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1
p. 5-6
A M. L'ABBÉ DE *** Par Madame de ***.
Début :
Vous en répondrez devant Dieu [...]
Mots clefs :
Abbé, Dieu
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texteReconnaissance textuelle : A M. L'ABBÉ DE *** Par Madame de ***.
A M. L'ABBÉ DE ***
Par Madame de ***
Vous en répondrez devant Dies
De m'avoir trop ennorgueillie ;
Entre la Balourdife & l'efprit de faillie,
Javois pris un jufte milien :
Sans ofer me coëffer du poëtique liere ;
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
>
Contente de fçavoir , & penfer & fentir,
Abbé , je fourniffois ma modefte carriere
Et vous m'en avez fait fortir.
A de la profe mal rimée ,
Qui m'échappe à tort à travers
Je n'étois point accoutumée
A prodiguer le nom de vers :
Mais vaine de votre fuffrage •
J'ai dit: verfifions ....Il fe peut après tout ,
Que d'un talent en moi le germe fe dégage ,
J'en dois croire le Dieu du goût.
J'invoque vainement les Mufes & les graces ,
Vous feul donnez au bon le coloris du beau ;
Des Térences & des Horaces A
J'apperçois bien en vous l'affemblage nouveau ,
Mais tel modele à fuivre eft un pefant fardeau
Si vous m'appellez fur vos traces ,
Au moins de l'ignorance ôtez moi le bandeau."
Chaque habitant de la voûte azurée
Vient vous feconder à fon tour :
Moi par aucun je ne fuis infpirée.
Le Dieu qui difpenfe le jour ,
Momus , Minerve , Cithérée ,
Dans votre cabinet ont fixé leur fejour ,
Et votre plume fut tirée
D'une des aîles de l'amour.
Par Madame de ***
Vous en répondrez devant Dies
De m'avoir trop ennorgueillie ;
Entre la Balourdife & l'efprit de faillie,
Javois pris un jufte milien :
Sans ofer me coëffer du poëtique liere ;
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
>
Contente de fçavoir , & penfer & fentir,
Abbé , je fourniffois ma modefte carriere
Et vous m'en avez fait fortir.
A de la profe mal rimée ,
Qui m'échappe à tort à travers
Je n'étois point accoutumée
A prodiguer le nom de vers :
Mais vaine de votre fuffrage •
J'ai dit: verfifions ....Il fe peut après tout ,
Que d'un talent en moi le germe fe dégage ,
J'en dois croire le Dieu du goût.
J'invoque vainement les Mufes & les graces ,
Vous feul donnez au bon le coloris du beau ;
Des Térences & des Horaces A
J'apperçois bien en vous l'affemblage nouveau ,
Mais tel modele à fuivre eft un pefant fardeau
Si vous m'appellez fur vos traces ,
Au moins de l'ignorance ôtez moi le bandeau."
Chaque habitant de la voûte azurée
Vient vous feconder à fon tour :
Moi par aucun je ne fuis infpirée.
Le Dieu qui difpenfe le jour ,
Momus , Minerve , Cithérée ,
Dans votre cabinet ont fixé leur fejour ,
Et votre plume fut tirée
D'une des aîles de l'amour.
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Résumé : A M. L'ABBÉ DE *** Par Madame de ***.
Madame de *** adresse une lettre à un abbé, exprimant son regret d'avoir été trop orgueilleuse et reconnaissant avoir trouvé un juste milieu entre la balourdise et l'esprit de faiblesse. Elle avoue ne pas être habituée à écrire des vers, mais se sent encouragée par l'approbation de l'abbé. Elle invoque les Muses et les Grâces, tout en reconnaissant que seul l'abbé peut donner le coloris du beau. Elle admire en lui un mélange des talents de Térence et d'Horace, mais trouve ce modèle difficile à suivre. Elle demande à l'abbé de lui ôter le bandeau de l'ignorance. Elle constate que chaque divinité vient inspirer l'abbé, mais qu'elle-même ne reçoit aucune inspiration. Elle mentionne que l'abbé est inspiré par l'amour.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 7-8
LE PHILOSOPHE MILITAIRE.
Début :
Est-il un sort plus heureux que le mien ? [...]
Mots clefs :
Paris, Coeur, Plaisir
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texteReconnaissance textuelle : LE PHILOSOPHE MILITAIRE.
LE PHILOSOPHE MILITAIRE.
Est-il un fort plus heureux que le mien ?
Dans ma petite folitude
Je n'ai que ce qu'il faut de bien
Pour vivre fans inquiétude.
Je me fuis fait de tout tems une loi
D'être réglé dans ma conduite ;
Cependant jamais je n'évite
Le plaifir quand il s'offre à moi .
Une douce philofophie ,
Que Dieu fait parler dans mon coeur ,
Seule eft la régle de ma vie ,
Et la caufe de mon bonheur.
**
A Corbi fous un toît ruftique ,
Au milieu des champs & des bois ,
C'eft-là que fouvent je m'applique
A regner dans mon coeur , à lui donner des loix.
C'eft-là que quand je vois fans ceffe
Mes paffions flater mes fens ,
Je crois voir des flateurs la troupe enchantereffe
M'offrir uninfipide encens.
A iv
S MERCURE DE FRANCE.
Je vois Corbi du même oeil que Verſailles
Souverain de mon coeur j'y vis en liberté :
L'innocence , la probité ,
Sont les remparts , font les murailles
Qui défendent notre cité.
Corbi n'eft qu'une foible image
De ce qu'il fut anciennement ;
Mais au moins a-t- il l'avantage,
S'il eft petii , d'être charmant.
Rien de plus gai , rien de plus agréable :
Il n'a point de Paris l'éclat tumultueux ;
Le plaifir eft moins vif, mais il eft plus durable
Mais il eſt plus délicieux.
Fait pour Paris , le fard ne peut rien fur nos ames,
Il feroit inutile en ces lieux écartés :
Autant on voit de jeunes Dames ,
Autant on compte de beautés.
Après le portrait fi fincere
Que je vous trace de ces lieux ,
Comment peut-on ne pas ſe plaire
Dans un féjour digne des Dieux.
De Sauvigny , Gendarme , à Corbi
Est-il un fort plus heureux que le mien ?
Dans ma petite folitude
Je n'ai que ce qu'il faut de bien
Pour vivre fans inquiétude.
Je me fuis fait de tout tems une loi
D'être réglé dans ma conduite ;
Cependant jamais je n'évite
Le plaifir quand il s'offre à moi .
Une douce philofophie ,
Que Dieu fait parler dans mon coeur ,
Seule eft la régle de ma vie ,
Et la caufe de mon bonheur.
**
A Corbi fous un toît ruftique ,
Au milieu des champs & des bois ,
C'eft-là que fouvent je m'applique
A regner dans mon coeur , à lui donner des loix.
C'eft-là que quand je vois fans ceffe
Mes paffions flater mes fens ,
Je crois voir des flateurs la troupe enchantereffe
M'offrir uninfipide encens.
A iv
S MERCURE DE FRANCE.
Je vois Corbi du même oeil que Verſailles
Souverain de mon coeur j'y vis en liberté :
L'innocence , la probité ,
Sont les remparts , font les murailles
Qui défendent notre cité.
Corbi n'eft qu'une foible image
De ce qu'il fut anciennement ;
Mais au moins a-t- il l'avantage,
S'il eft petii , d'être charmant.
Rien de plus gai , rien de plus agréable :
Il n'a point de Paris l'éclat tumultueux ;
Le plaifir eft moins vif, mais il eft plus durable
Mais il eſt plus délicieux.
Fait pour Paris , le fard ne peut rien fur nos ames,
Il feroit inutile en ces lieux écartés :
Autant on voit de jeunes Dames ,
Autant on compte de beautés.
Après le portrait fi fincere
Que je vous trace de ces lieux ,
Comment peut-on ne pas ſe plaire
Dans un féjour digne des Dieux.
De Sauvigny , Gendarme , à Corbi
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Résumé : LE PHILOSOPHE MILITAIRE.
Le texte présente la philosophie de vie et les préférences d'un individu résidant à Corbi, probablement un militaire. Cet individu se décrit comme heureux et sans inquiétude, guidé par une 'douce philosophie' qui lui apporte du bonheur. Il apprécie la simplicité et la régularité, savourant les plaisirs qui se présentent. Il compare Corbi à Versailles, affirmant y vivre en liberté, protégé par l'innocence et la probité. Corbi est décrit comme un lieu charmant, agréable et durable, contrastant avec l'éclat tumultueux de Paris. Le texte souligne la beauté naturelle et la simplicité des habitants de Corbi, où le fard et l'artifice n'ont pas de place. Enfin, l'auteur exprime son plaisir à vivre dans un lieu digne des Dieux.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 9-20
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE, Sur le projet d'un nouveau Dictionnaire plus utile que tous les autres.
Début :
MONSIEUR, je suis François, mais malheureusement j'arrive de ma [...]
Mots clefs :
Nouveau dictionnaire, Dictionnaire, Mots, Projet, Dictionnaire portatif, Termes nouveaux
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE, Sur le projet d'un nouveau Dictionnaire plus utile que tous les autres.
LET TRE
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Sur le projet d'un nouveau Dictionnaire plus
utile que tous les autres.
M
ONSIEUR, je fuis François , mais
malheureufement j'arrive de ma
province. Je m'étois laiffe perfuader qu'avant
de me rendre à la capitale , ce centre
où tout ce qu'il y a de bon & de mauvais
vient aboutir , il m'étoit effentiel de meubler
ma tête de belles connoiffances , & de
tout ce qui peut orner l'efprit d'un jeune
homme , afin de n'être point déplacé parmi
les honnêtes gens : En conféquence
comme je ne me figurois rien de plus agréa
ble que de venir à Paris , & d'y tenir mon
coin dans les compagnies fans avoir l'air
provincial , je prenois avec une ardeur
incroyable des idées un peu plus que fuccintes
de toutes les fciences & de toutes
les parties des belles lettres : Je m'attachois
principalement à l'étude de ma langue , me
doutant bien que ce feroit à cela qu'on feroit
le plus d'attention , & que la maniere
de parler étoit l'étiquette des Provincianx.
Je m'étois même procuré le dictionnaire
Aw
10 MERCURE DE FRANCE.
néologique , afin de n'être pas plus embarrallé
qu'un autre fur les termes nouveaux
& précieux mais croiriez - vous ,
Monfieur , que malgré toutes mes précautions
& tous mes foins je n'en fuis pas plus
avancé. Je fuis précisément dans le cas
d'un répondant qui s'eft long- tems préparé
fur les principaux points de fa thefe , &
qu'on argumente fur toute autre chofe.
En quelque endroit que j'aille , on ne dit
pas un mot de ce que jai étudié , & l'on
parle de chofes qui font tout -à- fait neuves
pour moi. Modes dans les habits modes
dans les ameublemens ; modes dans les
équipages , modes dans la cuifine , modes.
de toute efpece ; voilà avec les nouvelles
du jour ce qui fait l'entretien de tous les
gens comme il faut. Je fuis h neuf fur toutes
ces matieres qu'on me prend tout - à-fait
pour un étranger , on ne me fait pas même
l'honneur de me regarder comme un pro
vincial j'ai beau m'obferver & m'étudier
à parler comme les autres , je fuis tout
auffi embarraffé que le premier jour , non
feulement pour le tour & la conftruction
des phrafes , mais même fur les termes.
Je tache de retenir quelque chofe dans un
cercle pour aller vîte briller en le débitant
dans un autre , comme font la plupart des
gens à la mode , mais je confonds les mots.
JUILLET. 1755 .
& j'ai le chagrin de m'appercevoir que je
fais rire les autres . A table , fi on me demande
d'un plat , je fers d'un autre ; ce
qui me femble être de la viande eft du
poiffon , ce qui me paroît poiffon eft légume
, & je prends de la volaille des
pour
écreviffes , tant on a porté loin l'art de
mafquer tout ce que l'on mange. Les noms
feuls des différens ragoût qui ont déja
frappé mon oreille effrayent ma mémoire.
Les coëffures des Dames & même celle des
hommes , par je ne fçais quel rapport avec
les événemens du fiécle , changent auffi
fouvent de formes & de noms qu'il futvient
de circonftances nouvelles dans les
affaires du tems , ou dans les phénomenes
naturels. Nos meubles , grace aux recherches
des heureux du fiécle & à l'art ingénieux
de nos ouvriers , ne reffemblent plus
à ceux de nos peres. Ces induftrieux Dé
dales , fous prétexte de rendre les chofes
plus commodes , multiplient les inutilités .
Habiles à faire tourner notre légereté à leur
profit & à fe faire un fonds folide de notre
goût pour les futilités , ils femblent
avoir envie d'épuifer toutes les combinaifons
des figures , & chaque nouvelle
forme reçoit un nouveau nom ; mais tout
cela n'est rien en comparaifon du nombre
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
>
immenfe d'équipages de différente efpe
ce , dont Paris voit avec empreffement fes
promenades décorées , & qui nous font
l'honneur de nous éclabouffer ou de nous
faire avaler la pouffiere. Quel plaifir au
fortir de cette belle & agréable promena→
de des Boulevards de s'entretenir dans un
cercle de gens d'efprit & du bon ton de
toutes les jolies chofes qu'on y a vûes
de faire un éloge emphatique des voitures
les plus leftes , des peintures les plus gaies ,
des vernis les plus beaux , enfin des jolis
chevaux , des harnois brillans , des robes.
de goût & afforties aux couleurs du carroffe
, & de s'entr'exciter à faire encore
mieux le Jeudi ou le Dimanche fuivant :
mais auffi quel chagrin de ne pouvoir rendre
un compte exact de tout ce qu'on a
vu , faute de fçavoir les noms de toutes
ces admirables inventions modernes , &
quelle mortification pour un jeune homme
qui veut fe faire une réputation dans
le monde d'être arrêté à chaque inftant ,
de confondre fans ceffe les termes & de
ne fçavoir pas diftinguer les cabriolets ,
les culs- de-finge , les diables , les defobli
geantes , les vis - à- vis , les folo , les foufflets
, les dormenfes , les fabots , les phaëtans ,
les ......
JUILLE T. 1755 13
Ma foi, fur tant de mots ma mémoire chancelle . *
Voilà précisément ce qui me défefpere ,
& ce qui m'oblige , Monfieur , à prendre
la liberté de vous écrire. Vous pourrez ,
en rendant ma lettre publique ,faire naître
à quelque bel efprit verfé dans toutes ces
connoiffances précieufes , & qui n'aura
rien de mieux à faire , une idée que je
m'étonne n'être encore venue à perfonne
dans le tems & dans le pays où nous vivons
:c'eſt le projet d'un dictionnaire qui
expliqueroit tous ces termes de nouvelle
fabrique , & qui nous en fixeroit la juſte
valeur & la vraie fignification . Quoi ! on
a la manie de tout mettre en dictionnaire
, jufqu'aux fciences mathématiques . On
nous donne par ordre alphabétique des
théorêmes , des fermons , des vérités métaphyfiques
, des régles mêmes pour la conduite
des moeurs , & perfonne ne s'eft encore
avifé de travailler à l'explication des
termes nouveaux de cuifine , d'ajuftemens,
d'équipages & de meubles . Voilà pourtant
, fi je ne me trompe , une vraie matiere
à dictionnaire. Le nom feul de ces
fortes d'ouvrages emporte l'idée de l'ex-
* M. Deftouches. Dans la Comed. du Glorieux
Act. S
14 MERCURE DE FRANCE.
plication des mots d'une langue , & affitrement
je ne vois pas qu'il y en ait qui
reviennent plus fouvent dans la converfation
que ceux dont il eft ici queftion . Comme
le befoin que j'ai d'un pareil livre m'en
a fait fentir toute l'importance , & que
j'ai long-tems médité & réfléchi fur ce
projet , je veux bien communiquer me's
idées & tracer le plan felon lequel je conçois
qu'on pourroit l'exécuter. L'ouvra
ge , en imprimant d'un caractere un peu
moins gros que de coutume , & en fupprimant
pour la commodité du lecteur ce
qu'on appelle les reffources de la Librairie
,fauf à le faire payer plus cher , pourra
être réduit à un vome in - 8 °. fous le titre
de Dictionnaire portatif de tous les
>> termes nouveaux & en ufage parmi un
certain monde , concernant la table , les
équipages , les ameublemens , les ajuſte-
» mens , tant d'hommes que de femmes ,
» & les modes de toute efpece , pour fer-
» vir de monument à la conftance & au
» bon goût de la nation ; ouvrage extrê-
» mement utile à tous ceux qui veulent
» fe répandre & paroître bonne compagnie ,
avec des anecdotes , & c.
-39
Vous voyez , Monfieur , que le titre de
l'ouvrage intéreffe & promet beaucoup
mais la maniere de l'exécuter peut encore
JUILLET. 1755. I'S
furpaffer l'attente du lecteur , & je la crois
fufceptible de beaucoup d'agrémens. L'aureur
pourra à chaque article , outre l'étymologie
, la définition & la critique des
termes , donner des anecdotes auffi curieufes
qu'intéreffantes. La matiere eft affez
ample , & la provifion des ridicules n'eft
pas prête à être épuifée. Pour un qui difparoît
il en renaît dix, Combien de jolies
chofes à nous apprendre , combien d'aventures
amufantes à nous raconter , combien
d'apoftilles qu'on peut placer à propos de
chaque efpece de mode différente ? L'origine
& la commodité des vis-à vis , l'hiftoire
& l'étymologie des cabriolets , la
généalogie d'un brillant équipage qu'on a
vû paffer fucceflivement d'une Actrice à
une honnête femme , & d'une honnête
femme à une Actrice ; les différentes fcenes
que nos jeunes éventés nous donnent
tous les jours fur les Boulevards ; leurs
difputes & la fage retenue de quelquesuns
d'entr'eux ; la defcription de cette délicieufe
promenade qui eft bordée d'un
côté par des derrieres de maifon & de l'autre
par les égoûts , la voirie & quelques
fauxbourgs en perfpective ; les embelliffemens
qui s'y font tous les jouts en élevant
à menus frais des cabarers à bierre mal
alignés , mauvaiſes copies d'un joli petis
16 MERCURE DE FRANCE.
caffé gardé par un Suiffe pour empêche
les laquais de boire avec leurs maîtres , &
diverfes baraques pour les géans , les nains,
les marionettes , les danfeurs de corde ,
les finges , & autres curiofités ; ces parades
fi fpirituelles qui amufent également le
petit peuple & les gens à équipages ; ces
parties fines auffi promptement exécutées
que formées , de s'en aller après -minuir
d'un air évaporé faire relever les joueurs
de marionettes pour s'ennuyer , bâiller ,
& feperfuader au fortir de là qu'on s'eft
bien amufé parce qu'on a fait quelque chofe
d'extraordinaire ; ces différentes fortes
de voitures à la file les unes des autres ,
dont les plus maflives écrafent les plus
leftes , les difputes des cochers , les cris
des Dames , le contrafte burlefque du carroffe
d'un grand Seigneur vis- à- vis de celui
d'un Sou -fermier , d'un demi - équipage de
Médecin à côté de la berline d'un conva
lefcent en bonnet fourré , de la voiture
noble & décente d'un Abbé à la faite d'un
vis-à vis lefte & brillant d'une fille à talent
, le tout entrelardé de remifes & de
fiacres poudreux ; la même confufion &
peut - être encore plus bizarre parmi ce
qu'on appelle l'infanterie ; cerse cohue mal
compofée de gens de toute efpece qui fe
condoient , qui fe preffent , & qui s'obfti
JUILLET. 1755. 17
Want à fe promener toujours dans un efpace
très-limité , s'aveuglent & s'étranglent
de pouffiere malgré les attentions du fucceffeur
de M. Jofeph Outrequin ; les beautés
de tout âge étalées fur des chaiſes , &
qui prendroient grand plaifir à voir la
foule & à en être vûes fi on ne leur marchoit
pas fur les pieds , & fi on ne leur faifoit
pas avaler la pouffiere ; les Dames qui
veulent mettre pied à terre pour mieux
refpirer , & qui font obligées de remonter
en leurs carroffes & de s'y enfermer pour
ne pas étouffer ; les bourgeoifes du Marais
en gand panier qui ont la patience de refter
affifes jufqu'à la nuit fermée , malgré
les incommodités de la promenade , pour
ne pas paroître s'en retourner à pied ; des
jeunes filles qui jouent les Agnés & qui
amufent deux hommes à la fois ; fur des
chaiffes un peu plus à l'écart certaines
beautés d'une autre efpece , moins honnêtes
à la vérité , mais peut- être moins fourbes
, qui attendent un fouper ; les honnêtes
gens confondus avec la canaille , parmi
des foldats ivres qui vous infultent ,
des pauvres qui vous demandent l'aumône
, des artiſans qui reviennent de la guinguette
, des marchands de ptifane avec
leurs maudites fontaines , dont le robinet
femble s'alonger tout exprès pour vous
is MERCURE DE FRANCE.
meurtrir les bras ; des nourrices affifes aux
pieds des arbres qui donnent à têter à leurs
enfans , & qui jurent & peftent contre les
cabriolets dont elles appréhendent les reculades
, & encore plus contre les jeunes
fous qui veulent faire le métier de leurs
cochers fans y rien entendre ; enfin tous
ces objets divers forment un tableau bien
varié , dont le détail ne peut manquer de
plaire étant amené à
,
propos.
Au refte , quelque habile que foit l'auil
ne faut pas qu'il fe repofe trop fur
fes propres lumieres , il doit tout voir
tout confulter , & n'épargner aucune démarche
pour perfectionner fes recherches.
