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1
p. 97-144
Traité du feu, dans lequel on établit les vrais fondemens de la Physique.
Début :
Les effets du feu son si admirables & si terribles, / Il y a si peu de choses qui puissent passer pour certaines [...]
Mots clefs :
Feu, Incendie, Corps, Auteur, Eau, Nature, Chaleur, Esprits, Vertu, Dieu, Terre, Froid, Avantages, Traité, Principes, Force, Divinité, Substance, Couleur, Grandeur, Soleil, Physique, Entretiens
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texteReconnaissance textuelle : Traité du feu, dans lequel on établit les vrais fondemens de la Physique.
admirables & si terribles,
si utiles & si dangereux, &
j'en ai déja parlé tant de
fois superficiellement, que
4 je croy ne pouvoir mieux
faire, pourinstruire & pour
amuser le lecteur, que lui
donner un extrait des dissertationssuivantes,
oùil
verra un tableau assez exact
des qualitez & des proprietez
de cet élement.
h) ;>-t'ï
J, Traité du feu, dans lequel on établît les vraisfondemens
n' de la Physique.
-'u-j
,
Il y a si peu de choses qui
puissent passer pour certaines
& pour confiantes dans
la Physique, qu'il n'ya
rien de plus aisé que dese
tromper, lors qu'on entreprend
de prononcer decisivement
sur les matierés qui
s'y traitent. D'ailleurs,les
methodes Ics- plus regulieres
ne fonc pas toûjours les
meilleures; elles ont fouvent
beaucoup plus de
montre que d'utilité solide,
& l'on peut dire qu'en bien
des rencontres elles servent
bien plus à gêner l'esprit,
qu'à le conduire droit à la
verité. C'a été pour prendre
uneroute qui l'exposât
moins àces deux inconve-
,
niens, que le P. C. a donné
la formed'entretiens à cet
ouvrage, parce qu9ona accoûtumé
de bannir de tout
ce qui porte ce titrele ton
decisif de Docteur,aavec
ce faste & cet apparat qui
l'accompagne d'ordinaire,
&. que du reste on n'y reçoit
point les regularitez importunes,
ni les formalitez
gênantes des manieres de
l'Ecole. Ainsi les
13.
dissertarions
dont il a composé son
livre, sontautant de ron'Ver.
sations libres& sçavantes,
où il fait entrer trois personnes
d'un rare merire &
d'une fort grande érudition;
à peu prés comme Ciceron
introduit sesillustres
amis parlansdans ses ouvrages
de Philosophie. Je tjU
cherai d'informer les lecteurs
de ce qui s'y trouve
de plus remarquable 8; de
principal: mais comme je
suis obligé d'éviter la longueur
des extraits , autant
qu'il me fera possible,
& qu'il feroit difficile de
rendre compte en peu de
mots de 13.dissertations pleines
de choses considerables
&qui font un gros volume,
je me contenterai de donner
ici le précis des 5. premieres,
& je renvoyerai le
reste à un autre mois.
Nôtre auteur entre en
matiere,dans la premiere
dissertation;d'une maniere
agreable -" par une petite
disputequ'il fait naître entre
ses personnages sur cette
question curieuse : Lequel
desdeuxestleplus excellent &
le plus utile, de l'eau ou du
feu ? C'est pour se donner
jour à faire l'élogedu sujet
qu'il veut traiter, en montrant
l'avantage qu'a le feu
sur tous les corps simples,
dont il pretend qu'il est le
plusnoble à bien des égards.
On ne pouvoit gueres
mieuxtourner la chose qu'-
en laprenant de cette maniere
,
ni faire voir un plus
beau mélange de la belle
litterature avec la Philosophie,
que celui que nous
donne ici le P.C. On allegue
• de part & d'autre ce qu'on
pouvoir dire de plus curieux
à l'avantage du feu ou de
l'eau. On cite les autoritez
des Poëtes & des Philosophes,
on produit le celebre
passage de Pindare, qui des
le commencement de ses
Odes dit qu'il n'y a rien de
meilleur que l'eau. Et on lui
opposePlutarque,qui ayant
traité la même question
qu'on a gite ici, l'adecidée
en faveur du feu. On peut
bien croire qu'on n'oublie
pas là-dessus ni Vulcain, qui
étoit du nombre des grandes
Divinitez Payennes, ni le
feusucré,qui étoit l'objet de
la devotion des Perfes
; ni
l'adoration que les Chaldéens
rendoient à cet element,
qu'ils, consideroient
comme leur supreme Divinité.
Cependant comme le
feu ne craint rien si fort que
l'eau,on raconte ici une as
fez plaisante avanture,tirée
de Ruffln & de Suidas, oùles
choses ne tournerent pas à
l'avantage du Dieu de Chaldée.
Ceux de cette nation
vantoient leur Divinité,
comme la plus puissante de
toutes; & quelques-uns de
leurs Prêtres, courans de
Province enProvince,défioient
au combat tous les
f
autresDieux. Maiscomme
ceux-ci, de que lque matierequ'ils
fussent, de bois,
, ou d'airain ,ou d'argent
ou d'or, ne pouvoientresister
au feu, qui en venoit
-
enfin à bout,il le trouva un
Prêtre d'Egypte qui arrêta
de cette maniere les triomphes
de ce Dieu, qui en avoit
dévoré tant d'autres. Il
prit une cruche percée de
quantité de petits trous,
qu'il boucha avec de la cire,
mais si proprement, qu'on
n'en pouvoitrien connoître
; & après avoir rempli
cette cruche d'eau, & avoir
mis au dessus la tête de son
Idole qu'on nommoit Canope,
il accepta le défi. Les
Chaldéens mirent aussitôt
le feu à l'entour de l'Idôle:
mais la cire se fondant au
feu, ouvrit incontinent le
passage à l'eau, qui sortant
de tous cotez par les petits
trous ,qu'on ne voyoit pas,
éteignit le feu, & faisant
triompher Canope, fit avoüer
aux Chaldéens que.
le Dieu des Egyptiensétoit
le plus fort. Avec tout cela,
comme il estaussi naturel
au feu de consumerl'eau,
qu'ill'est à l'eau d'éteindre
le feu, on ne peut nier que
celui-ci ne se dédommage
quelquefois au double, parce
qu'il gagne à son tour
sur l'autre.Mais pourétablir
sur quelque chose de c'on.,
fiderable l'avantage qu'on
donne aufeu,on remarque
ici que si on recüeille les
suffrages des Philolophes,
on trouvera que le plus
grand nombre est celui de
ceux qui ont mis le feuen
tre les principes deschoses;
ce qui vient sans douce de
l'impression nature lle qu'on
a de ion excellence & de
son utilité. Qu'au reste ce
n'est pas un foible argument
pour nous en persuader,
que de voir qu'entre »
tant de sortes d'animauxil
n'y ait que l'homme à qui
a nature en ait proprement
accordé l'usage : ce qui va
siloin
,
selon la pensée de
Lactance
,
qu'il semble que
Dieu ait voulu assurer les
hommes de leur immortalité
, en leur abandonnant
l'usage & la disposition de
cet element, qui est celui de
la lumiere & de la vie. Que
quoy qu'il en soit, lavie est
un feu, & que si le feu en
est le symbole,il en est aussi
le soûtien, & leplus necessaire
instrument, puis qu'-
après tout il n'est pas possïble
ni de cuire les alimens,
ni de préparer les remedes,
ni de se prévaloir de cent
autres choses necessaires à
la vie, sans le secours de
cet element. Que d'ailleurs
quand on pourroit vivre
sans l'usage du feu,la vie
ne sçauroit être qu'extremement
miserable, privée
de tous les avantages qu'on
tire des sciences & des arts,
& plongée dans une obscurité
qui lui ôteroit tout ce
qu'elle a dagreable. Qu'en
un mot on est redevable de
toutes lescommoditez, ôc
de tous les ornemens de la
: vie au feu ,qui eR: d'une utiflité
si étenduë & si gene- rale, qu'outre le secours
qu'il prête à la vûé au milieu
de l'obscurité , il supplée
quelquefois à l'usage
[. de la parole, en donnant
aux amis éloignez de quelques
lieuës le moyen de se
pouvoir parler la nuit par
des flambeauxallumez. Enl'
fin, après avoir remarqué
que les effets mêmequ'on
lui reproche sont des preuves
de noblesse & des marques
de grandeur,on observe
quetousles peuples
l'ont prispour le symbole
de la puissance, & pourle
caractere de la majesté:d'où
vient qu'on le portoit autrefois
devant les Rois de
l'Asie, & devant les Empereurs
Romains. Et pour
achever par un endroitqui
en couronne dignementl'éloge,
on ajoûte qu'il n'y a
point eu de nation dans le
monde qui ne l'ait regardé
non feulement comme un
excellent present duCiel,
mais encore comme une illustre*
imagerdela-Divinité. Que
rQue de là est venu qu'on Fa
employé dans toutes les Religious,&
que ce n'ont point
été les Chaldéens feu ls, ni
les Poëtes, ni les Philosophesqui
ont dit que Dieu
est unfeu : mais que l'Ecriture
sainte a parlélemême
langage, & n'a pas faitdifficulté
de nous assurer que
Dieu estunfeuconsumant. 1
Aprés ces préliminaires,
il passe dans le deuxiéme
entretien à l'explication de
lanature du feu. Lefeu, sef!
on" lui, est un esprit qui soy a en unechaleur vive brûlante.
Mais il faut sçavoir
que par cet esprit il n'entend
pas ce que les Chymistes
appellent de ce nom &
qu'ils distinguent par là mêmedavec
leursouphre &
leur mercure. Dans ce que
nôtre auteur nomme ainsi,
il n'est pas tant question de
larareté dela matiere,ou
'de la legereté, quede la subtilité
& de la sorce:&en
un mot, l'esprit, dans son
sens
,
estune substance tres-déliée&
trés-subtile,très-capablede
s'insinuer&depenetrer
dans les pores de tous les corps.
cr >
Quand donc cette subtilité
se trouve jointe avec la É-lieleur,
& que celle-ci est dars
un degré de force & d'ardeur
considerable, nôtre
auteurpretend quec'estce
qui fait propremenr le feu.
D'où vient qu'il ne fait pas
de difficulté de mettre le
sel aunombredes corpsde
nature ignées parce qu outre
•
qu'il désechetoutes leschop
ses ou il s'attache, & qu'il
consume puissamment les
-
humiditez, on en tire, en
ledistillent,des eaux fortes
qui ont la vertu de dissoudre
les metaux,en bien
moins
,-
de temps quene
sçauroit faire le feu leplus
fort &le plusardentde nos
fourneaux.Au reste; comme,
l'ondistingue diverses
sortes de terres,qui, quoy
qu'ellesconviennent toutes
dans cette nature generale,
qui leur est commune; ne
laissent pas d'être differentes
en espece les unesdes
autres; nôtre aauurteeuurrine j ne
doute pointqu'on ne doive
aussidistinguer diverses sortes
de feux, qui tenant tous
en général de la nature de
cet element , différent entr'eux,
en ce qu'ilssont d'une
vivacité,d'un éclat,d'une
subtilité ,d'une force, Si
d'une activité inégale.Quelquedifferensneanmoins
qu'ils soiênt,ilveutqu'ils se
reduisent tous à deux genres
principaux:les uns, qui
ont,tout enlemble de la lumiere&
de la chaleur &
lesautres qui ont de la chaleur
,mais quin'ont point
de lumiere. Les premiers
sont ceux qu'on nomme
feux par excellence : aussi
l'auteur lesappelle-1-il des
feuxvifs, parce qu'ils renfermenc
une quantité d'esprits
vifs & lumineux, comme
font ceux d'une vive
flamme. Les autres sont des
feux beaucoup moins parfaits:
c'est pourquoyl'auteur
les appelle des feux
morts, parce qu'ils sont composez
d'espritsqui n'ont ni
vivacité, ni clarté, & qu'avec
la vertu de brûler , ils
n'ont pas celle d'eclairer &
de luire. Le poivre, le pyretbre,
l'argent vifprécipité, ôc
generalement tous lescaustiques
renferment des eA
prits de cette espece, & doivent
par cette raison être
mis entre les corps qui tiennent
de la nature du feu. /',
Maiscequ'ilyaicid'aussi
remarquable; & qui pourra
surprendre ceux qui n'aurontpoint
oüi parler du
traité de M. Boyle; deflam-
; mæ ponderabilitate y cest qu'-
excepté le feu celeste & de
la nature de celui des astres,
qu'on veut bien qui soit ler
ger. & capable de s'élever
sen haut, on soûtient que
* tous les autres tendent naturellement
vers le centre,
& qu'ilssontmême plus
pesans que tous les autres
elemens.
La troisiéme dissertation
est employée toute entiere
à soûtenir ce paradoxe,& il
fautavoüerqu'on lui donne
un grand air de vraifemblance
par les preuves qu'-
on apporte pour l'établir.
Par exemple , to.. L'on remarque
que les briques,
qui demeurent long-temps
dans le feu, y deviennent
beaucoup plus pesantes,
quoique l'évaporation de
l'humidité en dûtdiminuer
le
le poids.2°. On rapporte un
grand nombre d'experiences
du traité de M. Boyle,
par lesquelles il paroît que
delachaux vive &, divers
metauxayant été exposez
au feu pendant deuxon
trois heures, ont considerablement
augmenté leur
poids; ce qui ne pouvoit
venir que des particules du
feu qui s'étoientmêlées
avec ces matieres. 3°. Enfin
on soûtient que le lieu prow
pre & naturel de nôtre feu
élémentaire est dans les entrailles
de la terre, levrai
cétre des choses pefanses^
lendrpiçle.plus basde tonné
l'univers, ôcquec'estçefils
central, &: non pas la chaleuo
du soleil,ou la vertu ôdesin-j
lfweçesque1,onattribueau^
astrequi est le véritable
principe de la génération
des métaux, & la veritablq
çausequi produit les sources
des rivieres&des fontaines;
;:
En .effet3il est si peuvrai
que la vertu des astres fQ
false sentirdans- les pro-l
fonds cachotsdes lieux [oûi
terrains, que l'on pose en
fait que dans les plus gran4eschaleurs
de l'Esté,lorfque
le soleil darde ses.rayons
avec plus de force, & qu'ils
donnent sur la terre à
plomb, si Tonveut bienfe
donner la peine d'observer
l'effet qu'ilsyfont, on ne
itrouvera point, je ne dirai
pas quils l'ayent penetrée
de quelque milles, mais feu-,
lement qu'ils l'ayent réchauffée
de quelques pieds
de profondeur. L'auteur
nous apprend quelque cho.
se d'asser remarquable làideflus.
Il dit que tous ceux
qui ont écrit touchant les
mi,nes, au moi,ns tous ceux1
dont il, a lû les ecrits rapportent
constammentque.
la terre est froide vers sa fuperficie;
qu'on çommence
à la trouver un peu rechauf-j
fée, lors qu'on y est defcen,
du plus avant;& qu'ensuite
plus on l'enfonce, plus on
trouve que sa chaleur se forciné,
& qu'elle s'augmente
sensiblement. C'est ce que
témoigné entr'autres J. B.
Adorin dans sa relation de
lotis fubterraneis, où il rapporte,
qu'ayant eu la curiofit-R
dedépendre dans les minesd'or
de Hongrie au mots deJuillet,
il avoit trouvé la région superieure
de la terre extremement
froide jusques environ 480.
pieds : mais quétantdescendu
plusbas, ily aVoit trouvé de
la chaleur, qui saugmentait de
relie forte a mesure qu'il s'avançoit
vers lefond,que dans
l'endroit ou étoient les ouvriers
,
ils ne poyvoient travailler
que nuds. Et l'onremarque
qu'il en est de même
dans routes les autres
mines de ce pays-là.
La quatrième -diflertation
roule
sur cette quêstion
assez curieufc
: Si lorfqueï
quelque choje est brûUe>ils'en-t
gendre une nouvellefubflancef1
Pour la resoudre clairemenr,
l'auteurexplique fort,
au long toute la nature de la
génération des substances
inanimées. Il ne reconnoit^
aucune matierepremière proprement
airifi nommée', ôc ilsoûtientfqu'il n'yen ai
point d'autre que divers
corpuscules (impies, qui onci
chacun leur figure, leur!
grandeur, & leurs autre,
proprietez; de
maniéréquel
ne dépendant nullement lest
uns des-autres, ils peuvent
également [ublifler & ensemble,
& fcparez
:
après
cela on conçoit aflfez que,
félon cet auteur, laforme des
chosesinanimées ne doit consister
que dans la conformation,
qui refaite de l'union legitimé&
naturelle deflujieurs
Jecescorpujèule., qui composent
rtt.vtJCm1l "' om-mye par exemple, la forme d'urn--emaison
n'etf autre chose
que cette ftrudture qui le
forme de l'union & de l'arrangement
convenable des
matériaux dont on la bâtir.
Et de cettemanière il'.cÍt
clairque lagenerationde toutes
ces choses ne confifie
non plus que dans taffimblage
que la na«tureIfait de ces fM- diierfespartiesqu'elleuniten- j
semblefour enfaire unmême
corps: comme à lopposite,
la corruprion n'est rien autre
chose que 14 diffilution
& laseparation de ces mêmes
parties,-que lagénération avoit
assemblées;comme on le fait
voir clairement parune experiencecurieule
du vitriol
diûile dans le fourneau de
réverbere. Car après en
Ravoir tiré d'abord un phleg:.
me presque insipide, & enfuite
une liqueur fortace-
; teuse, il ne restera plus au [fond qu'une terre d'un beau [rouge couleur de poùrprë.
I Mais si vous versez vos deux
j[ liqueurs sur cette rerre,vous
l verrez aussitôt vôtre vitriol
; réproduit
, avec sa même
couleur 1V presque son même
poids, parce qu'il a peu
,
d'esprit & dé fou phre volatile.
Enfinnôtre auteur prei
tend que les principesde cetteunion
des parties des corps.
naturels
,
dans laquelle il
veut que la génération cohj
Me, ne font autre chose,
que lesesprits & lesfels auf- j
quels il attribuë tant de
force,qu'il tient que là Oùi
les mêmes efprirs & les memes
fels se trouvent, ils ne
manquent presque jamais
de produire à peu prés la.
Inêmeconfiguratron,quél-
1
,.r que peu ae diipoirm.on qu"r1ry--
rencontrent assezsouvent
dans lamatiere sur laquelle
ils agissent. Onenrapporte
ici deux preuves, qui fèroient
bien considerables &
bien cotivaincantessi elles
étoient bien averées.La premiere
est que la terre cremt
pée&imbuëdecefanggâté
•5 & de ces humeurs infedtes
& corrompues qui forcent
des corps de ces malheureux
qu'on laisse arrachez
aux gibets
,
après leur avoir
fait souffrir le dernier supplice
; que cette terre3 disje,
ainsi detrempée prociuic
une herbe, dont la racine
exprime beaucoup mieux la
forme du corps humain>
que ne fait la racine dela
mandragore. L'autre experience
qu'on alléguéest que
tous les raiforts, qui venoient
dans un jardin,&où
l'on avoitautrefois enterré
un grand nombre de personnes,
avoient la figure de
la moitié du corps humain,
mais si bien representée,
qu'il ne se pouvoir rien de
plus rèssemblant.Cesèxemples
qui quadrent si bien
aux principes de nôtre auteur,
lui donnent occasion
depenser qu'il y a bien plus
de raison qu'on ne s'imagine
dans les regles des
physionomistes, qui tiennent
pour une de leurs grandes
maximes, que les hommes
ont d'ordinaire les inclina..
tions des animaux avec leC
quels ils ont du rapport
dans les traits & dans la forme
exterieure ; parce qu'il
paroît par là qu'ils ont à peu
prés les mêmes esprits, &
qu'il y a bien de l'affinité
entre les particules qui les
composent.
Il nest pas mal aisé de
juger, après tout ce qu'on
vient de voir, ce que nôtre
auteur doit répondre à la
question qu'on a proposée;
car. puis qu'il fait consister
la générationdans un assemblage,&
dans une union
de plusieurs parties pour ne
composer qu'un seul tour,
on voit bien que pour raisonner
consequemment sur
ses principes, il ne peut pas
dire que le feu, qui en embrasant
une matiere combustible,
ne fait qu'en dissoudre
& en separer les parties
,
produise une nouvelle
substance. Il pose donc ici en
fait que tout ceque l'embrasement
peut faire, ne peur
être toutau plus que de prd."
duire de nouvelles qualitez.Et
pour faire voir qu'en celail
ne fait que suivre le sentiment
des anciens, il allègue
là dessus un paisage d'Ari.
stote, qui ne sçauroit être
plus exprés pour,lui quoy
il joint ces beaux vers d'Oise
, où il dit que la garde
du feu sacré avoit été donnée
à des vierges,pourmarquer
,
s'il faut ainsi dire, la
virginité de cet element,par
lequel rien n'est produit.
Comme l'auteur est per.
suadé qu'il n'y a rien de plus
essentiel au feu que la chalent,
il en parle à fond dans
la cinquièmedissertation,
où il s'accache à en expliquerexactement
la nature:,
mais comme pour y bien
reüssir sélon ses principes, il
se trouve obligé de faire
comprendre comment il
conçoit que les corps qui enj
font susceptibles sont composez,
il entre d'abord dans1
un examen fort particulier j
de cette matiere, Bien qu'ilJ
rejette tout à fait lesatomes
d'Epicure, il ne laisse pas de
croire que ces corpuscules,
dont nous avons vû qu'il
composetous lescorps îèn- :';.' fibles,
sibles;sontsi minces, qu'on
n'en peut assez concevoir la
petitesse. Ce qui l'en a convaincu,
c'est,dit- il, quayanc
regardeau travers d'un microscope
de petits grains de
fromage vermoulu
,
qu'il
avoit exposez au soleil, ily
apperçut unefourmilliere
de petits vers, quel'oeil n'auroit
jamais sçû découvrir
sans l'aide de cet instrument.
Il remarque d'ailleurs
qu'on en a observé quelquefois
une grandequantité de
la même petitesse dans le
sang qu'on a tiré à des personnesqui
avoient lafievre,
& qu'il se trouvoir qu'ils
avoient la têtenoire:c'etoit
un signe que la fievre étoit
maligne & dangereuse.Nô- i
tre auteur croiroit assez-que
ces fortes de vers pourroient
devoir leur origineà
ces petits animaux queVarron
dit quisont dans l'air
mais quiyfont imperceptibles
& qui entrant dans nos corps
par la bouche & par les nari
nés,yengendrent desmaladies
difficiles & perilleuses. Mais,
pour revenir à ses corpuscules,
il tient que comme ils.
ne peuvent pas être tous de
la même grandeur) il ne se
peut pas non plus qu'ils
Soient tous de la même sigure;
Chaque espece, selon
lui, a la sienne particulière,
comme on le voit dans les
cristaux, dont chacun a ses
parties configurées d'une
certaine manière qui lui est
propre ; & ç'est de là qu'il
pretend que vient la diversitéqu'on
remarque dans la
contexture des corps, dont
les uns sont plus rares, les
autres plus ferrez, & les autresd'une
consistance mediocre.
Mij
4 Celaposé, ilvientà montrer
ce que c'est que la chaleur,
& commentilconçoit
qu'elle, se produit dans les
corps quisechauffent. Il
n'est pas dusentiment de
ceux qui en font un pur accident.
Il croit quelle envelope
necessairement dans
sa notion une substance,
puisqu'elleconsille dans
l'agitation de ces petitsfeux
ou esprits ignez, qui sont
renfermez dans les corps
chauds; ou pour mieux dire,
qu'elle n'estaucrechose que
ces mêmes feux ou esprits
violemment agitez. En effet il
n'a pas de peine à ren d re raison
par ce principe de la plupart
des effets qu'on attribuë a la
chaleur, comme de secher les
draps mouillez,d'amolir la cire,
de durcir la bouë, de faire évanouir
l'esprit de vin qui fera
dans une phiole ouverte,&c. Il
fait voir que tout cela se fait par
le mouvement & par l'agitation
violente de ces petits feuxou efpritsdont
les lieux où toutes
ces choses arrivent setrouvent
remplis. Il ne trouve pasplus de
difficulté à expliquer la maniere
dont la chaleur s'engendre
en de certains corps, &
pourquoy il y en a qui n'en font
point susceptibles. Il dit que les
premiers s'échauffent aisément,
parce qu'a yant une contexture
rare, ils reçoivent facilemenr
dans leurs pores les petits feux
étrangers qui réveillent ceux
qu'ils avoient déja dans leur
propre sein,ouils étoient comme
assoupis,& qui les remuent
& lesagitent: mais que les autres
ne s'échauffent pas, parce
que leurs pores ne font pas faits
d'une maniéré propre à admettre
ces petits feux ou esprits.
C'est de là que vient, selon lui,
que le ru bis soutient la chaleur
du feu jusques à 5. jours, & le
diamantjusques à 9 ;ce qui a
fait que les Grecs lui ont donne
le nom d'adamas, qui signifie
invincible.C'est encore, à son
avis,ce qui fait que la pierre aprelié
chalazia, parce qu'elle a la
couleur & la figure de la grêle,
conserve sa froideur dansJe
feu? comme au contraire ce,le
queles-Grecsont appelléeapiyilos,
c'etf à dire irrefrigerable),
étant une fois échauffée, conserve
toute sa chaleur pendant
plusieurs jours.
'-Il ne faut pas oublier que nôtre
auteur ne croit pas que le
froid soit une simple privation
dechaleur, comme la plupart
dumon deselepersuade. Il pretend
que comme la chaleur
consiste dans desesprits de nature
ignée ,
le froid consiste à
l'oppalire dans des esprits froids
églacez.Etil croit le prouver
invinciblement par deux experiences.
La premiere est le froid
insupportable que l'Atlasdela
Chine rapporte qu'il fait toûjours
sur une montagne de la
Prov ince Quan^ft, qui pour cet
te raison est appellée la montagnefroide
;car quoy qu'elle soit
dans la zone torride, elle est
pourtant inhabitable par l'extreme
rigueur du froid. L'autre
est la vertu qu'a la pierre nommée
æmatite, d'empêcher l'eau
de boüillir,sion la jette dans le
vaisseau; & celle qn'elle a d'arrêter
le fang, lors qu'une trop
grande fermentation le fait sortir
hors des veines. L'auteur
croit qu'une même cause produit
l'un & l'autre de ces effets,
& il ne conçoit pas qu'on
puisse attribuer ni le froid de
cette montagne,ni la vertu de
cette pierre, qu'à des exhalaisons
froides,qui arrêtent l'action
& le mouvement des esprits
chauds.
si utiles & si dangereux, &
j'en ai déja parlé tant de
fois superficiellement, que
4 je croy ne pouvoir mieux
faire, pourinstruire & pour
amuser le lecteur, que lui
donner un extrait des dissertationssuivantes,
oùil
verra un tableau assez exact
des qualitez & des proprietez
de cet élement.
h) ;>-t'ï
J, Traité du feu, dans lequel on établît les vraisfondemens
n' de la Physique.
-'u-j
,
Il y a si peu de choses qui
puissent passer pour certaines
& pour confiantes dans
la Physique, qu'il n'ya
rien de plus aisé que dese
tromper, lors qu'on entreprend
de prononcer decisivement
sur les matierés qui
s'y traitent. D'ailleurs,les
methodes Ics- plus regulieres
ne fonc pas toûjours les
meilleures; elles ont fouvent
beaucoup plus de
montre que d'utilité solide,
& l'on peut dire qu'en bien
des rencontres elles servent
bien plus à gêner l'esprit,
qu'à le conduire droit à la
verité. C'a été pour prendre
uneroute qui l'exposât
moins àces deux inconve-
,
niens, que le P. C. a donné
la formed'entretiens à cet
ouvrage, parce qu9ona accoûtumé
de bannir de tout
ce qui porte ce titrele ton
decisif de Docteur,aavec
ce faste & cet apparat qui
l'accompagne d'ordinaire,
&. que du reste on n'y reçoit
point les regularitez importunes,
ni les formalitez
gênantes des manieres de
l'Ecole. Ainsi les
13.
dissertarions
dont il a composé son
livre, sontautant de ron'Ver.
sations libres& sçavantes,
où il fait entrer trois personnes
d'un rare merire &
d'une fort grande érudition;
à peu prés comme Ciceron
introduit sesillustres
amis parlansdans ses ouvrages
de Philosophie. Je tjU
cherai d'informer les lecteurs
de ce qui s'y trouve
de plus remarquable 8; de
principal: mais comme je
suis obligé d'éviter la longueur
des extraits , autant
qu'il me fera possible,
& qu'il feroit difficile de
rendre compte en peu de
mots de 13.dissertations pleines
de choses considerables
&qui font un gros volume,
je me contenterai de donner
ici le précis des 5. premieres,
& je renvoyerai le
reste à un autre mois.
Nôtre auteur entre en
matiere,dans la premiere
dissertation;d'une maniere
agreable -" par une petite
disputequ'il fait naître entre
ses personnages sur cette
question curieuse : Lequel
desdeuxestleplus excellent &
le plus utile, de l'eau ou du
feu ? C'est pour se donner
jour à faire l'élogedu sujet
qu'il veut traiter, en montrant
l'avantage qu'a le feu
sur tous les corps simples,
dont il pretend qu'il est le
plusnoble à bien des égards.
On ne pouvoit gueres
mieuxtourner la chose qu'-
en laprenant de cette maniere
,
ni faire voir un plus
beau mélange de la belle
litterature avec la Philosophie,
que celui que nous
donne ici le P.C. On allegue
• de part & d'autre ce qu'on
pouvoir dire de plus curieux
à l'avantage du feu ou de
l'eau. On cite les autoritez
des Poëtes & des Philosophes,
on produit le celebre
passage de Pindare, qui des
le commencement de ses
Odes dit qu'il n'y a rien de
meilleur que l'eau. Et on lui
opposePlutarque,qui ayant
traité la même question
qu'on a gite ici, l'adecidée
en faveur du feu. On peut
bien croire qu'on n'oublie
pas là-dessus ni Vulcain, qui
étoit du nombre des grandes
Divinitez Payennes, ni le
feusucré,qui étoit l'objet de
la devotion des Perfes
; ni
l'adoration que les Chaldéens
rendoient à cet element,
qu'ils, consideroient
comme leur supreme Divinité.
Cependant comme le
feu ne craint rien si fort que
l'eau,on raconte ici une as
fez plaisante avanture,tirée
de Ruffln & de Suidas, oùles
choses ne tournerent pas à
l'avantage du Dieu de Chaldée.
Ceux de cette nation
vantoient leur Divinité,
comme la plus puissante de
toutes; & quelques-uns de
leurs Prêtres, courans de
Province enProvince,défioient
au combat tous les
f
autresDieux. Maiscomme
ceux-ci, de que lque matierequ'ils
fussent, de bois,
, ou d'airain ,ou d'argent
ou d'or, ne pouvoientresister
au feu, qui en venoit
-
enfin à bout,il le trouva un
Prêtre d'Egypte qui arrêta
de cette maniere les triomphes
de ce Dieu, qui en avoit
dévoré tant d'autres. Il
prit une cruche percée de
quantité de petits trous,
qu'il boucha avec de la cire,
mais si proprement, qu'on
n'en pouvoitrien connoître
; & après avoir rempli
cette cruche d'eau, & avoir
mis au dessus la tête de son
Idole qu'on nommoit Canope,
il accepta le défi. Les
Chaldéens mirent aussitôt
le feu à l'entour de l'Idôle:
mais la cire se fondant au
feu, ouvrit incontinent le
passage à l'eau, qui sortant
de tous cotez par les petits
trous ,qu'on ne voyoit pas,
éteignit le feu, & faisant
triompher Canope, fit avoüer
aux Chaldéens que.
le Dieu des Egyptiensétoit
le plus fort. Avec tout cela,
comme il estaussi naturel
au feu de consumerl'eau,
qu'ill'est à l'eau d'éteindre
le feu, on ne peut nier que
celui-ci ne se dédommage
quelquefois au double, parce
qu'il gagne à son tour
sur l'autre.Mais pourétablir
sur quelque chose de c'on.,
fiderable l'avantage qu'on
donne aufeu,on remarque
ici que si on recüeille les
suffrages des Philolophes,
on trouvera que le plus
grand nombre est celui de
ceux qui ont mis le feuen
tre les principes deschoses;
ce qui vient sans douce de
l'impression nature lle qu'on
a de ion excellence & de
son utilité. Qu'au reste ce
n'est pas un foible argument
pour nous en persuader,
que de voir qu'entre »
tant de sortes d'animauxil
n'y ait que l'homme à qui
a nature en ait proprement
accordé l'usage : ce qui va
siloin
,
selon la pensée de
Lactance
,
qu'il semble que
Dieu ait voulu assurer les
hommes de leur immortalité
, en leur abandonnant
l'usage & la disposition de
cet element, qui est celui de
la lumiere & de la vie. Que
quoy qu'il en soit, lavie est
un feu, & que si le feu en
est le symbole,il en est aussi
le soûtien, & leplus necessaire
instrument, puis qu'-
après tout il n'est pas possïble
ni de cuire les alimens,
ni de préparer les remedes,
ni de se prévaloir de cent
autres choses necessaires à
la vie, sans le secours de
cet element. Que d'ailleurs
quand on pourroit vivre
sans l'usage du feu,la vie
ne sçauroit être qu'extremement
miserable, privée
de tous les avantages qu'on
tire des sciences & des arts,
& plongée dans une obscurité
qui lui ôteroit tout ce
qu'elle a dagreable. Qu'en
un mot on est redevable de
toutes lescommoditez, ôc
de tous les ornemens de la
: vie au feu ,qui eR: d'une utiflité
si étenduë & si gene- rale, qu'outre le secours
qu'il prête à la vûé au milieu
de l'obscurité , il supplée
quelquefois à l'usage
[. de la parole, en donnant
aux amis éloignez de quelques
lieuës le moyen de se
pouvoir parler la nuit par
des flambeauxallumez. Enl'
fin, après avoir remarqué
que les effets mêmequ'on
lui reproche sont des preuves
de noblesse & des marques
de grandeur,on observe
quetousles peuples
l'ont prispour le symbole
de la puissance, & pourle
caractere de la majesté:d'où
vient qu'on le portoit autrefois
devant les Rois de
l'Asie, & devant les Empereurs
Romains. Et pour
achever par un endroitqui
en couronne dignementl'éloge,
on ajoûte qu'il n'y a
point eu de nation dans le
monde qui ne l'ait regardé
non feulement comme un
excellent present duCiel,
mais encore comme une illustre*
imagerdela-Divinité. Que
rQue de là est venu qu'on Fa
employé dans toutes les Religious,&
que ce n'ont point
été les Chaldéens feu ls, ni
les Poëtes, ni les Philosophesqui
ont dit que Dieu
est unfeu : mais que l'Ecriture
sainte a parlélemême
langage, & n'a pas faitdifficulté
de nous assurer que
Dieu estunfeuconsumant. 1
Aprés ces préliminaires,
il passe dans le deuxiéme
entretien à l'explication de
lanature du feu. Lefeu, sef!
on" lui, est un esprit qui soy a en unechaleur vive brûlante.
Mais il faut sçavoir
que par cet esprit il n'entend
pas ce que les Chymistes
appellent de ce nom &
qu'ils distinguent par là mêmedavec
leursouphre &
leur mercure. Dans ce que
nôtre auteur nomme ainsi,
il n'est pas tant question de
larareté dela matiere,ou
'de la legereté, quede la subtilité
& de la sorce:&en
un mot, l'esprit, dans son
sens
,
estune substance tres-déliée&
trés-subtile,très-capablede
s'insinuer&depenetrer
dans les pores de tous les corps.
cr >
Quand donc cette subtilité
se trouve jointe avec la É-lieleur,
& que celle-ci est dars
un degré de force & d'ardeur
considerable, nôtre
auteurpretend quec'estce
qui fait propremenr le feu.
D'où vient qu'il ne fait pas
de difficulté de mettre le
sel aunombredes corpsde
nature ignées parce qu outre
•
qu'il désechetoutes leschop
ses ou il s'attache, & qu'il
consume puissamment les
-
humiditez, on en tire, en
ledistillent,des eaux fortes
qui ont la vertu de dissoudre
les metaux,en bien
moins
,-
de temps quene
sçauroit faire le feu leplus
fort &le plusardentde nos
fourneaux.Au reste; comme,
l'ondistingue diverses
sortes de terres,qui, quoy
qu'ellesconviennent toutes
dans cette nature generale,
qui leur est commune; ne
laissent pas d'être differentes
en espece les unesdes
autres; nôtre aauurteeuurrine j ne
doute pointqu'on ne doive
aussidistinguer diverses sortes
de feux, qui tenant tous
en général de la nature de
cet element , différent entr'eux,
en ce qu'ilssont d'une
vivacité,d'un éclat,d'une
subtilité ,d'une force, Si
d'une activité inégale.Quelquedifferensneanmoins
qu'ils soiênt,ilveutqu'ils se
reduisent tous à deux genres
principaux:les uns, qui
ont,tout enlemble de la lumiere&
de la chaleur &
lesautres qui ont de la chaleur
,mais quin'ont point
de lumiere. Les premiers
sont ceux qu'on nomme
feux par excellence : aussi
l'auteur lesappelle-1-il des
feuxvifs, parce qu'ils renfermenc
une quantité d'esprits
vifs & lumineux, comme
font ceux d'une vive
flamme. Les autres sont des
feux beaucoup moins parfaits:
c'est pourquoyl'auteur
les appelle des feux
morts, parce qu'ils sont composez
d'espritsqui n'ont ni
vivacité, ni clarté, & qu'avec
la vertu de brûler , ils
n'ont pas celle d'eclairer &
de luire. Le poivre, le pyretbre,
l'argent vifprécipité, ôc
generalement tous lescaustiques
renferment des eA
prits de cette espece, & doivent
par cette raison être
mis entre les corps qui tiennent
de la nature du feu. /',
Maiscequ'ilyaicid'aussi
remarquable; & qui pourra
surprendre ceux qui n'aurontpoint
oüi parler du
traité de M. Boyle; deflam-
; mæ ponderabilitate y cest qu'-
excepté le feu celeste & de
la nature de celui des astres,
qu'on veut bien qui soit ler
ger. & capable de s'élever
sen haut, on soûtient que
* tous les autres tendent naturellement
vers le centre,
& qu'ilssontmême plus
pesans que tous les autres
elemens.
La troisiéme dissertation
est employée toute entiere
à soûtenir ce paradoxe,& il
fautavoüerqu'on lui donne
un grand air de vraifemblance
par les preuves qu'-
on apporte pour l'établir.
Par exemple , to.. L'on remarque
que les briques,
qui demeurent long-temps
dans le feu, y deviennent
beaucoup plus pesantes,
quoique l'évaporation de
l'humidité en dûtdiminuer
le
le poids.2°. On rapporte un
grand nombre d'experiences
du traité de M. Boyle,
par lesquelles il paroît que
delachaux vive &, divers
metauxayant été exposez
au feu pendant deuxon
trois heures, ont considerablement
augmenté leur
poids; ce qui ne pouvoit
venir que des particules du
feu qui s'étoientmêlées
avec ces matieres. 3°. Enfin
on soûtient que le lieu prow
pre & naturel de nôtre feu
élémentaire est dans les entrailles
de la terre, levrai
cétre des choses pefanses^
lendrpiçle.plus basde tonné
l'univers, ôcquec'estçefils
central, &: non pas la chaleuo
du soleil,ou la vertu ôdesin-j
lfweçesque1,onattribueau^
astrequi est le véritable
principe de la génération
des métaux, & la veritablq
çausequi produit les sources
des rivieres&des fontaines;
;:
En .effet3il est si peuvrai
que la vertu des astres fQ
false sentirdans- les pro-l
fonds cachotsdes lieux [oûi
terrains, que l'on pose en
fait que dans les plus gran4eschaleurs
de l'Esté,lorfque
le soleil darde ses.rayons
avec plus de force, & qu'ils
donnent sur la terre à
plomb, si Tonveut bienfe
donner la peine d'observer
l'effet qu'ilsyfont, on ne
itrouvera point, je ne dirai
pas quils l'ayent penetrée
de quelque milles, mais feu-,
lement qu'ils l'ayent réchauffée
de quelques pieds
de profondeur. L'auteur
nous apprend quelque cho.
se d'asser remarquable làideflus.
Il dit que tous ceux
qui ont écrit touchant les
mi,nes, au moi,ns tous ceux1
dont il, a lû les ecrits rapportent
constammentque.
la terre est froide vers sa fuperficie;
qu'on çommence
à la trouver un peu rechauf-j
fée, lors qu'on y est defcen,
du plus avant;& qu'ensuite
plus on l'enfonce, plus on
trouve que sa chaleur se forciné,
& qu'elle s'augmente
sensiblement. C'est ce que
témoigné entr'autres J. B.
Adorin dans sa relation de
lotis fubterraneis, où il rapporte,
qu'ayant eu la curiofit-R
dedépendre dans les minesd'or
de Hongrie au mots deJuillet,
il avoit trouvé la région superieure
de la terre extremement
froide jusques environ 480.
pieds : mais quétantdescendu
plusbas, ily aVoit trouvé de
la chaleur, qui saugmentait de
relie forte a mesure qu'il s'avançoit
vers lefond,que dans
l'endroit ou étoient les ouvriers
,
ils ne poyvoient travailler
que nuds. Et l'onremarque
qu'il en est de même
dans routes les autres
mines de ce pays-là.
La quatrième -diflertation
roule
sur cette quêstion
assez curieufc
: Si lorfqueï
quelque choje est brûUe>ils'en-t
gendre une nouvellefubflancef1
Pour la resoudre clairemenr,
l'auteurexplique fort,
au long toute la nature de la
génération des substances
inanimées. Il ne reconnoit^
aucune matierepremière proprement
airifi nommée', ôc ilsoûtientfqu'il n'yen ai
point d'autre que divers
corpuscules (impies, qui onci
chacun leur figure, leur!
grandeur, & leurs autre,
proprietez; de
maniéréquel
ne dépendant nullement lest
uns des-autres, ils peuvent
également [ublifler & ensemble,
& fcparez
:
après
cela on conçoit aflfez que,
félon cet auteur, laforme des
chosesinanimées ne doit consister
que dans la conformation,
qui refaite de l'union legitimé&
naturelle deflujieurs
Jecescorpujèule., qui composent
rtt.vtJCm1l "' om-mye par exemple, la forme d'urn--emaison
n'etf autre chose
que cette ftrudture qui le
forme de l'union & de l'arrangement
convenable des
matériaux dont on la bâtir.
Et de cettemanière il'.cÍt
clairque lagenerationde toutes
ces choses ne confifie
non plus que dans taffimblage
que la na«tureIfait de ces fM- diierfespartiesqu'elleuniten- j
semblefour enfaire unmême
corps: comme à lopposite,
la corruprion n'est rien autre
chose que 14 diffilution
& laseparation de ces mêmes
parties,-que lagénération avoit
assemblées;comme on le fait
voir clairement parune experiencecurieule
du vitriol
diûile dans le fourneau de
réverbere. Car après en
Ravoir tiré d'abord un phleg:.
me presque insipide, & enfuite
une liqueur fortace-
; teuse, il ne restera plus au [fond qu'une terre d'un beau [rouge couleur de poùrprë.
I Mais si vous versez vos deux
j[ liqueurs sur cette rerre,vous
l verrez aussitôt vôtre vitriol
; réproduit
, avec sa même
couleur 1V presque son même
poids, parce qu'il a peu
,
d'esprit & dé fou phre volatile.
Enfinnôtre auteur prei
tend que les principesde cetteunion
des parties des corps.
naturels
,
dans laquelle il
veut que la génération cohj
Me, ne font autre chose,
que lesesprits & lesfels auf- j
quels il attribuë tant de
force,qu'il tient que là Oùi
les mêmes efprirs & les memes
fels se trouvent, ils ne
manquent presque jamais
de produire à peu prés la.
Inêmeconfiguratron,quél-
1
,.r que peu ae diipoirm.on qu"r1ry--
rencontrent assezsouvent
dans lamatiere sur laquelle
ils agissent. Onenrapporte
ici deux preuves, qui fèroient
bien considerables &
bien cotivaincantessi elles
étoient bien averées.La premiere
est que la terre cremt
pée&imbuëdecefanggâté
•5 & de ces humeurs infedtes
& corrompues qui forcent
des corps de ces malheureux
qu'on laisse arrachez
aux gibets
,
après leur avoir
fait souffrir le dernier supplice
; que cette terre3 disje,
ainsi detrempée prociuic
une herbe, dont la racine
exprime beaucoup mieux la
forme du corps humain>
que ne fait la racine dela
mandragore. L'autre experience
qu'on alléguéest que
tous les raiforts, qui venoient
dans un jardin,&où
l'on avoitautrefois enterré
un grand nombre de personnes,
avoient la figure de
la moitié du corps humain,
mais si bien representée,
qu'il ne se pouvoir rien de
plus rèssemblant.Cesèxemples
qui quadrent si bien
aux principes de nôtre auteur,
lui donnent occasion
depenser qu'il y a bien plus
de raison qu'on ne s'imagine
dans les regles des
physionomistes, qui tiennent
pour une de leurs grandes
maximes, que les hommes
ont d'ordinaire les inclina..
tions des animaux avec leC
quels ils ont du rapport
dans les traits & dans la forme
exterieure ; parce qu'il
paroît par là qu'ils ont à peu
prés les mêmes esprits, &
qu'il y a bien de l'affinité
entre les particules qui les
composent.
Il nest pas mal aisé de
juger, après tout ce qu'on
vient de voir, ce que nôtre
auteur doit répondre à la
question qu'on a proposée;
car. puis qu'il fait consister
la générationdans un assemblage,&
dans une union
de plusieurs parties pour ne
composer qu'un seul tour,
on voit bien que pour raisonner
consequemment sur
ses principes, il ne peut pas
dire que le feu, qui en embrasant
une matiere combustible,
ne fait qu'en dissoudre
& en separer les parties
,
produise une nouvelle
substance. Il pose donc ici en
fait que tout ceque l'embrasement
peut faire, ne peur
être toutau plus que de prd."
duire de nouvelles qualitez.Et
pour faire voir qu'en celail
ne fait que suivre le sentiment
des anciens, il allègue
là dessus un paisage d'Ari.
stote, qui ne sçauroit être
plus exprés pour,lui quoy
il joint ces beaux vers d'Oise
, où il dit que la garde
du feu sacré avoit été donnée
à des vierges,pourmarquer
,
s'il faut ainsi dire, la
virginité de cet element,par
lequel rien n'est produit.
Comme l'auteur est per.
suadé qu'il n'y a rien de plus
essentiel au feu que la chalent,
il en parle à fond dans
la cinquièmedissertation,
où il s'accache à en expliquerexactement
la nature:,
mais comme pour y bien
reüssir sélon ses principes, il
se trouve obligé de faire
comprendre comment il
conçoit que les corps qui enj
font susceptibles sont composez,
il entre d'abord dans1
un examen fort particulier j
de cette matiere, Bien qu'ilJ
rejette tout à fait lesatomes
d'Epicure, il ne laisse pas de
croire que ces corpuscules,
dont nous avons vû qu'il
composetous lescorps îèn- :';.' fibles,
sibles;sontsi minces, qu'on
n'en peut assez concevoir la
petitesse. Ce qui l'en a convaincu,
c'est,dit- il, quayanc
regardeau travers d'un microscope
de petits grains de
fromage vermoulu
,
qu'il
avoit exposez au soleil, ily
apperçut unefourmilliere
de petits vers, quel'oeil n'auroit
jamais sçû découvrir
sans l'aide de cet instrument.
Il remarque d'ailleurs
qu'on en a observé quelquefois
une grandequantité de
la même petitesse dans le
sang qu'on a tiré à des personnesqui
avoient lafievre,
& qu'il se trouvoir qu'ils
avoient la têtenoire:c'etoit
un signe que la fievre étoit
maligne & dangereuse.Nô- i
tre auteur croiroit assez-que
ces fortes de vers pourroient
devoir leur origineà
ces petits animaux queVarron
dit quisont dans l'air
mais quiyfont imperceptibles
& qui entrant dans nos corps
par la bouche & par les nari
nés,yengendrent desmaladies
difficiles & perilleuses. Mais,
pour revenir à ses corpuscules,
il tient que comme ils.
ne peuvent pas être tous de
la même grandeur) il ne se
peut pas non plus qu'ils
Soient tous de la même sigure;
Chaque espece, selon
lui, a la sienne particulière,
comme on le voit dans les
cristaux, dont chacun a ses
parties configurées d'une
certaine manière qui lui est
propre ; & ç'est de là qu'il
pretend que vient la diversitéqu'on
remarque dans la
contexture des corps, dont
les uns sont plus rares, les
autres plus ferrez, & les autresd'une
consistance mediocre.
Mij
4 Celaposé, ilvientà montrer
ce que c'est que la chaleur,
& commentilconçoit
qu'elle, se produit dans les
corps quisechauffent. Il
n'est pas dusentiment de
ceux qui en font un pur accident.
Il croit quelle envelope
necessairement dans
sa notion une substance,
puisqu'elleconsille dans
l'agitation de ces petitsfeux
ou esprits ignez, qui sont
renfermez dans les corps
chauds; ou pour mieux dire,
qu'elle n'estaucrechose que
ces mêmes feux ou esprits
violemment agitez. En effet il
n'a pas de peine à ren d re raison
par ce principe de la plupart
des effets qu'on attribuë a la
chaleur, comme de secher les
draps mouillez,d'amolir la cire,
de durcir la bouë, de faire évanouir
l'esprit de vin qui fera
dans une phiole ouverte,&c. Il
fait voir que tout cela se fait par
le mouvement & par l'agitation
violente de ces petits feuxou efpritsdont
les lieux où toutes
ces choses arrivent setrouvent
remplis. Il ne trouve pasplus de
difficulté à expliquer la maniere
dont la chaleur s'engendre
en de certains corps, &
pourquoy il y en a qui n'en font
point susceptibles. Il dit que les
premiers s'échauffent aisément,
parce qu'a yant une contexture
rare, ils reçoivent facilemenr
dans leurs pores les petits feux
étrangers qui réveillent ceux
qu'ils avoient déja dans leur
propre sein,ouils étoient comme
assoupis,& qui les remuent
& lesagitent: mais que les autres
ne s'échauffent pas, parce
que leurs pores ne font pas faits
d'une maniéré propre à admettre
ces petits feux ou esprits.
C'est de là que vient, selon lui,
que le ru bis soutient la chaleur
du feu jusques à 5. jours, & le
diamantjusques à 9 ;ce qui a
fait que les Grecs lui ont donne
le nom d'adamas, qui signifie
invincible.C'est encore, à son
avis,ce qui fait que la pierre aprelié
chalazia, parce qu'elle a la
couleur & la figure de la grêle,
conserve sa froideur dansJe
feu? comme au contraire ce,le
queles-Grecsont appelléeapiyilos,
c'etf à dire irrefrigerable),
étant une fois échauffée, conserve
toute sa chaleur pendant
plusieurs jours.
'-Il ne faut pas oublier que nôtre
auteur ne croit pas que le
froid soit une simple privation
dechaleur, comme la plupart
dumon deselepersuade. Il pretend
que comme la chaleur
consiste dans desesprits de nature
ignée ,
le froid consiste à
l'oppalire dans des esprits froids
églacez.Etil croit le prouver
invinciblement par deux experiences.
La premiere est le froid
insupportable que l'Atlasdela
Chine rapporte qu'il fait toûjours
sur une montagne de la
Prov ince Quan^ft, qui pour cet
te raison est appellée la montagnefroide
;car quoy qu'elle soit
dans la zone torride, elle est
pourtant inhabitable par l'extreme
rigueur du froid. L'autre
est la vertu qu'a la pierre nommée
æmatite, d'empêcher l'eau
de boüillir,sion la jette dans le
vaisseau; & celle qn'elle a d'arrêter
le fang, lors qu'une trop
grande fermentation le fait sortir
hors des veines. L'auteur
croit qu'une même cause produit
l'un & l'autre de ces effets,
& il ne conçoit pas qu'on
puisse attribuer ni le froid de
cette montagne,ni la vertu de
cette pierre, qu'à des exhalaisons
froides,qui arrêtent l'action
& le mouvement des esprits
chauds.
Fermer
Résumé : Traité du feu, dans lequel on établit les vrais fondemens de la Physique.
Le texte, rédigé par le P. C., explore la nature et les propriétés du feu, élément à la fois admirable et dangereux. L'auteur choisit une structure d'entretiens pour éviter un ton trop formel. Il commence par discuter de la supériorité du feu sur l'eau, le considérant comme le plus noble des éléments, essentiel à la vie et aux arts. Le feu est décrit comme un esprit subtil et brûlant, capable de pénétrer tous les corps. L'auteur distingue deux types de feu : les feux vifs, qui possèdent lumière et chaleur, et les feux morts, qui n'ont que la chaleur. Il soutient que, contrairement au feu céleste, tous les autres feux tendent vers le centre de la terre et sont plus pesants que les autres éléments. La troisième dissertation affirme que le feu élémentaire se trouve dans les entrailles de la terre, et non dans la chaleur du soleil ou la vertu des astres. Le texte aborde également des observations et théories scientifiques sur la chaleur, le froid et la génération des substances inanimées. Dans les mines, la chaleur augmente avec la profondeur, rendant le travail des ouvriers difficile. La quatrième dissertation explore la question de savoir si une substance brûlée engendre une nouvelle substance. L'auteur explique que les substances inanimées sont composées de divers corpuscules ayant des propriétés spécifiques. La forme des choses inanimées résulte de l'arrangement naturel de ces corpuscules. Par exemple, la forme d'une maison dépend de la structure et de l'arrangement de ses matériaux. La génération des substances consiste en l'assemblage de différentes parties, tandis que la corruption est la séparation de ces mêmes parties. Une expérience avec du vitriol illustre ce processus : en chauffant le vitriol, on obtient d'abord un phlegme insipide, puis une liqueur astringente, et enfin une terre rouge. En mélangeant les deux liquides avec la terre, le vitriol se reforme. L'auteur affirme que les principes de l'union des parties des corps naturels, impliqués dans la génération, sont les esprits et les sels. Il cite des exemples comme la croissance d'une herbe à partir de terre imbibée de fluides humains et la forme humaine des raiforts poussant sur des lieux d'enterrement. La cinquième dissertation examine la nature du feu et de la chaleur. L'auteur rejette les atomes d'Épicure mais croit en l'existence de corpuscules extrêmement petits, observables au microscope et présents dans divers phénomènes, comme la fièvre. La chaleur est due à l'agitation de petits feux ou esprits ignés dans les corps chauds. L'auteur distingue les corps susceptibles de s'échauffer de ceux qui ne le sont pas, en fonction de leur structure poreuse. Enfin, il ne considère pas le froid comme une simple privation de chaleur, mais comme la présence d'esprits froids, illustrée par des exemples comme le froid extrême sur une montagne en Chine et les propriétés de la pierre hématite.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 794-806
EXTRAIT du nouveau Samson, annoncé dans le dernier Mercure.
Début :
L'Auteur est très-modeste, quand il ne donne cette Tragi-Comédie, que comme une simple [...]
Mots clefs :
Samson, Théâtre, Tragicomédie, Amour, Secret, Force, Mort, Dieu, Coeur, Caractère
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT du nouveau Samson, annoncé dans le dernier Mercure.
EXTRAIT du nouveau Samfon
annoncé dans le dernier Mercure .
'Auteur eft très-modefte , quand il ne donne
cette Tragi- Comédie , que comme une fimple
Traduction ; la nouvelle forme fous laquelle il l'a
fait reparoître , mérite bien qu'il s'en dife l'Auteur
; le fieur Riccoboni , qui la mit au Théatre
én 1717. en avoue les deffauts dans fon Avis aux
Lecteurs : voici les termes dont il fe fert. La compofition
Théatrale que je vous prefente aujourd'hui
eft un de ces Monftres dont le Théatrefut
f prodigue en Italie pendant le dernier fiecle.
Cette Piece , telle qu'elle étoit alors , ne laiffa pas
d'avoir un grand fuccès. Le fieur Romagneſi en
a retranché ce qu'il y avoit de monſtrueux. La
Dalila d'autre fois étoit infoutenable au Théatre,
au lieu que celle d'aujourd'hui eft intereffante &
ne tombe dans le malheur que par foibleffe. On
n'a vu de long-temps de fuccès plus frappant que
celui-cy. On n'a pas laiffé cependant de trouver
des deffauts dans la Piéce ; nous ferons part au
Public de ce qui eft venu jufqu'à nous, à la fin de
cet Extrait.
Le Théatre repréfente im Bois, dans l'enfoncement
duquel on découvre le Temple de Dagon.
Dalila ouvre la Scene avec fa Suivante Armillā ; -
elle fait connoître qu'elle s'eft dérobée de la Cour
de Gaza, pour venir implorer le fecours de Dagon,
Idole des Philiftins; elle apprend à Armilla qu'elle
brûle d'un coupable amour pour un Hebreu qu'elle
ne trouva que trop aimable la premiere fois qu'il
parut à fes yeux parmi les Captifs qu'Achab avoit
faits dans fa derniere victoire. Samfon eft . cet
Hebreu dont elle parle ; elle ne laiffe pas de fe
promettre de triompher d'un amour condamné
par une Loi expreffe du Roi des Philiftins. Azael
reproche
AVRIL. 1730. 795
1
1
reproche à Samſon l'indigne repos dans lequel il
languit , au lieu de tourner contre les ennemis de
Dieu ces traits qu'il n'employe que contre des
animaux , dans les vains plaifirs de la Chaffe, Samfon
lui répond qu'il foufcrit aux decrets éternels
qui ont condamné les Hebreux à un pénible ef
clavage , en punition de leurs crimes ; voici comment
il s'exprime :
Du Dieu qui nous punit refpectons la puiffance ;
J'éprouve en l'adorant les traits de fa vengeance,
Et je ne porterois que coups criminels ,
Si je les oppofois aux decrets éternels.
des
L'Auteur ne pouvoit mieux excufer l'inaction
de Samfon . En effet il n'eft déterminé à faire
éclater la force prodigieufe dont le Ciel l'a
doué , que par ces mêmes decrets qu'il refpecte.
Il s'endort fous un Olivier.Pendant fon fommeil
il entend une voix qui chante les Vers fuivans :
La gloire en d'autres lieux t'appelle ,
Samfon , brife ton Arc , abandonne ces bois ;
Que fans tarder le Philiftin rebelle ,
De ton bras triomphant éprouve tout le poids
Que ton coeur à ce bruit de guerre ,
A ces Eclairs , à ce Tonnerre ,
Du Ciel reconnoiffe la voix ;
Et que cet Olivier paifible ,
Difparoiffe à l'afpect terrible ,
De ce Laurier , garant de tes exploits ..
Tout ce qui eft exprimé dans ces Vers arrive
796 MERCURE DE FFRRAANNCE
à mesure qu'on les chante ; les Eclairs brillent , le
Tonnerre gronde & l'Olivier eft changé en Laurier.
Samfon , rempli de l'Efprit de Dieu , jette
fon Carquois comme un indigne ornement ,
il fe prépare à venger les Hebreux , & à les tirer
d'eclavage. Il combat un Lion prêt à dévorer
Dalila , il l'étouffe . Dalila reconnoît l'objet
de fon amour dans celui qui vient de lui fauver
la vie. Samfon ne peut voir tant d'attraits fans
leur rendre les armes. Dalila oppoſe à cet amour
fon devoir & fa Religion ; elle lui fait connoître
qu'elle doit en ce même jour épouſer Achab ,
General des Philiftins ; Samfon fe roidit contre
tous ces obftacles ; Dalila le quitte après lui avoir
fait connoître qu'elle n'eft que trop fenfible à fon
amour. Nous fupprimons ici les Scenes comiques;
elles font trop de diverfion à l'interêt , & ce n'eft
que fur le Théatre Italien que de pareilles difparates
peuvent être excufées ; d'ailleurs la Piece n'a'
pas befoin d'un épiſode fi monftrueux.
Au fecond Acte , le Théatre repréfente le Palais
du Roi des Philiftins . Achab & Dalila com→
mencent cet Acte. Dalila avoue ingenument à
Achab , non-feulement qu'elle ne l'aime point ,'
mais qu'elle aime Samfon ; elle s'excufe par ces
Vers qu'on a trouvés des plus beaux de la Piéce :
Acab , de notre coeur les mouvemens rapides
Naiffent des paffions qui leur fervent de guides ;
Sur nos foibles efprits leur empire abſolu
Malgré tous nos efforts a toûjours prévalu ;
Pour l'un indifferents, pour l'autre pleins de flam
mes ,
Nous ne difpofons point du penchant de nos ames
Sous les traits de l'Amour , lorfque nous flechif-
Lons , Ce
AVRIL. 1730.
797
Ce Dieu nomme l'objet , & nous obéiffons.
On croit que ces Vers feroient encore plus
beaux dans le fiftême Payen. On a trouvé que l'amour
déifié ne convient pas à une Philiftine.
A l'approche de Samfon , Acab redouble fa colere
contre un Rival aimé ; Dalila le fait retirer
par ce Vers , dont on n'a pas bien compris le fens :
Suis mes pas ; vien fçavoir ce que le fort t'aprête.
Emanuel reproche à Samfon fon amour pour
Dalila ; Samfon le raffure par ce ferment :
Oui , je jure , Seigneur , par vos jours précieux
De brifer , de venger nos fers injurieux ,
Et fi je ne remplis toute votre efperance ,
Puiffe pour m'en punir la celefte vengeance -
Me livrer en opprobre aux Philiftins cruets ;
Que traîné par leurs mains au pied de leurs Autels
, ·
Je ferve de jouet à tout ce Peuple impie ,
Et que j'y meure enfin couvert d'ignominie.
Ce ferment n'eft pas tout-à- fait verifié à la fin
de la Piece. Samfon meurt comblé de gloire &
non d'ignominie,
Dans la Scene fuivante qui eft entre Phanor ,
Acab & Dalila , Samfon fe tient au fond du Théatre
fans être apperçû. Le Roi fait d'abord parade
d'un caractere de vertu , qu'il ne foûtient pas dans
la fuite ; il rend ce qu'il doit à la valeur de Samfon
, & dit qu'il l'admire fans la craindre. Samfon
indigné des menaces d'Acab s'approche ; il
défie fon Rival , & brave le Roi même. Le Roi
affectant une espece de juftice , confent que Dalila
798 MERCURE DE FRANCE
lila prononce entre fes deux Amans ; Dalila ne fe
déclare pour aucun des deux ; & n'écoutant que
le zele de la Religion , ôte toute efperance à Samfon
, & dit en fe retirant :
- Je n'épouferai point Samfon. à part , Cruel
devoir !
1
Sur un coeur vertueux connois tout ton pouvoir.
Samfon croyant que Dalila n'a fait jufqu'ici
que le jouer , s'abandonne à toute fa fureur.
Le Théatre repréſente au troifiéme Acte le
Camp des Philiftins . Acab , pour confoler le Roi
du carnage que Samfon feul vient de faire de fes
meilleures Troupes , lui apprend que le Grand-
Prêtre des Hebreux , intimidé par fes menaces
lui a promis de livrer Samfon entre ſes mains
Phanor n'en eft pas plus raffuré.
que
On amene Emanuel , pere de Samfon , priſonnier
; ce genereux Vieillard brave le Roi , & lui
dit fi l'amour de Samfon pour Dalila a long
tems fufpendu fa vengeance , la priſon de fon Pere
le va determiner à la faire éclater. Phanor ordonne
qu'on l'enferme dans une Tour qui paroit
au fond du Théatre.
On vient annoncer à Phanor que Samfon
s'eft laiffé furprendre , & qu'on le lui amene
chargé de fers ; le Roi fort , après avoir rendu
Acab Arbitre du fort de fon Rival . Samfon paroît
chargé de fers; il fait connoître pour quoi il
paroît en cet état par cet à parte.
Pour punir mes Tyrans ma haine a profité
D'un ftratagême heureux qu'eux -mêmes ont inventé
;
Traîtres , qui n'avez pû me vaincre à force oui
yerte ,
Votre
AVRIL. 1730. 799
Votre propre artifice avance votre perte ,
Puifqu'il m'approche enfin de ces lâches Soldats
de mourir déroboit à bras.
Que la peur mon
Acab ordonne à fes Soldats de donner la mort
à Samfon ; l'Hebreu lui dit que c'eft à lui-même
& à tous fes Soldats à trembler ; Acab le menace
d'époufer Dalila en fa préfence même ; ce dernier
outrage pouffe à bout la patience de Samfon ;
il brife fes chaînes , & trouvant par hazard une
mâchoire d'Afne à fes pieds , il les met tous en
fuite avec ce vil inftrument.
Les efforts que Samfon vient de faire lui caufent
une foif qui lui annonce une mort prochai
ne , il reconnoît alors que le bras du Seigneur
s'appefantit fur lui pour le punir de fon amour
pour une Philiftine . Voici comment s'expriment
Les juftes remords,
Mais quel aveuglement fuit ta préfomption
Tu n'as pû furmonter ta folle paffion ,
Et tu veux ignorer , lâche , quels font les crimes
Qui rendent aujourd'hui tes tourmens legitimes!
Souviens- toi que tu viens de combattre en ce lieu
Pour venger ton amour , & non pas pour ton
Dieu,
Malheureux ! tu croyois ne devoir qu'à toi -même
Le fuccès que tu tiens de la bonté fuprême ;
Appuyé de fon bras tu faifois tout trembler ; .
Mais fans lui le plus foible auroit pû t'accabler.
Les Vers fuivans ne font pas moins beaux.
Mon mal redouble ; helas ! mes fens s'évanouifil
tombe ,
Lent ;
Mcs
800 MERCURE DE FRANCE
font obfcurcis & mes genoux flechif
Mes yeux
fent ;
Je vois l'horrible Mort errer autour de moi ;
C'en eft fait ... Dieu puiffant , j'efpere encore en
toi.
Sur les maux de Samfon jette un regard propice
Ta clemence toujours balança ta juftice.
Indigne des honneurs que tu m'as préſentés
Que je partage ici tes immenfes bontés ;
Ah ! fi le repentir fait defcendre ta grace ,
Je ne fçaurois périr , & mon crime s'efface ;
Ce foudre , deftructeur de tant de Philiftins
Produira , fi tu veux , une fource en mes mains ;
C'est toi qui me l'offris contre ce Peuple impie
Il lui donna la mort ; qu'il me rende la vie ,
Semblable à ce Rocher dont Moïfe autrefois
Vit jaillir un torrent fur ton Peuple aux abois.
Ou t'exauce Samfon &c.
il met
II fort une fource d'eau de la mâchoire d'Afne;
..Samfon ayant étanché fa foif, force la Prifon de
fon Pere , & chargé d'une proye fi chere ,
encore fur fes épaules les portes de la Prifon , dont
le poids eft énorme.
Nous fupprimons la premiere Scene du quatriéme
Acte ( où le Théatre repréfente le Palais
du Roi des Philiftins ) à caufe du comique deplacé.
Dans la feconde , le Roi inftruit de la défaite
de fes Troupes n'a point d'autre confident que
Ja fuivante de Dalila , qui lui confeille d'employer
l'artifice , puifque la force ne fert de rien contre
Samfon ; elle lui dit qu'il faut que fa Maîtreffe
Alatte
AVRIL. 1730. 801.
flatte l'efpoir de ce terrible fleau de fes Sujets ,
pour l'engager à lui declarer d'où naît fa prodigieufe
valeur ; Samſòn , continuë -t'elle , a autrefois
brulé pour Tamnatée , il faut faire croire à
Dalila qu'il l'aime encore , afin que fon Amant
ne puiffe calmer fa défiance qu'en lui revelant ce
fatal fecret . Le Roi dont le caractere , comme on
l'a déja remarqué , eft tantôt vicieux , tantôt vertueux
, ne fe détermine qu'avec peine à recourir
à la tromperie qu'avec ce temperament.
Qu'elle perde Samfon ; mais dans cette entre
prife
Que l'amour du devoir , s'il fe peut , la conduiſed
Dalila vient ; le Roi la preffe d'employer pour
le falut de fa Patrie ces mêmes charmes qui ont
triomphé de Samfon. Voici comment il s'exprime.
La force dont Samfon nous accable aujour
d'hui
Confiſte en un ſecret qui n'eſt ſçû que de lui ;
Flattez le d'un hymen , pour percer ce myſtere
Il eft vaincu.
Dalila fe refufe à la perfidie que le Roi exige
d'elle. Acab effrayé vient annoncer au Roi que
tout eft perdu , & le prie de garantir la Tête du
péril qui la menace par une promte fuite. Phanor
ordonne à Dalila de voir Samfon & d'executer
ce qu'il vient de lui propofer pour le bien
de fes Sujets.
Armilla jette adroitement des foupçons jaloux
dans le coeur de Dalila au fujet de Tamnatée , &
lui perfuade qu'elle ne peut mieux s'affurer de la
fidelité de Samfon qu'en exigeant de lui qu'il lui
H dife
802 -MERCURE DE FRANCE
dife d'où peut naître fa force prodigieufe ; Dalila
qui voit alors les confequences d'un tel fecret lui
répond
Et s'il peut reveler ce fecret important
J'en dois aux Philiftins l'avis au même inftant.
Armilla lui fait entendre que rien ne l'oblige`
à donner cet avis , & qu'elle pourra ſe conferver
Samfon , affurée de fa fidelité par cette marque
de confiance .
Samfon arrive ; Armilla fe retire dans le deffein
d'écouter fans être apperçue .
La Scene entre Samfon & Dalila a paru fort
belle , quoique fufceptible de beaucoup de critique.
Samfon fans appercevoir Dalila dont il fe
croit trahi en faveur d'Acab , jure de perdre fon
Rival & le Roi même. Dalila rompant le filence
lui offre fon coeur à percer ; elle fe juftifie de l'infidelité
qu'il lui reproche , & l'ayant amené au
point qu'elle s'eft propofé , elle lui demande le
fatal fecret ; Samfon lui fait entendre qu'il ne
peut lui accorder ce qu'elle lui demande. Voici
les propres paroles :
Princeffe , épargnez-vous un inutile effort ;
Si ce fatal fecret n'entraînoit que ma mort ....
Mais , Madame , à lui feul ma gloire eft attachée
D'une honte éternelle elle feroit tachée ;
A tout autre péril je m'offre fans regret ;
Je vous accorde tout ; laiffez moi mon fecret.
Dalila fe retire , indignée du refus de Samfon,
& lui défend de la yoir jamais ; Samfon la fuit
fans fçavoir ce qu'il doit faire.
Armilla , dans la premiere Scene du cinquiéme
Acto
I
AVRIL. 1730. 803
Acte raconte au Roi tout ce qui s'eft paffé dans
l'Appartement de Dalila ; elle lui dit que s'étant
cachée de maniere à pouvoir tout voir & tour
entendre fans être apperçue , elle a vû Samſon ſe
jetter aux pieds de Dalila , que cette Princeffe
s'obftinant à vouloir apprendre fon fecret , il l'a
voit long- tems trompée par de fauffes confidences
, qu'enfin pour calmer fa colere , il lui avoit
avoué que fa force confiftoit dans fes cheveux ;
elle ajoûte qu'à peine Samfon avoit - il fait ce fatal,
aveu qu'il s'étoit plongé dans un profond fommeil
, qu'elle s'étoit approchée alors , & qu'elle
avoit dit à Dalila que fans doute Samſon la trompoit
& que fa Rivale fe vantoit hautement d'être
la feule dépofitaire de fon fecret , que Dalila pour
le convaincre de menfonge avoit confenti à faire
l'épreuve de fa fincerité ou de fa tromperie , en
lui faifant couper les cheveux , ce qui avoit d'abord
été executé par Armilla. Le Roi promet à
cette perfide fuivante des récompenfes dignes du
fervice qu'elle vient de rendre à fa Patrie.
Le Théatre repréfente l'Appartement de Dalila.
Dalila allarmée du long fommeil de Samfon ,
commence à craindre qu'il n'ait été que trop fincere
, & voyant le Roi fuivi d'une Troupe de
Soldats pour ſe ſaiſir de ſon Amant , elle l'éveille ;
Samfon voulant fe défendre tombe de foibleffe ;
il reproche à Dalila fa perfidie , & avoue qu'il
ne l'a que trop meritée. Phanor ordonne qu'on
lui aille crever les yeux. Dalila fe plonge un poignard
dans le fein. Nous fupprimons encore ici
une Scene comique qui a été trouvée déplacéedans
un fujet fi refpectable.
il
Le Théatre repréfente le Temple de Dagon
où le Roi & toute fa Cour font affemblés. Samfon
privé de la lumiere reconnoit fon crime ,
Lent un repentir fincere , & prie le Seigneur de lui´
rendre
H
804 MERCURE DE FRANCE
rendre fa premiere force afin qu'il puiffe employer
fes derniers momens à delivrer les Hebreux
de l'esclavage & à perdre fes ennemis en
periffant avec eux . Voici une partie de l'ardente
priere qu'il adreffe au Seigneur :
:
Rends leur premiere force à mes bras défarmés
;
Que ma mort foit utile aux Hebreux opprimés
Anime de mes mains les fecouffes rapides ,
Que je puiffe ébranler ces colomnes folides ,
Et que tes ennemis trouvent leurs monumens
Sous ces murs écroulés jufques aux fondemens .
Sanfon eft exaucé : il fecoue les colomnes , &
il est écrafé lui- même avec tous les Philiftins
fous les ruines du Temple de Dagon , ce qui fait
un fpectacle auffi terrible qu'admirable. Ce Temple
, pour le dire en paffant , eft un riche morceau
d'Architecture en rotonde , d'Ordre compofite
, à colomnes torfes de marbre , dont les
Chapiteaux , Bazes & autres ornemens font en
or. Sur le premier Ordre eft une Gallerie remplie
de plufieurs figures de coloris , repréfentant les
Peuples Philiftins. Les Arçades du bas qui conduifent
aux bas côtés font auffi remplies d'un grand
nombre de figures , ainfi que fur la Gallerie d'en
haut. Cette décoration produit un effet admirable
à la vue , fur tout la deftruction totale de ce
fuperbe Edifice . Elle a été compofée fur les deffeins
de M. Le Maire , & peinte par lui .
'Le fuccès étonnant de Samfon , n'a pas peu
contribué à rendre la critique plus fevere qu'elle
ne l'eft ordinairement pour le Théatre Italien .
