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1
p. 11-19
LES DONNEURS D'IDÉES, Badinage instructif adressé à M. de Boissi.
Début :
MONSIEUR, vous paroissez prendre plaisir à remplir votre article [...]
Mots clefs :
Idées, Artiste, Donneurs d'idées, Arts, Éloge, Gloire, Auteur
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texteReconnaissance textuelle : LES DONNEURS D'IDÉES, Badinage instructif adressé à M. de Boissi.
LES DONNEURS D'IDÉES ,
Badinage inftructif adreffé à M. de Boiffi.
M
des
ONSIEUR, vous paroiffez prendre
plaifir à remplir votre article
des Arts. Nous y avons vû fucceffivement
des critiques fur l'architecture faites par
perfonnes qui entendoient bien la matiere
; des injures dites avec beaucoup de politeffe
à M. Boucher , & les efforts que l'on
fait pour trouver des raifons de fon mécon
tentement , qui font cependant bien clairement
imprimées fur les eftampes dont il
eft queſtion ; des éloges qu'un artiſte fait
de fes ouvrages , avec une bonne foi qui ne
lui permet pas de douter que le public
puiffe être d'un autre avis. Il vante de prétendues
nouvelles découvertes en gravûre
qui font auffi anciennes que l'art , & que
perfonne n'ignore; il nous affûre la plus parfaite
exactitude dans une eftampe , quant
à la perfpective & à l'effet de lumiere , où
ni l'une , ni l'autre ne fe trouvent que
d'une maniere défectueufe : fur quoi il eft
à remarquer que celui qui fe donne ces
louanges , a affez de talens pour captiver
l'eftime du public , fans qu'il foit befoin
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
porpour
lui d'avoir recours à cette efpece de
charlatanifme , qui n'eft pardonnable que
lorfqu'il fupplée au défaut d'un mérite
réel. Nous y avons lû la critique du
tail de faint Eustache , qui n'eft peut- être
pas fans raifon , & en même tems l'éloge
d'un projet pour ce même portail , par
l'auteur même. Le malheur eft que ce
projet ne remplit ni la hauteur du pignon
de l'églife , ni les autres fujetions du lieu :
c'eſt dommage , car il paroît qu'il a été
pris dans Vitruve , du moins à en juger
par le bas- relief payen qui fe trouve dans
le fronton ; il eft de plus orné de deux
tours de l'invention de l'auteur , & l'on
s'apperçoit bien qu'il n'en a pas trouvé
d'exemple dans Vitruve. On y ajoûte , des
idées d'églife , que l'auteur voudroit faire
paffer en loi , qui néanmoins pourroient
trouver des oppofans. Quoiqu'il en foit ,
l'auteur ici eft donneur d'avis , ou plutôt
donneur d'idées. Les arts , font à la
mode , il eft de faifon d'en écrire ; mais il
me femble qu'on ne remonte pas aux caufes
premieres qui les rendent floriffans :
une des principales eft la multiplicité des
donneurs d'idées . Je ne parle pas fimplement
de ceux qui font artiftes ; leur état
eft d'imaginer , & il n'eft pas étonnant
qu'ils le faffent avec netteté mais il y a
:
JUIN. 1755. 13
nombre de perſonnes qui embraffent l'état
de donneurs d'idées , fans vocation particuliere
, & qui cependant fe font un grand
nom ; elles enfeignent ce qu'elles n'ont
point appris , & fans fçavoir rien des arts ,
dirigent les artistes les défauts qui fe
rencontrent dans les ouvrages font fur le
compte de l'artiſte , & ce qui s'y trouve de
bon vient d'elles.
Quiconque fe deftine à la profeffion de
donneurs d'idées doit dormir peu ,
& cependant
rêver beaucoup. Quelque confuſes
que puiffent être les imaginations qu'il
combine , il en forme , un tout qui à la
vérité n'eft pas diftinct , mais néanmoins
dans lequel il voit , comme au travers d'un
brouillard, des merveilles difficiles à expliquer
, & plus difficiles encore à rendre.
Il va chez un artifte , lui propofe ces idées ;
vingt objections fe préfentent dont il ne
s'eft pas douté : il n'importe , rien ne le
déconcerte , il revient pourvû de nouvelles
idées. A force de les détruire , l'artiſte
développe quelques- unes de celles qui lui
paroiffent convenables ; notre inventeur
les faifit , y fait quelques nouvelles additions
, qu'on fera vraisemblablement obligé
de fupprimer , mais qui lui donnent le
droit inconteſtable de fe les regarder comme
propres. L'artifte en fait- il quelque
14 MERCURE DE FRANCE .
chofe de beau ? le donneur d'idées triomphe,
fans lui l'artiſte borné n'auroit pû enfanter
une fi belle choſe. Dans le cercle de la focié
té qu'il fréquente , il eft regardé comme
l'homme d'une connoiffance univerfelle ;
bientôt , s'il a un peu de bonheur , il fera le
confeil de la cour & de la ville en fait de
goût . Il restera pour démontré que quand
on réuffira , ce fera lui qui aura merveilleufement
imaginé , & que fi le fuccès n'y
répond pas , ce fera l'artifte qui n'aura pas
eu l'efprit de le comprendre. Il réfulte
mille avantages pour les artiftes , des mouvemens
que fe donnent ces perfonnes uti
les; ils n'ont pas befoin de fortir de chez eux
pour recevoir des complimens , le donneur
d'idées veut bien fe charger de ce lourd
fardeau : ils ne courent point de rifque que
les éloges leur tournent la tête , ils ne font
pas pour eux ; ce danger n'eft que pour le
donneur d'idées , qui peut devenir vain.
Mais comme il faut beaucoup de vanité
pour faire profeffion de cet état , la meſure
n'en eft pas fi bien fixée qu'on puiffe facilement
affirmer quand il y a excès ; d'ailleurs
pour un qui fe rendroit infoutenable ,
il s'en trouveroit mille prêts à le remplacer,
ils ne font pas auffi rares que les excellens
artiftes.
Je ne fçais pourquoi tout le monde ne
JUI N. 1755. IS
s'attache
pas à ce genre de talent qui eft
facile & amufant , je veux vous le prouver
par un exemple. Il m'eft venu plufieurs fois
à l'efprit que Timoleon faifant périr ſon
propre frere pour la patrie , feroit un
beau fujet de tragédie : n'étant nullement
poëte , je ne fçais pas s'il feroit intéreffant
au théâtre , & s'il ne s'y rencontreroit pas
des inconvéniens qui le rendroient impoffible
; mais fi vous le traitiez , vous feriez
obligé de convenir , après ce que je vous
en dis ici , que c'eft moi qui vous en ai
donné l'idée , & que la plus grande partie
du fuccès me devroit être attribuée . Vous
voyez que je n'ai pas fait une grande dépenfe
de génie ; voilà pourtant ce que c'eft
qu'être donneur d'idées.
Monfieur , vous êtes zélé pour la gloire
des arts , je vous conjure d'encourager les
donneurs d'idées ; cela eft plus aifé qu'on
ne le croit ordinairement , & on peut appliquer
ce talent à une infinité de chofes
dans les belles-lettres & dans les arts. Avec
de très-légeres connoiffances , on peut donner
des idées de tragédies , de comédies &
même de poëmes épiques , ce qui eft bien
plus glorieux. M. V. fait un beau tableau
qu'il expofe au fallon : un homme de bien
plus grande imagination que lui , lui prouve
dans une brochure qu'il n'a pas tiré de
16 MERCURE DE FRANCE.
fon fujet tout ce qu'il pouvoit , & lui fournit
de quoi couvrir une toile de vingt toifes
. Cependant cet auteur voit tout cela au
travers d'un brouillard , dans un espace de
quinze pieds ; on pourroit le prier de faire
voir comment il y fait entrer tout cela :
fon excufe eft toute prête ; il ne fçait pas
deffiner , fon état eſt d'être donneur d'idées.
Le bon M. *** dont les écrits font fi remplis
d'aménité , & qui par conféquent ne peut
comprendre pourquoi ils lui ont attiré tant
d'ennemis , fe donne la peine de faire imprimer
quantité d'idées de fujets pour les
peintres ; ils ont l'ingratitude de s'appercevoir
qu'aucun de ces fujets n'eft propre
à faire un bon effet cela n'eft - il pas
malheureux ? fi on l'avoit crû , n'eut- il
eu droit au premier fallon de réclamer
fon bien ? & toute la gloire de l'expofition
n'eût- elle dû être pour
pas lui : Ce qui
lui doit paroître plus inconcevable encore ,
c'eft qu'une autre brochure qui a paru
depuis & qui contenoit des fujets de peina
été tout autrement accueillie .
Pourquoi cela ? eft - ce parce qu'il étoit
évident que celle ci partoit de quelqu'un
au fait de l'art , & qui n'écrivoit que d'après
des idées nettes & déja compofées
dans fon efprit en artifte ? Devroit- on pour fi
peu y mettre tant de différence ? Eft if quefture
,
pas
JUIN. 1755. 17
tion d'une grande fête ? on dit à l'artiſte , il
nous faudroit ici quelque chofe de grand ,
de beau , un temple , un palais , ce que vous
voudrez ; mais que cela foit impofant : voilà
des demandes nettes , claires , & qu'on
peut remplir de mille façons. L'artiſte eft
à fon aife ; s'il eft habile , il fait une belle
chofe ; mais il n'en eft pas moins vrai que
c'eſt M. tel qui lui a donné l'idée . Ce font
les efprits prudens , & ceux qui veulent
une gloire qu'on ne puiffe leur conteſter ,
qui fe renferment dans ces généralités ;
elles fuffifent pour en tirer le plus grand
honneur , & même pour autorifer à mettre
fon nom , comme inventeur , aux eftampes
qui pourront en être gravées. Ceux qui
s'avifent de mettre la main au porte- crayon,
s'en tirent plus difficilement : malgré les
excufes qu'ils apportent de n'avoir jamais
appris , ce qui eft aſſez viſible pour les difpenfer
du foin d'en avertir ; ils hazardent
beaucoup ordinairement , ils ne fçauroient
éviter une bonne dofe de ridicule; mais auffi
s'il arrive, par un heureux hazard , que l'exécution
reffemble à peu près à ce qu'ils ont
confufément ébauché,quel triomphe ! quelle
gloire ! On peut donner des idées pour les
décorations de l'opéra , pourvû qu'on ait
de bons peintres pour les débrouiller &
leur donner de l'existence. L'expérience fait
18 MERCURE DE FRANCE.
voir qu'il n'eft pas néceffaire de fçavoir
deffiner , ni même les premiers élémens de
l'architecture. On peut donner des idées
pour la mufique ; il fuffit pour cela d'en
avoir entendu quelquefois , & d'avoir pris
parti dans la querelle pour ou contre. On
donnera encore facilement des idées pour
les habillemens , il y en a des preuves. On
a vû des perfonnes fe faire une réputation,
feulement pour avoir donné des idées d'attitudes
variées aux acteurs des choeurs de
l'opéra . Il n'y a pas jufqu'à un marchand
qui donne des idées ( ou du moins qui le
fait croire ) aux manufactures d'étoffes .
Lorfqu'il a été queftion de faire une
place pour le Roi , n'a-t-on pas vû éclore
un effain de donneurs d'idées , qui étoient
étonnés eux- mêmes de la beauté des imaginations
qui leur paffoient par la tête ?
quelques-uns n'ont pû réfifter à la tentation
de les publier , quoiqu'en pure perte.
Il ne faut pas en croire les artiftes , qui fe
figurent que tout le monde eft en état de
faire un rêve ; que toute la difficulté confifte
à le réaliſer de maniere qu'il faſſe un
bon effet , & à vaincre les difficultés qui
fe rencontrent dans les idées les plus nettes
& les mieux conçues : la jaloufie leur
fuggere ce fentiment , & la véritable gloire
doit toujours appartenir à celui qui donne
la premiere idée.
JUIN. 1755. 19
Vous même , Monfieur , vous avez les
plus grandes obligations à un donneur d'idées
, & peut- être fans l'avoir jamais fçu .
Nous venons de perdre un auteur , finon
diftingué , du moins récompenfé : il avoit
apparamment fait réflexion , ou avant ou
après vous , que le contraſte d'un Anglois
des plus durs avec un François des plus
petits- maîtres pouvoit produire quelque
chofe de plaifant ; de là il s'étoit érigé dans
fa famille & dans le petit cercle de fes
amis pour le donneur d'idées du François
à Londres. Si vous ne fûtes pas débarraſſé
du foin d'imaginer ce fujet , vous dûtes
l'être d'une partie du fardeau des éloges
qui vous en font revenus , du moins il
cherchoit à vous en foulager autant qu'il
lui étoit poffible. La feule difficulté qui s'y
trouvoit , c'est qu'il n'avoit rien fait avant ,
& qu'il ne fit rien depuis qui donnât lieu
de croire qu'il en eût pû faire une bonne
piece ; cependant il avoit fes croyans . C'en
eft affez pour vous faire voir la très- grande
utilité des donneurs d'idées , & je vous les
recommande comme plus importans encore
que les donneurs d'avis.
Je fuis , &c.
Badinage inftructif adreffé à M. de Boiffi.
M
des
ONSIEUR, vous paroiffez prendre
plaifir à remplir votre article
des Arts. Nous y avons vû fucceffivement
des critiques fur l'architecture faites par
perfonnes qui entendoient bien la matiere
; des injures dites avec beaucoup de politeffe
à M. Boucher , & les efforts que l'on
fait pour trouver des raifons de fon mécon
tentement , qui font cependant bien clairement
imprimées fur les eftampes dont il
eft queſtion ; des éloges qu'un artiſte fait
de fes ouvrages , avec une bonne foi qui ne
lui permet pas de douter que le public
puiffe être d'un autre avis. Il vante de prétendues
nouvelles découvertes en gravûre
qui font auffi anciennes que l'art , & que
perfonne n'ignore; il nous affûre la plus parfaite
exactitude dans une eftampe , quant
à la perfpective & à l'effet de lumiere , où
ni l'une , ni l'autre ne fe trouvent que
d'une maniere défectueufe : fur quoi il eft
à remarquer que celui qui fe donne ces
louanges , a affez de talens pour captiver
l'eftime du public , fans qu'il foit befoin
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
porpour
lui d'avoir recours à cette efpece de
charlatanifme , qui n'eft pardonnable que
lorfqu'il fupplée au défaut d'un mérite
réel. Nous y avons lû la critique du
tail de faint Eustache , qui n'eft peut- être
pas fans raifon , & en même tems l'éloge
d'un projet pour ce même portail , par
l'auteur même. Le malheur eft que ce
projet ne remplit ni la hauteur du pignon
de l'églife , ni les autres fujetions du lieu :
c'eſt dommage , car il paroît qu'il a été
pris dans Vitruve , du moins à en juger
par le bas- relief payen qui fe trouve dans
le fronton ; il eft de plus orné de deux
tours de l'invention de l'auteur , & l'on
s'apperçoit bien qu'il n'en a pas trouvé
d'exemple dans Vitruve. On y ajoûte , des
idées d'églife , que l'auteur voudroit faire
paffer en loi , qui néanmoins pourroient
trouver des oppofans. Quoiqu'il en foit ,
l'auteur ici eft donneur d'avis , ou plutôt
donneur d'idées. Les arts , font à la
mode , il eft de faifon d'en écrire ; mais il
me femble qu'on ne remonte pas aux caufes
premieres qui les rendent floriffans :
une des principales eft la multiplicité des
donneurs d'idées . Je ne parle pas fimplement
de ceux qui font artiftes ; leur état
eft d'imaginer , & il n'eft pas étonnant
qu'ils le faffent avec netteté mais il y a
:
JUIN. 1755. 13
nombre de perſonnes qui embraffent l'état
de donneurs d'idées , fans vocation particuliere
, & qui cependant fe font un grand
nom ; elles enfeignent ce qu'elles n'ont
point appris , & fans fçavoir rien des arts ,
dirigent les artistes les défauts qui fe
rencontrent dans les ouvrages font fur le
compte de l'artiſte , & ce qui s'y trouve de
bon vient d'elles.
Quiconque fe deftine à la profeffion de
donneurs d'idées doit dormir peu ,
& cependant
rêver beaucoup. Quelque confuſes
que puiffent être les imaginations qu'il
combine , il en forme , un tout qui à la
vérité n'eft pas diftinct , mais néanmoins
dans lequel il voit , comme au travers d'un
brouillard, des merveilles difficiles à expliquer
, & plus difficiles encore à rendre.
Il va chez un artifte , lui propofe ces idées ;
vingt objections fe préfentent dont il ne
s'eft pas douté : il n'importe , rien ne le
déconcerte , il revient pourvû de nouvelles
idées. A force de les détruire , l'artiſte
développe quelques- unes de celles qui lui
paroiffent convenables ; notre inventeur
les faifit , y fait quelques nouvelles additions
, qu'on fera vraisemblablement obligé
de fupprimer , mais qui lui donnent le
droit inconteſtable de fe les regarder comme
propres. L'artifte en fait- il quelque
14 MERCURE DE FRANCE .
chofe de beau ? le donneur d'idées triomphe,
fans lui l'artiſte borné n'auroit pû enfanter
une fi belle choſe. Dans le cercle de la focié
té qu'il fréquente , il eft regardé comme
l'homme d'une connoiffance univerfelle ;
bientôt , s'il a un peu de bonheur , il fera le
confeil de la cour & de la ville en fait de
goût . Il restera pour démontré que quand
on réuffira , ce fera lui qui aura merveilleufement
imaginé , & que fi le fuccès n'y
répond pas , ce fera l'artifte qui n'aura pas
eu l'efprit de le comprendre. Il réfulte
mille avantages pour les artiftes , des mouvemens
que fe donnent ces perfonnes uti
les; ils n'ont pas befoin de fortir de chez eux
pour recevoir des complimens , le donneur
d'idées veut bien fe charger de ce lourd
fardeau : ils ne courent point de rifque que
les éloges leur tournent la tête , ils ne font
pas pour eux ; ce danger n'eft que pour le
donneur d'idées , qui peut devenir vain.
