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1
p. 173-190
Histoire de la Veuve & de M. de la Forest. [titre d'après la table]
Début :
Ces Lions n'ont pû estre domtpez, qu'il ne nous en [...]
Mots clefs :
Amour conjugal, Mari, Femme, Mort, Foule de soupirants, Mr de la Forêt, Veuve, Argent, Désirs, Coquetterie, Machines, Receveur, Perfide
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texteReconnaissance textuelle : Histoire de la Veuve & de M. de la Forest. [titre d'après la table]
Ces Lions n'ont pû eſtre
domptez , qu'il ne nous en ait couſté unpeude ſang ; &voi- cyune Avanture que ce fang
répandu a produite.
Paffez,Héros , paſſez , venez
courirnos Plaines ,
GALANT. 127
Le
*
HEQUR
PON
La Femme d'un Capitaine d'Infanterie parut un parfait modele d'amour conjugal, tant que ſonMary veſcut. Ses Voi- fins , ſes Parens , & ſes Amis ,
n'étoient occupez qu'à eſſuyer les larmesqu'elle verſoitquand il partoit pour l'armée.
moindre bruit d'une Bataille ,
ou d'un Siege la deſeſperoit elle enpouſſoitdes cris quifai- foient compaffion à tout le monde , &rien n'euſt égalé là haute réputation où la mettoit une ſi juſte tendreſſe , ſi elle fuſt morte avant ſon Mary ;
mais par malheurpour fa ver- tu,uncoupdeMouſquet ayant emportéce cher Epoux , cette paffion fi légitime &fi violente ſe démentit. Aprés avoir pleu- ré quelques jours, elle s'ennuya de pleurer ,ſes lamentations
128 LE MERCVRE
K
cefferent , & on n'eut pas de peine à connoiſtre que la dou- leur qu'elle montroit de ſa mort, eſtoit beaucoup moindre que l'artifice qu'elle avoit eu pour faire croire qu'elle l'ai- moit. Comme elle ne fe trouva
pas en état de ſubſiſter dans le monde apres ſa mort, parce qu'il avoit mangé preſque tout fon Bien das le Service, ſes Parens & ſes Amis crûrent qu'il n'y avoit aucun party à pren- dre pour elle , que celuy de fe retirer dans un Couvent, mais
elle estoit bien faite , la retraite ne l'accommodoit pas,&elle jugea plus àpropos de ſuivre le conſeil d'une foule de Soûpi- rans, qui luy perfuaderent fans peinequ'on nemanquoitpoint d'argent quand on ſe vouloit fervirdeſa beauté. Ce fut fur
GALANT. 129
cet honnefte fondementqu'el- le s'embarqua à faire l'épreuve de ſon merite. Plus de penſée de Couvent , elle a des veuës
plus fatisfaiſantes ; & apres avoir balance quelques jours fur qui tomberoit fon premier choix pour commencer une fi noble carriere , elle jette les yeuxfur unCamaradedupau- vreDéfunt , nommé Mª de la
Foreſt , Officier ſubalterne de
ſa Compagnie , qui remplaça bientoft l'Epoux ,&fut enco- re plus aimé. Il demeuraquelque temps unique & paiſible poffeffeur de la jeune Veuve,
& ſa premiere vertu nousdoit faire croire qu'ellen'auroit pas fi -toſt expiré, ſi le maqued'ar- gent n'euſt troublé tout d'un
coup un commerce ſi agrea- blement étably. La finance du
1
130. LE MERCVRE Fantaſſin fut malheureuſemet
trop toſt épuiſée , & il fallut malgré la vertu ſe réfoudre à
chercher quelque autre re- fource. Par hazard un Riche
Receveur, Homme d'un caratere fort amoureux, &de manieres fort liberales,avoit com- mencé à rendre quelques afſi- duitez àla Veuve.Elle avoitde
grands charmes pourluy,mais l'humeur fâcheuſe du Fantaffin l'obligeoit d'étouffer dans ungrand fecret les defirs que ſa coquetterieluyinſpiroit.Ce- pendantle beſoind'arget aug- mentoit toûjours.La Veuve en fait paroiſtre fon chagrin au Financier. Le Financier ouvre
ſa bourſe , &cette facilité à la
tirer d'embarras, avance fi fort
ſes affaires , qu'en peu de jours ilſe voit au comble de ſes fou-
GALANT. 131
1
haits. Le Fantaſſin fait du bruit
dans les premiers mouvemens de ſa jalousie , mais enfinladé- * licateſſe de ſon cœur cede aux
beſoins preſſans deſa Maîtref- - ſe , & il comprend qu'il n'eſt
pas mauvais pour fon propre intereſt, qu'il ait quelque cho- ſe à partager avec un Finan- cier. La Veuve &luy convien- nentdonc de leurs Faits , & il
eſt réſolu que pour ofter àM
le Receveur tout ſujet de gróderie , & tout prétexte de fuf- pendre ſes liberalitez , le Fan- taſſin ne paroiſtra plus dans la Maiſon , &n'y viendraqueſe- ettement , Mr le Receveur
tqui croit que fon merite feul a
chaffé ſonplus redoutableRi- val, s'abandonne àtoute lajoye que luy cauſe ſon inopinée fe- licité, &perfuadé que faMaî10
crettement
132 LE MERCVRE treffe abien voulu renoncer à
tout pour luy , il n'a plus d'au- tres foins que de luy marquer par ſes profufions qu'il meri- toit cette préference. Toutela Maiſon ſe ſent en peu detemps de ſes bienfaits , rien n'y man- que , ce font meubles fur meu- bles , le Fantaſſin y trouve ſon compte,&fansplus s'inquiéter de ce qui ſe paſſe , il vient tous les jours en ſecret partager l'argent duFinancer , &les fa- veursde laVeuve. Ce fortuné
commerce alloit admirablemet
bien , &rien n'euſt eſté égal à
tant de proſpéritez , fi la Con- fidente de cette galante paffion ne ſe fuſt malheureuſemetmis
en teſtede la troubler. C'eſtoit
une vieille Coquette qui de- meuroit dans le voiſinage,aba- donnée tant que la jeuneſſe luy
GALANT. 133 luyavoit permisde l'eſtre, avi- de de toutes fortes de gains , &
la premiere Fourbe de celles de cette noble Profeffion. Le
bonheur de ſa Voifine , & fur
tout l'argentdu Receveur , ne furent pas longtemps ſans luy - faire envie ; mais n'oſant con--
fier à ſes vieux appas le ſoin d'attraper ce qui cauſoit ſa plus forte tentation, elle s'aviſa d'u ne rufe qui luy réüffit. Elle - avoit déja voulu pluſieurs fois donner des ſoupçons deM de la Foreſt au pauvre Receveur,
qui s'obſtinoit toûjours àcroi- re qu'on avoit entierement rompu avec luyselleluy avoit meſme dit en riant , que fi elle l'entreprenoit, elle n'auroit pas de peine à luy faire voir qu'il eſtoit la Dupe de l'un & de l'autre. Elle poufſa enfin la
TomeV. M
134 LE MERCVRE
1
choſe plusloin
;
&unjour que cette rufée Confidente ſceut
qu'il devoit apporter mille écus àla Veuve , elle alla l'attendre
dans le temps que
M' de la Fo- reſt estoit ſeul avec elle dans
un Cabinet qui ne s'ouvroit que pour luy ,&où il entroit ſans eſtre veu par un petit Ef- calier dérobé. Elle nel'eut pas fi-toſt apperçeu,qu'elle courut audevantde luy , &luymon- trant le Degré qui conduiſoit au lieu du paiſible Rendez- vous , elle s'enfuit chez elle ,
apres l'avoir aſſuré qu'il trou- veroit la Veuve avec le Fantaſſin dont il ſe croyoit défait.
Le pauvre Receveur avance
,
& partagé entre la confiance &la crainte , il montoit tout doucement le Degré,quand le Diable qui ſe meſloit ce jour- $
GALAN Τ. 135 làde ſes affaires , luy fait trou- ver une jeune Enfant Niéce de la Veuve , qui le voyant aller au Cabinet où elle avoit veu fa
Tate s'enfermer avec la Foreft,
l'arreſte tout d'un coup, en luy criant qu'on n'entroit point quand M de la Foreſt eſtoit dans le Cabinet avec ſa Tante.
Il n'en fallut pas davantage pour percer le cœurdu Finan- cier. Il fort tout ardent de co--
lere d'une fi funeste Maiſon,
trop heureux , à ce qu'il croit,
d'en avoir ſauvé ſes mille écus.
Il court au plus viſte s'en con- foler avec ſa Confidente , qui s'eſtant dés long-temps prepa- rée àcet évenement, n'oublie
rien de tout ce quipeut empoi- fonner ce qu'il penſe déja de la Veuve. Elle luy conte mille avantures qu'il ſe ſeroit bien M 2
136 LE MERCVRE
1
paſſe de ſçavoir
,
& l'amuſe ſi bien par fes longs difcours ,
qu'elle le retientjuſqu'àdeux heuresdu matin,dansun temps où la vigilance du Guet n'em- peſchoit point qu'on ne volaſt toutes les nuits. Quandle pre- mier deſeſpoir dumal-heureux Receveur fut unpeuappaisé,
il voulut aller chez luy donner quelque repos à ſa douleur ;
mais l'heure eſtant fort induë,
il ne crût pas que l'obſcurité de la nuit fuſt une aſſez ſeûre
ſauvegarde pour ſes mille écus
,
qu'il s'imaginoit avoir ſauvez du naufrage. Il les laiſſa donc endépoſt àcette chere Confi- dentequi venoit de luydonner tant de marques d'une fincere amitié. La perfide qui n'avoit fait jouer toutes ces machines que pour envenir là,receut cet
GALANT. 137
argent avec une joye qui ne ſe peut dire ; & le pauvre Rece- veur fut bien étonné le lendemain , lors que venant pour le retirer de ſes mains,elle le traita de viſionnaire &d'infolent,
af de luy demander ce qu'elle prétendoit qu'il-ne luy euſt * point donné:elle yajoûta mef- me quelques menaces violentes qui firent craindre auRe- ceveur une ſuite de plus fa- cheuſes avantures,& il ſe crût
trop heureux pour éviter l'é- clat qui ne luy pouvoit eſtre que préjudiciable, d'abandon-.
ner pourtoûjours ſes écus , fa Confidente , & fa Maiſtreſſe
domptez , qu'il ne nous en ait couſté unpeude ſang ; &voi- cyune Avanture que ce fang
répandu a produite.
Paffez,Héros , paſſez , venez
courirnos Plaines ,
GALANT. 127
Le
*
HEQUR
PON
La Femme d'un Capitaine d'Infanterie parut un parfait modele d'amour conjugal, tant que ſonMary veſcut. Ses Voi- fins , ſes Parens , & ſes Amis ,
n'étoient occupez qu'à eſſuyer les larmesqu'elle verſoitquand il partoit pour l'armée.
moindre bruit d'une Bataille ,
ou d'un Siege la deſeſperoit elle enpouſſoitdes cris quifai- foient compaffion à tout le monde , &rien n'euſt égalé là haute réputation où la mettoit une ſi juſte tendreſſe , ſi elle fuſt morte avant ſon Mary ;
mais par malheurpour fa ver- tu,uncoupdeMouſquet ayant emportéce cher Epoux , cette paffion fi légitime &fi violente ſe démentit. Aprés avoir pleu- ré quelques jours, elle s'ennuya de pleurer ,ſes lamentations
128 LE MERCVRE
K
cefferent , & on n'eut pas de peine à connoiſtre que la dou- leur qu'elle montroit de ſa mort, eſtoit beaucoup moindre que l'artifice qu'elle avoit eu pour faire croire qu'elle l'ai- moit. Comme elle ne fe trouva
pas en état de ſubſiſter dans le monde apres ſa mort, parce qu'il avoit mangé preſque tout fon Bien das le Service, ſes Parens & ſes Amis crûrent qu'il n'y avoit aucun party à pren- dre pour elle , que celuy de fe retirer dans un Couvent, mais
elle estoit bien faite , la retraite ne l'accommodoit pas,&elle jugea plus àpropos de ſuivre le conſeil d'une foule de Soûpi- rans, qui luy perfuaderent fans peinequ'on nemanquoitpoint d'argent quand on ſe vouloit fervirdeſa beauté. Ce fut fur
GALANT. 129
cet honnefte fondementqu'el- le s'embarqua à faire l'épreuve de ſon merite. Plus de penſée de Couvent , elle a des veuës
plus fatisfaiſantes ; & apres avoir balance quelques jours fur qui tomberoit fon premier choix pour commencer une fi noble carriere , elle jette les yeuxfur unCamaradedupau- vreDéfunt , nommé Mª de la
Foreſt , Officier ſubalterne de
ſa Compagnie , qui remplaça bientoft l'Epoux ,&fut enco- re plus aimé. Il demeuraquelque temps unique & paiſible poffeffeur de la jeune Veuve,
& ſa premiere vertu nousdoit faire croire qu'ellen'auroit pas fi -toſt expiré, ſi le maqued'ar- gent n'euſt troublé tout d'un
coup un commerce ſi agrea- blement étably. La finance du
1
130. LE MERCVRE Fantaſſin fut malheureuſemet
trop toſt épuiſée , & il fallut malgré la vertu ſe réfoudre à
chercher quelque autre re- fource. Par hazard un Riche
Receveur, Homme d'un caratere fort amoureux, &de manieres fort liberales,avoit com- mencé à rendre quelques afſi- duitez àla Veuve.Elle avoitde
grands charmes pourluy,mais l'humeur fâcheuſe du Fantaffin l'obligeoit d'étouffer dans ungrand fecret les defirs que ſa coquetterieluyinſpiroit.Ce- pendantle beſoind'arget aug- mentoit toûjours.La Veuve en fait paroiſtre fon chagrin au Financier. Le Financier ouvre
ſa bourſe , &cette facilité à la
tirer d'embarras, avance fi fort
ſes affaires , qu'en peu de jours ilſe voit au comble de ſes fou-
GALANT. 131
1
haits. Le Fantaſſin fait du bruit
dans les premiers mouvemens de ſa jalousie , mais enfinladé- * licateſſe de ſon cœur cede aux
beſoins preſſans deſa Maîtref- - ſe , & il comprend qu'il n'eſt
pas mauvais pour fon propre intereſt, qu'il ait quelque cho- ſe à partager avec un Finan- cier. La Veuve &luy convien- nentdonc de leurs Faits , & il
eſt réſolu que pour ofter àM
le Receveur tout ſujet de gróderie , & tout prétexte de fuf- pendre ſes liberalitez , le Fan- taſſin ne paroiſtra plus dans la Maiſon , &n'y viendraqueſe- ettement , Mr le Receveur
tqui croit que fon merite feul a
chaffé ſonplus redoutableRi- val, s'abandonne àtoute lajoye que luy cauſe ſon inopinée fe- licité, &perfuadé que faMaî10
crettement
132 LE MERCVRE treffe abien voulu renoncer à
tout pour luy , il n'a plus d'au- tres foins que de luy marquer par ſes profufions qu'il meri- toit cette préference. Toutela Maiſon ſe ſent en peu detemps de ſes bienfaits , rien n'y man- que , ce font meubles fur meu- bles , le Fantaſſin y trouve ſon compte,&fansplus s'inquiéter de ce qui ſe paſſe , il vient tous les jours en ſecret partager l'argent duFinancer , &les fa- veursde laVeuve. Ce fortuné
commerce alloit admirablemet
bien , &rien n'euſt eſté égal à
tant de proſpéritez , fi la Con- fidente de cette galante paffion ne ſe fuſt malheureuſemetmis
en teſtede la troubler. C'eſtoit
une vieille Coquette qui de- meuroit dans le voiſinage,aba- donnée tant que la jeuneſſe luy
GALANT. 133 luyavoit permisde l'eſtre, avi- de de toutes fortes de gains , &
la premiere Fourbe de celles de cette noble Profeffion. Le
bonheur de ſa Voifine , & fur
tout l'argentdu Receveur , ne furent pas longtemps ſans luy - faire envie ; mais n'oſant con--
fier à ſes vieux appas le ſoin d'attraper ce qui cauſoit ſa plus forte tentation, elle s'aviſa d'u ne rufe qui luy réüffit. Elle - avoit déja voulu pluſieurs fois donner des ſoupçons deM de la Foreſt au pauvre Receveur,
qui s'obſtinoit toûjours àcroi- re qu'on avoit entierement rompu avec luyselleluy avoit meſme dit en riant , que fi elle l'entreprenoit, elle n'auroit pas de peine à luy faire voir qu'il eſtoit la Dupe de l'un & de l'autre. Elle poufſa enfin la
TomeV. M
134 LE MERCVRE
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choſe plusloin
;
&unjour que cette rufée Confidente ſceut
qu'il devoit apporter mille écus àla Veuve , elle alla l'attendre
dans le temps que
M' de la Fo- reſt estoit ſeul avec elle dans
un Cabinet qui ne s'ouvroit que pour luy ,&où il entroit ſans eſtre veu par un petit Ef- calier dérobé. Elle nel'eut pas fi-toſt apperçeu,qu'elle courut audevantde luy , &luymon- trant le Degré qui conduiſoit au lieu du paiſible Rendez- vous , elle s'enfuit chez elle ,
apres l'avoir aſſuré qu'il trou- veroit la Veuve avec le Fantaſſin dont il ſe croyoit défait.
Le pauvre Receveur avance
,
& partagé entre la confiance &la crainte , il montoit tout doucement le Degré,quand le Diable qui ſe meſloit ce jour- $
GALAN Τ. 135 làde ſes affaires , luy fait trou- ver une jeune Enfant Niéce de la Veuve , qui le voyant aller au Cabinet où elle avoit veu fa
Tate s'enfermer avec la Foreft,
l'arreſte tout d'un coup, en luy criant qu'on n'entroit point quand M de la Foreſt eſtoit dans le Cabinet avec ſa Tante.
Il n'en fallut pas davantage pour percer le cœurdu Finan- cier. Il fort tout ardent de co--
lere d'une fi funeste Maiſon,
trop heureux , à ce qu'il croit,
d'en avoir ſauvé ſes mille écus.
Il court au plus viſte s'en con- foler avec ſa Confidente , qui s'eſtant dés long-temps prepa- rée àcet évenement, n'oublie
rien de tout ce quipeut empoi- fonner ce qu'il penſe déja de la Veuve. Elle luy conte mille avantures qu'il ſe ſeroit bien M 2
136 LE MERCVRE
1
paſſe de ſçavoir
,
& l'amuſe ſi bien par fes longs difcours ,
qu'elle le retientjuſqu'àdeux heuresdu matin,dansun temps où la vigilance du Guet n'em- peſchoit point qu'on ne volaſt toutes les nuits. Quandle pre- mier deſeſpoir dumal-heureux Receveur fut unpeuappaisé,
il voulut aller chez luy donner quelque repos à ſa douleur ;
mais l'heure eſtant fort induë,
il ne crût pas que l'obſcurité de la nuit fuſt une aſſez ſeûre
ſauvegarde pour ſes mille écus
,
qu'il s'imaginoit avoir ſauvez du naufrage. Il les laiſſa donc endépoſt àcette chere Confi- dentequi venoit de luydonner tant de marques d'une fincere amitié. La perfide qui n'avoit fait jouer toutes ces machines que pour envenir là,receut cet
GALANT. 137
argent avec une joye qui ne ſe peut dire ; & le pauvre Rece- veur fut bien étonné le lendemain , lors que venant pour le retirer de ſes mains,elle le traita de viſionnaire &d'infolent,
af de luy demander ce qu'elle prétendoit qu'il-ne luy euſt * point donné:elle yajoûta mef- me quelques menaces violentes qui firent craindre auRe- ceveur une ſuite de plus fa- cheuſes avantures,& il ſe crût
trop heureux pour éviter l'é- clat qui ne luy pouvoit eſtre que préjudiciable, d'abandon-.
ner pourtoûjours ſes écus , fa Confidente , & fa Maiſtreſſe
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Résumé : Histoire de la Veuve & de M. de la Forest. [titre d'après la table]
Le texte relate l'histoire d'une femme, veuve d'un capitaine d'infanterie, qui fut d'abord un modèle de dévotion conjugale. Après la mort de son mari, tué par un coup de mousquet, sa douleur se transforma rapidement en indifférence. Incapable de subvenir à ses besoins seule, elle suivit les conseils de soupirants qui lui suggérèrent d'utiliser sa beauté pour survivre. Elle s'engagea alors dans une relation avec M. de la Forest, un camarade de son défunt mari et officier subalterne. Leur union fut perturbée par des problèmes financiers, ce qui poussa la veuve à accepter les avances d'un riche receveur. Ce dernier, jaloux, fut manipulé par une confidente malveillante qui cherchait à s'emparer de son argent. La confidente, une vieille coquette rusée, fit croire au receveur que la veuve le trompait avec M. de la Forest. Elle l'attira dans un piège en l'envoyant dans un cabinet où il découvrit la nièce de la veuve, ce qui le convainquit de la trahison. Désespéré, il confia ses mille écus à la confidente, qui le trahit en refusant de les lui rendre le lendemain.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 85-106
LETTRE DE Mr LE *** A Mrs de ***
Début :
Si ne sçavois que vous avez de l'amour, & que [...]
Mots clefs :
Vendangeurs, Bal, Village, Femme, Maison, Campagne, Compagnie, Violons, Muscat, Mari, Vendangeuses, Mercure galant, Divertir
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE DE Mr LE *** A Mrs de ***
LETTRE DEM LE***
Sijen
A Mrs de ***
Ijene ſçavoisque vous avez de l'a- mour , &que la belle Perſonne qui vous attache nesçauroit quiter Paris, je nevouspardonneroispas denepointvenirgoûter avec nous lesplaiſirs de la Campagne,dans une Saiſon ou il y ade longues annéesque nousn'avons eu de fi beauxjours. Il semble que le Soleil ſe leve expréspourfaire fa Courà quanti-- téde Gens choisis de l'un &de l'autre Sexequise trouvent presque dans tous:
nos Villages.Chacun rencontre cequi luy est propre , &à la Houlete prés dont on ne s'estpas encoravisé deſeſervir,la viequ'on mene icy meparoist fi libre fiagreable,queje m'imaginevoirquel quefois ce que Monsieur d'Urfe nous a
point des Bergeres de Ligno. Ons'aſſem- bledansles Prairies , on s'entretient au
borddes Ruiffeaux, &quand le temps
GALAN T. 59 de la Promenade eſt passé,les plusgrax- des Villesn'ont point de Divertiſſemens que nousayonsſujet de regreter. Le croi- rez- vous ? Le Bal, maisle Bal en for- me,ſe donne par tout aux environs ;
comme cen'estque beau Monde , on le
court de Village en Village , comme on faitde Quartier en Quartier à Paris dansle Carnaval. Qu'auroit-on àneſe pasréjouir ? Les Pendanges n'ont peut- estre jamais esté si belles la France triomphe de toutesparts ; &file Ciel nousfavorise d'un Automne tout char- mant,leRoy &ſes Miniſtres travail lent à nous faire trouver agreables les plusvilains jours de laplus rudeSaiſon,
parles soins qu'ilsprennent ou de nous procurerla Paix, ou de nous mettre en étatdenepointsentir les incommoditez de la Guerre. Parmy les Bals de nostre Canton ily en eut undernierement dont In nouveauté ne vous surprendrapeut- estrepas moins qu'elle nous surprit. Ie Soupois chez Mr de***. Ie nesçay fu vous leconnoiffez- C'est unpetit Homme qui aimefort àvoir fes Amis, & dont laMaiſon est un veritable Bijou. On la
Cvj
60 LE MERCVRE
vient voirde tous les costez. Le Lardin
en est fort proprement entretenu. Outre leMuscat qui couvre un Berceau, ilya
des Espaliers qui raportent lesplus ex- cellens Fruitsqu'on puiſſe manger , &je croy que lepetit Homme enferoit part affez libéralement à ceux qui en admi- rent la beauté , ſiſa Femme qui est un peu la Maistreffe , ne trouvoit qu'il est plus judicieux d'en accommoder certai nes Femmes de la Halle qui laviſitent detemps en temps. Apres que nous eû- imesfoupé, on appreſtoit des Cartes pour une Partie d'Hombre , quand le Mai- ftre de la Maisõqui s'estoit approchédes Fenestres , nous appella pour nous faire.
obſerverplusieursflambeaux qui paroif- foient dans La Campagne , &que nous viſmes s'avancerpeuàpeu vers le Villa ge. Ilsy entrerent, &un peu apres nous entendiſmes grandbruit à la Porte , ой trois Carroſſes c'étoiet arreſtez. Ilsavoiet pouraccõpagnement,fix Hommesàche- val veſtus en Paifans, anſſi-bien que les Cocbers &les Laquais.Ceux qui defcen- dirent du premier Carroffe, aveient des Habits unpeu plus propres , mais pour-
GALANT. 6-r
zansde Paifans comme les autres. 'eſtoient des Violons , qui d'abord qu'ils
furent entrezdans la Court ,firent con- noiſtre en joüant qu'on nevenoit là que
pour d'enfer. La Compagnieſuivit. Elle confiftoit enfix Hommes &quatre Femmes veſtus en Vendangeurs & Vendangeuses. Leurs labits estoient de Satin de Gaze d'argent. Les Hommes avoient depetites Hotes argentées ,les Femmes des Paniers de mesme , &les unes &les autres des Serpetes deVen- dangeurs. On ouvrit une grande Salle,
Six Flambeaux portezpar lesfix Hom- mes qui estoient venus àcheval , prêce- derent les Violons qui furentſuivis de cette galante Troupe de Vendangeurs Les Laquaistirerent aufſfitoft desCar- roffes dequoy éclairer la Salle ; &com- meils ne manquoient de rien , &qu'ils estoient en affezgrand nombre pourdan- fer,onnedemeurapaslong-temps à ne rien faire. Le Maistre &la Maiſtreſſe
du Logis furent pris d'abord. Ilsnesça voientquepenſerde cette imprévenega- lanterie. Ils examinoient commemoyqui pouvoient estre les Gens qui ſe donnoient
62 LE MERCVRE
un ſemblable divertiſſement , & ilne nousfut pas possible de le deviner. Tout
ceque nous fçeûmes parquelques mots qui leur échaperent , &qu'ils croyoient Sedire bas ,c'est qu'il yavoit un Duc
parmyeux. On leur entendit meſme ap- pellerun Page , &à l'air de leur danse &àtoutes leursmanieres , ilparût que c'eſtoiet Perſonnes de la plus hauteQua- lité. Lebruit des Violons attiraincontinent danscette Salle tout ce qu'ily avoit de Gens raisonnables dansle Village.
Lesplus joties Paiſannesy vinrent. Eiles eſtoiet déja accoûtumées àſemeſterpar- my les Damesquand il ſe donnoit quelque Feste. Des Bourgeois curieux ſe maſquerent le mieux qu'ils pûrent , &
on peut dire que ce fut un Bal régulier ,
puisque les Masques en furent ,&qu'il yavoitdu Mondede toute efpece. Apres qu'on eutdansé quelque temps , ceux qui avoientamenéles Violonsdemanderêt à
entrer dans le Iardin,&dirent que puis qu'ilsestoient venus pour vendanger , ils neprétendoietpas qu'õles renvoyaſtſans les avoirmisen beſogne. LaMaiſtreſſe de lamaison tremblapourſes Fruits,&vou
GALANT. 63
lut trouver l'heure induë ;mais le petit Homme qui estoit galant ,s'ofrit à estre teur Conducteur ,&dit en riant , Que tout ce qu'il craignoit , c'eſtoit que des Vendangeuſesd'un ſigrand merite ne vouluſſent vendre cherement leur
temps , &qu'ilne fuſt difficile de les payer. Le Jardin fut ouvert , toute la Troupeyentras,le Muſcat fut vendan- gé, &onn'épargna point les Eſpaliers.
LesHores,les Paniers, tout fut remply de ce qu'ily avoitde plus beau Fruit,&
on ne laiſſapresque rien. Le Ieu parut violent , lesdiscours galans cefferent,le petit Homme devintfroid , så Femme encor davantage. Ils vouloientse plaindre , &se retenoient'; on nesçait àqui onparle quand on parle àdes Gensmas- quez. Ils avoientoicy les noms de Duc &de Page , & en ne voulantpas fou- frirqu'on continuact la vendange , ils craignoient den'estre pas Maistres chez eux. Les faux Vendangeurs s'empes- choient derire autant qu'ilspouvoient ,
&en laiſſoient échaper quelques éclats qu'il leur estoit impoſſible de retenir. Les Intereffez rivient du bout des dents. Le
64 LE MERCVRE
Iardinier la Jardiniere, avec les Do
mestiques les plus groſſiers , querelloient ceux qui dépoüilloient les Arbresfi har diment , &alloient jusqu'à les accuferde vol. C'eſtoit affezfoiblement que leurs Maîtresleur ordonnoient deſe taire. Les
faux , mais pourtant trop veritables Vendangeurs ,redoublerent leurs éclats.
de rire à mesurequ'ils voyoient quelque Espalierd'échargé.
Apres qu'ils eurent cueilly tout ce qu'ilsrencontrerent deplus beau,le Ma- ry voyantque c'estoit un malfans reme de ,voulut faire de neceſſité vertu ; &
afin qu'on ne l'accusat pas d'avoirfouf- fert une Galanterie de mauvaiſe grace,
il les mena dansun endroit oùilyavoit encor quelques Arbres à dépouiller. On luyditque ceferoit pour une autrefois ,
parce que des Vendangeurs de leur im- portance n'estoient pas accoustumez à
travaillerfi long- temps; &tandis qu'un d'entr'eux l'afſfura en termesfort éten dus, qu'il n'auroit pas lieudeſe repentir de l'honneſteté qu'il avoit eue les autres monterent en Carroffe. Celuy- cy prit congé dupetitHomme rejoignit sa ComA
GALANT. 65
-
- pagnie , & tout disparut en mesme- temps. Le trouvay l'Avanture auffi bi- zarre qu'il en fut jamais arrivé à per- Sonne. Le Mary qui faisoit le Rieur en enrageant, me demanda ce que jepensois des Vendangeurs,sa Femme lequerella d'avoir conſenty àeſtre la Dupe deleur Mommerie,&nesçachat tous trois quel jugementfaire de leurprocedé,nousren- tramesdans la Salle ,où nous eûmes un
autreſujet de ſurpriſe. Elle estoit encor toute éclairée d'un afſfez grand nombre deBougies qu'ils yavoient fait mettre
pour le Bal,&cette lumiere nousfit ap- percevoir d'abord ſur la Table une par tie des Fruits que nous croyions empor- tez, & qu'ils yavoient fait laiſſer par leurs Gens. La Maîtreſſe du Logis n'en fut que mediocrement confolée. Ils avoient esté cücillis hors de ſaiſon , &
commeils netuy ſembloient pas propres àcequ'elle avoit reſołu d'en faire , elle n'auroit de long-temps cesséde gronder,
fans une Montre de Diamans qui luy faura aux yeux le plus àpropos du mon- de. Elle estoitfur cette mesme Table,avec deriches Tablettes que nous ouvrimes,
66 LE MERCVRE
où nous trouvâmes ces mots écrits.
D'aſſez illuftres Vendangeuſes , qu'on ne dédaigne pas quelquefois de rece- voir à la Cour, ayant eu enviedevos Muſcats, ont crû qu'elles pouvoient ſe donner le plaifir d'exercer voſtre pa- tience enles vendangeant. N'enmur- murez pas. Il y apeut-eſtre des Gens du plus haut rang qui ſouhaiteroient qu'elles ne les miflent pas àde plus fa- cheuſes épreuves.Quelque rude que vous ait pû eſtre celle cy , elles vous priënt de ne l'oublier jamais ; & afin de vousy engager , elles vous laiſſent cetteMontre qui vous fera ſouvenis d'elles toutes les fois que vous y re- garderez à l'heure qu'elles ont fait le dégaſt de vos plusbeaux Fruits. Lepe- titHommetrouva les Vendangeuſesfort honnestes , & cette Galanterie plût fi
fort àſa Femme ,qu'elleſoubaita qu'on revinst le lendemain vendanger aux meſmesconditions ce qui leur estoit de- meuréde Fruits.
Ienevousparleraypoint ,monCher,
detous les autres Bals qui ſeſont don.
nezdansle voisinage. Ie vous marque
GALAN T. 67
F
-
feulement celny-cyàcausede l'Avantu- re. Elle réjouira ſans doute l'aimable Perſonnequivous empeſche de nousve- nirvoir. Tachez à l'en divertir ,& fi
vousjugezqu'elle merite uneplace dans teMercureGalant faites la conter à
F.Autheur,afinqu'il luy donneles em.
belliſſemens dont elle abesoin. Cependant envoyez-moy fix Exemplaires du Vo.
tume du dernier Mois, on me te deman
depar tout oùje vay,&ce n'est pas estre galant quede le refufer aux Belles.C'est par leMercurequ'on apprend toutes les Nouvelles agreables ; &ji Monsieur Mitonacrûlepouvoirnommer la Con- folationdes Provinces , onpeut adjou ter qu'il est lePlaiſir des Compagnies àqui les Vendanges font quiter Paris.
Ienevoyperfonne quine s'en faſſe un fortgranddefa lecture. Tout le monde en est avide,&pendant que les Hom- mess'attachent aux Articlesferieux,les Damesrientdes Historiettes , &s'em
preſſent à chercher le sens des Eni- gmes. Ce 7. d'Octobre 1677
Sijen
A Mrs de ***
Ijene ſçavoisque vous avez de l'a- mour , &que la belle Perſonne qui vous attache nesçauroit quiter Paris, je nevouspardonneroispas denepointvenirgoûter avec nous lesplaiſirs de la Campagne,dans une Saiſon ou il y ade longues annéesque nousn'avons eu de fi beauxjours. Il semble que le Soleil ſe leve expréspourfaire fa Courà quanti-- téde Gens choisis de l'un &de l'autre Sexequise trouvent presque dans tous:
nos Villages.Chacun rencontre cequi luy est propre , &à la Houlete prés dont on ne s'estpas encoravisé deſeſervir,la viequ'on mene icy meparoist fi libre fiagreable,queje m'imaginevoirquel quefois ce que Monsieur d'Urfe nous a
point des Bergeres de Ligno. Ons'aſſem- bledansles Prairies , on s'entretient au
borddes Ruiffeaux, &quand le temps
GALAN T. 59 de la Promenade eſt passé,les plusgrax- des Villesn'ont point de Divertiſſemens que nousayonsſujet de regreter. Le croi- rez- vous ? Le Bal, maisle Bal en for- me,ſe donne par tout aux environs ;
comme cen'estque beau Monde , on le
court de Village en Village , comme on faitde Quartier en Quartier à Paris dansle Carnaval. Qu'auroit-on àneſe pasréjouir ? Les Pendanges n'ont peut- estre jamais esté si belles la France triomphe de toutesparts ; &file Ciel nousfavorise d'un Automne tout char- mant,leRoy &ſes Miniſtres travail lent à nous faire trouver agreables les plusvilains jours de laplus rudeSaiſon,
parles soins qu'ilsprennent ou de nous procurerla Paix, ou de nous mettre en étatdenepointsentir les incommoditez de la Guerre. Parmy les Bals de nostre Canton ily en eut undernierement dont In nouveauté ne vous surprendrapeut- estrepas moins qu'elle nous surprit. Ie Soupois chez Mr de***. Ie nesçay fu vous leconnoiffez- C'est unpetit Homme qui aimefort àvoir fes Amis, & dont laMaiſon est un veritable Bijou. On la
Cvj
60 LE MERCVRE
vient voirde tous les costez. Le Lardin
en est fort proprement entretenu. Outre leMuscat qui couvre un Berceau, ilya
des Espaliers qui raportent lesplus ex- cellens Fruitsqu'on puiſſe manger , &je croy que lepetit Homme enferoit part affez libéralement à ceux qui en admi- rent la beauté , ſiſa Femme qui est un peu la Maistreffe , ne trouvoit qu'il est plus judicieux d'en accommoder certai nes Femmes de la Halle qui laviſitent detemps en temps. Apres que nous eû- imesfoupé, on appreſtoit des Cartes pour une Partie d'Hombre , quand le Mai- ftre de la Maisõqui s'estoit approchédes Fenestres , nous appella pour nous faire.
obſerverplusieursflambeaux qui paroif- foient dans La Campagne , &que nous viſmes s'avancerpeuàpeu vers le Villa ge. Ilsy entrerent, &un peu apres nous entendiſmes grandbruit à la Porte , ой trois Carroſſes c'étoiet arreſtez. Ilsavoiet pouraccõpagnement,fix Hommesàche- val veſtus en Paifans, anſſi-bien que les Cocbers &les Laquais.Ceux qui defcen- dirent du premier Carroffe, aveient des Habits unpeu plus propres , mais pour-
GALANT. 6-r
zansde Paifans comme les autres. 'eſtoient des Violons , qui d'abord qu'ils
furent entrezdans la Court ,firent con- noiſtre en joüant qu'on nevenoit là que
pour d'enfer. La Compagnieſuivit. Elle confiftoit enfix Hommes &quatre Femmes veſtus en Vendangeurs & Vendangeuses. Leurs labits estoient de Satin de Gaze d'argent. Les Hommes avoient depetites Hotes argentées ,les Femmes des Paniers de mesme , &les unes &les autres des Serpetes deVen- dangeurs. On ouvrit une grande Salle,
Six Flambeaux portezpar lesfix Hom- mes qui estoient venus àcheval , prêce- derent les Violons qui furentſuivis de cette galante Troupe de Vendangeurs Les Laquaistirerent aufſfitoft desCar- roffes dequoy éclairer la Salle ; &com- meils ne manquoient de rien , &qu'ils estoient en affezgrand nombre pourdan- fer,onnedemeurapaslong-temps à ne rien faire. Le Maistre &la Maiſtreſſe
du Logis furent pris d'abord. Ilsnesça voientquepenſerde cette imprévenega- lanterie. Ils examinoient commemoyqui pouvoient estre les Gens qui ſe donnoient
62 LE MERCVRE
un ſemblable divertiſſement , & ilne nousfut pas possible de le deviner. Tout
ceque nous fçeûmes parquelques mots qui leur échaperent , &qu'ils croyoient Sedire bas ,c'est qu'il yavoit un Duc
parmyeux. On leur entendit meſme ap- pellerun Page , &à l'air de leur danse &àtoutes leursmanieres , ilparût que c'eſtoiet Perſonnes de la plus hauteQua- lité. Lebruit des Violons attiraincontinent danscette Salle tout ce qu'ily avoit de Gens raisonnables dansle Village.
Lesplus joties Paiſannesy vinrent. Eiles eſtoiet déja accoûtumées àſemeſterpar- my les Damesquand il ſe donnoit quelque Feste. Des Bourgeois curieux ſe maſquerent le mieux qu'ils pûrent , &
on peut dire que ce fut un Bal régulier ,
puisque les Masques en furent ,&qu'il yavoitdu Mondede toute efpece. Apres qu'on eutdansé quelque temps , ceux qui avoientamenéles Violonsdemanderêt à
entrer dans le Iardin,&dirent que puis qu'ilsestoient venus pour vendanger , ils neprétendoietpas qu'õles renvoyaſtſans les avoirmisen beſogne. LaMaiſtreſſe de lamaison tremblapourſes Fruits,&vou
GALANT. 63
lut trouver l'heure induë ;mais le petit Homme qui estoit galant ,s'ofrit à estre teur Conducteur ,&dit en riant , Que tout ce qu'il craignoit , c'eſtoit que des Vendangeuſesd'un ſigrand merite ne vouluſſent vendre cherement leur
temps , &qu'ilne fuſt difficile de les payer. Le Jardin fut ouvert , toute la Troupeyentras,le Muſcat fut vendan- gé, &onn'épargna point les Eſpaliers.
LesHores,les Paniers, tout fut remply de ce qu'ily avoitde plus beau Fruit,&
on ne laiſſapresque rien. Le Ieu parut violent , lesdiscours galans cefferent,le petit Homme devintfroid , så Femme encor davantage. Ils vouloientse plaindre , &se retenoient'; on nesçait àqui onparle quand on parle àdes Gensmas- quez. Ils avoientoicy les noms de Duc &de Page , & en ne voulantpas fou- frirqu'on continuact la vendange , ils craignoient den'estre pas Maistres chez eux. Les faux Vendangeurs s'empes- choient derire autant qu'ilspouvoient ,
&en laiſſoient échaper quelques éclats qu'il leur estoit impoſſible de retenir. Les Intereffez rivient du bout des dents. Le
64 LE MERCVRE
Iardinier la Jardiniere, avec les Do
mestiques les plus groſſiers , querelloient ceux qui dépoüilloient les Arbresfi har diment , &alloient jusqu'à les accuferde vol. C'eſtoit affezfoiblement que leurs Maîtresleur ordonnoient deſe taire. Les
faux , mais pourtant trop veritables Vendangeurs ,redoublerent leurs éclats.
de rire à mesurequ'ils voyoient quelque Espalierd'échargé.
Apres qu'ils eurent cueilly tout ce qu'ilsrencontrerent deplus beau,le Ma- ry voyantque c'estoit un malfans reme de ,voulut faire de neceſſité vertu ; &
afin qu'on ne l'accusat pas d'avoirfouf- fert une Galanterie de mauvaiſe grace,
il les mena dansun endroit oùilyavoit encor quelques Arbres à dépouiller. On luyditque ceferoit pour une autrefois ,
parce que des Vendangeurs de leur im- portance n'estoient pas accoustumez à
travaillerfi long- temps; &tandis qu'un d'entr'eux l'afſfura en termesfort éten dus, qu'il n'auroit pas lieudeſe repentir de l'honneſteté qu'il avoit eue les autres monterent en Carroffe. Celuy- cy prit congé dupetitHomme rejoignit sa ComA
GALANT. 65
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- pagnie , & tout disparut en mesme- temps. Le trouvay l'Avanture auffi bi- zarre qu'il en fut jamais arrivé à per- Sonne. Le Mary qui faisoit le Rieur en enrageant, me demanda ce que jepensois des Vendangeurs,sa Femme lequerella d'avoir conſenty àeſtre la Dupe deleur Mommerie,&nesçachat tous trois quel jugementfaire de leurprocedé,nousren- tramesdans la Salle ,où nous eûmes un
autreſujet de ſurpriſe. Elle estoit encor toute éclairée d'un afſfez grand nombre deBougies qu'ils yavoient fait mettre
pour le Bal,&cette lumiere nousfit ap- percevoir d'abord ſur la Table une par tie des Fruits que nous croyions empor- tez, & qu'ils yavoient fait laiſſer par leurs Gens. La Maîtreſſe du Logis n'en fut que mediocrement confolée. Ils avoient esté cücillis hors de ſaiſon , &
commeils netuy ſembloient pas propres àcequ'elle avoit reſołu d'en faire , elle n'auroit de long-temps cesséde gronder,
fans une Montre de Diamans qui luy faura aux yeux le plus àpropos du mon- de. Elle estoitfur cette mesme Table,avec deriches Tablettes que nous ouvrimes,
66 LE MERCVRE
où nous trouvâmes ces mots écrits.
D'aſſez illuftres Vendangeuſes , qu'on ne dédaigne pas quelquefois de rece- voir à la Cour, ayant eu enviedevos Muſcats, ont crû qu'elles pouvoient ſe donner le plaifir d'exercer voſtre pa- tience enles vendangeant. N'enmur- murez pas. Il y apeut-eſtre des Gens du plus haut rang qui ſouhaiteroient qu'elles ne les miflent pas àde plus fa- cheuſes épreuves.Quelque rude que vous ait pû eſtre celle cy , elles vous priënt de ne l'oublier jamais ; & afin de vousy engager , elles vous laiſſent cetteMontre qui vous fera ſouvenis d'elles toutes les fois que vous y re- garderez à l'heure qu'elles ont fait le dégaſt de vos plusbeaux Fruits. Lepe- titHommetrouva les Vendangeuſesfort honnestes , & cette Galanterie plût fi
fort àſa Femme ,qu'elleſoubaita qu'on revinst le lendemain vendanger aux meſmesconditions ce qui leur estoit de- meuréde Fruits.
Ienevousparleraypoint ,monCher,
detous les autres Bals qui ſeſont don.
nezdansle voisinage. Ie vous marque
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feulement celny-cyàcausede l'Avantu- re. Elle réjouira ſans doute l'aimable Perſonnequivous empeſche de nousve- nirvoir. Tachez à l'en divertir ,& fi
vousjugezqu'elle merite uneplace dans teMercureGalant faites la conter à
F.Autheur,afinqu'il luy donneles em.
belliſſemens dont elle abesoin. Cependant envoyez-moy fix Exemplaires du Vo.
tume du dernier Mois, on me te deman
depar tout oùje vay,&ce n'est pas estre galant quede le refufer aux Belles.C'est par leMercurequ'on apprend toutes les Nouvelles agreables ; &ji Monsieur Mitonacrûlepouvoirnommer la Con- folationdes Provinces , onpeut adjou ter qu'il est lePlaiſir des Compagnies àqui les Vendanges font quiter Paris.
Ienevoyperfonne quine s'en faſſe un fortgranddefa lecture. Tout le monde en est avide,&pendant que les Hom- mess'attachent aux Articlesferieux,les Damesrientdes Historiettes , &s'em
preſſent à chercher le sens des Eni- gmes. Ce 7. d'Octobre 1677
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Résumé : LETTRE DE Mr LE *** A Mrs de ***
La lettre invite à savourer les plaisirs de la campagne durant une saison particulièrement agréable. L'auteur met en avant la liberté et l'agréabilité de la vie rurale, où les gens se rassemblent dans les prairies et au bord des ruisseaux. Les bals sont fréquents et attirent une société élégante qui se déplace de village en village, rappelant les quartiers de Paris pendant le carnaval. La France connaît un triomphe général, et les soins du roi et de ses ministres rendent même les jours les plus rudes agréables. L'auteur décrit ensuite une soirée particulière chez Monsieur de***, un homme appréciant recevoir ses amis dans une maison soigneusement entretenue. Après un dîner, une troupe de faux vendangeurs, vêtus de satin et de gaze d'argent, arrive en carrosse et se met à danser. La maîtresse de maison, surprise, observe ces invités masqués qui se comportent avec élégance et dignité. Après la danse, les faux vendangeurs demandent à vendanger le jardin, malgré les protestations du maître et de la maîtresse. Ils cueillent les fruits les plus beaux et laissent une montre de diamants avec un message flatteur, invitant à ne pas oublier cette aventure. L'auteur conclut en mentionnant qu'il ne parlera pas des autres bals, mais seulement de cette aventure particulière. Il demande également des exemplaires du dernier volume du Mercure Galant pour les distribuer aux belles.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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p. 164-181
Avantures des Thuilleries. [titre d'après la table]
Début :
Comme mes Lettres que vous avez bien voulu laisser devenir [...]
Mots clefs :
Mercure galant, Devenir publique, Lettres, Tuileries, Livres, Lire, Femme, Curiosité, Public, Auteur, Louer, Galanterie, Guerre, France, Aventure, Nouvelles, Vers
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Avantures des Thuilleries. [titre d'après la table]
Comme mes Lettres que vous avez bien voulu laifferdevenir
publiques , ont donné cours au Mercure , je croy vous devoir rendre compte d'un commencement d'Avanture qu'il a caus ſé dans les premiers jours de eeMois. Ils ont eſte ſi beaux,
i
Ev
106 LE MERCVRE
que jamais on n'a veu tant de monde aux Thuilleries. Un
Gentil - homme s'y promenoit ſeul un foir , reſvant peut-eſtre à quelque affaire de cœur,
quand il apperçeut ce quieſtoit fort capable de luy en faireune.