La juftice qu'on a rendue à beauconp de beaux
Vers qui font répandus dans la Piéce n'a pas empêché
AVRIL. 1730. 805
pêché que les fpectateurs délicats n'ayent fed
mauvais gré à l'Auteur de s'être , pour ainfi dire,
laffé de bien faire dans plufieurs endroits. Tout
le monde a condamné la difparate du bas comique
, & fi la gentilleffe du jeu du St Thomaffin a
fait paffer ce deffaut dans la Repréfentation , la
lecture l'a fait fentir tout entier ; les caracteres
n'ont pas paru également foutenus. Achab , ar'on
dit , n'a prefque point de fentimens d'honneur
, il n'a en vûë que la mort de fon Rival , &
ne veut parvenir à fon but que par des chemins
indignes d'un Chef d'Armée . Phanor n'a rien de
Roi qu'un vain exterieur ; il fait parade de generofité
dans fes paroles ; mais fes actions démentent
fes maximes. Pour Samfon , on convient
qu'il eft tel que l'Ecriture le dépeint , c'eſt - à-dire,
aveuglé par un fol amour ; on peut même dire
que l'Auteur rectifie fon caractere autant que le
refpect qu'on doit avoir pour l'Histoire Sacrée
le peut permettre. Tout le monde a fait un mérite
au fieur Romagnefi d'avoir ennobli le caractere
de Dalila ; mais il ne l'a pu faire fans tomber
dans des inconveniens prefque inévitables . Dalila
a-t'on ajoûté , telle qu'elle eft vertueufe & fidelle
Amante , ne doit pas exiger de Samſon un ſecret
qui doit lui couter & l'honneur & la vie ; elle doit
fe contenter de l'offre qu'il lui fait d'épargner le
fang des Philiftins : en effet peut-elle exiger une
plus grande preuve de fon amour. Samfon ( pourfuivit-
on ) ne doit pas lui feveler fon fecret , furtout
, lui ayant déja voulu donner le change ; fes
premiers menfonges doivent rendre fufpecte à
Dalila la verité qu'il va lui dire ; fa juſte défiance
doit la porter à en faire l'épreuve , & cette épreuve
doit le livrer à la fureur des Philiftins , & entraîner
tous les Hebreux dans fa perte ; on dit à
la décharge de l'Auteur que fon caractere eſt en-
H iij core
306 MERCURE DE FRANCE
core plus defectueux dans l'Hiftoire , mais c'étoit
à l'Auteur à fubftituer le vrai- femblable Théatral
au vrai hiftorique ; on convient que cela éto it
très- embaraffant , mais du moins il n'étoit pas
bien difficile à l'Auteur de rendre fa Dalila vertueufe
jufqu'au bout , & de ne la point faire confentir
à la fatale épreuve ; Armilla auroit pû la
faire à l'infçu de fa Maîtreffe , & même contre fa
défenfe expreffe.
annoncé dans le dernier Mercure .
'Auteur eft très-modefte , quand il ne donne
cette Tragi- Comédie , que comme une fimple
Traduction ; la nouvelle forme fous laquelle il l'a
fait reparoître , mérite bien qu'il s'en dife l'Auteur
; le fieur Riccoboni , qui la mit au Théatre
én 1717. en avoue les deffauts dans fon Avis aux
Lecteurs : voici les termes dont il fe fert. La compofition
Théatrale que je vous prefente aujourd'hui
eft un de ces Monftres dont le Théatrefut
f prodigue en Italie pendant le dernier fiecle.
Cette Piece , telle qu'elle étoit alors , ne laiffa pas
d'avoir un grand fuccès. Le fieur Romagneſi en
a retranché ce qu'il y avoit de monſtrueux. La
Dalila d'autre fois étoit infoutenable au Théatre,
au lieu que celle d'aujourd'hui eft intereffante &
ne tombe dans le malheur que par foibleffe. On
n'a vu de long-temps de fuccès plus frappant que
celui-cy. On n'a pas laiffé cependant de trouver
des deffauts dans la Piéce ; nous ferons part au
Public de ce qui eft venu jufqu'à nous, à la fin de
cet Extrait.
Le Théatre repréfente im Bois, dans l'enfoncement
duquel on découvre le Temple de Dagon.
Dalila ouvre la Scene avec fa Suivante Armillā ; -
elle fait connoître qu'elle s'eft dérobée de la Cour
de Gaza, pour venir implorer le fecours de Dagon,
Idole des Philiftins; elle apprend à Armilla qu'elle
brûle d'un coupable amour pour un Hebreu qu'elle
ne trouva que trop aimable la premiere fois qu'il
parut à fes yeux parmi les Captifs qu'Achab avoit
faits dans fa derniere victoire. Samfon eft . cet
Hebreu dont elle parle ; elle ne laiffe pas de fe
promettre de triompher d'un amour condamné
par une Loi expreffe du Roi des Philiftins. Azael
reproche
AVRIL. 1730. 795
1
1
reproche à Samſon l'indigne repos dans lequel il
languit , au lieu de tourner contre les ennemis de
Dieu ces traits qu'il n'employe que contre des
animaux , dans les vains plaifirs de la Chaffe, Samfon
lui répond qu'il foufcrit aux decrets éternels
qui ont condamné les Hebreux à un pénible ef
clavage , en punition de leurs crimes ; voici comment
il s'exprime :
Du Dieu qui nous punit refpectons la puiffance ;
J'éprouve en l'adorant les traits de fa vengeance,
Et je ne porterois que coups criminels ,
Si je les oppofois aux decrets éternels.
des
L'Auteur ne pouvoit mieux excufer l'inaction
de Samfon . En effet il n'eft déterminé à faire
éclater la force prodigieufe dont le Ciel l'a
doué , que par ces mêmes decrets qu'il refpecte.
Il s'endort fous un Olivier.Pendant fon fommeil
il entend une voix qui chante les Vers fuivans :
La gloire en d'autres lieux t'appelle ,
Samfon , brife ton Arc , abandonne ces bois ;
Que fans tarder le Philiftin rebelle ,
De ton bras triomphant éprouve tout le poids
Que ton coeur à ce bruit de guerre ,
A ces Eclairs , à ce Tonnerre ,
Du Ciel reconnoiffe la voix ;
Et que cet Olivier paifible ,
Difparoiffe à l'afpect terrible ,
De ce Laurier , garant de tes exploits ..
Tout ce qui eft exprimé dans ces Vers arrive
796 MERCURE DE FFRRAANNCE
à mesure qu'on les chante ; les Eclairs brillent , le
Tonnerre gronde & l'Olivier eft changé en Laurier.
Samfon , rempli de l'Efprit de Dieu , jette
fon Carquois comme un indigne ornement ,
il fe prépare à venger les Hebreux , & à les tirer
d'eclavage. Il combat un Lion prêt à dévorer
Dalila , il l'étouffe . Dalila reconnoît l'objet
de fon amour dans celui qui vient de lui fauver
la vie. Samfon ne peut voir tant d'attraits fans
leur rendre les armes. Dalila oppoſe à cet amour
fon devoir & fa Religion ; elle lui fait connoître
qu'elle doit en ce même jour épouſer Achab ,
General des Philiftins ; Samfon fe roidit contre
tous ces obftacles ; Dalila le quitte après lui avoir
fait connoître qu'elle n'eft que trop fenfible à fon
amour. Nous fupprimons ici les Scenes comiques;
elles font trop de diverfion à l'interêt , & ce n'eft
que fur le Théatre Italien que de pareilles difparates
peuvent être excufées ; d'ailleurs la Piece n'a'
pas befoin d'un épiſode fi monftrueux.
Au fecond Acte , le Théatre repréfente le Palais
du Roi des Philiftins . Achab & Dalila com→
mencent cet Acte. Dalila avoue ingenument à
Achab , non-feulement qu'elle ne l'aime point ,'
mais qu'elle aime Samfon ; elle s'excufe par ces
Vers qu'on a trouvés des plus beaux de la Piéce :
Acab , de notre coeur les mouvemens rapides
Naiffent des paffions qui leur fervent de guides ;
Sur nos foibles efprits leur empire abſolu
Malgré tous nos efforts a toûjours prévalu ;
Pour l'un indifferents, pour l'autre pleins de flam
mes ,
Nous ne difpofons point du penchant de nos ames
Sous les traits de l'Amour , lorfque nous flechif-
Lons , Ce
AVRIL. 1730.
797
Ce Dieu nomme l'objet , & nous obéiffons.
On croit que ces Vers feroient encore plus
beaux dans le fiftême Payen. On a trouvé que l'amour
déifié ne convient pas à une Philiftine.
A l'approche de Samfon , Acab redouble fa colere
contre un Rival aimé ; Dalila le fait retirer
par ce Vers , dont on n'a pas bien compris le fens :
Suis mes pas ; vien fçavoir ce que le fort t'aprête.
Emanuel reproche à Samfon fon amour pour
Dalila ; Samfon le raffure par ce ferment :
Oui , je jure , Seigneur , par vos jours précieux
De brifer , de venger nos fers injurieux ,
Et fi je ne remplis toute votre efperance ,
Puiffe pour m'en punir la celefte vengeance -
Me livrer en opprobre aux Philiftins cruets ;
Que traîné par leurs mains au pied de leurs Autels
, ·
Je ferve de jouet à tout ce Peuple impie ,
Et que j'y meure enfin couvert d'ignominie.
Ce ferment n'eft pas tout-à- fait verifié à la fin
de la Piece. Samfon meurt comblé de gloire &
non d'ignominie,
Dans la Scene fuivante qui eft entre Phanor ,
Acab & Dalila , Samfon fe tient au fond du Théatre
fans être apperçû. Le Roi fait d'abord parade
d'un caractere de vertu , qu'il ne foûtient pas dans
la fuite ; il rend ce qu'il doit à la valeur de Samfon
, & dit qu'il l'admire fans la craindre. Samfon
indigné des menaces d'Acab s'approche ; il
défie fon Rival , & brave le Roi même. Le Roi
affectant une espece de juftice , confent que Dalila
798 MERCURE DE FRANCE
lila prononce entre fes deux Amans ; Dalila ne fe
déclare pour aucun des deux ; & n'écoutant que
le zele de la Religion , ôte toute efperance à Samfon
, & dit en fe retirant :
- Je n'épouferai point Samfon. à part , Cruel
devoir !
1
Sur un coeur vertueux connois tout ton pouvoir.
Samfon croyant que Dalila n'a fait jufqu'ici
que le jouer , s'abandonne à toute fa fureur.
Le Théatre repréſente au troifiéme Acte le
Camp des Philiftins . Acab , pour confoler le Roi
du carnage que Samfon feul vient de faire de fes
meilleures Troupes , lui apprend que le Grand-
Prêtre des Hebreux , intimidé par fes menaces
lui a promis de livrer Samfon entre ſes mains
Phanor n'en eft pas plus raffuré.
que
On amene Emanuel , pere de Samfon , priſonnier
; ce genereux Vieillard brave le Roi , & lui
dit fi l'amour de Samfon pour Dalila a long
tems fufpendu fa vengeance , la priſon de fon Pere
le va determiner à la faire éclater. Phanor ordonne
qu'on l'enferme dans une Tour qui paroit
au fond du Théatre.
On vient annoncer à Phanor que Samfon
s'eft laiffé furprendre , & qu'on le lui amene
chargé de fers ; le Roi fort , après avoir rendu
Acab Arbitre du fort de fon Rival . Samfon paroît
chargé de fers; il fait connoître pour quoi il
paroît en cet état par cet à parte.
Pour punir mes Tyrans ma haine a profité
D'un ftratagême heureux qu'eux -mêmes ont inventé
;
Traîtres , qui n'avez pû me vaincre à force oui
yerte ,
Votre
AVRIL. 1730. 799
Votre propre artifice avance votre perte ,
Puifqu'il m'approche enfin de ces lâches Soldats
de mourir déroboit à bras.
Que la peur mon
Acab ordonne à fes Soldats de donner la mort
à Samfon ; l'Hebreu lui dit que c'eft à lui-même
& à tous fes Soldats à trembler ; Acab le menace
d'époufer Dalila en fa préfence même ; ce dernier
outrage pouffe à bout la patience de Samfon ;
il brife fes chaînes , & trouvant par hazard une
mâchoire d'Afne à fes pieds , il les met tous en
fuite avec ce vil inftrument.
Les efforts que Samfon vient de faire lui caufent
une foif qui lui annonce une mort prochai
ne , il reconnoît alors que le bras du Seigneur
s'appefantit fur lui pour le punir de fon amour
pour une Philiftine . Voici comment s'expriment
Les juftes remords,
Mais quel aveuglement fuit ta préfomption
Tu n'as pû furmonter ta folle paffion ,
Et tu veux ignorer , lâche , quels font les crimes
Qui rendent aujourd'hui tes tourmens legitimes!
Souviens- toi que tu viens de combattre en ce lieu
Pour venger ton amour , & non pas pour ton
Dieu,
Malheureux ! tu croyois ne devoir qu'à toi -même
Le fuccès que tu tiens de la bonté fuprême ;
Appuyé de fon bras tu faifois tout trembler ; .
Mais fans lui le plus foible auroit pû t'accabler.
Les Vers fuivans ne font pas moins beaux.
Mon mal redouble ; helas ! mes fens s'évanouifil
tombe ,
Lent ;
Mcs
800 MERCURE DE FRANCE
font obfcurcis & mes genoux flechif
Mes yeux
fent ;
Je vois l'horrible Mort errer autour de moi ;
C'en eft fait ... Dieu puiffant , j'efpere encore en
toi.
Sur les maux de Samfon jette un regard propice
Ta clemence toujours balança ta juftice.
Indigne des honneurs que tu m'as préſentés
Que je partage ici tes immenfes bontés ;
Ah ! fi le repentir fait defcendre ta grace ,
Je ne fçaurois périr , & mon crime s'efface ;
Ce foudre , deftructeur de tant de Philiftins
Produira , fi tu veux , une fource en mes mains ;
C'est toi qui me l'offris contre ce Peuple impie
Il lui donna la mort ; qu'il me rende la vie ,
Semblable à ce Rocher dont Moïfe autrefois
Vit jaillir un torrent fur ton Peuple aux abois.
Ou t'exauce Samfon &c.
il met
II fort une fource d'eau de la mâchoire d'Afne;
..Samfon ayant étanché fa foif, force la Prifon de
fon Pere , & chargé d'une proye fi chere ,
encore fur fes épaules les portes de la Prifon , dont
le poids eft énorme.
Nous fupprimons la premiere Scene du quatriéme
Acte ( où le Théatre repréfente le Palais
du Roi des Philiftins ) à caufe du comique deplacé.
Dans la feconde , le Roi inftruit de la défaite
de fes Troupes n'a point d'autre confident que
Ja fuivante de Dalila , qui lui confeille d'employer
l'artifice , puifque la force ne fert de rien contre
Samfon ; elle lui dit qu'il faut que fa Maîtreffe
Alatte
AVRIL. 1730. 801.
flatte l'efpoir de ce terrible fleau de fes Sujets ,
pour l'engager à lui declarer d'où naît fa prodigieufe
valeur ; Samſòn , continuë -t'elle , a autrefois
brulé pour Tamnatée , il faut faire croire à
Dalila qu'il l'aime encore , afin que fon Amant
ne puiffe calmer fa défiance qu'en lui revelant ce
fatal fecret . Le Roi dont le caractere , comme on
l'a déja remarqué , eft tantôt vicieux , tantôt vertueux
, ne fe détermine qu'avec peine à recourir
à la tromperie qu'avec ce temperament.
Qu'elle perde Samfon ; mais dans cette entre
prife
Que l'amour du devoir , s'il fe peut , la conduiſed
Dalila vient ; le Roi la preffe d'employer pour
le falut de fa Patrie ces mêmes charmes qui ont
triomphé de Samfon. Voici comment il s'exprime.
La force dont Samfon nous accable aujour
d'hui
Confiſte en un ſecret qui n'eſt ſçû que de lui ;
Flattez le d'un hymen , pour percer ce myſtere
Il eft vaincu.
Dalila fe refufe à la perfidie que le Roi exige
d'elle. Acab effrayé vient annoncer au Roi que
tout eft perdu , & le prie de garantir la Tête du
péril qui la menace par une promte fuite. Phanor
ordonne à Dalila de voir Samfon & d'executer
ce qu'il vient de lui propofer pour le bien
de fes Sujets.
Armilla jette adroitement des foupçons jaloux
dans le coeur de Dalila au fujet de Tamnatée , &
lui perfuade qu'elle ne peut mieux s'affurer de la
fidelité de Samfon qu'en exigeant de lui qu'il lui
H dife
802 -MERCURE DE FRANCE
dife d'où peut naître fa force prodigieufe ; Dalila
qui voit alors les confequences d'un tel fecret lui
répond
Et s'il peut reveler ce fecret important
J'en dois aux Philiftins l'avis au même inftant.
Armilla lui fait entendre que rien ne l'oblige`
à donner cet avis , & qu'elle pourra ſe conferver
Samfon , affurée de fa fidelité par cette marque
de confiance .
Samfon arrive ; Armilla fe retire dans le deffein
d'écouter fans être apperçue .
La Scene entre Samfon & Dalila a paru fort
belle , quoique fufceptible de beaucoup de critique.
Samfon fans appercevoir Dalila dont il fe
croit trahi en faveur d'Acab , jure de perdre fon
Rival & le Roi même. Dalila rompant le filence
lui offre fon coeur à percer ; elle fe juftifie de l'infidelité
qu'il lui reproche , & l'ayant amené au
point qu'elle s'eft propofé , elle lui demande le
fatal fecret ; Samfon lui fait entendre qu'il ne
peut lui accorder ce qu'elle lui demande. Voici
les propres paroles :
Princeffe , épargnez-vous un inutile effort ;
Si ce fatal fecret n'entraînoit que ma mort ....
Mais , Madame , à lui feul ma gloire eft attachée
D'une honte éternelle elle feroit tachée ;
A tout autre péril je m'offre fans regret ;
Je vous accorde tout ; laiffez moi mon fecret.
Dalila fe retire , indignée du refus de Samfon,
& lui défend de la yoir jamais ; Samfon la fuit
fans fçavoir ce qu'il doit faire.
Armilla , dans la premiere Scene du cinquiéme
Acto
I
AVRIL. 1730. 803
Acte raconte au Roi tout ce qui s'eft paffé dans
l'Appartement de Dalila ; elle lui dit que s'étant
cachée de maniere à pouvoir tout voir & tour
entendre fans être apperçue , elle a vû Samſon ſe
jetter aux pieds de Dalila , que cette Princeffe
s'obftinant à vouloir apprendre fon fecret , il l'a
voit long- tems trompée par de fauffes confidences
, qu'enfin pour calmer fa colere , il lui avoit
avoué que fa force confiftoit dans fes cheveux ;
elle ajoûte qu'à peine Samfon avoit - il fait ce fatal,
aveu qu'il s'étoit plongé dans un profond fommeil
, qu'elle s'étoit approchée alors , & qu'elle
avoit dit à Dalila que fans doute Samſon la trompoit
& que fa Rivale fe vantoit hautement d'être
la feule dépofitaire de fon fecret , que Dalila pour
le convaincre de menfonge avoit confenti à faire
l'épreuve de fa fincerité ou de fa tromperie , en
lui faifant couper les cheveux , ce qui avoit d'abord
été executé par Armilla. Le Roi promet à
cette perfide fuivante des récompenfes dignes du
fervice qu'elle vient de rendre à fa Patrie.
Le Théatre repréfente l'Appartement de Dalila.
Dalila allarmée du long fommeil de Samfon ,
commence à craindre qu'il n'ait été que trop fincere
, & voyant le Roi fuivi d'une Troupe de
Soldats pour ſe ſaiſir de ſon Amant , elle l'éveille ;
Samfon voulant fe défendre tombe de foibleffe ;
il reproche à Dalila fa perfidie , & avoue qu'il
ne l'a que trop meritée. Phanor ordonne qu'on
lui aille crever les yeux. Dalila fe plonge un poignard
dans le fein. Nous fupprimons encore ici
une Scene comique qui a été trouvée déplacéedans
un fujet fi refpectable.
il
Le Théatre repréfente le Temple de Dagon
où le Roi & toute fa Cour font affemblés. Samfon
privé de la lumiere reconnoit fon crime ,
Lent un repentir fincere , & prie le Seigneur de lui´
rendre
H
804 MERCURE DE FRANCE
rendre fa premiere force afin qu'il puiffe employer
fes derniers momens à delivrer les Hebreux
de l'esclavage & à perdre fes ennemis en
periffant avec eux . Voici une partie de l'ardente
priere qu'il adreffe au Seigneur :
:
Rends leur premiere force à mes bras défarmés
;
Que ma mort foit utile aux Hebreux opprimés
Anime de mes mains les fecouffes rapides ,
Que je puiffe ébranler ces colomnes folides ,
Et que tes ennemis trouvent leurs monumens
Sous ces murs écroulés jufques aux fondemens .
Sanfon eft exaucé : il fecoue les colomnes , &
il est écrafé lui- même avec tous les Philiftins
fous les ruines du Temple de Dagon , ce qui fait
un fpectacle auffi terrible qu'admirable. Ce Temple
, pour le dire en paffant , eft un riche morceau
d'Architecture en rotonde , d'Ordre compofite
, à colomnes torfes de marbre , dont les
Chapiteaux , Bazes & autres ornemens font en
or. Sur le premier Ordre eft une Gallerie remplie
de plufieurs figures de coloris , repréfentant les
Peuples Philiftins. Les Arçades du bas qui conduifent
aux bas côtés font auffi remplies d'un grand
nombre de figures , ainfi que fur la Gallerie d'en
haut. Cette décoration produit un effet admirable
à la vue , fur tout la deftruction totale de ce
fuperbe Edifice . Elle a été compofée fur les deffeins
de M. Le Maire , & peinte par lui .
'Le fuccès étonnant de Samfon , n'a pas peu
contribué à rendre la critique plus fevere qu'elle
ne l'eft ordinairement pour le Théatre Italien .
La juftice qu'on a rendue à beauconp de beaux
Vers qui font répandus dans la Piéce n'a pas empêché
AVRIL. 1730. 805
pêché que les fpectateurs délicats n'ayent fed
mauvais gré à l'Auteur de s'être , pour ainfi dire,
laffé de bien faire dans plufieurs endroits. Tout
le monde a condamné la difparate du bas comique
, & fi la gentilleffe du jeu du St Thomaffin a
fait paffer ce deffaut dans la Repréfentation , la
lecture l'a fait fentir tout entier ; les caracteres
n'ont pas paru également foutenus. Achab , ar'on
dit , n'a prefque point de fentimens d'honneur
, il n'a en vûë que la mort de fon Rival , &
ne veut parvenir à fon but que par des chemins
indignes d'un Chef d'Armée . Phanor n'a rien de
Roi qu'un vain exterieur ; il fait parade de generofité
dans fes paroles ; mais fes actions démentent
fes maximes. Pour Samfon , on convient
qu'il eft tel que l'Ecriture le dépeint , c'eſt - à-dire,
aveuglé par un fol amour ; on peut même dire
que l'Auteur rectifie fon caractere autant que le
refpect qu'on doit avoir pour l'Histoire Sacrée
le peut permettre. Tout le monde a fait un mérite
au fieur Romagnefi d'avoir ennobli le caractere
de Dalila ; mais il ne l'a pu faire fans tomber
dans des inconveniens prefque inévitables . Dalila
a-t'on ajoûté , telle qu'elle eft vertueufe & fidelle
Amante , ne doit pas exiger de Samſon un ſecret
qui doit lui couter & l'honneur & la vie ; elle doit
fe contenter de l'offre qu'il lui fait d'épargner le
fang des Philiftins : en effet peut-elle exiger une
plus grande preuve de fon amour. Samfon ( pourfuivit-
on ) ne doit pas lui feveler fon fecret , furtout
, lui ayant déja voulu donner le change ; fes
premiers menfonges doivent rendre fufpecte à
Dalila la verité qu'il va lui dire ; fa juſte défiance
doit la porter à en faire l'épreuve , & cette épreuve
doit le livrer à la fureur des Philiftins , & entraîner
tous les Hebreux dans fa perte ; on dit à
la décharge de l'Auteur que fon caractere eſt en-
H iij core
306 MERCURE DE FRANCE
core plus defectueux dans l'Hiftoire , mais c'étoit
à l'Auteur à fubftituer le vrai- femblable Théatral
au vrai hiftorique ; on convient que cela éto it
très- embaraffant , mais du moins il n'étoit pas
bien difficile à l'Auteur de rendre fa Dalila vertueufe
jufqu'au bout , & de ne la point faire confentir
à la fatale épreuve ; Armilla auroit pû la
faire à l'infçu de fa Maîtreffe , & même contre fa
défenfe expreffe.
Fermer
Résumé : EXTRAIT du nouveau Samson, annoncé dans le dernier Mercure.
Le texte présente la tragédie 'Dalila', initialement jouée en 1717 et révisée par le sieur Riccoboni. La pièce, malgré ses défauts, a connu un grand succès. Elle raconte l'histoire de Dalila, une Philistine amoureuse de Samson, un Hébreu. Dalila doit épouser Achab, le général des Philistins, mais elle est déchirée entre son devoir et son amour pour Samson. Ce dernier, initialement passif, est poussé à l'action par une vision divine et combat les Philistins. Dalila finit par trahir Samson en révélant son secret de force. Samson meurt en héros après une série de combats et de révélations. Une scène spécifique de la pièce 'Samson', jouée en avril 1730, est également décrite. Dans la première scène du cinquième acte, Armilla informe le roi de ce qu'elle a observé dans l'appartement de Dalila. Elle révèle que Samson a avoué à Dalila que sa force résidait dans ses cheveux. Dalila, aidée par Armilla, fait couper les cheveux de Samson pendant qu'il dort, le privant ainsi de sa force. Le roi récompense Armilla pour sa trahison. Dans la scène suivante, Dalila découvre que les soldats du roi sont venus arrêter Samson. Samson, réveillé, reproche à Dalila sa perfidie avant d'être aveuglé. Dalila se suicide. Dans le temple de Dagon, Samson prie pour retrouver sa force afin de délivrer les Hébreux. Sa prière est exaucée, et il détruit le temple en se sacrifiant, tuant ainsi les Philistins. La critique de la pièce souligne des incohérences dans les personnages et l'inclusion de scènes comiques inappropriées. Les spectateurs ont apprécié certains vers mais ont critiqué la disparité des styles et la faiblesse de certains caractères. Dalila est jugée vertueuse, mais son insistance à connaître le secret de Samson est critiquée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 2382-2398
LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
Début :
Lorsque vous m'avez fait l'honneur, Monsieur, de me proposer la question [...]
Mots clefs :
Poètes, Poésie, Orateur, Éloquence, Discours, Homère, Expression, Force, Vérité, Racine, Homme, Esprit, Âme, Discours
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
LETTRE fur la gloire des Orateurs
& des Poëtes.
Lorfque vous m'avez fait l'honneur
Monfieur , de me propofer la queftion
, fçavoir : Si la gloire des Orateurs eft
preferable à celle des Poëtes , je l'avois déja
lue dans le Mercure du mois du Juin
premier Volume. Il eft certain que ceux
qui excellent dans des fujets difficiles , &
en même-tems très utiles , & très agréa
bles , acquierent plus de gloire & d'honneur
que ceux qui excellent dans des fujets
qui le font beaucoup moins. Pour ju
ger plus fainement de la queſtion dont il
s'agit , il fuffit d'examiner deux chofes ;
la
NOVEMBRE . 1730. 2383
la premiere
quel eft celui de ces deux
genres du Difcours ou de la Poëfie qui
demande plus de talens
pour y exceller
& la feconde : quel eft le plus utile & le
plus agréable.
*
a Les Poëtes comme les Orateurs fe
propofent
d'inftruire
& de plaire , tous leurs efforts tendent à cette même fin
mais ils y arrivent les uns & les autres
par des voyes bien differentes . b L'inven
tion , la difpofition
, l'élocution
, la mémoire
& la prononciation
font tout le mérite des Orateurs. La Poëfie eft affujetie
à un bien plus grand nombre de regles.
Le Poëte Epique doit d'abord former
un plan ingénieux
de toute la fuite
de fon action , en tranfportant
dès l'entrée
fon Lecteur au milieu , ou prefque à la fin
du fujet , en lui laiffant croire qu'il n'a
plus qu'un pas à faire pour voir la conclufion
de l'action , en faifant naître enfuite
mille obftacles qui la reculent , &
qui irritent les defirs du Lecteur , en lui
rappellant
les évenemens
qui ont précedé
,
, par des récits placés avec bienfeance,
en les amenant enfin avec des liaiſons &
à Cic. de Oratore.
b Quintil.
* Arift. Poët.
Horat. Art. Poët.
-
Defpr. Art. Poës.
Cüiti des
2384 MERCURE DE FRANCE
des préparations qui reveillent fa curiofité
, qui l'intereffent de plus en plus ,
qui l'entretiennent dans une douce inquiétude
, & le menent de ſurpriſe en
furprife jufqu'au dénouement ; récits cu
rieux , expreffions vives & furprenantes ,
defcriptions riches & agréables , compa
raifons nobles , difcours touchans , incidens
nouveaux , rencontres inopinées ,
paffions bien peintes ; joignez à cela une
ingénieufe diftribution de toutes ces parties
, avec une verfification harmonieuſe ,
pure & variée ; voilà des beautés prefque
toutes inconnuës à l'Orateur . * Ciceron
lui - même , d'ailleurs fi rempli d'eſtime
pour l'Eloquence , ne peut pas s'empêcher
de mettre la Poëfie beaucoup au- deffus
de la Profe : elle eft , dit- il , un enthoufiafme
un tranfport divin qui éleve
P'homme au- deffus de lui-même ; les vers
que nous avons de lui , quoique mauvais
, nous font bien voir le cas qu'il
faifoit de la Poëfie , il fit auffi tout ce qu'il
pût pour y réuffir ; mais tout grand Órateur
qu'il étoit, il n'avoit pas affez d'imagination
, & il manquoit des autres talens
neceffaires pour devenir un bon
Poëte.
,
Il faut affurément de grands talens
* De Orati
pour
NOVEMBRE . 1730. •
238 5
pour faire un bon Orateur , de la fécondité
dans l'invention , de la nobleffe dans
les idées & dans les fentimens , de l'ima
gination , de la magnificence & de la hardieffe
dans les expreffions . Les mêmes talens
font neceffaires à la Poëfie ; mais il
faut les poffeder dans un degré bien plus.
parfait pour y réuffir ; elle cherche les
penfées & les expreffions les plus nobles,
elle accumule les figures les plus hardies,
elle multiplie les comparaifons & les
images les plus vives , elle parcourt la
nature , & en épuife les richeffes pour
peindre ce qu'elle fent , elle ſe plaît à im→
primer à fes paroles le nombre , la mefu
re & la cadence ; la Poëfie doit être élevée
& foutenue par tout ce qu'on peut imaginer
de plus vif & de plus ingenieux ; en
un mot , elle change tout , mais elle le
change en beau:
* Là pour nous enchanter tout eft mis en
usage ;
Tout prend un corps , une ame , un eſprit , un
viſage ;
·Chaque vertu devient une Divinité ;
Minerve eft la prudence , & Venus la beauté,
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerres
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre .
Un orage terrible aux yeux des Matelois
* Defer. Art. Poët. Chant 111.
(
C v C'efe
2386 MERCURE DE FRANCE
Ceft Neptune en couroux qui gourmande les
flots.
Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentiffe,
C'est une Nymphe en pleurs qui fe plaint de
Narciffe.
'Ainfi dans cet amas de nobles fictions
Le Poëte s'égaye en mille inventions ,
Orne , éleve , embellit , agrandit toutes chofes,
Et trouve fous fa main des fleurs toujours éclo
Jes
La Profe n'oblige pas à tant de frais ,
& ne prépare pas à tant de chofes ; au
contraire il faut que l'imagination regne
dans les Vers , & s'ils ne font rehauffés
par quelque penfées fublimes , ou fines &
délicates , ils font froids & languiffans ; la
Poëfie ne fouffre rien de médiocre : ainfi
ce n'eſt pas fans raison que l'on a comparé
les Poëtes aux Cavaliers à caufe du feu &
de la rapidité qui animent la Poëſie , &
les Orateurs aux Fantaffins qui marchent
plus tranquilement & avec moins de bruit.
D'ailleurs la Poëfie s'exerce fur toutes
fortes de genres , le badin , le férieux , le
comique le tragique , l'héroïque. Le
foin des troupeaux , les beautés de la nature
& les plaifirs ruftiques en font fouvent
les plus nobles fujets. Enfin Moïſe
Ifaïe , David ne trouverent que la Poëfie
digne de chanter les louanges du Créa-
,
teur
NOVEMBRE . 1730. 2387
teur , de relever fes divins attributs & de
celebrer fes bienfaits ; les Dieux de la Fa
ble , les Héros , les fondateurs des Villes
& les liberateurs de la Patrie auroient
dédaigné tout autre langage ; la Poëfic
feule étoit capable de celebrer leur gloire
& leurs exploits. * Auffi ne fe fervoit- on
anciennement que de la Poëfie : tout jufqu'à
l'hipire même étoit écrit en Vers ,
& l'on ne commença que fort tard à employer
la Profe . La Nature comme épuifée
ne pouvant plus foutenir le langage
fublime de la Poëfie , fut obligée d'avoir
recours à un Difcours moins cadencé &
moins difficile.
Tous les bons connoiffeurs , entr'autres
le P. Bouhours , le P. Rapin , le P. Le
Boffu & M. Daubignac conviennent que
le Poëme Epique eft le chef- d'oeuvre de
l'efprit humain. Avons - nous quelque
harrangue où il y ait tant de fublime ,
d'élevation & de jugement que dans
P'Iliade ou l'Eneide. L'Eloquence ellemême
n'est jamais employée avec plus
d'éclat & plus de fuccès que lors qu'elle
eft foutenue par la Poëffe. Y a - t'il en
effet quelque genre d'Eloquence dont les
Poëmes d'Homere ne fourniffent des mo
deles parfaits ? c'eft chez lui que les Ora-
* Plutarq
C vj teurs
2388 MERCURE DE FRANCE
teurs ont puifé les regles & les beautés
de leur art , ce n'eft qu'en l'imitant qu'ils
ont acquis de la gloire . Pour fe convaincre
de cette verité il fuffit de jetter les
yeux fur quelques unes de fes Harangues
, & l'on conviendra fans peine qu'elles
font au- deffus des plus belles de Ciceron
& de Demofthenes auffi bien que des Modernes.
Les Harangues d'Uliffe de Phenix
& d'Ajax qui furent députés par
l'Armée des Grecs vers Achile pour l'engager
à reprendre les armes , font de ce
genre. Il faut voir a l'art admirable avec
lequel Homere fait parler le Prince d'Ithaque
: il paroît d'abord embaraffé & timide
, les yeux fixes & baiffés , fans geſte
& fans mouvement , ayant affaire à un
homme difficile & intraitable , il employe
des manieres infinuantes , douces & touchantes
; mais quand il s'eft animé ce n'eſt
plus le même homme , & femblable à un
torrent qui tombe avec impétuofité du
haut d'un rocher , il entraîne tous les efprits
par la force de fon éloquence. Les
deux autres ne parlent pas avec moins
d'art moins de force & d'adreffe , & il
eft remarquable que chaque perfonage
parle toujours felon fon caractere , ce qui¹
fait une des principales beautés du Poëa
Il. III. 2. 16. 224
me
NOVEMBRE . 1730 : 238 g*
me Epique. Rien n'eft plus éloquent que
le petit Difcours d'Antiloque à Achile ,
par lequel il lui apprend la mort de Pa
trocle . L'endroit a où Hector prêt d'aller
au combat, fait ſes adieux à Andromaque
& embraffe Aftianax , eft un des plus
beaux & des plus touchans. M. Racine
en a imité une partie dans l'endroit où
Andromaque parle ainfi à ſa confidente :
bab ! de quel fouvenir viens- tu frapper mon
ame !
Quoi ! Cephife , j'irai voir expirer encor
Ce fils , ma feule joye , & l'image d'Hector ?
Ce fils que de fa flamme il me laiſſa pourgage?
Helas je m'en fonviens , le jour que son courage
Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas ,
Il demanda fon fils , & le prit dans fes bras :
Chere Epouse ( dit- il , en effuyant mes larmes )
J'ignore quelfuccès lè fort garde à mes armes ,
Je te laiffe mon fils , pour gage de ma fòi ;
S'il me perdje prétends qu'il me retrouve en
toi;
Si d'un heureux hymen la mémoire t'eſt chere
Montre au fils à quel point tu chériffois le
pere.
Le Difcours de Priam à Achille
a Il VI. 390. 494 •
b Androm . Act. 117. Scen. VIII.
, par
lequel
2390 MERCURE DE FRANCE
lequel il lui demande le corps de fon fils
Hector , renferme encore des beautés admirables.
Pour les bien fentir il faut fe
rappeller le caractere d'Achille , brufque,
violent & intraitable ; mais il étoit fils
& avoit un pere , & c'eft par où Priam
commence & finit fon difcours . Etant entré
dans la tente d'Achille , il ſe jette à
fes genoux , lui baife la main ; Achille
eft fort furpris d'un fpectacle fi imprévu ,
tous ceux qui l'environnent font dans le
même étonnement & gardent un profond
filence . Alors Priam prenant la parole :
Divin Achille , dit-il , fouvenez - vous
que vous avez un pere avancé en âge comme
moi , & peut- être de même accablé de
maux , fans fecours & fans appui ; mais il
fait que vous vivez , & la douce efperance
de revoir bientôt un fils tendrement aimé le
foutient & le confole : & moi le plus infortuné
des peres de cette troupe nombreufe d'enfans
dont j'étois environné , je n'en ai confervé
aucun : j'en avois cinquante quand les
Grecs aborderent fur ce rivage , le cruel Mars
me les aprefque tous ravis : l'unique qui me
reftoit , feule reffource de ma famille & de
Troye , mon cher Hector , vient d'expirer
fous votre bras vainqueur en deffendant genereuſementfa
Patrie. Je viens ici chargé de
* II. XXIV. 48ĥ
préfens
4
NOVEMBRE. 1730. 239T
prefens pour racheter fon corps : Achille
Taiffez- vous fléchir par le fouvenir de votre
pere , par le refpect que vous devez aux
Dieux , par la vie de mes cruels malheurs
Fut-il jamais un pere plus à plaindre que
moi qui fuis obligé de baifer une main bomicide
, encore fumante du fang de mes enfans.
par
C'eſt la nature même qui s'exprime
la bouche de ce venerable Vieillard
& quelque impitoyable que fut Achille ,
Il ne pût refifter à un Difcours fi touchant,
le doux nom de pere lui arracha des lar
mes. Il eft aifé de comprendre que la Profe
fait perdre à ce Difcours une partie de fa
beauté , il a bien plus de grace & de force
revêtu de tout l'éclat des expreffions
Poëtiques. Il y a dans Homere une infinité
d'autres endroits , peut- être encore
plus beaux ; mais il faut fe borner.
L'éloquence de la Chaire & du Barreau
font affurément d'une grande utilité,
& il faut convenir qu'on a bien de l'obligation
à ceux qui veulent bien y em-
.ployer leurs talens. Mais après tout tous
nos Orateurs enfemble ne fourniroient
pas un endroit qui exprimât avec tant,
d'éclat , de nobleffe & d'élevation la gran
deur & la puiffance du fouverain Maître
de l'Univers que ces Vers de Racine.
Que
2392 MERCURE DE FRANCE
a Que peuvent contre lui tous les Rois de la
terre i
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre,
Pour diffiper leur ligue il n'a qu'à ſe montrer ;
Il parle , dans la poudre il les fait tous renfrer.
Au feul fon de fa voix la mer fuit , le Ciel
tremble ;
Il voit comme un néant tout l'Univers enfemble
,
Et les foibles Mortels , vains jouets du trépas ,
Sont tous devant fes yeux comme s'ils n'étoienz
pas.
Que de grandeur ! que de nobleffe !
qui ne fent que les mêmes penfées tournées
en Profe par une habile main perdroient
toute leur grace & toute leur force.
Voici un endroit dans le même goût,
tiré d'un de nos plus celebres Orateurs.
O Dieu terrible , mais jufte dans vos confeils
fur les enfans des hommes , vous difpofez
& des Vainqueurs & des Victoires pour
accomplir vos volontés & faire craindre vos
jugemens votre puiſſance renverse ceux que
votre puissance avoit élevés : vous immolez
à votre fouveraine grandeur de grandes victimes
, & vous frappez quand il vous plaît
ces têtes illuftres que vous avez tant de fois
couronnées..
a Efther Att. II. Scen. K
Cee
NOVEMBRE. 1730. 2393
Cet endroit , quoique grand , eft bien
au-deffous des Vers de Racine , c'eſt cependant
un des plus grands efforts de
l'éloquence de M. Flechier, a Cet autre
trait du même Poëte , quoiqu'en un feul
Vers , n'eſt pas moins inimitable à l'Orateur.
b Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point
d'autre crainte.
Pour prouver fans réplique combien
la Poëfie prête à PEloquence , que l'on
mette en Profe les morceaux les plus éloquens
des Poëtes , qu'on les revête de
toutes les expreffions les plus brillantes ;
& l'on jugera aifément combien ils per
dent dans ce changement. Je pourrois
en donner des exemples d'Homere , de
Sophocle & des autres Poëtes , & citer
tous nos Traducteurs ; mais je renvoye
au feul récit de Theramene dans la Tragédie
de Phedre de Racine , & je prie les
partifans de l'éloquence de la Profe de le
rendre fans l'harmonie des Vers auffi touchant
, auffi vif , j'ajoûte même auffi effrayant
qu'il l'eft dans ce Poëte. Qu'un
habile Poëte, au contraire , prenne les endroits
les plus éloquens & les plus pathe
a Oraif. Funebre de M. de Turr.
b Athalie , A &t . 1. Scen. X.
tiques
2394 MERCURE DE FRANCE
tiques de Demofthenes & de Ciceron
qu'il les pare de tous les ornemens de ce
même recit de Theramene , & l'on juge
ra alors combien ils y auront gagné.
Y a t'il quelque chofe qui foit fi propre
à infpirer des fentimens nobles & genereux
fur la Religion que ce que Cor
neille fait dire à Polieucte ; les mêmes Y
chofes en Profe feroient belles, fans doute,
mais bien plus froides & plus languiffantes.
Quelle eft la Harangue qui renferme
une plus belle morale que celle que
Rouffeau a inferée dans fon Ode fur la
Fortune ? trouve- t'on quelque part la ve
tité accompagnée de tant d'agrémens &
de tant de force.
Fortune dont la main couronné
Les forfaits les plus inoùis ,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis ;
Jufques à quand , trompeuſe Idole
D'un culte honteux & frivole
Honorerons- nous tes Autels ?
Verra t'on toujours tes caprices
Confacrés par les facrifices ,
Et par l'hommage des mortels . &c.
Toute la fuite de cette Ode renfermé
une infinité de traits admirables ; je pourois
NOVEMBRE. 1730. 2395
rois ajoûter encore les Odes facrées du
même Auteur qui font bien au - deffus de
celle ci , les Pleaumes de Madame Des
Houllieres , ceux de Malherbe &c . où l'on
trouve des traits que l'éloquence la plus
vive ne sçauroit imiter. Mais fi on vouloit
rapporter tout ce qu'il y a de plus
beau tant en Vers qu'en Proſe , on ne finiroit
point.
On s'ennuye du moins en beaucoup
d'endroits d'un beau Sermon qui contient
les mêmes penſées fur les mêmes fujets
, qui annonce les mêmes verités
qu'une Piece de Poëfie , les vers nous y
rendent beaucoup plus fenfibles , on eſt
plus
plus touché , on entre plus dans toutes
les paffions du Poëte , on s'efforce de la
fuivre , on ſe plaît à fes expreffions , on
aime fes penfées qu'on tâche de retenir ,
on fe fait même un plaifir & un honneur
de les reciter. L'éloquence férieuſe de
F'Orateur fait bien moins d'impreffion
que ces peintures vives & naturelles
du vice que
le Poëte fçait rendre fi méprifable
, & ce n'eft
fans raifon que
Rouffeau a dit que
pas
Des fictions la vive liberté
Peint fouvent mieux l'austere verité
Que neferoit la froideur Monacale
D'une lugubre & pefante morale.
En
2396 MERCURE DE FRANCË
cette
En effet , rien ne touche le coeur de
l'homme , rien n'eft capable de lui faire
impreffion que ce qui lui plaît ; la Poëfie
nous montre la verité avec un viſage
doux & riant , par là elle l'infinue adroitement
entraînés par le plaifir , nous
entrons infenfiblement dans les fentimens
du Poëte , dans fes maximes ; nous prenons
de lui cette nobleffe , cette grandeur
d'ame , ce défintereffement
haine de l'injuftice & cet amour de la
vertu qui éclatent de toutes parts dans
fes Vers. La verité , au contraire , dite
par un Orateur , nous paroît bien plus
fevere , elle n'eft pas accompagnée de ces
graces , de ces ornemens , enfin de toutes
čes beautés qui la rendent aimable , l'efprit
fe ferme à fa voix , & fi quelquefois
on l'écoute , ce n'eft que par un grand
effort de la raifon. Quelqu'un dira peutêtre
que l'éloquence oratoire eft plus utile
à l'Orateur pour fa fortune , & on aura
raifon de dire comme Bachaumont :
a Non non , les doctes damoiselles
N'eurent jamais un bon morceau
Et ces vieilles fempiternelles
Ne burent jamais que de l'eau.
Les Poëtes ont toujours été bien éloia
Voyage de Bach. & de la Chapelle.
gnés
NOVEMBRE. 1730. 2397
grés de cette avidité qui fait dire à tant
de
gens
•
Quærenda pecunia primùm eft
Virtus poft nummos.
Je ne doute point que les gens d'efprit
& de bon goût , les Heros & fur tout le
beau fexe, à qui la Poëfie a fait tant d'honneur
, & dont elle a fi fouvent relevé la
beauté & le mérite , ne préferent la gloire
des Poëtes à celle des Orateurs , &
quand je n'aurois que leur fuffrage j'aurois
toujours celui de la plus brillante
partie du monde . Au refte , on peut encore
juger de la gloire des Poëtes par l'eftime
& la veneration qu'ont eûs pour eux
de tout tems les hommes les plus illuftres
& les plus grands Princes. b Ptolomée
Philopator fit élever un Temple à Homere
; il l'y plaça fur un Trône , & fit repréfenter
autour de lui les fept Villes qui
Te difputoient l'honneur de fa naiffance.
c. Alexandre avoit toujours l'Iliade fous
le chevet de fon lit , enfermé dans la caffete
de Cyrus. d Hyparque , Prince des
Athéniens , envoya une Galere exprès
chercher Anacréon pour faire honneur à
b Elien.
Plutarq. in Vita Alexand.
Elien,
yous
2398 MERCURE DE FRANCE
fa Patrie. Hyeron de Syracufe voulut
avoir Pindare & Simonide à fa Cour .
& perfonne n'ignore que dans le fac
de Thebes Alexandre ordonna qu'on
épargnat la maiſon & la famille du pre
mier des deux Poëtes que je viens de nommer.
On fçait le crédit qu'eurent Virgile
& Horace à la Cour d'Augufte , & enfin
l'eftime particuliere dont Louis XIV. a
toujours honoré nos Poëtes François , Mais
pourquoi chercher de nouvelles preuves?
Le langage des hommes égalera- t'il jamais
le langage des Dieux ? Je fens bien
que je dois me borner à ce petit nombre
de réfléxions , quoiqu'il foit difficile d'être
court en parlant des beautés de la
Poëfie , où l'on trouve tant de choſes qui
enchantent que l'on en pourroit dire ce
que difoit Tibulle de toutes les actions
de fa Maîtreffe
Componit furtim , fubfequiturque decor.
J'ai l'honneur d'être & c .
& des Poëtes.
Lorfque vous m'avez fait l'honneur
Monfieur , de me propofer la queftion
, fçavoir : Si la gloire des Orateurs eft
preferable à celle des Poëtes , je l'avois déja
lue dans le Mercure du mois du Juin
premier Volume. Il eft certain que ceux
qui excellent dans des fujets difficiles , &
en même-tems très utiles , & très agréa
bles , acquierent plus de gloire & d'honneur
que ceux qui excellent dans des fujets
qui le font beaucoup moins. Pour ju
ger plus fainement de la queſtion dont il
s'agit , il fuffit d'examiner deux chofes ;
la
NOVEMBRE . 1730. 2383
la premiere
quel eft celui de ces deux
genres du Difcours ou de la Poëfie qui
demande plus de talens
pour y exceller
& la feconde : quel eft le plus utile & le
plus agréable.
*
a Les Poëtes comme les Orateurs fe
propofent
d'inftruire
& de plaire , tous leurs efforts tendent à cette même fin
mais ils y arrivent les uns & les autres
par des voyes bien differentes . b L'inven
tion , la difpofition
, l'élocution
, la mémoire
& la prononciation
font tout le mérite des Orateurs. La Poëfie eft affujetie
à un bien plus grand nombre de regles.
Le Poëte Epique doit d'abord former
un plan ingénieux
de toute la fuite
de fon action , en tranfportant
dès l'entrée
fon Lecteur au milieu , ou prefque à la fin
du fujet , en lui laiffant croire qu'il n'a
plus qu'un pas à faire pour voir la conclufion
de l'action , en faifant naître enfuite
mille obftacles qui la reculent , &
qui irritent les defirs du Lecteur , en lui
rappellant
les évenemens
qui ont précedé
,
, par des récits placés avec bienfeance,
en les amenant enfin avec des liaiſons &
à Cic. de Oratore.
b Quintil.
* Arift. Poët.
Horat. Art. Poët.
-
Defpr. Art. Poës.
Cüiti des
2384 MERCURE DE FRANCE
des préparations qui reveillent fa curiofité
, qui l'intereffent de plus en plus ,
qui l'entretiennent dans une douce inquiétude
, & le menent de ſurpriſe en
furprife jufqu'au dénouement ; récits cu
rieux , expreffions vives & furprenantes ,
defcriptions riches & agréables , compa
raifons nobles , difcours touchans , incidens
nouveaux , rencontres inopinées ,
paffions bien peintes ; joignez à cela une
ingénieufe diftribution de toutes ces parties
, avec une verfification harmonieuſe ,
pure & variée ; voilà des beautés prefque
toutes inconnuës à l'Orateur . * Ciceron
lui - même , d'ailleurs fi rempli d'eſtime
pour l'Eloquence , ne peut pas s'empêcher
de mettre la Poëfie beaucoup au- deffus
de la Profe : elle eft , dit- il , un enthoufiafme
un tranfport divin qui éleve
P'homme au- deffus de lui-même ; les vers
que nous avons de lui , quoique mauvais
, nous font bien voir le cas qu'il
faifoit de la Poëfie , il fit auffi tout ce qu'il
pût pour y réuffir ; mais tout grand Órateur
qu'il étoit, il n'avoit pas affez d'imagination
, & il manquoit des autres talens
neceffaires pour devenir un bon
Poëte.
,
Il faut affurément de grands talens
* De Orati
pour
NOVEMBRE . 1730. •
238 5
pour faire un bon Orateur , de la fécondité
dans l'invention , de la nobleffe dans
les idées & dans les fentimens , de l'ima
gination , de la magnificence & de la hardieffe
dans les expreffions . Les mêmes talens
font neceffaires à la Poëfie ; mais il
faut les poffeder dans un degré bien plus.
parfait pour y réuffir ; elle cherche les
penfées & les expreffions les plus nobles,
elle accumule les figures les plus hardies,
elle multiplie les comparaifons & les
images les plus vives , elle parcourt la
nature , & en épuife les richeffes pour
peindre ce qu'elle fent , elle ſe plaît à im→
primer à fes paroles le nombre , la mefu
re & la cadence ; la Poëfie doit être élevée
& foutenue par tout ce qu'on peut imaginer
de plus vif & de plus ingenieux ; en
un mot , elle change tout , mais elle le
change en beau:
* Là pour nous enchanter tout eft mis en
usage ;
Tout prend un corps , une ame , un eſprit , un
viſage ;
·Chaque vertu devient une Divinité ;
Minerve eft la prudence , & Venus la beauté,
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerres
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre .
Un orage terrible aux yeux des Matelois
* Defer. Art. Poët. Chant 111.
(
C v C'efe
2386 MERCURE DE FRANCE
Ceft Neptune en couroux qui gourmande les
flots.
Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentiffe,
C'est une Nymphe en pleurs qui fe plaint de
Narciffe.
'Ainfi dans cet amas de nobles fictions
Le Poëte s'égaye en mille inventions ,
Orne , éleve , embellit , agrandit toutes chofes,
Et trouve fous fa main des fleurs toujours éclo
Jes
La Profe n'oblige pas à tant de frais ,
& ne prépare pas à tant de chofes ; au
contraire il faut que l'imagination regne
dans les Vers , & s'ils ne font rehauffés
par quelque penfées fublimes , ou fines &
délicates , ils font froids & languiffans ; la
Poëfie ne fouffre rien de médiocre : ainfi
ce n'eſt pas fans raison que l'on a comparé
les Poëtes aux Cavaliers à caufe du feu &
de la rapidité qui animent la Poëſie , &
les Orateurs aux Fantaffins qui marchent
plus tranquilement & avec moins de bruit.
D'ailleurs la Poëfie s'exerce fur toutes
fortes de genres , le badin , le férieux , le
comique le tragique , l'héroïque. Le
foin des troupeaux , les beautés de la nature
& les plaifirs ruftiques en font fouvent
les plus nobles fujets. Enfin Moïſe
Ifaïe , David ne trouverent que la Poëfie
digne de chanter les louanges du Créa-
,
teur
NOVEMBRE . 1730. 2387
teur , de relever fes divins attributs & de
celebrer fes bienfaits ; les Dieux de la Fa
ble , les Héros , les fondateurs des Villes
& les liberateurs de la Patrie auroient
dédaigné tout autre langage ; la Poëfic
feule étoit capable de celebrer leur gloire
& leurs exploits. * Auffi ne fe fervoit- on
anciennement que de la Poëfie : tout jufqu'à
l'hipire même étoit écrit en Vers ,
& l'on ne commença que fort tard à employer
la Profe . La Nature comme épuifée
ne pouvant plus foutenir le langage
fublime de la Poëfie , fut obligée d'avoir
recours à un Difcours moins cadencé &
moins difficile.
Tous les bons connoiffeurs , entr'autres
le P. Bouhours , le P. Rapin , le P. Le
Boffu & M. Daubignac conviennent que
le Poëme Epique eft le chef- d'oeuvre de
l'efprit humain. Avons - nous quelque
harrangue où il y ait tant de fublime ,
d'élevation & de jugement que dans
P'Iliade ou l'Eneide. L'Eloquence ellemême
n'est jamais employée avec plus
d'éclat & plus de fuccès que lors qu'elle
eft foutenue par la Poëffe. Y a - t'il en
effet quelque genre d'Eloquence dont les
Poëmes d'Homere ne fourniffent des mo
deles parfaits ? c'eft chez lui que les Ora-
* Plutarq
C vj teurs
2388 MERCURE DE FRANCE
teurs ont puifé les regles & les beautés
de leur art , ce n'eft qu'en l'imitant qu'ils
ont acquis de la gloire . Pour fe convaincre
de cette verité il fuffit de jetter les
yeux fur quelques unes de fes Harangues
, & l'on conviendra fans peine qu'elles
font au- deffus des plus belles de Ciceron
& de Demofthenes auffi bien que des Modernes.
Les Harangues d'Uliffe de Phenix
& d'Ajax qui furent députés par
l'Armée des Grecs vers Achile pour l'engager
à reprendre les armes , font de ce
genre. Il faut voir a l'art admirable avec
lequel Homere fait parler le Prince d'Ithaque
: il paroît d'abord embaraffé & timide
, les yeux fixes & baiffés , fans geſte
& fans mouvement , ayant affaire à un
homme difficile & intraitable , il employe
des manieres infinuantes , douces & touchantes
; mais quand il s'eft animé ce n'eſt
plus le même homme , & femblable à un
torrent qui tombe avec impétuofité du
haut d'un rocher , il entraîne tous les efprits
par la force de fon éloquence. Les
deux autres ne parlent pas avec moins
d'art moins de force & d'adreffe , & il
eft remarquable que chaque perfonage
parle toujours felon fon caractere , ce qui¹
fait une des principales beautés du Poëa
Il. III. 2. 16. 224
me
NOVEMBRE . 1730 : 238 g*
me Epique. Rien n'eft plus éloquent que
le petit Difcours d'Antiloque à Achile ,
par lequel il lui apprend la mort de Pa
trocle . L'endroit a où Hector prêt d'aller
au combat, fait ſes adieux à Andromaque
& embraffe Aftianax , eft un des plus
beaux & des plus touchans. M. Racine
en a imité une partie dans l'endroit où
Andromaque parle ainfi à ſa confidente :
bab ! de quel fouvenir viens- tu frapper mon
ame !
Quoi ! Cephife , j'irai voir expirer encor
Ce fils , ma feule joye , & l'image d'Hector ?
Ce fils que de fa flamme il me laiſſa pourgage?
Helas je m'en fonviens , le jour que son courage
Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas ,
Il demanda fon fils , & le prit dans fes bras :
Chere Epouse ( dit- il , en effuyant mes larmes )
J'ignore quelfuccès lè fort garde à mes armes ,
Je te laiffe mon fils , pour gage de ma fòi ;
S'il me perdje prétends qu'il me retrouve en
toi;
Si d'un heureux hymen la mémoire t'eſt chere
Montre au fils à quel point tu chériffois le
pere.
Le Difcours de Priam à Achille
a Il VI. 390. 494 •
b Androm . Act. 117. Scen. VIII.
, par
lequel
2390 MERCURE DE FRANCE
lequel il lui demande le corps de fon fils
Hector , renferme encore des beautés admirables.
Pour les bien fentir il faut fe
rappeller le caractere d'Achille , brufque,
violent & intraitable ; mais il étoit fils
& avoit un pere , & c'eft par où Priam
commence & finit fon difcours . Etant entré
dans la tente d'Achille , il ſe jette à
fes genoux , lui baife la main ; Achille
eft fort furpris d'un fpectacle fi imprévu ,
tous ceux qui l'environnent font dans le
même étonnement & gardent un profond
filence . Alors Priam prenant la parole :
Divin Achille , dit-il , fouvenez - vous
que vous avez un pere avancé en âge comme
moi , & peut- être de même accablé de
maux , fans fecours & fans appui ; mais il
fait que vous vivez , & la douce efperance
de revoir bientôt un fils tendrement aimé le
foutient & le confole : & moi le plus infortuné
des peres de cette troupe nombreufe d'enfans
dont j'étois environné , je n'en ai confervé
aucun : j'en avois cinquante quand les
Grecs aborderent fur ce rivage , le cruel Mars
me les aprefque tous ravis : l'unique qui me
reftoit , feule reffource de ma famille & de
Troye , mon cher Hector , vient d'expirer
fous votre bras vainqueur en deffendant genereuſementfa
Patrie. Je viens ici chargé de
* II. XXIV. 48ĥ
préfens
4
NOVEMBRE. 1730. 239T
prefens pour racheter fon corps : Achille
Taiffez- vous fléchir par le fouvenir de votre
pere , par le refpect que vous devez aux
Dieux , par la vie de mes cruels malheurs
Fut-il jamais un pere plus à plaindre que
moi qui fuis obligé de baifer une main bomicide
, encore fumante du fang de mes enfans.
par
C'eſt la nature même qui s'exprime
la bouche de ce venerable Vieillard
& quelque impitoyable que fut Achille ,
Il ne pût refifter à un Difcours fi touchant,
le doux nom de pere lui arracha des lar
mes. Il eft aifé de comprendre que la Profe
fait perdre à ce Difcours une partie de fa
beauté , il a bien plus de grace & de force
revêtu de tout l'éclat des expreffions
Poëtiques. Il y a dans Homere une infinité
d'autres endroits , peut- être encore
plus beaux ; mais il faut fe borner.
L'éloquence de la Chaire & du Barreau
font affurément d'une grande utilité,
& il faut convenir qu'on a bien de l'obligation
à ceux qui veulent bien y em-
.ployer leurs talens. Mais après tout tous
nos Orateurs enfemble ne fourniroient
pas un endroit qui exprimât avec tant,
d'éclat , de nobleffe & d'élevation la gran
deur & la puiffance du fouverain Maître
de l'Univers que ces Vers de Racine.
Que
2392 MERCURE DE FRANCE
a Que peuvent contre lui tous les Rois de la
terre i
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre,
Pour diffiper leur ligue il n'a qu'à ſe montrer ;
Il parle , dans la poudre il les fait tous renfrer.
Au feul fon de fa voix la mer fuit , le Ciel
tremble ;
Il voit comme un néant tout l'Univers enfemble
,
Et les foibles Mortels , vains jouets du trépas ,
Sont tous devant fes yeux comme s'ils n'étoienz
pas.
Que de grandeur ! que de nobleffe !
qui ne fent que les mêmes penfées tournées
en Profe par une habile main perdroient
toute leur grace & toute leur force.
Voici un endroit dans le même goût,
tiré d'un de nos plus celebres Orateurs.
O Dieu terrible , mais jufte dans vos confeils
fur les enfans des hommes , vous difpofez
& des Vainqueurs & des Victoires pour
accomplir vos volontés & faire craindre vos
jugemens votre puiſſance renverse ceux que
votre puissance avoit élevés : vous immolez
à votre fouveraine grandeur de grandes victimes
, & vous frappez quand il vous plaît
ces têtes illuftres que vous avez tant de fois
couronnées..
a Efther Att. II. Scen. K
Cee
NOVEMBRE. 1730. 2393
Cet endroit , quoique grand , eft bien
au-deffous des Vers de Racine , c'eſt cependant
un des plus grands efforts de
l'éloquence de M. Flechier, a Cet autre
trait du même Poëte , quoiqu'en un feul
Vers , n'eſt pas moins inimitable à l'Orateur.
b Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point
d'autre crainte.
Pour prouver fans réplique combien
la Poëfie prête à PEloquence , que l'on
mette en Profe les morceaux les plus éloquens
des Poëtes , qu'on les revête de
toutes les expreffions les plus brillantes ;
& l'on jugera aifément combien ils per
dent dans ce changement. Je pourrois
en donner des exemples d'Homere , de
Sophocle & des autres Poëtes , & citer
tous nos Traducteurs ; mais je renvoye
au feul récit de Theramene dans la Tragédie
de Phedre de Racine , & je prie les
partifans de l'éloquence de la Profe de le
rendre fans l'harmonie des Vers auffi touchant
, auffi vif , j'ajoûte même auffi effrayant
qu'il l'eft dans ce Poëte. Qu'un
habile Poëte, au contraire , prenne les endroits
les plus éloquens & les plus pathe
a Oraif. Funebre de M. de Turr.
b Athalie , A &t . 1. Scen. X.
tiques
2394 MERCURE DE FRANCE
tiques de Demofthenes & de Ciceron
qu'il les pare de tous les ornemens de ce
même recit de Theramene , & l'on juge
ra alors combien ils y auront gagné.
Y a t'il quelque chofe qui foit fi propre
à infpirer des fentimens nobles & genereux
fur la Religion que ce que Cor
neille fait dire à Polieucte ; les mêmes Y
chofes en Profe feroient belles, fans doute,
mais bien plus froides & plus languiffantes.
Quelle eft la Harangue qui renferme
une plus belle morale que celle que
Rouffeau a inferée dans fon Ode fur la
Fortune ? trouve- t'on quelque part la ve
tité accompagnée de tant d'agrémens &
de tant de force.
Fortune dont la main couronné
Les forfaits les plus inoùis ,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis ;
Jufques à quand , trompeuſe Idole
D'un culte honteux & frivole
Honorerons- nous tes Autels ?
Verra t'on toujours tes caprices
Confacrés par les facrifices ,
Et par l'hommage des mortels . &c.
Toute la fuite de cette Ode renfermé
une infinité de traits admirables ; je pourois
NOVEMBRE. 1730. 2395
rois ajoûter encore les Odes facrées du
même Auteur qui font bien au - deffus de
celle ci , les Pleaumes de Madame Des
Houllieres , ceux de Malherbe &c . où l'on
trouve des traits que l'éloquence la plus
vive ne sçauroit imiter. Mais fi on vouloit
rapporter tout ce qu'il y a de plus
beau tant en Vers qu'en Proſe , on ne finiroit
point.
On s'ennuye du moins en beaucoup
d'endroits d'un beau Sermon qui contient
les mêmes penſées fur les mêmes fujets
, qui annonce les mêmes verités
qu'une Piece de Poëfie , les vers nous y
rendent beaucoup plus fenfibles , on eſt
plus
plus touché , on entre plus dans toutes
les paffions du Poëte , on s'efforce de la
fuivre , on ſe plaît à fes expreffions , on
aime fes penfées qu'on tâche de retenir ,
on fe fait même un plaifir & un honneur
de les reciter. L'éloquence férieuſe de
F'Orateur fait bien moins d'impreffion
que ces peintures vives & naturelles
du vice que
le Poëte fçait rendre fi méprifable
, & ce n'eft
fans raifon que
Rouffeau a dit que
pas
Des fictions la vive liberté
Peint fouvent mieux l'austere verité
Que neferoit la froideur Monacale
D'une lugubre & pefante morale.
En
2396 MERCURE DE FRANCË
cette
En effet , rien ne touche le coeur de
l'homme , rien n'eft capable de lui faire
impreffion que ce qui lui plaît ; la Poëfie
nous montre la verité avec un viſage
doux & riant , par là elle l'infinue adroitement
entraînés par le plaifir , nous
entrons infenfiblement dans les fentimens
du Poëte , dans fes maximes ; nous prenons
de lui cette nobleffe , cette grandeur
d'ame , ce défintereffement
haine de l'injuftice & cet amour de la
vertu qui éclatent de toutes parts dans
fes Vers. La verité , au contraire , dite
par un Orateur , nous paroît bien plus
fevere , elle n'eft pas accompagnée de ces
graces , de ces ornemens , enfin de toutes
čes beautés qui la rendent aimable , l'efprit
fe ferme à fa voix , & fi quelquefois
on l'écoute , ce n'eft que par un grand
effort de la raifon. Quelqu'un dira peutêtre
que l'éloquence oratoire eft plus utile
à l'Orateur pour fa fortune , & on aura
raifon de dire comme Bachaumont :
a Non non , les doctes damoiselles
N'eurent jamais un bon morceau
Et ces vieilles fempiternelles
Ne burent jamais que de l'eau.
Les Poëtes ont toujours été bien éloia
Voyage de Bach. & de la Chapelle.
gnés
NOVEMBRE. 1730. 2397
grés de cette avidité qui fait dire à tant
de
gens
•
Quærenda pecunia primùm eft
Virtus poft nummos.
Je ne doute point que les gens d'efprit
& de bon goût , les Heros & fur tout le
beau fexe, à qui la Poëfie a fait tant d'honneur
, & dont elle a fi fouvent relevé la
beauté & le mérite , ne préferent la gloire
des Poëtes à celle des Orateurs , &
quand je n'aurois que leur fuffrage j'aurois
toujours celui de la plus brillante
partie du monde . Au refte , on peut encore
juger de la gloire des Poëtes par l'eftime
& la veneration qu'ont eûs pour eux
de tout tems les hommes les plus illuftres
& les plus grands Princes. b Ptolomée
Philopator fit élever un Temple à Homere
; il l'y plaça fur un Trône , & fit repréfenter
autour de lui les fept Villes qui
Te difputoient l'honneur de fa naiffance.
c. Alexandre avoit toujours l'Iliade fous
le chevet de fon lit , enfermé dans la caffete
de Cyrus. d Hyparque , Prince des
Athéniens , envoya une Galere exprès
chercher Anacréon pour faire honneur à
b Elien.
Plutarq. in Vita Alexand.
Elien,
yous
2398 MERCURE DE FRANCE
fa Patrie. Hyeron de Syracufe voulut
avoir Pindare & Simonide à fa Cour .
& perfonne n'ignore que dans le fac
de Thebes Alexandre ordonna qu'on
épargnat la maiſon & la famille du pre
mier des deux Poëtes que je viens de nommer.
On fçait le crédit qu'eurent Virgile
& Horace à la Cour d'Augufte , & enfin
l'eftime particuliere dont Louis XIV. a
toujours honoré nos Poëtes François , Mais
pourquoi chercher de nouvelles preuves?
Le langage des hommes égalera- t'il jamais
le langage des Dieux ? Je fens bien
que je dois me borner à ce petit nombre
de réfléxions , quoiqu'il foit difficile d'être
court en parlant des beautés de la
Poëfie , où l'on trouve tant de choſes qui
enchantent que l'on en pourroit dire ce
que difoit Tibulle de toutes les actions
de fa Maîtreffe
Componit furtim , fubfequiturque decor.
J'ai l'honneur d'être & c .
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Résumé : LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
La lettre compare la gloire des orateurs à celle des poètes, en soulignant que ceux qui excellent dans des sujets difficiles, utiles et agréables acquièrent plus de renommée. Pour évaluer cette question, l'auteur propose d'examiner le talent requis et l'utilité de chaque domaine. Les poètes et les orateurs visent à instruire et à plaire, mais par des moyens différents. Les orateurs se distinguent par l'invention, la disposition, l'élocution, la mémoire et la prononciation. La poésie, quant à elle, est soumise à plus de règles et nécessite un plan ingénieux, des descriptions riches et des expressions vives. Cicéron, bien qu'il admire l'éloquence, reconnaît la supériorité de la poésie, qu'il décrit comme un enthousiasme divin. La poésie demande des talents plus élevés, tels que la fécondité dans l'invention, la noblesse des idées et une imagination riche. Elle transforme tout en beauté et utilise des fictions nobles pour enchanter le lecteur. La poésie s'exerce dans divers genres, du badin au sérieux, et a été utilisée par des figures bibliques comme Moïse et David pour chanter les louanges du Créateur. Les anciens utilisaient la poésie pour tous les écrits, y compris l'histoire, et n'ont commencé à utiliser la prose que plus tard. Des experts comme le Père Bouhours et le Père Rapin conviennent que le poème épique est le chef-d'œuvre de l'esprit humain. Les harangues d'Homère sont citées comme des modèles parfaits d'éloquence, surpassant même celles de Cicéron et Démosthène. Par exemple, la harangue d'Ulysse à Achille est louée pour son art et sa force. Enfin, la lettre compare des extraits de la poésie de Racine et de l'éloquence de Flechier, concluant que les pensées poétiques, même traduites en prose, perdent de leur grâce et de leur force. La poésie est ainsi présentée comme supérieure en termes de sublimité, d'élévation et de jugement.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 2631-2641
DISCOURS sur ces paroles : Le vice lui-même est forcé de rendre hommage à la vertu.
Début :
Il est si beau d'être vertueux, & la droite raison trouve la vertu si conforme [...]
Mots clefs :
Vice, Vertu, Hommes, Mérite, Force, Vertueux, Ennemi, Hommage, Sentiments, Aveugle, Yeux
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texteReconnaissance textuelle : DISCOURS sur ces paroles : Le vice lui-même est forcé de rendre hommage à la vertu.
DISCOURS fur ces paroles Le
vice lui-même eft forcé de rendre hom
à la vertu.
mage
Left fi beau d'être vertueux , & la
I droite raifon trouve la vertu fi conforme
à fes premieres idées , qu'il n'y a
pas de quoi s'étonner fi les hommes dans
Tous les âges ont, à l'envi , fouhaité ou affecté
d'être vertueux , & s'ils ont accor
dé à la vertu les plus grands éloges..
L'amour de l'eftime & de la gloire, qui
remue avec tant d'empire & de fuccès les
refforts du coeur de l'homme , l'a toujours
déterminé à chercher fa véritable
grandeur dans le fein de la vertu , où
d'un Phantôme qu'il a pris pour elle.
Dvj Peut I.Vol
2632 MERCURE DE FRANCE
Peut- être que ces hommages confondus
avec les intérêts de l'amour propre , ne:
furent pas affez purs ; mais quoique la
vertu pût en reprouver les intentions
& les motifs , ils ont fervi à publier &
à étendre fa gloire.
i
L'Univers entier a confpiré à relever
fon excellence ; & ceux qui ont ignoré
Dieu même , fe font fait un merite de
la connoître & de la pratiquer.
Les Sages , les Philofophes , les Poë
tes , les Orateurs , les Guerriers & les Politiques
, tous ont voulu être du nombre
de fes amis. Les Arts & les Sciences ont
épuisé leurs talens , ont employé leurs
plus belles couleurs pour la peindre dans
tout fon éclat . Au milieu de tant de
gloire & d'honneur acquis à la vertu , ce
qui la diſtingue effentiellement , c'eſt de
n'avoir jamais trouvé d'autre ennemi que
le vice. Soit envie , chagrin , ou confufion
de la part de cet ennemi , l'oppofi
tion qui regne entre l'aimable vertu , &
ce monftre hydeux fera toujours une
fource de guerre : mais telle eft la fin de
Piniquité , elle fe dément elle- même , &
les traits injurieux du vice ne fervent
qu'à relever la vertu. C'eft ainfi que
contre fon intention il forme , façonne ,
embélit de ces propres mains la Cou
ronne dont il doit ceindre fa tête . Plus-
1. Vola il
DECEMBRE. 1730 : 3633
tâche à la déprifer , plus il la rend aimable
& précieufe , fes fatyres , & fes
dédains font pour elle un Panégyrique.
Ecoutons- le parler , pénétrons fes fentimens
, étudions fes démarches , nous le
verrons par tout forcé de rendre hom
mage à la vertu..
Il n'y a qu'à fe déprévenir , qu'à fixer
le veritable fens , & la valeur des expreffions
dont le vice fe fert pour dégrader
la vertu : Si nous les examinons de près ,
nous trouverons qu'au fond ces vaines
déclamations ne portent que fur l'erreur
& l'aveuglement , qui eft l'apanage du
vice. Ingénieux à fe féduire , il fe forme:
de foles chimeres qu'il prend plaifir à
combattre ; ainfi rehauffe t- il d'autant
plus l'éclatde la veritable vertu , qu'il s'ef
force de groffir les traits dont il peint ces
monftres difformes , qu'il voudroit con--
fondre avec elle. Aveugle , s'il ne peut entierement
fe cacher à fa vive lumiere , il
en détourne ce refte de vûë ; & cherchant
ailleurs les feules apparences de la vertu ,
il penfe triompher , s'il en montre le
vuide. Funefte illufion ! Que n'eft- il per--
mis à l'humble vertu de vaincre fa mo
deftie , elle triompheróit bien glorieufement
à fon tour de cet ennemi obſtiné
à lui nuire : mais il eft une victoire , qui
lui eft plus chere. Bien - tôt cet ennemi
Is-Kobo avouera
1634 MERCURE DE FRANCE
;
avouëra fa défaite, & fera forcé de préparer
le fuperbe Triomphe où il fera traîné
captif. En effet , il fe combat lui -même
& releve la vertu par où il femble voufoir
la détruire.