Mais comme il faut beaucoup de vanité
pour faire profeffion de cet état , la meſure
n'en eft pas fi bien fixée qu'on puiffe facilement
affirmer quand il y a excès ; d'ailleurs
pour un qui fe rendroit infoutenable ,
il s'en trouveroit mille prêts à le remplacer,
ils ne font pas auffi rares que les excellens
artiftes.
Je ne fçais pourquoi tout le monde ne
JUI N. 1755. IS
s'attache
pas à ce genre de talent qui eft
facile & amufant , je veux vous le prouver
par un exemple. Il m'eft venu plufieurs fois
à l'efprit que Timoleon faifant périr ſon
propre frere pour la patrie , feroit un
beau fujet de tragédie : n'étant nullement
poëte , je ne fçais pas s'il feroit intéreffant
au théâtre , & s'il ne s'y rencontreroit pas
des inconvéniens qui le rendroient impoffible
; mais fi vous le traitiez , vous feriez
obligé de convenir , après ce que je vous
en dis ici , que c'eft moi qui vous en ai
donné l'idée , & que la plus grande partie
du fuccès me devroit être attribuée . Vous
voyez que je n'ai pas fait une grande dépenfe
de génie ; voilà pourtant ce que c'eft
qu'être donneur d'idées.
Monfieur , vous êtes zélé pour la gloire
des arts , je vous conjure d'encourager les
donneurs d'idées ; cela eft plus aifé qu'on
ne le croit ordinairement , & on peut appliquer
ce talent à une infinité de chofes
dans les belles-lettres & dans les arts. Avec
de très-légeres connoiffances , on peut donner
des idées de tragédies , de comédies &
même de poëmes épiques , ce qui eft bien
plus glorieux. M. V. fait un beau tableau
qu'il expofe au fallon : un homme de bien
plus grande imagination que lui , lui prouve
dans une brochure qu'il n'a pas tiré de
16 MERCURE DE FRANCE.
fon fujet tout ce qu'il pouvoit , & lui fournit
de quoi couvrir une toile de vingt toifes
. Cependant cet auteur voit tout cela au
travers d'un brouillard , dans un espace de
quinze pieds ; on pourroit le prier de faire
voir comment il y fait entrer tout cela :
fon excufe eft toute prête ; il ne fçait pas
deffiner , fon état eſt d'être donneur d'idées.
Le bon M. *** dont les écrits font fi remplis
d'aménité , & qui par conféquent ne peut
comprendre pourquoi ils lui ont attiré tant
d'ennemis , fe donne la peine de faire imprimer
quantité d'idées de fujets pour les
peintres ; ils ont l'ingratitude de s'appercevoir
qu'aucun de ces fujets n'eft propre
à faire un bon effet cela n'eft - il pas
malheureux ? fi on l'avoit crû , n'eut- il
eu droit au premier fallon de réclamer
fon bien ? & toute la gloire de l'expofition
n'eût- elle dû être pour
pas lui : Ce qui
lui doit paroître plus inconcevable encore ,
c'eft qu'une autre brochure qui a paru
depuis & qui contenoit des fujets de peina
été tout autrement accueillie .
Pourquoi cela ? eft - ce parce qu'il étoit
évident que celle ci partoit de quelqu'un
au fait de l'art , & qui n'écrivoit que d'après
des idées nettes & déja compofées
dans fon efprit en artifte ? Devroit- on pour fi
peu y mettre tant de différence ? Eft if quefture
,
pas
JUIN. 1755. 17
tion d'une grande fête ? on dit à l'artiſte , il
nous faudroit ici quelque chofe de grand ,
de beau , un temple , un palais , ce que vous
voudrez ; mais que cela foit impofant : voilà
des demandes nettes , claires , & qu'on
peut remplir de mille façons. L'artiſte eft
à fon aife ; s'il eft habile , il fait une belle
chofe ; mais il n'en eft pas moins vrai que
c'eſt M. tel qui lui a donné l'idée . Ce font
les efprits prudens , & ceux qui veulent
une gloire qu'on ne puiffe leur conteſter ,
qui fe renferment dans ces généralités ;
elles fuffifent pour en tirer le plus grand
honneur , & même pour autorifer à mettre
fon nom , comme inventeur , aux eftampes
qui pourront en être gravées. Ceux qui
s'avifent de mettre la main au porte- crayon,
s'en tirent plus difficilement : malgré les
excufes qu'ils apportent de n'avoir jamais
appris , ce qui eft aſſez viſible pour les difpenfer
du foin d'en avertir ; ils hazardent
beaucoup ordinairement , ils ne fçauroient
éviter une bonne dofe de ridicule; mais auffi
s'il arrive, par un heureux hazard , que l'exécution
reffemble à peu près à ce qu'ils ont
confufément ébauché,quel triomphe ! quelle
gloire ! On peut donner des idées pour les
décorations de l'opéra , pourvû qu'on ait
de bons peintres pour les débrouiller &
leur donner de l'existence. L'expérience fait
18 MERCURE DE FRANCE.
voir qu'il n'eft pas néceffaire de fçavoir
deffiner , ni même les premiers élémens de
l'architecture. On peut donner des idées
pour la mufique ; il fuffit pour cela d'en
avoir entendu quelquefois , & d'avoir pris
parti dans la querelle pour ou contre. On
donnera encore facilement des idées pour
les habillemens , il y en a des preuves. On
a vû des perfonnes fe faire une réputation,
feulement pour avoir donné des idées d'attitudes
variées aux acteurs des choeurs de
l'opéra . Il n'y a pas jufqu'à un marchand
qui donne des idées ( ou du moins qui le
fait croire ) aux manufactures d'étoffes .
Lorfqu'il a été queftion de faire une
place pour le Roi , n'a-t-on pas vû éclore
un effain de donneurs d'idées , qui étoient
étonnés eux- mêmes de la beauté des imaginations
qui leur paffoient par la tête ?
quelques-uns n'ont pû réfifter à la tentation
de les publier , quoiqu'en pure perte.
Il ne faut pas en croire les artiftes , qui fe
figurent que tout le monde eft en état de
faire un rêve ; que toute la difficulté confifte
à le réaliſer de maniere qu'il faſſe un
bon effet , & à vaincre les difficultés qui
fe rencontrent dans les idées les plus nettes
& les mieux conçues : la jaloufie leur
fuggere ce fentiment , & la véritable gloire
doit toujours appartenir à celui qui donne
la premiere idée.
JUIN. 1755. 19
Vous même , Monfieur , vous avez les
plus grandes obligations à un donneur d'idées
, & peut- être fans l'avoir jamais fçu .
Nous venons de perdre un auteur , finon
diftingué , du moins récompenfé : il avoit
apparamment fait réflexion , ou avant ou
après vous , que le contraſte d'un Anglois
des plus durs avec un François des plus
petits- maîtres pouvoit produire quelque
chofe de plaifant ; de là il s'étoit érigé dans
fa famille & dans le petit cercle de fes
amis pour le donneur d'idées du François
à Londres. Si vous ne fûtes pas débarraſſé
du foin d'imaginer ce fujet , vous dûtes
l'être d'une partie du fardeau des éloges
qui vous en font revenus , du moins il
cherchoit à vous en foulager autant qu'il
lui étoit poffible. La feule difficulté qui s'y
trouvoit , c'est qu'il n'avoit rien fait avant ,
& qu'il ne fit rien depuis qui donnât lieu
de croire qu'il en eût pû faire une bonne
piece ; cependant il avoit fes croyans . C'en
eft affez pour vous faire voir la très- grande
utilité des donneurs d'idées , & je vous les
recommande comme plus importans encore
que les donneurs d'avis.
Je fuis , &c.
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Résumé : LES DONNEURS D'IDÉES, Badinage instructif adressé à M. de Boissi.
Dans une lettre adressée à M. de Boiffi, l'auteur critique les articles du Mercure de France, soulignant des éloges excessifs et des critiques injustes dans le domaine des arts. Il note des contradictions dans les appréciations, notamment en architecture et en gravure, et observe que les arts sont à la mode, bien que les raisons de cette popularité ne soient pas toujours bien comprises. L'auteur exprime une méfiance envers les 'donneurs d'idées', des individus sans vocation artistique spécifique qui se permettent de diriger les artistes. Ces donneurs d'idées conçoivent des projets confus qu'ils soumettent aux artistes, s'attribuant par la suite le mérite des succès obtenus. L'auteur illustre ce phénomène par divers exemples, tels que des idées pour des tragédies, des tableaux ou des décorations. Malgré leur manque de compétences réelles, il recommande de les encourager, car ils jouent un rôle crucial dans la reconnaissance des artistes.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 159-172
ARCHITECTURE. Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
Début :
Une société de Gens de Lettres, vient de publier un nouveau volume de ses [...]
Mots clefs :
Architecture, Architecte, Mémoires, Gloire, Architecture antique, Église, Édifices, Goût, Portail, Marchés, Louvre, Bâtiment, Société de gens de Lettres
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ARCHITECTURE. Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
ARCHITECTURE.
Mercure du mois de Juin de l'année 2355-
Ne fociété de Gens de Lettres , vient
de publier un nouveau volume de fes
Mémoires *.
C'eft une chofe admirable que la vertueuſe
ténacité avec laquelle cet illuftre
corps s'attache à multiplier fes découvertes
fur nos antiquités françoiſes .
J'en rendrai compte , non fuivant l'ordre
felon lequel les Mémoires font arrangés
dans le volume , mais en mettant de
* Ces mémoires fontd'autant plus rares , qu'ils
font l'ouvrage des fçavans qui font à naître , &
qu'ils ont été faits plufieurs fiecles après le nôtre.
Jufqu'ici l'érudition avoit employé fa fagacité à
débrouiller le cahos des tems paffés , mais elle
étend aujourd'hui fes lumieres jufqu'à percer les
ténébres d'un âge à venir. C'eſt donner un être à
la poffibilité , c'eft réaliſer les conjectures , & ( ce
que j'eftime le plus dans ce morceau , ) c'est trouver
une maniere auffi nouvelle qu'ingénieufe , de
louer le fiecle préfent , fans bleffer la modeftie de
perfonne. Je crois faire un vrai préſent au public
de l'inférer dans mon journal.
160 MERCURE DE FRANCE.
fuite ceux qui traittent des matieres qui ont
du rapport les unes aux autres. Ainfi , je
rapporterai d'abord ceux qui concernent
l'Architecture antique.
Le premier eft celui du célébre M. Scarcher
, déja connu par tant d'ouvrages remplis
de la plus profonde érudition , il Y
traite des reftes d'Architecture de l'ancienne
ville de Paris. Il prouve d'abord d'une
maniere irréfiftible que le quartier de la
Cour , que nous diftinguons fous le nom
de quartier de Verfailles , étoit autrefois
hors de la ville de Paris , & qu'il y avoit
même une étendue confidérable de terrein
inhabité entre l'une & l'autre , il prétend
qu'alors la ville n'avoit qu'environ une
lieue d'étendue. On eft furpris , fans doute ,
de voir que cette ville magnifique ait eû
de fifoibles commencemens. Cependant il
eft difficile de fe refufer à la force des
ves qu'il a recueillies avec un courage infatigable
dans une quantité prodigieufe
d'anciens livres qu'il lui a fallu parcourir.
Il entreprend de prouver que la ville finiffoit
où l'on voit à préfent cette admirable
ftatue du grand Roi Louis XV. qui fut
furnommé par fes fujets le Bien -aimé
comme on le voit par les infcriptions de
la ftatue qui nous refte auffi bien confervée
que fi elle fortoit de la fonte , & qui
preuJUILLET.
1755 161
durera moins encore que la mémoire d'un
fi beau titre & la gloire de ce grand Monarque.
Enfuite il fait voir par un raifonnement
très étendu & plein d'érudition , que le
pont qu'on nomme Royal a pris fon nom
de cette ſtatue, contre le fentiment de quelques-
uns qui croyent qu'il fe nommoit
ainfi avant qu'elle fut érigée, Ce qu'il dit
fur ce fujer eft fi evident qu'il ne femble
pas qu'on puiffe le contefter d'avantage.
Il paffe enfuite à des recherches trèscurieufes
fur le merveilleux bâtiment du
Louvre , il réfute furabondamment le mémoire
donné dans la même Société l'année
précédente où l'on avoit avancé que ce fuperbe
édifice avoit été achevé & porté à fon
entiere perfection fous le regne de Louis
XIV. fondé fur l'autorité des Hiftoires ,
confervées dans les anciennes bibliothetheques
; il fait voir qu'il a été long- temps
abandonné à caufe des guerres qui ont troublé
la fin du XVIIe fiécle & le commencement
du XVIII , & qui ont affuré à la
France la fupériorité fur fes voifins , la
fplendeur & le repos dont elle jouit depuis
ces deux fiécles également célébres . Il rapporte
à ce fujet un trait d'hiftoire curieux
où l'on voit que celui qui étoit alors à la
tête des Arts , fecondant avec zele & avec
162 MERCURE DE FRANCE.
un goût peu commun , les intentions & l'inclination
du Roy régnant , pour les grandes
chofes , entreprit de reftaurer & d'achever
cet édifice , dont une partie tomboit
en ruine. Il fixe la datte de cet important
événement vers le milieu du XVIIIe fiécle .
"
Il détruit enfuite entiérement l'objection
la plus impofante que fon antagoniſte
avoit alléguée contre la vérité de ce fait
qui étoit le peu de vraisemblance qu'il
trouvoit à croire qu'une perfonne en place
pût avoir abandonné la gloire de conftruire
de nouveaux édifices , & s'être contentée
de celle d'amener à leur fin les ouvrages
commencés par fes prédéceffeurs , qui
méritoient d'être confervés à la postérité.
M. Scarcher fait voir combien cette idée
eft fauffe , & qu'elle n'eft fondée que fur
la reffemblance que nous fuppofons entre
les hommes d'alors , & ceux du temps où
nous vivons. Il eſt bien vrai que de nos
jours nous voyons rarement achever les
grandes entrepriſes , parce qu'il eft du bon
air de ne point fuivre les maximes ni les
idées de fes prédéceffeurs , mais il n'en
étoit pas ainfi dans ces temps héroïques ;
chacun mettoit fa gloire à contribuer autant
qu'il étoit en lui à celle du Roy
régnant , & lorfque le moyen le plus digne
avoit été trouvé par fon devancier , on le
JUILLET. 1755. 163
fuivoit fans difficulté. D'ailleurs , on ne
peut pas dire que le Supérieur de ces tempslà
fe foit uniquement borné à fuivre ou à
finir ce que les autres avoient tracé . Il nous
refte plufieurs édifices très confidérables
& d'une grande beauté qui ont été commencés
& achevés fous ce regne.
On ne peut trop admirer la facilité & la
juftefle avec laquelle notre Sçavant éclaircit
ces temps que leur éloignement nous
rend fi obfcurs . Si d'une part il nous fait
voir avec certitude que ce fuperbe bâtiment
a été négligé pendant quelques années
, en même temps il s'éleve avec la plus
grande force contre ceux qui ont avancé
que pendant long-temps cet édifice a été
environné d'écuries , de petites maiſons ,
même d'échoppes. Il fait voir quelle abfurdité
il y a à penfer que dans un fiècle auffi
éclairé , on ait fouffert une pareille profanation
, ce qu'il dit là- deffus eft rempli
d'éloquence.
J'abrege quantité de réflexions non moins
curieufes qu'il fait fur les beautés du Lou
vre & qu'il faut lire dans l'original , pour
paffer à ce qu'il dit fur l'Eglife antique de
fainte Génevieve de la montagne. Il croit
que cet admirable édifice a été bâti par le
même architecte que le fuperbe périftile du
Louvre. La tradition reçue jufqu'à préfent
164 MERCURE DE FRANCE.
étoit que cette églife avoit été commencée
vers le milieu du dix -huitiéme fiécle : en
admettant fes preuves , il faudroit en établir
la datte environ un fiécle plûtôt , ce
qui répugne un peu à la beauté de fa confervation
, cependant les raifons qu'il apporte
ne font point à rejetter. Il s'appuie
fur le fentiment de nos plus habiles architectes
, qui en conſidérant la noble ſimplicité
du goût de cette architecture , y reconnoiffent
le même ſtile qu'au Louvre , quoique
dans une compofition différente. Ils
prétendent que le goût du dix- huitiéme
fiécle a été inférieur , à en juger par quelques
reftes de bâtimens dont la datte eft
certaine & par quelques écrits de ces
temps- là qui font remplis de plaintes contre
le mauvais goût qui régnoit alors , &
où l'on en explique les défauts de maniere
à nous en donner une idée affez diftincte.
Or , on ne voit aucun de ces défauts ni
dans cette églife , ni au Louvre ; au contraire
ces édifices font encore les regles du
vrai beau .
La feconde preuve qu'il tire du nom
de l'architecte , fait voir avec quelle fagacité
il éclaircit les antiquités les plus épineuſes.