C'eſtoitune jeune Perſonne d'u- ne beauté ſurprenante. Elle eſtoit avec un Homme de Robe qu'il luy entendit nommer fon Coufin , en la ſuivant d'af- fez prés, comme il fit tant qu'el--- le marcha. Apres quelques tours d'Allée , elle alla s'aſſeoir
fur un Banc; & le Gentilhomme impatient de ſçavoir fi elle eſtoit auſſi ſpirituelle que belle,
ſe coula le plus promptement qu'il pût derriere une Paliſſade,
qui luy donna moyend'écouter fans eſtre apperçeu. Je vous l'a-e
voue, diſait-elle quand ils'ap
GALANT. 107
procha , la lecture a tant de charmes pour moy , qu'on ne me ſçauroit obliger plus ſenſi blement, que de me fournir de- quoy lire. J'y paſſe trois &qua- tre heures , de ſuite ſans m'en- nuyer , & les Livres ſont mon entretien ordinaire au defaut
de la Converſation. Et quels Livres , luy dit le Parent , vous divertiſſent leplus?Toutm'eft
propre, reprit elle. Hiſtoires ,
Voyages , Romans , Comédies,
je lis tout; &je vous diray mê- me, au hazard de paffer pour ri- dicule aupres de vous, qu'ilm'a pris fantaiſie depuis peu de parcourir cette Philofophie nou- velle qui fait tant debruit dans le monde. Je ſuis Femme , &
par conſequent curieuſe. Dés qu'on me parle d'une nouveau- té, je brûle d'envie de la voir,
Evj
108 LEMERCVRE
&tandis que mon Pere & ma Mere iront ſolliciter leur Procés, je prétens bien me fatisfai- re l'eſprit ſur toutes les agreables Bagatelles qui s'impriment tous les jours à Paris, car je ne croy pas que nous retournions en Bretagne avant le Careſme. Je m'imagine mabelle Parente, luy dit le Coufin, que vous ne manquerez pas à commencer par le Mercure Galant. Il n'y a point de Livre qui ſoit plus en vogue,
& il feroit honteux qu'il vous échapaſt , puis que vous faites profeffion de rout lire. Et de- quoy traite ce Mercure,luy de- manda - t-elle avec précipita- tion ?De toute forte de matieres , répondit-il. Il parle de la Guerre, &il ne ſe paſſe rien en France , & particulierement à
Paris, qui ſoit unpeu remarqua
GALANT. Log
ble, dont il n'informe le Public.
L'Autheur y meſle ce qu'il apprend de petites Avantures cauſées parl'Amour ; le tout eft diverſifié par des Pieces galan- tes de Vers & de Profe , & ce
mélange a quelque choſe d'a- greable qui fait que ceux qui approuvent le moins fon Livre,
ont toûjours la curiofité de le voir. Pour moy,j'en fuisfi fa- tisfait , que je ferois tres-faché,
qu'il ne le continuaſt pas ; ce.
qui divertit, l'emporte de beau- coup fur ce qui feroit capable d'ennuyer, & fij'y trouve quel- que choſe à redire , c'eſt qu'il louë avec profuſion, &qu'il s'é- tendunpeu trop fur les Articles de Guerre , car il perd plus de temps à décrire la priſe des Vil- les , que le Roy n'en a employé à les conquérir. Vous allez,
IIO LE MERCVRE
loin , répondit l'aimable Coufi- ne , & je ne ſçay ce que vous entendez par ce terme de pro- fuſion. Eft- ce qu'en loiiant les Gens ,l'Autheur du Mercure
neparticulariſe rien,& que fon- dant le bien qu'il en dit fur des expreſſions generales , il affure feulement qu'ils font tous d'un merite achevé , qu'aucune belle qualité ne leur manque , &
qu'il s'y trouve un affemblage de vertus ſi parfait , qu'il eſt im- poſſible d'aller au dela ? Voila ,
ce me ſemble, ce qui s'appelle- roit loüer avec profufion , quoy qu'en effet ce ne fuſt point du tout louer. Je ne ſuis point affez injuſte , repliqua- t- il , pour ac- cuſer l'Autheur dont je vous parle de loüer indiféremment tout le monde. Il éleve plus ou moins ceux qu'il a occaſion de
GALANT. III
nommer ſelon les choſes par leſquelles ils meritent d'eſtre loüez; il cite leurs Actions , fait
connoiſtre les Emplois qui leur ontdonné lieu de ſe rendre confiderables : mais comme je n'ay aucu interêt àcequi les touche,
j'aimerois mieux qu'il m'apprift quelque nouvelle agreable ,
que de me dire ce qu'ilne m'im- porte point de ſçavoir. C'eſt à
dire , mon cher Cousin , reprit la Belle en fiant , que ſi vous ou vos Amis vous aviez de longs Articles dans le Mercure , vous ne trouveriez point qu'il louaſt exceſſivement. Voila l'injustice de beaucoup de Gens. Ils vou- droient qu'il ne ſe fift rienque pour eux , & ils ne confidérent pas , quand on donne quelque ehoſe au Public,que ce Public eftantun Tout composé de di
112 LE MERCVRE
ferentes parties , il faut s'il ſe peut , trouver le moyen de con- tenter toutes fortes d'Eſprits. Je ne ſçay ceque c'eſt quele Mer- cure , mais peut-eſtre n'a- t- il
aucun Article qui ne rencontre ſes Partiſans , quand il auroit meſme quelque chose d'effecti- vement ennuyeux. Les tins s'at- tacherontaux Nouvelles ſerieuſes , les autres aux Avantures d'amour ; ceux cy cherche- ront les Vers ,ceux - là quelqu'autre Galanterie ; & com- me yous m'avez dit que c'eſt un Livre où tout cela eſt
ramaffé , j'ay peine à croire qu'on puſt former un deſſein plus capable de réüiffir. Quant auxloüanges, vouspouvez paf- fer par deſſus ſi vous enſou- frez; mais mille &mille honneſtes Gens qui font en France >
-
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4 GALANT. 113
ne meritent-ils pas qu'on parle d'eux ? & le defir de ſe rendre
digne d'eſtre loüé, ſervantquel.- quefois d'aiguillon à la Vertu ,
doit-on envierà tant de Braves
qui hazardent tous les jours leur viepour ſervir l'Etat , une récompenſe ſi legitimement deuë à leurs grandes actions ?
La Juſtice qu'aparemment leur rend le Mercure , redouble la
curioſitéque j'ay de le voir, &
je ne crains pointque le trop de Guerre m'importune. La prife de Valenciennes a couſté ſi peu de temps , que je ne m'étonne pas qu'il en faille employer da- vantageà la décrire ; mais outre que dans les Caffandres & les Cyrus j'ay tout lû juſqu'aux plus longues deſcriptions des Barailles , je ſuis perfuadéeque nous ne pouvons ſçavoir trop
114 LE MERCVRE exactementce qui ſe faitde nos jours. Les Relations les plus fi- delles oublient toûjours quel- ques circonstances, &nousn'en
voyons aucune qui n'ait ſa nou- veauté ,du moins par quel- que endroit particulier qui n'a point eſté touché dans les autres.
La nuit s'avançoit , la Belle ſe retira , & le Gentilhomme
que fon eſprit n'avoitpasmoins furpris que fa beauté , la fit fui- vre parun Laquais. Il luy envo- yades le lendemain les ſept pre- miers Tomes du Mercure Galant , avec ces Vers.
LE
MERCVRE GALANT ,
A LA BELLE INCONNUE
qui a dela curioſité pour luy.
AMyde Cupidon , Galant de Rea1.
Je parle également & d'Amour &
d'Armée,
Etviens,mais en tremblant vous conter en cejour Des Nouvelles d'amour.
Si vous me recevezſans vous mettre en
couroux ,
১
Si jeſuispar hazardle bien venu chez
vous,
Rienne peut égaler le bonheur &la
joye Deceluyqui m'envoye.
Vous l'avez avoñé,vous aimez la leEture
116 LE MERCVRE
Vous vous divertiſſez àlire une Avanture;
Mesme dans les Romans ,jeſçay que les Combats
Nevous déplaiſentpas.
Pourquoy vous déplairoy-je en mafincerité ?
Ie nedis jamais rien contre la verité;
Maissur tout aujourd'huy , sans que
l'on me renvoye ,
Ieprétensqu'on le croye.
Cette impréveuë Galanterie embaraſſaunmoment la Belle.
Elle vit bien que la converſa- tion qu'elle avoit euële ſoir pré- cedent aux Thuilleries , eſtoit
cauſedu Préſent qu'on luy fai- foit. Il ne luy déplaiſoit pas,puis qu'il fatisfaifoit l'impatience où elle eftoit de voir le Mercure. Je
ne vous puis dire ce qu'elle pen- ſa , ny par quel motif de curio- fité ou d'intrigue elle fit la Ré
E
GALANT 117 .
ponſe que yous allez voir , car je n'ay point ſceu quelle ſuite a
eul'Avanture , mais il eſt certain qu'elle ne reçeut point le Meſſage en Provinciale façon- niere , & qu'eſtant entrée dans #fon Cabinet , elle écrivit ces
deux Vers qu'elle revint donner au Porteur.
Les Nouvelles d'amourdeceluy qui t'envoye
Ne medéplairont pas,jeprétensqu'il le
croye.
publiques , ont donné cours au Mercure , je croy vous devoir rendre compte d'un commencement d'Avanture qu'il a caus ſé dans les premiers jours de eeMois. Ils ont eſte ſi beaux,
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que jamais on n'a veu tant de monde aux Thuilleries. Un
Gentil - homme s'y promenoit ſeul un foir , reſvant peut-eſtre à quelque affaire de cœur,
quand il apperçeut ce quieſtoit fort capable de luy en faireune.
C'eſtoitune jeune Perſonne d'u- ne beauté ſurprenante. Elle eſtoit avec un Homme de Robe qu'il luy entendit nommer fon Coufin , en la ſuivant d'af- fez prés, comme il fit tant qu'el--- le marcha. Apres quelques tours d'Allée , elle alla s'aſſeoir
fur un Banc; & le Gentilhomme impatient de ſçavoir fi elle eſtoit auſſi ſpirituelle que belle,
ſe coula le plus promptement qu'il pût derriere une Paliſſade,
qui luy donna moyend'écouter fans eſtre apperçeu. Je vous l'a-e
voue, diſait-elle quand ils'ap
GALANT. 107
procha , la lecture a tant de charmes pour moy , qu'on ne me ſçauroit obliger plus ſenſi blement, que de me fournir de- quoy lire. J'y paſſe trois &qua- tre heures , de ſuite ſans m'en- nuyer , & les Livres ſont mon entretien ordinaire au defaut
de la Converſation. Et quels Livres , luy dit le Parent , vous divertiſſent leplus?Toutm'eft
propre, reprit elle. Hiſtoires ,
Voyages , Romans , Comédies,
je lis tout; &je vous diray mê- me, au hazard de paffer pour ri- dicule aupres de vous, qu'ilm'a pris fantaiſie depuis peu de parcourir cette Philofophie nou- velle qui fait tant debruit dans le monde. Je ſuis Femme , &
par conſequent curieuſe. Dés qu'on me parle d'une nouveau- té, je brûle d'envie de la voir,
Evj
108 LEMERCVRE
&tandis que mon Pere & ma Mere iront ſolliciter leur Procés, je prétens bien me fatisfai- re l'eſprit ſur toutes les agreables Bagatelles qui s'impriment tous les jours à Paris, car je ne croy pas que nous retournions en Bretagne avant le Careſme. Je m'imagine mabelle Parente, luy dit le Coufin, que vous ne manquerez pas à commencer par le Mercure Galant. Il n'y a point de Livre qui ſoit plus en vogue,
& il feroit honteux qu'il vous échapaſt , puis que vous faites profeffion de rout lire. Et de- quoy traite ce Mercure,luy de- manda - t-elle avec précipita- tion ?De toute forte de matieres , répondit-il. Il parle de la Guerre, &il ne ſe paſſe rien en France , & particulierement à
Paris, qui ſoit unpeu remarqua
GALANT. Log
ble, dont il n'informe le Public.
L'Autheur y meſle ce qu'il apprend de petites Avantures cauſées parl'Amour ; le tout eft diverſifié par des Pieces galan- tes de Vers & de Profe , & ce
mélange a quelque choſe d'a- greable qui fait que ceux qui approuvent le moins fon Livre,
ont toûjours la curiofité de le voir. Pour moy,j'en fuisfi fa- tisfait , que je ferois tres-faché,
qu'il ne le continuaſt pas ; ce.
qui divertit, l'emporte de beau- coup fur ce qui feroit capable d'ennuyer, & fij'y trouve quel- que choſe à redire , c'eſt qu'il louë avec profuſion, &qu'il s'é- tendunpeu trop fur les Articles de Guerre , car il perd plus de temps à décrire la priſe des Vil- les , que le Roy n'en a employé à les conquérir. Vous allez,
IIO LE MERCVRE
loin , répondit l'aimable Coufi- ne , & je ne ſçay ce que vous entendez par ce terme de pro- fuſion. Eft- ce qu'en loiiant les Gens ,l'Autheur du Mercure
neparticulariſe rien,& que fon- dant le bien qu'il en dit fur des expreſſions generales , il affure feulement qu'ils font tous d'un merite achevé , qu'aucune belle qualité ne leur manque , &
qu'il s'y trouve un affemblage de vertus ſi parfait , qu'il eſt im- poſſible d'aller au dela ? Voila ,
ce me ſemble, ce qui s'appelle- roit loüer avec profufion , quoy qu'en effet ce ne fuſt point du tout louer. Je ne ſuis point affez injuſte , repliqua- t- il , pour ac- cuſer l'Autheur dont je vous parle de loüer indiféremment tout le monde. Il éleve plus ou moins ceux qu'il a occaſion de
GALANT. III
nommer ſelon les choſes par leſquelles ils meritent d'eſtre loüez; il cite leurs Actions , fait
connoiſtre les Emplois qui leur ontdonné lieu de ſe rendre confiderables : mais comme je n'ay aucu interêt àcequi les touche,
j'aimerois mieux qu'il m'apprift quelque nouvelle agreable ,
que de me dire ce qu'ilne m'im- porte point de ſçavoir. C'eſt à
dire , mon cher Cousin , reprit la Belle en fiant , que ſi vous ou vos Amis vous aviez de longs Articles dans le Mercure , vous ne trouveriez point qu'il louaſt exceſſivement. Voila l'injustice de beaucoup de Gens. Ils vou- droient qu'il ne ſe fift rienque pour eux , & ils ne confidérent pas , quand on donne quelque ehoſe au Public,que ce Public eftantun Tout composé de di
112 LE MERCVRE
ferentes parties , il faut s'il ſe peut , trouver le moyen de con- tenter toutes fortes d'Eſprits. Je ne ſçay ceque c'eſt quele Mer- cure , mais peut-eſtre n'a- t- il
aucun Article qui ne rencontre ſes Partiſans , quand il auroit meſme quelque chose d'effecti- vement ennuyeux. Les tins s'at- tacherontaux Nouvelles ſerieuſes , les autres aux Avantures d'amour ; ceux cy cherche- ront les Vers ,ceux - là quelqu'autre Galanterie ; & com- me yous m'avez dit que c'eſt un Livre où tout cela eſt
ramaffé , j'ay peine à croire qu'on puſt former un deſſein plus capable de réüiffir. Quant auxloüanges, vouspouvez paf- fer par deſſus ſi vous enſou- frez; mais mille &mille honneſtes Gens qui font en France >
-
r
4 GALANT. 113
ne meritent-ils pas qu'on parle d'eux ? & le defir de ſe rendre
digne d'eſtre loüé, ſervantquel.- quefois d'aiguillon à la Vertu ,
doit-on envierà tant de Braves
qui hazardent tous les jours leur viepour ſervir l'Etat , une récompenſe ſi legitimement deuë à leurs grandes actions ?
La Juſtice qu'aparemment leur rend le Mercure , redouble la
curioſitéque j'ay de le voir, &
je ne crains pointque le trop de Guerre m'importune. La prife de Valenciennes a couſté ſi peu de temps , que je ne m'étonne pas qu'il en faille employer da- vantageà la décrire ; mais outre que dans les Caffandres & les Cyrus j'ay tout lû juſqu'aux plus longues deſcriptions des Barailles , je ſuis perfuadéeque nous ne pouvons ſçavoir trop
114 LE MERCVRE exactementce qui ſe faitde nos jours. Les Relations les plus fi- delles oublient toûjours quel- ques circonstances, &nousn'en
voyons aucune qui n'ait ſa nou- veauté ,du moins par quel- que endroit particulier qui n'a point eſté touché dans les autres.
La nuit s'avançoit , la Belle ſe retira , & le Gentilhomme
que fon eſprit n'avoitpasmoins furpris que fa beauté , la fit fui- vre parun Laquais. Il luy envo- yades le lendemain les ſept pre- miers Tomes du Mercure Galant , avec ces Vers.
LE
MERCVRE GALANT ,
A LA BELLE INCONNUE
qui a dela curioſité pour luy.
AMyde Cupidon , Galant de Rea1.
Je parle également & d'Amour &
d'Armée,
Etviens,mais en tremblant vous conter en cejour Des Nouvelles d'amour.
Si vous me recevezſans vous mettre en
couroux ,
১
Si jeſuispar hazardle bien venu chez
vous,
Rienne peut égaler le bonheur &la
joye Deceluyqui m'envoye.
Vous l'avez avoñé,vous aimez la leEture
116 LE MERCVRE
Vous vous divertiſſez àlire une Avanture;
Mesme dans les Romans ,jeſçay que les Combats
Nevous déplaiſentpas.
Pourquoy vous déplairoy-je en mafincerité ?
Ie nedis jamais rien contre la verité;
Maissur tout aujourd'huy , sans que
l'on me renvoye ,
Ieprétensqu'on le croye.
Cette impréveuë Galanterie embaraſſaunmoment la Belle.
Elle vit bien que la converſa- tion qu'elle avoit euële ſoir pré- cedent aux Thuilleries , eſtoit
cauſedu Préſent qu'on luy fai- foit. Il ne luy déplaiſoit pas,puis qu'il fatisfaifoit l'impatience où elle eftoit de voir le Mercure. Je
ne vous puis dire ce qu'elle pen- ſa , ny par quel motif de curio- fité ou d'intrigue elle fit la Ré
E
GALANT 117 .
ponſe que yous allez voir , car je n'ay point ſceu quelle ſuite a
eul'Avanture , mais il eſt certain qu'elle ne reçeut point le Meſſage en Provinciale façon- niere , & qu'eſtant entrée dans #fon Cabinet , elle écrivit ces
deux Vers qu'elle revint donner au Porteur.
Les Nouvelles d'amourdeceluy qui t'envoye
Ne medéplairont pas,jeprétensqu'il le
croye.
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Résumé : Avantures des Thuilleries. [titre d'après la table]
Le texte décrit une aventure aux Tuileries où un gentilhomme remarque une jeune femme d'une beauté exceptionnelle en compagnie d'un homme de robe, qu'elle appelle son cousin. Intrigué, le gentilhomme se cache pour écouter leur conversation. La jeune femme exprime son amour pour la lecture, mentionnant divers genres, y compris la philosophie nouvelle. Son cousin lui suggère de lire le Mercure Galant, un journal populaire qui traite de sujets variés comme la guerre et les aventures amoureuses, apprécié pour son mélange de nouvelles et de pièces galantes. La jeune femme montre de l'intérêt pour le Mercure Galant. Son cousin explique que le journal loue souvent les gens avec profusion mais distingue les mérites de chacun. La jeune femme défend le journal, affirmant qu'il contient quelque chose pour tous les goûts et que ses louanges peuvent encourager la vertu. Elle souhaite également lire des nouvelles exactes sur les événements contemporains. Impressionné par la beauté et l'esprit de la jeune femme, le gentilhomme la fait suivre par un laquais et lui envoie les sept premiers tomes du Mercure Galant accompagnés d'un poème. La jeune femme, flattée par ce geste, répond de manière élégante, exprimant son intérêt pour les nouvelles d'amour contenues dans le journal.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 115-118
BALADE Servant de Reponse à celle que Madame des Houlieres a faite sur les mesmes Rimes.
Début :
A Tous chagrins les Maris sont sujets, [...]
Mots clefs :
Femme, Jadis, Désirs, Hymen, Inconstance
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : BALADE Servant de Reponse à celle que Madame des Houlieres a faite sur les mesmes Rimes.
BALADE
Servant de Reponfe à celle que
Madame des Houlieres a faite.
fur les mefmes Rimes..
A
Fous chagrinsles Marisfont
fujets,
Cette Sentence en ma tefte eft'écrite. I
Ils ont toujours mille remordsfecrets,,
Femmen'aplus que la mine benite,
Toujours en trouble avec elle onba
bite,
Brefon ne voitque Ménagesmaudits ;
Carà telpointl'inconftance eft venues
Kij
H6 MERCURE
Queloyauté dansl'Hymen eftperdue,
Femme n'eft plus ce qu'elle eftoit
jadis.
S&
On ventavoirHabits, Meubles, Van
lets,
LeSexe au Luxe attache le mérite..
De coqueter les defirs indifcrets
Onttoutgaftésla Grande, la Petite,
Partout Pais, foitjeune, on decrépite,
Aimeà charmer; Galansſont applaudis,
PauvreMaryfevoitpaffer pour Grue,
Afes dépens faveur est obtenue.
Femme n'eft plus ce qu'elle eftoit
jadis.
Se
Ieunes Beautez nous tendentdesfilets
Mais évitons cette engeance maudite.
Nefçait-onpasqueparmy tels Objets
L'un veut tromper, l'autrefefélicite
GALANT. 117
D'avoirfçûfaire àpropos l. Hypocrite?
Nous paffons tous pour de francs
Etourdis;
Maïs fi prés d'eux jamais on s'ha- "!
bitue,
Pour le Contrai qu'on n'ait aucune
veuë,
Femme n'eft plus ce qu'elle eftoit
jadis.
$2
Dans l'Hymenée on von horribles s
Faits, F
EnVille, anx Champ's , par tour orles
débite.
Plutoft que vivre avecEfprits coquets,
Sil'on m'encroit, ilfautfefaire Hermite.
Nepensez pas qu'à ce deſſeinj'invite
Parcequejay mes defirs refroidis
118 MERCURE
Ou que je fuis de quelque humeur
bourrue,
Non ; c'est, mafoy, quejeune, &que
chenuë,
Femme n'eft plus ce qu'elle eftoit
jadis.
ENVOY VOY.
CherLicidas,fonge à tes intéreſts; I
Epargne- toy de triftes camouflets.
Defuivre Iris enfin difcontiue.
Ignores-tu qu'au Siécle d'Amadis
De maint CroiffantFamille eftoitpours.
7
-
veuë?
Apire étatla chofe estparvenuë.
Femme n'eft plus ce qu'elle eftoir
jadis.
Servant de Reponfe à celle que
Madame des Houlieres a faite.
fur les mefmes Rimes..
A
Fous chagrinsles Marisfont
fujets,
Cette Sentence en ma tefte eft'écrite. I
Ils ont toujours mille remordsfecrets,,
Femmen'aplus que la mine benite,
Toujours en trouble avec elle onba
bite,
Brefon ne voitque Ménagesmaudits ;
Carà telpointl'inconftance eft venues
Kij
H6 MERCURE
Queloyauté dansl'Hymen eftperdue,
Femme n'eft plus ce qu'elle eftoit
jadis.
S&
On ventavoirHabits, Meubles, Van
lets,
LeSexe au Luxe attache le mérite..
De coqueter les defirs indifcrets
Onttoutgaftésla Grande, la Petite,
Partout Pais, foitjeune, on decrépite,
Aimeà charmer; Galansſont applaudis,
PauvreMaryfevoitpaffer pour Grue,
Afes dépens faveur est obtenue.
Femme n'eft plus ce qu'elle eftoit
jadis.
Se
Ieunes Beautez nous tendentdesfilets
Mais évitons cette engeance maudite.
Nefçait-onpasqueparmy tels Objets
L'un veut tromper, l'autrefefélicite
GALANT. 117
D'avoirfçûfaire àpropos l. Hypocrite?
Nous paffons tous pour de francs
Etourdis;
Maïs fi prés d'eux jamais on s'ha- "!
bitue,
Pour le Contrai qu'on n'ait aucune
veuë,
Femme n'eft plus ce qu'elle eftoit
jadis.
$2
Dans l'Hymenée on von horribles s
Faits, F
EnVille, anx Champ's , par tour orles
débite.
Plutoft que vivre avecEfprits coquets,
Sil'on m'encroit, ilfautfefaire Hermite.
Nepensez pas qu'à ce deſſeinj'invite
Parcequejay mes defirs refroidis
118 MERCURE
Ou que je fuis de quelque humeur
bourrue,
Non ; c'est, mafoy, quejeune, &que
chenuë,
Femme n'eft plus ce qu'elle eftoit
jadis.
ENVOY VOY.
CherLicidas,fonge à tes intéreſts; I
Epargne- toy de triftes camouflets.
Defuivre Iris enfin difcontiue.
Ignores-tu qu'au Siécle d'Amadis
De maint CroiffantFamille eftoitpours.
7
-
veuë?
Apire étatla chofe estparvenuë.
Femme n'eft plus ce qu'elle eftoir
jadis.
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Résumé : BALADE Servant de Reponse à celle que Madame des Houlieres a faite sur les mesmes Rimes.
Le texte est une réponse à une œuvre de Madame des Houlières, utilisant les mêmes rimes. L'auteur exprime son mécontentement envers les femmes, affirmant qu'elles ont changé par rapport au passé. Il critique plusieurs comportements négatifs : les remords secrets, l'inconstance et l'attachement au luxe. Les femmes sont décrites comme coquettes et hypocrites, cherchant à charmer et à obtenir des faveurs. L'auteur conseille de se méfier des jeunes beautés et d'éviter ces comportements. Il mentionne également les horreurs commises dans le mariage et les désirs refroidis. Il conclut en exhortant Licidas à se protéger des tristesses amoureuses et à se rappeler que les femmes ne sont plus ce qu'elles étaient autrefois.
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6
p. 99-105
BOUQUET.
Début :
Vous envoyer des Vers de l'Illustre Madame des Houlieres, / Il est aujourd'huy vostre Feste, [...]
Mots clefs :
Abbé, Grâce, Muses, Bel esprit, Coeur, Faiblesse, Femme, Éternelle vie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : BOUQUET.
Vous envoyer des Vers de
l'Illuftre Madame des Houlicres , c'eſt vous faire un vray
prefent En voicy de fa façon,
pour M' l'Abbé de Lavau ,
au jour de S. Loüis , qui eftoit
celuy de la Feſte.
I ij
100 MERCURE
IL
BOUQUET.
Left aujourd'huy voftre Feste,
Et de ces agreables fleurs,
Dont le temps ne sçauroit effacer les
couleurs ,
Ma main devroit , Abbé , couronner
voftre tefte.
Mais belas ! depuis quelquesjours
Je cherche en vain fur le Parnaffe
Ces vives fleurs, que rien n'efface,
Et que vous y cueillez toujours.
Quevous donner donc en leur
place?
Un fimple bonjour? C'est trop
рец.
Mon cœur? C'est un peu trop , quoy
que fafaifon paffe,
Il ne faut mefmepas , de vostre pro
pre aveu ,
GALANT: IoÏ
1
L
Que jamais defon cœur mon Sexe
Se défaffe Et d'ailleurs, dans le train oùvous a
mis la Grace,
Train , qui chez vous n'eſt point
un jeu
Le prefent d'un cœur embaraſſe.
2
Fe çay que depuis quelque temps
On donne pour Bouquet des Bijoux
importans ;
4
Mais quand vous verrez la for
tune,
Demandez-luy fi dans ces lieux
Où les Mufes chantent le mieux;
Elle daigne en mettre quelqu'une
En pouvoir de donner des Bijoux
precieux.
23
Pas une des neufSaurs par elle n'eft aidée .
I iij
102 MERCURE
Abbé, le nom de bel efprit
Icy ne donne point d'idée ,
De gloire , d'aife , de credit ,
Comme decertains noms , qui d'abord
qu'on les dit ,
Tout pauvres qu'ilsfontpareuxmeſmes ;
Rempliffent l'efprit de trefors ,
De voluptez, d'honneurs Suprêmes;
Par tout excellens paffe- ports 着
Des vices de l'ame &du corps.
S
Je m'égare , & je moralife
Peut- eftre un peu hors de faifon.
Qu'y faire ? malgré la raison ,
Dans tout ce qu'on écrit onfe caracterife.
Cependant revenons à nous,
Tâchons par des fouhaits à nous titer
d'affaire.
Jefçay que c'eft ne donnerguere,
*
i
GALANT 103
Mais ceux que la Nature a formez
comme nous ,
D'un limou moins groffier que le li
mon vulgaire ,
Trouvent des charmes auffi doux
Dans les fouhaits d'nn cœur fin-
·cere ,
Que dans les plus riches Bijoux.
S
Ce n'eft nydu Sçavoir, ny de l'efprit
folide,
Ny de la pieté qu'il faut vous fou
haiter,
Vous en avez affez , Abbé , pour en
préter.
Eft ce une conduite rigide ?
Eft- ce une probité ſur quoy pouvoir
compter?
Encor moins ; voftre cœur jamais ne
vous expofe.
Auxdéreglemen's › aux noirceurs,
I iiij
104 MERCURE
Que la foibleffe humaine cauſe,´
Etfur le merite & les mœurs
On pourroit défier les plus fins Con
noiffeurs
· De vous fouhaiter quelque chofe
2
Tout ce qu'une Femme refout,
Arrive , bien ou mal, comme il eft
dans fa tefte.
Fe veux par des fouhaits celebrer
voftre Feste,
Etj'en trouve un àfaire enfinſelon
mon goust.
Je ne fçay s'it fera du voftre.
Abbé, le voicy fans façon.
Saint Louis eft voftre Patrons
Louis le Grand en eſt un autre,
Augré debien des gens pourle moins
auffi bon.
Que pour vous faire un fort qui
foit digne d'envie,
GALANT 105
Leurs foins à votre égardfe parta
gent ainsi.
Que l'un, lors qu'à centans vousfortirez, d'icy,
Vous procure les biens de l'Eternelle
Vie,
Et que l'autre vous rende heureux
dans celle-cy.
l'Illuftre Madame des Houlicres , c'eſt vous faire un vray
prefent En voicy de fa façon,
pour M' l'Abbé de Lavau ,
au jour de S. Loüis , qui eftoit
celuy de la Feſte.
I ij
100 MERCURE
IL
BOUQUET.
Left aujourd'huy voftre Feste,
Et de ces agreables fleurs,
Dont le temps ne sçauroit effacer les
couleurs ,
Ma main devroit , Abbé , couronner
voftre tefte.
Mais belas ! depuis quelquesjours
Je cherche en vain fur le Parnaffe
Ces vives fleurs, que rien n'efface,
Et que vous y cueillez toujours.
Quevous donner donc en leur
place?
Un fimple bonjour? C'est trop
рец.
Mon cœur? C'est un peu trop , quoy
que fafaifon paffe,
Il ne faut mefmepas , de vostre pro
pre aveu ,
GALANT: IoÏ
1
L
Que jamais defon cœur mon Sexe
Se défaffe Et d'ailleurs, dans le train oùvous a
mis la Grace,
Train , qui chez vous n'eſt point
un jeu
Le prefent d'un cœur embaraſſe.
2
Fe çay que depuis quelque temps
On donne pour Bouquet des Bijoux
importans ;
4
Mais quand vous verrez la for
tune,
Demandez-luy fi dans ces lieux
Où les Mufes chantent le mieux;
Elle daigne en mettre quelqu'une
En pouvoir de donner des Bijoux
precieux.
23
Pas une des neufSaurs par elle n'eft aidée .
I iij
102 MERCURE
Abbé, le nom de bel efprit
Icy ne donne point d'idée ,
De gloire , d'aife , de credit ,
Comme decertains noms , qui d'abord
qu'on les dit ,
Tout pauvres qu'ilsfontpareuxmeſmes ;
Rempliffent l'efprit de trefors ,
De voluptez, d'honneurs Suprêmes;
Par tout excellens paffe- ports 着
Des vices de l'ame &du corps.
S
Je m'égare , & je moralife
Peut- eftre un peu hors de faifon.
Qu'y faire ? malgré la raison ,
Dans tout ce qu'on écrit onfe caracterife.
Cependant revenons à nous,
Tâchons par des fouhaits à nous titer
d'affaire.
Jefçay que c'eft ne donnerguere,
*
i
GALANT 103
Mais ceux que la Nature a formez
comme nous ,
D'un limou moins groffier que le li
mon vulgaire ,
Trouvent des charmes auffi doux
Dans les fouhaits d'nn cœur fin-
·cere ,
Que dans les plus riches Bijoux.
S
Ce n'eft nydu Sçavoir, ny de l'efprit
folide,
Ny de la pieté qu'il faut vous fou
haiter,
Vous en avez affez , Abbé , pour en
préter.
Eft ce une conduite rigide ?
Eft- ce une probité ſur quoy pouvoir
compter?
Encor moins ; voftre cœur jamais ne
vous expofe.
Auxdéreglemen's › aux noirceurs,
I iiij
104 MERCURE
Que la foibleffe humaine cauſe,´
Etfur le merite & les mœurs
On pourroit défier les plus fins Con
noiffeurs
· De vous fouhaiter quelque chofe
2
Tout ce qu'une Femme refout,
Arrive , bien ou mal, comme il eft
dans fa tefte.
Fe veux par des fouhaits celebrer
voftre Feste,
Etj'en trouve un àfaire enfinſelon
mon goust.
Je ne fçay s'it fera du voftre.
Abbé, le voicy fans façon.
Saint Louis eft voftre Patrons
Louis le Grand en eſt un autre,
Augré debien des gens pourle moins
auffi bon.
Que pour vous faire un fort qui
foit digne d'envie,
GALANT 105
Leurs foins à votre égardfe parta
gent ainsi.
Que l'un, lors qu'à centans vousfortirez, d'icy,
Vous procure les biens de l'Eternelle
Vie,
Et que l'autre vous rende heureux
dans celle-cy.
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Résumé : BOUQUET.
L'auteur adresse une lettre poétique à l'Abbé de Lavau pour la fête de Saint-Louis. Elle exprime son désir de lui offrir un bouquet de fleurs, mais ne pouvant en trouver, elle envisage d'autres présents. Elle mentionne que les bijoux sont désormais offerts comme bouquets, mais doute que la fortune permette à quiconque de les offrir. L'auteur s'attarde sur la vanité des noms et des titres, se livrant à des réflexions morales. Elle formule ensuite des vœux pour l'Abbé, souhaitant qu'il soit protégé par Saint-Louis pour la vie éternelle et par Louis le Grand pour le bonheur terrestre. Elle conclut en espérant que ses vœux soient à son goût.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 141-148
SUR UNE TRADUCTION des Pseaumes, faite en Vers par Mademoiselle Cheron. ODE.
Début :
Je vous parlay il y a quelque temps d'un Essay de / Equitable Renommée, [...]
Mots clefs :
Yeux, Psaumes, Renommée, Parnasse, Femme, Beau sexe, Déesse, Traduction
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUR UNE TRADUCTION des Pseaumes, faite en Vers par Mademoiselle Cheron. ODE.
Je vous parlay il y a
quelque temps d'un Essay de
1
Pseaumes & de Cantiques,
que Mademoiselle Cheron a
mis en Vers, enrichis d'un
grand nombre de Figures. Je
ne fçaurois mieux justifierce
que je vousendisd'avanta-
Par le merite charmée,
Sauvés les noms ecldtanJ >
Suspens ta voix de tonnerre,
Qui redouble 4e la guerre
Le tumultueux effroy i
Et d'un accent plein de grâce
Viens celebrer au Parnasse
Yne Femme comme toy.
Ce beau Sexe dont la flâme
Prend sa fourcedans les Cieux,
2Je captivepointnostre amt Par le seulplaisir des yeux.
CheZ/flf la delicate{fe\
Le bon goujJ" la politeffe
Regnent don air éleve.
Sanssecours & sans culture
Jl reçoit de la Nature
l'n esprit tout cultive.
Des omorcs de deux mille ans.
Et Rome>deSttlpicie
Honore encor les tulens.
La Greque de satenireffe,
Avec art^avecfinesse,
Peint les transports aveuglez^}
Et la Ramaine plus rage,
Des douceurs du Mariage
Charme les espritsrezltzr
Et toy, FIance) dont la gloire
Fournit tantde grands objets,
Pour embellirtonMiftoire
Manqueras tu de sujets
A l'Italie i
à la Greee,
Superbes pour la Noblesse
De quelque nom favory,
Oppose en troupe confuse
Bernard,Det-j-ardins, laSu%e,
Des Houlieres,,Scudery.
Mab
Mais quelle Etoile nouvelle
Brille à mes yeux étonne^
Dont la splendeur immortelle
Rendra nos Fasses o111ez!
.F,/i.(e une chlt/le Dèesset
EfI-ce Anne la Prophetesse}
Sœur & Compagne <£Aron,
Quifous un habit de Mufe,
Par une pieuse rufey
Se fait appeller Chéron l
Cheron
,
Mufe, ou Propheteffey
Que1,E(pritSaintdans tes Vers
Affermit bien la foible(Je
Dun c&ur accablé de fers!
Soitquilsdécrivent Latteinte
Du remords & de la crainte
Qui fuitrImpie en tout lieu,
Soit que leur fainte energie
jtfous fdffe VApologie
De laconduite de Dttu.
DAvid, que la repentance
De son crime avoitpurge,
A CameYe penitence
Par us Vers efl rengagé.
Dans le comble de la gloire
Vne touchante memoife
Attendrit ce (age Roy,
Et ta Version fidelle
LilY rend si dculcrtrsibelle,
Qùil pleure encor avec toy.
Les Hébreux dans leurs fouf
frances
A leury~,
Aimçnt par tes remontrances
La peine de leurs pechez..:
Ce Peuple que ta voix fljtê,
N'abhorre plus tant l*Euphratt^
Ennobly de Ils chanfills..
Etvoudroit sur fort rivage - -
Vivre encor dans l'efciavage
Eclairé par tes leçons.
0 beautez,, qui du Tarnaffe
Ave, connu l'art touchant,
A Cheron
,
qui vous efface.
Cedex^lagrâce du Chant.
Leséclatantes merveilles,
Qui font £objet de ses veilles 9
L'èleventjusques aux Cieuxt
Et sa gloire nous devance
t
Comme le Dieu quelleencenfe
Devance les autres Dieux.
Vole,Deesse,oùt'engdge
Le foin de nos intereftSk
Le Rhin, la Meuse, & le Tage,
Frissonnent de nos apprefls.
Recommence la fatigue,
Qjtà la honte de la Ligue
ZOVIStedonneanjourd'huy;
Seul il te met hors d'haleine,
jEt tes cent bouches à peine
Suffifent-elles pour luy.
quelque temps d'un Essay de
1
Pseaumes & de Cantiques,
que Mademoiselle Cheron a
mis en Vers, enrichis d'un
grand nombre de Figures. Je
ne fçaurois mieux justifierce
que je vousendisd'avanta-
Par le merite charmée,
Sauvés les noms ecldtanJ >
Suspens ta voix de tonnerre,
Qui redouble 4e la guerre
Le tumultueux effroy i
Et d'un accent plein de grâce
Viens celebrer au Parnasse
Yne Femme comme toy.
Ce beau Sexe dont la flâme
Prend sa fourcedans les Cieux,
2Je captivepointnostre amt Par le seulplaisir des yeux.
CheZ/flf la delicate{fe\
Le bon goujJ" la politeffe
Regnent don air éleve.
Sanssecours & sans culture
Jl reçoit de la Nature
l'n esprit tout cultive.
Des omorcs de deux mille ans.
Et Rome>deSttlpicie
Honore encor les tulens.
La Greque de satenireffe,
Avec art^avecfinesse,
Peint les transports aveuglez^}
Et la Ramaine plus rage,
Des douceurs du Mariage
Charme les espritsrezltzr
Et toy, FIance) dont la gloire
Fournit tantde grands objets,
Pour embellirtonMiftoire
Manqueras tu de sujets
A l'Italie i
à la Greee,
Superbes pour la Noblesse
De quelque nom favory,
Oppose en troupe confuse
Bernard,Det-j-ardins, laSu%e,
Des Houlieres,,Scudery.
Mab
Mais quelle Etoile nouvelle
Brille à mes yeux étonne^
Dont la splendeur immortelle
Rendra nos Fasses o111ez!
.F,/i.(e une chlt/le Dèesset
EfI-ce Anne la Prophetesse}
Sœur & Compagne <£Aron,
Quifous un habit de Mufe,
Par une pieuse rufey
Se fait appeller Chéron l
Cheron
,
Mufe, ou Propheteffey
Que1,E(pritSaintdans tes Vers
Affermit bien la foible(Je
Dun c&ur accablé de fers!
Soitquilsdécrivent Latteinte
Du remords & de la crainte
Qui fuitrImpie en tout lieu,
Soit que leur fainte energie
jtfous fdffe VApologie
De laconduite de Dttu.
DAvid, que la repentance
De son crime avoitpurge,
A CameYe penitence
Par us Vers efl rengagé.
Dans le comble de la gloire
Vne touchante memoife
Attendrit ce (age Roy,
Et ta Version fidelle
LilY rend si dculcrtrsibelle,
Qùil pleure encor avec toy.
Les Hébreux dans leurs fouf
frances
A leury~,
Aimçnt par tes remontrances
La peine de leurs pechez..:
Ce Peuple que ta voix fljtê,
N'abhorre plus tant l*Euphratt^
Ennobly de Ils chanfills..
Etvoudroit sur fort rivage - -
Vivre encor dans l'efciavage
Eclairé par tes leçons.
0 beautez,, qui du Tarnaffe
Ave, connu l'art touchant,
A Cheron
,
qui vous efface.
Cedex^lagrâce du Chant.
Leséclatantes merveilles,
Qui font £objet de ses veilles 9
L'èleventjusques aux Cieuxt
Et sa gloire nous devance
t
Comme le Dieu quelleencenfe
Devance les autres Dieux.
Vole,Deesse,oùt'engdge
Le foin de nos intereftSk
Le Rhin, la Meuse, & le Tage,
Frissonnent de nos apprefls.
Recommence la fatigue,
Qjtà la honte de la Ligue
ZOVIStedonneanjourd'huy;
Seul il te met hors d'haleine,
jEt tes cent bouches à peine
Suffifent-elles pour luy.
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Résumé : SUR UNE TRADUCTION des Pseaumes, faite en Vers par Mademoiselle Cheron. ODE.
La lettre traite d'un ouvrage de psaumes et de cantiques mis en vers par Mademoiselle Cheron, enrichi de nombreuses figures. L'auteur loue les mérites de cet ouvrage et célèbre la capacité des femmes à charmer par leur grâce et leur esprit naturel. Il cite des poétesses grecques et romaines ainsi que des figures bibliques comme Anne la prophétesse pour illustrer le talent de Cheron. La lettre souligne la profondeur et la beauté des vers de Cheron, capables de toucher les cœurs et de guider les âmes. L'auteur admire particulièrement la manière dont Cheron décrit les remords et la repentance, et comment ses écrits influencent positivement les peuples, à l'instar des Hébreux. Enfin, il exalte la gloire et les mérites de Cheron, la comparant à une déesse dont les œuvres surpassent celles des autres.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 57-95
Lettre d'Argentan, qui contient des faits fort singuliers, [titre d'après la table]
Début :
Le nombre des personnes dont je vous apprens tous les [...]
Mots clefs :
Argentan, Médecin, Enfant, Femme, Grossesse, Corps, Animaux, Mamelles, Aliments, Ventricule
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texteReconnaissance textuelle : Lettre d'Argentan, qui contient des faits fort singuliers, [titre d'après la table]
Le nombre des perfonnes.
dont je vous apprens tous les
mois la mort eft fi grand
quoyque je ne vous parle que
> des perfonnes diftinguées par
leur naiffances , par leur fçavoir , par leur emplois , ou par
quelque autres qualitez remarquables , qu'on a lieu de croite
que je devrois vous parler
encore d'un plus grand nombre. Eneffet plus on confidere
la conftruction du corps des
58 MERCURE
hommes , plus on voit qu'il
n'y a point de moment où le
dérangement de l'une du
grand nombre des parties
dont il eft compofé , les peut
faire mourir fubitement , ce
qui arrive tous les jours même
aux perfonnes qui paroiffent
fe porter le mieux. Voila ce
qui regarde leur mort qui eft
toujours certaine puifque
leur vietient à fi peu de chofe
fans compter les differentes
maladies qui triomphent avec
plus ou moins de temps des
plus robuftes , & de ceux dont
là fanté paroît la mieux établie.
>
GALANT 59
A l'égard de leur entrée
dans le monde , elle paroiſt
plus certaine. Les femmes
portent generalement neuf
mois leur enfant dans leur
fein ; c'eſt le terme fixé , à
moins qu'il n'arrive quelques
accidens avant la fin de ces
neuf mois qui faffent mourir
ces enfans dans le corps de leur
mere , & quelques fois même
la mere & l'enfant ; mais il
arrive fouvent des chofes qui
femblent changer l'ordre de
ce qui a efté réfolu de toute
éternité ; & l'on voit des enfans
venir avec autant de peine au
60 MERCURE
monde que les hommes en
fortent facilement , & aprés
avoir demeuré dans le fein de
leur mere même pendant plufieurs années , comme vous
verrez dans un fort grand
nombre d'exemples tres curieux , & qui font raportez
dans la fin de la Lettre que
vous allez lire ; elle eft de Mr
de Forges Medecin , à Argen.
tan en Normandie , dattée
du 17 Decembre dernier.
Cette Lettre à laquelle je ne
changerayrien ,vous paroiftra
remplie de faits curieux &
finguliers.
,
с
GALANT 61
a
Tous les Etres vivans fouhaitent naturellement la confervation de leur efpece ; ily en apeu
qui n'aiment à accomplir le Commandement que Dieu leur fit
aprés les avoircréez , Crefcite &
multiplicamini. ( Genef. ch. 1.)
l'homme comme leplus parfait
des animaux , ajoute au penchant
naturel qui luy eft commun avec
сих la raifon dont Dieu le
favorifa , pour conferver la plus
noble creature , & l'Ouvrage le
plus parfait qui foit forti des
des mainsdu Createur.
Ilfaut en effet que cette raison ,
ce penchant donné par la
62 MERCURE
nature , ayent un grand empire
fur luy , & fpecialementfur la
femme , pour leur faire preferer
le plaifir de fe conferver dans
leurs defcendans , à la peine que
Dienattacha à cette confervation
aprés que leur défobéiffance eut
meritéfa haine , multiplicabo
crumnas tuas...in dolore paries filios ( Genef. Ch. 3. )
nous voyons cependant que malgré les douleurs & les incommoditez quiaccompagnent infeparablement la multiplication de
l'efpece ; laplusgrande partie des
femmes méprife genereusement
les perils qui la fuivent , pour
GALANT 63
transmetre avec une heroïque
affeurance à leurs defcendans , la
vie qu'elles doivent à l'intrepi
dité de leurs meres ; plus malheureufes que les femelles des autres
animaux elles font fujetes àmille
incommoditez dont les autres
font exemptes ; expiant par là
les fuites funeftes du peché de
leur premiere ayeule. La feule
nature délivre celles - là du pefant
fardeau qu'elles portent dans
leurs flancs , celles- cy ont besoin
dufecours de l'Art du miniftere empruntédes Sages-femmes:
auffi-toft que les brutes ont produit leur fruit , le lieu qui les
64 MERCURE
contenoit retourne en fon premier
eftat ; les femmes s'apperçoivent
aprés leur accouchement qu'elles
fontplus infirmes que les brutes ,
& qu'elles ont befoin des purgations qui purifient leurfang , &
qui les déchargent de toutes les
impuretez qu'elles ont amaffées
pendant leur groffeffe.
