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1
p. 318-323
Comédies nouvelles, [titre d'après la table]
Début :
Les Comédiens François représentent depuis un mois une Tragédie intitulée [...]
Mots clefs :
Tragédie, Comédien, Larmes, Pièces, Représentation, Bon goût, Vérité, Auteur, Acte, Personnages, Comédie, Vices
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texteReconnaissance textuelle : Comédies nouvelles, [titre d'après la table]
Les Comédiens François repréfentent
depuis un mois une
Tragédie intitulée Andronic. Cet
Ouvrage eft le charme de la Cour
& de Paris. Il tire des larmes des
plus infenfibles ; & l'ona rien vû
depuis long temps , qui ait eu un
auffi grand fuccés. La Comédie
de l'Ufurier , qu'on jouë alterGALANT.
319
nativement avec cette Piéce , n'a
pas efté traitée d'abord fi favorablement
, & plufieurs ont imité
le Marquis de la Critique de l'E .
cole des Femmes. C'eft le fort
des Piéces qui reprennent les vices,
d'eftre condamnées dans les
premieres Repréſentations. Le
chagrin de fe reconnoiftre dans
des Portraits genéraux , & de
s'accufer en fecret des defauts .
qu'on blâme , oblige ceux qui fe
les reprochent à eux -meſmes , à ›
décrier une Piéce , afin d'empêcher
qu'on ne la voye ; mais les
Gens finceres & de bon gouft,
rétabliffent dans la fuite ce que
ces Critiques intéreffez ont tâché
d'abatre . C'est ce qui ne
pouvoit manquer à l'Ufurier, puis
que la Piéce paffe pour bien
320 MERCURE
écrite , & bien conduire , & qu'on
Y rit depuis le commencement
jufques à la fin , fans qu'il y ait
ny fade plaifancerie , ny équivoque
dont la modeftie puiffe eftre
bleffée. Ainfi l'on n'y peut rire
que de la verité des chofes qu'on
y dit en reprenant les defauts des
Hommes . Ces fortes de chofes
ne peuvent rendre un Autheur
blâmable . Quand on fera voir
que de certains Courtifans font
gueux par leur faute , loin de s'en
fâcher,ils doivent remercier ceux
qui en leur faifant ouvrir les yeux ,
leur donnent moyen d'éviter leur
ruine entiere. Il eft fi vray qu'on
n'a pas eu deffein de choquer la
Cour dans cette Piéce , qu'apres
avoir donné dans un Acte un Por.
trait des Courtiſans qui vivent
GALANT. 321
1
dans le defordre, on en donne un
dans l'Acte qui fuit , entièrement
à l'avantage de la Cour. On s'eft
réché fur ce que dans cette Piéce
on avoit mis des Abb.z fur le
Théatre ; mais fi ceux qui critiquent
cet endroit , l'avoient bien
examiné , ils connoiftroient que
le Perfonnage qu'ils prennent
pour un Abbé , n'eft qu'un des
Ufurpateurs de ce Tître , qui s'en
fervent feulement afin d'eftre
mieux receus dans les Compagnies
; de forte qu'on ne peut
faire aucune comparaifon de ce
Perfonnage avec un veritable
Abbé. D'ailleurs quand c'en feroit
un , on ne pourroit alleguer
qu'il defigne particulierement
aucun Abbé , puis qu'il dit des
chofes genérales , & qui ne peu
322 MERCURE
"
vent eftre appliquées à une mef
me Perfonne. Cela fait voir
que
c'eft fort injuftement que l'on
impute à un Particulier ce qui en
regarde plus de cent . Il en eft de
mefme des Banquiers dont on
parle dans la Piéce. Il cft certain
que l'Autheur n'en a eu aucun
en veuë , mais feulement les vices
de leur Profeffion. Ceux qui prêtent
à ufure , peuvent ne fe pas
corriger pour cela , mais le Pu
blic fera du moins averty de
beaucoup de chofes qu'il doit
éviter à leur égard . Cette maniere
de corriger les vices a efté
trouvée fi utile de tout temps ,
que les Anciens fe fervoient de
Mafques femblables à ceux dont
ils vouloient faire voir les - defauts,
afin de les faire remarquer
GALANT. 323
au Public Il n'en eft pas de mê
me aujourd'huy ; & l'on n'attaque
à la Comédie que les vices,
& non pas les Hommes.
depuis un mois une
Tragédie intitulée Andronic. Cet
Ouvrage eft le charme de la Cour
& de Paris. Il tire des larmes des
plus infenfibles ; & l'ona rien vû
depuis long temps , qui ait eu un
auffi grand fuccés. La Comédie
de l'Ufurier , qu'on jouë alterGALANT.
319
nativement avec cette Piéce , n'a
pas efté traitée d'abord fi favorablement
, & plufieurs ont imité
le Marquis de la Critique de l'E .
cole des Femmes. C'eft le fort
des Piéces qui reprennent les vices,
d'eftre condamnées dans les
premieres Repréſentations. Le
chagrin de fe reconnoiftre dans
des Portraits genéraux , & de
s'accufer en fecret des defauts .
qu'on blâme , oblige ceux qui fe
les reprochent à eux -meſmes , à ›
décrier une Piéce , afin d'empêcher
qu'on ne la voye ; mais les
Gens finceres & de bon gouft,
rétabliffent dans la fuite ce que
ces Critiques intéreffez ont tâché
d'abatre . C'est ce qui ne
pouvoit manquer à l'Ufurier, puis
que la Piéce paffe pour bien
320 MERCURE
écrite , & bien conduire , & qu'on
Y rit depuis le commencement
jufques à la fin , fans qu'il y ait
ny fade plaifancerie , ny équivoque
dont la modeftie puiffe eftre
bleffée. Ainfi l'on n'y peut rire
que de la verité des chofes qu'on
y dit en reprenant les defauts des
Hommes . Ces fortes de chofes
ne peuvent rendre un Autheur
blâmable . Quand on fera voir
que de certains Courtifans font
gueux par leur faute , loin de s'en
fâcher,ils doivent remercier ceux
qui en leur faifant ouvrir les yeux ,
leur donnent moyen d'éviter leur
ruine entiere. Il eft fi vray qu'on
n'a pas eu deffein de choquer la
Cour dans cette Piéce , qu'apres
avoir donné dans un Acte un Por.
trait des Courtiſans qui vivent
GALANT. 321
1
dans le defordre, on en donne un
dans l'Acte qui fuit , entièrement
à l'avantage de la Cour. On s'eft
réché fur ce que dans cette Piéce
on avoit mis des Abb.z fur le
Théatre ; mais fi ceux qui critiquent
cet endroit , l'avoient bien
examiné , ils connoiftroient que
le Perfonnage qu'ils prennent
pour un Abbé , n'eft qu'un des
Ufurpateurs de ce Tître , qui s'en
fervent feulement afin d'eftre
mieux receus dans les Compagnies
; de forte qu'on ne peut
faire aucune comparaifon de ce
Perfonnage avec un veritable
Abbé. D'ailleurs quand c'en feroit
un , on ne pourroit alleguer
qu'il defigne particulierement
aucun Abbé , puis qu'il dit des
chofes genérales , & qui ne peu
322 MERCURE
"
vent eftre appliquées à une mef
me Perfonne. Cela fait voir
que
c'eft fort injuftement que l'on
impute à un Particulier ce qui en
regarde plus de cent . Il en eft de
mefme des Banquiers dont on
parle dans la Piéce. Il cft certain
que l'Autheur n'en a eu aucun
en veuë , mais feulement les vices
de leur Profeffion. Ceux qui prêtent
à ufure , peuvent ne fe pas
corriger pour cela , mais le Pu
blic fera du moins averty de
beaucoup de chofes qu'il doit
éviter à leur égard . Cette maniere
de corriger les vices a efté
trouvée fi utile de tout temps ,
que les Anciens fe fervoient de
Mafques femblables à ceux dont
ils vouloient faire voir les - defauts,
afin de les faire remarquer
GALANT. 323
au Public Il n'en eft pas de mê
me aujourd'huy ; & l'on n'attaque
à la Comédie que les vices,
& non pas les Hommes.
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Résumé : Comédies nouvelles, [titre d'après la table]
Les Comédiens Français jouent depuis un mois la tragédie 'Andronic', qui connaît un grand succès à la cour et à Paris. La comédie 'L'Ufurier', alternée avec 'Andronic', a d'abord été mal reçue, certains critiques la comparant à la critique de l'École des Femmes. Les pièces dénonçant les vices sont souvent mal accueillies lors des premières représentations, car les spectateurs se reconnaissent dans les portraits tracés. Cependant, les gens sincères et de bon goût finissent par rétablir la réputation de la pièce. 'L'Ufurier' est bien écrite et offre un rire constant sans recourir à des plaisanteries fades ou blessantes. Le rire provient de la vérité des choses reprochées aux hommes. La pièce ne vise pas à choquer la cour, alternant entre des portraits de courtisans vivant dans le désordre et des portraits flatteurs de la cour. Les critiques ont également reproché la présence d'abbés sur scène, mais le personnage en question est un usurpateur du titre. Les banquiers mentionnés ne sont pas visés individuellement, mais leurs vices professionnels sont mis en lumière pour avertir le public. Cette méthode de correction des vices est jugée utile et a été utilisée par les Anciens pour faire remarquer les défauts au public. Aujourd'hui, on attaque les vices et non les hommes à la comédie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 270-299
Eloge de feu Mr de Corneille. [titre d'après la table]
Début :
Je vous tiens parole, & je m'acquitte de ce que je vous ay promis [...]
Mots clefs :
Éloge, Corneille, Académie française, Public, Comédies, Tragédies, Opéra, Troupe, Comédien, Éditions
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texteReconnaissance textuelle : Eloge de feu Mr de Corneille. [titre d'après la table]
Je vous tiens parole , &je
m'acquitte de ce que je vous
ay promis en vous envoyant
l'Eloge de feu Mr de Corneille, Ecuyer, mort à l'âge de 84.
ans. Il a porté le nom de
Jeune , dans un âge fort avancé , à caufe qu'il avoit un frere
plus âgé que luy , connu fous
le nom du grand Corneille , &
qui s'eftoit acquis ce furnom
a jufte titre. On avoit encore
donné au cadet le furnom
d'honneste homme , à caufe de la
GALANT 271-
droiture de fon cœur generalement connue. Il eftoit univerfellement aimé , & il n'a
pas paru qu'il ait jamais eu
aucun ennemy ni qu'il fe foit
brouillé avec perfonne. Il étoit
obligeant, d'une humeur douce, & fe faifoit un plaifir d'en
faire à tous ceux qui en fouhaitoient de luy.