Il faudra qu'il fe trouve affidument aux
fpectacles , aux promenades , principalement
fur les cours , qu'il fréquente les
gens de l'art , qu'il fe rende dans les cuifines
des Fermiers Généraux , & même
"des Commis , qu'il aille vifiter les boutiques
des felliers , des marchands de modes
, des bijoutiers & autres marchands de
fuperfluités pour les confulter & pour s'entretenir
avec eux : c'eſt ſouvent avec ces
gens - là qu'on puife les lumieres les plus
folides , & pour peu qu'on fçache les interroger
& les faire parler , on profite plus
avec eux qu'avec les livres : par ce moyen
il fera informé de la premiere main de
JUILLET. 1755. 19
toutes les admirables variations qui font
furvenues dans nos modes , il fera en état
d'en faire l'hiftoire , de fixer le fens de
chaque terme , d'en donner la véritable
étymologie , & d'expofer au jufte la circonftance
de l'événement , foit politique ,
foit phyfique qui y a donné lieu . Il apprendra
aux lecteurs étonnés que ce n'eft
pas toujours aux ouvriers qu'on doit les
belles découvertes dans ce genre , & que
fouvent c'eft à la fagacité & aux réflexions
fages de certaines têtes qu'on croiroit occupées
du bien public que nous fommes
redevables de la tournure d'une manche ,
ou de la forme d'un fiége de cocher : ainſi
il affurera la gloire & l'invention à celui à
qui elle eſt dûc .“
Comme il eft vraisemblable qu'il y aura
des changemens & des augmentations à
faire tous les ans , on pourra donner le
fupplément gratis à ceux qui auront foufcript
, jufqu'à ce que tous les termes qui
font aujourd'hui en ufage étant vieillis &
tout- à-fait tombés après une longue période
, * par exemple , de vingt ans on foit
* On lit dans nos Auteurs comiques qui vivoient
il y a quarante ou cinquante ans , des
termes alors en ufage pour fignifier des mots
tout-à-fait inconnus , la ftinkerque , la malice
l'innocente, lafouris.
20 MERCURE DE FRANCE.
obligé de recommencer un autre vocabu→
laire.
Voilà , Monfieur , le projet que j'ai
conçu , & que j'aurois exécuté fi je m'étois
fenti en état de le faire. Je vous prie d'en
faire part au public , afin que fi quelqu'un
fe fent affez de capacité , de mérite & de
patience , il le mette en exécution ; je puis
répondre d'un grand nombre de foufcripteurs.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Sur le projet d'un nouveau Dictionnaire plus
utile que tous les autres.
M
ONSIEUR, je fuis François , mais
malheureufement j'arrive de ma
province. Je m'étois laiffe perfuader qu'avant
de me rendre à la capitale , ce centre
où tout ce qu'il y a de bon & de mauvais
vient aboutir , il m'étoit effentiel de meubler
ma tête de belles connoiffances , & de
tout ce qui peut orner l'efprit d'un jeune
homme , afin de n'être point déplacé parmi
les honnêtes gens : En conféquence
comme je ne me figurois rien de plus agréa
ble que de venir à Paris , & d'y tenir mon
coin dans les compagnies fans avoir l'air
provincial , je prenois avec une ardeur
incroyable des idées un peu plus que fuccintes
de toutes les fciences & de toutes
les parties des belles lettres : Je m'attachois
principalement à l'étude de ma langue , me
doutant bien que ce feroit à cela qu'on feroit
le plus d'attention , & que la maniere
de parler étoit l'étiquette des Provincianx.
Je m'étois même procuré le dictionnaire
Aw
10 MERCURE DE FRANCE.
néologique , afin de n'être pas plus embarrallé
qu'un autre fur les termes nouveaux
& précieux mais croiriez - vous ,
Monfieur , que malgré toutes mes précautions
& tous mes foins je n'en fuis pas plus
avancé. Je fuis précisément dans le cas
d'un répondant qui s'eft long- tems préparé
fur les principaux points de fa thefe , &
qu'on argumente fur toute autre chofe.
En quelque endroit que j'aille , on ne dit
pas un mot de ce que jai étudié , & l'on
parle de chofes qui font tout -à- fait neuves
pour moi. Modes dans les habits modes
dans les ameublemens ; modes dans les
équipages , modes dans la cuifine , modes.
de toute efpece ; voilà avec les nouvelles
du jour ce qui fait l'entretien de tous les
gens comme il faut. Je fuis h neuf fur toutes
ces matieres qu'on me prend tout - à-fait
pour un étranger , on ne me fait pas même
l'honneur de me regarder comme un pro
vincial j'ai beau m'obferver & m'étudier
à parler comme les autres , je fuis tout
auffi embarraffé que le premier jour , non
feulement pour le tour & la conftruction
des phrafes , mais même fur les termes.
Je tache de retenir quelque chofe dans un
cercle pour aller vîte briller en le débitant
dans un autre , comme font la plupart des
gens à la mode , mais je confonds les mots.
JUILLET. 1755 .
& j'ai le chagrin de m'appercevoir que je
fais rire les autres . A table , fi on me demande
d'un plat , je fers d'un autre ; ce
qui me femble être de la viande eft du
poiffon , ce qui me paroît poiffon eft légume
, & je prends de la volaille des
pour
écreviffes , tant on a porté loin l'art de
mafquer tout ce que l'on mange. Les noms
feuls des différens ragoût qui ont déja
frappé mon oreille effrayent ma mémoire.
Les coëffures des Dames & même celle des
hommes , par je ne fçais quel rapport avec
les événemens du fiécle , changent auffi
fouvent de formes & de noms qu'il futvient
de circonftances nouvelles dans les
affaires du tems , ou dans les phénomenes
naturels. Nos meubles , grace aux recherches
des heureux du fiécle & à l'art ingénieux
de nos ouvriers , ne reffemblent plus
à ceux de nos peres. Ces induftrieux Dé
dales , fous prétexte de rendre les chofes
plus commodes , multiplient les inutilités .
Habiles à faire tourner notre légereté à leur
profit & à fe faire un fonds folide de notre
goût pour les futilités , ils femblent
avoir envie d'épuifer toutes les combinaifons
des figures , & chaque nouvelle
forme reçoit un nouveau nom ; mais tout
cela n'est rien en comparaifon du nombre
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
>
immenfe d'équipages de différente efpe
ce , dont Paris voit avec empreffement fes
promenades décorées , & qui nous font
l'honneur de nous éclabouffer ou de nous
faire avaler la pouffiere. Quel plaifir au
fortir de cette belle & agréable promena→
de des Boulevards de s'entretenir dans un
cercle de gens d'efprit & du bon ton de
toutes les jolies chofes qu'on y a vûes
de faire un éloge emphatique des voitures
les plus leftes , des peintures les plus gaies ,
des vernis les plus beaux , enfin des jolis
chevaux , des harnois brillans , des robes.
de goût & afforties aux couleurs du carroffe
, & de s'entr'exciter à faire encore
mieux le Jeudi ou le Dimanche fuivant :
mais auffi quel chagrin de ne pouvoir rendre
un compte exact de tout ce qu'on a
vu , faute de fçavoir les noms de toutes
ces admirables inventions modernes , &
quelle mortification pour un jeune homme
qui veut fe faire une réputation dans
le monde d'être arrêté à chaque inftant ,
de confondre fans ceffe les termes & de
ne fçavoir pas diftinguer les cabriolets ,
les culs- de-finge , les diables , les defobli
geantes , les vis - à- vis , les folo , les foufflets
, les dormenfes , les fabots , les phaëtans ,
les ......
JUILLE T. 1755 13
Ma foi, fur tant de mots ma mémoire chancelle . *
Voilà précisément ce qui me défefpere ,
& ce qui m'oblige , Monfieur , à prendre
la liberté de vous écrire. Vous pourrez ,
en rendant ma lettre publique ,faire naître
à quelque bel efprit verfé dans toutes ces
connoiffances précieufes , & qui n'aura
rien de mieux à faire , une idée que je
m'étonne n'être encore venue à perfonne
dans le tems & dans le pays où nous vivons
:c'eſt le projet d'un dictionnaire qui
expliqueroit tous ces termes de nouvelle
fabrique , & qui nous en fixeroit la juſte
valeur & la vraie fignification . Quoi ! on
a la manie de tout mettre en dictionnaire
, jufqu'aux fciences mathématiques . On
nous donne par ordre alphabétique des
théorêmes , des fermons , des vérités métaphyfiques
, des régles mêmes pour la conduite
des moeurs , & perfonne ne s'eft encore
avifé de travailler à l'explication des
termes nouveaux de cuifine , d'ajuftemens,
d'équipages & de meubles . Voilà pourtant
, fi je ne me trompe , une vraie matiere
à dictionnaire. Le nom feul de ces
fortes d'ouvrages emporte l'idée de l'ex-
* M. Deftouches. Dans la Comed. du Glorieux
Act. S
14 MERCURE DE FRANCE.
plication des mots d'une langue , & affitrement
je ne vois pas qu'il y en ait qui
reviennent plus fouvent dans la converfation
que ceux dont il eft ici queftion . Comme
le befoin que j'ai d'un pareil livre m'en
a fait fentir toute l'importance , & que
j'ai long-tems médité & réfléchi fur ce
projet , je veux bien communiquer me's
idées & tracer le plan felon lequel je conçois
qu'on pourroit l'exécuter. L'ouvra
ge , en imprimant d'un caractere un peu
moins gros que de coutume , & en fupprimant
pour la commodité du lecteur ce
qu'on appelle les reffources de la Librairie
,fauf à le faire payer plus cher , pourra
être réduit à un vome in - 8 °. fous le titre
de Dictionnaire portatif de tous les
>> termes nouveaux & en ufage parmi un
certain monde , concernant la table , les
équipages , les ameublemens , les ajuſte-
» mens , tant d'hommes que de femmes ,
» & les modes de toute efpece , pour fer-
» vir de monument à la conftance & au
» bon goût de la nation ; ouvrage extrê-
» mement utile à tous ceux qui veulent
» fe répandre & paroître bonne compagnie ,
avec des anecdotes , & c.
-39
Vous voyez , Monfieur , que le titre de
l'ouvrage intéreffe & promet beaucoup
mais la maniere de l'exécuter peut encore
JUILLET. 1755. I'S
furpaffer l'attente du lecteur , & je la crois
fufceptible de beaucoup d'agrémens. L'aureur
pourra à chaque article , outre l'étymologie
, la définition & la critique des
termes , donner des anecdotes auffi curieufes
qu'intéreffantes. La matiere eft affez
ample , & la provifion des ridicules n'eft
pas prête à être épuifée. Pour un qui difparoît
il en renaît dix, Combien de jolies
chofes à nous apprendre , combien d'aventures
amufantes à nous raconter , combien
d'apoftilles qu'on peut placer à propos de
chaque efpece de mode différente ? L'origine
& la commodité des vis-à vis , l'hiftoire
& l'étymologie des cabriolets , la
généalogie d'un brillant équipage qu'on a
vû paffer fucceflivement d'une Actrice à
une honnête femme , & d'une honnête
femme à une Actrice ; les différentes fcenes
que nos jeunes éventés nous donnent
tous les jours fur les Boulevards ; leurs
difputes & la fage retenue de quelquesuns
d'entr'eux ; la defcription de cette délicieufe
promenade qui eft bordée d'un
côté par des derrieres de maifon & de l'autre
par les égoûts , la voirie & quelques
fauxbourgs en perfpective ; les embelliffemens
qui s'y font tous les jouts en élevant
à menus frais des cabarers à bierre mal
alignés , mauvaiſes copies d'un joli petis
16 MERCURE DE FRANCE.
caffé gardé par un Suiffe pour empêche
les laquais de boire avec leurs maîtres , &
diverfes baraques pour les géans , les nains,
les marionettes , les danfeurs de corde ,
les finges , & autres curiofités ; ces parades
fi fpirituelles qui amufent également le
petit peuple & les gens à équipages ; ces
parties fines auffi promptement exécutées
que formées , de s'en aller après -minuir
d'un air évaporé faire relever les joueurs
de marionettes pour s'ennuyer , bâiller ,
& feperfuader au fortir de là qu'on s'eft
bien amufé parce qu'on a fait quelque chofe
d'extraordinaire ; ces différentes fortes
de voitures à la file les unes des autres ,
dont les plus maflives écrafent les plus
leftes , les difputes des cochers , les cris
des Dames , le contrafte burlefque du carroffe
d'un grand Seigneur vis- à- vis de celui
d'un Sou -fermier , d'un demi - équipage de
Médecin à côté de la berline d'un conva
lefcent en bonnet fourré , de la voiture
noble & décente d'un Abbé à la faite d'un
vis-à vis lefte & brillant d'une fille à talent
, le tout entrelardé de remifes & de
fiacres poudreux ; la même confufion &
peut - être encore plus bizarre parmi ce
qu'on appelle l'infanterie ; cerse cohue mal
compofée de gens de toute efpece qui fe
condoient , qui fe preffent , & qui s'obfti
JUILLET. 1755. 17
Want à fe promener toujours dans un efpace
très-limité , s'aveuglent & s'étranglent
de pouffiere malgré les attentions du fucceffeur
de M. Jofeph Outrequin ; les beautés
de tout âge étalées fur des chaiſes , &
qui prendroient grand plaifir à voir la
foule & à en être vûes fi on ne leur marchoit
pas fur les pieds , & fi on ne leur faifoit
pas avaler la pouffiere ; les Dames qui
veulent mettre pied à terre pour mieux
refpirer , & qui font obligées de remonter
en leurs carroffes & de s'y enfermer pour
ne pas étouffer ; les bourgeoifes du Marais
en gand panier qui ont la patience de refter
affifes jufqu'à la nuit fermée , malgré
les incommodités de la promenade , pour
ne pas paroître s'en retourner à pied ; des
jeunes filles qui jouent les Agnés & qui
amufent deux hommes à la fois ; fur des
chaiffes un peu plus à l'écart certaines
beautés d'une autre efpece , moins honnêtes
à la vérité , mais peut- être moins fourbes
, qui attendent un fouper ; les honnêtes
gens confondus avec la canaille , parmi
des foldats ivres qui vous infultent ,
des pauvres qui vous demandent l'aumône
, des artiſans qui reviennent de la guinguette
, des marchands de ptifane avec
leurs maudites fontaines , dont le robinet
femble s'alonger tout exprès pour vous
is MERCURE DE FRANCE.
meurtrir les bras ; des nourrices affifes aux
pieds des arbres qui donnent à têter à leurs
enfans , & qui jurent & peftent contre les
cabriolets dont elles appréhendent les reculades
, & encore plus contre les jeunes
fous qui veulent faire le métier de leurs
cochers fans y rien entendre ; enfin tous
ces objets divers forment un tableau bien
varié , dont le détail ne peut manquer de
plaire étant amené à
,
propos.
Au refte , quelque habile que foit l'auil
ne faut pas qu'il fe repofe trop fur
fes propres lumieres , il doit tout voir
tout confulter , & n'épargner aucune démarche
pour perfectionner fes recherches.
Il faudra qu'il fe trouve affidument aux
fpectacles , aux promenades , principalement
fur les cours , qu'il fréquente les
gens de l'art , qu'il fe rende dans les cuifines
des Fermiers Généraux , & même
"des Commis , qu'il aille vifiter les boutiques
des felliers , des marchands de modes
, des bijoutiers & autres marchands de
fuperfluités pour les confulter & pour s'entretenir
avec eux : c'eſt ſouvent avec ces
gens - là qu'on puife les lumieres les plus
folides , & pour peu qu'on fçache les interroger
& les faire parler , on profite plus
avec eux qu'avec les livres : par ce moyen
il fera informé de la premiere main de
JUILLET. 1755. 19
toutes les admirables variations qui font
furvenues dans nos modes , il fera en état
d'en faire l'hiftoire , de fixer le fens de
chaque terme , d'en donner la véritable
étymologie , & d'expofer au jufte la circonftance
de l'événement , foit politique ,
foit phyfique qui y a donné lieu . Il apprendra
aux lecteurs étonnés que ce n'eft
pas toujours aux ouvriers qu'on doit les
belles découvertes dans ce genre , & que
fouvent c'eft à la fagacité & aux réflexions
fages de certaines têtes qu'on croiroit occupées
du bien public que nous fommes
redevables de la tournure d'une manche ,
ou de la forme d'un fiége de cocher : ainſi
il affurera la gloire & l'invention à celui à
qui elle eſt dûc .“
Comme il eft vraisemblable qu'il y aura
des changemens & des augmentations à
faire tous les ans , on pourra donner le
fupplément gratis à ceux qui auront foufcript
, jufqu'à ce que tous les termes qui
font aujourd'hui en ufage étant vieillis &
tout- à-fait tombés après une longue période
, * par exemple , de vingt ans on foit
* On lit dans nos Auteurs comiques qui vivoient
il y a quarante ou cinquante ans , des
termes alors en ufage pour fignifier des mots
tout-à-fait inconnus , la ftinkerque , la malice
l'innocente, lafouris.
20 MERCURE DE FRANCE.
obligé de recommencer un autre vocabu→
laire.
Voilà , Monfieur , le projet que j'ai
conçu , & que j'aurois exécuté fi je m'étois
fenti en état de le faire. Je vous prie d'en
faire part au public , afin que fi quelqu'un
fe fent affez de capacité , de mérite & de
patience , il le mette en exécution ; je puis
répondre d'un grand nombre de foufcripteurs.
J'ai l'honneur d'être , &c.
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Résumé : LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE, Sur le projet d'un nouveau Dictionnaire plus utile que tous les autres.
Un jeune homme de province, nouvellement arrivé à Paris, adresse une lettre à l'auteur du Mercure pour exprimer sa frustration face à la difficulté de comprendre les conversations locales. Malgré ses efforts pour se familiariser avec les sciences et les belles-lettres, il constate que les discussions parisiennes tournent principalement autour des modes, qu'il s'agisse de vêtements, de meubles, de cuisine ou d'équipages. Les termes nouveaux et les modes changeantes le désorientent, le faisant passer pour un étranger même parmi les provinciaux. Pour remédier à cette situation, il propose la création d'un dictionnaire des termes modernes concernant la table, les équipements, les ameublements et les modes. Ce dictionnaire inclurait des étymologies, des définitions, des critiques et des anecdotes sur chaque terme. L'auteur suggère que le compilateur du dictionnaire doit consulter divers experts et fréquenter les lieux à la mode pour recueillir des informations précises et à jour. Le projet prévoit de mettre à jour le dictionnaire chaque année en ajoutant des termes nouveaux et en supprimant ceux devenus obsolètes. Les mises à jour seraient fournies gratuitement aux abonnés jusqu'à ce que les termes actuels soient complètement remplacés. L'auteur cite des exemples de termes anciens, comme 'la ftinkerque,' 'la malice l'innocente,' et 'lafouris,' qui étaient en usage il y a quarante ou cinquante ans mais sont aujourd'hui inconnus. L'auteur exprime son souhait de voir ce projet réalisé par une personne compétente et patiente, assurant qu'il y aura suffisamment d'abonnés pour soutenir cette initiative.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 21-23
L'OURS ET LE RAT, OU L'OURS PHILOSOPHE. FABLE.
Début :
Certain Ours mal léché n'ayant ri de ses jours, [...]
Mots clefs :
Rat, Ours, Philosophe
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'OURS ET LE RAT, OU L'OURS PHILOSOPHE. FABLE.
L'OURS ET LE RAT,
OU L'OURS PHILOSOPHE
FABLE.
Ertain Ours mal léché n'ayant ri de fes
jours ,
S'avifa de vouloir devenir philofophc.
On dit que Jupiter fit de la même étoffe
Les Philofophes & les Ours.
Tout fage étant d'humeur un tant ſoit
tale ,
peu bru
Un Ours peut embraffer cette profeffion.
Celui que j'introduis choifit dans la morale
Pour premiere vertu la modération.
Au fond d'un bois obſcur un antre folitaire
Lui parut propre à fon projet.
Rien dans ce lieu caché ne le pouvoit diftraire,
Il eſt vrai ; mais auffi feul en cette forêt ,
Quel mérite avoit- il de vaincre la colere
Tout hermite eſt bâti de cette façon là :
Ils cherchent les déferts , les bois , la folitudes
Hé mes amis , ce n'eft pas là
Que l'on peut de fon coeur faire une heureuſe
étude ;
Le vice y dort, mais n'y meurt pas
22 MERCURE DE FRANCE.
Il n'eft pas étonnant qu'à l'abri de l'injure
La vengeance foit fans appas.
Loin de tout bienfaiteur , c'eft chofe auffi très
sûre
Que vous ne ferez point ingrats.
Pauvres , vous ne fçauriez abuſer des richeffes ;
Payer des flateurs , des maîtreffes ,
Intenter d'injuftes procès.
Seuls , j'imagine bien que vous êtes difcrets :
Vous ne pouvez tromper par de fauffes careffes
Que quelques images de Saints :
Mais quel exemple auffi donnez - vous aux hu
mains ?
Je reviens à notre Ours qui plein d'un zéle extrême
,
Et brûlant d'arriver à la perfection ,
Refléchiffoit fur l'art de fe vaincre foi-même.
Un Rat interrompit fa méditation :
De notre fage alors le cerveau fe dérange.
Il fe livre aux accès d'une fureur étrange;
Rugit après ce Rat comme après un lion ,
Le pourfuit , l'atteint & le venge.
Vertueux fans effort dans un lâche loifir
On cache des penchans que l'on devroit pour
fuivre ;
Ce n'eft qu'un feu couvert toujours prêt à revivre
:
JUILLET.
17558 2.3
Bientôt au moindre fouffle il fçaura nous trahir.
Le coeur pour le former a beſoin d'exercice ,
Contre les paffions ardent à fe roidir ,
Jamais par la retraite il ne faut qu'il fléchiffe :
On doit édifier le monde & non le fuïr.
OU L'OURS PHILOSOPHE
FABLE.
Ertain Ours mal léché n'ayant ri de fes
jours ,
S'avifa de vouloir devenir philofophc.
On dit que Jupiter fit de la même étoffe
Les Philofophes & les Ours.
Tout fage étant d'humeur un tant ſoit
tale ,
peu bru
Un Ours peut embraffer cette profeffion.
