afflictions présentes.
Toute affliction est supportable quand
on a du pain ; mais sans pain tout est
affliction.
Nous devons voir nos amis dans la
prosperité , lorsqu'ils nous en prient ;
mais quand la fortune leur est contraire
et qu'ils sont dans l'adversité , il faut
y courir sans attendre qu'on soit appellé.
II. Vol.
c'est
2814 MERCURE DE FRANCE
C'est l'ordinaire à ceux qui profitent
à la mort de quelqu'un de paroître toujours
les plus affligez. Nulli jactantius
mærent , quam qui maxime lætantur.
Il y a des douleurs que l'on sent davantage
quelque temps après qu'on a
commencé de les sentir , que lorsqu'on
les sent pour la premiere fois.
Nous avons beau nous piquer d'avoir
le coeur bon pour nos amis , nous ne
sentons leurs malheurs que legerement ,
du moins nous ne les sentons pas longtemps
; car presque toutes les douleurs
de compassion sont des douleurs passageres,
dont la moindre distraction soulage.
Il est mal- aisé que celui qui a le feu
en sa maison , porte de l'eau pour éteindre
l'embrasement de son voisin .
La colere est de toutes les passions la
plus dangereuse ; elle ne produit que de
méchants effets , et marque la foiblesse
de celui qu'elle possede ; car il se laisse
aller au torrent qui l'entraîne , sans voir
le précipice et sans consulrer sa raison
qui pourroit l'en détourner et l'en rendre
maître .
11. Vol. La
DECEMBRE. 1733. 2815
La raison ne veut pas toujours qu'on
trouve juste ce qui est veritablement
justę; mais la colere veut qu'on trouve
juste tout ce qu'elle estime juste.
Sono poco da temersi , coloro aquali la lingua
serve per ispada : la colera che isfoga
per la bocca , non isfoga par le mani.
Les invectives et les menaces sont presque
, toujours l'effet et la marque d'une
colere impuissante , qui d'ordinaire ne
diminuent pas la bonne opinion qu'on
a de ceux qu'on attaque.
Non teme il colerico , perche rimira l'oggetto
inquanto lo puo offendere ; non , -inquanto
puo essèr egli offeso.
ރ
La colere la plus aigre et la plus dange
reuse est celle qui sort d'un sujet dont
la vie est molle et effeminée , car les plus
foibles sont les plus susceptibles mouvemens
de cette passion. On le voit assez
dans les ignorans , les malades , les vieil
lards , les femmes et les enfans.
La colere fait toujours trouver nos
raisons meilleures qu'elles ne sont.
II. Vol.
On
2816 MERCURE DE FRANCE
On est presque toujours obligé de continuer
de sang froid , ce qu'on a commencé
en colere .
Elon ce proverbe plein de sens ; Non
e degne di esser obedito , chi non ha ·
modo di esser amato.
II. Vol. Gli
DECEMBRE. 1733. 2809
Gli amici falsi sono come l'ombra dell
borivolo , che se il tempo è soreno apparisce
, s'è nebulose s'asconde.
Dans quelque liaison qu'on soit avec
son ami , et quelque épreuve qu'on en
ait faite , il est toujours d'un homme
sage de se réserver un secret pour soimême.
Ama ut oditurus , odi ut amaturus ....
En amitié on ne commence guere sans
y penser , mais en amour on commence
toujours sans refléxion. Aussi tous les
commencemens de l'amour sont semblables
, mais les suites sont differentes.
Les retours de l'amitié sont difficiles ;
ceux de l'amour sont fort aisez .
Quand nos amis nous ont trompés , on
ne doit avoir que de l'indifference pour
eux ; mais on doit toujours de la sensibilité
à leurs malheurs.
Quand on sçait se faire des amis par
ses bienfaits plutôt que par son mérite ,
on est bien digne d'en avoir , mais on
n'en a pas pour cela.
Un bon coeur approuve autant la ma-
11. Vol. Cv xime
2810 MERCURE DE FRANCE
xime de ne haïr que comme pouvant
aimer un jour , qu'il déteste celle de
n'aimer que comme si un jour on devoit
haïr.
Amigo de todos y ninguno , tode es uno.
De amigo reconciliado , guarte del come
del Diablo.
Quien de todos es amigo , o es muy pobre,
• muy rico.
Il vaut mieux être juge entre ses ennemis
qu'entre ses amis , parce qu'étant
juge entre ses ennemis. , on est assuré
au moins de se faire un ami ; mais étant
juge entre ses amis , on est assuré de se
faire un ennemi et quelquefois plusieurs.
L'avarice est un mal si incurable , qu'il
semble que le temps et la mort même
ne peuvent rien sur sa tyrannie.
La prodigalité est un grand vice à la
verité , mais qui ne fait du mal qu'à
soi même et dont les autres se trouvent
bien. L'avarice est odieuse à tout le monde
, elle nuit à soi et aux autres . Nullum
etiam vitium tetrius avaritia , dit Ciceron,
I I. Vol.
pròligus
DECEMBRE. 1733. 2817
prodigus avaro esse melior videtur , quia
ipso multis , illiberalis nemini prodest , immo
nec sibi quidam utilis avaritia .
La prodigalité peut se guérir , mais
l'avarice est une maladie désesperée qui
croît avec l'âge.
Chaque passion a ses plaisirs , et quoi
qu'on regarde la vie d'un avaricieux comme
la plus miserable du monde, jusqueslà
qu'on croit que le plus grand mal qui
puisse lui arriver , c'est qu'il vive longtemps
; cependant le plaisir qu'il a de
posseder son argent , de le voir , de le
compter , d'y songer , lui tient lieu des
plus grandes joyes , et il n'y en a point
dans le monde auxquelles il fut si sensible.
L'Avare croit qu'il n'aura jamais assez
de biens ; son avidité pour ceux qu'il
n'a pas , lui ôte le moyen de jouir de
ceux qui sont en sa possession , et on
peut dire que les richesses le possedent
et qu'il ne les possede pas.
Un Avare ne fait du bien à personne ,
pas même à soy ; et il n'use pas plus
de ce qu'il a , comme de ce qu'il n'a pas.
Tam deest avaro quod habet , quam quod
non habet . Horat .
II. Vol
V ] L
2812 MERCURE DE FRANCE
L'avarice loüable est celle du temps ,
qu'on ne sçauroit trop ménager.
On est toujours très- étroitement attaché
à ce qu'on craint de perdre , et
à ce que les autres nous envient , en sorte
qu'on peut assurer qu'un Avare cesseroit
de l'être , s'il pouvoit se persuader
que personne ne lui envie ses richesses
et qu'il les possedera toujours ; l'inquiétude
nourrit l'amour qu'on a pour elles.
Non luget quisquis laudari , Gallia quarit ;
Ille dolet verè , qui sine teste dolet . Mart.
Les pleurs d'un heritier sont des ris
cachez sous un masque . Heredis fletus sub
persona risus est. Publ. Syrus.
Les disgraces et les infortunes nous
surprendroient moins si nous faisions reflexion
sur la condition de notre nature
et sur les miseres qui en sont inséparables.
On ne doit pas plus se desesperer dans
l'adversité , que se confier trop dans la
prosperité.
Quelque inégalité qui paroisse dans La
distribution des adversitez , Socrate as-
II. Vol. sure
DECEMBRE. 1733 2813
sure que si chacun apportoit toutes ses
peines pour être mises avec celles des
autres , et ensuite partagées entre tous
les hommes en parties égales , chacun
reprendroit bien vîte les siennes , sans
vouloir les partager.
Dans toutes les disgraces qui peuvent
arriver pendant la vie , le comble de
l'infortune c'est d'avoir été heureux . In
omni adversitate fortuna in felicissimum
genus est infortunii , fuisse foelicem. Boece ,
1. 2. de Consolat.
Les grandes afflictions sont muettes ,
et les petites parlent . Cura leves loquuntur
, ingentes stupent. Senec .
Le souvenir des plaisirs passez est d'un
foible secours aux afflictions présentes.
Toute affliction est supportable quand
on a du pain ; mais sans pain tout est
affliction.
Nous devons voir nos amis dans la
prosperité , lorsqu'ils nous en prient ;
mais quand la fortune leur est contraire
et qu'ils sont dans l'adversité , il faut
y courir sans attendre qu'on soit appellé.
II. Vol.
c'est
2814 MERCURE DE FRANCE
C'est l'ordinaire à ceux qui profitent
à la mort de quelqu'un de paroître toujours
les plus affligez. Nulli jactantius
mærent , quam qui maxime lætantur.
Il y a des douleurs que l'on sent davantage
quelque temps après qu'on a
commencé de les sentir , que lorsqu'on
les sent pour la premiere fois.
Nous avons beau nous piquer d'avoir
le coeur bon pour nos amis , nous ne
sentons leurs malheurs que legerement ,
du moins nous ne les sentons pas longtemps
; car presque toutes les douleurs
de compassion sont des douleurs passageres,
dont la moindre distraction soulage.
Il est mal- aisé que celui qui a le feu
en sa maison , porte de l'eau pour éteindre
l'embrasement de son voisin .
La colere est de toutes les passions la
plus dangereuse ; elle ne produit que de
méchants effets , et marque la foiblesse
de celui qu'elle possede ; car il se laisse
aller au torrent qui l'entraîne , sans voir
le précipice et sans consulrer sa raison
qui pourroit l'en détourner et l'en rendre
maître .
11. Vol. La
DECEMBRE. 1733. 2815
La raison ne veut pas toujours qu'on
trouve juste ce qui est veritablement
justę; mais la colere veut qu'on trouve
juste tout ce qu'elle estime juste.
Sono poco da temersi , coloro aquali la lingua
serve per ispada : la colera che isfoga
per la bocca , non isfoga par le mani.
Les invectives et les menaces sont presque
, toujours l'effet et la marque d'une
colere impuissante , qui d'ordinaire ne
diminuent pas la bonne opinion qu'on
a de ceux qu'on attaque.
Non teme il colerico , perche rimira l'oggetto
inquanto lo puo offendere ; non , -inquanto
puo essèr egli offeso.
ރ
La colere la plus aigre et la plus dange
reuse est celle qui sort d'un sujet dont
la vie est molle et effeminée , car les plus
foibles sont les plus susceptibles mouvemens
de cette passion. On le voit assez
dans les ignorans , les malades , les vieil
lards , les femmes et les enfans.
La colere fait toujours trouver nos
raisons meilleures qu'elles ne sont.
II. Vol.
On
2816 MERCURE DE FRANCE
On est presque toujours obligé de continuer
de sang froid , ce qu'on a commencé
en colere .
Fermer
Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore plusieurs thèmes, notamment l'amitié, l'amour, l'avarice, la prodigalité et la colère. Il commence par souligner l'importance de l'amitié et la prudence nécessaire dans les relations amicales, notant que les faux amis se révèlent seulement en période de difficulté. Il met en garde contre les dangers de l'amour sans réflexion et les différences entre les retours de l'amitié et de l'amour. L'avarice est décrite comme une maladie incurable qui nuit à la fois à l'avare et aux autres, tandis que la prodigalité, bien que vice, ne fait du mal qu'à soi-même. Le texte discute des plaisirs de l'avarice et l'attachement des avares à leurs richesses. Il aborde également les réactions aux malheurs et aux infortunes, soulignant l'importance de la réflexion sur la condition humaine et les misères inévitables. Le texte conseille de ne pas désespérer dans l'adversité ni se confier excessivement dans la prospérité. Il traite des afflictions, notant que les grandes douleurs sont muettes et que le souvenir des plaisirs passés est un faible secours. Enfin, il analyse la colère, la décrivant comme la passion la plus dangereuse, marquée par la faiblesse et l'absence de raison.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
17
p. 690-697
RÉPONSE à la Lettre où l'on a eu envie de critiquer un Livre qui a pour titre : Refléxions sur la Poësie en general, sur la Fable, sur l'Elegie, sur la Satyre, sur l'Ode, sur le Sonnet, Rondeau, Madrigal. Suivies de trois Lettres sur la décadence du Goût en France. Par M. R. D. S. M.
Début :
Sçavez-vous bien, Monsieur, qu'il n'y a rien de plus flateur pour M. [...]
Mots clefs :
Auteur, Ouvrage, Critique, Lettre, Réflexions, Naturel, Principes, Critiquer
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE à la Lettre où l'on a eu envie de critiquer un Livre qui a pour titre : Refléxions sur la Poësie en general, sur la Fable, sur l'Elegie, sur la Satyre, sur l'Ode, sur le Sonnet, Rondeau, Madrigal. Suivies de trois Lettres sur la décadence du Goût en France. Par M. R. D. S. M.
REPONSE à la Lettre où l'on a
eu envie de critiquer un Livre qui a
pour titre Refléxions sur la Poësie ent
general , sur la Fable , sur l'Elegie ,
sur la Satyre , sur l'Ode , sur le Sonnet,
Rondeau , Madrigal . Suivies de trois
Lettres sur la décadence du Goût er
France. Par M. R. D. S. M.
S
Çavez - vous bien , Monsieur , qu'il
n'y a rien de plus flateur pour M.
nya rien
R. D. S. M. que la Critique que vous
avez faite de son Ouvrage. Aussi y a - t'il
quantité de gens fort raisonnables qui
n'ont point pris le change. Ils disent
hautement que vous êtes ami de l'Auteur
, et que pour ôter aux louanges la
fadeur qui en est presque inséparable ,
vous avez voulu donner à votre Lettre
un air de Critique ; qu'il est bien vrai
qu'on y voit par cy par là quelques
ironies , mais que vous sçaviez bien qu'on
les trouveroit mauvaises ; qu'à l'égard
des falsifications qui sont en fort grand
nombre , vous étiez bien sûr qu'elles ne
porteroient aucun préjudice à la réputation
de l'Auteur , parce que la lecture
de
AVRIL. 1734 691
de son Ouvrage les feroit bien-tôt disparoître.
Je ne vous rends compte , Monsieur ,
de l'effet de votre Lettre, que pour vous
faire sentir que le but n'en est pas net.
C'est trop peu pour un Eloge , ce n'est
pas assez pour une Critique. Il falloit aller
attaquer l'Auteur dans ses principes ,
les dépouiller des graces et de l'agrément
qu'il leur a donnés , les remettre
dans leur secheresse naturelle ; vous auriez
eu le mérite de les appercevoir , et ,
si vous aviez pû , l'honneur de les détruire
; mais il vous a parû plus commode
de dire que l'Auteur aimoit l'Eglogue
à la folie , qu'on le séduiroit
avec le murmure d'une Fontaine , quil
étoit bien aise que tout le monde vécût,
que quant à lui il n'avoit pas la moindre
envie de mourir ; et enfin pour achever
le dénombrement de ses goûts , vous
nous avez appris qu'il aimeroit mieux
avoir fait un Sonnet que quatre Tragédies.
Vous êtes un galant homme , Monsieur
, tout le monde le dit ; et après
une déposition si generale, il n'est point
permis d'en douter . Cependant permettez
moi de vous dire qu'il y a quelque
chose d'irrégulier dans votre conduite.
Tirer quelques paroles d'un Auteur , les
séparer
62 MERCURE DE FRANCE
séparer de ce qui les environne , de ce
qui en change ou modifie le sens , faire
un assortiment bizare de ce qu'il y a
dans un Ouvrage de sérieux et de badin,
charger l'Auteur d'un pareil assortiment;
et pour qu'il en soit plus sûrement chargé
, mettre le tout en lettres italiques ,
c'est un procedé qui n'a pas d'exemple
dans la République des Lettres , où l'on
ne se picque pas neanmoins d'une Morale
bien severe.
La même bonne foi , le même esprit
de sincerité regne dans votre Lettre d'un
bout à l'autre .
A l'imitation du pour et contre , dont
à cela près que vous êtes un peu plus
poli , vous suivez assez exactement les
traces , vous accusez l'Auteur des Reflé.
xions sur la Poësie , d'avoir pris dans son
Morceau sur le Sublime , trois pages entieres
de M. Despreaux. Il falloit donc
extraire ces trois pages. Dailleurs accordez
-vous avec l'Auteur du Pour et Contre
; il prétend lui que le Morceau du
Sublime est pris dans M. Nicole . Ne
sentez vous pas que cette accusation de
vol n'étant pas prouvée, il en résulte une
absolution entiere pour M. D. S. M. qui
n'a pas la réputation de s'être enrichi des
dépouilles d'autrui.
Voilà
AVRIL. 1734- 693
Voilà , Monsieur , tout ce que j'ai à
dire sur votre Lettie , car vous n'y dites
rien . Je sçai bien que vous avez à repliquer
que vous avez fait une espece
d'Extrait de chaque morceau de l'Ouvrage
en question ; mais si l'Extrait est
infidele , je ne dois point y répondre
parce qu'alors ce ne sera pas l'Ouvrage
que vous aurez critiqué ; parce que je ne
suis point obligé à prendre le parti d'un
fantôme que vous avez fait tel qu'il vous
le falloit pour vous ménager le plaisir
d'en triompher.
Il faut convenir , Monsieur , que vous
êtes bien malheureux. Vous avez eu envie
de critiquer l'Auteur des Refléxions
sur la Poësie , vous n'avez pû en venir à
bout , votre dessein étoit de loüer M. de
Fontenelle , et vous l'avez critiqué ; car
entre nous , c'est le critiquer et faire
pis encore , que de dire qu'on reproche
ce bel Esprit de manquer de génie.
Avec votre permission , M. D. S. M.
ne l'a point dit , et quand ( ce que je
ne sçai pas ) une pareille consequence
couleroit sourdement de ses principes ,
pourquoi , vous , Monsieur , avez - vous
la malice de la tirer ? D'ailleurs, pourquoi.
ne point mettre de distance entre M. de
la Motte et M. de Fontenelle ? L'Auteur
D des
694 MERCURE DE FRANCE
des Refléxions ne s'est point caché de
l'admiration qu'il avoit pour l'un , et
peut- être n'a- t'il que trop exprimé le
mépris qu'il avoit pour l'autre. Enfin ,
comment avez - vous osé dire en face au
» Public , qu'il a toujours comparé les
» Fables de M. de la Motte à celles de´la
» Fontaine , ses Tragédies à celles de Cor-
» neille et de Racine , ses Operas à ceux
» de Quinault , et qu'enfin il a assigné à
>> ses Discours d'Eloquence et à toute sa
» Prose , une classe à part , pour ne la
»comparer qu'à lui- même.
C'est au Public à vous donner sur cela
un démenti , s'il le juge à propos . Je reviens
moi au Livre qui a fait l'objet de votre
Critique , et c'est sur cela que j'ai quelques
refléxions à vous faire faire.
Si vous aviez sérieusement envie de
critiquer M. D. S. M. il falloit lire son
Ouvrage avec toute l'attention dont un
homme d'esprit comme vous est capable
, il falloit tâcher d'en penetrer les
principes , en bien embrasser toutes les
consequences , sur tout , et c'est ce qui
étoit le plus necessaire , il falloit vous
bien mettre son but dans la tête. Vous
auriez vû que l'Auteur , pour bien remplir
son projet , avoit été obligé de ne
prendre que la fleur de ce qu'il avoit à
dire;
AVRIL. 1734-
695
dire ; que dans le dessein où il étoit d'instruire
, sans pour cela renoncer à plaire ,
il avoit été réduit à ôter à ses principes.
le faste et la secheresse ordinaire qui les
accompagnent ; ce qui , en les adoucissant
peut quelquefois les avoir rendus méconnoissables.
N'en doutez point , Monsieur , une
attention sérieuse sur le but de l'Auteur
, vous auroit épargné bien des injustices
. Vous n'auriez pas dit, par exemple
, que l'Auteur des Refléxions s'est
dévoué tout entier au sentiment, et qu'il
trouve fort mauvais qu'on raisonne . Hé ,
Monsieur , lisez l'Ouvrage , vous verrez
qu'on y prêche par tout l'accord de la
raison et de l'imagination ; vous verrez
que de toutes les qualitez de l'esprit , celle
que l'Auteur estime le plus , celle qui lui
est la plus chere , c'est la justesse et la
précision ; mais à dire vrai , il la veut
ménagée et temperée par les graces , il
ne la croit point incompatible avec les
tours vifs et les expressions de génie. Y
a-t'il là en verité de quoi lui faire un
procès ?
Il me reste à justifier l'Auteur sur un
reproche que vous lui faites au commencement
de votre Lettre , c'est de s'être
un peu laissé gagner par la contagion ,
Dijet
496 MERCURE DE FRANCE
et comme il l'avoit prévû lui - même , de
n'avoir pas pû être toujours naturel. Je
suis de bonne foi , Monsieur , et je passe
volontiers condamnation sur cinq ou six
expressions , qui , dans le goût où nous
sommes du brillant , sont d'un mauvais
exemple. Mais je vous soutiens que le
stile de l'Ouvrage est en general fort naturel
; je soupçonne qu'on prend le chan
ge , et qu'on ne dit pas bien ce qu'on
veut dire quand on reproche à l'Auteur
de manquer quelquefois de naturel . Une
des grandes attentions de M. D. S. M.
autant que j'ai pû le remarquer , est d'être
serré sans en avoir l'air . Il arrive delà
qu'en certains cas le Lecteur peine ;
et comme ce qui le peine est quelquefois
couvert de fleurs assaisonnées de graces ,
il n'ose s'en prendre à l'idée qu'il voit
ainsi embellie. Il ne songe pas que l'idée
pour être ainsi parée , n'en est souvent
que plus fine et plus déliée ; que d'ailleurs
cette idée étant serrée , son rapport
avec les autres idées , n'est pas assez prononcé
pour lui , qu'on a trop compté
sur sa pénetration , et alors le petit embarras
qu'il éprouve n'étant pas bien analisé
dans son esprit , non plus que ce qui
le cause , il n'y sçait que dire que l'Auteur
n'est pas naturel , il s'en prend à
son
AVRIL 1734. 697
son stile , au lieu de s'en prendre à l'idée
qui , avec le défaut d'être fine , a quelquefois
celui de n'être pas assez épaissie
et assez étendue pour la petitesse de son
intelligence. Faites attention à ce que
j'ai l'honneur de vous dire , vous trouverez
la vraie cause des reproches que
quelques Gens ont fait à M. D. S. M.
pousurr moi je suis persuadé que vous ne
en ferez plus. Vous êtes homme d'esprit
, la prévention vous avoit gagné.
Le petit mal qu'on avoit dit de M. de
la Motte avoit excité votre colere. Vous
avez soulagé votre coeur , et je ne m'en
prends point à votre esprit. J'ay l'honneur
d'être , Monsieur , votre , &c.
eu envie de critiquer un Livre qui a
pour titre Refléxions sur la Poësie ent
general , sur la Fable , sur l'Elegie ,
sur la Satyre , sur l'Ode , sur le Sonnet,
Rondeau , Madrigal . Suivies de trois
Lettres sur la décadence du Goût er
France. Par M. R. D. S. M.
S
Çavez - vous bien , Monsieur , qu'il
n'y a rien de plus flateur pour M.
nya rien
R. D. S. M. que la Critique que vous
avez faite de son Ouvrage. Aussi y a - t'il
quantité de gens fort raisonnables qui
n'ont point pris le change. Ils disent
hautement que vous êtes ami de l'Auteur
, et que pour ôter aux louanges la
fadeur qui en est presque inséparable ,
vous avez voulu donner à votre Lettre
un air de Critique ; qu'il est bien vrai
qu'on y voit par cy par là quelques
ironies , mais que vous sçaviez bien qu'on
les trouveroit mauvaises ; qu'à l'égard
des falsifications qui sont en fort grand
nombre , vous étiez bien sûr qu'elles ne
porteroient aucun préjudice à la réputation
de l'Auteur , parce que la lecture
de
AVRIL. 1734 691
de son Ouvrage les feroit bien-tôt disparoître.
Je ne vous rends compte , Monsieur ,
de l'effet de votre Lettre, que pour vous
faire sentir que le but n'en est pas net.
C'est trop peu pour un Eloge , ce n'est
pas assez pour une Critique. Il falloit aller
attaquer l'Auteur dans ses principes ,
les dépouiller des graces et de l'agrément
qu'il leur a donnés , les remettre
dans leur secheresse naturelle ; vous auriez
eu le mérite de les appercevoir , et ,
si vous aviez pû , l'honneur de les détruire
; mais il vous a parû plus commode
de dire que l'Auteur aimoit l'Eglogue
à la folie , qu'on le séduiroit
avec le murmure d'une Fontaine , quil
étoit bien aise que tout le monde vécût,
que quant à lui il n'avoit pas la moindre
envie de mourir ; et enfin pour achever
le dénombrement de ses goûts , vous
nous avez appris qu'il aimeroit mieux
avoir fait un Sonnet que quatre Tragédies.
Vous êtes un galant homme , Monsieur
, tout le monde le dit ; et après
une déposition si generale, il n'est point
permis d'en douter . Cependant permettez
moi de vous dire qu'il y a quelque
chose d'irrégulier dans votre conduite.
Tirer quelques paroles d'un Auteur , les
séparer
62 MERCURE DE FRANCE
séparer de ce qui les environne , de ce
qui en change ou modifie le sens , faire
un assortiment bizare de ce qu'il y a
dans un Ouvrage de sérieux et de badin,
charger l'Auteur d'un pareil assortiment;
et pour qu'il en soit plus sûrement chargé
, mettre le tout en lettres italiques ,
c'est un procedé qui n'a pas d'exemple
dans la République des Lettres , où l'on
ne se picque pas neanmoins d'une Morale
bien severe.
La même bonne foi , le même esprit
de sincerité regne dans votre Lettre d'un
bout à l'autre .
A l'imitation du pour et contre , dont
à cela près que vous êtes un peu plus
poli , vous suivez assez exactement les
traces , vous accusez l'Auteur des Reflé.
xions sur la Poësie , d'avoir pris dans son
Morceau sur le Sublime , trois pages entieres
de M. Despreaux. Il falloit donc
extraire ces trois pages. Dailleurs accordez
-vous avec l'Auteur du Pour et Contre
; il prétend lui que le Morceau du
Sublime est pris dans M. Nicole . Ne
sentez vous pas que cette accusation de
vol n'étant pas prouvée, il en résulte une
absolution entiere pour M. D. S. M. qui
n'a pas la réputation de s'être enrichi des
dépouilles d'autrui.
Voilà
AVRIL. 1734- 693
Voilà , Monsieur , tout ce que j'ai à
dire sur votre Lettie , car vous n'y dites
rien . Je sçai bien que vous avez à repliquer
que vous avez fait une espece
d'Extrait de chaque morceau de l'Ouvrage
en question ; mais si l'Extrait est
infidele , je ne dois point y répondre
parce qu'alors ce ne sera pas l'Ouvrage
que vous aurez critiqué ; parce que je ne
suis point obligé à prendre le parti d'un
fantôme que vous avez fait tel qu'il vous
le falloit pour vous ménager le plaisir
d'en triompher.
Il faut convenir , Monsieur , que vous
êtes bien malheureux. Vous avez eu envie
de critiquer l'Auteur des Refléxions
sur la Poësie , vous n'avez pû en venir à
bout , votre dessein étoit de loüer M. de
Fontenelle , et vous l'avez critiqué ; car
entre nous , c'est le critiquer et faire
pis encore , que de dire qu'on reproche
ce bel Esprit de manquer de génie.
Avec votre permission , M. D. S. M.
ne l'a point dit , et quand ( ce que je
ne sçai pas ) une pareille consequence
couleroit sourdement de ses principes ,
pourquoi , vous , Monsieur , avez - vous
la malice de la tirer ? D'ailleurs, pourquoi.
ne point mettre de distance entre M. de
la Motte et M. de Fontenelle ? L'Auteur
D des
694 MERCURE DE FRANCE
des Refléxions ne s'est point caché de
l'admiration qu'il avoit pour l'un , et
peut- être n'a- t'il que trop exprimé le
mépris qu'il avoit pour l'autre. Enfin ,
comment avez - vous osé dire en face au
» Public , qu'il a toujours comparé les
» Fables de M. de la Motte à celles de´la
» Fontaine , ses Tragédies à celles de Cor-
» neille et de Racine , ses Operas à ceux
» de Quinault , et qu'enfin il a assigné à
>> ses Discours d'Eloquence et à toute sa
» Prose , une classe à part , pour ne la
»comparer qu'à lui- même.
C'est au Public à vous donner sur cela
un démenti , s'il le juge à propos . Je reviens
moi au Livre qui a fait l'objet de votre
Critique , et c'est sur cela que j'ai quelques
refléxions à vous faire faire.
Si vous aviez sérieusement envie de
critiquer M. D. S. M. il falloit lire son
Ouvrage avec toute l'attention dont un
homme d'esprit comme vous est capable
, il falloit tâcher d'en penetrer les
principes , en bien embrasser toutes les
consequences , sur tout , et c'est ce qui
étoit le plus necessaire , il falloit vous
bien mettre son but dans la tête. Vous
auriez vû que l'Auteur , pour bien remplir
son projet , avoit été obligé de ne
prendre que la fleur de ce qu'il avoit à
dire;
AVRIL. 1734-
695
dire ; que dans le dessein où il étoit d'instruire
, sans pour cela renoncer à plaire ,
il avoit été réduit à ôter à ses principes.
le faste et la secheresse ordinaire qui les
accompagnent ; ce qui , en les adoucissant
peut quelquefois les avoir rendus méconnoissables.
