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101
p. 935-943
LETTRE à M. de la R. contenant quelques particularitez sur la personne et la Vie de M. Aubert, Doyen des Avocats de Lyon.
Début :
MONSIEUR, L'éxactitude scrupuleuse que vous faites paroître dans l'Ouvrage [...]
Mots clefs :
Lyon, Lettres, Dictionnaire de Richelet, Gloire, Esprit, Avocat, Célèbre, Mémoire, Pierre Aubert, République des Lettres
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE à M. de la R. contenant quelques particularitez sur la personne et la Vie de M. Aubert, Doyen des Avocats de Lyon.
LETTRE à M. de la R. contenant
quelques particularitez sur la personne
et la Vie de M. Aubert , Doyen des
Avocats de Lyon.
MONS ONSIEUR ,
L'éxactitude scrupuleuse que vous fai
tes paroître dans l'Ouvrage périodique
qui attire l'attention du Public et des
Gens de Lettres , depuis que vous y
donnez vos soins , m'engage à vous addresser
quelques Memoires sur la Vie de
M. Aubert , dont vous nous annoncez la
mort dans le Mercure du mois de Mars
dernier. J'ose me flatter que vous vou
drez bien leur donner une place dans
celui que vous avez actuellement sous la
presse. Persuadé , comme je le suis , Monsieur
, que l'article inseré dans votre dernier
Mercure à son sujet , ne peut venir
que de quelque personne qui n'est
pas bien au fait de ce qui regarde cet
homme célebre , sur la vie duquel j'ai
l'honneur de vous adresser le Mémoire
cy-joint ; j'oserai relever quelques endroits
de ce même article de votre Jour-
E v nal
936 MERCURE DE FRANCE
Il
nal du mois dernier , qui m'ont parû
répréhensibles , par rapport à l'exactitude
qui n'y est pas tout à fait observée.
1°. M. Aubert est mort à 91. ans et
non pas à 94. en voici la
preuve.
est né , comme je le dis dans mon Mémoire
, le 9. Février 1642. et il est mort
le 18. Février 1733. Voyez son article
dans la Bibliotheque des Aureurs , mise
à la tête du Richelet.
2. On ne doit pas dire qu'il ait commencé
à travailler aux augmentations du
Dictionnaire de Richeler à l'âge de 90.
ans. Comment , en effer , cela pourroit
il être , puisque ce Livre étoit déja sous la
presse dès la fin de l'année 1723. quoi,
qu'il n'ait été achevé d'imprimer qu'en
1728 ? Il est clair par la date de sa naissance
, que je viens de citer , qu'en 1723,
il n'avoit que 8r. ans , et il n'est pas
moins certain , puisque c'est de lui- même
que je le tiens , qu'il a commencé à tra
vailler aux augmentations de ce Diction
naire plus de 15 ans auparavant qu'il le
donnât à l'Imprimeur. Par conséquent il
n'avoit guéres que 65. lorsqu'il entreprit
ce travail. Une pareille erreur seroit capable
, si elle n'étoit pas relevée , de décréditer
un Livre aussi important qu'est
le Dictionnaire de Richelet ; en un mor,
une
MAY. 1733 937
une Encyclopédie de la Langue Françoise
, qui sera toûjours estimée des personnes
doctes et de tous les gens de bon
goût. Je suis avec toute la considération
possible , &c.
A Paris de 12. Avril 1733 .
L. B. D.
PIERRE AUBERT , Avocat , nâquic
à Lyon le 9. Février 1642. Ses premieres
études de Grammaire et de Rhétorique
commencerent à développer son
génie , et ses heureuses dispositions pa
furent bien-tôt dans tout leur jour. Quoique
fort jeune, l'amour des Belles-Lettres
qu'il possedoit au souverain degré
, lui faisoit dévorer tous les Livres
nouveaux qui paroissoient alors , et par
un jugement déja formé , il y prenoit
tout ce qui pouvoit contribuer à la po
litesse de son style et à lui inspirer des
pensées également vives et délicates . La
Poësie même l'amusa pendant quelque
temps . A l'âge de 16. à 17. ans , il vit
par hazard un Roman intitulé , le Voyage
de l'Isle d'Amour , qui lui fit bien -tôc
concevoir l'idée d'en écrire le Retour. I
ne s'étoit proposé de communiquer ce
petit travail qu'à ses plus chers amis ,
E vj mais
938 MERCURE DE FRANCE
mais l'évenement ne répondit point à ses
intentions ; car après le cours de ses études
, ayant quitté pour quelque temps
la Province , afin de puiser le bon goût
dans la Capitale du Royaume , qui est la
source de la belle Litterature , son pere
profita de son départ , et de concert avec
ses amis , fit imprimer cette legere ébauche
de l'esprit d'un jeune homme , qui
dans la suite a fait l'ornement et la gloire
d'un Corps dont il étoit un si digne
Membre.
De retour à Lyon , il donna toute son
application à l'étude du Droit , et prit
ensuite le parti du Barreau . Le succès des
premieres Causes qu'il plaida sembloit
l'inviter à continuer , mais une santé foible
et délicate interrompit sa course et
l'obligea de prendre une autre roure pour
parvenir à une gloire qui n'est pas solide.
Ce seroit sans doute ici le lieu de
rapporter quelques traits singuliers de la
vivacité de génie et de la présence d'esprit
de ce célebre Avocat Consultant ;
mais comme je me suis seulement proposé
de donner des Mémoires sur les
principales actions de la vie d'un homme
qui m'a honoré de son amitié , je me
restreindrai donc à en rapporter ici les
circonstances les plus essentielles , persuade
MAY. 17337 939
suadé qu'elles ne pourront qu'être bien
reçûës de ceux qui ne se sont point laissé
prévenir par de faux préjugez , ou par
une jalousie indigne des veritables gens
de Lettres .
Il fit pendant plusieurs années la fonction
de Procureur du Roy dans la Jurisdiction
de la Conservation des Privileges
des Foires de Lyon , si fameuses
même parmi les Etrangers . Son esprit
et sa capacité lui mériterent la protection
de la Maison de Villeroy , et une
amitié mêlée de beaucoup de déférence
de la part du dernier Maréchal de ce
nom . Ce fut aussi ce même mérite qui
engagea la Ville de Lyon à le choisir
en 1700. pour un de ses Echevins . Il
fut nommé quelque temps après Procureur
du Roy de la Police de la même
Ville , Charge qu'il a exercée jusqu'à sa
mort , de même que celle de Juge de
l'Archevêché et du Comté de Lyon.
Malgré les grandes et pénibles occupations
que lui procuroient ces differens
Emplois , l'amour de l'étude étoit trop
profondément enraciné dans son esprit ,
pour ne lui pas donner les intervales de
temps que pouvoient lui laisser les fréquentes
Audiances qu'il étoit obligé d'accorder
à ceux qui venoient le consulter,
C'étoit
940 MERCURE DE FRANCE
C'étoit donc cette violente , mais louable
passion pour les Lettres , qui lui fit
acquerir à grands frais cette Bibliothe
que aussi nombreuse que bien choisie
qui a toujours été ouverre à ses amis
et qui est aujourd'hui , pour ainsi dire
l'héritage de tous les Amateurs des Sciences
, par le soin qu'il a pris de la rendre
publique.
Revenons à ses Ouvrages. H publia
en 1710. son Recueil de Factums , imprimé
à Lyon , chez Anisson , en deux vomes
in 4. Il a été du nombre de ceux
qui commencerent à faire des Assemblées
Académiques , qui furent en 1725. établies
en forme d'Académie reglée par
Lettres Patentes du Roy , sous le titre
d'Académie des Sciences et des Belles-
Lettres.
En 1728. parut son Dictionnaire de
Richelet , avec des Additions d'Histoire
de Grammaire , de Critique et de Jurisprudence
, en 3. volumes in folie , imprimé
chez Duplain . On trouve à la tête
de cet Ouvrage le sentiment de M. Lancelot
sur cette nouvelle Edition du Dictionnaire
de Richelet , où ce célebre Académicien
rend à notre Auteur un témoi
gnage qui fera toujours honneur à sa
mémoire. On y voit aussi un Abregé de
la
MAY. 17337 940
la Vie des Auteurs citez dans ce Dictionnaire
, recueilli par M. Laurent le
Clerc de S. Sulpice de Lyon , connû
dans la République des Lettres par un
grand nombre d'augmentations qu'il a
données pour le Dictionnaire de Moréry,
et par plusieurs autres Ouvrages :
En 1731. se voyant dans un âge trèsavancé
, et son esprit n'ayant encore reçû
aucune atteinte par le grand nombre
d'années , il prit une résolution qui rendra
sa mémoire chere à ceux qui aiment
véritablement le bien et la gloire de leur
Patrie.
Dans l'appréhension où il étoit que
parmi les embarras d'une succession , ses
Climenes , ( c'est ainsi qu'il appelloit ses
Livres ) ne se vissent dans la dure né
cessité de la division , il prit le parti de
proposer à Mrs du Consulat , sa Biblio
theque pour la rendre publique.
Il manquoit depuis trop long- temps.
la gloire de cette seconde Ville du Royau
me , un Monument qui la rendît en quel
que sorte supérieure à une infinité d'autres
Villes , en alliant dans son sein les
Muses et le Commerce , pour qu'une proposition
si importante et si digne des
sentimens d'un parfait Cytoyen , pût être
rejettée par des personnes qui doivent
Se
942 MERCURE DE FRANCE
pu .
se montrer sur tous les autres , jaloux
d'un si beau titre. Elle fut donc reçûë
avec la joye et la reconnoissance que
méritoit un si grand attachement à la
Patrie. Mrs les Echevins , et à leur tête
M. Perrichon , que son mérite personnel
a élevé à la Place de Prévôt des Mar>
chands , et que son zele pour P'utilité
blique , rend cher aux differens Corps de
Négocians qui travaillent avec succès sous
ses auspices , assignerent à notre Auteur
2000. livres de pension pendant sa vie
et 5oo. écus de rente après sa mort à
M. Duchol son Neveu. Ils laissereng
néanmoins au premier le reste de ses
jours , la joissance de ces mêmes Livres,
qui avoient fait les délices de sa jeune se ,
et sa consolation dans un âge plus avancé.
Enfin ayant mis sa chere Bibliotheque
hors d'état d'être jamais divisée , il ne
songea plus qu'à finir en paix sa carriere
dans la retraite de son Cabinet , donnant
toutefois quelques heures de son temps à
ses amis et aux Gens de lettres qui ont
continué de lui rendre visite jusqu'à sa
mort , qui arriva le 18. Février 1733-
Si la Ville de Lyon a l'avantage de recueillir
les fruits du travail de notre célebre
Avocat , par l'utilité qu'elle retire
de ce bel établissement , elle ne pouvoit
mieux
MAY. 94% 1733.
qu'en
mieux marquer sa reconnoissance ,
choisissant , comme elle a fait , pour son
Bibliothequaire un homme versé dans l'a
connoissance des Livres , aussi distingué
dans le Barreau par la profession d'Avocat
, qu'il éxerce avec honneur , que
connu dans la République des Lettres
par les Notes curieuses qu'il a données
sur les Oeuvres de Despreaux , et en
dernier lieu sur celles de Regnier. C'est
par les sages avis et l'étroite amitié dont
il étoit lié avec M. Aubert , que la Ville
de Lyon possede un si riche et si utile
Présent , ensorte que l'on peut dire à
bon droit que cet habile Commentateur
partage la gloire d'un don si précieux
avec le Bienfaicteur même.
*
L. B. D.
* M. Claude Brosset , Avocat au Présidial de
Lyon.
quelques particularitez sur la personne
et la Vie de M. Aubert , Doyen des
Avocats de Lyon.
MONS ONSIEUR ,
L'éxactitude scrupuleuse que vous fai
tes paroître dans l'Ouvrage périodique
qui attire l'attention du Public et des
Gens de Lettres , depuis que vous y
donnez vos soins , m'engage à vous addresser
quelques Memoires sur la Vie de
M. Aubert , dont vous nous annoncez la
mort dans le Mercure du mois de Mars
dernier. J'ose me flatter que vous vou
drez bien leur donner une place dans
celui que vous avez actuellement sous la
presse. Persuadé , comme je le suis , Monsieur
, que l'article inseré dans votre dernier
Mercure à son sujet , ne peut venir
que de quelque personne qui n'est
pas bien au fait de ce qui regarde cet
homme célebre , sur la vie duquel j'ai
l'honneur de vous adresser le Mémoire
cy-joint ; j'oserai relever quelques endroits
de ce même article de votre Jour-
E v nal
936 MERCURE DE FRANCE
Il
nal du mois dernier , qui m'ont parû
répréhensibles , par rapport à l'exactitude
qui n'y est pas tout à fait observée.
1°. M. Aubert est mort à 91. ans et
non pas à 94. en voici la
preuve.
est né , comme je le dis dans mon Mémoire
, le 9. Février 1642. et il est mort
le 18. Février 1733. Voyez son article
dans la Bibliotheque des Aureurs , mise
à la tête du Richelet.
2. On ne doit pas dire qu'il ait commencé
à travailler aux augmentations du
Dictionnaire de Richeler à l'âge de 90.
ans. Comment , en effer , cela pourroit
il être , puisque ce Livre étoit déja sous la
presse dès la fin de l'année 1723. quoi,
qu'il n'ait été achevé d'imprimer qu'en
1728 ? Il est clair par la date de sa naissance
, que je viens de citer , qu'en 1723,
il n'avoit que 8r. ans , et il n'est pas
moins certain , puisque c'est de lui- même
que je le tiens , qu'il a commencé à tra
vailler aux augmentations de ce Diction
naire plus de 15 ans auparavant qu'il le
donnât à l'Imprimeur. Par conséquent il
n'avoit guéres que 65. lorsqu'il entreprit
ce travail. Une pareille erreur seroit capable
, si elle n'étoit pas relevée , de décréditer
un Livre aussi important qu'est
le Dictionnaire de Richelet ; en un mor,
une
MAY. 1733 937
une Encyclopédie de la Langue Françoise
, qui sera toûjours estimée des personnes
doctes et de tous les gens de bon
goût. Je suis avec toute la considération
possible , &c.
A Paris de 12. Avril 1733 .
L. B. D.
PIERRE AUBERT , Avocat , nâquic
à Lyon le 9. Février 1642. Ses premieres
études de Grammaire et de Rhétorique
commencerent à développer son
génie , et ses heureuses dispositions pa
furent bien-tôt dans tout leur jour. Quoique
fort jeune, l'amour des Belles-Lettres
qu'il possedoit au souverain degré
, lui faisoit dévorer tous les Livres
nouveaux qui paroissoient alors , et par
un jugement déja formé , il y prenoit
tout ce qui pouvoit contribuer à la po
litesse de son style et à lui inspirer des
pensées également vives et délicates . La
Poësie même l'amusa pendant quelque
temps . A l'âge de 16. à 17. ans , il vit
par hazard un Roman intitulé , le Voyage
de l'Isle d'Amour , qui lui fit bien -tôc
concevoir l'idée d'en écrire le Retour. I
ne s'étoit proposé de communiquer ce
petit travail qu'à ses plus chers amis ,
E vj mais
938 MERCURE DE FRANCE
mais l'évenement ne répondit point à ses
intentions ; car après le cours de ses études
, ayant quitté pour quelque temps
la Province , afin de puiser le bon goût
dans la Capitale du Royaume , qui est la
source de la belle Litterature , son pere
profita de son départ , et de concert avec
ses amis , fit imprimer cette legere ébauche
de l'esprit d'un jeune homme , qui
dans la suite a fait l'ornement et la gloire
d'un Corps dont il étoit un si digne
Membre.
De retour à Lyon , il donna toute son
application à l'étude du Droit , et prit
ensuite le parti du Barreau . Le succès des
premieres Causes qu'il plaida sembloit
l'inviter à continuer , mais une santé foible
et délicate interrompit sa course et
l'obligea de prendre une autre roure pour
parvenir à une gloire qui n'est pas solide.
Ce seroit sans doute ici le lieu de
rapporter quelques traits singuliers de la
vivacité de génie et de la présence d'esprit
de ce célebre Avocat Consultant ;
mais comme je me suis seulement proposé
de donner des Mémoires sur les
principales actions de la vie d'un homme
qui m'a honoré de son amitié , je me
restreindrai donc à en rapporter ici les
circonstances les plus essentielles , persuade
MAY. 17337 939
suadé qu'elles ne pourront qu'être bien
reçûës de ceux qui ne se sont point laissé
prévenir par de faux préjugez , ou par
une jalousie indigne des veritables gens
de Lettres .
Il fit pendant plusieurs années la fonction
de Procureur du Roy dans la Jurisdiction
de la Conservation des Privileges
des Foires de Lyon , si fameuses
même parmi les Etrangers . Son esprit
et sa capacité lui mériterent la protection
de la Maison de Villeroy , et une
amitié mêlée de beaucoup de déférence
de la part du dernier Maréchal de ce
nom . Ce fut aussi ce même mérite qui
engagea la Ville de Lyon à le choisir
en 1700. pour un de ses Echevins . Il
fut nommé quelque temps après Procureur
du Roy de la Police de la même
Ville , Charge qu'il a exercée jusqu'à sa
mort , de même que celle de Juge de
l'Archevêché et du Comté de Lyon.
Malgré les grandes et pénibles occupations
que lui procuroient ces differens
Emplois , l'amour de l'étude étoit trop
profondément enraciné dans son esprit ,
pour ne lui pas donner les intervales de
temps que pouvoient lui laisser les fréquentes
Audiances qu'il étoit obligé d'accorder
à ceux qui venoient le consulter,
C'étoit
940 MERCURE DE FRANCE
C'étoit donc cette violente , mais louable
passion pour les Lettres , qui lui fit
acquerir à grands frais cette Bibliothe
que aussi nombreuse que bien choisie
qui a toujours été ouverre à ses amis
et qui est aujourd'hui , pour ainsi dire
l'héritage de tous les Amateurs des Sciences
, par le soin qu'il a pris de la rendre
publique.
Revenons à ses Ouvrages. H publia
en 1710. son Recueil de Factums , imprimé
à Lyon , chez Anisson , en deux vomes
in 4. Il a été du nombre de ceux
qui commencerent à faire des Assemblées
Académiques , qui furent en 1725. établies
en forme d'Académie reglée par
Lettres Patentes du Roy , sous le titre
d'Académie des Sciences et des Belles-
Lettres.
En 1728. parut son Dictionnaire de
Richelet , avec des Additions d'Histoire
de Grammaire , de Critique et de Jurisprudence
, en 3. volumes in folie , imprimé
chez Duplain . On trouve à la tête
de cet Ouvrage le sentiment de M. Lancelot
sur cette nouvelle Edition du Dictionnaire
de Richelet , où ce célebre Académicien
rend à notre Auteur un témoi
gnage qui fera toujours honneur à sa
mémoire. On y voit aussi un Abregé de
la
MAY. 17337 940
la Vie des Auteurs citez dans ce Dictionnaire
, recueilli par M. Laurent le
Clerc de S. Sulpice de Lyon , connû
dans la République des Lettres par un
grand nombre d'augmentations qu'il a
données pour le Dictionnaire de Moréry,
et par plusieurs autres Ouvrages :
En 1731. se voyant dans un âge trèsavancé
, et son esprit n'ayant encore reçû
aucune atteinte par le grand nombre
d'années , il prit une résolution qui rendra
sa mémoire chere à ceux qui aiment
véritablement le bien et la gloire de leur
Patrie.
Dans l'appréhension où il étoit que
parmi les embarras d'une succession , ses
Climenes , ( c'est ainsi qu'il appelloit ses
Livres ) ne se vissent dans la dure né
cessité de la division , il prit le parti de
proposer à Mrs du Consulat , sa Biblio
theque pour la rendre publique.
Il manquoit depuis trop long- temps.
la gloire de cette seconde Ville du Royau
me , un Monument qui la rendît en quel
que sorte supérieure à une infinité d'autres
Villes , en alliant dans son sein les
Muses et le Commerce , pour qu'une proposition
si importante et si digne des
sentimens d'un parfait Cytoyen , pût être
rejettée par des personnes qui doivent
Se
942 MERCURE DE FRANCE
pu .
se montrer sur tous les autres , jaloux
d'un si beau titre. Elle fut donc reçûë
avec la joye et la reconnoissance que
méritoit un si grand attachement à la
Patrie. Mrs les Echevins , et à leur tête
M. Perrichon , que son mérite personnel
a élevé à la Place de Prévôt des Mar>
chands , et que son zele pour P'utilité
blique , rend cher aux differens Corps de
Négocians qui travaillent avec succès sous
ses auspices , assignerent à notre Auteur
2000. livres de pension pendant sa vie
et 5oo. écus de rente après sa mort à
M. Duchol son Neveu. Ils laissereng
néanmoins au premier le reste de ses
jours , la joissance de ces mêmes Livres,
qui avoient fait les délices de sa jeune se ,
et sa consolation dans un âge plus avancé.
Enfin ayant mis sa chere Bibliotheque
hors d'état d'être jamais divisée , il ne
songea plus qu'à finir en paix sa carriere
dans la retraite de son Cabinet , donnant
toutefois quelques heures de son temps à
ses amis et aux Gens de lettres qui ont
continué de lui rendre visite jusqu'à sa
mort , qui arriva le 18. Février 1733-
Si la Ville de Lyon a l'avantage de recueillir
les fruits du travail de notre célebre
Avocat , par l'utilité qu'elle retire
de ce bel établissement , elle ne pouvoit
mieux
MAY. 94% 1733.
qu'en
mieux marquer sa reconnoissance ,
choisissant , comme elle a fait , pour son
Bibliothequaire un homme versé dans l'a
connoissance des Livres , aussi distingué
dans le Barreau par la profession d'Avocat
, qu'il éxerce avec honneur , que
connu dans la République des Lettres
par les Notes curieuses qu'il a données
sur les Oeuvres de Despreaux , et en
dernier lieu sur celles de Regnier. C'est
par les sages avis et l'étroite amitié dont
il étoit lié avec M. Aubert , que la Ville
de Lyon possede un si riche et si utile
Présent , ensorte que l'on peut dire à
bon droit que cet habile Commentateur
partage la gloire d'un don si précieux
avec le Bienfaicteur même.
*
L. B. D.
* M. Claude Brosset , Avocat au Présidial de
Lyon.
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Résumé : LETTRE à M. de la R. contenant quelques particularitez sur la personne et la Vie de M. Aubert, Doyen des Avocats de Lyon.
La lettre adressée à M. de la R. corrige plusieurs informations erronées concernant la vie de Pierre Aubert, Doyen des Avocats de Lyon. Pierre Aubert est né le 9 février 1642 à Lyon et est décédé le 18 février 1733 à l'âge de 91 ans, contrairement à ce que le Mercure de France avait publié. L'auteur de la lettre rectifie également l'âge d'Aubert lorsqu'il a commencé à travailler aux augmentations du Dictionnaire de Richelet, affirmant qu'il avait 65 ans et non 90 ans. Pierre Aubert a démontré très tôt un talent pour les lettres et la poésie. À l'âge de 16 ou 17 ans, il a écrit un roman intitulé 'Le Retour de l'Isle d'Amour'. Après ses études de droit, il a exercé la profession d'avocat mais a dû abandonner en raison de sa santé fragile. Il a ensuite occupé plusieurs postes administratifs à Lyon, notamment celui de Procureur du Roi et d'Échevin. Aubert était également un érudit passionné par les lettres et les sciences. Il a publié plusieurs ouvrages, dont un Recueil de Factums en 1710 et une édition augmentée du Dictionnaire de Richelet en 1728. En 1731, il a décidé de léguer sa bibliothèque à la ville de Lyon pour en faire une bibliothèque publique. Cette proposition a été acceptée avec reconnaissance, et Aubert a reçu une pension de 2000 livres pendant sa vie et une rente de 500 écus pour son neveu après sa mort. La bibliothèque, riche et bien choisie, est devenue un héritage pour tous les amateurs des sciences. Aubert a passé ses dernières années dans la retraite, recevant des amis et des gens de lettres jusqu'à sa mort.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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102
p. 1045-1049
LA GLOIRE. ODE.
Début :
Quelle audacieuse yvresse, [...]
Mots clefs :
Gloire, Mort, Coeurs, Mémoire
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LA GLOIRE. ODE.
LA GLOIR E.
ODE.
Uelle audacieuse yvresse ,
S'empare de tous mes sens !
J'ose aux sources du Permesse ,
Porter mes pas chancelans .
C'est pour y chanter la Gloire ;
Nobles Filles de Memoire ,
Répondez à mes accords :
I. Vol. A ij Phébus
1046 MERCURE DE FRANCE
Phébus , prête- moi ta Lyre,
La Déesse qui m'inspire ,
Secondera mes transports.
Vils Esclaves de la crainte ,
Fuyez ses vives clartez :
Vos yeux , où la mort est peinte
En seroient épouvantez .
Et vous , fiers Rivaux d'Alcide ,
Qui d'une course rapide ,
La suivez dans les combats ,
Venez , Amans de Bellonne ,
En vous montrant la Couronne ,
J'affermirai votre bras.
Une ardeur noble et constante ,
Vous fait braver les dangers ,
Les Palmes qu'on vous présente ,
Rendent vos fardeaux legers ;
Hâtez- vous ; votre courage ,
Va triompher de la rage ,
De mille ennemiş jaloux.
Que la mort yous environne !
S'il n'est rien qui vous étonne ,
La mort fuira devant vous .
I. Vol.
Mais
JUIN.
1733 1047
Mais que la vertu préside ,
A vos genereux travaux ;
Sans cette fidelle guide ,
Il n'est point de vrai Héros.
Par son intrépide audace ,
En vain Alexandre efface ,
Les plus celebres Guerriers ;
Dans un festin sanguinaire ,
Il se livre à la colere ,
Et fétrit tous ses Lauriers.
Cessons d'effrayer la terre ;
Formons de plus tendres sons ;
Ce n'est pas toujours la guerre ,
Qui fait les illustres Noms.
Protecteurs de l'Innocence ,
Vous , dont la main ne dispense ,
Que graces et que
faveurs ,
Votre triomphe est paisible ;
Mais , plus vif et plus sensible ,
Il captive tous les coeurs.
Je le voy , ce Prince auguste ,
Délices de ses Sujers ;
Peuples , pour un Roy si juste ,
C'est trop peu de vos respects.
I. Vol.
Par
A iij
2048 MERCURE DE FRANCE
Par lui chez vous tout abonde ;
Ainsi qu'aux Maîtres du Monde ,
Qu'on lui dresse des Autels ,
Puisqu'avec eux il partage ,
Le glorieux avantage ,
De rendre heureux les Mortels.
旅
Sur le chemin de la Gloire ,
Qui s'ose encor avancer !
Dans le Temple de Memoire ,
C'est l'Art qui vient se placer :
Quels prodiges il enfante !
Ciel ! par une main sçavante,
L'Univers est reproduit ;
Les traits d'un si noble ouvrage ,
Conserveront d'âge en âge ,
Le Pinceau qui les conduit.
Déja le Marbre se pare ,
De l'éclat de la Beauté ;
Par un Miracle plus rare ,
Mon coeur en est agité.
Celui qui forma ses charmes
Lui-même a rendu les armes ;
Son Marbre a pû l'enflammer.
Dien d'Amour , quelle victoire !
;
* I. Vol.
Pour
JUIN. 1049 1733
Pour t'en assurer la gloire ,
Ta mere va l'animer.
Une nouvelle lumiere ,
S'offre à mes regards surpris ;
Apollon dans la carriere ,
A conduit ses Favoris .
Elle en devient plus brillante ,
Déja leur voix pénetrante ,
A ranimé tous les coeurs.
Je vois dans leurs mains fidelles ,
Les Couronnes immortelles ,
Que l'on destine aux Vainqueurs,
Du Temps , Monstre insatiable ,
Loin de redouter la faulx ,
Contre sa rage implacable,
Ils deffendent les Héros.
Qu'à mes yeux leur gloire est belle !
Un coeur qui brule pour elle ,
Peut y prétendre comme eux ;
Vain espoir où je me livre ,
Hélas ! je ne puis les suivre ,
Que par d'inutiles voeux .
M. P. de Cette , en Languedoc.
ODE.
Uelle audacieuse yvresse ,
S'empare de tous mes sens !
J'ose aux sources du Permesse ,
Porter mes pas chancelans .
C'est pour y chanter la Gloire ;
Nobles Filles de Memoire ,
Répondez à mes accords :
I. Vol. A ij Phébus
1046 MERCURE DE FRANCE
Phébus , prête- moi ta Lyre,
La Déesse qui m'inspire ,
Secondera mes transports.
Vils Esclaves de la crainte ,
Fuyez ses vives clartez :
Vos yeux , où la mort est peinte
En seroient épouvantez .
Et vous , fiers Rivaux d'Alcide ,
Qui d'une course rapide ,
La suivez dans les combats ,
Venez , Amans de Bellonne ,
En vous montrant la Couronne ,
J'affermirai votre bras.
Une ardeur noble et constante ,
Vous fait braver les dangers ,
Les Palmes qu'on vous présente ,
Rendent vos fardeaux legers ;
Hâtez- vous ; votre courage ,
Va triompher de la rage ,
De mille ennemiş jaloux.
Que la mort yous environne !
S'il n'est rien qui vous étonne ,
La mort fuira devant vous .
I. Vol.
Mais
JUIN.
1733 1047
Mais que la vertu préside ,
A vos genereux travaux ;
Sans cette fidelle guide ,
Il n'est point de vrai Héros.
Par son intrépide audace ,
En vain Alexandre efface ,
Les plus celebres Guerriers ;
Dans un festin sanguinaire ,
Il se livre à la colere ,
Et fétrit tous ses Lauriers.
Cessons d'effrayer la terre ;
Formons de plus tendres sons ;
Ce n'est pas toujours la guerre ,
Qui fait les illustres Noms.
Protecteurs de l'Innocence ,
Vous , dont la main ne dispense ,
Que graces et que
faveurs ,
Votre triomphe est paisible ;
Mais , plus vif et plus sensible ,
Il captive tous les coeurs.
Je le voy , ce Prince auguste ,
Délices de ses Sujers ;
Peuples , pour un Roy si juste ,
C'est trop peu de vos respects.
I. Vol.
Par
A iij
2048 MERCURE DE FRANCE
Par lui chez vous tout abonde ;
Ainsi qu'aux Maîtres du Monde ,
Qu'on lui dresse des Autels ,
Puisqu'avec eux il partage ,
Le glorieux avantage ,
De rendre heureux les Mortels.
旅
Sur le chemin de la Gloire ,
Qui s'ose encor avancer !
Dans le Temple de Memoire ,
C'est l'Art qui vient se placer :
Quels prodiges il enfante !
Ciel ! par une main sçavante,
L'Univers est reproduit ;
Les traits d'un si noble ouvrage ,
Conserveront d'âge en âge ,
Le Pinceau qui les conduit.
Déja le Marbre se pare ,
De l'éclat de la Beauté ;
Par un Miracle plus rare ,
Mon coeur en est agité.
Celui qui forma ses charmes
Lui-même a rendu les armes ;
Son Marbre a pû l'enflammer.
Dien d'Amour , quelle victoire !
;
* I. Vol.
Pour
JUIN. 1049 1733
Pour t'en assurer la gloire ,
Ta mere va l'animer.
Une nouvelle lumiere ,
S'offre à mes regards surpris ;
Apollon dans la carriere ,
A conduit ses Favoris .
Elle en devient plus brillante ,
Déja leur voix pénetrante ,
A ranimé tous les coeurs.
Je vois dans leurs mains fidelles ,
Les Couronnes immortelles ,
Que l'on destine aux Vainqueurs,
Du Temps , Monstre insatiable ,
Loin de redouter la faulx ,
Contre sa rage implacable,
Ils deffendent les Héros.
Qu'à mes yeux leur gloire est belle !
Un coeur qui brule pour elle ,
Peut y prétendre comme eux ;
Vain espoir où je me livre ,
Hélas ! je ne puis les suivre ,
Que par d'inutiles voeux .
M. P. de Cette , en Languedoc.
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Résumé : LA GLOIRE. ODE.
Le texte est une ode à la Gloire, où le poète exprime son audace et son désir de chanter les exploits glorieux. Il invoque Phébus pour obtenir sa lyre et la déesse qui l'inspire. Le poème distingue entre les esclaves de la crainte, qui doivent fuir la lumière de la déesse, et les courageux guerriers, amants de Bellonne, encouragés à braver les dangers pour obtenir la couronne de la victoire. La vertu est présentée comme essentielle pour être un véritable héros. Le poète critique Alexandre pour sa colère et ses excès, et appelle à former des sons plus tendres, soulignant que la guerre n'est pas la seule voie vers la gloire. Le texte loue les protecteurs de l'innocence et leur triomphe paisible, et célèbre un prince auguste qui rend ses sujets heureux. Le poète admire également l'art et ses prodiges, notant comment il reproduit l'univers et captive les cœurs. Il conclut en exprimant son admiration pour les héros qui défendent leur gloire contre le Temps et en regrettant de ne pouvoir les suivre que par des vœux inutiles.
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103
p. 1342-1348
DIVERTISSEMENT Executé par l'Academie de Musique de Dijon.
Début :
SUJET. La Poësie et la Musique s'unissent pour contribuer au plaisir de la [...]
Mots clefs :
Musique, Choeur de musiciens, Poésie, Mortels, Désirs, Gloire, Plaisirs, Amours, Fille de mémoire, Concert, Académie de musique de Dijon
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texteReconnaissance textuelle : DIVERTISSEMENT Executé par l'Academie de Musique de Dijon.
DIVERTISSEMENT
•
2
Executé
par
l'Academie de Musique
de Dijon.
SUJET. La Poësie et la Musique s'unissent
pour contribuer au plaisir de la:
Compagnie brillante et délicate , qui
assiste au Concert..
PERSONNAGES.
La Poësie :
La Musique..
Q
Choeur de Poëtes..
Choeur de Musiciens..
La Scene est à Dijon , dans la Sale
ordinaire du Concert..
LA POESIE.
Ue vois -je ? ou venez - vous de conduire
mes pas ?
Les Graces et les Ris' , les Amours et leur Mere :
Ont-ils abandonné Cythere ,
Pour fixer leur séjour dans ces lieux pleins d'ap
pas ?
La Musique.
Ma Soeur , cet agréable Azyle ,.
* Offre à vos yeux surpris , l'Elite d'une Ville ,
II. Vol. Off
JUIN.
1343 1733 .
Où l'on se plaît d'entendre et vos Vers et mes
Chants ,
Et dans ces lieux où je préside ,
Je voudrois signaler le zéle qui me guide ,
Par les accords les plus touchans .
Digne Fille de Mémoire ,
Secondez tous mes désirs ;
Ces Mortels assemblez , ont soin de notre gloire
;
Prenous soin de leurs plaisirs.
Choeur de Musiciens.
Digne Fille de Mémoire ,
Secondez tous nos désirs ;
Ces Mortels assemblez , ont soin de notre
glaire ;
Prenons soin de leurs plaisirs.
Que nos voix se confondent ,
Pour mieux ravir les sens ;
Que les Echos répondent
A nos tendres accens !
Digne Fille de mémoire ,
Secondez tous nos désirs ;
2
Ces Mortels assemblez , ont soin de notre gloi
re ,
Prenons soin de leurs plaisirs..
II. Vol. La
1344 MERCURE DE FRANCE
La Poësie .
Ne doutez point , ma Soeur , que ma reconnoissance
,
Ne réponde bien- tôt à votre impatience.
Déja pour vous servir( 1 ) , et pour vous conten
ter (2) ,
Je sens s'échauffer mon génie ;
y Et quand votre douce harmonie
Sur mes Vers pourroit l'emporter ,
Je vous surmonterai par l'ardeur infinie ,.
Qui va me faire tout tenter.
Quelle gloire charmante ,
D'entendre en ces beaux lieux ,
applaudir à mes
Vers !
Quelle gloire charmante
D'attirer par vos Airs ,
De Mortels délicats , une Troupe brillante !
L'Epoux d'Eurydice autrefois ,
Etoit moins glorieux sur les Monts de la Thrace
,
7
Quand des sons de sa Lyre , accompagnant sa
voix ,
Il voïoit accourir , pour plaindre sa disgrace ,
Les Ours , les Rochers et les Bois.
I A la Musique.
2 Au Choeur de Musiciens.
II. Vol. La
JUIN.
1345
1733 .
La Poësie et la Musique..
Quelle gloire charmante ,
D'entendre en ces beaux lieux
applaudir à
mes
Evos
Vers!
Quelle gloire charmante ,
D'attirer par
VOS
Airs ,
mes
De Mortels délicats , une Troupe brillante !
La Musique.
Eh bien , ma Soeur , sans différer ,
Sur les plus beaux sujets il faut nous préparer.
Accourez , Enfans de Cythere ,
Volez tous à notre secours ;
On se propose en vain de plaire ,
Sans les Graces et les Amours.
Que par leurs Chansons ravissantes ,
Nos plus fideles Nourrissons ,
Des Amphions et des Canentes
Fassent revivre icy les sons !
Accourez , Enfans de Cythere ,
Volez tous à notre secours ;
On se propose en vain de plaire ;
Sans les Graces et les Amours.
II. Vol. Choeur
1346 MERCURE DE FRANCE
Choeur de Musiciens.
Accourez , & c.
La Musique. I
vous , à qui Louis a commis sa puissance
O vous , qui de Thémis gouvernez la balance
;
Vous , Amis des neuf Soeurs ; Belles , dont le
pouvoir
Aux mortels fait tout entreprendre ;
Flatez notre plus doux espoir ,
En daignant dans ces lieux vous rendre
La Poësie et la Musique.
Par les soins que nous allons prendre ,
Yos sens seront séduits , il vous semblera voir
Ce que nous vous ferons entendre.
La Poësie.
Le Cor animera les diligens Chasseurs.
Guerriers , les bruïantes Trompettes ,
Scauront de Bellone en vos coeurs
Réveiller toutes les fureurs.
2
*
La Muslque s'addresse tour à tour à M. le
Comte de Tavanes , Brigadier des Armées du Roy
et son premier Lieutenant General en Bourgogne ;
aux Magistrats , aux beaux Esprits et aux Dames
qui assistent au Concert.
II. Vol.
Tirsis
JUIN. 1733.
1347
Tirsis et Corydon sur leurs tendres Musettes ,
De la tranquillité chanteront les douceurs.
Au Vice , pour livrer la guerre ,
Neptune agitera les Mers ;
Pluton ébranlera la Terre ;
Les Vents mugiront dans les Airs
Et , précédé par les éclairs ,
Du Ciel avec éclat , tombera le Tonnerre,
Le paisible Buyeur , orné de Pampres verts ,
Ventera le pouvoir de cet Enfant aimable ,
Que Sémele eut du Dieu qui régit l'Univers.
Les Ménades aux sons de sa voix agréable ,
Applaudiront , le Thyrse en main
Et le Satyre et le Sylvain ,
Danseront avec lui , pleins du jus délectable ,
Qui des plus malheureux adoucit le chagrin.
Ne pense pas que je t'oublie ,
Fils de Venus , auteur des plaisirs de la vie,
Ces Belles , qu'avec tant d'atours ,
De toutes parts je vois paroître ,
Des Coeurs ont sçu te rendre maître ;
Ma Lyre sous mes doigts résonneroit toujours,
Si je chantois tous les amours ,
Que leurs divins attraits font naître,
11. Vol. Choeur
1348 MERCURE DE FRANCE
Choeur de Poëtes et de Musiciens .
Chantons , livrons nos coeurs aux plus char
mans transports ,
Fuyez , fuyez , ennuyeuse Tristesse ;
Ne troublez jamais nos accords.
Fuyez , fuyez , ennuyeuse Tristesse ;
Que tout , au gré de nos désirs ,
Respire icy sans cesse ,
La joïe et les plaisirs !
Par M. CocQUART , Avocat al
Parlement de Dijon.
•
2
Executé
par
l'Academie de Musique
de Dijon.
SUJET. La Poësie et la Musique s'unissent
pour contribuer au plaisir de la:
Compagnie brillante et délicate , qui
assiste au Concert..
PERSONNAGES.
La Poësie :
La Musique..
Q
Choeur de Poëtes..
Choeur de Musiciens..
La Scene est à Dijon , dans la Sale
ordinaire du Concert..
LA POESIE.
Ue vois -je ? ou venez - vous de conduire
mes pas ?
Les Graces et les Ris' , les Amours et leur Mere :
Ont-ils abandonné Cythere ,
Pour fixer leur séjour dans ces lieux pleins d'ap
pas ?
La Musique.
Ma Soeur , cet agréable Azyle ,.
* Offre à vos yeux surpris , l'Elite d'une Ville ,
II. Vol. Off
JUIN.
1343 1733 .
Où l'on se plaît d'entendre et vos Vers et mes
Chants ,
Et dans ces lieux où je préside ,
Je voudrois signaler le zéle qui me guide ,
Par les accords les plus touchans .
Digne Fille de Mémoire ,
Secondez tous mes désirs ;
Ces Mortels assemblez , ont soin de notre gloire
;
Prenous soin de leurs plaisirs.
Choeur de Musiciens.
Digne Fille de Mémoire ,
Secondez tous nos désirs ;
Ces Mortels assemblez , ont soin de notre
glaire ;
Prenons soin de leurs plaisirs.
Que nos voix se confondent ,
Pour mieux ravir les sens ;
Que les Echos répondent
A nos tendres accens !
Digne Fille de mémoire ,
Secondez tous nos désirs ;
2
Ces Mortels assemblez , ont soin de notre gloi
re ,
Prenons soin de leurs plaisirs..
II. Vol. La
1344 MERCURE DE FRANCE
La Poësie .
Ne doutez point , ma Soeur , que ma reconnoissance
,
Ne réponde bien- tôt à votre impatience.
Déja pour vous servir( 1 ) , et pour vous conten
ter (2) ,
Je sens s'échauffer mon génie ;
y Et quand votre douce harmonie
Sur mes Vers pourroit l'emporter ,
Je vous surmonterai par l'ardeur infinie ,.
Qui va me faire tout tenter.
Quelle gloire charmante ,
D'entendre en ces beaux lieux ,
applaudir à mes
Vers !
Quelle gloire charmante
D'attirer par vos Airs ,
De Mortels délicats , une Troupe brillante !
L'Epoux d'Eurydice autrefois ,
Etoit moins glorieux sur les Monts de la Thrace
,
7
Quand des sons de sa Lyre , accompagnant sa
voix ,
Il voïoit accourir , pour plaindre sa disgrace ,
Les Ours , les Rochers et les Bois.
I A la Musique.
2 Au Choeur de Musiciens.
II. Vol. La
JUIN.
1345
1733 .
La Poësie et la Musique..
Quelle gloire charmante ,
D'entendre en ces beaux lieux
applaudir à
mes
Evos
Vers!
Quelle gloire charmante ,
D'attirer par
VOS
Airs ,
mes
De Mortels délicats , une Troupe brillante !
La Musique.
Eh bien , ma Soeur , sans différer ,
Sur les plus beaux sujets il faut nous préparer.
Accourez , Enfans de Cythere ,
Volez tous à notre secours ;
On se propose en vain de plaire ,
Sans les Graces et les Amours.
Que par leurs Chansons ravissantes ,
Nos plus fideles Nourrissons ,
Des Amphions et des Canentes
Fassent revivre icy les sons !
Accourez , Enfans de Cythere ,
Volez tous à notre secours ;
On se propose en vain de plaire ;
Sans les Graces et les Amours.
II. Vol. Choeur
1346 MERCURE DE FRANCE
Choeur de Musiciens.
Accourez , & c.
La Musique. I
vous , à qui Louis a commis sa puissance
O vous , qui de Thémis gouvernez la balance
;
Vous , Amis des neuf Soeurs ; Belles , dont le
pouvoir
Aux mortels fait tout entreprendre ;
Flatez notre plus doux espoir ,
En daignant dans ces lieux vous rendre
La Poësie et la Musique.
Par les soins que nous allons prendre ,
Yos sens seront séduits , il vous semblera voir
Ce que nous vous ferons entendre.
La Poësie.
Le Cor animera les diligens Chasseurs.
Guerriers , les bruïantes Trompettes ,
Scauront de Bellone en vos coeurs
Réveiller toutes les fureurs.
2
*
La Muslque s'addresse tour à tour à M. le
Comte de Tavanes , Brigadier des Armées du Roy
et son premier Lieutenant General en Bourgogne ;
aux Magistrats , aux beaux Esprits et aux Dames
qui assistent au Concert.
II. Vol.
Tirsis
JUIN. 1733.
1347
Tirsis et Corydon sur leurs tendres Musettes ,
De la tranquillité chanteront les douceurs.
Au Vice , pour livrer la guerre ,
Neptune agitera les Mers ;
Pluton ébranlera la Terre ;
Les Vents mugiront dans les Airs
Et , précédé par les éclairs ,
Du Ciel avec éclat , tombera le Tonnerre,
Le paisible Buyeur , orné de Pampres verts ,
Ventera le pouvoir de cet Enfant aimable ,
Que Sémele eut du Dieu qui régit l'Univers.
Les Ménades aux sons de sa voix agréable ,
Applaudiront , le Thyrse en main
Et le Satyre et le Sylvain ,
Danseront avec lui , pleins du jus délectable ,
Qui des plus malheureux adoucit le chagrin.
Ne pense pas que je t'oublie ,
Fils de Venus , auteur des plaisirs de la vie,
Ces Belles , qu'avec tant d'atours ,
De toutes parts je vois paroître ,
Des Coeurs ont sçu te rendre maître ;
Ma Lyre sous mes doigts résonneroit toujours,
Si je chantois tous les amours ,
Que leurs divins attraits font naître,
11. Vol. Choeur
1348 MERCURE DE FRANCE
Choeur de Poëtes et de Musiciens .
Chantons , livrons nos coeurs aux plus char
mans transports ,
Fuyez , fuyez , ennuyeuse Tristesse ;
Ne troublez jamais nos accords.
Fuyez , fuyez , ennuyeuse Tristesse ;
Que tout , au gré de nos désirs ,
Respire icy sans cesse ,
La joïe et les plaisirs !
Par M. CocQUART , Avocat al
Parlement de Dijon.
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Résumé : DIVERTISSEMENT Executé par l'Academie de Musique de Dijon.
Le texte relate une représentation organisée par l'Académie de Musique de Dijon, où la Poésie et la Musique se réunissent pour le divertissement d'une assemblée raffinée. L'événement se tient dans la salle habituelle des concerts de Dijon. La Poésie et la Musique dialoguent, exprimant leur souhait de contribuer au plaisir des spectateurs. La Poésie admire la beauté de la ville et l'harmonie entre les vers et les chants. Les chœurs de poètes et de musiciens soulignent l'importance de ravir les sens et de prendre soin de la gloire et des plaisirs des mortels. La Poésie et la Musique invoquent les Grâces, les Rires, les Amours et leur mère pour les assister. La Musique s'adresse ensuite à divers personnages présents, incluant M. le Comte de Tavanes, les magistrats, les beaux esprits et les dames. La représentation inclut des scènes animées par divers instruments comme le cor, les trompettes et les musettes, ainsi que des divinités telles que Neptune, Pluton et Jupiter. Ces scènes illustrent divers thèmes comme la chasse, la guerre, la tranquillité et les plaisirs. Le chœur final invite à chanter et à fuir la tristesse, célébrant la joie et les plaisirs. Le texte est signé par M. Cocquart, avocat au Parlement de Dijon.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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104
p. 1376-1392
Anecdotes de la Cour de Philippe Auguste, [titre d'après la table]
Début :
Il vient de paroître un nouvel Ouvrage, en 3 vol. in 12. que nous avons [...]
Mots clefs :
Roger, Philippe Auguste, Cour, Roi, Anecdotes, Raoul, Amour, Roman, Coucy, Gloire, Coeur, Père, Alix de Rosoit, Champagne, Adélaïde, Nature, Sentiments
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Anecdotes de la Cour de Philippe Auguste, [titre d'après la table]
L vient de paroître un nouvel Ouvrage
, en 3 vol. in 12, que nous avons
déja annoncé sous ce Titre : Anecdotes de
la Cour de Philippe - Auguste. Il se vend
à Paris , chez la veuve Pissot , au bout du
Pont-NeufQuai de Conti , à la Croix d'or.
Le prix est de 6 liv . broché.
Dans le temps que nous nous dispo-
II. Vol. sions
JUI N. 1733 .
1377
sions à donner un Extrait de cet Ouvrage
, nous avons reçû d'un Anonyme ,
celui que nous inserons icy .
Si l'accueil favorable que l'on fait à un
Ouvrage dès qu'il paroît , si le débit le
plus rapide étoient les Titres assurés de
son mérite , il seroit tres- inutile de parler
des Anecdotes de la Cour de Philippe-
Auguste; ce Livre joüit pleinement dès sa
naissance de ce double avantage.
Mais il arrive assez souvent que la
nouveauté éblouisse , sur tout dans un
genre d'écrire inconnu , et original ;
et que la curiosité , honteuse en quelque
façon , d'avoir d'abord été seduite
pour s'être trop livrée , se refroidisse
bien- tôt , si même elle ne dégenere
ou en mépris , ou en satire.
Icy , les applaudissemens universels de
la Cour , de la Ville , des Gens de Let
tres , des Judicieux Critiques , se son
réunis en faveur de ce dernier Ouvrage
de Mademoiselle de Lussan; et cette voix
ou plutôt cette clameur unanime con
tient les Personnes même de mauvaise
humeur , qui font toujours les difficiles ,
et qui peut- être ne soutiennent l'idée
qu'elles veulent donner de leur discer
nement et de leur bon goût , qu'en refusant
aux meilleures choses , d'un ton
11. Vol.
Fija sé1378
MERCURE DE FRANCE
severe, ou qu'en leur disputant, au moins
avec un scrupule affecté , les justes et
sinceres éloges , dont elles sont veritablement
dignes.
C'est beaucoup hazarder que d'oser
faire la planche d'un nouveau genre d'écrire
!L'autheur s'est ouvert des routes
peu connues , en liant à un fond d'Histoire
bien choisi , et tres convenable
des Episodes , qui sans sortir du vrai ton
historique , servent à rendre son sujet ét
plus interressant et plus instructif. Le
vrai et le vrai semblable se perdent dans
un mélange imperceptible ; et à la faveur
de cette liberté du Théatre Tragique ,
l'Autheur retranche d'un côté les longueurs
, les froideurs , les mauvais exemples
qui tiennent souvent à une histoire
exacte ; et de l'autre , il se ménage mille
beautez amenées , avec un art infini ,bien
jointes , par tout soutenuës ; elles naissent
les unes des autres , sans qu'on apperçoive
la chaîne ; et cela , par l'attention
qu'a euë l'Autheur de jetter à propos
les fonds éloignez des évenemens que
l'on voit se développer et éclore avec un
ordre admirable , et chacuns dans leurs
places naturelles. Aussi peut on dire
que la structure du corps de l'Ouvrage
est parfaite en son genre ; qu'elle ne pou-
-
II. Vol. voit
JUIN. 1379 1733.
voit être mieux proportionnée au dessein
, et qu'elle passera toujours pour un
modele.
Le sujet est pris dans les premieres années
du Regne de Philippe - Auguste ,
aussi surnommé le Conquerant. L'on sçait
ce que la France a dû à ce Monarque ; il
monta sur le Thrône à quinze ans , et dèslors
il entra avec tant de maturité dans
le Gouvernement , que les Historiens disent
de lui : Qu'il ne fut jamais jeune , et
que la sagesse l'avoit fait aller audevant
de Pexperience.
Les Grands Rois font les grands Hommes.
La Cour de Philippe en fut une
preuve : C'est dans les secrets et dans les
Evenemens de cette Cour si distinguée ,
que l'Autheur entre pour en faire connoître
la délicatesse et l'élevation . L'on
y voit des Héros qui ont réelement existé
; on les voit partagez entre la Gloire et
l'Amour ; mais dans le vrai, sans que rien
se ressente ni du Roman , ni de ses avantures.
Comme les interêts sont et multipliez
et variez , et relatifs tout ensemble
, le Titre d'Anecdoctes d'une Cour , où
l'Autheur puise ses sujets pour en former
un tout semble un Titre tiré du
fond même de ce qu'il traite. Il est bien
vrai que les plus grands jours viennent
>
II. Vol. Fiij fcap1380
MERCURE DE FRANCE
frapper Roger de Champagne , Comte
de Réthel , mais il s'en faut bien qu'il ne
les absorbe tous ; ils sont distribuez sur
beaucoup d'illustres sujets qui composoient
la Cour de Philippe : On les y voit
placez à des points de vûë tres- interessans
; et ils y représentent , avec un éclat
marqué , sur tout Raoul , Sire de Couci ,
marche de pair , d'un bout à l'autre avec
Roger de Champagne ; l'addresse de
l'Auteur à unir ces deux jeunes Héros par
les liens d'une amitié de l'ordre de celles
que les Anciens ont consacrées , et par
les prochains rapports des inclinations
propres des grands Hommes, fait paroître
Roger et Raoul comme ne faisant ensemble
qu'un coeur ,qu'une ame et qu'une
même vertu. Aussi sont - ils toujours
peints des mêmes couleurs , sans être
confondus ; et si Roger a quelques nuances
de plus , ce plus est presque insensible.
Alberic du Mez , Maréchal de France,
fils de Robert Clement , Gouverneur du
Roy et premier Ministre , le Comte des
Barres , connu sous le nom de Rochefort,
Grand Sénéchal , suivent de près les deux
premiers ; ils courent en tout genre les
mêmes Carrieres , et l'Autheur entrelasse
tellement tous leurs interêts , que
11. Vol. le
JUIN. 1733. 1381
le Lecteur toujours en attente , est sans
cesse dans l'impatience de voir les Eve
nemens qu'il ne peut deviner , mais qui
l'étonnent et le satisfont enfin par tout.
Si l'on voit en Hommes ce que la
Cour de Philippe avoit de plus considerable
, l'on y voit en Femmes ce qu'elle
avoit de plus distingué ; et ce qu'on vit
peut-être jamais de plus surprenant . Alix
de Rosoi , sa mere , la Comtesse de Rosoi
, Adelaide de Couci , fille d'Enguerrand
, surnommé le Grand , et soeur de
Raoul , Sire de Couci , Mademoiselle du
Mez , fille de Robert Clement , soeur
d'Alberic du Mez , tous deux Maréchaux
de France , dans un temps où cette Dignité
étoit unique ; toutes ces Personnes,
dont la beauté faisoit le moindre ornement,
jettent dans l'Ouvrage un inte
rêt infini:Elles étoient les premiers Partis
du Royaume , et les noeuds des plus belles
Alliances , où l'on pouvoit aspirer ;
mais les coeurs ne se commandent pas , et
leurs penchants ou leurs répugnances ,
que l'Autheur connoît à fond et sçait
manier d'une main de maître , lui ouvrent
un champ où il épuise les douceurs
, et les maux , les esperances et les
desespoirs de l'amour , sans avoir jamais à
rougird'en avoir flatté ses foiblesses.Quels
II. Vol.
Fiiij mor1382
MERCURE DE FRANCE
morceaux , quelles situations , quels coups
de Theatre ne pourroit- on pas rapporter,
si l'Analise de cet Ouvrage précis, et par
tout d'une chaleur égale , étoit possible !
mais il faut taire tout , ou tout rapporter
; ou plutôt il faut tout lire : Bien des
personnes relisent plus d'une fois , et se
rendent propre cet Ouvrage , après ne
Pavoir qu'emprunté pour l'essaier .
que
Tout le monde publie qu'on ne peut
mieux peindre les actions , elles sont dans
le naturel , et l'on diroit l'Autheur
en écrivant , coppie sur la nature même .
L'on vante sur tout ses carracteres , leur
variété , leur opposition , leur vérité , et
plus que tout le reste , leur consistance ;
ils ne se démentent pas . Qui a jamais
ressemblé à l'indomptable Enguerrand de
Couci , pere de Raoul , et d'Adelaide ?
L'on voit dans lui un vieux Seigneur
plein d'une ancienne probité , qui le rend
infléxible dans ses devoirs , immuable
dans sa parole , absolu dans sa famille
et incapable de pardonner une faute ; on
le craint , on l'estime , on le respecte , on
l'aime peut-être. Thibault de Champagne
, pere de Roger , ne ressemble ‘ en
rien à Enguerrand , et il est aussi Seigneur
, aussi droit , aussi maître , aussi
pere que lui ; on l'adore , mais par de
›
II. Vol. difJUIN.
1733. 1384
1
différens principes. Henry , oncle de Ro
ger , son Maître et son premier Conducteur
à la Guerre , placé vis - à - vis d'Enguerrand
, paroît son contraste , et l'Autheur
fait douter lequel l'emporte pour
le fond du mérite et de la vertu . Peut on
omettre le Portrait que le Vicomte de
Melun, Ambassadeur auprès de Fréderic,
fait à cet Empereur , du Maréchal du
Mez , Gouverneur de Philippe ? C'est l'éloge
du Vicomte d'avoir été l'ami du-
Maréchal ; mais que celui du Maréchal
est bien placé dans la bouche d'un homme
vertueux , qui l'avoit connu et péné
tré ! Le recit que fait le Vicomte de Melun
, et du caractere , et des maximes du
Maréchal , est l'abrégé le plus parfait des
grandes qualitez , comme des
sages Leçons
d'un vrai Gouverneur de Roy. Il
n'en faut pas davantage pour faire et un
grand Homme d'Etat , et un grand Monarque.
On comprend à peine comment
Autheur a pû resserrer ainsi toute l'éducation
Royale , et active et passive ;
mais Philippe a bien justifié que les impressions
qu'il avoit reçuës du Maréchal ,
toutes contenues dans ce petit Tableau
suffisoient pour rendre complette et la
gloire d'une telle instruction , et la gloire
d'une telle éducation ,
"
II. Vol. La Fy
384 MERCURE DE FRANCE
pre-
La même diversité de caracteres conserve
une égale beauté dans les Femmes.
Alix de Rosoi , et Adelaide de Couci
sont ce que leur sexe a de plus rare , de
plus accompli , de plus charmant ; la
miere plonge , par sa mort , Roger de
Champagne , dans le dernier excès de
douleurs ; eh ! comment n'y succombet-
il pas ? Quelques années après , la seconde
le captive au même point; elles ont
été toutes deux les seules qui ont successivement
trouvé la route de son coeur
elles y ont toutes deux regné souverainement
toutes deux , également vertueuses
, forment deux caracteres diamétralement
opposez . La Comtesse de
Rosoi , mere d'Alix , devenuë rivale de
sa fille , donne un spectacle étonnant.
L'on apperçoit dans elle le fond d'un riche
caractere , mais l'on ne s'attend pas
jusques à quel point son injuste passion
va le développer ou plutôt le défigurer !
Elle ne pousse pas le crime si loin qu'une
Phédre , mais elle la passe en addresse ,
en détours , en embuches , pour parvenir
à ses fins ; à quelles indignitez ne
descend- t- elle pas pour écarter à jamais
sa fille de Roger , et pour le raprocher
d'elle ? Après tant d'efforts , elle échouë ;
ses regrets , son desespoir , creusent son
II. Vol.
TomJUIN.
17336 1385
-
Tombeau ; elle meurt. Par quel art l'Au
theur fait il encore pleurer une mort
de cette nature ? C'est l'effet d'un repens
tir que l'on a rendu aussi touchant qu'il
est , et bien imaginé , et bien placé. Madame
de Rosoi expie , en mourant , les
cruels artifices du délire de son amour
et elle meurt vertueuse , parce qu'elle
meurt repentante ; sa vertu rachettée à
ce prix , ne la laissant plus voir que fort
à plaindre , elle emporte la compassion ,
qui efface tout autre sentiment.
و
Au milieu des agitations que l'amour
excite dans cette Cour aimable, Philippe
toujours égal à lui- même , toujours maî
tre des mouvemens de son coeur et de
son esprit , est attentif ou à parer les funestes
effets de cette dangereuse passion ,
ou à maintenir avec dignité le bon ordre,
en se prêtant aux grandes alliances qui
l'interessent, ou comme un Roy , ou comme
un Pere , ou même comme un ami
reconnoissant. Il sçait tout , mais il ne
paroît sçavoir que ce que son rang et sa
vertu lui permettent de regler par luimême.
Tel est le principe de ses bontez
pour Roger de Champagne , pour Adċlaide
de Couci , dont le mérite, la sages
se et la fermeté le touchent , pour Albe
ric du Mez , pour sa soeur, tous deux en
AI. Vol
Fvi fans
1386 MERCURE DE FRANCE
fans d'un Gouverneur , dont le souvenír
lui est si précieux ; il entre dans les établissemens
convenables , ausquels leurs
penchants semblent les disposer. Mais il
paroît toujours et par tout ignorer les
sentimens réciproques de Raoul de Couci
, et de Madame de Fajel , qu'un devoir
austere ne sçauroit approuver.
Ces attentions domestiques de Philip
pe , ne lui font rien perdre de celles qu'il
doit au bien de l'Etat et à sa gloire. Il esɛ
présent par d'autres lui - même, au Camp
que Hugues , Duc de Bourgogne , a assemblé
sous les Murs de Dijon ; il pénétre
ses projets au travers de cette Fête
Militaire , d'une simple ostentation exterieure
; il mesure ses forces. Si la Guerre
l'appelle , alors ceux que l'amour avoit
occuppez dans la Paix , n'écoutent plus
que la gloire. Philippe marche à leur
tête, tantôt contre le Comte de Flandres,
son oncle, son parrain et son tuteur,dont
il humilie l'orgueil , il réprime l'abus
qu'il avoit fait de toute sa confiance s
tantôt en Berri, contre Henry , Roy d'Angleterre
, et Richard , son fils ; il les divise,
il en triomphe; tantôt dans le Maine
et la Touraine , contre les mêmes Ennemis.
Si Philippe donne par hazard dans
une Ambuscade dangereuse , l'on trouve
II. Vela dans
JUIN. 1733. 1387
D
dans ce Roy un Soldat qui paye de sa
personne , et qui au péril de sa vie , seconde
le grand Senechal , à qui il venoit
de la devoir. S'il passe en Palestine , on le
voit le premier à l'assaut de la Ville d'Acre
, et il se signale sur ses Ramparts
comme le Vainqueur de Tyr , sar ceux
de cette Place de résistance. Enfin , l'Autheur
represente par tout Philippe , justifiant
des ses commencemens , les grandes
esperances qu'il remplit, en se rendant
de plus en plus digne des surnoms d'Auguste
et de Conquerant , qu'il sçut roujours
soutenir et au dedans , et au dehors.
Roger le suit de près ; c'est un de ceux
dont la prudence , et la valeur fondent
la confiance du Roy dans ses grands
projets. L'on voit Roger sous Henry de
Champagne , son oncle , faire l'apprentissage
de la guerre aux dépens du Com
te de Flandre. Quel maître , et quel disciple
! il conduit , et jette lui - même des
Troupes dans une Ville assiégée par le
Comte ; action inutilement tentée par
ses égaux. Il suit le Roy dans les guerres
du Berri er du Maine ; il se distingue par
tout , et peu s'en faut qu'il ne paye de sa
vie la gloire dont il se couvre à la prise
de Tours , où il est dangereusement bles-
II. Vol.
sé.
7388 MERCURE DE FRANCE
sé. Il passe avec Philippe en Palestine ;
lai et Raoul couvrent de leurs corps la
personne du Roy sur les murs de la Vild'Acre
, et si dans un péril commun
Raoul reçoit le coup mortel , qu'un Sarazin
portoit au Roy, Roger y étoit aussi
exposé que Raoul , et le hazard seul en
décide ; mais la séparation de ces deux
amis est le plus parfait triomphe de l'amitié;
qu'elle est touchante! Rien n'est au
dessus que les sentimens de Raoul, et l'étrange
présent dont il couronne son amour
pour l'infortunée Madame de Fajel.
Aucun Capitaine ne fait ombrage à
Roger du côté de la gloire des Armes ;
mais il est des personnes qui du côté de
l'amour ne lui trouvent pas assés de délicatesse
ces personnes d'un entêtement
chimerique en faveur des avantures romanesques
, voudroient voir Roger éteindre
de son sang la belle flame qu'Alix de
Rosoi avoit si bien allumée dans son coeur ;
elles ne peuvent voir mourir Alix et Ro
ger vivre encore ; elles ne lui pardonnent
pas son passage à un autre objet , quelque
charmant qu'il puisse être;mais l'Autheur
, dont les idées sont bien éloignées.
de tout ce qui ressent le Roman , n'écou
te et ne suit que les Loix de la nature.
Roger livré à toute l'horreur de sa perte
11. Vol. dans
JUIN. 1733. 1389
dans Alix, n'a plus rien qui l'attache à la
vie. Mais un Pere ; et quel Pere encore !
Un Pere dont il fait l'unique esperance ,
le conjure de vivre pour lui. Roger qui
ne peut ni vivre ni mourir , porte par
tout le trait dont il a été blessé ; et insuportable
à lui-même , il quitte à l'insçû
de tout le monde sa Patrie , alors trop pacifique,
pour aller chercher dans des Terres
Étrangeres des périls qui ne l'épargneront
pas. Il passe en inconnu , et sous
un nom emprunté , au service de Frédéric
, alors en guerre avec tous ses voisins;
mais les périls qu'il cherche ne sont pour
lui qu'une source de gloire . Sa valeur et
sa prudence se font jour , et font soupçonner
dans lui une naissance plus relevéc
que celle qu'il se donne ; il est découvert
, son Roy le reclame , son Pere
l'appelle ; Roger revient , et malgré la
dissipation d'un service tres agité pendant
plus de deux ans , Alix n'est pas effacée
de son coeur. Il semble que l'amour
veuille la lui rendre dans Adelaide de
Couci , dont les traits , la taille et le port
majestueux lui représentent en tout sa
chere Alix : Il s'y accoutume d'abord ,
sous le prétexte de cette parfaite ressemblance
; des difficultez insurmontables et
-pressantes viennent encore irriter l'amour
JI. Vol.
nais1390
MERCURE DE FRANCE
naissant de Roger ; il aime enfin , et il est
aimé. Que la folie du Roman condamne,
puisqu'il lui plaît, une telle conduite , li
sagesse de la nature l'approuvera toujours
et l'expérience de tous les hommes , de
tous les temps la justifiera , elle est dans
l'ordre du coeur humain .
Cet Ouvrage honore infiniment son
Autheur , et poussé au dégré de perfec
tion où on le voit , il doit l'honorer doublement
en faveur de son sexe. Que Madamoiselle
de Lussan rende , comme elle
a fait dans la vie de Madame de Gondés ,
la fidelle image du commerce des honnê
tes gens d'aujourd'hui , et cela sur le ton
de la bonne compagnie , c'est ce qu'on
pouvoit attendre de son esprit et d'un
long usage du monde. Que pour diver
tir són imagination avant que de divertir
celle des autres , elle lui ait donné
carriere dans ses Veillées de Thessalie, pour
instruire les jeunes personnes en les amu
sant ; c'est un utile et élégant badinage ,
digne d'occuper ses loisirs ; mais un Ŏuvrage
de la force de celui dont il s'agit
icy , monté sur le vrai ton héroïque , et
sur celui de la Cour , soutenu par un langage
digne de la noblesse des sentimens
qui y regne , il faut dans elle un grand
courage pour l'avoir entrepris , il faut
11. Vol.
qu'el
JUIN. 1733 . 1391
qu'elle soit bien supérieure à son sexe
pour l'avoir conduit et exécuté comme
elle l'a fait. De se former un systême nouveau
où l'Histoire, le Dramme, l'Epopée
se marient ensemble, et font un tout à la
faveur d'un langage propre de ces trois
genres. Langage vrai , tendre , disert¸
vigoureux, militaire , s'il le faut , et toujours
proportionné à l'objet present , c'est
quelque chose de tres - singulier. Le stile
en est élevé sans emphase , choisi sans recherche
et sans avoir rien de précieux ;
il plaira toujours tandis que bien d'au
tres Ecrits où l'on court après l'esprit ,
qu'on veut captiver dans des mots imaginez
pour lui , passeront peut- être .Quoique
l'Ouvrage soit plein d'esprit , il se
trouve tellement mêlé avec le sentiment,
qu'on croiroit qu'il n'a sa source que dans
le coeur. Les Dialogues y sont licz , leurs
passages si doux , si mesurez à la hauteur
de ceux qui parlent, que l'on diroit qu'ils
n'ont rien coûté à l'autheurs et que la
simple nature en a fait sans effort et sans
étude tous les frais , sur tout dans les endroits
qui tirent à conséquence , et qui
semblent décisifs : en vérité l'on voit des
Scenes dignes du grand Théatre , elles
sont si vivement écrites et renduës avec
tant de dignité et d'énergie , que la lettre
II. Vol. sup1392
MERCURE DE FRANCE
supplé à la représentation, et que le Lecteur
conçoit tout ce qui frapperoit un
Spectateur. Ceux qui ont crû que la Tragédie
en p ose pourroit avoir autant d'effet
qu'en Vers , trouveront dans les bel
les e frequentes Scenes de cet Ouvrage
qui semblent toutes appeller la Poësie ,
des raisons pour appuyer leurs sentimens.
Ainsi les Historiens , les Poetes , et Dramatiques
et Epiques , pourront y trouver
leur compte ; mais l'avantage général
qu'en peuvent tirer les Lecteurs de tout
Sexe et de tous Etats , capable de bien lire
et de bien entendre , regarde et l'esprit ,
et le coeur et les moeurs , également instruits
par cet Ouvrage , rempli des plus
grands principes en tout genre.
, en 3 vol. in 12, que nous avons
déja annoncé sous ce Titre : Anecdotes de
la Cour de Philippe - Auguste. Il se vend
à Paris , chez la veuve Pissot , au bout du
Pont-NeufQuai de Conti , à la Croix d'or.
Le prix est de 6 liv . broché.
Dans le temps que nous nous dispo-
II. Vol. sions
JUI N. 1733 .
1377
sions à donner un Extrait de cet Ouvrage
, nous avons reçû d'un Anonyme ,
celui que nous inserons icy .
Si l'accueil favorable que l'on fait à un
Ouvrage dès qu'il paroît , si le débit le
plus rapide étoient les Titres assurés de
son mérite , il seroit tres- inutile de parler
des Anecdotes de la Cour de Philippe-
Auguste; ce Livre joüit pleinement dès sa
naissance de ce double avantage.
Mais il arrive assez souvent que la
nouveauté éblouisse , sur tout dans un
genre d'écrire inconnu , et original ;
et que la curiosité , honteuse en quelque
façon , d'avoir d'abord été seduite
pour s'être trop livrée , se refroidisse
bien- tôt , si même elle ne dégenere
ou en mépris , ou en satire.
Icy , les applaudissemens universels de
la Cour , de la Ville , des Gens de Let
tres , des Judicieux Critiques , se son
réunis en faveur de ce dernier Ouvrage
de Mademoiselle de Lussan; et cette voix
ou plutôt cette clameur unanime con
tient les Personnes même de mauvaise
humeur , qui font toujours les difficiles ,
et qui peut- être ne soutiennent l'idée
qu'elles veulent donner de leur discer
nement et de leur bon goût , qu'en refusant
aux meilleures choses , d'un ton
11. Vol.
Fija sé1378
MERCURE DE FRANCE
severe, ou qu'en leur disputant, au moins
avec un scrupule affecté , les justes et
sinceres éloges , dont elles sont veritablement
dignes.
C'est beaucoup hazarder que d'oser
faire la planche d'un nouveau genre d'écrire
!L'autheur s'est ouvert des routes
peu connues , en liant à un fond d'Histoire
bien choisi , et tres convenable
des Episodes , qui sans sortir du vrai ton
historique , servent à rendre son sujet ét
plus interressant et plus instructif. Le
vrai et le vrai semblable se perdent dans
un mélange imperceptible ; et à la faveur
de cette liberté du Théatre Tragique ,
l'Autheur retranche d'un côté les longueurs
, les froideurs , les mauvais exemples
qui tiennent souvent à une histoire
exacte ; et de l'autre , il se ménage mille
beautez amenées , avec un art infini ,bien
jointes , par tout soutenuës ; elles naissent
les unes des autres , sans qu'on apperçoive
la chaîne ; et cela , par l'attention
qu'a euë l'Autheur de jetter à propos
les fonds éloignez des évenemens que
l'on voit se développer et éclore avec un
ordre admirable , et chacuns dans leurs
places naturelles. Aussi peut on dire
que la structure du corps de l'Ouvrage
est parfaite en son genre ; qu'elle ne pou-
-
II. Vol. voit
JUIN. 1379 1733.
voit être mieux proportionnée au dessein
, et qu'elle passera toujours pour un
modele.
Le sujet est pris dans les premieres années
du Regne de Philippe - Auguste ,
aussi surnommé le Conquerant. L'on sçait
ce que la France a dû à ce Monarque ; il
monta sur le Thrône à quinze ans , et dèslors
il entra avec tant de maturité dans
le Gouvernement , que les Historiens disent
de lui : Qu'il ne fut jamais jeune , et
que la sagesse l'avoit fait aller audevant
de Pexperience.
Les Grands Rois font les grands Hommes.
La Cour de Philippe en fut une
preuve : C'est dans les secrets et dans les
Evenemens de cette Cour si distinguée ,
que l'Autheur entre pour en faire connoître
la délicatesse et l'élevation . L'on
y voit des Héros qui ont réelement existé
; on les voit partagez entre la Gloire et
l'Amour ; mais dans le vrai, sans que rien
se ressente ni du Roman , ni de ses avantures.
Comme les interêts sont et multipliez
et variez , et relatifs tout ensemble
, le Titre d'Anecdoctes d'une Cour , où
l'Autheur puise ses sujets pour en former
un tout semble un Titre tiré du
fond même de ce qu'il traite. Il est bien
vrai que les plus grands jours viennent
>
II. Vol. Fiij fcap1380
MERCURE DE FRANCE
frapper Roger de Champagne , Comte
de Réthel , mais il s'en faut bien qu'il ne
les absorbe tous ; ils sont distribuez sur
beaucoup d'illustres sujets qui composoient
la Cour de Philippe : On les y voit
placez à des points de vûë tres- interessans
; et ils y représentent , avec un éclat
marqué , sur tout Raoul , Sire de Couci ,
marche de pair , d'un bout à l'autre avec
Roger de Champagne ; l'addresse de
l'Auteur à unir ces deux jeunes Héros par
les liens d'une amitié de l'ordre de celles
que les Anciens ont consacrées , et par
les prochains rapports des inclinations
propres des grands Hommes, fait paroître
Roger et Raoul comme ne faisant ensemble
qu'un coeur ,qu'une ame et qu'une
même vertu. Aussi sont - ils toujours
peints des mêmes couleurs , sans être
confondus ; et si Roger a quelques nuances
de plus , ce plus est presque insensible.
Alberic du Mez , Maréchal de France,
fils de Robert Clement , Gouverneur du
Roy et premier Ministre , le Comte des
Barres , connu sous le nom de Rochefort,
Grand Sénéchal , suivent de près les deux
premiers ; ils courent en tout genre les
mêmes Carrieres , et l'Autheur entrelasse
tellement tous leurs interêts , que
11. Vol. le
JUIN. 1733. 1381
le Lecteur toujours en attente , est sans
cesse dans l'impatience de voir les Eve
nemens qu'il ne peut deviner , mais qui
l'étonnent et le satisfont enfin par tout.
Si l'on voit en Hommes ce que la
Cour de Philippe avoit de plus considerable
, l'on y voit en Femmes ce qu'elle
avoit de plus distingué ; et ce qu'on vit
peut-être jamais de plus surprenant . Alix
de Rosoi , sa mere , la Comtesse de Rosoi
, Adelaide de Couci , fille d'Enguerrand
, surnommé le Grand , et soeur de
Raoul , Sire de Couci , Mademoiselle du
Mez , fille de Robert Clement , soeur
d'Alberic du Mez , tous deux Maréchaux
de France , dans un temps où cette Dignité
étoit unique ; toutes ces Personnes,
dont la beauté faisoit le moindre ornement,
jettent dans l'Ouvrage un inte
rêt infini:Elles étoient les premiers Partis
du Royaume , et les noeuds des plus belles
Alliances , où l'on pouvoit aspirer ;
mais les coeurs ne se commandent pas , et
leurs penchants ou leurs répugnances ,
que l'Autheur connoît à fond et sçait
manier d'une main de maître , lui ouvrent
un champ où il épuise les douceurs
, et les maux , les esperances et les
desespoirs de l'amour , sans avoir jamais à
rougird'en avoir flatté ses foiblesses.Quels
II. Vol.
Fiiij mor1382
MERCURE DE FRANCE
morceaux , quelles situations , quels coups
de Theatre ne pourroit- on pas rapporter,
si l'Analise de cet Ouvrage précis, et par
tout d'une chaleur égale , étoit possible !
mais il faut taire tout , ou tout rapporter
; ou plutôt il faut tout lire : Bien des
personnes relisent plus d'une fois , et se
rendent propre cet Ouvrage , après ne
Pavoir qu'emprunté pour l'essaier .
que
Tout le monde publie qu'on ne peut
mieux peindre les actions , elles sont dans
le naturel , et l'on diroit l'Autheur
en écrivant , coppie sur la nature même .
L'on vante sur tout ses carracteres , leur
variété , leur opposition , leur vérité , et
plus que tout le reste , leur consistance ;
ils ne se démentent pas . Qui a jamais
ressemblé à l'indomptable Enguerrand de
Couci , pere de Raoul , et d'Adelaide ?
L'on voit dans lui un vieux Seigneur
plein d'une ancienne probité , qui le rend
infléxible dans ses devoirs , immuable
dans sa parole , absolu dans sa famille
et incapable de pardonner une faute ; on
le craint , on l'estime , on le respecte , on
l'aime peut-être. Thibault de Champagne
, pere de Roger , ne ressemble ‘ en
rien à Enguerrand , et il est aussi Seigneur
, aussi droit , aussi maître , aussi
pere que lui ; on l'adore , mais par de
›
II. Vol. difJUIN.
1733. 1384
1
différens principes. Henry , oncle de Ro
ger , son Maître et son premier Conducteur
à la Guerre , placé vis - à - vis d'Enguerrand
, paroît son contraste , et l'Autheur
fait douter lequel l'emporte pour
le fond du mérite et de la vertu . Peut on
omettre le Portrait que le Vicomte de
Melun, Ambassadeur auprès de Fréderic,
fait à cet Empereur , du Maréchal du
Mez , Gouverneur de Philippe ? C'est l'éloge
du Vicomte d'avoir été l'ami du-
Maréchal ; mais que celui du Maréchal
est bien placé dans la bouche d'un homme
vertueux , qui l'avoit connu et péné
tré ! Le recit que fait le Vicomte de Melun
, et du caractere , et des maximes du
Maréchal , est l'abrégé le plus parfait des
grandes qualitez , comme des
sages Leçons
d'un vrai Gouverneur de Roy. Il
n'en faut pas davantage pour faire et un
grand Homme d'Etat , et un grand Monarque.
On comprend à peine comment
Autheur a pû resserrer ainsi toute l'éducation
Royale , et active et passive ;
mais Philippe a bien justifié que les impressions
qu'il avoit reçuës du Maréchal ,
toutes contenues dans ce petit Tableau
suffisoient pour rendre complette et la
gloire d'une telle instruction , et la gloire
d'une telle éducation ,
"
II. Vol. La Fy
384 MERCURE DE FRANCE
pre-
La même diversité de caracteres conserve
une égale beauté dans les Femmes.
Alix de Rosoi , et Adelaide de Couci
sont ce que leur sexe a de plus rare , de
plus accompli , de plus charmant ; la
miere plonge , par sa mort , Roger de
Champagne , dans le dernier excès de
douleurs ; eh ! comment n'y succombet-
il pas ? Quelques années après , la seconde
le captive au même point; elles ont
été toutes deux les seules qui ont successivement
trouvé la route de son coeur
elles y ont toutes deux regné souverainement
toutes deux , également vertueuses
, forment deux caracteres diamétralement
opposez . La Comtesse de
Rosoi , mere d'Alix , devenuë rivale de
sa fille , donne un spectacle étonnant.
L'on apperçoit dans elle le fond d'un riche
caractere , mais l'on ne s'attend pas
jusques à quel point son injuste passion
va le développer ou plutôt le défigurer !
Elle ne pousse pas le crime si loin qu'une
Phédre , mais elle la passe en addresse ,
en détours , en embuches , pour parvenir
à ses fins ; à quelles indignitez ne
descend- t- elle pas pour écarter à jamais
sa fille de Roger , et pour le raprocher
d'elle ? Après tant d'efforts , elle échouë ;
ses regrets , son desespoir , creusent son
II. Vol.
TomJUIN.
17336 1385
-
Tombeau ; elle meurt. Par quel art l'Au
theur fait il encore pleurer une mort
de cette nature ? C'est l'effet d'un repens
tir que l'on a rendu aussi touchant qu'il
est , et bien imaginé , et bien placé. Madame
de Rosoi expie , en mourant , les
cruels artifices du délire de son amour
et elle meurt vertueuse , parce qu'elle
meurt repentante ; sa vertu rachettée à
ce prix , ne la laissant plus voir que fort
à plaindre , elle emporte la compassion ,
qui efface tout autre sentiment.
و
Au milieu des agitations que l'amour
excite dans cette Cour aimable, Philippe
toujours égal à lui- même , toujours maî
tre des mouvemens de son coeur et de
son esprit , est attentif ou à parer les funestes
effets de cette dangereuse passion ,
ou à maintenir avec dignité le bon ordre,
en se prêtant aux grandes alliances qui
l'interessent, ou comme un Roy , ou comme
un Pere , ou même comme un ami
reconnoissant. Il sçait tout , mais il ne
paroît sçavoir que ce que son rang et sa
vertu lui permettent de regler par luimême.
Tel est le principe de ses bontez
pour Roger de Champagne , pour Adċlaide
de Couci , dont le mérite, la sages
se et la fermeté le touchent , pour Albe
ric du Mez , pour sa soeur, tous deux en
AI. Vol
Fvi fans
1386 MERCURE DE FRANCE
fans d'un Gouverneur , dont le souvenír
lui est si précieux ; il entre dans les établissemens
convenables , ausquels leurs
penchants semblent les disposer. Mais il
paroît toujours et par tout ignorer les
sentimens réciproques de Raoul de Couci
, et de Madame de Fajel , qu'un devoir
austere ne sçauroit approuver.
Ces attentions domestiques de Philip
pe , ne lui font rien perdre de celles qu'il
doit au bien de l'Etat et à sa gloire. Il esɛ
présent par d'autres lui - même, au Camp
que Hugues , Duc de Bourgogne , a assemblé
sous les Murs de Dijon ; il pénétre
ses projets au travers de cette Fête
Militaire , d'une simple ostentation exterieure
; il mesure ses forces. Si la Guerre
l'appelle , alors ceux que l'amour avoit
occuppez dans la Paix , n'écoutent plus
que la gloire. Philippe marche à leur
tête, tantôt contre le Comte de Flandres,
son oncle, son parrain et son tuteur,dont
il humilie l'orgueil , il réprime l'abus
qu'il avoit fait de toute sa confiance s
tantôt en Berri, contre Henry , Roy d'Angleterre
, et Richard , son fils ; il les divise,
il en triomphe; tantôt dans le Maine
et la Touraine , contre les mêmes Ennemis.
Si Philippe donne par hazard dans
une Ambuscade dangereuse , l'on trouve
II. Vela dans
JUIN. 1733. 1387
D
dans ce Roy un Soldat qui paye de sa
personne , et qui au péril de sa vie , seconde
le grand Senechal , à qui il venoit
de la devoir. S'il passe en Palestine , on le
voit le premier à l'assaut de la Ville d'Acre
, et il se signale sur ses Ramparts
comme le Vainqueur de Tyr , sar ceux
de cette Place de résistance. Enfin , l'Autheur
represente par tout Philippe , justifiant
des ses commencemens , les grandes
esperances qu'il remplit, en se rendant
de plus en plus digne des surnoms d'Auguste
et de Conquerant , qu'il sçut roujours
soutenir et au dedans , et au dehors.
Roger le suit de près ; c'est un de ceux
dont la prudence , et la valeur fondent
la confiance du Roy dans ses grands
projets. L'on voit Roger sous Henry de
Champagne , son oncle , faire l'apprentissage
de la guerre aux dépens du Com
te de Flandre. Quel maître , et quel disciple
! il conduit , et jette lui - même des
Troupes dans une Ville assiégée par le
Comte ; action inutilement tentée par
ses égaux. Il suit le Roy dans les guerres
du Berri er du Maine ; il se distingue par
tout , et peu s'en faut qu'il ne paye de sa
vie la gloire dont il se couvre à la prise
de Tours , où il est dangereusement bles-
II. Vol.
sé.
7388 MERCURE DE FRANCE
sé. Il passe avec Philippe en Palestine ;
lai et Raoul couvrent de leurs corps la
personne du Roy sur les murs de la Vild'Acre
, et si dans un péril commun
Raoul reçoit le coup mortel , qu'un Sarazin
portoit au Roy, Roger y étoit aussi
exposé que Raoul , et le hazard seul en
décide ; mais la séparation de ces deux
amis est le plus parfait triomphe de l'amitié;
qu'elle est touchante! Rien n'est au
dessus que les sentimens de Raoul, et l'étrange
présent dont il couronne son amour
pour l'infortunée Madame de Fajel.
Aucun Capitaine ne fait ombrage à
Roger du côté de la gloire des Armes ;
mais il est des personnes qui du côté de
l'amour ne lui trouvent pas assés de délicatesse
ces personnes d'un entêtement
chimerique en faveur des avantures romanesques
, voudroient voir Roger éteindre
de son sang la belle flame qu'Alix de
Rosoi avoit si bien allumée dans son coeur ;
elles ne peuvent voir mourir Alix et Ro
ger vivre encore ; elles ne lui pardonnent
pas son passage à un autre objet , quelque
charmant qu'il puisse être;mais l'Autheur
, dont les idées sont bien éloignées.
de tout ce qui ressent le Roman , n'écou
te et ne suit que les Loix de la nature.
Roger livré à toute l'horreur de sa perte
11. Vol. dans
JUIN. 1733. 1389
dans Alix, n'a plus rien qui l'attache à la
vie. Mais un Pere ; et quel Pere encore !
Un Pere dont il fait l'unique esperance ,
le conjure de vivre pour lui. Roger qui
ne peut ni vivre ni mourir , porte par
tout le trait dont il a été blessé ; et insuportable
à lui-même , il quitte à l'insçû
de tout le monde sa Patrie , alors trop pacifique,
pour aller chercher dans des Terres
Étrangeres des périls qui ne l'épargneront
pas. Il passe en inconnu , et sous
un nom emprunté , au service de Frédéric
, alors en guerre avec tous ses voisins;
mais les périls qu'il cherche ne sont pour
lui qu'une source de gloire . Sa valeur et
sa prudence se font jour , et font soupçonner
dans lui une naissance plus relevéc
que celle qu'il se donne ; il est découvert
, son Roy le reclame , son Pere
l'appelle ; Roger revient , et malgré la
dissipation d'un service tres agité pendant
plus de deux ans , Alix n'est pas effacée
de son coeur. Il semble que l'amour
veuille la lui rendre dans Adelaide de
Couci , dont les traits , la taille et le port
majestueux lui représentent en tout sa
chere Alix : Il s'y accoutume d'abord ,
sous le prétexte de cette parfaite ressemblance
; des difficultez insurmontables et
-pressantes viennent encore irriter l'amour
JI. Vol.
nais1390
MERCURE DE FRANCE
naissant de Roger ; il aime enfin , et il est
aimé. Que la folie du Roman condamne,
puisqu'il lui plaît, une telle conduite , li
sagesse de la nature l'approuvera toujours
et l'expérience de tous les hommes , de
tous les temps la justifiera , elle est dans
l'ordre du coeur humain .
Cet Ouvrage honore infiniment son
Autheur , et poussé au dégré de perfec
tion où on le voit , il doit l'honorer doublement
en faveur de son sexe. Que Madamoiselle
de Lussan rende , comme elle
a fait dans la vie de Madame de Gondés ,
la fidelle image du commerce des honnê
tes gens d'aujourd'hui , et cela sur le ton
de la bonne compagnie , c'est ce qu'on
pouvoit attendre de son esprit et d'un
long usage du monde. Que pour diver
tir són imagination avant que de divertir
celle des autres , elle lui ait donné
carriere dans ses Veillées de Thessalie, pour
instruire les jeunes personnes en les amu
sant ; c'est un utile et élégant badinage ,
digne d'occuper ses loisirs ; mais un Ŏuvrage
de la force de celui dont il s'agit
icy , monté sur le vrai ton héroïque , et
sur celui de la Cour , soutenu par un langage
digne de la noblesse des sentimens
qui y regne , il faut dans elle un grand
courage pour l'avoir entrepris , il faut
11. Vol.
qu'el
JUIN. 1733 . 1391
qu'elle soit bien supérieure à son sexe
pour l'avoir conduit et exécuté comme
elle l'a fait. De se former un systême nouveau
où l'Histoire, le Dramme, l'Epopée
se marient ensemble, et font un tout à la
faveur d'un langage propre de ces trois
genres. Langage vrai , tendre , disert¸
vigoureux, militaire , s'il le faut , et toujours
proportionné à l'objet present , c'est
quelque chose de tres - singulier. Le stile
en est élevé sans emphase , choisi sans recherche
et sans avoir rien de précieux ;
il plaira toujours tandis que bien d'au
tres Ecrits où l'on court après l'esprit ,
qu'on veut captiver dans des mots imaginez
pour lui , passeront peut- être .Quoique
l'Ouvrage soit plein d'esprit , il se
trouve tellement mêlé avec le sentiment,
qu'on croiroit qu'il n'a sa source que dans
le coeur. Les Dialogues y sont licz , leurs
passages si doux , si mesurez à la hauteur
de ceux qui parlent, que l'on diroit qu'ils
n'ont rien coûté à l'autheurs et que la
simple nature en a fait sans effort et sans
étude tous les frais , sur tout dans les endroits
qui tirent à conséquence , et qui
semblent décisifs : en vérité l'on voit des
Scenes dignes du grand Théatre , elles
sont si vivement écrites et renduës avec
tant de dignité et d'énergie , que la lettre
II. Vol. sup1392
MERCURE DE FRANCE
supplé à la représentation, et que le Lecteur
conçoit tout ce qui frapperoit un
Spectateur. Ceux qui ont crû que la Tragédie
en p ose pourroit avoir autant d'effet
qu'en Vers , trouveront dans les bel
les e frequentes Scenes de cet Ouvrage
qui semblent toutes appeller la Poësie ,
des raisons pour appuyer leurs sentimens.
Ainsi les Historiens , les Poetes , et Dramatiques
et Epiques , pourront y trouver
leur compte ; mais l'avantage général
qu'en peuvent tirer les Lecteurs de tout
Sexe et de tous Etats , capable de bien lire
et de bien entendre , regarde et l'esprit ,
et le coeur et les moeurs , également instruits
par cet Ouvrage , rempli des plus
grands principes en tout genre.
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Résumé : Anecdotes de la Cour de Philippe Auguste, [titre d'après la table]
L'ouvrage 'Anecdotes de la Cour de Philippe-Auguste' a été publié en trois volumes in-12 et est disponible à Paris chez la veuve Pissot. L'auteur, Mademoiselle de Lussan, a reçu des éloges de la cour, de la ville, des gens de lettres et des critiques pour son innovation de mêler histoire et épisodes fictifs. Le récit se déroule durant les premières années du règne de Philippe-Auguste, surnommé le Conquérant, qui monta sur le trône à quinze ans et montra une grande maturité dans le gouvernement. L'ouvrage explore les secrets et événements de la cour de Philippe-Auguste, mettant en scène des héros réels partagés entre gloire et amour. Les personnages principaux incluent Roger de Champagne, Comte de Réthel, et Raoul, Sire de Couci, dont l'amitié est mise en avant. D'autres figures notables comme Alberic du Mez, Maréchal de France, et le Comte des Barres sont également présents. Les intrigues amoureuses et les alliances politiques sont détaillées avec précision, sans tomber dans le romanesque. Les femmes de la cour, telles qu'Alix de Rosoi et Adelaide de Couci, ajoutent un intérêt supplémentaire avec leurs beautés et leurs intrigues. Philippe-Auguste lui-même est dépeint comme un souverain maître de ses émotions, attentif aux affaires de l'État et à sa gloire. Il mène des campagnes militaires contre divers ennemis, comme le Comte de Flandres et le Roi d'Angleterre, et se distingue par son courage et sa stratégie. L'auteur a su créer des personnages variés et consistants, chacun avec des traits distincts et des oppositions marquées. Le récit est structuré de manière à maintenir l'intérêt du lecteur, avec des événements imprévus et des développements logiques. L'ouvrage est salué pour sa fidélité à la nature et la vérité de ses descriptions. Le texte relate également les exploits et les amours de Roger, connu pour sa prudence et sa valeur, qui sert fidèlement le roi et se distingue dans diverses batailles. Son amitié avec Raoul est soulignée, ainsi que son amour pour Alix de Rosoi. Après la mort d'Alix, Roger trouve un nouvel amour en la personne d'Adélaïde de Couci. L'ouvrage est loué pour son style élevé et son langage approprié aux sentiments nobles, combinant esprit et sentiment de manière naturelle et efficace.
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105
p. 1467-1471
CODRUS. Poëme qui a remporté le Prix de l'Académie des Jeux Floraux.
Début :
Je chante ce Héros, qui cher à sa Patrie, [...]
Mots clefs :
Codros, Sort, Sujets, Doriens, Victoire, Roi, Yeux, Oracle, Académie des jeux floraux, Gloire, Guide, Prix
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : CODRUS. Poëme qui a remporté le Prix de l'Académie des Jeux Floraux.
CODRU S.
Poëme qui a
remporté le Prix de
l'Académic
des Feux
Floraux.
J
chante ce
ce Héros , qui cher à sa
Patrie , dev1 ...
Conserva ses
es Sujets een
immolant sa
vie; ová 19.9 3 :
Si la seule vertu
mérites votre
encens ,
Muses, vous me devez vos plus
nobles accens.
La
discorde
féconde en
implacables haines ,
A ij Guide
1468 MERCURE DE FRANCE
Guide les Doriens jusques aux murs d'Athénes ;
Incertains du succès qu'ils brûlent d'obtenir ,
Leur inquiete ardeur cherche à le prévenir .
Ils veulent que le Ciel à leurs désirs révele ,
Ce secret important que l'avenir recele.
L'Oracle leur répond , pour flater leurs souhaits,
Vous vaincrez , si Codrus échappe à tous vos
traits ;
Mais si vous immolez ce Roi rempli de gloire ,
Aussitôt loin de vous s'enfuirà la victoire ;
Perdez vos ennemis , el respectez leur Roy.
Les Doriens charmez , acceptent cette Loy',
Satisfaits à ce prix de contenter leur rage ,
Ils s'avancent , l'espoir augmente leur courage ;
A leurs cris menaçants , tout s'allarme et to
fuit.
et tout
Cet Oracle est semé , Codrus en est instruit ;
Roi des Athéniens et plus encor leur Pere ,
Il veut hâter sa mort pour finir leur misere ;
Chers Sujets , que le sort à mes loix a soumis ,
>> Leur dit- il , vous voyez vos nombreux ennemis;
Suivis de la terreur , conduits par l'esperance ,
Il viennent contre vous assouvir leur vengeance,
Mais n'appréhendez rien , je sçaurai dissiper ,
»Cet orage tout prêt à vous envelopper ,
» Si l'Arrêt du Destin les flatte et les rassure •
» Vous avezdu triomphe un plus heureux augure;
» C'est mon amour pour vous , qui prompt à
yous servir
D
JUILLET. . 1733.
1469
» A leur joug odieux va bien-tôt vous ravir ;
» Esperez tout , dans moi votre bonheur réside ,
» En vain vers la victoire un Oracle les guide ,
» Je ne veux que moi seul pour les détruire tous,
J'irai pour vous sauver m'exposer à leurs coups,
par un noble effort , irritant leur farie ,
33
» Ét
Les forcer en tremblant de m'arracher la vie.
» Vous frémissez , ô Ciel ! vous répandez des
pleurs ;
»Ah ! plus vous me montrez l'excès de vos dou-
· leurs ,
» Plus vous plaignez mon sort , et plus je dois
encore ,
» Justifiek ces pleurs dont votre amour m'honore.
Suspendez vos regrets et calmez votre effroy ,
» Si vous m'attendrissez , c'est pour vous , non
pour moi;
B
Mais c'est trop m'arrêter à ce tendre spectacle ,
» Vous méritez ma mort , je vois remplir l'O
racle ,
» Je goûte tous les biens que vous en cueillerez ,
"
Je perirai pour vous , mais vous me vengerez,
Codrus cede à ces mots , au transport qui Pa- i
nime , N
Il vole , impatient de servir de victime
Ses Peuples effrayez d'un si hardi déssein ,
Le suivent dans sa course et l'arrêtent soudain
Et
pour mieux s'assurer de sa tête sacrée ,
De Soldats vigilans sa Tente est entourée ;
A iij Ses
1470 MERCURE DE FRANCE
Ses Sujets genereux , tranquilles sur son sort ,
Accourent au combat pour y trouver la mort.
Sous les yeux de Codrus , déja les deux Armées ,
Par des motifs divers au carnage animées ,
Se mêlent en tumulte , et répandant l'horreur ,
Ne paroissent avoir qu'une même fureur ;
Quel spectacle pour lui ! que son ame est émuë !
Sur mille objets affreux il promene sa vûë
Il voit perir de loin ses Sujets malheureux ,
Il reçoit tous les coups qu'on porte à chacun
2
d'eux ;
Allarmé de leurs maux , il use d'artifice
Pour aller consommer son triste sacrifice ;
Sous de vils vétemens éclipsant sa splendeur ,
Au - dedans de lui - même il cache sa grandeur .
Bien tôt par le secours de cette noble ruse ,
Il se dérobe aux yeux des Gardes qu'il abuse,
Il s'éloigne , il arrive au milieu des hazards ,
Sous ces dehors obscurs qui trompent les regards
,
·
Il court de tous côtez où le danger l'appelle ;
Le sort en l'épargnant , aime à trahir son zele
Il cherche , furieux , le trépas qui l'a fui ;
Chaque instant qu'il respire est un crime pour
lui ,
Trop heureux , si sans nuire au projet qui l'enflamme
,
Lui-même de ses jours pouvoit couper la trame.
Ses voeux sont satisfaits , un trait mortel Patteint
,
JUILLET. 1733 . 1471
De ses yeux affoiblis la lumiere s'éteint
Il expire , aussi -tôt la victoire fidelle ,
Pour payer tout le sang qu'il a versé pour elle ,
Rappelle ses Sujets qui fuyoient éperdus ;
A leur premiere ardeur ils sont soudain rendus ;
Leur crainte se dissipe et leurs efforts redoublent ;
Les Doriens surpris, se dispersent , se troublent
L'épouvanté et l'effroi s'emparent de leur coeur;
Ils tombent sous les traits dé l'ennemi vainqueur,
Mais ce vainqueur , hélas ! dans la gloire qu'il
goûte ,
Ignore encor quel prix son triomphe lui coûte ,
Et tandis qu'abusez par ce prompt changement ,
Tous les Athéniens suivent aveuglement
Les mouvemens divers que l'allegresse enfante ,
Qu'ils courent empressez vers la fatale Tente ,
Dans la foule des morts ils decouvrent leur Roi;
A cet horrible aspect tremblants , saisis d'effroi ,
Ils détestent leur gloire , et le sort de leurs armes,
Ils embrassent son corps , qu'il baignent de leurs
- larmes ,
Et
pour éterniser son regne et ses vertus ,
Choisissent Jupiter pour remplacer Codrus.
Codrus pro Patria non timidus mori. Hor. Ode.
M. l'Abbé P *** d'Avignon.
Poëme qui a
remporté le Prix de
l'Académic
des Feux
Floraux.
J
chante ce
ce Héros , qui cher à sa
Patrie , dev1 ...
Conserva ses
es Sujets een
immolant sa
vie; ová 19.9 3 :
Si la seule vertu
mérites votre
encens ,
Muses, vous me devez vos plus
nobles accens.
La
discorde
féconde en
implacables haines ,
A ij Guide
1468 MERCURE DE FRANCE
Guide les Doriens jusques aux murs d'Athénes ;
Incertains du succès qu'ils brûlent d'obtenir ,
Leur inquiete ardeur cherche à le prévenir .
Ils veulent que le Ciel à leurs désirs révele ,
Ce secret important que l'avenir recele.
L'Oracle leur répond , pour flater leurs souhaits,
Vous vaincrez , si Codrus échappe à tous vos
traits ;
Mais si vous immolez ce Roi rempli de gloire ,
Aussitôt loin de vous s'enfuirà la victoire ;
Perdez vos ennemis , el respectez leur Roy.
Les Doriens charmez , acceptent cette Loy',
Satisfaits à ce prix de contenter leur rage ,
Ils s'avancent , l'espoir augmente leur courage ;
A leurs cris menaçants , tout s'allarme et to
fuit.
et tout
Cet Oracle est semé , Codrus en est instruit ;
Roi des Athéniens et plus encor leur Pere ,
Il veut hâter sa mort pour finir leur misere ;
Chers Sujets , que le sort à mes loix a soumis ,
>> Leur dit- il , vous voyez vos nombreux ennemis;
Suivis de la terreur , conduits par l'esperance ,
Il viennent contre vous assouvir leur vengeance,
Mais n'appréhendez rien , je sçaurai dissiper ,
»Cet orage tout prêt à vous envelopper ,
» Si l'Arrêt du Destin les flatte et les rassure •
» Vous avezdu triomphe un plus heureux augure;
» C'est mon amour pour vous , qui prompt à
yous servir
D
JUILLET. . 1733.
1469
» A leur joug odieux va bien-tôt vous ravir ;
» Esperez tout , dans moi votre bonheur réside ,
» En vain vers la victoire un Oracle les guide ,
» Je ne veux que moi seul pour les détruire tous,
J'irai pour vous sauver m'exposer à leurs coups,
par un noble effort , irritant leur farie ,
33
» Ét
Les forcer en tremblant de m'arracher la vie.
» Vous frémissez , ô Ciel ! vous répandez des
pleurs ;
»Ah ! plus vous me montrez l'excès de vos dou-
· leurs ,
» Plus vous plaignez mon sort , et plus je dois
encore ,
» Justifiek ces pleurs dont votre amour m'honore.
Suspendez vos regrets et calmez votre effroy ,
» Si vous m'attendrissez , c'est pour vous , non
pour moi;
B
Mais c'est trop m'arrêter à ce tendre spectacle ,
» Vous méritez ma mort , je vois remplir l'O
racle ,
» Je goûte tous les biens que vous en cueillerez ,
"
Je perirai pour vous , mais vous me vengerez,
Codrus cede à ces mots , au transport qui Pa- i
nime , N
Il vole , impatient de servir de victime
Ses Peuples effrayez d'un si hardi déssein ,
Le suivent dans sa course et l'arrêtent soudain
Et
pour mieux s'assurer de sa tête sacrée ,
De Soldats vigilans sa Tente est entourée ;
A iij Ses
1470 MERCURE DE FRANCE
Ses Sujets genereux , tranquilles sur son sort ,
Accourent au combat pour y trouver la mort.
Sous les yeux de Codrus , déja les deux Armées ,
Par des motifs divers au carnage animées ,
Se mêlent en tumulte , et répandant l'horreur ,
Ne paroissent avoir qu'une même fureur ;
Quel spectacle pour lui ! que son ame est émuë !
Sur mille objets affreux il promene sa vûë
Il voit perir de loin ses Sujets malheureux ,
Il reçoit tous les coups qu'on porte à chacun
2
d'eux ;
Allarmé de leurs maux , il use d'artifice
Pour aller consommer son triste sacrifice ;
Sous de vils vétemens éclipsant sa splendeur ,
Au - dedans de lui - même il cache sa grandeur .
Bien tôt par le secours de cette noble ruse ,
Il se dérobe aux yeux des Gardes qu'il abuse,
Il s'éloigne , il arrive au milieu des hazards ,
Sous ces dehors obscurs qui trompent les regards
,
·
Il court de tous côtez où le danger l'appelle ;
Le sort en l'épargnant , aime à trahir son zele
Il cherche , furieux , le trépas qui l'a fui ;
Chaque instant qu'il respire est un crime pour
lui ,
Trop heureux , si sans nuire au projet qui l'enflamme
,
Lui-même de ses jours pouvoit couper la trame.
Ses voeux sont satisfaits , un trait mortel Patteint
,
JUILLET. 1733 . 1471
De ses yeux affoiblis la lumiere s'éteint
Il expire , aussi -tôt la victoire fidelle ,
Pour payer tout le sang qu'il a versé pour elle ,
Rappelle ses Sujets qui fuyoient éperdus ;
A leur premiere ardeur ils sont soudain rendus ;
Leur crainte se dissipe et leurs efforts redoublent ;
Les Doriens surpris, se dispersent , se troublent
L'épouvanté et l'effroi s'emparent de leur coeur;
Ils tombent sous les traits dé l'ennemi vainqueur,
Mais ce vainqueur , hélas ! dans la gloire qu'il
goûte ,
Ignore encor quel prix son triomphe lui coûte ,
Et tandis qu'abusez par ce prompt changement ,
Tous les Athéniens suivent aveuglement
Les mouvemens divers que l'allegresse enfante ,
Qu'ils courent empressez vers la fatale Tente ,
Dans la foule des morts ils decouvrent leur Roi;
A cet horrible aspect tremblants , saisis d'effroi ,
Ils détestent leur gloire , et le sort de leurs armes,
Ils embrassent son corps , qu'il baignent de leurs
- larmes ,
Et
pour éterniser son regne et ses vertus ,
Choisissent Jupiter pour remplacer Codrus.
Codrus pro Patria non timidus mori. Hor. Ode.
M. l'Abbé P *** d'Avignon.
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Résumé : CODRUS. Poëme qui a remporté le Prix de l'Académie des Jeux Floraux.
Le poème 'Codrus' a remporté le Prix de l'Académie des Jeux Floraux. Il relate l'histoire de Codrus, roi athénien, prêt à sacrifier sa vie pour sauver sa patrie des Doriens. Un oracle prédit que les Doriens vaincront si Codrus échappe à leurs attaques, mais seront vaincus s'ils le tuent. Connaissant son rôle crucial, Codrus décide de se sacrifier pour assurer la victoire de son peuple. Il se déguise et se jette dans la bataille, où il trouve la mort. Sa mort inspire ses sujets, qui repoussent les Doriens et remportent la victoire. Cependant, en découvrant le corps de Codrus, les Athéniens pleurent leur roi et choisissent Jupiter pour le remplacer. Le poème met en lumière le dévouement et le sacrifice de Codrus pour sa patrie.
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106
p. 1547-1551
ODE en l'honneur de l'Immaculée Conception de la Vierge, qui a remporté le Prix au Palinod de l'Université de Caën, le 8 Décembre 1732. SUJET. Le coeur de la Pucelle d'Orléans fut trouvé entier au milieu du feu après sa mort.
Début :
Ou vont ces Enfans de la terre, [...]
Mots clefs :
Sang, Coeur, Victoire, Gloire, Horreur, Dieu, Prix, Pucelle d'Orléans, Immaculée Conception de la Vierge, Palinod, Université de Caen
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texteReconnaissance textuelle : ODE en l'honneur de l'Immaculée Conception de la Vierge, qui a remporté le Prix au Palinod de l'Université de Caën, le 8 Décembre 1732. SUJET. Le coeur de la Pucelle d'Orléans fut trouvé entier au milieu du feu après sa mort.
ODE en l'honneur de l'Immaculée
Conception de la Vierge , qui a rem
porté le Prix au Palinod de l'Université
de Caën , le 8 Décembre 1732.A
?
SUJET Le coeur de la Pucelle d'Orleans
fut trouvé entier au milieu du feu après
sa mort.
7
U vont ces Enfans de la terre ,
Porter le ravage et l'horreur ?
La discorde souffle la guerre ,
Dvj
En
1548 MERCURE DE FRANCE
En vient seconder leur fureur ;
Le cruel démon du carnage ,
Les yeux étincelans de rage ,
Conduit leurs sacrileges pas ,
Leurs mains de sang toutes fumantes
Offrent des victimes sanglantes ,
Au Dieu barbare des combats.
FRANCE , cette affreuse tempête ,
Va dans ton sein porter l'effroi ,
Albion tente la conquête
Du Trône sacré de ton Roi :
Déja cette troupe homicide ,
Dans le fol espoir qui la guide ,
Fait avancer ses . Bataillons :
La Victoire errante et séduite
Marche sans rougir à la suite
De leurs superbes Pavillons.
Nos Citadelles foudroyées ,
Nos champs pleins de sang et d'horreur
}
De nos Cohortes effraïées ,
Ne peuvent réveiller l'ardeur :
François , qu'on va charger de chaînes ,
Songés que le sang de vos veines
Est celui de ces fiers Guerriers
Dom le courage infatigable ,
Au
JUILLET.
1733. 1549
Au Capitole redoutable ,
Alloit moissonner des lauriers.
La Fortune aux Anglois fidéle
Sur ses yeux mettant son bandeau ,
Ose ' armer pour leur querelle ,
Et se ranger sous leur drapeau ;
Leurs Troupes de sang alterées ,
De nos déplorables Contrées ,
Couvrent les campagnes de morts :
Jamais l'Euphrate sur ses rives ,
Ne vît tant de Meres plaintives ,
Que la Seine en voit sur ses bords.
Mais quoi quelle main vengeresse !
Vient frapper ces nouveaux Titans ?
Quelle foudroïante Déesse ;
Renverse leurs Drapeaux flotans !
Du Dieu terrible de la Thrace ,
Elle a le courage et l'audace ;
Bellone marche à ses côtés ;
Et son bras s'arme de la foudre ,
Qui va faire mordre la poudre
Aux ennemis épouventés
De nos Troupes le triste reste ,
Brûle de marcher sur ses pas :
Elle
1550 MERCURE DE FRANCE
Elle frape , et sa main funeste
Abbat des milliers de Soldats ;
Tel l'Ange en sa fureur rapide ,
Frapa le Soldat homicide
De l'infidele Assyrien ,
Lorsque son glaive redoutable
Dans une nuit épouventable ,
Vengea le Peuple Iduméen.
Avec une ardeur redoublée
Bravant les efforts ennemis ,
Nos Guerriers vont dans la mêlée ,
Venger la gloire de nos Lys :
Des blessés les clameurs touchantes
Des morts les entrailles fumantes ,
Redoublent l'horreur et l'effroi ;
Chacun jaloux de la victoire ,
Se trouve heureux d'avoir la gloire ,
De verser son sang pour son Roi.
A ces effrayantes images ,
Semble succeder le repos ;
Tant de meurtres et de ravages ,
Ont lassé la fiere Atropos :
Le bruit des guerrieres Trompettes
Ne fait plus taire nos Musettes :
Mais quoi quel funeste retour !
I
I
I
La
JUILLET.
1733. I551
La Fortune nous abandonne ,
Et notre vaillante Amazonne
Tombe dans les fers à son tour.
L'Anglois que la vengeance anime ,
Fait dresser un bucher cruel ,
Où cette innocente Victime
Va recevoir le coup mortel ;
Son coeur , l'appui de nos murailles ,
Son coeur qui gagnoit des Batailles,
Triomphe encore après sa mort ;
Et par une grace invisible ,`
Du Ciel , à son malheur sensible
Des feux brave le vain effort.
ALLUSIO N.
Ce coeur d'une nouvelle gloire
Brille encore au milieu du feu ,
En nous figurant la victoire
De l'Auguste Mere de Dieu :
Τ .
Le Démon par son imposture
Embrasa toute la Nature"
De son souffle pernicieux ;"
par une grace céleste , Mais
La VIERGE en ce débris funeste
Fût seule exempte de ses feux.
Par M. l'Abbé Turpin.
Conception de la Vierge , qui a rem
porté le Prix au Palinod de l'Université
de Caën , le 8 Décembre 1732.A
?
SUJET Le coeur de la Pucelle d'Orleans
fut trouvé entier au milieu du feu après
sa mort.
7
U vont ces Enfans de la terre ,
Porter le ravage et l'horreur ?
La discorde souffle la guerre ,
Dvj
En
1548 MERCURE DE FRANCE
En vient seconder leur fureur ;
Le cruel démon du carnage ,
Les yeux étincelans de rage ,
Conduit leurs sacrileges pas ,
Leurs mains de sang toutes fumantes
Offrent des victimes sanglantes ,
Au Dieu barbare des combats.
FRANCE , cette affreuse tempête ,
Va dans ton sein porter l'effroi ,
Albion tente la conquête
Du Trône sacré de ton Roi :
Déja cette troupe homicide ,
Dans le fol espoir qui la guide ,
Fait avancer ses . Bataillons :
La Victoire errante et séduite
Marche sans rougir à la suite
De leurs superbes Pavillons.
Nos Citadelles foudroyées ,
Nos champs pleins de sang et d'horreur
}
De nos Cohortes effraïées ,
Ne peuvent réveiller l'ardeur :
François , qu'on va charger de chaînes ,
Songés que le sang de vos veines
Est celui de ces fiers Guerriers
Dom le courage infatigable ,
Au
JUILLET.
1733. 1549
Au Capitole redoutable ,
Alloit moissonner des lauriers.
La Fortune aux Anglois fidéle
Sur ses yeux mettant son bandeau ,
Ose ' armer pour leur querelle ,
Et se ranger sous leur drapeau ;
Leurs Troupes de sang alterées ,
De nos déplorables Contrées ,
Couvrent les campagnes de morts :
Jamais l'Euphrate sur ses rives ,
Ne vît tant de Meres plaintives ,
Que la Seine en voit sur ses bords.
Mais quoi quelle main vengeresse !
Vient frapper ces nouveaux Titans ?
Quelle foudroïante Déesse ;
Renverse leurs Drapeaux flotans !
Du Dieu terrible de la Thrace ,
Elle a le courage et l'audace ;
Bellone marche à ses côtés ;
Et son bras s'arme de la foudre ,
Qui va faire mordre la poudre
Aux ennemis épouventés
De nos Troupes le triste reste ,
Brûle de marcher sur ses pas :
Elle
1550 MERCURE DE FRANCE
Elle frape , et sa main funeste
Abbat des milliers de Soldats ;
Tel l'Ange en sa fureur rapide ,
Frapa le Soldat homicide
De l'infidele Assyrien ,
Lorsque son glaive redoutable
Dans une nuit épouventable ,
Vengea le Peuple Iduméen.
Avec une ardeur redoublée
Bravant les efforts ennemis ,
Nos Guerriers vont dans la mêlée ,
Venger la gloire de nos Lys :
Des blessés les clameurs touchantes
Des morts les entrailles fumantes ,
Redoublent l'horreur et l'effroi ;
Chacun jaloux de la victoire ,
Se trouve heureux d'avoir la gloire ,
De verser son sang pour son Roi.
A ces effrayantes images ,
Semble succeder le repos ;
Tant de meurtres et de ravages ,
Ont lassé la fiere Atropos :
Le bruit des guerrieres Trompettes
Ne fait plus taire nos Musettes :
Mais quoi quel funeste retour !
I
I
I
La
JUILLET.
1733. I551
La Fortune nous abandonne ,
Et notre vaillante Amazonne
Tombe dans les fers à son tour.
L'Anglois que la vengeance anime ,
Fait dresser un bucher cruel ,
Où cette innocente Victime
Va recevoir le coup mortel ;
Son coeur , l'appui de nos murailles ,
Son coeur qui gagnoit des Batailles,
Triomphe encore après sa mort ;
Et par une grace invisible ,`
Du Ciel , à son malheur sensible
Des feux brave le vain effort.
ALLUSIO N.
Ce coeur d'une nouvelle gloire
Brille encore au milieu du feu ,
En nous figurant la victoire
De l'Auguste Mere de Dieu :
Τ .
Le Démon par son imposture
Embrasa toute la Nature"
De son souffle pernicieux ;"
par une grace céleste , Mais
La VIERGE en ce débris funeste
Fût seule exempte de ses feux.
Par M. l'Abbé Turpin.
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Résumé : ODE en l'honneur de l'Immaculée Conception de la Vierge, qui a remporté le Prix au Palinod de l'Université de Caën, le 8 Décembre 1732. SUJET. Le coeur de la Pucelle d'Orléans fut trouvé entier au milieu du feu après sa mort.
Le texte est une ode en l'honneur de l'Immaculée Conception, récompensée au Palinod de l'Université de Caen le 8 décembre 1732. Il évoque le cœur intact de Jeanne d'Arc retrouvé après sa mort. Le poème décrit les horreurs de la guerre, notamment les conflits entre la France et l'Angleterre au XVIe siècle. La France est menacée par les troupes anglaises, et la victoire semble incertaine. Une figure divine, comparée à Bellone, intervient pour renverser les ennemis. Les soldats français, malgré leurs pertes, continuent de se battre avec courage. Le texte se termine par une allusion au cœur de Jeanne d'Arc, symbolisant la victoire et la grâce divine. Cette image est comparée à la Vierge Marie, exemptée des feux de l'imposture démoniaque.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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107
p. 1728-1731
ODE SACRÉE, Tirée du Pseaume XXVIII. Afferte Domino filii Dei.
Début :
Images du Tres-Haut, Princes, Dieux de la Terre, [...]
Mots clefs :
Voix, Dieu, Gloire, Terrible, Ciel, Tourbillons
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texteReconnaissance textuelle : ODE SACRÉE, Tirée du Pseaume XXVIII. Afferte Domino filii Dei.
ODE SACRE' E ,
Tirée du Pseaume X X VI I I.
Afferte Domina filii Dei..
I Mages du Tres- Haut , Princes , Dieux de "Iz
Terre ,
Qu'il instruit dans la Paix et qu'il forme â la
Guerre ,
Apprenez aux mortels à respecter ses Loix ;
Et que le Peuple Saint, conduit par votre Exem
ple ,
Adore dans son Temple,
Le Dieu , Maître des Rois.
La gloire de son Nom , fit toute votre gloire ,
Que pouvoient , sans l'aveu du Dieu de la victoire
>
Le zéle de vos coeurs ? l'effort de votre bras
Venez ,reconnoissez pleins d'amour et de crainte,
Dans
AOUST. 1733- 1729
Dans sa Majesté sainte ,
Un pouvoir que vous n'avez pas.
來
Quellé éclatante voix , dans les airs répanduë
,
Fait frémir de respect cette mer suspanduë ,
Qu'une invisible main soutient du haut des
Cieux ?
C'est la voix du Seigneur ; les abîmes l'enten
dent ;
Et les Ondes suspendent ,
Leurs Flots tumultueux.
Lâche intrépidité , constance de l'Impie ,
Pourras-tu soutenir cette voix ennemie
Que fait tonner sur toi le Dieu de Majesté ,
Tandis que l'innocent rempli de confiance ,
Même dans sa Puissance ,
Adore sa bonté ?
Quels Tourbillons affreux suivent sa voix
terrible ?
Quels cris ? Quels sifflemens ? Quelle tempête
horrible ?
Les Cedres du Liban volent en mille éclats :
Quels efforts redoublez , ébranlent leurs racines ,
Jus1730
MERCURE DE FRANCE
Jusqu'aux voutes voisines ,
Des Portes du trépasa
Liban , et vous Sion , fameux par cent mirzcles
,
Monts chéris , où le ciel nous rendoit des Ora
cles ,
Vos Sommets chancelants , s'éloignent de mes
yeux ,
:
Vous fuyez Telle on voit la Licorne tremblante
,
Fuir l'approche sanglante ,
Du Lion furieux .
Quels nuages , percez d'éclairs épouvantables ,
'Annoncent cette voix , aux Déserts effroyables ,
Où Jacob opprimé , fuyoit son ennemi ?
Queile pâle clarté , plus triste que les ombres ,
Luit dans ces antres sombres ?
Cades en a frémi.
Les Echos allarmez dans leur retraite obscure .
Répondent à la voix par un affreux murmure
Les Monstres des Forêts en avortent d'effroi :
Et l'Impie allarmé de sa perte infaillible ,
Voudroit du Dieu terrible ,
Avoir suivi la Loy.
Vain
AOUST . 1733 1731
Vains remors ! Dieu paroît , la gloire l'environne
,
Quels tourbillons de feux s'élancent de son
Trône ?
La Terre est embrasée , et le Ciel s'est enfui ;
Et la nature entiere , étonnée , éperduë ,
A ses pieds confonduë ,
Ne voit d'Etre que lui.
Mais le Juste , brillant d'une splendeur nou
velle ,
Retrouve avec transport cet objet de son zele ,
Terrible en sa fureur , prodigue en ses bienfaits
De son bonheur immense , il partage les charmes
,
Et goute sans allarmes ,
Une éternelle paix.