Celui que j'introduis choifit dans la morale
Pour premiere vertu la modération.
Au fond d'un bois obſcur un antre folitaire
Lui parut propre à fon projet.
Rien dans ce lieu caché ne le pouvoit diftraire,
Il eſt vrai ; mais auffi feul en cette forêt ,
Quel mérite avoit- il de vaincre la colere
Tout hermite eſt bâti de cette façon là :
Ils cherchent les déferts , les bois , la folitudes
Hé mes amis , ce n'eft pas là
Que l'on peut de fon coeur faire une heureuſe
étude ;
Le vice y dort, mais n'y meurt pas
22 MERCURE DE FRANCE.
Il n'eft pas étonnant qu'à l'abri de l'injure
La vengeance foit fans appas.
Loin de tout bienfaiteur , c'eft chofe auffi très
sûre
Que vous ne ferez point ingrats.
Pauvres , vous ne fçauriez abuſer des richeffes ;
Payer des flateurs , des maîtreffes ,
Intenter d'injuftes procès.
Seuls , j'imagine bien que vous êtes difcrets :
Vous ne pouvez tromper par de fauffes careffes
Que quelques images de Saints :
Mais quel exemple auffi donnez - vous aux hu
mains ?
Je reviens à notre Ours qui plein d'un zéle extrême
,
Et brûlant d'arriver à la perfection ,
Refléchiffoit fur l'art de fe vaincre foi-même.
Un Rat interrompit fa méditation :
De notre fage alors le cerveau fe dérange.
Il fe livre aux accès d'une fureur étrange;
Rugit après ce Rat comme après un lion ,
Le pourfuit , l'atteint & le venge.
Vertueux fans effort dans un lâche loifir
On cache des penchans que l'on devroit pour
fuivre ;
Ce n'eft qu'un feu couvert toujours prêt à revivre
:
JUILLET.
17558 2.3
Bientôt au moindre fouffle il fçaura nous trahir.
Le coeur pour le former a beſoin d'exercice ,
Contre les paffions ardent à fe roidir ,
Jamais par la retraite il ne faut qu'il fléchiffe :
On doit édifier le monde & non le fuïr.
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Résumé : L'OURS ET LE RAT, OU L'OURS PHILOSOPHE. FABLE.
La fable 'L'Ours et le Rat, ou l'Ours philosophe' relate l'histoire d'un ours qui décide de devenir philosophe en adoptant la modération comme première vertu. Il se retire dans une grotte solitaire pour éviter les distractions. Cependant, la solitude ne suffit pas à vaincre la colère, car les vices persistent. Un rat interrompt l'ours, déclenchant une fureur en lui. Cette réaction montre que les vertus cachées peuvent resurgir facilement. La fable conclut que le cœur a besoin d'exercice et de confrontation avec le monde pour se former. Fuir la société n'est pas la voie vers la perfection morale.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 23-25
EPITRE A ÉGLÉ, Par Mademoiselle Loiseau.
Début :
C'est un peu tard acquitter ma parole ; [...]
Mots clefs :
Amour, Morphée, Sommeil
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EPITRE A ÉGLÉ, Par Mademoiselle Loiseau.
EPITRE
A ÉGLÉ ,
Par Mademoiselle Loifean.
C'Eft un peu tard acquitter ma parole ;
Mais , Eglé , le tems qui s'envole
A paffé trop rapidement.
L'excufe doit te paroître frivole ;
Abrégeons donc le compliment.
• Ecoute le récit d'un fait intéreffant ;
C'eft de tes agrémens l'époque curieuſe :
Ceci n'eft point hiftoire fabuleuse ,
Charmante Eglé , l'autre jour je l'appris,
De l'aimable fils de Cipris.
Morphée avec l'Amour eut de tout tems querellé
,
L'Amour le redoutoit plus que les autres Dieux ;
Le tranquille fommeil s'emparant d'une belle ,
Voiloit le charme de ſes yeux.
C'en étoit fait de ſa puiſſance i
24 MERCURE DE FRANCE.
Il ne faut qu'an regard d'une jeune beauté
Pour furprendre la liberté
D'un coeur qui veut en vain s'armer d'indiffé
rence.
Par un coup d'oeil l'inconftant arrêté ,
Ne fent plus le poids de fa chaîne ,
Et le plaifir qui le rameine
S'offre à lui fous les traits de la variété.
L'enfant aîlé quitte Cithere ;
Guidé par fon courroux , il voudroit de la terre
Bannir Morphée & fa trifte langueur :
Mais aux mortels il eſt trop néceffaire ,
Un teint fleuri lui doit ſa plus vive couleur ;
C'est lui qui des appas conferve la fraîcheur.
Que faire ? Amour , jaloux de foutenir ſa gloire ,
Imagine un moyen d'être enfin le vainqueur.
Les pavots deformais vont hâter la victoire ,
Et ferviront à dompter plus d'un coeur.
Pour triompher des ames les plus fieres ,
A la beauté , ce Dieu donna longues paupieres .
Une belle pour lors dans les bras du fommeil
Parut avoir de nouveaux charmes .
Ses attraits pour l'Amour font de nouvelles armes,
Et rendent plus touchant le moment du réveil.
L'aftre du jour à travers un feuillage ,
Fait briller fes rayons , mais leurs feux font plus
doux:
De deux beaux yeux il nous offre l'image :
Les paupieres font cet ombrage
Qui
JUILLET. 1755. 25
Qui rend certain le fuccès de leurs coups ,
Le regard s'attendrit & bleſſe davantage.
Depuis cette victoire , Amour n'a plus d'égal .
C'est ainsi que fon art triompha de Morphée ;
Il goûte le plaifir de foumettre un rival ,
Et fes pavots lui fervent de trophée.
Si de la fiction , permife dans les vers ,
Quelqu'un croît ici que j'abufe ;
Je puis convaincre l'univers ,
Eglé juſtifiera les tranfports de ma`muſe.
En la voyant , d'un Dieu l'on reffent tous les
traits.
Oui , belle Eglé , tes féduifans attraits ,
Jufques dans le fommeil confervent leur puiffance.
De fes douceurs jouis en affurance ,
L'Amour qui s'eft fixé pour jamais fous ta loi ,
Lorfque tu dors veille pour toi.
A ÉGLÉ ,
Par Mademoiselle Loifean.
C'Eft un peu tard acquitter ma parole ;
Mais , Eglé , le tems qui s'envole
A paffé trop rapidement.
L'excufe doit te paroître frivole ;
Abrégeons donc le compliment.
• Ecoute le récit d'un fait intéreffant ;
C'eft de tes agrémens l'époque curieuſe :
Ceci n'eft point hiftoire fabuleuse ,
Charmante Eglé , l'autre jour je l'appris,
De l'aimable fils de Cipris.
Morphée avec l'Amour eut de tout tems querellé
,
L'Amour le redoutoit plus que les autres Dieux ;
Le tranquille fommeil s'emparant d'une belle ,
Voiloit le charme de ſes yeux.
C'en étoit fait de ſa puiſſance i
24 MERCURE DE FRANCE.
Il ne faut qu'an regard d'une jeune beauté
Pour furprendre la liberté
D'un coeur qui veut en vain s'armer d'indiffé
rence.
Par un coup d'oeil l'inconftant arrêté ,
Ne fent plus le poids de fa chaîne ,
Et le plaifir qui le rameine
S'offre à lui fous les traits de la variété.
L'enfant aîlé quitte Cithere ;
Guidé par fon courroux , il voudroit de la terre
Bannir Morphée & fa trifte langueur :
Mais aux mortels il eſt trop néceffaire ,
Un teint fleuri lui doit ſa plus vive couleur ;
C'est lui qui des appas conferve la fraîcheur.
Que faire ? Amour , jaloux de foutenir ſa gloire ,
Imagine un moyen d'être enfin le vainqueur.
Les pavots deformais vont hâter la victoire ,
Et ferviront à dompter plus d'un coeur.
Pour triompher des ames les plus fieres ,
A la beauté , ce Dieu donna longues paupieres .
Une belle pour lors dans les bras du fommeil
Parut avoir de nouveaux charmes .
Ses attraits pour l'Amour font de nouvelles armes,
Et rendent plus touchant le moment du réveil.
L'aftre du jour à travers un feuillage ,
Fait briller fes rayons , mais leurs feux font plus
doux:
De deux beaux yeux il nous offre l'image :
Les paupieres font cet ombrage
Qui
JUILLET. 1755. 25
Qui rend certain le fuccès de leurs coups ,
Le regard s'attendrit & bleſſe davantage.
Depuis cette victoire , Amour n'a plus d'égal .
C'est ainsi que fon art triompha de Morphée ;
Il goûte le plaifir de foumettre un rival ,
Et fes pavots lui fervent de trophée.
Si de la fiction , permife dans les vers ,
Quelqu'un croît ici que j'abufe ;
Je puis convaincre l'univers ,
Eglé juſtifiera les tranfports de ma`muſe.
En la voyant , d'un Dieu l'on reffent tous les
traits.
Oui , belle Eglé , tes féduifans attraits ,
Jufques dans le fommeil confervent leur puiffance.
De fes douceurs jouis en affurance ,
L'Amour qui s'eft fixé pour jamais fous ta loi ,
Lorfque tu dors veille pour toi.
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Résumé : EPITRE A ÉGLÉ, Par Mademoiselle Loiseau.
Mademoiselle Loifean adresse une épître à Églé pour s'excuser de son retard. Elle relate une histoire mythologique où l'Amour et Morphée, le sommeil, sont rivaux. L'Amour craint que Morphée ne prenne le contrôle des belles en les endormant, affaiblissant ainsi son pouvoir. Pour contrer cela, l'Amour utilise les pavots afin que les beautés endormies soient encore plus attirantes au réveil, renforçant ainsi son emprise. Cette fiction est justifiée par la beauté d'Églé, qui conserve toute sa puissance même endormie. L'Amour veille constamment sur elle, même pendant son sommeil.
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6
p. 26-33
IL EUT TORT. Histoire vraisemblable.
Début :
EH ! qu'est-ce qui ne l'a pas ? on n'est dans le monde environné que de torts. [...]
Mots clefs :
Homme, Esprit, Femme, Amoureux, Histoire vraisemblable
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : IL EUT TORT. Histoire vraisemblable.
IL EUT TORT.
Hiftoire vraisemblable.
H! qu'est- ce qui ne l'a pas ? on n'eft
dans le monde environné que de torts.
Ils font néceffaires , ce font les fondemens
de la fociété ; ils rendent l'efprit liant , ils
abaiffent l'amour- propre. Quelqu'un qui
auroit toujours raifon feroit infupportable.
On doit pardonner tous les torts ,
excepté celui d'être ennuyeux , celui là eſt
irréparable. Lorfqu'on ennuye les autres ,.
il faut refter chez foi tour feul comme
l'opéra d'Ajax . Je demande ce que l'on
deviendroit s'il alloit faire fes vifites dans
les maifons ?
Paffons à l'hiftoire de Mondor. C'étoit
un jeune homme malheureuſement né ; il
avoit l'efprit jufte , le coeur tendre & l'ame
douce voilà trois grands torts qui en
produiront bien d'autres.
En entrant dans le monde , il s'appliqua
principalement à tâcher d'avoir toujours
raifon. On va voir comme cela lui réuffit.
Il fit connoiffance avec un homme de la
cour ; la femme lui trouva l'efprit jufte ,
parce qu'il avoit une jolie figure ; le mari
JUILLET. 1755. 27
lui trouva l'efprit faux , parce qu'il n'étoit
jamais de fon avis.
La femme fit beaucoup d'avances à la
jufteffe de fon efprit ; mais comme il n'en
étoit point amoureux , il ne s'en apperçut
pas. Le mari le pria d'examiner un traité
fur la guerre qu'il avoit compofé à ce
qu'il prétendoit. Mondor après l'avoir lû
lui dit tout naturellement qu'en examinant
fon
ouvrage , il avoit jugé qu'il feroit
un fort bon négociateur pour un traité de
paix.
Dans cette circonftance , un régiment
vint à vacquer , un petit Marquis avorté
trouva l'auteur de cour un génie tranfcendant
, & traita fa femme comme fi elle
eût été jolie , il eut le régiment : le Marquis
fut Colonel . Mondor ne fut qu'un
homme vrai ; il eut tort .
Cette aventure le rebuta , il perdit toutes
vûes de fortune , vint à Paris vivre en
particulier , & forma le projet de s'y faire
des amis. Ah ! bon Dieu , comme il eut
tort ! il crut en trouver un dans la perfonne
du jeune Alcipe ; Alcipe étoit aimable
avoit le maintien décent & les propos
d'un homme effentiel.
Un jour il aborda Mondor avec un air
affligé , auffi tôt Mondor s'affligea ( car il
n'y a point de plus fottes gens que les gens
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
d'efprit qui ont le coeur bon ) ; Alcipe lui
dit qu'il avoit perdu cent louis fur fa parole
, Mondor les lui prêta fans vouloir de
billet ; il crut par là s'être acquis un ami.
Il eut tort : il ne le revit plus.
que
Il donna dans les gens de lettres ; ils le
jugerent capable d'examiner leurs piéces :
als obtinrent audience de lui plus aifément
que du public : il y en eut un en qui Mondor
crut reconnoître du talent , il lui fembla
digne de la plus grande févérité il
lût fon ouvrage avec attention : c'étoit une
Comédie il retrancha des détails fuperflus
, exigea plus de fonds , demanda à
l'auteur de mieux enchaîner fes fcènes , de
les faire naître l'une de l'autre , de mettre
toujours les acteurs en fituation , de prendre
bien plus garde à la jufteffe du dialogue
qu'au faux brillant de l'efprit , de
foutenir fes caracteres , de les nuancer
finement fans trop les contrafter ; il lui
fit remarquer que les pacquets de vers
jettent prefque toujours du froid fur l'action.
Voilà les confeils qu'il donna à l'auteur
; il corrigea fa piéce en conféquence ;
il éprouva que Mondor l'avoit mal confeillé.
Les comédiens ne trouverent pas
qu'elle fût jouable .
Cela le dégoûta de donner des avis. Le
même auteur qui auroit dû fe dégoûter de
JUILLE T. 1755. 29
faire des pièces , en compofa une autre qui
n'étoit qu'un amas de fcènes informes &
découfues. Mondor n'ofa pas lui confeiller
de ne la point donner ; il eut tort , la pièce
fut fifflée . Cela le jetta dans la perplexité ;
s'il donnoit des confeils , il avoit tort ; s'il
n'en donnoit pas , il avoit tort encore . Il
renonça au commerce des beaux efprits &
fe lia avec des fçavans ; il les trouva prefqu'auffi
triftes que des gens qui veulent
être plaifans. Ils ne vouloient parler que
lorfqu'ils avoient quelque chofe à dire ; ils
fe taifoient fouvent. Mondor s'impatienta
& ne parut qu'un étourdi . Il fit connoiffance
avec des femmes à prétentions , autre
méprife : il fe crut dans un climat plus voifin
du foleil ; c'étoit le pays des éclairs ,
où prefque toujours les fruits font brûlésavant
que d'être murs ; il remarqua que
la plupart de ces Dames n'avoient qu'une
idée qu'elles fubdivifoient en petites penfées
abftraites & luifantes ; il s'apperçut
que tout leur art n'étoit que de hâcher
l'efprit ; il connut le tort qu'il avoit eu de
rechercher leur fociété ; il voulut y briller ,
parut lourd ; il voulut y raifonner , il
parut gauche en un mot , il déplût quoiqu'il
fçût fort bien fes auteurs latins , &
fentit qu'on ne pouvoit pas dire à un jeune
il
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
homme voulez - vous réuffir auprès des
femmes , lifez Ciceron.
Mondor étoit l'homme du monde le
plus raifonnable , & ne fçavoit quel parti
prendre avoir raifon. Il éprouva pour que
dans le monde les torts viennent bien
moins de prendre un mauvais parti que
d'en prendre un bon mal adroitement.
Il avoit voulu être courtifan , il s'étoit
caffé le coû ; il avoit cherché à ſe faire des
amis , il en avoit été la dupe ; il avoit vu
de beaux efprits , il s'en étoit laffé ; des
fçavans , il s'y étoit ennuyé ; des femmes ,
il y avoit été ennuyeux : il entendit vanter
le bonheur de deux perfonnes qui s'aiment
véritablement , il crut que le parti le plus
fenfé étoit d'être amoureux ; il en forma
le projet , c'étoit précisément le moyen de
ne le pas devenir. Il examinoit toutes les
femmes ; il mettoit dans la balance les
agrémens & les talens de chacune , afin de
fe déterminer pour celle qui auroit une
perfection de plus. Il croyoit que l'amour
eft un dieu avec lequel on peut marchander.
Il eut bean faire cette revûe , il eut beau
s'efforcer d'être amoureux , cela fut inutile
; mais un jour fans y penfer , il le devint
de la perfonne la plus laide & la plus capricieufe
: il fe remercia de fon choix ; it
1
JUILLET. 1755. 31
vit cependant bien qu'elle n'étoit pas belle ;
il s'en applaudiffoit ; il fe flattoit de n'avoir
point de rivaux : il avoit tort ; il ignoroit
que les femmes les plus laides font les plus
coquettes. Il n'y a point de minauderie ,
point de regard , point de petit difcours
qui n'ait fon intention : elles fe donnent
autant de foin pour faire valoir leur figu
re , qu'on en prend ordinairement pour
faire rapporter une mauvaife terre . Cela
leur réuffit ; les avances qu'elles font flattent
l'orgueil , & la vanité d'un homme
efface prefque toujours la laideur d'une
femme.
Mondor en fit la trifte expérience ; il
fe trouva environné de concurrens ; il en
fut inquiet : il eut tort ; cela le conduifit
à un plus grand tort , ce fut de fe marier.
Il traita fa femme avec tous les égards
poffibles : il eut tort ; elle prit fa douceur
pour foibleffe de caractere & le maîtrifa
durement ; il voulut fe brouiller : il eut
tort ; cela lui menagea le tort de fe raccommoder
; dans les raccommodemens
il eut deux enfans , c'est-à-dire deux torts :
il devint veuf , il eut raifon ; mais il en fit
un tort : il fut fi affligé qu'il fe retira dans
fes terres.
Il trouva dans le pays un homme riche ,
mais qui vivoit avec hauteur , & ne voyoit
Biiij
32 MERCURE DE FRANCE.
aucun de fes voisins , il jugea qu'il avoit
tort il eut autant d'affabilité que l'autre
en avoit peu , il eut grand tort ; fa maifon
devint le réceptacle de gentillaftres qui
l'accablerent fans relâche . Il envia le fort
de fon voifin , & s'apperçut trop tard que
le malheur d'être obfedé eft bien plus fâcheux
que le tort d'être craint . On lui fit
un procès pour des droits de terres ; il aima
mieux céder une partie de ce qu'on lui
demandoit injuſtement que de plaider ; il
fe comporta en honnête homme , donna à
dîner à fa partie adverfe , & fit un accommodement
defavantageux : il eut tort. Un
fi bon procédé fe répandit dans la province
; tous fes petits voifins voulurent profiter
de fa facilité , & reclamer fans aucun titre
quelque droit chymérique ; il eut vinge
procès pour en avoir voulu éviter un , cela
le révolta ; il vendit fa terre , il eut tort :
il ne fçut que faire de fes fonds. On lui
confeilla de les placer fur le concert d'une
grande ville voifine qui étoit très - accrédité .
Le Directeur étoit un joli homme qui s'étoit
fait Avocat pour apprendre à fe connoître
en mufique. Mondor lui confia fon argent ,
il eut grand tort. Le concert fit banqueroute
au bout d'un an malgré la gentilleffe
de M. l'Avocat . Cet événement ruina Mondor
, il fentit le néant des chofes d'ici -bas ;
JUILLET. 1755. 33
il voulut devenir néant lui - même ; il fe fit
Moine , & mourut d'ennui : voilà fon dernier
tort.
Hiftoire vraisemblable.
H! qu'est- ce qui ne l'a pas ? on n'eft
dans le monde environné que de torts.
Ils font néceffaires , ce font les fondemens
de la fociété ; ils rendent l'efprit liant , ils
abaiffent l'amour- propre. Quelqu'un qui
auroit toujours raifon feroit infupportable.
On doit pardonner tous les torts ,
excepté celui d'être ennuyeux , celui là eſt
irréparable. Lorfqu'on ennuye les autres ,.
il faut refter chez foi tour feul comme
l'opéra d'Ajax . Je demande ce que l'on
deviendroit s'il alloit faire fes vifites dans
les maifons ?
Paffons à l'hiftoire de Mondor. C'étoit
un jeune homme malheureuſement né ; il
avoit l'efprit jufte , le coeur tendre & l'ame
douce voilà trois grands torts qui en
produiront bien d'autres.
En entrant dans le monde , il s'appliqua
principalement à tâcher d'avoir toujours
raifon. On va voir comme cela lui réuffit.
Il fit connoiffance avec un homme de la
cour ; la femme lui trouva l'efprit jufte ,
parce qu'il avoit une jolie figure ; le mari
JUILLET. 1755. 27
lui trouva l'efprit faux , parce qu'il n'étoit
jamais de fon avis.
La femme fit beaucoup d'avances à la
jufteffe de fon efprit ; mais comme il n'en
étoit point amoureux , il ne s'en apperçut
pas. Le mari le pria d'examiner un traité
fur la guerre qu'il avoit compofé à ce
qu'il prétendoit. Mondor après l'avoir lû
lui dit tout naturellement qu'en examinant
fon
ouvrage , il avoit jugé qu'il feroit
un fort bon négociateur pour un traité de
paix.
Dans cette circonftance , un régiment
vint à vacquer , un petit Marquis avorté
trouva l'auteur de cour un génie tranfcendant
, & traita fa femme comme fi elle
eût été jolie , il eut le régiment : le Marquis
fut Colonel . Mondor ne fut qu'un
homme vrai ; il eut tort .
