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Liste
1
p. 5-27
Prelude qui renferme un abrégé de tout ce que le Roy a fait de grand pendant sa vie. [titre d'après la table]
Début :
Si vous avez esté contente des Ouvrages composez à [...]
Mots clefs :
Éloge, Souverain, Justice, Ordres, Sagesse, Roi, Mazarin, Orateur, Père Cottin, Royaume, Roi
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texteReconnaissance textuelle : Prelude qui renferme un abrégé de tout ce que le Roy a fait de grand pendant sa vie. [titre d'après la table]
I vous avez eſté contente
des Ouvrages compofez à
la gloire du Roy, & des Eloges
de Sa Majesté prononcez en
divers lieux & en diverfes occafions que je vous envoyay
A iij
6 MERCURE
le mois dernier , vous ne devez
pas prendre moins de plaiſir à
Îire l'Article qui fuit , où vous
trouverez un Abregé de tout
ce que ce Monarque a fait de
grand pendant la vie , & particulierement pour le bien de
Les Sujets.
Le Pere Cottin , Profeſſeur
d'Eloquence dans le petit College de la Ville de Lyon , prononça le jour de Saint André
un Eloge du Roy, en preſence de M' le Prevoft des Marchands & de tout le Confulat ;
l'amour paternel de ce Prince
pour les Sujets , & ce que cet
GALANT 7
amour luy a fait faire firent la
divifion de ce Difcours , qui
reçus de grands applaudiffemens. Avant que d'entrer dans
la premiere partie , il fit un
Compliment à Mrs du Confulat fur le zele avec lequel ils
rempliffent les bonnes intentions du Roy pourfon peuple ,
en faifant voir que quelques
bonnes que fuffent ces intentions & quelque affection que
le Souverain cut pour fon
peuple , il luy feroit preſque
impoffible de les executer ; &
d'en faire gouter les fruits à
fes Sujets , fi fes Miniftres &
1
A iiij
8 MERCURE
ceux qui font chargez de
l'execution de fes ordres dans
les Provinces , n'entroiene fur
cela dans fes veües , & n'étoient
animez du même efprit . Cette
penfée fut délicatement maniée ; & elle luy fournit un
champ fecond d'Eloges pour
Mr Ravat Prevoft des Marchands , & pour les Echevins
dont l'Adminiſtration a efté
d'autant plus difficile que la
faifon a elté des plus fterile &
des plus rigoureufe. Avant de
prouver lamour paternel de
Sa Majefté pour fes Sujets &
de mettre dans une pleine •
GALANT 9
évidence cette qualité fi glorieuſe à un Souverain , & que
les Rois doivent plus eftimer
que tous les lauriers dont ils
peuvent couronner leur tête ,
il fit de ce Monarque , un
portrait auffi beau que naturel;
il le fit voir par tous les endroits qui découvrent en luy
Heroilme , & qui dans le
Paganifme ou dans la folle
Antiquité luy auroit fait meriter à plus jufte titre qu'à plufieurs Empereurs , les honneurs de l'Apotheofe. Il parla
des glorieufes campagnes qu'il
a faites en Perfonne & fur
10 •
MERCURE
ce Printout de celle de 1672. dont
il fut l'ame & le mobile par fa
prudence , fon activité & la
fageffe de fes ordres. Il parla
enfuite de l'amour quece
ceatoûjours eu pour la juftice,
l'exactitude avec laquelle il
l'a toujours fait rendre &
même contre fes interefts ; fa
prudence dans les Confeils où
il a toujours prefidé en perfonne ; fa penetration , & fa
fagacité qui ont brillé d'une
maniere fi extraordinaire dans
les conjonctures les plus difficiles , & dans les affaires les
plus délicates ; enfin fa modé
GALANT II
la
ration dans les profperitez les
plus rapides , & la fermeté
dans les revers les moins meritez & les plus accablans pour
un Prince toujours accoûtumé
à vaincre, fournirent au jeune,
mais éloquent Orateur.
matiere d'un Eloge également
folide & délicat. Il dit enfuite
que toutes ces vertus , & toutes ces qualitezquelques éclatantes
qu'elles fuffent , auroient esté
ternies , ou du moins qu'il leur
auroit manqué quelque chofe , fi
elles n'avoient efté relevées par
l'amour vrayment paternel de ce
Prince pour fes Sujets ; amour
12 MERCURE
auffi effectifque veritable &auffi
veritable qu'il a efté foutenu par
mille traits qui l'ont découvert
durant tout le cours d'un regne
que la Providence n'apermis qui
futfi long que pour en faire le
modele d'un bon & jufte regne
pour montrer à la pofterité en la
perfonne de Louis le Grand
l'image du meilleur Prince qui
fut jamais ; mais d'autant plus
digne des louanges de ceux qui
viendront aprés nous que Sa
bonté a esté naturelle & acqufe.
Louis le Grand a esté bon par
nature ; il n'a fait que fuivre
fon penchant lapensée defon.
,
2
GALANT 13
cœur quand il a aiméfon Peuple;
mais il s'eft auffi fait une étude
particuliere de cet amour ; il l'a
regardé comme le devoir le plus
indifpenfable de fa condition fuprême , & il s'eft dit tous les
jours defa vie , que regner fans.
amour c'eftoit expofer la Royauté
à degenerer en tirannie ; que
rien ne rereffembloit mieux à l'oppreffion que le pouvoir arbitraire
l'amour ne tempere point ;
que l'amour paternel du Roy
parut dés les premieres années de
fon regne ; & que lespremieres
que
étincelles defaraifon furent , pour
ainfi dire , les premieres fignes de
14 MERCURE
l'amour qu'il avoit pour le Peuple dont la nature l'avoit fait
naître le maître ; que cet amour
l'avoit rendu dans tous les temps
defa vic , & prefque dans toutes
les heures de lajournée , accefible à
fes Sujets également prêt à
écouter leurs plaintes & à leur
rendre juftices que le moment où
on l'a veu preferer à un devoir
fi effentiel , maisfifouvent négli
ge, les foins de fa gloire où des
paffions attachées à l'humanité.
eft encore à naître ; mais qu'infenfiblement il anticipoit fur la
deuxième partie. Il la commença en faiſant voir les mar-
GALANT 15
ques de cet amour paternel
que le Roy donna dés qu'il
gouverna par luy- même auffitôt que le Cardinal Mazarin
cur les yeux fermez. Il ajoûta
qu'alors tout futfurfon compte;
& que comme on n'auroit pas mis
fur le compte du Miniftre qui ne
voyoit pas ce qu'il y auroit pú
avoir de plus réprehenfible dans
le Gouvernement fi on y eut remarqué quelque chofe de pareil ,
qu'auffi ne devoit on mettre que
furlefeul compte de ce Monarque
les traits de bonté qui échapoient
en foule defon cœur dés ce tempslà ; il continua ainfi ; ces fages
16 MERCURE
le
judicieufes Ordonnances ont
fait revivrela majefté des Loix ;
ont donné uneformeſtable &
conftante à laJurifprudence Francoife,qui varioitfelon la difference
des Tribunaux , & ont affuré
repos des familles. Loix dont
lafageſſe met leur Auteur au deffus de Licurgue , tant chanté des
Lacedemoniens , des Acheniens , dont l'utilité , & les
avantages éleventLouis le Grand,
non-feulement au- deffus de ces
Legiflateurs Romains ; mais auffi au deffus du celebre Roy des
نوع
Atheniens Codrus , de bonne
d'éternelle memoire , qui pour
GALAN 17
remplir l'Oracle fatal fe dévoüa
pour le falut de fa Patrie ; &
qui ayant efté ledix-feptiéme Roy
de ce Peuple enfut auffi le dernier.
Les Atheniens pour honorer Ja
memoire pour reconnoître autant qu'il eftoit en eux le facrifice de ce genereux Roy abolirent
la Royauté , defefperant d'avoir
un auffi bon Prince pour Souverain. De là le Gouvernement des
Archontes , dont le fils du bon
Codrusfut lepremier. AMANTI
NIL DIFFICILE a dit
un Ancien ;
auffi Louis le
Grand , n'a rien trouvé de difficile quand il a fallu fatisfaire
Janvier 1710.
B
18 MERCURE
l'inclination qu'il a pourfon Peuple ; de cette tendreffe , de cette
"bontépaternellefontnez tant d'Edits pour affurer le repos de fes
Sujets , pour éteindre parmi cette
generofité cruelle & feroce qui
détruifoit la Nobleffe du Royaume ; jeparle de l'Edit des Duels ;
Edit quifoûtenu par la feverité
de la Loy aenfin détruit cettepefte
publique ; de cette bonté paternelle
font forties tant de fages Ordonnances pour la Police exterieure
du Royaume , pour le Reglement
des conditions , &pour donner des
bornes au luxe exceffifauquelfe
livroit infenfiblement la Nation:
GALANT 19
qu'onon ne nous vanteplus , s'écria
l'Orateur, le zele de l'Orateur
Romain ; l'amour de la Patriequi
animoit Ciceron & qui luy fit
découvrir l'horrible conjuration de
Catilina ; la tendreffe que Jules
Cefar conferva pour fes Compa
triotes dans les terreurs delaguer
re qui déchiroit fa malheureuſe
Patrie ; tendreffe qui luy fit recommander à la Bataille de Pharfale qu'on épargnât les Citoyens
Romains ; ne voulant pas qu'unfi
noblefangcoulât àfesyeux quilui
fit envier la mortdufageCaton &
qui luyfit répandre des larmes à la
vue de la teftefanglante de PomBij
20 MERCURE
pée; qu'on ne vante plus fur cette
mort la bontéde celui ci qui deffenditfi long-temps la liberté de
Rome & qui la vit finir avecfa
vie dans cette journée memorable
qui decida du fort de l'Univers ;
que les Panegyriftes deTite & de
Trajan fe taifent , puifque de l'aveu même dupremier ily a euune
journée inutile qui luyfit regretter de n'avoir rien fait pour fes
Sujets , en difant à quelques -uns
de fes Courtifans ; Mes Amis ,
nous avons perdu ce jour ; &
que lefecond contre ce qu'il avoit
écrit au Senat à son élevation à
l'Empire , que jamais par fes
GALANT 21
ordres un homme de bien ne
feroit condamné à la mort , ne
$
donna que trop de preuves de la
haine qu'il portoit aux Chreftiens,
quoy qu'il aff. ctât de ne point publier d'Edit contr'eux : Louis
Le Grand a furpaffé tous ces
modeles de bonté. L'Orateur fit
alors un détail fuivi & foûtenu
par le feu de fon imagination
& par toutes les fineffes de
l'Art , de toutes les marques
de bonté que ce Prince a don
nées à fon peuple. L'Europe fi
fouvent pacifiée dans les temps
où le torrent de fes profperitez luy pouvoit faire tout ef
22 MERCURE
perer de la continuation d'une
guerre jufte. Sa prévoyance
comme un autre Jofeph, àfaire
remplir les greniers publics
dans les temps de fterilité ,
& à envoyer chercher du
Grain dans un autre Hemifphere,dans des terres éloignées
& que nous ne connoiffons
que fur la foy des Relations ;
&fon aplication à rendre par
une heureufe induftrie à fon
Peuple ce que la terre fterile &
infidelle luy refufe , furent des
morceaux habilement maniez.
Il rapella en cet endroit les
horreurs de l'année de calami-
GALANT 23
té qui fit éprouver tant de
rigeurs fur la fin du dernier .
ficcle ; & dont on fe fouviendroit encore avec une espece
de frayeur , fi une calamité &
plus preffante &auffi plus prefente n'en étoufoit le fouvenir. Cefut en cet endroit que
de Pere Cottin fe furpaffa &
que piqué d'une noble émulation contre luy-même , il
tâcha autant de s'élever aúdeffus de luy-même qu'il s'étoit élevé au commencement
de fon Difcours audeffus des
Orateurs ordinaires ; mais le
chef- d'œuvre de l'Art & où
24 MERCURE
il fit de plus grands efforts pour
s'élever & pour loüer plus
magnifiquement fon Heros
c'eft dans le chef d'œuvre de
fa vic , c'eft à dire , dans l'extinction de l'Herefie :il loüa
& avec juftice ce Monarque
d'avoir purgé fes Etats d'un
Monftre qui a efté plufieurs
fois preft àles bouleverfer. Ce
qu'il dit à ce fujet des troubles
que les nouveautez Calviniennes exciterent en France ; &
les defordres aufquelles elles
donnerent licu fur la fin du
16 fiecle , fut curieux & recherché. La fermeté de ce
Prince
GALANT 25
Prince à refufer les offres les
plus éblouiffantes & les plus
capables de tenter une ame
moins grande que la fienne
auprix même de fon repos ;
en quelque maniere de fa
pre gloire , fut mife dans le
plus beau jour qu'elle pouvoit
&
prorecevoir. La France armée
pour la défenſe de la Religion
contre des Princes qui ont
toûjours fait une oftentation
orgüeilleuse de Catholicité &
qui la veulent oprimer en établiffant le culte d'une fauffe
Religion & de toutes les fectes
impies que l'enfer a vomis dans
Fanvier 1710.
C
26 MERCURE
l'Angleterre ; & qui la veulent
oprimer dans le Royaume le
plus Catholique qui ait jamais
efté , donna une belle matiere
& ouvrit un beau champ à
l'Orateur. On connut bien
qu'il parloit de l'Espagne des
fecours & de la protection
donnez au Roy Catholique
& à celuy d'Angleterre , & ces
endroits furent délicatement
touchez. Ce morceau refervé
pour la fin & pour donner
un nouveau relief à toutes les
vertus & à l'amour paternel
de Louis le Grand , eftoit
un effet fufceptible de toutes
GALANT 27
les beautez de l'éloquence
& plus l'Orateur fe trouva en
cet endroit comme en beaucoup d'autres endroits de fon
Difcours , au deffous du fujer
qu'il traitoit , plus onle trouva
digne de le traiter ; & iléprouva en cette occafion que ceux
qui ont le plus d'efprit font
ordinairement ceux qui font
toujours moins fatisfaits d'euxmêmes ; & cependant il a dû
l'eftre des grands applaudiffemens qu'il a reçus.
des Ouvrages compofez à
la gloire du Roy, & des Eloges
de Sa Majesté prononcez en
divers lieux & en diverfes occafions que je vous envoyay
A iij
6 MERCURE
le mois dernier , vous ne devez
pas prendre moins de plaiſir à
Îire l'Article qui fuit , où vous
trouverez un Abregé de tout
ce que ce Monarque a fait de
grand pendant la vie , & particulierement pour le bien de
Les Sujets.
Le Pere Cottin , Profeſſeur
d'Eloquence dans le petit College de la Ville de Lyon , prononça le jour de Saint André
un Eloge du Roy, en preſence de M' le Prevoft des Marchands & de tout le Confulat ;
l'amour paternel de ce Prince
pour les Sujets , & ce que cet
GALANT 7
amour luy a fait faire firent la
divifion de ce Difcours , qui
reçus de grands applaudiffemens. Avant que d'entrer dans
la premiere partie , il fit un
Compliment à Mrs du Confulat fur le zele avec lequel ils
rempliffent les bonnes intentions du Roy pourfon peuple ,
en faifant voir que quelques
bonnes que fuffent ces intentions & quelque affection que
le Souverain cut pour fon
peuple , il luy feroit preſque
impoffible de les executer ; &
d'en faire gouter les fruits à
fes Sujets , fi fes Miniftres &
1
A iiij
8 MERCURE
ceux qui font chargez de
l'execution de fes ordres dans
les Provinces , n'entroiene fur
cela dans fes veües , & n'étoient
animez du même efprit . Cette
penfée fut délicatement maniée ; & elle luy fournit un
champ fecond d'Eloges pour
Mr Ravat Prevoft des Marchands , & pour les Echevins
dont l'Adminiſtration a efté
d'autant plus difficile que la
faifon a elté des plus fterile &
des plus rigoureufe. Avant de
prouver lamour paternel de
Sa Majefté pour fes Sujets &
de mettre dans une pleine •
GALANT 9
évidence cette qualité fi glorieuſe à un Souverain , & que
les Rois doivent plus eftimer
que tous les lauriers dont ils
peuvent couronner leur tête ,
il fit de ce Monarque , un
portrait auffi beau que naturel;
il le fit voir par tous les endroits qui découvrent en luy
Heroilme , & qui dans le
Paganifme ou dans la folle
Antiquité luy auroit fait meriter à plus jufte titre qu'à plufieurs Empereurs , les honneurs de l'Apotheofe. Il parla
des glorieufes campagnes qu'il
a faites en Perfonne & fur
10 •
MERCURE
ce Printout de celle de 1672. dont
il fut l'ame & le mobile par fa
prudence , fon activité & la
fageffe de fes ordres. Il parla
enfuite de l'amour quece
ceatoûjours eu pour la juftice,
l'exactitude avec laquelle il
l'a toujours fait rendre &
même contre fes interefts ; fa
prudence dans les Confeils où
il a toujours prefidé en perfonne ; fa penetration , & fa
fagacité qui ont brillé d'une
maniere fi extraordinaire dans
les conjonctures les plus difficiles , & dans les affaires les
plus délicates ; enfin fa modé
GALANT II
la
ration dans les profperitez les
plus rapides , & la fermeté
dans les revers les moins meritez & les plus accablans pour
un Prince toujours accoûtumé
à vaincre, fournirent au jeune,
mais éloquent Orateur.
matiere d'un Eloge également
folide & délicat. Il dit enfuite
que toutes ces vertus , & toutes ces qualitezquelques éclatantes
qu'elles fuffent , auroient esté
ternies , ou du moins qu'il leur
auroit manqué quelque chofe , fi
elles n'avoient efté relevées par
l'amour vrayment paternel de ce
Prince pour fes Sujets ; amour
12 MERCURE
auffi effectifque veritable &auffi
veritable qu'il a efté foutenu par
mille traits qui l'ont découvert
durant tout le cours d'un regne
que la Providence n'apermis qui
futfi long que pour en faire le
modele d'un bon & jufte regne
pour montrer à la pofterité en la
perfonne de Louis le Grand
l'image du meilleur Prince qui
fut jamais ; mais d'autant plus
digne des louanges de ceux qui
viendront aprés nous que Sa
bonté a esté naturelle & acqufe.
Louis le Grand a esté bon par
nature ; il n'a fait que fuivre
fon penchant lapensée defon.
,
2
GALANT 13
cœur quand il a aiméfon Peuple;
mais il s'eft auffi fait une étude
particuliere de cet amour ; il l'a
regardé comme le devoir le plus
indifpenfable de fa condition fuprême , & il s'eft dit tous les
jours defa vie , que regner fans.
amour c'eftoit expofer la Royauté
à degenerer en tirannie ; que
rien ne rereffembloit mieux à l'oppreffion que le pouvoir arbitraire
l'amour ne tempere point ;
que l'amour paternel du Roy
parut dés les premieres années de
fon regne ; & que lespremieres
que
étincelles defaraifon furent , pour
ainfi dire , les premieres fignes de
14 MERCURE
l'amour qu'il avoit pour le Peuple dont la nature l'avoit fait
naître le maître ; que cet amour
l'avoit rendu dans tous les temps
defa vic , & prefque dans toutes
les heures de lajournée , accefible à
fes Sujets également prêt à
écouter leurs plaintes & à leur
rendre juftices que le moment où
on l'a veu preferer à un devoir
fi effentiel , maisfifouvent négli
ge, les foins de fa gloire où des
paffions attachées à l'humanité.
eft encore à naître ; mais qu'infenfiblement il anticipoit fur la
deuxième partie. Il la commença en faiſant voir les mar-
GALANT 15
ques de cet amour paternel
que le Roy donna dés qu'il
gouverna par luy- même auffitôt que le Cardinal Mazarin
cur les yeux fermez. Il ajoûta
qu'alors tout futfurfon compte;
& que comme on n'auroit pas mis
fur le compte du Miniftre qui ne
voyoit pas ce qu'il y auroit pú
avoir de plus réprehenfible dans
le Gouvernement fi on y eut remarqué quelque chofe de pareil ,
qu'auffi ne devoit on mettre que
furlefeul compte de ce Monarque
les traits de bonté qui échapoient
en foule defon cœur dés ce tempslà ; il continua ainfi ; ces fages
16 MERCURE
le
judicieufes Ordonnances ont
fait revivrela majefté des Loix ;
ont donné uneformeſtable &
conftante à laJurifprudence Francoife,qui varioitfelon la difference
des Tribunaux , & ont affuré
repos des familles. Loix dont
lafageſſe met leur Auteur au deffus de Licurgue , tant chanté des
Lacedemoniens , des Acheniens , dont l'utilité , & les
avantages éleventLouis le Grand,
non-feulement au- deffus de ces
Legiflateurs Romains ; mais auffi au deffus du celebre Roy des
نوع
Atheniens Codrus , de bonne
d'éternelle memoire , qui pour
GALAN 17
remplir l'Oracle fatal fe dévoüa
pour le falut de fa Patrie ; &
qui ayant efté ledix-feptiéme Roy
de ce Peuple enfut auffi le dernier.
Les Atheniens pour honorer Ja
memoire pour reconnoître autant qu'il eftoit en eux le facrifice de ce genereux Roy abolirent
la Royauté , defefperant d'avoir
un auffi bon Prince pour Souverain. De là le Gouvernement des
Archontes , dont le fils du bon
Codrusfut lepremier. AMANTI
NIL DIFFICILE a dit
un Ancien ;
auffi Louis le
Grand , n'a rien trouvé de difficile quand il a fallu fatisfaire
Janvier 1710.
B
18 MERCURE
l'inclination qu'il a pourfon Peuple ; de cette tendreffe , de cette
"bontépaternellefontnez tant d'Edits pour affurer le repos de fes
Sujets , pour éteindre parmi cette
generofité cruelle & feroce qui
détruifoit la Nobleffe du Royaume ; jeparle de l'Edit des Duels ;
Edit quifoûtenu par la feverité
de la Loy aenfin détruit cettepefte
publique ; de cette bonté paternelle
font forties tant de fages Ordonnances pour la Police exterieure
du Royaume , pour le Reglement
des conditions , &pour donner des
bornes au luxe exceffifauquelfe
livroit infenfiblement la Nation:
GALANT 19
qu'onon ne nous vanteplus , s'écria
l'Orateur, le zele de l'Orateur
Romain ; l'amour de la Patriequi
animoit Ciceron & qui luy fit
découvrir l'horrible conjuration de
Catilina ; la tendreffe que Jules
Cefar conferva pour fes Compa
triotes dans les terreurs delaguer
re qui déchiroit fa malheureuſe
Patrie ; tendreffe qui luy fit recommander à la Bataille de Pharfale qu'on épargnât les Citoyens
Romains ; ne voulant pas qu'unfi
noblefangcoulât àfesyeux quilui
fit envier la mortdufageCaton &
qui luyfit répandre des larmes à la
vue de la teftefanglante de PomBij
20 MERCURE
pée; qu'on ne vante plus fur cette
mort la bontéde celui ci qui deffenditfi long-temps la liberté de
Rome & qui la vit finir avecfa
vie dans cette journée memorable
qui decida du fort de l'Univers ;
que les Panegyriftes deTite & de
Trajan fe taifent , puifque de l'aveu même dupremier ily a euune
journée inutile qui luyfit regretter de n'avoir rien fait pour fes
Sujets , en difant à quelques -uns
de fes Courtifans ; Mes Amis ,
nous avons perdu ce jour ; &
que lefecond contre ce qu'il avoit
écrit au Senat à son élevation à
l'Empire , que jamais par fes
GALANT 21
ordres un homme de bien ne
feroit condamné à la mort , ne
$
donna que trop de preuves de la
haine qu'il portoit aux Chreftiens,
quoy qu'il aff. ctât de ne point publier d'Edit contr'eux : Louis
Le Grand a furpaffé tous ces
modeles de bonté. L'Orateur fit
alors un détail fuivi & foûtenu
par le feu de fon imagination
& par toutes les fineffes de
l'Art , de toutes les marques
de bonté que ce Prince a don
nées à fon peuple. L'Europe fi
fouvent pacifiée dans les temps
où le torrent de fes profperitez luy pouvoit faire tout ef
22 MERCURE
perer de la continuation d'une
guerre jufte. Sa prévoyance
comme un autre Jofeph, àfaire
remplir les greniers publics
dans les temps de fterilité ,
& à envoyer chercher du
Grain dans un autre Hemifphere,dans des terres éloignées
& que nous ne connoiffons
que fur la foy des Relations ;
&fon aplication à rendre par
une heureufe induftrie à fon
Peuple ce que la terre fterile &
infidelle luy refufe , furent des
morceaux habilement maniez.
Il rapella en cet endroit les
horreurs de l'année de calami-
GALANT 23
té qui fit éprouver tant de
rigeurs fur la fin du dernier .
ficcle ; & dont on fe fouviendroit encore avec une espece
de frayeur , fi une calamité &
plus preffante &auffi plus prefente n'en étoufoit le fouvenir. Cefut en cet endroit que
de Pere Cottin fe furpaffa &
que piqué d'une noble émulation contre luy-même , il
tâcha autant de s'élever aúdeffus de luy-même qu'il s'étoit élevé au commencement
de fon Difcours audeffus des
Orateurs ordinaires ; mais le
chef- d'œuvre de l'Art & où
24 MERCURE
il fit de plus grands efforts pour
s'élever & pour loüer plus
magnifiquement fon Heros
c'eft dans le chef d'œuvre de
fa vic , c'eft à dire , dans l'extinction de l'Herefie :il loüa
& avec juftice ce Monarque
d'avoir purgé fes Etats d'un
Monftre qui a efté plufieurs
fois preft àles bouleverfer. Ce
qu'il dit à ce fujet des troubles
que les nouveautez Calviniennes exciterent en France ; &
les defordres aufquelles elles
donnerent licu fur la fin du
16 fiecle , fut curieux & recherché. La fermeté de ce
Prince
GALANT 25
Prince à refufer les offres les
plus éblouiffantes & les plus
capables de tenter une ame
moins grande que la fienne
auprix même de fon repos ;
en quelque maniere de fa
pre gloire , fut mife dans le
plus beau jour qu'elle pouvoit
&
prorecevoir. La France armée
pour la défenſe de la Religion
contre des Princes qui ont
toûjours fait une oftentation
orgüeilleuse de Catholicité &
qui la veulent oprimer en établiffant le culte d'une fauffe
Religion & de toutes les fectes
impies que l'enfer a vomis dans
Fanvier 1710.
C
26 MERCURE
l'Angleterre ; & qui la veulent
oprimer dans le Royaume le
plus Catholique qui ait jamais
efté , donna une belle matiere
& ouvrit un beau champ à
l'Orateur. On connut bien
qu'il parloit de l'Espagne des
fecours & de la protection
donnez au Roy Catholique
& à celuy d'Angleterre , & ces
endroits furent délicatement
touchez. Ce morceau refervé
pour la fin & pour donner
un nouveau relief à toutes les
vertus & à l'amour paternel
de Louis le Grand , eftoit
un effet fufceptible de toutes
GALANT 27
les beautez de l'éloquence
& plus l'Orateur fe trouva en
cet endroit comme en beaucoup d'autres endroits de fon
Difcours , au deffous du fujer
qu'il traitoit , plus onle trouva
digne de le traiter ; & iléprouva en cette occafion que ceux
qui ont le plus d'efprit font
ordinairement ceux qui font
toujours moins fatisfaits d'euxmêmes ; & cependant il a dû
l'eftre des grands applaudiffemens qu'il a reçus.
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Résumé : Prelude qui renferme un abrégé de tout ce que le Roy a fait de grand pendant sa vie. [titre d'après la table]
Le texte relate la satisfaction du destinataire concernant les œuvres et éloges en l'honneur du roi, précédemment envoyés. Il annonce un article résumant les grandes actions du monarque au profit de ses sujets. Le Père Cottin, professeur d'éloquence à Lyon, a prononcé un éloge du roi lors de la fête de Saint-André, en présence du prévôt des marchands et du consulat. Cet éloge mettait en avant l'amour paternel du roi pour ses sujets et les actions entreprises pour leur bien-être. Le discours était divisé en deux parties. La première rendait hommage aux ministres et échevins pour leur zèle et leur administration difficile dans un contexte stérile et rigoureux. La seconde partie soulignait l'héroïsme, la justice, la prudence, la pénétration et la modération du roi, illustrées par ses campagnes militaires, notamment celle de 1672. Le Père Cottin a souligné l'amour paternel du roi, naturel et acquis, qui tempère le pouvoir arbitraire et prévient la tyrannie. Il a évoqué les premières manifestations de cet amour dès les débuts du règne, après la mort du Cardinal Mazarin. Le roi a promulgué des ordonnances sages et justes, assurant la majesté des lois et le repos des familles. L'orateur a comparé Louis le Grand à des législateurs antiques comme Licurgue et Codrus, soulignant son dévouement pour son peuple. Il a mentionné divers édits et ordonnances pour assurer la paix et la justice, comme l'édit contre les duels et les régulations contre le luxe excessif. Le discours a également abordé la prévoyance du roi en temps de disette, rappelant les rigueurs de la fin du XVIIe siècle. L'orateur a loué le roi pour avoir purgé le royaume de l'hérésie et pour sa fermeté face aux offres tentantes, notamment en défendant la religion catholique contre les princes protestants. Enfin, le Père Cottin a conclu en soulignant la grandeur de l'amour paternel du roi, illustrée par ses actions en faveur de la France et de ses sujets.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 175-216
Eloge Funebre de feuë S. A. S. Monsieur le Prince, prononcé à Bourges, avec un appareil qui sert à faire voir toutes les vertus et toutes les grandes qualitez de ce Prince. [titre d'après la table]
Début :
Ce qui suit est bien digne de vostre curiosité, & à quelques [...]
Mots clefs :
Éloge funèbre, Jésuites, Collège de Bourges, Orateur, Henri-Jules de Bourbon-Condé, Héros, Auditeur, Oraison, Tableau
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texteReconnaissance textuelle : Eloge Funebre de feuë S. A. S. Monsieur le Prince, prononcé à Bourges, avec un appareil qui sert à faire voir toutes les vertus et toutes les grandes qualitez de ce Prince. [titre d'après la table]
Ce qui fuit eft bien digne
P iiij
176 MERCURE
de voftre curiofité , & à quel
ques mots prés , je vous
l'envoye de la maniere qu'il
eft tombé entre mes mains
ceux qui ont écrit cette Relation à la quelle j'ay fait ferupule de toucher , eftant mieux
inftruits que moy desc hofes
dont il s'agit.
Les Peres Jefuites , du College de Bourges qui ont des
obligations particulieres à la
Maifon de Condé , ne ſe contenterent pas de celebrer les
Sacrez Mifteres pour l'ame de
3
GALANT 177
S. A. S. Henry Julles de Bourbon , fi to
dose
appris la mort de ce Prince ; ils .
voulurent encore donner des
marques fingulieres de leur
reconnoiffance par quelque
action publique qui fût entierement confacrée à fa memoire ; mais comme ils vouloient rendre la Ceremonie
celebre & que les Membres
des principaux Corps de la
Ville de Bourges
voient alors difperfez à la
campagne , ils remirent à
executer leur deffein juſqu'au
mois de Decembre dernier ,
fe trou-
178 MERCURE
oùtout le monde à coûtume
de fe raffembler dans la Ville ;
ce fut le 19. du même mois
qu'ils choifirent pour cerre
folemnité.
Le matin fut employé à
offrir le Saint Sacrifice fur
tous les Autels de leur Eglife ;
l'aprêdinée le Pere de Blainville , un des Profeffeurs de l'Elo.
quenceprononça en latin l'O
raifon funebre du Prince. M'
de Foullé , Intendant de Berry,
quatres Facultez de l'Univerfité enhabit de Ceremonie,
le Corps de Ville , les Magif
trats , les Superieurs d'Ordre ;
les
GALANT 179.
t
& prefque toutes les autres
perfonnes de diftinction de la
Ville formoient une Affemblée également nombreuſe &
choifie.
Le deffein de l'Orateur fut
de reprefenter Henry Jules
de Bourbon , comme un Prince accomply & qui poffedoit
toutes les qualitez d'un veritable Heros. Il fit voir que
fon Heros ne cédoit à aucun
autrepour les vertus du cocur
& que prefque aucun ne l'avoit égalé pour les qualitez de
l'efprit. Les preuves de la
premiere partie confifterent à
180 MERCURE
faire connoiftre qu'Henry Ju
les de Bourbon remplit toû
jours & en tout lieu les dep
voirsd'un Grand Prince ; c'eftà dire , qu'il fut à la Guerre
valeureux & intrepide ; à la
Cour fage également foumis
& fidele ; à la Ville & dans fa
famille , humain , complaifant , équitable. Ainfi les
vertus Militaires , celles qui
font propres d'un Prince à
la Cour , les civiles & les domeftiques firent le partage de
cette partie.
L'Orateur en parlant des
vertus Militaires fit fur tout
GALANT 181
valoir le paffage du Rhin , où
le Prince ne ceffa de combatre
que lorsqu'il eut vangé par la
mort ou la prife de tous les
Ennemis , la bleffure que fon
Pere y reçeut. L'Affemblée
applaudit beaucoup à cette
endroit & ne prit pas moins
de plaifir à entendre le recit
de la Bataille de Seneff , où le
Prince quoyque bleſſé en deux
endroits , &aprés avoir perdu
fon cheval , vint au fecours
de fon Pere le fauva des
mains des Ennemis , & en le
fauvant fut caufe de la Victoire & du falut de la France.
>
182 MERCURE
La prife de Limbourg, &
de plufieurs autres Places où
Henry Jules de Bourbon ,
fignála fa valeur , ne furent
pas oubliées.
Lorfqu'il vint aux vertus
que Monfieur le Prince avoit
pratiquées à la Cour , il loüa
fur tout fa fincerité , fa droiture , fon attachement à tous
fes devoirs , fon affiduité auprés du Roy , & fon attention à fe regler en tout fur les
volontez & fur les inclinations de Sa Majefté ; ce qui
parut plus glorieux pour le
Prince , fut la remarque qu'il
GALANT 183
fit • que toutes fes démarches
& toutes les actions n'eurent
jamais d'autre principe que
fon zele , fon amour & fon
eftime pour Louis le Grand.
Al'égard des vertus domeftiques & civiles , il s'étendit
particulierement fur la reconnoiffance & la pieté de Henry
Jules de Bourbon envers le
le grand Condé fon Pere , fur
fon foin pour l'éducation &
l'établiffement des Princes fes
enfans ; fur la protection qu'il
accorda toujours conftamment à la Province dont il
avoit le Gouvernement ; fur
184 MERCURE
a
fa bienveillance , fa charité , fa
clemence , pour tous ceux qui
curent recours ou qui curent
affaire à luy. Je ferois trop
long fi je vous raportois en
détail ce que dit l'Orateur fur
les fommes immenfes que
Henry Jules de Bourbon , fit
diftribuer aux Pauvres , aprés
la mort du Prince fon Pere ;
les Paroiffes qu'il fonda ; les
dettes qu'il acquita ; fur l'abondance qu'il conferva dans
la Bourgogne dans un temps
de famine ; fur fa facilité à
pardonner les injures ; ſa compaffion pour les malheureux ,
GALANY 185
quand même ils auroient efté
fes ennemis & fur la bonté de
fon cœur , qui alloit juſqu'à
luy faire répandre des larmes
au feul récit de quelque action
de pieté.
Mais l'endroit ou l'Auditeur témoigna le plus de joye,
fut lorfque l'Orateur , en parlant de l'amour paternel , fit
remarquer avec verité , que le
Prince n'avoit en fait pour
fes enfans , qu'il ne leur fuc
dû ; qu'ils meritoient encore plus que la fortune qu'il leur
avoit laiffée , & qu'à confideFer leurs vertus , il fembloit
Fanvier 1710.
186 MERCURE
même n'en avoir pas affez fait
pour eux. Ce fut à cette occafion que l'Orateur fit un caractere auffi jufte qu'avantageux de Son Alteffe Sereniffime Madame la Princeffe , qui
par fes exemples encore plus
que par fes leçons , a entretenu
tant de vertus heroïques dans
fon Augufte Famille.
Dansla feconde Partie, l'Orateur après avoir fait entendre,qu'on n'eft point veritablement Heros , fi on nejointaux
vertusdu cœur, les qualitez d'un
genie éminent , diftingua trois
fortes de connoiffances qu'un
GALANT 187
Prince doit avoir pour meriter la réputation d'un excellentefprit ; il dit que les premieres fervoient à deffendre & àfoutenir un Etat ; que les fecondes
contribuoient àfan embelliffement
&
àfa gloire ; que les troifiémes
fontneceffairespouryconferverla
Religion dans fa fplendeur , &
qu'Henry Jules de Bourbon n'avoit prefque point eu d'égal dans
ces troisfortes de connoiffances.
Entre les Sciences qui procurent le bien d'un Royaume,
comme la Militaire eft une des
principales , l'Orateur fans rien
repeterde ce qu'il avoit dit de
Q ij
188 MERCURE
la valeur du Prince , montra
combien il eftoit entendu dans
le mêtier de la guerre. On ne
peut expofer d'une maniere
plus variée qu'il fit , les dix
Campagnes où fon Heros s'eſt
fait remarquer par mille actions éclatantes , dans tous les
Sieges & tous les Combats differens dont la France fortoit
alors toûjours victorieufe.
Il ajoûta que Mr le Prince
ne fut pas moins admirable
dans les autres connoiffances ,
foit des chofes qui concernent
le dedans du Royaume , commeles Loix del Etat, les mœurs
ALANT 189
& les ufages des Peuples ; les
Coutumes & les Privileges des
Provinces ; foit celles qui appartiennent aux affaires Politiques , comme le genie & les
interefts des Nations étrangeres , les vues & les projets des
Princes. Il s'attacha fur tout à
faire le caractere particulier du
Prince en marquant l'étenduë
de ſon eſprit également capable des plus grandes & des plus
petites chofes. Le détail infini
où Son Alteffe entroit , foit
qu'il fallut mettre l'ordre dans
la on
du
Roy
, foit
qu'il
fallut regler la fienne pro-
190 MERCURE
pre , ou preſider aux Etats de
Bourgogne fut un des beaux
morceaux de la Harangue. 18
Il fut aîfé de montrer combien Henry Jules de Bourbon
excella dans la connoiffance de
tous les Arts qui contribuënt
à l'ornement & à la gloire d'un
Royaume. Le Portrait que
l'Orateur en fit comme d'un
Prince autant élevé par fa capacité que par fa naiffance ,
eftoit vif & donnoit une belle
idée de la fuperiorité de genie
que perfonne n'a jamais refufée au Prince de Condé.
Cefut avec la mêmefacilité
GALANT 191
qu'il fit voir que jamais perfonneneconnutmieux faReligion
& nefut plus docile à la fuivre.
Aprés une espece de Recapitulation que l'Orateur fit de
tant de rares qualitez , foit du
scœur , foit de l'efprit , il ne
craignit pas d'avancer qu'il
eftoit en quelque maniere de
la gloire de Dieu qu'un Heros
fi accompli mourut en parfait
Chreftien il dit qu'Henry-fules de Bourbon mourut en effet
avec une entiere connoiſſance , &
une fermeté inébranlable , muni
de tous les Sacremens de l'Eglife ,
qu'il reçut avec une pieté exem-
192 MERCURE
plaire , laiffant aprés ſa mort la
memoire d'un Prince encore plus
grand qu'il n'avoit paru pendant
fa vie..
Le lieu où cette Oraifon funebrefut prononcée eftoit une
grande Salle toute tenduë de
noir depuis le haut jufqu'au
bas , avec un appareil funebre
qui répondoit parfaitement au
deffein de l'Oraifon.
Dans un des fonds de la
Salle , à la droite de l'Orateur ,
on avoit élevé, un Dais magn fique fous lequel on avoit
placé un grand Tableau où
eftoient les armes du Prince ;
il
GALANT 193
il eftoit accompagné de chaque
côté de deux trophées , dont
l'un par divers inftrumens de
guerre, & l'autre par tous les
fymboles des Sciences , & des
Arts , marquoient que HenryJules de Bourbon eftoit également grand & dans la guerre
& dans la Paix ; au deffous on
avoit dreffé une grande table
parée d'un riche tapis : fur cette table eftoit la Couronne à
fleurs de lis , couverte d'un crefpe fur un carreau de velours
noir ; avec tous les ornemens
qui convenoient aux dignitez
Janvier 1710.
R
194 MERCURE
dontfeu Monfieur le Prince a
efté revêtu.
Dans l'autre fond de la Salle
eftoit élevé un autre tableau
de même grandeur , qui contedoit le chiffre du Prince , accompagné de deux trophées
differens des deux premiers.
Au- deffus de la tefte de l'O
rateur ou avoit placé un grand
Cartouche, qui reprefentoit un
Mars & unApollon foûtenant
les armes de la Maifon de Condé ; deux autres eftoient unpeu
au- deffous ; dans l'un du cofté
où eftoit Apollon , on avoit
peint un Parnaffe , où l'on
GALANT 195
voyoit toutes les Mufes qui
prefident aux Sciences & aux
beaux Arts ; dans l'autre on
avoit peint les differens Dieux
de la Fable , qui paffent pour
prefider à l'Art Militaire &
pour eftre les Inventeurs des
Inftrumens qui fervent à la
Guerre.
Aces trois Cartolesré
pondoit de l'autre coſté de la
Salle une nouvelle decoration ,
qui confiftoit en diverfes Figures , qui repreſentoient & les
vertus du cœur & les qualitez
de l'efprit , avec cette feule
Infcription , qui renfermoit
Rij
196 MERCURE
tout le deffein de l'Oraifon
& qui fe trouvoit juſtement
au milieu de la Salle & vis- à vis
l'Orateur.
PRINCIPI PERFECTO.
Au Prince accompli,
Àla droite de cette Infcription regnoient autour de la
Salle jufqu'à la Chaire de l'Orateur , des Infcriptions , des
Peintures & des Devifes, qui exprimoient les vertus du cœur
qui faifoient le fujet de la premiere partie de l'Oraiſon.
D'abord une Infcription
generale marquoit les vertus
Militaires ,
GALANT, 197
VIRTUTES BELLICA.
Au- deffous eftoient en formedequarré trois Infcriptions
particulieres & trois Tableaux
qui fe rapportoient à l'Infcription generale.
Premiere Infcription particuliere.
PATRIS ULTORI.
Au Vengeur de fon Pere:
Elle eftoit accompagnée
d'un grand Tableau où l'on
avoit dépeint le Paffage du
Rhin , avec ces mots : ad Rhenum , pour marquer que Mr le
Prince n'avoit point quitté la
mêlée, que la mort où la prife
R iij
198 MERCURE
de tous les ennemis ne l'eut
fon vengé de la bleffure que
Pere avoit requë dans le ComSeconde Infcriprion partibat.
culiere.
PATRIS ET GALLIE
CONSERVATORL.
AuConfervateur defon Pere
de la France.
Le Tableau repreſentoit la
Bataille de Seneff , avec ces.
mots : AdSeneffum , pour marquer qu'enfecourant fon Pere,
tombé de cheval dans unfoffé,
& en le retirant des mains de
l'Ennemi , il avoit en même
порный
THEQUE DE
DA GALANT
temps fauvé la France.
Troifiéme Infcription par
ticuliere.
SUIS AUSPICIIS TRIUMPHANTI
Au Vainqueur qui ne doit qu'à
lui-même fa Victoire.
Le Tableau reprefentoit la
Villede Limbourg & plufieurs
Forts affiegez & pris par le
Prince , avec ces mots : Ad.
Limburgum , &c.
La feconde Infcription generale marquoit les vertus que
ce Prince a pratiquées à la
Cour.
VIRTUTES AULICE..
R iiij
200 MERCURE
Au - deffous eftoient trois
autres Infcriptions particulieres & trois Deviſes qui formoient une figure quarrée
femblable à la premiere.
Premiere Infcription particuliere.
REGIS OBSERVANTISSIMO.
Il fut toûjous attaché &foûmis
àfon Roy.
La Devile qui exprimoit ce
zele & cet amour pour Sa Majefté eftoit un Girafol penché
du cofté du Soleil , avec ces
mots :
HOC QUOCUNQUE SEQUOR.
Fe le fuis par tout.
GALANT 201
Seconde Infcription particu
liere.
RECTI TENACISSIMO.
Iln'eut pour regle que la droiture
&la vertu.
Devife : Une Bouffole toûjours tournée vers le Nord ,
avec ces mots :
DUCOR AMORE POLI.
Mon inclination mè porte vers
le Pole.
Troifiéme Infcription par.
ticuliere.
SUI SEMPER SIMILLIMO.
Ilfut toûjours égal à lui- même.
Devife : Un Laurier qui conferve en tout temps fa ver-
202 MERCURE
dure , avec ces mots :
NIL ESTAS ADDIT , NIL
TOLLIT HYEMS.
L'Efté ne medonne rien , l'Hyver
nem❜ofte rien.
La troifiéme Infcription
generale marquoit les vertus
civiles &
domeftiques ;
VIRTUTES DOMESTICE AC
CIVILES.
Premiere Infcription particuliere.
PATRIA INDOLIS EFFIGIEM
RENOVANTI.
Ilfuivit les belles inclinations
defon Pere.
Devife: Un nouveau Phc-
GALANT 203
nix qu'on voit fortir des cendres de celuy qui l'a precedé ,
avec ces mots :
ALTER AB ILLO SURGIT.
Il s'en éleve un fecond ſemblable·
au premier.
Seconde Infcription particuliere.
PARENTI PROVIDENTISSIMO.
Il remplit tous les devoirs d'un
bon Pere.
fes enLa Devife qui exprimoit cette vigilance & cet amour paternel du Prince pour
fans , eftoit un Aigle occupé
à conftruire fon aire , avec
mots :
204 MERCURE
NON MEOS SED PROLIS IN
USUS.
Cen'eftpaspourmoymaispour
les miens queje travaille.
Troifiéme Infcription particuliere.
GUBENATORUM EXEMPLO.
Il fut l'exemple le modele
des Gouverneurs.
b
Devife : Un Soleil qui par
fa chaleur benigne fait porter
des fleurs & des fruits à des arbres qui font au- deffous de lui,
avec ces mots :
UBI PRÆEST , PRODEST.
Où il prefide, ilfait du bien.
Pour fignifier que M' le
GALANT 205
Prince a toûjours maintenu la
Bourgogne dans fes Privileges,
& qu'il y a confervé l'abondance dans les temps les plus
fâcheux.
A la gauche de la grande Inf
cription qui renfermoit tout
le fujet de l'Oraifon exprimé
par ces mots : Principi perfecto.
On avoit diftribué de la même
maniere trois autres quarrez ,
qui aboutiffoient pareillement
à la Chaire de l'Orateur , & qui
en reprefentant par de nouvelles Infcriptions & Devifes , les
diverfes connoiffances , qu'on
admira toujours dans le Prin-
206 MERCURE
ce de Condé , marquoient les
éminentes qualitez de fon efprit ;ce qui faifoit le ſujet de la
feconde Partie de l'Oraifon.
La premiere Infeription ge
nerale marquoit la connoiflance des Arts qui fervent à la
défenſe & au foutien des Empires.
ARTES REIPUBLICE
TUTELARES.
Premiere Infcription particuliere..
BELLI SCIENTISS IMO.
Ilfut tres experimenté dans
la Guerre.
Devife : une main fur un
GALANT 207
jeu d'Echecs , avec les pieces ,
& ces mots :
MIHI PRÆLIA LUDUS.
Les Combats font un
pour moy.
Fen
Seconde Infcription particuliere.
NATIONUM CONSSILIA
PERVADENTI.
Il connut parfaitement les interefts & les projets des differentes
Nations.
Devife : UneFléche volante
qui perce les nuës , avec ces
mots :
LONGE VOLAT ET PENETRAT.
C'eft fon propre de voler loin
&de penetrer.
208 MERCURE
Troifiéme Inſcription particuliere.
UTILITATI REGIA
CONSULENTI.
Il eut toûjours en vûël'utilité
du Roy.
Deviſe : Un Cadran expoſe
au Soleil , & placé ſur le Frontifpice d'un Palais Royal , avec
ces mots:
SOLE REGENTE, DOMUM
ORDINE.
Le Soleil eft ma regle , &je fuis
celle de toute la Maifon.
Pour faire allufion à l'ordre
admirable .que M' le Prince
avoit établi dans la Maiſondu
GALANT 2c9
Roy , dont il eftoit GrandMailtre.
La feconde Infcription generale marquoit la connoiffandes beaux Arts , qui contribuent à la gloire & à l'ornement d'un Royaume :
ARTES IMPERIIS GLORIOSÆ.
Premiere Infcription particuliere.
IMA ET ALTA COMPREHENDENTI.
Il fut également ce qu'ily a de
pluscommune deplusfublime.
Devife : Un Arc - en - Ciel
qui paroift par le milieu élevé
Fanvier 1710.
S
210 MERCURE
au deffus des airs , & dont les
extremitez femblent toucher
la terre , avec ces mos :
ASTRATENET, NEC SPERNIT
HUMUM.
Elevéjufqu'aux Cieux il ne
méprife point la Terre.
Seconde Infcription particuliere.
RERUM SINGULARUM ÆSTIMATORI SACAGISSIMO.
Il eut undifcernement exquis pour
juger de toutes chofes.
Devife : Une Balance fuf
penduë en l'air par une main
qui la foutient
mots :
avec ces
GALANT 201
NON REI MOLES , SED
GRAVITAS MOVET.
Ce n'est point le volume mais
le poids des chofes qui me font
pencher.
Troifiéme Infcription particuliere.
ELEGANTIARUM PATRI .
Ilfutcomme le Pere de l'Elegance
&de la Politeffe.
fa
Devife : Un Parterre couvert de fleurs differentes , &
au deffus un Soleil , qui par
lumiere forme l'agreable varieté de leurs couleurs ; avec
ces mots :
Sij
212 MERCURE
CUNCTA COLORAT.
Ildonne de la couleur & de l'éclat
à
tout.
La troifiéme Infcription generale marquoit la connoiffance des chofes qui appartiennent à la Religion.
Artes Religioni fervientes.
Premiere Infcription particuliere.
RELIGIONIS MYSTERIA
PERNOSCENTI.
Il approfondit les Mysteres
de la Religion.
Devife : Un Aigle au- deſſus
des nuës, qui regarde fixement
le Ciel , avec ces mots :
GALANT 213
ALTIORA VI DET.
Ses regards percentjuſqu'au plus
baut des Cieux.
Seconde Infcription particuliere.
RELIGIONIS INSTITUTA
PROFITENTI .
Il fe fir gloire en tout temps defa
Mind Religion.
Devife: UnVaiffeau qui fuit
toûjours dans fa courfe l'Etoile Polaire avec ces mots :
UBI FULSIT, UNAM
SEQUITUR.
Dés qu'elle paroift , il ne fuit
qu'elle.
214 MERCURE
Troifiéme Infcription parriculiere.
RELIGIONI ULTIMA
CONSECRANTI.
Il confacra fes derniers foupirs
à la Religion.
Devife: Un Encenfoir fur
un Autel , duquel on voit for
tir la fumée de l'Encens qui fe
confume , avec ces mots :
SOLVITUR NUMINI.
Il eft confumé à l'honneur du
vray Dieu.
Autour de la Salle , regnoit
en haut une longue rangée
d'Armoiries entre- melées de
Chiffres & au- deffous d'ef
GALANT 215
fix
pace en efpace pour remplir les
vuides qui eftoient entre les
quarrez que formoient les
Infcriptions & les Devifes , on
avoit placé des Tableaux qui
reprefentoient par differentes
figures , ce qu'on avoit déja
exprimé par ces mêmes Infcriptions & Devifes.
ས
Tout brilloit des lumieres ,
qu'on avoit diftribuées , de
maniere que chaque piece de
la décoration eftoit éclairée de
toutes parts par le moyen d'un
grandnombredeLuftresqu'onavoit fufpendus & de Plaques
qu'on avoit appliquées fur
216 MERCURE
la Tenture ce qui donnoit un
tres grand éclat à tout l'appareil.
P iiij
176 MERCURE
de voftre curiofité , & à quel
ques mots prés , je vous
l'envoye de la maniere qu'il
eft tombé entre mes mains
ceux qui ont écrit cette Relation à la quelle j'ay fait ferupule de toucher , eftant mieux
inftruits que moy desc hofes
dont il s'agit.
Les Peres Jefuites , du College de Bourges qui ont des
obligations particulieres à la
Maifon de Condé , ne ſe contenterent pas de celebrer les
Sacrez Mifteres pour l'ame de
3
GALANT 177
S. A. S. Henry Julles de Bourbon , fi to
dose
appris la mort de ce Prince ; ils .
voulurent encore donner des
marques fingulieres de leur
reconnoiffance par quelque
action publique qui fût entierement confacrée à fa memoire ; mais comme ils vouloient rendre la Ceremonie
celebre & que les Membres
des principaux Corps de la
Ville de Bourges
voient alors difperfez à la
campagne , ils remirent à
executer leur deffein juſqu'au
mois de Decembre dernier ,
fe trou-
178 MERCURE
oùtout le monde à coûtume
de fe raffembler dans la Ville ;
ce fut le 19. du même mois
qu'ils choifirent pour cerre
folemnité.
Le matin fut employé à
offrir le Saint Sacrifice fur
tous les Autels de leur Eglife ;
l'aprêdinée le Pere de Blainville , un des Profeffeurs de l'Elo.
quenceprononça en latin l'O
raifon funebre du Prince. M'
de Foullé , Intendant de Berry,
quatres Facultez de l'Univerfité enhabit de Ceremonie,
le Corps de Ville , les Magif
trats , les Superieurs d'Ordre ;
les
GALANT 179.
t
& prefque toutes les autres
perfonnes de diftinction de la
Ville formoient une Affemblée également nombreuſe &
choifie.
Le deffein de l'Orateur fut
de reprefenter Henry Jules
de Bourbon , comme un Prince accomply & qui poffedoit
toutes les qualitez d'un veritable Heros. Il fit voir que
fon Heros ne cédoit à aucun
autrepour les vertus du cocur
& que prefque aucun ne l'avoit égalé pour les qualitez de
l'efprit. Les preuves de la
premiere partie confifterent à
180 MERCURE
faire connoiftre qu'Henry Ju
les de Bourbon remplit toû
jours & en tout lieu les dep
voirsd'un Grand Prince ; c'eftà dire , qu'il fut à la Guerre
valeureux & intrepide ; à la
Cour fage également foumis
& fidele ; à la Ville & dans fa
famille , humain , complaifant , équitable. Ainfi les
vertus Militaires , celles qui
font propres d'un Prince à
la Cour , les civiles & les domeftiques firent le partage de
cette partie.
L'Orateur en parlant des
vertus Militaires fit fur tout
GALANT 181
valoir le paffage du Rhin , où
le Prince ne ceffa de combatre
que lorsqu'il eut vangé par la
mort ou la prife de tous les
Ennemis , la bleffure que fon
Pere y reçeut. L'Affemblée
applaudit beaucoup à cette
endroit & ne prit pas moins
de plaifir à entendre le recit
de la Bataille de Seneff , où le
Prince quoyque bleſſé en deux
endroits , &aprés avoir perdu
fon cheval , vint au fecours
de fon Pere le fauva des
mains des Ennemis , & en le
fauvant fut caufe de la Victoire & du falut de la France.
>
182 MERCURE
La prife de Limbourg, &
de plufieurs autres Places où
Henry Jules de Bourbon ,
fignála fa valeur , ne furent
pas oubliées.
Lorfqu'il vint aux vertus
que Monfieur le Prince avoit
pratiquées à la Cour , il loüa
fur tout fa fincerité , fa droiture , fon attachement à tous
fes devoirs , fon affiduité auprés du Roy , & fon attention à fe regler en tout fur les
volontez & fur les inclinations de Sa Majefté ; ce qui
parut plus glorieux pour le
Prince , fut la remarque qu'il
GALANT 183
fit • que toutes fes démarches
& toutes les actions n'eurent
jamais d'autre principe que
fon zele , fon amour & fon
eftime pour Louis le Grand.