Tirée du Pseaume X X VI I I.
Afferte Domina filii Dei..
I Mages du Tres- Haut , Princes , Dieux de "Iz
Terre ,
Qu'il instruit dans la Paix et qu'il forme â la
Guerre ,
Apprenez aux mortels à respecter ses Loix ;
Et que le Peuple Saint, conduit par votre Exem
ple ,
Adore dans son Temple,
Le Dieu , Maître des Rois.
La gloire de son Nom , fit toute votre gloire ,
Que pouvoient , sans l'aveu du Dieu de la victoire
>
Le zéle de vos coeurs ? l'effort de votre bras
Venez ,reconnoissez pleins d'amour et de crainte,
Dans
AOUST. 1733- 1729
Dans sa Majesté sainte ,
Un pouvoir que vous n'avez pas.
來
Quellé éclatante voix , dans les airs répanduë
,
Fait frémir de respect cette mer suspanduë ,
Qu'une invisible main soutient du haut des
Cieux ?
C'est la voix du Seigneur ; les abîmes l'enten
dent ;
Et les Ondes suspendent ,
Leurs Flots tumultueux.
Lâche intrépidité , constance de l'Impie ,
Pourras-tu soutenir cette voix ennemie
Que fait tonner sur toi le Dieu de Majesté ,
Tandis que l'innocent rempli de confiance ,
Même dans sa Puissance ,
Adore sa bonté ?
Quels Tourbillons affreux suivent sa voix
terrible ?
Quels cris ? Quels sifflemens ? Quelle tempête
horrible ?
Les Cedres du Liban volent en mille éclats :
Quels efforts redoublez , ébranlent leurs racines ,
Jus1730
MERCURE DE FRANCE
Jusqu'aux voutes voisines ,
Des Portes du trépasa
Liban , et vous Sion , fameux par cent mirzcles
,
Monts chéris , où le ciel nous rendoit des Ora
cles ,
Vos Sommets chancelants , s'éloignent de mes
yeux ,
:
Vous fuyez Telle on voit la Licorne tremblante
,
Fuir l'approche sanglante ,
Du Lion furieux .
Quels nuages , percez d'éclairs épouvantables ,
'Annoncent cette voix , aux Déserts effroyables ,
Où Jacob opprimé , fuyoit son ennemi ?
Queile pâle clarté , plus triste que les ombres ,
Luit dans ces antres sombres ?
Cades en a frémi.
Les Echos allarmez dans leur retraite obscure .
Répondent à la voix par un affreux murmure
Les Monstres des Forêts en avortent d'effroi :
Et l'Impie allarmé de sa perte infaillible ,
Voudroit du Dieu terrible ,
Avoir suivi la Loy.
Vain
AOUST . 1733 1731
Vains remors ! Dieu paroît , la gloire l'environne
,
Quels tourbillons de feux s'élancent de son
Trône ?
La Terre est embrasée , et le Ciel s'est enfui ;
Et la nature entiere , étonnée , éperduë ,
A ses pieds confonduë ,
Ne voit d'Etre que lui.
Mais le Juste , brillant d'une splendeur nou
velle ,
Retrouve avec transport cet objet de son zele ,
Terrible en sa fureur , prodigue en ses bienfaits
De son bonheur immense , il partage les charmes
,
Et goute sans allarmes ,
Une éternelle paix.
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Résumé : ODE SACRÉE, Tirée du Pseaume XXVIII. Afferte Domino filii Dei.
Le poème 'ODE SACRE' E' du Psaume 118 s'adresse aux 'Mages du Très-Haut,' 'Princes' et 'Dieux de la Terre,' les exhortant à instruire les mortels dans la paix et la guerre et à les guider pour respecter les lois divines. Le peuple saint doit adorer Dieu, maître des rois, dans son temple. La gloire de Dieu est la seule source de gloire pour ces dirigeants, car sans l'approbation divine, leurs efforts sont vains. Le poème décrit la voix puissante de Dieu, qui fait trembler la mer et les abîmes. Les impies ne peuvent soutenir cette voix, tandis que les innocents l'adorent avec confiance. Cette voix provoque des tourbillons, des cris et des tempêtes, ébranlant les cèdres du Liban et les montagnes de Sion. Les impies, alarmés par leur perte imminente, regrettent de ne pas avoir suivi la loi divine. Enfin, le poème décrit l'apparition de Dieu, entouré de gloire et de tourbillons de feu, embrasant la terre et effrayant le ciel. La nature entière est confondue et ne voit que Dieu. Les justes, brillants d'une nouvelle splendeur, retrouvent avec transport cet objet de leur zèle, partageant les charmes de son bonheur immense et goûtant une paix éternelle.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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108
p. 1853-1860
L'ENVIE, Balet dansé à la Tragédie de Jonathas, Machabée.
Début :
DESSEIN ET DIVISION. On sçait que ce qui détermina en partie le brave Simon Machabée, [...]
Mots clefs :
Envie, Envieux, Ballet, Vertus, Troupe, Enfants, Jalousie, Gloire
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texteReconnaissance textuelle : L'ENVIE, Balet dansé à la Tragédie de Jonathas, Machabée.
ENVIE , Balet dansé à la Tragédie
de Jonathas , Machabée .
DESSEIN ET DIVISION. On sçait que
e qui détermina en partie le brave Simon Machabée
, à livrer la rançon et les Enfans de son
frere Jonathas , au perfide Triphon , General des
Troupes Syriennes , fut la crainte d'aigrir la haine
et l'envie du Peuple d'Israël , qui commençoit à
murmurer contre la lenteur de ses démarches en
faveur d'un Captif , dont il occupoit la place dans
Le Gouvernement . Ces plaintes ameres d'une Troupe
d'envieux , ont fait naître l'idée du Balet da
Envie , qui paroît avoir une liaison assez naturelle
avec la Piece Tragique , où l'on représente la
mort
1854 MERCURE DE FRANCE
mort de Jonathas et de ses enfans . Pour executer
ce dessein , on envisage l'Envie sous quatre rapports
essentiels qui fournissent les quatre parties de ce
Balet. La découvre les principales sources d'où
naît l'Envie. La 2 ° peint les noirs complots qu'el
le trame. La 3 fait voir le cruel supplice qu'elle
endure. La 4º montre les solides avantages qu'en
sire la Sagesse.
Le Theatre représente le délicieux Valon de
Tempé , où la Félicité et la Jalousie , assises sur
des Trônes , versent leurs dons à pleines mains
sur la Jeunesse de Thessalie , qui fait une Fête
où elle se réjouit de sa prosperité . Dans le lointain
de cet aimable séjour , paroît l'affreuse Caverne
de l'Envie , qui , se nourrissant de fiel
d'Aspic et de chair de Vipere , s'afflige de ne rien
voir d'affligeant et fond en larmes , parce qu'elle
' apperçoit aucun sujet de peurs. Elle détache
une Brigade de ses Sujets , qui viennent troubler
la Fête et le bonheur de ceux qui la celebrent.
Comme elle ne rit jamais que de ce qui fait pleuzer
les autres , elle s'applaudit d'avoir dissipé la
Troupe joyeuse , et prétend fixer son Empire
dans cette Contrée , qu'elle regarde comme un
Pays de conquête.
Ón voit dans la premeere Entrée les principales
sources d'où naît l'Envie . Petitesse de génie ,
basse rivalité , naturel mal -faisant.
Zole , miserable Sophiste , esprit mince et
borné , entreprend , avec le secours de certains
petits Crecs , de culbuter de la cime du double
Mont , le fameux Homere , dont il envie la
gloire. Il engage inême quelques Bouffons de
son parti à représenter cet ingenieux Aveugle
comme un simple Vielleur et comme une Muse
sampagnarde, dont ses Consorts se font unjouer.
Mais
A OUST. 17338 1855
Mais Minerve , Déesse du bon goût , châtie ces
insoleus ; et les Guerriers de laade vangent
Poutrage fait au Chan re de leurs exploits , &c.
Il n'est peut-être point de condition au monde
plus sujette à la jalousie de métier , que celle
des Auteurs Dia.matiques . Cette jalousie dégenere
quelquefois en basse riva ité , dont on ne
trace ici qu'un Portrait énigmatique dans la ridicule
avanture qu'un Ecrivain burlesque raconte
d'une Troupe de Comédiens nouvellement débarquez
dans une Vile de Province. Ils y sifflent
un Rival de Théatre ', et font une Parodie badine
d'une Piece sérieuse , où l'on représente le
festin de Théodoric , qui voit sortir de la tête.
d'un Foisson celle de Symmaque, égorgé par
son ordre.
>
Médee ne pouvant souffrir la douce union qui
regne dans la famille du vieux Roi Pélias , imagine
un stratagême funeste pour faire périr ce
respectable Vieillard . Elle se fait apporter par
ses Enchanteurs des herbes de Thessalie , qu'elle
met dans une chaudi re bouillante où elle
plonge son beau pere Ason , qu'elle rajeunit en
présence des enfans de Pélias. Elle leur persuade
par la vue de ce prodige de faire la même opération
à leur Pere , et même de lui trer tout le
sang des veines , pour le remplacer par de nouveau
sang. Le charm disparoît , il ne reste que
le corps ensanglanté du bon Prince , sacrifié au
naturel mal faisant de l'envieuse Megere.
1
SECONDE PARTIE. Les noirs complots que trame
Enve contre la Fortune contre la réputation
et quel ruefois même contre la vie de ceux dont le
bonheur ou les talens la chagrinent,
BELISAIRE , Vainqueur d'un grand nombre
de Nations , fait son Entrée triomphante dans
H Rome
1846 MERCURE DE FRANCE
Rome sur un Char traîné par des Lions d'Afri
que , où il a dompté les Vandales pour la seconde
fois. Il est placé au faîte de la roue de Fortune
, il y reçoit les hommages des Guerriers et
des Courtisans. Ce comble de grandeur anime
contre lui une foule d'envieux . Ils l'attaquent ,
le précipitent , lui Crévent les yeux , et l'enchaî
nent derriere le Char avec une partie de ses Suivans
, dont la plupart l'abandonnent dans sa dişgrace
, pour s'attacher à la fortune de ses Rivaux.
10:07
+
"
La Renommée publie , la trompette à la main ,
les louanges de la Probité , dont elle couronne
les vertus . La Calomnie , jalouse de ces éloges
suscite contre sa vertueuse Rivale une Troupe de
Furies qui l'enveloppent , lá saisissent et se préparent
à l'entraîner dans l'abîme déja ouvert sous
ses pieds. Mais du sein même de ce gouffre profond
sort la Verité , dont la brillante lumiere
jette la consternation parmi les Eumenides . Elles
sont mises en déroute par les Partisans de la
Déesse , qui fait ériger un Trophée à la gloire
de la Probité.
Des voisins envieux viennent accuser de malé
fice le pieux et laborieux Furius , dont le Vigno
ble étoit de bon rapport dans les années mêmes
ou ceux des autres ne portoient rien. Les Accusateurs
produisent des Baguettes magiques et
des Tambours prétendus enchantez , dont ils
soutiennent que l'Accusé se sert pour arracher
la Lune du Ciel , et pour évoquer des Monstres
odieux , qui répandent la grêle et la gelée sur les
Champs d'autrui . Pendant qu'on fait jouer cette
Machine frauduleuse , Furius , suivi de ses Enfans
, n'apporte pour sa deffense que les Outils
de son travail , qu'il expose aux yeux des Juges,
ср
AOUST. 1733.- 1857
en leur montrant le cal et le durillon de ses
mains , qu'il leve au Ciel. Il leur fait entendre
que c'est là toute sa Magie. Il est absous , et ses
Accusateurs sont confondus par l'équité des sages
Magistrats .
Le cruel supplice que souffre l'Envie , esr le
Sujet de la troisiéme Partie . 1 ° . L'hommage qu'elle
est forcée de rendre au vrai mérite 2 ° . L'aveu secret
qu'elle est contrainte de faire de sa propre inferiorité.
3. Le vif sentiment de son mal qu'elle
devore sans en oser dire le principe , de sorte qu'elle
est elle-même son plus grand supplice.
Les mêmes Seigneurs , qu'un dépit jaloux avoit
portés à bannir de Rome le grand Camille , s'en
voyant chassés par les Gaulois qui assicgent le
Capitole , sont forcez de recourir à la valeur de
çet illustre General , et par là de rendre homma-,
ge à son génie supérieur pour la guerre . Il se
met à la tête de quelques Officiers fuyards , il
charge les Assiegeans , et les oblige à laisser les
sommes d'argent que leur comptoient les Assiegez
pour se garantir du dernier malheur .
Quelques jeunes Béotiens , indignez de l'avantage
qu'avoient remporté sur eux de jeunes Mégariens
, dans un Combat du Ceste , viennent insulter
leurs Vainqueurs dans leur Triomphe , et
piquez d'une jalousie maligne , osent les defier à
la lutte , se flattant d'être aussi supérieurs en
adresse que leurs Rivaux l'avoient été en force.
Les Mégariens acceptent le défi , terrassent leurs
Adversaires , les relevent et les obligent à convenir
de leur inferiorité.
1.
Latone , dans un Sacrifice que lui offrent les
Matelots et les Bergers de son Isle de Delos ,
exige pour la principale victime l'insolent Titys
,qui avoit parû lui envier sa gloire. Pendant
Hij que
1818 MERCURE DE FRANCE
que les Insulaires rendent leurs hommages et
présentent leurs offrandes à cette Décse , ks Sal
crificateurs amenent le Coupable enchaî é au
pied de l'Autel , où un Vautour lui ronge le coeur
et le foye en punition de son attentat. De à il
est abîmé dans le Tartare. Les Déliens en témoignent
leur contentement par une Danse
joyeuse.
On expose dans la quatriéme Partie , les avantages
que la Sagesse tire de l'Envie . 1º . Elle ap- .
prend à ne donner prise à l'Envie par aucun foible.
2 ° . A concevoir un souverain mépris pour une
si lache passion. 3 ° . A confondre l'acharnement
des envieux
pratique constante des plus su par
blimes vertus.
la
Ulisse irrité de l'estime qu'a conçû toute la
Grece pour les éminentes quali ez de Palamede ,
le fait observer de près par des surveillans à gages.
Pendant que ce grand homme forme de jeunes
Heros à de nobles exercices , les Espions
apostez ont beau examiner toutes ses démarches,
ils ne trouvent rien dont on lui puisse faire un
crime . Ulisse a recours à l'Imposture , il saısıt le
moment où Palamede va au fourrage avec ses
Guerriers , il fait mettre dans sa Tente des sacs
d'argent ; il accuse Pa'amede à son retour d'avoir
reçu ces sommes de Priam . Les Chefs de
l'Armée condamnent l'Accusé . qui sur le champ
seroit victime de la fourberie , si ses braves Eleves
n'avoient soin de soustraire l'injus ice.
Alcide , après avoir dompté les Monstres ,
s'endort tranquillement à l'ombre de ses Lauriers;
une multitude de Pigmées bassement ja'ouse du
nom qu'il s'est acquis par ses exploits , vient
is ayer ses armes contre lui , chante victoire
avant le combat , investit ce Héros et tâche de
lai
AQUST. 1733 1859
lui enlever l'instrument de tant de triomphes.
Il ne daigne pas interrompre son repos pour de
si toibles ennemis Il se contente d'écarter d'un
geste et d'un soufle cette race importune , qui
échit le genouil devant lui au premier mouvement
de sa Massue Les compagnons de ses travaux
viennent se divertir de la posture supplian
te de ces petits témeraires , ausquels ils font plus
de peur que de mal. Cette Partie du Balet n'est
pas celle qui a été la moins applau die.
Arist de,, que les Athéniens surnommerent le
Juste , banui par les intrigues de quelques Factieux
, et par la dure loi de l'Ostracisme , se retire
dans une Campagne déserte où il n'est suivi
que par les Vertus . Il continue à leur rendre
un culte fidele. A leur tour elles lui érigent un
beau Monument , où il est placé au milieu d'elles
, et couronné par la Constance. Sa Patrie
éplorée vient à la tête des bons Citoyens , implorer
son secours contre les desordres que produit
son éloignement. Elle lui amene les Auteurs
de sa disgrace , les enchaîne à ses pieds , et le
conduit avec un pompeux appareil dans les murs
d'Athénes , où les Vertus lui font cortege à la
honte des Envieux .
Pour la distribution des Prix , voici le D.ssein
du Balet General.
L'Emulation est une passion aussi noble et
aussi louable que l'Envie est un vice bas et odieux.
La premiere , bien differente de la seconde , ne
s'attriste point du bonheur et du succès d'autrui;
mais elle s'anime à égaler ou même à surpasser
les talens et les vertus qu'elle voit dans les autres
. Elle pique le courage sans exciter la jalou- ;
sie. Elle aspire au bien que possedent d'illustres
Rivaux , sans vouloir les en dépouiller ; elle tend
A iij à
1860 MERCURE DE FRANCE
à la même gloire , sans vouloir la leur ravir. Le
motif en est honnête ; c'est le desir de se perfectionner.
L'effet en est utile ; c'est le progrès des
Beaux- Arts , d'où résulte le bien public.
-- Telle est l'émulation que Minerve et Apollon
couronnent dans leurs jeunes Eleves , en leur dis :
tribuant des Prix et des Lauriers , qui sont les
heureux fruits de leurs veilles et de leurs travaux .
Aprés la distribution solemnelle des Prix , les
deux Divinitez rassemblent leur Jeunesse victorieuse
, et lui montrent un plus digne objet de son
émulation ; c'est l'Olympe où les Vertus appellent
leurs plus zelez Favoris. Elles en descendent'
pour en tracer la route à toute la Troupe des
génereux Aspirans. L'Envie 'sortant de son Antre
avec les Partisans , fait une nouvelle tentative
pour traverser la marche des Braves , que son
aspect rend d'abord immobiles . Mais bien - tôt
après ils reprennent courage, ils mettent en fuite
les Envieux , ils font une Fête en forme de
Triomphe ; et superieurs à tous les évenemens ,
ils parviennent enfin à l'Olympe, où ils vont être
à couvert de tous les traits de l'Envie .
de Jonathas , Machabée .
DESSEIN ET DIVISION. On sçait que
e qui détermina en partie le brave Simon Machabée
, à livrer la rançon et les Enfans de son
frere Jonathas , au perfide Triphon , General des
Troupes Syriennes , fut la crainte d'aigrir la haine
et l'envie du Peuple d'Israël , qui commençoit à
murmurer contre la lenteur de ses démarches en
faveur d'un Captif , dont il occupoit la place dans
Le Gouvernement . Ces plaintes ameres d'une Troupe
d'envieux , ont fait naître l'idée du Balet da
Envie , qui paroît avoir une liaison assez naturelle
avec la Piece Tragique , où l'on représente la
mort
1854 MERCURE DE FRANCE
mort de Jonathas et de ses enfans . Pour executer
ce dessein , on envisage l'Envie sous quatre rapports
essentiels qui fournissent les quatre parties de ce
Balet. La découvre les principales sources d'où
naît l'Envie. La 2 ° peint les noirs complots qu'el
le trame. La 3 fait voir le cruel supplice qu'elle
endure. La 4º montre les solides avantages qu'en
sire la Sagesse.
Le Theatre représente le délicieux Valon de
Tempé , où la Félicité et la Jalousie , assises sur
des Trônes , versent leurs dons à pleines mains
sur la Jeunesse de Thessalie , qui fait une Fête
où elle se réjouit de sa prosperité . Dans le lointain
de cet aimable séjour , paroît l'affreuse Caverne
de l'Envie , qui , se nourrissant de fiel
d'Aspic et de chair de Vipere , s'afflige de ne rien
voir d'affligeant et fond en larmes , parce qu'elle
' apperçoit aucun sujet de peurs. Elle détache
une Brigade de ses Sujets , qui viennent troubler
la Fête et le bonheur de ceux qui la celebrent.
Comme elle ne rit jamais que de ce qui fait pleuzer
les autres , elle s'applaudit d'avoir dissipé la
Troupe joyeuse , et prétend fixer son Empire
dans cette Contrée , qu'elle regarde comme un
Pays de conquête.
Ón voit dans la premeere Entrée les principales
sources d'où naît l'Envie . Petitesse de génie ,
basse rivalité , naturel mal -faisant.
Zole , miserable Sophiste , esprit mince et
borné , entreprend , avec le secours de certains
petits Crecs , de culbuter de la cime du double
Mont , le fameux Homere , dont il envie la
gloire. Il engage inême quelques Bouffons de
son parti à représenter cet ingenieux Aveugle
comme un simple Vielleur et comme une Muse
sampagnarde, dont ses Consorts se font unjouer.
Mais
A OUST. 17338 1855
Mais Minerve , Déesse du bon goût , châtie ces
insoleus ; et les Guerriers de laade vangent
Poutrage fait au Chan re de leurs exploits , &c.
Il n'est peut-être point de condition au monde
plus sujette à la jalousie de métier , que celle
des Auteurs Dia.matiques . Cette jalousie dégenere
quelquefois en basse riva ité , dont on ne
trace ici qu'un Portrait énigmatique dans la ridicule
avanture qu'un Ecrivain burlesque raconte
d'une Troupe de Comédiens nouvellement débarquez
dans une Vile de Province. Ils y sifflent
un Rival de Théatre ', et font une Parodie badine
d'une Piece sérieuse , où l'on représente le
festin de Théodoric , qui voit sortir de la tête.
d'un Foisson celle de Symmaque, égorgé par
son ordre.
>
Médee ne pouvant souffrir la douce union qui
regne dans la famille du vieux Roi Pélias , imagine
un stratagême funeste pour faire périr ce
respectable Vieillard . Elle se fait apporter par
ses Enchanteurs des herbes de Thessalie , qu'elle
met dans une chaudi re bouillante où elle
plonge son beau pere Ason , qu'elle rajeunit en
présence des enfans de Pélias. Elle leur persuade
par la vue de ce prodige de faire la même opération
à leur Pere , et même de lui trer tout le
sang des veines , pour le remplacer par de nouveau
sang. Le charm disparoît , il ne reste que
le corps ensanglanté du bon Prince , sacrifié au
naturel mal faisant de l'envieuse Megere.
1
SECONDE PARTIE. Les noirs complots que trame
Enve contre la Fortune contre la réputation
et quel ruefois même contre la vie de ceux dont le
bonheur ou les talens la chagrinent,
BELISAIRE , Vainqueur d'un grand nombre
de Nations , fait son Entrée triomphante dans
H Rome
1846 MERCURE DE FRANCE
Rome sur un Char traîné par des Lions d'Afri
que , où il a dompté les Vandales pour la seconde
fois. Il est placé au faîte de la roue de Fortune
, il y reçoit les hommages des Guerriers et
des Courtisans. Ce comble de grandeur anime
contre lui une foule d'envieux . Ils l'attaquent ,
le précipitent , lui Crévent les yeux , et l'enchaî
nent derriere le Char avec une partie de ses Suivans
, dont la plupart l'abandonnent dans sa dişgrace
, pour s'attacher à la fortune de ses Rivaux.
10:07
+
"
La Renommée publie , la trompette à la main ,
les louanges de la Probité , dont elle couronne
les vertus . La Calomnie , jalouse de ces éloges
suscite contre sa vertueuse Rivale une Troupe de
Furies qui l'enveloppent , lá saisissent et se préparent
à l'entraîner dans l'abîme déja ouvert sous
ses pieds. Mais du sein même de ce gouffre profond
sort la Verité , dont la brillante lumiere
jette la consternation parmi les Eumenides . Elles
sont mises en déroute par les Partisans de la
Déesse , qui fait ériger un Trophée à la gloire
de la Probité.
Des voisins envieux viennent accuser de malé
fice le pieux et laborieux Furius , dont le Vigno
ble étoit de bon rapport dans les années mêmes
ou ceux des autres ne portoient rien. Les Accusateurs
produisent des Baguettes magiques et
des Tambours prétendus enchantez , dont ils
soutiennent que l'Accusé se sert pour arracher
la Lune du Ciel , et pour évoquer des Monstres
odieux , qui répandent la grêle et la gelée sur les
Champs d'autrui . Pendant qu'on fait jouer cette
Machine frauduleuse , Furius , suivi de ses Enfans
, n'apporte pour sa deffense que les Outils
de son travail , qu'il expose aux yeux des Juges,
ср
AOUST. 1733.- 1857
en leur montrant le cal et le durillon de ses
mains , qu'il leve au Ciel. Il leur fait entendre
que c'est là toute sa Magie. Il est absous , et ses
Accusateurs sont confondus par l'équité des sages
Magistrats .
Le cruel supplice que souffre l'Envie , esr le
Sujet de la troisiéme Partie . 1 ° . L'hommage qu'elle
est forcée de rendre au vrai mérite 2 ° . L'aveu secret
qu'elle est contrainte de faire de sa propre inferiorité.
3. Le vif sentiment de son mal qu'elle
devore sans en oser dire le principe , de sorte qu'elle
est elle-même son plus grand supplice.
Les mêmes Seigneurs , qu'un dépit jaloux avoit
portés à bannir de Rome le grand Camille , s'en
voyant chassés par les Gaulois qui assicgent le
Capitole , sont forcez de recourir à la valeur de
çet illustre General , et par là de rendre homma-,
ge à son génie supérieur pour la guerre . Il se
met à la tête de quelques Officiers fuyards , il
charge les Assiegeans , et les oblige à laisser les
sommes d'argent que leur comptoient les Assiegez
pour se garantir du dernier malheur .
Quelques jeunes Béotiens , indignez de l'avantage
qu'avoient remporté sur eux de jeunes Mégariens
, dans un Combat du Ceste , viennent insulter
leurs Vainqueurs dans leur Triomphe , et
piquez d'une jalousie maligne , osent les defier à
la lutte , se flattant d'être aussi supérieurs en
adresse que leurs Rivaux l'avoient été en force.
Les Mégariens acceptent le défi , terrassent leurs
Adversaires , les relevent et les obligent à convenir
de leur inferiorité.
1.
Latone , dans un Sacrifice que lui offrent les
Matelots et les Bergers de son Isle de Delos ,
exige pour la principale victime l'insolent Titys
,qui avoit parû lui envier sa gloire. Pendant
Hij que
1818 MERCURE DE FRANCE
que les Insulaires rendent leurs hommages et
présentent leurs offrandes à cette Décse , ks Sal
crificateurs amenent le Coupable enchaî é au
pied de l'Autel , où un Vautour lui ronge le coeur
et le foye en punition de son attentat. De à il
est abîmé dans le Tartare. Les Déliens en témoignent
leur contentement par une Danse
joyeuse.
On expose dans la quatriéme Partie , les avantages
que la Sagesse tire de l'Envie . 1º . Elle ap- .
prend à ne donner prise à l'Envie par aucun foible.
2 ° . A concevoir un souverain mépris pour une
si lache passion. 3 ° . A confondre l'acharnement
des envieux
pratique constante des plus su par
blimes vertus.
la
Ulisse irrité de l'estime qu'a conçû toute la
Grece pour les éminentes quali ez de Palamede ,
le fait observer de près par des surveillans à gages.
Pendant que ce grand homme forme de jeunes
Heros à de nobles exercices , les Espions
apostez ont beau examiner toutes ses démarches,
ils ne trouvent rien dont on lui puisse faire un
crime . Ulisse a recours à l'Imposture , il saısıt le
moment où Palamede va au fourrage avec ses
Guerriers , il fait mettre dans sa Tente des sacs
d'argent ; il accuse Pa'amede à son retour d'avoir
reçu ces sommes de Priam . Les Chefs de
l'Armée condamnent l'Accusé . qui sur le champ
seroit victime de la fourberie , si ses braves Eleves
n'avoient soin de soustraire l'injus ice.
Alcide , après avoir dompté les Monstres ,
s'endort tranquillement à l'ombre de ses Lauriers;
une multitude de Pigmées bassement ja'ouse du
nom qu'il s'est acquis par ses exploits , vient
is ayer ses armes contre lui , chante victoire
avant le combat , investit ce Héros et tâche de
lai
AQUST. 1733 1859
lui enlever l'instrument de tant de triomphes.
Il ne daigne pas interrompre son repos pour de
si toibles ennemis Il se contente d'écarter d'un
geste et d'un soufle cette race importune , qui
échit le genouil devant lui au premier mouvement
de sa Massue Les compagnons de ses travaux
viennent se divertir de la posture supplian
te de ces petits témeraires , ausquels ils font plus
de peur que de mal. Cette Partie du Balet n'est
pas celle qui a été la moins applau die.
Arist de,, que les Athéniens surnommerent le
Juste , banui par les intrigues de quelques Factieux
, et par la dure loi de l'Ostracisme , se retire
dans une Campagne déserte où il n'est suivi
que par les Vertus . Il continue à leur rendre
un culte fidele. A leur tour elles lui érigent un
beau Monument , où il est placé au milieu d'elles
, et couronné par la Constance. Sa Patrie
éplorée vient à la tête des bons Citoyens , implorer
son secours contre les desordres que produit
son éloignement. Elle lui amene les Auteurs
de sa disgrace , les enchaîne à ses pieds , et le
conduit avec un pompeux appareil dans les murs
d'Athénes , où les Vertus lui font cortege à la
honte des Envieux .
Pour la distribution des Prix , voici le D.ssein
du Balet General.
L'Emulation est une passion aussi noble et
aussi louable que l'Envie est un vice bas et odieux.
La premiere , bien differente de la seconde , ne
s'attriste point du bonheur et du succès d'autrui;
mais elle s'anime à égaler ou même à surpasser
les talens et les vertus qu'elle voit dans les autres
. Elle pique le courage sans exciter la jalou- ;
sie. Elle aspire au bien que possedent d'illustres
Rivaux , sans vouloir les en dépouiller ; elle tend
A iij à
1860 MERCURE DE FRANCE
à la même gloire , sans vouloir la leur ravir. Le
motif en est honnête ; c'est le desir de se perfectionner.
L'effet en est utile ; c'est le progrès des
Beaux- Arts , d'où résulte le bien public.
-- Telle est l'émulation que Minerve et Apollon
couronnent dans leurs jeunes Eleves , en leur dis :
tribuant des Prix et des Lauriers , qui sont les
heureux fruits de leurs veilles et de leurs travaux .
Aprés la distribution solemnelle des Prix , les
deux Divinitez rassemblent leur Jeunesse victorieuse
, et lui montrent un plus digne objet de son
émulation ; c'est l'Olympe où les Vertus appellent
leurs plus zelez Favoris. Elles en descendent'
pour en tracer la route à toute la Troupe des
génereux Aspirans. L'Envie 'sortant de son Antre
avec les Partisans , fait une nouvelle tentative
pour traverser la marche des Braves , que son
aspect rend d'abord immobiles . Mais bien - tôt
après ils reprennent courage, ils mettent en fuite
les Envieux , ils font une Fête en forme de
Triomphe ; et superieurs à tous les évenemens ,
ils parviennent enfin à l'Olympe, où ils vont être
à couvert de tous les traits de l'Envie .
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Résumé : L'ENVIE, Balet dansé à la Tragédie de Jonathas, Machabée.
Le ballet 'Envie' s'inspire de la tragédie de Jonathas Machabée. Simon Machabée, frère de Jonathas, a livré ce dernier et ses enfants au général syrien Triphon par crainte de la haine et de l'envie du peuple d'Israël, qui murmurait contre la lenteur de ses démarches pour libérer Jonathas. Le ballet explore l'Envie sous quatre aspects : ses sources, ses complots, son supplice et les avantages de la sagesse face à elle. La première partie met en lumière les principales sources de l'Envie, telles que la petitesse de génie, la basse rivalité et le naturel malfaisant. La deuxième partie illustre les complots de l'Envie contre la fortune, la réputation et la vie des personnes talentueuses ou heureuses. La troisième partie décrit le supplice de l'Envie, forcée de reconnaître le mérite des autres et de souffrir en silence. La quatrième partie expose les avantages de la sagesse, qui apprend à éviter les faiblesses que l'Envie exploite et à mépriser cette passion. Le ballet se déroule dans le Valon de Tempé, où la Félicité et la Jalousie distribuent leurs dons. L'Envie, nourrie de fiel et de chair de vipère, envoie ses sujets troubler la fête des jeunes Thessaliens. Diverses scènes illustrent les effets de l'Envie, comme la rivalité entre Zole et Homère, les intrigues de Médée, la chute de Bélisaire, et les accusations contre Furius. Le ballet se conclut par une distribution de prix à l'émulation, opposée à l'Envie, et par une ascension vers l'Olympe, symbole des vertus et des talents supérieurs.
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109
p. 1870-1871
LETTRE du Roy de France au Primat.
Début :
MON COUSIN, Je vois avec plaisir par votre Lettre du 10. [...]
Mots clefs :
République, Pologne, Sentiments, Gloire, Europe
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE du Roy de France au Primat.
LETTRE du Roy de France au Primat.
MON ON COUSIN ,
Je vois avec plaisir par votre Lettre du 10.
Juin , que la Sérenissime République de Pologne
attend de moi les mêmes sentimens d'amitié dont les
Rois mes prédecesseurs ont toujours cherché à lui
donner des marques les plus distinguées . Animé du
seul amour de la liberté qui est le droit naturel et
fondamental de votre Patrie , vous n'en desirez
pour elle que l'entiere jouissance, et vous lui préparés
une gloire immortelle en annonçant à toute l'Europe
que quelque choix que la Serenissime République
fasse , elle veut toujours observer exactement et religieusement
les Traitez d'Alliance faits et renouvellez
avec ses Voisins . Quel appui et quelle pro¬
tection ne doit pas esperer un Royaume qui se conduis
avec des sentimens aussi purs , et dont il n'est
pas
AOUST. 1732 . 1871
paspermis de douter lors u'un Prélat aussi bien instruit
des Maximes de sa Nation en porte l'assuran
ce aux yeux detoutes les Puissances de l'Europe. Jela
reçois personnellement avec une veritable satisfaction
, et prét à seconder et soutenir en toutes occasions
des principes si justes et si conformes au bon→
heur de la Couronne de Pologne et à la tranquillité
du Nord, j'en ferai avec joye le fondement de la
protection dont j'ai chargé le Marquis de Monti ,
de donner les plus fortes assurances à la Serenissime
Republique . Veville le Seigneur , par une suite
de benedictions qu'il a si souvent et si visiblement
répandues sur la Pologne , inspirer l'esprit d'union
et de concorde , et réunir les suffrages sur un sujet
dont les sentimens lui sorent assez connus pour
qu'elle puisse compter qu'il ne se souviendra que de
ce qu'il devra au bonheur et au maintien de sa
Patrie , aussi-bien qu'à la gloire et à la propaga
tion de notre sainte Foy . Sur ce , je prie Dieu qu'il
vous ait , Mon Cousin , en sa sainte et digne
garde. Signé, LOUIS.
Ecrit à Compiegne le 6. Juillet 1733 .
MON ON COUSIN ,
Je vois avec plaisir par votre Lettre du 10.
Juin , que la Sérenissime République de Pologne
attend de moi les mêmes sentimens d'amitié dont les
Rois mes prédecesseurs ont toujours cherché à lui
donner des marques les plus distinguées . Animé du
seul amour de la liberté qui est le droit naturel et
fondamental de votre Patrie , vous n'en desirez
pour elle que l'entiere jouissance, et vous lui préparés
une gloire immortelle en annonçant à toute l'Europe
que quelque choix que la Serenissime République
fasse , elle veut toujours observer exactement et religieusement
les Traitez d'Alliance faits et renouvellez
avec ses Voisins . Quel appui et quelle pro¬
tection ne doit pas esperer un Royaume qui se conduis
avec des sentimens aussi purs , et dont il n'est
pas
AOUST. 1732 . 1871
paspermis de douter lors u'un Prélat aussi bien instruit
des Maximes de sa Nation en porte l'assuran
ce aux yeux detoutes les Puissances de l'Europe. Jela
reçois personnellement avec une veritable satisfaction
, et prét à seconder et soutenir en toutes occasions
des principes si justes et si conformes au bon→
heur de la Couronne de Pologne et à la tranquillité
du Nord, j'en ferai avec joye le fondement de la
protection dont j'ai chargé le Marquis de Monti ,
de donner les plus fortes assurances à la Serenissime
Republique . Veville le Seigneur , par une suite
de benedictions qu'il a si souvent et si visiblement
répandues sur la Pologne , inspirer l'esprit d'union
et de concorde , et réunir les suffrages sur un sujet
dont les sentimens lui sorent assez connus pour
qu'elle puisse compter qu'il ne se souviendra que de
ce qu'il devra au bonheur et au maintien de sa
Patrie , aussi-bien qu'à la gloire et à la propaga
tion de notre sainte Foy . Sur ce , je prie Dieu qu'il
vous ait , Mon Cousin , en sa sainte et digne
garde. Signé, LOUIS.
Ecrit à Compiegne le 6. Juillet 1733 .
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Résumé : LETTRE du Roy de France au Primat.
Le roi de France écrit au Primat de Pologne pour exprimer sa satisfaction quant à l'amitié et à la liberté que la République de Pologne souhaite préserver. Il souligne l'importance de la liberté comme droit naturel et fondamental de la Pologne et approuve son désir de jouir pleinement de cette liberté. Le roi salue également l'engagement de la Pologne à respecter les traités d'alliance avec ses voisins. Il se déclare prêt à soutenir et protéger ces principes pour le bonheur de la Couronne de Pologne et la tranquillité du Nord. Le Marquis de Monti est chargé de transmettre ces assurances à la République. Le roi prie pour que l'union et la concorde soient inspirées en Pologne. La lettre est signée Louis et datée du 6 juillet 1733 à Compiègne.
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110
p. 1889-1892
DISCOURS prononcé par M. l'Evêque Duc de Laon, dans son Eglise Cathedrale, pour la Benediction des Etendarts du Régiment de LA CORNETTE BLANCHE, au mois d'Août 1733.
Début :
Per turmas, signa atque vexilla, Castrametabuntum Filii Israel, per gyrum Tabernaculi Foederis. [...]
Mots clefs :
Dieu, Gloire, Seigneur, Armées, Victoire, Turenne, Bénédiction, Régiment
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DISCOURS prononcé par M. l'Evêque Duc de Laon, dans son Eglise Cathedrale, pour la Benediction des Etendarts du Régiment de LA CORNETTE BLANCHE, au mois d'Août 1733.
DISCOURS prononcé par M. PEvêque
Duc de Laon , dans son Eglise
Cathedrale , pour la Benediction des
Etendarts du Régiment de LA CORNETTE
BLANCHE , au mois d'Août
1733.
Per turmas , signa atque vexilla, Castrametabun
tum Filii Israel . per gyrum Tabernaculı Foederis.
Num 2.
I
de
plus
L n'est rien , MESSIEURS ,
gréable gré ble au Seigneur que les hommages
des Guerriers. Mettre au pied de ses
Autels des Erendirts , c'est le reconnoître
pour le Dieu des Combats , le Dieu
des Triomphes et de la Victoire ; c'est lui
donner le titre sublime de Dieu des Armées
, qu'il prend lui- même si souvent
dans les Saintes Ecritures : Dominus Deus
exercituum.
Avec quelle complaisance ne jette til
donc pas les yeux sur cette auguste Céré
monie , sur cette Pompe brillante , avec
laquelle vous venez révérer dans son
Temple sa Grandeur et sa Puissance.
Oi , MESSIEURS , c'est parce que vous
l'avez toujours reconnu comme l'arbitre
suprême de votre destinée et l'unique
source du véritable héroisme , qu'il a ré--
Ivi panda vj
1890 MERCURE DE FRANCE
pandu tant de Gloire sur votre Illustre
Corps , et qu'il lui a donné de si fréquens
et de si heureux succès .
>
Il est vrai que tout a concouru à
vous les procurer , ces succès éclatans
conduits autrefois par M. de Turenne
c'est-à dire , par un Héros dont les rares
qualitez égaloient la haute Naissance ; et
commandez aujourd'hui par un Seigneur
du même Sang et de la même valeur
, il n'est pas surprenant que la Victoire
vous ait fuivi par tout, et que dans
le temps même de la Paix , la Gloire ne
Vous ait pas abandonné . Que vous ayez
fait tant de prodiges en Allemagne et en
Italie ; que M. de Turenne se soit crû invincible
à la tête de votre Régialent; que
Messieurs deCatinat et deVilleroy l'ayent
comblé d'Eloges; qu'à Luzara et à Calciil
ait ravi d'admiration M. le Duc
de Vendôme ; que vous soyez devenus ,
pour ainsi dire , sa Troupe favorie
qu'au lieu de prendre dans l'Infanterie
selon l'usage ordinaire , une Garde pour
sa Personne , il n'en ait pas voulu d'autre
que des Cavaliers si braves et si vigilans.
nato ,
et
3
Mais l'on peut dire aussi que sans le
secours du Tres- Haut , ces grands Capitaines
n'auroient pû inspirer à leurs Trou
pes de si glorieux sentimens.
A O UST. 1733. 1891
Oui , je le répéte , si vous avez été jusqu'ici
la terreur des Ennemis par votre
bravoure ,et si vous êtes aujourd'hui l'ornement
de l'Etat par votre Naissance et
vorre Probité , c'est qu'autrefois , comme
aujourd'hui , vous avez offert à Dieu vos
Armes avant les Batailles , et vos Trophées
après vos Victoires. Cette succession
de courage qu'on admire dans votre
invincible Légion , et qui a fourni aux
Armées du Roy des Généraux si distinguez
, n'est autre chose que la récompense
d'une si constante vertu .
Venez donc , Illustres Guerriers , consacrer
encore au Seigneur les préparatifs
de vos nouveaux Combats : Venez vous
dévouer vous - mêmes à la défenfe des
Autels de votre Dieu , de l'autorité de
votre Roy et de la sûreté de votre Patrie .
Semblables à cette Colomne de feu qui
brille sur vos Etendarts , continuez de
montrer aux autres le chemin de la Gloire
, et de leur apprendre, par votre exemple
, qu'il n'y a pas de valeur plus parfaite
que celle qui est soutenue par l'esprit.
de Religion .
Tel est . MESSIEURS , la grande , mais la
juste idée que vous laissez de vous dans
une Contrée qui ne vous perd qu'avec un
regret infini , et qui édifiée de la sagesse
de
1892 MERCURE DE FRANCE
de votre conduite , ne ces era de la proposer
pour modele à ceux qui vous y succederont.
Plaise au Ciel d'exaucer les voeux que je
fais pour une si noble Portion de nos Armées
, et après vous avoir accordé mille
Triomphes sur la terre , vous couronner
ensuite d'une gloire qui ne passera jamais.
Duc de Laon , dans son Eglise
Cathedrale , pour la Benediction des
Etendarts du Régiment de LA CORNETTE
BLANCHE , au mois d'Août
1733.
Per turmas , signa atque vexilla, Castrametabun
tum Filii Israel . per gyrum Tabernaculı Foederis.
Num 2.
I
de
plus
L n'est rien , MESSIEURS ,
gréable gré ble au Seigneur que les hommages
des Guerriers. Mettre au pied de ses
Autels des Erendirts , c'est le reconnoître
pour le Dieu des Combats , le Dieu
des Triomphes et de la Victoire ; c'est lui
donner le titre sublime de Dieu des Armées
, qu'il prend lui- même si souvent
dans les Saintes Ecritures : Dominus Deus
exercituum.
Avec quelle complaisance ne jette til
donc pas les yeux sur cette auguste Céré
monie , sur cette Pompe brillante , avec
laquelle vous venez révérer dans son
Temple sa Grandeur et sa Puissance.
Oi , MESSIEURS , c'est parce que vous
l'avez toujours reconnu comme l'arbitre
suprême de votre destinée et l'unique
source du véritable héroisme , qu'il a ré--
Ivi panda vj
1890 MERCURE DE FRANCE
pandu tant de Gloire sur votre Illustre
Corps , et qu'il lui a donné de si fréquens
et de si heureux succès .
>
Il est vrai que tout a concouru à
vous les procurer , ces succès éclatans
conduits autrefois par M. de Turenne
c'est-à dire , par un Héros dont les rares
qualitez égaloient la haute Naissance ; et
commandez aujourd'hui par un Seigneur
du même Sang et de la même valeur
, il n'est pas surprenant que la Victoire
vous ait fuivi par tout, et que dans
le temps même de la Paix , la Gloire ne
Vous ait pas abandonné . Que vous ayez
fait tant de prodiges en Allemagne et en
Italie ; que M. de Turenne se soit crû invincible
à la tête de votre Régialent; que
Messieurs deCatinat et deVilleroy l'ayent
comblé d'Eloges; qu'à Luzara et à Calciil
ait ravi d'admiration M. le Duc
de Vendôme ; que vous soyez devenus ,
pour ainsi dire , sa Troupe favorie
qu'au lieu de prendre dans l'Infanterie
selon l'usage ordinaire , une Garde pour
sa Personne , il n'en ait pas voulu d'autre
que des Cavaliers si braves et si vigilans.
nato ,
et
3
Mais l'on peut dire aussi que sans le
secours du Tres- Haut , ces grands Capitaines
n'auroient pû inspirer à leurs Trou
pes de si glorieux sentimens.
A O UST. 1733. 1891
Oui , je le répéte , si vous avez été jusqu'ici
la terreur des Ennemis par votre
bravoure ,et si vous êtes aujourd'hui l'ornement
de l'Etat par votre Naissance et
vorre Probité , c'est qu'autrefois , comme
aujourd'hui , vous avez offert à Dieu vos
Armes avant les Batailles , et vos Trophées
après vos Victoires. Cette succession
de courage qu'on admire dans votre
invincible Légion , et qui a fourni aux
Armées du Roy des Généraux si distinguez
, n'est autre chose que la récompense
d'une si constante vertu .
Venez donc , Illustres Guerriers , consacrer
encore au Seigneur les préparatifs
de vos nouveaux Combats : Venez vous
dévouer vous - mêmes à la défenfe des
Autels de votre Dieu , de l'autorité de
votre Roy et de la sûreté de votre Patrie .
Semblables à cette Colomne de feu qui
brille sur vos Etendarts , continuez de
montrer aux autres le chemin de la Gloire
, et de leur apprendre, par votre exemple
, qu'il n'y a pas de valeur plus parfaite
que celle qui est soutenue par l'esprit.
de Religion .
Tel est . MESSIEURS , la grande , mais la
juste idée que vous laissez de vous dans
une Contrée qui ne vous perd qu'avec un
regret infini , et qui édifiée de la sagesse
de
1892 MERCURE DE FRANCE
de votre conduite , ne ces era de la proposer
pour modele à ceux qui vous y succederont.
Plaise au Ciel d'exaucer les voeux que je
fais pour une si noble Portion de nos Armées
, et après vous avoir accordé mille
Triomphes sur la terre , vous couronner
ensuite d'une gloire qui ne passera jamais.
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Résumé : DISCOURS prononcé par M. l'Evêque Duc de Laon, dans son Eglise Cathedrale, pour la Benediction des Etendarts du Régiment de LA CORNETTE BLANCHE, au mois d'Août 1733.
En août 1733, dans la cathédrale de Laon, l'évêque Duc de Laon bénit les étendards du Régiment de La Cornette Blanche. Il exprime sa gratitude envers Dieu, le qualifiant de 'Dieu des Combats, des Triomphes et de la Victoire'. L'orateur célèbre les succès militaires du régiment, autrefois dirigé par M. de Turenne et aujourd'hui par un seigneur de même lignée. Il mentionne les éloges reçus de généraux comme Messieurs de Catinat et de Villeroi. Les victoires sont attribuées aux talents des capitaines et au soutien divin. L'évêque encourage les soldats à continuer de consacrer leurs armes et trophées à Dieu, à défendre les autels, l'autorité du roi et la sûreté de la patrie. Le discours se conclut par un vœu pour que le régiment continue de briller par sa valeur et sa piété, servant de modèle aux générations futures.
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111
p. 2115-2120
L'UTILITÉ DES PRIX ACADEMIQUES. ODE qui a remporté le Prix de l'Académie de Marseille. Par M. d'Ardene.
Début :
Elide, jadis si chantée, [...]
Mots clefs :
Académie de Marseille, Utilité des prix académiques, Jeux, Ignorance, Esprit, Gloire, Succès, Vices
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texteReconnaissance textuelle : L'UTILITÉ DES PRIX ACADEMIQUES. ODE qui a remporté le Prix de l'Académie de Marseille. Par M. d'Ardene.
L'UTILITE'
DES PRIX ACADEMIQUES.
ODE qui a remporté le Prix de l'Académie
de Marseille. Par M. d'Ardene.
EE
Lide , jadis si chantée ,
Non ,je ne puis goûter tes Jeux ,
Leur pompe a beau m'être van
tée ,.
Qu'est-ce qu'un prix souvent douteux ?
Dans un tourbillon ( a ) de poussiere ,
( a ) Course des Chariots.
A ij Un
2116 MER CURE DE FRANCE
Un Char vole dans la carriere ,
Plus prompt que l'oeil du Spectateurs
A ses côtez suit la Victoire ;
Qui va-t'elle couvrir de gloire ,
Des Coursiers ou du Conducteur ?
Quels objets surprenans m'attirent ,
Des Rivaux courent (a) s'embrasser !
Ah Ciel ! j'en vois ( b ) qui ne respirent ,
Que le sang qu'ils content verser
Il coule ; quelle barbarie !
La Nature émuë , attendrie ,
I ;
En frémit; m'arrache à ces Lieux,
A ces Spectacles tu présides ,
Alecton , des Jeux homicides ,
Sont dignes d'amuser tes yeux.
Nos combats sont bien plus tranquiles.;
Minerve en dicta le projet.
Nobles , interessans , utiles ,
L'esprit en est l'ame et l'objet.
A le former nos Jeux aspirent ,
Ils nous enflamment , nous inspirent ;
Chaque instant hâte les succès.
La regle instruit ; l'exemple pique ;
( a ) La Lutte.
(b ) Les Gladiateurs.
L'Espr
OCTOBRE . 1733 2117
1733..
L'Esprit au loin se communique ;
Tout ressent de ses progrès.
Je te conçois , heureux prodige !
Un seul prix arme cent Rivaux.
C'est le point fixe qui dirige ,
Leur ambition , leurs travaux .
Tous animez par l'Esperance
Un d'entre eux plus hardi s'élance ,
Touche au but , se fait couronner.
Ces Emules qu'on voit paroître ,
Suivent de près le Char du Maître ;
Mais ne sont là que pour l'orner,
52
Calmez-vous , Troupe impatiente ,
Vos efforts ne sont pas déçûs.
Non , le triomphe que je chante ,
Sert le Vainqueur , er lês Vaincus.
Tel que ce Géant ( a ) formidable
Qui devenoit plus redoutable ,
Chaque fois qu'il fut terrassé ;
Mes chutes même m'affermissent.
Sur l'aréne , à mes pieds frémissent
Ceux par qui je fus renversé.
Heureuse à jamais la Contrée ,
(a ) Anthée.
A iij Qu'itj
2118 MERCURE DE FRANCE
Qu'illustrent de tels Combattans !
L'ignorance fuit éplorée ,
Du milieu de ses Habitans.
La Gloire avec fierté l'en chasse ,
Un sçavoir brillant la remplace ;
Que le génie est different !
Où l'on rougissoit de s'instruire ,
Un espoir flatteur n'a qu'à luire ,
On y rougit d'être ignorant.
M
L'Eloquence et la Poësie ,
Nos Jeux les ravirent aux Cieux.
D'un noble feu l'ame saisie ,
Nous parlons la Langue des Dieux.
Mais j'admire d'autres merveilles.
Nul secret n'échappe à nos veilles
Les voiles tombent devant nous.
Prodige obscur , hardi systême ,
Tout s'arrange , l'Olympe même ,
De nos lumieres est jaloux.
O vous de qui l'intelligence ,
Eut les succès les plus brillans ,
Nos Couronnes sont la semence ,
(a ) Differentes Académies qui par le prix qu'elles
distribuent , perfectionnent les Sciences les plus
utiles.
Qui
OCTOBRE
1 . 1733. 2119
Qui fit éclore vos talens .
C'est l'aiguillon qui les anime.
Que ne peut la soif et l'estime?
L'Univers lui doit sa splendeur.
Héros , Guerriers , ou Pacifiques ,
Arts utiles et magnifiques ,
Cette soif fit votre grandeur .
Quels changemens vois - je paroître !
L'esprit orné polit les moeurs. ,
La lumiere vient - elle à croître ?
Les Vertus germent dans les coeurs.]
La nuit sombre de l'ignorance ,
Des vices accroit la licence ,
Elle enfante l'égarement .
A l'aide de nos exercices ,
Et de l'ignorance et des vices ,
Nous triomphons également.
Villars , de qui la Terre ențiere ,
Admire et vante la valeur ,
Qui domptant ton ardeur guerriere ,
Sçus calmer l'Europe en fureur ,
Tu voulus pour combler ta gloire ,
*
* M. le Marechal de Villars vient de fonder
perpetuité le Prix qu'il fournissoit tous les ans
Académie de Marseille , dont il est Protecteur .
A j Aux
2120 MERCURE DE FRANCE
Aux doctes Filles de mémoire
Prêter un appui généreux ;
Les dons faits à ces Immortelles ,
Tu les rends immortels comme elles ,
Ton nom ne peut durer moins qu'eux.
L'Académie de Marseille a fait dé
clarer par son Secretaire , à l'Auteur de
cette Ode , lequel remporta les Prix de
Prose et de. Poësie de la même Académie
en 1931. de vouloir bien ne plus
travailler pour ces Prix.
DES PRIX ACADEMIQUES.
ODE qui a remporté le Prix de l'Académie
de Marseille. Par M. d'Ardene.
EE
Lide , jadis si chantée ,
Non ,je ne puis goûter tes Jeux ,
Leur pompe a beau m'être van
tée ,.
Qu'est-ce qu'un prix souvent douteux ?
Dans un tourbillon ( a ) de poussiere ,
( a ) Course des Chariots.
A ij Un
2116 MER CURE DE FRANCE
Un Char vole dans la carriere ,
Plus prompt que l'oeil du Spectateurs
A ses côtez suit la Victoire ;
Qui va-t'elle couvrir de gloire ,
Des Coursiers ou du Conducteur ?
Quels objets surprenans m'attirent ,
Des Rivaux courent (a) s'embrasser !
Ah Ciel ! j'en vois ( b ) qui ne respirent ,
Que le sang qu'ils content verser
Il coule ; quelle barbarie !
La Nature émuë , attendrie ,
I ;
En frémit; m'arrache à ces Lieux,
A ces Spectacles tu présides ,
Alecton , des Jeux homicides ,
Sont dignes d'amuser tes yeux.
Nos combats sont bien plus tranquiles.;
Minerve en dicta le projet.
Nobles , interessans , utiles ,
L'esprit en est l'ame et l'objet.
A le former nos Jeux aspirent ,
Ils nous enflamment , nous inspirent ;
Chaque instant hâte les succès.
La regle instruit ; l'exemple pique ;
( a ) La Lutte.
(b ) Les Gladiateurs.
L'Espr
OCTOBRE . 1733 2117
1733..
L'Esprit au loin se communique ;
Tout ressent de ses progrès.
Je te conçois , heureux prodige !
Un seul prix arme cent Rivaux.
C'est le point fixe qui dirige ,
Leur ambition , leurs travaux .
Tous animez par l'Esperance
Un d'entre eux plus hardi s'élance ,
Touche au but , se fait couronner.
Ces Emules qu'on voit paroître ,
Suivent de près le Char du Maître ;
Mais ne sont là que pour l'orner,
52
Calmez-vous , Troupe impatiente ,
Vos efforts ne sont pas déçûs.
Non , le triomphe que je chante ,
Sert le Vainqueur , er lês Vaincus.
Tel que ce Géant ( a ) formidable
Qui devenoit plus redoutable ,
Chaque fois qu'il fut terrassé ;
Mes chutes même m'affermissent.
Sur l'aréne , à mes pieds frémissent
Ceux par qui je fus renversé.
Heureuse à jamais la Contrée ,
(a ) Anthée.
A iij Qu'itj
2118 MERCURE DE FRANCE
Qu'illustrent de tels Combattans !
L'ignorance fuit éplorée ,
Du milieu de ses Habitans.
La Gloire avec fierté l'en chasse ,
Un sçavoir brillant la remplace ;
Que le génie est different !
Où l'on rougissoit de s'instruire ,
Un espoir flatteur n'a qu'à luire ,
On y rougit d'être ignorant.
M
L'Eloquence et la Poësie ,
Nos Jeux les ravirent aux Cieux.
D'un noble feu l'ame saisie ,
Nous parlons la Langue des Dieux.
Mais j'admire d'autres merveilles.
Nul secret n'échappe à nos veilles
Les voiles tombent devant nous.
Prodige obscur , hardi systême ,
Tout s'arrange , l'Olympe même ,
De nos lumieres est jaloux.
O vous de qui l'intelligence ,
Eut les succès les plus brillans ,
Nos Couronnes sont la semence ,
(a ) Differentes Académies qui par le prix qu'elles
distribuent , perfectionnent les Sciences les plus
utiles.
Qui
OCTOBRE
1 . 1733. 2119
Qui fit éclore vos talens .
C'est l'aiguillon qui les anime.
Que ne peut la soif et l'estime?
L'Univers lui doit sa splendeur.
Héros , Guerriers , ou Pacifiques ,
Arts utiles et magnifiques ,
Cette soif fit votre grandeur .
Quels changemens vois - je paroître !
L'esprit orné polit les moeurs. ,
La lumiere vient - elle à croître ?
Les Vertus germent dans les coeurs.]
La nuit sombre de l'ignorance ,
Des vices accroit la licence ,
Elle enfante l'égarement .
A l'aide de nos exercices ,
Et de l'ignorance et des vices ,
Nous triomphons également.
Villars , de qui la Terre ențiere ,
Admire et vante la valeur ,
Qui domptant ton ardeur guerriere ,
Sçus calmer l'Europe en fureur ,
Tu voulus pour combler ta gloire ,
*
* M. le Marechal de Villars vient de fonder
perpetuité le Prix qu'il fournissoit tous les ans
Académie de Marseille , dont il est Protecteur .
A j Aux
2120 MERCURE DE FRANCE
Aux doctes Filles de mémoire
Prêter un appui généreux ;
Les dons faits à ces Immortelles ,
Tu les rends immortels comme elles ,
Ton nom ne peut durer moins qu'eux.
L'Académie de Marseille a fait dé
clarer par son Secretaire , à l'Auteur de
cette Ode , lequel remporta les Prix de
Prose et de. Poësie de la même Académie
en 1931. de vouloir bien ne plus
travailler pour ces Prix.
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Résumé : L'UTILITÉ DES PRIX ACADEMIQUES. ODE qui a remporté le Prix de l'Académie de Marseille. Par M. d'Ardene.
Le texte est une ode qui a remporté le Prix de l'Académie de Marseille et traite de l'utilité des prix académiques. L'auteur, M. d'Ardene, compare les jeux académiques aux jeux anciens, violents et barbares, pour souligner la tranquillité et l'utilité des compétitions intellectuelles modernes. Ces jeux, inspirés par Minerve, visent à former l'esprit et à stimuler les progrès intellectuels. Un prix académique motive de nombreux concurrents, dirigés par l'ambition et l'espoir de la victoire. Même la défaite est bénéfique, car elle affermit les participants. Les prix académiques illustrent une contrée en chassant l'ignorance et en remplaçant la honte de s'instruire par un espoir flatteur. L'éloquence et la poésie sont ravies aux cieux par ces jeux. Les académies, par les prix qu'elles distribuent, perfectionnent les sciences utiles et animent les talents. La soif de connaissance et d'estime pousse les héros, guerriers ou pacifiques, à atteindre la grandeur. Les exercices académiques triomphent de l'ignorance et des vices, polit les mœurs et font croître la lumière. Le maréchal de Villars, protecteur de l'Académie de Marseille, a fondé un prix perpétuel pour soutenir les doctes filles de mémoire, rendant ainsi son nom immortel. L'Académie de Marseille a déclaré à l'auteur de cette ode, lauréat des prix de prose et de poésie en 1731, de ne plus travailler pour ces prix.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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112
p. 2652-2653
AUTRE.
Début :
De tout temps des Héros l'objet le plus cheri, [...]
Mots clefs :
Gloire
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AUTRE.
AUTR E.,
E tout temps des Héros l'objet le plus cheri,
Je his des plus grands coeurs le penchant favori.
De six Lettres , Lecteur , si vous en ôtez une ,
Je suis Fleuve. A quatre réduit
Vous me pourrez combiner avec fruit
Vous trou verez en moi semence fort commune -
Un des celestes Habitans ;
La Vaka
Al
1
DECEMBRE. 1733 265 3 .
Au son de mes divins accens
Les pierres furent entassées.
Je suis Monstre connu dans le Pays des Fées ;
Un animal qui dort long- temps ;
Un meuble utile à la cuisine ,
Muni d'une vertu divine ;"
Un Saint souffrit par moi les plus affreux toute
méns.
En trois je suis reglement sage ,
Pour la justice et le droit conserver.
Item. Un sacré Personnage
Chargé du soin de les faire observer.
Un vice qui rend l'homme à la bête semblable .
Mon chant dur et peu gracieux ,
Rome , fut autrefois à tes murs favorable..
En deux., objet de bien des voeux ,
Je naissois sous les mains d'un Prince malheureux.
Par Madame Marguillier.
E tout temps des Héros l'objet le plus cheri,
Je his des plus grands coeurs le penchant favori.
De six Lettres , Lecteur , si vous en ôtez une ,
Je suis Fleuve. A quatre réduit
Vous me pourrez combiner avec fruit
Vous trou verez en moi semence fort commune -
Un des celestes Habitans ;
La Vaka
Al
1
DECEMBRE. 1733 265 3 .
Au son de mes divins accens
Les pierres furent entassées.
Je suis Monstre connu dans le Pays des Fées ;
Un animal qui dort long- temps ;
Un meuble utile à la cuisine ,
Muni d'une vertu divine ;"
Un Saint souffrit par moi les plus affreux toute
méns.
En trois je suis reglement sage ,
Pour la justice et le droit conserver.
Item. Un sacré Personnage
Chargé du soin de les faire observer.
Un vice qui rend l'homme à la bête semblable .
Mon chant dur et peu gracieux ,
Rome , fut autrefois à tes murs favorable..
En deux., objet de bien des voeux ,
Je naissois sous les mains d'un Prince malheureux.
Par Madame Marguillier.
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113
p. 2678-2692
L'Opéra d'Issé, Extrait, [titre d'après la table]
Début :
L'Académie Royale de Musique a remis pour la quatriéme fois au Théatre [...]
Mots clefs :
Issé, Amour, Apollon, Hilas, Coeur, Philémon, Nymphe, Fête, Vers, Académie royale de musique, Théâtre, Gloire, Dragon, Pastorale, Berger
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'Opéra d'Issé, Extrait, [titre d'après la table]
'Académie Royale de Musique a res
mis pour la quatrième fois au Théatre
Issé , Pastorale Héroïque . Depuis l'année
1697. qu'elle parut pour la premiere
fois , on l'a reprise en 1708. et en 17194
et toujours avec plus de succès , cette
derniere reprise est des plus brillantes.
C'est le premier Ouvrage de deux jeunes
Auteurs , qui semblent se disputer
à qui entrera avec plus de vivacité dans
une carriere qu'ils ont depuis remplie
avec beaucoup d'éclat. M. de la Mothe
qui a fait le Poëme , qu'on croit antérieur
à celui de l'Europe Galante , n'y
dément pas le nom dejeune Homere , qu'il
se donne dans son Epitre Dédicatoire ,
où il choisit Monseigneur le Duc de
Bourgogne pour son Achille ; la gloire
qu'il s'est acquise depuis , a justifié son
ambition naissante ; on remarque que
son stile dans Issé n'est pas tout- à- fait
aussi correct qu'il l'a été dans beaucoup
d'autres Ouvrages qui lui ont assuré l'im
mortalité qu'il se proposoit pour prix
de ses travaux ; mais on en esr dédom
1. Vol
magt
DECEMBRE. 1733. 2679
magé par le plus beau feu qu'Apollon
puisse inspirer à un jeune Eleve.
M. Destouches , Auteur de la Musique ,
non moins avide de gloire , fait voir
dans cette Pastorale , qu'on peut dès
le premier pas faire douter si l'on pourra
se surpasser dans la suite ; son génie et
son goût s'y déployent tout entiers
rien de plus naturel que son chant , rien
de plus vif que ses peintures , sur tout
rien de plus flatteur que son récitatif.
Voilà le témoignage que la voix publique
nous excite à rendre , sur le mérite
des deux Auteurs de cette Pastorales
en voici l'Extrait .
La Fable du Jardin des Hesperides a
fourni à l'ingénieux Auteur de cette Pastorale
, le sujet d'un Prologue Allegorique.
La Paix que LOUIS LE GRAND
accorda à l'Europe , en est l'objet ; nous
ne pouvons donner une plus juste intelligence
de l'allégorie en question ,
qu'en nous servant des propres termes
de M. de, la Mothe . Les voicy.
Ce Prologue est une allégorie dont il est
aisé de découvrir les rapports. Le Jardin
des Hesperides représente l'Abondance ; le
Dragon qui en deffend l'entrée , y signifie
la Guerre , qui , suspendant le Commerce,
ferme aux Peuples qu'elle divise la voye
1. Vol.
do
2680 MERCURE DE FRANCE
de l'Abondance ; enfin Hercule , qui par
la
défaite du Dragon , rend ce Fardin accessible
à tout le monde , est l'image exacte du
Roy , qui n'a vaincu tant de fois que pour
pouvoir terminer la Guerre et rendre à ses
Peuples et à ses Voisrns , l'abondance qu'ils
souhaitoient.
Passons à l'action Théatrale.
Le Théatre représente le Jardin des Hesperides
; les Arbres sont chargez de fruits
d'or; et l'on découvre dans le fonds l'en
trée de ce Jardin deffendue par un Dragon
qui vomit incessamment des flammes.
La premiere Hesperide expose le sujet
par ces Vers :
Nous jouissons ici d'une douceur profonde ;
L'abondance en ces lieux regne de toutes parts;
Nos Bois et nos Vergers offrent à nos regards
Les seuls biens qu'adore le monde ;
Leurs fruits sont enviez du reste des Humains ;
Mais nous ne craignons rien du désir qui les
presse ;
Et ce Dragon veille sans cesse ,
Pour sauver nos trésors de leurs profanes mains.
Elle invite ses soeurs et tous les Habitans
de ce Jardin précieux à chanter le
bonheur dont ils jouissent. On entend
un bruit de guerre ; la premiere Hespeide
excite le Dragon à mettre en pieces
I. Vol. la
DECEMBRE . 1733. 268 i
téméraire Mortel qui vient chercher
La mort; Hercule combat le Dragon , et
en triomphe ; il rassure les Hesperides
par ces Vers :
Craignez-vous que mon bras vienne vous asservir,
Et faire de vos fruits un injuste pillage ?
Non ; je ne viens pas les ravir ;
Mais je veux que le monde avec vous les partage,
Jupiter vient confirmer la promesse
d'Hercule et lui parle ainsi :
Que ton bras se repose, ainsi que mon Tonnerre
Mon fils , termine tes travaux ;
Jouis toi- même du repos
Que ta valeur donne à la Terre.
Il rassemble les Peuples effrayez , qui
témoignent leur joye par ane Féte éclatante.
Jupiter termine ce charmant Pro
logue par ces Vers adressez à Hercule ,
c'est-à- dire au Héros de la France .
Alcide , ce grand jour marqué par la Victoire ,
Assure à l'Univers le sort le plus charmant ;
Plus d'un heureux évenement ,
En doit à l'avenir consacrer la memoire ,
Quand par un effort genereux ,
Ton bras vient aux Mortels rendre une Paix
profonde
5. Vol.
L'Hymenés
2682 MERCURE DE FRANCE
L'Hymenée et l'Amour joignant des plus beaux
noeuds ,
Deux coeurs formez pour le bonheur du monde.
De cette auguste Fête Apollon prend le soin ;
Viens avec tous les Dieux en être le témoin.
Tout le monde sent bien que Jupiter
annonce ici l'Hymen glorieux auquel
nous devons notre auguste Maître.
AU PREMIER ACTE , Apollon sous le
nom de Philemon , se plaint de l'Amour
qui ne l'a jamais blessé de ses Traits que
pour le rendre malheureux ; il se rappelle
la rigueur de Daphné et se reproche
de gémir encore sous de mêmes loix .
Pan , déguisé en Berger , lui conseille
de ne plus cacher sa Divinité aux yeux
d'Issé dont il est épris ; Apollon lui
répond qu'il ne veut devoir le coeur de
cette Nymphe qu'à son amour ; voyant
venir Issé , il se retire pour surprendre
son secret sans être apperçû . Issé , dans
un tendre Monologue , regrette la perte
de son heureuse indifference.
>
Doris soupçonne Issé d'aimer Hylas;
la Nymphe la laisse dans son erreur et
lui fait entendre la nouvelle situation
de son coeur par ces Vers :
Mes jours couloient dans les plaisirs ;
Je goûtois à la fois la paix et l'innocence ,
1. Vol et
DECEMBRE. 1733 2683
Et mon coeur satisfait de son indifference ,
Vivoit sans crainte et sans desirs ;
Mais depuis que l'Amour l'a rendu trop sensible,
Les plaisirs l'ont abandonné ;
Quel changement ! ô Ciel ! est- il possible ?
Non, ce n'est plus ce coeur si content , si paisible;
C'est un coeur tout nouveau que l'Amour m'a
donné.
On entend un bruit d'Instrumens s
Doris apprend à Issé que c'est une Fête
qu'Hilas a fair préparer pour elle.
La Suite d'Hilas représente les Néreïdes
et les Nymphes de Diane , conduites
par l'Amour et les Plaisirs, Hilas déclare
son amour à Issé par ces Vers :
L'Amour a tout soumis à ses loix souveraines ;
Il fait sentir ses feux dans l'humide séjour ;
Il blesse de ses traits , il charge de ses chaînes ,
La fiere Diane à son tour ;
Mais il n'est pas content de sa victoire ;
Le coeur d'Issé manque à sa gloire,
L'objet de cette Fête c'est d'inviter
Issé à aimer. Après la Fête la Nymphe
répond à Hilas :
Autant que je le puis , je résiste aux Amours ;
De leurs traits dangereux je redoute l'atteinte ;
Heureuse si ma crainte
2. Vol. M'an
2684 MERCURE DE FRANCE
M'en deffendoit toujours.
Cette réponse équivoque laisse un peu
d'esperance à Hilas .
Le Théatre représente au second Acte,
le Palais d'Issé et ses Jardins ; Issé se plaint
de l'Amour , et le prie de s'adresser à
d'autres coeurs qui se feroient un plaisir
de se rendre. Doris l'avertit que Philemon
s'avance.
Issé voudroit fuir la présence de Philemon
; mais ce Dieu , transformé en Berger,
Parrête. Cette Scene est très interessante
et très - bien dialoguée ; voici les
Vers qui la terminent.
Issé.
Cessez une ardeur si pressante ;
Je ne veux plus vous écouter .
Apollon.
'Arrêtez, Nymphe trop charmante,
Issé.
Non ; laissez - moi vous éviter.
Apollon.
Vous me fuyez et je vous aime !
Issé.
Je fuis l'Amour quand je vous fuis.
Apollon.
Dissipez le trouble où je suis,
I. Vol.
Issér
1
DECEMBRE. 1733. 2685
Issé.
N'augmentez pas celui qui m'agite moi- même.
Apollon.
Rendez-vous à mes feux.
Issé.
Ne tentez plus mon coeux,
Apollon.
Pourquoi craindre d'aimer.
Issé.
On doit craindre un
Vainqueur.
Apollon suit Issé , qui se retire. L'Acte
Eniroir ici , s'il n'y falloit une Fête ; l'Au
teur y supplée par un Episode ; Pan arrête
Doris , et lui parle d'amour , mais
sur un ton bien different de celui dont
Apellon vient d'en parler à Issé ; il sagit
d'un amour volage ; des Bergers , des
Bergeres et des Pâtres , viennent par
son ordre celebrer le plaisir d'être in ,
constans.
Au troisiéme Acte , Apollon dit à
Pan , que, tout aimé qu'il se croit de la
tendre Issé , il n'est pas encore parfaitement
heureux; il exprime ainsi ce qu'il
souhaite :
Je ne borne point mes desirs ,
A l'imparfait bonheur d'une flamme vulgaire ;
1. Vol.
G. Acheve
2686 MERCURE DE FRANCE
Acheve, acheve, Amour , de combler mes plaisirs;
Tu sçais ce qui te reste à faire,
Il dit à Pan, qui paroît surpris de voir
la celebre Forêt de Dodone , dont les
Arbres rendent des Oracles , qu'Issé doit
les consulter , et que par l'Oracle qu'ils
vont rendre , il sçaura si cette Nymphe
est digne de son amour. Il se retire avec
Pan à l'approche d'Hilas.
Hilas se plaint de l'Amour dont Issé
lui ; voici com- brûle pour un autre que
ment il s'exprime :
Sombres Déserts, témoins de mes tristes regrets;
Rien ne manque plus à ma peine.
Mes cris ont fait cent fois retentir ces Forêts ,
De la froideur d'une inhumaine ;
Hélas ! que n'est- ce encor le sujet qui m'amenę?
L'ingrate , de l'Amour ressent enfin les traits ;
Un perfide penchant l'entraîne.
Sombres Déserts , &c.
Issé qui vient consulter Dodone , veut
éviter la présence d'Hilas ; ce Berger l'arrête
pour se plaindre de l'amour qu'elle
sent pour un autre ; le Monologue et
le Dialogue font également honneur au
Poëte et au Musicien ; les plaintes d'Hilas
obligent Issé de se retirer , il la suit ,
Et le Théare resteroit vuide sans le se-
I. Vol. Cours
DECEMBRE. 1733. 2687
cours de l'Episode ; Pan et Doris se parlent
toujours sur le même ton ; ils conviennent
enfin de s'engager l'un à l'autre
le moins qu'ils pourront , ce qu'ils
font connoître par ce Duo :
Cédons à nos tendres désirs ;
Qu'un heureux penchant nous entraîne ;
Et que l'Amour laisse aux plaisirs
Le soin de serrer notre chaîne.
Leur convention étant faite, on reprend'
le fil de l'action principale ; les Prêtres
et les Prêtresses de Dodone viennent celebrer
leurs sacrez mysteres , et satisfaire le
desir curieux d'Issé , qui vient avec eux ,
et qui leur a déja fait entendre ce qu'el.e
souhaite. Rien n'est si beau que l'invccation
de Dodone ; le Poëte et le Musicien
s'y sont également surpassez ; " lcs
Rameaux mysterieux rendent enfin cet
Oracle :
3
Issé doit s'enflammer de l'ardeur la plus belle ;
Apollon veut être aimé d'elle.
Cet Oracle porte un coup fatal à l'a
mour que la Nymphe sent pour le faux
Philemon ; elle ne laisse pas d'assister à
la Fête qu'on celebre en l'honneur da
choix d'Apollon .
1. Vol. Gi
Le
1688 MERCURE DE FRANCE
Le Théatre représente au quatriéme
Acte une Grotte . Issé vient se plaindre
de la Loi fatale que l'Oracle de Dodone
vient de lui imposer ; ce Monologue.est
des plus touchants , tant par les paroles
que par la Musique ; il finit par cette
résolution d'Issé :
Vainement , Apollon , votre grandeur suprême
Fera luire à mes yeux ce qu'elle a de plus doux;
Je ne changerai pas pour vous ,
Le fidelle Berger que j'aime,
Le sommeil , accompagné des Songes ;
de Zephirs et de Nymphes , vient inviter
Issé au repos ; elle s'endort ; après
les danses , le Sommeil parle ainsi aux
Songes ;
Songes , pour Apollon , signalez votre zele ;
Il veut de cette Nymphe , éprouver tout l'amour,
Tracez à ses esprits une image fidelle
De la gloire du Dieu du jour,
Hilas vient déplorer son sort par un
Monologue , qui exprime tout l'amour
qu'il a pour Issé , qu'il trouve endormie ;
après ce récit , dont tous les Spectateurs
sont justement enchantez , Issé se reveil
le en sursaut , et dit ;
I.Vola
Qu'ai-je
DECEMBRE.
17332689
Qu'ai- je pensé quel songe est venu me séduire
?
J'ai cru voir Apollon quitter les cieux pour
moi ;
Je me trouvois sensible à l'ardeur qui l'inspire #
Un mutuel amour engageoit notre foy ,
Hélas ! cher Philemon , pour qui seul je sou
pire ,
Ne me reprochez point ces songes impuissans
Mon coeur n'a point de part à l'erreur de mes
sens.
Hilas frappé de la victoire que Philemon
remporte sur Apollon même dans
le coeur d'Issé , quitte cette Nymphe
pour jamais. Pan vient apprendre à İssé
que Philemon , instruit de l'Oracle de
Dodonne , se livre au désespoir ; Issé lui
demande où elle pourra le trouver pour
le rassurer ; Pan lui répond qu'il l'alaissé
dans le prochain Bocage . Issé part
sur le champ , pour aller secourir son
Amant, et finit ce bel Acte par ce Vers :
Vole , Amour , sui mes pas, et vien le rassurer.
Le Théatre représente au cinquième
'Acte , une Solitude. Doris commence
l'Acte , et Pan en remplit la seconde Scece
avec elle ; mais comme cela coupe l'action
dans l'endroit le plus interressant ,
nos Lecteurs ne trouveront pas mauvais
I.Vol. Giij que
2690 MERCURE DE FRANCE
que nous ne suivions pas exactement ce
Poëme ; nous passons donc à Appollon
et à Issé , pour qui tous les coeurs s'inté
ressent. Apollon jouit pleinement de la
victoire qu'il remporte sur lui - même ;
Issé n'oublie rien pour détruire les feintes
allarmes de son cher Philemon ; il
lui fait entendre ses frayeurs secrettes ,
par ces Vers :
Les noeuds
que l'Amour a formez ,
Vont être brisez par la gloire ;
Pardonnez mes transporss jaloux , &c.
La tendre Issé lui répond :
Je ne la connois point cette gloire fatale ;
Mon coeur ne reconnoit que vous ,
Ils se disent ensemble :
C'est moi qui vous aime ,
Le plus tendrement ;
Si vous m'aimiez de même ;
Mon sort seroit charmant.
&c.
On trouve que ce Duo étoit mieux
amené dans la premiere Edition ; il venoit
après ces Vers qu'Issé adressoit à son
cher Philemon :
Un vain espoir vous séduit et vous charme §
Et moi , je crains incessamment ,
I. Vol. Votre
DECEMBRE . 1733 2694
"
Votre amour espere aisément ,
Et le mien aisément s'allarme ,
Que nous aimons différemment !
C'est moi qui vous aime ,
Le plus tendrement.
Apollon fait enfin la derniere épreuve
du coeur d'Issé ; le Théatre change et représente
un Palais magnifique. On voit
les Heures qui descendent des Cieux sur
des nuages; Issé ne peut soûtenir ce spectacle
; elle tremble pour son Amant, elle
le presse de fuir avec elle , pour se dérober
à la fureur d'un Dieu jaloux ; Apollon
ne peut plus tenir contre des preuves
si éclatantes d'une fidelité inébranlable
; il se jette aux pieds d'Issé et lui
fait connoître que le Dieu qu'elle craint ',
et le Berger qu'elle aime , ne sont qu'une
même personne ; les Heures forment la
fête de ce dernier Acte , et cette aimable
Pastorale finit par un Choeur des plus
brillans.
On auroit souhaité qu'une action si interessante
ne fut pas coupée par un
Episode dont elle pourroit se passer absolument.
On doit même présumer que
M. de la Mothe s'est défié de lui- même,
quand il a appellé ce galant hors d'auvre
à son secours ; on croit même que s'il
1. Vol. Giiij avoit
2692 MERCURE DE FRANCE
avoit d'abord mis sa Pastorale en cinq
Actes , il l'auroit traitée plus séricusement
, et n'auroit pas rappellé hors de
saison ,une forme de Poëme Lyrique , dont
les Italiens sont les créateurs , que leur
premier imitateur avoit d'abord adoptée
; mais à laquelle il renonça après son
troisiéme Opera , parce qu'il s'apperçut
bien que les François ne s'en accommodoient
pas. Au reste cette Pastotale est
generalement approuvée ; et l'exécution
répond parfaitement à la bonté de l'Ouvrage.
La Dlle le Maure ne brille pas
moins dans le Rôle d'Issé , qu'elle avoit
fait dans celui d'Oriane , dans Amadis .
mis pour la quatrième fois au Théatre
Issé , Pastorale Héroïque . Depuis l'année
1697. qu'elle parut pour la premiere
fois , on l'a reprise en 1708. et en 17194
et toujours avec plus de succès , cette
derniere reprise est des plus brillantes.
C'est le premier Ouvrage de deux jeunes
Auteurs , qui semblent se disputer
à qui entrera avec plus de vivacité dans
une carriere qu'ils ont depuis remplie
avec beaucoup d'éclat. M. de la Mothe
qui a fait le Poëme , qu'on croit antérieur
à celui de l'Europe Galante , n'y
dément pas le nom dejeune Homere , qu'il
se donne dans son Epitre Dédicatoire ,
où il choisit Monseigneur le Duc de
Bourgogne pour son Achille ; la gloire
qu'il s'est acquise depuis , a justifié son
ambition naissante ; on remarque que
son stile dans Issé n'est pas tout- à- fait
aussi correct qu'il l'a été dans beaucoup
d'autres Ouvrages qui lui ont assuré l'im
mortalité qu'il se proposoit pour prix
de ses travaux ; mais on en esr dédom
1. Vol
magt
DECEMBRE. 1733. 2679
magé par le plus beau feu qu'Apollon
puisse inspirer à un jeune Eleve.
M. Destouches , Auteur de la Musique ,
non moins avide de gloire , fait voir
dans cette Pastorale , qu'on peut dès
le premier pas faire douter si l'on pourra
se surpasser dans la suite ; son génie et
son goût s'y déployent tout entiers
rien de plus naturel que son chant , rien
de plus vif que ses peintures , sur tout
rien de plus flatteur que son récitatif.
Voilà le témoignage que la voix publique
nous excite à rendre , sur le mérite
des deux Auteurs de cette Pastorales
en voici l'Extrait .
La Fable du Jardin des Hesperides a
fourni à l'ingénieux Auteur de cette Pastorale
, le sujet d'un Prologue Allegorique.
La Paix que LOUIS LE GRAND
accorda à l'Europe , en est l'objet ; nous
ne pouvons donner une plus juste intelligence
de l'allégorie en question ,
qu'en nous servant des propres termes
de M. de, la Mothe . Les voicy.
Ce Prologue est une allégorie dont il est
aisé de découvrir les rapports. Le Jardin
des Hesperides représente l'Abondance ; le
Dragon qui en deffend l'entrée , y signifie
la Guerre , qui , suspendant le Commerce,
ferme aux Peuples qu'elle divise la voye
1. Vol.
do
2680 MERCURE DE FRANCE
de l'Abondance ; enfin Hercule , qui par
la
défaite du Dragon , rend ce Fardin accessible
à tout le monde , est l'image exacte du
Roy , qui n'a vaincu tant de fois que pour
pouvoir terminer la Guerre et rendre à ses
Peuples et à ses Voisrns , l'abondance qu'ils
souhaitoient.
Passons à l'action Théatrale.
Le Théatre représente le Jardin des Hesperides
; les Arbres sont chargez de fruits
d'or; et l'on découvre dans le fonds l'en
trée de ce Jardin deffendue par un Dragon
qui vomit incessamment des flammes.
La premiere Hesperide expose le sujet
par ces Vers :
Nous jouissons ici d'une douceur profonde ;
L'abondance en ces lieux regne de toutes parts;
Nos Bois et nos Vergers offrent à nos regards
Les seuls biens qu'adore le monde ;
Leurs fruits sont enviez du reste des Humains ;
Mais nous ne craignons rien du désir qui les
presse ;
Et ce Dragon veille sans cesse ,
Pour sauver nos trésors de leurs profanes mains.
Elle invite ses soeurs et tous les Habitans
de ce Jardin précieux à chanter le
bonheur dont ils jouissent. On entend
un bruit de guerre ; la premiere Hespeide
excite le Dragon à mettre en pieces
I. Vol. la
DECEMBRE . 1733. 268 i
téméraire Mortel qui vient chercher
La mort; Hercule combat le Dragon , et
en triomphe ; il rassure les Hesperides
par ces Vers :
Craignez-vous que mon bras vienne vous asservir,
Et faire de vos fruits un injuste pillage ?
Non ; je ne viens pas les ravir ;
Mais je veux que le monde avec vous les partage,
Jupiter vient confirmer la promesse
d'Hercule et lui parle ainsi :
Que ton bras se repose, ainsi que mon Tonnerre
Mon fils , termine tes travaux ;
Jouis toi- même du repos
Que ta valeur donne à la Terre.
Il rassemble les Peuples effrayez , qui
témoignent leur joye par ane Féte éclatante.
Jupiter termine ce charmant Pro
logue par ces Vers adressez à Hercule ,
c'est-à- dire au Héros de la France .
Alcide , ce grand jour marqué par la Victoire ,
Assure à l'Univers le sort le plus charmant ;
Plus d'un heureux évenement ,
En doit à l'avenir consacrer la memoire ,
Quand par un effort genereux ,
Ton bras vient aux Mortels rendre une Paix
profonde
5. Vol.
L'Hymenés
2682 MERCURE DE FRANCE
L'Hymenée et l'Amour joignant des plus beaux
noeuds ,
Deux coeurs formez pour le bonheur du monde.
De cette auguste Fête Apollon prend le soin ;
Viens avec tous les Dieux en être le témoin.
Tout le monde sent bien que Jupiter
annonce ici l'Hymen glorieux auquel
nous devons notre auguste Maître.
AU PREMIER ACTE , Apollon sous le
nom de Philemon , se plaint de l'Amour
qui ne l'a jamais blessé de ses Traits que
pour le rendre malheureux ; il se rappelle
la rigueur de Daphné et se reproche
de gémir encore sous de mêmes loix .
Pan , déguisé en Berger , lui conseille
de ne plus cacher sa Divinité aux yeux
d'Issé dont il est épris ; Apollon lui
répond qu'il ne veut devoir le coeur de
cette Nymphe qu'à son amour ; voyant
venir Issé , il se retire pour surprendre
son secret sans être apperçû . Issé , dans
un tendre Monologue , regrette la perte
de son heureuse indifference.
>
Doris soupçonne Issé d'aimer Hylas;
la Nymphe la laisse dans son erreur et
lui fait entendre la nouvelle situation
de son coeur par ces Vers :
Mes jours couloient dans les plaisirs ;
Je goûtois à la fois la paix et l'innocence ,
1. Vol et
DECEMBRE. 1733 2683
Et mon coeur satisfait de son indifference ,
Vivoit sans crainte et sans desirs ;
Mais depuis que l'Amour l'a rendu trop sensible,
Les plaisirs l'ont abandonné ;
Quel changement ! ô Ciel ! est- il possible ?
Non, ce n'est plus ce coeur si content , si paisible;
C'est un coeur tout nouveau que l'Amour m'a
donné.
On entend un bruit d'Instrumens s
Doris apprend à Issé que c'est une Fête
qu'Hilas a fair préparer pour elle.
La Suite d'Hilas représente les Néreïdes
et les Nymphes de Diane , conduites
par l'Amour et les Plaisirs, Hilas déclare
son amour à Issé par ces Vers :
L'Amour a tout soumis à ses loix souveraines ;
Il fait sentir ses feux dans l'humide séjour ;
Il blesse de ses traits , il charge de ses chaînes ,
La fiere Diane à son tour ;
Mais il n'est pas content de sa victoire ;
Le coeur d'Issé manque à sa gloire,
L'objet de cette Fête c'est d'inviter
Issé à aimer. Après la Fête la Nymphe
répond à Hilas :
Autant que je le puis , je résiste aux Amours ;
De leurs traits dangereux je redoute l'atteinte ;
Heureuse si ma crainte
2. Vol. M'an
2684 MERCURE DE FRANCE
M'en deffendoit toujours.
Cette réponse équivoque laisse un peu
d'esperance à Hilas .
Le Théatre représente au second Acte,
le Palais d'Issé et ses Jardins ; Issé se plaint
de l'Amour , et le prie de s'adresser à
d'autres coeurs qui se feroient un plaisir
de se rendre. Doris l'avertit que Philemon
s'avance.
Issé voudroit fuir la présence de Philemon
; mais ce Dieu , transformé en Berger,
Parrête. Cette Scene est très interessante
et très - bien dialoguée ; voici les
Vers qui la terminent.
Issé.
Cessez une ardeur si pressante ;
Je ne veux plus vous écouter .
Apollon.
'Arrêtez, Nymphe trop charmante,
Issé.
Non ; laissez - moi vous éviter.
Apollon.
Vous me fuyez et je vous aime !
Issé.
Je fuis l'Amour quand je vous fuis.
Apollon.
Dissipez le trouble où je suis,
I. Vol.
Issér
1
DECEMBRE. 1733. 2685
Issé.
N'augmentez pas celui qui m'agite moi- même.
Apollon.
Rendez-vous à mes feux.
Issé.
Ne tentez plus mon coeux,
Apollon.
Pourquoi craindre d'aimer.
Issé.
On doit craindre un
Vainqueur.
Apollon suit Issé , qui se retire. L'Acte
Eniroir ici , s'il n'y falloit une Fête ; l'Au
teur y supplée par un Episode ; Pan arrête
Doris , et lui parle d'amour , mais
sur un ton bien different de celui dont
Apellon vient d'en parler à Issé ; il sagit
d'un amour volage ; des Bergers , des
Bergeres et des Pâtres , viennent par
son ordre celebrer le plaisir d'être in ,
constans.
Au troisiéme Acte , Apollon dit à
Pan , que, tout aimé qu'il se croit de la
tendre Issé , il n'est pas encore parfaitement
heureux; il exprime ainsi ce qu'il
souhaite :
Je ne borne point mes desirs ,
A l'imparfait bonheur d'une flamme vulgaire ;
1. Vol.
G. Acheve
2686 MERCURE DE FRANCE
Acheve, acheve, Amour , de combler mes plaisirs;
Tu sçais ce qui te reste à faire,
Il dit à Pan, qui paroît surpris de voir
la celebre Forêt de Dodone , dont les
Arbres rendent des Oracles , qu'Issé doit
les consulter , et que par l'Oracle qu'ils
vont rendre , il sçaura si cette Nymphe
est digne de son amour. Il se retire avec
Pan à l'approche d'Hilas.
Hilas se plaint de l'Amour dont Issé
lui ; voici com- brûle pour un autre que
ment il s'exprime :
Sombres Déserts, témoins de mes tristes regrets;
Rien ne manque plus à ma peine.
Mes cris ont fait cent fois retentir ces Forêts ,
De la froideur d'une inhumaine ;
Hélas ! que n'est- ce encor le sujet qui m'amenę?
L'ingrate , de l'Amour ressent enfin les traits ;
Un perfide penchant l'entraîne.
Sombres Déserts , &c.
Issé qui vient consulter Dodone , veut
éviter la présence d'Hilas ; ce Berger l'arrête
pour se plaindre de l'amour qu'elle
sent pour un autre ; le Monologue et
le Dialogue font également honneur au
Poëte et au Musicien ; les plaintes d'Hilas
obligent Issé de se retirer , il la suit ,
Et le Théare resteroit vuide sans le se-
I. Vol. Cours
DECEMBRE. 1733. 2687
cours de l'Episode ; Pan et Doris se parlent
toujours sur le même ton ; ils conviennent
enfin de s'engager l'un à l'autre
le moins qu'ils pourront , ce qu'ils
font connoître par ce Duo :
Cédons à nos tendres désirs ;
Qu'un heureux penchant nous entraîne ;
Et que l'Amour laisse aux plaisirs
Le soin de serrer notre chaîne.
Leur convention étant faite, on reprend'
le fil de l'action principale ; les Prêtres
et les Prêtresses de Dodone viennent celebrer
leurs sacrez mysteres , et satisfaire le
desir curieux d'Issé , qui vient avec eux ,
et qui leur a déja fait entendre ce qu'el.e
souhaite. Rien n'est si beau que l'invccation
de Dodone ; le Poëte et le Musicien
s'y sont également surpassez ; " lcs
Rameaux mysterieux rendent enfin cet
Oracle :
3
Issé doit s'enflammer de l'ardeur la plus belle ;
Apollon veut être aimé d'elle.
Cet Oracle porte un coup fatal à l'a
mour que la Nymphe sent pour le faux
Philemon ; elle ne laisse pas d'assister à
la Fête qu'on celebre en l'honneur da
choix d'Apollon .
1. Vol. Gi
Le
1688 MERCURE DE FRANCE
Le Théatre représente au quatriéme
Acte une Grotte . Issé vient se plaindre
de la Loi fatale que l'Oracle de Dodone
vient de lui imposer ; ce Monologue.est
des plus touchants , tant par les paroles
que par la Musique ; il finit par cette
résolution d'Issé :
Vainement , Apollon , votre grandeur suprême
Fera luire à mes yeux ce qu'elle a de plus doux;
Je ne changerai pas pour vous ,
Le fidelle Berger que j'aime,
Le sommeil , accompagné des Songes ;
de Zephirs et de Nymphes , vient inviter
Issé au repos ; elle s'endort ; après
les danses , le Sommeil parle ainsi aux
Songes ;
Songes , pour Apollon , signalez votre zele ;
Il veut de cette Nymphe , éprouver tout l'amour,
Tracez à ses esprits une image fidelle
De la gloire du Dieu du jour,
Hilas vient déplorer son sort par un
Monologue , qui exprime tout l'amour
qu'il a pour Issé , qu'il trouve endormie ;
après ce récit , dont tous les Spectateurs
sont justement enchantez , Issé se reveil
le en sursaut , et dit ;
I.Vola
Qu'ai-je
DECEMBRE.
17332689
Qu'ai- je pensé quel songe est venu me séduire
?
J'ai cru voir Apollon quitter les cieux pour
moi ;
Je me trouvois sensible à l'ardeur qui l'inspire #
Un mutuel amour engageoit notre foy ,
Hélas ! cher Philemon , pour qui seul je sou
pire ,
Ne me reprochez point ces songes impuissans
Mon coeur n'a point de part à l'erreur de mes
sens.
Hilas frappé de la victoire que Philemon
remporte sur Apollon même dans
le coeur d'Issé , quitte cette Nymphe
pour jamais. Pan vient apprendre à İssé
que Philemon , instruit de l'Oracle de
Dodonne , se livre au désespoir ; Issé lui
demande où elle pourra le trouver pour
le rassurer ; Pan lui répond qu'il l'alaissé
dans le prochain Bocage . Issé part
sur le champ , pour aller secourir son
Amant, et finit ce bel Acte par ce Vers :
Vole , Amour , sui mes pas, et vien le rassurer.
Le Théatre représente au cinquième
'Acte , une Solitude. Doris commence
l'Acte , et Pan en remplit la seconde Scece
avec elle ; mais comme cela coupe l'action
dans l'endroit le plus interressant ,
nos Lecteurs ne trouveront pas mauvais
I.Vol. Giij que
2690 MERCURE DE FRANCE
que nous ne suivions pas exactement ce
Poëme ; nous passons donc à Appollon
et à Issé , pour qui tous les coeurs s'inté
ressent. Apollon jouit pleinement de la
victoire qu'il remporte sur lui - même ;
Issé n'oublie rien pour détruire les feintes
allarmes de son cher Philemon ; il
lui fait entendre ses frayeurs secrettes ,
par ces Vers :
Les noeuds
que l'Amour a formez ,
Vont être brisez par la gloire ;
Pardonnez mes transporss jaloux , &c.
La tendre Issé lui répond :
Je ne la connois point cette gloire fatale ;
Mon coeur ne reconnoit que vous ,
Ils se disent ensemble :
C'est moi qui vous aime ,
Le plus tendrement ;
Si vous m'aimiez de même ;
Mon sort seroit charmant.
&c.
On trouve que ce Duo étoit mieux
amené dans la premiere Edition ; il venoit
après ces Vers qu'Issé adressoit à son
cher Philemon :
Un vain espoir vous séduit et vous charme §
Et moi , je crains incessamment ,
I. Vol. Votre
DECEMBRE . 1733 2694
"
Votre amour espere aisément ,
Et le mien aisément s'allarme ,
Que nous aimons différemment !
C'est moi qui vous aime ,
Le plus tendrement.
Apollon fait enfin la derniere épreuve
du coeur d'Issé ; le Théatre change et représente
un Palais magnifique. On voit
les Heures qui descendent des Cieux sur
des nuages; Issé ne peut soûtenir ce spectacle
; elle tremble pour son Amant, elle
le presse de fuir avec elle , pour se dérober
à la fureur d'un Dieu jaloux ; Apollon
ne peut plus tenir contre des preuves
si éclatantes d'une fidelité inébranlable
; il se jette aux pieds d'Issé et lui
fait connoître que le Dieu qu'elle craint ',
et le Berger qu'elle aime , ne sont qu'une
même personne ; les Heures forment la
fête de ce dernier Acte , et cette aimable
Pastorale finit par un Choeur des plus
brillans.
On auroit souhaité qu'une action si interessante
ne fut pas coupée par un
Episode dont elle pourroit se passer absolument.
On doit même présumer que
M. de la Mothe s'est défié de lui- même,
quand il a appellé ce galant hors d'auvre
à son secours ; on croit même que s'il
1. Vol. Giiij avoit
2692 MERCURE DE FRANCE
avoit d'abord mis sa Pastorale en cinq
Actes , il l'auroit traitée plus séricusement
, et n'auroit pas rappellé hors de
saison ,une forme de Poëme Lyrique , dont
les Italiens sont les créateurs , que leur
premier imitateur avoit d'abord adoptée
; mais à laquelle il renonça après son
troisiéme Opera , parce qu'il s'apperçut
bien que les François ne s'en accommodoient
pas. Au reste cette Pastotale est
generalement approuvée ; et l'exécution
répond parfaitement à la bonté de l'Ouvrage.
La Dlle le Maure ne brille pas
moins dans le Rôle d'Issé , qu'elle avoit
fait dans celui d'Oriane , dans Amadis .
Fermer
Résumé : L'Opéra d'Issé, Extrait, [titre d'après la table]
L'Académie Royale de Musique a représenté pour la quatrième fois l'œuvre 'Issé, Pastorale Héroïque' au Théâtre. Cette pastorale, créée en 1697, a été reprise en 1708 et 1719, chaque représentation rencontrant un succès croissant. La dernière reprise est particulièrement brillante. 'Issé' est le premier ouvrage de deux jeunes auteurs, M. de la Mothe et M. Destouches, qui ont tous deux brillamment entamé leur carrière. M. de la Mothe, auteur du poème, est comparé à un jeune Homère dans son épître dédicatoire à Monseigneur le Duc de Bourgogne. Son style dans 'Issé' n'est pas aussi correct que dans d'autres œuvres, mais il est marqué par un 'beau feu' inspiré par Apollon. M. Destouches, compositeur de la musique, démontre dès cette œuvre un génie et un goût remarquables, avec un chant naturel, des peintures vives et un récitatif flatteur. L'intrigue de 'Issé' s'inspire de la fable du Jardin des Hespérides, symbolisant l'abondance accordée par Louis le Grand à l'Europe après la paix. Le prologue allégorique représente le jardin défendu par un dragon (la guerre) et Hercule (le roi) qui vainc le dragon pour rendre l'abondance accessible. L'action se déroule dans le jardin des Hespérides, où les nymphes jouissent d'une abondance protégée par un dragon. Hercule combat et vainc le dragon, permettant à tous de partager les fruits du jardin. Jupiter confirme la promesse d'Hercule et annonce une fête pour célébrer la paix. Dans le premier acte, Apollon, sous le nom de Philemon, se plaint de l'amour qui le rend malheureux. Pan lui conseille de révéler son identité à Issé, dont il est épris. Issé, dans un monologue, regrette la perte de son indifférence. Doris, une amie, soupçonne Issé d'aimer Hylas. Hylas organise une fête pour déclarer son amour à Issé, mais elle résiste à ses avances. Le deuxième acte se déroule dans le palais d'Issé et ses jardins. Issé se plaint de l'amour et prie de ne pas être visée. Apollon, déguisé en berger, la retient et lui déclare son amour. Issé tente de fuir, mais Apollon la suit. Un épisode avec Pan et Doris interrompt la scène. Dans le troisième acte, Apollon exprime son désir de voir Issé partager son amour. Il consulte l'oracle de Dodone pour connaître les sentiments d'Issé. Hylas, désespéré, se plaint de l'amour non partagé d'Issé. L'oracle révèle qu'Issé doit aimer Apollon, ce qui la contrarie. Le quatrième acte montre Issé se plaindre de la loi imposée par l'oracle. Elle s'endort et rêve d'Apollon. À son réveil, elle trouve Hylas qui se lamente. Pan informe Issé du désespoir de Philemon, et elle part le rassurer. Le cinquième acte se déroule dans une solitude. Apollon et Issé expriment leurs sentiments. Issé rassure Philemon sur ses frayeurs secrètes, et ils se réconcilient. Dans la scène finale, Apollon teste la fidélité d'Issé. Un palais magnifique apparaît sur scène, avec les Heures descendant des cieux. Issé, inquiète pour son amant, le presse de fuir. Apollon, convaincu de sa fidélité, révèle qu'il est à la fois le dieu qu'elle craint et le berger qu'elle aime. Les Heures célèbrent cette révélation, et la pastorale se termine par un chœur brillant.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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114
p. 11-15
ARMIDE, CANTATE.
Début :
Dans les Jardins fleuris des Isles enchantées, [...]
Mots clefs :
Amour, Armes, Armide, Gloire, Combats, Victoire, Coeurs, Amants, Charmes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ARMIDE, CANTATE.
ARMIDE ,
CANTATE.
Ans les Jardins fleuris des Isles enchantées ,
Armide et son Amant couloient des jours heureux
,
De nul espoir cruel leurs ames tourmentées
Se livroient tendrement aux plaisirs amoureux
.
Dans les bras du repos , au sein de la molesse
Ils goutoient les douceurs de cette aimable
yvresse ;
Que ressentent des coeurs par l'amour animez ;
Leurs yeux étoient baignez de ces heureuses
larmes ,
Que toujours font couler les désirs enflammez ;
L'un de l'autre charmez , ils vivoient sans allarmes,
Bij Er
12 MERCURE DE FRANCE
Et sentoient ces transports, ces doux saisissemens,
Qui font tous les plaisirs des plus tendres
Amans .
L'Amour ne va point sans les charmes
Quand il unit deux jeunes coeurs ;
Lorsque nous lui rendons les armes ,
Il nous prodigue ses faveurs.
Que sert contre ce Dieu terrible
D'armer une vaine rigueur ?
Par tout le titre d'invincible ,
Suit ce redoutable vainqueur,
;
L'Amour ne va point sans les charmes ,
Quand il unit deux jeunes coeurs ;
Lorsque nous lui rendons les armes ,
Il nous prodigue ses faveurs.
Dans cet agréable séjour ,
Des plus vives couleurs la terre est émaillée s
La Reine du Printemps , décemment habillée ,
Y tient sa florissante Cour.
Les Zéphirs réunis sur ce charmant rivage ,
D'un fouffle bienfaisant agitent le feuillage ;
Des Ruisseaux argentez arrosent ces beaux
lieux ;
Instruits par la seule nature
Mille
JANVIER. 1734 13
Mille Oyseaux de leur chants font retentir les
Cieux ;
Des Nymphes de riche Parure ,
Foulent d'un pied léger les verdoyans gazons ;
Et les Ris , et les Jeux, les Plaisirs , et les Graces,
Du Prince de Cythere accompagnant les traces ;
Récitent ces douces Chansons.
Heureux Amans , profitez de la vie ,
Goutez en paix sa tranquile douceur ;
Chérissez-vous ; l'Amour vous y convie ;
Rien ne sçauroit troubler votre bonheur.
Comme un Zéphir la jeunesse s'envole ,
Nos plus beaux jours passent rapidement ;
Les ris fayans comme une ombre frivole
Se font , hélas ! regretter vainement.
Heureux Amans , profitez de la vie ,
Goutez en paix sa tranquile douceur ,
Chérissez-vous ; l'Amour vous y convic ,
Rien ne sçauroit troubler votre bonheur.
Si-tôt que le Soleil eut dissipé les ombres ,
Armide descendit dans les Royaumes sombres ;
Pour exercer ses noirs enchantemens ;
Aux regards du Héros plongé dans la molesse ,
La gloire fait briller ses nobles agrémens ,
Il la voit , et cedant à ses puissans appas ,
B
Π
14 MERCURE DE FRANCE
Il s'éloigne soudain de cette Isle fatale ,
Et rapellant sa valeur sans égale ,
Pour signaler ses coups , il cherche les combats.
Déja la victoire
Vole sur ses pas ;
Guidé par la Gloire ,
Tout cede à son Bras.
L'horreur , le Carnage ,
Suivent ce vainqueur ;
Et par tout sa rage,
Répand la terreur .
Parmi les allarmes ,
Pallas le conduit ;
Jettant bas les armes
L'Ennemi s'enfuit.
Armide cependant revient dans son Boccage ;
Mais bien-tôt la pâleur couvre son beau visage,
Quand elle n'y voit plus son perfide Héros ,
Pleurant sa funeste disgrace ,
Elle gémit , elle menace ,
Et croit le rappeller par ses tristes sanglots,
Inutiles fureurs ! Amante inalheureuse !
Tes plaintes , tes soupirs ne pourront ramener
Celui qui , dédaignant ta beauté généreuse ,
Après tant de bienfaits a pu t'abandonner.
Um
JANVIER. 1734.
Un coeur épris de la gloire ,
D'amour méprise les traits ;
Les Combats et la Victoire ,
Ont pour lui bien plus d'attraits.
Venus offre en vain ses charmes
Aux magnanimes Guerriers ,
Quand le puissant Dieu des Armes ,
Les couronne de Lauriers .
Un coeur épris de la gloire ,
D'Amour méprise les traits ;
Les Combats et la Victoire
Ont pour lui bien plus d'attraits.
AUBRY DE TRUNGY.
CANTATE.
Ans les Jardins fleuris des Isles enchantées ,
Armide et son Amant couloient des jours heureux
,
De nul espoir cruel leurs ames tourmentées
Se livroient tendrement aux plaisirs amoureux
.
Dans les bras du repos , au sein de la molesse
Ils goutoient les douceurs de cette aimable
yvresse ;
Que ressentent des coeurs par l'amour animez ;
Leurs yeux étoient baignez de ces heureuses
larmes ,
Que toujours font couler les désirs enflammez ;
L'un de l'autre charmez , ils vivoient sans allarmes,
Bij Er
12 MERCURE DE FRANCE
Et sentoient ces transports, ces doux saisissemens,
Qui font tous les plaisirs des plus tendres
Amans .
L'Amour ne va point sans les charmes
Quand il unit deux jeunes coeurs ;
Lorsque nous lui rendons les armes ,
Il nous prodigue ses faveurs.
Que sert contre ce Dieu terrible
D'armer une vaine rigueur ?
Par tout le titre d'invincible ,
Suit ce redoutable vainqueur,
;
L'Amour ne va point sans les charmes ,
Quand il unit deux jeunes coeurs ;
Lorsque nous lui rendons les armes ,
Il nous prodigue ses faveurs.
Dans cet agréable séjour ,
Des plus vives couleurs la terre est émaillée s
La Reine du Printemps , décemment habillée ,
Y tient sa florissante Cour.
Les Zéphirs réunis sur ce charmant rivage ,
D'un fouffle bienfaisant agitent le feuillage ;
Des Ruisseaux argentez arrosent ces beaux
lieux ;
Instruits par la seule nature
Mille
JANVIER. 1734 13
Mille Oyseaux de leur chants font retentir les
Cieux ;
Des Nymphes de riche Parure ,
Foulent d'un pied léger les verdoyans gazons ;
Et les Ris , et les Jeux, les Plaisirs , et les Graces,
Du Prince de Cythere accompagnant les traces ;
Récitent ces douces Chansons.
Heureux Amans , profitez de la vie ,
Goutez en paix sa tranquile douceur ;
Chérissez-vous ; l'Amour vous y convie ;
Rien ne sçauroit troubler votre bonheur.
Comme un Zéphir la jeunesse s'envole ,
Nos plus beaux jours passent rapidement ;
Les ris fayans comme une ombre frivole
Se font , hélas ! regretter vainement.
Heureux Amans , profitez de la vie ,
Goutez en paix sa tranquile douceur ,
Chérissez-vous ; l'Amour vous y convic ,
Rien ne sçauroit troubler votre bonheur.
Si-tôt que le Soleil eut dissipé les ombres ,
Armide descendit dans les Royaumes sombres ;
Pour exercer ses noirs enchantemens ;
Aux regards du Héros plongé dans la molesse ,
La gloire fait briller ses nobles agrémens ,
Il la voit , et cedant à ses puissans appas ,
B
Π
14 MERCURE DE FRANCE
Il s'éloigne soudain de cette Isle fatale ,
Et rapellant sa valeur sans égale ,
Pour signaler ses coups , il cherche les combats.
Déja la victoire
Vole sur ses pas ;
Guidé par la Gloire ,
Tout cede à son Bras.
L'horreur , le Carnage ,
Suivent ce vainqueur ;
Et par tout sa rage,
Répand la terreur .
Parmi les allarmes ,
Pallas le conduit ;
Jettant bas les armes
L'Ennemi s'enfuit.
Armide cependant revient dans son Boccage ;
Mais bien-tôt la pâleur couvre son beau visage,
Quand elle n'y voit plus son perfide Héros ,
Pleurant sa funeste disgrace ,
Elle gémit , elle menace ,
Et croit le rappeller par ses tristes sanglots,
Inutiles fureurs ! Amante inalheureuse !
Tes plaintes , tes soupirs ne pourront ramener
Celui qui , dédaignant ta beauté généreuse ,
Après tant de bienfaits a pu t'abandonner.
Um
JANVIER. 1734.
Un coeur épris de la gloire ,
D'amour méprise les traits ;
Les Combats et la Victoire ,
Ont pour lui bien plus d'attraits.
Venus offre en vain ses charmes
Aux magnanimes Guerriers ,
Quand le puissant Dieu des Armes ,
Les couronne de Lauriers .
Un coeur épris de la gloire ,
D'Amour méprise les traits ;
Les Combats et la Victoire
Ont pour lui bien plus d'attraits.
AUBRY DE TRUNGY.
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Résumé : ARMIDE, CANTATE.
Le texte raconte l'histoire d'Armide et de son amant, qui vivent des jours heureux dans les jardins enchantés des îles. Leur amour les libère des tourments et ils savourent les plaisirs amoureux, décrits comme un dieu invincible prodiguant ses faveurs. Leur séjour est idyllique, avec une nature florissante et des nymphes foulant les gazons. Cependant, la jeunesse et les plaisirs passent rapidement. Un matin, Armide descend dans les royaumes sombres pour exercer ses enchantements. Son amant, rappelé à la gloire, s'éloigne de l'île et cherche les combats. Guidé par la gloire, il remporte des victoires et répand la terreur parmi ses ennemis. De son côté, Armide revient dans son bocage, mais la pâleur couvre son visage lorsqu'elle ne voit plus son héros. Elle pleure et gémit, mais ses plaintes sont inutiles. Un cœur épris de gloire méprise les traits de l'amour et préfère les combats et la victoire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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115
p. 219-222
A MLLE DE MALCRAIS. EPITRE.
Début :
Une plume plus délicate [...]
Mots clefs :
Coeur, Plume, Malcrais, Écrits, Gloire, Esprit
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : A MLLE DE MALCRAIS. EPITRE.
A MLLE DE MALCRAIS.
EPITRE.
Une plume plus délicate
Que n'est celle qui vous écrit ,
Et dont l'encens chatouille et flate
Le coeur , et satisfait l'esprit .
Cette plume à jamais celebre
Depuis la Seine jusqu'à l'Ebre ,
Depuis l'Ebre jusques aux bords
Qu'arrose la Tamise altiere ;
Enfin dont les nobles essors ,
Jusqu'aux lieux où naît la lumiere
Bientôt se feront admirer ;
Cette plume ajoute à sa gloire
La gloire de vous célébrer ;
Par-là croyant mieux s'assurer
Un nom d'éternelle mémoire
Voltaire en tous lieux si vanté
Unit son nom avec le vôtre ,
Et vous charmerez l'un et l'autre
La derniere posterité,
Touché de cet exemple illustre ,
Malcrais , que ne puis -je à mon nom
Assurer un aussi beau lustre
En
220 MERCURE DE FRANCE
C
En celebrant votre renom ?
Jusques-ici dans le silence ,
Content d'admirer vos Ecrits ,
Et charmé que toute la France
Vous en donnât le juste prix ,
J'ai sçû résister à l'envie ,
A l'ardeur de vous exalter ,
Mais enfin mon ame ravie
Ne sçauroit plus y résister.
Je veux d'une Muze nouvelle
Chanter les admirables traits ;
Et la Déesse la plus belle
Pour mon coeur auroit moins d'attrain ,
Que n'en à l'illustre Immortelle
Qui porte le nom de Malcrais.
Son esprit me la represente
Vive , gracieuse , amusante ;
De ses beaux yeux le feu charmant
Fenetre jusqu'au fond de l'ame s
Qui la voit , l'entend un moment ,
Ressent la plus ardente flame ,
Et fait en soi-même serment
De l'aimer éternellement.
Il fait ce serment en soi- même,
Non à l'objet de son ardeur ;
C'est en secret qu'il faut qu'on l'aime ,
Renonçant au bonheur extrême
De
FEVRIER 1734 . 228
De triompher de sa rigueur ;
Sa raison est saloy suprême ,
Et son esprit défend son coeur.
Oui , telle est l'adorable idée
Que je me fais de vous, Malcrais ,
Et ma plume s'est hazardée
A vous en tracer tous les traits.
Je jurerois qu'ils vous ressemblent ;
Vos charmants Ecrits les rassemblent,
Par-là , justement admirez ;
C'est d'eux que je les ai tirez.
Un Auteur a beau se contraindre :
Digne d'estime ou de mépris ,
La nature dans ses Ecrits
Le force toûjours à se peindre.
Quelque sujet que vous traitiez ,
Par tout on vous trouve admirable ,
Et quelque ton que vous preniez ,
Vous paroissez toûjours aimable.
Que l'on celebre vos talens
Du Couchant jusques à l'Aurore ;
Qu'on vous admire , j'y consens ;
Moi , je faisplus , je vous adore.
De mon coeur acceptez le don.
Pour que votre gloire y consente ,
De celui qui vous le présente ,
Je prétends vous cacher le nom .
L'ignorant , vous croirez peut-être
2
B Que
ނ
222 MERCURE DE FRANCE
Que ce don pourroit vous flater ,
Au lieu que me faisant connoître ,
Il pourroit bien vous irriter.
Ne pressez donc point ma disgrace ,
Et contentez-vous de sçavoir
Que se prêtant à mon audace ,
Vos neuf Soeurs sur le Mont Parnassé
Daignent par fois me recevoir.
Calliope ni Melpomene
N'ont jamais élevé mes sons ,
Quoique parmi ses nourriçons
Phoebus m'ait placé sur la Scene.
Voltaire plein d'un feu divin
Chausse le Cothurne tragique :
Ma Muse naïve et comique ,
Ne chausse que le Brodequin.
N. D.
EPITRE.
Une plume plus délicate
Que n'est celle qui vous écrit ,
Et dont l'encens chatouille et flate
Le coeur , et satisfait l'esprit .
Cette plume à jamais celebre
Depuis la Seine jusqu'à l'Ebre ,
Depuis l'Ebre jusques aux bords
Qu'arrose la Tamise altiere ;
Enfin dont les nobles essors ,
Jusqu'aux lieux où naît la lumiere
Bientôt se feront admirer ;
Cette plume ajoute à sa gloire
La gloire de vous célébrer ;
Par-là croyant mieux s'assurer
Un nom d'éternelle mémoire
Voltaire en tous lieux si vanté
Unit son nom avec le vôtre ,
Et vous charmerez l'un et l'autre
La derniere posterité,
Touché de cet exemple illustre ,
Malcrais , que ne puis -je à mon nom
Assurer un aussi beau lustre
En
220 MERCURE DE FRANCE
C
En celebrant votre renom ?
Jusques-ici dans le silence ,
Content d'admirer vos Ecrits ,
Et charmé que toute la France
Vous en donnât le juste prix ,
J'ai sçû résister à l'envie ,
A l'ardeur de vous exalter ,
Mais enfin mon ame ravie
Ne sçauroit plus y résister.
Je veux d'une Muze nouvelle
Chanter les admirables traits ;
Et la Déesse la plus belle
Pour mon coeur auroit moins d'attrain ,
Que n'en à l'illustre Immortelle
Qui porte le nom de Malcrais.
Son esprit me la represente
Vive , gracieuse , amusante ;
De ses beaux yeux le feu charmant
Fenetre jusqu'au fond de l'ame s
Qui la voit , l'entend un moment ,
Ressent la plus ardente flame ,
Et fait en soi-même serment
De l'aimer éternellement.
Il fait ce serment en soi- même,
Non à l'objet de son ardeur ;
C'est en secret qu'il faut qu'on l'aime ,
Renonçant au bonheur extrême
De
FEVRIER 1734 . 228
De triompher de sa rigueur ;
Sa raison est saloy suprême ,
Et son esprit défend son coeur.
Oui , telle est l'adorable idée
Que je me fais de vous, Malcrais ,
Et ma plume s'est hazardée
A vous en tracer tous les traits.
Je jurerois qu'ils vous ressemblent ;
Vos charmants Ecrits les rassemblent,
Par-là , justement admirez ;
C'est d'eux que je les ai tirez.
Un Auteur a beau se contraindre :
Digne d'estime ou de mépris ,
La nature dans ses Ecrits
Le force toûjours à se peindre.
Quelque sujet que vous traitiez ,
Par tout on vous trouve admirable ,
Et quelque ton que vous preniez ,
Vous paroissez toûjours aimable.
Que l'on celebre vos talens
Du Couchant jusques à l'Aurore ;
Qu'on vous admire , j'y consens ;
Moi , je faisplus , je vous adore.
De mon coeur acceptez le don.
Pour que votre gloire y consente ,
De celui qui vous le présente ,
Je prétends vous cacher le nom .
L'ignorant , vous croirez peut-être
2
B Que
ނ
222 MERCURE DE FRANCE
Que ce don pourroit vous flater ,
Au lieu que me faisant connoître ,
Il pourroit bien vous irriter.
Ne pressez donc point ma disgrace ,
Et contentez-vous de sçavoir
Que se prêtant à mon audace ,
Vos neuf Soeurs sur le Mont Parnassé
Daignent par fois me recevoir.
Calliope ni Melpomene
N'ont jamais élevé mes sons ,
Quoique parmi ses nourriçons
Phoebus m'ait placé sur la Scene.
Voltaire plein d'un feu divin
Chausse le Cothurne tragique :
Ma Muse naïve et comique ,
Ne chausse que le Brodequin.
N. D.
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Résumé : A MLLE DE MALCRAIS. EPITRE.
L'épître est dédiée à Mlle de Malcrais, célébrant ses talents littéraires et sa personnalité. L'auteur admire sa renommée, qui s'étend de la Seine à l'Ebre et jusqu'à la Tamise. Voltaire est mentionné comme un allié littéraire, prédisant que leurs noms charmeront la postérité. L'auteur exprime son désir de célébrer le renom de Mlle de Malcrais, qu'il décrit comme vive, gracieuse et amusante. Il admire ses écrits, qui révèlent son esprit et son cœur. Quel que soit le sujet traité, Mlle de Malcrais apparaît toujours admirable et aimable. L'auteur conclut en déclarant son adoration pour elle, tout en restant anonyme pour éviter de l'irriter. Il se décrit comme un poète modeste, préférant le brodequin comique au cothurne tragique, contrairement à Voltaire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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116
p. 336-341
RECEPTION de MM. de Moncrif et Dupré de Saint Maur, à l'Académie Françoise le 29. Décembre 1733.
Début :
Mr de Moncrif commença son Discours par exposer l'utilité et les avantages de [...]
Mots clefs :
Académie française, Éloge, Discours, Cardinal Richelieu, Gloire, Académicien, Louis XIV, Esprit, Orateur, Nicolas-François Dupré de Saint-Maur, François-Augustin Paradis de Moncrif
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texteReconnaissance textuelle : RECEPTION de MM. de Moncrif et Dupré de Saint Maur, à l'Académie Françoise le 29. Décembre 1733.
RECEPTION de M M. de Moncrif
et Dupré de Saint Maur , à l'Académie
Françoise le 29. Décembre 1733 .