Cette aventure le rebuta , il perdit toutes
vûes de fortune , vint à Paris vivre en
particulier , & forma le projet de s'y faire
des amis. Ah ! bon Dieu , comme il eut
tort ! il crut en trouver un dans la perfonne
du jeune Alcipe ; Alcipe étoit aimable
avoit le maintien décent & les propos
d'un homme effentiel.
Un jour il aborda Mondor avec un air
affligé , auffi tôt Mondor s'affligea ( car il
n'y a point de plus fottes gens que les gens
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
d'efprit qui ont le coeur bon ) ; Alcipe lui
dit qu'il avoit perdu cent louis fur fa parole
, Mondor les lui prêta fans vouloir de
billet ; il crut par là s'être acquis un ami.
Il eut tort : il ne le revit plus.
que
Il donna dans les gens de lettres ; ils le
jugerent capable d'examiner leurs piéces :
als obtinrent audience de lui plus aifément
que du public : il y en eut un en qui Mondor
crut reconnoître du talent , il lui fembla
digne de la plus grande févérité il
lût fon ouvrage avec attention : c'étoit une
Comédie il retrancha des détails fuperflus
, exigea plus de fonds , demanda à
l'auteur de mieux enchaîner fes fcènes , de
les faire naître l'une de l'autre , de mettre
toujours les acteurs en fituation , de prendre
bien plus garde à la jufteffe du dialogue
qu'au faux brillant de l'efprit , de
foutenir fes caracteres , de les nuancer
finement fans trop les contrafter ; il lui
fit remarquer que les pacquets de vers
jettent prefque toujours du froid fur l'action.
Voilà les confeils qu'il donna à l'auteur
; il corrigea fa piéce en conféquence ;
il éprouva que Mondor l'avoit mal confeillé.
Les comédiens ne trouverent pas
qu'elle fût jouable .
Cela le dégoûta de donner des avis. Le
même auteur qui auroit dû fe dégoûter de
JUILLE T. 1755. 29
faire des pièces , en compofa une autre qui
n'étoit qu'un amas de fcènes informes &
découfues. Mondor n'ofa pas lui confeiller
de ne la point donner ; il eut tort , la pièce
fut fifflée . Cela le jetta dans la perplexité ;
s'il donnoit des confeils , il avoit tort ; s'il
n'en donnoit pas , il avoit tort encore . Il
renonça au commerce des beaux efprits &
fe lia avec des fçavans ; il les trouva prefqu'auffi
triftes que des gens qui veulent
être plaifans. Ils ne vouloient parler que
lorfqu'ils avoient quelque chofe à dire ; ils
fe taifoient fouvent. Mondor s'impatienta
& ne parut qu'un étourdi . Il fit connoiffance
avec des femmes à prétentions , autre
méprife : il fe crut dans un climat plus voifin
du foleil ; c'étoit le pays des éclairs ,
où prefque toujours les fruits font brûlésavant
que d'être murs ; il remarqua que
la plupart de ces Dames n'avoient qu'une
idée qu'elles fubdivifoient en petites penfées
abftraites & luifantes ; il s'apperçut
que tout leur art n'étoit que de hâcher
l'efprit ; il connut le tort qu'il avoit eu de
rechercher leur fociété ; il voulut y briller ,
parut lourd ; il voulut y raifonner , il
parut gauche en un mot , il déplût quoiqu'il
fçût fort bien fes auteurs latins , &
fentit qu'on ne pouvoit pas dire à un jeune
il
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
homme voulez - vous réuffir auprès des
femmes , lifez Ciceron.
Mondor étoit l'homme du monde le
plus raifonnable , & ne fçavoit quel parti
prendre avoir raifon. Il éprouva pour que
dans le monde les torts viennent bien
moins de prendre un mauvais parti que
d'en prendre un bon mal adroitement.
Il avoit voulu être courtifan , il s'étoit
caffé le coû ; il avoit cherché à ſe faire des
amis , il en avoit été la dupe ; il avoit vu
de beaux efprits , il s'en étoit laffé ; des
fçavans , il s'y étoit ennuyé ; des femmes ,
il y avoit été ennuyeux : il entendit vanter
le bonheur de deux perfonnes qui s'aiment
véritablement , il crut que le parti le plus
fenfé étoit d'être amoureux ; il en forma
le projet , c'étoit précisément le moyen de
ne le pas devenir. Il examinoit toutes les
femmes ; il mettoit dans la balance les
agrémens & les talens de chacune , afin de
fe déterminer pour celle qui auroit une
perfection de plus. Il croyoit que l'amour
eft un dieu avec lequel on peut marchander.
Il eut bean faire cette revûe , il eut beau
s'efforcer d'être amoureux , cela fut inutile
; mais un jour fans y penfer , il le devint
de la perfonne la plus laide & la plus capricieufe
: il fe remercia de fon choix ; it
1
JUILLET. 1755. 31
vit cependant bien qu'elle n'étoit pas belle ;
il s'en applaudiffoit ; il fe flattoit de n'avoir
point de rivaux : il avoit tort ; il ignoroit
que les femmes les plus laides font les plus
coquettes. Il n'y a point de minauderie ,
point de regard , point de petit difcours
qui n'ait fon intention : elles fe donnent
autant de foin pour faire valoir leur figu
re , qu'on en prend ordinairement pour
faire rapporter une mauvaife terre . Cela
leur réuffit ; les avances qu'elles font flattent
l'orgueil , & la vanité d'un homme
efface prefque toujours la laideur d'une
femme.
Mondor en fit la trifte expérience ; il
fe trouva environné de concurrens ; il en
fut inquiet : il eut tort ; cela le conduifit
à un plus grand tort , ce fut de fe marier.
Il traita fa femme avec tous les égards
poffibles : il eut tort ; elle prit fa douceur
pour foibleffe de caractere & le maîtrifa
durement ; il voulut fe brouiller : il eut
tort ; cela lui menagea le tort de fe raccommoder
; dans les raccommodemens
il eut deux enfans , c'est-à-dire deux torts :
il devint veuf , il eut raifon ; mais il en fit
un tort : il fut fi affligé qu'il fe retira dans
fes terres.
Il trouva dans le pays un homme riche ,
mais qui vivoit avec hauteur , & ne voyoit
Biiij
32 MERCURE DE FRANCE.
aucun de fes voisins , il jugea qu'il avoit
tort il eut autant d'affabilité que l'autre
en avoit peu , il eut grand tort ; fa maifon
devint le réceptacle de gentillaftres qui
l'accablerent fans relâche . Il envia le fort
de fon voifin , & s'apperçut trop tard que
le malheur d'être obfedé eft bien plus fâcheux
que le tort d'être craint . On lui fit
un procès pour des droits de terres ; il aima
mieux céder une partie de ce qu'on lui
demandoit injuſtement que de plaider ; il
fe comporta en honnête homme , donna à
dîner à fa partie adverfe , & fit un accommodement
defavantageux : il eut tort. Un
fi bon procédé fe répandit dans la province
; tous fes petits voifins voulurent profiter
de fa facilité , & reclamer fans aucun titre
quelque droit chymérique ; il eut vinge
procès pour en avoir voulu éviter un , cela
le révolta ; il vendit fa terre , il eut tort :
il ne fçut que faire de fes fonds. On lui
confeilla de les placer fur le concert d'une
grande ville voifine qui étoit très - accrédité .
Le Directeur étoit un joli homme qui s'étoit
fait Avocat pour apprendre à fe connoître
en mufique. Mondor lui confia fon argent ,
il eut grand tort. Le concert fit banqueroute
au bout d'un an malgré la gentilleffe
de M. l'Avocat . Cet événement ruina Mondor
, il fentit le néant des chofes d'ici -bas ;
JUILLET. 1755. 33
il voulut devenir néant lui - même ; il fe fit
Moine , & mourut d'ennui : voilà fon dernier
tort.
Fermer
Résumé : IL EUT TORT. Histoire vraisemblable.
Le texte 'IL EUT TORT' narre les mésaventures de Mondor, un jeune homme au caractère juste, au cœur tendre et à l'âme douce, qualités qui lui causent de nombreux torts. En entrant dans le monde, Mondor cherche constamment à avoir raison, ce qui lui attire des inimitiés. Il refuse les avances d'une femme de la cour et critique un traité de guerre écrit par son mari, ce qui lui vaut l'hostilité du couple. Cette situation lui fait perdre des opportunités de fortune. À Paris, Mondor tente de se faire des amis en prêtant de l'argent à un jeune homme nommé Alcipe, qui disparaît ensuite. Il s'intéresse également aux gens de lettres et corrige une pièce de théâtre, mais celle-ci est jugée injouable. Déçu, il se tourne vers des savants, qu'il trouve tristes, puis fréquente des femmes à prétentions, ce qui le met mal à l'aise. Mondor décide alors de devenir amoureux, mais choisit une femme laide et capricieuse, ce qui lui attire des rivaux. Il finit par se marier, mais sa femme le domine. Veuf, il se retire dans ses terres et y rencontre un homme riche et hautain. Mondor tente de se montrer affable, mais est accablé par des visiteurs indésirables. Il cède injustement dans un procès, ce qui encourage d'autres litiges. Ruiné par une banqueroute, il devient moine et meurt d'ennui. Le texte illustre ainsi les nombreux torts que Mondor accumule tout au long de sa vie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
7
p. 33-43
ÉLOGE DU MENSONGE. A Damon.
Début :
Vieillirons-nous dans les entraves, [...]
Mots clefs :
Mensonge, Yeux, Amour, Nature, Vérité, Coeurs, Âme, Fleurs, Destin
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ÉLOGE DU MENSONGE. A Damon.
ÉLOGE DU MENSONGE.
A Damon.
Vieillirons -nous dans les entraves ,
Martyrs de notre auftérité ?
Cher Damon , de la vérité
Ne verra-t-on que nous d'efclaves ?
De ce perfonnage onéreux
Abjurons la morgue importune ,
Et fans faire les rigoureux ,
Mentons , puifque tout ment , fuivons la loi
commune.
Tu ris : tu prens cette leçon
Pour un frivole badinage ;
Mais je prétens à ce foupçon
Faire fuccéder ton fuffrage.
Raifonnons. Entraîné par une vaine erreur ,
Tu crus la vérité digne de préférence ;
Mais par quel attrait féducteur
Mérite -t-elle ta conftance ?
Eft-ce par un air fec , un ton fouvent grondeur ?
Sans foupleffe , fans complaifance ,
Que fait- elle pour le bonheur ?
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Peut- elle l'emporter fur un rival aimable ?
Le menfonge riant , ce zélé bienfaiteur
Au contraire toujours affable ,
Par de là nos defirs nous comble de faveurs .
C'eft lui dont la main fecourable
Sur un affreux deftin fçait répandre des fleurs ;
Il féduit les efprits , il enchaîne les coeurs :
Nous lui devons enfin l'utile & l'agréable.
Damon , je n'exagere point ;
Sui moi pour éclaircir ce point.
Cet eſpace inconnu d'où nous vient la lumiere ,
Où des foleils fans nombre étincellent fans fin ,
Fut jadis une mer de fubtile matiere ,
Où le noyoit l'efprit humain.
Mon impofteur par fa bonté féconde ,
Dans ce cahos vous fabriqua des cieux ;
Fit mieux encor ; il les peupla de Dieux
Qu'il enfanta pour régir ce bas-monde.
A chacun d'eux il impofa fes loix ;
Son premier-né fut armé du tonnerre ;
L'un fit aimer , l'autre alluma la guerre ;
Ainfi de tous il fixa les emplois.
Il leur bâtit des temples fur la terre ,
Sur leurs autels il fit fumer l'encens ;
Bref , il voulut que de ces Dieux naifans.
L'homme attendît les biens & la mifere.
De tel événement vulgaire
Qu'on croiroit digne de mépris ,
Souvent il fçut faire un mystere ,
JUILLE T. 1755. 35
Lui donnant à propos ce divin caractere ,
Qui du peuple étonné fubjugue les efprits .
Autrefois à fon gré les Vautours , les Corneilles
Prophétifoient dans l'air par d'utiles ébats ;
Le bourdonnement des abeilles
Préfageoit le fort des combats ,
Et cent fois il fixa le deftin des états
Par d'auffi burleſques merveilles .
Combien de conquérans & de héros fameux
Verroient retrancher de leur gloire ,
S'il laiffoit redire à l'hiſtoire
Ce que le fort a fait pour eux ;
S'il ne nous déguifoit leurs honteufes foibleffes ;
Et fi d'un voile généreux ,
Il ne couvroit leurs petiteffes.
Laiffant à part ces hauts objets ;
C'eft dans le commerce ordinaire ,
Que du menfonge néceffaire
Tu vas admirer les bienfaits .
Pour ne point offenſer notre délicateſſe ,
Il s'y montre toujours fous un titre emprunté ;
Gardant l'incognito fous ceux de politeffe ,
D'amitié, d'amour , de tendreffe ,
Souvent même de charité ,
Seul il fait tous les frais de la fociété .
Suppofons un moment que le ciel en colere
Contraignit les mortels par un arrêt févere ,
A peindre dans leurs moeurs & dans tớis lears
discours ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Ces fecrets fentimens dont ils gênent le cours ;
Quelle honte pour notre espece !
Paris plus effrayant que les antres des ours
Deviendroit un féjour d'horreur & de triſtelle !
Tu verrois , cher ami , les trois quarts des humains
S'accablant tour à tour de leur indifférence ;
De leur haine , de leurs dédains ,
S'annoncer par leur
arrogance
Qu'ils font prêts d'en venir aux mains.
Tu verrois des enfans , des héritiers avides ,
Sur des biens à venir trop lents
Attacher fans pudeur des regards dévorans
Et par des foupirs homicides
Compter les jours de leurs parens.
Dans les chaînes du mariage
Des captifs inquiets , victimes de P'humeur
Feroient par leur bifarre aigreur
Un enfer de leur esclavage.
Maint ami prétendu , léger , intéreſſé ,
Négligeant de voiler fon ame déteſtable ,
Ne fe montreroit empreffé
Que pour l'amuſement , la fortune & la table.
L'incorrigible protegé .
Dans les yeux du patron , ou glacés ou mauffades
,
Dans d'affligeantes rebuffades.
Liroit clairement fon congé..
Un amant brutal & volage
JUILLET. 1755 3.7 .
Sans prélude , fans petits foins ,
Offriroit à fa belle un infipide hommage
Toujours reglé fur fes befoins .
L'amante fans fard , fans fineffe ,
Soumise à fon vainqueur dès le premier inftant ,
Ne prendroit d'autre avis pour marquer la foibleffe
,
Que celui d'un groffier penchant.
Leurs defirs amortis diffipant toute ivreffe ,
Un prompt & fot dégoût finiroir le roman .
Tel feroit l'homme vrai guidé par ſa nature.
Mais détournons les yeux de ce tableau pervers ,
Et parcourons le bien que l'utile impofture
Fait en réformant l'univers .
L'intérêt , l'envie & la haine
Frémiffent vainement dans l'abîme des coeurs ;
La bienféance les enchaîne
Et dérobe au grand jour leurs perfides noirceurs.
L'homme , bien loin d'être farouche ,
D'un amour fraternel , prend les dehors ' trompeurs
;
Ses yeux font careffans , fes geftes font flateurs ,
Et le miel coule de ſa bouche.
A travers les égards , les doux empreffemens ,
Les foins refpectueux , la tendre inquiétude ;
Les yeux même les plus perçans
Pourroient - ils découvrir l'avide ingratitude
Des héritiers & des enfans ?
Şi maudire leur joug & perdre patience ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Eft le deftin fecret d'une foule d'époux ,
Le fçavoir vivre & la décence
De la tendreffe encor confervent l'apparence ,
Et couvrent au moins les dégoûts.
D'équivoques amis le monde entier foiſonne
Mais le peu de fincérité ,
L'intérêt & la vanité
Dont à bon droit on les foupçonne
S'éclipfent fous l'amenité ,
Sous l'air fagement affecté
De n'en vouloir qu'à la perfonne.
Le moins fenfible protecteur
Sous un mafque riant déguifant fa froideur ,
D'une féduifante fumée
Sçait repaître l'ame affamée
D'un fuppliant perfécuteur .
L'amour ne feroit qu'un fonge ,
Une puérilité ;
Mais l'officieux menfonge ,
L'érige en divinité ;
Redoutable par les armes ,
Ou foumettant à fes charmes
Le coeur le plus indompté ,
Il change en idolâtrie
Notre goût pour la beauté.
L'art de la coquetterie
Fut lui feul inventé ,
par
Et fans la fupercherie
Seroit-il exécuté ?
JUILLET. 39 1755.
*
Pour obtenir douce chance ,
L'amant jure la conftance
Et projette un autre amour :
à fon tour ;
L'amante trompe
Feint une pudeur craintive ,
Et pour s'affurer d'un coeur ,
Cache Pardeur la plus vive
Sous l'air froid & la rigueur.
Friands de tendres premices
Cherchons-nous la nouveauté ?
Malgré leur habileté ,
Nos belles font les novices ;
Un ton de naïveté ,
Mille obligeans artifices
Flattent notre vanité.
Si l'ufage des délices
Eteint leur vivacité ;
Le jeu fçavant des caprices
Rameine la volupté.
C'eſt ainfi qu'une folie
Devient par la tricherie
Le plaifir le plus vanté.
C'eft ainfi que dans la vie
Mutuelle duperie ,
Fait notre, félicité.
Si tu veux ajoûter un dégré d'évidence
Aux preuves de mon fentiment ,
Suivons notre Protée exerçant fa puiffance
Sur ces arts renommés on regne l'agrément..
40 MERCURE DE FRANCE.
Sans lui que feroit l'éloquence
Un infupportable talent .
Prives la de fes fleurs ; elle eft fans véhémence ,
Elle rampe fans ornemens :
Mais ces brillantes fleurs , métaphore , hyperbole
,
Allégorie & parabole ,
Et cent noms qu'à citer je perdrois trop de tems ;
Du menfonge orateur font les noms différens .
En vain fa rare modeftie
Permet qu'on invoque Apollon ;
Je ne m'y méprens point ; il est le feul génie
Qui préfide au facré vallon .
Pere de toute illufion ,
Seul il peut fouffler la manie
De plaire par la fiction.
Vois- tu prendre aux vertus , à chaque paffion ,
Un corps , la parole & la vie ?
C'est lui qui les perfonnifie.
Il déraisonne enfin dans tout égarement
D'une bouillante fantaisie :
Qui , mentir agréablement
Fait tout l'art de la poëfie .
Que vois-je , cher Damon ? que d'objets raviffans
!
Arrêtons - nous à ce ſpectacle ,
Où tout eft chef- d'oeuvre & miracle ,
Où tout enleve l'ame en ſurprenant les fens.
Quel pouvoir divin ou magique
JUILLET. 1755. 41
Fait qu'une e pace fi borné
Paroît vafte à mes yeux , & le plus magnifique
Que jamais nature ait orné ?
Qui fçut y renfermer ces fuperbes montagnes ,
Ces rochers , ces fombres forêts ,
Ces fleuves effrayans , ces riantes campagnes ,
Ces riches temples , ces palais ?
Quel génie ou démon pour enchanter ma vûe ,
A fes ordres audacieux
Fit obéir le ciel , la terre & l'étendue ?
Sans doute , quelqu'il foit , c'eſt l'émule des
Dieux.
Une amufante fymphonie
Des chantres des forêts imite les accens !
Que dis- je ? roffignols , ah ! c'eft vous que j'entens
,
De vos tendres concerts la champêtre harmonie
Me fait goûter ici les charmes du printemps.
Des ruiffeaux , l'aimable murmure
Vient s'unir à vos fons dictés par la nature :
On ne me trompe point , tout eft vrai , je le fens .
Mais grands Dieux ! quel revers étrange !
Le plaifir fuit , la scène change ;
Eole à leur fureur abandonne les vents.
Quels effroyables fifflemens !
L'air mugit , le tonnerre gronde !
Un defordre bruyant , le choc des élémens ,
Tout femble m'annoncer le dernier jour da
monde !
42 MERCURE DE FRANCE .
Fuyons vers quelqu'antre écarté ,
Echappons , s'il fe peut , à ce cruel orage ..
Mais je rougis de ma fimplicité.
J'ai pris pour la réalité
Ce qui n'en étoit que l'image.
Ces murmures , ces bruits , ces champêtres concerts
,
Ne font dus qu'aux accords d'une adroite mufique
;
Et ces payfages divers
Sont les jeux d'un pinceau que dirigea l'optique.
Mais de ces arts ingénieux
Comment s'opperent les merveilles ?
Servandoni ment à nos yeux ,
Et Rameau ment à nos oreilles.
En un mot tout ment ici -bas ;
A cet ordre commun , il n'eft rien de rebelle .
Eh ! pourquoi l'univers ne mentiroit- il pas a
Il imite en ce point le plus parfait modele.
L'or des aftres , l'azur des cieux
Sont une éternelle impofture ;
Toute erreur invincible à nos fens curieux
Eft menfonge de la nature .
Mais tu verrois fans fin les preuves s'amaffer ,
Si j'approfondiffois un fujet fi fertile ;
Pour terminer en omets mille ,
Dans la crainte de te laffer..
Je te laiffe à pourſuivré une route facile ..
Réfléchis à loifir : & , tout bien médité ,
JUILLET. 1755 . 43
Tu diras comme moi que notre utilité
A prefque interdit tout azile
A l'impuiffante vérité.
Où fe reffugira cette illuftre bannie ?
L'abandonnerons-nous à tant d'ignominie ?
Non : retirons la par pitié.
Logeons la dans nos coeurs : que toute notre vie ,
Elle y préfide à l'amitié.
A Damon.
Vieillirons -nous dans les entraves ,
Martyrs de notre auftérité ?
Cher Damon , de la vérité
Ne verra-t-on que nous d'efclaves ?