Lefruit des brutes eft à peine
forti de la prifon où il eftoit enfermépendant le temps deftiné à la
perfection de fes organes , que
fon inftinct luy fait trouver le
lieu où eft l'aliment destiné àfa
confervation & à fon accroiffement ; le fruit des femmes refte
GALANY 65
dans l'inaction & dépourveu des
connoiffances & des forces necefJaires pour trouver luy - même la
nourriture dont il a befoin , attend
qu'une main étrangere luy préte
fon fecours , pour luy faciliter les
moyens de fuccer le lait qui doit
que la naluyfervir d'aliment.
Vous diriez même
ture plus foigneufe de conferver le
foetus des brutes qué celuy des
femmes, apris un foin particuiler
de leur fournir ce qui eft neceſſaire pour les deffendre des injures des
corps étrangers ; elle envelope le
fruit des premieresdans trois membranes , n'en a donnéque deux
Mars 1710. F
66 MERCURE
pour couvrir lefruit desfecondes;
maispour faire mieux voir la
preference que la nature a donnée
femelles des brutes , examinons le temps qu'elle a mesurépour
la portée de leursfruits , &pour
la groffeffe desfemmes.
Elle a établi un terme fixepour
celles - là , en forte qu'elles fe délivrent neceffairement de leurs petits dans le moment qu'elle leur
limité, & qu'on neles voitjamais
paffer les bornes qu'elle leur aprefcrites ; ainfi on voit que la Colombe employe vignt jours & la
femelle du Lapin vingt - cinq
avant que de donner lejourà leurs.
GALANT 67
petits; la Fumentproduitfon Pou
lain aprés onze mois , & l'Elephant aprés deux ans ; on ne voit
point de changement dans cesproductions , une regle conftante &
invariable les conduit ; une main
exempte de déreglement les gouverne ; les femmes dans un eſtat
plus fâcheux que les brutes , ignorent le terme qui doit finir leur
groffeffe ; e vivant dans une affligeante incertitude , ne connoiffent point le temps de leur délivrance ; les unes agréablement
furprifes le trouvent au bout de
Sept mois , ordinairement de neuf:
les autres attendant plus longFij
68 MERCURE
temps le momentperilleux , paſſent
quelquefois le dixième , l'onzième
& quelquefois le quatorziéme
mois , avant que de donner lejour
à la creature qu'elles portent.
Qu'on ne m'oppofepoint la ridicule objection que quelques- uns
font , que les femmes ignorant le
moment de leur conception , fe
trompent dans le calcul qu'elles
font du temps de leur groffeffe
qu'ainfi elles croyent quelquefois
eftre groffes de huit mois , lorfqu'-
elles ne le font que de quatre , que
l'on ne doit donc point s'étonnerfi
elles affurentquelquefois eftregroffes de treize on quatorze mois
MERCURE 69.
quoy qu'elles ne le foient que
neuf.
de
On voit desfemmes d'une vertu auftere qui eftant demeurées
groffes lors du decés de leurs époux,
ont resté quatorze ou quinze mois
aprésfans accoucher; les Autheurs
font pleins d'exemplesfemblables ,
mais fans allerfeuilleter leurs livres pour les trouver ; en voicy
un arrivé depuis quinze jours ,
c'est ce qui donne occafion aux reflexions prefentes.
Au mois d'Aoust 1708. la
femmed'un Artifande cetteVille ,
qui avoiteu déjaplufieurs enfans,
s'apperçut des accidens qui avoient
70 MERCURE
accompagné fes premieres groffef
fes , les dégoufts , les nauzées , la
fuppreffion des incommoditez ordinaires aufexe; maisfur tout l'enAlure & la douleur des mamelles
ne luy laifferent aucunement douter qu'elle nefût groffe , mais elle
enfut certainement affurée quelques mois aprés , puifqu'elle fentit remuerfon enfant : elle atten.
dit donc avec la patience requife
dans le cas le temps dans lequel
elle devoit accoucher ; ce devoit
eftre vers la fin du mois d'Avril
1709. Ce terme eftant venu elle
avoit preparé tout ce qui eftoit
neceffairepaurrecevoirfon enfant
GALANT 71..
maisfonheure n'eftoit pas venues.
elle foupira inutilement aprésfaz
liberation un mois fe paffa ,
trois mois , cinq mois s'ecoulerent fans qu'elle pût élargir fon:
prifonnier ; elle en fut extremement inquiéte , & cela d'autant
plus que fon ventre n'eftoit pas
plus enflé au bout des quinze·
mois , qu'il avoit efté aufeptiéme. Au milieu des triftes réflexions qu'elle faifoitfur le déplorable eftat dans lequel elle fe trouvoit , elle fut furprise d'une
fiévreputride continue au commencement de Novembre ; elle manda
Monfieur ... ancien Medecin
72 MERCURE
de cette Ville , homme auffi recom
mandable parſa vertu que parfa
doctrine ; elle fit venir une Sagefemme avec ce Medecin ; deux
jours aprés j'y fus appellé , ou
ayant conferé avec noftre Ancien
Sur l'eftat prefent de la maladie ,
nous la trouvâmes tresfâcheufe :
elle nous dit que depuis deuxjours
elle ne fentoit plus les mouvemens
dont elle s'eftoit apperçuë depuis fi
longtemps ; les remedes dont nous
nous fervimes n'ayant point empêchéque les accidens defa maladie n'augmentaffent , elle mourut
aprés avoir fouffert des conv ul -
fions épou ventables.
Preffez
GALANT 73
•
Preffez d'une loüable curiofité
Monfieur moy, nousla
fines ouvrir le jour d'aprés ; nous
trouvâmes un enfant mort tout
entier , qui n'eftoit pas plus grand
que s'il n'euft eu que cinq mois ;
il avoitla tefte extraordinairement
groffe par rapport aux autresparties defon corps; le cordon n'avoit
dix poulces de long que buit ои
mais il en avoit plus d'un de groffeur , le placenta eftoit beaucoup
plus petit qu'il n'auroit dû eſtre ;
cet enfant avoit la tefte en haut
&le visage tourné vers le dos
de fa mere. Nous fimes encore ouvrir quelques autres parMars 1710.
G
74 MERCURE
1
ties , nous trouvâmes dans lecœur
de la mere un polype long comme la main , qui avoit un de
fes bouts dans la veine cave ,
l'autredans le ventricule droit
du cœur; fatisfaits de cece que nous
venions de voir , nous n'en viſitâmes point davantage , & nous
nous retirâmes.
&
Voilafans doute un événement
qui n'eft pas inoui , mais qui ne
Taiffe pas d'eftre rare ; quelquesuns élevez dans les principes de la
bonne phyfique , n'ont point depeine à le croire ; d'autres moins inftruits des bizarres fantaifies de la
nature , nesçauroientfe perfuader
GALANT 75
d'un fait dont ils ne peuvent penetrer la raison pour confirmer
les premiers pourdétromper les
feconds , voici commeje raiſonne.
Pendant que le foetus demeure
dans le fein defa mere, il y a un
commerce reciproque entre elle
luy ; le chyle qu'elle fait circulant
avecfonfang, une partie de cette
liqueur laiteufe fe filtre par les
glandes de la M………dans le placenta , y eft reçuepar les orifices
despetites branches de la veine umbilicale qui s'y diſtribuë ; de là elle
eft portée par cette même veine
dans le foye du fœtus , où ellefe
jette dans la veine cave afcendanGij
76 MERCURE
te qui luy fert de canal pour eftre
porté dans le ventricule droit du
cœur , d'où elle paße par le trou
botal dans le gauche pour eſtre
enfuite diftribuée par les arteres
mammaires dans les glandes des
mammelles; trouvant là des pores
proportionnez à fon diametre , elle
s'y filtre , tombe dans le baffin de
la mamelle ; & eft enfuite verfée
par le mamelon dans cette mem
brane que l'on appelle Amnios qui eft fon envelope immediate : c'est c'eft alors
Succe & l'avale ,pour eftre enfuite
que
propre nourriture du fœtus il la
diftribuée par les veines lactées les
devenue la
GALANT 77
glandes d'Azellius , le receptacle
de Peket , les canaux thorachiques ,la veinefouclavieregauche ,
la veine cave defcendante & le
ventricule droit du cœur, & circuler tout de nouveau pour devenir alors le fang & la nourriture
de l'embryon , le refidu eft reporté
auplacenta par les arteres umbilicales.
I
C'eft icy une opinion qai fans
doute va foulever contre moy un
grand nombre de Medecins & de
Phyficiens , qui ne manqueront
pas de rejetter cefentiment comme
une nouveautécondamnable ; mais
qu'ilsfe détrompent, ces Meffieurs;
G iij
78 MERCURE
plufieurs Medecins d'une authorité confiderable , croyent que c'eſt
là le mechanifme de la naturepour
la nourriture & l'accroiffement du
fœtus ; en effet de quel ufageferoient les mamelles des malesfielles
n'eftoient destinées àceluy- ci ? il eft
für que Dieu n'afabriqué aucune
partie du corps qui nefoit propre
quelque fonction particuliere ; il
faut donc que les mamelles des
malesfoientfaites pour celle - cy
puifqu'elles nefontpoint propres à
d'autres ; j'ajoûte à cette preuve
icy une autre qui n'eft pas moins
convainquante , c'est que l'on trouve dans les mamelles des petits en-
GALANT 79
fans qui naiffent, une liqueur toutefemblable àcelle de l'amnios; on
en trouve dans la bouche & dans
l'eftomach de ceux qui meurent qui
a la même odeur , la même couleur la même confiftance ; on
doit donc conclure que c'est la même ; orfi cela est ainfi il faut neceffairement que les mamelles foient
l'organe de cette filtration , puifqu'il n'y en apoint d'autre par
ce fuc nourricier puiffe fe couler
°outter enfuite dans l'Amnios.
où
Fay cru qu'il eftoit neceſſaire
d'entrer dans ce détail pour expliquer avecplus de netteté &faire
f
G
iiij
80 MERCURE
comprendre avec plus de facilité
les raifons par lesquelles cet enfant eft refte fi longtemps
dans le fein defa mere..
enfermé
La nutrition & l'augmentation fe font de la même maniere
dans les animaux , dans les vegetaux dans les mineraux.
Dans ceux- cy uneportion de la
terre fe trouvant fixée par quelques acides , unematiere àpeuprés
de même nature conduite par
ou par l'eau fefiche dans lespores ,
les écarte , les étend , s'y incorpore
augmentefon volume ; de là
font formezfelon les differens degrez de la fermentation , les mél'air
GALANT 81
taux, les mineraux , les pierres
precieuſes , &c.
Dans les vegetaux une humidité onctueufe chargée de quelques
fels ,penetrant l'écorce de la racine
de la plante , fe diftribuë dans fes
fibres , s'y rarefie & fert à l'augmentation defes parties , celles qui
font les plus fubtiles eftant volatilifees par la chaleur du Soleil
de la terre , montent avec rapidité jufqu'au baut de la plante,
où eftant enfuite fixées par le nitre de l'air ellesproduisent lesfleurs
les fruits ; celles qui ont moins
de fubtilité nourriffent les branches , les feuilles & les racines .
82 MERCURE
&les plus groffieresfont deflinées
pour former l'écorce & produire
les mouffes.
Dans les animaux les parties
les plus déliées de ce fue que l'on
appelle Chyle , formédes alimens
qu'ils ont avalez , paffant dans
la maffe du fang circulent avec
luy ,jufqu'àce qu'elles ayent trouvé des pares proportionnez à leur
volume ; c'eft alors que s'y enga
geant elles écartent les fibres du
corps &augmentent fon diametre. Comme les alimens font com
pofez de parties differentes & que
pores ducorps ont auffides configurations diverfes , chacune de
les
GALANT 83
ces petites molecules trouve oùfe
placer , & ainfi toutes les parties
du corps eftant également partagées , doivent croître dans le même temps avec la même proportion.
Les anciens Medecins ont cru
que le fœtus nefe nourriffoit pas
de la même maniere , dans les entrailles defa mere que lorsqu'il a
briſe ſa priſon ; quelques- uns le
croyent encore aujourd'huy ; ils s'imaginent quela mereprepare affez
les alimens qu'elle doit partager
avec fon enfant , pour que cette
tendre creature puiffe s'en accommoder , fans qu'ils ayent befoin
84 MERCURE
d'une digeftion nouvelle ; mais
nous avons fait voir qu'il digere
encore lefucquefa mere luy tranf
met par la veine umbilicale , puifqu'on luy en trouve prefque tou.
jours la bouche & l'estomach
pleins.
que
Quand une mere eftbien nourrie , qu'elle vit d'alimens fucculens , qu'ellejouit d'unefantéproportionnée à l'estat defa groffiffe ,
rien ne trouble le repos de fa
vie , que la tranquilité regne dans
fon ame , qu'elle eft unie à un
épouxjeune & plein defanté, on
voit ordinairement naître fon
fantdansle terme accoûtumé, c'eften
GALANT 85
à dire dans neufmois ; comme la
digeftion eftparfaite , que le chyle
eft abondante loüable, il estporté
au foetus dans une quantitéfuffifante, tousfes membresfont abreu༧༩ར de ce fuc , la fermentationy
eft grande , par confequentfes parties reçoivent unegrande étenduë,
comme un arbre planté dans
une terre graffe & fertile croît
avecpromptitude & facilité , de
même un enfant qui eft dans le
fein de fa mere, telle que je viens
de la décrire doit dans le terme de
neufmois ou auparavant attein.
dre la perfection neceſſaire pour
fortir de foncachot.
86 MERCURE
Au contraire une femme qui
compte fes jours par fes peines ,
qu'une affreuse multitude de douleurs accable , qui eft jointe à un
maryfoible languiffant , qui
eft dans une difette universelle des
chofes même neceffaires à la vie ,
ne digere qu'avecpeine le peu d'alimens qu'elle avale ; fon chyle
crud & vifqueux paſſe dans la
maffe dufang , y excite unefermentation dereglée , eft quelquefois même trop groffierpourpaffer
pores étroits du placenta ;
devons- nous donc nous étonnerfi
lefruit qui eft attaché à cet arbre
nemeuritpoint ? devons-nous eftre
par
les
GALANT 87
furprisfi les membres de cette petite creature infortunée dés les premiers inftans de fa vie , ne croif- .
fentpoint & neparviennentpoint
à la force neceffaire pour rompre
leurs liens ? comme le fuc qui doit
les nourrir pêche parfa quantité
mediocre & parfa mauvaiſe qualité , pourquoy admirer le retardement qui enprovient ? pourquoy
douter qu'un tel fœtus ne puiffe
démeurer douze , quinze , vingt
mois &mêmeplus longtemps dans
les entrailles de fa mere ?
N'eft pas ce qui eft arrivé à
i la femme dont il s'agit , reduite
depuis plus de deux ans dans une
83 MERCURE
pour les gapauvreté honteuse , elle n'a vécu
que pourfouffrir ; les alimens les
plus neceffairespour la confervation defa vie luy ont manqué ;
il a fallu travailler
gner , à peine avoit elle un lit
pourfe délaffer des fatigues du
travail , fujette en mefme temps
à la peine que Dieu impofa à
l'homme pour le punir de la
plaifance qu'il eut pour(afemme,
in fudore vultus tui vefceris
pane, (Genef. ch. 3. ) &fujette
en mefme temps à la douleur
Dieu attacha à la groffeffe pour
punir la femme de fa con lefcendance auxfourberies du ferpent ,
comque
CALANT 89
Cum dolore paries filios
( Genef. ch. 3. ) elle réuniffoit
en elle feule les peines deües aux
deuxfexes , & paffoit ainſifes
jours dans la mifere & dans
Pafliction ; qu'elle difficultéy at-il donc à comprendre , pourquoy
cette femme ne mettoit point au
monde le fruit qu'elle portoit depuis quinze mois ; ne voit on pas
que la mere ayant à peine dequoy
Je foutenir ne pouvoit pas communiquer àfon enfant unegrande
quantité de nouriture ; ne voit on
pas que les efprits de la mere
eftant débiles & fans forces ,
ceux de l'enfant cftoient incapaMars 1710.
H
90 MERCURE
bles d'étendrefesfibres & defaire
fermenterfes liqueurs ? ne voit- on
pas que le peu defuc nourricier que
cet embryon recevoit de fa mere ,
eftantcraffe & groffier , nepouvoit
paspenetrerjufqu'aux extremitez
de fes parties ? le polype que la
mere avoit dans le cœur , eft une
preuve que fes liqueurs eftoient
tres- es- épaiffes , celles de l'enfant ne
pouvoient donc eftre bien animez ?
Les efprits qui en eftoient formez
ne pouvoient donc eftre quefoibles
& énervez ? il ne pouvoit donc
pas avoir affez de force pour brifer fes chaines , pour déchirer les
membranes qui l'enveloppoient ,
GALANT gr
ny pour ouvrir la barriere qui
s'oppofoit àfafortie ?
Voilà ce mefemble des raifons
capables de détromper ceux qui
font dans l'erreur , & de leurfaire
voir qu'une femme peut eftre
groffe plusde neufmois , &qu'il
n'y a pas tant lieu de s'eftonner
quand elle paffe le quinziéme ;
mais afin que rien ne manque aux
preuves que j'ay apportées icy j'y
ajoute l'authorité& l'experience.
Hippocrate dans for livre
de feptimeftri partu , dit qu'il
faut en croire les femmes fur leur
parole ; & qu'il faut ajouter
foy à ce qu'elles difent touchant
Hij
92 MERCURE
l'estat de leurgroffeffe ,parce que
dit cet Auteur , on à beau raifonner fur l'eftat où elles fontalors , ce qu'ellesfententles perfuade bien mieux que tout ce qu'on
pourroit leur dire.
Ariftote au liv. 7. del'Hiftoire
des Animaux , chap. 4. dit que.
tous les animaux ont un terme
certain pour leur naiſſance , que
l'homme feul n'en à point..
Pline dit la même choſe.
Harvée dans la page 3.58° de
Jon Ouvrage , de exercitatione
de partu ,
dit qu'une femme de
fon Pays fut groffe pendant plus
defeize mois. Maynard lib. 4.
GALANT 93
decifionum , dit que lafemme
du fieur Tardet accoucha d'un
fils à lafin du douzième mois
&d'une fille à lafin du feiziéme;
le même Auteur dans le même.
livre , dit que lafemme de Tibere
fille de Scipion , accoucha defon
premier enfant aprés douze mois.
Thionneau , Medecin de Tours,
raporte l'Hiftoire d'un enfant que
fa mere porta vingt trois mois.
Aventinus dit que lafemmed'un
3
Ducdes Vandales qui fut groffe
pendant deux ans accoucha
d'un enfantqui marchoit & qui
parloit ;je doute de cecy , car quel
langage auroit parlé un enfant
94 MERCURI
qui n'en avoit jamais entendu
aucuns. Mercurial dit qu'une
femme qui avoit efté mariée deux
foispendantfeize ans ,fans avoir
eu d'enfants époufa un troifiéme
mary dont elle en eut un qu'elle
porta quatre ans &qui vêcut.
Jepourrois encore ajouter
autoritez celles de plufieurs
Auteurs comme de Skenkius ,
>
de Deufingajus , &c.
à ces
Nous avons dans noftre Pays
affez d'exemples femblables , entr'autres celuy d'une femme de
qualité proche de Faleze , d'une
de Caën , d'une d'Auney , ainfi la
Taifon ,l'autorité, l'experience
GALANT 95
confirmant lefait dont il s'agit
on nepeut nier qu'il ne foitpoffible, &par confequent c'estfans
fondementque plufieurs ont revoqué en doute celuy dont il s'agit
aujourd'huy
dont je vous apprens tous les
mois la mort eft fi grand
quoyque je ne vous parle que
> des perfonnes diftinguées par
leur naiffances , par leur fçavoir , par leur emplois , ou par
quelque autres qualitez remarquables , qu'on a lieu de croite
que je devrois vous parler
encore d'un plus grand nombre. Eneffet plus on confidere
la conftruction du corps des
58 MERCURE
hommes , plus on voit qu'il
n'y a point de moment où le
dérangement de l'une du
grand nombre des parties
dont il eft compofé , les peut
faire mourir fubitement , ce
qui arrive tous les jours même
aux perfonnes qui paroiffent
fe porter le mieux. Voila ce
qui regarde leur mort qui eft
toujours certaine puifque
leur vietient à fi peu de chofe
fans compter les differentes
maladies qui triomphent avec
plus ou moins de temps des
plus robuftes , & de ceux dont
là fanté paroît la mieux établie.
>
GALANT 59
A l'égard de leur entrée
dans le monde , elle paroiſt
plus certaine. Les femmes
portent generalement neuf
mois leur enfant dans leur
fein ; c'eſt le terme fixé , à
moins qu'il n'arrive quelques
accidens avant la fin de ces
neuf mois qui faffent mourir
ces enfans dans le corps de leur
mere , & quelques fois même
la mere & l'enfant ; mais il
arrive fouvent des chofes qui
femblent changer l'ordre de
ce qui a efté réfolu de toute
éternité ; & l'on voit des enfans
venir avec autant de peine au
60 MERCURE
monde que les hommes en
fortent facilement , & aprés
avoir demeuré dans le fein de
leur mere même pendant plufieurs années , comme vous
verrez dans un fort grand
nombre d'exemples tres curieux , & qui font raportez
dans la fin de la Lettre que
vous allez lire ; elle eft de Mr
de Forges Medecin , à Argen.
tan en Normandie , dattée
du 17 Decembre dernier.
Cette Lettre à laquelle je ne
changerayrien ,vous paroiftra
remplie de faits curieux &
finguliers.
,
с
GALANT 61
a
Tous les Etres vivans fouhaitent naturellement la confervation de leur efpece ; ily en apeu
qui n'aiment à accomplir le Commandement que Dieu leur fit
aprés les avoircréez , Crefcite &
multiplicamini. ( Genef. ch. 1.)
l'homme comme leplus parfait
des animaux , ajoute au penchant
naturel qui luy eft commun avec
сих la raifon dont Dieu le
favorifa , pour conferver la plus
noble creature , & l'Ouvrage le
plus parfait qui foit forti des
des mainsdu Createur.
Ilfaut en effet que cette raison ,
ce penchant donné par la
62 MERCURE
nature , ayent un grand empire
fur luy , & fpecialementfur la
femme , pour leur faire preferer
le plaifir de fe conferver dans
leurs defcendans , à la peine que
Dienattacha à cette confervation
aprés que leur défobéiffance eut
meritéfa haine , multiplicabo
crumnas tuas...in dolore paries filios ( Genef. Ch. 3. )
nous voyons cependant que malgré les douleurs & les incommoditez quiaccompagnent infeparablement la multiplication de
l'efpece ; laplusgrande partie des
femmes méprife genereusement
les perils qui la fuivent , pour
GALANT 63
transmetre avec une heroïque
affeurance à leurs defcendans , la
vie qu'elles doivent à l'intrepi
dité de leurs meres ; plus malheureufes que les femelles des autres
animaux elles font fujetes àmille
incommoditez dont les autres
font exemptes ; expiant par là
les fuites funeftes du peché de
leur premiere ayeule. La feule
nature délivre celles - là du pefant
fardeau qu'elles portent dans
leurs flancs , celles- cy ont besoin
dufecours de l'Art du miniftere empruntédes Sages-femmes:
auffi-toft que les brutes ont produit leur fruit , le lieu qui les
64 MERCURE
contenoit retourne en fon premier
eftat ; les femmes s'apperçoivent
aprés leur accouchement qu'elles
fontplus infirmes que les brutes ,
& qu'elles ont befoin des purgations qui purifient leurfang , &
qui les déchargent de toutes les
impuretez qu'elles ont amaffées
pendant leur groffeffe.
Lefruit des brutes eft à peine
forti de la prifon où il eftoit enfermépendant le temps deftiné à la
perfection de fes organes , que
fon inftinct luy fait trouver le
lieu où eft l'aliment destiné àfa
confervation & à fon accroiffement ; le fruit des femmes refte
GALANY 65
dans l'inaction & dépourveu des
connoiffances & des forces necefJaires pour trouver luy - même la
nourriture dont il a befoin , attend
qu'une main étrangere luy préte
fon fecours , pour luy faciliter les
moyens de fuccer le lait qui doit
que la naluyfervir d'aliment.
Vous diriez même
ture plus foigneufe de conferver le
foetus des brutes qué celuy des
femmes, apris un foin particuiler
de leur fournir ce qui eft neceſſaire pour les deffendre des injures des
corps étrangers ; elle envelope le
fruit des premieresdans trois membranes , n'en a donnéque deux
Mars 1710. F
66 MERCURE
pour couvrir lefruit desfecondes;
maispour faire mieux voir la
preference que la nature a donnée
femelles des brutes , examinons le temps qu'elle a mesurépour
la portée de leursfruits , &pour
la groffeffe desfemmes.
Elle a établi un terme fixepour
celles - là , en forte qu'elles fe délivrent neceffairement de leurs petits dans le moment qu'elle leur
limité, & qu'on neles voitjamais
paffer les bornes qu'elle leur aprefcrites ; ainfi on voit que la Colombe employe vignt jours & la
femelle du Lapin vingt - cinq
avant que de donner lejourà leurs.
GALANT 67
petits; la Fumentproduitfon Pou
lain aprés onze mois , & l'Elephant aprés deux ans ; on ne voit
point de changement dans cesproductions , une regle conftante &
invariable les conduit ; une main
exempte de déreglement les gouverne ; les femmes dans un eſtat
plus fâcheux que les brutes , ignorent le terme qui doit finir leur
groffeffe ; e vivant dans une affligeante incertitude , ne connoiffent point le temps de leur délivrance ; les unes agréablement
furprifes le trouvent au bout de
Sept mois , ordinairement de neuf:
les autres attendant plus longFij
68 MERCURE
temps le momentperilleux , paſſent
quelquefois le dixième , l'onzième
& quelquefois le quatorziéme
mois , avant que de donner lejour
à la creature qu'elles portent.
Qu'on ne m'oppofepoint la ridicule objection que quelques- uns
font , que les femmes ignorant le
moment de leur conception , fe
trompent dans le calcul qu'elles
font du temps de leur groffeffe
qu'ainfi elles croyent quelquefois
eftre groffes de huit mois , lorfqu'-
elles ne le font que de quatre , que
l'on ne doit donc point s'étonnerfi
elles affurentquelquefois eftregroffes de treize on quatorze mois
MERCURE 69.
quoy qu'elles ne le foient que
neuf.
de
On voit desfemmes d'une vertu auftere qui eftant demeurées
groffes lors du decés de leurs époux,
ont resté quatorze ou quinze mois
aprésfans accoucher; les Autheurs
font pleins d'exemplesfemblables ,
mais fans allerfeuilleter leurs livres pour les trouver ; en voicy
un arrivé depuis quinze jours ,
c'est ce qui donne occafion aux reflexions prefentes.
Au mois d'Aoust 1708. la
femmed'un Artifande cetteVille ,
qui avoiteu déjaplufieurs enfans,
s'apperçut des accidens qui avoient
70 MERCURE
accompagné fes premieres groffef
fes , les dégoufts , les nauzées , la
fuppreffion des incommoditez ordinaires aufexe; maisfur tout l'enAlure & la douleur des mamelles
ne luy laifferent aucunement douter qu'elle nefût groffe , mais elle
enfut certainement affurée quelques mois aprés , puifqu'elle fentit remuerfon enfant : elle atten.
dit donc avec la patience requife
dans le cas le temps dans lequel
elle devoit accoucher ; ce devoit
eftre vers la fin du mois d'Avril
1709. Ce terme eftant venu elle
avoit preparé tout ce qui eftoit
neceffairepaurrecevoirfon enfant
GALANT 71..
maisfonheure n'eftoit pas venues.
elle foupira inutilement aprésfaz
liberation un mois fe paffa ,
trois mois , cinq mois s'ecoulerent fans qu'elle pût élargir fon:
prifonnier ; elle en fut extremement inquiéte , & cela d'autant
plus que fon ventre n'eftoit pas
plus enflé au bout des quinze·
mois , qu'il avoit efté aufeptiéme. Au milieu des triftes réflexions qu'elle faifoitfur le déplorable eftat dans lequel elle fe trouvoit , elle fut furprise d'une
fiévreputride continue au commencement de Novembre ; elle manda
Monfieur ... ancien Medecin
72 MERCURE
de cette Ville , homme auffi recom
mandable parſa vertu que parfa
doctrine ; elle fit venir une Sagefemme avec ce Medecin ; deux
jours aprés j'y fus appellé , ou
ayant conferé avec noftre Ancien
Sur l'eftat prefent de la maladie ,
nous la trouvâmes tresfâcheufe :
elle nous dit que depuis deuxjours
elle ne fentoit plus les mouvemens
dont elle s'eftoit apperçuë depuis fi
longtemps ; les remedes dont nous
nous fervimes n'ayant point empêchéque les accidens defa maladie n'augmentaffent , elle mourut
aprés avoir fouffert des conv ul -
fions épou ventables.
Preffez
GALANT 73
•
Preffez d'une loüable curiofité
Monfieur moy, nousla
fines ouvrir le jour d'aprés ; nous
trouvâmes un enfant mort tout
entier , qui n'eftoit pas plus grand
que s'il n'euft eu que cinq mois ;
il avoitla tefte extraordinairement
groffe par rapport aux autresparties defon corps; le cordon n'avoit
dix poulces de long que buit ои
mais il en avoit plus d'un de groffeur , le placenta eftoit beaucoup
plus petit qu'il n'auroit dû eſtre ;
cet enfant avoit la tefte en haut
&le visage tourné vers le dos
de fa mere. Nous fimes encore ouvrir quelques autres parMars 1710.
G
74 MERCURE
1
ties , nous trouvâmes dans lecœur
de la mere un polype long comme la main , qui avoit un de
fes bouts dans la veine cave ,
l'autredans le ventricule droit
du cœur; fatisfaits de cece que nous
venions de voir , nous n'en viſitâmes point davantage , & nous
nous retirâmes.
&
Voilafans doute un événement
qui n'eft pas inoui , mais qui ne
Taiffe pas d'eftre rare ; quelquesuns élevez dans les principes de la
bonne phyfique , n'ont point depeine à le croire ; d'autres moins inftruits des bizarres fantaifies de la
nature , nesçauroientfe perfuader
GALANT 75
d'un fait dont ils ne peuvent penetrer la raison pour confirmer
les premiers pourdétromper les
feconds , voici commeje raiſonne.
Pendant que le foetus demeure
dans le fein defa mere, il y a un
commerce reciproque entre elle
luy ; le chyle qu'elle fait circulant
avecfonfang, une partie de cette
liqueur laiteufe fe filtre par les
glandes de la M………dans le placenta , y eft reçuepar les orifices
despetites branches de la veine umbilicale qui s'y diſtribuë ; de là elle
eft portée par cette même veine
dans le foye du fœtus , où ellefe
jette dans la veine cave afcendanGij
76 MERCURE
te qui luy fert de canal pour eftre
porté dans le ventricule droit du
cœur , d'où elle paße par le trou
botal dans le gauche pour eſtre
enfuite diftribuée par les arteres
mammaires dans les glandes des
mammelles; trouvant là des pores
proportionnez à fon diametre , elle
s'y filtre , tombe dans le baffin de
la mamelle ; & eft enfuite verfée
par le mamelon dans cette mem
brane que l'on appelle Amnios qui eft fon envelope immediate : c'est c'eft alors
Succe & l'avale ,pour eftre enfuite
que
propre nourriture du fœtus il la
diftribuée par les veines lactées les
devenue la
GALANT 77
glandes d'Azellius , le receptacle
de Peket , les canaux thorachiques ,la veinefouclavieregauche ,
la veine cave defcendante & le
ventricule droit du cœur, & circuler tout de nouveau pour devenir alors le fang & la nourriture
de l'embryon , le refidu eft reporté
auplacenta par les arteres umbilicales.
I
C'eft icy une opinion qai fans
doute va foulever contre moy un
grand nombre de Medecins & de
Phyficiens , qui ne manqueront
pas de rejetter cefentiment comme
une nouveautécondamnable ; mais
qu'ilsfe détrompent, ces Meffieurs;
G iij
78 MERCURE
plufieurs Medecins d'une authorité confiderable , croyent que c'eſt
là le mechanifme de la naturepour
la nourriture & l'accroiffement du
fœtus ; en effet de quel ufageferoient les mamelles des malesfielles
n'eftoient destinées àceluy- ci ? il eft
für que Dieu n'afabriqué aucune
partie du corps qui nefoit propre
quelque fonction particuliere ; il
faut donc que les mamelles des
malesfoientfaites pour celle - cy
puifqu'elles nefontpoint propres à
d'autres ; j'ajoûte à cette preuve
icy une autre qui n'eft pas moins
convainquante , c'est que l'on trouve dans les mamelles des petits en-
GALANT 79
fans qui naiffent, une liqueur toutefemblable àcelle de l'amnios; on
en trouve dans la bouche & dans
l'eftomach de ceux qui meurent qui
a la même odeur , la même couleur la même confiftance ; on
doit donc conclure que c'est la même ; orfi cela est ainfi il faut neceffairement que les mamelles foient
l'organe de cette filtration , puifqu'il n'y en apoint d'autre par
ce fuc nourricier puiffe fe couler
°outter enfuite dans l'Amnios.
où
Fay cru qu'il eftoit neceſſaire
d'entrer dans ce détail pour expliquer avecplus de netteté &faire
f
G
iiij
80 MERCURE
comprendre avec plus de facilité
les raifons par lesquelles cet enfant eft refte fi longtemps
dans le fein defa mere..
enfermé
La nutrition & l'augmentation fe font de la même maniere
dans les animaux , dans les vegetaux dans les mineraux.
Dans ceux- cy uneportion de la
terre fe trouvant fixée par quelques acides , unematiere àpeuprés
de même nature conduite par
ou par l'eau fefiche dans lespores ,
les écarte , les étend , s'y incorpore
augmentefon volume ; de là
font formezfelon les differens degrez de la fermentation , les mél'air
GALANT 81
taux, les mineraux , les pierres
precieuſes , &c.
Dans les vegetaux une humidité onctueufe chargée de quelques
fels ,penetrant l'écorce de la racine
de la plante , fe diftribuë dans fes
fibres , s'y rarefie & fert à l'augmentation defes parties , celles qui
font les plus fubtiles eftant volatilifees par la chaleur du Soleil
de la terre , montent avec rapidité jufqu'au baut de la plante,
où eftant enfuite fixées par le nitre de l'air ellesproduisent lesfleurs
les fruits ; celles qui ont moins
de fubtilité nourriffent les branches , les feuilles & les racines .
82 MERCURE
&les plus groffieresfont deflinées
pour former l'écorce & produire
les mouffes.
Dans les animaux les parties
les plus déliées de ce fue que l'on
appelle Chyle , formédes alimens
qu'ils ont avalez , paffant dans
la maffe du fang circulent avec
luy ,jufqu'àce qu'elles ayent trouvé des pares proportionnez à leur
volume ; c'eft alors que s'y enga
geant elles écartent les fibres du
corps &augmentent fon diametre. Comme les alimens font com
pofez de parties differentes & que
pores ducorps ont auffides configurations diverfes , chacune de
les
GALANT 83
ces petites molecules trouve oùfe
placer , & ainfi toutes les parties
du corps eftant également partagées , doivent croître dans le même temps avec la même proportion.
Les anciens Medecins ont cru
que le fœtus nefe nourriffoit pas
de la même maniere , dans les entrailles defa mere que lorsqu'il a
briſe ſa priſon ; quelques- uns le
croyent encore aujourd'huy ; ils s'imaginent quela mereprepare affez
les alimens qu'elle doit partager
avec fon enfant , pour que cette
tendre creature puiffe s'en accommoder , fans qu'ils ayent befoin
84 MERCURE
d'une digeftion nouvelle ; mais
nous avons fait voir qu'il digere
encore lefucquefa mere luy tranf
met par la veine umbilicale , puifqu'on luy en trouve prefque tou.
jours la bouche & l'estomach
pleins.
que
Quand une mere eftbien nourrie , qu'elle vit d'alimens fucculens , qu'ellejouit d'unefantéproportionnée à l'estat defa groffiffe ,
rien ne trouble le repos de fa
vie , que la tranquilité regne dans
fon ame , qu'elle eft unie à un
épouxjeune & plein defanté, on
voit ordinairement naître fon
fantdansle terme accoûtumé, c'eften
GALANT 85
à dire dans neufmois ; comme la
digeftion eftparfaite , que le chyle
eft abondante loüable, il estporté
au foetus dans une quantitéfuffifante, tousfes membresfont abreu༧༩ར de ce fuc , la fermentationy
eft grande , par confequentfes parties reçoivent unegrande étenduë,
comme un arbre planté dans
une terre graffe & fertile croît
avecpromptitude & facilité , de
même un enfant qui eft dans le
fein de fa mere, telle que je viens
de la décrire doit dans le terme de
neufmois ou auparavant attein.
dre la perfection neceſſaire pour
fortir de foncachot.
86 MERCURE
Au contraire une femme qui
compte fes jours par fes peines ,
qu'une affreuse multitude de douleurs accable , qui eft jointe à un
maryfoible languiffant , qui
eft dans une difette universelle des
chofes même neceffaires à la vie ,
ne digere qu'avecpeine le peu d'alimens qu'elle avale ; fon chyle
crud & vifqueux paſſe dans la
maffe dufang , y excite unefermentation dereglée , eft quelquefois même trop groffierpourpaffer
pores étroits du placenta ;
devons- nous donc nous étonnerfi
lefruit qui eft attaché à cet arbre
nemeuritpoint ? devons-nous eftre
par
les
GALANT 87
furprisfi les membres de cette petite creature infortunée dés les premiers inftans de fa vie , ne croif- .
fentpoint & neparviennentpoint
à la force neceffaire pour rompre
leurs liens ? comme le fuc qui doit
les nourrir pêche parfa quantité
mediocre & parfa mauvaiſe qualité , pourquoy admirer le retardement qui enprovient ? pourquoy
douter qu'un tel fœtus ne puiffe
démeurer douze , quinze , vingt
mois &mêmeplus longtemps dans
les entrailles de fa mere ?
N'eft pas ce qui eft arrivé à
i la femme dont il s'agit , reduite
depuis plus de deux ans dans une
83 MERCURE
pour les gapauvreté honteuse , elle n'a vécu
que pourfouffrir ; les alimens les
plus neceffairespour la confervation defa vie luy ont manqué ;
il a fallu travailler
gner , à peine avoit elle un lit
pourfe délaffer des fatigues du
travail , fujette en mefme temps
à la peine que Dieu impofa à
l'homme pour le punir de la
plaifance qu'il eut pour(afemme,
in fudore vultus tui vefceris
pane, (Genef. ch. 3. ) &fujette
en mefme temps à la douleur
Dieu attacha à la groffeffe pour
punir la femme de fa con lefcendance auxfourberies du ferpent ,
comque
CALANT 89
Cum dolore paries filios
( Genef. ch. 3. ) elle réuniffoit
en elle feule les peines deües aux
deuxfexes , & paffoit ainſifes
jours dans la mifere & dans
Pafliction ; qu'elle difficultéy at-il donc à comprendre , pourquoy
cette femme ne mettoit point au
monde le fruit qu'elle portoit depuis quinze mois ; ne voit on pas
que la mere ayant à peine dequoy
Je foutenir ne pouvoit pas communiquer àfon enfant unegrande
quantité de nouriture ; ne voit on
pas que les efprits de la mere
eftant débiles & fans forces ,
ceux de l'enfant cftoient incapaMars 1710.
H
90 MERCURE
bles d'étendrefesfibres & defaire
fermenterfes liqueurs ? ne voit- on
pas que le peu defuc nourricier que
cet embryon recevoit de fa mere ,
eftantcraffe & groffier , nepouvoit
paspenetrerjufqu'aux extremitez
de fes parties ? le polype que la
mere avoit dans le cœur , eft une
preuve que fes liqueurs eftoient
tres- es- épaiffes , celles de l'enfant ne
pouvoient donc eftre bien animez ?
Les efprits qui en eftoient formez
ne pouvoient donc eftre quefoibles
& énervez ? il ne pouvoit donc
pas avoir affez de force pour brifer fes chaines , pour déchirer les
membranes qui l'enveloppoient ,
GALANT gr
ny pour ouvrir la barriere qui
s'oppofoit àfafortie ?
Voilà ce mefemble des raifons
capables de détromper ceux qui
font dans l'erreur , & de leurfaire
voir qu'une femme peut eftre
groffe plusde neufmois , &qu'il
n'y a pas tant lieu de s'eftonner
quand elle paffe le quinziéme ;
mais afin que rien ne manque aux
preuves que j'ay apportées icy j'y
ajoute l'authorité& l'experience.
Hippocrate dans for livre
de feptimeftri partu , dit qu'il
faut en croire les femmes fur leur
parole ; & qu'il faut ajouter
foy à ce qu'elles difent touchant
Hij
92 MERCURE
l'estat de leurgroffeffe ,parce que
dit cet Auteur , on à beau raifonner fur l'eftat où elles fontalors , ce qu'ellesfententles perfuade bien mieux que tout ce qu'on
pourroit leur dire.
Ariftote au liv. 7. del'Hiftoire
des Animaux , chap. 4. dit que.
tous les animaux ont un terme
certain pour leur naiſſance , que
l'homme feul n'en à point..
Pline dit la même choſe.
Harvée dans la page 3.58° de
Jon Ouvrage , de exercitatione
de partu ,
dit qu'une femme de
fon Pays fut groffe pendant plus
defeize mois. Maynard lib. 4.
GALANT 93
decifionum , dit que lafemme
du fieur Tardet accoucha d'un
fils à lafin du douzième mois
&d'une fille à lafin du feiziéme;
le même Auteur dans le même.
livre , dit que lafemme de Tibere
fille de Scipion , accoucha defon
premier enfant aprés douze mois.
Thionneau , Medecin de Tours,
raporte l'Hiftoire d'un enfant que
fa mere porta vingt trois mois.
Aventinus dit que lafemmed'un
3
Ducdes Vandales qui fut groffe
pendant deux ans accoucha
d'un enfantqui marchoit & qui
parloit ;je doute de cecy , car quel
langage auroit parlé un enfant
94 MERCURI
qui n'en avoit jamais entendu
aucuns. Mercurial dit qu'une
femme qui avoit efté mariée deux
foispendantfeize ans ,fans avoir
eu d'enfants époufa un troifiéme
mary dont elle en eut un qu'elle
porta quatre ans &qui vêcut.
Jepourrois encore ajouter
autoritez celles de plufieurs
Auteurs comme de Skenkius ,
>
de Deufingajus , &c.
à ces
Nous avons dans noftre Pays
affez d'exemples femblables , entr'autres celuy d'une femme de
qualité proche de Faleze , d'une
de Caën , d'une d'Auney , ainfi la
Taifon ,l'autorité, l'experience
GALANT 95
confirmant lefait dont il s'agit
on nepeut nier qu'il ne foitpoffible, &par confequent c'estfans
fondementque plufieurs ont revoqué en doute celuy dont il s'agit
aujourd'huy
Fermer
Résumé : Lettre d'Argentan, qui contient des faits fort singuliers, [titre d'après la table]
Le texte aborde la mortalité et la naissance des êtres humains, en mettant l'accent sur les individus distingués par leur naissance, leur savoir, leurs emplois ou d'autres qualités remarquables. La mort est présentée comme certaine et imprévisible, pouvant survenir subitement en raison du dérèglement d'une partie du corps. La naissance, bien que généralement certaine après neuf mois de grossesse, peut être sujette à des accidents. Des cas exceptionnels sont mentionnés, où des enfants restent dans le sein de leur mère pendant plusieurs années. Tous les êtres vivants souhaitent naturellement la conservation de leur espèce. L'homme, en tant qu'animal parfait, est doté de raison pour accomplir ce commandement divin. Malgré les douleurs et les inconvénients accompagnant la multiplication de l'espèce, la plupart des femmes préfèrent transmettre la vie à leurs descendants. Les femmes sont soumises à diverses incommodités dont les animaux sont exempts et nécessitent l'aide des sages-femmes pour accoucher. Le texte compare la gestation des animaux à celle des femmes. Les animaux ont un terme fixe pour leur portée, tandis que les femmes ignorent le moment exact de leur délivrance, pouvant accoucher entre sept et quatorze mois. Un exemple est donné d'une femme restée enceinte pendant quinze mois avant de décéder, révélant un enfant mort dans son sein. Le mécanisme de la nutrition du fœtus est également expliqué. Les mamelles des femmes jouent un rôle crucial dans ce processus, bien que cette opinion soit controversée. Cette explication permet de comprendre pourquoi un enfant peut rester longtemps dans le sein de sa mère. Le texte traite également des processus de nutrition et de croissance chez les animaux, les végétaux et les minéraux. Chez les végétaux, une humidité chargée de sels pénètre les racines, se distribue dans les fibres et, sous l'effet de la chaleur du Soleil et du nitre de l'air, produit des fleurs et des fruits. Les parties les plus subtiles montent vers le haut de la plante, tandis que les plus grossières forment l'écorce et les mousses. Chez les animaux, les parties les plus déliées du chyle, formé des aliments avalés, circulent dans le sang jusqu'à ce qu'elles trouvent des pores proportionnés à leur volume. Elles s'y engagent, écartent les fibres du corps et augmentent leur diamètre, permettant ainsi une croissance proportionnée de toutes les parties du corps. Les anciens médecins croyaient que le fœtus ne se nourrissait pas de la même manière avant et après la naissance. Cependant, il a été démontré que le fœtus digère le suc transmis par la veine ombilicale, comme en témoignent la bouche et l'estomac pleins du fœtus. Le texte décrit également les conditions favorisant une grossesse normale : une mère bien nourrie, en bonne santé, et vivant dans la tranquillité, voit généralement son enfant naître au terme de neuf mois. En revanche, une mère souffrant de malnutrition, de douleurs et de misère peut voir sa grossesse se prolonger bien au-delà de neuf mois. Plusieurs cas historiques et contemporains de grossesses prolongées sont mentionnés, citant des auteurs comme Hippocrate, Aristote, Pline, et d'autres médecins. Ces exemples montrent que des grossesses de douze, quinze, vingt mois, voire plus, sont possibles en raison de conditions défavorables affectant la digestion et la nutrition du fœtus.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 183-184
BOUTS RIMEZ DONNEZ DANS LE MERCURE PRECEDENT REMPLIS PAR MR D. F.*** LE MARY FIDELE.
Début :
Ma femme avoit quinze ans lorsque j'en avois trente [...]
Mots clefs :
Femme, Mari fidèle
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texteReconnaissance textuelle : BOUTS RIMEZ DONNEZ DANS LE MERCURE PRECEDENT REMPLIS PAR MR D. F.*** LE MARY FIDELE.
BOUTS RIMEZ
DONNEZ
DANS LE MERCURE
PRECEDENT
REMPLIS PAR.
MR D.F.
LE MARY FIDELE.
MAfemmeavoit quinze
ans lorsque j'enavois trente
Elle ena doncvingt-cinqpuisquejenay
quarente
Tout va bien jusques là, son
gracieuxmain
,
tien
Etson oeilençorvifplaisent
encoreau mien
Mais dans dix ans 3heUs !
quandj'en auray cinquante
Ma femme à trente-cinq m'en
paroidtra.. soixante
Mon âge alors fera moins
convenable au.sien.