M
R de Moncrif commença son Discours
par exposer l'utilité et les avantages de
P'Académie Françoise , non - seulement pour la
perfection de la Langue, mais même pour le progrès
de l'esprit, » Fixer le sens veritable de cha
mqua
FEVRIER. 1734. 337
5 ) que mot ... faire connoître en quoi consistent
ces tours heureux d'où naissent et la force et
P'agrément du langage , n'est- ce pas , dit - il ,
guider l'esprit ? ... n'est - ce pas lui donner lieu
de s'étendre et de se perfectionner ? » L'Orateur
fit ensuite successivement l'Eloge de l'illustre
Fondateur de cette Académie le Cardinal de Richelieu
, celui de M. Seguier , de Louis XIV . de
M. de Caumartin , dont M. de Montcrif remplit
la place vacante, de M.le Cardinal de Fleury,
de M. le Maréchal de Villars , et M. le Comte
de Clermont. Qu'il nous soit permis de toucher
quelques traits de ces Eloges .
ກ
En parlant du Cardinal de Richelieu , » Ce
» Cardinal dont le génie également vaste et su-
» blime , fit sentir à toute l'Europe que pour por-
» ter la France au plus haut degré de splendeur ,
» il ne falloit que lui apprendre à se connoître; Armand
, dis - je , après avoir étendu les limites
» et multiplié les avantages interieurs de l'Etat ,
s'empressa d'y ajoûter ce Monument , qui de-
» voit en accroître la gloire ... Richelieu voulut
former un établissement , qui dès sa naissance
présentât toute son utilité , il fonda l'Académie
Françoise. L'effet répondit à son attente
; l'Ouvrage parut , il étoit perfectionné ...
» C'étoit le siecle des prodiges. Louis XIV . regnoit
... Tout devoit marquer l'ascendant de'
Louis XIV . devenu votre Protecteur , il sembla
» qu'il avoit applani les routes pénibles que les
59
3
so talents et la science avoient été forcez de suivre
>> jusqu'alors.
5
Après avoir fait l'éloge de M. de Caumartin ,
le nouvel Académicien ajoûta en parlant de PAcadémie
; il est des objets de notre admiration ,
qui bien loin de perdre à être examinez de près, ၁၁
>> neus
338 MERCURE DE FRANCE
1
nous frappent au contraire plus vivement et
s'embellissent à mesure qu'on peut les distinguer
et les connoître davantage. Le Prince *à qui
"J'ai l'honneur d'être attaché, me le fait éprou-
» ver tous les jours . Il semble par l'habitude de
l'approcher (et il est bien rare que de l'habitude
» naissent des sujets d'éloge ) il semble , dis je ,
soit que qu'en lui l'éclat du rang ne la récompense
des qualitez personnelles , & c,
20
Le Discours de M. Dupré de Saint Maur
eut aussi des traits d'une éloquence variée ,
vive et animée . Il exposa le progrès de la Langue
Françoise , par les soins et les travaux
des illustres Membres de cette Académie dès
le temps même de sa fondation , c'est-à- dire ,
sous l'illustre Cardinal de Richelieu. » Ce sublime
génie , dit- il , semblable à ces intelligences
qui président aux destins des Empires ,
et sous le Chancelier Seguier , qui acheva cer
établissement. L'Académicien fit ensuite l'Eloge
de son Prédecesseur M. l'Evêque de Langres.
Après avoir touché son illustre naissance et fait
appercevoir l'étendue de ses connoissances : » Des
talens si distinguez , ajouta - t'il , lui mériterent
» l'honneur de votre adoption , mais la douceur
» qu'il goûtoit dans vos Exercices , ne prévalut
point sur ses devoirs. L'Episcopat vous l'enleva
» et sa résidence dans son Diocèse , où il s'ense-
» velit jusqu'à la mort consomme son Eloge.
"
&
L'Orateur témoigna ensuite modestement qu'il
n'attribuoit point à sa Traduction du Poëme de
Milton , l'honneur qu'il avoit de remplacer l'il-
Justre Academicien dont il venoit de faire l'Eloge
mais plutôt au souvenir que l'Académie a cor❤
Son A. S. Monseigneur le Comte de Clermons.
servé
'
FEVRIER . 1734. 339
"
servé de feu M.de Valincourt, auquel il avoit été
uni par le sang. L'Eloge de Louis XIV . fut court
mais très- bien manié. » France , dit - il , ta splendeur
est l'ouvrage de cet auguste Monarque ;
»tu lui dois plus , tu lui dois un Prince dans le
quel tu vois revivre toutes ses vertus , son zele
pour la Religion , son amour pour la justice ,
» sa tendresse pour ses Peuples et cette prudence
consommée , qui dans l'âge des passions
» le rend aussi maître de lui-même , qu'impenetrable
dans ses secrets, Nous passons plusieurs
traits de cet Eloge , où l'Orateur , en parlant des
nouvelles conquêtes du Roy , invite l'Académie
à les publier. Continuez , Messieurs , dit- il en
finissant son Discours , de transmettre à la
posterité les louanges de ce grand Roy. Vous y
" joindrez celles d'un Ministre vertueux , modes.
» te , équitable , occupé du bien public , négli
"}
まる
gent sa propre grandeur , et qui dans le plus
» haut rang, n'a d'autres richesses en partage que
» la confiance de son Maître et la veneration des
hommes . Les sages principes par lesquels il
» se conduit , n'ont jamais varié , et les sentimens
qu'il a imprimez à notre jeune Monarque
" assurent notre felicité .
ן כ
M. de Boze, Directeur de l'Academie, répondit
aux deux nouveaux Académiciens par un Discours
où l'éloquence et la délicatesse se trouvent réunis.
Après avoir fait remarquer que quelque douleur
dont l'Académie soit penetrée en perdant
d'illustres Confreres , il y auroit de l'injustice à
ne cesser de s'y livrer , puisqu'après tout sans ces
révolutions l'Académie n'auroit pas eu l'avantage
de posseder depuis son établissement tout ce que
France a produit de plus distingué par l'éru
dition , le goût et la politesse , il fit l'éloge de
feu
340 MERCURE DE FRANCE
*
feu M. l'Evêque de Blois ; et en s'adressant ensuite-
à M. de Montcrif : » Achevez , dit - il , de le
remplacer par vos sentimens pour l'Académie...
et , si nous sommes en droit d'exiger quelque
chose de plus , par votre empressement à marquer
au Prince qui vous honore d'une protection
si distinguee , notre respect , notre reconnoissance
et notre admiration . Les Muses
seules sembloient le disputer aux Graces. Un
bruit de guerre se fait entendre et il vole à la
gloire. Objet d'étonnement pour le vulgaire ,
qui croit que la Gloire , les Graces et les Muses
sont autant de Rivales , jalouses de former
» séparément des Héros qui leur appartiennent
en propre , au lieu qu'elles y travaillent de
concert dans le sang de Condé , et que la Religion
même s'interesse au succès ...
»
20
Pour vous , M en s'adressant à M. de S.Maur,
digne heritier de l'esprit et de la tendresse d'un
Confrere dont le souvenir nous sera toujours
cher , ce n'est ni à ce titre - là que vous avez
sollicité nos suffrages , ni la premiere fois que
vous y avez cû part ; ce qui mena à l'Eloge de
feu M. P'Evêque de Langres. Il dit ensuite ;
Que ne devons- nous pas attendre de vous
après l'élégante Traduction que vous nous
avez donnée de ce Poëme ,
que l'Angleterre
met au- dessus d'Homere et de Virgile , et que
nous leur préfererions , comme elle, si nous ne
consultions que le choix , l'interêt et la grandeur
du Sujet.
*
Nous passons plusieurs autres Refléxions de ce
goût , resserrez par nos bornes , pour rapporter
* S. A. S. M. le Comte de Clermont.
Le Paradis per du de Milton .
un
FEVRIER. 1734. 341
Endroit qui termine le Discours. Après avoir
exposé le but de l'Académie Françoise dans ses
travaux et l'attentlon de la Posterité qu'elle se
propose de mériter , autant par la délicatesse du
Pinceau , que par l'importance et la majesté du
Sujet , l'illustre Académicien ajoûta : Nous
» avions à lui apprendre qu'il est des Peuples assez
heureux pour n'admettre aucune difference
entre le zele et le devoir ; entre l'amour de la
» Patrie et la gloire du Souverain , qu'il est des
Ministres sages et puissants , simples , affables
set tranquilles au milieu du mouvement qu'ils
" donnent à l'Univers entier , qu'il est des Rois
" magnanimes , qui sacrifient leurs plus grands
interêts au repos et à la tranquillité publique,
" et que rien n'arrête dès qu'il faut venger la
splendeur du Trône qu'on offense , ou se-
"courir des Alliez qu'on opprime , des Rois en-
" fin , qui ne veulent être couronnez par les
"mains de la Victoire , qu'après l'avoir été par
» celles de la Justice et de la Picté .
et Dupré de Saint Maur , à l'Académie
Françoise le 29. Décembre 1733 .
M
R de Moncrif commença son Discours
par exposer l'utilité et les avantages de
P'Académie Françoise , non - seulement pour la
perfection de la Langue, mais même pour le progrès
de l'esprit, » Fixer le sens veritable de cha
mqua
FEVRIER. 1734. 337
5 ) que mot ... faire connoître en quoi consistent
ces tours heureux d'où naissent et la force et
P'agrément du langage , n'est- ce pas , dit - il ,
guider l'esprit ? ... n'est - ce pas lui donner lieu
de s'étendre et de se perfectionner ? » L'Orateur
fit ensuite successivement l'Eloge de l'illustre
Fondateur de cette Académie le Cardinal de Richelieu
, celui de M. Seguier , de Louis XIV . de
M. de Caumartin , dont M. de Montcrif remplit
la place vacante, de M.le Cardinal de Fleury,
de M. le Maréchal de Villars , et M. le Comte
de Clermont. Qu'il nous soit permis de toucher
quelques traits de ces Eloges .
ກ
En parlant du Cardinal de Richelieu , » Ce
» Cardinal dont le génie également vaste et su-
» blime , fit sentir à toute l'Europe que pour por-
» ter la France au plus haut degré de splendeur ,
» il ne falloit que lui apprendre à se connoître; Armand
, dis - je , après avoir étendu les limites
» et multiplié les avantages interieurs de l'Etat ,
s'empressa d'y ajoûter ce Monument , qui de-
» voit en accroître la gloire ... Richelieu voulut
former un établissement , qui dès sa naissance
présentât toute son utilité , il fonda l'Académie
Françoise. L'effet répondit à son attente
; l'Ouvrage parut , il étoit perfectionné ...
» C'étoit le siecle des prodiges. Louis XIV . regnoit
... Tout devoit marquer l'ascendant de'
Louis XIV . devenu votre Protecteur , il sembla
» qu'il avoit applani les routes pénibles que les
59
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so talents et la science avoient été forcez de suivre
>> jusqu'alors.
5
Après avoir fait l'éloge de M. de Caumartin ,
le nouvel Académicien ajoûta en parlant de PAcadémie
; il est des objets de notre admiration ,
qui bien loin de perdre à être examinez de près, ၁၁
>> neus
338 MERCURE DE FRANCE
1
nous frappent au contraire plus vivement et
s'embellissent à mesure qu'on peut les distinguer
et les connoître davantage. Le Prince *à qui
"J'ai l'honneur d'être attaché, me le fait éprou-
» ver tous les jours . Il semble par l'habitude de
l'approcher (et il est bien rare que de l'habitude
» naissent des sujets d'éloge ) il semble , dis je ,
soit que qu'en lui l'éclat du rang ne la récompense
des qualitez personnelles , & c,
20
Le Discours de M. Dupré de Saint Maur
eut aussi des traits d'une éloquence variée ,
vive et animée . Il exposa le progrès de la Langue
Françoise , par les soins et les travaux
des illustres Membres de cette Académie dès
le temps même de sa fondation , c'est-à- dire ,
sous l'illustre Cardinal de Richelieu. » Ce sublime
génie , dit- il , semblable à ces intelligences
qui président aux destins des Empires ,
et sous le Chancelier Seguier , qui acheva cer
établissement. L'Académicien fit ensuite l'Eloge
de son Prédecesseur M. l'Evêque de Langres.
Après avoir touché son illustre naissance et fait
appercevoir l'étendue de ses connoissances : » Des
talens si distinguez , ajouta - t'il , lui mériterent
» l'honneur de votre adoption , mais la douceur
» qu'il goûtoit dans vos Exercices , ne prévalut
point sur ses devoirs. L'Episcopat vous l'enleva
» et sa résidence dans son Diocèse , où il s'ense-
» velit jusqu'à la mort consomme son Eloge.
"
&
L'Orateur témoigna ensuite modestement qu'il
n'attribuoit point à sa Traduction du Poëme de
Milton , l'honneur qu'il avoit de remplacer l'il-
Justre Academicien dont il venoit de faire l'Eloge
mais plutôt au souvenir que l'Académie a cor❤
Son A. S. Monseigneur le Comte de Clermons.
servé
'
FEVRIER . 1734. 339
"
servé de feu M.de Valincourt, auquel il avoit été
uni par le sang. L'Eloge de Louis XIV . fut court
mais très- bien manié. » France , dit - il , ta splendeur
est l'ouvrage de cet auguste Monarque ;
»tu lui dois plus , tu lui dois un Prince dans le
quel tu vois revivre toutes ses vertus , son zele
pour la Religion , son amour pour la justice ,
» sa tendresse pour ses Peuples et cette prudence
consommée , qui dans l'âge des passions
» le rend aussi maître de lui-même , qu'impenetrable
dans ses secrets, Nous passons plusieurs
traits de cet Eloge , où l'Orateur , en parlant des
nouvelles conquêtes du Roy , invite l'Académie
à les publier. Continuez , Messieurs , dit- il en
finissant son Discours , de transmettre à la
posterité les louanges de ce grand Roy. Vous y
" joindrez celles d'un Ministre vertueux , modes.
» te , équitable , occupé du bien public , négli
"}
まる
gent sa propre grandeur , et qui dans le plus
» haut rang, n'a d'autres richesses en partage que
» la confiance de son Maître et la veneration des
hommes . Les sages principes par lesquels il
» se conduit , n'ont jamais varié , et les sentimens
qu'il a imprimez à notre jeune Monarque
" assurent notre felicité .
ן כ
M. de Boze, Directeur de l'Academie, répondit
aux deux nouveaux Académiciens par un Discours
où l'éloquence et la délicatesse se trouvent réunis.
Après avoir fait remarquer que quelque douleur
dont l'Académie soit penetrée en perdant
d'illustres Confreres , il y auroit de l'injustice à
ne cesser de s'y livrer , puisqu'après tout sans ces
révolutions l'Académie n'auroit pas eu l'avantage
de posseder depuis son établissement tout ce que
France a produit de plus distingué par l'éru
dition , le goût et la politesse , il fit l'éloge de
feu
340 MERCURE DE FRANCE
*
feu M. l'Evêque de Blois ; et en s'adressant ensuite-
à M. de Montcrif : » Achevez , dit - il , de le
remplacer par vos sentimens pour l'Académie...
et , si nous sommes en droit d'exiger quelque
chose de plus , par votre empressement à marquer
au Prince qui vous honore d'une protection
si distinguee , notre respect , notre reconnoissance
et notre admiration . Les Muses
seules sembloient le disputer aux Graces. Un
bruit de guerre se fait entendre et il vole à la
gloire. Objet d'étonnement pour le vulgaire ,
qui croit que la Gloire , les Graces et les Muses
sont autant de Rivales , jalouses de former
» séparément des Héros qui leur appartiennent
en propre , au lieu qu'elles y travaillent de
concert dans le sang de Condé , et que la Religion
même s'interesse au succès ...
»
20
Pour vous , M en s'adressant à M. de S.Maur,
digne heritier de l'esprit et de la tendresse d'un
Confrere dont le souvenir nous sera toujours
cher , ce n'est ni à ce titre - là que vous avez
sollicité nos suffrages , ni la premiere fois que
vous y avez cû part ; ce qui mena à l'Eloge de
feu M. P'Evêque de Langres. Il dit ensuite ;
Que ne devons- nous pas attendre de vous
après l'élégante Traduction que vous nous
avez donnée de ce Poëme ,
que l'Angleterre
met au- dessus d'Homere et de Virgile , et que
nous leur préfererions , comme elle, si nous ne
consultions que le choix , l'interêt et la grandeur
du Sujet.
*
Nous passons plusieurs autres Refléxions de ce
goût , resserrez par nos bornes , pour rapporter
* S. A. S. M. le Comte de Clermont.
Le Paradis per du de Milton .
un
FEVRIER. 1734. 341
Endroit qui termine le Discours. Après avoir
exposé le but de l'Académie Françoise dans ses
travaux et l'attentlon de la Posterité qu'elle se
propose de mériter , autant par la délicatesse du
Pinceau , que par l'importance et la majesté du
Sujet , l'illustre Académicien ajoûta : Nous
» avions à lui apprendre qu'il est des Peuples assez
heureux pour n'admettre aucune difference
entre le zele et le devoir ; entre l'amour de la
» Patrie et la gloire du Souverain , qu'il est des
Ministres sages et puissants , simples , affables
set tranquilles au milieu du mouvement qu'ils
" donnent à l'Univers entier , qu'il est des Rois
" magnanimes , qui sacrifient leurs plus grands
interêts au repos et à la tranquillité publique,
" et que rien n'arrête dès qu'il faut venger la
splendeur du Trône qu'on offense , ou se-
"courir des Alliez qu'on opprime , des Rois en-
" fin , qui ne veulent être couronnez par les
"mains de la Victoire , qu'après l'avoir été par
» celles de la Justice et de la Picté .
Fermer
Résumé : RECEPTION de MM. de Moncrif et Dupré de Saint Maur, à l'Académie Françoise le 29. Décembre 1733.
Le 29 décembre 1733, M. de Moncrif et M. Dupré de Saint Maur furent accueillis à l'Académie Française. M. de Moncrif, dans son discours, mit en avant l'importance de l'Académie pour la perfection de la langue et le progrès de l'esprit. Il rendit hommage à plusieurs personnalités marquantes, notamment le Cardinal de Richelieu, fondateur de l'Académie, et Louis XIV, protecteur de l'Académie. Richelieu fut salué pour son génie ayant conduit la France à son apogée en lui permettant de se connaître. Louis XIV fut loué pour avoir favorisé les talents et la science. M. de Moncrif mentionna également M. Seguier, M. de Caumartin, le Cardinal de Fleury, le Maréchal de Villars et le Comte de Clermont. M. Dupré de Saint Maur, dans son allocution, souligna également le progrès de la langue française grâce aux travaux des membres de l'Académie depuis Richelieu et sous le Chancelier Seguier. Il exprima sa gratitude envers son prédécesseur, l'Évêque de Langres, et attribua son élection à la traduction du poème de Milton plutôt qu'à l'œuvre elle-même. Il rendit hommage à Louis XIV et à son successeur pour leurs vertus et leur engagement envers la religion et la justice. M. de Boze, Directeur de l'Académie, répondit aux nouveaux académiciens en soulignant que, malgré les pertes subies, l'Académie avait toujours su honorer les plus distingués par leur érudition et leur politesse. Il fit l'éloge de l'Évêque de Blois et encouragea M. de Moncrif à honorer le Prince par son dévouement. Il loua également M. Dupré de Saint Maur pour sa traduction élégante du poème de Milton. Le discours se conclut par une réflexion sur les valeurs de l'Académie et les qualités des souverains et ministres.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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117
p. 418-430
PLAINTES DE LA NAYADE, Qui préside aux Eaux minérales de la Fontaine de S. Santin, près l'Aigle en Normandie.
Début :
O Temps ! ô moeurs ! ô comble d'injustice ! [...]
Mots clefs :
Saint-Santin, Eaux minérales, Fontaine, Naïade, Soeur, Eaux , Gloire, Ingrats, Nymphe, Source, Oubli, Faveurs, Célimène, Buveurs, Maux
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texteReconnaissance textuelle : PLAINTES DE LA NAYADE, Qui préside aux Eaux minérales de la Fontaine de S. Santin, près l'Aigle en Normandie.
PLAINTES DE LA NAYAD E,
Qui préside aux Eaux minérales de la
Fontaine de S. Santin , près l'Aigle
en Normandie.
Temps moeurs ! & comble d'in-
O justice!
Arbitre Souverain de la Terre et des Cieux ,
Ne t'offenses- tu point que mes Flots préciceux ;
Des humains si long- temps éprouvent le caprice
?
Daigne sur moi jetter les yeux ;
Ou fais que ma source tarisse ,
Ou rends moi l'éclat glorieux
Qui des siécles passez m'attira tant de voeux .
Souviens -toi que Tethys autrefois te fut chere ,
Prens pitié de la fille en faveur de la Mere.
Tu sçais ce que j'ai fait pour les ingrats mortels,
Que mille et mille fois mon onde tutelaite ,
Féconde en prodiges réels ,
Les arracha des Griffes du Cerbere ;
Tant de graces , hélas ! méritoient des Autels .
Cependant , pauvre et solitaire ,
Dans mon hydeux Bassin , des Crapaux le repaire
,
Je vois croupir mes liquides trésors.
En
MARS. 1734.
419
En vain le Vitriol qui brille sur wes bords , '
Invite le Malade à venir faire usage
De ce vivifiant breuvage ,
Qui cent fois de la Parque éluda les efforts ;
L'espece humaine à sa perte obstinée ,
Malgré ces miracles divers
.:
Que chanta jadis l'Univers ,
Me laisse triste , abandonnée
Et je vois , Nymphe infortunée ,
Mes faveurs dans l'oubli , mes rivages déserts .
Lisez vos anciennes Croniques ,
Ouvrez vos Archives publiques ;
Vous y verrez, ingrats Normands ,
De mes bontez pour vous les preuves autentiques
.
Où sont , où sont ces heureux temps ,
Où sur mes bords fameux je voyois, tous les ans,
Descendre la Cour et la Ville ?
Que j'avois de plaisir à voir la longue file ,
De nos vieux et braves Gaulois ,
Se ranimer sur mes rives tranquiles !
Je les recevois aux abois ;
1
Je les renvoyois vifs , agiles ,
Reprendre l'Arc et le Pavois.
Oui , cette Nymphe qu'on méprise ,
Sur son Canal vit autrefois
Et nos Princesses , et nos Rois ;
Elle y vit nos Héros , et ceux de la Tamise .
A vj
L'His420
MERCURE DE FRANCE
L'Histoire en fait foy , qu'on la lise.
D'où vient donc cet aveuglement
Qui fait qu'aujourd'hui l'on m'oublie
François , aimez- vous moins la vic
Qu'on ne l'aimoit anciennement ?
Etes-vous plus sensez que ne l'étoient vos Peres
Sujets à moins de maux , de douleurs , de miseres
?
Plus chastes et plus sobres qu'eux ,
Vous sentez-vous plus forts , plus sains et plus
nerveux ?
Hélas ! dès la tendre jeunesse ,
Par des excès pernicieux ,
Presques inconnus à vos yeux ,
Vous accelerez la vieillesse..
Esclaves de la volupté ,
Vous prodiguez votre santé;
Et cette conduite peu sage ,
Souvent à la fleur de votre âge
Vous fait languir dans la caducité..
Ce n'est pas , après tout , qu'ennuyez de la vie ,
Vous voyez sans frayeur le Ciseau d'Atropos ;
Yous qui dans les plaisirs avez l'air de Héros ,
Votre audace est bien- tôt bannie
Par l'ombre de la maladie ;
C'est alors qu'aux soupirs on vous voit recourir
Vous ne sçavez enfin ni vivre ni mourir.
A la plus legere insomnie ,
Yous vous trouvez l'esprit aux champs ;
Profitant
MARS. 1734; 428
+
Profitant de votre manie •
On voit chez vous les Charlatans
Elever jusqu'aux Cieux leur Elixir de vie ,
Et leur Poudre de sympathie ,
Que vous payez à beaux Louis comptants.
Trop heureux mille fois si la drogue chérie ,
Dont l'Enchanteur bruyant vous vante l'energie,
Ne vous rend pas malades en effet ;
Et si ce merveilleux secret
Ne vous dépêche pas vers la sombre Patrie.
C'étoit peu des vieux Medecins ,>
Pour abreger le cours de votre vie
Il a fallu que la Chimie
Vous suscitât de plus fiers Assassins.
Volage Nation , dont l'inconstant génie ,
Veut en tout de la nouveauté ;
L'Art de conserver la santé ,
De la mode doit- il subir la tyrannie ?
Ah ! c'est cette legereté
Qui prolonge l'oubli de mon Eau Minerale ;
Malgré tous mes bienfaits j'apprens que chaque
Eré
On m'ose préferer quelqu'indigne Rivale ,
Dont le Public est bien- tôt dégouté.
Le moindre suppôt d'Hipocrate ,
En annonce dans son Terrain ;
Alors son Eloquence éclatte
Pour exalter leur pouvoir souverain.
Files
422 MERCURE DE FRANCE
Elles desopilent la rate ,
Calcinent les graviers , rafraichissent le rein ;
Il vante à tout venant leur force métallique ;
Mais , à dire le vrai , leur propre specifique ,
( Propre dont il ne parle pas. )
C'est qu'en redoublant sa pratique ,
Elles font vuider la boutique ,
Par tous les sots qui gobent cet appas.
La Nayade triste et critique ,
Se croyant alors sans témoin ,
Sans doute auroit poussé plus loin
Sa déclamation caustique ;
Car malgré l'immortalité , ´
Toute Nymphe est une femelle ,
Et quand ce sexe est irrité ,
Sa langue se fatigue - t'elle ,
Pour prolonger une querelle ?
Quelle ressource , ô Dieux ! quelle fécondité !
Rien ne peut égaler sa volubilité .
Elle alloit donc encor charger son invective ,
Lorsqu'une Dryade sans bruit ,
Ayant à ses discours eu l'oreille attentive ,
Apostrophant notre plaintive ,
Lui fit la harangue qui suit :
Habitante de ce Rivage ,
Les Dieux depuis long - temps m'ont donné pour
partage ,
Le soin de ces Chênes épais ,
Par
MAR S. 1734.
423
Par qui votre Source est au frais ,
Quand le chien de Prochris fait rage ;
Et que l'ardent Phébus altere les guerets;
Contente de cet apanage ,
Vous le sçavez , ma chere soeur ,
Avec combien d'égards , avec quelle douceur ,
J'ai ménagé votre heureux voisinage ;
Favorable à tous vos Buveurs ,
Je les comble de mes faveurs ;
Le Ciel s'obscurcit-il par d'horribles nuages ?
Ils peuvent sous mes toits sauvages ,
Affronter d'Orion les humides fureurs ;
Je ne prens point pour un outrage ,
Qu'ils s'avisent souvent de couper mes rameaux,
Et de m'arracher mon feüillage ,
Pour faire l'essai de vos Eaux.
Sensible à tout ce qui vous touche ,
Je souffre ces tourments sans en ouvrir la bouche.
Nimphe , tels sont pour vous mes tendres sentiments.
Ainsi
que notre sang , notre gloire est commune.
Quels que soient les Evenements ,
Je partage avec vous l'une et l'autre fortune .
Non , ma soeur , dans ces jours brillants ,
Où sur vos Rives secourables ,
Je voyois tant d'objets aimables ,
De Philosophes , de Vaillants ,
Former des cercles respectables ;
Je
424 MERCURE DE FRANCE
Je ne sentois pas moins que yous ,
L'enchantement
secret d'un Spectacle si doux.
Justes Dieux ! que j'étois charmée ,
Quand j'apprenois qu'à son retour
Cette belle et nombreuse Cour ,
Augmentoit de vos Eaux l'heureuse renommée ;
En publiant à haute voix ,
Son allegresse et vos Exploits.
Il est vrai que par un caprice ,
Que nous ne pouvions deviner ,
Ces ingrats eurent l'injustice
De nous tourner le dos , de nous abandonner.
Puis-je y penser , ma soeur
tendrisse ?
> sans que je m'at-
Sans que mon coeur, helas,de douleur en frémisse?
L'affreux oubli de vos faveurs ,
A duré près de cent années ;
Alors loin de blâmer vos pleurs ,
J'ai plaint vos tristes destinées ;
J'ai soupiré sur vos malheurs :
Mais puisqu'enfin le Ciel devient plus équitable.
Puisqu'il jette sur nous un regard favorable ,
En rappellant des Buveurs sur vos bords
Je ne puis approuver vos injustes transports;
Bannissons des allarmes vaines.
C'est le sort des choses humaines
De se voir plonger tour à tour
Dans la gloire et l'ignominie ;
Notre
MARS. 1734. 4: 5
Notre triste crise est finie ,
Et nos braves jours sont enfin de retour.
Daigne le juste Ciel accomplir ce présage ,
Répliqua la Nayade en poussant un soupir ;
Puisse- t'il , selon mon desir ,
Réparer le cuisant outrage
Qu'on fait depuis long-temps à ce divin breuvage!
Mais je le vois , ma chere Soeur ,
Par un frivole espoir vous vous laissez séduire ;
Notre esprit trop souvent duppe de notre coeur
Croit voir , hélas ! ce qu'il désire.
En effet , sur quoi fondez- vous
Un pronostic si flateur et si doux ?
Vingt ou trente Buveurs que je vois chaque année
M'annoncent- ils ces jours heureux ,
Où ma Source jadis de Lauriers couronnée ,
f
Se fit un nom si glorieux
En dépit de ses envieusx ?
Ce nombre peut charmer quelque Nimphe ba
tarde ,
Qu'Esculape aujourd'hui hazarde ,
Plus l'utilité de ses propres
pour
enfans ,
Que pour celle des languissants .
Mais moi , dont les Eaux merveilleuses ;
Des maux les plus pressants furent victorieuses ;
Et dont l'analise cent fois
Se fit en présence des Rois ;
Moi qui fus chere à tant de Princes ;
Moi
426 MERCURE DE FRANCE
Moi qui vis toutes nos Provinces ,
Par tant d'éloges me vanter ,
D'un si foible concours puis- je me contenter ?
Hé , quel bien après tout , ma Soeur , quel avantage
,
Me revient- il de ces Ingrats ,
Que mon régenerant breuvage ,
Ecarte tous les ans des portes du trépas ?
Quelqu'un d'eux jaloux de ma gloire ,
Fait- il en ma faveur Sonnets ou Madrigaux ?
De nouveau m'inscrit-on au Temple de Memoire,
En me préconisant aux Auteurs des Journaux ?
N'est-il pas dur que le Mercure ,
Ornant souvent d'une riche peinture
Mille Sujets qu'à coup sûr je vaux bien ,
Sur mon compte ne dise rien ?
Si ces Ecrits périodiques ,
Eussent eu cours dans ces temps véridiques
Où mon nom étoit si vanté ,
La venerable Antiquité ,
Par ses Eloges magnifiques ,
M'eût fait connoître à la Posterité.
L'Univers y liroit que vrayement minerale ,
Chaude , passante , esthomacale ,
Je sçais du Corps humain ranimer les esprits ,
Et d'un squelette usé réparer les débris.
Les Mortels y verroient que tout flux hépatique
A mon Empire est dévolu ;
Que j'exerce un droit absolu
Sur
MARS.
1734. 427
Sur toute espece de colique ,
Y comprise la néphrétique ;
Ils sçauroient enfin que mes Eaux ,
Détergant les divers canaux
Où coulent les Liqueurs nourrices de la vie ,
J'y sçais rétablir l'harmonie ,
Et fondant toute obstruction ,
Regler du sang la circulation ;
Prévenir le calcul , chasser l'Eresipelle ,
Extirper chancres , loups , caterres et gratelle ,
Qu'à mes Buveurs sans accident ,
Je donne un appétit strident ;
Que versant du sommeil les pavots favorables ,
Je connois en un mot peu
de maux incurables ;
Tous ces faits sont sans contredit ;
Chaque Eté j'en fournis des preuves éclatantes ,
Mais hélas ! je l'ai déja dit ,
De mille infirmitez mes Ondes triomphantes ,
N'en prennent pas plus de crédit.
On vient me voir , on boit , on se guérit,;
Et pas un mot dans les Gazettes
1
N'informe le Public de mes vertus secrettes.
Mes miracles se font sans bruit ;
Et pour ma gloire sont sans fruit.
Voyez ce Bassin sans murailles .
Bourbeux , exposé jour et nuit
Aux insultes de la canaille .
A tout moment quelqu'ignoble animal ,
D'un
428 MERCURE DE FRANCE
D'un pied profane et témeraire ,
S'en vient soüiller mon Sanctuaire ,
Et deshonorer mon Canal.
Ah ! c'en est trop , je quitte cette Source ,
Et dirigeant ailleurs ma course ,
Je vais chercher d'autres climats ,
Où les hommes soient moins ingrats.
Est-il bien vrai ce que je viens d'entendre ?
Répond sa Soeur , la larme aux yeux ?
Est-ce donc là le fruit du commerce si tendre
Qui depuis si long - temps nous unit en ces lieuxs
Ah ! Nimphe , devois je m'attendre
A ces insensibles adieux ?
Si votre indifference extrême
Vous porte à quitter sans regret
Une voisine qui vous aime ,
Et qui de vous servir fait son plus cher objet ;
Daignez pour l'amour de vous-même
Ne pas précipiter ce funeste projet ,
Vous cherchez un séjour où l'exacte justice
Soit la regle unique des moeurs !
Où le seul vrai mérite ait des adorateurs !
Où l'inconstance et le caprice ,
Le goût du nouveau , l'avarice ,
Ne tyranisent point les coeurs !
Détrompez- vous , ma Soeur , ces heureuses Contrées
Ne se trouvent point ici bas ;
Et ce n'est qu'au Pays des Fées
Qu'on
MAR S. 1734.
429
Qu'on ne rencontre point d'ingrats.
Ah ! ne quittez point la partie ;
Sans me piquer de prophetie ,
J'ose vous annoncer qu'un plus brillant destin
Va remettre en son jour votre gloire obscurcie
Et frayer à vos Eaux un triomphe certain.
Déja Rodentius , ce Docteur flegmatique ,
Ennemi déclaré du vin ,
Mais grave et profond Médecin ,
Roule , dit- on , sous sa calotte antique
Un éloquent Panégyrique ,
Moitié Grec et moitié Latin ,
Pour la Nimphe de saint Santin.
Son Emule , dont l'Epiglotte
Ne fut jamais celle d'un Hydropote ,
Mais qui quoique souvent abreuvé de Nectar ,
Parle sçavamment de son Art ,
Et sçait l'exercer avec gloire ,
Pringaltio préconise vos Eaux ;
Résolu de n'en jamais boire ;
Il les tient mordicus propres à bien des maux.
Danjovius enfin , que le fameux Centaure
Semble lui- même avoir instruit ;
Danjovius que le Dieu d'Epidaure
En tout temps éclaire et conduit ,
Ce Mortel consolant , toujours discret et sage ,
A votre Source rend hommage.
Par ses Arrêts justement respectez ,
Yos
430 MERCURE DE FRANCE
Vos Rivages bien - tôt seront plus fréquentez.
C'est lui qui cet Eté fit sur votre Fontaine
Briller l'aimable Célimene ....
Célimene ... ah ! ma Soeur , pour calmer mon
courroux ,
Que ce nom , dit la Nimphe , est charmant.
qu'il est doux !
N'en doutez pas , sa présence me flatte.
Sa douceur , son esprit , ses regards enchanteurs,
M'ont fait pour quelque temps oublier mes malheurs.
Mais malgré le beau feu qui dans ses yeux éclattes
Si peû sensible à mes faveurs ,
Cette Celimene est ingrate ;
Plus j'us de plaisir à la voir ,
Plus son cruel oubli croîtra mon désespoir ,
Cependant sensible à vos larmes ,
Ainsi qu'au pouvoir de ses charmes ,
Dryade , je me rends et vais garder mon cours;
Mais si cette saison prochaine
Je ne vois pas l'aimable Célimene ,
Sur mes Rives former un plus nombreux concours
>
Adieu vous dis , et pour toujours.
Qui préside aux Eaux minérales de la
Fontaine de S. Santin , près l'Aigle
en Normandie.
Temps moeurs ! & comble d'in-
O justice!
Arbitre Souverain de la Terre et des Cieux ,
Ne t'offenses- tu point que mes Flots préciceux ;
Des humains si long- temps éprouvent le caprice
?
Daigne sur moi jetter les yeux ;
Ou fais que ma source tarisse ,
Ou rends moi l'éclat glorieux
Qui des siécles passez m'attira tant de voeux .
Souviens -toi que Tethys autrefois te fut chere ,
Prens pitié de la fille en faveur de la Mere.
Tu sçais ce que j'ai fait pour les ingrats mortels,
Que mille et mille fois mon onde tutelaite ,
Féconde en prodiges réels ,
Les arracha des Griffes du Cerbere ;
Tant de graces , hélas ! méritoient des Autels .
Cependant , pauvre et solitaire ,
Dans mon hydeux Bassin , des Crapaux le repaire
,
Je vois croupir mes liquides trésors.
En
MARS. 1734.
419
En vain le Vitriol qui brille sur wes bords , '
Invite le Malade à venir faire usage
De ce vivifiant breuvage ,
Qui cent fois de la Parque éluda les efforts ;
L'espece humaine à sa perte obstinée ,
Malgré ces miracles divers
.:
Que chanta jadis l'Univers ,
Me laisse triste , abandonnée
Et je vois , Nymphe infortunée ,
Mes faveurs dans l'oubli , mes rivages déserts .
Lisez vos anciennes Croniques ,
Ouvrez vos Archives publiques ;
Vous y verrez, ingrats Normands ,
De mes bontez pour vous les preuves autentiques
.
Où sont , où sont ces heureux temps ,
Où sur mes bords fameux je voyois, tous les ans,
Descendre la Cour et la Ville ?
Que j'avois de plaisir à voir la longue file ,
De nos vieux et braves Gaulois ,
Se ranimer sur mes rives tranquiles !
Je les recevois aux abois ;
1
Je les renvoyois vifs , agiles ,
Reprendre l'Arc et le Pavois.
Oui , cette Nymphe qu'on méprise ,
Sur son Canal vit autrefois
Et nos Princesses , et nos Rois ;
Elle y vit nos Héros , et ceux de la Tamise .
A vj
L'His420
MERCURE DE FRANCE
L'Histoire en fait foy , qu'on la lise.
D'où vient donc cet aveuglement
Qui fait qu'aujourd'hui l'on m'oublie
François , aimez- vous moins la vic
Qu'on ne l'aimoit anciennement ?
Etes-vous plus sensez que ne l'étoient vos Peres
Sujets à moins de maux , de douleurs , de miseres
?
Plus chastes et plus sobres qu'eux ,
Vous sentez-vous plus forts , plus sains et plus
nerveux ?
Hélas ! dès la tendre jeunesse ,
Par des excès pernicieux ,
Presques inconnus à vos yeux ,
Vous accelerez la vieillesse..
Esclaves de la volupté ,
Vous prodiguez votre santé;
Et cette conduite peu sage ,
Souvent à la fleur de votre âge
Vous fait languir dans la caducité..
Ce n'est pas , après tout , qu'ennuyez de la vie ,
Vous voyez sans frayeur le Ciseau d'Atropos ;
Yous qui dans les plaisirs avez l'air de Héros ,
Votre audace est bien- tôt bannie
Par l'ombre de la maladie ;
C'est alors qu'aux soupirs on vous voit recourir
Vous ne sçavez enfin ni vivre ni mourir.
A la plus legere insomnie ,
Yous vous trouvez l'esprit aux champs ;
Profitant
MARS. 1734; 428
+
Profitant de votre manie •
On voit chez vous les Charlatans
Elever jusqu'aux Cieux leur Elixir de vie ,
Et leur Poudre de sympathie ,
Que vous payez à beaux Louis comptants.
Trop heureux mille fois si la drogue chérie ,
Dont l'Enchanteur bruyant vous vante l'energie,
Ne vous rend pas malades en effet ;
Et si ce merveilleux secret
Ne vous dépêche pas vers la sombre Patrie.
C'étoit peu des vieux Medecins ,>
Pour abreger le cours de votre vie
Il a fallu que la Chimie
Vous suscitât de plus fiers Assassins.
Volage Nation , dont l'inconstant génie ,
Veut en tout de la nouveauté ;
L'Art de conserver la santé ,
De la mode doit- il subir la tyrannie ?
Ah ! c'est cette legereté
Qui prolonge l'oubli de mon Eau Minerale ;
Malgré tous mes bienfaits j'apprens que chaque
Eré
On m'ose préferer quelqu'indigne Rivale ,
Dont le Public est bien- tôt dégouté.
Le moindre suppôt d'Hipocrate ,
En annonce dans son Terrain ;
Alors son Eloquence éclatte
Pour exalter leur pouvoir souverain.
Files
422 MERCURE DE FRANCE
Elles desopilent la rate ,
Calcinent les graviers , rafraichissent le rein ;
Il vante à tout venant leur force métallique ;
Mais , à dire le vrai , leur propre specifique ,
( Propre dont il ne parle pas. )
C'est qu'en redoublant sa pratique ,
Elles font vuider la boutique ,
Par tous les sots qui gobent cet appas.
La Nayade triste et critique ,
Se croyant alors sans témoin ,
Sans doute auroit poussé plus loin
Sa déclamation caustique ;
Car malgré l'immortalité , ´
Toute Nymphe est une femelle ,
Et quand ce sexe est irrité ,
Sa langue se fatigue - t'elle ,
Pour prolonger une querelle ?
Quelle ressource , ô Dieux ! quelle fécondité !
Rien ne peut égaler sa volubilité .
Elle alloit donc encor charger son invective ,
Lorsqu'une Dryade sans bruit ,
Ayant à ses discours eu l'oreille attentive ,
Apostrophant notre plaintive ,
Lui fit la harangue qui suit :
Habitante de ce Rivage ,
Les Dieux depuis long - temps m'ont donné pour
partage ,
Le soin de ces Chênes épais ,
Par
MAR S. 1734.
423
Par qui votre Source est au frais ,
Quand le chien de Prochris fait rage ;
Et que l'ardent Phébus altere les guerets;
Contente de cet apanage ,
Vous le sçavez , ma chere soeur ,
Avec combien d'égards , avec quelle douceur ,
J'ai ménagé votre heureux voisinage ;
Favorable à tous vos Buveurs ,
Je les comble de mes faveurs ;
Le Ciel s'obscurcit-il par d'horribles nuages ?
Ils peuvent sous mes toits sauvages ,
Affronter d'Orion les humides fureurs ;
Je ne prens point pour un outrage ,
Qu'ils s'avisent souvent de couper mes rameaux,
Et de m'arracher mon feüillage ,
Pour faire l'essai de vos Eaux.
Sensible à tout ce qui vous touche ,
Je souffre ces tourments sans en ouvrir la bouche.
Nimphe , tels sont pour vous mes tendres sentiments.
Ainsi
que notre sang , notre gloire est commune.
Quels que soient les Evenements ,
Je partage avec vous l'une et l'autre fortune .
Non , ma soeur , dans ces jours brillants ,
Où sur vos Rives secourables ,
Je voyois tant d'objets aimables ,
De Philosophes , de Vaillants ,
Former des cercles respectables ;
Je
424 MERCURE DE FRANCE
Je ne sentois pas moins que yous ,
L'enchantement
secret d'un Spectacle si doux.
Justes Dieux ! que j'étois charmée ,
Quand j'apprenois qu'à son retour
Cette belle et nombreuse Cour ,
Augmentoit de vos Eaux l'heureuse renommée ;
En publiant à haute voix ,
Son allegresse et vos Exploits.
Il est vrai que par un caprice ,
Que nous ne pouvions deviner ,
Ces ingrats eurent l'injustice
De nous tourner le dos , de nous abandonner.
Puis-je y penser , ma soeur
tendrisse ?
> sans que je m'at-
Sans que mon coeur, helas,de douleur en frémisse?
L'affreux oubli de vos faveurs ,
A duré près de cent années ;
Alors loin de blâmer vos pleurs ,
J'ai plaint vos tristes destinées ;
J'ai soupiré sur vos malheurs :
Mais puisqu'enfin le Ciel devient plus équitable.
Puisqu'il jette sur nous un regard favorable ,
En rappellant des Buveurs sur vos bords
Je ne puis approuver vos injustes transports;
Bannissons des allarmes vaines.
C'est le sort des choses humaines
De se voir plonger tour à tour
Dans la gloire et l'ignominie ;
Notre
MARS. 1734. 4: 5
Notre triste crise est finie ,
Et nos braves jours sont enfin de retour.
Daigne le juste Ciel accomplir ce présage ,
Répliqua la Nayade en poussant un soupir ;
Puisse- t'il , selon mon desir ,
Réparer le cuisant outrage
Qu'on fait depuis long-temps à ce divin breuvage!
Mais je le vois , ma chere Soeur ,
Par un frivole espoir vous vous laissez séduire ;
Notre esprit trop souvent duppe de notre coeur
Croit voir , hélas ! ce qu'il désire.
En effet , sur quoi fondez- vous
Un pronostic si flateur et si doux ?
Vingt ou trente Buveurs que je vois chaque année
M'annoncent- ils ces jours heureux ,
Où ma Source jadis de Lauriers couronnée ,
f
Se fit un nom si glorieux
En dépit de ses envieusx ?
Ce nombre peut charmer quelque Nimphe ba
tarde ,
Qu'Esculape aujourd'hui hazarde ,
Plus l'utilité de ses propres
pour
enfans ,
Que pour celle des languissants .
Mais moi , dont les Eaux merveilleuses ;
Des maux les plus pressants furent victorieuses ;
Et dont l'analise cent fois
Se fit en présence des Rois ;
Moi qui fus chere à tant de Princes ;
Moi
426 MERCURE DE FRANCE
Moi qui vis toutes nos Provinces ,
Par tant d'éloges me vanter ,
D'un si foible concours puis- je me contenter ?
Hé , quel bien après tout , ma Soeur , quel avantage
,
Me revient- il de ces Ingrats ,
Que mon régenerant breuvage ,
Ecarte tous les ans des portes du trépas ?
Quelqu'un d'eux jaloux de ma gloire ,
Fait- il en ma faveur Sonnets ou Madrigaux ?
De nouveau m'inscrit-on au Temple de Memoire,
En me préconisant aux Auteurs des Journaux ?
N'est-il pas dur que le Mercure ,
Ornant souvent d'une riche peinture
Mille Sujets qu'à coup sûr je vaux bien ,
Sur mon compte ne dise rien ?
Si ces Ecrits périodiques ,
Eussent eu cours dans ces temps véridiques
Où mon nom étoit si vanté ,
La venerable Antiquité ,
Par ses Eloges magnifiques ,
M'eût fait connoître à la Posterité.
L'Univers y liroit que vrayement minerale ,
Chaude , passante , esthomacale ,
Je sçais du Corps humain ranimer les esprits ,
Et d'un squelette usé réparer les débris.
Les Mortels y verroient que tout flux hépatique
A mon Empire est dévolu ;
Que j'exerce un droit absolu
Sur
MARS.
1734. 427
Sur toute espece de colique ,
Y comprise la néphrétique ;
Ils sçauroient enfin que mes Eaux ,
Détergant les divers canaux
Où coulent les Liqueurs nourrices de la vie ,
J'y sçais rétablir l'harmonie ,
Et fondant toute obstruction ,
Regler du sang la circulation ;
Prévenir le calcul , chasser l'Eresipelle ,
Extirper chancres , loups , caterres et gratelle ,
Qu'à mes Buveurs sans accident ,
Je donne un appétit strident ;
Que versant du sommeil les pavots favorables ,
Je connois en un mot peu
de maux incurables ;
Tous ces faits sont sans contredit ;
Chaque Eté j'en fournis des preuves éclatantes ,
Mais hélas ! je l'ai déja dit ,
De mille infirmitez mes Ondes triomphantes ,
N'en prennent pas plus de crédit.
On vient me voir , on boit , on se guérit,;
Et pas un mot dans les Gazettes
1
N'informe le Public de mes vertus secrettes.
Mes miracles se font sans bruit ;
Et pour ma gloire sont sans fruit.
Voyez ce Bassin sans murailles .
Bourbeux , exposé jour et nuit
Aux insultes de la canaille .
A tout moment quelqu'ignoble animal ,
D'un
428 MERCURE DE FRANCE
D'un pied profane et témeraire ,
S'en vient soüiller mon Sanctuaire ,
Et deshonorer mon Canal.
Ah ! c'en est trop , je quitte cette Source ,
Et dirigeant ailleurs ma course ,
Je vais chercher d'autres climats ,
Où les hommes soient moins ingrats.
Est-il bien vrai ce que je viens d'entendre ?
Répond sa Soeur , la larme aux yeux ?
Est-ce donc là le fruit du commerce si tendre
Qui depuis si long - temps nous unit en ces lieuxs
Ah ! Nimphe , devois je m'attendre
A ces insensibles adieux ?
Si votre indifference extrême
Vous porte à quitter sans regret
Une voisine qui vous aime ,
Et qui de vous servir fait son plus cher objet ;
Daignez pour l'amour de vous-même
Ne pas précipiter ce funeste projet ,
Vous cherchez un séjour où l'exacte justice
Soit la regle unique des moeurs !
Où le seul vrai mérite ait des adorateurs !
Où l'inconstance et le caprice ,
Le goût du nouveau , l'avarice ,
Ne tyranisent point les coeurs !
Détrompez- vous , ma Soeur , ces heureuses Contrées
Ne se trouvent point ici bas ;
Et ce n'est qu'au Pays des Fées
Qu'on
MAR S. 1734.
429
Qu'on ne rencontre point d'ingrats.
Ah ! ne quittez point la partie ;
Sans me piquer de prophetie ,
J'ose vous annoncer qu'un plus brillant destin
Va remettre en son jour votre gloire obscurcie
Et frayer à vos Eaux un triomphe certain.
Déja Rodentius , ce Docteur flegmatique ,
Ennemi déclaré du vin ,
Mais grave et profond Médecin ,
Roule , dit- on , sous sa calotte antique
Un éloquent Panégyrique ,
Moitié Grec et moitié Latin ,
Pour la Nimphe de saint Santin.
Son Emule , dont l'Epiglotte
Ne fut jamais celle d'un Hydropote ,
Mais qui quoique souvent abreuvé de Nectar ,
Parle sçavamment de son Art ,
Et sçait l'exercer avec gloire ,
Pringaltio préconise vos Eaux ;
Résolu de n'en jamais boire ;
Il les tient mordicus propres à bien des maux.
Danjovius enfin , que le fameux Centaure
Semble lui- même avoir instruit ;
Danjovius que le Dieu d'Epidaure
En tout temps éclaire et conduit ,
Ce Mortel consolant , toujours discret et sage ,
A votre Source rend hommage.
Par ses Arrêts justement respectez ,
Yos
430 MERCURE DE FRANCE
Vos Rivages bien - tôt seront plus fréquentez.
C'est lui qui cet Eté fit sur votre Fontaine
Briller l'aimable Célimene ....
Célimene ... ah ! ma Soeur , pour calmer mon
courroux ,
Que ce nom , dit la Nimphe , est charmant.
qu'il est doux !
N'en doutez pas , sa présence me flatte.
Sa douceur , son esprit , ses regards enchanteurs,
M'ont fait pour quelque temps oublier mes malheurs.
Mais malgré le beau feu qui dans ses yeux éclattes
Si peû sensible à mes faveurs ,
Cette Celimene est ingrate ;
Plus j'us de plaisir à la voir ,
Plus son cruel oubli croîtra mon désespoir ,
Cependant sensible à vos larmes ,
Ainsi qu'au pouvoir de ses charmes ,
Dryade , je me rends et vais garder mon cours;
Mais si cette saison prochaine
Je ne vois pas l'aimable Célimene ,
Sur mes Rives former un plus nombreux concours
>
Adieu vous dis , et pour toujours.
Fermer
Résumé : PLAINTES DE LA NAYADE, Qui préside aux Eaux minérales de la Fontaine de S. Santin, près l'Aigle en Normandie.
Le texte relate la plainte d'une Nayade, esprit des eaux, associée à la fontaine de Saint-Santin près de l'Aigle en Normandie. Elle déplore l'oubli dans lequel elle est tombée et regrette les temps anciens où ses eaux, reconnues pour leurs vertus thérapeutiques, étaient célèbres et fréquentées par la cour et la ville. La Nayade exprime son amertume face à la négligence actuelle, attribuée à de nouvelles modes et à des charlatans. Une Dryade, voisine de la Nayade, tente de la réconforter en rappelant les moments de gloire passés et en annonçant un retour prochain de la faveur grâce à des médecins influents qui préconisent à nouveau ses eaux. La Nayade, sceptique, évoque la présence de Célimène, une figure charmante mais ingrate. La Dryade insiste sur le caractère cyclique de la fortune et prédit un avenir meilleur pour la fontaine. Par ailleurs, un personnage, probablement une divinité ou une entité mythologique, exprime sa reddition et son intention de continuer à surveiller son domaine. Il pose une condition : si Célimène n'apparaît pas la saison suivante, il cessera de rassembler une foule sur ses rives. Le personnage conclut en disant adieu de manière définitive.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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118
p. 451-460
LETTRE de M... à Madame de ... au sujet d'une Idylle sur la Naissance de Jesus Christ, divisée en trois Entrées, mise en Musique par M. Bouvart, et chantée par les Dlles élevées dans la Communauté de l'Enfant Jesus, le 14. Février 1734. dédiée à M. le Curé de S. Sulpice, imprimée à Paris, chez Thibout, 1734. Broch. in 4. de 16 pages.
Début :
Je sçai, Madame, que vous vous interessez pour tout ce qui regarde la [...]
Mots clefs :
Idylle, Naissance de Jésus-Christ, M. Bouvart, Communauté de l'Enfant Jésus, Anges, Bergers, Dieu, Naissance, Gloire, Choeur d'anges, Démons, Univers, Jésus, Enfant, Vers, Adorer, Musique
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M... à Madame de ... au sujet d'une Idylle sur la Naissance de Jesus Christ, divisée en trois Entrées, mise en Musique par M. Bouvart, et chantée par les Dlles élevées dans la Communauté de l'Enfant Jesus, le 14. Février 1734. dédiée à M. le Curé de S. Sulpice, imprimée à Paris, chez Thibout, 1734. Broch. in 4. de 16 pages.
LETTRE de M... à Madame de ...
au sujet d'une Idylle sur la Naissance
de Jesus Christ , divisée en trois Entrées,
mise en Musique par M. Bouvart , et
chantée par les Dlles élevées dans la
Communauté de l'Enfant Jesus , le 14 .
Février 1734. dédiée à M. le Curé de
S. Sulpice , imprimée à Paris chez
Thibout , 1734. Broch. in 4. de 16 pages.
J
>
E sçai , Madame , que vous vous in
teressez pour tout ce qui regarde la
Pieté et la Religion ; j'ai crû que vous
ne seriez pas fâchée que je vous fisse
part d'une Idylle sur la Naissance de
N. S. Jesus - Christ , mise en Musique , et
que les Dlles élevées dans la Maison de
l'Enfant Jesus ont chantée ces jours passez
avec tout l'applaudissement possible ;
Vous voyez que M. le Curé de S. Sulpice,
en procurant à ces Dlles une éducation
qui lui fait tant d'honneur , ne se sert.
que de moyens dignes de sa pieté et propres
à former leur coeur et leur esprit
à la vertu et au culte de Dieu . Voici
une idée de ce petit Poëme , dont il n'a
été tiré que peu d'Exemplaires.
L'Idylle
452 MERCURE DE FRANCE
L'Idylle a trois Parties ou Entrées.
La premiere a pour objet l'Empire du
Démon dans le Monde et sur les hommes
jusqu'à la Naissance du Sauveur
qu'un Ange annonce au Démon avec
la destruction, de son Empire. La seconde
, représente les Bergers tout occuppez
à rendre leurs hommages au Sauveur
, dont un Choeur d'Anges vient de
leur apprendre la Naissance. Et la troisiéme
représente l'Adoration des Rois
Mages .
Satan ouvre la premiere Entrée , en
invitant les Démons à se réjouir de la
victoire qu'ils ont remportée sur l'hom
me , et à détruire cet Ouvrage de Dieu
qui est la cause de tous leurs maux. Il
s'exprime en ces termes.
O vous , de mes fureurs Ministres redoutables ,
Vous qui fites trembler les Cieux ,
Vous , des Mortels ennemis implacables ,
Démons , faites briller votre zele à mes yeux.
Les Démons s'unissent à lui pour chanter
leur victoire sur l'homme qu'ils ont
soumis au peché et à la mort. Satan poursuit
en déclarant que c'est pour avoir
refusé d'adorer un Mortel que toute leur
gloire a été changée en une nuit éternelle
; il continue :
Périsse
MARS 1734. 453
Périsse la Race execrable
Qui fut la source de nos maux ;
Ne nous lassons jamais de troubler son repos;
Plus que nous , rendons- la coupable.
Le Choeur des Démons répete les mêmes
Vers. Les Démons font ensuite une
énumeration des maux et des punitions
qu'ils ont attirés sur l'homme ,jusqu'à
faire repentir Dieu de l'avoir créé ; Sa- ,
tan leur ordonne ensuite de se répandre
par tout l'Univers et d'accroître encore
leur Empire et les maux du Genre humain
: en voici les paroles.
Volez de toutes parts , sortez de vos abîmes ;
Dispersez-vous dans les airs ,
Et remplissez l'Univers
De malheurs , de trouble et de crimes.
Les Démons répondent par les mêmes
Vers : Volons de toutes parts , & c, et ils
s'y disposent en effet lorsqu'un Ange ,
précede d'une Symphonie de triomphe ,
les arrête et leur annonce la Naissance
du Sauveur qui doit détruire leur Empire
, rétablir la paix dans l'Univers et
se faire adorer des Nations . Sitan se retire
en prononçant ce blasphême.
Non, non , il veut en vain détruire ma puissance;
454 MERCURE DE FRANCE
En vain il veut sauver les Humains de nos coups;
Eux -mêmes, plus ingrats, plus perfides que nous,
Signaleront bien - tôt leur desobéissance ;
Et seront les premiers à braver son courroux.
Après quoi Satan et ses Démons se
retirent , tandis que l'Ange de Paix conjure
le Liberateur des hommes , qui ne
descend que pour les sauver , de détourner
de dessus eux les malheurs dont ils
sont menacez , et de ne frapper de ses
coups que les têtes superbes de leurs jaloux
ennemis.
Un Choeur d'Anges termine cette Entrée
par ces Vers .
Le Sauveur vient de naître.
Que les Enfers , que la Terre et les Cieux ,
Que tout s'empresse à reconnoître
Cet Enfant glorieux.
La deuxième Entrée est composée de
quatre Bergers , de deux Bergeres , d'un
Choeur de Bergers et d'un Choeur d'Anges.
Les Bergers commencent et se déclarent
mutuellement la surprise où ils
sont de voir la Nature toute changée ;
la nuit éclairée , les agrémens du Printemps
et de l'Automne réunis dans la
saison de Hyver . Les quatre Bergers
s'écrient ensemble :
Comme
MARS. 1734. 455
Comme vous , chers amis , je ne sçaurois comprendre
Le prodige nouveau qui vient frapper nos yeux.
Ces effets surprenans doivent nous faire attendre
Le plus rare bienfait des Cieux.
Ils entendent en effet une Symphonie ,
suivie bien- tôt d'un Choeur d'Anges qui
rendent gloire à Dieu et qui annoncent
la Paix à la Terre , en publiant l'auguste
Naissance du Fils du Très - Haut . La Crêche
paroît en même - temps , et les Bergers
s'entredeniandent quel est cet admirable
Enfant qu'ils apperçoivent couché
dans la Crêche . Ils apprennent d'un
Ange que c'est le Fils de Dieu , le Messie
tant desiré , qui vient porter lui- même
la peine de mort que méritent les hommes.
Il les exhorte ensuite à venir lui
rendre leurs respects.
Bergers , empressez-vous , hâtez - vous d'adores
Celui qui vient vous retirer
D'un triste esclavage.
Sous ces rustiques toîts abbaissant son pouvoir,
C'est de vous qu'il veut recevoir
Le premier hommage.
Le Choeur des Anges et celui des Bergers
répetent :
Ac456
MERCURE DE FRANCE
Accourons , * accourons, hâtons- nous d'adorer
Celui qui vient nous retirer , &c .
Les Bergers et les Bergeres expriment
ensuite leur joye et leurs voeux , et ne
veulent plus chanter que ce Liberateur ,
qui fera desormais l'objet de leursChants,
&c . et ils lui offriront des Sacrifices proportionnez
à leur pouvoir . Cette Entrée
finit par ces Vers d'un Choeur d'Anges
et des Bergers .
'Animons - nous de nouvelles ardeurs
Ne cessons point de chanter la victoire
•
Du Dieu dont la bonté vient finir nos malheurs
;
Que par tout l'Univers on celebre sa gloire ,
Qu'il triomphe de tous les coeurs .
Les trois Mages marquent leur étonnement
, en ouvrant la troisiéme Entrée , de
ne plus voir l'Astre qui les avoit conduits
et qui leur avoit fait esperer de pouvoir
adorer le vrai Dieu devenu Enfant , ils
ajoûtent tous trois :
Mais ici rien ne se présente
Qui puise découvrir sa demeure brillante ;
Les Anges disent , accourez , bátez- vous.& c .
Les Anges disent , animez- vous .
Ni
MARS. 1734. 457
Ni Temple , ni Palais ne s'offrent à nos yeux ;
La pauvreté regne en tous lieux.
Un Ange leur découvre ce Mystere
par ces Vers.
Le Maître tout-puissant de la Terre et de l'Onde,
Par son humilité profonde ,
Vient confondre à jamais les Mortels orgueilleux,
Et dans l'état le plus vil à leurs yeux ,
Il est plus grand que tous les Rois duMonde,
La Crêche reparoît , et les Mages témoignent
qu'ils croyent aux paroles de
l'Ange et au Mystere qu'il leur annonce.
L'Ange leur adresse ensuite ces paroles .
Que ce Dieu si charmant de ses divine's flâmes ,
Embraze désormais vos ames ;
Qu'il regne sur vos coeurs ; qu'à l'envi les Mortels
De toutes parts lui dressent des Autels .
Les Choeurs des Anges et des Rois répetent
la même chose. Chacun des Rois
fait son présent et explique les rapports
qu'il a avec les Mysteres de l'Homme-
Dieu. Après quoi un Ange chante cette
Cantatille pour exhorter les Rois à publier
la gloire de leur Liberateur.
Que tout reconnoisse la gloire
C Du
458
MERCURE
DE
FRANCE
Du seul Maître de l'Univers
Il a remporté la victoire
Sur le Monde et sur les Enfers.
Descendez de vos Trônes ,
Kois , abbaissez vos Sceptres à ses piedss
Si devant lui vous vous humiliez
Il affermira vos Couronnes .
Que tout reconnoisse , &c .
Un autre Ange ajoûte :
Rois fortunez , dont Jesus a fait choix .
Four venir les premiers adorer sa Puissance ;
Avec nous unissez vos voix .
Allez dans l'Univers annoncer la Naissance ,
Et la gloire du Roy des Rois.
Le Choeur des Anges et des Rois finie
lá Piece en répetant ces derniers Vers :
-
Allons dans l'Univers annoncer là Naissance
Et la gloire du Roy des Rois..
Voilà , Madame une idée de cette
Idylle , dont l'Auteur est M. Morand
d'Arles , dont on a vû plusieurs Pieces
dans differens Mercures ; vous connoissez
, sans doute , M. Bouvard , qui a mis
ces Vers en Musique ; il est très - connu
* Les Anges disent , allez , &c.
par
MARS 1734.
459
par beaucoup d'Ouvrages ; l'Opera de
Meduse , de sa composition , eut un
grand succès dans sa nouveauté en 1702.
Il doit , dit- on , être repris l'Automne
prochain. Cet Auteur a cessé depuis
long-temps de travailler pour le Théatre,
et il s'est livré à des occupations plus
Religieuses. Il a fait voir dans cette Idylle
que la Musique n'est jamais plus susceptible
de force et de grandeur que
lorsqu'elle est employée à accompagner
les louanges du Seigneur ; et l'on a admiré
avec justice , que n'ayant que de jeunes
filles à faire chanter , et par consequent
que des voix presque égales , il ait pû
faire des Chours aussi beaux et aussi
travaillez que ceux dont cet Ouvrage est
rempli .
Je n'ai pas besoin , Madame , de vous
parler de l'illustre Pasteur auquel cette
Idylle est dédiée , et de vous informer
du mérite d'un homme universellement
estimé et respecté. Vous sçavez qu'entre
les beaux Etablissemens auxquels sa charité
est occupée tous les jours , celui de
l'Enfant Jesus , où trente Demoiselles de
condition sont élevées de- même qu'à
S. Cyr , tient, sans doute, le second rang,
pour ne rien dire de plus. Permettezmoi
de transcrire ici ce qu'en dit l'Epitre
Cij
Dé
460 MERCURE DE FRANCE
Dédicatoire qui est à la tête de ce petit
Ouvrage. La Maison de l'Enfant Jesus
» attire déja les voeux d'un nombre in-
>> fini de Familles , à qui la fortune n'a
» laissé pour tout bien que le souvenir
» de leur gloire passée. C'est-là , sur tout,
>> que l'on découvre toute l'étenduë de
»ce vaste Génie, qui vous faisant embras-
» ser les plus grandes choses , ne vous
» laisse pas pourtant dédaigner d'entrer
» dans les plus petites . C'est de-là que
» de jeunes Dlles , élevées suivant leur
» naissance , apprennent à préferer les
abbaissemens et l'humilité de la Reli
» gion , au vain éclat et aux fausses gran-
» deurs du Monde , et à n'employer les
» talens dont le Ciel a pû les orner , qu'à
» la gloire du souverain Maître. C'est- là
» que la Poësie et la Musique sanctifiées ,
paroissent dans le même esprit de ceux
» qui ne les ont inventez que pour mieux
celebrer la Grandeur du Très- Haut. Je
suis , Madame , avec respect , &c.
A Paris le 24. Février 1734.
au sujet d'une Idylle sur la Naissance
de Jesus Christ , divisée en trois Entrées,
mise en Musique par M. Bouvart , et
chantée par les Dlles élevées dans la
Communauté de l'Enfant Jesus , le 14 .
Février 1734. dédiée à M. le Curé de
S. Sulpice , imprimée à Paris chez
Thibout , 1734. Broch. in 4. de 16 pages.
J
>
E sçai , Madame , que vous vous in
teressez pour tout ce qui regarde la
Pieté et la Religion ; j'ai crû que vous
ne seriez pas fâchée que je vous fisse
part d'une Idylle sur la Naissance de
N. S. Jesus - Christ , mise en Musique , et
que les Dlles élevées dans la Maison de
l'Enfant Jesus ont chantée ces jours passez
avec tout l'applaudissement possible ;
Vous voyez que M. le Curé de S. Sulpice,
en procurant à ces Dlles une éducation
qui lui fait tant d'honneur , ne se sert.
que de moyens dignes de sa pieté et propres
à former leur coeur et leur esprit
à la vertu et au culte de Dieu . Voici
une idée de ce petit Poëme , dont il n'a
été tiré que peu d'Exemplaires.
L'Idylle
452 MERCURE DE FRANCE
L'Idylle a trois Parties ou Entrées.
La premiere a pour objet l'Empire du
Démon dans le Monde et sur les hommes
jusqu'à la Naissance du Sauveur
qu'un Ange annonce au Démon avec
la destruction, de son Empire. La seconde
, représente les Bergers tout occuppez
à rendre leurs hommages au Sauveur
, dont un Choeur d'Anges vient de
leur apprendre la Naissance. Et la troisiéme
représente l'Adoration des Rois
Mages .
Satan ouvre la premiere Entrée , en
invitant les Démons à se réjouir de la
victoire qu'ils ont remportée sur l'hom
me , et à détruire cet Ouvrage de Dieu
qui est la cause de tous leurs maux. Il
s'exprime en ces termes.
O vous , de mes fureurs Ministres redoutables ,
Vous qui fites trembler les Cieux ,
Vous , des Mortels ennemis implacables ,
Démons , faites briller votre zele à mes yeux.
Les Démons s'unissent à lui pour chanter
leur victoire sur l'homme qu'ils ont
soumis au peché et à la mort. Satan poursuit
en déclarant que c'est pour avoir
refusé d'adorer un Mortel que toute leur
gloire a été changée en une nuit éternelle
; il continue :
Périsse
MARS 1734. 453
Périsse la Race execrable
Qui fut la source de nos maux ;
Ne nous lassons jamais de troubler son repos;
Plus que nous , rendons- la coupable.
Le Choeur des Démons répete les mêmes
Vers. Les Démons font ensuite une
énumeration des maux et des punitions
qu'ils ont attirés sur l'homme ,jusqu'à
faire repentir Dieu de l'avoir créé ; Sa- ,
tan leur ordonne ensuite de se répandre
par tout l'Univers et d'accroître encore
leur Empire et les maux du Genre humain
: en voici les paroles.
Volez de toutes parts , sortez de vos abîmes ;
Dispersez-vous dans les airs ,
Et remplissez l'Univers
De malheurs , de trouble et de crimes.
Les Démons répondent par les mêmes
Vers : Volons de toutes parts , & c, et ils
s'y disposent en effet lorsqu'un Ange ,
précede d'une Symphonie de triomphe ,
les arrête et leur annonce la Naissance
du Sauveur qui doit détruire leur Empire
, rétablir la paix dans l'Univers et
se faire adorer des Nations . Sitan se retire
en prononçant ce blasphême.
Non, non , il veut en vain détruire ma puissance;
454 MERCURE DE FRANCE
En vain il veut sauver les Humains de nos coups;
Eux -mêmes, plus ingrats, plus perfides que nous,
Signaleront bien - tôt leur desobéissance ;
Et seront les premiers à braver son courroux.
Après quoi Satan et ses Démons se
retirent , tandis que l'Ange de Paix conjure
le Liberateur des hommes , qui ne
descend que pour les sauver , de détourner
de dessus eux les malheurs dont ils
sont menacez , et de ne frapper de ses
coups que les têtes superbes de leurs jaloux
ennemis.
Un Choeur d'Anges termine cette Entrée
par ces Vers .
Le Sauveur vient de naître.
Que les Enfers , que la Terre et les Cieux ,
Que tout s'empresse à reconnoître
Cet Enfant glorieux.
La deuxième Entrée est composée de
quatre Bergers , de deux Bergeres , d'un
Choeur de Bergers et d'un Choeur d'Anges.
Les Bergers commencent et se déclarent
mutuellement la surprise où ils
sont de voir la Nature toute changée ;
la nuit éclairée , les agrémens du Printemps
et de l'Automne réunis dans la
saison de Hyver . Les quatre Bergers
s'écrient ensemble :
Comme
MARS. 1734. 455
Comme vous , chers amis , je ne sçaurois comprendre
Le prodige nouveau qui vient frapper nos yeux.
Ces effets surprenans doivent nous faire attendre
Le plus rare bienfait des Cieux.
Ils entendent en effet une Symphonie ,
suivie bien- tôt d'un Choeur d'Anges qui
rendent gloire à Dieu et qui annoncent
la Paix à la Terre , en publiant l'auguste
Naissance du Fils du Très - Haut . La Crêche
paroît en même - temps , et les Bergers
s'entredeniandent quel est cet admirable
Enfant qu'ils apperçoivent couché
dans la Crêche . Ils apprennent d'un
Ange que c'est le Fils de Dieu , le Messie
tant desiré , qui vient porter lui- même
la peine de mort que méritent les hommes.
Il les exhorte ensuite à venir lui
rendre leurs respects.
Bergers , empressez-vous , hâtez - vous d'adores
Celui qui vient vous retirer
D'un triste esclavage.
Sous ces rustiques toîts abbaissant son pouvoir,
C'est de vous qu'il veut recevoir
Le premier hommage.
Le Choeur des Anges et celui des Bergers
répetent :
Ac456
MERCURE DE FRANCE
Accourons , * accourons, hâtons- nous d'adorer
Celui qui vient nous retirer , &c .
Les Bergers et les Bergeres expriment
ensuite leur joye et leurs voeux , et ne
veulent plus chanter que ce Liberateur ,
qui fera desormais l'objet de leursChants,
&c . et ils lui offriront des Sacrifices proportionnez
à leur pouvoir . Cette Entrée
finit par ces Vers d'un Choeur d'Anges
et des Bergers .
'Animons - nous de nouvelles ardeurs
Ne cessons point de chanter la victoire
•
Du Dieu dont la bonté vient finir nos malheurs
;
Que par tout l'Univers on celebre sa gloire ,
Qu'il triomphe de tous les coeurs .
Les trois Mages marquent leur étonnement
, en ouvrant la troisiéme Entrée , de
ne plus voir l'Astre qui les avoit conduits
et qui leur avoit fait esperer de pouvoir
adorer le vrai Dieu devenu Enfant , ils
ajoûtent tous trois :
Mais ici rien ne se présente
Qui puise découvrir sa demeure brillante ;
Les Anges disent , accourez , bátez- vous.& c .
Les Anges disent , animez- vous .
Ni
MARS. 1734. 457
Ni Temple , ni Palais ne s'offrent à nos yeux ;
La pauvreté regne en tous lieux.
Un Ange leur découvre ce Mystere
par ces Vers.
Le Maître tout-puissant de la Terre et de l'Onde,
Par son humilité profonde ,
Vient confondre à jamais les Mortels orgueilleux,
Et dans l'état le plus vil à leurs yeux ,
Il est plus grand que tous les Rois duMonde,
La Crêche reparoît , et les Mages témoignent
qu'ils croyent aux paroles de
l'Ange et au Mystere qu'il leur annonce.
L'Ange leur adresse ensuite ces paroles .
Que ce Dieu si charmant de ses divine's flâmes ,
Embraze désormais vos ames ;
Qu'il regne sur vos coeurs ; qu'à l'envi les Mortels
De toutes parts lui dressent des Autels .
Les Choeurs des Anges et des Rois répetent
la même chose. Chacun des Rois
fait son présent et explique les rapports
qu'il a avec les Mysteres de l'Homme-
Dieu. Après quoi un Ange chante cette
Cantatille pour exhorter les Rois à publier
la gloire de leur Liberateur.
Que tout reconnoisse la gloire
C Du
458
MERCURE
DE
FRANCE
Du seul Maître de l'Univers
Il a remporté la victoire
Sur le Monde et sur les Enfers.
Descendez de vos Trônes ,
Kois , abbaissez vos Sceptres à ses piedss
Si devant lui vous vous humiliez
Il affermira vos Couronnes .
Que tout reconnoisse , &c .
Un autre Ange ajoûte :
Rois fortunez , dont Jesus a fait choix .
Four venir les premiers adorer sa Puissance ;
Avec nous unissez vos voix .
Allez dans l'Univers annoncer la Naissance ,
Et la gloire du Roy des Rois.
Le Choeur des Anges et des Rois finie
lá Piece en répetant ces derniers Vers :
-
Allons dans l'Univers annoncer là Naissance
Et la gloire du Roy des Rois..
Voilà , Madame une idée de cette
Idylle , dont l'Auteur est M. Morand
d'Arles , dont on a vû plusieurs Pieces
dans differens Mercures ; vous connoissez
, sans doute , M. Bouvard , qui a mis
ces Vers en Musique ; il est très - connu
* Les Anges disent , allez , &c.
par
MARS 1734.
459
par beaucoup d'Ouvrages ; l'Opera de
Meduse , de sa composition , eut un
grand succès dans sa nouveauté en 1702.
Il doit , dit- on , être repris l'Automne
prochain. Cet Auteur a cessé depuis
long-temps de travailler pour le Théatre,
et il s'est livré à des occupations plus
Religieuses. Il a fait voir dans cette Idylle
que la Musique n'est jamais plus susceptible
de force et de grandeur que
lorsqu'elle est employée à accompagner
les louanges du Seigneur ; et l'on a admiré
avec justice , que n'ayant que de jeunes
filles à faire chanter , et par consequent
que des voix presque égales , il ait pû
faire des Chours aussi beaux et aussi
travaillez que ceux dont cet Ouvrage est
rempli .
Je n'ai pas besoin , Madame , de vous
parler de l'illustre Pasteur auquel cette
Idylle est dédiée , et de vous informer
du mérite d'un homme universellement
estimé et respecté. Vous sçavez qu'entre
les beaux Etablissemens auxquels sa charité
est occupée tous les jours , celui de
l'Enfant Jesus , où trente Demoiselles de
condition sont élevées de- même qu'à
S. Cyr , tient, sans doute, le second rang,
pour ne rien dire de plus. Permettezmoi
de transcrire ici ce qu'en dit l'Epitre
Cij
Dé
460 MERCURE DE FRANCE
Dédicatoire qui est à la tête de ce petit
Ouvrage. La Maison de l'Enfant Jesus
» attire déja les voeux d'un nombre in-
>> fini de Familles , à qui la fortune n'a
» laissé pour tout bien que le souvenir
» de leur gloire passée. C'est-là , sur tout,
>> que l'on découvre toute l'étenduë de
»ce vaste Génie, qui vous faisant embras-
» ser les plus grandes choses , ne vous
» laisse pas pourtant dédaigner d'entrer
» dans les plus petites . C'est de-là que
» de jeunes Dlles , élevées suivant leur
» naissance , apprennent à préferer les
abbaissemens et l'humilité de la Reli
» gion , au vain éclat et aux fausses gran-
» deurs du Monde , et à n'employer les
» talens dont le Ciel a pû les orner , qu'à
» la gloire du souverain Maître. C'est- là
» que la Poësie et la Musique sanctifiées ,
paroissent dans le même esprit de ceux
» qui ne les ont inventez que pour mieux
celebrer la Grandeur du Très- Haut. Je
suis , Madame , avec respect , &c.
A Paris le 24. Février 1734.
Fermer
Résumé : LETTRE de M... à Madame de ... au sujet d'une Idylle sur la Naissance de Jesus Christ, divisée en trois Entrées, mise en Musique par M. Bouvart, et chantée par les Dlles élevées dans la Communauté de l'Enfant Jesus, le 14. Février 1734. dédiée à M. le Curé de S. Sulpice, imprimée à Paris, chez Thibout, 1734. Broch. in 4. de 16 pages.
La lettre de M... à Madame de... décrit une idylle sur la Naissance de Jésus-Christ, composée en trois parties et mise en musique par M. Bouvart. Cette idylle a été interprétée par les demoiselles de la Communauté de l'Enfant Jésus le 14 février 1734 et dédiée à M. le Curé de Saint-Sulpice. L'œuvre a été imprimée à Paris chez Thibout en 1734 sous forme de brochure in-4 de 16 pages. L'idylle se structure en trois sections. La première partie relate la domination du Démon sur les hommes jusqu'à la venue du Sauveur, annoncée par un ange. La seconde partie met en scène les bergers rendant hommage au Sauveur, dont la naissance est proclamée par un chœur d'anges. La troisième partie illustre l'adoration des Rois Mages. L'auteur de l'idylle est M. Morand d'Arles, et la musique a été composée par M. Bouvart, célèbre pour son opéra 'Méduse'. L'œuvre souligne la puissance de la musique lorsqu'elle est utilisée pour louer le Seigneur. La lettre met également en lumière le mérite de M. le Curé de Saint-Sulpice et l'éducation pieuse des demoiselles de la Maison de l'Enfant Jésus.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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118
LETTRE de M... à Madame de ... au sujet d'une Idylle sur la Naissance de Jesus Christ, divisée en trois Entrées, mise en Musique par M. Bouvart, et chantée par les Dlles élevées dans la Communauté de l'Enfant Jesus, le 14. Février 1734. dédiée à M. le Curé de S. Sulpice, imprimée à Paris, chez Thibout, 1734. Broch. in 4. de 16 pages.
119
p. 1074-1081
EPITRE A M.... sur le danger de produire ses Ouvrages.
Début :
Donneurs d'avis sont toujours indiscrets, [...]
Mots clefs :
Ouvrages, Ami, Auteur, Goût, Public, Sens, Écrire, Sujet, Gloire, Esprit
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EPITRE A M.... sur le danger de produire ses Ouvrages.
EPITRE
A M.... sur le danger de produire
ses Ouvrages.
D Onneurs d'avis sont toujours indiscrets ,
Et sur ce ton l'on prône sans succès ;
Mais ne m'en chaut , et sans craindre votre ire
I. Vol. Vous
JUIN. 1075 1734.
Vous dirai net que faites mal , beau Sire ,
De vous livrer à l'attrait séducteur ,
Que vous présente un dangereux honneur.
Du bel esprit la brillante carriere ,
Vous éblouit ; un jeune témeraire ,
De gloire avide , affronteur de dangers ,
Jà d'Hélicon moissonnez les Lauriers ;
Puis tout d'un trait , près d'Ovide et d'Horace ,
Modestement assignez votre place.
Moi , direz- vous , quoi ! d'un projet si vain .. ↓
Je vous entends , ne disputons en vain .
Eh bien ! je veux , que content de la gloire ,
Qui suit l'aveu des Filles de mémoire ,
N'ayez pour but que de vous faire un nom ;
Et de loger sur le penchant de Mont.
C'est sur ce plan que consentez d'écrire ;
Mais vous voulez que toujours on admire ;
Ou qu'on se taise ? ami , ne croyez point
Que le Public vous accorde ce point.
Oui , le Public , ce Juge si severe ,
Qui rit par fois du siflet du Parterre ,
A sa balance ajustant vos Ecrits ,
'Verra vos soins peut - être avec mépris.
Si ne craignez un revers si funeste ,
Craignez du moins la dangereuse peste
Des Calotins , qui par monts et par vaux ,
S'en vont semant leurs quolibets brutaux
Sur tout Auteur qui n'a l'art de leur plaire ;
1. Vol. B iiij Trou076
MERCURE DE FRANCE
Troupe félonne , engeance de Vipere ,
Sont le poison plus caustique et plus noir
Alambiqué dans leur obscur manoir ,
A la Vertu , non moins qu'à la Science ,
A tant de fois fait sentir sa puissance.
Heureux encor si n'aviez pour Censeurs
Que cet amas d'intraitables Rimeurs !
Mais par méchef si d'humeur satyrique ,
Quelque Sçavant , à vous tancer s'applique ,
( Car il en est qui traitent en Rival ,
Quiconque a l'heur d'écrire un peu moins mal
Que le commun , ) lors verrez , pauvre haire ,
Tantôt traité d'indigne plagiaire ,
De mince Auteur d'antithèse cousu
Tantôt taxé de style morfondu ,
Vuide de sens , abondant en paroles ,
Farci sans goût de flasques hyperboles ,
Bref , piece à piece épluché , contredit , ;
Ce que l'on gagne à produire un Ecrit .
Vous aurez beau crier à l'injustice ,
Moins écouté qu'en Chapitre un Novice ,
Serez réduit à ronger votre frein ;
Lors des Grimauds le fanatique Essain ,
Tombant sur vous avec brusque incartade ,
Vous portera mainte et mainte estocade .
Quel Ecrivain ! diront - ils à l'instant ;
Concevez- vous rien de plus rebutant ?
Informe amas de preuves surannées ,
I. Vol.
Tant
JUIN. 1734. 1977
Tant bien que mal au sujet aménées ;
Exorde sec , dessein embarassé :
Le pauvre Auteur , pour fuir le ton glacé ,
Sans cesse court après la métaphore ,
Prêt à changer Méduse en Terpsicore
Puis , remarquez de ces transitions ,
Le peu d'adresse , et des refléxions ,
Le vuide affreux . Voila pour votre Prose.
Venons aux Vers , verrez bien autre chose.
Oh ! pour le coup eussiez - vous d'Apollon ,
Surpris la Lyre et saisi le vrai ton ,
Tout d'une voix la Troupe pédantesque ,
Vous renverroit par un Arrêt burlesque ;
Pour n'avoir pris la route de Breboeuf ,
A vous louer aux Chantres du Pont-Neuf.
Eh ? d'où nous vient cet énervé Poëte ?
Onc sur le Pinde on n'a vû tel Athlete ,
De ces Gloseurs c'est le commun Roller ;
Mais ne sçavez peut - être le sujet ,
Qui de fureur contre vous les anime ?
'De traits malins s'accomode la Rime.
Ecoutez-les dans le pressant danger ,
C'est fait de nous , si, lents à nous venger ,
Nous attendons que sa verve insolente ,
A nous pincer en secret se tourmente ,
Ou si gardant un silence niais ,
De son Essai couronnons le succès.
Qu'ainsi ne soit , avares de loüange ,
I. Vol
BV Quand
1078 MEKUUKE DE FRANCE
Quand un Auteur , jusqu'aux rives du Gange →
Auroit porté la gloire de son nom ,
€
Ne craignons point de flétrir son renom .
Sur tout aux Vers faisons mortelle guerre ;
Car d'un Rimeur dangereuse est la serre :
Si que par fois le croyez déconfit,
Honni , berné , tandis qu'en son réduit ,
Il vous asséne riant dans son ame ,
Couplet mordant ou traitresse Epigramme
Puis les Rieurs désertant vos Drapeaux ,
Vous font payer les frais de vos bons mots.
Allons , amis , sauvons notre Guirlande ;
A ce Rimeur donnons la sarabande
Tant que lassé d'essuyer nos rebuts
Force lui soit de ne rimailler plus.
Pour ce ne faut que matiere à critique
Si peu que rien , un Vers qui soit étique
Nous suffira . Bon un , deux , quatre ,
C'en est assez , le reste est encor pis.
Nulle cadence , ici vrai pleonasme ;
Froide épithete , aucun entousiasme ;
2 2 ..
Par tout où trouve un sens entortillé ,
Et pas un Vers qui ne soit chevillé .
Mais , direz vous , craindrai je le murmure
Des Idiots ? Eh , que peut leur censure è
Vit- on jamais un Ouvrage applaudi
Des gens de goût demeurer dans l'oubli
Par les clameurs de ces esprits obliques ?
I. Vol
Mais
JUIN. 1734. 1079
Bien plus craindrois leurs éloges rustiques
S'ils en donnoient. Qu'ils jasent , j'y consens.
Pour le Public , qui , toujours des Sçavans
Prend le ton , soit , vous avourai sans peine ,
Que sa rigueur engourdiroit ma veine ,
Si ne sçavois , qu'ami de l'équité ,
Jamais du bon il ne fut irrité.
Heureux , qui peut meriter le suffrage
D'un Tribunal si respecté , si sage!
C'est-là le point. Noble est votre projet :
Mais , entre nous , êtes- vous un sujet
Propre à remplir son immense étendue ?
Tenez , lisez , la liste est répanduë .
Tout bel esprit , sera Grammairien ,
Bon Orateur , Poëte , Historien.
Item , sçaura les calculs de l'Algébre
pour compasser une Oraison Funebre.
Item , dita de chaque région
Les qualités , moeurs et Religion.
Item , il doit user du télescope ,
Pour au besoin tirer une horoscope.
Item , sera nouveau Physicien ,
Sans ignorer nul systême ancien,
Item , sera sçavant Chronologiste ,
Bon Géographe , Antiquaire , Chimiste:
Item , des loix percera le cahos
Pour policer les Auteurs Ostrogots,
Item , sçaura Fable , Mythologie ,
I.Vol. B vj Pour
1080 MERCURE DE FRANCE
Pour dévoiler d'Homere la Magie.
Item , sçaura le Grec et le Latin ,
L'Hebreu bien plus que n'en sçût Calepin .'
Enfin sçaura de tout Art et Science
Le vrai , le fin , telle est notre ordonnance.
La tâche est bonne , Ami, qu'en pensez- vous
Et si pourtant sans entrer en couroux ,
Dût cet avis vous glacer vous abattre ,
Tenez pour sûr , qu'on n'en veut rien rabattre
A rire d'eux , comme vous , je suis prêt ,
Et cependant concluez de l'arrêt ,
Que telles gens , toujours sur le qui vive ;
Pour vos Ecrits n'auront , quoiqu'il arrive ,
Que du dégoût. Soyez loyal et franc ,
Juste , pieux , genereux , complaisant ;
De douces moeurs , ami tendre et sincere ,
Officieux , d'aimable caractere ;
Diront , soit fait , sans trop vous chicanner.
Mais , pour l'esprit , il y faut renoncer.
Et la raison ? La voici très- solide.
Hors leur cerveau , le bon sens ne reside:
Aussi voyons , sans cesse , à leur tripot ,
Que tout Auteur est inepte et fallot .
Et ne prenez ceci pour badinage.
Qui dit jaloux , dit pis qu'Antropophage.
Or il n'est rien qui fasse des jaloux ,
Plus furieux , plus forcenés , plus foux ,
Que de briguer la faveur de Minerve .
I. Vol.
JUIN. 1734. 108 1
Or sus , Ami , réprimez votre verve ,
Ou bien comptez , si pouvez , les brocards
Qui vont pleuvoir sur vous de toutes parts.
Je ne dis rien de tant d'autres Illustres ,
Si reverés depuis plus de dix lustres ,
Que , maintenant , on proscrit sans pudeur ;
L'allusion vous feroit trop d'honneur.
Qu'esperez- vous , d'un goût si difficile ,
Qui , pour un rien , dégraderoit Virgile ?
Non , qu'après tout le nouveau goût si fin ;
A nos neveux ne paroisse mutin ;
Mais toujours. Quoi ? faut- il donc vous le direș
Pour n'être lû , n'est la peine d'écrire.
A M.... sur le danger de produire
ses Ouvrages.
D Onneurs d'avis sont toujours indiscrets ,
Et sur ce ton l'on prône sans succès ;
Mais ne m'en chaut , et sans craindre votre ire
I. Vol. Vous
JUIN. 1075 1734.
Vous dirai net que faites mal , beau Sire ,
De vous livrer à l'attrait séducteur ,
Que vous présente un dangereux honneur.
Du bel esprit la brillante carriere ,
Vous éblouit ; un jeune témeraire ,
De gloire avide , affronteur de dangers ,
Jà d'Hélicon moissonnez les Lauriers ;
Puis tout d'un trait , près d'Ovide et d'Horace ,
Modestement assignez votre place.
Moi , direz- vous , quoi ! d'un projet si vain .. ↓
Je vous entends , ne disputons en vain .
Eh bien ! je veux , que content de la gloire ,
Qui suit l'aveu des Filles de mémoire ,
N'ayez pour but que de vous faire un nom ;
Et de loger sur le penchant de Mont.
C'est sur ce plan que consentez d'écrire ;
Mais vous voulez que toujours on admire ;
Ou qu'on se taise ? ami , ne croyez point
Que le Public vous accorde ce point.
Oui , le Public , ce Juge si severe ,
Qui rit par fois du siflet du Parterre ,
A sa balance ajustant vos Ecrits ,
'Verra vos soins peut - être avec mépris.
Si ne craignez un revers si funeste ,
Craignez du moins la dangereuse peste
Des Calotins , qui par monts et par vaux ,
S'en vont semant leurs quolibets brutaux
Sur tout Auteur qui n'a l'art de leur plaire ;
1. Vol. B iiij Trou076
MERCURE DE FRANCE
Troupe félonne , engeance de Vipere ,
Sont le poison plus caustique et plus noir
Alambiqué dans leur obscur manoir ,
A la Vertu , non moins qu'à la Science ,
A tant de fois fait sentir sa puissance.
Heureux encor si n'aviez pour Censeurs
Que cet amas d'intraitables Rimeurs !
Mais par méchef si d'humeur satyrique ,
Quelque Sçavant , à vous tancer s'applique ,
( Car il en est qui traitent en Rival ,
Quiconque a l'heur d'écrire un peu moins mal
Que le commun , ) lors verrez , pauvre haire ,
Tantôt traité d'indigne plagiaire ,
De mince Auteur d'antithèse cousu
Tantôt taxé de style morfondu ,
Vuide de sens , abondant en paroles ,
Farci sans goût de flasques hyperboles ,
Bref , piece à piece épluché , contredit , ;
Ce que l'on gagne à produire un Ecrit .
Vous aurez beau crier à l'injustice ,
Moins écouté qu'en Chapitre un Novice ,
Serez réduit à ronger votre frein ;
Lors des Grimauds le fanatique Essain ,
Tombant sur vous avec brusque incartade ,
Vous portera mainte et mainte estocade .
Quel Ecrivain ! diront - ils à l'instant ;
Concevez- vous rien de plus rebutant ?
Informe amas de preuves surannées ,
I. Vol.
Tant
JUIN. 1734. 1977
Tant bien que mal au sujet aménées ;
Exorde sec , dessein embarassé :
Le pauvre Auteur , pour fuir le ton glacé ,
Sans cesse court après la métaphore ,
Prêt à changer Méduse en Terpsicore
Puis , remarquez de ces transitions ,
Le peu d'adresse , et des refléxions ,
Le vuide affreux . Voila pour votre Prose.
Venons aux Vers , verrez bien autre chose.
Oh ! pour le coup eussiez - vous d'Apollon ,
Surpris la Lyre et saisi le vrai ton ,
Tout d'une voix la Troupe pédantesque ,
Vous renverroit par un Arrêt burlesque ;
Pour n'avoir pris la route de Breboeuf ,
A vous louer aux Chantres du Pont-Neuf.
Eh ? d'où nous vient cet énervé Poëte ?
Onc sur le Pinde on n'a vû tel Athlete ,
De ces Gloseurs c'est le commun Roller ;
Mais ne sçavez peut - être le sujet ,
Qui de fureur contre vous les anime ?
'De traits malins s'accomode la Rime.
Ecoutez-les dans le pressant danger ,
C'est fait de nous , si, lents à nous venger ,
Nous attendons que sa verve insolente ,
A nous pincer en secret se tourmente ,
Ou si gardant un silence niais ,
De son Essai couronnons le succès.
Qu'ainsi ne soit , avares de loüange ,
I. Vol
BV Quand
1078 MEKUUKE DE FRANCE
Quand un Auteur , jusqu'aux rives du Gange →
Auroit porté la gloire de son nom ,
€
Ne craignons point de flétrir son renom .
Sur tout aux Vers faisons mortelle guerre ;
Car d'un Rimeur dangereuse est la serre :
Si que par fois le croyez déconfit,
Honni , berné , tandis qu'en son réduit ,
Il vous asséne riant dans son ame ,
Couplet mordant ou traitresse Epigramme
Puis les Rieurs désertant vos Drapeaux ,
Vous font payer les frais de vos bons mots.
Allons , amis , sauvons notre Guirlande ;
A ce Rimeur donnons la sarabande
Tant que lassé d'essuyer nos rebuts
Force lui soit de ne rimailler plus.
Pour ce ne faut que matiere à critique
Si peu que rien , un Vers qui soit étique
Nous suffira . Bon un , deux , quatre ,
C'en est assez , le reste est encor pis.
Nulle cadence , ici vrai pleonasme ;
Froide épithete , aucun entousiasme ;
2 2 ..
Par tout où trouve un sens entortillé ,
Et pas un Vers qui ne soit chevillé .
Mais , direz vous , craindrai je le murmure
Des Idiots ? Eh , que peut leur censure è
Vit- on jamais un Ouvrage applaudi
Des gens de goût demeurer dans l'oubli
Par les clameurs de ces esprits obliques ?
I. Vol
Mais
JUIN. 1734. 1079
Bien plus craindrois leurs éloges rustiques
S'ils en donnoient. Qu'ils jasent , j'y consens.
Pour le Public , qui , toujours des Sçavans
Prend le ton , soit , vous avourai sans peine ,
Que sa rigueur engourdiroit ma veine ,
Si ne sçavois , qu'ami de l'équité ,
Jamais du bon il ne fut irrité.
Heureux , qui peut meriter le suffrage
D'un Tribunal si respecté , si sage!
C'est-là le point. Noble est votre projet :
Mais , entre nous , êtes- vous un sujet
Propre à remplir son immense étendue ?
Tenez , lisez , la liste est répanduë .
Tout bel esprit , sera Grammairien ,
Bon Orateur , Poëte , Historien.
Item , sçaura les calculs de l'Algébre
pour compasser une Oraison Funebre.
Item , dita de chaque région
Les qualités , moeurs et Religion.
Item , il doit user du télescope ,
Pour au besoin tirer une horoscope.
Item , sera nouveau Physicien ,
Sans ignorer nul systême ancien,
Item , sera sçavant Chronologiste ,
Bon Géographe , Antiquaire , Chimiste:
Item , des loix percera le cahos
Pour policer les Auteurs Ostrogots,
Item , sçaura Fable , Mythologie ,
I.Vol. B vj Pour
1080 MERCURE DE FRANCE
Pour dévoiler d'Homere la Magie.
Item , sçaura le Grec et le Latin ,
L'Hebreu bien plus que n'en sçût Calepin .'
Enfin sçaura de tout Art et Science
Le vrai , le fin , telle est notre ordonnance.
La tâche est bonne , Ami, qu'en pensez- vous
Et si pourtant sans entrer en couroux ,
Dût cet avis vous glacer vous abattre ,
Tenez pour sûr , qu'on n'en veut rien rabattre
A rire d'eux , comme vous , je suis prêt ,
Et cependant concluez de l'arrêt ,
Que telles gens , toujours sur le qui vive ;
Pour vos Ecrits n'auront , quoiqu'il arrive ,
Que du dégoût. Soyez loyal et franc ,
Juste , pieux , genereux , complaisant ;
De douces moeurs , ami tendre et sincere ,
Officieux , d'aimable caractere ;
Diront , soit fait , sans trop vous chicanner.
Mais , pour l'esprit , il y faut renoncer.
Et la raison ? La voici très- solide.
Hors leur cerveau , le bon sens ne reside:
Aussi voyons , sans cesse , à leur tripot ,
Que tout Auteur est inepte et fallot .
Et ne prenez ceci pour badinage.
Qui dit jaloux , dit pis qu'Antropophage.
Or il n'est rien qui fasse des jaloux ,
Plus furieux , plus forcenés , plus foux ,
Que de briguer la faveur de Minerve .
I. Vol.
JUIN. 1734. 108 1
Or sus , Ami , réprimez votre verve ,
Ou bien comptez , si pouvez , les brocards
Qui vont pleuvoir sur vous de toutes parts.
Je ne dis rien de tant d'autres Illustres ,
Si reverés depuis plus de dix lustres ,
Que , maintenant , on proscrit sans pudeur ;
L'allusion vous feroit trop d'honneur.
Qu'esperez- vous , d'un goût si difficile ,
Qui , pour un rien , dégraderoit Virgile ?
Non , qu'après tout le nouveau goût si fin ;
A nos neveux ne paroisse mutin ;
Mais toujours. Quoi ? faut- il donc vous le direș
Pour n'être lû , n'est la peine d'écrire.
Fermer
Résumé : EPITRE A M.... sur le danger de produire ses Ouvrages.
L'épître met en garde contre les dangers de publier des œuvres littéraires. L'auteur avertit son destinataire des risques associés à la quête de gloire littéraire, soulignant que le public et les critiques peuvent être sévères et injustes. Il mentionne les 'Calotins' et les 'Sçavans' qui critiquent sans merci, taxant les auteurs de plagiat, de style médiocre ou de manque de sens. L'auteur décrit également les attaques personnelles et les moqueries auxquelles un écrivain peut être soumis, même si son œuvre est acclamée par des gens de goût. Il liste les nombreuses compétences requises pour être un 'bel esprit', allant de la grammaire à la poésie, en passant par l'astronomie et la chimie. L'épître se conclut par un avertissement sur la jalousie des rivaux littéraires et la difficulté de plaire à un public exigeant et critique.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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122
p. 64-79
« LE SERIN DE CANARIE, Poëme, ouvrage dans un genre nouveau pour la [...] »
Début :
LE SERIN DE CANARIE, Poëme, ouvrage dans un genre nouveau pour la [...]
Mots clefs :
Genre, Poème, Genre nouveau, Serin, Amour, Auteur, Gloire, Époux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « LE SERIN DE CANARIE, Poëme, ouvrage dans un genre nouveau pour la [...] »
LE SERIN DE CANARIE , Poëme ;
ouvrage dans un genre nouveau pour la
Poësie françoife , qui , à l'aide de quelques
notes , forme un traité complet & très- fûr
AVRIL. 1755. 65
pour élever les ferins . A Londres , 1755.
Cet effai m'a paru mériter l'approbation
du public , par le fond qui eft agréable , &
par la forme qui he l'eft pas moins . Il me
femble que l'auteur qui a la modeftie de ne
pas fe nommer , a bien faifi le ton de verfification
convenable au genre de poëme
qu'il a entrepris ; c'eft cette élégante fimplicité
fi propre à peindre les petites chofes
, & qui feule à l'art de les ennoblir :
les anciens y excelloient ; il les a pris pour
modeles , & je trouve qu'il y a fouvent
réuffi . Pour juftifier mon fentiment , je vais
citer quelques endroits de fon poëme : je
commence par fon début .
a
Toi , dont les doux accens divertiffent ma Muſe ,
Dont l'organe enchanteur & l'infpire & l'amufe ,
Et qui montes ma lyre au fon de tes concerts ,
C'eſt toi , charmant ferin , que célébrent mes vers.
Mufe , chante avec moi fon port plein de nobleffe
,
Son air plein de candeur & mêlé de fineffe ,
Le doux feu de fes yeux ennemis du fommeil ,
Son plumage ſemblable au plus brillant vermeil ;
L'éclat de la blancheur à propos ménagée ,
Ses pannaches pompeux , fa taille dégagée :
Peux-tu trouver ailleurs un plus charmant plaifir
Mais fur toute l'efpéce , égayant ton loiſir ,
Apprens-moi le fecret d'étendre leur lignage ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Enſeignes comment l'art embellit leur ramage ,
Comment leurs petits jeux peuvent dédommager
La main qui tous les jours leur préfente à manger ;
Et dans les tems obfcurs portant un oeil critique ,
Chante leur origine auffi noble qu'antique.
Voilà le plan de l'ouvrage heureusement
détaillé.
L'auteur fait ainfi l'éloge du mâle , qui
ne tourne pas à la gloire du beau fexe.
C'eſt du mâle fur-tout que l'humeur eft aimable.
Son épouſe fantafque & fouvent intraitable ,
Dans les mornes accès d'un bizarre courroux ,
Eteindroit les ardeurs d'un moins fidèle époux.
Tel que bien des maris , commodes par prudence ,
Il ronge fes chagrins dans un fage filence ;
Mais ce trouble finit quand les feux du printems
Excitent dans leur fein des tranfports plus conftans.
Ainfipour tous les coeurs engagés dans les chafnes
,
L'amour a fes plaiſirs , & l'amour a fes peines.
La femelle parmi les ferins commande
en reine , & l'époux eft chargé du ſoin de
tous les détails.
Les travaux affidus , les foucis du ménage ,
Suivent des premiers feux le leger badinage.
AVRI L.'
1755. 67
On pense à l'avenir , on prépare , on conftruit
L'aire où d'un chafte amour on doit loger le fruit.
De l'époux complaifant , l'épouſe induſtrieuſe ,
Habile à prévenir la voix impérieuſe
Qui lui marque le tems de décharger fon fein ,
D'une maiſon commode ordonne le deffein ;
Et fans bruit enfoncée au milieu du feuillage
D'un if propre à fixer une tête volage ,
Ou dans l'étroit contour du plus petit panier ,
Tranquille , & l'air rêveur , médite fur l'ofier.
Le mari travaille pendant ce tems là .
Il tranfporte , il fournit ; fa compagne y préſide ,
Et fuivant les confeils de l'inſtinct qui la guide
Les racines , la mouffe entourent la maiſon
Et l'on met au- dedans le duvet à foifon.
a
>
Mais jamais cette ardeur n'enfante le defordre.
S'ils s'entr'aident plufieurs , feule elle donne l'or
dre ....
L'un choifit le duvet , l'autre du coton fec ,
L'on donne , l'on reçoit : ainfi de bec en bec
Tout paffe au lieu marqué par l'inſtinct unanime ;
Le mur croît , l'oeuvre monte , & parvient à la
cime.
Tel que des ouvriers , par étage rangés ,
Entre deux longs fapins , en dégré , partagés ,
Reçoivent à leurs pieds ; élevent à leur tête
68 MERCURE DE FRANCE.
La pierre , le ciment qui montent juſqu'au faîte :
Tels nos ferins unis dès l'heure du réveil ,
Confomment leurs travaux fous le même foleil
A moins qu'un feu jaloux , enfanglantant la ferre ,
Ne porte dans l'état les horreurs de la guerre..
Le Poëte prudent nous avertit de ne pas
unir trop tôt les jeunes ferins. Ces mariages
précoces font , dit-il, funeftes , fur- tout
à la femelle. Il nous en apporte un exemple
tragique en vers touchans , par lefquels
je finirai ce précis.
Jonquille , encor trop jeune , époufe , & bientôt
mere ,
Victime de tendreffe , épuife en fon réduit
Un refte de chaleur , pour animer fon fruit.
Cinq citoyens nouveaux , donnés à la voliere , `
N'ont pas ouvert encor les yeux à la lumiere ,
Que dans fon fein flétri s'amortit la chaleur.
Ses petits languiffans augmentent fa douleur :
Elle çéde à fon mal ; tremblante , elle foupire ,
Palpite , ouvre le bec , ferme les yeux , expire ;
Et fous elle , glacés par le froid de la mort
Ses petits en un jour ont tous le même fort.
>
CONSIDERATIONS SUR LES
REVOLUTIONS DES ARTS , dédiées à Mgr
le Duc d'Orléans , premier Prince du Sang.
AVRIL. 1755. 69
A Paris , chez Brocas , Libraire , rue faint
Jacques , au chef S. Jean . 1755 .
Les principaux objets de ces confidérations
font la liaifon des Empires avec les
arts , & les influences réciproques des uns
& des autres , les caufes qui les ont donnés
à un peuple , & celles qui les lui ont ravis ;
les fources de leur renouvellement chez
quelques-uns , les dégrés où ils ont été
élevés ou abaiffés chez tous ; l'exacte connoiffance
des hommes puiffans qui les ont
protégés ; la jufte eftimation des hommes
de génie qui y ont excellé ; quelques traits
légers propres à caractériſer les hommes
d'efprit qui y ont réuffi ; enfin un examen
rapide de la nature des différens genres de
littérature , un petit nombre d'obfervations
fur les défauts qui pourroient nuire
aux progrès de nos jours , & quelques confeils
pour remédier à ces vices & augmenter
les fuccès. Voilà le précis ou le programme
que M. l'Abbé Mehegan donne luimême
de fon ouvrage dans la préface qu'il
a mis à la tête, je n'ai fait que le tranferire.
L'auteur divife ces confidérations par âge ;
il entend par ce mot une fuite non interrompue
de protecteurs & d'artistes , pendant
laquelle les arts font reftés à peu près
dans le même point. Il me paroît mériter
de la part du public beaucoup d'encoura-
(
70 MERCURE DE FRANCE.
gement. Son imagination pleine de feu
annonce un talent facile , peut - être même
fon plus grand défaut eft un excès en bien.
Il répand l'efprit avec profufion , & je ſuis
perfuadé qu'il plairoit encore davantage
s'il vouloit bien s'épargner la peine d'en
trop avoir.
HISTOIRE DE FRANCE , depuis l'établiffement
de la Monarchie jufqu'au regne de
Louis XIV , par M. l'Abbé Velly . A Paris
, chez Defaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais , vis-à- vis le Collége. 1755 .
Il faut , dit l'auteur dans fa préface ,
que l'hiftoire écrite pour l'utilité commune
foit en même tems celle du Prince &
de l'Etat , de la politique & de la religion ,
des armes & des fciences , des exploits &
des inventions utiles & agréables , celle
enfin des moeurs & de l'efprit de la nation .
Cette hiſtoire nous manquoit , & nous aurons
l'obligation à M. l'Abbé Velly de
de nous enrichir d'un tréfor fi utile ; fes
deux premiers volumes qui ont déja paru ,
nous en font de fûrs garans . Il a eu l'art
de répandre le jour & l'intérêt fur les premieres
races de nos Rois , qui font la par
tie la plus obfcure & la plus feche de nos
faftes que ne devons - nous pas attendre
de la fuite ?
AVRIL. 1755. 71
LE FINANCIER ; par M. le Chevalier
de Mouhy , de l'Académie des Belles-
Lettres de Dijon , en fix parties. 1755. Se
trouve à Paris , chez Jorry , quai des Auguftins
, près le pont S. Michel , aux Cigognes.
C'eſt un Roman épifodique , dont le financier
, qui en eft le héros , répand fes libéralités
à pleine main fur tous les malheureux
que le hazard lui préfente , &
dont l'auteur raconte l'hiftoire en paffant.
Ce magnanime favori de Plutus va plus
loin ; quand la foule diverfe des indigens
ne s'offre pas à lui dans fon chemin , il
va les déterrer lui-même dans les réduits les
plus obfcurs , & monte jufqu'au cinquieme
étage pour exercer les devoirs de l'humanité
, & pour réparer fur-tout les torts
que la fortune aveugle a fait au mérite
plongé dans la mifere. C'eft un vrai Dom
Quichotte en générofité , ou plutôt le Titus
de la finance : il compte chaque heure
du jour par des bienfaits . Le ciel l'en récompenfe
; car il trouve au milieu de fa
courfe une femme digne de lui , & qui lui
apporte pour dot une beauté égale à fa
naiffance , avec un caractere auffi bienfaifant
que le fien . Tous les pauvres honteux
dont Paris abonde , feroient trop heureux
fi l'exemple de ce couple refpectable fai72
MERCURE DE FRANCE.
foit des imitateurs ; mais je doute qu'il
prenne dans le monde.
VOYAGE PITTORESQUE DES ENVIRONS
DE PARIS , ou Deſcription des maifons
royales , châteaux , & autres lieux de plaifance
fitués à quinze lieues aux environs de
cette, ville . Par M. D *** A Paris , chez
Debure l'aîné, Libraire, quai des Auguftins,
à S. Paul. 1755. Prix 3 livres relié.
Cet ouvrage m'a paru bien fait & bienécrit.
Voici quatre jolis vers , felon moi ,
fur la fontaine d'Hieres , près de Gros- bois.
La nymphe de cette fource les adreſſe à
ceux qui vont la viſiter.
Toujours vive , abondante & pure ,
Un doux penchant regle mon cours ;
Heureux l'ami de la nature
Qui voit ainfi couler les jours.
LES AMANS PHILOSOPHES , ou le Triomphe
de la raifon. A Paris , chez Hochereau
l'aîné , Libraire , quai de Conti , au
Phénix . 1755.
Ce roman eft de Mlle Brohon. Trois
fortes de recommendations parlent pour
elle ; une grande jeuneffe , elle n'a que
dix- huit ans ; une figure charmante , &
une douceur modefte qui prévient d'abord
en
AVRIL.
1755. 7%
.
en fa faveur tous ceux qui la voyent. Le
titre feul de fon ouvrage annonce fa fageffe
, & l'épigraphe dont elle a fait choix ,
Amare & fapere vix diis conceffum ) montre
qu'elle a refléchi de bonne heure , &
qu'elle connoît avant le tems tout le danger
d'une paffion qu'elle eft faite pour
infpirer & pour reffentir.
La demande qu'elle fait au public dans
un court avertiffement , eft fi raifonnable
qu'il ne peut la refufer fans injuftice. Une
critique outrée , dit-elle , abbar le courage ;
une cenfure jufte & menagée eft quelquefois
la mere du fuccès , fur-tout par rapport à
moi , dont le fexe augmente la timidité naturelle
à mon âge. Après une telle repréſentation
, il y auroit de la cruauté à juger
fon livre avec trop de rigueur ; j'en donnerai
l'extrait le mois prochain. Un auteur
fi aimable mérite d'être encouragé.
RECUEIL GÉNÉRAL HISTORIQUE
& critique de tout ce qui a été publié de
plus rare fur la ville d'Herculane , depuis
fa premiere découverte jufqu'à nos jours ,
tiré des auteurs les plus célébres d'Italie ,
tels que Venuti , Mafei , Quirini , Bellegrade
, Gori , & autres . A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques
au Temple du goût. 1755 .
D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
Suivant l'avertiffement , on ne trouvera
rien dans cet ouvrage qui n'ait été fidelement
traduit des auteurs cités au titre. Si
l'on eft curieux de lire leurs écrits , on les
trouvera chez Tilliard , Libraire , quai des
Auguftins.
HISTOIRE D'UNE JEUNE FILLE SAUVAGE
trouvée dans les bois à l'âge de dix ans ;
publiée par Madame H.... T. A Paris ,
1755.
M. de la Condamine n'eft point l'auteur
de cette petite brochure , comme le bruit
s'en étoit répandu . Il m'écrit à ce fujet la
-lettre fuivante.
A M.de Boiffy, de l'Académie Françoise.
A Marfeille , le 15 Février 1755-
J'apprends , Monfieur , qu'on m'attribue
une brochure qui paroît à Paris depuis
peu , fous le titre d'Hiftoire d'une jeune fille
Sauvage ( aujourd'hui Mlle le Blanc ) trouvée
dans les bois à l'âge de dix ans . Get
ouvrage eft d'une Dame , veuve , qui demeure
près de Saint Marceau , & qui ayant
connu & pris cette fille en affection depuis
la mort de Mgr le Duc d'Orléans qui la
protégeoit , a pris la peine de rédiger fon
hiftoire , comme il eft dit dans l'ouvrage
C
AVRIL. 1755. 75
Ja
même , fur les queftions qu'elles lui a faites
en diverfes converfations , & à plufieurs
perfonnes qui l'ont connue peu de
tems après fon arrivée en France. Cette
Dame a feulement permis que l'on mît au
titre la premiere lettre de fon nom. Toute
part que j'ai à cette production eft d'avoir
fait quelques changemens au manuf
crit dont j'ai encore l'original , d'en avoir
retranché quelques faits qui n'étoient fondés
que fur des oui- dire , & dénués de vraifemblance
; d'avoir ajouté , à la fin furtout
, quelques conjectures à celles de Madame
H.... fur la maniere dont la jeune
fauvage & fa compagne ont pû fe trouver
tranfportées en France , & d'avoir facilité
l'impreffion de l'ouvrage au profit de la
Demoiſelle Le Blanc , dans la vûe de lui
procurer une fituation plus heureuſe , en
intéreffant à fon fort ceux qui liroient fon
aventure. Je vous prie , Monfieur , de
rendre cette déclaration publique , pour
defabufer ceux qui me feroient honneur
de ce qui ne m'appartient pas. J'ai celui
d'être , & c.
La Condamine.
L'ART DU CHANT , dédié à Madame
de Pompadour; par M. Berard. A Paris ,
-chez Deffaint & Saillant , rue Saint Jean de
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Beauvais ; chez Prault fils , quai de Conti ;
& chez Lambert , à côté de la Comédie
Françoife. 1755.
L'Auteur s'étonne avec raifon qu'on lui
ait laiffé la gloire de traiter le premier de
cet art , fur-tout dans un fiécle où le chant
eſt l'art à la mode , & domine au point
qu'il fait des enthouſiaftes , & forme des
fectes. M. Berard n'a rien épargné pour
s'en inftruire à fond , il ne ſe contente
pas d'en parler en maître de muſique , il
en raiſonne en Phyficien ; il a fait même
exprès un cours d'anatomie pour porter
l'analyfe dans tous les organes de nos fons :
ce font fes propres termes . Pour traiter
l'ouvrage méthodiquement , il le divife en
trois parties ; dans la premiere il confidere
la voix par rapport au chant ; dans
la deuxième il regarde la prononciation &
l'articulation , eu égard au chant ; & dans
la troifiéme il a pour objet la perfection
du chant. J'attendrai que les vrais connoiffeurs
en ce genre ayent prononcé , pour
m'en expliquer plus furement d'après eux ;
je m'étendrai particulierement fur la prononciation
& l'articulation : cette partie
eft un peu plus de ma compétence ; elle
ne fe borne point à la mufique , elle intéreffe
la chaire & le barreau , ainfi que le
théatre ; elle s'étend jufques fur la converAVRIL.
1755. 77
"
fation ; il n'eft prefque point d'état , il
n'eft point d'homme du monde , qui ne
doive ou qui ne veuille en être inſtruit.
M. Berard n'eût- il fait qu'ébaucher la matiere
, le public doit lui être obligé de
l'avoir mife en queftion : le premier qui
parle d'un art a toujours un grand mérite..
OBSERVATIONS SUR LE THEATRE , dans :
lefquelles on examine avec impartialité
l'état actuel des Spectacles de Paris ; par
M. de Chevrier. A Paris , chez Debure le
jeune , quai des Auguftins , à l'image S.
Germain . 1755.
Souvent l'auteur obſerve très - bien , mais
quelquefois il eft mal informé. Par exemple
, j'ouvre fa brochure , je tombe fur un
endroit qui regarde Dancourt , & j'y lis
ces mots Dancourt a joui des plus grands
fuccès ; ramené tous les jours fur la fcene , on
l'applaudit encore : ni fes comtemporains , ni
nos fâcheux n'ont écrit contre lui. Il me permettra
de lui dire que jamais auteur dramatique
n'a été de fon vivant plus traverfé
que Dancourt. Si l'on n'a pas écrit
contre lui , c'eft moins par eftime que par
un, fentiment contraire. Ses piéces étoient
non- feulement décriées par fes camarades ,
qui les jouoient à regret , mais encore
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
méprifées du public , même en réuffiffant ;
on les mettoit alors au - deffous de leur prix ,
on les défignoit par le titre peu flateur
de Dancourades. Quoiqu'on les revoye
aujourd'hui volontiers , on les apprécie à
peu près ce qu'elles valent : on convient
affez généralement que les Bourgeoifes à la
mode , les Bourgeoifes de qualité , & le
Chevalier à la mode , font les feules qui
méritent le nom de Comédie ; les autres ne
font que des farces bien dialoguées , qui fe
reffemblent prefque toutes ; on les reconnoît
à l'indécence , c'eſt leur air de famille.
Je remercie M. de Chevrier du bien
qu'il dit de moi , mais je fuis moins allarmé
que lui des décifions tranchantes de
M. R...... Il n'appartient ni à lui , ni
à aucun particulier de regler le rang des
auteurs ; le public a lui feul ce droit : ils
doivent s'en repofer fur,fes lumieres &
fur fon équité. Il met , quoique fouvent
un peu tard , chacun à fa place. Je confeille
, en qualité d'ancien , à M. de Chevrier
& à mes autres jeunes confreres ,
d'employer plutôt leur loifir à faire des
piéces pour le théatre , qui en a beſoin ,
que des obfervations dont Paris n'a que
faire ; il n'eft que trop éclairé fur les fpectacles
, & trop initié dans nos myfteres.
Pour fon amufement & pour leur gloire ,
AVRIL. 11755 79
qu'ils étudient fon goût pour le faifir , &,
s'ils fe difputent entr'eux , que ce foit de
talent & d'envie de lui plaire.
PINOLET , ou l'Aveugle parvenu , hif
toire véritable compofée fur les faits fournis
par Pinolet lui -même , actuellement
exiftant à Paris ; en quatre parties . 1755 .
Cetet ouvrage eft d'un genre qui me dif-,
penſe d'en faire l'extrait.
ÉLÉMENS DE CHYMIE , par Herman
Boerhaave , traduit du latin , en fix volumes
in- 12 . A Paris , chez Briaffon , rue
Saint Jacques ; & chez Guillyn , quai des
Auguftins .
C'eſt un vrai préfent que le Traducteur
nous a fait. Dire que Boerhaave en eft
l'auteur , peut-on faire un plus grand éloge
de l'ouvrage ?
On trouve auffi chez Briaffon la Ma
tiere Médicale , traduite du Latin de Cartheufer
, augmentée d'une table raiſonnée,
& d'une introduction ; quatre volumes
in-1 2. ainfi que la fuite des Conſultations
de médecine , traduites du latin de M.
Hoffman : elle contient quatre volumes in-
12. les 5 , 6 , 7 & 8.
ouvrage dans un genre nouveau pour la
Poësie françoife , qui , à l'aide de quelques
notes , forme un traité complet & très- fûr
AVRIL. 1755. 65
pour élever les ferins . A Londres , 1755.
Cet effai m'a paru mériter l'approbation
du public , par le fond qui eft agréable , &
par la forme qui he l'eft pas moins . Il me
femble que l'auteur qui a la modeftie de ne
pas fe nommer , a bien faifi le ton de verfification
convenable au genre de poëme
qu'il a entrepris ; c'eft cette élégante fimplicité
fi propre à peindre les petites chofes
, & qui feule à l'art de les ennoblir :
les anciens y excelloient ; il les a pris pour
modeles , & je trouve qu'il y a fouvent
réuffi . Pour juftifier mon fentiment , je vais
citer quelques endroits de fon poëme : je
commence par fon début .
a
Toi , dont les doux accens divertiffent ma Muſe ,
Dont l'organe enchanteur & l'infpire & l'amufe ,
Et qui montes ma lyre au fon de tes concerts ,
C'eſt toi , charmant ferin , que célébrent mes vers.