Al'égard des vertus domeftiques & civiles , il s'étendit
particulierement fur la reconnoiffance & la pieté de Henry
Jules de Bourbon envers le
le grand Condé fon Pere , fur
fon foin pour l'éducation &
l'établiffement des Princes fes
enfans ; fur la protection qu'il
accorda toujours conftamment à la Province dont il
avoit le Gouvernement ; fur
184 MERCURE
a
fa bienveillance , fa charité , fa
clemence , pour tous ceux qui
curent recours ou qui curent
affaire à luy. Je ferois trop
long fi je vous raportois en
détail ce que dit l'Orateur fur
les fommes immenfes que
Henry Jules de Bourbon , fit
diftribuer aux Pauvres , aprés
la mort du Prince fon Pere ;
les Paroiffes qu'il fonda ; les
dettes qu'il acquita ; fur l'abondance qu'il conferva dans
la Bourgogne dans un temps
de famine ; fur fa facilité à
pardonner les injures ; ſa compaffion pour les malheureux ,
GALANY 185
quand même ils auroient efté
fes ennemis & fur la bonté de
fon cœur , qui alloit juſqu'à
luy faire répandre des larmes
au feul récit de quelque action
de pieté.
Mais l'endroit ou l'Auditeur témoigna le plus de joye,
fut lorfque l'Orateur , en parlant de l'amour paternel , fit
remarquer avec verité , que le
Prince n'avoit en fait pour
fes enfans , qu'il ne leur fuc
dû ; qu'ils meritoient encore plus que la fortune qu'il leur
avoit laiffée , & qu'à confideFer leurs vertus , il fembloit
Fanvier 1710.
186 MERCURE
même n'en avoir pas affez fait
pour eux. Ce fut à cette occafion que l'Orateur fit un caractere auffi jufte qu'avantageux de Son Alteffe Sereniffime Madame la Princeffe , qui
par fes exemples encore plus
que par fes leçons , a entretenu
tant de vertus heroïques dans
fon Augufte Famille.
Dansla feconde Partie, l'Orateur après avoir fait entendre,qu'on n'eft point veritablement Heros , fi on nejointaux
vertusdu cœur, les qualitez d'un
genie éminent , diftingua trois
fortes de connoiffances qu'un
GALANT 187
Prince doit avoir pour meriter la réputation d'un excellentefprit ; il dit que les premieres fervoient à deffendre & àfoutenir un Etat ; que les fecondes
contribuoient àfan embelliffement
&
àfa gloire ; que les troifiémes
fontneceffairespouryconferverla
Religion dans fa fplendeur , &
qu'Henry Jules de Bourbon n'avoit prefque point eu d'égal dans
ces troisfortes de connoiffances.
Entre les Sciences qui procurent le bien d'un Royaume,
comme la Militaire eft une des
principales , l'Orateur fans rien
repeterde ce qu'il avoit dit de
Q ij
188 MERCURE
la valeur du Prince , montra
combien il eftoit entendu dans
le mêtier de la guerre. On ne
peut expofer d'une maniere
plus variée qu'il fit , les dix
Campagnes où fon Heros s'eſt
fait remarquer par mille actions éclatantes , dans tous les
Sieges & tous les Combats differens dont la France fortoit
alors toûjours victorieufe.
Il ajoûta que Mr le Prince
ne fut pas moins admirable
dans les autres connoiffances ,
foit des chofes qui concernent
le dedans du Royaume , commeles Loix del Etat, les mœurs
ALANT 189
& les ufages des Peuples ; les
Coutumes & les Privileges des
Provinces ; foit celles qui appartiennent aux affaires Politiques , comme le genie & les
interefts des Nations étrangeres , les vues & les projets des
Princes. Il s'attacha fur tout à
faire le caractere particulier du
Prince en marquant l'étenduë
de ſon eſprit également capable des plus grandes & des plus
petites chofes. Le détail infini
où Son Alteffe entroit , foit
qu'il fallut mettre l'ordre dans
la on
du
Roy
, foit
qu'il
fallut regler la fienne pro-
190 MERCURE
pre , ou preſider aux Etats de
Bourgogne fut un des beaux
morceaux de la Harangue. 18
Il fut aîfé de montrer combien Henry Jules de Bourbon
excella dans la connoiffance de
tous les Arts qui contribuënt
à l'ornement & à la gloire d'un
Royaume. Le Portrait que
l'Orateur en fit comme d'un
Prince autant élevé par fa capacité que par fa naiffance ,
eftoit vif & donnoit une belle
idée de la fuperiorité de genie
que perfonne n'a jamais refufée au Prince de Condé.
Cefut avec la mêmefacilité
GALANT 191
qu'il fit voir que jamais perfonneneconnutmieux faReligion
& nefut plus docile à la fuivre.
Aprés une espece de Recapitulation que l'Orateur fit de
tant de rares qualitez , foit du
scœur , foit de l'efprit , il ne
craignit pas d'avancer qu'il
eftoit en quelque maniere de
la gloire de Dieu qu'un Heros
fi accompli mourut en parfait
Chreftien il dit qu'Henry-fules de Bourbon mourut en effet
avec une entiere connoiſſance , &
une fermeté inébranlable , muni
de tous les Sacremens de l'Eglife ,
qu'il reçut avec une pieté exem-
192 MERCURE
plaire , laiffant aprés ſa mort la
memoire d'un Prince encore plus
grand qu'il n'avoit paru pendant
fa vie..
Le lieu où cette Oraifon funebrefut prononcée eftoit une
grande Salle toute tenduë de
noir depuis le haut jufqu'au
bas , avec un appareil funebre
qui répondoit parfaitement au
deffein de l'Oraifon.
Dans un des fonds de la
Salle , à la droite de l'Orateur ,
on avoit élevé, un Dais magn fique fous lequel on avoit
placé un grand Tableau où
eftoient les armes du Prince ;
il
GALANT 193
il eftoit accompagné de chaque
côté de deux trophées , dont
l'un par divers inftrumens de
guerre, & l'autre par tous les
fymboles des Sciences , & des
Arts , marquoient que HenryJules de Bourbon eftoit également grand & dans la guerre
& dans la Paix ; au deffous on
avoit dreffé une grande table
parée d'un riche tapis : fur cette table eftoit la Couronne à
fleurs de lis , couverte d'un crefpe fur un carreau de velours
noir ; avec tous les ornemens
qui convenoient aux dignitez
Janvier 1710.
R
194 MERCURE
dontfeu Monfieur le Prince a
efté revêtu.
Dans l'autre fond de la Salle
eftoit élevé un autre tableau
de même grandeur , qui contedoit le chiffre du Prince , accompagné de deux trophées
differens des deux premiers.
Au- deffus de la tefte de l'O
rateur ou avoit placé un grand
Cartouche, qui reprefentoit un
Mars & unApollon foûtenant
les armes de la Maifon de Condé ; deux autres eftoient unpeu
au- deffous ; dans l'un du cofté
où eftoit Apollon , on avoit
peint un Parnaffe , où l'on
GALANT 195
voyoit toutes les Mufes qui
prefident aux Sciences & aux
beaux Arts ; dans l'autre on
avoit peint les differens Dieux
de la Fable , qui paffent pour
prefider à l'Art Militaire &
pour eftre les Inventeurs des
Inftrumens qui fervent à la
Guerre.
Aces trois Cartolesré
pondoit de l'autre coſté de la
Salle une nouvelle decoration ,
qui confiftoit en diverfes Figures , qui repreſentoient & les
vertus du cœur & les qualitez
de l'efprit , avec cette feule
Infcription , qui renfermoit
Rij
196 MERCURE
tout le deffein de l'Oraifon
& qui fe trouvoit juſtement
au milieu de la Salle & vis- à vis
l'Orateur.
PRINCIPI PERFECTO.
Au Prince accompli,
Àla droite de cette Infcription regnoient autour de la
Salle jufqu'à la Chaire de l'Orateur , des Infcriptions , des
Peintures & des Devifes, qui exprimoient les vertus du cœur
qui faifoient le fujet de la premiere partie de l'Oraiſon.
D'abord une Infcription
generale marquoit les vertus
Militaires ,
GALANT, 197
VIRTUTES BELLICA.
Au- deffous eftoient en formedequarré trois Infcriptions
particulieres & trois Tableaux
qui fe rapportoient à l'Infcription generale.
Premiere Infcription particuliere.
PATRIS ULTORI.
Au Vengeur de fon Pere:
Elle eftoit accompagnée
d'un grand Tableau où l'on
avoit dépeint le Paffage du
Rhin , avec ces mots : ad Rhenum , pour marquer que Mr le
Prince n'avoit point quitté la
mêlée, que la mort où la prife
R iij
198 MERCURE
de tous les ennemis ne l'eut
fon vengé de la bleffure que
Pere avoit requë dans le ComSeconde Infcriprion partibat.
culiere.
PATRIS ET GALLIE
CONSERVATORL.
AuConfervateur defon Pere
de la France.
Le Tableau repreſentoit la
Bataille de Seneff , avec ces.
mots : AdSeneffum , pour marquer qu'enfecourant fon Pere,
tombé de cheval dans unfoffé,
& en le retirant des mains de
l'Ennemi , il avoit en même
порный
THEQUE DE
DA GALANT
temps fauvé la France.
Troifiéme Infcription par
ticuliere.
SUIS AUSPICIIS TRIUMPHANTI
Au Vainqueur qui ne doit qu'à
lui-même fa Victoire.
Le Tableau reprefentoit la
Villede Limbourg & plufieurs
Forts affiegez & pris par le
Prince , avec ces mots : Ad.
Limburgum , &c.
La feconde Infcription generale marquoit les vertus que
ce Prince a pratiquées à la
Cour.
VIRTUTES AULICE..
R iiij
200 MERCURE
Au - deffous eftoient trois
autres Infcriptions particulieres & trois Deviſes qui formoient une figure quarrée
femblable à la premiere.
Premiere Infcription particuliere.
REGIS OBSERVANTISSIMO.
Il fut toûjous attaché &foûmis
àfon Roy.
La Devile qui exprimoit ce
zele & cet amour pour Sa Majefté eftoit un Girafol penché
du cofté du Soleil , avec ces
mots :
HOC QUOCUNQUE SEQUOR.
Fe le fuis par tout.
GALANT 201
Seconde Infcription particu
liere.
RECTI TENACISSIMO.
Iln'eut pour regle que la droiture
&la vertu.
Devife : Une Bouffole toûjours tournée vers le Nord ,
avec ces mots :
DUCOR AMORE POLI.
Mon inclination mè porte vers
le Pole.
Troifiéme Infcription par.
ticuliere.
SUI SEMPER SIMILLIMO.
Ilfut toûjours égal à lui- même.
Devife : Un Laurier qui conferve en tout temps fa ver-
202 MERCURE
dure , avec ces mots :
NIL ESTAS ADDIT , NIL
TOLLIT HYEMS.
L'Efté ne medonne rien , l'Hyver
nem❜ofte rien.
La troifiéme Infcription
generale marquoit les vertus
civiles &
domeftiques ;
VIRTUTES DOMESTICE AC
CIVILES.
Premiere Infcription particuliere.
PATRIA INDOLIS EFFIGIEM
RENOVANTI.
Ilfuivit les belles inclinations
defon Pere.
Devife: Un nouveau Phc-
GALANT 203
nix qu'on voit fortir des cendres de celuy qui l'a precedé ,
avec ces mots :
ALTER AB ILLO SURGIT.
Il s'en éleve un fecond ſemblable·
au premier.
Seconde Infcription particuliere.
PARENTI PROVIDENTISSIMO.
Il remplit tous les devoirs d'un
bon Pere.
fes enLa Devife qui exprimoit cette vigilance & cet amour paternel du Prince pour
fans , eftoit un Aigle occupé
à conftruire fon aire , avec
mots :
204 MERCURE
NON MEOS SED PROLIS IN
USUS.
Cen'eftpaspourmoymaispour
les miens queje travaille.
Troifiéme Infcription particuliere.
GUBENATORUM EXEMPLO.
Il fut l'exemple le modele
des Gouverneurs.
b
Devife : Un Soleil qui par
fa chaleur benigne fait porter
des fleurs & des fruits à des arbres qui font au- deffous de lui,
avec ces mots :
UBI PRÆEST , PRODEST.
Où il prefide, ilfait du bien.
Pour fignifier que M' le
GALANT 205
Prince a toûjours maintenu la
Bourgogne dans fes Privileges,
& qu'il y a confervé l'abondance dans les temps les plus
fâcheux.
A la gauche de la grande Inf
cription qui renfermoit tout
le fujet de l'Oraifon exprimé
par ces mots : Principi perfecto.
On avoit diftribué de la même
maniere trois autres quarrez ,
qui aboutiffoient pareillement
à la Chaire de l'Orateur , & qui
en reprefentant par de nouvelles Infcriptions & Devifes , les
diverfes connoiffances , qu'on
admira toujours dans le Prin-
206 MERCURE
ce de Condé , marquoient les
éminentes qualitez de fon efprit ;ce qui faifoit le ſujet de la
feconde Partie de l'Oraifon.
La premiere Infeription ge
nerale marquoit la connoiflance des Arts qui fervent à la
défenſe & au foutien des Empires.
ARTES REIPUBLICE
TUTELARES.
Premiere Infcription particuliere..
BELLI SCIENTISS IMO.
Ilfut tres experimenté dans
la Guerre.
Devife : une main fur un
GALANT 207
jeu d'Echecs , avec les pieces ,
& ces mots :
MIHI PRÆLIA LUDUS.
Les Combats font un
pour moy.
Fen
Seconde Infcription particuliere.
NATIONUM CONSSILIA
PERVADENTI.
Il connut parfaitement les interefts & les projets des differentes
Nations.
Devife : UneFléche volante
qui perce les nuës , avec ces
mots :
LONGE VOLAT ET PENETRAT.
C'eft fon propre de voler loin
&de penetrer.
208 MERCURE
Troifiéme Inſcription particuliere.
UTILITATI REGIA
CONSULENTI.
Il eut toûjours en vûël'utilité
du Roy.
Deviſe : Un Cadran expoſe
au Soleil , & placé ſur le Frontifpice d'un Palais Royal , avec
ces mots:
SOLE REGENTE, DOMUM
ORDINE.
Le Soleil eft ma regle , &je fuis
celle de toute la Maifon.
Pour faire allufion à l'ordre
admirable .que M' le Prince
avoit établi dans la Maiſondu
GALANT 2c9
Roy , dont il eftoit GrandMailtre.
La feconde Infcription generale marquoit la connoiffandes beaux Arts , qui contribuent à la gloire & à l'ornement d'un Royaume :
ARTES IMPERIIS GLORIOSÆ.
Premiere Infcription particuliere.
IMA ET ALTA COMPREHENDENTI.
Il fut également ce qu'ily a de
pluscommune deplusfublime.
Devife : Un Arc - en - Ciel
qui paroift par le milieu élevé
Fanvier 1710.
S
210 MERCURE
au deffus des airs , & dont les
extremitez femblent toucher
la terre , avec ces mos :
ASTRATENET, NEC SPERNIT
HUMUM.
Elevéjufqu'aux Cieux il ne
méprife point la Terre.
Seconde Infcription particuliere.
RERUM SINGULARUM ÆSTIMATORI SACAGISSIMO.
Il eut undifcernement exquis pour
juger de toutes chofes.
Devife : Une Balance fuf
penduë en l'air par une main
qui la foutient
mots :
avec ces
GALANT 201
NON REI MOLES , SED
GRAVITAS MOVET.
Ce n'est point le volume mais
le poids des chofes qui me font
pencher.
Troifiéme Infcription particuliere.
ELEGANTIARUM PATRI .
Ilfutcomme le Pere de l'Elegance
&de la Politeffe.
fa
Devife : Un Parterre couvert de fleurs differentes , &
au deffus un Soleil , qui par
lumiere forme l'agreable varieté de leurs couleurs ; avec
ces mots :
Sij
212 MERCURE
CUNCTA COLORAT.
Ildonne de la couleur & de l'éclat
à
tout.
La troifiéme Infcription generale marquoit la connoiffance des chofes qui appartiennent à la Religion.
Artes Religioni fervientes.
Premiere Infcription particuliere.
RELIGIONIS MYSTERIA
PERNOSCENTI.
Il approfondit les Mysteres
de la Religion.
Devife : Un Aigle au- deſſus
des nuës, qui regarde fixement
le Ciel , avec ces mots :
GALANT 213
ALTIORA VI DET.
Ses regards percentjuſqu'au plus
baut des Cieux.
Seconde Infcription particuliere.
RELIGIONIS INSTITUTA
PROFITENTI .
Il fe fir gloire en tout temps defa
Mind Religion.
Devife: UnVaiffeau qui fuit
toûjours dans fa courfe l'Etoile Polaire avec ces mots :
UBI FULSIT, UNAM
SEQUITUR.
Dés qu'elle paroift , il ne fuit
qu'elle.
214 MERCURE
Troifiéme Infcription parriculiere.
RELIGIONI ULTIMA
CONSECRANTI.
Il confacra fes derniers foupirs
à la Religion.
Devife: Un Encenfoir fur
un Autel , duquel on voit for
tir la fumée de l'Encens qui fe
confume , avec ces mots :
SOLVITUR NUMINI.
Il eft confumé à l'honneur du
vray Dieu.
Autour de la Salle , regnoit
en haut une longue rangée
d'Armoiries entre- melées de
Chiffres & au- deffous d'ef
GALANT 215
fix
pace en efpace pour remplir les
vuides qui eftoient entre les
quarrez que formoient les
Infcriptions & les Devifes , on
avoit placé des Tableaux qui
reprefentoient par differentes
figures , ce qu'on avoit déja
exprimé par ces mêmes Infcriptions & Devifes.
ས
Tout brilloit des lumieres ,
qu'on avoit diftribuées , de
maniere que chaque piece de
la décoration eftoit éclairée de
toutes parts par le moyen d'un
grandnombredeLuftresqu'onavoit fufpendus & de Plaques
qu'on avoit appliquées fur
216 MERCURE
la Tenture ce qui donnoit un
tres grand éclat à tout l'appareil.
Fermer
Résumé : Eloge Funebre de feuë S. A. S. Monsieur le Prince, prononcé à Bourges, avec un appareil qui sert à faire voir toutes les vertus et toutes les grandes qualitez de ce Prince. [titre d'après la table]
Le texte relate une cérémonie organisée par les Pères Jésuites du Collège de Bourges en mémoire de Henry Jules de Bourbon, fils du Prince de Condé. Initialement prévue après l'annonce de la mort du prince, la cérémonie fut reportée au mois de décembre pour permettre la présence des membres des principaux corps de la ville de Bourges. Le 19 décembre, une messe fut célébrée dans l'église des Jésuites, suivie d'un discours funèbre en latin prononcé par le Père de Blainville. L'orateur loua les qualités militaires, civiles et domestiques du prince, soulignant notamment son courage lors du passage du Rhin et de la bataille de Seneff. Il mit également en avant sa droiture, sa fidélité et son dévouement envers le roi Louis XIV. Le discours insista sur les vertus du cœur et les qualités de l'esprit du prince, le présentant comme un héros accompli. La salle où se déroula l'oraison était décorée de manière solennelle, avec des tableaux, des trophées et des inscriptions célébrant les vertus et les exploits du prince. Les inscriptions étaient organisées en trois parties principales : les vertus civiles et domestiques, la connaissance des arts utiles à la défense et au soutien des empires, et la connaissance des beaux-arts contribuant à la gloire et à l'ornement d'un royaume. La première inscription générale mettait en avant les vertus civiles et domestiques du prince. Les inscriptions particulières soulignaient ses belles inclinations héritées de son père, sa vigilance et son amour paternel, et son rôle de modèle pour les gouverneurs. Les devises accompagnantes illustraient ces qualités par des métaphores, comme un aigle construisant son aire ou un soleil faisant pousser des fleurs et des fruits. La deuxième inscription générale se concentrait sur la connaissance des arts de défense. Les inscriptions particulières montraient son expertise en guerre, sa compréhension des intérêts des nations, et son dévouement à l'utilité du roi. Les devises utilisaient des images comme un jeu d'échecs, une flèche volante, et un cadran solaire pour symboliser ces compétences. La troisième inscription générale traitait des beaux-arts. Les inscriptions particulières soulignaient sa compréhension des aspects communs et sublimes, son discernement exquis, et son rôle de père de l'élégance et de la politesse. Les devises incluaient un arc-en-ciel, une balance, et un parterre de fleurs pour représenter ces qualités. Enfin, la dernière inscription générale abordait la connaissance des choses religieuses. Les inscriptions particulières montraient son approfondissement des mystères de la religion, son respect des institutions religieuses, et sa consécration finale à la religion. Les devises utilisaient des images comme un aigle regardant le ciel, un vaisseau suivant l'étoile polaire, et de l'encens se consumant sur un autel. La salle était décorée de manière à illustrer ces inscriptions et devises par des armoiries, des chiffres, des tableaux, et un éclairage abondant, créant ainsi une présentation éclatante et détaillée des qualités du prince.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 38-47
EXTRAIT d'un Discours Latin prononcé au College de Louis le Grand, sur la longue durée de la paix dont jouit la France, sous le Regne de Louis XV.
Début :
Le I. Decembre, le Pere de la Sante, Jesuite, l'un des Professeurs [...]
Mots clefs :
Paix, Orateur, Règne, Louis XV
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'un Discours Latin prononcé au College de Louis le Grand, sur la longue durée de la paix dont jouit la France, sous le Regne de Louis XV.
EX' TRAIT£un Discours. Latin prononcé
au College de Louis le Grand , fur la
longue durée de la. paix dont jouit la
France ? fous le Regne de Louis XV.
LE Decembre , le Pere de lai
Sante, Jésuite, l'un des Professeurs
de Rethorique , au College de Louis le
Grand , fit l'éloge de la Paix t dont joiiit
la France depuis plusieursannées, fous le
regne de Louis XV. La salle où se pafla
cette action ,étoit magnifiquement parée.
Ce discours fut prononcé .en prescnee de
M. le Cardinal dè ;Bilïy,de quantité de
Prélats , & de personnes de distinction ,
& il répond ;pa.rfaitetnent à la reputa
tion que s'£Ét' Acquit l'Auteur par d'au-
..E'a : . ' ; "«
7 AN VIE R. 1714. 39
tres íemblables Pieces d'Eloquence , dorçt
nous avons donné l'Extrait les années
precedentes.
' L'Orateur commence par insinuer ,
que comme chaque Roi de l'auguste
Maison de Bourbon , a merité un nom
dlstinctif , qui caracterise les principaux
évenemensde íà vie , chaque Regne de
vrait auffi avoir un nom particulier qui
le distinguat des autres. Sur ce principe
'il .voudrait qu'on appellât le regne de
tìenry I V. le regne de la clemence ,
celui de Louis X IH. le regne de la jus-
.cice , celui de Louis X 1 V. Je regne
de. la victoire , enfin celui de Louis
X V. le regne de la pai.x , puiíqu'elle
est née , puisqu'elle a crû avec ce Monar
que , & que vrai.semblablement elle diu
rera autant , ou plus que si*n regne.
Ce début conduit naturellement le Pa
negyriste à la division de iòn diícours,
où il prétend faire voir la naissance , le
progrès , & la durée de la derniere paix ,
dont il mesure en quelque íorte les disselens
âges, fus ceux même du Roi. Il
montre qu'elle a commencée íôus d'heujreux
auspices , qu'elle s'est avancée par
de sages conseils , qu'elle est íondée fur
4es conditions propres à la perpetuer.
Ces trois propositions partagent l'éloge
de la paix.
^0 MERCURE DE FRANCE.
.1/
Les commencemens de cette paix sem>;
îblent d'autant plus heureux à l'Orateur ,
qu'on entra en négociation dans un.tems
où la paix étoit plus ineíperée , &où elle
pouyoit être plus glorieuse &c plus avan
tageuse à la Francç.
.Paix inesperée , vô la difference de
caractere & d'interêt des nations qui
étoient alors en .guerre , &jque l'Orateur j
Concilie toutes , en les faisant. se regarder I
c.hacune par l'endroit le plus capable de
réiinir tant de genies .opposes , & en
leur faisant trouver un interêt commua
dans cette réunion. Cet endroit a été pour
l'habile Orateur , un de ces morceaux que
l'éloquence embellit de tout ce qu'elle
peut emprunter de la beauté du style , de
k délicateíse des pensées, de la solidité
des reflexions & de la vivacité de l'acr
tion.
Paix glorieuse , parce que ce n'est
qu'après nous être glorieusement relevez
de nos pertes par la victoire de Denain ,
par le recouvrement de la plupart de
nos places de Flandre f parla prise de
quelques.unes des plus fortes Villes de ï.
l'Allemagne qu'on a procedé tout de
bon à la paix generale, Ceci donne lieu à
un magnifique éloge du Maréchal de VilJ
ANVIER i7t4. 41
lars ,& à une élegante description de la
conference qu'il eut à Rastad avec le
Prmce Eugene , dont le caractere est
heureusement pris. L'Orateur fait un
gracieux paralelle de ces deux grands
Generaux avec Scipion & Annibal réunis
pour traiter de la paix ; mais il fait voir
l'avantage jqu'ont les deux Heros mo
dernes fur les deux anciens. Ce trait est
nouveau.
Enfin , paix avantageuse , vûlebeíôin
qu'en avoient les nations d'Europe , qui
toutes y ont trouvé leur compte , comme
l'Orateur le prouve , fie vu les conjonc
tures où elle a été negociée , c'est.à.dire,
quand la France étoit íùr le point de per
dre un grand Roi , & à là veille d'une
minorité ., source seconde de troubles ,
íîir tout quand le Royaume n'est pas en
paix au dehors.
.Rien de plus intereilânt pour le Roi ,
que la conclusion de cette premiere par-
Eie. L'Orateur felicite ce Prince d'avoir
goûté les prémices de la paix aveccelles
du Trône ; en cela plus heureux qu'Au
guste , qui ne put jouir des douceurs de
la paix que íûr la fin de íòn Empire , en
core fut-ce une paix achetée au prix de
bien des cruautez , au lieu que celle ci
n'a point coûté de sang au Roi , qui l'a
vûë naî;re avec lui , & a eu le bonheur
C d'à
4* MERCURE DE FRANCE.
d'avoir ce crait de ressemblance avec 1$
Roi des Rois , donc il est la viye image
fur lacerre.
Ce premier poinc ne rapprochanc que
des objets pour la plupart éloignés , avpit
besoin de couce l'adrefle & de touce l'é
loquence de l'Orateur , pour être recíi
aussi favorablement qu'U l'a été.
Il'
Le íêcond est beaucoup plus piquant , ij[
a les gfaces de la nouveauté par la proxi
mité des choies qu'on y traite. L'Orateur
y peint les progrès merveilleux que fit
la paix , par les foins du feu Duc d'Or
leans. Il represente ce Prince comme uç
habile & grand politique , qui fait ser
vir à la paix un rare genie soutenu d'une
admirable fermeté d'ame ; genie qu'il em.
ploye à presenter íàns cesle de nouvel
les amorces de paix 5 fermeté dont il use
pour en écarter les obstacles.
Le premier article est un portrait na
turel de cet heureux genie occupé à exa
miner & £ connoître à fond les divers in
terêts des Puislances étrangeres , à pene
trer leurs yûès , à discerner le fort & le
foible de chaque nation , à les amener
toutes par differentes voyes à son but ,
à se rendre lui.même impenetrable aux
esprits les plus clair.voyans , à déguiser
JANVIER i724, 4j
iles plus importans projets fous un air
aisé, ou vert & ingenu i à couvrit ses
desseins d'un eípece de jeu i à faire du
secret fame- de ses entreprises , & à in
spirer la même dexterité, la même sageslè,
& la même aisance à. tous ceux qui le
servoient dans les négociations de paix.
Le íecond article est une peinture alle
gorique, mais des plus brillantes de la ma
noeuvre que fit cet habile Pilote qui tint
toujours ferme le gouvernail ,qui sembla
.«'être rendu maître des .vents , qui lçut le
grand art de prévenir -ou d'écarter les tem
pêtes , d'éviter ou de bxaver les écueils,
d'entretenir le calme & de conduire ion
vaiíîeau à bon port.
La mort de ce grand Prince , les lar
mes de la pieuse Princesse , son épouse ,
les regrets d'un auguste fils , si digne de
íâ tendreíïe , & si cher à toute la France,
terminent ces deux articles qui furent
maniés par le Panegyriste avec une fi
nesse d'expressions , & un goût de pen
sées , dont l'Assemblée fit l'éloge par ses
applaudissemens. Il retombe eníuite íur
l'heureux choix qu'a fait le Roi de
Monsieur le Duc, pour remplacer le Prin-
.ce-, que la France vient de perdre. Le ca
ractere de cet auguste Ministre n'e<t des
plus brillans que parce qu'il est vrai. Ou*
»tie plusieurs grandes quaU'ez dont l'ex.
C i) trait
44. MERCURE DE FRANCE. .
trait íèroit trop long , il prouve sa bonté
pour le peuple par le premier usage qu'il
a fait de sa nouvelle autorité,pour le sou
lager , son discernement pour le vrai me
rite, & son amour pour la justice, parle
soin qu'il a eu de presenter au Roi un di
gne sujet pour mettre à la tête du pre
mier Parlement du ;Royaume. Tout le
monde a reconnu avec d'autant plus de
plaisir cet illustre Magistrat au portrait
tracé par l'Orateur , qu'il l'avoit orné de
ses veritables couleurs, & qu'il l'avoit
placé dans le jour , où M. de Novion ,
bien qu'ennemi de la louange , ai meroíc
luí.meme à se reconnoître . U finit ce se
cond point par la douce esperance dont
il flatte ses Auditeurs , que Monsieur le
Duc mettra la derniere main au grand
ouvrage de la paix , si fort avancé par le:
genie & la fermeté de son Predecesseur
de glorieuse mémoire. s
[ U I.
La troisième partie ne cede en rien à
la seconde , quoi qu'elle semble beau
coup moins fournir à l'éloquence de
l'Orateur. Il y parle des fondemens fur
lesquels est appuyée la paix , & qui la
doivent rendre durable > il les reduit à
trois principaux .. i°. à l'exacte fidelité
ayee laquelle les Puissances intéressée*
JANVIER ïfî4V 4?
observent les conventions & les traitez
reglez entr'elles. i°. Aux Alliances con
tractées entre les Maisons des Souverains
& des Princes. Aux congrès pacifi
ques établis pour donner à la' paix la der
niere perfection , & en prévenir la rup
ture. . ^
Comme' nous apprenons que lé di£
cours de l'Auteur est fous la preste, 8c
va bien-tôt paroître , nous n'entrerons
point dans les preuves de ces trois arti
cles. Qu'il nous soit feulement permis.
d'ajoûter un mot fur la conclusion de toute
la Piece. C'est une idée des plus inge
nieusement imaginées Se des plus. noble
ment remplies. L'on y represente les
Plenipotentiaires des Couronnes > envoyés
à Cambray, comme d'excellens Ouvriers
qui travaillent à la structure du Temple
de la Paix, où- chacun d'eux pose fa pierre,
jusqu'à ce que ce grand ouvrage projette
par un second David , soit consommé
par le pacifique Salomon, c'est.à.dire,
par le Roi , que l'Auteur invite à conía
crer ce monument au Dieu de la paix ,
& d'y réunir par les liens sacrez de la
même Religion tous les François , &c
tous les autres Peuples , en sorte qu'il
n'y ait plus qu'une feule bergerie 6c un
seul Pasteur. Il lui fait envisager cette
double paix de l'Eglise & de l'Europe ,
com
4* MERCURE DE FRANCË^
comme un oeuvre digne de sa pieté , de'
sa prudence, de sa qualité de Roi très-
Chrétien, & de Fils aîné de l'Eglise. En--
fin il propose le desiein d'une Inscription'
que l'on pourra graver íur le frontispice
de cet auguste édifice à la gloire du Mo
narque.
Ce seroit défigurer cette inscription ,
que de vouloir la mettre ici, après l'a
voir simplement entendue' reciter. Un
mot ou transposé , ou traduit peu correc.
tement 3lui feroit perdre son prix. Noos .
renvoyons. les Lecteurs à l'imprimé des
Discours, aufli.bien que pour les aqtres.
endroits que nous n'avons osé toucher.
Il est vrai que le papier n'aura pas tout'
l'agrément de l'action vive & animée }
mais en recompense il donnera le temps
de goûter à loisir ce que le feu de l'Ora
teur dérobe quelquefois à l'attention de
l'auditeur ; d'ailleurs ce n'est que dans
une lecture qu'on admire , comme il faut,
ces traits que k Pere de la Sante a sçû
rendre inimitables ; j'entends les caracte
res. Un caractere achevé dans l'éloquen
ce , & un portrait fini dans la peinture ,
ex kent le même sentiment, je veux dire,
ce cri d'applaudiísement universel causé
par l'agréable surprise de voir la copie
heureusement semblable en tout à l'ori
ginal. Telles étoient les acclamations
qu'on
JANVIER if 14. 47
qu'on donnoit à tous Ceux qu'a touché
l'Orateur dans le Discours Latin , dont il
feroit difficile de rendre la majesté & la
pureté de stile en François.
au College de Louis le Grand , fur la
longue durée de la. paix dont jouit la
France ? fous le Regne de Louis XV.
LE Decembre , le Pere de lai
Sante, Jésuite, l'un des Professeurs
de Rethorique , au College de Louis le
Grand , fit l'éloge de la Paix t dont joiiit
la France depuis plusieursannées, fous le
regne de Louis XV. La salle où se pafla
cette action ,étoit magnifiquement parée.
Ce discours fut prononcé .en prescnee de
M. le Cardinal dè ;Bilïy,de quantité de
Prélats , & de personnes de distinction ,
& il répond ;pa.rfaitetnent à la reputa
tion que s'£Ét' Acquit l'Auteur par d'au-
..E'a : . ' ; "«
7 AN VIE R. 1714. 39
tres íemblables Pieces d'Eloquence , dorçt
nous avons donné l'Extrait les années
precedentes.
' L'Orateur commence par insinuer ,
que comme chaque Roi de l'auguste
Maison de Bourbon , a merité un nom
dlstinctif , qui caracterise les principaux
évenemensde íà vie , chaque Regne de
vrait auffi avoir un nom particulier qui
le distinguat des autres. Sur ce principe
'il .voudrait qu'on appellât le regne de
tìenry I V. le regne de la clemence ,
celui de Louis X IH. le regne de la jus-
.cice , celui de Louis X 1 V. Je regne
de. la victoire , enfin celui de Louis
X V. le regne de la pai.x , puiíqu'elle
est née , puisqu'elle a crû avec ce Monar
que , & que vrai.semblablement elle diu
rera autant , ou plus que si*n regne.
Ce début conduit naturellement le Pa
negyriste à la division de iòn diícours,
où il prétend faire voir la naissance , le
progrès , & la durée de la derniere paix ,
dont il mesure en quelque íorte les disselens
âges, fus ceux même du Roi. Il
montre qu'elle a commencée íôus d'heujreux
auspices , qu'elle s'est avancée par
de sages conseils , qu'elle est íondée fur
4es conditions propres à la perpetuer.
Ces trois propositions partagent l'éloge
de la paix.
^0 MERCURE DE FRANCE.
.1/
Les commencemens de cette paix sem>;
îblent d'autant plus heureux à l'Orateur ,
qu'on entra en négociation dans un.tems
où la paix étoit plus ineíperée , &où elle
pouyoit être plus glorieuse &c plus avan
tageuse à la Francç.
.Paix inesperée , vô la difference de
caractere & d'interêt des nations qui
étoient alors en .guerre , &jque l'Orateur j
Concilie toutes , en les faisant. se regarder I
c.hacune par l'endroit le plus capable de
réiinir tant de genies .opposes , & en
leur faisant trouver un interêt commua
dans cette réunion. Cet endroit a été pour
l'habile Orateur , un de ces morceaux que
l'éloquence embellit de tout ce qu'elle
peut emprunter de la beauté du style , de
k délicateíse des pensées, de la solidité
des reflexions & de la vivacité de l'acr
tion.
Paix glorieuse , parce que ce n'est
qu'après nous être glorieusement relevez
de nos pertes par la victoire de Denain ,
par le recouvrement de la plupart de
nos places de Flandre f parla prise de
quelques.unes des plus fortes Villes de ï.
l'Allemagne qu'on a procedé tout de
bon à la paix generale, Ceci donne lieu à
un magnifique éloge du Maréchal de VilJ
ANVIER i7t4. 41
lars ,& à une élegante description de la
conference qu'il eut à Rastad avec le
Prmce Eugene , dont le caractere est
heureusement pris. L'Orateur fait un
gracieux paralelle de ces deux grands
Generaux avec Scipion & Annibal réunis
pour traiter de la paix ; mais il fait voir
l'avantage jqu'ont les deux Heros mo
dernes fur les deux anciens. Ce trait est
nouveau.
Enfin , paix avantageuse , vûlebeíôin
qu'en avoient les nations d'Europe , qui
toutes y ont trouvé leur compte , comme
l'Orateur le prouve , fie vu les conjonc
tures où elle a été negociée , c'est.à.dire,
quand la France étoit íùr le point de per
dre un grand Roi , & à là veille d'une
minorité ., source seconde de troubles ,
íîir tout quand le Royaume n'est pas en
paix au dehors.
.Rien de plus intereilânt pour le Roi ,
que la conclusion de cette premiere par-
Eie. L'Orateur felicite ce Prince d'avoir
goûté les prémices de la paix aveccelles
du Trône ; en cela plus heureux qu'Au
guste , qui ne put jouir des douceurs de
la paix que íûr la fin de íòn Empire , en
core fut-ce une paix achetée au prix de
bien des cruautez , au lieu que celle ci
n'a point coûté de sang au Roi , qui l'a
vûë naî;re avec lui , & a eu le bonheur
C d'à
4* MERCURE DE FRANCE.
d'avoir ce crait de ressemblance avec 1$
Roi des Rois , donc il est la viye image
fur lacerre.
Ce premier poinc ne rapprochanc que
des objets pour la plupart éloignés , avpit
besoin de couce l'adrefle & de touce l'é
loquence de l'Orateur , pour être recíi
aussi favorablement qu'U l'a été.
Il'
Le íêcond est beaucoup plus piquant , ij[
a les gfaces de la nouveauté par la proxi
mité des choies qu'on y traite. L'Orateur
y peint les progrès merveilleux que fit
la paix , par les foins du feu Duc d'Or
leans. Il represente ce Prince comme uç
habile & grand politique , qui fait ser
vir à la paix un rare genie soutenu d'une
admirable fermeté d'ame ; genie qu'il em.
ploye à presenter íàns cesle de nouvel
les amorces de paix 5 fermeté dont il use
pour en écarter les obstacles.
Le premier article est un portrait na
turel de cet heureux genie occupé à exa
miner & £ connoître à fond les divers in
terêts des Puislances étrangeres , à pene
trer leurs yûès , à discerner le fort & le
foible de chaque nation , à les amener
toutes par differentes voyes à son but ,
à se rendre lui.même impenetrable aux
esprits les plus clair.voyans , à déguiser
JANVIER i724, 4j
iles plus importans projets fous un air
aisé, ou vert & ingenu i à couvrit ses
desseins d'un eípece de jeu i à faire du
secret fame- de ses entreprises , & à in
spirer la même dexterité, la même sageslè,
& la même aisance à. tous ceux qui le
servoient dans les négociations de paix.
Le íecond article est une peinture alle
gorique, mais des plus brillantes de la ma
noeuvre que fit cet habile Pilote qui tint
toujours ferme le gouvernail ,qui sembla
.«'être rendu maître des .vents , qui lçut le
grand art de prévenir -ou d'écarter les tem
pêtes , d'éviter ou de bxaver les écueils,
d'entretenir le calme & de conduire ion
vaiíîeau à bon port.
La mort de ce grand Prince , les lar
mes de la pieuse Princesse , son épouse ,
les regrets d'un auguste fils , si digne de
íâ tendreíïe , & si cher à toute la France,
terminent ces deux articles qui furent
maniés par le Panegyriste avec une fi
nesse d'expressions , & un goût de pen
sées , dont l'Assemblée fit l'éloge par ses
applaudissemens. Il retombe eníuite íur
l'heureux choix qu'a fait le Roi de
Monsieur le Duc, pour remplacer le Prin-
.ce-, que la France vient de perdre. Le ca
ractere de cet auguste Ministre n'e<t des
plus brillans que parce qu'il est vrai. Ou*
»tie plusieurs grandes quaU'ez dont l'ex.
C i) trait
44. MERCURE DE FRANCE. .
trait íèroit trop long , il prouve sa bonté
pour le peuple par le premier usage qu'il
a fait de sa nouvelle autorité,pour le sou
lager , son discernement pour le vrai me
rite, & son amour pour la justice, parle
soin qu'il a eu de presenter au Roi un di
gne sujet pour mettre à la tête du pre
mier Parlement du ;Royaume. Tout le
monde a reconnu avec d'autant plus de
plaisir cet illustre Magistrat au portrait
tracé par l'Orateur , qu'il l'avoit orné de
ses veritables couleurs, & qu'il l'avoit
placé dans le jour , où M. de Novion ,
bien qu'ennemi de la louange , ai meroíc
luí.meme à se reconnoître . U finit ce se
cond point par la douce esperance dont
il flatte ses Auditeurs , que Monsieur le
Duc mettra la derniere main au grand
ouvrage de la paix , si fort avancé par le:
genie & la fermeté de son Predecesseur
de glorieuse mémoire. s
[ U I.
La troisième partie ne cede en rien à
la seconde , quoi qu'elle semble beau
coup moins fournir à l'éloquence de
l'Orateur. Il y parle des fondemens fur
lesquels est appuyée la paix , & qui la
doivent rendre durable > il les reduit à
trois principaux .. i°. à l'exacte fidelité
ayee laquelle les Puissances intéressée*
JANVIER ïfî4V 4?
observent les conventions & les traitez
reglez entr'elles. i°. Aux Alliances con
tractées entre les Maisons des Souverains
& des Princes. Aux congrès pacifi
ques établis pour donner à la' paix la der
niere perfection , & en prévenir la rup
ture. . ^
Comme' nous apprenons que lé di£
cours de l'Auteur est fous la preste, 8c
va bien-tôt paroître , nous n'entrerons
point dans les preuves de ces trois arti
cles. Qu'il nous soit feulement permis.
d'ajoûter un mot fur la conclusion de toute
la Piece. C'est une idée des plus inge
nieusement imaginées Se des plus. noble
ment remplies. L'on y represente les
Plenipotentiaires des Couronnes > envoyés
à Cambray, comme d'excellens Ouvriers
qui travaillent à la structure du Temple
de la Paix, où- chacun d'eux pose fa pierre,
jusqu'à ce que ce grand ouvrage projette
par un second David , soit consommé
par le pacifique Salomon, c'est.à.dire,
par le Roi , que l'Auteur invite à conía
crer ce monument au Dieu de la paix ,
& d'y réunir par les liens sacrez de la
même Religion tous les François , &c
tous les autres Peuples , en sorte qu'il
n'y ait plus qu'une feule bergerie 6c un
seul Pasteur. Il lui fait envisager cette
double paix de l'Eglise & de l'Europe ,
com
4* MERCURE DE FRANCË^
comme un oeuvre digne de sa pieté , de'
sa prudence, de sa qualité de Roi très-
Chrétien, & de Fils aîné de l'Eglise. En--
fin il propose le desiein d'une Inscription'
que l'on pourra graver íur le frontispice
de cet auguste édifice à la gloire du Mo
narque.
Ce seroit défigurer cette inscription ,
que de vouloir la mettre ici, après l'a
voir simplement entendue' reciter. Un
mot ou transposé , ou traduit peu correc.
tement 3lui feroit perdre son prix. Noos .
renvoyons. les Lecteurs à l'imprimé des
Discours, aufli.bien que pour les aqtres.
endroits que nous n'avons osé toucher.
Il est vrai que le papier n'aura pas tout'
l'agrément de l'action vive & animée }
mais en recompense il donnera le temps
de goûter à loisir ce que le feu de l'Ora
teur dérobe quelquefois à l'attention de
l'auditeur ; d'ailleurs ce n'est que dans
une lecture qu'on admire , comme il faut,
ces traits que k Pere de la Sante a sçû
rendre inimitables ; j'entends les caracte
res. Un caractere achevé dans l'éloquen
ce , & un portrait fini dans la peinture ,
ex kent le même sentiment, je veux dire,
ce cri d'applaudiísement universel causé
par l'agréable surprise de voir la copie
heureusement semblable en tout à l'ori
ginal. Telles étoient les acclamations
qu'on
JANVIER if 14. 47
qu'on donnoit à tous Ceux qu'a touché
l'Orateur dans le Discours Latin , dont il
feroit difficile de rendre la majesté & la
pureté de stile en François.
Fermer
Résumé : EXTRAIT d'un Discours Latin prononcé au College de Louis le Grand, sur la longue durée de la paix dont jouit la France, sous le Regne de Louis XV.
En décembre, un jésuite et professeur de rhétorique au Collège de Louis le Grand prononça un discours élogieux sur la longue paix dont jouissait la France sous le règne de Louis XV. Cet événement eut lieu en présence du Cardinal de Bissy, de nombreux prélats et personnes de distinction. L'orateur suggéra que chaque règne des Bourbons devrait avoir un nom distinctif, proposant d'appeler celui de Louis XV le 'règne de la paix'. Il divisa son discours en trois parties : la naissance, le progrès et la durée de cette paix. L'orateur souligna que les négociations de paix commencèrent à un moment inattendu et particulièrement glorieux pour la France. Il mentionna la victoire de Denain et le recouvrement des places de Flandre comme préludes à la paix générale. Il fit également un parallèle entre les maréchaux Villars et le Prince Eugène, les comparant à Scipion et Hannibal. La paix était avantageuse pour toutes les nations d'Europe, qui y trouvèrent leur compte. L'orateur félicita Louis XV d'avoir goûté les prémices de la paix dès le début de son règne, le comparant à Auguste qui n'en jouit qu'à la fin de son empire. Le discours détailla ensuite les progrès de la paix sous l'influence du Duc d'Orléans, décrit comme un habile politique. Après la mort du Duc, l'orateur loua le choix du Roi de nommer le Duc de Bourbon pour le remplacer. Il mentionna trois principes de la paix : la fidélité aux conventions, les alliances entre souverains et les congrès pacifiques. Le discours se conclut par une métaphore des plénipotentiaires travaillant à la construction du 'Temple de la Paix', invitant le Roi à consacrer cet ouvrage au Dieu de la paix et à unir tous les peuples sous une même religion. L'orateur proposa une inscription pour ce monument, dont la récitation exacte est renvoyée à l'impression du discours.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
4
p. 323-328
EXTRAIT d'un Discours prononcé à Rennes sur la Naissance du DAUPHIN.
Début :
Le Pere Coriou, Professeur de Rethorique au College des Jesuites de la Ville de Rennes [...]
Mots clefs :
Naissance du Dauphin, Jésuites, Discours, Orateur, Vertus, Larmes, Princes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'un Discours prononcé à Rennes sur la Naissance du DAUPHIN.
E XTR AlT d'un Discours prononcé h
' Rennes fur la Naissance du Dauph i n.
LE Pere Coriou , Professeur de Rethorique
au Collège des Jésuites de la Ville de Rennés
, n'a semblé différer de célébrer I'heuteuse
Naissance d'un Dauphin, qu'afin de re
veiller la joye publique par les motifs les plus
interessans pouj la France.
Le Programme étoit conçu en ces termes.:
Telfhinum Varentìbus, Parentes Delphino gratulahìtur
Orator, Le dessein étoit naturel,
mais il fut traité d'une façon qui le rendit, fìnr
gulier à son ingénieux Auteur.
L'Orateur dans son Exorde , conduisoit Iei
ris & les grâces au berceau de l'Auguste En
fant, rien ne s'y offre que d'aimable & d«
propre à fixer les regards. L'amour des Pranr
çois se mêle à cette troupe badine. Les Zephirs
raccompagnent » re:pcctent & augmen
tent le sommeil du Dauphin. II viendra un
tems où la valeur & la gloire ne troubleront
.que trop son repos. L'Exorde étoit terminé
{>ar un Compliment à l'Illustre Chef du Par
ement de Bretagne, qui honoroit l'Oraceur
de fa présence.
L'Orateur entra dans fa première Partie, en
marquant que les Enfans des Rois naissent à &
yerité dans les larmes comme les autres , mais
que la Grandeur , la Majesté , 1 allégresse sui
vent de près les premiers instants de leur séjour
sur la terre. Nafcuxtur ut ateris ìmperent hotninil/
tts ìnter ques fe'dent ut Patres , t minent
Ht foles , coluntur ut numina.
. Ensuite il félicita le Roy & la Reine d'ayoir
un Dauphin, puisque cetoe Naissance* dis.
- - '■ 1 F sijpe
3a4 MERCURE DE FRANGE,
sipe toutes les inquiétudes du Roy, puisqu'elle
donne un nouvel accroissement à l'autorité de
la Reine.
i'9-, Qu'il est douloureux à un Grand Roy
de se voir privé d' un héritier de son Thrône! A
quoi même les Peuples rie sont-ils pas exposés
dans défi critiques conjonctures i L'áge de nos
'Pères ne nous -en est qu'un" trop fidèle garand.
les Guerres intestines ou Etrangères dont il?
furent les victimes , l'ambition , la perfidie >
qu'allumèrent les intérêts divisés , font sentir
Je déplorable état d'un Royaume dont le Mo
narque n'a point de Fils auquel il transmette
sa Couronne. La France n'a plus à redouter
de pareils malheurs. Le Dauphin , heureux
présage du calme . écarte en naisíant toutes les;
tempêtes que nous pouvions redotiter.
Les larmes que nous versâmes fur la perte
de "nos Princes, font taries dans un jour £
forrttné. L'Orateur exposa ici les justes dou
leurs qui saisirent tous les François à la mort
des Princes. Leurs caractères étoient maniés
4e plus délicatement. Celui du feu Roy plus
Çrand dans ses revers qu'au milieu de l'éclat
de ses prospérités , couronnoit ces magnifiques
-éloges.
Après tant d'alarmes , un Astre nouveau
s'élève, & nous fournit les plus heureux au
gures pour rendre la fortune tributaire à ses
armes , donner la loy aux Nations jalouses ,
faire trembler les Rois , affermir son Trône par
de nouvelles conquêtes . ce fera un "jour l'occupation
du Dauphin. Les Augustes , les Tites,
les Alexandres , les Henrys & les Louis , feront
ses modelés ; mais s'il se peut , il les surpas
sera.
- j>. L'autorité de la Reine s'accroît à la
• Náïflanc*
FEVRIER. 1730."
íîíaissance d'un Dauphin. II a été l'objet de ses
demandes & de ses soupirs. L'Orateur congra
tula la Bretagne, d'avoir trouvé dans sainte
Anne un de ses Anges turelaires , qui ait porté
au Trône de TEternel l'encens de ses prières »
pour obtenir un bien si précieux; quoiqu'ajottta
t il , il n'est aucun Temple dans la France
qui n'ait retenti des Voeux qu'on y a addressé,de
concert avec les désirs de la Reine. II prit à té
moin les aziles secrets où elle presentoit au
Tout- puissant ses prières les plus ferventes , '
les Vierges consacrées à Dieu , les pauvres qui
ont intcrrefle le Ciel à combler les Voeux de
leur Bienfaitrice. Il invita ses Auditeurs i
contempler cette Princesse aux pieds de sainte
iGenevieve > y répandant d'abord ses larmes
& ses désirs , Sc peu après > les tendres gages
de fa reconnoiffance.
Il fit voir par le détail de ses hautes qualitez,,
que la Reine leur doit Péclat du rang qu'elle
occupe. Aujourd'hui comme une autre Cor*
-nelie» elle montre dans son Dauphin le plus
précieux de ses Trésors. Ce fera aussi le Tré
sor de tous les malheureux. Le coeur de la
Reine compatira à toutes les misères , & le
Dauphin à qui elle ies postera , suffira pour les
bannir dans tous les Etats. C'est à cet usage,
que la Reine consacrera l'accroiilèment nou-
.Veau de son autorité.
De cette première Partie , l'Orateur conclut
que les François retrouvent à Ja 'Naissance du
Dauphin leur bonheur , uni à celui du Roy St
de la Reine.
L'Orateur commençoit la seconde Partie, en
disant que le Dauphin ne devoit •point enviée
aux anciens Héros la Noblesse de leur origine,
■wrexcellencc des Maîtres fous qui ils s'étoiene
F ij fuîmes.
■%*6 MERCURE DE FRANCE,
formez. Le Roy son Pere lui apprendra l'art de
régner . la Reine sa Mere sera son Modelé dans
ice qu'il doit à la Religion.
i°. C'est beaucoup de fournir le Sang des
Rois , c'est plus de former un Roy. C'est le
double bien que Louis XV. transporte à son
Dauphin. Autrefois il mit les délices à cultiver
des Fleurs ; il s'en présente une à ia culture
qui aura tous ses foins.
G'eít sous un tel Maître que le Dauphin ap
prendra à mériter l'amour des Peuples , à es
suyer leurs larmes , à procurer leur félicité >
à en devenir le Pere-
C'est fous un tel Maître qu'il apprendra à
donner des Batailles & à y vaincre. Les autres
n'apprennent à commander qu'à leurs dépens ,
pu par une longue expérience. Les Bourbons
naissent Héros & triomphateurs.
, C'est sous un tel Maîrre qu'il apprendra à
préférer les vertus pacifiques aux vertus GuerrieresL,
. . Déja la paix est née avec le Roy son
Pere, il s'emprefiera comme lui d'accroître
son Temple.
Ênfin , point de vertus héroïques dont le
Dauphin ne trouve en son Pere l'éclatant mo
delé ; Hector, Achille, César ou Alexandre
Îeuyent servir de Guides aux autres Princes ,
,oúis est le seul que le Dauphin doive consul
ter , puisqu'il a tout ce qui fait & les Grandi
Rois & les bons Rois.
i°. La tendre pieté de la Reine n'est pas une
leçon moins précieuse pour le Dauphin. Au
trefois Saùl demanda à David quelle étoit fa
Famille. A peine Peut- il fçu , qu'il connut que
le jeune David devoit être l'appui de la Reli
gion en Israël : II suffit de seavoir que le Dau
phin a pour Mere la plus religieuse Prineeiie,
FEVRIER. Ï730'. jl?
p«ur augurer quel sera son zele pour la Reli
gion de ies Pères.
L'Orateur exposa avec rout l'art possible les
exemples de pieté que la Reine fait briller aux
yeux de íës Sujets , & avec quelle ardeur elle
conservera pour le Ciel le Héros qu'elle en a
reçu.
Il marqua ensuite que les Nations Etrangères
préparent leurs Princes à l'exercice des vertus
par des Symboles qui leur en retracent la prati-
!^ue dès l'enfance j le Dauphin n'a besoin pour
è former à la prêté , que des foins d'une
Reine dont le coeur est l'Autel même de-la
Religion. II fit le parallèle d'Annibal présenté
aux Autels, & dont la consécration n'eut dèslors
rien que de funeste gux Romains , & ce
lui *du Dauphin offert au Seigneur , & en qui
la Religion dès ee moment a reconnu son ap
pui & son vengeur.
L'Orateur conclut cette seconde Partie, en
recueillant les avantages que l'éducatton pa
ternelle & maternelle vont Ini procurer. II la
termine par les Voeux les plus touchants pour
•la conservation d'un fi cher Dépôt. I! n'a rien
de plus grand à désirer à son Héros naiíìànt ,
que de ressembler à Louis & à Marie , vivat
dignus Pâtre , vivat digvus Matre , vivat
utrique fimilis.
L'accompagnement de la Harangue répon-.'
dok au sujet. La Salle étoit décorée de super*
bes Tapisseries , fur lesquelles éroient dans un
riche enfoncement les Portraits du Roy & de
la Reine , & l'Ecusson du Dauphin. Ils étoienc
couronnés d'un Dais , & éclairés par une in
finité de lumières. Plusieurs Lustres & Giran
doles éroient placés de distance en distance.
L' Assemblée étoit des plus choisies. M. de Bril-
F iij lac
fttt MERCURE'DE FRANCE.
lac, Premier Président , s'y trouva â la tête de?
plusieurs Presidens. à Mortier & Conseillers
du Parlement.