De ce perfonnage onéreux
Abjurons la morgue importune ,
Et fans faire les rigoureux ,
Mentons , puifque tout ment , fuivons la loi
commune.
Tu ris : tu prens cette leçon
Pour un frivole badinage ;
Mais je prétens à ce foupçon
Faire fuccéder ton fuffrage.
Raifonnons. Entraîné par une vaine erreur ,
Tu crus la vérité digne de préférence ;
Mais par quel attrait féducteur
Mérite -t-elle ta conftance ?
Eft-ce par un air fec , un ton fouvent grondeur ?
Sans foupleffe , fans complaifance ,
Que fait- elle pour le bonheur ?
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Peut- elle l'emporter fur un rival aimable ?
Le menfonge riant , ce zélé bienfaiteur
Au contraire toujours affable ,
Par de là nos defirs nous comble de faveurs .
C'eft lui dont la main fecourable
Sur un affreux deftin fçait répandre des fleurs ;
Il féduit les efprits , il enchaîne les coeurs :
Nous lui devons enfin l'utile & l'agréable.
Damon , je n'exagere point ;
Sui moi pour éclaircir ce point.
Cet eſpace inconnu d'où nous vient la lumiere ,
Où des foleils fans nombre étincellent fans fin ,
Fut jadis une mer de fubtile matiere ,
Où le noyoit l'efprit humain.
Mon impofteur par fa bonté féconde ,
Dans ce cahos vous fabriqua des cieux ;
Fit mieux encor ; il les peupla de Dieux
Qu'il enfanta pour régir ce bas-monde.
A chacun d'eux il impofa fes loix ;
Son premier-né fut armé du tonnerre ;
L'un fit aimer , l'autre alluma la guerre ;
Ainfi de tous il fixa les emplois.
Il leur bâtit des temples fur la terre ,
Sur leurs autels il fit fumer l'encens ;
Bref , il voulut que de ces Dieux naifans.
L'homme attendît les biens & la mifere.
De tel événement vulgaire
Qu'on croiroit digne de mépris ,
Souvent il fçut faire un mystere ,
JUILLE T. 1755. 35
Lui donnant à propos ce divin caractere ,
Qui du peuple étonné fubjugue les efprits .
Autrefois à fon gré les Vautours , les Corneilles
Prophétifoient dans l'air par d'utiles ébats ;
Le bourdonnement des abeilles
Préfageoit le fort des combats ,
Et cent fois il fixa le deftin des états
Par d'auffi burleſques merveilles .
Combien de conquérans & de héros fameux
Verroient retrancher de leur gloire ,
S'il laiffoit redire à l'hiſtoire
Ce que le fort a fait pour eux ;
S'il ne nous déguifoit leurs honteufes foibleffes ;
Et fi d'un voile généreux ,
Il ne couvroit leurs petiteffes.
Laiffant à part ces hauts objets ;
C'eft dans le commerce ordinaire ,
Que du menfonge néceffaire
Tu vas admirer les bienfaits .
Pour ne point offenſer notre délicateſſe ,
Il s'y montre toujours fous un titre emprunté ;
Gardant l'incognito fous ceux de politeffe ,
D'amitié, d'amour , de tendreffe ,
Souvent même de charité ,
Seul il fait tous les frais de la fociété .
Suppofons un moment que le ciel en colere
Contraignit les mortels par un arrêt févere ,
A peindre dans leurs moeurs & dans tớis lears
discours ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Ces fecrets fentimens dont ils gênent le cours ;
Quelle honte pour notre espece !
Paris plus effrayant que les antres des ours
Deviendroit un féjour d'horreur & de triſtelle !
Tu verrois , cher ami , les trois quarts des humains
S'accablant tour à tour de leur indifférence ;
De leur haine , de leurs dédains ,
S'annoncer par leur
arrogance
Qu'ils font prêts d'en venir aux mains.
Tu verrois des enfans , des héritiers avides ,
Sur des biens à venir trop lents
Attacher fans pudeur des regards dévorans
Et par des foupirs homicides
Compter les jours de leurs parens.
Dans les chaînes du mariage
Des captifs inquiets , victimes de P'humeur
Feroient par leur bifarre aigreur
Un enfer de leur esclavage.
Maint ami prétendu , léger , intéreſſé ,
Négligeant de voiler fon ame déteſtable ,
Ne fe montreroit empreffé
Que pour l'amuſement , la fortune & la table.
L'incorrigible protegé .
Dans les yeux du patron , ou glacés ou mauffades
,
Dans d'affligeantes rebuffades.
Liroit clairement fon congé..
Un amant brutal & volage
JUILLET. 1755 3.7 .
Sans prélude , fans petits foins ,
Offriroit à fa belle un infipide hommage
Toujours reglé fur fes befoins .
L'amante fans fard , fans fineffe ,
Soumise à fon vainqueur dès le premier inftant ,
Ne prendroit d'autre avis pour marquer la foibleffe
,
Que celui d'un groffier penchant.
Leurs defirs amortis diffipant toute ivreffe ,
Un prompt & fot dégoût finiroir le roman .
Tel feroit l'homme vrai guidé par ſa nature.
Mais détournons les yeux de ce tableau pervers ,
Et parcourons le bien que l'utile impofture
Fait en réformant l'univers .
L'intérêt , l'envie & la haine
Frémiffent vainement dans l'abîme des coeurs ;
La bienféance les enchaîne
Et dérobe au grand jour leurs perfides noirceurs.
L'homme , bien loin d'être farouche ,
D'un amour fraternel , prend les dehors ' trompeurs
;
Ses yeux font careffans , fes geftes font flateurs ,
Et le miel coule de ſa bouche.
A travers les égards , les doux empreffemens ,
Les foins refpectueux , la tendre inquiétude ;
Les yeux même les plus perçans
Pourroient - ils découvrir l'avide ingratitude
Des héritiers & des enfans ?
Şi maudire leur joug & perdre patience ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Eft le deftin fecret d'une foule d'époux ,
Le fçavoir vivre & la décence
De la tendreffe encor confervent l'apparence ,
Et couvrent au moins les dégoûts.
D'équivoques amis le monde entier foiſonne
Mais le peu de fincérité ,
L'intérêt & la vanité
Dont à bon droit on les foupçonne
S'éclipfent fous l'amenité ,
Sous l'air fagement affecté
De n'en vouloir qu'à la perfonne.
Le moins fenfible protecteur
Sous un mafque riant déguifant fa froideur ,
D'une féduifante fumée
Sçait repaître l'ame affamée
D'un fuppliant perfécuteur .
L'amour ne feroit qu'un fonge ,
Une puérilité ;
Mais l'officieux menfonge ,
L'érige en divinité ;
Redoutable par les armes ,
Ou foumettant à fes charmes
Le coeur le plus indompté ,
Il change en idolâtrie
Notre goût pour la beauté.
L'art de la coquetterie
Fut lui feul inventé ,
par
Et fans la fupercherie
Seroit-il exécuté ?
JUILLET. 39 1755.
*
Pour obtenir douce chance ,
L'amant jure la conftance
Et projette un autre amour :
à fon tour ;
L'amante trompe
Feint une pudeur craintive ,
Et pour s'affurer d'un coeur ,
Cache Pardeur la plus vive
Sous l'air froid & la rigueur.
Friands de tendres premices
Cherchons-nous la nouveauté ?
Malgré leur habileté ,
Nos belles font les novices ;
Un ton de naïveté ,
Mille obligeans artifices
Flattent notre vanité.
Si l'ufage des délices
Eteint leur vivacité ;
Le jeu fçavant des caprices
Rameine la volupté.
C'eſt ainfi qu'une folie
Devient par la tricherie
Le plaifir le plus vanté.
C'eft ainfi que dans la vie
Mutuelle duperie ,
Fait notre, félicité.
Si tu veux ajoûter un dégré d'évidence
Aux preuves de mon fentiment ,
Suivons notre Protée exerçant fa puiffance
Sur ces arts renommés on regne l'agrément..
40 MERCURE DE FRANCE.
Sans lui que feroit l'éloquence
Un infupportable talent .
Prives la de fes fleurs ; elle eft fans véhémence ,
Elle rampe fans ornemens :
Mais ces brillantes fleurs , métaphore , hyperbole
,
Allégorie & parabole ,
Et cent noms qu'à citer je perdrois trop de tems ;
Du menfonge orateur font les noms différens .
En vain fa rare modeftie
Permet qu'on invoque Apollon ;
Je ne m'y méprens point ; il est le feul génie
Qui préfide au facré vallon .
Pere de toute illufion ,
Seul il peut fouffler la manie
De plaire par la fiction.
Vois- tu prendre aux vertus , à chaque paffion ,
Un corps , la parole & la vie ?
C'est lui qui les perfonnifie.
Il déraisonne enfin dans tout égarement
D'une bouillante fantaisie :
Qui , mentir agréablement
Fait tout l'art de la poëfie .
Que vois-je , cher Damon ? que d'objets raviffans
!
Arrêtons - nous à ce ſpectacle ,
Où tout eft chef- d'oeuvre & miracle ,
Où tout enleve l'ame en ſurprenant les fens.
Quel pouvoir divin ou magique
JUILLET. 1755. 41
Fait qu'une e pace fi borné
Paroît vafte à mes yeux , & le plus magnifique
Que jamais nature ait orné ?
Qui fçut y renfermer ces fuperbes montagnes ,
Ces rochers , ces fombres forêts ,
Ces fleuves effrayans , ces riantes campagnes ,
Ces riches temples , ces palais ?
Quel génie ou démon pour enchanter ma vûe ,
A fes ordres audacieux
Fit obéir le ciel , la terre & l'étendue ?
Sans doute , quelqu'il foit , c'eſt l'émule des
Dieux.
Une amufante fymphonie
Des chantres des forêts imite les accens !
Que dis- je ? roffignols , ah ! c'eft vous que j'entens
,
De vos tendres concerts la champêtre harmonie
Me fait goûter ici les charmes du printemps.
Des ruiffeaux , l'aimable murmure
Vient s'unir à vos fons dictés par la nature :
On ne me trompe point , tout eft vrai , je le fens .
Mais grands Dieux ! quel revers étrange !
Le plaifir fuit , la scène change ;
Eole à leur fureur abandonne les vents.
Quels effroyables fifflemens !
L'air mugit , le tonnerre gronde !
Un defordre bruyant , le choc des élémens ,
Tout femble m'annoncer le dernier jour da
monde !
42 MERCURE DE FRANCE .
Fuyons vers quelqu'antre écarté ,
Echappons , s'il fe peut , à ce cruel orage ..
Mais je rougis de ma fimplicité.
J'ai pris pour la réalité
Ce qui n'en étoit que l'image.
Ces murmures , ces bruits , ces champêtres concerts
,
Ne font dus qu'aux accords d'une adroite mufique
;
Et ces payfages divers
Sont les jeux d'un pinceau que dirigea l'optique.
Mais de ces arts ingénieux
Comment s'opperent les merveilles ?
Servandoni ment à nos yeux ,
Et Rameau ment à nos oreilles.
En un mot tout ment ici -bas ;
A cet ordre commun , il n'eft rien de rebelle .
Eh ! pourquoi l'univers ne mentiroit- il pas a
Il imite en ce point le plus parfait modele.
L'or des aftres , l'azur des cieux
Sont une éternelle impofture ;
Toute erreur invincible à nos fens curieux
Eft menfonge de la nature .
Mais tu verrois fans fin les preuves s'amaffer ,
Si j'approfondiffois un fujet fi fertile ;
Pour terminer en omets mille ,
Dans la crainte de te laffer..
Je te laiffe à pourſuivré une route facile ..
Réfléchis à loifir : & , tout bien médité ,
JUILLET. 1755 . 43
Tu diras comme moi que notre utilité
A prefque interdit tout azile
A l'impuiffante vérité.
Où fe reffugira cette illuftre bannie ?
L'abandonnerons-nous à tant d'ignominie ?
Non : retirons la par pitié.
Logeons la dans nos coeurs : que toute notre vie ,
Elle y préfide à l'amitié.
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Résumé : ÉLOGE DU MENSONGE. A Damon.
Le texte 'Éloge du mensonge' explore la nécessité et les bienfaits du mensonge dans la société. L'auteur s'adresse à Damon pour démontrer que la vérité n'est pas toujours bénéfique et que le mensonge, sous diverses formes, joue un rôle essentiel dans les relations humaines et la vie quotidienne. Il argue que la vérité est souvent austère et intransigeante, tandis que le mensonge, plus aimable et flexible, contribue au bonheur et à l'harmonie sociale. L'auteur illustre son propos en montrant comment le mensonge structure l'univers et les croyances religieuses. Il explique que les dieux et leurs lois ont été créés par le mensonge pour régir le monde et donner un sens aux événements. Il cite également des exemples historiques où le mensonge a été utilisé pour exalter la gloire des conquérants et des héros en dissimulant leurs faiblesses. Dans la vie quotidienne, le mensonge est présenté comme indispensable pour maintenir la politesse, l'amitié, l'amour et la charité. Sans lui, les relations humaines seraient marquées par l'indifférence, la haine et les conflits. L'auteur décrit un scénario où les gens exprimeraient leurs véritables sentiments, conduisant à une société chaotique et hostile. Il conclut en affirmant que le mensonge est omniprésent et nécessaire dans les arts, la littérature et la poésie. Il cite des exemples comme l'éloquence, la coquetterie et les spectacles, où le mensonge enrichit et embellit la réalité. L'auteur invite Damon à reconnaître l'utilité du mensonge et à l'accepter comme une composante essentielle de la vie humaine.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 44-46
PORTRAITS DE CINQ FAMEUX PEINTRES D'ITALIE.
Début :
J'admire un heureux choix dans ces sujets champêtres. [...]
Mots clefs :
Peintres d'Italie, Carlo Maratta, Paul Véronèse, Camillo Procaccini, Annibale Carracci, Jacopo Bassano, Peintres
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texteReconnaissance textuelle : PORTRAITS DE CINQ FAMEUX PEINTRES D'ITALIE.
PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
J'Adn
D'ITALIE.
Jacques Baffan.
' Admire un heureux choix dans ces fujets
champêtres.
Ils mettent fous mes yeux l'efprit des livres
faints.
Quel pinceau ferme & gras ! non , non les plus
grand maîtres ,
D'un fuccès plus brillant n'ont pas eu leurs fronts
ceints.
Loin de noyer fa touche , il eft plein de franchife
,
L'expreffion s'y trouve , & l'effet en furprend.
Payfage , animaux , portraits , tout y maîtrife.
Tromper eft pour le Peintre un triomphe écla
tant.
Annibal Carrache.
La maniere , le goût qu'Annibal fe forma ,
A fes Maîtres enfin fervirent de modele.
De fon feu la Peinture avec foin l'anima ;
Et bientôt à Bologne il s'y montra fidele .
JUILLE T. 1755. 45
*
Quel ouvrage divin je vois la poësie
Applaudir au pinceau de ce fier féducteur ;
Et pleine du tranfport dont le beau l'a faifie
Elle fourit , embraffe , & reconnoît fa foeur.
Camille Proccaffini.
Qui préfente à mes yeux ces contours reffentis ?
Seroit-ce le pinceau d'un fecond Michel - Ange ?
L'ordonnance , la main , l'efprit , le coloris ,
Tout fe difpute ici le prix de la louange .
Ce corps vit , il fe meut par un pouvoir divin ,
L'expreffion ravit dans ce bel air de tête .
Si Camille à fa fougue eût toujours mis un frein ,
Nature l'eût créé fon premier interprête.
Paul Veroneze.
Que de feu , de grandeur , quelle magnificence !
Non , non , Peintre charmant , tu n'a point de
rivaux.
Plus ton pinceau s'éleve , & plus fon excellence
Immortalife tes travaux.
Tes chefs-d'oeuvres font ceux du génie & des graces
:
L'amateur éclairé les dévore des
yeux :
* On peut regarder la galerie Farnese peinte à
Pologne , comme un vrai poëme. Le Pouffin difoit
que dans cet ouvrage Annibal avoit furpallé tous
les Peintres , qui l'avoient précédé qu'il s'étoit
auſſi ſurpaſſé lui-même.
I
46 MERCURE DE FRANCE.
La nature partout y reconnoît ſes traces
Et s'étonne d'y voir le coloris des Dieux.
Carle Maratte.
>
La Peinture fourit aux graces de Maratte
C'est le reftaurateur du divin Raphaël.
Ce qui fait le grand Maître en fes tableaux éclate,
Il rend l'ame & les traits de la Reine du ciel .
A ce dernier talent * on crut qu'il ſe bornoit :
Mais peignant Conftantin qui renverſe l'idole ,
Il détruifit le faux bruit qui couroit.
En vain fa modestie aux honneurs s'oppofoit ,
Il en reçut au Capitole.
* On difoit qu'il ne fçavoit bien peindre que des
Vierges, fes confreres le nommoient par dériſion
Carluccio delle Madonne ; mais le baptiftaire de
S. Jean de Latran fit bientôt ceffer ce bruit.
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
J'Adn
D'ITALIE.
Jacques Baffan.
' Admire un heureux choix dans ces fujets
champêtres.
Ils mettent fous mes yeux l'efprit des livres
faints.
Quel pinceau ferme & gras ! non , non les plus
grand maîtres ,
D'un fuccès plus brillant n'ont pas eu leurs fronts
ceints.
Loin de noyer fa touche , il eft plein de franchife
,
L'expreffion s'y trouve , & l'effet en furprend.
Payfage , animaux , portraits , tout y maîtrife.
Tromper eft pour le Peintre un triomphe écla
tant.
Annibal Carrache.
La maniere , le goût qu'Annibal fe forma ,
A fes Maîtres enfin fervirent de modele.
De fon feu la Peinture avec foin l'anima ;
Et bientôt à Bologne il s'y montra fidele .
JUILLE T. 1755. 45
*
Quel ouvrage divin je vois la poësie
Applaudir au pinceau de ce fier féducteur ;
Et pleine du tranfport dont le beau l'a faifie
Elle fourit , embraffe , & reconnoît fa foeur.
Camille Proccaffini.
Qui préfente à mes yeux ces contours reffentis ?
Seroit-ce le pinceau d'un fecond Michel - Ange ?
L'ordonnance , la main , l'efprit , le coloris ,
Tout fe difpute ici le prix de la louange .
Ce corps vit , il fe meut par un pouvoir divin ,
L'expreffion ravit dans ce bel air de tête .
Si Camille à fa fougue eût toujours mis un frein ,
Nature l'eût créé fon premier interprête.
Paul Veroneze.
Que de feu , de grandeur , quelle magnificence !
Non , non , Peintre charmant , tu n'a point de
rivaux.
Plus ton pinceau s'éleve , & plus fon excellence
Immortalife tes travaux.
Tes chefs-d'oeuvres font ceux du génie & des graces
:
L'amateur éclairé les dévore des
yeux :
* On peut regarder la galerie Farnese peinte à
Pologne , comme un vrai poëme. Le Pouffin difoit
que dans cet ouvrage Annibal avoit furpallé tous
les Peintres , qui l'avoient précédé qu'il s'étoit
auſſi ſurpaſſé lui-même.
I
46 MERCURE DE FRANCE.
La nature partout y reconnoît ſes traces
Et s'étonne d'y voir le coloris des Dieux.
Carle Maratte.
>
La Peinture fourit aux graces de Maratte
C'est le reftaurateur du divin Raphaël.
Ce qui fait le grand Maître en fes tableaux éclate,
Il rend l'ame & les traits de la Reine du ciel .
A ce dernier talent * on crut qu'il ſe bornoit :
Mais peignant Conftantin qui renverſe l'idole ,
Il détruifit le faux bruit qui couroit.
En vain fa modestie aux honneurs s'oppofoit ,
Il en reçut au Capitole.
* On difoit qu'il ne fçavoit bien peindre que des
Vierges, fes confreres le nommoient par dériſion
Carluccio delle Madonne ; mais le baptiftaire de
S. Jean de Latran fit bientôt ceffer ce bruit.
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Résumé : PORTRAITS DE CINQ FAMEUX PEINTRES D'ITALIE.
Le texte présente des portraits de cinq célèbres peintres italiens. Jacques Baffan admire J'Adn pour ses sujets champêtres, la fermeté de son pinceau, et sa maîtrise des paysages, animaux et portraits. Annibal Carrache est loué pour avoir revitalisé la peinture avec son énergie et son goût, devenant un modèle à Bologne. Camille Proccaffini est comparé à Michel-Ange pour son ordonnance, sa technique, son esprit et son usage des couleurs, bien que sa fougue nécessitait parfois plus de contrôle. Paul Veroneze est célébré pour son feu, sa grandeur et sa magnificence, ses œuvres étant comparées à des poèmes. Enfin, Carle Maratte est décrit comme le restaurateur de Raphaël, capable de rendre l'âme et les traits des sujets qu'il peint, notamment la Vierge Marie et l'empereur Constantin.
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9
p. 47-52
DIALOGUE PAR M. DE BASTIDE.
Début :
La Duchesse Mazarin, Saint-Evremond. LA DUCHESSE. Voudrez-vous toujours [...]
Mots clefs :
Amour, Esprit, Duchesse, Hommes, Plaisirs
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texteReconnaissance textuelle : DIALOGUE PAR M. DE BASTIDE.
DIALOGUE
PAR M. DE BASTIDE.
La Ducheffe Mazarin , Saint- Evremond.
V
LA DUCHESSE.
Oudrez-vous toujours me paroître
extraordinaire ? Que dans l'autre
monde vous ne fentiffiez pas le ridicule de
votre paffion , à la bonne heure ; cela n'eft
pas tout - à - fait inconcevable . Quoique
vieux & prefqu'ufé , vous pouviez eſpérer
de faire naître un caprice ; j'étois vive &
légere , vous aviez de l'efprit , de la complaifance
, de la fineffe , beaucoup d'uſage
des femmes , toutes chofes qui avec du
tems & de la patience peuvent produire
les révolutions les plus fingulieres dans un
coeur de la trempe du mien. Mais à préfent
que pouvez - vous attendre de vos
beaux fentimens ? il n'y a plus de caprice
à eſpérer .