Il n'apperçoit pas , dit- il , de vraie vertu,
ce ne font que des apparences vaines, une
imitation frivole , un foible crayon qu'il
découvre , au lieu de ce parfait original ;
de cette réalité effective qu'il fe croyoit
en droit de trouver. Qu'if combatte tant
qu'il voudra ces apparences frivoles, qu'il
démafque cette imitation hipocrite , qu'il
confonde ce crayon imparfait. Qu'a- t'elle
à craindre , l'innocente vertu ou plutôt
qu'elle gloire pour elle ; que fon ennemi
apprenne aux hommes à reconnoître fes
véritables traits : & à la diftinguer de ces
phantômes qui ne lui reflemblent que
pour la trahir ! Non le vice ne l'attaque
point ouvertement ; il y auroit trop à
perdre pour lui , & trop de honte à ´effuyer
, de combatre à vifage découvert
contre la vertu , elle qui eft feule aimable
, & qui merite d'être adorée de toute
la terre.
Les combats qu'il lui livre font bien
differens des combats ordinaires. C'eft
par fes éloges qu'il l'attaque , c'est par
les portraits outrez & chimériques qu'il
en fait , qu'il veut l'élever au deffus de la
I. Vol
portée
DECEMBRE. 1730. 2635
portée des hommes , & dégouter ainfi de
fa fuivre fes amis les plus paffionez.
Envain cette fille du ciel vient- elle habiter
parmi les hommes : envain ſe montre-
t- elle avec cette majefté , cette grandeur
, cette nobleffe qui lui eft propre::
envain vient elle étaler aux yeux des
mortels , cette heureufe fimplicité, cette
innocence pure , ce défintereffement genereux
, toutes les qualitez qui forment
fon caractere ; fi elle ne paroît feule , le
vice , par les impoftures , s'atttibuë tout
fon mérite ,
, pour faire difparoitre à nos
yeux fes attraits raviffans.
Ne craignons pas pourtant qu'il lui
faffe du tort ; il ne la méconnoit qu'à
force d'en relever le mérite , & d'en concevoir
de brillantes idées. Conduite , à la
verité , injurieuſe à l'homme vertueux ,
mais toujours glorieufe à la vertu ; il veut
qu'elle foit fans deffaut , qu'elle brille de
toutes parts ,fans obfcurité , fans nuage ;
c'eft peut-être le feul endroit , par où le
vice entretient encore quelque commerce
avec la verité & la lumiere. Il a fauvé du
naufrage de toutes les idées du jufte & du
vrai la feule notion de l'integrité de la
vertu ; refte bien honorable pour elle.
Livrons lui donc fans crainte les
deffauts des hommes vertueux ; avouons
lui , s'il le faut , que malgré leurs efforts,
I.Vol.
ils
2636 MERCURE DE FRANCE
Ils ne peuvent point fe garantir de quelqu'une
de fes atteintes. Nous fçaurons
Bien-tôt les deffendré de ces réproches ;
mais qu'il foit forcé , ce perfécuteur in
jufte , de rendre hommage à la vraie
vertu , dont les deffauts des hommes ne
fçauroient jamais ternir l'éclat nila beauté.
Que dis-je , ne le rend- il pas cet hom-.
mage ? & puifque par tout où il recon →
noit fon empire , il dédaigne de retrouver
la vertu . N'avoue- t-il pas qu'elle lui
eft toujours contraire , & que l'augufte'
privilege dont elle joüit , c'eſt de ne pouvoir
jamais fouffrir aucun commerce , ni
aucune liaiſon avec lui.
Pénétrons encore'fes fentimens en faveur
de la vertu ; ils vont plus loin que
fes paroles ; & cet hommage , tout muet
qu'il eft , ne releve pas ſeulement la verta ,
il honore encore infiniment les hommes
vertueux .
Faifons au vice , pour un inftant , la
plus grande grace que nous puiffions lui
faire ; donnons- lui un peu de bonne foi
& de candeur. Qu'il mette au jour fes
fentimens les plus intimes. Amateurs de
la vertu , voici votre éloge , & un éloge
qui n'eft point flaté . Déja j'apperçois au
fond de fon coeur ce fentiment gravé en¹
caracteres inéfaçables : VOUS ESTES PLUS
JUSTE QUE MOY. La haine , le dépit , l'en--
J. Volo vie
DECEMBRE. 1730. 2637
vie , la jaloufie , n'ont pû étouffer ce cri
interieur. Qu'il eft doux à la vertu & à
fes Partifans , de trouver dans le fein du
vice , de quoi le faire rougir , & fans infulter
à fon impuiffante malice , de quoi
le confondre par un fimple regard.
,
Telle eft cependant la fituation du vice
& de fes efclaves , ils ont beau affecter une
contenance affurée un air content &
tranquille ; on les approfondit , & plus
on les penetre, plus on découvre que s'ils
font capables de tromper, ils ne trompent
pas long- temps , leur gêne & leur contrainte
les trahit.
Paroiffes ici , hommes vicieux , & fouf
frez qu'on voye ce qui fe paffe dans le
fond de votre ame. Eft -il vrai que vous
n'eftimés pas la vertu , & que fes Amateurs
font l'objet de vos mépris , comme
ils le font quelquefois
de vos railleries &
de vos infultes Sçavez -vous bien accor
der vos fentimens
avec vos difcours ?
Quelle contradiction
étrange ! Ils fe fati
guent , ils fuent , ils s'expofent , fe facrifient
pour leurs paffions ; fouvent tout les
contredit , & jamais rien ne les rebute ;
chargés de mille chaînes qui les captivent,
ils perdentleur liberté : n'importe ; habiles
à charmer leur aveugle fureur , ils lui
donnent les noms les plus honorables
;
habileté , grandeur d'ame , nobleffe de
I Vol . coeur
2638 MERCURE DE FRANCÉ
coeur ; eft-il rien qui l'égale ! Mais qu'it
eft douloureux pour eux de ne pouvoir
faire taire une voix importune & fecrete
qui leur rappelle les charmes de l'aima-
Ble vertu, de cette précieuſe indépendan→
ce que la feule vertu donne ! On peut
s'agiter , s'étourdir , détourner les yeux
de ce port , d'où l'on s'eft éloigné par
une fole & aveugle conduite ; mais malgré
foy le coeur y rappelle : tels que dans
ces torrens rapides qui ravagent tout ce
qui s'oppofe à leur courſe , on voit fe
former des tourbillons , où les eaux fe
tournant vers leur fource , femblent fe
repentir de leur violence & porter envie
à la noble tranquillité de ces Fleuves bien
faifants & paifibles , qui répandent par
tout & la fertilité & l'abondance.
L'ambitieux , efclave de fa fortune , facrifie
inutilemment à cette Divinité inconſtante
& aveugle , fon repos & fa vie .
Que ne va-t'il chercher dans la modération
de la vertu , un bonheur qu'il cherche
vainement ailleurs ? bonheur qu'il
apperçoit , qu'il eftime , qu'il honore &
qu'il ne peut fe déterminer de gouter en
paix.
Trifte condition de l'homme vicieux !
toujours contraint de fe fuir lui- même,
d'être toujours en guerre avec fa propre
confcience , & de n'en pouvoir fouf-
I. Vol. frir
DECEMBRE. 1730. 2639
frir le regard critique. C'eft l'hommage
le plus honorable que le vice puiffe fendre
à la vertu , qui en tout bien differente
de lui , s'enveloppe de fon propre mérite ,
& fans courir de dangers , ni effuyer de
fatigues , fans traverſer les mers , ni franchir
les montagnes pour acquerir du relief
, pour fixer fur elle les regards des
hommes , fçait captiver leur eftime ; &
par la même force le vice à fe revêtir
du moins de fes apparences pour fe fau
ver de l'opprobre qui lui eft dû.
Hommage public & intereffant pour
elle. Oui , le vice dont le pouvoir eſt ſi
étendu & fi defpotique , emprunte les
dehors & les démarches de la vertu pour
affermir fon empire.
Ici naît le penible embarras où nous
nous trouvons , lorfqu'il s'agit de diftin
guer au vrai la vertu folide du vice tra
vefti. Tout est égal à nos yeux dans l'un
& dans l'autre. La vertu ne fçauroit faire
un gefte que le vice ne prétende fe rendre
propre, & qu'il ne fçache imiter . Pourroit-
il mieux faire connoître qu'il en fent
le mérite , que de n'ofer fe produire que
fous ces dehors empruntez.
Ne diſons rien de ces Monftres d'iniquité
que le vice met au jour , Monſtres
dont il rougit & qu'il defavoûë ; laiffons
part ces horribles, forfaits que le Soà
I. Vol leil
2640 MERCURE DE FRANCE
leil n'éclaire qu'à regret. Il eft un autre
vice , pour ainfi dire , civilifé , qu'on ne
diftingue de la vertu que par l'intention
qui le fait agir & par les projets qui l'occupent
, c'eft ce vice ainfi déguifé qui
tend hommage à la vertu en fe cachant
fous la vettu même.
Voyez-vous cet homme affable , gracieux
, prévenant ; remarquez cet air em
preffé à vous fervir , cette modeftie dans
fes prétentions , ce dégagement de fes
propres interêts. Ne diriez-vous pas que
c'eft la feule vertu qui le guide ? Non , on
ne s'y trompe plus ; on le laiffe faire , H
cherche à s'élever en fe rabaiffant ; bientôt
, fi la fortune le favorife , il fçait fe
dédommager de tous les facrifices que fa
paffion lui coûte , & on le voit confacrer
au vice les récompenfes de la vertu.
Tout le monde le fçait , & le vice ne
l'ignore pas . La feule vertu a droit de
plaire , elle feule mérite d'être avoiiée de
l'homme né pour être vertueux. Ainfi à
quelque prix que ce foit il faut être vertueux
ou le paroître , fi l'on cherche à
regner dans l'efprit & le coeur des hommes.
Et qui eft- ce qui ne le cherche pas ?
Neceffité indifpenfable aux vicieux mêmes
, & de- là cet hommage forcé que le
vice rend à la vertu ; mais en eft- il moins
glorieux pour elle ?
I. Vol:
DECEMBRE . 1730. 2641
Il n'eft donc plus de prétexte qui autorife
l'homme à ne pas fe ranger du parti de
la vertu . Mille raifons concourent à
prouver fon mérite . Son feul ennemi . le
vice eft forcé de lui rendre hommage. Les
difcours , les fentimens , les oeuvres de
cet ennemi dépofent en fa faveur . Pourquoi
faut-il que nous méconnoiffions nos
vrais interêts ? notre veritable bonheur?
notre folide gloire ?
Videbunt recti & lætabuntur & omnis
iniquitas oppilabit os fuum, Pfal . 106. v. 429
vice lui-même eft forcé de rendre hom
à la vertu.
mage
Left fi beau d'être vertueux , & la
I droite raifon trouve la vertu fi conforme
à fes premieres idées , qu'il n'y a
pas de quoi s'étonner fi les hommes dans
Tous les âges ont, à l'envi , fouhaité ou affecté
d'être vertueux , & s'ils ont accor
dé à la vertu les plus grands éloges..
L'amour de l'eftime & de la gloire, qui
remue avec tant d'empire & de fuccès les
refforts du coeur de l'homme , l'a toujours
déterminé à chercher fa véritable
grandeur dans le fein de la vertu , où
d'un Phantôme qu'il a pris pour elle.
Dvj Peut I.Vol
2632 MERCURE DE FRANCE
Peut- être que ces hommages confondus
avec les intérêts de l'amour propre , ne:
furent pas affez purs ; mais quoique la
vertu pût en reprouver les intentions
& les motifs , ils ont fervi à publier &
à étendre fa gloire.
i
L'Univers entier a confpiré à relever
fon excellence ; & ceux qui ont ignoré
Dieu même , fe font fait un merite de
la connoître & de la pratiquer.
Les Sages , les Philofophes , les Poë
tes , les Orateurs , les Guerriers & les Politiques
, tous ont voulu être du nombre
de fes amis. Les Arts & les Sciences ont
épuisé leurs talens , ont employé leurs
plus belles couleurs pour la peindre dans
tout fon éclat . Au milieu de tant de
gloire & d'honneur acquis à la vertu , ce
qui la diſtingue effentiellement , c'eſt de
n'avoir jamais trouvé d'autre ennemi que
le vice. Soit envie , chagrin , ou confufion
de la part de cet ennemi , l'oppofi
tion qui regne entre l'aimable vertu , &
ce monftre hydeux fera toujours une
fource de guerre : mais telle eft la fin de
Piniquité , elle fe dément elle- même , &
les traits injurieux du vice ne fervent
qu'à relever la vertu. C'eft ainfi que
contre fon intention il forme , façonne ,
embélit de ces propres mains la Cou
ronne dont il doit ceindre fa tête . Plus-
1. Vola il
DECEMBRE. 1730 : 3633
tâche à la déprifer , plus il la rend aimable
& précieufe , fes fatyres , & fes
dédains font pour elle un Panégyrique.
Ecoutons- le parler , pénétrons fes fentimens
, étudions fes démarches , nous le
verrons par tout forcé de rendre hom
mage à la vertu..
Il n'y a qu'à fe déprévenir , qu'à fixer
le veritable fens , & la valeur des expreffions
dont le vice fe fert pour dégrader
la vertu : Si nous les examinons de près ,
nous trouverons qu'au fond ces vaines
déclamations ne portent que fur l'erreur
& l'aveuglement , qui eft l'apanage du
vice. Ingénieux à fe féduire , il fe forme:
de foles chimeres qu'il prend plaifir à
combattre ; ainfi rehauffe t- il d'autant
plus l'éclatde la veritable vertu , qu'il s'ef
force de groffir les traits dont il peint ces
monftres difformes , qu'il voudroit con--
fondre avec elle. Aveugle , s'il ne peut entierement
fe cacher à fa vive lumiere , il
en détourne ce refte de vûë ; & cherchant
ailleurs les feules apparences de la vertu ,
il penfe triompher , s'il en montre le
vuide. Funefte illufion ! Que n'eft- il per--
mis à l'humble vertu de vaincre fa mo
deftie , elle triompheróit bien glorieufement
à fon tour de cet ennemi obſtiné
à lui nuire : mais il eft une victoire , qui
lui eft plus chere. Bien - tôt cet ennemi
Is-Kobo avouera
1634 MERCURE DE FRANCE
;
avouëra fa défaite, & fera forcé de préparer
le fuperbe Triomphe où il fera traîné
captif. En effet , il fe combat lui -même
& releve la vertu par où il femble voufoir
la détruire.
Il n'apperçoit pas , dit- il , de vraie vertu,
ce ne font que des apparences vaines, une
imitation frivole , un foible crayon qu'il
découvre , au lieu de ce parfait original ;
de cette réalité effective qu'il fe croyoit
en droit de trouver. Qu'if combatte tant
qu'il voudra ces apparences frivoles, qu'il
démafque cette imitation hipocrite , qu'il
confonde ce crayon imparfait. Qu'a- t'elle
à craindre , l'innocente vertu ou plutôt
qu'elle gloire pour elle ; que fon ennemi
apprenne aux hommes à reconnoître fes
véritables traits : & à la diftinguer de ces
phantômes qui ne lui reflemblent que
pour la trahir ! Non le vice ne l'attaque
point ouvertement ; il y auroit trop à
perdre pour lui , & trop de honte à ´effuyer
, de combatre à vifage découvert
contre la vertu , elle qui eft feule aimable
, & qui merite d'être adorée de toute
la terre.
Les combats qu'il lui livre font bien
differens des combats ordinaires. C'eft
par fes éloges qu'il l'attaque , c'est par
les portraits outrez & chimériques qu'il
en fait , qu'il veut l'élever au deffus de la
I. Vol
portée
DECEMBRE. 1730. 2635
portée des hommes , & dégouter ainfi de
fa fuivre fes amis les plus paffionez.
Envain cette fille du ciel vient- elle habiter
parmi les hommes : envain ſe montre-
t- elle avec cette majefté , cette grandeur
, cette nobleffe qui lui eft propre::
envain vient elle étaler aux yeux des
mortels , cette heureufe fimplicité, cette
innocence pure , ce défintereffement genereux
, toutes les qualitez qui forment
fon caractere ; fi elle ne paroît feule , le
vice , par les impoftures , s'atttibuë tout
fon mérite ,
, pour faire difparoitre à nos
yeux fes attraits raviffans.
Ne craignons pas pourtant qu'il lui
faffe du tort ; il ne la méconnoit qu'à
force d'en relever le mérite , & d'en concevoir
de brillantes idées. Conduite , à la
verité , injurieuſe à l'homme vertueux ,
mais toujours glorieufe à la vertu ; il veut
qu'elle foit fans deffaut , qu'elle brille de
toutes parts ,fans obfcurité , fans nuage ;
c'eft peut-être le feul endroit , par où le
vice entretient encore quelque commerce
avec la verité & la lumiere. Il a fauvé du
naufrage de toutes les idées du jufte & du
vrai la feule notion de l'integrité de la
vertu ; refte bien honorable pour elle.
Livrons lui donc fans crainte les
deffauts des hommes vertueux ; avouons
lui , s'il le faut , que malgré leurs efforts,
I.Vol.
ils
2636 MERCURE DE FRANCE
Ils ne peuvent point fe garantir de quelqu'une
de fes atteintes. Nous fçaurons
Bien-tôt les deffendré de ces réproches ;
mais qu'il foit forcé , ce perfécuteur in
jufte , de rendre hommage à la vraie
vertu , dont les deffauts des hommes ne
fçauroient jamais ternir l'éclat nila beauté.
Que dis-je , ne le rend- il pas cet hom-.
mage ? & puifque par tout où il recon →
noit fon empire , il dédaigne de retrouver
la vertu . N'avoue- t-il pas qu'elle lui
eft toujours contraire , & que l'augufte'
privilege dont elle joüit , c'eſt de ne pouvoir
jamais fouffrir aucun commerce , ni
aucune liaiſon avec lui.
Pénétrons encore'fes fentimens en faveur
de la vertu ; ils vont plus loin que
fes paroles ; & cet hommage , tout muet
qu'il eft , ne releve pas ſeulement la verta ,
il honore encore infiniment les hommes
vertueux .
Faifons au vice , pour un inftant , la
plus grande grace que nous puiffions lui
faire ; donnons- lui un peu de bonne foi
& de candeur. Qu'il mette au jour fes
fentimens les plus intimes. Amateurs de
la vertu , voici votre éloge , & un éloge
qui n'eft point flaté . Déja j'apperçois au
fond de fon coeur ce fentiment gravé en¹
caracteres inéfaçables : VOUS ESTES PLUS
JUSTE QUE MOY. La haine , le dépit , l'en--
J. Volo vie
DECEMBRE. 1730. 2637
vie , la jaloufie , n'ont pû étouffer ce cri
interieur. Qu'il eft doux à la vertu & à
fes Partifans , de trouver dans le fein du
vice , de quoi le faire rougir , & fans infulter
à fon impuiffante malice , de quoi
le confondre par un fimple regard.
,
Telle eft cependant la fituation du vice
& de fes efclaves , ils ont beau affecter une
contenance affurée un air content &
tranquille ; on les approfondit , & plus
on les penetre, plus on découvre que s'ils
font capables de tromper, ils ne trompent
pas long- temps , leur gêne & leur contrainte
les trahit.
Paroiffes ici , hommes vicieux , & fouf
frez qu'on voye ce qui fe paffe dans le
fond de votre ame. Eft -il vrai que vous
n'eftimés pas la vertu , & que fes Amateurs
font l'objet de vos mépris , comme
ils le font quelquefois
de vos railleries &
de vos infultes Sçavez -vous bien accor
der vos fentimens
avec vos difcours ?
Quelle contradiction
étrange ! Ils fe fati
guent , ils fuent , ils s'expofent , fe facrifient
pour leurs paffions ; fouvent tout les
contredit , & jamais rien ne les rebute ;
chargés de mille chaînes qui les captivent,
ils perdentleur liberté : n'importe ; habiles
à charmer leur aveugle fureur , ils lui
donnent les noms les plus honorables
;
habileté , grandeur d'ame , nobleffe de
I Vol . coeur
2638 MERCURE DE FRANCÉ
coeur ; eft-il rien qui l'égale ! Mais qu'it
eft douloureux pour eux de ne pouvoir
faire taire une voix importune & fecrete
qui leur rappelle les charmes de l'aima-
Ble vertu, de cette précieuſe indépendan→
ce que la feule vertu donne ! On peut
s'agiter , s'étourdir , détourner les yeux
de ce port , d'où l'on s'eft éloigné par
une fole & aveugle conduite ; mais malgré
foy le coeur y rappelle : tels que dans
ces torrens rapides qui ravagent tout ce
qui s'oppofe à leur courſe , on voit fe
former des tourbillons , où les eaux fe
tournant vers leur fource , femblent fe
repentir de leur violence & porter envie
à la noble tranquillité de ces Fleuves bien
faifants & paifibles , qui répandent par
tout & la fertilité & l'abondance.
L'ambitieux , efclave de fa fortune , facrifie
inutilemment à cette Divinité inconſtante
& aveugle , fon repos & fa vie .
Que ne va-t'il chercher dans la modération
de la vertu , un bonheur qu'il cherche
vainement ailleurs ? bonheur qu'il
apperçoit , qu'il eftime , qu'il honore &
qu'il ne peut fe déterminer de gouter en
paix.
Trifte condition de l'homme vicieux !
toujours contraint de fe fuir lui- même,
d'être toujours en guerre avec fa propre
confcience , & de n'en pouvoir fouf-
I. Vol. frir
DECEMBRE. 1730. 2639
frir le regard critique. C'eft l'hommage
le plus honorable que le vice puiffe fendre
à la vertu , qui en tout bien differente
de lui , s'enveloppe de fon propre mérite ,
& fans courir de dangers , ni effuyer de
fatigues , fans traverſer les mers , ni franchir
les montagnes pour acquerir du relief
, pour fixer fur elle les regards des
hommes , fçait captiver leur eftime ; &
par la même force le vice à fe revêtir
du moins de fes apparences pour fe fau
ver de l'opprobre qui lui eft dû.
Hommage public & intereffant pour
elle. Oui , le vice dont le pouvoir eſt ſi
étendu & fi defpotique , emprunte les
dehors & les démarches de la vertu pour
affermir fon empire.
Ici naît le penible embarras où nous
nous trouvons , lorfqu'il s'agit de diftin
guer au vrai la vertu folide du vice tra
vefti. Tout est égal à nos yeux dans l'un
& dans l'autre. La vertu ne fçauroit faire
un gefte que le vice ne prétende fe rendre
propre, & qu'il ne fçache imiter . Pourroit-
il mieux faire connoître qu'il en fent
le mérite , que de n'ofer fe produire que
fous ces dehors empruntez.
Ne diſons rien de ces Monftres d'iniquité
que le vice met au jour , Monſtres
dont il rougit & qu'il defavoûë ; laiffons
part ces horribles, forfaits que le Soà
I. Vol leil
2640 MERCURE DE FRANCE
leil n'éclaire qu'à regret. Il eft un autre
vice , pour ainfi dire , civilifé , qu'on ne
diftingue de la vertu que par l'intention
qui le fait agir & par les projets qui l'occupent
, c'eft ce vice ainfi déguifé qui
tend hommage à la vertu en fe cachant
fous la vettu même.
Voyez-vous cet homme affable , gracieux
, prévenant ; remarquez cet air em
preffé à vous fervir , cette modeftie dans
fes prétentions , ce dégagement de fes
propres interêts. Ne diriez-vous pas que
c'eft la feule vertu qui le guide ? Non , on
ne s'y trompe plus ; on le laiffe faire , H
cherche à s'élever en fe rabaiffant ; bientôt
, fi la fortune le favorife , il fçait fe
dédommager de tous les facrifices que fa
paffion lui coûte , & on le voit confacrer
au vice les récompenfes de la vertu.
Tout le monde le fçait , & le vice ne
l'ignore pas . La feule vertu a droit de
plaire , elle feule mérite d'être avoiiée de
l'homme né pour être vertueux. Ainfi à
quelque prix que ce foit il faut être vertueux
ou le paroître , fi l'on cherche à
regner dans l'efprit & le coeur des hommes.
Et qui eft- ce qui ne le cherche pas ?
Neceffité indifpenfable aux vicieux mêmes
, & de- là cet hommage forcé que le
vice rend à la vertu ; mais en eft- il moins
glorieux pour elle ?
I. Vol:
DECEMBRE . 1730. 2641
Il n'eft donc plus de prétexte qui autorife
l'homme à ne pas fe ranger du parti de
la vertu . Mille raifons concourent à
prouver fon mérite . Son feul ennemi . le
vice eft forcé de lui rendre hommage. Les
difcours , les fentimens , les oeuvres de
cet ennemi dépofent en fa faveur . Pourquoi
faut-il que nous méconnoiffions nos
vrais interêts ? notre veritable bonheur?
notre folide gloire ?
Videbunt recti & lætabuntur & omnis
iniquitas oppilabit os fuum, Pfal . 106. v. 429
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Résumé : DISCOURS sur ces paroles : Le vice lui-même est forcé de rendre hommage à la vertu.
Le discours met en avant la supériorité de la vertu sur le vice. La vertu est décrite comme intrinsèquement belle et conforme à la raison, ce qui explique pourquoi elle a été aspirée et louée par les hommes de tous les âges. L'amour de l'estime et de la gloire pousse les individus à rechercher la véritable grandeur dans la vertu, bien que leurs motivations puissent parfois être mêlées à l'amour-propre. Le vice, malgré ses tentatives de dénigrer la vertu, ne fait que la magnifier. Les arts, les sciences, les sages, les philosophes, les poètes, les orateurs, les guerriers et les politiques ont tous célébré la vertu. En s'opposant à la vertu, le vice ne fait que renforcer son éclat. Les attaques du vice contre la vertu se retournent contre lui-même, car elles mettent en lumière les qualités de la vertu. Le vice, aveuglé par son propre aveuglement, ne peut cacher la lumière de la vertu. Il est forcé de reconnaître la supériorité de la vertu, même s'il essaie de la déprécier. Les hommes vicieux, malgré leurs efforts pour se déguiser en vertueux, finissent par révéler leur véritable nature. La vertu, par sa simplicité et son innocence, reste inébranlable et mérite d'être adorée. Le texte conclut en affirmant que la vertu est indispensable pour le bonheur et la gloire des hommes. Même le vice, malgré ses efforts pour la dénigrer, est forcé de lui rendre hommage. Il n'y a donc aucune excuse pour ne pas embrasser la vertu, car elle est la seule voie vers le véritable bonheur et la gloire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 661-671
EXPLICATION Physico-Mathematique du Principe des Machines. Par L.P.C.J.
Début :
Deux Corps égaux ou inégaux, suspendus aux deux extrémitez d'un [...]
Mots clefs :
Corps, Mouvement, Force, Sensible, Mécanismes, Principe des Machines, Géomètres, Physiciens
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texteReconnaissance textuelle : EXPLICATION Physico-Mathematique du Principe des Machines. Par L.P.C.J.
EXPLICATIONPhysico-Mathematique
du Principe des Machines. Par L.P.C.J.
Dpendus aux deux extrémitez d'un
Eux Corps égaux ou inégaux , susLevier , ou d'un Bâton ou d'une Barre de
fer , lequel Levier de fer ou de bois ap
puyé
-662 MERCURE DE FRANCE
puyé sur un Pivot aigu , fixe et inébranlable , qui partage sa longueur en raison
réciproque des deux poids ; ces deux Corps
sont en équilibre et restent en repos ; aucun des deux ne pouvant descendre
parce qu'aucun ne peut prévaloir à lautre , à cause de l'égalité absolue de leurs
forces relatives. Voilà le fait et tout l'état de la question présente.
Or cette égalité de forces relatives ,
fondée sur la réciprocité des Corps et de
leur distance du point fixe , Descartes et
les Cartesiens , l'établissent sur ce que ,
que?
si ces Corps venoient à se remuer , leurs
mouvemens seroient égaux , les espaces.
parcourus ou les vitesses compensant les
masses , parce que la disposition de la
Machine détermine à un mouvement circulaire, d'autant plus grand que le Rayon
est plus long
C'est là une raison mathématique, tout
à- fait géometrique et abstraite , et mềme de la plus basse espece , et de celles
qui convainquant l'esprit sans l'éclairer ,
sans même le persuader , s'appell nt des
Réductions à l'absurde. Car si vous alliez
prétendre que ces Corps. devroient se remuer , on calculeroit leur mouvement
et leur force , et les trouvant absolument
égaux, on concluroit qu'une force égale
à
AVRIL 1732. 603
2 donc prévalu à une force égale ; ce qui
est absurde.
Les Géometres peuvent donc s'en contenter comme d'une démonstration qui¨
constate le fait ; mais les Physiciens venlent et demandent depuis long-temps une
raison qui l'explique. Il est bien question en
effet de la force qu'auroient ces Corps s'ils
venoient à se remuer. Ils ne se remuënt
pas et sont pourtant en équilibre ; il s'agit
de la force qu'ils ont actuellement et à
tous les instans pour s'y maintenir.
Descartes n'avoit garde d'aller plus loin.
Il étoit naturel d'expliquer cet équilibre
par l'effort actuel que font à chaque instant ces deux Corps pour descendre et se
surmonter. Mais ce celebre Philosophe ne
connoissoit point d'effort au mouvement
qui fut un mouvement actuel ; lui pourtant, qui par tout ailleurs , expliquoit tout
parle mouvement. Il est vrai qu'ici même
il recouroitau mouvement, mais à un mou--
vement possible et sensible , comme si les
mouvemens primitifs de la Nature , et
tout ce qui s'appelle forces méchaniques
et efforts , ne consistoient pas essentiellement dans des mouvemens secrets et
très-insensibles.
Les yeux ne vont pas là ; mais la rai
son , ou du moins le raisonnement y va
et
664 MERCURE DE FRANCE
et nous apprend que tout Corps pesant
étant toujours pesant , soit qu'il tombe
soit qu'il soit arrêté , soit qu'il soit forcé
même de monter , tend toûjours et fait
toûjours effort pour tomber , et a par
consequent toûjours un mouvement secret qui le sollicite à la chute , un mouvement naissant et sans cesse renaissant
àcoups redoublez , qui ne demande qu'à
se développer et à se changer en un mouvement continu , et par là sensible vers
le centre.
J'ai démontré ce mouvement secret des
Corps pesans dans mon Traité de Physique, imprimé à Paris , chez Cailleau. Et
il m'a parû que cette Démonstration avoit
passé sans contradiction ; et que tous
ceux , au moins dont j'ai eu occasion de
connoître les sentimens , l'avoient adop
tée. Il est temps de porter cela un peu
plus loin.
On la confond trop , ce me semble ,
pesanteur avec la chute ; et l'idée des Aneiens qui croyoient les Elemens quittes.
er exempts de pesanteur dans ce qu'ils
appelloient leurs Spheres propres ; l'Eau ,
par exemple , dans la Mer , l'Air dans
l'Atmosphere ; cette idée ne me paroît
que trop regner encore dans les esprits.
Je dois donc remarquer que la pesanteur
AVRIL. 1732. 665
teur est la cause , et que la chute n'est
qu'un effet ; qu'un Corps tombe parce
qu'il est pesant; mais que lors même qu'il ne tombe pas , il est toûjours pesant , et
que dans aucun instant il ne cesse de l'ê
tre. C'est-là ce qu'il faut bien sentir.
En quelque temps que vous tâchiez à
soulever un Corps pesant , vous le trouvez pesant , il vous résiste de toute sa
force, et il vous faut toute la vôtre pour
en venir à bout. Portez- le quelque temps
entre vos bras ou sur vos épaules , peuà peu il vous devient tout à fait insupportable et vous force à lâcher prise. Si
vous le suspendez à un fil , à une corde,
dès le moment que vous tranchez le fil,
il tombe , il n'attend pas vos ordres pour
cela , il tire , il tiraille le fil ou la corde ,
et après en avoir surmonté peu à peu le
tissu et rompu en détail tous les fila
mens , il la rompt tout- à- fait et tombe lourdement.
S'il est posé sur la terre, avec le temps
il l'enfonce et s'y enterre ; et si tout d'un
coup vous sappez sous lui cette terre qui
le porte, tout du même coup il tombe
plus bas , et toûjours aussi bas qu'il le
peut. Si vous coupez cette terre en plan
incliné, de quelque côté que vous fassiez
la pente, il y roule et gagne l'endroit
le plus bas.
666 MERCURE DE FRANCE
L'Eau même la plus immobile et la
plus croupissante , va couler tout de suite
si vous lui ouvrez une rigole en pente
à côté de son Båssin. Toutes les Rivieres
coulent et la Mer même a des Courans
et des Goufres soûterrains qui l'appel
lent d'abîme en abîme vers le centre
de la terre. Il est vrai que les abîmes n'étant pas infinis , l'eau ne tombe toûjours
que parce qu'elle remonte aussi toûjours
par d'autres conduits soûterrains dans
les Sources d'où elle recommence à con
ler vers le centre. Mais c'est qu'il y a
dans le corps de la Terre , comme dans
nos corps,un Principe de circulation qui,
sans ôter à l'eau la pesanteur , l'entretient/
dans une perpetuelle mobilité. Tout cela
est établi dans le Traité déja cité.
L'Air même , qu'on ne s'y trompe pas,
ne demande qu'à couler et à tomber : à
mesure qu'on creuse dans la terre , il y
entre et remplit les plus petites excavations. Dès que l'eau ou tout autre corps
quitte une place, l'Air la prend aussi- tôt.
Nous sentons nous-mêmes assez le
poids des Corps toûjours subsistant , toû
jours agissant. Nos jambes se lassent de
nous porter. Notre col , nos épaules pliroient sous notre tête , si elle n'avoit ses
momens de repos. Et puis il faut bien- tôt
οὐ κ
1
AVRIL. -1732. 1 667
ou tard , que l'affaissement de nos membres devenant general , nous rentrions
dans la poussiere , d'où un soufle de vie
qui s'exhale , nous avoit fait sortir. Tout
le monde sçait tout cela , je le crois.
Tous les Corps font donc un effort et
ont une tendance continuelle vers le centre. Cette tendance étoit la qualité occulte de nos Anciens. Ils la concevoient
comme un appétit et presque comme une
volonté naturelle de se réunir à leur centre. Descartes a fort bien remarqué que
la matiere pure n'avoit point de ces
sortes d'appétits et de volontez. Mais cette
tendance et cet effort étant pourtant- quelque chose de réel et de toûjours subsistant , il auroit dû , en supprimant une
mauvaise façon de les expliquer , y sub2
stituer un mouvement secret et insensible , qui est la seule façon dont un Corps
peut tendre et faire effort. M. de Leibnis
y reconnoissoit uneforce morte.
Mais il n'y a point ici de mort , et l'effort que les Corps font pour regagner
leur centre , est toûjours , sinon vivant ,
du moins très- vif et très- animé , et mê
me très- sensible , au moins dans ses effats.
: J'ai expliqué cet effort méchanique
dans l'Ouvrage en question , et j'ai fair voir
68 MERCURE DE FRANCE
voir qu'il consistoit dans un mouvement
non continu , parce qu'il est empêché ;
mais continuel et sans cesse redoublé
de vibration , de battement , d'oscillation
qui est le vrai mouvement primigénie de
la pesanteur , et l'unique cause tout- àfait primitive de la chute des Corps qui ont la liberté de tomber.
Pour rendre même ce Principe plus
sensible , j'ai fait voir que c'étoit le Principe general de la Nature , l'agent primitif de tous les Méchanismes , et que.
tout se faisoit dans l'Univers par l'impression d'un mouvement secret de vibration , tous les Corps étant buttez les
uns contre les autres, et faisant des efforts
et des contr'efforts continuels , d'où résultoit l'équilibre general.
Descartes se bornoit trop à son Principe de simple impulsion , qui étoit pourtant un beau Principe ou un demi Principe. Car point d'impulsion sans Répulsion. A bien prendre même les choses ,
l'impulsion n'est qu'un Principe secondaire et un effet sensible , un Phénomene
de la Répulsion.
Cui , tout ce que j'appelle cause Physique , cffort méchanique , action naturelle , est dû à la répulsion , au repoussement , et consiste formellement dans.
8
un
AVRIL: 17320 669
peu
un mouvement de vibration, vif, prompt,
étendu et sans cesse redoublé.
Nous pouvons sans sortir de nous-mêmes , nous en appercevoir avec un peu
d'attention. Nous ne sçaurions rien pousser , non pas même notre corps , notre
bras , notre jambe en avant , si nous ne
repoussons en même-temps en arriere
quelque chose de fixe et d'immobile qui
nous repousse en avant.
Par exemple , en marchant , nous repoussons le terrain , et il faut que ce terrain soutienne le repoussement et nous
le rende pour que nous avancions. Un
sable mouvant qui nous cede en partie ,
une terre labourée nous épuisent bientôt. Un pavé glissant qui ne nous oppose aucune inégalité pour soutenir l'effort de nos pieds , nous laisse tomber.
Nous ne sçaurions marcher sur l'eau.
Je ne me lasse point d'inculquer ce
Principe , sans lequel je ne connois point
de vraye Physique. Un Oiseau qui vole
ne vole en avant qu'en repoussant l'Air
avec ses aîles en arriere. Celui qui nâge
repousse l'eau avec ses bras , la Rame re.
pousse aussi l'eau ou le terrain. Et le vent
qui fait voguer un Vaisseau , quoiqu'il
semble n'avoir qu'un simple mouvement
d'impulsion directe , doit dans son origine
670 MERCURE DE FRANCE
-
rigine , avoir un Principe de répulsion ,
un point d'appui fixe qui l'empêche de
rétrograder. Et c'est par là que je crois
être en état de démontrer que tous les
vents prennent leur origine dans l'interieur même de la Terre et dans la réaction même du centre , qui est comme un
ressort toûjours bandé qui se débande du
côté où il trouve le moins de résistance.
Cela soit dit en passant.
Voyez deux hommes d'égale force buttez l'un contre l'autre , et qui font effort.
pour se culbuter. On les voit , après s'ê→
tre roidis par les jambes contre le terrain , "
agitez de vibrations assez sensibles , se
pousser et se repousser , avancer et reculer , ceder et reprendre le dessus avec
une alternative , qui seule maintient l'équilibre.
Voilà l'état précis de deux Corps plaecz en équilibre aux deux extrémitez
d'un Levier , partagé par le point fixe
mitoyen , en raison réciproque de leurs
pesanteurs. Toûjours pesant , toûjours faiSant effort pour se surmonter ou pour
rompre le Levier qui les arrête , ils sont
agitez d'un mouvement actuel de batrement ou de vibration qui fait leur force
actuelle et leur équilibre actuel.
Car cette force est égale de part et
d'autre
AVRIL 1732 678
d'autre, parce que le mouvement est égal.
Or, il est égal , parce qu'il est proportionné à la longueur des Leviers , tout
comme le mouvement sensible auquel
les Cartésiens ont recours et auquel il est,
je pense , démontré désormais qu'on n'a
nul besoin de recourir.
Tous les équilibres de l'Univers se font
par là , et il n'y a nul autre Principe Physique de tous les Méchanismes , soit naturels , soit artificiels. Toute puissance
appliquée à un Levier ou à toute autre
Machine , agit par les efforts qu'elle fait
à chaque instant , et tout effort agit par
secousses et par vibrations. Qu'on se rende tant soit peu attentif à l'effet de ses
propres mains et de ses bras , lorsqu'on
en fait , on y sentira , on y verra ces secousses et une espece de tremoussement ,
d'ébranlement vif et redoublé. J'avertirai même, en finissant, que lorsqu'on voudra se donner dans ce cas un peu plus
de force , on n'a qu'à donner à son bras,
à ses pieds , à son corps un pareil tremblement encore plus sensible et plus
prompt , cela aide tout- à- fait , et c'est la
Nature même qui nous indique ce secret,
qui est son secret.
du Principe des Machines. Par L.P.C.J.
Dpendus aux deux extrémitez d'un
Eux Corps égaux ou inégaux , susLevier , ou d'un Bâton ou d'une Barre de
fer , lequel Levier de fer ou de bois ap
puyé
-662 MERCURE DE FRANCE
puyé sur un Pivot aigu , fixe et inébranlable , qui partage sa longueur en raison
réciproque des deux poids ; ces deux Corps
sont en équilibre et restent en repos ; aucun des deux ne pouvant descendre
parce qu'aucun ne peut prévaloir à lautre , à cause de l'égalité absolue de leurs
forces relatives. Voilà le fait et tout l'état de la question présente.
Or cette égalité de forces relatives ,
fondée sur la réciprocité des Corps et de
leur distance du point fixe , Descartes et
les Cartesiens , l'établissent sur ce que ,
que?
si ces Corps venoient à se remuer , leurs
mouvemens seroient égaux , les espaces.
parcourus ou les vitesses compensant les
masses , parce que la disposition de la
Machine détermine à un mouvement circulaire, d'autant plus grand que le Rayon
est plus long
C'est là une raison mathématique, tout
à- fait géometrique et abstraite , et mềme de la plus basse espece , et de celles
qui convainquant l'esprit sans l'éclairer ,
sans même le persuader , s'appell nt des
Réductions à l'absurde. Car si vous alliez
prétendre que ces Corps. devroient se remuer , on calculeroit leur mouvement
et leur force , et les trouvant absolument
égaux, on concluroit qu'une force égale
à
AVRIL 1732. 603
2 donc prévalu à une force égale ; ce qui
est absurde.
Les Géometres peuvent donc s'en contenter comme d'une démonstration qui¨
constate le fait ; mais les Physiciens venlent et demandent depuis long-temps une
raison qui l'explique. Il est bien question en
effet de la force qu'auroient ces Corps s'ils
venoient à se remuer. Ils ne se remuënt
pas et sont pourtant en équilibre ; il s'agit
de la force qu'ils ont actuellement et à
tous les instans pour s'y maintenir.
Descartes n'avoit garde d'aller plus loin.
Il étoit naturel d'expliquer cet équilibre
par l'effort actuel que font à chaque instant ces deux Corps pour descendre et se
surmonter. Mais ce celebre Philosophe ne
connoissoit point d'effort au mouvement
qui fut un mouvement actuel ; lui pourtant, qui par tout ailleurs , expliquoit tout
parle mouvement. Il est vrai qu'ici même
il recouroitau mouvement, mais à un mou--
vement possible et sensible , comme si les
mouvemens primitifs de la Nature , et
tout ce qui s'appelle forces méchaniques
et efforts , ne consistoient pas essentiellement dans des mouvemens secrets et
très-insensibles.
Les yeux ne vont pas là ; mais la rai
son , ou du moins le raisonnement y va
et
664 MERCURE DE FRANCE
et nous apprend que tout Corps pesant
étant toujours pesant , soit qu'il tombe
soit qu'il soit arrêté , soit qu'il soit forcé
même de monter , tend toûjours et fait
toûjours effort pour tomber , et a par
consequent toûjours un mouvement secret qui le sollicite à la chute , un mouvement naissant et sans cesse renaissant
àcoups redoublez , qui ne demande qu'à
se développer et à se changer en un mouvement continu , et par là sensible vers
le centre.
J'ai démontré ce mouvement secret des
Corps pesans dans mon Traité de Physique, imprimé à Paris , chez Cailleau. Et
il m'a parû que cette Démonstration avoit
passé sans contradiction ; et que tous
ceux , au moins dont j'ai eu occasion de
connoître les sentimens , l'avoient adop
tée. Il est temps de porter cela un peu
plus loin.
On la confond trop , ce me semble ,
pesanteur avec la chute ; et l'idée des Aneiens qui croyoient les Elemens quittes.
er exempts de pesanteur dans ce qu'ils
appelloient leurs Spheres propres ; l'Eau ,
par exemple , dans la Mer , l'Air dans
l'Atmosphere ; cette idée ne me paroît
que trop regner encore dans les esprits.
Je dois donc remarquer que la pesanteur
AVRIL. 1732. 665
teur est la cause , et que la chute n'est
qu'un effet ; qu'un Corps tombe parce
qu'il est pesant; mais que lors même qu'il ne tombe pas , il est toûjours pesant , et
que dans aucun instant il ne cesse de l'ê
tre. C'est-là ce qu'il faut bien sentir.
En quelque temps que vous tâchiez à
soulever un Corps pesant , vous le trouvez pesant , il vous résiste de toute sa
force, et il vous faut toute la vôtre pour
en venir à bout. Portez- le quelque temps
entre vos bras ou sur vos épaules , peuà peu il vous devient tout à fait insupportable et vous force à lâcher prise. Si
vous le suspendez à un fil , à une corde,
dès le moment que vous tranchez le fil,
il tombe , il n'attend pas vos ordres pour
cela , il tire , il tiraille le fil ou la corde ,
et après en avoir surmonté peu à peu le
tissu et rompu en détail tous les fila
mens , il la rompt tout- à- fait et tombe lourdement.
S'il est posé sur la terre, avec le temps
il l'enfonce et s'y enterre ; et si tout d'un
coup vous sappez sous lui cette terre qui
le porte, tout du même coup il tombe
plus bas , et toûjours aussi bas qu'il le
peut. Si vous coupez cette terre en plan
incliné, de quelque côté que vous fassiez
la pente, il y roule et gagne l'endroit
le plus bas.
666 MERCURE DE FRANCE
L'Eau même la plus immobile et la
plus croupissante , va couler tout de suite
si vous lui ouvrez une rigole en pente
à côté de son Båssin. Toutes les Rivieres
coulent et la Mer même a des Courans
et des Goufres soûterrains qui l'appel
lent d'abîme en abîme vers le centre
de la terre. Il est vrai que les abîmes n'étant pas infinis , l'eau ne tombe toûjours
que parce qu'elle remonte aussi toûjours
par d'autres conduits soûterrains dans
les Sources d'où elle recommence à con
ler vers le centre. Mais c'est qu'il y a
dans le corps de la Terre , comme dans
nos corps,un Principe de circulation qui,
sans ôter à l'eau la pesanteur , l'entretient/
dans une perpetuelle mobilité. Tout cela
est établi dans le Traité déja cité.
L'Air même , qu'on ne s'y trompe pas,
ne demande qu'à couler et à tomber : à
mesure qu'on creuse dans la terre , il y
entre et remplit les plus petites excavations. Dès que l'eau ou tout autre corps
quitte une place, l'Air la prend aussi- tôt.
Nous sentons nous-mêmes assez le
poids des Corps toûjours subsistant , toû
jours agissant. Nos jambes se lassent de
nous porter. Notre col , nos épaules pliroient sous notre tête , si elle n'avoit ses
momens de repos. Et puis il faut bien- tôt
οὐ κ
1
AVRIL. -1732. 1 667
ou tard , que l'affaissement de nos membres devenant general , nous rentrions
dans la poussiere , d'où un soufle de vie
qui s'exhale , nous avoit fait sortir. Tout
le monde sçait tout cela , je le crois.
Tous les Corps font donc un effort et
ont une tendance continuelle vers le centre. Cette tendance étoit la qualité occulte de nos Anciens. Ils la concevoient
comme un appétit et presque comme une
volonté naturelle de se réunir à leur centre. Descartes a fort bien remarqué que
la matiere pure n'avoit point de ces
sortes d'appétits et de volontez. Mais cette
tendance et cet effort étant pourtant- quelque chose de réel et de toûjours subsistant , il auroit dû , en supprimant une
mauvaise façon de les expliquer , y sub2
stituer un mouvement secret et insensible , qui est la seule façon dont un Corps
peut tendre et faire effort. M. de Leibnis
y reconnoissoit uneforce morte.
Mais il n'y a point ici de mort , et l'effort que les Corps font pour regagner
leur centre , est toûjours , sinon vivant ,
du moins très- vif et très- animé , et mê
me très- sensible , au moins dans ses effats.
: J'ai expliqué cet effort méchanique
dans l'Ouvrage en question , et j'ai fair voir
68 MERCURE DE FRANCE
voir qu'il consistoit dans un mouvement
non continu , parce qu'il est empêché ;
mais continuel et sans cesse redoublé
de vibration , de battement , d'oscillation
qui est le vrai mouvement primigénie de
la pesanteur , et l'unique cause tout- àfait primitive de la chute des Corps qui ont la liberté de tomber.
Pour rendre même ce Principe plus
sensible , j'ai fait voir que c'étoit le Principe general de la Nature , l'agent primitif de tous les Méchanismes , et que.
tout se faisoit dans l'Univers par l'impression d'un mouvement secret de vibration , tous les Corps étant buttez les
uns contre les autres, et faisant des efforts
et des contr'efforts continuels , d'où résultoit l'équilibre general.
Descartes se bornoit trop à son Principe de simple impulsion , qui étoit pourtant un beau Principe ou un demi Principe. Car point d'impulsion sans Répulsion. A bien prendre même les choses ,
l'impulsion n'est qu'un Principe secondaire et un effet sensible , un Phénomene
de la Répulsion.
Cui , tout ce que j'appelle cause Physique , cffort méchanique , action naturelle , est dû à la répulsion , au repoussement , et consiste formellement dans.
8
un
AVRIL: 17320 669
peu
un mouvement de vibration, vif, prompt,
étendu et sans cesse redoublé.
Nous pouvons sans sortir de nous-mêmes , nous en appercevoir avec un peu
d'attention. Nous ne sçaurions rien pousser , non pas même notre corps , notre
bras , notre jambe en avant , si nous ne
repoussons en même-temps en arriere
quelque chose de fixe et d'immobile qui
nous repousse en avant.
Par exemple , en marchant , nous repoussons le terrain , et il faut que ce terrain soutienne le repoussement et nous
le rende pour que nous avancions. Un
sable mouvant qui nous cede en partie ,
une terre labourée nous épuisent bientôt. Un pavé glissant qui ne nous oppose aucune inégalité pour soutenir l'effort de nos pieds , nous laisse tomber.
Nous ne sçaurions marcher sur l'eau.
Je ne me lasse point d'inculquer ce
Principe , sans lequel je ne connois point
de vraye Physique. Un Oiseau qui vole
ne vole en avant qu'en repoussant l'Air
avec ses aîles en arriere. Celui qui nâge
repousse l'eau avec ses bras , la Rame re.
pousse aussi l'eau ou le terrain. Et le vent
qui fait voguer un Vaisseau , quoiqu'il
semble n'avoir qu'un simple mouvement
d'impulsion directe , doit dans son origine
670 MERCURE DE FRANCE
-
rigine , avoir un Principe de répulsion ,
un point d'appui fixe qui l'empêche de
rétrograder. Et c'est par là que je crois
être en état de démontrer que tous les
vents prennent leur origine dans l'interieur même de la Terre et dans la réaction même du centre , qui est comme un
ressort toûjours bandé qui se débande du
côté où il trouve le moins de résistance.
Cela soit dit en passant.
Voyez deux hommes d'égale force buttez l'un contre l'autre , et qui font effort.
pour se culbuter. On les voit , après s'ê→
tre roidis par les jambes contre le terrain , "
agitez de vibrations assez sensibles , se
pousser et se repousser , avancer et reculer , ceder et reprendre le dessus avec
une alternative , qui seule maintient l'équilibre.
Voilà l'état précis de deux Corps plaecz en équilibre aux deux extrémitez
d'un Levier , partagé par le point fixe
mitoyen , en raison réciproque de leurs
pesanteurs. Toûjours pesant , toûjours faiSant effort pour se surmonter ou pour
rompre le Levier qui les arrête , ils sont
agitez d'un mouvement actuel de batrement ou de vibration qui fait leur force
actuelle et leur équilibre actuel.
Car cette force est égale de part et
d'autre
AVRIL 1732 678
d'autre, parce que le mouvement est égal.
Or, il est égal , parce qu'il est proportionné à la longueur des Leviers , tout
comme le mouvement sensible auquel
les Cartésiens ont recours et auquel il est,
je pense , démontré désormais qu'on n'a
nul besoin de recourir.
Tous les équilibres de l'Univers se font
par là , et il n'y a nul autre Principe Physique de tous les Méchanismes , soit naturels , soit artificiels. Toute puissance
appliquée à un Levier ou à toute autre
Machine , agit par les efforts qu'elle fait
à chaque instant , et tout effort agit par
secousses et par vibrations. Qu'on se rende tant soit peu attentif à l'effet de ses
propres mains et de ses bras , lorsqu'on
en fait , on y sentira , on y verra ces secousses et une espece de tremoussement ,
d'ébranlement vif et redoublé. J'avertirai même, en finissant, que lorsqu'on voudra se donner dans ce cas un peu plus
de force , on n'a qu'à donner à son bras,
à ses pieds , à son corps un pareil tremblement encore plus sensible et plus
prompt , cela aide tout- à- fait , et c'est la
Nature même qui nous indique ce secret,
qui est son secret.
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Résumé : EXPLICATION Physico-Mathematique du Principe des Machines. Par L.P.C.J.
Le texte 'Explication Physico-Mathematique du Principe des Machines' traite du principe de l'équilibre des corps sur un levier. Lorsque deux corps, égaux ou inégaux, sont suspendus aux extrémités d'un levier appuyé sur un pivot fixe, ils sont en équilibre lorsque leurs forces relatives sont égales. Cette égalité repose sur la réciprocité des corps et de leur distance par rapport au point fixe. Les Cartésiens expliquent cet équilibre par des raisons mathématiques et géométriques, affirmant que si les corps se mettaient en mouvement, leurs mouvements seraient égaux, les espaces parcourus ou les vitesses compensant les masses. Cependant, les physiciens recherchent une explication plus profonde de la force actuelle des corps en équilibre. L'auteur critique Descartes pour ne pas avoir expliqué l'équilibre par l'effort actuel des corps. Il introduit l'idée d'un mouvement secret et insensible des corps pesants, qui tendent toujours à tomber, même lorsqu'ils sont arrêtés. Ce mouvement secret est décrit comme un effort continu et redoublé, essentiel pour maintenir l'équilibre. L'auteur distingue la pesanteur, cause de la chute, de la chute elle-même, qui en est l'effet. Il illustre cette tendance des corps à tomber par divers exemples, comme l'eau qui coule ou l'air qui remplit les espaces vides. Il conclut que tous les corps font un effort continu vers le centre, effort qui est la cause de l'équilibre. L'auteur critique également Descartes pour avoir négligé ce mouvement secret et insensible, et propose que l'impulsion est un effet secondaire de la répulsion. Il illustre ce principe par divers exemples, comme la marche, la nage ou le vol des oiseaux, montrant que tout mouvement implique une réaction de repoussement. Enfin, l'auteur affirme que l'équilibre des corps sur un levier est maintenu par des vibrations et des secousses, et que cette force est égale de part et d'autre car le mouvement est proportionné à la longueur des leviers. Il conclut que tous les équilibres de l'Univers se font par ces efforts continus et redoublés.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 2599-2605
EXTRAIT du Memoire de M. Pitot, contenant la Description d'une Machine pour mesurer la vitesse des Eaux courantes, et le chemin ou le sillage des Vaisseaux; lû à la Rentrée publique de l'Académie Royale des Sciences, le lendemain de la S. Martin, 12. Novembre 1732.
Début :
Mr Pitot commence son Memoire par quelques Refléxions sur les ravages [...]
Mots clefs :
Vitesse, Machine, Eaux , Académie royale des sciences, Force, Courant, Navigation, Tube, Hydrauliques, Vaisseaux
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT du Memoire de M. Pitot, contenant la Description d'une Machine pour mesurer la vitesse des Eaux courantes, et le chemin ou le sillage des Vaisseaux; lû à la Rentrée publique de l'Académie Royale des Sciences, le lendemain de la S. Martin, 12. Novembre 1732.
EXTRAITdu Memoire de M.Pitot ,
contenant la Description d'une Machine
pour mesurer la vitesse des Eaux courantes , et le chemin ou le sillage des
Vaisseaux ; lû à la Rentrée publique de l'Académie Royale des Sciences , le
lendemain de la S. Martin , 12. Novembre 1732.
Pitot commence son Memoire
Mpar quelques Reflexions sur les ravages que causent la plupart des Fleuves et des Rivieres , par leurs changemens de lit et leurs débordemens. Que
pour construire utilement des Ouvrages
capables de prévenir ces désordres , comme des Levées , des Digues , des Jettées ,
il est important de connoître le degré
de force ou de vitesse du courant de l'eau,
de voir l'endroit du Fleuve où le courant
est le plus rapide , et de déterminer la direction du fil de l'eau. Il y a un grand
nombre d'autres occasions ( ajoûte M. Pitot ) où l'on a besoin de connoître la
1. Vala DY vitesse
2600 MERCURE DE FRANCE
vitesse des eaux des Rivieres , des Aque
ducs , des Ruisseaux , des Fontaines , soit
par la mesure de la jauge des mêmes
eaux, ce qui arrive fort souvent pour des
Projets de Canaux de Navigation , soit
pour connoître la force des eaux sur les
roues de Moulin ou de toute autre Machine muë par des courans d'eau, et connoître leurs effets ou leur produit ; soit
enfin pour déterminer l'endroit le plus
avantageux d'une Riviere pour placer ces
mêmes Machines.
M. Pitor explique ensuite la Methode
dont on s'est servi jusqu'à present pour
mesurer la vitesse des eaux courantes , et
expose les inconveniens de cette Méthode , dont les plus considerables sont de
ne pouvoir pas connoître la vitesse de
l'eau dans les endroits où il importe le
plus de la connoître , comme à l'entrée
ou à la sortie d'une Arche de Pont , &c.
La question de sçavoir si la vitesse des
caux vers le fond des Rivieres , est plus
grande ou plus petite qu'à leurs surfaces,
est curieuse et a souvent partagé les sentimens des Sçavans ; car suivant les loix
des Hydroliques , la vitesse des eaux vers
le fond doit être plus grande qu'à la surface; mais d'un autre côté les frottemens
des eaux contre le fond et les bords des
J. Vol Rivieres
DECEMBRE. 1732 2601
Rivieres , sont si considerables , que suivant les Démonstrations de M. Pitot , sans
les frottemens , la vitesse des eaux des
Fleuves seroit vingt ou trente fois plus
grande qu'elle n'est réellement. Ainsi
sans les frottemens , presque toutes les
eaux courantes seroient des Torrens affreux dont on ne tireroit aucun avan
tage.
au
Toutes ces questions également utiles
et curieuses , peuvent être éclaircies sur
le champ avec une grande facilité ,
moyen de l'Instrument proposé par M.Pitot; l'opération en est aussi simple que
celle de plonger un bâton dans l'eau et de
le retirer. Par cette Machine , ajoûte l'Académicien , on mesurera la juste quan
tité de la vitesse des eaux à telle profondeur qu'on voudra , et cela aussi aisément qu'à leur surface. On mesurera aussi
la vitesse de l'eau à l'entrée et à la sortie
des Arches de Pont , et il sera toûjours
aisé de trouver l'endroit du courant où
elle est la plus grande.
Cette Machine est très simple , M. Pitot la construit de deux façons ; la premiere consiste à un Tube de verre recourbé par un bout en entonnoir , ce Tube est log: dans une rénure faite à une
tringle de bois , taillée en prisme trianJ₂ Vola Dvj gulaire
4602 MERCURE DE FRANCE
gulaire. Les vitesses sont marquées en
pieds par seconde de temps , sur une
regle de cuivre qu'on peut arrêter le long
de la tringle ; à la seconde Machine , il
y a deux Tubes de verre , dont l'un n'est
pas recourbé et sért pour marquer le niveau de l'eau. Mais pour donner une description exacte et complette de ces Machines , il faudroit joindre ici des figures
et entrer dans des détails que nous renvoyons au Mémoire de l'Auteur.
Après la Description de la Machine et
'des moyens de s'en servir pour les eaux
coutantes , M. Pitot rapporte plusieurs
Experiences qu'il a faites sur les Ponts
de Paris , et dans plusieurs autres endroits de la Seine , où il a pris la vitesse
des eaux , tant à leurs surfaces que dans
le fond. Un des principaux résultats de
ces Experiences est qu'en general la vi--
tesse des eaux va en diminuant vers le
fond , sur tout aux endroits où elle est
le plus rapide vers la surface , il se trouve
aussi dans quelques endroits des mouvemens d'eau en tourbillon qui sont cachez¸
pour ainsi-dire , dans l'interieur des eaux,
mais que la Machine fait découvrir aisé
ment.
M. Pitot ajoûte encore à l'usage de sa
Machine , qu'on pourra faire plusieurs
LeVol. autres
་ DECEMBRE. 1732: 2603
·
autres Observations sur les eaux courant
res , utiles et curieuses , pour connoître
par exemple , la vitesse moyenne du total
des eaux d'une Riviere. Pour sçavoir si
les augmentations de vitesse sont proportionnelles aux accroissemens des eaux
ou dans quel rapport , pour voir quelle
est la relation entre les volumes d'eau es
la quantité des frottemens , &c. De-là
M. Pitot passe à la démonstration de l'effet de la Machine , il fait voir que cet
effet n'est qu'une application très-simple
du principe ou de la loi fondamentale
des Hydrauliques et du mouvement des
eaux ; application dont vrai-semblablement personne ne s'étoit encore avisé
elle est même très heureuse pour avoir
de justes déterminations. Car les vitesses
des eaux sont mesurées à cette Machine
par les élevations ou ascensions de l'eau,
et par le principe , les élevations de l'eau
sont comme les quarres des vitesses , une
vitesse double donne une hauteur quadruple ; une vitesse triple donne une hauteur neuffois plus grande ; ainsi le moindre changement de vitesse se fait connoître sur la Machine, par des differences très-sensibles. Après les Démonstrations de l'effet de la Machine , M. Pitot
donne les regles pour avoir les vitesses
1. Vol des
2604 MERCURE DE FRANCE
des eaux courantes en pieds et pouces par
seconde de temps relative aux élevations
de l'eau , et il a joint une Tablede toutes
les vitesses en pieds et pouces , correspon
dantes aux élevations de l'eau de pouces
en pouces et même de ligne en ligne.
Mais l'application la plus importante
et la plus utile que M. Pitot prétend qu'on
peut tirer de cette découverte , c'est la
connoissance et la mesure du chemin ou
du sillage des Vaisseaux ; ' il espere que
les Officiers de Marine et les Pilotes ,--les
plus obstinez à ne pas recevoir des nouveautez , seront forcez de convenir qu'on
n'a rien fait jusques à present , de plus
sûr et de plus commode pour mesurer
exactement la vitesse des Vaisseaux. Mais
il n'a point encore déterminé la meil
lure façon de placer sa Machine sur le
Vaisseau , elle ne consistera qu'en deux
petits tuyaux fixes , à l'un desquels on
verra le chemin du Vaisseau en toises par
minutes et par heures , comme l'on voit
les dégrez de chaleur à un Thermometre.
Enfin , M. Fitor finit son Memoire en
rapportant quelques Experiences qui ont
rapport au Sillage des Vaisseaux , ayant
remonté la Riviere sur un petit Bateau
à la voile par un ass z grand vent et
mesuré avec sa Machine le chemin du.
MI.Vol Batcaus
DECEMBRE. 1732. 2605
Bateau ; il assure que ces Experiences
lui ont réussi au- delà de son attente , les
mouvemens du Bateau causez par degrosses vagues , ne causent aucuns obstacles
à l'effet de la Machine , et il est convaincu qu'il n'y aura rien à craindre
non plus de la part des Roulis et du Tangage des Vaisseaux , ce qui´est extréme
ment avantageux.
contenant la Description d'une Machine
pour mesurer la vitesse des Eaux courantes , et le chemin ou le sillage des
Vaisseaux ; lû à la Rentrée publique de l'Académie Royale des Sciences , le
lendemain de la S. Martin , 12. Novembre 1732.
Pitot commence son Memoire
Mpar quelques Reflexions sur les ravages que causent la plupart des Fleuves et des Rivieres , par leurs changemens de lit et leurs débordemens. Que
pour construire utilement des Ouvrages
capables de prévenir ces désordres , comme des Levées , des Digues , des Jettées ,
il est important de connoître le degré
de force ou de vitesse du courant de l'eau,
de voir l'endroit du Fleuve où le courant
est le plus rapide , et de déterminer la direction du fil de l'eau. Il y a un grand
nombre d'autres occasions ( ajoûte M. Pitot ) où l'on a besoin de connoître la
1. Vala DY vitesse
2600 MERCURE DE FRANCE
vitesse des eaux des Rivieres , des Aque
ducs , des Ruisseaux , des Fontaines , soit
par la mesure de la jauge des mêmes
eaux, ce qui arrive fort souvent pour des
Projets de Canaux de Navigation , soit
pour connoître la force des eaux sur les
roues de Moulin ou de toute autre Machine muë par des courans d'eau, et connoître leurs effets ou leur produit ; soit
enfin pour déterminer l'endroit le plus
avantageux d'une Riviere pour placer ces
mêmes Machines.
M. Pitor explique ensuite la Methode
dont on s'est servi jusqu'à present pour
mesurer la vitesse des eaux courantes , et
expose les inconveniens de cette Méthode , dont les plus considerables sont de
ne pouvoir pas connoître la vitesse de
l'eau dans les endroits où il importe le
plus de la connoître , comme à l'entrée
ou à la sortie d'une Arche de Pont , &c.
La question de sçavoir si la vitesse des
caux vers le fond des Rivieres , est plus
grande ou plus petite qu'à leurs surfaces,
est curieuse et a souvent partagé les sentimens des Sçavans ; car suivant les loix
des Hydroliques , la vitesse des eaux vers
le fond doit être plus grande qu'à la surface; mais d'un autre côté les frottemens
des eaux contre le fond et les bords des
J. Vol Rivieres
DECEMBRE. 1732 2601
Rivieres , sont si considerables , que suivant les Démonstrations de M. Pitot , sans
les frottemens , la vitesse des eaux des
Fleuves seroit vingt ou trente fois plus
grande qu'elle n'est réellement. Ainsi
sans les frottemens , presque toutes les
eaux courantes seroient des Torrens affreux dont on ne tireroit aucun avan
tage.
au
Toutes ces questions également utiles
et curieuses , peuvent être éclaircies sur
le champ avec une grande facilité ,
moyen de l'Instrument proposé par M.Pitot; l'opération en est aussi simple que
celle de plonger un bâton dans l'eau et de
le retirer. Par cette Machine , ajoûte l'Académicien , on mesurera la juste quan
tité de la vitesse des eaux à telle profondeur qu'on voudra , et cela aussi aisément qu'à leur surface. On mesurera aussi
la vitesse de l'eau à l'entrée et à la sortie
des Arches de Pont , et il sera toûjours
aisé de trouver l'endroit du courant où
elle est la plus grande.
Cette Machine est très simple , M. Pitot la construit de deux façons ; la premiere consiste à un Tube de verre recourbé par un bout en entonnoir , ce Tube est log: dans une rénure faite à une
tringle de bois , taillée en prisme trianJ₂ Vola Dvj gulaire
4602 MERCURE DE FRANCE
gulaire. Les vitesses sont marquées en
pieds par seconde de temps , sur une
regle de cuivre qu'on peut arrêter le long
de la tringle ; à la seconde Machine , il
y a deux Tubes de verre , dont l'un n'est
pas recourbé et sért pour marquer le niveau de l'eau. Mais pour donner une description exacte et complette de ces Machines , il faudroit joindre ici des figures
et entrer dans des détails que nous renvoyons au Mémoire de l'Auteur.
Après la Description de la Machine et
'des moyens de s'en servir pour les eaux
coutantes , M. Pitot rapporte plusieurs
Experiences qu'il a faites sur les Ponts
de Paris , et dans plusieurs autres endroits de la Seine , où il a pris la vitesse
des eaux , tant à leurs surfaces que dans
le fond. Un des principaux résultats de
ces Experiences est qu'en general la vi--
tesse des eaux va en diminuant vers le
fond , sur tout aux endroits où elle est
le plus rapide vers la surface , il se trouve
aussi dans quelques endroits des mouvemens d'eau en tourbillon qui sont cachez¸
pour ainsi-dire , dans l'interieur des eaux,
mais que la Machine fait découvrir aisé
ment.
M. Pitot ajoûte encore à l'usage de sa
Machine , qu'on pourra faire plusieurs
LeVol. autres
་ DECEMBRE. 1732: 2603
·
autres Observations sur les eaux courant
res , utiles et curieuses , pour connoître
par exemple , la vitesse moyenne du total
des eaux d'une Riviere. Pour sçavoir si
les augmentations de vitesse sont proportionnelles aux accroissemens des eaux
ou dans quel rapport , pour voir quelle
est la relation entre les volumes d'eau es
la quantité des frottemens , &c. De-là
M. Pitot passe à la démonstration de l'effet de la Machine , il fait voir que cet
effet n'est qu'une application très-simple
du principe ou de la loi fondamentale
des Hydrauliques et du mouvement des
eaux ; application dont vrai-semblablement personne ne s'étoit encore avisé
elle est même très heureuse pour avoir
de justes déterminations. Car les vitesses
des eaux sont mesurées à cette Machine
par les élevations ou ascensions de l'eau,
et par le principe , les élevations de l'eau
sont comme les quarres des vitesses , une
vitesse double donne une hauteur quadruple ; une vitesse triple donne une hauteur neuffois plus grande ; ainsi le moindre changement de vitesse se fait connoître sur la Machine, par des differences très-sensibles. Après les Démonstrations de l'effet de la Machine , M. Pitot
donne les regles pour avoir les vitesses
1. Vol des
2604 MERCURE DE FRANCE
des eaux courantes en pieds et pouces par
seconde de temps relative aux élevations
de l'eau , et il a joint une Tablede toutes
les vitesses en pieds et pouces , correspon
dantes aux élevations de l'eau de pouces
en pouces et même de ligne en ligne.
Mais l'application la plus importante
et la plus utile que M. Pitot prétend qu'on
peut tirer de cette découverte , c'est la
connoissance et la mesure du chemin ou
du sillage des Vaisseaux ; ' il espere que
les Officiers de Marine et les Pilotes ,--les
plus obstinez à ne pas recevoir des nouveautez , seront forcez de convenir qu'on
n'a rien fait jusques à present , de plus
sûr et de plus commode pour mesurer
exactement la vitesse des Vaisseaux. Mais
il n'a point encore déterminé la meil
lure façon de placer sa Machine sur le
Vaisseau , elle ne consistera qu'en deux
petits tuyaux fixes , à l'un desquels on
verra le chemin du Vaisseau en toises par
minutes et par heures , comme l'on voit
les dégrez de chaleur à un Thermometre.
Enfin , M. Fitor finit son Memoire en
rapportant quelques Experiences qui ont
rapport au Sillage des Vaisseaux , ayant
remonté la Riviere sur un petit Bateau
à la voile par un ass z grand vent et
mesuré avec sa Machine le chemin du.
MI.Vol Batcaus
DECEMBRE. 1732. 2605
Bateau ; il assure que ces Experiences
lui ont réussi au- delà de son attente , les
mouvemens du Bateau causez par degrosses vagues , ne causent aucuns obstacles
à l'effet de la Machine , et il est convaincu qu'il n'y aura rien à craindre
non plus de la part des Roulis et du Tangage des Vaisseaux , ce qui´est extréme
ment avantageux.
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Résumé : EXTRAIT du Memoire de M. Pitot, contenant la Description d'une Machine pour mesurer la vitesse des Eaux courantes, et le chemin ou le sillage des Vaisseaux; lû à la Rentrée publique de l'Académie Royale des Sciences, le lendemain de la S. Martin, 12. Novembre 1732.
Le mémoire de M. Pitot, présenté à l'Académie Royale des Sciences le 12 novembre 1732, introduit une machine destinée à mesurer la vitesse des eaux courantes et le sillage des vaisseaux. Pitot met en avant les dommages causés par les fleuves et rivières en raison de leurs changements de lit et de leurs débordements, soulignant l'importance de connaître la vitesse du courant pour construire des ouvrages de prévention tels que des levées, des digues et des jetées. Pitot identifie plusieurs situations nécessitant la mesure de la vitesse des eaux, comme la jauge des eaux pour des projets de canaux, l'évaluation de la force des eaux sur les roues de moulin, ou la détermination des emplacements optimaux pour des machines hydrauliques. Il critique les méthodes existantes, notant qu'elles ne permettent pas de mesurer la vitesse dans des endroits critiques, comme à l'entrée ou à la sortie d'une arche de pont. Il aborde également la controverse sur la vitesse des eaux au fond des rivières par rapport à leur surface, en tenant compte des lois hydroliques et des frottements. La machine proposée par Pitot permet de mesurer la vitesse des eaux à différentes profondeurs et dans des endroits spécifiques, comme les arches de pont. Elle est composée de tubes de verre et de règles graduées. Pitot décrit plusieurs expériences réalisées sur la Seine, montrant que la vitesse des eaux diminue généralement vers le fond. Il mentionne également l'application de sa machine pour mesurer le sillage des vaisseaux, espérant que les officiers de marine reconnaîtront son utilité. Pitot conclut en rapportant des expériences réussies sur le sillage des bateaux, affirmant que les mouvements causés par les vagues n'affectent pas l'efficacité de la machine.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 2817-2822
OBSERVATION sur l'impossibilité du Mouvement perpetuel.
Début :
Pour produire un Mouvement perptuel il faut une force infinie. [...]
Mots clefs :
Mouvement perpétuel, Force, Machines, Pendule, Action, Expérience, Horloge, Poids, Conserver , Principes des mécaniques
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texteReconnaissance textuelle : OBSERVATION sur l'impossibilité du Mouvement perpetuel.
OBSERVATION sur l'impossibilité
du Mouvement perpetuel.
Our produire um Mouvement perpetuel Poil faut une force infinie.
Je prouverai cette proposition après
avoir marqué quelques suppositions que
je crois nécessaires à mon sujet.
Je suppose , 1. que pour construire un
II. Vol.
Mou.
2818 MERCURE DE FRANCE
>
Mouvement perpetuel , selon l'idée que
tout le monde en a on ne peut se servir des Elemens que dans une action
qu'on leur donne , et non pas dans celle
qu'ils ont naturellement ; par exemple ,
qui mettroit une roüe sur un Fleuve , ou
une voile au vent , n'auroit pas trouvé
pour cela le Mouvement perpetuel ; il faut que ce mouvement vienne de l'industrie des hommes et non pas de la
nature des choses. On voit par là que
le feu n'est pas propre à ce sujet , parce
qu'il exige toûjours une nouvelle maticre à consumer. La Terre n'y peut servir tout au plus que pour soutenir les Machines que l'on pourroit faire à cette
occasion ; il ne reste donc que les corps
solides inanimez , l'eau et l'air , dont il
faut encore exclure les eaux courantes
et les Vents.
2°. Que dans toutes les Machines qu'on
pourroit faire pour conserver le Mouvement , il faut nécessairement qu'une partie fasse mouvoir l'autre , commele Tambour fait mouvoir lePendule, et l'eau chasse l'air d'un Scyphon , &c. car autrement
si aucune partie ne poussoit l'autre , ou
il n'y auroit aucun Mouvement , ou chacune agiroit par sa propre force , et alors
ce Mouvement ne tireroit pas son prin
cipe de l'industrie des hommes.