Le Discours fini , on donna à l'Orateur les
applaudillemens que déja plusieurs fois pen-' ^i
dant l'adtion , l'admiration unanime n'avoic
pû suspendre. On fut agréablement frappé en'
sortant-, de trouver toute la Cour du Collège'
illuminée } chaque Croisée étoic chargée de
Piramides de Lampions, ou chargée de Pots
à Feu , ou d'Ecuílons aux Armes du Roy , de'
là Reine & du Dauphin. Un grand Bûcher
étoit préparé au milieu de la Cour. Cent Ecoî
lîers richement habillés 7 & portant chacun un-
Drapeau j firent autour diverses évolutions ,
& deux des plus qualifiés y mirent le feu au
bruit des Tambours & dés Trompettes. Les<
Boëtes tirèrent avec un fracas qui n'avoit rien
que de superbe ; les Fusées se mêlèrent dans les
airs, 3i firent disparoître pendant quelques)
heures , les ténèbres de la nuit. Le Public pa*
nu charmés du Spectacle, & ranima à cette
nouvelle Fête les premiers sentimensde joye
tìjue la Naissance du Dauphin avoic causé 3 f
avoit quelques mois.
' Rennes fur la Naissance du Dauph i n.
LE Pere Coriou , Professeur de Rethorique
au Collège des Jésuites de la Ville de Rennés
, n'a semblé différer de célébrer I'heuteuse
Naissance d'un Dauphin, qu'afin de re
veiller la joye publique par les motifs les plus
interessans pouj la France.
Le Programme étoit conçu en ces termes.:
Telfhinum Varentìbus, Parentes Delphino gratulahìtur
Orator, Le dessein étoit naturel,
mais il fut traité d'une façon qui le rendit, fìnr
gulier à son ingénieux Auteur.
L'Orateur dans son Exorde , conduisoit Iei
ris & les grâces au berceau de l'Auguste En
fant, rien ne s'y offre que d'aimable & d«
propre à fixer les regards. L'amour des Pranr
çois se mêle à cette troupe badine. Les Zephirs
raccompagnent » re:pcctent & augmen
tent le sommeil du Dauphin. II viendra un
tems où la valeur & la gloire ne troubleront
.que trop son repos. L'Exorde étoit terminé
{>ar un Compliment à l'Illustre Chef du Par
ement de Bretagne, qui honoroit l'Oraceur
de fa présence.
L'Orateur entra dans fa première Partie, en
marquant que les Enfans des Rois naissent à &
yerité dans les larmes comme les autres , mais
que la Grandeur , la Majesté , 1 allégresse sui
vent de près les premiers instants de leur séjour
sur la terre. Nafcuxtur ut ateris ìmperent hotninil/
tts ìnter ques fe'dent ut Patres , t minent
Ht foles , coluntur ut numina.
. Ensuite il félicita le Roy & la Reine d'ayoir
un Dauphin, puisque cetoe Naissance* dis.
- - '■ 1 F sijpe
3a4 MERCURE DE FRANGE,
sipe toutes les inquiétudes du Roy, puisqu'elle
donne un nouvel accroissement à l'autorité de
la Reine.
i'9-, Qu'il est douloureux à un Grand Roy
de se voir privé d' un héritier de son Thrône! A
quoi même les Peuples rie sont-ils pas exposés
dans défi critiques conjonctures i L'áge de nos
'Pères ne nous -en est qu'un" trop fidèle garand.
les Guerres intestines ou Etrangères dont il?
furent les victimes , l'ambition , la perfidie >
qu'allumèrent les intérêts divisés , font sentir
Je déplorable état d'un Royaume dont le Mo
narque n'a point de Fils auquel il transmette
sa Couronne. La France n'a plus à redouter
de pareils malheurs. Le Dauphin , heureux
présage du calme . écarte en naisíant toutes les;
tempêtes que nous pouvions redotiter.
Les larmes que nous versâmes fur la perte
de "nos Princes, font taries dans un jour £
forrttné. L'Orateur exposa ici les justes dou
leurs qui saisirent tous les François à la mort
des Princes. Leurs caractères étoient maniés
4e plus délicatement. Celui du feu Roy plus
Çrand dans ses revers qu'au milieu de l'éclat
de ses prospérités , couronnoit ces magnifiques
-éloges.
Après tant d'alarmes , un Astre nouveau
s'élève, & nous fournit les plus heureux au
gures pour rendre la fortune tributaire à ses
armes , donner la loy aux Nations jalouses ,
faire trembler les Rois , affermir son Trône par
de nouvelles conquêtes . ce fera un "jour l'occupation
du Dauphin. Les Augustes , les Tites,
les Alexandres , les Henrys & les Louis , feront
ses modelés ; mais s'il se peut , il les surpas
sera.
- j>. L'autorité de la Reine s'accroît à la
• Náïflanc*
FEVRIER. 1730."
íîíaissance d'un Dauphin. II a été l'objet de ses
demandes & de ses soupirs. L'Orateur congra
tula la Bretagne, d'avoir trouvé dans sainte
Anne un de ses Anges turelaires , qui ait porté
au Trône de TEternel l'encens de ses prières »
pour obtenir un bien si précieux; quoiqu'ajottta
t il , il n'est aucun Temple dans la France
qui n'ait retenti des Voeux qu'on y a addressé,de
concert avec les désirs de la Reine. II prit à té
moin les aziles secrets où elle presentoit au
Tout- puissant ses prières les plus ferventes , '
les Vierges consacrées à Dieu , les pauvres qui
ont intcrrefle le Ciel à combler les Voeux de
leur Bienfaitrice. Il invita ses Auditeurs i
contempler cette Princesse aux pieds de sainte
iGenevieve > y répandant d'abord ses larmes
& ses désirs , Sc peu après > les tendres gages
de fa reconnoiffance.
Il fit voir par le détail de ses hautes qualitez,,
que la Reine leur doit Péclat du rang qu'elle
occupe. Aujourd'hui comme une autre Cor*
-nelie» elle montre dans son Dauphin le plus
précieux de ses Trésors. Ce fera aussi le Tré
sor de tous les malheureux. Le coeur de la
Reine compatira à toutes les misères , & le
Dauphin à qui elle ies postera , suffira pour les
bannir dans tous les Etats. C'est à cet usage,
que la Reine consacrera l'accroiilèment nou-
.Veau de son autorité.
De cette première Partie , l'Orateur conclut
que les François retrouvent à Ja 'Naissance du
Dauphin leur bonheur , uni à celui du Roy St
de la Reine.
L'Orateur commençoit la seconde Partie, en
disant que le Dauphin ne devoit •point enviée
aux anciens Héros la Noblesse de leur origine,
■wrexcellencc des Maîtres fous qui ils s'étoiene
F ij fuîmes.
■%*6 MERCURE DE FRANCE,
formez. Le Roy son Pere lui apprendra l'art de
régner . la Reine sa Mere sera son Modelé dans
ice qu'il doit à la Religion.
i°. C'est beaucoup de fournir le Sang des
Rois , c'est plus de former un Roy. C'est le
double bien que Louis XV. transporte à son
Dauphin. Autrefois il mit les délices à cultiver
des Fleurs ; il s'en présente une à ia culture
qui aura tous ses foins.
G'eít sous un tel Maître que le Dauphin ap
prendra à mériter l'amour des Peuples , à es
suyer leurs larmes , à procurer leur félicité >
à en devenir le Pere-
C'est fous un tel Maître qu'il apprendra à
donner des Batailles & à y vaincre. Les autres
n'apprennent à commander qu'à leurs dépens ,
pu par une longue expérience. Les Bourbons
naissent Héros & triomphateurs.
, C'est sous un tel Maîrre qu'il apprendra à
préférer les vertus pacifiques aux vertus GuerrieresL,
. . Déja la paix est née avec le Roy son
Pere, il s'emprefiera comme lui d'accroître
son Temple.
Ênfin , point de vertus héroïques dont le
Dauphin ne trouve en son Pere l'éclatant mo
delé ; Hector, Achille, César ou Alexandre
Îeuyent servir de Guides aux autres Princes ,
,oúis est le seul que le Dauphin doive consul
ter , puisqu'il a tout ce qui fait & les Grandi
Rois & les bons Rois.
i°. La tendre pieté de la Reine n'est pas une
leçon moins précieuse pour le Dauphin. Au
trefois Saùl demanda à David quelle étoit fa
Famille. A peine Peut- il fçu , qu'il connut que
le jeune David devoit être l'appui de la Reli
gion en Israël : II suffit de seavoir que le Dau
phin a pour Mere la plus religieuse Prineeiie,
FEVRIER. Ï730'. jl?
p«ur augurer quel sera son zele pour la Reli
gion de ies Pères.
L'Orateur exposa avec rout l'art possible les
exemples de pieté que la Reine fait briller aux
yeux de íës Sujets , & avec quelle ardeur elle
conservera pour le Ciel le Héros qu'elle en a
reçu.
Il marqua ensuite que les Nations Etrangères
préparent leurs Princes à l'exercice des vertus
par des Symboles qui leur en retracent la prati-
!^ue dès l'enfance j le Dauphin n'a besoin pour
è former à la prêté , que des foins d'une
Reine dont le coeur est l'Autel même de-la
Religion. II fit le parallèle d'Annibal présenté
aux Autels, & dont la consécration n'eut dèslors
rien que de funeste gux Romains , & ce
lui *du Dauphin offert au Seigneur , & en qui
la Religion dès ee moment a reconnu son ap
pui & son vengeur.
L'Orateur conclut cette seconde Partie, en
recueillant les avantages que l'éducatton pa
ternelle & maternelle vont Ini procurer. II la
termine par les Voeux les plus touchants pour
•la conservation d'un fi cher Dépôt. I! n'a rien
de plus grand à désirer à son Héros naiíìànt ,
que de ressembler à Louis & à Marie , vivat
dignus Pâtre , vivat digvus Matre , vivat
utrique fimilis.
L'accompagnement de la Harangue répon-.'
dok au sujet. La Salle étoit décorée de super*
bes Tapisseries , fur lesquelles éroient dans un
riche enfoncement les Portraits du Roy & de
la Reine , & l'Ecusson du Dauphin. Ils étoienc
couronnés d'un Dais , & éclairés par une in
finité de lumières. Plusieurs Lustres & Giran
doles éroient placés de distance en distance.
L' Assemblée étoit des plus choisies. M. de Bril-
F iij lac
fttt MERCURE'DE FRANCE.
lac, Premier Président , s'y trouva â la tête de?
plusieurs Presidens. à Mortier & Conseillers
du Parlement.
Le Discours fini , on donna à l'Orateur les
applaudillemens que déja plusieurs fois pen-' ^i
dant l'adtion , l'admiration unanime n'avoic
pû suspendre. On fut agréablement frappé en'
sortant-, de trouver toute la Cour du Collège'
illuminée } chaque Croisée étoic chargée de
Piramides de Lampions, ou chargée de Pots
à Feu , ou d'Ecuílons aux Armes du Roy , de'
là Reine & du Dauphin. Un grand Bûcher
étoit préparé au milieu de la Cour. Cent Ecoî
lîers richement habillés 7 & portant chacun un-
Drapeau j firent autour diverses évolutions ,
& deux des plus qualifiés y mirent le feu au
bruit des Tambours & dés Trompettes. Les<
Boëtes tirèrent avec un fracas qui n'avoit rien
que de superbe ; les Fusées se mêlèrent dans les
airs, 3i firent disparoître pendant quelques)
heures , les ténèbres de la nuit. Le Public pa*
nu charmés du Spectacle, & ranima à cette
nouvelle Fête les premiers sentimensde joye
tìjue la Naissance du Dauphin avoic causé 3 f
avoit quelques mois.
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Résumé : EXTRAIT d'un Discours prononcé à Rennes sur la Naissance du DAUPHIN.
Le texte relate un discours prononcé par le Père Coriou, professeur de rhétorique au Collège des Jésuites de Rennes, à l'occasion de la naissance du Dauphin. Le discours, intitulé 'Telfhinum Varentibus, Parentes Delphino gratulatur Orator', visait à célébrer cet événement joyeux pour la France. L'orateur commence par évoquer les grâces et les zéphyrs accompagnant le sommeil du Dauphin, contrastant avec les futurs défis de la valeur et de la gloire. Il adresse ensuite un compliment à l'Illustre Chef du Parlement de Bretagne présent. Dans la première partie, l'orateur souligne que les enfants des rois naissent dans les larmes mais sont rapidement entourés de grandeur et de majesté. Il félicite le roi et la reine pour la naissance du Dauphin, qui apaise les inquiétudes du roi et renforce l'autorité de la reine. Il rappelle les douleurs passées lors de la perte des princes et les dangers pour la France en l'absence d'héritier. La naissance du Dauphin est perçue comme un présage de calme et de prospérité. L'orateur exprime ensuite ses vœux pour que le Dauphin surpasse les grands souverains du passé et affermisse le trône par de nouvelles conquêtes. Il souligne l'augmentation de l'autorité de la reine et son rôle de protectrice des malheureux. Dans la seconde partie, l'orateur affirme que le Dauphin n'a pas besoin d'envier les héros anciens, car il sera formé par le roi son père et la reine sa mère. Il met en avant les vertus du roi et de la reine comme modèles pour le Dauphin, soulignant la piété et la religiosité de la reine. Il conclut en exprimant des vœux pour la conservation et l'éducation du Dauphin, afin qu'il ressemble à Louis XV et à Marie. Le discours est accompagné de décorations somptueuses et d'un spectacle pyrotechnique, illustrant la joie et l'enthousiasme suscités par la naissance du Dauphin.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 654-671
EXTRAIT de deux Harangues Latines sur la Naissance de Monseigneur le Dauphin, prononcées au College de Louis le Grand par les Professeurs de Rhetorique.
Début :
Il y a quelques mois qu'on a imprimé les deux Harangues dont nous [...]
Mots clefs :
Naissance du Dauphin, Harangues, Dauphin, Professeurs de rhétorique, Collège Louis le Grand, Roi, Prince, Peuples, Orateur, Bonheur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT de deux Harangues Latines sur la Naissance de Monseigneur le Dauphin, prononcées au College de Louis le Grand par les Professeurs de Rhetorique.
EXTRAIT de deux Harangues Latines
fur la Naiffance de Monfeigneur
le Dauphin , prononcées au College de
Louis le Grand par les Profeffeurs de
Rhetorique.
Ly a quelques mois qu'on a imprimé
les deux Harangues dont nous
donnons ici l'Extrait ; l'une fut prononcée
par le P.Charles Porée le 14.Septembre
1729 vers le commencement desVacances,
l'autre par le P.Xavier de la Sante le 15. Decembre
fuivant , quelque tems après qu'on
eut repris les exercices ordinaires du College.
Le premier crut ne pouvoir mieux
finir fon année , & le fecond mieux commencer
la fienne , qu'en félicitant le Public
fur un évenement fi intereffant pour
la France & pour toute l'Europe. Nous
croyons faire plaifir à nos Lecteurs en leur
donnant un Abregé de ces deux Difcours,
qui répondent parfaitement à la réputation
des Auteurs.
La
AVRIL 1730. 655
>
›
3
La Harangue du P. Porée commence
par feliciter le Roi de la Naiffance de
fon augufte Fils. Il n'eft point d'homme ,
dit l'Orateur , de quelque condition qu'il
foit , qui ne fouhaite de laiffer fon nom
ou fes biens à un fils plutôt qu'à une ou
à plufieurs filles ; celles ci perdent ce
nom en entrant dans d'autres familles
où il meurt bientôt avec elles. Il fe perpetuë
dans la perfonne d'un fils
en fe
perpetuant il devient plus illuftre , & acquiert
une efpece d'immortalité , dont
l'efperance feule flatte un pere qui s'ima
gine devoir vivre en quelque forte éternellement
dans une nombreuſe pofterité.
Mais qui doit être plus touché de ce
plaifir qu'un Prince , un Monarque , un
Roi de France , & un Roi de la Maiſon
des Bourbons ? nom fi ancien , fi glorieux
que tant de Grands Hommes ont porté
& honoré. Par une fucceffion non interrompue
, il vient de Louis IX . jufqu'à
Louis XV, il a été illuftré par tous les
genres de mérite ; il a étendu fa domination
dans un Royaume voiſin , d'où il fe
fait refpecter jufques dans le nouveau
monde ; il eft confacré par la Religion &
placé jufques dans le Ciel , où nous lui
rendons de juftes hommages. Tel eft le
nom que Louis tranfmet à fon fils : un
jour celui-ci en foutiendra la gloire , &
656 MERCURE
DE FRANCE
રે
la fera paffer à une longue fuite de Heros .
Il n'en fut pas ainfi du nom des Cefars;
depuis le Grand Jules il ne fubfifta que
par l'adoption , par l'élection , fouvent
même par l'ufurpation ; il périt dès qu'il
fut élevé fur le Trône ; quand il devint le
nom des Empereurs , il paffa à des Etrangers
, & ceffa d'être celui d'une même
famille.
Tout peré aime encore à laiffer un fils
heritier de fes biens , quelques médiocres
, quelque peu confiderables
qu'ils
foient ; on femble alors les quitter fans
c'eft les perdre deux
regret , au lieu que
fois , que de les voir paffer en d'autres
mains. Quel eft donc le bonheur de Louis ,
à qui le Ciel accorde un fils , auquel il
pourra remettre , non pas fimplement un
riche heritage , non pas des titres glorieux
, mais le plus beau Royaume , le
plus floriffant , le plus ancien de l'Europe
! Augufte n'eut pas cet avantage ; il
etendit les bornes de l'Empire ; mais il
fut obligé de fe chercher un heritier hors
de fa Maiſon ; il s'entendit appeller Pere
de la Patrie par tous les Citoyens ; mais
jamais il n'entendit fortir ce doux nom
de pere de la bouche d'un fils . La même
confolation fut refufée non-feulement aux
Nerons , aux Caligula , aux Domitiens ,
humain
il étoit de l'interêt du genre
que
de
AVRIL
1730.
657
de tels monftres périffent tout entiers ;
mais elle fut refufée aux Tites & aux
Trajans , ces Princes adorables qui faifoient
les délices de l'Univers.
Notre Roi plus heureux que tous ces
Empereurs a déja merité d'être appellé le
Pere de fon Peuple , comme un très- petit
nombre d'entr'eux ; il eſt déja comme
quelques-uns pere de plufieurs Princeffes;
mais ce qui n'arriva à aucun d'eux , aujourd'hui
il fe voit pere d'un fils ; & à
quel âge a- t'il ce bonheur ? Remontons
dans les fiécles paffés ; parcourons la fuite
de tous nos Rois ; jettons les yeux fur
toutes les Cours Etrangeres, ici nous trouverons
des Princes qui envient le fort de
Louis , là nous n'en trouverons point qui
ait eu fi tôt le même bonheur,
Les meres ne font pas moins charmées
d'avoir un fils que les peres mêmes ; l'amour
qu'elles ont pour leurs Epoux eft
la meſure de la joye que leur cauſe la
Naiffance d'un fils qui le repréſente d'une
maniere plus parfaite que des tableaux
muets. Cette raifon generale convient
encore mieux à une grande Reine qui revere
toûjours la perfonne de fon Roi dans
celle de fon Epoux , & dont la tendreffe
eft temperée par le refpect . Quelque
grand , quelque fincere que foit l'amour
de part & d'autre , les dehors en font
B Lou
658 MERCURE DE FRANCE
toujours reglés par la dignité des auguftes
Epoux , & la majefté tempere une vivacité
permife à des perfonnes privées. Le
Dauphin repréſentera à fa mere tous les
traits de Louis ; mais dépouillés de cette
vive lumiere qui fait qu'on n'ofe fixer
trop long- tems fur lui fes regards ; elle
pourra le contempler à loifir , lui prodiguer
fes careffes , à peu près comme nos
yeux qui ne fçauroient foutenir la clarté
du Soleil , contemplent avec plaifir ſon
image , s'il vient à fe peindre dans une
Nuée brillante.
D'autres raifons que l'Orateur touche
avec beaucoup de délicateffe , c'eft que
la Naiffance du Dauphin affure à la Reine
le coeur de fon augufte Epoux , & augmente
en quelque forte fon autorité. A
la verité , elle n'avoit pas befoin de cel
gage pour s'attacher le coeur d'un Prince
, dont toutes les inclinations font reglées
par la raifon , tous les goûts fubordonnés
au devoir , tous les defirs moderés
par la fageffe ; il avoit reçû avec
joye les trois Princeffes que la Reine lui
avoit données jufqu'ici ; il les accable tous
les jours des careffes qu'elles peuvent attendre
du pere le plus tendre. Ce n'eſt
pas qu'il ne defirât un heritier de fes Etats
auffi ardemment que fes Peuples le fouhaitoient
, mais il l'attendoit plus patiemment,
AVRIL. 1730. 659
tiemment , & avec une plus grande foumiffion
aux ordres du Ciel. Quelle joye
pour notre Reine d'avoir enfin comblé
des voeux fi juftes & fi fages !
Quelle joye d'avoir donné à toute la
France ce qui faifoit l'objet de fon attente
, & de l'avoir ainfi payée avec uſure
de tout ce qu'elle en a reçû ! Il eſt vrai
que fa vertu eft au - deffus des honneurs
que nous lui rendons ; mais fon grand .
coeur n'a voulu les recevoir que pour
faire notre bonheur ; elle fe les reproche
roit ſi ſon élevation n'étoit utile qu'à ellemême
; par le Dauphin qu'elle donne à
la France , elle lui rend plus qu'elle ne
lui a donné ; elle en a reçû la Couronne
& elle donne un Prince qui la foutiendra
un jour glorieufement.
La feconde Partie eft adreffée au Dauphin
mème , que le R. P. Porée félicite
fur fon bonheur. Pour en tirer des préfages
certains , il ne lui eft pas neceffaire
de recourir aux chimeres de l'Aftrologie
, à de vaines fupputations , & du moment
de fa naiffance , & du cours des
Aftres ; il n'a pas recours aux Fables des
Poëtes , adoptées quelquefois par les Orateurs
en femblables occafions. Des raifons
plus folides fur lefquelles il fe fonde
font les Royales qualités du pere ,
qui ne promettent pas moins qu'un He
Bij LOS
660 MERCURE DE FRANCE.
ros ; l'ordre de fa naiffance qui le fait feul
heritier de tout le Royaume ; la maniere
dont il a été obtenu du Ciel . L'Orateur
dans ce dernier article nous repréſente le
voyage que la pieté fit entreprendre l'année
derniere à la Reine. Il ne nous eft
pas
permis de toucher au Portrait qu'il fait
du Roi , nous craindrions de le defigurer
en quelque forte. Renvoyant donc
pour cette partie à la Piece même , nous
paffons à la troifiéme , où le R. P. Porée
félicite les Peuples d'un évenement qui
les intereffoit infiniment.
III. Il remarque d'abord qu'il eft bien
rare qu'on puiffe feliciter le Peuple fur
l'accompliffement de fes voeux ; ce font
ordinairement des voeux temeraires ou
nuifibles , il ne voit jamais les premiers
accomplis ; fi les autres le font quelquefois
, ce n'eft que pour fon malheur. Il
n'en eft pas ainfi de ceux que nous formions
pour la naiffance d'un Dauphin ;
rien n'étoit plus fage , & ne devoit nous
être plus avantageux ; notre impatience
même , quoiqu'elle fut trop vive , &
qu'elle allat à nous faire abfolument defefperer
ce que nous n'avions pas obtenu
tout d'un coup , avoit quelque choſe de
raifonnable , fufques dans fa bizarrerie.
C'eft que nous fouhaitions non- feule- ,
ment de voir à notre Roi un heritier de ,
fes
1
AVRIL. 1730. 661
fes Etats , mais encore de le lui voir naî
tre dans fa jeuneffe , afin que ce Prince
pût être élevé fous fes yeux , afin qu'il
pût par fes grands exemples s'inftruire
long- tems dans l'art de regner. Nous
fçavons que toutes les minorités des Rois
ne font pas auffi tranquilles que l'a
été celle de Louis XV. Il eft difficile que
des Princes aufquels pour premiere leçon
on apprend qu'ils font maîtres de ceux
qui les inftruiſent , profitent bien de l'éducation
qu'on leur donne. Il faudroit
pour cela naître avec un caractere ferieux ,
amateur de l'ordre , avec une fageffe naturelle
, & dans la plus tendre enfance
n'avoir rien de la legereté de cet âge ; il
faudroit être tel , en un mot , que Louis
le Grand & fon digne fucceffeur.
Enfin ce qui intereffoit non - feulement
les François , mais tous les Peuples de
l'Europe , & leur faifoit formes les mêmes
voeux qu'à nous , c'eft qu'un Dauphin
de France femble affurer la tranquillité
de tous les Etats voifins auffibien
que la notre. Cette tranquillité fait
l'unique objet des foins de notre jeune
Monarque ; après un David guerrier ,
nous avons en lui un pacifique Salomon.
Le fage Miniftre auquel il donne toute
fa confiance , & qu'il appelle à tous fes
Confeils , eft un Ange de paix ; le fils
B iij qu'il
>
:
662 MERCURE DE FRANCE
1
le
partage
qu'il vient d'obtenir du Ciel peut être
appellé en quelque forte le Prince de la
Paix ; cet augufte enfant diffipe les allarmes
que nous pourrions avoir de ces
guerres qui fe font pour la fucceffion &
des grands Royaumes , Guerres
veritablement plus que civiles dont
nous avons un exemple dans ce qui s'eft
paffé dans l'Europe au commencement
de ce Siecle. Le R. P. Porée en fait une
deſcription vive & frappante , qu'on lira
avec d'autant plus de plaifir , que la naiffance
du Dauphin nous empêche de crain.
dre rien de Temblable..
II. DISCOURS..
R.P. La Harangue du R. P. De la Sante eft
moins fur la Naiffance du Dauphin qu'un
préfage de ce que doit être ce Prince ,
qui croft pour la fortune la plus brillante
& pour la felicité des Peuples. S'il
avoit voulu fe borner à celebrer cet heureux
évenement , il n'auroit pas attendu
fi long- tems ; mais fon Collegue l'ayant
fait avec fuccès , il a crû devoir donner
un autre tour à fon Difcours. Dans la
premiere Partie il montre ce que le Dauphin
promet à la France ; dans la feconde
, ce que la France promer au Dauphin
.
I. Pour fçavoir , dit l'Orateur , les ma
gnifiques
AVRIL. 1730.
663
,
gnifiques efperances que nous pouvons
concevoir de cet augufte Enfant , il nous
fuffit de faire reflexion qu'il eft fils d'un
Roi Bourbon & fils d'un Roi Très-
Chrétien . Ces deux titres nous apprennent
ce que nous devons en attendre
Fun nous affure du bonheur du Royaume
, l'autre nous promet un appui pour
la Religion.
Le P. De la Sante commence la
preuve de la premiere Propofition par un
éloge des Bourbons qu'il fait avec autant
d'art que le R. P. Porée , quoique le tour
en foit different. L'efprit du Lecteur aime
à trouver le même morceau d'Eloquence,
traité par deux grands Maîtres qui ne fe
copient pas l'un l'autre . On peut encore
voir le même éloge dans la troifiéme Harangue
du P. Coffart , Jefuite & prédeceffeur
de ces deux Peres dans l'emploi
qu'ils rempliffent fi dignement.
Enfuite defcendant dans le détail , if
parcourt tous les grands Rois qu'a don
nés cette maifon ,. & commence par Louis
IX. qui en eft la tige . Quel Monarque
s'appliqua jamais avec plus de zele à pro
curer le bonheur de fes Peuples , c'eſt-àdire
, à pacifier les troubles domeftiques
à repouffer les Ennemis Etrangers , à adminiftrer
la juftice à fes Sujets & à l'éta
blir folidement par les Ordonnances les
plus
B. iiij.
664 MERCURE DE FRANCE
plus fages. Pour faire toutes ces chofes
avec le fuccés qu'il eut , il falloit être le
Pere de fes Peuples , plutôt que leur Roi;
fe regarder comme leur Pafteur plutôt
que comme leur Chef. Pour foûtenir les
traverfes qu'il effuya pendant fa vie , il
falloit une vertu plus qu'humaine ; la
conftance des Heros ne va pas jufques là:
il falloit être un Saint.
L'Orateur paffe auffi- tôt à Henri le
Grand , Prince veritablement digne de ce
nom , dans quelque point de vue qu'on
l'envifage ; conquerant d'un Royaume fur
lequel il avoit feul un droit inconteftable
, à confiderer avec quelle bonté il
gouvernoit fes Peuples , avec quelle affection
& quel zele on lui obéïffoit , il fembloit
qu'il ne dût le Sceptre ni à ſa naiſfance
, ni à fon épée , mais à un choix libre
qui lui donnoit tous les coeurs .
Cette même bonté , cette facilité fut
le caractere qui diftingua le fils d'Henri
le Grand ; ce Monarque fit affeoir fur fon
Trône la Juftice & la Pieté ; la Sageffe
préfida à tous fes Confeils , aucun Roi
n'a été plus heureux dans le choix de fes
Miniftres ; fon Regne établit la tranquillité
au dedans de la France , étoufa jufqu'aux
femences des diffenfions domeftiques
, fit refpecter notre puiffance à des
voifins jaloux , & feroit peut-être le plus
glorieux
AVRIL. 1730.
865
'glorieux de tous les Regnes , fi ce Prince
n'avoit eu un prédeceffeur & un fucceffeur
,tous deux plus grands que lui.
Ici l'Orateur fait un portrait achevé de
Louis le Grand , ce Heros fi noblement
łoüé pendant la vie , & ce qui eft moins
équivoque , encore mieux loué après fa
mort par les regrets , non des feuls François
, mais des Nations étrangeres & ennemies.
Nous craindrions d'affoiblir cet
éloge fi nous nous contentions d'en rap--
porter quelques traits ; il faut le voir tout
entier dans la Piece.
L'arriere- petit- fils de ce Prince fait au
jourd'hui fon unique étude de conferver
la paix qu'il avoit glorieufement établie
fur la fin de fon Regne. Louis XV. fe
propofe de gouverner for Royaume felon
les maximes de Louis XIV. & met
fa félicité dans celle des Peuples. Le bonheur
de ce Monarque c'eft que le bruit
des armes n'a pas troublé les jeux de fon
enfance; fa gloire, c'eft qu'à la fleur de fes
années , & dans la plus tendre jeuneffe
-il fe voit l'arbitre de la paix , & choifi
pour Médiateur par tous les Princes de
l'Europe. Dans ces divers caracteres , l'adreffe
de l'Orateur confifte à ne point
laiffer perdre de vûë fon principal objet.
C'eft ce que fait le P. De la Sante , en
rappellant fans ceffe l'idée du nouveau
Bv Dauphin
666 MERCURE DE FRANCE
Dauphin dans les Portraits qu'il fait de
fes Ayeux.
Il parle enfuite de l'attachement que tous
les Rois Bourbons ont témoigné pour la
Religion , & prouve que le nom de Rois
Très-Chrétiens n'a pas été en eux un vain
titre.. Ici comme dans la premiere induction
, il commence par S. Louis ; tout le
monde fçait le zele qu'il témoigna pour
l'extirpation de l'herefie des Albigeois ;:
ce zele le tranfporta deux fois au - delà
des mers , plutôt pour la propagation de
la Foi , qu'en vûe d'étendre fon Empire,
ou pour fatisfaire un efprit d'inquiétude :
qui fut l'ame de la plupart des projets de
cette nature ..
Henri IV. avoit eu le malheur de fe
laiffer aller au parti de l'Herefie ; il ne
fut pas plutôt fur le Trône qu'il l'abjura:
fincerement , & la & la preuve de cette fincerité
, c'eft ce qu'il fit pour ramener à la
verité ceux du parti qu'il avoit abandonné.
On fçait que ce Prince d'un coeur veritablement
droit , témoignoit plus de
joye lorfqu'on lui apprenoit que quelqu'un
des Chefs de la Religion Protef
tante étoit retourné au ſein de l'Eglife ,
que lorsqu'on lui annonçoit que quelque
Ligueur étoit rentré dans fon obéillance..
Le plus bel Ouvrage de Louis le Jufte
eft l'abaiffement de ce même parti ; la
prife
AVRIL 1730. 667
prife de La Rochelle qui réduifit les fac
tieux à leur devoir,fera toujours regardée
dans nos Faftes comme la plus glorieufe
action d'un Regne conftamment glorieux;
la confommation de ce grand Ouvrage
étoit refervée à fon fils , heritier de fa pieté
& de fon zele pour la foi. Louis le
Grand a enfin détruit dans fon Royaume
le Calvinisme , la feule herefie qui eut été
tolerée depuis la fondation de la Monarchie
par Clovis le premier Roi Très - Chrétien
.
Enfin ce même efprit de Religion a paſfé
dans le Monarque qui nous gouverne,
ce jeune Prince femble avoir été nourri
par la pieté, il en a fuccé le lait dès l'enfance
; fon refpect pour les chofes faintes a
éclaté en lui dès fes premieres années ; on
l'admire encore dans le feu d'une brillante
jeuneffe ; il paroît moins attentif à
faire refpecter la Majefté Royale qu'à fou
tenir dans fes Etats les interêts de la Reli
gion.
Tels font les Ayeux de notre Dauphin,
reprend l'Orateur , pouvons - nous douter
qu'il ne croiffe pour le bonheur de la
France , pour la deffenfe des Autels En
vain on diroit que tous les fils n'heritent
des vertus de leurs peres ,que lesVefpa
fiens n'ont pas toujours desTites pour fucceffeurs
; quand nous voyons que ce dou
BВ vj
pas
ble
668 MERCURE DE FRANCE
ble efprit de juftice & de pieté , d'amour
du bien public & de zele pour les interêts
de l'Eglife, s'eft perpetué dans tous les
Rois Bourbons pendant un fr long eſpace
d'années , nous pouvons nous tenir affurez.
qu'il ne fe démentira pas dans le
Prince qui vient de naître , & qu'il formera
fon caractere.
II. Partie.
Les François promettent au Dauphin
leur amour & leurs voeux dans fon enfance
; la Cour dont il fera les délices
pendant la jeuneffe , lui promet toutes
fortes de complaifances & d'agrémens;
enfin dès-à-prefent les Peuples lui voüent
pour le temps de la vieilleffe , leur obéïffance
& leurs fervices. Plaiſe an Ciel que
nos defirs foient accomplis dans tous ces
points ! qu'il arrive à une heureuſe vieil
Leffe , pendant laquelle il donnera la Loi,
& qu'il ne la donne pas avant ce temps !
Mais que dis -je , reprend l'Orateur ,
lui promettons pas feulement
notre amour & nos voeux ; dès ce jour il
a le coeur de tous les François , il a déja
reçu les hommages de tous les Ordres de
nous ne
Etat. Les Prélats qui font la plus noble
portion du premier de ces Ordres , fe
font diftinguez parmi tous les autres ; ils
ne fe font pas contentez de porter leurs
voeux
AVRIL 1730 . 669
voeux au pied du Trône & au Berceau
de l'augufte Enfant ; ils les ont confacrez
par la Religion , & rendus ainfi plus efficaces
; ils ont fanctifié ceux de tous les
Peuples en ordonnant des Prieres folemnelles
pour la profperité du Dauphin.
Qu'il a été heureux en particulier pour le
Paſteur du premier Troupeau du Royaume
, notre illuftre Archevêque , que le
premier exercice de fon miniftere qu'il ait
fait en cette Ville, ait été de recevoir fon
Roi , & de joindre fes actions de graces
à celles de ce Monarque ! Delà le P. de
La Sante prend occafion de faire un compliment
également jufte & ingenieux au
Prélat , qui étoit prefent.
Les Fêtes qui ont été faites dans toute
la France font une partie des hommages
qui ont été rendus au Dauphin . Par
là les Villes entieres , les Seigneurs du
Royaume , les Princes Etrangers par leurs
Ambaffadeurs , marquent les fouhaits
qu'ils font pour ce Prince. Le Peuple
même par la part qu'il a prife à ces Réjoüiffances
, par l'aimable folie à laquelle
il s'eft livré en cette occafion , lui témoi
gne fon amour & fon zele..
Qui voudra fçavoir les fentimens que
l'on aura pour le Dauphin de France , les
devoirs que lui rendront les François ,
lorſque dans un âge plus avancé , il fera
Pornement
670 MERCURE DE FRANCE
Pornement de la Cour n'a qu'à fe reffou
venir de l'affection des Peuples , du refpect
des Grands pour le premier Dauphin
, fils de Louis XIV. qu'il fe rappelle
la confiance qu'on avoit dans le Duc de
Bourgogne; la veneration qu'on avoit pour
lui & du vivant de fon Pere , & encore
plus lorfqu'il fut devenu l'Heritier immediat
de la Couronne . L'Orateur promet
avec affurance au Fils de Louis XV.
les mêmes honneurs , la même affection ,
la même foumiffion. Dans cette condition
, pourfuit - il , plus glorieufe que celle
de plufieurs Souverains , il apprendra à
commander , il s'inftruira par les exemples
& les Confeils de fon Pere dans l'Art de
regner.
Nous pouvons , ajoûte- t- il , lui pro
mettre qu'il regnera effectivement unt
jour , mais de la maniere la plus heureufe
& la plus confolante ; c'eft que , comme
un Poëte le difoit du fils d'un Empereur
Romain , dans un âge déja avancé , il parragera
l'autorité avec fon Pere , déja vieux.
Ce que difoit par pure flatterie ce vain
Panegyrifte , & ce qui ne pouvoit s'accomplir
qu'en accordant des fiecles entiers
à cet Empereur , nous pouvons le
dire de Louis avec confiance . Tout femble
lui promettre une longue vie & une
fanté conftante; c'eft le Prix que la Pro
vidence
AVRIL 1730. 671"
vidence a établi ici-bas pour la fageffe &
pour la vertu. Avant même qu'il foit fort
avancé en âge , fon augufte Fils aura toute
la maturité neceffaire au commandement.
Le Roi pourra le charger d'une partie des
affaires , moins pour s'en débarraffer, que
pour lui marquer la confiance..
Quelque temps avant que ces Pieces ayent
été imprimées, les R. P. Jefuites, toujours prêts
à fignaler leur zele pour la Maiſon Royale
avoient fait paroître un Recueil contenant
plufieurs Pieces de Vers François & La- `
tins , qui étoient toutes d'un excellent gout ,
chacune dans fon genre.
fur la Naiffance de Monfeigneur
le Dauphin , prononcées au College de
Louis le Grand par les Profeffeurs de
Rhetorique.
Ly a quelques mois qu'on a imprimé
les deux Harangues dont nous
donnons ici l'Extrait ; l'une fut prononcée
par le P.Charles Porée le 14.Septembre
1729 vers le commencement desVacances,
l'autre par le P.Xavier de la Sante le 15. Decembre
fuivant , quelque tems après qu'on
eut repris les exercices ordinaires du College.
Le premier crut ne pouvoir mieux
finir fon année , & le fecond mieux commencer
la fienne , qu'en félicitant le Public
fur un évenement fi intereffant pour
la France & pour toute l'Europe. Nous
croyons faire plaifir à nos Lecteurs en leur
donnant un Abregé de ces deux Difcours,
qui répondent parfaitement à la réputation
des Auteurs.
La
AVRIL 1730. 655
>
›
3
La Harangue du P. Porée commence
par feliciter le Roi de la Naiffance de
fon augufte Fils. Il n'eft point d'homme ,
dit l'Orateur , de quelque condition qu'il
foit , qui ne fouhaite de laiffer fon nom
ou fes biens à un fils plutôt qu'à une ou
à plufieurs filles ; celles ci perdent ce
nom en entrant dans d'autres familles
où il meurt bientôt avec elles. Il fe perpetuë
dans la perfonne d'un fils
en fe
perpetuant il devient plus illuftre , & acquiert
une efpece d'immortalité , dont
l'efperance feule flatte un pere qui s'ima
gine devoir vivre en quelque forte éternellement
dans une nombreuſe pofterité.
Mais qui doit être plus touché de ce
plaifir qu'un Prince , un Monarque , un
Roi de France , & un Roi de la Maiſon
des Bourbons ? nom fi ancien , fi glorieux
que tant de Grands Hommes ont porté
& honoré. Par une fucceffion non interrompue
, il vient de Louis IX . jufqu'à
Louis XV, il a été illuftré par tous les
genres de mérite ; il a étendu fa domination
dans un Royaume voiſin , d'où il fe
fait refpecter jufques dans le nouveau
monde ; il eft confacré par la Religion &
placé jufques dans le Ciel , où nous lui
rendons de juftes hommages. Tel eft le
nom que Louis tranfmet à fon fils : un
jour celui-ci en foutiendra la gloire , &
656 MERCURE
DE FRANCE
રે
la fera paffer à une longue fuite de Heros .
Il n'en fut pas ainfi du nom des Cefars;
depuis le Grand Jules il ne fubfifta que
par l'adoption , par l'élection , fouvent
même par l'ufurpation ; il périt dès qu'il
fut élevé fur le Trône ; quand il devint le
nom des Empereurs , il paffa à des Etrangers
, & ceffa d'être celui d'une même
famille.
Tout peré aime encore à laiffer un fils
heritier de fes biens , quelques médiocres
, quelque peu confiderables
qu'ils
foient ; on femble alors les quitter fans
c'eft les perdre deux
regret , au lieu que
fois , que de les voir paffer en d'autres
mains. Quel eft donc le bonheur de Louis ,
à qui le Ciel accorde un fils , auquel il
pourra remettre , non pas fimplement un
riche heritage , non pas des titres glorieux
, mais le plus beau Royaume , le
plus floriffant , le plus ancien de l'Europe
! Augufte n'eut pas cet avantage ; il
etendit les bornes de l'Empire ; mais il
fut obligé de fe chercher un heritier hors
de fa Maiſon ; il s'entendit appeller Pere
de la Patrie par tous les Citoyens ; mais
jamais il n'entendit fortir ce doux nom
de pere de la bouche d'un fils . La même
confolation fut refufée non-feulement aux
Nerons , aux Caligula , aux Domitiens ,
humain
il étoit de l'interêt du genre
que
de
AVRIL
1730.
657
de tels monftres périffent tout entiers ;
mais elle fut refufée aux Tites & aux
Trajans , ces Princes adorables qui faifoient
les délices de l'Univers.
Notre Roi plus heureux que tous ces
Empereurs a déja merité d'être appellé le
Pere de fon Peuple , comme un très- petit
nombre d'entr'eux ; il eſt déja comme
quelques-uns pere de plufieurs Princeffes;
mais ce qui n'arriva à aucun d'eux , aujourd'hui
il fe voit pere d'un fils ; & à
quel âge a- t'il ce bonheur ? Remontons
dans les fiécles paffés ; parcourons la fuite
de tous nos Rois ; jettons les yeux fur
toutes les Cours Etrangeres, ici nous trouverons
des Princes qui envient le fort de
Louis , là nous n'en trouverons point qui
ait eu fi tôt le même bonheur,
Les meres ne font pas moins charmées
d'avoir un fils que les peres mêmes ; l'amour
qu'elles ont pour leurs Epoux eft
la meſure de la joye que leur cauſe la
Naiffance d'un fils qui le repréſente d'une
maniere plus parfaite que des tableaux
muets. Cette raifon generale convient
encore mieux à une grande Reine qui revere
toûjours la perfonne de fon Roi dans
celle de fon Epoux , & dont la tendreffe
eft temperée par le refpect . Quelque
grand , quelque fincere que foit l'amour
de part & d'autre , les dehors en font
B Lou
658 MERCURE DE FRANCE
toujours reglés par la dignité des auguftes
Epoux , & la majefté tempere une vivacité
permife à des perfonnes privées. Le
Dauphin repréſentera à fa mere tous les
traits de Louis ; mais dépouillés de cette
vive lumiere qui fait qu'on n'ofe fixer
trop long- tems fur lui fes regards ; elle
pourra le contempler à loifir , lui prodiguer
fes careffes , à peu près comme nos
yeux qui ne fçauroient foutenir la clarté
du Soleil , contemplent avec plaifir ſon
image , s'il vient à fe peindre dans une
Nuée brillante.
D'autres raifons que l'Orateur touche
avec beaucoup de délicateffe , c'eft que
la Naiffance du Dauphin affure à la Reine
le coeur de fon augufte Epoux , & augmente
en quelque forte fon autorité. A
la verité , elle n'avoit pas befoin de cel
gage pour s'attacher le coeur d'un Prince
, dont toutes les inclinations font reglées
par la raifon , tous les goûts fubordonnés
au devoir , tous les defirs moderés
par la fageffe ; il avoit reçû avec
joye les trois Princeffes que la Reine lui
avoit données jufqu'ici ; il les accable tous
les jours des careffes qu'elles peuvent attendre
du pere le plus tendre. Ce n'eſt
pas qu'il ne defirât un heritier de fes Etats
auffi ardemment que fes Peuples le fouhaitoient
, mais il l'attendoit plus patiemment,
AVRIL. 1730. 659
tiemment , & avec une plus grande foumiffion
aux ordres du Ciel. Quelle joye
pour notre Reine d'avoir enfin comblé
des voeux fi juftes & fi fages !
Quelle joye d'avoir donné à toute la
France ce qui faifoit l'objet de fon attente
, & de l'avoir ainfi payée avec uſure
de tout ce qu'elle en a reçû ! Il eſt vrai
que fa vertu eft au - deffus des honneurs
que nous lui rendons ; mais fon grand .
coeur n'a voulu les recevoir que pour
faire notre bonheur ; elle fe les reproche
roit ſi ſon élevation n'étoit utile qu'à ellemême
; par le Dauphin qu'elle donne à
la France , elle lui rend plus qu'elle ne
lui a donné ; elle en a reçû la Couronne
& elle donne un Prince qui la foutiendra
un jour glorieufement.
La feconde Partie eft adreffée au Dauphin
mème , que le R. P. Porée félicite
fur fon bonheur. Pour en tirer des préfages
certains , il ne lui eft pas neceffaire
de recourir aux chimeres de l'Aftrologie
, à de vaines fupputations , & du moment
de fa naiffance , & du cours des
Aftres ; il n'a pas recours aux Fables des
Poëtes , adoptées quelquefois par les Orateurs
en femblables occafions. Des raifons
plus folides fur lefquelles il fe fonde
font les Royales qualités du pere ,
qui ne promettent pas moins qu'un He
Bij LOS
660 MERCURE DE FRANCE.
ros ; l'ordre de fa naiffance qui le fait feul
heritier de tout le Royaume ; la maniere
dont il a été obtenu du Ciel . L'Orateur
dans ce dernier article nous repréſente le
voyage que la pieté fit entreprendre l'année
derniere à la Reine. Il ne nous eft
pas
permis de toucher au Portrait qu'il fait
du Roi , nous craindrions de le defigurer
en quelque forte. Renvoyant donc
pour cette partie à la Piece même , nous
paffons à la troifiéme , où le R. P. Porée
félicite les Peuples d'un évenement qui
les intereffoit infiniment.
III. Il remarque d'abord qu'il eft bien
rare qu'on puiffe feliciter le Peuple fur
l'accompliffement de fes voeux ; ce font
ordinairement des voeux temeraires ou
nuifibles , il ne voit jamais les premiers
accomplis ; fi les autres le font quelquefois
, ce n'eft que pour fon malheur. Il
n'en eft pas ainfi de ceux que nous formions
pour la naiffance d'un Dauphin ;
rien n'étoit plus fage , & ne devoit nous
être plus avantageux ; notre impatience
même , quoiqu'elle fut trop vive , &
qu'elle allat à nous faire abfolument defefperer
ce que nous n'avions pas obtenu
tout d'un coup , avoit quelque choſe de
raifonnable , fufques dans fa bizarrerie.
C'eft que nous fouhaitions non- feule- ,
ment de voir à notre Roi un heritier de ,
fes
1
AVRIL. 1730. 661
fes Etats , mais encore de le lui voir naî
tre dans fa jeuneffe , afin que ce Prince
pût être élevé fous fes yeux , afin qu'il
pût par fes grands exemples s'inftruire
long- tems dans l'art de regner. Nous
fçavons que toutes les minorités des Rois
ne font pas auffi tranquilles que l'a
été celle de Louis XV. Il eft difficile que
des Princes aufquels pour premiere leçon
on apprend qu'ils font maîtres de ceux
qui les inftruiſent , profitent bien de l'éducation
qu'on leur donne. Il faudroit
pour cela naître avec un caractere ferieux ,
amateur de l'ordre , avec une fageffe naturelle
, & dans la plus tendre enfance
n'avoir rien de la legereté de cet âge ; il
faudroit être tel , en un mot , que Louis
le Grand & fon digne fucceffeur.
Enfin ce qui intereffoit non - feulement
les François , mais tous les Peuples de
l'Europe , & leur faifoit formes les mêmes
voeux qu'à nous , c'eft qu'un Dauphin
de France femble affurer la tranquillité
de tous les Etats voifins auffibien
que la notre. Cette tranquillité fait
l'unique objet des foins de notre jeune
Monarque ; après un David guerrier ,
nous avons en lui un pacifique Salomon.
Le fage Miniftre auquel il donne toute
fa confiance , & qu'il appelle à tous fes
Confeils , eft un Ange de paix ; le fils
B iij qu'il
>
:
662 MERCURE DE FRANCE
1
le
partage
qu'il vient d'obtenir du Ciel peut être
appellé en quelque forte le Prince de la
Paix ; cet augufte enfant diffipe les allarmes
que nous pourrions avoir de ces
guerres qui fe font pour la fucceffion &
des grands Royaumes , Guerres
veritablement plus que civiles dont
nous avons un exemple dans ce qui s'eft
paffé dans l'Europe au commencement
de ce Siecle. Le R. P. Porée en fait une
deſcription vive & frappante , qu'on lira
avec d'autant plus de plaifir , que la naiffance
du Dauphin nous empêche de crain.
dre rien de Temblable..
II. DISCOURS..
R.P. La Harangue du R. P. De la Sante eft
moins fur la Naiffance du Dauphin qu'un
préfage de ce que doit être ce Prince ,
qui croft pour la fortune la plus brillante
& pour la felicité des Peuples. S'il
avoit voulu fe borner à celebrer cet heureux
évenement , il n'auroit pas attendu
fi long- tems ; mais fon Collegue l'ayant
fait avec fuccès , il a crû devoir donner
un autre tour à fon Difcours. Dans la
premiere Partie il montre ce que le Dauphin
promet à la France ; dans la feconde
, ce que la France promer au Dauphin
.
I. Pour fçavoir , dit l'Orateur , les ma
gnifiques
AVRIL. 1730.
663
,
gnifiques efperances que nous pouvons
concevoir de cet augufte Enfant , il nous
fuffit de faire reflexion qu'il eft fils d'un
Roi Bourbon & fils d'un Roi Très-
Chrétien . Ces deux titres nous apprennent
ce que nous devons en attendre
Fun nous affure du bonheur du Royaume
, l'autre nous promet un appui pour
la Religion.
Le P. De la Sante commence la
preuve de la premiere Propofition par un
éloge des Bourbons qu'il fait avec autant
d'art que le R. P. Porée , quoique le tour
en foit different. L'efprit du Lecteur aime
à trouver le même morceau d'Eloquence,
traité par deux grands Maîtres qui ne fe
copient pas l'un l'autre . On peut encore
voir le même éloge dans la troifiéme Harangue
du P. Coffart , Jefuite & prédeceffeur
de ces deux Peres dans l'emploi
qu'ils rempliffent fi dignement.
Enfuite defcendant dans le détail , if
parcourt tous les grands Rois qu'a don
nés cette maifon ,. & commence par Louis
IX. qui en eft la tige . Quel Monarque
s'appliqua jamais avec plus de zele à pro
curer le bonheur de fes Peuples , c'eſt-àdire
, à pacifier les troubles domeftiques
à repouffer les Ennemis Etrangers , à adminiftrer
la juftice à fes Sujets & à l'éta
blir folidement par les Ordonnances les
plus
B. iiij.
664 MERCURE DE FRANCE
plus fages. Pour faire toutes ces chofes
avec le fuccés qu'il eut , il falloit être le
Pere de fes Peuples , plutôt que leur Roi;
fe regarder comme leur Pafteur plutôt
que comme leur Chef. Pour foûtenir les
traverfes qu'il effuya pendant fa vie , il
falloit une vertu plus qu'humaine ; la
conftance des Heros ne va pas jufques là:
il falloit être un Saint.
L'Orateur paffe auffi- tôt à Henri le
Grand , Prince veritablement digne de ce
nom , dans quelque point de vue qu'on
l'envifage ; conquerant d'un Royaume fur
lequel il avoit feul un droit inconteftable
, à confiderer avec quelle bonté il
gouvernoit fes Peuples , avec quelle affection
& quel zele on lui obéïffoit , il fembloit
qu'il ne dût le Sceptre ni à ſa naiſfance
, ni à fon épée , mais à un choix libre
qui lui donnoit tous les coeurs .
Cette même bonté , cette facilité fut
le caractere qui diftingua le fils d'Henri
le Grand ; ce Monarque fit affeoir fur fon
Trône la Juftice & la Pieté ; la Sageffe
préfida à tous fes Confeils , aucun Roi
n'a été plus heureux dans le choix de fes
Miniftres ; fon Regne établit la tranquillité
au dedans de la France , étoufa jufqu'aux
femences des diffenfions domeftiques
, fit refpecter notre puiffance à des
voifins jaloux , & feroit peut-être le plus
glorieux
AVRIL. 1730.
865
'glorieux de tous les Regnes , fi ce Prince
n'avoit eu un prédeceffeur & un fucceffeur
,tous deux plus grands que lui.
Ici l'Orateur fait un portrait achevé de
Louis le Grand , ce Heros fi noblement
łoüé pendant la vie , & ce qui eft moins
équivoque , encore mieux loué après fa
mort par les regrets , non des feuls François
, mais des Nations étrangeres & ennemies.
Nous craindrions d'affoiblir cet
éloge fi nous nous contentions d'en rap--
porter quelques traits ; il faut le voir tout
entier dans la Piece.
L'arriere- petit- fils de ce Prince fait au
jourd'hui fon unique étude de conferver
la paix qu'il avoit glorieufement établie
fur la fin de fon Regne. Louis XV. fe
propofe de gouverner for Royaume felon
les maximes de Louis XIV. & met
fa félicité dans celle des Peuples. Le bonheur
de ce Monarque c'eft que le bruit
des armes n'a pas troublé les jeux de fon
enfance; fa gloire, c'eft qu'à la fleur de fes
années , & dans la plus tendre jeuneffe
-il fe voit l'arbitre de la paix , & choifi
pour Médiateur par tous les Princes de
l'Europe. Dans ces divers caracteres , l'adreffe
de l'Orateur confifte à ne point
laiffer perdre de vûë fon principal objet.
C'eft ce que fait le P. De la Sante , en
rappellant fans ceffe l'idée du nouveau
Bv Dauphin
666 MERCURE DE FRANCE
Dauphin dans les Portraits qu'il fait de
fes Ayeux.
Il parle enfuite de l'attachement que tous
les Rois Bourbons ont témoigné pour la
Religion , & prouve que le nom de Rois
Très-Chrétiens n'a pas été en eux un vain
titre.. Ici comme dans la premiere induction
, il commence par S. Louis ; tout le
monde fçait le zele qu'il témoigna pour
l'extirpation de l'herefie des Albigeois ;:
ce zele le tranfporta deux fois au - delà
des mers , plutôt pour la propagation de
la Foi , qu'en vûe d'étendre fon Empire,
ou pour fatisfaire un efprit d'inquiétude :
qui fut l'ame de la plupart des projets de
cette nature ..
Henri IV. avoit eu le malheur de fe
laiffer aller au parti de l'Herefie ; il ne
fut pas plutôt fur le Trône qu'il l'abjura:
fincerement , & la & la preuve de cette fincerité
, c'eft ce qu'il fit pour ramener à la
verité ceux du parti qu'il avoit abandonné.
On fçait que ce Prince d'un coeur veritablement
droit , témoignoit plus de
joye lorfqu'on lui apprenoit que quelqu'un
des Chefs de la Religion Protef
tante étoit retourné au ſein de l'Eglife ,
que lorsqu'on lui annonçoit que quelque
Ligueur étoit rentré dans fon obéillance..