VieuxChat
, jeune Souris, un
Ancienditfort bien
L'Epoux seraconstantpour
femme de,"',. septante
SS''iillppeeuutt,nneec,coommmmeenncceerr aà l'aimer
qu'à nonante
Dans cessolides coeurs les,ans
nechangent rien
Il n'estfidélité siure que de
vieux chien.
DONNEZ
DANS LE MERCURE
PRECEDENT
REMPLIS PAR.
MR D.F.
LE MARY FIDELE.
MAfemmeavoit quinze
ans lorsque j'enavois trente
Elle ena doncvingt-cinqpuisquejenay
quarente
Tout va bien jusques là, son
gracieuxmain
,
tien
Etson oeilençorvifplaisent
encoreau mien
Mais dans dix ans 3heUs !
quandj'en auray cinquante
Ma femme à trente-cinq m'en
paroidtra.. soixante
Mon âge alors fera moins
convenable au.sien.
VieuxChat
, jeune Souris, un
Ancienditfort bien
L'Epoux seraconstantpour
femme de,"',. septante
SS''iillppeeuutt,nneec,coommmmeenncceerr aà l'aimer
qu'à nonante
Dans cessolides coeurs les,ans
nechangent rien
Il n'estfidélité siure que de
vieux chien.
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Résumé : BOUTS RIMEZ DONNEZ DANS LE MERCURE PRECEDENT REMPLIS PAR MR D. F.*** LE MARY FIDELE.
Un homme de quarante ans, marié à une femme de vingt-cinq ans, exprime sa satisfaction actuelle. Il anticipe des difficultés dans dix ans, craignant que son âge ne soit plus approprié. Il compare leur relation à celle d'un vieux chat et d'une jeune souris. Il conclut que la fidélité reste constante dans les cœurs solides, comme celle d'un vieux chien.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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10
p. 286-287
RESPONSES. Par le Philosophe marié.
Début :
Ne seroit-ce point par Amour propre qu'on aime [...]
Mots clefs :
Maison, Femme, Amour propre
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texteReconnaissance textuelle : RESPONSES. Par le Philosophe marié.
RESPONSES,
Par le Philosophe marié.
Ne seroit-ce point
par Amourpropre qu'on aime
mieux sa Maison que
sa Femme. On aordinairement
fait ou choisi sa
Maison. On nous loüe en
loüant la magnificence, la
propreté, le goust de nostre
Maison. Elle est donc
uneoccasion aux autres de
flaternostrevanité ou nostregoust.
Nous l'aimons
pour cela. Ma Femme au
contraire donne souvent
aux autres de me blasmer
ou de me nlépriCer, &
pour cela je ne l'aime
point. Ce mesme Amour
propreest toujours plusflatté
par la femme d'autruy
que par la nostre, car une
femme donne moins de
louanges à son Mary qu'à
celuy de savoisine.
Par le Philosophe marié.
Ne seroit-ce point
par Amourpropre qu'on aime
mieux sa Maison que
sa Femme. On aordinairement
fait ou choisi sa
Maison. On nous loüe en
loüant la magnificence, la
propreté, le goust de nostre
Maison. Elle est donc
uneoccasion aux autres de
flaternostrevanité ou nostregoust.
Nous l'aimons
pour cela. Ma Femme au
contraire donne souvent
aux autres de me blasmer
ou de me nlépriCer, &
pour cela je ne l'aime
point. Ce mesme Amour
propreest toujours plusflatté
par la femme d'autruy
que par la nostre, car une
femme donne moins de
louanges à son Mary qu'à
celuy de savoisine.
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Résumé : RESPONSES. Par le Philosophe marié.
Le texte 'RESPONSES' compare l'amour pour sa maison et l'amour pour sa femme. L'amour pour la maison est motivé par l'amour-propre, car elle est choisie ou construite par soi-même. La magnificence et la propreté de la maison flattent la vanité du propriétaire. En revanche, la femme peut donner des raisons de blâmer son mari, réduisant ainsi l'affection qu'il lui porte. L'amour-propre est davantage flatté par la femme d'autrui.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 289-291
AUTRE. Par L. C. D. M.
Début :
Tout le monde s'apperçoit bien que c'est par inconstance [...]
Mots clefs :
Femme, Inconstance, Maison
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texteReconnaissance textuelle : AUTRE. Par L. C. D. M.
AUTRE.
ParL.C.D.M,
Tout le monde s'ap.
perçoit bien que c'est par
inconstance qu'on trouvesa
femme moins aimable que celle
du voisin. Mais peu de gens
peut-êtreont fait reflexion
que c'est par inconstance
au ssi qu'on aime mieux si
Maison que celle d'autruy.
Cela est pourtant vray. On
aime une Maison dont on
fsft le maistre, parce qu'on
peut y contenter son inconfiance
en la changeant
de cent façons.On s'y ptaift
à deranger aujourd'huy ce
qu'on y arrangeoithier, ne
fusse qu'en changeant un
siege de place ou un Tableau.
Ne voit-on pas de
ces inconstants qui s'ennuyent
dans leurs Maisons
& dans leurs Jardins dès
qu'ils les ont mis à leur degré
de perfection.
Peut-être que si l'on
pouvoit changer tous les
jours quelque chose à la
beauté ou à l'humeur de sa
femme
, on l'aimeroit
mieux que celle d'un autre
;mais par malheuron
accomode sa Maisoncomme
on veut, & l'on ne
tourne pascomme on voudroit
lateste de faiemme*-
ParL.C.D.M,
Tout le monde s'ap.
perçoit bien que c'est par
inconstance qu'on trouvesa
femme moins aimable que celle
du voisin. Mais peu de gens
peut-êtreont fait reflexion
que c'est par inconstance
au ssi qu'on aime mieux si
Maison que celle d'autruy.
Cela est pourtant vray. On
aime une Maison dont on
fsft le maistre, parce qu'on
peut y contenter son inconfiance
en la changeant
de cent façons.On s'y ptaift
à deranger aujourd'huy ce
qu'on y arrangeoithier, ne
fusse qu'en changeant un
siege de place ou un Tableau.
Ne voit-on pas de
ces inconstants qui s'ennuyent
dans leurs Maisons
& dans leurs Jardins dès
qu'ils les ont mis à leur degré
de perfection.
Peut-être que si l'on
pouvoit changer tous les
jours quelque chose à la
beauté ou à l'humeur de sa
femme
, on l'aimeroit
mieux que celle d'un autre
;mais par malheuron
accomode sa Maisoncomme
on veut, & l'on ne
tourne pascomme on voudroit
lateste de faiemme*-
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Résumé : AUTRE. Par L. C. D. M.
Le texte examine l'inconstance dans l'appréciation des femmes et des maisons. Les gens trouvent souvent la femme du voisin plus aimable que la leur et préfèrent leur propre maison pour y apporter des changements constants. Une fois la maison parfaite, ils s'ennuient et cherchent de nouvelles modifications. Le texte suggère que modifier quotidiennement l'apparence ou l'humeur de sa femme comme on le fait pour sa maison augmenterait son appréciation. Cependant, contrairement à la maison, la femme ne peut être modifiée selon les désirs de chacun.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 145-202
PROCEZ D'UNE PETITE FILLE reclamée par deux meres.
Début :
Ce Procez se poursuit presentement à Lyon ; mais je prendray [...]
Mots clefs :
Femme, Joie, Mari, Mariage, Grossesse, Amour, Aventure, Bon bourgeois, Grimaces, Procès, Lyon
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : PROCEZ D'UNE PETITE FILLE reclamée par deux meres.
PROCEZ
D'UNE PETITE FILLE
reclamée par deuxmeres.
Ce Procez sepoursuit
presentement à
Lyon ; mais je prendray
l'histoire de plus
loin, car on vient de
m'envoyer des Mémoires
secrets sur l'origine
de cette Avanture.
Ce sont les amours
d'un jeune Lyonnois
& d'une jeune Lyon.,-
noise. Je tairay le nom
de ces deux Amants;
l'histoire est pourtant
publique. Tout Lyon
les connoist
, toute la
Ville les nomme;je ne
les nommeray point ,
je veux estre plus difcret
qu'uneVille entiere.
Leurs noms de
1 galanterie
-
seront , si
vous voulez, Cleonte
& Angelique; & sans
rien changer au fond
de l'Avanture
,
je déguiseray
feulement les
noms, & les qualitez
des principauxActeurs.
Angelique & Cleonte
se rencontrerent par
hazard dans uneAssemblée.
Angelique fille
sage & modeste regarda
tant Cleonte dés la
premiere fois ,-que dés
la seconde ellen'osoit
plus le regarder; mais
C leonte moinstimide
fixasi tendrement ses
yeux sur elle qu'il en
devint passionnement
amoureux.
,-. SiAngeliqueestbrune
ou blonde,si Cleonte
a beaucoup d'esprit
: ous'ilenapeu je n'en
sçay rien. On ne m'a
pas fait le détail de
leurs perfections; mais
j'ay sçuqu'ilss'entr'aimerent
comme s'ils
eussentesté parfaits.
Cleonte trouva un
jour l'occasion de parleren
particulier à Angélique;
d'abord'illuy
fitune déclaration d'amour
à la françoise, &
sans s'amuserà luy apprendre
qu'il l'aimoit,
il commença par luy
jurer qu'il l'aimeroit
toute savie; mais Angelique
le conjura de
ne la point aimer,parce
que des raisons defamille
l'empescheroient
de pouvoir jamais estre
àluy.
Que je fuis malheureux
! s'écria Cleonte,
un Pere avare que j'ay
m'empeschera aussi
d'estre à vous. Ils se
conterent l'un à autre
toutes les raisons de samille
qui s'oppoloienç
à leurunion, & là dessus
ils resolurenttresprudemment
de ne se
plus voir. Angélique
s'en alloit, mais par un
excez de prudence elle
revint sur ses pas pour
défendre à Cleonte de
penjferjamais à elle,,
Ouy ,dit-elle
, pour
vostre repos je vous defends
de maimer. Que
vous estes cruelle! s'é.
cria Cleonte, de soup-.
çonner feulement que
je puisse vous obéir !
ah ! me défendre de
vous aimer c'est me
prouver que vous ne
m'aimez P"ueres.Enfui.
te il se plaignit de [on
malheur en des termes
si tendres, si passionnez
qu'Angelique en soupira,
& luy dit en
voulant fuir
,
he bien
Cleonte aimez moy
donc; mais jevous deffends
de me voir jamais.
Cleonte l'arreste,
se jette à ses genoux, se
desespere;vousaimer
sans vous voir , vous
voulez donc que je
meure. Helas! luy répond-
elle, (croyant
déja le voir mourant)
helas voyez-moy donc;
mais ne me parlez plus
de vostreamour.Autre
dcfefpoir : autres menaces
de mourir.He
bien (dit Angelique
toute troublée ) vous
me parlerez donc; mais
que personne n'en sçacherien
;car si j'y con*
sens,c'est dans fefpe*
rance qu'il arrivera
quelque changement
dans nos affaires.Il en
arrivera sans doute, reprit
Cleonte ; mon amour
m'enassure.~urf
Ils se quitterent dans
l'esperance de pouvoir
obtenir par leurs soins leconsentement de
leurs parents, &C se virent
plusieurs fois pour
se rendre compte des
facilitez qu'ils se fia-,
toient d'avoir trouvées.
Cependant les
obstacles estoient tousjours
lesmesmes; ilsne
diminuoient qu'à leurs
yeux; mais ils se 1es
diminuoient l'unà l'autreàmesure
que Ie.de-!
sir. de les surmonter
augmentent dans tous
les deux. En un mot
leur amour les aveugla
si fort qu'en peu de
jourstoutesles difficultez
di sparurent. Ils se
persuaderent fermement
que rien ne pouvoit
plus s'opposer à
leur Mariage, & qu'ils
n'avoientcontreeux
qu'un peu de temps à»
attendre. Ils remirent
donc lesformalitezà
ce temps- là;mais dés ce
mesme jour la foy de
Mariage fut donnéereciproquement.
UnAnneau
fut mis au doigt
de l'Epouse, & tous
deux convaincus que
lafoy mutuelle& l'anneau
nuptial suffisoient,
tous deux enfin
dans l'aveuglement &
dans la bonne foy s'imaginerent
estrsassez
mariez pour pouvoir
s'assurer qu'ilsl'estoient..
Le Pere de Cieonte
estoit pour lorsà Paris.
SonconsentementcC*
toit necessaire, & nos
Epouxestoient convenus
que c'estoit par la,
qu'il falloitcommencer.
AinsiCieonteresolut
de partir au plustost.
Les adieux furent:
plus tendres que tristes,
parce que Cleorite
estoit seur, disoit-il,
de rapporter le con fen^
tement de son pere. Il
ne quittoit Angélique
que pour aller saffurer
le bonheur de passer avec
elle le reste de la
vie. Il part enfin, 84
laisse Angelique fort
triste de son dépare,
mais tres - persuadée
que le mariage se confirmeroit
à ion retour.
Quelques semaines
secoulerent: Angéliqueentrela
tristesse &
l'esperance n'estoit pas
tant à plaindre qu'elle
le fut dans lafuite. Les
reflexions commencèrentà
la troubler:elle
envisage sa faute, elle
en a honte; maiselle
se flate quecette honte
seratousjours Ignoree, ,
ne sedoutant point jusques-
là
ques-là quelle portoit
dans son sein une preuve
qu'on ne peut tenir
cachée qu'env iron huit
ou neuf mois. Elle ne
connoissoitencore quune
partie du mal qu'-
elleaveit fait: ainsielle
n'en estoit qu'à demi
repentante. Ses regrets
estoient moderez par
un souvenir agréable ;
les regrets sinceres ne
luy vinrentqu'avec les
maux de coeur. ;
Imaginez-vous ses
allarmes & sa douleur;
joignez à cela l'absence
de san Amant : elle
n'en recevoit aucunes
nouvelles; elle se crut
oubliée, trahie, abandonnée.
A quis'en
plaindre? à qui se con- «
sier dans une situation
si cruelle?elle ne trouve
de sou lagement que
dans ses larmes. Laifsons-
la pleurer à loisir
pendantque nous parlerons
des autres personnes
qui ont part à
cette avanture.
Une femme debien,
avoit épousédepuis
quelques années un
bon Bourgeois fortcurieux
d'avoir lignée
,
& fort mal intentionné
pour ses heritiers
collateraux. Cette femme
que je nommeray
Donmene ,va fraire icy
un personnage tout Opt
posé à celuy d'Angelique,
Dorimene avoit le
malheur d'estre sterile,
& c'est ce qui la de[c!:
peroit, car cette sterilité
la faisoit presque,
haïr de son Mary. Le
bon. Bourgeois qui se
preparoit pour lors à
faire un long voyage,
estoit au desespoir de
partir sans sestre assuré
un ,
héritier. Un soir
qu'il rentroit chez luy
triste & rêveur, sa sens"
me qui avoit médité
tout le jour la maniéré
dont ellele recevroit,
attend le momentqu'il
rentre dans sachambre,
court, à luy comme
une femme transportée
de joye
y
se jette à son
col encriant d'unevoix
entrecoupée
,
bonne
nouvelle mon cherMary
! bonne nouve lle !
j'ay tant de joye que je
ne puis parler. Quelle
joye?dit le Mary,de
quoy s'agit-il?Elle, au
lieu de repondre
, recule
quelques pas comme
une femme qui
chancelle, & se laiflc
tomber sur un fauteüil
, en feignant de sévanouir.
Le bon homme
allarmé s'empresse à la
fairerevei-iirellerevient
un peu, le regain
de tendrement, & luy
dit d'une voix soible
ah mon cher maryî
voicy la troisiéme fois
que je m'évanouisdepuis
ce matin
,
& ce
font ces cvanoiiilïcments
qui j-ont ma
joye. Elle recommence
à lembrasser:nouvelle
joye; nouveaux transports.
Estes-vousfolle?
dit leMary Je vous le
repete répliquala femme
, ce sont ces éva- nouiflèments,& ces
maux decoeurqui me
charment, car ils confirment
les doutes que
j'aydepuis quelque
temps. Oïïy mon cher
Mary,jecroisqu'enfin
je suis en estat de vous
donner un gcag9e v0ivant de ma tendresseconjugale.
Ah Ciel! s'écrie
le
le bon Bourgeois3quoy
vous feriez enceinte ?
-cfc-ilpossible?Ellejure
qu'ellele croie. Il
-cmbra& à on tour cetle
qu'ilcroit fécondé;
il est plus charmé qu'-
elle ne seignait de l'estre.
Ce n'e st plus entr'eux
que"mnfports,
que larmes de joye
feintes & veritables.
En un mot depuis ce
moment jusqu'à son
dépare elle joua cette
alternative de joye Se
d'évanoüissement. Et
il partit convaincu qu'-
il trouveroit à Ion retour
Je fils aisné de plusieurs
autresqu'elle luy
promit en iuy disant
adieu.
Dés que leMary fut
parti, Dorimene ne
s'occupa plus que du
foin de paroistre grosse
aux yeux de ses voisiÎIGS
)
& de terminer
cette grossesse comme
si elle eust esté veritable.
Pourcela-ilfalloit
un Enfant d'emprunt;
il falloit confier son
dessein à quelqu'un qui
pust l'aider. Elle fut
trouve£r uneJSage-fem- me qui avoit été autrefois
sa Servante, femme
habile, inventive,
une intriguante enfin,
qui s'appelloit Nerine.
Aprésavoir promis
- une grosse recompense
à cette Nerine
,
Dorimene
luy dit en deux
mots que son dessein
estoit dedonner un fils
à son Mary.
Nerine pleine de ze- lecommenceà luy faire
l'éloge du plus dis-
* cret de tous les jeunes
Lyonnois qu'elle connoissoit.
Dorimenel'interrompt
avec coleré.
Estes-vous folle? ne
po. ,,>
me., connoissez * pas?Jevous - vous pas? Je vous ccoonnnnooiiss
de reste, dit Nerine ;
mais pour faire plaisir à
son Mary,une honneste
femme ne pourroitelle
pas Taisezvous
Nerine. Mais
comment faire donc
Madame ? Comment
faire? reprit Dorimen-
e, je vais vous expliquer
mon dessein,
Dorimene & Nerine
eurent ensemble une
conversation fort
longue. Pour conclure
en deux mots ,
qu'il
fcilloit chercher dansla
Villequelque femme
ou fillequi craignift autant
de paroistreMere
que Dorimene souhaitoit
de lcHre,afin qu'-
elle voulust bien luy
cederson droit de male
ternité.
rendant que nostre
intriguante va cher- ,
cher cet enfant de hazard
chez les plus jolies
personnes de la
Ville,quoyquecela se
trouve aussi chez les
plus laides, Dorimene
commence à joüer toutes
les affectations &
les grimaces d'une premiere
grossesse. Propose-
t-on à Dorimene
une Promenade , elle
l'accepteroit, dit-elle ;
mais la difficulté c'est
la voiture. Le Carosse
la blesserois ; la Chaise
à Porteurs luy souleve
lecoeur; elleapeuren
Batteau ; à pied on fait
des faux pas, le plus
leurest de rester chez
elle; mais elle craint
d'y donner à joüer. Les
grimaces & les contorfions
des Joüeurs luy
sont horreur;elle ne
veut voir que des femmes
gracieuses &C de
beaux hommes. Point
de Spectacles, surtout
I ni Comed ies niOperai,
elle accoucheroit d'un
Neptune ou d'un Arlel.
quin. Elle se reduit
donc au plaisir de la
bonne chere ; elle s'y
dédommagé en se jettant
sur les plus friands
morceaux. Elle les arrache
à ses voisins de
Table: tout permis,
dit-elle,c'est une envie
de femme grosse ; elle
veut mangerde tout ce
qu'elle voit, & dire
tout ce qui luy vient
en pensée,jusqu'à des
médisances, de crainte
que son Enfantn'en
foit marqué.
Parmy toutes ces
feintes, elle n'oublie
pas la principale; il
sautfigurerpar laceinture.
Elle applique
fous un large Corcet
un Coussinet de satinbien
matclasséferriblable
à ceux dont les femmes
maigresse font des
hanches majestueuses.
Dorimene s'en garnit,
& prend foin d'augmenterdemoisenmois
cette grossesse de cotton.
En un mot ,
elle
joüe son rolle si naturellement
que les plus
sins y sont trompez.,
Retournons à la pauvre
Angélique qu_i- prend a*utant de peine,<,
àcacher les défauts de
1 la taille, que celle-cy.
etnipreendnpounr gaester.la
Angélique estoit ro.
peu prés sur son septicme
mois lorsqu'elle sucj
contrainte par une mere
imperieuses qu'elle^
avoit dalleravecelle,
misiter une voisine,&
cette voisine effoit
stement Dorimene.
Cette Mere dd''AAnnggecil'il--
que estoit scrupuleuse
sur Je cérémonial des
visites. Elle '- en devoit
,
une à Dorimene;elle
veut absolument que
[1. fille l'accompagne
dans ce devoir indis-
I pensable. Angelique obéït,&
les voilà chez
I Dorimeneoù plusieurs
autres voisines scitoientassemblées.
;:;.
Angelique souffre 8c
gémit de se voir emprisonnée
dans un habit
serieux ; son corps
la ferre cruellement
quoyqu'il foit lassé
.bien lasche.Ellesetient
droite & se guinde en
hauteur pour tenir
gmoines deuplaceren.lar- Dorimene au coiw
traire estale la grossesse
avec ostentation, bien
à son aise, sans ceinture,
sa Robbe ouverte
à deux battans , appuyant
nonchalemment
ses deux bras
croisez sur l'honorable
fardeau dont chacun
la selicite. Quel crevercoeur
pour Angelique!
quel contraste ! Helas!
dit-elleenellemesme,
que cette femme effc
.t.Jcureu!e de pouvoir
ainsi fairegloire de ce
qui fera ma honte
,
si
l'on s'en apperçoit.
La Sage-femme eCtoit
pour lors dans la
chambre de Dorimene
qui affeotoit de la tenir
prés d'elle depeurd'accident.
Dés qu'Angeliqueavoit
paru cette
rusée avoit remarque
sa taille renforcée &
contrainte
,
sa démarche
che pesante&embarxaffée;
il n'en falloitpas
davantage pour donner
des soupçons à une
connoisseuse. Elle observe
de plus unvisage
affligé & maigri dont
les traitss'a longent. -
Angélique s'apperçoit
qu'on l'examine;elle
est troublée
,
il n'enfaut
pas davantage
pour mettre Nerineau
fait. Cette intriguante
s'approche de Dorimene,
& luydit à l'oreille
: voilà une fille qui
a bien la mine d'avoir
de trop de ce qui
vous manque.
Angeliqua la voyant
parler bas ne douta
plus du jugement
qu'on faisoit d'elle, 8c
pour surcroist de malheur
quelqu'un s'avisa
de dire à Dorimene
qu'elle cfkoit en de boa*
nes mains davoir Nerine
pour Sage-femme.
Au mot de Sage - femme
Angelique paslit
comme un Criminel
qui voit son Juge. La
Mere crut quelle se
trouvoit mal. Nerine
officieuse courut la secourir
par avance, &
c'est ce qui acheva de
lu troubler. Dés que la
Sage-femme a mis la
main sur elle se croit à
terme; lapeurlasaisit;
- elle tombe en foiblesse.
Onla porte sur un lit}-
dans une chambre voisineoù
fous prétexte de
la laisser rcpofcr
,
sa
Mere& lesautres femmes
qui avoientaidé à
la faire revenir de sa
foiblesse, la laisserent
feuleavec Nerine.
Ce fut là le premici:
moment de bonheur
pour Angéliquedepuis
le départde sonAmant,
car Nerine, aprés toutes
les façons que vous
pouvez vous imaginer,
luy fit tout avoüer,
devint sa Confidente ,
& luy promit de la ri.
rer d'affaire sans que sa
Mere mesme puft s'en
appercevoir. En effet,
depuis ce jour-là Ntri,
ne & Angélique prirent
secretement des
mesures.Angélique avoit
une Tante qu'elle
aimoitfort;elle resolut
de luy confier son secret.
Cette Tante avoit
une Maison de Campagne
fort prés de la
Ville. Àinsï quand Nerine
jugea qu'il estoit
temps, la Tante obtint
de la Mere que sa filfe"
iroit passer quelques
jours avec elle à la campagne.
-
Ce fut là qu'Angelique,
parle lecours de
Nerine, se debarassa de
ce qui pouvoit nuire a
sa réputation. Elle retourna
bientost aprés à
la Ville où elle parut
plusbelle, plus fraische,
& plus fille que
jamais.
--
Voicy où comment
cele sujet du Procez.
LaTante& laNièce,
à la sollicitation de Ne- Il-le, conv inrent qu-):-
elle se chargeroit de
l'Enfant qu'elle pro-
~,
mitparunBilletdereprefencerroutes
les fois
que l'amour maternel
d'Angelique la presseroit
de voir en secret
cette petite fille, car
c'eneftoitune, 6L qui
ressembloit parfaitement
à saMere.
Nerine part avec la
petite fille, & court
d'abord chez Dorimene
nequi n'attendoit que
l'heure d'accoucher de
l'Enfant d'Angelique.
Elle s'estoit mise depuis
quelques jours au
lit, oùplusieurs voisiries
la venoient voir.
Les témoins luy efc
toient necessaires afin
qu'on ne pust dans la
fuite luy chicaner la
proprieté de l'Enfant
qui alloit paroistre. Il
falloit donc que ces
voilines vissent & ne
vissent pas; c'e st ce qui
l'embarassoit; car elles
estoient trop curieuses
& trop empressées à la
secourir. Ilestoitdifficile
d'éluder leurs curiositez
ind iscretes.
D'un autre côté Nerineestoitarrivée
avec
l'Enfant parune petite
ruë destournée oùdonnoit
un Jardin de la
maison.Ellegagnapar
un degré dérobe une
Garderobeoù ellelaissa
l'Enfant. Cette Garderobe
donnoit dans la
ruelle du lit de Dorimene
; Nerine entra
seule dans la chambre a donnalesignal.Ausc?
si-tost Dorimene pria
lesvoisines delalaisser
reposer.Elless'éloignèrenttoutesjusqu'à
l'autre
bout de la chambre
,
& bien ditDorimene
impatiente, a
-
quoy en sommes nous.
Tout va bien répond
tout bas Nerine;nous
avons tiré d'affaire nostre
pauvre fille enceinte,
& je vais vous faire
acoucher de l'Enfant
de cette fille-là.
Pendant qu'elles parloient
bas de la maniere
dont elles alloient
joüerdes gobelets l'Enfant
quis'ennuyoitseul
dans la Garderobese
mità crier comme un
Enfant déjà né; lesvoisines
entendirent ces
cris, prématurez
,
6c
tout estoit perdu si Dorimene
n'eu a eu la prefence
d'esprit de couvrir
les cris de l'Enfant
par les siens.Nerine
crioitaussi
, courage,
Madame, courage, &
cela fit un chorus pareil
à celuy que firent
jadis les Corybantespour
cacher àSaturne
les cris du jeuneJupi- ter.
Dans ce moment
Nerine escamota siadroitement
l'Enfant,
que l'ayant glissé sur le
bord du lit, elle l'en
tira comme s'ilfustvenu
de plus loin,& le fit
voir à ces connoisseuses
qui s'estoient avancées.
Elles admirerent sa
beauté, le trouvant
pourtant un peu trop
fort pour sonâge. Nerine
leur figne que la
malade avoit un grand
mal de teste.Elles sortirent
doucement sur
la pointe du pied en
attendant le Baptesme
qui se fit le lendemain
soletnnel lement.
Voila un Enfant
bienvrayemblablement
establidans lafamille
deDorimene.Il y
fut élevépendantquel:
que temps sans qu'Angelique
sceutque c'efroit
le sien. On ne m'a
point dit comment eJ-*
Je en fut in struite;mais
faites attention icy à
ia circonstance la plus
eftonnante de toute
l'histoire. Vous avez
veu la timide Angelique
cacher en tremblant
les fuites de son
mariagesecret, &C on
la voit à present reclamer
publiquement le
témoin de sa faute. Ellenecraint
plus de publier
sa honte: cechangement
neparoist pas
vraysemblable ; c'est
cependant un fait public
, dC qui, comme
j'ay dit, fait à present à
Lion lesujet d'un
grandProcez. L'Avocat
dit que l'amour, matemelseul
la déterminéeàfaireuntel
éclat;
maiselle a eu des raisons
particulières que
je ne puis encore reveler
au public, quand le
Procez sera jugé
,
il
me fera permis dedire
ce que je sçai de ce dé..
nouement,quinerouleencoreà
Lyon, que
sur ladéclaration de la
Sâge- femme.
D'UNE PETITE FILLE
reclamée par deuxmeres.
Ce Procez sepoursuit
presentement à
Lyon ; mais je prendray
l'histoire de plus
loin, car on vient de
m'envoyer des Mémoires
secrets sur l'origine
de cette Avanture.
Ce sont les amours
d'un jeune Lyonnois
& d'une jeune Lyon.,-
noise. Je tairay le nom
de ces deux Amants;
l'histoire est pourtant
publique. Tout Lyon
les connoist
, toute la
Ville les nomme;je ne
les nommeray point ,
je veux estre plus difcret
qu'uneVille entiere.
Leurs noms de
1 galanterie
-
seront , si
vous voulez, Cleonte
& Angelique; & sans
rien changer au fond
de l'Avanture
,
je déguiseray
feulement les
noms, & les qualitez
des principauxActeurs.
Angelique & Cleonte
se rencontrerent par
hazard dans uneAssemblée.
Angelique fille
sage & modeste regarda
tant Cleonte dés la
premiere fois ,-que dés
la seconde ellen'osoit
plus le regarder; mais
C leonte moinstimide
fixasi tendrement ses
yeux sur elle qu'il en
devint passionnement
amoureux.
,-. SiAngeliqueestbrune
ou blonde,si Cleonte
a beaucoup d'esprit
: ous'ilenapeu je n'en
sçay rien. On ne m'a
pas fait le détail de
leurs perfections; mais
j'ay sçuqu'ilss'entr'aimerent
comme s'ils
eussentesté parfaits.
Cleonte trouva un
jour l'occasion de parleren
particulier à Angélique;
d'abord'illuy
fitune déclaration d'amour
à la françoise, &
sans s'amuserà luy apprendre
qu'il l'aimoit,
il commença par luy
jurer qu'il l'aimeroit
toute savie; mais Angelique
le conjura de
ne la point aimer,parce
que des raisons defamille
l'empescheroient
de pouvoir jamais estre
àluy.
Que je fuis malheureux
! s'écria Cleonte,
un Pere avare que j'ay
m'empeschera aussi
d'estre à vous. Ils se
conterent l'un à autre
toutes les raisons de samille
qui s'oppoloienç
à leurunion, & là dessus
ils resolurenttresprudemment
de ne se
plus voir. Angélique
s'en alloit, mais par un
excez de prudence elle
revint sur ses pas pour
défendre à Cleonte de
penjferjamais à elle,,
Ouy ,dit-elle
, pour
vostre repos je vous defends
de maimer. Que
vous estes cruelle! s'é.
cria Cleonte, de soup-.
çonner feulement que
je puisse vous obéir !
ah ! me défendre de
vous aimer c'est me
prouver que vous ne
m'aimez P"ueres.Enfui.
te il se plaignit de [on
malheur en des termes
si tendres, si passionnez
qu'Angelique en soupira,
& luy dit en
voulant fuir
,
he bien
Cleonte aimez moy
donc; mais jevous deffends
de me voir jamais.
Cleonte l'arreste,
se jette à ses genoux, se
desespere;vousaimer
sans vous voir , vous
voulez donc que je
meure. Helas! luy répond-
elle, (croyant
déja le voir mourant)
helas voyez-moy donc;
mais ne me parlez plus
de vostreamour.Autre
dcfefpoir : autres menaces
de mourir.He
bien (dit Angelique
toute troublée ) vous
me parlerez donc; mais
que personne n'en sçacherien
;car si j'y con*
sens,c'est dans fefpe*
rance qu'il arrivera
quelque changement
dans nos affaires.Il en
arrivera sans doute, reprit
Cleonte ; mon amour
m'enassure.~urf
Ils se quitterent dans
l'esperance de pouvoir
obtenir par leurs soins leconsentement de
leurs parents, &C se virent
plusieurs fois pour
se rendre compte des
facilitez qu'ils se fia-,
toient d'avoir trouvées.
Cependant les
obstacles estoient tousjours
lesmesmes; ilsne
diminuoient qu'à leurs
yeux; mais ils se 1es
diminuoient l'unà l'autreàmesure
que Ie.de-!
sir. de les surmonter
augmentent dans tous
les deux. En un mot
leur amour les aveugla
si fort qu'en peu de
jourstoutesles difficultez
di sparurent. Ils se
persuaderent fermement
que rien ne pouvoit
plus s'opposer à
leur Mariage, & qu'ils
n'avoientcontreeux
qu'un peu de temps à»
attendre. Ils remirent
donc lesformalitezà
ce temps- là;mais dés ce
mesme jour la foy de
Mariage fut donnéereciproquement.
UnAnneau
fut mis au doigt
de l'Epouse, & tous
deux convaincus que
lafoy mutuelle& l'anneau
nuptial suffisoient,
tous deux enfin
dans l'aveuglement &
dans la bonne foy s'imaginerent
estrsassez
mariez pour pouvoir
s'assurer qu'ilsl'estoient..
Le Pere de Cieonte
estoit pour lorsà Paris.
SonconsentementcC*
toit necessaire, & nos
Epouxestoient convenus
que c'estoit par la,
qu'il falloitcommencer.
AinsiCieonteresolut
de partir au plustost.
Les adieux furent:
plus tendres que tristes,
parce que Cleorite
estoit seur, disoit-il,
de rapporter le con fen^
tement de son pere. Il
ne quittoit Angélique
que pour aller saffurer
le bonheur de passer avec
elle le reste de la
vie. Il part enfin, 84
laisse Angelique fort
triste de son dépare,
mais tres - persuadée
que le mariage se confirmeroit
à ion retour.
Quelques semaines
secoulerent: Angéliqueentrela
tristesse &
l'esperance n'estoit pas
tant à plaindre qu'elle
le fut dans lafuite. Les
reflexions commencèrentà
la troubler:elle
envisage sa faute, elle
en a honte; maiselle
se flate quecette honte
seratousjours Ignoree, ,
ne sedoutant point jusques-
là
ques-là quelle portoit
dans son sein une preuve
qu'on ne peut tenir
cachée qu'env iron huit
ou neuf mois. Elle ne
connoissoitencore quune
partie du mal qu'-
elleaveit fait: ainsielle
n'en estoit qu'à demi
repentante. Ses regrets
estoient moderez par
un souvenir agréable ;
les regrets sinceres ne
luy vinrentqu'avec les
maux de coeur. ;
Imaginez-vous ses
allarmes & sa douleur;
joignez à cela l'absence
de san Amant : elle
n'en recevoit aucunes
nouvelles; elle se crut
oubliée, trahie, abandonnée.
A quis'en
plaindre? à qui se con- «
sier dans une situation
si cruelle?elle ne trouve
de sou lagement que
dans ses larmes. Laifsons-
la pleurer à loisir
pendantque nous parlerons
des autres personnes
qui ont part à
cette avanture.
Une femme debien,
avoit épousédepuis
quelques années un
bon Bourgeois fortcurieux
d'avoir lignée
,
& fort mal intentionné
pour ses heritiers
collateraux. Cette femme
que je nommeray
Donmene ,va fraire icy
un personnage tout Opt
posé à celuy d'Angelique,
Dorimene avoit le
malheur d'estre sterile,
& c'est ce qui la de[c!:
peroit, car cette sterilité
la faisoit presque,
haïr de son Mary. Le
bon. Bourgeois qui se
preparoit pour lors à
faire un long voyage,
estoit au desespoir de
partir sans sestre assuré
un ,
héritier. Un soir
qu'il rentroit chez luy
triste & rêveur, sa sens"
me qui avoit médité
tout le jour la maniéré
dont ellele recevroit,
attend le momentqu'il
rentre dans sachambre,
court, à luy comme
une femme transportée
de joye
y
se jette à son
col encriant d'unevoix
entrecoupée
,
bonne
nouvelle mon cherMary
! bonne nouve lle !
j'ay tant de joye que je
ne puis parler. Quelle
joye?dit le Mary,de
quoy s'agit-il?Elle, au
lieu de repondre
, recule
quelques pas comme
une femme qui
chancelle, & se laiflc
tomber sur un fauteüil
, en feignant de sévanouir.
Le bon homme
allarmé s'empresse à la
fairerevei-iirellerevient
un peu, le regain
de tendrement, & luy
dit d'une voix soible
ah mon cher maryî
voicy la troisiéme fois
que je m'évanouisdepuis
ce matin
,
& ce
font ces cvanoiiilïcments
qui j-ont ma
joye. Elle recommence
à lembrasser:nouvelle
joye; nouveaux transports.
Estes-vousfolle?
dit leMary Je vous le
repete répliquala femme
, ce sont ces éva- nouiflèments,& ces
maux decoeurqui me
charment, car ils confirment
les doutes que
j'aydepuis quelque
temps. Oïïy mon cher
Mary,jecroisqu'enfin
je suis en estat de vous
donner un gcag9e v0ivant de ma tendresseconjugale.
Ah Ciel! s'écrie
le
le bon Bourgeois3quoy
vous feriez enceinte ?
-cfc-ilpossible?Ellejure
qu'ellele croie. Il
-cmbra& à on tour cetle
qu'ilcroit fécondé;
il est plus charmé qu'-
elle ne seignait de l'estre.
Ce n'e st plus entr'eux
que"mnfports,
que larmes de joye
feintes & veritables.
En un mot depuis ce
moment jusqu'à son
dépare elle joua cette
alternative de joye Se
d'évanoüissement. Et
il partit convaincu qu'-
il trouveroit à Ion retour
Je fils aisné de plusieurs
autresqu'elle luy
promit en iuy disant
adieu.
Dés que leMary fut
parti, Dorimene ne
s'occupa plus que du
foin de paroistre grosse
aux yeux de ses voisiÎIGS
)
& de terminer
cette grossesse comme
si elle eust esté veritable.
Pourcela-ilfalloit
un Enfant d'emprunt;
il falloit confier son
dessein à quelqu'un qui
pust l'aider. Elle fut
trouve£r uneJSage-fem- me qui avoit été autrefois
sa Servante, femme
habile, inventive,
une intriguante enfin,
qui s'appelloit Nerine.
Aprésavoir promis
- une grosse recompense
à cette Nerine
,
Dorimene
luy dit en deux
mots que son dessein
estoit dedonner un fils
à son Mary.
Nerine pleine de ze- lecommenceà luy faire
l'éloge du plus dis-
* cret de tous les jeunes
Lyonnois qu'elle connoissoit.
Dorimenel'interrompt
avec coleré.
Estes-vous folle? ne
po. ,,>
me., connoissez * pas?Jevous - vous pas? Je vous ccoonnnnooiiss
de reste, dit Nerine ;
mais pour faire plaisir à
son Mary,une honneste
femme ne pourroitelle
pas Taisezvous
Nerine. Mais
comment faire donc
Madame ? Comment
faire? reprit Dorimen-
e, je vais vous expliquer
mon dessein,
Dorimene & Nerine
eurent ensemble une
conversation fort
longue. Pour conclure
en deux mots ,
qu'il
fcilloit chercher dansla
Villequelque femme
ou fillequi craignift autant
de paroistreMere
que Dorimene souhaitoit
de lcHre,afin qu'-
elle voulust bien luy
cederson droit de male
ternité.
rendant que nostre
intriguante va cher- ,
cher cet enfant de hazard
chez les plus jolies
personnes de la
Ville,quoyquecela se
trouve aussi chez les
plus laides, Dorimene
commence à joüer toutes
les affectations &
les grimaces d'une premiere
grossesse. Propose-
t-on à Dorimene
une Promenade , elle
l'accepteroit, dit-elle ;
mais la difficulté c'est
la voiture. Le Carosse
la blesserois ; la Chaise
à Porteurs luy souleve
lecoeur; elleapeuren
Batteau ; à pied on fait
des faux pas, le plus
leurest de rester chez
elle; mais elle craint
d'y donner à joüer. Les
grimaces & les contorfions
des Joüeurs luy
sont horreur;elle ne
veut voir que des femmes
gracieuses &C de
beaux hommes. Point
de Spectacles, surtout
I ni Comed ies niOperai,
elle accoucheroit d'un
Neptune ou d'un Arlel.
quin. Elle se reduit
donc au plaisir de la
bonne chere ; elle s'y
dédommagé en se jettant
sur les plus friands
morceaux. Elle les arrache
à ses voisins de
Table: tout permis,
dit-elle,c'est une envie
de femme grosse ; elle
veut mangerde tout ce
qu'elle voit, & dire
tout ce qui luy vient
en pensée,jusqu'à des
médisances, de crainte
que son Enfantn'en
foit marqué.
Parmy toutes ces
feintes, elle n'oublie
pas la principale; il
sautfigurerpar laceinture.
Elle applique
fous un large Corcet
un Coussinet de satinbien
matclasséferriblable
à ceux dont les femmes
maigresse font des
hanches majestueuses.
Dorimene s'en garnit,
& prend foin d'augmenterdemoisenmois
cette grossesse de cotton.
En un mot ,
elle
joüe son rolle si naturellement
que les plus
sins y sont trompez.,
Retournons à la pauvre
Angélique qu_i- prend a*utant de peine,<,
àcacher les défauts de
1 la taille, que celle-cy.
etnipreendnpounr gaester.la
Angélique estoit ro.
peu prés sur son septicme
mois lorsqu'elle sucj
contrainte par une mere
imperieuses qu'elle^
avoit dalleravecelle,
misiter une voisine,&
cette voisine effoit
stement Dorimene.
Cette Mere dd''AAnnggecil'il--
que estoit scrupuleuse
sur Je cérémonial des
visites. Elle '- en devoit
,
une à Dorimene;elle
veut absolument que
[1. fille l'accompagne
dans ce devoir indis-
I pensable. Angelique obéït,&
les voilà chez
I Dorimeneoù plusieurs
autres voisines scitoientassemblées.
;:;.
Angelique souffre 8c
gémit de se voir emprisonnée
dans un habit
serieux ; son corps
la ferre cruellement
quoyqu'il foit lassé
.bien lasche.Ellesetient
droite & se guinde en
hauteur pour tenir
gmoines deuplaceren.lar- Dorimene au coiw
traire estale la grossesse
avec ostentation, bien
à son aise, sans ceinture,
sa Robbe ouverte
à deux battans , appuyant
nonchalemment
ses deux bras
croisez sur l'honorable
fardeau dont chacun
la selicite. Quel crevercoeur
pour Angelique!
quel contraste ! Helas!
dit-elleenellemesme,
que cette femme effc
.t.Jcureu!e de pouvoir
ainsi fairegloire de ce
qui fera ma honte
,
si
l'on s'en apperçoit.
La Sage-femme eCtoit
pour lors dans la
chambre de Dorimene
qui affeotoit de la tenir
prés d'elle depeurd'accident.
Dés qu'Angeliqueavoit
paru cette
rusée avoit remarque
sa taille renforcée &
contrainte
,
sa démarche
che pesante&embarxaffée;
il n'en falloitpas
davantage pour donner
des soupçons à une
connoisseuse. Elle observe
de plus unvisage
affligé & maigri dont
les traitss'a longent. -
Angélique s'apperçoit
qu'on l'examine;elle
est troublée
,
il n'enfaut
pas davantage
pour mettre Nerineau
fait. Cette intriguante
s'approche de Dorimene,
& luydit à l'oreille
: voilà une fille qui
a bien la mine d'avoir
de trop de ce qui
vous manque.
Angeliqua la voyant
parler bas ne douta
plus du jugement
qu'on faisoit d'elle, 8c
pour surcroist de malheur
quelqu'un s'avisa
de dire à Dorimene
qu'elle cfkoit en de boa*
nes mains davoir Nerine
pour Sage-femme.
Au mot de Sage - femme
Angelique paslit
comme un Criminel
qui voit son Juge. La
Mere crut quelle se
trouvoit mal. Nerine
officieuse courut la secourir
par avance, &
c'est ce qui acheva de
lu troubler. Dés que la
Sage-femme a mis la
main sur elle se croit à
terme; lapeurlasaisit;
- elle tombe en foiblesse.
Onla porte sur un lit}-
dans une chambre voisineoù
fous prétexte de
la laisser rcpofcr
,
sa
Mere& lesautres femmes
qui avoientaidé à
la faire revenir de sa
foiblesse, la laisserent
feuleavec Nerine.
Ce fut là le premici:
moment de bonheur
pour Angéliquedepuis
le départde sonAmant,
car Nerine, aprés toutes
les façons que vous
pouvez vous imaginer,
luy fit tout avoüer,
devint sa Confidente ,
& luy promit de la ri.
rer d'affaire sans que sa
Mere mesme puft s'en
appercevoir. En effet,
depuis ce jour-là Ntri,
ne & Angélique prirent
secretement des
mesures.Angélique avoit
une Tante qu'elle
aimoitfort;elle resolut
de luy confier son secret.
Cette Tante avoit
une Maison de Campagne
fort prés de la
Ville. Àinsï quand Nerine
jugea qu'il estoit
temps, la Tante obtint
de la Mere que sa filfe"
iroit passer quelques
jours avec elle à la campagne.
-
Ce fut là qu'Angelique,
parle lecours de
Nerine, se debarassa de
ce qui pouvoit nuire a
sa réputation. Elle retourna
bientost aprés à
la Ville où elle parut
plusbelle, plus fraische,
& plus fille que
jamais.
--
Voicy où comment
cele sujet du Procez.
LaTante& laNièce,
à la sollicitation de Ne- Il-le, conv inrent qu-):-
elle se chargeroit de
l'Enfant qu'elle pro-
~,
mitparunBilletdereprefencerroutes
les fois
que l'amour maternel
d'Angelique la presseroit
de voir en secret
cette petite fille, car
c'eneftoitune, 6L qui
ressembloit parfaitement
à saMere.
Nerine part avec la
petite fille, & court
d'abord chez Dorimene
nequi n'attendoit que
l'heure d'accoucher de
l'Enfant d'Angelique.
Elle s'estoit mise depuis
quelques jours au
lit, oùplusieurs voisiries
la venoient voir.
Les témoins luy efc
toient necessaires afin
qu'on ne pust dans la
fuite luy chicaner la
proprieté de l'Enfant
qui alloit paroistre. Il
falloit donc que ces
voilines vissent & ne
vissent pas; c'e st ce qui
l'embarassoit; car elles
estoient trop curieuses
& trop empressées à la
secourir. Ilestoitdifficile
d'éluder leurs curiositez
ind iscretes.
D'un autre côté Nerineestoitarrivée
avec
l'Enfant parune petite
ruë destournée oùdonnoit
un Jardin de la
maison.Ellegagnapar
un degré dérobe une
Garderobeoù ellelaissa
l'Enfant. Cette Garderobe
donnoit dans la
ruelle du lit de Dorimene
; Nerine entra
seule dans la chambre a donnalesignal.Ausc?
si-tost Dorimene pria
lesvoisines delalaisser
reposer.Elless'éloignèrenttoutesjusqu'à
l'autre
bout de la chambre
,
& bien ditDorimene
impatiente, a
-
quoy en sommes nous.
Tout va bien répond
tout bas Nerine;nous
avons tiré d'affaire nostre
pauvre fille enceinte,
& je vais vous faire
acoucher de l'Enfant
de cette fille-là.