DECEMBRE. 1732. 2819
39. Que tous les corps tendent naturellement au centre de la terre , et que
pour qu'un corps en puisse éloigner un autre , il faut que celui-là contienne une
plus grande force que celui- ci, parce qu'il
lui faut la force d'élever l'autre et de s'élever lui-même , d'où je conclus qu'on ne
trouvera jamais le Mouvement perpetuel
par deux corps qui agissent réciproquement l'un contre l'autre.
non que
4°. Que force perpetuelle et force infinie , sont une même chose ; car quelle
idée avons- nous d'une force infinie , sic'est une force qui souffrant sans
cesse une dissipation et un écoulement
d'une portion d'elle-même , ne peut ccpendant jamais être epuisée ? mais cette
même idée ne convient- elle pas à la force
perpetuelle , puisque nous comprenons
que dans tous les siecles des siecles avenir on ne sçauroit jamais l'épuiser ?
5°. Que qui dit Mouvement , dit action , donc , qui dit Mouvement perpetuel , dit action perp tuelle.
6°. Que qui dit action' , dit force , donc
qui dit action perpetuelle , dit force perpetuelle ou infinie ; car ce n'est qu'une
même chose. Je vais prouver maintenant que pour construire une Machine dont
quelque partie soit ou puisse être dans
II. Vol.
1820 MERCURE DE FRANCE
un Mouvement perpetuel , il faut qu'elle
renferme une force perpetuelle ou infinie.
Pour produire , dans quelque genre que
ce soit , un Mouvement d'une minute , il
faut un certain degré de force , et pour
en produire un de deux minutes , ou pour
conserver le premier dans la seconde minute , il faut deux degrez de force , ou
une force d'un degré de force renouvellée. Pour un Mouvement de quinze minutes , il faut quinze degrez de force ;
donc pour conserver un Mouvement pen
dant une infinité de minutes , il faudra
une infinité de degrez de force , ou une
force infinie.
L'experience est parfaitement conforme à ce que je viens d'avancer. Ayez une
Horloge à poids , laquelle étant posée à
une certaine hauteur et tirée par un juste
poids de 8. livres , puisse conserver son
Mouvement pendant 24. heures ; si vous
voulez gagner du temps et faire que de
la même hauteur le poids reste deux jours
à descendre , la chose n'est pas difficile ,
et on le peut en trois manieres ; sçavoir ,
en ajoutant une roue moyenne , ou en
allongeant la Verge de Pendule , ou enfin en ajoûtant une ou plusieurs poulies;
mais de quelque biais que vous vous y
preniez , pourvû que vous conserviez
II. Vol. toûjours
DECEMBR E. 1732. 2820
toujours la même Lentille qui est au bout
du Pendule , vous ne ferez jamais mar
cher votre Horloge deux jours , que vous
ne doubliez le poids , et si vous voulez
qu'elle aille 8. jours , il vous faudra de
toute necessité au moins 64. livres pesant;
d'où je conclus que la force doit toujours être proportionnée à la durée du
Mouvement, et que si le Mouvement doit
durer toujours, la force doitagir toujours.
Elle ne le peut si elle n'est ou infinic ou
renouvellée , et ce dernier mot est opposé
à l'idée du Mouvement perpetuel.
l'on
Il est encore certain que si jamais le
Mouvement perpetuel pouvoit se trouver,
ce seroit toujours suivant les principes
des Méchaniques , c'est-à-dire , en employant la force contre la force ; or le
principe universel des Méchaniques ,
prouve également l'impossibilité du Mouvement perpetuel , le voici : ce que
gagne en temps et en espace ,
on le
perd en force et ce que l'on gagne en
force on le perd en temps et en espace :
expliquons ce principe dans le cas de
l'Horloge , et nous tirerons ensuite une
conséquence toute naturelle. Votre Horloge n'alloit qu'un jour et elle en va 8.
vous avez gagné 7. jours de temps , mais
vous avez perdu en force 7. fois la pe- 11. Vol. santeur
2822 MERCURE DE FRANCE
santeur du premier poids , puisqu'au liett
de 8 livres pesant , il en faut 64. De ce
principe je conclus que celui qui voudra
gagner infiniment en temps , perdra infiniment en force , et que le Mouvement
perpetuel ne peut être l'effet que d'une
force infinie ; il est donc absolument impossible , puisque tous les hommes ensemble ne sont pas capables de former
une force infinie.
D'ailleurs les vaines recherches qu'en
ont faites jusques ici tant de personnes
sçavantes , forment une preuve morale
de son impossibilité ; les differens moyens
d'y parvenir qu'on a souvent proposez
et qui ont disparu d'abord après , autorisent mon opinion , et j'ose ici prédire à
tous ceux qui travailleront à le cherher ,
qu'ils perdront immanquablement les uns
leur temps et les autres leur réputation ,
s'ils hazardent sur cette matiere de donner un jour quelque chose au Public, Si
quelqu'un vouloit faire l'honneur de proposer quelque difficulté à l'Auteur de
ces Refléxions il ose promettre d'y
répondre. Il fait son séjour à Villeneuvskez- Avignon. Le 21 Août 1732.
›
B. L. S.
du Mouvement perpetuel.
Our produire um Mouvement perpetuel Poil faut une force infinie.
Je prouverai cette proposition après
avoir marqué quelques suppositions que
je crois nécessaires à mon sujet.
Je suppose , 1. que pour construire un
II. Vol.
Mou.
2818 MERCURE DE FRANCE
>
Mouvement perpetuel , selon l'idée que
tout le monde en a on ne peut se servir des Elemens que dans une action
qu'on leur donne , et non pas dans celle
qu'ils ont naturellement ; par exemple ,
qui mettroit une roüe sur un Fleuve , ou
une voile au vent , n'auroit pas trouvé
pour cela le Mouvement perpetuel ; il faut que ce mouvement vienne de l'industrie des hommes et non pas de la
nature des choses. On voit par là que
le feu n'est pas propre à ce sujet , parce
qu'il exige toûjours une nouvelle maticre à consumer. La Terre n'y peut servir tout au plus que pour soutenir les Machines que l'on pourroit faire à cette
occasion ; il ne reste donc que les corps
solides inanimez , l'eau et l'air , dont il
faut encore exclure les eaux courantes
et les Vents.
2°. Que dans toutes les Machines qu'on
pourroit faire pour conserver le Mouvement , il faut nécessairement qu'une partie fasse mouvoir l'autre , commele Tambour fait mouvoir lePendule, et l'eau chasse l'air d'un Scyphon , &c. car autrement
si aucune partie ne poussoit l'autre , ou
il n'y auroit aucun Mouvement , ou chacune agiroit par sa propre force , et alors
ce Mouvement ne tireroit pas son prin
cipe de l'industrie des hommes.
DECEMBRE. 1732. 2819
39. Que tous les corps tendent naturellement au centre de la terre , et que
pour qu'un corps en puisse éloigner un autre , il faut que celui-là contienne une
plus grande force que celui- ci, parce qu'il
lui faut la force d'élever l'autre et de s'élever lui-même , d'où je conclus qu'on ne
trouvera jamais le Mouvement perpetuel
par deux corps qui agissent réciproquement l'un contre l'autre.
non que
4°. Que force perpetuelle et force infinie , sont une même chose ; car quelle
idée avons- nous d'une force infinie , sic'est une force qui souffrant sans
cesse une dissipation et un écoulement
d'une portion d'elle-même , ne peut ccpendant jamais être epuisée ? mais cette
même idée ne convient- elle pas à la force
perpetuelle , puisque nous comprenons
que dans tous les siecles des siecles avenir on ne sçauroit jamais l'épuiser ?
5°. Que qui dit Mouvement , dit action , donc , qui dit Mouvement perpetuel , dit action perp tuelle.
6°. Que qui dit action' , dit force , donc
qui dit action perpetuelle , dit force perpetuelle ou infinie ; car ce n'est qu'une
même chose. Je vais prouver maintenant que pour construire une Machine dont
quelque partie soit ou puisse être dans
II. Vol.
1820 MERCURE DE FRANCE
un Mouvement perpetuel , il faut qu'elle
renferme une force perpetuelle ou infinie.
Pour produire , dans quelque genre que
ce soit , un Mouvement d'une minute , il
faut un certain degré de force , et pour
en produire un de deux minutes , ou pour
conserver le premier dans la seconde minute , il faut deux degrez de force , ou
une force d'un degré de force renouvellée. Pour un Mouvement de quinze minutes , il faut quinze degrez de force ;
donc pour conserver un Mouvement pen
dant une infinité de minutes , il faudra
une infinité de degrez de force , ou une
force infinie.
L'experience est parfaitement conforme à ce que je viens d'avancer. Ayez une
Horloge à poids , laquelle étant posée à
une certaine hauteur et tirée par un juste
poids de 8. livres , puisse conserver son
Mouvement pendant 24. heures ; si vous
voulez gagner du temps et faire que de
la même hauteur le poids reste deux jours
à descendre , la chose n'est pas difficile ,
et on le peut en trois manieres ; sçavoir ,
en ajoutant une roue moyenne , ou en
allongeant la Verge de Pendule , ou enfin en ajoûtant une ou plusieurs poulies;
mais de quelque biais que vous vous y
preniez , pourvû que vous conserviez
II. Vol. toûjours
DECEMBR E. 1732. 2820
toujours la même Lentille qui est au bout
du Pendule , vous ne ferez jamais mar
cher votre Horloge deux jours , que vous
ne doubliez le poids , et si vous voulez
qu'elle aille 8. jours , il vous faudra de
toute necessité au moins 64. livres pesant;
d'où je conclus que la force doit toujours être proportionnée à la durée du
Mouvement, et que si le Mouvement doit
durer toujours, la force doitagir toujours.
Elle ne le peut si elle n'est ou infinic ou
renouvellée , et ce dernier mot est opposé
à l'idée du Mouvement perpetuel.
l'on
Il est encore certain que si jamais le
Mouvement perpetuel pouvoit se trouver,
ce seroit toujours suivant les principes
des Méchaniques , c'est-à-dire , en employant la force contre la force ; or le
principe universel des Méchaniques ,
prouve également l'impossibilité du Mouvement perpetuel , le voici : ce que
gagne en temps et en espace ,
on le
perd en force et ce que l'on gagne en
force on le perd en temps et en espace :
expliquons ce principe dans le cas de
l'Horloge , et nous tirerons ensuite une
conséquence toute naturelle. Votre Horloge n'alloit qu'un jour et elle en va 8.
vous avez gagné 7. jours de temps , mais
vous avez perdu en force 7. fois la pe- 11. Vol. santeur
2822 MERCURE DE FRANCE
santeur du premier poids , puisqu'au liett
de 8 livres pesant , il en faut 64. De ce
principe je conclus que celui qui voudra
gagner infiniment en temps , perdra infiniment en force , et que le Mouvement
perpetuel ne peut être l'effet que d'une
force infinie ; il est donc absolument impossible , puisque tous les hommes ensemble ne sont pas capables de former
une force infinie.
D'ailleurs les vaines recherches qu'en
ont faites jusques ici tant de personnes
sçavantes , forment une preuve morale
de son impossibilité ; les differens moyens
d'y parvenir qu'on a souvent proposez
et qui ont disparu d'abord après , autorisent mon opinion , et j'ose ici prédire à
tous ceux qui travailleront à le cherher ,
qu'ils perdront immanquablement les uns
leur temps et les autres leur réputation ,
s'ils hazardent sur cette matiere de donner un jour quelque chose au Public, Si
quelqu'un vouloit faire l'honneur de proposer quelque difficulté à l'Auteur de
ces Refléxions il ose promettre d'y
répondre. Il fait son séjour à Villeneuvskez- Avignon. Le 21 Août 1732.
›
B. L. S.
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Résumé : OBSERVATION sur l'impossibilité du Mouvement perpetuel.
Le texte traite de l'impossibilité du mouvement perpétuel. L'auteur affirme que la création d'un tel mouvement requiert une force infinie. Pour appuyer cette thèse, il présente plusieurs arguments. Premièrement, il souligne que la réalisation d'un mouvement perpétuel dépend de l'ingéniosité humaine plutôt que des forces naturelles des éléments. Deuxièmement, dans toute machine conçue pour maintenir un mouvement, une partie doit en actionner une autre. Troisièmement, tous les corps tendent naturellement vers le centre de la Terre, rendant impossible un mouvement perpétuel basé sur l'action réciproque de deux corps. Quatrièmement, une force perpétuelle est équivalente à une force infinie, car elle ne peut jamais être épuisée. Cinquièmement, un mouvement perpétuel implique une action perpétuelle, donc une force perpétuelle ou infinie. Enfin, pour maintenir un mouvement perpétuel, il faut une force infinie, car la durée du mouvement est proportionnelle à la force nécessaire. L'auteur utilise l'exemple d'une horloge à poids pour illustrer son propos. Il montre que pour prolonger la durée du mouvement de l'horloge, il est nécessaire d'augmenter la force appliquée. Il conclut que le mouvement perpétuel est impossible car il nécessiterait une force infinie, que les humains ne peuvent pas produire. Les recherches infructueuses menées jusqu'alors renforcent cette conclusion.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 213-228
REFLEXIONS sur le nouveau Traité du Sublime de M. Silvain, Avocat au Parlement de Paris, dont il est fait mention dans le Mercure de Novembre 1732.
Début :
L'Auteur de ce nouvel Ouvrage a prétendu rencherir sur le Traité du Sublime [...]
Mots clefs :
Sublime, Définition, Longin, Vrai, Despréaux, Sentiments, Élévation, Force, Grandeur, Exemples, Style, Éloquence
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS sur le nouveau Traité du Sublime de M. Silvain, Avocat au Parlement de Paris, dont il est fait mention dans le Mercure de Novembre 1732.
REFLEXIONS sur le nouveau Traité
du Sublime de M. Silvain , Avocat an
Parlement de Paris , dont il est fait mention
dans le Mercure de Novembre
1732.
L'entu de ce nusur le Traité du Su--
' Auteur de ce nouvel Ouvrage a préblime
de Longin , traduit depuis longtems
par l'Illustre M. Despreaux , et malgré
les Eclaircissemens qui se voyent dans
la Préface du même Traité, sur la nature et
le caractere du Sublime , M. Silvain a
fait le procès à Longin , sous prétexte
qu'il a manqué de donner la veritable définition
du Sublime ; mais il est aisé de
faire voir que l'Auteur s'est trompé dans
ses idées , et que c'est à tort qu'il a voulu
établir sa réputation sur les ruines de
celle de Longin : il ne faut pour cela que
rapporter les paroles de M. Despreaux
qui sont une Apologie parfaite de l'un et
de l'autre.
>
» Il ne reste plus , dit M. Despreaux ;
" pour finir cette Préface , que de dire ce
» que Longin entend par Sublime ; car
» comme il a écrit de cette maniere après
25 Cé
214 MERCURE DE FRANCE
» Cécilius , qui avoit presque employé
"tout son Livre à montrer ce que c'est
"que Sublime , il n'a pas crû devoir re-
» battre une chose qui n'avoit été déja
discutée
que trop
par un autre. Il faut
» donc sçavoir que par Sublime , Longin
» n'entend pas ce que les Orateurs appel-
» lent le stile sublime , mais cet extraor-
» dinaire et ce merveilleux qui frappe dans
» le discours , et qui fait qu'un Ouvrage
» enleve , ravit , transporte . Le stile su-
» blime veut toujours de grands mots
»
,
mais le Sublime se peut trouver dans
» une seule pensée , dans une seule figu-
» re , dans un tour de paroles . Une chose
peut être dans le stile sublime , et n'ê-
» tre pourtant pas sublime : c'est - à - dire
» n'avoir rien d'extraordinaire et de sur-
» prenant. Par exemple , le Souverain
» Arbitre de la Nature , d'une seule paro-
» le forma la lumiere . Voilà qui est dans
» le stile sublime , cela n'est pas néan-
» moins sublime , parce qu'il n'y a rien là
» de fort merveilleux , et qu'un autre ne
pût aisément trouver. Mais Dicu dit
» que la lumiere se fasse , et la lumiere se
fit : ce tour extraordinaire d'expression
» qui marque si bien l'obéissance de la
créature aux ordres du Créateur , est
veritablement sublime , et a quelque
F
» cho
>>
FEVRIER . 1733 215
» chose de divin . Il.faut donc entendre
» par sublime dans Longin , l'extraordi-
» naire , le surprenant , et comme je l'ai
» traduit , le merveilleux dans le dis
» cours.
Voilà les paroles de M. Despreaux ; il
est bien surprenant qu'après un pareil
éclaircissement , tiré des pensées et des
éxemples de Longin , qui a cité , quoique
Payen , le Passage de la Genese comme
une marque du vrai Sublime , M. Silvain
ait pourtant accusé l'ancien Rhe
teur de n'avoir pas connu le Sublime
d'avoir oublié le principal but de son
Ouvrage , qui étoit , à ce qu'il prétend ,
de donner la définition du Sublime ; comme
si le manque de définition empêchoit
d'entendre ce qu'a dit Longin dans le reste
de son Ouvrage , où il marque si expressément
ce que c'est que le Sublime
ainsi qu'on l'a vû par les paroles de
M. Despreaux.
que
La surprise est d'autant plus grande ;
M. Silvain en est convenu lui - même,
par ce qu'il a fait dire à Longin même ,
page 372. Il faut sçavoir , dit-il , que
» par sublime , Longin n'entend pas ce
» que les Orateurs appellent le stile Su
»blime , mais cet extraordinaire et ce
>> merveilleux qui frape dans le discours ,
> et
216 MERCURE DE FRANCE
net qui fait qu'un Ouvrage enleve , ravit
, transporte. C'est en propres termes
ce qu'a dit M. Despreaux , dont
l'Auteur a copié les paroles. Il paroit donc
qu'il s'est contredit lui-même , quand il
a accusé Longin de n'avoir pas connu le
Sublime , après qu'il en a donné la notion
la plus claire et la plus parfaite qu'on
pouvoit souhaiter. N'importe ; parce que
Longin n'a point donné la définition litterale
du Sublime , le Censeur lui fait son
procès , il l'accuse d'imprudence et d'ignorance.
C'est ce qu'il a fait à la page
381. où il s'exprime de la sorte : » Je ne
» répeterai point ici , dit-il , ce que j'ai
déja dit , qu'il me paroît que Longin
» n'a pas bien traité sa matiere , et qu'il
» n'a pas connu le Sublime. On le mon-
» treroit plus aisément , ajoûte t'il , s'il
» en avoit donné une définition , et on ne
>> peut connoître ce qu'il pense que par
» ses raisonnemens et ses exemples. Peuton
excuser une pareille contradiction ? et
n'est- ce pas manquer d'équité que de condamner
d'uncôté ce qu'on a approuvé de
33
Pautre ?
Quoi donc ne suffit- il pas que Lon-
?
gin ait montré par ses raisonnemens et
par ses exemples ce que c'est que le Sublime
? Faut- il que le manque de définition
qui
FEVRIER: 1733. 217
qui peut aisément être suppléé , détruise
ce qu'il a dit si clairement , et en termes
si précis , que le Censeur n'a pû s'empêcher
de lui rendre cette justice à la page
372. » qu'il a parfaitement connu la natu-
» re du Sublime ; mais il prétend ensuite
» qu'or, la connoîtroit mieux , s'il en avoit
» donné une définition . Peut- il ignorer
qu'il y a des choses qui s'entendent quelquefois
plus aisément par des raisonnemens
et par des exemples que par des définitions
, et que le sentiment causé par
ces exemples est d'ordinaire plus vif, plus
prompt et plus décisif que par la connoissance
qu'on tire d'une simple définition
?
D'ailleurs , comme les définitions doivent
toujours être courtes , et renfermer
beaucoup en peu de mots ; il n'est pas
fort aisé d'y réussir , et Longin a senti
sans doute la difficulté qu'il y a d'en faire
une bonne , principalement dans un sujet
qui embrasse tant de matieres et de
notions differentes ; mais quand on pour.
roit attribuer son silence à quelqu'autre
cause , il est injuste d'attaquer la réputa,
tion d'un ancien Rheteur , estimé et reveré
de tous les Sçavans , de l'accuser de
n'avoir pas connu le Sublime , dans le
tems qu'on avoue qu'il en a donné les
exem
218 MERCURE DE FRANCE:
exemples les plus convaincants .
Mais il paroît que l'Auteur n'a blâme
Longin du manque de définition , que
pour avoir lieu d'en donner une de sa façon
, et pour la faire passer pour excellente
, il faut donc voir et examiner cette
définition , telle qu'on l'a rapportée dans
le Mercure , page 2415.
» Le Sublime , dit- il , est un discours
» d'un tour extraordinaire , qui par les
» plus nobles images , et par les plus
>> grands sentimens , dont il fait sentir
» toute la noblesse par ce tour même d'expression
, éleve l'ame au - dessus de ces
» idées ordinaires de grandeur , et qui la
» portant tout-à- coup avec admiration à
» ce qu'il y a de plus élevé dans la Natu-
» re la ravit , et lui donne une haute
idée d'elle- même.
,
:
Voilà sa définition ; l'Auteur du Mercure
a dit nettement sur le rapport du
Public , que bien des gens l'ont trouvée
trop longue , et que c'est plutôt une des
cription qu'une définition . En cela ils ont
eu raison il s'agissoit de montrer ce que
le sublime est en lui-même , et non pas
quels sont les effets qu'il produit ; il falloit
marquer la cause et l'origine de ces
effets. En suivant cette régle , il auroit
pû définir le Sublime , autant du moins
que
FEVRIER. 1733 219
que la chose est possible ; au lieu qu'en
mettant plusieurs phrases tout de suite
il n'a fait proprement qu'une tirade d'Eloquence
, qui n'a pû contenter les vrais
Connoisseurs. J'ajoûte que sa prétenduë
définition est fausse presque dans toutes
ses parties. Venons à la preuve , et reprenons.
» Le Sublime , dit- il , est un discours
d'un tour extraordinaire , qui par les
plus nobles images , et par les plus grands
» sentimens , dont il fait sentir toute la
» noblesse par ce tour même d'expression ,
» éleve l'ame au - dessus de ses idées ordinaires
de grandeur...
A quoi bon parler en cet endroit des
plus nobles images et des plus grands sentimens
, puisqu'il paroît par le sentiment
de M. Despreaux , que le Sublime se peut
trouver dans une pensée , dans une figu
dans un tour de paroles ; or comment
faire entrer dans un si petit espace
ces images ou ces sentimens dont parle
l'Auteur à moins que chaque pensée
chaque figure et chaque tour d'expression
, ne fussent aussi longues que sa définition
Ignore- t'il que le Sublime peut
quelquefois se rencontrer dans un seul
mot : c'est ce qu'on pourroit justifier par
des exemples , et il ne sert de rien d'alleguer
220 MERCURE DE FRANCE
leguer que cette derniere espece de Su
blime ne regarde que les sentimens : car
on peut répondre , que c'est presque dans
les seuls sentimens que le Sublime se manifeste
et se fait sentir , et il s'ensuit de
là que sa définition n'est pas exacte.
Mais à quoi bon ajoûter , que le Subli
me en portant l'ame tout à coup à ce
» qu'il y a de plus élevé dans la Nature
la ravit , et lui donne une haute idée d'elle-
même ? Est- il vrai qu'on ne puisse être
frappé d'un trait sublime , sans concevoir
aussi- tôt une haute idée de soi - même ?
Quelqu'un a- t'il fait cette refléxion
qu'en lisant un Ouvrage qui l'a charmé ,
qui l'a enlevé , il s'est rendu ce témoigna
ge en secret ; » voilà un trait admirable
qui me donne une grande idée de moi-
» même ; je m'estime , et je m'applaudis
» de cette pensée , comme si c'étoit moi
» qui l'eusse produite ; me voilà rempli
» d'un noble orgüeil : je n'ai plus rien à
» désirer , après la belle idée qu'on me
donne de ma grandeur et de ma péné-
» tration naturelle. Je le répéte , a- t'on
jamais fait un pareil retour , une pareille
refléxion sur soi - même ? que si personne
n'oseroit tenir ce langage , comment l'Auteur
a- t'il pû faire entrer cette idée dans
sa définition ?
11
FEVRIER . 1733. 221
•
.
,
Il est vrai qu'il a copié cet endroit du
Traité de Longin , qui dit que le Su-
»blime inspire à l'ame , je ne sçai quel
>> noble orgueil , comme si elle avoit con-
» çû les choses mêmes qu'elle admire :
mais outre que cette expression n'est pas
tout-à- fait semblable à celle de l'Auteur ,
et que M. Despreaux s'est bien gardé de
l'inserer dans ses Eclaircissemens ne
croyant pas , sans doute , que cela fut nécessaire
,l'Auteur devoit distinguer ce qui
est solide de ce qui ne l'est pas : et l'on
ne doit pas suivre les Anciens , quand ils
paroissent aller trop loin. Quoiqu'il en
soit , cette refléxion sur soi même ne peut
guére arriver que dans les occasions où
P'Orateur parle avec beaucoup de passion ;
car la passion est l'ame de la parole ; et
alors le coeur émû et transporté de la justesse
et de l'élévation de ce qu'il sent , il
applaudit à ces sentimens , comme s'il
les avoit lui - même conçûs : mais cela ne
va pas jusqu'à donner aux Auditeurs une
plus grande idée d'eux mêmes , ni à leur
inspirer de l'orgueil : cet orgüeil seroit
trop imperceptible pour pouvoir être démêlé
parmi les mouvemens d'admiration
que cause le Sublime . On l'admire veritablement
, mais on ne pense nullement.
à s'admirer soi-même. Au surplus , cette
B éxa222
MERCURE DE FRANCE
éxageration de Longin n'empêche pas
qu'il n'ait parfaitement connu et exprimé
le caractere du Sublime ; mais l'Auteur
ne devoit pas la faire entrer dans sa définition
, ainsi qu'on vient de le dire.
On voit par tout ce détail , où l'on a
été obligé d'entrer , que cette définition
est défectueuse ; qu'elle péche par sa longueur
, et par les paroles inutiles dont
elle est chargée ; et qu'on a eu raison
de relever les fautes qu'il y a commises.
2
On me dira , sans doute , que puisque
j'ai entrepris de blâmer celle de l'Auteur
je suis obligé d'en donner une autre , et
qu'il faut necessairement qu'elle soit meilleure.
Eh bien , je vais la donner cette
définition ; je suis persuadé du moins
qu'on n'y trouvera pas les mêmes défauts
que dans la sienne . Je dis donc , que
le Sublime n'est autre chose , que le vrai
dans toute son élevation et toute sa force.
Cette notion est courte , elle est simple
elle comprend tout ce qu'on peut dire du
Sublime.
Je dis le vrai , soit dans la Nature ;
soit dans l'Eloquence et dans la Poësie
parce qu'il n'y a que le vrai qui puisse
frapper , plaire , toucher , persuader , et
remplir l'ame d'admiration et de plaisir.
C'est
FEVRIER.
1733 225
C'est la maxime de Despreaux , comme
il paroît par ces deux Vers .
Rien n'est beau que le vrai , le vrai seul est aimable,
Il doit régner par tout , et même dans la
Fable.
Je dis , dans toute son élévation et toute
sa force , pour le distinguer des expres
sions ordinaires , qui n'ont rien que de
médiocre , parce que c'est la mediocrité
des sentimens et des pensées qui éloigne
absolument le discours de la grandeur et
de la noblesse du Sublime.
Je soûtiens que lorsqu'un Auteur s'est
élevé au dessus de la mediocrité , c'est
une necessité que ses Ouvrages soient sublimes
et pour s'en convaincre , il ne
faut que jetter les yeux sur les grands
Hommes qui se sont signalez de nos jours
dans l'Eloquence et dans la Poësie. Les
Corneilles , les Racines ont été sublimes
dans leurs Tragédies . Combien de traits
y remarque - t'on qui frappent tout à la
fois l'esprit et le coeur ? quelle grandeur ,
quelle elevation , quelle noblesse ! plusieurs
Livres sont remplis des differents
traits qu'on en a recueillis ; c'est pour
quoi il n'est pas necessaire de s'étendre là
dessus .
Bij Les
224 MERCURE DE FRANCE
Les Despreaux , les Lafontaines ont été
sublimes dans leurs Poësies , l'un a excellé
dans la Satyre , et dans ses Epitres
au Roi , dans lesquelles on peut dire qu'il
égalé le merite de ce grand Prince,
L'autre dans ses Fables , selon le sentiment
de M. de la Bruyere , a élevé les petits
Sujets jusqu'au sublime , a été plus loin
que ses modeles , modele lui- même difficile
à imiter. Il faut ajoûter ce qu'a dit
M. de la Motte , en parlant du même
Poëte .
Au gré de ce nouvel Esope ,
Les animaux prennent la voix ;
Sous leurs discours il enveloppe
Des Leçons même pour les Rois.
Une douceur simple , élegante ,
En riant , par tout y présente
La Nature et la Verité ,
De quelle grace il les anime !
Oui , peut- être que le Sublime
Cede à cette naïveté.
Voila le Sublime attribué à un Auteur¸
qui n'a écrit cependant que des Fables ,
D'où vient cela ? c'est qu'en faisant agir
et parler les animaux d'une maniere qui
şemble n'avoir rien que de puerile , il en
a tiré des moralitez si élevées et si toui
chan
FEVRIER. 1733. 225
:
chantes , qu'elles enseignent les plus grandes
vertus et les pensées les plus raisonnables
c'est par cette élevation et cette
force qu'il a prêtée aux petits sujets, qu'il
les a rendus veritablement sublimes; d'où
vient , dis-je , cet heureux succès ? c'est
que cet Auteur inimitable a mis par tout
le vrai dans son plus beau jour ; c'est
qu'il a sçû instruire en riant , en badinant
, et par ce badinage spirituel , qu'on
avoit crû impossible avant lui dans les Fables
; il a enlevé l'estime , l'admiration et
les applaudissemens des plus grands hommes.
Sera- t- on surpris de me voir loüer
si avantageusement un tel Poëte ? J'oserai
dire encore , que ses Fables me paroissenţ
divines , et que c'est peut-être ce que
nous avons en notre Langue de plus parfait.
Mais revenons à notre définition.Questce
que le Sublime dans l'Eloquence ? Je
le dirai selon les principes que j'ai déja
posez ; c'est le vrai exprimé dans toute
son élevation et toute sa force , soit par
rapport à l'esprit , soit par rapport au
coeur. En pourra-t'on disconvenir ? Les
Bossuets , les Flechiers , les Bourdalouës ,
n'en sont- ils pas des preuves convaincantes
? Qu'on lise les Oraisons Funebres de
M. Bossuet, de la Reine d'Angleterre , de
Biij la
1
226 MERCURE DE FRANCE
la Duchesse d'Orleans , et du grand Prin
ce de Condé , on y trouvera et le Sublime
religieux , et le Sublime naturel , alliez
ensemble dans toute leur perfection . J'en
rapporterois des exemples , ou plutôt je
les ai ci - devant rapportez dans mes Refléxions
sur l'Eloquence , inserées dans l'un
des Mercures.
,
:
Qu'on lise celles de l'éloquent M. Fléchier
surtout celles de la Reine et de
M. de Turenne , on y verra le vrai dans
toute son élevation et toute sa force : les
vertus chrétiennes , les vertus civiles >
morales et militaires y paroissent dans
tout leur éclat on est ébloui de la grandeur
du Heros , mais on ne l'est pas
moins de celle de l'Orateur. On en peut
dire autant de ses Panegyriques des Saints
qui sont des Chef- d'oeuvres. Voilà pour
ce qui regarde le Sublime des louanges.
Quant au fameux Bourdalouë on
trouve dans ses Discours le vrai , c'est àdire
, la raison dans sa plus grande élévation
et sa plus grande force ; et c'est là
que regne le Sublime de la persuasion et
de la science des moeurs : sans parler de
ses Oraisons Funebres où il n'a pas
moins brillé que dans sesDiscours de morale
.
Voilà
FEVRIER. 1733 . 227
6
Voilà ma définition pleinement justifiée
et dans la cause et dans les effets. La voilà
exprimée avec la briéveté et la précision
qui manquent à celle du Censeur de
Longin.
On me permettra d'ajouter , que le Sublime
doit être partagé dans celui des
faits , et dans celui des sentimens ou des
expressions. Le sublime des faits , tel
qu'on le voit dans les Histoires , ne sçauroit
être imité ; il dépend uniquement de
la grandeur de ceux qui en sont les Auteurs.
Il n'y a que celui des sentimens et
des expressions qui puisse être l'objet de
l'Art, et il est inutile de demander là- dessus
s'il y a un Art du Sublime . Qui en
doute mais il n'est pas necessaire d'en
donner des régles : ou plutôt la plus sûre
et la plus précise , c'est d'exprimer le
vrai dans toute son élevation et toute sa
force ; c'est de l'étudier , de l'approfon
dir , d'en mesurer toute l'étenduë , de
l'embellir de tous les ornemens et de toute
la vivacité que la Nature et l'Art peuvent
fournir ; et comme j'ai déja dit , que
la passion est l'ame de la parole , c'est
en l'animant , en l'élevant , en la perfectionnant
, qu'on peut parvenir au Subli
me , c'est par cette voye qu'on s'y doir
prendre mais il faut pour cela que la
B iiij Na228
MERCURE DE FRANCE
Nature ait donné à l'Orateur , au Poëte ,
à l'Ecrivain , toure la force et toute la
grandeur de génie qui convient à ces
trois differentes Professions.
J. C.
A Nismes le 3 Janvier 1733 .
du Sublime de M. Silvain , Avocat an
Parlement de Paris , dont il est fait mention
dans le Mercure de Novembre
1732.
L'entu de ce nusur le Traité du Su--
' Auteur de ce nouvel Ouvrage a préblime
de Longin , traduit depuis longtems
par l'Illustre M. Despreaux , et malgré
les Eclaircissemens qui se voyent dans
la Préface du même Traité, sur la nature et
le caractere du Sublime , M. Silvain a
fait le procès à Longin , sous prétexte
qu'il a manqué de donner la veritable définition
du Sublime ; mais il est aisé de
faire voir que l'Auteur s'est trompé dans
ses idées , et que c'est à tort qu'il a voulu
établir sa réputation sur les ruines de
celle de Longin : il ne faut pour cela que
rapporter les paroles de M. Despreaux
qui sont une Apologie parfaite de l'un et
de l'autre.
>
» Il ne reste plus , dit M. Despreaux ;
" pour finir cette Préface , que de dire ce
» que Longin entend par Sublime ; car
» comme il a écrit de cette maniere après
25 Cé
214 MERCURE DE FRANCE
» Cécilius , qui avoit presque employé
"tout son Livre à montrer ce que c'est
"que Sublime , il n'a pas crû devoir re-
» battre une chose qui n'avoit été déja
discutée
que trop
par un autre. Il faut
» donc sçavoir que par Sublime , Longin
» n'entend pas ce que les Orateurs appel-
» lent le stile sublime , mais cet extraor-
» dinaire et ce merveilleux qui frappe dans
» le discours , et qui fait qu'un Ouvrage
» enleve , ravit , transporte . Le stile su-
» blime veut toujours de grands mots
»
,
mais le Sublime se peut trouver dans
» une seule pensée , dans une seule figu-
» re , dans un tour de paroles . Une chose
peut être dans le stile sublime , et n'ê-
» tre pourtant pas sublime : c'est - à - dire
» n'avoir rien d'extraordinaire et de sur-
» prenant. Par exemple , le Souverain
» Arbitre de la Nature , d'une seule paro-
» le forma la lumiere . Voilà qui est dans
» le stile sublime , cela n'est pas néan-
» moins sublime , parce qu'il n'y a rien là
» de fort merveilleux , et qu'un autre ne
pût aisément trouver. Mais Dicu dit
» que la lumiere se fasse , et la lumiere se
fit : ce tour extraordinaire d'expression
» qui marque si bien l'obéissance de la
créature aux ordres du Créateur , est
veritablement sublime , et a quelque
F
» cho
>>
FEVRIER . 1733 215
» chose de divin . Il.faut donc entendre
» par sublime dans Longin , l'extraordi-
» naire , le surprenant , et comme je l'ai
» traduit , le merveilleux dans le dis
» cours.
Voilà les paroles de M. Despreaux ; il
est bien surprenant qu'après un pareil
éclaircissement , tiré des pensées et des
éxemples de Longin , qui a cité , quoique
Payen , le Passage de la Genese comme
une marque du vrai Sublime , M. Silvain
ait pourtant accusé l'ancien Rhe
teur de n'avoir pas connu le Sublime
d'avoir oublié le principal but de son
Ouvrage , qui étoit , à ce qu'il prétend ,
de donner la définition du Sublime ; comme
si le manque de définition empêchoit
d'entendre ce qu'a dit Longin dans le reste
de son Ouvrage , où il marque si expressément
ce que c'est que le Sublime
ainsi qu'on l'a vû par les paroles de
M. Despreaux.
que
La surprise est d'autant plus grande ;
M. Silvain en est convenu lui - même,
par ce qu'il a fait dire à Longin même ,
page 372. Il faut sçavoir , dit-il , que
» par sublime , Longin n'entend pas ce
» que les Orateurs appellent le stile Su
»blime , mais cet extraordinaire et ce
>> merveilleux qui frape dans le discours ,
> et
216 MERCURE DE FRANCE
net qui fait qu'un Ouvrage enleve , ravit
, transporte. C'est en propres termes
ce qu'a dit M. Despreaux , dont
l'Auteur a copié les paroles. Il paroit donc
qu'il s'est contredit lui-même , quand il
a accusé Longin de n'avoir pas connu le
Sublime , après qu'il en a donné la notion
la plus claire et la plus parfaite qu'on
pouvoit souhaiter. N'importe ; parce que
Longin n'a point donné la définition litterale
du Sublime , le Censeur lui fait son
procès , il l'accuse d'imprudence et d'ignorance.
C'est ce qu'il a fait à la page
381. où il s'exprime de la sorte : » Je ne
» répeterai point ici , dit-il , ce que j'ai
déja dit , qu'il me paroît que Longin
» n'a pas bien traité sa matiere , et qu'il
» n'a pas connu le Sublime. On le mon-
» treroit plus aisément , ajoûte t'il , s'il
» en avoit donné une définition , et on ne
>> peut connoître ce qu'il pense que par
» ses raisonnemens et ses exemples. Peuton
excuser une pareille contradiction ? et
n'est- ce pas manquer d'équité que de condamner
d'uncôté ce qu'on a approuvé de
33
Pautre ?
Quoi donc ne suffit- il pas que Lon-
?
gin ait montré par ses raisonnemens et
par ses exemples ce que c'est que le Sublime
? Faut- il que le manque de définition
qui
FEVRIER: 1733. 217
qui peut aisément être suppléé , détruise
ce qu'il a dit si clairement , et en termes
si précis , que le Censeur n'a pû s'empêcher
de lui rendre cette justice à la page
372. » qu'il a parfaitement connu la natu-
» re du Sublime ; mais il prétend ensuite
» qu'or, la connoîtroit mieux , s'il en avoit
» donné une définition . Peut- il ignorer
qu'il y a des choses qui s'entendent quelquefois
plus aisément par des raisonnemens
et par des exemples que par des définitions
, et que le sentiment causé par
ces exemples est d'ordinaire plus vif, plus
prompt et plus décisif que par la connoissance
qu'on tire d'une simple définition
?
D'ailleurs , comme les définitions doivent
toujours être courtes , et renfermer
beaucoup en peu de mots ; il n'est pas
fort aisé d'y réussir , et Longin a senti
sans doute la difficulté qu'il y a d'en faire
une bonne , principalement dans un sujet
qui embrasse tant de matieres et de
notions differentes ; mais quand on pour.
roit attribuer son silence à quelqu'autre
cause , il est injuste d'attaquer la réputa,
tion d'un ancien Rheteur , estimé et reveré
de tous les Sçavans , de l'accuser de
n'avoir pas connu le Sublime , dans le
tems qu'on avoue qu'il en a donné les
exem
218 MERCURE DE FRANCE:
exemples les plus convaincants .
Mais il paroît que l'Auteur n'a blâme
Longin du manque de définition , que
pour avoir lieu d'en donner une de sa façon
, et pour la faire passer pour excellente
, il faut donc voir et examiner cette
définition , telle qu'on l'a rapportée dans
le Mercure , page 2415.
» Le Sublime , dit- il , est un discours
» d'un tour extraordinaire , qui par les
» plus nobles images , et par les plus
>> grands sentimens , dont il fait sentir
» toute la noblesse par ce tour même d'expression
, éleve l'ame au - dessus de ces
» idées ordinaires de grandeur , et qui la
» portant tout-à- coup avec admiration à
» ce qu'il y a de plus élevé dans la Natu-
» re la ravit , et lui donne une haute
idée d'elle- même.
,
:
Voilà sa définition ; l'Auteur du Mercure
a dit nettement sur le rapport du
Public , que bien des gens l'ont trouvée
trop longue , et que c'est plutôt une des
cription qu'une définition . En cela ils ont
eu raison il s'agissoit de montrer ce que
le sublime est en lui-même , et non pas
quels sont les effets qu'il produit ; il falloit
marquer la cause et l'origine de ces
effets. En suivant cette régle , il auroit
pû définir le Sublime , autant du moins
que
FEVRIER. 1733 219
que la chose est possible ; au lieu qu'en
mettant plusieurs phrases tout de suite
il n'a fait proprement qu'une tirade d'Eloquence
, qui n'a pû contenter les vrais
Connoisseurs. J'ajoûte que sa prétenduë
définition est fausse presque dans toutes
ses parties. Venons à la preuve , et reprenons.
» Le Sublime , dit- il , est un discours
d'un tour extraordinaire , qui par les
plus nobles images , et par les plus grands
» sentimens , dont il fait sentir toute la
» noblesse par ce tour même d'expression ,
» éleve l'ame au - dessus de ses idées ordinaires
de grandeur...
A quoi bon parler en cet endroit des
plus nobles images et des plus grands sentimens
, puisqu'il paroît par le sentiment
de M. Despreaux , que le Sublime se peut
trouver dans une pensée , dans une figu
dans un tour de paroles ; or comment
faire entrer dans un si petit espace
ces images ou ces sentimens dont parle
l'Auteur à moins que chaque pensée
chaque figure et chaque tour d'expression
, ne fussent aussi longues que sa définition
Ignore- t'il que le Sublime peut
quelquefois se rencontrer dans un seul
mot : c'est ce qu'on pourroit justifier par
des exemples , et il ne sert de rien d'alleguer
220 MERCURE DE FRANCE
leguer que cette derniere espece de Su
blime ne regarde que les sentimens : car
on peut répondre , que c'est presque dans
les seuls sentimens que le Sublime se manifeste
et se fait sentir , et il s'ensuit de
là que sa définition n'est pas exacte.
Mais à quoi bon ajoûter , que le Subli
me en portant l'ame tout à coup à ce
» qu'il y a de plus élevé dans la Nature
la ravit , et lui donne une haute idée d'elle-
même ? Est- il vrai qu'on ne puisse être
frappé d'un trait sublime , sans concevoir
aussi- tôt une haute idée de soi - même ?
Quelqu'un a- t'il fait cette refléxion
qu'en lisant un Ouvrage qui l'a charmé ,
qui l'a enlevé , il s'est rendu ce témoigna
ge en secret ; » voilà un trait admirable
qui me donne une grande idée de moi-
» même ; je m'estime , et je m'applaudis
» de cette pensée , comme si c'étoit moi
» qui l'eusse produite ; me voilà rempli
» d'un noble orgüeil : je n'ai plus rien à
» désirer , après la belle idée qu'on me
donne de ma grandeur et de ma péné-
» tration naturelle. Je le répéte , a- t'on
jamais fait un pareil retour , une pareille
refléxion sur soi - même ? que si personne
n'oseroit tenir ce langage , comment l'Auteur
a- t'il pû faire entrer cette idée dans
sa définition ?
11
FEVRIER . 1733. 221
•
.
,
Il est vrai qu'il a copié cet endroit du
Traité de Longin , qui dit que le Su-
»blime inspire à l'ame , je ne sçai quel
>> noble orgueil , comme si elle avoit con-
» çû les choses mêmes qu'elle admire :
mais outre que cette expression n'est pas
tout-à- fait semblable à celle de l'Auteur ,
et que M. Despreaux s'est bien gardé de
l'inserer dans ses Eclaircissemens ne
croyant pas , sans doute , que cela fut nécessaire
,l'Auteur devoit distinguer ce qui
est solide de ce qui ne l'est pas : et l'on
ne doit pas suivre les Anciens , quand ils
paroissent aller trop loin. Quoiqu'il en
soit , cette refléxion sur soi même ne peut
guére arriver que dans les occasions où
P'Orateur parle avec beaucoup de passion ;
car la passion est l'ame de la parole ; et
alors le coeur émû et transporté de la justesse
et de l'élévation de ce qu'il sent , il
applaudit à ces sentimens , comme s'il
les avoit lui - même conçûs : mais cela ne
va pas jusqu'à donner aux Auditeurs une
plus grande idée d'eux mêmes , ni à leur
inspirer de l'orgueil : cet orgüeil seroit
trop imperceptible pour pouvoir être démêlé
parmi les mouvemens d'admiration
que cause le Sublime . On l'admire veritablement
, mais on ne pense nullement.
à s'admirer soi-même. Au surplus , cette
B éxa222
MERCURE DE FRANCE
éxageration de Longin n'empêche pas
qu'il n'ait parfaitement connu et exprimé
le caractere du Sublime ; mais l'Auteur
ne devoit pas la faire entrer dans sa définition
, ainsi qu'on vient de le dire.
On voit par tout ce détail , où l'on a
été obligé d'entrer , que cette définition
est défectueuse ; qu'elle péche par sa longueur
, et par les paroles inutiles dont
elle est chargée ; et qu'on a eu raison
de relever les fautes qu'il y a commises.
2
On me dira , sans doute , que puisque
j'ai entrepris de blâmer celle de l'Auteur
je suis obligé d'en donner une autre , et
qu'il faut necessairement qu'elle soit meilleure.
Eh bien , je vais la donner cette
définition ; je suis persuadé du moins
qu'on n'y trouvera pas les mêmes défauts
que dans la sienne . Je dis donc , que
le Sublime n'est autre chose , que le vrai
dans toute son élevation et toute sa force.
Cette notion est courte , elle est simple
elle comprend tout ce qu'on peut dire du
Sublime.
Je dis le vrai , soit dans la Nature ;
soit dans l'Eloquence et dans la Poësie
parce qu'il n'y a que le vrai qui puisse
frapper , plaire , toucher , persuader , et
remplir l'ame d'admiration et de plaisir.
C'est
FEVRIER.
1733 225
C'est la maxime de Despreaux , comme
il paroît par ces deux Vers .
Rien n'est beau que le vrai , le vrai seul est aimable,
Il doit régner par tout , et même dans la
Fable.
Je dis , dans toute son élévation et toute
sa force , pour le distinguer des expres
sions ordinaires , qui n'ont rien que de
médiocre , parce que c'est la mediocrité
des sentimens et des pensées qui éloigne
absolument le discours de la grandeur et
de la noblesse du Sublime.
Je soûtiens que lorsqu'un Auteur s'est
élevé au dessus de la mediocrité , c'est
une necessité que ses Ouvrages soient sublimes
et pour s'en convaincre , il ne
faut que jetter les yeux sur les grands
Hommes qui se sont signalez de nos jours
dans l'Eloquence et dans la Poësie. Les
Corneilles , les Racines ont été sublimes
dans leurs Tragédies . Combien de traits
y remarque - t'on qui frappent tout à la
fois l'esprit et le coeur ? quelle grandeur ,
quelle elevation , quelle noblesse ! plusieurs
Livres sont remplis des differents
traits qu'on en a recueillis ; c'est pour
quoi il n'est pas necessaire de s'étendre là
dessus .
Bij Les
224 MERCURE DE FRANCE
Les Despreaux , les Lafontaines ont été
sublimes dans leurs Poësies , l'un a excellé
dans la Satyre , et dans ses Epitres
au Roi , dans lesquelles on peut dire qu'il
égalé le merite de ce grand Prince,
L'autre dans ses Fables , selon le sentiment
de M. de la Bruyere , a élevé les petits
Sujets jusqu'au sublime , a été plus loin
que ses modeles , modele lui- même difficile
à imiter. Il faut ajoûter ce qu'a dit
M. de la Motte , en parlant du même
Poëte .
Au gré de ce nouvel Esope ,
Les animaux prennent la voix ;
Sous leurs discours il enveloppe
Des Leçons même pour les Rois.
Une douceur simple , élegante ,
En riant , par tout y présente
La Nature et la Verité ,
De quelle grace il les anime !
Oui , peut- être que le Sublime
Cede à cette naïveté.
Voila le Sublime attribué à un Auteur¸
qui n'a écrit cependant que des Fables ,
D'où vient cela ? c'est qu'en faisant agir
et parler les animaux d'une maniere qui
şemble n'avoir rien que de puerile , il en
a tiré des moralitez si élevées et si toui
chan
FEVRIER. 1733. 225
:
chantes , qu'elles enseignent les plus grandes
vertus et les pensées les plus raisonnables
c'est par cette élevation et cette
force qu'il a prêtée aux petits sujets, qu'il
les a rendus veritablement sublimes; d'où
vient , dis-je , cet heureux succès ? c'est
que cet Auteur inimitable a mis par tout
le vrai dans son plus beau jour ; c'est
qu'il a sçû instruire en riant , en badinant
, et par ce badinage spirituel , qu'on
avoit crû impossible avant lui dans les Fables
; il a enlevé l'estime , l'admiration et
les applaudissemens des plus grands hommes.
Sera- t- on surpris de me voir loüer
si avantageusement un tel Poëte ? J'oserai
dire encore , que ses Fables me paroissenţ
divines , et que c'est peut-être ce que
nous avons en notre Langue de plus parfait.
Mais revenons à notre définition.Questce
que le Sublime dans l'Eloquence ? Je
le dirai selon les principes que j'ai déja
posez ; c'est le vrai exprimé dans toute
son élevation et toute sa force , soit par
rapport à l'esprit , soit par rapport au
coeur. En pourra-t'on disconvenir ? Les
Bossuets , les Flechiers , les Bourdalouës ,
n'en sont- ils pas des preuves convaincantes
? Qu'on lise les Oraisons Funebres de
M. Bossuet, de la Reine d'Angleterre , de
Biij la
1
226 MERCURE DE FRANCE
la Duchesse d'Orleans , et du grand Prin
ce de Condé , on y trouvera et le Sublime
religieux , et le Sublime naturel , alliez
ensemble dans toute leur perfection . J'en
rapporterois des exemples , ou plutôt je
les ai ci - devant rapportez dans mes Refléxions
sur l'Eloquence , inserées dans l'un
des Mercures.
,
:
Qu'on lise celles de l'éloquent M. Fléchier
surtout celles de la Reine et de
M. de Turenne , on y verra le vrai dans
toute son élevation et toute sa force : les
vertus chrétiennes , les vertus civiles >
morales et militaires y paroissent dans
tout leur éclat on est ébloui de la grandeur
du Heros , mais on ne l'est pas
moins de celle de l'Orateur. On en peut
dire autant de ses Panegyriques des Saints
qui sont des Chef- d'oeuvres. Voilà pour
ce qui regarde le Sublime des louanges.
Quant au fameux Bourdalouë on
trouve dans ses Discours le vrai , c'est àdire
, la raison dans sa plus grande élévation
et sa plus grande force ; et c'est là
que regne le Sublime de la persuasion et
de la science des moeurs : sans parler de
ses Oraisons Funebres où il n'a pas
moins brillé que dans sesDiscours de morale
.
Voilà
FEVRIER. 1733 . 227
6
Voilà ma définition pleinement justifiée
et dans la cause et dans les effets. La voilà
exprimée avec la briéveté et la précision
qui manquent à celle du Censeur de
Longin.
On me permettra d'ajouter , que le Sublime
doit être partagé dans celui des
faits , et dans celui des sentimens ou des
expressions. Le sublime des faits , tel
qu'on le voit dans les Histoires , ne sçauroit
être imité ; il dépend uniquement de
la grandeur de ceux qui en sont les Auteurs.
Il n'y a que celui des sentimens et
des expressions qui puisse être l'objet de
l'Art, et il est inutile de demander là- dessus
s'il y a un Art du Sublime . Qui en
doute mais il n'est pas necessaire d'en
donner des régles : ou plutôt la plus sûre
et la plus précise , c'est d'exprimer le
vrai dans toute son élevation et toute sa
force ; c'est de l'étudier , de l'approfon
dir , d'en mesurer toute l'étenduë , de
l'embellir de tous les ornemens et de toute
la vivacité que la Nature et l'Art peuvent
fournir ; et comme j'ai déja dit , que
la passion est l'ame de la parole , c'est
en l'animant , en l'élevant , en la perfectionnant
, qu'on peut parvenir au Subli
me , c'est par cette voye qu'on s'y doir
prendre mais il faut pour cela que la
B iiij Na228
MERCURE DE FRANCE
Nature ait donné à l'Orateur , au Poëte ,
à l'Ecrivain , toure la force et toute la
grandeur de génie qui convient à ces
trois differentes Professions.
J. C.
A Nismes le 3 Janvier 1733 .
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Résumé : REFLEXIONS sur le nouveau Traité du Sublime de M. Silvain, Avocat au Parlement de Paris, dont il est fait mention dans le Mercure de Novembre 1732.
Le texte critique le traité sur le Sublime de M. Silvain, avocat au Parlement de Paris, publié en novembre 1732. Silvain reproche à Longin, dont le traité a été traduit par M. Despreaux, de ne pas avoir fourni une définition adéquate du Sublime. Cependant, le texte conteste cette accusation en citant Despreaux, qui explique que Longin définit le Sublime comme 'l'extraordinaire et le merveilleux' dans le discours, capable de ravir et de transporter le lecteur. Despreaux illustre cette notion avec des exemples, comme la création de la lumière par Dieu dans la Genèse. Le texte souligne que Silvain se contredit en accusant Longin de ne pas connaître le Sublime, tout en reconnaissant que Longin en a donné une notion claire. Silvain critique Longin pour ne pas avoir fourni une définition littérale, mais le texte argue que les raisonnements et les exemples de Longin suffisent à expliquer le Sublime. La définition de Silvain est jugée trop longue et inexacte, car elle se concentre sur les effets plutôt que sur la cause du Sublime. En conclusion, le texte propose une définition alternative du Sublime comme 'le vrai dans toute son élévation et toute sa force', soulignant que seul le vrai peut frapper et toucher l'âme. Cette définition est illustrée par les œuvres des grands auteurs comme Corneille et Racine, dont les tragédies sont marquées par la grandeur et la noblesse. Le texte discute également des qualités sublimes des œuvres de Jean de La Fontaine et de Jean-Baptiste de Boileau-Despréaux. Boileau est loué pour ses satires et ses épîtres au roi, tandis que La Fontaine est célébré pour ses fables, qui élèvent des sujets modestes au sublime. La Fontaine est décrit comme un maître de la moralité et de la vérité, capable d'instruire en riant et d'obtenir l'admiration des grands hommes. Le texte compare également le sublime dans l'éloquence, illustré par des orateurs comme Bossuet, Fléchier et Bourdalouë, qui expriment le vrai avec élévation et force. Il conclut que le sublime peut être partagé entre les faits et les sentiments ou expressions, et que l'art du sublime réside dans l'expression du vrai avec passion et génie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 1331-1341
SUITE des réfléxions sur la bizarerie des Usages. Par M. Capperon, ancien Doyen de Saint Maxent.
Début :
L'Homme s'aimant à l'excès, il s'ensuit qu'il aime et qu'il estime tout [...]
Mots clefs :
Usage, Force, Excès, Bizarre, Santé, Corps, Usages, Médecine, Jeux
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texteReconnaissance textuelle : SUITE des réfléxions sur la bizarerie des Usages. Par M. Capperon, ancien Doyen de Saint Maxent.
SUITE des réfléxions sur la bizarerie
des Usages. Par M. Capperon , ancien
Doyen de Saint Maxent.
L
'Homme s'aimant à l'excès , il s'ensuit
qu'il aime et qu'il estime tout
ce qui le touche de plus près. Il sent même
un plaisir secret à se persuader , soit
par les épreuves qu'il peut faire , soit par
l'approbation des autres , que ce qu'il
estime en lui , est véritablement grand et
absolument estimable. C'est de cette disposition
si naturelle à l'homme, que sont
sorties , non seulement les bizarèries qui
ont rapport à l'usage des sens et aux productions
de l'esprit , dont j'ai cy- devant
parlé , mais plusieurs autres encore qui
ont paru,qui paroissent et qui paroîtront
dans. le temps à venir .
Me faisant donc un plaisir de relever .
ces excès ; et chacun pouvant en trouver
comme moi à les connoître , à les blâmer
et peut -être même à en rire , principa
lement lorsqu'ils sont passez ; car il n'en
est pas ainsi lorsqu'ils subsistent et qu'ils
sont en vogue : je crois qu'il ne déplaira
pas que je continuë mes Refléxions sur
ce sujet; et qu'après avoir parlé des
II. Vol. Dij usa1332
MERCURE DE FRANCE
usages bizares , provenus du désir de satisfaire
les sens et de faire remarquer la
beauté et l'excellence de l'esprit , je passe
aujourd'hui à ceux qui se sont formez
par le désir excessif de ménager et de
conserver la santé du corps , et de faire
valoir sa force et son adresse.
Il n'est pas necessaire que je dise , que
la santé est le bien le plus précieux de la
vie; qu'il est juste , pour une infinité de
raisons , de la menager et de la conserver
; tout le monde en est assez persuadé:
mais comme tout excès est blâmable , il
ne convient pas , sans doute , de le faire
si scrupuleusement , qu'on cesse d'en profiter
de peur de la perdre , qu'on ne s'en
serve que pour l'étudier et y veiller , que
dans le dessein de la rétablir on use des
moyens propres à la déranger,ou à la détruire
; ce sont neanmoins ces excès qui
ont introduit divers usages tres - singuliers
et tres bizares .
On sçait jusqu'à quel excès les anciens
ont poussé l'usage des Bains , qu'ils
croioient, à la vérité, nécessaires pour la
propreté du corps , mais qu'ils ne croioient
pas moins convenables pour conserver la
santé , ainsi qu'on le pense et qu'on l'observe
encore aujourd'hui , mais avec plus
de moderation et pour le seul besoin ; ce
I.Vol.
que
JUI N. 1733. 1333
•
que les anciens ne faisoient pas , ayant
porté cet usage bien au- delà de ce qui
convenoit : Car n'étoit- ce pas un excès
tout-à-fait bizare chez les Romains , non
seulement d'aller chaque jour au Bain
avant que de souper , mais d'y aller plusieurs
fois par jour . Les Empereurs Commode
et Gordien le jeune y alloient jusqu'à
sept ou huit fois a . N'étoit - ce pas
une vraie bizarerie de s'y faire frotter le
corps avec une espece d'Etrille b . Mais
ce qui étoit un excès beaucoup plus
criant , c'est que ces Bains étoient communs
pour les hommes et pour les femmes
; ce qui a même duré dans le Christianisme
pendant près de trois siecles
malgré les Loix de l'Eglise et des plus sages
Empereurs. Enfin l'attrait pour ces
Bains étoit si violent , qu'un Auteur a
très- bien remarqué, qu'il n'y a point d'ouvrages
des anciens , où les Empereurs
Romains ayent fait paroître plus de somptuosité
et de folie, que pour les Thermes ,
qui étoient les lieux où se prenoient ces
Bains c.
a Rosinus. Antiq. Roman . lib. 1. cap. 14.
b Strigile autem usos fuisse antiquos ad fricandum
, purgandumque corpus. Rosin. ibid. de Balneis.
c In nullis antiquorum operibus plus luxus et
Il. Vol. Diiij Si
1334 MERCURE DE FRANCE
Si nous passons aux remedes qu'on a
employez pour rétablir la santé alterée
par quelque infirmité , quelle bizarerie
ne trouverons - nous pas ? Il n'y a pour en
juger qu'à lire ce que dit le Clerc dans
son Histoire de la Médecine : Part. 1. liv.
3. chap. 26. où il rapporte de quelle maniere
on traitoit certaines maladies du
temps même du fameux Hypocrate , ce
qui paroît tout-à- fait bizare. " ¦
Il dit que lorsqu'on vouloit nettoyer le
bas ventre , on introduisoit dans l'Anus
un Soufflet de Forgeron ; qu'après avoir
fait enfler le ventre par ce moyen, le
Soufflet étant tiré , on donnoit le lavevement.
Pour guérir les Phtisyques , on
leur brûloit le dos et la poitrine , et on
tenoit les Ulceres ouverts pendant certain
temps. Pour les maux de tête on appliquoit
huit cauteres autour de la tête ;
que si cela ne suffisoit pas , on faisoit
pareillement
autour de la tête une incision
en forme de couronne , qui passoit d'un
bout à l'autre du front. On en faisoit autant
pour guérir les maux des yeux . Pour
les Convulsions , après avoir saigné , on
usoit de Sternutatoire , et on faisoit du
feu des deux côtez du lit du malade .
insania cernitur quam in Thermis Imperatorum.
Georg. Fabric, in suâ Româ.
II. Vol. L'us
JUIN. 1733. 1335
L'usage de cauteriser et de brûler le
corps en differens endroits , pour guérir
différens maux, a duré long- temps ; cette
Medecine grossiere et cruelle , continue
encore dans l'Affrique , la Chine , le Japon
et autres païs Orientaux , comme
aussi chez les Sauvages de l'Amérique
qui se servent à cet effet de bois pourri
à cause que la chaleur
en est moins
active.
C'étoit
des païs Orientaux
qu'étoit
venu en France
et ailleurs
l'usage
du
Moxa , qui consistoit
à faire bruler cette
espece
de filasse , sur la partie
attaque
de la goutte
, pour en guérir
, mais ce re
mede
caustique
a fait peu de progrès
;
car comme
disoit un Seigneur
Anglois
à qui les Médecins
l'avoient
ordonné
quel crime ai-je donc commis , pour que
je sois condamné
à être brûlé vif.
2
On peut mettre au nombre des usages:
bizares, en fait de Médecine , la fantaisie:
qu'on a euë de pendre au col , ou de por
ter sur soi , diverses choses qu'on a crûës :
spécifiques pour se guérir ou se préserver
de certains maux;c'est de ces usages , qu'est :
venue aux femmes , la mode de porter au
trefois des Coliers d'Ambre et de Corail
comme à plusieurs autres de mettre aux
doigts des Bagues garnies de prétendus:
Talismans. Ce n'étoit pas un usage moms:
H..Vol. D v bi
1336 MERCURE DE FRANCE
bizare de consulter les Astres , et sur tout
la Lune , pour sçavoit s'il convenoit de
prendre le moindre remede , afin de s'asseurer
de son efficacité ; c'est pourquoi
les Prédictions qui se donnoient chaque
année au public, marquoient précisément
les jours auxquels il convenoit de se faire
saigner , de prendre medecine , ou d'u
ser de ventouses. L'Etoile ou constellation
, nommée la Canicule, étoit marquée
comme la plus nuisible , pendant tout le
temps qu'elle dominoir , de quoi plusieurs
encore aujourd'hui ne sont pas désabuscz.
On peut voir un échantillon de la bizarerie
qui regnoit au neuviéme siecle ,
touchant la medecine , par le conseil que
Pardule, Evêque de Laon donnoit à Hincmar,
Archevêque de Reims , qui relevoit
d'une maladie a ; sçavoir , que pour rétablir
sa santé , il devoit bien se garder
de manger des petits Poissons , particu
lierement le jour qu'on les auroit tirés
de l'eau , non plus que de toute autre
viande nouvelle , soit Volailles ou autres
animaux , tuez du même jour ; qu'avant
que de les manger , il falloit bien les saler
, afin d'en dessecher toute l'humidité,
Hincmar , tom . p . 838.
II. Vole
qu'il
JUIN. 1733.1337
qu'il devoit principalement manger, du
Lard , et n'user que de la chair des animaux
à quatre pieds,ayant soin sur tout ,
de s'abstenir de Persil , l'assurant que
sans ce regime , il étoit tres difficille à
toute personne convalescente , de rétablir
la foiblesse de son estomac . Je crois qu'aujourd'hui
peu de gens s'accommoderoient
en pareil cas , d'une semblable ordonnance.
Autre bizarerie de Medecine qui regnoit
en France du temps du Roy Sainr
Louis , et qui consistoit à saigner à l'excès
, dans l'esperance de conserver par
ce moyen sa santé : on le voit par les
Regles que ce Prince donna aux Religieuses
de l'Hôtel - Dieu de Pontoise , par
lesquelles il ne leur étoit permis de se
faire saigner que six fois par an , les
temps même où elles le devoient faire
étant précisément marquez ; sçavoir , à
Noël , au commencement du Carême , à
Pâque , à la S.Pierre, dans le mois d'Août
et à la Toussaint a
De la santé je passe à la force du corps,.
où je fais voir si l'attachement
, que
qu'on a pour l'une a donné lieu à la bizarerie
de quelques usages , l'autre en a
a Patru , Plaid, pour Madame dé Guénégaud.-
II. Vol. Dvj, pro
1338 MERCURE DE FRANCE
produit, dont l'excès est encore allé beaucoup
plus loin. On ne peut pas dourǝt
qu'on ne sente un plaisir secret à éprouver
så force et à là faire remarquer aux
autres ; ce que font tous les jours les énfans
en est la preuve ; ce n'est que dans
le dessein de se procurer ce plaisir, qu'ils
s'empressent à sonner les Cloches d'une
Eglise ; que dans leurs jeux , un de leurs
plus grands plaisirs , est d'essayer à qui
sautera le plus haut , ou le plus loin , à
qui courra le plus fort , ou qui par sa
force , terrassera le mieux son camarade.
Ce que ce sentiment naturel opera
dans les enfans , il le fait également dans
les personnes plus âgées , mais avec cette
différence , que și plusieurs , par l'usage
qu'ils font de leur raison , s'y prêtent
moins que les enfans ; il ne s'en est trouvé
que trop , qui , pour s'y étre abandonnez
sans mestre , ont donné dans des
excès , qu'on peut regarder, à juste titre ,
comme des bizareries les plus outrées .
L'usage dont parle S.Jérôme , qui sub
sistoit de son temps , et qui consistoit à
donner au public des preuves de sa force,
n'étoit pas, à la verité , ni si bizare , ni
si outré ; il ne pouvoit même passer pour
bizare , qu'autant que les hommes , qui
devoient pardessus tout faire valoir la
Il.Vol dé
JUIN.. 17337 1339
3
délicatesse de leur esprit , se picquqient
trop alors de faire admirer la force de
leur corps , privilege dont les animaux
les plus grossiers sont beaucoup plus
avantagez qu'eux . Il consistoit donc cet
usage , en ce que , selon ce Pere a , il n'y
avoit dans la Judée où il demeuroit , ni
Ville , ni Bourg , ni Village , ni si petit .
Château , où il n'y eut de
Pierres
grosses
rondes , uniquement destinées pour exercer
les jeunes gens , et pour leur donnes
lieu de faire admirer au public jusqu'où
alloit leur force ; de sorte que pendant
qu'il y en avoit qui ne pouvoient élever
ces grosses Pierres que jusqu'à leurs ged
noux ou jusqu'à la moitié du corps , on
en voyoit d'autres qui les portoient jusques
sur leurs épaules , même sur leur tê
te , et c'étoient ceux là qui avoient tout
l'honneur ..
Il y a apparence que cet usage ne s'observoit
pas dans la scule Judée , puisque
ce Pere dit au même endroit , qu'il avoit
vû dans la Forteresse d'Athénes une
grosse Boule d'Airain , qui servoit aussi à
éprouver la force des Atheletes. Je croirois
même que cet usage avoit passé jusques
dans les Gaules ; que dis - je , jusques
a Hier. in Zachar. cap. 12
L. Vol.
dans
1340 MERCURE DE FRANCE
dans notre Ville d'Eu , qui subsistoit
bien avant ce temps-là , puisqu'on y a
vû jusqu'à nos jours , dans l'Hôtel de
Ville , de grosses Pierres de grès , parfaitement
rondes , au moins de quatre pieds
de circonférence , lesquelles y ont toujours
été , sans qu'on puisse sçavoir à
quel autre usage elles ont pû être destinées
.
Ce fut de cette inclination naturelle qui
naît,comme j'ai dit ,avec l'homme, d'estimer
sa force , et de se faire un plaisir dela
faire estimer aux autres , que l'exercice
des Atheletes , et les Jeux Olimpiques
si fameux dans toute la Grece , prirent
leur origine ; car en quoi consistoient ces-
Jeux , qui se renouveloient tous les quatre
ans , où les peuples couroient en foule
pour en être les spectateurs , où les victoires
et les couronnes qu'on y remportoit
combloient d'honneur ceux qui
étoient assez heureux pour avoir cet
avantage ? Ils consistoient ces Jeux , à
voir et à admirer , ceux qui dans la Lute
terrassoient le mieux , après differens efforts
, ceux contre lesquels ils lutoient, et
même ceux qui l'emportoient à la course
ou à donner des coups de poings , ou
à jetter le Palet avec plus de force et d'adresse
.
II. Vol.
Après
JUIN. 1733 . 1341'
pas
bizare
, que Après tout , ne paroît - il
ces Jeux que nous croïons aujourd'hui ne
convenir qu'à des enfans , ayent fait au--
trefois l'admiration et le spectacle le plus
recherche des peuples les plus polis ; que
pour s'y former , il falloit dès sa jeunesse
y être instruit et exercé par des Maîtres
; que pour acquerir la force et l'adresse
necessaire , il falloit observer un
régime de vie , qui retranchoit l'usage:
du vin , de plusieurs autres choses , et de
certains plaisirs permis. S. Paul même en
a fait une note a.Dailleurs ce qui doit pa➡
roître de plus outré et de plus honteusement
bizare dans ces Jeux , c'est que non
seulement les hommes abandonnant toute
pudeur , y paroissoient et y combattoient
entierement nuds ; mais que les
femmes ayent voulu aussi y prendre part
et y paroître de la même façon , comme
le rapporte Plutarque ; en quoi , après
tout , elles ne faisoient que suivre ce que
le prétendu divin Platon leur avoit ordonné
b , voulant qu'elles ne parussent
Couvertes que de leur seule vertu .
Le reste pour le prochain Mercure.
a Ep.
. 1. aux Corinth, ch.
b De Legib. liv. 6.
des Usages. Par M. Capperon , ancien
Doyen de Saint Maxent.
L
'Homme s'aimant à l'excès , il s'ensuit
qu'il aime et qu'il estime tout
ce qui le touche de plus près. Il sent même
un plaisir secret à se persuader , soit
par les épreuves qu'il peut faire , soit par
l'approbation des autres , que ce qu'il
estime en lui , est véritablement grand et
absolument estimable. C'est de cette disposition
si naturelle à l'homme, que sont
sorties , non seulement les bizarèries qui
ont rapport à l'usage des sens et aux productions
de l'esprit , dont j'ai cy- devant
parlé , mais plusieurs autres encore qui
ont paru,qui paroissent et qui paroîtront
dans. le temps à venir .
Me faisant donc un plaisir de relever .
ces excès ; et chacun pouvant en trouver
comme moi à les connoître , à les blâmer
et peut -être même à en rire , principa
lement lorsqu'ils sont passez ; car il n'en
est pas ainsi lorsqu'ils subsistent et qu'ils
sont en vogue : je crois qu'il ne déplaira
pas que je continuë mes Refléxions sur
ce sujet; et qu'après avoir parlé des
II. Vol. Dij usa1332
MERCURE DE FRANCE
usages bizares , provenus du désir de satisfaire
les sens et de faire remarquer la
beauté et l'excellence de l'esprit , je passe
aujourd'hui à ceux qui se sont formez
par le désir excessif de ménager et de
conserver la santé du corps , et de faire
valoir sa force et son adresse.
Il n'est pas necessaire que je dise , que
la santé est le bien le plus précieux de la
vie; qu'il est juste , pour une infinité de
raisons , de la menager et de la conserver
; tout le monde en est assez persuadé:
mais comme tout excès est blâmable , il
ne convient pas , sans doute , de le faire
si scrupuleusement , qu'on cesse d'en profiter
de peur de la perdre , qu'on ne s'en
serve que pour l'étudier et y veiller , que
dans le dessein de la rétablir on use des
moyens propres à la déranger,ou à la détruire
; ce sont neanmoins ces excès qui
ont introduit divers usages tres - singuliers
et tres bizares .
On sçait jusqu'à quel excès les anciens
ont poussé l'usage des Bains , qu'ils
croioient, à la vérité, nécessaires pour la
propreté du corps , mais qu'ils ne croioient
pas moins convenables pour conserver la
santé , ainsi qu'on le pense et qu'on l'observe
encore aujourd'hui , mais avec plus
de moderation et pour le seul besoin ; ce
I.Vol.
que
JUI N. 1733. 1333
•
que les anciens ne faisoient pas , ayant
porté cet usage bien au- delà de ce qui
convenoit : Car n'étoit- ce pas un excès
tout-à-fait bizare chez les Romains , non
seulement d'aller chaque jour au Bain
avant que de souper , mais d'y aller plusieurs
fois par jour . Les Empereurs Commode
et Gordien le jeune y alloient jusqu'à
sept ou huit fois a . N'étoit - ce pas
une vraie bizarerie de s'y faire frotter le
corps avec une espece d'Etrille b . Mais
ce qui étoit un excès beaucoup plus
criant , c'est que ces Bains étoient communs
pour les hommes et pour les femmes
; ce qui a même duré dans le Christianisme
pendant près de trois siecles
malgré les Loix de l'Eglise et des plus sages
Empereurs. Enfin l'attrait pour ces
Bains étoit si violent , qu'un Auteur a
très- bien remarqué, qu'il n'y a point d'ouvrages
des anciens , où les Empereurs
Romains ayent fait paroître plus de somptuosité
et de folie, que pour les Thermes ,
qui étoient les lieux où se prenoient ces
Bains c.
a Rosinus. Antiq. Roman . lib. 1. cap. 14.
b Strigile autem usos fuisse antiquos ad fricandum
, purgandumque corpus. Rosin. ibid. de Balneis.
c In nullis antiquorum operibus plus luxus et
Il. Vol. Diiij Si
1334 MERCURE DE FRANCE
Si nous passons aux remedes qu'on a
employez pour rétablir la santé alterée
par quelque infirmité , quelle bizarerie
ne trouverons - nous pas ? Il n'y a pour en
juger qu'à lire ce que dit le Clerc dans
son Histoire de la Médecine : Part. 1. liv.
3. chap. 26. où il rapporte de quelle maniere
on traitoit certaines maladies du
temps même du fameux Hypocrate , ce
qui paroît tout-à- fait bizare. " ¦
Il dit que lorsqu'on vouloit nettoyer le
bas ventre , on introduisoit dans l'Anus
un Soufflet de Forgeron ; qu'après avoir
fait enfler le ventre par ce moyen, le
Soufflet étant tiré , on donnoit le lavevement.