Le plus bel Ouvrage de Louis le Jufte
eft l'abaiffement de ce même parti ; la
prife
AVRIL 1730. 667
prife de La Rochelle qui réduifit les fac
tieux à leur devoir,fera toujours regardée
dans nos Faftes comme la plus glorieufe
action d'un Regne conftamment glorieux;
la confommation de ce grand Ouvrage
étoit refervée à fon fils , heritier de fa pieté
& de fon zele pour la foi. Louis le
Grand a enfin détruit dans fon Royaume
le Calvinisme , la feule herefie qui eut été
tolerée depuis la fondation de la Monarchie
par Clovis le premier Roi Très - Chrétien
.
Enfin ce même efprit de Religion a paſfé
dans le Monarque qui nous gouverne,
ce jeune Prince femble avoir été nourri
par la pieté, il en a fuccé le lait dès l'enfance
; fon refpect pour les chofes faintes a
éclaté en lui dès fes premieres années ; on
l'admire encore dans le feu d'une brillante
jeuneffe ; il paroît moins attentif à
faire refpecter la Majefté Royale qu'à fou
tenir dans fes Etats les interêts de la Reli
gion.
Tels font les Ayeux de notre Dauphin,
reprend l'Orateur , pouvons - nous douter
qu'il ne croiffe pour le bonheur de la
France , pour la deffenfe des Autels En
vain on diroit que tous les fils n'heritent
des vertus de leurs peres ,que lesVefpa
fiens n'ont pas toujours desTites pour fucceffeurs
; quand nous voyons que ce dou
BВ vj
pas
ble
668 MERCURE DE FRANCE
ble efprit de juftice & de pieté , d'amour
du bien public & de zele pour les interêts
de l'Eglife, s'eft perpetué dans tous les
Rois Bourbons pendant un fr long eſpace
d'années , nous pouvons nous tenir affurez.
qu'il ne fe démentira pas dans le
Prince qui vient de naître , & qu'il formera
fon caractere.
II. Partie.
Les François promettent au Dauphin
leur amour & leurs voeux dans fon enfance
; la Cour dont il fera les délices
pendant la jeuneffe , lui promet toutes
fortes de complaifances & d'agrémens;
enfin dès-à-prefent les Peuples lui voüent
pour le temps de la vieilleffe , leur obéïffance
& leurs fervices. Plaiſe an Ciel que
nos defirs foient accomplis dans tous ces
points ! qu'il arrive à une heureuſe vieil
Leffe , pendant laquelle il donnera la Loi,
& qu'il ne la donne pas avant ce temps !
Mais que dis -je , reprend l'Orateur ,
lui promettons pas feulement
notre amour & nos voeux ; dès ce jour il
a le coeur de tous les François , il a déja
reçu les hommages de tous les Ordres de
nous ne
Etat. Les Prélats qui font la plus noble
portion du premier de ces Ordres , fe
font diftinguez parmi tous les autres ; ils
ne fe font pas contentez de porter leurs
voeux
AVRIL 1730 . 669
voeux au pied du Trône & au Berceau
de l'augufte Enfant ; ils les ont confacrez
par la Religion , & rendus ainfi plus efficaces
; ils ont fanctifié ceux de tous les
Peuples en ordonnant des Prieres folemnelles
pour la profperité du Dauphin.
Qu'il a été heureux en particulier pour le
Paſteur du premier Troupeau du Royaume
, notre illuftre Archevêque , que le
premier exercice de fon miniftere qu'il ait
fait en cette Ville, ait été de recevoir fon
Roi , & de joindre fes actions de graces
à celles de ce Monarque ! Delà le P. de
La Sante prend occafion de faire un compliment
également jufte & ingenieux au
Prélat , qui étoit prefent.
Les Fêtes qui ont été faites dans toute
la France font une partie des hommages
qui ont été rendus au Dauphin . Par
là les Villes entieres , les Seigneurs du
Royaume , les Princes Etrangers par leurs
Ambaffadeurs , marquent les fouhaits
qu'ils font pour ce Prince. Le Peuple
même par la part qu'il a prife à ces Réjoüiffances
, par l'aimable folie à laquelle
il s'eft livré en cette occafion , lui témoi
gne fon amour & fon zele..
Qui voudra fçavoir les fentimens que
l'on aura pour le Dauphin de France , les
devoirs que lui rendront les François ,
lorſque dans un âge plus avancé , il fera
Pornement
670 MERCURE DE FRANCE
Pornement de la Cour n'a qu'à fe reffou
venir de l'affection des Peuples , du refpect
des Grands pour le premier Dauphin
, fils de Louis XIV. qu'il fe rappelle
la confiance qu'on avoit dans le Duc de
Bourgogne; la veneration qu'on avoit pour
lui & du vivant de fon Pere , & encore
plus lorfqu'il fut devenu l'Heritier immediat
de la Couronne . L'Orateur promet
avec affurance au Fils de Louis XV.
les mêmes honneurs , la même affection ,
la même foumiffion. Dans cette condition
, pourfuit - il , plus glorieufe que celle
de plufieurs Souverains , il apprendra à
commander , il s'inftruira par les exemples
& les Confeils de fon Pere dans l'Art de
regner.
Nous pouvons , ajoûte- t- il , lui pro
mettre qu'il regnera effectivement unt
jour , mais de la maniere la plus heureufe
& la plus confolante ; c'eft que , comme
un Poëte le difoit du fils d'un Empereur
Romain , dans un âge déja avancé , il parragera
l'autorité avec fon Pere , déja vieux.
Ce que difoit par pure flatterie ce vain
Panegyrifte , & ce qui ne pouvoit s'accomplir
qu'en accordant des fiecles entiers
à cet Empereur , nous pouvons le
dire de Louis avec confiance . Tout femble
lui promettre une longue vie & une
fanté conftante; c'eft le Prix que la Pro
vidence
AVRIL 1730. 671"
vidence a établi ici-bas pour la fageffe &
pour la vertu. Avant même qu'il foit fort
avancé en âge , fon augufte Fils aura toute
la maturité neceffaire au commandement.
Le Roi pourra le charger d'une partie des
affaires , moins pour s'en débarraffer, que
pour lui marquer la confiance..
Quelque temps avant que ces Pieces ayent
été imprimées, les R. P. Jefuites, toujours prêts
à fignaler leur zele pour la Maiſon Royale
avoient fait paroître un Recueil contenant
plufieurs Pieces de Vers François & La- `
tins , qui étoient toutes d'un excellent gout ,
chacune dans fon genre.
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Résumé : EXTRAIT de deux Harangues Latines sur la Naissance de Monseigneur le Dauphin, prononcées au College de Louis le Grand par les Professeurs de Rhetorique.
Le texte relate deux harangues prononcées par les professeurs de rhétorique du Collège Louis-le-Grand à l'occasion de la naissance du Dauphin, fils de Louis XV. La première harangue, prononcée par le Père Charles Porée le 14 septembre 1729, félicite le roi pour la naissance de son fils, soulignant l'importance de transmettre le nom et les biens à un héritier mâle. Le Père Porée compare la succession des Bourbons à celle des Césars, mettant en avant la continuité et la gloire de la dynastie française. Il évoque également la joie des parents royaux et les avantages politiques et religieux de la naissance du Dauphin, qui assure la tranquillité du royaume et de l'Europe. La seconde harangue, prononcée par le Père Xavier de la Sante le 15 décembre suivant, se concentre sur les promesses que le Dauphin représente pour la France. Le Père de la Sante souligne que le Dauphin, en tant que fils d'un roi Bourbon et d'un roi Très-Chrétien, garantit le bonheur du royaume et un soutien à la religion. Il rappelle les vertus des grands rois de la maison des Bourbons, comme Louis IX et Henri IV, et les espérances qu'ils ont suscitées pour le peuple français. Le texte décrit les qualités et les actions des rois de la dynastie des Bourbons, mettant particulièrement en lumière la bonté et la justice de Louis XIII, fils d'Henri IV. Ce monarque a établi la tranquillité en France, étouffé les dissensions domestiques et fait respecter la puissance française à l'étranger. Son règne aurait été le plus glorieux si ce n'était pour ses prédécesseurs et successeurs plus grands que lui. L'orateur loue également Louis XIV, surnommé Louis le Grand, pour ses actions héroïques et son influence positive, même après sa mort. Louis XV, arrière-petit-fils de Louis XIV, s'efforce de conserver la paix et de gouverner selon les maximes de son aïeul. Il est loué pour son rôle de médiateur en Europe et son attachement à la religion. Le texte souligne l'attachement des Bourbons à la religion, mentionnant Saint Louis, Henri IV et Louis XIV pour leurs efforts contre l'hérésie. Louis XV est décrit comme un monarque pieux, respectueux des choses saintes et attentif aux intérêts de la religion. L'orateur exprime l'espoir que le Dauphin, fils de Louis XV, héritera des vertus de ses ancêtres et contribuera au bonheur de la France et à la défense des autels. Les Français, la Cour et les peuples promettent leur amour et leur soutien au Dauphin, avec des prières et des fêtes en son honneur. L'orateur compare l'affection portée au Dauphin à celle accordée aux précédents Dauphins et promet au fils de Louis XV les mêmes honneurs et affection. Il prédit que le Dauphin régnera de manière heureuse et confiante, avec le soutien de son père.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 671-678
Fête sur le même sujet au College de Moulins, &c. [titre d'après la table]
Début :
Le 30. Janvier dernier, il y eut dans le College de Moulins une Fête pour la [...]
Mots clefs :
Naissance du Dauphin, College de Moulins, Fête, Orateur, Peuple, Devises, Harangue
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texteReconnaissance textuelle : Fête sur le même sujet au College de Moulins, &c. [titre d'après la table]
Le 30. Janvier dernier , il y eut dans
le College de Moulins une Fête pour la
Naiffance de Monfeigneur le Dauphin ,
& cette Fête mérite un des premiers rangs
parmi celles qui le font faites , pour
bon gout & l'efprit qui y regnoit . Ce fut
à l'occafion de la Harangue du Pere Du
parc , Regent de Rhétorique. Il la préparoit
depuis long - temps ; mais pour la
prononcer il falloit le concours de certaines
circonftances qui ne ſe réunirent
que le 30. de Janvier.. კი .
La Salle étoit magnifiquement ornée ;
de très- beaux Luftres garnis de bougies
l'éclairoient comme en plein midi ; les
Portraits de toute la Famille Royale y
étoient
672 MERCURE DE FRANCE
étoient expofez dans un bel arrangement.
Mais ce qu'il y avoit de plus fingulier ,
c'eft que des Devifes très- ingenieufes y
étoient mêlées , & avoient un rapport ef
fentiel au fujet de la Harangue , à fa principale
divifion & à fes fubdivifions , enforte
qu'à mesure que l'Orateur parloit ,
les yeux trouvoient dans ces Deviſes des
images liées ingenieufement avec les idées
que l'Orateur préfentoit à l'efprit par
oreilles .
les
M. de Vannolle , Intendant , M. l'Abbé
d'Harcourt , M. l'Abbé de Vannolle , &
tout ce qu'il y avoit de gens confiderables
dans la Ville , ayant pris leurs places , on
diftribua à tout le monde deux Recueils,
dont l'un contenoit les Pieces de Vers que
les Régens du College avoient compofées
fur la Naiffance du Dauphin , preſque
toutes d'un très -bon gout. L'autre contenoit
les Explications des Devifes , mifes
en Vers par les Ecoliers de Rhétorique
; mais le tour des Vers & leur netteté
prouve que le Régent y avoit eu au moins
quelque part.
La Harangue fut parfaitement bien
prononcée , avec une aifance qui marque
un homme né pour parler en public. Le
deffein de la Piece étoit de montrer que
le Dauphin ne pouvoit pas naître dans
des circonstances plus heureuſes, ni pour
luiAVRIL.
1730. 673
lui -même , & ce fut le fujet de la premiere
Partie ; ni pour toute la France ,
& ce fut la matiere de la feconde.
L'Orateur s'ouvrit dans la premiere
Partie un vafte champ & fécond en caracteres
& en traits tirez de l'Hiftoire de
France.
Il montra d'abord les avantages du
Dauphin qui apprendroit à regner fous
les yeux du Roy fon Pere , dont il décrivit
les grandes qualitez ; il commence,
dit l'Orateur , comme Titus , il contínue
comme Augufte , il regne comme Trajan ,
il fe prépare aux combats par de nobles
exercices comme Henry le Grand ... Lo
Dauphin recevra les vertueufes inftructions
d'une Reine , dont la pieté eft encore
au-deffus de fon rang fublime; elle lui
rappellera le fouvenir de fes illuftres.
Ayeux & des grandes vertus qui ont
formé leurs caracteres . Ici l'Orateur parcourut
en maître les grands Rois de la
troifiéme Race , & toucha legerement
les qualitez qui les ont caracterifez . Là ,
Louis XII. Henry IV. Louis le Grand ,
& fur tout faint Louis , furent dignement
loüez . Il trouva auffi dequoi propofer au
Dauphin dans la Maifon de Lechfinski.
L'Orateur paffa enfuite à la difpofition
des efprits à l'égard du Dauphin , ſecond
avantage de fa Naiffance . Quelle impatience
674 MERCURE DE FRANCÉ
tience dans les Peuples ! quels voeux n'ont
ils pas fait pour l'obtenir ! Quelle crainte
ne leur caufoit pas le retardement de
cette heureuſe Naiffance ! Quels ardents
fouhaits un Roi & une Reine , ornez de
tant de grandes vertus , n'excitoient- ils
pas pour un Fils qui réuniroit les rares
qualitez de l'un & de l'autre !
Le troifiéme avantage que trouve le
Dauphin dans les circonftances de fa
Naiffance , c'eſt l'état floriffant & pacifique
du Royaume. Pour le prouver , l'Orateur
compara la France aux Royaumes voifins ,
& cela lui fournit des Reflexions délicates
& vrayes enfuite il la compara
avec elle-même fous nos plus grands Rois,
fous Charlemagne , fous Philippe Augufte ,
&c.... Il en décrivit la puiffance , l'étenduë
, la fertilité , &c .... La nobleſſe,
la juftice , la Religion , les Sciences , les
Beaux Arts , vinrent à leur tour , & reçurent
de grands traits & des couleurs animées
; mais un des plus grands avantages
de la France eft qu'il y ait fous le Roi
un Miniftre le plus fage de tous ceux qui
ont jamais occupé cette place. L'Orateur
fit à cette occafion un parallele hiftorique
qui fut extrémement applaudi & regardé
comme un de ces morceaux lumineux ,
qui quand ils feroient feuls , rendroient
un Ouvrage excellent.. Trois Miniftres
dit-il,
AVRIL. 1730. 675
dit-il , ont fauvé de grands maux à la
France , Richelieu , en réſiſtant avec force
, Mazarin , en cedant avec adreffe , le
Cardinal de Fleury, en les prévenant avec
prudence. Le premier infpiroit la terreurs
le fecond la hardieffe & la confiance ; le
dernier l'amour & le refpect.
Dans la feconde Partie l'Orateur fait
voir que le Dauphin ne pouvoit naître
dans des circonftances plus heureuſes ,
1º.pour la confolation du Roi & de la Reine;
2 ° . pour la joye des Peuples ; 30. pour
l'affermiffement de l'Etat. Cette fubdivifion
eft priſe de la Lettre même du Roi
à M. l'Archevêque de Paris..
Quel plaifir , en effet, a un Roi de Fran
ee , de fe voir un Heritier Tout lui
manque au comble même de la gloire &
de la puiffance , s'il lui manque un Dau
phin ; & quelqu'éclatant que fût le Trôneoù
la Reine étoit montée , quelque tendreffe
que
le Roi eût pour elle , tendreffe
marquée dans mille & mille rencontres
elle n'étoit point entierement heureuſe.
C'est ce qui parut , fur tout lorsque cette
vertueufe Princeffe alla rendre avec tant
de pieté des actions de graces dans la Cathédrale
de Paris , où la joye de fon coeur
éclatoit dans les yeux & dans toute fon
augufte perfonne.
Enfuite l'Orateur décrivit la joye des
peuples
676 MERCURE DE FRANCE
peuples qui avoit déja paffé les bornes ,
forfque le Roi fe crut obligé d'en moderer
les excès . Ce fut là une defcrip
tion pompeufe des Feux d'artifice , des
Fontaines de vin , des Ares de Triomphe ,
& c. & les Auditeurs eurent le plaifir de
fe voir rappeller à la memoiré par des
expreffions élegantes , les Réjoüiffances
de la Ville de Moulins , dont ils avoient
été les Auteurs & les Spectateurs ; Ce
qui produifit dans l'Affemblée un certain
plaifir qu'on fent mieux qu'on ne l'exprime
. Les Feux d'artifice , les Fontaines
de vin qui avoient coulé , le grand Arc
de Triomphe , l'Illumination de la façade
de l'Hôtel de Ville , les Inferiptions , les
Devifes , les autres ornemens que M. de
la Serre , Maire de la Ville , y avoit fait
étaler avec beaucoup de gout , le grand
repas de M. l'Intendant , rien ne fut oublié
dans cette magnifique Deſcription .
La troifiéme Subdivifion renfermoit les
preuves de l'affermiffement de l'Etat par
la Naiffance du Dauphin.
L'Orateur finit par une récapitulation
de tout ce qu'il avoit dit ; il le raffembla
en peu de mots , & y ajoûta un éloge
fin & bien tourné , de M. l'Intendant .
DEVISES .
Premiere Devife. Un Soleil naiffant , &
au .
AVRIL . 1730. 677
au- deffous la Terre , Sibi fulget & orbi.
2 Devife. Un Vaiffeau guidé par l'Etoile
Polaire , Refpice ; tuta via eft.
3. Un Lys au milieu d'un Parterre
dont il efface toutes les fleurs par fon
éclat & par fa hauteur , avec ces paroles
de Virgile , Unum illud praque omnibus
ипит.
4. Un Alcyon dans fon nid fur une
Mer tranquille , Illo nafcente quiefcunt.
se . Une Poule qui fe voit avec complaifance
, fuivie d'un jeune Coq & de
trois petites Poules , avec ces mots de
Virgile , Mea magna potentia folus.
6. Un Parterre de fleurs qui femblent
renaître à la naiffance du Soleil , Te nafcente
renafcimur omnes.
7. Un Soleil au milieu du Monde ;
qui éclaire les Planettes & la Terre , Quis
fulgor ab uno !
8. En l'honneur de M. le Cardinal de
Fleury. C'eft un Parterre femé de Rofes
& de Lys , Stant bene purpureis Lilia mixta
Rofis.
9. Pour M. l'Intendant. Un Vaiffeau
qui par fon heureuſe arrivée au Port , met
toute la Ville dans la joye , Venitfeliciter
urbi.
M. de Vannolle vint prendre poffeffion
de l'Intendance du Bourbonnois à la
Naiffance de Monfeigneur le Dauphin ,
La
678 MERCURE DE FRANCE
La 10. Un Cafque chargé de tous fes
ornemens , avec ces paroles de Virgile ,
Decus & Tutamen.
On a voulu exprimer par là que la Ville
de Moulins étant la Capitale du Bourbonnois
, d'où la Famille regnante a pris
fon nom , la Naiffance d'un Dauphin eft
pour cette Ville un ornement & un appui .
11. Un Dauphin portant fur fon dos
Arion , qui joue de fa Lyre , Quam dulcia
premia Cantus !
On a eu deffein de marquer par ·là que
les Ecoliers qui ont fait ces Devifes , font
affez récompenfez par l'honneur d'avoir
travaillé pour le Dauphin.
A la fortie de cette Harangue les Auditeurs
trouverent la Cour du College
toute illuminée , les Fenêtres & les portes
, tout brilloit d'une infinité de Lampions
; mais fur tout la grande porte faifoit
un effet furprenant. Depuis le rezde-
chauffée elle étoit environnée de filets
de lumieres qui formoient des Deffeins
d'Architecture & s'élevoient jufqu'à une
très-grande hauteur .
le College de Moulins une Fête pour la
Naiffance de Monfeigneur le Dauphin ,
& cette Fête mérite un des premiers rangs
parmi celles qui le font faites , pour
bon gout & l'efprit qui y regnoit . Ce fut
à l'occafion de la Harangue du Pere Du
parc , Regent de Rhétorique. Il la préparoit
depuis long - temps ; mais pour la
prononcer il falloit le concours de certaines
circonftances qui ne ſe réunirent
que le 30. de Janvier.. კი .
La Salle étoit magnifiquement ornée ;
de très- beaux Luftres garnis de bougies
l'éclairoient comme en plein midi ; les
Portraits de toute la Famille Royale y
étoient
672 MERCURE DE FRANCE
étoient expofez dans un bel arrangement.
Mais ce qu'il y avoit de plus fingulier ,
c'eft que des Devifes très- ingenieufes y
étoient mêlées , & avoient un rapport ef
fentiel au fujet de la Harangue , à fa principale
divifion & à fes fubdivifions , enforte
qu'à mesure que l'Orateur parloit ,
les yeux trouvoient dans ces Deviſes des
images liées ingenieufement avec les idées
que l'Orateur préfentoit à l'efprit par
oreilles .
les
M. de Vannolle , Intendant , M. l'Abbé
d'Harcourt , M. l'Abbé de Vannolle , &
tout ce qu'il y avoit de gens confiderables
dans la Ville , ayant pris leurs places , on
diftribua à tout le monde deux Recueils,
dont l'un contenoit les Pieces de Vers que
les Régens du College avoient compofées
fur la Naiffance du Dauphin , preſque
toutes d'un très -bon gout. L'autre contenoit
les Explications des Devifes , mifes
en Vers par les Ecoliers de Rhétorique
; mais le tour des Vers & leur netteté
prouve que le Régent y avoit eu au moins
quelque part.
La Harangue fut parfaitement bien
prononcée , avec une aifance qui marque
un homme né pour parler en public. Le
deffein de la Piece étoit de montrer que
le Dauphin ne pouvoit pas naître dans
des circonstances plus heureuſes, ni pour
luiAVRIL.
1730. 673
lui -même , & ce fut le fujet de la premiere
Partie ; ni pour toute la France ,
& ce fut la matiere de la feconde.
L'Orateur s'ouvrit dans la premiere
Partie un vafte champ & fécond en caracteres
& en traits tirez de l'Hiftoire de
France.
Il montra d'abord les avantages du
Dauphin qui apprendroit à regner fous
les yeux du Roy fon Pere , dont il décrivit
les grandes qualitez ; il commence,
dit l'Orateur , comme Titus , il contínue
comme Augufte , il regne comme Trajan ,
il fe prépare aux combats par de nobles
exercices comme Henry le Grand ... Lo
Dauphin recevra les vertueufes inftructions
d'une Reine , dont la pieté eft encore
au-deffus de fon rang fublime; elle lui
rappellera le fouvenir de fes illuftres.
Ayeux & des grandes vertus qui ont
formé leurs caracteres . Ici l'Orateur parcourut
en maître les grands Rois de la
troifiéme Race , & toucha legerement
les qualitez qui les ont caracterifez . Là ,
Louis XII. Henry IV. Louis le Grand ,
& fur tout faint Louis , furent dignement
loüez . Il trouva auffi dequoi propofer au
Dauphin dans la Maifon de Lechfinski.
L'Orateur paffa enfuite à la difpofition
des efprits à l'égard du Dauphin , ſecond
avantage de fa Naiffance . Quelle impatience
674 MERCURE DE FRANCÉ
tience dans les Peuples ! quels voeux n'ont
ils pas fait pour l'obtenir ! Quelle crainte
ne leur caufoit pas le retardement de
cette heureuſe Naiffance ! Quels ardents
fouhaits un Roi & une Reine , ornez de
tant de grandes vertus , n'excitoient- ils
pas pour un Fils qui réuniroit les rares
qualitez de l'un & de l'autre !
Le troifiéme avantage que trouve le
Dauphin dans les circonftances de fa
Naiffance , c'eſt l'état floriffant & pacifique
du Royaume. Pour le prouver , l'Orateur
compara la France aux Royaumes voifins ,
& cela lui fournit des Reflexions délicates
& vrayes enfuite il la compara
avec elle-même fous nos plus grands Rois,
fous Charlemagne , fous Philippe Augufte ,
&c.... Il en décrivit la puiffance , l'étenduë
, la fertilité , &c .... La nobleſſe,
la juftice , la Religion , les Sciences , les
Beaux Arts , vinrent à leur tour , & reçurent
de grands traits & des couleurs animées
; mais un des plus grands avantages
de la France eft qu'il y ait fous le Roi
un Miniftre le plus fage de tous ceux qui
ont jamais occupé cette place. L'Orateur
fit à cette occafion un parallele hiftorique
qui fut extrémement applaudi & regardé
comme un de ces morceaux lumineux ,
qui quand ils feroient feuls , rendroient
un Ouvrage excellent.. Trois Miniftres
dit-il,
AVRIL. 1730. 675
dit-il , ont fauvé de grands maux à la
France , Richelieu , en réſiſtant avec force
, Mazarin , en cedant avec adreffe , le
Cardinal de Fleury, en les prévenant avec
prudence. Le premier infpiroit la terreurs
le fecond la hardieffe & la confiance ; le
dernier l'amour & le refpect.
Dans la feconde Partie l'Orateur fait
voir que le Dauphin ne pouvoit naître
dans des circonftances plus heureuſes ,
1º.pour la confolation du Roi & de la Reine;
2 ° . pour la joye des Peuples ; 30. pour
l'affermiffement de l'Etat. Cette fubdivifion
eft priſe de la Lettre même du Roi
à M. l'Archevêque de Paris..
Quel plaifir , en effet, a un Roi de Fran
ee , de fe voir un Heritier Tout lui
manque au comble même de la gloire &
de la puiffance , s'il lui manque un Dau
phin ; & quelqu'éclatant que fût le Trôneoù
la Reine étoit montée , quelque tendreffe
que
le Roi eût pour elle , tendreffe
marquée dans mille & mille rencontres
elle n'étoit point entierement heureuſe.
C'est ce qui parut , fur tout lorsque cette
vertueufe Princeffe alla rendre avec tant
de pieté des actions de graces dans la Cathédrale
de Paris , où la joye de fon coeur
éclatoit dans les yeux & dans toute fon
augufte perfonne.
Enfuite l'Orateur décrivit la joye des
peuples
676 MERCURE DE FRANCE
peuples qui avoit déja paffé les bornes ,
forfque le Roi fe crut obligé d'en moderer
les excès . Ce fut là une defcrip
tion pompeufe des Feux d'artifice , des
Fontaines de vin , des Ares de Triomphe ,
& c. & les Auditeurs eurent le plaifir de
fe voir rappeller à la memoiré par des
expreffions élegantes , les Réjoüiffances
de la Ville de Moulins , dont ils avoient
été les Auteurs & les Spectateurs ; Ce
qui produifit dans l'Affemblée un certain
plaifir qu'on fent mieux qu'on ne l'exprime
. Les Feux d'artifice , les Fontaines
de vin qui avoient coulé , le grand Arc
de Triomphe , l'Illumination de la façade
de l'Hôtel de Ville , les Inferiptions , les
Devifes , les autres ornemens que M. de
la Serre , Maire de la Ville , y avoit fait
étaler avec beaucoup de gout , le grand
repas de M. l'Intendant , rien ne fut oublié
dans cette magnifique Deſcription .
La troifiéme Subdivifion renfermoit les
preuves de l'affermiffement de l'Etat par
la Naiffance du Dauphin.
L'Orateur finit par une récapitulation
de tout ce qu'il avoit dit ; il le raffembla
en peu de mots , & y ajoûta un éloge
fin & bien tourné , de M. l'Intendant .
DEVISES .
Premiere Devife. Un Soleil naiffant , &
au .
AVRIL . 1730. 677
au- deffous la Terre , Sibi fulget & orbi.
2 Devife. Un Vaiffeau guidé par l'Etoile
Polaire , Refpice ; tuta via eft.
3. Un Lys au milieu d'un Parterre
dont il efface toutes les fleurs par fon
éclat & par fa hauteur , avec ces paroles
de Virgile , Unum illud praque omnibus
ипит.
4. Un Alcyon dans fon nid fur une
Mer tranquille , Illo nafcente quiefcunt.
se . Une Poule qui fe voit avec complaifance
, fuivie d'un jeune Coq & de
trois petites Poules , avec ces mots de
Virgile , Mea magna potentia folus.
6. Un Parterre de fleurs qui femblent
renaître à la naiffance du Soleil , Te nafcente
renafcimur omnes.
7. Un Soleil au milieu du Monde ;
qui éclaire les Planettes & la Terre , Quis
fulgor ab uno !
8. En l'honneur de M. le Cardinal de
Fleury. C'eft un Parterre femé de Rofes
& de Lys , Stant bene purpureis Lilia mixta
Rofis.
9. Pour M. l'Intendant. Un Vaiffeau
qui par fon heureuſe arrivée au Port , met
toute la Ville dans la joye , Venitfeliciter
urbi.
M. de Vannolle vint prendre poffeffion
de l'Intendance du Bourbonnois à la
Naiffance de Monfeigneur le Dauphin ,
La
678 MERCURE DE FRANCE
La 10. Un Cafque chargé de tous fes
ornemens , avec ces paroles de Virgile ,
Decus & Tutamen.
On a voulu exprimer par là que la Ville
de Moulins étant la Capitale du Bourbonnois
, d'où la Famille regnante a pris
fon nom , la Naiffance d'un Dauphin eft
pour cette Ville un ornement & un appui .
11. Un Dauphin portant fur fon dos
Arion , qui joue de fa Lyre , Quam dulcia
premia Cantus !
On a eu deffein de marquer par ·là que
les Ecoliers qui ont fait ces Devifes , font
affez récompenfez par l'honneur d'avoir
travaillé pour le Dauphin.
A la fortie de cette Harangue les Auditeurs
trouverent la Cour du College
toute illuminée , les Fenêtres & les portes
, tout brilloit d'une infinité de Lampions
; mais fur tout la grande porte faifoit
un effet furprenant. Depuis le rezde-
chauffée elle étoit environnée de filets
de lumieres qui formoient des Deffeins
d'Architecture & s'élevoient jufqu'à une
très-grande hauteur .
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Résumé : Fête sur le même sujet au College de Moulins, &c. [titre d'après la table]
Le 30 janvier dernier, le Collège de Moulins a célébré la naissance du Dauphin lors d'une fête remarquable pour son bon goût et son esprit. Cette célébration a eu lieu à l'occasion de la harangue du Père Du Parc, régent de Rhétorique, qu'il avait préparée depuis longtemps. La salle était magnifiquement ornée, éclairée par de beaux lustres et décorée des portraits de la famille royale. Des devises ingénieuses, en lien avec le sujet de la harangue, étaient également présentes. Des personnalités notables, dont M. de Vannolle, Intendant, et plusieurs abbés, étaient présentes. Deux recueils ont été distribués : l'un contenant des pièces de vers composées par les régents du Collège pour la naissance du Dauphin, et l'autre des explications des devises en vers, rédigées par les écoliers de Rhétorique avec l'aide du régent. La harangue, parfaitement prononcée, soulignait que le Dauphin ne pouvait naître dans des circonstances plus heureuses, ni pour lui-même ni pour la France. L'orateur a décrit les avantages du Dauphin, qui apprendrait à régner sous l'œil du roi son père, et les vertus de la reine. Il a également évoqué l'impatience et les vœux des peuples pour la naissance du Dauphin, ainsi que l'état florissant et pacifique du royaume. La harangue se divisait en deux parties : la première montrait les avantages pour le Dauphin et la France, et la seconde soulignait la consolation du roi et de la reine, la joie des peuples et l'affermissement de l'État. L'orateur a conclu par une récapitulation et un éloge de M. l'Intendant. Des devises symboliques, comme un soleil naissant ou un vaisseau guidé par l'étoile polaire, étaient présentes pour illustrer les thèmes de la harangue. À la fin de la harangue, la cour du Collège était illuminée, créant un effet surprenant avec des filets de lumières formant des dessins architecturaux.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 1773-1781
RÉPONSE à la Question proposée (dans le Mercure de Juin, page 1179.) Si la gloire des Orateurs est préferable à celle des Poëtes.
Début :
Il est assez dangereux de se déterminer sur cette Question ; on s'expose nécessairement [...]
Mots clefs :
Poésie, Poète, Éloquence, Orateur, Prose, Gloire, Homme, Mérite
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texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE à la Question proposée (dans le Mercure de Juin, page 1179.) Si la gloire des Orateurs est préferable à celle des Poëtes.
REPONSE à la Queſtion proposée
( dans le Mercute de Juin , page 1 179. )
Si la gloire des Orateurs eft préferable
celle des Poëtes.
I
Left affez dangereux de fe déterminer
fur cette Queſtion ; on s'expofe néceffairement
à déplaire aux uns ou aux autres
de ceux qui affectionnent l'un des deux
partis , jufqu'à fe piquer fouvent d'une
préference qui ne peut neanmoins rien
ôter à leur mérite ; en effet, qu'importe à
l'Orateur que le Poëte lui foit préferable ?
S'il y a plus de gloire à parler le langage
des Dieux que celui des hommes , tout
l'honneur en refte à l'une des Profeffions ,
qui eft plus excellente que l'autre ; mais
l'on ne doit rien imputer à celui qui
n'ayant ni moins d'efprit ni moins d'éloquence
, n'a cependant pas eu cet avantage
de naître favori d'Apollon . On doit
donc , fans crainte d'offenfer perfonne ,
difputer & enfin décider cette Queſtion
où il ne s'agit point de balancer le mérite
perfonnel de l'Orateur avec celui du Poëte
, mais feulement de fçavoir en general
en quel genre d'écrire ou de parler , foir
en Vers , foit en Profe , il eft plus glorieux
d'exceller.
>
Si
1774 MERCURE DE FRANCE
Si nous confiderons en premier lieu la
peine qu'il y a d'écrire & de compofer
le Poëte, fans difficulté , l'emporte fur l'Orateur
, il eſt aſtraint à fuivre des regles
très-étroites , la rime , la cadence & mille
autres loix tiennent fa raifon captive ; de
forte que dans les plus heureux efforts de
fon genie , il faut qu'il confulte toûjours
cette rime fatale , qu'il lui facrifie même
fouvent tout ce que fon efprit a pu produire
de plus jufte ou de plus brillant. Son travail
lui doit coûter d'autant plus que
toutes les expreffions doivent être moins
communes , & qu'il ne parle point comme
le refte des hommes : c'eft ce qui fait peutêtre
auffi qu'en general les Poëtes font
vains, & qu'ils s'imaginent qu'il y a autant
de diftance de leur condition à celle des
prophanes Mortels , qu'il y en a entre leur
façon de parler & celle des autres ; ce
qu'il y a de fûr , eft que du haut de leur
orgueil poëtique ils méprifent tous les
hommes , Odi prophanum vulgus . Ils ont
dans leur maniere de s'énoncer tant de
majefté & de grandeur , que la fuperftitieufe
Antiquité ne les a pas écoutés avec
moins de crainte que de refpect , & les
croyant infpirez , adoroit en quelque maniere
leurs productions divines ; n'y a-t-il
même beaucoup de gens aujourd'hui
qui entendent fineſſe en ces Vers de Virgile?
pas
Fam
AOUST. 1730. 1775
Jam redit & Virgo redeunt Saturnia Regna ,
Jam nova progenies Cælo demittitur alto ,
Tu mode nafcenti puero quo ferrea primum »
Definet ac toto furget gens aurea mundo ,
Cafta fave Lucina ; tuus jam regnat Apollo.
Il ne feroit pas incroyable, en effet, que
Dieu fe fut fervi de la bouche d'un Payen
pour annoncer au Monde la Naiffance
d'un Rédempteur , puifque nous voyons
dans les Saintes Ecritures , que les mauvais
comme les bons Prophetes , prédifoient
auffi certainement l'avenir.
Il eft donc certain , pour retourner à notre
fujet , qui ayant dans la Poëfie plus de
choix,plus de façon,& pour ainfi-dire plus
de miftere , il y a conféquemment plus
de travail. L'Orateur doit , à ce qu'il femble
, moins peiner dans fes compofitions ,
parle un langage ordinaire , plus fimple
& beaucoup moins recherché que celui
du Poëte. Cependant les habiles Connoiffeurs
tiennent qu'il ne faut pas moins de
feu, &, pour ainfi - dire , de ce divin entoufiafme
pour faire une belle Profe que pour
compofer les plus excellens Vers , & même
on a remarqué qu'une belle & élegante:
Profe frappe encore plus agréablement
Foreille que la plus belle Poëfic ; car elle a
auffi comme la Poëfie fes loix , fes regles ,
& fes mefures , elle doit être auffi , comme
1476 MERCURE DE FRANCE
me elle , nombreuſe , cadencée , périodi
que.
Cependant il ne faut pas obmettre une
Reflexion qui eft bien à l'avantage du
Poëte , c'eft que prefque tous ceux qui
excellent dans la Poëfie , écrivent bien en
Profe,quand il leurplaît; ainfi nous voyons
que la Profe de M. Defpreaux eft dans
fon genre auffi belle que fes Vers , ce qui
lui procura l'emploi d'écrire la Vie de
Louis XIV. par un choix qui devoit faire
un double honneur à la memoire de ce
grand Monarque , d'avoir pour Hiftorien
un Ectivain fi habile & un Poëte', qui
comme il le dit lui -même , ayant fait
profeffion de dire la verité à tout fon fiecle
, devoit en être moins fufpect de flatterie
envers la Pofterité.
On n'en peut pas dire autant des Orateurs
, qui ne font pas Poëtes , auffi facilement
que les Poëtes deviennent Orateurs.
Ciceron , ce prodige d'éloquence ', ayant
voulu s'évertuer un jour , ne put enfanter
que ce Vers qui ne mit pas les Rieurs de
fon côté.
O fortunatam natam me Confule Romam
On peut donc conclure delà qu'il eſt
plus difficile d'exceller dans la Poëfie , que
de faite une bonne Profe ; mais à ces raifons
on en pourroit ajoûter une beaucoup
plus
AOUST . 1730 1777
plus confiderable, qui eft que le merite du
Poëte eft d'autant plus fuperieur à celui
de l'Orateur , que la médiocrité dans la
Poëfie , comme dans la Muſique , n'eſt pas
fupportable , ce qu'on ne peut pas dire
des Orateurs , puifque ceux- là même qui
font d'un médiocre génie , ne laiffent pas
d'acquerir de la réputation ; au lieu qu'à
moins d'être excellent Poëte , il eft dangereux
de rimer ; enfin c'eft des Poëtes
qu'on pourroit dire avec le plus de raifon
aut Cefar , aut nihil.
Cependant fi on confidere la réputation
d'un Ciceron ou d'un Hortenfe chez les
Romains, d'un Démofthene , ou d'un Pericles
chez les Grecs , à la gloire d'un Vir
gile , d'un Horace, ou d'un Juvenal , d'un
Hefiode , ou d'un Homere , certainement
on ne trouvera pas que les premiers foient
en rien inferieurs aux autres .
Or fi l'eftime des hommes eft la jufte
mefure du mérite , pourquoi égaler la
gloire de l'Orateur , qui coute beaucoup
moins , à celle du Poëte , fi difficile à acquerir
? C'eſt , à dire le vrai , parce que
malgré toutes les refléxions que nous venons
de faire , la gloire de l'Orateur eft
préferable ; Ciceron gouverna la République
Romaine par fon éloquence , & la
préferva une fois de fa ruine. Démofthene
avec le même talent , déconcerta toute
la
1778 MERCURE DE FRANCE
prudence & toute la politique d'un grand
Roi , & regnoit par ce moyen dans fa Patrie
; car le veritable Empire eft celui qui
fe fait fentir fur les coeurs , du plus fecret
mouvement defquels l'Orateur fe rend
le maître Pericles s'étoit rendu fi puiffant
par la parole , qu'on avoit comparé
fon éloquence au foudre , tant ſes effets
étoient prompts & furprenans.
On a bien admiré les Poëtes dans tous
les temps , on a rendu juftice à leur talent
, mais jamais ont-ils eu la gloire de
fe rendre maîtres de la volonté des hommes
, de les gouverner & de les tourner
en quel fens il leur plaît ?
Virgile eut la gloire en entrant au Theatre
de voir les Affiftans fe lever par honneur
, de même que fi l'Empereur eut
paru ; mais cette diftinction toute flatteufe
qu'elle eft , n'a rien de comparable à la
gloire de gouverner des Etats , d'en difpofer
, d'égaler par la feule force de la
parole , la puiffance des plus grands Rois.
Que file prix & la valeur d'une chofe
fe mefure à la regle de l'utilité , il n'eft
point de Profeffion qui ne foit ou plus
utile , ou plus eftimable que l'art de faire
des Vers ; car outre qu'il y a peu d'exemples
que par le fecours de la Poëfie feule
on ait fait fortune , & que ceux qui la
cultivent fe foient procure feulement par
ce
AOUST. 1730. 1779
ce moyen les chofes neceffaires à la vie ,
on ne voit les Poëtes recherchez prefque
de perfonne , & ils ont raifon de fuir les
compagnies , de chercher la folitude dans
les Bois , dans les Campagnes & fur le
bord des Rivieres , ils préviennent en cela
le gout du Public , qui eft affez injufte
pour ne donner fon approbation & fon
eftime qu'à proportion de l'interêt qu'il
trouve & de l'utilité qui lui revient .
Des efprits chagrins trouveront encore
plus à redire qu'on s'amufe à faire des
Vers , c'est-à - dire , à affervir le bon fens à
la rime , comme fi on avoit de la raifon
de refte , & que des gens fages & fenfez
y perdent un temps qui eft fi précieux
& qu'ils pourroient employer ailleurs
beaucoup plus utilement ; en effet , la verfification
, qui n'eft qu'un arrangement
de mots qui frappent toujours l'oreille
d'un même fon , paroît plutôt un amuſement
d'enfant que l'ouvrage férieux d'un
homme raifonnable ; outre qu'il n'eft prefque
perfonne , qui après qu'on a lû une
longue tirade , même des plus beaux Vers,
n'éprouve qu'à la fin on s'ennuye d'un
ftile toujours fi uniforme , d'une cadence
toujours fi égale , & n'avoue que ce qui
avoit d'abord charmé par un faux éclat ,
devient à la fin fade & infipide.
M. Defpreaux avoit peut-être plus de
raifon
1780 MERCURE DE FRANCE
faifon qu'il ne penfoit l'orfqu'il a dit en
fe joüant :
Maudit foit le premier dont la verve inſenſée ,
Dans les bornes d'un Vers renferma ſa penſée. ”
Car fi on peut s'exprimer en Profe plus
naturellement & avec autant de force. A
quoi bon rechercher les phrafes mifterieufes
& alambiquées , que le vulgaire n'entend
qu'à demi , & dont les loix feveres
affoibliffent prefque toujours les penfées
les plus folides , fi elles ne les perdent
abfolument ?
A parler franchement , la Poëfie n'eft
bonne qu'à un feul ufage , & auquel elle
doit fa naiffance , fi on en croit les anciens,
c'eft qu'elle fe retient plus aifément & fe
conferve plus long-temps dans la memoire
; car comme avant l'invention des
Lettres , l'Hiftoire des temps & des éve
nemens & en general toutes fortes de
connoiffances devoient être renfermées
dans la memoire des hommes , la Naif
fance du Monde , l'Hiftoire , la Religion
même , tout fut mis en Vers , qu'on faifoit
apprendre par coeur aux enfans , & dont
ils fe reffouvenoient plus facilement què
de la Profe , pour en tranfmettre le fouvenir
à la pofterité ; mais aujourd'hui
qu'on a non feulement l'ufage des Lettres,
mais encore celui de l'Imprimerie , la Poëfie
AOUST . 1730. 1781
fie n'a pas même confervé fur la Profe
le foible avantage dont elle n'étoit redevable
qu'à l'ignorance des hommes & à
la neceflité des temps .
Ces differentes confiderations fuffiroient
feules pour fe déterminer en faveur des
Orateurs contre les Poëtes ; mais ce qui
leve, entierement toute la difficulté de
cette Queſtion , à ne laiffer plus aucun ſujet
de douter , c'eft qu'il ne fuffit pas pour l'Orateur
de bien écrire & d'exceller dans la
compofition , il lui eft néceffaire de plus
d'avoir le talent de la parole , une heureufe
memoire , un agréable maintien
une prononciation nette, une voix fonore,
un bon gefte , qui font autant de qualitez
dont le Poëte fe paffe aifément : d'où
l'on doit conclure que la gloire de l'Orateur
eft préferable , puifqu'elle demande
l'affemblage d'un plus grand nombre
de belles qualitez.
Par M. M ... D ... de Besançon,
( dans le Mercute de Juin , page 1 179. )
Si la gloire des Orateurs eft préferable
celle des Poëtes.
I
Left affez dangereux de fe déterminer
fur cette Queſtion ; on s'expofe néceffairement
à déplaire aux uns ou aux autres
de ceux qui affectionnent l'un des deux
partis , jufqu'à fe piquer fouvent d'une
préference qui ne peut neanmoins rien
ôter à leur mérite ; en effet, qu'importe à
l'Orateur que le Poëte lui foit préferable ?
S'il y a plus de gloire à parler le langage
des Dieux que celui des hommes , tout
l'honneur en refte à l'une des Profeffions ,
qui eft plus excellente que l'autre ; mais
l'on ne doit rien imputer à celui qui
n'ayant ni moins d'efprit ni moins d'éloquence
, n'a cependant pas eu cet avantage
de naître favori d'Apollon . On doit
donc , fans crainte d'offenfer perfonne ,
difputer & enfin décider cette Queſtion
où il ne s'agit point de balancer le mérite
perfonnel de l'Orateur avec celui du Poëte
, mais feulement de fçavoir en general
en quel genre d'écrire ou de parler , foir
en Vers , foit en Profe , il eft plus glorieux
d'exceller.
>
Si
1774 MERCURE DE FRANCE
Si nous confiderons en premier lieu la
peine qu'il y a d'écrire & de compofer
le Poëte, fans difficulté , l'emporte fur l'Orateur
, il eſt aſtraint à fuivre des regles
très-étroites , la rime , la cadence & mille
autres loix tiennent fa raifon captive ; de
forte que dans les plus heureux efforts de
fon genie , il faut qu'il confulte toûjours
cette rime fatale , qu'il lui facrifie même
fouvent tout ce que fon efprit a pu produire
de plus jufte ou de plus brillant. Son travail
lui doit coûter d'autant plus que
toutes les expreffions doivent être moins
communes , & qu'il ne parle point comme
le refte des hommes : c'eft ce qui fait peutêtre
auffi qu'en general les Poëtes font
vains, & qu'ils s'imaginent qu'il y a autant
de diftance de leur condition à celle des
prophanes Mortels , qu'il y en a entre leur
façon de parler & celle des autres ; ce
qu'il y a de fûr , eft que du haut de leur
orgueil poëtique ils méprifent tous les
hommes , Odi prophanum vulgus . Ils ont
dans leur maniere de s'énoncer tant de
majefté & de grandeur , que la fuperftitieufe
Antiquité ne les a pas écoutés avec
moins de crainte que de refpect , & les
croyant infpirez , adoroit en quelque maniere
leurs productions divines ; n'y a-t-il
même beaucoup de gens aujourd'hui
qui entendent fineſſe en ces Vers de Virgile?
pas
Fam
AOUST. 1730. 1775
Jam redit & Virgo redeunt Saturnia Regna ,
Jam nova progenies Cælo demittitur alto ,
Tu mode nafcenti puero quo ferrea primum »
Definet ac toto furget gens aurea mundo ,
Cafta fave Lucina ; tuus jam regnat Apollo.
Il ne feroit pas incroyable, en effet, que
Dieu fe fut fervi de la bouche d'un Payen
pour annoncer au Monde la Naiffance
d'un Rédempteur , puifque nous voyons
dans les Saintes Ecritures , que les mauvais
comme les bons Prophetes , prédifoient
auffi certainement l'avenir.
Il eft donc certain , pour retourner à notre
fujet , qui ayant dans la Poëfie plus de
choix,plus de façon,& pour ainfi-dire plus
de miftere , il y a conféquemment plus
de travail. L'Orateur doit , à ce qu'il femble
, moins peiner dans fes compofitions ,
parle un langage ordinaire , plus fimple
& beaucoup moins recherché que celui
du Poëte. Cependant les habiles Connoiffeurs
tiennent qu'il ne faut pas moins de
feu, &, pour ainfi - dire , de ce divin entoufiafme
pour faire une belle Profe que pour
compofer les plus excellens Vers , & même
on a remarqué qu'une belle & élegante:
Profe frappe encore plus agréablement
Foreille que la plus belle Poëfic ; car elle a
auffi comme la Poëfie fes loix , fes regles ,
& fes mefures , elle doit être auffi , comme
1476 MERCURE DE FRANCE
me elle , nombreuſe , cadencée , périodi
que.
Cependant il ne faut pas obmettre une
Reflexion qui eft bien à l'avantage du
Poëte , c'eft que prefque tous ceux qui
excellent dans la Poëfie , écrivent bien en
Profe,quand il leurplaît; ainfi nous voyons
que la Profe de M. Defpreaux eft dans
fon genre auffi belle que fes Vers , ce qui
lui procura l'emploi d'écrire la Vie de
Louis XIV. par un choix qui devoit faire
un double honneur à la memoire de ce
grand Monarque , d'avoir pour Hiftorien
un Ectivain fi habile & un Poëte', qui
comme il le dit lui -même , ayant fait
profeffion de dire la verité à tout fon fiecle
, devoit en être moins fufpect de flatterie
envers la Pofterité.
On n'en peut pas dire autant des Orateurs
, qui ne font pas Poëtes , auffi facilement
que les Poëtes deviennent Orateurs.
Ciceron , ce prodige d'éloquence ', ayant
voulu s'évertuer un jour , ne put enfanter
que ce Vers qui ne mit pas les Rieurs de
fon côté.
O fortunatam natam me Confule Romam
On peut donc conclure delà qu'il eſt
plus difficile d'exceller dans la Poëfie , que
de faite une bonne Profe ; mais à ces raifons
on en pourroit ajoûter une beaucoup
plus
AOUST . 1730 1777
plus confiderable, qui eft que le merite du
Poëte eft d'autant plus fuperieur à celui
de l'Orateur , que la médiocrité dans la
Poëfie , comme dans la Muſique , n'eſt pas
fupportable , ce qu'on ne peut pas dire
des Orateurs , puifque ceux- là même qui
font d'un médiocre génie , ne laiffent pas
d'acquerir de la réputation ; au lieu qu'à
moins d'être excellent Poëte , il eft dangereux
de rimer ; enfin c'eft des Poëtes
qu'on pourroit dire avec le plus de raifon
aut Cefar , aut nihil.
Cependant fi on confidere la réputation
d'un Ciceron ou d'un Hortenfe chez les
Romains, d'un Démofthene , ou d'un Pericles
chez les Grecs , à la gloire d'un Vir
gile , d'un Horace, ou d'un Juvenal , d'un
Hefiode , ou d'un Homere , certainement
on ne trouvera pas que les premiers foient
en rien inferieurs aux autres .
Or fi l'eftime des hommes eft la jufte
mefure du mérite , pourquoi égaler la
gloire de l'Orateur , qui coute beaucoup
moins , à celle du Poëte , fi difficile à acquerir
? C'eſt , à dire le vrai , parce que
malgré toutes les refléxions que nous venons
de faire , la gloire de l'Orateur eft
préferable ; Ciceron gouverna la République
Romaine par fon éloquence , & la
préferva une fois de fa ruine. Démofthene
avec le même talent , déconcerta toute
la
1778 MERCURE DE FRANCE
prudence & toute la politique d'un grand
Roi , & regnoit par ce moyen dans fa Patrie
; car le veritable Empire eft celui qui
fe fait fentir fur les coeurs , du plus fecret
mouvement defquels l'Orateur fe rend
le maître Pericles s'étoit rendu fi puiffant
par la parole , qu'on avoit comparé
fon éloquence au foudre , tant ſes effets
étoient prompts & furprenans.
On a bien admiré les Poëtes dans tous
les temps , on a rendu juftice à leur talent
, mais jamais ont-ils eu la gloire de
fe rendre maîtres de la volonté des hommes
, de les gouverner & de les tourner
en quel fens il leur plaît ?
Virgile eut la gloire en entrant au Theatre
de voir les Affiftans fe lever par honneur
, de même que fi l'Empereur eut
paru ; mais cette diftinction toute flatteufe
qu'elle eft , n'a rien de comparable à la
gloire de gouverner des Etats , d'en difpofer
, d'égaler par la feule force de la
parole , la puiffance des plus grands Rois.
Que file prix & la valeur d'une chofe
fe mefure à la regle de l'utilité , il n'eft
point de Profeffion qui ne foit ou plus
utile , ou plus eftimable que l'art de faire
des Vers ; car outre qu'il y a peu d'exemples
que par le fecours de la Poëfie feule
on ait fait fortune , & que ceux qui la
cultivent fe foient procure feulement par
ce
AOUST. 1730. 1779
ce moyen les chofes neceffaires à la vie ,
on ne voit les Poëtes recherchez prefque
de perfonne , & ils ont raifon de fuir les
compagnies , de chercher la folitude dans
les Bois , dans les Campagnes & fur le
bord des Rivieres , ils préviennent en cela
le gout du Public , qui eft affez injufte
pour ne donner fon approbation & fon
eftime qu'à proportion de l'interêt qu'il
trouve & de l'utilité qui lui revient .
Des efprits chagrins trouveront encore
plus à redire qu'on s'amufe à faire des
Vers , c'est-à - dire , à affervir le bon fens à
la rime , comme fi on avoit de la raifon
de refte , & que des gens fages & fenfez
y perdent un temps qui eft fi précieux
& qu'ils pourroient employer ailleurs
beaucoup plus utilement ; en effet , la verfification
, qui n'eft qu'un arrangement
de mots qui frappent toujours l'oreille
d'un même fon , paroît plutôt un amuſement
d'enfant que l'ouvrage férieux d'un
homme raifonnable ; outre qu'il n'eft prefque
perfonne , qui après qu'on a lû une
longue tirade , même des plus beaux Vers,
n'éprouve qu'à la fin on s'ennuye d'un
ftile toujours fi uniforme , d'une cadence
toujours fi égale , & n'avoue que ce qui
avoit d'abord charmé par un faux éclat ,
devient à la fin fade & infipide.
M. Defpreaux avoit peut-être plus de
raifon
1780 MERCURE DE FRANCE
faifon qu'il ne penfoit l'orfqu'il a dit en
fe joüant :
Maudit foit le premier dont la verve inſenſée ,
Dans les bornes d'un Vers renferma ſa penſée. ”
Car fi on peut s'exprimer en Profe plus
naturellement & avec autant de force. A
quoi bon rechercher les phrafes mifterieufes
& alambiquées , que le vulgaire n'entend
qu'à demi , & dont les loix feveres
affoibliffent prefque toujours les penfées
les plus folides , fi elles ne les perdent
abfolument ?
A parler franchement , la Poëfie n'eft
bonne qu'à un feul ufage , & auquel elle
doit fa naiffance , fi on en croit les anciens,
c'eft qu'elle fe retient plus aifément & fe
conferve plus long-temps dans la memoire
; car comme avant l'invention des
Lettres , l'Hiftoire des temps & des éve
nemens & en general toutes fortes de
connoiffances devoient être renfermées
dans la memoire des hommes , la Naif
fance du Monde , l'Hiftoire , la Religion
même , tout fut mis en Vers , qu'on faifoit
apprendre par coeur aux enfans , & dont
ils fe reffouvenoient plus facilement què
de la Profe , pour en tranfmettre le fouvenir
à la pofterité ; mais aujourd'hui
qu'on a non feulement l'ufage des Lettres,
mais encore celui de l'Imprimerie , la Poëfie
AOUST . 1730. 1781
fie n'a pas même confervé fur la Profe
le foible avantage dont elle n'étoit redevable
qu'à l'ignorance des hommes & à
la neceflité des temps .
Ces differentes confiderations fuffiroient
feules pour fe déterminer en faveur des
Orateurs contre les Poëtes ; mais ce qui
leve, entierement toute la difficulté de
cette Queſtion , à ne laiffer plus aucun ſujet
de douter , c'eft qu'il ne fuffit pas pour l'Orateur
de bien écrire & d'exceller dans la
compofition , il lui eft néceffaire de plus
d'avoir le talent de la parole , une heureufe
memoire , un agréable maintien
une prononciation nette, une voix fonore,
un bon gefte , qui font autant de qualitez
dont le Poëte fe paffe aifément : d'où
l'on doit conclure que la gloire de l'Orateur
eft préferable , puifqu'elle demande
l'affemblage d'un plus grand nombre
de belles qualitez.