Pendant qu'elles parloient
bas de la maniere
dont elles alloient
joüerdes gobelets l'Enfant
quis'ennuyoitseul
dans la Garderobese
mità crier comme un
Enfant déjà né; lesvoisines
entendirent ces
cris, prématurez
,
6c
tout estoit perdu si Dorimene
n'eu a eu la prefence
d'esprit de couvrir
les cris de l'Enfant
par les siens.Nerine
crioitaussi
, courage,
Madame, courage, &
cela fit un chorus pareil
à celuy que firent
jadis les Corybantespour
cacher àSaturne
les cris du jeuneJupi- ter.
Dans ce moment
Nerine escamota siadroitement
l'Enfant,
que l'ayant glissé sur le
bord du lit, elle l'en
tira comme s'ilfustvenu
de plus loin,& le fit
voir à ces connoisseuses
qui s'estoient avancées.
Elles admirerent sa
beauté, le trouvant
pourtant un peu trop
fort pour sonâge. Nerine
leur figne que la
malade avoit un grand
mal de teste.Elles sortirent
doucement sur
la pointe du pied en
attendant le Baptesme
qui se fit le lendemain
soletnnel lement.
Voila un Enfant
bienvrayemblablement
establidans lafamille
deDorimene.Il y
fut élevépendantquel:
que temps sans qu'Angelique
sceutque c'efroit
le sien. On ne m'a
point dit comment eJ-*
Je en fut in struite;mais
faites attention icy à
ia circonstance la plus
eftonnante de toute
l'histoire. Vous avez
veu la timide Angelique
cacher en tremblant
les fuites de son
mariagesecret, &C on
la voit à present reclamer
publiquement le
témoin de sa faute. Ellenecraint
plus de publier
sa honte: cechangement
neparoist pas
vraysemblable ; c'est
cependant un fait public
, dC qui, comme
j'ay dit, fait à present à
Lion lesujet d'un
grandProcez. L'Avocat
dit que l'amour, matemelseul
la déterminéeàfaireuntel
éclat;
maiselle a eu des raisons
particulières que
je ne puis encore reveler
au public, quand le
Procez sera jugé
,
il
me fera permis dedire
ce que je sçai de ce dé..
nouement,quinerouleencoreà
Lyon, que
sur ladéclaration de la
Sâge- femme.
Fermer
Résumé : PROCEZ D'UNE PETITE FILLE reclamée par deux meres.
Le texte relate une histoire complexe impliquant plusieurs personnages à Lyon. L'intrigue commence par une jeune fille, Angélique, qui est réclamée par deux mères lors d'un procès. Angélique et Cleonte, deux jeunes Lyonnais, tombent amoureux malgré les obstacles familiaux. Ils échangent des anneaux et se considèrent mariés, attendant le consentement de leurs parents. Cleonte part à Paris pour obtenir l'accord de son père. Pendant son absence, Angélique, enceinte, est tourmentée par la honte et l'absence de nouvelles de Cleonte, se croyant trahie et abandonnée. Parallèlement, Dorimene, une femme stérile, simule une grossesse pour satisfaire son mari. Elle cherche une femme ou une fille enceinte pour adopter son enfant. Nerine, une sage-femme, remarque Angélique chez Dorimene et suspecte sa grossesse. Cette découverte conduit au procès où deux mères réclament la jeune fille. L'histoire se poursuit avec Angélique, enceinte de son amant secret, perturbée par l'annonce de la venue d'une sage-femme. Nerine, une servante, devient la confidente d'Angélique et l'aide à cacher sa grossesse. Elles élaborent un plan avec la tante d'Angélique, qui possède une maison de campagne où Angélique accouche en secret. Nerine emmène ensuite l'enfant chez Dorimene, qui est sur le point d'accoucher publiquement pour dissimuler la véritable identité de l'enfant. Nerine introduit l'enfant dans la chambre de Dorimene de manière discrète, malgré la curiosité des voisines. Dorimene et Nerine parviennent à tromper les voisines en faisant croire que l'enfant est le sien. L'enfant est élevé dans la famille de Dorimene sans qu'Angélique en soit informée pendant un certain temps. Plus tard, Angélique décide de révéler publiquement sa maternité, ce qui conduit à un procès à Lyon. L'avocat d'Angélique invoque l'amour maternel comme motif de cette révélation, mais des raisons particulières, non encore divulguées, expliquent ce changement de comportement. Le dénouement de l'histoire reste en suspens, dépendant de la déclaration de la sage-femme.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
13
p. 134-138
LE MAUVAIS MENAGE. Bouts-Rimez du Mois precedent. Par Mr Daubicourt.
Début :
Cette Femme est, dit-on, paisible Tourterelle, [...]
Mots clefs :
Femme, Guenuche
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texteReconnaissance textuelle : LE MAUVAIS MENAGE. Bouts-Rimez du Mois precedent. Par Mr Daubicourt.
LEMAUVAIS MENAGE.
Bouts-Rimez du Mois
precedent.
ParMrDaubicourt.
Cette Femme est, dit-on,
paisibleTourterelle,
EtJonjeune Mariparoît
unvray Mouton.
Ce n'estrienmoins, l'un
estétourdi Haneton,
L'autre , vive & legere
autantqu'une
Hirondelle.
La Femme toûjoursparle
&parle en Perroquet.
LeÎMoéarliaquisouvent a Linote,
Fait un bruit. C'est un
train
>
la Servante en
marmote,
Se chamaillant, ils font
abboyerleur roquet,
Aleur exemple on voit le
Singe&la Guenuche.
Faire entr'euxchaque
jour des chamaillis
nouveaux.
Il vont dans L'écurie,
èfrayentles Chevaux,
Etfontfuïrsurles toits
Sansonet&Guenuche.
Pendant ce tintamarre à
quoy pense le Chat,
Ilsautesur le croc, sepend
auxGelinotes.,
Puis dans un bacquet
d'eau tombantsurdes
Barbotes,
Enpêcheune&lagruge ,
ensuite ilchasse un Rat.
On crie aufeu, l'onvient,
pour lors ,
vache &
genisse
Toutestpillé, dindons ,
canars,poule,poulet,
Vn Soldatpar la queuë
entraînantun Mulet,
Veut le faire aprés luy,
marcheren Ecrevisse.
Ainsisur nosEpoux tirant
la Beccassine , Chacuncroit avoir droit
de plumerle Pigeon,
En tel ménageenfin, l'on
mangeoitl'Elturgeon,
L'onymange à present à
peineune Sardine.
Bouts-Rimez du Mois
precedent.
ParMrDaubicourt.
Cette Femme est, dit-on,
paisibleTourterelle,
EtJonjeune Mariparoît
unvray Mouton.
Ce n'estrienmoins, l'un
estétourdi Haneton,
L'autre , vive & legere
autantqu'une
Hirondelle.
La Femme toûjoursparle
&parle en Perroquet.
LeÎMoéarliaquisouvent a Linote,
Fait un bruit. C'est un
train
>
la Servante en
marmote,
Se chamaillant, ils font
abboyerleur roquet,
Aleur exemple on voit le
Singe&la Guenuche.
Faire entr'euxchaque
jour des chamaillis
nouveaux.
Il vont dans L'écurie,
èfrayentles Chevaux,
Etfontfuïrsurles toits
Sansonet&Guenuche.
Pendant ce tintamarre à
quoy pense le Chat,
Ilsautesur le croc, sepend
auxGelinotes.,
Puis dans un bacquet
d'eau tombantsurdes
Barbotes,
Enpêcheune&lagruge ,
ensuite ilchasse un Rat.
On crie aufeu, l'onvient,
pour lors ,
vache &
genisse
Toutestpillé, dindons ,
canars,poule,poulet,
Vn Soldatpar la queuë
entraînantun Mulet,
Veut le faire aprés luy,
marcheren Ecrevisse.
Ainsisur nosEpoux tirant
la Beccassine , Chacuncroit avoir droit
de plumerle Pigeon,
En tel ménageenfin, l'on
mangeoitl'Elturgeon,
L'onymange à present à
peineune Sardine.
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Résumé : LE MAUVAIS MENAGE. Bouts-Rimez du Mois precedent. Par Mr Daubicourt.
Le texte 'Lemauvais ménage' illustre un désordre domestique à travers des métaphores animalières. Une femme, initialement comparée à une tourterelle paisible, et son mari, décrit comme un jeune mouton, se révèlent différents. L'homme est un étourdi hanneton, tandis que la femme est vive et légère comme une hirondelle. La femme parle sans cesse comme un perroquet, et le mari, semblable à un linot, fait souvent du bruit. Leur servante marmonne, et les disputes quotidiennes effraient les chevaux et font fuir les chats sur les toits. Pendant ce chaos, le chat chasse les rats, provoquant une panique générale. Les animaux de la ferme, comme les vaches et les poules, sont perturbés. Un soldat tente de faire marcher un mulet à la manière d'une écrevisse. Les époux se disputent pour des droits sur un pigeon, et leur situation financière semble s'être dégradée, passant de la consommation d'esturgeon à celle de sardines.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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14
p. 327
Questions pour le Mois prochain.
Début :
On demande si le vin est une bonne chose. Question [...]
Mots clefs :
Vin, Femme, Beauté, Esprit
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Questions pour le Mois prochain.
Questions pour le Mois
prochain.
Ondemande si - le
vinestune bonne chose,
Question galante.
PartiÙptfirejfftàfie.
Quepeut-on dire
pour blasmerou pour
justifier un homme @amoureux
d'une femme
qui n'auroitny beauté
ny esprit.
prochain.
Ondemande si - le
vinestune bonne chose,
Question galante.
PartiÙptfirejfftàfie.
Quepeut-on dire
pour blasmerou pour
justifier un homme @amoureux
d'une femme
qui n'auroitny beauté
ny esprit.
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15
p. 193-248
HISTORIETTE presque toute veritable.
Début :
Dans une Ville de Province, deux Dames voisines se haïssoient [...]
Mots clefs :
Femme, Vertu, Voisines, Cavalier, Mari, Veuve
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTORIETTE presque toute veritable.
HISTORIETTE
presque toute veritable.
Dans
une Ville de
Province, deux Dames
voisines se haîffoient)
parce que leurs caracteres
estoientopposez.L'une
que j'appelleray Cephise,
estoitjeune, enjouée
,
tres-vertueuse
mais trop vive , pour s'ajf
sujettir aux bienseances
qui doivent accompagner
la vertu.
,
L'autre Dame avoit
au contraire tant de delicatesse
sur ces bienfeait
ces,qu'elle eut, en un
besoin, sacrifié la vertu
même à la vanité de paroistre
plus scrupuleuse
que les voisines. C'estoit
en médisantde leur conduite
qu'elle donnoit de
l'éclat à la tienne, &
Cephise estoit celle de les
voisines qu'elle attaquoit
le plus cruellement par
sess medisances.
Cephise avoit épousé
depuis peu de temps un
fort galant homme, qui
charmé de son enjouement
,&Cperliiadé de sa
vertu, ne la contraignoit
en rien: maisDorimene
qui dominoit dans toutes
les maifbm où l'on
vouloit bien la souffrir
faisoit des remontrances
sèveres non-seulement
à la femme sur les petites
imprudences qui luy échappoient,
mais encore
au mary sur ce qu'il donnoit
trop de liberté à sa
femme.
Les remontrances que
Dorimenefaisoit à cette
jeune personne la piquoient
encore plus que
tout le mal qu'elle pouvoit
dire d'elle. Unjour
elle pensoit à s'en venger
, lorsquune Couturièrequi
les habilloittoutes
deux vint luy conter
pour la réjouir une nouvveelllleeintrigue
d'un Cavalierarrivé
dans la Ville
depuis quelques jours.
Lisette
)
c'estoit le nom
de la Couturiere, ne
manquoit pas d'esprit
& elle estoit à peu prés
de l'humeur de Cephise.
Cellede Dorimeneluy
déplaisoit fort. Dorimene
payoit avec chagrin,
& <jueïeloit volontiers
ses ouvrières:deplus.,
elle avoit souvent ennuyé
Lisette du recit de
les bonnes avions
,
elle
en faisoitl'élogeà ses donieftiques-
ii-iefi-ilc,quand
elle ne sçavoit plus à qui
les conter.
Dorimene estoit veuvedepuis
unan,&assez
richepouravoir plû à un
jeune Avanturier , qui
avoit feint pour elle une
belle passion. Cette severeveuve
l'avoit rebuté
pendant quelques jours,
mais enfin le trouvant à
son gré elle luyavoit fait
eipqrerquelle l'epouse
-JOit quand les deux années
de fou veuvage femoient
accomplies:cependantelle
ne vouloit
paspermettre qu'il la vit
ayant ce temps- là à
moins que ce ne fut
tres-secretement.
-
CCfat,a peu preset
que Lisette raconta àCeptriCb
ellevenoit de rapprendre
d'une femme
qui avoit ménagé chez
„nHeJila campagne cette
avanture au Cavalier. --
Cephise mena promener
Lisette avec elle
pour avoir le loisir de le
faire redire vingt fois la
mesme croie ; elle ne
pouvoit se lasser de l'entendre,
ni croirecequ'elle
entendoit. Mais lorsqu'elle
en fut bien persuadée,
elle ne respira
plus que le plaisir de [e
venger en se rejoüissant.
Cette jeune folatre imagine
cent plaisanteries à
faire sur l'intrigue de la
veuve,ilfalloitensçavoir
des circonstances plus
particulières ,&CLifctte
à qui Cephise fit esperer
recompense, promit
de suivre de prés cette
affaire.Ellesétoient dans
un jardin ouvert pour
les honnestes gens de la
Ville, elles [e promenoient
dans une allée détournée,
Cephise estoit
veituë tres -
négligemment
,
& enveloppée
dans une echarpe noire
;Lisètte qui estoit
ce jour-là fort ajustée,
luy dit en riant,Madame,
si tout le monde
ne se connoissoit pas
dans une petite Ville,
son me seroit peut-estre
l'honneur de me prendre
pour vostreMaistres
se. Cephise ne fit point
d'attention à ce discours,
parce qu'elle examinoit
un jeune homme fort
bienfait qu'elle ne connoissoit
point pourestre
de la Ville. Lisetteestoit
trés-jolie. Ce Cavalier
qui cherchoit avanture,
avoit envie de l'aborder.
Dés que Cephise l'eut
fait remarquer à Lisette,
t:llc le. reconnut pour
l'Amant de Dorimene,
-carelle l'avoit vu entrer
un jour chez cette Dame
,comme elle en sortoit.
Cephise qui avoit
l'imagination vive,forma
son projet dans le
moment ,
elle le communique
à Lisette qui
enchérit encore sur l'idée
de Cephise : enfin
aprés avoir fait quelques
tours d'allée tousjours
suivies de l'Avanturier,
elles se placèrent sur un
banc,où il vintaussitost
s'asseoir à cofté de Lisette.
Après quelques regards
de part & d'autre,
leCavalier luy adres
sa la parole: la fortune,
luy dit-il, m'est bien favorable
!quel bonheurà
un hommeestranger
dans cette Ville, d'y
trouver d'abord cequ'il
y a de plus aimable. Lisette
répondit à cette galanterie
d'une maniéré à
s'en attirer une seconde
& la conversation dura,
autant qu'il fallut pour
faire consentir Lisette
avec bienseance à l'offre
qu'il luy fit de la remener
à son logis, ce quelle
n'auroit pas souffert,
disoit-elle, si son mary
n'eust pas esté absent :
elle luy fit ensuite le portrait
d'un mary haïssable.
Elle prit enfin avec
luy le nom & le rôlle de
Cephise
,
pendant que
Çephise la suivoit respectueusementcommeune
fille de chambre
,
& ils
arrivèrent ainsi au logis
de Cephise. Le Cavalier
tout occupé des charmes
de celle qu'il conduisoit,
arriva à la porte sans s'estre
encor apperçu qu'il
citait dans la ruë de Dorimene;
il fut estonné de
se trouver à portéed'en
direvû, mais heureusement
il estoit fort tart.
Il avoit demandé permission
à Lisette de la
venir voir le lendemain:
elle luy permit, à condition
qu'il y viendrait
à la mesme heure sur la
brune, car, disoit-elle,
j'ay une voiline trés-médisante,
& je ferois perduë
si elle voyoit entrer
un jeune homme chez
moyen l'absencedemon
mary. Vous jugez bien
que cette précaution de
Lisetteplus fort au Cavalier.
Il estoit ravi de
faire connoissanceavec
cette jeune beautépour
se dédommager de sa
complaisance interessée
pour la veuve, maisil.
estoit dangereux de la
rendre jalouse. Il fut
donc charméde l'air mysterieux
stericux dont Lisettè
commençoit à lier merce; com- il 111crce ; il la ttrroouuvvooiitt
charmante, il en avoit
esté bien reçu. Elle pouvoit
à la verité luy parroistre
suspecte ducofté
de la regularité, mais
celle de Dorimene estoit
si triste, qu'un tel contraste
leréjoüissoit; il aimoit
la varieté.Enfinil
sseerreetitriaracchheezzlluuyyfoforrtt
content de sa soirée.
Dés qu'il fut parti ;
Cephise éclata derire.
N'ay-je pas bien jolie
mon rôle,luy dit Lisette
; à merveille repartit
Cephise. Tu coucheras
icy ce [air, il ne manquera
pas demain de revenir;
tu prendras mon
plus bel habit, & moy
qui luis pour luy ta fille
de chambre, je l'introduiray
dans mon appartement
où tu le recevras.
Mon mary ne reviendra
que dans deuxjours, Se
pour lors nostre projet
ièra en estat de pouvoir
luy estre communiquée.
Cephise avoit sa vengeance
en teste, &C de
plus ces fortes d'amusements
estoient du goust
d'une jeune folastre
qui sans faire , aucune reflexion
surlaconsequence
des choses, se reposoit
sur l'innocence de les intentions.
Nostre Galand ne manqua
pas de revenir le lendemain,
enveloppe dans
unmanteau,de peurque
Dorimene ne put le reconnoistre
en cas qu'elle
l'apperçeust
,
& il ne
pouvoit pas manquer
d'estre apperçu de celle
dont la plus agreable occupationestoit
d'expier
les actions de sa voisine.
L'heure de la visite,
la circonstance du mary
absent
,
&C l'air mysterieux
dont on introduisit
sans lumiere nostre
homme à bonne fortune
luyfirent croire que ce
Galand estoit pour Cephise.
Elle en eut autant
de joye que si ç'eutesté
pourelle.Que! plaisirde
pouvoir perdre de réputation
sa voisine
,
quand
il luy en prendroit fantaisse.
A l'égard de nostre
Amant, il fut surpris de
voir Lisette 11 richement
vestuë, & dans un appartement
magnifique.
Elle ajousta à cela une
fierté si adroitement ménagée,
qu'elle le rendit
des ce soir-là veritablement
amoureux,&c'est
ce qu'on vouloit pour
tirer de luy des particularitez
qui puisent prouver
la galanterie de la
veuve. Toute l'entrevûë
du lendemain fut employée
par Lisette à faire
esperer des faveurs au
Galant s'il vouloit sacrifier
Dorimene. On luy
permettoit bien ce feindre
de l'aimer
,
& ., de
donner ses soins à celle
qui pouvoit faire sa fortune
,
mais on vouloit
avoir le coeur & la confiance.
En un mot Lisette
fit tant que le Cavalier
promit dapporterle lendemain
des Lettres passionnées
de Dorimene;
c'est tout ce qu'on souhaitoit.
On ne vouloit
disoit-on, , que les lire &
les luy rendre dans le
moment.
Les choses en estoient
là lorsqu'un contre-tems
fascheux pensa tout gaster.
Le mary enarrivant
de la campagne estoit
descendu decarossechez
un amyquil'yavoit mené.
Il revenoit seul chez
luylorsqu'il vit un jeune
homme entrer sous une
porte, prendre dans le
plus beau tems du monde
un manteau que luy
apportoit un Laquais,
& oster un plumet qui
estoit
estoit à ion chapeau.
Cet air de mystere à
l'heure qu'ilestoit, donna
de la curiosité au
mary ; il fuit de loin;
il observe, & voyant
qu'on entre dans sa ruë,
qui estoit aussi celle de
Dorimene
,
il pense
d'abord à elle; ce feroit
une plaisante avanture
,
disoit-il en luymesme,
si ce Galand-cy
estoit sur le conte de nostrevoisine.
Quellesur-
2prise, quand il voit qu'il
estsurlesien. On entre
chez sa femme ; ilapperçoit,
malgrél'obscurité,
une espece de fille de
chambre qui introduit
le Cavalier &referme la
porte. Il l'ouvre doucement
avec son passe-partout;
le Galand a déja
gagné un petit degré; il
le fuit au bruit; monte
aprés luy jusqu'à une
garderobe de l'appar-
-tement de sa femme.
Il a avoüé depuis que
malgré la confiance qu'il
avoit en elle, il fut si vivement
frappé de jalousie
qu'il ne se possedoit
plus. Cephise en habit
de fille de chambre aprés
avoir fait entrer le Cavalier
dans le cabinet
où l'attendoit Lisette
, entendit marcher derriere
elle. Elle court au
bruit & repousse rudement
son mary sans feavoirquic'estoit.
Ilvoyoit
à la lueur des bougies
qui étoient dans ce cabinet
dont la porte estoit
restée entrouverte: que
voyoit-il, justeciel, celle
qu'il croyoit sa femme
par l'habit, se laissoit baiserlamain
par ce Cavalier.
Il estoit si troublé
qu'il crut encore voir
plus qu'il ne voyoit. Il
resta immobile d'estonnement
& de douleur,
car ce n'estoit pas un
mary emporté. Sa femme
qui le reconnut dans
ce moment, fit un éclat
de rirecomme une petite
fole quelle estoit ;
elle l'elnbraife en luy disant
tout bas de ne pas
faire de bruit. Il commence
à lareconnoistre,
& cela redouble son
embarras. Sa femme
l'embrasse d'uncosté,il
croit la voir de l'autre
avec celuy qui le deshonore
: enfin elle l'entraisne
dehors en achevant
de le détromper
& folaftrant tousjours
avec luy
, ne sçauriezvous,
luy dit-elle, voir
tranquillement vostre
femmeavec sonGaland?
je vous ay pris en flagrant
delit de jalousie,
jene vous pardonneray
qu'àune condition,c'est
que vousm'aiderez àme
venger des aigres remontrances
que Dorimene
me fait tous les
jours, je veux luyen faire
de mieuxfondées.
Elle luy explique son
projet où le mary charmé
de s'estre trompé,
entra de tout son coeur.
Elle luy dit que lisette
devoit tirer ce incline
soir du Cavalier
,
des
Lettres de la veuve ,
& -
qu'ellealloitvoir à quoy
en estoient les choses,
Pendant ce temps-là,
continua-t-elle
,
allez
disposesDorimene a venùtantost
souperavec
nous. Allez
, je vous envoyeray
avertir quand
nostre Avantuiersera
parti : maisgardez-vous
derientémoignerencore
a Dorimene , ce a- table queje veux me ré:
jouir,enbûvant à sesinclinations
,
& nous la
confondronsau dessert,
en presence de quelques,
amies qui depuis vostre.
départ viennent tous les,
loirs.fouper-,avec moy
pour me consoler de v«
stre absence.
Lemaryalla dans ce
moment chezDorimene
qui fut ravie de le
voir de retour. Après les
premiers compliments,
la conversation devint
agreable; raillerie fine
de part & d'autre, chacun
avoit son point de
veuë;l'unestoit fort par
tout ce qu'ilsçavoit, &
l'autresorte aussi par les
choses
;
qu'elle croyoit
sçavoir elle attaque le
mary sur la confiance
1
aveugle quil avoit en la
femme; effectivement
luy disoit-elle d'un ton
doucereux & malin,il
est des vertus si solides
qu'elles se conservent
mesme au milieu de la
coquetterielaplus enjouée
; comme il en est,
repliqua-t-il, desi fragiles
qu'ellesne peuvent le
conserverà l'abri de la
prudence laplus austere.
Aprés plusieurs traits
dont les derniersestoient
tousjours les plusvifs, il
en échapa au mary quelqu'un
si piquant, que la
veuve pour ss'eenn venger
lascha un mot sur ce
qu'elleavoit vû en son
absence.Le mary feignit
d'en estre allarmé? &C la
conjura trés-serieusementdesexpliquer.
La
prude feignant de son
costé d'estre fafchée d'en
avoir trop dit, je vous
tairois le reste, continuat-
elle
,
si je pouvoisen
conscience vous cacher
un desordre que vous
pourrez empescher. Plus
la charitable veuve taschoit
de prouver aumary
son deshonneur,plus
il feignoit d'entreren fureur
contre sa femme
y il imagina sur l'heure
ce que vous allez, voir,
&commençaain/î fOli
jeu. Ah Madame! s'écria-
t-il tout-à-coup
,
comme s'ileust esté penetré
de douleur, ne
m'abandonnez pas en
cette occasion, vous venez
de merendre un service
de véritable amie,
enm'apprenant que je
fuis le plus malheureux
hommedumonde, achevez
la bonne oeuvre que
vous avez commencé, il
s'agit de corriger ma
semis-le., de la convertir
& non pas de la perdre,
je ne veux point éclatet,
je ne me possederoispas
allez II j'allois seul luy
parler, suivez-moy Madame,
ayez la charité de
me suivre
,
& de luy
faire pour moy une correction
si terrible, que
lahonte&: le dépit qu'elle
en aura la rende sage
à l'avenir,il est sur qu'elle
vous craint plus que
moy, vous la verrez joumise
&confonduë par la
haute idée qu'elle a de
vostre caractère.
-
La veuve charmée de
se voir tant d'autorité sur
son ennemie triomphoit
par avance, & suivit
nostre faux jaloux qui
l'amena chez luy dans le
moment. Il entra le premier
, la priant de rester
dans une salle baffe, &C
courut avertir sa femme
du nouveau desseinqu'il
avoit conceu.Deuxmots
la mirent au fait, & il
revint aussi-tost vers Dorimene
, comme troublé
, comme agité d'une
rage qu'il vouloit modérer
par raison. Ah ma
2r;j
chere Dame, s'écriat-
il en l'embrassant presque
, ayez pitié de moy,
le Galand estlà haut avec
ma femme. Il reste
un rrîoment comme eltourdy
du coup, & feignant
ensuite de reprendre
courage: mais
,
luy
dit-il, le Ciel fait tout
pour le mieux ; c'est
peut-estre un bien pour
moyde pouvoir surprendre
ainsi ma femme,
pour l'humilierdavantage,
tage , pour la convaincre
, pour la confondre ;
montons par ce petit degré.
Ils montèrent ensemble
dans la garderobe
dont nous avons parlé,
& d'où la bonne Dame
apperçutd'abord ion
Amant. Elle crut le
tromper le mary la tenant
par le bras l'entrainoit
tousjours vers la
chambre où estoit la lumiere.
Elle reconnoift le
traistre un frisson la
prend; elle reste immobile.
Le hazard fit
encore pour l'accabler
davantage, que le Cavalier
voulant enfin tirer
de Lisette les faveurs
quelleluylaissoit esperer,
redoubloit à haute
voix ses ferments d'amour
pour elle, & de
mépris pour sa veuve.
Oüy
,
disoit-il d'un ton
passionné
,
oiiy
,
charmante
Cephise, je meprise
allez Dorimene
pour ne la jamais voir sielle
ne me faisoit pas ma
fortune. Cependant le
mary malin luy disoit:il
n'aime que ma femme
,
vous l'entendez: ne fuisje
pas le plus malheureux
de tous les maris. Il
l'entrainoit
'-;
tousjours
vers la chambre
,
Dorimenemalgré
sa douteux
, ne laissoit pas d'estre
un peu consolée pan
celle du mary, & par la
confufîou qu'allait avoir
son ennemie : mais cette
petite consolation s'évanoüit
dés qu'elle eut apperçu
la Couturière dans
les habits de Cephisè, &
Cephile elle-mesme entrer
avec deux ou trois
amies. Le Cavalier gagnela
porte, &laveuve
reste accablée de honte
& de douleur: à peine
a-t-elle la force defuir;le
mary ,
la femme & les,
amies la reconduisirent
chez elle avec les railleries
les plus piquantes,
luy conseillant de ne se
niellerjamais de faire
des reprimandes à plus
sage qu'elle.
On dit que la veuve
n'en fut pasquitte pour
cette avanie,&que TAvanturier
tousjours aimable,
quoyqu'infidele,
trouva le moyen de se
raccommoder. Elle eust
la foiblesse de l'épouser
dans une autre Ville, où
elle fut contrainte d'aller
habiter, parce que
les railleries & les vaudevilles
la chasserent de
celle où cette Histoire
s'est passé. On dit mesme
quece jeune ingrat
l'ayant fort maltraitée
aprés quelques mois
-
de
mariage, elle plaide encore
à present pour parvenir
à séparation.
presque toute veritable.
Dans
une Ville de
Province, deux Dames
voisines se haîffoient)
parce que leurs caracteres
estoientopposez.L'une
que j'appelleray Cephise,
estoitjeune, enjouée
,
tres-vertueuse
mais trop vive , pour s'ajf
sujettir aux bienseances
qui doivent accompagner
la vertu.
,
L'autre Dame avoit
au contraire tant de delicatesse
sur ces bienfeait
ces,qu'elle eut, en un
besoin, sacrifié la vertu
même à la vanité de paroistre
plus scrupuleuse
que les voisines. C'estoit
en médisantde leur conduite
qu'elle donnoit de
l'éclat à la tienne, &
Cephise estoit celle de les
voisines qu'elle attaquoit
le plus cruellement par
sess medisances.
Cephise avoit épousé
depuis peu de temps un
fort galant homme, qui
charmé de son enjouement
,&Cperliiadé de sa
vertu, ne la contraignoit
en rien: maisDorimene
qui dominoit dans toutes
les maifbm où l'on
vouloit bien la souffrir
faisoit des remontrances
sèveres non-seulement
à la femme sur les petites
imprudences qui luy échappoient,
mais encore
au mary sur ce qu'il donnoit
trop de liberté à sa
femme.
Les remontrances que
Dorimenefaisoit à cette
jeune personne la piquoient
encore plus que
tout le mal qu'elle pouvoit
dire d'elle. Unjour
elle pensoit à s'en venger
, lorsquune Couturièrequi
les habilloittoutes
deux vint luy conter
pour la réjouir une nouvveelllleeintrigue
d'un Cavalierarrivé
dans la Ville
depuis quelques jours.
Lisette
)
c'estoit le nom
de la Couturiere, ne
manquoit pas d'esprit
& elle estoit à peu prés
de l'humeur de Cephise.
Cellede Dorimeneluy
déplaisoit fort. Dorimene
payoit avec chagrin,
& <jueïeloit volontiers
ses ouvrières:deplus.,
elle avoit souvent ennuyé
Lisette du recit de
les bonnes avions
,
elle
en faisoitl'élogeà ses donieftiques-
ii-iefi-ilc,quand
elle ne sçavoit plus à qui
les conter.
Dorimene estoit veuvedepuis
unan,&assez
richepouravoir plû à un
jeune Avanturier , qui
avoit feint pour elle une
belle passion. Cette severeveuve
l'avoit rebuté
pendant quelques jours,
mais enfin le trouvant à
son gré elle luyavoit fait
eipqrerquelle l'epouse
-JOit quand les deux années
de fou veuvage femoient
accomplies:cependantelle
ne vouloit
paspermettre qu'il la vit
ayant ce temps- là à
moins que ce ne fut
tres-secretement.
-
CCfat,a peu preset
que Lisette raconta àCeptriCb
ellevenoit de rapprendre
d'une femme
qui avoit ménagé chez
„nHeJila campagne cette
avanture au Cavalier. --
Cephise mena promener
Lisette avec elle
pour avoir le loisir de le
faire redire vingt fois la
mesme croie ; elle ne
pouvoit se lasser de l'entendre,
ni croirecequ'elle
entendoit. Mais lorsqu'elle
en fut bien persuadée,
elle ne respira
plus que le plaisir de [e
venger en se rejoüissant.
Cette jeune folatre imagine
cent plaisanteries à
faire sur l'intrigue de la
veuve,ilfalloitensçavoir
des circonstances plus
particulières ,&CLifctte
à qui Cephise fit esperer
recompense, promit
de suivre de prés cette
affaire.Ellesétoient dans
un jardin ouvert pour
les honnestes gens de la
Ville, elles [e promenoient
dans une allée détournée,
Cephise estoit
veituë tres -
négligemment
,
& enveloppée
dans une echarpe noire
;Lisètte qui estoit
ce jour-là fort ajustée,
luy dit en riant,Madame,
si tout le monde
ne se connoissoit pas
dans une petite Ville,
son me seroit peut-estre
l'honneur de me prendre
pour vostreMaistres
se. Cephise ne fit point
d'attention à ce discours,
parce qu'elle examinoit
un jeune homme fort
bienfait qu'elle ne connoissoit
point pourestre
de la Ville. Lisetteestoit
trés-jolie. Ce Cavalier
qui cherchoit avanture,
avoit envie de l'aborder.
Dés que Cephise l'eut
fait remarquer à Lisette,
t:llc le. reconnut pour
l'Amant de Dorimene,
-carelle l'avoit vu entrer
un jour chez cette Dame
,comme elle en sortoit.
Cephise qui avoit
l'imagination vive,forma
son projet dans le
moment ,
elle le communique
à Lisette qui
enchérit encore sur l'idée
de Cephise : enfin
aprés avoir fait quelques
tours d'allée tousjours
suivies de l'Avanturier,
elles se placèrent sur un
banc,où il vintaussitost
s'asseoir à cofté de Lisette.
Après quelques regards
de part & d'autre,
leCavalier luy adres
sa la parole: la fortune,
luy dit-il, m'est bien favorable
!quel bonheurà
un hommeestranger
dans cette Ville, d'y
trouver d'abord cequ'il
y a de plus aimable. Lisette
répondit à cette galanterie
d'une maniéré à
s'en attirer une seconde
& la conversation dura,
autant qu'il fallut pour
faire consentir Lisette
avec bienseance à l'offre
qu'il luy fit de la remener
à son logis, ce quelle
n'auroit pas souffert,
disoit-elle, si son mary
n'eust pas esté absent :
elle luy fit ensuite le portrait
d'un mary haïssable.
Elle prit enfin avec
luy le nom & le rôlle de
Cephise
,
pendant que
Çephise la suivoit respectueusementcommeune
fille de chambre
,
& ils
arrivèrent ainsi au logis
de Cephise. Le Cavalier
tout occupé des charmes
de celle qu'il conduisoit,
arriva à la porte sans s'estre
encor apperçu qu'il
citait dans la ruë de Dorimene;
il fut estonné de
se trouver à portéed'en
direvû, mais heureusement
il estoit fort tart.
Il avoit demandé permission
à Lisette de la
venir voir le lendemain:
elle luy permit, à condition
qu'il y viendrait
à la mesme heure sur la
brune, car, disoit-elle,
j'ay une voiline trés-médisante,
& je ferois perduë
si elle voyoit entrer
un jeune homme chez
moyen l'absencedemon
mary. Vous jugez bien
que cette précaution de
Lisetteplus fort au Cavalier.
Il estoit ravi de
faire connoissanceavec
cette jeune beautépour
se dédommager de sa
complaisance interessée
pour la veuve, maisil.
estoit dangereux de la
rendre jalouse. Il fut
donc charméde l'air mysterieux
stericux dont Lisettè
commençoit à lier merce; com- il 111crce ; il la ttrroouuvvooiitt
charmante, il en avoit
esté bien reçu. Elle pouvoit
à la verité luy parroistre
suspecte ducofté
de la regularité, mais
celle de Dorimene estoit
si triste, qu'un tel contraste
leréjoüissoit; il aimoit
la varieté.Enfinil
sseerreetitriaracchheezzlluuyyfoforrtt
content de sa soirée.
Dés qu'il fut parti ;
Cephise éclata derire.
N'ay-je pas bien jolie
mon rôle,luy dit Lisette
; à merveille repartit
Cephise. Tu coucheras
icy ce [air, il ne manquera
pas demain de revenir;
tu prendras mon
plus bel habit, & moy
qui luis pour luy ta fille
de chambre, je l'introduiray
dans mon appartement
où tu le recevras.
Mon mary ne reviendra
que dans deuxjours, Se
pour lors nostre projet
ièra en estat de pouvoir
luy estre communiquée.
Cephise avoit sa vengeance
en teste, &C de
plus ces fortes d'amusements
estoient du goust
d'une jeune folastre
qui sans faire , aucune reflexion
surlaconsequence
des choses, se reposoit
sur l'innocence de les intentions.
Nostre Galand ne manqua
pas de revenir le lendemain,
enveloppe dans
unmanteau,de peurque
Dorimene ne put le reconnoistre
en cas qu'elle
l'apperçeust
,
& il ne
pouvoit pas manquer
d'estre apperçu de celle
dont la plus agreable occupationestoit
d'expier
les actions de sa voisine.
L'heure de la visite,
la circonstance du mary
absent
,
&C l'air mysterieux
dont on introduisit
sans lumiere nostre
homme à bonne fortune
luyfirent croire que ce
Galand estoit pour Cephise.
Elle en eut autant
de joye que si ç'eutesté
pourelle.Que! plaisirde
pouvoir perdre de réputation
sa voisine
,
quand
il luy en prendroit fantaisse.
A l'égard de nostre
Amant, il fut surpris de
voir Lisette 11 richement
vestuë, & dans un appartement
magnifique.
Elle ajousta à cela une
fierté si adroitement ménagée,
qu'elle le rendit
des ce soir-là veritablement
amoureux,&c'est
ce qu'on vouloit pour
tirer de luy des particularitez
qui puisent prouver
la galanterie de la
veuve. Toute l'entrevûë
du lendemain fut employée
par Lisette à faire
esperer des faveurs au
Galant s'il vouloit sacrifier
Dorimene. On luy
permettoit bien ce feindre
de l'aimer
,
& ., de
donner ses soins à celle
qui pouvoit faire sa fortune
,
mais on vouloit
avoir le coeur & la confiance.
En un mot Lisette
fit tant que le Cavalier
promit dapporterle lendemain
des Lettres passionnées
de Dorimene;
c'est tout ce qu'on souhaitoit.
On ne vouloit
disoit-on, , que les lire &
les luy rendre dans le
moment.
Les choses en estoient
là lorsqu'un contre-tems
fascheux pensa tout gaster.
Le mary enarrivant
de la campagne estoit
descendu decarossechez
un amyquil'yavoit mené.
Il revenoit seul chez
luylorsqu'il vit un jeune
homme entrer sous une
porte, prendre dans le
plus beau tems du monde
un manteau que luy
apportoit un Laquais,
& oster un plumet qui
estoit
estoit à ion chapeau.
Cet air de mystere à
l'heure qu'ilestoit, donna
de la curiosité au
mary ; il fuit de loin;
il observe, & voyant
qu'on entre dans sa ruë,
qui estoit aussi celle de
Dorimene
,
il pense
d'abord à elle; ce feroit
une plaisante avanture
,
disoit-il en luymesme,
si ce Galand-cy
estoit sur le conte de nostrevoisine.
Quellesur-
2prise, quand il voit qu'il
estsurlesien. On entre
chez sa femme ; ilapperçoit,
malgrél'obscurité,
une espece de fille de
chambre qui introduit
le Cavalier &referme la
porte. Il l'ouvre doucement
avec son passe-partout;
le Galand a déja
gagné un petit degré; il
le fuit au bruit; monte
aprés luy jusqu'à une
garderobe de l'appar-
-tement de sa femme.
Il a avoüé depuis que
malgré la confiance qu'il
avoit en elle, il fut si vivement
frappé de jalousie
qu'il ne se possedoit
plus. Cephise en habit
de fille de chambre aprés
avoir fait entrer le Cavalier
dans le cabinet
où l'attendoit Lisette
, entendit marcher derriere
elle. Elle court au
bruit & repousse rudement
son mary sans feavoirquic'estoit.
Ilvoyoit
à la lueur des bougies
qui étoient dans ce cabinet
dont la porte estoit
restée entrouverte: que
voyoit-il, justeciel, celle
qu'il croyoit sa femme
par l'habit, se laissoit baiserlamain
par ce Cavalier.
Il estoit si troublé
qu'il crut encore voir
plus qu'il ne voyoit. Il
resta immobile d'estonnement
& de douleur,
car ce n'estoit pas un
mary emporté. Sa femme
qui le reconnut dans
ce moment, fit un éclat
de rirecomme une petite
fole quelle estoit ;
elle l'elnbraife en luy disant
tout bas de ne pas
faire de bruit. Il commence
à lareconnoistre,
& cela redouble son
embarras. Sa femme
l'embrasse d'uncosté,il
croit la voir de l'autre
avec celuy qui le deshonore
: enfin elle l'entraisne
dehors en achevant
de le détromper
& folaftrant tousjours
avec luy
, ne sçauriezvous,
luy dit-elle, voir
tranquillement vostre
femmeavec sonGaland?
je vous ay pris en flagrant
delit de jalousie,
jene vous pardonneray
qu'àune condition,c'est
que vousm'aiderez àme
venger des aigres remontrances
que Dorimene
me fait tous les
jours, je veux luyen faire
de mieuxfondées.
Elle luy explique son
projet où le mary charmé
de s'estre trompé,
entra de tout son coeur.
Elle luy dit que lisette
devoit tirer ce incline
soir du Cavalier
,
des
Lettres de la veuve ,
& -
qu'ellealloitvoir à quoy
en estoient les choses,
Pendant ce temps-là,
continua-t-elle
,
allez
disposesDorimene a venùtantost
souperavec
nous. Allez
, je vous envoyeray
avertir quand
nostre Avantuiersera
parti : maisgardez-vous
derientémoignerencore
a Dorimene , ce a- table queje veux me ré:
jouir,enbûvant à sesinclinations
,
& nous la
confondronsau dessert,
en presence de quelques,
amies qui depuis vostre.
départ viennent tous les,
loirs.fouper-,avec moy
pour me consoler de v«
stre absence.
Lemaryalla dans ce
moment chezDorimene
qui fut ravie de le
voir de retour. Après les
premiers compliments,
la conversation devint
agreable; raillerie fine
de part & d'autre, chacun
avoit son point de
veuë;l'unestoit fort par
tout ce qu'ilsçavoit, &
l'autresorte aussi par les
choses
;
qu'elle croyoit
sçavoir elle attaque le
mary sur la confiance
1
aveugle quil avoit en la
femme; effectivement
luy disoit-elle d'un ton
doucereux & malin,il
est des vertus si solides
qu'elles se conservent
mesme au milieu de la
coquetterielaplus enjouée
; comme il en est,
repliqua-t-il, desi fragiles
qu'ellesne peuvent le
conserverà l'abri de la
prudence laplus austere.
Aprés plusieurs traits
dont les derniersestoient
tousjours les plusvifs, il
en échapa au mary quelqu'un
si piquant, que la
veuve pour ss'eenn venger
lascha un mot sur ce
qu'elleavoit vû en son
absence.Le mary feignit
d'en estre allarmé? &C la
conjura trés-serieusementdesexpliquer.
La
prude feignant de son
costé d'estre fafchée d'en
avoir trop dit, je vous
tairois le reste, continuat-
elle
,
si je pouvoisen
conscience vous cacher
un desordre que vous
pourrez empescher. Plus
la charitable veuve taschoit
de prouver aumary
son deshonneur,plus
il feignoit d'entreren fureur
contre sa femme
y il imagina sur l'heure
ce que vous allez, voir,
&commençaain/î fOli
jeu. Ah Madame! s'écria-
t-il tout-à-coup
,
comme s'ileust esté penetré
de douleur, ne
m'abandonnez pas en
cette occasion, vous venez
de merendre un service
de véritable amie,
enm'apprenant que je
fuis le plus malheureux
hommedumonde, achevez
la bonne oeuvre que
vous avez commencé, il
s'agit de corriger ma
semis-le., de la convertir
& non pas de la perdre,
je ne veux point éclatet,
je ne me possederoispas
allez II j'allois seul luy
parler, suivez-moy Madame,
ayez la charité de
me suivre
,
& de luy
faire pour moy une correction
si terrible, que
lahonte&: le dépit qu'elle
en aura la rende sage
à l'avenir,il est sur qu'elle
vous craint plus que
moy, vous la verrez joumise
&confonduë par la
haute idée qu'elle a de
vostre caractère.
-
La veuve charmée de
se voir tant d'autorité sur
son ennemie triomphoit
par avance, & suivit
nostre faux jaloux qui
l'amena chez luy dans le
moment. Il entra le premier
, la priant de rester
dans une salle baffe, &C
courut avertir sa femme
du nouveau desseinqu'il
avoit conceu.Deuxmots
la mirent au fait, & il
revint aussi-tost vers Dorimene
, comme troublé
, comme agité d'une
rage qu'il vouloit modérer
par raison. Ah ma
2r;j
chere Dame, s'écriat-
il en l'embrassant presque
, ayez pitié de moy,
le Galand estlà haut avec
ma femme. Il reste
un rrîoment comme eltourdy
du coup, & feignant
ensuite de reprendre
courage: mais
,
luy
dit-il, le Ciel fait tout
pour le mieux ; c'est
peut-estre un bien pour
moyde pouvoir surprendre
ainsi ma femme,
pour l'humilierdavantage,
tage , pour la convaincre
, pour la confondre ;
montons par ce petit degré.
Ils montèrent ensemble
dans la garderobe
dont nous avons parlé,
& d'où la bonne Dame
apperçutd'abord ion
Amant. Elle crut le
tromper le mary la tenant
par le bras l'entrainoit
tousjours vers la
chambre où estoit la lumiere.
Elle reconnoift le
traistre un frisson la
prend; elle reste immobile.
Le hazard fit
encore pour l'accabler
davantage, que le Cavalier
voulant enfin tirer
de Lisette les faveurs
quelleluylaissoit esperer,
redoubloit à haute
voix ses ferments d'amour
pour elle, & de
mépris pour sa veuve.
Oüy
,
disoit-il d'un ton
passionné
,
oiiy
,
charmante
Cephise, je meprise
allez Dorimene
pour ne la jamais voir sielle
ne me faisoit pas ma
fortune. Cependant le
mary malin luy disoit:il
n'aime que ma femme
,
vous l'entendez: ne fuisje
pas le plus malheureux
de tous les maris. Il
l'entrainoit
'-;
tousjours
vers la chambre
,
Dorimenemalgré
sa douteux
, ne laissoit pas d'estre
un peu consolée pan
celle du mary, & par la
confufîou qu'allait avoir
son ennemie : mais cette
petite consolation s'évanoüit
dés qu'elle eut apperçu
la Couturière dans
les habits de Cephisè, &
Cephile elle-mesme entrer
avec deux ou trois
amies. Le Cavalier gagnela
porte, &laveuve
reste accablée de honte
& de douleur: à peine
a-t-elle la force defuir;le
mary ,
la femme & les,
amies la reconduisirent
chez elle avec les railleries
les plus piquantes,
luy conseillant de ne se
niellerjamais de faire
des reprimandes à plus
sage qu'elle.
On dit que la veuve
n'en fut pasquitte pour
cette avanie,&que TAvanturier
tousjours aimable,
quoyqu'infidele,
trouva le moyen de se
raccommoder. Elle eust
la foiblesse de l'épouser
dans une autre Ville, où
elle fut contrainte d'aller
habiter, parce que
les railleries & les vaudevilles
la chasserent de
celle où cette Histoire
s'est passé. On dit mesme
quece jeune ingrat
l'ayant fort maltraitée
aprés quelques mois
-
de
mariage, elle plaide encore
à present pour parvenir
à séparation.
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Résumé : HISTORIETTE presque toute veritable.