Comme l'efprit eftoit hereditaire dans fa famille , il ne
faut pas s'eftonner s'il prit le
party des Lettres. Il eftoit univerfel , & la Poëſie n'a pas fait
fon unique occupation. Il a
donné cinq gros Volumes in
Z iiij
272 MERCURE
F
Folio au Public , dont je vous
parleray dans la fuite , ainfi
que d'autres ouvrages de Profe. Ses premiers ont efté des
preuves du talent qu'il avoit
pour la Poësie , & c'eft ordinairement par où les jeunes
gens commencent à exercet
leur efprit. Iltraduifit les Methamorphofes d'Ovide, &p'ufieurs autres Ouvrages de ce
galant Auteur en Vers François , dont on a fait un grand
nombre d'Editions. Ses Ouvrages de Theatre ont diverty
la Cour pendant tout le temps
de la Regence , & long- temps.
ป
GALANI 273
aptés , &parmy fes Comedies
& fes Tragedies , dont je ne
vous nommeray que quelquesunes , puifque le Recueil de
fes Pieces eft imprimé , il y en
a eu dont les fuccés ont furpaffe ceux des Pieces des plus
fameux Auteurs ; & entre fes
Comedies , Dom Bertrand de
Sigaralle , a cfté fi eftimé & fi
fuivy, que l'on a remarqué que
pendant un certain nombre
d'années , il a efté joué plus de
vingt fois à la Cour , fans les
reprefentations qui en ont efté
données au Public. Mr de
Corneille n'eftoit encore que
274 MERCURE
dans un âge tres-peu avancé,
lors qu'ilfit jouer fur le Theatre du Marais , le Tymocrate.
Nous n'avons point yû d'Ouvrage de nos jours qui ait efté
reprefenté fi long- temps de
fuite , puifque les reprefentations en furent continuées pendant un hyver entier ; & cette
Piece fit tant de bruit , que le
Roy l'alla voir fur le Theatre
du Marais. Le fujet de cette
Piece fut fi heureux , & cette
Tragedie fut fi intereſſante,
qu'on vit paroiftre auffi toſt
plufieurs Pieces, dont les Heros eftoient haïs fous un nom
GALANT 275
& aimez fous un autre. Comme la Troupe des Comediens
du Marais ne paffoit pas pour
eftre la meilleure de Paris , &
que celle de l'Hoſtel de Bourgogne la furpaffoit infiniment,
& qu'elle avoit toutes les voix,
cetteTroupe entreprit de jouer
cette Piece , à caufe de la reputation extraordinaire qu'el
le avoit euë ; mais comme
tout Paris la fçavoit par cœur,
cette Troupe n'eût pas tous
les applaudiffemens qu'elle at.
tendoit , & le grand nombre
de Reprefentations qu'en avoient donné les Comediens
+
276 MERCURE
du Marais , avoient fait qu'ils
poffedoient fi bien cette Piece , qu'il fut impoffible aux
Copies d'atteindre jufqu'à la
perfection des Originaux ; de
maniere que lors qu'il eftoit
queftion de la voir reprefenter on preferoit les Comediens du Marais à ceux del'Hôtel de Bourgogne.
Mr de Corneille fit jouer
quelque temps aprés la mort
de l'Empereur Comode fur le
mefine Theatre des Coinediens du Marais , où le Roy
& toute la Cour , fur le bruit
qui fe répandit des grands ap
GALANT 277
plaudiffemens que cette Piece
recevoit , allerent en voir la
reprefentation & quelque
temps aprés elle fut jouée fur
le Theatre du Louvre , où l'on
en donna encore enſuite plufieurs reprefentations.
Les Comediens de l'Hoftel
de Bourgogne , chagrins des
avantages que recevoient les
Comediens du Marais , mirent
tout en ufage pour s'acquerir
M'de Corneille , & il fe trouva obligé de travailler pour
eux , parce qu'ils avoient fait
entrer dans leur Troupe quelques Comediens du Marais ,
278 MERCURE
fans lefquels fes Pieces auroient
eſté mal jouées. Il fit donc reprefenter le Stilicon fur le
Theatre de l'Hoftel de Bourgogne. Je ne vous dis rien de
cette Piece. Perfonne n'ignore
qu'elle fut le charme de tout
Paris. M' de Corneille donna
enfuite Camma , Reine de Galatie , & la Cour & la Ville ſc
trouverent en fi grand nombre aux Repreſentions de cette Piece , que les Comediens
ne trouvoient pas de place fur
le Theatre pour pouvoir jouer
avec tranquilité , & il arriva
une chofe en ce temps- là qui
GALANT 279
n'avoit point encore eſté faite
par aucune Troupe. Les Comediensjufqu'à cette Piece n'avoient joué la Comedie que
les Dimanches , les Mardis , &
les Vendredis ; mais ils commencerent à caufe de la foule ,
à jouer les Jeudis , ce qui leur
arriva dans la fuite , lors que
les Pieces eftoient fort fuivies ,
ce qu'ils ont toûjours fait depuis, & ce qui leur a vallu beaucoup d'argent.
Parmi fes Tragedies on en
trouve une qui a paffé pour un
Chef-d'œuvre. Jamais Piece.
n'a efté plus touchante & plus
-
280 MERCURE
fuivie. C'eft de l'Ariane dont
je veux parler , & ce qui doit
furprendre tout le monde , eft
que M' de Corneille eftant retiré à la Campagne avoit fait
cette Piece en quarante jours.
Il n'avoit pas moins de facilité
à travailler à fes ouvrages de
Theatre, que de memoire pour
les retenir , & tous ceux qui
l'ont connu particulierement.
ont efté témoins que lors qu'il
eftoit prié delire fes Pieces dans
quelques Compagnies , ce qui
cftoit autrefois fort en ufage ,
il les recitoit mieux qu'aucun
Comedien n'auroit pû faire ,
GALANT 281
fans rien lire ; il eftoit fi fûr de
fa memoire , quefouvent il ne
portoit point fes Pieces avec
luy.
Les Comediens m'ayant
preffé avec de fortes inftances ,
de mettre aprés la mort de M
Voifin tout ce qui s'eftoit paf
fé chez elle pendant fa vie à
l'occafion du mêtier dont elle
s'eitoit mêlée , je fis un grand
nombre de Scenes qui auroient
pû fournir de la matiere pour
trois ou quatre Pieces ; mais
qui ne pouvoient former un
fujet parce qu'il eftoit trop uniforme, & qu'il nes'agiffoit que
Fanvier 1710. Aa
282 MERCURE
de gens qui alloient demander
leur bonne - avanture , & faire
des propofitions qui la regardoient ; mais toutes ces Scenes.
ne pouvant former le neud
d'une Comedie , parce que
toutes ces perfonnes ſe fuyant
& évitant de fe parler , il eftoit
impoffible de faire une liaifon
de Scenes , & que la Piece puſt
avoir unnœud ; je luy donnay
mes Scenes , & il en choifit un
nombre avec lefquelles il compofa un fujet dont le noud
parut des plus agreable , &qui
a efté regardé comme un Chefd'œuvre. Le fuccés de cette
GALANT 283
Piece qui a efté un des plus prodigieux du fiecle , en fait foy.
Le fuccés de la Comedie de
'Inconnu a efté auffi des plus
grands. Il y avoit des raifons
pour donner promptement
cette Piece au Public ; de maniere que pour avancer , je fis
toute la Piece en Profe , &
pendant que je faifois la Profe
du fecond Acte , il mettoit
celle du premier Acte en Vers ;
& comme la Profe eft plus facile que les Vers , j'eus le temps
de faire ceux des Divertiffemens , & fur tout du Dialogue
Aa ij
284 MERCURE
de l'Amour & de l'Amitié qui
n'a pas déplu au Public. Nous
avons fait encore enfemble la
fuperbe Piece de Machines de
Circé , de laquelle je n'ay fait
que les Divertiffemens. Les
Comediens avoient traité du
Theatre des Opera de feu M
le Marquis de Sourdeac ; &
comme tous les mouvemens
des Opera y eftoient reftez ,
je crus qu'en fe fervantedes
mefines mouvemens qui a
voient fervi aux Machines de
ces Opera , on pourroit faire
une Piece qui feroit recitées
GALANT 285
& non chantée , & nous
cherchâmes un fujet favora
ble à mettre ces Machines
dans leur jour. De maniere
que lorsque la Piece parut elle
ne reffembloit en rien aux Opera qui avoient eſté chantez
fur le même Theatre. Le fuccés de cette Piece fut fi prodigieux qu'elle fut jouée fans
interruption depuis le commencement du Carefme jufqu'au mois de Septembre ,
& les Reprefentations en auroient encore duré plus longtemps fi les intereſts d'un Par
ticulier n'en euffent point fait
286 MERCURE
retrancher les voix. Il eft à remarquer que pendant les fix
premieres femaines , la Salle de
la Comedie fe trouva toute
remplie dés midi ; & que com
me l'on n'y pouvoit trouver
de place on donnoit un demi
Louis d'or à la porte , feulement pour y avoir entrée , &
que l'on eftoit content quand
pour la même fomme que l'on
donnoit aux premieres Loges ,
on eftoit placé au troisième
rang. Je n'avance rien dontles
Regitres des Comediens ne
faffent foy.
Comme feu Mr de Cor-
GALANT 287
neille , avoit le bonheur de
réüffir dans tout ce qu'il entreprenoit & que l'Opera cût
efté étably au Palais Royal ,
il fut follicité d'y travailler ,
& il fit l'Opera de Bellerophon,
quifut auffi joué pendant prés
d'une année entiere. Outre
la beauté des Vers & de la
Mufique on remarqua dans
cette Piece ce qui ne s'eftoit
pas encore vu dans aucun Opera ; c'eft à- dire , un fujet auffi
plein & auffi intrigué qui fi la
Piece avoit eu quinze cens
Vers , quoyqu'à caufe de l'étenduëque donne la Mufique,
288 MERCURE
les Opera n'en contiennent
ordinairement que quatre 3
cinq cens. Son genie parut
encore dans l'Opera de Pfiché ;
ce fujet avoit efté mis en Comedie pour le Roy , avec des
Intermedes fi remplis & fi
fuperbes pour tout ce qui en
regardoit les ornemens , que
la France n'a rien vû de plus
beau que ce Spectacle qui avoit
eſté donné dans la fuperbe
Salle des Machines qui fe voit
dans le Palais des Thuileries.