Par M. M ... D ... de Besançon,
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Résumé : RÉPONSE à la Question proposée (dans le Mercure de Juin, page 1179.) Si la gloire des Orateurs est préferable à celle des Poëtes.
Le texte traite de la supériorité de la gloire des orateurs par rapport à celle des poètes. L'auteur commence par souligner les risques de prendre parti dans cette controverse, car cela peut déplaire à l'un ou l'autre camp. Il précise que la question ne porte pas sur la comparaison des mérites personnels, mais sur la gloire associée à chaque profession. L'auteur examine ensuite les efforts nécessaires pour écrire des poèmes et des discours. Les poètes doivent suivre des règles strictes comme la rime et la cadence, ce qui peut limiter leur expression. Les orateurs, en revanche, utilisent un langage plus simple et ordinaire, mais nécessitent également un grand talent et une élocution parfaite. Le texte mentionne que les poètes, comme Boileau, peuvent également exceller dans la prose, mais que les orateurs ne deviennent pas aussi facilement poètes. Cependant, la réputation des grands orateurs comme Cicéron ou Démosthène est comparable à celle des grands poètes comme Virgile ou Homère. L'auteur conclut que la gloire des orateurs est préférable, car ils peuvent gouverner et influencer les hommes par leur éloquence. Les poètes, bien qu'admirés, n'ont pas cette capacité de diriger ou de gouverner. De plus, la poésie est souvent perçue comme un amusement et non comme une activité sérieuse. Enfin, l'orateur doit posséder un ensemble de qualités supplémentaires, comme une bonne mémoire et une prononciation claire, ce qui renforce la préférence pour la gloire des orateurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 2382-2398
LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
Début :
Lorsque vous m'avez fait l'honneur, Monsieur, de me proposer la question [...]
Mots clefs :
Poètes, Poésie, Orateur, Éloquence, Discours, Homère, Expression, Force, Vérité, Racine, Homme, Esprit, Âme, Discours
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
LETTRE fur la gloire des Orateurs
& des Poëtes.
Lorfque vous m'avez fait l'honneur
Monfieur , de me propofer la queftion
, fçavoir : Si la gloire des Orateurs eft
preferable à celle des Poëtes , je l'avois déja
lue dans le Mercure du mois du Juin
premier Volume. Il eft certain que ceux
qui excellent dans des fujets difficiles , &
en même-tems très utiles , & très agréa
bles , acquierent plus de gloire & d'honneur
que ceux qui excellent dans des fujets
qui le font beaucoup moins. Pour ju
ger plus fainement de la queſtion dont il
s'agit , il fuffit d'examiner deux chofes ;
la
NOVEMBRE . 1730. 2383
la premiere
quel eft celui de ces deux
genres du Difcours ou de la Poëfie qui
demande plus de talens
pour y exceller
& la feconde : quel eft le plus utile & le
plus agréable.
*
a Les Poëtes comme les Orateurs fe
propofent
d'inftruire
& de plaire , tous leurs efforts tendent à cette même fin
mais ils y arrivent les uns & les autres
par des voyes bien differentes . b L'inven
tion , la difpofition
, l'élocution
, la mémoire
& la prononciation
font tout le mérite des Orateurs. La Poëfie eft affujetie
à un bien plus grand nombre de regles.
Le Poëte Epique doit d'abord former
un plan ingénieux
de toute la fuite
de fon action , en tranfportant
dès l'entrée
fon Lecteur au milieu , ou prefque à la fin
du fujet , en lui laiffant croire qu'il n'a
plus qu'un pas à faire pour voir la conclufion
de l'action , en faifant naître enfuite
mille obftacles qui la reculent , &
qui irritent les defirs du Lecteur , en lui
rappellant
les évenemens
qui ont précedé
,
, par des récits placés avec bienfeance,
en les amenant enfin avec des liaiſons &
à Cic. de Oratore.
b Quintil.
* Arift. Poët.
Horat. Art. Poët.
-
Defpr. Art. Poës.
Cüiti des
2384 MERCURE DE FRANCE
des préparations qui reveillent fa curiofité
, qui l'intereffent de plus en plus ,
qui l'entretiennent dans une douce inquiétude
, & le menent de ſurpriſe en
furprife jufqu'au dénouement ; récits cu
rieux , expreffions vives & furprenantes ,
defcriptions riches & agréables , compa
raifons nobles , difcours touchans , incidens
nouveaux , rencontres inopinées ,
paffions bien peintes ; joignez à cela une
ingénieufe diftribution de toutes ces parties
, avec une verfification harmonieuſe ,
pure & variée ; voilà des beautés prefque
toutes inconnuës à l'Orateur . * Ciceron
lui - même , d'ailleurs fi rempli d'eſtime
pour l'Eloquence , ne peut pas s'empêcher
de mettre la Poëfie beaucoup au- deffus
de la Profe : elle eft , dit- il , un enthoufiafme
un tranfport divin qui éleve
P'homme au- deffus de lui-même ; les vers
que nous avons de lui , quoique mauvais
, nous font bien voir le cas qu'il
faifoit de la Poëfie , il fit auffi tout ce qu'il
pût pour y réuffir ; mais tout grand Órateur
qu'il étoit, il n'avoit pas affez d'imagination
, & il manquoit des autres talens
neceffaires pour devenir un bon
Poëte.
,
Il faut affurément de grands talens
* De Orati
pour
NOVEMBRE . 1730. •
238 5
pour faire un bon Orateur , de la fécondité
dans l'invention , de la nobleffe dans
les idées & dans les fentimens , de l'ima
gination , de la magnificence & de la hardieffe
dans les expreffions . Les mêmes talens
font neceffaires à la Poëfie ; mais il
faut les poffeder dans un degré bien plus.
parfait pour y réuffir ; elle cherche les
penfées & les expreffions les plus nobles,
elle accumule les figures les plus hardies,
elle multiplie les comparaifons & les
images les plus vives , elle parcourt la
nature , & en épuife les richeffes pour
peindre ce qu'elle fent , elle ſe plaît à im→
primer à fes paroles le nombre , la mefu
re & la cadence ; la Poëfie doit être élevée
& foutenue par tout ce qu'on peut imaginer
de plus vif & de plus ingenieux ; en
un mot , elle change tout , mais elle le
change en beau:
* Là pour nous enchanter tout eft mis en
usage ;
Tout prend un corps , une ame , un eſprit , un
viſage ;
·Chaque vertu devient une Divinité ;
Minerve eft la prudence , & Venus la beauté,
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerres
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre .
Un orage terrible aux yeux des Matelois
* Defer. Art. Poët. Chant 111.
(
C v C'efe
2386 MERCURE DE FRANCE
Ceft Neptune en couroux qui gourmande les
flots.
Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentiffe,
C'est une Nymphe en pleurs qui fe plaint de
Narciffe.
'Ainfi dans cet amas de nobles fictions
Le Poëte s'égaye en mille inventions ,
Orne , éleve , embellit , agrandit toutes chofes,
Et trouve fous fa main des fleurs toujours éclo
Jes
La Profe n'oblige pas à tant de frais ,
& ne prépare pas à tant de chofes ; au
contraire il faut que l'imagination regne
dans les Vers , & s'ils ne font rehauffés
par quelque penfées fublimes , ou fines &
délicates , ils font froids & languiffans ; la
Poëfie ne fouffre rien de médiocre : ainfi
ce n'eſt pas fans raison que l'on a comparé
les Poëtes aux Cavaliers à caufe du feu &
de la rapidité qui animent la Poëſie , &
les Orateurs aux Fantaffins qui marchent
plus tranquilement & avec moins de bruit.
D'ailleurs la Poëfie s'exerce fur toutes
fortes de genres , le badin , le férieux , le
comique le tragique , l'héroïque. Le
foin des troupeaux , les beautés de la nature
& les plaifirs ruftiques en font fouvent
les plus nobles fujets. Enfin Moïſe
Ifaïe , David ne trouverent que la Poëfie
digne de chanter les louanges du Créa-
,
teur
NOVEMBRE . 1730. 2387
teur , de relever fes divins attributs & de
celebrer fes bienfaits ; les Dieux de la Fa
ble , les Héros , les fondateurs des Villes
& les liberateurs de la Patrie auroient
dédaigné tout autre langage ; la Poëfic
feule étoit capable de celebrer leur gloire
& leurs exploits. * Auffi ne fe fervoit- on
anciennement que de la Poëfie : tout jufqu'à
l'hipire même étoit écrit en Vers ,
& l'on ne commença que fort tard à employer
la Profe . La Nature comme épuifée
ne pouvant plus foutenir le langage
fublime de la Poëfie , fut obligée d'avoir
recours à un Difcours moins cadencé &
moins difficile.
Tous les bons connoiffeurs , entr'autres
le P. Bouhours , le P. Rapin , le P. Le
Boffu & M. Daubignac conviennent que
le Poëme Epique eft le chef- d'oeuvre de
l'efprit humain. Avons - nous quelque
harrangue où il y ait tant de fublime ,
d'élevation & de jugement que dans
P'Iliade ou l'Eneide. L'Eloquence ellemême
n'est jamais employée avec plus
d'éclat & plus de fuccès que lors qu'elle
eft foutenue par la Poëffe. Y a - t'il en
effet quelque genre d'Eloquence dont les
Poëmes d'Homere ne fourniffent des mo
deles parfaits ? c'eft chez lui que les Ora-
* Plutarq
C vj teurs
2388 MERCURE DE FRANCE
teurs ont puifé les regles & les beautés
de leur art , ce n'eft qu'en l'imitant qu'ils
ont acquis de la gloire . Pour fe convaincre
de cette verité il fuffit de jetter les
yeux fur quelques unes de fes Harangues
, & l'on conviendra fans peine qu'elles
font au- deffus des plus belles de Ciceron
& de Demofthenes auffi bien que des Modernes.
Les Harangues d'Uliffe de Phenix
& d'Ajax qui furent députés par
l'Armée des Grecs vers Achile pour l'engager
à reprendre les armes , font de ce
genre. Il faut voir a l'art admirable avec
lequel Homere fait parler le Prince d'Ithaque
: il paroît d'abord embaraffé & timide
, les yeux fixes & baiffés , fans geſte
& fans mouvement , ayant affaire à un
homme difficile & intraitable , il employe
des manieres infinuantes , douces & touchantes
; mais quand il s'eft animé ce n'eſt
plus le même homme , & femblable à un
torrent qui tombe avec impétuofité du
haut d'un rocher , il entraîne tous les efprits
par la force de fon éloquence. Les
deux autres ne parlent pas avec moins
d'art moins de force & d'adreffe , & il
eft remarquable que chaque perfonage
parle toujours felon fon caractere , ce qui¹
fait une des principales beautés du Poëa
Il. III. 2. 16. 224
me
NOVEMBRE . 1730 : 238 g*
me Epique. Rien n'eft plus éloquent que
le petit Difcours d'Antiloque à Achile ,
par lequel il lui apprend la mort de Pa
trocle . L'endroit a où Hector prêt d'aller
au combat, fait ſes adieux à Andromaque
& embraffe Aftianax , eft un des plus
beaux & des plus touchans. M. Racine
en a imité une partie dans l'endroit où
Andromaque parle ainfi à ſa confidente :
bab ! de quel fouvenir viens- tu frapper mon
ame !
Quoi ! Cephife , j'irai voir expirer encor
Ce fils , ma feule joye , & l'image d'Hector ?
Ce fils que de fa flamme il me laiſſa pourgage?
Helas je m'en fonviens , le jour que son courage
Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas ,
Il demanda fon fils , & le prit dans fes bras :
Chere Epouse ( dit- il , en effuyant mes larmes )
J'ignore quelfuccès lè fort garde à mes armes ,
Je te laiffe mon fils , pour gage de ma fòi ;
S'il me perdje prétends qu'il me retrouve en
toi;
Si d'un heureux hymen la mémoire t'eſt chere
Montre au fils à quel point tu chériffois le
pere.
Le Difcours de Priam à Achille
a Il VI. 390. 494 •
b Androm . Act. 117. Scen. VIII.
, par
lequel
2390 MERCURE DE FRANCE
lequel il lui demande le corps de fon fils
Hector , renferme encore des beautés admirables.
Pour les bien fentir il faut fe
rappeller le caractere d'Achille , brufque,
violent & intraitable ; mais il étoit fils
& avoit un pere , & c'eft par où Priam
commence & finit fon difcours . Etant entré
dans la tente d'Achille , il ſe jette à
fes genoux , lui baife la main ; Achille
eft fort furpris d'un fpectacle fi imprévu ,
tous ceux qui l'environnent font dans le
même étonnement & gardent un profond
filence . Alors Priam prenant la parole :
Divin Achille , dit-il , fouvenez - vous
que vous avez un pere avancé en âge comme
moi , & peut- être de même accablé de
maux , fans fecours & fans appui ; mais il
fait que vous vivez , & la douce efperance
de revoir bientôt un fils tendrement aimé le
foutient & le confole : & moi le plus infortuné
des peres de cette troupe nombreufe d'enfans
dont j'étois environné , je n'en ai confervé
aucun : j'en avois cinquante quand les
Grecs aborderent fur ce rivage , le cruel Mars
me les aprefque tous ravis : l'unique qui me
reftoit , feule reffource de ma famille & de
Troye , mon cher Hector , vient d'expirer
fous votre bras vainqueur en deffendant genereuſementfa
Patrie. Je viens ici chargé de
* II. XXIV. 48ĥ
préfens
4
NOVEMBRE. 1730. 239T
prefens pour racheter fon corps : Achille
Taiffez- vous fléchir par le fouvenir de votre
pere , par le refpect que vous devez aux
Dieux , par la vie de mes cruels malheurs
Fut-il jamais un pere plus à plaindre que
moi qui fuis obligé de baifer une main bomicide
, encore fumante du fang de mes enfans.
par
C'eſt la nature même qui s'exprime
la bouche de ce venerable Vieillard
& quelque impitoyable que fut Achille ,
Il ne pût refifter à un Difcours fi touchant,
le doux nom de pere lui arracha des lar
mes. Il eft aifé de comprendre que la Profe
fait perdre à ce Difcours une partie de fa
beauté , il a bien plus de grace & de force
revêtu de tout l'éclat des expreffions
Poëtiques. Il y a dans Homere une infinité
d'autres endroits , peut- être encore
plus beaux ; mais il faut fe borner.
L'éloquence de la Chaire & du Barreau
font affurément d'une grande utilité,
& il faut convenir qu'on a bien de l'obligation
à ceux qui veulent bien y em-
.ployer leurs talens. Mais après tout tous
nos Orateurs enfemble ne fourniroient
pas un endroit qui exprimât avec tant,
d'éclat , de nobleffe & d'élevation la gran
deur & la puiffance du fouverain Maître
de l'Univers que ces Vers de Racine.
Que
2392 MERCURE DE FRANCE
a Que peuvent contre lui tous les Rois de la
terre i
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre,
Pour diffiper leur ligue il n'a qu'à ſe montrer ;
Il parle , dans la poudre il les fait tous renfrer.
Au feul fon de fa voix la mer fuit , le Ciel
tremble ;
Il voit comme un néant tout l'Univers enfemble
,
Et les foibles Mortels , vains jouets du trépas ,
Sont tous devant fes yeux comme s'ils n'étoienz
pas.
Que de grandeur ! que de nobleffe !
qui ne fent que les mêmes penfées tournées
en Profe par une habile main perdroient
toute leur grace & toute leur force.
Voici un endroit dans le même goût,
tiré d'un de nos plus celebres Orateurs.
O Dieu terrible , mais jufte dans vos confeils
fur les enfans des hommes , vous difpofez
& des Vainqueurs & des Victoires pour
accomplir vos volontés & faire craindre vos
jugemens votre puiſſance renverse ceux que
votre puissance avoit élevés : vous immolez
à votre fouveraine grandeur de grandes victimes
, & vous frappez quand il vous plaît
ces têtes illuftres que vous avez tant de fois
couronnées..
a Efther Att. II. Scen. K
Cee
NOVEMBRE. 1730. 2393
Cet endroit , quoique grand , eft bien
au-deffous des Vers de Racine , c'eſt cependant
un des plus grands efforts de
l'éloquence de M. Flechier, a Cet autre
trait du même Poëte , quoiqu'en un feul
Vers , n'eſt pas moins inimitable à l'Orateur.
b Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point
d'autre crainte.
Pour prouver fans réplique combien
la Poëfie prête à PEloquence , que l'on
mette en Profe les morceaux les plus éloquens
des Poëtes , qu'on les revête de
toutes les expreffions les plus brillantes ;
& l'on jugera aifément combien ils per
dent dans ce changement. Je pourrois
en donner des exemples d'Homere , de
Sophocle & des autres Poëtes , & citer
tous nos Traducteurs ; mais je renvoye
au feul récit de Theramene dans la Tragédie
de Phedre de Racine , & je prie les
partifans de l'éloquence de la Profe de le
rendre fans l'harmonie des Vers auffi touchant
, auffi vif , j'ajoûte même auffi effrayant
qu'il l'eft dans ce Poëte. Qu'un
habile Poëte, au contraire , prenne les endroits
les plus éloquens & les plus pathe
a Oraif. Funebre de M. de Turr.
b Athalie , A &t . 1. Scen. X.
tiques
2394 MERCURE DE FRANCE
tiques de Demofthenes & de Ciceron
qu'il les pare de tous les ornemens de ce
même recit de Theramene , & l'on juge
ra alors combien ils y auront gagné.
Y a t'il quelque chofe qui foit fi propre
à infpirer des fentimens nobles & genereux
fur la Religion que ce que Cor
neille fait dire à Polieucte ; les mêmes Y
chofes en Profe feroient belles, fans doute,
mais bien plus froides & plus languiffantes.
Quelle eft la Harangue qui renferme
une plus belle morale que celle que
Rouffeau a inferée dans fon Ode fur la
Fortune ? trouve- t'on quelque part la ve
tité accompagnée de tant d'agrémens &
de tant de force.
Fortune dont la main couronné
Les forfaits les plus inoùis ,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis ;
Jufques à quand , trompeuſe Idole
D'un culte honteux & frivole
Honorerons- nous tes Autels ?
Verra t'on toujours tes caprices
Confacrés par les facrifices ,
Et par l'hommage des mortels . &c.
Toute la fuite de cette Ode renfermé
une infinité de traits admirables ; je pourois
NOVEMBRE. 1730. 2395
rois ajoûter encore les Odes facrées du
même Auteur qui font bien au - deffus de
celle ci , les Pleaumes de Madame Des
Houllieres , ceux de Malherbe &c . où l'on
trouve des traits que l'éloquence la plus
vive ne sçauroit imiter. Mais fi on vouloit
rapporter tout ce qu'il y a de plus
beau tant en Vers qu'en Proſe , on ne finiroit
point.
On s'ennuye du moins en beaucoup
d'endroits d'un beau Sermon qui contient
les mêmes penſées fur les mêmes fujets
, qui annonce les mêmes verités
qu'une Piece de Poëfie , les vers nous y
rendent beaucoup plus fenfibles , on eſt
plus
plus touché , on entre plus dans toutes
les paffions du Poëte , on s'efforce de la
fuivre , on ſe plaît à fes expreffions , on
aime fes penfées qu'on tâche de retenir ,
on fe fait même un plaifir & un honneur
de les reciter. L'éloquence férieuſe de
F'Orateur fait bien moins d'impreffion
que ces peintures vives & naturelles
du vice que
le Poëte fçait rendre fi méprifable
, & ce n'eft
fans raifon que
Rouffeau a dit que
pas
Des fictions la vive liberté
Peint fouvent mieux l'austere verité
Que neferoit la froideur Monacale
D'une lugubre & pefante morale.
En
2396 MERCURE DE FRANCË
cette
En effet , rien ne touche le coeur de
l'homme , rien n'eft capable de lui faire
impreffion que ce qui lui plaît ; la Poëfie
nous montre la verité avec un viſage
doux & riant , par là elle l'infinue adroitement
entraînés par le plaifir , nous
entrons infenfiblement dans les fentimens
du Poëte , dans fes maximes ; nous prenons
de lui cette nobleffe , cette grandeur
d'ame , ce défintereffement
haine de l'injuftice & cet amour de la
vertu qui éclatent de toutes parts dans
fes Vers. La verité , au contraire , dite
par un Orateur , nous paroît bien plus
fevere , elle n'eft pas accompagnée de ces
graces , de ces ornemens , enfin de toutes
čes beautés qui la rendent aimable , l'efprit
fe ferme à fa voix , & fi quelquefois
on l'écoute , ce n'eft que par un grand
effort de la raifon. Quelqu'un dira peutêtre
que l'éloquence oratoire eft plus utile
à l'Orateur pour fa fortune , & on aura
raifon de dire comme Bachaumont :
a Non non , les doctes damoiselles
N'eurent jamais un bon morceau
Et ces vieilles fempiternelles
Ne burent jamais que de l'eau.
Les Poëtes ont toujours été bien éloia
Voyage de Bach. & de la Chapelle.
gnés
NOVEMBRE. 1730. 2397
grés de cette avidité qui fait dire à tant
de
gens
•
Quærenda pecunia primùm eft
Virtus poft nummos.
Je ne doute point que les gens d'efprit
& de bon goût , les Heros & fur tout le
beau fexe, à qui la Poëfie a fait tant d'honneur
, & dont elle a fi fouvent relevé la
beauté & le mérite , ne préferent la gloire
des Poëtes à celle des Orateurs , &
quand je n'aurois que leur fuffrage j'aurois
toujours celui de la plus brillante
partie du monde . Au refte , on peut encore
juger de la gloire des Poëtes par l'eftime
& la veneration qu'ont eûs pour eux
de tout tems les hommes les plus illuftres
& les plus grands Princes. b Ptolomée
Philopator fit élever un Temple à Homere
; il l'y plaça fur un Trône , & fit repréfenter
autour de lui les fept Villes qui
Te difputoient l'honneur de fa naiffance.
c. Alexandre avoit toujours l'Iliade fous
le chevet de fon lit , enfermé dans la caffete
de Cyrus. d Hyparque , Prince des
Athéniens , envoya une Galere exprès
chercher Anacréon pour faire honneur à
b Elien.
Plutarq. in Vita Alexand.
Elien,
yous
2398 MERCURE DE FRANCE
fa Patrie. Hyeron de Syracufe voulut
avoir Pindare & Simonide à fa Cour .
& perfonne n'ignore que dans le fac
de Thebes Alexandre ordonna qu'on
épargnat la maiſon & la famille du pre
mier des deux Poëtes que je viens de nommer.
On fçait le crédit qu'eurent Virgile
& Horace à la Cour d'Augufte , & enfin
l'eftime particuliere dont Louis XIV. a
toujours honoré nos Poëtes François , Mais
pourquoi chercher de nouvelles preuves?
Le langage des hommes égalera- t'il jamais
le langage des Dieux ? Je fens bien
que je dois me borner à ce petit nombre
de réfléxions , quoiqu'il foit difficile d'être
court en parlant des beautés de la
Poëfie , où l'on trouve tant de choſes qui
enchantent que l'on en pourroit dire ce
que difoit Tibulle de toutes les actions
de fa Maîtreffe
Componit furtim , fubfequiturque decor.
J'ai l'honneur d'être & c .
& des Poëtes.
Lorfque vous m'avez fait l'honneur
Monfieur , de me propofer la queftion
, fçavoir : Si la gloire des Orateurs eft
preferable à celle des Poëtes , je l'avois déja
lue dans le Mercure du mois du Juin
premier Volume. Il eft certain que ceux
qui excellent dans des fujets difficiles , &
en même-tems très utiles , & très agréa
bles , acquierent plus de gloire & d'honneur
que ceux qui excellent dans des fujets
qui le font beaucoup moins. Pour ju
ger plus fainement de la queſtion dont il
s'agit , il fuffit d'examiner deux chofes ;
la
NOVEMBRE . 1730. 2383
la premiere
quel eft celui de ces deux
genres du Difcours ou de la Poëfie qui
demande plus de talens
pour y exceller
& la feconde : quel eft le plus utile & le
plus agréable.
*
a Les Poëtes comme les Orateurs fe
propofent
d'inftruire
& de plaire , tous leurs efforts tendent à cette même fin
mais ils y arrivent les uns & les autres
par des voyes bien differentes . b L'inven
tion , la difpofition
, l'élocution
, la mémoire
& la prononciation
font tout le mérite des Orateurs. La Poëfie eft affujetie
à un bien plus grand nombre de regles.
Le Poëte Epique doit d'abord former
un plan ingénieux
de toute la fuite
de fon action , en tranfportant
dès l'entrée
fon Lecteur au milieu , ou prefque à la fin
du fujet , en lui laiffant croire qu'il n'a
plus qu'un pas à faire pour voir la conclufion
de l'action , en faifant naître enfuite
mille obftacles qui la reculent , &
qui irritent les defirs du Lecteur , en lui
rappellant
les évenemens
qui ont précedé
,
, par des récits placés avec bienfeance,
en les amenant enfin avec des liaiſons &
à Cic. de Oratore.
b Quintil.
* Arift. Poët.
Horat. Art. Poët.
-
Defpr. Art. Poës.
Cüiti des
2384 MERCURE DE FRANCE
des préparations qui reveillent fa curiofité
, qui l'intereffent de plus en plus ,
qui l'entretiennent dans une douce inquiétude
, & le menent de ſurpriſe en
furprife jufqu'au dénouement ; récits cu
rieux , expreffions vives & furprenantes ,
defcriptions riches & agréables , compa
raifons nobles , difcours touchans , incidens
nouveaux , rencontres inopinées ,
paffions bien peintes ; joignez à cela une
ingénieufe diftribution de toutes ces parties
, avec une verfification harmonieuſe ,
pure & variée ; voilà des beautés prefque
toutes inconnuës à l'Orateur . * Ciceron
lui - même , d'ailleurs fi rempli d'eſtime
pour l'Eloquence , ne peut pas s'empêcher
de mettre la Poëfie beaucoup au- deffus
de la Profe : elle eft , dit- il , un enthoufiafme
un tranfport divin qui éleve
P'homme au- deffus de lui-même ; les vers
que nous avons de lui , quoique mauvais
, nous font bien voir le cas qu'il
faifoit de la Poëfie , il fit auffi tout ce qu'il
pût pour y réuffir ; mais tout grand Órateur
qu'il étoit, il n'avoit pas affez d'imagination
, & il manquoit des autres talens
neceffaires pour devenir un bon
Poëte.
,
Il faut affurément de grands talens
* De Orati
pour
NOVEMBRE . 1730. •
238 5
pour faire un bon Orateur , de la fécondité
dans l'invention , de la nobleffe dans
les idées & dans les fentimens , de l'ima
gination , de la magnificence & de la hardieffe
dans les expreffions . Les mêmes talens
font neceffaires à la Poëfie ; mais il
faut les poffeder dans un degré bien plus.
parfait pour y réuffir ; elle cherche les
penfées & les expreffions les plus nobles,
elle accumule les figures les plus hardies,
elle multiplie les comparaifons & les
images les plus vives , elle parcourt la
nature , & en épuife les richeffes pour
peindre ce qu'elle fent , elle ſe plaît à im→
primer à fes paroles le nombre , la mefu
re & la cadence ; la Poëfie doit être élevée
& foutenue par tout ce qu'on peut imaginer
de plus vif & de plus ingenieux ; en
un mot , elle change tout , mais elle le
change en beau:
* Là pour nous enchanter tout eft mis en
usage ;
Tout prend un corps , une ame , un eſprit , un
viſage ;
·Chaque vertu devient une Divinité ;
Minerve eft la prudence , & Venus la beauté,
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerres
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre .
Un orage terrible aux yeux des Matelois
* Defer. Art. Poët. Chant 111.
(
C v C'efe
2386 MERCURE DE FRANCE
Ceft Neptune en couroux qui gourmande les
flots.
Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentiffe,
C'est une Nymphe en pleurs qui fe plaint de
Narciffe.
'Ainfi dans cet amas de nobles fictions
Le Poëte s'égaye en mille inventions ,
Orne , éleve , embellit , agrandit toutes chofes,
Et trouve fous fa main des fleurs toujours éclo
Jes
La Profe n'oblige pas à tant de frais ,
& ne prépare pas à tant de chofes ; au
contraire il faut que l'imagination regne
dans les Vers , & s'ils ne font rehauffés
par quelque penfées fublimes , ou fines &
délicates , ils font froids & languiffans ; la
Poëfie ne fouffre rien de médiocre : ainfi
ce n'eſt pas fans raison que l'on a comparé
les Poëtes aux Cavaliers à caufe du feu &
de la rapidité qui animent la Poëſie , &
les Orateurs aux Fantaffins qui marchent
plus tranquilement & avec moins de bruit.
D'ailleurs la Poëfie s'exerce fur toutes
fortes de genres , le badin , le férieux , le
comique le tragique , l'héroïque. Le
foin des troupeaux , les beautés de la nature
& les plaifirs ruftiques en font fouvent
les plus nobles fujets. Enfin Moïſe
Ifaïe , David ne trouverent que la Poëfie
digne de chanter les louanges du Créa-
,
teur
NOVEMBRE . 1730. 2387
teur , de relever fes divins attributs & de
celebrer fes bienfaits ; les Dieux de la Fa
ble , les Héros , les fondateurs des Villes
& les liberateurs de la Patrie auroient
dédaigné tout autre langage ; la Poëfic
feule étoit capable de celebrer leur gloire
& leurs exploits. * Auffi ne fe fervoit- on
anciennement que de la Poëfie : tout jufqu'à
l'hipire même étoit écrit en Vers ,
& l'on ne commença que fort tard à employer
la Profe . La Nature comme épuifée
ne pouvant plus foutenir le langage
fublime de la Poëfie , fut obligée d'avoir
recours à un Difcours moins cadencé &
moins difficile.
Tous les bons connoiffeurs , entr'autres
le P. Bouhours , le P. Rapin , le P. Le
Boffu & M. Daubignac conviennent que
le Poëme Epique eft le chef- d'oeuvre de
l'efprit humain. Avons - nous quelque
harrangue où il y ait tant de fublime ,
d'élevation & de jugement que dans
P'Iliade ou l'Eneide. L'Eloquence ellemême
n'est jamais employée avec plus
d'éclat & plus de fuccès que lors qu'elle
eft foutenue par la Poëffe. Y a - t'il en
effet quelque genre d'Eloquence dont les
Poëmes d'Homere ne fourniffent des mo
deles parfaits ? c'eft chez lui que les Ora-
* Plutarq
C vj teurs
2388 MERCURE DE FRANCE
teurs ont puifé les regles & les beautés
de leur art , ce n'eft qu'en l'imitant qu'ils
ont acquis de la gloire . Pour fe convaincre
de cette verité il fuffit de jetter les
yeux fur quelques unes de fes Harangues
, & l'on conviendra fans peine qu'elles
font au- deffus des plus belles de Ciceron
& de Demofthenes auffi bien que des Modernes.
Les Harangues d'Uliffe de Phenix
& d'Ajax qui furent députés par
l'Armée des Grecs vers Achile pour l'engager
à reprendre les armes , font de ce
genre. Il faut voir a l'art admirable avec
lequel Homere fait parler le Prince d'Ithaque
: il paroît d'abord embaraffé & timide
, les yeux fixes & baiffés , fans geſte
& fans mouvement , ayant affaire à un
homme difficile & intraitable , il employe
des manieres infinuantes , douces & touchantes
; mais quand il s'eft animé ce n'eſt
plus le même homme , & femblable à un
torrent qui tombe avec impétuofité du
haut d'un rocher , il entraîne tous les efprits
par la force de fon éloquence. Les
deux autres ne parlent pas avec moins
d'art moins de force & d'adreffe , & il
eft remarquable que chaque perfonage
parle toujours felon fon caractere , ce qui¹
fait une des principales beautés du Poëa
Il. III. 2. 16. 224
me
NOVEMBRE . 1730 : 238 g*
me Epique. Rien n'eft plus éloquent que
le petit Difcours d'Antiloque à Achile ,
par lequel il lui apprend la mort de Pa
trocle . L'endroit a où Hector prêt d'aller
au combat, fait ſes adieux à Andromaque
& embraffe Aftianax , eft un des plus
beaux & des plus touchans. M. Racine
en a imité une partie dans l'endroit où
Andromaque parle ainfi à ſa confidente :
bab ! de quel fouvenir viens- tu frapper mon
ame !
Quoi ! Cephife , j'irai voir expirer encor
Ce fils , ma feule joye , & l'image d'Hector ?
Ce fils que de fa flamme il me laiſſa pourgage?
Helas je m'en fonviens , le jour que son courage
Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas ,
Il demanda fon fils , & le prit dans fes bras :
Chere Epouse ( dit- il , en effuyant mes larmes )
J'ignore quelfuccès lè fort garde à mes armes ,
Je te laiffe mon fils , pour gage de ma fòi ;
S'il me perdje prétends qu'il me retrouve en
toi;
Si d'un heureux hymen la mémoire t'eſt chere
Montre au fils à quel point tu chériffois le
pere.
Le Difcours de Priam à Achille
a Il VI. 390. 494 •
b Androm . Act. 117. Scen. VIII.
, par
lequel
2390 MERCURE DE FRANCE
lequel il lui demande le corps de fon fils
Hector , renferme encore des beautés admirables.
Pour les bien fentir il faut fe
rappeller le caractere d'Achille , brufque,
violent & intraitable ; mais il étoit fils
& avoit un pere , & c'eft par où Priam
commence & finit fon difcours . Etant entré
dans la tente d'Achille , il ſe jette à
fes genoux , lui baife la main ; Achille
eft fort furpris d'un fpectacle fi imprévu ,
tous ceux qui l'environnent font dans le
même étonnement & gardent un profond
filence . Alors Priam prenant la parole :
Divin Achille , dit-il , fouvenez - vous
que vous avez un pere avancé en âge comme
moi , & peut- être de même accablé de
maux , fans fecours & fans appui ; mais il
fait que vous vivez , & la douce efperance
de revoir bientôt un fils tendrement aimé le
foutient & le confole : & moi le plus infortuné
des peres de cette troupe nombreufe d'enfans
dont j'étois environné , je n'en ai confervé
aucun : j'en avois cinquante quand les
Grecs aborderent fur ce rivage , le cruel Mars
me les aprefque tous ravis : l'unique qui me
reftoit , feule reffource de ma famille & de
Troye , mon cher Hector , vient d'expirer
fous votre bras vainqueur en deffendant genereuſementfa
Patrie. Je viens ici chargé de
* II. XXIV. 48ĥ
préfens
4
NOVEMBRE. 1730. 239T
prefens pour racheter fon corps : Achille
Taiffez- vous fléchir par le fouvenir de votre
pere , par le refpect que vous devez aux
Dieux , par la vie de mes cruels malheurs
Fut-il jamais un pere plus à plaindre que
moi qui fuis obligé de baifer une main bomicide
, encore fumante du fang de mes enfans.
par
C'eſt la nature même qui s'exprime
la bouche de ce venerable Vieillard
& quelque impitoyable que fut Achille ,
Il ne pût refifter à un Difcours fi touchant,
le doux nom de pere lui arracha des lar
mes. Il eft aifé de comprendre que la Profe
fait perdre à ce Difcours une partie de fa
beauté , il a bien plus de grace & de force
revêtu de tout l'éclat des expreffions
Poëtiques. Il y a dans Homere une infinité
d'autres endroits , peut- être encore
plus beaux ; mais il faut fe borner.
L'éloquence de la Chaire & du Barreau
font affurément d'une grande utilité,
& il faut convenir qu'on a bien de l'obligation
à ceux qui veulent bien y em-
.ployer leurs talens. Mais après tout tous
nos Orateurs enfemble ne fourniroient
pas un endroit qui exprimât avec tant,
d'éclat , de nobleffe & d'élevation la gran
deur & la puiffance du fouverain Maître
de l'Univers que ces Vers de Racine.
Que
2392 MERCURE DE FRANCE
a Que peuvent contre lui tous les Rois de la
terre i
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre,
Pour diffiper leur ligue il n'a qu'à ſe montrer ;
Il parle , dans la poudre il les fait tous renfrer.
Au feul fon de fa voix la mer fuit , le Ciel
tremble ;
Il voit comme un néant tout l'Univers enfemble
,
Et les foibles Mortels , vains jouets du trépas ,
Sont tous devant fes yeux comme s'ils n'étoienz
pas.
Que de grandeur ! que de nobleffe !
qui ne fent que les mêmes penfées tournées
en Profe par une habile main perdroient
toute leur grace & toute leur force.
Voici un endroit dans le même goût,
tiré d'un de nos plus celebres Orateurs.
O Dieu terrible , mais jufte dans vos confeils
fur les enfans des hommes , vous difpofez
& des Vainqueurs & des Victoires pour
accomplir vos volontés & faire craindre vos
jugemens votre puiſſance renverse ceux que
votre puissance avoit élevés : vous immolez
à votre fouveraine grandeur de grandes victimes
, & vous frappez quand il vous plaît
ces têtes illuftres que vous avez tant de fois
couronnées..
a Efther Att. II. Scen. K
Cee
NOVEMBRE. 1730. 2393
Cet endroit , quoique grand , eft bien
au-deffous des Vers de Racine , c'eſt cependant
un des plus grands efforts de
l'éloquence de M. Flechier, a Cet autre
trait du même Poëte , quoiqu'en un feul
Vers , n'eſt pas moins inimitable à l'Orateur.
b Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point
d'autre crainte.
Pour prouver fans réplique combien
la Poëfie prête à PEloquence , que l'on
mette en Profe les morceaux les plus éloquens
des Poëtes , qu'on les revête de
toutes les expreffions les plus brillantes ;
& l'on jugera aifément combien ils per
dent dans ce changement. Je pourrois
en donner des exemples d'Homere , de
Sophocle & des autres Poëtes , & citer
tous nos Traducteurs ; mais je renvoye
au feul récit de Theramene dans la Tragédie
de Phedre de Racine , & je prie les
partifans de l'éloquence de la Profe de le
rendre fans l'harmonie des Vers auffi touchant
, auffi vif , j'ajoûte même auffi effrayant
qu'il l'eft dans ce Poëte. Qu'un
habile Poëte, au contraire , prenne les endroits
les plus éloquens & les plus pathe
a Oraif. Funebre de M. de Turr.
b Athalie , A &t . 1. Scen. X.
tiques
2394 MERCURE DE FRANCE
tiques de Demofthenes & de Ciceron
qu'il les pare de tous les ornemens de ce
même recit de Theramene , & l'on juge
ra alors combien ils y auront gagné.
Y a t'il quelque chofe qui foit fi propre
à infpirer des fentimens nobles & genereux
fur la Religion que ce que Cor
neille fait dire à Polieucte ; les mêmes Y
chofes en Profe feroient belles, fans doute,
mais bien plus froides & plus languiffantes.
Quelle eft la Harangue qui renferme
une plus belle morale que celle que
Rouffeau a inferée dans fon Ode fur la
Fortune ? trouve- t'on quelque part la ve
tité accompagnée de tant d'agrémens &
de tant de force.
Fortune dont la main couronné
Les forfaits les plus inoùis ,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis ;
Jufques à quand , trompeuſe Idole
D'un culte honteux & frivole
Honorerons- nous tes Autels ?
Verra t'on toujours tes caprices
Confacrés par les facrifices ,
Et par l'hommage des mortels . &c.
Toute la fuite de cette Ode renfermé
une infinité de traits admirables ; je pourois
NOVEMBRE. 1730. 2395
rois ajoûter encore les Odes facrées du
même Auteur qui font bien au - deffus de
celle ci , les Pleaumes de Madame Des
Houllieres , ceux de Malherbe &c . où l'on
trouve des traits que l'éloquence la plus
vive ne sçauroit imiter. Mais fi on vouloit
rapporter tout ce qu'il y a de plus
beau tant en Vers qu'en Proſe , on ne finiroit
point.
On s'ennuye du moins en beaucoup
d'endroits d'un beau Sermon qui contient
les mêmes penſées fur les mêmes fujets
, qui annonce les mêmes verités
qu'une Piece de Poëfie , les vers nous y
rendent beaucoup plus fenfibles , on eſt
plus
plus touché , on entre plus dans toutes
les paffions du Poëte , on s'efforce de la
fuivre , on ſe plaît à fes expreffions , on
aime fes penfées qu'on tâche de retenir ,
on fe fait même un plaifir & un honneur
de les reciter. L'éloquence férieuſe de
F'Orateur fait bien moins d'impreffion
que ces peintures vives & naturelles
du vice que
le Poëte fçait rendre fi méprifable
, & ce n'eft
fans raifon que
Rouffeau a dit que
pas
Des fictions la vive liberté
Peint fouvent mieux l'austere verité
Que neferoit la froideur Monacale
D'une lugubre & pefante morale.
En
2396 MERCURE DE FRANCË
cette
En effet , rien ne touche le coeur de
l'homme , rien n'eft capable de lui faire
impreffion que ce qui lui plaît ; la Poëfie
nous montre la verité avec un viſage
doux & riant , par là elle l'infinue adroitement
entraînés par le plaifir , nous
entrons infenfiblement dans les fentimens
du Poëte , dans fes maximes ; nous prenons
de lui cette nobleffe , cette grandeur
d'ame , ce défintereffement
haine de l'injuftice & cet amour de la
vertu qui éclatent de toutes parts dans
fes Vers. La verité , au contraire , dite
par un Orateur , nous paroît bien plus
fevere , elle n'eft pas accompagnée de ces
graces , de ces ornemens , enfin de toutes
čes beautés qui la rendent aimable , l'efprit
fe ferme à fa voix , & fi quelquefois
on l'écoute , ce n'eft que par un grand
effort de la raifon. Quelqu'un dira peutêtre
que l'éloquence oratoire eft plus utile
à l'Orateur pour fa fortune , & on aura
raifon de dire comme Bachaumont :
a Non non , les doctes damoiselles
N'eurent jamais un bon morceau
Et ces vieilles fempiternelles
Ne burent jamais que de l'eau.
Les Poëtes ont toujours été bien éloia
Voyage de Bach. & de la Chapelle.
gnés
NOVEMBRE. 1730. 2397
grés de cette avidité qui fait dire à tant
de
gens
•
Quærenda pecunia primùm eft
Virtus poft nummos.
Je ne doute point que les gens d'efprit
& de bon goût , les Heros & fur tout le
beau fexe, à qui la Poëfie a fait tant d'honneur
, & dont elle a fi fouvent relevé la
beauté & le mérite , ne préferent la gloire
des Poëtes à celle des Orateurs , &
quand je n'aurois que leur fuffrage j'aurois
toujours celui de la plus brillante
partie du monde . Au refte , on peut encore
juger de la gloire des Poëtes par l'eftime
& la veneration qu'ont eûs pour eux
de tout tems les hommes les plus illuftres
& les plus grands Princes. b Ptolomée
Philopator fit élever un Temple à Homere
; il l'y plaça fur un Trône , & fit repréfenter
autour de lui les fept Villes qui
Te difputoient l'honneur de fa naiffance.
c. Alexandre avoit toujours l'Iliade fous
le chevet de fon lit , enfermé dans la caffete
de Cyrus. d Hyparque , Prince des
Athéniens , envoya une Galere exprès
chercher Anacréon pour faire honneur à
b Elien.
Plutarq. in Vita Alexand.
Elien,
yous
2398 MERCURE DE FRANCE
fa Patrie. Hyeron de Syracufe voulut
avoir Pindare & Simonide à fa Cour .
& perfonne n'ignore que dans le fac
de Thebes Alexandre ordonna qu'on
épargnat la maiſon & la famille du pre
mier des deux Poëtes que je viens de nommer.
On fçait le crédit qu'eurent Virgile
& Horace à la Cour d'Augufte , & enfin
l'eftime particuliere dont Louis XIV. a
toujours honoré nos Poëtes François , Mais
pourquoi chercher de nouvelles preuves?
Le langage des hommes égalera- t'il jamais
le langage des Dieux ? Je fens bien
que je dois me borner à ce petit nombre
de réfléxions , quoiqu'il foit difficile d'être
court en parlant des beautés de la
Poëfie , où l'on trouve tant de choſes qui
enchantent que l'on en pourroit dire ce
que difoit Tibulle de toutes les actions
de fa Maîtreffe
Componit furtim , fubfequiturque decor.
J'ai l'honneur d'être & c .
Fermer
Résumé : LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
La lettre compare la gloire des orateurs à celle des poètes, en soulignant que ceux qui excellent dans des sujets difficiles, utiles et agréables acquièrent plus de renommée. Pour évaluer cette question, l'auteur propose d'examiner le talent requis et l'utilité de chaque domaine. Les poètes et les orateurs visent à instruire et à plaire, mais par des moyens différents. Les orateurs se distinguent par l'invention, la disposition, l'élocution, la mémoire et la prononciation. La poésie, quant à elle, est soumise à plus de règles et nécessite un plan ingénieux, des descriptions riches et des expressions vives. Cicéron, bien qu'il admire l'éloquence, reconnaît la supériorité de la poésie, qu'il décrit comme un enthousiasme divin. La poésie demande des talents plus élevés, tels que la fécondité dans l'invention, la noblesse des idées et une imagination riche. Elle transforme tout en beauté et utilise des fictions nobles pour enchanter le lecteur. La poésie s'exerce dans divers genres, du badin au sérieux, et a été utilisée par des figures bibliques comme Moïse et David pour chanter les louanges du Créateur. Les anciens utilisaient la poésie pour tous les écrits, y compris l'histoire, et n'ont commencé à utiliser la prose que plus tard. Des experts comme le Père Bouhours et le Père Rapin conviennent que le poème épique est le chef-d'œuvre de l'esprit humain. Les harangues d'Homère sont citées comme des modèles parfaits d'éloquence, surpassant même celles de Cicéron et Démosthène. Par exemple, la harangue d'Ulysse à Achille est louée pour son art et sa force. Enfin, la lettre compare des extraits de la poésie de Racine et de l'éloquence de Flechier, concluant que les pensées poétiques, même traduites en prose, perdent de leur grâce et de leur force. La poésie est ainsi présentée comme supérieure en termes de sublimité, d'élévation et de jugement.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 1334-1339
Discours Latin du P. Porée, [titre d'après la table]
Début :
Le Reverend Pere Porée, Jesuite, prononça le neuf de Février, devant une illustre [...]
Mots clefs :
Révérend, Discours, Orateur, Critiques, Républiques des Lettres, Rhéteurs, Grammairiens
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Discours Latin du P. Porée, [titre d'après la table]
Le Reverend Pere Porée , Jesuite , pro
nonça le neufde Février , devant une 11
lustre Assemblée un Discours Latin
fort éloquent sur les Critiques , dans le
College de Louis le Grand . L'Orateur
(a) L'Incrisalidano.
1. Vol. COR
JUIN. 1731. 133
convenant , qu'il y a aujourd'hui plus de
Critiques que d'Ouvrages à critiquer , et
que la licence de ceux qui se mêlent de
critiquer , a rendu la Critique aussi odieu
se que ses Auteurs , prétend néanmoins
qu'on ne doit pas proscrire de la Répu
blique des Lettres toute sorte de Critique,
mais qu'on doit seulement en corriger
les abus. Il partage donc son Discours , et
entreprend dans la premiere. Partie de
prouver la necessité de la Critique : dans
la seconde , il parle des qualitez d'un bon
Critique.
Par tout où il y a des procès , dit le
P. Porée , par tout où il se commet des
crimes , par tout où on entreprend d'in
troduire la licence , il faut des Juges
pour terminer ces procès , punir ces cri
mes et s'opposer à cette licence . Or tout
cela a lieu dans la Litterature . L'Orateur
laiffe peu de chose à dire sur les sujets
de querelle & de procès , qui divisent
les Gens de Lettres de toutes les sortes
Rhéteurs , Grammairiens , Philosophes ,
Géometres mêmes.. Desorte que tout ce
qu'il y a, ce semble, de plus propre à éclai
rer les Hommes & à les polir , devient
par l'abus qu'ils en font , une source de.
guerre et de discorde , & d'une guerre.
le plus souvent pleine de bassesse et de
I.Vol. mali
#336 MERCURE DE FRANCE
malignité. C'est pour terminer cette guerre
et décider ces procès , que le R. P. Po
rée croit les Gritiques nécessaires , sans
doute , comme le sont les Avocats pour
plaider et pour instruire l'Affaire dont le
Public seul est Juge sans appel . Que
fçait-on même s'il y auroit beaucoup de
procès dans la Litterature , supposé qu'il
n'y eut point de Critiques.
Le second chef des crimes Litteraires
eft bien traité. Que de fautes introduites
dans les Livres des Anciens par l'igno
rance ou la négligence des Libraires ou
des Copistes ! Quelle obligation n'a-t'on
donc pas aux Turnebes , aux Budées , aux
Murets , qui ont pris la peine de purger
ces Livres ? Quelle Chronologie aurions
nous , sans les Scaligers , les Ussers , les
Petaus ? La Céographie ne seroit qu'un
cahos , sans les Cluviers , les Briets , les
Samsons ? Et c'est le même de toutes les
autres parties de la Litterature . Le P.
Porée s'étend beaucoup sur les vols Litte
raires , que c'est aux Critiques de demas
Il s'en fait tous les jours plus qu'on:
quer.
ne pense. La diversité des langues en oc
casionne plusieurs. Souvent un Ami in
fidéle , dépositaire des Ecrits de son Ami
mort , se les attribuë , & c.
La troisiéme raison de la néceffité des
1. Vol .
Cri
JUIN. 1731. 1337
Critiques , est prise de la licence que se
donnent des demi-Sçavans d'altérer les
Sciences , sous pretexte de les enrichir ,
de les réduire , de les embellir , de les per
fectionner. Rien n'eft plus éloquent ni
plus judicieux que le Morceau , où l'O
rateur , rappellant la Coutume des Ro
mains , qui dans le tems orageux , aver
tissoient les Consuls de veiller que la Ré
publique ne souffrit aucun dommage
avertit dans les mêmes termes , les Cri
tiques de veiller que la Théologie , la
Philosophie , l'Histoire , les Mathéma
tiques , les Belles-Lettres , ne souffrent
aucun dommage de la part des demi-Sça
vans. Il est fâcheux que la République
Litteraire , n'ait pas ses Critiques auto
risez comme la République Romaine avoit
ses Consuls , & qu'une foule de Censeurs
sans aveu , plus ennemis des Auteurs que
des Ouvrages , plus malíns à reprendre ,
que judicieux à corriger , puissent pren
dre pour eux un Avertissement que le
P. Porée n'addresse qu'à des Critiques .
sçavans , prudens , & pleins de probité ,,
tels qu'il les caractérise dans la seconde
partie de son Discours.
25
Aujourd'hui tout homme qui se sent in
capable d'écrire sur aucun sujet, et qui vent
pourtant écrire , prend le parti de la Criti
L. Vol. que
T338 MERCURE DE FRANCE
que. Carpour affirmer,il faut avouer quet
que chose ; pour nier il suffit de ne rien sça
voir. On ne sçauroit traiter un sujet , mais
on scait suivre un Auteur qui l'a traité; on
sçait aboyer après lui , le mordre et le dé
chirer. Le sage Orateur croit-il persuader
quelqu'un , lorsqu'il exige d'un Critique,
une science immense , une vaste érudi
tion , une connoissance éxacte de toutes.
choses un Critique a renoncé à être
sçavant , & un véritable
communément si critique .
sçavant
n'est pas
.
La science ne suffit pas ; un Critique a
besoin de beaucoup de prudence , de dis
cernement de sagacité pour porter un
jugement sain, juste etdéfinitif. Mais sur
tout la probité est absolument necessaire
à un Critique. Celui que l'amitié séduit
ou que la haine emporte , ne sçauroit être
un Juge sain & éclairé. C'est pourtant- là
ce qui décide de la plupart des Critiques ,
et l'envie en est ordinairement le premier
mobile ; mais le Public qui est le Juge
Souverain en dernier ressort , et des Criti
ques , et des Ouvrages critiqués , fait et
rend justice aux uns & aux autres , et une
passion tropvive n'impose qu'à celui qui
en est atteint, et tout au plus à ceux qui en
sont complices. Toute critique que la
cabale a dictée , rentre bien- tôt dans le
L. Vol.
néant
,
JUIN. 1731. 1339
néant , d'où elle est à peine sortie , et laisse
en possession de l'immortalité , l'Ouvrage
& l'Auteur qu'elle avoit attaqué avec plus
de véhemence qué de force et de sagesse.
3
Le R. P. Porée dévoilé tous les arti
fices que l'envie , la haine , la partialité
les préjugez inspirent à des Critiques qui
n'ont pas toute la bonne foi que la Pro
bité inspire, et que la Religion exige avec
rigueur. Ilse déclare avec force contre un
Livre assez moderne , qui est effective
ment très- dangereux ; & d'autant plus
dangereux , que l'Auteur ne semble s'y
piquer de probité , que pour porter des
coups plus assurés à la Religion , d'im
partialité , que pour décrier tous les par
tis sans en excepter le bon , de discer
nement que pour rejetter tout , de non
crédulité que pour établir l'incrédulité.
L'Orateur en bon Critique loie ce que
cet Ouvrage a de bon , en blâmant`ce
qu'il a de mauvais.
.
:
On imprime chez Laisnel au. Chef
S. Jean rue S. Jacques , un Livre inti
tulé : Analyse de la Dissertation de M. Mo
rand sur la Taille au haut Appareil , ou Re
ponse aux Reflexions Anatomistes de M.
Rameau sur cet Ouvrage , in 8 °. par M. le
Cat.
nonça le neufde Février , devant une 11
lustre Assemblée un Discours Latin
fort éloquent sur les Critiques , dans le
College de Louis le Grand . L'Orateur
(a) L'Incrisalidano.
1. Vol. COR
JUIN. 1731. 133
convenant , qu'il y a aujourd'hui plus de
Critiques que d'Ouvrages à critiquer , et
que la licence de ceux qui se mêlent de
critiquer , a rendu la Critique aussi odieu
se que ses Auteurs , prétend néanmoins
qu'on ne doit pas proscrire de la Répu
blique des Lettres toute sorte de Critique,
mais qu'on doit seulement en corriger
les abus. Il partage donc son Discours , et
entreprend dans la premiere. Partie de
prouver la necessité de la Critique : dans
la seconde , il parle des qualitez d'un bon
Critique.
Par tout où il y a des procès , dit le
P. Porée , par tout où il se commet des
crimes , par tout où on entreprend d'in
troduire la licence , il faut des Juges
pour terminer ces procès , punir ces cri
mes et s'opposer à cette licence . Or tout
cela a lieu dans la Litterature . L'Orateur
laiffe peu de chose à dire sur les sujets
de querelle & de procès , qui divisent
les Gens de Lettres de toutes les sortes
Rhéteurs , Grammairiens , Philosophes ,
Géometres mêmes.. Desorte que tout ce
qu'il y a, ce semble, de plus propre à éclai
rer les Hommes & à les polir , devient
par l'abus qu'ils en font , une source de.
guerre et de discorde , & d'une guerre.
le plus souvent pleine de bassesse et de
I.Vol. mali
#336 MERCURE DE FRANCE
malignité. C'est pour terminer cette guerre
et décider ces procès , que le R. P. Po
rée croit les Gritiques nécessaires , sans
doute , comme le sont les Avocats pour
plaider et pour instruire l'Affaire dont le
Public seul est Juge sans appel . Que
fçait-on même s'il y auroit beaucoup de
procès dans la Litterature , supposé qu'il
n'y eut point de Critiques.
Le second chef des crimes Litteraires
eft bien traité. Que de fautes introduites
dans les Livres des Anciens par l'igno
rance ou la négligence des Libraires ou
des Copistes ! Quelle obligation n'a-t'on
donc pas aux Turnebes , aux Budées , aux
Murets , qui ont pris la peine de purger
ces Livres ? Quelle Chronologie aurions
nous , sans les Scaligers , les Ussers , les
Petaus ? La Céographie ne seroit qu'un
cahos , sans les Cluviers , les Briets , les
Samsons ? Et c'est le même de toutes les
autres parties de la Litterature . Le P.
Porée s'étend beaucoup sur les vols Litte
raires , que c'est aux Critiques de demas
Il s'en fait tous les jours plus qu'on:
quer.
ne pense. La diversité des langues en oc
casionne plusieurs. Souvent un Ami in
fidéle , dépositaire des Ecrits de son Ami
mort , se les attribuë , & c.