SAINT-EVREMOND.
Vous avez jugé de ma paffion par l'opinion
que les hommes vous donnoient
48 MERCURE DE FRANCE.
de l'amour permettez moi de vous dire
que vous ne l'avez pas bien connue . Il eft
un amour général que tous les hommes
fentent , auquel ils donnent les titres les
plus nobles , & fans l'empire duquel ils
auroient à un certain âge peu de vrais
plaifirs & peut être peu de vrai mérite.
Cet amour là eft l'effet naturel du feu de
l'âge on le place honnêtement dans le
coeur; mais il n'eft que dans le fang &
dans l'imagination . Celui qui le fent lui
donne une origine illuftre , & prend de
bonne-foi fes fenfations pour des fentimens.
Celui qui l'examine le réduit à ce
qu'il eft , & ne le diftingue point du defir
machinal, mais déguilé dès faveurs. Ce qui
fait qu'il aura toujours en fa faveur la prévention
publique , & qu'on ne le connoîtra
jamais pour ce qu'il eft véritablement ,
ou que fi on le connoît fon empire n'en
fera pas plus défert . Il eft un autre amour
beaucoup plus noble & beaucoup plus rare
que le premier. Il fe forme de l'impreffion
délicate de la beauté , de l'eftime fympathique
des vertus & des talens , de l'attrait
féduifant de l'efprit , du rapport des ames
& de la douceur de l'habitude . Il naît ,
s'augmente & fe foutient par le feul attrait
qui la fait naître. Le defir des faveurs ne
lui eft ni néceſſaire , ni étranger ; il deſire
avec
JUILLET. 1755. 49
avec délicateffe & jouit avec oeconomie.
Cet amour là eft l'effet de l'honnêteté de
l'ame & des réfléxions de l'efprit. Dans le
printemps de la vie , on le regarde comme
une idée de roman ; dans l'âge mur , on le
chérit comme un fentiment délicieux . Voilà
l'amour que je fentois pour vous & que je
fens encore : il eft précisément dans l'ame ,
il a trouvé la mienne telle qu'il lui en falloir
une , & il s'y eft confervé.
LA DUCHESSE.
Je ne vous concevois pas tout à l'heure ;
je vous conçois encore moins à préfent .
Si vous fentiez véritablement cet amour
fi délicat à qui les faveurs ne font pas néceffaires
, pourquoi étiez- vous fi jaloux des
préférences que je paroiffois accorder à
d'autres qu'à vous ? vous voyez bien que
cette feule contradiction entre vos idées
& vos fentimens prouve que vous venez
de peindre une chimere.
SAINT-EVREMOND.
Je vous retrouve bien dans vos jugemens
; mais votre vivacité n'a plus fur
mon efprit ce pouvoir dont elle abuſoit ;
la mort a détruit l'inégalité qui étoit entre
nos efprits , la matiere n'agir plus , je puis
wous fuivre & vous arrêter. Souffrez que
*C
fo MERCURE DE FRANCE.
je vous defabuſe . De ce que l'on gâte une
chofe , doit-on conclurre qu'elle n'exiſte
pas ? je gâtois l'amour pur dont je brûlois
pour vous , parce que j'avois connu trop
tard un amour délicat ; l'habitude des
plaiſirs avoit donné le ton à la machine ;
j'étois jaloux , parce que lorfque l'on a
trop accordé à la matiere , elle ne cede
jamais tout à l'efprit ; mais dans le fond
de mon coeur je rougiffois de ma jaloufie ,
je ne me diffimulois pas que j'étois encore
loin de mériter , de fentir la noble ardeur
dont vous me pénétriez .
LA DUCHESSE .
Cette noble ardeur & toutes vos belles,
idées n'étoient qu'une erreur de votre efprit.
Un fi parfait amour feroit mieux
connu des hommes s'il exiftoit réellement ,
on en verroit quelques traces dans le
monde , & je ne l'ai encore vû que dans
vos métaphifiques raiſonnemens .
SAINT-EVREMOND.
Je ne dirai pas qu'il foit bien commun ;
mais il n'eft pas fi rare que vous vous
l'imaginez , il y a même des coeurs à qui
feul il convient.
LA DUCHESSE.
Tant pis pour ces coeurs là. Les hommes
JUILLE T. 1755-
51
font faits pour penfer tous de même ; ceux
qui fe féparent du corps général , fût- ce
pour penfer mieux , ont moins de plaifirs
& plus de peines ; ils trouvent plus de difficulté
à s'affortir , ils font heureux fans
témoins ; s'ils en ont , leur bonheur paffe
pour un ridicule , il faut qu'ils paffent leur
vie à le juftifier , ils trouvent à peine le
moment d'en jouir.
SAINT- EVREMOND.
Ils l'augmentent en le juftifiant , ou
bien ils dédaignent d'en prendre la peine ;
ils fe contentent d'être heureux en euxmêmes
. Croyez - vous que le bonheur ne
dans l'éclat ?
foit
que
.2 11
LA DUCHESSE.
Si ce que vous foutenez étoit vrai , je
trouverois tous les hommes à plaindre. Ils
ne feroient plus heureux qu'en particulier ,
il n'y auroit plus entr'eux cette fociété que
leurs plaifirs forment. Croyez moi , il faut
aux hommes plufieurs objets de bonheur :
fi vous diminuez le cercle de leurs plaifirs ,
vous diminuerez celui de leurs intérêts &
de leurs idées . Le monde entier ne fera
plus pour chacun qu'un très - petit efpace ;
à une ligne du point de leur félicité , il n'y
aura plus rien qui mérite leurs foins : le
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
monde ainfi divifé fera bientôt détruit ; il
faut que les chofes foient comme elles
font , elles n'auroient pas tant duré fi elles
n'étoient pas bien.
PAR M. DE BASTIDE.
La Ducheffe Mazarin , Saint- Evremond.
V
LA DUCHESSE.
Oudrez-vous toujours me paroître
extraordinaire ? Que dans l'autre
monde vous ne fentiffiez pas le ridicule de
votre paffion , à la bonne heure ; cela n'eft
pas tout - à - fait inconcevable . Quoique
vieux & prefqu'ufé , vous pouviez eſpérer
de faire naître un caprice ; j'étois vive &
légere , vous aviez de l'efprit , de la complaifance
, de la fineffe , beaucoup d'uſage
des femmes , toutes chofes qui avec du
tems & de la patience peuvent produire
les révolutions les plus fingulieres dans un
coeur de la trempe du mien. Mais à préfent
que pouvez - vous attendre de vos
beaux fentimens ? il n'y a plus de caprice
à eſpérer .
SAINT-EVREMOND.
Vous avez jugé de ma paffion par l'opinion
que les hommes vous donnoient
48 MERCURE DE FRANCE.
de l'amour permettez moi de vous dire
que vous ne l'avez pas bien connue . Il eft
un amour général que tous les hommes
fentent , auquel ils donnent les titres les
plus nobles , & fans l'empire duquel ils
auroient à un certain âge peu de vrais
plaifirs & peut être peu de vrai mérite.
Cet amour là eft l'effet naturel du feu de
l'âge on le place honnêtement dans le
coeur; mais il n'eft que dans le fang &
dans l'imagination . Celui qui le fent lui
donne une origine illuftre , & prend de
bonne-foi fes fenfations pour des fentimens.
Celui qui l'examine le réduit à ce
qu'il eft , & ne le diftingue point du defir
machinal, mais déguilé dès faveurs. Ce qui
fait qu'il aura toujours en fa faveur la prévention
publique , & qu'on ne le connoîtra
jamais pour ce qu'il eft véritablement ,
ou que fi on le connoît fon empire n'en
fera pas plus défert . Il eft un autre amour
beaucoup plus noble & beaucoup plus rare
que le premier. Il fe forme de l'impreffion
délicate de la beauté , de l'eftime fympathique
des vertus & des talens , de l'attrait
féduifant de l'efprit , du rapport des ames
& de la douceur de l'habitude . Il naît ,
s'augmente & fe foutient par le feul attrait
qui la fait naître. Le defir des faveurs ne
lui eft ni néceſſaire , ni étranger ; il deſire
avec
JUILLET. 1755. 49
avec délicateffe & jouit avec oeconomie.
Cet amour là eft l'effet de l'honnêteté de
l'ame & des réfléxions de l'efprit. Dans le
printemps de la vie , on le regarde comme
une idée de roman ; dans l'âge mur , on le
chérit comme un fentiment délicieux . Voilà
l'amour que je fentois pour vous & que je
fens encore : il eft précisément dans l'ame ,
il a trouvé la mienne telle qu'il lui en falloir
une , & il s'y eft confervé.
LA DUCHESSE.
Je ne vous concevois pas tout à l'heure ;
je vous conçois encore moins à préfent .
Si vous fentiez véritablement cet amour
fi délicat à qui les faveurs ne font pas néceffaires
, pourquoi étiez- vous fi jaloux des
préférences que je paroiffois accorder à
d'autres qu'à vous ? vous voyez bien que
cette feule contradiction entre vos idées
& vos fentimens prouve que vous venez
de peindre une chimere.
SAINT-EVREMOND.
Je vous retrouve bien dans vos jugemens
; mais votre vivacité n'a plus fur
mon efprit ce pouvoir dont elle abuſoit ;
la mort a détruit l'inégalité qui étoit entre
nos efprits , la matiere n'agir plus , je puis
wous fuivre & vous arrêter. Souffrez que
*C
fo MERCURE DE FRANCE.
je vous defabuſe . De ce que l'on gâte une
chofe , doit-on conclurre qu'elle n'exiſte
pas ? je gâtois l'amour pur dont je brûlois
pour vous , parce que j'avois connu trop
tard un amour délicat ; l'habitude des
plaiſirs avoit donné le ton à la machine ;
j'étois jaloux , parce que lorfque l'on a
trop accordé à la matiere , elle ne cede
jamais tout à l'efprit ; mais dans le fond
de mon coeur je rougiffois de ma jaloufie ,
je ne me diffimulois pas que j'étois encore
loin de mériter , de fentir la noble ardeur
dont vous me pénétriez .
LA DUCHESSE .
Cette noble ardeur & toutes vos belles,
idées n'étoient qu'une erreur de votre efprit.
Un fi parfait amour feroit mieux
connu des hommes s'il exiftoit réellement ,
on en verroit quelques traces dans le
monde , & je ne l'ai encore vû que dans
vos métaphifiques raiſonnemens .
SAINT-EVREMOND.
Je ne dirai pas qu'il foit bien commun ;
mais il n'eft pas fi rare que vous vous
l'imaginez , il y a même des coeurs à qui
feul il convient.
LA DUCHESSE.
Tant pis pour ces coeurs là. Les hommes
JUILLE T. 1755-
51
font faits pour penfer tous de même ; ceux
qui fe féparent du corps général , fût- ce
pour penfer mieux , ont moins de plaifirs
& plus de peines ; ils trouvent plus de difficulté
à s'affortir , ils font heureux fans
témoins ; s'ils en ont , leur bonheur paffe
pour un ridicule , il faut qu'ils paffent leur
vie à le juftifier , ils trouvent à peine le
moment d'en jouir.
SAINT- EVREMOND.
Ils l'augmentent en le juftifiant , ou
bien ils dédaignent d'en prendre la peine ;
ils fe contentent d'être heureux en euxmêmes
. Croyez - vous que le bonheur ne
dans l'éclat ?
foit
que
.2 11
LA DUCHESSE.
Si ce que vous foutenez étoit vrai , je
trouverois tous les hommes à plaindre. Ils
ne feroient plus heureux qu'en particulier ,
il n'y auroit plus entr'eux cette fociété que
leurs plaifirs forment. Croyez moi , il faut
aux hommes plufieurs objets de bonheur :
fi vous diminuez le cercle de leurs plaifirs ,
vous diminuerez celui de leurs intérêts &
de leurs idées . Le monde entier ne fera
plus pour chacun qu'un très - petit efpace ;
à une ligne du point de leur félicité , il n'y
aura plus rien qui mérite leurs foins : le
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
monde ainfi divifé fera bientôt détruit ; il
faut que les chofes foient comme elles
font , elles n'auroient pas tant duré fi elles
n'étoient pas bien.
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Résumé : DIALOGUE PAR M. DE BASTIDE.
Le dialogue entre la Duchesse Mazarin et Saint-Évremond porte sur la nature de l'amour et des passions. La Duchesse interroge Saint-Évremond sur la persistance de ses sentiments à son égard, qu'elle juge désormais inutiles. Saint-Évremond distingue deux types d'amour : un amour général, lié au désir et à l'imagination, et un amour plus noble, fondé sur l'admiration des vertus, des talents et de l'esprit. Il affirme ressentir ce dernier pour la Duchesse, un amour délicat et rare. La Duchesse, sceptique, argue que ses jalousies passées contredisent ses déclarations actuelles. Saint-Évremond reconnaît ses erreurs passées mais maintient la pureté de ses sentiments. La Duchesse reste incrédule, estimant que cet amour idéalisé n'existe pas réellement et que les hommes trouvent leur bonheur dans la société et les plaisirs partagés. Saint-Évremond rétorque que certains peuvent trouver le bonheur en eux-mêmes, sans besoin de validation extérieure. La Duchesse craint que cette vision isolée du bonheur ne conduise à la destruction de la société.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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10
p. 52-55
La naissance de l'ennui, conte traduit de l'Anglois, par Miss Rebecca.
Début :
Au siécle d'or où l'on ne croit plus guères, [...]
Mots clefs :
Dieu, Ennui, Plaisir
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : La naissance de l'ennui, conte traduit de l'Anglois, par Miss Rebecca.
La naifance de l'ennui , conte traduit de
l'Anglois , par Miss Rebecca.
Au fiècle d'or où l'on ne croit plus guères ,
Pandore n'avoit point reçu le don fatal ,
Qui recéloit notre miſere ,
Et le bonheur n'étoit mêlangé d'aucun mal.
Point de ces noms affreux d'homicide & de guerre
Qu'enfanta le tien & le mien ;
L'innocence regnoit , on s'en trouvoit fort bien :
Source des vrais plaifirs elle en peuploit la terre ,
Chaque mortel avoit le fien.
Dans ces jours fortunés Aliſbeth prit naiffance.
Son pere étoit pafteur , devot envers les Dieux ,
Autant qu'Enée étoit pieux ,
Bon , généreux ; mais que fert qu'on l'encenſe ?
Les hommes l'étoient tous , & pour le peindre
mieux
Il avoit avec eux parfaite reffemblance ,
Et rien ne le diftinguoit d'eux .
Il cheriffoit fon fils , & de fa deſtinée
Voulant pénétrer le fecret ,
Que fon ame fut étonnée
Lorfqu'on lui prononça ce funefte decret ;
JUILLET. 1755. 53 .
( » De l'ennui dévorant ton fils fera la proye. ) .
Ce monftre encor n'exiftoit pas :
Mais l'Oracle annonçoit qu'il viendroit à grands
Le
pas ,
Et qu'il feroit l'ennemi de la joie.
On fe peint aifément ce que dût reffentir
pere d'Alifbeth ; fa douleur fut amere.
Mais plus le fort menace une tête fi chere ,
Plus il cherche à la garentir.
Plaifir , ce fut à vous qu'il remit fon enfance ;
Par mille jeux nouveanx vous filiez fes loisirs ,
Et du vent de votre aîle , écartant la licence ,
Vous allumiez fes innocens defirs .
Alifbeth cependant formoit fouvent des plaintes ,
Inftruit du fort qui l'attendoit.
Toujours tremblant il fe perfuadoit
L'ennui moins cruel que fes craintes.
Quand le plaifir s'éloignoit un inftant ,
Il fentoit augmenter fon trouble.
Refléchiffons , dit- il : fi ma frayeur redouble
Quand je vois échapper ce Dieu trop inconftant ;
Fixons-le pour toujours , c'eft me rendre content ,
Et detourner les malheurs de l'Oracle.
Ce projet n'avoit pas peu de difficulté ;
Mais de tout tems fut cette vérité
Que le defir s'accroit par un obftacle.
Un jour que le plaifir dormoit ,
Ravi d'avoir trouvé ce moyen falutaire
De diffiper tout ce qui l'allarmoit ,
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Alifbeth s'enfonça dans un bois folitaire.
Là , par quelques mots enchanteurs ,
Dont il connoiffoit l'énergie ,
Il invoqua les noires Soeurs ;
( Heureux , s'il eût toujours ignoré la magie ! )
Trop favorables à ſes voeux
Les Parques près de lui bientôt fe raffemblerent ;
On dit qu'à leur afpect hideux
Tous les fens d'effroi ſe glacerent ,
Et que du trio ténébreux
Pour la premiere fois les fronts fe dériderent.
Filles du Stix , puiffantes Déités ,
Dit Alifbeth , voyez un miférable ,
Qui pour finir fon deftin déplorable ,
N'efpere plus qu'en vos bontés .
Fiere Atropos , c'est toi que je réclame ;
Prêtes moi tes cifeaux , qu'ils m'ôtent du danger ;
Si d'un inſtant de trop ce fil va s'alonger :
Ah ! que toi ni Cloto n'en craigne point de blâme
;
Celui dont elle ourdit la trâme ,
Te bénira de ne point l'abréger.
Lachefis à ces mots fourit avec malice ,
Et les trois Soeurs qu'amufent nos revers ,
Voulurent fervir un caprice ,
Qu'elles jugeoient funefte à l'univers .
Aliſbeth en obtient le dépôt qu'il demande ,
Au Dieu qu'il veut fixer il vole promptement ;
Il fommeilloit encor , il faifit ce moment.
JUILLET. 1755 .
Les aîles du plaifir font la premiere offrande ,
Que l'ennemi qu'il appréhende
Reçoit de fon égarement :
Mais déja le plaifir qu'une flateufe image
Dans les bras du repos avoit trop arrêté ,
Pour éprouver la trifte vérité
Voit diffiper cet aimable nuage.
Il s'éveille , & cédant à fa pente volage
Veut fuir avec légereté.
Ses efforts pour la liberté
L'inftruifent de fon esclavage.
Des inutiles foins qu'il mettoit en uſage
Alifbeth fe faifoit un jeu ;
Mais que fon bonheur dura peu.
Chaque inftant fon captiflui femble moins aima
ble ;
Il lui
devient
bientôt
indifférent
,
Au bâillement qui le furprend
Succéde un dégoût véritable :
II foupire , & le Dieu justement irrité !
Lançant un regard effroyable ,
Lui montre ainfi le fruit de ſa témérité.
Malheureux ! qu'as - tu fait des chaînes éternelles
Ponr caufer tes regrets me fixent aujourd'hui ;
» Ton horoscope eft accompli ;
» Le plaifir privé de fes aîles
>> N'eft autre chose que l'ennui.
l'Anglois , par Miss Rebecca.
Au fiècle d'or où l'on ne croit plus guères ,
Pandore n'avoit point reçu le don fatal ,
Qui recéloit notre miſere ,
Et le bonheur n'étoit mêlangé d'aucun mal.
Point de ces noms affreux d'homicide & de guerre
Qu'enfanta le tien & le mien ;
L'innocence regnoit , on s'en trouvoit fort bien :
Source des vrais plaifirs elle en peuploit la terre ,
Chaque mortel avoit le fien.
Dans ces jours fortunés Aliſbeth prit naiffance.
Son pere étoit pafteur , devot envers les Dieux ,
Autant qu'Enée étoit pieux ,
Bon , généreux ; mais que fert qu'on l'encenſe ?
Les hommes l'étoient tous , & pour le peindre
mieux
Il avoit avec eux parfaite reffemblance ,
Et rien ne le diftinguoit d'eux .
Il cheriffoit fon fils , & de fa deſtinée
Voulant pénétrer le fecret ,
Que fon ame fut étonnée
Lorfqu'on lui prononça ce funefte decret ;
JUILLET. 1755. 53 .
( » De l'ennui dévorant ton fils fera la proye. ) .
Ce monftre encor n'exiftoit pas :
Mais l'Oracle annonçoit qu'il viendroit à grands
Le
pas ,
Et qu'il feroit l'ennemi de la joie.
On fe peint aifément ce que dût reffentir
pere d'Alifbeth ; fa douleur fut amere.
Mais plus le fort menace une tête fi chere ,
Plus il cherche à la garentir.
Plaifir , ce fut à vous qu'il remit fon enfance ;
Par mille jeux nouveanx vous filiez fes loisirs ,
Et du vent de votre aîle , écartant la licence ,
Vous allumiez fes innocens defirs .
Alifbeth cependant formoit fouvent des plaintes ,
Inftruit du fort qui l'attendoit.
Toujours tremblant il fe perfuadoit
L'ennui moins cruel que fes craintes.
Quand le plaifir s'éloignoit un inftant ,
Il fentoit augmenter fon trouble.
Refléchiffons , dit- il : fi ma frayeur redouble
Quand je vois échapper ce Dieu trop inconftant ;
Fixons-le pour toujours , c'eft me rendre content ,
Et detourner les malheurs de l'Oracle.
Ce projet n'avoit pas peu de difficulté ;
Mais de tout tems fut cette vérité
Que le defir s'accroit par un obftacle.
Un jour que le plaifir dormoit ,
Ravi d'avoir trouvé ce moyen falutaire
De diffiper tout ce qui l'allarmoit ,
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Alifbeth s'enfonça dans un bois folitaire.
Là , par quelques mots enchanteurs ,
Dont il connoiffoit l'énergie ,
Il invoqua les noires Soeurs ;
( Heureux , s'il eût toujours ignoré la magie ! )
Trop favorables à ſes voeux
Les Parques près de lui bientôt fe raffemblerent ;
On dit qu'à leur afpect hideux
Tous les fens d'effroi ſe glacerent ,
Et que du trio ténébreux
Pour la premiere fois les fronts fe dériderent.