L'historiette se déroule dans une ville de province où deux voisines, Cephise et Dorimene, se haïssent en raison de leurs caractères opposés. Cephise, jeune et enjouée, est vertueuse mais trop vive. Dorimene, quant à elle, sacrifie la vertu à la vanité de paraître scrupuleuse et médit constamment de Cephise, qui a récemment épousé un homme charmant et tolérant. Dorimene fait des remontrances sévères à Cephise et à son mari sur la liberté accordée à la jeune femme. Un jour, la couturière Lisette, qui habille les deux dames, raconte à Cephise une intrigue impliquant un cavalier récemment arrivé en ville. Cephise voit là une opportunité de se venger de Dorimene. Elle imagine une plaisanterie et, avec l'aide de Lisette, tend un piège au cavalier. Ce dernier, croyant courtiser Cephise, se rend chez elle et est accueilli par Lisette déguisée en Cephise. Le mari de Cephise, de retour inattendu, surprend la scène et croit voir sa femme avec un amant. Cephise, déguisée en fille de chambre, le rassure et lui explique son plan de vengeance contre Dorimene. Le mari, charmé par la ruse, accepte de l'aider. Ils invitent Dorimene à souper et, au dessert, révèlent la supercherie en présence d'amies de Dorimene. Le mari de Cephise, feignant la colère, demande des explications à Dorimene sur les médisances qu'elle a faites en son absence. Dorimene, cherchant à se venger, laisse échapper un mot compromettant, mais le mari et Cephise réussissent à la confondre. Parallèlement, un homme jaloux et malheureux demande à une amie de l'aider à corriger sa femme, qu'il accuse d'infidélité. Il souhaite que cette amie, respectée et crainte par sa femme, lui fasse une sévère réprimande. L'amie accepte et suit l'homme dans sa maison. L'homme informe ensuite sa femme de la présence de l'amie et de son intention de surprendre sa femme en flagrant délit d'infidélité. La femme, accompagnée de l'amie, découvre son amant en compagnie de la servante Lisette, déguisée en Cephise. La situation devient embarrassante lorsque l'amant exprime publiquement son mépris pour la veuve Dorimene. La veuve, accablée de honte et de douleur, est finalement reconduite chez elle par le mari, la femme et leurs amies, qui la raillent et la conseillent de ne plus se mêler des affaires des autres. Après cette avanie, la veuve se réconcilie avec l'aventurier infidèle et l'épouse dans une autre ville pour échapper aux railleries. Cependant, après quelques mois de mariage, elle est maltraitée et cherche actuellement à obtenir une séparation.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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16
p. 52
CONSEILS Demandez dans le mois dernier.
Début :
Que conseilleriez-vous à un mary qui aime trop sa femme [...]
Mots clefs :
Mari, Femme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : CONSEILS Demandez dans le mois dernier.
CONSEILS
; Demandez dans le moidi
dernier.
QueconfelUcriez^vons à un
maryqui aime "tropsa femme
''P°ur s'en separer, mais qui ne
Paimc pas ,ieei,- pour fiuffrif
toutes ses impertinences.
CONSEIL
; Demandez dans le moidi
dernier.
QueconfelUcriez^vons à un
maryqui aime "tropsa femme
''P°ur s'en separer, mais qui ne
Paimc pas ,ieei,- pour fiuffrif
toutes ses impertinences.
CONSEIL
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17
p. 52-53
CONSEIL DE DOM BRUTAL. SUR L'AIR Réveillez-vous Belle endormie.
Début :
Si femme impertinente & belle [...]
Mots clefs :
Femme, Impertinence
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : CONSEIL DE DOM BRUTAL. SUR L'AIR Réveillez-vous Belle endormie.
CONSEIL
DE DOM Brutal
SUSURRLl''AAIiRr
Réveillez-vous Belle endormie. sI femme impertinente
& belle
Tu veux garder dans ta
maison,
Deviens plus impertinent
quelle,
Tu la mettras à la raison.
DE DOM Brutal
SUSURRLl''AAIiRr
Réveillez-vous Belle endormie. sI femme impertinente
& belle
Tu veux garder dans ta
maison,
Deviens plus impertinent
quelle,
Tu la mettras à la raison.
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18
p. 54-55
« Ces deux anonimes, mary & femme, apparemment puisqu'ils m'ont [...] »
Début :
Ces deux anonimes, mary & femme, apparemment puisqu'ils m'ont [...]
Mots clefs :
Mari, Femme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Ces deux anonimes, mary & femme, apparemment puisqu'ils m'ont [...] »
Ces deux anonimes
mary &*ifemmeTrap-*
paremmentpuisqu'ils
m'ont envoyé les deux
Couplets sur le même
air me font souvenir
par les differens caracteres
de leurs Conseils
de travailler à une Apologie
des femmes contre
les maris, ô£j'y travai
llerai de bon coeur,
car j'ay toûjours esté
persuadé, que dans les
démêlez domestiques,
les maris ont ordinairement
plus de tort que IcsjEcmmes.
mary &*ifemmeTrap-*
paremmentpuisqu'ils
m'ont envoyé les deux
Couplets sur le même
air me font souvenir
par les differens caracteres
de leurs Conseils
de travailler à une Apologie
des femmes contre
les maris, ô£j'y travai
llerai de bon coeur,
car j'ay toûjours esté
persuadé, que dans les
démêlez domestiques,
les maris ont ordinairement
plus de tort que IcsjEcmmes.
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19
p. 70
These nouvelle.
Début :
Je soûtiens qu'il vaut mieux aimer une laide Femme [...]
Mots clefs :
Femme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : These nouvelle.
These nouvelle.
Jesoûtiens qu'il vaut
mieux aimer une laide
Femme qu'une belle.
Jesoûtiens qu'il vaut
mieux aimer une laide
Femme qu'une belle.
Fermer
20
p. 145
THESE NOUVELLE
Début :
Je soutiens qu'il vaut mieux aimer une laide femme [...]
Mots clefs :
Aimer, Femme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : THESE NOUVELLE
THESENOUVELLE
Je soutiens qu'il •t' vatU
mieux aimer une laide femme
qu'une belle.
Je soutiens qu'il •t' vatU
mieux aimer une laide femme
qu'une belle.
Fermer
21
p. 146-147
Reponse par la plus spirituelle & la plus laide fille du Faux-bourg S. Germain.
Début :
Est-on l'unique amant [...]
Mots clefs :
Femme, Laide, Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Reponse par la plus spirituelle & la plus laide fille du Faux-bourg S. Germain.
Reponse par la plus spirituelle
cm laplus laidefille du
Faux-bourg S. Germain,
Est-onl'unique amant
D'unefemme si belle
Elle en merite tant
Qjf'uncefttrop peu pour elle.
La laide craint toujours de
perdre son amant - Et qui craint inconstance diJ
me plus constamment.
Femme trop belle est arrogante
La laide est douce & complaifante;
-', :
Enfin l'amour propre me dit
Qu'une laide est plus amusante
A meilleur , coeur, & plus
d'esprit.
cm laplus laidefille du
Faux-bourg S. Germain,
Est-onl'unique amant
D'unefemme si belle
Elle en merite tant
Qjf'uncefttrop peu pour elle.
La laide craint toujours de
perdre son amant - Et qui craint inconstance diJ
me plus constamment.
Femme trop belle est arrogante
La laide est douce & complaifante;
-', :
Enfin l'amour propre me dit
Qu'une laide est plus amusante
A meilleur , coeur, & plus
d'esprit.
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22
p. 148-149
Response par la serieuse Clelie.
Début :
On est d'abord charmé d'une belle femme, ensuite [...]
Mots clefs :
Femme, Laideur, Beauté
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Response par la serieuse Clelie.
Clelie.
On est d'abord charmé
d'une belle femme
ensuite on s'y accoustume,
enfin quelquefois on la
méprise.
On est d'abord rebuté
par la laideur d'une femme,
ensuite on s'y accoutume
quelquefois, enfin
on l'aime constament
Parlons plus juste
, ce
n'est nyla beauté ny la
laidcur,,cest l'humeur, le
coeur ,
& l'esprit qui decide.
On est d'abord charmé
d'une belle femme
ensuite on s'y accoustume,
enfin quelquefois on la
méprise.
On est d'abord rebuté
par la laideur d'une femme,
ensuite on s'y accoutume
quelquefois, enfin
on l'aime constament
Parlons plus juste
, ce
n'est nyla beauté ny la
laidcur,,cest l'humeur, le
coeur ,
& l'esprit qui decide.
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23
p. 65-123
ARTICLE burlesque. Suite du Paralelle d'Homere & de Rabelais.
Début :
Sans interrompre le paralelle d'Homere & de Rabelais, je [...]
Mots clefs :
Homère, Rabelais, Plaisir, Médecin, Parallèle, Hommes, Mari, Oeil, Fous, Dames, Compagnons, Moutons, Caverne, Cyclope, Patience, Marchand, Femme, Dieux, Troupeaux, Paris, Jupiter, Argent, Sourd, Muette, Dissertation
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ARTICLE burlesque. Suite du Paralelle d'Homere & de Rabelais.
ARTICLE
burlesque.
Suite du Paralelle d'Homere&
deRabelais.
SAns interrompre le
paralelle d'Homere&
de Rabelais,je puis interrompre
les reflexions
comiques & serieuses
que j'ai commencéesfutcesdeux
Auteurs. Trop de réflexions
de fuite feroient
une dissertation
ennuyeuse
,
sur tout
pour les Dames, dont
j'ambitionne les suffrages;
elles ont legoût
plus delicat& plus vrai
que les hommes, dont
la pluspart se piquant
,de
<
critique profonde,
sont toûjours en garde
contre ce qui plaÎrjqui
ont, pour ainsidire,
emouue leur goût naturel
à force de science
dC de préjugez; en un
f- mot, qui jugent moins
par ce qu'ils sentent,
que par ce qu'ilssçavent.
Plusieurs Dames af.
fez contentes de quelques
endroits de mes
dissertations, se sont
plaint que les autres
netoient pas assez intelligibles
pour elles,
qui ne sont pasobligées
d'avoir lû Homere ni
Rabelais: il est vrai que
le Poete Grec est à presenttraduitenbonfrançois:
mais Rabelais est
encore du grec pour elles
; je vais donc tâcher
declaircir& de purifier
quelques morceaux de
Rabelais, pour les rendre
moins ennuyeux
aux Dames.
Ces extraits épurez
feront plaisir à celles
qui, curieuses de lire
Rabelais, n'ont jamais
voulu contenter leur
curiosité aux dépens de
leur modestie.
En donnantce qu'il
y a de meilleur dans
Rabelais, je fixerai la
curiosité de celles qui
en faveur du bon, auroient
risqué de lirele
mauvais.
Et s'il y en a quelqu'une
qui n'aiepû resister
à la tentation de
tout lire,elle pourra
citer Maître François à
l'abryde mes extraits,
sans être soupçonnée
d'auoir lu l'original.
Dans la derniere dissertation
j'ai opposé à
une harangue du sage
Nestor, une lettre écrite
à Gargantua par
Grandgousier son pere.
Vous avez vû que Rabelais
s'est mélé du fcrieux.;
Homere lemele
aussi quelquefois du
burlesque, autre sujet
de paralelle.Vousaurez
ici un conte heroïcomique
de l'Odissée, mais
commençons par un
conte de Rabelais;je ne
prétens qu'opposer le
premier coupd'oeil de
ces deuxcontes,&non.
pas les comparer exaétcment:
j'entrouverai
dans la fuite quelquestuinnss
ppluuss pprroopprreess aà eêttrree.
comparez ensemble.
Voici celui de Rabelais,
'f
donc j'ai feulement conservé
le fond, en a joûtant
& retranchant
tout ce que j'aicrû pouvoir
le rendre plus
agréable,& plusintelligible
aux Dames.
LES
LES MOUTONS
de Dindenaut.
<*. En une Naufou Navire
estoitletaciturnien.,
songe-creux,&malignement
intentionnéPanurge
: encemêmè Navire
estoit un Marchand de
moutonsnomméDindenaut,
hommegaillard,
raillard
,
grand rib leur
5
nurgetoutdébifié de mi-
Lie, 6c mal en point d'acouftrement
,
déhousillé
de chevelure
,
vesce
délabrée, éguillettes
rompues, boutons intermitans
chauffes pensantes,&:
lunettes pendues
au bonnet. Le Marchant
donc s'émancipa
en gausseriessur chaque
piece d'iceluy accoustrement,
mais specialement
sur ses lunettes : luy difarteavoir<
fçupar traciitioli
vulgaire que tout
homme arborant lunett
tes sur toûjours onc mal
voulu des femmes étranges
& vilipendé de la
siennedomestique ,sur
lesquels pronostics apostrophant
Panurge en son
honneur, l'appella je ne
sçay comment, id est,
d'un nom qui réveilla i«rPanurgedesaléthargie
^.rêveusej carrêvoitjuste
• en ce momentauxinconveniens
à venir de son
futur mariage. Holà,
holà
, mon bon Marchand
*,
dit d'abord Panurge
d'un air niais 8c
bonnasse, holà, vous disje,
car onc ne fus, ny ne
puis maintenant estre ce
-
que nul n'est que par mariage
: A quoy repart
Dindenaut, que marié
ou non mariée c'esttout
un ; car fruits de Cor-,
nuaille sont fruits précoces
j & m'est avisque
pour porter tels fruits ,
êtes fait &C moulé comme
de cire: ouy , cette
plante mordra sur~vôrre
chef comme chiendenc
sur terre graffe.
Ho ,
ho
,
ho
,
reprit
bonnement Panurge,
quartier, quartier, car
par la vertu- boeuf ou
asne que je suis, ne puis
avoir espritd'Aigle: perçant
les nuës,par quoy
gaudissez-vous de moy,
si c'est vostre plaisir ,
mais rien nerepliqueray
faute de répliqué : prenons
patience.
Patience vous duira
dit le Marchand, , comme
à tant d'autres. Patienceestvertu
maritale.
Patience soit imterrompit
Panurge, mais changeons
de propos : Vous
avez-là force beaux moutons,
m'envendriez-vous
bien un paravanture.
O le vaillant acheteur
de moutons, dit le Marchand.
Feriez volontiers
plus Convenablement
vous acheter un bon ha-,
bit pour quand vous E~
rez marié,habit de lné.)
nage ,
habit avenant ,
manteau profitable
chapeau commode, &,
panache de cerf.
Va-rience, dit Panurge,
& vendez-moy feulc,
ment un de vos Inou,
ton.
Tubleu
,
dit le Mat>
chand, ce seroit fortune
pour vous qu'un de ces
beliers. Vendriez sa fine
laine pour faire draps, sa
Mue peau pour faire cuir s
sa chair friande pour
nourrir Princes, & (i
petite-oye pieds :& teste
vous resteroient, & cornes
encore sur le marché-
Patience,dit Panurge,
tout ce que dites de cornerie
a esté corné aux
oreilles tant & tant de
fois,laissons ces vieilleties
; sottises nouvelles.
sont plus de InÍfea,
-- Ah qu'il dit bien! reprit
le Marchand, il merite
que mouton je luy
vende, ilestbon homme
: ç'a parlons daffaire.
Bon, dit Panurge eit
joye, vous venez au but,
6c n'auray plus besoinde
patience.
T C'a, dit le Marchand,
écoutez - mcy.j'écoute
dit Panurge.
LE M. Approchez cette
oreilledroite.P.
ce. LE M. Et la gauche. l P. Hé bien. LE M. En
l'autre encore. P. N'enay
quecesdeux. LE M.Ouvrez
- les donc toutes
grandes. P. A vôtre commandement.
LE MARC.
Vous allez au pays des
Lanternois? P.Ouy. LE
M. Voir le monde? P,
Certes. LE M. Joyeusement
? P. Voire. Le M,
Sans vous fâcher P. N'en
ayd'envie. LEM. Vous
avez nom Robin. P. Si
VOUS voulez. LE MARC.
Voyez-vous ce Moutons
P. Vous me l'allez vendre,
LEM.Ilanom Robin
comme vous. Ha
9 ha
, ha.Vons allez au
pays des Lanternois voir
le motide,i.oyeuCement,'
sans vous fâcher, ne vous
fâchez - donc guere si
Robin mouton n'est pas
pour vous. Bez, bez
bez; & continua ainsi
bez, bez, aux oreillesdu
pauvre Panurge
) en le
mocquant de la lourderie.
Oh,patience,patience
, reprit Panurge, bai£
sant épaules & teste en
toute humilité
,
à bon
besoin de
-
patience qui
moutons vcut avoir de
Dindenaut; maisje vois
que vous me lanternifibolisez
airtfi pource que
me croyez pauvre here,
voulant acheter sans
payer, ou payer sans argent,
ôc-en ce vous irom- -
pez à la mine, car voicy
dequoyfaire emplette :
disantcela Panurge tire
ample & longue bourse,
que par cas fortuit, contre
son naturel avoit pleine
de Ducacons, de laquelle
opulence le Marchand
fut ébahi, & incontinent
gausserie ccfTa
à l'aspectd'objet tant respectable
comme est argent.
,
Par iceluy alleché
le Marchand demanda
quatre, cinq, six fois
plus que ne valloit le
mouton;à quoy Panurge
fit comme riche enfant
de Paris, le prit au
mot, de peur que mouton
ne luy échapa
,
&
tirant desa bourse le prix
exorbitant, sans autre
mot dire que patience
,
patience, lnie les deniers
, és mains du Marchand
, & choisit à même le
troupeau un grand &
* beau maistre mouton
qu'il emporta brandi
fous son bras
- ,car de
forceautant que demalin
vouloir avoit,cependant
le mouton cryoit,
bêloit Sccn consequance
naturelle, oyant celuy-
cy bêler,bêloient
ensemblement les autres
moutons, commedisant
en leur langage moutonnois,
ou menez-vous
nostre compagnon,
de
mêmedisoient maisen
langageplus articulé les
assistants à Panurge ou
,diantre menez-vous ce
- mouton,& qu'en allezvous
faire, à quoy répond
Panurge le mouton
n'est-il pas à moyy
l'ay bien payé& chacun
de son bienfait selon
qu'il s'avise,ce mouton
s'appelle Robin comme
moy3 Dindenaut l'a dit.
Robin mouton sçait bien * nager je le voisà sa
mine
,
& ce disant subitementjetta
son mouton
en pleine mer, criantnage
Robin, nâge mon mignon
: or Robin mouton
allant à l'eau
,
criant
bêlant; tous les autres
moutons criansbêlans
en pareilleintonation,
commencerent soy jetter
après Se fauter en merà
la file, figue le debat entr'eux
estoit à qui suivroit
le premier son compagnon
dans l'eau, car
nature afait de tousanimaux
mouton le plu»*
sot, & a suivre mauvais
exemple le plus enclin,
fors l'homme.
Le Marchand tout cecy
voyant demeura ftupesait
& tout cHrayey
s'efforçant à retenir fèsmoutons
de tout foi*
pouvoir, pendant quoy
Panurge en son fang
froid rancunier, luy disoit
, patienceDindeinatit.,
patience, & ne
vous bougez, ny tourmentez.,
Robin mouton
reviendra à nâge & ses
compagnons - le refuivront;
venez Robin, venez
mon fils, & ensuite
crioit aux oreilles de
Dindenaut ,., comme avoit
par Dindenaut esté
crié aux siennes en signe
de moquerie, bez, bez,
FinablementDindenaut
voyant perir tous ses
moutons en prit un grãd
& fort par la toison, cuidant
aintl luy retenant
retenir le reste
)
mais d.
mouton puissantentraîna
Dindenaut luy -mê'
me , en l'eau
,
& ce sut
lors que Panurge redoubla
de crier, nâge Robin
, nâge Dindenaut,
bez, bez, bez,tant que
par noyement, des moutons
Sedu Marchand sut
cette avanture finie,donc
donc Panurge ne rioit
que sous barbe, parce
que jamais on ne le vit
rire en plein,queje sçache.
Jecroirois bien que le
caractere de Panurge a
servi de modele pour celuy
de la Rancune. Moliere
a pris de ce seul Con-
-
te-cy deuxou trois Jeux
de Theatre, & la Fontaine
plusieurs bons mots.
Enfin nos meilleursAutheurs
ont puisé dans Rabelais
leur excellent comique,
&les Poëtes dit
Pont -neuf en ont tiré
leursplates boufoiincries.
Les Euripides & les Se-
-
neques ont pris dans Homere
le sublime de leur
Poësie, & les Nourrices
luy doivent leurs Contes
depeau-d'asne,leurs Ogres
qui mangent la
chair fraîche, sont descendus
en ligne droite du
Cyclope dontvousallez
voir Je Conte.
Voiladonc Homere 8t
Rabelais grands modeles
pour l'excellent & dangereux
exemples pour le
mauvais du plus bas
ordre. Homere & Rabelais
occupent les beaux
esprits; mais ils amusent
les petits enfants;humiliez-
vous grands Auteurs
vousestes hommes ;
l'homme a du petit 6C
du grand du haut & du
1 bas; c'est son partage r
& si quelqu'unde nos
Sçavants S'obfbiie à
trouver tout granddans
un Ancien, petitesse
dans -ce Moderne quelque
grand qu'ilsoitd'ailleurs
il prouve ce que ja*
Vance, qu'il ya du petit
c'k., du grand dans tous
les hommes.
Revenons à nos moutons,
diroit Rabelais,
m'avez parlé des moutons
de Dindenaut, si
faut-il trouver aussi moutons
en oeuvres d'Hojnere3
puisque és miens
moutons y a , ou ne se
point mester ny ingerer
de le mettre en paralelle
àl'encontre de moy.
Ouy
Ouy dea, repliquerai
je, on trouvera prou
de moutons dans I'oeuvre
grec, & hardiment
les paralelliserai avec
les vôtres, Maître François;
car avez dit,
ou vous, ou quelqu'un
de votre école, que
chou pourchou Aubervilliers
vaut bien Paris;
& dirai de même, que
moutons pour moutons
Rabelais vaut bienHomere
: or a-t-on déja vû
comme par malignité
Panurgienne moutons
de Dindenaut sauterent
en Iller; voyons donc
commeparastuce l'iyfsienne
moutons de Ciclope
lui fauteront fous
jambe, en sortant de sa
caverne.
LES MOUTONS
DU CYCLOPE. DAns l'isle des Cyclopes
où j'avois PrIsterre,
je descendisavec les plus
vaillans hommes de mon Vaisseau
,
je trouvai une caverne
d'une largeur étonnante. Le
Çyclope qui l'habitoit étoit
aux champs,où il avoit mené
paître ses troupeaux.Toute
sa caverne étoit dans un ordreque
nousadmirions. Les
agneaux separez d'un côté,
les chevreaux d'un autre, &c.On yoyoit là de grands
pots à conserver le lait , ici
des paniers de jonc, dans lesquels
il faiioic des fromages,
&c. Nous avions aporté du vin,
pris chez les Ciconiens, &c..
Nous buvions de ce vin, &
mangions les fromages du Cy.
clope, lors qu'il arriva.
Je fus effrayé en le voyant.
C'étoit un vaste corps comme
celui d'une montagne; il n'y
eut jamais un monstre plus
épouvantable: il portoit sur
ses épaules une charge efrrbois
sec; le bruit qu'il fit en le jettant
à terre à l'entrée de la
caverne, retentit si fort, que
tous mes compagnons saisis de
crainte,secacherent en differens
endroits de cette terrible
demeure.
Il fait entrertoutes ses brebis;
il ferme sa caverne, pousfant
une roche si haute & si
forte, qu'il auroit été impossible
de la mouvoir, à
force de boeufs ou de chevaux.
Je le voyois faire tout fou
ménage,tantôt tirer le lait
de ses brebis, & Enfin il
allume ion feu, & comme
l'obscurité qui nous avoit cachez
fut dissipée par cette
clarté, il nous apperçut : Qui
êtes-vous donc, nous dit-il
d'un ton menaçant 2 des Pirates,
qui pour piller & faire
perir les autres hommes,ne
craignez pas vous-même de
vous exposer sur la mer ?
Quoy ? des Marchands que
l'avarice fait passer d'un bout
de l'U nivers à l'autre pour
s'enrichir,entretenant le luxe
de leur Patrie ? êtes-vous des
vagabons qui courez les mers
par la vaine curiosité d'apprendre
ce qui se passe chez
autruy.
Je pris la parole, & luy dis
que nous étions de l'armée
d'Agamemnon
, que je le
priois de nous traiter avec
l'hospitalité que Jupiter a
commandée,& de se souvenir
que les Etrangers font
fous la protection des Dieux
> & que l'on doit craindre de
les offenser.
Tu es bien temeraire
, me dit-ilfïerement, de venir de
si loin me discourir sur la
crainte & sur l'obeïssance
que tu dis que je dois aux
Dieux:apprens que les Cyclopes
ne craignent ni vôtre
Jupiter ni vos Dieux: pour
n'avoir été nouris d'une chevre,
ils ne s'estiment pas moins
heureux, je verray ce que je
-
dois faire de toy ,
je n'iray
point consulter l'Oracle làdessus,
c'est mon affaire de
sçavoir ce que je veux, &c.
Je lui parlai encor pour tâcher
de l'adoucir: mais dédaignant
de me répondre, il
nous regardoit avec (on oeil
terrible; (car les Cyclopcs
n'en ont qu'un.) Enfin il se
saisit tout d'un coup de deux
de mes compagnons,& a près
les avoir élevez bien haut, il
les abbatit avec violence, &
leur écrasa la tête: il les met
bientôt en pieces,la terreest
couverte de leur sang, il est
ensanglanté lui-même:ce montre
, ce cruel monstre les
mange, les devore: Jugez en
quel état nous étions 2
Aprés s'être rassasié de cette
abominable maniere
,
il
but plusieurs cruches de lait,
& s'étendit pour dormir au
milieu de ses troupeaux. Combien
de fois eus-je dessein de
plonger mon épée dans son
corps ?&c.mais il auroit salu
périr dans cette cavernes
car il étoit impossible d'ôter
la pierrequi la fermoit : il falloit
donc attendre ce que sa
cruauté decideroit de nôtre
vie.
A peine ce cruel fut-il éveillé
qu'il se prépara un déjeuner
aussi funeste que le repas du
foir précèdent, deux de mes
camarades furent dévorez de
même
, a prèsquoy il fit sortir
aupâturage ses troupeaux, &
nous laissa enfermez dans la
caverne,enrepoussant la pesante
roche qui lui servoit de
porte.
Je cherchons dans monesprit
quelque moyen de punir
ce barbare, & de nous délivrer.
Il y avoit à l'entrée
de sa caverne unemassuë aussi
longueque le mats d'un navire
, nous en coupâmes de quoi
faire une autre massuë
, que
nous aiguisâmes pour executer
mon projetquandl'occa,-
sion seroit venuë.
Le Cyclope rentra, &recommenca
un autre repas aus-
- sifuneste à deux autres de mes
compagnons, que ceux que
je vous ay racontez;je m'approchai
de lui portant en main
un vase de ce vin admirable
quenous avions. Buvez.; lui
dis-je,peut-êtremesçaurez-voui
gré du present que je vous offre,
¿y.,c.Il prit la coupe, la but,
& y ayant pris un extrême
plaisir, il voulut sçavoir mon
nom, & promit de metraiter
avec hospitalité.
Je remplis sa coupe une autre
fais, ill'avale avec plaisir,
il ne paroissoit plus avoir cet-
-
te cruauté qui nous effrayoit,
je caressois ce monstre, Cije
tâchois de le gagner par la
douceur de mes paroles, il
revenoit toûjours à me demander
mon nom.
Dans l'embarras où j'étois
je luy fis accroire que je me
nommoisPersonnes alors pour
récompense de mes caressés
& demon vin,il me dit:
Eh bien, Personne, tous tes
camarades passeront devant
toy >
je te reserve pour être
le dernier que je mangeray.
Il s'étendit à terre en me
prononçant ces terribles paroles
>
le vin & le sommeil
l'accablcrent 6c c'étoit
ce que j'attendois;j'allay
prendre ma Massuë, j'allumay
la pointe dans le feu
que le Cyclope avoit couvert
de cendres,nous a pprochons
du Cyclope, pendant que
quatre de mes compagnons
enfoncent ce bois& ce feu
dans son oeil, j'aidois à le
déraciner, &c.
Apres l'avoir aveuglé de
-
cette maniéré nous nous étions
retirez loin de luy, & nous
attendions quel seroit l'effet
de sa rage & de ses cris. Un
grand nombre deCyclopes,
qui avoient entendu les heurlemens
accoururent à sa porte,
& luy demandoient : qui
est-ce qui peut vous avoir attaquédans
vôtre Maison ?
Comme celui-cy s'étoit persuadé
que je me nommois
Personne, il ne pouvoir leur
faire comprendre qu'il yavoit
un ennemi en dedans qui l'avoit
maltraittè,ilsentendoiét
qu'iln'avoitété blessé de per- sonne.ainsi par cet équivoque
les Cyclopes se retirèrent
, en disant: c'est donc
une affiction que Jupitert'envoye
, il faut plier sous les
coups de sa colere.
Je fus ravi d'entendre que
ces Cyclopes le retiroient:
cependant celui-cy,outré de
rage,alloit de côté & d'autre
dans sa Caverne, étendant
les bras pour nous prendre
, mais rien n'étoit plus
aisé que de luy échapper,
l'espace étoit grand, & il ne
voyoit goutte, &c..-
Il prit enfin le party d'ouvrir
à demy sa Caverne, de
sortequ'il n'y avoit de place
que pour sortir trois ou quatre
ensemble, il crut qu'il nous
arrêteroit au passage: il se met
au milieu, qu'il occupoit, étendant les bras & les jambes,
& faisoit sortir ses Moutons
,qu'il tâtoit les uns aprés
les autres; nous ne donnâmes
pas dans un piége si grossier
, cependant il falloit sortir
ou périr; je repassois en
mon esprit une infinité de
stracagêmes ; Enfin ayant
choisi neuf desplus forts Beliers,
je les attachay trois à
trois, je liay fou-s leur ventre
mes neuf compagnons restez,
qui passerent de- cette sorte
ians être reconnus, je tentay
le même hasard pour moy^
il y avoitun Belier plusgrand
que tous les autres, je me cache
aussi fous son ventre, le
- Cyçlope le reconnoît à l'é- passeur de sa laine, le careslè
& le retient, comment,
disoit-il, tu n'es pas aujourd'huylepremier
au pâturage
? tu es touché de l'aÍfliél-ioa
de ton Maître, tu ne vois plus
cet oeil qui te conduisoit &:
que tu connoissois,un traître
me l'a arraché,tu me montrerois
ce traître si tu pouvois
m'exprimer ta fidélité, si jele
tenoiscesceelerat,&c.Enfin
ce monstre occupé de sa
rage & de savengeance,laisse
passerleBelier que je tenois
embrasse par la laine de son
col, & c'est ainsi. que nous
voyant tous en liberté, nous
respirâmesavec plaisir.
J'ai choisi de bonne foi
pour opposer aux contes
de Rabelais, un desmeilleurs
de l'Odiffée
; car
mon but principal est
d'orner mon paralelle, &:
non de dégrader Homere.
Convenons qu'il y a
une poësie excellente dans
les endroits même où il
manque de justesse & de
bon sens.. quel mot m'est
échappé? mais je me dédiray
quand on voudra,
ôcà force deraisonnemens
& d'interprétations
,
je
trouveray par tout du
bon sens n'en fut-il point.
On n'aura pas de peine
àen trouver beaucoup
dans
dans les discours que le
Cyclope tient à Ulysse;
le premier contient une
morale admirable. Qui
êtes-vous? luy-dit-il ,
des
Pirates, Cc. Il joint dans
le second à une noble fierté
contre Jupiter, une
raillerie fine & delicate.
se riirai point consulter
l'aracle, &c. Ce Cyclope,
ce monstre ell un
Aigle pour l'esprit
: mais,
tout a coup, avant même
que d'avoir bû, il devint
stupide comme un boeuf,
il se couche & s'endort
tranquillement au milieu:
de ses ennemis armez,aprés
avoir dévoré deux de
leurs compagnons.
Ce Cyclope establir
d'abord que les Cyclopes
ne reconnoissent
,
ni ne
craignent point Jupiter,
ni les autres Dieux: & ces
mêmes Cyclopes un moment
apres, trompezpar
l'équivoque & mauvaise
turlupinade du mot de
Personne, croyent pieusement
que les heurlemens
du monstre sont une juste
punition des Dieux, ôc
semblent même par une
crédulité respedueusen'o
fer entrer dans la caverne
du Cyclope, pour s'éclaircir
du fait. Mais j'ay
promis d'éviter la dissertation
dans ce paralelle-cy ;
nous trouverons assez
d'autres occasions de critique
dans Homere, &
beaucoup plus dans Rabelais.
Finissons par un petit
conte de ce dernier.
ES
LA FEMME
MUETE.
DAns
un certain Pays
barbare & non policé en
moeurs, y avoit aucuns
maris bourus, & à chef
mal tymbré
, ce que ne
voyons mie parmy nos
maris Parisiens, dont
grande partie, ou tous
pour le moins, sont merveilleusement
raisonnans,
& raisonnables;aussi onc
ne vit-on arriver à Paris
grabuge ni maleficeentre
maris & femmes.
Or en ce Pays-là, tant
different de celui-cinôtre,
y avoit un mary si pervers
d'entendement, qu'ayant
acquis par mariage une
femme muete,s'en ennuya
& voulant soy guerir de
cet ennuy & elle de sa
mueterie, le bon & inconsideré
mary voulut qu'-
elle parlât, & pour ce
eut recours à l'art des Medecins
& Chirurgiens, qui
pour la démuetirluiinciserent
& bistouriserent un.
enciligloteadherâtaufilet.
bref, elle recouvra santé
de langue, & icelle langue
voulant recuperer l'oysiveté
passée, elle parla tant,
tant & tant,quec'estoit
benediction
;
si
ne laissa
pourtant le mary bouru
de se lasserde si plantheureuse
parlerie : il recourut
au Medecin, le priant &
conjurant, qu'autant il
avoit mis de science en oeuvre,
pour faire caq ueter sa
femme muete, autant il en
employât pour la faire taire.
Alors le Medecin confessantque
limitéest le sçavoir
médicinal,lui dit qu'il
avoit bi^n pouvoi r de
faire
parler femme
; mais que
faudroit arc bien pluspuisfant
pour la faire taire. Ce
monobstant le mari suplia,
pressa, insista, persista, si
que le sçavantissime docteur
découvrit en un coin
des registres de son cerveau
remede unique, &
specifique contre iceluy
interminable parlement
de femme,& ce remede
c'est surdité du mary. Ouidà,
fort bien, dit le mari :
mais de ces deux maux
voyons quel fera le pire,ou
entendre sa femme parler,
ou ne rien entendre du
tout; Le cas est suspensif,
&: pendant que ce mari
là-dessus en suspens estoit,
Medecin d'operer, Medecin
de medicamenter,par
provision, sauf à consulter
par apré1s.
Bref par certain charme
de sortilege medicinal
le pauvre mari se trouva
sourd avant qu'il eût acheve
de déliberer s'il confentiroit
à surdité
:
Lyvoila
donc, & il s'y tient faute
de
de mieux, & c'est comme
il faudroit agir en opérations
de medecine, Qu'arriva-
t-il? e'cousez.ôcvous
lesçaurez. :A'J:\ -J Le Medecinàhalde besogne
demandoitforce
argent:mais c'est à quoy
ce maryne peut entendre;
car il est sourd comme
voyez, le Medecin pourtant
par beaux signes &c
gestes significatifs argent
demandait& redemadoit
jusqu'às'irriter & colerier:
mais en pareil cas gestes
ne font entendus, à peine
entent-on paroles bien articulées
,ou écritures attestées
& réiterées par Sergens
intelligibles. Le Medecin
donc se vit contraint
de rendre l'oüie au sourd,
afin qu'il entendît à payement,
& le mary de rire,
entendant qu'ilentendoit,
puis de pleurer par prévovoyance
de ce qu'il n'entendroit
pas Dieu tonner,
désqu'il entendroit parler
sa femme.Or, de tout ceci
resulte, conclusion
moralement morale, qui
dit,qu'en cas de maladie
& de femmes épousées,
le mieux est de le tenir
comme on eit de peur de
pis.
burlesque.
Suite du Paralelle d'Homere&
deRabelais.
SAns interrompre le
paralelle d'Homere&
de Rabelais,je puis interrompre
les reflexions
comiques & serieuses
que j'ai commencéesfutcesdeux
Auteurs. Trop de réflexions
de fuite feroient
une dissertation
ennuyeuse
,
sur tout
pour les Dames, dont
j'ambitionne les suffrages;
elles ont legoût
plus delicat& plus vrai
que les hommes, dont
la pluspart se piquant
,de
<
critique profonde,
sont toûjours en garde
contre ce qui plaÎrjqui
ont, pour ainsidire,
emouue leur goût naturel
à force de science
dC de préjugez; en un
f- mot, qui jugent moins
par ce qu'ils sentent,
que par ce qu'ilssçavent.
Plusieurs Dames af.
fez contentes de quelques
endroits de mes
dissertations, se sont
plaint que les autres
netoient pas assez intelligibles
pour elles,
qui ne sont pasobligées
d'avoir lû Homere ni
Rabelais: il est vrai que
le Poete Grec est à presenttraduitenbonfrançois:
mais Rabelais est
encore du grec pour elles
; je vais donc tâcher
declaircir& de purifier
quelques morceaux de
Rabelais, pour les rendre
moins ennuyeux
aux Dames.
Ces extraits épurez
feront plaisir à celles
qui, curieuses de lire
Rabelais, n'ont jamais
voulu contenter leur
curiosité aux dépens de
leur modestie.
En donnantce qu'il
y a de meilleur dans
Rabelais, je fixerai la
curiosité de celles qui
en faveur du bon, auroient
risqué de lirele
mauvais.
Et s'il y en a quelqu'une
qui n'aiepû resister
à la tentation de
tout lire,elle pourra
citer Maître François à
l'abryde mes extraits,
sans être soupçonnée
d'auoir lu l'original.
Dans la derniere dissertation
j'ai opposé à
une harangue du sage
Nestor, une lettre écrite
à Gargantua par
Grandgousier son pere.
Vous avez vû que Rabelais
s'est mélé du fcrieux.;
Homere lemele
aussi quelquefois du
burlesque, autre sujet
de paralelle.Vousaurez
ici un conte heroïcomique
de l'Odissée, mais
commençons par un
conte de Rabelais;je ne
prétens qu'opposer le
premier coupd'oeil de
ces deuxcontes,&non.
pas les comparer exaétcment:
j'entrouverai
dans la fuite quelquestuinnss
ppluuss pprroopprreess aà eêttrree.
comparez ensemble.
Voici celui de Rabelais,
'f
donc j'ai feulement conservé
le fond, en a joûtant
& retranchant
tout ce que j'aicrû pouvoir
le rendre plus
agréable,& plusintelligible
aux Dames.
LES
LES MOUTONS
de Dindenaut.
<*. En une Naufou Navire
estoitletaciturnien.,
songe-creux,&malignement
intentionnéPanurge
: encemêmè Navire
estoit un Marchand de
moutonsnomméDindenaut,
hommegaillard,
raillard
,
grand rib leur
5
nurgetoutdébifié de mi-
Lie, 6c mal en point d'acouftrement
,
déhousillé
de chevelure
,
vesce
délabrée, éguillettes
rompues, boutons intermitans
chauffes pensantes,&:
lunettes pendues
au bonnet. Le Marchant
donc s'émancipa
en gausseriessur chaque
piece d'iceluy accoustrement,
mais specialement
sur ses lunettes : luy difarteavoir<
fçupar traciitioli
vulgaire que tout
homme arborant lunett
tes sur toûjours onc mal
voulu des femmes étranges
& vilipendé de la
siennedomestique ,sur
lesquels pronostics apostrophant
Panurge en son
honneur, l'appella je ne
sçay comment, id est,
d'un nom qui réveilla i«rPanurgedesaléthargie
^.rêveusej carrêvoitjuste
• en ce momentauxinconveniens
à venir de son
futur mariage. Holà,
holà
, mon bon Marchand
*,
dit d'abord Panurge
d'un air niais 8c
bonnasse, holà, vous disje,
car onc ne fus, ny ne
puis maintenant estre ce
-
que nul n'est que par mariage
: A quoy repart
Dindenaut, que marié
ou non mariée c'esttout
un ; car fruits de Cor-,
nuaille sont fruits précoces
j & m'est avisque
pour porter tels fruits ,
êtes fait &C moulé comme
de cire: ouy , cette
plante mordra sur~vôrre
chef comme chiendenc
sur terre graffe.
Ho ,
ho
,
ho
,
reprit
bonnement Panurge,
quartier, quartier, car
par la vertu- boeuf ou
asne que je suis, ne puis
avoir espritd'Aigle: perçant
les nuës,par quoy
gaudissez-vous de moy,
si c'est vostre plaisir ,
mais rien nerepliqueray
faute de répliqué : prenons
patience.
Patience vous duira
dit le Marchand, , comme
à tant d'autres. Patienceestvertu
maritale.
Patience soit imterrompit
Panurge, mais changeons
de propos : Vous
avez-là force beaux moutons,
m'envendriez-vous
bien un paravanture.
O le vaillant acheteur
de moutons, dit le Marchand.
Feriez volontiers
plus Convenablement
vous acheter un bon ha-,
bit pour quand vous E~
rez marié,habit de lné.)
nage ,
habit avenant ,
manteau profitable
chapeau commode, &,
panache de cerf.
Va-rience, dit Panurge,
& vendez-moy feulc,
ment un de vos Inou,
ton.
Tubleu
,
dit le Mat>
chand, ce seroit fortune
pour vous qu'un de ces
beliers. Vendriez sa fine
laine pour faire draps, sa
Mue peau pour faire cuir s
sa chair friande pour
nourrir Princes, & (i
petite-oye pieds :& teste
vous resteroient, & cornes
encore sur le marché-
Patience,dit Panurge,
tout ce que dites de cornerie
a esté corné aux
oreilles tant & tant de
fois,laissons ces vieilleties
; sottises nouvelles.
sont plus de InÍfea,
-- Ah qu'il dit bien! reprit
le Marchand, il merite
que mouton je luy
vende, ilestbon homme
: ç'a parlons daffaire.
Bon, dit Panurge eit
joye, vous venez au but,
6c n'auray plus besoinde
patience.
T C'a, dit le Marchand,
écoutez - mcy.j'écoute
dit Panurge.
LE M. Approchez cette
oreilledroite.P.
ce. LE M. Et la gauche. l P. Hé bien. LE M. En
l'autre encore. P. N'enay
quecesdeux. LE M.Ouvrez
- les donc toutes
grandes. P. A vôtre commandement.
LE MARC.
Vous allez au pays des
Lanternois? P.Ouy. LE
M. Voir le monde? P,
Certes. LE M. Joyeusement
? P. Voire. Le M,
Sans vous fâcher P. N'en
ayd'envie. LEM. Vous
avez nom Robin. P. Si
VOUS voulez. LE MARC.
Voyez-vous ce Moutons
P. Vous me l'allez vendre,
LEM.Ilanom Robin
comme vous. Ha
9 ha
, ha.Vons allez au
pays des Lanternois voir
le motide,i.oyeuCement,'
sans vous fâcher, ne vous
fâchez - donc guere si
Robin mouton n'est pas
pour vous. Bez, bez
bez; & continua ainsi
bez, bez, aux oreillesdu
pauvre Panurge
) en le
mocquant de la lourderie.
Oh,patience,patience
, reprit Panurge, bai£
sant épaules & teste en
toute humilité
,
à bon
besoin de
-
patience qui
moutons vcut avoir de
Dindenaut; maisje vois
que vous me lanternifibolisez
airtfi pource que
me croyez pauvre here,
voulant acheter sans
payer, ou payer sans argent,
ôc-en ce vous irom- -
pez à la mine, car voicy
dequoyfaire emplette :
disantcela Panurge tire
ample & longue bourse,
que par cas fortuit, contre
son naturel avoit pleine
de Ducacons, de laquelle
opulence le Marchand
fut ébahi, & incontinent
gausserie ccfTa
à l'aspectd'objet tant respectable
comme est argent.
,
Par iceluy alleché
le Marchand demanda
quatre, cinq, six fois
plus que ne valloit le
mouton;à quoy Panurge
fit comme riche enfant
de Paris, le prit au
mot, de peur que mouton
ne luy échapa
,
&
tirant desa bourse le prix
exorbitant, sans autre
mot dire que patience
,
patience, lnie les deniers
, és mains du Marchand
, & choisit à même le
troupeau un grand &
* beau maistre mouton
qu'il emporta brandi
fous son bras
- ,car de
forceautant que demalin
vouloir avoit,cependant
le mouton cryoit,
bêloit Sccn consequance
naturelle, oyant celuy-
cy bêler,bêloient
ensemblement les autres
moutons, commedisant
en leur langage moutonnois,
ou menez-vous
nostre compagnon,
de
mêmedisoient maisen
langageplus articulé les
assistants à Panurge ou
,diantre menez-vous ce
- mouton,& qu'en allezvous
faire, à quoy répond
Panurge le mouton
n'est-il pas à moyy
l'ay bien payé& chacun
de son bienfait selon
qu'il s'avise,ce mouton
s'appelle Robin comme
moy3 Dindenaut l'a dit.
Robin mouton sçait bien * nager je le voisà sa
mine
,
& ce disant subitementjetta
son mouton
en pleine mer, criantnage
Robin, nâge mon mignon
: or Robin mouton
allant à l'eau
,
criant
bêlant; tous les autres
moutons criansbêlans
en pareilleintonation,
commencerent soy jetter
après Se fauter en merà
la file, figue le debat entr'eux
estoit à qui suivroit
le premier son compagnon
dans l'eau, car
nature afait de tousanimaux
mouton le plu»*
sot, & a suivre mauvais
exemple le plus enclin,
fors l'homme.
Le Marchand tout cecy
voyant demeura ftupesait
& tout cHrayey
s'efforçant à retenir fèsmoutons
de tout foi*
pouvoir, pendant quoy
Panurge en son fang
froid rancunier, luy disoit
, patienceDindeinatit.,
patience, & ne
vous bougez, ny tourmentez.,
Robin mouton
reviendra à nâge & ses
compagnons - le refuivront;
venez Robin, venez
mon fils, & ensuite
crioit aux oreilles de
Dindenaut ,., comme avoit
par Dindenaut esté
crié aux siennes en signe
de moquerie, bez, bez,
FinablementDindenaut
voyant perir tous ses
moutons en prit un grãd
& fort par la toison, cuidant
aintl luy retenant
retenir le reste
)
mais d.
mouton puissantentraîna
Dindenaut luy -mê'
me , en l'eau
,
& ce sut
lors que Panurge redoubla
de crier, nâge Robin
, nâge Dindenaut,
bez, bez, bez,tant que
par noyement, des moutons
Sedu Marchand sut
cette avanture finie,donc
donc Panurge ne rioit
que sous barbe, parce
que jamais on ne le vit
rire en plein,queje sçache.
Jecroirois bien que le
caractere de Panurge a
servi de modele pour celuy
de la Rancune. Moliere
a pris de ce seul Con-
-
te-cy deuxou trois Jeux
de Theatre, & la Fontaine
plusieurs bons mots.
Enfin nos meilleursAutheurs
ont puisé dans Rabelais
leur excellent comique,
&les Poëtes dit
Pont -neuf en ont tiré
leursplates boufoiincries.
Les Euripides & les Se-
-
neques ont pris dans Homere
le sublime de leur
Poësie, & les Nourrices
luy doivent leurs Contes
depeau-d'asne,leurs Ogres
qui mangent la
chair fraîche, sont descendus
en ligne droite du
Cyclope dontvousallez
voir Je Conte.