La troisiéme raison de la néceffité des
1. Vol .
Cri
JUIN. 1731. 1337
Critiques , est prise de la licence que se
donnent des demi-Sçavans d'altérer les
Sciences , sous pretexte de les enrichir ,
de les réduire , de les embellir , de les per
fectionner. Rien n'eft plus éloquent ni
plus judicieux que le Morceau , où l'O
rateur , rappellant la Coutume des Ro
mains , qui dans le tems orageux , aver
tissoient les Consuls de veiller que la Ré
publique ne souffrit aucun dommage
avertit dans les mêmes termes , les Cri
tiques de veiller que la Théologie , la
Philosophie , l'Histoire , les Mathéma
tiques , les Belles-Lettres , ne souffrent
aucun dommage de la part des demi-Sça
vans. Il est fâcheux que la République
Litteraire , n'ait pas ses Critiques auto
risez comme la République Romaine avoit
ses Consuls , & qu'une foule de Censeurs
sans aveu , plus ennemis des Auteurs que
des Ouvrages , plus malíns à reprendre ,
que judicieux à corriger , puissent pren
dre pour eux un Avertissement que le
P. Porée n'addresse qu'à des Critiques .
sçavans , prudens , & pleins de probité ,,
tels qu'il les caractérise dans la seconde
partie de son Discours.
25
Aujourd'hui tout homme qui se sent in
capable d'écrire sur aucun sujet, et qui vent
pourtant écrire , prend le parti de la Criti
L. Vol. que
T338 MERCURE DE FRANCE
que. Carpour affirmer,il faut avouer quet
que chose ; pour nier il suffit de ne rien sça
voir. On ne sçauroit traiter un sujet , mais
on scait suivre un Auteur qui l'a traité; on
sçait aboyer après lui , le mordre et le dé
chirer. Le sage Orateur croit-il persuader
quelqu'un , lorsqu'il exige d'un Critique,
une science immense , une vaste érudi
tion , une connoissance éxacte de toutes.
choses un Critique a renoncé à être
sçavant , & un véritable
communément si critique .
sçavant
n'est pas
.
La science ne suffit pas ; un Critique a
besoin de beaucoup de prudence , de dis
cernement de sagacité pour porter un
jugement sain, juste etdéfinitif. Mais sur
tout la probité est absolument necessaire
à un Critique. Celui que l'amitié séduit
ou que la haine emporte , ne sçauroit être
un Juge sain & éclairé. C'est pourtant- là
ce qui décide de la plupart des Critiques ,
et l'envie en est ordinairement le premier
mobile ; mais le Public qui est le Juge
Souverain en dernier ressort , et des Criti
ques , et des Ouvrages critiqués , fait et
rend justice aux uns & aux autres , et une
passion tropvive n'impose qu'à celui qui
en est atteint, et tout au plus à ceux qui en
sont complices. Toute critique que la
cabale a dictée , rentre bien- tôt dans le
L. Vol.
néant
,
JUIN. 1731. 1339
néant , d'où elle est à peine sortie , et laisse
en possession de l'immortalité , l'Ouvrage
& l'Auteur qu'elle avoit attaqué avec plus
de véhemence qué de force et de sagesse.
3
Le R. P. Porée dévoilé tous les arti
fices que l'envie , la haine , la partialité
les préjugez inspirent à des Critiques qui
n'ont pas toute la bonne foi que la Pro
bité inspire, et que la Religion exige avec
rigueur. Ilse déclare avec force contre un
Livre assez moderne , qui est effective
ment très- dangereux ; & d'autant plus
dangereux , que l'Auteur ne semble s'y
piquer de probité , que pour porter des
coups plus assurés à la Religion , d'im
partialité , que pour décrier tous les par
tis sans en excepter le bon , de discer
nement que pour rejetter tout , de non
crédulité que pour établir l'incrédulité.
L'Orateur en bon Critique loie ce que
cet Ouvrage a de bon , en blâmant`ce
qu'il a de mauvais.
.
:
On imprime chez Laisnel au. Chef
S. Jean rue S. Jacques , un Livre inti
tulé : Analyse de la Dissertation de M. Mo
rand sur la Taille au haut Appareil , ou Re
ponse aux Reflexions Anatomistes de M.
Rameau sur cet Ouvrage , in 8 °. par M. le
Cat.
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Résumé : Discours Latin du P. Porée, [titre d'après la table]
Le 9 février, le Père Porée, jésuite, prononça un discours en latin au Collège de Louis le Grand, abordant les critiques littéraires. Il souligna la nécessité de la critique tout en dénonçant ses abus potentiels. Le discours se structurait en deux parties : la première justifiait l'importance de la critique, tandis que la seconde décrivait les qualités requises pour être un bon critique. Le Père Porée expliqua que la critique est indispensable pour régler les querelles et les procès dans le monde littéraire, où les disputes entre rhéteurs, grammairiens, philosophes et géomètres sont fréquentes. Il compara les critiques aux juges et aux avocats, essentiels pour instruire et décider les affaires littéraires. Il mentionna également les erreurs introduites dans les livres anciens par l'ignorance ou la négligence des libraires et des copistes, soulignant l'importance des critiques comme Turnèbe, Budée et Muret qui ont corrigé ces erreurs. Il aborda aussi les vols littéraires et la licence prise par les demi-savants d'altérer les sciences. Pour être un bon critique, le Père Porée insista sur la nécessité de la prudence, du discernement et de la probité. Il dénonça les critiques motivées par l'envie ou la haine, affirmant que le public, en dernier ressort, rend justice aux critiques et aux ouvrages critiqués. Il se déclara contre un livre moderne dangereux, critiquant son manque de probité et d'impartialité.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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10
p. 3052-3056
Nouvelles de la Cour, de Paris, &C. [titre d'après la table]
Début :
Le Roy a donné son agrément pour le Mariage du Prince de Conti avec [...]
Mots clefs :
Duc, Roi, Orateur, Course de traîneaux
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texteReconnaissance textuelle : Nouvelles de la Cour, de Paris, &C. [titre d'après la table]
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , & Gà -
E Roy a donné son agrément pour
le Mariage du Prince de Conti avec
Mademoiselle de Chartres , soeur cadette
du Duc d'Orleans , et de Mademoiselle
de Beaujolois . On a dépêché un Courier
à Rome , pour demander au Pape les
dispenses pour ce Mariage , dont la Cé→
lébration est fixée au 22. Janvier. -
I. Vol. Le
DECEMBRE 1731. 3053
Le Comte d'Ayen , auquel le Roy
'avoit accordé , il y a quelques années , la
Charge de Capitaine de la premiere Compagnie
des Gardes du Corps , en survivance
du Duc de Noailles , son Pere Pere ,
prêta serment le 23 Decembre entre les
mains de S. M , et il est entré en exercice
pour servir conjointement avec son Pere .
Le Roy a accordé au Marquis de Ximenés
, Brigadier de ses Armées , l'agrément
de la Charge de Maréchal General
des Logis , des Camps et Armées de S.M.
Le 10 de ce mois , il y eût une magnifique
Course de Traineaux dans le Parc
de Versailles . Elle étoit composée de dix
Traineaux à un Cheval , dans l'un desquels
étoit le Roy ; d'un autre à quatre
Chevaux , conduit par le Marquis de
Beringhen , premier Ecuyer de S. M ;
d'un à cinq places , tiré par six Chevaux ,
et de celui qui représentoit le Cerf, poursuivi
par
des Chiens , qui étoit à deux
Chevaux. Tous ces Traineaux étoient pa
rez d'Etendarts , de Banderoles , et autres
ornemens . Les Chevaux étoient caparaçonnés
et garnis de Sonnettes et de
Grelots d'Argent . Le Roy , après avoir
fait le tour de la Piece d'Eau , qu'on ap-
II. Vol.
pelle
3054 MERCURE DE FRANCE
pelle des Suisses , monta dans le Parterre
du Château , et passa devant les fenêtres
de l'Appartement de la Reine , devant
celles de l'Appartement du Duc d'Orleans
, où étoit le Duc de Chartres , et devant
celles de l'Appartement des Enfans
de France , où S. M. s'arrêta pour pren
dre Mesdemoiselles de Charolois , de Clermont
, et de la Roche -sur-Yon , qui entrerent
chacune dans un Traineau , conduites
par des Seigneurs de la Cour ; d'autres
Dames entrerent dans le Traineau à
cinq places ; on continua la course autour
du Parc des Jardins , et on se rendit à la
Menagerie .
3
Le 18 Decembre les Chambres du
Parlement assemblées , on reçut M.Talon
Président à Mortier , M. Joly de Fleury ,
Fils de M. le Procureur General , Avocat
General , et Mr. de St. Contest , Avocat
du Roy au Châtelet , Conseiller au Parlement.
Le jour de Noël le feu prit à Estrée
St. Denis , près de Compiegne , et consuma
une Maison considerable , appartenante
au Sr. de Ste Croix , Capitaine
au Regiment d'Auxerrois , qui abbandonna
sa Maison , et la sacrifia pour sauver
tout le Village , dont plusieurs Mai-
II. Vol. sons
DECEMBRE. 1731. 3055
sons étoient déja en feu , et auroient été
consumées infailliblement , à cause du
grand vent qu'il faisoit ce jour - là.
La veille de Noël , le Roy , revêtu du
grand Collier de l'ordre du S. Esprit , se
rendit à la Chapelle du Château de Versailles
, où S. M. communia par les mains
de l'Abbé du Guesclin , Aumônier du
Roy en quartier : S. M. toucha ensuite
un grand nombre de Malades .
Le 25 Decembre , Fête de la Nativité
de Notre Seigneur , le Roy et la Reine
qui avoient entendu trois Messes à minuit
, assisterent le matin à la grande-
Messe , célebrée pontificalement par l'Evêque
de Grasse , et chantée par la Musique.
و
L'aprés- midy , L. M , accompagnées
du Duc d'Orleans , de Mesdemoiselles de
Clermont , et de la Roche- sur-Yon , du
Duc du Maine , &c. entendirent la Prédication
du Pere Boursault , Supérieur
des Théatins lequel termina sa course
de l'Avent avec autant de force et d'applaudissemens
qu'il l'avoit commencée ,
et qu'il l'a toûjours soûtenuë. Tous ses
Sermons lui ont attiré une admiration si
unanime de toute la Cour , et même une
affection si generale de tous ( Grands et
11. Vol. Petits
3058 MERCURE DE FRANCE
Petits , ) que les Personnes les plus âgées
ne se souviennent pas d'avoir jamais vû
un plus grand succés .
L'Orateur eût l'art de répandre dans
son compliment au Roy, des Instructions
si nobles et si chrétiennes, que Sa Majesté
en parut penetrée et ce fut avec tant de
dignité , et d'un stile si pathétique , qu'il
toucha la Royale Education qui est due
aux Enfans de France , que tous les Auditeurs
, à commencer pat tout ce qu'il
ya de plus grand et de plus auguste , ne
pûrent retenir des larmes d'approbation.
et de tendresse , qui font également honneur
et à la bonté du coeur de ceux qui
les ont versées , et à la supériorité de l'esprit
de celui qui les a fait répandre. Ensuite
leurs Majestez assisterent aux Vêpres
chantées par la Musique , &c.
Nouvelles de la Cour , de Paris , & Gà -
E Roy a donné son agrément pour
le Mariage du Prince de Conti avec
Mademoiselle de Chartres , soeur cadette
du Duc d'Orleans , et de Mademoiselle
de Beaujolois . On a dépêché un Courier
à Rome , pour demander au Pape les
dispenses pour ce Mariage , dont la Cé→
lébration est fixée au 22. Janvier. -
I. Vol. Le
DECEMBRE 1731. 3053
Le Comte d'Ayen , auquel le Roy
'avoit accordé , il y a quelques années , la
Charge de Capitaine de la premiere Compagnie
des Gardes du Corps , en survivance
du Duc de Noailles , son Pere Pere ,
prêta serment le 23 Decembre entre les
mains de S. M , et il est entré en exercice
pour servir conjointement avec son Pere .
Le Roy a accordé au Marquis de Ximenés
, Brigadier de ses Armées , l'agrément
de la Charge de Maréchal General
des Logis , des Camps et Armées de S.M.
Le 10 de ce mois , il y eût une magnifique
Course de Traineaux dans le Parc
de Versailles . Elle étoit composée de dix
Traineaux à un Cheval , dans l'un desquels
étoit le Roy ; d'un autre à quatre
Chevaux , conduit par le Marquis de
Beringhen , premier Ecuyer de S. M ;
d'un à cinq places , tiré par six Chevaux ,
et de celui qui représentoit le Cerf, poursuivi
par
des Chiens , qui étoit à deux
Chevaux. Tous ces Traineaux étoient pa
rez d'Etendarts , de Banderoles , et autres
ornemens . Les Chevaux étoient caparaçonnés
et garnis de Sonnettes et de
Grelots d'Argent . Le Roy , après avoir
fait le tour de la Piece d'Eau , qu'on ap-
II. Vol.
pelle
3054 MERCURE DE FRANCE
pelle des Suisses , monta dans le Parterre
du Château , et passa devant les fenêtres
de l'Appartement de la Reine , devant
celles de l'Appartement du Duc d'Orleans
, où étoit le Duc de Chartres , et devant
celles de l'Appartement des Enfans
de France , où S. M. s'arrêta pour pren
dre Mesdemoiselles de Charolois , de Clermont
, et de la Roche -sur-Yon , qui entrerent
chacune dans un Traineau , conduites
par des Seigneurs de la Cour ; d'autres
Dames entrerent dans le Traineau à
cinq places ; on continua la course autour
du Parc des Jardins , et on se rendit à la
Menagerie .
3
Le 18 Decembre les Chambres du
Parlement assemblées , on reçut M.Talon
Président à Mortier , M. Joly de Fleury ,
Fils de M. le Procureur General , Avocat
General , et Mr. de St. Contest , Avocat
du Roy au Châtelet , Conseiller au Parlement.
Le jour de Noël le feu prit à Estrée
St. Denis , près de Compiegne , et consuma
une Maison considerable , appartenante
au Sr. de Ste Croix , Capitaine
au Regiment d'Auxerrois , qui abbandonna
sa Maison , et la sacrifia pour sauver
tout le Village , dont plusieurs Mai-
II. Vol. sons
DECEMBRE. 1731. 3055
sons étoient déja en feu , et auroient été
consumées infailliblement , à cause du
grand vent qu'il faisoit ce jour - là.
La veille de Noël , le Roy , revêtu du
grand Collier de l'ordre du S. Esprit , se
rendit à la Chapelle du Château de Versailles
, où S. M. communia par les mains
de l'Abbé du Guesclin , Aumônier du
Roy en quartier : S. M. toucha ensuite
un grand nombre de Malades .
Le 25 Decembre , Fête de la Nativité
de Notre Seigneur , le Roy et la Reine
qui avoient entendu trois Messes à minuit
, assisterent le matin à la grande-
Messe , célebrée pontificalement par l'Evêque
de Grasse , et chantée par la Musique.
و
L'aprés- midy , L. M , accompagnées
du Duc d'Orleans , de Mesdemoiselles de
Clermont , et de la Roche- sur-Yon , du
Duc du Maine , &c. entendirent la Prédication
du Pere Boursault , Supérieur
des Théatins lequel termina sa course
de l'Avent avec autant de force et d'applaudissemens
qu'il l'avoit commencée ,
et qu'il l'a toûjours soûtenuë. Tous ses
Sermons lui ont attiré une admiration si
unanime de toute la Cour , et même une
affection si generale de tous ( Grands et
11. Vol. Petits
3058 MERCURE DE FRANCE
Petits , ) que les Personnes les plus âgées
ne se souviennent pas d'avoir jamais vû
un plus grand succés .
L'Orateur eût l'art de répandre dans
son compliment au Roy, des Instructions
si nobles et si chrétiennes, que Sa Majesté
en parut penetrée et ce fut avec tant de
dignité , et d'un stile si pathétique , qu'il
toucha la Royale Education qui est due
aux Enfans de France , que tous les Auditeurs
, à commencer pat tout ce qu'il
ya de plus grand et de plus auguste , ne
pûrent retenir des larmes d'approbation.
et de tendresse , qui font également honneur
et à la bonté du coeur de ceux qui
les ont versées , et à la supériorité de l'esprit
de celui qui les a fait répandre. Ensuite
leurs Majestez assisterent aux Vêpres
chantées par la Musique , &c.
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Résumé : Nouvelles de la Cour, de Paris, &C. [titre d'après la table]
En décembre 1731, le roi de France approuva le mariage du Prince de Conti avec Mademoiselle de Chartres, sœur cadette du Duc d'Orléans, et de Mademoiselle de Beaujolais. Une demande de dispenses fut envoyée à Rome pour permettre la célébration prévue le 22 janvier. Le Comte d'Ayen prêta serment pour la charge de Capitaine de la première Compagnie des Gardes du Corps, en survivance de son père, le Duc de Noailles, et commença à exercer conjointement avec lui. Le roi accorda également au Marquis de Ximenés, Brigadier des Armées, l'agrément pour la charge de Maréchal Général des Logis des Camps et Armées. Le 10 décembre, une course de traîneaux se tint dans le parc de Versailles, avec la participation du roi et de plusieurs nobles. Le 18 décembre, de nouveaux membres furent intégrés aux Chambres du Parlement, dont M. Talon, Président à Mortier, et M. Joly de Fleury, Avocat Général. Le jour de Noël, un incendie détruisit une maison à Estrées-Saint-Denis, près de Compiègne, appartenant au Sr. de Ste Croix. La veille de Noël, le roi communia et toucha un grand nombre de malades. Le 25 décembre, le roi et la reine assistèrent à la grande-messe et à la prédication du Père Boursault, Supérieur des Théatins, qui reçut une admiration unanime pour ses sermons.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 935-943
Discours du P. de le Sante. Extrait, [titre d'après la table]
Début :
Nous avions promis un Extrait du Discours Latin que le [...]
Mots clefs :
Discours latin, Orateur, Français, Histoire, Caractère des français, Rois de France
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texteReconnaissance textuelle : Discours du P. de le Sante. Extrait, [titre d'après la table]
NOUVELLES LITTERAIRES
N
DES BEAUX ARTS, &c.
Ous avions promis un Extrait du
Discours Latin que le R. P. de la
Sante , Professeur de Rhétorique au Collége de Louis le Grand, prononça au mois
de Janvier , devant une illustre et nom
breuse Assemblée , sur l'Histoire de Fran
ce: Voici cet Extrait.
Dans son Exorde , l'Orateur témoigne
sa surprise , sur ce que les François ont
un si petit nombre d'Ecrivains qui ayent réüssi nous donner une Histoire complette et achevée de la Nation , eux qui
écrivent si volontiers , et avec assez de
succès sur d'autres sujets , et même sur
PHistoire. Après quelques discussions , le
P. la Sante en rejette la cause , sur ceque
Histoite de France est par elle - même
aussi difficile à écrire , qu'elle est agréable
à lire. Et voilà les deux Propositions qui
partagent son Discours.
E iij
Dan's
936 MERCURE DE " FRANCE
Dans la premiere Partie , l'Orateur ne
voit rien de plus brillant pour un homme de Lettres que de réussir dans l'Histoi
re. Mais cela même, selon lui , en fait la
grande difficulté. L'historien soutient en
quelque sorte le Personnage de Juge et
de Maître.Son Tribunal est comme placé
entre les siécles passez et les siècles à ve÷
nir , pourjuger ceux-là , et instruire ceuxcy.
Les principales qualitez d'un homme
qui veut écrire notre Histoire , sont un
bon esprit , unjugement sain , utie profonde connoissance de cette Histoire ; un
amour impartial de la vérité, un stile décemment poli ; de sorte que pour former
un Ecrivain de ce caractere, il faut réunir
les talens naturels , l'usage de la vie ; un
travail pénible , une raison supérieure, et
toute la culture que l'art peut donner.
Lucien et Ciceron ont dequoi épouvan
ter quiconque entreprend d'écrire l'Histoire , par la singularité des talens qu'ils
exigent pour écrire ; l'un , l'Histoire Gre
que; l'autre , l'Histoire Romaine. Or ce
n'est rien , selon notre Orateur ; si l'on
compare les difficultés , dont parlent ces
grands hommes , à celles que notre Histoire oppose à ceux qui entreprennent de
la manier.
Y
MAY. 1732 937
Y a-t-il d'Histoire qui comprenne un
plus ample détail de faits et d'évenemens
obscurs dans leur origine, envelopez dans
leurs causes , reculez dans la suite des sié
cles , éloignez dans la vaste étendue du
Théatre où ils se sont passez , et tout-àfait merveilleux dans leur issue , quoique
dépouillez du faux merveilleux des faBles des Grecs et des Romains ?
et
Une des grandes difficultez de notre
Histoire vient de ce que le caractere des
François , formé dans un climat doux
temperé, demande une modération d'esprit extraordinaire , dans tout homme
qui entreprend de plaire à la Nation, par
un Ouvrage comme celui- là , qui est plus
particulierement fait qu'aucune autre espece d'Ouvrage pour la Nation.Cette raison est fort ingénieusement trouvée , et a
même un fonds de vérité. Il 'est pourtant
vrai que Paterculus, Tacite et Mainbourg
à qui l'Orateur reproche justement leurs
excès d'esprit , de politique ou de feu d'imagination , ont toujours trouvé et trouveront sans doute toujours des Lecteurs
et des admirateurs , même en grand nombre parmi nous.
Le P. de la Sante veut qu'une Histoire
de France ressemble à un grand Fleuve ,
dont les eaux claires , quoique profondes,
E iiij rou- 419.03
938 MERCURE DE FRANCE
roulent avec majesté leurs flors, et il com
pare les petites Histoires , dont notre Nation ne laisse pas de se faire un assez agréable amusement;à ces Eaux,détournées dans
des Canaux, qui s'élancent en Jets- d'eaux,
en Cascades , et prenent toutes sortes de
formes , plus propres à repaître là vaine
curiosité des Spectateurs , qu'à fertiliser
les Jardins qu'elles font semblant d'arroser.
·
L'Orateur écarte toutes ces gentillesses
de notre Histoire , et ne la consacre qu'à
nourrir solidement l'esprit. Pour cela il
exige unjugement sain et une grande sagacité de critique dans quiconque veut y
réussir. Il touche à cette occasion la diversité des opinions , sur l'origine des
François , sur les commencemens de la
Monarchie , que quelques uns fixent à
Clovis , que d'autres font remonter
Pharamond ; les differends du Roy Philippe le Bel avec le Pape Boniface VIII.
sur lesquels sans rien ôter à nos Rois, sans
trop donner aux Papes ; il faut se souvenir qu'on est François , qu'on est Catholique , qu'on est Historien ; trois qualitez.
qu'on n'allie pasfacilement sans une gran
de solidité d'esprit , sans un grand art de narration.
Pour ce qui est de l'érudition d'un His.
torien
MAY, 1732. 939
torien de France, il est visible qu'elle doit
être des plus étendues ; nulle Monarchie,
nul Empire n'ayant égalé celui- cy pour
la durée. Car les Dominations des Assyrtens a été de mille ans , celle des Medes
⚫de 300 , celle des Perses 230 , celle des
Macédoniens 640, celle des Romains 1200.
L'Empire François compte plus de 1300
ans.
L'Orateur après avoir parlé de l'amour
de la vérité qui doit animer un Historien de France , et du stile pur et noble
qu'on en exige , fait le caractere de nos
principaux Historiens. Il rend justice à
Mezerai , et ne dit rien de trop en faveur
du P. Daniel , applaudissant à ce que celui-là a de bon , et ne dissimulant pas ce
que ce dernier a de mauvais.
Dans la seconde Partie de ce Discours
il entreprend de prouver , ce qui est sans
doute plus facile, que l'histoire de France,
est des plus agréables à lire, sur tout pour
les François.
Deux sortes de gens lisent l'Histoire
les uns pour lire et s'amuser , les autres
pour s'instruire et profiter ; ceux- là ne
veulent que des fleurs , ceux-cy veulent
des fruits ; pour contenter tous les goûts,
il faut plaire et instruire ; et c'est dequoi
le P. de la Sante croit notre Histoire tout
E v à
940 MERCURE DE FRANCE
à- fait capable ; de plaire par la singularité
des évenemens , d'instruire par la gramdeur des exemples.
Cet Orateur ne laisse pas de citer des
traits merveilleux de l'Histoire de France,
qui peuvent aller de pair avec plusieurs
traits de l'Histoire Romaine.Clovis est un
vrai conquerant; la défaite du Général des
Romains, et celle d'Alaric, Roy des Visi
gots les grands exploits de Charlemagne , et bien d'autres , étonneroient bien
autant , si les esprits n'étoient déja étonnez et comme gagnez par l'Histoire Romaine , dont on se trouve tout préoccupé lorsqu'on commence, en France même,
à lire l'Histoire de France. On n'est plus
alors si jeune ni si capable d'éblouissement;ón ne trouve donc rien de nouveau,
on ne revoit que des coppies , et les Romains restent toujours en possession d'un
esprit nourri de la Langue même de Ro
me, avant que d'avoir connu celle de son
Païs ailleurs que dans des conversations
familieres et domestiques.
L'Orateur François se sert de tout, même
de nos défaites et de nos malheurs qu'il
met en parallele avec ceux des Romains.
Nos Rois pris à Pavie et à Poitiers , nos
Vêpres Siciliennes , avec les Fourches caudines , avec la Bataille de Cannes , &c.-
Tout
M.AY. 1732 942
Tout cela ya au but , et fait le merveilleux et l'amusement d'une histoire.
2
Le Pont de Naples, deffendu par Bayard,
vaut bien celui de Rome deff ndu par
Cocles;à Clelie on compare fort à propos la Pucelle d'Orleans , aux Camilles et
aux Marcels Bertrand du Guesclin ; aux
Luculles et aux Pompées , le Maréchal de
Boucicaut, aux Scipions le Comte de Dunois ; aux Vespasiens , Godefroi de Bouillon ; à Germanicus , le Comte de Montfort ; à Drusus , le Maréchal de Brisac ; à
Fabricius , Catinat ; à Emilius , Luxembourg; à Fabius , Turenne ; à César
Condé,
Après ce parallele avec les Romains
l'Orateur défie et peutbien défier toutes
les autres Nations ensemble de l'empor
ter sur les François. Il passe ensuite à l'instruction , dont il prétend que notre Histoire est plus pleine qu'aucune autre.
Et il est vrai que rien n'égale, par exemple , la constance des François à maintenir
leurs Loix, sur tout les Loix fondamenta
les du Royaume , telles que la Loy Sali
que. Il est étonnant , et peut être unique
de voir une Loy portée par les hommes ,
mais , sans doute , tout à fait inspirée de
Dieu , se maintenir, pendant un si long,
E vj tems
942 MERCURE DE FRANCE
temps sans altération ; et cela malgré
des efforts extraordinaires faits en divers
temps par l'Angleterre , par l'Espagne ,
et par la France même , qui n'a pourtant
jamais osé franchir cette Barriere , lors
qu'il a fallu en venir à une décision précise et positive.
L'amour des François pour leurs Rois légitimes , leur fidelité inviolable ont constamment maintenu une Loy si belle' , si
sage , si divine qui rend cet Empire com- me éternel ; et cet amour et cette fidelité
deviennent , par là-même , un des grands
exemples , une des plus solides instruc
tions , qu'aucune histoire puisse soutenir.
L'ardeur des François pour les Croisades , n'est pas sans instruction non plus,
et on y trouve pour le moins autant de
bien à imiter dans l'ente rise , que de
mauvais à éviter dans l'execution . Mais
leur constance à proscrire toute Hérésie ,
tout Fanatisme , toute Religion nouvelle
est aus i d'un grand exemple. L'Arianisme
et les autres erreurs des Grecs ne purent
jamais s'y glisser , les Albigeois ne firent pas de grands progrès. Le Calvinisme
se glissa pas tout, s'empara de tout et à la
fin ne tint rien. Il est surprenant qu'on
ite par tout le François comme un molele de légereté et d'inconstance. On en
juge
MAY. 1732. 943
juge par de petits airs , de petites manieres qui épuisent la vivacité de la Nation , et par là -même , lui laissent toute
sa solidité , toute sa maturité pour les
choses essentielles qui en valent la peine,
C'est par le fond même et par de grands
résultats qu'on doit juger en general d'une Nation comme la nôtre.
N
DES BEAUX ARTS, &c.
Ous avions promis un Extrait du
Discours Latin que le R. P. de la
Sante , Professeur de Rhétorique au Collége de Louis le Grand, prononça au mois
de Janvier , devant une illustre et nom
breuse Assemblée , sur l'Histoire de Fran
ce: Voici cet Extrait.
Dans son Exorde , l'Orateur témoigne
sa surprise , sur ce que les François ont
un si petit nombre d'Ecrivains qui ayent réüssi nous donner une Histoire complette et achevée de la Nation , eux qui
écrivent si volontiers , et avec assez de
succès sur d'autres sujets , et même sur
PHistoire. Après quelques discussions , le
P. la Sante en rejette la cause , sur ceque
Histoite de France est par elle - même
aussi difficile à écrire , qu'elle est agréable
à lire. Et voilà les deux Propositions qui
partagent son Discours.
E iij
Dan's
936 MERCURE DE " FRANCE
Dans la premiere Partie , l'Orateur ne
voit rien de plus brillant pour un homme de Lettres que de réussir dans l'Histoi
re. Mais cela même, selon lui , en fait la
grande difficulté. L'historien soutient en
quelque sorte le Personnage de Juge et
de Maître.Son Tribunal est comme placé
entre les siécles passez et les siècles à ve÷
nir , pourjuger ceux-là , et instruire ceuxcy.
Les principales qualitez d'un homme
qui veut écrire notre Histoire , sont un
bon esprit , unjugement sain , utie profonde connoissance de cette Histoire ; un
amour impartial de la vérité, un stile décemment poli ; de sorte que pour former
un Ecrivain de ce caractere, il faut réunir
les talens naturels , l'usage de la vie ; un
travail pénible , une raison supérieure, et
toute la culture que l'art peut donner.
Lucien et Ciceron ont dequoi épouvan
ter quiconque entreprend d'écrire l'Histoire , par la singularité des talens qu'ils
exigent pour écrire ; l'un , l'Histoire Gre
que; l'autre , l'Histoire Romaine. Or ce
n'est rien , selon notre Orateur ; si l'on
compare les difficultés , dont parlent ces
grands hommes , à celles que notre Histoire oppose à ceux qui entreprennent de
la manier.
Y
MAY. 1732 937
Y a-t-il d'Histoire qui comprenne un
plus ample détail de faits et d'évenemens
obscurs dans leur origine, envelopez dans
leurs causes , reculez dans la suite des sié
cles , éloignez dans la vaste étendue du
Théatre où ils se sont passez , et tout-àfait merveilleux dans leur issue , quoique
dépouillez du faux merveilleux des faBles des Grecs et des Romains ?
et
Une des grandes difficultez de notre
Histoire vient de ce que le caractere des
François , formé dans un climat doux
temperé, demande une modération d'esprit extraordinaire , dans tout homme
qui entreprend de plaire à la Nation, par
un Ouvrage comme celui- là , qui est plus
particulierement fait qu'aucune autre espece d'Ouvrage pour la Nation.Cette raison est fort ingénieusement trouvée , et a
même un fonds de vérité. Il 'est pourtant
vrai que Paterculus, Tacite et Mainbourg
à qui l'Orateur reproche justement leurs
excès d'esprit , de politique ou de feu d'imagination , ont toujours trouvé et trouveront sans doute toujours des Lecteurs
et des admirateurs , même en grand nombre parmi nous.
Le P. de la Sante veut qu'une Histoire
de France ressemble à un grand Fleuve ,
dont les eaux claires , quoique profondes,
E iiij rou- 419.03
938 MERCURE DE FRANCE
roulent avec majesté leurs flors, et il com
pare les petites Histoires , dont notre Nation ne laisse pas de se faire un assez agréable amusement;à ces Eaux,détournées dans
des Canaux, qui s'élancent en Jets- d'eaux,
en Cascades , et prenent toutes sortes de
formes , plus propres à repaître là vaine
curiosité des Spectateurs , qu'à fertiliser
les Jardins qu'elles font semblant d'arroser.
·
L'Orateur écarte toutes ces gentillesses
de notre Histoire , et ne la consacre qu'à
nourrir solidement l'esprit. Pour cela il
exige unjugement sain et une grande sagacité de critique dans quiconque veut y
réussir. Il touche à cette occasion la diversité des opinions , sur l'origine des
François , sur les commencemens de la
Monarchie , que quelques uns fixent à
Clovis , que d'autres font remonter
Pharamond ; les differends du Roy Philippe le Bel avec le Pape Boniface VIII.
sur lesquels sans rien ôter à nos Rois, sans
trop donner aux Papes ; il faut se souvenir qu'on est François , qu'on est Catholique , qu'on est Historien ; trois qualitez.
qu'on n'allie pasfacilement sans une gran
de solidité d'esprit , sans un grand art de narration.
Pour ce qui est de l'érudition d'un His.
torien
MAY, 1732. 939
torien de France, il est visible qu'elle doit
être des plus étendues ; nulle Monarchie,
nul Empire n'ayant égalé celui- cy pour
la durée. Car les Dominations des Assyrtens a été de mille ans , celle des Medes
⚫de 300 , celle des Perses 230 , celle des
Macédoniens 640, celle des Romains 1200.
L'Empire François compte plus de 1300
ans.
L'Orateur après avoir parlé de l'amour
de la vérité qui doit animer un Historien de France , et du stile pur et noble
qu'on en exige , fait le caractere de nos
principaux Historiens. Il rend justice à
Mezerai , et ne dit rien de trop en faveur
du P. Daniel , applaudissant à ce que celui-là a de bon , et ne dissimulant pas ce
que ce dernier a de mauvais.
Dans la seconde Partie de ce Discours
il entreprend de prouver , ce qui est sans
doute plus facile, que l'histoire de France,
est des plus agréables à lire, sur tout pour
les François.
Deux sortes de gens lisent l'Histoire
les uns pour lire et s'amuser , les autres
pour s'instruire et profiter ; ceux- là ne
veulent que des fleurs , ceux-cy veulent
des fruits ; pour contenter tous les goûts,
il faut plaire et instruire ; et c'est dequoi
le P. de la Sante croit notre Histoire tout
E v à
940 MERCURE DE FRANCE
à- fait capable ; de plaire par la singularité
des évenemens , d'instruire par la gramdeur des exemples.
Cet Orateur ne laisse pas de citer des
traits merveilleux de l'Histoire de France,
qui peuvent aller de pair avec plusieurs
traits de l'Histoire Romaine.Clovis est un
vrai conquerant; la défaite du Général des
Romains, et celle d'Alaric, Roy des Visi
gots les grands exploits de Charlemagne , et bien d'autres , étonneroient bien
autant , si les esprits n'étoient déja étonnez et comme gagnez par l'Histoire Romaine , dont on se trouve tout préoccupé lorsqu'on commence, en France même,
à lire l'Histoire de France. On n'est plus
alors si jeune ni si capable d'éblouissement;ón ne trouve donc rien de nouveau,
on ne revoit que des coppies , et les Romains restent toujours en possession d'un
esprit nourri de la Langue même de Ro
me, avant que d'avoir connu celle de son
Païs ailleurs que dans des conversations
familieres et domestiques.
L'Orateur François se sert de tout, même
de nos défaites et de nos malheurs qu'il
met en parallele avec ceux des Romains.
Nos Rois pris à Pavie et à Poitiers , nos
Vêpres Siciliennes , avec les Fourches caudines , avec la Bataille de Cannes , &c.-
Tout
M.AY. 1732 942
Tout cela ya au but , et fait le merveilleux et l'amusement d'une histoire.
2
Le Pont de Naples, deffendu par Bayard,
vaut bien celui de Rome deff ndu par
Cocles;à Clelie on compare fort à propos la Pucelle d'Orleans , aux Camilles et
aux Marcels Bertrand du Guesclin ; aux
Luculles et aux Pompées , le Maréchal de
Boucicaut, aux Scipions le Comte de Dunois ; aux Vespasiens , Godefroi de Bouillon ; à Germanicus , le Comte de Montfort ; à Drusus , le Maréchal de Brisac ; à
Fabricius , Catinat ; à Emilius , Luxembourg; à Fabius , Turenne ; à César
Condé,
Après ce parallele avec les Romains
l'Orateur défie et peutbien défier toutes
les autres Nations ensemble de l'empor
ter sur les François. Il passe ensuite à l'instruction , dont il prétend que notre Histoire est plus pleine qu'aucune autre.
Et il est vrai que rien n'égale, par exemple , la constance des François à maintenir
leurs Loix, sur tout les Loix fondamenta
les du Royaume , telles que la Loy Sali
que. Il est étonnant , et peut être unique
de voir une Loy portée par les hommes ,
mais , sans doute , tout à fait inspirée de
Dieu , se maintenir, pendant un si long,
E vj tems
942 MERCURE DE FRANCE
temps sans altération ; et cela malgré
des efforts extraordinaires faits en divers
temps par l'Angleterre , par l'Espagne ,
et par la France même , qui n'a pourtant
jamais osé franchir cette Barriere , lors
qu'il a fallu en venir à une décision précise et positive.
L'amour des François pour leurs Rois légitimes , leur fidelité inviolable ont constamment maintenu une Loy si belle' , si
sage , si divine qui rend cet Empire com- me éternel ; et cet amour et cette fidelité
deviennent , par là-même , un des grands
exemples , une des plus solides instruc
tions , qu'aucune histoire puisse soutenir.
L'ardeur des François pour les Croisades , n'est pas sans instruction non plus,
et on y trouve pour le moins autant de
bien à imiter dans l'ente rise , que de
mauvais à éviter dans l'execution . Mais
leur constance à proscrire toute Hérésie ,
tout Fanatisme , toute Religion nouvelle
est aus i d'un grand exemple. L'Arianisme
et les autres erreurs des Grecs ne purent
jamais s'y glisser , les Albigeois ne firent pas de grands progrès. Le Calvinisme
se glissa pas tout, s'empara de tout et à la
fin ne tint rien. Il est surprenant qu'on
ite par tout le François comme un molele de légereté et d'inconstance. On en
juge
MAY. 1732. 943
juge par de petits airs , de petites manieres qui épuisent la vivacité de la Nation , et par là -même , lui laissent toute
sa solidité , toute sa maturité pour les
choses essentielles qui en valent la peine,
C'est par le fond même et par de grands
résultats qu'on doit juger en general d'une Nation comme la nôtre.
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Résumé : Discours du P. de le Sante. Extrait, [titre d'après la table]
Le Père de la Sante, professeur de rhétorique au Collège de Louis le Grand, a prononcé un discours en janvier devant une assemblée nombreuse et illustre. Il exprime sa surprise que les Français, malgré leur talent pour l'écriture, aient peu d'historiens ayant réussi à produire une histoire complète et achevée de la France. Il attribue cette difficulté à la complexité de l'histoire française, qui est à la fois difficile à écrire et agréable à lire. Dans la première partie de son discours, l'orateur souligne que l'histoire est un domaine où les écrivains peuvent briller, mais où les défis sont nombreux. L'historien doit être un juge impartial, placé entre les siècles passés et futurs, avec des qualités telles qu'un bon esprit, un jugement sain, une connaissance profonde de l'histoire, un amour impartial de la vérité et un style décemment poli. Les difficultés de l'histoire française sont comparées à celles des histoires grecque et romaine, décrites par Lucien et Cicéron. L'orateur mentionne également les particularités du caractère français, formé dans un climat tempéré, qui nécessite une modération d'esprit extraordinaire. Il compare l'histoire de France à un grand fleuve aux eaux claires et profondes, contrastant avec les petites histoires qui amusent mais ne nourrissent pas solidement l'esprit. La seconde partie du discours met en avant l'agrément de l'histoire de France, riche en événements singuliers et en exemples grandioses. L'orateur cite des traits merveilleux de l'histoire française, comparables à ceux de l'histoire romaine, et souligne la constance des Français à maintenir leurs lois fondamentales, comme la loi salique. Il mentionne également l'amour des Français pour leurs rois légitimes et leur fidélité inviolable, ainsi que leur ardeur pour les croisades et leur constance à proscrire les hérésies. Malgré les jugements extérieurs sur la légèreté et l'inconstance des Français, l'orateur affirme que la nation montre une grande solidité et maturité dans les choses essentielles.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 980-987
Discours sur les Spectacles, &c. [titre d'après la table]
Début :
Le 13 du mois de Mars, le R. P. Charles Porée, Jesuite, prononça devant une illustre et [...]
Mots clefs :
Théâtre, Charles Porée, Préceptes, Histoire, Poète dramatique, Orateur, Exemples, Moeurs, Former, Vertus, Vices, Hommes, Comédie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Discours sur les Spectacles, &c. [titre d'après la table]
Le 13 du mois de Mars , le R. P. Charles Porée
, Jesuite , prononça devant une illustre et
nombreuse Assemblée un Discours Latin sur ce
sujet : Theatrum sit ne , vel esse possit Schola informandis
moribus idonea. C'est- à-dire , sille
formanMAY
. 1733. 981
Théatre est ou peut devenir une Ecole propre pour
former les moeurs.
Après avoir touché dans son Exorde les rai
sons qu'il y a de mettre la chose en Problême ,
raisons tirées des disputes qui se sont souvent
élevées à cette occasion , l'Orateur prenant sa❤
gement son parti , entreprend de faire voir dans
les deux parties qui divisent son Discours , que
le Théatre peut de sa nature être une Ecole propre
pour former les moeurs ; mais que par la
faute des hommes il ne l'est pas. Cet Exorde est
terminé par l'Eloge des deux Cardinaux qui
étoient présens , le Cardinal de Polignac et le
Cardinal de Bissy. Ce double Eloge est bien caracterisé
, et plein de finesse et d'art .
La Philosophie donne des préceptes pour
former les moeurs , l'Histoire donne des exeinples.
Le Théatre emprunte de ces deux Ecoles
ce qu'elles ont de meilleur , et par la réunion
qu'elle en fait , elle s'éleve fort au- dessus de cha
cune d'elles, prises en particulier.
Il n'est point d'état pour lequel la Philosophie
ne donne des préceptes. On ne voit pas
non plus que le Théatre soit borné à cet égard .
Les Serviteurs , les Ouvriers , les Marchands , les
Juges , les grands Seigneurs , les Rois y reçoivent
des leçons , soit dans la Comédie , soit
dans la Tragédie.
Tous les Etats , toutes les conditions , tous
les âges , tous les devoirs sont de son ressort .
On y apprend à aimer la vertu , et toutes sortes
de vertus
et à haïr et à fuir le vice , et toutes
sortes de vices .
Le Théatre va même plus loin que la Philoso
phie , qui se borne communément aux vertus er
G iiij
aux
982 MERCURE DE FRANCE
aux vices , au lieu que le Théatre va jusqu'aux
bienséances et aux indécenses les plus légeres.
La Tragédie punit séverement les moindres foiblesses
, et la Comédie poursuit impitoyablement
le ridicule le moins grossier.
pour cor-
Mais d'où en particulier , demande l'Orateur
d'où le Poëte Dramatique tirera- t- il le fond
des préceptes dont il prétend se servir
riger les hommes ? Trois sources , répond- il
lui sont ouvertes. Et d'abord l'humaine folie ,
l'humaine sottise est une source des plus abondantes.
La morale ordinaire est une seconde
source , et la morale divine même , prise avec
sagesse et discretion ; ne lui est pas interdite.
Le P. Porée passe à la maniere dont le Poëte
Dramatique débite ses préceptes de morale. La
maniere du Philosophe est toute dogmatique ,
contentieuse et pleine d'emphase . Le Poëte
Dramatique dissimule son but , et
dissimule son but , et y arrive peutêtre
par là plus efficacement. Il ne s'érige ni en
Docteur , ni en Maître , ' ni en Censeur. Il invite
à la vertu , il attire les coeurs , plutôt qu'il
n'entraîne les esprits : il parle en homme à des
hommes. Ce Parallele du Poëte Dramatique et
du Philosophe Dogmatique , est un des beaux
morceaux de cette Harangue.
Mais c'est par les exemples joints aux préceptes
que le Poëte s'étend tout à fait au-dessus du
Philosophe , et entre en paralele avec l'Historien.
Le mot de Seneque est connu , que le chemin
est long par les préceptes , mais court et
efficace par les exemples. Ce qu'un homme a
fait , chaque homme se croit capable de le faire.
C'est par là que Ciceron appelle l'Histoire , la
Maitresse de la vie.
Qr
:
MAY. 1733. 981
Théatre est ou peut devenir une Ecole propre pour
former les moeurs.
Après avoir touché dans son Exorde les rais
sons qu'il y a de mettre la chose en Problême ,
raisons tirées des disputes qui se sont souvent
élevées à cette occasion , l'Orateur prenant sagement
son parti , entreprend de faire voir dans
les deux parties qui divisent son Discours , que
le Théatre peut de sa nature être une Ecole propre
pour former les moeurs ; mais que par la
faute des hommes il ne l'est pas . Cet Exorde est
terminé par l'Eloge des deux Cardinaux qui
étoient présens , le Cardinal de Polignac et le
Cardinal de Bissy. Ce double Eloge est bien caracterisé
, et plein de finesse et d'art.
La Philosophie donne des préceptes pour
former les moeurs , l'Histoire donne des exem
ples. Le Théatre emprunte de ces deux Ecoles
ce qu'elles ont de meilleur , et par la réunion
qu'elle en fait , elle s'éleve fort au - dessus de cha
Cune d'elles, prises en particulier.
Il n'est point d'état pour lequel la Philosophie
ne donne des préceptes . On ne voit pas
non plus que le Théatre soit borné à cet égard.
Les Serviteurs , les Ouvriers , les Marchands , les
Juges , les grands Seigneurs , les Rois y reçoivent
des leçons , soit dans la Comédie , soit
dans la Tragédie.
Tous les Etats , toutes les conditions , tous
les âges , tous les devoirs sont de son ressort.
On y apprend à aimer la vertu , et toutes sortes
de vertus , et à hair et à fuir le vice , et toutes
sortes de vices.
Le Théatre va même plus loin que la Philoso
phie , qui se borne communément aux vertus er
Giiij aux
982 MERCURE DE FRANCE
aux vices , au lieu que le Théatre va jusqu'aux
bienséances et aux indécenses les plus légeres.
La Tragédie punit séverement les moindres foiblesses
, et la Comédie poursuit impitoyablement
le ridicule le moins grossier.
Mais d'où en particulier , demande l'Orateur
d'où le Poëte Dramatique tirera-t - il le fond
des préceptes dont il prétend se servir pour corriger
les hommes ? Trois sources , répond- il
lui sont ouvertes . Et d'abord l'humaine folie ,
l'humaine sottise est une source des plus abon →
dantes . La morale ordinaire est une seconde
source , et la morale divine même , prise avec
sagesse et discretion , ne lui est pas interdite.
>
Le P. Porée passe à la maniere dont le Poëte
Dramatique débite ses préceptes de morale. La
maniere du Philosophe est toute dogmatique
contentieuse , et pleine d'emphase . Le Poëte
Dramatique dissimule son but , et y arrive peutêtre
par là plus efficacement . Il ne s'erige ni en
Docteur , ni en Maître , ' ni en Censeur. Il invite
à la vertu , il attire les coeurs , plutôt qu'il
n'entraîne les esprits : il parle en homme à des
hommes. Ce Parallele du Poëte Dramatique et
du Thilosophe Dogmatique , est un des beaux
morceaux de cette Harangue
Mais c'est par les exemples joints aux préceptes
que le Poëte s'étend tout à fait au-dessus du
Philosophe , et entre en parallele avec l'Histo
rien. Le mot de Seneque est connu , que le chemin
est long par les préceptes , mais court et
efficace par les exemples. Ce qu'un homme a
fait , chaque homme se croit capable de le faire.
C'est par là que Ciceron appelle l'Histoire , la
Maitresse de la vie.
Or
MA Y. 1733- 983
Or l'Histoire donne indifféremment toutes
sortes d'exemples tels qu'ils se présentent , sans
donner souvent ceux dont chacun auroit besoin
Le Théatre les choisit , et les approprie à ses
Spectateurs. L'Histore fait souvent voir la vertu
si-non punie, du moins malheureuse , et le vice
heureux et comme récompensé. Sur le Théatre
c'est une loi de punir le vice et de couronner la
vertu.
Les exemples que donne l'Histoire sont inanimés
, et presqu'aussi inefficaces que les préceptes
philosophiques Car la Philosophie parle
pour l'avenir . On doit faire ceci on doit éviter
cela. L'Histoire raconte le passé . Le Théatre
seul rend les exemples pressans , animés
vivans.
L'Histoire parle tantôt des vices tantôt des
vertus , selon les sujets qu'elle peint . Le Dramatique
peint réellement , et a tous les avantages
de la Peinture le contraste sur tout et l'opposition
, le mêlange des ombres avec la lumiere ;
il oppose les vertus aux vices , les vices aux vertus.
Et par là ses caracteres sont toujours marqués
, brillans et à portée d'être imités ou rejettés.
Socrate étoit fort , assidu au Théatre d'Euripide.
Aristote a traité fort au long et en grave
Philosophe de la Poësie Dramatique . Le Car
dinal de Richelieu a travaillé pour le Théatre.
L'Orateur dit aussi son sentiment sur le
Théatre moderne , et ne trouve ni dans les Vers ,
ni dans le Chant , ni dans la Danse , rien qui
ne puisse être fort innocent , et fort propre
même à nourrir l'esprit et à former le coeur en
les amusant. Il a donc raison de conclure que
de soi le Théatre peut fort bien être une Ecole
GY de
984 MERCURE DE FRANCE
de vertu , propre pour former les moeurs. Mais
pourquoi donc tant de grands hommes , tant
de vertueux personages ont- ils proscrit le Théatre
, et invectivé contre lui comme contre une
Ecole de vice et de libertinage ? La réponse est
facile. Ils n'éxaminoient pas ce qui pouvoit
être. Ils ne parloient que de ce qui étoit.
Or le Théatre n'est pas , et n'a guéres jamais
été ce qu'il pouvoit , et ce qu'il devroit être :
et peut - être est - il bien difficile qu'il le soit jamais
ce qui est une autre question qu'on pourroit
discuter. L'Orateur parle désormais du
Théatre tel qu'il est , et c'est le sujet de la seconde
partic.
Il remonte à la source du mal 1, et la trouve
également dans les Auteurs , dans les Acteurs
et dans les Spectateurs , et en premier heu c'est
la faute des Poëtes Dramatiques si le Théatre
n'est pas ce qu'il doit être. Ils perdent à tous
momens de vue la fin et le but du sujet qu'ils
se mêlent de traitter .
Leur grand but paroît être uniquement de
briller , et de se faire promptement connoître et
admirer du Public ; de se donner en quelque
sorte en spectacle à toute une ville , sans- se piquer
beaucoup du titre de bons citoyens , dont
le devoir est de se rendre utile , et de contribuer
au bien commun de la Nation. Horace
dit que les Poëtes veulent ou plaire ou être utiles
. Nos Poëtes ne s'embarassent guéres que de
plaire.
Deux folles passions , capables seules de corrompre
toute une Nation , paroissent être le
grand objet de nos Poëtes , la vengeance et l'amour
, et en être l'objet bien plus pour les réveiller
que pour les éteindre.
Le
MAY . 1733 .
Le P. Porée adresse la parole au grand Corneille
, et lui reproche avec vehemence , quoiqu'avec
beaucoup d'estime et une sorte de respect
, d'avoir donné des exemples et des préceptes
de vengeance et de duel dans son Cid , et
de les avoir donnés d'une maniere d'autant plus
dangereuse , qu'elle est plus pleine d'élévation , si
non de coeur et de sentimens , du moins d'esprit
et de pensées .
Mais en même-tems l'Orateur reconnoît la
sagesse de Corneille sur l'article de l'Amour, sur
lequel Racine a été encore plus indiscret que
Corneille ne l'avoit été sur celui de la Vengeance.
Là commence un parallele de ces deux
grands Maîtres de la Scene Françoise ; et ce parallele
est nouveau après tous les autres qui ont
paru jusqu'ici : il finit par établir une sorte d'égalité
entre les deux Poëtes . Mais le commencement
et le milieu n'alloient point là , et on
ne s'attendoit guéres à voir cette gémissante Colombe
de Venus partager l'Empire , même du
Théatre , avec cette Aigle foudroyante de Jupiter.
L'Orateur a donné sans doute cette fin au
préjugé du vulgaire.
Ceux qui se sont emparés de la Scene après
ces deux grands Poëtes , ont bien pû imiter ou
surpasser même leurs défauts , principalement
celui des Sottises amoureuses , mais il ne leur a
pas été si aisé d'atteindre à leur Art , beaucoup
moins à leur Génie .
L'Orateur répond au prétexte , qu'on réveille
P'Amour pour le corriger et le bannir . Il appelle
cela exciter un grand incendie pour l'ét indre
après qu'il a fait bien des ravages donner du
poison pour le faire revomir après qu'il a dé
shiré les entrailles, L'amour n'est pas de ces
Gvj pas+
986 MERCURE DE FRANCE
sûr passions peu naturelles qu'on est commes
d'éteindre après les avoir allumées.
Les anciens Tragiques ne connoissoient point
cette passion , et leur Théatre ne se soutenoit
que mieux sans elle. Eschyle ne l'a jamais mise
sur le sien , Sophocle ne l'y a admise qu'une
fois , et Euripide deux fois : et encore avec
quels égards , quelle discrétion , quelle bienséance
,
Ia Tragédie a donc beaucoup perdu de son
ancienne majesté en perdant sa gravité , sa
séverité sa modestie , sa décence. Mais la Comédie
moerne se flate de surpasser en ce point
là même , l'ancienne Comédie. Notre Orateur
cependant n'est point du tout de cet avis. Le
caractere qu'il fait de Moliere est achevé , et
par là même il en fait un Maître dans l'Art des
moeurs d'autant plus mauvais , qu'il le fait meilleur
dans l'Art du Poeme Dramatique.
Le P. Porée n'épargne aucune sorte de Théatre.
La Comédie Italienne ne mérite pas de
grands égards après qu'il a reprouvé le Théatre
François. Et là - dessus on comprend bien qu'il
ne fait nul quartier à POpera. I applaudit au
génie de Lulli et de Quinault : mais il ne leur
fait d'autre grace , sur l'abus qu'ils en ont fait ,
qu'en reconnoissant qu'ils on: reconnu eux mêmes
avant leur mort , et qu'ils ont détesté cer
abus.
Des Auteurs , le P. Porée passe aux Acteurs ,
et fait voir que plus ils sont parfaits dans leur
action , plus ils sont criminels , et qu'ils contribuent
beaucoup au mal que les Auteurs Dramatiques
font par leur organe. Les Spectateurs ne
sont pas épargnés. Comment seroient- ils innocens
s'il faut être criminel pour leur
plaire ?
›
MAY. 17 ? 3 . 987
Cet Extrait auroit paru dès le mois passé si
nous n'avions été trop pressés par l'abondance
des matieres. Le Discours Latin , imprimé chez
Coignard fils , rue S. jacques , paroît et se fait
lire avec un extrême plaisir. On pariera dans le
prochain Mercure de la Traduction Françoise.
que le R. P. Brumoy en a faite , imprimée chez
le même Libraire.
, Jesuite , prononça devant une illustre et
nombreuse Assemblée un Discours Latin sur ce
sujet : Theatrum sit ne , vel esse possit Schola informandis
moribus idonea. C'est- à-dire , sille
formanMAY
. 1733. 981
Théatre est ou peut devenir une Ecole propre pour
former les moeurs.
Après avoir touché dans son Exorde les rai
sons qu'il y a de mettre la chose en Problême ,
raisons tirées des disputes qui se sont souvent
élevées à cette occasion , l'Orateur prenant sa❤
gement son parti , entreprend de faire voir dans
les deux parties qui divisent son Discours , que
le Théatre peut de sa nature être une Ecole propre
pour former les moeurs ; mais que par la
faute des hommes il ne l'est pas. Cet Exorde est
terminé par l'Eloge des deux Cardinaux qui
étoient présens , le Cardinal de Polignac et le
Cardinal de Bissy. Ce double Eloge est bien caracterisé
, et plein de finesse et d'art .