N'en doutez point , Monsieur , une
attention sérieuse sur le but de l'Auteur
, vous auroit épargné bien des injustices
. Vous n'auriez pas dit, par exemple
, que l'Auteur des Refléxions s'est
dévoué tout entier au sentiment, et qu'il
trouve fort mauvais qu'on raisonne . Hé ,
Monsieur , lisez l'Ouvrage , vous verrez
qu'on y prêche par tout l'accord de la
raison et de l'imagination ; vous verrez
que de toutes les qualitez de l'esprit , celle
que l'Auteur estime le plus , celle qui lui
est la plus chere , c'est la justesse et la
précision ; mais à dire vrai , il la veut
ménagée et temperée par les graces , il
ne la croit point incompatible avec les
tours vifs et les expressions de génie. Y
a-t'il là en verité de quoi lui faire un
procès ?
Il me reste à justifier l'Auteur sur un
reproche que vous lui faites au commencement
de votre Lettre , c'est de s'être
un peu laissé gagner par la contagion ,
Dijet
496 MERCURE DE FRANCE
et comme il l'avoit prévû lui - même , de
n'avoir pas pû être toujours naturel. Je
suis de bonne foi , Monsieur , et je passe
volontiers condamnation sur cinq ou six
expressions , qui , dans le goût où nous
sommes du brillant , sont d'un mauvais
exemple. Mais je vous soutiens que le
stile de l'Ouvrage est en general fort naturel
; je soupçonne qu'on prend le chan
ge , et qu'on ne dit pas bien ce qu'on
veut dire quand on reproche à l'Auteur
de manquer quelquefois de naturel . Une
des grandes attentions de M. D. S. M.
autant que j'ai pû le remarquer , est d'être
serré sans en avoir l'air . Il arrive delà
qu'en certains cas le Lecteur peine ;
et comme ce qui le peine est quelquefois
couvert de fleurs assaisonnées de graces ,
il n'ose s'en prendre à l'idée qu'il voit
ainsi embellie. Il ne songe pas que l'idée
pour être ainsi parée , n'en est souvent
que plus fine et plus déliée ; que d'ailleurs
cette idée étant serrée , son rapport
avec les autres idées , n'est pas assez prononcé
pour lui , qu'on a trop compté
sur sa pénetration , et alors le petit embarras
qu'il éprouve n'étant pas bien analisé
dans son esprit , non plus que ce qui
le cause , il n'y sçait que dire que l'Auteur
n'est pas naturel , il s'en prend à
son
AVRIL 1734. 697
son stile , au lieu de s'en prendre à l'idée
qui , avec le défaut d'être fine , a quelquefois
celui de n'être pas assez épaissie
et assez étendue pour la petitesse de son
intelligence. Faites attention à ce que
j'ai l'honneur de vous dire , vous trouverez
la vraie cause des reproches que
quelques Gens ont fait à M. D. S. M.
pousurr moi je suis persuadé que vous ne
en ferez plus. Vous êtes homme d'esprit
, la prévention vous avoit gagné.
Le petit mal qu'on avoit dit de M. de
la Motte avoit excité votre colere. Vous
avez soulagé votre coeur , et je ne m'en
prends point à votre esprit. J'ay l'honneur
d'être , Monsieur , votre , &c.
Fermer
Résumé : RÉPONSE à la Lettre où l'on a eu envie de critiquer un Livre qui a pour titre : Refléxions sur la Poësie en general, sur la Fable, sur l'Elegie, sur la Satyre, sur l'Ode, sur le Sonnet, Rondeau, Madrigal. Suivies de trois Lettres sur la décadence du Goût en France. Par M. R. D. S. M.
Le texte est une réponse à une lettre critique adressée à M. R. D. S. M., auteur des 'Réflexions sur la Poésie'. L'auteur de la réponse conteste les accusations portées contre M. R. D. S. M., les qualifiant de malveillantes et mal fondées. Il souligne que la lettre critique est ambiguë, ni vraiment un éloge ni une critique sérieuse. L'auteur reproche à son interlocuteur d'avoir mal interprété les propos de M. R. D. S. M. et d'avoir sorti des phrases de leur contexte pour les déformer. Il accuse également la critique de manquer de rigueur et de bonne foi, notamment en ce qui concerne l'accusation de plagiat concernant un passage sur le sublime. L'auteur défend le style et les intentions de M. R. D. S. M., affirmant que ses principes sont souvent mal compris et que ses expressions sont naturelles et soignées. Il conclut en suggérant que la critique est motivée par des préventions personnelles plutôt que par une analyse objective.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
18
p. 1121-1128
REFLEXIONS.
Début :
Nihil veritas erubescit, nisi solummodò abscondi. Il y a à [...]
Mots clefs :
Réflexions, Vertu, Vertus, Vol, Vérité, Moquer, Engendrer, Perfection, Épreuve, Raisons
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
'hil veritas erubescit , nisi solummo
To abscondi.
Il y a à la Cour quatre bonnes Meres ,
qui ont quatre fort mauvais enfans ; sçavoir
, la Verité , qui engendre la haine s
la Prosperité , qui engendre , l'orgueil 3
la Séverité , qui engendre le périls et la
Familiarité qui engendre le mépris .
Amant veritatem lucentem , non redar
gueniem.
Le salaire des menteurs est de n'être
point crûs quand ils disent la verité.
Mendaci etiam verum dicenti non creditur.
Phédre.
Les raisons simples et foibles de ceux
qui deffendent la verité , font souvent
un meilleur effet que de plus fortes et
plus recherchées , en découvrant à quelles
extremitez sont réduits ceux qui veulent
la combattre . Il faut avouer cependant
qu'on fait quelquefois tort à la veẻ
par la maniere de la deffendre .
I. Vol. D iij
rité
Une
1122 MERCURE DE FRANCE
Une trop grande confiance d'avoir
trouvé la verité, et la persuasion qu'on en
a , empêchent souvent de la trouver en
effet.
Il faut proportionner les veritez
Saintes à l'intelligence humaine ; il est
de la prudence de ne pas exposer le
langage divin à l'insulte des prophanes ,
et au mépris de ceux qui condamnent
et blasphement tout ce qu'ils ignorent,
et qui , devenus semblables à des animaux
sans raison , corrompent tellement
leur esprit , qu'ils ne connoissent rien
que par le seul interêt de la Nature.
C'est souvent rendre la verité douteuse
et en prophaner la simplicité , que d'em
ployer trop d'éloquence pour l'établir.
Dans les Narrations , un Auteur qui
veut être crû , doit moins s'appliquer à
dire la verité , qu'à rendre croyable co
qu'il dit.
Les gens de bien ne disent rien de
vrai mollement , ni de faux hardiment.
Nequid falsi dicere audeat , nequid veri
non audeat.
Il n'y a rien de si aigu qui ne rebrousse
contre le bouclier de la verité.
I. Vol. Veritati
JUI N. 1734: 1123
Veritati præscribere nemo potest , non spas
tium temporum , non patrocinia personarum
, non privilegium nationum . Tertul.
Les Vertus chrétiennes n'étant pas
apposées entr'elles , la charité qu'on doit
à son prochain ne doit pas arrêter la
justice qu'on se doit à soi- même.
L'art de la dépravation ne se doit apprendre
nulle part. Les loix de l'honnêteté
doivent être scrupuleusement gar
dées par tout. Il ne faut point imprimer
de dangereuses pensées dans les esprits ,
sous prétexte de rendre le vice plus abominable
, ni les remplir de honteuses.
idées , lorsqu'il n'est question que de les
animer à la recherche de la gloire , en leur
représentant les plus éminentes vertus.
Quand on ne veut faire que ce qui
est permis , il est permis de faire tout
ce qu'on veut.
Le comble de la vertu c'est d'élever
son esprit au -dessus des promesses et des
menaces de la fortune.
On est parvenu à une extrême , vertu
quand on pardonne tout aux autres ,
D iiij comme I. Vol
1124 MERCURE DE FRANCE
comme si on faisoit tous les jours des
fautes, et qu'on s'abstint d'en faire, comme
si on ne pardonnoit rien à personne.
C'est un grand Art dans certaines occasions
, que de sçavoir soutenir la vertu
sans offenser ceux qui l'attaquent.
Combien de choses sont l'effet du dégoût
, de la bienséance ou de l'amour
de la santé , dont on fait honneur à la
Vertu .
On n'a que trop de penchant à fonder
son opposition à la pratique des vertus
chrétiennes sur l'impossibilité d'ar
teindre à la perfection des Saints ; et
l'on s'autorise à ne pas les imiter quand
leurs actions paroissent trop au dessus
des efforts ordinaires de la Nature .
On ne manque jamais d'occasion de
pratiquer la vertu . Nunquam potest nom
esse virtuti locus. Seneq. Medee.
Pour juger de la vertu d'un homme ,"
il faudroit lire dans le fond de son coeur
pour y découvrir les causes qui le font
agir , car ce sont les causes qui font la
vertu , et non pas les actions exterieures.
1. Vol.
Souvent
"
JUIN. 1734
1125
Souvent les plus grandes vertus des
Hommes ne sont que le triomphe d'une
passion moins criminelle sur une passion
plus criminelle ; ensorte que ceux
qu'on croit si vertueux , ne different des
autres que par le choix de certains deffauts
qui sont moins condamnez dans
le Monde.
De- même qu'il est plus aisé de pren
dre la maladie d'un autre , que de lui
donner la santé dont nous jouissons , nous
avons plus de facilité à contracter les
vices d'autrui , qu'à communiquer notre
vertu. Facilius est vitium contrahere quam
virtutem impertiri : quem admodum facilius
est morbo alieno infici , quàm sanitatem lar:
giri. S. Greg. de Nazianze.
La pauvreté n'ête pas les vertus , et les
riches ses ne les donnent point.
Avec de la vertu , de la capacité et
une bonne conduite , on peut être insupportable;
les manieres que l'on néglige
comme de petites choses , sont souvent
ce qui fait que les hommes décident
de nous en bien ou en mal. Une
legere attention à les avoir douces et
polies , prévient leurs jugemens. Il ne
I. Vol.
faut D v
116 MERCURE DE FRANCE
faut presque rien pour être crû fier , incivil
, méprisant , désobligeant. I fiut
encore moins pour être estimé tout le
con raire.
C'est une vertu bien legere que celle
qui n'a jamais été à l'épreuve.,
Il est beaucoup plus aisé de conserver
toute sa vertu , que de revenir à
elle , dès que nous avons fait un pas
qui nous en éloigne.
Ceux qui prétendent s'attirer des dé
ferences par de fausses vertus , se mocquent
de ceux de qui ils les prétendent ;
et ceux- cy , à leur tour , se mocquent
de ceux- là en leur rendant des respects
apparens , au lieu des véritables qu'ils
esperent.
le
La haute vertu imprime dans tous
les coeurs certains caracteres de veneration
que temps n'efface jamais . On
admirera toujours l'action de Camille ,
qui renvoya aux Siliques , leur Maître
d'Ecole , fouetté par la Jeunesse de leur
Ville qu'il avoit voulu livrer ; et celle
de Fabrice , qui avertit Pyrrhus , son Ennemi
, que son Medecin offroit de l'empoisonner.
I. Vol La
JUIN. 1734. 1127
La plupart des hommes ont mons
d'empressement à être vertueux , qu'à ,
le paroître.
Tanto major fama satis est , quàm
Virtutis : quis enim virtutem amplectitur ipsam ;
Pramia si tollas ? Juven. Sat 10. ,
Les vertus mêmes sont quelquefois dangereuses
dans un homme sans jugement.
Quand on conseille la vertu aux au
tres , on augmente les raisons que l'on
a de la pratiquer..
Dicta , factis de facientibus erubescunt.
Il est bien plus difficile de se soutenir
dans la perfection , que d'y atteindre.
peu
Il y a bien
de vertu de bon aloy;
parmi les plus sinceres
il y a toujours
un certain
exterieur
sévere et rebutant
, très utile à la vertu.
Il en est de la veritable vertu comme
des bons Parfums , qui n'ont jamais plus
d'odeur que quand on les pile ou qu'on
les brule. La vertu a besoin d'épreuve .
Marcet sine adversario virtus. Seneque .
La vertu, doit être sans excès , et la
La Vol D vj per116
MERCURE DE FRANCE
faut rien presque pour être crû fier , incivil
, méprisant , désobligeant. I fiue
encore moins pour être estimé tout le
con raire.
C'est une vertu bien legere que celle
qui n'a jamais été à l'épreuve.,
Il est beaucoup plus aisé de conserver
toute sa vertu , que de revenir à
elle , dès que nous avons fait un pas
qui nous en éloigne .
Ceux qui prétendent s'attirer des dé
ferences par de fausses vertus , se mocquent
de ceux de qui ils les prétendent s
et ceux - cy , à leur tour , se mocquent
de ceux - là en leur rendant des respects
apparens , au lieu des véritables qu'ils
esperent.
La haute vertu imprime dans tous
les coeurs certains caracteres de veneration
que le temps
n'efface jamais. On
admirera toujours l'action de Camille ,
qui renvoya aux Saliques , leur Maître
d'Ecole , fouetté par la Jeunesse de leur
Ville qu'il avoit voulu livrer ; et celle
de Fabrice , qui avertit Pyrrhus , son Ennemi
, que son Medecin offroit de l'empoisonner.
I. Vol
La
JUIN. 1734. 1127
La plupart des hommes ont mons
d'empressement à être vertueux , qu'à,
le paroître.
Tanto major fama satis est , quàm
Virtutis : quis enim virtutem amplectitur ipsam ;
Pramia si tollas ? Juven. Sat 10 .
Les vertus mêmes sont quelquefois dangereuses
dans un homme sans jugement.
Quand on conseille la vertu aux au
tses , on augmente les raisons que l'on
a de la pratiquer..
Dicta , factis de facientibus erubescunt.
Il est bien plus difficile de se soutenir
dans la perfection , que d'y atteindre .
Il y a bien peu de vertu de bon aloy;
parmi les plus sinceres il y a toujours
un certain exterieur sévere et rebutant,
très utile à la vertu.
Fl en est de la veritable vertu comme
des bons Parfums , qui n'ont jamais plus
d'odeur que quand on les pile ou qu'on
les brule. La vertu a besoin d'épreuve .
Marcet sine adversario virtus . Seneque .
La vertu doit être sans excès , et la
L Vol D vj per1128
MERCURE DE FRANCE
perfection même doit avoir ses bornes.
Oportet sapere usque ad sobrietatem. S. Paul.
Les richesses sont à la vertu ce que
le bagage est à une armée , qui quelque
fois l'empêche d'avancer , et d'autres fois
la fait aller bien loin. Bacon.
L'amour de la gloire et la crainte du
blâme , sont presque toujours les vrais
motifs de la vertu .
Non basta la Fortuna per ingrandire
gl'homini , senon vi concorre la virtùs ed è
vana la virtù dove manca la fortuna .
Il vitio non è sicuro , nemeno nel mez
delle virtù , per che contamina la virtù.
'hil veritas erubescit , nisi solummo
To abscondi.
Il y a à la Cour quatre bonnes Meres ,
qui ont quatre fort mauvais enfans ; sçavoir
, la Verité , qui engendre la haine s
la Prosperité , qui engendre , l'orgueil 3
la Séverité , qui engendre le périls et la
Familiarité qui engendre le mépris .
Amant veritatem lucentem , non redar
gueniem.
Le salaire des menteurs est de n'être
point crûs quand ils disent la verité.
Mendaci etiam verum dicenti non creditur.
Phédre.
Les raisons simples et foibles de ceux
qui deffendent la verité , font souvent
un meilleur effet que de plus fortes et
plus recherchées , en découvrant à quelles
extremitez sont réduits ceux qui veulent
la combattre . Il faut avouer cependant
qu'on fait quelquefois tort à la veẻ
par la maniere de la deffendre .
I. Vol. D iij
rité
Une
1122 MERCURE DE FRANCE
Une trop grande confiance d'avoir
trouvé la verité, et la persuasion qu'on en
a , empêchent souvent de la trouver en
effet.
Il faut proportionner les veritez
Saintes à l'intelligence humaine ; il est
de la prudence de ne pas exposer le
langage divin à l'insulte des prophanes ,
et au mépris de ceux qui condamnent
et blasphement tout ce qu'ils ignorent,
et qui , devenus semblables à des animaux
sans raison , corrompent tellement
leur esprit , qu'ils ne connoissent rien
que par le seul interêt de la Nature.
C'est souvent rendre la verité douteuse
et en prophaner la simplicité , que d'em
ployer trop d'éloquence pour l'établir.
Dans les Narrations , un Auteur qui
veut être crû , doit moins s'appliquer à
dire la verité , qu'à rendre croyable co
qu'il dit.
Les gens de bien ne disent rien de
vrai mollement , ni de faux hardiment.
Nequid falsi dicere audeat , nequid veri
non audeat.
Il n'y a rien de si aigu qui ne rebrousse
contre le bouclier de la verité.
I. Vol. Veritati
JUI N. 1734: 1123
Veritati præscribere nemo potest , non spas
tium temporum , non patrocinia personarum
, non privilegium nationum . Tertul.
Les Vertus chrétiennes n'étant pas
apposées entr'elles , la charité qu'on doit
à son prochain ne doit pas arrêter la
justice qu'on se doit à soi- même.
L'art de la dépravation ne se doit apprendre
nulle part. Les loix de l'honnêteté
doivent être scrupuleusement gar
dées par tout. Il ne faut point imprimer
de dangereuses pensées dans les esprits ,
sous prétexte de rendre le vice plus abominable
, ni les remplir de honteuses.
idées , lorsqu'il n'est question que de les
animer à la recherche de la gloire , en leur
représentant les plus éminentes vertus.
Quand on ne veut faire que ce qui
est permis , il est permis de faire tout
ce qu'on veut.
Le comble de la vertu c'est d'élever
son esprit au -dessus des promesses et des
menaces de la fortune.
On est parvenu à une extrême , vertu
quand on pardonne tout aux autres ,
D iiij comme I. Vol
1124 MERCURE DE FRANCE
comme si on faisoit tous les jours des
fautes, et qu'on s'abstint d'en faire, comme
si on ne pardonnoit rien à personne.
C'est un grand Art dans certaines occasions
, que de sçavoir soutenir la vertu
sans offenser ceux qui l'attaquent.
Combien de choses sont l'effet du dégoût
, de la bienséance ou de l'amour
de la santé , dont on fait honneur à la
Vertu .
On n'a que trop de penchant à fonder
son opposition à la pratique des vertus
chrétiennes sur l'impossibilité d'ar
teindre à la perfection des Saints ; et
l'on s'autorise à ne pas les imiter quand
leurs actions paroissent trop au dessus
des efforts ordinaires de la Nature .
On ne manque jamais d'occasion de
pratiquer la vertu . Nunquam potest nom
esse virtuti locus. Seneq. Medee.
Pour juger de la vertu d'un homme ,"
il faudroit lire dans le fond de son coeur
pour y découvrir les causes qui le font
agir , car ce sont les causes qui font la
vertu , et non pas les actions exterieures.
1. Vol.
Souvent
"
JUIN. 1734
1125
Souvent les plus grandes vertus des
Hommes ne sont que le triomphe d'une
passion moins criminelle sur une passion
plus criminelle ; ensorte que ceux
qu'on croit si vertueux , ne different des
autres que par le choix de certains deffauts
qui sont moins condamnez dans
le Monde.
De- même qu'il est plus aisé de pren
dre la maladie d'un autre , que de lui
donner la santé dont nous jouissons , nous
avons plus de facilité à contracter les
vices d'autrui , qu'à communiquer notre
vertu. Facilius est vitium contrahere quam
virtutem impertiri : quem admodum facilius
est morbo alieno infici , quàm sanitatem lar:
giri. S. Greg. de Nazianze.
La pauvreté n'ête pas les vertus , et les
riches ses ne les donnent point.
Avec de la vertu , de la capacité et
une bonne conduite , on peut être insupportable;
les manieres que l'on néglige
comme de petites choses , sont souvent
ce qui fait que les hommes décident
de nous en bien ou en mal. Une
legere attention à les avoir douces et
polies , prévient leurs jugemens. Il ne
I. Vol.
faut D v
116 MERCURE DE FRANCE
faut presque rien pour être crû fier , incivil
, méprisant , désobligeant. I fiut
encore moins pour être estimé tout le
con raire.
C'est une vertu bien legere que celle
qui n'a jamais été à l'épreuve.,
Il est beaucoup plus aisé de conserver
toute sa vertu , que de revenir à
elle , dès que nous avons fait un pas
qui nous en éloigne.
Ceux qui prétendent s'attirer des dé
ferences par de fausses vertus , se mocquent
de ceux de qui ils les prétendent ;
et ceux- cy , à leur tour , se mocquent
de ceux- là en leur rendant des respects
apparens , au lieu des véritables qu'ils
esperent.
le
La haute vertu imprime dans tous
les coeurs certains caracteres de veneration
que temps n'efface jamais . On
admirera toujours l'action de Camille ,
qui renvoya aux Siliques , leur Maître
d'Ecole , fouetté par la Jeunesse de leur
Ville qu'il avoit voulu livrer ; et celle
de Fabrice , qui avertit Pyrrhus , son Ennemi
, que son Medecin offroit de l'empoisonner.
I. Vol La
JUIN. 1734. 1127
La plupart des hommes ont mons
d'empressement à être vertueux , qu'à ,
le paroître.
Tanto major fama satis est , quàm
Virtutis : quis enim virtutem amplectitur ipsam ;
Pramia si tollas ? Juven. Sat 10. ,
Les vertus mêmes sont quelquefois dangereuses
dans un homme sans jugement.
Quand on conseille la vertu aux au
tres , on augmente les raisons que l'on
a de la pratiquer..
Dicta , factis de facientibus erubescunt.
Il est bien plus difficile de se soutenir
dans la perfection , que d'y atteindre.
peu
Il y a bien
de vertu de bon aloy;
parmi les plus sinceres
il y a toujours
un certain
exterieur
sévere et rebutant
, très utile à la vertu.
Il en est de la veritable vertu comme
des bons Parfums , qui n'ont jamais plus
d'odeur que quand on les pile ou qu'on
les brule. La vertu a besoin d'épreuve .
Marcet sine adversario virtus. Seneque .
La vertu, doit être sans excès , et la
La Vol D vj per116
MERCURE DE FRANCE
faut rien presque pour être crû fier , incivil
, méprisant , désobligeant. I fiue
encore moins pour être estimé tout le
con raire.
C'est une vertu bien legere que celle
qui n'a jamais été à l'épreuve.,
Il est beaucoup plus aisé de conserver
toute sa vertu , que de revenir à
elle , dès que nous avons fait un pas
qui nous en éloigne .
Ceux qui prétendent s'attirer des dé
ferences par de fausses vertus , se mocquent
de ceux de qui ils les prétendent s
et ceux - cy , à leur tour , se mocquent
de ceux - là en leur rendant des respects
apparens , au lieu des véritables qu'ils
esperent.
La haute vertu imprime dans tous
les coeurs certains caracteres de veneration
que le temps
n'efface jamais. On
admirera toujours l'action de Camille ,
qui renvoya aux Saliques , leur Maître
d'Ecole , fouetté par la Jeunesse de leur
Ville qu'il avoit voulu livrer ; et celle
de Fabrice , qui avertit Pyrrhus , son Ennemi
, que son Medecin offroit de l'empoisonner.
I. Vol
La
JUIN. 1734. 1127
La plupart des hommes ont mons
d'empressement à être vertueux , qu'à,
le paroître.
Tanto major fama satis est , quàm
Virtutis : quis enim virtutem amplectitur ipsam ;
Pramia si tollas ? Juven. Sat 10 .
Les vertus mêmes sont quelquefois dangereuses
dans un homme sans jugement.
Quand on conseille la vertu aux au
tses , on augmente les raisons que l'on
a de la pratiquer..
Dicta , factis de facientibus erubescunt.
Il est bien plus difficile de se soutenir
dans la perfection , que d'y atteindre .
Il y a bien peu de vertu de bon aloy;
parmi les plus sinceres il y a toujours
un certain exterieur sévere et rebutant,
très utile à la vertu.
Fl en est de la veritable vertu comme
des bons Parfums , qui n'ont jamais plus
d'odeur que quand on les pile ou qu'on
les brule. La vertu a besoin d'épreuve .
Marcet sine adversario virtus . Seneque .
La vertu doit être sans excès , et la
L Vol D vj per1128
MERCURE DE FRANCE
perfection même doit avoir ses bornes.
Oportet sapere usque ad sobrietatem. S. Paul.
Les richesses sont à la vertu ce que
le bagage est à une armée , qui quelque
fois l'empêche d'avancer , et d'autres fois
la fait aller bien loin. Bacon.
L'amour de la gloire et la crainte du
blâme , sont presque toujours les vrais
motifs de la vertu .
Non basta la Fortuna per ingrandire
gl'homini , senon vi concorre la virtùs ed è
vana la virtù dove manca la fortuna .
Il vitio non è sicuro , nemeno nel mez
delle virtù , per che contamina la virtù.
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Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore la complexité de la vérité et de la vertu, soulignant leurs aspects paradoxaux. À la Cour, quatre mères sont identifiées : la Vérité, qui engendre la haine ; la Prosperité, qui engendre l'orgueil ; la Sévérité, qui engendre les périls ; et la Familiarité, qui engendre le mépris. Les défenseurs de la vérité utilisent souvent des arguments simples mais efficaces, bien que leur manière de la défendre puisse parfois lui nuire. Une trop grande confiance en avoir trouvé la vérité empêche souvent de la découvrir réellement. Il est prudent de proportionner les vérités saintes à l'intelligence humaine et d'éviter d'exposer le langage divin aux profanes. Dans les narrations, un auteur doit rendre son récit croyable plutôt que de se contenter de dire la vérité. Les gens de bien ne disent rien de vrai mollement ni de faux hardiment. La vérité est inébranlable et ne peut être prescrite par le temps, les personnes ou les nations. Les vertus chrétiennes, bien que complémentaires, doivent être pratiquées avec justice et honnêteté. La vertu suprême est d'élever son esprit au-dessus des promesses et des menaces de la fortune. Pardonner aux autres et éviter de faire des fautes sont des signes de grande vertu. Le texte met en garde contre l'opposition à la pratique des vertus chrétiennes en se fondant sur l'impossibilité d'atteindre la perfection des saints. Les occasions de pratiquer la vertu sont toujours présentes. Les vertus des hommes sont souvent le triomphe d'une passion moins criminelle sur une autre plus criminelle. La pauvreté n'ôte pas les vertus, et les richesses ne les donnent pas. Les manières et l'attention aux détails sont cruciales pour être bien perçu. La véritable vertu est celle qui a été éprouvée et qui imprime des caractères de vénération dans les cœurs. Les hommes sont souvent plus empressés à paraître vertueux qu'à l'être réellement. Les vertus peuvent être dangereuses sans jugement. Conseiller la vertu aux autres renforce les raisons de la pratiquer soi-même. La vertu doit être sans excès et la perfection a ses limites. Les richesses peuvent soit entraver, soit favoriser la vertu. L'amour de la gloire et la crainte du blâme sont les motifs principaux de la vertu.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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19
p. 8-14
REFLEXIONS SUR LE GOUT.
Début :
La décadence du goût contre laquelle on avoit commencé à s'élever sur les [...]
Mots clefs :
Goût, Réflexions, Luxe, Talents, Musique, Poésie, Peinture
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS SUR LE GOUT.
REFLEXIONS
SUR LE GOU T.
A décadence du goût contre laquelle
L'on
on avoit commencé à s'élever fur les
dernieres années de Louis XIV , eft aujourd'hui
fenfible. La fcience eft devenue
portative , elle eft renfermée dans cinq
ou fix volumes in- 12 : on pourroit prédans
peu
elle ne formera qu'un
fumer que
almanach
.
M. de Voltaire fait à Colmar des livres
qui demeurent inconnus , ou ne parviennent
pas au -delà de Thanne & de Scheleftat
. Il continue à fon aife fes Annales de
l'Empire & fon Hiftoire univerfelle , fans
qu'on s'en embarraffe ; le titre même de
fes autres ouvrages eft ignoré.
Il ne paroit prefque plus de plus de livres
nouveaux. L'Auteur ou l'Imprimeur s'y
ruinent , felon que les frais de l'impreffion
tombent fur l'un ou fur l'autre .
La plupart des arts utiles ne fe confervent
que par la routine des vieux ouvriers ;
* Il me femble qu'on ne doit pas fe plaindre de
la quantité ni du débit ; c'eft fur la qualité qu'on
peut fe récrier.
AVRIL. 1755.
•
c'eft fur de tels appuis que roulent nos
manufactures. Les directeurs & les maîtres
ne fçauroient pas conduire leurs travaux
.
+
On fe plaint généralement du peu de
vigueur qu'on voit aujourd'hui dans la
circulation du commerce : il faudroit fe
plaindre du peu d'amour qu'on a pour les
arts * .