L'hiſtoire nous a confervé le nom
de l'architecte de ce beau periftile du Louvre
qui regarde le Levant , il fe nommoit
JUILLE T. 1755. 165
Perrault. M. Scarcher prouve à travers
mille difficultés que c'eft ce même nom qui
eft tracé à fainte Genevieve , & qui eft tellement
effacé , qu'il n'y a qu'un homme
auffi verfé dans les antiquités que M. Scarcher
, qui puiffe nous en donner l'intelligence.
La premiere difficulté qui fe rencontre
eft que le nom de Perrault eft compofé
de huit lettres & qu'on n'en apperçoit
que fept dans les foibles traces qui restent
fur ce marbre ; mais nous verrons bien-tôt
comment on doit expliquer cela. Les deux
dernieres lettres de ce nom , qui fe voyent
encore affez diftin&tement , font OT, & il
ya tout lieu de croire que celle qui les
précede eft une L. M. Scarcher prouve premierement
par un grand nombre d'autorités
refpectables que les anciens François
prononçoient la diphtongue an , de même
que la lettre o , & qu'ainfi ils mettoient indifféremment
l'une pour l'autre. Cette découverte
répond en même temps d'une ma
niere évidente à la premiere difficulté des
fept premieres lettres qui fe trouvent à
fainte Génevieve au lieu de huit , que demande
fa fuppofition , car il eft clair qu'ici
la lettre o tient lieu de deux . Il reste la difficulté
de L qui fe trouve avant l'O , au
lieu que dans le nom de Perrault , elle ſe
trouve après an. 11 y fatisfait du moins
曩
166 MERCURE DE FRANCE .
d'une maniere probable , en difant qu'il eft
poffible que la modeſtie de l'architecte
l'ayant empêché d'y mettre lui-même fon
nom , il n'a été mis qu'après la mort , &
que ceux qui l'ont gravé , l'ont ainfi défiguré
, ou par corruption , ou plûtôt parce
que c'étoit en effet la véritable prononciation
de ce temps- là , comme nous voyons
encore dans le nôtre que les Allemands
prononcent Makre quoiqu'ils écrivent Maker
, ainfi on peut avoir prononcé OLT,
quoiqu'il foit écrit LOT. Nous nous fommes
un peu étendus fur cet article , quoique
nous l'ayons beaucoup abrégé , parce
que c'eft un des plus importans de ce fçavant
mémoire & celui où l'on découvre la
plus rare érudition ; s'il y a quelque choſe
qui paroiffe inadmiffible , c'eft cet excès
de modeſtie qu'il ſuppoſe dans un architecte
; mais encore une fois , nous ne deyons
pas juger des hommes de ces fiécles
vertueux par ceux du nôtre. Il reſte encore
une objection. Plufieurs fçavans ont prétendu
que la premiere lettre de ce nom eft
une S , & qu'il eft difficile avec les traces
qui en reftent d'en faire un P * . C'eſt là
* Il y en a qui vont plus loin . Ayant de meilleurs
yeux , ils ont cru entrevoir uneƒavant l , &
fuppléant à la diphtongue qui manque , ils ont
conjecturé que le véritable nom de l'architecte
JUILLET. 1755- 167
qu'il faut voir M. Scarcher employer toutes
les forces de fon éloquence pour y trouver
un P , il faut le lire dans l'original ,
mais il eft vrai qu'il eft bien difficile quand
on l'a lû de ne l'y pas trouver avec lui ,
malgré les difficultés que préfente l'infpection
du marbre.
M. Scarcher traite enfuite des reftes antiques
de l'Eglife de faint Pierre & faint
Paul , qu'une tradition fans fondement
nomme faint Sulpice. Il démontre que nous
n'avons pas cet édifice ( dont il ne refte
prefque que le portail ) tel qu'il a été bâti .
Que les arcades qui font au fecond ordre ,
y ont été conftruites depuis par quelque
raifon de folidité occafionnée par les ravages
du temps , & qu'il n'y a nulle apparènce
qu'un architecte de ce mérite eut mis ces
maffifs au fecond ordre n'en ayant pas mis
au premier , c'eft- à-dire , le fort fur le
foible. Il prouve encore que les coloffes
monftrueux qui font fur les tours , ont été
pareillement ajoûtés par quelque raifon de
dévotion populaire , qui a voulu que l'on
vit les patrons de cette églife les plus
grands qu'il étoit poffible ; que les tours
ont été terminées en ligne droite par l'architecte
premier auteur de cet édifice , &
étoit Sauflot ou Souflot. J'avoue que je ferois affez
de ce dernier ſentiment,
168 MERCURE DE FRANCE:
que le couronnement que nous y voyons
maintenant eft une augmentation faite
dans un fiecle où le goût avoit dégénéré.
Il ne paroît pas auffi bien fondé , lorfqu'il
foutient que le fronton eft dans le même
cas d'être venu après coup. Il prétend
décider le problême qui embarraffe tous
nos architectes , c'est - à - dire , l'impoffibilité
qu'il y a que l'églife dont nous jugeons
par quelques arcades demi ruinées
qui fubfiftent encore , puiffe avoir été liée
avec ce portail . En effet , on ne voit aucune
hauteur ni aucune ligne qui y ait du rapport.
Il dit qu'alors l'intérieur de l'égliſe
étoit à deux ordres l'un fur l'autre femblables
à ceux du portail avec un rang de galleries
regnant tout au tour, que cette églife
ayant été détruite ou par quelque accident
ou par la barbarie des fiecles fuivans , on a
édifié à fa place ce bâtiment irrégulier qui
s'y accorde fi peu ; ce qui donne quelque
vraisemblance à fa fuppofition , c'eft qu'indépendamment
de leur peu de rapport avec
le portail ces fragmens qui nous reftent
n'en ont pas même entr'eux . Ce fentiment
n'eft cependant pas fans difficulté , on a
peine à concevoir que dans l'efpace de
temps qui s'est écoulé depuis fa premiere
conftruction , une égliſe auffi bien bâtie
que celle qui devoit tenir à ce portail , ait
été
JUILLET. 1755. 169
été détruite , relevée une feconde fois aufli
folidement que nous le voyons par ces
reftes , & encore ruinée . On ne peut que
difficilement fuppofer qu'elle ait été abbattue
exprès , d'ailleurs nous ne connoiffons
point de fiecle de barbarie depuis ces temps
mémorables. Les arts ont toujours été floriffans
, & n'ont fait que fe perfectionner
jufqu'au point d'élévation où nous les
voyons maintenant. M. Scarcher permettra
que nous ne nous rendions pas encore
fur cet article , & que nous attendions des
preuves plus fortes que le temps & fon
profond fçavoir lui feront découvrir.
Notre favant auteur paffe enfuite à un
refte de bâtiment ancien qu'on croit avoir
été une églife fous l'invocation de faint
Roch. Ce qu'on trouve de plus fatisfaiſant
dans les réflexions de M. Scarcher fur cette
églife , ce font les raifons dont il s'appuye
pour détruire le fentiment de ceux qui foutiennent
que le double focle qui porte les
arcades de la nef a été apparent dans fa
premiere conftruction . Il fait voir que le
focle d'enbas étoit la fondation qui fe trouvoit
enfevelie dans l'intérieur du terrein
qu'il n'eft vifible que parce qu'on a baiffé
le terrein intérieur de l'églife , & combien
il eft ridicule de penfer que jamais aucun
architecte fe foit avifé de mettre deux fo-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cles l'un fur l'autre , & fi élévés que les
bazes des colonnes font de beaucoup audeffus
de la vue. Il établit une feconde
preuve fur ce qu'on trouve par d'anciennes
eftampes qu'on croit gravées dans ces mêmes
tems , qu'il y a eu 15 ou 16 marches
pour monter à cette églife , au lieu qu'à
préfent il ne s'en trouve que cinq. Selon
fon idée , on a détruit les marches qui
montoient jufqu'au niveau du premier
focle. Ce fentiment n'eft probable que dans
la fuppofition que les marches que l'on y
voit maintenant ne font point du tout les
anciennes , car il auroit fallu pour monter
jufqu'à la hauteur des bazes du portail
qu'elles n'euffent laiffé aucun pallier ; ce
qui , quoique poffible , laiffe quelque doute
, d'autant plus qu'en calculant la hauteur
& l'enfoncement que produifent un
nombre de marches femblables à celles qui
reftent , on n'y trouve pas un rapport jufte
avec le nombre des marches indiquées dans
l'eftampe , il eft vrai qu'il ajoute une raifon
plaufible pour remédier au défaut de
juftelle du calcul de ces marches , il fait
remarquer que naturellement le terrein
des villes fe hauffe par un abus auquel on
ne fonge point à tenir la main , parce que
l'on apporte toujours & qu'on ne remporte
jamais. Tout ceci porta un caractere de
JUILLET. 1755. 171
vraisemblance auquel on a peine à ſe
refufer.
·
Il entreprend de prouver que cette églife
précede au moins d'un fiecle le bâtiment
du Louvre , c'est- à- dire , avant que la bonne
architecture fut bien connue . Premierement
par le défaut infupportable des bazes
& des chapiteaux des colomnes qui ſe pénetrent
avec les pilaftres , défaut ridicule
qu'on n'eut jamais fouffert dans un fiecle
plus éclairé. Secondement , par les fauffes
courbes qui font l'enfoncement des efpeces
de niches où font les petites portes de
l'églife . Il prétend que ces courbes font
les effais par où l'on a commencé avant
que de trouver les formes régulieres . Cette
feconde preuve n'eſt pas de la force de la
premiere , car on trouve plufieurs édifices
dont la datte eft certaine , & qui font conftruits
plus d'un fiecle & demi après , où
l'on voit ces mêmes courbes employées &
de plus mauvaiſes encore , d'ailleurs plufieurs
fçavans prétendent quele propre de
l'efprit humain , eft de trouver d'abord
tour naturellement le fimple qui eft le vrai
beau ; & que le goût ne fe corrompt qu'à
force de vouloir aller au-delà.
Au refte , il eft fi difficile de pénétrer
dans ces tems anciens , que les conjectures
vraisemblables doivent être regardées
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
comme des démonftrations . Ce mémoire
renferme quantité de recherches intéreſfantes
aufquelles je renvoye le lecteur
pour ne pas être trop long.
Mercure du mois de Juin de l'année 2355-
Ne fociété de Gens de Lettres , vient
de publier un nouveau volume de fes
Mémoires *.
C'eft une chofe admirable que la vertueuſe
ténacité avec laquelle cet illuftre
corps s'attache à multiplier fes découvertes
fur nos antiquités françoiſes .
J'en rendrai compte , non fuivant l'ordre
felon lequel les Mémoires font arrangés
dans le volume , mais en mettant de
* Ces mémoires fontd'autant plus rares , qu'ils
font l'ouvrage des fçavans qui font à naître , &
qu'ils ont été faits plufieurs fiecles après le nôtre.
Jufqu'ici l'érudition avoit employé fa fagacité à
débrouiller le cahos des tems paffés , mais elle
étend aujourd'hui fes lumieres jufqu'à percer les
ténébres d'un âge à venir. C'eſt donner un être à
la poffibilité , c'eft réaliſer les conjectures , & ( ce
que j'eftime le plus dans ce morceau , ) c'est trouver
une maniere auffi nouvelle qu'ingénieufe , de
louer le fiecle préfent , fans bleffer la modeftie de
perfonne. Je crois faire un vrai préſent au public
de l'inférer dans mon journal.
160 MERCURE DE FRANCE.
fuite ceux qui traittent des matieres qui ont
du rapport les unes aux autres. Ainfi , je
rapporterai d'abord ceux qui concernent
l'Architecture antique.
Le premier eft celui du célébre M. Scarcher
, déja connu par tant d'ouvrages remplis
de la plus profonde érudition , il Y
traite des reftes d'Architecture de l'ancienne
ville de Paris. Il prouve d'abord d'une
maniere irréfiftible que le quartier de la
Cour , que nous diftinguons fous le nom
de quartier de Verfailles , étoit autrefois
hors de la ville de Paris , & qu'il y avoit
même une étendue confidérable de terrein
inhabité entre l'une & l'autre , il prétend
qu'alors la ville n'avoit qu'environ une
lieue d'étendue. On eft furpris , fans doute ,
de voir que cette ville magnifique ait eû
de fifoibles commencemens. Cependant il
eft difficile de fe refufer à la force des
ves qu'il a recueillies avec un courage infatigable
dans une quantité prodigieufe
d'anciens livres qu'il lui a fallu parcourir.
Il entreprend de prouver que la ville finiffoit
où l'on voit à préfent cette admirable
ftatue du grand Roi Louis XV. qui fut
furnommé par fes fujets le Bien -aimé
comme on le voit par les infcriptions de
la ftatue qui nous refte auffi bien confervée
que fi elle fortoit de la fonte , & qui
preuJUILLET.
1755 161
durera moins encore que la mémoire d'un
fi beau titre & la gloire de ce grand Monarque.
Enfuite il fait voir par un raifonnement
très étendu & plein d'érudition , que le
pont qu'on nomme Royal a pris fon nom
de cette ſtatue, contre le fentiment de quelques-
uns qui croyent qu'il fe nommoit
ainfi avant qu'elle fut érigée, Ce qu'il dit
fur ce fujer eft fi evident qu'il ne femble
pas qu'on puiffe le contefter d'avantage.
Il paffe enfuite à des recherches trèscurieufes
fur le merveilleux bâtiment du
Louvre , il réfute furabondamment le mémoire
donné dans la même Société l'année
précédente où l'on avoit avancé que ce fuperbe
édifice avoit été achevé & porté à fon
entiere perfection fous le regne de Louis
XIV. fondé fur l'autorité des Hiftoires ,
confervées dans les anciennes bibliothetheques
; il fait voir qu'il a été long- temps
abandonné à caufe des guerres qui ont troublé
la fin du XVIIe fiécle & le commencement
du XVIII , & qui ont affuré à la
France la fupériorité fur fes voifins , la
fplendeur & le repos dont elle jouit depuis
ces deux fiécles également célébres . Il rapporte
à ce fujet un trait d'hiftoire curieux
où l'on voit que celui qui étoit alors à la
tête des Arts , fecondant avec zele & avec
162 MERCURE DE FRANCE.
un goût peu commun , les intentions & l'inclination
du Roy régnant , pour les grandes
chofes , entreprit de reftaurer & d'achever
cet édifice , dont une partie tomboit
en ruine. Il fixe la datte de cet important
événement vers le milieu du XVIIIe fiécle .
"
Il détruit enfuite entiérement l'objection
la plus impofante que fon antagoniſte
avoit alléguée contre la vérité de ce fait
qui étoit le peu de vraisemblance qu'il
trouvoit à croire qu'une perfonne en place
pût avoir abandonné la gloire de conftruire
de nouveaux édifices , & s'être contentée
de celle d'amener à leur fin les ouvrages
commencés par fes prédéceffeurs , qui
méritoient d'être confervés à la postérité.
M. Scarcher fait voir combien cette idée
eft fauffe , & qu'elle n'eft fondée que fur
la reffemblance que nous fuppofons entre
les hommes d'alors , & ceux du temps où
nous vivons. Il eſt bien vrai que de nos
jours nous voyons rarement achever les
grandes entrepriſes , parce qu'il eft du bon
air de ne point fuivre les maximes ni les
idées de fes prédéceffeurs , mais il n'en
étoit pas ainfi dans ces temps héroïques ;
chacun mettoit fa gloire à contribuer autant
qu'il étoit en lui à celle du Roy
régnant , & lorfque le moyen le plus digne
avoit été trouvé par fon devancier , on le
JUILLET. 1755. 163
fuivoit fans difficulté. D'ailleurs , on ne
peut pas dire que le Supérieur de ces tempslà
fe foit uniquement borné à fuivre ou à
finir ce que les autres avoient tracé . Il nous
refte plufieurs édifices très confidérables
& d'une grande beauté qui ont été commencés
& achevés fous ce regne.
On ne peut trop admirer la facilité & la
juftefle avec laquelle notre Sçavant éclaircit
ces temps que leur éloignement nous
rend fi obfcurs . Si d'une part il nous fait
voir avec certitude que ce fuperbe bâtiment
a été négligé pendant quelques années
, en même temps il s'éleve avec la plus
grande force contre ceux qui ont avancé
que pendant long-temps cet édifice a été
environné d'écuries , de petites maiſons ,
même d'échoppes. Il fait voir quelle abfurdité
il y a à penfer que dans un fiècle auffi
éclairé , on ait fouffert une pareille profanation
, ce qu'il dit là- deffus eft rempli
d'éloquence.
J'abrege quantité de réflexions non moins
curieufes qu'il fait fur les beautés du Lou
vre & qu'il faut lire dans l'original , pour
paffer à ce qu'il dit fur l'Eglife antique de
fainte Génevieve de la montagne. Il croit
que cet admirable édifice a été bâti par le
même architecte que le fuperbe périftile du
Louvre. La tradition reçue jufqu'à préfent
164 MERCURE DE FRANCE.
étoit que cette églife avoit été commencée
vers le milieu du dix -huitiéme fiécle : en
admettant fes preuves , il faudroit en établir
la datte environ un fiécle plûtôt , ce
qui répugne un peu à la beauté de fa confervation
, cependant les raifons qu'il apporte
ne font point à rejetter. Il s'appuie
fur le fentiment de nos plus habiles architectes
, qui en conſidérant la noble ſimplicité
du goût de cette architecture , y reconnoiffent
le même ſtile qu'au Louvre , quoique
dans une compofition différente. Ils
prétendent que le goût du dix- huitiéme
fiécle a été inférieur , à en juger par quelques
reftes de bâtimens dont la datte eft
certaine & par quelques écrits de ces
temps- là qui font remplis de plaintes contre
le mauvais goût qui régnoit alors , &
où l'on en explique les défauts de maniere
à nous en donner une idée affez diftincte.