La Philosophie donne des préceptes pour
former les moeurs , l'Histoire donne des exeinples.
Le Théatre emprunte de ces deux Ecoles
ce qu'elles ont de meilleur , et par la réunion
qu'elle en fait , elle s'éleve fort au- dessus de cha
cune d'elles, prises en particulier.
Il n'est point d'état pour lequel la Philosophie
ne donne des préceptes. On ne voit pas
non plus que le Théatre soit borné à cet égard .
Les Serviteurs , les Ouvriers , les Marchands , les
Juges , les grands Seigneurs , les Rois y reçoivent
des leçons , soit dans la Comédie , soit
dans la Tragédie.
Tous les Etats , toutes les conditions , tous
les âges , tous les devoirs sont de son ressort .
On y apprend à aimer la vertu , et toutes sortes
de vertus
et à haïr et à fuir le vice , et toutes
sortes de vices .
Le Théatre va même plus loin que la Philoso
phie , qui se borne communément aux vertus er
G iiij
aux
982 MERCURE DE FRANCE
aux vices , au lieu que le Théatre va jusqu'aux
bienséances et aux indécenses les plus légeres.
La Tragédie punit séverement les moindres foiblesses
, et la Comédie poursuit impitoyablement
le ridicule le moins grossier.
pour cor-
Mais d'où en particulier , demande l'Orateur
d'où le Poëte Dramatique tirera- t- il le fond
des préceptes dont il prétend se servir
riger les hommes ? Trois sources , répond- il
lui sont ouvertes. Et d'abord l'humaine folie ,
l'humaine sottise est une source des plus abondantes.
La morale ordinaire est une seconde
source , et la morale divine même , prise avec
sagesse et discretion ; ne lui est pas interdite.
Le P. Porée passe à la maniere dont le Poëte
Dramatique débite ses préceptes de morale. La
maniere du Philosophe est toute dogmatique ,
contentieuse et pleine d'emphase . Le Poëte
Dramatique dissimule son but , et
dissimule son but , et y arrive peutêtre
par là plus efficacement. Il ne s'érige ni en
Docteur , ni en Maître , ' ni en Censeur. Il invite
à la vertu , il attire les coeurs , plutôt qu'il
n'entraîne les esprits : il parle en homme à des
hommes. Ce Parallele du Poëte Dramatique et
du Philosophe Dogmatique , est un des beaux
morceaux de cette Harangue.
Mais c'est par les exemples joints aux préceptes
que le Poëte s'étend tout à fait au-dessus du
Philosophe , et entre en paralele avec l'Historien.
Le mot de Seneque est connu , que le chemin
est long par les préceptes , mais court et
efficace par les exemples. Ce qu'un homme a
fait , chaque homme se croit capable de le faire.
C'est par là que Ciceron appelle l'Histoire , la
Maitresse de la vie.
Qr
:
MAY. 1733. 981
Théatre est ou peut devenir une Ecole propre pour
former les moeurs.
Après avoir touché dans son Exorde les rais
sons qu'il y a de mettre la chose en Problême ,
raisons tirées des disputes qui se sont souvent
élevées à cette occasion , l'Orateur prenant sagement
son parti , entreprend de faire voir dans
les deux parties qui divisent son Discours , que
le Théatre peut de sa nature être une Ecole propre
pour former les moeurs ; mais que par la
faute des hommes il ne l'est pas . Cet Exorde est
terminé par l'Eloge des deux Cardinaux qui
étoient présens , le Cardinal de Polignac et le
Cardinal de Bissy. Ce double Eloge est bien caracterisé
, et plein de finesse et d'art.
La Philosophie donne des préceptes pour
former les moeurs , l'Histoire donne des exem
ples. Le Théatre emprunte de ces deux Ecoles
ce qu'elles ont de meilleur , et par la réunion
qu'elle en fait , elle s'éleve fort au - dessus de cha
Cune d'elles, prises en particulier.
Il n'est point d'état pour lequel la Philosophie
ne donne des préceptes . On ne voit pas
non plus que le Théatre soit borné à cet égard.
Les Serviteurs , les Ouvriers , les Marchands , les
Juges , les grands Seigneurs , les Rois y reçoivent
des leçons , soit dans la Comédie , soit
dans la Tragédie.
Tous les Etats , toutes les conditions , tous
les âges , tous les devoirs sont de son ressort.
On y apprend à aimer la vertu , et toutes sortes
de vertus , et à hair et à fuir le vice , et toutes
sortes de vices.
Le Théatre va même plus loin que la Philoso
phie , qui se borne communément aux vertus er
Giiij aux
982 MERCURE DE FRANCE
aux vices , au lieu que le Théatre va jusqu'aux
bienséances et aux indécenses les plus légeres.
La Tragédie punit séverement les moindres foiblesses
, et la Comédie poursuit impitoyablement
le ridicule le moins grossier.
Mais d'où en particulier , demande l'Orateur
d'où le Poëte Dramatique tirera-t - il le fond
des préceptes dont il prétend se servir pour corriger
les hommes ? Trois sources , répond- il
lui sont ouvertes . Et d'abord l'humaine folie ,
l'humaine sottise est une source des plus abon →
dantes . La morale ordinaire est une seconde
source , et la morale divine même , prise avec
sagesse et discretion , ne lui est pas interdite.
>
Le P. Porée passe à la maniere dont le Poëte
Dramatique débite ses préceptes de morale. La
maniere du Philosophe est toute dogmatique
contentieuse , et pleine d'emphase . Le Poëte
Dramatique dissimule son but , et y arrive peutêtre
par là plus efficacement . Il ne s'erige ni en
Docteur , ni en Maître , ' ni en Censeur. Il invite
à la vertu , il attire les coeurs , plutôt qu'il
n'entraîne les esprits : il parle en homme à des
hommes. Ce Parallele du Poëte Dramatique et
du Thilosophe Dogmatique , est un des beaux
morceaux de cette Harangue
Mais c'est par les exemples joints aux préceptes
que le Poëte s'étend tout à fait au-dessus du
Philosophe , et entre en parallele avec l'Histo
rien. Le mot de Seneque est connu , que le chemin
est long par les préceptes , mais court et
efficace par les exemples. Ce qu'un homme a
fait , chaque homme se croit capable de le faire.
C'est par là que Ciceron appelle l'Histoire , la
Maitresse de la vie.
Or
MA Y. 1733- 983
Or l'Histoire donne indifféremment toutes
sortes d'exemples tels qu'ils se présentent , sans
donner souvent ceux dont chacun auroit besoin
Le Théatre les choisit , et les approprie à ses
Spectateurs. L'Histore fait souvent voir la vertu
si-non punie, du moins malheureuse , et le vice
heureux et comme récompensé. Sur le Théatre
c'est une loi de punir le vice et de couronner la
vertu.
Les exemples que donne l'Histoire sont inanimés
, et presqu'aussi inefficaces que les préceptes
philosophiques Car la Philosophie parle
pour l'avenir . On doit faire ceci on doit éviter
cela. L'Histoire raconte le passé . Le Théatre
seul rend les exemples pressans , animés
vivans.
L'Histoire parle tantôt des vices tantôt des
vertus , selon les sujets qu'elle peint . Le Dramatique
peint réellement , et a tous les avantages
de la Peinture le contraste sur tout et l'opposition
, le mêlange des ombres avec la lumiere ;
il oppose les vertus aux vices , les vices aux vertus.
Et par là ses caracteres sont toujours marqués
, brillans et à portée d'être imités ou rejettés.
Socrate étoit fort , assidu au Théatre d'Euripide.
Aristote a traité fort au long et en grave
Philosophe de la Poësie Dramatique . Le Car
dinal de Richelieu a travaillé pour le Théatre.
L'Orateur dit aussi son sentiment sur le
Théatre moderne , et ne trouve ni dans les Vers ,
ni dans le Chant , ni dans la Danse , rien qui
ne puisse être fort innocent , et fort propre
même à nourrir l'esprit et à former le coeur en
les amusant. Il a donc raison de conclure que
de soi le Théatre peut fort bien être une Ecole
GY de
984 MERCURE DE FRANCE
de vertu , propre pour former les moeurs. Mais
pourquoi donc tant de grands hommes , tant
de vertueux personages ont- ils proscrit le Théatre
, et invectivé contre lui comme contre une
Ecole de vice et de libertinage ? La réponse est
facile. Ils n'éxaminoient pas ce qui pouvoit
être. Ils ne parloient que de ce qui étoit.
Or le Théatre n'est pas , et n'a guéres jamais
été ce qu'il pouvoit , et ce qu'il devroit être :
et peut - être est - il bien difficile qu'il le soit jamais
ce qui est une autre question qu'on pourroit
discuter. L'Orateur parle désormais du
Théatre tel qu'il est , et c'est le sujet de la seconde
partic.
Il remonte à la source du mal 1, et la trouve
également dans les Auteurs , dans les Acteurs
et dans les Spectateurs , et en premier heu c'est
la faute des Poëtes Dramatiques si le Théatre
n'est pas ce qu'il doit être. Ils perdent à tous
momens de vue la fin et le but du sujet qu'ils
se mêlent de traitter .
Leur grand but paroît être uniquement de
briller , et de se faire promptement connoître et
admirer du Public ; de se donner en quelque
sorte en spectacle à toute une ville , sans- se piquer
beaucoup du titre de bons citoyens , dont
le devoir est de se rendre utile , et de contribuer
au bien commun de la Nation. Horace
dit que les Poëtes veulent ou plaire ou être utiles
. Nos Poëtes ne s'embarassent guéres que de
plaire.
Deux folles passions , capables seules de corrompre
toute une Nation , paroissent être le
grand objet de nos Poëtes , la vengeance et l'amour
, et en être l'objet bien plus pour les réveiller
que pour les éteindre.
Le
MAY . 1733 .
Le P. Porée adresse la parole au grand Corneille
, et lui reproche avec vehemence , quoiqu'avec
beaucoup d'estime et une sorte de respect
, d'avoir donné des exemples et des préceptes
de vengeance et de duel dans son Cid , et
de les avoir donnés d'une maniere d'autant plus
dangereuse , qu'elle est plus pleine d'élévation , si
non de coeur et de sentimens , du moins d'esprit
et de pensées .
Mais en même-tems l'Orateur reconnoît la
sagesse de Corneille sur l'article de l'Amour, sur
lequel Racine a été encore plus indiscret que
Corneille ne l'avoit été sur celui de la Vengeance.
Là commence un parallele de ces deux
grands Maîtres de la Scene Françoise ; et ce parallele
est nouveau après tous les autres qui ont
paru jusqu'ici : il finit par établir une sorte d'égalité
entre les deux Poëtes . Mais le commencement
et le milieu n'alloient point là , et on
ne s'attendoit guéres à voir cette gémissante Colombe
de Venus partager l'Empire , même du
Théatre , avec cette Aigle foudroyante de Jupiter.
L'Orateur a donné sans doute cette fin au
préjugé du vulgaire.
Ceux qui se sont emparés de la Scene après
ces deux grands Poëtes , ont bien pû imiter ou
surpasser même leurs défauts , principalement
celui des Sottises amoureuses , mais il ne leur a
pas été si aisé d'atteindre à leur Art , beaucoup
moins à leur Génie .
L'Orateur répond au prétexte , qu'on réveille
P'Amour pour le corriger et le bannir . Il appelle
cela exciter un grand incendie pour l'ét indre
après qu'il a fait bien des ravages donner du
poison pour le faire revomir après qu'il a dé
shiré les entrailles, L'amour n'est pas de ces
Gvj pas+
986 MERCURE DE FRANCE
sûr passions peu naturelles qu'on est commes
d'éteindre après les avoir allumées.
Les anciens Tragiques ne connoissoient point
cette passion , et leur Théatre ne se soutenoit
que mieux sans elle. Eschyle ne l'a jamais mise
sur le sien , Sophocle ne l'y a admise qu'une
fois , et Euripide deux fois : et encore avec
quels égards , quelle discrétion , quelle bienséance
,
Ia Tragédie a donc beaucoup perdu de son
ancienne majesté en perdant sa gravité , sa
séverité sa modestie , sa décence. Mais la Comédie
moerne se flate de surpasser en ce point
là même , l'ancienne Comédie. Notre Orateur
cependant n'est point du tout de cet avis. Le
caractere qu'il fait de Moliere est achevé , et
par là même il en fait un Maître dans l'Art des
moeurs d'autant plus mauvais , qu'il le fait meilleur
dans l'Art du Poeme Dramatique.
Le P. Porée n'épargne aucune sorte de Théatre.
La Comédie Italienne ne mérite pas de
grands égards après qu'il a reprouvé le Théatre
François. Et là - dessus on comprend bien qu'il
ne fait nul quartier à POpera. I applaudit au
génie de Lulli et de Quinault : mais il ne leur
fait d'autre grace , sur l'abus qu'ils en ont fait ,
qu'en reconnoissant qu'ils on: reconnu eux mêmes
avant leur mort , et qu'ils ont détesté cer
abus.
Des Auteurs , le P. Porée passe aux Acteurs ,
et fait voir que plus ils sont parfaits dans leur
action , plus ils sont criminels , et qu'ils contribuent
beaucoup au mal que les Auteurs Dramatiques
font par leur organe. Les Spectateurs ne
sont pas épargnés. Comment seroient- ils innocens
s'il faut être criminel pour leur
plaire ?
›
MAY. 17 ? 3 . 987
Cet Extrait auroit paru dès le mois passé si
nous n'avions été trop pressés par l'abondance
des matieres. Le Discours Latin , imprimé chez
Coignard fils , rue S. jacques , paroît et se fait
lire avec un extrême plaisir. On pariera dans le
prochain Mercure de la Traduction Françoise.
que le R. P. Brumoy en a faite , imprimée chez
le même Libraire.
Fermer
Résumé : Discours sur les Spectacles, &c. [titre d'après la table]
Le 13 mars, le Père Charles Porée, jésuite, prononça un discours en latin devant une assemblée nombreuse et illustre sur le sujet : 'Le Théâtre est-il ou peut-il devenir une école propre pour former les mœurs ?' Porée explora les raisons de poser cette question et démontra que, bien que le théâtre puisse être une école pour former les mœurs, il ne l'est pas en raison des erreurs humaines. Il loua les cardinaux de Polignac et de Bissy présents. Porée souligna que le théâtre combine les préceptes de la philosophie et les exemples de l'histoire, s'élevant ainsi au-dessus de ces deux disciplines. Il offre des leçons pour toutes les conditions sociales, enseignant à aimer la vertu et à fuir le vice. Le théâtre va même plus loin que la philosophie en abordant les bienséances et les indécences les plus légères. La tragédie punit les moindres faiblesses, et la comédie poursuit le ridicule le moins grossier. Le poète dramatique tire ses préceptes de l'humaine folie, de la morale ordinaire et de la morale divine. Contrairement au philosophe dogmatique, le poète dramatique dissimule son but et invite à la vertu de manière plus efficace. Il utilise des exemples pour rendre ses leçons plus pressantes et vivantes, contrairement à l'histoire qui donne des exemples indifférents et souvent inefficaces. L'orateur critiqua les auteurs dramatiques modernes qui se concentrent sur la vengeance et l'amour, reprochant à Corneille et Racine d'avoir donné des exemples dangereux de ces passions. Il reconnut la sagesse de Corneille sur l'amour et compara les deux poètes, établissant une sorte d'égalité entre eux. Il critiqua également la comédie italienne et l'opéra, tout en reconnaissant le génie de Lulli et Quinault. Porée passa ensuite aux acteurs, affirmant qu'ils contribuent au mal fait par les auteurs dramatiques, et ne ménagea pas non plus les spectateurs. Le texte est un extrait d'un document daté du 17 mai 1739, mentionnant que le discours en latin, imprimé chez Coignard fils, rue Saint-Jacques, suscite un grand intérêt et est lu avec plaisir. La traduction française de ce discours, réalisée par le Père Brumoy, sera publiée dans le prochain numéro du Mercure de France. La publication avait été retardée en raison de l'abondance des matières à traiter.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
13
p. 1174-1189
Discours sur les Spectacles, traduit du Latin, [titre d'après la table]
Début :
THEATRUM ne sit vel esse possit Schola informandis moribus idonea ; oratio habita [...]
Mots clefs :
Scène, Théâtre, Orateur, Moeurs, Histoire, Philosophie, Nature, Racine, Comédie, Corneille, Tragédie, Héros, Discours, Effet
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Discours sur les Spectacles, traduit du Latin, [titre d'après la table]
THEATRUM ne sit vel esse possit Schola
informandis moribus idonea ; oratio habita
die 13. Martii an . 1733. in Regio Ludovici
Magni Collegio Societatis Jesu , à
Carolo Porée , ejusdem Societatis Sacerdote.
ITEM , Discours sur les Spectacles , tradit
du Latin du Pere Charles Porée , de
la Compagnie de Jesus , par le P. Brumoy
de la même Compagnie..
L'une et l'autre Piéce est imprimée chez
Jean Baptiste Coignard fils , rue S. Jacques
, 1733 .
Le P. Porée , après avoir piqué la curiosité
du Public par son titre , a pleinement
satisfait celle de ses illustres Auditeurs
, au nombre desquels se trouverent
MM. les Cardinaux de Polignac et de .
Bissy , M. le Nonce , plusieurs Prélats
et autres personnes de distinction . On
souhaita que son Discours fût imprimé ,
et peu de tems après l'impression ,
Pere Brumoy l'a donné en françois. Ce
Discours a paru interessant par bien des .
endroits . Nous en exposerons briévement
le sujet et l'ordre , autant que la
fertilité laconique de l'Orateur pourra
permettre .
le
1. Vol. II
JUIN. 1733 117
Il établit dans l'Exorde que le Théatre
depuis son origine a toujours été un
sujet de contestation , comme un attrait
de curiosité , parce qu'en effet Athénes ,
Rome , et la France ont vû naître succes
sivement à son occasion des disputes qui
ne sont pas encore terminées. Il détaille
celle du siécle passé , où l'on vît partis
contre partis , Grands contre Grands ,
Doctes contre Doctes , agiter avec beaucoup
de vivacité et de chaleur la question
, sçavoir si le Théatre étoit utile our
pernicieux aux bonnes moeurs. Il s'attache
à la même question , et il se propose
de rapprocher les amateurs du vrai
en prenant le caractere de Conciliateur.
Il répond donc que le Théatre par sa nature
peut être une Ecole capable de former
les moeurs , mais qu'il arrive par
notre faute qu'elle ne l'est pas en effet.
Ce sont les deux parties du Discours.
Puis , après un Compliment ingénieu
aux deux Cardinaux , il entre en matiere.
Une Ecole propre à former les meurs
est celle qui se sert de préceptes et d'éxemples
convenables à ce but. La Philosophie
et l'Histoire ne passent en effet
pour d'excellentes Ecoles de meurs que
par les préceptes que donne l'ane , et
1. Vol.
par
1176 MERCURE DE FRANCE
par les exemples que l'autre fournit . Or
l'Orateur prétend que la Scene comparée
à la Philosophie et à l'Histoire peut leur
disputer l'avantage de former les moeurs ,
en employant les mêmes ressorts d'une
maniere plus convenable.
La Philosophie ouvre un vaste champ à
sa Morale. Elle considere l'homme qu'elle
se propose d'instruire , ou comme occupé
dans une famille , ou comme seul, ou comme
engagé dans les affaires civiles .Mais la
Scene de son côté embrasse tous les Etats,
toutes les professions , tous les devoirs ,
toutes les vertus , tous les vices , tous les
travers même que la Philosophie se met
peu en peine d'observer et de réformer.
De plus les sottises des hommes , la sagesse
humaine et même les Eaux sacrées
de la divine Sagesse , sont les sources
fécondes où la Scene peut puiser ses importantes
et nombreuses leçons . Ce détail
est vif et serré. Enfin l'on fait sentir
finement par une espece de communication
ironique ( à la façon de Socrate )
avec un Philosophe , que la maniere d'instruire
dont la Scene se sert , est veritablement
plus instructive et plus efficace
que ne l'est la Méthode grave et sérieuse
des Philosophes. Voicy un trait de ce
Morceau , qu'il adresse aux Philofophes .
1. Vol. Vos
JUIN. 1733. 1177
Vos Discours sur nos devoirs sont bien
raisonnez , quoiqu'un peu diffus , j'aurois
tort assurément de les blâmer. Vous avez
épousé une Méthode qui vous astraint à
proceder par ordre de propositions , de preuves
, d'objections , de réfutations . Le moyen
de n'être pas discoureur ! mais le Poëte en
auroit- il moins d'autorité sur la Scene parce
qu'il ne sçauroit être sententieux et court ,
souvent sublime Philosophe en un seul Vers ?
Que voulez- vous ? nous aimons la briéveté.
Se mêle-t'on de nous instruire ? nous voulons
qu'on nous dise beaucoup en peu de
mots.
Vous philosophez sur les passions humaines
avec beaucoup de subtilité ; le dirai -je
aussi ? souvent avec un peu de secheresse .
Vous en sçauroit - on mauvais gré ? non.
C'est à vous de définir , de diviser , de développer
vos idées par articles ; ce n'est pas à
vous d'émouvoir. Trouveriez- vous pour cela
que le Poëte dont je parle en auroit moins
grace , parce qu'il mettroit en oeuvre les
pleurs et le courroux , la terreur et la pitié ?
Nous sommes un composé d'esprit et de corps ;
nous voulons être éclairez ; nous voulons être
émus , et l'on ne nous éclaire pas assez ,
on ne tâche de nous émouvoir.
de
si
Enfin vous vous en tenez aux préceptes $
vous écartez bien loin les exemples. Con-
I. Vol.
damnerois-je
F178 MERCURE DE FRANCE
damnerois je votre maniere ? nullement. C'est
la loi que vous vous êtes prescrite. Fose
ici vous le demander sans détour ; notre
Poëte n'a- t'il pas visiblement l'avantage sur
vous , lui qui joint les exemples aux préceptes
en quoi il s'éloigne de vous , car il
devient en quelque sorte Historien , comme
Vous venez de le voir Philosophe ; et par
l'heureux accord de deux Ecoles differentes ,
il en forme une troisième plus efficace pour
faire agir les deux ressorts , je veux dire ,
pour éclairer et pour toucher.
Par cette transition l'Orateur entre
dans la comparaison de la Scene avec
⚫ l'Histoire. Il traite cet endroit avec toute
la justesse et tout le feu qui conviennent
à un parallele si heureux , des évenemens
qu'exposent l'Histoire et la Scene ; et de
la maniere dont l'une et l'autre les expose.
Si des exemples , dit- il , attachez à
des lettres mortes , confiez à des dépositaires
inanimez , ont toutefois une sorte d'ame ;
un reste de leur antique chaleur ; quelle sera
Leur force et leur vie , lorsqu'ils renaîtront
dans l'action , qu'ils seront vivifiez par le
feu du mouvement , qu'ils parleront eux-mêmes
au coeur, à l'oreille , à l'oeil , avec toute
la grandeur des sentimens , avec tous les
charmes de la voix , avec toute l'éloquence
du geste Telle est Pinnocente Magie que
I. Vol. se
JUIN. 1733.
1179
l'imise
propose la Scene. Par elle tout revit , tout
respire , au point de faire croire
tation l'emporte sur la réalité , &c.
que
Ce ne sont plus les Annales des Martyrs
de tout âge et de tout sexe que l'on vous
récite. Vous devenez spectateur et témoin des
combats et des palmes de ces saints Athletes.
A vosyeux les Tyrans menacent, et ils menacent
en vain; mere , pere , épouse chérie, tous
pleurent tous embrassent les genoux du Héros.
Les larmes coulent vainement, les prieres sont
perdues. Délices , richesses , grandeurs , vous
étalez vos plus dangereux attraits . Une indignation
chrétienne , un noble mépris , une
fiertéplus qu'humaine vous foulent aux pieds.
Tourmens cruels , morts effroyables ; vous
paroiffez avec toutes vos horreurs. Un regard
intrépide vous brave . Juges , vous
foudroyez, Arrêt fatal et prononcés on baise
Péchaffaut et l'on vous rend graces . Vous balancez
, Bourreaux , vous tardez tròp ; l'on
vole au-devant de vos coups , &c.
Autre effort plus considerable de la Scene.
L'Histoire est astrainte au temps , au
lieu , à l'ordre des évenemens , pour les y
attacher. Elle n'ose d'ordinaire exposer les
vertus et les vices que séparément et en leur
place. La Scene au contraire ( semblable à
la Peinture qui entend le ton des couleurs
et l'heureux mêlange du clair et de l'obscur
(
I. Vol.
fair
1180 MERCURE DE FRANCE
;
fait dans la même action le contraste inte
ressant du vice et de la vertu. Elle balance
dans les caracteres approchez , la valeur et
la lâcheté , la douceur et le courroux , la modestie
et la fierté , la libéralité et l'avarice ,
la frugalité et la profusion , l'honnête homme
et le scelerat. De cette opposition d'om
bres et de lumieres , quel doux éclat rejaillit
sur la vertu pour l'embellir! que d'hor
ribles tenebres se répandent sur le vice pour
le confondre !
Voulez- vous des autoritez sur le paral
lele de la Scene , telle que je viens de la
peindre , et de l'Histoire telle qu'elle est ?
Consultez le Lecteur et le Spectateur , les
Bibliotheques et les Amphithéatres , et demandez
où l'on verse des pleurs.
Le P. Porée conclud que la Scene l'emporte
sur la Philosophie et sur l'Histoi
re ; et que cela même est prouvé non
seulement par l'idée pure du Théatre ;
mais encore par le suffrage de la Philosophie
et par la déposition de l'Histoire. Il
allégue en preuve Socrate qui assistoit
aux Pieces d'Euripide , la Poëtique d'Aristote
; l'authorité de S. Charles Borro
mée qui revoyoit les Comédies , la plume
à la main , avant qu'on les jouât , celle
du Cardinal de Richelieu qui n'a pas dédaigné
de composer lui - même des Vers
1. Vol.
traJUI
N. 1181. 1733.
tragiques , et de donner une partie de ses
soins à la perfection de la Scene. Celle de
Louis XIV. celle des Etats qui authorisent
des Spectacles pour exercer la jeunesse
; celle enfin des particuliers qui
croïent ces exercices utiles. Voici ce qu'il
dit de Louis XIV. Manes du Grand Louis,
rougiriez - vous d'avoir rappellé Racine an
Cothurne qu'il avoit quitté , pour engager cet
autre Prince de la Scene à donner des Tra
gedies dignes du Théatre , et des Actrices de,
S. Cyr? étoit ce un divertissement puerile
que vous ménagiez à des enfans ? Vos vûës
si-bienfaisantes , si sages , si religieuses se
portoient sans doute à quelque chose de plus
auguste.Jeune Noblesse trop mal dottée par la
fortune , ce Monarque vous reservoit une
dot dont il connoissoit tout le prix,des exemples
et des leçons de piété , thrésor préférable
à tous les thrésors , dot précieuse , que vous
deviez faire passer dans les familles les plus
distinguées pour la perpetuer. Quelles pieces
en effet tira- t-il du grand Maître qu'il em
ploya?
O Athalie! Esther ! Oeuvres divines,
dont l'unique ou le plus digne éloge est de
vous demander, Messieurs , si le Problême
que j'ai proposé auroit lieu , supposé qu'on
en composat d'égales , ou du moins de sem
blables. Ah ! il ne faudroit plus demander
I. Vol.
, alers ,
1182 MERCURE DE FRANCE
alors si le Théatre peut être utile aux moeurs,
mais s'il seroit possible qu'il leur devint pernicieux.
Voilà pour la Tragédie et la Comédie.
Il restoit à prononcer sur l'Opéra , matiére
délicate.Ce morceau est tourné avec
tant de délicatesse et de circonspection
qu'on ne peut l'abréger sans l'alterer.
Nous y renvoïons le Lecteur , tres - fâchez
de ne pouvoir mieux faire , et nous passons
à la seconde Partie.
Elle tend à faire voir que la Scene propre
par elle- même à former les moeurs ,
est dépravée par l'abus qu'en font les
Autheuts , les Acteurs et les Spectateurs ;
Particle qui regarde les Ecrivains de
Théatre est le plus étendu ; c'est à eux
que l'Orateur impute d'abord la dépra
vation des Spectacles. Il les compare avec
les Autheurs du Théatre Athénien ; ceuxci
se regardoient comme des hommes dévoüez
au bien public , et chargez par la
Patrie de réformer les moeurs. Est - ce là
l'idée de ceux qui destinent leur pluie
au Théatre ? Ils ont perdu de vûë , dit
F'Orateur , le but que se proposoient les
anciens. Ils ne comprennent plus , parce
qu'ils ne veulent pas le comprendre , ce
qu'exigent les Loix de leur emploi , ce
que veut la nature de la Poësie drama-
1. Vol.
tique
JUIN. 1733. 1183
*
tique. Elle veut qu'on ait en vûë le bien
de l'Etat , et que l'on profite en amusant.
On s'écarte de cet objet , on ne cherche
qu'à plaire , fût- ce aux dépens de l'utilité
publique . L'Orateur appuïe ses preuyes
sur une revûë détaillée des divers
Spectacles. Il rend à la Tragédie de nos
jours la justice qu'elle mérite par la gravité
de ses Sentences , et par l'élégance de
sa diction, Mais il demande ; Qu'est devenue
la sévérité Athénienne.Dans Athénes
la Tragedie se servoit du ressort des passions
pour les guérir ; elle le met en oeuvre
aujourd'hui pour augmenter leurs maux . La
Scene antique éteignoit dans les Athéniens
la soif de l'ambition , parce qu'elle la regardoit
comme la plus dangereuse peste de la
République. La Scene Françoise souffle aujourd'hui
dans les cours un double poison,
que nous devons regarder comme également
funeste à la Religion et à l'Etat , la vengeance
et l'amour..
>
Pour la Vengeance, le P. P. cite le Cid.
et l'emportement de Rodrigue et de son
Pere , par lequel Corneille , sans le sçavoir
, semble infpirer la fureur des Duels.
Heureux ( continuë l'Orateur ) d'avoir
été moins propre à traiter des sujets d'un caractere
tout opposé! Si les tendresses et le
Langage efféminé des Amours avoient pû
I. Vol.
s'as1184
MERCURE DE FRANCE
saccommoder de l'énergie de l'esprit le plus
ferme , et de l'enthousiasme de la Poësie la
plus sublime , de quels feux n'auriez vous
pas embraze la Scene ! Malheureusement le
Dieu de Cythere sçut trop se dédommager ;
la main à qui il confia son flambeau , n'eut
que trop de grace à le manier , à en ranimer
ia flamme , et à en répandre les étincelles
dans le sein des Spectateurs ..
Racine jeune, le consola de Corneille vieilli
et peu docile à suivre ses traces. Le nou
veau Peintre, génie heureux, aisé dans l'invention
, habile dans l'ordonnance , sçavant
dans l'étude de la nature , exact et patient
dans la correction enrichi des dépouilles
de la Grece , riche de son propre
fonds , pur dans sa diction , doux et coulant
dans ses Vers , sembla fait pour attendrir la
Scene , soit penchant , soit émulation on désespoir
d'atteindre le vieux Monarque du
Theatre dans la ronte qu'il avoit fraiée le
premier , il osa s'en tracer une toute nouvelle
pour regner à son tour.
Corneille dans le grand , avoit étonné
les esprits par la majesté pompeuse de ses pensées.
Racine , dans le tendre fascina les
coeurs par le charme enchanteur des sentimens.
L'un avoit élevé l'homme au dessus de
T'humanité, l'autre le rendit à lui - même et à ses
foiblesses. L'un avoit fait ses Héros Ro-
I. Vol.
mains,
JUIN. 1733 1185
mains , Arméniens , Parthes ; il nous transportoit
chez leurs Nations et dans leurs Climats
: l'autre , au contraire , les transportant
tous en France , les naturalisa François , et
les forma sur l'urbanitégalante de nos moeurs.
L'un , métamorphosant les femmes même en
autant de Héros , leur avoit donné une ame
veritablement Tragique : l'autre , rabaissant
ses Heros presqu'au rang des Héroïnes , leur
fit soupirer des sentimens d'Elegie. Le génie
du premier avoit pénétré dans le Cabinet
des Rois pour y sonder les profondeurs de la
politique ; l'esprit du second s'insinua dans
les Cercles , pour y apprendre les délicatesses
de la galanterie. Corneille, semblable à l'Oisean
de Jupiter , qui s'élance dans les nuës
et paroît se jouer au milieu des Eclairs et des
Tonneres , avoit fait retentir la Scene des
fréquens éclats de ce bruit majestueux qui
frappe tous les esprits. Racine, comme le tendre
Oiseau de Cypris , voltigeant autour des
Myries et des Roses , fit repeter aux Echos
ses gémissemens et ses soupirs. Corneille , en-
·fin forçant les obstacles d'un sentier escarpé
et sujet par consequent à d'illustres chutes ;
redoublant toujours ses efforts pour tendre de
plus en plus au sublime et au merveilleux
Scherchanpar la voie de l'admiration des
-applaudissemens trop merités , qu'il arracha
des plus déterminés à les lui refuser : Racine
I. Vol.
sur1186
MERCURE DE FRANCE
suivant une pente plus douce , mais par là
plus sûre, s'élevant rarement , soutenant son
vol avec grace et le ramenant promptement
aux amours , parut s'offrir de lui- même aux
suffrages qui prévenoient son attraïante donccur.
Il ne soupira pas en vain ; l'art inexprimable
des soupirs lui. procura la Palme
qu'il ambitionnoit ; il n'enleva pas
les Lanriers
à son Rival ; mais il se vit ceint de
Myrtes , par les mains empressées de ses Héros
et sut tout de ses Héroïnes . Il ne déthrôna
pas Corneille ; mais ilpartagea le Thrône
de la Scene avec lui. L'Aigle foudroïa
La Colombe gémit , et l'Empire fut divisé.
Quelle gloire pour Racine ! Regner ainsi sur.
le Theatre c'est avoir vaincu , c'est avoir
triomphé.
Vous sçavez , Messieurs , l'issue d'une si
brillante victoire. :.cette heureuse audace
produisit
une foule d'imitateurs. Les soupirs
avoient couronné ce grand Maître ; vaine
ment les désavoia - t- il vainement la piété
le ravit-elle dux honneurs du Théatre ; les
éleves nombreux soumirent le Cothurne aux
loix du tendre Législateur ; ils leur sacrifierent
la severité des loix fondamentales de la
Scene.
Le P. Porée prétend en effet que l'unité
d'action , la simplicité , la verité des sujets
, la vrai - semblance , la variété , one
I. Vol. extrê
JUIN. 1733 . 1187
extrêmement souffert de cette nouvelle
tournure de la Tragédie , devenuë amoureuse.
Il en montre le danger par un morceau
pathetique et fort éloquent en revenant
au parallele de la Tragédie ancienne
et de la moderne, puis il passe à la Comédie
avec un tour d'éloquence tout
nouveau ; car on remarque dans la diversité
de ses tours une conformité singulicre
entre chaque sujet et la maniere pro
pre de le traiter ; il feint une conversation.
La Comédie se donne pour être fort
differente de ce qu'elle fut jadis ; elle étale
les vices et les défauts qu'elle réforme
par ses Piéces, elle cite les petits Maîtres,
les Femmes sçavantes , les Misantropes
les Malades imaginaires, les diverses écoles
, & c. L'Orateur insére un mot sur
chaque chose ; et fait ensuite une récapitulation
des vices plus pernicieux
Comedie moderne , a ( dit - il ) introduits
et qu'elle authorise . Mais pourquoi, ajoutet-
il , s'en prendre à la Comédie ? Est- ce par
sa nature , où n'est- ce pas plutôt par la ma
lice d'autrui qu'elle s'est pervertie ? Ah ! prenons-
nous- en à ceux qui pouvant la rendre
bonne et utile , l'ont renduë nuisible et peri
nicieuse : Oui,j'ose m'en prendre d'abord an
chefmême des Autheurs et des Acteurs de
notre Scene. Poëte par goût,plus que par émque
la
1. Vol. G de
1188 MERCURE DE FRANCE
de , ce fut un feu de jeunesse , non la malignité
de la fortune , qui le fit Comédien. Né
pour des emplois sérieux , transporté dans le
comique, rigide observateur du ridicule,peintre
plaisant d'après nature , exact sans affectation
d'exactitude , correct sans paroitre
s'êtregêné , serré dans sa Prose , libre et aisé
dans ses Vers , riche en Sentences, fertile en
Plaisanteries, on peut dire qu'il réunit en lui
seni toutes les qualitez et la plupart des dé
fauts des Poëtes celebres en ce genre , aussi
piquant qu' Aristophane , quelquefois aussi.
peu retenu, aussi vif que Plaute, de temps en
temps aussi bouffon , aussi fin dans l'in
telligence des moeurs que Terence , souvent
aussi libre dans ses Tableaux, Moliere futil
plus grand par la nature ou par l'art ?
Inimitable dans l'un et dans l'autre , vicieux
par ces deux Endroits , il nuisit autant qu'il
excella, Le meilleur Maître , s'il enseigne le
mal , est le pire de tous les Maîtres.
L'Orateur taxe de la même sorte les
differens imitateurs de ce Prince de la
Comédie. Les Autheurs qui travaillent
pour le Théatre Lyrique viennent ensuite
sur les rangs par une figure d'éloquence
fort remarquable. Les Acteurs ont
aussi leur tour , et enfin les Spectateurs ;
nous n'insistons point sur cette fin, parce
qu'il seroit difficile d'en rien retrancher
I. Vol. et
JUIN. 1733. 1189
et de choisir . Cette . Analyse generale suffit
pour l'idée que nous nous sommes
proposée . Nous observerons seulement
que
le blâme de l'abus du Théatre, ( suivant
la pensée du P. Porée) retombe principalement
et presqu'entierement sur les
Spectateurs, que l'on sert selon leur goût.
informandis moribus idonea ; oratio habita
die 13. Martii an . 1733. in Regio Ludovici
Magni Collegio Societatis Jesu , à
Carolo Porée , ejusdem Societatis Sacerdote.
ITEM , Discours sur les Spectacles , tradit
du Latin du Pere Charles Porée , de
la Compagnie de Jesus , par le P. Brumoy
de la même Compagnie..
L'une et l'autre Piéce est imprimée chez
Jean Baptiste Coignard fils , rue S. Jacques
, 1733 .
Le P. Porée , après avoir piqué la curiosité
du Public par son titre , a pleinement
satisfait celle de ses illustres Auditeurs
, au nombre desquels se trouverent
MM. les Cardinaux de Polignac et de .
Bissy , M. le Nonce , plusieurs Prélats
et autres personnes de distinction . On
souhaita que son Discours fût imprimé ,
et peu de tems après l'impression ,
Pere Brumoy l'a donné en françois. Ce
Discours a paru interessant par bien des .
endroits . Nous en exposerons briévement
le sujet et l'ordre , autant que la
fertilité laconique de l'Orateur pourra
permettre .
le
1. Vol. II
JUIN. 1733 117
Il établit dans l'Exorde que le Théatre
depuis son origine a toujours été un
sujet de contestation , comme un attrait
de curiosité , parce qu'en effet Athénes ,
Rome , et la France ont vû naître succes
sivement à son occasion des disputes qui
ne sont pas encore terminées. Il détaille
celle du siécle passé , où l'on vît partis
contre partis , Grands contre Grands ,
Doctes contre Doctes , agiter avec beaucoup
de vivacité et de chaleur la question
, sçavoir si le Théatre étoit utile our
pernicieux aux bonnes moeurs. Il s'attache
à la même question , et il se propose
de rapprocher les amateurs du vrai
en prenant le caractere de Conciliateur.
Il répond donc que le Théatre par sa nature
peut être une Ecole capable de former
les moeurs , mais qu'il arrive par
notre faute qu'elle ne l'est pas en effet.
Ce sont les deux parties du Discours.
Puis , après un Compliment ingénieu
aux deux Cardinaux , il entre en matiere.
Une Ecole propre à former les meurs
est celle qui se sert de préceptes et d'éxemples
convenables à ce but. La Philosophie
et l'Histoire ne passent en effet
pour d'excellentes Ecoles de meurs que
par les préceptes que donne l'ane , et
1. Vol.
par
1176 MERCURE DE FRANCE
par les exemples que l'autre fournit . Or
l'Orateur prétend que la Scene comparée
à la Philosophie et à l'Histoire peut leur
disputer l'avantage de former les moeurs ,
en employant les mêmes ressorts d'une
maniere plus convenable.
La Philosophie ouvre un vaste champ à
sa Morale. Elle considere l'homme qu'elle
se propose d'instruire , ou comme occupé
dans une famille , ou comme seul, ou comme
engagé dans les affaires civiles .Mais la
Scene de son côté embrasse tous les Etats,
toutes les professions , tous les devoirs ,
toutes les vertus , tous les vices , tous les
travers même que la Philosophie se met
peu en peine d'observer et de réformer.
De plus les sottises des hommes , la sagesse
humaine et même les Eaux sacrées
de la divine Sagesse , sont les sources
fécondes où la Scene peut puiser ses importantes
et nombreuses leçons . Ce détail
est vif et serré. Enfin l'on fait sentir
finement par une espece de communication
ironique ( à la façon de Socrate )
avec un Philosophe , que la maniere d'instruire
dont la Scene se sert , est veritablement
plus instructive et plus efficace
que ne l'est la Méthode grave et sérieuse
des Philosophes. Voicy un trait de ce
Morceau , qu'il adresse aux Philofophes .
1. Vol. Vos
JUIN. 1733. 1177
Vos Discours sur nos devoirs sont bien
raisonnez , quoiqu'un peu diffus , j'aurois
tort assurément de les blâmer. Vous avez
épousé une Méthode qui vous astraint à
proceder par ordre de propositions , de preuves
, d'objections , de réfutations . Le moyen
de n'être pas discoureur ! mais le Poëte en
auroit- il moins d'autorité sur la Scene parce
qu'il ne sçauroit être sententieux et court ,
souvent sublime Philosophe en un seul Vers ?
Que voulez- vous ? nous aimons la briéveté.
Se mêle-t'on de nous instruire ? nous voulons
qu'on nous dise beaucoup en peu de
mots.
Vous philosophez sur les passions humaines
avec beaucoup de subtilité ; le dirai -je
aussi ? souvent avec un peu de secheresse .
Vous en sçauroit - on mauvais gré ? non.
C'est à vous de définir , de diviser , de développer
vos idées par articles ; ce n'est pas à
vous d'émouvoir. Trouveriez- vous pour cela
que le Poëte dont je parle en auroit moins
grace , parce qu'il mettroit en oeuvre les
pleurs et le courroux , la terreur et la pitié ?
Nous sommes un composé d'esprit et de corps ;
nous voulons être éclairez ; nous voulons être
émus , et l'on ne nous éclaire pas assez ,
on ne tâche de nous émouvoir.
de
si
Enfin vous vous en tenez aux préceptes $
vous écartez bien loin les exemples. Con-
I. Vol.
damnerois-je
F178 MERCURE DE FRANCE
damnerois je votre maniere ? nullement. C'est
la loi que vous vous êtes prescrite. Fose
ici vous le demander sans détour ; notre
Poëte n'a- t'il pas visiblement l'avantage sur
vous , lui qui joint les exemples aux préceptes
en quoi il s'éloigne de vous , car il
devient en quelque sorte Historien , comme
Vous venez de le voir Philosophe ; et par
l'heureux accord de deux Ecoles differentes ,
il en forme une troisième plus efficace pour
faire agir les deux ressorts , je veux dire ,
pour éclairer et pour toucher.
Par cette transition l'Orateur entre
dans la comparaison de la Scene avec
⚫ l'Histoire. Il traite cet endroit avec toute
la justesse et tout le feu qui conviennent
à un parallele si heureux , des évenemens
qu'exposent l'Histoire et la Scene ; et de
la maniere dont l'une et l'autre les expose.
Si des exemples , dit- il , attachez à
des lettres mortes , confiez à des dépositaires
inanimez , ont toutefois une sorte d'ame ;
un reste de leur antique chaleur ; quelle sera
Leur force et leur vie , lorsqu'ils renaîtront
dans l'action , qu'ils seront vivifiez par le
feu du mouvement , qu'ils parleront eux-mêmes
au coeur, à l'oreille , à l'oeil , avec toute
la grandeur des sentimens , avec tous les
charmes de la voix , avec toute l'éloquence
du geste Telle est Pinnocente Magie que
I. Vol. se
JUIN. 1733.
1179
l'imise
propose la Scene. Par elle tout revit , tout
respire , au point de faire croire
tation l'emporte sur la réalité , &c.
que
Ce ne sont plus les Annales des Martyrs
de tout âge et de tout sexe que l'on vous
récite. Vous devenez spectateur et témoin des
combats et des palmes de ces saints Athletes.
A vosyeux les Tyrans menacent, et ils menacent
en vain; mere , pere , épouse chérie, tous
pleurent tous embrassent les genoux du Héros.
Les larmes coulent vainement, les prieres sont
perdues. Délices , richesses , grandeurs , vous
étalez vos plus dangereux attraits . Une indignation
chrétienne , un noble mépris , une
fiertéplus qu'humaine vous foulent aux pieds.
Tourmens cruels , morts effroyables ; vous
paroiffez avec toutes vos horreurs. Un regard
intrépide vous brave . Juges , vous
foudroyez, Arrêt fatal et prononcés on baise
Péchaffaut et l'on vous rend graces . Vous balancez
, Bourreaux , vous tardez tròp ; l'on
vole au-devant de vos coups , &c.
Autre effort plus considerable de la Scene.
L'Histoire est astrainte au temps , au
lieu , à l'ordre des évenemens , pour les y
attacher. Elle n'ose d'ordinaire exposer les
vertus et les vices que séparément et en leur
place. La Scene au contraire ( semblable à
la Peinture qui entend le ton des couleurs
et l'heureux mêlange du clair et de l'obscur
(
I. Vol.
fair
1180 MERCURE DE FRANCE
;
fait dans la même action le contraste inte
ressant du vice et de la vertu. Elle balance
dans les caracteres approchez , la valeur et
la lâcheté , la douceur et le courroux , la modestie
et la fierté , la libéralité et l'avarice ,
la frugalité et la profusion , l'honnête homme
et le scelerat. De cette opposition d'om
bres et de lumieres , quel doux éclat rejaillit
sur la vertu pour l'embellir! que d'hor
ribles tenebres se répandent sur le vice pour
le confondre !
Voulez- vous des autoritez sur le paral
lele de la Scene , telle que je viens de la
peindre , et de l'Histoire telle qu'elle est ?
Consultez le Lecteur et le Spectateur , les
Bibliotheques et les Amphithéatres , et demandez
où l'on verse des pleurs.
Le P. Porée conclud que la Scene l'emporte
sur la Philosophie et sur l'Histoi
re ; et que cela même est prouvé non
seulement par l'idée pure du Théatre ;
mais encore par le suffrage de la Philosophie
et par la déposition de l'Histoire. Il
allégue en preuve Socrate qui assistoit
aux Pieces d'Euripide , la Poëtique d'Aristote
; l'authorité de S. Charles Borro
mée qui revoyoit les Comédies , la plume
à la main , avant qu'on les jouât , celle
du Cardinal de Richelieu qui n'a pas dédaigné
de composer lui - même des Vers
1. Vol.
traJUI
N. 1181. 1733.
tragiques , et de donner une partie de ses
soins à la perfection de la Scene. Celle de
Louis XIV. celle des Etats qui authorisent
des Spectacles pour exercer la jeunesse
; celle enfin des particuliers qui
croïent ces exercices utiles. Voici ce qu'il
dit de Louis XIV. Manes du Grand Louis,
rougiriez - vous d'avoir rappellé Racine an
Cothurne qu'il avoit quitté , pour engager cet
autre Prince de la Scene à donner des Tra
gedies dignes du Théatre , et des Actrices de,
S. Cyr? étoit ce un divertissement puerile
que vous ménagiez à des enfans ? Vos vûës
si-bienfaisantes , si sages , si religieuses se
portoient sans doute à quelque chose de plus
auguste.Jeune Noblesse trop mal dottée par la
fortune , ce Monarque vous reservoit une
dot dont il connoissoit tout le prix,des exemples
et des leçons de piété , thrésor préférable
à tous les thrésors , dot précieuse , que vous
deviez faire passer dans les familles les plus
distinguées pour la perpetuer. Quelles pieces
en effet tira- t-il du grand Maître qu'il em
ploya?
O Athalie! Esther ! Oeuvres divines,
dont l'unique ou le plus digne éloge est de
vous demander, Messieurs , si le Problême
que j'ai proposé auroit lieu , supposé qu'on
en composat d'égales , ou du moins de sem
blables. Ah ! il ne faudroit plus demander
I. Vol.
, alers ,
1182 MERCURE DE FRANCE
alors si le Théatre peut être utile aux moeurs,
mais s'il seroit possible qu'il leur devint pernicieux.
Voilà pour la Tragédie et la Comédie.
Il restoit à prononcer sur l'Opéra , matiére
délicate.Ce morceau est tourné avec
tant de délicatesse et de circonspection
qu'on ne peut l'abréger sans l'alterer.
Nous y renvoïons le Lecteur , tres - fâchez
de ne pouvoir mieux faire , et nous passons
à la seconde Partie.
Elle tend à faire voir que la Scene propre
par elle- même à former les moeurs ,
est dépravée par l'abus qu'en font les
Autheuts , les Acteurs et les Spectateurs ;
Particle qui regarde les Ecrivains de
Théatre est le plus étendu ; c'est à eux
que l'Orateur impute d'abord la dépra
vation des Spectacles. Il les compare avec
les Autheurs du Théatre Athénien ; ceuxci
se regardoient comme des hommes dévoüez
au bien public , et chargez par la
Patrie de réformer les moeurs. Est - ce là
l'idée de ceux qui destinent leur pluie
au Théatre ? Ils ont perdu de vûë , dit
F'Orateur , le but que se proposoient les
anciens. Ils ne comprennent plus , parce
qu'ils ne veulent pas le comprendre , ce
qu'exigent les Loix de leur emploi , ce
que veut la nature de la Poësie drama-
1. Vol.
tique
JUIN. 1733. 1183
*
tique. Elle veut qu'on ait en vûë le bien
de l'Etat , et que l'on profite en amusant.
On s'écarte de cet objet , on ne cherche
qu'à plaire , fût- ce aux dépens de l'utilité
publique . L'Orateur appuïe ses preuyes
sur une revûë détaillée des divers
Spectacles. Il rend à la Tragédie de nos
jours la justice qu'elle mérite par la gravité
de ses Sentences , et par l'élégance de
sa diction, Mais il demande ; Qu'est devenue
la sévérité Athénienne.Dans Athénes
la Tragedie se servoit du ressort des passions
pour les guérir ; elle le met en oeuvre
aujourd'hui pour augmenter leurs maux . La
Scene antique éteignoit dans les Athéniens
la soif de l'ambition , parce qu'elle la regardoit
comme la plus dangereuse peste de la
République. La Scene Françoise souffle aujourd'hui
dans les cours un double poison,
que nous devons regarder comme également
funeste à la Religion et à l'Etat , la vengeance
et l'amour..
>
Pour la Vengeance, le P. P. cite le Cid.
et l'emportement de Rodrigue et de son
Pere , par lequel Corneille , sans le sçavoir
, semble infpirer la fureur des Duels.
Heureux ( continuë l'Orateur ) d'avoir
été moins propre à traiter des sujets d'un caractere
tout opposé! Si les tendresses et le
Langage efféminé des Amours avoient pû
I. Vol.
s'as1184
MERCURE DE FRANCE
saccommoder de l'énergie de l'esprit le plus
ferme , et de l'enthousiasme de la Poësie la
plus sublime , de quels feux n'auriez vous
pas embraze la Scene ! Malheureusement le
Dieu de Cythere sçut trop se dédommager ;
la main à qui il confia son flambeau , n'eut
que trop de grace à le manier , à en ranimer
ia flamme , et à en répandre les étincelles
dans le sein des Spectateurs ..
Racine jeune, le consola de Corneille vieilli
et peu docile à suivre ses traces. Le nou
veau Peintre, génie heureux, aisé dans l'invention
, habile dans l'ordonnance , sçavant
dans l'étude de la nature , exact et patient
dans la correction enrichi des dépouilles
de la Grece , riche de son propre
fonds , pur dans sa diction , doux et coulant
dans ses Vers , sembla fait pour attendrir la
Scene , soit penchant , soit émulation on désespoir
d'atteindre le vieux Monarque du
Theatre dans la ronte qu'il avoit fraiée le
premier , il osa s'en tracer une toute nouvelle
pour regner à son tour.
Corneille dans le grand , avoit étonné
les esprits par la majesté pompeuse de ses pensées.
Racine , dans le tendre fascina les
coeurs par le charme enchanteur des sentimens.
L'un avoit élevé l'homme au dessus de
T'humanité, l'autre le rendit à lui - même et à ses
foiblesses. L'un avoit fait ses Héros Ro-
I. Vol.
mains,
JUIN. 1733 1185
mains , Arméniens , Parthes ; il nous transportoit
chez leurs Nations et dans leurs Climats
: l'autre , au contraire , les transportant
tous en France , les naturalisa François , et
les forma sur l'urbanitégalante de nos moeurs.
L'un , métamorphosant les femmes même en
autant de Héros , leur avoit donné une ame
veritablement Tragique : l'autre , rabaissant
ses Heros presqu'au rang des Héroïnes , leur
fit soupirer des sentimens d'Elegie. Le génie
du premier avoit pénétré dans le Cabinet
des Rois pour y sonder les profondeurs de la
politique ; l'esprit du second s'insinua dans
les Cercles , pour y apprendre les délicatesses
de la galanterie. Corneille, semblable à l'Oisean
de Jupiter , qui s'élance dans les nuës
et paroît se jouer au milieu des Eclairs et des
Tonneres , avoit fait retentir la Scene des
fréquens éclats de ce bruit majestueux qui
frappe tous les esprits. Racine, comme le tendre
Oiseau de Cypris , voltigeant autour des
Myries et des Roses , fit repeter aux Echos
ses gémissemens et ses soupirs. Corneille , en-
·fin forçant les obstacles d'un sentier escarpé
et sujet par consequent à d'illustres chutes ;
redoublant toujours ses efforts pour tendre de
plus en plus au sublime et au merveilleux
Scherchanpar la voie de l'admiration des
-applaudissemens trop merités , qu'il arracha
des plus déterminés à les lui refuser : Racine
I. Vol.
sur1186
MERCURE DE FRANCE
suivant une pente plus douce , mais par là
plus sûre, s'élevant rarement , soutenant son
vol avec grace et le ramenant promptement
aux amours , parut s'offrir de lui- même aux
suffrages qui prévenoient son attraïante donccur.
Il ne soupira pas en vain ; l'art inexprimable
des soupirs lui. procura la Palme
qu'il ambitionnoit ; il n'enleva pas
les Lanriers
à son Rival ; mais il se vit ceint de
Myrtes , par les mains empressées de ses Héros
et sut tout de ses Héroïnes . Il ne déthrôna
pas Corneille ; mais ilpartagea le Thrône
de la Scene avec lui. L'Aigle foudroïa
La Colombe gémit , et l'Empire fut divisé.
Quelle gloire pour Racine ! Regner ainsi sur.
le Theatre c'est avoir vaincu , c'est avoir
triomphé.
Vous sçavez , Messieurs , l'issue d'une si
brillante victoire. :.cette heureuse audace
produisit
une foule d'imitateurs. Les soupirs
avoient couronné ce grand Maître ; vaine
ment les désavoia - t- il vainement la piété
le ravit-elle dux honneurs du Théatre ; les
éleves nombreux soumirent le Cothurne aux
loix du tendre Législateur ; ils leur sacrifierent
la severité des loix fondamentales de la
Scene.
Le P. Porée prétend en effet que l'unité
d'action , la simplicité , la verité des sujets
, la vrai - semblance , la variété , one
I. Vol. extrê
JUIN. 1733 . 1187
extrêmement souffert de cette nouvelle
tournure de la Tragédie , devenuë amoureuse.
Il en montre le danger par un morceau
pathetique et fort éloquent en revenant
au parallele de la Tragédie ancienne
et de la moderne, puis il passe à la Comédie
avec un tour d'éloquence tout
nouveau ; car on remarque dans la diversité
de ses tours une conformité singulicre
entre chaque sujet et la maniere pro
pre de le traiter ; il feint une conversation.