La recherche des commodités de la vie
& la jouiffance des plaifirs délicats font
devenues une occupation férieufe , & femblent
confondre prefque tous les états.
Quand un Artiſte a travaillé pour les
commodités d'autrui , il abandonne fon
talent , & emploie fon gain à faire travailler
pour les fiennes .
Les fages politiques qui ont cherché à
introduire le luxe , ont mal réuffi ....
( Пy a ici une lacune ) . ༡
L'excès du luxe ne peut pas nuire ;
cela n'eft vrai en bonne politique qu'en
fuppofant qu'an Marchand qui tiendra
table ouverte & donnera des concerts
ne fermera pas fa boutique ; qu'un Tailleur
qui roulera carroffe , ne ceffera pas
de faire des habits * ; mais le nombre des
Je crois que cette partie eft très- cultivée à
bien des égards .
* Le fameux P .... fait plus d'habits & d'envois
* A v
10 MERCURE DE FRANCE.
ouvriers diminuant tous les jours , on eft
obligé d'augmenter le prix des marchandifes'
, & là même d'en rendre la confompar
mation plus difficile . Rien ne prouve mieux
la richeffe d'un Etat , ou la circulation du
commerce , que le bon marché auquel on
achete tout ce qui fert aux befoins & aux
commodités de la vie . * Ainfi l'abus du
luxe ne confifte pas en ce qu'on dépenfe
trop ; mais en ce que , par un faux éclat
qu'on attache au luxe , on méprife , ou du
moins on délaiffe les arts , & on ne travaille
pas affez .
Le rapport intime d'un luxe exceffif
avec la décadence des arts , eft une de ces
vérités qui ne font pas affez connues ; les
conféquences de l'un à l'autre ne font
pas
auffi éloignées qu'elles le paroiffent.
A peine a-t- on acquis un état au-deffus
du commun du peuple , qu'on afpire à
fentir toute la fineffe que l'imagination a
inventée dans les plaifirs de pur agrément.
On veut être auffi -tôt Peintre , Poëte &
qu'il n'en a jamais faits , quoiqu'il ait depuis longtems
équipage , & le nombre de fes garçons augmente
toutes les années.
* Les provinces de France où on vit à meilleur
compte , font au contraire les moins riches , &
c'eft dans les villes où le commerce fleurit le
plus , que tout eft le plus cher.
AVRIL. 1755. II
Muficien : on aime ces talens , parce qu'ils
font rares , & qu'ils fervent beaucoup à la
parure de l'efprit : auffi nous donnent - ils
lieu de connoître la meſure des lumieres
générales , & la trempe du goût .
Rien n'eft plus commun que de trouver
ce qu'on appelle des connoiffeurs en Peinture
, en Poëfie & en Mufique , mais on
trouve rarement des gens qui fçachent
diftinguer feulement un tableau de Raphael
d'avec un de Teniers ; on parle de
coloris & de coftume fans fçavoir ce que
ces mots fignifient . En voici la preuve.
Vanloo ou Reftout trouveront deux mille
livres d'un ouvrage qui leur aura coûté
un an de travail : un barbouilleur de cabinets
& d'alcoves gagnera dix ou douze
mille livres dans cet intervalle. Tout Paris
s'empreffera de voir des peintures groffieres
qui tapifferont le bureau ou la falle
à manger d'un particulier * ; peu de monde
ira vifiter des chefs- d'oeuvres expofés au
vieux Louvre.
On fe pique de fe connoître en poëfie ,
& de l'aimer. M. de Crébillon donne une
tragédie nouvelle ; on en parle le premier
jour à un fouper : d'ailleurs on n'eft pas au
* Cette accufation eft exagérée . Le public a
couru voir en foule les tableaux expoſés dans le
dernier fallon.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
tant affecté de cet événement qu'on l'étoit
autrefois d'un quatrain de Benferade.
On s'attache encore plus à prouver fon
goût pour la mufique ; cependant l'auteur
de Titon & l'Aurore expofe au goût du
public une Paftorale languedocienne ; on
la trouve d'abord froide , languiffante , &
d'une bizarrerie infoutenable ; la falle du
fpectacle eft deferte pendant un tems.
Quelques perfonnes dont le bon goût ne
peut être contredit , ayant difcerné la tendreffe
naïve & touchante qui regne dans
cet agréable ouvrage , en ont empêché la
chûte.
Théfée fervira mieux d'exemple . En
vain les bons juges ont admiré la profonde
harmonie de cet Opéra mâle & vigoureux ,
ils n'ont pu garantir Lulli de l'infulte qu'on
a faite à fes cendres. On a écouté de fangfroid
les fons raviffans de la charmante
Fel & de l'incomparable Jeliotte , les nobles
tranfports de Mlle Chevalier , & les
reftes précieux des accens majestueux de
Chaffe ; à peine a-t-on encouragé par quelques
applaudiffemens Mlle Davaux , qui
par les progrès qu'elle a faits depuis quel
que tems , donne de fi grandes efpérances.
La mufique de Lulli a été goutée par trop
de monde ; c'est pourquoi elle ne l'eft plus
AVRIL. 1755.
13
tant aujourd'hui . S'il étoit auffi facile
d'acquerir les talens que de fe revêtir d'une
nouvelle parure , les arts changeroient
comme les modes ; le nombre des connoiffeurs
fe multiplieroit avec rapidité ; &
comme pour un bon connoiffeur il y en a
cent de mauvais , le goût feroit immolé ,
plutôt qu'il ne l'eft , à la pluralité des fuffrages
: car il ne faut pas croire ce qui fe
dit vulgairement , que les changemens du
goût font le fruit de l'inconftance ; nous
devons dire au contraire , que l'inconf
tance eft l'afyle du goût . La délicateſſe &
la fenfibilité qui le caractériſent , le rendent
incompatible avec cette foule tranchante
d'afpirans préfomptueux dont il eft affiégé :
il fuit , il fe déguife , il invente ; mais
toujours également pourfuivi , il eft contraint
de céder à la force , il difparoît.
La face de la terre fe couvre de ténébres.
A des fiécles éclairés fuccédent des
tems de barbarie , où les hommes connoiffent
à peine les loix de l'humanité. L'hiftoire
nous a laiffé deux époques d'un pareil
defordre qu'il feroit à fouhaiter que
la postérité n'eût pas à nous accufer d'avoir
commencé la troifiéme ! Pour éviter
cette accufation , nous ne fçaurions trop
nous attacher à connoître les véritables
talens , & à n'honorer & à ne récompen14
MERCURE DE FRANCE.
fer que ceux -là . Bien des perfonnes qui
vivent dans le découragement , feront valoir
des talens qu'ils facrifient à l'incerti
tude des récompenfes : nous mettrons un
frein au mauvais goût , ceux qui n'auront
point de talent pour un genre en embrafferont
quelque autre qui leur fera profitable,
&
peu à pen
, chacun
rentrant
dans
fa
fphere & confultant fon génie , travaillera
pour fa patrie en travaillant pour lui-même.
SUR LE GOU T.
A décadence du goût contre laquelle
L'on
on avoit commencé à s'élever fur les
dernieres années de Louis XIV , eft aujourd'hui
fenfible. La fcience eft devenue
portative , elle eft renfermée dans cinq
ou fix volumes in- 12 : on pourroit prédans
peu
elle ne formera qu'un
fumer que
almanach
.
M. de Voltaire fait à Colmar des livres
qui demeurent inconnus , ou ne parviennent
pas au -delà de Thanne & de Scheleftat
. Il continue à fon aife fes Annales de
l'Empire & fon Hiftoire univerfelle , fans
qu'on s'en embarraffe ; le titre même de
fes autres ouvrages eft ignoré.
Il ne paroit prefque plus de plus de livres
nouveaux. L'Auteur ou l'Imprimeur s'y
ruinent , felon que les frais de l'impreffion
tombent fur l'un ou fur l'autre .
La plupart des arts utiles ne fe confervent
que par la routine des vieux ouvriers ;
* Il me femble qu'on ne doit pas fe plaindre de
la quantité ni du débit ; c'eft fur la qualité qu'on
peut fe récrier.
AVRIL. 1755.
•
c'eft fur de tels appuis que roulent nos
manufactures. Les directeurs & les maîtres
ne fçauroient pas conduire leurs travaux
.
+
On fe plaint généralement du peu de
vigueur qu'on voit aujourd'hui dans la
circulation du commerce : il faudroit fe
plaindre du peu d'amour qu'on a pour les
arts * .
La recherche des commodités de la vie
& la jouiffance des plaifirs délicats font
devenues une occupation férieufe , & femblent
confondre prefque tous les états.
Quand un Artiſte a travaillé pour les
commodités d'autrui , il abandonne fon
talent , & emploie fon gain à faire travailler
pour les fiennes .
Les fages politiques qui ont cherché à
introduire le luxe , ont mal réuffi ....
( Пy a ici une lacune ) . ༡
L'excès du luxe ne peut pas nuire ;
cela n'eft vrai en bonne politique qu'en
fuppofant qu'an Marchand qui tiendra
table ouverte & donnera des concerts
ne fermera pas fa boutique ; qu'un Tailleur
qui roulera carroffe , ne ceffera pas
de faire des habits * ; mais le nombre des
Je crois que cette partie eft très- cultivée à
bien des égards .
* Le fameux P .... fait plus d'habits & d'envois
* A v
10 MERCURE DE FRANCE.
ouvriers diminuant tous les jours , on eft
obligé d'augmenter le prix des marchandifes'
, & là même d'en rendre la confompar
mation plus difficile . Rien ne prouve mieux
la richeffe d'un Etat , ou la circulation du
commerce , que le bon marché auquel on
achete tout ce qui fert aux befoins & aux
commodités de la vie . * Ainfi l'abus du
luxe ne confifte pas en ce qu'on dépenfe
trop ; mais en ce que , par un faux éclat
qu'on attache au luxe , on méprife , ou du
moins on délaiffe les arts , & on ne travaille
pas affez .
Le rapport intime d'un luxe exceffif
avec la décadence des arts , eft une de ces
vérités qui ne font pas affez connues ; les
conféquences de l'un à l'autre ne font
pas
auffi éloignées qu'elles le paroiffent.
A peine a-t- on acquis un état au-deffus
du commun du peuple , qu'on afpire à
fentir toute la fineffe que l'imagination a
inventée dans les plaifirs de pur agrément.
On veut être auffi -tôt Peintre , Poëte &
qu'il n'en a jamais faits , quoiqu'il ait depuis longtems
équipage , & le nombre de fes garçons augmente
toutes les années.
* Les provinces de France où on vit à meilleur
compte , font au contraire les moins riches , &
c'eft dans les villes où le commerce fleurit le
plus , que tout eft le plus cher.
AVRIL. 1755. II
Muficien : on aime ces talens , parce qu'ils
font rares , & qu'ils fervent beaucoup à la
parure de l'efprit : auffi nous donnent - ils
lieu de connoître la meſure des lumieres
générales , & la trempe du goût .
Rien n'eft plus commun que de trouver
ce qu'on appelle des connoiffeurs en Peinture
, en Poëfie & en Mufique , mais on
trouve rarement des gens qui fçachent
diftinguer feulement un tableau de Raphael
d'avec un de Teniers ; on parle de
coloris & de coftume fans fçavoir ce que
ces mots fignifient . En voici la preuve.
Vanloo ou Reftout trouveront deux mille
livres d'un ouvrage qui leur aura coûté
un an de travail : un barbouilleur de cabinets
& d'alcoves gagnera dix ou douze
mille livres dans cet intervalle. Tout Paris
s'empreffera de voir des peintures groffieres
qui tapifferont le bureau ou la falle
à manger d'un particulier * ; peu de monde
ira vifiter des chefs- d'oeuvres expofés au
vieux Louvre.
On fe pique de fe connoître en poëfie ,
& de l'aimer. M. de Crébillon donne une
tragédie nouvelle ; on en parle le premier
jour à un fouper : d'ailleurs on n'eft pas au
* Cette accufation eft exagérée . Le public a
couru voir en foule les tableaux expoſés dans le
dernier fallon.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
tant affecté de cet événement qu'on l'étoit
autrefois d'un quatrain de Benferade.
On s'attache encore plus à prouver fon
goût pour la mufique ; cependant l'auteur
de Titon & l'Aurore expofe au goût du
public une Paftorale languedocienne ; on
la trouve d'abord froide , languiffante , &
d'une bizarrerie infoutenable ; la falle du
fpectacle eft deferte pendant un tems.
Quelques perfonnes dont le bon goût ne
peut être contredit , ayant difcerné la tendreffe
naïve & touchante qui regne dans
cet agréable ouvrage , en ont empêché la
chûte.
Théfée fervira mieux d'exemple . En
vain les bons juges ont admiré la profonde
harmonie de cet Opéra mâle & vigoureux ,
ils n'ont pu garantir Lulli de l'infulte qu'on
a faite à fes cendres. On a écouté de fangfroid
les fons raviffans de la charmante
Fel & de l'incomparable Jeliotte , les nobles
tranfports de Mlle Chevalier , & les
reftes précieux des accens majestueux de
Chaffe ; à peine a-t-on encouragé par quelques
applaudiffemens Mlle Davaux , qui
par les progrès qu'elle a faits depuis quel
que tems , donne de fi grandes efpérances.
La mufique de Lulli a été goutée par trop
de monde ; c'est pourquoi elle ne l'eft plus
AVRIL. 1755.
13
tant aujourd'hui . S'il étoit auffi facile
d'acquerir les talens que de fe revêtir d'une
nouvelle parure , les arts changeroient
comme les modes ; le nombre des connoiffeurs
fe multiplieroit avec rapidité ; &
comme pour un bon connoiffeur il y en a
cent de mauvais , le goût feroit immolé ,
plutôt qu'il ne l'eft , à la pluralité des fuffrages
: car il ne faut pas croire ce qui fe
dit vulgairement , que les changemens du
goût font le fruit de l'inconftance ; nous
devons dire au contraire , que l'inconf
tance eft l'afyle du goût . La délicateſſe &
la fenfibilité qui le caractériſent , le rendent
incompatible avec cette foule tranchante
d'afpirans préfomptueux dont il eft affiégé :
il fuit , il fe déguife , il invente ; mais
toujours également pourfuivi , il eft contraint
de céder à la force , il difparoît.
La face de la terre fe couvre de ténébres.
A des fiécles éclairés fuccédent des
tems de barbarie , où les hommes connoiffent
à peine les loix de l'humanité. L'hiftoire
nous a laiffé deux époques d'un pareil
defordre qu'il feroit à fouhaiter que
la postérité n'eût pas à nous accufer d'avoir
commencé la troifiéme ! Pour éviter
cette accufation , nous ne fçaurions trop
nous attacher à connoître les véritables
talens , & à n'honorer & à ne récompen14
MERCURE DE FRANCE.
fer que ceux -là . Bien des perfonnes qui
vivent dans le découragement , feront valoir
des talens qu'ils facrifient à l'incerti
tude des récompenfes : nous mettrons un
frein au mauvais goût , ceux qui n'auront
point de talent pour un genre en embrafferont
quelque autre qui leur fera profitable,
&
peu à pen
, chacun
rentrant
dans
fa
fphere & confultant fon génie , travaillera
pour fa patrie en travaillant pour lui-même.
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Résumé : REFLEXIONS SUR LE GOUT.
Le texte 'Réflexions sur le goût' met en lumière une décadence du goût et de la science au début du XVIIIe siècle. La science, bien que devenue accessible, est souvent superficielle et réduite à des ouvrages portatifs. Voltaire, par exemple, écrit des livres qui restent inconnus ou ignorés. La publication de nouveaux ouvrages est en déclin, et les arts utiles se maintiennent grâce à la routine des anciens ouvriers. Le commerce et les manufactures souffrent d'un manque de vigueur et d'amour pour les arts. Le luxe est critiqué pour son impact négatif sur les arts et le commerce. L'excès de luxe ne nuit pas tant par la dépense excessive que par le mépris des arts et le manque de travail. Le texte note également une confusion entre les différents états sociaux et une dévaluation des vrais talents artistiques. Le goût pour les arts est superficiel, et les véritables connaisseurs sont rares. Le texte se conclut par un appel à reconnaître et récompenser les vrais talents pour éviter une nouvelle ère de barbarie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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20
p. 116-120
« MES LOISIRS. A Paris, chez Desaint & Saillant, rue S. Jean de Beauvais ; & [...] »
Début :
MES LOISIRS. A Paris, chez Desaint & Saillant, rue S. Jean de Beauvais ; & [...]
Mots clefs :
Philosophie, Réflexions
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « MES LOISIRS. A Paris, chez Desaint & Saillant, rue S. Jean de Beauvais ; & [...] »
MES LOISIRS . A Paris , chez Defaint
& Saillant , rue S. Jean de Beauvais ; &
Vincent , rue S. Severin.
Cet ouvrage eſtimable eſt dédié à M. le
Comte d'Argenfon. M. le Chevalier d'Arc
en eft l'auteur : on peut dire fans flaterie
que fes loifirs font bien employés ; ils font
honneur à fon coeur autant qu'à fon efprit ,
& refpirent la vérité & la décence qu'il a
pris pour épigraphe * . On y lit d'abord une
préface auffi courte que modefte : elle eft
fuivie d'un difcours préliminaire , où l'auteur
dit avec raifon que juger des chofes
fur leurs furfaces , c'eſt en mal juger ; que
pour bien juger , il faut connoître ; qu'on
ne peut bien connoître que par le moyen
* Quid verum atque decens curo & rogo, &
omnis in hocfum. Hor. ep. lib. I. ep. I.
JUIN. 1755. 117
de l'analyfe ; qu'elle eft peut -être plus néceffaire
dans le monde que dans le cabinet
, & qu'elle y eft auffi fouvent employée
par ceux-même qui font le plus effarouchés
du mot. Parmi plufieurs exemples qu'il
cite , je me renfermerai dans un feul ; il
fuffira pour juftifier fon fentiment. Une
jolie femme , dit -il , à fa toilette analyſe
fes traits , cherche les rapports que les ornemens
étrangers peuvent avoir avec fa
figure , & ne fe détermine à placer telle
fleur ou telle mouche qu'après l'examen
le plus fcrupuleux de l'effet qu'elle doit
produire.
Pour moi je n'ai pas cru pouvoir faire
une meilleure analyfe de fon livre que
d'en extraire quelques- unes des réflexions
qui le compofent. Comme elles font détachées
& rangées par ordre alphabétique ,
je n'ai eu que la peine du choix : il eft
vrai que je l'ai trouvé d'autant plus difficile
, que ces réflexions m'ont prefque toutes
parues d'une égale bonté : celles que je
préſente ici au hazard , feront voir que
l'auteur penfe auffi - bien qu'il écrit . Sa
philofophie eft vraie ; elle eft puifée dans
l'ufage du monde , ce n'eft que là qu'il faut
l'étudier , & qu'on peut apprendre à la
mettre en pratique.
» L'accueil que les grands Seigneurs
118 MERCURE DE FRANCE.
» font aux grands hommes , eft un effort
» de l'orgueil , qui cherche à s'élever jufqu'au
mérite en le careffant . "
» Les plaifirs forment des liaiſons ,
» l'ambition produit des intrigues , les
» goûts ou l'intérêt arrangent des fociétés ;
» la vertu feule affortit & refferre les
» noeuds de l'amitié.
"
» Nous cherchons à découvrir le bon-
» heur , comme un Aftronome cherche à
decouvrir une étoile . Imbécilles que nous
» ſommes , baiſſons les yeux ; il eſt à nos
>> pieds , & nous paffons deffus fans daigner
», le regarder.
"
» Le bonheur & le repos réfultent l'un
» de l'autre , & ne font
ainfi dire ,
, pour
qu'une même choſe ; mais il ne faut pas
» confondre le repos avec l'inaction . Le
» répos de l'ame eft dans un mouvement
régulier ,, que rien ne fufpend , que rien
»> ne précipite.
"
L'émulation eft extraite de l'envie ,
» comme certains remedes font extraits de
quelques poifons ; l'utilité de fes effets
nous ferme les yeux fur fon principe.
33
"
» Les efprits ont , pour ainfi dire , leur
temperamment comme les corps , & tout
auffi difficile à connoître ; c'eſt ce qui
» fait que le même raifonnement porte la
» vérité dans celui- ci , l'incertitude dans
J.UIN . 1755. 119
> » celui là , l'erreur dans un autre comme
fait un remede qui agit bien , qui agit
mal , ou n'agit point du tout , felon la
» différence des corps à qui on les donne.
» Le prétendu efprit fort n'eft rien moins
qu'un efprit nerveux ; c'eft une yvreffe
» dont l'afpect de la mort rabat les fumées
alors on fe trouve affoibli de tout :
» ce qu'on avoit montré de forces .
» Ces efprits forts font comme les gens
" yvres , qui veulent toujours faire boire
» les autres.
» La flaterie eſt une mine que creufe le
» vice pour faire écrouler la vertu.
Qui fe livre à des occupations frivo-
» les , devient incapable de grands deffeins.
» Rarement le fiécle de la frivolité eft- il le
» fiécle des grands hommes . » Il est vrai
qu'il ne forme communément que le joli homme
, ou tout au plus l'homme aimable.
" La marche du génie eft comme celle
d'un corps élastique ; le moment où il fe
ralentit touche au moment où il s'arrête.
»Il feroit plus fûr de voir les hommes
tels qu'ils font ; il eft plus agréable de
» les voir tels qu'ils veulent paroître.
" Les gens médiocres copient fervile-
» ment ; les efprits fupérieurs commencent
»par imiter , & finiffent par fervir de mo
» dele.
120 MERCURE DE FRANCE.
» Peut-être qu'un importun s'importu-
» ne lui- même , & qu'il ne cherche quelqu'un
que pour fe “ fuir.
ور
» Il faut être né bien heureufement pour
» être philofophe fans avoir été malheu-
>> redx .
""
Lorfque les larmes font l'expreffion
de la tendreffe , elles font à l'amour ce
» que les pluies font aux fleurs ; elles le
» nourriffent , elles le raniment.
و ر »L'adverfitécommenceparaigrirleca-
» ractere , & finit par le brifer ; elle corri-
» ge l'exceffive vanité de quelques gens ,
» & les ramene , pour ainfi dire , à leur
» place ; mais elle rend quelquefois trop
humbles ceux que la profpérité avoit
» rendu trop vains .
M. le Chevalier d'Arc couronne fes réflexions
par l'apologie du genre
humain.
Son bon efprit lui fait voir les hommes
par leur bon côté ; n'eft-ce pas le plus fage
parti , ou le meilleur fyftême ?
& Saillant , rue S. Jean de Beauvais ; &
Vincent , rue S. Severin.
Cet ouvrage eſtimable eſt dédié à M. le
Comte d'Argenfon. M. le Chevalier d'Arc
en eft l'auteur : on peut dire fans flaterie
que fes loifirs font bien employés ; ils font
honneur à fon coeur autant qu'à fon efprit ,
& refpirent la vérité & la décence qu'il a
pris pour épigraphe * . On y lit d'abord une
préface auffi courte que modefte : elle eft
fuivie d'un difcours préliminaire , où l'auteur
dit avec raifon que juger des chofes
fur leurs furfaces , c'eſt en mal juger ; que
pour bien juger , il faut connoître ; qu'on
ne peut bien connoître que par le moyen
* Quid verum atque decens curo & rogo, &
omnis in hocfum. Hor. ep. lib. I. ep. I.
JUIN. 1755. 117
de l'analyfe ; qu'elle eft peut -être plus néceffaire
dans le monde que dans le cabinet
, & qu'elle y eft auffi fouvent employée
par ceux-même qui font le plus effarouchés
du mot. Parmi plufieurs exemples qu'il
cite , je me renfermerai dans un feul ; il
fuffira pour juftifier fon fentiment. Une
jolie femme , dit -il , à fa toilette analyſe
fes traits , cherche les rapports que les ornemens
étrangers peuvent avoir avec fa
figure , & ne fe détermine à placer telle
fleur ou telle mouche qu'après l'examen
le plus fcrupuleux de l'effet qu'elle doit
produire.
Pour moi je n'ai pas cru pouvoir faire
une meilleure analyfe de fon livre que
d'en extraire quelques- unes des réflexions
qui le compofent. Comme elles font détachées
& rangées par ordre alphabétique ,
je n'ai eu que la peine du choix : il eft
vrai que je l'ai trouvé d'autant plus difficile
, que ces réflexions m'ont prefque toutes
parues d'une égale bonté : celles que je
préſente ici au hazard , feront voir que
l'auteur penfe auffi - bien qu'il écrit . Sa
philofophie eft vraie ; elle eft puifée dans
l'ufage du monde , ce n'eft que là qu'il faut
l'étudier , & qu'on peut apprendre à la
mettre en pratique.
» L'accueil que les grands Seigneurs
118 MERCURE DE FRANCE.
» font aux grands hommes , eft un effort
» de l'orgueil , qui cherche à s'élever jufqu'au
mérite en le careffant . "
» Les plaifirs forment des liaiſons ,
» l'ambition produit des intrigues , les
» goûts ou l'intérêt arrangent des fociétés ;
» la vertu feule affortit & refferre les
» noeuds de l'amitié.
"
» Nous cherchons à découvrir le bon-
» heur , comme un Aftronome cherche à
decouvrir une étoile . Imbécilles que nous
» ſommes , baiſſons les yeux ; il eſt à nos
>> pieds , & nous paffons deffus fans daigner
», le regarder.
"
» Le bonheur & le repos réfultent l'un
» de l'autre , & ne font
ainfi dire ,
, pour
qu'une même choſe ; mais il ne faut pas
» confondre le repos avec l'inaction . Le
» répos de l'ame eft dans un mouvement
régulier ,, que rien ne fufpend , que rien
»> ne précipite.
"
L'émulation eft extraite de l'envie ,
» comme certains remedes font extraits de
quelques poifons ; l'utilité de fes effets
nous ferme les yeux fur fon principe.
33
"
» Les efprits ont , pour ainfi dire , leur
temperamment comme les corps , & tout
auffi difficile à connoître ; c'eſt ce qui
» fait que le même raifonnement porte la
» vérité dans celui- ci , l'incertitude dans
J.UIN . 1755. 119
> » celui là , l'erreur dans un autre comme
fait un remede qui agit bien , qui agit
mal , ou n'agit point du tout , felon la
» différence des corps à qui on les donne.
» Le prétendu efprit fort n'eft rien moins
qu'un efprit nerveux ; c'eft une yvreffe
» dont l'afpect de la mort rabat les fumées
alors on fe trouve affoibli de tout :
» ce qu'on avoit montré de forces .
» Ces efprits forts font comme les gens
" yvres , qui veulent toujours faire boire
» les autres.
» La flaterie eſt une mine que creufe le
» vice pour faire écrouler la vertu.
Qui fe livre à des occupations frivo-
» les , devient incapable de grands deffeins.
» Rarement le fiécle de la frivolité eft- il le
» fiécle des grands hommes . » Il est vrai
qu'il ne forme communément que le joli homme
, ou tout au plus l'homme aimable.
" La marche du génie eft comme celle
d'un corps élastique ; le moment où il fe
ralentit touche au moment où il s'arrête.
»Il feroit plus fûr de voir les hommes
tels qu'ils font ; il eft plus agréable de
» les voir tels qu'ils veulent paroître.
" Les gens médiocres copient fervile-
» ment ; les efprits fupérieurs commencent
»par imiter , & finiffent par fervir de mo
» dele.
120 MERCURE DE FRANCE.
» Peut-être qu'un importun s'importu-
» ne lui- même , & qu'il ne cherche quelqu'un
que pour fe “ fuir.
ور
» Il faut être né bien heureufement pour
» être philofophe fans avoir été malheu-
>> redx .
""
Lorfque les larmes font l'expreffion
de la tendreffe , elles font à l'amour ce
» que les pluies font aux fleurs ; elles le
» nourriffent , elles le raniment.
و ر »L'adverfitécommenceparaigrirleca-
» ractere , & finit par le brifer ; elle corri-
» ge l'exceffive vanité de quelques gens ,
» & les ramene , pour ainfi dire , à leur
» place ; mais elle rend quelquefois trop
humbles ceux que la profpérité avoit
» rendu trop vains .
M. le Chevalier d'Arc couronne fes réflexions
par l'apologie du genre
humain.
Son bon efprit lui fait voir les hommes
par leur bon côté ; n'eft-ce pas le plus fage
parti , ou le meilleur fyftême ?