Or , on ne voit aucun de ces défauts ni
dans cette églife , ni au Louvre ; au contraire
ces édifices font encore les regles du
vrai beau .
La feconde preuve qu'il tire du nom
de l'architecte , fait voir avec quelle fagacité
il éclaircit les antiquités les plus épineuſes.
L'hiſtoire nous a confervé le nom
de l'architecte de ce beau periftile du Louvre
qui regarde le Levant , il fe nommoit
JUILLE T. 1755. 165
Perrault. M. Scarcher prouve à travers
mille difficultés que c'eft ce même nom qui
eft tracé à fainte Genevieve , & qui eft tellement
effacé , qu'il n'y a qu'un homme
auffi verfé dans les antiquités que M. Scarcher
, qui puiffe nous en donner l'intelligence.
La premiere difficulté qui fe rencontre
eft que le nom de Perrault eft compofé
de huit lettres & qu'on n'en apperçoit
que fept dans les foibles traces qui restent
fur ce marbre ; mais nous verrons bien-tôt
comment on doit expliquer cela. Les deux
dernieres lettres de ce nom , qui fe voyent
encore affez diftin&tement , font OT, & il
ya tout lieu de croire que celle qui les
précede eft une L. M. Scarcher prouve premierement
par un grand nombre d'autorités
refpectables que les anciens François
prononçoient la diphtongue an , de même
que la lettre o , & qu'ainfi ils mettoient indifféremment
l'une pour l'autre. Cette découverte
répond en même temps d'une ma
niere évidente à la premiere difficulté des
fept premieres lettres qui fe trouvent à
fainte Génevieve au lieu de huit , que demande
fa fuppofition , car il eft clair qu'ici
la lettre o tient lieu de deux . Il reste la difficulté
de L qui fe trouve avant l'O , au
lieu que dans le nom de Perrault , elle ſe
trouve après an. 11 y fatisfait du moins
曩
166 MERCURE DE FRANCE .
d'une maniere probable , en difant qu'il eft
poffible que la modeſtie de l'architecte
l'ayant empêché d'y mettre lui-même fon
nom , il n'a été mis qu'après la mort , &
que ceux qui l'ont gravé , l'ont ainfi défiguré
, ou par corruption , ou plûtôt parce
que c'étoit en effet la véritable prononciation
de ce temps- là , comme nous voyons
encore dans le nôtre que les Allemands
prononcent Makre quoiqu'ils écrivent Maker
, ainfi on peut avoir prononcé OLT,
quoiqu'il foit écrit LOT. Nous nous fommes
un peu étendus fur cet article , quoique
nous l'ayons beaucoup abrégé , parce
que c'eft un des plus importans de ce fçavant
mémoire & celui où l'on découvre la
plus rare érudition ; s'il y a quelque choſe
qui paroiffe inadmiffible , c'eft cet excès
de modeſtie qu'il ſuppoſe dans un architecte
; mais encore une fois , nous ne deyons
pas juger des hommes de ces fiécles
vertueux par ceux du nôtre. Il reſte encore
une objection. Plufieurs fçavans ont prétendu
que la premiere lettre de ce nom eft
une S , & qu'il eft difficile avec les traces
qui en reftent d'en faire un P * . C'eſt là
* Il y en a qui vont plus loin . Ayant de meilleurs
yeux , ils ont cru entrevoir uneƒavant l , &
fuppléant à la diphtongue qui manque , ils ont
conjecturé que le véritable nom de l'architecte
JUILLET. 1755- 167
qu'il faut voir M. Scarcher employer toutes
les forces de fon éloquence pour y trouver
un P , il faut le lire dans l'original ,
mais il eft vrai qu'il eft bien difficile quand
on l'a lû de ne l'y pas trouver avec lui ,
malgré les difficultés que préfente l'infpection
du marbre.
M. Scarcher traite enfuite des reftes antiques
de l'Eglife de faint Pierre & faint
Paul , qu'une tradition fans fondement
nomme faint Sulpice. Il démontre que nous
n'avons pas cet édifice ( dont il ne refte
prefque que le portail ) tel qu'il a été bâti .
Que les arcades qui font au fecond ordre ,
y ont été conftruites depuis par quelque
raifon de folidité occafionnée par les ravages
du temps , & qu'il n'y a nulle apparènce
qu'un architecte de ce mérite eut mis ces
maffifs au fecond ordre n'en ayant pas mis
au premier , c'eft- à-dire , le fort fur le
foible. Il prouve encore que les coloffes
monftrueux qui font fur les tours , ont été
pareillement ajoûtés par quelque raifon de
dévotion populaire , qui a voulu que l'on
vit les patrons de cette églife les plus
grands qu'il étoit poffible ; que les tours
ont été terminées en ligne droite par l'architecte
premier auteur de cet édifice , &
étoit Sauflot ou Souflot. J'avoue que je ferois affez
de ce dernier ſentiment,
168 MERCURE DE FRANCE:
que le couronnement que nous y voyons
maintenant eft une augmentation faite
dans un fiecle où le goût avoit dégénéré.
Il ne paroît pas auffi bien fondé , lorfqu'il
foutient que le fronton eft dans le même
cas d'être venu après coup. Il prétend
décider le problême qui embarraffe tous
nos architectes , c'est - à - dire , l'impoffibilité
qu'il y a que l'églife dont nous jugeons
par quelques arcades demi ruinées
qui fubfiftent encore , puiffe avoir été liée
avec ce portail . En effet , on ne voit aucune
hauteur ni aucune ligne qui y ait du rapport.
Il dit qu'alors l'intérieur de l'égliſe
étoit à deux ordres l'un fur l'autre femblables
à ceux du portail avec un rang de galleries
regnant tout au tour, que cette églife
ayant été détruite ou par quelque accident
ou par la barbarie des fiecles fuivans , on a
édifié à fa place ce bâtiment irrégulier qui
s'y accorde fi peu ; ce qui donne quelque
vraisemblance à fa fuppofition , c'eft qu'indépendamment
de leur peu de rapport avec
le portail ces fragmens qui nous reftent
n'en ont pas même entr'eux . Ce fentiment
n'eft cependant pas fans difficulté , on a
peine à concevoir que dans l'efpace de
temps qui s'est écoulé depuis fa premiere
conftruction , une égliſe auffi bien bâtie
que celle qui devoit tenir à ce portail , ait
été
JUILLET. 1755. 169
été détruite , relevée une feconde fois aufli
folidement que nous le voyons par ces
reftes , & encore ruinée . On ne peut que
difficilement fuppofer qu'elle ait été abbattue
exprès , d'ailleurs nous ne connoiffons
point de fiecle de barbarie depuis ces temps
mémorables. Les arts ont toujours été floriffans
, & n'ont fait que fe perfectionner
jufqu'au point d'élévation où nous les
voyons maintenant. M. Scarcher permettra
que nous ne nous rendions pas encore
fur cet article , & que nous attendions des
preuves plus fortes que le temps & fon
profond fçavoir lui feront découvrir.
Notre favant auteur paffe enfuite à un
refte de bâtiment ancien qu'on croit avoir
été une églife fous l'invocation de faint
Roch. Ce qu'on trouve de plus fatisfaiſant
dans les réflexions de M. Scarcher fur cette
églife , ce font les raifons dont il s'appuye
pour détruire le fentiment de ceux qui foutiennent
que le double focle qui porte les
arcades de la nef a été apparent dans fa
premiere conftruction . Il fait voir que le
focle d'enbas étoit la fondation qui fe trouvoit
enfevelie dans l'intérieur du terrein
qu'il n'eft vifible que parce qu'on a baiffé
le terrein intérieur de l'églife , & combien
il eft ridicule de penfer que jamais aucun
architecte fe foit avifé de mettre deux fo-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cles l'un fur l'autre , & fi élévés que les
bazes des colonnes font de beaucoup audeffus
de la vue. Il établit une feconde
preuve fur ce qu'on trouve par d'anciennes
eftampes qu'on croit gravées dans ces mêmes
tems , qu'il y a eu 15 ou 16 marches
pour monter à cette églife , au lieu qu'à
préfent il ne s'en trouve que cinq. Selon
fon idée , on a détruit les marches qui
montoient jufqu'au niveau du premier
focle. Ce fentiment n'eft probable que dans
la fuppofition que les marches que l'on y
voit maintenant ne font point du tout les
anciennes , car il auroit fallu pour monter
jufqu'à la hauteur des bazes du portail
qu'elles n'euffent laiffé aucun pallier ; ce
qui , quoique poffible , laiffe quelque doute
, d'autant plus qu'en calculant la hauteur
& l'enfoncement que produifent un
nombre de marches femblables à celles qui
reftent , on n'y trouve pas un rapport jufte
avec le nombre des marches indiquées dans
l'eftampe , il eft vrai qu'il ajoute une raifon
plaufible pour remédier au défaut de
juftelle du calcul de ces marches , il fait
remarquer que naturellement le terrein
des villes fe hauffe par un abus auquel on
ne fonge point à tenir la main , parce que
l'on apporte toujours & qu'on ne remporte
jamais. Tout ceci porta un caractere de
JUILLET. 1755. 171
vraisemblance auquel on a peine à ſe
refufer.
·
Il entreprend de prouver que cette églife
précede au moins d'un fiecle le bâtiment
du Louvre , c'est- à- dire , avant que la bonne
architecture fut bien connue . Premierement
par le défaut infupportable des bazes
& des chapiteaux des colomnes qui ſe pénetrent
avec les pilaftres , défaut ridicule
qu'on n'eut jamais fouffert dans un fiecle
plus éclairé. Secondement , par les fauffes
courbes qui font l'enfoncement des efpeces
de niches où font les petites portes de
l'églife . Il prétend que ces courbes font
les effais par où l'on a commencé avant
que de trouver les formes régulieres . Cette
feconde preuve n'eſt pas de la force de la
premiere , car on trouve plufieurs édifices
dont la datte eft certaine , & qui font conftruits
plus d'un fiecle & demi après , où
l'on voit ces mêmes courbes employées &
de plus mauvaiſes encore , d'ailleurs plufieurs
fçavans prétendent quele propre de
l'efprit humain , eft de trouver d'abord
tour naturellement le fimple qui eft le vrai
beau ; & que le goût ne fe corrompt qu'à
force de vouloir aller au-delà.
Au refte , il eft fi difficile de pénétrer
dans ces tems anciens , que les conjectures
vraisemblables doivent être regardées
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
comme des démonftrations . Ce mémoire
renferme quantité de recherches intéreſfantes
aufquelles je renvoye le lecteur
pour ne pas être trop long.
Fermer
Résumé : ARCHITECTURE. Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
Le Mercure de juin 1755 présente un nouveau volume des Mémoires de la Société de Gens de Lettres, qui se distingue par son exploration des antiquités françaises, y compris celles des siècles futurs. Le journal souligne la ténacité et l'érudition de cette société, qui étend ses recherches au-delà des temps passés pour éclairer les époques à venir. L'article se concentre sur les mémoires relatifs à l'architecture antique, notamment ceux de M. Scarcher. Ce dernier traite des vestiges architecturaux de l'ancienne ville de Paris, prouvant que le quartier de la Cour, aujourd'hui connu sous le nom de quartier de Versailles, était autrefois en dehors de la ville. Il démontre également que Paris avait une étendue limitée à l'époque, environ une lieue. Scarcher examine ensuite la statue de Louis XV et le pont Royal, affirmant que ce dernier tire son nom de la statue. Il réfute une affirmation précédente selon laquelle le Louvre aurait été achevé sous le règne de Louis XIV, expliquant que l'édifice a été négligé en raison des guerres et restauré au milieu du XVIIIe siècle. Le texte aborde également l'église Sainte-Geneviève, que Scarcher attribue au même architecte que le péristyle du Louvre, Perrault. Il discute des difficultés de lecture des inscriptions et des preuves historiques pour soutenir ses assertions. Scarcher traite également des vestiges de l'église Saint-Pierre-et-Saint-Paul, aujourd'hui connue sous le nom de Saint-Sulpice, démontrant que l'édifice a subi des modifications au fil du temps. Il conclut que l'église actuelle ne correspond pas à l'original et que certaines parties ont été ajoutées pour des raisons de solidité ou de dévotion populaire. Scarcher conteste l'idée que le double socle des arcades de la nef de l'église dédiée à saint Roch ait été visible lors de la première construction. Il argue que le socle inférieur était enfoui et n'est visible que parce que le terrain intérieur a été abaissé. Il trouve ridicule l'hypothèse que deux socles aient été construits l'un sur l'autre à une telle hauteur. Scarcher présente des preuves basées sur des anciennes estampes montrant 15 ou 16 marches pour accéder à l'église, contre cinq actuellement. Il suggère que les marches originales ont été détruites et que le terrain des villes tend à s'élever naturellement. Enfin, Scarcher tente de démontrer que cette église précède de plus d'un siècle le bâtiment du Louvre, avant que l'architecture ne soit bien maîtrisée. Il cite des défauts dans les bases et chapiteaux des colonnes, ainsi que des courbes incorrectes dans les niches des portes. Cependant, cette seconde preuve est contestée par des savants qui affirment que l'esprit humain trouve d'abord le beau simple et que le goût se corrompt en cherchant à aller au-delà.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 214-220
ARCHITECTURE. Suite du Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
Début :
M. Diver rend compte dans un second mémoire, d'une antiquité découverte auprès [...]
Mots clefs :
Architecture, Église, Décoration, Bois, Vase, Prédicateur, Statue, Tribune, Antiquité
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texteReconnaissance textuelle : ARCHITECTURE. Suite du Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
ARCHITECTURE.
Suite du Mercure du mois de Juin de l'année
2355
M. Diver rend compte dans un fecond
un
mémoire , d'une antiquité découverte auprès
de l'églife de Sainte Génevieve de la
Montagne. C'eſt une forte de vafe de bois,
orné de bas reliefs & figures de fculpture
de même matiere , très - délicatement travaillées.
Il a été trouvé fous des monceaux
de petites pierres , qui paroiffent être les
ruines de quelque bâtiment confidérable.
Dans la defcription qu'il fait de ce vaſe,
il fe fert d'une comparaifon un peu triviale
, que cependant nous ne pouvons nous
difpenfer de rapporter , parce qu'elle donne
une idée précife de la forme de cette
forte de vaſe inconnu jufqu'ici. Il le compare
à l'égrugeoir qui nous fert à broyer
le fel en effet c'est une forte de demi
tonneau , d'un plus grand diametre qu'aucun
de ceux qui font en ufage ; il eft terminé
en cul de lampe. Les figures qui le
décorent , & qui repréfentent des vertus
AOUST. 1755. 215
chrétiennes , donnent lieu de croire qu'il
-étoit deftiné à quelque ufage religieux.
La difficulté eft de deviner cet ufage.
Quelques auteurs qui avoient été inftruits
des premiers de cette découverte , ont
prétendu que c'étoit une chaire à prêcher.
Ils avançoient fans aucune apparence que
cette machine étoit en l'air clouée contre
un pilier , & que l'on y montoit par une
échelle ; en effet on trouve une partie de
la rondeur interrompue , qu'ils prétendent
être l'ouverture par laquelle le Prédicateur
entroit. Ils ont été jufqu'à croire que
quelques reftes fculptés en bois , auffi de
forme ronde & convexe qu'on a trouvés au
même lieu , étoient une forte de couver-
-cle qu'on mettoit deffus , qui fermoit ce
vafe , lorfque le Prédicateur n'y étoit pas ,
& qui pouvoit s'élever par des machines
pour laiffer deffous l'efpace néceffaire à
Ï'Orateur ; alors , difent -ils , il fervoit comme
d'un rabat-voix pour empêcher qu'elle
.ne fe perdit dans l'immensité de l'églife.
Ils avancent encore pour comble d'abfurdité
, qu'une groffe ftatue de bois dont
on a trouvé quelques fragmens dans ce
même lieu , & qui n'a nulle proportion
-avec les figures qui entourent le vafe ,
étoit placée fur ce couvercle, & lui fervoit
comme de bouton .
216 MERCURE DE FRANCE.
"
·
M. Diver refute toutes ces extravagantes
idées , & ne laiffe aucun lieu à la replique
, nous donnerons ici en entier ſes
preuves , parce que c'eft un objet de curiofité
très important. " Remarquez que
quand on fuppoferoit qu'on ne dût faire
» remonter l'antiquité de ce vafe qu'au
» dix feptiéme fiécle. ( il prouve plus, bas
qu'il doit être beaucoup plus ancien, ) il eft
toujours vrai que les François de ces.tems
là pouvoient voir encore affez de reftes
» de l'ancienne Rome , & particulierement
» de la fameufe tribune aux harangues
» pour n'avoir pu adopter une forme auffi
» ridicule pour y placer l'Orateur chrétien :
de plus , comment fe figurer que cette
lourde machine ait été fimplement atta-
» chée à un pilier , & du reſte toute en l'air,
» de maniere à donner à l'Auditeur l'in-
» quiétude de voir tomber la chaire & le
»Prédicateur.
و د
39
و د
» La fuppofition qu'on y foit monté
par
» une échelle , eſt tout-à - fait indécente ,
3 ils devroient du moins fuppofer qu'il y
" avoit un escalier tournoyant autour du
pilier ; il eft vrai qu'un efcalier de cette
»forme paroît affez ridicule à imaginer
» dans une églife où tout doit être de for-
»mes fimples & grandes.