Pour guérir les Phtisyques , on
leur brûloit le dos et la poitrine , et on
tenoit les Ulceres ouverts pendant certain
temps. Pour les maux de tête on appliquoit
huit cauteres autour de la tête ;
que si cela ne suffisoit pas , on faisoit
pareillement
autour de la tête une incision
en forme de couronne , qui passoit d'un
bout à l'autre du front. On en faisoit autant
pour guérir les maux des yeux . Pour
les Convulsions , après avoir saigné , on
usoit de Sternutatoire , et on faisoit du
feu des deux côtez du lit du malade .
insania cernitur quam in Thermis Imperatorum.
Georg. Fabric, in suâ Româ.
II. Vol. L'us
JUIN. 1733. 1335
L'usage de cauteriser et de brûler le
corps en differens endroits , pour guérir
différens maux, a duré long- temps ; cette
Medecine grossiere et cruelle , continue
encore dans l'Affrique , la Chine , le Japon
et autres païs Orientaux , comme
aussi chez les Sauvages de l'Amérique
qui se servent à cet effet de bois pourri
à cause que la chaleur
en est moins
active.
C'étoit
des païs Orientaux
qu'étoit
venu en France
et ailleurs
l'usage
du
Moxa , qui consistoit
à faire bruler cette
espece
de filasse , sur la partie
attaque
de la goutte
, pour en guérir
, mais ce re
mede
caustique
a fait peu de progrès
;
car comme
disoit un Seigneur
Anglois
à qui les Médecins
l'avoient
ordonné
quel crime ai-je donc commis , pour que
je sois condamné
à être brûlé vif.
2
On peut mettre au nombre des usages:
bizares, en fait de Médecine , la fantaisie:
qu'on a euë de pendre au col , ou de por
ter sur soi , diverses choses qu'on a crûës :
spécifiques pour se guérir ou se préserver
de certains maux;c'est de ces usages , qu'est :
venue aux femmes , la mode de porter au
trefois des Coliers d'Ambre et de Corail
comme à plusieurs autres de mettre aux
doigts des Bagues garnies de prétendus:
Talismans. Ce n'étoit pas un usage moms:
H..Vol. D v bi
1336 MERCURE DE FRANCE
bizare de consulter les Astres , et sur tout
la Lune , pour sçavoit s'il convenoit de
prendre le moindre remede , afin de s'asseurer
de son efficacité ; c'est pourquoi
les Prédictions qui se donnoient chaque
année au public, marquoient précisément
les jours auxquels il convenoit de se faire
saigner , de prendre medecine , ou d'u
ser de ventouses. L'Etoile ou constellation
, nommée la Canicule, étoit marquée
comme la plus nuisible , pendant tout le
temps qu'elle dominoir , de quoi plusieurs
encore aujourd'hui ne sont pas désabuscz.
On peut voir un échantillon de la bizarerie
qui regnoit au neuviéme siecle ,
touchant la medecine , par le conseil que
Pardule, Evêque de Laon donnoit à Hincmar,
Archevêque de Reims , qui relevoit
d'une maladie a ; sçavoir , que pour rétablir
sa santé , il devoit bien se garder
de manger des petits Poissons , particu
lierement le jour qu'on les auroit tirés
de l'eau , non plus que de toute autre
viande nouvelle , soit Volailles ou autres
animaux , tuez du même jour ; qu'avant
que de les manger , il falloit bien les saler
, afin d'en dessecher toute l'humidité,
Hincmar , tom . p . 838.
II. Vole
qu'il
JUIN. 1733.1337
qu'il devoit principalement manger, du
Lard , et n'user que de la chair des animaux
à quatre pieds,ayant soin sur tout ,
de s'abstenir de Persil , l'assurant que
sans ce regime , il étoit tres difficille à
toute personne convalescente , de rétablir
la foiblesse de son estomac . Je crois qu'aujourd'hui
peu de gens s'accommoderoient
en pareil cas , d'une semblable ordonnance.
Autre bizarerie de Medecine qui regnoit
en France du temps du Roy Sainr
Louis , et qui consistoit à saigner à l'excès
, dans l'esperance de conserver par
ce moyen sa santé : on le voit par les
Regles que ce Prince donna aux Religieuses
de l'Hôtel - Dieu de Pontoise , par
lesquelles il ne leur étoit permis de se
faire saigner que six fois par an , les
temps même où elles le devoient faire
étant précisément marquez ; sçavoir , à
Noël , au commencement du Carême , à
Pâque , à la S.Pierre, dans le mois d'Août
et à la Toussaint a
De la santé je passe à la force du corps,.
où je fais voir si l'attachement
, que
qu'on a pour l'une a donné lieu à la bizarerie
de quelques usages , l'autre en a
a Patru , Plaid, pour Madame dé Guénégaud.-
II. Vol. Dvj, pro
1338 MERCURE DE FRANCE
produit, dont l'excès est encore allé beaucoup
plus loin. On ne peut pas dourǝt
qu'on ne sente un plaisir secret à éprouver
så force et à là faire remarquer aux
autres ; ce que font tous les jours les énfans
en est la preuve ; ce n'est que dans
le dessein de se procurer ce plaisir, qu'ils
s'empressent à sonner les Cloches d'une
Eglise ; que dans leurs jeux , un de leurs
plus grands plaisirs , est d'essayer à qui
sautera le plus haut , ou le plus loin , à
qui courra le plus fort , ou qui par sa
force , terrassera le mieux son camarade.
Ce que ce sentiment naturel opera
dans les enfans , il le fait également dans
les personnes plus âgées , mais avec cette
différence , que și plusieurs , par l'usage
qu'ils font de leur raison , s'y prêtent
moins que les enfans ; il ne s'en est trouvé
que trop , qui , pour s'y étre abandonnez
sans mestre , ont donné dans des
excès , qu'on peut regarder, à juste titre ,
comme des bizareries les plus outrées .
L'usage dont parle S.Jérôme , qui sub
sistoit de son temps , et qui consistoit à
donner au public des preuves de sa force,
n'étoit pas, à la verité , ni si bizare , ni
si outré ; il ne pouvoit même passer pour
bizare , qu'autant que les hommes , qui
devoient pardessus tout faire valoir la
Il.Vol dé
JUIN.. 17337 1339
3
délicatesse de leur esprit , se picquqient
trop alors de faire admirer la force de
leur corps , privilege dont les animaux
les plus grossiers sont beaucoup plus
avantagez qu'eux . Il consistoit donc cet
usage , en ce que , selon ce Pere a , il n'y
avoit dans la Judée où il demeuroit , ni
Ville , ni Bourg , ni Village , ni si petit .
Château , où il n'y eut de
Pierres
grosses
rondes , uniquement destinées pour exercer
les jeunes gens , et pour leur donnes
lieu de faire admirer au public jusqu'où
alloit leur force ; de sorte que pendant
qu'il y en avoit qui ne pouvoient élever
ces grosses Pierres que jusqu'à leurs ged
noux ou jusqu'à la moitié du corps , on
en voyoit d'autres qui les portoient jusques
sur leurs épaules , même sur leur tê
te , et c'étoient ceux là qui avoient tout
l'honneur ..
Il y a apparence que cet usage ne s'observoit
pas dans la scule Judée , puisque
ce Pere dit au même endroit , qu'il avoit
vû dans la Forteresse d'Athénes une
grosse Boule d'Airain , qui servoit aussi à
éprouver la force des Atheletes. Je croirois
même que cet usage avoit passé jusques
dans les Gaules ; que dis - je , jusques
a Hier. in Zachar. cap. 12
L. Vol.
dans
1340 MERCURE DE FRANCE
dans notre Ville d'Eu , qui subsistoit
bien avant ce temps-là , puisqu'on y a
vû jusqu'à nos jours , dans l'Hôtel de
Ville , de grosses Pierres de grès , parfaitement
rondes , au moins de quatre pieds
de circonférence , lesquelles y ont toujours
été , sans qu'on puisse sçavoir à
quel autre usage elles ont pû être destinées
.
Ce fut de cette inclination naturelle qui
naît,comme j'ai dit ,avec l'homme, d'estimer
sa force , et de se faire un plaisir dela
faire estimer aux autres , que l'exercice
des Atheletes , et les Jeux Olimpiques
si fameux dans toute la Grece , prirent
leur origine ; car en quoi consistoient ces-
Jeux , qui se renouveloient tous les quatre
ans , où les peuples couroient en foule
pour en être les spectateurs , où les victoires
et les couronnes qu'on y remportoit
combloient d'honneur ceux qui
étoient assez heureux pour avoir cet
avantage ? Ils consistoient ces Jeux , à
voir et à admirer , ceux qui dans la Lute
terrassoient le mieux , après differens efforts
, ceux contre lesquels ils lutoient, et
même ceux qui l'emportoient à la course
ou à donner des coups de poings , ou
à jetter le Palet avec plus de force et d'adresse
.
II. Vol.
Après
JUIN. 1733 . 1341'
pas
bizare
, que Après tout , ne paroît - il
ces Jeux que nous croïons aujourd'hui ne
convenir qu'à des enfans , ayent fait au--
trefois l'admiration et le spectacle le plus
recherche des peuples les plus polis ; que
pour s'y former , il falloit dès sa jeunesse
y être instruit et exercé par des Maîtres
; que pour acquerir la force et l'adresse
necessaire , il falloit observer un
régime de vie , qui retranchoit l'usage:
du vin , de plusieurs autres choses , et de
certains plaisirs permis. S. Paul même en
a fait une note a.Dailleurs ce qui doit pa➡
roître de plus outré et de plus honteusement
bizare dans ces Jeux , c'est que non
seulement les hommes abandonnant toute
pudeur , y paroissoient et y combattoient
entierement nuds ; mais que les
femmes ayent voulu aussi y prendre part
et y paroître de la même façon , comme
le rapporte Plutarque ; en quoi , après
tout , elles ne faisoient que suivre ce que
le prétendu divin Platon leur avoit ordonné
b , voulant qu'elles ne parussent
Couvertes que de leur seule vertu .
Le reste pour le prochain Mercure.
a Ep.
. 1. aux Corinth, ch.
b De Legib. liv. 6.
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Résumé : SUITE des réfléxions sur la bizarerie des Usages. Par M. Capperon, ancien Doyen de Saint Maxent.
Dans 'Suite des réflexions sur la bizarerie des Usages', M. Capperon analyse les excès et les bizarreries des usages humains, en particulier ceux relatifs à la santé et à la force physique. L'auteur note que les hommes ont tendance à surestimer leurs propres qualités et à rechercher l'approbation des autres, ce qui conduit à diverses bizarreries dans les usages des sens, des productions de l'esprit, ainsi que dans ceux liés à la santé et à la force. Capperon examine les excès dans la conservation de la santé, soulignant que bien que la santé soit précieuse, les excès dans sa préservation peuvent être blâmables. Il cite l'exemple des anciens Romains, qui poussaient l'usage des bains à des extrêmes, allant jusqu'à sept ou huit fois par jour, et partageaient les bains entre hommes et femmes, malgré les lois de l'Église. Le texte mentionne également des pratiques médicales bizarres, telles que l'utilisation de soufflets pour nettoyer le bas-ventre, la cautérisation pour guérir diverses maladies, et l'usage de talismans. Ces pratiques, bien que cruelles et grossières, ont perduré dans certaines régions du monde. L'auteur aborde aussi les usages bizarres liés à la force physique, comme les jeux olympiques en Grèce, où les athlètes s'affrontaient dans des compétitions de lutte, de course, et de lancer de palet. Ces jeux, bien que considérés comme enfantins aujourd'hui, étaient autrefois très prisés et nécessitaient un entraînement rigoureux et un régime de vie strict. En conclusion, le texte met en lumière les excès et les bizarreries des usages humains, tant dans la préservation de la santé que dans la démonstration de la force physique, soulignant la tendance naturelle des hommes à surestimer leurs propres qualités. Le texte mentionne également une directive attribuée à Platon, selon laquelle les femmes devaient se présenter couvertes uniquement de leur vertu, tirée de la lettre 1 aux Corinthiens et du livre 6 des Lois. Les détails supplémentaires sont reportés à une publication ultérieure intitulée 'Mercure'.
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10
p. 2391-2393
LE PASSAGE DE LA MER ROUGE. CANTATE.
Début :
Seigneur, le Peuple qui t'adore, [...]
Mots clefs :
Mer, Force, Passage de la mer Rouge, Onde, Éternel, Vengeur, Israël, Pharaon
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texteReconnaissance textuelle : LE PASSAGE DE LA MER ROUGE. CANTATE.
LE PASSAGE DE LA MER ROUGE.
CANTATE. *
Seigneur , le Peuple qui t'adore ,
Sous le joug de l'Egypte a trop long- tems gémi
Tonne , frappe , poursuis .... une autre playe
encore ,
A presser son départ force son ennemi,
Mais bien- tôt Pharaon sent renaître sa rage ,
Et pour le rendre à l'esclavage ,
* On a composé cette Cantate , pour faire naître
ceux qui peuvent mieux travailler en ce genre ,
l'idée de renoncer enfin à ces sujets frivoles ou dangereux
sur lesquels ils s'exercent, et de choisir parmi
tant de grands sujets qu'offrent les Livres Sacrez ;
le génie et les moeurs y trouveroient également leur
avantage.
I
2392 MERCURE DE FRANCE
Il marche , il passeroit et les Monts et les Mers
Israël poursuivi , ne voit point de retraite ;
Il redouble ses pas , l'Onde s'offre et l'arrête . . .
Ciel , sans ton prompt secours il rentre dans
les fers.
O force puissante
Qui soumet les eaux !
La Mer mugissante ,
Arrête ses flots.
Dans la Plaine humide ,
L'immortelle main ,
A l'Hébreu timide ,
Ouvre un sûr chemin.
O force puissante , &c.
Pharaon le voit trop , et même encore en douto.
Sont- ils donc sans retour sortis de mes liens ?
Ah ! je les poursuivrai par cette même route ;
Il dit , et sur leurs pas il marche avec les siens.
Signale , Ange vengeur , ta droite meurtriere ;
Nuages , cachez la lumiere ;
Brillez , Eclairs ; gronde , Tonnere affreux;
Aquilons , déployez vos fureurs vagabondes ,
Mer , souleve tes Ondes ;
Périssez , Tyrans des Hébreux ....
Quel désespoir ! quel bruit épouventable
De vagues en courroux , de perçantes clameurs ↑
1
NOVEMBRE. 1733 2393
Ils sont tous engloutis dans l'abyme effroyable;
Israël est vengé de ses fiers oppresseurs.
Louons l'Eternel ,
Chantons sa victoire ;
Quel Vainqueur mortel ,
Egale sa gloire ?
Quel ami sensible ,
A rien de si doux ?
Quel vengeur terrible ;
Frappe de tels coups ?
L'Onde coule en vain ;
Son amour l'enchaîne :
Il parle , et soudain ,
Elle sert sa haîne.
Louons l'Eternel , & c.
Par M. l'Abbé S.
CANTATE. *
Seigneur , le Peuple qui t'adore ,
Sous le joug de l'Egypte a trop long- tems gémi
Tonne , frappe , poursuis .... une autre playe
encore ,
A presser son départ force son ennemi,
Mais bien- tôt Pharaon sent renaître sa rage ,
Et pour le rendre à l'esclavage ,
* On a composé cette Cantate , pour faire naître
ceux qui peuvent mieux travailler en ce genre ,
l'idée de renoncer enfin à ces sujets frivoles ou dangereux
sur lesquels ils s'exercent, et de choisir parmi
tant de grands sujets qu'offrent les Livres Sacrez ;
le génie et les moeurs y trouveroient également leur
avantage.
I
2392 MERCURE DE FRANCE
Il marche , il passeroit et les Monts et les Mers
Israël poursuivi , ne voit point de retraite ;
Il redouble ses pas , l'Onde s'offre et l'arrête . . .
Ciel , sans ton prompt secours il rentre dans
les fers.
O force puissante
Qui soumet les eaux !
La Mer mugissante ,
Arrête ses flots.
Dans la Plaine humide ,
L'immortelle main ,
A l'Hébreu timide ,
Ouvre un sûr chemin.
O force puissante , &c.
Pharaon le voit trop , et même encore en douto.
Sont- ils donc sans retour sortis de mes liens ?
Ah ! je les poursuivrai par cette même route ;
Il dit , et sur leurs pas il marche avec les siens.
Signale , Ange vengeur , ta droite meurtriere ;
Nuages , cachez la lumiere ;
Brillez , Eclairs ; gronde , Tonnere affreux;
Aquilons , déployez vos fureurs vagabondes ,
Mer , souleve tes Ondes ;
Périssez , Tyrans des Hébreux ....
Quel désespoir ! quel bruit épouventable
De vagues en courroux , de perçantes clameurs ↑
1
NOVEMBRE. 1733 2393
Ils sont tous engloutis dans l'abyme effroyable;
Israël est vengé de ses fiers oppresseurs.
Louons l'Eternel ,
Chantons sa victoire ;
Quel Vainqueur mortel ,
Egale sa gloire ?
Quel ami sensible ,
A rien de si doux ?
Quel vengeur terrible ;
Frappe de tels coups ?
L'Onde coule en vain ;
Son amour l'enchaîne :
Il parle , et soudain ,
Elle sert sa haîne.
Louons l'Eternel , & c.
Par M. l'Abbé S.
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Résumé : LE PASSAGE DE LA MER ROUGE. CANTATE.
La cantate 'Le Passage de la Mer Rouge' exhorte les artistes à privilégier des sujets tirés des Livres Sacrés plutôt que des thèmes frivoles ou dangereux. Elle narre l'exode des Israélites hors d'Égypte, poursuivis par Pharaon. Bloqués par la mer, Dieu ouvre un passage à travers les eaux, permettant aux Israélites de traverser. Pharaon, doutant de leur fuite, les poursuit mais est englouti avec son armée par les flots soulevés par Dieu. La cantate célèbre la puissance divine et la délivrance des Hébreux, invitant à louer l'Éternel pour sa victoire et son amour.
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11
p. 413-416
SAMSON. POEME HÉROIQUE.
Début :
Je chante ce Héros, qu'aima la Main céleste, [...]
Mots clefs :
Dieu, Amour, Samson, Force, Bras, Triompher, Peuple, Main
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SAMSON. POEME HÉROIQUE.
SAM SO N.
POEME HEROIQUE.
E chante ce Héros , qu'atma la
Main céleste ,
Pour rendre aux Philistins son pouvoir
manifeste ;
Qui sçut triompher seul , d'un Peuple de Guerriers
;
Mais qui vit par l'amour , flétrir tous ses Lauriers.
A ij
Sévere
414 MERCURE DE FRANCE
Saisi d'un saint remors , ah !dit- il au Seigneur ,
Daigne encore une fois armer mon bras vengeur.
Il dit, et dans l'instant dispersant leurs cohortes ,
A leurs yeux étonnez il enleve leurs Portes ;
Tout tremble devant lui ; tel l'Aquilon bruïant ,
Dépouille les Forêts , et triomphe en fuïant.
Heureux , si désormais rebelle à la tendresse ,
Son coeur n'eut plus senti cette indigne foiblesse .
Mais il voulut envain fuir le funeste écueil ,
Où sa force devoit rencontrer son cercueil ;
L'ingrate Dalila , cette beauté cruelle
Que le secours de l'art rend encore plus belle ,
Se montre , le ravit , et l'enflame soudain`;
L'amour est dans ses yeux , la haine est dans son
sein
Les soupirs , les regards par des langues muettes
,
Sont autant pour l'amour d'éloquents interpretés;
Samson brule , languit , soupire , est généreux ,
Et son Amante alors médite un coup affreux .
Moins cruelles cent fois , les Sirenes perfides ,
Par leurs concerts trompeurs , deviennent homicides.
L'Amour paroît enfin couronner ses ardeurs ;
Mais c'est du crime seul qu'il reçoit des faveurs.
Dans les heureux instans que ce Dieu seul fait
naître ,
Et qu'on ne peut sans lui,ni sentir, ni connoître,
Enyvré du poison dont il est enchanté ,
SouMARS.
1734.
415
Soumis au joug des sens , et de la volupté ,
Il révele à regret à sa perfide Amante
Ce qui donne à son bras cette force étonante ,
Que l'on vit triompher en tout tomps ', en tour
lieu 1
Des ennemis cruels d'Israël et de Dieu.
Pour comble de malheurs le perfide Morphée ,
Acheve de l'Amour le funeste Trophée ,
Et Dalila trahit , et livre à des Bourreaux
Ce trop crédule Amant qu'abusent les Pavots.
Envain il compte encor triompher de leur rage ,
Quand la force n'est plus,à quoi sert le courage ?
Vaincu , désespéré , privé de la clarté ,
Il gémit sous le joug de la captivité.
Mais Dieu, qui de nos coeurs sçait pénétrer l'écorce
,
Connut son repentir , et lui rendit sa force .
Samson sentit dans peu son bras victorieux
En état de venger Israël et les Cieux.
Cependant de Dagon la fête se prépare ;
Ce vil Dieu de Métal , habitant du Ténare ;
Déja l'on méne en pompe aux pieds de ce Démon
L'Encensoir à la main , le malheureux Samson .
Seigneur , dit - il , permets qu'à la fois je t'immole
,
Et le Peuple idolatre , et le Temple , et l'idole.
Dieu l'entend , lui répond , et l'exauce soudain
Rien ne résiste plus à l'effort de sa main.
A iiij
Du
416 MERCURE DE FRANCE
Du Ciel en même- temps part et gronde la Four
dre;
Le Temple de Dagon tombe , réduit en poudre
Et Samson triomphant dans les bras de la mort
Venge son Dieu , son Peuple , et couronne son
sort.
Par M. de S....
POEME HEROIQUE.
E chante ce Héros , qu'atma la
Main céleste ,
Pour rendre aux Philistins son pouvoir
manifeste ;
Qui sçut triompher seul , d'un Peuple de Guerriers
;
Mais qui vit par l'amour , flétrir tous ses Lauriers.
A ij
Sévere
414 MERCURE DE FRANCE
Saisi d'un saint remors , ah !dit- il au Seigneur ,
Daigne encore une fois armer mon bras vengeur.
Il dit, et dans l'instant dispersant leurs cohortes ,
A leurs yeux étonnez il enleve leurs Portes ;
Tout tremble devant lui ; tel l'Aquilon bruïant ,
Dépouille les Forêts , et triomphe en fuïant.
Heureux , si désormais rebelle à la tendresse ,
Son coeur n'eut plus senti cette indigne foiblesse .
Mais il voulut envain fuir le funeste écueil ,
Où sa force devoit rencontrer son cercueil ;
L'ingrate Dalila , cette beauté cruelle
Que le secours de l'art rend encore plus belle ,
Se montre , le ravit , et l'enflame soudain`;
L'amour est dans ses yeux , la haine est dans son
sein
Les soupirs , les regards par des langues muettes
,
Sont autant pour l'amour d'éloquents interpretés;
Samson brule , languit , soupire , est généreux ,
Et son Amante alors médite un coup affreux .
Moins cruelles cent fois , les Sirenes perfides ,
Par leurs concerts trompeurs , deviennent homicides.
L'Amour paroît enfin couronner ses ardeurs ;
Mais c'est du crime seul qu'il reçoit des faveurs.
Dans les heureux instans que ce Dieu seul fait
naître ,
Et qu'on ne peut sans lui,ni sentir, ni connoître,
Enyvré du poison dont il est enchanté ,
SouMARS.
1734.
415
Soumis au joug des sens , et de la volupté ,
Il révele à regret à sa perfide Amante
Ce qui donne à son bras cette force étonante ,
Que l'on vit triompher en tout tomps ', en tour
lieu 1
Des ennemis cruels d'Israël et de Dieu.
Pour comble de malheurs le perfide Morphée ,
Acheve de l'Amour le funeste Trophée ,
Et Dalila trahit , et livre à des Bourreaux
Ce trop crédule Amant qu'abusent les Pavots.
Envain il compte encor triompher de leur rage ,
Quand la force n'est plus,à quoi sert le courage ?
Vaincu , désespéré , privé de la clarté ,
Il gémit sous le joug de la captivité.
Mais Dieu, qui de nos coeurs sçait pénétrer l'écorce
,
Connut son repentir , et lui rendit sa force .
Samson sentit dans peu son bras victorieux
En état de venger Israël et les Cieux.
Cependant de Dagon la fête se prépare ;
Ce vil Dieu de Métal , habitant du Ténare ;
Déja l'on méne en pompe aux pieds de ce Démon
L'Encensoir à la main , le malheureux Samson .
Seigneur , dit - il , permets qu'à la fois je t'immole
,
Et le Peuple idolatre , et le Temple , et l'idole.
Dieu l'entend , lui répond , et l'exauce soudain
Rien ne résiste plus à l'effort de sa main.
A iiij
Du
416 MERCURE DE FRANCE
Du Ciel en même- temps part et gronde la Four
dre;
Le Temple de Dagon tombe , réduit en poudre
Et Samson triomphant dans les bras de la mort
Venge son Dieu , son Peuple , et couronne son
sort.
Par M. de S....
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Résumé : SAMSON. POEME HÉROIQUE.
Le poème héroïque 'Samson' relate l'histoire de Samson, un héros choisi par Dieu pour combattre les Philistins. Doté d'une force surhumaine, Samson parvient à vaincre seul un peuple de guerriers. Cependant, son amour pour Dalila, une femme cruelle, le conduit à sa perte. Dalila, utilisant ses charmes et sa ruse, découvre le secret de la force de Samson et le trahit, le livrant à ses ennemis. Capturé et aveuglé, Samson est soumis à la captivité. Repentant, il prie Dieu qui lui rend sa force. Lors d'une fête en l'honneur du dieu Dagon, Samson demande à Dieu de lui permettre de détruire le temple et les idolâtres. Sa prière exaucée, il abat le temple, se vengeant ainsi de ses ennemis et mourant en martyr.
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12
p. 471-475
LETTRE de M. Regnauld, Horloger, écrite de Châlons en Champagne, le 26 Janvier 1735 [sic]. sur l'Horlogerie.
Début :
Il me paroît, Monsieur, que quelques personnes croyent qu'il arrive [...]
Mots clefs :
Horlogerie, Ressorts, Ressort, Force, Acier, Épaisseur, Poids, Élasticité, Fer, Liqueur
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. Regnauld, Horloger, écrite de Châlons en Champagne, le 26 Janvier 1735 [sic]. sur l'Horlogerie.
LETTRE de M. Regnauld , Horloger ,
écrite de Châlons en Champagne , le 26
Janvier 1735. sur l'Horlogerie .
L me paroît , Monsieur , que quel
ques personnes croyent qu'il arrive
dans les Ressorts , principes de l'action
des Montres , des inégalitez de force , qui
tantôt diminuent , et tantôt augmentent
; et que ces inégalitez , sans autre
cause , les font tarder ou avancer.
Comme l'on trouve le vrai par l'expérience
, j'ai eu recours à celle qui suit
qui suffira peut-être pour vous faire changer
de sentiment.
J'ai fait faire un ressort de Montre
une fois plus long , que ne sont ordinairement
les autres , afin de rendre ses
mouvemens plus sensibles ; je l'ai suspendu
par un de ses bouts ; j'ai attaché à l'autre
un poids d'environ trois onces , lequel
tenoit par sa pesanteur mon ressort
développé environ un tiers de toute sa
longueur , ce qui suffisoit pour l'observation.
Un fil de fer traversoit horisontalement
ce poids et passoit du côté du
mur, le long duquel étoit suspendu mon
ressort. J'ai enfoncé dans ce mur un autre
472 MERCURE DE FRANCE
tre morceau de fil de fer dont la pointe
répondoit parfaitement à celle qui sortoits
du poids; et quoique ce ressort ait
été suspendu ainsi pendant plus de six
mois , je n'ai jamais remarqué quele poids
ait remonté ; au contraire,je me suis toujours
apperçu qu'il descendoit ; ce qui
prouve que le ressort a toujours perdu de
sa force et n'en a jamais regagné.
Pour tirer avantage de cette expérience
, il est necessaire de sçavoir de quelle
façon on agit pour donner l'élasticité à
un ressort ; cela se fait ainsi : Lorsque
P'Ouvrier lui a donné la forme , il le fait
rougir dans le feu , et le trempe ensuite
dans quelque liqueur pour le refroidir
précipitamment. On doit conclure de- là
que l'air qui s'est trouvé dans cette liqueur
, étant plus aisé à être mis en
mouvement , que les parties qui la composent
, sera celui qui aura suivi de près
le feu , qui en abandonnant l'acier , lui
aura laissé des cellules ouvertes que cet
air aura occupé et qui auront été exactement
refermées par la liqueur.
Examinons maintenant comment l'air
peut produire l'élasticité.
Après être convenu , suivant l'opinion
generale , qu'il est composé de différentes
substances , dont la plus grossiere se pent
CI
MARS. 1734. 473
enfermer, et la plus déliée où la matiere
subtile passe tres- librement à travers
toute sorte de corps ; on peut vrai semblablement
croire que lorsque l'on bande
un ressort , ses parties intérieures se
resserrént , et que se resserrant , il s'exprime
proportionnellement de l'air grossier,
enfermé dans les cellules de l'Acier,
autant de cette matiere subtile , qui rentre
pour reprendre la place qu'elle avoit
quittée, lorsque l'on cesse de contraindre
le ressort et qui lui fait reprendre sa premiere
forme ainsi qu'une Eponge remplie
d'eau , que l'on mettroit dans un
Vaisseau et qu'on presseroit , dont l'eau
sortiroit par la pression , laquelle cessée ,
l'eau rentreroit dans l'Eponge et lui redonneroit
sa même forme.
S'il est vrai que les effets élastiques
soient tels , comme on le croit , quelle
vrai -semblance y a - t-il qu'ils puissent
augmenter, lorsqu'il ne peut dans la suite
se loger plus d'air dans l'Acier qu'il y en
est entré lors de la trempe ? car l'on conçoit
aisément que si la seule pression de
l'air y en pouvoit insinuer du nouveau ;
celui non- seulement qui y seroit entré ,
mais encore l'autre qui y auroit été placé
en premier lieu , en sortiroient lorsque
l'on banderoit le ressort , qui n'auroit
alors
474 MERCURE DE FRANCE
alors aucune cause pour reprendre sa situation.
Ona de plus des preuves que l'air grossier
ne peut pénétrer ni le Fer ni l'Acier,
puisqu'on en tient enfermé dans des Atquebuses
à vent , qui ne perdent point de
leurs forces pour être long- temps chargées
.
Il n'y a pas lieu non plus de croire que
le subtil scul puisse produire l'élasticité ,
puisqu'il pénétre facilement , tous les
corps , et qu'ainsi il peut se replacer
dans les Pores extérieurs de la Lame ,
lorsque les intérieurs sont resérrez , sans
Causer aucune contrainte.
Or puisque la quantité d'air enfermé
dans l'Acier ne peut augmenter , il ne se
peut pas faire que le ressort acquiere de
la force; au contraire quelqu'une des prisons
de l'air venant à se rompre , par la
roüille , ou les tentions réitérées , la force
élastique doit diminuer à proportion .
Ceux qui imagineroient des causes de
variations dans ces ressorts , par les diffé
rens dégrez de chaleur , ne rencontreroient
gueres mieux , puisque l'on a reconnu
que la plus grande chaleur de l'Eté
ne cause de dilatation à un morceau de
fer , à l'égard du plus grand froid d'Hyver
, que de la 1152 partie de sa grosseur.
MARS. 1734. 475
seur. Comme la violence du ressort ne
git que dans son épaisseur , qui n'est
pas dans plusieurs ressorts de de ligne ;
jugé de quel effet peut être l'augmentation
de la 1152e partie de de ligne .
De plus , comme ce ressort croîr en lorgueur
, ainsi qu'en épaisseur , il restitue
par son allongement la lenteur que l'épaisseur
auroit ôtée au mouvement de la
Montres et quand même ces différences
ne seroient pas proportionnées entre la
longueur et l'épaisseur , ces excès de force
seroient réduits à rien sur le dernier
mobile où git le principe de régularité.
J'atents avec impatience vos réfléxions :
Je suis avec un profond respect , & c.
écrite de Châlons en Champagne , le 26
Janvier 1735. sur l'Horlogerie .
L me paroît , Monsieur , que quel
ques personnes croyent qu'il arrive
dans les Ressorts , principes de l'action
des Montres , des inégalitez de force , qui
tantôt diminuent , et tantôt augmentent
; et que ces inégalitez , sans autre
cause , les font tarder ou avancer.
Comme l'on trouve le vrai par l'expérience
, j'ai eu recours à celle qui suit
qui suffira peut-être pour vous faire changer
de sentiment.
J'ai fait faire un ressort de Montre
une fois plus long , que ne sont ordinairement
les autres , afin de rendre ses
mouvemens plus sensibles ; je l'ai suspendu
par un de ses bouts ; j'ai attaché à l'autre
un poids d'environ trois onces , lequel
tenoit par sa pesanteur mon ressort
développé environ un tiers de toute sa
longueur , ce qui suffisoit pour l'observation.
Un fil de fer traversoit horisontalement
ce poids et passoit du côté du
mur, le long duquel étoit suspendu mon
ressort. J'ai enfoncé dans ce mur un autre
472 MERCURE DE FRANCE
tre morceau de fil de fer dont la pointe
répondoit parfaitement à celle qui sortoits
du poids; et quoique ce ressort ait
été suspendu ainsi pendant plus de six
mois , je n'ai jamais remarqué quele poids
ait remonté ; au contraire,je me suis toujours
apperçu qu'il descendoit ; ce qui
prouve que le ressort a toujours perdu de
sa force et n'en a jamais regagné.
Pour tirer avantage de cette expérience
, il est necessaire de sçavoir de quelle
façon on agit pour donner l'élasticité à
un ressort ; cela se fait ainsi : Lorsque
P'Ouvrier lui a donné la forme , il le fait
rougir dans le feu , et le trempe ensuite
dans quelque liqueur pour le refroidir
précipitamment. On doit conclure de- là
que l'air qui s'est trouvé dans cette liqueur
, étant plus aisé à être mis en
mouvement , que les parties qui la composent
, sera celui qui aura suivi de près
le feu , qui en abandonnant l'acier , lui
aura laissé des cellules ouvertes que cet
air aura occupé et qui auront été exactement
refermées par la liqueur.
Examinons maintenant comment l'air
peut produire l'élasticité.
Après être convenu , suivant l'opinion
generale , qu'il est composé de différentes
substances , dont la plus grossiere se pent
CI
MARS. 1734. 473
enfermer, et la plus déliée où la matiere
subtile passe tres- librement à travers
toute sorte de corps ; on peut vrai semblablement
croire que lorsque l'on bande
un ressort , ses parties intérieures se
resserrént , et que se resserrant , il s'exprime
proportionnellement de l'air grossier,
enfermé dans les cellules de l'Acier,
autant de cette matiere subtile , qui rentre
pour reprendre la place qu'elle avoit
quittée, lorsque l'on cesse de contraindre
le ressort et qui lui fait reprendre sa premiere
forme ainsi qu'une Eponge remplie
d'eau , que l'on mettroit dans un
Vaisseau et qu'on presseroit , dont l'eau
sortiroit par la pression , laquelle cessée ,
l'eau rentreroit dans l'Eponge et lui redonneroit
sa même forme.
S'il est vrai que les effets élastiques
soient tels , comme on le croit , quelle
vrai -semblance y a - t-il qu'ils puissent
augmenter, lorsqu'il ne peut dans la suite
se loger plus d'air dans l'Acier qu'il y en
est entré lors de la trempe ? car l'on conçoit
aisément que si la seule pression de
l'air y en pouvoit insinuer du nouveau ;
celui non- seulement qui y seroit entré ,
mais encore l'autre qui y auroit été placé
en premier lieu , en sortiroient lorsque
l'on banderoit le ressort , qui n'auroit
alors
474 MERCURE DE FRANCE
alors aucune cause pour reprendre sa situation.
Ona de plus des preuves que l'air grossier
ne peut pénétrer ni le Fer ni l'Acier,
puisqu'on en tient enfermé dans des Atquebuses
à vent , qui ne perdent point de
leurs forces pour être long- temps chargées
.
Il n'y a pas lieu non plus de croire que
le subtil scul puisse produire l'élasticité ,
puisqu'il pénétre facilement , tous les
corps , et qu'ainsi il peut se replacer
dans les Pores extérieurs de la Lame ,
lorsque les intérieurs sont resérrez , sans
Causer aucune contrainte.
Or puisque la quantité d'air enfermé
dans l'Acier ne peut augmenter , il ne se
peut pas faire que le ressort acquiere de
la force; au contraire quelqu'une des prisons
de l'air venant à se rompre , par la
roüille , ou les tentions réitérées , la force
élastique doit diminuer à proportion .
Ceux qui imagineroient des causes de
variations dans ces ressorts , par les diffé
rens dégrez de chaleur , ne rencontreroient
gueres mieux , puisque l'on a reconnu
que la plus grande chaleur de l'Eté
ne cause de dilatation à un morceau de
fer , à l'égard du plus grand froid d'Hyver
, que de la 1152 partie de sa grosseur.
MARS. 1734. 475
seur. Comme la violence du ressort ne
git que dans son épaisseur , qui n'est
pas dans plusieurs ressorts de de ligne ;
jugé de quel effet peut être l'augmentation
de la 1152e partie de de ligne .
De plus , comme ce ressort croîr en lorgueur
, ainsi qu'en épaisseur , il restitue
par son allongement la lenteur que l'épaisseur
auroit ôtée au mouvement de la
Montres et quand même ces différences
ne seroient pas proportionnées entre la
longueur et l'épaisseur , ces excès de force
seroient réduits à rien sur le dernier
mobile où git le principe de régularité.
J'atents avec impatience vos réfléxions :
Je suis avec un profond respect , & c.
Fermer
Résumé : LETTRE de M. Regnauld, Horloger, écrite de Châlons en Champagne, le 26 Janvier 1735 [sic]. sur l'Horlogerie.
Dans une lettre datée du 26 janvier 1735, M. Regnauld, horloger, aborde les inégalités de force observées dans les ressorts des montres. Pour démontrer que ces inégalités ne proviennent pas de variations internes, il décrit une expérience où un ressort est suspendu avec un poids pendant six mois. Au cours de cette période, le poids descend constamment, prouvant que le ressort perd de sa force sans jamais la récupérer. Regnauld explique que l'élasticité d'un ressort est due à l'air emprisonné dans ses cellules lors de la trempe. Lorsqu'on bande le ressort, l'air grossier est expulsé, permettant à une matière subtile de pénétrer et de redonner sa forme au ressort. Cependant, cette quantité d'air ne peut augmenter, ce qui signifie que la force élastique ne peut que diminuer avec le temps. Cette diminution peut être causée par la rouille ou par des tensions répétées. L'horloger rejette également l'hypothèse selon laquelle les variations de température pourraient affecter significativement les ressorts. Il argue que la dilatation due à la chaleur est minime et que les différences de force dans les ressorts sont compensées par leur allongement, assurant ainsi une régularité dans le mouvement des montres.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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13
p. 495-507
COMPARAISON des deux Philosophies de Descartes et de Newton, avec des Remarques sur l'une et sur l'autre.
Début :
La Philosophie Péripatéticienne avoit remporté une entiere victoire sur le Platonisme et [...]
Mots clefs :
Matière, Mouvement, Corps, Descartes, Newton, Élément, Force, Parties, Matière subtile, Terre, Philosophie, Tourbillon, Nature, Principe, Aimant, Lois, Mouvements
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texteReconnaissance textuelle : COMPARAISON des deux Philosophies de Descartes et de Newton, avec des Remarques sur l'une et sur l'autre.
COMPARAISON des deux
Philosophies de Descartes et de Newton,
avec des Remarques sur l'une et sur l'autre.
Lportéuns avoitsteer
A Philosophie Péripatéticienne avoit remsur
tous les autres Sectes de l'Antiquité .L'Empire
d'Aristote étoit despotique . Les raisons qui sont
les Loix de la Philosophie , n'étoient point écou
tées , des veritez nouvelles étoient traitées de séditieuses
, et cette Philosophie , après avoir été
long- temps proscrite par le concours des deux
autoritez , ( Launoi , de fortun . Aristot . ) avoit sçû
les engager si bien dans son parti , que ceux qui
prétendoient secouer le joug des préjugez, étoient
punis comme perturbateurs. Malgré tous ces obstacles
, il parut un homme qui joignit la fermeté
du courage à l'élevation du génie . Toutes ses
vûes ne tendoient qu'à la verité ; plein d'ardeur
pour la tirer d'esclavage , il osa établir pour
principe , ( Cartes. Méditat. 1. ) que le commencement
de la Philosophie est de rejetter toutes les
opinions reçues jusqu'alors , de remonter à un
Scepticisme general , non pour demeurer dans
cet état de Pyrrhonien , incompatible avec les
lumieres naturelles , mais pour n'admettre au
pombre des veritez , que celles qui sont fondées
sur
496 MERCURE DE FRANCE
sur des notions claires , certaines et évidentes.
René Descartes , par ce seul principe , porta le
coup mortel aux décisions philosophiques for
dées sur les préjugez ; par cette voye d'un doute
general , il s'éleva ( Cartes . Méditat. 2. 3. 6. )
aux veritez primitives , de sa propre existence
de l'existence de Dieu , de la distinction de l'ame
et du corps ; des veritez les plus simples il passa
aux plus composées , il entreprit de connoître et
de dévoiler même la Nature ; et développant
quelques germes obscurs , informes et peu connus
, qui étoient enfermez dans les Livres des
Anciens sans explication suffisante , il en forma
un Systême Physique ( Cartes , Princip . part. 3. )
si étendu et si brillant , qu'il surpasse de bien
loin tout ce qu'on avoit imaginé jusqu'à lui de la
magnificence de l'Univers. Descartes n'est pas
bien d'accord avec lui- même sur la réalité de
l'Edifice qu'il a construit. Tantôt reconnoissant
tout ce que ses idées ont d'incertain.et de vague, il
les traite de Fables ( Trait . de la Lum. ) et de Romans
; tantôt paroissant rempli de confiance pour
ses découvertes , il n'hésite point à dire , que
persuadé par des notions si claires et si distinctes ,
il ne croit pas ( Princip . part . 4. et Epist. t. z .
Epist. 37. ) que la plupart des choses qu'il a
écrites , puissent être autrement.
Toute la Physique de Descartes se rapporte
aux loix generales du mouvement, établies par Ie
souverain Etre , en même - temps qu'il a créé la
matiere. C'est conformément à ces Loix que la
Providence Divine a construit le Monde , et
qu'elle le conserve ; Descartes définit la Nature ;
(Méditat. 6. ) l'ordre et la disposition que Dieu
a donnez aux choses créées. Quelqu'un peut- il
nier que la Physique ne consiste dans la recherche
MARS. 1734
497
che et la connoissnce de ces loix prescrites à la
Nature par son Auteur ? L'harmonie et la régularité
de l'Univers sont des témoignages continuels
de la sagesse infinie , dont elles sont émanées .
Aucune étude ne ramene davantage l'esprit au
Créateur , que la contemplation de la Nature.
C'est en quoi le Cartésianisme excelle , et jamais
aucune Philosophie ne fut plus diamétralement
opposée auSpinosisme qui, par l'hypothèse de tou- ,
tes la plus absurde , ne reconnoît dans les effets'
naturels qu'une matiere aveugle , privée d'intelligence
et de sentiment, et coufond les substances
spirituelles et corporelles ; ou à la Philosophic
Epicurienne , qui donne pour principe general
, des accrochemens d'admes unis fortuitement
par un mouvement de déclinaison , dont
l'Antiquité s'est mocquée . C'est uniquement à la
gloire du Cartesianisine et à l'envie des autres
Sectes , qu'on doit attribuer les accusations si
dénuées de toute vraye - semblance au sujet des
liaisons supposées de cette Philosophie avec les
absurditez de Spinosa et d'Epicure ; il est même
impossible de lire les Ouvrages de Descartes sans
être autant édifié de sa picté , qu'on est charmé
de sa modestie .
Descartes pose pour principes trois regles de
mouvement ( Princip. part. 2. ) qu'il appelle génerales
; la premiere , que tout corps persiste naturellement
dans l'état où il se trouve de mouvement
ou de repos , et il fonde cet axiome sur
une pensée fort juste , que rien ne se porte de soimême
et par sa nature à son contraire ou à sa
destruction. La seconde regle est que le mouvement
est proportionnel à l'impression de la force
qui le produit , er que tout corps qui se meut ,
tend à continuer son mouvement en ligne droite.
La
298 MERCURE DE FRANCE
La troisiéme est que si un corps qui se meut ên
rencontre un autre auquel il ne communique
aucune partie de son mouvement, il rejaillit avec
une force égale , et que , s'il lui communique une
partie de son mouvement , il en perd autant qu'il
en communique. De cette . Loi generale , Descartes
déduit les loix particulieres des rencontres
des corps à proportion des differens degrez de
vitesse et de masse ; loix particulieres , qui ne
peuvent , suivant son aveu , avoir une application
entierement juste , qu'en supposant que les deuxcorps
qui se rencontrent , fussent parfaitement
durs , et tellement séparez de tous les autres
corps , qu'aucun ne pût contribuer ou nuire à
leur mouvement , et il remarque au même en
droit que cela est impossible. Nous aurons plusieurs
observations à faire sur cette troisiéme loi
de mouvement.
La matiere est une , suivant les Principes de
Descartes , et toutes ses differences ne consistent
que dans les divisions , figures , situations et
mouvemens de ses parties . Il soutient que comme
il est impossible que la matiere soit sans étenduë
, l'espace ou l'étenduë ne peuvent aussi être
sans matiere ; qu'il y a la même contradiction à
concevoir un lieu sans un corps qui le remplisse ,
qu'à imaginer la rondeur sans une matiere qui
soit ronde , la blancheur sans un sujet qui soit
blanc , ou une montagne sans vallée . Puisque
tout est plein dans l'Univers , un corps qui se
meut , ne peut avancer , que la matiere qui est à
ses côtez ne passe en arriere , poussée par celle de
devant , qui est obligée de refluer aux côtez , ce
qui arrive avec une extrême facilité , lorsque le
corps , qui fait effort pour se mouvoir , a plus de
force que la matiere qui se trouve au -devant de
lui
MARS. 1734. 499
lui , n'en a pour résister. Le mouvement direct ,
le plus simple et le plus naturel , est moins
commun dans la Nature, que le mouvement circulaire
produit par les obstacles de la mutuelle
action et réaction des corps , mais le mouvement
circulaire retient toujours de son origine , que
tout corps qui se meut en rond , tend à s'échapper
dès qu'il est libre , par un mouvement direct ;
ce que les Géometres expriment en disant , que
tout corps qui par son mouvement décrit un
cercle , s'efforce continuellement d'en parcourir
la tangente.
La pression et le mouvement brisent les parties
de la matiere , qui sont divisibles à l'infini ,
leur fragilité ou leur disposition à s'unir , rend
les Elemens toujours conversibles l'un dans l'autre.
Descartes en admet trois ; la matiere subtile
ou le premier Element composé des partiès les
plus atténuées par le froissement; la matiere globuleuse
ou le second élement dont les particules
ont été arrondies et ont conservé une figure sphérique
dans le froissement ; et la matiere compac
te ou le troisiéme élement dont les particules
branchuës et de figures irrégulieres , ont le mieux
résisté au froissement . Ces trois élemens sont
imperceptibles ; et pour imaginer avec plus de
facilité leur effet dans la composition de tous les
corps matériels , représentez - vous un amas de
fruits ayant des figures fort irregulieres , comme
grenades , poires , pommes, concombres , nêfles,
grappes de raisins ; voilà la matiere compacte
ou le troisième élement . Répandez sur ce monceau
de fruits , des coriandes ; toutes ces petites
boules rondes se répandront de côté et d'autre
pour remplir les interstices des figures irrégulie
ICS c'est la matiere globuleuse ou le second
élement
38618 )
300 MERCURE DE FRANCE
élement. Versez enfin de la poudre à canon sur
le tas de fruits , elle ira s'insinuer dans les interstices
les plus petits , échappez aux dragées , et
elle représentera ici la matiere subtile ou le premier
élement . Si cette poudre à canon domine
assez dans les interstices des fruits et qu'elle y
ait assez de force pour leur communiquer la rapidité
de son mouvement en chassant les dragées ,
et les repoussant de toutes parts , l'amas tout entier
devient enflammé et lumineux , et ce feu est
d'autant plus violent , que la solidité des parties
les plus grossieres du troisiéme élement y est
jointe à la rapidité du mouvement du premier ,
et que la force de masse , comme disent les Physiciens
, accompagne la force de vitesse. Si la matiere
compacte reçoit dans ses interstices les globules
du second élement qui y temperent l'extrême
mouvement du premier ou de la matiere
subtile , le corps est opaque et plus ou moins solide
, suivant la grossiereté des parties du troisiéme
élement. Si la matiere globuleuse trouve
les pores disposez à lui laisser un passage libre
pour traverser de part en part , le corps est transparent.
On ne peut donner des images trop sensibles
des principes qu'on explique , sur tout dans
un temps où il s'est introduit un usage presque
general , de ne traiter les Sciences que par quelques
caracteres Algebriques et d'une manière si
abstraite , qu'elle ne donne aucune prise à l'imagination.
Passons à l'application que Descartes a faite
de ses Principes . Les mouvemens directs de la
matiere ont été changez en mouvemens circulaires
par les obstacles de l'action et de la réaction
des corps. Des tourbillons de grandeur inégales
se sont formez , ils en ont aussi contenu d'autres,
comme
MARS. 1734.
501
•
comme on voit des torrens qui se traversent ,
être agitez circulairement et renfermer au-dedans
d'eux - mêmes des courants plus petits , qui
tournant sur leur propre centre , sont emportez
par le mouvement circulaire du plus grand. Le
froissement de la matiere l'ayant divisée en trois
élemens , Descartes suppose qu'il s'est fait au centre
du tourbillon un amas de matiere subtile ,
dont ce Philosophe a composé les Etoiles , qu'il
a regardées comme autant de Soleils . Le prodigieux
mouvement de la matiere subtile qui repousse
de toute part les globules du second éle
ment , rend les globes des étoiles enflammez et
lumineux par eux- mêmes. Mais il est arrivé â
quelques- uns de ces globes que leurs mouvemens
se sont , rallentis , que leurs interstices ont été
differemment disposez , et que le globe , d'enflammé
et de lumineux , est devenu dense et
opaque , qu'alors privé de la force et de l'activité
de son mouvement , il n'a pû deffendre
son tourbillon contre la pression des tourbillons .
voisins qui ont envahi son atmosphere ; et le
globe lui- même a passé dans un autre tourbillon,
au mouvement duquel il a été assujetti après s'y
être mis en équilibre. C'est l'origine que Descar
tes donne ( Cartes . Princip . part. 3. ) à la Terre
et aux autres Planétes , qui ont commencé , suivant
son Systême , par être des Soleils ou des
Etoiles. Il donne la même explication des Cométes
comme de Soleils récemment éteints et
encroûtez , qui traversent les espaces éthérées
jusqu'à ce qu'ils ayent rencontré dans quelque
tourbillon un fluide d'une épaisseur et d'un mouvement
proportionnez , et propres à les fixer en
équilibre.
La lumiere consiste dans l'impulsion des parties
582
MERCURE
DE FRANCE
ties globuleuses du second élement répandues de »
toutes parts , à peu près comme un grain de poudre
à canon en se développant , chasse de tout
côté les corps qu'il rencontre. La prodigieuse rapidité
de la lumiere est causée parce que tous les
globules du second élement sont contigus et que,
Pimpression qui agit sur le premier , se fait sentir
en même- temps sur tous les autres , comme
un bâton ne
ne peut être remué par un bout , que le
mouvement ne soit aussi - tôt communiqué à
l'autre extremité , quelque éloignée qu'elle soit.
Cette rapidité de la lumiere transmise par la continuité
des globules du second élement , est une
des preuves d'experience , qu'il n'y a point de
vuide dans la Nature
Le mouvement circulaire des tourbillons est
dans le Systême Cartésien , la cause de la pesanteur.
Ce qu'on appelle pesanteur est proprement
une moindre legereté . Les trois élemens ont dif
ferens degrez de, force centrifuge ; la matiere'
subtile du premier élement a plus d'action
( Cartes. Princip . part . 4 ) pour s'éloigner du
centre , que pareille quantité du second élement,
parce que la matiere subtile se meut plus vîte ; etpar
la même raison le second élement a plus de
force centrifuge que pareille quantité des parties
du troisième , et le corps qui à plus de force cen
trifuge , répercute et chasse vers le centre celui
qui en a moins ; ce qui cause la chute des corps
massifs et produit toutes les apparences auxquelles
on a donné le nom de legereté et de pesanteur.
Ainsi jettez de l'huille dans un vase qui est
vuide , ( Tr. de l'Opin Liv . 4. Ch. 2. ) c'est- àdire
, rempli seulement d'air , l'huile est forcée
de descendre au fond et de ceder au mouvement
plus agite de l'air ; sur l'huile versez de l'eau , les
parties
MARS. 1734. 503
les parties de l'huile plus déliées que celles de
l'eau et qui par consequent ont plus de force
pour s'éloigner du centre , s'élevent au- dessus de
l'ean ; si vous y jettez ensuite du sable , l'eau
chasse au- dessous d'elle les parties plus compactes
du sable , ce dernier a le même avantage sur
le vif- argent encore plus solide ; et enfin l'or
fondu , le plus massif de tous les corps , sera
précipité au - dessous de tous les autres .
Descartes a apperçû la contrarieté ( Trait. de
la Lum. Chap. 11. ) qui se rencontre ici dans le
méchanisme, sur lequel il a fondé son Systême ,
ayant dit plus haut que la matiere subtile s'est
amassée au centre pour y former le Soleil , au
lieu que pour expliquer la pesanteur , il donne
ici cette raison , que les corps massifs ayant
moins de mouvement , ont moins de force que
la matiere subtile n'en a pour s'élever à la circonference.
Cette objection qu'il s'est faite à
lui- même , ne l'a pas engagé à corriger la contradiction
de son méchanisme , et il s'est contenté
de répondre que lorsqu'il a placé les corps
solides à la circonference , est parce qu'il a
supposé que dès le commencement ils étoient
agitez du mouvement genefal du tourbillon , et
à l'égard de la pesanteur , il se restraint à soutenir
que les corps les plus massifs qui sortent
du repos et qui commencent à se mouvoir , ont
moins de force centrifuge , et doivent être renvoyez
vers le centre .
Descartes ( Princip . part. 4. ) attribuë le flux
et le reflux à la pression des eaux de la Mer par
le globe Lunaire , lorsque dans la révolution que
la Terre fait sur son axe en vingt - quatre heures,
les eaux de la Mer se trouvent directement sous
la Lune . Les Phénomenes quadrent à merveilles
To4 MERCURE DE FRANCE
à cette hypothese ; car la Lune décrivant
une ellipse autour de la Terre , c'est - à - dire
une orbite plus ovale que ronde , lorsqu'elle est
en conjonction ou en opposition avec le Soleil ,
elle se trouve en même-temps dans son perigée
ou dans sa plus grande proximité de la Terre
et dans le plus étroit de l'oval ; ainsi la Mer se
trouvant beaucoup plus pressés par les nouvelles.
et pleines Lunes , les marées doivent être alors
plus hautes , ce qui est conforme à l'Experience,
au lieu que les quadrats de la Lune se rencontrant
dans son apogée ou dans son plus grand
éloignement de la Terre et dans le plus large
de l'ellipse , la pression est moindre et les marées
plus basses ; et ce qui paroit encore d'une
justesse extrême , c'est que les marées retardent
tous les jours d'environ quarante- neuf minutes ,
comme le retour de la Lune au même méridien .
Les deux proprietez de l'Aiman d'attirer le fer
et de se tourner vers l'un des Poles , ont , suivant
Descartes , un même principe dans le tourbillon
magnétique , qui traverse et entoure la
Terre. Ce tourbillon doit être regardé comme
une file de matiere disposée en forme de visses qui
ne penetre que dans de petits écroux propres
la recevoir , n'entrant par cette raison que par
un des Poles de la Terre , et sortant toujours par
l'autre. Les poles de l'Aiman disposez de même ,
ne donnent entrée à cette matiere que d'un côté,
et son issue , comme dans le Globe Terrestre ,
est à l'opposite ; ce qui a fait dire que la Terre
est un grand Aiman , et qu'un Aiman sphérique
est une petite Terre . Si la matiere magnétique
sortant d'un Aiman , trouve du fer ou un autre
Aiman , qui ayent les mêmes dispositions à la
recevoir , elle s'y insinue avec vitesse , et chassant
MARS. 1734. 505
sant l'air intermediaire plus grossier et moins;
agité qu'elle , cet air , par la force de son ressort
, revient sur lui- même , et pressant les côrez
oposez de l'Aiman et du fer , les pousse
l'un contre l'autre . La matiere magnétique conservant
toujours sa direction vers le même pole ,
tourne du même côté l'aiguille aimantée , dans
laquelle elle s'insinuë.
Descartes explique d'une maniere qui n'est pas
moins ingenieuse , la formation.des corps particuliers
par leurs particules roides ou fléxibles ,
par leurs interstices plus ou moins ouverts, par
les differens degrez de leurs mouvemens ; mais
les bornes que nous nous sommes prescrites ne
nous permettent pas de le suivre dans ces differens
détails . Nous observerons seulement qu'il
fait consister la densité ou la rarefaction des
corps dans des particules plus ou moins déliées
et agitées , soutenant que la quantité de matiere
dépend uniquement de l'étendue , et que dans un
lingot d'or il n'y a pas plus de matiere que dans
une éponge d'un pareil volume . La difference des
couleurs , des odeurs , des saveurs , du chaud et
du froid , du sec et de l'humide , de la dureté et
de la mollesse , &c. n'est attribuée dans cette
Philosophie qu'aux situations , figures et mouvemens
des particules ; et les qualitez occultes ,
vertus sympathiques, formes substantielles et autres
expressions Péripatéticiennes , qui ne signifioient
rien et qu'on recevoit neanmoins pour
des explications , ont été proscrites par le Cartesianisme.
La Géometrie a fait plus d'honneur.
encore à Descartes que la Physique. Il est le premier
qui ait fait l'application de l'Algebre à la
Géometrie , et il a étendu fort loin les limites de
Fune et de Pautre.
I Cette
5c6 MERCURE DE FRANCE
'Cette Philosophie avoit à peine surmonté les
obstacles qui avoient traversé ses progrès , lorsqu'une
rivale , par des voyes entierement contraires
, a prétendu lui disputer la préference ;
et même l'emporter entierement sur elle. Descartes
se met à la portée des plus simples , conduisant
l'esprit des veritez primitives aux plus
composées ; Newton ne daigne parler qu'aux
plus sçavans Géometres et aux plus patiens Algebristes.
L'un descend des principes aux Phénomenes,
et des causes à leurs effets ; l'autre renfer
me toute sa théorie dans la liaison des Phéno
menes. Descartes vous engage par des idées
brillantes et des conjectures vrai- semblables ;
Newton prétend vous soumettre par des démonstrations
obscures et des calculs effrayants. L'un
tâche de vous faire connoître la Nature ; l'autre
connoît parfaitement l'esprit humain , toujours.
disposé à admirer ce qu'il ne comprend pas.
Descartes ne cherche qu'à éclairer l'esprit , Newton
mérite le surnom de Tenebreux, donné autrefois
à Héraclite. Descartes a paru dans un
temps où les nouveautez étoient haies et suspectes
; Newton a débité les siennes dans les circonstances
les plus favorables pour elles ,
lorsque
le génie des sciences étoit entierement tourné
du côté des nouveautez . Descartes se propose
davantage de découvrir pourquoi les choses sont
telles ; Newton paroît plus occupé d'examiner
comment elles sont . Le premier a tiré moins d'avantage
de la connoissance du Ciel , beaucoup
moins étendue de son temps ; le second plus aidé
par l'Astronomie , n'en a répandu dans sa Physique
que des nuages plus épais . Descartes établit
une hypothèse , il explique les Phénomenes ,
le plus qu'il lui est possible , par des loix generales
,
MARS. 1734. 507
sans
atrales , constantes et uniformes Newton
Nevvt. Princip . Mathem. in fin. Libr. 3 .
pag. 483. Edition 172.3 . ) déclare qu'il ne
forme aucune hypothese , il explique les Plénomenes
par la force de la gravité , et il attribue
cette gravité à quelque cause qui penetre
jusqu'aux centres du Soleil et des Planettes ,
diminution , et qui agit , non pas relativement
aux superficies des particules , comme les causes
méchaniques , mais à proportion de la matiere
solide, et dont l'action étendue jusqu'à des distances
immenses , va toujours décroissant en raison
doublée de ces distances. Tâchons de déve→
lopper ce qu'il nous a été possible de concevoir
de cette Philosophie Newtonienne , et en mê
me temps de réparer plusieurs deffectuositez justement
imputées au Systême Cartésien .
L
La suite pour le Mercure prochain.
Philosophies de Descartes et de Newton,
avec des Remarques sur l'une et sur l'autre.
Lportéuns avoitsteer
A Philosophie Péripatéticienne avoit remsur
tous les autres Sectes de l'Antiquité .L'Empire
d'Aristote étoit despotique . Les raisons qui sont
les Loix de la Philosophie , n'étoient point écou
tées , des veritez nouvelles étoient traitées de séditieuses
, et cette Philosophie , après avoir été
long- temps proscrite par le concours des deux
autoritez , ( Launoi , de fortun . Aristot . ) avoit sçû
les engager si bien dans son parti , que ceux qui
prétendoient secouer le joug des préjugez, étoient
punis comme perturbateurs. Malgré tous ces obstacles
, il parut un homme qui joignit la fermeté
du courage à l'élevation du génie . Toutes ses
vûes ne tendoient qu'à la verité ; plein d'ardeur
pour la tirer d'esclavage , il osa établir pour
principe , ( Cartes. Méditat. 1. ) que le commencement
de la Philosophie est de rejetter toutes les
opinions reçues jusqu'alors , de remonter à un
Scepticisme general , non pour demeurer dans
cet état de Pyrrhonien , incompatible avec les
lumieres naturelles , mais pour n'admettre au
pombre des veritez , que celles qui sont fondées
sur
496 MERCURE DE FRANCE
sur des notions claires , certaines et évidentes.
René Descartes , par ce seul principe , porta le
coup mortel aux décisions philosophiques for
dées sur les préjugez ; par cette voye d'un doute
general , il s'éleva ( Cartes . Méditat. 2. 3. 6. )
aux veritez primitives , de sa propre existence
de l'existence de Dieu , de la distinction de l'ame
et du corps ; des veritez les plus simples il passa
aux plus composées , il entreprit de connoître et
de dévoiler même la Nature ; et développant
quelques germes obscurs , informes et peu connus
, qui étoient enfermez dans les Livres des
Anciens sans explication suffisante , il en forma
un Systême Physique ( Cartes , Princip . part. 3. )
si étendu et si brillant , qu'il surpasse de bien
loin tout ce qu'on avoit imaginé jusqu'à lui de la
magnificence de l'Univers. Descartes n'est pas
bien d'accord avec lui- même sur la réalité de
l'Edifice qu'il a construit. Tantôt reconnoissant
tout ce que ses idées ont d'incertain.et de vague, il
les traite de Fables ( Trait . de la Lum. ) et de Romans
; tantôt paroissant rempli de confiance pour
ses découvertes , il n'hésite point à dire , que
persuadé par des notions si claires et si distinctes ,
il ne croit pas ( Princip . part . 4. et Epist. t. z .
Epist. 37. ) que la plupart des choses qu'il a
écrites , puissent être autrement.
Toute la Physique de Descartes se rapporte
aux loix generales du mouvement, établies par Ie
souverain Etre , en même - temps qu'il a créé la
matiere. C'est conformément à ces Loix que la
Providence Divine a construit le Monde , et
qu'elle le conserve ; Descartes définit la Nature ;
(Méditat. 6. ) l'ordre et la disposition que Dieu
a donnez aux choses créées. Quelqu'un peut- il
nier que la Physique ne consiste dans la recherche
MARS. 1734
497
che et la connoissnce de ces loix prescrites à la
Nature par son Auteur ? L'harmonie et la régularité
de l'Univers sont des témoignages continuels
de la sagesse infinie , dont elles sont émanées .
Aucune étude ne ramene davantage l'esprit au
Créateur , que la contemplation de la Nature.
C'est en quoi le Cartésianisme excelle , et jamais
aucune Philosophie ne fut plus diamétralement
opposée auSpinosisme qui, par l'hypothèse de tou- ,
tes la plus absurde , ne reconnoît dans les effets'
naturels qu'une matiere aveugle , privée d'intelligence
et de sentiment, et coufond les substances
spirituelles et corporelles ; ou à la Philosophic
Epicurienne , qui donne pour principe general
, des accrochemens d'admes unis fortuitement
par un mouvement de déclinaison , dont
l'Antiquité s'est mocquée . C'est uniquement à la
gloire du Cartesianisine et à l'envie des autres
Sectes , qu'on doit attribuer les accusations si
dénuées de toute vraye - semblance au sujet des
liaisons supposées de cette Philosophie avec les
absurditez de Spinosa et d'Epicure ; il est même
impossible de lire les Ouvrages de Descartes sans
être autant édifié de sa picté , qu'on est charmé
de sa modestie .
Descartes pose pour principes trois regles de
mouvement ( Princip. part. 2. ) qu'il appelle génerales
; la premiere , que tout corps persiste naturellement
dans l'état où il se trouve de mouvement
ou de repos , et il fonde cet axiome sur
une pensée fort juste , que rien ne se porte de soimême
et par sa nature à son contraire ou à sa
destruction. La seconde regle est que le mouvement
est proportionnel à l'impression de la force
qui le produit , er que tout corps qui se meut ,
tend à continuer son mouvement en ligne droite.
La
298 MERCURE DE FRANCE
La troisiéme est que si un corps qui se meut ên
rencontre un autre auquel il ne communique
aucune partie de son mouvement, il rejaillit avec
une force égale , et que , s'il lui communique une
partie de son mouvement , il en perd autant qu'il
en communique. De cette . Loi generale , Descartes
déduit les loix particulieres des rencontres
des corps à proportion des differens degrez de
vitesse et de masse ; loix particulieres , qui ne
peuvent , suivant son aveu , avoir une application
entierement juste , qu'en supposant que les deuxcorps
qui se rencontrent , fussent parfaitement
durs , et tellement séparez de tous les autres
corps , qu'aucun ne pût contribuer ou nuire à
leur mouvement , et il remarque au même en
droit que cela est impossible. Nous aurons plusieurs
observations à faire sur cette troisiéme loi
de mouvement.
La matiere est une , suivant les Principes de
Descartes , et toutes ses differences ne consistent
que dans les divisions , figures , situations et
mouvemens de ses parties . Il soutient que comme
il est impossible que la matiere soit sans étenduë
, l'espace ou l'étenduë ne peuvent aussi être
sans matiere ; qu'il y a la même contradiction à
concevoir un lieu sans un corps qui le remplisse ,
qu'à imaginer la rondeur sans une matiere qui
soit ronde , la blancheur sans un sujet qui soit
blanc , ou une montagne sans vallée . Puisque
tout est plein dans l'Univers , un corps qui se
meut , ne peut avancer , que la matiere qui est à
ses côtez ne passe en arriere , poussée par celle de
devant , qui est obligée de refluer aux côtez , ce
qui arrive avec une extrême facilité , lorsque le
corps , qui fait effort pour se mouvoir , a plus de
force que la matiere qui se trouve au -devant de
lui
MARS. 1734. 499
lui , n'en a pour résister. Le mouvement direct ,
le plus simple et le plus naturel , est moins
commun dans la Nature, que le mouvement circulaire
produit par les obstacles de la mutuelle
action et réaction des corps , mais le mouvement
circulaire retient toujours de son origine , que
tout corps qui se meut en rond , tend à s'échapper
dès qu'il est libre , par un mouvement direct ;
ce que les Géometres expriment en disant , que
tout corps qui par son mouvement décrit un
cercle , s'efforce continuellement d'en parcourir
la tangente.
La pression et le mouvement brisent les parties
de la matiere , qui sont divisibles à l'infini ,
leur fragilité ou leur disposition à s'unir , rend
les Elemens toujours conversibles l'un dans l'autre.
Descartes en admet trois ; la matiere subtile
ou le premier Element composé des partiès les
plus atténuées par le froissement; la matiere globuleuse
ou le second élement dont les particules
ont été arrondies et ont conservé une figure sphérique
dans le froissement ; et la matiere compac
te ou le troisiéme élement dont les particules
branchuës et de figures irrégulieres , ont le mieux
résisté au froissement . Ces trois élemens sont
imperceptibles ; et pour imaginer avec plus de
facilité leur effet dans la composition de tous les
corps matériels , représentez - vous un amas de
fruits ayant des figures fort irregulieres , comme
grenades , poires , pommes, concombres , nêfles,
grappes de raisins ; voilà la matiere compacte
ou le troisième élement . Répandez sur ce monceau
de fruits , des coriandes ; toutes ces petites
boules rondes se répandront de côté et d'autre
pour remplir les interstices des figures irrégulie
ICS c'est la matiere globuleuse ou le second
élement
38618 )
300 MERCURE DE FRANCE
élement. Versez enfin de la poudre à canon sur
le tas de fruits , elle ira s'insinuer dans les interstices
les plus petits , échappez aux dragées , et
elle représentera ici la matiere subtile ou le premier
élement . Si cette poudre à canon domine
assez dans les interstices des fruits et qu'elle y
ait assez de force pour leur communiquer la rapidité
de son mouvement en chassant les dragées ,
et les repoussant de toutes parts , l'amas tout entier
devient enflammé et lumineux , et ce feu est
d'autant plus violent , que la solidité des parties
les plus grossieres du troisiéme élement y est
jointe à la rapidité du mouvement du premier ,
et que la force de masse , comme disent les Physiciens
, accompagne la force de vitesse. Si la matiere
compacte reçoit dans ses interstices les globules
du second élement qui y temperent l'extrême
mouvement du premier ou de la matiere
subtile , le corps est opaque et plus ou moins solide
, suivant la grossiereté des parties du troisiéme
élement. Si la matiere globuleuse trouve
les pores disposez à lui laisser un passage libre
pour traverser de part en part , le corps est transparent.
On ne peut donner des images trop sensibles
des principes qu'on explique , sur tout dans
un temps où il s'est introduit un usage presque
general , de ne traiter les Sciences que par quelques
caracteres Algebriques et d'une manière si
abstraite , qu'elle ne donne aucune prise à l'imagination.
Passons à l'application que Descartes a faite
de ses Principes . Les mouvemens directs de la
matiere ont été changez en mouvemens circulaires
par les obstacles de l'action et de la réaction
des corps. Des tourbillons de grandeur inégales
se sont formez , ils en ont aussi contenu d'autres,
comme
MARS. 1734.
501
•
comme on voit des torrens qui se traversent ,
être agitez circulairement et renfermer au-dedans
d'eux - mêmes des courants plus petits , qui
tournant sur leur propre centre , sont emportez
par le mouvement circulaire du plus grand. Le
froissement de la matiere l'ayant divisée en trois
élemens , Descartes suppose qu'il s'est fait au centre
du tourbillon un amas de matiere subtile ,
dont ce Philosophe a composé les Etoiles , qu'il
a regardées comme autant de Soleils . Le prodigieux
mouvement de la matiere subtile qui repousse
de toute part les globules du second éle
ment , rend les globes des étoiles enflammez et
lumineux par eux- mêmes. Mais il est arrivé â
quelques- uns de ces globes que leurs mouvemens
se sont , rallentis , que leurs interstices ont été
differemment disposez , et que le globe , d'enflammé
et de lumineux , est devenu dense et
opaque , qu'alors privé de la force et de l'activité
de son mouvement , il n'a pû deffendre
son tourbillon contre la pression des tourbillons .
voisins qui ont envahi son atmosphere ; et le
globe lui- même a passé dans un autre tourbillon,
au mouvement duquel il a été assujetti après s'y
être mis en équilibre. C'est l'origine que Descar
tes donne ( Cartes . Princip . part. 3. ) à la Terre
et aux autres Planétes , qui ont commencé , suivant
son Systême , par être des Soleils ou des
Etoiles. Il donne la même explication des Cométes
comme de Soleils récemment éteints et
encroûtez , qui traversent les espaces éthérées
jusqu'à ce qu'ils ayent rencontré dans quelque
tourbillon un fluide d'une épaisseur et d'un mouvement
proportionnez , et propres à les fixer en
équilibre.
La lumiere consiste dans l'impulsion des parties
582
MERCURE
DE FRANCE
ties globuleuses du second élement répandues de »
toutes parts , à peu près comme un grain de poudre
à canon en se développant , chasse de tout
côté les corps qu'il rencontre. La prodigieuse rapidité
de la lumiere est causée parce que tous les
globules du second élement sont contigus et que,
Pimpression qui agit sur le premier , se fait sentir
en même- temps sur tous les autres , comme
un bâton ne
ne peut être remué par un bout , que le
mouvement ne soit aussi - tôt communiqué à
l'autre extremité , quelque éloignée qu'elle soit.
Cette rapidité de la lumiere transmise par la continuité
des globules du second élement , est une
des preuves d'experience , qu'il n'y a point de
vuide dans la Nature
Le mouvement circulaire des tourbillons est
dans le Systême Cartésien , la cause de la pesanteur.
Ce qu'on appelle pesanteur est proprement
une moindre legereté . Les trois élemens ont dif
ferens degrez de, force centrifuge ; la matiere'
subtile du premier élement a plus d'action
( Cartes. Princip . part . 4 ) pour s'éloigner du
centre , que pareille quantité du second élement,
parce que la matiere subtile se meut plus vîte ; etpar
la même raison le second élement a plus de
force centrifuge que pareille quantité des parties
du troisième , et le corps qui à plus de force cen
trifuge , répercute et chasse vers le centre celui
qui en a moins ; ce qui cause la chute des corps
massifs et produit toutes les apparences auxquelles
on a donné le nom de legereté et de pesanteur.
Ainsi jettez de l'huille dans un vase qui est
vuide , ( Tr. de l'Opin Liv . 4. Ch. 2. ) c'est- àdire
, rempli seulement d'air , l'huile est forcée
de descendre au fond et de ceder au mouvement
plus agite de l'air ; sur l'huile versez de l'eau , les
parties
MARS. 1734. 503
les parties de l'huile plus déliées que celles de
l'eau et qui par consequent ont plus de force
pour s'éloigner du centre , s'élevent au- dessus de
l'ean ; si vous y jettez ensuite du sable , l'eau
chasse au- dessous d'elle les parties plus compactes
du sable , ce dernier a le même avantage sur
le vif- argent encore plus solide ; et enfin l'or
fondu , le plus massif de tous les corps , sera
précipité au - dessous de tous les autres .