-
Les Comediens voulurent
donner cette Piece au Public ,
en y laiffant les Intermedes , &
fans
GALANT 289
fans que le Corps de la Piece
fuft mife en Opera ; mais la
dificulté parut grande à tous
les Auteurs , car la Piece qui
avoit cité recitée avoit autant
de Vers que les Tragedies ordinaires , & il n'en falloit pas
le quart pour eftre chantée ,
& que cependant tout le fujet
yentraft ; c'eft de quoy Mr de
Corneille vint à bout , & il
fçut la reduire en Opera fans
rien changer du fujer de la'
Piece ; demaniere qu'en n'employant que quatre cens Vers ,
le Public vit les mêmes incidens qu'il avoit trouvez dans
Fanvier 1710.
Bb
290 MERCURE
la Piece de dix huit cens , ce
qui furprit tous les Auditeurs ,
& luy attira beaucoup de
loüanges.
Je nefinirois point cet Elogefi je voulois faire l'Hiftoire
de tous les Ouvrages de Theatre de Mr de Corneille , &
j'aurois quelque chofe de fingulier à vous dire fur chacune
de fes Pieces. La Poëfie cftoit
le moindre de les talens , &
on enjugera par Les Ouvrages
de Profe que je vais vous
raporter. Il fçavoit parfaitement la Langue. Rien ne luy
eftoit caché dans les Arts , &
GALANT 291
toute la terre luy eftoit connuë. Voicy des preuves ' parlantes & inconteftables de ces
trois chofes.
Les remarques que cet
homme univerfel a fait fur
Vaugelas font une preuve
fans replique qu'il connoiffoit
la Langue dans toutela pureté,
&l'on peut en lifant ce Livre
s'éclaircir des doutes que l'on
peut avoir lorfque l'on veut
écrire & parler jufte. Auffi
ce Livre eft il fort recherché
& confulté de ceux qui yeulent acquerirle nom de Puriftes,
.que feu Mr de Corneille , a
Bb ij
292 MERCURE
mieux merité que beaucoup
d'autres , & j'ay fouvent oui
dire à Mr l'Abbé de Dangcau ,
qui comme vous fçavez eft de
l'Academie Françoiſe , & qui
fe plaifoit à luy rendre juſtice ,
qu'il eftoit leur Maître.
Les deux Volumes in fulio
qu'il a donnez au Public fous .
le nom de Dictionnaire des
Arts, doivent faire connoiſtre,
fans qu'il foit befoin d'en dire
davantage, que tout ce qui les
regarde , luy eftoit parfaitementconnu. Il me faudroit faireun Volume, fi je voulois par-,
de tout ce qu'ils contien- jer
GALANT 293
nent ,& de tous les Intrumens
qui regardent les Arts. J'ajouteray feulement que que ces deux .
Volumes ont efté trouvez fi
beaux & fi utiles , que l'impreffion en a efté entierement
enlevée prefque dans le temps
qu'elle a paru , quoy qu'elle
fe foit vendue dans le temps
que l'Academic Françoiſe a
donné fon Dictionnaire au
Public. Il avoit beaucoup travaillé avant la mort, pour en
donner une feconde, Edition ;
& il eftoit ſi laborieux , qu'il
travailloit en mefme temps aux
trois gros Volumes in folio
Bb jij
294 MERCURE
qu'il a donnez au Public un
peu avant fa mort, & qui font
• connoiftre qu'il eftoit univerfel, & qu'il connoiffoit la Terre entiere. 曹 Ces Volumes ont
pour titre , Dictionnaire univerfel , Geographique & Hiftorique , contenant la Defcription
des Royaumes, Empires , Eftats,
Provinces , Pays, Contrées, Dea
ferts , Villes , Bourgs , Abbayes;
Chafteaux , Fortereffes , Mers,
Rivieres , Lacs , Bayes ; Golphes , Détroits , Caps , Ifles,
Prefqu'Ifles, Montagnes , Vallées ; lafituation , l'étendue , les
limites , les diftances de chaque
GALANT 295
Pays ; la Religion , les Mœurs,
les Coûtumes , le Commerce , lesCeremonies particulieres des Peuples , ce que l'Hiftoire fournit
de plus curieux touchant les chofes qui s'y font passées. Le tout
recueilly des meilleures Livres de
Voyages , autres qui agent
paru jusqu'à prefent , par
Corneille de l'Academie Frangoife , & de celle des Infcriptions
des Medailles. موع
Mr
Le Public eftoit tellement
perfuadé de la bonté de fes
Ouvrages , quedés qu'il apprenoit qu'il en avoit quelqu'un
fous la Preffe , il en retenoit &
Bb iiij
296 MERCURE
en payoit d'avance des Exemplaires , chacun témoignant
par cet empreffement le defir
qu'il avoit d'en avoir des premicrs ; de maniere que l'Edition de ce Dictionnaire s'eft
trouvée vendue prefque auffitoft qu'elle a efté achevée , &
Mr de Corneille, dans le temps
qu'il eft mort , avoit déja fait
beaucoup de remarques fur
fonOuvrage, & ramaffe beaucoup de chofes curieuſes pour
en compoſer une feconde Edition .
Je dois avoüer icy que je
tiens de luy tour ce que je
GALANT 297
fçay de la Langue Françoife,
& que pendant un affez grand
nombre d'années, j'ay foûmis
mes Ouvrages à fa correction;
ce qui a fait croire davantage,
& ce qui eftoit ceffé depuis
douze années , ce grand homme eftant affez occupé d'ail .
leurs , & beaucoup détourné
par des incommoditez que
années & un travail immenſe
& continuel luy avoienr attirées.ople
र
fes
Il avoit un grand fond de
probité , de droitute , de fageffe , de bonté , de modeftie,
de charité , & de vertu. Enne-
298 MERCURE
mi de la médifance , il ne pouvoitfouffrir les perfonnes dont
l'unique converfation eft de
faire inventaire des actions
d'autruy. Jamais homme n'a
eu plus de Religion , & n'eft
mort avec plus de refignation
aux volontez de Dieu , & il
voyoit tous les jours approcher la mort avec une fermeté
incroyable , fans ceffer neanmoins fon travail qui luy cftoit
neceffaire , parce que les gens
de Lettres ne font pas ordinairement les plus favorifez de
la fortune , & que l'Ecriture
dit , QUI LABORAT ORAT,
qui travaille prie.
THEQUE
GALANT
20
BIBLIO
ge VILLE
Ce grand homme efton res
commandable par tant d'endroits differens, que je ne doute point que celuy qui aura
le bonheur de remplir la place
qu'il occupoit dans l'Academie Françoife , ne trouve encore de nouveaux fujets d'en
faire un bel Eloge. Perfonne
n'ignore qu'il eftoit auffi de
l'Academie Royale des Medailles & Infcriptions.
Je crois pouvoir placer une
Chanfon aprés l'Eloge d'un
homme qui en a fait de fi belles ; elle eft du Solitaire du
Bois du Val- Dieu.
m'acquitte de ce que je vous
ay promis en vous envoyant
l'Eloge de feu Mr de Corneille, Ecuyer, mort à l'âge de 84.
ans. Il a porté le nom de
Jeune , dans un âge fort avancé , à caufe qu'il avoit un frere
plus âgé que luy , connu fous
le nom du grand Corneille , &
qui s'eftoit acquis ce furnom
a jufte titre. On avoit encore
donné au cadet le furnom
d'honneste homme , à caufe de la
GALANT 271-
droiture de fon cœur generalement connue. Il eftoit univerfellement aimé , & il n'a
pas paru qu'il ait jamais eu
aucun ennemy ni qu'il fe foit
brouillé avec perfonne. Il étoit
obligeant, d'une humeur douce, & fe faifoit un plaifir d'en
faire à tous ceux qui en fouhaitoient de luy.
Comme l'efprit eftoit hereditaire dans fa famille , il ne
faut pas s'eftonner s'il prit le
party des Lettres. Il eftoit univerfel , & la Poëſie n'a pas fait
fon unique occupation. Il a
donné cinq gros Volumes in
Z iiij
272 MERCURE
F
Folio au Public , dont je vous
parleray dans la fuite , ainfi
que d'autres ouvrages de Profe. Ses premiers ont efté des
preuves du talent qu'il avoit
pour la Poësie , & c'eft ordinairement par où les jeunes
gens commencent à exercet
leur efprit. Iltraduifit les Methamorphofes d'Ovide, &p'ufieurs autres Ouvrages de ce
galant Auteur en Vers François , dont on a fait un grand
nombre d'Editions. Ses Ouvrages de Theatre ont diverty
la Cour pendant tout le temps
de la Regence , & long- temps.
ป
GALANI 273
aptés , &parmy fes Comedies
& fes Tragedies , dont je ne
vous nommeray que quelquesunes , puifque le Recueil de
fes Pieces eft imprimé , il y en
a eu dont les fuccés ont furpaffe ceux des Pieces des plus
fameux Auteurs ; & entre fes
Comedies , Dom Bertrand de
Sigaralle , a cfté fi eftimé & fi
fuivy, que l'on a remarqué que
pendant un certain nombre
d'années , il a efté joué plus de
vingt fois à la Cour , fans les
reprefentations qui en ont efté
données au Public. Mr de
Corneille n'eftoit encore que
274 MERCURE
dans un âge tres-peu avancé,
lors qu'ilfit jouer fur le Theatre du Marais , le Tymocrate.
Nous n'avons point yû d'Ouvrage de nos jours qui ait efté
reprefenté fi long- temps de
fuite , puifque les reprefentations en furent continuées pendant un hyver entier ; & cette
Piece fit tant de bruit , que le
Roy l'alla voir fur le Theatre
du Marais. Le fujet de cette
Piece fut fi heureux , & cette
Tragedie fut fi intereſſante,
qu'on vit paroiftre auffi toſt
plufieurs Pieces, dont les Heros eftoient haïs fous un nom
GALANT 275
& aimez fous un autre. Comme la Troupe des Comediens
du Marais ne paffoit pas pour
eftre la meilleure de Paris , &
que celle de l'Hoſtel de Bourgogne la furpaffoit infiniment,
& qu'elle avoit toutes les voix,
cetteTroupe entreprit de jouer
cette Piece , à caufe de la reputation extraordinaire qu'el
le avoit euë ; mais comme
tout Paris la fçavoit par cœur,
cette Troupe n'eût pas tous
les applaudiffemens qu'elle at.
tendoit , & le grand nombre
de Reprefentations qu'en avoient donné les Comediens
+
276 MERCURE
du Marais , avoient fait qu'ils
poffedoient fi bien cette Piece , qu'il fut impoffible aux
Copies d'atteindre jufqu'à la
perfection des Originaux ; de
maniere que lors qu'il eftoit
queftion de la voir reprefenter on preferoit les Comediens du Marais à ceux del'Hôtel de Bourgogne.