Voiladonc Homere 8t
Rabelais grands modeles
pour l'excellent & dangereux
exemples pour le
mauvais du plus bas
ordre. Homere & Rabelais
occupent les beaux
esprits; mais ils amusent
les petits enfants;humiliez-
vous grands Auteurs
vousestes hommes ;
l'homme a du petit 6C
du grand du haut & du
1 bas; c'est son partage r
& si quelqu'unde nos
Sçavants S'obfbiie à
trouver tout granddans
un Ancien, petitesse
dans -ce Moderne quelque
grand qu'ilsoitd'ailleurs
il prouve ce que ja*
Vance, qu'il ya du petit
c'k., du grand dans tous
les hommes.
Revenons à nos moutons,
diroit Rabelais,
m'avez parlé des moutons
de Dindenaut, si
faut-il trouver aussi moutons
en oeuvres d'Hojnere3
puisque és miens
moutons y a , ou ne se
point mester ny ingerer
de le mettre en paralelle
àl'encontre de moy.
Ouy
Ouy dea, repliquerai
je, on trouvera prou
de moutons dans I'oeuvre
grec, & hardiment
les paralelliserai avec
les vôtres, Maître François;
car avez dit,
ou vous, ou quelqu'un
de votre école, que
chou pourchou Aubervilliers
vaut bien Paris;
& dirai de même, que
moutons pour moutons
Rabelais vaut bienHomere
: or a-t-on déja vû
comme par malignité
Panurgienne moutons
de Dindenaut sauterent
en Iller; voyons donc
commeparastuce l'iyfsienne
moutons de Ciclope
lui fauteront fous
jambe, en sortant de sa
caverne.
LES MOUTONS
DU CYCLOPE. DAns l'isle des Cyclopes
où j'avois PrIsterre,
je descendisavec les plus
vaillans hommes de mon Vaisseau
,
je trouvai une caverne
d'une largeur étonnante. Le
Çyclope qui l'habitoit étoit
aux champs,où il avoit mené
paître ses troupeaux.Toute
sa caverne étoit dans un ordreque
nousadmirions. Les
agneaux separez d'un côté,
les chevreaux d'un autre, &c.On yoyoit là de grands
pots à conserver le lait , ici
des paniers de jonc, dans lesquels
il faiioic des fromages,
&c. Nous avions aporté du vin,
pris chez les Ciconiens, &c..
Nous buvions de ce vin, &
mangions les fromages du Cy.
clope, lors qu'il arriva.
Je fus effrayé en le voyant.
C'étoit un vaste corps comme
celui d'une montagne; il n'y
eut jamais un monstre plus
épouvantable: il portoit sur
ses épaules une charge efrrbois
sec; le bruit qu'il fit en le jettant
à terre à l'entrée de la
caverne, retentit si fort, que
tous mes compagnons saisis de
crainte,secacherent en differens
endroits de cette terrible
demeure.
Il fait entrertoutes ses brebis;
il ferme sa caverne, pousfant
une roche si haute & si
forte, qu'il auroit été impossible
de la mouvoir, à
force de boeufs ou de chevaux.
Je le voyois faire tout fou
ménage,tantôt tirer le lait
de ses brebis, & Enfin il
allume ion feu, & comme
l'obscurité qui nous avoit cachez
fut dissipée par cette
clarté, il nous apperçut : Qui
êtes-vous donc, nous dit-il
d'un ton menaçant 2 des Pirates,
qui pour piller & faire
perir les autres hommes,ne
craignez pas vous-même de
vous exposer sur la mer ?
Quoy ? des Marchands que
l'avarice fait passer d'un bout
de l'U nivers à l'autre pour
s'enrichir,entretenant le luxe
de leur Patrie ? êtes-vous des
vagabons qui courez les mers
par la vaine curiosité d'apprendre
ce qui se passe chez
autruy.
Je pris la parole, & luy dis
que nous étions de l'armée
d'Agamemnon
, que je le
priois de nous traiter avec
l'hospitalité que Jupiter a
commandée,& de se souvenir
que les Etrangers font
fous la protection des Dieux
> & que l'on doit craindre de
les offenser.
Tu es bien temeraire
, me dit-ilfïerement, de venir de
si loin me discourir sur la
crainte & sur l'obeïssance
que tu dis que je dois aux
Dieux:apprens que les Cyclopes
ne craignent ni vôtre
Jupiter ni vos Dieux: pour
n'avoir été nouris d'une chevre,
ils ne s'estiment pas moins
heureux, je verray ce que je
-
dois faire de toy ,
je n'iray
point consulter l'Oracle làdessus,
c'est mon affaire de
sçavoir ce que je veux, &c.
Je lui parlai encor pour tâcher
de l'adoucir: mais dédaignant
de me répondre, il
nous regardoit avec (on oeil
terrible; (car les Cyclopcs
n'en ont qu'un.) Enfin il se
saisit tout d'un coup de deux
de mes compagnons,& a près
les avoir élevez bien haut, il
les abbatit avec violence, &
leur écrasa la tête: il les met
bientôt en pieces,la terreest
couverte de leur sang, il est
ensanglanté lui-même:ce montre
, ce cruel monstre les
mange, les devore: Jugez en
quel état nous étions 2
Aprés s'être rassasié de cette
abominable maniere
,
il
but plusieurs cruches de lait,
& s'étendit pour dormir au
milieu de ses troupeaux. Combien
de fois eus-je dessein de
plonger mon épée dans son
corps ?&c.mais il auroit salu
périr dans cette cavernes
car il étoit impossible d'ôter
la pierrequi la fermoit : il falloit
donc attendre ce que sa
cruauté decideroit de nôtre
vie.
A peine ce cruel fut-il éveillé
qu'il se prépara un déjeuner
aussi funeste que le repas du
foir précèdent, deux de mes
camarades furent dévorez de
même
, a prèsquoy il fit sortir
aupâturage ses troupeaux, &
nous laissa enfermez dans la
caverne,enrepoussant la pesante
roche qui lui servoit de
porte.
Je cherchons dans monesprit
quelque moyen de punir
ce barbare, & de nous délivrer.
Il y avoit à l'entrée
de sa caverne unemassuë aussi
longueque le mats d'un navire
, nous en coupâmes de quoi
faire une autre massuë
, que
nous aiguisâmes pour executer
mon projetquandl'occa,-
sion seroit venuë.
Le Cyclope rentra, &recommenca
un autre repas aus-
- sifuneste à deux autres de mes
compagnons, que ceux que
je vous ay racontez;je m'approchai
de lui portant en main
un vase de ce vin admirable
quenous avions. Buvez.; lui
dis-je,peut-êtremesçaurez-voui
gré du present que je vous offre,
¿y.,c.Il prit la coupe, la but,
& y ayant pris un extrême
plaisir, il voulut sçavoir mon
nom, & promit de metraiter
avec hospitalité.
Je remplis sa coupe une autre
fais, ill'avale avec plaisir,
il ne paroissoit plus avoir cet-
-
te cruauté qui nous effrayoit,
je caressois ce monstre, Cije
tâchois de le gagner par la
douceur de mes paroles, il
revenoit toûjours à me demander
mon nom.
Dans l'embarras où j'étois
je luy fis accroire que je me
nommoisPersonnes alors pour
récompense de mes caressés
& demon vin,il me dit:
Eh bien, Personne, tous tes
camarades passeront devant
toy >
je te reserve pour être
le dernier que je mangeray.
Il s'étendit à terre en me
prononçant ces terribles paroles
>
le vin & le sommeil
l'accablcrent 6c c'étoit
ce que j'attendois;j'allay
prendre ma Massuë, j'allumay
la pointe dans le feu
que le Cyclope avoit couvert
de cendres,nous a pprochons
du Cyclope, pendant que
quatre de mes compagnons
enfoncent ce bois& ce feu
dans son oeil, j'aidois à le
déraciner, &c.
Apres l'avoir aveuglé de
-
cette maniéré nous nous étions
retirez loin de luy, & nous
attendions quel seroit l'effet
de sa rage & de ses cris. Un
grand nombre deCyclopes,
qui avoient entendu les heurlemens
accoururent à sa porte,
& luy demandoient : qui
est-ce qui peut vous avoir attaquédans
vôtre Maison ?
Comme celui-cy s'étoit persuadé
que je me nommois
Personne, il ne pouvoir leur
faire comprendre qu'il yavoit
un ennemi en dedans qui l'avoit
maltraittè,ilsentendoiét
qu'iln'avoitété blessé de per- sonne.ainsi par cet équivoque
les Cyclopes se retirèrent
, en disant: c'est donc
une affiction que Jupitert'envoye
, il faut plier sous les
coups de sa colere.
Je fus ravi d'entendre que
ces Cyclopes le retiroient:
cependant celui-cy,outré de
rage,alloit de côté & d'autre
dans sa Caverne, étendant
les bras pour nous prendre
, mais rien n'étoit plus
aisé que de luy échapper,
l'espace étoit grand, & il ne
voyoit goutte, &c..-
Il prit enfin le party d'ouvrir
à demy sa Caverne, de
sortequ'il n'y avoit de place
que pour sortir trois ou quatre
ensemble, il crut qu'il nous
arrêteroit au passage: il se met
au milieu, qu'il occupoit, étendant les bras & les jambes,
& faisoit sortir ses Moutons
,qu'il tâtoit les uns aprés
les autres; nous ne donnâmes
pas dans un piége si grossier
, cependant il falloit sortir
ou périr; je repassois en
mon esprit une infinité de
stracagêmes ; Enfin ayant
choisi neuf desplus forts Beliers,
je les attachay trois à
trois, je liay fou-s leur ventre
mes neuf compagnons restez,
qui passerent de- cette sorte
ians être reconnus, je tentay
le même hasard pour moy^
il y avoitun Belier plusgrand
que tous les autres, je me cache
aussi fous son ventre, le
- Cyçlope le reconnoît à l'é- passeur de sa laine, le careslè
& le retient, comment,
disoit-il, tu n'es pas aujourd'huylepremier
au pâturage
? tu es touché de l'aÍfliél-ioa
de ton Maître, tu ne vois plus
cet oeil qui te conduisoit &:
que tu connoissois,un traître
me l'a arraché,tu me montrerois
ce traître si tu pouvois
m'exprimer ta fidélité, si jele
tenoiscesceelerat,&c.Enfin
ce monstre occupé de sa
rage & de savengeance,laisse
passerleBelier que je tenois
embrasse par la laine de son
col, & c'est ainsi. que nous
voyant tous en liberté, nous
respirâmesavec plaisir.
J'ai choisi de bonne foi
pour opposer aux contes
de Rabelais, un desmeilleurs
de l'Odiffée
; car
mon but principal est
d'orner mon paralelle, &:
non de dégrader Homere.
Convenons qu'il y a
une poësie excellente dans
les endroits même où il
manque de justesse & de
bon sens.. quel mot m'est
échappé? mais je me dédiray
quand on voudra,
ôcà force deraisonnemens
& d'interprétations
,
je
trouveray par tout du
bon sens n'en fut-il point.
On n'aura pas de peine
àen trouver beaucoup
dans
dans les discours que le
Cyclope tient à Ulysse;
le premier contient une
morale admirable. Qui
êtes-vous? luy-dit-il ,
des
Pirates, Cc. Il joint dans
le second à une noble fierté
contre Jupiter, une
raillerie fine & delicate.
se riirai point consulter
l'aracle, &c. Ce Cyclope,
ce monstre ell un
Aigle pour l'esprit
: mais,
tout a coup, avant même
que d'avoir bû, il devint
stupide comme un boeuf,
il se couche & s'endort
tranquillement au milieu:
de ses ennemis armez,aprés
avoir dévoré deux de
leurs compagnons.
Ce Cyclope establir
d'abord que les Cyclopes
ne reconnoissent
,
ni ne
craignent point Jupiter,
ni les autres Dieux: & ces
mêmes Cyclopes un moment
apres, trompezpar
l'équivoque & mauvaise
turlupinade du mot de
Personne, croyent pieusement
que les heurlemens
du monstre sont une juste
punition des Dieux, ôc
semblent même par une
crédulité respedueusen'o
fer entrer dans la caverne
du Cyclope, pour s'éclaircir
du fait. Mais j'ay
promis d'éviter la dissertation
dans ce paralelle-cy ;
nous trouverons assez
d'autres occasions de critique
dans Homere, &
beaucoup plus dans Rabelais.
Finissons par un petit
conte de ce dernier.
ES
LA FEMME
MUETE.
DAns
un certain Pays
barbare & non policé en
moeurs, y avoit aucuns
maris bourus, & à chef
mal tymbré
, ce que ne
voyons mie parmy nos
maris Parisiens, dont
grande partie, ou tous
pour le moins, sont merveilleusement
raisonnans,
& raisonnables;aussi onc
ne vit-on arriver à Paris
grabuge ni maleficeentre
maris & femmes.
Or en ce Pays-là, tant
different de celui-cinôtre,
y avoit un mary si pervers
d'entendement, qu'ayant
acquis par mariage une
femme muete,s'en ennuya
& voulant soy guerir de
cet ennuy & elle de sa
mueterie, le bon & inconsideré
mary voulut qu'-
elle parlât, & pour ce
eut recours à l'art des Medecins
& Chirurgiens, qui
pour la démuetirluiinciserent
& bistouriserent un.
enciligloteadherâtaufilet.
bref, elle recouvra santé
de langue, & icelle langue
voulant recuperer l'oysiveté
passée, elle parla tant,
tant & tant,quec'estoit
benediction
;
si
ne laissa
pourtant le mary bouru
de se lasserde si plantheureuse
parlerie : il recourut
au Medecin, le priant &
conjurant, qu'autant il
avoit mis de science en oeuvre,
pour faire caq ueter sa
femme muete, autant il en
employât pour la faire taire.
Alors le Medecin confessantque
limitéest le sçavoir
médicinal,lui dit qu'il
avoit bi^n pouvoi r de
faire
parler femme
; mais que
faudroit arc bien pluspuisfant
pour la faire taire. Ce
monobstant le mari suplia,
pressa, insista, persista, si
que le sçavantissime docteur
découvrit en un coin
des registres de son cerveau
remede unique, &
specifique contre iceluy
interminable parlement
de femme,& ce remede
c'est surdité du mary. Ouidà,
fort bien, dit le mari :
mais de ces deux maux
voyons quel fera le pire,ou
entendre sa femme parler,
ou ne rien entendre du
tout; Le cas est suspensif,
&: pendant que ce mari
là-dessus en suspens estoit,
Medecin d'operer, Medecin
de medicamenter,par
provision, sauf à consulter
par apré1s.
Bref par certain charme
de sortilege medicinal
le pauvre mari se trouva
sourd avant qu'il eût acheve
de déliberer s'il confentiroit
à surdité
:
Lyvoila
donc, & il s'y tient faute
de
de mieux, & c'est comme
il faudroit agir en opérations
de medecine, Qu'arriva-
t-il? e'cousez.ôcvous
lesçaurez. :A'J:\ -J Le Medecinàhalde besogne
demandoitforce
argent:mais c'est à quoy
ce maryne peut entendre;
car il est sourd comme
voyez, le Medecin pourtant
par beaux signes &c
gestes significatifs argent
demandait& redemadoit
jusqu'às'irriter & colerier:
mais en pareil cas gestes
ne font entendus, à peine
entent-on paroles bien articulées
,ou écritures attestées
& réiterées par Sergens
intelligibles. Le Medecin
donc se vit contraint
de rendre l'oüie au sourd,
afin qu'il entendît à payement,
& le mary de rire,
entendant qu'ilentendoit,
puis de pleurer par prévovoyance
de ce qu'il n'entendroit
pas Dieu tonner,
désqu'il entendroit parler
sa femme.Or, de tout ceci
resulte, conclusion
moralement morale, qui
dit,qu'en cas de maladie
& de femmes épousées,
le mieux est de le tenir
comme on eit de peur de
pis.
Fermer
Résumé : ARTICLE burlesque. Suite du Paralelle d'Homere & de Rabelais.
Le texte compare les œuvres d'Homère et de Rabelais, deux auteurs classiques, en mettant en lumière leurs aspects comiques et sérieux. L'auteur souhaite rendre les œuvres de Rabelais plus accessibles aux dames, qui trouvent Homère plus intelligible grâce à une récente traduction en français. Pour ce faire, il entreprend de clarifier et de purifier certains passages de Rabelais afin de les rendre moins ennuyeux pour un public féminin. L'auteur présente ensuite un conte de Rabelais, 'Les Moutons de Dindenaut', qu'il a adapté pour le rendre plus agréable et intelligible. Ce conte met en scène Panurge, un personnage de Rabelais, et un marchand de moutons nommé Dindenaut. Panurge achète un mouton nommé Robin et le jette à la mer, provoquant une réaction en chaîne où tous les moutons suivent Robin et se noient. Le marchand, tentant de retenir ses moutons, se noie également. Le texte compare ce conte à un épisode de l'Odyssée d'Homère, où les moutons du Cyclope jouent un rôle similaire. L'auteur souligne que les meilleurs auteurs ont puisé dans Rabelais et Homère pour leur comique et leur sublime, respectivement. Il conclut en affirmant que ces auteurs sont des modèles pour le meilleur et le pire, et que tous les hommes ont en eux du petit et du grand. Par ailleurs, le texte relate un épisode de l'Odyssée où Ulysse et ses compagnons sont capturés par un Cyclope. Ulysse tente de convaincre le Cyclope de les traiter avec hospitalité, invoquant la protection des dieux, mais le Cyclope refuse, affirmant qu'il ne craint ni Jupiter ni les dieux. Il dévore plusieurs compagnons d'Ulysse et les laisse enfermés dans sa caverne. Ulysse, cherchant un moyen de se venger, prépare une massue avec ses compagnons. Lors du retour du Cyclope, Ulysse lui offre du vin pour l'endormir. Profitant de son sommeil, Ulysse et ses hommes lui crevent l'œil avec la massue chauffée à blanc. Aveuglé, le Cyclope appelle à l'aide, mais ses semblables, trompés par l'équivoque du nom 'Personne', ne lui portent pas secours. Ulysse et ses hommes s'échappent en s'accrochant sous les moutons du Cyclope. Le texte se termine par une réflexion sur la poésie d'Homère, soulignant la moralité et la finesse des discours du Cyclope.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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24
p. 64-71
EXTRAIT de la Lettre de Madame la Marquise de saint Bl..... du 31. Aoust 1711.
Début :
Il est arrivé la semaine passée un grand prodige dans [...]
Mots clefs :
Femme, Grossesse, Médecin, Chirurgien, Mari
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT de la Lettre de Madame la Marquise de saint Bl..... du 31. Aoust 1711.
extrait
dela Lettre de Madame
la Marquise de
saint Bl du 31.
Aoust 1711.
ILeflarrivélajemaine
payée un grand prodige
dans la nature. Unefemme
d'iAbbervilfe d'un pauvre
menuisier
, tante de
nostremeusnier de Petitport)
estantlanguissante
depuis deux ans, a esté
trouver Mr le Adarquis
de AfauLy ~u'Ocourt pour
le prier par charité de la
sècourir, qu'on luy avoit
dit qu ilfaisoit degrandes
charitez, par les remedes
qu'il donnoit pour lesort,
quelle se avjoit ensorcellee
au lieu destre grosse
comme elle l'arvoit creu
dabord
,
sentant depuis
deux ans sauter remuer
commesi elle estoit
veritablementgroflê,mais
que deux annees entieres
Pendant lesquelles elle aDoit
creu dix foisaaoïfc
cher yluy faisoientconnoistre
qu'il y avoiten elle
des choses qu'elle nepop,,.;.,
voitcomprendre; Air le:.
Marquis 20court luy a
donneson remede,des la
nuit mesme elle sejl trouvée
en. estral d'accoucher,
~sipresceequeson mary
ria eu le temps que de
courirà unevoisiney laquelle
en la secourant a;
CT;Jeu tomber trois paquets
enveloppez de tais.Le
mary s'esterie,monDieu,
cela• remue, la voisine a
commencéà en développer
un, cela à'tfrmis à courir,
le chat de la maisons'est
jettedessus, (jfla mange ;
la voisineeffrayée, mal
éclairee „ria<voit pas le
temps de voircequec'estoit
"fs a crié que c'estoit
m enfantmange. Ellea
envoye le mary courir au
Chirurgien, cependanta
mis les deux autres pacquets
tousjours remuans
en seurete. Le Chirurgienarrivé
a developpé
les autres paquets) é5 a
trouvé deuxbestes au lieu
d'enfans:je ne vous diray
pasqu'on m'a dity car je
je les ay veus, cela avescu
huit heures, cela est
gros comme unesourissans
poil, a quatre pieds qui
ressemblent à des mains,
15 des ongles, a une queuë
t5 un petit ongle ou corne
au bout qui ne tient
qu'a un filet. La queuë
efi bien attachee
,
longue
comme celle d'une
souris
,
la teste grosse
ronde comme
celle d*un
enfant par le haut, les
yeux ronds noirs un -cercle noir autou- r, une
gueule ouverte, f.5 tres
grande) a la langue
d'un enfant, les oreilles
de mesme quun enfant.
Voila un prodigesurprenant,
bien veritable,
qu'on a peine à croire
sans avoir ueu3 c' estpourquoy
fajvoulu voir, le
Chirurgien me les a apportez,
, ilfera part de celay
à ce q^tlma dit , à
Messieurs de l'Ecole de
Medecins de Paris,pour
voir ce q^tls pourvoient
juger d'uneffet si prodigieux
danstoutesses ckconstances
d'avoir esté
grosse deux ans, la connoissance
et les remedes
de Monsieur de Mailly.
Tout est surprenant te*
bien véritable
J.
la mere
estdansvinestatpitoyable
, tout fera corpsn'est
qu'unegalledepuis cette
ajfreufe couche.
dela Lettre de Madame
la Marquise de
saint Bl du 31.
Aoust 1711.
ILeflarrivélajemaine
payée un grand prodige
dans la nature. Unefemme
d'iAbbervilfe d'un pauvre
menuisier
, tante de
nostremeusnier de Petitport)
estantlanguissante
depuis deux ans, a esté
trouver Mr le Adarquis
de AfauLy ~u'Ocourt pour
le prier par charité de la
sècourir, qu'on luy avoit
dit qu ilfaisoit degrandes
charitez, par les remedes
qu'il donnoit pour lesort,
quelle se avjoit ensorcellee
au lieu destre grosse
comme elle l'arvoit creu
dabord
,
sentant depuis
deux ans sauter remuer
commesi elle estoit
veritablementgroflê,mais
que deux annees entieres
Pendant lesquelles elle aDoit
creu dix foisaaoïfc
cher yluy faisoientconnoistre
qu'il y avoiten elle
des choses qu'elle nepop,,.;.,
voitcomprendre; Air le:.
Marquis 20court luy a
donneson remede,des la
nuit mesme elle sejl trouvée
en. estral d'accoucher,
~sipresceequeson mary
ria eu le temps que de
courirà unevoisiney laquelle
en la secourant a;
CT;Jeu tomber trois paquets
enveloppez de tais.Le
mary s'esterie,monDieu,
cela• remue, la voisine a
commencéà en développer
un, cela à'tfrmis à courir,
le chat de la maisons'est
jettedessus, (jfla mange ;
la voisineeffrayée, mal
éclairee „ria<voit pas le
temps de voircequec'estoit
"fs a crié que c'estoit
m enfantmange. Ellea
envoye le mary courir au
Chirurgien, cependanta
mis les deux autres pacquets
tousjours remuans
en seurete. Le Chirurgienarrivé
a developpé
les autres paquets) é5 a
trouvé deuxbestes au lieu
d'enfans:je ne vous diray
pasqu'on m'a dity car je
je les ay veus, cela avescu
huit heures, cela est
gros comme unesourissans
poil, a quatre pieds qui
ressemblent à des mains,
15 des ongles, a une queuë
t5 un petit ongle ou corne
au bout qui ne tient
qu'a un filet. La queuë
efi bien attachee
,
longue
comme celle d'une
souris
,
la teste grosse
ronde comme
celle d*un
enfant par le haut, les
yeux ronds noirs un -cercle noir autou- r, une
gueule ouverte, f.5 tres
grande) a la langue
d'un enfant, les oreilles
de mesme quun enfant.
Voila un prodigesurprenant,
bien veritable,
qu'on a peine à croire
sans avoir ueu3 c' estpourquoy
fajvoulu voir, le
Chirurgien me les a apportez,
, ilfera part de celay
à ce q^tlma dit , à
Messieurs de l'Ecole de
Medecins de Paris,pour
voir ce q^tls pourvoient
juger d'uneffet si prodigieux
danstoutesses ckconstances
d'avoir esté
grosse deux ans, la connoissance
et les remedes
de Monsieur de Mailly.
Tout est surprenant te*
bien véritable
J.
la mere
estdansvinestatpitoyable
, tout fera corpsn'est
qu'unegalledepuis cette
ajfreufe couche.
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Résumé : EXTRAIT de la Lettre de Madame la Marquise de saint Bl..... du 31. Aoust 1711.
Le 31 août 1711, Madame la Marquise de Saint-Bl décrit un événement extraordinaire survenu à une femme d'Abbeville, tante du menuisier de Petitport. Cette femme souffrait depuis deux ans de symptômes inexplicables, croyant être enceinte mais ressentant des mouvements inhabituels. Elle consulta le Marquis d'AuLly d'Ocourt, connu pour ses charités et ses remèdes. Après avoir reçu un remède, elle accoucha immédiatement de trois paquets enveloppés. Deux de ces paquets contenaient des créatures ressemblant à des souris mais avec des caractéristiques humaines, comme des mains et des ongles. Le chirurgien appelé sur place confirma cette découverte. La mère se trouvait dans un état pitoyable, son corps étant devenu une seule plaie. La Marquise souhaitait partager cette découverte avec les médecins de Paris pour qu'ils puissent juger de ce prodige.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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25
p. 18-48
LE CORRESPONDANT DE LA GUINGUETTE.
Début :
Les vendanges ont été si abondantes cette année qu'un [...]
Mots clefs :
Vendanges, Vin, Médecin, Vérole, Femme, Fille, Servante, Mère, Bourgeoise, Guinguette, Ami, Valet, Ivresse, Mari, Ivrogne, Habit
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texteReconnaissance textuelle : LE CORRESPONDANT DE LA GUINGUETTE.
LE CORRESPONDANT
DELA
GUINGUETTE. LES
vendanges ont écc
ii abondantes cette année
qu'un paysan d'Argenteuil
a recueilli dans un seul demy
arpent de vignes quatorze
muids de vin ,
la
Posterité biberonne aimera
mieux voir cette remarque
dans nos registres,que
l'époque du grand hyver,
& des débordemens d'eau.
Le vin ne vaut plus que
trois fols à la guinguette,
& cette abandance me
fournira des mémoires
pour les articles burlesques
du Mercure,il ne me
suffit pas d'avoir des Correspondans
dans les pays
étrangers, & dans les Pro.
vinees;j'en ai un tresassidu
les fêtes & Dimanches
aux assemblées de la
Courtille, Pentin,Vaugirard
& autres pays de la
Banlieuë:ony aprend nonseulement
l'interieur des,
familles bourgeoises, mais,
encore ce qui se passe dans,
les grandes maisons.
Baccus toujours sincere &'
quelquefois malin,
Seplaîtàpublier le long d'un
grand chemin
Lefoir au retour des Guinguettes
Les intrigues les plussecretes
De l'artisan
,
du bas bourgeoJs,
Il méditmême quelquefois
Delaplus haute bourgeoise ,
Sa temeraire frmtfîe
Des plus qllallfieZ rende,
les Secrets;
Nefait-il pas parlerserventes
& valets,
Des bijoutiers, des Revendeujes,
Des Tailleurs &des Accouchensest?
Une Revendeuse, &:
le valet d'un vieux Medecin
buvoient ensemble à
la grandepinte:la revendeuse
se réjouissoit de ce
que la petite verole est
presque finie dans Paris,
& le valet du Medecins'en
affligeoit pour son maicre;.
larevendeuse luiracontoit
à cette occasion les erreurs
de la plupart des femmes
sur , tout ce qui peut apporter
dans une maison l'air
de la petite verole, &cela
lui avoit fait grand tort,
disoit-elle
; car les Dames
croyoient trouver la petite
verole jusques dans les
dentelles que je leur
-
portois. Cela n'est pas si
mal fondé, lui disoit le
valet; car le mauvais air
(k met dans le linge, dans
les habits, dans les perruques,
& voici ce qui est.
arrivé àmon maître.
Une bourgeoise jeune
& jolie craignant la
petite verole, comme
de raison : mais un peu
plus Qu'une femme raisonnable
ne la doit
craindre,prenoit pour
petite verole la moindre
émotion, la moindre
vapeur, elle croyoit
à chaque instant sentir
la fièvre,&C l'avoit
peut-êtrede peur, eltercroyoitêtre
prise. Son
premier mouvement
fut d'envoyer vîte au
Medecin:mais faisant
reflexion que les Medecins
portent aveceux
l'airde la petite vero le,
elle resolutde se passer
de Medecin, on en fit,
pourtantvenirunon le,
conduisit d'abord dans
la chambre d'une servante
malade, en at-.
tendant qu'ondisposeroit
roit la maitresse à le
voir, & elle ne voulut
absolument point le
recevoir qu'iln'eût ôté
sa peruque &ses habits,
mais ,lui dit-on, un
vieux Medecin dépouillé
vous fera encore plus
de peur que la petite
verole. Il est vray, rcpandit-
elle,mais qu'il
prenne quelque habit
dans la maison. Il ne se
trouva point d'habit
vacant; le Medecin étoit
presse; on le travestit
de ce qui se presenta
dans la chambre de la
servante, de sa jupe, de
son manteau 8c de ses
cornettes, dont on le
coëssacomme on put.
Danscetequipage il
fut reçu de la bourgeoise,
&s'affit auprés
de sonlit pour lui tâter
le pouls.
Il faut sçavoir que la
servante étoit au lit de
son côté pour avoir été
excedée de coups par la
belle-mere de la bourgeoise.
Cette belle-mere
étoit une grand 'femme
seiches,billeuse, accariatre
& brutale,qui affommoit
ses valets pour
le moindre sujet,& elle
en avoit eu un essentiel
de battre la servante:
aussi luiavoit-elle juré
qu'elle la mettroit sur
le grabat pour un mois,
& lui avoit dessendu
d'entrer dans la chambre
de sabru. Quelle fut
sa colere en y entrant?
quandellecrut,trompée
par l'habit, voir
cette servante assise au
chevet du lit?Aveuglée
de rage elle courtsur le
Medecin, qui se sentit
prendre à la gorge, avant
que de sçavoir par
qui. Il se debarassa à
coups de poings de cet- teenragée,&l'avanture
finit comme la scene
d'ArlequinLingere,par
un detignonement reciproque
de la belle-mere
& du Medecin.
Comme leValet du Medecin
achevoit de conter
l'avanture de son Maître,
arrive un bon compagnon:
paye-nous bouteille,lui dit
celui-ci. Non, dit l'autre,
je fuis ruiné depuis que le
vin est à bon marché; j'avois
plus d'argent quand
il estoit cher, car je ne
buvois que de l'eau. Ce
propos de Guinguette fut
suivid'une érudition de la
Chine,carc'étoit un garçon
qui avoit fort voyage,
& qui leur dit, à propos
de petite vérole, qu'elle se
gagne par la respiration,
& cita là-dessus les Medecins
Chinois, --
-
Ily a à la Chine des
Medecins plus habiles à
donner la petite vérole
que les nostres à la guérir;
ce n'est point une
plaisanterie,Commeelleest
mortelleen ce païsla
après certains âges
,.
on va trouver le Medecin
pour la faire venir
quand elle ne vient pas
naturellement; & voici
comment les Médecins
la donnent: Ils recuëillent
soigneusement
& en certains momens
de cette maladie
la sueur des malades
avec du coton; ils enferment
ensuite ce coton
moüillé dans de petites
boëtes d'or, & le
conservent avec certaine
préparation, & l'on
met ensuitece coton
dans lesnarines de ceux
qui veulent avoir cette
maladie, & l'effetenest
sûr Nos Dames craindroient
beaucoup ces.
Medecins-là,car ils portent
à coup sûr la petite
vérole dans leurpoche,
Apres le voyageur un
autheur du Pont-neufvint
boire auec ces Messieurscy
,
& donna un plat de
son métier.
Air original de la Guinguette
, surl'air.,-Au
reguingué,
VNOfficieràson retour
S'envintpourmeparler d'a-
Ji mour: me mis d'abord en Jefinfi"
Avance, avance, avance,
avance
Avecton habitd'ordonnance.
Jesuis,dit il,jeune &
bien-fait,
J'ai de l'esprit& du caqU-st,
En amour la belle éloquence,
Avance, avance, avance,
avance
Avec ton habit d'ordonnance,
Je lui dis- Vostrebeauparler
Ici vous fera reculer;
Prés de moy laseulefinance
Avance , avance5 avancey
avance
Avecton habit d'ordonnance.
Il medit:Je t'épouserai,
Mille écus je te donnerai.
Je lui dit,Payezles d'avance.
Avance
, avance , avance,
avance
Avec ton habit d'ordonnance.
Iln'apoint d'argent le matois
:
Mais sa bouche vers mon
minois
Malgré ma bonne contenance
Avancey avance, avance ,
avance
Avec ton habit d'ordonnance
Mongrand frere arrive
soudain,
Qui tient une épee àsamain
Dont la pointe droit vers sa
panse
Avance
y avance, avance ,
avance
Avectonhabit d'ordonnance.
Ce brave ne recule pasy
Mais AU contraire. à trés.
grands pas
Du coté de la porte avance
Avance, avance , avance ,
avance
Avec ton habit d'ordonnance.
A propos d'air de
Pont-neuf, ditun garçon
Marchand qui se
trouva là, les Airs de
Lambert sont charmans,
j'ai un de mes
amis qui en est fou;II
chante des chan sons de
Lambert toute lajournée,
la nuit même en
rêvant,c'estsapassion.
Il est dameret, galant,
pinceraperruque blonde
,
lesgands blancs)
lacravatte à glans de
fayence;nous l'enyvrâmes
à ChaillotDimanche
dernier, il se perdit
en chemin, & après l'avoir
cherché longtemps,
nous l'entendimes
chanterjnouscoulrûûmmeessààlalavvooiixx..
IIllééttooiittw
tombé dans l'égoût:
maisils'y trouvoitàIon
aise comme dans son lit:
tout couvert d'ordure,
sa perruque roide de
crotte, il ressembloit à
un fleuve noir: il s'était
accoté sur un tas d'immondices
qui formoit
en cet endroit del'égout
unecascade de bouë liquide
, &C là presque
yvre-mort ils'egofilloit
de chanter.
Coulez
, murmurez,
clairs rwfieaux,
jillezj dire à Climene
L'état ou m'a mis l'in--
humaine.
Comme nous n'ofions
le toucher pour le
relever, tant il estoit
boueux, nous luy passâmes
deux perches
fous le ventre, &: nous
l'enlevâmes tout brandi
pourle porter à son inhumaine,
qui étoit avec
sa famille au cabaret
prochain: L'un des
deux qui le portaient
étoit son rival, & luy
joiioit cetour pour en
dégoûter sa maîtresse,
qui haïssoit les yvrognes.
C'etoit une simple
bourgeoise qui ne connoissoit
pas assez le
grand monde de Paris,
elle croyoit que l'yvrognerieétoit
haïssable
dans un jeune homme,
& comme elle étoitenferme
de se marier avec
celui-ci , elle fut fort
affliaffligée
de le voir en cet
état; la mere sécria en
le voyant paroître,ah
je ne veux pas donner
ma fille à un homme
quia sipeu de raison.
Il faut lui pardonner,
dit le pere, grand
diseur de bons mots
bourgeois, & qui aimoit
aussi à Doire,
quand le vinest commun
la raison estrare,
il n'est défendu qu'aux
femmes de boire, parce
que quand ellesont une
fois perd u la raison elles
ne la retrouventjamais,
il faut qu'un homme
fage s'enyvre un moins
une fois en sa vie pour
ravoir quel vin ila.
Apres une tiradede
raisons au ssi bonnes que
celles-là, il conclut que
le jeune homme yvre
seroit son gendre, la
mere s'emporta fort,
disantque sa filleétoit
plus à elle qu'à luy, &
qu'elle ne vouloit point
la donner à cet homme-
là; toute la famille
presente proposa un accommodement
entre le
mari & la femme, & on
convint que la fille qu'-
on sçavoit être très censée
decideroit sur ce
mariage,&qu'ellechoifiroit
des deux rivaux.
Le rival triomphoit
déjà auprès de cette fage
fille, & n'avoit rien
oublié pour augmenter
l'horreur qu'elle avoit
pour l'yvrognerie:mais
elle en avoitencorplus.
pour la mauvaise foy
elle sçavoit quecelui-c,i
étoit ami de son amant,
& voyant qu'ill'avoit
trahi enramenant yvre
devant elle, elle iup^
posa qu'ill'avoit enyvré
exprés, ôe setournant
vers lui, elleluy
dit tout haut en pleine
assemblée: Monsieur
5 j'aime encore mieux un
homme qui s'enyvre,
qu'un homme qui trahit
son ami.
Le pere quiétoit bon
& franc comme le vin
de sa cave, loua fortla
décisionde sa prudente
fille,il éxagera la noirceurd'âme
d'un homme
qui se fert du vin pour
faire, tortà quelqu'un,
cela,disoit-il,estcontre
le droit des buveurs,
plus sacré que le droit
des gens; c'est pis que
de voler sur le grand
chemin; car si j'avois
confié la clef de mon
cabinet à un ami Se
qu'il me volât, quel
crimeseroit-ce?& n'estce
pas donner la clef
de son coeur à quelqu'-
un , que de s'enyvrer
avec luy?Celuiavec qui
je m'enyvre m'est plus
cher que femme 6C ensans,
entendez.vous,
ma femme, & voyez la
punition que je mericerois
si je vous avois
trahi.Celaest vrai, mon
mari, répondit la femme.
Je conclus donc, repliqua
le mari, qu'on
me donne à boire, & je
boirai à la santé du pauvre
enyvré, a qui je
donne ma fille pour punir
l'autre.
M C'est à cond ition ,
reprit la fille, qu'il ne
s'enyvrera de sa vie.
Bien entendu, reprit le
mari, il fera comme
moyens je bois noins
je m'enyvre,buvons encore
ce coup-ci,&quonm'aille
querir le Notaire,
je veux quece repas-
cy soit le commencement
de la noce ,&C}
quelle dure huit jours.
DELA
GUINGUETTE. LES
vendanges ont écc
ii abondantes cette année
qu'un paysan d'Argenteuil
a recueilli dans un seul demy
arpent de vignes quatorze
muids de vin ,
la
Posterité biberonne aimera
mieux voir cette remarque
dans nos registres,que
l'époque du grand hyver,
& des débordemens d'eau.
Le vin ne vaut plus que
trois fols à la guinguette,
& cette abandance me
fournira des mémoires
pour les articles burlesques
du Mercure,il ne me
suffit pas d'avoir des Correspondans
dans les pays
étrangers, & dans les Pro.
vinees;j'en ai un tresassidu
les fêtes & Dimanches
aux assemblées de la
Courtille, Pentin,Vaugirard
& autres pays de la
Banlieuë:ony aprend nonseulement
l'interieur des,
familles bourgeoises, mais,
encore ce qui se passe dans,
les grandes maisons.
Baccus toujours sincere &'
quelquefois malin,
Seplaîtàpublier le long d'un
grand chemin
Lefoir au retour des Guinguettes
Les intrigues les plussecretes
De l'artisan
,
du bas bourgeoJs,
Il méditmême quelquefois
Delaplus haute bourgeoise ,
Sa temeraire frmtfîe
Des plus qllallfieZ rende,
les Secrets;
Nefait-il pas parlerserventes
& valets,
Des bijoutiers, des Revendeujes,
Des Tailleurs &des Accouchensest?
Une Revendeuse, &:
le valet d'un vieux Medecin
buvoient ensemble à
la grandepinte:la revendeuse
se réjouissoit de ce
que la petite verole est
presque finie dans Paris,
& le valet du Medecins'en
affligeoit pour son maicre;.
larevendeuse luiracontoit
à cette occasion les erreurs
de la plupart des femmes
sur , tout ce qui peut apporter
dans une maison l'air
de la petite verole, &cela
lui avoit fait grand tort,
disoit-elle
; car les Dames
croyoient trouver la petite
verole jusques dans les
dentelles que je leur
-
portois. Cela n'est pas si
mal fondé, lui disoit le
valet; car le mauvais air
(k met dans le linge, dans
les habits, dans les perruques,
& voici ce qui est.
arrivé àmon maître.
Une bourgeoise jeune
& jolie craignant la
petite verole, comme
de raison : mais un peu
plus Qu'une femme raisonnable
ne la doit
craindre,prenoit pour
petite verole la moindre
émotion, la moindre
vapeur, elle croyoit
à chaque instant sentir
la fièvre,&C l'avoit
peut-êtrede peur, eltercroyoitêtre
prise. Son
premier mouvement
fut d'envoyer vîte au
Medecin:mais faisant
reflexion que les Medecins
portent aveceux
l'airde la petite vero le,
elle resolutde se passer
de Medecin, on en fit,
pourtantvenirunon le,
conduisit d'abord dans
la chambre d'une servante
malade, en at-.
tendant qu'ondisposeroit
roit la maitresse à le
voir, & elle ne voulut
absolument point le
recevoir qu'iln'eût ôté
sa peruque &ses habits,
mais ,lui dit-on, un
vieux Medecin dépouillé
vous fera encore plus
de peur que la petite
verole. Il est vray, rcpandit-
elle,mais qu'il
prenne quelque habit
dans la maison. Il ne se
trouva point d'habit
vacant; le Medecin étoit
presse; on le travestit
de ce qui se presenta
dans la chambre de la
servante, de sa jupe, de
son manteau 8c de ses
cornettes, dont on le
coëssacomme on put.
Danscetequipage il
fut reçu de la bourgeoise,
&s'affit auprés
de sonlit pour lui tâter
le pouls.
Il faut sçavoir que la
servante étoit au lit de
son côté pour avoir été
excedée de coups par la
belle-mere de la bourgeoise.
Cette belle-mere
étoit une grand 'femme
seiches,billeuse, accariatre
& brutale,qui affommoit
ses valets pour
le moindre sujet,& elle
en avoit eu un essentiel
de battre la servante:
aussi luiavoit-elle juré
qu'elle la mettroit sur
le grabat pour un mois,
& lui avoit dessendu
d'entrer dans la chambre
de sabru. Quelle fut
sa colere en y entrant?
quandellecrut,trompée
par l'habit, voir
cette servante assise au
chevet du lit?Aveuglée
de rage elle courtsur le
Medecin, qui se sentit
prendre à la gorge, avant
que de sçavoir par
qui. Il se debarassa à
coups de poings de cet- teenragée,&l'avanture
finit comme la scene
d'ArlequinLingere,par
un detignonement reciproque
de la belle-mere
& du Medecin.
Comme leValet du Medecin
achevoit de conter
l'avanture de son Maître,
arrive un bon compagnon:
paye-nous bouteille,lui dit
celui-ci. Non, dit l'autre,
je fuis ruiné depuis que le
vin est à bon marché; j'avois
plus d'argent quand
il estoit cher, car je ne
buvois que de l'eau. Ce
propos de Guinguette fut
suivid'une érudition de la
Chine,carc'étoit un garçon
qui avoit fort voyage,
& qui leur dit, à propos
de petite vérole, qu'elle se
gagne par la respiration,
& cita là-dessus les Medecins
Chinois, --
-
Ily a à la Chine des
Medecins plus habiles à
donner la petite vérole
que les nostres à la guérir;
ce n'est point une
plaisanterie,Commeelleest
mortelleen ce païsla
après certains âges
,.
on va trouver le Medecin
pour la faire venir
quand elle ne vient pas
naturellement; & voici
comment les Médecins
la donnent: Ils recuëillent
soigneusement
& en certains momens
de cette maladie
la sueur des malades
avec du coton; ils enferment
ensuite ce coton
moüillé dans de petites
boëtes d'or, & le
conservent avec certaine
préparation, & l'on
met ensuitece coton
dans lesnarines de ceux
qui veulent avoir cette
maladie, & l'effetenest
sûr Nos Dames craindroient
beaucoup ces.
Medecins-là,car ils portent
à coup sûr la petite
vérole dans leurpoche,
Apres le voyageur un
autheur du Pont-neufvint
boire auec ces Messieurscy
,
& donna un plat de
son métier.
Air original de la Guinguette
, surl'air.,-Au
reguingué,
VNOfficieràson retour
S'envintpourmeparler d'a-
Ji mour: me mis d'abord en Jefinfi"
Avance, avance, avance,
avance
Avecton habitd'ordonnance.
Jesuis,dit il,jeune &
bien-fait,
J'ai de l'esprit& du caqU-st,
En amour la belle éloquence,
Avance, avance, avance,
avance
Avec ton habit d'ordonnance,
Je lui dis- Vostrebeauparler
Ici vous fera reculer;
Prés de moy laseulefinance
Avance , avance5 avancey
avance
Avecton habit d'ordonnance.
Il medit:Je t'épouserai,
Mille écus je te donnerai.
Je lui dit,Payezles d'avance.
Avance
, avance , avance,
avance
Avec ton habit d'ordonnance.
Iln'apoint d'argent le matois
:
Mais sa bouche vers mon
minois
Malgré ma bonne contenance
Avancey avance, avance ,
avance
Avec ton habit d'ordonnance
Mongrand frere arrive
soudain,
Qui tient une épee àsamain
Dont la pointe droit vers sa
panse
Avance
y avance, avance ,
avance
Avectonhabit d'ordonnance.
Ce brave ne recule pasy
Mais AU contraire. à trés.
grands pas
Du coté de la porte avance
Avance, avance , avance ,
avance
Avec ton habit d'ordonnance.
A propos d'air de
Pont-neuf, ditun garçon
Marchand qui se
trouva là, les Airs de
Lambert sont charmans,
j'ai un de mes
amis qui en est fou;II
chante des chan sons de
Lambert toute lajournée,
la nuit même en
rêvant,c'estsapassion.
Il est dameret, galant,
pinceraperruque blonde
,
lesgands blancs)
lacravatte à glans de
fayence;nous l'enyvrâmes
à ChaillotDimanche
dernier, il se perdit
en chemin, & après l'avoir
cherché longtemps,
nous l'entendimes
chanterjnouscoulrûûmmeessààlalavvooiixx..
IIllééttooiittw
tombé dans l'égoût:
maisils'y trouvoitàIon
aise comme dans son lit:
tout couvert d'ordure,
sa perruque roide de
crotte, il ressembloit à
un fleuve noir: il s'était
accoté sur un tas d'immondices
qui formoit
en cet endroit del'égout
unecascade de bouë liquide
, &C là presque
yvre-mort ils'egofilloit
de chanter.
Coulez
, murmurez,
clairs rwfieaux,
jillezj dire à Climene
L'état ou m'a mis l'in--
humaine.
Comme nous n'ofions
le toucher pour le
relever, tant il estoit
boueux, nous luy passâmes
deux perches
fous le ventre, &: nous
l'enlevâmes tout brandi
pourle porter à son inhumaine,
qui étoit avec
sa famille au cabaret
prochain: L'un des
deux qui le portaient
étoit son rival, & luy
joiioit cetour pour en
dégoûter sa maîtresse,
qui haïssoit les yvrognes.