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Résumé : « MES LOISIRS. A Paris, chez Desaint & Saillant, rue S. Jean de Beauvais ; & [...] »
L'ouvrage 'Mes loisirs' est publié à Paris par Defaint & Saillant et Vincent, dédié au Comte d'Argenfon et écrit par le Chevalier d'Arc. L'auteur utilise ses loisirs de manière honorable, reflétant vérité et décence. Le livre commence par une préface modeste suivie d'un discours préliminaire où l'auteur affirme que juger les choses superficiellement est erroné. Il insiste sur l'importance de l'analyse pour bien connaître et comprendre, illustrant son propos par divers exemples, comme une femme analysant sa toilette pour choisir les ornements appropriés. Le texte extrait plusieurs réflexions du livre, classées par ordre alphabétique. Parmi elles, on trouve des observations sur les relations sociales, le bonheur, l'émulation, et les esprits forts. L'auteur note que l'accueil des grands seigneurs envers les grands hommes est souvent motivé par l'orgueil. Il distingue les vraies amitiés, fondées sur la vertu, des liaisons basées sur les plaisirs ou l'ambition. Le bonheur est décrit comme accessible mais souvent ignoré. L'émulation est comparée à un remède extrait de poisons, utile malgré son principe douteux. Les esprits forts sont comparés à des ivrognes cherchant à faire boire les autres. La flatterie est vue comme une menace à la vertu, et les occupations frivoles empêchent les grands desseins. Le génie est comparé à un corps élastique, et les gens médiocres copient servilement tandis que les esprits supérieurs innovent. L'adversité corrige la vanité mais peut aussi rendre humble de manière excessive. Le livre se conclut par une apologie du genre humain, vu sous un jour favorable.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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21
p. 172-184
Réflexions sur la maniere d'enseigner & d'étudier le Droit.
Début :
Jamais le siécle n'a été plus éclairé que celui dans lequel nous vivons. L'esprit géométrique [...]
Mots clefs :
Enseigner le droit, Étudier le droit, Réflexions, Étude, Droit, Science
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texteReconnaissance textuelle : Réflexions sur la maniere d'enseigner & d'étudier le Droit.
Réflexions fur la maniere d'enfeigner &
d'étudier le Droit.
J
de
Amais fiécle n'a été plus éclairé que celui
dans lequel nous vivons. L'efprit géométrique
qui y regne , a porté la lumiere
dans les fciences & dans les arts. On ne fe
contente plus de connoiffances légeres &
fuperficielles , la Philofophie dans fes commencemens
, enveloppée des plus épaifes
ténébres , dans la fuite éclairée par
fauffes lueurs , eft aujourd'hui une ſcience
où l'on n'admet que ce qu'on comprend ,
& où l'on ne fe conduit que par des principes
connus. La Médecine long- tems fondée
fur les préjugés & fur l'expérience , eft
en état de rendre raifon de toutes fes opérations.
Les arts qui dépendent du goût &
de l'intelligence ne s'apprennent plus par
la feule pratique , mais encore par la méthode.
En tout on fe conduit d'une maniere
également prompte & fûre : on rend
raifon de tout , on démontre tout juſqu'aux
beautés de ftyle , jufqu'aux beautés de
fentiment .
Une ſcience feule femble n'avoir aucuSEPTEMBRE
1755. 173
ne part à ces progrès & à ces avantages ;
c'eft la fcience du droit , la plus belle néanmoins
par l'origine de fes maximes , la
plus intéreffante pour le bien de la fociété
, la plus fatisfaifante peut-être fi elle
étoit connue & pratiquée par des efprits
dignes de s'y appliquer. Nous avons vû
paroître de nos jours quelque compilation,
quelques éditions nouvelles augmentées
de notes , quelques abrégés d'ordinaire
fecs & décharnés , mais du refte aucun
ouvrage de génie en cette matiere ,
aucun ouvrage.
d'un caractere nouveau .
Plufieurs cauſes , il eft vrai , peuvent
produire cet inconvénient. Défauts dans
les difpofitions de ceux qui étudient cette
fcience ; défauts dans les livres qui la
renferment ; défaut dans la méthode de
l'enfeigner dans les Univerfités ; difcrédit
où elle eft dans l'efprit du public.
Les perfonnes qui étudient cette fcience
, font quelquefois celles qui l'envifagent
le moins dans fon objet & dans fes
principes. Les uns la regardent fimplement
comme l'inftrument de leur fortune , les
autres comme une occupation attachée à
leur état , & ce n'eft ni le befoin ni l'état
qui déterminent les qualités de l'efprit.
Les livres qui la renferment , font des
livres très-imparfaits. Le recueil des loix
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
compofé par Tribonien , eft un véritable
chaos plein d'obfcurités & de contradictions
vraies ou apparentes , où les vrais
principes font noyés dans la décifion des
cas particuliers répandus en des endroits
tout- à - fait différens , où ce qui eft préfenté
comme principe , n'eft fouvent
qu'une décifion d'un cas particulier , &
où le moindre défaut , quoique par luimême
très-conſidérable , eft le défaut de
méthode .
Malgré l'étendue de ce recueil , il s'en
faut bien qu'il contienne la décifion d'une
infinité de cas , c'eſt ce qui a donné lieu
à plufieurs Auteurs en différens tems de
ramaffer les décifions de ceux qui fe font
préfentés. Ces décifions n'ont pas toujours
été les mêmes fur les mêmes cas , le tems
donne des vûes & diffipe bien des erreurs.
Des réglemens d'ailleurs bons dans de cer
taines circonftances demandent d'être
changés ou modifiés dans d'autres ; mais
fi l'on continue ces fortes d'ouvrages ,
comment n'en fera-t-on pas accablé dans
les fuites ?
›
On trouve bien peu de reffources pour
réfoudre les difficultés dans certains auteurs
qui ont travaillé fur le droit , aucun
d'eux n'a guere connu la vraie méthode .
La plupart de ces interprêtes nés fans goût
SEPTEMBR E. 1755. 175
naturel , & écrivant dans un tems d'ignorance
& de ténébres ont rempli leurs écrits
des plus grandes inepties & des plus grandes
fadaifes. Ceux qui ont travaillé le plus
fenfément , ne ſe font point mis en peine
d'aider les commençans.
Il y en a qui ont travaillé d'une maniere
folide & profonde , on en convient
mais comme ils ne font point législateurs
eux-mêmes , & qu'ils n'ont fouvent que
leur opinion , quoique refpectable . Pour
les bien comprendre , & pour faire un
ufage affuré de leurs découvertes il fau
droit avoir étudié prefque autant qu'eux ,
& bien peu de perfonnes font dans le goût
& la fituation néceffaires pour cela . Au
furplus , ce peu de perfonnes ne feroient
pas , du moins de leur vivant , fort utiles
à la fociété.
Les Profeffeurs de cette fcience , foit
qu'ils n'ayent à faire qu'à une jeuneffe indocile
& ignorante , foit que leur ambition
fe trouve bornée par la place qu'ils
occupent , font fujets à enfeigner le Droit
d'une maniere peu noble & affez infructueufe.
Les fubtilités du Droit romain , &
plufieurs autres inutilités rempliffent leurs
cayers , ils acquierent par là plus de gloire,
& il y en a parmi eux qui ne font que trop
fouvent regardés que comme de vains dif-
Hiiij coureurs.
176 MERCURE DE FRANCE .
On fe contente aujourd'hui , comme on
s'eft prefque toujours contenté dans les
Univerfités , de dicter la premiere année
des études du droit des commentaires fur
les inftitutes de Juftinien , que chacun
compofe à fa fantaisie ; on y fuit communément
le même ordre qui s'y trouve , &
cet ordre n'eft point du tout méthodique.
Il n'y a point de page qui , pour être bien
comprife , n'ait beſoin de la page fuivante.
On eft réduit à expliquer ce qu'il y a
d'obfcur par des citations accablantes des
loix du Digefte , que la jeuneffe comprend
encore moins. C'eft porter un flambeau
éteint dans l'obfcurité de la nuit. On eft
fujet à y mêler une infinité de chofes inutiles
& hors d'ufage , qui font perdre de
vûe ce qu'il feroit utile de retenir.
Les autres années on explique quelques
titres du Digeſte , où il n'y a pas plus d'ordre
; on fe fatigue à concilier les contradictions
des loix par le fentiment des Interprêtes
, qui ne font pas toujours d'accord
entr'eux . On confond l'étude du
Droit romain avec l'étude du droit de fon
pays ; & comme chacun a des principes
différens , au lieu d'employer utilement
fon tems on le perd réellement , & on
n'apprend ni l'un ni l'autre .
Dans ces circonftances , l'expérience fait
1
SEPTEMRE. 1755. 177
voir , qu'il eft difficile a prendre le goût
de cette fcience ; & faute de l'avoir pris ,
le premier ufage qu'on fait de fa liberté ,
après ces études, eft d'oublier tout ce qu'on
a appris , & de fe féliciter de l'avoir oublié.
Il faut pourtant convenir , que malgré
ces difficultés , il fe trouve des perfonnes
qui s'appliquent à l'étude du droit , & qui
font en état de donner leur décifion fur
tous les différens qui fe rencontrent. Il s'en
trouve fans doute , & il s'en trouvera toujours.
Mais à la réferve d'un bien petit nombre
que l'amour de la gloire peut faire agir,
fi l'on confulte les autres , ou qu'on examine
de près leur conduite , on verra que
ce n'eft qu'un intérêt vil & méprifable en
pareil cas qui les conduit. La néceffité leur
fait furmonter les dégoûts inféparables du
commencement de cette étude , & dès
qu'ils en fçavent aſſez
décider ce qui
fe préfente , ils ne vont pas plus loin , &
n'approfondiffent pas.
pour
Il est aisé de voir combien le peu d'élévation
dans les fentimens chez des perfonnes
qui fe deſtinent à cette étude entraîne
d'inconvéniens , leurs lumieres en
deviennent fufpectes , les Juges en deviennent
incertains & irréfolus , les plaideurs
en deviennent capricieux & obſtinés.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE
Toutes ces miferes font tomber cette
fcience dans le difcrédit , les perfonnes
éclairées , les amateurs des autres fciences
qui n'en jugent que dans ceux qui la pratiquent
, en prennent de fauffes idées . Ils
voyent que certains ne la cultivent que
par un intérêt fordide , & s'ils penfent noblement
ne la regardent que comme un
métier. Ils la voyent pratiquée par des efprits
médiocres , fans goût & fans talens ,
& la regardent par- là comme une fcience
peu fatisfaifante , peu digne des recherches
d'un homme curieux & pénétrant. Ils
font confufément inftruits des longueurs
& des fombres détours de la chicane , de
la fauffe interprétation qu'on peut faire
des loix , & regardent comme effentiel à
cette fcience un abus qui lui eft entierement
étranger. C'eft ainfi que penfent des
connoiffeurs fenfés & judicieux en toute
autre rencontre. D'autre côté , une infinité
de gens oififs qui cherchent néanmoins
à orner leur efprit & à bien conduire leurs
affaires , regardent la plus légere étude du
droit comme quelque chofe entierement
au- deffus de leur portée , héfitent dans les
moindres chofes qui y ont rapport , & ont
toujours befoin des lumieres d'autrui
dans des chofes qu'ils auroient pû , fans
beaucoup de peine , voir diftinctement
par leurs propres yeux.
SEPTEMBRE. 1755. 179
Ainfi cette, fcience ne trouve prefque
plus perfonne qui l'étudie pour elle- même
tandis que plufieurs autres fciences
moins utiles trouvent des amateurs fideles
qui s'y attachent , qui y entrent , qui les
approfondiffent. Auffi eft elle fuivie de
bien peu d'honneur & de bien peu de gloi
re , fi l'on examine celle à laquelle elle
pourroit prétendre , & qui lui a été autrefois
accordée .
Quelle gloire en effet de faire fon occupation
de ce qui fait la vraie utilité
pu
blique , fi on la fait avec les talens , les
motifs , la dignité convénables ? Quelle
gloire n'ont pas eu parmi les Grecs ceux
qui les premiers ont travaillé à écrire & à
faire pratiquer des loix ? Quelle gloire
n'acqueroient pas les Jurifconfultes parmi
les Romains ? La fcience du Droit élevoit
anx emplois les plus brillans , aux poftes
les plus diftingués , & affuroit à ceux qui
la pratiquoient une vénération publique .
Seroit- il avantageux de remédier à l'inconvénient
dont on vient de parler : &
feroit-il impoffible d'y réuffir
Il femble qu'on ne peut méconnoître
les avantages qu'il y auroit de rendre l'étude
du Droit en même tems plus fami
liere & plus recommandable. Sans parler
de l'excellence du droit naturel , qu'on ne
1
>
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
peut méconnoître , qu'en n'étant homme
qu'à demi , fans rapporter les pompeux
éloges qui en font faits , fans parler du
droit public dont , quiconque prend intérêt
au bien de fa patrie , devroit defirer
d'être inftruit , l'étude elle - même du droit
civil n'eft pas fans utilité , ne fut - ce que
pour conduire fes propres affaires , pour
abandonner à propos des prétentions injuftes
, ou incertaines . Pour y parvenir , il
ne feroit pas néceffaire d'être Jurifconfulte
par état , ou Avocat confultant ; il fuffiroit
d'apprendre quelques principes & quelques
régles , dont le détail pourroit être
rendu intéreffant , & qui n'eft pas infini ,
d'y apporter une difpofition & une attention
qu'on emploie pour plufieurs chofes
qui entrent dans une éducation au- deffus
de la commune.
Il feroit donc à fouhaiter qu'on enſeignât
le droit avec la dignité & la méthode
convénables pour en faire naître le
goût de plus en plus , & pour en affurer
le progrès. Pour cet effet il conviendroit
peur- être que ceux qui font prépofés à cet
exercice , fuffent parfaitement inftruits
du droit de la nature & des gens , & qu'ils
viffent clairement dans ce droit le fondement
de tous les autres. On fçait qu'il y
a dans des états voifins , des Univerfités
SEPTEMBRE . 1755. 181
où il y a une chaire particuliere pour le
Droit de la nature & des gens. Il feroit à
fouhaiter qu'on fe départît de l'ancienne
forme d'enſeigner le droit , & qu'on s'appliquât
à donner les vrais élémens de cette
fcience , autant qu'elle en eft fufceptible .
Qu'on divifât les matieres , qu'on fît bien
fentir en chacune ce qui eft d'un droit immuable
d'avec ce qui n'eft que d'un droit
pofitif , qu'un avantage public a néanmoins
fait introduire ; qu'on fçût faire
comprendre ce que c'eft que la rigueur du
droit , & dans quel cas il eft permis d'y
apporter du tempérament. Il feroit fans
doute infiniment plus avantageux d'inftruire
la jeuneffe de ces principes , que de
leur apprendre le détail des régles , ils les
apprendroient affez enfuite d'eux-mêmes.
Les anciens Jurifconfultes qui ont compofé
des inftitutes du Droit romain , fembloient
avoir reconnu la néceffité de fe
fervir de principes dans l'étude de cette
fcience. Ils en avoient pofé au commencement
de leur ouvrage , mais principes fi
primitifs , fi généraux , que l'application
n'en peut pas beaucoup fervir dans le
détail , & d'ailleurs on n'en voit point
dans la fuite de cet ouvrage.
Suivant cette méthode , on pourroit enfeigner
la premiere année ce qui regarde
182 MERCURE DE FRANCE.
les conventions , & les autres engagemens
qui en font les fuites . Dans la feconde , ce
qui regarde les fucceffions & les matieres
teftamentaires. Dans la troifiéme , quelques
matieres qui ont une origine particuliere
, comme les matieres des fiefs , ou
quelques matieres du droit public.
Il eft à préfumer qu'en fuivant ce plan
avec foin , peu à peu le goût de cette fcience
prendroit ; on verroit les perfonnes même
qui ne fe deftinent pas à s'y appliquer
toute leur vie aimer à fe remplir de principes
qui feroient d'ufage dans la conduite
de leurs affaires ; on verroit des perfonnes
qui fe deſtinent à l'état eccléfiaftique
fe rendre capables par ce moyen d'être
dans la fociété d'une utilité infinie.
Un des foins principaux des Profeffeurs
devroit être de difcerner parmi ceux qui
étudient fous eux , ceux qui fe trouvent
avoir le génie de la fcience qu'on leur enfeigne.
On fçait qu'on entend par génie
l'aptitude naturelle que des perfonnes ont
de faire bien au prix d'une légere étude
ce que d'autres avec une étude pénible ne
parviennent à faire qu'imparfaitement . On
ne doit pas douter qu'il ne faille un génie
particulier pour l'étude des loix , un caractere
d'efprit fingulier une heurenfe pofition
de coeur. L'inſtruction ſeule & l'apSEPTEMBRE
. 1755. 183
plication ne fuffifent pas , l'expérience ie
démontre . Où font les compagnies un peu
nombreuſes où l'on ne voie bien fouvent
des Magiftrats qui , fans étude , mais par
une droiture d'efprit qui leur eft naturelle ,
vont au but & à la vraie décifion , tandis
qu'on en voit , qui ayant forcé leurs talens
, & s'étant remplis de connoiffances
femblent ne s'en fervir que pour donner à
gauche avec plus d'obftination .
Ce difcernement mériteroit d'autant
plus d'attention , que parmi ceux qui s'appliquent
à l'étude du droit , c'eft prefque
un hazard s'il en eft quelqu'un qui ait .
pour cette étude les difpofitions naturelles
. Sur cent écoliers qui prendront une
année des dégrés dans une Univerſité de
Droit , c'eft beaucoup s'il y en a trois qui
en faffent dans la fuite leur objet. Les autres
Gradués le négligent entierement. Ce
petit nombre dont on parle , ne fe détermine
que par des circonftances particulie
res où il fe trouve , comme la néceffité
de remplir quelque érat , ou de pourvoir
aux befoins de la vie. Difpofitions infuffifantes
, & avec lefquelles on ne va pas
loin.
Ce difcernement ainfi fait , ce feroit à
des Profeffeurs habiles & zélés pour la
gloire de leur art d'encourager les jeunes
་།
184 MERCURE DE FRANCE.
éleves en qui ils verroient luire les étincelles
de ce génie. Il ne le pourroient gueres
que par leurs exhortations , & par leurs
exemples : mais quand il y auroit dans
l'état quelque diftinction & quelque récompenfe
pour les génies peu communs ,
cela ne paroît pas devoir tirer à une grande
conféquence.
De Ville-Franche , de Rouergue ,
ce 15 Juillet 1755 .
d'étudier le Droit.
J
de
Amais fiécle n'a été plus éclairé que celui
dans lequel nous vivons. L'efprit géométrique
qui y regne , a porté la lumiere
dans les fciences & dans les arts. On ne fe
contente plus de connoiffances légeres &
fuperficielles , la Philofophie dans fes commencemens
, enveloppée des plus épaifes
ténébres , dans la fuite éclairée par
fauffes lueurs , eft aujourd'hui une ſcience
où l'on n'admet que ce qu'on comprend ,
& où l'on ne fe conduit que par des principes
connus. La Médecine long- tems fondée
fur les préjugés & fur l'expérience , eft
en état de rendre raifon de toutes fes opérations.
Les arts qui dépendent du goût &
de l'intelligence ne s'apprennent plus par
la feule pratique , mais encore par la méthode.
En tout on fe conduit d'une maniere
également prompte & fûre : on rend
raifon de tout , on démontre tout juſqu'aux
beautés de ftyle , jufqu'aux beautés de
fentiment .
Une ſcience feule femble n'avoir aucuSEPTEMBRE
1755. 173
ne part à ces progrès & à ces avantages ;
c'eft la fcience du droit , la plus belle néanmoins
par l'origine de fes maximes , la
plus intéreffante pour le bien de la fociété
, la plus fatisfaifante peut-être fi elle
étoit connue & pratiquée par des efprits
dignes de s'y appliquer. Nous avons vû
paroître de nos jours quelque compilation,
quelques éditions nouvelles augmentées
de notes , quelques abrégés d'ordinaire
fecs & décharnés , mais du refte aucun
ouvrage de génie en cette matiere ,
aucun ouvrage.
d'un caractere nouveau .
Plufieurs cauſes , il eft vrai , peuvent
produire cet inconvénient. Défauts dans
les difpofitions de ceux qui étudient cette
fcience ; défauts dans les livres qui la
renferment ; défaut dans la méthode de
l'enfeigner dans les Univerfités ; difcrédit
où elle eft dans l'efprit du public.
Les perfonnes qui étudient cette fcience
, font quelquefois celles qui l'envifagent
le moins dans fon objet & dans fes
principes. Les uns la regardent fimplement
comme l'inftrument de leur fortune , les
autres comme une occupation attachée à
leur état , & ce n'eft ni le befoin ni l'état
qui déterminent les qualités de l'efprit.
Les livres qui la renferment , font des
livres très-imparfaits. Le recueil des loix
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
compofé par Tribonien , eft un véritable
chaos plein d'obfcurités & de contradictions
vraies ou apparentes , où les vrais
principes font noyés dans la décifion des
cas particuliers répandus en des endroits
tout- à - fait différens , où ce qui eft préfenté
comme principe , n'eft fouvent
qu'une décifion d'un cas particulier , &
où le moindre défaut , quoique par luimême
très-conſidérable , eft le défaut de
méthode .
Malgré l'étendue de ce recueil , il s'en
faut bien qu'il contienne la décifion d'une
infinité de cas , c'eſt ce qui a donné lieu
à plufieurs Auteurs en différens tems de
ramaffer les décifions de ceux qui fe font
préfentés. Ces décifions n'ont pas toujours
été les mêmes fur les mêmes cas , le tems
donne des vûes & diffipe bien des erreurs.
Des réglemens d'ailleurs bons dans de cer
taines circonftances demandent d'être
changés ou modifiés dans d'autres ; mais
fi l'on continue ces fortes d'ouvrages ,
comment n'en fera-t-on pas accablé dans
les fuites ?
›
On trouve bien peu de reffources pour
réfoudre les difficultés dans certains auteurs
qui ont travaillé fur le droit , aucun
d'eux n'a guere connu la vraie méthode .
La plupart de ces interprêtes nés fans goût
SEPTEMBR E. 1755. 175
naturel , & écrivant dans un tems d'ignorance
& de ténébres ont rempli leurs écrits
des plus grandes inepties & des plus grandes
fadaifes. Ceux qui ont travaillé le plus
fenfément , ne ſe font point mis en peine
d'aider les commençans.
Il y en a qui ont travaillé d'une maniere
folide & profonde , on en convient
mais comme ils ne font point législateurs
eux-mêmes , & qu'ils n'ont fouvent que
leur opinion , quoique refpectable . Pour
les bien comprendre , & pour faire un
ufage affuré de leurs découvertes il fau
droit avoir étudié prefque autant qu'eux ,
& bien peu de perfonnes font dans le goût
& la fituation néceffaires pour cela . Au
furplus , ce peu de perfonnes ne feroient
pas , du moins de leur vivant , fort utiles
à la fociété.
Les Profeffeurs de cette fcience , foit
qu'ils n'ayent à faire qu'à une jeuneffe indocile
& ignorante , foit que leur ambition
fe trouve bornée par la place qu'ils
occupent , font fujets à enfeigner le Droit
d'une maniere peu noble & affez infructueufe.
Les fubtilités du Droit romain , &
plufieurs autres inutilités rempliffent leurs
cayers , ils acquierent par là plus de gloire,
& il y en a parmi eux qui ne font que trop
fouvent regardés que comme de vains dif-
Hiiij coureurs.
176 MERCURE DE FRANCE .
On fe contente aujourd'hui , comme on
s'eft prefque toujours contenté dans les
Univerfités , de dicter la premiere année
des études du droit des commentaires fur
les inftitutes de Juftinien , que chacun
compofe à fa fantaisie ; on y fuit communément
le même ordre qui s'y trouve , &
cet ordre n'eft point du tout méthodique.
Il n'y a point de page qui , pour être bien
comprife , n'ait beſoin de la page fuivante.
On eft réduit à expliquer ce qu'il y a
d'obfcur par des citations accablantes des
loix du Digefte , que la jeuneffe comprend
encore moins. C'eft porter un flambeau
éteint dans l'obfcurité de la nuit. On eft
fujet à y mêler une infinité de chofes inutiles
& hors d'ufage , qui font perdre de
vûe ce qu'il feroit utile de retenir.
Les autres années on explique quelques
titres du Digeſte , où il n'y a pas plus d'ordre
; on fe fatigue à concilier les contradictions
des loix par le fentiment des Interprêtes
, qui ne font pas toujours d'accord
entr'eux . On confond l'étude du
Droit romain avec l'étude du droit de fon
pays ; & comme chacun a des principes
différens , au lieu d'employer utilement
fon tems on le perd réellement , & on
n'apprend ni l'un ni l'autre .
Dans ces circonftances , l'expérience fait
1
SEPTEMRE. 1755. 177
voir , qu'il eft difficile a prendre le goût
de cette fcience ; & faute de l'avoir pris ,
le premier ufage qu'on fait de fa liberté ,
après ces études, eft d'oublier tout ce qu'on
a appris , & de fe féliciter de l'avoir oublié.
Il faut pourtant convenir , que malgré
ces difficultés , il fe trouve des perfonnes
qui s'appliquent à l'étude du droit , & qui
font en état de donner leur décifion fur
tous les différens qui fe rencontrent. Il s'en
trouve fans doute , & il s'en trouvera toujours.
Mais à la réferve d'un bien petit nombre
que l'amour de la gloire peut faire agir,
fi l'on confulte les autres , ou qu'on examine
de près leur conduite , on verra que
ce n'eft qu'un intérêt vil & méprifable en
pareil cas qui les conduit. La néceffité leur
fait furmonter les dégoûts inféparables du
commencement de cette étude , & dès
qu'ils en fçavent aſſez
décider ce qui
fe préfente , ils ne vont pas plus loin , &
n'approfondiffent pas.
pour
Il est aisé de voir combien le peu d'élévation
dans les fentimens chez des perfonnes
qui fe deſtinent à cette étude entraîne
d'inconvéniens , leurs lumieres en
deviennent fufpectes , les Juges en deviennent
incertains & irréfolus , les plaideurs
en deviennent capricieux & obſtinés.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE
Toutes ces miferes font tomber cette
fcience dans le difcrédit , les perfonnes
éclairées , les amateurs des autres fciences
qui n'en jugent que dans ceux qui la pratiquent
, en prennent de fauffes idées . Ils
voyent que certains ne la cultivent que
par un intérêt fordide , & s'ils penfent noblement
ne la regardent que comme un
métier. Ils la voyent pratiquée par des efprits
médiocres , fans goût & fans talens ,
& la regardent par- là comme une fcience
peu fatisfaifante , peu digne des recherches
d'un homme curieux & pénétrant. Ils
font confufément inftruits des longueurs
& des fombres détours de la chicane , de
la fauffe interprétation qu'on peut faire
des loix , & regardent comme effentiel à
cette fcience un abus qui lui eft entierement
étranger. C'eft ainfi que penfent des
connoiffeurs fenfés & judicieux en toute
autre rencontre. D'autre côté , une infinité
de gens oififs qui cherchent néanmoins
à orner leur efprit & à bien conduire leurs
affaires , regardent la plus légere étude du
droit comme quelque chofe entierement
au- deffus de leur portée , héfitent dans les
moindres chofes qui y ont rapport , & ont
toujours befoin des lumieres d'autrui
dans des chofes qu'ils auroient pû , fans
beaucoup de peine , voir diftinctement
par leurs propres yeux.
SEPTEMBRE. 1755. 179
Ainfi cette, fcience ne trouve prefque
plus perfonne qui l'étudie pour elle- même
tandis que plufieurs autres fciences
moins utiles trouvent des amateurs fideles
qui s'y attachent , qui y entrent , qui les
approfondiffent. Auffi eft elle fuivie de
bien peu d'honneur & de bien peu de gloi
re , fi l'on examine celle à laquelle elle
pourroit prétendre , & qui lui a été autrefois
accordée .
Quelle gloire en effet de faire fon occupation
de ce qui fait la vraie utilité
pu
blique , fi on la fait avec les talens , les
motifs , la dignité convénables ? Quelle
gloire n'ont pas eu parmi les Grecs ceux
qui les premiers ont travaillé à écrire & à
faire pratiquer des loix ? Quelle gloire
n'acqueroient pas les Jurifconfultes parmi
les Romains ? La fcience du Droit élevoit
anx emplois les plus brillans , aux poftes
les plus diftingués , & affuroit à ceux qui
la pratiquoient une vénération publique .
Seroit- il avantageux de remédier à l'inconvénient
dont on vient de parler : &
feroit-il impoffible d'y réuffir
Il femble qu'on ne peut méconnoître
les avantages qu'il y auroit de rendre l'étude
du Droit en même tems plus fami
liere & plus recommandable. Sans parler
de l'excellence du droit naturel , qu'on ne
1
>
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
peut méconnoître , qu'en n'étant homme
qu'à demi , fans rapporter les pompeux
éloges qui en font faits , fans parler du
droit public dont , quiconque prend intérêt
au bien de fa patrie , devroit defirer
d'être inftruit , l'étude elle - même du droit
civil n'eft pas fans utilité , ne fut - ce que
pour conduire fes propres affaires , pour
abandonner à propos des prétentions injuftes
, ou incertaines . Pour y parvenir , il
ne feroit pas néceffaire d'être Jurifconfulte
par état , ou Avocat confultant ; il fuffiroit
d'apprendre quelques principes & quelques
régles , dont le détail pourroit être
rendu intéreffant , & qui n'eft pas infini ,
d'y apporter une difpofition & une attention
qu'on emploie pour plufieurs chofes
qui entrent dans une éducation au- deffus
de la commune.