Filles du Stix , puiffantes Déités ,
Dit Alifbeth , voyez un miférable ,
Qui pour finir fon deftin déplorable ,
N'efpere plus qu'en vos bontés .
Fiere Atropos , c'est toi que je réclame ;
Prêtes moi tes cifeaux , qu'ils m'ôtent du danger ;
Si d'un inſtant de trop ce fil va s'alonger :
Ah ! que toi ni Cloto n'en craigne point de blâme
;
Celui dont elle ourdit la trâme ,
Te bénira de ne point l'abréger.
Lachefis à ces mots fourit avec malice ,
Et les trois Soeurs qu'amufent nos revers ,
Voulurent fervir un caprice ,
Qu'elles jugeoient funefte à l'univers .
Aliſbeth en obtient le dépôt qu'il demande ,
Au Dieu qu'il veut fixer il vole promptement ;
Il fommeilloit encor , il faifit ce moment.
JUILLET. 1755 .
Les aîles du plaifir font la premiere offrande ,
Que l'ennemi qu'il appréhende
Reçoit de fon égarement :
Mais déja le plaifir qu'une flateufe image
Dans les bras du repos avoit trop arrêté ,
Pour éprouver la trifte vérité
Voit diffiper cet aimable nuage.
Il s'éveille , & cédant à fa pente volage
Veut fuir avec légereté.
Ses efforts pour la liberté
L'inftruifent de fon esclavage.
Des inutiles foins qu'il mettoit en uſage
Alifbeth fe faifoit un jeu ;
Mais que fon bonheur dura peu.
Chaque inftant fon captiflui femble moins aima
ble ;
Il lui
devient
bientôt
indifférent
,
Au bâillement qui le furprend
Succéde un dégoût véritable :
II foupire , & le Dieu justement irrité !
Lançant un regard effroyable ,
Lui montre ainfi le fruit de ſa témérité.
Malheureux ! qu'as - tu fait des chaînes éternelles
Ponr caufer tes regrets me fixent aujourd'hui ;
» Ton horoscope eft accompli ;
» Le plaifir privé de fes aîles
>> N'eft autre chose que l'ennui.
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Résumé : La naissance de l'ennui, conte traduit de l'Anglois, par Miss Rebecca.
Le conte 'La naifance de l'ennui', traduit de l'anglais par Miss Rebecca, se déroule dans une époque dorée où l'innocence et le bonheur régnaient sans mélange de malheur. À cette époque, Pandore n'avait pas encore reçu le don fatal qui recélait la misère humaine, et les noms d'homicide et de guerre n'existaient pas. L'innocence peuplait la terre de vrais plaisirs. Alisbeth, fille d'un pasteur pieux et généreux, naquit dans ces jours fortunés. Un oracle annonça que l'ennui ferait la proie de son fils, prédisant ainsi l'arrivée de ce monstre ennemi de la joie. Pour protéger Alisbeth, son père lui offrit une enfance remplie de plaisirs et de jeux innocents. Cependant, Alisbeth, consciente du sort qui l'attendait, chercha à fixer le plaisir pour toujours afin d'éviter les malheurs annoncés. Elle invoqua les noires Sœurs, les Parques, qui acceptèrent de l'aider. Alisbeth obtint ainsi de fixer le plaisir, mais ce dernier, volatil, finit par disparaître, laissant place à l'ennui. Alisbeth comprit alors que le plaisir privé de ses ailes n'était autre que l'ennui, scellant ainsi son destin tragique.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 56-67
Lettre apologétique d'un Gentilhomme Italien à M. l'Abbé Prevot. Sur l'article du Journal étranger de Janvier 1755, qui a pour titre Introduction à la partie historique.
Début :
Plus l'Italie a sçu apprécier & goûter la saine morale que vous avez répandue [...]
Mots clefs :
Italie, Abbé Prévost, Mérite, Journal étranger, Poésie, Littérature, Art, Peintres, Architecture
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Lettre apologétique d'un Gentilhomme Italien à M. l'Abbé Prevot. Sur l'article du Journal étranger de Janvier 1755, qui a pour titre Introduction à la partie historique.
Lettre apologétique d'un Gentilhomme
Italien à M. l'Abbé Prevot.
Sur l'article du Journal étranger de Janvier
1755 , qui a pour titre Introduction à
la partie hiftorique.
Plaine morale que vous avez répandue
Lus l'Italie a fçu apprécier & goûter la
dans vos Romans , chefs - d'oeuvre d'une
imagination vive & féconde , & d'un coeur
qui fans effort a adopté la vertu & réprouvé
le vice , plus elle a dû être fenfible aux
idées defavantageufes que vous donneriez
de fes habitans à qui n'en jugeroit que
d'après vos fuffrages. Mere des fciences &
des arts elle fe voit à regret accufée par
un juge auffi intégre qu'éclairé , d'en être
devenue la marâtre , & de n'avoir pas vou
lu conferver chez elle ce goût même qui y
avoit pris naiſſance.
Affez malheureux pour être né dans un
pays qui nefe reffemble plus , je le ne fuis pas
au point de négliger entierement fa réputation
. L'amour de la patrie, peut- être le
defir d'être éclairé par vos lumieres , m'ont
fait entreprendre fa juftification. Ces deux
principes qui me guident , méritent l'inJUILLET.
1755. 57
dulgence d'un auteur vertueux : daignez
en leur faveur pardonner à un étranger
des fautes de ſtyle ou de langage.
vous ,
Tous les étrangers conviennent , dites-
Monfieur , que cette belle partie de
Europe n'est plus que la dépofitaire oifive
des travaux de fes ancêtres ; les écoles n'y
font plus des corps fubfiftans de peinture ...
L'art refte encore ; mais les ouvriers manquent
à lart .
Sans entrer dans une difcuffion , qui n'eſt
point de ma compétence , fur la derniere
de ces phrafes , qui pourroit être regardée
même par un François comme peu intellible
, permettez que j'en examine ce qui
fait mon objet : La vérité.
Pour que l'Italie fut la dépofitaire oifive
des travaux de fes ancêtres , il faudroit
néceffairement , de deux chofes l'une , ou
qu'on n'y travaillât plus du tout dans les
mêmes genres , ou qu'on trouvât ( .chez
fes voisins qui fe font élevés , tandis qu'elle
s'eft mal foutenue ) des Artiſtes fort fupérieurs.
Quant à la premiere de ces propofitions
il faudroit , Monfieur , que vous cuffiez
paffé vos jours dans le trifte tombeau de
Selima , pour ignorer avec quelle ardeur
on cultive encore en Italie la peinture , la
fculpture & l'architecture .
Cv
58 MERCURE DE FRANCE..
La feconde propofition mérite un peut
plus d'être difcutée.
Quoiqu'il foit peut- être vrai que nous
ne fuivions
pas d'affez près les grands modeles
du fiécle de Léon X , il faut voir fi
les arts de l'Italie font fi fort dégénérés
dans le nôtre , qu'on ne puiffe les comparer
à ceux de fes voifins.
Peut-être , Monfieur , avec l'étendue
de connoiffances que vous poffedez , découvrirez-
vous parmi eux des Peintres fupérieurs
à l'Espagnolet , au Tréviſan , à Sebaftien
Coucha , à Solimene , à Carle Maratte
, au Tripolo , au Piazzetta , au Panini
tous de ces derniers tems , & dont quelques-
uns jouiffent encore de leur réputation.
La France qui a fur ce point le tort
de ne pas penfer comme vous , tache en
attendant d'enrichir fes galeries des ouvrages
de ces Artiſtes médiocres , guidés uniquement
par leur instinct mêlé de goût &
de raifon , tandis que notre pauvre Italie
n'a pas encore décoré les fiennes des morceaux
rares & précieux de vos Peintres
modernes non qu'elle leur refufât le génie
& le talent , mais parce qu'elle les croiroit
un peu moins approchant des grands
modeles de Raphaël , du Titien , des Carraches
dont elle eft l'oifive dépofutaire. Les
noms fameux de leurs fucceffeurs que je
JUILLET. 1755. 59
viens de vous indiquer , vous prouveront
du moins les ouvriers ne manquent
point à l'art , au moins dans ce genre.
que
L'architecture & la fculpture s'y fou
tiennent de même avec un vif empreffement
d'atteindre à la perfection des grands
modeles . Un homme de condition qui s'eft
adonné en homme de génie * au premier
de ces arts , ne nous laifferoit point regretter
le fiécle de Vitruve , s'il ne falloit
que du talent pour exécuter de grandes
chofes. Tout ce qui nous refte de la belle
antiquité , eft devenu inimitable ; non
pas faute de goût ni de lumieres dans nos
artiftes , mais faute de moyens dans ceux
qui les emploient . Où prendroient nos
Architectes les fonds néceffaires à la conftruction
de ces thermes , ces amphithéatres
, ces cirques , ces arcs de triomphe ,
ces temples , ces palais , ornemens de l'ancienne
Rome ? Maîtreffe de l'univers elle
pouvoit fournir à ces dépenfes prodigieufes
. Des Etats dont les bornes font refferrées
, les revenus médiocres , les citoyens
peu riches , ne peuvent fans donner dans le
ridicule , envifager de fi grands objets.
Pour juger fainement du talent des Ar-
M. le Comte Alfieri , Architecte de S. M. le
Roi de Sardaigne.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
tiſtes, il faut examiner fi dans la proportion
des moyens , leurs ouvrages ont atteint le
vrai beau. Sans remonter plus haut que le
Pontife regnant , je ne vous citerai de Rome
que la feule fontaine de Trevi : oppofez-
lui , Monfieur , la plus belle des vôtres.
Ecoutez vos Artiſtes même les plus diftingués
, vos Académiciens jufqu'au Mécene *
qui dirige , qui éclaire , qui anime leurs
travaux , tous éleves de l'Italie , ils lui doivent
trop pour ne pas prendre fa défenfe .
Ce feroit entrer dans une difcuffion dont
on eft déja fatigué , que de m'étendre ici
fur notre Mufique ; il fuffit qu'en général
on lui accorde la fupériorité.
J'aime fi fort , Monfieur , à m'en rapporter
à vos décifions , que je ne vous
difputerai point l'origine de la langue
italienne . Je crois avec vous qu'elle tire
fa fource du Grec & du Latin ; mais je ne
fçaurois vous paffer , Monfieur , cette application
que vous nous fuppofez à décliner
de notre fource : nous y puifons.
journellement , non feulement les termes ,
mais les phraſes entieres ; & nos Académiciens
della Crufca en adoptent entierement
la fyntaxe. Ce n'eft , décidez -vous , qu'à
Rome & à Florence qu'elle fe conferve dans
toute fa pureté. Mais que diriez - vous de
quelqu'un qui affureroit qu'on ne parle
JUILLET. 1755. 61.
François qu'à Blois , & Allemand qu'à
Leipfick ? Vous avez confondu avec la
langue même les différens idiômes du même
peuple que vous appellés en France
patois. Penfez-y , Monfieur , & lifez nos
écrits modernes , vous verrez que les gens
de lettres parlent ou du moins écrivent
auffi-bien à Naples qu'à Rome , à Padoue
qu'à Florence , & ainfi de toutes les langues
de l'univers.
Pardonnez , fi j'appelle auffi de l'arrêt
que vous prononcez fur le mérite de cette
langue : Vous avez la bonté de lui accorder
la moleffe & la douce harmonie, mais
vous lui refuſez la force & l'énergie :
Souffrez , Monfieur , une queftion qui ne
doit jamais offenfer un homme de lettres
lorfqu'il cherche la vérité. La connoiffezvous
affez cette langue & les morceaux de
force qu'elle a produits , pour donner un
certain dégré d'autenticité à l'oracle que
vous prononcez ? Lifez , s'il vous plaît ,
ces huit ou dix vers que je cite au hazard ,
de quelqu'un qui n'eft pas auteur de profeffion
* , ( c'eft le defefpoir d'un amant ; )
vous me direz de bonne foi fi vous connoiffez
un crayon plus noir & plus énergique.
* M. le Comte Pietro Scoți de Sarmato.
62 MERCURE DE FRANCE.
Tra balge & rupi inpenetrabile fia
Latro ritiro ; urli di lupi ogn'ora ,
Turbino i fonni , e la nafcente aurora »
Tarda ritorni a ricondurre il giorno.
Forbida luce de Digiuno fuoco .
Qual ne i fepolcri la pietá racchiude
O poco fcemi , o crefca orrore al loco,
Qui federommi al mio dolor Vicino ,
Stanco d'effer materia all ' atra incude
Del fiero amore del crudel deftino.
Je me flate , Monfieur , que vous ne
refuferez pas plus à ces vers la force &
l'énergie que le fon & l'harmonie : La
peinture y eft affreufe , mais d'une vérité
frappante ; & ne diroit- on pas que l'ima
gination qui en a broyé les couleurs , avoit
pris fes nuances dans Cleveland , ou l'Homme
de qualité ?
λ
Mais laiffons enfin les arts agréables
pour nous élever jufqu'aux fciences fublimes.
Je fuis trop preffé de vous remercier
au nom de toute ma nation de ce que
vous lui permettez d'avoir fes Hiftoriens ,
fes Philofophes & fes Poëtes , pour m'ar
rêter plus long-tems à des objets fur lef
quels je crois l'avoir fuffisamment juftifiée.
Je crois voir cependant que ce petit éloge
n'eft qu'un buiffon de fleurs deftiné à cacher
un ferpent : J'apperçois trop que vous
JUILLE T. 1755. 03
.
nous refufez la folidité néceffaire pour
les recherches profondes , la jufteffe d'efprit
fans laquelle on ne peut imaginer ,
fuivre & détailler un fyftême , la longue
& patiente méditation par laquelle on parvient
à la connoiffance des vérités philofophiques.
MM. d'Alembert & Clairault ,
Mathématiciens françois , que l'Italie fait
gloire d'honorer & de refpecter , vous diront
cependant qu'ils eftiment un Marquis
Poleni , un Zachieri , & beaucoup d'autres
dont les noms peut- être vous font inconnus
des études différentes détournoient
votre attention ) ; mais ils n'ont
point échappé aux autres Mathématiciens
de l'Europe. M. Morand , que les étrangers
n'en eftiment pas moins , parce que
la France l'admire , daigne avouer Morgagni
& Molinelli . Vous n'avez point de
Botanifte qui ne faffe le plus grand cas de
Pontedera , & la Tofcane feule fournit
plufieurs Naturaliftes dont les Buffon &
les Réaumur n'ignorent dès long-tems ni
l'existence ni le mérite . Ajoutons à ces
noms célebres deux femmes illuftres dignes
rivales de votre Emilie , Mefdames Baffi &
Agnefi que les Italiens & les étrangers admirent
également , & dans leurs profonds
écrits & dans les chaires de Profeffeurs ,
que la premiere remplit à Bologne.
64 MERCURE DE FRANCE.
Si vous aviez connu , Monfieur , tous
ces noms déja confacrés dans les faftes
du fçavoir , auriez vous foupçonné nos
Philofophes de ne pouvoir fe garantir des
préjugés de la Magie & de l'Aftrologie 2 à
ce foupçon ma réponſe eft bien fimple
Long - tems avant les procès fameux de
Gauffredi , d'Urbain Grandier , de la Maréchale
d'Ancre & d'autres affaires d'éclat
qui plus récemment ont occupé la France ,
nos Philofophes & nos fçavans ne parloient
déja plus de Magie. A l'égard de
l'Aftrologie lifez vos hiftoriens , ils vous
diront que la France commença de s'en
entêter lorfque l'Italie achevoit de s'en
defabufer ; mais avouons de bonne foi
qu'on s'en moque aujourd'hui autant d'un
côté que de l'autre.
,
J
» Il s'en faut beaucoup que l'Italie mo-
» derne ait des modeles à nous offrir , ni
» qu'elle approche de ceux qu'elle a reçus
» comme nous de l'Italie latine . Tel eft ,
Monfieur votre jugement au fujet de
l'hiftoire ; il eft vrai que nous n'avons plus
les Tites Live , les Salufte , les Tacite
& c , mais nous refuferez - vous Guicciardin
, Macchiaveli , Bembo , Davila , Frapaolo;
& de nos jours les Gianoni , les
Muratori & les Burnamici . Vous avez
affurement lû ces hiftoriens , convenez
JUILLET. 175 5 :
qu'ils auroient mérité votre approbation .
Sur l'éloquence de la chaire , vous êtes
encore en défaut ; vous nous accufez ,
Monfieur , d'un vice que nous condamnons
dans le mauvais fiécle du Seicento
où les Bifchicci , les Allegories , & mille
autres puérilités de même nature remplaçoient
fouvent la morale , l'onction & let
raifonnement . Revenus nous - mêmes de
notre erreur paffée nous déplorons les fautes
de nos ancêtres , & nous blâmons autant
les modernes qui y retombent que
ceux qui nous condamnent fans nous connoître.
Que répondriez-vous à un critique
qui jugeroit vos prédicateurs fur les fermons
de Coiffereau , ou fur les capucinades
de vos Miffionaires.
Je ne vous fuivrai point à la piſte dans
le labyrinthe des phrafes un peu entortillées
, où vous déclamez contre notre genre
dramatique : Je ne vous faifirai qu'au paffage
, où vous imaginez ne pas bleffer la
vraiſemblance en ofant avancer qu'en Italie
c'est l'imperfection de la fociété , le peu de
commerce entre les deux fexes qui a retardé
les progrès du théatre comique . Je reſpecte
trop les gens
de lettres , & vous particu-:
lierement , Monfieur , pour vous paffer
les propofitions que vous hazardez à ce
fujet.
,
66 MERCURE DE FRANCE.
A
Vous , Monfieur , qui fçavez , & qui
nous apprenez fi bien les moeurs de tant
de peuples dont on connoit à peine les
noms , comment avez - vous pu imaginer
les deux fexes auíli féparés que vous les
fuppofez en Italie ? fi moins attaché à vos
Penates vous aviez daigné employer quel
ques mois feulement à la connoiffance de
nos climats , vous auriez vû avec plaifir
que les deux fexes y font bien plus réunis
qu'à Paris. Là au lieu de fe raffembler a
T'heure d'un fouper on fe voit toute la
journée , toutes les maifons font ouvertes
à la bonne compagnie depuis le matin juſ
qu'affez avant dans la nuit , coutumé qui
rend inutile chez nous l'établiffement de
ces petites maiſons où chacun à Paris fem
ble chercher plutôt un afyle pour la liberté
& pour le plaifir qu'un théatre du fentiment
& des grandes paffions.
Je ferai , fi vous voulez , un peu plus
d'accord avec vous fur la rareté que vous
croyez voir en Italie de certains ouvrages
de pur agrément , tel que les pieces fugiti
ves , les effais , les mêlanges de littérature &
de poësie , & tant d'autres productions lé
geres dont la France abonde , & qui peuvent
recevoir le nom de liberiinage d'esprit.
Mais hélas ! Monfieur , croiriez- vous de
bonne foi que nous duffions tant vous en
JUILLET. 1753. 207
vier cette abondance , & vous fembler fi
fort à plaindre de n'écrire guères que pour
notre raiſon ?
Telles font , Monfieur , les obfervations
que j'ai crû devoir faire fur votre introduction
à la partie hiftorique. Avec moins
d'envie de mériter vos éloges , j'aurois
peut-être négligé la défenſe de ma patrie.
Je vous crois trop d'efprit , de modération
& d'impartialité pour ne pas m'en fçavoir
quelque gré. Un Journal étranger eft fait
pour plaire à toute l'Europe ; il ne faut
donc point qu'il prenne trop le goût du
terroir qui l'a produit ; & fi jamais il étoit
permis de s'écarter du vrai , du moins il
feroit plus fûr de flater que de cenfurer
trop légerement des nations entieres : celles-
ci pourroient à leur tour apprécier trop
vite l'auteur fur l'étiquete de l'ouvrage.
Italien à M. l'Abbé Prevot.
Sur l'article du Journal étranger de Janvier
1755 , qui a pour titre Introduction à
la partie hiftorique.
Plaine morale que vous avez répandue
Lus l'Italie a fçu apprécier & goûter la
dans vos Romans , chefs - d'oeuvre d'une
imagination vive & féconde , & d'un coeur
qui fans effort a adopté la vertu & réprouvé
le vice , plus elle a dû être fenfible aux
idées defavantageufes que vous donneriez
de fes habitans à qui n'en jugeroit que
d'après vos fuffrages. Mere des fciences &
des arts elle fe voit à regret accufée par
un juge auffi intégre qu'éclairé , d'en être
devenue la marâtre , & de n'avoir pas vou
lu conferver chez elle ce goût même qui y
avoit pris naiſſance.
Affez malheureux pour être né dans un
pays qui nefe reffemble plus , je le ne fuis pas
au point de négliger entierement fa réputation
. L'amour de la patrie, peut- être le
defir d'être éclairé par vos lumieres , m'ont
fait entreprendre fa juftification. Ces deux
principes qui me guident , méritent l'inJUILLET.
1755. 57
dulgence d'un auteur vertueux : daignez
en leur faveur pardonner à un étranger
des fautes de ſtyle ou de langage.
vous ,
Tous les étrangers conviennent , dites-
Monfieur , que cette belle partie de
Europe n'est plus que la dépofitaire oifive
des travaux de fes ancêtres ; les écoles n'y
font plus des corps fubfiftans de peinture ...
L'art refte encore ; mais les ouvriers manquent
à lart .
Sans entrer dans une difcuffion , qui n'eſt
point de ma compétence , fur la derniere
de ces phrafes , qui pourroit être regardée
même par un François comme peu intellible
, permettez que j'en examine ce qui
fait mon objet : La vérité.
Pour que l'Italie fut la dépofitaire oifive
des travaux de fes ancêtres , il faudroit
néceffairement , de deux chofes l'une , ou
qu'on n'y travaillât plus du tout dans les
mêmes genres , ou qu'on trouvât ( .chez
fes voisins qui fe font élevés , tandis qu'elle
s'eft mal foutenue ) des Artiſtes fort fupérieurs.