Mufe , chante avec moi fon port plein de nobleffe
,
Son air plein de candeur & mêlé de fineffe ,
Le doux feu de fes yeux ennemis du fommeil ,
Son plumage ſemblable au plus brillant vermeil ;
L'éclat de la blancheur à propos ménagée ,
Ses pannaches pompeux , fa taille dégagée :
Peux-tu trouver ailleurs un plus charmant plaifir
Mais fur toute l'efpéce , égayant ton loiſir ,
Apprens-moi le fecret d'étendre leur lignage ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Enſeignes comment l'art embellit leur ramage ,
Comment leurs petits jeux peuvent dédommager
La main qui tous les jours leur préfente à manger ;
Et dans les tems obfcurs portant un oeil critique ,
Chante leur origine auffi noble qu'antique.
Voilà le plan de l'ouvrage heureusement
détaillé.
L'auteur fait ainfi l'éloge du mâle , qui
ne tourne pas à la gloire du beau fexe.
C'eſt du mâle fur-tout que l'humeur eft aimable.
Son épouſe fantafque & fouvent intraitable ,
Dans les mornes accès d'un bizarre courroux ,
Eteindroit les ardeurs d'un moins fidèle époux.
Tel que bien des maris , commodes par prudence ,
Il ronge fes chagrins dans un fage filence ;
Mais ce trouble finit quand les feux du printems
Excitent dans leur fein des tranfports plus conftans.
Ainfipour tous les coeurs engagés dans les chafnes
,
L'amour a fes plaiſirs , & l'amour a fes peines.
La femelle parmi les ferins commande
en reine , & l'époux eft chargé du ſoin de
tous les détails.
Les travaux affidus , les foucis du ménage ,
Suivent des premiers feux le leger badinage.
AVRI L.'
1755. 67
On pense à l'avenir , on prépare , on conftruit
L'aire où d'un chafte amour on doit loger le fruit.
De l'époux complaifant , l'épouſe induſtrieuſe ,
Habile à prévenir la voix impérieuſe
Qui lui marque le tems de décharger fon fein ,
D'une maiſon commode ordonne le deffein ;
Et fans bruit enfoncée au milieu du feuillage
D'un if propre à fixer une tête volage ,
Ou dans l'étroit contour du plus petit panier ,
Tranquille , & l'air rêveur , médite fur l'ofier.
Le mari travaille pendant ce tems là .
Il tranfporte , il fournit ; fa compagne y préſide ,
Et fuivant les confeils de l'inſtinct qui la guide
Les racines , la mouffe entourent la maiſon
Et l'on met au- dedans le duvet à foifon.
a
>
Mais jamais cette ardeur n'enfante le defordre.
S'ils s'entr'aident plufieurs , feule elle donne l'or
dre ....
L'un choifit le duvet , l'autre du coton fec ,
L'on donne , l'on reçoit : ainfi de bec en bec
Tout paffe au lieu marqué par l'inſtinct unanime ;
Le mur croît , l'oeuvre monte , & parvient à la
cime.
Tel que des ouvriers , par étage rangés ,
Entre deux longs fapins , en dégré , partagés ,
Reçoivent à leurs pieds ; élevent à leur tête
68 MERCURE DE FRANCE.
La pierre , le ciment qui montent juſqu'au faîte :
Tels nos ferins unis dès l'heure du réveil ,
Confomment leurs travaux fous le même foleil
A moins qu'un feu jaloux , enfanglantant la ferre ,
Ne porte dans l'état les horreurs de la guerre..
Le Poëte prudent nous avertit de ne pas
unir trop tôt les jeunes ferins. Ces mariages
précoces font , dit-il, funeftes , fur- tout
à la femelle. Il nous en apporte un exemple
tragique en vers touchans , par lefquels
je finirai ce précis.
Jonquille , encor trop jeune , époufe , & bientôt
mere ,
Victime de tendreffe , épuife en fon réduit
Un refte de chaleur , pour animer fon fruit.
Cinq citoyens nouveaux , donnés à la voliere , `
N'ont pas ouvert encor les yeux à la lumiere ,
Que dans fon fein flétri s'amortit la chaleur.
Ses petits languiffans augmentent fa douleur :
Elle çéde à fon mal ; tremblante , elle foupire ,
Palpite , ouvre le bec , ferme les yeux , expire ;
Et fous elle , glacés par le froid de la mort
Ses petits en un jour ont tous le même fort.
>
CONSIDERATIONS SUR LES
REVOLUTIONS DES ARTS , dédiées à Mgr
le Duc d'Orléans , premier Prince du Sang.
AVRIL. 1755. 69
A Paris , chez Brocas , Libraire , rue faint
Jacques , au chef S. Jean . 1755 .
Les principaux objets de ces confidérations
font la liaifon des Empires avec les
arts , & les influences réciproques des uns
& des autres , les caufes qui les ont donnés
à un peuple , & celles qui les lui ont ravis ;
les fources de leur renouvellement chez
quelques-uns , les dégrés où ils ont été
élevés ou abaiffés chez tous ; l'exacte connoiffance
des hommes puiffans qui les ont
protégés ; la jufte eftimation des hommes
de génie qui y ont excellé ; quelques traits
légers propres à caractériſer les hommes
d'efprit qui y ont réuffi ; enfin un examen
rapide de la nature des différens genres de
littérature , un petit nombre d'obfervations
fur les défauts qui pourroient nuire
aux progrès de nos jours , & quelques confeils
pour remédier à ces vices & augmenter
les fuccès. Voilà le précis ou le programme
que M. l'Abbé Mehegan donne luimême
de fon ouvrage dans la préface qu'il
a mis à la tête, je n'ai fait que le tranferire.
L'auteur divife ces confidérations par âge ;
il entend par ce mot une fuite non interrompue
de protecteurs & d'artistes , pendant
laquelle les arts font reftés à peu près
dans le même point. Il me paroît mériter
de la part du public beaucoup d'encoura-
(
70 MERCURE DE FRANCE.
gement. Son imagination pleine de feu
annonce un talent facile , peut - être même
fon plus grand défaut eft un excès en bien.
Il répand l'efprit avec profufion , & je ſuis
perfuadé qu'il plairoit encore davantage
s'il vouloit bien s'épargner la peine d'en
trop avoir.
HISTOIRE DE FRANCE , depuis l'établiffement
de la Monarchie jufqu'au regne de
Louis XIV , par M. l'Abbé Velly . A Paris
, chez Defaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais , vis-à- vis le Collége. 1755 .
Il faut , dit l'auteur dans fa préface ,
que l'hiftoire écrite pour l'utilité commune
foit en même tems celle du Prince &
de l'Etat , de la politique & de la religion ,
des armes & des fciences , des exploits &
des inventions utiles & agréables , celle
enfin des moeurs & de l'efprit de la nation .
Cette hiſtoire nous manquoit , & nous aurons
l'obligation à M. l'Abbé Velly de
de nous enrichir d'un tréfor fi utile ; fes
deux premiers volumes qui ont déja paru ,
nous en font de fûrs garans . Il a eu l'art
de répandre le jour & l'intérêt fur les premieres
races de nos Rois , qui font la par
tie la plus obfcure & la plus feche de nos
faftes que ne devons - nous pas attendre
de la fuite ?
AVRIL. 1755. 71
LE FINANCIER ; par M. le Chevalier
de Mouhy , de l'Académie des Belles-
Lettres de Dijon , en fix parties. 1755. Se
trouve à Paris , chez Jorry , quai des Auguftins
, près le pont S. Michel , aux Cigognes.
C'eſt un Roman épifodique , dont le financier
, qui en eft le héros , répand fes libéralités
à pleine main fur tous les malheureux
que le hazard lui préfente , &
dont l'auteur raconte l'hiftoire en paffant.
Ce magnanime favori de Plutus va plus
loin ; quand la foule diverfe des indigens
ne s'offre pas à lui dans fon chemin , il
va les déterrer lui-même dans les réduits les
plus obfcurs , & monte jufqu'au cinquieme
étage pour exercer les devoirs de l'humanité
, & pour réparer fur-tout les torts
que la fortune aveugle a fait au mérite
plongé dans la mifere. C'eft un vrai Dom
Quichotte en générofité , ou plutôt le Titus
de la finance : il compte chaque heure
du jour par des bienfaits . Le ciel l'en récompenfe
; car il trouve au milieu de fa
courfe une femme digne de lui , & qui lui
apporte pour dot une beauté égale à fa
naiffance , avec un caractere auffi bienfaifant
que le fien . Tous les pauvres honteux
dont Paris abonde , feroient trop heureux
fi l'exemple de ce couple refpectable fai72
MERCURE DE FRANCE.
foit des imitateurs ; mais je doute qu'il
prenne dans le monde.
VOYAGE PITTORESQUE DES ENVIRONS
DE PARIS , ou Deſcription des maifons
royales , châteaux , & autres lieux de plaifance
fitués à quinze lieues aux environs de
cette, ville . Par M. D *** A Paris , chez
Debure l'aîné, Libraire, quai des Auguftins,
à S. Paul. 1755. Prix 3 livres relié.
Cet ouvrage m'a paru bien fait & bienécrit.
Voici quatre jolis vers , felon moi ,
fur la fontaine d'Hieres , près de Gros- bois.
La nymphe de cette fource les adreſſe à
ceux qui vont la viſiter.
Toujours vive , abondante & pure ,
Un doux penchant regle mon cours ;
Heureux l'ami de la nature
Qui voit ainfi couler les jours.
LES AMANS PHILOSOPHES , ou le Triomphe
de la raifon. A Paris , chez Hochereau
l'aîné , Libraire , quai de Conti , au
Phénix . 1755.
Ce roman eft de Mlle Brohon. Trois
fortes de recommendations parlent pour
elle ; une grande jeuneffe , elle n'a que
dix- huit ans ; une figure charmante , &
une douceur modefte qui prévient d'abord
en
AVRIL.
1755. 7%
.
en fa faveur tous ceux qui la voyent. Le
titre feul de fon ouvrage annonce fa fageffe
, & l'épigraphe dont elle a fait choix ,
Amare & fapere vix diis conceffum ) montre
qu'elle a refléchi de bonne heure , &
qu'elle connoît avant le tems tout le danger
d'une paffion qu'elle eft faite pour
infpirer & pour reffentir.
La demande qu'elle fait au public dans
un court avertiffement , eft fi raifonnable
qu'il ne peut la refufer fans injuftice. Une
critique outrée , dit-elle , abbar le courage ;
une cenfure jufte & menagée eft quelquefois
la mere du fuccès , fur-tout par rapport à
moi , dont le fexe augmente la timidité naturelle
à mon âge. Après une telle repréſentation
, il y auroit de la cruauté à juger
fon livre avec trop de rigueur ; j'en donnerai
l'extrait le mois prochain. Un auteur
fi aimable mérite d'être encouragé.
RECUEIL GÉNÉRAL HISTORIQUE
& critique de tout ce qui a été publié de
plus rare fur la ville d'Herculane , depuis
fa premiere découverte jufqu'à nos jours ,
tiré des auteurs les plus célébres d'Italie ,
tels que Venuti , Mafei , Quirini , Bellegrade
, Gori , & autres . A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques
au Temple du goût. 1755 .
D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
Suivant l'avertiffement , on ne trouvera
rien dans cet ouvrage qui n'ait été fidelement
traduit des auteurs cités au titre. Si
l'on eft curieux de lire leurs écrits , on les
trouvera chez Tilliard , Libraire , quai des
Auguftins.
HISTOIRE D'UNE JEUNE FILLE SAUVAGE
trouvée dans les bois à l'âge de dix ans ;
publiée par Madame H.... T. A Paris ,
1755.
M. de la Condamine n'eft point l'auteur
de cette petite brochure , comme le bruit
s'en étoit répandu . Il m'écrit à ce fujet la
-lettre fuivante.
A M.de Boiffy, de l'Académie Françoise.
A Marfeille , le 15 Février 1755-
J'apprends , Monfieur , qu'on m'attribue
une brochure qui paroît à Paris depuis
peu , fous le titre d'Hiftoire d'une jeune fille
Sauvage ( aujourd'hui Mlle le Blanc ) trouvée
dans les bois à l'âge de dix ans . Get
ouvrage eft d'une Dame , veuve , qui demeure
près de Saint Marceau , & qui ayant
connu & pris cette fille en affection depuis
la mort de Mgr le Duc d'Orléans qui la
protégeoit , a pris la peine de rédiger fon
hiftoire , comme il eft dit dans l'ouvrage
C
AVRIL. 1755. 75
Ja
même , fur les queftions qu'elles lui a faites
en diverfes converfations , & à plufieurs
perfonnes qui l'ont connue peu de
tems après fon arrivée en France. Cette
Dame a feulement permis que l'on mît au
titre la premiere lettre de fon nom. Toute
part que j'ai à cette production eft d'avoir
fait quelques changemens au manuf
crit dont j'ai encore l'original , d'en avoir
retranché quelques faits qui n'étoient fondés
que fur des oui- dire , & dénués de vraifemblance
; d'avoir ajouté , à la fin furtout
, quelques conjectures à celles de Madame
H.... fur la maniere dont la jeune
fauvage & fa compagne ont pû fe trouver
tranfportées en France , & d'avoir facilité
l'impreffion de l'ouvrage au profit de la
Demoiſelle Le Blanc , dans la vûe de lui
procurer une fituation plus heureuſe , en
intéreffant à fon fort ceux qui liroient fon
aventure. Je vous prie , Monfieur , de
rendre cette déclaration publique , pour
defabufer ceux qui me feroient honneur
de ce qui ne m'appartient pas. J'ai celui
d'être , & c.
La Condamine.
L'ART DU CHANT , dédié à Madame
de Pompadour; par M. Berard. A Paris ,
-chez Deffaint & Saillant , rue Saint Jean de
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Beauvais ; chez Prault fils , quai de Conti ;
& chez Lambert , à côté de la Comédie
Françoife. 1755.
L'Auteur s'étonne avec raifon qu'on lui
ait laiffé la gloire de traiter le premier de
cet art , fur-tout dans un fiécle où le chant
eſt l'art à la mode , & domine au point
qu'il fait des enthouſiaftes , & forme des
fectes. M. Berard n'a rien épargné pour
s'en inftruire à fond , il ne ſe contente
pas d'en parler en maître de muſique , il
en raiſonne en Phyficien ; il a fait même
exprès un cours d'anatomie pour porter
l'analyfe dans tous les organes de nos fons :
ce font fes propres termes . Pour traiter
l'ouvrage méthodiquement , il le divife en
trois parties ; dans la premiere il confidere
la voix par rapport au chant ; dans
la deuxième il regarde la prononciation &
l'articulation , eu égard au chant ; & dans
la troifiéme il a pour objet la perfection
du chant. J'attendrai que les vrais connoiffeurs
en ce genre ayent prononcé , pour
m'en expliquer plus furement d'après eux ;
je m'étendrai particulierement fur la prononciation
& l'articulation : cette partie
eft un peu plus de ma compétence ; elle
ne fe borne point à la mufique , elle intéreffe
la chaire & le barreau , ainfi que le
théatre ; elle s'étend jufques fur la converAVRIL.
1755. 77
"
fation ; il n'eft prefque point d'état , il
n'eft point d'homme du monde , qui ne
doive ou qui ne veuille en être inſtruit.
M. Berard n'eût- il fait qu'ébaucher la matiere
, le public doit lui être obligé de
l'avoir mife en queftion : le premier qui
parle d'un art a toujours un grand mérite..
OBSERVATIONS SUR LE THEATRE , dans :
lefquelles on examine avec impartialité
l'état actuel des Spectacles de Paris ; par
M. de Chevrier. A Paris , chez Debure le
jeune , quai des Auguftins , à l'image S.
Germain . 1755.
Souvent l'auteur obſerve très - bien , mais
quelquefois il eft mal informé. Par exemple
, j'ouvre fa brochure , je tombe fur un
endroit qui regarde Dancourt , & j'y lis
ces mots Dancourt a joui des plus grands
fuccès ; ramené tous les jours fur la fcene , on
l'applaudit encore : ni fes comtemporains , ni
nos fâcheux n'ont écrit contre lui. Il me permettra
de lui dire que jamais auteur dramatique
n'a été de fon vivant plus traverfé
que Dancourt. Si l'on n'a pas écrit
contre lui , c'eft moins par eftime que par
un, fentiment contraire. Ses piéces étoient
non- feulement décriées par fes camarades ,
qui les jouoient à regret , mais encore
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
méprifées du public , même en réuffiffant ;
on les mettoit alors au - deffous de leur prix ,
on les défignoit par le titre peu flateur
de Dancourades. Quoiqu'on les revoye
aujourd'hui volontiers , on les apprécie à
peu près ce qu'elles valent : on convient
affez généralement que les Bourgeoifes à la
mode , les Bourgeoifes de qualité , & le
Chevalier à la mode , font les feules qui
méritent le nom de Comédie ; les autres ne
font que des farces bien dialoguées , qui fe
reffemblent prefque toutes ; on les reconnoît
à l'indécence , c'eſt leur air de famille.
Je remercie M. de Chevrier du bien
qu'il dit de moi , mais je fuis moins allarmé
que lui des décifions tranchantes de
M. R...... Il n'appartient ni à lui , ni
à aucun particulier de regler le rang des
auteurs ; le public a lui feul ce droit : ils
doivent s'en repofer fur,fes lumieres &
fur fon équité. Il met , quoique fouvent
un peu tard , chacun à fa place. Je confeille
, en qualité d'ancien , à M. de Chevrier
& à mes autres jeunes confreres ,
d'employer plutôt leur loifir à faire des
piéces pour le théatre , qui en a beſoin ,
que des obfervations dont Paris n'a que
faire ; il n'eft que trop éclairé fur les fpectacles
, & trop initié dans nos myfteres.
Pour fon amufement & pour leur gloire ,
AVRIL. 11755 79
qu'ils étudient fon goût pour le faifir , &,
s'ils fe difputent entr'eux , que ce foit de
talent & d'envie de lui plaire.
PINOLET , ou l'Aveugle parvenu , hif
toire véritable compofée fur les faits fournis
par Pinolet lui -même , actuellement
exiftant à Paris ; en quatre parties . 1755 .
Cetet ouvrage eft d'un genre qui me dif-,
penſe d'en faire l'extrait.
ÉLÉMENS DE CHYMIE , par Herman
Boerhaave , traduit du latin , en fix volumes
in- 12 . A Paris , chez Briaffon , rue
Saint Jacques ; & chez Guillyn , quai des
Auguftins .
C'eſt un vrai préfent que le Traducteur
nous a fait. Dire que Boerhaave en eft
l'auteur , peut-on faire un plus grand éloge
de l'ouvrage ?
On trouve auffi chez Briaffon la Ma
tiere Médicale , traduite du Latin de Cartheufer
, augmentée d'une table raiſonnée,
& d'une introduction ; quatre volumes
in-1 2. ainfi que la fuite des Conſultations
de médecine , traduites du latin de M.
Hoffman : elle contient quatre volumes in-
12. les 5 , 6 , 7 & 8.
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Résumé : « LE SERIN DE CANARIE, Poëme, ouvrage dans un genre nouveau pour la [...] »
En avril 1755, plusieurs ouvrages ont été publiés, couvrant divers sujets littéraires et artistiques. 'Le Serin de Canarie' est un poème anonyme qui offre un traité complet sur l'élevage des serins. Il décrit les rôles distincts du mâle et de la femelle, mettant en garde contre les mariages précoces chez ces oiseaux. 'Considérations sur les révolutions des arts', dédié au Duc d'Orléans, explore les liens entre les empires et les arts, ainsi que les causes de leur développement ou déclin. L'Abbé Mehegan divise les arts en âges et propose des conseils pour améliorer leur progression. L''Histoire de France' par l'Abbé Velly couvre la monarchie jusqu'au règne de Louis XIV, intégrant des aspects politiques, religieux, militaires et scientifiques. 'Le Financier' est un roman épistolaire où le héros, un financier généreux, aide les malheureux et trouve une femme digne de lui. 'Voyage pittoresque des environs de Paris' décrit les maisons royales et châteaux à proximité de Paris, incluant des vers sur une fontaine. 'Les Amants philosophes' est un roman de Mlle Brohon, une jeune auteure de dix-huit ans, qui demande une critique juste et encourageante pour son œuvre. Le 'Recueil général historique et critique' compile des informations sur la ville d'Herculane, traduites fidèlement des auteurs italiens. 'Histoire d'une jeune fille sauvage' raconte l'histoire d'une fille trouvée dans les bois à l'âge de dix ans, rédigée par une dame veuve avec des contributions de M. de la Condamine. 'L'Art du chant', dédié à Madame de Pompadour, est écrit par M. Berard, qui combine des connaissances en musique et en physique pour approfondir l'étude du chant. L'ouvrage est divisé en trois parties : la voix par rapport au chant, la prononciation et l'articulation, et la perfection du chant. Le texte mentionne également des observations sur le théâtre par M. de Chevrier, qui examine l'état actuel des spectacles à Paris. L'auteur critique certaines affirmations de M. de Chevrier, notamment sur le succès de Dancourt, un dramaturge souvent décrié. Il conseille aux jeunes auteurs de se concentrer sur la création de pièces pour le théâtre plutôt que sur des observations critiques. Enfin, le texte cite des ouvrages comme 'Pinolet, ou l'Aveugle parvenu' et des traductions en français d'ouvrages scientifiques, tels que les 'Éléments de Chimie' de Herman Boerhaave.
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123
p. 21-26
LA FORTUNE ET L'ESPERANCE. FABLE ALLEGORIQUE.
Début :
Trop avides d'un sort heureux, [...]
Mots clefs :
Espérance, Yeux, Fortune, Gloire, Voeux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LA FORTUNE ET L'ESPERANCE. FABLE ALLEGORIQUE.
LA FORTUNE ET L'ESPERANCE.
FABLE ALLEGORIQUE.
TRop avides d'un fort heureux ,
L'Efpérance a toujours nos foupirs & nos voeux,
Loin d'affranchir nos coeurs de cette ardeur com-
1
mune ,
Tous les trésors de la Fortune
Ne font qu'en irriter les feux,
Sans interroger la chronique ,
Sur cette vérité tous les yeux font ouverts ;
Un apologue allégorique
En offre un exemple en ces vers ...
La Fortune avec l'Espérance
Se difputoient l'honneur de régir l'univers ;
Et pour finir la concurrence ,
Vouloient , en arbitres experts !
Juger de leur propre excellence...
Qu'oppofez -vous à mes bienfaits ,
Dit la Fortune à fa rivale ş
Depuis la rive orientale
Jufqu'aux bords où le jour précipite fes traits ,
On refpire pour mes attraits .
Je ne puis dévorer le dépit qui m'excede ;
Je fuis laffe de voir Prélat & Conquérant ,
22 MERCURE DE FRANCE,
Jufqu'au plus ignoble bipede ,
Me fufciter un différend.
11 fuffit qu'un mortel , en fa vaine cervelle ,
Raifonne en téméraire , & s'égare en projets ;
Vous fafcinez fes yeux d'une couleur fi belle ,
Qu'il s'épuife en efforts fans regle ni fuccès.
Vous faites la bévûe , il en a les regrets ;
Et moi j'effuie une querelle.
C'est trop d'impertinens procès.
Peut- être qu'à fes yeux votre audace s'exerce :
Mais pour regner , en vous fuyant ,
Je romps avec vous tout commerce.
C'eft un mauvais expédient ,
Dit l'Espérance , en fouriant .
Ma voix , dans tous les coeurs , fait germer le
courage :
Les hommes font émus à mes confeils flatteurs ;
Un feul de mes regards les charme & les engage.
De l'infortune enfin j'appaiſe les douleurs
Par un enchantement durable.
Je me fers à propos d'un peu d'illuſion.
A travers un prifme agréable ,
Je préſente un attrait à chaque paffion,
Par une vive enluminure
Je déguiſe le naturel ;
Et dans une aimable impoſture
Je leur forme un plaifir réel,
Admirez le roſeau fragile ,
MAI 1755. 23
Qui brave la tempête , & demeure immobile :
Le mortel inconnu , fans état , fans amis ,
N'ayant pour tout tréfor qu'un mérite ſtérile ;
A mes loix fon efprit docile ,
A toutes vos rigueurs n'eft point encor foumis ;
Digérant fa diſgrace avec une ame fiere ,
Ce nouvel Epictete affis dans la pouffiere ,
Envifage un bonheur qu'il efpere obtenir ;
Et tout chargé de ſa miſere , ·
Savourant la douceur d'une gloire à venir
A d'immortels honneurs croit déja parvenir ,
Et fourit à cette chimere.
Tant pis , dit la Fortune , il ſourit à ſes maux :
Attendez que le tems lui marque vos défauts
Vous jouirez de ſa ſurpriſe ;
Et vous verrez , je le prédis ,
Le plus cher de vos favoris ,
Ennuyé du preſtige , abjurer fa mépriſe.
Eh , quoi ! rien d'effectif , & tout en fiction !.
L'eſpoir , fans la difcrétion ,
N'eft qu'une fievre qui confume ;
Et tous les feux folets de cette illufion
Ne valent pas en fomme un rayon de fortune,
Elle dit , & part à ces mots.
Loin d'une rivale importune ,
Elle étale fa pompe au féjour des héros,
Mais ces tréfors fans l'Espérance ,
N'avoient plus les mêmes attraits ,
Un courtisan dans l'opulence ,
24 MERCURE DE FRANCE .
Rêvait à fes deffeins au fond de fon palais :
C'eft moi , dit la Déeffe ; adorez mes bienfaits.
L'esclave fortuné faupire à la préſence :
Mais replongé dans le filence ,
Voyant borner le cours de fes vaſtes projets ,
Il ouvre fon coeur aux regrets ;
Ne refpirant qu'après la gloire ,
Ses rivaux abaiffés euffent fait la victoire ;
Un feul pas , difoit- il , alloit le rendre heureux.
Maisfur lui la Fortune épuifant fes largeſſes ,
Ne pouvoit fuffire à ſes voeux.
Le mépris la vengea de cet impérieux :
Auprès d'un autre ambitieux ,
Elle va perdre fes careffes.
Hélas ! un riche Abbé foupiroit de douleur
De vieillir au fond d'un Chapitre :
H brûloit , il féchoit , & fon humble candeur
Vouloit briller fous une mitre :
Il y préjugeoit fon bonheur.
Un partiſan bouffi , regorgeant de finance ,
Vouloit convertir Por en titrés de grandeur ;
Vifoit aux emplois d'importance :
Point de repos fans cet honneur.:
Un bourgeois rondelet , & tout fleuri d'aifance,
S'infinuoit à pas comptés
Dans le pourpris des dignités :
Sur la vigilance & l'adreffe ,
Dédaignant de fonder fes hautes qualités ,
Il vouloit pour fa gloire & pour les voluptés ,
Acquerir
M A I.
17558 25
'Acquerir àgrands frais un vernis de nobleffe.
Enfin , dans tout un peuple il n'en étoit pas un
Qui ne portât les yeux au- deffus de ſa ſphere :
Et la Fortune avoit beau faire ,
L'eſpoir étoit le Dieu.commun .
Pleine d'un trouble amer , & brûlant de ven
geance ,
La Fortune vers l'Espérance
Tourne fes pas précipités :
Triomphez , lui dit-elle , au milieu des cités ;
Qu'une foule de tributaires ,
D'adorateurs vifionnaires ,
Vous chériffent dès leur printems ,
Et devenus octogénaires ,
Vous confacrent encor les reftes de leurs ans ;
Peu m'importe : regnez trop heureuſe rivale ;
Je n'ai fait que des mécontens ;
J'ai prodigué les dons , vous recevez l'encens ;
Ma lâche complaifance à mes yeux me ravale.
Combien de fois , hélas ! propice aux voeux d'un
fat ,
L'ai-je fubitement environné d'éclat ?
Quel regret , ô Ciel ! me dévore !
Un traitant à mes yeux jouoit le potentat !
L'infecte m'oublioit & murmuroit
encore ,
Au moment que j'aidois à l'ingrate pécore
A s'engraiffer
de péculat .
Ah ! fi.... Mais à quoi bon , au gré de mon
caprice ,
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Effrayer l'univers & m'en faire juſtice ?
Soit , reprit l'Espérance , armez votre pouvoir.
Mais l'immortalité borne la convoitiſe ,
Et malgré la fureur d'avoir ,
Le coeur prendra pour ſa deviſe ,
Moins defortune & plus d'eſpoir.
FABLE ALLEGORIQUE.
TRop avides d'un fort heureux ,
L'Efpérance a toujours nos foupirs & nos voeux,
Loin d'affranchir nos coeurs de cette ardeur com-
1
mune ,
Tous les trésors de la Fortune
Ne font qu'en irriter les feux,
Sans interroger la chronique ,
Sur cette vérité tous les yeux font ouverts ;
Un apologue allégorique
En offre un exemple en ces vers ...
La Fortune avec l'Espérance
Se difputoient l'honneur de régir l'univers ;
Et pour finir la concurrence ,
Vouloient , en arbitres experts !
Juger de leur propre excellence...
Qu'oppofez -vous à mes bienfaits ,
Dit la Fortune à fa rivale ş
Depuis la rive orientale
Jufqu'aux bords où le jour précipite fes traits ,
On refpire pour mes attraits .
Je ne puis dévorer le dépit qui m'excede ;
Je fuis laffe de voir Prélat & Conquérant ,
22 MERCURE DE FRANCE,
Jufqu'au plus ignoble bipede ,
Me fufciter un différend.
11 fuffit qu'un mortel , en fa vaine cervelle ,
Raifonne en téméraire , & s'égare en projets ;
Vous fafcinez fes yeux d'une couleur fi belle ,
Qu'il s'épuife en efforts fans regle ni fuccès.
Vous faites la bévûe , il en a les regrets ;
Et moi j'effuie une querelle.
C'est trop d'impertinens procès.
Peut- être qu'à fes yeux votre audace s'exerce :
Mais pour regner , en vous fuyant ,
Je romps avec vous tout commerce.
C'eft un mauvais expédient ,
Dit l'Espérance , en fouriant .
Ma voix , dans tous les coeurs , fait germer le
courage :
Les hommes font émus à mes confeils flatteurs ;
Un feul de mes regards les charme & les engage.
De l'infortune enfin j'appaiſe les douleurs
Par un enchantement durable.
Je me fers à propos d'un peu d'illuſion.
A travers un prifme agréable ,
Je préſente un attrait à chaque paffion,
Par une vive enluminure
Je déguiſe le naturel ;
Et dans une aimable impoſture
Je leur forme un plaifir réel,
Admirez le roſeau fragile ,
MAI 1755. 23
Qui brave la tempête , & demeure immobile :
Le mortel inconnu , fans état , fans amis ,
N'ayant pour tout tréfor qu'un mérite ſtérile ;
A mes loix fon efprit docile ,
A toutes vos rigueurs n'eft point encor foumis ;
Digérant fa diſgrace avec une ame fiere ,
Ce nouvel Epictete affis dans la pouffiere ,
Envifage un bonheur qu'il efpere obtenir ;
Et tout chargé de ſa miſere , ·
Savourant la douceur d'une gloire à venir
A d'immortels honneurs croit déja parvenir ,
Et fourit à cette chimere.
Tant pis , dit la Fortune , il ſourit à ſes maux :
Attendez que le tems lui marque vos défauts
Vous jouirez de ſa ſurpriſe ;
Et vous verrez , je le prédis ,
Le plus cher de vos favoris ,
Ennuyé du preſtige , abjurer fa mépriſe.
Eh , quoi ! rien d'effectif , & tout en fiction !.
L'eſpoir , fans la difcrétion ,
N'eft qu'une fievre qui confume ;
Et tous les feux folets de cette illufion
Ne valent pas en fomme un rayon de fortune,
Elle dit , & part à ces mots.
Loin d'une rivale importune ,
Elle étale fa pompe au féjour des héros,
Mais ces tréfors fans l'Espérance ,
N'avoient plus les mêmes attraits ,
Un courtisan dans l'opulence ,
24 MERCURE DE FRANCE .
Rêvait à fes deffeins au fond de fon palais :
C'eft moi , dit la Déeffe ; adorez mes bienfaits.
L'esclave fortuné faupire à la préſence :
Mais replongé dans le filence ,
Voyant borner le cours de fes vaſtes projets ,
Il ouvre fon coeur aux regrets ;
Ne refpirant qu'après la gloire ,
Ses rivaux abaiffés euffent fait la victoire ;
Un feul pas , difoit- il , alloit le rendre heureux.
Maisfur lui la Fortune épuifant fes largeſſes ,
Ne pouvoit fuffire à ſes voeux.
Le mépris la vengea de cet impérieux :
Auprès d'un autre ambitieux ,
Elle va perdre fes careffes.
Hélas ! un riche Abbé foupiroit de douleur
De vieillir au fond d'un Chapitre :
H brûloit , il féchoit , & fon humble candeur
Vouloit briller fous une mitre :
Il y préjugeoit fon bonheur.
Un partiſan bouffi , regorgeant de finance ,
Vouloit convertir Por en titrés de grandeur ;
Vifoit aux emplois d'importance :
Point de repos fans cet honneur.:
Un bourgeois rondelet , & tout fleuri d'aifance,
S'infinuoit à pas comptés
Dans le pourpris des dignités :
Sur la vigilance & l'adreffe ,
Dédaignant de fonder fes hautes qualités ,
Il vouloit pour fa gloire & pour les voluptés ,
Acquerir
M A I.
17558 25
'Acquerir àgrands frais un vernis de nobleffe.
Enfin , dans tout un peuple il n'en étoit pas un
Qui ne portât les yeux au- deffus de ſa ſphere :
Et la Fortune avoit beau faire ,
L'eſpoir étoit le Dieu.commun .
Pleine d'un trouble amer , & brûlant de ven
geance ,
La Fortune vers l'Espérance
Tourne fes pas précipités :
Triomphez , lui dit-elle , au milieu des cités ;
Qu'une foule de tributaires ,
D'adorateurs vifionnaires ,
Vous chériffent dès leur printems ,
Et devenus octogénaires ,
Vous confacrent encor les reftes de leurs ans ;
Peu m'importe : regnez trop heureuſe rivale ;
Je n'ai fait que des mécontens ;
J'ai prodigué les dons , vous recevez l'encens ;
Ma lâche complaifance à mes yeux me ravale.
Combien de fois , hélas ! propice aux voeux d'un
fat ,
L'ai-je fubitement environné d'éclat ?
Quel regret , ô Ciel ! me dévore !
Un traitant à mes yeux jouoit le potentat !
L'infecte m'oublioit & murmuroit
encore ,
Au moment que j'aidois à l'ingrate pécore
A s'engraiffer
de péculat .
Ah ! fi.... Mais à quoi bon , au gré de mon
caprice ,
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Effrayer l'univers & m'en faire juſtice ?
Soit , reprit l'Espérance , armez votre pouvoir.
Mais l'immortalité borne la convoitiſe ,
Et malgré la fureur d'avoir ,
Le coeur prendra pour ſa deviſe ,
Moins defortune & plus d'eſpoir.
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Résumé : LA FORTUNE ET L'ESPERANCE. FABLE ALLEGORIQUE.
Le texte 'La Fortune et l'Espérance' est une fable allégorique qui explore la relation entre la Fortune et l'Espérance. Ces deux entités se disputent la régulation de l'univers et décident de juger de leur propre excellence. La Fortune vante ses bienfaits, soulignant que ses attraits sont recherchés à travers le monde et que même les plus humbles la sollicitent. Elle reproche à l'Espérance de créer des illusions et des regrets chez les hommes. L'Espérance affirme qu'elle inspire le courage et apaise les douleurs de l'infortune par des illusions agréables. Elle donne l'exemple d'un homme méconnu qui, grâce à l'espérance, supporte sa misère en espérant une gloire future. La Fortune rétorque que cette espérance est éphémère et que les hommes finissent par se rendre compte de ses défauts. La Fortune étale ensuite sa pompe au séjour des héros, mais reconnaît que ses trésors n'ont plus les mêmes attraits sans l'Espérance. Elle décrit divers personnages, comme un courtisan, un esclave, un abbé, un financier et un bourgeois, tous insatisfaits malgré leurs richesses ou leurs positions, car ils aspirent toujours à plus de gloire ou de dignité. La Fortune, amère et vengeante, admet finalement que l'Espérance règne sur les cœurs des hommes, même après une longue vie. Elle reconnaît que ses dons n'apportent pas le bonheur, contrairement à l'Espérance qui inspire toujours plus d'espoir.
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124
p. 36-38
LE TEMPLE DE LA PÉNITENCE.
Début :
Dans un antre profond, au milieu des déserts, [...]
Mots clefs :
Sang, Pénitence, Gloire, Pleurs
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE TEMPLE DE LA PÉNITENCE.
LE TEMPLE DE LA PÉNITENCE.
Dans un antre profond , au milieu des déferts,
Loin du faſte des cours & des hommes pervers ,
S'éleve un vieux palais de ftructure fauvage ,
Préfentant à la vûe une effrayante image.
La crainte d'effuyer d'éternels châtimens
En fit pofer d'abord les premiers fondemens .
Pour la Divinité l'attache la plus pure
De ce trifte palais régla l'architecture.
L'auftere pénitence en proie à fes douleurs ;
Habite ce féjour de foupirs & de pleurs :
De là découle un fleuve infpirant les allarmes ,
Il eft formé de fang & groffi par les larmes .
Les remords font placés aux portes du palais ,
Ces cruels à punir ne ſe laſſent jamais.
La ferveur aux autels amene les victimes ,
Et fait couler le fang pour réparer les crimes.
Ciel ! quels horribles cris ont pénétré mes fens !
Tout retentit ici de funébres accens.
L'un pleure fes forfaits , l'autre par la fouffrance
Efpere racheter fa premiere innocence ;
Celui- ci , le jouet d'un monde féducteur ,
En déteste à jamais la funefte grandeur.
De différens états une foule timide
Y marche en frémiſfant , le repentir la guide
MA I. ∙1755. 37
A l'exemple d'un Roi ( a ) qu'admiroit Ifraël ,
Des Princes & des grands encenfent cet autel.
Charles ( b ) qui fut fameux dans la paix , dans la
guerre ,
Qui foumit à fes loix le Germain & l'tbere ,
Qui détruifit le Maure , & vainquit les François,
Qui remplit l'univers de fes heureux ſuccès ;
Du faîte de la gloire il fe plaît à defcendre ,
Dans ces murs pénitens il fe couvre de cendre .
Je vois fon diadême aux voûtes fufpendu ,
Et parmi les fujets le Prince confondu.
Mais quels font ces tyrans qu'en ces lieux on entraîne
?
La pénitence met ces monftres à la chaîne ;
Ils refpirent encore , à fes pieds terraffés ,
Les crimes que par- tout leur fureur a tracés .
A leurs traits odieux je connois, le caprice ,
La dure oppreffion , la fraude , l'injuſtice ;
Le jeûne & la priere y tiennent dans les fers ,
De mille affreux forfaits ces miniftres divers.
Si j'avance mes pas dans ces facrés portiques ,
Je vois diminuer les fpectacles tragiques.
L'eſpérance bientôt écartant les douleurs ,
Fait un féjour charmant de ce féjour d'horreurs ;
Les pleurs & les fanglots ne s'y font plus entendre
,
Quelques foupirs à peine échappent d'un coeur
tendre.
( a ) David.
(b ) Charles-Quint
38 MERCURE DE FRANCE.
Mais quel eft tout -à- coup cet objet merveilleux ,
Ce fantôme éclatant qui vient frapper mes yeux !
La gloire ! ... je la vois fur un char de lumiere
Des cieux en un moment traverfer la carriere .
Ce n'eft pas cette gloire idole des héros ,
Que la mort avec eux précipite aux tombeaux ;
C'eft de tous les plaifirs l'éternel affemblage ,
Et de toute vertu l'infaillible partage.
Vertueux pénitens , fon feu pur & facré
Répandra dans vos coeurs un plaifir ignoré ;
Partez ...& de vos fronts ôtez cette pouffiere ,
Dépouillez pour jamais le cilice & la haire
Séchez vos triftes pleurs , & ménagez ce fang
Que votre auftérité vous arrachoit du flanc ;
Et pour fixer enfin vos heureufes conquêtes ,
De lauriers immortels allez ceindre vos têtes .
Par M. Hefpel , Rhétoricien , au
College de Jéfuites de Lille en Flandres.
Le ton de ce poëme me paroît bon en
général : il y a de la vérité dans les images
, & de l'harmonie dans les vers . Je crois
qu'ils annoncent du talent , & qu'ils promettent
d'autant plus que l'auteur n'a que
feize ans on ne peut trop l'encourager ;
mais il faut l'avertir de ne point négliger
la rime ; celles de guerre & d'lbere qu'il a
employées , ne font point exactes.
Dans un antre profond , au milieu des déferts,
Loin du faſte des cours & des hommes pervers ,
S'éleve un vieux palais de ftructure fauvage ,
Préfentant à la vûe une effrayante image.
La crainte d'effuyer d'éternels châtimens
En fit pofer d'abord les premiers fondemens .
Pour la Divinité l'attache la plus pure
De ce trifte palais régla l'architecture.
L'auftere pénitence en proie à fes douleurs ;
Habite ce féjour de foupirs & de pleurs :
De là découle un fleuve infpirant les allarmes ,
Il eft formé de fang & groffi par les larmes .
Les remords font placés aux portes du palais ,
Ces cruels à punir ne ſe laſſent jamais.
La ferveur aux autels amene les victimes ,
Et fait couler le fang pour réparer les crimes.
Ciel ! quels horribles cris ont pénétré mes fens !
Tout retentit ici de funébres accens.
L'un pleure fes forfaits , l'autre par la fouffrance
Efpere racheter fa premiere innocence ;
Celui- ci , le jouet d'un monde féducteur ,
En déteste à jamais la funefte grandeur.
De différens états une foule timide
Y marche en frémiſfant , le repentir la guide
MA I. ∙1755. 37
A l'exemple d'un Roi ( a ) qu'admiroit Ifraël ,
Des Princes & des grands encenfent cet autel.
Charles ( b ) qui fut fameux dans la paix , dans la
guerre ,
Qui foumit à fes loix le Germain & l'tbere ,
Qui détruifit le Maure , & vainquit les François,
Qui remplit l'univers de fes heureux ſuccès ;
Du faîte de la gloire il fe plaît à defcendre ,
Dans ces murs pénitens il fe couvre de cendre .
Je vois fon diadême aux voûtes fufpendu ,
Et parmi les fujets le Prince confondu.
Mais quels font ces tyrans qu'en ces lieux on entraîne
?
La pénitence met ces monftres à la chaîne ;
Ils refpirent encore , à fes pieds terraffés ,
Les crimes que par- tout leur fureur a tracés .
A leurs traits odieux je connois, le caprice ,
La dure oppreffion , la fraude , l'injuſtice ;
Le jeûne & la priere y tiennent dans les fers ,
De mille affreux forfaits ces miniftres divers.
Si j'avance mes pas dans ces facrés portiques ,
Je vois diminuer les fpectacles tragiques.
L'eſpérance bientôt écartant les douleurs ,
Fait un féjour charmant de ce féjour d'horreurs ;
Les pleurs & les fanglots ne s'y font plus entendre
,
Quelques foupirs à peine échappent d'un coeur
tendre.
( a ) David.
(b ) Charles-Quint
38 MERCURE DE FRANCE.
Mais quel eft tout -à- coup cet objet merveilleux ,
Ce fantôme éclatant qui vient frapper mes yeux !
La gloire ! ... je la vois fur un char de lumiere
Des cieux en un moment traverfer la carriere .
Ce n'eft pas cette gloire idole des héros ,
Que la mort avec eux précipite aux tombeaux ;
C'eft de tous les plaifirs l'éternel affemblage ,
Et de toute vertu l'infaillible partage.
Vertueux pénitens , fon feu pur & facré
Répandra dans vos coeurs un plaifir ignoré ;
Partez ...& de vos fronts ôtez cette pouffiere ,
Dépouillez pour jamais le cilice & la haire
Séchez vos triftes pleurs , & ménagez ce fang
Que votre auftérité vous arrachoit du flanc ;
Et pour fixer enfin vos heureufes conquêtes ,
De lauriers immortels allez ceindre vos têtes .
Par M. Hefpel , Rhétoricien , au
College de Jéfuites de Lille en Flandres.
Le ton de ce poëme me paroît bon en
général : il y a de la vérité dans les images
, & de l'harmonie dans les vers . Je crois
qu'ils annoncent du talent , & qu'ils promettent
d'autant plus que l'auteur n'a que
feize ans on ne peut trop l'encourager ;
mais il faut l'avertir de ne point négliger
la rime ; celles de guerre & d'lbere qu'il a
employées , ne font point exactes.
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Résumé : LE TEMPLE DE LA PÉNITENCE.
Le poème 'Le Temple de la Pénitence' décrit un lieu de pénitence situé dans un antre profond, loin des cours et des hommes pervers. Ce palais, dédié à la Divinité, est habité par des pénitents en proie à leurs douleurs. Un fleuve de sang et de larmes y coule, et les remords en gardent les portes. Les cris et les pleurs des pénitents résonnent dans ce lieu funèbre. Des princes et des grands, comme le roi David et Charles Quint, viennent se repentir après avoir connu la gloire. Les tyrans y sont également enchaînés pour leurs crimes. Plus on avance dans le temple, plus les spectacles tragiques diminuent, laissant place à l'espérance et à un lieu charmant. La gloire apparaît sous la forme d'un fantôme éclatant, offrant aux pénitents un plaisir éternel et le partage de toutes les vertus. Ils sont invités à se débarrasser de leur cilice et de leur haire, à sécher leurs pleurs et à se ceindre de lauriers immortels. Le poème est écrit par M. Hespel, un rhétoricien de seize ans au Collège des Jésuites de Lille, et est jugé prometteur malgré quelques erreurs de rime.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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125
p. 11-19
LES DONNEURS D'IDÉES, Badinage instructif adressé à M. de Boissi.
Début :
MONSIEUR, vous paroissez prendre plaisir à remplir votre article [...]
Mots clefs :
Idées, Artiste, Donneurs d'idées, Arts, Éloge, Gloire, Auteur
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texteReconnaissance textuelle : LES DONNEURS D'IDÉES, Badinage instructif adressé à M. de Boissi.
LES DONNEURS D'IDÉES ,
Badinage inftructif adreffé à M. de Boiffi.
M
des
ONSIEUR, vous paroiffez prendre
plaifir à remplir votre article
des Arts. Nous y avons vû fucceffivement
des critiques fur l'architecture faites par
perfonnes qui entendoient bien la matiere
; des injures dites avec beaucoup de politeffe
à M. Boucher , & les efforts que l'on
fait pour trouver des raifons de fon mécon
tentement , qui font cependant bien clairement
imprimées fur les eftampes dont il
eft queſtion ; des éloges qu'un artiſte fait
de fes ouvrages , avec une bonne foi qui ne
lui permet pas de douter que le public
puiffe être d'un autre avis. Il vante de prétendues
nouvelles découvertes en gravûre
qui font auffi anciennes que l'art , & que
perfonne n'ignore; il nous affûre la plus parfaite
exactitude dans une eftampe , quant
à la perfpective & à l'effet de lumiere , où
ni l'une , ni l'autre ne fe trouvent que
d'une maniere défectueufe : fur quoi il eft
à remarquer que celui qui fe donne ces
louanges , a affez de talens pour captiver
l'eftime du public , fans qu'il foit befoin
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
porpour
lui d'avoir recours à cette efpece de
charlatanifme , qui n'eft pardonnable que
lorfqu'il fupplée au défaut d'un mérite
réel. Nous y avons lû la critique du
tail de faint Eustache , qui n'eft peut- être
pas fans raifon , & en même tems l'éloge
d'un projet pour ce même portail , par
l'auteur même. Le malheur eft que ce
projet ne remplit ni la hauteur du pignon
de l'églife , ni les autres fujetions du lieu :
c'eſt dommage , car il paroît qu'il a été
pris dans Vitruve , du moins à en juger
par le bas- relief payen qui fe trouve dans
le fronton ; il eft de plus orné de deux
tours de l'invention de l'auteur , & l'on
s'apperçoit bien qu'il n'en a pas trouvé
d'exemple dans Vitruve. On y ajoûte , des
idées d'églife , que l'auteur voudroit faire
paffer en loi , qui néanmoins pourroient
trouver des oppofans. Quoiqu'il en foit ,
l'auteur ici eft donneur d'avis , ou plutôt
donneur d'idées. Les arts , font à la
mode , il eft de faifon d'en écrire ; mais il
me femble qu'on ne remonte pas aux caufes
premieres qui les rendent floriffans :
une des principales eft la multiplicité des
donneurs d'idées . Je ne parle pas fimplement
de ceux qui font artiftes ; leur état
eft d'imaginer , & il n'eft pas étonnant
qu'ils le faffent avec netteté mais il y a
:
JUIN. 1755. 13
nombre de perſonnes qui embraffent l'état
de donneurs d'idées , fans vocation particuliere
, & qui cependant fe font un grand
nom ; elles enfeignent ce qu'elles n'ont
point appris , & fans fçavoir rien des arts ,
dirigent les artistes les défauts qui fe
rencontrent dans les ouvrages font fur le
compte de l'artiſte , & ce qui s'y trouve de
bon vient d'elles.
Quiconque fe deftine à la profeffion de
donneurs d'idées doit dormir peu ,
& cependant
rêver beaucoup. Quelque confuſes
que puiffent être les imaginations qu'il
combine , il en forme , un tout qui à la
vérité n'eft pas diftinct , mais néanmoins
dans lequel il voit , comme au travers d'un
brouillard, des merveilles difficiles à expliquer
, & plus difficiles encore à rendre.
Il va chez un artifte , lui propofe ces idées ;
vingt objections fe préfentent dont il ne
s'eft pas douté : il n'importe , rien ne le
déconcerte , il revient pourvû de nouvelles
idées. A force de les détruire , l'artiſte
développe quelques- unes de celles qui lui
paroiffent convenables ; notre inventeur
les faifit , y fait quelques nouvelles additions
, qu'on fera vraisemblablement obligé
de fupprimer , mais qui lui donnent le
droit inconteſtable de fe les regarder comme
propres. L'artifte en fait- il quelque
14 MERCURE DE FRANCE .
chofe de beau ? le donneur d'idées triomphe,
fans lui l'artiſte borné n'auroit pû enfanter
une fi belle choſe. Dans le cercle de la focié
té qu'il fréquente , il eft regardé comme
l'homme d'une connoiffance univerfelle ;
bientôt , s'il a un peu de bonheur , il fera le
confeil de la cour & de la ville en fait de
goût . Il restera pour démontré que quand
on réuffira , ce fera lui qui aura merveilleufement
imaginé , & que fi le fuccès n'y
répond pas , ce fera l'artifte qui n'aura pas
eu l'efprit de le comprendre. Il réfulte
mille avantages pour les artiftes , des mouvemens
que fe donnent ces perfonnes uti
les; ils n'ont pas befoin de fortir de chez eux
pour recevoir des complimens , le donneur
d'idées veut bien fe charger de ce lourd
fardeau : ils ne courent point de rifque que
les éloges leur tournent la tête , ils ne font
pas pour eux ; ce danger n'eft que pour le
donneur d'idées , qui peut devenir vain.
Mais comme il faut beaucoup de vanité
pour faire profeffion de cet état , la meſure
n'en eft pas fi bien fixée qu'on puiffe facilement
affirmer quand il y a excès ; d'ailleurs
pour un qui fe rendroit infoutenable ,
il s'en trouveroit mille prêts à le remplacer,
ils ne font pas auffi rares que les excellens
artiftes.
Je ne fçais pourquoi tout le monde ne
JUI N. 1755. IS
s'attache
pas à ce genre de talent qui eft
facile & amufant , je veux vous le prouver
par un exemple. Il m'eft venu plufieurs fois
à l'efprit que Timoleon faifant périr ſon
propre frere pour la patrie , feroit un
beau fujet de tragédie : n'étant nullement
poëte , je ne fçais pas s'il feroit intéreffant
au théâtre , & s'il ne s'y rencontreroit pas
des inconvéniens qui le rendroient impoffible
; mais fi vous le traitiez , vous feriez
obligé de convenir , après ce que je vous
en dis ici , que c'eft moi qui vous en ai
donné l'idée , & que la plus grande partie
du fuccès me devroit être attribuée . Vous
voyez que je n'ai pas fait une grande dépenfe
de génie ; voilà pourtant ce que c'eft
qu'être donneur d'idées.
Monfieur , vous êtes zélé pour la gloire
des arts , je vous conjure d'encourager les
donneurs d'idées ; cela eft plus aifé qu'on
ne le croit ordinairement , & on peut appliquer
ce talent à une infinité de chofes
dans les belles-lettres & dans les arts. Avec
de très-légeres connoiffances , on peut donner
des idées de tragédies , de comédies &
même de poëmes épiques , ce qui eft bien
plus glorieux. M. V. fait un beau tableau
qu'il expofe au fallon : un homme de bien
plus grande imagination que lui , lui prouve
dans une brochure qu'il n'a pas tiré de
16 MERCURE DE FRANCE.
fon fujet tout ce qu'il pouvoit , & lui fournit
de quoi couvrir une toile de vingt toifes
. Cependant cet auteur voit tout cela au
travers d'un brouillard , dans un espace de
quinze pieds ; on pourroit le prier de faire
voir comment il y fait entrer tout cela :
fon excufe eft toute prête ; il ne fçait pas
deffiner , fon état eſt d'être donneur d'idées.
Le bon M. *** dont les écrits font fi remplis
d'aménité , & qui par conféquent ne peut
comprendre pourquoi ils lui ont attiré tant
d'ennemis , fe donne la peine de faire imprimer
quantité d'idées de fujets pour les
peintres ; ils ont l'ingratitude de s'appercevoir
qu'aucun de ces fujets n'eft propre
à faire un bon effet cela n'eft - il pas
malheureux ? fi on l'avoit crû , n'eut- il
eu droit au premier fallon de réclamer
fon bien ? & toute la gloire de l'expofition
n'eût- elle dû être pour
pas lui : Ce qui
lui doit paroître plus inconcevable encore ,
c'eft qu'une autre brochure qui a paru
depuis & qui contenoit des fujets de peina
été tout autrement accueillie .
Pourquoi cela ? eft - ce parce qu'il étoit
évident que celle ci partoit de quelqu'un
au fait de l'art , & qui n'écrivoit que d'après
des idées nettes & déja compofées
dans fon efprit en artifte ? Devroit- on pour fi
peu y mettre tant de différence ? Eft if quefture
,
pas
JUIN. 1755. 17
tion d'une grande fête ? on dit à l'artiſte , il
nous faudroit ici quelque chofe de grand ,
de beau , un temple , un palais , ce que vous
voudrez ; mais que cela foit impofant : voilà
des demandes nettes , claires , & qu'on
peut remplir de mille façons. L'artiſte eft
à fon aife ; s'il eft habile , il fait une belle
chofe ; mais il n'en eft pas moins vrai que
c'eſt M. tel qui lui a donné l'idée . Ce font
les efprits prudens , & ceux qui veulent
une gloire qu'on ne puiffe leur conteſter ,
qui fe renferment dans ces généralités ;
elles fuffifent pour en tirer le plus grand
honneur , & même pour autorifer à mettre
fon nom , comme inventeur , aux eftampes
qui pourront en être gravées. Ceux qui
s'avifent de mettre la main au porte- crayon,
s'en tirent plus difficilement : malgré les
excufes qu'ils apportent de n'avoir jamais
appris , ce qui eft aſſez viſible pour les difpenfer
du foin d'en avertir ; ils hazardent
beaucoup ordinairement , ils ne fçauroient
éviter une bonne dofe de ridicule; mais auffi
s'il arrive, par un heureux hazard , que l'exécution
reffemble à peu près à ce qu'ils ont
confufément ébauché,quel triomphe ! quelle
gloire ! On peut donner des idées pour les
décorations de l'opéra , pourvû qu'on ait
de bons peintres pour les débrouiller &
leur donner de l'existence. L'expérience fait
18 MERCURE DE FRANCE.
voir qu'il n'eft pas néceffaire de fçavoir
deffiner , ni même les premiers élémens de
l'architecture. On peut donner des idées
pour la mufique ; il fuffit pour cela d'en
avoir entendu quelquefois , & d'avoir pris
parti dans la querelle pour ou contre. On
donnera encore facilement des idées pour
les habillemens , il y en a des preuves. On
a vû des perfonnes fe faire une réputation,
feulement pour avoir donné des idées d'attitudes
variées aux acteurs des choeurs de
l'opéra . Il n'y a pas jufqu'à un marchand
qui donne des idées ( ou du moins qui le
fait croire ) aux manufactures d'étoffes .
Lorfqu'il a été queftion de faire une
place pour le Roi , n'a-t-on pas vû éclore
un effain de donneurs d'idées , qui étoient
étonnés eux- mêmes de la beauté des imaginations
qui leur paffoient par la tête ?
quelques-uns n'ont pû réfifter à la tentation
de les publier , quoiqu'en pure perte.
Il ne faut pas en croire les artiftes , qui fe
figurent que tout le monde eft en état de
faire un rêve ; que toute la difficulté confifte
à le réaliſer de maniere qu'il faſſe un
bon effet , & à vaincre les difficultés qui
fe rencontrent dans les idées les plus nettes
& les mieux conçues : la jaloufie leur
fuggere ce fentiment , & la véritable gloire
doit toujours appartenir à celui qui donne
la premiere idée.
JUIN. 1755. 19
Vous même , Monfieur , vous avez les
plus grandes obligations à un donneur d'idées
, & peut- être fans l'avoir jamais fçu .
Nous venons de perdre un auteur , finon
diftingué , du moins récompenfé : il avoit
apparamment fait réflexion , ou avant ou
après vous , que le contraſte d'un Anglois
des plus durs avec un François des plus
petits- maîtres pouvoit produire quelque
chofe de plaifant ; de là il s'étoit érigé dans
fa famille & dans le petit cercle de fes
amis pour le donneur d'idées du François
à Londres. Si vous ne fûtes pas débarraſſé
du foin d'imaginer ce fujet , vous dûtes
l'être d'une partie du fardeau des éloges
qui vous en font revenus , du moins il
cherchoit à vous en foulager autant qu'il
lui étoit poffible. La feule difficulté qui s'y
trouvoit , c'est qu'il n'avoit rien fait avant ,
& qu'il ne fit rien depuis qui donnât lieu
de croire qu'il en eût pû faire une bonne
piece ; cependant il avoit fes croyans . C'en
eft affez pour vous faire voir la très- grande
utilité des donneurs d'idées , & je vous les
recommande comme plus importans encore
que les donneurs d'avis.
Je fuis , &c.
Badinage inftructif adreffé à M. de Boiffi.
M
des
ONSIEUR, vous paroiffez prendre
plaifir à remplir votre article
des Arts. Nous y avons vû fucceffivement
des critiques fur l'architecture faites par
perfonnes qui entendoient bien la matiere
; des injures dites avec beaucoup de politeffe
à M. Boucher , & les efforts que l'on
fait pour trouver des raifons de fon mécon
tentement , qui font cependant bien clairement
imprimées fur les eftampes dont il
eft queſtion ; des éloges qu'un artiſte fait
de fes ouvrages , avec une bonne foi qui ne
lui permet pas de douter que le public
puiffe être d'un autre avis. Il vante de prétendues
nouvelles découvertes en gravûre
qui font auffi anciennes que l'art , & que
perfonne n'ignore; il nous affûre la plus parfaite
exactitude dans une eftampe , quant
à la perfpective & à l'effet de lumiere , où
ni l'une , ni l'autre ne fe trouvent que
d'une maniere défectueufe : fur quoi il eft
à remarquer que celui qui fe donne ces
louanges , a affez de talens pour captiver
l'eftime du public , fans qu'il foit befoin
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
porpour
lui d'avoir recours à cette efpece de
charlatanifme , qui n'eft pardonnable que
lorfqu'il fupplée au défaut d'un mérite
réel. Nous y avons lû la critique du
tail de faint Eustache , qui n'eft peut- être
pas fans raifon , & en même tems l'éloge
d'un projet pour ce même portail , par
l'auteur même. Le malheur eft que ce
projet ne remplit ni la hauteur du pignon
de l'églife , ni les autres fujetions du lieu :
c'eſt dommage , car il paroît qu'il a été
pris dans Vitruve , du moins à en juger
par le bas- relief payen qui fe trouve dans
le fronton ; il eft de plus orné de deux
tours de l'invention de l'auteur , & l'on
s'apperçoit bien qu'il n'en a pas trouvé
d'exemple dans Vitruve. On y ajoûte , des
idées d'églife , que l'auteur voudroit faire
paffer en loi , qui néanmoins pourroient
trouver des oppofans. Quoiqu'il en foit ,
l'auteur ici eft donneur d'avis , ou plutôt
donneur d'idées. Les arts , font à la
mode , il eft de faifon d'en écrire ; mais il
me femble qu'on ne remonte pas aux caufes
premieres qui les rendent floriffans :
une des principales eft la multiplicité des
donneurs d'idées . Je ne parle pas fimplement
de ceux qui font artiftes ; leur état
eft d'imaginer , & il n'eft pas étonnant
qu'ils le faffent avec netteté mais il y a
:
JUIN. 1755. 13
nombre de perſonnes qui embraffent l'état
de donneurs d'idées , fans vocation particuliere
, & qui cependant fe font un grand
nom ; elles enfeignent ce qu'elles n'ont
point appris , & fans fçavoir rien des arts ,
dirigent les artistes les défauts qui fe
rencontrent dans les ouvrages font fur le
compte de l'artiſte , & ce qui s'y trouve de
bon vient d'elles.
Quiconque fe deftine à la profeffion de
donneurs d'idées doit dormir peu ,
& cependant
rêver beaucoup. Quelque confuſes
que puiffent être les imaginations qu'il
combine , il en forme , un tout qui à la
vérité n'eft pas diftinct , mais néanmoins
dans lequel il voit , comme au travers d'un
brouillard, des merveilles difficiles à expliquer
, & plus difficiles encore à rendre.
Il va chez un artifte , lui propofe ces idées ;
vingt objections fe préfentent dont il ne
s'eft pas douté : il n'importe , rien ne le
déconcerte , il revient pourvû de nouvelles
idées. A force de les détruire , l'artiſte
développe quelques- unes de celles qui lui
paroiffent convenables ; notre inventeur
les faifit , y fait quelques nouvelles additions
, qu'on fera vraisemblablement obligé
de fupprimer , mais qui lui donnent le
droit inconteſtable de fe les regarder comme
propres. L'artifte en fait- il quelque
14 MERCURE DE FRANCE .
chofe de beau ? le donneur d'idées triomphe,
fans lui l'artiſte borné n'auroit pû enfanter
une fi belle choſe. Dans le cercle de la focié
té qu'il fréquente , il eft regardé comme
l'homme d'une connoiffance univerfelle ;
bientôt , s'il a un peu de bonheur , il fera le
confeil de la cour & de la ville en fait de
goût . Il restera pour démontré que quand
on réuffira , ce fera lui qui aura merveilleufement
imaginé , & que fi le fuccès n'y
répond pas , ce fera l'artifte qui n'aura pas
eu l'efprit de le comprendre. Il réfulte
mille avantages pour les artiftes , des mouvemens
que fe donnent ces perfonnes uti
les; ils n'ont pas befoin de fortir de chez eux
pour recevoir des complimens , le donneur
d'idées veut bien fe charger de ce lourd
fardeau : ils ne courent point de rifque que
les éloges leur tournent la tête , ils ne font
pas pour eux ; ce danger n'eft que pour le
donneur d'idées , qui peut devenir vain.
Mais comme il faut beaucoup de vanité
pour faire profeffion de cet état , la meſure
n'en eft pas fi bien fixée qu'on puiffe facilement
affirmer quand il y a excès ; d'ailleurs
pour un qui fe rendroit infoutenable ,
il s'en trouveroit mille prêts à le remplacer,
ils ne font pas auffi rares que les excellens
artiftes.
Je ne fçais pourquoi tout le monde ne
JUI N. 1755. IS
s'attache
pas à ce genre de talent qui eft
facile & amufant , je veux vous le prouver
par un exemple. Il m'eft venu plufieurs fois
à l'efprit que Timoleon faifant périr ſon
propre frere pour la patrie , feroit un
beau fujet de tragédie : n'étant nullement
poëte , je ne fçais pas s'il feroit intéreffant
au théâtre , & s'il ne s'y rencontreroit pas
des inconvéniens qui le rendroient impoffible
; mais fi vous le traitiez , vous feriez
obligé de convenir , après ce que je vous
en dis ici , que c'eft moi qui vous en ai
donné l'idée , & que la plus grande partie
du fuccès me devroit être attribuée . Vous
voyez que je n'ai pas fait une grande dépenfe
de génie ; voilà pourtant ce que c'eft
qu'être donneur d'idées.
Monfieur , vous êtes zélé pour la gloire
des arts , je vous conjure d'encourager les
donneurs d'idées ; cela eft plus aifé qu'on
ne le croit ordinairement , & on peut appliquer
ce talent à une infinité de chofes
dans les belles-lettres & dans les arts. Avec
de très-légeres connoiffances , on peut donner
des idées de tragédies , de comédies &
même de poëmes épiques , ce qui eft bien
plus glorieux. M. V. fait un beau tableau
qu'il expofe au fallon : un homme de bien
plus grande imagination que lui , lui prouve
dans une brochure qu'il n'a pas tiré de
16 MERCURE DE FRANCE.
fon fujet tout ce qu'il pouvoit , & lui fournit
de quoi couvrir une toile de vingt toifes
. Cependant cet auteur voit tout cela au
travers d'un brouillard , dans un espace de
quinze pieds ; on pourroit le prier de faire
voir comment il y fait entrer tout cela :
fon excufe eft toute prête ; il ne fçait pas
deffiner , fon état eſt d'être donneur d'idées.
Le bon M. *** dont les écrits font fi remplis
d'aménité , & qui par conféquent ne peut
comprendre pourquoi ils lui ont attiré tant
d'ennemis , fe donne la peine de faire imprimer
quantité d'idées de fujets pour les
peintres ; ils ont l'ingratitude de s'appercevoir
qu'aucun de ces fujets n'eft propre
à faire un bon effet cela n'eft - il pas
malheureux ? fi on l'avoit crû , n'eut- il
eu droit au premier fallon de réclamer
fon bien ? & toute la gloire de l'expofition
n'eût- elle dû être pour
pas lui : Ce qui
lui doit paroître plus inconcevable encore ,
c'eft qu'une autre brochure qui a paru
depuis & qui contenoit des fujets de peina
été tout autrement accueillie .
Pourquoi cela ? eft - ce parce qu'il étoit
évident que celle ci partoit de quelqu'un
au fait de l'art , & qui n'écrivoit que d'après
des idées nettes & déja compofées
dans fon efprit en artifte ? Devroit- on pour fi
peu y mettre tant de différence ? Eft if quefture
,
pas
JUIN. 1755. 17
tion d'une grande fête ? on dit à l'artiſte , il
nous faudroit ici quelque chofe de grand ,
de beau , un temple , un palais , ce que vous
voudrez ; mais que cela foit impofant : voilà
des demandes nettes , claires , & qu'on
peut remplir de mille façons. L'artiſte eft
à fon aife ; s'il eft habile , il fait une belle
chofe ; mais il n'en eft pas moins vrai que
c'eſt M. tel qui lui a donné l'idée . Ce font
les efprits prudens , & ceux qui veulent
une gloire qu'on ne puiffe leur conteſter ,
qui fe renferment dans ces généralités ;
elles fuffifent pour en tirer le plus grand
honneur , & même pour autorifer à mettre
fon nom , comme inventeur , aux eftampes
qui pourront en être gravées. Ceux qui
s'avifent de mettre la main au porte- crayon,
s'en tirent plus difficilement : malgré les
excufes qu'ils apportent de n'avoir jamais
appris , ce qui eft aſſez viſible pour les difpenfer
du foin d'en avertir ; ils hazardent
beaucoup ordinairement , ils ne fçauroient
éviter une bonne dofe de ridicule; mais auffi
s'il arrive, par un heureux hazard , que l'exécution
reffemble à peu près à ce qu'ils ont
confufément ébauché,quel triomphe ! quelle
gloire ! On peut donner des idées pour les
décorations de l'opéra , pourvû qu'on ait
de bons peintres pour les débrouiller &
leur donner de l'existence. L'expérience fait
18 MERCURE DE FRANCE.
voir qu'il n'eft pas néceffaire de fçavoir
deffiner , ni même les premiers élémens de
l'architecture. On peut donner des idées
pour la mufique ; il fuffit pour cela d'en
avoir entendu quelquefois , & d'avoir pris
parti dans la querelle pour ou contre. On
donnera encore facilement des idées pour
les habillemens , il y en a des preuves. On
a vû des perfonnes fe faire une réputation,
feulement pour avoir donné des idées d'attitudes
variées aux acteurs des choeurs de
l'opéra . Il n'y a pas jufqu'à un marchand
qui donne des idées ( ou du moins qui le
fait croire ) aux manufactures d'étoffes .
Lorfqu'il a été queftion de faire une
place pour le Roi , n'a-t-on pas vû éclore
un effain de donneurs d'idées , qui étoient
étonnés eux- mêmes de la beauté des imaginations
qui leur paffoient par la tête ?
quelques-uns n'ont pû réfifter à la tentation
de les publier , quoiqu'en pure perte.
Il ne faut pas en croire les artiftes , qui fe
figurent que tout le monde eft en état de
faire un rêve ; que toute la difficulté confifte
à le réaliſer de maniere qu'il faſſe un
bon effet , & à vaincre les difficultés qui
fe rencontrent dans les idées les plus nettes
& les mieux conçues : la jaloufie leur
fuggere ce fentiment , & la véritable gloire
doit toujours appartenir à celui qui donne
la premiere idée.
JUIN. 1755. 19
Vous même , Monfieur , vous avez les
plus grandes obligations à un donneur d'idées
, & peut- être fans l'avoir jamais fçu .
Nous venons de perdre un auteur , finon
diftingué , du moins récompenfé : il avoit
apparamment fait réflexion , ou avant ou
après vous , que le contraſte d'un Anglois
des plus durs avec un François des plus
petits- maîtres pouvoit produire quelque
chofe de plaifant ; de là il s'étoit érigé dans
fa famille & dans le petit cercle de fes
amis pour le donneur d'idées du François
à Londres. Si vous ne fûtes pas débarraſſé
du foin d'imaginer ce fujet , vous dûtes
l'être d'une partie du fardeau des éloges
qui vous en font revenus , du moins il
cherchoit à vous en foulager autant qu'il
lui étoit poffible. La feule difficulté qui s'y
trouvoit , c'est qu'il n'avoit rien fait avant ,
& qu'il ne fit rien depuis qui donnât lieu
de croire qu'il en eût pû faire une bonne
piece ; cependant il avoit fes croyans . C'en
eft affez pour vous faire voir la très- grande
utilité des donneurs d'idées , & je vous les
recommande comme plus importans encore
que les donneurs d'avis.
Je fuis , &c.
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Résumé : LES DONNEURS D'IDÉES, Badinage instructif adressé à M. de Boissi.
Dans une lettre adressée à M. de Boiffi, l'auteur critique les articles du Mercure de France, soulignant des éloges excessifs et des critiques injustes dans le domaine des arts. Il note des contradictions dans les appréciations, notamment en architecture et en gravure, et observe que les arts sont à la mode, bien que les raisons de cette popularité ne soient pas toujours bien comprises. L'auteur exprime une méfiance envers les 'donneurs d'idées', des individus sans vocation artistique spécifique qui se permettent de diriger les artistes. Ces donneurs d'idées conçoivent des projets confus qu'ils soumettent aux artistes, s'attribuant par la suite le mérite des succès obtenus. L'auteur illustre ce phénomène par divers exemples, tels que des idées pour des tragédies, des tableaux ou des décorations. Malgré leur manque de compétences réelles, il recommande de les encourager, car ils jouent un rôle crucial dans la reconnaissance des artistes.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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126
p. 180-196
EXTRAIT DE PHILOCTETE.
Début :
Ulysse & Pyrrhus accompagnés de Démas, ouvrent la scene, qui est dans l'isle [...]
Mots clefs :
M. de Chateaubrun, Dieux, Amour, Grecs, Guerrier, Gloire, Héros, Seigneur, Comédie-Française
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT DE PHILOCTETE.
EXTRAIT DE PHILOCTETE.
Ulyffe & Pyrrhus accompagnés de Démas
, ouvrent la fcene , qui eft dans l'ifle
de Lemnos , à vue de la caverne qui fert
de retraite à Philoctete . Le premier dit au
fils d'Achille , que Philoctete refpire dans
ce defert affreux , & que les Grecs ne peuvent
triompher de Troye fans le bras de ce
guerrier , uni à la valeur de Pyrrhus. Les
Dieux l'ont déclaré par la bouche de Calchas'
; cet Oracle eft un arrêt dont on ne
peut appeller. Si Philoctete n'eft ramené
JUIN. 1755. 181
dans l'armée , elle va périr dans l'opprobre
& dans la mifere. Pyrrhus impatient veut
courir vers Philoctete , mais Ulyffe le retient
, & l'inftruit du jufte courroux de ce
Prince contre les Grecs . Il lui apprend que
dès les premiers jours du fiége d'Ilion ,
Un Troyen le bleffa d'un dard envenimé
Par d'horribles douleurs le poiſon ſe déclare :
Mais fon ardeur s'éteint dans un profond fommeil,
Et jamais la douleur ne fuccéde au réveil.
A peine ce guerrier revoit-il la lumière ,
Qu'il retrouve fa voix &. fa force premiere ;
Jufqu'à d'autres accès fans ceffe renaiſſans ,
L'art épuifa fur lui fes fecours impuiffans.
Ce mal cruel rendit Philoctete fi farouche
qu'il devint infupportable à tous les
chefs , & particulierement aux Atrides
qu'il accabloit de reproches amers. Le Roi
d'Itaque , pour les en délivrer , joua le mécontent,
engagea Philoctete à le fuivre dans
l'ifle de Lemnos où il feignit de fe retirer ,
& l'abandonna feul dans ce defert pendant
fon fommeil. Ulyffe , après ce récit
recommande à Pyrrhus de ne pas le nommer
il lui confeille , pour arracher ce héros
de fa retraite , de feindre que la tempête
l'a pouflé fur ce rivage , qu'il à quitté
182 MERCURE DE FRANCE.
le camp des Grecs , & qu'il retourne à Scyros
, révolté contre un fiége fi lent , & indigné
de l'avarice fordide des chefs qui
ont fruftré fa valeur de fes droits . Pyrrhus
réfifte d'abord à ce confeil , la feinte répugne
à fon grand coeur ; mais Ulyffe lui
en fait fentir la néceffité & s'éloigne
pour le laiffer agir .
›
Pyrrhus refte avec Démas , & s'écrie en
jettant les regards fur l'entrée de la caverne
,
Mon oeil foutient à peine
Cet horrible tableau de la miſere humaine ;
Quelques vafes groffiers que le befoin conftruit ,
Des feuilles , des lambeaux qui lui fervent de lit.
Il voit fortir du fond de cet antre fauvage
une jeune beauté ; il eft frappé de
fes charmes , il l'aborde , & apprend d'elle
que fon nom eft Sophie , & qu'elle eft la
fille de Philoctete. Så tendreffe l'a conduite
dans cette ifle déferte pour y partager
le malheur de fon pere ; elle y aborda par
un naufrage. Nous allions périr , dit- elle ,
Hercule nous fecourut .
Il retint dans nos coeurs notre ame fugitive ,
Et fon bras bienfaiſant nous pouffa fur la rive.
Nous appellons mon pere , il s'avance vers nous.
Que n'éprouvai -je point dans un moment fi doux !
Avec quelle tendreffe il efluya mes larmes ↓
JUIN.
183 1755.
Combien für mon état témoigna-t- il d'allarmes !
Quels mouvemens confus de joie & de pitié ,
De fanglots mutuels qu'exhaloit l'amitié !
Les périls de la mer , mes craintes , ma mifere ,
J'oubliai tout , Seigneur , en embraffant mon pere
;
Voilà le langage naïf de la nature. Les
vers les plus pompeux valent - ils ceux
qu'elle infpire ? Cette fimplicité charmante
qui rend fi bien le fentiment , n'eſtelle
pas la vraie éloquence ? Pyrrhus témoigne
le defir qu'il a de voir Philoctete
Sophie répond, qu'armé d'un arc qui pourvoit
à leur fubfiftance , il erre dans les
bois , & qu'elle va le chercher. Pyrrhus
devant Démas fait éclater pour Sophie une
pitié qui laiffe entrevoir le premier trait
de l'amour. Démas lui repréfente qu'il ne
doit s'occuper que du foin de rendre Philoctete
aux Grecs prêts à périr.
Philoctete paroît avec Sophie , & marque
fa furprife à Pyrrhus , qu'il n'a jamais
vu , de le voir dans des lieux fi fauvages.
11 exprime en même tems fon reffentiment
contre les chefs de la Grece , & leur ingratitude
, par ces deux vers juftement applaudis
,
Les bienfaits n'avoient pu m'attacher les Atrides
:
Je fous apprivoifer jufqu'aux monftres avides.
184 MERCURE DE FRANCE.
Pyrrhus fe nomme ; Philoctere montre
une joie très- vive de voir en lui le fils
d'Achille dont il a toujours été l'ami ; mais
apprenant la mort de ce héros par la bouche
de fon fils , il s'écrie avec douleur
2
Achille eft mort , grands Dieux , & les Atrides
vivent
! Y
7 25377
Pyrrhus s'offre à conduire Philoctete &
fa fille dans leur patrie. Ce guerrier y
confent ; mais dans le moment qu'il veut
partir , il eft arrêté par un accès de fon
mal , qui l'oblige à rentrer dans fon antre
, & qui termine le premier acte. Y
101-20
Pyrrhus ouvre le fecond acte par ce beau
monologue , qui peint avec des couleurs
fi touchantes l'état de mifere & de douleur
où il vient de voir Philoctete dans la
caverne , ayant près de lui fa fille qui arrofoit
fes mains de larmes. Quel contraſte ,
dit- il , avec l'éducation qu'on nous donne !
p , cody courqu
"P
On écarte de nous juſqu'à l'ombre des maux
On n'offre à nos regards que de fiants tableaux
Pour ne point nous déplaire , on nous cache à
nous - mêmes ; ovo zng , ol mbase C
On ne nous entretient que de grandeurs fupre
-kot mes.unim un saciera'n aistroid as S11
On ajoûte à nos noms des noms ambitieux :
Autant que l'on le peut on fait de nous des Dieur.
JUIN.
185
1755 .
Victimes des flateurs , malheureux que nous fom
mes ,
Que ne nous apprend-t-on que les Rois font des
hommes !
·Démas furvient ; il exhorte Pyrrhus à
diffimuler encore pour engager Philoctete
à partir. La générofité de Pyrrhus attendri
s'en offenfe , & marque un vrai remords
d'avoir employé la feinte . Philoctete paroît
avec Sophie , & veut fe rendre au rivage.
Pyrrhus l'arrête. Philoctete furpris , lui en
demande la raifon . Le fatal fecret échappe
de la bouche du fils d'Achille, qui rougit de
commettre une perfidie , & lui déclare
qu'il le méne aux Atrides . A cet aveu le Roi
d'Eubée devient furieux. Pyrrhus l'inftruit
de la pofition des Grecs , & du befoin
qu'ils ont de fon bras pour renverfer
Troye , & s'arracher à une mort honteuſe ;
il le preffe en même tems d'immoler fon
reffentiment au falut de l'Etat. Philoctete
refufe de fe rendre , & fait des imprécations
contre Ulyffe & les autres chefs. Pyrrhus
lui répond , qu'il ne peut fe venger plus
noblement d'eux qu'en faifant triompher
fa patrie , & qu'en voyant Agamemnon
lui-même ramper à fes pieds. Philoctete
perfifte à ne point prêter fon fecours au
Roi d'Argos ; mais il propofe à Pyrrhus
186 MERCURE DE FRANCE.
d'aller combattre avec leurs foldats , & d'a
voir feuls la gloire de vaincre les Troyens.
Pyrrhus approuve ce parti ; mais comme il
entend du bruit , il s'éloigne avec Philoctete.
Démas qui les écoutoit , veut inftruire
Ulyffe du projet que ces deux guerriers
viennent de former ; mais le Roi d'Itaque
lui dit que les Grecs cachés avec lui fous
un rocher l'ont entendu , qu'ils ont réſolu
de les en punir ; & que s'il n'eût retenu
leur fureur , ils alloient fondre fur eux &
les immoler. Démas ajoûte qu'il craint encore
plus la fille que le pere . Ulyffe lui en
demande la raifon ; l'autre lui répond
que Pyrrhus adore Sophie."
›
Ulyffe en paroit allarmé , & quitte la
fcene en difant qu'il va voir avec les
Grecs ce qu'on doit oppofer à ce fatal
amour qui peut tout détruire.
I
Ulyffe ouvre le troifieme acte avec Démas.
Il tient un papier à la main , & dit à
Démas que les Grecs veulent entraîner
au camp Philoctete mort ou vivant , que
tel eft l'arrêt qu'ils viennent de figner ; &
que fi ce Prince refifte , ils veulent exterminer
fa famille , & faire fubir à fa fille
le fort d'Iphigénie . Ulyffe craint que Pyrrhus
ne prenne leur défenſe ; mais Démas
lui répond que fa résistance fera vaine , &
JUIN 1755. 187
que les Grecs viennent d'envelopper Philoctete
de toutes parts:
Pyrrhus paroît ; Ulyffe le preffe de partir
fans Philoctete , en difant qu'il ne veut
pas lui-même qu'on emmene ce guerrier au
camp . Pyrrhus s'excufe fur la pitié. Ulyffe
lui dit que la pitié dont il eft ému , n'eft
qu'un amour déguifé. Le premier répond
que l'amour n'eft pas un crime. Non , réplique
le Roi d'Itaque ,
Quand élevant le coeur , loin de l'humilier ,
Aux régles du devoir l'amour fçait le plier ,
Et ne l'enyvre point de fon poifon funefte :
Il eft fublime alors , la fource en eft céleste ,
Et c'eſt de cet amour que les Dieux font heureux.
Mais , Seigneur , quand l'amour , le bandeau fur
les yeux ,
Enchaîne le devoir aux pieds d'une maîtreffe ,
A des coeurs généreux n'infpire que foibleffe ,
Tient fous un joug d'airain leur courage foumis ,
Leur fait facrifier gloire , patrie , amis ,
Et des droits les plus faints rompt le noeud légitime
;
Alors , Seigneur , alors cet amour eft an crime.
Pyrrhus veut fe juftifier en difant qu'Achille
aima comme lui . Ulyffe lui repart
qu'il n'aima point aux dépens de fa gloire ,
& qu'il quitta tout pour elle. Il lui fait en
188 MERCURE DE FRANCE.
même tems une peinture pathétique de
l'état affreux où l'armée des Grecs fe trouve
réduite , ajoûtant qu'il va la joindre ,
& mourir fur le tombeau d'Achille , tandis
que fon fils refte tranquille à Lemnos
par l'amour. Ce trait réveille le
courage de Pyrrhus , & l'adroit Ulyffe pour
achever de le déterminer à le fuivre , lui
rapporte ainfi les dernieres paroles d'Achille
expirant , après qu'il l'eut arraché
lui-même des mains des Troyens .
enchaîné
Cher ami , me dit-il , cache-moi tes alarmes ;
Et laiffe- moi mourir parmi le bruit des armes. T
Par tes foins je fuis libre , & je refpire encor
Tu m'épargnes l'affront dont je flétris Hector.:
Que mon fils à jamais en garde la mémoire ,
Et te rende les foins que tu prens de ma gloire.
Sers-lui de pere , amis qu'il te ferve de fils . ' ; i
Voilà fes derniers voeux ; les avez-vous remplis
:
Pyrrhus eft prêt à partir , quand la préfence
de Sophie le retient il fe trouve
alors entre la gloire & l'amour, La premiere
foutenue par l'art d'Ulyffe , femble
d'abord l'emporter ; mais l'amour mieux
déféndu par les larmes de Sophie ', triomphe
enfin de Pyrrhus , & l'entraîne de fon
côté. Ce jeune héros en tournant les yeux
vers elle , s'écrie :
JUIN.
183 1755.
Quoi vous pleurez , courons à votre pere.
Il vole fur les pas de Sophie. Ulyffe fo
retire avec Démas , en difant que Pyrrhus
va fe perdre & combler le malheur de
Philoctete & de fa fille . Ce troifiéme Acte
eft d'une grande beauté .
Z Sophie commence le quatriéme Acte avec
Palmire fa gouvernante , & lui dit que fans
Pyrrhus les Grecs auroient furpris & enlevé
fon pere. Elle avoue avec cette ingé
nuité qui accompagne l'innocence , que
ce jeune héros lui a déclaré qu'il l'adoroit
, & qu'elle y a été fenfible par reconnoiffance
pour
le fervice qu'il a rendu à
fon pere. Palmire l'avertit de redouter les
effets de fa beauté . Je n'ai pas oublié , lui
répond Sophie , vos fages leçons.
Hélas ! cette beauté , ce charme fouverain ;
Dont le fexe s'honore , & qui le rend fi vain
Si la vertu n'en fait un ornement célefte ,
Eft , des Dieux irrités , le don le plus funefte.
" Philoctete arrive , & dit à fa fille qu'il
faut fauver l'honneur d'un pere infortuné ,
& lui remet un poignard. Sophie lui demande
quel ufage elle en doit faire : il répond
qu'il a vécu comme Hercule , &
qu'il veut mourir de même , ajoutant que
Le poifon peut encore lui porter une at
190 MERCURE DE FRANCE.
teinte , que les Grecs pourroient faifir, ce
moment pour le charger de fers , & qu'elle
doit le fouftraire à leur fureur , en faisant
ce qu'Hercule exigea de fon fils. Elle frémit
de commettre un parricide . Philoctete
defeſpéré de ce refus , s'écrie
s'écrie que dans
cette extrêmité il va lancer ces flèches redoutables
qui portent d'inévitables coups ,
& qu'il va commencer par Pyrrhus . Sophie
allarmée l'arrête , & lui apprend que
c'eft le fecours de Pyrrhus qui l'a dérobé à
l'audace des Grecs , & qu'elle en eft aimée.
Philoctete raffuré par l'amour de Pyrrhus
pour fa fille , la preffe de lui déclarer que
La flamme eft connue de fon pere , qui l'approuve
; mais que fi ce jeune guerrier ne
fe joint à lui pour les venger ,
elle rejette
avec dédain les offres de fa foi. Sophie le
lui jure , en lui difant tendrement qu'après
avoir partagé fa gloire , il eft jufte qu'elle
partage fon affront. Philoctete qui voit
venir Pyrrhus, rentre dans fon afyle , & recommande
à Sophie d'éprouver le coeur de
fon amant.
Pyrrhus dit à Sophie qu'il a fait retirer
les foldats , mais qu'elle engage fon pere
à remplir leurs voeux ; que le falut public
doit être un de fes bienfaits,, & qu'il ofe à
çe motif preffant joindre l'intérêt de fon
amour. Elle lui répond que Philoctete eft
JUI N. 1755. 191*
·
inftruit de fes feux , qu'il confent que
l'hymen les couronne , mais qu'il veut que
ces noeuds foient formés dans fes états .
Pyrrhus lui réplique en foupirant , que la
Grece l'implore , & qu'il ne peut l'abandonner,
Elle l'interrompt en lui difant que
puifque l'intérêt de fon pere & le fien lui
font moins chers que celui des Atrides ,
elle rend à fon amour les fermens qui le
lient. Seigneur , ajoute- t -elle ':
Plus grands dans nos deferts que vous ,
trône ,
fur votre
L'honneur nous tiendra lieu de fceptre & de cou
ronne.
Partez , laiffez -nous feuls dans ces fauvages lieux
La vertų pour témoin n'a befoin que des Dieux..
Pyrrhus lui fait entendre que Philoctete
a tout à craindre de la rage des Grecs. Sophie
répond que fa main va mettre un
frein à leurs droits prétendus , que fon
pere vient de l'armer d'un poignard , &
que fi les Grecs s'avançoient pour le pren
are , elle a juré de le plonger dans le coeur
de Philoctete
,› pour prévenir fa honte.
Pourriez-vous , lui dit Pyrrhus , verfer le
fang d'un pere ? elle s'écrie :
Que fçais-je leurs fureurs me ferviront de guid
des ? >
191 MERCURE DE FRANCE.
Un mortel fans honneur n'eſt plus qu'un monſtrë
affreux ,
Que tout autre homme abhorre , & qui craint
tous les yeux ;
Chaque regard l'infulte , & réveillant fa honte ;
De fon honneur perdu , lui redemande compte
Lui fait baiffer la vûe , & femble l'avertir
De fuir dans le tombeau qui devroit l'engloutir.
Pyrrhus frappé de ce tableau promet à
Sophie de périr plutôt mille fois que de
fouffrir que leurs foldats en viennent à
cette violence . Elle le quitte en lui re-.
commandant ainſi les jours de fon pere :
Etes-vous à l'abri du deſtin qui l'accable ›
Si les hommes , hélas ! réfléchiffoient fur eux ;
Ils répandroient des pleurs fur tous les malheu
reux.
Ulyffe vient apprendre à Pyrrhus que
les Troyens inftruits de l'oracle , ont profité
du tems de fon abſence pour attaquer
le camp , qu'ils font près de forcer fi luimême
ne vole au fecours des Grecs ; qu'ils
ont déja bleffé plufieurs chefs de l'armée
& qu'ils ont fouillé dans le tombeau d'Achille
, & difperfé les reftes de fon corps ,
qui font devenus la proie des chiens & des
vautours.
JUIN. 1755. 193
yautours. Pyrrhus devient furieux à cette
nouvelle , & veut voler au camp . Ulyffe
infifte alors pour enlever Philoctete , &
montre les foldats qui l'ont fuivi pour
cette exécution. Mais Pyrrhus s'écrie qu'ils
n'avancent point , que Philoctete eft armé
des traits du defefpoir , & que fa mort va
tromper leur eſpérance. Il termine le quatriéme
acte , en difant qu'il va tenter un
dernier effort auprès du pere de Sophie ,
& qu'après il s'abandonne tout entier aux
confeils d'Ulyffe.
Pyrrhus paroît d'abord feul au cinquiéme
acte , & dit à Ulyffe qui furvient , qu'il
n'a pu fléchir Philoctete. Le Roi d'Itaque
lui montre l'arrêt que la Grece a dicté contre
ce guerrier indomptable. Pyrrhus lui
repréfente qu'en livrant Philoctete à la
mort on venge la patrie , mais qu'on ne
la fauve pas. Ulyffe répond qu'avant
d'exécuter l'arrêt , il veut tout effayer , &
qu'il veut voir Philoctete , qui arrive dans
ce moment avec Sophie. C'eft ici cette admirable
fcene qui forme non feulement
un dénouement des plus heureux , mais
qui fait encore elle feule un des plus beaux
cinquiémes actes qui foient au théâtre :
il faudroit la tranfcrire toute entiere pour
en faire fentir toutes les beautés . Philoctete
à l'afpect d'Ulyffe s'écrie dans fa fu-
II.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
reur qu'on lui rende fes armes. Ce der
nier lui donne les fiennes. Philoctete veut
l'en percer , mais Pyrrhus l'arrête . Ce
guerrier les brave par ces deux vers , dont
le dernier eft digne de Corneille :
Un oracle accablant vous à glacés d'effroi.
Vous vous trouvez preffés entre les Dieux & moi.
Ulyffe lui dit de ne punir que lai , &
d'avoir pitié de fa patrie :
Graces à mon exil , cruel je n'en ai plus ,
Lui répond Philoctete :
•
Je voue à vos fureurs les Grecs que je détefte ;
Dieux ! épargnez Pyrrhus & foudroyez le refte .
Le fils d'Achille eſt révolté de cette imprécation
; mais Ulyffe combat alors Philoctete
avec tous les traits de fon éloquen-.
ce. Il l'attaque par fon foible , c'eſt - à- dire
par l'endroit le plus fenfible à fa gloire.p
Vous ofez (lui dit- il ) confpirer contre votre pays...
Quand un homme a formé ce projet parricide ,
On dévoue aux tourmens ce citoyen perfide :
Son opprobre s'attache aux flancs qui l'ont posté ,
Et fa honte le fuit dans fa poftérité .
A fes concitoyens fon nom eft exécrable ;
On recherche avec foin les traces dy coupable.
JUIN. 1755. 195
Rebut de l'univers , à foi- même odieux :
Il vit errant , fans loix , fans amis & fans Dieux.
Son fupplice aux mortels offre un exemple horri
ble ;
Le tombeau lui refuſe un afyle paifible ,
Et la terre abandonne aux monftres dévorans ,
De fon corps déchiré , les reftes expirans.
Ses manes agités d'une éternelle rage ,
En vain parmi les morts fe cherchent un paffage ;
L'enfer même l'enfer fe rend fourd à fes cris.
Si vous l'ofez , cruel , vengez - vous à ce prix.
Philoctete eft effrayé de cette image.
Ulyffe pour achever de le defarmer , &
pour frapper le dernier coup , preffe Pyrrhus
de partir. Renvoyez , dit - il , des
vaiffeaux qui puiffent tranfporter ce héros
par-tout où il voudra aller :
Maître du fort des Grecs , qu'il le foit de lui- mê
me.
Emmenez tous nos Grecs ; je refte près de lui.
Philoctete à ces mots s'écrie :
Ulyffe près de moi ! retire-toi barbare .
Ulyffe lui fait cette réplique admirable ,
qui le met pour ainfi dire au pied du mur .
Si votre coeur pour moi ne peut être adouci ,
Suivez les Grecs , Seigneur , & me laiffez ici.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Philoctete à ce trait demeure interdit.
Sa fille fe joint à Ulyffe , & embraſſe ſes
genoux pour le fléchir . Ce guerrier attendri
par les larmes de fa fille , céde à cette
derniere inftance . Il lui facrifie fon reffentiment
, conſent de l'unir à Pyrrhus , &
termine la piece en difant :
Le Ciel m'ouvre les yeux fur la vertu d'Ulyffe ,
Et femble m'annoncer la fin de mon fupplice :
En marchant fur les pas au rivage Troyen ,
Nous fuivrons le grand homme & le vrai citoyen.
On ne peut pas conduire ni dénouer
une piece avec plus d'art. Que M. de Châteaubrun
a tiré fur tout un heureux parti
de l'épifode de Sophie ! 'que fon Ulyffe eft
beau ! & que M. de la Noue l'a bien
rendu !
Ulyffe & Pyrrhus accompagnés de Démas
, ouvrent la fcene , qui eft dans l'ifle
de Lemnos , à vue de la caverne qui fert
de retraite à Philoctete . Le premier dit au
fils d'Achille , que Philoctete refpire dans
ce defert affreux , & que les Grecs ne peuvent
triompher de Troye fans le bras de ce
guerrier , uni à la valeur de Pyrrhus. Les
Dieux l'ont déclaré par la bouche de Calchas'
; cet Oracle eft un arrêt dont on ne
peut appeller. Si Philoctete n'eft ramené
JUIN. 1755. 181
dans l'armée , elle va périr dans l'opprobre
& dans la mifere. Pyrrhus impatient veut
courir vers Philoctete , mais Ulyffe le retient
, & l'inftruit du jufte courroux de ce
Prince contre les Grecs . Il lui apprend que
dès les premiers jours du fiége d'Ilion ,
Un Troyen le bleffa d'un dard envenimé
Par d'horribles douleurs le poiſon ſe déclare :
Mais fon ardeur s'éteint dans un profond fommeil,
Et jamais la douleur ne fuccéde au réveil.
A peine ce guerrier revoit-il la lumière ,
Qu'il retrouve fa voix &. fa force premiere ;
Jufqu'à d'autres accès fans ceffe renaiſſans ,
L'art épuifa fur lui fes fecours impuiffans.
Ce mal cruel rendit Philoctete fi farouche
qu'il devint infupportable à tous les
chefs , & particulierement aux Atrides
qu'il accabloit de reproches amers. Le Roi
d'Itaque , pour les en délivrer , joua le mécontent,
engagea Philoctete à le fuivre dans
l'ifle de Lemnos où il feignit de fe retirer ,
& l'abandonna feul dans ce defert pendant
fon fommeil. Ulyffe , après ce récit
recommande à Pyrrhus de ne pas le nommer
il lui confeille , pour arracher ce héros
de fa retraite , de feindre que la tempête
l'a pouflé fur ce rivage , qu'il à quitté
182 MERCURE DE FRANCE.
le camp des Grecs , & qu'il retourne à Scyros
, révolté contre un fiége fi lent , & indigné
de l'avarice fordide des chefs qui
ont fruftré fa valeur de fes droits . Pyrrhus
réfifte d'abord à ce confeil , la feinte répugne
à fon grand coeur ; mais Ulyffe lui
en fait fentir la néceffité & s'éloigne
pour le laiffer agir .
›
Pyrrhus refte avec Démas , & s'écrie en
jettant les regards fur l'entrée de la caverne
,
Mon oeil foutient à peine
Cet horrible tableau de la miſere humaine ;
Quelques vafes groffiers que le befoin conftruit ,
Des feuilles , des lambeaux qui lui fervent de lit.
Il voit fortir du fond de cet antre fauvage
une jeune beauté ; il eft frappé de
fes charmes , il l'aborde , & apprend d'elle
que fon nom eft Sophie , & qu'elle eft la
fille de Philoctete. Så tendreffe l'a conduite
dans cette ifle déferte pour y partager
le malheur de fon pere ; elle y aborda par
un naufrage. Nous allions périr , dit- elle ,
Hercule nous fecourut .
Il retint dans nos coeurs notre ame fugitive ,
Et fon bras bienfaiſant nous pouffa fur la rive.
Nous appellons mon pere , il s'avance vers nous.
Que n'éprouvai -je point dans un moment fi doux !
Avec quelle tendreffe il efluya mes larmes ↓
JUIN.
183 1755.
Combien für mon état témoigna-t- il d'allarmes !
Quels mouvemens confus de joie & de pitié ,
De fanglots mutuels qu'exhaloit l'amitié !
Les périls de la mer , mes craintes , ma mifere ,
J'oubliai tout , Seigneur , en embraffant mon pere
;
Voilà le langage naïf de la nature. Les
vers les plus pompeux valent - ils ceux
qu'elle infpire ? Cette fimplicité charmante
qui rend fi bien le fentiment , n'eſtelle
pas la vraie éloquence ? Pyrrhus témoigne
le defir qu'il a de voir Philoctete
Sophie répond, qu'armé d'un arc qui pourvoit
à leur fubfiftance , il erre dans les
bois , & qu'elle va le chercher. Pyrrhus
devant Démas fait éclater pour Sophie une
pitié qui laiffe entrevoir le premier trait
de l'amour. Démas lui repréfente qu'il ne
doit s'occuper que du foin de rendre Philoctete
aux Grecs prêts à périr.
Philoctete paroît avec Sophie , & marque
fa furprife à Pyrrhus , qu'il n'a jamais
vu , de le voir dans des lieux fi fauvages.
11 exprime en même tems fon reffentiment
contre les chefs de la Grece , & leur ingratitude
, par ces deux vers juftement applaudis
,
Les bienfaits n'avoient pu m'attacher les Atrides
:
Je fous apprivoifer jufqu'aux monftres avides.
184 MERCURE DE FRANCE.
Pyrrhus fe nomme ; Philoctere montre
une joie très- vive de voir en lui le fils
d'Achille dont il a toujours été l'ami ; mais
apprenant la mort de ce héros par la bouche
de fon fils , il s'écrie avec douleur
2
Achille eft mort , grands Dieux , & les Atrides
vivent
! Y
7 25377
Pyrrhus s'offre à conduire Philoctete &
fa fille dans leur patrie. Ce guerrier y
confent ; mais dans le moment qu'il veut
partir , il eft arrêté par un accès de fon
mal , qui l'oblige à rentrer dans fon antre
, & qui termine le premier acte. Y
101-20
Pyrrhus ouvre le fecond acte par ce beau
monologue , qui peint avec des couleurs
fi touchantes l'état de mifere & de douleur
où il vient de voir Philoctete dans la
caverne , ayant près de lui fa fille qui arrofoit
fes mains de larmes. Quel contraſte ,
dit- il , avec l'éducation qu'on nous donne !
p , cody courqu
"P
On écarte de nous juſqu'à l'ombre des maux
On n'offre à nos regards que de fiants tableaux
Pour ne point nous déplaire , on nous cache à
nous - mêmes ; ovo zng , ol mbase C
On ne nous entretient que de grandeurs fupre
-kot mes.unim un saciera'n aistroid as S11
On ajoûte à nos noms des noms ambitieux :
Autant que l'on le peut on fait de nous des Dieur.
JUIN.
185
1755 .
Victimes des flateurs , malheureux que nous fom
mes ,
Que ne nous apprend-t-on que les Rois font des
hommes !
·Démas furvient ; il exhorte Pyrrhus à
diffimuler encore pour engager Philoctete
à partir. La générofité de Pyrrhus attendri
s'en offenfe , & marque un vrai remords
d'avoir employé la feinte . Philoctete paroît
avec Sophie , & veut fe rendre au rivage.
Pyrrhus l'arrête. Philoctete furpris , lui en
demande la raifon . Le fatal fecret échappe
de la bouche du fils d'Achille, qui rougit de
commettre une perfidie , & lui déclare
qu'il le méne aux Atrides . A cet aveu le Roi
d'Eubée devient furieux. Pyrrhus l'inftruit
de la pofition des Grecs , & du befoin
qu'ils ont de fon bras pour renverfer
Troye , & s'arracher à une mort honteuſe ;
il le preffe en même tems d'immoler fon
reffentiment au falut de l'Etat. Philoctete
refufe de fe rendre , & fait des imprécations
contre Ulyffe & les autres chefs. Pyrrhus
lui répond , qu'il ne peut fe venger plus
noblement d'eux qu'en faifant triompher
fa patrie , & qu'en voyant Agamemnon
lui-même ramper à fes pieds. Philoctete
perfifte à ne point prêter fon fecours au
Roi d'Argos ; mais il propofe à Pyrrhus
186 MERCURE DE FRANCE.
d'aller combattre avec leurs foldats , & d'a
voir feuls la gloire de vaincre les Troyens.
Pyrrhus approuve ce parti ; mais comme il
entend du bruit , il s'éloigne avec Philoctete.
Démas qui les écoutoit , veut inftruire
Ulyffe du projet que ces deux guerriers
viennent de former ; mais le Roi d'Itaque
lui dit que les Grecs cachés avec lui fous
un rocher l'ont entendu , qu'ils ont réſolu
de les en punir ; & que s'il n'eût retenu
leur fureur , ils alloient fondre fur eux &
les immoler. Démas ajoûte qu'il craint encore
plus la fille que le pere . Ulyffe lui en
demande la raifon ; l'autre lui répond
que Pyrrhus adore Sophie."
›
Ulyffe en paroit allarmé , & quitte la
fcene en difant qu'il va voir avec les
Grecs ce qu'on doit oppofer à ce fatal
amour qui peut tout détruire.
I
Ulyffe ouvre le troifieme acte avec Démas.
Il tient un papier à la main , & dit à
Démas que les Grecs veulent entraîner
au camp Philoctete mort ou vivant , que
tel eft l'arrêt qu'ils viennent de figner ; &
que fi ce Prince refifte , ils veulent exterminer
fa famille , & faire fubir à fa fille
le fort d'Iphigénie . Ulyffe craint que Pyrrhus
ne prenne leur défenſe ; mais Démas
lui répond que fa résistance fera vaine , &
JUIN 1755. 187
que les Grecs viennent d'envelopper Philoctete
de toutes parts:
Pyrrhus paroît ; Ulyffe le preffe de partir
fans Philoctete , en difant qu'il ne veut
pas lui-même qu'on emmene ce guerrier au
camp . Pyrrhus s'excufe fur la pitié. Ulyffe
lui dit que la pitié dont il eft ému , n'eft
qu'un amour déguifé. Le premier répond
que l'amour n'eft pas un crime. Non , réplique
le Roi d'Itaque ,
Quand élevant le coeur , loin de l'humilier ,
Aux régles du devoir l'amour fçait le plier ,
Et ne l'enyvre point de fon poifon funefte :
Il eft fublime alors , la fource en eft céleste ,
Et c'eſt de cet amour que les Dieux font heureux.
Mais , Seigneur , quand l'amour , le bandeau fur
les yeux ,
Enchaîne le devoir aux pieds d'une maîtreffe ,
A des coeurs généreux n'infpire que foibleffe ,
Tient fous un joug d'airain leur courage foumis ,
Leur fait facrifier gloire , patrie , amis ,
Et des droits les plus faints rompt le noeud légitime
;
Alors , Seigneur , alors cet amour eft an crime.
Pyrrhus veut fe juftifier en difant qu'Achille
aima comme lui . Ulyffe lui repart
qu'il n'aima point aux dépens de fa gloire ,
& qu'il quitta tout pour elle. Il lui fait en
188 MERCURE DE FRANCE.
même tems une peinture pathétique de
l'état affreux où l'armée des Grecs fe trouve
réduite , ajoûtant qu'il va la joindre ,
& mourir fur le tombeau d'Achille , tandis
que fon fils refte tranquille à Lemnos
par l'amour. Ce trait réveille le
courage de Pyrrhus , & l'adroit Ulyffe pour
achever de le déterminer à le fuivre , lui
rapporte ainfi les dernieres paroles d'Achille
expirant , après qu'il l'eut arraché
lui-même des mains des Troyens .
enchaîné
Cher ami , me dit-il , cache-moi tes alarmes ;
Et laiffe- moi mourir parmi le bruit des armes. T
Par tes foins je fuis libre , & je refpire encor
Tu m'épargnes l'affront dont je flétris Hector.:
Que mon fils à jamais en garde la mémoire ,
Et te rende les foins que tu prens de ma gloire.
Sers-lui de pere , amis qu'il te ferve de fils . ' ; i
Voilà fes derniers voeux ; les avez-vous remplis
:
Pyrrhus eft prêt à partir , quand la préfence
de Sophie le retient il fe trouve
alors entre la gloire & l'amour, La premiere
foutenue par l'art d'Ulyffe , femble
d'abord l'emporter ; mais l'amour mieux
déféndu par les larmes de Sophie ', triomphe
enfin de Pyrrhus , & l'entraîne de fon
côté. Ce jeune héros en tournant les yeux
vers elle , s'écrie :
JUIN.
183 1755.
Quoi vous pleurez , courons à votre pere.
Il vole fur les pas de Sophie. Ulyffe fo
retire avec Démas , en difant que Pyrrhus
va fe perdre & combler le malheur de
Philoctete & de fa fille . Ce troifiéme Acte
eft d'une grande beauté .
Z Sophie commence le quatriéme Acte avec
Palmire fa gouvernante , & lui dit que fans
Pyrrhus les Grecs auroient furpris & enlevé
fon pere. Elle avoue avec cette ingé
nuité qui accompagne l'innocence , que
ce jeune héros lui a déclaré qu'il l'adoroit
, & qu'elle y a été fenfible par reconnoiffance
pour
le fervice qu'il a rendu à
fon pere. Palmire l'avertit de redouter les
effets de fa beauté . Je n'ai pas oublié , lui
répond Sophie , vos fages leçons.
Hélas ! cette beauté , ce charme fouverain ;
Dont le fexe s'honore , & qui le rend fi vain
Si la vertu n'en fait un ornement célefte ,
Eft , des Dieux irrités , le don le plus funefte.
" Philoctete arrive , & dit à fa fille qu'il
faut fauver l'honneur d'un pere infortuné ,
& lui remet un poignard. Sophie lui demande
quel ufage elle en doit faire : il répond
qu'il a vécu comme Hercule , &
qu'il veut mourir de même , ajoutant que
Le poifon peut encore lui porter une at
190 MERCURE DE FRANCE.
teinte , que les Grecs pourroient faifir, ce
moment pour le charger de fers , & qu'elle
doit le fouftraire à leur fureur , en faisant
ce qu'Hercule exigea de fon fils. Elle frémit
de commettre un parricide . Philoctete
defeſpéré de ce refus , s'écrie
s'écrie que dans
cette extrêmité il va lancer ces flèches redoutables
qui portent d'inévitables coups ,
& qu'il va commencer par Pyrrhus . Sophie
allarmée l'arrête , & lui apprend que
c'eft le fecours de Pyrrhus qui l'a dérobé à
l'audace des Grecs , & qu'elle en eft aimée.
Philoctete raffuré par l'amour de Pyrrhus
pour fa fille , la preffe de lui déclarer que
La flamme eft connue de fon pere , qui l'approuve
; mais que fi ce jeune guerrier ne
fe joint à lui pour les venger ,
elle rejette
avec dédain les offres de fa foi. Sophie le
lui jure , en lui difant tendrement qu'après
avoir partagé fa gloire , il eft jufte qu'elle
partage fon affront. Philoctete qui voit
venir Pyrrhus, rentre dans fon afyle , & recommande
à Sophie d'éprouver le coeur de
fon amant.
Pyrrhus dit à Sophie qu'il a fait retirer
les foldats , mais qu'elle engage fon pere
à remplir leurs voeux ; que le falut public
doit être un de fes bienfaits,, & qu'il ofe à
çe motif preffant joindre l'intérêt de fon
amour. Elle lui répond que Philoctete eft
JUI N. 1755. 191*
·
inftruit de fes feux , qu'il confent que
l'hymen les couronne , mais qu'il veut que
ces noeuds foient formés dans fes états .
Pyrrhus lui réplique en foupirant , que la
Grece l'implore , & qu'il ne peut l'abandonner,
Elle l'interrompt en lui difant que
puifque l'intérêt de fon pere & le fien lui
font moins chers que celui des Atrides ,
elle rend à fon amour les fermens qui le
lient. Seigneur , ajoute- t -elle ':
Plus grands dans nos deferts que vous ,
trône ,
fur votre
L'honneur nous tiendra lieu de fceptre & de cou
ronne.
Partez , laiffez -nous feuls dans ces fauvages lieux
La vertų pour témoin n'a befoin que des Dieux..
Pyrrhus lui fait entendre que Philoctete
a tout à craindre de la rage des Grecs. Sophie
répond que fa main va mettre un
frein à leurs droits prétendus , que fon
pere vient de l'armer d'un poignard , &
que fi les Grecs s'avançoient pour le pren
are , elle a juré de le plonger dans le coeur
de Philoctete
,› pour prévenir fa honte.
Pourriez-vous , lui dit Pyrrhus , verfer le
fang d'un pere ? elle s'écrie :
Que fçais-je leurs fureurs me ferviront de guid
des ? >
191 MERCURE DE FRANCE.
Un mortel fans honneur n'eſt plus qu'un monſtrë
affreux ,
Que tout autre homme abhorre , & qui craint
tous les yeux ;
Chaque regard l'infulte , & réveillant fa honte ;
De fon honneur perdu , lui redemande compte
Lui fait baiffer la vûe , & femble l'avertir
De fuir dans le tombeau qui devroit l'engloutir.
Pyrrhus frappé de ce tableau promet à
Sophie de périr plutôt mille fois que de
fouffrir que leurs foldats en viennent à
cette violence . Elle le quitte en lui re-.
commandant ainſi les jours de fon pere :
Etes-vous à l'abri du deſtin qui l'accable ›
Si les hommes , hélas ! réfléchiffoient fur eux ;
Ils répandroient des pleurs fur tous les malheu
reux.
Ulyffe vient apprendre à Pyrrhus que
les Troyens inftruits de l'oracle , ont profité
du tems de fon abſence pour attaquer
le camp , qu'ils font près de forcer fi luimême
ne vole au fecours des Grecs ; qu'ils
ont déja bleffé plufieurs chefs de l'armée
& qu'ils ont fouillé dans le tombeau d'Achille
, & difperfé les reftes de fon corps ,
qui font devenus la proie des chiens & des
vautours.
JUIN. 1755. 193
yautours. Pyrrhus devient furieux à cette
nouvelle , & veut voler au camp . Ulyffe
infifte alors pour enlever Philoctete , &
montre les foldats qui l'ont fuivi pour
cette exécution. Mais Pyrrhus s'écrie qu'ils
n'avancent point , que Philoctete eft armé
des traits du defefpoir , & que fa mort va
tromper leur eſpérance. Il termine le quatriéme
acte , en difant qu'il va tenter un
dernier effort auprès du pere de Sophie ,
& qu'après il s'abandonne tout entier aux
confeils d'Ulyffe.
Pyrrhus paroît d'abord feul au cinquiéme
acte , & dit à Ulyffe qui furvient , qu'il
n'a pu fléchir Philoctete. Le Roi d'Itaque
lui montre l'arrêt que la Grece a dicté contre
ce guerrier indomptable. Pyrrhus lui
repréfente qu'en livrant Philoctete à la
mort on venge la patrie , mais qu'on ne
la fauve pas. Ulyffe répond qu'avant
d'exécuter l'arrêt , il veut tout effayer , &
qu'il veut voir Philoctete , qui arrive dans
ce moment avec Sophie. C'eft ici cette admirable
fcene qui forme non feulement
un dénouement des plus heureux , mais
qui fait encore elle feule un des plus beaux
cinquiémes actes qui foient au théâtre :
il faudroit la tranfcrire toute entiere pour
en faire fentir toutes les beautés . Philoctete
à l'afpect d'Ulyffe s'écrie dans fa fu-
II.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
reur qu'on lui rende fes armes. Ce der
nier lui donne les fiennes. Philoctete veut
l'en percer , mais Pyrrhus l'arrête . Ce
guerrier les brave par ces deux vers , dont
le dernier eft digne de Corneille :
Un oracle accablant vous à glacés d'effroi.
Vous vous trouvez preffés entre les Dieux & moi.
Ulyffe lui dit de ne punir que lai , &
d'avoir pitié de fa patrie :
Graces à mon exil , cruel je n'en ai plus ,
Lui répond Philoctete :
•
Je voue à vos fureurs les Grecs que je détefte ;
Dieux ! épargnez Pyrrhus & foudroyez le refte .
Le fils d'Achille eſt révolté de cette imprécation
; mais Ulyffe combat alors Philoctete
avec tous les traits de fon éloquen-.
ce. Il l'attaque par fon foible , c'eſt - à- dire
par l'endroit le plus fenfible à fa gloire.p
Vous ofez (lui dit- il ) confpirer contre votre pays...
Quand un homme a formé ce projet parricide ,
On dévoue aux tourmens ce citoyen perfide :
Son opprobre s'attache aux flancs qui l'ont posté ,
Et fa honte le fuit dans fa poftérité .
A fes concitoyens fon nom eft exécrable ;
On recherche avec foin les traces dy coupable.
JUIN. 1755. 195
Rebut de l'univers , à foi- même odieux :
Il vit errant , fans loix , fans amis & fans Dieux.
Son fupplice aux mortels offre un exemple horri
ble ;
Le tombeau lui refuſe un afyle paifible ,
Et la terre abandonne aux monftres dévorans ,
De fon corps déchiré , les reftes expirans.
Ses manes agités d'une éternelle rage ,
En vain parmi les morts fe cherchent un paffage ;
L'enfer même l'enfer fe rend fourd à fes cris.
Si vous l'ofez , cruel , vengez - vous à ce prix.
Philoctete eft effrayé de cette image.
Ulyffe pour achever de le defarmer , &
pour frapper le dernier coup , preffe Pyrrhus
de partir. Renvoyez , dit - il , des
vaiffeaux qui puiffent tranfporter ce héros
par-tout où il voudra aller :
Maître du fort des Grecs , qu'il le foit de lui- mê
me.
Emmenez tous nos Grecs ; je refte près de lui.
Philoctete à ces mots s'écrie :
Ulyffe près de moi ! retire-toi barbare .
Ulyffe lui fait cette réplique admirable ,
qui le met pour ainfi dire au pied du mur .
Si votre coeur pour moi ne peut être adouci ,
Suivez les Grecs , Seigneur , & me laiffez ici.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Philoctete à ce trait demeure interdit.
Sa fille fe joint à Ulyffe , & embraſſe ſes
genoux pour le fléchir . Ce guerrier attendri
par les larmes de fa fille , céde à cette
derniere inftance . Il lui facrifie fon reffentiment
, conſent de l'unir à Pyrrhus , &
termine la piece en difant :
Le Ciel m'ouvre les yeux fur la vertu d'Ulyffe ,
Et femble m'annoncer la fin de mon fupplice :
En marchant fur les pas au rivage Troyen ,
Nous fuivrons le grand homme & le vrai citoyen.
On ne peut pas conduire ni dénouer
une piece avec plus d'art. Que M. de Châteaubrun
a tiré fur tout un heureux parti
de l'épifode de Sophie ! 'que fon Ulyffe eft
beau ! & que M. de la Noue l'a bien
rendu !
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Résumé : EXTRAIT DE PHILOCTETE.
L'extrait de 'Philoctète' se déroule sur l'île de Lemnos, où Ulysse et Pyrrhus discutent de la nécessité de ramener Philoctète, un guerrier essentiel à la victoire contre Troie. Philoctète, abandonné sur l'île en raison d'une blessure empoisonnée incurable, est décrit comme farouche et insupportable. Ulysse conseille à Pyrrhus de feindre un naufrage pour approcher Philoctète sans éveiller sa méfiance. Pyrrhus rencontre Sophie, la fille de Philoctète, et apprend son histoire. Philoctète apparaît ensuite, exprimant son ressentiment contre les Grecs. Pyrrhus se propose de les conduire, lui et Sophie, dans leur patrie, mais un accès de douleur oblige Philoctète à rentrer dans sa caverne. Dans le second acte, Pyrrhus exprime sa pitié pour la misère de Philoctète. Ulysse révèle à Pyrrhus que les Grecs sont prêts à tout pour ramener Philoctète. Philoctète, furieux, refuse de se rendre aux Grecs. Pyrrhus propose alors de combattre avec lui contre les Troyens, sans les autres Grecs. Dans le troisième acte, Ulysse et Démas discutent de la manière de capturer Philoctète. Pyrrhus, partagé entre son amour pour Sophie et son devoir, finit par choisir l'amour. Sophie avoue à sa gouvernante qu'elle aime Pyrrhus. Dans le quatrième acte, Sophie révèle à Philoctète l'amour de Pyrrhus et son aide contre les Grecs. Philoctète accepte leur union à condition que Pyrrhus les aide à se venger. Pyrrhus, pressé par Sophie, accepte de rejoindre Philoctète pour combattre les Troyens, malgré les appels de la Grèce. Dans le cinquième acte, Ulysse montre à Philoctète un arrêt de mort dicté par la Grèce. Philoctète, face à Ulysse, exige ses armes mais est arrêté par Pyrrhus. Ulysse utilise son éloquence pour convaincre Philoctète de renoncer à sa vengeance, en lui décrivant les horreurs réservées aux traîtres. Touché par les larmes de sa fille Sophie, Philoctète cède et accepte de se réconcilier. La pièce se termine par l'union de Sophie et Pyrrhus, et Philoctète reconnaît la vertu d'Ulysse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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127
p. 159-172
ARCHITECTURE. Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
Début :
Une société de Gens de Lettres, vient de publier un nouveau volume de ses [...]
Mots clefs :
Architecture, Architecte, Mémoires, Gloire, Architecture antique, Église, Édifices, Goût, Portail, Marchés, Louvre, Bâtiment, Société de gens de Lettres
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texteReconnaissance textuelle : ARCHITECTURE. Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
ARCHITECTURE.
Mercure du mois de Juin de l'année 2355-
Ne fociété de Gens de Lettres , vient
de publier un nouveau volume de fes
Mémoires *.
C'eft une chofe admirable que la vertueuſe
ténacité avec laquelle cet illuftre
corps s'attache à multiplier fes découvertes
fur nos antiquités françoiſes .
J'en rendrai compte , non fuivant l'ordre
felon lequel les Mémoires font arrangés
dans le volume , mais en mettant de
* Ces mémoires fontd'autant plus rares , qu'ils
font l'ouvrage des fçavans qui font à naître , &
qu'ils ont été faits plufieurs fiecles après le nôtre.
Jufqu'ici l'érudition avoit employé fa fagacité à
débrouiller le cahos des tems paffés , mais elle
étend aujourd'hui fes lumieres jufqu'à percer les
ténébres d'un âge à venir. C'eſt donner un être à
la poffibilité , c'eft réaliſer les conjectures , & ( ce
que j'eftime le plus dans ce morceau , ) c'est trouver
une maniere auffi nouvelle qu'ingénieufe , de
louer le fiecle préfent , fans bleffer la modeftie de
perfonne. Je crois faire un vrai préſent au public
de l'inférer dans mon journal.