Il feroit donc à fouhaiter qu'on enſeignât
le droit avec la dignité & la méthode
convénables pour en faire naître le
goût de plus en plus , & pour en affurer
le progrès. Pour cet effet il conviendroit
peur- être que ceux qui font prépofés à cet
exercice , fuffent parfaitement inftruits
du droit de la nature & des gens , & qu'ils
viffent clairement dans ce droit le fondement
de tous les autres. On fçait qu'il y
a dans des états voifins , des Univerfités
SEPTEMBRE . 1755. 181
où il y a une chaire particuliere pour le
Droit de la nature & des gens. Il feroit à
fouhaiter qu'on fe départît de l'ancienne
forme d'enſeigner le droit , & qu'on s'appliquât
à donner les vrais élémens de cette
fcience , autant qu'elle en eft fufceptible .
Qu'on divifât les matieres , qu'on fît bien
fentir en chacune ce qui eft d'un droit immuable
d'avec ce qui n'eft que d'un droit
pofitif , qu'un avantage public a néanmoins
fait introduire ; qu'on fçût faire
comprendre ce que c'eft que la rigueur du
droit , & dans quel cas il eft permis d'y
apporter du tempérament. Il feroit fans
doute infiniment plus avantageux d'inftruire
la jeuneffe de ces principes , que de
leur apprendre le détail des régles , ils les
apprendroient affez enfuite d'eux-mêmes.
Les anciens Jurifconfultes qui ont compofé
des inftitutes du Droit romain , fembloient
avoir reconnu la néceffité de fe
fervir de principes dans l'étude de cette
fcience. Ils en avoient pofé au commencement
de leur ouvrage , mais principes fi
primitifs , fi généraux , que l'application
n'en peut pas beaucoup fervir dans le
détail , & d'ailleurs on n'en voit point
dans la fuite de cet ouvrage.
Suivant cette méthode , on pourroit enfeigner
la premiere année ce qui regarde
182 MERCURE DE FRANCE.
les conventions , & les autres engagemens
qui en font les fuites . Dans la feconde , ce
qui regarde les fucceffions & les matieres
teftamentaires. Dans la troifiéme , quelques
matieres qui ont une origine particuliere
, comme les matieres des fiefs , ou
quelques matieres du droit public.
Il eft à préfumer qu'en fuivant ce plan
avec foin , peu à peu le goût de cette fcience
prendroit ; on verroit les perfonnes même
qui ne fe deftinent pas à s'y appliquer
toute leur vie aimer à fe remplir de principes
qui feroient d'ufage dans la conduite
de leurs affaires ; on verroit des perfonnes
qui fe deſtinent à l'état eccléfiaftique
fe rendre capables par ce moyen d'être
dans la fociété d'une utilité infinie.
Un des foins principaux des Profeffeurs
devroit être de difcerner parmi ceux qui
étudient fous eux , ceux qui fe trouvent
avoir le génie de la fcience qu'on leur enfeigne.
On fçait qu'on entend par génie
l'aptitude naturelle que des perfonnes ont
de faire bien au prix d'une légere étude
ce que d'autres avec une étude pénible ne
parviennent à faire qu'imparfaitement . On
ne doit pas douter qu'il ne faille un génie
particulier pour l'étude des loix , un caractere
d'efprit fingulier une heurenfe pofition
de coeur. L'inſtruction ſeule & l'apSEPTEMBRE
. 1755. 183
plication ne fuffifent pas , l'expérience ie
démontre . Où font les compagnies un peu
nombreuſes où l'on ne voie bien fouvent
des Magiftrats qui , fans étude , mais par
une droiture d'efprit qui leur eft naturelle ,
vont au but & à la vraie décifion , tandis
qu'on en voit , qui ayant forcé leurs talens
, & s'étant remplis de connoiffances
femblent ne s'en fervir que pour donner à
gauche avec plus d'obftination .
Ce difcernement mériteroit d'autant
plus d'attention , que parmi ceux qui s'appliquent
à l'étude du droit , c'eft prefque
un hazard s'il en eft quelqu'un qui ait .
pour cette étude les difpofitions naturelles
. Sur cent écoliers qui prendront une
année des dégrés dans une Univerſité de
Droit , c'eft beaucoup s'il y en a trois qui
en faffent dans la fuite leur objet. Les autres
Gradués le négligent entierement. Ce
petit nombre dont on parle , ne fe détermine
que par des circonftances particulie
res où il fe trouve , comme la néceffité
de remplir quelque érat , ou de pourvoir
aux befoins de la vie. Difpofitions infuffifantes
, & avec lefquelles on ne va pas
loin.
Ce difcernement ainfi fait , ce feroit à
des Profeffeurs habiles & zélés pour la
gloire de leur art d'encourager les jeunes
་།
184 MERCURE DE FRANCE.
éleves en qui ils verroient luire les étincelles
de ce génie. Il ne le pourroient gueres
que par leurs exhortations , & par leurs
exemples : mais quand il y auroit dans
l'état quelque diftinction & quelque récompenfe
pour les génies peu communs ,
cela ne paroît pas devoir tirer à une grande
conféquence.
De Ville-Franche , de Rouergue ,
ce 15 Juillet 1755 .
Fermer
Résumé : Réflexions sur la maniere d'enseigner & d'étudier le Droit.
Le texte 'Réflexions sur la manière d'enseigner et d'étudier le Droit' met en lumière le retard de la science juridique par rapport aux autres disciplines, telles que la philosophie et la médecine, qui ont progressé grâce à des méthodes rigoureuses et à la raison. Plusieurs facteurs expliquent ce retard, notamment les défauts des étudiants, les imperfections des livres de droit et les méthodes d'enseignement inefficaces dans les universités. Les étudiants voient souvent le droit comme un moyen de fortune ou une obligation professionnelle, plutôt que comme une science à étudier pour elle-même. Les livres de droit, comme le recueil des lois compilé par Tribonien, sont décrits comme chaotiques et pleins de contradictions. Les auteurs de ces ouvrages sont critiqués pour leur manque de méthode et de clarté. Les professeurs, quant à eux, enseignent de manière peu noble et infructueuse, se concentrant sur des subtilités inutiles et des inutilités. L'enseignement du droit dans les universités est critiqué pour son manque de méthode et d'ordre. Les étudiants sont souvent submergés par des citations et des explications obscures, ce qui rend l'apprentissage difficile et inefficace. En conséquence, beaucoup d'étudiants perdent rapidement l'intérêt pour cette science après leurs études. Le texte suggère que l'étude du droit pourrait être rendue plus attrayante et utile en adoptant une méthode d'enseignement plus structurée et en se concentrant sur les principes fondamentaux. Il propose de diviser les matières en sections distinctes, comme les conventions, les successions et les matières testamentaires, et d'enseigner les principes immuables du droit naturel et des gens. Cela permettrait aux étudiants de mieux comprendre et d'appliquer les règles juridiques dans leur vie quotidienne et professionnelle. Le texte insiste également sur l'importance pour les professeurs de distinguer les étudiants dotés d'un génie particulier pour la science qu'ils enseignent. Le génie est défini comme une aptitude naturelle permettant de réussir avec peu d'efforts, contrairement à ceux qui nécessitent des études pénibles pour obtenir des résultats imparfaits. Cette aptitude est particulièrement cruciale dans l'étude des lois, où l'instruction et l'application seules ne suffisent pas. Le texte observe que dans certaines compagnies, des magistrats sans étude approfondie mais avec une droiture d'esprit naturelle parviennent à des décisions justes, tandis que d'autres, malgré leurs connaissances, les utilisent de manière inefficace. Le texte souligne que parmi les étudiants en droit, il est rare de trouver ceux ayant des dispositions naturelles pour cette étude. Sur cent écoliers obtenant un diplôme en droit, seulement trois environ poursuivront cette carrière par la suite. Les autres négligent cette voie, souvent poussés par des circonstances spécifiques comme la nécessité de subvenir à leurs besoins. Après avoir identifié ces étudiants talentueux, les professeurs devraient les encourager par leurs exhortations et leurs exemples. Cependant, l'instauration de distinctions ou de récompenses pour ces génies dans l'état semble avoir une portée limitée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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22
p. 9-40
LES CHARMES DU CARACTERE. HISTOIRE VRAISEMBLABLE. SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE. Par Mademoiselle Plisson, de Chartres.
Début :
Montvilliers (c'est ainsi que s'appelle le Philosophe que voici) est riche [...]
Mots clefs :
Coeur, Homme, Esprit, Père, Ami, Amitié, Philosophe, Sentiment, Larmes, Âme, Tendresse, Amour, Raison, Réflexions, Naissance, Mère, Lettres, Douceur, Peine, Passion, Promenade, Promenade de province
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LES CHARMES DU CARACTERE. HISTOIRE VRAISEMBLABLE. SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE. Par Mademoiselle Plisson, de Chartres.
LES CHARMES DU CARACTERE.
HISTOIRE VRAISEMBLABLE.
SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE.
Par Mademoiselle Pliffon , de Chartres.
M
Ontvilliers ( c'eft ainſi que s'appelle
le Philofophe que voici ) eft un riche
Gentilhomme
du voifinage , le plus heureux
& le plus digne de l'être . Un efprit
juſte , cultivé , folide ; une raiſon fupérieure
, éclairée , un coeur noble , généreux
délicat , fenfible ; une humeur douce , bienfaifante
; un extérieur ouvert , font des
qualités naturelles qui le font adorer de
A v
to MERCURE DE FRANCE.
tous ceux qui le connoiffent. Tranquille
poffeffeur d'un bien confidérable , d'une
époufe digne de lui , d'un ami véritable ,
il fent d'autant mieux les agrémens de fa
fituation qu'elle a été précédée des plus
triftes revers.
La perte de fa mere , qui mourut peu
de tems après fa naiffance , a été la premiere
& la fource de toutes fes infortunes
. Son pere , qui fe nommoit Dorneville
, après avoir donné une année à ſa
douleur , ou plutôt à la bienféance , fe
remaria à la fille d'un de fes amis. Elle
étoit aimable , mais peu avantagée de la
fortune. L'unique fruit de ce mariage fut
un fils . Sa naiffance , qui avoit été longtems
défirée , combla de joie les deux époux.
Montvilliers , qui avoit alors quatre à cinq
ans , devint bientôt
indifférent , & peu
après incommode. Il étoit naturellement
doux & timide . Sa belle- mere qui ne cherchoit
qu'à donner à fon pete de l'éloignement
pour lui , fit pailer fa douceur pour
ftupidité. Elle découvroit dans toutes les
actions le germe d'un caractere bas , &
même dangereux. Tantôt elle avoit remarqué
un trait de méchanceté noire, tantôt un
difcours qui prouvoit un mauvais coeur.Elle
avoit un foin particulier de le renvoyer avec
les domeftiques. Un d'eux à qui il fit pitié
NOVEMBRE. 1755 . 11
lui apprit à lire & à écrire affez paffablement.
Mais le pauvre garçon fut chaffé
pour avoir ofé dire que Montvilliers n'étoit
pas fi ftupide qu'on vouloit le faire
croire , & qu'il apprenoit fort bien tout
ce qu'on vouloit lui montrer.
*
Saraifon qui fe développoit , une noble
fierté que la naiffance inſpire , lui rendirent
bientôt infupportables les mépris
des valets qui vouloient plaire à Madame
Dorneville. La maifon paternelle lui
devint odieufe. Il paffoit les jours entiers
dans les bois , livré à la mélancolie & au
découragement. Accoutumé dès fa plust
tendre jeuneffe à fe regarder comme un
objet à charge , il fe haïffoit prefqu'autant
que le faifoit fa belle-mere. Tous fes fouhaits
ſe bornoient au fimple néceffaire . 11
ne défiroit que les moyens de couler une
vie paifible dans quelque lieu folitaire , &
loin du commerce des hommes dont il fe
croyoit incapable.
Ce fut ainfi que ce malheureux jeune
homme pafla les quinze premieres années
de fa vie , lorfqu'un jour , il fut rencontré
dans le bois où il avoit coutume de fe retirer
, par un militaire refpectable , plein de
candeur , de bon fens , & de probité.
Après avoir fervi honorablement fa parrie
pendant vingt-ans , ce digne guerrier s'é
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
toit retiré dans une de fes terres pour vivre.
avec lui -même , & chercher le bonheur ,
qu'il n'avoit pu trouver dans le tumulte
des armes & des paffions. L'étude de fon
propre coeur , la recherche de la fageffe ,
étoient fes occupations ; la phyfique expérimentale
fes amuſemens ; & le foulagement
des misérables fes plaifirs.
M. de Madinville ( c'eft le nom du militaire
devenu philofophe ) après avoir confidéré
quelque tems Montvilliers qui pleuroit
, s'avança vers lui , & le pria avec
beaucoup de douceur de lui apprendre le
fujet de fon affliction , en l'affurant que
s'il pouvoit le foulager , il le feroit de tout
fon coeur.
Le jeune homme qui croyoit être feul
fut effrayé de voir quelqu'un fi près de lui.
Son premier mouvement fut de fuir. Mais
M. de Madinville le retint & le preffa
encore plus fort de l'inftruire de la caufe
de fes larmes. Mes malheurs font fans remede
, répondit enfin Montvilliers : je
fuis un enfant difgracié de la nature ; elle
m'a refufé ce qu'elle accorde à tous les
autres hommes . Eh ! que vous a - t- elle refufé
, reprit l'officier , d'un air plein de bonté
? loin de vous plaindre d'elle , je ne vois
en vous que des fujets de la louer . Quoi ,
Monfieur , repartit le jeune homme avec
NOVEMBRE . 1755. 13
naïveté , ne voyez - vous pas que je manque
abfolument d'efprit ? mon air ... ma
figure , mes façons ... tout en moi ne vous
l'annonce- t- il pas ? Je vous affure , répondit
le Philofophe , que votre figure n'a rien
que de fort agréable . Mais , mon ami , qui
êtes-vous , & comment avez - vous été élevé
? Montvilliers lui fit le récit que je viens
de vous faire. J'ai entendu parler de vous
& de votre prétendue imbécillité , lui dit
alors le militaire , mais vous avez de l'intelligence
, & vous me paroiffez être d'un
fort bon caractere . Je veux cultiver ces qualités
naturelles , vous confoler , en un mot
vous rendre fervice . Je ne demeure qu'à
une lieue d'ici ; fi vous ne connoiffez pas
Madinville , vous n'aurez qu'à le demander,
tout le monde vous l'enfeignera .
Il faut avoir été auffi abandonné que
l'étoit Montvilliers , pour concevoir tout le
plaifir que lui fit cette rencontre. Il fe leva
le lendemain dès que le jour parut , & ne
pouvant commander à fon impatience , il
vole vers le feul homme qu'il eût jamais
trouvé fenfible à fes maux. Il le trouva occupé
à confidérer les beautés d'un parterre
enrichi de fleurs , dont la variété & le parfum
fatisfaifoient également la vue &
l'odorat. M. de Madinville fut charmé de
l'empreffement de Montvilliers , converfa
14 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup avec lui , fut content de fa pénétration
, & de fa docilité , & lui fit promettre
qu'il viendroit dîner chez lui deux
fois la femaine.
::
Je n'entreprendrai point , continua la
Silphide , de vous répéter tous les fages
difcours que notre philofophe tint à ce
jeune homme il lui fit connoître que
pour être heureux , trois chofes font néceffaires
; régler fon imagination , modérer
fes paffions , & cultiver fes goûts. Que
la paix de l'ame & la liberté d'efprit répandent
un vernis agréable fur tous les objets
qui nous environnent. Que la vertu
favorite du véritable philofophe , eft une
bienveillance univerfelle pour fes femblables
, un fentiment de tendreſſe & de compaffion
, qui parle continuellement en leur
faveur , & qui nous preffe de leur faire du
bien. Que cette aimable vertu eft la fource
des vrais plaifirs. Qu'on trouve en l'exerçant
, cette volupté fpirituelle , dont les
coeurs généreux & fenfibles fçavent feuls
connoître le prix . Montvilliers comprit fort
bien toutes ces vérités. Il fit plus , il les aima.
Son efprit femblable à une fleur que les
froids aquilons ont tenu longtems fermée
& qu'un rayon de foleil fait épanouir , fe
développa. Les fentimens vertueux que la
nature avoit mis dans fon coeur généreux ,
NOVEMBRE. 1755 .
promirent une abondante moiffon .
Le changement qui s'étoit fait en lui ,
vint bientôt aux oreilles de fon pere . Il
voulut en juger par lui - même. Accoutumé
à le craindre , Montvilliers répondit à
fes queſtions d'un air timide & embarraſſé.
Sa belle-mere toujours attentive à le deffervir
, fit paffer fon embarras pour aver
fion & M. Dorneville le crut d'autant plus
facilement , qu'il ne lui avoit pas donné
fujet de l'aimer. Il fe contenta de le traiter
avec un peu plus d'égards , mais fans ces
manieres ouvertes que produifent l'amitié
& la confiance . Sa belle- mere changea auffi
de conduite ; elle le combla de politeffes extérieures
, comme fi elle eût voulu réparer
par ces marques de confidération le mépris
qu'elle avoit fait de lui jufqu'alors. Mais,
au fond elle ne pouvoit penfer fans un extrême
chagrin, qu'étant l'aîné, il devoit hériter
de la plus confidérable partie des biens
de M. Dorneville , tandis que fon cher fils,
l'unique objet de fes complaifances , ne
feroit jamais qu'un gentilhomme malaiſé.
Cinq ou fix ans fe pafferent de cette forte.
Montvilliers qui recevoit tous les jours
de nouvelles preuves de la tendreffe de M.
de Madinville , ne mettoit point de bornes
àfa reconnoillance. Ce fentiment accompa
gné de l'amitié est toujours fuivi du plaifir.
Ce jeune homme n'en trouvoit point de
16 MERCURE DE FRANCE.
de plus grand que de donner des marques
fa fenfibilite à fon bienfaicteur.Tranquille
en apparence , il ne l'étoit cependant pas
dans la réalité. Son coeur , exceffivement
fenfible , ne pouvoit être rempli par l'amitié
, il lui falloit un fentiment d'une autre
efpece. Il fentoit depuis quelque tems en
lui - même un defir preffant , un vif befoin
d'aimer , qui n'eft pas la moins pénible de
toutes les fituations. L'amour lui demandoit
fon hommage
; mais trop éclairé fur
fes véritables intérêts pour fe livrer à ce
petit tyran fans réferve , il vouloit faire
fes conditions . Il comprit que les qualités
du coeur & de l'efprit , le rapport d'humeur
& de façon de penfer , étoient abfolument
néceffaires pour contracter un
attachement férieux & durable . Son imagination
vive travaillant fur cette idée
lui eut bientôt fabriqué une maîtreffe
imaginaire , qu'il chercha vainement à
réaliſer. Il étudia avec foin toutes les jeunes
perfonnes de R.... Cette étude ne fervit
qu'à lui faire connoître l'impoffibilité
de trouver une perfonne fi parfaite. Cependant
, le croiriez-vous ? il s'attacha à
cette chimere même en la reconnoiffant
pour telle : fon plus grand plaifir étoit de
s'en occuper ; il quittoit fouvent la lecture-
& les converfations les plus folides , pour
s'entretenir avec elle..
NOVEMBRE. 1755 17
Quelque confiance qu'il eût en M. de
Madinville , il n'avoit pas ofé lui faire
l'aveu de ces nouvelles difpofitions . Il connoiffoit
fa maladie ; mais en même tems il
la chériffoit , il lui trouvoit mille charmes,
& ç'auroit été le defobliger que d'en entreprendre
la guérifon . C'eft ce que fon ami
n'auroit pas manqué de faire. Un jour qu'il
fe promenoit feul , en faisant ces réflexions,
M. de Madinville vint l'aborder. J'ai fur
vous , mon cher Montvilliers , lui dit- il ,
après avoir parlé quelque tems de chofes
indifférentes, des vues que j'efpere que vous
approuverez. Rien n'eft comparable à l'a
mitié que j'ai pour vous , mais je veux que
des liens plus étroits nous uniffent. Je n'ai
qu'une niece ; j'ofe dire qu'elle eft digne
de vous par la folidité de fon efprit , la fupériorité
de fa raifon , la douceur de fon
caractere , enfin mille qualités eftimables
dont vous êtes en état de fentir tout le
A prix.
Montvilliers , qui n'avoit jamais entendu
parler que fon ami eût une niece , &
qui ne lui croyoit pas même ni de frere ni
de foeur , fut un peu furpris de ce difcours .
Sa réponſe cependant fut courte , polie &
fatisfaifante. Il lui demanda pourquoi il
ne lui avoit jamais parlé d'une perfonne
qui devoit fi fort l'intéreffer , les raifons
18
MERCURE DE
FRANCE.
qui m'en ont empêché , lui répondit fon
ami , m'obligent encore de vous cacher fon
nom & fa demeure. Mais avant que d'en
venir à
l'accompliffement de ce projet ,
ajouta-t- il , mon deffein eft de vous envoyer
paffer quelque tems à Paris. Avec
beaucoup de bon fens & d'efprit , il vous
manque une certaine politeffe de manieres,
une façon de vous préfenter qui prévient
en faveur d'un honnête homme . Parlez - en
à votre pere. Je me charge de faire la dépenfe
néceffaire pour ce voyage.
Enchanté de ce
nouveau
témoignage
d'affection & de générofité ,
Montvilliers
remercia dans les termes les plus vifs fon
bienfaicteur . Il n'étoit
pourtant pas abfolument
fatisfait de la premiere partie de fon
difcours. Ce choix qu'il
paroiffoit lui faire
d'une épouſe fans fon aveu , lui fembla
tyrannique. Il ne put fouffrir de fe voir
privé de la liberté de chercher une perfonne
qui approchât de fon idée. Il imaginoit
dans cette
recherche mille plaifirs dont il
falloit fe détacher. Son coeur
murmura de
cette
contrainte ; elle lui parut infupportable
mais la raifon prenant enfin le deffus
, condamna ces
mouvemens . Elle lui
repréſenta
combien il étoit flatteur & avantageux
pour lui d'entrer dans la famille
d'un homme à qui il devoit tout , & le fit
NOVEMBRE. 1755. 19
convenir qu'en jugeant de l'avenir par le
paffé , fon bonheur dépendoit de fa docilité
pour les confeils de fon ami.
Ces réflexions le calmerent. Il ne fongea
plus qu'à s'occuper des préparatifs de
fon voyage ; ils ne furent pas longs . Les
quinze premiers jours de fon arrivée dans
la capitale furent employés à vifiter les édifices
publics , & à voir les perfonnes à qui
il étoit recommandé . Il fut à l'Académie
pour apprendre à monter à cheval & à
faire des armes ; il fe }; fit des connoiffances
de plufieurs jeunes gens de confidération ,
qui étoient fes compagnons d'exercices ,
& s'introduifit par leur moyen dans des
cercles diftingués . Avide de tout connoî
tre , de tout voir , il eut bientôt tout épui
fé. Son efprit folide ne s'accommoda pas
de la frivolité qui regne dans ce qu'on
appelle bonne compagnie, 11 fe contenta
dans fes momens de loifir , de fréquenter
les fpectacles , les promenades , & de cultiver
la connoiffance de quelques gens de
lettres que M. de Madinville lui avoit
procurée.
La diverfité & la nouveauté de tous ces
objets n'avoient pu guérir fon coeur. Il
avoir toujours le même goût pour fa maîtreffe
imaginaire , & les promenades folitaires
étoient fon amuſement favori. Un
20 MERCURE DE FRANCE.
jour qu'il fe promenoit dans les Tuilleries
, fa rêverie ne l'empêcha pas de remar .
quer une jeune demoifelle , dont la phifionomie
étoit un agréable mêlange de
douceur , de franchife , de modeftie , &
de raifon. Quel attrait pour Montvilliers !
il ne pouvoit fe laffer de la confidérer. Sa
préfence faifoit paffer jufqu'au fond de
fon coeur une douceur fecrette & inconnue.
Elle fortit de la promenade , il la
fuivit , & la vit monter dans un carroffe
bourgeois avec toute fa compagnie. Alors
fongeant qu'elle alloit lui échapper , il eut
recours à un de ces officieux meffagers dont
le Pont- neuf fourmille : il lui donna ordre
de fuivre ce carroffe , & de venir lui redire
en quel endroit il fe feroit arrêté. Environ
une demi - heure après , le courrier revint
hors d'haleine , & lui apprit que toute cette
compagnie étoit defcendue à une maiſon
de campagne fituée à B.....
. Montvilliers , qui connoiffoit une perfonne
dans ce lieu , fe promit d'y aller dès
le lendemain , efpérant revoir cette demoifelle
, peut-être venir à bout de lui parler ,
ou du moins apprendre qui elle étoit .
Rempli de ce projet , il alloit l'exécuter ,
quand un jeune homme de fes amis entra
dans fa chambre , & lui propofa de l'accompagner
, pour aller voir une de fes paNOVEMBRE.
1755 .
rentes , chez laquelle il y avoit bonne compagnie.
Il chercha d'abord quelque prétexte
pour le défendre , mais quand il eut
appris que cette parente demeuroit à B....
il ne fit plus difficulté de fuivre fon ami.
Il ne s'en repentit pas ; car la premiere perfonne
qu'il apperçut en entrant dans une
fort beile falle , fut cette jeune demoiſelle
qu'il avoit vu la veille aux Tuilleries.
Cette rencontre qui lui parut être d'un
favorable augure , le mit dans une fitua
tion d'efprit délicieufe. On fervit le dîner,
& Montvilliers fit fi bien qu'il fe trouva
placé auprès de celle qui poffédoit déja
toutes les affections. Il n'épargna ni galanteries
, ni politeffes , ni prévenances pour
lui faire connoître la fatisfaction qu'il en
reffentoit ; & il ne tint qu'à elle de reconnoître
dans fes manieres une vivacité qui
ne va point fans paffion. Auffi ne fut- elle
pas la derniere à s'en appercevoir : elle
avoit remarqué fon attention de la veille ,
& fa figure dès ce moment ne lui avoit
déplu . Elle lui apprit qu'elle étoit alors
chez une dame de fes amies , qu'elle devoit
y refter encore quinze jours , qu'elle demeuroit
ordinairement à Paris avec fon
pas
pere & fa mere , qu'elle aimoit beaucoup
la campagne , & qu'elle étoit charmée de
ce que fon pere venoit d'acquérir une terre
22 MERCURE DE FRANCE.
affez confidérable , proche de R.... où ils
comptoient aller bientôt demeurer . Quoi ,
Mademoiſelle , lui dit- il , feroit- il bien poffible
que nous devinffions voifins ? Comment
vous êtes de R ... lui demanda - t- elle à
fon tour ? Je n'en fuis pas directement
répondit- il , mais la demeure de mon pere,
qui s'appelle Dorneville , n'en eft éloignée
que d'une lieue. Eh bien , reprit- elle ,
notre terre eft entre Dorneville & Madinville
; connoiffez - vous le Seigneur de cette
derniere paroiffe ? Grand Dieu ! Si je le
connois , répondit-il avec vivacité , c'eſt
l'homme du monde à qui j'ai le plus d'obligation.
Mademoiſelle d'Arvieux , c'eft ainfi
que s'appelloit cette jeune perfonne , contente
de cette déclaration , ne s'ouvrit
davantage . Cependant le foleil prêt à ſe
coucher , obligea les deux amis de reprendre
la route de Paris . Montvilliers n'avoit
jamais vu de journée paffer avec tant de
rapidité avant que de partir , il demanda
la permiffion de revenir , qu'on lui accorda
fort poliment.
pas
Il ne fut pas plutôt forti d'auprès de
Mlle d'Arvieux , que rentrant en lui - même
, & faiſant réflexion fur tous fes mouvemens
, il fentit qu'il aimoit. Le fouvenir
de ce qu'il avoit promis à fon bienfaicteur
, vint auffi-tôt le troubler . Il fe fit
NOVEMBRE . 1755. 23
des reproches de fon peu de courage ; mais
peut- être je m'allarme mal- à- propos , continua-
t- il en lui -même ; c'eft un caprice ,
un goût paffager que Mlle d'Arvieux m'aidera
elle - même à détruire. Si je pouvois
connoître le fond de fon coeur , fa façon
de penfer , fans doute je cefferois de l'aimer.
Il s'en feroit peut-être dit davantage,
fi fon ami n'avoit interrompu fa revêrie ,
en la lui reprochant. " Tu es furement
» amoureux , lui dit -il d'un ton badin. Je
» t'ai vu un air bien animé auprès de Mlle
» d'Arvieux ; conviens- en de bonne foi.
Il n'eft pas bien difficile d'arracher un fecret
de cette nature. Montvilliers qui connoiffoit
la difcrétion de fon ami , lui
avoua fans beaucoup de peine un fentiment
dont il étoit trop rempli , pour n'avoir
pas befoin d'un confident : mais en
convenant que les charmes de cette Demoifelle
l'avoient touché , il ajouta que
comme il craignoit que le caractere ne répondît
pas aux graces extérieures , il fongeoit
aux moyens de connoître le fond de
fon coeur. Si ce n'eft que cela qui te fait
rêver , lui dit fon ami , il eft aifé de te
fatisfaire . Je connois une perfonne qui eſt
amie particuliere de Mlle d'Arvieux ; je
fçais qu'elles s'écrivent quand elles ne
peuvent le voir , & tu n'ignores pas qu'on
24 MERCURE DE FRANCE.
•
fe peint dans fes lettres fans même le vouloir
& fans croire le faire ; il ne s'agit que
d'avoir celles de Mlle d'Arvieux , & je les
poffede ; c'eſt un larcin que j'ai fait à cette
amie , qui eft auffi la mienne. Les voici ,
je te les confie .