Mr de Corneille fit jouer
quelque temps aprés la mort
de l'Empereur Comode fur le
mefine Theatre des Coinediens du Marais , où le Roy
& toute la Cour , fur le bruit
qui fe répandit des grands ap
GALANT 277
plaudiffemens que cette Piece
recevoit , allerent en voir la
reprefentation & quelque
temps aprés elle fut jouée fur
le Theatre du Louvre , où l'on
en donna encore enſuite plufieurs reprefentations.
Les Comediens de l'Hoftel
de Bourgogne , chagrins des
avantages que recevoient les
Comediens du Marais , mirent
tout en ufage pour s'acquerir
M'de Corneille , & il fe trouva obligé de travailler pour
eux , parce qu'ils avoient fait
entrer dans leur Troupe quelques Comediens du Marais ,
278 MERCURE
fans lefquels fes Pieces auroient
eſté mal jouées. Il fit donc reprefenter le Stilicon fur le
Theatre de l'Hoftel de Bourgogne. Je ne vous dis rien de
cette Piece. Perfonne n'ignore
qu'elle fut le charme de tout
Paris. M' de Corneille donna
enfuite Camma , Reine de Galatie , & la Cour & la Ville ſc
trouverent en fi grand nombre aux Repreſentions de cette Piece , que les Comediens
ne trouvoient pas de place fur
le Theatre pour pouvoir jouer
avec tranquilité , & il arriva
une chofe en ce temps- là qui
GALANT 279
n'avoit point encore eſté faite
par aucune Troupe. Les Comediensjufqu'à cette Piece n'avoient joué la Comedie que
les Dimanches , les Mardis , &
les Vendredis ; mais ils commencerent à caufe de la foule ,
à jouer les Jeudis , ce qui leur
arriva dans la fuite , lors que
les Pieces eftoient fort fuivies ,
ce qu'ils ont toûjours fait depuis, & ce qui leur a vallu beaucoup d'argent.
Parmi fes Tragedies on en
trouve une qui a paffé pour un
Chef-d'œuvre. Jamais Piece.
n'a efté plus touchante & plus
-
280 MERCURE
fuivie. C'eft de l'Ariane dont
je veux parler , & ce qui doit
furprendre tout le monde , eft
que M' de Corneille eftant retiré à la Campagne avoit fait
cette Piece en quarante jours.
Il n'avoit pas moins de facilité
à travailler à fes ouvrages de
Theatre, que de memoire pour
les retenir , & tous ceux qui
l'ont connu particulierement.
ont efté témoins que lors qu'il
eftoit prié delire fes Pieces dans
quelques Compagnies , ce qui
cftoit autrefois fort en ufage ,
il les recitoit mieux qu'aucun
Comedien n'auroit pû faire ,
GALANT 281
fans rien lire ; il eftoit fi fûr de
fa memoire , quefouvent il ne
portoit point fes Pieces avec
luy.
Les Comediens m'ayant
preffé avec de fortes inftances ,
de mettre aprés la mort de M
Voifin tout ce qui s'eftoit paf
fé chez elle pendant fa vie à
l'occafion du mêtier dont elle
s'eitoit mêlée , je fis un grand
nombre de Scenes qui auroient
pû fournir de la matiere pour
trois ou quatre Pieces ; mais
qui ne pouvoient former un
fujet parce qu'il eftoit trop uniforme, & qu'il nes'agiffoit que
Fanvier 1710. Aa
282 MERCURE
de gens qui alloient demander
leur bonne - avanture , & faire
des propofitions qui la regardoient ; mais toutes ces Scenes.
ne pouvant former le neud
d'une Comedie , parce que
toutes ces perfonnes ſe fuyant
& évitant de fe parler , il eftoit
impoffible de faire une liaifon
de Scenes , & que la Piece puſt
avoir unnœud ; je luy donnay
mes Scenes , & il en choifit un
nombre avec lefquelles il compofa un fujet dont le noud
parut des plus agreable , &qui
a efté regardé comme un Chefd'œuvre. Le fuccés de cette
GALANT 283
Piece qui a efté un des plus prodigieux du fiecle , en fait foy.
Le fuccés de la Comedie de
'Inconnu a efté auffi des plus
grands. Il y avoit des raifons
pour donner promptement
cette Piece au Public ; de maniere que pour avancer , je fis
toute la Piece en Profe , &
pendant que je faifois la Profe
du fecond Acte , il mettoit
celle du premier Acte en Vers ;
& comme la Profe eft plus facile que les Vers , j'eus le temps
de faire ceux des Divertiffemens , & fur tout du Dialogue
Aa ij
284 MERCURE
de l'Amour & de l'Amitié qui
n'a pas déplu au Public. Nous
avons fait encore enfemble la
fuperbe Piece de Machines de
Circé , de laquelle je n'ay fait
que les Divertiffemens. Les
Comediens avoient traité du
Theatre des Opera de feu M
le Marquis de Sourdeac ; &
comme tous les mouvemens
des Opera y eftoient reftez ,
je crus qu'en fe fervantedes
mefines mouvemens qui a
voient fervi aux Machines de
ces Opera , on pourroit faire
une Piece qui feroit recitées
GALANT 285
& non chantée , & nous
cherchâmes un fujet favora
ble à mettre ces Machines
dans leur jour. De maniere
que lorsque la Piece parut elle
ne reffembloit en rien aux Opera qui avoient eſté chantez
fur le même Theatre. Le fuccés de cette Piece fut fi prodigieux qu'elle fut jouée fans
interruption depuis le commencement du Carefme jufqu'au mois de Septembre ,
& les Reprefentations en auroient encore duré plus longtemps fi les intereſts d'un Par
ticulier n'en euffent point fait
286 MERCURE
retrancher les voix. Il eft à remarquer que pendant les fix
premieres femaines , la Salle de
la Comedie fe trouva toute
remplie dés midi ; & que com
me l'on n'y pouvoit trouver
de place on donnoit un demi
Louis d'or à la porte , feulement pour y avoir entrée , &
que l'on eftoit content quand
pour la même fomme que l'on
donnoit aux premieres Loges ,
on eftoit placé au troisième
rang. Je n'avance rien dontles
Regitres des Comediens ne
faffent foy.
Comme feu Mr de Cor-
GALANT 287
neille , avoit le bonheur de
réüffir dans tout ce qu'il entreprenoit & que l'Opera cût
efté étably au Palais Royal ,
il fut follicité d'y travailler ,
& il fit l'Opera de Bellerophon,
quifut auffi joué pendant prés
d'une année entiere. Outre
la beauté des Vers & de la
Mufique on remarqua dans
cette Piece ce qui ne s'eftoit
pas encore vu dans aucun Opera ; c'eft à- dire , un fujet auffi
plein & auffi intrigué qui fi la
Piece avoit eu quinze cens
Vers , quoyqu'à caufe de l'étenduëque donne la Mufique,
288 MERCURE
les Opera n'en contiennent
ordinairement que quatre 3
cinq cens. Son genie parut
encore dans l'Opera de Pfiché ;
ce fujet avoit efté mis en Comedie pour le Roy , avec des
Intermedes fi remplis & fi
fuperbes pour tout ce qui en
regardoit les ornemens , que
la France n'a rien vû de plus
beau que ce Spectacle qui avoit
eſté donné dans la fuperbe
Salle des Machines qui fe voit
dans le Palais des Thuileries.
-
Les Comediens voulurent
donner cette Piece au Public ,
en y laiffant les Intermedes , &
fans
GALANT 289
fans que le Corps de la Piece
fuft mife en Opera ; mais la
dificulté parut grande à tous
les Auteurs , car la Piece qui
avoit cité recitée avoit autant
de Vers que les Tragedies ordinaires , & il n'en falloit pas
le quart pour eftre chantée ,
& que cependant tout le fujet
yentraft ; c'eft de quoy Mr de
Corneille vint à bout , & il
fçut la reduire en Opera fans
rien changer du fujer de la'
Piece ; demaniere qu'en n'employant que quatre cens Vers ,
le Public vit les mêmes incidens qu'il avoit trouvez dans
Fanvier 1710.
Bb
290 MERCURE
la Piece de dix huit cens , ce
qui furprit tous les Auditeurs ,
& luy attira beaucoup de
loüanges.
Je nefinirois point cet Elogefi je voulois faire l'Hiftoire
de tous les Ouvrages de Theatre de Mr de Corneille , &
j'aurois quelque chofe de fingulier à vous dire fur chacune
de fes Pieces. La Poëfie cftoit
le moindre de les talens , &
on enjugera par Les Ouvrages
de Profe que je vais vous
raporter. Il fçavoit parfaitement la Langue. Rien ne luy
eftoit caché dans les Arts , &
GALANT 291
toute la terre luy eftoit connuë. Voicy des preuves ' parlantes & inconteftables de ces
trois chofes.
Les remarques que cet
homme univerfel a fait fur
Vaugelas font une preuve
fans replique qu'il connoiffoit
la Langue dans toutela pureté,
&l'on peut en lifant ce Livre
s'éclaircir des doutes que l'on
peut avoir lorfque l'on veut
écrire & parler jufte. Auffi
ce Livre eft il fort recherché
& confulté de ceux qui yeulent acquerirle nom de Puriftes,
.que feu Mr de Corneille , a
Bb ij
292 MERCURE
mieux merité que beaucoup
d'autres , & j'ay fouvent oui
dire à Mr l'Abbé de Dangcau ,
qui comme vous fçavez eft de
l'Academie Françoiſe , & qui
fe plaifoit à luy rendre juſtice ,
qu'il eftoit leur Maître.
Les deux Volumes in fulio
qu'il a donnez au Public fous .
le nom de Dictionnaire des
Arts, doivent faire connoiſtre,
fans qu'il foit befoin d'en dire
davantage, que tout ce qui les
regarde , luy eftoit parfaitementconnu. Il me faudroit faireun Volume, fi je voulois par-,
de tout ce qu'ils contien- jer
GALANT 293
nent ,& de tous les Intrumens
qui regardent les Arts. J'ajouteray feulement que que ces deux .