Descartes a apperçû la contrarieté ( Trait. de
la Lum. Chap. 11. ) qui se rencontre ici dans le
méchanisme, sur lequel il a fondé son Systême ,
ayant dit plus haut que la matiere subtile s'est
amassée au centre pour y former le Soleil , au
lieu que pour expliquer la pesanteur , il donne
ici cette raison , que les corps massifs ayant
moins de mouvement , ont moins de force que
la matiere subtile n'en a pour s'élever à la circonference.
Cette objection qu'il s'est faite à
lui- même , ne l'a pas engagé à corriger la contradiction
de son méchanisme , et il s'est contenté
de répondre que lorsqu'il a placé les corps
solides à la circonference , est parce qu'il a
supposé que dès le commencement ils étoient
agitez du mouvement genefal du tourbillon , et
à l'égard de la pesanteur , il se restraint à soutenir
que les corps les plus massifs qui sortent
du repos et qui commencent à se mouvoir , ont
moins de force centrifuge , et doivent être renvoyez
vers le centre .
Descartes ( Princip . part. 4. ) attribuë le flux
et le reflux à la pression des eaux de la Mer par
le globe Lunaire , lorsque dans la révolution que
la Terre fait sur son axe en vingt - quatre heures,
les eaux de la Mer se trouvent directement sous
la Lune . Les Phénomenes quadrent à merveilles
To4 MERCURE DE FRANCE
à cette hypothese ; car la Lune décrivant
une ellipse autour de la Terre , c'est - à - dire
une orbite plus ovale que ronde , lorsqu'elle est
en conjonction ou en opposition avec le Soleil ,
elle se trouve en même-temps dans son perigée
ou dans sa plus grande proximité de la Terre
et dans le plus étroit de l'oval ; ainsi la Mer se
trouvant beaucoup plus pressés par les nouvelles.
et pleines Lunes , les marées doivent être alors
plus hautes , ce qui est conforme à l'Experience,
au lieu que les quadrats de la Lune se rencontrant
dans son apogée ou dans son plus grand
éloignement de la Terre et dans le plus large
de l'ellipse , la pression est moindre et les marées
plus basses ; et ce qui paroit encore d'une
justesse extrême , c'est que les marées retardent
tous les jours d'environ quarante- neuf minutes ,
comme le retour de la Lune au même méridien .
Les deux proprietez de l'Aiman d'attirer le fer
et de se tourner vers l'un des Poles , ont , suivant
Descartes , un même principe dans le tourbillon
magnétique , qui traverse et entoure la
Terre. Ce tourbillon doit être regardé comme
une file de matiere disposée en forme de visses qui
ne penetre que dans de petits écroux propres
la recevoir , n'entrant par cette raison que par
un des Poles de la Terre , et sortant toujours par
l'autre. Les poles de l'Aiman disposez de même ,
ne donnent entrée à cette matiere que d'un côté,
et son issue , comme dans le Globe Terrestre ,
est à l'opposite ; ce qui a fait dire que la Terre
est un grand Aiman , et qu'un Aiman sphérique
est une petite Terre . Si la matiere magnétique
sortant d'un Aiman , trouve du fer ou un autre
Aiman , qui ayent les mêmes dispositions à la
recevoir , elle s'y insinue avec vitesse , et chassant
MARS. 1734. 505
sant l'air intermediaire plus grossier et moins;
agité qu'elle , cet air , par la force de son ressort
, revient sur lui- même , et pressant les côrez
oposez de l'Aiman et du fer , les pousse
l'un contre l'autre . La matiere magnétique conservant
toujours sa direction vers le même pole ,
tourne du même côté l'aiguille aimantée , dans
laquelle elle s'insinuë.
Descartes explique d'une maniere qui n'est pas
moins ingenieuse , la formation.des corps particuliers
par leurs particules roides ou fléxibles ,
par leurs interstices plus ou moins ouverts, par
les differens degrez de leurs mouvemens ; mais
les bornes que nous nous sommes prescrites ne
nous permettent pas de le suivre dans ces differens
détails . Nous observerons seulement qu'il
fait consister la densité ou la rarefaction des
corps dans des particules plus ou moins déliées
et agitées , soutenant que la quantité de matiere
dépend uniquement de l'étendue , et que dans un
lingot d'or il n'y a pas plus de matiere que dans
une éponge d'un pareil volume . La difference des
couleurs , des odeurs , des saveurs , du chaud et
du froid , du sec et de l'humide , de la dureté et
de la mollesse , &c. n'est attribuée dans cette
Philosophie qu'aux situations , figures et mouvemens
des particules ; et les qualitez occultes ,
vertus sympathiques, formes substantielles et autres
expressions Péripatéticiennes , qui ne signifioient
rien et qu'on recevoit neanmoins pour
des explications , ont été proscrites par le Cartesianisme.
La Géometrie a fait plus d'honneur.
encore à Descartes que la Physique. Il est le premier
qui ait fait l'application de l'Algebre à la
Géometrie , et il a étendu fort loin les limites de
Fune et de Pautre.
I Cette
5c6 MERCURE DE FRANCE
'Cette Philosophie avoit à peine surmonté les
obstacles qui avoient traversé ses progrès , lorsqu'une
rivale , par des voyes entierement contraires
, a prétendu lui disputer la préference ;
et même l'emporter entierement sur elle. Descartes
se met à la portée des plus simples , conduisant
l'esprit des veritez primitives aux plus
composées ; Newton ne daigne parler qu'aux
plus sçavans Géometres et aux plus patiens Algebristes.
L'un descend des principes aux Phénomenes,
et des causes à leurs effets ; l'autre renfer
me toute sa théorie dans la liaison des Phéno
menes. Descartes vous engage par des idées
brillantes et des conjectures vrai- semblables ;
Newton prétend vous soumettre par des démonstrations
obscures et des calculs effrayants. L'un
tâche de vous faire connoître la Nature ; l'autre
connoît parfaitement l'esprit humain , toujours.
disposé à admirer ce qu'il ne comprend pas.
Descartes ne cherche qu'à éclairer l'esprit , Newton
mérite le surnom de Tenebreux, donné autrefois
à Héraclite. Descartes a paru dans un
temps où les nouveautez étoient haies et suspectes
; Newton a débité les siennes dans les circonstances
les plus favorables pour elles ,
lorsque
le génie des sciences étoit entierement tourné
du côté des nouveautez . Descartes se propose
davantage de découvrir pourquoi les choses sont
telles ; Newton paroît plus occupé d'examiner
comment elles sont . Le premier a tiré moins d'avantage
de la connoissance du Ciel , beaucoup
moins étendue de son temps ; le second plus aidé
par l'Astronomie , n'en a répandu dans sa Physique
que des nuages plus épais . Descartes établit
une hypothèse , il explique les Phénomenes ,
le plus qu'il lui est possible , par des loix generales
,
MARS. 1734. 507
sans
atrales , constantes et uniformes Newton
Nevvt. Princip . Mathem. in fin. Libr. 3 .
pag. 483. Edition 172.3 . ) déclare qu'il ne
forme aucune hypothese , il explique les Plénomenes
par la force de la gravité , et il attribue
cette gravité à quelque cause qui penetre
jusqu'aux centres du Soleil et des Planettes ,
diminution , et qui agit , non pas relativement
aux superficies des particules , comme les causes
méchaniques , mais à proportion de la matiere
solide, et dont l'action étendue jusqu'à des distances
immenses , va toujours décroissant en raison
doublée de ces distances. Tâchons de déve→
lopper ce qu'il nous a été possible de concevoir
de cette Philosophie Newtonienne , et en mê
me temps de réparer plusieurs deffectuositez justement
imputées au Systême Cartésien .
L
La suite pour le Mercure prochain.
Fermer
Résumé : COMPARAISON des deux Philosophies de Descartes et de Newton, avec des Remarques sur l'une et sur l'autre.
Le texte compare les philosophies de Descartes et de Newton, en se concentrant sur la philosophie cartésienne. La philosophie péripatéticienne, dominée par Aristote, réprimait les nouvelles idées et punissait ceux qui remettaient en question les préjugés. René Descartes, avec une ferme détermination et un génie élevé, a proposé de rejeter toutes les opinions reçues pour adopter un scepticisme général, afin d'accepter uniquement les vérités fondées sur des notions claires et évidentes. Cette approche a permis à Descartes de découvrir des vérités primitives, telles que l'existence de Dieu et la distinction de l'âme et du corps, et de développer un système physique étendu et brillant. La physique de Descartes repose sur les lois générales du mouvement établies par Dieu lors de la création de la matière. Ces lois gouvernent l'ordre et la disposition des choses créées, témoignant de la sagesse infinie de Dieu. Descartes a formulé trois règles générales du mouvement : la persistance des corps dans leur état de mouvement ou de repos, la proportionnalité du mouvement à la force qui le produit, et la conservation du mouvement lors des rencontres entre corps. Il a également proposé que la matière est unique et que ses différences résident dans les divisions, figures, situations et mouvements de ses parties. Descartes a décrit trois éléments de la matière : la matière subtile, la matière globuleuse et la matière compacte. Il a expliqué les phénomènes naturels, comme la lumière et la pesanteur, par les interactions de ces éléments. La lumière est due à l'impulsion des particules globuleuses, tandis que la pesanteur résulte du mouvement circulaire des tourbillons. Descartes a également proposé une origine des planètes et des comètes, les décrivant comme des étoiles ou des soleils éteints et encroûtés. Descartes explique la chute des corps en fonction de leur masse et de leur mouvement. Il attribue le flux et le reflux des marées à la pression exercée par la Lune sur les eaux de la mer, en fonction de la position de la Lune par rapport à la Terre. Les propriétés de l'aimant sont expliquées par un tourbillon magnétique entourant la Terre. Descartes décrit la formation des corps en fonction de la densité et de la rarefaction des particules, rejetant les qualités occultes et les formes substantielles au profit d'une explication basée sur les mouvements et les figures des particules. Il est également reconnu pour avoir appliqué l'algèbre à la géométrie. En comparaison, Newton introduit la notion de gravité comme une force agissant proportionnellement à la masse et décroissant avec le carré de la distance. Descartes rend la science accessible en partant des principes fondamentaux pour expliquer les phénomènes, tandis que Newton s'adresse aux savants en se basant sur des démonstrations mathématiques complexes. Descartes cherche à comprendre pourquoi les choses sont telles qu'elles sont, tandis que Newton se concentre sur comment elles sont.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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14
p. 659-669
SECONDE Partie de la Comparaison de Descartes et de Newton.
Début :
Les Newtoniens s'efforcent d'abord d'élever leur Philosophie sur les ruines de celle de [...]
Mots clefs :
Descartes, Newton, Mouvement, Matière, Force, Corps, Espace, Comètes, Lieu, Rayons, Tourbillons, Principe, Pesanteur, Action, Attraction
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SECONDE Partie de la Comparaison de Descartes et de Newton.
SECONDE Partie de la Comparaison
de Descartes et de Newton .
•
Es Newtoniens s'efforcent d'abord d'élever
LeurPhilosophie sur les ruines de celle de
>
Descartes. Ils soutiennent que le vuide est nécessaire
dans la Nature , pour qu'il puisse y
avoir du mouvement. Si la matiere peut être
plus ou moins rarefiée dit Newton , f Prin
cip. Math. p. 368. Edit. 1723. ) rien n'empêche
qu'elle ne le soit à l'infini , et il conclut
de ce principe , que non- seulement il y a du
vuide dans les espaces éthérées , mais encore que
ces espaces sont ( Nevv. Optic. ) entierement vuides.
Newton avance comme des axiomes dont il
n'est pas permis de douter , qu'il y a des lieux
( Princip. Math. définit, 8. Schol . p. 7. ) absolus
et primitifs , qui sont tels par leur essence et
auxquels on ne peut attribuer le mouvement.
ΤΟΙ
660 MERCURE DE FRANCE
Tous ces Principes de Newton sont insoute
nables , suivant le plus grand nombre des Physiciens
qui rejettent le vuide. Il n'y a point de
lieux absolus et primitifs ; et l'opinion du vuide
l'une des fondamentales de la Philosophie Newtonienne
tombant en ruine , entraîne toute cette
Philosophie avec elle. Le lieu ne devient tel, que
par la matiere ou l'étenduë qu'il contient. S'il
est sans matiere , il est sans étenduë , il cesse
d'être ; car le néant ne peut être étendu , et des
espaces séparez par rien , sont des espaces non
séparez , ou qui se touchent immédiatement.
L'espace ne peut pas davantage exister sans matiere
, ( Cartes. princip . part. 2. ) qu'une Montagne
sans vallée . L'étendue et l'espace ont commencé
par la création de la matiere et ont les
mêmes limites qu'elle. Penser autrement , c'est
se laisser éblouir par une image superficielle tracée
dans l'imagination et par l'habitude que les
rapports des sens ont causée en elle , en nous réprésentant
certains espaces comme vuides , parce
qu'ils sont remplis d'air ou de quelque autre
matiere encore plus déliée et plus imperceptible .
Au- delà des bornes du Monde matériel il n'y a
ni lieu ni espace ; autrement le lieu et l'espace
seroient infinis et éternels , ce qui mene aux consequences
les plus absurdes. Je suppose que les
derniers tourbillons qui composent l'Univers ,
s'étendent ou se resserrent , comme il seroit trèspossible
à l'Etre Souverain de les étendre ou de
les resserrer , le lieu et l'espace seroient augmentez
ou diminuez à proportion ; ce qui n'étoit pas
lieu , deviendroit tel , ou ce qui étoit lieu cesseroit
de l'être. Il n'y a donc ni espace ni lieu absolus
et primitifs , qui existent indépendamment
ou séparément du corps qui les remplit. Le lieu
AVRIL. 1734. 661
et l'espace ne sont autre chose que le corps luimême
, ayant differentes relations aux corps qui
l'environnent. Ils ne sont pas plus réels que la
situation ou la relation du corps . Le mouvement
se fait sans obstacle dans le plein . Pour peu que
la matiere soit rarefiée , elle cede facilement à un
corps plus massif. Il faut seulement que la force
motrice surpasse la résistance du fluide. Alors
il est également certain par le raisonnement et
par les experiences , qu'un corps avançant dans
le plein , la matiere dont il prend la place , reflue
vers ses côtez , et qu'en même temps la matiere
des côtez passe en arriere ; ensorte qu'un
mouvement direct en produit plusieurs circulaires,
ce qui n'arriveroit pas dans le vuide . Suivant
Descartes , dans tout espace égal , il y a toujours
même quantité de matiere , soit rarefiée , soit
condensée ; la situation , la figure et le mouvement
des particules en font toute la difference .
Les Newtoniens ( Prafat. editor . in Nevvton. )
objectent à la Physique corpusculaire de Descartes
, que la licence d'imaginer à son gré les figures
et les mouvemens d'une matiere imperceptible
, de supposer l'arrangement et l'impulsion
de ses particules , suivant le besoin qu'on
en a , de feindre des corps si déliez et si subtils ,
qu'ils traversent et remplissent toutes sortes d'interstices
avec une rapidité et une force de mouvement
qui n'ont aucune vrai - semblance ,
renoncer à ce qu'il y a de réel dans la Physique
pour s'attacher à des entitez inconnues , que
c'est abandonner la vraie constitution des choses
, pour s'appuyer sur des conjectures chimeri-
.ques ; que les causes occultes ne sont pas celles
qui produisent des effets évidents , et certains
comme la gravité, mais plutôt celles qui depenc'est
dent
662 MERCURE DE FRANCE
,
dent d'hypothèses purement imaginaires , comme
une matiere subtile et des tourbillons. Qu'une
cause n'est point occulte pour être primitive
et très-simple , et qu'une pareille cause n'est point
susceptible d'explications méchaniques. Que
pour expliquer la constitution d'une Horloge
il ne s'agit pas d'une supposition vague de ressorts
inconnus , qu'il faut faire connoître quelle
est la proportion et l'action de toutes les machines
qui la composent , et quel est leur effet
sensible. Que Galilée , par exemple , ayant établi
cette regle conforme à l'experience ; que les
corps jettez décrivent une parabole , si un Philosophe
vient dire que le corps jetté décrit cette
courbe , parce qu'il y a dans l'air une matiere
subtile qui la décrit aussi , un pareil raisonnement
ne peut paroître ai solide ni utile. Que si
vous mêlez dans un vase plusieurs liqueurs d'une
pesanteur inégale , il n'y aura de mouvement
entr'elles que jusqu'à ce qu'elles se soient arrangées
aux differentes hauteurs proportionnées à
leur gravité , et que de même dans les tourbillons
Cartésiens le mouvement doit cesser , lorsque
les Elemens occupent la place qui convient à
leurs forces centrifuges.
Les Cartésiens répondent que ce seroit faire
grand tort au raisonnement , que de ne vouloir
pas qu'il pénetre plus loin que les yeux ;
que si l'on considere l'augmentation et diminution
des corps dont l'experience est continuelle,
si l'on fait attention aux découvertes surprenantes
qui ont été faites par les Microscopes , on
ne peut nier que les parties imperceptibles ne
soient aussi réelles dans la Nature que celles
qui donnent prise à nos sens . Que puisque nous
sommes assurez que chaque corps est composé
de
AVRIL. 1734. 663
de plusieurs autres corps si petits , que nous ne
pouvons en avoir qu'une connoissance intellectuelle
tout Philosophe doit avouer qu'il est
très - avantageux de juger des Phénomenes perceptibles
aux sens , par une méchanique supposée
avec beaucoup de vrai- semblance dans les
Elemens imperceptibles ; de rendre raison par ce
moyen de tout ce qui est en la Nature; et de substituer
des causes vraiment physiques à des termes
qui ne signifient rien, comme les formes substan
tielles des Péripatéticiens, ou à des qualitez dont
on suppose des effets , sans expliquer de quelle
maniere ces effets peuvent être produits , comme
dans le Sistême de l'attraction Newtonienne.
Que les liqueurs mêlées dans un vase , demeurent
en repos après s'être arrangées convenablement
à leur pesanteur, parce que la résistance que
leur mouvement est obligé de vaincre , anéantit
à la fin ce mouvement , mais que les tourbillons
n'éprouvent aucune résistance pareille.
Que ces mouvemens nécessaires à la conservation
de l'Univers sont entretenus par la même
Providence qui les a créez et établis. Et bien loin
que la matiere liquide dont les Cieux sont remplis
dans le Systême Cartésien , nuise au mouvement
rapide des corps Celestes , comme Newton
l'a prétendu, rien n'est plus capable d'aider le
mouvement d'un Globe qui circule , qu'un fluide
déterminé à se mouvoir vers le même côté avec
autant et plus de force que le Globe lui- même; et
ce véhicule paroît absolument nécessaire pour
imaginer les révolutions rapides des corps celestes .
L'objection contre le Systême Cartésien , sur
laquelle Neuwton paroît se fonder avec le plus
de confiance , est tirée des Cométes. Il est impossible
, dit- il , ( Nevut. Princip. Math . p.
481. )
664 MERCURE DE FRANCE
ton ,
481. ) que les tourbillons subsistent et puissent
être conciliez avec les mouvemens irréguliers des
Cométes qui les font errer dans toutes les parties
du Ciel. Cette objection se rétorque contre Newcar
les Cométes ne sont pas plus fideles
aux loix de l'attraction , à moins que quelque
Newtonien , à l'exemple du Maître , ne nous
donne dans un calcul précis le degré de pesanteur
réciproque de chaque Planette sur chaque
Cométe ; car la précision des calculs ne coute
rien à cette Philosophie. Dans le Systême Cartésien
il est aisé de répondre , touchant l'irrégularité
du cours des Cométes , que ces Phénomenes
passagers ne doivent pas suivre le mouvement
des Cieux des Planetes ; si les Cometes ne
sont autre chose que des amas de matiere , irréguliers
dans le temps de leur durée et dans leur
cours , la cause qui les produit est aussi celle qui
dirige leur mouvement ; comme les vents dans
notre atmosphere ont une égale violence en tout
sens , et ne sont point assujettis au cours uniforme
du fluide qui accompagne la révolution du
Globle Terrestre , ni aux loix de l'attraction
Newtonienne. Si les Cométes sont des Astres
dont le cours soit reglé et qui ne soient visibles
pour nous , que lorsque leurs révolutions périodiques
les ramenent aux confins de notre
tourbillon , les Cometes suivent le courant d'un
Auide étranger , qui n'a rien de commun avec
ceux de nos Planetes. Alors les Cométes sont à
peu près dans la Région de Saturne , et peut- être
même plus proches. Car les tourbillons remplis
à leurs extremitez d'une matiere fort déliée , cédent
facilement à la moindre impression ; et il
est assez vrai semblable que les courants d'un
tourbillon peuvent penetrer dans un tourbillon
voiAVRIL.
173 4. 565
voisin , à peu près comme les eaux de la
Mer entrent dans un Golphe, Ces fluides des
differents tourbillons ne se mêlent pas pour cela
et ne changent pas la direction de leur mouvement.
On remarque néanmoins que les Cométes
approchant du Soleil , reçoivent une impression
sensible de ses rayons ; car la queue ou plutôt
l'atmosphere de la Cométe , qui , suivant l'observation
de Képler , paroît toujours opposée au
Soleil, est rejettée en arriere par l'impulsion de ses
rayons , comme une chevelure exposée aux vents.
Newton a mieux traité le mouvement que
Descartes , mais ni l'un ni l'autre ne sont parvenus
à en donner une idée entierement juste .
Descartes entend par le mouvement les differentes
relations d'un corps. Il avoue ( Prin
cip. part. 2. ) que , suivant ses principes , on peut
dire qu'un corps se meut en même -temps et ne
se meut pas. Il soutient qu'il ne faut pas plus
d'action pour le mouvement que pour le repos .
D'où l'on peut conclure qu'une Statuë est dans
le même mouvement qu'un homme qui s'éloigne
d'elle. Il attribue le mouvement d'un corps
à la relation des corps qui le touchent immédiatement
; ce qui étant pris au pied de la lettre ,
signifie qu'un homme qui feroit à pied le tour
du Monde dans les mêmes habits , në se remuëroit
pas , et il s'ensuivroit cette conséquence .
qu'un corps seroit mû en même- temps dans des
sens contraires , comme un Plan sur lequel
deux corps seroient poussez l'un à droite ,
l'autre à gauche. Newton ( Princip . Math . définit,
8. Schol. p . 8. et 9. et axiom . p . 18. ) distingue
le mouvement vrai du mouvement relatif. Suivant
les explications qu'il donne , le mouvement
vrai consiste dans la force qui agity soit que
cette
€65 MERCURE DE FRANCE
le cette force soit dans le corps même , soit que
corps la reçoive d'ailleurs . Le mouvement relatif
ne dépend que des changemens de situation
des corps , les uns à l'égard des autres . Il suit de
ces principes , qu'il peut y avoir un mouvement
veritable avec plusieurs repos relatifs , comme
lorsqu'un corps avance et que plusieurs corps
qui l'environnent , avancent en même temps ; et
qu'il peut y avoir au contraire plusieurs mouvemens
relatifs sans aucun mouvement veritable ,
comme lorsqu'un homme est tranquille dans un
vaisseau dont le mouvement est égal et uniforme
; et qu'ainsi le mouvement véritable ne consiste
pas dans les relations .Mais quoique le mou
vement veritable ne consiste pas uniquement
dans les relations , il ne peut être neanmoins
sans quelque changement de rapports , sinon aux
objets prochains , du moins aux éloignez . La
force seule ne fait pas le mouvement ; car si elle
rencontre des obstacles plus puissants qu'elle , le
coips reste dans un veritable repos . En réunissant
donc ces principes , le mouvement peut être
défini , ce me semble , le changement de relations
d'un corps à des objets prochains ou éloignez
par l'action d'une force que ce corps a en luimême
ou qu'il a reçûë d'ailleurs .
Newton a penetré plus avant que Descartes
dans la théorie des couleurs . Suivant les principes
Cartésiens , si la superficie des corps ne laisse
aucun accès dans ses interstices aux globules
du second Element , les corps paroissent lumineux
ou sont au moins fort blancs , lorsqu'ils
ne sont pas enflammez , et les globules repoussez
ont une force qui éblouit. Si les pores fort
ouverts , comme un petit crible , reçoivent dans
toute leur surface les globules du second Element
AVRIL. 1734. 667
>
ment , ils absorbent les rayons de lumiere , et
leur couleur est très - noire . Si l'angle de reflexion
est tel , que les globules flattent l'organe visuel ,
la couleur est agréable , comme le verd . Newton
a suivi une route differente . Il établit une espece
de gamme des couleurs élementaires , et entreprenant
en quelque sorte l'anatomie de la lumiere
, il pose pour principes sept especes de
rayons , dont chacun porte sa couleur particuliere
; sçavoir , rouge , orangé , jaune , verd
bleu , indigo , violet ; en sorte que le rayon qui
porte une couleur , n'en porte jamais d'autre.
Exposez aux rayons du Soleil un prisme triangulaire
à une certaine distance d'un papier , qui
puisse renvoyer les rayons rompus et séparez ;
Vous voyez sur le papier sept couleurs bien distinctes
et disposées dans l'ordre qui vient d'être
rémarqué , de la couleur rouge , orangée , jaune
verte , bleue , indigo et violette. Newton a de
plus remarqué que les espaces occupés par les
couleurs sur le papier , sont en même proportion
que les chiffres qui expriment les intervales
des sept tons de Musique. Faites au papier une
petite ouverture , qui ne laisse passer qu'une espece
de rayon qui porte , par exemple , le rouge
ou le violet , rompez de nouveau le rayon avec
un second prisme , un troisiéme ; faites - les tourner
sur les axes ; le rayon differemment rompu,
refléchi differemment , présente toûjours la même
sorte de couleur. Dans cette hypothèse , le blanc
résulte du mêlange des sept couleurs principales,
et les corps paroissent differemment colorez ,
parce que la figure de leurs pores , la tissure et
la consistance de leurs parties refléchissent une
plus grande quantité de rayons d'une certaine
espece , tandis que les interstices de ces corps
trans668
MERCURE DE FRANCE
transmettent la plupart des autres rayons ou
qu'ils les absorbent.
Newton a été moins heureux dans les loix du
mouvement qu'il a établies ; il prétend que les
actions de deux corps sont toujours mutuelles
égales et opposées, ( Nevvt, Princip . Math. axiom.
leg. 3. p. 13. ) ensorte que la réaction est toujours
contraire et égale à l'action . Ce principe
dont il fait l'axiome fondamental ( Ib . Coroll. 3 .
p. 15, et seq. ) de ses démonstrations , détruit
toutes les loix de la statique et de l'équilibre ; car
si la réaction est toujours égale à l'action ,
les corps agiront avec des forces égales et tous
les contrepoids demeureront en suspens et sans
action. Le prétendu axiome , au lieu d'être un
principe de mouvement , seroit le principe d'une
immobilité generale , puisqu'il est certain
qu'un carosse et six chevaux demeureront immobiles
, si la réaction du carosse est égale et
opposée à l'action des six chevaux.
tous
Newton dit ailleurs que la pesanteur ou la gra
vité des corps ( Princip. Math. lib . 3. Propos.
7. Theor. 7.p.369 . ) est universelle et qu'elle est
proportionnée à la quantité de matiere qui est
en eux. Les calculs de la pesanteur des Planetes
roulent sur cet axiome contraire au sentiment du
plus grand nombre des Physiciens qui rejettent
le vuide , et suivant lesquels chaque espace égal
contient toujours une égale quantité de matiere.
Newton avance un autre principe fort opposé
aux idées naturelles, sçavoir , que moins un
corps qu'on jette ( Princip. Math definit . 5. p. 3. )
a de gravité , moins il s'écarte de la ligne droite
et plus il va loin. Suivant ce principe , un
Globe de liége . poussé avec beaucoup de force ,
devroit aller plus loin qu'un Globe de plomb ,
poussé
AVRIL. 1734. 669
poussé avec une force égale , le Globe de liege
ayant moins de gravité ; à moins qu'on ne regarde
le Globe de liege comme ayant plus de
gravité qu'un Globe de plomb , parce que le Globe
de liege est attiré plus promptement vers la
terre ; et alors celui qui auroit , suivant Newton,
le moins de matiere , auroit le plus de gravité.
Le fondement géneral du Systême Newtonien,
l'axe, pour ainsi- dire, sur lequel toute cette Philosophie
tourne , c'est l'attraction . Newton admet
aussi dans la matiere une hétérogénéïté ou diversité
de genres , qualité aussi occulte que l'attraction,
et qui n'a aucune signification Physique.Descartes
ne reconnoît dans la Nature qu'un mouvement
d'impulsion, et il rapporte le mouvement au
Créateur, comme à sa cause unique et immédiate
Newton regarde le mouvement comme l'effet de
Pattraction. Il y a donc entre ces deux Philosophes
une opposition de sentimens sur la cause
physique generale et primitive ; ce que l'un considére
comme la causé , l'autre lui donne la qualification
d'effet ; Descartes déduit la pesanteur
du mouvement , Newton déduit le mouvement
de la pesanteur ou de l'attraction .
La suite dans le Mercure prochain.
de Descartes et de Newton .
•
Es Newtoniens s'efforcent d'abord d'élever
LeurPhilosophie sur les ruines de celle de
>
Descartes. Ils soutiennent que le vuide est nécessaire
dans la Nature , pour qu'il puisse y
avoir du mouvement. Si la matiere peut être
plus ou moins rarefiée dit Newton , f Prin
cip. Math. p. 368. Edit. 1723. ) rien n'empêche
qu'elle ne le soit à l'infini , et il conclut
de ce principe , que non- seulement il y a du
vuide dans les espaces éthérées , mais encore que
ces espaces sont ( Nevv. Optic. ) entierement vuides.
Newton avance comme des axiomes dont il
n'est pas permis de douter , qu'il y a des lieux
( Princip. Math. définit, 8. Schol . p. 7. ) absolus
et primitifs , qui sont tels par leur essence et
auxquels on ne peut attribuer le mouvement.
ΤΟΙ
660 MERCURE DE FRANCE
Tous ces Principes de Newton sont insoute
nables , suivant le plus grand nombre des Physiciens
qui rejettent le vuide. Il n'y a point de
lieux absolus et primitifs ; et l'opinion du vuide
l'une des fondamentales de la Philosophie Newtonienne
tombant en ruine , entraîne toute cette
Philosophie avec elle. Le lieu ne devient tel, que
par la matiere ou l'étenduë qu'il contient. S'il
est sans matiere , il est sans étenduë , il cesse
d'être ; car le néant ne peut être étendu , et des
espaces séparez par rien , sont des espaces non
séparez , ou qui se touchent immédiatement.
L'espace ne peut pas davantage exister sans matiere
, ( Cartes. princip . part. 2. ) qu'une Montagne
sans vallée . L'étendue et l'espace ont commencé
par la création de la matiere et ont les
mêmes limites qu'elle. Penser autrement , c'est
se laisser éblouir par une image superficielle tracée
dans l'imagination et par l'habitude que les
rapports des sens ont causée en elle , en nous réprésentant
certains espaces comme vuides , parce
qu'ils sont remplis d'air ou de quelque autre
matiere encore plus déliée et plus imperceptible .
Au- delà des bornes du Monde matériel il n'y a
ni lieu ni espace ; autrement le lieu et l'espace
seroient infinis et éternels , ce qui mene aux consequences
les plus absurdes. Je suppose que les
derniers tourbillons qui composent l'Univers ,
s'étendent ou se resserrent , comme il seroit trèspossible
à l'Etre Souverain de les étendre ou de
les resserrer , le lieu et l'espace seroient augmentez
ou diminuez à proportion ; ce qui n'étoit pas
lieu , deviendroit tel , ou ce qui étoit lieu cesseroit
de l'être. Il n'y a donc ni espace ni lieu absolus
et primitifs , qui existent indépendamment
ou séparément du corps qui les remplit. Le lieu
AVRIL. 1734. 661
et l'espace ne sont autre chose que le corps luimême
, ayant differentes relations aux corps qui
l'environnent. Ils ne sont pas plus réels que la
situation ou la relation du corps . Le mouvement
se fait sans obstacle dans le plein . Pour peu que
la matiere soit rarefiée , elle cede facilement à un
corps plus massif. Il faut seulement que la force
motrice surpasse la résistance du fluide. Alors
il est également certain par le raisonnement et
par les experiences , qu'un corps avançant dans
le plein , la matiere dont il prend la place , reflue
vers ses côtez , et qu'en même temps la matiere
des côtez passe en arriere ; ensorte qu'un
mouvement direct en produit plusieurs circulaires,
ce qui n'arriveroit pas dans le vuide . Suivant
Descartes , dans tout espace égal , il y a toujours
même quantité de matiere , soit rarefiée , soit
condensée ; la situation , la figure et le mouvement
des particules en font toute la difference .
Les Newtoniens ( Prafat. editor . in Nevvton. )
objectent à la Physique corpusculaire de Descartes
, que la licence d'imaginer à son gré les figures
et les mouvemens d'une matiere imperceptible
, de supposer l'arrangement et l'impulsion
de ses particules , suivant le besoin qu'on
en a , de feindre des corps si déliez et si subtils ,
qu'ils traversent et remplissent toutes sortes d'interstices
avec une rapidité et une force de mouvement
qui n'ont aucune vrai - semblance ,
renoncer à ce qu'il y a de réel dans la Physique
pour s'attacher à des entitez inconnues , que
c'est abandonner la vraie constitution des choses
, pour s'appuyer sur des conjectures chimeri-
.ques ; que les causes occultes ne sont pas celles
qui produisent des effets évidents , et certains
comme la gravité, mais plutôt celles qui depenc'est
dent
662 MERCURE DE FRANCE
,
dent d'hypothèses purement imaginaires , comme
une matiere subtile et des tourbillons. Qu'une
cause n'est point occulte pour être primitive
et très-simple , et qu'une pareille cause n'est point
susceptible d'explications méchaniques. Que
pour expliquer la constitution d'une Horloge
il ne s'agit pas d'une supposition vague de ressorts
inconnus , qu'il faut faire connoître quelle
est la proportion et l'action de toutes les machines
qui la composent , et quel est leur effet
sensible. Que Galilée , par exemple , ayant établi
cette regle conforme à l'experience ; que les
corps jettez décrivent une parabole , si un Philosophe
vient dire que le corps jetté décrit cette
courbe , parce qu'il y a dans l'air une matiere
subtile qui la décrit aussi , un pareil raisonnement
ne peut paroître ai solide ni utile. Que si
vous mêlez dans un vase plusieurs liqueurs d'une
pesanteur inégale , il n'y aura de mouvement
entr'elles que jusqu'à ce qu'elles se soient arrangées
aux differentes hauteurs proportionnées à
leur gravité , et que de même dans les tourbillons
Cartésiens le mouvement doit cesser , lorsque
les Elemens occupent la place qui convient à
leurs forces centrifuges.
Les Cartésiens répondent que ce seroit faire
grand tort au raisonnement , que de ne vouloir
pas qu'il pénetre plus loin que les yeux ;
que si l'on considere l'augmentation et diminution
des corps dont l'experience est continuelle,
si l'on fait attention aux découvertes surprenantes
qui ont été faites par les Microscopes , on
ne peut nier que les parties imperceptibles ne
soient aussi réelles dans la Nature que celles
qui donnent prise à nos sens . Que puisque nous
sommes assurez que chaque corps est composé
de
AVRIL. 1734. 663
de plusieurs autres corps si petits , que nous ne
pouvons en avoir qu'une connoissance intellectuelle
tout Philosophe doit avouer qu'il est
très - avantageux de juger des Phénomenes perceptibles
aux sens , par une méchanique supposée
avec beaucoup de vrai- semblance dans les
Elemens imperceptibles ; de rendre raison par ce
moyen de tout ce qui est en la Nature; et de substituer
des causes vraiment physiques à des termes
qui ne signifient rien, comme les formes substan
tielles des Péripatéticiens, ou à des qualitez dont
on suppose des effets , sans expliquer de quelle
maniere ces effets peuvent être produits , comme
dans le Sistême de l'attraction Newtonienne.
Que les liqueurs mêlées dans un vase , demeurent
en repos après s'être arrangées convenablement
à leur pesanteur, parce que la résistance que
leur mouvement est obligé de vaincre , anéantit
à la fin ce mouvement , mais que les tourbillons
n'éprouvent aucune résistance pareille.
Que ces mouvemens nécessaires à la conservation
de l'Univers sont entretenus par la même
Providence qui les a créez et établis. Et bien loin
que la matiere liquide dont les Cieux sont remplis
dans le Systême Cartésien , nuise au mouvement
rapide des corps Celestes , comme Newton
l'a prétendu, rien n'est plus capable d'aider le
mouvement d'un Globe qui circule , qu'un fluide
déterminé à se mouvoir vers le même côté avec
autant et plus de force que le Globe lui- même; et
ce véhicule paroît absolument nécessaire pour
imaginer les révolutions rapides des corps celestes .
L'objection contre le Systême Cartésien , sur
laquelle Neuwton paroît se fonder avec le plus
de confiance , est tirée des Cométes. Il est impossible
, dit- il , ( Nevut. Princip. Math . p.
481. )
664 MERCURE DE FRANCE
ton ,
481. ) que les tourbillons subsistent et puissent
être conciliez avec les mouvemens irréguliers des
Cométes qui les font errer dans toutes les parties
du Ciel. Cette objection se rétorque contre Newcar
les Cométes ne sont pas plus fideles
aux loix de l'attraction , à moins que quelque
Newtonien , à l'exemple du Maître , ne nous
donne dans un calcul précis le degré de pesanteur
réciproque de chaque Planette sur chaque
Cométe ; car la précision des calculs ne coute
rien à cette Philosophie. Dans le Systême Cartésien
il est aisé de répondre , touchant l'irrégularité
du cours des Cométes , que ces Phénomenes
passagers ne doivent pas suivre le mouvement
des Cieux des Planetes ; si les Cometes ne
sont autre chose que des amas de matiere , irréguliers
dans le temps de leur durée et dans leur
cours , la cause qui les produit est aussi celle qui
dirige leur mouvement ; comme les vents dans
notre atmosphere ont une égale violence en tout
sens , et ne sont point assujettis au cours uniforme
du fluide qui accompagne la révolution du
Globle Terrestre , ni aux loix de l'attraction
Newtonienne. Si les Cométes sont des Astres
dont le cours soit reglé et qui ne soient visibles
pour nous , que lorsque leurs révolutions périodiques
les ramenent aux confins de notre
tourbillon , les Cometes suivent le courant d'un
Auide étranger , qui n'a rien de commun avec
ceux de nos Planetes. Alors les Cométes sont à
peu près dans la Région de Saturne , et peut- être
même plus proches. Car les tourbillons remplis
à leurs extremitez d'une matiere fort déliée , cédent
facilement à la moindre impression ; et il
est assez vrai semblable que les courants d'un
tourbillon peuvent penetrer dans un tourbillon
voiAVRIL.
173 4. 565
voisin , à peu près comme les eaux de la
Mer entrent dans un Golphe, Ces fluides des
differents tourbillons ne se mêlent pas pour cela
et ne changent pas la direction de leur mouvement.
On remarque néanmoins que les Cométes
approchant du Soleil , reçoivent une impression
sensible de ses rayons ; car la queue ou plutôt
l'atmosphere de la Cométe , qui , suivant l'observation
de Képler , paroît toujours opposée au
Soleil, est rejettée en arriere par l'impulsion de ses
rayons , comme une chevelure exposée aux vents.
Newton a mieux traité le mouvement que
Descartes , mais ni l'un ni l'autre ne sont parvenus
à en donner une idée entierement juste .
Descartes entend par le mouvement les differentes
relations d'un corps. Il avoue ( Prin
cip. part. 2. ) que , suivant ses principes , on peut
dire qu'un corps se meut en même -temps et ne
se meut pas. Il soutient qu'il ne faut pas plus
d'action pour le mouvement que pour le repos .
D'où l'on peut conclure qu'une Statuë est dans
le même mouvement qu'un homme qui s'éloigne
d'elle. Il attribue le mouvement d'un corps
à la relation des corps qui le touchent immédiatement
; ce qui étant pris au pied de la lettre ,
signifie qu'un homme qui feroit à pied le tour
du Monde dans les mêmes habits , në se remuëroit
pas , et il s'ensuivroit cette conséquence .
qu'un corps seroit mû en même- temps dans des
sens contraires , comme un Plan sur lequel
deux corps seroient poussez l'un à droite ,
l'autre à gauche. Newton ( Princip . Math . définit,
8. Schol. p . 8. et 9. et axiom . p . 18. ) distingue
le mouvement vrai du mouvement relatif. Suivant
les explications qu'il donne , le mouvement
vrai consiste dans la force qui agity soit que
cette
€65 MERCURE DE FRANCE
le cette force soit dans le corps même , soit que
corps la reçoive d'ailleurs . Le mouvement relatif
ne dépend que des changemens de situation
des corps , les uns à l'égard des autres . Il suit de
ces principes , qu'il peut y avoir un mouvement
veritable avec plusieurs repos relatifs , comme
lorsqu'un corps avance et que plusieurs corps
qui l'environnent , avancent en même temps ; et
qu'il peut y avoir au contraire plusieurs mouvemens
relatifs sans aucun mouvement veritable ,
comme lorsqu'un homme est tranquille dans un
vaisseau dont le mouvement est égal et uniforme
; et qu'ainsi le mouvement véritable ne consiste
pas dans les relations .Mais quoique le mou
vement veritable ne consiste pas uniquement
dans les relations , il ne peut être neanmoins
sans quelque changement de rapports , sinon aux
objets prochains , du moins aux éloignez . La
force seule ne fait pas le mouvement ; car si elle
rencontre des obstacles plus puissants qu'elle , le
coips reste dans un veritable repos . En réunissant
donc ces principes , le mouvement peut être
défini , ce me semble , le changement de relations
d'un corps à des objets prochains ou éloignez
par l'action d'une force que ce corps a en luimême
ou qu'il a reçûë d'ailleurs .
Newton a penetré plus avant que Descartes
dans la théorie des couleurs . Suivant les principes
Cartésiens , si la superficie des corps ne laisse
aucun accès dans ses interstices aux globules
du second Element , les corps paroissent lumineux
ou sont au moins fort blancs , lorsqu'ils
ne sont pas enflammez , et les globules repoussez
ont une force qui éblouit. Si les pores fort
ouverts , comme un petit crible , reçoivent dans
toute leur surface les globules du second Element
AVRIL. 1734. 667
>
ment , ils absorbent les rayons de lumiere , et
leur couleur est très - noire . Si l'angle de reflexion
est tel , que les globules flattent l'organe visuel ,
la couleur est agréable , comme le verd . Newton
a suivi une route differente . Il établit une espece
de gamme des couleurs élementaires , et entreprenant
en quelque sorte l'anatomie de la lumiere
, il pose pour principes sept especes de
rayons , dont chacun porte sa couleur particuliere
; sçavoir , rouge , orangé , jaune , verd
bleu , indigo , violet ; en sorte que le rayon qui
porte une couleur , n'en porte jamais d'autre.
Exposez aux rayons du Soleil un prisme triangulaire
à une certaine distance d'un papier , qui
puisse renvoyer les rayons rompus et séparez ;
Vous voyez sur le papier sept couleurs bien distinctes
et disposées dans l'ordre qui vient d'être
rémarqué , de la couleur rouge , orangée , jaune
verte , bleue , indigo et violette. Newton a de
plus remarqué que les espaces occupés par les
couleurs sur le papier , sont en même proportion
que les chiffres qui expriment les intervales
des sept tons de Musique. Faites au papier une
petite ouverture , qui ne laisse passer qu'une espece
de rayon qui porte , par exemple , le rouge
ou le violet , rompez de nouveau le rayon avec
un second prisme , un troisiéme ; faites - les tourner
sur les axes ; le rayon differemment rompu,
refléchi differemment , présente toûjours la même
sorte de couleur. Dans cette hypothèse , le blanc
résulte du mêlange des sept couleurs principales,
et les corps paroissent differemment colorez ,
parce que la figure de leurs pores , la tissure et
la consistance de leurs parties refléchissent une
plus grande quantité de rayons d'une certaine
espece , tandis que les interstices de ces corps
trans668
MERCURE DE FRANCE
transmettent la plupart des autres rayons ou
qu'ils les absorbent.
Newton a été moins heureux dans les loix du
mouvement qu'il a établies ; il prétend que les
actions de deux corps sont toujours mutuelles
égales et opposées, ( Nevvt, Princip . Math. axiom.
leg. 3. p. 13. ) ensorte que la réaction est toujours
contraire et égale à l'action . Ce principe
dont il fait l'axiome fondamental ( Ib . Coroll. 3 .
p. 15, et seq. ) de ses démonstrations , détruit
toutes les loix de la statique et de l'équilibre ; car
si la réaction est toujours égale à l'action ,
les corps agiront avec des forces égales et tous
les contrepoids demeureront en suspens et sans
action. Le prétendu axiome , au lieu d'être un
principe de mouvement , seroit le principe d'une
immobilité generale , puisqu'il est certain
qu'un carosse et six chevaux demeureront immobiles
, si la réaction du carosse est égale et
opposée à l'action des six chevaux.
tous
Newton dit ailleurs que la pesanteur ou la gra
vité des corps ( Princip. Math. lib . 3. Propos.
7. Theor. 7.p.369 . ) est universelle et qu'elle est
proportionnée à la quantité de matiere qui est
en eux. Les calculs de la pesanteur des Planetes
roulent sur cet axiome contraire au sentiment du
plus grand nombre des Physiciens qui rejettent
le vuide , et suivant lesquels chaque espace égal
contient toujours une égale quantité de matiere.
Newton avance un autre principe fort opposé
aux idées naturelles, sçavoir , que moins un
corps qu'on jette ( Princip. Math definit . 5. p. 3. )
a de gravité , moins il s'écarte de la ligne droite
et plus il va loin. Suivant ce principe , un
Globe de liége . poussé avec beaucoup de force ,
devroit aller plus loin qu'un Globe de plomb ,
poussé
AVRIL. 1734. 669
poussé avec une force égale , le Globe de liege
ayant moins de gravité ; à moins qu'on ne regarde
le Globe de liege comme ayant plus de
gravité qu'un Globe de plomb , parce que le Globe
de liege est attiré plus promptement vers la
terre ; et alors celui qui auroit , suivant Newton,
le moins de matiere , auroit le plus de gravité.
Le fondement géneral du Systême Newtonien,
l'axe, pour ainsi- dire, sur lequel toute cette Philosophie
tourne , c'est l'attraction . Newton admet
aussi dans la matiere une hétérogénéïté ou diversité
de genres , qualité aussi occulte que l'attraction,
et qui n'a aucune signification Physique.Descartes
ne reconnoît dans la Nature qu'un mouvement
d'impulsion, et il rapporte le mouvement au
Créateur, comme à sa cause unique et immédiate
Newton regarde le mouvement comme l'effet de
Pattraction. Il y a donc entre ces deux Philosophes
une opposition de sentimens sur la cause
physique generale et primitive ; ce que l'un considére
comme la causé , l'autre lui donne la qualification
d'effet ; Descartes déduit la pesanteur
du mouvement , Newton déduit le mouvement
de la pesanteur ou de l'attraction .
La suite dans le Mercure prochain.
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Résumé : SECONDE Partie de la Comparaison de Descartes et de Newton.
Le texte compare les philosophies de Descartes et de Newton, en soulignant les divergences entre les Newtoniens et les Cartésiens. Les Newtoniens affirment que le vide est nécessaire pour le mouvement et qu'il existe des lieux absolus et primitifs. Ils considèrent l'espace éthéré comme entièrement vide. En revanche, les Cartésiens rejettent l'idée de lieux absolus et de vide, estimant que l'espace est rempli de matière, même si elle est rarefiée. Ils pensent que l'espace et l'étendue commencent avec la création de la matière et sont limités par elle. Les Newtoniens critiquent la physique corpusculaire de Descartes, la jugeant trop spéculative et imaginative, tandis que les Cartésiens défendent l'idée que les phénomènes perceptibles peuvent être expliqués par des mécanismes imperceptibles. Le texte aborde également la question des comètes. Les Cartésiens expliquent leur mouvement par des courants de fluides, tandis que Newton utilise les comètes pour critiquer les tourbillons cartésiens. De plus, le texte compare les conceptions du mouvement chez Descartes et Newton. Newton distingue le mouvement vrai du mouvement relatif, contrairement à Descartes. Le texte traite également des théories de Newton sur la lumière et la gravité. Newton a établi une gamme de sept couleurs élémentaires : rouge, orangé, jaune, vert, bleu, indigo et violet. En exposant les rayons du Soleil à travers un prisme, ces couleurs apparaissent distinctement et dans un ordre spécifique. Newton a noté que les proportions des espaces occupés par ces couleurs sur un papier correspondent aux intervalles des tons musicaux. Il a démontré que chaque couleur reste inchangée même après être passée à travers plusieurs prismes. Selon Newton, le blanc résulte du mélange de ces sept couleurs principales, et les objets apparaissent colorés en fonction de la réflexion et de l'absorption des rayons lumineux par leurs pores et interstices. Le texte critique les lois du mouvement de Newton, notamment son principe selon lequel les actions de deux corps sont toujours mutuelles, égales et opposées. Ce principe est jugé destructeur des lois de la statique et de l'équilibre, car il conduirait à une immobilité générale. Newton a également affirmé que la gravité est universelle et proportionnelle à la quantité de matière dans un corps, une idée contraire à celle de nombreux physiciens de l'époque. Il a proposé que moins un corps a de gravité, plus il s'écarte de la ligne droite. Le fondement du système newtonien repose sur l'attraction, une qualité occulte selon le texte. Newton et Descartes ont des opinions opposées sur la cause physique générale et primitive : Descartes attribue le mouvement au Créateur, tandis que Newton le voit comme un effet de l'attraction.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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15
p. 1104-1117
TROISIÈME PARTIE de la comparaison des Philosophies de Descartes et de Newton. Par M. de S. Aubin.
Début :
Les Newtoniens prétendent (Praefat. editor. in Nevvt.) que l'attraction peut être une qualité [...]
Mots clefs :
Descartes, Newton, Philosophies, Newtoniens, Attraction, Corps, Soleil, Lune, Terre, Planètes, Mouvement, Système, Force, Fluide, Raison
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texteReconnaissance textuelle : TROISIÈME PARTIE de la comparaison des Philosophies de Descartes et de Newton. Par M. de S. Aubin.
TROISIEME PARTIE de la
comparaison des Philosophies de Descartes
et de Newton. Par M. de S. Aubin .
L
Es Newtoniens prétendent ( Prafat. editor. in
Nevvt. ) que l'attraction peut être une qualité
de la matière aussi primitive que la mobilité.
Les Cartésiens répondent que la mobilité et les
I. Vol. autres
JUIN. 1734. 17057
autres qualités primitives de la matiere , comme
l'étendue , l'impénétrabilité , sont fort differentes
de l'attraction ; que ces proprietés sont trèssimples
, au lieu que l'attraction est une qualité
composée , qui consiste en l'action d'un corps
sur un autre corps. Que ce n'est pas parler en
Physicien , que de dire qu'une attraction pénétre.
tous les centres , sans sçavoir pourquoi , et qu'elle
fait tout dans la nature , sans dire comment.
L'attraction est même contraire à l'experience.
Qu'on suspende deux cubes d'acier d'un pouce
de diamétre chacun à deux fils , ( Harsoëk
rec. de piec. Phys . ) en sorte que les deux cubes se
touchent presque par un de leurs côtés , ils ne
s'approchent pas dans un lieu où l'air n'a aucune
agitation qui rompe son équilibre ; et l'attraction
n'agit pas davantage sur eux dans le vuide
pneumatique , quoique le moindre choc, la moindre
impulsion les fasse changer de place . Cepen--
dant si ces deux cubes ne faisoient qu'un seul
parallélepipéde d'un pouce d'épaiseur , une force
de plus de cent mille livres ne les sépareroit pas.
Suivant l'experience de Guericke faite à Magdebourg
, ( M. de Mairan , Tr. de l'Aur. Bor. )
deux plans polis de deux pouces trois quarts de
diametre , s'unissoient si bien ensemble , par la
juxta- position , et frotés seulement de quelque
matiere un peu grasse , qu'ils soutenoient , sans
attaché au
se separer , un poids de 80. livres ,
plan inferieur. Il faut donc qu'il y ait quelque
autre cause de cette forte union des parcelles d'un
corps , que la prétendue attraction mutuelle de
Newton , à moins qu'on n'y ajoûte la cohesion
et la juxta- position , autres qualités occultes : au
Heu qu'il est très - vrai - semblable , que
la cause
de cette forte union est la pression du plein , suiyant
l'hypothese des Cartesiens.
Mait .
TIC MERCURE DE FRANCE
Mais il y a plus. Ce qui est inconcevable ,
comme une cause naturelle , c'est une attraction
qui opere au-delà du vuide. Le P. Castel ( Tr. de
Phys. sur lapesant. ) est surpris , avec raison , que
Newton at allié le vuide avec le sys.ê.ne d'une
pesanteur universelle . Newton compare ( Princ.
Mith. p. 3. ) tout mouvement circulaire à celui
d'une pierre , que la force du bras fait tourner
dans une fronde. Y auroit - il quelque apparence
à supposer qu'il se feroit simplement une attrac
tion de la pierre par le bras , sans fronde et au
travers d'un milieu vuide ? La Physique ne peut
admettre ( Leibn. Théod. ) l'action immediate
d'un corps sur un autre corps éloigné : Il y a
même de la contradiction dans les termes.
Sur les fondemens ruineux de l'attraction et du
vuide , Newton éleve ses prétendues démonstrations
. Il ne place point le centre de l'Univers
dans un mobile actif , comme le Soleil , ni dans
aucune autre Planete , mais dans un espace vuide
, duquel il nous assure ( Princ. Math.p. 374 )
que le Soleil ne s'éloigne jamais beaucoup . II
donne donc au So eil , non - seulement un mouvement
de révolution sur son axe , mais encore
un mouvement de transport d'un heu à un autre
; et toutes les Ellipses des Planetes doivent varier
en même tems , puisqu'elles ont toujours le
Soleil à un de leurs foyers.
Newton allegue de mauvaises raisons pour détruire
les tourbilions . Les revo utions des Planetes
, dit-il , ( p.354 ) sont élipiques , et les aires
qu'elles décrivent par leurs mouvemens autour
du Soleil , sont proportionnelles aux tems : Il
suppose plusi urs Cercles excentriques - les uns
dans les autres et prétend que les loix Astronomiques
et les mécaniques ne peuvent se conci-
I. Vol.
lier
JUIN. 1107
י734
lier , en supposant un fluide de matiere étherée,
parce que dans le tems que l'aphélie demandera
un mouvement plus tardir, un passage plus étroit
demandera un mouvement plus prompt , ou au
contraire. Rien n'est plus foible que cette objection.
Quand il se trouve dans la nature que que
Concurience entre deux contraires , le plus fort
l'emporte , et les loix du mouvement ont bientôt
décidé entr'eux.
Il n'y a pas plus de solidité à l'objection , que
fluide , qui environne la terre , doit ête d'une
densité égale à celle du Globe. Voici en quoi
consiste cette objection . » Si le fluide dans lequel
» le Globe terrestre nage, dit Newton , ( p. 353. )
est plus ou moins dense , le Globe , au lieu de
» revenir au point d'où il est parti , décrira une
spirale dans sa révolution , en approchant du
» centre ou de la circonference . Si la densité est
égale , les parties lu so ide seront en équilibre
e avec les parties du fluide , et le Globe alors pour-
" ra occuper toutes les places du tourbillon , aussi
bien que le centre . Il est isé de répondre ; premierement
, qu'il ne faut pas considerer une lanete
, comme un mobile plongé dans un fluide ,
mais qu'on doit se représenter un fluide qui participe
aux mouvemens du Globe, comme une portion
de la matière étherée entraînée par lui , et qui
l'environne également de toute part . Le Globe
doit être en équilibre avec son ciel , avec la couche
du tourbillon Solaire où il fait sa révolution ,
mais il n'a pas besoin d'équilibre dans son tourbillon
paticulier , ille forme , et il y donne la loi.
Secondement il n'y a aucun inconvenient qu'un
Globe et le fluide où il nâge , soient d'une égale
densité. Le Globe ne cesse pas pour cela d'ê re solide
, et son atmosphere ne perd pas sa fluidité . Il
Реце
tro MERCURE DE FRANCE
peut y avoir une densité égale entre des particu
les , dont les unes sont accrochées entre elles , et
les autres ne le sont pas : de même qu'un morceau
de bois, qui est un solide , à une égale densité
et est en équilibre avec le volume d'eau qui
l'entraîne.
L'objection tirée du passage des Cométes en
tout sens au travers du tourbillon , a été refutée
dans la seconde partie de cette dissertation. Venons
aux effets de l'attraction universelle, New
ton suppose qu'un mouvement direct d'Occident
en Orient a été imprimé dès le commencement,
par le Créateur , à toutes les Planetes , et que l'attraction
des centres de leurs révolutions les détourne
continuellement de leur tendance à cemouvement
rectiligne , ce qui leur fait décrire
des ellipses. Il se fût épargné bien des calculs
, s'il eût dit tout d'un coup , que le Créateur
, dès le commencement a imprimé aux Planetes
des mouvemens elliptiques . C'est la gravitation
réciproque du Soleil et des Planetes , dit - il ,
( P.374. ) qui les fait tourner autour de leur centre
commun , à des distances plus ou moins éloignées ,
et dans des orbites elliptiques. Tout le systême
roule sur ces deux principes ; premierement , que
les forces de l'attraction mutuelle sont en raison
inverse des quarrés des distances ; c'est - à dire ,
que le corps étant deux fois plus éloigné , la
force centrale agit sur lui quatre fois plus foiblement
, que l'éloignement étant quatre fois plus
gran 1 , la force est seize fois plus foible , & c . Secondement
, que les corps s'attirent en raison directe
de leurs masses, ou de la quantité de leur matiere.
L'essai du systême se fait uniquement sur la
Lune Remontons aux principes . Quand deux
forces , l'une horizontale , l'autre perpendiculai
I.Vo!.
re
JUIN. 1734. 1109
re , poussent également un corps , il décrit la
diagonale d'un quarré . Newton , partant de cette
premiere conclusion , décompose , pour ainsi
dire , la courbe décrite par le mouvement de la
Luue.Connoissant les proportions de son orbite,
et les tems de sa révolution , il calcule les degrés
de la force directe et de la force centrale ,
qui agissant à la fois sur la Lune , produisent
son mouvement elliptique . Il trouve que si
la Lune venoit à perdre sa force directe , ensorte
qu'elle obéit uniquement à l'attraction centrale ,
elle tomberoit de quinze piés dans la premiere
minute. Newton prétend aussi que les corps ,
dont nous connoissons la chûte, avancent de cinquante
quatre mille piés en une minute que si
les corps commençoient à tomber de la hauteur
de la Lune , ou d'une hauteur de soixante demidiametres
de la terre , leur pesanteur diminuant
en raison inverse du quarré de cette distance , leur
chûte seroit de quinze piés dans la premiere minute
, comme la chute de la Lune ; et que la Lune
arrivant à la surface de la terre , décriroit dans
la derniere minute cinquante quatre mille piés ,
de même que les corps graves , près de la surface
de la terre , avancent en tombant de quinze
piés dans la premiere seconde , et de cinquante
quatre mille piés dans toute la minute. Le quarré
de soixante multiplié par quinze , donne cinquante
quatre mille , et Newton en conclut
qu'un même principe , une même force agit sur
la Lune et sur les corps dont nous connoissons
la chûte , suivant la loi qu'il a établie de la raison
inverse des quarrés des distances . Il attribuë,
en conséquence , une gravitation generale et mutuelle
à tous les corps Celestes , dans la même
proportion. Mais cette attraction , refutée déja
I. Vol.
са
TH10 MERCURE DE FRANCE
en qualité de cause , n'est pas plus soutenable
par ses effets.
Premierement , les expériences de la chûte
des corps , près de la surface de la terre , c'estâ
- dire , des hauteurs quelconques qui sont à
notre portée , comme Tours , Montagnes , &c .
ne peuvent se faire que sur des corps dont la
masse a un rapport très - inegal à la masse du
Globe lunaire ; en sorte que si l'attraction agit
avec une force égale sur des masses , dont la quanrité
de matiere est si disproportionnée , un des
fondemens du systême Newtonien tombe en ruine
, sçavoir que l'attraction agit en raison directe
des masses. Secondement , je soutiens que l'at
mosphere , qui environne la terre , étant fort
épaisse , au lieu que la région de la Lune est vuide,
suivant Newton , et la difference causée par l'épaisseur
d'un fluide étant telle encore suivant
Newton , que sans la résistance de l'air grossier,
le corps le plus poreux , comme une éponge , se
précipiteroit avec autant de vitesse qu'un Globe
de plomb , une des démontrations de Newton
étant même , qu'un mobile qui traverse un fluide
de pareille pesanteur spécifique , en quelque sens
que ce soit , et quelque soit la vitesse qu'on lui
donne d'abord , doit perdre la moitié de sa vîtesavant
que d'avoir parcouru trois de ses diametres
: il s'ensuit incontestablement de ses principes,
que si l'attraction centrale agit dans un milieu
vuide , à la hauteur de la Lune , en raison
inverse du quarré de la distance , par rapport à
une attraction qui agit dans un fluide fort dense,
auprès de la surface de la terre , ces deux attrac
tions ne peuvent être semblables .
se ,
Troisiémement il est certain que les masses
des Planetes ne changent point , et que leurs dis-
I. Vol. tanoes
JUIN. 1734 IIII
tances varient , d'où il résulte par une conséquence
invincible que les Planettes dans leurs
périhélies , bien plus puissamment attirées par
le Soleil , devroient tomber sur ce centre , comme
Aristote disoit , que s'il y avoit une autre
terre , elle tomberoit sur celle - ci . Car le moindre
dérangement dans l'équilibre entraîne tout - àfait
un corps , parce que l'excès qui a précedé ,
augmente continuellement l'excès qui suit . Or
tout Astronome convient des absides ou variations
des distances des Planetes . L'équilibre doit
alors être rompu par leur éloignement ou leur
proximité. Elles doivent s'attirer quelquefois
beaucoup plus fortement. La Lune , par exemple,
dans la conjonction , devroit abandonner la
Terre et aller se joindre au Soleil , sur tout la
Terre étant dans le périhélie ; il arriveroit encore
que les deux attractions du Soleil et de la
Terre sur la Lune agissant du même côté
dans l'opposition de la Lune , au lieu que dans
sa conjonction ces deux forces se combattent . la
Lune dans l'opposition tomberoit sur la Terre .
Il est impossible que deux attractions si inégales
et dans ces situations de la Lune si contraires ,
produisent le même effet de la retenir dans l'écliptique.
Il faut aussi dans les absides et conjonctions
des autres Planetes , non-seulement
supposer une qualité occulte , telle que l'attraction
, mais il faut la supposer variable et de maniere
qu'elle se proportionne toujours au besoin
qu'on a d'elle.
Lorsqu'une Planete dans le périhélie , s'est approchée
du centre , l'attraction centrale étant
augmentée , il est impossible , en suivant les loix
du Systême Newtonien , que cette Planete retourne
à sa distance moyenne , et à plus forte
I. Vol.
raison
1112 MERCURE DE FRANCE
raison à l'aphélie . On prétend que quand Jupiter
et Saturne sont dans leur plus grande
proximité, qui est de cent soixante cinq millions
de lieues , suivant les derniers Astronomes , leurs
mouvemens ne sont plus de la même régularité ,
ce que les Newtoniens attribuent à une attraction
plus forte. Puisque le cours de Saturne est dérangé
, il faut donc que l'attraction centrale, qui devroit
agir plus puissammene sur Saturne à une
moindre distance, vienne à se relâcher , sans cause
, pour rendre à Saturne sa régularité . Le Systê
me est autant dénué de causes physiques , qu'il
est abondant en calculs.
Dans les grandes conjonctions des Planetes ,
plusieurs forces centrales réunies dans une ligne
perpendiculaire , devroient agir beaucoup plus
puissamment. Jupiter est plus massif que Saturne
, car Jupiter a plus de densité , suivant New-
Fon ( p. 372. ) il est aussi plus gros suivant tous
les Astronomes , Saturne est donc fortement attiré
par Jupiter , et quand ils se trouvent en con
jonction , la force passagere de Jupiter jointe à
la gravitation continuelle du Soleil , et aturant
Saturne du même côté , doit l'obliger de sortir
de son orbite ; et comme nous l'avons observé ,
le Systême ne fournit aucun moyen de l'y faire
rentrer. Au contraire , l'attraction augmentant
toujours à mesure que la distance diminuera , Saturne
décrira une ligne spirale , puis parabolique
et enfin presque perpendiculaire ; et venant de la
Région la plus éloignée se réunir au Soleil , quels
désordres ne fera t'il point en traversant irrégu
lierement, avec ses satellites , tout ce Monde New.
tonien , où il y a autant de principes de destruction
, que de centres de gravité.
Si l'on répond que l'excès de la vitesse de la
·
I. Vol. Planetę
JUIN. 1734 TII
Planété la soutient contre un excès d'attraction ,
Le Systême Newtonien est donc défectueux , et
c'est une nécessité indispensable d'y ajoûter un
troisiéme principe de la vitesse , qui moderé et
concilie les deux autres . Mais les Géometres auroient
un beau champ pour démontrer par des
calculs réels , fondez sur la regle de Kepler, admise
par Newton , et sur les Observations Astronomiques,
que les rapports réciproques des distances ,
des masses et des vitesses n'étant pas les mêmes en
tout temps , toute la théorie Newtoniene ne peut
avoir aucune solidité , puisque l'équilibre venant
à être rompu dans quelque partie de l'Univers ,
par la moindre inégalité d'attraction d'une Planete
ou d'un Satellite dans les absides , l'équilibre
seroit rompu en même - temps par tout , et
l'Univers aussi - tôt détruit , tous les Globes tombant
les uns sur les autres ; le Soleil même
suivant Newton , s'écarteroit de son centre à
quelque distance et précipiteroit encore la chute
des Planetes dans leurs conjonctions , la force de
la gravitation étant telle dans ce Systême , que
lorsqu'une Planete s'approche du Soleil , elle oblige
le Soleil de s'avancer un peu vers elle , s'il n'est
retenu par une attraction contraire. Ainsi tout le
Systême , au lieu d'avoir un rapport précis avec
les Phénomenes ( qui est le seul moyen de le faire
valoir ) est perpétuellement en contradiction avec
les faits établis par l'Astronomie .
Newton dit qu'il ne fait point d'hypothese ;
cependant tirer mille conséquences du même
principe d'une attraction generale et mutuelle ,
établir que les forces de cette attraction sont en
raison directe des masses , et en raison inverse des
quarrez des distances ; que suivant cette proposition
constante , le Soleil attire les Planetes , et
Je Vol.
дис
11 MERCURE DE FRANCE
ter , que s'il étoit dans le Ciel de Jupiter , maïs
sans être entré dans son tourbillon , il tomberoit
sur le Soleil , à moins qu'il ne vint à rencontrer
pendant sa chute le tourbillon particulier de
quelque Planete. Ainsi il y a lieu de faire sur ce
bouler des conjectures fort differentes de celles
de Newton , qui d'ailleurs ne pourroit tirer de
cette comparaison aucun avantage , puisqu'en
supposant le mouvement elliptique du boulet autour
de la Terre , ce seroit toujours une explication
plus physique de l'attribuer à l'impulsion
du fluide , qu'à une attraction centrale .
Newton finit ( p . 484. ) par reconnoître
qu'une matiere imperceptible penetre tous les
corps , et qu'elle est le principe de leurs attractiens
à de moyennes distances ; comme si la
nécessité d'un mouvement d'impulsion n'étoit
pas encore plus indispensable à l'égard des disrances
éloignées . Le Systême Newtonien ne
seroit soutenable , qu'en supposant les Planetes
sans absides et tous les corps celestes , sans
aucune variation de distance ; ce qui est bien
éloigné de la théorie des Cieux ; et ce Systême ne
nous apprendroit toujours rien , puisqu'il roule
sur un principe inconnu à l'Auteur , de son
aveu, et qui n'a mené jusqu'ici à aucune découverte.
L'Optique de Newton , qui est restée imparfaite,
n'a pas procuré plus d'utilité . Cette invention
si vantée des couleurs élementaires peut paroître
un peu suspecte , plusieurs personnes ayant
tenté inutilement cette experience ; Mariotte, dont
la sagacité en ce genre étoit connue, n'a pû réüssir
à la trouver , et M. Rizzetti a conclu des experiences
qu'il a faites , que tous les rayons sont
également refrangibles .
A l'égard de la Géometrie de l'infini, Newton
I. Vol.
se
JUIN. 1734. 1117
se sert de la Méthode qu'il appelle p. 32. ) des
points naissants et évanouissants , Méthode qui
renferme les mêmes contradictions que celle des
infiniment petits , Il n'est pas besoin de se jetter
dans des discussions métaphysiques , pour con
noître avec la plus entiere certitude , que la divisibilité
à l'infini ne peut s'allier avec les indi-
I visibles. Examinons quelles sont les veritables
défectuositez du Systême Cartésien , et s'il est
possible d'y remedier.
La fin dans le second volume de Juin.
comparaison des Philosophies de Descartes
et de Newton. Par M. de S. Aubin .
L
Es Newtoniens prétendent ( Prafat. editor. in
Nevvt. ) que l'attraction peut être une qualité
de la matière aussi primitive que la mobilité.
Les Cartésiens répondent que la mobilité et les
I. Vol. autres
JUIN. 1734. 17057
autres qualités primitives de la matiere , comme
l'étendue , l'impénétrabilité , sont fort differentes
de l'attraction ; que ces proprietés sont trèssimples
, au lieu que l'attraction est une qualité
composée , qui consiste en l'action d'un corps
sur un autre corps. Que ce n'est pas parler en
Physicien , que de dire qu'une attraction pénétre.
tous les centres , sans sçavoir pourquoi , et qu'elle
fait tout dans la nature , sans dire comment.
L'attraction est même contraire à l'experience.
Qu'on suspende deux cubes d'acier d'un pouce
de diamétre chacun à deux fils , ( Harsoëk
rec. de piec. Phys . ) en sorte que les deux cubes se
touchent presque par un de leurs côtés , ils ne
s'approchent pas dans un lieu où l'air n'a aucune
agitation qui rompe son équilibre ; et l'attraction
n'agit pas davantage sur eux dans le vuide
pneumatique , quoique le moindre choc, la moindre
impulsion les fasse changer de place . Cepen--
dant si ces deux cubes ne faisoient qu'un seul
parallélepipéde d'un pouce d'épaiseur , une force
de plus de cent mille livres ne les sépareroit pas.
Suivant l'experience de Guericke faite à Magdebourg
, ( M. de Mairan , Tr. de l'Aur. Bor. )
deux plans polis de deux pouces trois quarts de
diametre , s'unissoient si bien ensemble , par la
juxta- position , et frotés seulement de quelque
matiere un peu grasse , qu'ils soutenoient , sans
attaché au
se separer , un poids de 80. livres ,
plan inferieur. Il faut donc qu'il y ait quelque
autre cause de cette forte union des parcelles d'un
corps , que la prétendue attraction mutuelle de
Newton , à moins qu'on n'y ajoûte la cohesion
et la juxta- position , autres qualités occultes : au
Heu qu'il est très - vrai - semblable , que
la cause
de cette forte union est la pression du plein , suiyant
l'hypothese des Cartesiens.
Mait .
TIC MERCURE DE FRANCE
Mais il y a plus. Ce qui est inconcevable ,
comme une cause naturelle , c'est une attraction
qui opere au-delà du vuide. Le P. Castel ( Tr. de
Phys. sur lapesant. ) est surpris , avec raison , que
Newton at allié le vuide avec le sys.ê.ne d'une
pesanteur universelle . Newton compare ( Princ.
Mith. p. 3. ) tout mouvement circulaire à celui
d'une pierre , que la force du bras fait tourner
dans une fronde. Y auroit - il quelque apparence
à supposer qu'il se feroit simplement une attrac
tion de la pierre par le bras , sans fronde et au
travers d'un milieu vuide ? La Physique ne peut
admettre ( Leibn. Théod. ) l'action immediate
d'un corps sur un autre corps éloigné : Il y a
même de la contradiction dans les termes.
Sur les fondemens ruineux de l'attraction et du
vuide , Newton éleve ses prétendues démonstrations
. Il ne place point le centre de l'Univers
dans un mobile actif , comme le Soleil , ni dans
aucune autre Planete , mais dans un espace vuide
, duquel il nous assure ( Princ. Math.p. 374 )
que le Soleil ne s'éloigne jamais beaucoup . II
donne donc au So eil , non - seulement un mouvement
de révolution sur son axe , mais encore
un mouvement de transport d'un heu à un autre
; et toutes les Ellipses des Planetes doivent varier
en même tems , puisqu'elles ont toujours le
Soleil à un de leurs foyers.
Newton allegue de mauvaises raisons pour détruire
les tourbilions . Les revo utions des Planetes
, dit-il , ( p.354 ) sont élipiques , et les aires
qu'elles décrivent par leurs mouvemens autour
du Soleil , sont proportionnelles aux tems : Il
suppose plusi urs Cercles excentriques - les uns
dans les autres et prétend que les loix Astronomiques
et les mécaniques ne peuvent se conci-
I. Vol.
lier
JUIN. 1107
י734
lier , en supposant un fluide de matiere étherée,
parce que dans le tems que l'aphélie demandera
un mouvement plus tardir, un passage plus étroit
demandera un mouvement plus prompt , ou au
contraire. Rien n'est plus foible que cette objection.
Quand il se trouve dans la nature que que
Concurience entre deux contraires , le plus fort
l'emporte , et les loix du mouvement ont bientôt
décidé entr'eux.
Il n'y a pas plus de solidité à l'objection , que
fluide , qui environne la terre , doit ête d'une
densité égale à celle du Globe. Voici en quoi
consiste cette objection . » Si le fluide dans lequel
» le Globe terrestre nage, dit Newton , ( p. 353. )
est plus ou moins dense , le Globe , au lieu de
» revenir au point d'où il est parti , décrira une
spirale dans sa révolution , en approchant du
» centre ou de la circonference . Si la densité est
égale , les parties lu so ide seront en équilibre
e avec les parties du fluide , et le Globe alors pour-
" ra occuper toutes les places du tourbillon , aussi
bien que le centre . Il est isé de répondre ; premierement
, qu'il ne faut pas considerer une lanete
, comme un mobile plongé dans un fluide ,
mais qu'on doit se représenter un fluide qui participe
aux mouvemens du Globe, comme une portion
de la matière étherée entraînée par lui , et qui
l'environne également de toute part . Le Globe
doit être en équilibre avec son ciel , avec la couche
du tourbillon Solaire où il fait sa révolution ,
mais il n'a pas besoin d'équilibre dans son tourbillon
paticulier , ille forme , et il y donne la loi.