"
» De quelle utilité feroit un couvercle
1
qui
AOUS T. 1755 217
qui dans cette fuppofition ne couvriroit
» le vafe que lorfqu'il n'y a rien dedans .
» De plus il eft impoffible qu'on fe foit jamais
figuré que ce couvercle pût empêcher
la voix de fe perdre ou la réfléchir.
Le cône de voix qui fort de la bouche
» du Prédicateur ne pourroit jamais frap-
» per ce couvercle , qui n'avanceroit audeffus
de lui que d'un pied au plus , fi ce
n'eft lorfqu'il leveroit la tête d'une maniere
forcée , & dans les apoftrophes &
» exclamations vers le ciel , qui font fort
» rares dans un difcours. Si l'on prétend
33
qu'il arrête les ondulations de la voix
» & augmente leur force du côté où il eft
✯ beſoin d'être entendu , je réponds qu'une
» ſurface de fix ou fept pieds au plus , eft
de nulle valeur par rapport à l'efpace
vuide , & fans obftacle prochain pour
réfléchir la voix , qui refte dans l'églife ,
devant , au - deffus & aux côtés du Prédicateur.
Il est évident qu'on n'a point
» pu lui attribuer cette utilité. La fuppofi-
» tion même qu'on fait que ce vafe ait été
attaché à un pilier qui ne préfentoit
» derriere le Prédicateur qu'une furface
» étroite , feroit contradictoire à ce qu'on
fuppofe , & prouveroit qu'on ne cherchoit
pas même alors le moyen le plus
fimple pour arrêter les ondulations 'fu
"
20
K
1
218 MERCURE DE FRANCE.
"3
?
perflues de la voix , qui eft de préfenter
derriere le Prédicateur la plus grande
» furface poffible , fans gâter la décoration
de l'églife . Les habiles Architectes
» à qui l'on a montré les deffeins faits fur
» cette fuppofition , où l'on a cru fuppléer
» aux parties qu'on n'a pu retrouver , ont
» déclaré qu'il étoit impoffible que dans
» les fiécles où le bon goût a été connu ,
» on ait fuivi une conftruction auffi bizar-
» re pour une tribune aux harangues. Ils
» remarquent que tout architecte dès
qu'il y en a eus de dignes de porter ce
» nom , a infailliblement penfé aux principales
deſtinations pour lefquelles on
» conftruit des églifes. La premiere eft ,
» poury offrir le faint facrifice de la meffe,
» ainfi il a fallu compofer d'abord un au-
» tel , & le placer dans le lieu le plus ap-
» parent. La feconde eft , pour y prêcher
» la parole de Dieu , ainfi la tribune con-
» facrée à cette fonction doit être très- ap-
» parente & très - confidérable , compofée
» avec l'églife , conftruite folidement , ainſi
que le refte , & non pas une machine de
» bois , poftiche , & qui auroit l'air d'y
» avoir été ajoutée après coup ; cet objet
« a toujours dû être lié avec la décoration
générale , de maniere à en augmenter
» la majesté.
39
"
મું
ود
A O UST. 1755 219
» que
J
D'ailleurs , l'efpace eft confidérable-
» ment trop borné pour laiffer la liberté
demandent les grands mouvemens
» de l'art oratoire . Un homme ne pourroit
» ſe remuer là - dedans, qu'il ne parût à tout
inftant prêt à fe jetter dehors ; encore
» moins pourroit-on fuppofer qu'il ait pû
» contenir deux interlocuteurs , ce qui eft
»pourtant néceffaire dans les conférences.
» İls affurent donc que les chaires ont toujours
été ce qu'elles font à préfent , c'eſt-
» à- dire une grande tribune placée au mi-
» lieu de la plus grande arcade de l'églife ,
» ornée d'une baluftrade , terminée de part
» & d'autre par deux efcaliers ; le fond en
» doit préfenter une belle décoration d'ar-
" chitecture , & le couronnement , noble-
» ment élevé à une belle hauteur au- deflus
» des Orateurs chrétiens , les couvre com-
» me d'un dais , mais peu faillant , & non
» point pour réfléchir leur voix , ce qui
» feroit une idée tout -à- fait dépourvûe de
>> raifon , puifqu'ils ne fe tournent pas en
parlant vers la partie de l'églife qui eft
» directement au- deffus de leur tête. »
Pour abréger , M. Diver prouve que c'étoit
un baptiſtère , il en fait remonter l'antiquité
jufqu'au tems où le baptême par immerfion
étoit encore en ufage. Quand on
lui conteſteroit cette date par la difficulté
»
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
il
qu'il y a qu'un ouvrage en bois fe foit
confervé entier pendant tant de fiécles, en
lui fuppofant une date plus récente ,
s'enfuivroit que la forme qui y avoit été
donnée pour leur destination primitive ,
s'eft confervée long-tems après que cet
ufage a été changé. Ce qu'il y a de certain
, c'eſt que cette fuppofition répond
pleinement à tout , & que M. Diver l'appuie
d'argumens irréffiftibles.
Suite du Mercure du mois de Juin de l'année
2355
M. Diver rend compte dans un fecond
un
mémoire , d'une antiquité découverte auprès
de l'églife de Sainte Génevieve de la
Montagne. C'eſt une forte de vafe de bois,
orné de bas reliefs & figures de fculpture
de même matiere , très - délicatement travaillées.
Il a été trouvé fous des monceaux
de petites pierres , qui paroiffent être les
ruines de quelque bâtiment confidérable.
Dans la defcription qu'il fait de ce vaſe,
il fe fert d'une comparaifon un peu triviale
, que cependant nous ne pouvons nous
difpenfer de rapporter , parce qu'elle donne
une idée précife de la forme de cette
forte de vaſe inconnu jufqu'ici. Il le compare
à l'égrugeoir qui nous fert à broyer
le fel en effet c'est une forte de demi
tonneau , d'un plus grand diametre qu'aucun
de ceux qui font en ufage ; il eft terminé
en cul de lampe. Les figures qui le
décorent , & qui repréfentent des vertus
AOUST. 1755. 215
chrétiennes , donnent lieu de croire qu'il
-étoit deftiné à quelque ufage religieux.
La difficulté eft de deviner cet ufage.
Quelques auteurs qui avoient été inftruits
des premiers de cette découverte , ont
prétendu que c'étoit une chaire à prêcher.
Ils avançoient fans aucune apparence que
cette machine étoit en l'air clouée contre
un pilier , & que l'on y montoit par une
échelle ; en effet on trouve une partie de
la rondeur interrompue , qu'ils prétendent
être l'ouverture par laquelle le Prédicateur
entroit. Ils ont été jufqu'à croire que
quelques reftes fculptés en bois , auffi de
forme ronde & convexe qu'on a trouvés au
même lieu , étoient une forte de couver-
-cle qu'on mettoit deffus , qui fermoit ce
vafe , lorfque le Prédicateur n'y étoit pas ,
& qui pouvoit s'élever par des machines
pour laiffer deffous l'efpace néceffaire à
Ï'Orateur ; alors , difent -ils , il fervoit comme
d'un rabat-voix pour empêcher qu'elle
.ne fe perdit dans l'immensité de l'églife.
Ils avancent encore pour comble d'abfurdité
, qu'une groffe ftatue de bois dont
on a trouvé quelques fragmens dans ce
même lieu , & qui n'a nulle proportion
-avec les figures qui entourent le vafe ,
étoit placée fur ce couvercle, & lui fervoit
comme de bouton .
216 MERCURE DE FRANCE.
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·
M. Diver refute toutes ces extravagantes
idées , & ne laiffe aucun lieu à la replique
, nous donnerons ici en entier ſes
preuves , parce que c'eft un objet de curiofité
très important. " Remarquez que
quand on fuppoferoit qu'on ne dût faire
» remonter l'antiquité de ce vafe qu'au
» dix feptiéme fiécle. ( il prouve plus, bas
qu'il doit être beaucoup plus ancien, ) il eft
toujours vrai que les François de ces.tems
là pouvoient voir encore affez de reftes
» de l'ancienne Rome , & particulierement
» de la fameufe tribune aux harangues
» pour n'avoir pu adopter une forme auffi
» ridicule pour y placer l'Orateur chrétien :
de plus , comment fe figurer que cette
lourde machine ait été fimplement atta-
» chée à un pilier , & du reſte toute en l'air,
» de maniere à donner à l'Auditeur l'in-
» quiétude de voir tomber la chaire & le
»Prédicateur.
و د
39
و د
» La fuppofition qu'on y foit monté
par
» une échelle , eſt tout-à - fait indécente ,
3 ils devroient du moins fuppofer qu'il y
" avoit un escalier tournoyant autour du
pilier ; il eft vrai qu'un efcalier de cette
»forme paroît affez ridicule à imaginer
» dans une églife où tout doit être de for-
»mes fimples & grandes.
"
» De quelle utilité feroit un couvercle
1
qui
AOUS T. 1755 217
qui dans cette fuppofition ne couvriroit
» le vafe que lorfqu'il n'y a rien dedans .
» De plus il eft impoffible qu'on fe foit jamais
figuré que ce couvercle pût empêcher
la voix de fe perdre ou la réfléchir.
Le cône de voix qui fort de la bouche
» du Prédicateur ne pourroit jamais frap-
» per ce couvercle , qui n'avanceroit audeffus
de lui que d'un pied au plus , fi ce
n'eft lorfqu'il leveroit la tête d'une maniere
forcée , & dans les apoftrophes &
» exclamations vers le ciel , qui font fort
» rares dans un difcours. Si l'on prétend
33
qu'il arrête les ondulations de la voix
» & augmente leur force du côté où il eft
✯ beſoin d'être entendu , je réponds qu'une
» ſurface de fix ou fept pieds au plus , eft
de nulle valeur par rapport à l'efpace
vuide , & fans obftacle prochain pour
réfléchir la voix , qui refte dans l'églife ,
devant , au - deffus & aux côtés du Prédicateur.
Il est évident qu'on n'a point
» pu lui attribuer cette utilité. La fuppofi-
» tion même qu'on fait que ce vafe ait été
attaché à un pilier qui ne préfentoit
» derriere le Prédicateur qu'une furface
» étroite , feroit contradictoire à ce qu'on
fuppofe , & prouveroit qu'on ne cherchoit
pas même alors le moyen le plus
fimple pour arrêter les ondulations 'fu
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K
1
218 MERCURE DE FRANCE.
"3
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perflues de la voix , qui eft de préfenter
derriere le Prédicateur la plus grande
» furface poffible , fans gâter la décoration
de l'églife . Les habiles Architectes
» à qui l'on a montré les deffeins faits fur
» cette fuppofition , où l'on a cru fuppléer
» aux parties qu'on n'a pu retrouver , ont
» déclaré qu'il étoit impoffible que dans
» les fiécles où le bon goût a été connu ,
» on ait fuivi une conftruction auffi bizar-
» re pour une tribune aux harangues. Ils
» remarquent que tout architecte dès
qu'il y en a eus de dignes de porter ce
» nom , a infailliblement penfé aux principales
deſtinations pour lefquelles on
» conftruit des églifes. La premiere eft ,
» poury offrir le faint facrifice de la meffe,
» ainfi il a fallu compofer d'abord un au-
» tel , & le placer dans le lieu le plus ap-
» parent. La feconde eft , pour y prêcher
» la parole de Dieu , ainfi la tribune con-
» facrée à cette fonction doit être très- ap-
» parente & très - confidérable , compofée
» avec l'églife , conftruite folidement , ainſi
que le refte , & non pas une machine de
» bois , poftiche , & qui auroit l'air d'y
» avoir été ajoutée après coup ; cet objet
« a toujours dû être lié avec la décoration
générale , de maniere à en augmenter
» la majesté.
39
"
મું
ود
A O UST. 1755 219
» que
J
D'ailleurs , l'efpace eft confidérable-
» ment trop borné pour laiffer la liberté
demandent les grands mouvemens
» de l'art oratoire . Un homme ne pourroit
» ſe remuer là - dedans, qu'il ne parût à tout
inftant prêt à fe jetter dehors ; encore
» moins pourroit-on fuppofer qu'il ait pû
» contenir deux interlocuteurs , ce qui eft
»pourtant néceffaire dans les conférences.
» İls affurent donc que les chaires ont toujours
été ce qu'elles font à préfent , c'eſt-
» à- dire une grande tribune placée au mi-
» lieu de la plus grande arcade de l'églife ,
» ornée d'une baluftrade , terminée de part
» & d'autre par deux efcaliers ; le fond en
» doit préfenter une belle décoration d'ar-
" chitecture , & le couronnement , noble-
» ment élevé à une belle hauteur au- deflus
» des Orateurs chrétiens , les couvre com-
» me d'un dais , mais peu faillant , & non
» point pour réfléchir leur voix , ce qui
» feroit une idée tout -à- fait dépourvûe de
>> raifon , puifqu'ils ne fe tournent pas en
parlant vers la partie de l'églife qui eft
» directement au- deffus de leur tête. »
Pour abréger , M. Diver prouve que c'étoit
un baptiſtère , il en fait remonter l'antiquité
jufqu'au tems où le baptême par immerfion
étoit encore en ufage. Quand on
lui conteſteroit cette date par la difficulté
»
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
il
qu'il y a qu'un ouvrage en bois fe foit
confervé entier pendant tant de fiécles, en
lui fuppofant une date plus récente ,
s'enfuivroit que la forme qui y avoit été
donnée pour leur destination primitive ,
s'eft confervée long-tems après que cet
ufage a été changé. Ce qu'il y a de certain
, c'eſt que cette fuppofition répond
pleinement à tout , & que M. Diver l'appuie
d'argumens irréffiftibles.
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Résumé : ARCHITECTURE. Suite du Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
Le texte du Mercure de juin 2355 rapporte la découverte d'une antiquité près de l'église Sainte-Geneviève de la Montagne par M. Diver. Il s'agit d'un vase en bois de forme semi-cylindrique, orné de bas-reliefs et de sculptures délicates représentant des vertus chrétiennes. Cet objet a été trouvé sous des ruines et est comparé à un égrugeoir, suggérant un usage religieux. Plusieurs hypothèses ont été proposées concernant l'usage de ce vase. Certains auteurs ont suggéré qu'il pourrait s'agir d'une chaire à prêcher, suspendue contre un pilier et accessible par une échelle. Ils ont également avancé que des fragments de bois trouvés sur place pourraient être un couvercle servant de rabat-voix. Cependant, M. Diver réfute ces idées, estimant improbable que les Français aient adopté une telle forme pour une chaire à prêcher. M. Diver argue que la forme du vase et son décor ne correspondent pas à une chaire à prêcher. Il souligne l'inconfort et l'instabilité d'une telle structure, ainsi que l'inutilité d'un couvercle pour réfléchir la voix. Il conclut que le vase est plus probablement un baptistère, utilisé à une époque où le baptême par immersion était pratiqué. Cette hypothèse est appuyée par des arguments solides, bien que la conservation d'un tel objet en bois sur une longue période reste discutable.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 204-222
ARCHITECTURE. Suite des mémoires d'une Société de gens de Lettres publiés en l'année 2355.
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POUR suivre l'ordre des matieres plutôt que celui du livre, nous passerons [...]
Mots clefs :
Théâtre, Palais royal, Architecture, Opéra, Édifices, Architecture, Loges, Musique, Spectacle, Musiciens
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texteReconnaissance textuelle : ARCHITECTURE. Suite des mémoires d'une Société de gens de Lettres publiés en l'année 2355.
ARCHITECTURE.
Suite des mémoires d'une Société de
gens
Lettres publiés en l'année 2355.
Po
de
OUR fuivre l'ordre des matieres plu-
τότ que celui du livre , nous pafferons
au cinquième mémoire qui traite d'architecture.
M. Gainfay y donne ſes réflexions fur
l'ancien bâtiment qu'on nomme le Palais
Royal. C'étoit autrefois la principale demeure
des Ducs d'Orléans , avant qu'ils
euffent bâti ce fuperbe édifice qu'ils habitent
maintenant au centre de la ville , &
qui eft un des plus beaux morceaux d'architecture
qu'il y ait en Europe. L'ancien
Palais royal n'eft plus qu'une de leurs maifons
de plaifance ; comme il a toujours
été entretenu avec foin , il fe trouve vraifemblablement
à peu- près dans l'état dans
lequel il a été conftruit. L'architecture en
eft affez belle , & fon caractere prouve fon
ancienneté. Il eft plus lourd & moins recherché
que le Louvre , & les autres bâtitimens
confidérables qui nous reftent de
ces tems ; cependant , comme ce goût eft
folide & bon en foi , on ne peut pas douSEPTEMBRE
. 1755. 205
ter qu'il ne faille remonter , pour en fixer
la date avant le dix-huitiéme fiécle , dans
lequel on voit par le peu qui nous en refte ,
qu'à la réferve de quelques édifices , le
goût étoit dégénéré , meſquin , irrégulier ,
& fouvent même extravagant.
M. Gainfay fait ici une digreffion pour
prouver qu'on doit attribuer la deftruction
de la plupart des édifices du dix- huitiéme
fiécle , à ce que dans les fiécles fuivans où
le bon goût s'eft rétabli , ils furent trouvés
peu dignes de refter fur pied , & comme
tels abattus, afin de ne laiffer aucune trace
de ce tems de délire , honteux à une nation
qui a toujours été en poffeffion de
donner les exemples du goût à fes voifins ;
quoiqu'il en foit de ce fentiment , il eft
certain que M. Gainfay ne le prouve pas
fans réplique , puiſqu'on peut auffi- bien
donner pour raifon de cette deftruction le
tems qui s'eft écoulé jufqu'à nous , & que
d'ailleurs il n'eft pas vraisemblable que les
propriétaires des palais ou maifons qui
nous auroient pû fervir à connoître le
goût d'architecture de ce fiécle , fe foient
prêtés à faire de tels facrifices à la gloire
de leur nation , fans quelque intérêt particulier.