Volumes ont efté trouvez fi
beaux & fi utiles , que l'impreffion en a efté entierement
enlevée prefque dans le temps
qu'elle a paru , quoy qu'elle
fe foit vendue dans le temps
que l'Academic Françoiſe a
donné fon Dictionnaire au
Public. Il avoit beaucoup travaillé avant la mort, pour en
donner une feconde, Edition ;
& il eftoit ſi laborieux , qu'il
travailloit en mefme temps aux
trois gros Volumes in folio
Bb jij
294 MERCURE
qu'il a donnez au Public un
peu avant fa mort, & qui font
• connoiftre qu'il eftoit univerfel, & qu'il connoiffoit la Terre entiere. 曹 Ces Volumes ont
pour titre , Dictionnaire univerfel , Geographique & Hiftorique , contenant la Defcription
des Royaumes, Empires , Eftats,
Provinces , Pays, Contrées, Dea
ferts , Villes , Bourgs , Abbayes;
Chafteaux , Fortereffes , Mers,
Rivieres , Lacs , Bayes ; Golphes , Détroits , Caps , Ifles,
Prefqu'Ifles, Montagnes , Vallées ; lafituation , l'étendue , les
limites , les diftances de chaque
GALANT 295
Pays ; la Religion , les Mœurs,
les Coûtumes , le Commerce , lesCeremonies particulieres des Peuples , ce que l'Hiftoire fournit
de plus curieux touchant les chofes qui s'y font passées. Le tout
recueilly des meilleures Livres de
Voyages , autres qui agent
paru jusqu'à prefent , par
Corneille de l'Academie Frangoife , & de celle des Infcriptions
des Medailles. موع
Mr
Le Public eftoit tellement
perfuadé de la bonté de fes
Ouvrages , quedés qu'il apprenoit qu'il en avoit quelqu'un
fous la Preffe , il en retenoit &
Bb iiij
296 MERCURE
en payoit d'avance des Exemplaires , chacun témoignant
par cet empreffement le defir
qu'il avoit d'en avoir des premicrs ; de maniere que l'Edition de ce Dictionnaire s'eft
trouvée vendue prefque auffitoft qu'elle a efté achevée , &
Mr de Corneille, dans le temps
qu'il eft mort , avoit déja fait
beaucoup de remarques fur
fonOuvrage, & ramaffe beaucoup de chofes curieuſes pour
en compoſer une feconde Edition .
Je dois avoüer icy que je
tiens de luy tour ce que je
GALANT 297
fçay de la Langue Françoife,
& que pendant un affez grand
nombre d'années, j'ay foûmis
mes Ouvrages à fa correction;
ce qui a fait croire davantage,
& ce qui eftoit ceffé depuis
douze années , ce grand homme eftant affez occupé d'ail .
leurs , & beaucoup détourné
par des incommoditez que
années & un travail immenſe
& continuel luy avoienr attirées.ople
र
fes
Il avoit un grand fond de
probité , de droitute , de fageffe , de bonté , de modeftie,
de charité , & de vertu. Enne-
298 MERCURE
mi de la médifance , il ne pouvoitfouffrir les perfonnes dont
l'unique converfation eft de
faire inventaire des actions
d'autruy. Jamais homme n'a
eu plus de Religion , & n'eft
mort avec plus de refignation
aux volontez de Dieu , & il
voyoit tous les jours approcher la mort avec une fermeté
incroyable , fans ceffer neanmoins fon travail qui luy cftoit
neceffaire , parce que les gens
de Lettres ne font pas ordinairement les plus favorifez de
la fortune , & que l'Ecriture
dit , QUI LABORAT ORAT,
qui travaille prie.
THEQUE
GALANT
20
BIBLIO
ge VILLE
Ce grand homme efton res
commandable par tant d'endroits differens, que je ne doute point que celuy qui aura
le bonheur de remplir la place
qu'il occupoit dans l'Academie Françoife , ne trouve encore de nouveaux fujets d'en
faire un bel Eloge. Perfonne
n'ignore qu'il eftoit auffi de
l'Academie Royale des Medailles & Infcriptions.
Je crois pouvoir placer une
Chanfon aprés l'Eloge d'un
homme qui en a fait de fi belles ; elle eft du Solitaire du
Bois du Val- Dieu.
Fermer
Résumé : Eloge de feu Mr de Corneille. [titre d'après la table]
Le texte rend hommage à Thomas Corneille, frère cadet de Pierre Corneille, décédé à l'âge de 84 ans. Connu sous le surnom de 'Jeune' en raison de son frère aîné, Thomas Corneille était également surnommé 'honnête homme' pour sa droiture. Universellement aimé, il était obligeant et doux, toujours prêt à aider autrui. Héritier de l'esprit familial, il s'est distingué dans les lettres en publiant cinq volumes in-folio et plusieurs ouvrages de prose. Ses premières œuvres étaient des traductions, notamment les 'Métamorphoses' d'Ovide, qui ont connu de nombreuses éditions. Thomas Corneille a également écrit des pièces de théâtre qui ont diverti la cour pendant la Régence et longtemps après. Sa comédie 'Dom Bertrand de Sigaralle' a été particulièrement estimée et jouée plus de vingt fois à la cour. Ses tragédies, comme 'Le Tyrannicide', 'La Mort de l'Empereur Commode' et 'Stilicien', ont également connu un grand succès. Il a collaboré avec les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne et du Marais, et ses œuvres ont souvent surpassé celles des auteurs les plus célèbres. En plus de ses œuvres théâtrales, Thomas Corneille a écrit des remarques sur Vaugelas, prouvant sa maîtrise de la langue. Il a également publié un 'Dictionnaire des Arts' et un 'Dictionnaire universel, géographique et historique', démontrant ses connaissances étendues et sa laboriosité. Ces ouvrages ont été très appréciés et rapidement épuisés. Le texte mentionne également que Corneille était membre de l'Académie Française et de l'Académie des Inscriptions et Médailles. Son dictionnaire, compilé à partir des meilleures sources de voyages, a été très attendu par le public. Corneille était décrit comme un homme de grande probité, droiture, sagesse, bonté, modestie, charité et vertu. Il était intolérant à la médisance et ne supportait pas les personnes qui critiquaient les actions des autres. Sa foi religieuse était profonde, et il a accepté la mort avec résignation, continuant son travail malgré sa santé déclinante. L'auteur exprime l'espoir que celui qui prendra sa place à l'Académie Française trouvera encore des sujets pour louer ses mérites.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
3
p. 1596-1601
Lettre à Milord *** sur le sieur Baron & la Dlle le Couvreur, &c. [titre d'après la table]
Début :
On vend depuis peu chez Antoine de Heuqueville, Quai des Augustins, une brochure [...]
Mots clefs :
Adrienne Lecouvreur, Comédienne, Théâtre, Baron, Rôle, Molière, Comédien
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Lettre à Milord *** sur le sieur Baron & la Dlle le Couvreur, &c. [titre d'après la table]
On vend depuis peu chez Antoine_de
Henqueville , Quai des Auguftins , une brochure
in 12. Voici le titre : Lettre à My-
Lord ... fur Baron & la D Le Couvreur.
Par GeorgeWink.
Nous n'examinerons point fi George
Wink eft veritablement exiftant , ou fi
M. l'Abbé d'Allainval , connu par plufieurs
Pieces joüées fur l'un & l'autre
Theatre eft caché fous ce nom Anglois ,
Il fuffit pour nous de dire que la Lettre
dont il s'agit contient diverſes particularités
qui peuvent fervir à l'Hiftoire du
Theatre François , & que les amateurs des
fpectacles lifent avec plaifir. Plufieurs de
ces traits étoient même abſolument inconnus
; outre ceux qui regardent le fieur
Baron
JUILLET . 1730. 1597
Baron & la Dlle Le Couvreur , on y trouve
des digreffions curieufes fur des Comédiens
morts depuis long-tems , & même
de la Critique . Ce qui fuit fuffira pour
donner une idée de ces anecdoctes , & dir
ftile de la Lettre.
» La nature l'avoit favorisé ( Baron ) de
»ces qualités corporelles qui gagnent les
» coeurs, & qui font fi avantageufes à ceux
» qui parlent en Public , particulierement
» fur le Theatre ; & l'air d'une Cour po-
» lie & fpirituelle qu'il fréquentoit avec
" affez d'agrément,lui avoit rendu comme
" naturelles des manieres aifées & char-
" mantes qui y naiffent avec la plûpart
" des Courtifans , & dont on n'acquiert
"& on ne copie ordinairement que le ri-
"dicule enfin il a été le plus grand Co-
" médien qui ait jamais brillé ſur le Thea-
" tre François , & il ne lui manquoit , dit
» le judicieux La Bruyere , que de parler
avec la bouche , on s'étoit même accoû-
" tumé à ce deffaut ; mais on a toûjours
» crié contre la mauvaiſe habitude qu'il
" avoit de tourner le dos à l'Acteur à qui-
"il parloit pour regarder les bancs du
>> Théatre ; on ne peut lui reprocher de
>> plus que quelques manques de bienféances
&c. La plupart des Comédiens
» font des Ames moutonnieres , qui ne fe
chargent ordinairement que des défauts
F des
1598 MERCURE DE FRANCE
1
» des grands Acteurs qu'ils veulent imiter.
» Dès que Baron commença à faire du
bruit , les Comédiens de Campagne cru
>> rent avoir attrapé fon jeu , en affectant ,
❤ & outrant même fon parler nazillard.
Voici d'autres exemples du même travers.
Bejard , camarade de Moliere , &
frere de fa femme , demeura eftropié
d'une bleffure qu'il reçut au pied en
» féparant deux de les amis qui fe battoient
» dans la Place du Palais Royal . Moliere
qui peu de tems après donna fon Avare,
chargea fon Beau -frere du Rôle de la
» Fleche , de qui Harpagon dit par allus
» fion , Je n'aime point à voir ce chien de
» boiteux là : comme Béjard faifoit beau
" coup de plaifir , on boita auffi- tôt fur
" tous les Théatres de Province , non - feu-
» lement dans le Rôle de la Fleche , où
» cela devenoit neceffaire , mais indiffe
» remment dans tous ceux que Béjard
» rempliffoit à Paris.
>>
>
Les premiers Crifpins furent faits pour
» Poiffon premier , de qui on a un petit
» Théatre : il parloit bref , & comme il
» n'avoit pas de gras de jambes , il ima-
>> gina de jouer en botines ; delà tous les
» Crifpins bredouillerent & fe botterent,
» Je m'étonne qu'ils ne poufferent pas
» l'extravagance jufqu'à s'agrandir la bou
» che , parceque Poiffon l'avoit énorme
auffi
JUILLET . 1730. 1599
"» aufli lui fit-on dire : Je vous réponds
» Monfieur , d'une bouche auffi large ...