Quant à la premiere de ces propofitions
il faudroit , Monfieur , que vous cuffiez
paffé vos jours dans le trifte tombeau de
Selima , pour ignorer avec quelle ardeur
on cultive encore en Italie la peinture , la
fculpture & l'architecture .
Cv
58 MERCURE DE FRANCE..
La feconde propofition mérite un peut
plus d'être difcutée.
Quoiqu'il foit peut- être vrai que nous
ne fuivions
pas d'affez près les grands modeles
du fiécle de Léon X , il faut voir fi
les arts de l'Italie font fi fort dégénérés
dans le nôtre , qu'on ne puiffe les comparer
à ceux de fes voifins.
Peut-être , Monfieur , avec l'étendue
de connoiffances que vous poffedez , découvrirez-
vous parmi eux des Peintres fupérieurs
à l'Espagnolet , au Tréviſan , à Sebaftien
Coucha , à Solimene , à Carle Maratte
, au Tripolo , au Piazzetta , au Panini
tous de ces derniers tems , & dont quelques-
uns jouiffent encore de leur réputation.
La France qui a fur ce point le tort
de ne pas penfer comme vous , tache en
attendant d'enrichir fes galeries des ouvrages
de ces Artiſtes médiocres , guidés uniquement
par leur instinct mêlé de goût &
de raifon , tandis que notre pauvre Italie
n'a pas encore décoré les fiennes des morceaux
rares & précieux de vos Peintres
modernes non qu'elle leur refufât le génie
& le talent , mais parce qu'elle les croiroit
un peu moins approchant des grands
modeles de Raphaël , du Titien , des Carraches
dont elle eft l'oifive dépofutaire. Les
noms fameux de leurs fucceffeurs que je
JUILLET. 1755. 59
viens de vous indiquer , vous prouveront
du moins les ouvriers ne manquent
point à l'art , au moins dans ce genre.
que
L'architecture & la fculpture s'y fou
tiennent de même avec un vif empreffement
d'atteindre à la perfection des grands
modeles . Un homme de condition qui s'eft
adonné en homme de génie * au premier
de ces arts , ne nous laifferoit point regretter
le fiécle de Vitruve , s'il ne falloit
que du talent pour exécuter de grandes
chofes. Tout ce qui nous refte de la belle
antiquité , eft devenu inimitable ; non
pas faute de goût ni de lumieres dans nos
artiftes , mais faute de moyens dans ceux
qui les emploient . Où prendroient nos
Architectes les fonds néceffaires à la conftruction
de ces thermes , ces amphithéatres
, ces cirques , ces arcs de triomphe ,
ces temples , ces palais , ornemens de l'ancienne
Rome ? Maîtreffe de l'univers elle
pouvoit fournir à ces dépenfes prodigieufes
. Des Etats dont les bornes font refferrées
, les revenus médiocres , les citoyens
peu riches , ne peuvent fans donner dans le
ridicule , envifager de fi grands objets.
Pour juger fainement du talent des Ar-
M. le Comte Alfieri , Architecte de S. M. le
Roi de Sardaigne.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
tiſtes, il faut examiner fi dans la proportion
des moyens , leurs ouvrages ont atteint le
vrai beau. Sans remonter plus haut que le
Pontife regnant , je ne vous citerai de Rome
que la feule fontaine de Trevi : oppofez-
lui , Monfieur , la plus belle des vôtres.
Ecoutez vos Artiſtes même les plus diftingués
, vos Académiciens jufqu'au Mécene *
qui dirige , qui éclaire , qui anime leurs
travaux , tous éleves de l'Italie , ils lui doivent
trop pour ne pas prendre fa défenfe .
Ce feroit entrer dans une difcuffion dont
on eft déja fatigué , que de m'étendre ici
fur notre Mufique ; il fuffit qu'en général
on lui accorde la fupériorité.
J'aime fi fort , Monfieur , à m'en rapporter
à vos décifions , que je ne vous
difputerai point l'origine de la langue
italienne . Je crois avec vous qu'elle tire
fa fource du Grec & du Latin ; mais je ne
fçaurois vous paffer , Monfieur , cette application
que vous nous fuppofez à décliner
de notre fource : nous y puifons.
journellement , non feulement les termes ,
mais les phraſes entieres ; & nos Académiciens
della Crufca en adoptent entierement
la fyntaxe. Ce n'eft , décidez -vous , qu'à
Rome & à Florence qu'elle fe conferve dans
toute fa pureté. Mais que diriez - vous de
quelqu'un qui affureroit qu'on ne parle
JUILLET. 1755. 61.
François qu'à Blois , & Allemand qu'à
Leipfick ? Vous avez confondu avec la
langue même les différens idiômes du même
peuple que vous appellés en France
patois. Penfez-y , Monfieur , & lifez nos
écrits modernes , vous verrez que les gens
de lettres parlent ou du moins écrivent
auffi-bien à Naples qu'à Rome , à Padoue
qu'à Florence , & ainfi de toutes les langues
de l'univers.
Pardonnez , fi j'appelle auffi de l'arrêt
que vous prononcez fur le mérite de cette
langue : Vous avez la bonté de lui accorder
la moleffe & la douce harmonie, mais
vous lui refuſez la force & l'énergie :
Souffrez , Monfieur , une queftion qui ne
doit jamais offenfer un homme de lettres
lorfqu'il cherche la vérité. La connoiffezvous
affez cette langue & les morceaux de
force qu'elle a produits , pour donner un
certain dégré d'autenticité à l'oracle que
vous prononcez ? Lifez , s'il vous plaît ,
ces huit ou dix vers que je cite au hazard ,
de quelqu'un qui n'eft pas auteur de profeffion
* , ( c'eft le defefpoir d'un amant ; )
vous me direz de bonne foi fi vous connoiffez
un crayon plus noir & plus énergique.
* M. le Comte Pietro Scoți de Sarmato.
62 MERCURE DE FRANCE.
Tra balge & rupi inpenetrabile fia
Latro ritiro ; urli di lupi ogn'ora ,
Turbino i fonni , e la nafcente aurora »
Tarda ritorni a ricondurre il giorno.
Forbida luce de Digiuno fuoco .
Qual ne i fepolcri la pietá racchiude
O poco fcemi , o crefca orrore al loco,
Qui federommi al mio dolor Vicino ,
Stanco d'effer materia all ' atra incude
Del fiero amore del crudel deftino.
Je me flate , Monfieur , que vous ne
refuferez pas plus à ces vers la force &
l'énergie que le fon & l'harmonie : La
peinture y eft affreufe , mais d'une vérité
frappante ; & ne diroit- on pas que l'ima
gination qui en a broyé les couleurs , avoit
pris fes nuances dans Cleveland , ou l'Homme
de qualité ?
λ
Mais laiffons enfin les arts agréables
pour nous élever jufqu'aux fciences fublimes.
Je fuis trop preffé de vous remercier
au nom de toute ma nation de ce que
vous lui permettez d'avoir fes Hiftoriens ,
fes Philofophes & fes Poëtes , pour m'ar
rêter plus long-tems à des objets fur lef
quels je crois l'avoir fuffisamment juftifiée.
Je crois voir cependant que ce petit éloge
n'eft qu'un buiffon de fleurs deftiné à cacher
un ferpent : J'apperçois trop que vous
JUILLE T. 1755. 03
.
nous refufez la folidité néceffaire pour
les recherches profondes , la jufteffe d'efprit
fans laquelle on ne peut imaginer ,
fuivre & détailler un fyftême , la longue
& patiente méditation par laquelle on parvient
à la connoiffance des vérités philofophiques.
MM. d'Alembert & Clairault ,
Mathématiciens françois , que l'Italie fait
gloire d'honorer & de refpecter , vous diront
cependant qu'ils eftiment un Marquis
Poleni , un Zachieri , & beaucoup d'autres
dont les noms peut- être vous font inconnus
des études différentes détournoient
votre attention ) ; mais ils n'ont
point échappé aux autres Mathématiciens
de l'Europe. M. Morand , que les étrangers
n'en eftiment pas moins , parce que
la France l'admire , daigne avouer Morgagni
& Molinelli . Vous n'avez point de
Botanifte qui ne faffe le plus grand cas de
Pontedera , & la Tofcane feule fournit
plufieurs Naturaliftes dont les Buffon &
les Réaumur n'ignorent dès long-tems ni
l'existence ni le mérite . Ajoutons à ces
noms célebres deux femmes illuftres dignes
rivales de votre Emilie , Mefdames Baffi &
Agnefi que les Italiens & les étrangers admirent
également , & dans leurs profonds
écrits & dans les chaires de Profeffeurs ,
que la premiere remplit à Bologne.
64 MERCURE DE FRANCE.
Si vous aviez connu , Monfieur , tous
ces noms déja confacrés dans les faftes
du fçavoir , auriez vous foupçonné nos
Philofophes de ne pouvoir fe garantir des
préjugés de la Magie & de l'Aftrologie 2 à
ce foupçon ma réponſe eft bien fimple
Long - tems avant les procès fameux de
Gauffredi , d'Urbain Grandier , de la Maréchale
d'Ancre & d'autres affaires d'éclat
qui plus récemment ont occupé la France ,
nos Philofophes & nos fçavans ne parloient
déja plus de Magie. A l'égard de
l'Aftrologie lifez vos hiftoriens , ils vous
diront que la France commença de s'en
entêter lorfque l'Italie achevoit de s'en
defabufer ; mais avouons de bonne foi
qu'on s'en moque aujourd'hui autant d'un
côté que de l'autre.
,
J
» Il s'en faut beaucoup que l'Italie mo-
» derne ait des modeles à nous offrir , ni
» qu'elle approche de ceux qu'elle a reçus
» comme nous de l'Italie latine . Tel eft ,
Monfieur votre jugement au fujet de
l'hiftoire ; il eft vrai que nous n'avons plus
les Tites Live , les Salufte , les Tacite
& c , mais nous refuferez - vous Guicciardin
, Macchiaveli , Bembo , Davila , Frapaolo;
& de nos jours les Gianoni , les
Muratori & les Burnamici . Vous avez
affurement lû ces hiftoriens , convenez
JUILLET. 175 5 :
qu'ils auroient mérité votre approbation .
Sur l'éloquence de la chaire , vous êtes
encore en défaut ; vous nous accufez ,
Monfieur , d'un vice que nous condamnons
dans le mauvais fiécle du Seicento
où les Bifchicci , les Allegories , & mille
autres puérilités de même nature remplaçoient
fouvent la morale , l'onction & let
raifonnement . Revenus nous - mêmes de
notre erreur paffée nous déplorons les fautes
de nos ancêtres , & nous blâmons autant
les modernes qui y retombent que
ceux qui nous condamnent fans nous connoître.
Que répondriez-vous à un critique
qui jugeroit vos prédicateurs fur les fermons
de Coiffereau , ou fur les capucinades
de vos Miffionaires.
Je ne vous fuivrai point à la piſte dans
le labyrinthe des phrafes un peu entortillées
, où vous déclamez contre notre genre
dramatique : Je ne vous faifirai qu'au paffage
, où vous imaginez ne pas bleffer la
vraiſemblance en ofant avancer qu'en Italie
c'est l'imperfection de la fociété , le peu de
commerce entre les deux fexes qui a retardé
les progrès du théatre comique . Je reſpecte
trop les gens
de lettres , & vous particu-:
lierement , Monfieur , pour vous paffer
les propofitions que vous hazardez à ce
fujet.
,
66 MERCURE DE FRANCE.
A
Vous , Monfieur , qui fçavez , & qui
nous apprenez fi bien les moeurs de tant
de peuples dont on connoit à peine les
noms , comment avez - vous pu imaginer
les deux fexes auíli féparés que vous les
fuppofez en Italie ? fi moins attaché à vos
Penates vous aviez daigné employer quel
ques mois feulement à la connoiffance de
nos climats , vous auriez vû avec plaifir
que les deux fexes y font bien plus réunis
qu'à Paris. Là au lieu de fe raffembler a
T'heure d'un fouper on fe voit toute la
journée , toutes les maifons font ouvertes
à la bonne compagnie depuis le matin juſ
qu'affez avant dans la nuit , coutumé qui
rend inutile chez nous l'établiffement de
ces petites maiſons où chacun à Paris fem
ble chercher plutôt un afyle pour la liberté
& pour le plaifir qu'un théatre du fentiment
& des grandes paffions.
Je ferai , fi vous voulez , un peu plus
d'accord avec vous fur la rareté que vous
croyez voir en Italie de certains ouvrages
de pur agrément , tel que les pieces fugiti
ves , les effais , les mêlanges de littérature &
de poësie , & tant d'autres productions lé
geres dont la France abonde , & qui peuvent
recevoir le nom de liberiinage d'esprit.
Mais hélas ! Monfieur , croiriez- vous de
bonne foi que nous duffions tant vous en
JUILLET. 1753. 207
vier cette abondance , & vous fembler fi
fort à plaindre de n'écrire guères que pour
notre raiſon ?
Telles font , Monfieur , les obfervations
que j'ai crû devoir faire fur votre introduction
à la partie hiftorique. Avec moins
d'envie de mériter vos éloges , j'aurois
peut-être négligé la défenſe de ma patrie.
Je vous crois trop d'efprit , de modération
& d'impartialité pour ne pas m'en fçavoir
quelque gré. Un Journal étranger eft fait
pour plaire à toute l'Europe ; il ne faut
donc point qu'il prenne trop le goût du
terroir qui l'a produit ; & fi jamais il étoit
permis de s'écarter du vrai , du moins il
feroit plus fûr de flater que de cenfurer
trop légerement des nations entieres : celles-
ci pourroient à leur tour apprécier trop
vite l'auteur fur l'étiquete de l'ouvrage.
Fermer
Résumé : Lettre apologétique d'un Gentilhomme Italien à M. l'Abbé Prevot. Sur l'article du Journal étranger de Janvier 1755, qui a pour titre Introduction à la partie historique.
La lettre apologétique d'un gentilhomme italien adressée à l'abbé Prévost répond à un article du *Journal étranger* de janvier 1755, qui critiquait l'Italie en la qualifiant de 'marâtre' des sciences et des arts. L'auteur reconnaît les mérites de Prévost mais défend l'Italie contre ces accusations. Il souligne que l'Italie reste un berceau des arts et des sciences, malgré les difficultés économiques actuelles qui empêchent la réalisation de grands projets architecturaux. Pour prouver que les arts y sont toujours cultivés, il cite plusieurs artistes italiens contemporains. Il aborde également la musique, la langue italienne et les sciences, mentionnant des savants et des écrivains italiens respectés en Europe. La lettre critique les préjugés de Prévost sur l'Italie moderne, notamment sur la séparation des sexes et le théâtre comique. L'auteur conclut en invitant Prévost à mieux connaître les mœurs italiennes pour éviter les malentendus. Un autre texte, daté de juillet 1753, discute de la profusion de productions légères en France, telles que les essais et les mélanges de littérature et de poésie, qualifiées de 'libertinage d'esprit'. L'auteur exprime son regret de devoir critiquer cette abondance et déplore que ses écrits soient principalement destinés à la raison. Il justifie ses observations en introduisant une partie historique, soulignant qu'il a agi par amour pour sa patrie. L'auteur reconnaît l'esprit, la modération et l'impartialité de son interlocuteur et espère que celui-ci appréciera ses efforts. Il souligne que, bien qu'un journal étranger doive plaire à toute l'Europe, il ne doit pas trop refléter le goût local. L'auteur conseille de flatter plutôt que de censurer trop légèrement des nations entières, afin d'éviter que celles-ci ne jugent l'auteur sur la base de son ouvrage.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 68
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du second volume du Mercure de Juin, [titre d'après la table]
Début :
Le mot de l'Enigme du second volume du Mercure de Juin est les Quilles. Celui du [...]
Mots clefs :
Quilles, Matadors
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Mots de l'Enigme & du Logogryphe du second volume du Mercure de Juin, [titre d'après la table]
LeE mot de l'Enigme du fecond volume du
Mercure de Juin eft les Quilles. Celui du
Logogryphe eft Matadores , dans lequel on
trouve modes , Sem , or , atômes , dôme , Eft,
orme, amer, rame , rat , mets ; Mars , Dieu ;
armes ; Mars , planette ; Mars, mois ; mars,
ou fer ; Adam , mot , ame , dames , damas ,
mort , Mores , Arts , dot , aftre , des , Rome ,
dam , os , dés , mer , Ode , re
Mercure de Juin eft les Quilles. Celui du
Logogryphe eft Matadores , dans lequel on
trouve modes , Sem , or , atômes , dôme , Eft,
orme, amer, rame , rat , mets ; Mars , Dieu ;
armes ; Mars , planette ; Mars, mois ; mars,
ou fer ; Adam , mot , ame , dames , damas ,
mort , Mores , Arts , dot , aftre , des , Rome ,
dam , os , dés , mer , Ode , re
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14
p. 69
LOGOGRYPHE.
Début :
Quatorze pieds, Lecteurs, forment mon existence ; [...]
Mots clefs :
Constantinople
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texteReconnaissance textuelle : LOGOGRYPHE.
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Uatorze pieds , Lecteur , forment mon exiftence
;
Je fuis depuis long- tems fameux & d'importance.
De villes dans mon fein je renferme un Etat :
Des mortels dont la taille eft peu propre au combat
,
D'autres qui fe peignoient le corps & le vifage ;
Le Dieu qui le premier mit la flûte en ufage ;
Le champs fatal qui vit périr tant de Romains ;
Un feuve dans l'Egypte , un faint Evangéliſte ;
La femme de Jacob , un grand naturaliſte :
Le roi des animaux , l'adjoint de Marius ;
Ce qui fit expirer la femme de Brutus;
Un nom propre à la mer , une vierge voilée ;
Un arbre peu commun pour border une allée,
Ce fyftême fondé fur bien des accidens ,
Qui procure du pain quand on n'a plus de dents.
Un fort qu'on eût furpris fans le bruit que fit
l'oye
Un vin rouge excellent que d'Efpagne on envoyé
La mere d'Apollon , du Pape un Député ;
Un ami de Dion , Philoſophe vanté.
Le pere de Jafon , un fameux Aftronome ,
Et l'auftere Cenfeur qui fut l'appui de Rome,
Uatorze pieds , Lecteur , forment mon exiftence
;
Je fuis depuis long- tems fameux & d'importance.
De villes dans mon fein je renferme un Etat :
Des mortels dont la taille eft peu propre au combat
,
D'autres qui fe peignoient le corps & le vifage ;
Le Dieu qui le premier mit la flûte en ufage ;
Le champs fatal qui vit périr tant de Romains ;
Un feuve dans l'Egypte , un faint Evangéliſte ;
La femme de Jacob , un grand naturaliſte :
Le roi des animaux , l'adjoint de Marius ;
Ce qui fit expirer la femme de Brutus;
Un nom propre à la mer , une vierge voilée ;
Un arbre peu commun pour border une allée,
Ce fyftême fondé fur bien des accidens ,
Qui procure du pain quand on n'a plus de dents.
Un fort qu'on eût furpris fans le bruit que fit
l'oye
Un vin rouge excellent que d'Efpagne on envoyé
La mere d'Apollon , du Pape un Député ;
Un ami de Dion , Philoſophe vanté.
Le pere de Jafon , un fameux Aftronome ,
Et l'auftere Cenfeur qui fut l'appui de Rome,
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15
p. 70
CHANSON.
Début :
Tircis voyant que sa Lisette [...]
Mots clefs :
Amour, Musette, Chants
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texteReconnaissance textuelle : CHANSON.
CHANSON.
Tircis voyant que fa Lifette
S'attendriffoit en l'écoutant ,
N'avoit recours qu'à ſa muſette ,
Et ne s'exprimoit qu'en chantant .
Tu m'enchantes , dit la folette ;
Mais veux-tu chanter tout le jour ?
Hé , quoi ! Tircis , le tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprête?
Vois-tu fous ce naiffant feuillage
Ces oifeaux badiner entr'eux ?
Ils interrompent leur ramage.
Pour prouver autrement leurs feux.
Tes tendres chants & ta mufette
Peuvent m'amufer à leur tour ,'
Mais , quoi ! Tircis , de tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprete ?
Sur l'Air du Majeur.
510
Amans , qui près d'une coquette
Croyez la charmer par vos fons ,
Sachez qu'ainfi que pour Lifette ,
Chanfons pour elle font chanſons.
Vos tendres chants , votre mufette ,
Peuvent l'amufer à leur tour ?
Mais pour mieux exprimer l'amour
Changez quelquefois d'interprete.
Tircis voyant que fa Lifette
S'attendriffoit en l'écoutant ,
N'avoit recours qu'à ſa muſette ,
Et ne s'exprimoit qu'en chantant .
Tu m'enchantes , dit la folette ;
Mais veux-tu chanter tout le jour ?
Hé , quoi ! Tircis , le tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprête?
Vois-tu fous ce naiffant feuillage
Ces oifeaux badiner entr'eux ?
Ils interrompent leur ramage.
Pour prouver autrement leurs feux.
Tes tendres chants & ta mufette
Peuvent m'amufer à leur tour ,'
Mais , quoi ! Tircis , de tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprete ?
Sur l'Air du Majeur.
510
Amans , qui près d'une coquette
Croyez la charmer par vos fons ,
Sachez qu'ainfi que pour Lifette ,
Chanfons pour elle font chanſons.
Vos tendres chants , votre mufette ,
Peuvent l'amufer à leur tour ?
Mais pour mieux exprimer l'amour
Changez quelquefois d'interprete.
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Résumé : CHANSON.
Tircis exprime son amour pour Lifette en jouant de la musette et en chantant. Lifette, séduite, suggère de varier les expressions d'amour, comme les oiseaux. La morale invite les amants à diversifier leurs moyens de charmer une coquette, au-delà des chansons et de la musette.
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