Montvilliers , après avoir remercié fon
ami que fes affaires appelloient ailleurs ,
fe rendit chez lui chargé de ces importan
tes pieces. Il lut plufieurs de ces lettres qui
étoient autant de preuves de la délicateffe
& de la jufteffe d'efprit de Mlle d'Arvieux.
C'étoit un agréable variété de raiſon &
de badinage . Le ftyle en étoit pur , aiſé ,
naturel , fimple , élégant , & toujours convenable
au fujet mais quel plaifir pour
Montvilliers de voir le fentiment regner
dans toutes ces lettres , & de lire dans une
d'elles , qu'un amant pour lui plaire devoit
bien moins chercher à acquerir des
graces que des vertus ; qu'elle lui deman--
doit un fond de droiture inaltérable , un
amour de l'ordre & de l'humanité , une
délicateffe de probité , une folidité du jugement
, une bonté de coeur naturelle , une
élévation de fentimens , un amour éclairé
pour la religion , un humeur douce , indulgente
, bienfaifante.
De pareilles découvertes ne fervirent
point à guérir Montvilliers de fa paflion ..
Toutes
NOVEMBRE . 1755. 23
Toutes les vertus & les qualités que Mlle
d'Arvieux exigeoit d'un amant , étoient directement
les traits qui caracterifoient fa
maîtreffe idéale . Cette conformité d'idée.
l'enchanta. Voilà donc , dit- il avec tranf
port , ce tréfor précieux que je cherchois
fans efpérance de le trouver ; cette perfonne
fi parfaite que je regardois comme une
belle chimere , ouvrage de mon imagination
. Que ne puis - je voler dès ce moment à
Les pieds , lui découvrir mes fentimens , ma
façon de penfer, lui jurer que l'ayant aimée
fans la connoître, je continuerai de l'adorer
toute ma vie avec la plus exacte fidélité .
Huit jours fe pafferent fans que Montvilliers
qui voyoit fouvent fa maîtreffe ,
pût trouver le moyen de l'entretenir en
particulier , quelque défir qu'il en eût :
mais le neuvieme lui fut plus favorable.
Difpenfe - moi , je vous prie , continua la
Silphide , de vous redire les difcours que
ces deux amans fe tinrent ; il vous fuffira
de fçavoir qu'ils furent très - contens l'un
de l'autre , & que cet entretien redoubla
une paffion qui n'étoit déja que trop vive
pour leur repos.
Un jour que Montvilliers conduit par
le plaifir & le fentiment , étoit allé voir .
Mlle d'Arvieux , il fut furpris de trouver
auprès d'elle un homme âgé qu'il ne con- :
B
62: MERCURE DE FRANCE.
noifloit point. Il comprit bientôt aux
difcours qu'on tenoit , que ce vieillard
étoit le pere de fa maîtreffe , & qu'il venoit
dans le deffein de la remmener avec
lui. Ils fe leverent un inftant après pour.
fortir , & notre amant refté feul avec la
maîtreffe du logis , apprit d'elle que M.
d'Arvieux venoit annoncer à fa fille qu'un
jeune homme fort riche , nommé Frien-.
val , l'avoit demandée en mariage ; que ce
parti paroiffoit être du goût du pere.
Montvilliers interdit à cette nouvelle , pria
celle qui la lui apprenoit , de vouloir bien
l'aider de fes confeils. Il faut vous propofer
, lui dit-elle , vous faire connoître.
Hé ! Madame , voudra - t - on m'écouter ,
répondit il? M. d'Arvieux ne m'a jamais
vu ; vous êtes amie de fa femme , rendez-
moi ce fervice . Elle y confentit , &.
lui promit que dès le lendemain elle iroit
demander à dejeûner à Mme d'Arvieux :
Au reste , ajouta- t- elle , vous pouvez être
tranquille du côté de vôtre maîtreffe ;
quand elle feroit capable de vous faire.
une infidélité , ce ne feroit point en faveur
de ce rival , elle le connoît trop bien ;
& pour vous raffurer davantage , je vais
vous rendre fon portrait tel qu'elle me le
faifoit encore hier en nous promenant.
Frienval , continua cette Dame , eft un de
NOVEMBRE 1755. 27
•
ces hommes frivoles dont Paris eft inordé.
Amateur des plaifirs , fans être voluptueux
, efclave de la mode en raillant
ceux qui la fuivent avec trop de régulari
té , il agit au hazard . Ses principes varient
fuivant les occafions , ou plutôt il
n'en a aucun. Auffi fes démarches fontelles
toujours inconféquentes. S'il eft
exempt de vices effentiels , il le doit à fon
tempérament. Futile dans fes goûts , dans
fes recherches , dans fes travaux , fon occupation
journaliere eft de courir les fpectacles
, les caffés , les promenades , & de
fe mêler quelquefois parmi des gens qui
pour mieux trouver le bon ton , ont banni
le bon fens de leurs fociétés . Ses plus
férieufes démarches n'ont d'autre but
qu'un amufement paffager , & fon état
peut s'appeller une enfance continuée . Il
y a fort long- tems qu'il connoît Mlle d'Arvieux
, & qu'il en eft amoureux , comme
tous les gens de fon efpece , c'eft-à- dire
fans fe gêner. Mais loin de le payer d'aucun
retour elle n'a pas daigné faire la
moindre attention à fes galanteries. Trop
occupé pour réfléchir , fa légereté lui a
fauvé mille conféquences peu flateufes ,
qu'il devoit naturellement tirer. Il fe croit
aimé avec la même bonne foi qu'il fe
croit aimable ; fon mérite lui femble une
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
chofe , démontrée , & qu'on ne peut lut
difputer raisonnablement.
Le lendemain fut un jour heureux pour
Montvilliers. Son Ambaffadrice lui rapporta
qu'on vouloit bien fufpendre la conclufion
du mariage propofé , afin de le
connoître , & qu'on lui permettoit de fe
préfenter. Il ne fe le fit pas dire deux fois:
il courut chez M. d'Arvieux qui le reçut
affez bien pour lui faire efperer de l'être
encore mieux dans la fuite. Sa maîtreffe
lui apprit qu'ils partoient dès le lendemain
pour cette terre dont elle lui avoit
parlé ; il promit qu'il les fuivroit de près :
en effet il prit la route de fa patrie deux
jours après leur départ.
Depuis trois semaines que fa paffion
avoit commencé , il en avoit été fi occupé
qu'il avoit oublié d'écrite à M. de Madinville
. Il étoit déja à moitié chemin qu'il
fe demanda comment il alloit excufer auprès
de lui ce retour précipité. Il comprit
alors qu'il lui avoit manqué effentiellement
de plufieurs façons , & que fa conduite
lui méritoit l'odieux titre d'ingrat.
Mais fi ces réflexions lui firent craindre
le moment d'aborder fon bienfaicteur , des
mouvemens de tendreffe & de reconnoiffance
rien ne pouvoit altérer , lui fique
Fr.rent défirer de l'embraffer. Ces différens
1-
NOVEMBRE. 1755. 29
fentimens lui donnerent un air confus ,
embarraffé , mêlé d'attendriffement.
M. de Madinville qui avoit pour lui
l'affection la plus fincere , n'avoit point
fupporté fon abfence fans beaucoup de
peine & d'ennui . Charmé de fon retour
dont il fut inftruit par une autre voie , s'il
avoit fuivi les mouvemens de fon coeur ,
mille careffes auroient été la punition de
la faute que Montvilliers commettoit en
revenant fans lui demander fon agrément;
mais il voulut éprouver fi l'abfence ne
l'avoit point changé, & fi comblé des bienfaits
de l'amour , il feroit fenfible aux pertes
de l'amitié : il fe propofa donc de le
recevoir avec un air férieux & mécontent.
Montvilliers arrive , defcend de cheval ,
vole à la chambre de fon ami , qui en le
voyant joua fort bien la furpriſe . Quoi !
c'est vous , Montvilliers , lui dit - il , en
reculant quelques pas : oferois je vous demander
la caufe de ce prompt retour , &
pourquoi vous ne m'en avez point averti ?
J'efperois cependant que vous me feriez
cette grace.Montvilliers déconcerté par cet- "
te réception ne put répondre une feule
parole. Mais fes yeux interpretes de fon
ame , exprimoient affez fon trouble. M. de
Madinville fans faire femblant de s'en appercevoir
, ajouta : Au refte , je ne fuis
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
pas fâché de vous revoir ; vous avez pré
venu mon deffein ; j'allois vous écrire pour
vous engager à revenir , l'affaire dont je
vous ai parlé avant votre départ eft fort
avancée , il ne manque pour la conclure
que votre confentement. Ma niece fur le
bon témoignage que je lui ai rendu de
votre caractere , vous aime autant & plus
que moi - même. Mais je ne penfe pas ,
continua- t- il , que vous avez beſoin de
repos & de rafraîchiffement ; allez - en
prendre , nous nous expliquerons après.
Pénétré de l'air, froid & fec dont M.
de Madinville l'avoit reçu , qui lui avoit
ôté la liberté de lui témoigner la joie qu'il
avoit de le revoir , Montvilliers avoit befoin
de folitude pour mettre quelque
ordre à fes idées . Il fortit fans trop fçavoir
où il alloit , & s'arrêtant dans ce
bois où il avoit vu fon ami pour la premiere
fois , il fe repréſenta plus vivement
que jamais les obligations qu'il lui avoit.
Son ame , fon coeur , fon efprit , fes qualités
extérieures étoient le fruit de fes
foins ; fon amitié avoit toujours fait les
charmes de fa vie , il falloit y renoncer ,
ou fe réfoudre à ne jamais pofféder Mlle
d'Arvieux quelle cruelle alternative ! Il
falloit pourtant fe décider. Un fort honnête
homme de R .... qu'il avoit vu ſous
NOVEMBRE 1755 . 31
:
vent chez M. de Madinville , interrompit
ces réflexions accablantes . Après les premiers
complimens , il lui demanda ce qui
pouvoit caufer l'agitation où il le voyoit.
Montvilliers ne fit point de difficulté de
lui confier fon embarras . Il lui raconta le
projet de fon ami qu'il lui avoit communiqué
avant fon voyage , la naiffance &
la violence d'une paffion qu'il n'avoit pas
été le maître de ne point prendre , l'impoffibilité
où il fe trouvoit de la vaincre
la crainte exceffive de perdre un ami dont
il connoiffoit tout le prix , & fans lequel
il ne pouvoit efperer d'être heureux .
Ce récit que Montvilliers ne put faire
fans répandre des larmes , attendrit celui
qui l'écoutoit . Votre fituation eft très- embarraffante
; lui dit- il. Pour moi , je nè
vois pas d'autre parti que de déclarer naïvement
à M. de Madinville ce que vous
fouffrez. Il est généreux , il vous aime , &
ne voudra point vous défefperer . Ah !
fongez- vous , répondit- il , que cette déclaration
détruit un projet qui eft devenu
l'objet de fa complaifance ? Faites - vous.
attention qu'il a parlé de moi à fa niece ,
qu'il a fait naître dans fon ame une paffion
innocente ? Non , je n'aurai jamais la
hardieffe de la lui faire moi-même. Hé
bien voulez-vous que je lui en parle ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
demanda fon confident ? Je vais paffer
l'après-midi avec lui ; nous ferons feuls ,
je tâcherai de démêler ce qu'il penſe à votre
fujet .
Montvilliers ayant fait connoître qu'il
lui rendroit un grand fervice , le quitta ,
& prit le chemin qui conduifoit à Dorneville.
Il trouva fon pere en deuil de fa
belle mere ; il le reçut affez bien , & l'engagea
à fouper avec lui , & à occuper fon
ancien appartement.
Son Ambaffadeur eut fa vifite le lendemain
de fort bon matin. Il lui dit qu'il
n'avoit pas tiré de fa commiffion tout le
fruit qu'il en efperoit : que M. de Madinville
lui avoit dit qu'il n'avoit jamais prétendu
contraindre les inclinations de perfonne
au refte , ajouta- t-il , allez- le voir ,
expliquez- vous enfemble.
Montvilliers qui vouloit s'éclaircir à
quelque prix que ce fût , partit auffi -tôt ;
mais plus il approchoit de Madinville &
plus fon courage diminuoit. Il entre cependant
; on lui dit que fon ami étoit à fe
promener. Il va pour le joindre , il l'apperçoit
au bout d'une allée , le falue profondément
, cherche dans fes yeux ce qu'il
doit craindre ou efperer ; mais M. de
Madinville qui le vit , loin de continuer
affecta de , paffer d'un autre côté
NOVEMBRE. 1755. 33
i
pour éviter de le rencontrer.
Ce mouvement étoit plus expreffif
que tous les difcours du monde . Montvilliers
qui comprit ce qu'il vouloit dire ,
fur pénétré de l'affliction la plus vive . Il
fe jetta dans un bofquet voifin où il fe mit
à verfer des larmes ameres. Alors confidérant
ce qu'il avoit perdu , il prit la réfolution
de faire tout fon poffible pour le
recouvrer . M. de Madinville qui fe douta
de l'effet que fon dedain affecté auroit
produit , & qui ne vouloit pas abandonner
long - tems Montvilliers à fon défefpoir ,
vint comme par hafard dans l'endroit où
il étoit pour lui donner occafion de s'expliquer
, & feignit encore de vouloir fe
retirer. Cette nouvelle marque d'indifférence
outrageant la tendreffe de Montvilliers
, il fe leva avec un emportement de
douleur ; arrêtez , Monfieur , lui dit - il
d'une voix altérée : il eft cruel dans l'état
où vous me voyez , de m'accabler par de
nouveaux mépris . Ma préfence vous eft
odieufe ; vous me fuyez avec foin , tandis
que préfé par le fentiment , je vous cherche
pour vous dire que je fuis prêt de tout
facrifier à l'amitié . Oui , ajouta - t- il en
rédoublant fes larmes , difpofez de ma
main , de mes fentimens , de mon coeur ,
& rendez -moi la place que j'occupois dans
le vôtre. By
34 MERCURE DE FRANCE.
M. de Madinville charmé , ceffa de fe
contraindre , & ne craignit plus de laiſſer
voir fa joie & fon attendriffement . Il embraffe
Montvilliers , l'affure qu'il n'a pas
ceffé un inftant de l'aimer ; qu'il étoit
vrai que l'indifférence qu'il fembloit avoir
pour fon alliance , lui avoit fait beaucoup
de peine , parce qu'il la regardoit comme
une marque de la diminution de fon amitié
; que la fienne n'étant point bornée
il vouloit aufli être aimé fans réferve ;
qu'au refte il n'abuferoit point du pouvoir
abfolu qu'il venoit de lui donner fur
fa perfonne ; que la feule chofe qu'il exigeoit
de fa complaifance , étoit de voir
fa niece ; que fi après cette entrevue il
continuoit à penfer de la même façon ,
il pourroit le dire avec franchife , & fuivre
fon penchant.
Il finiffoit à peine de parler , qu'on vint
lui annoncer la vifite de fa niece . Repréfentez
- vous quel fut l'étonnement & la
joie de Montvilliers , lorfqu'entrant dans
une fale où l'on avoit coutume de recevoir
la compagnie , il apperçut Mlle d'Arvieux
qui étoit elle-même la niece de M.
de Madinville.
M. d'Arvieux , frere aîné de cet aimable
Philofophe , étoit un homme haut ,
emporté , violent ; ils avoient eu quelques
NOVEMBRE. 1755 . 35
différends enfemble , & M. de Madinville
fans conferver aucun reffentiment de fes
mauvais procédés , avoit jugé qu'il étoit de
fa prudence d'éviter tout commerce avec
un homme fi peu raifonnable. Comme M.
d'Arvieux étoit forti fort jeune de la province
fans y être revenu depuis , à peine
y connoiffoit - on fon nom ; Montvilliers
n'en avoit jamais entendu parler . Mlle
d'Arvieux avoit eu occafion de voir fon
oncle dans un voyage qu'il avoit fait à Paris
, & depuis ce tems elle entretenoit
avec lui un commerce de lettres à l'infçu
de fon pere. Comme elle fe fentoit du
penchant à aimer Montvilliers , elle fut
bien-aife avant que de s'engager plus avant ,
de demander l'avis de fon oncle , & ce
qu'elle devoit penfer de fon caractere .
L'étude des hommes lui avoit appris combien
il eft difficile de les connoître , & l'étude
d'elle-même combien on doit fe défier
de fes propres lumieres . Elle écrivit
donc dès le même jour , & reçut trois
jours après une réponse qui paffoit fes
efpérances , quoiqu'elles fuffent des plus
Alatteufes. Après lui avoir peint le coeur &
l'efprit de Montvilliers des plus belles couleurs
, M. de Madinville recommanda à
fa niece de continuer à lui faire un myftere
de leur parenté & de leur liaifon , afin
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
de voir comment il fe comporteroit dans
une conjoncture fi délicate .
pe-
Tout le monde fut bientôt d'accord.
On badina fur la fingularité de cette aventure
, & l'on finit par conclure que Montvilliers
demanderoit l'agrément de fon
re. Il y courut auffi- tôt , & l'ayant trouvé
feul dans fon cabinet , il alloit lui déclarer
le fujet de fa vifite : mais M. Dorneville
ne lui en laiſſa pas le loifir. J'ai jugé , lui
dit-il , qu'il étoit tems de vous établir , &
j'ai pour cela jetté les yeux fur Mlle de
F... Vous allez peut- être m'alléguer pour
vous en défendre , ajouta-t - il , je ne ſçais
quelle paffion romanefque que vous avez
prife à Paris pour une certaine perfonne
que je ne connois point . Mais fi vous voulez
que nous vivions bien enſemble , ne
m'en parlez jamais. Ne pourrai -je point ,
Monfieur , dit Montvilliers , fçavoir la
raifon ? .... Je n'ai de compte à rendre
à qui que ce foit , reprit le pere avec emportement
; en un mot , je fçais ce qu'il
vous faut. Mlle d'Arvieux n'eft point votre
fait , & je ne confentirai jamais à cette alliance
faites votre plan là- deffus . Il fortit
en difant ces mots. Montvilliers confterné
refta immobile : il ne pouvoit s'imaginer
pourquoi il paroiffoit avoir tant d'éloignement
pour un mariage convenable , & mêNOVEMBRE.
1755. 37
me avantageux . Sa maîtreffe étoit fille
unique , & M. d'Arvieux du côté de la
fortune & de la nobleffe ne le cédoit point
à M. Dorneville.
Driancourt , frere de Montvilliers , dont
j'ai rapporté la naiffance au commencement
de cette hiftoire , avoit pour lors
dix-huit àdix- neuf ans. Double, artificieux ,
adroit , flateur, il penfoit que le grand art
de vivre dans le monde étoit de faire des
dupes fans jamais le devenir , & de tout
facrifier à fon utilité . Son efprit élevé audeffus
des préjugés vulgaires ne reconnoiffoit
aucunes vertus , & tout ce que les
hommes appellent ainfi n'étoit , felon
lui , que des modifications de l'amourpropre
, qui eft dans le monde moral , ce
qu'eft l'attraction dans le monde phyfique ,
c'eft-à- dire la caufe de tout. Toutes les
actions , difoit - il , font indifférentes ,
puifqu'elles partent du même principe.
Il n'y a pas plus de mal à tromper fon
ami , à nier un dépôt , à inventer une calomnie
, qu'à rendre ſervice à fon voiſin ,
à combattre pour la défenfe de fa patrie ,
à foulager un homme dans fa mifere , ou
à faire toute autre action .
Driancourt avec ce joli fyftême , ne perdoit
point de vue le projet de fe délivrer
de fon frere , dont fa mere lui avoit fait
38 MERCURE DE FRANCE.
le
fentir mille fois la néceffité. Il crut que
moment de l'exécuter étoit arrivé. C'étoit
lui qui avoit inftruit M. Dorneville de la
paffion de Montvilliers pour Mlle d'Arvieux
, & qui en même tems avoit peint
cette Demoiſelle de couleurs peu avantageufes.
Depuis ce moment il ne ceffa de
rapporter à fon pere , dont il avoit toute la
confiance & la tendreffe , mille difcours
peu refpectueux , accompagnés de menaces
qu'il faifoit tenir à Montvilliers : enfin
il tourna fi bien l'efprit de ce vieillard foi
ble & crédule , qu'il le fit déterminer au
plus étrange parti.
L'on parloit beaucoup dans ce tems là
de ces colonies que l'on envoie en Amérique
, & qui fervent à purger l'Etat . Driancourt
ayant obtenu , non pourtant fans
quelque peine , le confentement de fon
pere , part pour D ..... trouve un vaiffeau
prêt à mettre à la voile chargé de plufieurs
miférables qui , fans être affez coupables
pour mériter la mort l'étoient cependant
affez pour faire fouhaiter à la fofociété
d'en être délivrée . Il parle au Capitaine
qui lui promit de le défaire de fon
frere , pourvu qu'il pût le lui livrer dans
deux jours. Il revint en diligence , & dès
la nuit fuivante , quatre hommes entrent
dans la chambre de Montvilliers, qui avoit
NOVEMBRE. 1755 . 39
continué de coucher chez fon pere depuis
fon retour de Paris , fe faififfent de lui ,
le contraignent de fe lever , le conduifent
à une chaiſe de pofte , l'obligent d'y monter
, d'où ils ne le firent defcendre que
pour le faire entrer dans le vaiffeau qui
partit peu de tems après .
Montvilliers qui avoit pris tout ce qui
venoit de lui arriver pour un rêve , ne
douta plus alors de la vérité . Enchaîné
deavec
plufieurs autres miférables , que
vint-il quand il fe repréfenta l'indignité
& la cruauté de fon pere , ce qu'il perdoit ,
ce qu'il alloit devenir ? Ces idées agirent
avec tant de violence fur fon efprit, qu'el
les y mirent un défordre inconcevable. Il
jugea qu'il n'avoit point d'autre reffource
dans cette extrêmité que la mort , & réfo
lut de fe laiffer mourir de faim. Il avoit
déja paffé deux jours fans prendre aucune
nourriture , mais le jeune Anglois que
voici , qui étoit pour lors compagnon de
fon infortune , comprit à fon extrême abattement
qu'il étoit plus malheureux que
coupable. Il entreprit de le confoler , il
lui préfenta quelque rafraîchiffemens qui
furent d'abord refufés ; il le preffa , il le
pria. Je ne doute pas , lui dit- il , que vous
ne foyez exceffivement à plaindre ; je veux
même croire que vous l'êtes autant que
40 MERCURE DE FRANCE
moi cependant il eft des maux encore
plus rédoutables que tous ceux que nous
éprouvons dans cette vie , & dont on fe
rend digne en entreprenant d'en borner
foi-même le cours . Peut - être le ciel qui ne
veut que vous éprouver pendant que vous
vous révoltez contre fes décrets , vous
prépare des fecours qui vous font inconnus.
Acceptez , je vous en conjure , ces
alimens que vous préfente un homme qui
s'intéreffe à votre vie.
Montvilliers qui n'avoit fait aucune
attention à tout ce qui l'environnoit , examina
celui qui lui parloit ainfi , remarqua
dans fon air quelque chofe de diftingué
& de prévenant ; il trouva quelque
douceur à l'entretenir. Il fe laiffa perfuader
, il lui raconta fon hiftoire ; & quand
il cut fini fon récit , il le preffa d'imiter
fa franchiſe , ce que le jeune Anglois fic
en ces termes :
Lafuite au prochain Mercure.
HISTOIRE VRAISEMBLABLE.
SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE.
Par Mademoiselle Pliffon , de Chartres.
M
Ontvilliers ( c'eft ainſi que s'appelle
le Philofophe que voici ) eft un riche
Gentilhomme
du voifinage , le plus heureux
& le plus digne de l'être . Un efprit
juſte , cultivé , folide ; une raiſon fupérieure
, éclairée , un coeur noble , généreux
délicat , fenfible ; une humeur douce , bienfaifante
; un extérieur ouvert , font des
qualités naturelles qui le font adorer de
A v
to MERCURE DE FRANCE.
tous ceux qui le connoiffent. Tranquille
poffeffeur d'un bien confidérable , d'une
époufe digne de lui , d'un ami véritable ,
il fent d'autant mieux les agrémens de fa
fituation qu'elle a été précédée des plus
triftes revers.
La perte de fa mere , qui mourut peu
de tems après fa naiffance , a été la premiere
& la fource de toutes fes infortunes
. Son pere , qui fe nommoit Dorneville
, après avoir donné une année à ſa
douleur , ou plutôt à la bienféance , fe
remaria à la fille d'un de fes amis. Elle
étoit aimable , mais peu avantagée de la
fortune. L'unique fruit de ce mariage fut
un fils . Sa naiffance , qui avoit été longtems
défirée , combla de joie les deux époux.
Montvilliers , qui avoit alors quatre à cinq
ans , devint bientôt
indifférent , & peu
après incommode. Il étoit naturellement
doux & timide . Sa belle- mere qui ne cherchoit
qu'à donner à fon pete de l'éloignement
pour lui , fit pailer fa douceur pour
ftupidité. Elle découvroit dans toutes les
actions le germe d'un caractere bas , &
même dangereux. Tantôt elle avoit remarqué
un trait de méchanceté noire, tantôt un
difcours qui prouvoit un mauvais coeur.Elle
avoit un foin particulier de le renvoyer avec
les domeftiques. Un d'eux à qui il fit pitié
NOVEMBRE. 1755 . 11
lui apprit à lire & à écrire affez paffablement.
Mais le pauvre garçon fut chaffé
pour avoir ofé dire que Montvilliers n'étoit
pas fi ftupide qu'on vouloit le faire
croire , & qu'il apprenoit fort bien tout
ce qu'on vouloit lui montrer.
*
Saraifon qui fe développoit , une noble
fierté que la naiffance inſpire , lui rendirent
bientôt infupportables les mépris
des valets qui vouloient plaire à Madame
Dorneville. La maifon paternelle lui
devint odieufe. Il paffoit les jours entiers
dans les bois , livré à la mélancolie & au
découragement. Accoutumé dès fa plust
tendre jeuneffe à fe regarder comme un
objet à charge , il fe haïffoit prefqu'autant
que le faifoit fa belle-mere. Tous fes fouhaits
ſe bornoient au fimple néceffaire . 11
ne défiroit que les moyens de couler une
vie paifible dans quelque lieu folitaire , &
loin du commerce des hommes dont il fe
croyoit incapable.
Ce fut ainfi que ce malheureux jeune
homme pafla les quinze premieres années
de fa vie , lorfqu'un jour , il fut rencontré
dans le bois où il avoit coutume de fe retirer
, par un militaire refpectable , plein de
candeur , de bon fens , & de probité.
Après avoir fervi honorablement fa parrie
pendant vingt-ans , ce digne guerrier s'é
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
toit retiré dans une de fes terres pour vivre.
avec lui -même , & chercher le bonheur ,
qu'il n'avoit pu trouver dans le tumulte
des armes & des paffions. L'étude de fon
propre coeur , la recherche de la fageffe ,
étoient fes occupations ; la phyfique expérimentale
fes amuſemens ; & le foulagement
des misérables fes plaifirs.
M. de Madinville ( c'eft le nom du militaire
devenu philofophe ) après avoir confidéré
quelque tems Montvilliers qui pleuroit
, s'avança vers lui , & le pria avec
beaucoup de douceur de lui apprendre le
fujet de fon affliction , en l'affurant que
s'il pouvoit le foulager , il le feroit de tout
fon coeur.
Le jeune homme qui croyoit être feul
fut effrayé de voir quelqu'un fi près de lui.
Son premier mouvement fut de fuir. Mais
M. de Madinville le retint & le preffa
encore plus fort de l'inftruire de la caufe
de fes larmes. Mes malheurs font fans remede
, répondit enfin Montvilliers : je
fuis un enfant difgracié de la nature ; elle
m'a refufé ce qu'elle accorde à tous les
autres hommes . Eh ! que vous a - t- elle refufé
, reprit l'officier , d'un air plein de bonté
? loin de vous plaindre d'elle , je ne vois
en vous que des fujets de la louer . Quoi ,
Monfieur , repartit le jeune homme avec
NOVEMBRE . 1755. 13
naïveté , ne voyez - vous pas que je manque
abfolument d'efprit ? mon air ... ma
figure , mes façons ... tout en moi ne vous
l'annonce- t- il pas ? Je vous affure , répondit
le Philofophe , que votre figure n'a rien
que de fort agréable . Mais , mon ami , qui
êtes-vous , & comment avez - vous été élevé
? Montvilliers lui fit le récit que je viens
de vous faire. J'ai entendu parler de vous
& de votre prétendue imbécillité , lui dit
alors le militaire , mais vous avez de l'intelligence
, & vous me paroiffez être d'un
fort bon caractere . Je veux cultiver ces qualités
naturelles , vous confoler , en un mot
vous rendre fervice . Je ne demeure qu'à
une lieue d'ici ; fi vous ne connoiffez pas
Madinville , vous n'aurez qu'à le demander,
tout le monde vous l'enfeignera .