» dans le Deuil , petite Comédie , qui ( auffi.
» bien que l'Esprit Follet) eft de Corneille lo
» jeune & du Comédien Hauteroche &c.
Baron n'eft gueres loué dans cette Lettre
que fur les talens qu'il avoit pour le Thea
tre ; il n'y eft pas épargné fur fes Ridicu
les. » Il a fourni , dit l'Auteur , les mate-
» riaux dont on s'eft fervi pour compofer
» l'une des Vies de Moliere , où il auroit
» pû donner des éclairciffemens curieux
& intereffans fur les Piéces de ce grand
homme , & fe plus ménager fur fes propres
louanges , & fur celles d'un Théa
» tre dont il n'étoit gueres que le parain .
On entre enfuite dans l'Hiftoire des Comédies
qui ont paru fous fon nom , & on
les reftitue à leurs veritables Auteurs , Ce
détail eft affez plaifant , & le feu S′ Dancourt
eft mis en paffant parmi ces geais
parés des plumes d'autrui.
»
On ne fait pas plus de quartier au S
Baron fur le filence qu'il a toûjours gardé
fur fon pere & fur fa mere qui étoient
tous deux de fort bons Comédiens.
Baron dans la Vie de Moliere ne dit qu'un
mot de ſa mere en paffant , & ne parle
point du tout de fon pere ,de qui on trou
ve ici un trai fort fingulier » que le Pu
> blic , dit l'Auteur , auroit lû avec plus
Fij de
1600 MERCURE DE FRANCE
» de plaifir que fes prétendues querelles
avec le celebre Racine .
Paffons à la Dile Le Couvreur dont il
eft auffi queftion dans cette Lettre. L'Auteur
la fuit depuis fa naiffance à Fimes
petite Ville entre Soiffons & Reims ; il
l'amene à Paris avec fon pere en 1702. &
il raconte d'une maniere très - intereſſante
& très-circonftanciée les premiers effais
de cette grande Comédienne , c'est - à - dire,
la partie qu'elle fit en 1705. avec quelques
jeunes gens , de jouer la Tragédie de
Poliencte & la Comédie du Deuil, dans une
Maifon Bourgeoife : il parle auffi d'un
jeune homme , nommé Minou , qui repréfentant
le Rôle de Severe , entra tellement
dans l'efprit de fon Rôle , qu'il tomba
en défaillance, en difant à Fabian , fon
Confident , foutiens - mois ce coup de foudre
eft grand il fallut lui ouvrir la veine .
L'Auteur fuit cette Comédienne dans les
Provinces , & il la ramene à Paris , où elle
débuta au mois de Mai 1717. & il trouve
moyen, en parlant d'elle, de ramener fouvent
Baron fur la fcene.
» La De Le Couvreur , dit -il dans un
» endroit , aimoit fon métier ; mais elle
» n'en penfoit pas fi emphatiquement que
» Baron , qui difoit qu'un Comédien étoit
un homme nourri dans le giron des
Rois. J'ai lû , difoit- il encore , toutes les
HifJUILLET.
1730 1601
» Hiftoiresanciennes & modernes ; j'y trouve
» que la Nature prodigue y a vomi dans tous
»les tems une foule de Héros & de grands
hommes dans chaque genre , elle femble
» n'avoir été avare que de grands Comédiens;
»je ne trouve que Rofcius & moi.
L'Hiftoire de la mort de notre Actrice
vient enfuite , & le refte de la Lettre eft
rempli par des Piéces qui ont été faites
fur elle pendant & après la vie. La premiere
eft une Epitre du celebre M. de
Voltaire. La feconde eft une autre Epitre
de M. de Beauchamps. La troifiéme eft
dattée des Champs Elizées ; elle eft écrite
à la Dlle Le Couvreur par M, Le Franc
fous le nom de Racine. Les Piéces que l'on
trouve après ont été faites depuis la mort
de la Dile Le Couvreur. La premiere eft
la Harangue que prononça un Comédien
le jour de la clôture du Théatre ; elle eft
de M. de Voltaire , dit P'Auteur ; elle eft
fuivie des Epitaphes Françoiſes & Latines
& des Infcriptions pour le portrait que
l'on grave actuellement d'après M. Coypel
qui l'a peinte en Cornelie. L'Auteur
finitpar dire qu'il efpere recueillir un affez
bon nombre des jolies Lettres que là D¹le
Le Couvreur a écrites pour les donner au
Public , qui verra toûjours avec plaifir
tout ce qui aura rapport avec cette grande
Comédienne qu'il a tant aimée , & qu'il
regrette tous les jours.
Henqueville , Quai des Auguftins , une brochure
in 12. Voici le titre : Lettre à My-
Lord ... fur Baron & la D Le Couvreur.
Par GeorgeWink.
Nous n'examinerons point fi George
Wink eft veritablement exiftant , ou fi
M. l'Abbé d'Allainval , connu par plufieurs
Pieces joüées fur l'un & l'autre
Theatre eft caché fous ce nom Anglois ,
Il fuffit pour nous de dire que la Lettre
dont il s'agit contient diverſes particularités
qui peuvent fervir à l'Hiftoire du
Theatre François , & que les amateurs des
fpectacles lifent avec plaifir. Plufieurs de
ces traits étoient même abſolument inconnus
; outre ceux qui regardent le fieur
Baron
JUILLET . 1730. 1597
Baron & la Dlle Le Couvreur , on y trouve
des digreffions curieufes fur des Comédiens
morts depuis long-tems , & même
de la Critique . Ce qui fuit fuffira pour
donner une idée de ces anecdoctes , & dir
ftile de la Lettre.
» La nature l'avoit favorisé ( Baron ) de
»ces qualités corporelles qui gagnent les
» coeurs, & qui font fi avantageufes à ceux
» qui parlent en Public , particulierement
» fur le Theatre ; & l'air d'une Cour po-
» lie & fpirituelle qu'il fréquentoit avec
" affez d'agrément,lui avoit rendu comme
" naturelles des manieres aifées & char-
" mantes qui y naiffent avec la plûpart
" des Courtifans , & dont on n'acquiert
"& on ne copie ordinairement que le ri-
"dicule enfin il a été le plus grand Co-
" médien qui ait jamais brillé ſur le Thea-
" tre François , & il ne lui manquoit , dit
» le judicieux La Bruyere , que de parler
avec la bouche , on s'étoit même accoû-
" tumé à ce deffaut ; mais on a toûjours
» crié contre la mauvaiſe habitude qu'il
" avoit de tourner le dos à l'Acteur à qui-
"il parloit pour regarder les bancs du
>> Théatre ; on ne peut lui reprocher de
>> plus que quelques manques de bienféances
&c. La plupart des Comédiens
» font des Ames moutonnieres , qui ne fe
chargent ordinairement que des défauts
F des
1598 MERCURE DE FRANCE
1
» des grands Acteurs qu'ils veulent imiter.
» Dès que Baron commença à faire du
bruit , les Comédiens de Campagne cru
>> rent avoir attrapé fon jeu , en affectant ,
❤ & outrant même fon parler nazillard.
Voici d'autres exemples du même travers.
Bejard , camarade de Moliere , &
frere de fa femme , demeura eftropié
d'une bleffure qu'il reçut au pied en
» féparant deux de les amis qui fe battoient
» dans la Place du Palais Royal . Moliere
qui peu de tems après donna fon Avare,
chargea fon Beau -frere du Rôle de la
» Fleche , de qui Harpagon dit par allus
» fion , Je n'aime point à voir ce chien de
» boiteux là : comme Béjard faifoit beau
" coup de plaifir , on boita auffi- tôt fur
" tous les Théatres de Province , non - feu-
» lement dans le Rôle de la Fleche , où
» cela devenoit neceffaire , mais indiffe
» remment dans tous ceux que Béjard
» rempliffoit à Paris.
>>
>
Les premiers Crifpins furent faits pour
» Poiffon premier , de qui on a un petit
» Théatre : il parloit bref , & comme il
» n'avoit pas de gras de jambes , il ima-
>> gina de jouer en botines ; delà tous les
» Crifpins bredouillerent & fe botterent,
» Je m'étonne qu'ils ne poufferent pas
» l'extravagance jufqu'à s'agrandir la bou
» che , parceque Poiffon l'avoit énorme
auffi
JUILLET . 1730. 1599
"» aufli lui fit-on dire : Je vous réponds
» Monfieur , d'une bouche auffi large ...
» dans le Deuil , petite Comédie , qui ( auffi.
» bien que l'Esprit Follet) eft de Corneille lo
» jeune & du Comédien Hauteroche &c.
Baron n'eft gueres loué dans cette Lettre
que fur les talens qu'il avoit pour le Thea
tre ; il n'y eft pas épargné fur fes Ridicu
les. » Il a fourni , dit l'Auteur , les mate-
» riaux dont on s'eft fervi pour compofer
» l'une des Vies de Moliere , où il auroit
» pû donner des éclairciffemens curieux
& intereffans fur les Piéces de ce grand
homme , & fe plus ménager fur fes propres
louanges , & fur celles d'un Théa
» tre dont il n'étoit gueres que le parain .
On entre enfuite dans l'Hiftoire des Comédies
qui ont paru fous fon nom , & on
les reftitue à leurs veritables Auteurs , Ce
détail eft affez plaifant , & le feu S′ Dancourt
eft mis en paffant parmi ces geais
parés des plumes d'autrui.
»
On ne fait pas plus de quartier au S
Baron fur le filence qu'il a toûjours gardé
fur fon pere & fur fa mere qui étoient
tous deux de fort bons Comédiens.
Baron dans la Vie de Moliere ne dit qu'un
mot de ſa mere en paffant , & ne parle
point du tout de fon pere ,de qui on trou
ve ici un trai fort fingulier » que le Pu
> blic , dit l'Auteur , auroit lû avec plus
Fij de
1600 MERCURE DE FRANCE
» de plaifir que fes prétendues querelles
avec le celebre Racine .