160 MERCURE DE FRANCE.
fuite ceux qui traittent des matieres qui ont
du rapport les unes aux autres. Ainfi , je
rapporterai d'abord ceux qui concernent
l'Architecture antique.
Le premier eft celui du célébre M. Scarcher
, déja connu par tant d'ouvrages remplis
de la plus profonde érudition , il Y
traite des reftes d'Architecture de l'ancienne
ville de Paris. Il prouve d'abord d'une
maniere irréfiftible que le quartier de la
Cour , que nous diftinguons fous le nom
de quartier de Verfailles , étoit autrefois
hors de la ville de Paris , & qu'il y avoit
même une étendue confidérable de terrein
inhabité entre l'une & l'autre , il prétend
qu'alors la ville n'avoit qu'environ une
lieue d'étendue. On eft furpris , fans doute ,
de voir que cette ville magnifique ait eû
de fifoibles commencemens. Cependant il
eft difficile de fe refufer à la force des
ves qu'il a recueillies avec un courage infatigable
dans une quantité prodigieufe
d'anciens livres qu'il lui a fallu parcourir.
Il entreprend de prouver que la ville finiffoit
où l'on voit à préfent cette admirable
ftatue du grand Roi Louis XV. qui fut
furnommé par fes fujets le Bien -aimé
comme on le voit par les infcriptions de
la ftatue qui nous refte auffi bien confervée
que fi elle fortoit de la fonte , & qui
preuJUILLET.
1755 161
durera moins encore que la mémoire d'un
fi beau titre & la gloire de ce grand Monarque.
Enfuite il fait voir par un raifonnement
très étendu & plein d'érudition , que le
pont qu'on nomme Royal a pris fon nom
de cette ſtatue, contre le fentiment de quelques-
uns qui croyent qu'il fe nommoit
ainfi avant qu'elle fut érigée, Ce qu'il dit
fur ce fujer eft fi evident qu'il ne femble
pas qu'on puiffe le contefter d'avantage.
Il paffe enfuite à des recherches trèscurieufes
fur le merveilleux bâtiment du
Louvre , il réfute furabondamment le mémoire
donné dans la même Société l'année
précédente où l'on avoit avancé que ce fuperbe
édifice avoit été achevé & porté à fon
entiere perfection fous le regne de Louis
XIV. fondé fur l'autorité des Hiftoires ,
confervées dans les anciennes bibliothetheques
; il fait voir qu'il a été long- temps
abandonné à caufe des guerres qui ont troublé
la fin du XVIIe fiécle & le commencement
du XVIII , & qui ont affuré à la
France la fupériorité fur fes voifins , la
fplendeur & le repos dont elle jouit depuis
ces deux fiécles également célébres . Il rapporte
à ce fujet un trait d'hiftoire curieux
où l'on voit que celui qui étoit alors à la
tête des Arts , fecondant avec zele & avec
162 MERCURE DE FRANCE.
un goût peu commun , les intentions & l'inclination
du Roy régnant , pour les grandes
chofes , entreprit de reftaurer & d'achever
cet édifice , dont une partie tomboit
en ruine. Il fixe la datte de cet important
événement vers le milieu du XVIIIe fiécle .
"
Il détruit enfuite entiérement l'objection
la plus impofante que fon antagoniſte
avoit alléguée contre la vérité de ce fait
qui étoit le peu de vraisemblance qu'il
trouvoit à croire qu'une perfonne en place
pût avoir abandonné la gloire de conftruire
de nouveaux édifices , & s'être contentée
de celle d'amener à leur fin les ouvrages
commencés par fes prédéceffeurs , qui
méritoient d'être confervés à la postérité.
M. Scarcher fait voir combien cette idée
eft fauffe , & qu'elle n'eft fondée que fur
la reffemblance que nous fuppofons entre
les hommes d'alors , & ceux du temps où
nous vivons. Il eſt bien vrai que de nos
jours nous voyons rarement achever les
grandes entrepriſes , parce qu'il eft du bon
air de ne point fuivre les maximes ni les
idées de fes prédéceffeurs , mais il n'en
étoit pas ainfi dans ces temps héroïques ;
chacun mettoit fa gloire à contribuer autant
qu'il étoit en lui à celle du Roy
régnant , & lorfque le moyen le plus digne
avoit été trouvé par fon devancier , on le
JUILLET. 1755. 163
fuivoit fans difficulté. D'ailleurs , on ne
peut pas dire que le Supérieur de ces tempslà
fe foit uniquement borné à fuivre ou à
finir ce que les autres avoient tracé . Il nous
refte plufieurs édifices très confidérables
& d'une grande beauté qui ont été commencés
& achevés fous ce regne.
On ne peut trop admirer la facilité & la
juftefle avec laquelle notre Sçavant éclaircit
ces temps que leur éloignement nous
rend fi obfcurs . Si d'une part il nous fait
voir avec certitude que ce fuperbe bâtiment
a été négligé pendant quelques années
, en même temps il s'éleve avec la plus
grande force contre ceux qui ont avancé
que pendant long-temps cet édifice a été
environné d'écuries , de petites maiſons ,
même d'échoppes. Il fait voir quelle abfurdité
il y a à penfer que dans un fiècle auffi
éclairé , on ait fouffert une pareille profanation
, ce qu'il dit là- deffus eft rempli
d'éloquence.
J'abrege quantité de réflexions non moins
curieufes qu'il fait fur les beautés du Lou
vre & qu'il faut lire dans l'original , pour
paffer à ce qu'il dit fur l'Eglife antique de
fainte Génevieve de la montagne. Il croit
que cet admirable édifice a été bâti par le
même architecte que le fuperbe périftile du
Louvre. La tradition reçue jufqu'à préfent
164 MERCURE DE FRANCE.
étoit que cette églife avoit été commencée
vers le milieu du dix -huitiéme fiécle : en
admettant fes preuves , il faudroit en établir
la datte environ un fiécle plûtôt , ce
qui répugne un peu à la beauté de fa confervation
, cependant les raifons qu'il apporte
ne font point à rejetter. Il s'appuie
fur le fentiment de nos plus habiles architectes
, qui en conſidérant la noble ſimplicité
du goût de cette architecture , y reconnoiffent
le même ſtile qu'au Louvre , quoique
dans une compofition différente. Ils
prétendent que le goût du dix- huitiéme
fiécle a été inférieur , à en juger par quelques
reftes de bâtimens dont la datte eft
certaine & par quelques écrits de ces
temps- là qui font remplis de plaintes contre
le mauvais goût qui régnoit alors , &
où l'on en explique les défauts de maniere
à nous en donner une idée affez diftincte.
Or , on ne voit aucun de ces défauts ni
dans cette églife , ni au Louvre ; au contraire
ces édifices font encore les regles du
vrai beau .
La feconde preuve qu'il tire du nom
de l'architecte , fait voir avec quelle fagacité
il éclaircit les antiquités les plus épineuſes.
L'hiſtoire nous a confervé le nom
de l'architecte de ce beau periftile du Louvre
qui regarde le Levant , il fe nommoit
JUILLE T. 1755. 165
Perrault. M. Scarcher prouve à travers
mille difficultés que c'eft ce même nom qui
eft tracé à fainte Genevieve , & qui eft tellement
effacé , qu'il n'y a qu'un homme
auffi verfé dans les antiquités que M. Scarcher
, qui puiffe nous en donner l'intelligence.
La premiere difficulté qui fe rencontre
eft que le nom de Perrault eft compofé
de huit lettres & qu'on n'en apperçoit
que fept dans les foibles traces qui restent
fur ce marbre ; mais nous verrons bien-tôt
comment on doit expliquer cela. Les deux
dernieres lettres de ce nom , qui fe voyent
encore affez diftin&tement , font OT, & il
ya tout lieu de croire que celle qui les
précede eft une L. M. Scarcher prouve premierement
par un grand nombre d'autorités
refpectables que les anciens François
prononçoient la diphtongue an , de même
que la lettre o , & qu'ainfi ils mettoient indifféremment
l'une pour l'autre. Cette découverte
répond en même temps d'une ma
niere évidente à la premiere difficulté des
fept premieres lettres qui fe trouvent à
fainte Génevieve au lieu de huit , que demande
fa fuppofition , car il eft clair qu'ici
la lettre o tient lieu de deux . Il reste la difficulté
de L qui fe trouve avant l'O , au
lieu que dans le nom de Perrault , elle ſe
trouve après an. 11 y fatisfait du moins
曩
166 MERCURE DE FRANCE .
d'une maniere probable , en difant qu'il eft
poffible que la modeſtie de l'architecte
l'ayant empêché d'y mettre lui-même fon
nom , il n'a été mis qu'après la mort , &
que ceux qui l'ont gravé , l'ont ainfi défiguré
, ou par corruption , ou plûtôt parce
que c'étoit en effet la véritable prononciation
de ce temps- là , comme nous voyons
encore dans le nôtre que les Allemands
prononcent Makre quoiqu'ils écrivent Maker
, ainfi on peut avoir prononcé OLT,
quoiqu'il foit écrit LOT. Nous nous fommes
un peu étendus fur cet article , quoique
nous l'ayons beaucoup abrégé , parce
que c'eft un des plus importans de ce fçavant
mémoire & celui où l'on découvre la
plus rare érudition ; s'il y a quelque choſe
qui paroiffe inadmiffible , c'eft cet excès
de modeſtie qu'il ſuppoſe dans un architecte
; mais encore une fois , nous ne deyons
pas juger des hommes de ces fiécles
vertueux par ceux du nôtre. Il reſte encore
une objection. Plufieurs fçavans ont prétendu
que la premiere lettre de ce nom eft
une S , & qu'il eft difficile avec les traces
qui en reftent d'en faire un P * . C'eſt là
* Il y en a qui vont plus loin . Ayant de meilleurs
yeux , ils ont cru entrevoir uneƒavant l , &
fuppléant à la diphtongue qui manque , ils ont
conjecturé que le véritable nom de l'architecte
JUILLET. 1755- 167
qu'il faut voir M. Scarcher employer toutes
les forces de fon éloquence pour y trouver
un P , il faut le lire dans l'original ,
mais il eft vrai qu'il eft bien difficile quand
on l'a lû de ne l'y pas trouver avec lui ,
malgré les difficultés que préfente l'infpection
du marbre.
M. Scarcher traite enfuite des reftes antiques
de l'Eglife de faint Pierre & faint
Paul , qu'une tradition fans fondement
nomme faint Sulpice. Il démontre que nous
n'avons pas cet édifice ( dont il ne refte
prefque que le portail ) tel qu'il a été bâti .
Que les arcades qui font au fecond ordre ,
y ont été conftruites depuis par quelque
raifon de folidité occafionnée par les ravages
du temps , & qu'il n'y a nulle apparènce
qu'un architecte de ce mérite eut mis ces
maffifs au fecond ordre n'en ayant pas mis
au premier , c'eft- à-dire , le fort fur le
foible. Il prouve encore que les coloffes
monftrueux qui font fur les tours , ont été
pareillement ajoûtés par quelque raifon de
dévotion populaire , qui a voulu que l'on
vit les patrons de cette églife les plus
grands qu'il étoit poffible ; que les tours
ont été terminées en ligne droite par l'architecte
premier auteur de cet édifice , &
étoit Sauflot ou Souflot. J'avoue que je ferois affez
de ce dernier ſentiment,
168 MERCURE DE FRANCE:
que le couronnement que nous y voyons
maintenant eft une augmentation faite
dans un fiecle où le goût avoit dégénéré.
Il ne paroît pas auffi bien fondé , lorfqu'il
foutient que le fronton eft dans le même
cas d'être venu après coup. Il prétend
décider le problême qui embarraffe tous
nos architectes , c'est - à - dire , l'impoffibilité
qu'il y a que l'églife dont nous jugeons
par quelques arcades demi ruinées
qui fubfiftent encore , puiffe avoir été liée
avec ce portail . En effet , on ne voit aucune
hauteur ni aucune ligne qui y ait du rapport.
Il dit qu'alors l'intérieur de l'égliſe
étoit à deux ordres l'un fur l'autre femblables
à ceux du portail avec un rang de galleries
regnant tout au tour, que cette églife
ayant été détruite ou par quelque accident
ou par la barbarie des fiecles fuivans , on a
édifié à fa place ce bâtiment irrégulier qui
s'y accorde fi peu ; ce qui donne quelque
vraisemblance à fa fuppofition , c'eft qu'indépendamment
de leur peu de rapport avec
le portail ces fragmens qui nous reftent
n'en ont pas même entr'eux . Ce fentiment
n'eft cependant pas fans difficulté , on a
peine à concevoir que dans l'efpace de
temps qui s'est écoulé depuis fa premiere
conftruction , une égliſe auffi bien bâtie
que celle qui devoit tenir à ce portail , ait
été
JUILLET. 1755. 169
été détruite , relevée une feconde fois aufli
folidement que nous le voyons par ces
reftes , & encore ruinée . On ne peut que
difficilement fuppofer qu'elle ait été abbattue
exprès , d'ailleurs nous ne connoiffons
point de fiecle de barbarie depuis ces temps
mémorables. Les arts ont toujours été floriffans
, & n'ont fait que fe perfectionner
jufqu'au point d'élévation où nous les
voyons maintenant. M. Scarcher permettra
que nous ne nous rendions pas encore
fur cet article , & que nous attendions des
preuves plus fortes que le temps & fon
profond fçavoir lui feront découvrir.
Notre favant auteur paffe enfuite à un
refte de bâtiment ancien qu'on croit avoir
été une églife fous l'invocation de faint
Roch. Ce qu'on trouve de plus fatisfaiſant
dans les réflexions de M. Scarcher fur cette
églife , ce font les raifons dont il s'appuye
pour détruire le fentiment de ceux qui foutiennent
que le double focle qui porte les
arcades de la nef a été apparent dans fa
premiere conftruction . Il fait voir que le
focle d'enbas étoit la fondation qui fe trouvoit
enfevelie dans l'intérieur du terrein
qu'il n'eft vifible que parce qu'on a baiffé
le terrein intérieur de l'églife , & combien
il eft ridicule de penfer que jamais aucun
architecte fe foit avifé de mettre deux fo-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cles l'un fur l'autre , & fi élévés que les
bazes des colonnes font de beaucoup audeffus
de la vue. Il établit une feconde
preuve fur ce qu'on trouve par d'anciennes
eftampes qu'on croit gravées dans ces mêmes
tems , qu'il y a eu 15 ou 16 marches
pour monter à cette églife , au lieu qu'à
préfent il ne s'en trouve que cinq. Selon
fon idée , on a détruit les marches qui
montoient jufqu'au niveau du premier
focle. Ce fentiment n'eft probable que dans
la fuppofition que les marches que l'on y
voit maintenant ne font point du tout les
anciennes , car il auroit fallu pour monter
jufqu'à la hauteur des bazes du portail
qu'elles n'euffent laiffé aucun pallier ; ce
qui , quoique poffible , laiffe quelque doute
, d'autant plus qu'en calculant la hauteur
& l'enfoncement que produifent un
nombre de marches femblables à celles qui
reftent , on n'y trouve pas un rapport jufte
avec le nombre des marches indiquées dans
l'eftampe , il eft vrai qu'il ajoute une raifon
plaufible pour remédier au défaut de
juftelle du calcul de ces marches , il fait
remarquer que naturellement le terrein
des villes fe hauffe par un abus auquel on
ne fonge point à tenir la main , parce que
l'on apporte toujours & qu'on ne remporte
jamais. Tout ceci porta un caractere de
JUILLET. 1755. 171
vraisemblance auquel on a peine à ſe
refufer.
·
Il entreprend de prouver que cette églife
précede au moins d'un fiecle le bâtiment
du Louvre , c'est- à- dire , avant que la bonne
architecture fut bien connue . Premierement
par le défaut infupportable des bazes
& des chapiteaux des colomnes qui ſe pénetrent
avec les pilaftres , défaut ridicule
qu'on n'eut jamais fouffert dans un fiecle
plus éclairé. Secondement , par les fauffes
courbes qui font l'enfoncement des efpeces
de niches où font les petites portes de
l'églife . Il prétend que ces courbes font
les effais par où l'on a commencé avant
que de trouver les formes régulieres . Cette
feconde preuve n'eſt pas de la force de la
premiere , car on trouve plufieurs édifices
dont la datte eft certaine , & qui font conftruits
plus d'un fiecle & demi après , où
l'on voit ces mêmes courbes employées &
de plus mauvaiſes encore , d'ailleurs plufieurs
fçavans prétendent quele propre de
l'efprit humain , eft de trouver d'abord
tour naturellement le fimple qui eft le vrai
beau ; & que le goût ne fe corrompt qu'à
force de vouloir aller au-delà.
Au refte , il eft fi difficile de pénétrer
dans ces tems anciens , que les conjectures
vraisemblables doivent être regardées
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
comme des démonftrations . Ce mémoire
renferme quantité de recherches intéreſfantes
aufquelles je renvoye le lecteur
pour ne pas être trop long.
Mercure du mois de Juin de l'année 2355-
Ne fociété de Gens de Lettres , vient
de publier un nouveau volume de fes
Mémoires *.
C'eft une chofe admirable que la vertueuſe
ténacité avec laquelle cet illuftre
corps s'attache à multiplier fes découvertes
fur nos antiquités françoiſes .
J'en rendrai compte , non fuivant l'ordre
felon lequel les Mémoires font arrangés
dans le volume , mais en mettant de
* Ces mémoires fontd'autant plus rares , qu'ils
font l'ouvrage des fçavans qui font à naître , &
qu'ils ont été faits plufieurs fiecles après le nôtre.
Jufqu'ici l'érudition avoit employé fa fagacité à
débrouiller le cahos des tems paffés , mais elle
étend aujourd'hui fes lumieres jufqu'à percer les
ténébres d'un âge à venir. C'eſt donner un être à
la poffibilité , c'eft réaliſer les conjectures , & ( ce
que j'eftime le plus dans ce morceau , ) c'est trouver
une maniere auffi nouvelle qu'ingénieufe , de
louer le fiecle préfent , fans bleffer la modeftie de
perfonne. Je crois faire un vrai préſent au public
de l'inférer dans mon journal.
160 MERCURE DE FRANCE.
fuite ceux qui traittent des matieres qui ont
du rapport les unes aux autres. Ainfi , je
rapporterai d'abord ceux qui concernent
l'Architecture antique.
Le premier eft celui du célébre M. Scarcher
, déja connu par tant d'ouvrages remplis
de la plus profonde érudition , il Y
traite des reftes d'Architecture de l'ancienne
ville de Paris. Il prouve d'abord d'une
maniere irréfiftible que le quartier de la
Cour , que nous diftinguons fous le nom
de quartier de Verfailles , étoit autrefois
hors de la ville de Paris , & qu'il y avoit
même une étendue confidérable de terrein
inhabité entre l'une & l'autre , il prétend
qu'alors la ville n'avoit qu'environ une
lieue d'étendue. On eft furpris , fans doute ,
de voir que cette ville magnifique ait eû
de fifoibles commencemens. Cependant il
eft difficile de fe refufer à la force des
ves qu'il a recueillies avec un courage infatigable
dans une quantité prodigieufe
d'anciens livres qu'il lui a fallu parcourir.
Il entreprend de prouver que la ville finiffoit
où l'on voit à préfent cette admirable
ftatue du grand Roi Louis XV. qui fut
furnommé par fes fujets le Bien -aimé
comme on le voit par les infcriptions de
la ftatue qui nous refte auffi bien confervée
que fi elle fortoit de la fonte , & qui
preuJUILLET.
1755 161
durera moins encore que la mémoire d'un
fi beau titre & la gloire de ce grand Monarque.
Enfuite il fait voir par un raifonnement
très étendu & plein d'érudition , que le
pont qu'on nomme Royal a pris fon nom
de cette ſtatue, contre le fentiment de quelques-
uns qui croyent qu'il fe nommoit
ainfi avant qu'elle fut érigée, Ce qu'il dit
fur ce fujer eft fi evident qu'il ne femble
pas qu'on puiffe le contefter d'avantage.
Il paffe enfuite à des recherches trèscurieufes
fur le merveilleux bâtiment du
Louvre , il réfute furabondamment le mémoire
donné dans la même Société l'année
précédente où l'on avoit avancé que ce fuperbe
édifice avoit été achevé & porté à fon
entiere perfection fous le regne de Louis
XIV. fondé fur l'autorité des Hiftoires ,
confervées dans les anciennes bibliothetheques
; il fait voir qu'il a été long- temps
abandonné à caufe des guerres qui ont troublé
la fin du XVIIe fiécle & le commencement
du XVIII , & qui ont affuré à la
France la fupériorité fur fes voifins , la
fplendeur & le repos dont elle jouit depuis
ces deux fiécles également célébres . Il rapporte
à ce fujet un trait d'hiftoire curieux
où l'on voit que celui qui étoit alors à la
tête des Arts , fecondant avec zele & avec
162 MERCURE DE FRANCE.
un goût peu commun , les intentions & l'inclination
du Roy régnant , pour les grandes
chofes , entreprit de reftaurer & d'achever
cet édifice , dont une partie tomboit
en ruine. Il fixe la datte de cet important
événement vers le milieu du XVIIIe fiécle .
"
Il détruit enfuite entiérement l'objection
la plus impofante que fon antagoniſte
avoit alléguée contre la vérité de ce fait
qui étoit le peu de vraisemblance qu'il
trouvoit à croire qu'une perfonne en place
pût avoir abandonné la gloire de conftruire
de nouveaux édifices , & s'être contentée
de celle d'amener à leur fin les ouvrages
commencés par fes prédéceffeurs , qui
méritoient d'être confervés à la postérité.
M. Scarcher fait voir combien cette idée
eft fauffe , & qu'elle n'eft fondée que fur
la reffemblance que nous fuppofons entre
les hommes d'alors , & ceux du temps où
nous vivons. Il eſt bien vrai que de nos
jours nous voyons rarement achever les
grandes entrepriſes , parce qu'il eft du bon
air de ne point fuivre les maximes ni les
idées de fes prédéceffeurs , mais il n'en
étoit pas ainfi dans ces temps héroïques ;
chacun mettoit fa gloire à contribuer autant
qu'il étoit en lui à celle du Roy
régnant , & lorfque le moyen le plus digne
avoit été trouvé par fon devancier , on le
JUILLET. 1755. 163
fuivoit fans difficulté. D'ailleurs , on ne
peut pas dire que le Supérieur de ces tempslà
fe foit uniquement borné à fuivre ou à
finir ce que les autres avoient tracé . Il nous
refte plufieurs édifices très confidérables
& d'une grande beauté qui ont été commencés
& achevés fous ce regne.
On ne peut trop admirer la facilité & la
juftefle avec laquelle notre Sçavant éclaircit
ces temps que leur éloignement nous
rend fi obfcurs . Si d'une part il nous fait
voir avec certitude que ce fuperbe bâtiment
a été négligé pendant quelques années
, en même temps il s'éleve avec la plus
grande force contre ceux qui ont avancé
que pendant long-temps cet édifice a été
environné d'écuries , de petites maiſons ,
même d'échoppes. Il fait voir quelle abfurdité
il y a à penfer que dans un fiècle auffi
éclairé , on ait fouffert une pareille profanation
, ce qu'il dit là- deffus eft rempli
d'éloquence.
J'abrege quantité de réflexions non moins
curieufes qu'il fait fur les beautés du Lou
vre & qu'il faut lire dans l'original , pour
paffer à ce qu'il dit fur l'Eglife antique de
fainte Génevieve de la montagne. Il croit
que cet admirable édifice a été bâti par le
même architecte que le fuperbe périftile du
Louvre. La tradition reçue jufqu'à préfent
164 MERCURE DE FRANCE.
étoit que cette églife avoit été commencée
vers le milieu du dix -huitiéme fiécle : en
admettant fes preuves , il faudroit en établir
la datte environ un fiécle plûtôt , ce
qui répugne un peu à la beauté de fa confervation
, cependant les raifons qu'il apporte
ne font point à rejetter. Il s'appuie
fur le fentiment de nos plus habiles architectes
, qui en conſidérant la noble ſimplicité
du goût de cette architecture , y reconnoiffent
le même ſtile qu'au Louvre , quoique
dans une compofition différente. Ils
prétendent que le goût du dix- huitiéme
fiécle a été inférieur , à en juger par quelques
reftes de bâtimens dont la datte eft
certaine & par quelques écrits de ces
temps- là qui font remplis de plaintes contre
le mauvais goût qui régnoit alors , &
où l'on en explique les défauts de maniere
à nous en donner une idée affez diftincte.
Or , on ne voit aucun de ces défauts ni
dans cette églife , ni au Louvre ; au contraire
ces édifices font encore les regles du
vrai beau .
La feconde preuve qu'il tire du nom
de l'architecte , fait voir avec quelle fagacité
il éclaircit les antiquités les plus épineuſes.
L'hiſtoire nous a confervé le nom
de l'architecte de ce beau periftile du Louvre
qui regarde le Levant , il fe nommoit
JUILLE T. 1755. 165
Perrault. M. Scarcher prouve à travers
mille difficultés que c'eft ce même nom qui
eft tracé à fainte Genevieve , & qui eft tellement
effacé , qu'il n'y a qu'un homme
auffi verfé dans les antiquités que M. Scarcher
, qui puiffe nous en donner l'intelligence.
La premiere difficulté qui fe rencontre
eft que le nom de Perrault eft compofé
de huit lettres & qu'on n'en apperçoit
que fept dans les foibles traces qui restent
fur ce marbre ; mais nous verrons bien-tôt
comment on doit expliquer cela. Les deux
dernieres lettres de ce nom , qui fe voyent
encore affez diftin&tement , font OT, & il
ya tout lieu de croire que celle qui les
précede eft une L. M. Scarcher prouve premierement
par un grand nombre d'autorités
refpectables que les anciens François
prononçoient la diphtongue an , de même
que la lettre o , & qu'ainfi ils mettoient indifféremment
l'une pour l'autre. Cette découverte
répond en même temps d'une ma
niere évidente à la premiere difficulté des
fept premieres lettres qui fe trouvent à
fainte Génevieve au lieu de huit , que demande
fa fuppofition , car il eft clair qu'ici
la lettre o tient lieu de deux . Il reste la difficulté
de L qui fe trouve avant l'O , au
lieu que dans le nom de Perrault , elle ſe
trouve après an. 11 y fatisfait du moins
曩
166 MERCURE DE FRANCE .
d'une maniere probable , en difant qu'il eft
poffible que la modeſtie de l'architecte
l'ayant empêché d'y mettre lui-même fon
nom , il n'a été mis qu'après la mort , &
que ceux qui l'ont gravé , l'ont ainfi défiguré
, ou par corruption , ou plûtôt parce
que c'étoit en effet la véritable prononciation
de ce temps- là , comme nous voyons
encore dans le nôtre que les Allemands
prononcent Makre quoiqu'ils écrivent Maker
, ainfi on peut avoir prononcé OLT,
quoiqu'il foit écrit LOT. Nous nous fommes
un peu étendus fur cet article , quoique
nous l'ayons beaucoup abrégé , parce
que c'eft un des plus importans de ce fçavant
mémoire & celui où l'on découvre la
plus rare érudition ; s'il y a quelque choſe
qui paroiffe inadmiffible , c'eft cet excès
de modeſtie qu'il ſuppoſe dans un architecte
; mais encore une fois , nous ne deyons
pas juger des hommes de ces fiécles
vertueux par ceux du nôtre. Il reſte encore
une objection. Plufieurs fçavans ont prétendu
que la premiere lettre de ce nom eft
une S , & qu'il eft difficile avec les traces
qui en reftent d'en faire un P * . C'eſt là
* Il y en a qui vont plus loin . Ayant de meilleurs
yeux , ils ont cru entrevoir uneƒavant l , &
fuppléant à la diphtongue qui manque , ils ont
conjecturé que le véritable nom de l'architecte
JUILLET. 1755- 167
qu'il faut voir M. Scarcher employer toutes
les forces de fon éloquence pour y trouver
un P , il faut le lire dans l'original ,
mais il eft vrai qu'il eft bien difficile quand
on l'a lû de ne l'y pas trouver avec lui ,
malgré les difficultés que préfente l'infpection
du marbre.
M. Scarcher traite enfuite des reftes antiques
de l'Eglife de faint Pierre & faint
Paul , qu'une tradition fans fondement
nomme faint Sulpice. Il démontre que nous
n'avons pas cet édifice ( dont il ne refte
prefque que le portail ) tel qu'il a été bâti .
Que les arcades qui font au fecond ordre ,
y ont été conftruites depuis par quelque
raifon de folidité occafionnée par les ravages
du temps , & qu'il n'y a nulle apparènce
qu'un architecte de ce mérite eut mis ces
maffifs au fecond ordre n'en ayant pas mis
au premier , c'eft- à-dire , le fort fur le
foible. Il prouve encore que les coloffes
monftrueux qui font fur les tours , ont été
pareillement ajoûtés par quelque raifon de
dévotion populaire , qui a voulu que l'on
vit les patrons de cette églife les plus
grands qu'il étoit poffible ; que les tours
ont été terminées en ligne droite par l'architecte
premier auteur de cet édifice , &
étoit Sauflot ou Souflot. J'avoue que je ferois affez
de ce dernier ſentiment,
168 MERCURE DE FRANCE:
que le couronnement que nous y voyons
maintenant eft une augmentation faite
dans un fiecle où le goût avoit dégénéré.
Il ne paroît pas auffi bien fondé , lorfqu'il
foutient que le fronton eft dans le même
cas d'être venu après coup. Il prétend
décider le problême qui embarraffe tous
nos architectes , c'est - à - dire , l'impoffibilité
qu'il y a que l'églife dont nous jugeons
par quelques arcades demi ruinées
qui fubfiftent encore , puiffe avoir été liée
avec ce portail . En effet , on ne voit aucune
hauteur ni aucune ligne qui y ait du rapport.
Il dit qu'alors l'intérieur de l'égliſe
étoit à deux ordres l'un fur l'autre femblables
à ceux du portail avec un rang de galleries
regnant tout au tour, que cette églife
ayant été détruite ou par quelque accident
ou par la barbarie des fiecles fuivans , on a
édifié à fa place ce bâtiment irrégulier qui
s'y accorde fi peu ; ce qui donne quelque
vraisemblance à fa fuppofition , c'eft qu'indépendamment
de leur peu de rapport avec
le portail ces fragmens qui nous reftent
n'en ont pas même entr'eux . Ce fentiment
n'eft cependant pas fans difficulté , on a
peine à concevoir que dans l'efpace de
temps qui s'est écoulé depuis fa premiere
conftruction , une égliſe auffi bien bâtie
que celle qui devoit tenir à ce portail , ait
été
JUILLET. 1755. 169
été détruite , relevée une feconde fois aufli
folidement que nous le voyons par ces
reftes , & encore ruinée . On ne peut que
difficilement fuppofer qu'elle ait été abbattue
exprès , d'ailleurs nous ne connoiffons
point de fiecle de barbarie depuis ces temps
mémorables. Les arts ont toujours été floriffans
, & n'ont fait que fe perfectionner
jufqu'au point d'élévation où nous les
voyons maintenant. M. Scarcher permettra
que nous ne nous rendions pas encore
fur cet article , & que nous attendions des
preuves plus fortes que le temps & fon
profond fçavoir lui feront découvrir.
Notre favant auteur paffe enfuite à un
refte de bâtiment ancien qu'on croit avoir
été une églife fous l'invocation de faint
Roch. Ce qu'on trouve de plus fatisfaiſant
dans les réflexions de M. Scarcher fur cette
églife , ce font les raifons dont il s'appuye
pour détruire le fentiment de ceux qui foutiennent
que le double focle qui porte les
arcades de la nef a été apparent dans fa
premiere conftruction . Il fait voir que le
focle d'enbas étoit la fondation qui fe trouvoit
enfevelie dans l'intérieur du terrein
qu'il n'eft vifible que parce qu'on a baiffé
le terrein intérieur de l'églife , & combien
il eft ridicule de penfer que jamais aucun
architecte fe foit avifé de mettre deux fo-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cles l'un fur l'autre , & fi élévés que les
bazes des colonnes font de beaucoup audeffus
de la vue. Il établit une feconde
preuve fur ce qu'on trouve par d'anciennes
eftampes qu'on croit gravées dans ces mêmes
tems , qu'il y a eu 15 ou 16 marches
pour monter à cette églife , au lieu qu'à
préfent il ne s'en trouve que cinq. Selon
fon idée , on a détruit les marches qui
montoient jufqu'au niveau du premier
focle. Ce fentiment n'eft probable que dans
la fuppofition que les marches que l'on y
voit maintenant ne font point du tout les
anciennes , car il auroit fallu pour monter
jufqu'à la hauteur des bazes du portail
qu'elles n'euffent laiffé aucun pallier ; ce
qui , quoique poffible , laiffe quelque doute
, d'autant plus qu'en calculant la hauteur
& l'enfoncement que produifent un
nombre de marches femblables à celles qui
reftent , on n'y trouve pas un rapport jufte
avec le nombre des marches indiquées dans
l'eftampe , il eft vrai qu'il ajoute une raifon
plaufible pour remédier au défaut de
juftelle du calcul de ces marches , il fait
remarquer que naturellement le terrein
des villes fe hauffe par un abus auquel on
ne fonge point à tenir la main , parce que
l'on apporte toujours & qu'on ne remporte
jamais. Tout ceci porta un caractere de
JUILLET. 1755. 171
vraisemblance auquel on a peine à ſe
refufer.
·
Il entreprend de prouver que cette églife
précede au moins d'un fiecle le bâtiment
du Louvre , c'est- à- dire , avant que la bonne
architecture fut bien connue . Premierement
par le défaut infupportable des bazes
& des chapiteaux des colomnes qui ſe pénetrent
avec les pilaftres , défaut ridicule
qu'on n'eut jamais fouffert dans un fiecle
plus éclairé. Secondement , par les fauffes
courbes qui font l'enfoncement des efpeces
de niches où font les petites portes de
l'églife . Il prétend que ces courbes font
les effais par où l'on a commencé avant
que de trouver les formes régulieres . Cette
feconde preuve n'eſt pas de la force de la
premiere , car on trouve plufieurs édifices
dont la datte eft certaine , & qui font conftruits
plus d'un fiecle & demi après , où
l'on voit ces mêmes courbes employées &
de plus mauvaiſes encore , d'ailleurs plufieurs
fçavans prétendent quele propre de
l'efprit humain , eft de trouver d'abord
tour naturellement le fimple qui eft le vrai
beau ; & que le goût ne fe corrompt qu'à
force de vouloir aller au-delà.
Au refte , il eft fi difficile de pénétrer
dans ces tems anciens , que les conjectures
vraisemblables doivent être regardées
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
comme des démonftrations . Ce mémoire
renferme quantité de recherches intéreſfantes
aufquelles je renvoye le lecteur
pour ne pas être trop long.
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Résumé : ARCHITECTURE. Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
Le Mercure de juin 1755 présente un nouveau volume des Mémoires de la Société de Gens de Lettres, qui se distingue par son exploration des antiquités françaises, y compris celles des siècles futurs. Le journal souligne la ténacité et l'érudition de cette société, qui étend ses recherches au-delà des temps passés pour éclairer les époques à venir. L'article se concentre sur les mémoires relatifs à l'architecture antique, notamment ceux de M. Scarcher. Ce dernier traite des vestiges architecturaux de l'ancienne ville de Paris, prouvant que le quartier de la Cour, aujourd'hui connu sous le nom de quartier de Versailles, était autrefois en dehors de la ville. Il démontre également que Paris avait une étendue limitée à l'époque, environ une lieue. Scarcher examine ensuite la statue de Louis XV et le pont Royal, affirmant que ce dernier tire son nom de la statue. Il réfute une affirmation précédente selon laquelle le Louvre aurait été achevé sous le règne de Louis XIV, expliquant que l'édifice a été négligé en raison des guerres et restauré au milieu du XVIIIe siècle. Le texte aborde également l'église Sainte-Geneviève, que Scarcher attribue au même architecte que le péristyle du Louvre, Perrault. Il discute des difficultés de lecture des inscriptions et des preuves historiques pour soutenir ses assertions. Scarcher traite également des vestiges de l'église Saint-Pierre-et-Saint-Paul, aujourd'hui connue sous le nom de Saint-Sulpice, démontrant que l'édifice a subi des modifications au fil du temps. Il conclut que l'église actuelle ne correspond pas à l'original et que certaines parties ont été ajoutées pour des raisons de solidité ou de dévotion populaire. Scarcher conteste l'idée que le double socle des arcades de la nef de l'église dédiée à saint Roch ait été visible lors de la première construction. Il argue que le socle inférieur était enfoui et n'est visible que parce que le terrain intérieur a été abaissé. Il trouve ridicule l'hypothèse que deux socles aient été construits l'un sur l'autre à une telle hauteur. Scarcher présente des preuves basées sur des anciennes estampes montrant 15 ou 16 marches pour accéder à l'église, contre cinq actuellement. Il suggère que les marches originales ont été détruites et que le terrain des villes tend à s'élever naturellement. Enfin, Scarcher tente de démontrer que cette église précède de plus d'un siècle le bâtiment du Louvre, avant que l'architecture ne soit bien maîtrisée. Il cite des défauts dans les bases et chapiteaux des colonnes, ainsi que des courbes incorrectes dans les niches des portes. Cependant, cette seconde preuve est contestée par des savants qui affirment que l'esprit humain trouve d'abord le beau simple et que le goût se corrompt en cherchant à aller au-delà.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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128
p. 75-82
DE L'ESTIME DE SOI-MESME, Par M. de Bastide.
Début :
J'entreprends de donner aux hommes des leçons d'amour propre. Ce projet [...]
Mots clefs :
Estime de soi, Amour propre, Orgueil, Homme, Mérite, Esprit, Gloire, Foi
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texteReconnaissance textuelle : DE L'ESTIME DE SOI-MESME, Par M. de Bastide.
DE L'ESTIME DE SOI - MESME ,
Par M. de Baftide.
J'Entreprends de donner aux hommes
des leçons d'amour propre. Ce projet
paroîtra le fonge d'un jeune homme à qui
le coeur humain n'eft pas encore connu.
L'art de l'amour propre n'eft-il pas épuifé ?
J'aurois fait , à vingt ans , cette queſtion
qui ne peut être pardonnable qu'à cet âge ,
& qui , à trente , prouveroit une ame &
un efprit médiocres . L'amour propre eft un
être immenfe. Il a toute forte d'intérêts , de
prétentions , toute forte de droits ; il реце
donc avoir toute forte de formes . Il eft vifiblement
partout , car ilfe fait fentir dans tout
les hommes ont fait. C'eſt un acteur
public à qui chacun fait jouer un rôle différent
dont le but est le même. Semblable
à l'immortel Baron qui jouoit pour Pradon
& pour Racine ; mais avec cette différence
que Baron repréfentoit toujours fupérieuce
que
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
rement pour le Poëte admirable , comme
pour le verfificateur ridicule , & que l'art
de l'amour propre acteur dépend précifement
de l'efprit de celui qui lui donne un
rôle à jouer.
Rien n'eft fi néceffaire que de fentir
l'amour propre. Je le diftingue de l'orgueil
qui eft un vice de l'ame d'après lequel on
peut juger d'un homme & le méprifer. Je
parle de ce défir actif& délicat d'être cité ,
loué , récompenfé que l'on fent lorſqu'on
a mérité de l'etre . Ce défir a été la fource
de tout ce qu'il y a de bien dans le monde.
On fait bien à proportion qu'on le regarde
comme un premier moyen de bien faire.
Pour le fentir , il faut s'eftimer ce que l'on
vaut. Si l'on doute de fon mérite , on doutera
de fes reffources , on ne s'élevera jamais
que foiblement au- deffus du médiocre
; on travaillera , parce que l'efprit eft
un feu qu'il faut nourrir & qui fçait nous
y contraindre , mais ce fera avec beaucoup
moins de talent & beaucoup plus de peine,
& l'on ignorera qu'on peut très -bien faire
même après avoir très - bien fait .
L'avantage de fçavoir s'apprécier ne fe
borne pas au bien perfonnel ; il s'étend à
l'infini , il eft une fource d'avantages pour
la fociété, L'homme qui fçait ce qu'il vaut ,
devient extrêmement utile aux autres.
A OUST. 1755: 77
S'agit- il , par exemple , de donner un confeil
dans une occafion où l'on a pris de faufſes
meſures & à un efprit orgueilleux qui
ne veut pas fouffrir qu'on le défabuſe ? il
parle avec une fierté active qui déconcerte
l'orgueil aveugle ; il fe cite , parle de fes
lumieres , de fes fuccès , de fa réputation.
Il réuffit , il perfuade , mais c'eft furtout ,
au ton qu'il a pris qu'il doit fon fuccès . Ses
raifons toutes folides qu'elles étoient n'auroient
pas fuffi .
Cette façon de fe citer , de parler avantageufement
de foi , n'eft pas feulement
légitime ; les circonftances la rendent néceffaire.
Henri IV , alors fimplement roi
de Navarre , ayant à combattre une armée
puiffante , fort fupérieure en nombre à la
fienne , trouva , dans le bonheur d'avoir
fçu fe rendre juſtice , le moyen d'illuſtrer
à jamais fa petite troupe . Au moment de
l'action il fe tourna vers les princes de
Condé & de Soiffons , & , parlant d'un ton
affuré , je ne vous dirai rien autre chofe , leur
dit- il , finon que vous êtes de la maison de
Bourbon , & vive Dicu , je vous montrerai
que je fuis votre aîné. Son armée qui devoit
être taillée en pieces , fit des prodiges , &
fut victorieufe. Il eft aifé de fentir qu'elle
dut fa victoire à celui à qui elle devoit fon
grand courage.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Les hommes aiment à fentir l'admira
tion. Le mérite modefte ne l'infpira prefque
jamais. Cette admiration mene à tout
ceux qui la fentent & celui qui l'infpire ; il
faut donc y prétendre lorfqu'on doit efpérer
de la faire naître ; c'eſt un ſervice que
l'on rend aux hommes dont la gloire éclatante
pique l'émulation ; c'eft de plus une
juftice que l'on doit à foi - même , à fes
amis & à fes defcendans. Trop de modeftie
nuiroit à cette fage ambition . Pour la
faire naître en foi , ou du moins pour s'exciter
à en écouter les confeils & les infpirations
, il faut s'entretenir complaifamment
avec foi-même de ce que l'on vaut. Dès
qu'une fois l'on a fenti ce que l'on mérite ,
on fouhäitte bientôt de mériter encore d'avantage
, & ce fouhait conduit infenfiblement
aux grandes chofes dont on ne feroit
pas devenu capable fi l'on ne s'étoit rendu
compte de ce que l'on valoit.
L'orgueil tout méprifable qu'il eft , peut
rendre les mêmes fervices que l'amour propre
le plus refpectable. La plupart des hommes
célébres dans tous les genres , ont dû
à fon impulfion cette fureur de gloire qui
les a conduit à ce qu'on appelle vulgairement
l'immortalité. Mais fe regardera- t- on
comme grand tant que l'on ne pourra fe
flatter d'être l'exemple du fage , & jouira
A O UST. 1755 . 79
t-on bien paisiblement d'une gloire ufurpée
qu'on ne pourra s'empêcher de fentir qui
n'eft que l'effet de l'erreur des hommes ?
L'orgueilleux porte dans fon coeur fon juge
& fon châtiment. Il eft jaloux du vrai mérire
, il dévore la gloire des autres , il ne
jouit pas de la fienne , il fent qu'il n'en a
point. L'orgueil eft une ivreffe qu'une
cruelle agitation fuit toujours ; il nous
aveugle & nous cache la vraie valeur de
toutes chofes , il nous montre les autres
plus grands qu'ils ne font & nous montre
à nous- mêmes plus petits que nous ne
fommes , il nous réduit prefque à rien malgré
l'apparence , malgré l'éclat qui nous
environne dès qu'une fois il a ceffé de nous
empêcher de nous connoître.
L'orgueil eft l'abus de l'amour propre .
En s'y livrant , on peut faire une certaine
illufion & goûter un certain plaifir , mais
on vit intérieurement malheureux & l'on
eft toujours méprifable . Un fort bien différent
eft réſervé à celui qui en s'eftimant
n'abuſe point de l'opinion de fon mérite &
ne s'accorde que ce qui lui eft du. L'action
de fa vanité fe tourne en fentiment ; il
s'eftime avec fécurité parce que les louanges
fecretes qu'il fe donne , n'empruntent
rien d'un certain mépris pour les autres ,
ne le rendent ni vain ni jaloux , & font la
Div
82 MERCURE DE FRANCE.
le rifque d'eftimer les autres plus qu'ils ne
valent , ce qui eft d'une très - grande importance
dans le monde où il n'y a aucune
forte de vertu dont on ne cherche à abufer.
Quel avantage n'a pas fur vous l'homme
le plus médiocre s'il vous voit embarraffél
devant lui , foir dans une concurrence ,
foit dans un démêlé , foit dans une converfation
? C'eft prendre fon role & lui
céder le vôtre , vous pouviez être le facrificateur
, vous devenez la victime ; il abuſe
de votre modeftie qui l'aveugle après l'avoir
étonné ; la caufe de fon triomphe dif
paroît à fes yeux , fa fatuité fe fait honneur
des armes que vous lui avez fournies ;
il devient préfomptueux & infolent de
modefte qu'il eut peut-être été , & vous
devenez en quelque façon comptable de
tout le mal que fon orgueil va faire.
Il eft donc abfolument néceffaire de
s'apprécier ce que l'on vaut ; mais cela ne
fuffic pas ; il faut joindre à l'eftime de foimême
l'art d'augmenter celle des autres.
C'eft une fuite que nous donnerons le
mois prochain.
L'Epitre à Eglé par Mademoiſelle Loiſeau,
que nous avons inférée dans le Mercure de
Juillet , nous a été envoyée à l'infçu de l'auteur ;
c'est malgré fa modestie que cette piece a vu le
jour.
Par M. de Baftide.
J'Entreprends de donner aux hommes
des leçons d'amour propre. Ce projet
paroîtra le fonge d'un jeune homme à qui
le coeur humain n'eft pas encore connu.
L'art de l'amour propre n'eft-il pas épuifé ?
J'aurois fait , à vingt ans , cette queſtion
qui ne peut être pardonnable qu'à cet âge ,
& qui , à trente , prouveroit une ame &
un efprit médiocres . L'amour propre eft un
être immenfe. Il a toute forte d'intérêts , de
prétentions , toute forte de droits ; il реце
donc avoir toute forte de formes . Il eft vifiblement
partout , car ilfe fait fentir dans tout
les hommes ont fait. C'eſt un acteur
public à qui chacun fait jouer un rôle différent
dont le but est le même. Semblable
à l'immortel Baron qui jouoit pour Pradon
& pour Racine ; mais avec cette différence
que Baron repréfentoit toujours fupérieuce
que
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
rement pour le Poëte admirable , comme
pour le verfificateur ridicule , & que l'art
de l'amour propre acteur dépend précifement
de l'efprit de celui qui lui donne un
rôle à jouer.
Rien n'eft fi néceffaire que de fentir
l'amour propre. Je le diftingue de l'orgueil
qui eft un vice de l'ame d'après lequel on
peut juger d'un homme & le méprifer. Je
parle de ce défir actif& délicat d'être cité ,
loué , récompenfé que l'on fent lorſqu'on
a mérité de l'etre . Ce défir a été la fource
de tout ce qu'il y a de bien dans le monde.
On fait bien à proportion qu'on le regarde
comme un premier moyen de bien faire.
Pour le fentir , il faut s'eftimer ce que l'on
vaut. Si l'on doute de fon mérite , on doutera
de fes reffources , on ne s'élevera jamais
que foiblement au- deffus du médiocre
; on travaillera , parce que l'efprit eft
un feu qu'il faut nourrir & qui fçait nous
y contraindre , mais ce fera avec beaucoup
moins de talent & beaucoup plus de peine,
& l'on ignorera qu'on peut très -bien faire
même après avoir très - bien fait .
L'avantage de fçavoir s'apprécier ne fe
borne pas au bien perfonnel ; il s'étend à
l'infini , il eft une fource d'avantages pour
la fociété, L'homme qui fçait ce qu'il vaut ,
devient extrêmement utile aux autres.
A OUST. 1755: 77
S'agit- il , par exemple , de donner un confeil
dans une occafion où l'on a pris de faufſes
meſures & à un efprit orgueilleux qui
ne veut pas fouffrir qu'on le défabuſe ? il
parle avec une fierté active qui déconcerte
l'orgueil aveugle ; il fe cite , parle de fes
lumieres , de fes fuccès , de fa réputation.
Il réuffit , il perfuade , mais c'eft furtout ,
au ton qu'il a pris qu'il doit fon fuccès . Ses
raifons toutes folides qu'elles étoient n'auroient
pas fuffi .
Cette façon de fe citer , de parler avantageufement
de foi , n'eft pas feulement
légitime ; les circonftances la rendent néceffaire.
Henri IV , alors fimplement roi
de Navarre , ayant à combattre une armée
puiffante , fort fupérieure en nombre à la
fienne , trouva , dans le bonheur d'avoir
fçu fe rendre juſtice , le moyen d'illuſtrer
à jamais fa petite troupe . Au moment de
l'action il fe tourna vers les princes de
Condé & de Soiffons , & , parlant d'un ton
affuré , je ne vous dirai rien autre chofe , leur
dit- il , finon que vous êtes de la maison de
Bourbon , & vive Dicu , je vous montrerai
que je fuis votre aîné. Son armée qui devoit
être taillée en pieces , fit des prodiges , &
fut victorieufe. Il eft aifé de fentir qu'elle
dut fa victoire à celui à qui elle devoit fon
grand courage.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Les hommes aiment à fentir l'admira
tion. Le mérite modefte ne l'infpira prefque
jamais. Cette admiration mene à tout
ceux qui la fentent & celui qui l'infpire ; il
faut donc y prétendre lorfqu'on doit efpérer
de la faire naître ; c'eſt un ſervice que
l'on rend aux hommes dont la gloire éclatante
pique l'émulation ; c'eft de plus une
juftice que l'on doit à foi - même , à fes
amis & à fes defcendans. Trop de modeftie
nuiroit à cette fage ambition . Pour la
faire naître en foi , ou du moins pour s'exciter
à en écouter les confeils & les infpirations
, il faut s'entretenir complaifamment
avec foi-même de ce que l'on vaut. Dès
qu'une fois l'on a fenti ce que l'on mérite ,
on fouhäitte bientôt de mériter encore d'avantage
, & ce fouhait conduit infenfiblement
aux grandes chofes dont on ne feroit
pas devenu capable fi l'on ne s'étoit rendu
compte de ce que l'on valoit.
L'orgueil tout méprifable qu'il eft , peut
rendre les mêmes fervices que l'amour propre
le plus refpectable. La plupart des hommes
célébres dans tous les genres , ont dû
à fon impulfion cette fureur de gloire qui
les a conduit à ce qu'on appelle vulgairement
l'immortalité. Mais fe regardera- t- on
comme grand tant que l'on ne pourra fe
flatter d'être l'exemple du fage , & jouira
A O UST. 1755 . 79
t-on bien paisiblement d'une gloire ufurpée
qu'on ne pourra s'empêcher de fentir qui
n'eft que l'effet de l'erreur des hommes ?
L'orgueilleux porte dans fon coeur fon juge
& fon châtiment. Il eft jaloux du vrai mérire
, il dévore la gloire des autres , il ne
jouit pas de la fienne , il fent qu'il n'en a
point. L'orgueil eft une ivreffe qu'une
cruelle agitation fuit toujours ; il nous
aveugle & nous cache la vraie valeur de
toutes chofes , il nous montre les autres
plus grands qu'ils ne font & nous montre
à nous- mêmes plus petits que nous ne
fommes , il nous réduit prefque à rien malgré
l'apparence , malgré l'éclat qui nous
environne dès qu'une fois il a ceffé de nous
empêcher de nous connoître.
L'orgueil eft l'abus de l'amour propre .
En s'y livrant , on peut faire une certaine
illufion & goûter un certain plaifir , mais
on vit intérieurement malheureux & l'on
eft toujours méprifable . Un fort bien différent
eft réſervé à celui qui en s'eftimant
n'abuſe point de l'opinion de fon mérite &
ne s'accorde que ce qui lui eft du. L'action
de fa vanité fe tourne en fentiment ; il
s'eftime avec fécurité parce que les louanges
fecretes qu'il fe donne , n'empruntent
rien d'un certain mépris pour les autres ,
ne le rendent ni vain ni jaloux , & font la
Div
82 MERCURE DE FRANCE.
le rifque d'eftimer les autres plus qu'ils ne
valent , ce qui eft d'une très - grande importance
dans le monde où il n'y a aucune
forte de vertu dont on ne cherche à abufer.
Quel avantage n'a pas fur vous l'homme
le plus médiocre s'il vous voit embarraffél
devant lui , foir dans une concurrence ,
foit dans un démêlé , foit dans une converfation
? C'eft prendre fon role & lui
céder le vôtre , vous pouviez être le facrificateur
, vous devenez la victime ; il abuſe
de votre modeftie qui l'aveugle après l'avoir
étonné ; la caufe de fon triomphe dif
paroît à fes yeux , fa fatuité fe fait honneur
des armes que vous lui avez fournies ;
il devient préfomptueux & infolent de
modefte qu'il eut peut-être été , & vous
devenez en quelque façon comptable de
tout le mal que fon orgueil va faire.
Il eft donc abfolument néceffaire de
s'apprécier ce que l'on vaut ; mais cela ne
fuffic pas ; il faut joindre à l'eftime de foimême
l'art d'augmenter celle des autres.
C'eft une fuite que nous donnerons le
mois prochain.
L'Epitre à Eglé par Mademoiſelle Loiſeau,
que nous avons inférée dans le Mercure de
Juillet , nous a été envoyée à l'infçu de l'auteur ;
c'est malgré fa modestie que cette piece a vu le
jour.
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Résumé : DE L'ESTIME DE SOI-MESME, Par M. de Bastide.
Dans le texte 'De l'estime de soi-même', M. de Baftide examine l'importance de l'amour-propre et le distingue de l'orgueil. L'auteur présente l'amour-propre comme un être immense aux multiples intérêts et droits, omniprésent et variable selon les individus, comparable à un acteur public jouant différents rôles. Il le définit comme un désir actif et délicat d'être reconnu et récompensé, contrairement à l'orgueil, qu'il considère comme un vice de l'âme. Ce désir a été une force motrice pour de nombreuses actions positives dans le monde. L'estime de soi est cruciale non seulement pour le bien personnel mais aussi pour la société. Elle permet de donner des conseils efficacement, même dans des situations délicates. Par exemple, Henri IV a utilisé son estime de soi pour motiver ses troupes face à une armée supérieure en nombre. Les hommes recherchent l'admiration, et le mérite modeste l'inspire rarement. L'auteur encourage à reconnaître sa propre valeur pour s'améliorer continuellement. L'orgueil, bien que méprisable, peut aussi pousser les hommes à la gloire. Cependant, il aveugle et rend malheureux intérieurement. L'amour-propre bien géré permet de s'estimer sans abuser de l'opinion des autres, évitant ainsi la vanité et la jalousie. L'auteur conclut qu'il est crucial de s'apprécier soi-même tout en augmentant l'estime des autres, un sujet qu'il promet d'aborder dans un prochain texte.
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129
p. 25-36
SUITE DE L'ESTIME DE SOI-MESME, Ou l'art d'augmenter celle des autres, Par M. de Bastide.
Début :
Les hommes naissent avec deux foiblesses contradictoires, la jalousie aveugle [...]
Mots clefs :
Hommes, Homme, Admiration, Jalousie, Modestie , Considération, Ambition, Gloire, Estime de soi, Estime, Vanité
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texteReconnaissance textuelle : SUITE DE L'ESTIME DE SOI-MESME, Ou l'art d'augmenter celle des autres, Par M. de Bastide.
SUITE
DE L'ESTIME DE SOI - MESME
Ou l'art d'augmenter celle des autres ,
Par M. de Baftide.
>
Es hommes naiffent avec deux foibleffes
contradictoires , la jaloufie aveugle
& l'admiration rapide . Ces foibleffes
ont donné le mouvement au monde , tel
qu'il eft aujourd'hui . On les fait aifément
naître dans le même jour ; la nuance qui
les fépare eft prefque imperceptible. Il eft
toujours heureux de finir par être l'objet
de la derniere , mais on a rifqué de n'y
pas parvenir ; & fi cela fut arrivé , on
reftoit bien loin du dégré d'eftime , de
fortune , ou d'élévation que l'on devoit
attendre de fon mérite.
Il eſt un moyen d'affurer à fon ambition :
tout le fuccès qu'elle s'eft promis , c'eſt l'art
de fe faire valoir. Cet art paroît être partout,
aujourd'hui que les vices ont pris tant de crédit.
En effet , combien de gens réuffiffent , qui
n'auroient pas même ofe former des defirs,
fi le mérite étoit la feule clef des fuccès de ›
l'ambition. Soupleffes , trahifons , fauffes
confidences , faux fervices , fauffes louanges
, tous moyens heureux mais infâmes .
B
26
MERCURE DE FRANCE.
Cet art eft un crime, & fes motifs toujours
découverts font tôt ou tard le châtiment
de l'homme coupable qui les a lâchement
employés.
L'art dont je parle , & dont je vais effayer
de donner des leçons , eft toujours
innocent , & réuffit toujours mieux ; il
affure l'eftime des hommes fans laquelle il
n'eft point de vrai bonheur ; il n'eft jamais
un fujet de reproches pour le coeur même
le plus délicat ; tous les plaifirs qu'il procure
font vrais , on y trouve la fatisfaction
inexprimable d'être l'auteur du dégré de
confidération auquel on eft parvenu , on y
trouve encore le plaifirflateur d'être agréa
ble aux hommes en leur faifant fentir une
admiration tendre qui ne va jamais fans
leur attachement , & qui ne peut jamais être
fans plaifir pour eux.
En quoi confifte cet art fi utile & fi favorable
? fuffit-il d'être né avec du mérite &
d'éviter la modeftie pour le pofféder ? Eftce
en faifant adroitement valoir les autres
que l'on parvient à fe faire valoir ? Négliger
fes intérêts , paroître ignorer ce que
l'onvaut , être doux , careffant , docile ,
donner modeftement un confeil , demander
un avis avec cet air touchant qui fait
entrer la fimpatie dans le coeur de celui
qu'on confulte 3 montrer une fermeté noble
SEPTEMBRE . 1755. 27
lans toutes les occafions de concurrence &
le difpute où la gloire eft intéreffée ; doner
à tout ce que la vanité fait dire ou enreprendre
l'air de cette gloire fi refpectale
, dans laquelle les hommes les plus
vains ont toujours trouvé tant d'excufes ;
adoucir cet air par un regret apparent de
n'avoir pas pû éviter d'agir & de ne pouvoir
plus reculer ; être honnête dans la
concurrence & modefte dans le triomphe.
Eft- ce là l'art de fe faire valoir ? Il n'eft
point dans toutes ces chofes féparées ; il ſe
forme de toutes.
La modeſtie eſt une qualité refpectable ,
mais elle eſt le terme des avantages que le
mérite a droit de fe promettre dans le monde.
Une froide eftime eft tout ce que les
hommes lui accordent. Pour réuffir , il faut
s'annoncer & attirer les regards à foi . Le
monde, en cela , eft une image des fociétés
particulieres où l'homme le plus diftingué
par le mérite n'aura bientôt aucune forte
de diftinction , fi de tems en tems il ne fe
renouvelle dans les efprits , en y renouvellant
fa réputation par quelque trait de fa
vanité. Tout le monde fçait que ce n'eft
que fur la fin de fa vie que l'immortel
Corneille eut une penfion de Louis XIV .
Ce grand Roi aimoit pourtant à récom
penfer, & il y penfoit de lui- même ; mais
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
il étoit entouré de poëtes plus courtifans ,
qui rempliffoient fes oreilles du bruit de
leur génie & le trop modefte Corneille
laiffoit parler le fien.
Il est donc abfolument néceffaire de fe
montrer aux hommes fous un jour qui les
frappe , lorfque l'on veut repréfenter fur
la icene du monde. Mais les nuances qui
doivent former cet éclat , font délicates
difficiles à réunir , plus difficiles à placer.
Les hommes accordent volontiers leur admiration
, mais le mépris , la jaloufie & la
haine font le prix du defir de l'obtenir , fi
l'on n'a pas un cetain art de la faire naître ,
même en la méritant.
Parler trop fouvent de foi , en parler
trop bien , avoir l'air de fe careffer en fe
louant , fe louer dans des chofes que le
public a vu d'un oeil prévenu , attaquer la
réputation d'un homme eftimé pour affurer
la fienne , ce feroit choquer les hommes ,
trop préfumer de leur caprice, de leur foibleffe
ou de leur injuftice , & rifquer évidemment
de fe ruiner dans leur efprit , au
lieu de s'y bien établir. Mais fuivant les
circonftances dire de foi le bien que les
autres en ont déja dit , retracer certains
traits qui ont fait généralement honneur ,
ne paroître fe louer que par l'exigence du
cas préfent , prouver ce que l'on peut faire
SEPTEMBRE . 1755. 29
par ce que l'on a fait , &n'en parler que pour
juftifier fa prétention actuelle , voilà le vrai
moyen de le faire valoir. La modeftie nous
fait oublier des hommes , la préfomption
nous en fait hair ; une certaine vanité de
fituation prévient l'inconftance , écarte la
jaloufie , & fait naître la vraie eftime.
Sçavoir faire valoir les autres , eſt un
moyen infaillible de fe faire valoir foimême.
Quelques vains que foient les hommes
, ils ne fe jugent jamais avec affez de
complaifance pour n'avoir befoin que de
leur propre eftime. La voix du coeur fait
taire la voix de l'amour propre. Sçavoir
flatter cette avidité de louanges toujours
plus infurmontable à mefure qu'elle eft
moins véritablement fatisfaite , c'eft s'affurer
du reffort général qui fait mouvoir tous
les hommes , c'eft avoir trouvé l'art de
maîtriſer l'efprit & le coeur.
Le feul defir de plaire indique mille
moyens de flatter leur vanité , mais il eft
dangereux de n'en pas fçavoir régler l'ufage
, s'ils vous voyent trop frappés de leur
mérite , ils ne le feront plus du vôtre , il
faut fçavoir s'arrêter dans la louange comme
dans la plaifanterie. Les hommes font
naturellement ingrats. Ils haïffent qui ne
les loue pas affez , ils méprifent qui les
trop. Un homme d'efprit que l'on
loue
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
connoîtra pour n'être point louangeur &
pour avoir un goût très- difficile fera für
de s'être fait autant d'amis qu'il y aura de
perfonnes dans un cercle qu'il aura diftinguées.
On fe parera complaifamment de
cette diftinction , moins parce qu'elle fera
flatteufe par elle -même , que parce qu'on
la devra à un homme qui n'eft pas dans
l'habitude de flatter , & fi l'on eft contrarié
dans l'opinion qu'on aura prife de la qualité
dont on aura été loué , on dira M. un
tel m'en a fait compliment . Ce M. un tel
pourtant , cité comme un oracle , ne fera
qu'un homme de goût comme tant d'autres
; il n'aura rien fait que de très-fimple
en louant ce qui étoit bien & fe taifant fur
qui ne méritoit pas d'être loué , mais
c'eft que ce qui eft très- fimple devient trèsméritoire
& très- confidérable , lorfqu'on
a fçu fe faire une réputation .
Négliger fes intérêts , eft encore un de
ces moyens de fe faire valoir qu'on ne doit
employer qu'avec prudence. Il réuffit alors
parfaitement. Je fuppofe un homme d'efprit
aux prifes, dans une converſation , avec
un fat déja prefque vaincu ; que cet homme
fi fupérieur par le mérite & par l'avantage
actuel , renonce à fa victoire , qu'il
paroiffe avoir épuifé fes reffources en faifant
finir la difpute par un filence qui laifSEPTEMBRE.
1755. 31
que
fe la question indécidée ; tout le monde
admirera fa modération , & elle lui fera
plus d'honneur que fon triomphe ne lui en
eut fait. Mais pour pouvoir montrer fans
danger une pareille générofité , il faut
les fpectateurs connoiffent votre fupériorité
, & vous rendent juftice , il faut encore
& non moins neceffairement, que l'objet
de la difputé ne foit pas effentiel par
lui-même , & que votre défaite ou votre
victoire n'intéreffe que votre vanité. Si au
contraire de l'une ou de l'autre dépendoit
l'intérêt de votre gloire ou de celle de votre
ami , négliger vos avantages , ce feroit
mériter que l'on doutât de votre efprit , ou
qu'on vous accufât d'ignorer ce que l'on
doit à ſon ami ou à foi même.
Cette regle s'étend à la douceur , à la
docilité , &c. qualités qui nous rendent
tous les hommes favorables , lorfque nous
fçavons les montrer avec art, & qui peuvent
au contraire nous faire un tort confidérable
dans leur efprit , fi cet art précieux
n'en regle pas l'ufage .
Un honnête homme , qui vient vous
demander un confeil , mérite que l'attention
de ne pas bleffer fon amour propre
foit votre premier foin. Il est toujours humiliant
d'être contraint à s'éclairer des lumieres
des autres ; demander un confeil
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
7
c'eft faire l'aveu d'un befoin. Donner un
confeil eft donc faire une action par laquelle
votre vanité agit en quelque forte
contre l'amour propre de celui à qui vous
le donnez ; fi vous ne lui paroiffez pas
modefte , vous lui paroîtrez impertinent ,
vous ferez l'objet de fa haine immédiatement
après avoir été l'objet de fa confiance
; mais fi au contraire vos lumieres fe
cachent fous un air de modeftie , fi en le
confeillant vous paroiffez plus flaté du fervice
que vous pouvez lui rendre que de
l'honneur qu'il vous aura fait , fa vanité ·
reconnoiffante vous tiendra compte d'un
ménagement indifpenfable comme d'un
bienfait volontaire ; vous obtiendrez fon
amitié par votre confeil , & fon eftime par
votre procédé.
Il eft auffi néceffaire de demander un
confeil avec dignité , que de le donner
avec modeftie. On prévient l'injuftice de
la vanité en confultant avec un air touchant
, toujours affez flatteur pour contenir
l'orgueil qui voudroit agir . Celui qui
confulte a un fervice à obtenir & une offenfe
à éviter ; un fervice , parce qu'un bon
confeil donné avec cet air de ménagement
qui vient de la confidération , porte naturellement
ce nom ; une offenfe , parce que
l'homme naturellement vain abufe aifé-
1
SEPTEMBRE . 1755. 33
ment des fervices qu'il rend , & les tourne
toujours en offenfe lorfque la façon de les
demander n'a pas quelque chofe d'impofant
qui lui imprime la confidération. On
eft für d'obtenir l'un & d'éviter l'autre
par
l'art de demander .On réuffira même au -delà
de fes efpérances , fi l'on fçait tirer de cet art
tout ce que l'on peut en attendre . Celui
que vous confulterez , forcé à vous ſuppofer
de la nobleffe à proportion que vous en
aurez montré , jugera de fon mérite & de
votre eftime pour lui par votre démarche
qui les mettra dans tout leur jour ; fa vanité
careffée ; portera fes idées fur la préférence
que vous lui aurez donnée , & les détournera
du fervice qu'il vous aura rendų ;
il vous chérira , vous estimera , vous refpectera
. La reconnoiffance lui dictera des
remerciemens dont vous verrez facilement
la fincérité. Si dans ce moment vous lui
demandiez les plus grandes preuves de prédilection
, il feroit capable de vous les ac-
-corder & de vous en remercier de même.
Car que ne doit on pas attendre d'un homme
lorfqu'on a fçu flatter fa vanité ?
La plupart des concurrens font ou diffi-
-mulés avec baffefle , ou fermes avec infolence
, & il n'arrive que trop fouvent qu'ils
triomphent par l'un ou l'autre de ces défauts,
mais très - fouvent auffi leur victoire
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
les livre à la haine & au mépris publics.
L'on fent bien que , lorfqu'on demande
une préférence fur un rival , la gloire ne
fouffre pas que l'on manque , par fa faute,
de l'obtenir ; afficher fon ambition , c'eſt
afficher la préfomption fi l'on ne réuffit pas.
Mais pour réuflir n'y a-t- il point de moyens
innocens qui ne foient dangéreux ? Oui ,
fans doute , il en eft , & les voici. C'eſt à
'celui- là feul qui en fçait faire ufage , que
font réfervés le véritable fuccès & la véritable
gloire de réuffit . Que l'on foit ouvert
avec prudence & ferme avec nobleffe , que
l'on paroiffe n'avoir de l'ambition que par
-ce que l'on fe doit à foi- même d'en avoir
lorfqu'on eft fait pour parvenir , que cette
ambition n'ait pas l'air de la prétention ,
que l'opinion que l'on ade foi ne foit point
décélée par certain air de fuffifance , que
l'efpérance feule fe laiffe voir, mais qu'il
•paroiffe que foutenue du defir de la gloire,
elle fuffira pour donner la conftance de fol.
liciter ce que l'on demande, ou de pourſuivre
ce que l'on a entrepris.
Si l'on a pour concurrent un homme
abfolument fupérieur en rang ou en mérite
, on ne fçauroit réparer par trop d'é
gards l'audace de s'être mis à côté de lui ,
mais ces égards dégénéreroient en baſſeffe
s'ils ne laiffoient plus diftinguer cet air de
SEPTEMBRE . 1755. 35
C
réfolution qui marque une ame courageufe
, & qui fçait rendre aux autres ce qui
leur eſt dû fans oublier ce qu'elle fe doit à
elle-même.
Si celui dont on fe voit le rival eft un
homme médiocre mais modefte , s'il paroît
que fon ambition ait pris fa fource dans fa
mauvaiſe fortune , fi fon fort dépend de la
réuffite de fes idées ; le traiter avec humanité,
ne fe montrer à lui qu'avec la moitié
de fes moyens , foutenir fon efpérance en
lui fauvant les preuves de fon infériorité ,
defcendre jufqu'à lui & lui conferver fon
illufion , paroître regretter d'être fon compétiteur
, fans que ce regret ait rien d'humiliant
pour lui ; c'eft avoir le procédé d'un
homme généreux , d'un homme admirable
, d'un homme que tout le monde doit
aimer.
Voilà de fûrs moyens de fe faire valoir.
On les trouvé dans fon coeur lorfque l'on
penfe bien. J'ai pris dans le mien le deffein
de les expofer aux yeux des hommes
pour les tenter s'il eft poffible. Je fuis fûr
d'avoir bien fait , mais aurai- je aſſez bien
dit pour être écouté tout dépend aujourd'hui
de l'art de l'efprit. Un fermon même
eft ennuyeux s'il n'eft agréable ; il n'y a
plus de milieu. La raifon devroit pourtant
avoir confervé quelque privilege ; elle dit
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
toujours des chofes & l'efprit en fait fouvent
fouhaiter. Je fçais que l'efprit est trèsaimable
, & que s'il joignoit à fes agrémens
l'appanage de la raifon , il vaudroit beaucoup
mieux qu'elle ; mais il n'a pas tout ,
ce n'eft prefque qu'une belle fleur ; pourquoi
s'y attacher uniquement le printems
eft bien court ; doit - on vivre fans provifions
pour les autres faifons de l'année ?
DE L'ESTIME DE SOI - MESME
Ou l'art d'augmenter celle des autres ,
Par M. de Baftide.
>
Es hommes naiffent avec deux foibleffes
contradictoires , la jaloufie aveugle
& l'admiration rapide . Ces foibleffes
ont donné le mouvement au monde , tel
qu'il eft aujourd'hui . On les fait aifément
naître dans le même jour ; la nuance qui
les fépare eft prefque imperceptible. Il eft
toujours heureux de finir par être l'objet
de la derniere , mais on a rifqué de n'y
pas parvenir ; & fi cela fut arrivé , on
reftoit bien loin du dégré d'eftime , de
fortune , ou d'élévation que l'on devoit
attendre de fon mérite.
Il eſt un moyen d'affurer à fon ambition :
tout le fuccès qu'elle s'eft promis , c'eſt l'art
de fe faire valoir. Cet art paroît être partout,
aujourd'hui que les vices ont pris tant de crédit.
En effet , combien de gens réuffiffent , qui
n'auroient pas même ofe former des defirs,
fi le mérite étoit la feule clef des fuccès de ›
l'ambition. Soupleffes , trahifons , fauffes
confidences , faux fervices , fauffes louanges
, tous moyens heureux mais infâmes .
B
26
MERCURE DE FRANCE.
Cet art eft un crime, & fes motifs toujours
découverts font tôt ou tard le châtiment
de l'homme coupable qui les a lâchement
employés.
L'art dont je parle , & dont je vais effayer
de donner des leçons , eft toujours
innocent , & réuffit toujours mieux ; il
affure l'eftime des hommes fans laquelle il
n'eft point de vrai bonheur ; il n'eft jamais
un fujet de reproches pour le coeur même
le plus délicat ; tous les plaifirs qu'il procure
font vrais , on y trouve la fatisfaction
inexprimable d'être l'auteur du dégré de
confidération auquel on eft parvenu , on y
trouve encore le plaifirflateur d'être agréa
ble aux hommes en leur faifant fentir une
admiration tendre qui ne va jamais fans
leur attachement , & qui ne peut jamais être
fans plaifir pour eux.
En quoi confifte cet art fi utile & fi favorable
? fuffit-il d'être né avec du mérite &
d'éviter la modeftie pour le pofféder ? Eftce
en faifant adroitement valoir les autres
que l'on parvient à fe faire valoir ? Négliger
fes intérêts , paroître ignorer ce que
l'onvaut , être doux , careffant , docile ,
donner modeftement un confeil , demander
un avis avec cet air touchant qui fait
entrer la fimpatie dans le coeur de celui
qu'on confulte 3 montrer une fermeté noble
SEPTEMBRE . 1755. 27
lans toutes les occafions de concurrence &
le difpute où la gloire eft intéreffée ; doner
à tout ce que la vanité fait dire ou enreprendre
l'air de cette gloire fi refpectale
, dans laquelle les hommes les plus
vains ont toujours trouvé tant d'excufes ;
adoucir cet air par un regret apparent de
n'avoir pas pû éviter d'agir & de ne pouvoir
plus reculer ; être honnête dans la
concurrence & modefte dans le triomphe.
Eft- ce là l'art de fe faire valoir ? Il n'eft
point dans toutes ces chofes féparées ; il ſe
forme de toutes.
La modeſtie eſt une qualité refpectable ,
mais elle eſt le terme des avantages que le
mérite a droit de fe promettre dans le monde.
Une froide eftime eft tout ce que les
hommes lui accordent. Pour réuffir , il faut
s'annoncer & attirer les regards à foi . Le
monde, en cela , eft une image des fociétés
particulieres où l'homme le plus diftingué
par le mérite n'aura bientôt aucune forte
de diftinction , fi de tems en tems il ne fe
renouvelle dans les efprits , en y renouvellant
fa réputation par quelque trait de fa
vanité. Tout le monde fçait que ce n'eft
que fur la fin de fa vie que l'immortel
Corneille eut une penfion de Louis XIV .
Ce grand Roi aimoit pourtant à récom
penfer, & il y penfoit de lui- même ; mais
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
il étoit entouré de poëtes plus courtifans ,
qui rempliffoient fes oreilles du bruit de
leur génie & le trop modefte Corneille
laiffoit parler le fien.
Il est donc abfolument néceffaire de fe
montrer aux hommes fous un jour qui les
frappe , lorfque l'on veut repréfenter fur
la icene du monde. Mais les nuances qui
doivent former cet éclat , font délicates
difficiles à réunir , plus difficiles à placer.
Les hommes accordent volontiers leur admiration
, mais le mépris , la jaloufie & la
haine font le prix du defir de l'obtenir , fi
l'on n'a pas un cetain art de la faire naître ,
même en la méritant.
Parler trop fouvent de foi , en parler
trop bien , avoir l'air de fe careffer en fe
louant , fe louer dans des chofes que le
public a vu d'un oeil prévenu , attaquer la
réputation d'un homme eftimé pour affurer
la fienne , ce feroit choquer les hommes ,
trop préfumer de leur caprice, de leur foibleffe
ou de leur injuftice , & rifquer évidemment
de fe ruiner dans leur efprit , au
lieu de s'y bien établir. Mais fuivant les
circonftances dire de foi le bien que les
autres en ont déja dit , retracer certains
traits qui ont fait généralement honneur ,
ne paroître fe louer que par l'exigence du
cas préfent , prouver ce que l'on peut faire
SEPTEMBRE . 1755. 29
par ce que l'on a fait , &n'en parler que pour
juftifier fa prétention actuelle , voilà le vrai
moyen de le faire valoir. La modeftie nous
fait oublier des hommes , la préfomption
nous en fait hair ; une certaine vanité de
fituation prévient l'inconftance , écarte la
jaloufie , & fait naître la vraie eftime.
Sçavoir faire valoir les autres , eſt un
moyen infaillible de fe faire valoir foimême.
Quelques vains que foient les hommes
, ils ne fe jugent jamais avec affez de
complaifance pour n'avoir befoin que de
leur propre eftime. La voix du coeur fait
taire la voix de l'amour propre. Sçavoir
flatter cette avidité de louanges toujours
plus infurmontable à mefure qu'elle eft
moins véritablement fatisfaite , c'eft s'affurer
du reffort général qui fait mouvoir tous
les hommes , c'eft avoir trouvé l'art de
maîtriſer l'efprit & le coeur.
Le feul defir de plaire indique mille
moyens de flatter leur vanité , mais il eft
dangereux de n'en pas fçavoir régler l'ufage
, s'ils vous voyent trop frappés de leur
mérite , ils ne le feront plus du vôtre , il
faut fçavoir s'arrêter dans la louange comme
dans la plaifanterie. Les hommes font
naturellement ingrats. Ils haïffent qui ne
les loue pas affez , ils méprifent qui les
trop. Un homme d'efprit que l'on
loue
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
connoîtra pour n'être point louangeur &
pour avoir un goût très- difficile fera für
de s'être fait autant d'amis qu'il y aura de
perfonnes dans un cercle qu'il aura diftinguées.
On fe parera complaifamment de
cette diftinction , moins parce qu'elle fera
flatteufe par elle -même , que parce qu'on
la devra à un homme qui n'eft pas dans
l'habitude de flatter , & fi l'on eft contrarié
dans l'opinion qu'on aura prife de la qualité
dont on aura été loué , on dira M. un
tel m'en a fait compliment . Ce M. un tel
pourtant , cité comme un oracle , ne fera
qu'un homme de goût comme tant d'autres
; il n'aura rien fait que de très-fimple
en louant ce qui étoit bien & fe taifant fur
qui ne méritoit pas d'être loué , mais
c'eft que ce qui eft très- fimple devient trèsméritoire
& très- confidérable , lorfqu'on
a fçu fe faire une réputation .
Négliger fes intérêts , eft encore un de
ces moyens de fe faire valoir qu'on ne doit
employer qu'avec prudence. Il réuffit alors
parfaitement. Je fuppofe un homme d'efprit
aux prifes, dans une converſation , avec
un fat déja prefque vaincu ; que cet homme
fi fupérieur par le mérite & par l'avantage
actuel , renonce à fa victoire , qu'il
paroiffe avoir épuifé fes reffources en faifant
finir la difpute par un filence qui laifSEPTEMBRE.
1755. 31
que
fe la question indécidée ; tout le monde
admirera fa modération , & elle lui fera
plus d'honneur que fon triomphe ne lui en
eut fait. Mais pour pouvoir montrer fans
danger une pareille générofité , il faut
les fpectateurs connoiffent votre fupériorité
, & vous rendent juftice , il faut encore
& non moins neceffairement, que l'objet
de la difputé ne foit pas effentiel par
lui-même , & que votre défaite ou votre
victoire n'intéreffe que votre vanité. Si au
contraire de l'une ou de l'autre dépendoit
l'intérêt de votre gloire ou de celle de votre
ami , négliger vos avantages , ce feroit
mériter que l'on doutât de votre efprit , ou
qu'on vous accufât d'ignorer ce que l'on
doit à ſon ami ou à foi même.
Cette regle s'étend à la douceur , à la
docilité , &c. qualités qui nous rendent
tous les hommes favorables , lorfque nous
fçavons les montrer avec art, & qui peuvent
au contraire nous faire un tort confidérable
dans leur efprit , fi cet art précieux
n'en regle pas l'ufage .
Un honnête homme , qui vient vous
demander un confeil , mérite que l'attention
de ne pas bleffer fon amour propre
foit votre premier foin. Il est toujours humiliant
d'être contraint à s'éclairer des lumieres
des autres ; demander un confeil
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
7
c'eft faire l'aveu d'un befoin. Donner un
confeil eft donc faire une action par laquelle
votre vanité agit en quelque forte
contre l'amour propre de celui à qui vous
le donnez ; fi vous ne lui paroiffez pas
modefte , vous lui paroîtrez impertinent ,
vous ferez l'objet de fa haine immédiatement
après avoir été l'objet de fa confiance
; mais fi au contraire vos lumieres fe
cachent fous un air de modeftie , fi en le
confeillant vous paroiffez plus flaté du fervice
que vous pouvez lui rendre que de
l'honneur qu'il vous aura fait , fa vanité ·
reconnoiffante vous tiendra compte d'un
ménagement indifpenfable comme d'un
bienfait volontaire ; vous obtiendrez fon
amitié par votre confeil , & fon eftime par
votre procédé.
Il eft auffi néceffaire de demander un
confeil avec dignité , que de le donner
avec modeftie. On prévient l'injuftice de
la vanité en confultant avec un air touchant
, toujours affez flatteur pour contenir
l'orgueil qui voudroit agir . Celui qui
confulte a un fervice à obtenir & une offenfe
à éviter ; un fervice , parce qu'un bon
confeil donné avec cet air de ménagement
qui vient de la confidération , porte naturellement
ce nom ; une offenfe , parce que
l'homme naturellement vain abufe aifé-
1
SEPTEMBRE . 1755. 33
ment des fervices qu'il rend , & les tourne
toujours en offenfe lorfque la façon de les
demander n'a pas quelque chofe d'impofant
qui lui imprime la confidération. On
eft für d'obtenir l'un & d'éviter l'autre
par
l'art de demander .On réuffira même au -delà
de fes efpérances , fi l'on fçait tirer de cet art
tout ce que l'on peut en attendre . Celui
que vous confulterez , forcé à vous ſuppofer
de la nobleffe à proportion que vous en
aurez montré , jugera de fon mérite & de
votre eftime pour lui par votre démarche
qui les mettra dans tout leur jour ; fa vanité
careffée ; portera fes idées fur la préférence
que vous lui aurez donnée , & les détournera
du fervice qu'il vous aura rendų ;
il vous chérira , vous estimera , vous refpectera
. La reconnoiffance lui dictera des
remerciemens dont vous verrez facilement
la fincérité. Si dans ce moment vous lui
demandiez les plus grandes preuves de prédilection
, il feroit capable de vous les ac-
-corder & de vous en remercier de même.
Car que ne doit on pas attendre d'un homme
lorfqu'on a fçu flatter fa vanité ?
La plupart des concurrens font ou diffi-
-mulés avec baffefle , ou fermes avec infolence
, & il n'arrive que trop fouvent qu'ils
triomphent par l'un ou l'autre de ces défauts,
mais très - fouvent auffi leur victoire
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
les livre à la haine & au mépris publics.
L'on fent bien que , lorfqu'on demande
une préférence fur un rival , la gloire ne
fouffre pas que l'on manque , par fa faute,
de l'obtenir ; afficher fon ambition , c'eſt
afficher la préfomption fi l'on ne réuffit pas.
Mais pour réuflir n'y a-t- il point de moyens
innocens qui ne foient dangéreux ? Oui ,
fans doute , il en eft , & les voici. C'eſt à
'celui- là feul qui en fçait faire ufage , que
font réfervés le véritable fuccès & la véritable
gloire de réuffit . Que l'on foit ouvert
avec prudence & ferme avec nobleffe , que
l'on paroiffe n'avoir de l'ambition que par
-ce que l'on fe doit à foi- même d'en avoir
lorfqu'on eft fait pour parvenir , que cette
ambition n'ait pas l'air de la prétention ,
que l'opinion que l'on ade foi ne foit point
décélée par certain air de fuffifance , que
l'efpérance feule fe laiffe voir, mais qu'il
•paroiffe que foutenue du defir de la gloire,
elle fuffira pour donner la conftance de fol.
liciter ce que l'on demande, ou de pourſuivre
ce que l'on a entrepris.
Si l'on a pour concurrent un homme
abfolument fupérieur en rang ou en mérite
, on ne fçauroit réparer par trop d'é
gards l'audace de s'être mis à côté de lui ,
mais ces égards dégénéreroient en baſſeffe
s'ils ne laiffoient plus diftinguer cet air de
SEPTEMBRE . 1755. 35
C
réfolution qui marque une ame courageufe
, & qui fçait rendre aux autres ce qui
leur eſt dû fans oublier ce qu'elle fe doit à
elle-même.
Si celui dont on fe voit le rival eft un
homme médiocre mais modefte , s'il paroît
que fon ambition ait pris fa fource dans fa
mauvaiſe fortune , fi fon fort dépend de la
réuffite de fes idées ; le traiter avec humanité,
ne fe montrer à lui qu'avec la moitié
de fes moyens , foutenir fon efpérance en
lui fauvant les preuves de fon infériorité ,
defcendre jufqu'à lui & lui conferver fon
illufion , paroître regretter d'être fon compétiteur
, fans que ce regret ait rien d'humiliant
pour lui ; c'eft avoir le procédé d'un
homme généreux , d'un homme admirable
, d'un homme que tout le monde doit
aimer.
Voilà de fûrs moyens de fe faire valoir.
On les trouvé dans fon coeur lorfque l'on
penfe bien. J'ai pris dans le mien le deffein
de les expofer aux yeux des hommes
pour les tenter s'il eft poffible. Je fuis fûr
d'avoir bien fait , mais aurai- je aſſez bien
dit pour être écouté tout dépend aujourd'hui
de l'art de l'efprit. Un fermon même
eft ennuyeux s'il n'eft agréable ; il n'y a
plus de milieu. La raifon devroit pourtant
avoir confervé quelque privilege ; elle dit
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
toujours des chofes & l'efprit en fait fouvent
fouhaiter. Je fçais que l'efprit est trèsaimable
, & que s'il joignoit à fes agrémens
l'appanage de la raifon , il vaudroit beaucoup
mieux qu'elle ; mais il n'a pas tout ,
ce n'eft prefque qu'une belle fleur ; pourquoi
s'y attacher uniquement le printems
eft bien court ; doit - on vivre fans provifions
pour les autres faifons de l'année ?
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Résumé : SUITE DE L'ESTIME DE SOI-MESME, Ou l'art d'augmenter celle des autres, Par M. de Bastide.
Le texte 'Suite de l'estime de soi-même' de M. de Baftide examine les contradictions humaines entre la jalousie et l'admiration, et comment ces traits influencent les succès mondains. L'auteur met en avant l'importance de l'art de se faire valoir pour atteindre ses ambitions, tout en distinguant cet art des pratiques immorales comme la flatterie ou la trahison. L'art de se faire valoir est décrit comme innocent et efficace. Il consiste à augmenter l'estime des autres sans susciter de reproches. Les moyens pour y parvenir incluent la modestie, la douceur, la docilité, et la capacité à donner des conseils avec tact. L'auteur insiste sur l'importance de ne pas négliger ses intérêts de manière imprudente et de savoir quand montrer de la générosité. Le texte met également en garde contre les dangers de la vanité excessive et de la présomption. Il recommande de savoir flatter la vanité des autres sans les offenser et de demander des conseils avec dignité. L'auteur souligne que les concurrents doivent éviter la bassesse et l'insolence, et qu'il existe des moyens innocents pour réussir et obtenir la véritable gloire. L'auteur décrit des stratégies pour se faire valoir en adoptant un comportement généreux et admirable. Il recommande de ne montrer à un compétiteur que la moitié de ses moyens, de lui épargner les preuves de son infériorité, de descendre à son niveau et de lui conserver son illusion, tout en regrettant d'être son compétiteur sans l'humilier. Ces moyens sont ceux d'un homme généreux et admirable, digne d'amour. L'auteur exprime sa décision d'exposer ces principes aux hommes pour les inciter à les adopter. Il doute cependant d'avoir suffisamment bien exprimé ses idées pour être écouté. Il souligne l'importance de l'art de l'esprit dans la communication, affirmant qu'un sermon, même raisonnable, est ennuyeux s'il n'est pas agréable. La raison devrait avoir un privilège, mais l'esprit, bien qu'aimable, manque souvent de profondeur. L'auteur compare l'esprit à une belle fleur éphémère, soulignant la nécessité de provisions pour les autres saisons de la vie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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130
p. 63-68
Réponse de M. Rousseau à M. de Voltaire Septembre 1755.
Début :
C'est à moi, Monsieur, de vous remercier à tous égards. En vous offrant [...]
Mots clefs :
Hommes, Gloire, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Réponse de M. Rousseau à M. de Voltaire Septembre 1755.
Réponse de M. Rouſſeau à M. de Voltaire
Septembre 1755.
C
' Eft à moi , Monfieur, de vous remer .
cier à tous égards . En vous offrant
l'ébauche de mes triftes rêveries , je n'ai
point cru vous faire un préfent digne de
vous , mais m'acquitter d'un devoir , &
vous rendre un hommage que nous vous
devons tous comme à notre chef. Senfible
d'ailleurs à l'honneur que vous faites à ma
patrie , je partage la reconnoiffance de mes
citoyens , & j'efpere qu'elle ne fera qu'augmenter
encore , lorfqu'ils auront profité
des inftructions que vous pouvez leur donner.
Embelliffez l'afyle que vous avez
choiſi : éclairez un peuple digne de vos
leçons ; & vous qui fçavez fi bien peindre
les vertus & la liberté , apprenez - nous
à les chérir dans nos moeurs comme dans
vos écrits. Tout ce qui vous approche doit
apprendre de vous le chemin de la gloire
64 MERCURE DE FRANCE.
& de l'immortalité. Vous voyez que je
n'afpire pas à nous rétablir dans notre bêtife
, quoique je regrette beaucoup pour
ma part , le peu que j'en ai perdu . A votre
égard , Monfieur , ce retour feroit un mi- -
racle fi grand, qu'il n'appartient qu'à Dien
de le faire , & fi pernicieux qu'il n'appartient
qu'au diable de le vouloir. Ne tentez
donc pas de retomber à quatre pattes ,
perfonne au monde n'y réuffiroit moins
que vous. Vous nous redreffez trop bien
fur nos deux pieds pour ceffer de vous
tenir fur les vôtres . Je conviens de toutes
les difgraces qui pourfuivent les hommes
célébres dans la littérature . Je conviens
même de tous ces maux attachés à l'humanité
qui paroiffent indépendans de nos
vaines connoiffances. Les hommes ont ouvert
fur eux - mêmes tant de fources de
miferes , que quand le hazard en détourne
quelqu'une , ils n'en font guère plus
heureux . D'ailleurs , il y a dans le progrès
des chofes des liaifons cachées que
le vulgaire n'apperçoit pas , mais qui n'échapperont
point à l'oeil du Philofophe ,
quand il y voudra réfléchir. Ce n'eft ni
Terence , ni Ciceron , ni Virgile , ni Sénéque
, ni Tacite , qui ont produit les
crimes des Romains & les malheurs de
Rome; mais fans le poifon lent & fecret
NOVEMBRE. 1755. 65
qui corrompoit infenfiblement le plus vigoureux
gouvernement dont l'Hiftoire ait
fait mention , Cicéron , ni Lucréce , ni
Sallufte , ni tous les autres , n'euffent
point exifté ou n'euffent point écrit. Le
fiécle aimable de Lælius & de Térence
amenoit de loin le fiécle brillant d'Auguf
te & d'Horace , & enfin les fiécles horribles
de Senéque & de Néron , de Tacite
& de Domitien . Le goût des fciences &
des arts naît chez un peuple d'un vice intérieur
qu'il augmente bientôt à fon tour ;
& s'il eft vrai que tous les progrès humains
font pernicieux à l'efpece , ceux de
l'efprit & des connoiffances qui augmennotre
orgueil , & multiplient nos
égaremens , accélerent bientôt nos malheurs
: mais il vient un tems où elles font
néceffaires pour l'empêcher d'augmenter.
C'eft le fer qu'il faut laiffer dans la plaie ,
de peur que le bleffé n'expire en l'arrachant.
Quant à moi , fi j'avois fuivi ma
premiere vocation , & que je n'euffe ni
lu ni écrit , j'en aurois été fans doute plus
heureux cependant , fi les lettres étoient
maintenant anéanties , je ferois privé de
l'unique plaifir qui me refte. C'eft dans
leur fein que je me confole de tous mes
maux. C'eſt parmi leurs illuftres enfans
que je goûte les douceurs de l'amitié ,
66 MERCURE DE FRANCE.
que j'apprens à jouir de la vie , & à méprifer
la mort. Je leur dois le peu que je
fuis , je leur dois même l'honneur d'être
connu de vous. Mais confultons l'intérêt
dans nos affaires , & la vérité dans nos
écrits ; quoiqu'il faille des Philofophes ,
des Hiftoriens & des vrais Sçavans pour
éclairer le monde & conduire fes aveugles
habitans . Si le fage Memnon m'a dit
vrai , je ne connois rien de fi fou qu'un
peuple de Sages ; convenez-en , Monfieur .
S'il eft bon que de grands génies inftruifent
les hommes , il faut que le vulgaire
reçoive leurs inftructions ; fi chacun fe
mêle d'en donner , où feront ceux qui les
voudront recevoir ? Les boiteux , dit Montagne
, font mal- propres aux exercices du
corps ; & aux exercices de l'efprit , les ames
boiteufes ; mais en ce fiécle fçavant on ne
voit que boiteux vouloir apprendre à mar,
cher aux autres. Le peuple reçoit les écrits
des Sages pour les juger & non pour s'inftruire.
Jamais on ne vit tant de Dandins :
le théatre en fourmille , les caffés rétentiffent
de leurs fentences , les quais régorgent
de leurs écrits , & j'entens critiquer
l'Orphelin , parce qu'on l'applaudit , à
tel grimaud fi peu capable d'en voir les
défauts , qu'à peine en fent -il les beautés.
Recherchons la premiere fource de tous
NOVEMBRE. 1755 67
les défordres de la fociété , nous trouverons
que tous les maux des hommes leur
viennent plus de l'erreur que de l'ignorance
, & que ce que nous ne fçavons point
nous nuit beaucoup moins que ce que
nous croyons fçavoir. Or quel plus für
moyen de courir d'erreurs en erreurs , que
la fureur de fçavoir tout ? Si l'on n'eût pas
prétendu fçavoir que la terre ne tournoit
pas , on n'eût point puni Galilée pour avoir
dit qu'elle tournoit . Si les feuls Philofophes
en euffent réclamé le titre , l'Encyclopédie
n'eût point eu de perfécuteurs. Si cent
mirmidons n'afpiroient point à la gloire ,
vous jouiriez paiſiblement de la vôtre , ou
du moins vous n'auriez que des adverfaires
dignes de vous . Ne foyez donc point
furpris de fentir quelques épines inféparables
des fleurs qui couronnent les grands
talens. Les injures de vos ennemis font les
cortéges de votre gloire , comme les acclamations
fatyriques étoient ceux dont on
accabloit les Triomphateurs. C'est l'empreffement
que le public a pour tous vos
écrits , qui produit les vols dont vous vous
plaignez mais les falfifications n'y font
pas faciles ; car ni le fer ni le plomb ne
s'allient pas avec l'or. Permettez-moi de
vous le dire , par l'intérêt que je prends
à votre repos & à notre inftruction : mé68
MERCURE DE FRANCE.
prifez de vaines clameurs , par lefquelles
on cherche moins à vous faire du mal
qu'à vous détourner de bien faire. Plus on
Vous critiquera , plus vous devez vous
faire admirer ; un bon livre est une terrible
réponſe à de mauvaiſes injures . Eh !
qui oferoit vous attribuer des écrits que
vous n'aurez point faits , tant que vous ne
continuerez qu'à en faire d'inimitables ?
Je fuis fenfible à votre invitation ; & fi
cet hyver me laiffe en état d'aller au printems
habiter ma patrie , j'y profiterai de
vos bontés mais j'aime encore mieux
boire de l'eau de votre fontaine que du
lait de vos vaches ; & quant aux herbes
de votre verger, je crains bien de n'y trouver
que le lotos qui n'eft que la pâture des
bêtes , ou le moli qui empêche les hommes
de le devenir.
Je fuis de tout mon coeur , avec refpect ,
&c.
Septembre 1755.
C
' Eft à moi , Monfieur, de vous remer .
cier à tous égards . En vous offrant
l'ébauche de mes triftes rêveries , je n'ai
point cru vous faire un préfent digne de
vous , mais m'acquitter d'un devoir , &
vous rendre un hommage que nous vous
devons tous comme à notre chef. Senfible
d'ailleurs à l'honneur que vous faites à ma
patrie , je partage la reconnoiffance de mes
citoyens , & j'efpere qu'elle ne fera qu'augmenter
encore , lorfqu'ils auront profité
des inftructions que vous pouvez leur donner.
Embelliffez l'afyle que vous avez
choiſi : éclairez un peuple digne de vos
leçons ; & vous qui fçavez fi bien peindre
les vertus & la liberté , apprenez - nous
à les chérir dans nos moeurs comme dans
vos écrits. Tout ce qui vous approche doit
apprendre de vous le chemin de la gloire
64 MERCURE DE FRANCE.
& de l'immortalité. Vous voyez que je
n'afpire pas à nous rétablir dans notre bêtife
, quoique je regrette beaucoup pour
ma part , le peu que j'en ai perdu . A votre
égard , Monfieur , ce retour feroit un mi- -
racle fi grand, qu'il n'appartient qu'à Dien
de le faire , & fi pernicieux qu'il n'appartient
qu'au diable de le vouloir. Ne tentez
donc pas de retomber à quatre pattes ,
perfonne au monde n'y réuffiroit moins
que vous. Vous nous redreffez trop bien
fur nos deux pieds pour ceffer de vous
tenir fur les vôtres . Je conviens de toutes
les difgraces qui pourfuivent les hommes
célébres dans la littérature . Je conviens
même de tous ces maux attachés à l'humanité
qui paroiffent indépendans de nos
vaines connoiffances. Les hommes ont ouvert
fur eux - mêmes tant de fources de
miferes , que quand le hazard en détourne
quelqu'une , ils n'en font guère plus
heureux . D'ailleurs , il y a dans le progrès
des chofes des liaifons cachées que
le vulgaire n'apperçoit pas , mais qui n'échapperont
point à l'oeil du Philofophe ,
quand il y voudra réfléchir. Ce n'eft ni
Terence , ni Ciceron , ni Virgile , ni Sénéque
, ni Tacite , qui ont produit les
crimes des Romains & les malheurs de
Rome; mais fans le poifon lent & fecret
NOVEMBRE. 1755. 65
qui corrompoit infenfiblement le plus vigoureux
gouvernement dont l'Hiftoire ait
fait mention , Cicéron , ni Lucréce , ni
Sallufte , ni tous les autres , n'euffent
point exifté ou n'euffent point écrit. Le
fiécle aimable de Lælius & de Térence
amenoit de loin le fiécle brillant d'Auguf
te & d'Horace , & enfin les fiécles horribles
de Senéque & de Néron , de Tacite
& de Domitien . Le goût des fciences &
des arts naît chez un peuple d'un vice intérieur
qu'il augmente bientôt à fon tour ;
& s'il eft vrai que tous les progrès humains
font pernicieux à l'efpece , ceux de
l'efprit & des connoiffances qui augmennotre
orgueil , & multiplient nos
égaremens , accélerent bientôt nos malheurs
: mais il vient un tems où elles font
néceffaires pour l'empêcher d'augmenter.
C'eft le fer qu'il faut laiffer dans la plaie ,
de peur que le bleffé n'expire en l'arrachant.
Quant à moi , fi j'avois fuivi ma
premiere vocation , & que je n'euffe ni
lu ni écrit , j'en aurois été fans doute plus
heureux cependant , fi les lettres étoient
maintenant anéanties , je ferois privé de
l'unique plaifir qui me refte. C'eft dans
leur fein que je me confole de tous mes
maux. C'eſt parmi leurs illuftres enfans
que je goûte les douceurs de l'amitié ,
66 MERCURE DE FRANCE.
que j'apprens à jouir de la vie , & à méprifer
la mort. Je leur dois le peu que je
fuis , je leur dois même l'honneur d'être
connu de vous. Mais confultons l'intérêt
dans nos affaires , & la vérité dans nos
écrits ; quoiqu'il faille des Philofophes ,
des Hiftoriens & des vrais Sçavans pour
éclairer le monde & conduire fes aveugles
habitans . Si le fage Memnon m'a dit
vrai , je ne connois rien de fi fou qu'un
peuple de Sages ; convenez-en , Monfieur .
S'il eft bon que de grands génies inftruifent
les hommes , il faut que le vulgaire
reçoive leurs inftructions ; fi chacun fe
mêle d'en donner , où feront ceux qui les
voudront recevoir ? Les boiteux , dit Montagne
, font mal- propres aux exercices du
corps ; & aux exercices de l'efprit , les ames
boiteufes ; mais en ce fiécle fçavant on ne
voit que boiteux vouloir apprendre à mar,
cher aux autres. Le peuple reçoit les écrits
des Sages pour les juger & non pour s'inftruire.
Jamais on ne vit tant de Dandins :
le théatre en fourmille , les caffés rétentiffent
de leurs fentences , les quais régorgent
de leurs écrits , & j'entens critiquer
l'Orphelin , parce qu'on l'applaudit , à
tel grimaud fi peu capable d'en voir les
défauts , qu'à peine en fent -il les beautés.
Recherchons la premiere fource de tous
NOVEMBRE. 1755 67
les défordres de la fociété , nous trouverons
que tous les maux des hommes leur
viennent plus de l'erreur que de l'ignorance
, & que ce que nous ne fçavons point
nous nuit beaucoup moins que ce que
nous croyons fçavoir. Or quel plus für
moyen de courir d'erreurs en erreurs , que
la fureur de fçavoir tout ? Si l'on n'eût pas
prétendu fçavoir que la terre ne tournoit
pas , on n'eût point puni Galilée pour avoir
dit qu'elle tournoit . Si les feuls Philofophes
en euffent réclamé le titre , l'Encyclopédie
n'eût point eu de perfécuteurs. Si cent
mirmidons n'afpiroient point à la gloire ,
vous jouiriez paiſiblement de la vôtre , ou
du moins vous n'auriez que des adverfaires
dignes de vous . Ne foyez donc point
furpris de fentir quelques épines inféparables
des fleurs qui couronnent les grands
talens. Les injures de vos ennemis font les
cortéges de votre gloire , comme les acclamations
fatyriques étoient ceux dont on
accabloit les Triomphateurs. C'est l'empreffement
que le public a pour tous vos
écrits , qui produit les vols dont vous vous
plaignez mais les falfifications n'y font
pas faciles ; car ni le fer ni le plomb ne
s'allient pas avec l'or. Permettez-moi de
vous le dire , par l'intérêt que je prends
à votre repos & à notre inftruction : mé68
MERCURE DE FRANCE.
prifez de vaines clameurs , par lefquelles
on cherche moins à vous faire du mal
qu'à vous détourner de bien faire. Plus on
Vous critiquera , plus vous devez vous
faire admirer ; un bon livre est une terrible
réponſe à de mauvaiſes injures . Eh !
qui oferoit vous attribuer des écrits que
vous n'aurez point faits , tant que vous ne
continuerez qu'à en faire d'inimitables ?
Je fuis fenfible à votre invitation ; & fi
cet hyver me laiffe en état d'aller au printems
habiter ma patrie , j'y profiterai de
vos bontés mais j'aime encore mieux
boire de l'eau de votre fontaine que du
lait de vos vaches ; & quant aux herbes
de votre verger, je crains bien de n'y trouver
que le lotos qui n'eft que la pâture des
bêtes , ou le moli qui empêche les hommes
de le devenir.
Je fuis de tout mon coeur , avec refpect ,
&c.
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Résumé : Réponse de M. Rousseau à M. de Voltaire Septembre 1755.
En septembre 1755, Jean-Jacques Rousseau répond à Voltaire en exprimant sa gratitude pour l'honneur rendu à sa patrie. Rousseau reconnaît Voltaire comme un chef et un modèle, espérant que les citoyens bénéficient de ses enseignements. Il admire Voltaire pour sa capacité à illustrer les vertus et la liberté, et souhaite que Voltaire continue d'éclairer le peuple. Rousseau aborde les difficultés des hommes célèbres et les maux de l'humanité, soulignant que les progrès des sciences et des arts peuvent être pernicieux mais nécessaires. Il regrette de ne pas avoir suivi sa première vocation, mais trouve du réconfort dans les lettres. Rousseau admire les lettres pour les douceurs de l'amitié et la connaissance qu'elles apportent. Il discute de l'importance des philosophes, des historiens et des savants pour éclairer le monde, tout en reconnaissant les dangers de la prétention de savoir tout. Rousseau critique la société où chacun veut instruire les autres, menant à une prolifération d'erreurs. Il conclut en exhortant Voltaire à ne pas se laisser distraire par les critiques et à continuer à produire des œuvres admirables. Rousseau exprime son désir de profiter des bontés de Voltaire et conclut avec respect.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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131
p. 77-124
Eloge de M. le Président de Montesquieu.
Début :
L'intérêt que les bons citoyens prennent à l'Encyclopédie, & le grand nombre de [...]
Mots clefs :
Montesquieu, Encyclopédie, Gloire, Moeurs, Ouvrage, Auteur, Esprit, Hommes, Académie, Parlement de Bordeaux, Académie française, Éloge, De l'esprit des lois, Lettres persanes, Amour, Nations, Malheur, Commerce, Intérêt, Honneur, Étude, Citoyen, Philosophie, Religion, Gouvernement, Roi, Sciences, Parlement
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Eloge de M. le Président de Montesquieu.
Ous ne pouvons mieux ouvrir cet arpar
volume de l'Encyclopédie. Qui ſe diſtribue
depuis quelques jours chez Briaffon , David
l'aîné , le Breton , & Durand. Il doit être
d'autant plus intéreffant que M. de Voltaire
y a travaillé les mots , efprit , éloquence
, élégance. Qui pouvoit mieux en
parler ? Le morceau qui paroît à la tête du
même volume , acheve de le rendre précieux
. C'eſt l'éloge de M. de Montesquieu
par M. d'Alembert . On peut dire fans
fadeur que le Panégyrifte eft digne du
héros . Cet éloge nous a paru d'une fi grande
beauté , que nous croyons obliger le
Lecteur de l'inférer ici dans fon entier.
Quant à la note qui fe trouve à la page
huit , comme elle contient elle - feule une
excellente analyſe de l'Efprit des Loix ,
nous avons craint de prodiguer à la fois
tant de richeffes , & par une jufte économie,
nous l'avons réfervée pour en décorer
le premier Mercure de Décembre . Ceux
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
qui n'auront pas le Dictionnaire , feront
charmés de trouver cette piece complette
dans mon Journal , où ils pourront même
la lire plus commodément , puifqu'il eſt
portatif.
Eloge de M. le Préſident de Montefquien.
L'intérêt que les bons citoyens prennent
à l'Encyclopédie, & le grand nombre de
gens de Lettres qui lui confacrent leurs
travaux , femblent nous permettre de la
regarder comme un des monumens les
plus propres à être dépofitaires des fentimens
de la patrie , & des hommages
qu'elle doit aux hommes célebres qui l'ont
honorée . Perfuadés néanmoins que M.
de Montesquieu étoit en droit d'attendre
d'autres Panégyriftes que nous , & que la
douleur publique eût mérité des interpretes
plus éloquens , nous euflions renfermé
au- dedans de nous-mêmes nos juftes
regrets & notre refpect pour fa mémoire ;
mais l'aveu de ce que nous lui devons ,
nous eft trop précieux pour en laiffer le
foin à d'autres. Bienfaicteur de l'humanité
par fes écrits , il a daigné l'être auffi de
cet ouvrage , & notre reconnoiffance ne
veut que tracer quelques lignes au pied de
fa ftatue .
Charles de Secondat , Baron de la Brede
NOVEMBRE. 1755. 79
& de Montesquieu , ancien Préfident à
Mortier au Parlement de Bordeaux , de
l'Académie Françoife, de l'Académie royale
des Sciences & des Belles - Lettres de
Pruffe , & de la Société de Londres , naquit
au Château de la Brede , près de Bordeaux
, le 18 Janvier 1689 , d'une famille
noble de Guyenne. Son trifayeul , Jean de
Secondat , Maître d'Hôtel de Henri II ,
Roi de Navarre , & enfuite de Jeanne ,
fille de ce Roi , qui époufa Antoine de
Bourbon , acquit la terre de Montesquieu
d'une fomme de 10000 livres que cette
Princeffe lui donna par un acte authentique
, en récompenfe de fa probité & de
fes fervices. Henri III , Roi de Navarre ,
depuis Henri IV , Roi de France , érigea
en Baronie la terre de Montefquieu , en
faveur de Jacob de Secondat , fils de Jean ,
d'abord Gentilhomme ordinaire de la
Chambre de ce Prince , & enfuite Meftre
de camp du Régiment de Châtillon.
Jean Gafton de Secondat , fon fecond fils ,
ayant époufé la fille du Premier Préfident
du Parlement de Bordeaux , acquit dans
cette Compagnie une charge de Préfident
à Mortier. Il eut plufieurs enfans , dont
un entra dans le fervice , s'y diftingua ,
& le quitta de fort bonne heure. Ce fut
pere de Charles de Secondat , auteur Le
Div
So MERCURE DE FRANCE.
de l'Efprit des Loix . Ces détails paroîtront
peut- être déplacés à la tête de l'éloge
d'un philofophe dont le nom a fi peu
befoin d'ancêtres ; mais n'envions point
à leur mémoire l'éclat que ce nom répand
fur elle.
Les fuccès de l'enfance préfage quelquefois
fi trompeur , ne le furent point
dans Charles de Secondat : il annonça de
bonne heure ce qu'il devoit être ; & fon
pere donna tous fes foins à cultiver ce génie
naiffant , objet de fon efpérance &
de fa tendreſſe . Dès l'âge de vingt ans , le
jeune Montefquieu préparoit déja les matériaux
de l'Esprit des Loix , par un extrait
raifonné des immenfes volumes qui compofent
le corps du Droit civil ; ainfi autrefois
Newton avoit jetté dès fa premiere
jeuneffe les fondemens des ouvrages qui
l'ont rendu immortel . Cependant l'étude
de la Jurifprudence , quoique moins aride
pour M. de Montefquieu que pour la
plupart de ceux qui s'y livrent , parce qu'il
la cultivoit en philofophe , ne fuffifoit pas
à l'étendue & à l'activité de fon génie ; il
approfondiffoit dans le même temps des
matieres encore plus importantes & plus
délicates , & les difcutoit dans le filence
avec la fageffe , la décence , & l'équité
qu'il a depuis montrées dans fes ouvrages .
NOVEMBRE. 1755 . 81
Un oncle paternel , Préfident à Mortier
au Parlement de Bordeaux , Juge éclairé
& citoyen vertueux , l'oracle de fa compagnie
& de fa province , ayant perdu un
fils unique , & voulant conferver dans fon
Corps l'efprit d'élevation qu'il avoit tâché
d'y répandre , laiffa fes biens & fa charge
à M. de Montefquieu ; il étoit Confeiller
au Parlement de Bordeaux , depuis le 24
Février 1714 , & fut reçu Préſident à
Mortier le 13 Juillet 1716. Quelques années
après , en 1722 , pendant la minorité
du Roi , fa Compagnie le chargea de préfenter
des remontrances à l'occafion d'un
nouvel impôt. Placé entre le thrône & le
peuple , il remplit en fujet refpectueux &
en Magiftrat plein de courage , l'emploi fi
noble & fi peu envié , de faire parvenir
au Souverain le cri des malheureux ; & la
mifere publique repréfentée avec autant
d'habileté que de force , obtint la justice.
qu'elle demandoit . Ce fuccès , il eft vrai ,
par malheur l'Etat bien plus que pour
pour
lui , fut auffi paffager que s'il eût été injufte
; à peine la voix des peuples eût- elle
ceffé de le faire entendre , que l'impôt
fupprimé fut remplacé par un autre ; mais
le citoyen avoit fait fon devoir.
Il fut reçu le 3 Avril 1716 dans l'Académie
de Bordeaux , qui ne faifoit que de
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
naître . Le gout pour la Mufique & pour
les ouvrages de pur agrément , avoit d'abord
raflemblé les membres qui la for
moient. M. de Montefquieu crut avec raifon
que l'ardeur naiffante & les talens de
fes confieres pourroient s'exercer avec encore
plus d'avantage fur les objets de la
Phyfique. Il étoit perfuadé que la nature ,
digne d'être obfervée par -tout , trouvoit
aufli par tout des yeux dignes de la voir ;
qu'au contraire les ouvrages de goût ne
fouffrant point de médiocrité , & la Capitale
étant en ce genre le centre des lumieres
& des fecours , il étoit trop difficile de
rafferobler loin d'elle un affez grand nombre
d'écrivains diftingués ; il regardoit les
Sociétés de bel efprit , fi étrangement multipliées
dans nos provinces , comme une
efpece , ou plutôt comme une ombre de
luxe littéraire qui nuit à l'opulence réelle
fans même en offrir l'apparence . Heureufement
M. le Duc de la Force , par un prix
qu'il venoit de fonder à Bordeaux , avoit
fecondé des vues fi éclairées & fi juftes.
On jugea qu'une expérience bien faite
feront préférable à un difcours foible , ou
à un mauvais poëme ; & Bordeaux eut
une Académie des Sciences .
M. de Montefquieu nullement empreffé
de fe montrer au public , fembloit attenNOVEMBRE.
1755. 83
dre , felon l'expreffion d'un grand génie ,
un âge mur pour écrire ; ce ne fut qu'en
1721 , c'eft -à- dire âgé de trente - deux ans,
qu'il mit au jour les Lettres Perfannes. Le
Siamois des amufemens ferieux & comiques
pouvoit lui en avoir fourni l'idée ; mais
il furpaffa fon modele . La peinture des
moeurs orientales réelles ou fuppofées , de
l'orgueil & du flegme de l'amour aliatique
, n'eft que le moindre objet de ces
Lettres ; elle n'y fert , pour ainfi dire , que
de prétexte à une fatyre fine de nos moeurs,
& à des matieres importantes que l'Auteur
approfondit en paroiffant gliffer fur
elles. Dans cette efpèce de tableau mouvant
, Ufbek expofe fur-tout avec autant
de légereté que d'énergie ce qui a le plus
frappé parmi nous fes yeux pénétrans ;
notre habitude de traiter férieufement les
chofes les plus futiles , & de tourner les
plus importantes en plaifanterie ; nos converfations
fi bruyantes & fi frivoles ; notre
ennui dans le fein du plaifir même ;
nos préjugés & nos actions en contradiction
continuelle avec nos lumieres ; tant
d'amour pour la gloire joint à tant de
refpect pour l'idole de la faveur ; nos
Courtifans fi rampans & fi vains ; notre
politeffe extérieure & notre mépris réel
pour les étrangers , ou notre prédilection
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
affectée pour eux ; la bifarrerie de nos
gouts , qui n'a rien au- deffous d'elle que
l'empreffement de toute l'Europe à les
adopter ; notre dédain barbare pour deux
des plus refpectables occupations d'un citoyen
, le commerce & la magiftrature ;
nos difputes littéraires fi vives & fi inuti
les ; notre fureur d'écrire avant que de
penfer , & de juger avant que de connoître.
A cette peinture vive , mais fans
fiel , il oppofe dans l'apologue des Troglodites
, le tableau d'un peuple vertueux ,
devenu fage par le malheur , morceau
digne du Portique : ailleurs il montre la
philofophie long-tems étouffée , reparoiffant
tout-à- coup , regagnant par les progrès
le tems qu'elle a perdu , pénétrant
jufques chez les Ruffes à la voix d'un génie
qui l'appelle , tandis que chez d'autres
peuples de l'Europe , la fuperftition , femblable
à une atmoſphere épaiffe , empêche
la lumiere qui les environne de toutes
parts d'arriver jufqu'à eux. Enfin , par les
principes qu'il établit fur la nature des
gouvernemens anciens & modernes , il
préfente le germe de ces idées lumineufes
développées depuis par l'Auteur dans fon
grand ouvrage.
Ces différens fujets , privés aujourd'hui
des graces de la nouveauté qu'ils avoient
8
NOVEMBRE. 1755. 85
dans la naiffance des Lettres Perfannes , y
conferveront toujours le mérite du caractere
original qu'on a fçu leur donner ;
mérite d'autant plus réel , qu'il vient ici
du génie feul de l'écrivain , & non du
voile étranger dont il s'eft couvert ; car
Ufbek a pris durant fon féjour en France ,
non feulement une connoiffance fi parfaite
de nos moeurs , mais une fi forte teinture
de nos manieres mêmes , que fon
ftyle fait fouvent oublier fon pays . Ce
léger défaut de vraisemblance peut n'être
fans deffein & fans adreffe : en relevant
nos ridicules & nos vices , il a voulu
fans doute auffi rendre juftice à nos
avantages ; il a fenti toute la fadeur d'un
éloge direct & il s'en eft plus finement
acquitté , en prenant fi fouvent notre ton
pour médire plus agréablement de nous.
pas
Malgré le fuccès de cet ouvrage , M.
de Montefquieu ne s'en étoit point déclaré
ouvertement l'auteur. Peut - être
croyoit- il échapper plus aifément par ce
moyen à la fatyre littéraire , qui épargne
plus volontiers les écrits anonymes , parce
que c'est toujours la perfonne & non l'ouvrage
qui eft le but de fes traits ; peut- être
craignoit- il d'être attaqué fur le prétendu
contrafte des Lettres Perfannes avec l'auférité
de fa place ; efpece de reproche ,
86 MERCURE DE FRANCE.
difoit il , que les critiques ne manquent
jamais, parce qu'il ne demande aucun effort
d'efprit. Mais fon fecret étoit découvert ,
& déja le public le montroit à l'Académie
Françoife. L'événement fit voir combien
le filence de M. de Montefquieu avoit été
fage . Ufbek s'exprime quelquefois affez
librement , non fur le fonds du Chriftianiſme
, mais fur des matieres que trop de
perfonnes affectent de confondre avec le
Chriftianifme même , fur l'efprit de
perfécution
dont tant de Chrétiens ont été
animés ; fur les ufurpations temporelles
de la puiffance eccléfiaftique ; fur la multiplication
exceffive des monafteres , qui
enleve des fujets à l'Etat , fans donner à
Dieu des adorateurs ; fur quelques opinions
qu'on a vainement tenté d'ériger
en dogmes ; fur nos difputes de religion ,
toujours violentes , & fouvent funeftes.
S'il paroît toucher ailleurs à des questions
plus délicates , & qui intéreffent de plus
près la religion chrétienne , fes réflexions
appréciées avec juftice , font en effet trèsfavorables
à la révélation , puifqu'il fe
borne à montrer combien la raifon humaine
, abandonnée à elle-même , eft peu
éclairée fur ces objets. Enfin , parmi les
véritables lettres de M. de Montefquieu ,
l'Imprimeur étranger en avoit inféré quel
NOVEMBRE. 1755. 87
ques -unes d'une autre main , & il eût
fallu du moins , avant que de condamner
l'auteur , démêler ce qui lui appartenoit
en propre. Sans égard à ces confidérations
, d'un côté la haine fous le rom
de zéle , de l'autre le zéle fans difcernement
ou fans lumieres , fe fouleverent &
fe réunirent contre les Lettres Perfannes.