La Comédie se donne pour être fort
differente de ce qu'elle fut jadis ; elle étale
les vices et les défauts qu'elle réforme
par ses Piéces, elle cite les petits Maîtres,
les Femmes sçavantes , les Misantropes
les Malades imaginaires, les diverses écoles
, & c. L'Orateur insére un mot sur
chaque chose ; et fait ensuite une récapitulation
des vices plus pernicieux
Comedie moderne , a ( dit - il ) introduits
et qu'elle authorise . Mais pourquoi, ajoutet-
il , s'en prendre à la Comédie ? Est- ce par
sa nature , où n'est- ce pas plutôt par la ma
lice d'autrui qu'elle s'est pervertie ? Ah ! prenons-
nous- en à ceux qui pouvant la rendre
bonne et utile , l'ont renduë nuisible et peri
nicieuse : Oui,j'ose m'en prendre d'abord an
chefmême des Autheurs et des Acteurs de
notre Scene. Poëte par goût,plus que par émque
la
1. Vol. G de
1188 MERCURE DE FRANCE
de , ce fut un feu de jeunesse , non la malignité
de la fortune , qui le fit Comédien. Né
pour des emplois sérieux , transporté dans le
comique, rigide observateur du ridicule,peintre
plaisant d'après nature , exact sans affectation
d'exactitude , correct sans paroitre
s'êtregêné , serré dans sa Prose , libre et aisé
dans ses Vers , riche en Sentences, fertile en
Plaisanteries, on peut dire qu'il réunit en lui
seni toutes les qualitez et la plupart des dé
fauts des Poëtes celebres en ce genre , aussi
piquant qu' Aristophane , quelquefois aussi.
peu retenu, aussi vif que Plaute, de temps en
temps aussi bouffon , aussi fin dans l'in
telligence des moeurs que Terence , souvent
aussi libre dans ses Tableaux, Moliere futil
plus grand par la nature ou par l'art ?
Inimitable dans l'un et dans l'autre , vicieux
par ces deux Endroits , il nuisit autant qu'il
excella, Le meilleur Maître , s'il enseigne le
mal , est le pire de tous les Maîtres.
L'Orateur taxe de la même sorte les
differens imitateurs de ce Prince de la
Comédie. Les Autheurs qui travaillent
pour le Théatre Lyrique viennent ensuite
sur les rangs par une figure d'éloquence
fort remarquable. Les Acteurs ont
aussi leur tour , et enfin les Spectateurs ;
nous n'insistons point sur cette fin, parce
qu'il seroit difficile d'en rien retrancher
I. Vol. et
JUIN. 1733. 1189
et de choisir . Cette . Analyse generale suffit
pour l'idée que nous nous sommes
proposée . Nous observerons seulement
que
le blâme de l'abus du Théatre, ( suivant
la pensée du P. Porée) retombe principalement
et presqu'entierement sur les
Spectateurs, que l'on sert selon leur goût.
Fermer
Résumé : Discours sur les Spectacles, traduit du Latin, [titre d'après la table]
Le texte présente un discours intitulé 'THEATRUM ne sit vel esse possit Schola informandis moribus idonea' prononcé par le Père Charles Porée, jésuite, le 13 mars 1733 au Collège Royal de Louis le Grand. Ce discours, traduit en français par le Père Brumoy et publié en 1733, a suscité l'intérêt de personnalités distinguées telles que les cardinaux de Polignac et de Bissy, ainsi que le Nonce apostolique. Le Père Porée examine la question de savoir si le théâtre peut être une école de formation des mœurs. Il affirme que, par nature, le théâtre peut former les mœurs, mais que les abus en empêchent la réalisation effective. Le discours se divise en deux parties : la première compare le théâtre à la philosophie et à l'histoire, et la seconde examine les abus commis par les auteurs, les acteurs et les spectateurs. Porée soutient que le théâtre, comme la philosophie et l'histoire, peut instruire et émouvoir les spectateurs. Il critique la méthode philosophique, jugée trop abstraite et peu émotive, et valorise la capacité du théâtre à illustrer les préceptes par des exemples vivants et touchants. Il compare également le théâtre à l'histoire, soulignant que le théâtre rend les événements historiques plus vivants et émouvants. Porée conclut que le théâtre, bien utilisé, peut être supérieur à la philosophie et à l'histoire pour former les mœurs. Il cite des autorités comme Socrate, Aristote, et des figures historiques comme Louis XIV pour appuyer son argumentation. Dans la seconde partie, Porée critique les auteurs de théâtre modernes, les accusant de ne plus se consacrer au bien public et de chercher uniquement à plaire, souvent au détriment des mœurs. Il cite des exemples comme 'Le Cid' de Corneille et les pièces de Racine pour illustrer comment le théâtre moderne peut encourager des comportements nuisibles, comme la vengeance et les passions amoureuses excessives. Le texte compare également les contributions de Corneille et Racine au théâtre français. Corneille est décrit comme un maître du grand et du majestueux, tandis que Racine est apprécié pour la tendresse et le charme de ses sentiments. Corneille a exploré la politique et la grandeur, tandis que Racine s'est concentré sur la galanterie et les délicatesses des mœurs françaises. Le Père Porée critique la tragédie moderne, devenue amoureuse, et la comédie, qui étale les vices et les défauts. Il blâme les auteurs, les acteurs et les spectateurs pour la perversion du théâtre. Enfin, Molière est décrit comme un comédien exceptionnel, réunissant les qualités et les défauts des poètes célèbres, mais nuisant autant qu'il a excellé.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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14
p. 1660-1666
LE DOGE, les Gouverneurs et les Procurateurs, &c. de la République de Genes.
Début :
I. APRÉS avoir manifesté aux Peuples de notre Royaume de Corse, notre très grande modération [...]
Mots clefs :
Royaume de Corse, Magistrat, Peuples, Corse, Lieux, Nobles, Orateur, Corses, Villes, Bastia, Amnistie
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texteReconnaissance textuelle : LE DOGE, les Gouverneurs et les Procurateurs, &c. de la République de Genes.
LE DOGE , les Gouverneurs et les
Procurateurs , &c. de la République de
Genes.
I. APRE's avoir manifesté aux Peuples de
notre Royaume de Corse , notre trèsgrande modération
et clémence , par le moyen d'une Amnistie
et d'un pardon general accordé à ceux qui
avoient encouru notre disgrace à l'occasion des
troubles passez , dans la vue de déclarer plus distinctement
notre volonté ferme et inviolable
non-seulement nous renouvellons et nous confirmons
l'Amnistie et le pardon general par nous
accordé , mais nous voulons de plus l'étendre er
P'appliquer à ceux qui , pour des fautes commises
auroient été citez et ensuite condamnez , tant
par contumace qu'autrement , jusqu'au mois
de juin de l'année 1732. inclusivement › sans
néanmoins y comprendre ceux qui auroient , depuis
ce temps-là,, commis de nouvelles fautes.
II.De plus dans la vue de consoler les Corses ,
et de nous préter à leurs supplications , nous
voulons bien leur remettre libéralement les dépenses
JUILLET. 1733. 1661
enses énormes que nous avons été obligez de
Faire pour rétablir la tranquillité et pour assurer
la prosperité de ce Royaume. Ensorte que les
Corses ne pourront jamais , à l'avenir , être molestez
, ni en géneral , ni en particulier , sur ce
sujet. Et pour effacer jusqu'au souvenir des troubles
passez , nous deffendons , sous peines trèsgriéves
, à toutes sortes de personnes de les inju
rier par des paroles ou d'une autre maniere , en
les traitant de Rebelles ou d'autres semblables expressions.
III. De tout temps nous avons donné aux
Corses des preuves de notre tendre affection jusqu'à
épuiser nos Finances pour la prosperité , la,
deffense et la conservation de ce Royaume. Cependant
, comme nous desirons de leur donner
une preuve nouvelle et genereuse de nos dispositions
favorables , nous leur remettons liberalement
à tous en general , à toutes les Villes , Communautez
et Lieux de cette Ifle , toutes dettes
dont ils pourroient nous rester redevables , tanti
pour les Tailles , que pour toutes les autres impo
sitions ordonnées pendant l'an 1732. et pour les
autres subsides en argent et en victuailles , qu'on
leur a fournies pendant les temps de disette ;
tellement que nous voulons que tous les comptes
passez pour les Tailles et subsides étant étéints,
on en commence de nouveaux depuis le frois de
Janvier de cette année courante , où seront ‘marquées
les dettes à venit desdits Corses.
IV . Pour entrer dans les desirs et les instances )
de ces Peuples , nous leur accordons la création
d'un Ordre de Noblesse natureile au Royaume
que nous donnerons pour cette premiere fois et
pour toutes les autres dans la suite , à des personnes
tirées des Familles du Royaume , que
I iij hous
162 MERCURE DE FRANCE
}
nous trouverons digne de ce degré , et qui après
les informations faites et vûes par nous , paroîtront
pourvûes des qualitez nécessaires pour soutenir
ce rang avec honneur.
V On aura pour ces Nobles les mêmes égards
qu'on a pour ceux qui sont tirez des Villes de
Terre-Ferme ; ils jouiront du titre de Magnifique
et du Privilege de se couvrir dans les Sérénissimes
Colleges de l'Etat et dans le Sénat Sérénissime
; ils seront aussi reçus à se couvrir en
présence des Magistrats et des Juges de la Répubique
, y compris les Gouverneurs Generaux et
les illustres Syndics,
V I. Le Livre où seront écrits les Nobles avec
leurs légitimes Descendans , sera conservé à Gé- ,
nes , entre les mains du Sérénissime Magistrat de
P'Ile de Corse , et un autre semblable à Bastie.
Les noms des Nobles seront écrits dans ce Livre
par le Chancelier dudit Magistrat et en sa présence
, et le même Chancelier fournira un Extrait
authentique du Livre de Génes , pour être ,
déposé à Bastie ; le susdit Magistrat établira encore
un Tarif modique pour les Inscriptions et
Extraits desdits Livres.
VII. Ce Noble jouira dans les lieux de la
résidence du Gouverneur de l'Ile , de la distinction
d'une Antichambre , où il ne sera pas permis
d'entrer à ceux qui ne seront pas dans le
rang des Nobles , ou du nombre des Juges et des
Magistrats du Royaume ou des Officiers de
guerre , jusqu'à l'Enseigne , inclusivement.
VIII. Comme notre principale attention
toajours été de conserver les loibles Coûtumes
et de favoriser tous les moyens propres à faire
fleurir la Religion et la pieté Chrétienne dans
l'Ile de Corse , à quoi la bonne vie des Ecclet
siastiques
JUILLET. 1922. 1563
siastiques contribue le plus , nous déclarons que
pour entretenir l'émulation nécessaire au Clergé,
pour s'avancer dans les 9ciences et dans la prati .
que des Canons , nous ne m ttrons aucun obsta
cle au concours des Esclesiastiques pour être élûs
à quelque Evêché de l'Ifle , à moins qu'ils ne nous
ayent donné des sujets de mécontentement ; et
afin que notre présent Decret ait toute la vigueur
qu'on peut desirer , nous révoquons tout autre
Decret qui seroit contraire .
IX. Dans cette vûe , afin que Sa Sainteté daigne
exaucer les instantes prieres des Peuples qui
demandent un Visiteur Apostolique , pour corriger
les abus et les désordres , et pour rétablir
la discipline Ecclesiastique dans les Diocèses
nous coopérerons volontiers à leurs desseins , sauf
certains égards que nous jugerons à propos de ne
pas perdre de vie , afin d'éviter que le Royaume
ne soit surchargé par le grand nombre de ces
visites , qui pourroient à la fin devenir onéreuses .
X. De- même toutes les fois qu'il arrivera que
Jes Peuples demanderont la permission de fonder
et de renter à leurs dépens un College dans les
Villes de l'Ifle , pour l'éducation et instruction
de la Jeunesse du Pays , dans les Sciences divines
et humaines , nous y donnerons volontiers les
mains , en appuyant leur déssein de notre autorité
et de notre protection , en le permettant et
même le favorisant , pourvû que la forme , les
reglemens et le régime de cè College soit par
nous approuvé , nous réservant la liberté de
changer lesdits Reglemens , suivant le besoin et
l'exigence des conjectures.
•
XI. Le Royaume pourra tenir à Gênes un Sujet
avec le titre d'Orateur , qui sera de la Nation
même , tiré du nombre de ceux qui seront les
I iiij plus
1664 MERCURE DE FRANCE
plus propres à cet emploi , suivant les ordres que
nous donnerons dans son temps. Il sera du devoir
de l'Orateur de nous représenter , et au Magistrat
de Corse , les suppliques du Royaume ,
des Provinces et autres lieux , quand même elles
seroient en forme de plainte contre les Juges qui
seroient accusez de grever les Peuples dans l'administration
de la Justice Civile et Criminelle ,
ou de quelqu'autre maniere que ce soit. Et ledit
Orateur sera pendant le temps de sa Charge , reçu
par les Magistrats comme s'il avoit le
Noble , quoique peut - être ne le fût pas.
rang de
XII. Nous avons de tout temps employé tous
les moyens pour augmenter la culture des terres
incultes et abandonnéesde l'Ifle. Nous avons à
ce sujet , dépensé des sommes d'argent considerables
, offert des Privileges et d'autres avantages.
Nous n'avons pas eu moins d'application à faire
valoir le Commerce, et à mettre en honneur les
Arts Méchaniques ; c'est pourquoi pour satisfaire
notre empressement pour la prosperité da
Royaume et le profit des Peuples , nous ordonnons
que le Magistrat dudit Royaume élira tous
les trois ans trois Députez de la Nation , deux
par-çà et un par- delà les Monts , avec le titre de
Promoteurs des Arts et du Commerce , avec les
Privileges et les Exemptions que nous jugerons à
propos de leur accorder , avec obligation à eux
de veiller , et d'agir pour arriver à cette fin , et
avec liberté à eux de representer aux suprêmes
Commandans de l'Ile et au Magistrat , par le ca.
nal de l'Orateur , ou d'une autre maniere , les
moyens pratiquables pour parvenir au but qu'on
se propose , et pour executer ensuite les mesures
que nous , ou le Magistrat , aurons jugé â propos
de prendre.
XIII
JUILLET. 1733. 1665
XIII. Un des plus grands profits qui pourroient
enrichir les Peuples , seroit la Récolte d'une
plus grande quantité de Soye . C'est pourquoi
pour les y engager davantage et pour exciter
leur industrie à cet égard , nous les exemptons
pour 25 ans du payement de tous droits sur lesdites
Soyes qui se pourroient tirer du Royaume .
XIV. Nous pensions , depuis quelque temps ,
d'établir deux Charges de Capitaines pour les
Ports de Bastie et d'Ayaccio , sur la consideration
des avantages que nous en pourrions tirer
pour notre service public. Aujourd'hui nous
sommes déterminez à établir ces deux Charges
qui seront conferées par nous , avec les appointemens
que nous donnons à notre Capitaine de
Cavalerie, de Bastie.Nous voulons de plus que ces
deux postes de Capitaines pour ces deux Ports ,
soient donnez à des Sujets de Nation Corse , qui
pendant le cours de leur Charge , seront traitez'
comme les Nobles , quand d'ailleurs ils ne seroient
pas tirez du Corps de la Noblesse , et feront les '
fonctions dont nous jugerons à propos de les
charger , suivant l'exigence de notre service public.
XV. Dans tous les Lieux où résideront les
Gouverneurs , les Magistrats et les Juges , il doit
y avoir un Avocat des pauvres Prisonniers , qui
sera chargé de veiller et presser le Jugement de
leur Cause , avec la liberté à eux accordée d'avoir
, en cas de besoin , recours à nous ou au Magistrat
de Corse , par le moyen de l'Orateur , ou
autrement. Il sera ainsi du devoir du Noble , tiré.
des douze , d'assister et de proteger les Prisonniers
, et même de faire expedier les autres qui
ont recours à la Justice , quand ils sont pauvres.
X V I. Les douze Nobles de de- çà les Monts et
I v les
1666 MERCURE DE FRANCE
1
les six de de- là , pourront élire un Avocat dans
leur district , pour assister tous ceux qui sont
poursuivis par la Justice , et pour appuyer les ,
suppliques de ceux qui sont pauvres , contre les
injustices les Juges , des Officiers et des Ministres.
Ils pourront encore , pour tous les Lieux où il y,
a des Juges , députer un Avocat pour cette Jurisdiction
, qui sera chargé , comme cy - dessus , de
nous informer, ou le Magistrat de Corse, par le
canal de l'Orateur , des suppliques de ceux qui
auroient sujet de se plaindre de leurs Juges.
"
XVII . Enfin , comme le retour sincere que.
nous nous promettons de la part des Corses ,
nous a engagé à leur faire ressentir les effets de
notre modération , les Communautez , les Villes,
les Lieux ou les Particuliers qui ne se rendroient
pas au devoir de la soumission envers la Répu-,
blique , comme le doivent des Sujets obéissants,
et fidels , sont déchus tout-à -fair du pardon et,
de 1 Amnistie qui est accordée par ces Présentes,
et toutes les poursuites déja intentées contre eux,
revivront au profit de notre Fisc. , puisqu'ils se
rendront indignes par leur perséverance à désobéir
, de recevoir les preuves de la génereuse clémence
qui n'est que pour favoriser la démarche
légitime de ceux qui rentrent dans le devoir.
Procurateurs , &c. de la République de
Genes.
I. APRE's avoir manifesté aux Peuples de
notre Royaume de Corse , notre trèsgrande modération
et clémence , par le moyen d'une Amnistie
et d'un pardon general accordé à ceux qui
avoient encouru notre disgrace à l'occasion des
troubles passez , dans la vue de déclarer plus distinctement
notre volonté ferme et inviolable
non-seulement nous renouvellons et nous confirmons
l'Amnistie et le pardon general par nous
accordé , mais nous voulons de plus l'étendre er
P'appliquer à ceux qui , pour des fautes commises
auroient été citez et ensuite condamnez , tant
par contumace qu'autrement , jusqu'au mois
de juin de l'année 1732. inclusivement › sans
néanmoins y comprendre ceux qui auroient , depuis
ce temps-là,, commis de nouvelles fautes.
II.De plus dans la vue de consoler les Corses ,
et de nous préter à leurs supplications , nous
voulons bien leur remettre libéralement les dépenses
JUILLET. 1733. 1661
enses énormes que nous avons été obligez de
Faire pour rétablir la tranquillité et pour assurer
la prosperité de ce Royaume. Ensorte que les
Corses ne pourront jamais , à l'avenir , être molestez
, ni en géneral , ni en particulier , sur ce
sujet. Et pour effacer jusqu'au souvenir des troubles
passez , nous deffendons , sous peines trèsgriéves
, à toutes sortes de personnes de les inju
rier par des paroles ou d'une autre maniere , en
les traitant de Rebelles ou d'autres semblables expressions.
III. De tout temps nous avons donné aux
Corses des preuves de notre tendre affection jusqu'à
épuiser nos Finances pour la prosperité , la,
deffense et la conservation de ce Royaume. Cependant
, comme nous desirons de leur donner
une preuve nouvelle et genereuse de nos dispositions
favorables , nous leur remettons liberalement
à tous en general , à toutes les Villes , Communautez
et Lieux de cette Ifle , toutes dettes
dont ils pourroient nous rester redevables , tanti
pour les Tailles , que pour toutes les autres impo
sitions ordonnées pendant l'an 1732. et pour les
autres subsides en argent et en victuailles , qu'on
leur a fournies pendant les temps de disette ;
tellement que nous voulons que tous les comptes
passez pour les Tailles et subsides étant étéints,
on en commence de nouveaux depuis le frois de
Janvier de cette année courante , où seront ‘marquées
les dettes à venit desdits Corses.
IV . Pour entrer dans les desirs et les instances )
de ces Peuples , nous leur accordons la création
d'un Ordre de Noblesse natureile au Royaume
que nous donnerons pour cette premiere fois et
pour toutes les autres dans la suite , à des personnes
tirées des Familles du Royaume , que
I iij hous
162 MERCURE DE FRANCE
}
nous trouverons digne de ce degré , et qui après
les informations faites et vûes par nous , paroîtront
pourvûes des qualitez nécessaires pour soutenir
ce rang avec honneur.
V On aura pour ces Nobles les mêmes égards
qu'on a pour ceux qui sont tirez des Villes de
Terre-Ferme ; ils jouiront du titre de Magnifique
et du Privilege de se couvrir dans les Sérénissimes
Colleges de l'Etat et dans le Sénat Sérénissime
; ils seront aussi reçus à se couvrir en
présence des Magistrats et des Juges de la Répubique
, y compris les Gouverneurs Generaux et
les illustres Syndics,
V I. Le Livre où seront écrits les Nobles avec
leurs légitimes Descendans , sera conservé à Gé- ,
nes , entre les mains du Sérénissime Magistrat de
P'Ile de Corse , et un autre semblable à Bastie.
Les noms des Nobles seront écrits dans ce Livre
par le Chancelier dudit Magistrat et en sa présence
, et le même Chancelier fournira un Extrait
authentique du Livre de Génes , pour être ,
déposé à Bastie ; le susdit Magistrat établira encore
un Tarif modique pour les Inscriptions et
Extraits desdits Livres.
VII. Ce Noble jouira dans les lieux de la
résidence du Gouverneur de l'Ile , de la distinction
d'une Antichambre , où il ne sera pas permis
d'entrer à ceux qui ne seront pas dans le
rang des Nobles , ou du nombre des Juges et des
Magistrats du Royaume ou des Officiers de
guerre , jusqu'à l'Enseigne , inclusivement.
VIII. Comme notre principale attention
toajours été de conserver les loibles Coûtumes
et de favoriser tous les moyens propres à faire
fleurir la Religion et la pieté Chrétienne dans
l'Ile de Corse , à quoi la bonne vie des Ecclet
siastiques
JUILLET. 1922. 1563
siastiques contribue le plus , nous déclarons que
pour entretenir l'émulation nécessaire au Clergé,
pour s'avancer dans les 9ciences et dans la prati .
que des Canons , nous ne m ttrons aucun obsta
cle au concours des Esclesiastiques pour être élûs
à quelque Evêché de l'Ifle , à moins qu'ils ne nous
ayent donné des sujets de mécontentement ; et
afin que notre présent Decret ait toute la vigueur
qu'on peut desirer , nous révoquons tout autre
Decret qui seroit contraire .
IX. Dans cette vûe , afin que Sa Sainteté daigne
exaucer les instantes prieres des Peuples qui
demandent un Visiteur Apostolique , pour corriger
les abus et les désordres , et pour rétablir
la discipline Ecclesiastique dans les Diocèses
nous coopérerons volontiers à leurs desseins , sauf
certains égards que nous jugerons à propos de ne
pas perdre de vie , afin d'éviter que le Royaume
ne soit surchargé par le grand nombre de ces
visites , qui pourroient à la fin devenir onéreuses .
X. De- même toutes les fois qu'il arrivera que
Jes Peuples demanderont la permission de fonder
et de renter à leurs dépens un College dans les
Villes de l'Ifle , pour l'éducation et instruction
de la Jeunesse du Pays , dans les Sciences divines
et humaines , nous y donnerons volontiers les
mains , en appuyant leur déssein de notre autorité
et de notre protection , en le permettant et
même le favorisant , pourvû que la forme , les
reglemens et le régime de cè College soit par
nous approuvé , nous réservant la liberté de
changer lesdits Reglemens , suivant le besoin et
l'exigence des conjectures.
•
XI. Le Royaume pourra tenir à Gênes un Sujet
avec le titre d'Orateur , qui sera de la Nation
même , tiré du nombre de ceux qui seront les
I iiij plus
1664 MERCURE DE FRANCE
plus propres à cet emploi , suivant les ordres que
nous donnerons dans son temps. Il sera du devoir
de l'Orateur de nous représenter , et au Magistrat
de Corse , les suppliques du Royaume ,
des Provinces et autres lieux , quand même elles
seroient en forme de plainte contre les Juges qui
seroient accusez de grever les Peuples dans l'administration
de la Justice Civile et Criminelle ,
ou de quelqu'autre maniere que ce soit. Et ledit
Orateur sera pendant le temps de sa Charge , reçu
par les Magistrats comme s'il avoit le
Noble , quoique peut - être ne le fût pas.
rang de
XII. Nous avons de tout temps employé tous
les moyens pour augmenter la culture des terres
incultes et abandonnéesde l'Ifle. Nous avons à
ce sujet , dépensé des sommes d'argent considerables
, offert des Privileges et d'autres avantages.
Nous n'avons pas eu moins d'application à faire
valoir le Commerce, et à mettre en honneur les
Arts Méchaniques ; c'est pourquoi pour satisfaire
notre empressement pour la prosperité da
Royaume et le profit des Peuples , nous ordonnons
que le Magistrat dudit Royaume élira tous
les trois ans trois Députez de la Nation , deux
par-çà et un par- delà les Monts , avec le titre de
Promoteurs des Arts et du Commerce , avec les
Privileges et les Exemptions que nous jugerons à
propos de leur accorder , avec obligation à eux
de veiller , et d'agir pour arriver à cette fin , et
avec liberté à eux de representer aux suprêmes
Commandans de l'Ile et au Magistrat , par le ca.
nal de l'Orateur , ou d'une autre maniere , les
moyens pratiquables pour parvenir au but qu'on
se propose , et pour executer ensuite les mesures
que nous , ou le Magistrat , aurons jugé â propos
de prendre.
XIII
JUILLET. 1733. 1665
XIII. Un des plus grands profits qui pourroient
enrichir les Peuples , seroit la Récolte d'une
plus grande quantité de Soye . C'est pourquoi
pour les y engager davantage et pour exciter
leur industrie à cet égard , nous les exemptons
pour 25 ans du payement de tous droits sur lesdites
Soyes qui se pourroient tirer du Royaume .
XIV. Nous pensions , depuis quelque temps ,
d'établir deux Charges de Capitaines pour les
Ports de Bastie et d'Ayaccio , sur la consideration
des avantages que nous en pourrions tirer
pour notre service public. Aujourd'hui nous
sommes déterminez à établir ces deux Charges
qui seront conferées par nous , avec les appointemens
que nous donnons à notre Capitaine de
Cavalerie, de Bastie.Nous voulons de plus que ces
deux postes de Capitaines pour ces deux Ports ,
soient donnez à des Sujets de Nation Corse , qui
pendant le cours de leur Charge , seront traitez'
comme les Nobles , quand d'ailleurs ils ne seroient
pas tirez du Corps de la Noblesse , et feront les '
fonctions dont nous jugerons à propos de les
charger , suivant l'exigence de notre service public.
XV. Dans tous les Lieux où résideront les
Gouverneurs , les Magistrats et les Juges , il doit
y avoir un Avocat des pauvres Prisonniers , qui
sera chargé de veiller et presser le Jugement de
leur Cause , avec la liberté à eux accordée d'avoir
, en cas de besoin , recours à nous ou au Magistrat
de Corse , par le moyen de l'Orateur , ou
autrement. Il sera ainsi du devoir du Noble , tiré.
des douze , d'assister et de proteger les Prisonniers
, et même de faire expedier les autres qui
ont recours à la Justice , quand ils sont pauvres.
X V I. Les douze Nobles de de- çà les Monts et
I v les
1666 MERCURE DE FRANCE
1
les six de de- là , pourront élire un Avocat dans
leur district , pour assister tous ceux qui sont
poursuivis par la Justice , et pour appuyer les ,
suppliques de ceux qui sont pauvres , contre les
injustices les Juges , des Officiers et des Ministres.
Ils pourront encore , pour tous les Lieux où il y,
a des Juges , députer un Avocat pour cette Jurisdiction
, qui sera chargé , comme cy - dessus , de
nous informer, ou le Magistrat de Corse, par le
canal de l'Orateur , des suppliques de ceux qui
auroient sujet de se plaindre de leurs Juges.
"
XVII . Enfin , comme le retour sincere que.
nous nous promettons de la part des Corses ,
nous a engagé à leur faire ressentir les effets de
notre modération , les Communautez , les Villes,
les Lieux ou les Particuliers qui ne se rendroient
pas au devoir de la soumission envers la Répu-,
blique , comme le doivent des Sujets obéissants,
et fidels , sont déchus tout-à -fair du pardon et,
de 1 Amnistie qui est accordée par ces Présentes,
et toutes les poursuites déja intentées contre eux,
revivront au profit de notre Fisc. , puisqu'ils se
rendront indignes par leur perséverance à désobéir
, de recevoir les preuves de la génereuse clémence
qui n'est que pour favoriser la démarche
légitime de ceux qui rentrent dans le devoir.
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Résumé : LE DOGE, les Gouverneurs et les Procurateurs, &c. de la République de Genes.
Le document est un édit émanant du Doge, des Gouverneurs et des Procurateurs de la République de Gênes, adressé aux peuples du Royaume de Corse. Les points essentiels sont les suivants : L'édit annonce une amnistie générale et un pardon pour les Corses condamnés jusqu'en juin 1732, à l'exception de ceux ayant commis de nouvelles fautes. Les dépenses engagées pour rétablir la tranquillité et assurer la prospérité du Royaume sont remises, et les Corses ne seront plus inquiétés à ce sujet. Toutes les dettes des Corses, qu'elles soient pour les tailles, les impôts ou les subsides, sont également remises. Les comptes passés sont effacés et de nouveaux commencent en janvier 1733. Un Ordre de Noblesse est créé pour le Royaume, avec des privilèges spécifiques pour les nobles, qui pourront se couvrir en présence des magistrats et des juges. Un livre des nobles sera conservé à Gênes et à Bastia. Les ecclésiastiques pourront concourir pour les évêchés sans obstacle, sauf en cas de mécontentement. Un Visiteur Apostolique pourrait être demandé pour corriger les abus. Les peuples pourront fonder des collèges pour l'éducation de la jeunesse, avec l'approbation des règlements par les autorités. Le Royaume pourra avoir un Orateur à Gênes pour représenter les suppliques et les plaintes des peuples. Des promoteurs des arts et du commerce seront élus pour veiller à la prospérité du Royaume. Les peuples sont exemptés du paiement des droits sur la soie pour 25 ans. Deux charges de capitaines pour les ports de Bastia et d'Ajaccio seront établies et confiées à des sujets corses. Un avocat des pauvres prisonniers sera nommé pour veiller à leur jugement. Enfin, les communautés ou particuliers ne se soumettant pas à la République seront déchus de l'amnistie et les poursuites contre eux revivront.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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15
p. 1757-1759
DEMOSTHENE ET LAIS. CONTE.
Début :
Corinthe vit une Jeune Beauté, [...]
Mots clefs :
Démosthène, Laïs, Amant, Financier, Somme, Corinthe, Avare, Talent, Orateur
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texteReconnaissance textuelle : DEMOSTHENE ET LAIS. CONTE.
DEMOSTHENE ET LAIS.
CONTE.
Corinthe vit une Jeune Beauté ,
Dont les appas faisoient bruit dans la Grece
Chez elle alloit la brillante Jeunesse ;
Plus d'un Amant en étoit enchanté ;
Pour peu qu'on eût le gousset argenté,
Qu'à pleines mains on jettât la richesse ,
Tenez pour sûr qu'on étoit écouté ;
Mais un Amant avare ou sans finance
Ne Lecevoit gracieuse audiance ,
Point de faveurs ; il étoit rebuté
Il avoit beau vaater son éloquence,
Son
1758 MERCURE DE FRANCE
Son bel esprit , ou bien sa qualité ,
On le traitoit avec sévérité ;
Car rien pour rien, en Grecé comme en France ,
C'est de tout temps un Proverbe usité ;
Un petit Maître en vain contoit fleurette ,
S'il n'ajoûtoit encor quelque bijou ;
De passemens s'il ne faisoit emplette ,
On le laissit morfondre tout son sou ;
Bref, telle étoit l'humeur de la Donzelle ;
Argent et dous faisoient tout son attrait ,
Le demeurant n'étoit que bagatelle ;
Qu'un Financier cût bien été son fait !
Un Financier admis chez une Belle ,
D'une faveur paye au double le prix ;
Il ne connoît ni dédains ni mépris ;
On le prévient , jamais sujet de plainte ,
Il est toujours chéri de son Aminthe ;
Trois fois heureux , mais il n'est pas permis ,
A tout Mortel d'arriver à Corinthe ;
On dit pourant que Démosthène épris ,
Des yeux vainqueurs de la jeune Laïs ,
C'étoit le nom de notre belle Infante )
Lui présenta requête suppliante ,
Pour ce qu'en France on paye en beaux Louis,
Or sçavez-vous ce que pour son offrande ,
Elle exigea de son illustre Amant ?
Vous donnerez , lui dit- elle , un talent ;
Un seul talent ! la somme n'est pas grande ;
Et
AOUST. 1733 : 1759
; Et je devrois vous en demander deux
Mais votre nom mérite quelque grace ;
Vous jugez bien que la somme embarrasse
Notre Rhéteur qui n'est pécunieux ;
Fournir ne peut à si grande largesse ;
Et renonçant au frivole plaisir ,
Non , répond- t-il à l'avare Maîtresse ,
Un Orateur nourri dans la sagesse ,
N'achepte pas si cher un repentir.
PIERRE DEFRASNA
CONTE.
Corinthe vit une Jeune Beauté ,
Dont les appas faisoient bruit dans la Grece
Chez elle alloit la brillante Jeunesse ;
Plus d'un Amant en étoit enchanté ;
Pour peu qu'on eût le gousset argenté,
Qu'à pleines mains on jettât la richesse ,
Tenez pour sûr qu'on étoit écouté ;
Mais un Amant avare ou sans finance
Ne Lecevoit gracieuse audiance ,
Point de faveurs ; il étoit rebuté
Il avoit beau vaater son éloquence,
Son
1758 MERCURE DE FRANCE
Son bel esprit , ou bien sa qualité ,
On le traitoit avec sévérité ;
Car rien pour rien, en Grecé comme en France ,
C'est de tout temps un Proverbe usité ;
Un petit Maître en vain contoit fleurette ,
S'il n'ajoûtoit encor quelque bijou ;
De passemens s'il ne faisoit emplette ,
On le laissit morfondre tout son sou ;
Bref, telle étoit l'humeur de la Donzelle ;
Argent et dous faisoient tout son attrait ,
Le demeurant n'étoit que bagatelle ;
Qu'un Financier cût bien été son fait !
Un Financier admis chez une Belle ,
D'une faveur paye au double le prix ;
Il ne connoît ni dédains ni mépris ;
On le prévient , jamais sujet de plainte ,
Il est toujours chéri de son Aminthe ;
Trois fois heureux , mais il n'est pas permis ,
A tout Mortel d'arriver à Corinthe ;
On dit pourant que Démosthène épris ,
Des yeux vainqueurs de la jeune Laïs ,
C'étoit le nom de notre belle Infante )
Lui présenta requête suppliante ,
Pour ce qu'en France on paye en beaux Louis,
Or sçavez-vous ce que pour son offrande ,
Elle exigea de son illustre Amant ?
Vous donnerez , lui dit- elle , un talent ;
Un seul talent ! la somme n'est pas grande ;
Et
AOUST. 1733 : 1759
; Et je devrois vous en demander deux
Mais votre nom mérite quelque grace ;
Vous jugez bien que la somme embarrasse
Notre Rhéteur qui n'est pécunieux ;
Fournir ne peut à si grande largesse ;
Et renonçant au frivole plaisir ,
Non , répond- t-il à l'avare Maîtresse ,
Un Orateur nourri dans la sagesse ,
N'achepte pas si cher un repentir.
PIERRE DEFRASNA
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Résumé : DEMOSTHENE ET LAIS. CONTE.
Le texte raconte l'histoire d'une jeune femme de Corinthe, Laïs, connue pour sa beauté et ses exigences financières. Elle accordait ses faveurs uniquement aux hommes riches et généreux, rejetant les autres malgré leurs qualités. Laïs demandait des présents coûteux en échange de son affection. Un financier, par exemple, devait payer cher pour obtenir ses faveurs et était toujours bien accueilli. Démosthène, un célèbre orateur, tomba amoureux de Laïs et lui fit une demande. Elle exigea un talent (une somme d'argent) en échange de ses faveurs. Démosthène, incapable de payer une telle somme, refusa, déclarant qu'un orateur sage ne devrait pas acheter un repentir à un tel prix.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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16
p. 336-341
RECEPTION de MM. de Moncrif et Dupré de Saint Maur, à l'Académie Françoise le 29. Décembre 1733.
Début :
Mr de Moncrif commença son Discours par exposer l'utilité et les avantages de [...]
Mots clefs :
Académie française, Éloge, Discours, Cardinal Richelieu, Gloire, Académicien, Louis XIV, Esprit, Orateur, Nicolas-François Dupré de Saint-Maur, François-Augustin Paradis de Moncrif
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texteReconnaissance textuelle : RECEPTION de MM. de Moncrif et Dupré de Saint Maur, à l'Académie Françoise le 29. Décembre 1733.
RECEPTION de M M. de Moncrif
et Dupré de Saint Maur , à l'Académie
Françoise le 29. Décembre 1733 .
M
R de Moncrif commença son Discours
par exposer l'utilité et les avantages de
P'Académie Françoise , non - seulement pour la
perfection de la Langue, mais même pour le progrès
de l'esprit, » Fixer le sens veritable de cha
mqua
FEVRIER. 1734. 337
5 ) que mot ... faire connoître en quoi consistent
ces tours heureux d'où naissent et la force et
P'agrément du langage , n'est- ce pas , dit - il ,
guider l'esprit ? ... n'est - ce pas lui donner lieu
de s'étendre et de se perfectionner ? » L'Orateur
fit ensuite successivement l'Eloge de l'illustre
Fondateur de cette Académie le Cardinal de Richelieu
, celui de M. Seguier , de Louis XIV . de
M. de Caumartin , dont M. de Montcrif remplit
la place vacante, de M.le Cardinal de Fleury,
de M. le Maréchal de Villars , et M. le Comte
de Clermont. Qu'il nous soit permis de toucher
quelques traits de ces Eloges .
ກ
En parlant du Cardinal de Richelieu , » Ce
» Cardinal dont le génie également vaste et su-
» blime , fit sentir à toute l'Europe que pour por-
» ter la France au plus haut degré de splendeur ,
» il ne falloit que lui apprendre à se connoître; Armand
, dis - je , après avoir étendu les limites
» et multiplié les avantages interieurs de l'Etat ,
s'empressa d'y ajoûter ce Monument , qui de-
» voit en accroître la gloire ... Richelieu voulut
former un établissement , qui dès sa naissance
présentât toute son utilité , il fonda l'Académie
Françoise. L'effet répondit à son attente
; l'Ouvrage parut , il étoit perfectionné ...
» C'étoit le siecle des prodiges. Louis XIV . regnoit
... Tout devoit marquer l'ascendant de'
Louis XIV . devenu votre Protecteur , il sembla
» qu'il avoit applani les routes pénibles que les
59
3
so talents et la science avoient été forcez de suivre
>> jusqu'alors.
5
Après avoir fait l'éloge de M. de Caumartin ,
le nouvel Académicien ajoûta en parlant de PAcadémie
; il est des objets de notre admiration ,
qui bien loin de perdre à être examinez de près, ၁၁
>> neus
338 MERCURE DE FRANCE
1
nous frappent au contraire plus vivement et
s'embellissent à mesure qu'on peut les distinguer
et les connoître davantage. Le Prince *à qui
"J'ai l'honneur d'être attaché, me le fait éprou-
» ver tous les jours . Il semble par l'habitude de
l'approcher (et il est bien rare que de l'habitude
» naissent des sujets d'éloge ) il semble , dis je ,
soit que qu'en lui l'éclat du rang ne la récompense
des qualitez personnelles , & c,
20
Le Discours de M. Dupré de Saint Maur
eut aussi des traits d'une éloquence variée ,
vive et animée . Il exposa le progrès de la Langue
Françoise , par les soins et les travaux
des illustres Membres de cette Académie dès
le temps même de sa fondation , c'est-à- dire ,
sous l'illustre Cardinal de Richelieu. » Ce sublime
génie , dit- il , semblable à ces intelligences
qui président aux destins des Empires ,
et sous le Chancelier Seguier , qui acheva cer
établissement. L'Académicien fit ensuite l'Eloge
de son Prédecesseur M. l'Evêque de Langres.
Après avoir touché son illustre naissance et fait
appercevoir l'étendue de ses connoissances : » Des
talens si distinguez , ajouta - t'il , lui mériterent
» l'honneur de votre adoption , mais la douceur
» qu'il goûtoit dans vos Exercices , ne prévalut
point sur ses devoirs. L'Episcopat vous l'enleva
» et sa résidence dans son Diocèse , où il s'ense-
» velit jusqu'à la mort consomme son Eloge.
"
&
L'Orateur témoigna ensuite modestement qu'il
n'attribuoit point à sa Traduction du Poëme de
Milton , l'honneur qu'il avoit de remplacer l'il-
Justre Academicien dont il venoit de faire l'Eloge
mais plutôt au souvenir que l'Académie a cor❤
Son A. S. Monseigneur le Comte de Clermons.
servé
'
FEVRIER . 1734. 339
"
servé de feu M.de Valincourt, auquel il avoit été
uni par le sang. L'Eloge de Louis XIV . fut court
mais très- bien manié. » France , dit - il , ta splendeur
est l'ouvrage de cet auguste Monarque ;
»tu lui dois plus , tu lui dois un Prince dans le
quel tu vois revivre toutes ses vertus , son zele
pour la Religion , son amour pour la justice ,
» sa tendresse pour ses Peuples et cette prudence
consommée , qui dans l'âge des passions
» le rend aussi maître de lui-même , qu'impenetrable
dans ses secrets, Nous passons plusieurs
traits de cet Eloge , où l'Orateur , en parlant des
nouvelles conquêtes du Roy , invite l'Académie
à les publier. Continuez , Messieurs , dit- il en
finissant son Discours , de transmettre à la
posterité les louanges de ce grand Roy. Vous y
" joindrez celles d'un Ministre vertueux , modes.
» te , équitable , occupé du bien public , négli
"}
まる
gent sa propre grandeur , et qui dans le plus
» haut rang, n'a d'autres richesses en partage que
» la confiance de son Maître et la veneration des
hommes . Les sages principes par lesquels il
» se conduit , n'ont jamais varié , et les sentimens
qu'il a imprimez à notre jeune Monarque
" assurent notre felicité .
ן כ
M. de Boze, Directeur de l'Academie, répondit
aux deux nouveaux Académiciens par un Discours
où l'éloquence et la délicatesse se trouvent réunis.
Après avoir fait remarquer que quelque douleur
dont l'Académie soit penetrée en perdant
d'illustres Confreres , il y auroit de l'injustice à
ne cesser de s'y livrer , puisqu'après tout sans ces
révolutions l'Académie n'auroit pas eu l'avantage
de posseder depuis son établissement tout ce que
France a produit de plus distingué par l'éru
dition , le goût et la politesse , il fit l'éloge de
feu
340 MERCURE DE FRANCE
*
feu M. l'Evêque de Blois ; et en s'adressant ensuite-
à M. de Montcrif : » Achevez , dit - il , de le
remplacer par vos sentimens pour l'Académie...
et , si nous sommes en droit d'exiger quelque
chose de plus , par votre empressement à marquer
au Prince qui vous honore d'une protection
si distinguee , notre respect , notre reconnoissance
et notre admiration . Les Muses
seules sembloient le disputer aux Graces. Un
bruit de guerre se fait entendre et il vole à la
gloire. Objet d'étonnement pour le vulgaire ,
qui croit que la Gloire , les Graces et les Muses
sont autant de Rivales , jalouses de former
» séparément des Héros qui leur appartiennent
en propre , au lieu qu'elles y travaillent de
concert dans le sang de Condé , et que la Religion
même s'interesse au succès ...
»
20
Pour vous , M en s'adressant à M. de S.Maur,
digne heritier de l'esprit et de la tendresse d'un
Confrere dont le souvenir nous sera toujours
cher , ce n'est ni à ce titre - là que vous avez
sollicité nos suffrages , ni la premiere fois que
vous y avez cû part ; ce qui mena à l'Eloge de
feu M. P'Evêque de Langres. Il dit ensuite ;
Que ne devons- nous pas attendre de vous
après l'élégante Traduction que vous nous
avez donnée de ce Poëme ,
que l'Angleterre
met au- dessus d'Homere et de Virgile , et que
nous leur préfererions , comme elle, si nous ne
consultions que le choix , l'interêt et la grandeur
du Sujet.
*
Nous passons plusieurs autres Refléxions de ce
goût , resserrez par nos bornes , pour rapporter
* S. A. S. M. le Comte de Clermont.
Le Paradis per du de Milton .
un
FEVRIER. 1734. 341
Endroit qui termine le Discours. Après avoir
exposé le but de l'Académie Françoise dans ses
travaux et l'attentlon de la Posterité qu'elle se
propose de mériter , autant par la délicatesse du
Pinceau , que par l'importance et la majesté du
Sujet , l'illustre Académicien ajoûta : Nous
» avions à lui apprendre qu'il est des Peuples assez
heureux pour n'admettre aucune difference
entre le zele et le devoir ; entre l'amour de la
» Patrie et la gloire du Souverain , qu'il est des
Ministres sages et puissants , simples , affables
set tranquilles au milieu du mouvement qu'ils
" donnent à l'Univers entier , qu'il est des Rois
" magnanimes , qui sacrifient leurs plus grands
interêts au repos et à la tranquillité publique,
" et que rien n'arrête dès qu'il faut venger la
splendeur du Trône qu'on offense , ou se-
"courir des Alliez qu'on opprime , des Rois en-
" fin , qui ne veulent être couronnez par les
"mains de la Victoire , qu'après l'avoir été par
» celles de la Justice et de la Picté .
et Dupré de Saint Maur , à l'Académie
Françoise le 29. Décembre 1733 .
M
R de Moncrif commença son Discours
par exposer l'utilité et les avantages de
P'Académie Françoise , non - seulement pour la
perfection de la Langue, mais même pour le progrès
de l'esprit, » Fixer le sens veritable de cha
mqua
FEVRIER. 1734. 337
5 ) que mot ... faire connoître en quoi consistent
ces tours heureux d'où naissent et la force et
P'agrément du langage , n'est- ce pas , dit - il ,
guider l'esprit ? ... n'est - ce pas lui donner lieu
de s'étendre et de se perfectionner ? » L'Orateur
fit ensuite successivement l'Eloge de l'illustre
Fondateur de cette Académie le Cardinal de Richelieu
, celui de M. Seguier , de Louis XIV . de
M. de Caumartin , dont M. de Montcrif remplit
la place vacante, de M.le Cardinal de Fleury,
de M. le Maréchal de Villars , et M. le Comte
de Clermont. Qu'il nous soit permis de toucher
quelques traits de ces Eloges .
ກ
En parlant du Cardinal de Richelieu , » Ce
» Cardinal dont le génie également vaste et su-
» blime , fit sentir à toute l'Europe que pour por-
» ter la France au plus haut degré de splendeur ,
» il ne falloit que lui apprendre à se connoître; Armand
, dis - je , après avoir étendu les limites
» et multiplié les avantages interieurs de l'Etat ,
s'empressa d'y ajoûter ce Monument , qui de-
» voit en accroître la gloire ... Richelieu voulut
former un établissement , qui dès sa naissance
présentât toute son utilité , il fonda l'Académie
Françoise. L'effet répondit à son attente
; l'Ouvrage parut , il étoit perfectionné ...
» C'étoit le siecle des prodiges. Louis XIV . regnoit
... Tout devoit marquer l'ascendant de'
Louis XIV . devenu votre Protecteur , il sembla
» qu'il avoit applani les routes pénibles que les
59
3
so talents et la science avoient été forcez de suivre
>> jusqu'alors.
5
Après avoir fait l'éloge de M. de Caumartin ,
le nouvel Académicien ajoûta en parlant de PAcadémie
; il est des objets de notre admiration ,
qui bien loin de perdre à être examinez de près, ၁၁
>> neus
338 MERCURE DE FRANCE
1
nous frappent au contraire plus vivement et
s'embellissent à mesure qu'on peut les distinguer
et les connoître davantage. Le Prince *à qui
"J'ai l'honneur d'être attaché, me le fait éprou-
» ver tous les jours . Il semble par l'habitude de
l'approcher (et il est bien rare que de l'habitude
» naissent des sujets d'éloge ) il semble , dis je ,
soit que qu'en lui l'éclat du rang ne la récompense
des qualitez personnelles , & c,
20
Le Discours de M. Dupré de Saint Maur
eut aussi des traits d'une éloquence variée ,
vive et animée . Il exposa le progrès de la Langue
Françoise , par les soins et les travaux
des illustres Membres de cette Académie dès
le temps même de sa fondation , c'est-à- dire ,
sous l'illustre Cardinal de Richelieu. » Ce sublime
génie , dit- il , semblable à ces intelligences
qui président aux destins des Empires ,
et sous le Chancelier Seguier , qui acheva cer
établissement. L'Académicien fit ensuite l'Eloge
de son Prédecesseur M. l'Evêque de Langres.
Après avoir touché son illustre naissance et fait
appercevoir l'étendue de ses connoissances : » Des
talens si distinguez , ajouta - t'il , lui mériterent
» l'honneur de votre adoption , mais la douceur
» qu'il goûtoit dans vos Exercices , ne prévalut
point sur ses devoirs. L'Episcopat vous l'enleva
» et sa résidence dans son Diocèse , où il s'ense-
» velit jusqu'à la mort consomme son Eloge.
"
&
L'Orateur témoigna ensuite modestement qu'il
n'attribuoit point à sa Traduction du Poëme de
Milton , l'honneur qu'il avoit de remplacer l'il-
Justre Academicien dont il venoit de faire l'Eloge
mais plutôt au souvenir que l'Académie a cor❤
Son A. S. Monseigneur le Comte de Clermons.
servé
'
FEVRIER . 1734. 339
"
servé de feu M.de Valincourt, auquel il avoit été
uni par le sang. L'Eloge de Louis XIV . fut court
mais très- bien manié. » France , dit - il , ta splendeur
est l'ouvrage de cet auguste Monarque ;
»tu lui dois plus , tu lui dois un Prince dans le
quel tu vois revivre toutes ses vertus , son zele
pour la Religion , son amour pour la justice ,
» sa tendresse pour ses Peuples et cette prudence
consommée , qui dans l'âge des passions
» le rend aussi maître de lui-même , qu'impenetrable
dans ses secrets, Nous passons plusieurs
traits de cet Eloge , où l'Orateur , en parlant des
nouvelles conquêtes du Roy , invite l'Académie
à les publier. Continuez , Messieurs , dit- il en
finissant son Discours , de transmettre à la
posterité les louanges de ce grand Roy. Vous y
" joindrez celles d'un Ministre vertueux , modes.
» te , équitable , occupé du bien public , négli
"}
まる
gent sa propre grandeur , et qui dans le plus
» haut rang, n'a d'autres richesses en partage que
» la confiance de son Maître et la veneration des
hommes . Les sages principes par lesquels il
» se conduit , n'ont jamais varié , et les sentimens
qu'il a imprimez à notre jeune Monarque
" assurent notre felicité .
ן כ
M. de Boze, Directeur de l'Academie, répondit
aux deux nouveaux Académiciens par un Discours
où l'éloquence et la délicatesse se trouvent réunis.
Après avoir fait remarquer que quelque douleur
dont l'Académie soit penetrée en perdant
d'illustres Confreres , il y auroit de l'injustice à
ne cesser de s'y livrer , puisqu'après tout sans ces
révolutions l'Académie n'auroit pas eu l'avantage
de posseder depuis son établissement tout ce que
France a produit de plus distingué par l'éru
dition , le goût et la politesse , il fit l'éloge de
feu
340 MERCURE DE FRANCE
*
feu M. l'Evêque de Blois ; et en s'adressant ensuite-
à M. de Montcrif : » Achevez , dit - il , de le
remplacer par vos sentimens pour l'Académie...
et , si nous sommes en droit d'exiger quelque
chose de plus , par votre empressement à marquer
au Prince qui vous honore d'une protection
si distinguee , notre respect , notre reconnoissance
et notre admiration . Les Muses
seules sembloient le disputer aux Graces. Un
bruit de guerre se fait entendre et il vole à la
gloire. Objet d'étonnement pour le vulgaire ,
qui croit que la Gloire , les Graces et les Muses
sont autant de Rivales , jalouses de former
» séparément des Héros qui leur appartiennent
en propre , au lieu qu'elles y travaillent de
concert dans le sang de Condé , et que la Religion
même s'interesse au succès ...
»
20
Pour vous , M en s'adressant à M. de S.Maur,
digne heritier de l'esprit et de la tendresse d'un
Confrere dont le souvenir nous sera toujours
cher , ce n'est ni à ce titre - là que vous avez
sollicité nos suffrages , ni la premiere fois que
vous y avez cû part ; ce qui mena à l'Eloge de
feu M. P'Evêque de Langres. Il dit ensuite ;
Que ne devons- nous pas attendre de vous
après l'élégante Traduction que vous nous
avez donnée de ce Poëme ,
que l'Angleterre
met au- dessus d'Homere et de Virgile , et que
nous leur préfererions , comme elle, si nous ne
consultions que le choix , l'interêt et la grandeur
du Sujet.
*
Nous passons plusieurs autres Refléxions de ce
goût , resserrez par nos bornes , pour rapporter
* S. A. S. M. le Comte de Clermont.
Le Paradis per du de Milton .
un
FEVRIER. 1734. 341
Endroit qui termine le Discours. Après avoir
exposé le but de l'Académie Françoise dans ses
travaux et l'attentlon de la Posterité qu'elle se
propose de mériter , autant par la délicatesse du
Pinceau , que par l'importance et la majesté du
Sujet , l'illustre Académicien ajoûta : Nous
» avions à lui apprendre qu'il est des Peuples assez
heureux pour n'admettre aucune difference
entre le zele et le devoir ; entre l'amour de la
» Patrie et la gloire du Souverain , qu'il est des
Ministres sages et puissants , simples , affables
set tranquilles au milieu du mouvement qu'ils
" donnent à l'Univers entier , qu'il est des Rois
" magnanimes , qui sacrifient leurs plus grands
interêts au repos et à la tranquillité publique,
" et que rien n'arrête dès qu'il faut venger la
splendeur du Trône qu'on offense , ou se-
"courir des Alliez qu'on opprime , des Rois en-
" fin , qui ne veulent être couronnez par les
"mains de la Victoire , qu'après l'avoir été par
» celles de la Justice et de la Picté .
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Résumé : RECEPTION de MM. de Moncrif et Dupré de Saint Maur, à l'Académie Françoise le 29. Décembre 1733.
Le 29 décembre 1733, M. de Moncrif et M. Dupré de Saint Maur furent accueillis à l'Académie Française. M. de Moncrif, dans son discours, mit en avant l'importance de l'Académie pour la perfection de la langue et le progrès de l'esprit. Il rendit hommage à plusieurs personnalités marquantes, notamment le Cardinal de Richelieu, fondateur de l'Académie, et Louis XIV, protecteur de l'Académie. Richelieu fut salué pour son génie ayant conduit la France à son apogée en lui permettant de se connaître. Louis XIV fut loué pour avoir favorisé les talents et la science. M. de Moncrif mentionna également M. Seguier, M. de Caumartin, le Cardinal de Fleury, le Maréchal de Villars et le Comte de Clermont. M. Dupré de Saint Maur, dans son allocution, souligna également le progrès de la langue française grâce aux travaux des membres de l'Académie depuis Richelieu et sous le Chancelier Seguier. Il exprima sa gratitude envers son prédécesseur, l'Évêque de Langres, et attribua son élection à la traduction du poème de Milton plutôt qu'à l'œuvre elle-même. Il rendit hommage à Louis XIV et à son successeur pour leurs vertus et leur engagement envers la religion et la justice. M. de Boze, Directeur de l'Académie, répondit aux nouveaux académiciens en soulignant que, malgré les pertes subies, l'Académie avait toujours su honorer les plus distingués par leur érudition et leur politesse. Il fit l'éloge de l'Évêque de Blois et encouragea M. de Moncrif à honorer le Prince par son dévouement. Il loua également M. Dupré de Saint Maur pour sa traduction élégante du poème de Milton. Le discours se conclut par une réflexion sur les valeurs de l'Académie et les qualités des souverains et ministres.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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