Paffons à la Dile Le Couvreur dont il
eft auffi queftion dans cette Lettre. L'Auteur
la fuit depuis fa naiffance à Fimes
petite Ville entre Soiffons & Reims ; il
l'amene à Paris avec fon pere en 1702. &
il raconte d'une maniere très - intereſſante
& très-circonftanciée les premiers effais
de cette grande Comédienne , c'est - à - dire,
la partie qu'elle fit en 1705. avec quelques
jeunes gens , de jouer la Tragédie de
Poliencte & la Comédie du Deuil, dans une
Maifon Bourgeoife : il parle auffi d'un
jeune homme , nommé Minou , qui repréfentant
le Rôle de Severe , entra tellement
dans l'efprit de fon Rôle , qu'il tomba
en défaillance, en difant à Fabian , fon
Confident , foutiens - mois ce coup de foudre
eft grand il fallut lui ouvrir la veine .
L'Auteur fuit cette Comédienne dans les
Provinces , & il la ramene à Paris , où elle
débuta au mois de Mai 1717. & il trouve
moyen, en parlant d'elle, de ramener fouvent
Baron fur la fcene.
» La De Le Couvreur , dit -il dans un
» endroit , aimoit fon métier ; mais elle
» n'en penfoit pas fi emphatiquement que
» Baron , qui difoit qu'un Comédien étoit
un homme nourri dans le giron des
Rois. J'ai lû , difoit- il encore , toutes les
HifJUILLET.
1730 1601
» Hiftoiresanciennes & modernes ; j'y trouve
» que la Nature prodigue y a vomi dans tous
»les tems une foule de Héros & de grands
hommes dans chaque genre , elle femble
» n'avoir été avare que de grands Comédiens;
»je ne trouve que Rofcius & moi.
L'Hiftoire de la mort de notre Actrice
vient enfuite , & le refte de la Lettre eft
rempli par des Piéces qui ont été faites
fur elle pendant & après la vie. La premiere
eft une Epitre du celebre M. de
Voltaire. La feconde eft une autre Epitre
de M. de Beauchamps. La troifiéme eft
dattée des Champs Elizées ; elle eft écrite
à la Dlle Le Couvreur par M, Le Franc
fous le nom de Racine. Les Piéces que l'on
trouve après ont été faites depuis la mort
de la Dile Le Couvreur. La premiere eft
la Harangue que prononça un Comédien
le jour de la clôture du Théatre ; elle eft
de M. de Voltaire , dit P'Auteur ; elle eft
fuivie des Epitaphes Françoiſes & Latines
& des Infcriptions pour le portrait que
l'on grave actuellement d'après M. Coypel
qui l'a peinte en Cornelie. L'Auteur
finitpar dire qu'il efpere recueillir un affez
bon nombre des jolies Lettres que là D¹le
Le Couvreur a écrites pour les donner au
Public , qui verra toûjours avec plaifir
tout ce qui aura rapport avec cette grande
Comédienne qu'il a tant aimée , & qu'il
regrette tous les jours.
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Résumé : Lettre à Milord *** sur le sieur Baron & la Dlle le Couvreur, &c. [titre d'après la table]
La brochure 'Lettre à My-Lord... fur Baron & la Dlle Le Couvreur' de George Wink, disponible chez Antoine de Henqueville, contient des informations précieuses pour l'histoire du théâtre français. Elle relate des anecdotes sur les comédiens Baron et Le Couvreur, ainsi que des critiques et des digressions sur des acteurs décédés. Baron est décrit comme un comédien doté de qualités physiques avantageuses pour le théâtre et de manières charmantes acquises à la cour. Il est reconnu comme l'un des plus grands comédiens français, malgré certains défauts, comme celui de tourner le dos à son interlocuteur sur scène. La lettre critique également les comédiens qui imitent les défauts des grands acteurs, citant par exemple Béjard boitant après avoir joué un rôle boiteux. Elle mentionne aussi les premiers Crispins, inspirés par Poiffon, qui parlait brièvement et jouait en bottines. La lettre reproche à Baron de ne pas avoir suffisamment loué Molière et de n'avoir rien dit sur ses parents, tous deux comédiens. Elle discute également des comédies publiées sous le nom de Baron, les attribuant à leurs vrais auteurs. Concernant Le Couvreur, la lettre suit sa carrière depuis sa naissance à Fismes jusqu'à ses débuts à Paris en 1717. Elle mentionne ses premiers rôles et un incident où un acteur, Minou, tomba en défaillance en jouant. La lettre se termine par des poèmes et des épîtres écrits en l'honneur de Le Couvreur, y compris ceux de Voltaire et Racine. L'auteur exprime son espoir de publier les lettres de Le Couvreur pour le public.
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4
p. 2490-2492
« Le Jeudi 9. de ce mois, la Dlle Poisson, Epouse de Sr Poisson, Comédien [...] »
Début :
Le Jeudi 9. de ce mois, la Dlle Poisson, Epouse de Sr Poisson, Comédien [...]
Mots clefs :
Comédien, Tragédie
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texteReconnaissance textuelle : « Le Jeudi 9. de ce mois, la Dlle Poisson, Epouse de Sr Poisson, Comédien [...] »
Le Jeudi 9. de ce mois , la Dile Poilfon
, Epoufe du Sr Poiffon , Comédien
du Roi, laquelle n'avoit jamais joué laComédie
, fit le Rôle d'Hermione dans la
Tragédie d'Andromaque , & fut généralement
applaudie. Elle a joué depuis leRôle
de
NOVEMBRE. 1730. 249
de Tharés dans la Tragédie d'Abfalon de
feu M. Duché , & elle a été encore plus
applaudie. C'eſt un jeune perfonne d'une
taille médiocre , mais d'une figure noble,
& très agréable ; elle a beaucoup de feu ,
le fon de la voix beau ; elle prononce
très bien. Le Rôle d'Iphigénie
qu'elle a joué depuis a confirmé la bonne
opinion qu'on a d'elle . Dans la même
Tragédie , la Dile Duclos , qui depuis
quelque- tems n'avoit paru , joue le Rôle
de Clitemnestre , au grand contentement
du Public , qui eſt toujours charmé de ſa
belle voix , de fes pleurs & des autres
heureux talens qu'elle a pour la déclamation
. La De Labat , qui joue le Rôle
d'Eryphile , y eft genéralement applaudie,
ainfi que le S Dufrefne qui remplit celui
d'Achille , & le S Sarrazin celui d'Agamemnon.
Le 8 , de ce mois , les mêmes Comédiens
joüerent à la Cour la Tragédie de
Britannicus , & la petite Comédie des Vendanges
de Surefne. Le 14. la Comédie du
Flateur , & le 16. la Mort de Pompée ,
Tragédie de P. Corneille , & la Coupe
enchantée.
Le 9. les Comédiens Italiens jouerent à Verfailles
Démocrite Prétendu Fou & la Silphide.
Ces deux Piéces furent très-bien repréfentées &
fort
2492 MERCURE DE FRANCE
fort goûtées de la Reine & de toute la Cour...
, Epoufe du Sr Poiffon , Comédien
du Roi, laquelle n'avoit jamais joué laComédie
, fit le Rôle d'Hermione dans la
Tragédie d'Andromaque , & fut généralement
applaudie. Elle a joué depuis leRôle
de
NOVEMBRE. 1730. 249
de Tharés dans la Tragédie d'Abfalon de
feu M. Duché , & elle a été encore plus
applaudie. C'eſt un jeune perfonne d'une
taille médiocre , mais d'une figure noble,
& très agréable ; elle a beaucoup de feu ,
le fon de la voix beau ; elle prononce
très bien. Le Rôle d'Iphigénie
qu'elle a joué depuis a confirmé la bonne
opinion qu'on a d'elle . Dans la même
Tragédie , la Dile Duclos , qui depuis
quelque- tems n'avoit paru , joue le Rôle
de Clitemnestre , au grand contentement
du Public , qui eſt toujours charmé de ſa
belle voix , de fes pleurs & des autres
heureux talens qu'elle a pour la déclamation
. La De Labat , qui joue le Rôle
d'Eryphile , y eft genéralement applaudie,
ainfi que le S Dufrefne qui remplit celui
d'Achille , & le S Sarrazin celui d'Agamemnon.
Le 8 , de ce mois , les mêmes Comédiens
joüerent à la Cour la Tragédie de
Britannicus , & la petite Comédie des Vendanges
de Surefne. Le 14. la Comédie du
Flateur , & le 16. la Mort de Pompée ,
Tragédie de P. Corneille , & la Coupe
enchantée.
Le 9. les Comédiens Italiens jouerent à Verfailles
Démocrite Prétendu Fou & la Silphide.
Ces deux Piéces furent très-bien repréfentées &
fort
2492 MERCURE DE FRANCE
fort goûtées de la Reine & de toute la Cour...
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Résumé : « Le Jeudi 9. de ce mois, la Dlle Poisson, Epouse de Sr Poisson, Comédien [...] »
Le 9 novembre 1730, Madame Poilfon, épouse d'un comédien du Roi, débuta sur scène dans le rôle d'Hermione dans la tragédie d'Andromaque et fut applaudie. Elle interpréta ensuite Tharés dans la tragédie d'Absalon de Duché, recevant encore plus d'applaudissements. Madame Poilfon est décrite comme une jeune femme de taille moyenne, au visage noble et agréable, avec beaucoup de feu et une belle voix. Son rôle d'Iphigénie confirma l'excellente opinion du public à son égard. Dans la même tragédie, Madame Duclos joua Clitemnestre, ravissant le public par sa belle voix et ses talents de déclamation. Madame Labat, dans le rôle d'Éryphile, et Monsieur Dufresne, dans celui d'Achille, furent également applaudis, ainsi que Monsieur Sarrazin dans le rôle d'Agamemnon. Le 8 novembre, les comédiens jouèrent à la Cour la tragédie de Britannicus et la comédie des Vendanges de Sureau. Le 14, ils interprétèrent La Comédie du Flateur, et le 16, La Mort de Pompée de Pierre Corneille et La Coupe enchantée. Les comédiens italiens jouèrent à Versailles Démocrite Prétendu Fou et La Silphide, deux pièces très bien représentées et appréciées par la Reine et la Cour.
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5
p. 350-354
STANCES, Envoyées à M. de M** le lendemain qu'il eut joué le Rôle de Phedre.
Début :
Ou suis-je? quelle voix plaintive [...]
Mots clefs :
Phèdre, Rôle, Comédien, Éloge, Congé
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : STANCES, Envoyées à M. de M** le lendemain qu'il eut joué le Rôle de Phedre.
STANCES,
Envoyées à M. de M** le lendemain qu'il
eutjoué le Rôle de Phedre.
OuU suis-je ? quelle voix plaintive
Vient porter dans mon sein la pitié , la terreur ?
Je sens que mon ame attentive ,
Vase rassasier de plaisir et d'horreur.