Des délateurs , efpece d'hommes dangereufe
& lâche , que même dans un gouvernement
fage on a quelquefois le malheur
d'écouter , allarmerent par un extrait
infidele la piété du miniftere. M. de Montefquieu
, par le confeil de fes amis , foutenu
de la voix publique , s'étant préſenté
pour la place de l'Académie Françoiſe vacante
par la mort de M. de Sacy , le Miniftre
écrivit à cette Compagnie qué S. M.
ne donneroit jamais fon agrément à l'auteur
des Lettres Perfannes ; qu'il n'avoit
point lu ce livre , mais que des perfonnes
en qui il avoit confiance , lui en avoient
fait connoître le poifon & le danger . M.
de Montefquieu fentit le coup qu'une pareille
accufation pouvoit porter à fa perfonne
, à la famille , à la tranquillité de
fa vie. Il n'attachoit pas affez de prix aux
honneurs littéraires , ni pour les rechercher
avec avidité , ni pour affecter de les
dédaigner quand ils fe préfentoient à lui ,
88 MERCURE DE FRANCE.
:
ni enfin pour en regarder la fimple privation
comme un malheur ; mais l'exclufion
perpétuelle , & fur - tout les motifs de
l'exclufion lui paroiffoient une injure. Il vit
le Miniftre , lui déclara que par des raifons
particulieres il n'avouoit point les
Lettres Perfannes , mais qu'il étoit encore
plus éloigné de defavouer un ouvrage
dont il croyoit n'avoir point à rougir , &
qu'il devoit être jugé d'après une lecture ,
& non fur une délation le Miniftre prit
enfin le parti par où il auroit dû commencer
; il lut le livre , aima l'Auteur , & apprit
à mieux placer fa confiance ; l'Académie
Françoife ne fut point privée d'un de
fes plus beaux ornemens , & la France eut
le bonheur de conferver un fujet que la fuperftition
ou la calomnie étoient prêtes à
lui faire perdre : car M. de Montefquieu
avoit déclaré au Gouvernement qu'après
l'efpece d'outrage qu'on alloit lui faire ,
il iroit chercher chez les étrangers qui lui
tendoient les bras , la fureté , le repos , &
peut-être les recompenfes qu'il auroit dû
efperer dans fon pays. La nation eût déploré
cette perte , & la honte en fut pourtant
retombée fur elle.
Feu M. le Maréchal d'Eftrées , alors Directeur
de l'Académie Françoife , fe conduifit
dans cette circonftance en courtiſan
NOVEMBRE . 1755 . 89
vertueux , & d'une ame vraiment élevée ;
il ne craignit ni d'abufer de fon crédit ni
de le compromettre ; il foutint fon ami &
juftifia Socrate. Ce trait de courage fi précieux
aux Lettres , fi digne d'avoir aujourd'hui
des imitateurs , & fi honorable à
la mémoire de M. le Maréchal d'Eftrées ,
n'auroit pas dû être oublié dans fon éloge.
M. de Montefquieu fut reçu le 24 Janvier
1728. Son difcours eft un des meilleurs
qu'on ait prononcés dans une pareille
occafion ; le mérite en eft d'autant
plus grand , que les Récipiendaires gênés
jufqu'alors par ces formules & ces éloges
d'ufage auxquels une efpece de prefcription
les affujettit , n'avoient encore ofé
franchir ce cercle pour traiter d'autres fujets
, ou n'avoient point penfé du moins à
les y renfermer ; dans cet état même de
contrainte il eut l'avantage de réuffir . Entre
plufieurs traits dont brille fon difcours ,
on reconnoîtroit l'écrivain qui penſe , au
feul portrait du Cardinal de Richelieu
qui apprit à la France le fecret de fes forces ,
& à l'Espagne celui de fa foibleffe , qui ôta
à l'Allemagne fes chaînes , & lui en donna
de nouvelles. Il faut admirer M. de Montefquieu
d'avoir fçu vaincre la difficulté
de fon fujet, & pardonner à ceux qui n'ont
pas eu le même fuccès .
›
90 MERCURE DE FRANCE.
Le nouvel Académicien étoit d'autant
plus digne de ce titre , qu'il avoit peu de
tems auparavant renoncé à tout autre travail
, pour fe livrer entierement à fon
génie & à fon goût . Quelque importante
que fût la place qu'il occupoit , avec quelques
lumieres & quelque intégrité qu'il
en eût rempli les devoirs , il fentoit qu'il
y avoit des objets plus dignes d'occuper
fes talens ; qu'un citoyen eft redevable à
fa nation & à l'humanité de tout le bien
qu'il peut leur faire ; & qu'il feroit plus
utile à l'une & à l'autre , en les éclairant
par fes écrits , qu'il ne pouvoit l'être en
difcutant quelques conteftations particulieres
dans l'obfcurité . Toutes ces réflexions
le déterminerent à vendre fa charge
; il ceffa d'être Magiftrat , & ne fut plus
qu'homme de Lettres .
Mais pour fe rendre utile par fes ouvra
ges aux différentes nations , il étoit néceffaire
qu'il les connût ; ce fut dans cette
vue qu'il entreprit de voyager. Son but
étoit d'examiner partout le phyfique & le
moral , d'étudier les loix & la conftitution
de chaque pays , de vifiter les fçavans , les
écrivains , les artiftes célebres , de chercher
fur- tout ces hommes rares & finguliers
dont le commerce fupplée quelquefois à
plufieurs années d'obfervations & de féNOVEMBRE.
1755. 91
jour. M. de Montefquieu eût pu dire comme
Démocrite. Je n'ai rien oublié pour
» m'inftruire ; j'ai quitté mon pays , & parcouru
l'univers pour mieux connoître
» la vérité : j'ai vu tous les perfonnages
» illuftres de mon tems ; mais il y eût
cette différence entre le Démocrite François
& celui d'Abdere , que le premier
voyageoit pour inftruire les hommes , &
le fecond pour s'en moquer,
Il alla d'abord à Vienne , où il vit fouvent
le célebre Prince Eugene ; ce Héros
fi funefte à la France ( à laquelle il auroit
pû être fi utile ) , après avoir balancé la
fortune de Louis XIV. & humilié la fierté
Ottomane , vivoit fans fafte durant la paix,
aimant & cultivant les Lettres dans une
Cour où elles font peu en honneur , &
donnant à ſes maîtres l'exemple de les protéger.
M. de Montefquieu crut entrevoir
dans fes difcours quelques reftes d'intérêt
pour fon ancienne patrie ; le Prince Eugene
en laiffoit voir furtout , autant que le
peut faire un ennemi , für les fuites funeftes
de cette divifion inteftine qui trouble
depuis fi longtems l'Eglife de France :
l'Homme d'Etat en prévoyoit la durée &
les effets , & les prédit au Philofophe.
M. de Montefquieu partit de Vienne
pour voir la Hongrie , contrée opulente &
92 MERCURE DE FRANCE.
fertile, habitée par une nation fiere & généreufe
, le fléau de fes Tyrans & l'appui de
fes Souverains. Comme peu de perfonnes
connoiffent bien ce pays , il a écrit avec
foin cette partie de fes voyages.
D'Allemagne , il paffa en Italie ; il vit à
Venife le fameux Law , à qui il ne reftoit
de fa grandeur paffée que des projets heureufement
deftinés à mourir dans fa tête ,
& un diamant qu'il engageoit pour jouer
aux jeux de hafard . Un jour la converfation
rouloit fur le fameux fyftème que Law
avoit inventé ; époque de tant de malheurs
& de fortunes , & furtout d'une dépravation
remarquable dans nos moeurs . Comme
le Parlement de Paris , dépofitaire immédiat
des Loix dans les tems de minorité ,
avoit fait éprouver au Miniftre Ecoffois
quelque réfiftance dans cette occafion
M. de Montefquieu lui demanda pourquoi
on n'avoit pas effayé de vaincre cette réfiftance
par un moyen prefque toujours infaillible
en Angleterre , par le grand mobile
des actions des hommes , en un mot
par l'argent : Ce ne font pas , répondit Law,
desgénies auffi ardens & auf dangereux que
mes compatriotes , mais ils font beaucoup plus
incorruptibles. Nous ajouterons fans aucun
préjugé de vanité nationale , qu'un Corps
libre pour quelques inftans , doit mieux
NOVEMBRE. 1755. 93
résister à la corruption que celui qui l'eft
toujours ; le premier , en vendant fa liberté,
la perd ; le fecond ne fait , pour ainfi
dire , que la prêter , & l'exerce même en
l'engageant ; ainfi les circonftances & la
nature du Gouvernement font les vices &
les vertus des Nations.
Un autre perfonnage non moins fameux
que M. de Montefquieu vit encore plus .
fouvent à Venife , fut le Comte de Bonneval
. Cet homme fi connu par fes aventures
, qui n'étoient pas encore à leur terme,
& flatté de converfer avec un juge digne
de l'entendre , lui faifoit avec plaifir le détail
fingulier de fa vie , le récit des actions.
militaires où il s'étoit trouvé , le portrait
des Généraux & des Miniftres qu'il avoit
connus . M. de Montefquieu fe rappelloit,
fouvent ces converfations & en racontoit
différens traits à fes amis.
Il alla de Venife à Rome : dans cette ancienne
Capitale du monde , qui l'eft encore
à certains égards , il s'appliqua furtour
à examiner ce qui la diftingue aujourd'hui
le plus , les ouvrages des Raphaëls ,
des Titiens , & des Michel- Anges : il n'avoit
point fait une étude particuliere des
beaux arts ; mais l'expreffion dont brillent
les chef-d'oeuvres en ce genre , faifit infailliblement
tout homme de génie . Accoutu94
MERCURE DE FRANCE.
mé à étudier la nature , il la reconnoît
quand elle eft imitée , comme un portrait
reffemblant frappe tous ceux à qui l'original
eft familier : malheur aux productions
de l'art dont toute la beauté n'eſt que
pour les Artiſtes.
Après avoir parcouru l'Italie , M. de
Montefquieu vint en Suiffe ; il examina
foigneufement les vaſtes pays arrofés par
le Rhin ; & il ne lui refta plus rien à voir
en Allemagne ; car Frédéric ne regnoit pas
encore. Il s'arrêta enfuite quelque tems
dans les Provinces-Unies , monument admirable
de ce que peut l'induftrie humaine
animée par l'amour de la liberté. Enfin il
fe rendit en Angleterre où il demeura deux
ans : digne de voir & d'entretenir les plus
grands hommes , il n'eut à regretter que
de n'avoir pas fait plutôt ce voyage : Locke
& Newton étoient morts. Mais il eut fouvent
l'honneur de faire fa cour à leur protectrice
, la célebre Reine d'Angleterre ,
qui cultivoit la Philofophie fur le thrône ,
& qui goûta , comme elle devoit , M. de
Montefquieu. Il ne fut pas moins accueilli
par la Nation , qui n'avoit pas befoin fur
cela de prendre le ton de fes maîtres . Il
forma à Londres des liaifons intimes avec
des hommes exercés à méditer , & à ſe préparer
aux grandes chofes par des études
NOVEMBRE. 1755. 95
profondes ; il s'inftruifit avec eux de la nature
du Gouvernement , & parvint à le
bien connoître. Nous parlons ici d'après
les témoignages publics que lui en ont rendu
les Anglois eux-mêmes , fi jaloux de
nos avantages , & fi peu difpofés à reconnoître
en nous aucune fupériorité.
Comme il n'avoit rien examiné ni avec
la prévention d'un enthouſiaſte , ni avec
l'austérité d'un Cynique , il n'avoit rapporté
de les voyages ni un dédain outrageant
pour les étrangers , ni un mépris
encore plus déplacé pour fon propre pays.
Il réfultoit de fes obfervations que l'Allemagne
étoit faite pour y voyager , l'Italie
pour y féjourner , l'Angleterre pour y penfer
, & la France pour y vivre.
De retour enfin dans fa Patrie , M de
Montefquieu fe retira pendant deux ans à
fa terre de la Brede : il y jouit en paix de
cette folitude que le fpectacle & le tumulte
du monde fert à rendre plus agréable ;
il vécut avec lui-même , après en être forti
fi long-tems ; & ce qui nous intéreſſe le
plus , il mit la derniere main à fon ouvrage
fur la caufe de la grandeur & de la déca
dence des Romains , qui parut en 1734.
Les Empires , ainfi que les hommes
doivent croître , dépérir & s'éteindre ; mais
cette révolution néceffaire a fouvent des
96 MERCURE DE FRANCE.
caufes cachées que la nuit des tems nous
dérobe , & que le myftere où leur petiteffe
apparente a même quelquefois voilées aux
yeux des contemporains ; rien ne reſſemble
plus fur ce point à l'Hiftoire moderne
que l'Hiftoire ancienne. Celle des Romains
mérite néanmoins à cet égard quelque exception
; elle préfente une politique raifonnée
, un fyftème fuivi d'aggrandiffement
, qui ne permet pas d'attribuer la
fortune de ce peuple à des refforts obfcurs
& fubalternes. Les caufes de la grandeur
Romaine fe trouvent donc dans l'Hiftoire ,
& c'eft au Philofophe à les y découvrir.
D'ailleurs il n'en eft pas des fyftêmes dans
cette étude comme dans celle de la Phyfique
; ceux-ci font prefque toujours précipités
, parce qu'une obfervation nouvelle
& imprévue peut les renverfer en un inftant
; au contraire , quand on recueille
avec foin les faits que nous tranfmet l'Hif
toire ancienne d'un pays , fi on ne raffemble
pas toujours tous les matériaux qu'on
peut défirer , on ne fçauroit du moins ef
pérer d'en avoir un jour davantage . L'étude
réfléchie de l'Hiftoire , étude fi importante
& fi difficile , confifte à combiner
de la maniere la plus parfaite , ces matériaux
défectueux : tel feroit le métire d'un
Architecte , qui , fur des ruines fçavantes ,
traceroit ,
NOVEMBRE. 1755 . 97
traceroit , de la maniere la plus vraiſemblable
, le plan d'un édifice antique , en
fuppléant , par le génie & par d'heureuſes
conjectures , à des reftes informes & tronqués.
C'eſt fous ce point de vue qu'il faut envifager
l'ouvrage de M. de Montefquieu :
il trouve les caufes de la grandeur des Romains
dans l'amour de la liberté , du travail
& de la patrie , qu'on leur infpiroit
dès l'enfance ; dans la févérité de la difcipline
militaire ; dans ces diffenfions intef
tines qui donnoient du reffort aux efprits ,
& qui ceffoient tout -à coup à la vue de
l'ennemi ; dans cette conftance après le
malheur qui ne défefpéroit jamais de la
république dans le principe où ils furent
toujours de ne faire jamais la paix qu'après
des victoires ; dans l'honneur du triomphe,
fujet d'émulation pour les Généraux ; dans
la protection qu'ils accordoient aux peuples
révoltés contre leurs Rois ; dans l'excellente
politique de laiffer aux vaincus leurs
Dieux & leurs coutumes ; dans celle de
n'avoir jamais deux puiffans ennemis fur
les bras , & de tout fouffrir de l'un juſqu'à
ce qu'ils euffent anéanti l'autre . Il trouve les
caufes de leur décadence dans l'agrandiffement
même de l'Etat , qui changea en
guerres civiles les tumultes populaires ;
E
98 MERCURE DE FRANCE.
dans les guerres éloignées qui forçant les
citoyens à une trop longue abfence , leur
faifoient perdre infenfiblement l'efprit républicain
; dans le droit de Bourgeoifie
accordé à tant de Nations , & qui ne fit
plus du peuple Romain qu'une espece de
monftre à plufieurs têtes ; dans la corrup
tion introduite par le luxe de l'Afie ; dans
les profcriptions de Sylla qui avilirent l'efprit
de la Nation , & la préparerent à l'eſclavage
; dans la néceflité où les Romains
fe trouverent de fouffrir des maîtres , lorfque
leur liberté leur fut devenue à charge ;
dans l'obligation où ils furent de changer
de maximes , en changeant de gouvernement
; dans cette fuite de monftres qui
régnerent , prefque fans interruption , depuis
Tibere jufqu'à Nerva , & depuis Commode
jufqu'à Conftantin ; enfin , dans la
tranflation & le partage de l'Empire , qui
périt d'abord en Occident par la puiffance
des Barbares , & qui après avoir langui plufieurs
ficcles en Orient fous des Empereurs
imbéciles ou féroces , s'anéantit infenfiblement
comme ces fleuves qui difparoiffent
dans des fables.
Un affez petit volume a fuffi à M. de
Montefquieu pour développer un tableau
fi intérellant & fi vafte. Comme l'Auteur
ne s'appefantit point fur les détails , & ne
NOVEMBRE. 1755. 92
faifit que les branches fécondes de fon
ſujet , il a ſçu renfermer en très - peu d'efpace
un grand nombre d'objets diftinctement
apperçus & rapidement préfentés fans
fatigue pour le Lecteur ; en laiffant beaucoup
voir , il laifle encore plus à penſer ,
& il auroit pu intituler fon Livre , Hiftoire
Romaine à l'ufage des Hommes d'Etat & des
Philofophes.
Quelque réputation que M. de Montefquieu
fe fût acquife par ce dernier ouvrage
& par ceux qui l'avoient précédé , il
n'avoit fait que fe frayer le chemin à une
plus grande entreprife , à celle qui doit
immortalifer fon nom & le rendre refpectable
aux fiecles futurs. Il en avoit dès
longtems formé le deffein , il en médita
pendant vingt ans l'exécution ; ou , pour
parler plus exactement , toute fa vie en
avoit été la méditation continuelle . D'abord
il s'étoit fait en quelque façon étranger
dans fon propre pays , afin de le mieux
connoître ; il avoit enfuite parcouru toute
l'Europe , & profondément étudié les différens
peuples qui l'habitent . L'Ifle fameufe
qui fe glorifie tant de fes loix , &
qui en profite fi mal , avoit été pour lui
dans ce long voyage , ce que l'ifle de Crete
fut autrefois pour Lycurgue , une école
où il avoit fçu s'inftruire fans tout approu-
E ij
100
MERCURE DE
FRANCE.
ver ; enfin , il avoit , fi on peut parler ainfi ,
interrogé & jugé les nations & les hommes
célebres qui
n'exiftent plus aujour
d'hui que dans les annales du monde. Ce
fut ainfi qu'il s'éleva par dégrés au plus
beau titre qu'un fage puiffe mériter , celui
de Légiflateur des Nations .
S'il étoit animé par
l'importance de la
matiere , il étoit effrayé en même tems par
fon
étendue il
l'abandonna , & y revint
:
à plufieurs repriſes ; il fentit plus d'une fois,
comme il l'avoue lui- même , tomber les
mains
paternelles .
Encouragé enfin
amis , il ramaffa toutes fes forces , & donfes
par
na l'Esprit des Loix.
Dans cet important ouvrage , M. de
Montefquieu , fans
s'appefantir , à l'exemple
de ceux qui l'ont précédé , fur des difcuffions
métaphyfiques relatives à l'hom
me fuppofé dans un état
d'abſtraction ,
fans fe borner , comme d'autres , à confidérer
certains peuples dans quelques relations
ou
circonftances
particulieres , envifage
les habitans de l'univers dans l'état réel
où ils font , & dans tous les rapports qu'ils
peuvent avoir entr'eux. La plupart des
autres Ecrivains en ce genre font prefque
toujours ou de fimples Moraliftes , ou de
fimples
Jurifconfultes , ou même quelquefois
de fimples
Théologiens;pour lui, l'hom
NOVEMBRE. 1755 . ΙΟΥ
perme
de tous les Pays & de toutes les Nations,
il s'occupe moins de ce que le devoir exige
de nous , que des moyens par lefquels on
peut nous obliger de le remplir , de la
fection métaphyfique des loix , que de celle
dont la nature humaine les rend fufceptibles
, des loix qu'on a faites que de celles
qu'on a dû faire , des loix d'un peuple particulier
que de celles de tous les peuples,
Ainfi en fe comparant lui -mêine à ceux
qui ont couru avant lui cette grande &
noble carriere , il a pu dire comme le Correge
, quand il eut vu les ouvrages de fes
rivaux , & moi auffi je fuis Peintre.
Rempli & pénétré de fon objet , l'Auteur
de l'Efprit des Loix y embraſſe un fi
grand nombre de matieres , & les traite
avec tant de brieveté & de profondeur ,
qu'une lecture affidue & méditée peut feule
faire fentir le mérite ce livre . Elle fervira
fur- tout , nous ofons le dire , à faire difparoître
le prétendu défaut de méthode
dont quelques lecteurs ont accufé M. de
Montefquieu ; avantage qu'ils n'auroient
pas dû le taxer légerement d'avoir négligé
dans une matiere philofophique & dans
un ouvrage de vingt années . Il faut diftinguer
le défordre réel de celui qui n'eft
qu'apparent. Le défordre eft réel , quand
l'analogie & la fuite des idées n'eft point
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
obfervée ; quand les conclufions font érigées
en principes , ou les précedent ; quand
le lecteur , après des détours fans nombre ,
fe retrouve au point d'où il eft parti . Le
defordre n'eft qu'apparent , quand l'Auteur
mettant à leur véritable place les idées dont
il fait ufage , laiffe à fuppléer aux lecteurs
les idées intermédiaires : & c'eſt ainfi que
M. de Montefquieu a cru pouvoir & devoir
en ufer dans un livre deſtiné à des
hommes qui penfent , dont le génie doit
fuppléer à des omiffions volontaires & raifonnées
.
L'ordre qui fe fait appercevoir dans les
grandes parties de l'Efprit des Loix , ne
regne pas moins dans les détails : nous
croyons que plus on approfondira l'ouvrage
, plus on en fera convaincu . Fidele à
fes divifions générales , l'Auteur rapporte
à chacune les objets qui lui appartiennent
exclufivement ; & à l'égard de ceux qui
par différentes branches appartiennent à
plufieurs divifions à la fois , il a placé fous
chaque divifion la branche qui lui appartient
en propre ; par- là on apperçoit ailément
& fans confufion , l'influence que
les différentes parties du fujet ont les unes
fur les autres , comme dans un arbre qu
fyftême bien entendu des connoiffances
humaines , on peut voir le rapport mutuel
NOVEMBRE. 1755. 103
des Sciences & des Arts. Cette comparaifon
d'ailleurs eft d'autant plus jufte , qu'il
en eft du plan qu'on peut fe faire dans
l'examen philofophique des Loix , comme
de l'ordre qu'on peut obferver dans un
arbre Encyclopédique des Sciences : il y
reftera toujours de l'arbitraire ; & tout ce
qu'on peut exiger de l'Auteur , c'eſt qu'il
fuive fans détour & fans écart le fyfteme
qu'il s'eft une fois formé.
Nous dirons de l'obfcurité qu'on peut
fe permetrre dans un tel ouvrage , la même
chofe que du défaut d'ordre ; ce qui feroit
obfcur pour les lecteurs vulgaires , ne l'eft
pas pour ceux que l'Auteur a eu en vue.
D'ailleurs l'obfcurité volontaire n'en eft
point une M. de Montefquieu ayant à
préfenter quelquefois des vérités impor
tantes , dont l'énoncé abfolu & direct auroit
pu
bleffer fans fruit , a eu la prudence
louable de les envelopper , & par cet innocent
artifice , les a voilées à ceux à qui
elles feroient nuifibles , fans qu'elles fuffent
perdues pour les fages.
Parmi les ouvrages qui lui ont fourni
des fecours , & quelquefois des vues pour
le fien , on voit qu'il a furtout profité des
deux hiftoriens qui ont penfé le plus ,
Tacite & Plutarque ; mais quoiqu'un Philofophe
qui a fait ces deux lectures , foit
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
difpenfé de beaucoup d'autres , il n'avoit
pas cru devoir en ce genre rien négliger ni
dédaigner de ce qui pouvoit être utile à
fon objet . La lecture que fuppofe l'Espric
des Loix , eft immenſe ; & l'ufage raiſonné
que l'Auteur a fait de cette multitude pro
digieufe de matériaux , paroîtra encore
plus furprenant , quand on fçaura qu'il
étoit prefqu'entierement privé de la vue ,
& obligé d'avoir recours à des yeux étrangers.
Cette vafte lecture contribue nonfeulement
à l'utilité , mais à l'agrément de
l'ouvrage fans déroger à la majefté de fon
fujet. M. de Montefquieu fçait en tempérer
l'austérité , & procurer aux lecteurs
des momens de repos , foit par des faits
finguliers & peu connus , foit par des allufions
délicates , foit par ces coups de pinceau
énergiques & brillans , qui peignent
d'un feul trait les peuples & les hommes .
Enfin , car nous ne voulons pas jouer ici
le rôle des Commentateurs d'Homere , il
y a fans doute des fautes dans l'efprit des
Loix , comme il y en a dans tout ouvrage
de génie , dont l'Auteur a le premier ofé
fe frayer des routes nouvelles. M. de Montefquieu
a été parmi nous , pour l'étude
des loix , ce que Defcartes a été pour la
Philofophie ; il éclaire fouvent , & fe trompe
quelquefois , & en fe trompant même ,
NOVEMBRE. 1755. 105
il inftruit ceux qui fçavent lire. La pouvelle
édition qu'on prépare , montrera par
les additions & corrections qu'il y a faites,
que s'il eft tombé de tems en tems , il a
fçu le reconnoître & fe relever ; par- là , il
acquerra du moins le droit à un nouvel
examen , dans les endroits où il n'aura pas
été de l'avis de fes cenfeurs ; peut- être
même ce qu'il aura jugé le plus digne de
correction , leur a - t-il abfolument échappé
, tant l'envie de nuire eft ordinairement
aveugle.
Mais ce qui eft à la portée de tout le
monde dans l'Eſprit des Loix , ce qui doit
rendre l'Auteur cher à toutes les Nations ,
ce qui ferviroit même à couvrir des fautes
plus grandes que les fiennes , c'eft l'efprit
de citoyen qui l'a dicté. L'amour du bien
public , le defir de voir les hommes heureux
s'y montrent de toutes parts ; & n'eûtil
que ce mérite fi rare & fi précieux , il
feroit digne par cet endroit feul , d'être
la lecture des peuples & des Rois . Nous
voyons déja , par une heureuſe expérience,
que les fruits de cet ouvrage ne fe bornent
pas dans fes lecteurs à des fentimens ſtériles.
Quoique M. de Montefquieu ait peu
furvécu à la publication de l'Efprit des
Loix , il a eu la fatisfaction d'entrevoir
les effets qu'il commence à produire parmi
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
nous ; l'amour naturel des François pour
leur patrie , tourné vers fon véritable objet
; ce goût pour le Commerce , pour l'Agriculture
, & pour les Arts utiles , qui
fe répand infenfiblement dans notre Nation
; cette lumiere générale fur les principes
du gouvernement , qui rend les peuples
plus attachés à ce qu'ils doivent aimer .
Ceux qui ont fi indécemment attaqué cet
ouvrage , lui doivent peut-être plus qu'ils
ne s'imaginent l'ingratitude , au refte ,
eft le moindre reproche qu'on ait à leur
faire. Ce n'eft pas fans regret , & fans
honte pour notre fiecle , que nous allons
les dévoiler ; mais cette hiftoire importe
trop à la gloire de M. de Montefquieu , &
à l'avantage de la Philofophie , pour être
paffée fous filence. Puiffe l'opprobre qui
couvre enfin fes ennemis , leur devenir
falutaire !
A peine l'Efprit des Loix parut- il , qu'il
fut recherché avec empreffement , fur la
réputation de l'Auteur ; mais quoique
M. de Montesquieu eût écrit pour le bien
du peuple , il ne devoit pas avoir le peuple
pour juge ; la profondeur de l'objet
étoit une fuite de fon importance même.
Cependant les traits qui étoient répandus
dans l'ouvrage , & qui auroient été déplacés
s'ils n'étoient pas nés du fond du fuNOVEMBRE.
1755. 107
jet , perfuaderent à trop de perfonnes qu'il
étoit écrit pour elles : on cherchoit un
Livre agréable , & on ne trouvoit qu'un
Livre utile , dont on ne pouvoit d'ailleurs
fans quelque attention faifir l'enſemble &
les détails. On traita légerement l'Esprit
des Loix ; le titre même fut un fujet de
plaifanterie enfin l'un des plus beaux
monumens littéraires qui foient fortis de
notre Nation, fut regardé d'abord par elle
avec affez d'indifférence. Il fallut que les
véritables juges euffent eu le tems de lire :
bientôt ils ramenerent la multitude toujours
prompte à changer d'avis ; la partie
du Public qui enfeigne , dicta à la partie
qui écoute ce qu'elle devoit penfer & dire ;
& le fuffrage des hommes éclairés , joint
aux échos qui le répéterent , ne forma plus
qu'une voix dans toute l'Europe.
Ce fut alors que les ennemis publics &
fecrets des Lettres & de la Philofophie ( car
elles en ont de ces deux efpeces ) réunirent
leurs traits contre l'ouvrage. De-là cette
foule de brochures qui lui furent lancées
de toutes parts , & que nous ne tirerons
pas de l'oubli où elles font déja plongées.
Sisleurs auteurs n'avoient pas pris de bonnes
mefures pour être inconnus à la poftérité
, elle croiroit que l'Efprit des Loix a
été écrit au milieu d'un peuple de barbares.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
M. de Montefquieu méprifa fans peine
les Critiques ténébreufes de ces auteurs
fans talent , qui foit par une jaloufie qu'ils
n'ont pas droit d'avoir , foit pour fatisfaire
la malignité du Public qui aime la fatyre
& la méprife , outragent ce qu'ils ne peuvent
atteindre ; & plus odieux par le mal
qu'ils veulent faire , que
redoutables par
celui qu'ils font , ne réuffiffent pas même
dans un genre d'écrire que fa facilité &
fon objet rendent également vil. Il mettoit
les ouvrages de cette efpece fur la
même ligne que ces Nouvelles hebdomadaires
de l'Europe , dont les éloges font
fans autorité & les traits fans effet , que
des Lecteurs oififs parcourent fans y ajouter
foi , & dans lefquelles les Souverains.
font infultés fans le fçavoir , ou fans daigner
fe venger. IIll nnee ffuutt pas auffi indifférent
fur les principes d'irréligion qu'on
l'accufa d'avoir femé dans l'Eſprit des Loix .
En méprifant de pareils reproches , il auroit
cru les mériter , & l'importance de
l'objet lui ferma les yeux fur la valeur de
fes adverfaires. Ces hommes également
dépourvus de zele & également empreffés
d'en faire paroître , également effrayés de
la lumiere que les Lettres répandent , non
au préjudice de la Religion , mais à leur
défavantage , avoient pris différentes forNOVEMBRE.
1755. 109
mes pour lui porter atteinte. Les uns , par
unftratagême auffi puérile que pufillanime,
s'étoient écrit à eux- mêmes ; les autres ,
après l'avoir déchiré fous le mafque de
P'Anonyme , s'étoient enfuite déchirés entr'eux
à fon occafion . M. de Montesquieu,
quoique jaloux de les confondre , ne jugea
pas à propos de perdre un tems précieux à
les combattre les uns après les autres : il fe
contenta de faire un exemple fut celui qui
s'étoit le plus fignalé par fes excès.
par
C'étoit l'auteur d'une feuille anonyme
& périodique , qui croit avoir fuccédé à
Pafcal , parce qu'il a fuccédé à fes opinions;
panégyrifte d'ouvrages que perfonne ne
lit , & apologiſte de miracles que l'autorité
féculiere a fait ceffer dès qu'elle l'a
voulu ; qui appelle impiété & fcandale le
peu
d'intérêt que les gens de Lettres prennent
à fes querelles , & s'eft aliéné ,
une adreffe digne de lui , la partie de la
Nation qu'il avoit le plus d'intérêt de ménager.
Les coups de ce redoutable athlete
furent dignes des vues qui l'infpirerent ; il
accufa M. de Montefquieu & de Spinoffme
& de Déifine ( deux imputations incompatibles
) ; d'avoir fuivi le ſyſtème de
Pope ( dont il n'y avoit pas un mot dans
l'ouvrage ) ; d'avoir cité Plutarque qui n'eft
pas un Auteur Chrétiens de n'avoir point
110 MERCURE DE FRANCE.
parlé du péché originel & de la Grace , Il
prétendit enfin que l'Efprit des Loix étoit
une production de la Conftitution Unigenitus;
idée qu'on nous foupçonnera peut-être
de prêter par dérifion au critique. Ceux
qui ont connu M. de Montefquieu , l'ouvrage
de Clément XI & le fien , peuvent
juger par cette accufation de toutes les
autres.
Le malheur de cet écrivain dut bien le
décourager : il vouloit perdre un fage par
l'endroit le plus fenfible à tout citoyen , il
ne fit que lui procurer une nouvelle gloire
comme homme de Lettres ; la Défense de
l'Esprit des Loix parut. Cet ouvrage , par
la modération , la vérité , la fineffe de
plaifanterie qui y regnent , doit être regardé
comme un modele en ce genre. M.
de Montefquieu , chargé par fon adverfaire
d'imputations atroces , pouvoit le
rendrejodieux fans peine ; il fit mieux , il
le rendit ridicule . S'il faut tenir compte à
l'agreffeur d'un bien qu'il a fait fans le
vouloir , nous lui devons une éternelle
reconnoiffance de nous avoir procuré ce
chef-d'oeuvre : Mais ce qui ajoute encore
au mérite de ce morceau précieux , c'eſt
que l'auteur s'y eft peint lui- même fans y
penfer ; ceux qui l'ont connu , croyent
Î'entendre , & la poſtérité s'affurera , en
NOVEMBRE. 1755 111
lifant fa Défenfe , que fa converfation n'étoit
pas inférieure à fes écrits ; éloge que
bien peu de grands hommes ont mérité.
Une autre circonftance lui affure pleinement
l'avantage dans cette difpute : le
critique qui , pour preuve de fon attachement
à la religion , en déchire les Miniftres
, accufoit hautement le Clergé de
France , & fur-tout la Faculté de Théolo
gie , d'indifférence pour la caufe de Dieu ,
en ce qu'ils ne profcrivoient pas authentiquement
un fi pernicieux ouvrage . La Faculté
étoit en droit de méprifer le repro
che d'un écrivain fans aveu ; mais il s'agif
foit de la religion ; une délicateffe louable
lui a fait prendre le parti d'examiner l'Ef
prit des Loix. Quoiqu'elle s'en occupe depuis
plufieurs années , elle n'a rien prononcé
jufqu'ici ; & fût- il échappé à M. de
Montefquieu quelques inadvertences lé--
geres , prefque inevitables dans une carriere
fi vafte , l'attention longue & fcrupuleufe
qu'elles auroient demandée de la
part du Corps le plus éclairé de l'Eglife ,
prouveroit au moins combien elles feroient
excufables. Mais ce Corps , plein de prudence
, ne précipitera rien dans une fi
importante matiere : il connoit les bornes
de la raifon & de la foi ; il fçait que l'ouvrage
d'un homme de lettres ne doit point
112 MERCURE DE FRANCE.
être examiné comme celui d'un Théologien
que les mauvaifes conféquences
auxquelles une propofition peut donner
lieu par des interprétations odieufes , ne
rendent point blamable la propofition en
elle -même ; que d'ailleurs nous vivons
dans un fiécle malheureux , où les intérêts
de la religion ont befoin d'être ménagés ,
& qu'on peut lui nuire auprès des fimples,
en répandant mal - à - propos fur des genies
du premier ordre le foupçon d'incrédulité;
qu'enfin , malgré cette accufation injuſte ,
M. de Montefquien fut toujours eſtimé ,
recherché & accueilli par tout ce que l'Eglife
a de plus refpectable & de plus grand ;
eût-il confervé auprès des gens de bien la
confidération dont il jouiffoit , s'ils l'euffent
regardé comme un écrivain dangéreux
?
Pendant que des infectes le tourmentoient
dans fon propre pays , l'Angleterre
élevoit un monument à fa gloire. En 1752 ,
M. Daffier , célebre par les médailles qu'il
a frappées à l'honneur de plufieurs hommes
illuftres , vint de Londres à Paris pour
frapper la fienne. M. de la Tour , cet attifte
fi fupérieur par fon talent , & fi eftimable
par fon defintéreffement & l'élévation
de fon ame , avoit ardemment defiré
de donner un nouveau luftre à fon pinNOVEMBRE.
1755. 113
ceau , en tranfmettant à la poftérité le
portrait de l'auteur de l'Efprit des Loix ;
il ne vouloit que la fatisfaction de le peindre
, & il méritoit , comme Apelle , que
cet honneur lui fût réfervé ; mais M. de
Montefquieu , d'autant plus avare du tems
de M. de la Tour que celui - ci en étoit plus
prodigue , fe refufa conftamment & poliment
à fes preffantes follicitations. M. Daf
fier effuya d'abord des difficultés femblables
: Croyez-vous , dit-il enfin à M. de
Montefquieu , » qu'il n'y ait pas autant
d'orgueil à refufer ma propofition qu'à
» l'accepter » ? Defarmé par cette plaifanterie
, il laiffa faire à M. Daflier tout ce
qu'il voulut.
»
L'auteur de l'Esprit des Loix jouiffoit
enfin paisiblement de fa gloire , lorfqu'il
tomba malade au commencement de Février.
Sa fanté , naturellement délicate ,
commençoit à s'altérer depuis long- tems
par l'effet lent & prefque infaillible des
études profondes , par les chagrins qu'on
avoit cherché à lui fufciter fur fon ouvra- ge ; enfin
par le genre
de vie qu'on
le forçoit
de mener
à Paris
, & qu'il
fentoit
lui
être
funefte
. Mais
l'empreffement
avec
le-`
quel
on recherchoit
fa focieté
, étoit
trop
vif pour
n'être
pas
quelquefois
indifcret
on vouloit
, fans
s'en
appercevoir
, jouir
114 MERCURE DE FRANCE.
de lui aux dépens de lui -même. A peine la
nouvelle du danger où il étoit fe fût- elle
répandue , qu'elle devint l'objet des converfations
& de l'inquiétude publique ; fa
maifon ne défempliffoit point de perfonnes
de tout rang qui venoient s'informer
de fon état , les unes par un intérêt véritable
, les autres pour s'en donner l'apparence
, ou pour fuivre la foule. Sa Majefté ,
pénétrée de la ppeerrttee qquuee fon royaume alloit
faire , en demanda plufieurs fois des
nouvelles ; témoignage de bonté & de juftice
qui n'honore pas moins le Monarque
que le fujet. La fin de M. de Montefquieu
ne fut point indigne de fa vie. Accablé de
douleurs cruelles , éloigné d'une famille
à qui il étoit cher , & qui n'a pas eu la
confolation de lui fermer les yeux , entouré
de quelque amis & d'un plus grand
nombre de fpectateurs , il conferva jufqu'au
dernier moment la paix & l'égalité
de fon ame. Enfin , après avoir fatisfait
avec décence à tous fes devoirs , plein de
confiance en l'Etre éternel auquel il alloit.
fe rejoindre , il mourut avec la tranquillité
d'un homme de bien , qui n'avoit jamais
confacré fes talens qu'à l'avantage.
de la vertu & de l'humanité. La France &
l'Europe le perdirent le 10 Février 1755 ,
à l'âge de foixante- fix ans révolus.
NOVEMBRE 1755. 115
Toutes les nouvelles publiques ont annoncé
cet événement comme une calamité.
On pourroit appliquer à M. de Montefquieu
ce qui a été dit autrefois d'un
illuftre Romain ; que perfonne en apprenant
fa mort n'en témoigna de joie , que
perfonne même ne l'oublia dès qu'il ne fut
plus. Les étrangers s'emprefferent de faire
éclater leurs regrets ; & Milord Chefterfield
, qu'il fuffit de nommer , fit imprimer
dans un des papiers publics de Londres
un article à fon honneur , article digne
de l'un & de l'autre ; c'eft le portrait
d'Anaxagore tracé par Périclès . L'Académie
royale des Sciences & des Belles -Lettres
de Pruffe , quoiqu'on n'y foit point
dans l'ufage de prononcer l'éloge des affociés
étrangers , a cru devoir lui faire cet
honneur , qu'elle n'a fait encore qu'à l'illuftre
Jean Bernouilli ; M. de Maupertuis,
tout malade qu'il étoit , a rendu lui-même
à fon ami ce dernier devoir , & n'a voulu
fe repofer fur perfonne d'un foin fi cher &
fi trifte. A tant de fuffrages éclatans en faveur
de M. de Montefquieu , nous croyons
pouvoir joindre fans indifcrétion les éloges
que lui a donné , en préfence de l'un
de nous , le Monarque même auquel cette.
Académie célebre doit fon luftre , Prince
fait pour fentir les pertes de la Philofa116
MERCURE DE FRANCE.
phie , & pour l'en confoler.
Le 17 Février , l'Académie Françoiſe
lui fit , felon l'ufage , un fervice folemnel
, auquel , malgré la rigueur de la faifon
, prefque tous les gens de Lettres de
ce Corps , qui n'étoient point abfens de
Paris , fe firent un devoir d'affifter. On
auroit dû dans cette trifte cérémonie placer
l'Esprit des Loix fur fon cercueil , comme
on expofa autrefois vis - à-vis le cercueil
de Raphaël fon dernier tableau de la
Transfiguration . Cet appareil fimple &
touchant eût été une belle oraifon funébre.
Jufqu'ici nous n'avons confidéré M. de
Montefquieu que comme écrivain & philofophe
; ce feroit lui dérober la moitié
de fa gloire que de paffer fous filence fes
agrémens & fes qualités perfonnelles.
Il étoit dans le commerce d'une douceur
& d'une gaieté toujours égale . Sa
converfation étoit légere , agréable , &
instructive par le grand nombre d'hommes
& de peuples qu'il avoit connus. Elle étoit
coupée comme fon ftyle , pleine de fel &
de faillies , fans amertunie & fans fatyre
; perfonne ne racontoit plus vivement ,
plus promptement , avec plus de grace &
moins d'apprêt. Il fçavoit que la fin d'une
hiftoire plaifante en eft toujours le but ;-
NOVEMBRE. 1755. 117
il fe hâtoit donc d'y arriver , & produifoit
l'effet fans l'avoir promis.
Ses fréquentes diftractions ne le rendoient
que plus aimable ; il en fortoit
toujours par quelque trait inattendu qui
réveilloit la converfation languiffante ;
d'ailleurs elles n'étoient jamais , ni jouées,
ni choquantes , ni importunes : le feu de
fon efprit , le grand nombre d'idées dont
il étoit plein , les faifoient naître , mais il
n'y tomboit jamais au milieu d'un entretien
intéreffant ou férieux ; le defir de
plaire à ceux avec qui il fe trouvoit , le
rendoit alors à eux fans affectation & fans
effort.
Les agrémens de fon commerce tenoient
non feulement à fon caractere & à
fon efprit , mais à l'efpece de régime qu'il
obfervoit dans l'étude. Quoique capable
d'une méditation profonde & long- tems
foutenue , il n'épuifoit jamais fes forces , il
quitroit toujours le travail avant que d'en
reffentir la moindre impreffion de fatigue.
Il étoit fenfible à la gloire , mais il ne
vouloit y parvenir qu'en la méritant ; jamais
il n'a cherché à augmenter la fienne
par ces manoeuvres fourdes , par ces voyes
obfcures & honteufes, qui deshonorent la
perfonne fans ajouter au nom de l'auteur .
Digne de toutes les diftinctions & de
IIS MERCURE DE FRANCE.
toutes les récompenfes , il ne demandoit
rien , & ne s'étonnoit point d'être oublié ;
mais il a ofé , même dans des circonftances
délicates, protéger à la Cour des hommes
de Lettres perfécutés , célebres &
malheureux , & leur a obtenu des graces.
Quoiqu'il vecût avec les grands , foit
par néceffité , foit par convenance , foit
par gout , leur fociété n'étoit pas néceffaire
à fon bonheur. Il fuyoit dès qu'il le
pouvoit à fa terre ; il y retrouvoit avec
joie fa philofophie , fes livres & le repos.
Entouré de gens de la campagne dans fes
heures de loifir , après avoir étudié l'homme
dans le commerce du monde & dans
l'hiftoire des nations , il l'étudioit encore
dans ces ames fimples que la nature feule
a inftruites , & il y trouvoit à apprendre ;
il converfoit gayement avec eux ; il leur
cherchoit de l'efprit comme Socrate ; il
paroiffoit fe plaire autant dans leur entretien
que dans les fociétés les plus brillantes
, furtout quand il terminoit leurs différends
, & foulageoit leurs peines par fes
bienfaits.
Rien n'honore plus fa mémoire que
l'économie avec laquelle il vivoit , &
qu'on a ofé trouver exceffive dans un
monde avare & faftueux , peu fait pour
en pénétrer les motifs , & encore moins
NOVEMBRE. 1755. 119
pour les fentir. Bienfaifant , & par conféqnent
jufte, M. de Montesquieu ne vouloit
rien prendre fur fa famille , ni des
fecours qu'il donnoit aux malheureux ,
ni des dépenfes confidérables auxquels fes
longs voyages , la foibleffe de fa vue &
l'impreffion de fes ouvrages l'avoient
obligé . Il a tranfmis à fes enfans , fans
diminution ni augmentation , l'héritage
qu'il avoit reçu de fes peres ; il n'y a rien
ajouté que la gloire de fon nom & l'exemple
de fa vie.
Il avoit époufé en 1715 Demoifelle
Jeanne de Lartigue, fille de Pierre de Lartigue
, Lieutenant Colonel au Régiment
de Maulévrier ; il en a eu deux filles &
un fils , qui par fon caractere , fes moeurs
& fes ouvrages s'eft montré digne d'un
tel pere.
Ĉeux qui aiment la vérité & la patrie,
ne feront pas fâchés de trouver ici quelques
unes de fes maximes : il penfoit ,
Que chaque portion de l'Etat doit être
également foumife aux loix , mais que
les privileges de chaque portion de l'Etat
doivent être respectés , lorfque leurs effets
n'ont rien de contraire au droit naturel
, qui oblige tous les citoyens à concourir
également au bien public ; que la
poffellion ancienne étoit en ce genre le
120 MERCURE DE FRANCE.
premier des titres & le plus inviolable des
droits , qu'il étoit toujours injufte & quel
quefois dangereux de vouloir ébranler ;
Que les Magiftrats , dans quelque circonftance
& pour quelque grand intérêt
de corps que ce puiffe être , ne doivent
jamais être que Magiftrats , fans parti &
fans paffion , comme les Loix , qui abſolvent
& puniffent fans aimer ni hair.
Il difoit enfin à l'occafion des difputes
eccléfiaftiques qui ont tant occupé les Empereurs
& les Chrétiens Grecs , que les
querelles théologiques, lorfqu'elles ceffent
d'être renfermées dans les écoles , deshonorent
infailliblement une nation aux
yeux des autres en effet , le mépris même
des fages pour ces querelles ne la juftifie
pas , parce que les fages faifant partout
le moins de bruit & le plus petit
nombre , ce n'est jamais fur eux qu'une
nation eft jugée .
L'importance des ouvrages dont nous
avons eu à parler dans cet éloge , nous
en a fait paffer fous filence de moins confidérables
, qui fervoient à l'auteur comme
de délaffement , & qui auroient fuffi
l'éloge d'un autre ; le plus remarquable
eft le Temple de Gnide , qui fuivit d'affez
près les Lettres Perfannes. M. de Montefquieu
, après avoir été dans celle- ci Hopour
race ,
NOVEMBRE . 1755. 121
race , Théophrafte & Lucien , fut Ovide
& Anacréon dans ce nouvel effai : ce n'eſt
plus l'amour defpotique de l'Orient qu'il
fe propofe de peindre , c'eft la délicateffe
& la naïveté de l'amour paftoral , tel qu'il
eſt dans une ame neuve, que le commerce
des hommes n'a point encore corrompue.
L'Auteur craignant peut - être qu'un tableau
fi étrangerà nos moeurs ne parût
trop languiffant & trop uniforme , a cherché
à l'animer par les peintures les plus
riantes ; il tranfporte le lecteur dans des
lieux enchantés , dont à la vérité le fpectacle
intéreffe peu l'amant heureux , mais
dont la defcription flatte encore l'imagination
quand les defirs font fatisfaits . Emporté
par fon fujet , il a répandu dans ſa
profe ce ftyle animé , figuré & poétique ,
dont le roman de Thélemaque a fourni
parmi nous le premier modele. Nous ignorons
pourquoi quelques cenfeurs du temple
de Gnide ont dit à cette occaſion , qu'il
auroit eu befoin d'être en vers. Le ſtyle
poétique , fi on entend , comme on le
doit , par ce mot , un ftyle plein de chaleur
& d'images , n'a pas befoin , pour être
agréable , de la marche uniforme & cadencée
de la verfification ; mais fi on ne
fait confifter ce ftyle que dans une diction
chargée d'épithetes oifives , dans les pein
F
122 MERCURE DE FRANCE.
tures froides & triviales des aîles & du
carquois de l'amour , & de femblables
objets , la verfication n'ajoutera prefqu'aucun
mérite à ces ornemens ufés ; on
y cherchera toujours en vain l'ame & la
vie. Quoiqu'il en foit , le Temple de Gnide
étant une espece de poëme en profe
c'est à nos écrivains les plus célebres en ce
genre à fixer le rang qu'il doit occuper :
il merite de pareils juges ; nous croyons
du moins que les peintures de cet ouvrage
foutiendroient avec fuccès une des
principales épreuves des defcriptions poétiques
, celle de les repréfenter fur la toile.
Mais ce qu'on doit fur- tout remarquer
dans le Temple de Gnide , c'eft qu'Anacréon
même y est toujours obfervateur &
philofophe. Dans le quatrieme chant , il
paroît décrire les moeurs des Sibarites , &
on s'apperçoit aifément que ces moeurs
font les nôtres. La préface porte fur - tout
l'empreinte de l'auteur des Lettres Perfannes.
En préfentant le Temple de Gnide
comme la traduction d'un manufcrit grec ,
plaifanterie défigurée depuis par tant de
mauvais copiſtes , il en prend occafion de
peindre d'un trait de plume l'ineptie des
critiques & le pédantifme des traducteurs,
& finit par ces paroles dignes d'être rapportées
» Si les gens graves defiroient
NOVEMBRE. 1755. 123
33
de moi quelque ouvrage moins frivole ,
je fuis en état de les fatisfaire : il y a
» trente ans que je travaille à un livre de
» douze pages , qui doit contenir tout ce
que nous fçavons fur la Métaphyfique ,
» la Politique & la Morale , & tout ce
que de très grands auteurs ont oublié
» dans les volumes qu'ils ont publiés fur
» ces matieres » .
Nous regardons comme une des plus
honorables récompenfes de notre travail
l'intérêt particulier que M. de Monteſquieu
prenoit à ce dictionnaire , dont toutes
les reffources ont été jufqu'à préfent
dans le courage & l'émulation de fes auteurs
. Tous les gens de Lettres , felon lui,
devoient s'empreffer de concourir à l'exécution
de cette entrepriſe utile ; il en a
donné l'exemple avec M. de Voltaire , &
plufieurs autres écrivains célebres. Peutêtre
les traverfes que cet ouvrage a ef
fuyées , & qui lui rappelloient les fiennes
propres , l'intéreffoient-elles en notre faveur,
Peut-être étoit- il fenfible , fans s'en
appercevoir , à la juftice que nous avions
ofé lui rendre dans le premier volume de
l'Encyclopédie , lorfque perfonne n'ofoit
encore élever fa voix pour le défendre.
Il nous deftinoit un article fur le Goût, qui
a été trouvé imparfait dans fes papiers ;
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
nous le donnerons en cet état au public ,
& nous le traiterons avec le même refpect
que l'antiquité témoigna autrefois pour
les dernieres paroles de Séneque . La mort
l'a empêché d'étendre plus loin fes bienfaits
à notre égard ; & en joignant nos
propres regrets à ceux de l'Europe entiere ,
nous pourrions écrire fur fon tombeau :
Finis vita cjus nobis luctuofus , Patriæ
triftis , extraneis etiam ignotifque non fine
curâ fuit.
Tacit. in Agricol. c. 43 .
volume de l'Encyclopédie. Qui ſe diſtribue
depuis quelques jours chez Briaffon , David
l'aîné , le Breton , & Durand. Il doit être
d'autant plus intéreffant que M. de Voltaire
y a travaillé les mots , efprit , éloquence
, élégance. Qui pouvoit mieux en
parler ? Le morceau qui paroît à la tête du
même volume , acheve de le rendre précieux
. C'eſt l'éloge de M. de Montesquieu
par M. d'Alembert . On peut dire fans
fadeur que le Panégyrifte eft digne du
héros . Cet éloge nous a paru d'une fi grande
beauté , que nous croyons obliger le
Lecteur de l'inférer ici dans fon entier.
Quant à la note qui fe trouve à la page
huit , comme elle contient elle - feule une
excellente analyſe de l'Efprit des Loix ,
nous avons craint de prodiguer à la fois
tant de richeffes , & par une jufte économie,
nous l'avons réfervée pour en décorer
le premier Mercure de Décembre . Ceux
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
qui n'auront pas le Dictionnaire , feront
charmés de trouver cette piece complette
dans mon Journal , où ils pourront même
la lire plus commodément , puifqu'il eſt
portatif.
Eloge de M. le Préſident de Montefquien.
L'intérêt que les bons citoyens prennent
à l'Encyclopédie, & le grand nombre de
gens de Lettres qui lui confacrent leurs
travaux , femblent nous permettre de la
regarder comme un des monumens les
plus propres à être dépofitaires des fentimens
de la patrie , & des hommages
qu'elle doit aux hommes célebres qui l'ont
honorée . Perfuadés néanmoins que M.
de Montesquieu étoit en droit d'attendre
d'autres Panégyriftes que nous , & que la
douleur publique eût mérité des interpretes
plus éloquens , nous euflions renfermé
au- dedans de nous-mêmes nos juftes
regrets & notre refpect pour fa mémoire ;
mais l'aveu de ce que nous lui devons ,
nous eft trop précieux pour en laiffer le
foin à d'autres. Bienfaicteur de l'humanité
par fes écrits , il a daigné l'être auffi de
cet ouvrage , & notre reconnoiffance ne
veut que tracer quelques lignes au pied de
fa ftatue .
Charles de Secondat , Baron de la Brede
NOVEMBRE. 1755. 79
& de Montesquieu , ancien Préfident à
Mortier au Parlement de Bordeaux , de
l'Académie Françoife, de l'Académie royale
des Sciences & des Belles - Lettres de
Pruffe , & de la Société de Londres , naquit
au Château de la Brede , près de Bordeaux
, le 18 Janvier 1689 , d'une famille
noble de Guyenne. Son trifayeul , Jean de
Secondat , Maître d'Hôtel de Henri II ,
Roi de Navarre , & enfuite de Jeanne ,
fille de ce Roi , qui époufa Antoine de
Bourbon , acquit la terre de Montesquieu
d'une fomme de 10000 livres que cette
Princeffe lui donna par un acte authentique
, en récompenfe de fa probité & de
fes fervices. Henri III , Roi de Navarre ,
depuis Henri IV , Roi de France , érigea
en Baronie la terre de Montefquieu , en
faveur de Jacob de Secondat , fils de Jean ,
d'abord Gentilhomme ordinaire de la
Chambre de ce Prince , & enfuite Meftre
de camp du Régiment de Châtillon.
Jean Gafton de Secondat , fon fecond fils ,
ayant époufé la fille du Premier Préfident
du Parlement de Bordeaux , acquit dans
cette Compagnie une charge de Préfident
à Mortier. Il eut plufieurs enfans , dont
un entra dans le fervice , s'y diftingua ,
& le quitta de fort bonne heure. Ce fut
pere de Charles de Secondat , auteur Le
Div
So MERCURE DE FRANCE.
de l'Efprit des Loix . Ces détails paroîtront
peut- être déplacés à la tête de l'éloge
d'un philofophe dont le nom a fi peu
befoin d'ancêtres ; mais n'envions point
à leur mémoire l'éclat que ce nom répand
fur elle.
Les fuccès de l'enfance préfage quelquefois
fi trompeur , ne le furent point
dans Charles de Secondat : il annonça de
bonne heure ce qu'il devoit être ; & fon
pere donna tous fes foins à cultiver ce génie
naiffant , objet de fon efpérance &
de fa tendreſſe . Dès l'âge de vingt ans , le
jeune Montefquieu préparoit déja les matériaux
de l'Esprit des Loix , par un extrait
raifonné des immenfes volumes qui compofent
le corps du Droit civil ; ainfi autrefois
Newton avoit jetté dès fa premiere
jeuneffe les fondemens des ouvrages qui
l'ont rendu immortel . Cependant l'étude
de la Jurifprudence , quoique moins aride
pour M. de Montefquieu que pour la
plupart de ceux qui s'y livrent , parce qu'il
la cultivoit en philofophe , ne fuffifoit pas
à l'étendue & à l'activité de fon génie ; il
approfondiffoit dans le même temps des
matieres encore plus importantes & plus
délicates , & les difcutoit dans le filence
avec la fageffe , la décence , & l'équité
qu'il a depuis montrées dans fes ouvrages .
NOVEMBRE. 1755 . 81
Un oncle paternel , Préfident à Mortier
au Parlement de Bordeaux , Juge éclairé
& citoyen vertueux , l'oracle de fa compagnie
& de fa province , ayant perdu un
fils unique , & voulant conferver dans fon
Corps l'efprit d'élevation qu'il avoit tâché
d'y répandre , laiffa fes biens & fa charge
à M. de Montefquieu ; il étoit Confeiller
au Parlement de Bordeaux , depuis le 24
Février 1714 , & fut reçu Préſident à
Mortier le 13 Juillet 1716. Quelques années
après , en 1722 , pendant la minorité
du Roi , fa Compagnie le chargea de préfenter
des remontrances à l'occafion d'un
nouvel impôt. Placé entre le thrône & le
peuple , il remplit en fujet refpectueux &
en Magiftrat plein de courage , l'emploi fi
noble & fi peu envié , de faire parvenir
au Souverain le cri des malheureux ; & la
mifere publique repréfentée avec autant
d'habileté que de force , obtint la justice.
qu'elle demandoit . Ce fuccès , il eft vrai ,
par malheur l'Etat bien plus que pour
pour
lui , fut auffi paffager que s'il eût été injufte
; à peine la voix des peuples eût- elle
ceffé de le faire entendre , que l'impôt
fupprimé fut remplacé par un autre ; mais
le citoyen avoit fait fon devoir.
Il fut reçu le 3 Avril 1716 dans l'Académie
de Bordeaux , qui ne faifoit que de
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
naître . Le gout pour la Mufique & pour
les ouvrages de pur agrément , avoit d'abord
raflemblé les membres qui la for
moient. M. de Montefquieu crut avec raifon
que l'ardeur naiffante & les talens de
fes confieres pourroient s'exercer avec encore
plus d'avantage fur les objets de la
Phyfique. Il étoit perfuadé que la nature ,
digne d'être obfervée par -tout , trouvoit
aufli par tout des yeux dignes de la voir ;
qu'au contraire les ouvrages de goût ne
fouffrant point de médiocrité , & la Capitale
étant en ce genre le centre des lumieres
& des fecours , il étoit trop difficile de
rafferobler loin d'elle un affez grand nombre
d'écrivains diftingués ; il regardoit les
Sociétés de bel efprit , fi étrangement multipliées
dans nos provinces , comme une
efpece , ou plutôt comme une ombre de
luxe littéraire qui nuit à l'opulence réelle
fans même en offrir l'apparence . Heureufement
M. le Duc de la Force , par un prix
qu'il venoit de fonder à Bordeaux , avoit
fecondé des vues fi éclairées & fi juftes.
On jugea qu'une expérience bien faite
feront préférable à un difcours foible , ou
à un mauvais poëme ; & Bordeaux eut
une Académie des Sciences .
M. de Montefquieu nullement empreffé
de fe montrer au public , fembloit attenNOVEMBRE.
1755. 83
dre , felon l'expreffion d'un grand génie ,
un âge mur pour écrire ; ce ne fut qu'en
1721 , c'eft -à- dire âgé de trente - deux ans,
qu'il mit au jour les Lettres Perfannes. Le
Siamois des amufemens ferieux & comiques
pouvoit lui en avoir fourni l'idée ; mais
il furpaffa fon modele . La peinture des
moeurs orientales réelles ou fuppofées , de
l'orgueil & du flegme de l'amour aliatique
, n'eft que le moindre objet de ces
Lettres ; elle n'y fert , pour ainfi dire , que
de prétexte à une fatyre fine de nos moeurs,
& à des matieres importantes que l'Auteur
approfondit en paroiffant gliffer fur
elles. Dans cette efpèce de tableau mouvant
, Ufbek expofe fur-tout avec autant
de légereté que d'énergie ce qui a le plus
frappé parmi nous fes yeux pénétrans ;
notre habitude de traiter férieufement les
chofes les plus futiles , & de tourner les
plus importantes en plaifanterie ; nos converfations
fi bruyantes & fi frivoles ; notre
ennui dans le fein du plaifir même ;
nos préjugés & nos actions en contradiction
continuelle avec nos lumieres ; tant
d'amour pour la gloire joint à tant de
refpect pour l'idole de la faveur ; nos
Courtifans fi rampans & fi vains ; notre
politeffe extérieure & notre mépris réel
pour les étrangers , ou notre prédilection
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
affectée pour eux ; la bifarrerie de nos
gouts , qui n'a rien au- deffous d'elle que
l'empreffement de toute l'Europe à les
adopter ; notre dédain barbare pour deux
des plus refpectables occupations d'un citoyen
, le commerce & la magiftrature ;
nos difputes littéraires fi vives & fi inuti
les ; notre fureur d'écrire avant que de
penfer , & de juger avant que de connoître.
A cette peinture vive , mais fans
fiel , il oppofe dans l'apologue des Troglodites
, le tableau d'un peuple vertueux ,
devenu fage par le malheur , morceau
digne du Portique : ailleurs il montre la
philofophie long-tems étouffée , reparoiffant
tout-à- coup , regagnant par les progrès
le tems qu'elle a perdu , pénétrant
jufques chez les Ruffes à la voix d'un génie
qui l'appelle , tandis que chez d'autres
peuples de l'Europe , la fuperftition , femblable
à une atmoſphere épaiffe , empêche
la lumiere qui les environne de toutes
parts d'arriver jufqu'à eux. Enfin , par les
principes qu'il établit fur la nature des
gouvernemens anciens & modernes , il
préfente le germe de ces idées lumineufes
développées depuis par l'Auteur dans fon
grand ouvrage.
Ces différens fujets , privés aujourd'hui
des graces de la nouveauté qu'ils avoient
8
NOVEMBRE. 1755. 85
dans la naiffance des Lettres Perfannes , y
conferveront toujours le mérite du caractere
original qu'on a fçu leur donner ;
mérite d'autant plus réel , qu'il vient ici
du génie feul de l'écrivain , & non du
voile étranger dont il s'eft couvert ; car
Ufbek a pris durant fon féjour en France ,
non feulement une connoiffance fi parfaite
de nos moeurs , mais une fi forte teinture
de nos manieres mêmes , que fon
ftyle fait fouvent oublier fon pays . Ce
léger défaut de vraisemblance peut n'être
fans deffein & fans adreffe : en relevant
nos ridicules & nos vices , il a voulu
fans doute auffi rendre juftice à nos
avantages ; il a fenti toute la fadeur d'un
éloge direct & il s'en eft plus finement
acquitté , en prenant fi fouvent notre ton
pour médire plus agréablement de nous.
pas
Malgré le fuccès de cet ouvrage , M.
de Montefquieu ne s'en étoit point déclaré
ouvertement l'auteur. Peut - être
croyoit- il échapper plus aifément par ce
moyen à la fatyre littéraire , qui épargne
plus volontiers les écrits anonymes , parce
que c'est toujours la perfonne & non l'ouvrage
qui eft le but de fes traits ; peut- être
craignoit- il d'être attaqué fur le prétendu
contrafte des Lettres Perfannes avec l'auférité
de fa place ; efpece de reproche ,
86 MERCURE DE FRANCE.
difoit il , que les critiques ne manquent
jamais, parce qu'il ne demande aucun effort
d'efprit. Mais fon fecret étoit découvert ,
& déja le public le montroit à l'Académie
Françoife. L'événement fit voir combien
le filence de M. de Montefquieu avoit été
fage . Ufbek s'exprime quelquefois affez
librement , non fur le fonds du Chriftianiſme
, mais fur des matieres que trop de
perfonnes affectent de confondre avec le
Chriftianifme même , fur l'efprit de
perfécution
dont tant de Chrétiens ont été
animés ; fur les ufurpations temporelles
de la puiffance eccléfiaftique ; fur la multiplication
exceffive des monafteres , qui
enleve des fujets à l'Etat , fans donner à
Dieu des adorateurs ; fur quelques opinions
qu'on a vainement tenté d'ériger
en dogmes ; fur nos difputes de religion ,
toujours violentes , & fouvent funeftes.
S'il paroît toucher ailleurs à des questions
plus délicates , & qui intéreffent de plus
près la religion chrétienne , fes réflexions
appréciées avec juftice , font en effet trèsfavorables
à la révélation , puifqu'il fe
borne à montrer combien la raifon humaine
, abandonnée à elle-même , eft peu
éclairée fur ces objets. Enfin , parmi les
véritables lettres de M. de Montefquieu ,
l'Imprimeur étranger en avoit inféré quel
NOVEMBRE. 1755. 87
ques -unes d'une autre main , & il eût
fallu du moins , avant que de condamner
l'auteur , démêler ce qui lui appartenoit
en propre. Sans égard à ces confidérations
, d'un côté la haine fous le rom
de zéle , de l'autre le zéle fans difcernement
ou fans lumieres , fe fouleverent &
fe réunirent contre les Lettres Perfannes.
Des délateurs , efpece d'hommes dangereufe
& lâche , que même dans un gouvernement
fage on a quelquefois le malheur
d'écouter , allarmerent par un extrait
infidele la piété du miniftere. M. de Montefquieu
, par le confeil de fes amis , foutenu
de la voix publique , s'étant préſenté
pour la place de l'Académie Françoiſe vacante
par la mort de M. de Sacy , le Miniftre
écrivit à cette Compagnie qué S. M.
ne donneroit jamais fon agrément à l'auteur
des Lettres Perfannes ; qu'il n'avoit
point lu ce livre , mais que des perfonnes
en qui il avoit confiance , lui en avoient
fait connoître le poifon & le danger . M.
de Montefquieu fentit le coup qu'une pareille
accufation pouvoit porter à fa perfonne
, à la famille , à la tranquillité de
fa vie. Il n'attachoit pas affez de prix aux
honneurs littéraires , ni pour les rechercher
avec avidité , ni pour affecter de les
dédaigner quand ils fe préfentoient à lui ,
88 MERCURE DE FRANCE.
:
ni enfin pour en regarder la fimple privation
comme un malheur ; mais l'exclufion
perpétuelle , & fur - tout les motifs de
l'exclufion lui paroiffoient une injure. Il vit
le Miniftre , lui déclara que par des raifons
particulieres il n'avouoit point les
Lettres Perfannes , mais qu'il étoit encore
plus éloigné de defavouer un ouvrage
dont il croyoit n'avoir point à rougir , &
qu'il devoit être jugé d'après une lecture ,
& non fur une délation le Miniftre prit
enfin le parti par où il auroit dû commencer
; il lut le livre , aima l'Auteur , & apprit
à mieux placer fa confiance ; l'Académie
Françoife ne fut point privée d'un de
fes plus beaux ornemens , & la France eut
le bonheur de conferver un fujet que la fuperftition
ou la calomnie étoient prêtes à
lui faire perdre : car M. de Montefquieu
avoit déclaré au Gouvernement qu'après
l'efpece d'outrage qu'on alloit lui faire ,
il iroit chercher chez les étrangers qui lui
tendoient les bras , la fureté , le repos , &
peut-être les recompenfes qu'il auroit dû
efperer dans fon pays. La nation eût déploré
cette perte , & la honte en fut pourtant
retombée fur elle.
Feu M. le Maréchal d'Eftrées , alors Directeur
de l'Académie Françoife , fe conduifit
dans cette circonftance en courtiſan
NOVEMBRE . 1755 . 89
vertueux , & d'une ame vraiment élevée ;
il ne craignit ni d'abufer de fon crédit ni
de le compromettre ; il foutint fon ami &
juftifia Socrate. Ce trait de courage fi précieux
aux Lettres , fi digne d'avoir aujourd'hui
des imitateurs , & fi honorable à
la mémoire de M. le Maréchal d'Eftrées ,
n'auroit pas dû être oublié dans fon éloge.
M. de Montefquieu fut reçu le 24 Janvier
1728. Son difcours eft un des meilleurs
qu'on ait prononcés dans une pareille
occafion ; le mérite en eft d'autant
plus grand , que les Récipiendaires gênés
jufqu'alors par ces formules & ces éloges
d'ufage auxquels une efpece de prefcription
les affujettit , n'avoient encore ofé
franchir ce cercle pour traiter d'autres fujets
, ou n'avoient point penfé du moins à
les y renfermer ; dans cet état même de
contrainte il eut l'avantage de réuffir . Entre
plufieurs traits dont brille fon difcours ,
on reconnoîtroit l'écrivain qui penſe , au
feul portrait du Cardinal de Richelieu
qui apprit à la France le fecret de fes forces ,
& à l'Espagne celui de fa foibleffe , qui ôta
à l'Allemagne fes chaînes , & lui en donna
de nouvelles. Il faut admirer M. de Montefquieu
d'avoir fçu vaincre la difficulté
de fon fujet, & pardonner à ceux qui n'ont
pas eu le même fuccès .
›
90 MERCURE DE FRANCE.
Le nouvel Académicien étoit d'autant
plus digne de ce titre , qu'il avoit peu de
tems auparavant renoncé à tout autre travail
, pour fe livrer entierement à fon
génie & à fon goût . Quelque importante
que fût la place qu'il occupoit , avec quelques
lumieres & quelque intégrité qu'il
en eût rempli les devoirs , il fentoit qu'il
y avoit des objets plus dignes d'occuper
fes talens ; qu'un citoyen eft redevable à
fa nation & à l'humanité de tout le bien
qu'il peut leur faire ; & qu'il feroit plus
utile à l'une & à l'autre , en les éclairant
par fes écrits , qu'il ne pouvoit l'être en
difcutant quelques conteftations particulieres
dans l'obfcurité . Toutes ces réflexions
le déterminerent à vendre fa charge
; il ceffa d'être Magiftrat , & ne fut plus
qu'homme de Lettres .
Mais pour fe rendre utile par fes ouvra
ges aux différentes nations , il étoit néceffaire
qu'il les connût ; ce fut dans cette
vue qu'il entreprit de voyager. Son but
étoit d'examiner partout le phyfique & le
moral , d'étudier les loix & la conftitution
de chaque pays , de vifiter les fçavans , les
écrivains , les artiftes célebres , de chercher
fur- tout ces hommes rares & finguliers
dont le commerce fupplée quelquefois à
plufieurs années d'obfervations & de féNOVEMBRE.
1755. 91
jour. M. de Montefquieu eût pu dire comme
Démocrite. Je n'ai rien oublié pour
» m'inftruire ; j'ai quitté mon pays , & parcouru
l'univers pour mieux connoître
» la vérité : j'ai vu tous les perfonnages
» illuftres de mon tems ; mais il y eût
cette différence entre le Démocrite François
& celui d'Abdere , que le premier
voyageoit pour inftruire les hommes , &
le fecond pour s'en moquer,
Il alla d'abord à Vienne , où il vit fouvent
le célebre Prince Eugene ; ce Héros
fi funefte à la France ( à laquelle il auroit
pû être fi utile ) , après avoir balancé la
fortune de Louis XIV. & humilié la fierté
Ottomane , vivoit fans fafte durant la paix,
aimant & cultivant les Lettres dans une
Cour où elles font peu en honneur , &
donnant à ſes maîtres l'exemple de les protéger.
M. de Montefquieu crut entrevoir
dans fes difcours quelques reftes d'intérêt
pour fon ancienne patrie ; le Prince Eugene
en laiffoit voir furtout , autant que le
peut faire un ennemi , für les fuites funeftes
de cette divifion inteftine qui trouble
depuis fi longtems l'Eglife de France :
l'Homme d'Etat en prévoyoit la durée &
les effets , & les prédit au Philofophe.
M. de Montefquieu partit de Vienne
pour voir la Hongrie , contrée opulente &
92 MERCURE DE FRANCE.
fertile, habitée par une nation fiere & généreufe
, le fléau de fes Tyrans & l'appui de
fes Souverains. Comme peu de perfonnes
connoiffent bien ce pays , il a écrit avec
foin cette partie de fes voyages.
D'Allemagne , il paffa en Italie ; il vit à
Venife le fameux Law , à qui il ne reftoit
de fa grandeur paffée que des projets heureufement
deftinés à mourir dans fa tête ,
& un diamant qu'il engageoit pour jouer
aux jeux de hafard . Un jour la converfation
rouloit fur le fameux fyftème que Law
avoit inventé ; époque de tant de malheurs
& de fortunes , & furtout d'une dépravation
remarquable dans nos moeurs . Comme
le Parlement de Paris , dépofitaire immédiat
des Loix dans les tems de minorité ,
avoit fait éprouver au Miniftre Ecoffois
quelque réfiftance dans cette occafion
M. de Montefquieu lui demanda pourquoi
on n'avoit pas effayé de vaincre cette réfiftance
par un moyen prefque toujours infaillible
en Angleterre , par le grand mobile
des actions des hommes , en un mot
par l'argent : Ce ne font pas , répondit Law,
desgénies auffi ardens & auf dangereux que
mes compatriotes , mais ils font beaucoup plus
incorruptibles. Nous ajouterons fans aucun
préjugé de vanité nationale , qu'un Corps
libre pour quelques inftans , doit mieux
NOVEMBRE. 1755. 93
résister à la corruption que celui qui l'eft
toujours ; le premier , en vendant fa liberté,
la perd ; le fecond ne fait , pour ainfi
dire , que la prêter , & l'exerce même en
l'engageant ; ainfi les circonftances & la
nature du Gouvernement font les vices &
les vertus des Nations.
Un autre perfonnage non moins fameux
que M. de Montefquieu vit encore plus .
fouvent à Venife , fut le Comte de Bonneval
. Cet homme fi connu par fes aventures
, qui n'étoient pas encore à leur terme,
& flatté de converfer avec un juge digne
de l'entendre , lui faifoit avec plaifir le détail
fingulier de fa vie , le récit des actions.
militaires où il s'étoit trouvé , le portrait
des Généraux & des Miniftres qu'il avoit
connus . M. de Montefquieu fe rappelloit,
fouvent ces converfations & en racontoit
différens traits à fes amis.
Il alla de Venife à Rome : dans cette ancienne
Capitale du monde , qui l'eft encore
à certains égards , il s'appliqua furtour
à examiner ce qui la diftingue aujourd'hui
le plus , les ouvrages des Raphaëls ,
des Titiens , & des Michel- Anges : il n'avoit
point fait une étude particuliere des
beaux arts ; mais l'expreffion dont brillent
les chef-d'oeuvres en ce genre , faifit infailliblement
tout homme de génie . Accoutu94
MERCURE DE FRANCE.
mé à étudier la nature , il la reconnoît
quand elle eft imitée , comme un portrait
reffemblant frappe tous ceux à qui l'original
eft familier : malheur aux productions
de l'art dont toute la beauté n'eſt que
pour les Artiſtes.
Après avoir parcouru l'Italie , M. de
Montefquieu vint en Suiffe ; il examina
foigneufement les vaſtes pays arrofés par
le Rhin ; & il ne lui refta plus rien à voir
en Allemagne ; car Frédéric ne regnoit pas
encore. Il s'arrêta enfuite quelque tems
dans les Provinces-Unies , monument admirable
de ce que peut l'induftrie humaine
animée par l'amour de la liberté. Enfin il
fe rendit en Angleterre où il demeura deux
ans : digne de voir & d'entretenir les plus
grands hommes , il n'eut à regretter que
de n'avoir pas fait plutôt ce voyage : Locke
& Newton étoient morts. Mais il eut fouvent
l'honneur de faire fa cour à leur protectrice
, la célebre Reine d'Angleterre ,
qui cultivoit la Philofophie fur le thrône ,
& qui goûta , comme elle devoit , M. de
Montefquieu. Il ne fut pas moins accueilli
par la Nation , qui n'avoit pas befoin fur
cela de prendre le ton de fes maîtres . Il
forma à Londres des liaifons intimes avec
des hommes exercés à méditer , & à ſe préparer
aux grandes chofes par des études
NOVEMBRE. 1755. 95
profondes ; il s'inftruifit avec eux de la nature
du Gouvernement , & parvint à le
bien connoître. Nous parlons ici d'après
les témoignages publics que lui en ont rendu
les Anglois eux-mêmes , fi jaloux de
nos avantages , & fi peu difpofés à reconnoître
en nous aucune fupériorité.
Comme il n'avoit rien examiné ni avec
la prévention d'un enthouſiaſte , ni avec
l'austérité d'un Cynique , il n'avoit rapporté
de les voyages ni un dédain outrageant
pour les étrangers , ni un mépris
encore plus déplacé pour fon propre pays.
Il réfultoit de fes obfervations que l'Allemagne
étoit faite pour y voyager , l'Italie
pour y féjourner , l'Angleterre pour y penfer
, & la France pour y vivre.
De retour enfin dans fa Patrie , M de
Montefquieu fe retira pendant deux ans à
fa terre de la Brede : il y jouit en paix de
cette folitude que le fpectacle & le tumulte
du monde fert à rendre plus agréable ;
il vécut avec lui-même , après en être forti
fi long-tems ; & ce qui nous intéreſſe le
plus , il mit la derniere main à fon ouvrage
fur la caufe de la grandeur & de la déca
dence des Romains , qui parut en 1734.
Les Empires , ainfi que les hommes
doivent croître , dépérir & s'éteindre ; mais
cette révolution néceffaire a fouvent des
96 MERCURE DE FRANCE.
caufes cachées que la nuit des tems nous
dérobe , & que le myftere où leur petiteffe
apparente a même quelquefois voilées aux
yeux des contemporains ; rien ne reſſemble
plus fur ce point à l'Hiftoire moderne
que l'Hiftoire ancienne. Celle des Romains
mérite néanmoins à cet égard quelque exception
; elle préfente une politique raifonnée
, un fyftème fuivi d'aggrandiffement
, qui ne permet pas d'attribuer la
fortune de ce peuple à des refforts obfcurs
& fubalternes. Les caufes de la grandeur
Romaine fe trouvent donc dans l'Hiftoire ,
& c'eft au Philofophe à les y découvrir.
D'ailleurs il n'en eft pas des fyftêmes dans
cette étude comme dans celle de la Phyfique
; ceux-ci font prefque toujours précipités
, parce qu'une obfervation nouvelle
& imprévue peut les renverfer en un inftant
; au contraire , quand on recueille
avec foin les faits que nous tranfmet l'Hif
toire ancienne d'un pays , fi on ne raffemble
pas toujours tous les matériaux qu'on
peut défirer , on ne fçauroit du moins ef
pérer d'en avoir un jour davantage . L'étude
réfléchie de l'Hiftoire , étude fi importante
& fi difficile , confifte à combiner
de la maniere la plus parfaite , ces matériaux
défectueux : tel feroit le métire d'un
Architecte , qui , fur des ruines fçavantes ,
traceroit ,
NOVEMBRE. 1755 . 97
traceroit , de la maniere la plus vraiſemblable
, le plan d'un édifice antique , en
fuppléant , par le génie & par d'heureuſes
conjectures , à des reftes informes & tronqués.
C'eſt fous ce point de vue qu'il faut envifager
l'ouvrage de M. de Montefquieu :
il trouve les caufes de la grandeur des Romains
dans l'amour de la liberté , du travail
& de la patrie , qu'on leur infpiroit
dès l'enfance ; dans la févérité de la difcipline
militaire ; dans ces diffenfions intef
tines qui donnoient du reffort aux efprits ,
& qui ceffoient tout -à coup à la vue de
l'ennemi ; dans cette conftance après le
malheur qui ne défefpéroit jamais de la
république dans le principe où ils furent
toujours de ne faire jamais la paix qu'après
des victoires ; dans l'honneur du triomphe,
fujet d'émulation pour les Généraux ; dans
la protection qu'ils accordoient aux peuples
révoltés contre leurs Rois ; dans l'excellente
politique de laiffer aux vaincus leurs
Dieux & leurs coutumes ; dans celle de
n'avoir jamais deux puiffans ennemis fur
les bras , & de tout fouffrir de l'un juſqu'à
ce qu'ils euffent anéanti l'autre . Il trouve les
caufes de leur décadence dans l'agrandiffement
même de l'Etat , qui changea en
guerres civiles les tumultes populaires ;
E
98 MERCURE DE FRANCE.
dans les guerres éloignées qui forçant les
citoyens à une trop longue abfence , leur
faifoient perdre infenfiblement l'efprit républicain
; dans le droit de Bourgeoifie
accordé à tant de Nations , & qui ne fit
plus du peuple Romain qu'une espece de
monftre à plufieurs têtes ; dans la corrup
tion introduite par le luxe de l'Afie ; dans
les profcriptions de Sylla qui avilirent l'efprit
de la Nation , & la préparerent à l'eſclavage
; dans la néceflité où les Romains
fe trouverent de fouffrir des maîtres , lorfque
leur liberté leur fut devenue à charge ;
dans l'obligation où ils furent de changer
de maximes , en changeant de gouvernement
; dans cette fuite de monftres qui
régnerent , prefque fans interruption , depuis
Tibere jufqu'à Nerva , & depuis Commode
jufqu'à Conftantin ; enfin , dans la
tranflation & le partage de l'Empire , qui
périt d'abord en Occident par la puiffance
des Barbares , & qui après avoir langui plufieurs
ficcles en Orient fous des Empereurs
imbéciles ou féroces , s'anéantit infenfiblement
comme ces fleuves qui difparoiffent
dans des fables.
Un affez petit volume a fuffi à M. de
Montefquieu pour développer un tableau
fi intérellant & fi vafte. Comme l'Auteur
ne s'appefantit point fur les détails , & ne
NOVEMBRE. 1755. 92
faifit que les branches fécondes de fon
ſujet , il a ſçu renfermer en très - peu d'efpace
un grand nombre d'objets diftinctement
apperçus & rapidement préfentés fans
fatigue pour le Lecteur ; en laiffant beaucoup
voir , il laifle encore plus à penſer ,
& il auroit pu intituler fon Livre , Hiftoire
Romaine à l'ufage des Hommes d'Etat & des
Philofophes.
Quelque réputation que M. de Montefquieu
fe fût acquife par ce dernier ouvrage
& par ceux qui l'avoient précédé , il
n'avoit fait que fe frayer le chemin à une
plus grande entreprife , à celle qui doit
immortalifer fon nom & le rendre refpectable
aux fiecles futurs. Il en avoit dès
longtems formé le deffein , il en médita
pendant vingt ans l'exécution ; ou , pour
parler plus exactement , toute fa vie en
avoit été la méditation continuelle . D'abord
il s'étoit fait en quelque façon étranger
dans fon propre pays , afin de le mieux
connoître ; il avoit enfuite parcouru toute
l'Europe , & profondément étudié les différens
peuples qui l'habitent . L'Ifle fameufe
qui fe glorifie tant de fes loix , &
qui en profite fi mal , avoit été pour lui
dans ce long voyage , ce que l'ifle de Crete
fut autrefois pour Lycurgue , une école
où il avoit fçu s'inftruire fans tout approu-
E ij
100
MERCURE DE
FRANCE.
ver ; enfin , il avoit , fi on peut parler ainfi ,
interrogé & jugé les nations & les hommes
célebres qui
n'exiftent plus aujour
d'hui que dans les annales du monde. Ce
fut ainfi qu'il s'éleva par dégrés au plus
beau titre qu'un fage puiffe mériter , celui
de Légiflateur des Nations .
S'il étoit animé par
l'importance de la
matiere , il étoit effrayé en même tems par
fon
étendue il
l'abandonna , & y revint
:
à plufieurs repriſes ; il fentit plus d'une fois,
comme il l'avoue lui- même , tomber les
mains
paternelles .
Encouragé enfin
amis , il ramaffa toutes fes forces , & donfes
par
na l'Esprit des Loix.
Dans cet important ouvrage , M. de
Montefquieu , fans
s'appefantir , à l'exemple
de ceux qui l'ont précédé , fur des difcuffions
métaphyfiques relatives à l'hom
me fuppofé dans un état
d'abſtraction ,
fans fe borner , comme d'autres , à confidérer
certains peuples dans quelques relations
ou
circonftances
particulieres , envifage
les habitans de l'univers dans l'état réel
où ils font , & dans tous les rapports qu'ils
peuvent avoir entr'eux. La plupart des
autres Ecrivains en ce genre font prefque
toujours ou de fimples Moraliftes , ou de
fimples
Jurifconfultes , ou même quelquefois
de fimples
Théologiens;pour lui, l'hom
NOVEMBRE. 1755 . ΙΟΥ
perme
de tous les Pays & de toutes les Nations,
il s'occupe moins de ce que le devoir exige
de nous , que des moyens par lefquels on
peut nous obliger de le remplir , de la
fection métaphyfique des loix , que de celle
dont la nature humaine les rend fufceptibles
, des loix qu'on a faites que de celles
qu'on a dû faire , des loix d'un peuple particulier
que de celles de tous les peuples,
Ainfi en fe comparant lui -mêine à ceux
qui ont couru avant lui cette grande &
noble carriere , il a pu dire comme le Correge
, quand il eut vu les ouvrages de fes
rivaux , & moi auffi je fuis Peintre.
Rempli & pénétré de fon objet , l'Auteur
de l'Efprit des Loix y embraſſe un fi
grand nombre de matieres , & les traite
avec tant de brieveté & de profondeur ,
qu'une lecture affidue & méditée peut feule
faire fentir le mérite ce livre . Elle fervira
fur- tout , nous ofons le dire , à faire difparoître
le prétendu défaut de méthode
dont quelques lecteurs ont accufé M. de
Montefquieu ; avantage qu'ils n'auroient
pas dû le taxer légerement d'avoir négligé
dans une matiere philofophique & dans
un ouvrage de vingt années . Il faut diftinguer
le défordre réel de celui qui n'eft
qu'apparent. Le défordre eft réel , quand
l'analogie & la fuite des idées n'eft point
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
obfervée ; quand les conclufions font érigées
en principes , ou les précedent ; quand
le lecteur , après des détours fans nombre ,
fe retrouve au point d'où il eft parti . Le
defordre n'eft qu'apparent , quand l'Auteur
mettant à leur véritable place les idées dont
il fait ufage , laiffe à fuppléer aux lecteurs
les idées intermédiaires : & c'eſt ainfi que
M. de Montefquieu a cru pouvoir & devoir
en ufer dans un livre deſtiné à des
hommes qui penfent , dont le génie doit
fuppléer à des omiffions volontaires & raifonnées
.
L'ordre qui fe fait appercevoir dans les
grandes parties de l'Efprit des Loix , ne
regne pas moins dans les détails : nous
croyons que plus on approfondira l'ouvrage
, plus on en fera convaincu . Fidele à
fes divifions générales , l'Auteur rapporte
à chacune les objets qui lui appartiennent
exclufivement ; & à l'égard de ceux qui
par différentes branches appartiennent à
plufieurs divifions à la fois , il a placé fous
chaque divifion la branche qui lui appartient
en propre ; par- là on apperçoit ailément
& fans confufion , l'influence que
les différentes parties du fujet ont les unes
fur les autres , comme dans un arbre qu
fyftême bien entendu des connoiffances
humaines , on peut voir le rapport mutuel
NOVEMBRE. 1755. 103
des Sciences & des Arts. Cette comparaifon
d'ailleurs eft d'autant plus jufte , qu'il
en eft du plan qu'on peut fe faire dans
l'examen philofophique des Loix , comme
de l'ordre qu'on peut obferver dans un
arbre Encyclopédique des Sciences : il y
reftera toujours de l'arbitraire ; & tout ce
qu'on peut exiger de l'Auteur , c'eſt qu'il
fuive fans détour & fans écart le fyfteme
qu'il s'eft une fois formé.
Nous dirons de l'obfcurité qu'on peut
fe permetrre dans un tel ouvrage , la même
chofe que du défaut d'ordre ; ce qui feroit
obfcur pour les lecteurs vulgaires , ne l'eft
pas pour ceux que l'Auteur a eu en vue.
D'ailleurs l'obfcurité volontaire n'en eft
point une M. de Montefquieu ayant à
préfenter quelquefois des vérités impor
tantes , dont l'énoncé abfolu & direct auroit
pu
bleffer fans fruit , a eu la prudence
louable de les envelopper , & par cet innocent
artifice , les a voilées à ceux à qui
elles feroient nuifibles , fans qu'elles fuffent
perdues pour les fages.
Parmi les ouvrages qui lui ont fourni
des fecours , & quelquefois des vues pour
le fien , on voit qu'il a furtout profité des
deux hiftoriens qui ont penfé le plus ,
Tacite & Plutarque ; mais quoiqu'un Philofophe
qui a fait ces deux lectures , foit
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
difpenfé de beaucoup d'autres , il n'avoit
pas cru devoir en ce genre rien négliger ni
dédaigner de ce qui pouvoit être utile à
fon objet . La lecture que fuppofe l'Espric
des Loix , eft immenſe ; & l'ufage raiſonné
que l'Auteur a fait de cette multitude pro
digieufe de matériaux , paroîtra encore
plus furprenant , quand on fçaura qu'il
étoit prefqu'entierement privé de la vue ,
& obligé d'avoir recours à des yeux étrangers.
Cette vafte lecture contribue nonfeulement
à l'utilité , mais à l'agrément de
l'ouvrage fans déroger à la majefté de fon
fujet. M. de Montefquieu fçait en tempérer
l'austérité , & procurer aux lecteurs
des momens de repos , foit par des faits
finguliers & peu connus , foit par des allufions
délicates , foit par ces coups de pinceau
énergiques & brillans , qui peignent
d'un feul trait les peuples & les hommes .
Enfin , car nous ne voulons pas jouer ici
le rôle des Commentateurs d'Homere , il
y a fans doute des fautes dans l'efprit des
Loix , comme il y en a dans tout ouvrage
de génie , dont l'Auteur a le premier ofé
fe frayer des routes nouvelles. M. de Montefquieu
a été parmi nous , pour l'étude
des loix , ce que Defcartes a été pour la
Philofophie ; il éclaire fouvent , & fe trompe
quelquefois , & en fe trompant même ,
NOVEMBRE. 1755. 105
il inftruit ceux qui fçavent lire. La pouvelle
édition qu'on prépare , montrera par
les additions & corrections qu'il y a faites,
que s'il eft tombé de tems en tems , il a
fçu le reconnoître & fe relever ; par- là , il
acquerra du moins le droit à un nouvel
examen , dans les endroits où il n'aura pas
été de l'avis de fes cenfeurs ; peut- être
même ce qu'il aura jugé le plus digne de
correction , leur a - t-il abfolument échappé
, tant l'envie de nuire eft ordinairement
aveugle.
Mais ce qui eft à la portée de tout le
monde dans l'Eſprit des Loix , ce qui doit
rendre l'Auteur cher à toutes les Nations ,
ce qui ferviroit même à couvrir des fautes
plus grandes que les fiennes , c'eft l'efprit
de citoyen qui l'a dicté. L'amour du bien
public , le defir de voir les hommes heureux
s'y montrent de toutes parts ; & n'eûtil
que ce mérite fi rare & fi précieux , il
feroit digne par cet endroit feul , d'être
la lecture des peuples & des Rois . Nous
voyons déja , par une heureuſe expérience,
que les fruits de cet ouvrage ne fe bornent
pas dans fes lecteurs à des fentimens ſtériles.
Quoique M. de Montefquieu ait peu
furvécu à la publication de l'Efprit des
Loix , il a eu la fatisfaction d'entrevoir
les effets qu'il commence à produire parmi
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
nous ; l'amour naturel des François pour
leur patrie , tourné vers fon véritable objet
; ce goût pour le Commerce , pour l'Agriculture
, & pour les Arts utiles , qui
fe répand infenfiblement dans notre Nation
; cette lumiere générale fur les principes
du gouvernement , qui rend les peuples
plus attachés à ce qu'ils doivent aimer .
Ceux qui ont fi indécemment attaqué cet
ouvrage , lui doivent peut-être plus qu'ils
ne s'imaginent l'ingratitude , au refte ,
eft le moindre reproche qu'on ait à leur
faire. Ce n'eft pas fans regret , & fans
honte pour notre fiecle , que nous allons
les dévoiler ; mais cette hiftoire importe
trop à la gloire de M. de Montefquieu , &
à l'avantage de la Philofophie , pour être
paffée fous filence. Puiffe l'opprobre qui
couvre enfin fes ennemis , leur devenir
falutaire !
A peine l'Efprit des Loix parut- il , qu'il
fut recherché avec empreffement , fur la
réputation de l'Auteur ; mais quoique
M. de Montesquieu eût écrit pour le bien
du peuple , il ne devoit pas avoir le peuple
pour juge ; la profondeur de l'objet
étoit une fuite de fon importance même.
Cependant les traits qui étoient répandus
dans l'ouvrage , & qui auroient été déplacés
s'ils n'étoient pas nés du fond du fuNOVEMBRE.
1755. 107
jet , perfuaderent à trop de perfonnes qu'il
étoit écrit pour elles : on cherchoit un
Livre agréable , & on ne trouvoit qu'un
Livre utile , dont on ne pouvoit d'ailleurs
fans quelque attention faifir l'enſemble &
les détails. On traita légerement l'Esprit
des Loix ; le titre même fut un fujet de
plaifanterie enfin l'un des plus beaux
monumens littéraires qui foient fortis de
notre Nation, fut regardé d'abord par elle
avec affez d'indifférence. Il fallut que les
véritables juges euffent eu le tems de lire :
bientôt ils ramenerent la multitude toujours
prompte à changer d'avis ; la partie
du Public qui enfeigne , dicta à la partie
qui écoute ce qu'elle devoit penfer & dire ;
& le fuffrage des hommes éclairés , joint
aux échos qui le répéterent , ne forma plus
qu'une voix dans toute l'Europe.
Ce fut alors que les ennemis publics &
fecrets des Lettres & de la Philofophie ( car
elles en ont de ces deux efpeces ) réunirent
leurs traits contre l'ouvrage. De-là cette
foule de brochures qui lui furent lancées
de toutes parts , & que nous ne tirerons
pas de l'oubli où elles font déja plongées.
Sisleurs auteurs n'avoient pas pris de bonnes
mefures pour être inconnus à la poftérité
, elle croiroit que l'Efprit des Loix a
été écrit au milieu d'un peuple de barbares.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
M. de Montefquieu méprifa fans peine
les Critiques ténébreufes de ces auteurs
fans talent , qui foit par une jaloufie qu'ils
n'ont pas droit d'avoir , foit pour fatisfaire
la malignité du Public qui aime la fatyre
& la méprife , outragent ce qu'ils ne peuvent
atteindre ; & plus odieux par le mal
qu'ils veulent faire , que
redoutables par
celui qu'ils font , ne réuffiffent pas même
dans un genre d'écrire que fa facilité &
fon objet rendent également vil. Il mettoit
les ouvrages de cette efpece fur la
même ligne que ces Nouvelles hebdomadaires
de l'Europe , dont les éloges font
fans autorité & les traits fans effet , que
des Lecteurs oififs parcourent fans y ajouter
foi , & dans lefquelles les Souverains.
font infultés fans le fçavoir , ou fans daigner
fe venger. IIll nnee ffuutt pas auffi indifférent
fur les principes d'irréligion qu'on
l'accufa d'avoir femé dans l'Eſprit des Loix .
En méprifant de pareils reproches , il auroit
cru les mériter , & l'importance de
l'objet lui ferma les yeux fur la valeur de
fes adverfaires. Ces hommes également
dépourvus de zele & également empreffés
d'en faire paroître , également effrayés de
la lumiere que les Lettres répandent , non
au préjudice de la Religion , mais à leur
défavantage , avoient pris différentes forNOVEMBRE.
1755. 109
mes pour lui porter atteinte. Les uns , par
unftratagême auffi puérile que pufillanime,
s'étoient écrit à eux- mêmes ; les autres ,
après l'avoir déchiré fous le mafque de
P'Anonyme , s'étoient enfuite déchirés entr'eux
à fon occafion . M. de Montesquieu,
quoique jaloux de les confondre , ne jugea
pas à propos de perdre un tems précieux à
les combattre les uns après les autres : il fe
contenta de faire un exemple fut celui qui
s'étoit le plus fignalé par fes excès.
par
C'étoit l'auteur d'une feuille anonyme
& périodique , qui croit avoir fuccédé à
Pafcal , parce qu'il a fuccédé à fes opinions;
panégyrifte d'ouvrages que perfonne ne
lit , & apologiſte de miracles que l'autorité
féculiere a fait ceffer dès qu'elle l'a
voulu ; qui appelle impiété & fcandale le
peu
d'intérêt que les gens de Lettres prennent
à fes querelles , & s'eft aliéné ,
une adreffe digne de lui , la partie de la
Nation qu'il avoit le plus d'intérêt de ménager.
Les coups de ce redoutable athlete
furent dignes des vues qui l'infpirerent ; il
accufa M. de Montefquieu & de Spinoffme
& de Déifine ( deux imputations incompatibles
) ; d'avoir fuivi le ſyſtème de
Pope ( dont il n'y avoit pas un mot dans
l'ouvrage ) ; d'avoir cité Plutarque qui n'eft
pas un Auteur Chrétiens de n'avoir point
110 MERCURE DE FRANCE.
parlé du péché originel & de la Grace , Il
prétendit enfin que l'Efprit des Loix étoit
une production de la Conftitution Unigenitus;
idée qu'on nous foupçonnera peut-être
de prêter par dérifion au critique. Ceux
qui ont connu M. de Montefquieu , l'ouvrage
de Clément XI & le fien , peuvent
juger par cette accufation de toutes les
autres.
Le malheur de cet écrivain dut bien le
décourager : il vouloit perdre un fage par
l'endroit le plus fenfible à tout citoyen , il
ne fit que lui procurer une nouvelle gloire
comme homme de Lettres ; la Défense de
l'Esprit des Loix parut. Cet ouvrage , par
la modération , la vérité , la fineffe de
plaifanterie qui y regnent , doit être regardé
comme un modele en ce genre. M.
de Montefquieu , chargé par fon adverfaire
d'imputations atroces , pouvoit le
rendrejodieux fans peine ; il fit mieux , il
le rendit ridicule . S'il faut tenir compte à
l'agreffeur d'un bien qu'il a fait fans le
vouloir , nous lui devons une éternelle
reconnoiffance de nous avoir procuré ce
chef-d'oeuvre : Mais ce qui ajoute encore
au mérite de ce morceau précieux , c'eſt
que l'auteur s'y eft peint lui- même fans y
penfer ; ceux qui l'ont connu , croyent
Î'entendre , & la poſtérité s'affurera , en
NOVEMBRE. 1755 111
lifant fa Défenfe , que fa converfation n'étoit
pas inférieure à fes écrits ; éloge que
bien peu de grands hommes ont mérité.
Une autre circonftance lui affure pleinement
l'avantage dans cette difpute : le
critique qui , pour preuve de fon attachement
à la religion , en déchire les Miniftres
, accufoit hautement le Clergé de
France , & fur-tout la Faculté de Théolo
gie , d'indifférence pour la caufe de Dieu ,
en ce qu'ils ne profcrivoient pas authentiquement
un fi pernicieux ouvrage . La Faculté
étoit en droit de méprifer le repro
che d'un écrivain fans aveu ; mais il s'agif
foit de la religion ; une délicateffe louable
lui a fait prendre le parti d'examiner l'Ef
prit des Loix. Quoiqu'elle s'en occupe depuis
plufieurs années , elle n'a rien prononcé
jufqu'ici ; & fût- il échappé à M. de
Montefquieu quelques inadvertences lé--
geres , prefque inevitables dans une carriere
fi vafte , l'attention longue & fcrupuleufe
qu'elles auroient demandée de la
part du Corps le plus éclairé de l'Eglife ,
prouveroit au moins combien elles feroient
excufables. Mais ce Corps , plein de prudence
, ne précipitera rien dans une fi
importante matiere : il connoit les bornes
de la raifon & de la foi ; il fçait que l'ouvrage
d'un homme de lettres ne doit point
112 MERCURE DE FRANCE.
être examiné comme celui d'un Théologien
que les mauvaifes conféquences
auxquelles une propofition peut donner
lieu par des interprétations odieufes , ne
rendent point blamable la propofition en
elle -même ; que d'ailleurs nous vivons
dans un fiécle malheureux , où les intérêts
de la religion ont befoin d'être ménagés ,
& qu'on peut lui nuire auprès des fimples,
en répandant mal - à - propos fur des genies
du premier ordre le foupçon d'incrédulité;
qu'enfin , malgré cette accufation injuſte ,
M. de Montefquien fut toujours eſtimé ,
recherché & accueilli par tout ce que l'Eglife
a de plus refpectable & de plus grand ;
eût-il confervé auprès des gens de bien la
confidération dont il jouiffoit , s'ils l'euffent
regardé comme un écrivain dangéreux
?
Pendant que des infectes le tourmentoient
dans fon propre pays , l'Angleterre
élevoit un monument à fa gloire. En 1752 ,
M. Daffier , célebre par les médailles qu'il
a frappées à l'honneur de plufieurs hommes
illuftres , vint de Londres à Paris pour
frapper la fienne. M. de la Tour , cet attifte
fi fupérieur par fon talent , & fi eftimable
par fon defintéreffement & l'élévation
de fon ame , avoit ardemment defiré
de donner un nouveau luftre à fon pinNOVEMBRE.
1755. 113
ceau , en tranfmettant à la poftérité le
portrait de l'auteur de l'Efprit des Loix ;
il ne vouloit que la fatisfaction de le peindre
, & il méritoit , comme Apelle , que
cet honneur lui fût réfervé ; mais M. de
Montefquieu , d'autant plus avare du tems
de M. de la Tour que celui - ci en étoit plus
prodigue , fe refufa conftamment & poliment
à fes preffantes follicitations. M. Daf
fier effuya d'abord des difficultés femblables
: Croyez-vous , dit-il enfin à M. de
Montefquieu , » qu'il n'y ait pas autant
d'orgueil à refufer ma propofition qu'à
» l'accepter » ? Defarmé par cette plaifanterie
, il laiffa faire à M. Daflier tout ce
qu'il voulut.
»
L'auteur de l'Esprit des Loix jouiffoit
enfin paisiblement de fa gloire , lorfqu'il
tomba malade au commencement de Février.
Sa fanté , naturellement délicate ,
commençoit à s'altérer depuis long- tems
par l'effet lent & prefque infaillible des
études profondes , par les chagrins qu'on
avoit cherché à lui fufciter fur fon ouvra- ge ; enfin
par le genre
de vie qu'on
le forçoit
de mener
à Paris
, & qu'il
fentoit
lui
être
funefte
. Mais
l'empreffement
avec
le-`
quel
on recherchoit
fa focieté
, étoit
trop
vif pour
n'être
pas
quelquefois
indifcret
on vouloit
, fans
s'en
appercevoir
, jouir
114 MERCURE DE FRANCE.
de lui aux dépens de lui -même. A peine la
nouvelle du danger où il étoit fe fût- elle
répandue , qu'elle devint l'objet des converfations
& de l'inquiétude publique ; fa
maifon ne défempliffoit point de perfonnes
de tout rang qui venoient s'informer
de fon état , les unes par un intérêt véritable
, les autres pour s'en donner l'apparence
, ou pour fuivre la foule. Sa Majefté ,
pénétrée de la ppeerrttee qquuee fon royaume alloit
faire , en demanda plufieurs fois des
nouvelles ; témoignage de bonté & de juftice
qui n'honore pas moins le Monarque
que le fujet. La fin de M. de Montefquieu
ne fut point indigne de fa vie. Accablé de
douleurs cruelles , éloigné d'une famille
à qui il étoit cher , & qui n'a pas eu la
confolation de lui fermer les yeux , entouré
de quelque amis & d'un plus grand
nombre de fpectateurs , il conferva jufqu'au
dernier moment la paix & l'égalité
de fon ame. Enfin , après avoir fatisfait
avec décence à tous fes devoirs , plein de
confiance en l'Etre éternel auquel il alloit.
fe rejoindre , il mourut avec la tranquillité
d'un homme de bien , qui n'avoit jamais
confacré fes talens qu'à l'avantage.
de la vertu & de l'humanité. La France &
l'Europe le perdirent le 10 Février 1755 ,
à l'âge de foixante- fix ans révolus.
NOVEMBRE 1755. 115
Toutes les nouvelles publiques ont annoncé
cet événement comme une calamité.
On pourroit appliquer à M. de Montefquieu
ce qui a été dit autrefois d'un
illuftre Romain ; que perfonne en apprenant
fa mort n'en témoigna de joie , que
perfonne même ne l'oublia dès qu'il ne fut
plus. Les étrangers s'emprefferent de faire
éclater leurs regrets ; & Milord Chefterfield
, qu'il fuffit de nommer , fit imprimer
dans un des papiers publics de Londres
un article à fon honneur , article digne
de l'un & de l'autre ; c'eft le portrait
d'Anaxagore tracé par Périclès . L'Académie
royale des Sciences & des Belles -Lettres
de Pruffe , quoiqu'on n'y foit point
dans l'ufage de prononcer l'éloge des affociés
étrangers , a cru devoir lui faire cet
honneur , qu'elle n'a fait encore qu'à l'illuftre
Jean Bernouilli ; M. de Maupertuis,
tout malade qu'il étoit , a rendu lui-même
à fon ami ce dernier devoir , & n'a voulu
fe repofer fur perfonne d'un foin fi cher &
fi trifte. A tant de fuffrages éclatans en faveur
de M. de Montefquieu , nous croyons
pouvoir joindre fans indifcrétion les éloges
que lui a donné , en préfence de l'un
de nous , le Monarque même auquel cette.
Académie célebre doit fon luftre , Prince
fait pour fentir les pertes de la Philofa116
MERCURE DE FRANCE.
phie , & pour l'en confoler.
Le 17 Février , l'Académie Françoiſe
lui fit , felon l'ufage , un fervice folemnel
, auquel , malgré la rigueur de la faifon
, prefque tous les gens de Lettres de
ce Corps , qui n'étoient point abfens de
Paris , fe firent un devoir d'affifter. On
auroit dû dans cette trifte cérémonie placer
l'Esprit des Loix fur fon cercueil , comme
on expofa autrefois vis - à-vis le cercueil
de Raphaël fon dernier tableau de la
Transfiguration . Cet appareil fimple &
touchant eût été une belle oraifon funébre.
Jufqu'ici nous n'avons confidéré M. de
Montefquieu que comme écrivain & philofophe
; ce feroit lui dérober la moitié
de fa gloire que de paffer fous filence fes
agrémens & fes qualités perfonnelles.
Il étoit dans le commerce d'une douceur
& d'une gaieté toujours égale . Sa
converfation étoit légere , agréable , &
instructive par le grand nombre d'hommes
& de peuples qu'il avoit connus. Elle étoit
coupée comme fon ftyle , pleine de fel &
de faillies , fans amertunie & fans fatyre
; perfonne ne racontoit plus vivement ,
plus promptement , avec plus de grace &
moins d'apprêt. Il fçavoit que la fin d'une
hiftoire plaifante en eft toujours le but ;-
NOVEMBRE. 1755. 117
il fe hâtoit donc d'y arriver , & produifoit
l'effet fans l'avoir promis.
Ses fréquentes diftractions ne le rendoient
que plus aimable ; il en fortoit
toujours par quelque trait inattendu qui
réveilloit la converfation languiffante ;
d'ailleurs elles n'étoient jamais , ni jouées,
ni choquantes , ni importunes : le feu de
fon efprit , le grand nombre d'idées dont
il étoit plein , les faifoient naître , mais il
n'y tomboit jamais au milieu d'un entretien
intéreffant ou férieux ; le defir de
plaire à ceux avec qui il fe trouvoit , le
rendoit alors à eux fans affectation & fans
effort.
Les agrémens de fon commerce tenoient
non feulement à fon caractere & à
fon efprit , mais à l'efpece de régime qu'il
obfervoit dans l'étude. Quoique capable
d'une méditation profonde & long- tems
foutenue , il n'épuifoit jamais fes forces , il
quitroit toujours le travail avant que d'en
reffentir la moindre impreffion de fatigue.
Il étoit fenfible à la gloire , mais il ne
vouloit y parvenir qu'en la méritant ; jamais
il n'a cherché à augmenter la fienne
par ces manoeuvres fourdes , par ces voyes
obfcures & honteufes, qui deshonorent la
perfonne fans ajouter au nom de l'auteur .
Digne de toutes les diftinctions & de
IIS MERCURE DE FRANCE.
toutes les récompenfes , il ne demandoit
rien , & ne s'étonnoit point d'être oublié ;
mais il a ofé , même dans des circonftances
délicates, protéger à la Cour des hommes
de Lettres perfécutés , célebres &
malheureux , & leur a obtenu des graces.
Quoiqu'il vecût avec les grands , foit
par néceffité , foit par convenance , foit
par gout , leur fociété n'étoit pas néceffaire
à fon bonheur. Il fuyoit dès qu'il le
pouvoit à fa terre ; il y retrouvoit avec
joie fa philofophie , fes livres & le repos.
Entouré de gens de la campagne dans fes
heures de loifir , après avoir étudié l'homme
dans le commerce du monde & dans
l'hiftoire des nations , il l'étudioit encore
dans ces ames fimples que la nature feule
a inftruites , & il y trouvoit à apprendre ;
il converfoit gayement avec eux ; il leur
cherchoit de l'efprit comme Socrate ; il
paroiffoit fe plaire autant dans leur entretien
que dans les fociétés les plus brillantes
, furtout quand il terminoit leurs différends
, & foulageoit leurs peines par fes
bienfaits.
Rien n'honore plus fa mémoire que
l'économie avec laquelle il vivoit , &
qu'on a ofé trouver exceffive dans un
monde avare & faftueux , peu fait pour
en pénétrer les motifs , & encore moins
NOVEMBRE. 1755. 119
pour les fentir. Bienfaifant , & par conféqnent
jufte, M. de Montesquieu ne vouloit
rien prendre fur fa famille , ni des
fecours qu'il donnoit aux malheureux ,
ni des dépenfes confidérables auxquels fes
longs voyages , la foibleffe de fa vue &
l'impreffion de fes ouvrages l'avoient
obligé . Il a tranfmis à fes enfans , fans
diminution ni augmentation , l'héritage
qu'il avoit reçu de fes peres ; il n'y a rien
ajouté que la gloire de fon nom & l'exemple
de fa vie.
Il avoit époufé en 1715 Demoifelle
Jeanne de Lartigue, fille de Pierre de Lartigue
, Lieutenant Colonel au Régiment
de Maulévrier ; il en a eu deux filles &
un fils , qui par fon caractere , fes moeurs
& fes ouvrages s'eft montré digne d'un
tel pere.
Ĉeux qui aiment la vérité & la patrie,
ne feront pas fâchés de trouver ici quelques
unes de fes maximes : il penfoit ,
Que chaque portion de l'Etat doit être
également foumife aux loix , mais que
les privileges de chaque portion de l'Etat
doivent être respectés , lorfque leurs effets
n'ont rien de contraire au droit naturel
, qui oblige tous les citoyens à concourir
également au bien public ; que la
poffellion ancienne étoit en ce genre le
120 MERCURE DE FRANCE.
premier des titres & le plus inviolable des
droits , qu'il étoit toujours injufte & quel
quefois dangereux de vouloir ébranler ;
Que les Magiftrats , dans quelque circonftance
& pour quelque grand intérêt
de corps que ce puiffe être , ne doivent
jamais être que Magiftrats , fans parti &
fans paffion , comme les Loix , qui abſolvent
& puniffent fans aimer ni hair.
Il difoit enfin à l'occafion des difputes
eccléfiaftiques qui ont tant occupé les Empereurs
& les Chrétiens Grecs , que les
querelles théologiques, lorfqu'elles ceffent
d'être renfermées dans les écoles , deshonorent
infailliblement une nation aux
yeux des autres en effet , le mépris même
des fages pour ces querelles ne la juftifie
pas , parce que les fages faifant partout
le moins de bruit & le plus petit
nombre , ce n'est jamais fur eux qu'une
nation eft jugée .
L'importance des ouvrages dont nous
avons eu à parler dans cet éloge , nous
en a fait paffer fous filence de moins confidérables
, qui fervoient à l'auteur comme
de délaffement , & qui auroient fuffi
l'éloge d'un autre ; le plus remarquable
eft le Temple de Gnide , qui fuivit d'affez
près les Lettres Perfannes. M. de Montefquieu
, après avoir été dans celle- ci Hopour
race ,
NOVEMBRE . 1755. 121
race , Théophrafte & Lucien , fut Ovide
& Anacréon dans ce nouvel effai : ce n'eſt
plus l'amour defpotique de l'Orient qu'il
fe propofe de peindre , c'eft la délicateffe
& la naïveté de l'amour paftoral , tel qu'il
eſt dans une ame neuve, que le commerce
des hommes n'a point encore corrompue.
L'Auteur craignant peut - être qu'un tableau
fi étrangerà nos moeurs ne parût
trop languiffant & trop uniforme , a cherché
à l'animer par les peintures les plus
riantes ; il tranfporte le lecteur dans des
lieux enchantés , dont à la vérité le fpectacle
intéreffe peu l'amant heureux , mais
dont la defcription flatte encore l'imagination
quand les defirs font fatisfaits . Emporté
par fon fujet , il a répandu dans ſa
profe ce ftyle animé , figuré & poétique ,
dont le roman de Thélemaque a fourni
parmi nous le premier modele. Nous ignorons
pourquoi quelques cenfeurs du temple
de Gnide ont dit à cette occaſion , qu'il
auroit eu befoin d'être en vers. Le ſtyle
poétique , fi on entend , comme on le
doit , par ce mot , un ftyle plein de chaleur
& d'images , n'a pas befoin , pour être
agréable , de la marche uniforme & cadencée
de la verfification ; mais fi on ne
fait confifter ce ftyle que dans une diction
chargée d'épithetes oifives , dans les pein
F
122 MERCURE DE FRANCE.
tures froides & triviales des aîles & du
carquois de l'amour , & de femblables
objets , la verfication n'ajoutera prefqu'aucun
mérite à ces ornemens ufés ; on
y cherchera toujours en vain l'ame & la
vie. Quoiqu'il en foit , le Temple de Gnide
étant une espece de poëme en profe
c'est à nos écrivains les plus célebres en ce
genre à fixer le rang qu'il doit occuper :
il merite de pareils juges ; nous croyons
du moins que les peintures de cet ouvrage
foutiendroient avec fuccès une des
principales épreuves des defcriptions poétiques
, celle de les repréfenter fur la toile.
Mais ce qu'on doit fur- tout remarquer
dans le Temple de Gnide , c'eft qu'Anacréon
même y est toujours obfervateur &
philofophe. Dans le quatrieme chant , il
paroît décrire les moeurs des Sibarites , &
on s'apperçoit aifément que ces moeurs
font les nôtres. La préface porte fur - tout
l'empreinte de l'auteur des Lettres Perfannes.
En préfentant le Temple de Gnide
comme la traduction d'un manufcrit grec ,
plaifanterie défigurée depuis par tant de
mauvais copiſtes , il en prend occafion de
peindre d'un trait de plume l'ineptie des
critiques & le pédantifme des traducteurs,
& finit par ces paroles dignes d'être rapportées
» Si les gens graves defiroient
NOVEMBRE. 1755. 123
33
de moi quelque ouvrage moins frivole ,
je fuis en état de les fatisfaire : il y a
» trente ans que je travaille à un livre de
» douze pages , qui doit contenir tout ce
que nous fçavons fur la Métaphyfique ,
» la Politique & la Morale , & tout ce
que de très grands auteurs ont oublié
» dans les volumes qu'ils ont publiés fur
» ces matieres » .
Nous regardons comme une des plus
honorables récompenfes de notre travail
l'intérêt particulier que M. de Monteſquieu
prenoit à ce dictionnaire , dont toutes
les reffources ont été jufqu'à préfent
dans le courage & l'émulation de fes auteurs
. Tous les gens de Lettres , felon lui,
devoient s'empreffer de concourir à l'exécution
de cette entrepriſe utile ; il en a
donné l'exemple avec M. de Voltaire , &
plufieurs autres écrivains célebres. Peutêtre
les traverfes que cet ouvrage a ef
fuyées , & qui lui rappelloient les fiennes
propres , l'intéreffoient-elles en notre faveur,
Peut-être étoit- il fenfible , fans s'en
appercevoir , à la juftice que nous avions
ofé lui rendre dans le premier volume de
l'Encyclopédie , lorfque perfonne n'ofoit
encore élever fa voix pour le défendre.
Il nous deftinoit un article fur le Goût, qui
a été trouvé imparfait dans fes papiers ;
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
nous le donnerons en cet état au public ,
& nous le traiterons avec le même refpect
que l'antiquité témoigna autrefois pour
les dernieres paroles de Séneque . La mort
l'a empêché d'étendre plus loin fes bienfaits
à notre égard ; & en joignant nos
propres regrets à ceux de l'Europe entiere ,
nous pourrions écrire fur fon tombeau :
Finis vita cjus nobis luctuofus , Patriæ
triftis , extraneis etiam ignotifque non fine
curâ fuit.
Tacit. in Agricol. c. 43 .
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Résumé : Eloge de M. le Président de Montesquieu.
Le texte présente un volume de l'Encyclopédie, dans lequel Voltaire a travaillé sur les articles concernant les mots 'esprit', 'éloquence' et 'élégance'. Ce volume inclut également un éloge de Montesquieu écrit par d'Alembert, jugé d'une grande beauté. Une note analysant 'L'Esprit des Lois' est réservée pour le premier Mercure de décembre. Montesquieu, bienfaiteur de l'humanité par ses écrits, a contribué à cet ouvrage, motivant ainsi la reconnaissance des auteurs. Charles de Secondat, Baron de la Brede et de Montesquieu, naquit au Château de la Brede près de Bordeaux le 18 janvier 1689. Sa famille, noble de Guyenne, acquit la terre de Montesquieu grâce à des services rendus à la couronne. Dès son jeune âge, Montesquieu montra des aptitudes remarquables, cultivées par son père. Il préparait déjà les matériaux de 'L'Esprit des Lois' à vingt ans. En parallèle de ses études juridiques, il approfondissait des matières philosophiques. En 1716, il devint Président à Mortier au Parlement de Bordeaux et se distingua par ses remontrances courageuses contre un nouvel impôt. Il fut également membre de l'Académie de Bordeaux et contribua à la création de l'Académie des Sciences. En 1721, il publia les 'Lettres persanes', un ouvrage satirique des mœurs françaises sous le prétexte de la peinture des mœurs orientales. Malgré le succès de cet ouvrage, Montesquieu resta discret sur son authorship pour éviter les critiques littéraires. Les 'Lettres persanes' furent attaquées pour leurs réflexions sur des sujets religieux et ecclésiastiques, provoquant des réactions hostiles. Montesquieu fut accusé et réhabilité concernant ses 'Lettres persanes'. Il rencontra le ministre, déclarant qu'il n'avouait pas les 'Lettres persanes' mais ne les désavouait pas non plus, et demanda que l'ouvrage soit jugé sur sa lecture plutôt que sur des délations. Le ministre lut le livre, apprécia l'auteur et permit à Montesquieu d'être reçu à l'Académie française. Le maréchal d'Estrées soutint Montesquieu avec courage et intégrité. Montesquieu fut reçu à l'Académie le 24 janvier 1728 avec un discours remarquable, où il évita les formules conventionnelles pour traiter de sujets plus larges. Il entreprit des voyages pour étudier les lois et constitutions de divers pays, rencontrer des savants et des artistes célèbres. Ses voyages l'amenèrent en Autriche, en Hongrie, en Italie, en Suisse, aux Provinces-Unies et en Angleterre. De retour en France, Montesquieu se retira à la Brede pour achever son ouvrage sur 'La grandeur et la décadence des Romains', publié en 1734. Il analysa les causes de la grandeur et de la décadence de Rome, mettant en avant des facteurs comme l'amour de la liberté, la discipline militaire et la politique d'expansion. Le texte loue ensuite l'œuvre de Montesquieu, notamment 'L'Esprit des Lois', qui offre une analyse approfondie et vaste de la politique et des lois. Montesquieu a préparé cet ouvrage pendant vingt ans, étudiant divers peuples et lois à travers l'Europe. 'L'Esprit des Lois' est présenté comme un livre destiné aux hommes d'État et aux philosophes, embrassant un grand nombre de matières avec brièveté et profondeur. Le texte défend la structure et la clarté de l'ouvrage, affirmant que l'apparente absence de méthode est en réalité une invitation à la réflexion. Il souligne également l'importance des sources utilisées par Montesquieu, notamment Tacite et Plutarque, et la manière dont il a su rendre l'ouvrage à la fois utile et agréable. Enfin, le texte mentionne les critiques et les attaques subies par 'L'Esprit des Lois' lors de sa publication, mais note que l'œuvre a finalement été reconnue pour sa valeur et son impact sur la pensée politique et philosophique. Montesquieu est accusé d'irréligion et de semer des principes d'irréligion dans son œuvre. Il est comparé à des auteurs de nouvelles hebdomadaires sans autorité ni effet. Ses adversaires, dépourvus de zèle mais cherchant à en montrer, ont utilisé diverses stratégies pour le discréditer. Montesquieu décide de répondre à l'un de ses critiques les plus virulents, auteur d'une feuille anonyme périodique, en le rendant ridicule plutôt que furieux.