Il faut avoir été auffi abandonné que
l'étoit Montvilliers , pour concevoir tout le
plaifir que lui fit cette rencontre. Il fe leva
le lendemain dès que le jour parut , & ne
pouvant commander à fon impatience , il
vole vers le feul homme qu'il eût jamais
trouvé fenfible à fes maux. Il le trouva occupé
à confidérer les beautés d'un parterre
enrichi de fleurs , dont la variété & le parfum
fatisfaifoient également la vue &
l'odorat. M. de Madinville fut charmé de
l'empreffement de Montvilliers , converfa
14 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup avec lui , fut content de fa pénétration
, & de fa docilité , & lui fit promettre
qu'il viendroit dîner chez lui deux
fois la femaine.
::
Je n'entreprendrai point , continua la
Silphide , de vous répéter tous les fages
difcours que notre philofophe tint à ce
jeune homme il lui fit connoître que
pour être heureux , trois chofes font néceffaires
; régler fon imagination , modérer
fes paffions , & cultiver fes goûts. Que
la paix de l'ame & la liberté d'efprit répandent
un vernis agréable fur tous les objets
qui nous environnent. Que la vertu
favorite du véritable philofophe , eft une
bienveillance univerfelle pour fes femblables
, un fentiment de tendreſſe & de compaffion
, qui parle continuellement en leur
faveur , & qui nous preffe de leur faire du
bien. Que cette aimable vertu eft la fource
des vrais plaifirs. Qu'on trouve en l'exerçant
, cette volupté fpirituelle , dont les
coeurs généreux & fenfibles fçavent feuls
connoître le prix . Montvilliers comprit fort
bien toutes ces vérités. Il fit plus , il les aima.
Son efprit femblable à une fleur que les
froids aquilons ont tenu longtems fermée
& qu'un rayon de foleil fait épanouir , fe
développa. Les fentimens vertueux que la
nature avoit mis dans fon coeur généreux ,
NOVEMBRE. 1755 .
promirent une abondante moiffon .
Le changement qui s'étoit fait en lui ,
vint bientôt aux oreilles de fon pere . Il
voulut en juger par lui - même. Accoutumé
à le craindre , Montvilliers répondit à
fes queſtions d'un air timide & embarraſſé.
Sa belle-mere toujours attentive à le deffervir
, fit paffer fon embarras pour aver
fion & M. Dorneville le crut d'autant plus
facilement , qu'il ne lui avoit pas donné
fujet de l'aimer. Il fe contenta de le traiter
avec un peu plus d'égards , mais fans ces
manieres ouvertes que produifent l'amitié
& la confiance . Sa belle- mere changea auffi
de conduite ; elle le combla de politeffes extérieures
, comme fi elle eût voulu réparer
par ces marques de confidération le mépris
qu'elle avoit fait de lui jufqu'alors. Mais,
au fond elle ne pouvoit penfer fans un extrême
chagrin, qu'étant l'aîné, il devoit hériter
de la plus confidérable partie des biens
de M. Dorneville , tandis que fon cher fils,
l'unique objet de fes complaifances , ne
feroit jamais qu'un gentilhomme malaiſé.
Cinq ou fix ans fe pafferent de cette forte.
Montvilliers qui recevoit tous les jours
de nouvelles preuves de la tendreffe de M.
de Madinville , ne mettoit point de bornes
àfa reconnoillance. Ce fentiment accompa
gné de l'amitié est toujours fuivi du plaifir.
Ce jeune homme n'en trouvoit point de
16 MERCURE DE FRANCE.
de plus grand que de donner des marques
fa fenfibilite à fon bienfaicteur.Tranquille
en apparence , il ne l'étoit cependant pas
dans la réalité. Son coeur , exceffivement
fenfible , ne pouvoit être rempli par l'amitié
, il lui falloit un fentiment d'une autre
efpece. Il fentoit depuis quelque tems en
lui - même un defir preffant , un vif befoin
d'aimer , qui n'eft pas la moins pénible de
toutes les fituations. L'amour lui demandoit
fon hommage
; mais trop éclairé fur
fes véritables intérêts pour fe livrer à ce
petit tyran fans réferve , il vouloit faire
fes conditions . Il comprit que les qualités
du coeur & de l'efprit , le rapport d'humeur
& de façon de penfer , étoient abfolument
néceffaires pour contracter un
attachement férieux & durable . Son imagination
vive travaillant fur cette idée
lui eut bientôt fabriqué une maîtreffe
imaginaire , qu'il chercha vainement à
réaliſer. Il étudia avec foin toutes les jeunes
perfonnes de R.... Cette étude ne fervit
qu'à lui faire connoître l'impoffibilité
de trouver une perfonne fi parfaite. Cependant
, le croiriez-vous ? il s'attacha à
cette chimere même en la reconnoiffant
pour telle : fon plus grand plaifir étoit de
s'en occuper ; il quittoit fouvent la lecture-
& les converfations les plus folides , pour
s'entretenir avec elle..
NOVEMBRE. 1755 17
Quelque confiance qu'il eût en M. de
Madinville , il n'avoit pas ofé lui faire
l'aveu de ces nouvelles difpofitions . Il connoiffoit
fa maladie ; mais en même tems il
la chériffoit , il lui trouvoit mille charmes,
& ç'auroit été le defobliger que d'en entreprendre
la guérifon . C'eft ce que fon ami
n'auroit pas manqué de faire. Un jour qu'il
fe promenoit feul , en faisant ces réflexions,
M. de Madinville vint l'aborder. J'ai fur
vous , mon cher Montvilliers , lui dit- il ,
après avoir parlé quelque tems de chofes
indifférentes, des vues que j'efpere que vous
approuverez. Rien n'eft comparable à l'a
mitié que j'ai pour vous , mais je veux que
des liens plus étroits nous uniffent. Je n'ai
qu'une niece ; j'ofe dire qu'elle eft digne
de vous par la folidité de fon efprit , la fupériorité
de fa raifon , la douceur de fon
caractere , enfin mille qualités eftimables
dont vous êtes en état de fentir tout le
A prix.
Montvilliers , qui n'avoit jamais entendu
parler que fon ami eût une niece , &
qui ne lui croyoit pas même ni de frere ni
de foeur , fut un peu furpris de ce difcours .
Sa réponſe cependant fut courte , polie &
fatisfaifante. Il lui demanda pourquoi il
ne lui avoit jamais parlé d'une perfonne
qui devoit fi fort l'intéreffer , les raifons
18
MERCURE DE
FRANCE.
qui m'en ont empêché , lui répondit fon
ami , m'obligent encore de vous cacher fon
nom & fa demeure. Mais avant que d'en
venir à
l'accompliffement de ce projet ,
ajouta-t- il , mon deffein eft de vous envoyer
paffer quelque tems à Paris. Avec
beaucoup de bon fens & d'efprit , il vous
manque une certaine politeffe de manieres,
une façon de vous préfenter qui prévient
en faveur d'un honnête homme . Parlez - en
à votre pere. Je me charge de faire la dépenfe
néceffaire pour ce voyage.
Enchanté de ce
nouveau
témoignage
d'affection & de générofité ,
Montvilliers
remercia dans les termes les plus vifs fon
bienfaicteur . Il n'étoit
pourtant pas abfolument
fatisfait de la premiere partie de fon
difcours. Ce choix qu'il
paroiffoit lui faire
d'une épouſe fans fon aveu , lui fembla
tyrannique. Il ne put fouffrir de fe voir
privé de la liberté de chercher une perfonne
qui approchât de fon idée. Il imaginoit
dans cette
recherche mille plaifirs dont il
falloit fe détacher. Son coeur
murmura de
cette
contrainte ; elle lui parut infupportable
mais la raifon prenant enfin le deffus
, condamna ces
mouvemens . Elle lui
repréſenta
combien il étoit flatteur & avantageux
pour lui d'entrer dans la famille
d'un homme à qui il devoit tout , & le fit
NOVEMBRE. 1755. 19
convenir qu'en jugeant de l'avenir par le
paffé , fon bonheur dépendoit de fa docilité
pour les confeils de fon ami.
Ces réflexions le calmerent. Il ne fongea
plus qu'à s'occuper des préparatifs de
fon voyage ; ils ne furent pas longs . Les
quinze premiers jours de fon arrivée dans
la capitale furent employés à vifiter les édifices
publics , & à voir les perfonnes à qui
il étoit recommandé . Il fut à l'Académie
pour apprendre à monter à cheval & à
faire des armes ; il fe }; fit des connoiffances
de plufieurs jeunes gens de confidération ,
qui étoient fes compagnons d'exercices ,
& s'introduifit par leur moyen dans des
cercles diftingués . Avide de tout connoî
tre , de tout voir , il eut bientôt tout épui
fé. Son efprit folide ne s'accommoda pas
de la frivolité qui regne dans ce qu'on
appelle bonne compagnie, 11 fe contenta
dans fes momens de loifir , de fréquenter
les fpectacles , les promenades , & de cultiver
la connoiffance de quelques gens de
lettres que M. de Madinville lui avoit
procurée.
La diverfité & la nouveauté de tous ces
objets n'avoient pu guérir fon coeur. Il
avoir toujours le même goût pour fa maîtreffe
imaginaire , & les promenades folitaires
étoient fon amuſement favori. Un
20 MERCURE DE FRANCE.
jour qu'il fe promenoit dans les Tuilleries
, fa rêverie ne l'empêcha pas de remar .
quer une jeune demoifelle , dont la phifionomie
étoit un agréable mêlange de
douceur , de franchife , de modeftie , &
de raifon. Quel attrait pour Montvilliers !
il ne pouvoit fe laffer de la confidérer. Sa
préfence faifoit paffer jufqu'au fond de
fon coeur une douceur fecrette & inconnue.
Elle fortit de la promenade , il la
fuivit , & la vit monter dans un carroffe
bourgeois avec toute fa compagnie. Alors
fongeant qu'elle alloit lui échapper , il eut
recours à un de ces officieux meffagers dont
le Pont- neuf fourmille : il lui donna ordre
de fuivre ce carroffe , & de venir lui redire
en quel endroit il fe feroit arrêté. Environ
une demi - heure après , le courrier revint
hors d'haleine , & lui apprit que toute cette
compagnie étoit defcendue à une maiſon
de campagne fituée à B.....
. Montvilliers , qui connoiffoit une perfonne
dans ce lieu , fe promit d'y aller dès
le lendemain , efpérant revoir cette demoifelle
, peut-être venir à bout de lui parler ,
ou du moins apprendre qui elle étoit .
Rempli de ce projet , il alloit l'exécuter ,
quand un jeune homme de fes amis entra
dans fa chambre , & lui propofa de l'accompagner
, pour aller voir une de fes paNOVEMBRE.
1755 .
rentes , chez laquelle il y avoit bonne compagnie.
Il chercha d'abord quelque prétexte
pour le défendre , mais quand il eut
appris que cette parente demeuroit à B....
il ne fit plus difficulté de fuivre fon ami.
Il ne s'en repentit pas ; car la premiere perfonne
qu'il apperçut en entrant dans une
fort beile falle , fut cette jeune demoiſelle
qu'il avoit vu la veille aux Tuilleries.
Cette rencontre qui lui parut être d'un
favorable augure , le mit dans une fitua
tion d'efprit délicieufe. On fervit le dîner,
& Montvilliers fit fi bien qu'il fe trouva
placé auprès de celle qui poffédoit déja
toutes les affections. Il n'épargna ni galanteries
, ni politeffes , ni prévenances pour
lui faire connoître la fatisfaction qu'il en
reffentoit ; & il ne tint qu'à elle de reconnoître
dans fes manieres une vivacité qui
ne va point fans paffion. Auffi ne fut- elle
pas la derniere à s'en appercevoir : elle
avoit remarqué fon attention de la veille ,
& fa figure dès ce moment ne lui avoit
déplu . Elle lui apprit qu'elle étoit alors
chez une dame de fes amies , qu'elle devoit
y refter encore quinze jours , qu'elle demeuroit
ordinairement à Paris avec fon
pas
pere & fa mere , qu'elle aimoit beaucoup
la campagne , & qu'elle étoit charmée de
ce que fon pere venoit d'acquérir une terre
22 MERCURE DE FRANCE.
affez confidérable , proche de R.... où ils
comptoient aller bientôt demeurer . Quoi ,
Mademoiſelle , lui dit- il , feroit- il bien poffible
que nous devinffions voifins ? Comment
vous êtes de R ... lui demanda - t- elle à
fon tour ? Je n'en fuis pas directement
répondit- il , mais la demeure de mon pere,
qui s'appelle Dorneville , n'en eft éloignée
que d'une lieue. Eh bien , reprit- elle ,
notre terre eft entre Dorneville & Madinville
; connoiffez - vous le Seigneur de cette
derniere paroiffe ? Grand Dieu ! Si je le
connois , répondit-il avec vivacité , c'eſt
l'homme du monde à qui j'ai le plus d'obligation.
Mademoiſelle d'Arvieux , c'eft ainfi
que s'appelloit cette jeune perfonne , contente
de cette déclaration , ne s'ouvrit
davantage . Cependant le foleil prêt à ſe
coucher , obligea les deux amis de reprendre
la route de Paris . Montvilliers n'avoit
jamais vu de journée paffer avec tant de
rapidité avant que de partir , il demanda
la permiffion de revenir , qu'on lui accorda
fort poliment.
pas
Il ne fut pas plutôt forti d'auprès de
Mlle d'Arvieux , que rentrant en lui - même
, & faiſant réflexion fur tous fes mouvemens
, il fentit qu'il aimoit. Le fouvenir
de ce qu'il avoit promis à fon bienfaicteur
, vint auffi-tôt le troubler . Il fe fit
NOVEMBRE . 1755. 23
des reproches de fon peu de courage ; mais
peut- être je m'allarme mal- à- propos , continua-
t- il en lui -même ; c'eft un caprice ,
un goût paffager que Mlle d'Arvieux m'aidera
elle - même à détruire. Si je pouvois
connoître le fond de fon coeur , fa façon
de penfer , fans doute je cefferois de l'aimer.
Il s'en feroit peut-être dit davantage,
fi fon ami n'avoit interrompu fa revêrie ,
en la lui reprochant. " Tu es furement
» amoureux , lui dit -il d'un ton badin. Je
» t'ai vu un air bien animé auprès de Mlle
» d'Arvieux ; conviens- en de bonne foi.
Il n'eft pas bien difficile d'arracher un fecret
de cette nature. Montvilliers qui connoiffoit
la difcrétion de fon ami , lui
avoua fans beaucoup de peine un fentiment
dont il étoit trop rempli , pour n'avoir
pas befoin d'un confident : mais en
convenant que les charmes de cette Demoifelle
l'avoient touché , il ajouta que
comme il craignoit que le caractere ne répondît
pas aux graces extérieures , il fongeoit
aux moyens de connoître le fond de
fon coeur. Si ce n'eft que cela qui te fait
rêver , lui dit fon ami , il eft aifé de te
fatisfaire . Je connois une perfonne qui eſt
amie particuliere de Mlle d'Arvieux ; je
fçais qu'elles s'écrivent quand elles ne
peuvent le voir , & tu n'ignores pas qu'on
24 MERCURE DE FRANCE.
•
fe peint dans fes lettres fans même le vouloir
& fans croire le faire ; il ne s'agit que
d'avoir celles de Mlle d'Arvieux , & je les
poffede ; c'eſt un larcin que j'ai fait à cette
amie , qui eft auffi la mienne. Les voici ,
je te les confie .
Montvilliers , après avoir remercié fon
ami que fes affaires appelloient ailleurs ,
fe rendit chez lui chargé de ces importan
tes pieces. Il lut plufieurs de ces lettres qui
étoient autant de preuves de la délicateffe
& de la jufteffe d'efprit de Mlle d'Arvieux.
C'étoit un agréable variété de raiſon &
de badinage . Le ftyle en étoit pur , aiſé ,
naturel , fimple , élégant , & toujours convenable
au fujet mais quel plaifir pour
Montvilliers de voir le fentiment regner
dans toutes ces lettres , & de lire dans une
d'elles , qu'un amant pour lui plaire devoit
bien moins chercher à acquerir des
graces que des vertus ; qu'elle lui deman--
doit un fond de droiture inaltérable , un
amour de l'ordre & de l'humanité , une
délicateffe de probité , une folidité du jugement
, une bonté de coeur naturelle , une
élévation de fentimens , un amour éclairé
pour la religion , un humeur douce , indulgente
, bienfaifante.
De pareilles découvertes ne fervirent
point à guérir Montvilliers de fa paflion ..
Toutes
NOVEMBRE . 1755. 23
Toutes les vertus & les qualités que Mlle
d'Arvieux exigeoit d'un amant , étoient directement
les traits qui caracterifoient fa
maîtreffe idéale . Cette conformité d'idée.
l'enchanta. Voilà donc , dit- il avec tranf
port , ce tréfor précieux que je cherchois
fans efpérance de le trouver ; cette perfonne
fi parfaite que je regardois comme une
belle chimere , ouvrage de mon imagination
. Que ne puis - je voler dès ce moment à
Les pieds , lui découvrir mes fentimens , ma
façon de penfer, lui jurer que l'ayant aimée
fans la connoître, je continuerai de l'adorer
toute ma vie avec la plus exacte fidélité .
Huit jours fe pafferent fans que Montvilliers
qui voyoit fouvent fa maîtreffe ,
pût trouver le moyen de l'entretenir en
particulier , quelque défir qu'il en eût :
mais le neuvieme lui fut plus favorable.
Difpenfe - moi , je vous prie , continua la
Silphide , de vous redire les difcours que
ces deux amans fe tinrent ; il vous fuffira
de fçavoir qu'ils furent très - contens l'un
de l'autre , & que cet entretien redoubla
une paffion qui n'étoit déja que trop vive
pour leur repos.
Un jour que Montvilliers conduit par
le plaifir & le fentiment , étoit allé voir .
Mlle d'Arvieux , il fut furpris de trouver
auprès d'elle un homme âgé qu'il ne con- :
B
62: MERCURE DE FRANCE.
noifloit point. Il comprit bientôt aux
difcours qu'on tenoit , que ce vieillard
étoit le pere de fa maîtreffe , & qu'il venoit
dans le deffein de la remmener avec
lui. Ils fe leverent un inftant après pour.
fortir , & notre amant refté feul avec la
maîtreffe du logis , apprit d'elle que M.
d'Arvieux venoit annoncer à fa fille qu'un
jeune homme fort riche , nommé Frien-.
val , l'avoit demandée en mariage ; que ce
parti paroiffoit être du goût du pere.
Montvilliers interdit à cette nouvelle , pria
celle qui la lui apprenoit , de vouloir bien
l'aider de fes confeils. Il faut vous propofer
, lui dit-elle , vous faire connoître.
Hé ! Madame , voudra - t - on m'écouter ,
répondit il? M. d'Arvieux ne m'a jamais
vu ; vous êtes amie de fa femme , rendez-
moi ce fervice . Elle y confentit , &.
lui promit que dès le lendemain elle iroit
demander à dejeûner à Mme d'Arvieux :
Au reste , ajouta- t- elle , vous pouvez être
tranquille du côté de vôtre maîtreffe ;
quand elle feroit capable de vous faire.
une infidélité , ce ne feroit point en faveur
de ce rival , elle le connoît trop bien ;
& pour vous raffurer davantage , je vais
vous rendre fon portrait tel qu'elle me le
faifoit encore hier en nous promenant.
Frienval , continua cette Dame , eft un de
NOVEMBRE 1755. 27
•
ces hommes frivoles dont Paris eft inordé.
Amateur des plaifirs , fans être voluptueux
, efclave de la mode en raillant
ceux qui la fuivent avec trop de régulari
té , il agit au hazard . Ses principes varient
fuivant les occafions , ou plutôt il
n'en a aucun. Auffi fes démarches fontelles
toujours inconféquentes. S'il eft
exempt de vices effentiels , il le doit à fon
tempérament. Futile dans fes goûts , dans
fes recherches , dans fes travaux , fon occupation
journaliere eft de courir les fpectacles
, les caffés , les promenades , & de
fe mêler quelquefois parmi des gens qui
pour mieux trouver le bon ton , ont banni
le bon fens de leurs fociétés . Ses plus
férieufes démarches n'ont d'autre but
qu'un amufement paffager , & fon état
peut s'appeller une enfance continuée . Il
y a fort long- tems qu'il connoît Mlle d'Arvieux
, & qu'il en eft amoureux , comme
tous les gens de fon efpece , c'eft-à- dire
fans fe gêner. Mais loin de le payer d'aucun
retour elle n'a pas daigné faire la
moindre attention à fes galanteries. Trop
occupé pour réfléchir , fa légereté lui a
fauvé mille conféquences peu flateufes ,
qu'il devoit naturellement tirer. Il fe croit
aimé avec la même bonne foi qu'il fe
croit aimable ; fon mérite lui femble une
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
chofe , démontrée , & qu'on ne peut lut
difputer raisonnablement.
Le lendemain fut un jour heureux pour
Montvilliers. Son Ambaffadrice lui rapporta
qu'on vouloit bien fufpendre la conclufion
du mariage propofé , afin de le
connoître , & qu'on lui permettoit de fe
préfenter. Il ne fe le fit pas dire deux fois:
il courut chez M. d'Arvieux qui le reçut
affez bien pour lui faire efperer de l'être
encore mieux dans la fuite. Sa maîtreffe
lui apprit qu'ils partoient dès le lendemain
pour cette terre dont elle lui avoit
parlé ; il promit qu'il les fuivroit de près :
en effet il prit la route de fa patrie deux
jours après leur départ.
Depuis trois semaines que fa paffion
avoit commencé , il en avoit été fi occupé
qu'il avoit oublié d'écrite à M. de Madinville
. Il étoit déja à moitié chemin qu'il
fe demanda comment il alloit excufer auprès
de lui ce retour précipité. Il comprit
alors qu'il lui avoit manqué effentiellement
de plufieurs façons , & que fa conduite
lui méritoit l'odieux titre d'ingrat.
Mais fi ces réflexions lui firent craindre
le moment d'aborder fon bienfaicteur , des
mouvemens de tendreffe & de reconnoiffance
rien ne pouvoit altérer , lui fique
Fr.rent défirer de l'embraffer. Ces différens
1-
NOVEMBRE. 1755. 29
fentimens lui donnerent un air confus ,
embarraffé , mêlé d'attendriffement.
M. de Madinville qui avoit pour lui
l'affection la plus fincere , n'avoit point
fupporté fon abfence fans beaucoup de
peine & d'ennui . Charmé de fon retour
dont il fut inftruit par une autre voie , s'il
avoit fuivi les mouvemens de fon coeur ,
mille careffes auroient été la punition de
la faute que Montvilliers commettoit en
revenant fans lui demander fon agrément;
mais il voulut éprouver fi l'abfence ne
l'avoit point changé, & fi comblé des bienfaits
de l'amour , il feroit fenfible aux pertes
de l'amitié : il fe propofa donc de le
recevoir avec un air férieux & mécontent.
Montvilliers arrive , defcend de cheval ,
vole à la chambre de fon ami , qui en le
voyant joua fort bien la furpriſe . Quoi !
c'est vous , Montvilliers , lui dit - il , en
reculant quelques pas : oferois je vous demander
la caufe de ce prompt retour , &
pourquoi vous ne m'en avez point averti ?
J'efperois cependant que vous me feriez
cette grace.Montvilliers déconcerté par cet- "
te réception ne put répondre une feule
parole. Mais fes yeux interpretes de fon
ame , exprimoient affez fon trouble. M. de
Madinville fans faire femblant de s'en appercevoir
, ajouta : Au refte , je ne fuis
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
pas fâché de vous revoir ; vous avez pré
venu mon deffein ; j'allois vous écrire pour
vous engager à revenir , l'affaire dont je
vous ai parlé avant votre départ eft fort
avancée , il ne manque pour la conclure
que votre confentement. Ma niece fur le
bon témoignage que je lui ai rendu de
votre caractere , vous aime autant & plus
que moi - même. Mais je ne penfe pas ,
continua- t- il , que vous avez beſoin de
repos & de rafraîchiffement ; allez - en
prendre , nous nous expliquerons après.
Pénétré de l'air, froid & fec dont M.
de Madinville l'avoit reçu , qui lui avoit
ôté la liberté de lui témoigner la joie qu'il
avoit de le revoir , Montvilliers avoit befoin
de folitude pour mettre quelque
ordre à fes idées . Il fortit fans trop fçavoir
où il alloit , & s'arrêtant dans ce
bois où il avoit vu fon ami pour la premiere
fois , il fe repréſenta plus vivement
que jamais les obligations qu'il lui avoit.
Son ame , fon coeur , fon efprit , fes qualités
extérieures étoient le fruit de fes
foins ; fon amitié avoit toujours fait les
charmes de fa vie , il falloit y renoncer ,
ou fe réfoudre à ne jamais pofféder Mlle
d'Arvieux quelle cruelle alternative ! Il
falloit pourtant fe décider. Un fort honnête
homme de R .... qu'il avoit vu ſous
NOVEMBRE 1755 . 31
:
vent chez M. de Madinville , interrompit
ces réflexions accablantes . Après les premiers
complimens , il lui demanda ce qui
pouvoit caufer l'agitation où il le voyoit.
Montvilliers ne fit point de difficulté de
lui confier fon embarras . Il lui raconta le
projet de fon ami qu'il lui avoit communiqué
avant fon voyage , la naiffance &
la violence d'une paffion qu'il n'avoit pas
été le maître de ne point prendre , l'impoffibilité
où il fe trouvoit de la vaincre
la crainte exceffive de perdre un ami dont
il connoiffoit tout le prix , & fans lequel
il ne pouvoit efperer d'être heureux .
Ce récit que Montvilliers ne put faire
fans répandre des larmes , attendrit celui
qui l'écoutoit . Votre fituation eft très- embarraffante
; lui dit- il. Pour moi , je nè
vois pas d'autre parti que de déclarer naïvement
à M. de Madinville ce que vous
fouffrez. Il est généreux , il vous aime , &
ne voudra point vous défefperer . Ah !
fongez- vous , répondit- il , que cette déclaration
détruit un projet qui eft devenu
l'objet de fa complaifance ? Faites - vous.
attention qu'il a parlé de moi à fa niece ,
qu'il a fait naître dans fon ame une paffion
innocente ? Non , je n'aurai jamais la
hardieffe de la lui faire moi-même. Hé
bien voulez-vous que je lui en parle ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
demanda fon confident ? Je vais paffer
l'après-midi avec lui ; nous ferons feuls ,
je tâcherai de démêler ce qu'il penſe à votre
fujet .
Montvilliers ayant fait connoître qu'il
lui rendroit un grand fervice , le quitta ,
& prit le chemin qui conduifoit à Dorneville.
Il trouva fon pere en deuil de fa
belle mere ; il le reçut affez bien , & l'engagea
à fouper avec lui , & à occuper fon
ancien appartement.
Son Ambaffadeur eut fa vifite le lendemain
de fort bon matin. Il lui dit qu'il
n'avoit pas tiré de fa commiffion tout le
fruit qu'il en efperoit : que M. de Madinville
lui avoit dit qu'il n'avoit jamais prétendu
contraindre les inclinations de perfonne
au refte , ajouta- t-il , allez- le voir ,
expliquez- vous enfemble.
Montvilliers qui vouloit s'éclaircir à
quelque prix que ce fût , partit auffi -tôt ;
mais plus il approchoit de Madinville &
plus fon courage diminuoit. Il entre cependant
; on lui dit que fon ami étoit à fe
promener. Il va pour le joindre , il l'apperçoit
au bout d'une allée , le falue profondément
, cherche dans fes yeux ce qu'il
doit craindre ou efperer ; mais M. de
Madinville qui le vit , loin de continuer
affecta de , paffer d'un autre côté
NOVEMBRE. 1755. 33
i
pour éviter de le rencontrer.