装
M** tu paroîs sur la Scene ;
Je me livre à l'excès de mon ravissement ;
Mais que dis-je ? c'est Melpomene ;
J'en reconnois en toi les graces , l'agrément.
Quel gout ! quelle délicatesse !
Qu'en séduisant les cœurs , tu satisfais les yeux !
Jamais
FEVRIER 1732.
351
Jamais la tragique Déesse ,
Nous a-t'elle montré ton égal sous les Cieux ?
N
Le sentiment , le pathetique ,
Le grand , le naturel , les gestes et la voix,
La démarche noble , héroïque ,
Tu rassembles , M** tous ces dons à la fois.
諾
De ces dons la Nature avare
Sur toi seul aujourd'hui les verse à pleines mains;
Jouis de ce talent si rare ,
Que ton Art à jamais enchante les Humains !
DE
REPONSE.
E cet Eloge si flatteur ,
Dont Baron et la Lecouvreur ,
Auroient pû devenir jaloux avec justice ,
Et qui pourtant n'a rien qui m'éblouisse ,
Je connois le principe et je vois votre erreur.
Cher S*** à charmer les oreilles .
Accoutumé depuis long- temps ,
Vous avez crû devoir en mes foibles talens ,
Admirer les rares merveilles ,
Que trouve le Public dans le son séduisant
G vivj
Que
352 MERCURE DE FRANCE
Que d'un Instrument * indocile ,
( Sçait tirer votre main habile ,
Et quelle rend si ravissant ;
Pour louer un ami qui paroît sur la Scene ,
1
Vous avez crû que tandis qu'on disoit ,
Qu'en vous Amphion revivoit ,
Vous deviez tout au moins dire que Melpomene,
Sous mon nom , sous mon air ,
montroit.
a vos yeux st
On nous promettoit une Piece de cet
Acteur , qui , à ce qu'on assure , n'est
pas moins bon Auteur qu'excellent
Comédien ; mais des affaires indispensables l'ayant rappellé chez lui , il partit
au grand regret de toute la Ville et de
Pillustre Troupe : voici comme il prit
congé de l'Assemblée.
MESDAMES ET MESSIEURS ,
Si l'on peut s'excuser d'une témerité , c'est
sans doute par l'heureux succès qu'elle a eû,
• aussi n'est-ce que par là que j'ose me justifier de la mienne. Je me vois honoré de
vos applaudissemens lorsque tout sembloit
Coucourir à m'en priver.
Oser paroître devant tant de personnes
*L'Auteur des Vers qui précedent , joue excel- lemment du Violon,
éclairées
FEVRIER. 1732. 353 7
,
éclairées et d'un gout si délicat, se mêler parmi ces Acteurs inimitables , qui par tant de
justes titres , s'étoient déja fait admirer
sortir de son sexe et de son caractere ; emprunter un habit qui demande d'être accompagné de tant de graces , de délicatesse et
d'agrémens; se transformer ensuite devant la
plus brillante Assemblée que puisse former
le beau Sexe , et aux yeux d'une Compagnie choisie d'hommes accoutumez à ne voir
rien que d'aimable ; quelle suite de démar
ches témeraires ! y eut-il jamais entreprise
plus hardie , et ne faut - il pas pour la
former, s'aveugler jusqu'au point d'attendre quelqu'un de ces coups surprenans par
lesquels la fortune se plait quelquefois à aider
les audacieux ?
Que dis-je ? non , ce n'est point à une fortune aveugle que je dois de si doux succès ;
vous avez penetré le motif qui me guidoit
et vous avez applaudi à ce motif ; vous
ave aisementreconnu queje n'aspirois qu'an
bonheur de vous plaire , et vous m'avez
tout pardonné enfaveur d'une si noble envie,
ou peut-être cette genereuse amitié dont votreVille honore ma Patrie et dont nous avons
tant defois ressenti les plus doux effets , vous
fait croire que le titre de Citoyen d' Arles
me suffisoit pourmériter votre Approbation ;
mais soit que je ne doive tant d'applaudis- semens
134 MERCURE DE FRANCE
dissemens qu'aux faveurs du sort , soit que
vous ayez crû devoir récompenser ainsi le
desir de vous amuser; soit que vous ayez
voulu par là , donner une nouvelle marque
de votre affection pour mon Pays, et que ce ne
soit là qu'un pur effet de votre complaisance,
le souvenir ne m'en sera pas moins cher ,
jose le dire hautement etj'ai voulu vous en
assurer ; je rappellerai sans cesse avec joye
ces heureux jours où vos bonte ont éclaté
àmes yeux, et la plus vive reconnoissance
en sera àjamais gravée dans mon cœur.
Envoyées à M. de M** le lendemain qu'il
eutjoué le Rôle de Phedre.
OuU suis-je ? quelle voix plaintive
Vient porter dans mon sein la pitié , la terreur ?
Je sens que mon ame attentive ,
Vase rassasier de plaisir et d'horreur.
装
M** tu paroîs sur la Scene ;
Je me livre à l'excès de mon ravissement ;
Mais que dis-je ? c'est Melpomene ;
J'en reconnois en toi les graces , l'agrément.
Quel gout ! quelle délicatesse !
Qu'en séduisant les cœurs , tu satisfais les yeux !
Jamais
FEVRIER 1732.
351
Jamais la tragique Déesse ,
Nous a-t'elle montré ton égal sous les Cieux ?
N
Le sentiment , le pathetique ,
Le grand , le naturel , les gestes et la voix,
La démarche noble , héroïque ,
Tu rassembles , M** tous ces dons à la fois.
諾
De ces dons la Nature avare
Sur toi seul aujourd'hui les verse à pleines mains;
Jouis de ce talent si rare ,
Que ton Art à jamais enchante les Humains !
DE
REPONSE.
E cet Eloge si flatteur ,
Dont Baron et la Lecouvreur ,
Auroient pû devenir jaloux avec justice ,
Et qui pourtant n'a rien qui m'éblouisse ,
Je connois le principe et je vois votre erreur.
Cher S*** à charmer les oreilles .
Accoutumé depuis long- temps ,
Vous avez crû devoir en mes foibles talens ,
Admirer les rares merveilles ,
Que trouve le Public dans le son séduisant
G vivj
Que
352 MERCURE DE FRANCE
Que d'un Instrument * indocile ,
( Sçait tirer votre main habile ,
Et quelle rend si ravissant ;
Pour louer un ami qui paroît sur la Scene ,
1
Vous avez crû que tandis qu'on disoit ,
Qu'en vous Amphion revivoit ,
Vous deviez tout au moins dire que Melpomene,
Sous mon nom , sous mon air ,
montroit.
a vos yeux st
On nous promettoit une Piece de cet
Acteur , qui , à ce qu'on assure , n'est
pas moins bon Auteur qu'excellent
Comédien ; mais des affaires indispensables l'ayant rappellé chez lui , il partit
au grand regret de toute la Ville et de
Pillustre Troupe : voici comme il prit
congé de l'Assemblée.
MESDAMES ET MESSIEURS ,
Si l'on peut s'excuser d'une témerité , c'est
sans doute par l'heureux succès qu'elle a eû,
• aussi n'est-ce que par là que j'ose me justifier de la mienne. Je me vois honoré de
vos applaudissemens lorsque tout sembloit
Coucourir à m'en priver.
Oser paroître devant tant de personnes
*L'Auteur des Vers qui précedent , joue excel- lemment du Violon,
éclairées
FEVRIER. 1732. 353 7
,
éclairées et d'un gout si délicat, se mêler parmi ces Acteurs inimitables , qui par tant de
justes titres , s'étoient déja fait admirer
sortir de son sexe et de son caractere ; emprunter un habit qui demande d'être accompagné de tant de graces , de délicatesse et
d'agrémens; se transformer ensuite devant la
plus brillante Assemblée que puisse former
le beau Sexe , et aux yeux d'une Compagnie choisie d'hommes accoutumez à ne voir
rien que d'aimable ; quelle suite de démar
ches témeraires ! y eut-il jamais entreprise
plus hardie , et ne faut - il pas pour la
former, s'aveugler jusqu'au point d'attendre quelqu'un de ces coups surprenans par
lesquels la fortune se plait quelquefois à aider
les audacieux ?
Que dis-je ? non , ce n'est point à une fortune aveugle que je dois de si doux succès ;
vous avez penetré le motif qui me guidoit
et vous avez applaudi à ce motif ; vous
ave aisementreconnu queje n'aspirois qu'an
bonheur de vous plaire , et vous m'avez
tout pardonné enfaveur d'une si noble envie,
ou peut-être cette genereuse amitié dont votreVille honore ma Patrie et dont nous avons
tant defois ressenti les plus doux effets , vous
fait croire que le titre de Citoyen d' Arles
me suffisoit pourmériter votre Approbation ;
mais soit que je ne doive tant d'applaudis- semens
134 MERCURE DE FRANCE
dissemens qu'aux faveurs du sort , soit que
vous ayez crû devoir récompenser ainsi le
desir de vous amuser; soit que vous ayez
voulu par là , donner une nouvelle marque
de votre affection pour mon Pays, et que ce ne
soit là qu'un pur effet de votre complaisance,
le souvenir ne m'en sera pas moins cher ,
jose le dire hautement etj'ai voulu vous en
assurer ; je rappellerai sans cesse avec joye
ces heureux jours où vos bonte ont éclaté
àmes yeux, et la plus vive reconnoissance
en sera àjamais gravée dans mon cœur.
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Résumé : STANCES, Envoyées à M. de M** le lendemain qu'il eut joué le Rôle de Phedre.
Le texte est une série de stances et de réponses adressées à un acteur, M. de M**, après sa performance dans le rôle de Phèdre. L'auteur exprime son admiration pour la performance de M. de M**, soulignant ses talents exceptionnels et son interprétation remarquable. Les stances mettent en avant la voix, les gestes, la démarche et la présence scénique de l'acteur, le comparant à la muse de la tragédie, Melpomène. L'auteur reconnaît également les dons naturels et artistiques de M. de M**, le qualifiant de talent rare capable d'enchanter les humains. Dans sa réponse, M. de M** remercie l'auteur pour les éloges, mais attribue son succès à la bienveillance du public et à la générosité de l'auteur. Il exprime sa gratitude pour les applaudissements et la compréhension du public, qui a reconnu son désir de les divertir. M. de M** mentionne également qu'il a dû quitter la ville en raison d'affaires urgentes, au grand regret de la troupe et des spectateurs. Il conclut en exprimant sa reconnaissance et sa joie pour les moments partagés avec le public.
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