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132
p. 67-72
COPIE de la Lettre écrite le 12 Août 1755. par M. Voisin, Avocat au Parlement à M. le Prince de ..... Chevalier de la Toison d'or.
Début :
MONSIEUR, La simple idée par écrit, que vous me demandez du Livre (I), dont, avant votre [...]
Mots clefs :
Princes, Gloire, Seigneurs, Magnificence, Prince, Devoirs, Richesses, Esprit
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COPIE de la Lettre écrite le 12 Août 1755. par M. Voisin, Avocat au Parlement à M. le Prince de ..... Chevalier de la Toison d'or.
COPIE de la Leure écrite le 12 Août
1755. par M. Voifin , Avocat au Parlement
à M. le Prince de Chevalier de
la Toifon d'or,
MONSIEUR ,
14
La fimple idée par écrit , que vous me
demandez du Livre ( 1 ) , dont , avant votre
départ de Paris , j'ai eu l'honneur de.
vous entretenir , & auquel je travaille depuis
plufieurs années , exige elle-même un
affez grand détail par la multitude des objers.
Je crois , Monfieur , ne pouvoir
mieux fatisfaire à ce que vous défitez de
moi à cet égard , qu'en vous communiquant
par forme de lettres , le difcours
que je projette de mettre à la tête de l'ouvrage
pour y fervir d'introduction.
( 1 ) Ce Livre a pour titre , Le Confeilfamilier
& économique des Princes des grands Seigneurs ;
ou Moyens de conferver , d'augmenter & de perpétuer
les richeffes , la magnificence & la véritable
gloire de leurs Maiſons.
68 MERCURE DE FRANCE.
PREMIERE LETTRE.
Que les Princes & les grands Seigneurs
foient dans l'opulence , c'eft un attribut
naturel de leur condition : mais ils ne doivent
pas fe flatter de conferver , d'augmenter
, ni de perpétuer leurs richeffes , fans
une heureufe intelligence , foutenue de
cette économie libérale , qui ne prodigue
rien , pour donner fans ceffe avec difcernement.
Que les Princes & les grands Seigneurs
ayent en général le défir de la magnificence
, faut-il s'en étonner ? Ils naiffent
dans fon fein ; on en recrée leur enfance :
hommes formés , ils en ajoutent l'habitude
au goût naturel ; ils y meurent . Mais étoitce
une véritable magnificence que l'éclat
qui leur fit illufion pendant leur vie ? ou
n'étoit ce au contraire , qu'un faux brillant
qui , en deshonorant la mémoire de
ceux qu'il féduit , ne laiffe fouvent dans
leurs fucceffions que l'indigence & l'infolvabilité.
La véritable magnificence trouve dans
la fageffe qui la dirige , les moyens de ſe
conferver , de s'augmenter & de fe perpétuer.
Un efprit d'arrangement fans contrainte
, blâme ou avoue les motifs & les
occafions de la magnificence. Si la riche
DECEMBRE . 1755. 69
économie qui prend foin , quand il le faut,
que rien ne manque au fpectacle , lui prefcrit
cependant quelquefois des bornes ,
c'eſt pour faire , en évitant le défaut d'une
confufion inutile & choquante , fubfifter
cette magnificence même avec plus de folidité
, & pour affurer par-là à celui qui en´
fupporte la dépenfe , le fuffrage des perfonnes
dont le goût & la raifon font les
guides éclairés.
Que les Princes & les grands Seigneurs
confiderent la gloire de leurs Maifons
comme leur principal objet , & le plus
digne de les occuper , l'antiquité & la nobleffe
de leur origine femblent , à leur
naiffance , en graver le fentiment dans
leurs coeurs il feroit à fouhaiter qu'au
foin qu'on fe donne de leur en préfenter
fans ceffe la perfpective dans le cours de
leur éducation , on joignît l'attention de
leur développer les caracteres effentiels
de la véritable gloire , & de leur en infpirer
cet amour raiſonné qui , ennemi d'un
aveugle orgueil , reçoit de l'efprit même
du Chriftianifme , la permiffion d'aiguillonner
les gens d'honneur.
Penfer , comme on croit fincerement le
devoir ; s'inftruire , pour penfer mieux
encore ; faire ce qu'on peut & ce qu'on
doit par inclination pour le bon ordre
70 MERCURE DE FRANCE.
voilà en général la bafe inebranlable de
la véritable gloire des Princes & des
grands Seigneurs. C'eft , en un mot , le
fondement de la gloire folide dans tous
les états.
Ce principe annonce donc que , pour
conferver , augmenter & perpétuer la véritable
gloire des Grands , il faut ,
Premierement , qu'ils foyent convaincus
de l'indifpenfable néceffité de remplir les
devoirs de leur état .
Secondement , qu'ils travaillent folidement
à les connoître dans la vérité , parcequ'il
eft impoffible de bien faire ce dont
on ignore les principes .
Enfin il est néceffaire que les Grands
furmontent avec courage les dégoûts & les
contradictions que des paffions tumul- .
tueufes élevent quelquefois contre le regne
tranquille de l'ordre & de la raifon.
Que la réunion de ces ennemis intérieurs
n'effraye pas le combattant ; je ferai
voir dans fon lieu que l'idée du combat
eft plus terrible que le combat même. Le
Combattant doit craindre d'autant moins
d'effayer fes forces , que fon courage le
rend fûr d'une victoire , dont les fuites
font la paix du coeur & la gayeté de
l'efprit .
Les Princes & les Grands ont donc des
DECEMBRE . 1755. 71
devoirs d'état à remplir , & ce n'eft que
par leur exactitude à s'en acquitter , qu'ils
peuvent conferver , augmenter & perpétuer
la véritable gloire de leurs Maifons.
Mais pour fçavoir quelle eft l'étendue
des devoirs d'état des Princes & des
Grands , il faut déterminer quel eft leur
état même.
Parce qu'ils font grands , ne font- ils
qu'hommes de Cour , & ne fe croyent- ils
affujettis à des devoirs qu'envers la Cour ?
Je les confidere dans trois pofitions différentes
, dont chacune exige des connoiffances
qui lui font immédiatement néceffaires.
Le Prince ou le grand Seigneur, comme
particulier dans l'intérieur de fa maiſon &
de fes terres : Premiere Partie.
Le Prince ou le grand Seigneur perè
de famille : Seconde Partie.
Le Prince ou le grand Seigneur membre
de la Société , & homme d'Etat : Troifieme
Partie.
C'est en propofant mes réflexions fur
chacune de ces trois conditions , que je
mets fous les yeux des Princes & des
grands Seigneurs , les moyens de conferver
, d'augmenter & de perpétuer les richeffes
, la magnificence & la véritable
gloire de leurs Maiſons.
72 MERCURE DE FRANCE.
Ces trois points de vue fous lefquels les
Princes & les grands Seigneurs peuvent
être envifagés , font auffi la divifion naturelle
de ce difcours , dont les trois parties
réunies renferment le plan général de
l'Ouvrage.
1755. par M. Voifin , Avocat au Parlement
à M. le Prince de Chevalier de
la Toifon d'or,
MONSIEUR ,
14
La fimple idée par écrit , que vous me
demandez du Livre ( 1 ) , dont , avant votre
départ de Paris , j'ai eu l'honneur de.
vous entretenir , & auquel je travaille depuis
plufieurs années , exige elle-même un
affez grand détail par la multitude des objers.
Je crois , Monfieur , ne pouvoir
mieux fatisfaire à ce que vous défitez de
moi à cet égard , qu'en vous communiquant
par forme de lettres , le difcours
que je projette de mettre à la tête de l'ouvrage
pour y fervir d'introduction.
( 1 ) Ce Livre a pour titre , Le Confeilfamilier
& économique des Princes des grands Seigneurs ;
ou Moyens de conferver , d'augmenter & de perpétuer
les richeffes , la magnificence & la véritable
gloire de leurs Maiſons.
68 MERCURE DE FRANCE.
PREMIERE LETTRE.
Que les Princes & les grands Seigneurs
foient dans l'opulence , c'eft un attribut
naturel de leur condition : mais ils ne doivent
pas fe flatter de conferver , d'augmenter
, ni de perpétuer leurs richeffes , fans
une heureufe intelligence , foutenue de
cette économie libérale , qui ne prodigue
rien , pour donner fans ceffe avec difcernement.
Que les Princes & les grands Seigneurs
ayent en général le défir de la magnificence
, faut-il s'en étonner ? Ils naiffent
dans fon fein ; on en recrée leur enfance :
hommes formés , ils en ajoutent l'habitude
au goût naturel ; ils y meurent . Mais étoitce
une véritable magnificence que l'éclat
qui leur fit illufion pendant leur vie ? ou
n'étoit ce au contraire , qu'un faux brillant
qui , en deshonorant la mémoire de
ceux qu'il féduit , ne laiffe fouvent dans
leurs fucceffions que l'indigence & l'infolvabilité.
La véritable magnificence trouve dans
la fageffe qui la dirige , les moyens de ſe
conferver , de s'augmenter & de fe perpétuer.
Un efprit d'arrangement fans contrainte
, blâme ou avoue les motifs & les
occafions de la magnificence. Si la riche
DECEMBRE . 1755. 69
économie qui prend foin , quand il le faut,
que rien ne manque au fpectacle , lui prefcrit
cependant quelquefois des bornes ,
c'eſt pour faire , en évitant le défaut d'une
confufion inutile & choquante , fubfifter
cette magnificence même avec plus de folidité
, & pour affurer par-là à celui qui en´
fupporte la dépenfe , le fuffrage des perfonnes
dont le goût & la raifon font les
guides éclairés.
Que les Princes & les grands Seigneurs
confiderent la gloire de leurs Maifons
comme leur principal objet , & le plus
digne de les occuper , l'antiquité & la nobleffe
de leur origine femblent , à leur
naiffance , en graver le fentiment dans
leurs coeurs il feroit à fouhaiter qu'au
foin qu'on fe donne de leur en préfenter
fans ceffe la perfpective dans le cours de
leur éducation , on joignît l'attention de
leur développer les caracteres effentiels
de la véritable gloire , & de leur en infpirer
cet amour raiſonné qui , ennemi d'un
aveugle orgueil , reçoit de l'efprit même
du Chriftianifme , la permiffion d'aiguillonner
les gens d'honneur.
Penfer , comme on croit fincerement le
devoir ; s'inftruire , pour penfer mieux
encore ; faire ce qu'on peut & ce qu'on
doit par inclination pour le bon ordre
70 MERCURE DE FRANCE.
voilà en général la bafe inebranlable de
la véritable gloire des Princes & des
grands Seigneurs. C'eft , en un mot , le
fondement de la gloire folide dans tous
les états.
Ce principe annonce donc que , pour
conferver , augmenter & perpétuer la véritable
gloire des Grands , il faut ,
Premierement , qu'ils foyent convaincus
de l'indifpenfable néceffité de remplir les
devoirs de leur état .
Secondement , qu'ils travaillent folidement
à les connoître dans la vérité , parcequ'il
eft impoffible de bien faire ce dont
on ignore les principes .
Enfin il est néceffaire que les Grands
furmontent avec courage les dégoûts & les
contradictions que des paffions tumul- .
tueufes élevent quelquefois contre le regne
tranquille de l'ordre & de la raifon.
Que la réunion de ces ennemis intérieurs
n'effraye pas le combattant ; je ferai
voir dans fon lieu que l'idée du combat
eft plus terrible que le combat même. Le
Combattant doit craindre d'autant moins
d'effayer fes forces , que fon courage le
rend fûr d'une victoire , dont les fuites
font la paix du coeur & la gayeté de
l'efprit .
Les Princes & les Grands ont donc des
DECEMBRE . 1755. 71
devoirs d'état à remplir , & ce n'eft que
par leur exactitude à s'en acquitter , qu'ils
peuvent conferver , augmenter & perpétuer
la véritable gloire de leurs Maifons.
Mais pour fçavoir quelle eft l'étendue
des devoirs d'état des Princes & des
Grands , il faut déterminer quel eft leur
état même.
Parce qu'ils font grands , ne font- ils
qu'hommes de Cour , & ne fe croyent- ils
affujettis à des devoirs qu'envers la Cour ?
Je les confidere dans trois pofitions différentes
, dont chacune exige des connoiffances
qui lui font immédiatement néceffaires.
Le Prince ou le grand Seigneur, comme
particulier dans l'intérieur de fa maiſon &
de fes terres : Premiere Partie.
Le Prince ou le grand Seigneur perè
de famille : Seconde Partie.
Le Prince ou le grand Seigneur membre
de la Société , & homme d'Etat : Troifieme
Partie.
C'est en propofant mes réflexions fur
chacune de ces trois conditions , que je
mets fous les yeux des Princes & des
grands Seigneurs , les moyens de conferver
, d'augmenter & de perpétuer les richeffes
, la magnificence & la véritable
gloire de leurs Maiſons.
72 MERCURE DE FRANCE.
Ces trois points de vue fous lefquels les
Princes & les grands Seigneurs peuvent
être envifagés , font auffi la divifion naturelle
de ce difcours , dont les trois parties
réunies renferment le plan général de
l'Ouvrage.
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Résumé : COPIE de la Lettre écrite le 12 Août 1755. par M. Voisin, Avocat au Parlement à M. le Prince de ..... Chevalier de la Toison d'or.
Le document est une lettre datée du 12 août 1755, rédigée par M. Voifin, avocat au Parlement, adressée à M. le Prince de Chevalier de la Toison d'or. Voifin y présente un livre intitulé 'Le Conseil familier & économique des Princes des grands Seigneurs; ou Moyens de conserver, d'augmenter & de perpétuer les richesses, la magnificence & la véritable gloire de leurs Maisons'. L'auteur souligne l'importance pour les princes et grands seigneurs de posséder une intelligence économique afin de conserver et d'accroître leurs richesses. Il distingue la véritable magnificence, guidée par la sagesse, qui se maintient et s'accroît, de l'éclat trompeur qui peut mener à l'indigence. La gloire des maisons princières repose sur la connaissance et l'accomplissement des devoirs d'état, ainsi que sur le courage face aux passions tumultueuses. L'ouvrage de Voifin est structuré en trois parties. La première traite du prince en tant que particulier dans sa maison, la deuxième le considère en tant que père de famille, et la troisième en tant que membre de la société et homme d'État. Chaque section vise à fournir des moyens pour conserver, augmenter et perpétuer les richesses, la magnificence et la gloire des maisons princières.
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133
p. 209-212
Explication d'un Tableau peint à l'encre de la Chine, par M. Gosmond, représentant les Graces animant & encourageant les Talens ; dédié à Madame de Pompadour.
Début :
Les Graces descendant du Ciel, pour animer les Talens & les Arts, forment [...]
Mots clefs :
Tableau, Talents, Gloire, Grâces, Couronne, Madame de Pompadour
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texteReconnaissance textuelle : Explication d'un Tableau peint à l'encre de la Chine, par M. Gosmond, représentant les Graces animant & encourageant les Talens ; dédié à Madame de Pompadour.
Explication d'un Tableau peint à l'encre de
la Chine , par M. Gefmond , repréfentant
les Graces animant & encourageant les
Talens ; dédié à Madame de Pompadour.
Es Graces defcendant du Ciel , pour
, le
LE Grec lesTalens & les Arts , forment
le principal grouppe , & donnent ,
par la lumiere qui les environne
jour à tous les objets dont le Tableau
eft compofé. Elles font accompagnées de
la Libéralité , qui récompenfe les dons ,
que les Graces répandent fur les heureux
Génies des Sciences & des Beaux-
Arts. Ces mêmes Génies. font reprétentés
au deffous , travaillant à l'envi , pour
fe rendre dignes des faveurs qu'ils reçoivent
des Divinités qui les éclairent & qui
les animent. Ils caractériſent , la Mufique,
le Deffein , la Poéfie , l'Architecture , com210
MERCURE DE FRANCE.
me les attributs , qui font au milieu d'eux ,
défignent la Peinture & la Sculpture , Arts,
fi juftement & fi dignement protégés aujourd'hui.
On voit , fur le devant , la
Déelle des Talens , couronnée de laurier ,
& affife au pied d'un palmier , appuyée fur
un ancre , fymbole de l'Efpérance . Elle
tient un cartouche , où font gravées les
armes de Madame de Pompadour , & elle
contemple , avec autant de plaifir que d'admiration
, les Graces animer par leurs . regards
& leurs bienfaits , les Génies dont
elle eft la mere. Apollon , du côté oppofé ,
invite les Mufes qui l'environnent , à rendre
hommage aux Graces & à leur confaerer
leurs talens , puifque ce font elles fenles
, qui les peuvent faire valoir , & les
couronner d'une gloire immortelle . Au
bas du Tableau , on lit ces vers :
Dans les cieux , fur la terre , on invoque les
Graces ;
L'Amour leur doit les coeurs qui volent fur fes
traces ,
Apollon , tout le prix de fes heureux talens :
Elles ornent le coeur , l'efprit , les fentimens.
Sur le Tibre on les vit , dans Augufte & Mécene
Pour former le bon goût , prodiguer leurs faveurs :
Leur regne eft aujourd'hui fur le bord de la Seine ,
On le Dieu des Beaux- Arts leur doit les protecteurs.
DECEMBRE. 1755. 211
Nous ajouterons encore du même Auteur
, ( qui a donné au Public en 1752 .
Hiftoire métallique des campagnes du Roi ,
dédiée à Sa Majefté , & qui fe vend à
Paris , chez le fieur Vanheck , rue d'Enfer ,
près S. Landry, dans la Cité , ) la defcription
d'un tableau allégorique de fa compofition
, repréfentant Hercule couronné par
Les foins de la Sageffe , dédié à M. le Maréchal
Duc de Belle-Ifle , à qui il en avoit
fait un hommage particulier en 1752 , &
dont nous allons donner une légere explication.
Le principal objet qu'a eu l'Auteur de
ce tableau , eft d'y peindre la gloire que
s'eft acquife M. le Maréchal , par fes nobles
travaux . Le Roi y eft défigné fous la
forme de Jupiter , & Minerve eft auprès de
lui . L'illuftre feigneur que l'on a eu deffein
d'y caractériſer , y eft repréſenté fous la
figure d'Hercule. Ce Héros , foulant à fes
pieds l'Hydre de Lerne , Type du plus
glorieux de fes exploits , regarde le fouverain
des Dieux , avec une expreffion , qui
fait voir tout fon amour & toute fa reconnoiffance
; image dont l'objet eft de faire
allufion aux différens emplois politiques
& militares que Sa Majefté a confiés au
Maréchal Duc de Belle- Ifle , dans lesquels
il s'eft autant diftingué par la fupériorité
de fon génie , que par la force de fon cou-
#
212 MERCURE DE FRANCE.
rage . On voit la Victoire fur le devant du
tableau , aflife à l'ombre d'un palmier , fur
des trophées d'armes . Cette Déeffe , d'un
air fatisfait , confidere Hercule , couronné
par les mains de la Sageffe , & elle montre
fur fon bouclier cette infcription : Sic
Herculeo labore , novus Alcides , Heros Gallia
, immortali coronatur gloria , Jove probante
: qui fignifie : C'eft ainfi qu'un nouvel
Alcide , ce Héros François , a mérité , par des
travaux dignes d'Hercule , d'être couronné
d'une gloire immortelle , fous le bon plaifir
même de Jupiter. Au bas du tableau on lic
ces vers :
Un homme jufte , fage , & ferme en fes projets ;
Verroit , fans s'étonner , l'univers fe diffoudre ,
S'écrouler fur la tête , & le réduire en poudre,
Qu'il périrait conftant dans fes nobles objets .
Quand on fuit la vertu , jamais on ne recule :
C'eft par là qu'autrefois la Grece vit Hercule ,
Soutenant des deftins toute l'iniquité ; i
Vôler en dépit d'eux à l'immortalité.
Tel on vit de nos jours , le généreux BELLE-ISLE ,
Inébranlable au fort , à la gloire docile ,
A Prague , nous montrer un nouveau Xénophon ;
Fabius en Provence , au confeil un Caton .
Minerve , couronnant la Gloire qui le guide ,
Lecouronne aujourdhui fous tous les traits d'Alcide.
la Chine , par M. Gefmond , repréfentant
les Graces animant & encourageant les
Talens ; dédié à Madame de Pompadour.
Es Graces defcendant du Ciel , pour
, le
LE Grec lesTalens & les Arts , forment
le principal grouppe , & donnent ,
par la lumiere qui les environne
jour à tous les objets dont le Tableau
eft compofé. Elles font accompagnées de
la Libéralité , qui récompenfe les dons ,
que les Graces répandent fur les heureux
Génies des Sciences & des Beaux-
Arts. Ces mêmes Génies. font reprétentés
au deffous , travaillant à l'envi , pour
fe rendre dignes des faveurs qu'ils reçoivent
des Divinités qui les éclairent & qui
les animent. Ils caractériſent , la Mufique,
le Deffein , la Poéfie , l'Architecture , com210
MERCURE DE FRANCE.
me les attributs , qui font au milieu d'eux ,
défignent la Peinture & la Sculpture , Arts,
fi juftement & fi dignement protégés aujourd'hui.
On voit , fur le devant , la
Déelle des Talens , couronnée de laurier ,
& affife au pied d'un palmier , appuyée fur
un ancre , fymbole de l'Efpérance . Elle
tient un cartouche , où font gravées les
armes de Madame de Pompadour , & elle
contemple , avec autant de plaifir que d'admiration
, les Graces animer par leurs . regards
& leurs bienfaits , les Génies dont
elle eft la mere. Apollon , du côté oppofé ,
invite les Mufes qui l'environnent , à rendre
hommage aux Graces & à leur confaerer
leurs talens , puifque ce font elles fenles
, qui les peuvent faire valoir , & les
couronner d'une gloire immortelle . Au
bas du Tableau , on lit ces vers :
Dans les cieux , fur la terre , on invoque les
Graces ;
L'Amour leur doit les coeurs qui volent fur fes
traces ,
Apollon , tout le prix de fes heureux talens :
Elles ornent le coeur , l'efprit , les fentimens.
Sur le Tibre on les vit , dans Augufte & Mécene
Pour former le bon goût , prodiguer leurs faveurs :
Leur regne eft aujourd'hui fur le bord de la Seine ,
On le Dieu des Beaux- Arts leur doit les protecteurs.
DECEMBRE. 1755. 211
Nous ajouterons encore du même Auteur
, ( qui a donné au Public en 1752 .
Hiftoire métallique des campagnes du Roi ,
dédiée à Sa Majefté , & qui fe vend à
Paris , chez le fieur Vanheck , rue d'Enfer ,
près S. Landry, dans la Cité , ) la defcription
d'un tableau allégorique de fa compofition
, repréfentant Hercule couronné par
Les foins de la Sageffe , dédié à M. le Maréchal
Duc de Belle-Ifle , à qui il en avoit
fait un hommage particulier en 1752 , &
dont nous allons donner une légere explication.
Le principal objet qu'a eu l'Auteur de
ce tableau , eft d'y peindre la gloire que
s'eft acquife M. le Maréchal , par fes nobles
travaux . Le Roi y eft défigné fous la
forme de Jupiter , & Minerve eft auprès de
lui . L'illuftre feigneur que l'on a eu deffein
d'y caractériſer , y eft repréſenté fous la
figure d'Hercule. Ce Héros , foulant à fes
pieds l'Hydre de Lerne , Type du plus
glorieux de fes exploits , regarde le fouverain
des Dieux , avec une expreffion , qui
fait voir tout fon amour & toute fa reconnoiffance
; image dont l'objet eft de faire
allufion aux différens emplois politiques
& militares que Sa Majefté a confiés au
Maréchal Duc de Belle- Ifle , dans lesquels
il s'eft autant diftingué par la fupériorité
de fon génie , que par la force de fon cou-
#
212 MERCURE DE FRANCE.
rage . On voit la Victoire fur le devant du
tableau , aflife à l'ombre d'un palmier , fur
des trophées d'armes . Cette Déeffe , d'un
air fatisfait , confidere Hercule , couronné
par les mains de la Sageffe , & elle montre
fur fon bouclier cette infcription : Sic
Herculeo labore , novus Alcides , Heros Gallia
, immortali coronatur gloria , Jove probante
: qui fignifie : C'eft ainfi qu'un nouvel
Alcide , ce Héros François , a mérité , par des
travaux dignes d'Hercule , d'être couronné
d'une gloire immortelle , fous le bon plaifir
même de Jupiter. Au bas du tableau on lic
ces vers :
Un homme jufte , fage , & ferme en fes projets ;
Verroit , fans s'étonner , l'univers fe diffoudre ,
S'écrouler fur la tête , & le réduire en poudre,
Qu'il périrait conftant dans fes nobles objets .
Quand on fuit la vertu , jamais on ne recule :
C'eft par là qu'autrefois la Grece vit Hercule ,
Soutenant des deftins toute l'iniquité ; i
Vôler en dépit d'eux à l'immortalité.
Tel on vit de nos jours , le généreux BELLE-ISLE ,
Inébranlable au fort , à la gloire docile ,
A Prague , nous montrer un nouveau Xénophon ;
Fabius en Provence , au confeil un Caton .
Minerve , couronnant la Gloire qui le guide ,
Lecouronne aujourdhui fous tous les traits d'Alcide.
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Résumé : Explication d'un Tableau peint à l'encre de la Chine, par M. Gosmond, représentant les Graces animant & encourageant les Talens ; dédié à Madame de Pompadour.
Le texte présente deux tableaux allégoriques réalisés par M. Gefmond. Le premier tableau, exécuté à l'encre de Chine, est dédié à Madame de Pompadour et met en scène les Grâces animant et encourageant les talents. Les Grâces, descendues du ciel, illuminent les objets du tableau et sont accompagnées de la Libéralité, qui récompense les dons des Grâces aux génies des sciences et des beaux-arts. Ces génies, représentés au-dessous, travaillent pour se rendre dignes des faveurs des divinités. Les arts tels que la musique, le dessin, la poésie, l'architecture, la peinture et la sculpture sont également représentés. La Déesse des Talents, couronnée de laurier, contemple les Grâces animant les génies. Apollon invite les Muses à rendre hommage aux Grâces. Le tableau est orné de vers soulignant l'importance des Grâces dans les arts. Le second tableau, également de M. Gefmond, est dédié au Maréchal Duc de Belle-Isle et représente Hercule couronné par les fruits de la Sagesse. Hercule, foulant l'Hydre de Lerne, symbolise les exploits du Maréchal. Le Roi est représenté sous la forme de Jupiter, et Minerve est à ses côtés. La Victoire, assise à l'ombre d'un palmier, contemple Hercule couronné par la Sagesse. Une inscription sur le bouclier de la Victoire célèbre les travaux du Maréchal, comparés à ceux d'Hercule. Des vers en bas du tableau louent la fermeté et le courage du Maréchal, comparé à Hercule et à d'autres figures historiques.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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134
p. 217-239
COMEDIE FRANÇOISE. / Extrait de l'Orphelin de la Chine.
Début :
Ce que nous avions annoncé dans le Mercure d'Octobre au sujet de l'Orphelin / Cette Piece est précédée d'une Epitre ou d'un Discours préliminaire adressé à [...]
Mots clefs :
Comédie-Française, Époux, Rois, Enfant, Orphelin, Mère, Sang, Mort, Maître, Nature, Vainqueur, Répliques, Empereur, Femme, Vertu, Victime, Tragédie, Palais, Gloire
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texteReconnaissance textuelle : COMEDIE FRANÇOISE. / Extrait de l'Orphelin de la Chine.
COMEDIE FRANÇOISE.
E que nous avions annoncé dans le
Mercure d'Octobre au fujet de l'Orphelin
de la Chine , eft exactement arrivé.
L'interruption qu'il a effuyée n'a fervi
qu'à rendre fa repriſe plus brillante . L'im
preffion même nuisible ordinairement
aux pieces de Théâtre , n'a pu faire aucun
tort au fuccès de cette Tragédie. Les
Comédiens François l'ont redonnée pour
la neuvième fois le 22 Octobre , avec un
grand concours & un applaudiffement
général : l'affluence & la réuffite ont été
égales pendant toutes les repréſentations
qui ont été au nombre de dix- fept. Notre
fentiment étoit fondé fur ce qu'un rôle
intéreffant qui domine , & qui eft fupérieurement
joué , eft prefque toujours le
garand fûr d'un fuccès conftant. Il fuffic
même lui feul pour établir une piece à demeure.
Phedre , Ariane & Médée pen-
1. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE.
vent fervir d'exemples. Quelque beau cependant
que foit le perfonnage d'Idamé
nous ne prétendons pas qu'il doive exclure
le mérite des autres qui lui font fubordonnés.
L'extrait que nous allons faire
de l'Orphelin , prouvera que nous ne bornons
point fes beautés à celles d'un feul
rôle.
Extrait de l'Orphelin de la Chine.
Cette Piece eft précédée d'une Epitre
ou d'un Difcours préliminaire adreffé à
M. le Maréchal Duc de Richelieu . L'Auteur
y déclare que l'idée de fa Tragédie
lui eft venue à la lecture de l'Orphelin de
Tchao , Tragédie Chinoife , traduite par
le P. de Prémare , & non pas Brémare ,
comme il eft imprimé dans cette épitre.
La Scene eft dans un Palais des Mandarins
, qui tient au Palais Impérial dans la
la ville de Cambalu , aujourd'hui Pekin .
Les Acteurs font au nombre de ſept. Gen
giskan , EmpereurTartare. Octar , Ofman,
guerriers Tartares. Zamti , Mandarin
lettré. Idamé , femme de Zamti. Affeli ,
attaché à Idamé. Etan , attaché à Zamti.
Idamé ouvre le premier Acte avec Affeli
dans l'inftant où le Catai eft conquis
& faccagé ; elle apprend à fa confidente en
DECEMBRE . 1755. 219
gémiffant que le deftructeur de ce vaſte
Empire
Eft un Scythe , un foldat dans la poudre élevé ,
qui vint autrefois demander un afile dans
ce même Palais , où il porte aujourd'hui
la flamme, & qu'enfin Gengiskan n'eſt autre
que Temugin qui brûla pour elle , &
qui fut rejetté par fes parens. Un refus ,
ajoute-t'elle ,
Un refus a produit les malheurs de la terre :
De nos peuples jaloux tu connois la fierté ,
De nos Arts , de nos Loix , l'augufte antiquité ;
Une Religion de tout tems épurée ,
De cent fecles de gloire une fuite avérée :
Tout nous interdifoit dans nos préventions ,
Une indigne alliance avec les Nations.
Enfin un autre hymen , un plus faint noeud m'engage
:
Le vertueux Zamti mérita mon fuffrage .
Qui l'eût cru dans ces tems de paix & de bonheur
Qu'un Scythe méprifé feroit notre vainqueur !
Voilà ce qui m'allarme , & qui me défefpere ;
J'ai refuſé la main ; je fuis épouſe & mere :
Il ne pardonne pas : il fe vit outrager ;
Et l'univers fçait trop s'il aime à fe vanger.
Affeli veut la confoler , en lui difant
que les Coréens raffemblent une armée ;
mais elle répond que tout accroît fes
frayeurs , qu'elle ignore le deftin de l'Empereur
& de la Reine , & que le dernier
fruit de leur hymen , dont l'enfance eft
confiée à fes foins , redouble encore fa
Kij
220 MERCURE DE FRANCE .
crainte & fa pitié . Un foible rayon d'ef
poir vient luire dans fon ame consternée.
Mon époux , ajoute- t'elle , a porté les pas
au Palais .
Une ombre de refpect pour fon faint miniſtere ,
Peut-être adoucirá ces vainqueurs forcenés.
On dit que ces Brigands aux meurtres acharnés ,
Qui rempliffent de fang la terre intimidée
Ont d'un Dieu cependant confervé quelque idée ,
Tant la nature même en toute Nation ,
Grava l'Etre fuprême & la Religion.
Zamti qui paroît , vient augmenter les
terreurs de fa femme.
J'entre , dit- il , par des détours ignorés du vulgaire.
Je vois ces vils humains , ces monftres des déferts ,
A notre auguftre maître ofer donner des fers ;
Traîner dans fon palais , d'une main fanguinaire ,
Le pere , les enfans & leur mourante mere ;
Le pillage , le meurtre environnoient ces lieux.
Ce Prince infortuné , tourne vers moi les yeux ;
Il m'appelle , il me dit , dans fa langue facrée
Du Conquérant tartare & du peuple ignorée :
Conferve au moins le jour au dernier de mes fils.
Jugez , fi mes fermens & mon coeur l'ont promis ;
Jugez , de mon devoir , quelle eft la voix preffante.
J'ai fenti ranimer ma force la guiffante,
J'ai revolé vers vous , & c.
Etan entre éperdu. Il leur apprend que
la fuite eft impoffible ; qu'une garde cruelle
y met une barriere infurmontable , &
que tout tremble dans l'esclavage , depuis
DECEMBRE. 1755 .
221
que l'Empereur, fes enfans , & fon épouse,
ont été malfacrés . Octar furvient , & met
le comble à leur effroi par ces terribles
mots qui caractériſent
fi bien un Scythe ,
& qui font toujours applaudis.
Je vous ordonne au nom du vainqueur des humains
De mettre fans tarder cet enfant dans mes mains ;
Je vais l'attendre . Allez , qu'on m'apporte ce gage.
Pour peu que vous tardiez , le fang & le carnage
Vont encore en ces lieux fignaler fon courroux ,
Et la deftruction commencera par vous.
La nuit vient , le jour fuit . Vous, avant qu'il finiffe,
Si vous aimez la vie , allez , qu'on obéiffe .
Ce perfonnage quoiqu'il agiffe peu , &
qu'il foit fubalterne , frappe plus au Théâ
tre , il a plus de phifionomie que Gengis
fon maître ; il eft vrai que le fieur de Bellecour
le rend très-bien , & fait un beau
Tartare. Idamé tremble pour les jours de
l'enfant de tant de Rois , & dit qu'elle fuivroit
leurs Souverains dans la tombe , fi
elle n'étoit retenue par l'intérêt d'un fils
unique qui a befoin de fa vie . Zamti
s'écrie :
Après l'atrocité de leur indigne fort ,
Qui pourroit redouter & refufer la mort !
Le coupable la craint , le malheureux l'appelle ,
Le brave la défie , & marche au-devant d'elle ,
Le fage qui l'attend , la reçoit fans regrets.
Idamé lui demande ce qu'il a réfolu ,
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
fon époux lui replique de garder le ferment
qu'il a fait de conferver la vie du
dernier rejetton de la tige royale , & lui
dit d'aller l'attendre auprès de cet enfant.
Zamti refté feul avec Etan , lui confie le.
funefte projet qu'il a conçu de fubftituer
fon fils à la place de l'orphelin , & de facrifier
fon propre fang pour fauver celui
de fes Rois. Après avoir fait jurer à ce
confident qu'il tiendra ce fecret enfeveli ,
il le charge du foin d'aller cacher ce dépôt
précieux dans le fein des tombeaux bâtis
par leurs Empereurs , en attendant qu'il
puiffe faifir l'inftant de le remettre au chef
de la Corée. On ne peut pas mettre plus
d'intérêt dans un premier Acte.
Zamti qui a fermé cet Acte , commence
feul le fecond : fes entrailles font déchirées
; il dis dans fes cruelles allarmes.
O! mon fils , mon cher fils , as-tu perdu le jour à
Aura-t'on confommé ce fatal facrifice ?
Je n'ai pu de ma main te conduire au fupplice.
Etan paroît , & lui apprend qu'il a caché
l'Orphelin dans les tombeaux de fes
peres . Il l'inftruit en même tems que dans
l'abfence d'Idamé , on a conduit fon fils
à leurs vainqueurs barbares. Ah ! s'écrie
alors Zamti qui craint les reproches de
fon épouse .
DECEMBRE. 1755 . 223
Ah ! du moins , cher Etan , fi tu pouvois lui dire
Que nous avons livré l'héritier de l'Empire ,
Que j'ai caché mon fils , qu'il eft en fûreté !
Impofons quelque tems à fa crédulité.
Hélas ! la vérité fi fouvent eft cruelle ;
On l'aime & les humains font malheureux par elle .
On ne peut pas mieux excufer la néceffité
d'un menfonge . Etan fort , Idamé entre
défolée , & forme avec fon mari la
fcene la plus forte & la plus intéreffante :
elle l'eft au point qu'il faudroit la tranſcrire
entiere pour en rendre toutes les beautés
. Eh ! comment rendre d'ailleurs l'action
admirable , & le jeu accompli de l'Acrice
! Il faut voir Mlle Clairon. Il faut l'enrendre
dans ce rôle , pour juger de fa perfection.
Idamé s'écrie en arrivant.
"
Qu'ai-je vu qu'a- t'on fait ? Barbare , eft- il pof
fible ?
L'avez- vous commandé ce facrifice horrible ?
•
Quoi? fur toi , la nature a fi peu de pouvoir?
Zamti répond.
Elle n'en a que trop , mais moins que mon devoir
Et je dois plus au fang de mon malheureux maître,
Qu'à cet enfant obfcur à qui j'ai donné l'être.
1 Idamé réplique.
Non , je ne connois point cette horrible vertu .
J'ai vu nos murs en cendres , & ce trône abattu ;
J'ai pleuré de nos Rois les difgraces affreufes :
Mais par quelles fureurs encor plus douloureuſes ,
Veux- tu de ton époufe , avançant le trépas ,
Kiv ..
124 MERCURE DE FRANCE.
Livrer le fang d'un fils qu'on ne demande pas ?
Ces Rois enfèvelis , difparus dans la poudre ,
Sont-ils pour toi des Dieux dont tu craignes la
foudre ?
A ces dieux impuiffans , dans la tombe endormis
As- tu fait le ferment d'affaffiner ton fils ?
Hélas ! grands & petits , & fujets & Monarques ,
Diftingués un moment par de frivoles marques ,
Egaux par la nature , égaux par le malheur,
Tout mortel eft charge de la propre douleur :
Sa peine lui faffit ; & dans ce grand naufrage ,
Raflembler nos débris , voilà notre partage.
Où ferois- je ? grand dieu ! fi ma crédulité
Eu: tombé dans le piége à mes pas préfenté.
Auprès du fils des Rois fi j'étois demeurée ,
La victime aux bourreaux alloit être livrée :
Je ceffois d'être mere ; & le même couteau ,
Sur le corps de mon fils , me plongeoit au tombeau.
Graces à mon amour , inquiete , troublée ,
A ce fatal berceau l'inftinet m'a rappellée.
J'ai vu porter mon fils à nos cruels vainqueurs ;
Mes mains l'ont arraché des mains des raviſſeurs.
Barbare, ils n'ont point eu ta fermeté cruelle !
J'en ai chargé foudain cette eſclave fidelle ,
Qui foutient de fon lait fes miférables jours,
Ces jours qui périſſoient fans moì , ſans mon ſecours
;
J'ai confervé le fang du fils & de la mere ,
Et j'ofe dire encor de fon malheureux pere.
Zamti perfifte à vouloir immoler fon
fils. Elle s'y oppofe toujours en mere intrepide.
Son mari lui reproche alors de trahir
à la fois , le Ciel , l'Empire . & le fang de
fes Rois. Idamé lui fait cette réponſe admirable.
t
DECEMBRE . 1755. 225
De mes Rois : va , te dis- je , ils n'ont rien à prétendre
,
Je ne dois point mon fang en tribut à leur cendre.
Va , le nom de fujet n'eft pas plus faint pour nous,
Que ces noms fi facrés & de pere & d'époux.
La nature & l'hyinen , voilà les loix premieres ,
Les devoirs , les liens des Nations entieres :
Ces loix viennent des dieux , le reſte eft des humains
.
Ne me fais point hair le fang des Souverains.
Oui , fauvons l'Orphelin d'un vainqueur homicide
,
Mais ne le fauvons pas au prix d'un parricide.
Que les jours de mon fils n'achetent point fes
jours.
Loin de l'abandonner , je vole à fon fecours.
Je prens pitié de lui ; prends pitié de toi- même ,
De ton fils innocent , de la mere qui t'aime.
Je ne menace plus : je tombe à res genoux.
O pere infortuné , cher & cruel époux ,
Pour qui j'ai méprifé , tu t'en fouviens peut être,
Ce mortel qu'aujourd'hui le fort a fait ton maître!
Accorde moi mon fils , accorde moi ce fang
Que le plus pur amour a formé dans mon flanc ;
Et ne réfifte point au cri terrible & ter dre
Qu'à tes fens défolés l'amour a fait entendre.
Le fier Octar vient les interrompre , il
annonce l'arrivée de Gengiskan , & ordons
ne à fes foldats de fuivre les pas du Mandarin
& de fa femme ; de faifir l'enfant
qu'elle a repris , & d'apporter la victime
aux pieds de leur maître. Zamti promet de
la livrer, & Idamé déclare qu'on ne l'obtiendra
qu'avec la vie.
K v
226 MERCURE DE FRANCE.
Gengis paroît environné de fes guer
riers , & leur dit .
Que le glaive fe cache , & que la mort s'arrête ;
Je veux que les vaincus refpirent déformais.
J'envoiai la terreur , & j'apporte la paix :
La mort du fils des Rois fuffit à ma vengeance.
Qu'on ceffe de livrer aux flammes , au pillage ,
Ces archives de loix , ce vafte amas d'écrits ,
Tous ces fruits du génie , obiets de vos mépris .
Si l'erreur les dicta , cette erreur m'eft utile ;
Elle occupe ce peuple , & le rend plus docile.
Il renvoie fa fuite , & demeuré feul
avec Octar , il lui avoue qu'au comble
des grandeurs , le fouvenir d'une femme
qui avoit refufé fa main , lui revient dans
la penfée , qu'elle le pourfuit jufqu'au feint
de la victoire , mais qu'il veur l'oublier.
Ofman vient l'informer que la victime
alloit être égorgée , lorfqu'un événement
imprévu a fufpendu fon trépas. Dans ce
moment , dit-il ,
Une femme éperdue , & de larmes baignée
Arrive , tend les bras à la garde indignée ;
Et nous furprenant tous par fes cris forcenés ,
Arrêtez , c'est mon fils que vous affaffinez .
C'est mon fils , on vous trompe au choix de la
victime.
Cependant fon époux devant nous appellé .
De nos Rois , a - t'il dit , voilà ce qui nous refte
Frappez , voilà le fang que vous me demandez.
DECEMBRE . 1755. 227
Olman ajoute que dans ce doute confus ,
il revient demander à fon Empereur de
nouveaux ordres. Gengis charge Octar
d'interroger ce couple audacieux , & d'arracher
la vérité de leur bouche . Il ordonne
à fes autres guerriers d'aller chacun à
fon pofte , & d'y veiller fidelement de
peur d'une furprife de la part des Coréens.
Ce fecond Acte eft fi plein de chaleur
qu'on en eût fait un beau quatrieme : 'peutêtre
même que l'action y eft trop avancée ,
& qu'elle prend fur celle des Actes fuivans
, qui font un peu vuides , & qui ont
befoin des détails dont ils font embellis.
Gengis rentre pour revenir : il ouvre le
troifieme Acte , & demande à Ofnan fi
l'on a éclairci l'impofture de ces captifs.
Ce dernier lui répond qu'à l'afpect des
tourmens , le Mandarin perfifte dans fon
pemier aveu , & que fa femme , dont les
larmes augmentent la beauté , demande à
fe jetter aux pieds de Gengiskan . Elle paroît
; ce Conquérant eft frappé de fes traits ;
il la reconnoît pour cet objet qu'il a autrefois
adoré. Cette fcene ne tient pas tout ce
qu'elle promet . Gengis dit à Idamé de fe
raffurer ; que fon Empereur oublie l'affront
qu'elle a fait à Temugin ; que le dernier
rejetton d'une race ennemie eft la
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
feule victime qu'il demande ; qu'il faut
qu'on la lui livre , & qu'elle importe à fa
fureté ; qu'ldamé ne doit rien craindre
pour fon fils , & qu'il l'a prend fous fa
garde. Mais , ajoute- t'il , je veux être inftruit
de la vérité .
Quel indigne artifice ofe-t'on m'oppoſer
De vous , de votre époux , qui prétend m'impofer?
Il interroge cet époux qui eft amené devant
lui. Zamti répond qu'il a rempli fon
devoir. Gengis ordonne aux fiens qu'on
faififfe l'enfant que cet efclave a remis en
leurs mains : la tendre Idamé s'y oppofe :
le Tyran impatient , luidit de l'éclaircir fur
l'heure , ou qu'on va immoler la victime .
Eh bien ! s'écrie - t'elle , mon fils l'emporte.
Mon époux a livré ce fils .
Je devois l'imiter , mais enfin je ſuis mere;
Mon ame eft au-deffous d'un fi cruel effort.
Je n'ai pu , de mon fils , confentir à la mort.
Hélas ! au défefpoir que j'ai trop fait paroître ,
Une mere ailément pouvoit fe reconnoître..
Voyez , de cet enfant , le pere confondu ,
Qui ne vous a trahi qu'à force de vertu .
L'un n'attend fon falut que de fon innocence ,
Et l'autre eft refpectable alors qu'il vous offenfe.
Ne puniffez que moi , qui trahis à la fois
Et l'époux que j'admire , & le fang de nos Rois.
Digne époux , digne objet de toute ma tendreffe,
La pitié maternelle eft ma feule foibleffe ,
Mon fort fera le tien : Je meurs , fi tu péris :
Pardonne-moi du moins d'avoir ſauvé ton fils..
DECEMBRE. 1755. L2F
Je t'ai tout pardonné , lui répond Zamsi
, je n'ai plus rien à craindre pour le
fang de mon Roi. Ses jours font en fureté . Ils
ne le font pas , le récrie Gengis furieux.
Va réparer ton crime , ou fubir le trépas.
Zamti lui fait cette belle réplique.
Le crime eft d'obéir à des ordres injuftes ..
Tu fus notre vainqueur , & tu n'es pas mon Roi.
Si j'étois ton fujet , je te ferois fidelle.
Arrache-moi la vie , & refpecte mon zele.
Je t'ai livré mon fils , j'ai pu te l'immoler.
Penſes-tu que pour moi , je puifle encor trembler ?
Gengis commande qu'on l'entraîne :
Idamé veut le fléchir ; mais il lui ordonne
de fuivre fon mari . Comme elle infifte
il lui dit :
Allez , fi jamais la clémence
Dans mon coeur , malgré moi , pouvoit encor
entrer.
Vousfentez quels affronts il faudroit réparer.
Seul avec Octar , il fait éclater fon dépit
& fon amour. Son confident combat
cette flâme qu'il ne conçoit pas . Ofman
revient lui apprendre qu'Idamé & Zamti
refufent de découvrir l'azyle qui cache.
l'Orphelin , & qu'ils preffent tous deux
que la mort les uniffe. Gengis l'interrompt ,
& lui commande de voler vers Idamé , &c.
de l'affurer que fes jours font facrés & font
230 MERCURE DE FRANCE.
chers à fon maitre. Octar lui demande
quels ordres il veut donner fur cet enfant
des Rois qu'on cache à fa vengeance. Aucun
, répond- t'il .
Je veux qu'Idamé vive ; ordonne tout le refte.
Quel est votre efpoir , lui réplique
Octar ? Gengis termine l'Acte , en lui
difant :
D'être aimé de l'ingrate , ou de me venger d'elle ,
De la punir : tu vois ma foibleffe nouvelle .
Emporté , malgré moi , par de contraires voeux ,
Je frémis & j'ignore encor ce que je veux.
Gengis ouvre encore le quatrieme Acte,
& ordonne aux fiens de fe rendre aux pieds
des murs , en difant que l'infolent Coréen a
proclamé Roi cet enfant malheureux , mais
qu'il va marcher contr'eux fa tête à la main ;
qu'il a trop différé fa mort , & qu'il veut
enfin fans délai que Zamti lui obéiffe. Il
nous paroît que le commencement de cet
Acte fait le cercle , & retourne fur le
troisieme . Octar vient encore dire que le
Mandarin eft inflexible. Gengis s'écrie
étonné .
Quels font donc ces humains que mon bonheur
maîtrife !
A fon Roi qui n'eft plus , immolant la nature ,
L'un voit périr fon fils fans crainte & fans mur
mure ,
DECEMBRE. 1755.234
L'autre pour fon époux eft prête à s'immoler,
Rien ne peut les fléchir , rien ne les fait trembler..
Je vois un peuple antique , induftrieux , immenfes
Ses Rois fur la fageffe ont fondé leur puiffance ;
De leurs voifins foumis , heureux Législateurs ,
Gouvernant fans conquête , & regnant par les
moeurs.
Le ciel ne nous donna que la force en partage.
Nos Arts font les combats , détruire eft notre ou
vrage.
Ah ! de quoi m'ont fervi tant de fuccès divers !
Quel fruit me revient-il des pleurs de l'univers !
Nous rougiffons de fang le char de la victoire.
Peut-être qu'en effet il eft une autre gloire.
Mon coeur eft en fecret jaloux de leurs vertus ,
Et vainqueur , je voudrois égaler les vaincus.
Octar combat le fentiment de fon Maître
avec une franchife militaire , & lui dit :
Quel mérite ont des arts , enfans de la moleffe ,
Qui n'ont pu les fauver des fers & de la mort ?
Le foible eft destiné pour fervir le plus fort.
Tout céde fur la terre aux travaux , au courage
Mais c'est vous qui cédez & fouffrez un outrage.
Il ajoute que fes compagnons en murmurent
tout haut : Gengis lui répond :
Que l'on cherche Idamé . Sur ce qu'Octar infifte
: il lui replique en defpote.
Obéis.
De ton zele hardi réprime la rudeffe :
Je veux que mes fujets refpectent ma foibleffe.
Gengis feul , fe livre à tout fon amour ;
en témoignant fon mépris pour les monf232
MERCURE DE FRANCE.
tres cruels qui font à fa fuite. Idamé paroit
, il lui offre fon trône avec fa main.
Le divorce , dit-il , par mes loix eft permis ,
Et le vainqueur du monde à vous feule eft foumis.
S'il vous fut odieux , le trône a quelques charmes;
Et le bandeau des Rois peut effuyer des larmes.
La vertueufe Idamé lui répond avec une
noble ingénuité , que dans le tems qu'il
n'étoit que Temugin , elle auroit accepté
fa main qui étoit pure alors , fi fes parens
l'avoient agréé. Mais , ajoute-t'elle :
Mon hymen eft un noeud formé par le ciel même.
Mon époux m'eft facré ; je dirai plus : Je l'aime :
Je le préfere à vous , au trône , à vos grandeurs.
Pardonnez mon aveu , mais reſpectez nos moeurs :
Ne penfez pas non plus que je mette ma gloire
A remporter fur vous cette illuftre victoire ;
A braver un vainqueur , à tirer vanité
De ces juftes refus qui ne m'ont point couté.
Je remplis mon devoir , & je me rends juftice:
Je ne fais point valoir un pareil facrifice.
Portez ailleurs les dons que vous me propofez ;
Détachez- vous d'un coeur qui les a méprifez ;
Et puifqu'il faut toujours quidamé vous implore ,
Permettez qu'à jamais mon époux les ignore .
De ce foible triomphe il feroit moins flatté ,
Qu'indigné de l'outrage à ma fidélité .
Gengis lui dit en la quittant :
Quand tout nous uniffoit , vos loix que je dérefte
Ordonnerent ma honte & votre hymen funefte ;
Je les anéantis , je parle , c'eft affez ;
DECEMBRE 1755. 233
Imitez l'univers , Madame , obéiffez .
Mes ordres font donnés , & votre indigne époux
Doit remettre en mes mains votre Empereur &
vous .
Leurs jours me répondront de votre obéiffance.
Idamé gemit de fa cruelle pofition . Affeli
moins févere , lui confeille de fe relâcher
un peu de cette extrême aufterité
pour affurer les jours de fon mari , &
le bien de l'Empire . Zamti furvient , & lui
déclare qu'elle feule refte à l'Orphelin dans
l'Univers , que c'eft à elle à lui conferver
la vie , ainfi qu'à fon fils. Epoufe le Tyran
, pourſuit il.
Ta ferviras de mere à ton Roi malheureux.
Regne , que ton Roi vive , & que ton époux meure.
Elle l'interrompt , & lui dit :
Me connois-tu ? veux-tu que ce funefte rang
Soit le prix de ma honte , & le prix de ton fanga
Penfes- tu que je fois moins époufe que mere ?
Tu t'abules , cruel , & ta vertu févere
A commis contre toi deux crimes en un jour ,
Qui font frémir tous deux la nature & l'amour.
Barbare envers ton fils , & plus envers moi -même.
Ne te fouviens-tu plus qui je fuis , & qui t'aime ?
Crois-moi : le jufte ciel daigne mieux m'inſpirer ;
Je puis fauver mon Roi fans nous deshonorer.
Soit amour , foit mépris , le Tyran qui m'offenfe,
Sur moi , fur mes deffeins , n'eft pas en défiance:
Dans ces remparts fumans , & de fang abbreuvés,
234 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis libre , & mes pas ne font pas obfervés.
Le Chef des Coréens s'ouvre un fecret paffage
Non loin de ces tombeaux , où ce précieux gage ,
A l'ail qui le pourfuit , fut caché par tes mains.
De ces tombeaux facrés je fçais tous les chemins;
Je cours y ranimer fa languiffante vie,
Le rendre aux défenfeurs armés pour la patrie ;
Le porter en mes bras dans leurs rangs belliqueux
,
Comme un préfent d'un Dieu qui combat avec
eux.
Tu mourras , je le fçais ; mais , tout couverts de
gloire
Nous laifferons de nous une illuftre mémoire,
Mettons nos noms obfcurs au rang des plus
grands noms :
Et juge fi mon coeur a fuivi tes leçons .
Zamti tranfporté , s'écrie avec juftice,
Idamé , ta veftu l'emporte ſur la mienne !
En effet , cette vertu eft puifée dans la
nature & dans la raifon. Elle forme le
véritable héroïfme , qui honore l'humanité
fans en fortir. Tout grand qu'il eft ,
nous fentons que notre efpece en eft capable.
La vertu de Zamti tient plus au
préjugé. C'est une grandeur d'ame qui dégenere
en fanatifme , & qui eft d'autant
moins vraie , qu'elle bleffe les loix primitives
, & qu'elle excede nos forces. Voilà
pourquoi le caractere d'Idamé paroît fupérieur
à celui de Zamti , & nous intéreffe
davantage , même à la lecture.
DECEMBRE. 1755. 235
Idamé & Affeli commencent le cinquieme
Acte . Idamé a été arrêtée dans fa fuite
avec l'Orphelin. Elle eft captive une feconde
fois , & n'a plus d'efpoir que dans
la mort . Octar vient lui dire d'attendre,
l'Empereur qui veut lui parler , & qui paroit
un moment après . Gengis éclate en
reproches , & finit par preffer Idamé de
s'unir à lui , ce n'eft qu'à ce prix , dit-il ,
que je puis pardonner , & changer les châtimens
en bienfaits tout dépend d'un mor.
Prononcez fans tarder , fans feinte , fans détour ,
Si je vous dois enfin ma haine ou mon amour.
Idamé qui foutient fon noble caractere
jufqu'au bout , lui répond ,
L'un & l'autre aujourd'hui feroit trop condamnable
,
Votre haine eft injufte & votre amour coupable.
Cet amour eft indigne , & de vous & de moi :
Vous me devez juftice ; & fi vous êtes Roi ,
Je la veux , je l'attens pour moi contre vous-mê
me.
Je fuis loin de braver votre grandeur fuprême ;
Je la rappelle en vous , lorfque vous l'oubliez
Et vous-même en fecret vous me juftifiez .
Vous choififfez ma haine , réplique - t'il ,
vous l'aurez .
Votre époux , votre Prince & votre fils , cruelle,
Vont payer de leur fang votre fierté rebelle.
Ce mot , que je voulois , les a tous , condamés.
236 MERCURE DE FRANCE.
C'en est fait , & c'eſt vous qui les affaffinez .
Idamé tombe alors aux pieds de fon
maître , & lui demande une grace à genoux
. Il lui ordonne de fe lever & de déclarer
ce qu'elle veur. Elle le fupplie de
permettre qu'elle ait un entretien fecret
avec fon mari . Gengis le lui accorde , en
difant ;
Non , ce n'étoit pas lui qu'il falloit confulter !
Il m'enleva fon Prince , il vous a poffedée .
Que de crimes ! fa grace eft encore accordée .
Qu'il la tienne de vous , qu'il vous doive fon
fort .
Préfentez à fes yeux le divorce ou la mort.
Il la laiffe . Zamti paroît , elle lui dit :
la mort la plus honteufe t'attend . Ecoutemoi
:
Ne fçavons- nous mourir que par l'ordre d'un Roi ?
Les taureaux aux autels tombent en facrifice ;
Les criminels tremblans font traînés au fupplice
Lés mortels généreux difpofent de leur fort ;
Pourquoi des' mains d'un maître attendre ici la
mort
L'homme étoit -il donc né pour tant de dépendancea
De nos voiſins altiers imitons la conftance.
De la nature humaine ils foutiennent les droits ,
Vivent libres chex eux , & meurent à leur choix .
Un affront leur fuffit pour fortir de la vie ,
Er plus que le néant ils craignent l'infâmie.
Le hardi Japonnois n'attend pas qu'au cercueil
Un Defpote infolent le plonge d'un coup d'oeil.
DECEMBRE. 1755 . 237
Nous avons enfeigné ces braves Infulaires :
Apprenons d'eux enfin des vertus néceffaires .
Scachons mourir comme eux.
Son époux l'approuve ; mais ajoutet'il
, que pouvons - nous feuls & défarmés ?
Idamé tire un poignard qu'elle lui préfente
, en lui difant :
Tiens , fois libre avec moi , frappe , & délivrenous.
J'ai tremblé que ma main , mal affermie encore ,
Ne portât fur moi- même un coup mal affuré,
Enfonce dans ce coeur un bras moins égaré,
Immole avec courage une époufe fidelle ,
Tout couvert de mon fang tombe , & meurs auprès
d'elle.
Qu'à mes derniers momens j'embraffe mon époux;
Que le Tyran le voie , & qu'il en foit jaloux.
Zamti prend le poignard , en tremblant,
il balance ; & comme il veut s'en frapper ,
Gengis arrive à propos pour le défarmer .
O ciel ! s'écrie til , qu'alliez- vous faire ?
Idamé lui replique :
Nous délivrer de toi , finir notre mifere ,
A tant d'atrocités dérober notre fort.
Zamti ajoute :
Veux-tu nous envier juſques à notre mort ?
Oui , lui dit Gengis , que tant de vertu
fubjugue :
Je rougis fur le trône où n'a mis la victoire ,
D'être au- deſſous de vous au milieu de ma gloire;
238 MERCURE DE FRANCE.
En vain par mes exploits j'ai fçu me fignaler :
Vous m'avez avili ; je veux vous égaler.
J'ignorois qu'un mortel pût fe dompter lui-même.
Je l'apprens ; je vous dois cette grandeur fuprême.
Jouiffez de P'honneur d'avoir pu me changer :
Je viens vous réunir , je viens vous protéger.
Veillez , heureux époux , fur l'innocente vie
De l'enfant de vos Rois , que ma main vous con."
fie.
Par le droit des combats j'en pouvois difpofer :
Je vous remets ce droit dont j'allois abuſer.
Croyez qu'à cet enfant heureux dans fa mifere ,
Ainfi qu'à votre fils , je tiendrai lieu de pere .
Vous verrez fi l'on peut fe fier à ma foi.
Je fus un conquerant , vous m'avez fait un Roi.
Zamti pénetré d'un retour fi génereux ,
dit à ce Conquerant :
Ah ! vous ferez aimer votre joug aux vaincus.
Idamé tranfportée de joie & de furprife
, lui demande à fon tour.
Qui peut vous infpirer ce deffein ?
Gengis lui répond par ce mot , qui termine
le vers & la piece.
Vos vertus.
Ce dénouement eft très - applaudi , &
fait d'autant plus de plaifir qu'il finit la
tragédie fans effufion de fang. On doit dire
à la louange des Comédiens François ,
qu'ils n'ont rien épargné pour la mettre
au théatre avec tout l'éclat qu'elle mérite.
Ils y ont même obſervé le coſtume autant
DECEMBRE . 1755. 239
qu'il eft poffible de le fuivre. Mlle Clairon
faite pour fervir de modele , a ofé la premiere
fupprimer le panier. Mlle Hus à eu
le courage de l'imiter ; elles y ont gagné :
tout Paris a approuvé le changement , &
ne les a trouvées que plus aimables.
Les mêmes Comédiens vont remettre
fucceffivement les Troyennes & Philoctete
de M. de Châteaubrun , en attendant Andromaque
& Aftianax , tragédie nouvelle
du même Auteur. Le cothurne eft riche
cette année , & promet à ce théatre un
heureux hyver.
E que nous avions annoncé dans le
Mercure d'Octobre au fujet de l'Orphelin
de la Chine , eft exactement arrivé.
L'interruption qu'il a effuyée n'a fervi
qu'à rendre fa repriſe plus brillante . L'im
preffion même nuisible ordinairement
aux pieces de Théâtre , n'a pu faire aucun
tort au fuccès de cette Tragédie. Les
Comédiens François l'ont redonnée pour
la neuvième fois le 22 Octobre , avec un
grand concours & un applaudiffement
général : l'affluence & la réuffite ont été
égales pendant toutes les repréſentations
qui ont été au nombre de dix- fept. Notre
fentiment étoit fondé fur ce qu'un rôle
intéreffant qui domine , & qui eft fupérieurement
joué , eft prefque toujours le
garand fûr d'un fuccès conftant. Il fuffic
même lui feul pour établir une piece à demeure.
Phedre , Ariane & Médée pen-
1. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE.
vent fervir d'exemples. Quelque beau cependant
que foit le perfonnage d'Idamé
nous ne prétendons pas qu'il doive exclure
le mérite des autres qui lui font fubordonnés.
L'extrait que nous allons faire
de l'Orphelin , prouvera que nous ne bornons
point fes beautés à celles d'un feul
rôle.
Extrait de l'Orphelin de la Chine.
Cette Piece eft précédée d'une Epitre
ou d'un Difcours préliminaire adreffé à
M. le Maréchal Duc de Richelieu . L'Auteur
y déclare que l'idée de fa Tragédie
lui eft venue à la lecture de l'Orphelin de
Tchao , Tragédie Chinoife , traduite par
le P. de Prémare , & non pas Brémare ,
comme il eft imprimé dans cette épitre.
La Scene eft dans un Palais des Mandarins
, qui tient au Palais Impérial dans la
la ville de Cambalu , aujourd'hui Pekin .
Les Acteurs font au nombre de ſept. Gen
giskan , EmpereurTartare. Octar , Ofman,
guerriers Tartares. Zamti , Mandarin
lettré. Idamé , femme de Zamti. Affeli ,
attaché à Idamé. Etan , attaché à Zamti.
Idamé ouvre le premier Acte avec Affeli
dans l'inftant où le Catai eft conquis
& faccagé ; elle apprend à fa confidente en
DECEMBRE . 1755. 219
gémiffant que le deftructeur de ce vaſte
Empire
Eft un Scythe , un foldat dans la poudre élevé ,
qui vint autrefois demander un afile dans
ce même Palais , où il porte aujourd'hui
la flamme, & qu'enfin Gengiskan n'eſt autre
que Temugin qui brûla pour elle , &
qui fut rejetté par fes parens. Un refus ,
ajoute-t'elle ,
Un refus a produit les malheurs de la terre :
De nos peuples jaloux tu connois la fierté ,
De nos Arts , de nos Loix , l'augufte antiquité ;
Une Religion de tout tems épurée ,
De cent fecles de gloire une fuite avérée :
Tout nous interdifoit dans nos préventions ,
Une indigne alliance avec les Nations.
Enfin un autre hymen , un plus faint noeud m'engage
:
Le vertueux Zamti mérita mon fuffrage .
Qui l'eût cru dans ces tems de paix & de bonheur
Qu'un Scythe méprifé feroit notre vainqueur !
Voilà ce qui m'allarme , & qui me défefpere ;
J'ai refuſé la main ; je fuis épouſe & mere :
Il ne pardonne pas : il fe vit outrager ;
Et l'univers fçait trop s'il aime à fe vanger.
Affeli veut la confoler , en lui difant
que les Coréens raffemblent une armée ;
mais elle répond que tout accroît fes
frayeurs , qu'elle ignore le deftin de l'Empereur
& de la Reine , & que le dernier
fruit de leur hymen , dont l'enfance eft
confiée à fes foins , redouble encore fa
Kij
220 MERCURE DE FRANCE .
crainte & fa pitié . Un foible rayon d'ef
poir vient luire dans fon ame consternée.
Mon époux , ajoute- t'elle , a porté les pas
au Palais .
Une ombre de refpect pour fon faint miniſtere ,
Peut-être adoucirá ces vainqueurs forcenés.
On dit que ces Brigands aux meurtres acharnés ,
Qui rempliffent de fang la terre intimidée
Ont d'un Dieu cependant confervé quelque idée ,
Tant la nature même en toute Nation ,
Grava l'Etre fuprême & la Religion.
Zamti qui paroît , vient augmenter les
terreurs de fa femme.
J'entre , dit- il , par des détours ignorés du vulgaire.
Je vois ces vils humains , ces monftres des déferts ,
A notre auguftre maître ofer donner des fers ;
Traîner dans fon palais , d'une main fanguinaire ,
Le pere , les enfans & leur mourante mere ;
Le pillage , le meurtre environnoient ces lieux.
Ce Prince infortuné , tourne vers moi les yeux ;
Il m'appelle , il me dit , dans fa langue facrée
Du Conquérant tartare & du peuple ignorée :
Conferve au moins le jour au dernier de mes fils.
Jugez , fi mes fermens & mon coeur l'ont promis ;
Jugez , de mon devoir , quelle eft la voix preffante.
J'ai fenti ranimer ma force la guiffante,
J'ai revolé vers vous , & c.
Etan entre éperdu. Il leur apprend que
la fuite eft impoffible ; qu'une garde cruelle
y met une barriere infurmontable , &
que tout tremble dans l'esclavage , depuis
DECEMBRE. 1755 .
221
que l'Empereur, fes enfans , & fon épouse,
ont été malfacrés . Octar furvient , & met
le comble à leur effroi par ces terribles
mots qui caractériſent
fi bien un Scythe ,
& qui font toujours applaudis.
Je vous ordonne au nom du vainqueur des humains
De mettre fans tarder cet enfant dans mes mains ;
Je vais l'attendre . Allez , qu'on m'apporte ce gage.
Pour peu que vous tardiez , le fang & le carnage
Vont encore en ces lieux fignaler fon courroux ,
Et la deftruction commencera par vous.
La nuit vient , le jour fuit . Vous, avant qu'il finiffe,
Si vous aimez la vie , allez , qu'on obéiffe .
Ce perfonnage quoiqu'il agiffe peu , &
qu'il foit fubalterne , frappe plus au Théâ
tre , il a plus de phifionomie que Gengis
fon maître ; il eft vrai que le fieur de Bellecour
le rend très-bien , & fait un beau
Tartare. Idamé tremble pour les jours de
l'enfant de tant de Rois , & dit qu'elle fuivroit
leurs Souverains dans la tombe , fi
elle n'étoit retenue par l'intérêt d'un fils
unique qui a befoin de fa vie . Zamti
s'écrie :
Après l'atrocité de leur indigne fort ,
Qui pourroit redouter & refufer la mort !
Le coupable la craint , le malheureux l'appelle ,
Le brave la défie , & marche au-devant d'elle ,
Le fage qui l'attend , la reçoit fans regrets.
Idamé lui demande ce qu'il a réfolu ,
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
fon époux lui replique de garder le ferment
qu'il a fait de conferver la vie du
dernier rejetton de la tige royale , & lui
dit d'aller l'attendre auprès de cet enfant.
Zamti refté feul avec Etan , lui confie le.
funefte projet qu'il a conçu de fubftituer
fon fils à la place de l'orphelin , & de facrifier
fon propre fang pour fauver celui
de fes Rois. Après avoir fait jurer à ce
confident qu'il tiendra ce fecret enfeveli ,
il le charge du foin d'aller cacher ce dépôt
précieux dans le fein des tombeaux bâtis
par leurs Empereurs , en attendant qu'il
puiffe faifir l'inftant de le remettre au chef
de la Corée. On ne peut pas mettre plus
d'intérêt dans un premier Acte.
Zamti qui a fermé cet Acte , commence
feul le fecond : fes entrailles font déchirées
; il dis dans fes cruelles allarmes.
O! mon fils , mon cher fils , as-tu perdu le jour à
Aura-t'on confommé ce fatal facrifice ?
Je n'ai pu de ma main te conduire au fupplice.
Etan paroît , & lui apprend qu'il a caché
l'Orphelin dans les tombeaux de fes
peres . Il l'inftruit en même tems que dans
l'abfence d'Idamé , on a conduit fon fils
à leurs vainqueurs barbares. Ah ! s'écrie
alors Zamti qui craint les reproches de
fon épouse .
DECEMBRE. 1755 . 223
Ah ! du moins , cher Etan , fi tu pouvois lui dire
Que nous avons livré l'héritier de l'Empire ,
Que j'ai caché mon fils , qu'il eft en fûreté !
Impofons quelque tems à fa crédulité.
Hélas ! la vérité fi fouvent eft cruelle ;
On l'aime & les humains font malheureux par elle .
On ne peut pas mieux excufer la néceffité
d'un menfonge . Etan fort , Idamé entre
défolée , & forme avec fon mari la
fcene la plus forte & la plus intéreffante :
elle l'eft au point qu'il faudroit la tranſcrire
entiere pour en rendre toutes les beautés
. Eh ! comment rendre d'ailleurs l'action
admirable , & le jeu accompli de l'Acrice
! Il faut voir Mlle Clairon. Il faut l'enrendre
dans ce rôle , pour juger de fa perfection.
Idamé s'écrie en arrivant.
"
Qu'ai-je vu qu'a- t'on fait ? Barbare , eft- il pof
fible ?
L'avez- vous commandé ce facrifice horrible ?
•
Quoi? fur toi , la nature a fi peu de pouvoir?
Zamti répond.
Elle n'en a que trop , mais moins que mon devoir
Et je dois plus au fang de mon malheureux maître,
Qu'à cet enfant obfcur à qui j'ai donné l'être.
1 Idamé réplique.
Non , je ne connois point cette horrible vertu .
J'ai vu nos murs en cendres , & ce trône abattu ;
J'ai pleuré de nos Rois les difgraces affreufes :
Mais par quelles fureurs encor plus douloureuſes ,
Veux- tu de ton époufe , avançant le trépas ,
Kiv ..
124 MERCURE DE FRANCE.
Livrer le fang d'un fils qu'on ne demande pas ?
Ces Rois enfèvelis , difparus dans la poudre ,
Sont-ils pour toi des Dieux dont tu craignes la
foudre ?
A ces dieux impuiffans , dans la tombe endormis
As- tu fait le ferment d'affaffiner ton fils ?
Hélas ! grands & petits , & fujets & Monarques ,
Diftingués un moment par de frivoles marques ,
Egaux par la nature , égaux par le malheur,
Tout mortel eft charge de la propre douleur :
Sa peine lui faffit ; & dans ce grand naufrage ,
Raflembler nos débris , voilà notre partage.
Où ferois- je ? grand dieu ! fi ma crédulité
Eu: tombé dans le piége à mes pas préfenté.
Auprès du fils des Rois fi j'étois demeurée ,
La victime aux bourreaux alloit être livrée :
Je ceffois d'être mere ; & le même couteau ,
Sur le corps de mon fils , me plongeoit au tombeau.
Graces à mon amour , inquiete , troublée ,
A ce fatal berceau l'inftinet m'a rappellée.
J'ai vu porter mon fils à nos cruels vainqueurs ;
Mes mains l'ont arraché des mains des raviſſeurs.
Barbare, ils n'ont point eu ta fermeté cruelle !
J'en ai chargé foudain cette eſclave fidelle ,
Qui foutient de fon lait fes miférables jours,
Ces jours qui périſſoient fans moì , ſans mon ſecours
;
J'ai confervé le fang du fils & de la mere ,
Et j'ofe dire encor de fon malheureux pere.
Zamti perfifte à vouloir immoler fon
fils. Elle s'y oppofe toujours en mere intrepide.
Son mari lui reproche alors de trahir
à la fois , le Ciel , l'Empire . & le fang de
fes Rois. Idamé lui fait cette réponſe admirable.
t
DECEMBRE . 1755. 225
De mes Rois : va , te dis- je , ils n'ont rien à prétendre
,
Je ne dois point mon fang en tribut à leur cendre.
Va , le nom de fujet n'eft pas plus faint pour nous,
Que ces noms fi facrés & de pere & d'époux.
La nature & l'hyinen , voilà les loix premieres ,
Les devoirs , les liens des Nations entieres :
Ces loix viennent des dieux , le reſte eft des humains
.
Ne me fais point hair le fang des Souverains.
Oui , fauvons l'Orphelin d'un vainqueur homicide
,
Mais ne le fauvons pas au prix d'un parricide.
Que les jours de mon fils n'achetent point fes
jours.
Loin de l'abandonner , je vole à fon fecours.
Je prens pitié de lui ; prends pitié de toi- même ,
De ton fils innocent , de la mere qui t'aime.
Je ne menace plus : je tombe à res genoux.
O pere infortuné , cher & cruel époux ,
Pour qui j'ai méprifé , tu t'en fouviens peut être,
Ce mortel qu'aujourd'hui le fort a fait ton maître!
Accorde moi mon fils , accorde moi ce fang
Que le plus pur amour a formé dans mon flanc ;
Et ne réfifte point au cri terrible & ter dre
Qu'à tes fens défolés l'amour a fait entendre.
Le fier Octar vient les interrompre , il
annonce l'arrivée de Gengiskan , & ordons
ne à fes foldats de fuivre les pas du Mandarin
& de fa femme ; de faifir l'enfant
qu'elle a repris , & d'apporter la victime
aux pieds de leur maître. Zamti promet de
la livrer, & Idamé déclare qu'on ne l'obtiendra
qu'avec la vie.
K v
226 MERCURE DE FRANCE.
Gengis paroît environné de fes guer
riers , & leur dit .
Que le glaive fe cache , & que la mort s'arrête ;
Je veux que les vaincus refpirent déformais.
J'envoiai la terreur , & j'apporte la paix :
La mort du fils des Rois fuffit à ma vengeance.
Qu'on ceffe de livrer aux flammes , au pillage ,
Ces archives de loix , ce vafte amas d'écrits ,
Tous ces fruits du génie , obiets de vos mépris .
Si l'erreur les dicta , cette erreur m'eft utile ;
Elle occupe ce peuple , & le rend plus docile.
Il renvoie fa fuite , & demeuré feul
avec Octar , il lui avoue qu'au comble
des grandeurs , le fouvenir d'une femme
qui avoit refufé fa main , lui revient dans
la penfée , qu'elle le pourfuit jufqu'au feint
de la victoire , mais qu'il veur l'oublier.
Ofman vient l'informer que la victime
alloit être égorgée , lorfqu'un événement
imprévu a fufpendu fon trépas. Dans ce
moment , dit-il ,
Une femme éperdue , & de larmes baignée
Arrive , tend les bras à la garde indignée ;
Et nous furprenant tous par fes cris forcenés ,
Arrêtez , c'est mon fils que vous affaffinez .
C'est mon fils , on vous trompe au choix de la
victime.
Cependant fon époux devant nous appellé .
De nos Rois , a - t'il dit , voilà ce qui nous refte
Frappez , voilà le fang que vous me demandez.
DECEMBRE . 1755. 227
Olman ajoute que dans ce doute confus ,
il revient demander à fon Empereur de
nouveaux ordres. Gengis charge Octar
d'interroger ce couple audacieux , & d'arracher
la vérité de leur bouche . Il ordonne
à fes autres guerriers d'aller chacun à
fon pofte , & d'y veiller fidelement de
peur d'une furprife de la part des Coréens.
Ce fecond Acte eft fi plein de chaleur
qu'on en eût fait un beau quatrieme : 'peutêtre
même que l'action y eft trop avancée ,
& qu'elle prend fur celle des Actes fuivans
, qui font un peu vuides , & qui ont
befoin des détails dont ils font embellis.
Gengis rentre pour revenir : il ouvre le
troifieme Acte , & demande à Ofnan fi
l'on a éclairci l'impofture de ces captifs.
Ce dernier lui répond qu'à l'afpect des
tourmens , le Mandarin perfifte dans fon
pemier aveu , & que fa femme , dont les
larmes augmentent la beauté , demande à
fe jetter aux pieds de Gengiskan . Elle paroît
; ce Conquérant eft frappé de fes traits ;
il la reconnoît pour cet objet qu'il a autrefois
adoré. Cette fcene ne tient pas tout ce
qu'elle promet . Gengis dit à Idamé de fe
raffurer ; que fon Empereur oublie l'affront
qu'elle a fait à Temugin ; que le dernier
rejetton d'une race ennemie eft la
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
feule victime qu'il demande ; qu'il faut
qu'on la lui livre , & qu'elle importe à fa
fureté ; qu'ldamé ne doit rien craindre
pour fon fils , & qu'il l'a prend fous fa
garde. Mais , ajoute- t'il , je veux être inftruit
de la vérité .
Quel indigne artifice ofe-t'on m'oppoſer
De vous , de votre époux , qui prétend m'impofer?
Il interroge cet époux qui eft amené devant
lui. Zamti répond qu'il a rempli fon
devoir. Gengis ordonne aux fiens qu'on
faififfe l'enfant que cet efclave a remis en
leurs mains : la tendre Idamé s'y oppofe :
le Tyran impatient , luidit de l'éclaircir fur
l'heure , ou qu'on va immoler la victime .
Eh bien ! s'écrie - t'elle , mon fils l'emporte.
Mon époux a livré ce fils .
Je devois l'imiter , mais enfin je ſuis mere;
Mon ame eft au-deffous d'un fi cruel effort.
Je n'ai pu , de mon fils , confentir à la mort.
Hélas ! au défefpoir que j'ai trop fait paroître ,
Une mere ailément pouvoit fe reconnoître..
Voyez , de cet enfant , le pere confondu ,
Qui ne vous a trahi qu'à force de vertu .
L'un n'attend fon falut que de fon innocence ,
Et l'autre eft refpectable alors qu'il vous offenfe.
Ne puniffez que moi , qui trahis à la fois
Et l'époux que j'admire , & le fang de nos Rois.
Digne époux , digne objet de toute ma tendreffe,
La pitié maternelle eft ma feule foibleffe ,
Mon fort fera le tien : Je meurs , fi tu péris :
Pardonne-moi du moins d'avoir ſauvé ton fils..
DECEMBRE. 1755. L2F
Je t'ai tout pardonné , lui répond Zamsi
, je n'ai plus rien à craindre pour le
fang de mon Roi. Ses jours font en fureté . Ils
ne le font pas , le récrie Gengis furieux.
Va réparer ton crime , ou fubir le trépas.
Zamti lui fait cette belle réplique.
Le crime eft d'obéir à des ordres injuftes ..
Tu fus notre vainqueur , & tu n'es pas mon Roi.
Si j'étois ton fujet , je te ferois fidelle.
Arrache-moi la vie , & refpecte mon zele.
Je t'ai livré mon fils , j'ai pu te l'immoler.
Penſes-tu que pour moi , je puifle encor trembler ?
Gengis commande qu'on l'entraîne :
Idamé veut le fléchir ; mais il lui ordonne
de fuivre fon mari . Comme elle infifte
il lui dit :
Allez , fi jamais la clémence
Dans mon coeur , malgré moi , pouvoit encor
entrer.
Vousfentez quels affronts il faudroit réparer.
Seul avec Octar , il fait éclater fon dépit
& fon amour. Son confident combat
cette flâme qu'il ne conçoit pas . Ofman
revient lui apprendre qu'Idamé & Zamti
refufent de découvrir l'azyle qui cache.
l'Orphelin , & qu'ils preffent tous deux
que la mort les uniffe. Gengis l'interrompt ,
& lui commande de voler vers Idamé , &c.
de l'affurer que fes jours font facrés & font
230 MERCURE DE FRANCE.
chers à fon maitre. Octar lui demande
quels ordres il veut donner fur cet enfant
des Rois qu'on cache à fa vengeance. Aucun
, répond- t'il .
Je veux qu'Idamé vive ; ordonne tout le refte.
Quel est votre efpoir , lui réplique
Octar ? Gengis termine l'Acte , en lui
difant :
D'être aimé de l'ingrate , ou de me venger d'elle ,
De la punir : tu vois ma foibleffe nouvelle .
Emporté , malgré moi , par de contraires voeux ,
Je frémis & j'ignore encor ce que je veux.
Gengis ouvre encore le quatrieme Acte,
& ordonne aux fiens de fe rendre aux pieds
des murs , en difant que l'infolent Coréen a
proclamé Roi cet enfant malheureux , mais
qu'il va marcher contr'eux fa tête à la main ;
qu'il a trop différé fa mort , & qu'il veut
enfin fans délai que Zamti lui obéiffe. Il
nous paroît que le commencement de cet
Acte fait le cercle , & retourne fur le
troisieme . Octar vient encore dire que le
Mandarin eft inflexible. Gengis s'écrie
étonné .
Quels font donc ces humains que mon bonheur
maîtrife !
A fon Roi qui n'eft plus , immolant la nature ,
L'un voit périr fon fils fans crainte & fans mur
mure ,
DECEMBRE. 1755.234
L'autre pour fon époux eft prête à s'immoler,
Rien ne peut les fléchir , rien ne les fait trembler..
Je vois un peuple antique , induftrieux , immenfes
Ses Rois fur la fageffe ont fondé leur puiffance ;
De leurs voifins foumis , heureux Législateurs ,
Gouvernant fans conquête , & regnant par les
moeurs.
Le ciel ne nous donna que la force en partage.
Nos Arts font les combats , détruire eft notre ou
vrage.
Ah ! de quoi m'ont fervi tant de fuccès divers !
Quel fruit me revient-il des pleurs de l'univers !
Nous rougiffons de fang le char de la victoire.
Peut-être qu'en effet il eft une autre gloire.
Mon coeur eft en fecret jaloux de leurs vertus ,
Et vainqueur , je voudrois égaler les vaincus.
Octar combat le fentiment de fon Maître
avec une franchife militaire , & lui dit :
Quel mérite ont des arts , enfans de la moleffe ,
Qui n'ont pu les fauver des fers & de la mort ?
Le foible eft destiné pour fervir le plus fort.
Tout céde fur la terre aux travaux , au courage
Mais c'est vous qui cédez & fouffrez un outrage.
Il ajoute que fes compagnons en murmurent
tout haut : Gengis lui répond :
Que l'on cherche Idamé . Sur ce qu'Octar infifte
: il lui replique en defpote.
Obéis.
De ton zele hardi réprime la rudeffe :
Je veux que mes fujets refpectent ma foibleffe.
Gengis feul , fe livre à tout fon amour ;
en témoignant fon mépris pour les monf232
MERCURE DE FRANCE.
tres cruels qui font à fa fuite. Idamé paroit
, il lui offre fon trône avec fa main.
Le divorce , dit-il , par mes loix eft permis ,
Et le vainqueur du monde à vous feule eft foumis.
S'il vous fut odieux , le trône a quelques charmes;
Et le bandeau des Rois peut effuyer des larmes.
La vertueufe Idamé lui répond avec une
noble ingénuité , que dans le tems qu'il
n'étoit que Temugin , elle auroit accepté
fa main qui étoit pure alors , fi fes parens
l'avoient agréé. Mais , ajoute-t'elle :
Mon hymen eft un noeud formé par le ciel même.
Mon époux m'eft facré ; je dirai plus : Je l'aime :
Je le préfere à vous , au trône , à vos grandeurs.
Pardonnez mon aveu , mais reſpectez nos moeurs :
Ne penfez pas non plus que je mette ma gloire
A remporter fur vous cette illuftre victoire ;
A braver un vainqueur , à tirer vanité
De ces juftes refus qui ne m'ont point couté.
Je remplis mon devoir , & je me rends juftice:
Je ne fais point valoir un pareil facrifice.
Portez ailleurs les dons que vous me propofez ;
Détachez- vous d'un coeur qui les a méprifez ;
Et puifqu'il faut toujours quidamé vous implore ,
Permettez qu'à jamais mon époux les ignore .
De ce foible triomphe il feroit moins flatté ,
Qu'indigné de l'outrage à ma fidélité .
Gengis lui dit en la quittant :
Quand tout nous uniffoit , vos loix que je dérefte
Ordonnerent ma honte & votre hymen funefte ;
Je les anéantis , je parle , c'eft affez ;
DECEMBRE 1755. 233
Imitez l'univers , Madame , obéiffez .
Mes ordres font donnés , & votre indigne époux
Doit remettre en mes mains votre Empereur &
vous .
Leurs jours me répondront de votre obéiffance.
Idamé gemit de fa cruelle pofition . Affeli
moins févere , lui confeille de fe relâcher
un peu de cette extrême aufterité
pour affurer les jours de fon mari , &
le bien de l'Empire . Zamti furvient , & lui
déclare qu'elle feule refte à l'Orphelin dans
l'Univers , que c'eft à elle à lui conferver
la vie , ainfi qu'à fon fils. Epoufe le Tyran
, pourſuit il.
Ta ferviras de mere à ton Roi malheureux.
Regne , que ton Roi vive , & que ton époux meure.
Elle l'interrompt , & lui dit :
Me connois-tu ? veux-tu que ce funefte rang
Soit le prix de ma honte , & le prix de ton fanga
Penfes- tu que je fois moins époufe que mere ?
Tu t'abules , cruel , & ta vertu févere
A commis contre toi deux crimes en un jour ,
Qui font frémir tous deux la nature & l'amour.
Barbare envers ton fils , & plus envers moi -même.
Ne te fouviens-tu plus qui je fuis , & qui t'aime ?
Crois-moi : le jufte ciel daigne mieux m'inſpirer ;
Je puis fauver mon Roi fans nous deshonorer.
Soit amour , foit mépris , le Tyran qui m'offenfe,
Sur moi , fur mes deffeins , n'eft pas en défiance:
Dans ces remparts fumans , & de fang abbreuvés,
234 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis libre , & mes pas ne font pas obfervés.
Le Chef des Coréens s'ouvre un fecret paffage
Non loin de ces tombeaux , où ce précieux gage ,
A l'ail qui le pourfuit , fut caché par tes mains.
De ces tombeaux facrés je fçais tous les chemins;
Je cours y ranimer fa languiffante vie,
Le rendre aux défenfeurs armés pour la patrie ;
Le porter en mes bras dans leurs rangs belliqueux
,
Comme un préfent d'un Dieu qui combat avec
eux.
Tu mourras , je le fçais ; mais , tout couverts de
gloire
Nous laifferons de nous une illuftre mémoire,
Mettons nos noms obfcurs au rang des plus
grands noms :
Et juge fi mon coeur a fuivi tes leçons .
Zamti tranfporté , s'écrie avec juftice,
Idamé , ta veftu l'emporte ſur la mienne !
En effet , cette vertu eft puifée dans la
nature & dans la raifon. Elle forme le
véritable héroïfme , qui honore l'humanité
fans en fortir. Tout grand qu'il eft ,
nous fentons que notre efpece en eft capable.
La vertu de Zamti tient plus au
préjugé. C'est une grandeur d'ame qui dégenere
en fanatifme , & qui eft d'autant
moins vraie , qu'elle bleffe les loix primitives
, & qu'elle excede nos forces. Voilà
pourquoi le caractere d'Idamé paroît fupérieur
à celui de Zamti , & nous intéreffe
davantage , même à la lecture.
DECEMBRE. 1755. 235
Idamé & Affeli commencent le cinquieme
Acte . Idamé a été arrêtée dans fa fuite
avec l'Orphelin. Elle eft captive une feconde
fois , & n'a plus d'efpoir que dans
la mort . Octar vient lui dire d'attendre,
l'Empereur qui veut lui parler , & qui paroit
un moment après . Gengis éclate en
reproches , & finit par preffer Idamé de
s'unir à lui , ce n'eft qu'à ce prix , dit-il ,
que je puis pardonner , & changer les châtimens
en bienfaits tout dépend d'un mor.
Prononcez fans tarder , fans feinte , fans détour ,
Si je vous dois enfin ma haine ou mon amour.
Idamé qui foutient fon noble caractere
jufqu'au bout , lui répond ,
L'un & l'autre aujourd'hui feroit trop condamnable
,
Votre haine eft injufte & votre amour coupable.
Cet amour eft indigne , & de vous & de moi :
Vous me devez juftice ; & fi vous êtes Roi ,
Je la veux , je l'attens pour moi contre vous-mê
me.
Je fuis loin de braver votre grandeur fuprême ;
Je la rappelle en vous , lorfque vous l'oubliez
Et vous-même en fecret vous me juftifiez .
Vous choififfez ma haine , réplique - t'il ,
vous l'aurez .
Votre époux , votre Prince & votre fils , cruelle,
Vont payer de leur fang votre fierté rebelle.
Ce mot , que je voulois , les a tous , condamés.
236 MERCURE DE FRANCE.
C'en est fait , & c'eſt vous qui les affaffinez .
Idamé tombe alors aux pieds de fon
maître , & lui demande une grace à genoux
. Il lui ordonne de fe lever & de déclarer
ce qu'elle veur. Elle le fupplie de
permettre qu'elle ait un entretien fecret
avec fon mari . Gengis le lui accorde , en
difant ;
Non , ce n'étoit pas lui qu'il falloit confulter !
Il m'enleva fon Prince , il vous a poffedée .
Que de crimes ! fa grace eft encore accordée .
Qu'il la tienne de vous , qu'il vous doive fon
fort .
Préfentez à fes yeux le divorce ou la mort.
Il la laiffe . Zamti paroît , elle lui dit :
la mort la plus honteufe t'attend . Ecoutemoi
:
Ne fçavons- nous mourir que par l'ordre d'un Roi ?
Les taureaux aux autels tombent en facrifice ;
Les criminels tremblans font traînés au fupplice
Lés mortels généreux difpofent de leur fort ;
Pourquoi des' mains d'un maître attendre ici la
mort
L'homme étoit -il donc né pour tant de dépendancea
De nos voiſins altiers imitons la conftance.
De la nature humaine ils foutiennent les droits ,
Vivent libres chex eux , & meurent à leur choix .
Un affront leur fuffit pour fortir de la vie ,
Er plus que le néant ils craignent l'infâmie.
Le hardi Japonnois n'attend pas qu'au cercueil
Un Defpote infolent le plonge d'un coup d'oeil.
DECEMBRE. 1755 . 237
Nous avons enfeigné ces braves Infulaires :
Apprenons d'eux enfin des vertus néceffaires .
Scachons mourir comme eux.
Son époux l'approuve ; mais ajoutet'il
, que pouvons - nous feuls & défarmés ?
Idamé tire un poignard qu'elle lui préfente
, en lui difant :
Tiens , fois libre avec moi , frappe , & délivrenous.
J'ai tremblé que ma main , mal affermie encore ,
Ne portât fur moi- même un coup mal affuré,
Enfonce dans ce coeur un bras moins égaré,
Immole avec courage une époufe fidelle ,
Tout couvert de mon fang tombe , & meurs auprès
d'elle.
Qu'à mes derniers momens j'embraffe mon époux;
Que le Tyran le voie , & qu'il en foit jaloux.
Zamti prend le poignard , en tremblant,
il balance ; & comme il veut s'en frapper ,
Gengis arrive à propos pour le défarmer .
O ciel ! s'écrie til , qu'alliez- vous faire ?
Idamé lui replique :
Nous délivrer de toi , finir notre mifere ,
A tant d'atrocités dérober notre fort.
Zamti ajoute :
Veux-tu nous envier juſques à notre mort ?
Oui , lui dit Gengis , que tant de vertu
fubjugue :
Je rougis fur le trône où n'a mis la victoire ,
D'être au- deſſous de vous au milieu de ma gloire;
238 MERCURE DE FRANCE.
En vain par mes exploits j'ai fçu me fignaler :
Vous m'avez avili ; je veux vous égaler.
J'ignorois qu'un mortel pût fe dompter lui-même.
Je l'apprens ; je vous dois cette grandeur fuprême.
Jouiffez de P'honneur d'avoir pu me changer :
Je viens vous réunir , je viens vous protéger.
Veillez , heureux époux , fur l'innocente vie
De l'enfant de vos Rois , que ma main vous con."
fie.
Par le droit des combats j'en pouvois difpofer :
Je vous remets ce droit dont j'allois abuſer.
Croyez qu'à cet enfant heureux dans fa mifere ,
Ainfi qu'à votre fils , je tiendrai lieu de pere .
Vous verrez fi l'on peut fe fier à ma foi.
Je fus un conquerant , vous m'avez fait un Roi.
Zamti pénetré d'un retour fi génereux ,
dit à ce Conquerant :
Ah ! vous ferez aimer votre joug aux vaincus.
Idamé tranfportée de joie & de furprife
, lui demande à fon tour.
Qui peut vous infpirer ce deffein ?
Gengis lui répond par ce mot , qui termine
le vers & la piece.
Vos vertus.
Ce dénouement eft très - applaudi , &
fait d'autant plus de plaifir qu'il finit la
tragédie fans effufion de fang. On doit dire
à la louange des Comédiens François ,
qu'ils n'ont rien épargné pour la mettre
au théatre avec tout l'éclat qu'elle mérite.
Ils y ont même obſervé le coſtume autant
DECEMBRE . 1755. 239
qu'il eft poffible de le fuivre. Mlle Clairon
faite pour fervir de modele , a ofé la premiere
fupprimer le panier. Mlle Hus à eu
le courage de l'imiter ; elles y ont gagné :
tout Paris a approuvé le changement , &
ne les a trouvées que plus aimables.
Les mêmes Comédiens vont remettre
fucceffivement les Troyennes & Philoctete
de M. de Châteaubrun , en attendant Andromaque
& Aftianax , tragédie nouvelle
du même Auteur. Le cothurne eft riche
cette année , & promet à ce théatre un
heureux hyver.
Fermer
Résumé : COMEDIE FRANÇOISE. / Extrait de l'Orphelin de la Chine.
Le texte du Mercure de France de décembre 1755 relate le succès de la pièce de théâtre 'L'Orphelin de la Chine' à Paris. Après une interruption initiale, la tragédie a été jouée avec un grand succès, atteignant dix-sept représentations. Le rôle principal, interprété par un acteur de manière exceptionnelle, a été déterminant pour ce succès. La pièce, précédée d'une épître dédiée au Maréchal Duc de Richelieu, est inspirée de la tragédie chinoise 'L'Orphelin de Tchao', traduite par le Père de Prémare. L'action se déroule dans un palais des mandarins à Cambalu, aujourd'hui Pékin, et met en scène sept personnages, dont l'empereur tartare Gengiskan, des guerriers, des mandarins et leurs serviteurs. L'intrigue commence avec Idamé, femme du mandarin Zamti, qui apprend la conquête de son pays par Gengiskan, un Scythe qu'elle avait autrefois rejeté. Zamti, de retour au palais, décrit les atrocités commises par les conquérants. Octar, un guerrier tartare, ordonne la remise de l'orphelin royal. Zamti décide de sacrifier son propre fils pour sauver l'orphelin, mais Idamé s'y oppose farouchement, préférant sauver son enfant. Gengiskan apparaît ensuite, proclamant la paix et ordonnant la cessation des pillages. Il révèle également son amour non réciproque pour Idamé. La pièce se poursuit avec des révélations et des conflits entre les personnages, notamment autour du sort de l'orphelin et des enfants des souverains. Gengis Khan, après avoir été informé par Ofnan de la confession d'un Mandarin et de la beauté d'Idamé, reconnaît en elle une ancienne flamme. Il lui propose de sauver son fils en échange de la livraison d'un orphelin, dernier rejeton d'une race ennemie. Idamé, malgré sa peur, avoue avoir sauvé son fils et est prête à se sacrifier. Zamti, interrogé par Gengis, affirme avoir agi par devoir et refuse de trahir ses principes, même face à la mort. Gengis, frustré par leur résistance, ordonne leur arrestation et exprime son admiration pour leur courage et leur fidélité. Dans le cinquième acte, Idamé, capturée, refuse les propositions de Gengis et demande à mourir dignement. Elle convainc Zamti de se suicider avec elle pour éviter l'humiliation et la dépendance envers un tyran. Cependant, Zamti et Idamé sont interrompus par Gengis, qui les dissuade de leur geste. Gengis exprime son admiration pour leur vertu et décide de les protéger, leur remettant également le droit de disposer de leur enfant, qu'il considère comme le sien. Zamti et Idamé sont touchés par la générosité de Gengis, qui est motivée par leurs vertus. Le dénouement de la pièce est acclamé pour son absence de violence et son message positif. Les comédiens français, notamment Mlle Clairon et Mlle Hus, sont loués pour leur contribution à la mise en scène et leur respect des costumes. La saison théâtrale promet d'être riche avec plusieurs tragédies prévues, dont 'Andromaque' et 'Astianax' de M. de Châteaubrun.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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135
p. 204-205
REPLIQUE de M. Tanevot.
Début :
Dans cette aimable lutte, à ma gloire entreprise, [...]
Mots clefs :
Gloire, Lutte, Frère et soeur, Talents
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texteReconnaissance textuelle : REPLIQUE de M. Tanevot.
REPLIQUE de M. Tanevot.
DAN'S ANs cette aimable lutte , à ma gloire entred
prife,
L'efprit ne reconnoît qu'un avantage égal :
L'on peut des mêmes fleurs , fans crainte de més
prife ,
Couronner à la fois l'un & l'autre Rival :
Que ne puis- je au Parnaffe en cueillir des plus
belles ..
J'en ornerois le front du frere & de la foeur ;
Les Pierides immortelles
Ne m'ont point accordé la charmante douceur
De moiffonner ces plantes fi chéries ,
Qui par le temps ne font jamais Rétries:
Nez tous deux pour vous reflembler ,
Vous avez le même génie ;
Et les talens , prompts à vous accoupler,
N'ont pas moins que le fang mis en vous d'hier
monie ;
Je gagerois qu'aux champs de Mars,
Prête à braves tous les hazards ,
AVRIL 1758. 20
Là foeurfùivant le frete ou le danger domine ,
Pour ne lui rien céder , feroit une héroïne.
DAN'S ANs cette aimable lutte , à ma gloire entred
prife,
L'efprit ne reconnoît qu'un avantage égal :
L'on peut des mêmes fleurs , fans crainte de més
prife ,
Couronner à la fois l'un & l'autre Rival :
Que ne puis- je au Parnaffe en cueillir des plus
belles ..
J'en ornerois le front du frere & de la foeur ;
Les Pierides immortelles
Ne m'ont point accordé la charmante douceur
De moiffonner ces plantes fi chéries ,
Qui par le temps ne font jamais Rétries:
Nez tous deux pour vous reflembler ,
Vous avez le même génie ;
Et les talens , prompts à vous accoupler,
N'ont pas moins que le fang mis en vous d'hier
monie ;
Je gagerois qu'aux champs de Mars,
Prête à braves tous les hazards ,
AVRIL 1758. 20
Là foeurfùivant le frete ou le danger domine ,
Pour ne lui rien céder , feroit une héroïne.
Fermer
Résumé : REPLIQUE de M. Tanevot.
M. Tanevot célèbre la rivalité amicale et l'égalité des talents entre deux rivaux. Il regrette de ne pouvoir offrir les plus belles fleurs du Parnasse à ces deux individus. Il reconnaît leur génie commun et leur capacité à s'unir. Il conclut en affirmant que la sœur serait héroïque sur les champs de Mars. Le texte est daté d'avril 1758.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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136
p. 203-216
MORTS. ÉLOGE HISTORIQUE DE M. LE MARQUIS DE MONTCALM.
Début :
Si l'on doit apprécier les hommes par les sacrifices qu'ils font à la société, [...]
Mots clefs :
Marquis de Montcalm, Sacrifices, Éloges, Vertu, Lieutenant général des armées du roi, Études, Littérature, Carrière militaire, Régiment, Ardeur , Talents, Amérique, Capitaine, Prodige, Campagnes militaires, Exploits, Gloire, Canada, Homme illustre
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texteReconnaissance textuelle : MORTS. ÉLOGE HISTORIQUE DE M. LE MARQUIS DE MONTCALM.
MORT S.
ÉLOGE HISTORIQUE
DEM.
LE MARQUIS DE MONTCALM.
SI
&
I l'on doit apprécier les hommes par les facrifices
qu'ils font à la fociété , & par les fervices
qu'ils lui rendent , qui jamais fut plus digne que
M. le Marquis de Montcalm de nos éloges & de
nos regrets ? Immoler fon repos à l'Etat , fe féparer
pour lui de rout ce qu'on a de plus cher
lui donner fon fang & fa vie , eft un devoir attaché
à la noble profeffion des armes , & ce dévoûment
héroïque eft la vertu des Guerriers de
tous les pays & de tous les temps . Mais cette
vertu reçoit un nouveau luftre des talens qui la
fecondent , & des circonftances qui l'éprouvent ;
& jamais elle n'a été ni plus éprouvée ni mieux
foutenue que dans le héros que nous pleurons.
LOUIS-JOSEPH , MARQUIS DE MONTCALMGOZON
DE SAINT VÉRAN , Seigneur de Gabriac
& c. Lieutenant - Général des Armées du Roi ,
Commandeur honoraire de l'Ordre Royal & Mi-
I vi
204 MERCURE
DE FRANCE.
litaire de Saint- Louis , commandant en Chef les :
Troupes Françoifes dans l'Amérique Septentrionale
, étoit né en 1712 d'une très- ancienne famille
de Rouergue . ( a )
le
Elève de M. Dumas , Inventeur du Bureau Typographique
, il ne fit pas moins d'honneur aux
leçons de ce Maître habile que Jeune Candiac
fon frere cader , mort à l'âge de ſept ans , & mis
au nombre des enfans célèbres . (b)
"
M. de Montcalm employa fes premieres années
à l'étude des Langues; & perfonne n'étoit.
plus verfé dans la Littérature Grecque & Latine.
La mémoire eft la nourrice de l'efprit , &
celle de M. de Montcalm étoit fi heureuſe , qu'il
n'oublioit rien de ce qu'il avoit appris une fois.
Il a confervé le goût de l'étude au milieu de
tous les travaux ; & parmi les agrémens de fa
retraite , il comptoit pour beaucoup l'efpérance
d'être reçu
à l'Académie des Belles- Lettres .
Il avoit fervi pendant dix fept ans dans le Régiment
de Hainault Infanterie , où il avoit été
fucceffivement Enfeigne , Lieutenant & Capitaine.
Il fut fait Colonel du Régiment d'Auxerrois
Infanterie , en. 1743 ; Brigadier des Armées du
Roi en 1747 ; Meſtre de Camp d'un nouveau
Régiment de Cavalerie de fon nom , en 1749 ;
a voit ( a ) Jean de Montcalm , l'un de fes ancêtres ,
éponfé Jeanne de Gozon , petite nièce du Grand Maître
Diodat de Gozon , vainqueur du dragon qui defoloit l'Iffs
de Rhodes.
( b ) Jean -Louis- Pierre - Elifabeth de Montcalm de Can
diac , né à Candiac le 7 Novembre 1739 , mort à Paris
le 8 Octobre 1726. Il avoit fait des progrès furprenans
dans les langues Hébraïque , Grecque & Latine , & acquis
des connoiffances prodigieufes pour fon âge. L'Auteur du Bureau typographique avoit fait fur lui la
première expérience de cette nouvelle méthode. Voyez le
Supplément de Moreri à l'Article CANDIA· C.
JANVIER. 1760. 205
Maréchal de Camp & Commandant des Troupes
Françoiles en Amérique , en 1756-3 Commandeur
par honneur de l'Ordre de Saint- Louis , en
175 ; & Lieutenant Général , en 1758 .
Dans les grades inférieurs il le diftingua par
une ardeur & une application fans relâche ; attentif
à recueillir dans chacun de ces emplois les
lumières & l'expérience qui leur font propres &
qui compofent par degrés le fyftême de l'Art
militaire.
Devenu Colonel ' , la connoiffance qu'on avoit
de fes talens & de fon activité , lui fit confier
dans toutes les occafions des commandemens
particuliers ; & il y foutine avec éclat la réputation
qu'il avoit acquife . Il reçut trois bleffures à
la bataille fous Plaifance , donnée le 13 Juin
1746 ; & comme il fe faifoit guérir à Montpellier
de deux coups de fabre à la tête , il apprit
que fon Régiment marchoit pour aller attaquer
le pofte de l'affiette où M. le Chevalier de Belleifle
fut tué. Il part , la tête enveloppée , & , fest
bleffures encore ouvertes , joint fon Corps , fe
trouve à l'attaque , & y reçoit deux coups de feu.
Mais c'eft en Amérique furtout que les qualités
de ce grand Capitaine ont paru dans tour
leur jour. C'est là qu'il a fait voir à quel degré
il réuniſſoit la bravoure du Soldat & la grandeur
d'ame du héros ; la prudence du confeil & l'activité
de l'exécution ; ce fang- froid que rien n'altére
, cette patience que rien ne rebute , & cette
réfolution courageule qui ofe répondre du fuccès
dans des circonftances où la timide (péculation
auroit à peine entrevu des refources. C'eft
là qu'au milieu des Sauvages dont il étoit devenu
le pere , on l'a vu fe plier à leur caractère
féroce , s'endurcir aux mêmes travaux , & fe reftreindre
aux mémes befoins , les apprivoiler par
200 MERCURE DE FRANCE.
la douceur, les attirer par la confiance, les attendrir
par tous les foins de l'humanité compâtiffante , &
faire dominer le refpect & l'amour fur des ames
également indociles au joug de l'obéiffance & au
frein de la difcipline militaire ( c) . C'est là que des
fatigues & des dangers fans nombre & inconnus en
Europe n'ontjamais rallenti fon zèle . Tantôt préfent
à des fpectacles dont l'idée feule fait frémir
la nature tantôt expofé à manquer de
tout , & fouvent à mourir de faim ; réduit pendant
onze mois à quatre onces de pain par
jour ; mangeant du cheval pour donner l'exem
ple , il fut le même dans tous les temps , fati
fait de tout endurer pour la caufe de la Patrie &
pour la gloire de fon Roi. C'eſt là qu'il a exécuté
des chofes prefque incroyables , & que nós
Ennemis eux- mêmes ont regardées comme des
prodiges ; qu'avec fix bataillons François & quelques
troupes de la Colonie , non feulement il a
fait tête à trente , quarante , cinquante mille
hommes , mais qu'il leur en a impofé partout , les
a vaincus , les a diffipés , jufqu'à la malheureufe
journée où vient de périr ce grand homme.
Arrivé dans la Colonie en 1756 , il arrête par
fes bonnes difpofitions l'armée du Général Lou-
( c ) Il étoit venu à bout de les conduire fans leur donner
ni vin , ni eau - de - vie , ni même les chofes dont ils
avoient un befoin réel , & dont on manquoit à l'armée ;
mais il avoit le plus grand foin de leurs malades & de
leurs bleffés . Il connoît , difoient -ils , nos ufages & nos
manières comme s'il avoit été élevé au milieu de nos cabanes.
Loriqu'il reçut à Choueguen la nouvelle que le
Roi l'avoit honoré du Cordon rouge , ils vinrent le complimenter.
Nous fommes charmés ; lui dirent - ils , de la
grace que le grand Onowthio vient de t'accorder , parce
que nous fçavons qu'elle te caufe de la joie. Pour nous ,
nous ne t'en aimons ni ne t'en eftimons davantage , car
F'eft ta perfonne que nous eftimons & que nous aimons.
JANVIER 1760 . 207
don au lac Saint - Sacrement , laiffe des inftruce
tions au Chevalier de Lévi , Commandant en ?
fecond , revient à Montréal & marche rapidement
au lac Ontario , où il trouve trois bataillons
François & environ douze cens hommes de milices .
du pays. Avec cette petite armée qu'il allemble à
Frontenac, il court à Choueguen, y aborde fous le
feu de huit barques de dix , douze & vingt pièces
de canon que l'Anglois avoit fur ce lac , forme
un fiége , ouvre une tranchée , & enlève en cinq ,
jours les trois Forts de l'ennemi ( d ). Il y faic
dix-fept cens quarante-deux prifonniers , parmi
lefquels fe trouvoient quatre-vingt Officiers , &
deux Régimens de cette brave Infanterie Angloife.
qui avoit combattu à Fontenoy. Il rafe les Forts ,
revient à Montréal & retourne au lac Saint-Sacrement
avec les troupes victorieufes. Là il fait.
face de nouveau au Général Loudon qui eft obligé
de fe retirer à Albani , fans avoir ofé l'attaquer
malgré la fupériorité de fes forces . Il revint de
cette expédition à la fin de Novembre fur les
glaces , fouffrant depuis plus de deux mois unfroid
exceffif , & ayant parcouru depuis le mois
de Juin environ huit cens lieues de pays déferts.
C'eft ainfi que les François animés par fon exemple
ont fait la guerre en Amérique.
La campagne de 1757 ne fut pas moins furprenante
. M. de Montcalm réunit fes forces , confiftant
en fix bataillons de troupes régléesc , en
viron deux mille hommes de milice , & dix- huit
cens Sauvages de trente- deux Nations différen
tes , à la chute du lac Saint - Sacrement . Là il diviſe
fon armée en deux parties ; l'une marche
par terre , fe frayant une route à travers des
montagnes & dans des bois jufqu'alors incon
(d ) Le fort Ontario, le fort Chouëguen & le fort Georget
208 MERCURE DE FRANCE.
nus ; l'autre eſt embarquée fur le lac. Après
quatorze lieues de marche il entreprend de forcer
l'Ennemi retranché dans fon camp fous le
Fort Guillaume - Henry. Ce Fort eſt défendu par
une garnison de cinq cens hommes continuellement
rafraîchie par les troupes du camp : il l'attaque
, il le détruit , & s'il ne retint pas la garniton
prifonniere , ce ne fut que dans l'impoffibilité
où l'on étoit de la nourrir ( e ) . Peut- être
n'en feroit- il pas refté là s'il n'avoit été obligé
de renvoyer les Milices pour faire la récolte , &
de lailler partir les Sauvages dont quelques- uns
étoient venus de huit cent lieues uniquement
pour voir par eux-mêmes ce que la renommée
leur avoit appris de cet homme prodigieux.
Mais fi l'on ajoute à la circonftance du départ
des Sauvages & des Colons le défaut de munitions
de guerre & de bouché , l'extrême difficulté
du transport de tout ce qu'exige l'appareil
d'un fiége , à fix lieues de diftance , & à bras
d'hommes , avec une armée épuisée de fatigue,
& plus affoiblie encore par la mauvaiſe nourriture
, que penfera- t- on du reproche qu'on lui
fit alors de n'avoir pas marché du Fort Guillau
me au Fort Edouard ? Il fe vengea de fes Ennemis
en grand homme : il mit le comble à faréputation
dans la Campagne de 1758 , & les
accabla du poids de fa gloire.
La difette affreufe de l'Automne 1757 , qui
dura jufqu'a la fin du Printemps 1758 , mit la
Colonie à deux doigts de fa perte. M. de Montcalm
avoit reçu de France le fecours de deux
bataillons très-affoiblis par une maladie épidémi-,
que qui les avoit attaqués fur la iner, Les Anglois
( e ) Les habitans de Québec étoient alors réduits à un
quarteron de pain par jour ,
JANVIE R. 1760. 209
toujours infiniment fupérieurs en nombre & ea
moyens , avoient été renforcés de plufieurs régimens
envoyés d'Europe. Le Lord Loudon venoit
d'être rappellé pendant l'Hiver & remplacé par
le Général Abercromby. Celui-ci fait tous fes
préparatifs pour entrer de bonne heure en campa
gne & prévenir le Marquis de Montcalm . Retardé
par le défaut de vivres , le Général François ne
put mettre en mouvement qu'au mois de Juin
les huit bataillons affoiblis, les uns par les pertes de
la Campagne précédente , les autres par la maladie.
Ces bataillons ne formoient en total que trois
mille trois cens hommes. M. de Montcalm fe
porta avec cette poignée de monde fur la frontière
du Lac Saint - Sacrement ; le Général Anglois
marchoit à lui avec une armée de plus de vingtfept
mille hommes. Si M. de Montcalm étoit
battu , il n'avoit aucune retraite ; l'Ennemi pouvoit
s'avancer jufqu'a Montréal & couper en deux
la Colonie. Le Héros du canada prend dans cette
extrémité le feul parti qu'il y avoit à prendre. Il
reconnoit & choifit lui-même une polition avantageufe
fur les hauteurs de Carillon ; il y fait
tracer un retranchement en abattis , laiffe un
bataillon pour commencer l'ouvrage, & en même
temps pour garder le fort , fait avec fa petite-
Armée un mouvement audacieux , en fe portant
à quatre lieues en avant , envoie reconnoître &
reconnoît lui - même la marche de l'Ennemi ,
l'examine , le tâte , lui en impofe par fa conte
nance. Cette manoeuvre digne des plus grands
Maîtres rallentit l'ardeur de la multitude ennemie,&
occafionne dans fes mouvemens une lenteur
dont M. de Montcalm fçait tirer avantage.
Ceci fe palloit le 6 Juillet 17 58. Il écrivit le
foir en ces termes à M. Doreil , Commillaire Or210
MERCURE DE FRANCE.
donnateur. Je n'ai que pour huit jours de vivres,
> point de Canadiens (f) , pas un feul Sauvage ;
> ils ne font point arrivés : j'ai affaire à une armée
i formidable ; malgré cela je ne défefpere de
> rien , j'ai de bonnes troupes. A la contenance
» de l'ennemi je vois qu'il tatonne ; fi , par fa
lenteur , il me donne le temps de gagner la
pofition que j'ai choifie fur les hauteurs de
» Carillon , & de m'y retrancher , je le battrai . ››
M. de Montcalmrfe replia dans la nuit du 6 au 7 ,
& fit faire à la hâte fon retranchement auquel
il travailla lui- même. L'abattis n'étoit pas encore
entierement achevé , lorfqu'il fut attaqué le 8-
Juillet par dix- huit mille hommes , avec la plus
grande valeur (g) . L'ennemi toujours repouffé
revient fept fois à la charge , où plutôt on combat
fept heures préfque fans relâche depuis` midi jufqu'à
la nuit : alors le découragement & l'effroi
s'emparent des Anglois ; & , cherchant leur falut
dans la fuite , il fe retirent l'efpace de douze lieues
jufques vers les ruines du fort George , laiffant
en chemin leurs bleffés , leurs vivres & leurs équi
pages. ( h)
Cettejournée à jamais glorieuſe pour la nation
(f) Quelques relations dífent qu'il avoit 1 5 ſauvages &
450 hommes , tant de la Colonie que de la marine , mais
que les fauvages abandonnèrent dans les montagnes le détachement
auquel ils fervoient de guide , & que les 450
hommes de la Colonie & de la marine demeurèrent postés
dans la plaine , & n'y furent point attaqués.
(g) M. le Chevalier de Lévi commandoit la droite de
notre armée , M. de Bourlamaque la gauche , M. de Montcalm
le centre.
(b) Le lendemain du combat , àla pointe du jour , M.
de Montcalm envoya M. le Chevalier de Lévi , fi digne de
fa confiance par fa valeur & fon habileté ; reconnoître ce
qu'étoit devenue l'armée Anglaife . Partout M de Léyi nẹ
trouva que les traces d'une fuite précipitée.
JANVIE R. 1760. 217
Françoife couta à l'ennemi , de fon aveu , fix
mille morts ou bleffés , dont trois mille cadavres
étoient au pied de l'abattis . Le Marquis de Montcalm
étoit partout ; fes difpofitions avoient préparé
la victoire , fon exemple la décida : ni les
Canadiens ni les Sauvages ne participèrent à
l'honneur de cette journée ; ils ne joignirent l'Armée
que cinq jours après. Les foldats , pendant
le combat crioient à chaque inftant : Vive le
Roi & notre Général ! C'elt cette confiance por-`
tée jufqu'à l'entoufiafme qui fait le fort des batail-'
les : une Armée eft presque toujours affurée de
vaincre quand elle le croit invincible , & l'opinion
qu'elle a d'elle-même dépend furtout de
l'idée qu'elle a de ſon Chef.
..
לכ
En écrivant au mêine M. Doreil , dù champ
de bataille à huit heures du foir , voici comment
s'exprimoit ce Vainqueur auffi modefte dans le
triomphe qu'intrépide dans le combat : » l'Armée
»& trop petite Armée du Roi vient de battre fes>
>> ennemis. Quelle journée pour la France ! Siv
» j'avois eu deux cens Sauvages pour fervir de
» tête à un détachement de mille hommes d'élite ,
>> dont j'aurois confié le commandement au
>> Chevalier de Lévi , il n'en feroit pas échappé
» beaucoup dans leur fuite . Ah ! quelles troupes ,
>> mon cher Doreil , que les nôtres ! je n'en ai
»jamais vu de pareilles : que n'étoient- elles à
Louifbourg » Cette lettre eft digne de M. de
Turenne comme l'action qui en eft le fujet.
Dans la relation qu'il envoya le lendemain à
M. le Marquis de Vaudreuil après avoir fait
l'éloge des troupes en général , celui de MM. de
Lévi , de Bourlamaque , Officiers fupérieurs &
de la plus grande diftinction , des Commandans
des Corps , & pour ainfi dire de chaque Officier
en particulier , il ajoutoit Pour moi je n'ai
λ
2
212 MERCURE DE FRANCE.
que le mérite de m'être trouvé Général de
aufli valeureuſes.
>> troupes
Il eut toujours la même attention de rendre à
chacun de fes Officiers la part qu'ils avoient à
fa gloire. J'ai lu dans une lettre qu'il écrivit du
Camp de Carillon le 28 Septembre . » M. le Che-
» valier de Lévi qui connoît très- bien cette fron-
» tière , y a fait les meilleures difpofitions du
» monde , & je les ai fuivies.
.
Il y a de lui une infinité de traits qui caractérifent
le patriote , le guerrier , l'homme jufte ,
vertueux & modefte ; mais la diſtance des lieux
ne m'a pas permis d'en recueillir les preuves 3
& comme je ne veux dire que la vérité , je n'ai
pas cru devoir m'en tenir à la tradition , qui s'altere
de bouche en bouche.
La conftance & la réfolution furent de toutes
fes vertus les plus éprouvées & les plus éclatanres
; mais elles n'avoient rien d'une présomption
aveugle ; & perfonne ne voyoit mieux que lui
les dangers qu'il alloit courir.
Il écrivoit de Montréal le 14 Avril 1759 , » Le
» nouveau Général Anglois Amherſt a de gran-
» des forces & de grands moyens , 22 bataillons
de troupes réglées , plus de 30000 hommes de
milices auffi les Anglois comptent attaquer
» le Canada par plufieurs endroits & l'envahir.
Nous avons fauvé cette Colonie l'année der-
> nière par un fuccès qui tient quafi du prodige.
Faut il en efpérer un pareil ? il faudra au
> moins le tenter. Quel dommage que nous
n'ayons pas un plus grand nombre d'auffi va-
>> leureux foldats ! » L'arrivée de l'Efcadre Angloife
, en mettant le comble aux dangers qui
menaçoient la Colonie , ne fit que redoubler le
courage & le zèle de fon défenſeur .
On n'eft que trop inftruit du détail du combat
JANVIER . 1760. 213
qui a précédé la prife de Québec , & dans lequel
a péri M. de Montcalm. Tous les effets qu'on
peut attendre de la prudence , de la valeur , de
l'activité d'un Général , avoient été employés
par celui- ci , foit pour défendre à l'Ennemi l'approche
de la Ville , foit pour conferver la communication
de l'armée avec les vailleaux qui
avoient remonté le fleuve , & où les vivres
étoient déposés.
Le combat du 31 Juillet , où huit cens Grenadiers
Anglois refterent fur la place à l'attaque du
camp de Beauport qu'ils ne purent jamais forcer ,
quoique la gauche du camp qu'ils attaquoient
efit à foutenir en même temps le feu croiſé de
plus de 80 pièces d'artillerie ; ce combat , dis-je ,
prouve affez la bonté du pofte & l'intrépide réfolution
de celui qui le défendoit ( i ) .
La communication avec les vivres ne fut pas
moins courageufement défendue . Quatre fois
les Anglois tenterent de débarquer au- deffous de
Québec , & quatre fois M. de Bougainville chargé
du foin pénible & critique de couvrir quinze
lieues de pays avec une poignée de monde répandue
fur le rivage , les repouffe & les oblige
de s'éloigner , quoique toujours fupérieurs en
nombre , & foutenus par le feu des frégates qui
les protégeoient. Mais comment une Armée de
huit à neuf mille hommes répandue fur la rivé
d'un fleuve immenfe auroit - elle pu la rendre
inacceffible dans toute fon étendue à dix mille
hommes de troupes réglées , qui , au moyen d'une
flotte de vingt cinq vaiffeaux de guerre , de trente
(i) Je ne dois pas négliger de dire , à la gloire de M. le
Chevalier de Lévi , que c'etoit lui qui avoit demandé que
se camp , dont la gauche n'étoit d'abord appuyée qu'au
ruiffeau de Beauport , fût étendu juſqu'à la riviere de Montmorenci
, dont le paffage étoit plus difficile .