Ce mouvement étoit plus expreffif
que tous les difcours du monde . Montvilliers
qui comprit ce qu'il vouloit dire ,
fur pénétré de l'affliction la plus vive . Il
fe jetta dans un bofquet voifin où il fe mit
à verfer des larmes ameres. Alors confidérant
ce qu'il avoit perdu , il prit la réfolution
de faire tout fon poffible pour le
recouvrer . M. de Madinville qui fe douta
de l'effet que fon dedain affecté auroit
produit , & qui ne vouloit pas abandonner
long - tems Montvilliers à fon défefpoir ,
vint comme par hafard dans l'endroit où
il étoit pour lui donner occafion de s'expliquer
, & feignit encore de vouloir fe
retirer. Cette nouvelle marque d'indifférence
outrageant la tendreffe de Montvilliers
, il fe leva avec un emportement de
douleur ; arrêtez , Monfieur , lui dit - il
d'une voix altérée : il eft cruel dans l'état
où vous me voyez , de m'accabler par de
nouveaux mépris . Ma préfence vous eft
odieufe ; vous me fuyez avec foin , tandis
que préfé par le fentiment , je vous cherche
pour vous dire que je fuis prêt de tout
facrifier à l'amitié . Oui , ajouta - t- il en
rédoublant fes larmes , difpofez de ma
main , de mes fentimens , de mon coeur ,
& rendez -moi la place que j'occupois dans
le vôtre. By
34 MERCURE DE FRANCE.
M. de Madinville charmé , ceffa de fe
contraindre , & ne craignit plus de laiſſer
voir fa joie & fon attendriffement . Il embraffe
Montvilliers , l'affure qu'il n'a pas
ceffé un inftant de l'aimer ; qu'il étoit
vrai que l'indifférence qu'il fembloit avoir
pour fon alliance , lui avoit fait beaucoup
de peine , parce qu'il la regardoit comme
une marque de la diminution de fon amitié
; que la fienne n'étant point bornée
il vouloit aufli être aimé fans réferve ;
qu'au refte il n'abuferoit point du pouvoir
abfolu qu'il venoit de lui donner fur
fa perfonne ; que la feule chofe qu'il exigeoit
de fa complaifance , étoit de voir
fa niece ; que fi après cette entrevue il
continuoit à penfer de la même façon ,
il pourroit le dire avec franchife , & fuivre
fon penchant.
Il finiffoit à peine de parler , qu'on vint
lui annoncer la vifite de fa niece . Repréfentez
- vous quel fut l'étonnement & la
joie de Montvilliers , lorfqu'entrant dans
une fale où l'on avoit coutume de recevoir
la compagnie , il apperçut Mlle d'Arvieux
qui étoit elle-même la niece de M.
de Madinville.
M. d'Arvieux , frere aîné de cet aimable
Philofophe , étoit un homme haut ,
emporté , violent ; ils avoient eu quelques
NOVEMBRE. 1755 . 35
différends enfemble , & M. de Madinville
fans conferver aucun reffentiment de fes
mauvais procédés , avoit jugé qu'il étoit de
fa prudence d'éviter tout commerce avec
un homme fi peu raifonnable. Comme M.
d'Arvieux étoit forti fort jeune de la province
fans y être revenu depuis , à peine
y connoiffoit - on fon nom ; Montvilliers
n'en avoit jamais entendu parler . Mlle
d'Arvieux avoit eu occafion de voir fon
oncle dans un voyage qu'il avoit fait à Paris
, & depuis ce tems elle entretenoit
avec lui un commerce de lettres à l'infçu
de fon pere. Comme elle fe fentoit du
penchant à aimer Montvilliers , elle fut
bien-aife avant que de s'engager plus avant ,
de demander l'avis de fon oncle , & ce
qu'elle devoit penfer de fon caractere .
L'étude des hommes lui avoit appris combien
il eft difficile de les connoître , & l'étude
d'elle-même combien on doit fe défier
de fes propres lumieres . Elle écrivit
donc dès le même jour , & reçut trois
jours après une réponse qui paffoit fes
efpérances , quoiqu'elles fuffent des plus
Alatteufes. Après lui avoir peint le coeur &
l'efprit de Montvilliers des plus belles couleurs
, M. de Madinville recommanda à
fa niece de continuer à lui faire un myftere
de leur parenté & de leur liaifon , afin
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
de voir comment il fe comporteroit dans
une conjoncture fi délicate .
pe-
Tout le monde fut bientôt d'accord.
On badina fur la fingularité de cette aventure
, & l'on finit par conclure que Montvilliers
demanderoit l'agrément de fon
re. Il y courut auffi- tôt , & l'ayant trouvé
feul dans fon cabinet , il alloit lui déclarer
le fujet de fa vifite : mais M. Dorneville
ne lui en laiſſa pas le loifir. J'ai jugé , lui
dit-il , qu'il étoit tems de vous établir , &
j'ai pour cela jetté les yeux fur Mlle de
F... Vous allez peut- être m'alléguer pour
vous en défendre , ajouta-t - il , je ne ſçais
quelle paffion romanefque que vous avez
prife à Paris pour une certaine perfonne
que je ne connois point . Mais fi vous voulez
que nous vivions bien enſemble , ne
m'en parlez jamais. Ne pourrai -je point ,
Monfieur , dit Montvilliers , fçavoir la
raifon ? .... Je n'ai de compte à rendre
à qui que ce foit , reprit le pere avec emportement
; en un mot , je fçais ce qu'il
vous faut. Mlle d'Arvieux n'eft point votre
fait , & je ne confentirai jamais à cette alliance
faites votre plan là- deffus . Il fortit
en difant ces mots. Montvilliers confterné
refta immobile : il ne pouvoit s'imaginer
pourquoi il paroiffoit avoir tant d'éloignement
pour un mariage convenable , & mêNOVEMBRE.
1755. 37
me avantageux . Sa maîtreffe étoit fille
unique , & M. d'Arvieux du côté de la
fortune & de la nobleffe ne le cédoit point
à M. Dorneville.
Driancourt , frere de Montvilliers , dont
j'ai rapporté la naiffance au commencement
de cette hiftoire , avoit pour lors
dix-huit àdix- neuf ans. Double, artificieux ,
adroit , flateur, il penfoit que le grand art
de vivre dans le monde étoit de faire des
dupes fans jamais le devenir , & de tout
facrifier à fon utilité . Son efprit élevé audeffus
des préjugés vulgaires ne reconnoiffoit
aucunes vertus , & tout ce que les
hommes appellent ainfi n'étoit , felon
lui , que des modifications de l'amourpropre
, qui eft dans le monde moral , ce
qu'eft l'attraction dans le monde phyfique ,
c'eft-à- dire la caufe de tout. Toutes les
actions , difoit - il , font indifférentes ,
puifqu'elles partent du même principe.
Il n'y a pas plus de mal à tromper fon
ami , à nier un dépôt , à inventer une calomnie
, qu'à rendre ſervice à fon voiſin ,
à combattre pour la défenfe de fa patrie ,
à foulager un homme dans fa mifere , ou
à faire toute autre action .
Driancourt avec ce joli fyftême , ne perdoit
point de vue le projet de fe délivrer
de fon frere , dont fa mere lui avoit fait
38 MERCURE DE FRANCE.
le
fentir mille fois la néceffité. Il crut que
moment de l'exécuter étoit arrivé. C'étoit
lui qui avoit inftruit M. Dorneville de la
paffion de Montvilliers pour Mlle d'Arvieux
, & qui en même tems avoit peint
cette Demoiſelle de couleurs peu avantageufes.
Depuis ce moment il ne ceffa de
rapporter à fon pere , dont il avoit toute la
confiance & la tendreffe , mille difcours
peu refpectueux , accompagnés de menaces
qu'il faifoit tenir à Montvilliers : enfin
il tourna fi bien l'efprit de ce vieillard foi
ble & crédule , qu'il le fit déterminer au
plus étrange parti.
L'on parloit beaucoup dans ce tems là
de ces colonies que l'on envoie en Amérique
, & qui fervent à purger l'Etat . Driancourt
ayant obtenu , non pourtant fans
quelque peine , le confentement de fon
pere , part pour D ..... trouve un vaiffeau
prêt à mettre à la voile chargé de plufieurs
miférables qui , fans être affez coupables
pour mériter la mort l'étoient cependant
affez pour faire fouhaiter à la fofociété
d'en être délivrée . Il parle au Capitaine
qui lui promit de le défaire de fon
frere , pourvu qu'il pût le lui livrer dans
deux jours. Il revint en diligence , & dès
la nuit fuivante , quatre hommes entrent
dans la chambre de Montvilliers, qui avoit
NOVEMBRE. 1755 . 39
continué de coucher chez fon pere depuis
fon retour de Paris , fe faififfent de lui ,
le contraignent de fe lever , le conduifent
à une chaiſe de pofte , l'obligent d'y monter
, d'où ils ne le firent defcendre que
pour le faire entrer dans le vaiffeau qui
partit peu de tems après .
Montvilliers qui avoit pris tout ce qui
venoit de lui arriver pour un rêve , ne
douta plus alors de la vérité . Enchaîné
deavec
plufieurs autres miférables , que
vint-il quand il fe repréfenta l'indignité
& la cruauté de fon pere , ce qu'il perdoit ,
ce qu'il alloit devenir ? Ces idées agirent
avec tant de violence fur fon efprit, qu'el
les y mirent un défordre inconcevable. Il
jugea qu'il n'avoit point d'autre reffource
dans cette extrêmité que la mort , & réfo
lut de fe laiffer mourir de faim. Il avoit
déja paffé deux jours fans prendre aucune
nourriture , mais le jeune Anglois que
voici , qui étoit pour lors compagnon de
fon infortune , comprit à fon extrême abattement
qu'il étoit plus malheureux que
coupable. Il entreprit de le confoler , il
lui préfenta quelque rafraîchiffemens qui
furent d'abord refufés ; il le preffa , il le
pria. Je ne doute pas , lui dit- il , que vous
ne foyez exceffivement à plaindre ; je veux
même croire que vous l'êtes autant que
40 MERCURE DE FRANCE
moi cependant il eft des maux encore
plus rédoutables que tous ceux que nous
éprouvons dans cette vie , & dont on fe
rend digne en entreprenant d'en borner
foi-même le cours . Peut - être le ciel qui ne
veut que vous éprouver pendant que vous
vous révoltez contre fes décrets , vous
prépare des fecours qui vous font inconnus.
Acceptez , je vous en conjure , ces
alimens que vous préfente un homme qui
s'intéreffe à votre vie.
Montvilliers qui n'avoit fait aucune
attention à tout ce qui l'environnoit , examina
celui qui lui parloit ainfi , remarqua
dans fon air quelque chofe de diftingué
& de prévenant ; il trouva quelque
douceur à l'entretenir. Il fe laiffa perfuader
, il lui raconta fon hiftoire ; & quand
il cut fini fon récit , il le preffa d'imiter
fa franchiſe , ce que le jeune Anglois fic
en ces termes :
Lafuite au prochain Mercure.
Fermer
Résumé : LES CHARMES DU CARACTERE. HISTOIRE VRAISEMBLABLE. SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE. Par Mademoiselle Plisson, de Chartres.
Le texte raconte l'histoire de Montvilliers, un gentilhomme issu d'une famille aisée, connu pour son caractère noble et généreux. Après la perte de sa mère à sa naissance, son père se remarie avec une femme aimable mais peu fortunée. À l'âge de quatre ou cinq ans, Montvilliers devient indifférent et incommodant pour sa belle-mère, qui le traite avec mépris et le considère comme stupide. Il passe ses journées dans les bois, mélancolique et découragé, se sentant comme une charge. À quinze ans, Montvilliers rencontre M. de Madinville, un militaire philosophe qui le prend sous son aile. Impressionné par l'intelligence et le caractère de Montvilliers, Madinville décide de l'aider à cultiver ses qualités naturelles. Montvilliers, touché par cette rencontre, se rend régulièrement chez Madinville, qui lui enseigne les principes de la philosophie et de la vertu. Ce changement attire l'attention de son père, mais sa belle-mère continue de le mépriser secrètement. Montvilliers, malgré son bonheur apparent, ressent un besoin d'amour et d'attachement. Il imagine une maîtresse parfaite mais ne la trouve pas parmi les jeunes femmes de sa connaissance. Un jour, M. de Madinville propose à Montvilliers d'épouser sa nièce, qu'il décrit comme ayant un esprit solide et un caractère doux. Montvilliers, bien que surpris, accepte après réflexion, voyant dans cette union un moyen de renforcer son lien avec son bienfaiteur. Madinville envoie Montvilliers à Paris pour perfectionner ses manières et ses compétences. À Paris, Montvilliers fréquente des cercles distingués et cultive ses intérêts intellectuels, tout en évitant la frivolité de la bonne société. Lors d'une promenade aux Tuileries, Montvilliers remarque une jeune demoiselle, Mlle d'Arvieux, dont la physionomie est un mélange agréable de douceur, de franchise, de modestie et de raison. Intrigué, il la suit et découvre qu'elle se rend dans une maison de campagne à B. Grâce à un ami, Montvilliers se rend également à cette maison et y rencontre Mlle d'Arvieux. Ils passent une journée ensemble, et Montvilliers est charmé par ses qualités. Il apprend qu'elle réside à Paris avec ses parents et qu'ils comptent bientôt s'installer à R., près de sa propre demeure familiale à Dorneville. Montvilliers est troublé par ses sentiments et se remémore sa promesse à M. de Madinville. Un ami lui montre des lettres de Mlle d'Arvieux, révélant ses vertus et ses qualités, qui correspondent à celles de la maîtresse idéale de Montvilliers. Après plusieurs jours, Montvilliers parvient à s'entretenir en privé avec Mlle d'Arvieux, renforçant ainsi sa passion. Cependant, il apprend qu'un certain Frienval, un homme riche et frivole, a demandé la main de Mlle d'Arvieux. Avec l'aide d'une amie de la famille, Montvilliers obtient la permission de se présenter à M. d'Arvieux, le père de Mlle d'Arvieux. Il se rend chez eux et promet de les suivre à R. Montvilliers réalise alors qu'il a négligé d'écrire à M. de Madinville et craint sa réaction. Malgré ses appréhensions, Montvilliers est déterminé à embrasser son bienfaiteur. M. de Madinville, bien que peiné par l'absence de Montvilliers, décide de le recevoir avec un air sérieux et mécontent pour tester sa fidélité. Montvilliers revient chez M. de Madinville, qui lui révèle que son projet d'alliance est avancé et que sa nièce, Mlle d'Arvieux, partage ses sentiments. Cependant, Montvilliers est troublé par la perspective de renoncer à cette alliance ou de perdre l'amitié de M. de Madinville. Il confie ses dilemmes à un honnête homme de R..., qui lui conseille de se confier à M. de Madinville. Montvilliers rencontre ensuite son père, M. Dorneville, qui lui annonce un projet de mariage avec Mlle de F..., ignorant les sentiments de Montvilliers pour Mlle d'Arvieux. Le frère de Montvilliers, Driancourt, jaloux et manipulateur, convainc M. Dorneville d'envoyer Montvilliers en Amérique. Montvilliers est enlevé et embarqué de force. À bord, un jeune Anglais tente de le réconforter, lui rappelant que des maux plus grands existent et que des secours pourraient encore survenir.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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23
p. 121-126
« GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE composée en latin par Bernard Varenius, revue par [...] »
Début :
GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE composée en latin par Bernard Varenius, revue par [...]
Mots clefs :
Géographie, Réflexions, Réflexions, Isaac Newton
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE composée en latin par Bernard Varenius, revue par [...] »
GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE compofée en
latin par Bernard Varenius , revue par
Ifaac Newton , augmentée par Jacques Jurin
, traduite en anglois d'après les éditions
latines données par ces auteurs ,
avec des additions fur les nouvelles découvertes
, & préfentement traduite de l'anglois
en François avec des figures en taille-
I. Vol F
122 MERCURE DE FRANCE .
douce . A Paris , chez Vincent , rue S. Severin
, à l'Ange ; & Lottin , rue S. Jacques ,
au Coq , 1755. 4. vol. in-1 2.
Le titre feul déclare affez l'importance
de cet Ouvrage dont l'auteur eft Varenius
qui l'a écrit en latin . Les fréquentes éditions
de ce livre , qui fe font , pour ainfi
dire , fuccédées les unes aux autres , font
une preuve de fa bonté , & font fon plus
bel éloge . Le fuffrage d'un auffi grand
somme que M. Newton , ajoute le dernier
trait à fa louange . Cet illuftre philofophe
le jugea digne de fon attention ,
puifqu'il voulut lui-même prendre foin de
l'édition qui parut en 1672 à Cambridge :
il occupoit alors une chaire de Mathématiques
dans la fameufe Univerfité de cette
ville. Il commenta Varenius qui a traité
fon fujet en Géometre & en Phyficien ;
il trouva fa Géographie très-propre à être
mife entre les mains de fes éleves à qui il
faifoit des leçons publiques fur la même
matiere. Il la corrigea dans les chofes où
Varenius avoit fe il éclaircit
pu tromper ;
celles que celui ci n'avoit point affez développées
, & l'augmenta en beaucoup
d'endroits pour fuppléer à ce qui manquoit
pour la perfection de l'Ouvrage. Il fuffifoit
qu'un livre eût été revu par M. Newton
avec autant d'exactitude de fa part ,
DECEMBRE. 1755. 123
pour accélérer le débit de l'édition qui
s'épuifa malgré la quantité d'exemplaires.
qui s'étoient diftribuées à Cambridge . C'eft
ce qui engagea dans la fuite du tems , le
Docteur Jurin à donner une nouvelle édition
de cette Géographie , qu'il accompagna
d'un très- bon fupplément qui renferme
les découvertes les plus modernes pour
l'inftruction des jeunes étudians. Il la dédia
au Docteur Bentlei , à la follicitation
duquel il l'avoit entrepriſe. C'eft d'après
cette derniere édition latine , qu'a été compofée
la Traduction angloife qui paroît
être fort eftimée ; & la Traduction françoife
que nous annonçons , a été faite
fur cette Edition Angloife , fupérieure à
toutes les Editions Latines qui l'ont précédée.
Au moins , c'est ce que nous affure
M. de Puifieux qui eft le Traducteur françois
, & qui ne fe fera fans doute déterminé
à porter un pareil jugement , qu'après
les avoir comparées enfemble . On
doit lui fçavoir gré d'avoir rendu public
en notre langue un ouvrage auffi effentiel
pour perfectionner les connoiffances rela
tives à la Géographie . Ce livre eft trop
connu parmi les Sçavans pour nous arrêter
ici à en apprécier le mérite ; & la réputa
tion décidée dont il jouit nous difpenfe
d'en faire l'extrait. Fij
124 MERCURE
DE FRANCE.
REFLEXIONS fur les connoiffances
préliminaires au Chriftianifme , pour fervir
à l'inftruction des jeunes gens. A Paris ,
chez Vincent , rue S. Severin , à l'Ange ,
1 vol. in-12 . 1755 .
L'objet de ces réflexions eft l'expofition
des preuves qui établiffent l'existence de
Dieu , de la connoiffance duquel émane
la Religion qui , envifagée dans fon état
naturel , oblige l'homme fa créature , à des
devoirs envers lui . Ces confidérations préliminaires
conduifent à la néceffité d'admettre
une révélation ; & c'eſt d'elle que
le Chriftianifme tire toute fa force &
l'excellence de fa morale . L'Auteur a pour
cet effet retracé toutes les vérités qu'il
enfeigne dans une courte analyſe qui eft
une fuite de ces Réflexions . Elle fervira à
donner une teinture des notions Théologiques
à ceux qui ne fçavent tout au plus
que ce que leur catéchifme a pu leur apprendre.
On nous dit dans un avertiſſement
que l'inftruction des jeunes gens eft l'unique
but que l'Auteur s'eft propofé dans l'ouvrage
qu'il publie . On ajoute que le feul
fruit qu'il cherche à recueillir de fes foins ,
eft celui de former la jeuneffe aux vertus
dont la pratique eft recommandée par les
préceptes de l'Evangile. Cet aveu fait
DECEMBRE. 1755. 125
voir que fes vues font aufli louables que
fon travail eft édifiant .
PARAPHRASE & Explication des Pleaumes,
avec le texte de laVulgate ajouté à la
fuite felon l'ordre de cette Verfion , &
felon les Variantes Hébraïques . A Paris ,
chez Vincent , rue faint Severin , à l'Ange,
1755. gros volume in- 12 . Le même Libraire
vient de donner une nouvelle édition
d'un ouvrage intitulé , Confolations
chrétiennes avec des Réfléxions fur les buit
beatitudes , & la Paraphrafe des trois Cantiques
du Dante. Il a imprimé les Elémens
de Géométrie , traduits de l'anglois de
M.Thomas Simpfon de la Société Royale
de Londres , & Profeffeur de Mathématiques
à Wolwich , auxquels font ajoutés
deux petits ouvrages du même Auteur ; le
premier eft un effai fur les Maximis &
Minimis , des lignes , des angles & des
furfaces. Le fecond eft une fuite de problêmes
compliqués , dont il donne la con-
Atruction géométrique.
DISSERTATION ANATOMIQUE & pratique
fur une maladie de la peau d'une efpece
fort finguliere , adreffée en forme de
lettre à M. l'Abbé Nolet , de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , & c. par
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
M. Cuifio , Médecin de Naples , traduite
de l'italien , par M. V *** , Médecin de la
Faculté de Paris. A Paris , chez Vincent ,
rue faint Severin , à l'Ange , 1755. Le
même Libraire vend le vingt -unieme &
dernier volume des Mémoires de Rouffet,
in-8° . A Amfterdam. On trouve auffi chez
lui la Bible de le Cene , in -fol. 2. vol .
Nous annonçons la nouvelle édition
du nouvel abregé chronologique de l'Hiftoire
de France , enfemble lefupplément de cette
édition ; c'eft la cinquieme in. 12. donnée
par l'Auteur , depuis 1744 que parut
cet ouvrage pour la premiere fois : nons
ne parlons point des deux éditions in - 4 ° .
auffi imprimées fous fes yeux , ni des éditions
contrefaites dans les pays étrangers..
latin par Bernard Varenius , revue par
Ifaac Newton , augmentée par Jacques Jurin
, traduite en anglois d'après les éditions
latines données par ces auteurs ,
avec des additions fur les nouvelles découvertes
, & préfentement traduite de l'anglois
en François avec des figures en taille-
I. Vol F
122 MERCURE DE FRANCE .
douce . A Paris , chez Vincent , rue S. Severin
, à l'Ange ; & Lottin , rue S. Jacques ,
au Coq , 1755. 4. vol. in-1 2.
Le titre feul déclare affez l'importance
de cet Ouvrage dont l'auteur eft Varenius
qui l'a écrit en latin . Les fréquentes éditions
de ce livre , qui fe font , pour ainfi
dire , fuccédées les unes aux autres , font
une preuve de fa bonté , & font fon plus
bel éloge . Le fuffrage d'un auffi grand
somme que M. Newton , ajoute le dernier
trait à fa louange . Cet illuftre philofophe
le jugea digne de fon attention ,
puifqu'il voulut lui-même prendre foin de
l'édition qui parut en 1672 à Cambridge :
il occupoit alors une chaire de Mathématiques
dans la fameufe Univerfité de cette
ville. Il commenta Varenius qui a traité
fon fujet en Géometre & en Phyficien ;
il trouva fa Géographie très-propre à être
mife entre les mains de fes éleves à qui il
faifoit des leçons publiques fur la même
matiere. Il la corrigea dans les chofes où
Varenius avoit fe il éclaircit
pu tromper ;
celles que celui ci n'avoit point affez développées
, & l'augmenta en beaucoup
d'endroits pour fuppléer à ce qui manquoit
pour la perfection de l'Ouvrage. Il fuffifoit
qu'un livre eût été revu par M. Newton
avec autant d'exactitude de fa part ,
DECEMBRE. 1755. 123
pour accélérer le débit de l'édition qui
s'épuifa malgré la quantité d'exemplaires.
qui s'étoient diftribuées à Cambridge . C'eft
ce qui engagea dans la fuite du tems , le
Docteur Jurin à donner une nouvelle édition
de cette Géographie , qu'il accompagna
d'un très- bon fupplément qui renferme
les découvertes les plus modernes pour
l'inftruction des jeunes étudians. Il la dédia
au Docteur Bentlei , à la follicitation
duquel il l'avoit entrepriſe. C'eft d'après
cette derniere édition latine , qu'a été compofée
la Traduction angloife qui paroît
être fort eftimée ; & la Traduction françoife
que nous annonçons , a été faite
fur cette Edition Angloife , fupérieure à
toutes les Editions Latines qui l'ont précédée.
Au moins , c'est ce que nous affure
M. de Puifieux qui eft le Traducteur françois
, & qui ne fe fera fans doute déterminé
à porter un pareil jugement , qu'après
les avoir comparées enfemble . On
doit lui fçavoir gré d'avoir rendu public
en notre langue un ouvrage auffi effentiel
pour perfectionner les connoiffances rela
tives à la Géographie . Ce livre eft trop
connu parmi les Sçavans pour nous arrêter
ici à en apprécier le mérite ; & la réputa
tion décidée dont il jouit nous difpenfe
d'en faire l'extrait. Fij
124 MERCURE
DE FRANCE.
REFLEXIONS fur les connoiffances
préliminaires au Chriftianifme , pour fervir
à l'inftruction des jeunes gens. A Paris ,
chez Vincent , rue S. Severin , à l'Ange ,
1 vol. in-12 . 1755 .
L'objet de ces réflexions eft l'expofition
des preuves qui établiffent l'existence de
Dieu , de la connoiffance duquel émane
la Religion qui , envifagée dans fon état
naturel , oblige l'homme fa créature , à des
devoirs envers lui . Ces confidérations préliminaires
conduifent à la néceffité d'admettre
une révélation ; & c'eſt d'elle que
le Chriftianifme tire toute fa force &
l'excellence de fa morale . L'Auteur a pour
cet effet retracé toutes les vérités qu'il
enfeigne dans une courte analyſe qui eft
une fuite de ces Réflexions . Elle fervira à
donner une teinture des notions Théologiques
à ceux qui ne fçavent tout au plus
que ce que leur catéchifme a pu leur apprendre.
On nous dit dans un avertiſſement
que l'inftruction des jeunes gens eft l'unique
but que l'Auteur s'eft propofé dans l'ouvrage
qu'il publie . On ajoute que le feul
fruit qu'il cherche à recueillir de fes foins ,
eft celui de former la jeuneffe aux vertus
dont la pratique eft recommandée par les
préceptes de l'Evangile. Cet aveu fait
DECEMBRE. 1755. 125
voir que fes vues font aufli louables que
fon travail eft édifiant .
PARAPHRASE & Explication des Pleaumes,
avec le texte de laVulgate ajouté à la
fuite felon l'ordre de cette Verfion , &
felon les Variantes Hébraïques . A Paris ,
chez Vincent , rue faint Severin , à l'Ange,
1755. gros volume in- 12 . Le même Libraire
vient de donner une nouvelle édition
d'un ouvrage intitulé , Confolations
chrétiennes avec des Réfléxions fur les buit
beatitudes , & la Paraphrafe des trois Cantiques
du Dante. Il a imprimé les Elémens
de Géométrie , traduits de l'anglois de
M.Thomas Simpfon de la Société Royale
de Londres , & Profeffeur de Mathématiques
à Wolwich , auxquels font ajoutés
deux petits ouvrages du même Auteur ; le
premier eft un effai fur les Maximis &
Minimis , des lignes , des angles & des
furfaces. Le fecond eft une fuite de problêmes
compliqués , dont il donne la con-
Atruction géométrique.
DISSERTATION ANATOMIQUE & pratique
fur une maladie de la peau d'une efpece
fort finguliere , adreffée en forme de
lettre à M. l'Abbé Nolet , de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , & c. par
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
M. Cuifio , Médecin de Naples , traduite
de l'italien , par M. V *** , Médecin de la
Faculté de Paris. A Paris , chez Vincent ,
rue faint Severin , à l'Ange , 1755. Le
même Libraire vend le vingt -unieme &
dernier volume des Mémoires de Rouffet,
in-8° . A Amfterdam. On trouve auffi chez
lui la Bible de le Cene , in -fol. 2. vol .
Nous annonçons la nouvelle édition
du nouvel abregé chronologique de l'Hiftoire
de France , enfemble lefupplément de cette
édition ; c'eft la cinquieme in. 12. donnée
par l'Auteur , depuis 1744 que parut
cet ouvrage pour la premiere fois : nons
ne parlons point des deux éditions in - 4 ° .
auffi imprimées fous fes yeux , ni des éditions
contrefaites dans les pays étrangers..
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Résumé : « GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE composée en latin par Bernard Varenius, revue par [...] »
En 1755, plusieurs ouvrages et publications ont été publiés. L'œuvre principale est une 'Géographie générale' rédigée en latin par Bernard Varenius. Cette œuvre a été revue et augmentée par Isaac Newton, alors professeur de mathématiques à Cambridge, qui l'a corrigée et enrichie pour ses élèves. La traduction française de cet ouvrage a été réalisée à partir de l'édition anglaise, jugée supérieure aux éditions latines précédentes. Le traducteur, M. de Puifieux, a souligné l'importance de cet ouvrage pour les connaissances géographiques. Le texte mentionne également d'autres publications, telles que 'Réflexions sur les connaissances préliminaires au Christianisme', destinées à instruire les jeunes sur l'existence de Dieu et la nécessité de la révélation chrétienne. Un autre ouvrage est une 'Paraphrase et Explication des Psaumes', incluant le texte de la Vulgate et des variantes hébraïques. Le libraire a également publié des 'Consolations chrétiennes' et des 'Éléments de Géométrie' traduits de l'anglais. Enfin, le texte annonce une 'Dissertation anatomique et pratique' sur une maladie de la peau, traduite de l'italien, ainsi que diverses autres publications, dont une nouvelle édition de l'abrégé chronologique de l'Histoire de France.
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