De plus fi cela s'étoit fait par une
confpiration générale , il n'en feroit rien
refté du tout , au lieu qu'avec un peu de
-4
206 MERCURE DE FRANCE.
recherches on en retrouve affez pour donner
lieu à des conjectures plus étendues.
M. Gainfay remarque très- judicieuſement
qu'on ne peut point attribuer à ce
fiécle corrompu une conftruction auffi réguliere
que les deux grandes cours du Palais
royal , que l'architecture cependant
n'en étant pas fi épurée que celle du Louvre
, il y a lieu de croire qu'elle a précédé ,
& qu'elle eft du quinziéme fiécle , avant
qu'on eût entierement trouvé le point de
perfection , mais lorsqu'on en étoit fort
proche. On voit dans la feconde cour une
chofe finguliere. Les étages d'en haut nẻ
font pas femblables dans les deux aîles.
Un côté eft décoré de croifées quarrées ,
de vafes , & un peu en arriere d'un petit
mur percé de petites croifées , & traité de
maniere qu'il forme un attique agréable
& fort élégant : l'autre côté préfente une
balustrade ornée de vafes , mais il fe trouve
enfuite un étage de bois , dont le mur
eft incliné en arriere , fans qu'on puiffe
deviner ce qui a empêché de le mettre à
plomb. A- t - on crû qu'il en pût réſulter
quelque agrément à l'oeil ? Il ne paroît pas
poffible de le penfer. L'apparence de folidité
exige que tous les murs portent per
pendiculairement les uns fur les autres .
Eft- ce quelque raifon de commodité intéSEPTEMBRE.
1755. 207
"
rieure ? On ne ſçauroit la concevoir ; il
paroît au contraire que l'intérieur en eft
gâté , & qu'il eft plus difficile de s'approcher
de ces croifées fans fe heurter par
l'inclinaifon qu'elles ont en haut ; d'ailleurs
cela donne aux appartemens un air ignoble
en les faifant paroître des greniers lambriffés.
Voilà de ces obfcurités que l'ancienneté
ne nous permet pas de pénétrer
& fur lefquelles on ne peut fonder aucunes
conjectures raifonnables. On voit par
d'anciennes eftampes qui repréfentent cet
édifice , que le toît defcendoit juſqu'au
pied de cet étage , & qu'il n'y avoit que
des croifées éloignées les unes des autres ,
qui fervoient à éclairer les greniers. Ces
croifées avançant en faillie fur un pignon
très-élevé & fort pointu , étoient défectueufes
, & laiffoient voir trop de toît ,
ainfi il a été néceffaire d'en former un
étage ; mais le côté décoré en attique a
l'avantage d'avoir confervé les anciennes
fenêtres qui font d'un goût conforme
celui de tout l'édifice , au lieu que l'autre
eft dans un goût entierement différent.
M. Gainfay entre enfuite dans un examen
fort détaillé fur l'architecture d'une
cour qui eft fur le côté de ce Palais : nous
fupprimerons cette partie de fon difcours
à caufe de fa longueur , & nous renvoye208
MERCURE DE FRANCE.
rons fur ce fujet à l'original . On y trouve
ra une critique fort judicieufe mêlée d'éloges
, également bien fondés , de ce morceau
d'architecture .
Nous pafferons à une des falles de ce
Palais , que M. Gainfay nomme la falle
des concerts. Quelques Aureurs ont prétendu
qu'autrefois cette falle a été la falle
de l'Opéra de Paris . M. Gainfay prouve
que ce fentiment eft infoutenable . Premierement
, elle est beaucoup trop petite
pour avoir pû contenir les citoyens d'une
ville telle que Paris , même dans ces temslà
. On ne peut pas y fuppofer , quelque
peu confidérable qu'elle fut alors , moins
d'un million d'habitans , quoique ce foit
bien peu en comparaifon de ce qu'elle en
renferme aujourd'hui ; toujours eft- il certain
que dans cette fuppofition , quelque
bornée qu'elle foit , il a dû y avoir cent
mille perfonnes allant habituellement à
l'Opéra. A moins qu'on ne veuille croire ,
comme font ceux qui foutiennent ce fentiment
, que la mufique de ce tems étant
fort fimple, & n'étant proprement que nos
chants d'églife , avec quelques accompa
gnemens auffi uniformes , elle n'infpiroit
pas alors ces fenfations délicieufes qu'elle
nous fait éprouver maintenant qu'elle eſt
portée à fa perfection. Ils en concluent
SEPTEMBRE. 1755. 209
qu'on n'avoit pas alors pour elle ce goût
vif qui nous détermine fi fortement , que
malgré la grandeur de nos théatres & la
quantité que nous en avons dans prefque
tous les quartiers de la ville , ils font néanmoins
toujours remplis ; conféquemment
que très - peu de perfonnes alloient au
fpectacle ; qu'à la réferve d'un très - petit
nombre qui s'étant habitués d'enfance à
goûter cette mufique , y trouvoient quelque
beauté , prefque perfonne ne s'en foucioit.
Que les étrangers même ne la pouvant
fouffrir n'y alloient point. Quoiqu'on
ne puiffe pas entierement rejetter ces faits ,
puifque la mufique de ces tems-là qui eſt
parvenue jufqu'à nous , femble en faire
la preuve néanmoins , à quelque point
qu'on diminue la quantité de gens qui aimoient
ces fpectacles , il eft certain qu'on
ne peut la réduire , jufqu'à croire que
cette falle ait pû les contenir.
M. Gainfay tire fa feconde preuve de la
forme de cette falle . Elle eft fort étroite &
fort longue , ce qui eft contradictoire à la
forme effentielle d'un théatre qui doit être
de forme circulaire ou approchante du
cercle dans toute l'étendue de la falle où
font les fpectateurs . En effet , comment
concevoir qu'un architecte ait pu bâtir un
théatre dont la principale loge eft la plus
210 MERCURE DE FRANCE.
éloignée . Peut -on fuppofer qu'il ait ignoté
qu'une falle de théatre doit ( quelque for
me qu'on y donne ) s'ouvrir en largeur ,
plutôt que s'enfoncer en profondeur. Il eſt
vrai que dans celui - ci les côtés s'élargiffent
un peu en s'étendant vers la partie qu'on
prétend être le théatre , mais c'eſt de fi
peu de chofe que cela eft inutile , & ne
fert qu'à y donner une forme défagréable ,
La loge principale a toujours du être celle du
fond , puifque c'eft vis-à- vis d'elle & pour
elle , que fe fait toujours le jeu du théatre ;
dans cette fuppofition , celle- ci feroit trop
loin , & l'on n'y pourroit pas bien entendre
, d'autant plus que le fon feroit intercepté
en chemin par l'obftacle qu'y apporteroit
le petit murmure qui s'enfuit néceffairement
de l'interpofition de plufieurs
perfonnes qu'on ne peut empêcher de fe
parler quelquefois à l'oreille : car on
prétend qu'il y avoit des fpectateurs af
fis dans cette partie qui eft au-devant
& qu'on nomme l'amphithéatre . On ne
fçait pas fi en effet l'ufage étoit alors
de mettre à tous les théatres cette partie
qu'on veut nommer ici amphithéatre.
Nos théatres ne contiennent plus rien
de femblable. De plus il n'y a que cinq
loges dans cette petite partie circulaire ,
qui ayent été placées , finon pour bien
SEPTEMBRE. 1755. 211
entendre du moins pour bien voir. Les loges
qui s'étendent fur les aîles font encore
plus malheureufes ; fi elles font plus à portée
d'entendre , elles le font bien moins
de voir. Le rang de devant ne voit qu'en
s'avançant avec effort , & celui de derriere
ne peut rien voir , ou fört difficilement ,
& en fe levant ou fe penchant au hazard
de tomber fur le rang de devant . On ne
peut s'imaginer qu'on louât des places
pour être affis , & que cependant on fe
tînt de bout. Si l'on confidere la partie
qu'ils nomment le théatre , on verra par
fon peu d'ouverture , qu'il n'eft pas poffible
qu'on y ait pû donner un fpectacle
fur- tout avec des choeurs , & l'on fçait
que les François en ont toujours joint à
leurs Opéra ; il faudroit que les perfonnages
de ces choeurs fuffent rangés de maniere
que le premier cachât en partie le
fecond , & ainfi fucceffivement des autres
; ce qui ne produiroit point de fpectacle
, donneroit un air d'arrangement
apprêté , & détruiróit l'illufion qu'ils nous
doivent faire en fe plaçant par petits groupes
inégaux & naturels . De l'ordre proceffionnal
qu'il faut néceffairement leur fuppofer
ici , il s'enfuit que les derniers qui
font au fond ne pourroient ni voir ni entendre
le claveffin. Comment pourroient-
›
1
212 MERCURE DE FRANCE.
ils donc fuivre une mefure exacte ? Quelques-
uns ont avancé ſur ce fujet une abfurdité
ridicule , ils ont prétendu qu'il y
avoit derriere les derniers de ces choeurs
des Muficiens qui les régloient en battant
la meſure avec des bâtons . Comment peuton
s'imaginer qu'on pût fouffrir un bruit
auffi indécent , tandis que les oreilles délicates
ont peine à fupporter celui que
fait le Muficien lorfqu'il touche fortement
le claveffin pour remettre quelqu'un
dans la´meſure ; ce qui eft extrêmement
rare , puifqu'on ne fouffre perfonne fur
nos théatres qui ne fçache très-bien la mufique
, du moins quant à la meſure . L'ouverture
de ce qu'ils appellent ici théatre ,
eft tellement étroite , qu'on ne peut pas
fuppofer qu'elle ait encore été divifée
en plufieurs parties , ainfi qu'il eft néceffaire
pour les à parte , dont les anciennes
piéces font remplies : Pouvons - nous
penfer qu'on ait négligé de l'illufion , &
choqué la vraiſemblance , au point de faire
dire ou chanter dans le même lieu des
paroles qu'un acteur préfent eft fuppofé
ne pas entendre , il a fallu du moins qu'il
y eut entre ces acteurs un obftacle , ou réel
ou en peinture , qui donnât lieu de croire
qu'ils pouvoient parler fans être entendus
que du fpectateur : mais où eft ici l'efpace
SEPTEM BRE. 1755. 213
néceffaire pour introduire ces obſtacles ?
Quelles fortes de décorations peut - on fuppofer
avoir été faites dans un lieu fi borné
on n'y peut imaginer qu'une fuite de
chaffis fort étroits fur lefquels on ne pourroit
rien peindre que les bords des objets
encore faudroit- il bien les mettre de fuite,
& que l'un ne débordât l'autre qu'autant
que la perfpective le permet , ce qui produiroit
néceffairement une ennuyeufe uniformité.
Point de ces fuyans fur les côtés ,
qui font des effets fi agréables fur nos
théatres. Point de ces chaffis avancés audedans
de la fcéne , & découpés de maniere
à laiffer voir par leurs ouvertures les
côtés qui continuent de fuir , & les toiles
qui fervent de .fond . Ici tout doit être
terminé par une feule toile. Une pareille
décoration ne feroit propre qu'à
repréſenter une rue étroite & fort longue ;
cependant on fçait qu'alors la peinture
brilloit en France , le plaifir qu'elle y caufoit
par fon excellence , a dû néceffairement
engager à faire de grands théatres
pour donner aux Peintres un lieu propre
à montrer l'étendue de leur génie , & pour
profiter du plaifir que caufe l'illufion
produite par les effets de ce bel art . On
fçait encore que les anciens François introduifoient
la danfe dans leurs Opéra.
214 MERCURE DE FRANCE.
Dans les piéces qui nous reftent d'eux , on
voit même qu'ils la lioient à l'action ,
quelquefois bien , le plus fouvent mal-àpropos
, quoique peut- être eût- il mieux
valu la renvoyer aux entr'actes , que de
forcer la vraisemblance , & la raiſon pour
la coudre à la piéce. Quoiqu'il en foit , il
paroît qu'ils avoient des ballets , & même
des ballets figurés, & repréſentans un fujer :
or , comment veut- on qu'on ait pû exécuter
de tels ballets dans un fi petit eſpace : Il y
auroit eû une confufion infupportable ,
ceux de devant auroient caché ceux de
derriere , tellement qu'on n'en auroit pas
pû voir nettement le deffein : D'ailleurs ,
il n'y pourroit pas tenir affez de danfeurs ,
même en fe touchant à rout inftant les
uns les autres pour former un ballet compofé
avec quelque génie. Il faudroit fuppofer
que la danfe alors ne fût que de
deux , trois , ou quatre perfonnes qui auroient
danfé enfemble , & par conféquent
très-breve : car un fi petit nombre de danfeurs
qui figureroient enſemble , ne pourroient
, s'ils danfoient long- tems , s'empêcher
de retomber dans les mêmes pas ,
& de répéter les mêmes, figures , ce qui
deviendroit ennuyeux , quelques excellens
qu'ils fuffent.
Cependant , en mefurant le tems que
SEPTEMBRE. 1755. 215
duroient leurs Opéra , qu'on fçait avoir
été , ainfi que de notre tems , d'environ
trois heures , on ne trouve pas que la mufique
en ait pû employer plus de la moitié
, encore en fuppofant qu'elle ait été
chantée d'une lenteur exceffive , le refte
doit avoir été occupé par la danſe .
Le parterre de cette falle eft d'une profondeur
dont on ne peut concevoir l'uſage
, fi la fuppofition que ce fût une falle
de théatre avoit lieu , les perfonnes affifes
aux trois où quatre premiers rangs n'auroient
rien vû que ce qui fe feroit paffé
au bord de la fcene , & auroient affez mal
entendu , quoique proche , parce que le
fon auroit paffé par- deffus leurs têtes . Suppoferoit-
on qu'ils euffent été de bout , &
peut-on croire que quelqu'un eût pû refter
dans une pofture fi fatigante durant
trois heures , expofé à la foule & au mouvement
tumultueux que caufe toujours un
nombre de perfonnes dans un lieu refferré,
pour entendre une mufique peu divertif
fante. On ne pourroit dans ce cas penfer
autre chofe , finon que ce lieu auroit été
abandonné à la livrée . M. Gainfay obſerve
encore que la décoration de cette falle
qui n'eft ornée d'aucune architecture , paroît
peu digne d'avoir été le lieu de fpectacle
d'une grande ville, Pas une colonne ,
216 MERCURE DE FRANCE.
pas même un feul pilaftre ! Trois petits
rangs de loges écrafées & foutenues par
des poteaux étroits , y font voir une économie
de terrein peu convénable dans un
édifice de cette importance . L'égalité de
ces deux rangs de loges n'annonce pas
plus de dignité dans ceux qui doivent occuper
le rang d'enbas que dans ceux qui
font au-deffus , & d'ailleurs c'eft un défaut
de goût dans un lieu qu'on auroit prétendu
décorer pour le public : car un des premiers
principes du goût eft d'éviter l'égalité
dans les principales maffes d'un édifice
, & d'y trouver toujours quelques parties
dominantes.
-
Il eft d'autant moins à croire que les
anciens François ayent conſtruit un théatre
femblable, qu'on fçait que dès ce temslà
tous les artiſtes , tant les Peintres que les
Muficiens voyageoient dans leur jeuneffe
en Italie pour fe former le goût : Or , il
eft impoffible qu'ils n'ayent pas vû le théatre
antique de Palladio qui eft vraiment
le modele d'un théatre parfait , foit pour
la commodité , foit pour la magnificence
de la décoration . C'eft de ce refpectable
monument que nous avons tité la perfection
que nous avons donnée à nos théatres
modernes ; à la vérité il n'eft pas poffible
de conftruire un théatre de telle
maniere
SEPTEMBRE . 1755. 217
maniere que tout le monde y foit également
bien placé. Néceffairement il y a
quelques loges ou autres places où l'on eft
forcé de regarder de côté , mais il n'eft
aucun plan qui remédie auffi- bien aux
inconvéniens , & qui place autant de perfonnes
avec avantage que celui de cet admirable
édifice antique ; il eft vrai que la
façade du théatre qui coupe cet ovale dans
fon plus grand diamétre , gâte la forme
totale de cet édifice , & le fait paroître à
demi - fait ; mais il eft aifé de fuppléer à ce
défaut comme nous avons fait dans nos
théatres modernes, C'eft de cet antique
que nous avons appris à décorer nos théatres
de cette belle colonnade qui y fait un
effet fi noble. M. Gainfay ne fçauroit fe
réfoudre à croire que les théatres des anciens
François ayent pû fe paffer d'un
ornement auffi magnifique qu'une colonnade
circulaire , & qui lui paroît y être
fi effentiellement néceffaire. Il faut le lire
pour concevoir avec quelle éloquence il
fait fentir la noble richeffe de cette décoration
; & en effet , il eft difficile d'imaginer
qu'on ait prétendu rendre un lieu
digne d'y recevoir le public & les étrangers
, fans l'enrichir de colonnes , ornement
le plus magnifique que l'architecture
ait jamais inventé.