Secondement il n'y a aucun inconvenient qu'un
Globe et le fluide où il nâge , soient d'une égale
densité. Le Globe ne cesse pas pour cela d'ê re solide
, et son atmosphere ne perd pas sa fluidité . Il
Реце
tro MERCURE DE FRANCE
peut y avoir une densité égale entre des particu
les , dont les unes sont accrochées entre elles , et
les autres ne le sont pas : de même qu'un morceau
de bois, qui est un solide , à une égale densité
et est en équilibre avec le volume d'eau qui
l'entraîne.
L'objection tirée du passage des Cométes en
tout sens au travers du tourbillon , a été refutée
dans la seconde partie de cette dissertation. Venons
aux effets de l'attraction universelle, New
ton suppose qu'un mouvement direct d'Occident
en Orient a été imprimé dès le commencement,
par le Créateur , à toutes les Planetes , et que l'attraction
des centres de leurs révolutions les détourne
continuellement de leur tendance à cemouvement
rectiligne , ce qui leur fait décrire
des ellipses. Il se fût épargné bien des calculs
, s'il eût dit tout d'un coup , que le Créateur
, dès le commencement a imprimé aux Planetes
des mouvemens elliptiques . C'est la gravitation
réciproque du Soleil et des Planetes , dit - il ,
( P.374. ) qui les fait tourner autour de leur centre
commun , à des distances plus ou moins éloignées ,
et dans des orbites elliptiques. Tout le systême
roule sur ces deux principes ; premierement , que
les forces de l'attraction mutuelle sont en raison
inverse des quarrés des distances ; c'est - à dire ,
que le corps étant deux fois plus éloigné , la
force centrale agit sur lui quatre fois plus foiblement
, que l'éloignement étant quatre fois plus
gran 1 , la force est seize fois plus foible , & c . Secondement
, que les corps s'attirent en raison directe
de leurs masses, ou de la quantité de leur matiere.
L'essai du systême se fait uniquement sur la
Lune Remontons aux principes . Quand deux
forces , l'une horizontale , l'autre perpendiculai
I.Vo!.
re
JUIN. 1734. 1109
re , poussent également un corps , il décrit la
diagonale d'un quarré . Newton , partant de cette
premiere conclusion , décompose , pour ainsi
dire , la courbe décrite par le mouvement de la
Luue.Connoissant les proportions de son orbite,
et les tems de sa révolution , il calcule les degrés
de la force directe et de la force centrale ,
qui agissant à la fois sur la Lune , produisent
son mouvement elliptique . Il trouve que si
la Lune venoit à perdre sa force directe , ensorte
qu'elle obéit uniquement à l'attraction centrale ,
elle tomberoit de quinze piés dans la premiere
minute. Newton prétend aussi que les corps ,
dont nous connoissons la chûte, avancent de cinquante
quatre mille piés en une minute que si
les corps commençoient à tomber de la hauteur
de la Lune , ou d'une hauteur de soixante demidiametres
de la terre , leur pesanteur diminuant
en raison inverse du quarré de cette distance , leur
chûte seroit de quinze piés dans la premiere minute
, comme la chute de la Lune ; et que la Lune
arrivant à la surface de la terre , décriroit dans
la derniere minute cinquante quatre mille piés ,
de même que les corps graves , près de la surface
de la terre , avancent en tombant de quinze
piés dans la premiere seconde , et de cinquante
quatre mille piés dans toute la minute. Le quarré
de soixante multiplié par quinze , donne cinquante
quatre mille , et Newton en conclut
qu'un même principe , une même force agit sur
la Lune et sur les corps dont nous connoissons
la chûte , suivant la loi qu'il a établie de la raison
inverse des quarrés des distances . Il attribuë,
en conséquence , une gravitation generale et mutuelle
à tous les corps Celestes , dans la même
proportion. Mais cette attraction , refutée déja
I. Vol.
са
TH10 MERCURE DE FRANCE
en qualité de cause , n'est pas plus soutenable
par ses effets.
Premierement , les expériences de la chûte
des corps , près de la surface de la terre , c'estâ
- dire , des hauteurs quelconques qui sont à
notre portée , comme Tours , Montagnes , &c .
ne peuvent se faire que sur des corps dont la
masse a un rapport très - inegal à la masse du
Globe lunaire ; en sorte que si l'attraction agit
avec une force égale sur des masses , dont la quanrité
de matiere est si disproportionnée , un des
fondemens du systême Newtonien tombe en ruine
, sçavoir que l'attraction agit en raison directe
des masses. Secondement , je soutiens que l'at
mosphere , qui environne la terre , étant fort
épaisse , au lieu que la région de la Lune est vuide,
suivant Newton , et la difference causée par l'épaisseur
d'un fluide étant telle encore suivant
Newton , que sans la résistance de l'air grossier,
le corps le plus poreux , comme une éponge , se
précipiteroit avec autant de vitesse qu'un Globe
de plomb , une des démontrations de Newton
étant même , qu'un mobile qui traverse un fluide
de pareille pesanteur spécifique , en quelque sens
que ce soit , et quelque soit la vitesse qu'on lui
donne d'abord , doit perdre la moitié de sa vîtesavant
que d'avoir parcouru trois de ses diametres
: il s'ensuit incontestablement de ses principes,
que si l'attraction centrale agit dans un milieu
vuide , à la hauteur de la Lune , en raison
inverse du quarré de la distance , par rapport à
une attraction qui agit dans un fluide fort dense,
auprès de la surface de la terre , ces deux attrac
tions ne peuvent être semblables .
se ,
Troisiémement il est certain que les masses
des Planetes ne changent point , et que leurs dis-
I. Vol. tanoes
JUIN. 1734 IIII
tances varient , d'où il résulte par une conséquence
invincible que les Planettes dans leurs
périhélies , bien plus puissamment attirées par
le Soleil , devroient tomber sur ce centre , comme
Aristote disoit , que s'il y avoit une autre
terre , elle tomberoit sur celle - ci . Car le moindre
dérangement dans l'équilibre entraîne tout - àfait
un corps , parce que l'excès qui a précedé ,
augmente continuellement l'excès qui suit . Or
tout Astronome convient des absides ou variations
des distances des Planetes . L'équilibre doit
alors être rompu par leur éloignement ou leur
proximité. Elles doivent s'attirer quelquefois
beaucoup plus fortement. La Lune , par exemple,
dans la conjonction , devroit abandonner la
Terre et aller se joindre au Soleil , sur tout la
Terre étant dans le périhélie ; il arriveroit encore
que les deux attractions du Soleil et de la
Terre sur la Lune agissant du même côté
dans l'opposition de la Lune , au lieu que dans
sa conjonction ces deux forces se combattent . la
Lune dans l'opposition tomberoit sur la Terre .
Il est impossible que deux attractions si inégales
et dans ces situations de la Lune si contraires ,
produisent le même effet de la retenir dans l'écliptique.
Il faut aussi dans les absides et conjonctions
des autres Planetes , non-seulement
supposer une qualité occulte , telle que l'attraction
, mais il faut la supposer variable et de maniere
qu'elle se proportionne toujours au besoin
qu'on a d'elle.
Lorsqu'une Planete dans le périhélie , s'est approchée
du centre , l'attraction centrale étant
augmentée , il est impossible , en suivant les loix
du Systême Newtonien , que cette Planete retourne
à sa distance moyenne , et à plus forte
I. Vol.
raison
1112 MERCURE DE FRANCE
raison à l'aphélie . On prétend que quand Jupiter
et Saturne sont dans leur plus grande
proximité, qui est de cent soixante cinq millions
de lieues , suivant les derniers Astronomes , leurs
mouvemens ne sont plus de la même régularité ,
ce que les Newtoniens attribuent à une attraction
plus forte. Puisque le cours de Saturne est dérangé
, il faut donc que l'attraction centrale, qui devroit
agir plus puissammene sur Saturne à une
moindre distance, vienne à se relâcher , sans cause
, pour rendre à Saturne sa régularité . Le Systê
me est autant dénué de causes physiques , qu'il
est abondant en calculs.
Dans les grandes conjonctions des Planetes ,
plusieurs forces centrales réunies dans une ligne
perpendiculaire , devroient agir beaucoup plus
puissamment. Jupiter est plus massif que Saturne
, car Jupiter a plus de densité , suivant New-
Fon ( p. 372. ) il est aussi plus gros suivant tous
les Astronomes , Saturne est donc fortement attiré
par Jupiter , et quand ils se trouvent en con
jonction , la force passagere de Jupiter jointe à
la gravitation continuelle du Soleil , et aturant
Saturne du même côté , doit l'obliger de sortir
de son orbite ; et comme nous l'avons observé ,
le Systême ne fournit aucun moyen de l'y faire
rentrer. Au contraire , l'attraction augmentant
toujours à mesure que la distance diminuera , Saturne
décrira une ligne spirale , puis parabolique
et enfin presque perpendiculaire ; et venant de la
Région la plus éloignée se réunir au Soleil , quels
désordres ne fera t'il point en traversant irrégu
lierement, avec ses satellites , tout ce Monde New.
tonien , où il y a autant de principes de destruction
, que de centres de gravité.
Si l'on répond que l'excès de la vitesse de la
·
I. Vol. Planetę
JUIN. 1734 TII
Planété la soutient contre un excès d'attraction ,
Le Systême Newtonien est donc défectueux , et
c'est une nécessité indispensable d'y ajoûter un
troisiéme principe de la vitesse , qui moderé et
concilie les deux autres . Mais les Géometres auroient
un beau champ pour démontrer par des
calculs réels , fondez sur la regle de Kepler, admise
par Newton , et sur les Observations Astronomiques,
que les rapports réciproques des distances ,
des masses et des vitesses n'étant pas les mêmes en
tout temps , toute la théorie Newtoniene ne peut
avoir aucune solidité , puisque l'équilibre venant
à être rompu dans quelque partie de l'Univers ,
par la moindre inégalité d'attraction d'une Planete
ou d'un Satellite dans les absides , l'équilibre
seroit rompu en même - temps par tout , et
l'Univers aussi - tôt détruit , tous les Globes tombant
les uns sur les autres ; le Soleil même
suivant Newton , s'écarteroit de son centre à
quelque distance et précipiteroit encore la chute
des Planetes dans leurs conjonctions , la force de
la gravitation étant telle dans ce Systême , que
lorsqu'une Planete s'approche du Soleil , elle oblige
le Soleil de s'avancer un peu vers elle , s'il n'est
retenu par une attraction contraire. Ainsi tout le
Systême , au lieu d'avoir un rapport précis avec
les Phénomenes ( qui est le seul moyen de le faire
valoir ) est perpétuellement en contradiction avec
les faits établis par l'Astronomie .
Newton dit qu'il ne fait point d'hypothese ;
cependant tirer mille conséquences du même
principe d'une attraction generale et mutuelle ,
établir que les forces de cette attraction sont en
raison directe des masses , et en raison inverse des
quarrez des distances ; que suivant cette proposition
constante , le Soleil attire les Planetes , et
Je Vol.
дис
11 MERCURE DE FRANCE
ter , que s'il étoit dans le Ciel de Jupiter , maïs
sans être entré dans son tourbillon , il tomberoit
sur le Soleil , à moins qu'il ne vint à rencontrer
pendant sa chute le tourbillon particulier de
quelque Planete. Ainsi il y a lieu de faire sur ce
bouler des conjectures fort differentes de celles
de Newton , qui d'ailleurs ne pourroit tirer de
cette comparaison aucun avantage , puisqu'en
supposant le mouvement elliptique du boulet autour
de la Terre , ce seroit toujours une explication
plus physique de l'attribuer à l'impulsion
du fluide , qu'à une attraction centrale .
Newton finit ( p . 484. ) par reconnoître
qu'une matiere imperceptible penetre tous les
corps , et qu'elle est le principe de leurs attractiens
à de moyennes distances ; comme si la
nécessité d'un mouvement d'impulsion n'étoit
pas encore plus indispensable à l'égard des disrances
éloignées . Le Systême Newtonien ne
seroit soutenable , qu'en supposant les Planetes
sans absides et tous les corps celestes , sans
aucune variation de distance ; ce qui est bien
éloigné de la théorie des Cieux ; et ce Systême ne
nous apprendroit toujours rien , puisqu'il roule
sur un principe inconnu à l'Auteur , de son
aveu, et qui n'a mené jusqu'ici à aucune découverte.
L'Optique de Newton , qui est restée imparfaite,
n'a pas procuré plus d'utilité . Cette invention
si vantée des couleurs élementaires peut paroître
un peu suspecte , plusieurs personnes ayant
tenté inutilement cette experience ; Mariotte, dont
la sagacité en ce genre étoit connue, n'a pû réüssir
à la trouver , et M. Rizzetti a conclu des experiences
qu'il a faites , que tous les rayons sont
également refrangibles .
A l'égard de la Géometrie de l'infini, Newton
I. Vol.
se
JUIN. 1734. 1117
se sert de la Méthode qu'il appelle p. 32. ) des
points naissants et évanouissants , Méthode qui
renferme les mêmes contradictions que celle des
infiniment petits , Il n'est pas besoin de se jetter
dans des discussions métaphysiques , pour con
noître avec la plus entiere certitude , que la divisibilité
à l'infini ne peut s'allier avec les indi-
I visibles. Examinons quelles sont les veritables
défectuositez du Systême Cartésien , et s'il est
possible d'y remedier.
La fin dans le second volume de Juin.
Fermer
Résumé : TROISIÈME PARTIE de la comparaison des Philosophies de Descartes et de Newton. Par M. de S. Aubin.
Le texte compare les philosophies de Descartes et de Newton, en se concentrant sur la notion d'attraction. Les Newtoniens considèrent l'attraction comme une qualité primitive de la matière, similaire à la mobilité. En revanche, les Cartésiens la voient comme une qualité composée et contraire à l'expérience, car elle n'est pas observable dans certaines conditions expérimentales, comme l'attraction entre deux cubes d'acier suspendus. Ils préfèrent expliquer l'union des particules d'un corps par la cohésion et la juxtaposition. Les Cartésiens critiquent également l'idée d'une attraction opérant à travers le vide, la comparant à une pierre tournant dans une fronde sans lien physique. Ils rejettent l'action immédiate d'un corps sur un autre à distance, la trouvant contradictoire. Newton, quant à lui, place le centre de l'Univers dans un espace vide et attribue au Soleil des mouvements complexes. Les Cartésiens réfutent les objections de Newton contre les tourbillons, affirmant que les lois du mouvement résolvent les concurrences entre forces opposées. Le texte examine ensuite les effets de l'attraction universelle. Newton suppose un mouvement initial imprimé par le Créateur et une attraction réciproque entre le Soleil et les planètes. Les Cartésiens critiquent ses calculs, estimant qu'il aurait pu simplement postuler des mouvements elliptiques initiaux. Ils contestent également la validité des expériences de Newton sur la chute des corps, arguant que les différences de milieu invalident les comparaisons. Ils soulignent les variations des distances des planètes, qui devraient entraîner des déséquilibres selon les lois newtoniennes. Le texte critique le système newtonien et ses implications sur le mouvement des planètes, notamment Saturne et Jupiter. Lors des grandes conjonctions planétaires, Jupiter attire fortement Saturne, le forçant à sortir de son orbite. Le système newtonien ne fournit aucun moyen pour que Saturne y retourne, ce qui pourrait entraîner des désordres. Il affirme que le système newtonien est défectueux et nécessite un troisième principe de vitesse pour concilier les forces en jeu. Les rapports réciproques des distances, des masses et des vitesses ne sont pas constants, ce qui pourrait rompre l'équilibre de l'univers et entraîner la destruction des planètes. Newton reconnaît l'existence d'une matière imperceptible pénétrant tous les corps, mais cela ne suffit pas à expliquer les mouvements à grandes distances. Le texte conclut que le système newtonien n'est pas soutenable et critique également l'optique de Newton, notamment sa théorie des couleurs élémentaires, ainsi que sa méthode en géométrie de l'infini, qui contient des contradictions.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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16
p. 1308-1318
DERNIÈRE PARTIE de la comparaison des Philosophies de Descartes et de Newton.
Début :
Je ne puis justifier deux excès (Cartes. Princip. part. 4.) de la Philosophie de Descartes ; [...]
Mots clefs :
Descartes, Philosophie, Newton, Mouvement, Matière, Corps, Force, Fluide, Centre, Soleil, Planètes, Tourbillon, Chute des corps, Système
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texteReconnaissance textuelle : DERNIÈRE PARTIE de la comparaison des Philosophies de Descartes et de Newton.
DERNIERE PARTIE de la
comparaison des Philosophies de Descartes
J
et de Newton .
E ne puis justifier deux excès ( Cartes . Prin
cip. part. 4. ) de la Philosophie de Descartes &
le premier , d'avoir poussé trop loin les effet de
ses corpuscules ; comme d'émouvoir l'imagination
de ceux qui dorment , ou même qui sont
éveillez , en excitant des pensées qui avertissent
des évenemens les pius éloignez , en faisant ressentir
les grandes afflictions, ou les joyes fort vives
d'un intime ami , les mauvais desseins d'un
ennemi , et autres choses semblables . Le second
d'avoir attribué à ses principes une certitude ,
non- seulement morale, comme celle de l'existence
d'une Ville de Rome mais une certitude métaphysique,
fondée sur ce que les notions claires et distinctes
ne peuvent nous tromper . Il est vrai que
j'ai des notions claires et distinctes du systême de
Descartes , mais comme d'une hypothese ingénieuse
et brillante , et non comme d'une réalité .
Descartes a mal raisonné ( Princip. part. 2. )
pour prouver l'infinité du Monde. En quelque
endroit, dit- il , que nous puissions supposer les li
mites de l'Univers , nous imaginons encore au-delà
II. Val des
JUIN. 174. 1309
des espaces , et par conséquent de la matiere , puis
que l'idée de l'étendue ou de l'espace renferme né
cessairement l'idée de la matiere . La réponse est
qu'au - delà des bornes du Monde materiel , il n'y
a ni espace , ni étenduë , ni matiere. A la verité,
nous ne pouvons pas connoître où sont placées
ces bornes de l'Univers , mais nous concevons
très-clairement que l'Univers ne peut être sans
limites ;et comme il est extensible de plus en plus
à l'infini , il ne peut être étendu actuellement à
l'infiai.
Cette regle de mouvement posée par Descartes
Princip. part. 2. ) qu'un corps perd autant de son
mouvement , qu'il en communique , me paroît
insoutenable. Le P. Daniel l'a réfutée ( Voyag. du
Monde de Descart. ) par l'exemple suivant. Une
balle de Mousquet perd peu de mouvement et en
communique beaucoup à l'aîle d'un mouliner
qu'elle frappe , si les autres aîles sont égales , et
Pessieu poli et bien proportionné , au lieu qu'elle
en communique peu et en perd beaucoup , si les
aîles du moulinet sont inégales et l'essieu rouillé
ou trop gros. Il me semble très - vrai semblable
et très-conforme aux experiences , d'établir pour
principe que le mouvement se communiqué suivant
la disposition des corps à se mouvoir à peu
près comme le feu , lequel étant très- foible, cause
de grands embrasemens dans une matiere fort
combustible , au lieu qu'un feu très - ardent ne
fait qu'une médiocre impression sur les matieres .
qui n'ont que très-peu de disposition à s'enflammer
et cette analogie du mouvement et du feu
est d'autant plus naturelle , que le feu consiste
dans le mouvement.
Je ne donne pas une grande confiance à cet autre
axiôme de Descartes ( Princip . part. 2. ) qu'il
II. Vol C iij
1310 MERCURE DE FRANCE
a dans le monde une quantité de mouvement
toujours égale . A la verité , il n'est pas impossi
ble que cela soit ainsi , mais la preuve quil en
apporte , n'a aucune force. Nous ne devons pas ,
dit - il , supposer de changement dans les Ouvrages
de Dieu , de peur de lui attribuer de l'inconstance.
Comme si la diversité admirable qui regne dans
la Nature , qui consiste , selon toutes les apparences
, dans l'augmentation ou dans la diminution
du mouvement , n'étoit pas l'effet d'une provi
dence toujours constante et uniforme , qui a vou
Ju orner la nature par cette varieté. La même
raison nous engageroit à dire qu'il y a toujours
dans le monde une égale quantité de rondeur ,
de couleur et de toutes les autres sortes de formes
et d'accidents ; ce qui n'a aucune vraisemblance.
L'analogie remarquée cy- dessus entre le
mouvement et le feu , est fort contraire à cer
axiome de Descartes ; car il n'est pas probable
que le feu doive diminuer dans une partie de la
matiere , pour augmenter dans une autre.
C'est encore une défectuosité dans le Systême
Cartésien , de supposer ( Princip . part 3. et 4. )
que la Terre , les autres Planetes , et même leurs
Satellites ont été dans leur origine , autant de
Soleils ou d'Etoiles ; mais que le mouvement s'étant
rallenti dans la matiere qui composoit ces
Globes , ils sont devenus opaques , de lumineux
qu'ils étoient ; que leur activité et leurs for,
ces ont été détruites , qu'ils se sont éteints et en
croutez , pour ainsi dire ; et que ne pouvant plus
défendre leurs tourbillons contre la pression des
tourbillons voisins , ils ont été assujettis à suivre
le mouvement de celui où ils sont entrez. Il est
plus digne de la magnificence de l'ouvrage , de
penser qu'il a été conservé tel , qu'il a été pro-
II. Vol. duit
JUIN. 1734: 1311
duit au commencement, qu'il s'est fait differents
amas de matiere compacte , et que ses particules
s'étant liées ensemble les Planetes en ont
été formées dans les régions où elles se sont
mises en équilibre avec les fluides de la matiere
étherée ; que ces Globes ont toujours été opaques
et propres seulement à refléchir la lumière,
parce que leur matiere a admis dans ses interstices
la matiere globuleuse du second élément ,
conjointement avec la matiere subtile du premier,
et que le mouvement rapide de l'une a été calmé
par l'autre , ce qui a empêché dès le commencement
que ces Globes n'ayent été enflammez er
lumineux par eux- mêmes , comme le Soleil.
Descartes , en suivant le même principe qui
lui a fait placer au centre la matiere subtile pour
en composer le Soleil ; ou plutôt en continuant
de s'écarter des principes de son mécanisme general
et des loix du mouvement , par lesquelles
il explique la pesanteur , dit que la matiere celeste
( Princip. part. 3. ) est plus déliée , à mesure
qu'elle approche du Soleil ou du centre , et que
les. Planetes les plus denses et les plus solides en
doivent être les plus éloignées . Il n'y a qu'à
prendre la contre- partie du Systême de Descartes
en ce point, pour lui rendre la régularité , la
justese et l'uniformité.
Il faut se représenter le Soleil comme le plus
vaste de tous les Globes , placé au centre du
tourbillon et composé de la matiere la plus compacte,
penetrée de la matiere subtile , qui remplissant
tous ses interstices , y domine avec assez
de force pour communiquer la rapidité de son
mouvement à toute la masse du Soleil . Ce qui
produit le feu le plus ardent , par la force de
masse jointe à la force de vitesse. Ce feu est en
› II. Vol. Ciiij même131
MERCURE DE FRANCE
même-temps le seul capable de porter le mou→
vement et la fécondité dans tout son tourbillon ,
et la lumiere beaucoup au delà , ainsi qu'il est nécessaire
pour qu'il puisse être apperçu des autres
tourbillons , sous la forme d'une Etoile.
De même que le fer rouge ou le charbon al→
lumé ne s'élancent pas dans l'air par un mouve
ment semblable à celui de la flamme , parce que
Pair qui les environne , conserve la force de sa
pression à l'égard de leurs parties , qui s'y prê–
tent d'autant plus , qu'elles ont plus de masse ou
de solidité , aussi la masse du Globe Solaire est
contenue dans ses limites par la répercussion de
son atmosphere qui le presse de toute part. Ce.
Globe suspendu dans un parfait équilibre , trèsdisposé
à tourner par le mouvement intrinséque
du troisiéme et du premier élement qui le composent
, est encore puissamment déterminé à
une révolution sur son axe , par la répercussion
qu'il éprouve dans toute sa superficie de la part
de son atmosphere, en même- temps qu'il chasse
de tous côtez la matiere globuleuse , et que ses
rayons sont transmis par elle. C'est cette activité
centrale qui fait tourner toutes les Planetes dans
des temps differens en suivant la route de l'écliptique
, du même sens et vers le même côté
que le Soleil tourne sur son axe . Chaque Planete
doit, suivant ce méchanisme , non - seulement décrire
autour du Soleil les orbites dont je viens de
parler , mais encore avoir une révolution sur son
axe , causée par le mouvement intrinseque des
trois élemens qui la composent , et par le mouvement
exterieur du fluide ou de l'atmosphere
qui l'emporte autour du centre commun.
Les taches du Soleil , par leurs divers aspects,
me laissent aucun doute qu'il ne tourne sur son
11. Vol.
axo.
JUIN. 1734 1313
axe. C'est donc ce premier mobile , qui par sa
révolution imprime à tout son tourbillon un
mouvement du même côté ; sçavoir , du Couchant
par le Midy vers l'Orient. Les taches que
les Astronomes observent sur les Planetes , font
conjecturer , avec beaucoup de vrai- semblance ,
que leurs superficies plus denses en certains endroits
et plus rares dans d'autres , sont , en consequence
de cette inégalité,differeminent affectées
de l'impulsion des rayons solaires ; ce qui peut
être regardé comine un principe très- physique
des aphélies et périhélies des Planetes , de l'apogée
et du périgée de la Lune , et de sa latitude
des deux côtez de ses nouds.
Le premier éleinent s'insinue par tout , mais il
ne subsiste point seul , et il se convertit en parties
globuleuses du second élement , ou en parties
branchues du troisiéme . Ainsi aucun des trois
élemens ne peut être épuisé , parce que leur conversibilité
mutuelle répare tout ce qui se dissipe.
L'uniformité de la Nature nous fait conjecturer
que ce qui nous est connu dans le tourbillon de
notre Soleil , est semblable par la construction ,
par le mouvement et par les Phénomenes , à ce
qui se passe dans les tourbillons des Etoiles ou
des autres Soleils garnis de leurs Planetes , comme
le nôtre .
Il nous reste à examiner les difficultez qui
concernent la pesanteur. Descartes l'explique par
l'impulsion du fluide ou de la matiere éthérée.
La chute des corps ne peut venir de ce que
Patmosphere terrestre ( M. Privat de Molieres ,
leçon 4. ) circule plus vite que la Terre . Huguens
a crá que cette atmosphere alloit dix sept fois
plus vite que le Globe , Si cet excès de vêtesse du
fluide circulaire étoit la cause de la pesanteur ,
la chute des corps seroit horizontale , au lieu
II. Vol. Cv d'être
1314 MERCURE DE FRANCE
d'être perpendiculaire. Dailleurs il est très- cer
tain qu'un mobile entraîné par le courant d'un
fluide , doit , à la longue , aller à peu près aussi
vite que le courant qui l'entraîne.
L'explication Cartesienne de la pesanteur a été
attaquée par cette objection très- forte , que les
cercles décrits par le fluide circulaire diminuant
toujours depuis l'équateur jusqu'aux poles , la
force centrifuge , rapportée au mouvement
circulaire du tourbillon , auroit des centres
differens dans les cercles inégaux , et que les
corps y seroient repoussez , non pas perpendicu
lairement au centre de la Terre , mais à des parties
de son axe plus ou moins éloignées du centre
; ce qui est contraire à l'experience , la chute
des corps se faisant toujours dans la ligne du
Zénit , à moins qu'il ne survienne quelque cause
étrangere. Descartes, qui a prévû cette objection ,
a répondu ( Princip. part. 4. ) que quoique le
fluide qui participe aux mouvemens journalier
et annuel de la Terre , ait en general un mouvement
circulaire , on doit neanmoins concevoir
que toutes les parties de ce fluide se balancent et
sont opposées l'une à l'autre , en telle sorte que
leur action s'étend vers tous les côtez et que la
résistance qu'elle éprouve de la part du Globe ,
donne parmi ces mouvemens en tous sens , une
principale direction aux parties du fluide , suivant
des lignes droites tirées du centre . Cette solution
de Descartes n'est pas claire , il ne dit
point de quelle maniere cette résistance de la
part du Globe peut faire tomber les corps massifs
perpendiculairement au centre. Voicy une bypothese
qui me paroît lever la difficulté.
Suivant les loix du mouvement , la matiere
globuleuse et la matiere subtile , qui ont beaucoup
plus de force centrifuge que le troisiéme
II. Vole élement
JUIN. 1734. -1315
Element , s'élancent en tout sens par des lignes
droites ; et au milieu du fluide , dont la révolu
tion en general est circulaire , une grande quantité
de matiere globuleuse et subtile , conserve
toujours un mouvement direct , autant que les
interstices du troisiéme élement peuvent le permettre;
car l'impenetrabilité est une propriété
de la matiere dans tous les Systêmes. La matiere
subtile traverse même les tourbillons par un
mouvement en ligne directe , avec encore plus de
facilité ( Act. erud. Lips. May 1690. P. 232. ) que
la matiere globaleuse qui passe necessairement
d'un tourbillon dans un autre, pour que les Etoiles
ou les Soleils des autres tourbillons puissent
être apperçus de celui où nous sommes . Ce sont
ces mouvemens en ligne droite des matieres globuleuse
et subtile , qui obligent les corps solides
de tomber à plomb et perpendiculairement au
centre de la Terre . Car ces élemens , qui ont
beaucoup plus de mobilité , venant à se traver .
ser et étant opposez en tout sens , ils obligent les
corps solides qu'ils rencontrent de se précipiter
par le côté le plus foible , qui est toujours perpendiculaire
au Clobe , parce que c'est le côté
par où il arrive une beaucoup moindre quantité
de ces matieres globuleuse et subtile . C'est ainsi
que tout l'effort de la poudre à canon se fait par
l'endroit qu'elle trouve le plus foible . Si les trois
élemens qui composent la matiere ethérée ont
differens mouvemens dans cette hypothese , cette
diversité procede des loix même du mouvement.
La pesanteur (M. Privat de Molieres, leçon 4. )
ne consiste qu'en ce que les corps pesants ont
un plus grand nombre de leurs parties en repos,
Le centre n'est point par lui - même une cause
physique . Le nom de force centrifuge ne laisse
pas d'être fort convenable à une plus grande mo-
II. Vol. C vi bilité
1316 MERCURE DE FRANCE
bilité ; car quoiqu'elle soit indépendante du cen
tre , la matiere la plus mobile repousse vers lui
les corps solides.
Bien loin que la force accélératrice doive être
moindre en raison inverse des quarrez des dis
tances , elle doit être plus grande dans les couches
voisines de la circonference , parce que ces
couches sont bien plus rarefiées et qu'une maticre
qui a beaucoup plus de mobilité , y abonde
davantage , tandis que les couches inferieures ou
voisines du centre sont beaucoup plus denses.
Suivant ces principes , l'atmosphere voisine du
Soleil doit etre ( Hartsoëk . rec . de piéc Physiq.
p. 37. ) un fluide plus épais que le vif argent , et
les autres couches du tourbillon à proportion.
Ainsi un corps doit se précipiter avec moins de
vîtesse dans les couches inferieures près du centre
, de même que les experiences journalieres
nous apprennent qu'il se précipite avec beaucoup
moins de vitesse dans l'air grossier que dans le
vuide pneumatique ; beaucoup moins vite dans
l'eau que dans un air grossier ; et si l'on suppose
des fluides extremement épais , comme le vif
argent ou l'or fondu , un corps a besoin d'une
très- grande force pour les traverser.
Quoiqu'un fluide plus dense diminue beaucoup
la force accelerative dans la chute des corps , les
Globes des Planetes doivent y circuler plus vîte ,
comme il arrive dans le périhélie , parce que plus
le fluide est épais , plus son mouvement circulaire
a de force, et que d'ailleurs les Globes des
Planetes , dans leurs périhélies , reçoivent une
impression plus active des rayons du Soleil .
On ne peut rien déterminer sur les forces acceleratives
, soit à cause de cette extrême cifference
des fluides, soit parce qu'il est très - incertain
( Elem. de la Géoné . de l'.nfin. part. 2. §. 8. ) si
II. Vol. ja
JUIN. 1734 1317
la force motrice ne s'applique au corps qui doit
être mû, qu'autant de temps précisement qu'il
en faut pour le choc , ou si cette force s'applique
continuellement au corps , le poursuit dans son
mouvement et renouvelle à chaque instant son
impression sur iui. Il paroît que dans le premier
instant , où la force motrice trouve le corps en
repos eului donne un coup , elle doit lui imprimer
une plus grande vitesse que dans le second
instant , où elle le trouve fuyant devant elle et se
dérobant à son action , C'est neanmoins sur les
principes d'une résistance toujours semblable du
Auide , et d'une acceleration du mouvement uniforme
et toujours proportionnée au temps , qu'est
appuyée la celebre démonstration de Galilée, que
les espaces parcourus sont comme les quarrez des
temps et que la chute des corps graves suit la progression
des nombres impairs , 1. 3. 5.7. 9. &c.
Comine on ne peut sçavoir rien de positif ni de la
qualité des fluides éloignez , ni de la maniere dons
la force motrice continue d'agir sur le corps dont
la chute est commencée , la prétendue démoustration
ne peut avoir de solidité .
J'avoue que plusieurs de ces hypothèses s'accordent
peu avec celles qui ont eu cours jusqu'icy
dans les differens Systêmes . Mais elles
sont vrai - semblables et satisfont à toutes les difficultez
par lesquelles on s'est efforcé de détruire
le Systême de Descartes , qui donne seul des causes
vraiment physiques de tous les Phénomenes ;
qui a l'avantage de présenter l'idée la plus magnifique
de la construction de l'univers , et dont
on peut dire , ce me semble , que non - seulement
il mérite la préférence sur toutes les autres Philosophies
, mais qu'aucune n'est à portée de la
lui disputer. Il y auroit plusieurs réfléxions à
II. Vol. faire
1318 MERCURE DE FRANCE
faire sur les autres parties de la Philosophie de
Descartes , sur sa Métaphysique , sur sa Morale
&c. Mais nous ne nous sommes proposez que
d'examiner son Systême de Physique , et dans la
vûë seulement de le comparer avec la Philosophie
Newtonienne ; car Descartes a encore cer
avantage sur Newton , d'avoir embrassé une Philosophie
generale , au lieu que Newton a borné
la sienne à une explication du Systême du Monde
par l'attraction , et à une Optique qui est res
tée imparfaite.
comparaison des Philosophies de Descartes
J
et de Newton .
E ne puis justifier deux excès ( Cartes . Prin
cip. part. 4. ) de la Philosophie de Descartes &
le premier , d'avoir poussé trop loin les effet de
ses corpuscules ; comme d'émouvoir l'imagination
de ceux qui dorment , ou même qui sont
éveillez , en excitant des pensées qui avertissent
des évenemens les pius éloignez , en faisant ressentir
les grandes afflictions, ou les joyes fort vives
d'un intime ami , les mauvais desseins d'un
ennemi , et autres choses semblables . Le second
d'avoir attribué à ses principes une certitude ,
non- seulement morale, comme celle de l'existence
d'une Ville de Rome mais une certitude métaphysique,
fondée sur ce que les notions claires et distinctes
ne peuvent nous tromper . Il est vrai que
j'ai des notions claires et distinctes du systême de
Descartes , mais comme d'une hypothese ingénieuse
et brillante , et non comme d'une réalité .
Descartes a mal raisonné ( Princip. part. 2. )
pour prouver l'infinité du Monde. En quelque
endroit, dit- il , que nous puissions supposer les li
mites de l'Univers , nous imaginons encore au-delà
II. Val des
JUIN. 174. 1309
des espaces , et par conséquent de la matiere , puis
que l'idée de l'étendue ou de l'espace renferme né
cessairement l'idée de la matiere . La réponse est
qu'au - delà des bornes du Monde materiel , il n'y
a ni espace , ni étenduë , ni matiere. A la verité,
nous ne pouvons pas connoître où sont placées
ces bornes de l'Univers , mais nous concevons
très-clairement que l'Univers ne peut être sans
limites ;et comme il est extensible de plus en plus
à l'infini , il ne peut être étendu actuellement à
l'infiai.
Cette regle de mouvement posée par Descartes
Princip. part. 2. ) qu'un corps perd autant de son
mouvement , qu'il en communique , me paroît
insoutenable. Le P. Daniel l'a réfutée ( Voyag. du
Monde de Descart. ) par l'exemple suivant. Une
balle de Mousquet perd peu de mouvement et en
communique beaucoup à l'aîle d'un mouliner
qu'elle frappe , si les autres aîles sont égales , et
Pessieu poli et bien proportionné , au lieu qu'elle
en communique peu et en perd beaucoup , si les
aîles du moulinet sont inégales et l'essieu rouillé
ou trop gros. Il me semble très - vrai semblable
et très-conforme aux experiences , d'établir pour
principe que le mouvement se communiqué suivant
la disposition des corps à se mouvoir à peu
près comme le feu , lequel étant très- foible, cause
de grands embrasemens dans une matiere fort
combustible , au lieu qu'un feu très - ardent ne
fait qu'une médiocre impression sur les matieres .
qui n'ont que très-peu de disposition à s'enflammer
et cette analogie du mouvement et du feu
est d'autant plus naturelle , que le feu consiste
dans le mouvement.
Je ne donne pas une grande confiance à cet autre
axiôme de Descartes ( Princip . part. 2. ) qu'il
II. Vol C iij
1310 MERCURE DE FRANCE
a dans le monde une quantité de mouvement
toujours égale . A la verité , il n'est pas impossi
ble que cela soit ainsi , mais la preuve quil en
apporte , n'a aucune force. Nous ne devons pas ,
dit - il , supposer de changement dans les Ouvrages
de Dieu , de peur de lui attribuer de l'inconstance.
Comme si la diversité admirable qui regne dans
la Nature , qui consiste , selon toutes les apparences
, dans l'augmentation ou dans la diminution
du mouvement , n'étoit pas l'effet d'une provi
dence toujours constante et uniforme , qui a vou
Ju orner la nature par cette varieté. La même
raison nous engageroit à dire qu'il y a toujours
dans le monde une égale quantité de rondeur ,
de couleur et de toutes les autres sortes de formes
et d'accidents ; ce qui n'a aucune vraisemblance.
L'analogie remarquée cy- dessus entre le
mouvement et le feu , est fort contraire à cer
axiome de Descartes ; car il n'est pas probable
que le feu doive diminuer dans une partie de la
matiere , pour augmenter dans une autre.
C'est encore une défectuosité dans le Systême
Cartésien , de supposer ( Princip . part 3. et 4. )
que la Terre , les autres Planetes , et même leurs
Satellites ont été dans leur origine , autant de
Soleils ou d'Etoiles ; mais que le mouvement s'étant
rallenti dans la matiere qui composoit ces
Globes , ils sont devenus opaques , de lumineux
qu'ils étoient ; que leur activité et leurs for,
ces ont été détruites , qu'ils se sont éteints et en
croutez , pour ainsi dire ; et que ne pouvant plus
défendre leurs tourbillons contre la pression des
tourbillons voisins , ils ont été assujettis à suivre
le mouvement de celui où ils sont entrez. Il est
plus digne de la magnificence de l'ouvrage , de
penser qu'il a été conservé tel , qu'il a été pro-
II. Vol. duit
JUIN. 1734: 1311
duit au commencement, qu'il s'est fait differents
amas de matiere compacte , et que ses particules
s'étant liées ensemble les Planetes en ont
été formées dans les régions où elles se sont
mises en équilibre avec les fluides de la matiere
étherée ; que ces Globes ont toujours été opaques
et propres seulement à refléchir la lumière,
parce que leur matiere a admis dans ses interstices
la matiere globuleuse du second élément ,
conjointement avec la matiere subtile du premier,
et que le mouvement rapide de l'une a été calmé
par l'autre , ce qui a empêché dès le commencement
que ces Globes n'ayent été enflammez er
lumineux par eux- mêmes , comme le Soleil.
Descartes , en suivant le même principe qui
lui a fait placer au centre la matiere subtile pour
en composer le Soleil ; ou plutôt en continuant
de s'écarter des principes de son mécanisme general
et des loix du mouvement , par lesquelles
il explique la pesanteur , dit que la matiere celeste
( Princip. part. 3. ) est plus déliée , à mesure
qu'elle approche du Soleil ou du centre , et que
les. Planetes les plus denses et les plus solides en
doivent être les plus éloignées . Il n'y a qu'à
prendre la contre- partie du Systême de Descartes
en ce point, pour lui rendre la régularité , la
justese et l'uniformité.
Il faut se représenter le Soleil comme le plus
vaste de tous les Globes , placé au centre du
tourbillon et composé de la matiere la plus compacte,
penetrée de la matiere subtile , qui remplissant
tous ses interstices , y domine avec assez
de force pour communiquer la rapidité de son
mouvement à toute la masse du Soleil . Ce qui
produit le feu le plus ardent , par la force de
masse jointe à la force de vitesse. Ce feu est en
› II. Vol. Ciiij même131
MERCURE DE FRANCE
même-temps le seul capable de porter le mou→
vement et la fécondité dans tout son tourbillon ,
et la lumiere beaucoup au delà , ainsi qu'il est nécessaire
pour qu'il puisse être apperçu des autres
tourbillons , sous la forme d'une Etoile.
De même que le fer rouge ou le charbon al→
lumé ne s'élancent pas dans l'air par un mouve
ment semblable à celui de la flamme , parce que
Pair qui les environne , conserve la force de sa
pression à l'égard de leurs parties , qui s'y prê–
tent d'autant plus , qu'elles ont plus de masse ou
de solidité , aussi la masse du Globe Solaire est
contenue dans ses limites par la répercussion de
son atmosphere qui le presse de toute part. Ce.
Globe suspendu dans un parfait équilibre , trèsdisposé
à tourner par le mouvement intrinséque
du troisiéme et du premier élement qui le composent
, est encore puissamment déterminé à
une révolution sur son axe , par la répercussion
qu'il éprouve dans toute sa superficie de la part
de son atmosphere, en même- temps qu'il chasse
de tous côtez la matiere globuleuse , et que ses
rayons sont transmis par elle. C'est cette activité
centrale qui fait tourner toutes les Planetes dans
des temps differens en suivant la route de l'écliptique
, du même sens et vers le même côté
que le Soleil tourne sur son axe . Chaque Planete
doit, suivant ce méchanisme , non - seulement décrire
autour du Soleil les orbites dont je viens de
parler , mais encore avoir une révolution sur son
axe , causée par le mouvement intrinseque des
trois élemens qui la composent , et par le mouvement
exterieur du fluide ou de l'atmosphere
qui l'emporte autour du centre commun.
Les taches du Soleil , par leurs divers aspects,
me laissent aucun doute qu'il ne tourne sur son
11. Vol.
axo.
JUIN. 1734 1313
axe. C'est donc ce premier mobile , qui par sa
révolution imprime à tout son tourbillon un
mouvement du même côté ; sçavoir , du Couchant
par le Midy vers l'Orient. Les taches que
les Astronomes observent sur les Planetes , font
conjecturer , avec beaucoup de vrai- semblance ,
que leurs superficies plus denses en certains endroits
et plus rares dans d'autres , sont , en consequence
de cette inégalité,differeminent affectées
de l'impulsion des rayons solaires ; ce qui peut
être regardé comine un principe très- physique
des aphélies et périhélies des Planetes , de l'apogée
et du périgée de la Lune , et de sa latitude
des deux côtez de ses nouds.
Le premier éleinent s'insinue par tout , mais il
ne subsiste point seul , et il se convertit en parties
globuleuses du second élement , ou en parties
branchues du troisiéme . Ainsi aucun des trois
élemens ne peut être épuisé , parce que leur conversibilité
mutuelle répare tout ce qui se dissipe.
L'uniformité de la Nature nous fait conjecturer
que ce qui nous est connu dans le tourbillon de
notre Soleil , est semblable par la construction ,
par le mouvement et par les Phénomenes , à ce
qui se passe dans les tourbillons des Etoiles ou
des autres Soleils garnis de leurs Planetes , comme
le nôtre .
Il nous reste à examiner les difficultez qui
concernent la pesanteur. Descartes l'explique par
l'impulsion du fluide ou de la matiere éthérée.
La chute des corps ne peut venir de ce que
Patmosphere terrestre ( M. Privat de Molieres ,
leçon 4. ) circule plus vite que la Terre . Huguens
a crá que cette atmosphere alloit dix sept fois
plus vite que le Globe , Si cet excès de vêtesse du
fluide circulaire étoit la cause de la pesanteur ,
la chute des corps seroit horizontale , au lieu
II. Vol. Cv d'être
1314 MERCURE DE FRANCE
d'être perpendiculaire. Dailleurs il est très- cer
tain qu'un mobile entraîné par le courant d'un
fluide , doit , à la longue , aller à peu près aussi
vite que le courant qui l'entraîne.
L'explication Cartesienne de la pesanteur a été
attaquée par cette objection très- forte , que les
cercles décrits par le fluide circulaire diminuant
toujours depuis l'équateur jusqu'aux poles , la
force centrifuge , rapportée au mouvement
circulaire du tourbillon , auroit des centres
differens dans les cercles inégaux , et que les
corps y seroient repoussez , non pas perpendicu
lairement au centre de la Terre , mais à des parties
de son axe plus ou moins éloignées du centre
; ce qui est contraire à l'experience , la chute
des corps se faisant toujours dans la ligne du
Zénit , à moins qu'il ne survienne quelque cause
étrangere. Descartes, qui a prévû cette objection ,
a répondu ( Princip. part. 4. ) que quoique le
fluide qui participe aux mouvemens journalier
et annuel de la Terre , ait en general un mouvement
circulaire , on doit neanmoins concevoir
que toutes les parties de ce fluide se balancent et
sont opposées l'une à l'autre , en telle sorte que
leur action s'étend vers tous les côtez et que la
résistance qu'elle éprouve de la part du Globe ,
donne parmi ces mouvemens en tous sens , une
principale direction aux parties du fluide , suivant
des lignes droites tirées du centre . Cette solution
de Descartes n'est pas claire , il ne dit
point de quelle maniere cette résistance de la
part du Globe peut faire tomber les corps massifs
perpendiculairement au centre. Voicy une bypothese
qui me paroît lever la difficulté.
Suivant les loix du mouvement , la matiere
globuleuse et la matiere subtile , qui ont beaucoup
plus de force centrifuge que le troisiéme
II. Vole élement
JUIN. 1734. -1315
Element , s'élancent en tout sens par des lignes
droites ; et au milieu du fluide , dont la révolu
tion en general est circulaire , une grande quantité
de matiere globuleuse et subtile , conserve
toujours un mouvement direct , autant que les
interstices du troisiéme élement peuvent le permettre;
car l'impenetrabilité est une propriété
de la matiere dans tous les Systêmes. La matiere
subtile traverse même les tourbillons par un
mouvement en ligne directe , avec encore plus de
facilité ( Act. erud. Lips. May 1690. P. 232. ) que
la matiere globaleuse qui passe necessairement
d'un tourbillon dans un autre, pour que les Etoiles
ou les Soleils des autres tourbillons puissent
être apperçus de celui où nous sommes . Ce sont
ces mouvemens en ligne droite des matieres globuleuse
et subtile , qui obligent les corps solides
de tomber à plomb et perpendiculairement au
centre de la Terre . Car ces élemens , qui ont
beaucoup plus de mobilité , venant à se traver .
ser et étant opposez en tout sens , ils obligent les
corps solides qu'ils rencontrent de se précipiter
par le côté le plus foible , qui est toujours perpendiculaire
au Clobe , parce que c'est le côté
par où il arrive une beaucoup moindre quantité
de ces matieres globuleuse et subtile . C'est ainsi
que tout l'effort de la poudre à canon se fait par
l'endroit qu'elle trouve le plus foible . Si les trois
élemens qui composent la matiere ethérée ont
differens mouvemens dans cette hypothese , cette
diversité procede des loix même du mouvement.
La pesanteur (M. Privat de Molieres, leçon 4. )
ne consiste qu'en ce que les corps pesants ont
un plus grand nombre de leurs parties en repos,
Le centre n'est point par lui - même une cause
physique . Le nom de force centrifuge ne laisse
pas d'être fort convenable à une plus grande mo-
II. Vol. C vi bilité
1316 MERCURE DE FRANCE
bilité ; car quoiqu'elle soit indépendante du cen
tre , la matiere la plus mobile repousse vers lui
les corps solides.
Bien loin que la force accélératrice doive être
moindre en raison inverse des quarrez des dis
tances , elle doit être plus grande dans les couches
voisines de la circonference , parce que ces
couches sont bien plus rarefiées et qu'une maticre
qui a beaucoup plus de mobilité , y abonde
davantage , tandis que les couches inferieures ou
voisines du centre sont beaucoup plus denses.
Suivant ces principes , l'atmosphere voisine du
Soleil doit etre ( Hartsoëk . rec . de piéc Physiq.
p. 37. ) un fluide plus épais que le vif argent , et
les autres couches du tourbillon à proportion.
Ainsi un corps doit se précipiter avec moins de
vîtesse dans les couches inferieures près du centre
, de même que les experiences journalieres
nous apprennent qu'il se précipite avec beaucoup
moins de vitesse dans l'air grossier que dans le
vuide pneumatique ; beaucoup moins vite dans
l'eau que dans un air grossier ; et si l'on suppose
des fluides extremement épais , comme le vif
argent ou l'or fondu , un corps a besoin d'une
très- grande force pour les traverser.
Quoiqu'un fluide plus dense diminue beaucoup
la force accelerative dans la chute des corps , les
Globes des Planetes doivent y circuler plus vîte ,
comme il arrive dans le périhélie , parce que plus
le fluide est épais , plus son mouvement circulaire
a de force, et que d'ailleurs les Globes des
Planetes , dans leurs périhélies , reçoivent une
impression plus active des rayons du Soleil .
On ne peut rien déterminer sur les forces acceleratives
, soit à cause de cette extrême cifference
des fluides, soit parce qu'il est très - incertain
( Elem. de la Géoné . de l'.nfin. part. 2. §. 8. ) si
II. Vol. ja
JUIN. 1734 1317
la force motrice ne s'applique au corps qui doit
être mû, qu'autant de temps précisement qu'il
en faut pour le choc , ou si cette force s'applique
continuellement au corps , le poursuit dans son
mouvement et renouvelle à chaque instant son
impression sur iui. Il paroît que dans le premier
instant , où la force motrice trouve le corps en
repos eului donne un coup , elle doit lui imprimer
une plus grande vitesse que dans le second
instant , où elle le trouve fuyant devant elle et se
dérobant à son action , C'est neanmoins sur les
principes d'une résistance toujours semblable du
Auide , et d'une acceleration du mouvement uniforme
et toujours proportionnée au temps , qu'est
appuyée la celebre démonstration de Galilée, que
les espaces parcourus sont comme les quarrez des
temps et que la chute des corps graves suit la progression
des nombres impairs , 1. 3. 5.7. 9. &c.
Comine on ne peut sçavoir rien de positif ni de la
qualité des fluides éloignez , ni de la maniere dons
la force motrice continue d'agir sur le corps dont
la chute est commencée , la prétendue démoustration
ne peut avoir de solidité .
J'avoue que plusieurs de ces hypothèses s'accordent
peu avec celles qui ont eu cours jusqu'icy
dans les differens Systêmes . Mais elles
sont vrai - semblables et satisfont à toutes les difficultez
par lesquelles on s'est efforcé de détruire
le Systême de Descartes , qui donne seul des causes
vraiment physiques de tous les Phénomenes ;
qui a l'avantage de présenter l'idée la plus magnifique
de la construction de l'univers , et dont
on peut dire , ce me semble , que non - seulement
il mérite la préférence sur toutes les autres Philosophies
, mais qu'aucune n'est à portée de la
lui disputer. Il y auroit plusieurs réfléxions à
II. Vol. faire
1318 MERCURE DE FRANCE
faire sur les autres parties de la Philosophie de
Descartes , sur sa Métaphysique , sur sa Morale
&c. Mais nous ne nous sommes proposez que
d'examiner son Systême de Physique , et dans la
vûë seulement de le comparer avec la Philosophie
Newtonienne ; car Descartes a encore cer
avantage sur Newton , d'avoir embrassé une Philosophie
generale , au lieu que Newton a borné
la sienne à une explication du Systême du Monde
par l'attraction , et à une Optique qui est res
tée imparfaite.
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Résumé : DERNIÈRE PARTIE de la comparaison des Philosophies de Descartes et de Newton.
Le texte compare les philosophies de Descartes et de Newton, en soulignant plusieurs critiques des théories de Descartes. L'auteur reproche à Descartes d'avoir exagéré les effets de ses corpuscules, comme l'influence sur l'imagination des rêves ou la perception des émotions à distance. Il critique également Descartes pour avoir attribué une certitude métaphysique à ses principes, basés sur les notions claires et distinctes, que l'auteur considère plutôt comme une hypothèse ingénieuse. L'auteur conteste la preuve de Descartes sur l'infini de l'univers, arguant que l'idée d'étendue implique nécessairement celle de matière, mais que l'univers ne peut être étendu à l'infini. Il réfute aussi la règle de Descartes selon laquelle un corps perd autant de mouvement qu'il en communique, en utilisant l'exemple d'une balle de mousquet frappant une aile de moulin. L'auteur remet en question l'axiome de Descartes selon lequel la quantité de mouvement dans le monde est toujours égale, trouvant cette idée peu probable et contraire à l'observation de la diversité naturelle. Il critique également la théorie cartésienne sur l'origine des planètes, qui seraient des soleils éteints, préférant une vision où les planètes ont toujours été opaques et réfléchissantes. Le texte propose une alternative au système cartésien, décrivant le Soleil comme un globe compact et lumineux au centre du tourbillon, capable de communiquer son mouvement à tout le système. Il explique la rotation des planètes et les taches solaires, ainsi que la conversion mutuelle des trois éléments (subtile, globuleuse et branchue) qui empêchent leur épuisement. Enfin, l'auteur examine la théorie cartésienne de la pesanteur, la trouvant insuffisante pour expliquer la chute perpendiculaire des corps. Il propose une hypothèse où la matière subtile et globuleuse, ayant plus de force centrifuge, traverse le fluide en ligne droite, obligeant les corps solides à tomber perpendiculairement au centre de la Terre. Le texte traite également de divers aspects de la physique, notamment la nature de la poudre à canon, la pesanteur et les mouvements des corps dans différents fluides. La poudre à canon agit sur le point le plus faible d'un obstacle. La pesanteur est expliquée par le repos des parties des corps pesants. Le centre n'est pas une cause physique en soi, mais la matière mobile repousse les corps solides vers lui. La force accélératrice est plus grande dans les couches rarefiées et mobiles, comme celles proches de la circonférence d'un tourbillon. L'atmosphère solaire est décrite comme un fluide dense, et les corps se déplacent plus lentement dans des fluides épais. Les planètes circulent plus vite dans les fluides denses, comme lors du périhélie, en raison de l'influence des rayons solaires. Le texte critique la démonstration de Galilée sur la chute des corps, estimant qu'elle repose sur des hypothèses incertaines concernant la résistance des fluides et l'action continue de la force motrice. Il conclut en défendant le système de Descartes, le jugeant supérieur aux autres philosophies, y compris celle de Newton, pour son explication physique des phénomènes et sa vision magnifiante de l'univers.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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17
p. 121-124
« PROJET D'UN ORDRE FRANÇOIS EN TACTIQUE, ou la phalange coupée & doublée [...] »
Début :
PROJET D'UN ORDRE FRANÇOIS EN TACTIQUE, ou la phalange coupée & doublée [...]
Mots clefs :
Ennemi, Force, Tactique
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « PROJET D'UN ORDRE FRANÇOIS EN TACTIQUE, ou la phalange coupée & doublée [...] »
PROJET D'UN ORDRE FRANÇOIS EN
F
122 MERCURE DE FRANCE .
TACTIQUE , ou la phalange coupée & doublée
& foutenue par le mêlange des armes.
On la propofe comme fiftême général ,
on prouve fa fupériorité , comparant toujours
à la méthode aujourd'hui d'ufage ,
celle- ci qui n'eſt à la bien définir , que le
fiftême du chevalier de Folard plus étendu ,
& mieux développé. On y a joint les idées
des plus grands maîtres , particulierement
du maréchal de Saxe. L'auteur à ce sujet ,
a pris pour épigraphe.
Craint- on de s'égarer fur les traces d'Hercule.
Racine.
Ce livre dont nous avons annoncé l'édition
prochaine dans le Mercure de Mai , fe
vend actuellement à Paris , chez Boudet ,
chez Jombert , & chez la veuve Gandouin.
La préface de l'auteur eft un modele
pour la précifion . Comme elle ne contient
que cinq lignes , nous allons ici la tranfcrire
fans en rien retrancher.
« Cet ouvrage rare dans fon efpece eft
très-mauvais ou très- bon . Fort inutile ou
» de la plus grande importance.Pour fçavoir
» lequel des deux , il faut lelire ; pour ne
pas s'y méprendre, le lire fans prévention ;
» & comme c'eft un tout , le lire tout entier.
Cette raifon nous oblige à renvoyer le
lecteur au livre même , & nous difpenfe
d'en donner un extrait en forme. Nous
"
A O UST. 1755. 12.3
bornons à un précis très- court qui offrira
en racourci tous les avantages de la colonne
fur le bataillon . Nous l'avons tiré
du dernier chapitre de l'ouvrage. Voici
les termes de l'auteur , dans lefquels nous
nous renfermons. On pourra juger par eux
de fon ftyle. S'il n'eft pas toujours correct
& précis , il eft du moins vif , rapide &
plein d'une franchife militaire qui convient
au genre . Selon le Maréchal de Puyfegur
dit-il , toutes les parties qui peuvent contribuer
à la victoire , fe réduifent 1 ° , à profiter
de la fituation des lieux . 2º , A avoir
plus de troupes que fon ennemi , ou du
moins à en faire combattre davantage.
3 °, A infpirer plus de courage aux troupes.
4° , A employer plus d'art à combattre.
Quand toutes ces parties fe trouvent réunies
, dit le favant auteur , on peut être
affuré de la victoire . Elles fe trouvent raffemblées
dans mon fyftême. C'est par conféquent
fur la parole du maréchal , que je
lui promets autant de victoires que de
combats .
La raifon & l'expérience prouvent que
la profondeur fait la force de l'infanterie.
Rien n'eft donc fi fort que la pléfion ou la
colonne : rien n'eft fi foible que le bataillon
. Il ne pourra jamais la renverfer ou la
repouffer , ni même tenir un inftant contre
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
la violence de fon choc. La petiteffe de fon
front augmente cette force de beaucoup.
Car le bonheur naît de l'union & du bon
ordre. Un petit front est toujours plus uni &
mieux en ordre. De- là vient encore la légéreté.
Sans le flottement & la crainte du défordre
, une troupe iroit auffi vite qu'un
homme feul. La pléfion qui ne fe dérange
point , peut courir en bataille. Cette grande
légereté accroît encore confidérablement
fa force. C'eft la vîreffe jointe à la
maffe :elle previent d'ailleurs les mouvemens
de l'ennemi , épargne les hommes ,
ne tenant la troupe expofée à la moufqueterie
qu'un inftant , encourage le foldar ,
impofe au parti contraire. Auffi cette vivacité
a-t elle fouvent tenu lieu de l'ordre.
On a vu des bataillons charger en courant,
par conféquent , arriver à l'ennemi tout
en défordre , & cependant le renverfer ;
d'où l'on peut prévoir quel fera l'effet d'une
charge unie & ferrée , faite avec la même
violence.
F
122 MERCURE DE FRANCE .
TACTIQUE , ou la phalange coupée & doublée
& foutenue par le mêlange des armes.
On la propofe comme fiftême général ,
on prouve fa fupériorité , comparant toujours
à la méthode aujourd'hui d'ufage ,
celle- ci qui n'eſt à la bien définir , que le
fiftême du chevalier de Folard plus étendu ,
& mieux développé. On y a joint les idées
des plus grands maîtres , particulierement
du maréchal de Saxe. L'auteur à ce sujet ,
a pris pour épigraphe.
Craint- on de s'égarer fur les traces d'Hercule.
Racine.
Ce livre dont nous avons annoncé l'édition
prochaine dans le Mercure de Mai , fe
vend actuellement à Paris , chez Boudet ,
chez Jombert , & chez la veuve Gandouin.
La préface de l'auteur eft un modele
pour la précifion . Comme elle ne contient
que cinq lignes , nous allons ici la tranfcrire
fans en rien retrancher.
« Cet ouvrage rare dans fon efpece eft
très-mauvais ou très- bon . Fort inutile ou
» de la plus grande importance.Pour fçavoir
» lequel des deux , il faut lelire ; pour ne
pas s'y méprendre, le lire fans prévention ;
» & comme c'eft un tout , le lire tout entier.
Cette raifon nous oblige à renvoyer le
lecteur au livre même , & nous difpenfe
d'en donner un extrait en forme. Nous
"
A O UST. 1755. 12.3
bornons à un précis très- court qui offrira
en racourci tous les avantages de la colonne
fur le bataillon . Nous l'avons tiré
du dernier chapitre de l'ouvrage. Voici
les termes de l'auteur , dans lefquels nous
nous renfermons. On pourra juger par eux
de fon ftyle. S'il n'eft pas toujours correct
& précis , il eft du moins vif , rapide &
plein d'une franchife militaire qui convient
au genre . Selon le Maréchal de Puyfegur
dit-il , toutes les parties qui peuvent contribuer
à la victoire , fe réduifent 1 ° , à profiter
de la fituation des lieux . 2º , A avoir
plus de troupes que fon ennemi , ou du
moins à en faire combattre davantage.
3 °, A infpirer plus de courage aux troupes.
4° , A employer plus d'art à combattre.
Quand toutes ces parties fe trouvent réunies
, dit le favant auteur , on peut être
affuré de la victoire . Elles fe trouvent raffemblées
dans mon fyftême. C'est par conféquent
fur la parole du maréchal , que je
lui promets autant de victoires que de
combats .
La raifon & l'expérience prouvent que
la profondeur fait la force de l'infanterie.
Rien n'eft donc fi fort que la pléfion ou la
colonne : rien n'eft fi foible que le bataillon
. Il ne pourra jamais la renverfer ou la
repouffer , ni même tenir un inftant contre
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
la violence de fon choc. La petiteffe de fon
front augmente cette force de beaucoup.
Car le bonheur naît de l'union & du bon
ordre. Un petit front est toujours plus uni &
mieux en ordre. De- là vient encore la légéreté.
Sans le flottement & la crainte du défordre
, une troupe iroit auffi vite qu'un
homme feul. La pléfion qui ne fe dérange
point , peut courir en bataille. Cette grande
légereté accroît encore confidérablement
fa force. C'eft la vîreffe jointe à la
maffe :elle previent d'ailleurs les mouvemens
de l'ennemi , épargne les hommes ,
ne tenant la troupe expofée à la moufqueterie
qu'un inftant , encourage le foldar ,
impofe au parti contraire. Auffi cette vivacité
a-t elle fouvent tenu lieu de l'ordre.
On a vu des bataillons charger en courant,
par conféquent , arriver à l'ennemi tout
en défordre , & cependant le renverfer ;
d'où l'on peut prévoir quel fera l'effet d'une
charge unie & ferrée , faite avec la même
violence.
Fermer
Résumé : « PROJET D'UN ORDRE FRANÇOIS EN TACTIQUE, ou la phalange coupée & doublée [...] »
Le texte décrit un projet d'ordre français intitulé 'TACTIQUE, ou la phalange coupée & doublée & soutenue par le mélange des armes'. Cet ouvrage propose un système tactique général, amélioré par rapport à la méthode du chevalier de Folard et enrichi des idées de grands maîtres comme le maréchal de Saxe. L'auteur utilise l'épigraphe 'Craint-on de s'égarer sur les traces d'Hercule' de Racine. Le livre est disponible à Paris chez Boudet, Jombert et la veuve Gandouin. La préface de l'auteur, très concise, indique que l'ouvrage est soit très mauvais, soit très bon, et invite à le lire sans prévention pour en juger. Le texte se conclut par un exposé des avantages de la colonne sur le bataillon, soulignant que la profondeur et la légèreté de la colonne renforcent sa force et sa rapidité. Ces caractéristiques permettent de prévenir les mouvements de l'ennemi et d'encourager les soldats.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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18
p. 135-153
Mémoire sur le principe physique de la régénération des Etres, du mouvement, de la gravité, & de l'attraction.
Début :
I. Il vient de paroître un ouvrage, qui a pour titre Idée de l'homme physique & [...]
Mots clefs :
Gravité, Force, Fluide, Attraction, Électricité, Mouvement, Phénomènes, Mécanisme, Matière, Fluide éthérien
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Mémoire sur le principe physique de la régénération des Etres, du mouvement, de la gravité, & de l'attraction.
Mémoire fur le principe physique de la régénération
des Etres , du mouvement , de la
gravité , & de l'attraction .
I
I.
L vient de paroître un ouvrage , qui a
pour titre idée de l'homme physique &
moral. On y propofe , au fujet de la génération
, une conjecture appuyée fur de
grandes probabilités ; cette conjecture eft
que la fécondation de la liqueur féminale
des animaux pourroit bien n'être que l'efquiffe
active qui y eft imprimée par le fluide
éthérien refléchi de toutes les parties
du corps vers les organes de la génération ,
au moment même de l'excrétion de cette
liqueur , & par le même méchanifme qui
fert à déterminer cette excrétion , l'auteur
paroît defirer qu'on remarque avec une
particuliere attention que ces organes deviennent
en ce moment le centre de prefque
tout le mouvement & le fentiment du
136 MERCURE DEFRANCE.
corps , ce qui , felon lui , fournit de trèsgrandes
inductions pour la validité de ſa
conjecture .
Il a afluré d'avance que l'idée qui fubftitue
l'action du fluide éthérien à celle des
prétendus efprits animaux , eft prefque
unanimement reçue , & qu'en effet cette
idée s'accorde parfaitement avec tout ce
qu'il y a à obferver fur l'action des nerfs ,
même fur celle de la végétation , & avec
toutes les expériences faites jufqu'à préſent
fur le fluide qu'on nomme électrique ; au
lieu que l'idée qui fait admettre des efprits
animaux , eft non feulement dénuée de
preuves , mais encore de vraifemblance :
d'ailleurs il paroît porté à croire que la
théorie qu'il propofe fur la fécondation ,
eft applicable à tous les êtres qui fe régénerent
; & en effet , après la maniere dont
il rend raifon des phénomenes les plus remarquables
de la génération , de la plûpart
defquels à peine imaginoit - on de
pouvoir jamais acquerir quelqu'intelligence
, on ne fçauroit raiſonnablement fe
défendre d'adhérer à fon fentiment , au
moins jufqu'à ce qu'on foir parvenu à d'autres
connoiffances fur cette matiere.
L'objet de ce mémoire eft de fournir un
nouvel appui à cette théorie , & de juftifier
de nouveau l'étendue qu'elle paroît
NOVEMBRE. 1755. 137
avoir ; on fe propofe de remplir cet objet
en ramenant fimplement le méchanifme
de la fécondation , de la communication
du mouvement , de la gravité & de l'attraction
à une caufe commune , en montrant
autant qu'il eft poffible , les rapports
de ce méchanifme avec les propriétés reconnues
de cette caufe , & enfuite en les
généralifant l'un par l'autre au moyen des
applications qu'on en fera.
Mais avant que d'entrer en matiere , il
eft à propos de remarquer avec l'auteur de
l'idée de l'homme phyfique & moral que
toutes les expériences qu'on fait pour connoître
les phénomenes de l'électricité ,
dérangent néceffairement les loix naturelles
de l'action du fluide qui la produit ; &
qu'ainfi il reste à fe former des divers réfultats
de ces expériences un point de vue
fous lequel on puiffe confiderer plus généralement
l'ordre naturel de l'action de
ce fluide , & delà les plus effentielles de
fes loix & de fes propriétés.
Ce n'eft que par cette maniere de confiderer
la matiere électrique qu'on peut fe
flatter de la connoître autant qu'il nous
eft donné d'y réuffir ; & en effet c'eft par
là qu'on parvient à écarter les plus fpécieufes
difficultés qu'on puiffe oppofer à
la conjecture dont il s'agit ici ; on objec138
MERCURE DEFRANCE.
teroit , par exemple , que tous les corps ;
fans en excepter aucun , font doués de
gravité & d'attraction , & qu'il y en a qui
ne font pas fufceptibles de l'électricité ; il
eft aifé de répondre à cette objection par
remarque qu'on vient de faire ; qui eſt
que les phénomenes de l'électricité rendue
fenfible par les expériences ufitées ,
ne font que des modifications particulieres
du fluide éthérien , au méchanifme defla
quels certains corps réfiftent par leur conftitution
, c'eft à- dire par les loix que le
fluide qui agit fur ces corps eft contraint
de fuivre; ce qui n'empêche
pas que le mouvement
qu'ils reçoivent
par des moyens
plus effectifs ne foit fimplement
une révolution
arrivée à ce fluide éthérien qui
les pénétre & les environne
; il n'eft pas
difficile de trouver dans cette folution de
quoi répondre d'une maniere fatisfaiſante
à toutes les difficultés
qu'on pourroit faire
; delà on peut préfumer que ce fluide a
été improprement
nommé électrique
; & en effet il n'a été ainfi défigné que par une
de fes propriétés
qui encore n'étoit point
affez connue : ainfi en employant
les mots
d'électricité
ou de fluide électrique nous n'entendrons
que des modifications
particulieres
du fluide éthérien
, preſque toujours
contraires
aux loix générales de l'action de
ce fluide.
NOVEMBRE. 1755. 139
II.
On ne fçauroit nier que la régénération
des êtres , au moins quant à leur organifation
, ne foit produite par une caufe
phyfique , & que cette caufe ne doive
avoir un méchanifme propre à fes effets ;
il ne fera donc pas permis de méconnoître
cette caufe , fi elle fe préfente avec les
propriétés néceffaires pour opérer le méchanifme
que nous cherchons à découvrir,
fur- tout fi ces propriétés fe trouvent manquer
à toutes les autres caufes qu'il feroit
poffible de fe repréſenter.
Après avoir mûrement confideré les diverfes
conjectures qui ont été formées fur
la premiere caufe phyfique de la régénération
des êtres , de la communication du
mouvement , de la gravité & de l'attraction
, & après avoir pefé avec beaucoup
d'attention les difficultés qu'on a oppofées
à ces conjectures , nous avons cru pouvoir
inferer de cet examen que tous ces grands
phénomenes de la nature devoient dépendre
d'une même caufe , qui feroit néceffairement
un agent général , au moins dans
notre orbe planétaire , fi ce n'eft dans tout
l'univers.
Il s'agit d'examiner à préfent , fi le fluide
nommé électrique , tel que des expé140
MERCURE DE FRANCE.
riences certaines l'ont fait connoître , &
d'ailleurs admis prefqu'unanimement pour
la premiere caufe phyfique de l'action des
nerfs , ne pourroit pas paffer pour cet
agent général que nous cherchons à connoître
, & fi on ne lui trouveroit pas les
propriétés néceffaires pour en déduire les
phénomenes que nous croyons pouvoir
lui attribuer.
III.
Il n'eft guere permis de douter d'après
l'ouvrage que nous avons cité , que le
fluide éthérien ne foit le principe de toute
fécondation , & il n'eft pas difficile de
concevoir comment l'action conftante de
ce fluide fur tout corps quelconque, feroit,
felon les divers foyers où il trouve à fe
concentrer , & felon les diverfes maffes
qu'il rencontre , la caufe de la gravité &
de l'attraction , ainfi que de la différente
activité des corps , quels qu'ils foient ,
élémentaires ou compofés ; on verroit en
même tems comment ce même fluide dont
tout corps eft environné , & plus ou moins
pénétré felon fa nature , opéreroit par les
diverfes déterminations qui lui feroientdonnées
, la communication du mouvement
; il n'eſt pas néceffaire de faire appercevoir
que le mouvement communiqué
}
NOVEMBRE. 1755. 141
cefferoit , lors même qu'il ne rencontreroit
point d'autre obftacle ', à mesure que les
déterminations particulieres qui auroient
produit ce nouveau mouvement , viendroient
à fe perdre dans la détermination
générale du fluide environnant .
Mais , dira- t- on , n'eft-il pas plus fage
de fufpendre fon opinion fur des matieres
phyfiques , lorfque cette opinion ne peut
être folidement déterminée : nous fommes
bien éloignés de penfer qu'en général ce
ne foit là une maxime fage , mais on ne
fçauroit difconvenir qu'elle ne fouffre des
exceptions ; car il eft certain que cette
maxime obfervée trop rigoureufement ,
fur- tout dans la recherche des vérités auffi
importantes & auffi inconnues que celles
dont il eft ici queftion , borneroit exceffivement
les progrès qu'on peut efperer de
faire fur les plus grands objets des connoiffances
phyfiques .
D'ailleurs , nous avons en quelque maniere
l'exemple de Newton pour nous ;
on fçait que lorfqu'il trouva le moyen de
foumettre l'univers aux loix de la gravité
& de l'attraction , il n'eut pour baſe de
cette grande découverte qu'une fimple analogie
qui étoit , comme perfonne ne l'ignore
, la comparaifon qu'il fit de la caufe de
la chute d'un fruit qui tomba auprès de lui,
142 MERCURE DE FRANCE.
avec la caufe qu'il imagina dans ce moment
pouvoir entretenir l'harmonie ou
l'action réciproque du monde planétaire :
ayant fait le plan des principaux effets
que ces caufes devoient produire , il regarda
ces effets comme autant de réſultats
qu'il s'agiffoit de vérifier , & c'eft par une
profondeur de calculs , qui a immortalifé
ce grand homme , qu'il parvint à démontrer
la folidité des loix qu'il venoit de
trouver.
C'eſt en fuivant une pareille méthode ,
qui ici ne paroît guere fufceptible de calculs
, que nous allons chercher à établir le
fluide étherien , comme cauſe de la
gra
vité & de l'attraction. Newton moins inf
truit qu'on ne l'eft aujourd'hui fur l'exiftence
des loix & des proprietés du fluide
qu'on a appellé électrique , s'eft fagement
abftenu d'expliquer cette caufe , mais il
paroît qu'il avoit de la répugnance à laiffer
croire qu'il regardât ces proprietés comme
inherentes à la matiere , puifqu'il a
declaré à la fin de fon optique qu'il foupçonnoit
que l'attraction étoit l'effet de
l'action de quelque fluide très délié &
très-élaftique. Ce foupçon doit nous faire
préfumer que s'il eût été inftruit comme
on l'eft aujourd'hui fur l'existence , les
loix & les proprietés du fluide étherien ,
NOVEMBRE . 1755. 143
il ne feroit point resté dans cette incertitude
fur la caufe de ce grand phénomene.