214 MERCURE DE FRANCE
frégates & d'environ cent quatre-vingt bâtimens
de tranfport , exécutoient fur le fleuve & à la faveur
de la marée & de la nuit , des mouvemens
continuels & rapides qu'il étoit impotlible à nos
troupes de terre de prévoir , d'obferver & de
fuivre? Ces infatigables troupes n'avoient , pas
aillé que de faire face partout , de défendre ce
rivage pendant plus de deux mois , prodige incroyable
de vigilance ( k) & d'activité , Torfqu'enfin
le 13 Septembre , tandis que M. de
Bougainville étoit occupé au Cap- rouge , trois
lieues au-deflus de Québec , par les démonftrations
d'une attaque , les Anglois furprirent &
forcerent pendant la nuit un pofte à demie lieue
de la Ville & s'y établirent avant le jour.
M. de Montcalm accourut du camp de Beauport
avec trois mille hommes ; il en trouva
fix mille de débarqués ; & plein de cette noble
ardeur qui avoit toujours décidé la victoire , il
réfolut de les attaquer avant qu'ils fuffent en
plus grand nombre. Dans cette action décifive &
meurtriere , il fut bleflé de deux coups de feu ;
& ce moment fatal fut le premier où la victoire
l'abandonna ( 1 ) . Quoique bleffé mortellement
il eut le courage de refter à cheval , & fit luianême
la retraite de l'armée fous les murailles
de Québec , ou plutôt fur les débris de ces murailles
que l'artillerie Angloife battoit fans relâche
( k ) Le détachement de M. de Bougainville avoit paſſé
trois mois au Bivouac .
( 2 ) Il est très - certain que M. de Bougainville ne fut
averti au Cap rouge du débarquement des Anglois qu'à
zeuf heures du matin , & qu'ayant plus de trois lieues de
chemin à faire , il ne put arriver fur le champ de bataille
qu'après la déroute. Il n'en fit pas moins bonne contenance
, & fa retraite comme fa conduite dans cette pénible
campagne , a justifié pleinement la confiance que M. de
Montcalm avoit en lui.
JAN VIER. 1760. LIS
د ر
depuis deux mois. Il entra dans cette Ville ruinée ,
donna les ordres à tout , fe fit panfer , interrogea
le Chirurgien ; & fur la réponſe , dit au Lieutenant
de Roi & au Commandant de Royal Rouffillon
, Meffieurs , je vous recommande de
ménager l'honneur de la France , & de tâcher
»que ma petite armée puiffe fe retirer cette nuit
» au delà de la riviere du Cap- rouge , pour joindre
le Corps aux ordres de M. de Bougainville
: pour moi je vais la paller avec Dieu , &
me préparer à la mort . Qu'on ne me parle
» plus d'autres chofes. » Il mourut en Héros le
lendemain 14 Septembre à cinq heures du matin,
& fut enterré fans fafte dans un trou de bombe ,
fépulture digne d'un homme qui avoit réfolu de
défendre le Canada ou de s'enfevelir fous fes
ruines ( m ).
Je n'ai eu qu'à raconter les faits dans toute
lear fimplicité , pour faire des talents & des vertus
militaires de M. le Marquis de Montcalm un
éloge peut-être unique. L'Hiftoire les atteftera ,
& la postérité aura peine à les croire ; mais la
Colonie qu'il a défendue , les Guerriers qu'il a
commandés (n ) , les ennemis qu'il a vaincus
tant de fois, en rendront d'éclatans témoignages ;
& ces mêmes Sauvages qu'il a étonnés par des
prodiges de conftance , de réfolution & de valeur
, montreront à leurs enfans dans leurs dé-
(m)Les Anglois lui ont rendu les mêmes honneurs funébres
qu'au Général Wolf tué dans le même combat .
( n) L'un d'eux écrit du Canada : » Je ne me confo-
" lerai jamais de la perte de mon Général ; qu'elle eft
grande & pour nous & pour ce pays & pour l'Etat !
,, C'étoit un bon Général , un Citoyen zélé , un ami folide ,
,, un Pere pour nous tous. Il a été enlevé au moment de
,, jouir du fruit d'une campagne que M. de Turenne n'au
défavouée. Tous les jours je le chercherai , &
tous les jours ma douleur fera plus vive,
23 roit
pas
216 MERCURE DE FRANCE.
ferts inhabités les traces de ce Guerrier qui les
menoit à la victoire , & les lieux où ils ont eu
la gloire de combattre & de vaincre avec lui .
C'elt furtout dans le coeur des François que M.
de Montcalm doit fe furvivre . Notre Nation
qu'on accufe d'oublier trop ailément les grands
hommes qu'elle a perdus , eft profondément
frappée de la mort de celui-ci , & lui donne les
plus juftes larmes.
ÉLOGE HISTORIQUE
DEM.
LE MARQUIS DE MONTCALM.
SI
&
I l'on doit apprécier les hommes par les facrifices
qu'ils font à la fociété , & par les fervices
qu'ils lui rendent , qui jamais fut plus digne que
M. le Marquis de Montcalm de nos éloges & de
nos regrets ? Immoler fon repos à l'Etat , fe féparer
pour lui de rout ce qu'on a de plus cher
lui donner fon fang & fa vie , eft un devoir attaché
à la noble profeffion des armes , & ce dévoûment
héroïque eft la vertu des Guerriers de
tous les pays & de tous les temps . Mais cette
vertu reçoit un nouveau luftre des talens qui la
fecondent , & des circonftances qui l'éprouvent ;
& jamais elle n'a été ni plus éprouvée ni mieux
foutenue que dans le héros que nous pleurons.
LOUIS-JOSEPH , MARQUIS DE MONTCALMGOZON
DE SAINT VÉRAN , Seigneur de Gabriac
& c. Lieutenant - Général des Armées du Roi ,
Commandeur honoraire de l'Ordre Royal & Mi-
I vi
204 MERCURE
DE FRANCE.
litaire de Saint- Louis , commandant en Chef les :
Troupes Françoifes dans l'Amérique Septentrionale
, étoit né en 1712 d'une très- ancienne famille
de Rouergue . ( a )
le
Elève de M. Dumas , Inventeur du Bureau Typographique
, il ne fit pas moins d'honneur aux
leçons de ce Maître habile que Jeune Candiac
fon frere cader , mort à l'âge de ſept ans , & mis
au nombre des enfans célèbres . (b)
"
M. de Montcalm employa fes premieres années
à l'étude des Langues; & perfonne n'étoit.
plus verfé dans la Littérature Grecque & Latine.
La mémoire eft la nourrice de l'efprit , &
celle de M. de Montcalm étoit fi heureuſe , qu'il
n'oublioit rien de ce qu'il avoit appris une fois.
Il a confervé le goût de l'étude au milieu de
tous les travaux ; & parmi les agrémens de fa
retraite , il comptoit pour beaucoup l'efpérance
d'être reçu
à l'Académie des Belles- Lettres .
Il avoit fervi pendant dix fept ans dans le Régiment
de Hainault Infanterie , où il avoit été
fucceffivement Enfeigne , Lieutenant & Capitaine.
Il fut fait Colonel du Régiment d'Auxerrois
Infanterie , en. 1743 ; Brigadier des Armées du
Roi en 1747 ; Meſtre de Camp d'un nouveau
Régiment de Cavalerie de fon nom , en 1749 ;
a voit ( a ) Jean de Montcalm , l'un de fes ancêtres ,
éponfé Jeanne de Gozon , petite nièce du Grand Maître
Diodat de Gozon , vainqueur du dragon qui defoloit l'Iffs
de Rhodes.
( b ) Jean -Louis- Pierre - Elifabeth de Montcalm de Can
diac , né à Candiac le 7 Novembre 1739 , mort à Paris
le 8 Octobre 1726. Il avoit fait des progrès furprenans
dans les langues Hébraïque , Grecque & Latine , & acquis
des connoiffances prodigieufes pour fon âge. L'Auteur du Bureau typographique avoit fait fur lui la
première expérience de cette nouvelle méthode. Voyez le
Supplément de Moreri à l'Article CANDIA· C.
JANVIER. 1760. 205
Maréchal de Camp & Commandant des Troupes
Françoiles en Amérique , en 1756-3 Commandeur
par honneur de l'Ordre de Saint- Louis , en
175 ; & Lieutenant Général , en 1758 .
Dans les grades inférieurs il le diftingua par
une ardeur & une application fans relâche ; attentif
à recueillir dans chacun de ces emplois les
lumières & l'expérience qui leur font propres &
qui compofent par degrés le fyftême de l'Art
militaire.
Devenu Colonel ' , la connoiffance qu'on avoit
de fes talens & de fon activité , lui fit confier
dans toutes les occafions des commandemens
particuliers ; & il y foutine avec éclat la réputation
qu'il avoit acquife . Il reçut trois bleffures à
la bataille fous Plaifance , donnée le 13 Juin
1746 ; & comme il fe faifoit guérir à Montpellier
de deux coups de fabre à la tête , il apprit
que fon Régiment marchoit pour aller attaquer
le pofte de l'affiette où M. le Chevalier de Belleifle
fut tué. Il part , la tête enveloppée , & , fest
bleffures encore ouvertes , joint fon Corps , fe
trouve à l'attaque , & y reçoit deux coups de feu.
Mais c'eft en Amérique furtout que les qualités
de ce grand Capitaine ont paru dans tour
leur jour. C'est là qu'il a fait voir à quel degré
il réuniſſoit la bravoure du Soldat & la grandeur
d'ame du héros ; la prudence du confeil & l'activité
de l'exécution ; ce fang- froid que rien n'altére
, cette patience que rien ne rebute , & cette
réfolution courageule qui ofe répondre du fuccès
dans des circonftances où la timide (péculation
auroit à peine entrevu des refources. C'eft
là qu'au milieu des Sauvages dont il étoit devenu
le pere , on l'a vu fe plier à leur caractère
féroce , s'endurcir aux mêmes travaux , & fe reftreindre
aux mémes befoins , les apprivoiler par
200 MERCURE DE FRANCE.
la douceur, les attirer par la confiance, les attendrir
par tous les foins de l'humanité compâtiffante , &
faire dominer le refpect & l'amour fur des ames
également indociles au joug de l'obéiffance & au
frein de la difcipline militaire ( c) . C'est là que des
fatigues & des dangers fans nombre & inconnus en
Europe n'ontjamais rallenti fon zèle . Tantôt préfent
à des fpectacles dont l'idée feule fait frémir
la nature tantôt expofé à manquer de
tout , & fouvent à mourir de faim ; réduit pendant
onze mois à quatre onces de pain par
jour ; mangeant du cheval pour donner l'exem
ple , il fut le même dans tous les temps , fati
fait de tout endurer pour la caufe de la Patrie &
pour la gloire de fon Roi. C'eſt là qu'il a exécuté
des chofes prefque incroyables , & que nós
Ennemis eux- mêmes ont regardées comme des
prodiges ; qu'avec fix bataillons François & quelques
troupes de la Colonie , non feulement il a
fait tête à trente , quarante , cinquante mille
hommes , mais qu'il leur en a impofé partout , les
a vaincus , les a diffipés , jufqu'à la malheureufe
journée où vient de périr ce grand homme.
Arrivé dans la Colonie en 1756 , il arrête par
fes bonnes difpofitions l'armée du Général Lou-
( c ) Il étoit venu à bout de les conduire fans leur donner
ni vin , ni eau - de - vie , ni même les chofes dont ils
avoient un befoin réel , & dont on manquoit à l'armée ;
mais il avoit le plus grand foin de leurs malades & de
leurs bleffés . Il connoît , difoient -ils , nos ufages & nos
manières comme s'il avoit été élevé au milieu de nos cabanes.
Loriqu'il reçut à Choueguen la nouvelle que le
Roi l'avoit honoré du Cordon rouge , ils vinrent le complimenter.
Nous fommes charmés ; lui dirent - ils , de la
grace que le grand Onowthio vient de t'accorder , parce
que nous fçavons qu'elle te caufe de la joie. Pour nous ,
nous ne t'en aimons ni ne t'en eftimons davantage , car
F'eft ta perfonne que nous eftimons & que nous aimons.
JANVIER 1760 . 207
don au lac Saint - Sacrement , laiffe des inftruce
tions au Chevalier de Lévi , Commandant en ?
fecond , revient à Montréal & marche rapidement
au lac Ontario , où il trouve trois bataillons
François & environ douze cens hommes de milices .
du pays. Avec cette petite armée qu'il allemble à
Frontenac, il court à Choueguen, y aborde fous le
feu de huit barques de dix , douze & vingt pièces
de canon que l'Anglois avoit fur ce lac , forme
un fiége , ouvre une tranchée , & enlève en cinq ,
jours les trois Forts de l'ennemi ( d ). Il y faic
dix-fept cens quarante-deux prifonniers , parmi
lefquels fe trouvoient quatre-vingt Officiers , &
deux Régimens de cette brave Infanterie Angloife.
qui avoit combattu à Fontenoy. Il rafe les Forts ,
revient à Montréal & retourne au lac Saint-Sacrement
avec les troupes victorieufes. Là il fait.
face de nouveau au Général Loudon qui eft obligé
de fe retirer à Albani , fans avoir ofé l'attaquer
malgré la fupériorité de fes forces . Il revint de
cette expédition à la fin de Novembre fur les
glaces , fouffrant depuis plus de deux mois unfroid
exceffif , & ayant parcouru depuis le mois
de Juin environ huit cens lieues de pays déferts.
C'eft ainfi que les François animés par fon exemple
ont fait la guerre en Amérique.
La campagne de 1757 ne fut pas moins furprenante
. M. de Montcalm réunit fes forces , confiftant
en fix bataillons de troupes régléesc , en
viron deux mille hommes de milice , & dix- huit
cens Sauvages de trente- deux Nations différen
tes , à la chute du lac Saint - Sacrement . Là il diviſe
fon armée en deux parties ; l'une marche
par terre , fe frayant une route à travers des
montagnes & dans des bois jufqu'alors incon
(d ) Le fort Ontario, le fort Chouëguen & le fort Georget
208 MERCURE DE FRANCE.
nus ; l'autre eſt embarquée fur le lac. Après
quatorze lieues de marche il entreprend de forcer
l'Ennemi retranché dans fon camp fous le
Fort Guillaume - Henry. Ce Fort eſt défendu par
une garnison de cinq cens hommes continuellement
rafraîchie par les troupes du camp : il l'attaque
, il le détruit , & s'il ne retint pas la garniton
prifonniere , ce ne fut que dans l'impoffibilité
où l'on étoit de la nourrir ( e ) . Peut- être
n'en feroit- il pas refté là s'il n'avoit été obligé
de renvoyer les Milices pour faire la récolte , &
de lailler partir les Sauvages dont quelques- uns
étoient venus de huit cent lieues uniquement
pour voir par eux-mêmes ce que la renommée
leur avoit appris de cet homme prodigieux.
Mais fi l'on ajoute à la circonftance du départ
des Sauvages & des Colons le défaut de munitions
de guerre & de bouché , l'extrême difficulté
du transport de tout ce qu'exige l'appareil
d'un fiége , à fix lieues de diftance , & à bras
d'hommes , avec une armée épuisée de fatigue,
& plus affoiblie encore par la mauvaiſe nourriture
, que penfera- t- on du reproche qu'on lui
fit alors de n'avoir pas marché du Fort Guillau
me au Fort Edouard ? Il fe vengea de fes Ennemis
en grand homme : il mit le comble à faréputation
dans la Campagne de 1758 , & les
accabla du poids de fa gloire.
La difette affreufe de l'Automne 1757 , qui
dura jufqu'a la fin du Printemps 1758 , mit la
Colonie à deux doigts de fa perte. M. de Montcalm
avoit reçu de France le fecours de deux
bataillons très-affoiblis par une maladie épidémi-,
que qui les avoit attaqués fur la iner, Les Anglois
( e ) Les habitans de Québec étoient alors réduits à un
quarteron de pain par jour ,
JANVIE R. 1760. 209
toujours infiniment fupérieurs en nombre & ea
moyens , avoient été renforcés de plufieurs régimens
envoyés d'Europe. Le Lord Loudon venoit
d'être rappellé pendant l'Hiver & remplacé par
le Général Abercromby. Celui-ci fait tous fes
préparatifs pour entrer de bonne heure en campa
gne & prévenir le Marquis de Montcalm . Retardé
par le défaut de vivres , le Général François ne
put mettre en mouvement qu'au mois de Juin
les huit bataillons affoiblis, les uns par les pertes de
la Campagne précédente , les autres par la maladie.
Ces bataillons ne formoient en total que trois
mille trois cens hommes. M. de Montcalm fe
porta avec cette poignée de monde fur la frontière
du Lac Saint - Sacrement ; le Général Anglois
marchoit à lui avec une armée de plus de vingtfept
mille hommes. Si M. de Montcalm étoit
battu , il n'avoit aucune retraite ; l'Ennemi pouvoit
s'avancer jufqu'a Montréal & couper en deux
la Colonie. Le Héros du canada prend dans cette
extrémité le feul parti qu'il y avoit à prendre. Il
reconnoit & choifit lui-même une polition avantageufe
fur les hauteurs de Carillon ; il y fait
tracer un retranchement en abattis , laiffe un
bataillon pour commencer l'ouvrage, & en même
temps pour garder le fort , fait avec fa petite-
Armée un mouvement audacieux , en fe portant
à quatre lieues en avant , envoie reconnoître &
reconnoît lui - même la marche de l'Ennemi ,
l'examine , le tâte , lui en impofe par fa conte
nance. Cette manoeuvre digne des plus grands
Maîtres rallentit l'ardeur de la multitude ennemie,&
occafionne dans fes mouvemens une lenteur
dont M. de Montcalm fçait tirer avantage.
Ceci fe palloit le 6 Juillet 17 58. Il écrivit le
foir en ces termes à M. Doreil , Commillaire Or210
MERCURE DE FRANCE.
donnateur. Je n'ai que pour huit jours de vivres,
> point de Canadiens (f) , pas un feul Sauvage ;
> ils ne font point arrivés : j'ai affaire à une armée
i formidable ; malgré cela je ne défefpere de
> rien , j'ai de bonnes troupes. A la contenance
» de l'ennemi je vois qu'il tatonne ; fi , par fa
lenteur , il me donne le temps de gagner la
pofition que j'ai choifie fur les hauteurs de
» Carillon , & de m'y retrancher , je le battrai . ››
M. de Montcalmrfe replia dans la nuit du 6 au 7 ,
& fit faire à la hâte fon retranchement auquel
il travailla lui- même. L'abattis n'étoit pas encore
entierement achevé , lorfqu'il fut attaqué le 8-
Juillet par dix- huit mille hommes , avec la plus
grande valeur (g) . L'ennemi toujours repouffé
revient fept fois à la charge , où plutôt on combat
fept heures préfque fans relâche depuis` midi jufqu'à
la nuit : alors le découragement & l'effroi
s'emparent des Anglois ; & , cherchant leur falut
dans la fuite , il fe retirent l'efpace de douze lieues
jufques vers les ruines du fort George , laiffant
en chemin leurs bleffés , leurs vivres & leurs équi
pages. ( h)
Cettejournée à jamais glorieuſe pour la nation
(f) Quelques relations dífent qu'il avoit 1 5 ſauvages &
450 hommes , tant de la Colonie que de la marine , mais
que les fauvages abandonnèrent dans les montagnes le détachement
auquel ils fervoient de guide , & que les 450
hommes de la Colonie & de la marine demeurèrent postés
dans la plaine , & n'y furent point attaqués.
(g) M. le Chevalier de Lévi commandoit la droite de
notre armée , M. de Bourlamaque la gauche , M. de Montcalm
le centre.
(b) Le lendemain du combat , àla pointe du jour , M.
de Montcalm envoya M. le Chevalier de Lévi , fi digne de
fa confiance par fa valeur & fon habileté ; reconnoître ce
qu'étoit devenue l'armée Anglaife . Partout M de Léyi nẹ
trouva que les traces d'une fuite précipitée.
JANVIE R. 1760. 217
Françoife couta à l'ennemi , de fon aveu , fix
mille morts ou bleffés , dont trois mille cadavres
étoient au pied de l'abattis . Le Marquis de Montcalm
étoit partout ; fes difpofitions avoient préparé
la victoire , fon exemple la décida : ni les
Canadiens ni les Sauvages ne participèrent à
l'honneur de cette journée ; ils ne joignirent l'Armée
que cinq jours après. Les foldats , pendant
le combat crioient à chaque inftant : Vive le
Roi & notre Général ! C'elt cette confiance por-`
tée jufqu'à l'entoufiafme qui fait le fort des batail-'
les : une Armée eft presque toujours affurée de
vaincre quand elle le croit invincible , & l'opinion
qu'elle a d'elle-même dépend furtout de
l'idée qu'elle a de ſon Chef.
..
לכ
En écrivant au mêine M. Doreil , dù champ
de bataille à huit heures du foir , voici comment
s'exprimoit ce Vainqueur auffi modefte dans le
triomphe qu'intrépide dans le combat : » l'Armée
»& trop petite Armée du Roi vient de battre fes>
>> ennemis. Quelle journée pour la France ! Siv
» j'avois eu deux cens Sauvages pour fervir de
» tête à un détachement de mille hommes d'élite ,
>> dont j'aurois confié le commandement au
>> Chevalier de Lévi , il n'en feroit pas échappé
» beaucoup dans leur fuite . Ah ! quelles troupes ,
>> mon cher Doreil , que les nôtres ! je n'en ai
»jamais vu de pareilles : que n'étoient- elles à
Louifbourg » Cette lettre eft digne de M. de
Turenne comme l'action qui en eft le fujet.
Dans la relation qu'il envoya le lendemain à
M. le Marquis de Vaudreuil après avoir fait
l'éloge des troupes en général , celui de MM. de
Lévi , de Bourlamaque , Officiers fupérieurs &
de la plus grande diftinction , des Commandans
des Corps , & pour ainfi dire de chaque Officier
en particulier , il ajoutoit Pour moi je n'ai
λ
2
212 MERCURE DE FRANCE.
que le mérite de m'être trouvé Général de
aufli valeureuſes.
>> troupes
Il eut toujours la même attention de rendre à
chacun de fes Officiers la part qu'ils avoient à
fa gloire. J'ai lu dans une lettre qu'il écrivit du
Camp de Carillon le 28 Septembre . » M. le Che-
» valier de Lévi qui connoît très- bien cette fron-
» tière , y a fait les meilleures difpofitions du
» monde , & je les ai fuivies.
.
Il y a de lui une infinité de traits qui caractérifent
le patriote , le guerrier , l'homme jufte ,
vertueux & modefte ; mais la diſtance des lieux
ne m'a pas permis d'en recueillir les preuves 3
& comme je ne veux dire que la vérité , je n'ai
pas cru devoir m'en tenir à la tradition , qui s'altere
de bouche en bouche.
La conftance & la réfolution furent de toutes
fes vertus les plus éprouvées & les plus éclatanres
; mais elles n'avoient rien d'une présomption
aveugle ; & perfonne ne voyoit mieux que lui
les dangers qu'il alloit courir.
Il écrivoit de Montréal le 14 Avril 1759 , » Le
» nouveau Général Anglois Amherſt a de gran-
» des forces & de grands moyens , 22 bataillons
de troupes réglées , plus de 30000 hommes de
milices auffi les Anglois comptent attaquer
» le Canada par plufieurs endroits & l'envahir.
Nous avons fauvé cette Colonie l'année der-
> nière par un fuccès qui tient quafi du prodige.
Faut il en efpérer un pareil ? il faudra au
> moins le tenter. Quel dommage que nous
n'ayons pas un plus grand nombre d'auffi va-
>> leureux foldats ! » L'arrivée de l'Efcadre Angloife
, en mettant le comble aux dangers qui
menaçoient la Colonie , ne fit que redoubler le
courage & le zèle de fon défenſeur .
On n'eft que trop inftruit du détail du combat
JANVIER . 1760. 213
qui a précédé la prife de Québec , & dans lequel
a péri M. de Montcalm. Tous les effets qu'on
peut attendre de la prudence , de la valeur , de
l'activité d'un Général , avoient été employés
par celui- ci , foit pour défendre à l'Ennemi l'approche
de la Ville , foit pour conferver la communication
de l'armée avec les vailleaux qui
avoient remonté le fleuve , & où les vivres
étoient déposés.
Le combat du 31 Juillet , où huit cens Grenadiers
Anglois refterent fur la place à l'attaque du
camp de Beauport qu'ils ne purent jamais forcer ,
quoique la gauche du camp qu'ils attaquoient
efit à foutenir en même temps le feu croiſé de
plus de 80 pièces d'artillerie ; ce combat , dis-je ,
prouve affez la bonté du pofte & l'intrépide réfolution
de celui qui le défendoit ( i ) .
La communication avec les vivres ne fut pas
moins courageufement défendue . Quatre fois
les Anglois tenterent de débarquer au- deffous de
Québec , & quatre fois M. de Bougainville chargé
du foin pénible & critique de couvrir quinze
lieues de pays avec une poignée de monde répandue
fur le rivage , les repouffe & les oblige
de s'éloigner , quoique toujours fupérieurs en
nombre , & foutenus par le feu des frégates qui
les protégeoient. Mais comment une Armée de
huit à neuf mille hommes répandue fur la rivé
d'un fleuve immenfe auroit - elle pu la rendre
inacceffible dans toute fon étendue à dix mille
hommes de troupes réglées , qui , au moyen d'une
flotte de vingt cinq vaiffeaux de guerre , de trente
(i) Je ne dois pas négliger de dire , à la gloire de M. le
Chevalier de Lévi , que c'etoit lui qui avoit demandé que
se camp , dont la gauche n'étoit d'abord appuyée qu'au
ruiffeau de Beauport , fût étendu juſqu'à la riviere de Montmorenci
, dont le paffage étoit plus difficile .
214 MERCURE DE FRANCE
frégates & d'environ cent quatre-vingt bâtimens
de tranfport , exécutoient fur le fleuve & à la faveur
de la marée & de la nuit , des mouvemens
continuels & rapides qu'il étoit impotlible à nos
troupes de terre de prévoir , d'obferver & de
fuivre? Ces infatigables troupes n'avoient , pas
aillé que de faire face partout , de défendre ce
rivage pendant plus de deux mois , prodige incroyable
de vigilance ( k) & d'activité , Torfqu'enfin
le 13 Septembre , tandis que M. de
Bougainville étoit occupé au Cap- rouge , trois
lieues au-deflus de Québec , par les démonftrations
d'une attaque , les Anglois furprirent &
forcerent pendant la nuit un pofte à demie lieue
de la Ville & s'y établirent avant le jour.
M. de Montcalm accourut du camp de Beauport
avec trois mille hommes ; il en trouva
fix mille de débarqués ; & plein de cette noble
ardeur qui avoit toujours décidé la victoire , il
réfolut de les attaquer avant qu'ils fuffent en
plus grand nombre. Dans cette action décifive &
meurtriere , il fut bleflé de deux coups de feu ;
& ce moment fatal fut le premier où la victoire
l'abandonna ( 1 ) . Quoique bleffé mortellement
il eut le courage de refter à cheval , & fit luianême
la retraite de l'armée fous les murailles
de Québec , ou plutôt fur les débris de ces murailles
que l'artillerie Angloife battoit fans relâche
( k ) Le détachement de M. de Bougainville avoit paſſé
trois mois au Bivouac .
( 2 ) Il est très - certain que M. de Bougainville ne fut
averti au Cap rouge du débarquement des Anglois qu'à
zeuf heures du matin , & qu'ayant plus de trois lieues de
chemin à faire , il ne put arriver fur le champ de bataille
qu'après la déroute. Il n'en fit pas moins bonne contenance
, & fa retraite comme fa conduite dans cette pénible
campagne , a justifié pleinement la confiance que M. de
Montcalm avoit en lui.
JAN VIER. 1760. LIS
د ر
depuis deux mois. Il entra dans cette Ville ruinée ,
donna les ordres à tout , fe fit panfer , interrogea
le Chirurgien ; & fur la réponſe , dit au Lieutenant
de Roi & au Commandant de Royal Rouffillon
, Meffieurs , je vous recommande de
ménager l'honneur de la France , & de tâcher
»que ma petite armée puiffe fe retirer cette nuit
» au delà de la riviere du Cap- rouge , pour joindre
le Corps aux ordres de M. de Bougainville
: pour moi je vais la paller avec Dieu , &
me préparer à la mort . Qu'on ne me parle
» plus d'autres chofes. » Il mourut en Héros le
lendemain 14 Septembre à cinq heures du matin,
& fut enterré fans fafte dans un trou de bombe ,
fépulture digne d'un homme qui avoit réfolu de
défendre le Canada ou de s'enfevelir fous fes
ruines ( m ).
Je n'ai eu qu'à raconter les faits dans toute
lear fimplicité , pour faire des talents & des vertus
militaires de M. le Marquis de Montcalm un
éloge peut-être unique. L'Hiftoire les atteftera ,
& la postérité aura peine à les croire ; mais la
Colonie qu'il a défendue , les Guerriers qu'il a
commandés (n ) , les ennemis qu'il a vaincus
tant de fois, en rendront d'éclatans témoignages ;
& ces mêmes Sauvages qu'il a étonnés par des
prodiges de conftance , de réfolution & de valeur
, montreront à leurs enfans dans leurs dé-
(m)Les Anglois lui ont rendu les mêmes honneurs funébres
qu'au Général Wolf tué dans le même combat .
( n) L'un d'eux écrit du Canada : » Je ne me confo-
" lerai jamais de la perte de mon Général ; qu'elle eft
grande & pour nous & pour ce pays & pour l'Etat !
,, C'étoit un bon Général , un Citoyen zélé , un ami folide ,
,, un Pere pour nous tous. Il a été enlevé au moment de
,, jouir du fruit d'une campagne que M. de Turenne n'au
défavouée. Tous les jours je le chercherai , &
tous les jours ma douleur fera plus vive,
23 roit
pas
216 MERCURE DE FRANCE.
ferts inhabités les traces de ce Guerrier qui les
menoit à la victoire , & les lieux où ils ont eu
la gloire de combattre & de vaincre avec lui .
C'elt furtout dans le coeur des François que M.
de Montcalm doit fe furvivre . Notre Nation
qu'on accufe d'oublier trop ailément les grands
hommes qu'elle a perdus , eft profondément
frappée de la mort de celui-ci , & lui donne les
plus juftes larmes.
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Résumé : MORTS. ÉLOGE HISTORIQUE DE M. LE MARQUIS DE MONTCALM.
Le Marquis de Montcalm, né en 1712, fut un militaire français distingué pour son dévouement et ses sacrifices pour l'État. Il débuta sa carrière au Régiment de Hainault Infanterie et gravit les échelons jusqu'à devenir Lieutenant-Général des Armées du Roi et commandant en chef des troupes françaises en Amérique septentrionale. Montcalm était également un érudit, maîtrisant les langues grecque et latine, et conservant un goût pour l'étude tout au long de sa carrière. Montcalm servit avec distinction dans plusieurs campagnes en Europe et en Amérique. En Amérique, il montra une bravoure exceptionnelle, une grande prudence et une résolution courageuse, menant des troupes françaises et des alliés autochtones contre des forces ennemies supérieures en nombre. Ses campagnes, notamment autour du lac Saint-Sacrement et du fort Carillon, furent marquées par des victoires stratégiques et des manœuvres audacieuses. En 1759-1760, Montcalm et ses troupes, sous les ordres de Lévi et Bourlamaque, remportèrent une victoire significative contre les forces ennemies. La bataille coûta à l'ennemi environ six mille morts ou blessés, avec trois mille cadavres près de l'abattis. Les Canadiens et les Sauvages ne participèrent pas à cette victoire, rejoignant l'armée cinq jours plus tard. Les soldats crièrent 'Vive le Roi et notre Général!' durant le combat, reflétant leur confiance en Montcalm. Montcalm écrivit à Doreil pour exprimer sa satisfaction de la victoire et regretta de ne pas avoir plus de troupes pour poursuivre l'ennemi. Il loua également ses officiers et soldats, soulignant leur valeur et leur discipline. Dans une lettre à Vaudreuil, il attribua la victoire aux dispositions prises et à l'exemple donné par lui-même. La défense de Québec contre les forces anglaises fut marquée par des combats acharnés pour protéger les vivres et les communications. Montcalm fut blessé mortellement lors d'une bataille décisive près de Québec et mourut le 14 septembre 1760. Ses dernières paroles furent de recommander à ses officiers de préserver l'honneur de la France. Les ennemis et les alliés de Montcalm témoignèrent de ses talents militaires et de ses vertus.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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137
p. 51
VERS à S. A. S. Mgr le Prince de CONDÉ.
Début :
CONDÉ, reviens couvert de gloire, [...]
Mots clefs :
Gloire, Victoire, Guerre, Vengeur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VERS à S. A. S. Mgr le Prince de CONDÉ.
VERS à S. A. S. Mgr le Prince de
CONDE.
CONDE , reviens couvert de gloire ,
>
Goûter , à l'ombre des lauriers
Que t'a moiffonnés la Victoire ,
Le fruits de tes travaux guerriers ;
Et dépofant au pied du Trône
Le foudre vengeur de Bellonne ,
Reviens jouir d'un doux repos .
Ainfi Mars quittoit fon Tonnèrre ,
Et loin des horreurs de la guèrre ,
S'alloit délaffer à Paphos.
CONDE.
CONDE , reviens couvert de gloire ,
>
Goûter , à l'ombre des lauriers
Que t'a moiffonnés la Victoire ,
Le fruits de tes travaux guerriers ;
Et dépofant au pied du Trône
Le foudre vengeur de Bellonne ,
Reviens jouir d'un doux repos .
Ainfi Mars quittoit fon Tonnèrre ,
Et loin des horreurs de la guèrre ,
S'alloit délaffer à Paphos.
Fermer
138
p. 39
A son ALTESSE SÉRÉNISSIME Mgr le Prince DE CONDÉ.
Début :
ILLUSTRE rejetton du sang le plus auguste, [...]
Mots clefs :
Vainqueur, Amour, Gloire, France
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : A son ALTESSE SÉRÉNISSIME Mgr le Prince DE CONDÉ.
A fon ALTESSE SÉRÉNISSIME
Mgr le Prince DE CONDÉ.
ILLUSTRE rejetton du ſang le plus auguſte ;
Jeune CONDÉ , Veux- tu fçavoir au juſte
La meſure d'amour que la France a pour toi ?
Ton coeur a tout le feu du vainqueur de Rocroi ;
Tu n'as cherché que la Victoire :
Eh bien la France t'aime autant , que toi la
gloire.
Par la MUSE LIMONADIERE.
Mgr le Prince DE CONDÉ.
ILLUSTRE rejetton du ſang le plus auguſte ;
Jeune CONDÉ , Veux- tu fçavoir au juſte
La meſure d'amour que la France a pour toi ?
Ton coeur a tout le feu du vainqueur de Rocroi ;
Tu n'as cherché que la Victoire :
Eh bien la France t'aime autant , que toi la
gloire.
Par la MUSE LIMONADIERE.
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139
p. 57-58
Sur la paix avec l'Angleterre.
Début :
NIVERNOIS, ma Patrie, à quelle gloire insigne [...]
Mots clefs :
Patrie, Gloire, Traité, Mazarini
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Sur la paix avec l'Angleterre.
Sur la paix avec l'Angleterre.
NIVERNOIS , ma Patrie , à quelle gloire infigne:
Ton renom , par la Paix , va - t- il être porté?-
Mazarini , ton Chef , rédige le Traité ;
Cv
58 MERCURE DE FRANCE .
Et l'un de res enfans le confacre & le figne.
N'envions déſormais ni le rang , ni l'éclat ,
Qu'emprunte de Paris l'lfle- de- France altière :
La Province qui rend le calme à tout l'Etat
En eft à coup für la première.
Par le même.
* La plupart des biens patrimoniaux de
M. le Duc de Praflinfont fitués dans le Nivernois.
NIVERNOIS , ma Patrie , à quelle gloire infigne:
Ton renom , par la Paix , va - t- il être porté?-
Mazarini , ton Chef , rédige le Traité ;
Cv
58 MERCURE DE FRANCE .
Et l'un de res enfans le confacre & le figne.
N'envions déſormais ni le rang , ni l'éclat ,
Qu'emprunte de Paris l'lfle- de- France altière :
La Province qui rend le calme à tout l'Etat
En eft à coup für la première.
Par le même.
* La plupart des biens patrimoniaux de
M. le Duc de Praflinfont fitués dans le Nivernois.
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Résumé : Sur la paix avec l'Angleterre.
Le texte évoque la paix avec l'Angleterre et la contribution du Nivernois. Mazarin rédige le traité, signé par un enfant du Nivernois. Cette province, apportant le calme à l'État, devient la première. Les biens du Duc de Praslin se trouvent principalement dans le Nivernois.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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140
p. 139-140
SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces fugitives. NOUVELLE INSCRIPTION, Pour être mise sur le Mausolée de M. DE CRÉBILLON.
Début :
O TOI, qui dans la Tombe emportes nos regrets ! [...]
Mots clefs :
Tombe, Gloire, Mémoire
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texteReconnaissance textuelle : SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces fugitives. NOUVELLE INSCRIPTION, Pour être mise sur le Mausolée de M. DE CRÉBILLON.
SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces
fugitives.
NOUVELLE INSCRIPTION ,
Pour être mife fur le Maufolée de M. DE CRÉ-
ΤΟΙ ,
BILLON.
qui dans la Tombe emportes nos regrets
!
La gloire te couronne au centre de la Paix.
Crébillon , Ecrivain ſublime ,
Ta mémoire à nos coeurs devient chère à jamais.
De ton Roi, de tous les Français ,
Ces marbres immortels te confacrent l'eftime.
1
140 MERCURE DE FRANCE.
HUNC Tumulum juffu Ludovici XV
Generofiffimi Artium renumeratoris ,
Pofuit
MARCHIO DE MARIGNY,
Regalium Præfectus Edificiorum ,
Anno Reparatæ Salutis ....Die... Menfis ....
Quam Mirantes Ampliffimam ingenii
Mercedem ,
Gens acclamat Erudita ,
Studiofa virtus triumphat & accenditur ;
Invidia autem erubefcit & tacet.
BRUNET .
fugitives.
NOUVELLE INSCRIPTION ,
Pour être mife fur le Maufolée de M. DE CRÉ-
ΤΟΙ ,
BILLON.
qui dans la Tombe emportes nos regrets
!
La gloire te couronne au centre de la Paix.
Crébillon , Ecrivain ſublime ,
Ta mémoire à nos coeurs devient chère à jamais.
De ton Roi, de tous les Français ,
Ces marbres immortels te confacrent l'eftime.
1
140 MERCURE DE FRANCE.
HUNC Tumulum juffu Ludovici XV
Generofiffimi Artium renumeratoris ,
Pofuit
MARCHIO DE MARIGNY,
Regalium Præfectus Edificiorum ,
Anno Reparatæ Salutis ....Die... Menfis ....
Quam Mirantes Ampliffimam ingenii
Mercedem ,
Gens acclamat Erudita ,
Studiofa virtus triumphat & accenditur ;
Invidia autem erubefcit & tacet.
BRUNET .
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Résumé : SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces fugitives. NOUVELLE INSCRIPTION, Pour être mise sur le Mausolée de M. DE CRÉBILLON.
Le texte est un supplément à un article sur des pièces fugitives, présentant une nouvelle inscription pour le mausolée de Crébillon. Cette inscription honore Crébillon comme un écrivain sublime, dont la mémoire est chère aux Français. Commandée par Louis XV et placée par le marquis de Marigny, elle souligne l'admiration pour le génie de Crébillon et la victoire de la vertu studieuse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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141
p. 24-25
VERS sur le mariage de Mlle DE DROMESNIL, avec M. le Marquis DE BELSUNCE. Par M. TANEVOT.
Début :
Allez, Hymen, vous couronner de gloire, [...]
Mots clefs :
Hymen, Gloire, Berger
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texteReconnaissance textuelle : VERS sur le mariage de Mlle DE DROMESNIL, avec M. le Marquis DE BELSUNCE. Par M. TANEVOT.
VERS fur le mariage de Mlle DE
DROMESNIL , avec M. le
Marquis DE BELSUNCE.
Par M. TANEVOT.
vous couronner de
ALLEZ ,
Hymen ,
gloire ,
Allez jouir d'une double victoire ,
Et , dans un champ fertile en Myrthes ,
riers ,
Unir encor les Grâces aux Guerriers.
Ainfi les guirlandes d'Armide
en Laus
Enchaînoient de Renaud le courege intrépide;
Des feux plus purs , chaftes Epoux ,
Vous préfagent un fort plus doux.
Aimable Dromefnil , d'une Soeur fortunée ,
Goûtez la même deſtinée ;
L'on vous verra briller autant :
Telle , dans les Jardins de Flore >
Une Rofe qui vient d'éclore ,
D'une autre auffi vermeille eft fuivie à l'inftanti
S des trois Déeffes rivales ,
Quelqu'une avoit eu vos appas ,
Sur ce Mont * fameux , leurs débats ,
* Le Mont Ida.
De
MARS. 1763. 25
De tant de maux , ſources fatales ,
N'auroient pas occupé beaucoup
Ce beau Berger que l'on renomme:
La Diſcorde eût manqué fon coup,
On n'eût point diſputé la Pomme.
BELSUNCE , armé de tous les traits
Que l'on forge à Paphos , fubjugue vos attraits .
Tout applaudit dans cette fête ,
A fon bonheur , à la conquête.
Nouveau triomphe des Amours ,
Non des zéphirs , volages dans leurs cours.
*
O vous , donc , Nymphe enchantereſſe ,
Allez aux pieds d'une augufte Princeſſe ,
Cultiver des Vertus dont l'agréable odeur
Parfume votre jeune coeur :
C'est l'hommage qu'Elle defire ,
Et tout l'Encens qu'Elle refpire..
DROMESNIL , avec M. le
Marquis DE BELSUNCE.
Par M. TANEVOT.
vous couronner de
ALLEZ ,
Hymen ,
gloire ,
Allez jouir d'une double victoire ,
Et , dans un champ fertile en Myrthes ,
riers ,
Unir encor les Grâces aux Guerriers.
Ainfi les guirlandes d'Armide
en Laus
Enchaînoient de Renaud le courege intrépide;
Des feux plus purs , chaftes Epoux ,
Vous préfagent un fort plus doux.
Aimable Dromefnil , d'une Soeur fortunée ,
Goûtez la même deſtinée ;
L'on vous verra briller autant :
Telle , dans les Jardins de Flore >
Une Rofe qui vient d'éclore ,
D'une autre auffi vermeille eft fuivie à l'inftanti
S des trois Déeffes rivales ,
Quelqu'une avoit eu vos appas ,
Sur ce Mont * fameux , leurs débats ,
* Le Mont Ida.
De
MARS. 1763. 25
De tant de maux , ſources fatales ,
N'auroient pas occupé beaucoup
Ce beau Berger que l'on renomme:
La Diſcorde eût manqué fon coup,
On n'eût point diſputé la Pomme.
BELSUNCE , armé de tous les traits
Que l'on forge à Paphos , fubjugue vos attraits .
Tout applaudit dans cette fête ,
A fon bonheur , à la conquête.
Nouveau triomphe des Amours ,
Non des zéphirs , volages dans leurs cours.
*
O vous , donc , Nymphe enchantereſſe ,
Allez aux pieds d'une augufte Princeſſe ,
Cultiver des Vertus dont l'agréable odeur
Parfume votre jeune coeur :
C'est l'hommage qu'Elle defire ,
Et tout l'Encens qu'Elle refpire..
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Résumé : VERS sur le mariage de Mlle DE DROMESNIL, avec M. le Marquis DE BELSUNCE. Par M. TANEVOT.
Le poème célèbre le mariage de Mlle de Dromesnil avec le Marquis de Belsunce en mars 1763. L'auteur, M. Tanévot, invite les nouveaux époux à savourer leur bonheur et à unir les grâces aux qualités guerrières. Il compare la beauté de Mlle de Dromesnil à celle d'une rose nouvellement éclose, évoquant la rivalité des déesses sur le Mont Ida. Le Marquis de Belsunce est décrit comme ayant conquis son épouse grâce aux traits de l'amour. Le poème souligne le bonheur partagé par tous à l'occasion de cette union. Il exhorte la mariée à cultiver des vertus agréables, en hommage à une auguste princesse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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142
p. 62
VERS faits pour une Estampe du Médaillon de Mgr le Prince DE CONDÉ, envoyée chez plusieurs Dames.
Début :
SOIT qu'il combatte ou qu'il soupire, [...]
Mots clefs :
Médaillon, Estampe, Dames, Sort, Plaisir, Gloire, Amour
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texteReconnaissance textuelle : VERS faits pour une Estampe du Médaillon de Mgr le Prince DE CONDÉ, envoyée chez plusieurs Dames.
VERS faits pour une Eftampe du
Médaillon de Mgr le Prince DE
CONDÉ , envoyée chez plufieurs
Dames.
Soir qu'il combatte on qu'il ſoupire ,
Il eſt également heureux :
Le Sort s'empreffe à lui fourire ,
Le Plaifir à combler fes voeux.
1
Sa voix foumet les plus cruelles ,
La Gloire fuit fes étendarts :
Il est l'Amour auprès des Belles ,
Dans fon camp il eft le Dieu Mars.
Par l'Auteur des Versprécédens.
Médaillon de Mgr le Prince DE
CONDÉ , envoyée chez plufieurs
Dames.
Soir qu'il combatte on qu'il ſoupire ,
Il eſt également heureux :
Le Sort s'empreffe à lui fourire ,
Le Plaifir à combler fes voeux.
1
Sa voix foumet les plus cruelles ,
La Gloire fuit fes étendarts :
Il est l'Amour auprès des Belles ,
Dans fon camp il eft le Dieu Mars.
Par l'Auteur des Versprécédens.
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143
s. p.
EPITRE d'un Curé du N.. à Madame la Marquise de S. R. à Paris.
Début :
DE votre voix l'attrait persuasif [...]
Mots clefs :
Église, Cœur, Gloire, Amour, Voix
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texteReconnaissance textuelle : EPITRE d'un Curé du N.. à Madame la Marquise de S. R. à Paris.
EPITRE d'un Curé du N.. à Madame
la Marquife de S. R. à Paris.
D.E votre voix l'attrait perſuaſif
Sçut m'arracher jadis , fage Marquife ,
D'un lieu de peine * , où les loix de l'Eglife
Depuis un an me retenoient captif.
Avec encor plus de force & d'empire ,
*Le Séminaire.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
La même voix me réveille & me tire
D'un froid repos dont , loin de l'hélicon
Le défeſpoir de grimper à fa cime ,
Et de cueillir le laurier de la rime ,
Avoit fajfi mon timide Apollon."
Oui , dans la douce & charmante carrière ,
Où , dès l'abord , mes premières chanfons
Avoient eu l'art ou le bonheur de plaire ,
Je fommeillois couché fous la barrière.
Avois-je tort ? Ecoutez mes raiſons .
Un bon Poëte , ainſi que tout grand-homme ,
Tout bien compté , Madame, n'eft en lomme,
Que l'effet feul de quelque paffion ,
Rapide , ardente , & pleine d'action ,
Dont le feu vif faifit , pénétre , enflamme ,
Brule fon coeur des plus hardis tranſports :
Ainfi que l'âme eſt le reffort du corps ,
Les Paffions font le reffort de l'âme.
La gloire , l'or , l'amour , l'ambition ;
Tel eft l'inftinct des actions fublimes ,
Des grands talens , des vertus & des crimes.
Qui n'eft piqué de ce vif aiguillon ,
Foible jouet d'efforts pufillanimes ,
Au champ de Mars n'eft jamais qu'un poltron ,
Au double- mont qu'un Raccolleur de rimes .
Les Paffions font la divinité
Que , fous le nom de Démon , de Génie ,
De Muſe , enfin de Dieux de l'harmonie ,
Chanta jadis la docte antiquité.
M A I. 1763. 7
Or appliquons cette maxime fûre.
D'un pauvre hère , à qui , pour fon malheur ,
L'ordre du Sort confia la pâture
Et le falut du troupeau du Seigneur ;
D'un Preſtolet , vrai Pâtre évangélique ,
Fait pour trotter , fans repos & fans fin ,
Sur tous les pas d'un animal ruſtique ,
A mille écarts par fa malice enclin :
Si quelquefois , las de courir en vain ,
Affis le foir au bord d'une prairie ,
Au lieu d'aller irriter fon chagrin ,
Par quelque trifte & fotte rêverie ,
Sur des pipeaux affemblés de fa main ,
Pour le diftraire , il lui prend fantaiſie
De frédonner quelqu'air vif & badin ,
Quelle fera fa-muſe , ſon génie !
L'ambition ? Mais la fienne eft remplie
Quand les amis , ou fon heureux deftin
.8.30 °
1
Ont pu le mettre à l'abri de la * faim.( a )
1001
La foif de l'or ? Eh ! comment pourroit naître
Če fol defir au coeur étroit d'un être ,
F
Qui quelquefois n'a pas fon faoul de pain ? ( b )
L'amour O ciel , d'une telle foibleffe
201 I
Daigne à jamais fauver fon chafte coeur :
D'un triple acier défends- en la froideur
t
Voyez la fin de la Piéce , où l'on a renvoyé
les Notes pour la commodité de ceux qui ne voú,
dront pas les lire,
A iv .
8 MERCURE DE FRANCE.
Contre les feux d'une oeillade traîtreffe ;
Tour , jufqu'à l'air du Dieu de la tendreffe
Doir pour un Prêtre être un objet d'horreur.
La gloire Hélas ! des Pafteurs de l'Eglife ,
Depuis longtemps le mondain orgireilletix.c
Borne la gloire au foin religieux.
De bien remplir des devoirs qu'il mépriſe.
Etrange état que l'état clérical !
Aux yeur d'un fiècle où la licence regne ,
Un Prêtre eft-il modefte ? on le délaigne :
Dail
C'est un cagot , un Sage machinal il
Eft-il doué d'un efprit vif, aimable ;
Par fois au jeu , dans les cercles , à table ,
Léger ,badin , fémillant , jovial ?
Tout eft perdu : fa gaîté fcandalife
Tout à la fois & le monde , & l'Eglife.
Eft-if néé doux ? C'eſt un bon animal ,
en fr for permettre .
Devant lequel on fçait tout le
Entit zélé , fermé ? C'est un brutal
Un orgueilleux qui voudroit tout foumettre
Aujoug facré du bâton Paftoral.
As Rock the rodette
Enfin , qui fcait , fur cette mer
stileb ich 90
obliqué ,
Guider la nef , d'un cours toujours égal
Entre l'amour & l'eftime publique
Sans donner onc en nul écueil fatal ,
N'eft pas un Sot ; & , dans ce temps critique,
-Malgré les flors , les vents , & les Anglois
Des bords Bretons jufqu'à la Märtinique.,
M.A 1. 1763.
Pourroit paller vingt Régimens François.
Mais rev enons. Du Lyrique rivage
Mainte raiſons m'interdifant l'accès ,
J'avois fait vou, clos dans mon hermitage,
D'en oublier pour toujours le langage,
Et rachetant par un filence fage
Le temps perdu de mes foibles éſſais ,
De confacrer tous mes foins déformais
Aux feuls devoirs où mon état m'engage.
De ce deffein qu'encore affermiffoir
Certain penchant à la fainéantiſe ,
Vice qu'on fçait fi cher aux gens d'Eglife ,
Et que mon coeur idolâtre en fecret ,
Par vos diſcours, éloquente Marquise ,
Vous m'excitez à rompre le projet.
Vos volontés font des loix que j'adore.
Sans oppofer nulle vaine raifon
A des defirs dont le motif m'honore ,
Je céde , & vais , pour quelques jours encore
Porter mes pas dans le facré vallon .
Si pour monter juſqu'aux lieux deſirables ,
Où les neuf Soeurs , loin des vulgaires yeux ,
Ont établi leur ſéjour radieux ,
Et révélé tant de fecrets aimables
Aux Arrquets , aux Rouffeaus , aux Chaulieux ,
J'avois befoin des aîles fecourables
De quelqu'inting plein de nerf & d'ardeur ,
Le fouvenir profond qu'en traits de flamme
Ont imprimé vos bienfaits en mon âme ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE . ,
Sera mon guide & mon introducteur.
"
A. D. d. P. le .... 1762 .
la Marquife de S. R. à Paris.
D.E votre voix l'attrait perſuaſif
Sçut m'arracher jadis , fage Marquife ,
D'un lieu de peine * , où les loix de l'Eglife
Depuis un an me retenoient captif.
Avec encor plus de force & d'empire ,
*Le Séminaire.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
La même voix me réveille & me tire
D'un froid repos dont , loin de l'hélicon
Le défeſpoir de grimper à fa cime ,
Et de cueillir le laurier de la rime ,
Avoit fajfi mon timide Apollon."
Oui , dans la douce & charmante carrière ,
Où , dès l'abord , mes premières chanfons
Avoient eu l'art ou le bonheur de plaire ,
Je fommeillois couché fous la barrière.
Avois-je tort ? Ecoutez mes raiſons .
Un bon Poëte , ainſi que tout grand-homme ,
Tout bien compté , Madame, n'eft en lomme,
Que l'effet feul de quelque paffion ,
Rapide , ardente , & pleine d'action ,
Dont le feu vif faifit , pénétre , enflamme ,
Brule fon coeur des plus hardis tranſports :
Ainfi que l'âme eſt le reffort du corps ,
Les Paffions font le reffort de l'âme.
La gloire , l'or , l'amour , l'ambition ;
Tel eft l'inftinct des actions fublimes ,
Des grands talens , des vertus & des crimes.
Qui n'eft piqué de ce vif aiguillon ,
Foible jouet d'efforts pufillanimes ,
Au champ de Mars n'eft jamais qu'un poltron ,
Au double- mont qu'un Raccolleur de rimes .
Les Paffions font la divinité
Que , fous le nom de Démon , de Génie ,
De Muſe , enfin de Dieux de l'harmonie ,
Chanta jadis la docte antiquité.
M A I. 1763. 7
Or appliquons cette maxime fûre.
D'un pauvre hère , à qui , pour fon malheur ,
L'ordre du Sort confia la pâture
Et le falut du troupeau du Seigneur ;
D'un Preſtolet , vrai Pâtre évangélique ,
Fait pour trotter , fans repos & fans fin ,
Sur tous les pas d'un animal ruſtique ,
A mille écarts par fa malice enclin :
Si quelquefois , las de courir en vain ,
Affis le foir au bord d'une prairie ,
Au lieu d'aller irriter fon chagrin ,
Par quelque trifte & fotte rêverie ,
Sur des pipeaux affemblés de fa main ,
Pour le diftraire , il lui prend fantaiſie
De frédonner quelqu'air vif & badin ,
Quelle fera fa-muſe , ſon génie !
L'ambition ? Mais la fienne eft remplie
Quand les amis , ou fon heureux deftin
.8.30 °
1
Ont pu le mettre à l'abri de la * faim.( a )
1001
La foif de l'or ? Eh ! comment pourroit naître
Če fol defir au coeur étroit d'un être ,
F
Qui quelquefois n'a pas fon faoul de pain ? ( b )
L'amour O ciel , d'une telle foibleffe
201 I
Daigne à jamais fauver fon chafte coeur :
D'un triple acier défends- en la froideur
t
Voyez la fin de la Piéce , où l'on a renvoyé
les Notes pour la commodité de ceux qui ne voú,
dront pas les lire,
A iv .
8 MERCURE DE FRANCE.
Contre les feux d'une oeillade traîtreffe ;
Tour , jufqu'à l'air du Dieu de la tendreffe
Doir pour un Prêtre être un objet d'horreur.
La gloire Hélas ! des Pafteurs de l'Eglife ,
Depuis longtemps le mondain orgireilletix.c
Borne la gloire au foin religieux.
De bien remplir des devoirs qu'il mépriſe.
Etrange état que l'état clérical !
Aux yeur d'un fiècle où la licence regne ,
Un Prêtre eft-il modefte ? on le délaigne :
Dail
C'est un cagot , un Sage machinal il
Eft-il doué d'un efprit vif, aimable ;
Par fois au jeu , dans les cercles , à table ,
Léger ,badin , fémillant , jovial ?
Tout eft perdu : fa gaîté fcandalife
Tout à la fois & le monde , & l'Eglife.
Eft-if néé doux ? C'eſt un bon animal ,
en fr for permettre .
Devant lequel on fçait tout le
Entit zélé , fermé ? C'est un brutal
Un orgueilleux qui voudroit tout foumettre
Aujoug facré du bâton Paftoral.
As Rock the rodette
Enfin , qui fcait , fur cette mer
stileb ich 90
obliqué ,
Guider la nef , d'un cours toujours égal
Entre l'amour & l'eftime publique
Sans donner onc en nul écueil fatal ,
N'eft pas un Sot ; & , dans ce temps critique,
-Malgré les flors , les vents , & les Anglois
Des bords Bretons jufqu'à la Märtinique.,
M.A 1. 1763.
Pourroit paller vingt Régimens François.
Mais rev enons. Du Lyrique rivage
Mainte raiſons m'interdifant l'accès ,
J'avois fait vou, clos dans mon hermitage,
D'en oublier pour toujours le langage,
Et rachetant par un filence fage
Le temps perdu de mes foibles éſſais ,
De confacrer tous mes foins déformais
Aux feuls devoirs où mon état m'engage.
De ce deffein qu'encore affermiffoir
Certain penchant à la fainéantiſe ,
Vice qu'on fçait fi cher aux gens d'Eglife ,
Et que mon coeur idolâtre en fecret ,
Par vos diſcours, éloquente Marquise ,
Vous m'excitez à rompre le projet.
Vos volontés font des loix que j'adore.
Sans oppofer nulle vaine raifon
A des defirs dont le motif m'honore ,
Je céde , & vais , pour quelques jours encore
Porter mes pas dans le facré vallon .
Si pour monter juſqu'aux lieux deſirables ,
Où les neuf Soeurs , loin des vulgaires yeux ,
Ont établi leur ſéjour radieux ,
Et révélé tant de fecrets aimables
Aux Arrquets , aux Rouffeaus , aux Chaulieux ,
J'avois befoin des aîles fecourables
De quelqu'inting plein de nerf & d'ardeur ,
Le fouvenir profond qu'en traits de flamme
Ont imprimé vos bienfaits en mon âme ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE . ,
Sera mon guide & mon introducteur.
"
A. D. d. P. le .... 1762 .
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Résumé : EPITRE d'un Curé du N.. à Madame la Marquise de S. R. à Paris.
Dans une épître, un curé adresse un message à la marquise de S. R. à Paris. Il exprime sa gratitude envers la marquise, dont la voix persuasive l'a incité à quitter un lieu de peine, probablement le séminaire, et à sortir d'un état de désespoir littéraire. Le curé justifie son abandon temporaire de la poésie en affirmant que les passions sont essentielles pour créer des œuvres sublimes. Il décrit les passions comme le moteur des actions humaines, qu'elles soient nobles ou criminelles. Le curé se compare à un pasteur évangélique, chargé de la pâture et du salut du troupeau du Seigneur. Il se trouve confronté à des contraintes qui limitent ses aspirations poétiques. Il évoque l'ambition, la soif de l'or et l'amour comme des passions inaccessibles à un prêtre. Il déplore l'état clérical, où la modestie est délaissée et la gaieté devient scandaleuse. Il exprime la difficulté de naviguer entre les attentes du monde et celles de l'Église. Le curé révèle qu'il avait fait vœu d'oublier la poésie, mais les discours de la marquise l'incitent à revenir à cette passion. Il accepte de se rendre de nouveau dans le 'sacré vallon' pour quelques jours, guidé par le souvenir des bienfaits de la marquise.
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144
p. 106-111
LETTRE sur la Paix à M. le Comte de *** avec cette Epigraphe : Spes discite vestras. Virg. Eneïde 3. A Lyon 1763 ; brochure in-12. de 45. pages.
Début :
IL est peu question de la Paix dans cette Lettre, dont la Paix a cependant [...]
Mots clefs :
Point, Auteur, Nation, Lettre, Paix, Gloire, Caractère
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE sur la Paix à M. le Comte de *** avec cette Epigraphe : Spes discite vestras. Virg. Eneïde 3. A Lyon 1763 ; brochure in-12. de 45. pages.
LETTRE fur la Paix à M. le Comte
de **
cette Epigraphe ; Spes
·
difcite veftras. Virg . Eneide 3. A
Lyon 1763 ; brochure in- 12. de 45.
pages.
IL eft peu queftion de la Paix dans
cette Lettre , dont la Paix a cependant
été l'occafion , & où l'Auteur fe propofe
de faire voir que fi la gloire de la
MA I. 1763. 107
France a diminué , c'eſt l'effet du changement
arrivé dans les moeurs publiques.
Il ne s'agit pas ici des moeurs
dans le rapport qu'elles ont avec l'ordre
focial , mais avec le caractère dominant
de la nation ce qui deviendra plus
clair par cette image.
"
"
» Voyez fortir
» de fa cabane cet homme à la fleur
» de fon âge , qui ne pouvant fuppor-
» ter le repos , brûle d'effayer fes forces.
» La douceur eft dans fes yeux ; mais
» l'audace eft fur fon front , & fa dé-
» marche fière annonce l'intrépidité de
» fon âme. Il part , il va parcourir la
» terre ; il dit, elle eft à moi ; & la nature
» en me donnant le courage , m'a indiqué
ma deftination . Ma maffue n'é-
» crafera point le foible. J'irai, au fe-
» cours de quiconque ne pourra ſe dé-
» fendre lui-même; mais malheur à celui
» qui voudra borner mes droits ou en-
» chaîner mon bras : je viendrai mettre
29 fes dépouilles aux pieds de mon père ,
» & je me juftifierai de mes victoires ,
devant celle qui m'a donné le jour .
» Ainfi à l'honnêteté du fentiment qui le
» pénétre, & qui lui indique fes premiers
devoirs , fe joint une forte idée de fa
» fupériorité fur tout ce qui l'environne,
» Aucune entreprife ne l'épouvante, au-
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
>
cun projet ne l'étonne ; & loin de
» prévoir la mort , il n'imagine pas même
» la défaite . Eft - il terraffé par un rival
» plus robuſte ? La honte qu'il ne con-
» noiffoit point encore s'empare de fon
» âme. Il fe roule par terre ; il pouffe des
" cris de rage & de douleur , & jure en
» fe relevant, de ne point revoir le lieu de
» fa naiffance , qu'il n'ait vengé fon in-
» jure. Tel doit être , dit l'Auteur
le caractère d'une Nation qui afpire
à la gloire de mériter les regards de
l'Univers . Tel étoit le caractère de la
Nation Françoife ; & en lui montrant
ce qu'elle a ééttéé , l'Auteur aime à lui
faire appercevoir ce qu'elle peut être
encore . Autrefois , & fans remonter
plus haut que le dernier Siécle , ,, la
» joie ou la confternation qui naifſoit
" des fuccès ou des revers , étoit un
» fentiment profond qui affectoit l'âme
» & qui ne la rendoit que plus active.
» Lorfque Louis- le-Grand puniffoit Génes
ou Alger, il n'y avoit point de
» François qui ne crût que fa propre injure
étoit vengée. Si les Généraux
» ne méritoient pas toujours les ap-
» plaudiffemens des Peuples , au moins
, ils étoient fürs de leurs voeux. La
>» mort de Turenne fut amérement pleu
MA I. 1763. 109
rée par les rivaux de fa gloire. La
» baffe jaloufie qui quelquefois n'épar-
" gnoit pas la réputation des Grands
» Hommes , refpectoit au moins la
» fortune & l'état ; & elle eût entre-
» pris en vain de fupplanter un Héros
» lorfque fes victoires l'avoient rendu.
célébre , & fes talens néceffaires . Les
intrigues de laCour ne pénétroient pas
» encore dans les Camps ; & récipro-
» quement les méfintelligences des Ar-
» mées ne venoient point former des
» partis juſqu'aux pieds du Trône.
ود
A ce portrait l'Auteur en oppofe un
autre , où il peint les François tels
qu'il les fuppofe actuellement. » Depuis
bien des années , dit- il , j'ai enten-
» du beaucoup de belles paroles , &
» je n'ai prèfque point vû de grandes
» actions. J'ai vu nos Guerriers s'im-
» puter mutuellement des erreurs & des
» torts ; & ces malheureufes difputes ,
» tantôt le principe , & tantôt la fuite
» de nos revers , affliger la Patrie fans
» l'éclairer & ajouter à la fenfation
» du mal , l'incertitude de fa caufe qui
en éloignoit le reméde. J'ai vu cet
honneur national , qui repofe peutête
dans les antiques demeures de
cette pauvre & brave nobleffe , ca
MO MERCURE DE FRANCE.
chée dans nos campagnes , abandon
» ner infenfiblement cette partie de la
» Nation Françoife , qui fe montre ,
» qui s'agite , qui communique le mou-
" vement au corps politique , & qui
» malheureuſement éblouit les Peuples
» par fon éclat , & les entraîne par
» fon exemple. J'ai vu le François pu-
" blier lui- même fes difgrâces & n'en
plus rougir ; & ce qui eft peut - être le
» dernier période du mal , forcer fa
» raifon à juftifier par des fophifmes
» l'indifférence qu'il a témoignée pour
→ fon Pays.
Nous ne déciderons point de la vérité
de cet éloquent & ingénieux parallèle
; nous dirons feulement qu'il y
a eu peu de Siécles , où la Nation Fran
çoife ait donné plus de marques d'at
tachement pour fon Souverain , & de
zéle pour fa Patrie , que dans le nôtre.
La confternation générale de la France
pendant la maladie du Roi à Metz ; l'e mpreffement
univerfel à contribuer au rétabliffement
de la Marine , font des
faits que l'on pourroit oppofer aux plus
beaux parallèles . Quoiqu'il en foit , en
fuppofant le mal auffi grand qu'on nous
le repréfente , l'Auteur nous offre les
remédes qu'on peut y apporter ; &
M& A I. 1763.
HE
cette partie de fa lettre demande à être
lue dans l'Ouvrage même. Je n'en citerai
qu'un feul trait qui regarde les gens
de Finance . L'Auteur veut qu'on leur
dife : » ayez un fallon de moins , & éle-
» vez au milieu de cette Capitale une
» Statue au Grand Maurice. La ma-
" gnificence de ce Palais , les eaux de ce
» Parc vous.coûteront un million ; vous
pouvez épargner la moitié de cette
»dépenfe , & en relevant les ruines de cet
» établiffement qui s'écroule , vous ſe-
» rez le bienfaîteur d'une Province. Un
» jeune Gentilhomme plein de coura-
» ge & d'honneur s'eft fignalé dans nos
armées ; il eft inconnu à la Cour , &
» fa fortune ne lui laiffe que fon bras :
» allez lui offrir votre fille ; s'il l'accepte ,
vous aurez fait & pour l'Etat & pour
» vous , la plus importante des acquifi-.
» tions.
Cette lettre , quoique peut- être dictée
par un peu d'enthoufiafme, mérite néanmoins
d'être accueillie & confervée
comme l'ouvrage d'un homme d'efprit ,
d'un Ecrivain éloquent , & d'un excellent
Citoyen.
de **
cette Epigraphe ; Spes
·
difcite veftras. Virg . Eneide 3. A
Lyon 1763 ; brochure in- 12. de 45.
pages.
IL eft peu queftion de la Paix dans
cette Lettre , dont la Paix a cependant
été l'occafion , & où l'Auteur fe propofe
de faire voir que fi la gloire de la
MA I. 1763. 107
France a diminué , c'eſt l'effet du changement
arrivé dans les moeurs publiques.
Il ne s'agit pas ici des moeurs
dans le rapport qu'elles ont avec l'ordre
focial , mais avec le caractère dominant
de la nation ce qui deviendra plus
clair par cette image.
"
"
» Voyez fortir
» de fa cabane cet homme à la fleur
» de fon âge , qui ne pouvant fuppor-
» ter le repos , brûle d'effayer fes forces.
» La douceur eft dans fes yeux ; mais
» l'audace eft fur fon front , & fa dé-
» marche fière annonce l'intrépidité de
» fon âme. Il part , il va parcourir la
» terre ; il dit, elle eft à moi ; & la nature
» en me donnant le courage , m'a indiqué
ma deftination . Ma maffue n'é-
» crafera point le foible. J'irai, au fe-
» cours de quiconque ne pourra ſe dé-
» fendre lui-même; mais malheur à celui
» qui voudra borner mes droits ou en-
» chaîner mon bras : je viendrai mettre
29 fes dépouilles aux pieds de mon père ,
» & je me juftifierai de mes victoires ,
devant celle qui m'a donné le jour .
» Ainfi à l'honnêteté du fentiment qui le
» pénétre, & qui lui indique fes premiers
devoirs , fe joint une forte idée de fa
» fupériorité fur tout ce qui l'environne,
» Aucune entreprife ne l'épouvante, au-
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
>
cun projet ne l'étonne ; & loin de
» prévoir la mort , il n'imagine pas même
» la défaite . Eft - il terraffé par un rival
» plus robuſte ? La honte qu'il ne con-
» noiffoit point encore s'empare de fon
» âme. Il fe roule par terre ; il pouffe des
" cris de rage & de douleur , & jure en
» fe relevant, de ne point revoir le lieu de
» fa naiffance , qu'il n'ait vengé fon in-
» jure. Tel doit être , dit l'Auteur
le caractère d'une Nation qui afpire
à la gloire de mériter les regards de
l'Univers . Tel étoit le caractère de la
Nation Françoife ; & en lui montrant
ce qu'elle a ééttéé , l'Auteur aime à lui
faire appercevoir ce qu'elle peut être
encore . Autrefois , & fans remonter
plus haut que le dernier Siécle , ,, la
» joie ou la confternation qui naifſoit
" des fuccès ou des revers , étoit un
» fentiment profond qui affectoit l'âme
» & qui ne la rendoit que plus active.
» Lorfque Louis- le-Grand puniffoit Génes
ou Alger, il n'y avoit point de
» François qui ne crût que fa propre injure
étoit vengée. Si les Généraux
» ne méritoient pas toujours les ap-
» plaudiffemens des Peuples , au moins
, ils étoient fürs de leurs voeux. La
>» mort de Turenne fut amérement pleu
MA I. 1763. 109
rée par les rivaux de fa gloire. La
» baffe jaloufie qui quelquefois n'épar-
" gnoit pas la réputation des Grands
» Hommes , refpectoit au moins la
» fortune & l'état ; & elle eût entre-
» pris en vain de fupplanter un Héros
» lorfque fes victoires l'avoient rendu.
célébre , & fes talens néceffaires . Les
intrigues de laCour ne pénétroient pas
» encore dans les Camps ; & récipro-
» quement les méfintelligences des Ar-
» mées ne venoient point former des
» partis juſqu'aux pieds du Trône.
ود
A ce portrait l'Auteur en oppofe un
autre , où il peint les François tels
qu'il les fuppofe actuellement. » Depuis
bien des années , dit- il , j'ai enten-
» du beaucoup de belles paroles , &
» je n'ai prèfque point vû de grandes
» actions. J'ai vu nos Guerriers s'im-
» puter mutuellement des erreurs & des
» torts ; & ces malheureufes difputes ,
» tantôt le principe , & tantôt la fuite
» de nos revers , affliger la Patrie fans
» l'éclairer & ajouter à la fenfation
» du mal , l'incertitude de fa caufe qui
en éloignoit le reméde. J'ai vu cet
honneur national , qui repofe peutête
dans les antiques demeures de
cette pauvre & brave nobleffe , ca
MO MERCURE DE FRANCE.
chée dans nos campagnes , abandon
» ner infenfiblement cette partie de la
» Nation Françoife , qui fe montre ,
» qui s'agite , qui communique le mou-
" vement au corps politique , & qui
» malheureuſement éblouit les Peuples
» par fon éclat , & les entraîne par
» fon exemple. J'ai vu le François pu-
" blier lui- même fes difgrâces & n'en
plus rougir ; & ce qui eft peut - être le
» dernier période du mal , forcer fa
» raifon à juftifier par des fophifmes
» l'indifférence qu'il a témoignée pour
→ fon Pays.
Nous ne déciderons point de la vérité
de cet éloquent & ingénieux parallèle
; nous dirons feulement qu'il y
a eu peu de Siécles , où la Nation Fran
çoife ait donné plus de marques d'at
tachement pour fon Souverain , & de
zéle pour fa Patrie , que dans le nôtre.
La confternation générale de la France
pendant la maladie du Roi à Metz ; l'e mpreffement
univerfel à contribuer au rétabliffement
de la Marine , font des
faits que l'on pourroit oppofer aux plus
beaux parallèles . Quoiqu'il en foit , en
fuppofant le mal auffi grand qu'on nous
le repréfente , l'Auteur nous offre les
remédes qu'on peut y apporter ; &
M& A I. 1763.
HE
cette partie de fa lettre demande à être
lue dans l'Ouvrage même. Je n'en citerai
qu'un feul trait qui regarde les gens
de Finance . L'Auteur veut qu'on leur
dife : » ayez un fallon de moins , & éle-
» vez au milieu de cette Capitale une
» Statue au Grand Maurice. La ma-
" gnificence de ce Palais , les eaux de ce
» Parc vous.coûteront un million ; vous
pouvez épargner la moitié de cette
»dépenfe , & en relevant les ruines de cet
» établiffement qui s'écroule , vous ſe-
» rez le bienfaîteur d'une Province. Un
» jeune Gentilhomme plein de coura-
» ge & d'honneur s'eft fignalé dans nos
armées ; il eft inconnu à la Cour , &
» fa fortune ne lui laiffe que fon bras :
» allez lui offrir votre fille ; s'il l'accepte ,
vous aurez fait & pour l'Etat & pour
» vous , la plus importante des acquifi-.
» tions.
Cette lettre , quoique peut- être dictée
par un peu d'enthoufiafme, mérite néanmoins
d'être accueillie & confervée
comme l'ouvrage d'un homme d'efprit ,
d'un Ecrivain éloquent , & d'un excellent
Citoyen.
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Résumé : LETTRE sur la Paix à M. le Comte de *** avec cette Epigraphe : Spes discite vestras. Virg. Eneïde 3. A Lyon 1763 ; brochure in-12. de 45. pages.
La 'Lettre fur la Paix à M. le Comte' est une brochure publiée à Lyon en 1763, contenant 45 pages. L'auteur y traite de la paix en France et de la diminution de la gloire nationale, qu'il attribue à un changement dans les mœurs publiques. Il utilise la métaphore d'un homme jeune et audacieux pour symboliser l'esprit de conquête et de supériorité du caractère national français. L'auteur compare ce caractère passé à la situation actuelle, où il observe une absence de grandes actions malgré de belles paroles. Il déplore les disputes entre guerriers, l'abandon de l'honneur national et l'indifférence des Français envers leur pays. Cependant, il oppose ce tableau à des exemples récents de l'attachement des Français à leur souverain et à leur patrie, comme la consternation générale lors de la maladie du roi à Metz et l'effort collectif pour rétablir la marine. L'auteur propose des remèdes, notamment pour les gens de finance, en suggérant des économies et des actions en faveur de la province. Il conclut en louant l'auteur pour son esprit, son éloquence et son patriotisme.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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145
s. p.
LETTRE AUX AUTEURS DU MERCURE DE FRANCE SUR LE COMTE DE WARVICK TRAGÉDIE NOUVELLE EN CINQ ACTES ET EN VERS Représentée, pour la première fois, le lundi 7 Novembre 1763.
Début :
Voici, Messieurs, une nouvelle preuve de cette vérité que Corneille a devinée [...]
Mots clefs :
Warvick, Comte, Roi, Gloire, Coeur, Scène, Théâtre, Vengeance, Angleterre, Ingratitude, Destin, Espoir, Tragédie, Amour, Victoire
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE AUX AUTEURS DU MERCURE DE FRANCE SUR LE COMTE DE WARVICK TRAGÉDIE NOUVELLE EN CINQ ACTES ET EN VERS Représentée, pour la première fois, le lundi 7 Novembre 1763.
LETTRE
AUX AUTEURS
DU MERCURE
DE FRANCE ,
SUR LE
COMTE DE WARVICK,
TRAGÉDIE NOUVELLE ,
EN CINQ ACTES ET EN VERS
Repréſentée , pour la première fois , le Lundi
2 Novembre 1763.
M. DCC . LXIII.
TELEEH
LETTRE
AUX AUTEURS
DU
MERCURE DE FRANCE.
VOICI , Meſſieurs , une nouvelle preuve
de cette vérité que Corneille a devinée
parſentiment &qu'il a fi bien placée dans
ſaTragédie duCid : e'eſt le Cid qui parle :
«Mes pareils à deux fois ne ſe font point connoître;
»Et pour leurs coups d'eſſai veulent des coups de
Maître. >>>
C'eſt ainſi que les Racine & les Voltaires'annonçoient
ſur laScène Françoiſe.
Monfieur de la Harpe paroît avoir bien
étudié la manière de ces grands Peintres
del'ame, & ſe voit, comme eux, couronné
A iij
dès le premier pas qu'il a fait dans la car
rière du Théatre .
La Tragédie de Warvick, dont je vais
faire l'analyſe exacte , eſt un Ouvrage
qu'on ne devoit pas attendre d'un Ecolier
àpeine forti des Univerſités. Il est vrai
que ſes premiers Maîtres n'avoient pas
méconnu fon génie , & que M. de la
Harpe , avant l'âge de vingt ans , avoit
rendu fon nom celebre & intéreſſant dans
les faſtes de cette Ecole de goût & de
moeurs , qui compte plus d'un Rollin parmi
ſes Chefs .
Tout le monde paroît demeurer d'ac
cord que le plan de cette Tragédie eft
heureuſement conçu , que les caractères
en font nobles , & auffi - bien foutenus
que contraſtés , les ſentimens vrais
& grands fans enfure , le ſtyle élégant
& la verſification facile , mais toujours
harmonieuſe . Ceux qui s'intéreſſent à la
gloire de notre Theatre voient avec plaifir
s'élever un jeune Poëte , qui a le courage
de ſacrifier à la préciſion de ſes
dialogues ces maximes & ces ſentences
tant rebattues & toujours applaudies .
Ils lui ſçauront gré ſans doute d'avoir
composé dans un genre preſque oublié de
nos jours , & qui a fait place aux monf
trueuſes &burleſques Pantomimes qu'on
nous apporte d'Angleterre ou d'Italie .
Mais outre le mérite réel de cette Tragé
die , il en eſt un qui appartient plus aux
moeurs qu'au génie ; l'Auteur ſemble ne
s'être écarté de l'hiſtoire que pour donner
à Warvick toute la grandeurdont une
ame eft capable. Auguſte qui pardonne a
Cinna , n'eſt pas plus généreux que Warvick
empriſonné par Edouard , & qui ne
fort de ſa priſon que pour le couronner
une ſeconde fois . Les acclamations univerfelles
données au Comte de Warvick
dans ce moment , font un témoignage
irrécuſable contre les détracteurs
de la Scène Françoiſe . Ce n'eſtpoint affez
qu'un beau diſcours devenu preſque une
action par la véhémente éloquence de
l'Orateur , nous imprime des leçons de
vertu , ce ſont des exemples de générofité
qui nous frappent au Théatre , qui rappellent
l'homme à ſa première dignité :
ce font peut - être ces applaudiſſemens
unanimes & forcés que nous donnons à
la vertu qui nous emportent juſqu'à elle ,
qui nous rendent capables d'y atteindre ,
& font du Théatre même une école de
moeurs , que rien ne peut remplacer.
A iiij
NOMS DES ACTEURS.
YORCK , Roi d'Angleterre , ſous le nom
d'Edouard.
MARGUERITE D'AN JOU , femme de
Lancaftre , Roi d'Angleterre, ſous le nom
de HENRY.
LE COMTE DE WARVICK.
SUFFOLK , Confident d'Edouard.
SUMMER , Ami de Warvick.
ELISABETH , Amante de Warwick.
NEVILLE , Confidente de Margueritean
GARDES.
?
A
C
Ho La Scène est à Londres.
?
1612
ACTE PREMIER
MARGUERITE ouvre la ſcèneavecNéville
ſa confidente , & lui découvre les
ſecrets motifs de ſa joie &de ſes nouvelles
eſpérances : Edouard vainqueur de
Henri VI , & placé ſur ſon Trône par la
valeur & l'amitié de Warvick , va dans
l'absence de ce guerrier lui ravir ſa Maîtreffe
, & doit ce jour même épouſer Elifabeth
de Gray. Marguerite ſe flatte que
Warvick , irrité d'un affront fi peu attendu
, va travailler avec elle à rétablir
fon mari ſur le Trône d'Angleterre :
c'eſt pourquoi elle ſe propoſe d'obtenir
d'Edouard la liberté de paſſer en France
pour y joindre le Comte de Warvick ,
& l'inſtruire des amours & de l'ingratitude
du Maître qu'il s'eſt donné.
Edouard , ſans lui refuſer ni lui accorder
ſa demande , lui fait entendre que
le moment de la paix ſera celui de ſa liberté.
Le Roi ouvre à Suffolck les replis
de ſon coeur , il lui confie ſes projets , ſes
craintes , ſes combats, la violence de fon
amour . C'eſt ſurtout l'amitié de Warvick
qui lui peſe ; c'eſt Warvick , c'eſt un ami
Av
A
qu'il craint d'offenſer ; mais il eſpere le
fléchir & ordonne à Suffolck de ſe rendre
à la Cour de France , &c. &c. Alors
on apprend que le Comte vient d'arriver
dans Londres aux acclamations de tout le
Peuple , & le Roi ſe retire dans le plus
grand trouble .
Telle eſt la marche du premier Acte ,
nous n'en citerons qu'un trait rendu ſublime
par Mademoiselle Dumeſnil , &
qui le paroîtra peut - être encore ſans
elle.
Cet MARGUERITE qui parle.
Demomens en momens j'attendois le trépas ;
Unbrigand ſe préſente ,& fon avide joie
Brille dans ſes regards à l'aſpect de ſa proie.
Il eſt prêt à frapper : je reſtai ſans frayeur ,
Un eſpoir imprévu vint ranimer mon coeur.
Sans guide , fans ſecours ,dans ce lieu folitaire,
J'oſai dans ce brigand voir un Dieu tutélaire.
« Tiens , approche , ( lui dis-je, en lui montrant
mon fils , 1
Qu'à peine ſoutenoient mes bras appeſantis,)
Ofe fauver ton Prince , oſe ſauver ſamere.>>>>
J'étonnai , j'attendris ce mortel ſanguinaire ,
Mon inttépidité le rendit généreux. alloy
LeCiel veilloit alors fur mon fils malheureux,
Oubien le front des Rois , que le deſtin accable ;
Sous les traits du malheur ſemble plus refpectable,
a Suivez-moi , me dit-il , &le fer à la main ,
Portant mon fils de Pautre, il nous fraye un ches
9039
2
2
Et ce mortel abject , tout fier de ouvrage ,
fon
Sembloit , en me ſauvant , égaler mon courage.
apne me ACTE II
WARVICK commence à s'applaudir
C
avec Summer d'avoir rétabli la paix entre
deux Nations rivales & hautaines , d'avoir
obtenu pour fon Maître la Soeur de Louis
XI , & de ſe voir à la fois l'arbitre , la
zerreur & le foutien des Rois. C'eſt dans
cet eſprit qu'il rend compte enſuite au Roi
du ſuccès de ſa négociation , & qu'il ſe
félicite de l'avoir ſervi dans la Cour des
Rois comme dans les combats. Edouard
loue ſon zèle , & conſent à ratifier la paix,
mais non à épouſer la Soeur de Louis XI .
Le Comte de Warvick inſiſte ſur la né
ceffité de fatisfaire au traité dont il fut
garant lui-même ; & le Roi , fans lui devoiler
tout-à-fait le myſtère de ſes nouvelles
amours , ſe retire en lui laiſſant
voir autantde trouble que d'amitié : War
vick reſte dans l'étonnement. Marguerite
vient l'en tirer , & s'exprime ainfier
MARGUERITE. ( Elle continue àparler
d'Edouard.)
Onditque ſur ſon coeur l'amour leplus ardent
Prend, depuis quelques jours, un ſuprême afcen
dant....
1.
On dit plus , & peut- être allez-vous en douter :
Ondit que cet objet, qu'il eût dû reſpecter,
Avoit promis ſa main , gage d'unfeufincère,
Auplus grand des Guerriers qu'ait produit l'Angle
terre ,
A qui même Edouard doit toute fa grandeur :
Qu'Edouard lâchement trahit ſon bienfaiteur :
Que pour prix de ſon zèle , & d'une foi conſtantel
Il lui ravit enfin ſa femme& ſon amante!
Ce ſont-là ſes projets , ſes voeux & ſon eſpoir,
Et c'eſt Elifabeth qu'il époufe ce ſoir.
•
: • • :
Pourquoi trouveriez -vous ce récit incroyable?
Lorſque l'on a trahi ſon Prince & ſon devoir ,
Voilà, voilà le prix qu'on en doit recevoir.
Si Warvick eût ſuivi de plusjuſtes maximes ,
S'il eût cherché pour moi des exploits légitimes,
४
Il me connoît aſſez , pour croire quemon cosur
D'unplus digne retour eût payé ſa valeur.
Adieu. Dans peu d'inftans vous pourrez reconnoî
tre
Cequ'a produit pour vous le choix d'un nouveau
Maître;
Vous apprendrez bien-tôt qui vous deviez ſervir.
Vous apprendrez du moins qui vous devez hair .
Je rends grace au deſtin. Oui , ſa faveur commence
Amefaireaujourd'hui goûter quelque vengeance ;
Et j'ai vû l'ennemi qui combattit ſon Roi,
Puni parun ingrat qu'il ſervît contre moi.
Warvick veut encore douter des dif
cours de Marguerite , & de l'ingratitude
de fon ami ; mais Summer & enſuite Eli
ſabeth viennent confirmer tout ce qu'il
a appris . Warvick jure d'en tirer ven
geance. Elifabeth s'efforce en vain de le19
calmer , & Warvick fort en menaçant.
Cof
3????? ?????????????
MA
ACTE III
ARGUERITE s'applaudit d'avoir irrite
Warvick , & peint ainſi le génie des
Anglois dont il eſt l'idole .
MARGUERITE, a Néville.
:
おす
)
Ne crois pas qu'Edouard triomphe impunément,
Mets-toi devant les yeux ce long enchaînement
De meurtres , de forfaits , dont la guerre civile
A, depuis fi long-tems , épouvanté cette Iſle.
Songe au ſang dont nos yeux ont vû couler des
flots ,
по
3
53
A
Sous le fer des foldats , ſous le fer des bourreaux ;
Ou d'un père ou d'un fils chacun pleure la perte ,
Et d'un deuil éternel l'Angleterre eſt couverte.
De vingt mille proſcrits les malheureux enfans
Brûlent tous en ſecret de venger leurs parens ;
Ils ont tous entendu , le jour de leur naiſſance ,
Autour de leur berceau le cri de la vengeance :
Tous ont été , depuis , nourris dans cet eſpoir ,
Et pour eux , en naiſſant , le meurtre eſt un devoirs
Je te dirai bien plus , le ſang & le ravage
Ont endurci ce Peuple , ont irrité ſa rage;
Et depuis ſi long-tems au carnage exercé;
II conferve la foifdu ſang qu'il a verſé.
Mais elle craint que ce Guerrier trop
ſuperbe n'éclate en menaces inſultantes
devant fon maître , & que le Roi ne le
faffe arrêter , elle fort : ( ce qui laiſſe le
Théatre vuide afſfez inutilement. C'eſt un
défaut dont les plus grands Maîtres ont
donné l'exemple , mais que leurs éleves ne
doivent jamais imiter. )Edouard cependant
qui vient d'apprendre de Suffolck
que Warvick ne lui a répondu que par
des emportemens , commande qu'on l'éloigne
Mais Warvick paroît , &
lui fait une longue énumération de ſes
ſervices , il lui rappelle ſes propres difcours
fur le champ de bataille où fon
pere venoit d'expirer , & ſe plaint de
fon ingratitude . Edouard lui fait une
réponſe très-moderée , quoique noble , &
qu'on ſera peut-être bien aiſe de trouver
ici.
?
...
Ceft EDOUARD qui parle.
Moderez devant moi ce tranſportqui m'offenfe.
Vantez moins vos exploits, j'en connois l'impor
tance;
Mais ſçachez qu'Edouard , arbitre de ſon fort,
Auroit trouvé ſans vous la victoire ou llaamort;
Vous n'enpouvezdouter, vous devez me connol
tre.
Eh! quels ſont donc enfin les torts de votre Mai-
; tre?
Je vous promis beaucoup: vous ai-je donnémoins ?
Lerang, où pres de moi vous ontplacé mes ſoins,
L'éclat de vos honneurs, vosbiens, votre puiſlance,
Sont-ils de vains effets de ma reconnoiſſance ?
Il eſt vrai, j'ai cherché l'Hymen d'Elifabeth.
N'ai-je pû faire au moins ce qu'a fait mon Sujet ,
Etm'est- il défendu d'écouter ma tendreſſe ,
De brûler pour l'objet où votre eſpoir s'adreſſe ?
Queme reprochez-vous? Suis-je injuſte ou cruel ?
L'ai-je, comme unTyran , fait traîner à l'autel ??
Je me fuis , comme vous , efforcé de lui plaire ,
Je me ſuis appuyé de l'aveu de ſon pere ;
J'ai demandé le ſien; & s'il faut dire plus ,
Elle n'a point encor expliqué ſes refus.
Laiſſez-moi juſques-là me flatter que ma flamme
Quemes foins , mes reſpects , n'offenſent point fon
ame;
Etqu'un coeur qui du vôtre a mérité les voeux,
Peut être , malgré vous, ſenſible à d'autres feux.
•
WARVICK & EDOUARD.
Jamais Elifabeth ne me ſera ravie ,
Onvous ne l'obtiendrez qu'aux dépen de maviej
Jamais impunémentje ne fus offenfé
יצ
Y
EDOUARD.
Jamais impunément je ne fus menacé ;
Et fi d'une amitié , qui me fut long-tems chère?
Le ſouvenir encor n'arrêtoit ma colère ,
Vous en auriez déjà reſſenti les effets ....
Peut-être cet effort vaut ſeul tous vos bienfaits.
Nepouſſez pas plus loinma bonté qui ſe laſſe
Et ne me forcez pas à punir votre audace.
Edouard peut d'un mot venger ſes droits bleſſés,
Etfût-il votre ouvrage ; il eſt Roi, frémiſſez.
Le Comte de Warvick lui répond
par des reproches encore plus amers ;
Edouard fait entrer ſesGardes ; Elifabeth
arrive avec eux : le Comte lui exagere
les torts de l'ingrat Yorck , & la quitte
pour courir à la vengeance. Edouard or
donne qu'on arrête le Comte de Warvick .
Elifabeth demeure avec le Roi pour l'appaifer
, & l'on vient leur annoncer que
Warvick s'eſt laiſſe conduire à la tour ,
mais que le peuple s'émeut en fa faveur :
le Roi fort pour aller le contenir.
SOIVAAT
0
C
ACTE IV.
WARVICK feul & dans la prifon , fe
retrace ainſi le fort de ſon premier maître :
.. C'eſt dans ces lieux, dans cette tour horrible
Qu'à vivre dans les fers par moi ſeul condamné
Lemalheureux Henri languit abandonné ,
L'Oppreſſeur , l'Opprimé n'ont plus qu'un même
afyle.
Hélas ! dans ſon malheur il eſt calme& tranquille,
Il eſt loin de penſer qu'un revers plein d'horreur
Enchaîne auprès de lui ſon ſuperbe vainqueur.
Summer vient lui apprendre que le parti
de Marguerite doit bientôt le délivrer.
Warvick le conjure par les pleurs qu'il
verſe encore devant lui , de hâter le moment
de ſa liberté. Summer lui promet
tout , & fort pour lui obéir.
Plus calme après ces eſpérances , Warwick
réfléchit ſur l'illuſion qui l'a confolé
; Elifabeth arrive,
L'objet de cette Scène n'eſt ni précis ,
ni déterminé ; mais l'art de l'Auteur , la
figure aimable & la voix touchante de MademoiſelleDubois,
fur-tout les talens ſupérieurs
de M. Le Kain , qu'on peut appellerleGarrickFrançois
, concourent àpal
lier ce léger défaut .
Enfin des Gardes viennent chercher
Elifabeth pour la conduire auprès du
Roi ; Warvick retombe dans ſes incertitudes
, & dans l'agitation . Alors
des Gardes enfoncent la prifon , & Summer
à leur tête parle ainfi.
SCENE VII.
SUMMER..
J'apporte la vengeance ,
Ami , prenez ce fer ; foyez libre & vainqueur .
WARVICK.
Tout estdonc réparé ? .. Cherami , quel bonheut !
SUMMER.
Votre nom, votre gloire, & la Reine & moi-même ,
Tout range ſous vos loix un peuple qui vous aime
Marguerite , échappée aux Gardes du Palais ,
D'abord, à votre nom , raſſemble les Anglois ,
Jemejoins à ſes cris : tout s'émeut, tout s'emprefle,
Tous veulent vous offrir une main vengereſſe.
On attaque , on aſſiége Edouard allarmé
Avec Elifabeth au Palais renfermé.
Paroiſſez ; c'eſt à vous d'achever la victoire.
mivenez chercher la vengeance & la gloire.
WARVICK.
Voilàdonc où ſa faute & le fort l'ont réduit :
De ſon ingratitude il voît enfin le fruit.
Il l'a trop mérité. Marchons ... Warvick, arrête.
Tu vas donc d'une femme achever la conquête
Ecrafer fans effort un rival abbatu?
20 Sont-ce làdes exploits dignes de ta vertu ?
Eft-ce un ſi beautriomphe offert à ta vaillance ;
D'immoler Edouard, quand il eſt ſans défenſe ?
Ah!j'embraffe unprojetplus grand,plus généreux.
Voici de mes inftans l'inſtant le plus heureux.
Ce jour de mes malheurs eſt le jour de ma gloire.
C'eſt moiqui vais fixer le fort & la victoire.
Le deſtin d'Edouard ne dépend que de moi.
J'ai guidé ſa jeuneſſe & mon bras l'a fait Roi ;
J'al conſervé ſes jours & je vais les défendre .
Je luidonnai le ſceptre , &je vais le lui rendre
Detous les ennemis confondre les projets,
Et je veux le punit à force de bienfaitsig
Il connoîtra mon coeur autant que mon courage W
Une ſeconde fois il ſera monouvrage, Do
Qu'il va ſe repentir de m'avoir outrage
Combien it va rougir ! ... Amis , je ſuis venge.
Allons, braves Anglois , c'eſt Warvick qui vous
guide,
Ne déſavouez point votre Chef intrépide.
Sivous aimez l'honneur, venez tous avec mo
Et combattre Lançaſtre, & fauver votre Roi
Fin du quatrième Alte
uby
ACTE V
ELISABETH qui ne connoîtdeWarvick
que fa fureur &fes projets de vengeance ,
tremble également pour les jours de fon
amant , &pour ceux de fon Roi. Suffolck
vient la raſſurer par le récit de ce qui
s'eſt paffé ſous les yeux, Warvick a
diffipe le parti de Marguerite qui affiés
geoit Edouard dans ſon palais , & l'a
couronné pour la feconde fois. Elifabeth
ſe livre à la joie. Edouard l'augmente
encore en lui déclarant qu'il eſt prêt à
épouſer la foeur de Louis XI , & à
l'unir au Comte de Warvick. Marguerite
priſonniere , mais triomphante , leur apprend
qu'elle s'eſt vengée du Comte de
Warvick , & qu'il eſt expirant,
Voici les vers qui ſont dans la bouche
du Comte de Warvick qu'on amene ſur
le Théatre , & qui terminent la piece :
... Ecoutez moins de vains reſſentimens.
Renvoyez à Louis cette femme cruelle ,
Il pourroit la venger , ne craignez plus riend'elle.
Cepeuplequi m'aima ,la déteſte aujourd'hui
Quim'adonné la mort ne peut régner ſur lui,
Pleurez moinsmon trépas. Macarriere eſt finic
Aumoment leplus beaudont s'illuſtrama vie.
Mavoix a fait encor le deſtin des Anglois :
Etj'emporte au tombeau ma gloire & vos regrets
Π
WARVICK continueens'adreſſant à EDOUARD.
N'accuſons de vos maux que yous & que moi
même.
Votre amour fut aveugle &mon orgueil extrême,
Vous aviez oublié mes ſervices : &moi
J'oubliai trop , hélas ! que vous étiez monRei,
J'ai l'honneur d'être ,
MESSIEURS,
Votre très-humble & très
obéiſſant Serviteur ,
JOUBERT.
AUX AUTEURS
DU MERCURE
DE FRANCE ,
SUR LE
COMTE DE WARVICK,
TRAGÉDIE NOUVELLE ,
EN CINQ ACTES ET EN VERS
Repréſentée , pour la première fois , le Lundi
2 Novembre 1763.
M. DCC . LXIII.
TELEEH
LETTRE
AUX AUTEURS
DU
MERCURE DE FRANCE.
VOICI , Meſſieurs , une nouvelle preuve
de cette vérité que Corneille a devinée
parſentiment &qu'il a fi bien placée dans
ſaTragédie duCid : e'eſt le Cid qui parle :
«Mes pareils à deux fois ne ſe font point connoître;
»Et pour leurs coups d'eſſai veulent des coups de
Maître. >>>
C'eſt ainſi que les Racine & les Voltaires'annonçoient
ſur laScène Françoiſe.
Monfieur de la Harpe paroît avoir bien
étudié la manière de ces grands Peintres
del'ame, & ſe voit, comme eux, couronné
A iij
dès le premier pas qu'il a fait dans la car
rière du Théatre .
La Tragédie de Warvick, dont je vais
faire l'analyſe exacte , eſt un Ouvrage
qu'on ne devoit pas attendre d'un Ecolier
àpeine forti des Univerſités. Il est vrai
que ſes premiers Maîtres n'avoient pas
méconnu fon génie , & que M. de la
Harpe , avant l'âge de vingt ans , avoit
rendu fon nom celebre & intéreſſant dans
les faſtes de cette Ecole de goût & de
moeurs , qui compte plus d'un Rollin parmi
ſes Chefs .
Tout le monde paroît demeurer d'ac
cord que le plan de cette Tragédie eft
heureuſement conçu , que les caractères
en font nobles , & auffi - bien foutenus
que contraſtés , les ſentimens vrais
& grands fans enfure , le ſtyle élégant
& la verſification facile , mais toujours
harmonieuſe . Ceux qui s'intéreſſent à la
gloire de notre Theatre voient avec plaifir
s'élever un jeune Poëte , qui a le courage
de ſacrifier à la préciſion de ſes
dialogues ces maximes & ces ſentences
tant rebattues & toujours applaudies .
Ils lui ſçauront gré ſans doute d'avoir
composé dans un genre preſque oublié de
nos jours , & qui a fait place aux monf
trueuſes &burleſques Pantomimes qu'on
nous apporte d'Angleterre ou d'Italie .
Mais outre le mérite réel de cette Tragé
die , il en eſt un qui appartient plus aux
moeurs qu'au génie ; l'Auteur ſemble ne
s'être écarté de l'hiſtoire que pour donner
à Warvick toute la grandeurdont une
ame eft capable. Auguſte qui pardonne a
Cinna , n'eſt pas plus généreux que Warvick
empriſonné par Edouard , & qui ne
fort de ſa priſon que pour le couronner
une ſeconde fois . Les acclamations univerfelles
données au Comte de Warvick
dans ce moment , font un témoignage
irrécuſable contre les détracteurs
de la Scène Françoiſe . Ce n'eſtpoint affez
qu'un beau diſcours devenu preſque une
action par la véhémente éloquence de
l'Orateur , nous imprime des leçons de
vertu , ce ſont des exemples de générofité
qui nous frappent au Théatre , qui rappellent
l'homme à ſa première dignité :
ce font peut - être ces applaudiſſemens
unanimes & forcés que nous donnons à
la vertu qui nous emportent juſqu'à elle ,
qui nous rendent capables d'y atteindre ,
& font du Théatre même une école de
moeurs , que rien ne peut remplacer.
A iiij
NOMS DES ACTEURS.
YORCK , Roi d'Angleterre , ſous le nom
d'Edouard.
MARGUERITE D'AN JOU , femme de
Lancaftre , Roi d'Angleterre, ſous le nom
de HENRY.
LE COMTE DE WARVICK.
SUFFOLK , Confident d'Edouard.
SUMMER , Ami de Warvick.
ELISABETH , Amante de Warwick.
NEVILLE , Confidente de Margueritean
GARDES.
?
A
C
Ho La Scène est à Londres.
?
1612
ACTE PREMIER
MARGUERITE ouvre la ſcèneavecNéville
ſa confidente , & lui découvre les
ſecrets motifs de ſa joie &de ſes nouvelles
eſpérances : Edouard vainqueur de
Henri VI , & placé ſur ſon Trône par la
valeur & l'amitié de Warvick , va dans
l'absence de ce guerrier lui ravir ſa Maîtreffe
, & doit ce jour même épouſer Elifabeth
de Gray. Marguerite ſe flatte que
Warvick , irrité d'un affront fi peu attendu
, va travailler avec elle à rétablir
fon mari ſur le Trône d'Angleterre :
c'eſt pourquoi elle ſe propoſe d'obtenir
d'Edouard la liberté de paſſer en France
pour y joindre le Comte de Warvick ,
& l'inſtruire des amours & de l'ingratitude
du Maître qu'il s'eſt donné.
Edouard , ſans lui refuſer ni lui accorder
ſa demande , lui fait entendre que
le moment de la paix ſera celui de ſa liberté.
Le Roi ouvre à Suffolck les replis
de ſon coeur , il lui confie ſes projets , ſes
craintes , ſes combats, la violence de fon
amour . C'eſt ſurtout l'amitié de Warvick
qui lui peſe ; c'eſt Warvick , c'eſt un ami
Av
A
qu'il craint d'offenſer ; mais il eſpere le
fléchir & ordonne à Suffolck de ſe rendre
à la Cour de France , &c. &c. Alors
on apprend que le Comte vient d'arriver
dans Londres aux acclamations de tout le
Peuple , & le Roi ſe retire dans le plus
grand trouble .
Telle eſt la marche du premier Acte ,
nous n'en citerons qu'un trait rendu ſublime
par Mademoiselle Dumeſnil , &
qui le paroîtra peut - être encore ſans
elle.
Cet MARGUERITE qui parle.
Demomens en momens j'attendois le trépas ;
Unbrigand ſe préſente ,& fon avide joie
Brille dans ſes regards à l'aſpect de ſa proie.
Il eſt prêt à frapper : je reſtai ſans frayeur ,
Un eſpoir imprévu vint ranimer mon coeur.
Sans guide , fans ſecours ,dans ce lieu folitaire,
J'oſai dans ce brigand voir un Dieu tutélaire.
« Tiens , approche , ( lui dis-je, en lui montrant
mon fils , 1
Qu'à peine ſoutenoient mes bras appeſantis,)
Ofe fauver ton Prince , oſe ſauver ſamere.>>>>
J'étonnai , j'attendris ce mortel ſanguinaire ,
Mon inttépidité le rendit généreux. alloy
LeCiel veilloit alors fur mon fils malheureux,
Oubien le front des Rois , que le deſtin accable ;
Sous les traits du malheur ſemble plus refpectable,
a Suivez-moi , me dit-il , &le fer à la main ,
Portant mon fils de Pautre, il nous fraye un ches
9039
2
2
Et ce mortel abject , tout fier de ouvrage ,
fon
Sembloit , en me ſauvant , égaler mon courage.
apne me ACTE II
WARVICK commence à s'applaudir
C
avec Summer d'avoir rétabli la paix entre
deux Nations rivales & hautaines , d'avoir
obtenu pour fon Maître la Soeur de Louis
XI , & de ſe voir à la fois l'arbitre , la
zerreur & le foutien des Rois. C'eſt dans
cet eſprit qu'il rend compte enſuite au Roi
du ſuccès de ſa négociation , & qu'il ſe
félicite de l'avoir ſervi dans la Cour des
Rois comme dans les combats. Edouard
loue ſon zèle , & conſent à ratifier la paix,
mais non à épouſer la Soeur de Louis XI .
Le Comte de Warvick inſiſte ſur la né
ceffité de fatisfaire au traité dont il fut
garant lui-même ; & le Roi , fans lui devoiler
tout-à-fait le myſtère de ſes nouvelles
amours , ſe retire en lui laiſſant
voir autantde trouble que d'amitié : War
vick reſte dans l'étonnement. Marguerite
vient l'en tirer , & s'exprime ainfier
MARGUERITE. ( Elle continue àparler
d'Edouard.)
Onditque ſur ſon coeur l'amour leplus ardent
Prend, depuis quelques jours, un ſuprême afcen
dant....
1.
On dit plus , & peut- être allez-vous en douter :
Ondit que cet objet, qu'il eût dû reſpecter,
Avoit promis ſa main , gage d'unfeufincère,
Auplus grand des Guerriers qu'ait produit l'Angle
terre ,
A qui même Edouard doit toute fa grandeur :
Qu'Edouard lâchement trahit ſon bienfaiteur :
Que pour prix de ſon zèle , & d'une foi conſtantel
Il lui ravit enfin ſa femme& ſon amante!
Ce ſont-là ſes projets , ſes voeux & ſon eſpoir,
Et c'eſt Elifabeth qu'il époufe ce ſoir.
•
: • • :
Pourquoi trouveriez -vous ce récit incroyable?
Lorſque l'on a trahi ſon Prince & ſon devoir ,
Voilà, voilà le prix qu'on en doit recevoir.
Si Warvick eût ſuivi de plusjuſtes maximes ,
S'il eût cherché pour moi des exploits légitimes,
४
Il me connoît aſſez , pour croire quemon cosur
D'unplus digne retour eût payé ſa valeur.
Adieu. Dans peu d'inftans vous pourrez reconnoî
tre
Cequ'a produit pour vous le choix d'un nouveau
Maître;
Vous apprendrez bien-tôt qui vous deviez ſervir.
Vous apprendrez du moins qui vous devez hair .
Je rends grace au deſtin. Oui , ſa faveur commence
Amefaireaujourd'hui goûter quelque vengeance ;
Et j'ai vû l'ennemi qui combattit ſon Roi,
Puni parun ingrat qu'il ſervît contre moi.
Warvick veut encore douter des dif
cours de Marguerite , & de l'ingratitude
de fon ami ; mais Summer & enſuite Eli
ſabeth viennent confirmer tout ce qu'il
a appris . Warvick jure d'en tirer ven
geance. Elifabeth s'efforce en vain de le19
calmer , & Warvick fort en menaçant.
Cof
3????? ?????????????
MA
ACTE III
ARGUERITE s'applaudit d'avoir irrite
Warvick , & peint ainſi le génie des
Anglois dont il eſt l'idole .
MARGUERITE, a Néville.
:
おす
)
Ne crois pas qu'Edouard triomphe impunément,
Mets-toi devant les yeux ce long enchaînement
De meurtres , de forfaits , dont la guerre civile
A, depuis fi long-tems , épouvanté cette Iſle.
Songe au ſang dont nos yeux ont vû couler des
flots ,
по
3
53
A
Sous le fer des foldats , ſous le fer des bourreaux ;
Ou d'un père ou d'un fils chacun pleure la perte ,
Et d'un deuil éternel l'Angleterre eſt couverte.
De vingt mille proſcrits les malheureux enfans
Brûlent tous en ſecret de venger leurs parens ;
Ils ont tous entendu , le jour de leur naiſſance ,
Autour de leur berceau le cri de la vengeance :
Tous ont été , depuis , nourris dans cet eſpoir ,
Et pour eux , en naiſſant , le meurtre eſt un devoirs
Je te dirai bien plus , le ſang & le ravage
Ont endurci ce Peuple , ont irrité ſa rage;
Et depuis ſi long-tems au carnage exercé;
II conferve la foifdu ſang qu'il a verſé.
Mais elle craint que ce Guerrier trop
ſuperbe n'éclate en menaces inſultantes
devant fon maître , & que le Roi ne le
faffe arrêter , elle fort : ( ce qui laiſſe le
Théatre vuide afſfez inutilement. C'eſt un
défaut dont les plus grands Maîtres ont
donné l'exemple , mais que leurs éleves ne
doivent jamais imiter. )Edouard cependant
qui vient d'apprendre de Suffolck
que Warvick ne lui a répondu que par
des emportemens , commande qu'on l'éloigne
Mais Warvick paroît , &
lui fait une longue énumération de ſes
ſervices , il lui rappelle ſes propres difcours
fur le champ de bataille où fon
pere venoit d'expirer , & ſe plaint de
fon ingratitude . Edouard lui fait une
réponſe très-moderée , quoique noble , &
qu'on ſera peut-être bien aiſe de trouver
ici.
?
...
Ceft EDOUARD qui parle.
Moderez devant moi ce tranſportqui m'offenfe.
Vantez moins vos exploits, j'en connois l'impor
tance;
Mais ſçachez qu'Edouard , arbitre de ſon fort,
Auroit trouvé ſans vous la victoire ou llaamort;
Vous n'enpouvezdouter, vous devez me connol
tre.
Eh! quels ſont donc enfin les torts de votre Mai-
; tre?
Je vous promis beaucoup: vous ai-je donnémoins ?
Lerang, où pres de moi vous ontplacé mes ſoins,
L'éclat de vos honneurs, vosbiens, votre puiſlance,
Sont-ils de vains effets de ma reconnoiſſance ?
Il eſt vrai, j'ai cherché l'Hymen d'Elifabeth.
N'ai-je pû faire au moins ce qu'a fait mon Sujet ,
Etm'est- il défendu d'écouter ma tendreſſe ,
De brûler pour l'objet où votre eſpoir s'adreſſe ?
Queme reprochez-vous? Suis-je injuſte ou cruel ?
L'ai-je, comme unTyran , fait traîner à l'autel ??
Je me fuis , comme vous , efforcé de lui plaire ,
Je me ſuis appuyé de l'aveu de ſon pere ;
J'ai demandé le ſien; & s'il faut dire plus ,
Elle n'a point encor expliqué ſes refus.
Laiſſez-moi juſques-là me flatter que ma flamme
Quemes foins , mes reſpects , n'offenſent point fon
ame;
Etqu'un coeur qui du vôtre a mérité les voeux,
Peut être , malgré vous, ſenſible à d'autres feux.
•
WARVICK & EDOUARD.
Jamais Elifabeth ne me ſera ravie ,
Onvous ne l'obtiendrez qu'aux dépen de maviej
Jamais impunémentje ne fus offenfé
יצ
Y
EDOUARD.
Jamais impunément je ne fus menacé ;
Et fi d'une amitié , qui me fut long-tems chère?
Le ſouvenir encor n'arrêtoit ma colère ,
Vous en auriez déjà reſſenti les effets ....
Peut-être cet effort vaut ſeul tous vos bienfaits.
Nepouſſez pas plus loinma bonté qui ſe laſſe
Et ne me forcez pas à punir votre audace.
Edouard peut d'un mot venger ſes droits bleſſés,
Etfût-il votre ouvrage ; il eſt Roi, frémiſſez.
Le Comte de Warvick lui répond
par des reproches encore plus amers ;
Edouard fait entrer ſesGardes ; Elifabeth
arrive avec eux : le Comte lui exagere
les torts de l'ingrat Yorck , & la quitte
pour courir à la vengeance. Edouard or
donne qu'on arrête le Comte de Warvick .
Elifabeth demeure avec le Roi pour l'appaifer
, & l'on vient leur annoncer que
Warvick s'eſt laiſſe conduire à la tour ,
mais que le peuple s'émeut en fa faveur :
le Roi fort pour aller le contenir.
SOIVAAT
0
C
ACTE IV.
WARVICK feul & dans la prifon , fe
retrace ainſi le fort de ſon premier maître :
.. C'eſt dans ces lieux, dans cette tour horrible
Qu'à vivre dans les fers par moi ſeul condamné
Lemalheureux Henri languit abandonné ,
L'Oppreſſeur , l'Opprimé n'ont plus qu'un même
afyle.
Hélas ! dans ſon malheur il eſt calme& tranquille,
Il eſt loin de penſer qu'un revers plein d'horreur
Enchaîne auprès de lui ſon ſuperbe vainqueur.
Summer vient lui apprendre que le parti
de Marguerite doit bientôt le délivrer.
Warvick le conjure par les pleurs qu'il
verſe encore devant lui , de hâter le moment
de ſa liberté. Summer lui promet
tout , & fort pour lui obéir.
Plus calme après ces eſpérances , Warwick
réfléchit ſur l'illuſion qui l'a confolé
; Elifabeth arrive,
L'objet de cette Scène n'eſt ni précis ,
ni déterminé ; mais l'art de l'Auteur , la
figure aimable & la voix touchante de MademoiſelleDubois,
fur-tout les talens ſupérieurs
de M. Le Kain , qu'on peut appellerleGarrickFrançois
, concourent àpal
lier ce léger défaut .
Enfin des Gardes viennent chercher
Elifabeth pour la conduire auprès du
Roi ; Warvick retombe dans ſes incertitudes
, & dans l'agitation . Alors
des Gardes enfoncent la prifon , & Summer
à leur tête parle ainfi.
SCENE VII.
SUMMER..
J'apporte la vengeance ,
Ami , prenez ce fer ; foyez libre & vainqueur .
WARVICK.
Tout estdonc réparé ? .. Cherami , quel bonheut !
SUMMER.
Votre nom, votre gloire, & la Reine & moi-même ,
Tout range ſous vos loix un peuple qui vous aime
Marguerite , échappée aux Gardes du Palais ,
D'abord, à votre nom , raſſemble les Anglois ,
Jemejoins à ſes cris : tout s'émeut, tout s'emprefle,
Tous veulent vous offrir une main vengereſſe.
On attaque , on aſſiége Edouard allarmé
Avec Elifabeth au Palais renfermé.
Paroiſſez ; c'eſt à vous d'achever la victoire.
mivenez chercher la vengeance & la gloire.
WARVICK.
Voilàdonc où ſa faute & le fort l'ont réduit :
De ſon ingratitude il voît enfin le fruit.
Il l'a trop mérité. Marchons ... Warvick, arrête.
Tu vas donc d'une femme achever la conquête
Ecrafer fans effort un rival abbatu?
20 Sont-ce làdes exploits dignes de ta vertu ?
Eft-ce un ſi beautriomphe offert à ta vaillance ;
D'immoler Edouard, quand il eſt ſans défenſe ?
Ah!j'embraffe unprojetplus grand,plus généreux.
Voici de mes inftans l'inſtant le plus heureux.
Ce jour de mes malheurs eſt le jour de ma gloire.
C'eſt moiqui vais fixer le fort & la victoire.
Le deſtin d'Edouard ne dépend que de moi.
J'ai guidé ſa jeuneſſe & mon bras l'a fait Roi ;
J'al conſervé ſes jours & je vais les défendre .
Je luidonnai le ſceptre , &je vais le lui rendre
Detous les ennemis confondre les projets,
Et je veux le punit à force de bienfaitsig
Il connoîtra mon coeur autant que mon courage W
Une ſeconde fois il ſera monouvrage, Do
Qu'il va ſe repentir de m'avoir outrage
Combien it va rougir ! ... Amis , je ſuis venge.
Allons, braves Anglois , c'eſt Warvick qui vous
guide,
Ne déſavouez point votre Chef intrépide.
Sivous aimez l'honneur, venez tous avec mo
Et combattre Lançaſtre, & fauver votre Roi
Fin du quatrième Alte
uby
ACTE V
ELISABETH qui ne connoîtdeWarvick
que fa fureur &fes projets de vengeance ,
tremble également pour les jours de fon
amant , &pour ceux de fon Roi. Suffolck
vient la raſſurer par le récit de ce qui
s'eſt paffé ſous les yeux, Warvick a
diffipe le parti de Marguerite qui affiés
geoit Edouard dans ſon palais , & l'a
couronné pour la feconde fois. Elifabeth
ſe livre à la joie. Edouard l'augmente
encore en lui déclarant qu'il eſt prêt à
épouſer la foeur de Louis XI , & à
l'unir au Comte de Warvick. Marguerite
priſonniere , mais triomphante , leur apprend
qu'elle s'eſt vengée du Comte de
Warvick , & qu'il eſt expirant,
Voici les vers qui ſont dans la bouche
du Comte de Warvick qu'on amene ſur
le Théatre , & qui terminent la piece :
... Ecoutez moins de vains reſſentimens.
Renvoyez à Louis cette femme cruelle ,
Il pourroit la venger , ne craignez plus riend'elle.
Cepeuplequi m'aima ,la déteſte aujourd'hui
Quim'adonné la mort ne peut régner ſur lui,
Pleurez moinsmon trépas. Macarriere eſt finic
Aumoment leplus beaudont s'illuſtrama vie.
Mavoix a fait encor le deſtin des Anglois :
Etj'emporte au tombeau ma gloire & vos regrets
Π
WARVICK continueens'adreſſant à EDOUARD.
N'accuſons de vos maux que yous & que moi
même.
Votre amour fut aveugle &mon orgueil extrême,
Vous aviez oublié mes ſervices : &moi
J'oubliai trop , hélas ! que vous étiez monRei,
J'ai l'honneur d'être ,
MESSIEURS,
Votre très-humble & très
obéiſſant Serviteur ,
JOUBERT.
Fermer
Résumé : LETTRE AUX AUTEURS DU MERCURE DE FRANCE SUR LE COMTE DE WARVICK TRAGÉDIE NOUVELLE EN CINQ ACTES ET EN VERS Représentée, pour la première fois, le lundi 7 Novembre 1763.
La lettre aux auteurs du Mercure de France présente la tragédie 'Le Comte de Warwick', représentée pour la première fois le 2 novembre 1763. L'auteur de la pièce, Jean-François de La Harpe, est comparé à Corneille, Racine et Voltaire, soulignant son talent précoce et prometteur. La tragédie est appréciée pour son plan bien conçu, ses personnages nobles et contrastés, ainsi que pour son style élégant et sa versification harmonieuse. Elle se distingue par des dialogues précis et l'absence de maximes rebattues. L'intrigue se déroule à Londres en 1612 et met en scène des personnages historiques tels que le roi Édouard, Marguerite d'Anjou, le comte de Warwick, et Élisabeth. Marguerite, épouse de Henri VI, espère que Warwick, irrité par l'infidélité d'Édouard, l'aidera à restaurer son mari sur le trône. Édouard est partagé entre son amour pour Élisabeth et son amitié pour Warwick. La pièce explore les thèmes de la loyauté, de l'ingratitude et de la générosité, avec Warwick incarnant une grandeur d'âme comparable à celle d'Auguste pardonnant Cinna. Les actes suivants développent les tensions entre Warwick et Édouard, avec Marguerite manipulant les événements pour provoquer une rébellion. Warwick, après avoir été emprisonné, est libéré par le peuple et retourne sur le trône. La pièce illustre la capacité du théâtre à inspirer des leçons de vertu et de générosité. Warwick, confronté à des dilemmes moraux et politiques, hésite à se venger d'Édouard mais décide de le protéger et de restaurer son trône. Il rappelle son rôle crucial dans l'ascension d'Édouard et rallie les Anglais pour combattre les ennemis du roi. Élisabeth, amoureuse de Warwick, est rassurée par Suffolk qui lui raconte les actions héroïques de Warwick. Édouard, reconnaissant, accepte d'épouser la sœur de Louis XI et de l'unir à Warwick. Marguerite, prisonnière, révèle que Warwick est mortellement blessé. Sur son lit de mort, Warwick conseille Édouard de renvoyer la femme cruelle à Louis XI et exprime son regret pour les erreurs passées. Il meurt en héros, laissant derrière lui une nation reconnaissante.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
147
p. 147-148
LOGOGRYPHE.
Début :
La célèbre Laïs eut moins d'amans que moi : [...]
Mots clefs :
Gloire
148
p. 103-104
LOGOGRYPHE.
Début :
Je suis femme, Messieurs ; & par droit de conquête [...]
Mots clefs :
Gloire
149
p. 151-152
LOGOGRYPHE
Début :
Mobile des vertus j'enfante des merveilles ; [...]
Mots clefs :
Gloire
150
p. 169-170
LOGOGRIPHE.
Début :
Lecteur, je suis femelle, & tel qui ne l'est pas [...]
Mots clefs :
Gloire