K
21S MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay ajoute une réflexion qui paroît
évidente . Quand il feroit poffible ,
dit-il , que les François euffent rejetté cet
exemple de Palladio par le défaut de fçavoir
comment remédier au defagrément
de fon avant-fcene : du moins ils auroient
fuivis les théatres ordinaires de l'Italie ,
qui , quoique très- défectueux à bien des
égards , avoient , & plus de grandeur , &
une forme plus rélative à leur deftination ,
que celui qu'on nous propofe ici comme
ayant été le principal theatre d'une ville
telle que Paris. Les reftes de celui d'Argentina
à Rome , & de quelques autres en
Italie nous en offrent la preuve. La forme
en eft defagréable , parce que leur plan
reffemble à une raquette , ou à un oeuf
tronqué , & qu'elle produit plufieurs loges
, où il n'y a abfolument que le premier
rang qui puiffe voir & entendre. La décoration
eft de mauvais goût en ce que
toutes les loges , dont il y a fix rangs les uns
fur les autres , font égales , & femblent des
enfoncemens pratiqués dans des murs de
catacombes. La principale loge qu'on a prétendu
décorer , eſt toujours écrasée rélati-
-vement à fa largeur . L'économie d'eſpace
qui n'a permis de prendre que deux loges
pour fa hauteur , a empêché de lui donner
l'exhauffement qui lui convenoit.
SEPTEMBRE 1755, 219
Néamoins , ces théatres ont un air de
grandeur, même dans les plus petites villes ,
d'où M. Gainfay conclut , qu'on ne peut
pas fuppofer que les François ayent fuivi
un auffi mauvais plan que celui qu'on expofe
ici comme le théatre principal de Paris
, & qu'ayant fous les yeux ces modeles
, certainement ils ont donné à ces monumens
publics la dignité qui leur convient
; par conféquent on ne doit pas croire
que cette falle ait été un théatre. Il paroît
qu'on ne peut réfifter à l'évidence de fes
preuves. La derniere objection qu'il fait ,
eft abfolument décifive . On ne voit autour
de cette falle aucun portique , ce qui eft.
fi néceffaire à un théatre , qu'il feroit impoffible
qu'on en fortit , quelque petit
qu'il fût , fans courir à tout inftant rifque
de la vie. L'embarras que caufe la quantité
des équipages à la fortie des fpectacles
, a toujours rendu ces portiques d'une
néceffité indifpenfable , pour donner lieu
aux gens à pied de s'échapper par différens
chemins. Il remarque encore qu'il n'y
a qu'une feule porte d'une grandeur un
peu raifonnable , & qu'il feroit infenfé de
croire qu'on eût donné dans un pareil lieu
des fpectacles , où l'on emploie fouvent le
feu , & qui font fréquemment exposés au
hazard d'un incendie .
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay paffe à l'explication de ce
qu'on doit penfer de cette falle . C'étoit ,
dit-il , la falle des concerts particuliers des
Princes de la Maiſon d'Orléans. La partie
qu'on a prétendu être un Amphitheatre ,
étoit le lieu où fe plaçoient les Muficiens.
Au commencement il n'y avoit point toutes
ces loges qui l'entourent maintenant ;
mais cette grande maifon s'étant augmentée
dans le dix-neuviéme fiécle , on fut
obligé de les conftruire pour y placer tous
les Officiers de cette maifon qui obrenoient
la faveur de pouvoir entendre des
concerts , où tout ce qu'il y avoit de plus
excellens chanteurs , tant Italiens que François
, exécutoient la plus belle mufique
connue dans ces tems- là. Dans la partie
qu'on prétend avoir été le théatre , étoit
placée une magnifique tribune , qui a été
détruite depuis ; ce lieu étant devenu inutile
lorfque ces Princes ont ceffé d'y demeurer.
On ne peut pas douter que cette
tribune n'ait été décorée de colonnes de
la plus belle architecture , les pilaftres de
fer travaillés , qu'on voit encore aux deux
côtés , en font une continuation fimple ,
& comme pour fervir de tranfition d'un
lieu magnifique aux loges deftinées pour
les Officiers de la maifon. La partie qui
eft au pied de cette tribune en enfonceSEPTEMBRE.
1755. 221
le
ment , & qu'on dit être l'orchestre des.
Muficiens de l'Opéra , eft proprement
lieu où fe plaçoient les Officiers dont les
Princes pouvoient avoir befoin le plus
fréquemment , afin d'être à portée de recevoir
immédiatement leurs ordres ; &
ce qu'on a nommé le parterre étoit le lieu
où le mettoit le plus bas domeftique , où
on avoit conftruit une rampe douce , afin
que ceux qui étoient les plus proches de
la tribune principale , ne puffent point incommoder.
Il pourroît paroître que ceux
qui étoient les derniers , étoient mal placés
pour voir , parce que ceux qui étoient
devant eux , étoient plus élevés ; mais il
faut confidérer qu'il n'eft queſtion ici que
d'entendre un concert , où les principaux
chanteurs fe mettent toujours fur le devant
de l'appui qui les fépare des auditeurs
, & que cet appui eft fort élevé audeffus
de l'auditoire ; mais ce qui confirme
& donne la derniere évidence à ce
qu'avance M. Gainfay dans ce mémoire ,
c'eft qu'il en déduit une raiſon fimple &
claire de l'evafement de cette falle en venant
vers la tribune, qui dans toute autre fuppofition
paroît fans fondement ; il confidere
l'amphithéatre , & qui eft véritablement
l'Orcheftre , comme un centre d'où partent
des rayons de fon ; fi les murs étoient pa-
1
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
ralleles , ces rayons les heurteroient fous
des angles qui pourroient les réfléchir , en
intercepter une partie rélativement à la
tribune principale , pour laquelle toute
cette falle eft conftruite , & par leur réflection
produire une cacophonie qui eft
l'effet naturel de toute voix réfléchie. Cette
douce inclinaiſon n'oppoſe pas un obftacle
affez direct pour brifer ces rayons ,
elle les oblige feulement à gliffer par un
angle très-obtus , & à fe réunir vers la tribune
pour y produire un plus grand effet
d'harmonie . Si elle étoit plus évafée , elle
fuivroit la direction droite du fon , & n'en
augmenteroit pas la force ; il ne faut pas
s'embarraffer des loges qui y font un
obftacle ; parce qu'elles n'y ont été miles
qu'après coup, & qu'elles ne doivent point
être reprochées à l'Architecte ingénieux ,
qui a imaginé cette forme très- propre
fon but. Il eft fâcheux que cette tribune
ait été détruite ; par elle nous aurions
juger s'il avoit autant de goût que de bon
fens .
C'eſt ainfi que M. Gainfay explique ce
qui nous refte de la falle des concerts du
Palais royal. Il eft difficile , après l'avoir
lû dans l'original , de réfiſter à la force de
fes preuves.
La fuite an Mercure fuivant.
Suite des mémoires d'une Société de
gens
Lettres publiés en l'année 2355.
Po
de
OUR fuivre l'ordre des matieres plu-
τότ que celui du livre , nous pafferons
au cinquième mémoire qui traite d'architecture.
M. Gainfay y donne ſes réflexions fur
l'ancien bâtiment qu'on nomme le Palais
Royal. C'étoit autrefois la principale demeure
des Ducs d'Orléans , avant qu'ils
euffent bâti ce fuperbe édifice qu'ils habitent
maintenant au centre de la ville , &
qui eft un des plus beaux morceaux d'architecture
qu'il y ait en Europe. L'ancien
Palais royal n'eft plus qu'une de leurs maifons
de plaifance ; comme il a toujours
été entretenu avec foin , il fe trouve vraifemblablement
à peu- près dans l'état dans
lequel il a été conftruit. L'architecture en
eft affez belle , & fon caractere prouve fon
ancienneté. Il eft plus lourd & moins recherché
que le Louvre , & les autres bâtitimens
confidérables qui nous reftent de
ces tems ; cependant , comme ce goût eft
folide & bon en foi , on ne peut pas douSEPTEMBRE
. 1755. 205
ter qu'il ne faille remonter , pour en fixer
la date avant le dix-huitiéme fiécle , dans
lequel on voit par le peu qui nous en refte ,
qu'à la réferve de quelques édifices , le
goût étoit dégénéré , meſquin , irrégulier ,
& fouvent même extravagant.
M. Gainfay fait ici une digreffion pour
prouver qu'on doit attribuer la deftruction
de la plupart des édifices du dix- huitiéme
fiécle , à ce que dans les fiécles fuivans où
le bon goût s'eft rétabli , ils furent trouvés
peu dignes de refter fur pied , & comme
tels abattus, afin de ne laiffer aucune trace
de ce tems de délire , honteux à une nation
qui a toujours été en poffeffion de
donner les exemples du goût à fes voifins ;
quoiqu'il en foit de ce fentiment , il eft
certain que M. Gainfay ne le prouve pas
fans réplique , puiſqu'on peut auffi- bien
donner pour raifon de cette deftruction le
tems qui s'eft écoulé jufqu'à nous , & que
d'ailleurs il n'eft pas vraisemblable que les
propriétaires des palais ou maifons qui
nous auroient pû fervir à connoître le
goût d'architecture de ce fiécle , fe foient
prêtés à faire de tels facrifices à la gloire
de leur nation , fans quelque intérêt particulier.
De plus fi cela s'étoit fait par une
confpiration générale , il n'en feroit rien
refté du tout , au lieu qu'avec un peu de
-4
206 MERCURE DE FRANCE.
recherches on en retrouve affez pour donner
lieu à des conjectures plus étendues.
M. Gainfay remarque très- judicieuſement
qu'on ne peut point attribuer à ce
fiécle corrompu une conftruction auffi réguliere
que les deux grandes cours du Palais
royal , que l'architecture cependant
n'en étant pas fi épurée que celle du Louvre
, il y a lieu de croire qu'elle a précédé ,
& qu'elle eft du quinziéme fiécle , avant
qu'on eût entierement trouvé le point de
perfection , mais lorsqu'on en étoit fort
proche. On voit dans la feconde cour une
chofe finguliere. Les étages d'en haut nẻ
font pas femblables dans les deux aîles.
Un côté eft décoré de croifées quarrées ,
de vafes , & un peu en arriere d'un petit
mur percé de petites croifées , & traité de
maniere qu'il forme un attique agréable
& fort élégant : l'autre côté préfente une
balustrade ornée de vafes , mais il fe trouve
enfuite un étage de bois , dont le mur
eft incliné en arriere , fans qu'on puiffe
deviner ce qui a empêché de le mettre à
plomb. A- t - on crû qu'il en pût réſulter
quelque agrément à l'oeil ? Il ne paroît pas
poffible de le penfer. L'apparence de folidité
exige que tous les murs portent per
pendiculairement les uns fur les autres .
Eft- ce quelque raifon de commodité intéSEPTEMBRE.
1755. 207
"
rieure ? On ne ſçauroit la concevoir ; il
paroît au contraire que l'intérieur en eft
gâté , & qu'il eft plus difficile de s'approcher
de ces croifées fans fe heurter par
l'inclinaifon qu'elles ont en haut ; d'ailleurs
cela donne aux appartemens un air ignoble
en les faifant paroître des greniers lambriffés.
Voilà de ces obfcurités que l'ancienneté
ne nous permet pas de pénétrer
& fur lefquelles on ne peut fonder aucunes
conjectures raifonnables. On voit par
d'anciennes eftampes qui repréfentent cet
édifice , que le toît defcendoit juſqu'au
pied de cet étage , & qu'il n'y avoit que
des croifées éloignées les unes des autres ,
qui fervoient à éclairer les greniers. Ces
croifées avançant en faillie fur un pignon
très-élevé & fort pointu , étoient défectueufes
, & laiffoient voir trop de toît ,
ainfi il a été néceffaire d'en former un
étage ; mais le côté décoré en attique a
l'avantage d'avoir confervé les anciennes
fenêtres qui font d'un goût conforme
celui de tout l'édifice , au lieu que l'autre
eft dans un goût entierement différent.
M. Gainfay entre enfuite dans un examen
fort détaillé fur l'architecture d'une
cour qui eft fur le côté de ce Palais : nous
fupprimerons cette partie de fon difcours
à caufe de fa longueur , & nous renvoye208
MERCURE DE FRANCE.
rons fur ce fujet à l'original . On y trouve
ra une critique fort judicieufe mêlée d'éloges
, également bien fondés , de ce morceau
d'architecture .
Nous pafferons à une des falles de ce
Palais , que M. Gainfay nomme la falle
des concerts. Quelques Aureurs ont prétendu
qu'autrefois cette falle a été la falle
de l'Opéra de Paris . M. Gainfay prouve
que ce fentiment eft infoutenable . Premierement
, elle est beaucoup trop petite
pour avoir pû contenir les citoyens d'une
ville telle que Paris , même dans ces temslà
. On ne peut pas y fuppofer , quelque
peu confidérable qu'elle fut alors , moins
d'un million d'habitans , quoique ce foit
bien peu en comparaifon de ce qu'elle en
renferme aujourd'hui ; toujours eft- il certain
que dans cette fuppofition , quelque
bornée qu'elle foit , il a dû y avoir cent
mille perfonnes allant habituellement à
l'Opéra. A moins qu'on ne veuille croire ,
comme font ceux qui foutiennent ce fentiment
, que la mufique de ce tems étant
fort fimple, & n'étant proprement que nos
chants d'églife , avec quelques accompa
gnemens auffi uniformes , elle n'infpiroit
pas alors ces fenfations délicieufes qu'elle
nous fait éprouver maintenant qu'elle eſt
portée à fa perfection. Ils en concluent
SEPTEMBRE. 1755. 209
qu'on n'avoit pas alors pour elle ce goût
vif qui nous détermine fi fortement , que
malgré la grandeur de nos théatres & la
quantité que nous en avons dans prefque
tous les quartiers de la ville , ils font néanmoins
toujours remplis ; conféquemment
que très - peu de perfonnes alloient au
fpectacle ; qu'à la réferve d'un très - petit
nombre qui s'étant habitués d'enfance à
goûter cette mufique , y trouvoient quelque
beauté , prefque perfonne ne s'en foucioit.
Que les étrangers même ne la pouvant
fouffrir n'y alloient point. Quoiqu'on
ne puiffe pas entierement rejetter ces faits ,
puifque la mufique de ces tems-là qui eſt
parvenue jufqu'à nous , femble en faire
la preuve néanmoins , à quelque point
qu'on diminue la quantité de gens qui aimoient
ces fpectacles , il eft certain qu'on
ne peut la réduire , jufqu'à croire que
cette falle ait pû les contenir.
M. Gainfay tire fa feconde preuve de la
forme de cette falle . Elle eft fort étroite &
fort longue , ce qui eft contradictoire à la
forme effentielle d'un théatre qui doit être
de forme circulaire ou approchante du
cercle dans toute l'étendue de la falle où
font les fpectateurs . En effet , comment
concevoir qu'un architecte ait pu bâtir un
théatre dont la principale loge eft la plus
210 MERCURE DE FRANCE.
éloignée . Peut -on fuppofer qu'il ait ignoté
qu'une falle de théatre doit ( quelque for
me qu'on y donne ) s'ouvrir en largeur ,
plutôt que s'enfoncer en profondeur. Il eſt
vrai que dans celui - ci les côtés s'élargiffent
un peu en s'étendant vers la partie qu'on
prétend être le théatre , mais c'eſt de fi
peu de chofe que cela eft inutile , & ne
fert qu'à y donner une forme défagréable ,
La loge principale a toujours du être celle du
fond , puifque c'eft vis-à- vis d'elle & pour
elle , que fe fait toujours le jeu du théatre ;
dans cette fuppofition , celle- ci feroit trop
loin , & l'on n'y pourroit pas bien entendre
, d'autant plus que le fon feroit intercepté
en chemin par l'obftacle qu'y apporteroit
le petit murmure qui s'enfuit néceffairement
de l'interpofition de plufieurs
perfonnes qu'on ne peut empêcher de fe
parler quelquefois à l'oreille : car on
prétend qu'il y avoit des fpectateurs af
fis dans cette partie qui eft au-devant
& qu'on nomme l'amphithéatre . On ne
fçait pas fi en effet l'ufage étoit alors
de mettre à tous les théatres cette partie
qu'on veut nommer ici amphithéatre.