Newton a fait voir auffi dans fon traité
d'optique , qu'il n'étoit pas poffible que les
rayons de lumiere fuffent immédiatement
réflechis de la furface des corps , & il a
prouvé en même tems que cette réflexion
étoit l'effet des proprietés & des loix de la
force de gravité & d'attraction qu'il paroiffoit
fuppofer être inhérente à tous les
corps . Or s'il n'eft pas permis de regarder
comme fufpectes les preuves alleguées
fur ce fait par Newton , & fi d'après les
folides connoiffances qu'on a acquifes fur
l'existence & les proprietés du fluide étherien
, il eft plus que probable que ce fluide
eft un agent univerfel , au moins dans
notre orbe planétaire , il nous paroît difficile
de former des difficultés raifonnables
contre l'idée de fubftituer fon action
à la fuppofition qui a fait regarder la gravité
& l'attraction comme des qualités
propres & inhérentes à tout corps.
Čela pofé , les phénomenes du mouvement
ne dépendroient que des diverfes déterminations
de l'action du fluide étherien,
& ces déterminations fe communiqueroient
par la voie du choc, de l'impulfion , de l'explofion
, de la fermentation , même du
plus leger contact comme on l'obferve
144 MERCURE DE FRANCE.
dans les experiences connues fur l'électricité
ainfi toute augmentation ou diminution
de mouvement ne feroit que des
changemens produits dans les loix naturelles
de l'action de ce fluide ; & par cèt
ordre on ne feroit plus en peine de fçavoir
comment un corps vivant , & même
les corps élastiques , peuvent donner de
l'action à des corps qui n'en ont point ,
ou augmenter celle qu'ils ont ; en un mot ,
on verroit que tous les phénomenes de la
nature ne font dans le fonds que les diverſes
manieres dont l'agent géneral , plus
ou moins concentré dans les différens
corps , ou raffemblé fur leurs furfaces ,
obéit aux loix qu'il doit fuivre , & aux diverfes
déterminations qu'il reçoit.
M. Franklin a prefque demontré que·
le tonnerre n'eft qu'un phénomene d'électricité
, & on en peut aifement conclureque
les trombes qui ne paroiffent être
qu'un prodigieux tourbillon d'air , d'eau´
& de fluide étherien devenu électrique.
par les caufes qui préparent ou excitent
l'orage , ne font en effet produites que
par la même revolution qui difpofe & détermine
les coups de tonnerre ; ce qui eft
affez prouvé par les trombes qu'on a quel-,
quefois vu fe former au mênie inftant de
ces coups de tonnerre : nous ne parlerons
pas
NOVEMBRE. 1755 145
pas d'une infinité d'autres obfervations
qu'on n'ignore point , & que perfonne
ne contefte. Or , s'il n'y a point de phénomenes
extraordinaires de la nature qui
paroiffent s'opérer par une plus grande
quantité & une plus grande vivacité d'action
que les coups de tonnerre & les trombes
, & s'il eft vrai qu'en fait de recherches
phyfiques on doive principalement
chercher à fimplifier tout , autant qu'on
le peut , fur tout les principes , il faut
donc bien loin de vouloir féparer l'idée de
la caufe & du méchanifme de l'électricité,
de celle d'une caufe générale du mouvement
, s'attacher plutôt à confiderer les
phénomenes de l'électricité , comme des
divers modes de cette caufe générale.
Alors on comprendroit , par exemple ,
que la force qui refte à un boulet de cadont
le mouvement paroît prêt à
s'éteindre , & qui a de fi funeftes effets
pour ceux qui entreprennent imprudemment
de le fixer , même de le toucher
avec le pied , n'eft que la prodigieufe
quantité de fluide étherien , dont il fe
trouve encore chargé au moyen du mouve
ment de rotation qui lui refte , & que la
force de l'explofion & ce mouvement de
rotation y avoient accumulé ; le méchaniſme
de ces funeftes effets fe préfente fenfible-
G
146 MERCURE DE FRANCE.
ment par la prodigieufe difproportion qu'il
y a entre la quantité , la rapidité , & la
détermination du fluide raffemblé fur ce
boulet , & l'état ordinaire du fluide qui
entoure , & pénetre un corps vivant , &
notamment la partie de ce corps approchée
du boulet jufqu'au point de contact.
I V.
Il est reçu qu'en chargeant un corps
d'électricité , on ne fait que raffembler fur
fa furface plus de matiere électrique qu'il
n'y en a naturellement , augmenter à cette
proportion le degré d'activité de ce fluide,
& changer l'ordre naturel de fa détermination
; c'eft ainfi qu'eft produit un tor
rent de matiere électrique qui n'agit principalement
que fur la furface des corps
fur lefquels il eft formé , ou de ceux vers
lefquels il eft dirigé ; ce qui eft bien prou❤
vé par le petit éclat qui fe fait entendre au
moment de la communication de l'électricité
d'un corps à un autre ; car cet éclat
fuppofe néceffairement la rencontre de
deux forces qui font oppofées.
Il eft démontré que tous les corps font
naturellement doués d'une force d'attrac
tion , & il eft probable que l'intenfité de cette
force ne dépend que de la nature des parNOVEMBRE.
1755. 247
ties primitives dont ces corps font formés ,
& que la différence de ces parties élémentaires
ne confifte que dans le plus ou
moins de fluide éthérien qui a pu originairement
s'y concentrer . C'eft de-là , en effet,
qu'on peut le mieux déduire les propriétés
qui différencient effentiellement tous les
corps , même par rapport à leur état de
folidité ou de liquidité ; ce qui eft manifeftement
prouvé par l'obfervation des phénoménes
des congellations artificielles ,
furtout de celui qu'on a nommé le faut de la
congellation , qui eft la vive explofion qui
fe fait au moment que la liqueur va fe congeler
.
Il faut donc confidérer ces parties élémentaires
comme autant de petits foyers
fort acceffibles à l'action du fluide envi
ronnant , & c'eft ainfi que fe forment néceffairement
autour d'eux des petites fpheres
d'activité , qui s'animent & s'électrident
en quelque maniere par leur proximité
& leurs frottemens ; voilà donc une efpece
d'électricité à peu près déterminée
par les loix naturelles de l'action de ce
Aluide ; il eft probable que c'eſt- là le méchanifme
des premiers rapports que ces parties
primitives acquerent entr'elles , & en
même tems l'origine de leurs propriétés
Gij
148 MERCURE DE FRANCE:
générales & particulieres ; ces premiers
phenomenes d'attraction ne paroiffent
point affujettis aux loix d'électricité qu'on
conncît par les expériences faites fur des
maffes defquelles par conféquent on ne
fçauroit conclure aux loix de cette action
entre les parties élémentaires ; confidération
qu'il ne faut point perdre de vue , &
qui fixe la jufte valeur des connoiffances
acquifes fur les propriétés du fluide éthérien
par les expériences ufitées fur l'électricité.
On peut croire que c'eft de ces premieres
loix d'attraction que dépendent principalement
la conftitution & l'activité de toutes
les parties élémentaires ; ces parties
auroient donc entr'elles plus ou moins
d'affinité , felon qu'elles feroient propres
par leur nature à former des tourbillons
de matiere éthérée plus ou moins
égaux ; & par cet ordre celles qui fe trouveroient
être à peu près de même nature
auroient une maniere prefque égale d'obéir
à l'action du fluide environnant , bien
entendu qu'elles fullent également expofées
à l'action libre de ce fluide ; on voit
par là affez clairement comment tous les
corps doivent avoir naturellement plus ou
moins d'activité , & être plus ou moins
NOVEMBRE. 1755. 149
électriques , felon qu'ils font formés de
parties primitives plus ou moins chargées
de fluide éthérien , ou plus ou moins difpofées
à obéir à fon action.
V.
Cela pofé , le méchanifme des diverfes
efpeces de cryftallifation , & des diverfes
affinités chimiques , ne dépendroit-il pas
de certaines difpofitions conftantes de maffe
& de furface par lefquelles les parties
élémentaires de même genre obéiroient de
la même maniere aux loix naturelles de
l'action de ce fluide ; chacune de ces parties
feroit donc par fa nature un foyer
prefque égal pour l'activité de ce même
Auide , & cette activité produiroit dans
toutes ces parties , lorfqu'elle pourroit s'y
exercer librement , le même dégré & les
mêmes phénomenes d'attraction , ou du
moins il n'y auroit d'autre différence que
celle qui réfulteroit des torrens plus ou
moins confidérables qui fe feroient faits
fur ces foyers , felon qu'ils auroient été
plus ou moins expofés à l'action libre du
Auide environnant ; il arriveroit de cette
maniere que lorfque plufieurs de ces petits
foyers feroient livrés à l'action de ce fluide ,
il fe feroit des torrens plus confidérables
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
fur ceux où cette action fe ferott exercée
plus librement , & par conféquent qu'il fe
feroit de moindres torrens fur les foyers
qui s'y trouveroient moins exposés.
Il réfulte de -là que l'action produite
dans les premiers foyers , feroit de beaucoup
fupérieure en force & en étendue à
celle des autres foyers , & que par cette
raiſon ceux - ci feroient , lorfqu'il n'y auroit
point d'obſtacles , entraînés plus ou
moins promtement vers les premiers , felon
la force & l'étendue de l'atmoſphere
de leur activité .
Cette explication prouveroit que les
petites atmoſpheres de fluide éthérien formées
dans les foyers les moins dévelop
pés , feroient néceffairement abforbées
par les atmoſpheres plus confidérables ,
lorfqu'elles en feroient affez près pour pouvoir
y être compriſes ; de maniere donc
que tout foyer qui ne fe trouveroit pas
affez voifin de celui qui attire plus puiffamment
, pour être compris dans fa fphere
d'activité , feroit lui-même un foyer central
propre à attirer les foyers voifins plus
foibles que lui.
Mais comme on obferve en plufieurs
criftallifations que les criftaux qui ont acquis
un certain volume , ne continuent
pas de s'accroître , il en faudroit conclure
NOVEMBRE . 1755. 131
que le premier foyer parvenu à fe charger
d'une certaine quantité de parties analogues
n'auroit plus les mêmes rapports avec
le fluide environnant , & que par conféquent
fon activité devroit s'affoiblir au
point de ne pouvoir plus entraîner de nouvelles
parties.
V I.
Ne feroit-ce pas dans cette théorie des
criftallifations qu'on pourroit trouver à fe
former une idée claire & fimple de l'ordre
d'action qui détermine & maintient les
orbes planétaires dans les efpaces qu'ils
parcourent le foleil feroit le foyer principal
, & les planettes , comme foyers beaucoup
moindres , feroient comprifes dans
fa fphere d'activité ; il en réfulteroit que
ces mafles planetaires obéiroient plus ou
moins au grand foyer felon qu'elles feroient
elles -mêmes un foyer plus ou moins
confidérable , & que par - là elles feroient
en état d'oppofer plus de réfiftance aux
déterminations produites par le grand
foyer.
On peut croire que ces planettes , qui
ont leur tourbillon particulier de matiere
éthérée , doivent en obéiffant à la fupériorité
de celui du grand foyer , s'électrifer
elles-mêmes de plus en plus , foit par
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
les frottemens continuels de leurs tourbillons
, foit par la vive action du grand
foyer qui les entraîne , & prendre ainfi ,
plus ou moins à proportion de leur conftitution
, fur la fupériorité de l'attraction
de ce grand foyer ; ce qui eft affez conforme
aux loix générales de l'attraction
connue par les expériences ufitées , ainfi
qu'aux obfervations faites fur l'électricité
; de cette maniere les planetes parviendroient
à ce point de diſtance du grand
foyer , & en même tems d'équilibre avec
fa fphere d'activité, dont elles ne pourroient
plus être approchées ni éloignées ; à ce
point- là elles prendroient donc néceffairement
une détermination nouvelle , qui
feroit la détermination de leur cours particulier
, c'est -à- dire , leur mouvement projectile
; & c'est à raifon de la conftitution
naturelle , dont nous avons parlé , qui fait
que certains corps font moins propres que
d'autres à un accroiffement d'électricité ,
ainſi qu'à raifon de leur maffe & de leur
volume , qu'elles fe trouveroient plus ou
moins capables de gravitation & d'attraction
, & c'est par là que leur cours ordinaire
feroit déterminé à de plus ou moins
grandes diftances du grand foyer.
les loix de cette
On'tpeur préfumer que
détermination particuliere ne feroient pas
NOVEMBRE . 1755. 153
conftantes au point que par la fuite du
tems les planetes ne puffent acquérir des
forces centrifuges ; on connoît les loix fuivant
lefquelles les corps font repouffés
après avoir été attirés pendant un certain
tems , ce qui n'arrive probablement que
parce que ces corps s'électrifent davantage
à proportion qu'ils font plus attirés , &
que par-là ils parviennent à un complément
d'électricité qui les rend fupérieurs
au moins acceffibles à l'activité du fover
principal ; c'eft par ces loix que les planetes
pouroient enfin échapper totalement
à la fphere d'activité du foleil , & par
devenir des cometes ; comme il pourroit
arriver auffi qu'il fe trouveroit des cometes
moins difpofées par leur nature à s'électrifer
, ou à contracter un certain dégré
d'activité , qui attirées à un certain point
vers le principal foyer , bien loin de tendre
alors à s'en éloigner , y feroient au
contraire rapidement précipitées.
là
Ce mémoire n'a été fait dans d'autre.
vue que d'exciter fur les fondemens de la
conjecture qu'on y propofe , l'attention
des perfonnes verfées dans ces connoillances
, & de mettre ces mêmes perfonnes à
portée de critiquer facilement certe conjeture
ou de l'appuier plus folidement.
des Etres , du mouvement , de la
gravité , & de l'attraction .
I
I.
L vient de paroître un ouvrage , qui a
pour titre idée de l'homme physique &
moral. On y propofe , au fujet de la génération
, une conjecture appuyée fur de
grandes probabilités ; cette conjecture eft
que la fécondation de la liqueur féminale
des animaux pourroit bien n'être que l'efquiffe
active qui y eft imprimée par le fluide
éthérien refléchi de toutes les parties
du corps vers les organes de la génération ,
au moment même de l'excrétion de cette
liqueur , & par le même méchanifme qui
fert à déterminer cette excrétion , l'auteur
paroît defirer qu'on remarque avec une
particuliere attention que ces organes deviennent
en ce moment le centre de prefque
tout le mouvement & le fentiment du
136 MERCURE DEFRANCE.
corps , ce qui , felon lui , fournit de trèsgrandes
inductions pour la validité de ſa
conjecture .
Il a afluré d'avance que l'idée qui fubftitue
l'action du fluide éthérien à celle des
prétendus efprits animaux , eft prefque
unanimement reçue , & qu'en effet cette
idée s'accorde parfaitement avec tout ce
qu'il y a à obferver fur l'action des nerfs ,
même fur celle de la végétation , & avec
toutes les expériences faites jufqu'à préſent
fur le fluide qu'on nomme électrique ; au
lieu que l'idée qui fait admettre des efprits
animaux , eft non feulement dénuée de
preuves , mais encore de vraifemblance :
d'ailleurs il paroît porté à croire que la
théorie qu'il propofe fur la fécondation ,
eft applicable à tous les êtres qui fe régénerent
; & en effet , après la maniere dont
il rend raifon des phénomenes les plus remarquables
de la génération , de la plûpart
defquels à peine imaginoit - on de
pouvoir jamais acquerir quelqu'intelligence
, on ne fçauroit raiſonnablement fe
défendre d'adhérer à fon fentiment , au
moins jufqu'à ce qu'on foir parvenu à d'autres
connoiffances fur cette matiere.
L'objet de ce mémoire eft de fournir un
nouvel appui à cette théorie , & de juftifier
de nouveau l'étendue qu'elle paroît
NOVEMBRE. 1755. 137
avoir ; on fe propofe de remplir cet objet
en ramenant fimplement le méchanifme
de la fécondation , de la communication
du mouvement , de la gravité & de l'attraction
à une caufe commune , en montrant
autant qu'il eft poffible , les rapports
de ce méchanifme avec les propriétés reconnues
de cette caufe , & enfuite en les
généralifant l'un par l'autre au moyen des
applications qu'on en fera.
Mais avant que d'entrer en matiere , il
eft à propos de remarquer avec l'auteur de
l'idée de l'homme phyfique & moral que
toutes les expériences qu'on fait pour connoître
les phénomenes de l'électricité ,
dérangent néceffairement les loix naturelles
de l'action du fluide qui la produit ; &
qu'ainfi il reste à fe former des divers réfultats
de ces expériences un point de vue
fous lequel on puiffe confiderer plus généralement
l'ordre naturel de l'action de
ce fluide , & delà les plus effentielles de
fes loix & de fes propriétés.
Ce n'eft que par cette maniere de confiderer
la matiere électrique qu'on peut fe
flatter de la connoître autant qu'il nous
eft donné d'y réuffir ; & en effet c'eft par
là qu'on parvient à écarter les plus fpécieufes
difficultés qu'on puiffe oppofer à
la conjecture dont il s'agit ici ; on objec138
MERCURE DEFRANCE.
teroit , par exemple , que tous les corps ;
fans en excepter aucun , font doués de
gravité & d'attraction , & qu'il y en a qui
ne font pas fufceptibles de l'électricité ; il
eft aifé de répondre à cette objection par
remarque qu'on vient de faire ; qui eſt
que les phénomenes de l'électricité rendue
fenfible par les expériences ufitées ,
ne font que des modifications particulieres
du fluide éthérien , au méchanifme defla
quels certains corps réfiftent par leur conftitution
, c'eft à- dire par les loix que le
fluide qui agit fur ces corps eft contraint
de fuivre; ce qui n'empêche
pas que le mouvement
qu'ils reçoivent
par des moyens
plus effectifs ne foit fimplement
une révolution
arrivée à ce fluide éthérien qui
les pénétre & les environne
; il n'eft pas
difficile de trouver dans cette folution de
quoi répondre d'une maniere fatisfaiſante
à toutes les difficultés
qu'on pourroit faire
; delà on peut préfumer que ce fluide a
été improprement
nommé électrique
; & en effet il n'a été ainfi défigné que par une
de fes propriétés
qui encore n'étoit point
affez connue : ainfi en employant
les mots
d'électricité
ou de fluide électrique nous n'entendrons
que des modifications
particulieres
du fluide éthérien
, preſque toujours
contraires
aux loix générales de l'action de
ce fluide.
NOVEMBRE. 1755. 139
II.
On ne fçauroit nier que la régénération
des êtres , au moins quant à leur organifation
, ne foit produite par une caufe
phyfique , & que cette caufe ne doive
avoir un méchanifme propre à fes effets ;
il ne fera donc pas permis de méconnoître
cette caufe , fi elle fe préfente avec les
propriétés néceffaires pour opérer le méchanifme
que nous cherchons à découvrir,
fur- tout fi ces propriétés fe trouvent manquer
à toutes les autres caufes qu'il feroit
poffible de fe repréſenter.
Après avoir mûrement confideré les diverfes
conjectures qui ont été formées fur
la premiere caufe phyfique de la régénération
des êtres , de la communication du
mouvement , de la gravité & de l'attraction
, & après avoir pefé avec beaucoup
d'attention les difficultés qu'on a oppofées
à ces conjectures , nous avons cru pouvoir
inferer de cet examen que tous ces grands
phénomenes de la nature devoient dépendre
d'une même caufe , qui feroit néceffairement
un agent général , au moins dans
notre orbe planétaire , fi ce n'eft dans tout
l'univers.
Il s'agit d'examiner à préfent , fi le fluide
nommé électrique , tel que des expé140
MERCURE DE FRANCE.
riences certaines l'ont fait connoître , &
d'ailleurs admis prefqu'unanimement pour
la premiere caufe phyfique de l'action des
nerfs , ne pourroit pas paffer pour cet
agent général que nous cherchons à connoître
, & fi on ne lui trouveroit pas les
propriétés néceffaires pour en déduire les
phénomenes que nous croyons pouvoir
lui attribuer.
III.
Il n'eft guere permis de douter d'après
l'ouvrage que nous avons cité , que le
fluide éthérien ne foit le principe de toute
fécondation , & il n'eft pas difficile de
concevoir comment l'action conftante de
ce fluide fur tout corps quelconque, feroit,
felon les divers foyers où il trouve à fe
concentrer , & felon les diverfes maffes
qu'il rencontre , la caufe de la gravité &
de l'attraction , ainfi que de la différente
activité des corps , quels qu'ils foient ,
élémentaires ou compofés ; on verroit en
même tems comment ce même fluide dont
tout corps eft environné , & plus ou moins
pénétré felon fa nature , opéreroit par les
diverfes déterminations qui lui feroientdonnées
, la communication du mouvement
; il n'eſt pas néceffaire de faire appercevoir
que le mouvement communiqué
}
NOVEMBRE. 1755. 141
cefferoit , lors même qu'il ne rencontreroit
point d'autre obftacle ', à mesure que les
déterminations particulieres qui auroient
produit ce nouveau mouvement , viendroient
à fe perdre dans la détermination
générale du fluide environnant .
Mais , dira- t- on , n'eft-il pas plus fage
de fufpendre fon opinion fur des matieres
phyfiques , lorfque cette opinion ne peut
être folidement déterminée : nous fommes
bien éloignés de penfer qu'en général ce
ne foit là une maxime fage , mais on ne
fçauroit difconvenir qu'elle ne fouffre des
exceptions ; car il eft certain que cette
maxime obfervée trop rigoureufement ,
fur- tout dans la recherche des vérités auffi
importantes & auffi inconnues que celles
dont il eft ici queftion , borneroit exceffivement
les progrès qu'on peut efperer de
faire fur les plus grands objets des connoiffances
phyfiques .
D'ailleurs , nous avons en quelque maniere
l'exemple de Newton pour nous ;
on fçait que lorfqu'il trouva le moyen de
foumettre l'univers aux loix de la gravité
& de l'attraction , il n'eut pour baſe de
cette grande découverte qu'une fimple analogie
qui étoit , comme perfonne ne l'ignore
, la comparaifon qu'il fit de la caufe de
la chute d'un fruit qui tomba auprès de lui,
142 MERCURE DE FRANCE.
avec la caufe qu'il imagina dans ce moment
pouvoir entretenir l'harmonie ou
l'action réciproque du monde planétaire :
ayant fait le plan des principaux effets
que ces caufes devoient produire , il regarda
ces effets comme autant de réſultats
qu'il s'agiffoit de vérifier , & c'eft par une
profondeur de calculs , qui a immortalifé
ce grand homme , qu'il parvint à démontrer
la folidité des loix qu'il venoit de
trouver.
C'eſt en fuivant une pareille méthode ,
qui ici ne paroît guere fufceptible de calculs
, que nous allons chercher à établir le
fluide étherien , comme cauſe de la
gra
vité & de l'attraction. Newton moins inf
truit qu'on ne l'eft aujourd'hui fur l'exiftence
des loix & des proprietés du fluide
qu'on a appellé électrique , s'eft fagement
abftenu d'expliquer cette caufe , mais il
paroît qu'il avoit de la répugnance à laiffer
croire qu'il regardât ces proprietés comme
inherentes à la matiere , puifqu'il a
declaré à la fin de fon optique qu'il foupçonnoit
que l'attraction étoit l'effet de
l'action de quelque fluide très délié &
très-élaftique. Ce foupçon doit nous faire
préfumer que s'il eût été inftruit comme
on l'eft aujourd'hui fur l'existence , les
loix & les proprietés du fluide étherien ,
NOVEMBRE . 1755. 143
il ne feroit point resté dans cette incertitude
fur la caufe de ce grand phénomene.
Newton a fait voir auffi dans fon traité
d'optique , qu'il n'étoit pas poffible que les
rayons de lumiere fuffent immédiatement
réflechis de la furface des corps , & il a
prouvé en même tems que cette réflexion
étoit l'effet des proprietés & des loix de la
force de gravité & d'attraction qu'il paroiffoit
fuppofer être inhérente à tous les
corps . Or s'il n'eft pas permis de regarder
comme fufpectes les preuves alleguées
fur ce fait par Newton , & fi d'après les
folides connoiffances qu'on a acquifes fur
l'existence & les proprietés du fluide étherien
, il eft plus que probable que ce fluide
eft un agent univerfel , au moins dans
notre orbe planétaire , il nous paroît difficile
de former des difficultés raifonnables
contre l'idée de fubftituer fon action
à la fuppofition qui a fait regarder la gravité
& l'attraction comme des qualités
propres & inhérentes à tout corps.
Čela pofé , les phénomenes du mouvement
ne dépendroient que des diverfes déterminations
de l'action du fluide étherien,
& ces déterminations fe communiqueroient
par la voie du choc, de l'impulfion , de l'explofion
, de la fermentation , même du
plus leger contact comme on l'obferve
144 MERCURE DE FRANCE.
dans les experiences connues fur l'électricité
ainfi toute augmentation ou diminution
de mouvement ne feroit que des
changemens produits dans les loix naturelles
de l'action de ce fluide ; & par cèt
ordre on ne feroit plus en peine de fçavoir
comment un corps vivant , & même
les corps élastiques , peuvent donner de
l'action à des corps qui n'en ont point ,
ou augmenter celle qu'ils ont ; en un mot ,
on verroit que tous les phénomenes de la
nature ne font dans le fonds que les diverſes
manieres dont l'agent géneral , plus
ou moins concentré dans les différens
corps , ou raffemblé fur leurs furfaces ,
obéit aux loix qu'il doit fuivre , & aux diverfes
déterminations qu'il reçoit.
M. Franklin a prefque demontré que·
le tonnerre n'eft qu'un phénomene d'électricité
, & on en peut aifement conclureque
les trombes qui ne paroiffent être
qu'un prodigieux tourbillon d'air , d'eau´
& de fluide étherien devenu électrique.
par les caufes qui préparent ou excitent
l'orage , ne font en effet produites que
par la même revolution qui difpofe & détermine
les coups de tonnerre ; ce qui eft
affez prouvé par les trombes qu'on a quel-,
quefois vu fe former au mênie inftant de
ces coups de tonnerre : nous ne parlerons
pas
NOVEMBRE. 1755 145
pas d'une infinité d'autres obfervations
qu'on n'ignore point , & que perfonne
ne contefte. Or , s'il n'y a point de phénomenes
extraordinaires de la nature qui
paroiffent s'opérer par une plus grande
quantité & une plus grande vivacité d'action
que les coups de tonnerre & les trombes
, & s'il eft vrai qu'en fait de recherches
phyfiques on doive principalement
chercher à fimplifier tout , autant qu'on
le peut , fur tout les principes , il faut
donc bien loin de vouloir féparer l'idée de
la caufe & du méchanifme de l'électricité,
de celle d'une caufe générale du mouvement
, s'attacher plutôt à confiderer les
phénomenes de l'électricité , comme des
divers modes de cette caufe générale.
Alors on comprendroit , par exemple ,
que la force qui refte à un boulet de cadont
le mouvement paroît prêt à
s'éteindre , & qui a de fi funeftes effets
pour ceux qui entreprennent imprudemment
de le fixer , même de le toucher
avec le pied , n'eft que la prodigieufe
quantité de fluide étherien , dont il fe
trouve encore chargé au moyen du mouve
ment de rotation qui lui refte , & que la
force de l'explofion & ce mouvement de
rotation y avoient accumulé ; le méchaniſme
de ces funeftes effets fe préfente fenfible-
G
146 MERCURE DE FRANCE.
ment par la prodigieufe difproportion qu'il
y a entre la quantité , la rapidité , & la
détermination du fluide raffemblé fur ce
boulet , & l'état ordinaire du fluide qui
entoure , & pénetre un corps vivant , &
notamment la partie de ce corps approchée
du boulet jufqu'au point de contact.
I V.
Il est reçu qu'en chargeant un corps
d'électricité , on ne fait que raffembler fur
fa furface plus de matiere électrique qu'il
n'y en a naturellement , augmenter à cette
proportion le degré d'activité de ce fluide,
& changer l'ordre naturel de fa détermination
; c'eft ainfi qu'eft produit un tor
rent de matiere électrique qui n'agit principalement
que fur la furface des corps
fur lefquels il eft formé , ou de ceux vers
lefquels il eft dirigé ; ce qui eft bien prou❤
vé par le petit éclat qui fe fait entendre au
moment de la communication de l'électricité
d'un corps à un autre ; car cet éclat
fuppofe néceffairement la rencontre de
deux forces qui font oppofées.
Il eft démontré que tous les corps font
naturellement doués d'une force d'attrac
tion , & il eft probable que l'intenfité de cette
force ne dépend que de la nature des parNOVEMBRE.
1755. 247
ties primitives dont ces corps font formés ,
& que la différence de ces parties élémentaires
ne confifte que dans le plus ou
moins de fluide éthérien qui a pu originairement
s'y concentrer . C'eft de-là , en effet,
qu'on peut le mieux déduire les propriétés
qui différencient effentiellement tous les
corps , même par rapport à leur état de
folidité ou de liquidité ; ce qui eft manifeftement
prouvé par l'obfervation des phénoménes
des congellations artificielles ,
furtout de celui qu'on a nommé le faut de la
congellation , qui eft la vive explofion qui
fe fait au moment que la liqueur va fe congeler
.
Il faut donc confidérer ces parties élémentaires
comme autant de petits foyers
fort acceffibles à l'action du fluide envi
ronnant , & c'eft ainfi que fe forment néceffairement
autour d'eux des petites fpheres
d'activité , qui s'animent & s'électrident
en quelque maniere par leur proximité
& leurs frottemens ; voilà donc une efpece
d'électricité à peu près déterminée
par les loix naturelles de l'action de ce
Aluide ; il eft probable que c'eſt- là le méchanifme
des premiers rapports que ces parties
primitives acquerent entr'elles , & en
même tems l'origine de leurs propriétés
Gij
148 MERCURE DE FRANCE:
générales & particulieres ; ces premiers
phenomenes d'attraction ne paroiffent
point affujettis aux loix d'électricité qu'on
conncît par les expériences faites fur des
maffes defquelles par conféquent on ne
fçauroit conclure aux loix de cette action
entre les parties élémentaires ; confidération
qu'il ne faut point perdre de vue , &
qui fixe la jufte valeur des connoiffances
acquifes fur les propriétés du fluide éthérien
par les expériences ufitées fur l'électricité.
On peut croire que c'eft de ces premieres
loix d'attraction que dépendent principalement
la conftitution & l'activité de toutes
les parties élémentaires ; ces parties
auroient donc entr'elles plus ou moins
d'affinité , felon qu'elles feroient propres
par leur nature à former des tourbillons
de matiere éthérée plus ou moins
égaux ; & par cet ordre celles qui fe trouveroient
être à peu près de même nature
auroient une maniere prefque égale d'obéir
à l'action du fluide environnant , bien
entendu qu'elles fullent également expofées
à l'action libre de ce fluide ; on voit
par là affez clairement comment tous les
corps doivent avoir naturellement plus ou
moins d'activité , & être plus ou moins
NOVEMBRE. 1755. 149
électriques , felon qu'ils font formés de
parties primitives plus ou moins chargées
de fluide éthérien , ou plus ou moins difpofées
à obéir à fon action.
V.
Cela pofé , le méchanifme des diverfes
efpeces de cryftallifation , & des diverfes
affinités chimiques , ne dépendroit-il pas
de certaines difpofitions conftantes de maffe
& de furface par lefquelles les parties
élémentaires de même genre obéiroient de
la même maniere aux loix naturelles de
l'action de ce fluide ; chacune de ces parties
feroit donc par fa nature un foyer
prefque égal pour l'activité de ce même
Auide , & cette activité produiroit dans
toutes ces parties , lorfqu'elle pourroit s'y
exercer librement , le même dégré & les
mêmes phénomenes d'attraction , ou du
moins il n'y auroit d'autre différence que
celle qui réfulteroit des torrens plus ou
moins confidérables qui fe feroient faits
fur ces foyers , felon qu'ils auroient été
plus ou moins expofés à l'action libre du
Auide environnant ; il arriveroit de cette
maniere que lorfque plufieurs de ces petits
foyers feroient livrés à l'action de ce fluide ,
il fe feroit des torrens plus confidérables
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
fur ceux où cette action fe ferott exercée
plus librement , & par conféquent qu'il fe
feroit de moindres torrens fur les foyers
qui s'y trouveroient moins exposés.
Il réfulte de -là que l'action produite
dans les premiers foyers , feroit de beaucoup
fupérieure en force & en étendue à
celle des autres foyers , & que par cette
raiſon ceux - ci feroient , lorfqu'il n'y auroit
point d'obſtacles , entraînés plus ou
moins promtement vers les premiers , felon
la force & l'étendue de l'atmoſphere
de leur activité .
Cette explication prouveroit que les
petites atmoſpheres de fluide éthérien formées
dans les foyers les moins dévelop
pés , feroient néceffairement abforbées
par les atmoſpheres plus confidérables ,
lorfqu'elles en feroient affez près pour pouvoir
y être compriſes ; de maniere donc
que tout foyer qui ne fe trouveroit pas
affez voifin de celui qui attire plus puiffamment
, pour être compris dans fa fphere
d'activité , feroit lui-même un foyer central
propre à attirer les foyers voifins plus
foibles que lui.
Mais comme on obferve en plufieurs
criftallifations que les criftaux qui ont acquis
un certain volume , ne continuent
pas de s'accroître , il en faudroit conclure
NOVEMBRE . 1755. 131
que le premier foyer parvenu à fe charger
d'une certaine quantité de parties analogues
n'auroit plus les mêmes rapports avec
le fluide environnant , & que par conféquent
fon activité devroit s'affoiblir au
point de ne pouvoir plus entraîner de nouvelles
parties.
V I.
Ne feroit-ce pas dans cette théorie des
criftallifations qu'on pourroit trouver à fe
former une idée claire & fimple de l'ordre
d'action qui détermine & maintient les
orbes planétaires dans les efpaces qu'ils
parcourent le foleil feroit le foyer principal
, & les planettes , comme foyers beaucoup
moindres , feroient comprifes dans
fa fphere d'activité ; il en réfulteroit que
ces mafles planetaires obéiroient plus ou
moins au grand foyer felon qu'elles feroient
elles -mêmes un foyer plus ou moins
confidérable , & que par - là elles feroient
en état d'oppofer plus de réfiftance aux
déterminations produites par le grand
foyer.
On peut croire que ces planettes , qui
ont leur tourbillon particulier de matiere
éthérée , doivent en obéiffant à la fupériorité
de celui du grand foyer , s'électrifer
elles-mêmes de plus en plus , foit par
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
les frottemens continuels de leurs tourbillons
, foit par la vive action du grand
foyer qui les entraîne , & prendre ainfi ,
plus ou moins à proportion de leur conftitution
, fur la fupériorité de l'attraction
de ce grand foyer ; ce qui eft affez conforme
aux loix générales de l'attraction
connue par les expériences ufitées , ainfi
qu'aux obfervations faites fur l'électricité
; de cette maniere les planetes parviendroient
à ce point de diſtance du grand
foyer , & en même tems d'équilibre avec
fa fphere d'activité, dont elles ne pourroient
plus être approchées ni éloignées ; à ce
point- là elles prendroient donc néceffairement
une détermination nouvelle , qui
feroit la détermination de leur cours particulier
, c'est -à- dire , leur mouvement projectile
; & c'est à raifon de la conftitution
naturelle , dont nous avons parlé , qui fait
que certains corps font moins propres que
d'autres à un accroiffement d'électricité ,
ainſi qu'à raifon de leur maffe & de leur
volume , qu'elles fe trouveroient plus ou
moins capables de gravitation & d'attraction
, & c'est par là que leur cours ordinaire
feroit déterminé à de plus ou moins
grandes diftances du grand foyer.
les loix de cette
On'tpeur préfumer que
détermination particuliere ne feroient pas
NOVEMBRE . 1755. 153
conftantes au point que par la fuite du
tems les planetes ne puffent acquérir des
forces centrifuges ; on connoît les loix fuivant
lefquelles les corps font repouffés
après avoir été attirés pendant un certain
tems , ce qui n'arrive probablement que
parce que ces corps s'électrifent davantage
à proportion qu'ils font plus attirés , &
que par-là ils parviennent à un complément
d'électricité qui les rend fupérieurs
au moins acceffibles à l'activité du fover
principal ; c'eft par ces loix que les planetes
pouroient enfin échapper totalement
à la fphere d'activité du foleil , & par
devenir des cometes ; comme il pourroit
arriver auffi qu'il fe trouveroit des cometes
moins difpofées par leur nature à s'électrifer
, ou à contracter un certain dégré
d'activité , qui attirées à un certain point
vers le principal foyer , bien loin de tendre
alors à s'en éloigner , y feroient au
contraire rapidement précipitées.
là
Ce mémoire n'a été fait dans d'autre.
vue que d'exciter fur les fondemens de la
conjecture qu'on y propofe , l'attention
des perfonnes verfées dans ces connoillances
, & de mettre ces mêmes perfonnes à
portée de critiquer facilement certe conjeture
ou de l'appuier plus folidement.
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Résumé : Mémoire sur le principe physique de la régénération des Etres, du mouvement, de la gravité, & de l'attraction.
Le texte 'Mémoire sur le principe physique de la régénération des êtres, du mouvement, de la gravité, & de l'attraction' présente une théorie sur la fécondation et les phénomènes naturels. L'auteur propose que la fécondation des animaux pourrait être due à un fluide éthérien actif, reflété vers les organes de la génération au moment de l'excrétion de la liqueur féminine. Ce fluide serait également responsable du mouvement, de la gravité et de l'attraction. L'auteur soutient que cette théorie est appuyée par des observations sur l'action des nerfs et des expériences sur le fluide électrique. Le mémoire vise à renforcer cette théorie en montrant que le mécanisme de la fécondation, du mouvement, de la gravité et de l'attraction peut être ramené à une cause commune : le fluide éthérien. L'auteur affirme que toutes les expériences sur l'électricité perturbent les lois naturelles de ce fluide, et qu'il est nécessaire de considérer ces expériences sous un angle général pour comprendre son action. Le texte souligne que la régénération des êtres, le mouvement, la gravité et l'attraction dépendent d'une même cause physique, un agent général. L'auteur suggère que le fluide électrique, admis comme cause de l'action des nerfs, pourrait être cet agent général. Il compare cette approche à la méthode de Newton, qui a découvert les lois de la gravité et de l'attraction par analogie. Le texte traite également des effets de l'électricité et de la force d'attraction sur divers phénomènes naturels. Il explique que la force de l'explosion et le mouvement de rotation d'un boulet accumulent un fluide électrique sur sa surface, créant une disproportion notable par rapport à l'état ordinaire du fluide entourant un corps vivant. Charger un corps d'électricité augmente la quantité de matière électrique sur sa surface, modifiant ainsi l'ordre naturel de sa détermination. Le texte explore la nature des corps, affirmant que tous les corps possèdent une force d'attraction dont l'intensité dépend de la nature des parties primitives qui les composent. Ces parties élémentaires agissent comme des foyers d'activité électrique, influencées par le fluide environnant. Cette interaction est à l'origine des propriétés générales et particulières des corps, et des phénomènes d'attraction observés. Le texte aborde les processus de cristallisation et les affinités chimiques, suggérant qu'ils dépendent des dispositions constantes de masse et de surface des parties élémentaires. Ces parties obéissent aux lois naturelles de l'action du fluide éthérien, créant des atmosphères d'activité qui peuvent s'absorber mutuellement. Enfin, le texte propose une théorie des mouvements planétaires, où le Soleil agit comme un foyer principal, et les planètes comme des foyers plus petits compris dans sa sphère d'activité. Les planètes s'électrifient en obéissant à l'attraction du Soleil, déterminant ainsi leur mouvement projectile et leur distance par rapport au Soleil. Le texte conclut en mentionnant que les lois de cette détermination particulière ne sont pas constantes, permettant aux planètes d'acquérir des forces centrifuges et de devenir des comètes.
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19
p. 209-214
Nouvelles de la Cour, de Paris, &c.
Début :
Le 18 Octobre, M. le Marquis de Conflans, Mestre de Camp [...]
Mots clefs :
Prince de Soubise, Divisions, Compagnies, Marquis, Troupes, Bataille, Ennemis, Force, Colonnes milliaires, Cavalerie, Résistance, Perte, Blessés et morts, Duc de Bourgogne, Problèmes de géométrie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Nouvelles de la Cour, de Paris, &c.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE 18 Octobre , M. le Marquis de Conflans ,
Meftre de Camp du Régiment d'Orleans , a ap
porté au Roi le détail de la bataille de Lutzelberg ,
gagnée par l'armée de Sa Majefté , commandée
par M. le Prince de Soubiſe.
La divifion de M. de Chevert , compofée de
vingt- cinq bataillons & dix- huit efcadrons , des.
Huffards de Berchiny , de la Légion Royale , & des
Volontaires de Flandre , arriva le 8 au camp fous
Caffel. 3
#1
Le 9 , celle aux ordres de M. le Duc de Filtz-
James , compofée de dix bataillons & de douze
efcadrons ; paffa la Fulde à la fuite de toute l'armée
. ¡ ་ "
M. le Prince de Soubife deftina la divifion dë
M. de Chevert à attaquer la gauche des ennemis ,
& M. le Marquis de Voyer fut détaché avec vingt
compagnies de Grenadiers , vingt Piquets , quatre
cents cinquante Carabiniers de la cavalerie , la Légion
Royale , les Volontaires de Flandre , & lé
corps de M. Fifcher , pour faire l'avant- garde de
cette divifion .
M. le Prince de Soubife fe propofant de faire
paffer à toute l'armée le ruiffeau de Benthenlagen ,,
& de la faire camper au- delà , chargea M. le Mar
210 MERCURE DE FRANCE.
quis de Voyer de faire fes difpofitions pour atta
quer le village d'Heligenrode ; mais les mouvemens
de l'ennemi déciderent M. le Prince de Soubife
à le faire tourner par fa gauche , & M. le Marquis
de Voyer fe porta en conféquence jufques fur
les hauteurs qui dominent le village d'Halem. Il
fut renforcé pendant la nuit de dix compagnies de
Grenadiers , de la Brigade des Palatins , & de celle
de Dauphin , cavalerie.
Le 10 , à la pointe du jour , on s'apperçut que
l'armée ennemie abandonnoit fon camp , pour occuper
une pofition plus reculée , fur des hauteurs
& dans des bois , qui couvroient également fon
front & fon flanc gauche , M. le Marquis de Voyer,
à la tête de fon avant- garde , palla dans ce même
inſtant le ravin de Dalem , & gagna les hauteurs
de Fifchenſtein ; il fit attaquer , par les Troupes
legeres , le hameau de Breck , & un bois de hautefutaye
qui eft en avant , dans le deffein d'avoir une
connoiffance exacte de la nouvelle pofition des
ennemis : il y eut un feu de moufqueterie fort vif,
& M. le Comte de Chabot repouffa Pennemi.
M. le Prince de Soubife , après avoir fait fes dif
pofitions , fit déboucher toutes les troupes. M. le
Duc de Broglie , à qui il avoit donné l'avant - garde
à commander , canonna l'armée ennemie & la
força de fe mettre en bataille.
x
5
Les troupes , qui avant l'arrivée de M. de Che
vert & de M. le Duc de Filtz James , compofoient
l'armée de M. le Prince de Soubife , fu ent defti¬
nées à attaquer le front de l'ennemi , tandis que
M. le Duc de Filtz- James en attaqueroit la gaus
che , & que M. de Chevert en tourneroit
flanc.
Toutes les troupes étant arrivées à leur point
de déboucher , les avant- gardes de M. le Duc de
NOVEMBRE. 1758. 217
Broglie , & de M. le Marquis de Voyer , rentrerent
dans les colonnes.
A deux heures trois quarts après midi , M. de
Chevert donna , par quatre coups de canon , le
fignal de l'attaque générale , ainfi qu'il en avoit
reçu l'ordre de M. le Prince de Soubife , & il dé❤
boucha en même temps pour marcher à l'ennemi.
Toutes les colonnes s'ébranlerent enfemble ; mais
ayant eu plus de chemin , ou plus d'obſtacles à furmonter
, le plus grand effort du combat fe fit à la
divifion de M. de Chevert.
Les ennemis le voyant entré dans le bois qui
couvroit leur flanc , & craignant , avec raiſon ,
pour leurs derrieres , dégarnirent leur droite , &
porterent la plus grande partie de leurs troupes
en équerre de ce côté là.
Ils fe préfenterent en force à la fortie du bois ,
que les troupes de M. de Chevert avoient traverfé
fur trois colonnes , dont deux d'infanterie , & la
cavalerie dans le centre.
Les ennemis fe voyant preffés par cette difpofition
, pritent le parti de faire avancer une colonne
nombreuſe , pour nous attaquer , & nous
empêcher de déboucher dans la plaine.
M. de Chevert , après l'a oir fait canonner par
fon artillerie , qui a été fervie pendant tout le courant
de la journée avec la plus grande vivacité &
le plus à propos , donna ordre à M. le Marquis de
Voyer , & à M,le Comte de Bellefont , qui étoient
à la tête de la Cavalerie , de charger cette colonne
; dans le moment elle fut attaquée & culbutée .
C'eſt à cette charge que M. le Marquis de Voyer
a été bleffé.
Il y avoit à la tête de chacune de ces colonnes
d'infanterie , une avant- garde de dix compagnies
de Grenadiers , commandée , fgavoir , celle de la
212 MERCURE DE FRANCE.
gauche , par M. le Comte de Salm , & celle de la
droite , par M. le Vicomte de Belfunce. Ce dernier
ayant été dangereufement bleffé , fut remplacé
par M. le Chevalier de Groflier.
La cavalerie , après ce premier combat , déboucha
dans la plaine, & s'y mit en bataille, pour
faire face à celle des ennemis , qui s'avançoit en
bon ordre , afin de favorifer la retraite de la colonne
d'infanterie , & de rétablir le combat ;
cette cavalerie fut bientôt pliée , & tant que la
bataille a duré , elle a toujours eu le même fort
à plufieurs repriſes différentes. Pendant ce temps,
M. le Comte de Luface , à la tête des Saxons ,
qui formoient la colonne de la gauche , attaqua
un gros corps d'ennemis poftés fur une hauteur ,
où ils avoient placé pluffeurs batteries , d'où ils
dominoient la plaine par laquelle nos colonnes
débouchoient. M. le Comte de Luface chargea
M : le Baron d'Hirne de prendre la hauteur à re
vers , tandis qu'il attaqueroit les ennemis de
front. La réfiftance de ceux-ci fut très - opiniâtre ;
mais M. le Comte de Luſace manoeuvra aveċ
tant d'habileté , & preffa l'attaque fi vivement ,
qu'il fe rendit maître de la hauteur , & du canon
que les ennemis y avoient établi . Alors la victoire
ne fut plus balancée , quoique les ennemis
fiffent encore plufieurs tentatives pour nous arrêter
, & favorifer leur retraite. Ils ont pris la
fuite par le village de Lutzelberg , & n'ont fauvé
les débris de leur armée , qu'à la faveur de la nuit.
Au premier moment de l'attaque de M. de Che
vert , M. le Prince de Soubife marcha de front à
l'ennemi , à la tête de fon armée , & la mit , par
la célérité de fes mouvemens , à portée de faire
un feu d'artillerie très-vif & très - fuivi fur l'àr
mée ennemie , qui fut contrainte de ſe jetter ,en
NOVEMBRE . 1758. 215
•
défordre , dans les bois qui bordent la Véra. Ce
Général fit marcher plufieurs détachemens de la
gauche de l'armée , qui ont pourfuivi les ennemis
jufqu'à trois heures du matin .
On ne peut encore rien dire de certain fur
leur perte, qui ne peut être moindre que de trois
à quatre mille hommes. Les troupes de notre
droite ont pris onze pieces de canon , & les Huf
fard de Berchiny , qui étoient fur le flanc gauche
de l'armée , en ont pris treize , avec plufieurs
drapeaux & étendards , & beaucoup de
bagages.
On ne fçait pas encore au jufte le nombre des
prifonniers ,, parce qu'on en amene à tous mo
momens , parmi lefquels il y a des Officiers de
tout grade. Notre perte ne paroît pas confidérable
on ne compte jufqu'à préfent qu'environ
cinq à fix cents hommes tués ou bleſſés . Les ennemis
fe font enfui dans le plus grand défordre ;
lorfqu'ils ont traverfé Munden , leur cavalerie
étoit confondue avec leur infanterie , & ils n'avoient
pas une feule piece de canon > ce qui fait
croire , qu'ils ont abandonné dans les bois ce qui
leur en reftoit.
Ce détail a été fait trop promptement , pour
pouvoir nommer tous ceux qui fe font diftingués
dans cette journée . On peut dire en général , que
toutes les troupes ont montré , à l'envi , une ardeur
& une fermeté digne des Saxons , des Palatins
, & des François ; tous les Commandans
généraux & particuliers leur ont montré l'exemple.
M. le Marquis de Crillon a été détaché avec
trois Brigades d'infanterie , & les troupes légeres
, pour fuivre les ennemis dans leur retraite,
Il s'eft porté jufqu'à Munden , où il a déja fait
quatre cents prifonniers. On ne fçauroit trop
. 114 MERCURE DE FRANCE.
louer les difpofitions générales de M. le Prince
de Soubife .
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , âgé de fix
ans onze mois , a préſenté au Roi un Livre des
Problêmes de Géométrie , qu'il a conftruit luimême
, & mis au trait. Il y a ajouté le premier
trait d'un exagone fortifié avec le tracé dù foffé ,
du chemin couvert & du glacis . Ce Livre forme un
un petit in-4°.
Il feroit difficile de fe perfuader, vu l'exactitude
& la netteté avec laquelle ces Problêmes font exécutés,
qu'ils font abfolument l'ouvrage d'un Prince
à peine âgé de fept ans , fi l'on n'avoit des témoins
qu'on ne peut récufer . Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , qui avoit travaillé à former ce petit
Ouvrage , dans le deffein de le préfenter au Roi ,
le lui a dédié. L'Epitre Dédicatoire eft de fa compofition
, & elle eft écrite de ſa main .
Ilya long- temps qu'on fçait que ce jeune Prince
s'amule beaucoup de la Géométrie. On a fçu lui
faire une espece de jeu des premieres opérations de
cette ſcience . Les marques fingulieres de jugement
& de pénétration qu'il donne dans un âge anffi
tendre , en font concevoir les plus flatteufes efpérances.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE 18 Octobre , M. le Marquis de Conflans ,
Meftre de Camp du Régiment d'Orleans , a ap
porté au Roi le détail de la bataille de Lutzelberg ,
gagnée par l'armée de Sa Majefté , commandée
par M. le Prince de Soubiſe.
La divifion de M. de Chevert , compofée de
vingt- cinq bataillons & dix- huit efcadrons , des.
Huffards de Berchiny , de la Légion Royale , & des
Volontaires de Flandre , arriva le 8 au camp fous
Caffel. 3
#1
Le 9 , celle aux ordres de M. le Duc de Filtz-
James , compofée de dix bataillons & de douze
efcadrons ; paffa la Fulde à la fuite de toute l'armée
. ¡ ་ "
M. le Prince de Soubife deftina la divifion dë
M. de Chevert à attaquer la gauche des ennemis ,
& M. le Marquis de Voyer fut détaché avec vingt
compagnies de Grenadiers , vingt Piquets , quatre
cents cinquante Carabiniers de la cavalerie , la Légion
Royale , les Volontaires de Flandre , & lé
corps de M. Fifcher , pour faire l'avant- garde de
cette divifion .
M. le Prince de Soubife fe propofant de faire
paffer à toute l'armée le ruiffeau de Benthenlagen ,,
& de la faire camper au- delà , chargea M. le Mar
210 MERCURE DE FRANCE.
quis de Voyer de faire fes difpofitions pour atta
quer le village d'Heligenrode ; mais les mouvemens
de l'ennemi déciderent M. le Prince de Soubife
à le faire tourner par fa gauche , & M. le Marquis
de Voyer fe porta en conféquence jufques fur
les hauteurs qui dominent le village d'Halem. Il
fut renforcé pendant la nuit de dix compagnies de
Grenadiers , de la Brigade des Palatins , & de celle
de Dauphin , cavalerie.
Le 10 , à la pointe du jour , on s'apperçut que
l'armée ennemie abandonnoit fon camp , pour occuper
une pofition plus reculée , fur des hauteurs
& dans des bois , qui couvroient également fon
front & fon flanc gauche , M. le Marquis de Voyer,
à la tête de fon avant- garde , palla dans ce même
inſtant le ravin de Dalem , & gagna les hauteurs
de Fifchenſtein ; il fit attaquer , par les Troupes
legeres , le hameau de Breck , & un bois de hautefutaye
qui eft en avant , dans le deffein d'avoir une
connoiffance exacte de la nouvelle pofition des
ennemis : il y eut un feu de moufqueterie fort vif,
& M. le Comte de Chabot repouffa Pennemi.
M. le Prince de Soubife , après avoir fait fes dif
pofitions , fit déboucher toutes les troupes. M. le
Duc de Broglie , à qui il avoit donné l'avant - garde
à commander , canonna l'armée ennemie & la
força de fe mettre en bataille.
x
5
Les troupes , qui avant l'arrivée de M. de Che
vert & de M. le Duc de Filtz James , compofoient
l'armée de M. le Prince de Soubife , fu ent defti¬
nées à attaquer le front de l'ennemi , tandis que
M. le Duc de Filtz- James en attaqueroit la gaus
che , & que M. de Chevert en tourneroit
flanc.
Toutes les troupes étant arrivées à leur point
de déboucher , les avant- gardes de M. le Duc de
NOVEMBRE. 1758. 217
Broglie , & de M. le Marquis de Voyer , rentrerent
dans les colonnes.
A deux heures trois quarts après midi , M. de
Chevert donna , par quatre coups de canon , le
fignal de l'attaque générale , ainfi qu'il en avoit
reçu l'ordre de M. le Prince de Soubife , & il dé❤
boucha en même temps pour marcher à l'ennemi.
Toutes les colonnes s'ébranlerent enfemble ; mais
ayant eu plus de chemin , ou plus d'obſtacles à furmonter
, le plus grand effort du combat fe fit à la
divifion de M. de Chevert.
Les ennemis le voyant entré dans le bois qui
couvroit leur flanc , & craignant , avec raiſon ,
pour leurs derrieres , dégarnirent leur droite , &
porterent la plus grande partie de leurs troupes
en équerre de ce côté là.
Ils fe préfenterent en force à la fortie du bois ,
que les troupes de M. de Chevert avoient traverfé
fur trois colonnes , dont deux d'infanterie , & la
cavalerie dans le centre.
Les ennemis fe voyant preffés par cette difpofition
, pritent le parti de faire avancer une colonne
nombreuſe , pour nous attaquer , & nous
empêcher de déboucher dans la plaine.
M. de Chevert , après l'a oir fait canonner par
fon artillerie , qui a été fervie pendant tout le courant
de la journée avec la plus grande vivacité &
le plus à propos , donna ordre à M. le Marquis de
Voyer , & à M,le Comte de Bellefont , qui étoient
à la tête de la Cavalerie , de charger cette colonne
; dans le moment elle fut attaquée & culbutée .
C'eſt à cette charge que M. le Marquis de Voyer
a été bleffé.
Il y avoit à la tête de chacune de ces colonnes
d'infanterie , une avant- garde de dix compagnies
de Grenadiers , commandée , fgavoir , celle de la
212 MERCURE DE FRANCE.
gauche , par M. le Comte de Salm , & celle de la
droite , par M. le Vicomte de Belfunce. Ce dernier
ayant été dangereufement bleffé , fut remplacé
par M. le Chevalier de Groflier.
La cavalerie , après ce premier combat , déboucha
dans la plaine, & s'y mit en bataille, pour
faire face à celle des ennemis , qui s'avançoit en
bon ordre , afin de favorifer la retraite de la colonne
d'infanterie , & de rétablir le combat ;
cette cavalerie fut bientôt pliée , & tant que la
bataille a duré , elle a toujours eu le même fort
à plufieurs repriſes différentes. Pendant ce temps,
M. le Comte de Luface , à la tête des Saxons ,
qui formoient la colonne de la gauche , attaqua
un gros corps d'ennemis poftés fur une hauteur ,
où ils avoient placé pluffeurs batteries , d'où ils
dominoient la plaine par laquelle nos colonnes
débouchoient. M. le Comte de Luface chargea
M : le Baron d'Hirne de prendre la hauteur à re
vers , tandis qu'il attaqueroit les ennemis de
front. La réfiftance de ceux-ci fut très - opiniâtre ;
mais M. le Comte de Luſace manoeuvra aveċ
tant d'habileté , & preffa l'attaque fi vivement ,
qu'il fe rendit maître de la hauteur , & du canon
que les ennemis y avoient établi . Alors la victoire
ne fut plus balancée , quoique les ennemis
fiffent encore plufieurs tentatives pour nous arrêter
, & favorifer leur retraite. Ils ont pris la
fuite par le village de Lutzelberg , & n'ont fauvé
les débris de leur armée , qu'à la faveur de la nuit.
Au premier moment de l'attaque de M. de Che
vert , M. le Prince de Soubife marcha de front à
l'ennemi , à la tête de fon armée , & la mit , par
la célérité de fes mouvemens , à portée de faire
un feu d'artillerie très-vif & très - fuivi fur l'àr
mée ennemie , qui fut contrainte de ſe jetter ,en
NOVEMBRE . 1758. 215
•
défordre , dans les bois qui bordent la Véra. Ce
Général fit marcher plufieurs détachemens de la
gauche de l'armée , qui ont pourfuivi les ennemis
jufqu'à trois heures du matin .
On ne peut encore rien dire de certain fur
leur perte, qui ne peut être moindre que de trois
à quatre mille hommes. Les troupes de notre
droite ont pris onze pieces de canon , & les Huf
fard de Berchiny , qui étoient fur le flanc gauche
de l'armée , en ont pris treize , avec plufieurs
drapeaux & étendards , & beaucoup de
bagages.
On ne fçait pas encore au jufte le nombre des
prifonniers ,, parce qu'on en amene à tous mo
momens , parmi lefquels il y a des Officiers de
tout grade. Notre perte ne paroît pas confidérable
on ne compte jufqu'à préfent qu'environ
cinq à fix cents hommes tués ou bleſſés . Les ennemis
fe font enfui dans le plus grand défordre ;
lorfqu'ils ont traverfé Munden , leur cavalerie
étoit confondue avec leur infanterie , & ils n'avoient
pas une feule piece de canon > ce qui fait
croire , qu'ils ont abandonné dans les bois ce qui
leur en reftoit.
Ce détail a été fait trop promptement , pour
pouvoir nommer tous ceux qui fe font diftingués
dans cette journée . On peut dire en général , que
toutes les troupes ont montré , à l'envi , une ardeur
& une fermeté digne des Saxons , des Palatins
, & des François ; tous les Commandans
généraux & particuliers leur ont montré l'exemple.
M. le Marquis de Crillon a été détaché avec
trois Brigades d'infanterie , & les troupes légeres
, pour fuivre les ennemis dans leur retraite,
Il s'eft porté jufqu'à Munden , où il a déja fait
quatre cents prifonniers. On ne fçauroit trop
. 114 MERCURE DE FRANCE.
louer les difpofitions générales de M. le Prince
de Soubife .
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , âgé de fix
ans onze mois , a préſenté au Roi un Livre des
Problêmes de Géométrie , qu'il a conftruit luimême
, & mis au trait. Il y a ajouté le premier
trait d'un exagone fortifié avec le tracé dù foffé ,
du chemin couvert & du glacis . Ce Livre forme un
un petit in-4°.
Il feroit difficile de fe perfuader, vu l'exactitude
& la netteté avec laquelle ces Problêmes font exécutés,
qu'ils font abfolument l'ouvrage d'un Prince
à peine âgé de fept ans , fi l'on n'avoit des témoins
qu'on ne peut récufer . Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , qui avoit travaillé à former ce petit
Ouvrage , dans le deffein de le préfenter au Roi ,
le lui a dédié. L'Epitre Dédicatoire eft de fa compofition
, & elle eft écrite de ſa main .
Ilya long- temps qu'on fçait que ce jeune Prince
s'amule beaucoup de la Géométrie. On a fçu lui
faire une espece de jeu des premieres opérations de
cette ſcience . Les marques fingulieres de jugement
& de pénétration qu'il donne dans un âge anffi
tendre , en font concevoir les plus flatteufes efpérances.
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Résumé : Nouvelles de la Cour, de Paris, &c.
Le 18 octobre, le Marquis de Conflans informa le roi de la victoire française à la bataille de Lutzelberg, dirigée par le Prince de Soubise. Le 8 octobre, la division de Chevert, composée de 25 bataillons et 18 escadrons, arriva au camp sous Cassel. Le 9 octobre, la division du Duc de Fitz-James, formée de 10 bataillons et 12 escadrons, traversa la Fulde. Le Prince de Soubise ordonna à Chevert d'attaquer la gauche ennemie et à Voyer de former l'avant-garde avec des grenadiers, des carabiniers, la Légion Royale et les Volontaires de Flandre. Le 10 octobre, l'armée ennemie se retira vers une position plus reculée. Voyer traversa le ravin de Dalem et atteignit les hauteurs de Fifchenstein, attaquant le hameau de Breck. À 14h30, le Prince de Soubise ordonna une attaque générale. Les ennemis, voyant Chevert dans le bois, renforcèrent leur gauche en dégarnissant leur droite. Chevert lança une charge de cavalerie, blessant le Marquis de Voyer. La cavalerie ennemie fut repoussée à plusieurs reprises. Le Comte de Lusace captura une hauteur stratégique, assurant la victoire. Les ennemis fuirent par Lutzelberg, abandonnant canons, drapeaux et bagages. Les pertes ennemies furent estimées entre 3 000 et 4 000 hommes, contre 500 à 600 pour les Français. Le Marquis de Crillon poursuivit les ennemis et captura 400 prisonniers à Munden. Par ailleurs, le Duc de Bourgogne, âgé de 6 ans, présenta au roi un livre de géométrie qu'il avait rédigé.
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20
p. 203-205
Détail de la retraite de M. le Duc de Chevreuse, de la ville de Soest, le 18 Octobre 1758.
Début :
Le 17 Octobre 1758, à six heures du soir, M. le Duc de Chevreuse, [...]
Mots clefs :
Duc de Chevreuse, Troupes, Détachement, Maréchal, Patrouilles, Force, Brigades, Cavalerie, Retraite
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Détail de la retraite de M. le Duc de Chevreuse, de la ville de Soest, le 18 Octobre 1758.
Détail de la retraite de M. le Duc de Chevreuse ,
de la ville de Soeft , le 18 Octobre 1758 .
4
Le 17 Octobre 1758 , à fix heures du foir , M.
le Duc de Chevreufe , fut averti par un payſan in
connu qu'un corps de 6000 hommes marchoit
fur lui ; il envoya fur le champ un détachement
& des patrouilles pour en fçavoir la vérité , &
dépêcha, après cela un Courier à M. le Maréchal
de Contades pour lui en donner avis , ainfi qu'à
1
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
M. de Beaufremont & M. de Fitz - James . Il fir
partir tous les équipages , mit les troupes fous les
armes & les y fit paffer la nuit . M. le Maréchal
lui manda par le retour de fon Courier de fe retirer
, s'il étoit attaqué par des forces fupérieures .
ou s'il avoit des avis certains de leur marche fur
lui ; mais qu'il n'avoit connoiffance que d'un Ré
giment de Huffards qui eût paflé la Lippe , ce qui fit
que le Duc de Chevreufe regarda encore comme
moins certain l'avis du payfan inconnu , d'autant
que fon détachement, & fes patrouilles lui avoient.
fait dire qu'ils ne trouvoient perfonne.
A 7 heures du matin le 18 , M. de Beaufre
mont qui l'avoit joint très - diligemment dans la
nuit , voyant qu'on n'appercevoit rien , voulut fe
retirer. M. le Duc de Chevreufe tâcha de l'engager
à refter ; mais comme l'ordre par écrit de M. le
Maréchal donné à M. de Beaufremont portoit feu
lement de refter en bataille à la tête du camp , il
prit le parti pour l'exécuter de fe retirer , & cela
fut heureux , puifque s'il s'étoit retiré avec M. le
Duc de Chevreuſe , il eût expofé fon corps & tous
les équipages de fa divifion à être pris . M. de
Beaufremont étoit encore fort près de M. le Duc
de Chevreufe , quand celui- ci prit le parti de fe
retirer ; mais comme il n'avoit que deux brigades
de Cavalerie qui euffent été inutiles dans le pays
convert , par lequel M. le Duc de Chevreufe s'étoit
affuré de fa retraite , il n'a pu que fçavoir gré
à M. de Beaufremont d'avoir rempli un objet plus
utile.
A huit heures du matin , une garde en avant du
camp de M. le Duc de Chevreufe , le fit avertir que
les ennemis paroiffoient , il s'y porta pour les reconnoître
; & ayant apperçu très- diftinctement
que le corps qui venoit à lui étoit de quatorze
DECEMBRE. 1758 . 1 205
mille hommes au moins , il commença fa retraite .
La Cavalerie des ennemis qui venoit au grand
trot , joignit fon arriere-garde qui étoit déja à
une affez grande diſtance de fon camp ; les huft
efcadrons qui la compofoient étoient fi peu nombreux
, qu'ils ne faifoient à peu près que la valeur
de quatre qui furent pouffés par cette Cavalerie
qui étoit au nombre de vingt - quatre escadrons. Il
y a eu un défordre inévitable , mais qui n'a duré
qu'un moment , parce qu'il envoya ordre à M. fe
Duc de Mazarin de fe placer avec les deux batail-
Ions de fon Régiment dans des haies , mouvement
qu'il a exécuté avec valeur & intelligence ,
les ennemis depuis ce temps n'ont fuivi qu'en
efcarmouchant , & nous n'avons perdu que deux
cens hommes.
Cette retraite n'a point porté coup à la jonction
de MM. de Chevert & de Fitz- James ; & quand
M. le Duc de Chevreufe auroit été affez malheureux
pour cela , elle étoit inévitable pour un
corps réduit à trois mille hommes , par tous les
détachemens qui étoient fortis , & qui font rentrés
fans aucune porte , devant un corps de quatorze
mille hommes fuivi d'une armée.
de la ville de Soeft , le 18 Octobre 1758 .
4
Le 17 Octobre 1758 , à fix heures du foir , M.
le Duc de Chevreufe , fut averti par un payſan in
connu qu'un corps de 6000 hommes marchoit
fur lui ; il envoya fur le champ un détachement
& des patrouilles pour en fçavoir la vérité , &
dépêcha, après cela un Courier à M. le Maréchal
de Contades pour lui en donner avis , ainfi qu'à
1
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
M. de Beaufremont & M. de Fitz - James . Il fir
partir tous les équipages , mit les troupes fous les
armes & les y fit paffer la nuit . M. le Maréchal
lui manda par le retour de fon Courier de fe retirer
, s'il étoit attaqué par des forces fupérieures .
ou s'il avoit des avis certains de leur marche fur
lui ; mais qu'il n'avoit connoiffance que d'un Ré
giment de Huffards qui eût paflé la Lippe , ce qui fit
que le Duc de Chevreufe regarda encore comme
moins certain l'avis du payfan inconnu , d'autant
que fon détachement, & fes patrouilles lui avoient.
fait dire qu'ils ne trouvoient perfonne.
A 7 heures du matin le 18 , M. de Beaufre
mont qui l'avoit joint très - diligemment dans la
nuit , voyant qu'on n'appercevoit rien , voulut fe
retirer. M. le Duc de Chevreufe tâcha de l'engager
à refter ; mais comme l'ordre par écrit de M. le
Maréchal donné à M. de Beaufremont portoit feu
lement de refter en bataille à la tête du camp , il
prit le parti pour l'exécuter de fe retirer , & cela
fut heureux , puifque s'il s'étoit retiré avec M. le
Duc de Chevreuſe , il eût expofé fon corps & tous
les équipages de fa divifion à être pris . M. de
Beaufremont étoit encore fort près de M. le Duc
de Chevreufe , quand celui- ci prit le parti de fe
retirer ; mais comme il n'avoit que deux brigades
de Cavalerie qui euffent été inutiles dans le pays
convert , par lequel M. le Duc de Chevreufe s'étoit
affuré de fa retraite , il n'a pu que fçavoir gré
à M. de Beaufremont d'avoir rempli un objet plus
utile.
A huit heures du matin , une garde en avant du
camp de M. le Duc de Chevreufe , le fit avertir que
les ennemis paroiffoient , il s'y porta pour les reconnoître
; & ayant apperçu très- diftinctement
que le corps qui venoit à lui étoit de quatorze
DECEMBRE. 1758 . 1 205
mille hommes au moins , il commença fa retraite .
La Cavalerie des ennemis qui venoit au grand
trot , joignit fon arriere-garde qui étoit déja à
une affez grande diſtance de fon camp ; les huft
efcadrons qui la compofoient étoient fi peu nombreux
, qu'ils ne faifoient à peu près que la valeur
de quatre qui furent pouffés par cette Cavalerie
qui étoit au nombre de vingt - quatre escadrons. Il
y a eu un défordre inévitable , mais qui n'a duré
qu'un moment , parce qu'il envoya ordre à M. fe
Duc de Mazarin de fe placer avec les deux batail-
Ions de fon Régiment dans des haies , mouvement
qu'il a exécuté avec valeur & intelligence ,
les ennemis depuis ce temps n'ont fuivi qu'en
efcarmouchant , & nous n'avons perdu que deux
cens hommes.
Cette retraite n'a point porté coup à la jonction
de MM. de Chevert & de Fitz- James ; & quand
M. le Duc de Chevreufe auroit été affez malheureux
pour cela , elle étoit inévitable pour un
corps réduit à trois mille hommes , par tous les
détachemens qui étoient fortis , & qui font rentrés
fans aucune porte , devant un corps de quatorze
mille hommes fuivi d'une armée.
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Résumé : Détail de la retraite de M. le Duc de Chevreuse, de la ville de Soest, le 18 Octobre 1758.
Le 17 octobre 1758, le Duc de Chevreuse fut averti par un paysan de l'approche de 6000 hommes. Il envoya des patrouilles et informa le Maréchal de Contades, ainsi que M. de Beaufremont et M. de Fitz-James. Le Maréchal conseilla au Duc de se retirer en cas d'attaque par des forces supérieures, mais l'alerte parut moins certaine. Le 18 octobre, M. de Beaufremont décida de se retirer malgré les tentatives du Duc de le retenir. À 8 heures, une garde avertit le Duc de l'approche de 14 000 ennemis. La cavalerie ennemie perturba temporairement l'arrière-garde du Duc. Le Duc de Mazarin reçut l'ordre de se placer dans des haies pour ralentir les ennemis. La retraite se poursuivit sans compromettre la jonction avec les troupes de MM. de Chevert et de Fitz-James. Les pertes furent limitées à deux cents hommes.
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21
p. 198
DE HANOVRE, le 30 Juin.
Début :
On compte que l'armée des Alliés a le fonds de soixante-quinze mille hommes [...]
Mots clefs :
Armée, Soldats, Contingent, Nationalités, Prince Ferdinand , Force
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DE HANOVRE, le 30 Juin.
E HANOVRE , le 30 Juin.
On
compte
que
l'armée
des
Alliés
a
le
fonds
de
foixante
-
quinze
mille
hommes
,
dont
trente-
sing
mille
Hanovriens
,
vingt
mille
Heſſois
,
fepèmille
Brunſwickois
,
huit
mille
Anglois
,
deux
mille
Pruſſiens
,
&
environ
trois
mille
de
Buc-
kenbourg
&
de
Saxe
-
Gotha
;
avec
toutes
ces
forces réunies
le
Prince
Ferdinand
pourroit
agir
d'une
maniere
moins
timide
vis
-
à
-
vis
des
François
,
On
compte
que
l'armée
des
Alliés
a
le
fonds
de
foixante
-
quinze
mille
hommes
,
dont
trente-
sing
mille
Hanovriens
,
vingt
mille
Heſſois
,
fepèmille
Brunſwickois
,
huit
mille
Anglois
,
deux
mille
Pruſſiens
,
&
environ
trois
mille
de
Buc-
kenbourg
&
de
Saxe
-
Gotha
;
avec
toutes
ces
forces réunies
le
Prince
Ferdinand
pourroit
agir
d'une
maniere
moins
timide
vis
-
à
-
vis
des
François
,
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22
p. 31-32
SUR une Dame à qui on a donné le nom de Circé,
Début :
De nos jours eft une Circé, [...]
Mots clefs :
Circé, Esprit, Héros, Force, Route, Enchanteresse
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUR une Dame à qui on a donné le nom de Circé,
SUR une Dame à qui on a donné le
nom de Circé,
Dx nos jours eft une Circé ,
Non la fameuse enchantereffe ,
Dont le poifon fut renversé
Par les mains d'un héros que guidoit la fageffe s
Son art ne force point les aftres pâliífans
A quitter leur brillante route ,
Jamais les magiques accens
N'ont percé l'infernale route ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Ses enchantemens font les yeux
Sa grace , toute la perfonne ,
Un efprit émané des Cieux ,
Efprit qui badine ou raiſonne
Et toujours à propos plaifant ou férieux ,
Efprit fin fans fonger à l'être
Et qui fe montre d'autant mieux
Qu'il ne cherche point à paroître.
L'autre Circé , changeoit fes Amans en Pourceaux,
Si celle- ci fouffroit qu'on cherchât à lui plaire
Elle transformeroit les hommes en Héros .
Mais près d'elle l'Amour eft forcé de fe taire ;
Et rendu malgré lui timide & circonfpect ,
N'ofe s'y faire voir que fous l'air du reſpect.
nom de Circé,
Dx nos jours eft une Circé ,
Non la fameuse enchantereffe ,
Dont le poifon fut renversé
Par les mains d'un héros que guidoit la fageffe s
Son art ne force point les aftres pâliífans
A quitter leur brillante route ,
Jamais les magiques accens
N'ont percé l'infernale route ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Ses enchantemens font les yeux
Sa grace , toute la perfonne ,
Un efprit émané des Cieux ,
Efprit qui badine ou raiſonne
Et toujours à propos plaifant ou férieux ,
Efprit fin fans fonger à l'être
Et qui fe montre d'autant mieux
Qu'il ne cherche point à paroître.
L'autre Circé , changeoit fes Amans en Pourceaux,
Si celle- ci fouffroit qu'on cherchât à lui plaire
Elle transformeroit les hommes en Héros .
Mais près d'elle l'Amour eft forcé de fe taire ;
Et rendu malgré lui timide & circonfpect ,
N'ofe s'y faire voir que fous l'air du reſpect.
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Résumé : SUR une Dame à qui on a donné le nom de Circé,
Le texte compare une dame contemporaine à Circé, mais contrairement à cette dernière, elle n'utilise ni poisons ni magie. Ses charmes proviennent de ses yeux et de sa grâce, émanant d'un esprit céleste, badin et raisonnable. Elle inspire les hommes à devenir des héros, contraignant l'Amour à se manifester sous forme de respect.
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