Nos théatres ne contiennent plus rien
de femblable. De plus il n'y a que cinq
loges dans cette petite partie circulaire ,
qui ayent été placées , finon pour bien
SEPTEMBRE. 1755. 211
entendre du moins pour bien voir. Les loges
qui s'étendent fur les aîles font encore
plus malheureufes ; fi elles font plus à portée
d'entendre , elles le font bien moins
de voir. Le rang de devant ne voit qu'en
s'avançant avec effort , & celui de derriere
ne peut rien voir , ou fört difficilement ,
& en fe levant ou fe penchant au hazard
de tomber fur le rang de devant . On ne
peut s'imaginer qu'on louât des places
pour être affis , & que cependant on fe
tînt de bout. Si l'on confidere la partie
qu'ils nomment le théatre , on verra par
fon peu d'ouverture , qu'il n'eft pas poffible
qu'on y ait pû donner un fpectacle
fur- tout avec des choeurs , & l'on fçait
que les François en ont toujours joint à
leurs Opéra ; il faudroit que les perfonnages
de ces choeurs fuffent rangés de maniere
que le premier cachât en partie le
fecond , & ainfi fucceffivement des autres
; ce qui ne produiroit point de fpectacle
, donneroit un air d'arrangement
apprêté , & détruiróit l'illufion qu'ils nous
doivent faire en fe plaçant par petits groupes
inégaux & naturels . De l'ordre proceffionnal
qu'il faut néceffairement leur fuppofer
ici , il s'enfuit que les derniers qui
font au fond ne pourroient ni voir ni entendre
le claveffin. Comment pourroient-
›
1
212 MERCURE DE FRANCE.
ils donc fuivre une mefure exacte ? Quelques-
uns ont avancé ſur ce fujet une abfurdité
ridicule , ils ont prétendu qu'il y
avoit derriere les derniers de ces choeurs
des Muficiens qui les régloient en battant
la meſure avec des bâtons . Comment peuton
s'imaginer qu'on pût fouffrir un bruit
auffi indécent , tandis que les oreilles délicates
ont peine à fupporter celui que
fait le Muficien lorfqu'il touche fortement
le claveffin pour remettre quelqu'un
dans la´meſure ; ce qui eft extrêmement
rare , puifqu'on ne fouffre perfonne fur
nos théatres qui ne fçache très-bien la mufique
, du moins quant à la meſure . L'ouverture
de ce qu'ils appellent ici théatre ,
eft tellement étroite , qu'on ne peut pas
fuppofer qu'elle ait encore été divifée
en plufieurs parties , ainfi qu'il eft néceffaire
pour les à parte , dont les anciennes
piéces font remplies : Pouvons - nous
penfer qu'on ait négligé de l'illufion , &
choqué la vraiſemblance , au point de faire
dire ou chanter dans le même lieu des
paroles qu'un acteur préfent eft fuppofé
ne pas entendre , il a fallu du moins qu'il
y eut entre ces acteurs un obftacle , ou réel
ou en peinture , qui donnât lieu de croire
qu'ils pouvoient parler fans être entendus
que du fpectateur : mais où eft ici l'efpace
SEPTEM BRE. 1755. 213
néceffaire pour introduire ces obſtacles ?
Quelles fortes de décorations peut - on fuppofer
avoir été faites dans un lieu fi borné
on n'y peut imaginer qu'une fuite de
chaffis fort étroits fur lefquels on ne pourroit
rien peindre que les bords des objets
encore faudroit- il bien les mettre de fuite,
& que l'un ne débordât l'autre qu'autant
que la perfpective le permet , ce qui produiroit
néceffairement une ennuyeufe uniformité.
Point de ces fuyans fur les côtés ,
qui font des effets fi agréables fur nos
théatres. Point de ces chaffis avancés audedans
de la fcéne , & découpés de maniere
à laiffer voir par leurs ouvertures les
côtés qui continuent de fuir , & les toiles
qui fervent de .fond . Ici tout doit être
terminé par une feule toile. Une pareille
décoration ne feroit propre qu'à
repréſenter une rue étroite & fort longue ;
cependant on fçait qu'alors la peinture
brilloit en France , le plaifir qu'elle y caufoit
par fon excellence , a dû néceffairement
engager à faire de grands théatres
pour donner aux Peintres un lieu propre
à montrer l'étendue de leur génie , & pour
profiter du plaifir que caufe l'illufion
produite par les effets de ce bel art . On
fçait encore que les anciens François introduifoient
la danfe dans leurs Opéra.
214 MERCURE DE FRANCE.
Dans les piéces qui nous reftent d'eux , on
voit même qu'ils la lioient à l'action ,
quelquefois bien , le plus fouvent mal-àpropos
, quoique peut- être eût- il mieux
valu la renvoyer aux entr'actes , que de
forcer la vraisemblance , & la raiſon pour
la coudre à la piéce. Quoiqu'il en foit , il
paroît qu'ils avoient des ballets , & même
des ballets figurés, & repréſentans un fujer :
or , comment veut- on qu'on ait pû exécuter
de tels ballets dans un fi petit eſpace : Il y
auroit eû une confufion infupportable ,
ceux de devant auroient caché ceux de
derriere , tellement qu'on n'en auroit pas
pû voir nettement le deffein : D'ailleurs ,
il n'y pourroit pas tenir affez de danfeurs ,
même en fe touchant à rout inftant les
uns les autres pour former un ballet compofé
avec quelque génie. Il faudroit fuppofer
que la danfe alors ne fût que de
deux , trois , ou quatre perfonnes qui auroient
danfé enfemble , & par conféquent
très-breve : car un fi petit nombre de danfeurs
qui figureroient enſemble , ne pourroient
, s'ils danfoient long- tems , s'empêcher
de retomber dans les mêmes pas ,
& de répéter les mêmes, figures , ce qui
deviendroit ennuyeux , quelques excellens
qu'ils fuffent.
Cependant , en mefurant le tems que
SEPTEMBRE. 1755. 215
duroient leurs Opéra , qu'on fçait avoir
été , ainfi que de notre tems , d'environ
trois heures , on ne trouve pas que la mufique
en ait pû employer plus de la moitié
, encore en fuppofant qu'elle ait été
chantée d'une lenteur exceffive , le refte
doit avoir été occupé par la danſe .
Le parterre de cette falle eft d'une profondeur
dont on ne peut concevoir l'uſage
, fi la fuppofition que ce fût une falle
de théatre avoit lieu , les perfonnes affifes
aux trois où quatre premiers rangs n'auroient
rien vû que ce qui fe feroit paffé
au bord de la fcene , & auroient affez mal
entendu , quoique proche , parce que le
fon auroit paffé par- deffus leurs têtes . Suppoferoit-
on qu'ils euffent été de bout , &
peut-on croire que quelqu'un eût pû refter
dans une pofture fi fatigante durant
trois heures , expofé à la foule & au mouvement
tumultueux que caufe toujours un
nombre de perfonnes dans un lieu refferré,
pour entendre une mufique peu divertif
fante. On ne pourroit dans ce cas penfer
autre chofe , finon que ce lieu auroit été
abandonné à la livrée . M. Gainfay obſerve
encore que la décoration de cette falle
qui n'eft ornée d'aucune architecture , paroît
peu digne d'avoir été le lieu de fpectacle
d'une grande ville, Pas une colonne ,
216 MERCURE DE FRANCE.
pas même un feul pilaftre ! Trois petits
rangs de loges écrafées & foutenues par
des poteaux étroits , y font voir une économie
de terrein peu convénable dans un
édifice de cette importance . L'égalité de
ces deux rangs de loges n'annonce pas
plus de dignité dans ceux qui doivent occuper
le rang d'enbas que dans ceux qui
font au-deffus , & d'ailleurs c'eft un défaut
de goût dans un lieu qu'on auroit prétendu
décorer pour le public : car un des premiers
principes du goût eft d'éviter l'égalité
dans les principales maffes d'un édifice
, & d'y trouver toujours quelques parties
dominantes.
-
Il eft d'autant moins à croire que les
anciens François ayent conſtruit un théatre
femblable, qu'on fçait que dès ce temslà
tous les artiſtes , tant les Peintres que les
Muficiens voyageoient dans leur jeuneffe
en Italie pour fe former le goût : Or , il
eft impoffible qu'ils n'ayent pas vû le théatre
antique de Palladio qui eft vraiment
le modele d'un théatre parfait , foit pour
la commodité , foit pour la magnificence
de la décoration . C'eft de ce refpectable
monument que nous avons tité la perfection
que nous avons donnée à nos théatres
modernes ; à la vérité il n'eft pas poffible
de conftruire un théatre de telle
maniere
SEPTEMBRE . 1755. 217
maniere que tout le monde y foit également
bien placé. Néceffairement il y a
quelques loges ou autres places où l'on eft
forcé de regarder de côté , mais il n'eft
aucun plan qui remédie auffi- bien aux
inconvéniens , & qui place autant de perfonnes
avec avantage que celui de cet admirable
édifice antique ; il eft vrai que la
façade du théatre qui coupe cet ovale dans
fon plus grand diamétre , gâte la forme
totale de cet édifice , & le fait paroître à
demi - fait ; mais il eft aifé de fuppléer à ce
défaut comme nous avons fait dans nos
théatres modernes, C'eft de cet antique
que nous avons appris à décorer nos théatres
de cette belle colonnade qui y fait un
effet fi noble. M. Gainfay ne fçauroit fe
réfoudre à croire que les théatres des anciens
François ayent pû fe paffer d'un
ornement auffi magnifique qu'une colonnade
circulaire , & qui lui paroît y être
fi effentiellement néceffaire. Il faut le lire
pour concevoir avec quelle éloquence il
fait fentir la noble richeffe de cette décoration
; & en effet , il eft difficile d'imaginer
qu'on ait prétendu rendre un lieu
digne d'y recevoir le public & les étrangers
, fans l'enrichir de colonnes , ornement
le plus magnifique que l'architecture
ait jamais inventé.
K
21S MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay ajoute une réflexion qui paroît
évidente . Quand il feroit poffible ,
dit-il , que les François euffent rejetté cet
exemple de Palladio par le défaut de fçavoir
comment remédier au defagrément
de fon avant-fcene : du moins ils auroient
fuivis les théatres ordinaires de l'Italie ,
qui , quoique très- défectueux à bien des
égards , avoient , & plus de grandeur , &
une forme plus rélative à leur deftination ,
que celui qu'on nous propofe ici comme
ayant été le principal theatre d'une ville
telle que Paris. Les reftes de celui d'Argentina
à Rome , & de quelques autres en
Italie nous en offrent la preuve. La forme
en eft defagréable , parce que leur plan
reffemble à une raquette , ou à un oeuf
tronqué , & qu'elle produit plufieurs loges
, où il n'y a abfolument que le premier
rang qui puiffe voir & entendre. La décoration
eft de mauvais goût en ce que
toutes les loges , dont il y a fix rangs les uns
fur les autres , font égales , & femblent des
enfoncemens pratiqués dans des murs de
catacombes. La principale loge qu'on a prétendu
décorer , eſt toujours écrasée rélati-
-vement à fa largeur . L'économie d'eſpace
qui n'a permis de prendre que deux loges
pour fa hauteur , a empêché de lui donner
l'exhauffement qui lui convenoit.
SEPTEMBRE 1755, 219
Néamoins , ces théatres ont un air de
grandeur, même dans les plus petites villes ,
d'où M. Gainfay conclut , qu'on ne peut
pas fuppofer que les François ayent fuivi
un auffi mauvais plan que celui qu'on expofe
ici comme le théatre principal de Paris
, & qu'ayant fous les yeux ces modeles
, certainement ils ont donné à ces monumens
publics la dignité qui leur convient
; par conféquent on ne doit pas croire
que cette falle ait été un théatre. Il paroît
qu'on ne peut réfifter à l'évidence de fes
preuves. La derniere objection qu'il fait ,
eft abfolument décifive . On ne voit autour
de cette falle aucun portique , ce qui eft.
fi néceffaire à un théatre , qu'il feroit impoffible
qu'on en fortit , quelque petit
qu'il fût , fans courir à tout inftant rifque
de la vie. L'embarras que caufe la quantité
des équipages à la fortie des fpectacles
, a toujours rendu ces portiques d'une
néceffité indifpenfable , pour donner lieu
aux gens à pied de s'échapper par différens
chemins. Il remarque encore qu'il n'y
a qu'une feule porte d'une grandeur un
peu raifonnable , & qu'il feroit infenfé de
croire qu'on eût donné dans un pareil lieu
des fpectacles , où l'on emploie fouvent le
feu , & qui font fréquemment exposés au
hazard d'un incendie .
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay paffe à l'explication de ce
qu'on doit penfer de cette falle . C'étoit ,
dit-il , la falle des concerts particuliers des
Princes de la Maiſon d'Orléans. La partie
qu'on a prétendu être un Amphitheatre ,
étoit le lieu où fe plaçoient les Muficiens.
Au commencement il n'y avoit point toutes
ces loges qui l'entourent maintenant ;
mais cette grande maifon s'étant augmentée
dans le dix-neuviéme fiécle , on fut
obligé de les conftruire pour y placer tous
les Officiers de cette maifon qui obrenoient
la faveur de pouvoir entendre des
concerts , où tout ce qu'il y avoit de plus
excellens chanteurs , tant Italiens que François
, exécutoient la plus belle mufique
connue dans ces tems- là. Dans la partie
qu'on prétend avoir été le théatre , étoit
placée une magnifique tribune , qui a été
détruite depuis ; ce lieu étant devenu inutile
lorfque ces Princes ont ceffé d'y demeurer.
On ne peut pas douter que cette
tribune n'ait été décorée de colonnes de
la plus belle architecture , les pilaftres de
fer travaillés , qu'on voit encore aux deux
côtés , en font une continuation fimple ,
& comme pour fervir de tranfition d'un
lieu magnifique aux loges deftinées pour
les Officiers de la maifon. La partie qui
eft au pied de cette tribune en enfonceSEPTEMBRE.
1755. 221
le
ment , & qu'on dit être l'orchestre des.
Muficiens de l'Opéra , eft proprement
lieu où fe plaçoient les Officiers dont les
Princes pouvoient avoir befoin le plus
fréquemment , afin d'être à portée de recevoir
immédiatement leurs ordres ; &
ce qu'on a nommé le parterre étoit le lieu
où le mettoit le plus bas domeftique , où
on avoit conftruit une rampe douce , afin
que ceux qui étoient les plus proches de
la tribune principale , ne puffent point incommoder.
Il pourroît paroître que ceux
qui étoient les derniers , étoient mal placés
pour voir , parce que ceux qui étoient
devant eux , étoient plus élevés ; mais il
faut confidérer qu'il n'eft queſtion ici que
d'entendre un concert , où les principaux
chanteurs fe mettent toujours fur le devant
de l'appui qui les fépare des auditeurs
, & que cet appui eft fort élevé audeffus
de l'auditoire ; mais ce qui confirme
& donne la derniere évidence à ce
qu'avance M. Gainfay dans ce mémoire ,
c'eft qu'il en déduit une raiſon fimple &
claire de l'evafement de cette falle en venant
vers la tribune, qui dans toute autre fuppofition
paroît fans fondement ; il confidere
l'amphithéatre , & qui eft véritablement
l'Orcheftre , comme un centre d'où partent
des rayons de fon ; fi les murs étoient pa-
1
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
ralleles , ces rayons les heurteroient fous
des angles qui pourroient les réfléchir , en
intercepter une partie rélativement à la
tribune principale , pour laquelle toute
cette falle eft conftruite , & par leur réflection
produire une cacophonie qui eft
l'effet naturel de toute voix réfléchie. Cette
douce inclinaiſon n'oppoſe pas un obftacle
affez direct pour brifer ces rayons ,
elle les oblige feulement à gliffer par un
angle très-obtus , & à fe réunir vers la tribune
pour y produire un plus grand effet
d'harmonie . Si elle étoit plus évafée , elle
fuivroit la direction droite du fon , & n'en
augmenteroit pas la force ; il ne faut pas
s'embarraffer des loges qui y font un
obftacle ; parce qu'elles n'y ont été miles
qu'après coup, & qu'elles ne doivent point
être reprochées à l'Architecte ingénieux ,
qui a imaginé cette forme très- propre
fon but. Il eft fâcheux que cette tribune
ait été détruite ; par elle nous aurions
juger s'il avoit autant de goût que de bon
fens .
C'eſt ainfi que M. Gainfay explique ce
qui nous refte de la falle des concerts du
Palais royal. Il eft difficile , après l'avoir
lû dans l'original , de réfiſter à la force de
fes preuves.
La fuite an Mercure fuivant.
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Résumé : ARCHITECTURE. Suite des mémoires d'une Société de gens de Lettres publiés en l'année 2355.
Le texte est un extrait des mémoires d'une Société de gens de lettres, publié en 2355, qui traite de l'architecture, en particulier du Palais Royal. M. Gainfay analyse l'ancien bâtiment du Palais Royal, autrefois la principale demeure des Ducs d'Orléans, avant qu'ils ne construisent un nouvel édifice au centre de la ville. Cet ancien palais, bien entretenu, conserve son état d'origine et présente une architecture belle et solide, typique du quinzième siècle. L'auteur note que le goût architectural de cette époque est plus lourd et moins recherché que celui du Louvre, mais reste solide et bon. M. Gainfay discute également de la destruction des édifices du dix-huitième siècle, attribuée au mauvais goût de cette période. Il remarque que les deux grandes cours du Palais Royal montrent une construction régulière, précédant le point de perfection atteint au quinzième siècle. Il observe des différences architecturales entre les deux ailes de la seconde cour, sans pouvoir en expliquer les raisons. Le texte mentionne une salle du Palais Royal, appelée la salle des concerts, que certains auteurs ont prétendu être l'ancien Opéra de Paris. M. Gainfay réfute cette idée en soulignant que la salle est trop petite pour avoir accueilli un grand public et que sa forme étroite et longue est incompatible avec les exigences d'un théâtre. Il critique également l'agencement des loges et la disposition des choeurs, rendant improbable l'utilisation de cette salle pour des spectacles d'opéra. M. Gainfay observe que les anciens Français, connaissant les théâtres antiques italiens et le modèle de Palladio, n'auraient pas construit un théâtre aussi défectueux. Il compare ce théâtre à ceux d'Italie, qui, malgré leurs défauts, avaient plus de grandeur et une forme plus adaptée à leur fonction. La salle en question ne possède pas de portique, élément nécessaire pour la sécurité lors des sorties des spectacles. M. Gainfay conclut que cette salle était en réalité la salle des concerts particuliers des Princes de la Maison d'Orléans. La partie prétendue être un amphithéâtre était le lieu des musiciens. Les loges actuelles ont été ajoutées plus tard pour les officiers de la maison. La tribune, aujourd'hui détruite, était décorée de colonnes et de pilastres. La salle était conçue pour optimiser l'acoustique et la visibilité des concerts.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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Pas de résultat.
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