C'etoit une simple
bourgeoise qui ne connoissoit
pas assez le
grand monde de Paris,
elle croyoit que l'yvrognerieétoit
haïssable
dans un jeune homme,
& comme elle étoitenferme
de se marier avec
celui-ci , elle fut fort
affliaffligée
de le voir en cet
état; la mere sécria en
le voyant paroître,ah
je ne veux pas donner
ma fille à un homme
quia sipeu de raison.
Il faut lui pardonner,
dit le pere, grand
diseur de bons mots
bourgeois, & qui aimoit
aussi à Doire,
quand le vinest commun
la raison estrare,
il n'est défendu qu'aux
femmes de boire, parce
que quand ellesont une
fois perd u la raison elles
ne la retrouventjamais,
il faut qu'un homme
fage s'enyvre un moins
une fois en sa vie pour
ravoir quel vin ila.
Apres une tiradede
raisons au ssi bonnes que
celles-là, il conclut que
le jeune homme yvre
seroit son gendre, la
mere s'emporta fort,
disantque sa filleétoit
plus à elle qu'à luy, &
qu'elle ne vouloit point
la donner à cet homme-
là; toute la famille
presente proposa un accommodement
entre le
mari & la femme, & on
convint que la fille qu'-
on sçavoit être très censée
decideroit sur ce
mariage,&qu'ellechoifiroit
des deux rivaux.
Le rival triomphoit
déjà auprès de cette fage
fille, & n'avoit rien
oublié pour augmenter
l'horreur qu'elle avoit
pour l'yvrognerie:mais
elle en avoitencorplus.
pour la mauvaise foy
elle sçavoit quecelui-c,i
étoit ami de son amant,
& voyant qu'ill'avoit
trahi enramenant yvre
devant elle, elle iup^
posa qu'ill'avoit enyvré
exprés, ôe setournant
vers lui, elleluy
dit tout haut en pleine
assemblée: Monsieur
5 j'aime encore mieux un
homme qui s'enyvre,
qu'un homme qui trahit
son ami.
Le pere quiétoit bon
& franc comme le vin
de sa cave, loua fortla
décisionde sa prudente
fille,il éxagera la noirceurd'âme
d'un homme
qui se fert du vin pour
faire, tortà quelqu'un,
cela,disoit-il,estcontre
le droit des buveurs,
plus sacré que le droit
des gens; c'est pis que
de voler sur le grand
chemin; car si j'avois
confié la clef de mon
cabinet à un ami Se
qu'il me volât, quel
crimeseroit-ce?& n'estce
pas donner la clef
de son coeur à quelqu'-
un , que de s'enyvrer
avec luy?Celuiavec qui
je m'enyvre m'est plus
cher que femme 6C ensans,
entendez.vous,
ma femme, & voyez la
punition que je mericerois
si je vous avois
trahi.Celaest vrai, mon
mari, répondit la femme.
Je conclus donc, repliqua
le mari, qu'on
me donne à boire, & je
boirai à la santé du pauvre
enyvré, a qui je
donne ma fille pour punir
l'autre.
M C'est à cond ition ,
reprit la fille, qu'il ne
s'enyvrera de sa vie.
Bien entendu, reprit le
mari, il fera comme
moyens je bois noins
je m'enyvre,buvons encore
ce coup-ci,&quonm'aille
querir le Notaire,
je veux quece repas-
cy soit le commencement
de la noce ,&C}
quelle dure huit jours.
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Résumé : LE CORRESPONDANT DE LA GUINGUETTE.
Le texte décrit les observations d'un correspondant sur les vendanges abondantes à Argenteuil, où un paysan a récolté quatorze muids de vin dans un demi-arpent de vignes. Cette abondance a conduit à une baisse du prix du vin, qui ne vaut désormais que trois fois son prix habituel à la guinguette. Le correspondant, présent dans diverses assemblées de la banlieue parisienne, rapporte des intrigues et des secrets des artisans, des bourgeois et des grandes maisons. Une anecdote notable concerne une revendeuse et le valet d'un médecin discutant de la petite vérole. La revendeuse se réjouit de la fin de l'épidémie, tandis que le valet s'en afflige pour son maître. La revendeuse explique que les femmes craignent la petite vérole et évitent les dentelles, ce à quoi le valet répond que le mauvais air peut se trouver dans les vêtements et les perruques. Une jeune bourgeoise, craignant la petite vérole, refuse de voir un médecin de peur qu'il ne lui transmette la maladie. Elle le fait déshabiller et le médecin, déguisé en servante, est attaqué par la belle-mère de la bourgeoise, qui le confond avec la servante malade. La scène se termine par une dispute et un déguisement réciproque. Le texte mentionne également un voyageur chinois qui parle des médecins de son pays, capables de transmettre la petite vérole. Un auteur du Pont-Neuf intervient ensuite avec une chanson burlesque sur un officier et une jeune femme. Une autre histoire concerne un jeune homme ivre retrouvé dans un égout, chantant des airs de Lambert. Sa famille et son rival discutent de son mariage avec une jeune femme. La fille choisit finalement l'ivrogne, préférant un homme honnête à un traître. Le père, un amateur de vin, conclut que l'ivrognerie est pardonnable, mais la trahison ne l'est pas.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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26
p. 113-118
« qu'hier ma femme est morte, [...] »
Début :
qu'hier ma femme est morte, [...]
Mots clefs :
Carillon, Femme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « qu'hier ma femme est morte, [...] »
qu'hier ma femme est
morte,
Le temps n'assoiblitpoint
une douleursiforte,
Elle redoubleace lugubre
fin.
Bony ban, bon.
Pour égayer le bon, ban,
bon,
1 Faisons un autre caril-
'.J Ion"
Carillon duverre,
kliffNa pinte&du flacon:
La pauvre femme elle efl
enterre,
Je l'aimoistant, buvons
pour elle en carillon,
Choquons le verre en cavillon
,
Endoublecarillon.
Tirez, du bon vin, bon,
bien bon,bin bon.
Exerçons - nOUJ su,r ce
jambon,
Ce saucisson n'est-il pas
bien bon,bien bon, bin bon.
Hé tâtons donc de ce dindon,
dindon, din,dan,
aon,din,dan,don, 1 ¿ill,alln,don,
Ma femme elîen terre,
bon,
Ah qu'ilestbon ce carillon.
2. Cou plet.
Bon, ban, bon,
Que ce lugubre jon m'afflige,
bonban, bon.
J'entendoischez moy sur
ceton
Gronder en faux bourdon
la pauvre Mathurine,
Quand pour avoir été
tropgaychez, ma voisine
J'en revenois plustriste à
la maison
Bon,ban,bon.
Elle egayoit son faux
bourdon
Eny mêlantun carillon,
Carillon de femme,
De jalouse, de Démon;
Pour lui laisserchantersa
£Amc Jem'endormois, maiselle
-
prenoit un bâton
Pourme donner du reveillon
En double carillon
, En doublecarillon.
Moy qui fuis bon, bons,
bon, bien bon,
bin bon,
Je souffrois comme un
rurAl mouton
Jusq'uau bâton, fuis-je
pas bti&bon,, bien
hQn) binbon?
Que leCiellui sasse pardon,
, Din9 don, din, dan, don,
Din,dan, don, din, dan,
don :
Mafemme efi en terre,
bon,
Elle afinison carillon.
On donnera au mois
prochain la chanson du
Tabac.
morte,
Le temps n'assoiblitpoint
une douleursiforte,
Elle redoubleace lugubre
fin.
Bony ban, bon.
Pour égayer le bon, ban,
bon,
1 Faisons un autre caril-
'.J Ion"
Carillon duverre,
kliffNa pinte&du flacon:
La pauvre femme elle efl
enterre,
Je l'aimoistant, buvons
pour elle en carillon,
Choquons le verre en cavillon
,
Endoublecarillon.
Tirez, du bon vin, bon,
bien bon,bin bon.
Exerçons - nOUJ su,r ce
jambon,
Ce saucisson n'est-il pas
bien bon,bien bon, bin bon.
Hé tâtons donc de ce dindon,
dindon, din,dan,
aon,din,dan,don, 1 ¿ill,alln,don,
Ma femme elîen terre,
bon,
Ah qu'ilestbon ce carillon.
2. Cou plet.
Bon, ban, bon,
Que ce lugubre jon m'afflige,
bonban, bon.
J'entendoischez moy sur
ceton
Gronder en faux bourdon
la pauvre Mathurine,
Quand pour avoir été
tropgaychez, ma voisine
J'en revenois plustriste à
la maison
Bon,ban,bon.
Elle egayoit son faux
bourdon
Eny mêlantun carillon,
Carillon de femme,
De jalouse, de Démon;
Pour lui laisserchantersa
£Amc Jem'endormois, maiselle
-
prenoit un bâton
Pourme donner du reveillon
En double carillon
, En doublecarillon.
Moy qui fuis bon, bons,
bon, bien bon,
bin bon,
Je souffrois comme un
rurAl mouton
Jusq'uau bâton, fuis-je
pas bti&bon,, bien
hQn) binbon?
Que leCiellui sasse pardon,
, Din9 don, din, dan, don,
Din,dan, don, din, dan,
don :
Mafemme efi en terre,
bon,
Elle afinison carillon.
On donnera au mois
prochain la chanson du
Tabac.
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Résumé : « qu'hier ma femme est morte, [...] »
Le texte décrit la douleur intense du narrateur suite à la mort de sa femme. Sa tristesse persiste et il évoque l'enterrement ainsi que son amour pour elle. Pour tenter de surmonter sa peine, il se tourne vers la nourriture et l'alcool, savourant des mets comme le jambon, le saucisson et le dindon. Il se remémore également une dispute avec sa voisine Mathurine, qui le frappait avec un bâton, mais se décrit malgré tout comme une personne bonne et souffrante. Le narrateur demande pardon pour ses erreurs passées et répète que sa femme est en terre, tout en évoquant le 'carillon'. La chanson se conclut par l'annonce de la publication prochaine de la 'chanson du Tabac'.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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27
p. 49-97
Discours nouveau sur l'origine, la Genealogie, & la Maison de Montmorency.
Début :
Tout le monde est persuadé de l'antiquité de l'illustre [...]
Mots clefs :
Généalogie, Maison de Montmorency, Noces, Origine, Alliances, France, Angleterre, Duc, Comte, Roi, Femme, Duchesse, Empereur, Branches, Armes, Mémoire, Paris, Royaume, Europe, Occident, Église, Guerre, Honneur, Seigneurs de Montmorency
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Discours nouveau sur l'origine, la Genealogie, & la Maison de Montmorency.
Discours nouveausur ïoriginey
1-t Genealogie, &la mal4
son de Montmorency. -% Tout le monde est persuadédel'antiquité
de l'illustre
Maison de Montmorency,&
personne ne
doute qu'elle ne soit une
des plus anciennes du
Royaume , la qualité de
premiersBarons Chrétiens
en France, avec lecry de
Guerre (Dieu aide au premier
Chrestien ) en marque la
grande antiquité. Mais la
révolution des siecles passez
a fait perdre les vieux
Titres
,
la negligence des
Historiens en dérobent
la memoire, & il est mal
aisé de sçavoir la verité de
son origine.
Celuy auquel nous avons
obligation de la connoissance
de cette Maison est
le fameux André Duchesne
qui par ses soins nous a
laisse dans un gros volume
toute sa posterité depuis
Bouchard I. qui vivoit en jj -' 954. maisil ne s'est pas embarrassé
de rapporter ceux
qui l'ont precedé
,
n'en
:t
ayant point trouvé de
preuves certaines; il rapporte
feulement ce que
d'anciens Autheurs ont dit
des premiers Seigneursde
Montmorency.
Ildit qu'il se trouve dans lapartiedes Gaules qu'on
appelle France deux insignes
commencemens de
conversion ; la premiere
par saint Denis premier
Evesque de Paris, qui a1 procuré la conversion des Gauloisla seconde saint par Remy, Archevesque
de Paris, qui convertit les
François; ces deux conversions
sont cause de deux
opinions touchant l'Autheur
d'une si nobleextraétion.
La premiere
, que LisbiusChevalierdune
tresgrande
Noblesse & d'autorité
parmy les Parisiens
estoit Seigneur de Mont-,
morency proche de cette
Ville, & fut le premier des
Gaulois qui embrassa la
Religion Chrestienne à la
prédication de saint Denis
vers l'an centième de nostre
Redemption, supposé
que ce fut saint Denis
l'Areopagite qui avoir esté
converty par saint Paul
Apostre : mais si l'on fuie
le sentiment de Gregoire
de Tours qui rapporte l'arrivée
de saint Denis dans
les Gaules sousle Coniulac
de Decius & de Gratus, la
conversion de Lisbius ne
pourroit estre que vers l'an
tJ3*
La seconde opinion qui
est de Robert Cenal, Evesque
d'Avranches, au premier
Livre de ses Remarques
Gau loises, & de Claude
Fauchée, au second Livre
de ses AntiquitézFrançoisesdisent
i que ce luy
qui a donné origine à la
Maison de Montmorency
nefutpas lefameux Gaulois
Lisbius,maisun Grand
Baron François nomme
Lisoie (lequel quand Clovis
premier Roy Chrestien
de France, fut baptisé par
saint Remy à Rheims en
499. ) fut le premier des
Seigneurs de sa suite
,
qui
se jetta dans la Cuve des
Fonds après luy
, en memoire
dequoy ses descendansmasles
ontestéhonorez
du titre de premiers
Barons Chrestiens deFrance
,
& ont tousjours eu depuis
pour cry de Guerre ,
Dieu aide au premier Chressien.
Quoy qu'il en soit, on
ne peut douter que les
deux qualitez qui ont tousjours
esté dans cetts illustre
Maison
,
de premier
Chrestien
, & de premier
Baron Chrestien en France,
n'ayent une origine
tres ancienne, &tr.--s illustre,
qui marque que les
anciens Seigneurs de
Montmorency eftoienc
des plus puissants du Royaume
: mais comme la
succession depuis Lisbius,
ou de Lisoie,n'apû se conserver
jusques à nous ,
il
faut s'en tenir à ce que
nous avons de plus asseuré,
& suivre ce qu'en a efcric
Duchesne auquel je renvoye
le Lecteur, qui commence
l'histoire de cette
Maison à Bouchard premier
, comme j'ay dit cydevant,
& quinous a donné
la suite desa posterité,
qui est rapportée dans la
Carte Chronologique de
cette Maison
, par MonsieurChevillard
qui donne
à ce Bouchard premier
un pere , un ayeul,
& un bisayeul
, que Duchesne
ne rapporte pas
mais les ayant trouvez
dans un autheur
)
il les a
rapportez pour faire connoistre
les alliances illustres
qu'ils avoient contractées,
puisque Jean Seigneur
de Montmorency pere de
Bouchard premier, qui vivoit
en 940. avoit épousé
Jeanne fille de Berenger
Comte de Beauvais, fils
d'AdolpheComte de Vermandois
, Everard Sei- j
gneur de Montmorency,
qui vivoit en 892. pere de
Jean & ayeul de Bouchard
premier, épousa Brunelle
fille deGaultier Comte de
Namur, & Leuto ou Leutard
Seigneur de Montmorency
qui vivoit en 845.
avoir épousé Everarde fille
d'un Comte de Ponchieu,
ce Leuto estoit pere d'Everard
& bisayeul de Bouchard
premier, c'est à luyqu'il
commence cet arbre
genealogique, afin defaire
connoistre les trois divers
changements qu'il y
a eus dans les Armes de la
Maison de Montmorency.
Ceux de cette Maison
avoient pris d'abord pour
leurs Armes, comme premiers
Chrestiens, d'or à la
croix de gueules;Bouchard
premier la cantonna de
quatre aiglettes ou allerions
d'azur, pour conservet
la memoire de quatre
Enseignes Impériales prises
à la victoire qu'il remporta
sur l'armée de tEmpereur
Othon II. Matthieu
II. dit le Grand, augmenta
les quatre allerions
de douze autres, en mémoire
de douze autres Enfeignes
Imperiales qui furent
prises à la bataille de
Bouvines sur l'Empereur
OthonIV. en1214 Ainsi
depuis ce temps- là les Seigneurs
de Montmorency
ont tousjours porté d'or à
la croix de gueules, cantonnée
de seize allerions
d'azur; & comme cette
Maison a formé quantité
de branches, ils ont brifé
leurs Armes differemment,
comme on le voit dans la
Carte genealogique, mais
à present comme labranche
aisnéeest éteinteenla
personne de Philippe de
Moutmorency Seigneur
de Nivelle, ôc Comte de
Horne décapité en 1^8.
auquel la branche de Fosfeux
a succedéàl'aisnesse,
toutes les autres branches
des Seigneurs de certe
Maison ont quitté leurs
brisures, & ont retenu les
Armes pleinesqu'ils portent
presentement.
La Maison de Montmorency
s'est separée en
quantité de branches, il y
en a eu plusieurs anciennes
qui font éteintes, mais
elle a conservé son nom
jusqu'à aujourd'huy, par la
succession de la branche
aisnée,dans plusieurs branches
qui subsistent,& quoy
qu'il paroisse de grandes
branches sorties de Mathieu
II. dit le Grand, Seigneur
de Montmorency
il n'y , a eu que la posterité
de son filsaisné Bouc hard
VI. qui ait retenule nom
de Montmorency, parce
que ion fils cadet Guyde
Montmorency fut Seigneur
de Laval, qui comme
heritier desa mereEme
de Laval, sortie d'une tres
noble & tres illustre Maison,
en atransmis le nom
à ses Descendans qui le retiennent
encore aujourd'huy,
ayant retenu les Armes
de Montmorency
,
la
Croix chargée de cinq coquilles
d'argent pour brisure,
comme cadets de sa
Maison.
Quant aux honneurs de
cette Maison, on ne peut
disconvenir qu'elle est des
plus illustrées
, tant dans
les alliances qu'ils ont contractées,
que dans les charges
qu'ils ont possedées,
les honneursqu'ils onteus
par leurs alliances, les font
toucher de près à tout ce
qu'il y a eu de Testes couronnées
dans l'Europe, &
pour le faire connoistre il
faut distinguer ses alliances
en trois manieres. Premierement
,
dans son ancienneté
: Secondement,
depuis
depuis la separation de ses
deux Branches, les Alliances
que celle de la Branche
de Montmorency a contractées
:
Troisiémement,
celle que la Branche de Laval
aeuës. Premierement, les Alliances
qu'ils ont eues anciennement
sont trcs considerables
puisque la premiere
qui estrapportée par
Duchesneestl'épouse qu'il
donne à Bouchard I.Elle
se nommoit Hildegarde,
& estoit fille de Thibaud I.
Comte de Chartres & de
de Bipis,ôc de Ledegarde
de Vermandois. Elle avoit
pour frere Eudes I. Comte
de Chartres & de Blois,
pere de Eudes II. Comte
de Champagne, duquel
sont forcis tous les Comtes
de Champagne; & pour
soeur Emme,femme de
GuillaumeIII. Duc de
Guyenne
, mere de Guillaume
IV. Ducde Guyenne
,
élu Roy d'Italie
, &
Empereur des Romains
duquel sont desçendus les,
Ducs deGuyenne,&Agnés
femme de l'Empereur
Henry III.
-
Hildegarde avoit pour
alliances du costé de sa
mere Ledgarde de Vermandois,
qui estoit fille de
Herbert II. Comte de Vermandois,&
d'une soeur de
Hugues le Grand, Duc de
France
,
& Comte de Paris
, pere du Roy Hugues
Capet; & aussi soeur d'Emme
,
Reine de France,
femme de Raoul, Duc de
Bourgogne, & Roy de
France, si bien qu'elle estoit
cousine du second au
troisiéme degré du Roy
Hugues Capec
,
chef de la
n'oineme Race des Rois
de France qui subsiste aujourd'huy.
Mathieu I. Seigneur de
Montmorency, Connestable
de France, épousa Aline
,
fille de Henry I. Roy
d'Angleterre, &en fecondes
nôces il épousa Alix de
Savoye
, veuve du Roy
Loüis VI. dit le Gros, mere
duRoy Loüis le Jeune, si
bien qu'il avoit l'honneur
d'estre beaupere du Roy
pour lors regnant.
BouchardV.s'alliaavec
Laurence, fille de Baudoüin,
Comte deHainaut,
descendu par les Comtes
de Flandres, de l'Empereur
Charlemagne; elle
estoit tante de BaudoüinV.
Comte de Flandres
, &
Empereur de Constantinople
,
d'Isabeau de Hainaut
,
Epouse du Roy de
France Philippe-Auguste,
& d'Ioland de Hainaut
Impératrice de Constanti-,
nople, femme de Pierre
de Courtenay, auquel elle
porta la Couronne
@
Imperiale.
Matthieu II. avoit épouse
en premières noces Gertrude
de Néelle
,
fille de Thomas Chastelain de ,
Bruges en Flandres
, &
d'une soeur d'Yves, Comte
de Soissons
,
Seigneur de
Néelle.C'estde cetteDame
quetoute la Maison de
Montmorency d'aujourd'huy
descend, parce que
Matthieu II épousa en secondes
noces Emme de
Laval qui luy donna pour
fils Guy de Montmorency,
Seigneur de Laval, comme
jelediray cy-aprés ; cette
Dame estoit soeur aisnée
d'Isabeau de Laval, femme
de Bouchard VI.Seigneur
de Montmorency, fils aisné
du premier lit de Mathieu
IL ainsi l'on peut dire
que dans la separation des
deux branches de Montmorency,
& de Laval, ils
ont les mesmes alliances,
puisque par les mariages
de ces deux Dames de la
Maison de Laval,ils se
trouvoient alliez des Maisons
de France ,
d'Angleterre,
d'Ecosse, de Castille,
des Comtes deThoulouse,&
de quantité d'autres
Maisons tres- considerables.
Secondement
,
les alliances
que la Maison de
Montmorency a contractéesdepuis
sa separation
d'avec la branche de Laval,
sont celles que Mathieu
III. contracta avec
Jeanne de Brienne fille de
Jean Roy de Jerusalem,
qui estoit fille de Henry
Comte de Champagne
Roy de Jerusalem. Cette
alliance leur en donna de
nouvelles avec la Maison
de France,puisque Henry
Comte
Comte de Champagne
Roy de Jerusalem
,
avoit
pour mere Marie de France
fille du Roy Loüis le
Jeune, avec les Roys de
Navarre de la Maison de
Champagne
, & avec les
Roys de Jerusalem & de
Chypre, de la Maison de
Lefignen.
Mathieu IV.ditle Grand,
Seigneur de Montmorency
,
fils de Mathieu III.
s'allia avec Marie de
Dreux Princesse du sang
de France, fille de Robert
IV. Comte de Dreux,
qui avoit pour quatriéme
ayeul Robert de France
Comte de Dreux fils du
Roy Loiiis le Gros. D'ailleurs
elle estoit sa parente
par trois endroits,d'abord
au quatriéme degré du
costé maternel par laMaison
de Craon , parce que
Maurice Seigneur de
Craon fut pere de Havoise
de Craon,femme de Guy
VI. Seigneur de Laval, qui
estoit pere d'Isabeau de Laval
mar iée à Bouchard VI.
Seigneur de Montmorency
ayeul de MathieuIV.
Et d'Amaury de Craon,
pere de Jeanne de Craon
femme de Jean Comte de
Montfort ayeulle maternelle
de ladite Dame Marie
de Dreux, par la Maison
de Montfort. Elle estoit
sa parente du quatriéme
au cinquiémedegré,
& par celle de Coucy du
cinquiéme au sixiéme.
Ce ne seroit jamais fait
si on vouloit particularifcr
toutes les alliances les unes
aprés les autres, on se renferme
aux trois recentes; sa
premiereest celle queHenry
Duc de Montmorency
II. du nom,Pair, Marechal
& Amiral de France,
contractaavec Marie Felice
des Ursins en 1612 par
l'entremise du Roy Louis
XIII. & de la Reine Marie
de Medicis sa mere 3,
pour lorsRegente du Royaume
)
qui estoit sa parente
du deuxiéme au troisiéme
degré, puisque la
Reine avoir pour pere
François deMedicisGrand
Duc de Toscane
,
qui estoit
frere d'Elisabeth de
Medicis femme de Paul
des Ursins Duc de Bracciano,
ayeul de Madame la
Duchesse de Montmorency
: ainsil'on peut voir par
cette alliance, l'estime que
le Roy Louis XIII. d'heureuse
memoire,faifoic de
cetteMaison,puisqu'il faisoitépouserà
Monsieur le
Duc de Montmorency sa
parenteau troisiéme degré.
La féconde alliance des
trois ausquelles on s'est retranché
,
est celle de Charlote
Marguerite de Montmorency
,soeur & heritiere
de HenryII. Duc de
Montmorency mort sans
posterité
,
laquelle épousa
en 1609. Henry de Bourbon
II. du nom Prince de
Condé. Cette Princesse
aprés la , mort de son frere
, herita du Duché de
Montmorency, & de plusieurs
autres biens qui sont
entrez parcette alliance
dans laMaison de Condé.
La troisiéme alliance est
celle que fit François Henry
de Montmorency Duc
de Piney -
Luxembourg,
forti de la branche de Bouteville,
quiépousaen 1661.
Magdelaine- Charlotte-
Bonne-Therese de Clermont
Duchesse de Piney-
Luxembourg,fille de Charles-
Henry de C lermont-
Tonnerre, & de Marie de
Luxembourg Duchesse de
Piney
,
qui se défit de sa
Duché en mariant sa fille, àcondition que son époux
porteroit le nom & les Armes
de Luxembourg
,
luy
transmettant le droit de sa
Duché femelle, afin de
conserver le nom de cette
illustre Maison, qui a donné
plusieurs Empereurs
des Romains, des Roys de
Boheme, des Reines de
France, & à d'autres Couronnes
de l'Europe.
Ayant cy-dessus distingué
les alliances de la Maison
de Montmorency en
trois manieres. Premierement
, dans son commencement.
Secondement, depuis la separation de ses
deux grandes branches, &
en troisiéme lieu, en celle
que la branche de Laval a
euë depuis sa separation
d'avec celle de Montmorency.
J'en rapporte quatre
qui sont d'une tresgrande
îllustration. La premiereest
celle que Guy X.
Comte de Laval contracta
en 1347. avec Beatrix
fille d'Artus Duc de Bretagne
, &dont l'arriere petite
filleIsabeau de Laval
épousa Loüis de Bourbon
Comte de Vendôme. C'est
cette seconde alliance qui
doit aujourd'huy faire plus
de plaisir à la Maison de
Montmorency; puisque
c'est de cette Isabeau de
Laval que descend toute la
Maison Royalle de Bourbon,
estant la sixémeayeulle
paternelle de nostre
grand Monarque Loüis
XIV. à present regnant;
qui voit en cette presente
année 1711. son Throfne
affermi dans sa Maison
pour plusieursannées par
la naissance de ses arriere
petits fils Monseigneur le
Duc de Bretagne, &Monseigneur
le Duc d'Anjou,
&par cette alliance toutes
les Testes couronnées de
l'Europe qui regnent aujourd'huy
,
sont alliéesà la
Maison de Montmorency,
La troisiéme alliance
qui fait encore honneur à
cette Maison, c'estdevoir
René d'Anjou Roy de Na",
ples & de Jerusalem
,
qui
épousa Jeanne de Laval en
fecondes noces, mais cette
Reine n'en ayant point eu
d'enfans ,il n'est resté à sa
famille que le plaisir de
s'en souvenir.
La quatriéme & demiere
alliance est celle de
Charlotte d'Arragon fille
de Federic d'Arragon Roy
deNaples, qui fut femme
de Guy XVI. Comte de
Laval; ils eurent plusieurs
enfans, entre autres deux
filles, dont l'aisnée Catherine
de Laval épousa Claude
Sire de Rieux,qui porta
dans la Maison deColigny
le Comté de Laval,
qui a présl'excinction de
cette branche,est tombé
dans celle de sa soeur cadette
Anne de Laval qui
épousa François de la
Tremoille Vicomte de
Thouars,dont est descendu
Monsieur le Duc de la
Tremoille qui possedeaujourd'huy
le Comté de Laval,&
quiàcause de cette
alliance,faitses protcftations
à tous les Traitez de
Paix
,
où il envoye une
personne pour le reprefen"-
ccr , prétendant au Royaume
de Naples comme
heritier d'Anne de Laval
sa quatriéme ayeulle.
-
Sans s'attacher à toutes
les alliances souveraines
de cette illustre Maison,
je diray qu'il y en a quantité
d'autres tres conGderablesquiluy
sont alliées,
& le grand nombre de
Maisons qui y ont pris des
femmes, tient à honneur
d'en estre descendu
,
& se
font un plaisir d'arborer les;
Armes de Montmorency
dansleursalliances.
L'on voit parmy les 1
Grands Officiers du Royaume
de France plus de
Seigneurs de laMaison de
Montmorency que d'aucuneautreMaisons
l'on y
compte deux grands Senéchaux,
six Connestables,&
un Connestable d'Hibcrnie,
neufMaréchaux,quatre
Grands Amiraux, trois
Grands Maistres de la
Maison du Roy, trois
Grands Chambellans,deux
Grands Bouteillers ou Eschansons,
& deux Grands
Pannetiers.
Plusieurs Connestables,
& autres Grands Officiers
de France, sont sortis de
cette Maison tres illustre,
ouenontépousédesfilles,
outre que cette Maison a
aussi produit plusieursDucs
&DuchelTes.
Quoy que la vertu & la
Religion ayent tousjours
esté le partage des Seigneurs
de Montmorency
neanmoins l'on , en voit
tres peu qui ayent estérevestus
de Dignitez Ecclesiastiques;
l'on en voitcependant
un Archevesque
Duc de Reims, des Evesques
d'Orleans, & peu
d'autres.
ilsontencore l'honneur
d'avoir un Saint reconnu
par l'Eglise,donton revere
la memoire aux Vaux
de Cernay enBeauce,c'est
saint Thibaud de Mont-
-
morency Seigneur deMarly,
fils de Mathieu premier,
&
dAline d'Angleterre, lequel
se croisa en 1173. pour
le voyage de la Terre sainte.
A son retour il se fit
Religieux de l'Ordre de
Cisteaux, en l'Abbaye du
Val, puis ilfut Abbé des
Vaux de Cernay à quatre
lieuës de Versailles, entre
Chevreuse &: Ramboüillet,
où il mourut saintementvers
l'an 1189.
Enfin tant de grandeur
dans une Maisonfaitassez
connoistre que la valeur a
esté hereditaire dans l'âme
des Seigneurs de Montmorency,
& leur a tait meriter
tous ces honneurs,
pour avoir tousjours refpandu
leur fang pour la
deffensede leurs Roys, &
de leur patrie, s'estant tousjours
trouvez à la teste des
Armées qu'ils commandoient
en chef, où ils ont
fait paroistre leur courage
avec éclat au milieu des
plus grands perils.
Je n'en veux point un
plus grand exemple que
celuy d'Anne de Montmorency
Duc, Pair, Marechal
,
Connestable
, k,
Fi
Grand Maistre de France,
lequel aprèsavoirblanchi
fous le harnois militaire,
pour la deffenseduRoy,
& de la patrie, remporta
dans le tombeau la gloire
d'estre mort au lit d' honneur
,
puisque commandant
l'Armée Royalle à la
Bataille de saint Denis, il
y receut huit coups mortels
,
dont il mourut deux
jours aprés en son Hostel
de Montmorency à Paris,
estant âgé de prés de quatre
vingt ans, comblant
par ce moyen les derniers
jours de sa vie d'une fin
tres glorieuse, a prés avoir
servy cinq Roys, & après
avoir passé par tous les degrez
d'honneur, & s'estre
trouve à huitBatailles, en
ayant commandé quatre
en chef; aussi le Roy Charles
1X. voulant honorer la
memoire de ce grand Chef
de Guerre
,
ordonna que
sa Pompe funebre fust faite
en l'Eglise de Nostreme
de Paris,avec toute la
magnificencepossible, où
toutes les Cours souveraines
assisterent par ordre du
Roy. De là son corps fut
porté en l'Eglise de saint
Martin de Montmorency,
& son coeur en celle des
Celestins de Paris, où il
futmis dans un Caveau,
proche de celuy du Roy
HenryII. Il estoit bien
juste qu'un coeur quiavoit
esté aimé de son Prince,
& qui avoit eu part à ses
plus im portantes affaires,
fust après son trépas inhumé
proche de celuy qui
luy avoit fait tant d'honneur
durant sa vie,
Mr Chevillard vient de
mettre au jour une Carte
qui a pour Titre: Succession
Chronologique des Empereurs,
&des Impératrices d'Occident,
depuis Charlemagnejusqu'à
present.
On n'entreprend point
de rapporter dans cette
Carte les Empererus Romains,
ni les Empereurs
d'Orient, on s'est borné
à rapporter la Chronologie
des Empereurs, & des
Imperatrices d'Occident,
qui sont ceux qui ont regnéen
Europe depuis l'an
800. On commence par
Charlemagne que l'erreur
commune fait le restaurateur
de l'Empired'Occident
, quoyqu'il soit vray
qu'il estoitEmpereur avant
qu'il cust eHé reconnu tel
par les Romains estantEmpereur
par sa feule qualité
de Roy des François, l'Empire
d'Occident ou du
moins celuy des Gaules
ayant este cedé à Clovis en
508. & confirmé à ses petitsfils
par l'Empereur Justinien.
Il eftvrayque depuis
l'an875. on n'a reconnu
pour Empereurs que
ceux qui ont esté reconnus
tels par les Papes, que mesme
les Rois de Germanie;
& d'autres qui ont esté couronnezEmpereurs,
n'ayant
priscetitre, du moins jusqu'ausiecle
dernier, qu'après
ce couronnement, se
contentant, jusqu'à cette
ceremonie
,
de celuy de
Roy desR omains ou d'Empereurélu.
On met neanmoins
dans cette Carte
ceux que l'erreur publique
reconnoist pour Empereurs
ou qui ont ~estéélus
im Empereurs,
Empereurs
, par des partis,
pour les opposer à ceux
qui avoient esté légitimément
élûs,ilssont distinguez
par des Couronnes
differentes.
1-t Genealogie, &la mal4
son de Montmorency. -% Tout le monde est persuadédel'antiquité
de l'illustre
Maison de Montmorency,&
personne ne
doute qu'elle ne soit une
des plus anciennes du
Royaume , la qualité de
premiersBarons Chrétiens
en France, avec lecry de
Guerre (Dieu aide au premier
Chrestien ) en marque la
grande antiquité. Mais la
révolution des siecles passez
a fait perdre les vieux
Titres
,
la negligence des
Historiens en dérobent
la memoire, & il est mal
aisé de sçavoir la verité de
son origine.
Celuy auquel nous avons
obligation de la connoissance
de cette Maison est
le fameux André Duchesne
qui par ses soins nous a
laisse dans un gros volume
toute sa posterité depuis
Bouchard I. qui vivoit en jj -' 954. maisil ne s'est pas embarrassé
de rapporter ceux
qui l'ont precedé
,
n'en
:t
ayant point trouvé de
preuves certaines; il rapporte
feulement ce que
d'anciens Autheurs ont dit
des premiers Seigneursde
Montmorency.
Ildit qu'il se trouve dans lapartiedes Gaules qu'on
appelle France deux insignes
commencemens de
conversion ; la premiere
par saint Denis premier
Evesque de Paris, qui a1 procuré la conversion des Gauloisla seconde saint par Remy, Archevesque
de Paris, qui convertit les
François; ces deux conversions
sont cause de deux
opinions touchant l'Autheur
d'une si nobleextraétion.
La premiere
, que LisbiusChevalierdune
tresgrande
Noblesse & d'autorité
parmy les Parisiens
estoit Seigneur de Mont-,
morency proche de cette
Ville, & fut le premier des
Gaulois qui embrassa la
Religion Chrestienne à la
prédication de saint Denis
vers l'an centième de nostre
Redemption, supposé
que ce fut saint Denis
l'Areopagite qui avoir esté
converty par saint Paul
Apostre : mais si l'on fuie
le sentiment de Gregoire
de Tours qui rapporte l'arrivée
de saint Denis dans
les Gaules sousle Coniulac
de Decius & de Gratus, la
conversion de Lisbius ne
pourroit estre que vers l'an
tJ3*
La seconde opinion qui
est de Robert Cenal, Evesque
d'Avranches, au premier
Livre de ses Remarques
Gau loises, & de Claude
Fauchée, au second Livre
de ses AntiquitézFrançoisesdisent
i que ce luy
qui a donné origine à la
Maison de Montmorency
nefutpas lefameux Gaulois
Lisbius,maisun Grand
Baron François nomme
Lisoie (lequel quand Clovis
premier Roy Chrestien
de France, fut baptisé par
saint Remy à Rheims en
499. ) fut le premier des
Seigneurs de sa suite
,
qui
se jetta dans la Cuve des
Fonds après luy
, en memoire
dequoy ses descendansmasles
ontestéhonorez
du titre de premiers
Barons Chrestiens deFrance
,
& ont tousjours eu depuis
pour cry de Guerre ,
Dieu aide au premier Chressien.
Quoy qu'il en soit, on
ne peut douter que les
deux qualitez qui ont tousjours
esté dans cetts illustre
Maison
,
de premier
Chrestien
, & de premier
Baron Chrestien en France,
n'ayent une origine
tres ancienne, &tr.--s illustre,
qui marque que les
anciens Seigneurs de
Montmorency eftoienc
des plus puissants du Royaume
: mais comme la
succession depuis Lisbius,
ou de Lisoie,n'apû se conserver
jusques à nous ,
il
faut s'en tenir à ce que
nous avons de plus asseuré,
& suivre ce qu'en a efcric
Duchesne auquel je renvoye
le Lecteur, qui commence
l'histoire de cette
Maison à Bouchard premier
, comme j'ay dit cydevant,
& quinous a donné
la suite desa posterité,
qui est rapportée dans la
Carte Chronologique de
cette Maison
, par MonsieurChevillard
qui donne
à ce Bouchard premier
un pere , un ayeul,
& un bisayeul
, que Duchesne
ne rapporte pas
mais les ayant trouvez
dans un autheur
)
il les a
rapportez pour faire connoistre
les alliances illustres
qu'ils avoient contractées,
puisque Jean Seigneur
de Montmorency pere de
Bouchard premier, qui vivoit
en 940. avoit épousé
Jeanne fille de Berenger
Comte de Beauvais, fils
d'AdolpheComte de Vermandois
, Everard Sei- j
gneur de Montmorency,
qui vivoit en 892. pere de
Jean & ayeul de Bouchard
premier, épousa Brunelle
fille deGaultier Comte de
Namur, & Leuto ou Leutard
Seigneur de Montmorency
qui vivoit en 845.
avoir épousé Everarde fille
d'un Comte de Ponchieu,
ce Leuto estoit pere d'Everard
& bisayeul de Bouchard
premier, c'est à luyqu'il
commence cet arbre
genealogique, afin defaire
connoistre les trois divers
changements qu'il y
a eus dans les Armes de la
Maison de Montmorency.
Ceux de cette Maison
avoient pris d'abord pour
leurs Armes, comme premiers
Chrestiens, d'or à la
croix de gueules;Bouchard
premier la cantonna de
quatre aiglettes ou allerions
d'azur, pour conservet
la memoire de quatre
Enseignes Impériales prises
à la victoire qu'il remporta
sur l'armée de tEmpereur
Othon II. Matthieu
II. dit le Grand, augmenta
les quatre allerions
de douze autres, en mémoire
de douze autres Enfeignes
Imperiales qui furent
prises à la bataille de
Bouvines sur l'Empereur
OthonIV. en1214 Ainsi
depuis ce temps- là les Seigneurs
de Montmorency
ont tousjours porté d'or à
la croix de gueules, cantonnée
de seize allerions
d'azur; & comme cette
Maison a formé quantité
de branches, ils ont brifé
leurs Armes differemment,
comme on le voit dans la
Carte genealogique, mais
à present comme labranche
aisnéeest éteinteenla
personne de Philippe de
Moutmorency Seigneur
de Nivelle, ôc Comte de
Horne décapité en 1^8.
auquel la branche de Fosfeux
a succedéàl'aisnesse,
toutes les autres branches
des Seigneurs de certe
Maison ont quitté leurs
brisures, & ont retenu les
Armes pleinesqu'ils portent
presentement.
La Maison de Montmorency
s'est separée en
quantité de branches, il y
en a eu plusieurs anciennes
qui font éteintes, mais
elle a conservé son nom
jusqu'à aujourd'huy, par la
succession de la branche
aisnée,dans plusieurs branches
qui subsistent,& quoy
qu'il paroisse de grandes
branches sorties de Mathieu
II. dit le Grand, Seigneur
de Montmorency
il n'y , a eu que la posterité
de son filsaisné Bouc hard
VI. qui ait retenule nom
de Montmorency, parce
que ion fils cadet Guyde
Montmorency fut Seigneur
de Laval, qui comme
heritier desa mereEme
de Laval, sortie d'une tres
noble & tres illustre Maison,
en atransmis le nom
à ses Descendans qui le retiennent
encore aujourd'huy,
ayant retenu les Armes
de Montmorency
,
la
Croix chargée de cinq coquilles
d'argent pour brisure,
comme cadets de sa
Maison.
Quant aux honneurs de
cette Maison, on ne peut
disconvenir qu'elle est des
plus illustrées
, tant dans
les alliances qu'ils ont contractées,
que dans les charges
qu'ils ont possedées,
les honneursqu'ils onteus
par leurs alliances, les font
toucher de près à tout ce
qu'il y a eu de Testes couronnées
dans l'Europe, &
pour le faire connoistre il
faut distinguer ses alliances
en trois manieres. Premierement
,
dans son ancienneté
: Secondement,
depuis
depuis la separation de ses
deux Branches, les Alliances
que celle de la Branche
de Montmorency a contractées
:
Troisiémement,
celle que la Branche de Laval
aeuës. Premierement, les Alliances
qu'ils ont eues anciennement
sont trcs considerables
puisque la premiere
qui estrapportée par
Duchesneestl'épouse qu'il
donne à Bouchard I.Elle
se nommoit Hildegarde,
& estoit fille de Thibaud I.
Comte de Chartres & de
de Bipis,ôc de Ledegarde
de Vermandois. Elle avoit
pour frere Eudes I. Comte
de Chartres & de Blois,
pere de Eudes II. Comte
de Champagne, duquel
sont forcis tous les Comtes
de Champagne; & pour
soeur Emme,femme de
GuillaumeIII. Duc de
Guyenne
, mere de Guillaume
IV. Ducde Guyenne
,
élu Roy d'Italie
, &
Empereur des Romains
duquel sont desçendus les,
Ducs deGuyenne,&Agnés
femme de l'Empereur
Henry III.
-
Hildegarde avoit pour
alliances du costé de sa
mere Ledgarde de Vermandois,
qui estoit fille de
Herbert II. Comte de Vermandois,&
d'une soeur de
Hugues le Grand, Duc de
France
,
& Comte de Paris
, pere du Roy Hugues
Capet; & aussi soeur d'Emme
,
Reine de France,
femme de Raoul, Duc de
Bourgogne, & Roy de
France, si bien qu'elle estoit
cousine du second au
troisiéme degré du Roy
Hugues Capec
,
chef de la
n'oineme Race des Rois
de France qui subsiste aujourd'huy.
Mathieu I. Seigneur de
Montmorency, Connestable
de France, épousa Aline
,
fille de Henry I. Roy
d'Angleterre, &en fecondes
nôces il épousa Alix de
Savoye
, veuve du Roy
Loüis VI. dit le Gros, mere
duRoy Loüis le Jeune, si
bien qu'il avoit l'honneur
d'estre beaupere du Roy
pour lors regnant.
BouchardV.s'alliaavec
Laurence, fille de Baudoüin,
Comte deHainaut,
descendu par les Comtes
de Flandres, de l'Empereur
Charlemagne; elle
estoit tante de BaudoüinV.
Comte de Flandres
, &
Empereur de Constantinople
,
d'Isabeau de Hainaut
,
Epouse du Roy de
France Philippe-Auguste,
& d'Ioland de Hainaut
Impératrice de Constanti-,
nople, femme de Pierre
de Courtenay, auquel elle
porta la Couronne
@
Imperiale.
Matthieu II. avoit épouse
en premières noces Gertrude
de Néelle
,
fille de Thomas Chastelain de ,
Bruges en Flandres
, &
d'une soeur d'Yves, Comte
de Soissons
,
Seigneur de
Néelle.C'estde cetteDame
quetoute la Maison de
Montmorency d'aujourd'huy
descend, parce que
Matthieu II épousa en secondes
noces Emme de
Laval qui luy donna pour
fils Guy de Montmorency,
Seigneur de Laval, comme
jelediray cy-aprés ; cette
Dame estoit soeur aisnée
d'Isabeau de Laval, femme
de Bouchard VI.Seigneur
de Montmorency, fils aisné
du premier lit de Mathieu
IL ainsi l'on peut dire
que dans la separation des
deux branches de Montmorency,
& de Laval, ils
ont les mesmes alliances,
puisque par les mariages
de ces deux Dames de la
Maison de Laval,ils se
trouvoient alliez des Maisons
de France ,
d'Angleterre,
d'Ecosse, de Castille,
des Comtes deThoulouse,&
de quantité d'autres
Maisons tres- considerables.
Secondement
,
les alliances
que la Maison de
Montmorency a contractéesdepuis
sa separation
d'avec la branche de Laval,
sont celles que Mathieu
III. contracta avec
Jeanne de Brienne fille de
Jean Roy de Jerusalem,
qui estoit fille de Henry
Comte de Champagne
Roy de Jerusalem. Cette
alliance leur en donna de
nouvelles avec la Maison
de France,puisque Henry
Comte
Comte de Champagne
Roy de Jerusalem
,
avoit
pour mere Marie de France
fille du Roy Loüis le
Jeune, avec les Roys de
Navarre de la Maison de
Champagne
, & avec les
Roys de Jerusalem & de
Chypre, de la Maison de
Lefignen.
Mathieu IV.ditle Grand,
Seigneur de Montmorency
,
fils de Mathieu III.
s'allia avec Marie de
Dreux Princesse du sang
de France, fille de Robert
IV. Comte de Dreux,
qui avoit pour quatriéme
ayeul Robert de France
Comte de Dreux fils du
Roy Loiiis le Gros. D'ailleurs
elle estoit sa parente
par trois endroits,d'abord
au quatriéme degré du
costé maternel par laMaison
de Craon , parce que
Maurice Seigneur de
Craon fut pere de Havoise
de Craon,femme de Guy
VI. Seigneur de Laval, qui
estoit pere d'Isabeau de Laval
mar iée à Bouchard VI.
Seigneur de Montmorency
ayeul de MathieuIV.
Et d'Amaury de Craon,
pere de Jeanne de Craon
femme de Jean Comte de
Montfort ayeulle maternelle
de ladite Dame Marie
de Dreux, par la Maison
de Montfort. Elle estoit
sa parente du quatriéme
au cinquiémedegré,
& par celle de Coucy du
cinquiéme au sixiéme.
Ce ne seroit jamais fait
si on vouloit particularifcr
toutes les alliances les unes
aprés les autres, on se renferme
aux trois recentes; sa
premiereest celle queHenry
Duc de Montmorency
II. du nom,Pair, Marechal
& Amiral de France,
contractaavec Marie Felice
des Ursins en 1612 par
l'entremise du Roy Louis
XIII. & de la Reine Marie
de Medicis sa mere 3,
pour lorsRegente du Royaume
)
qui estoit sa parente
du deuxiéme au troisiéme
degré, puisque la
Reine avoir pour pere
François deMedicisGrand
Duc de Toscane
,
qui estoit
frere d'Elisabeth de
Medicis femme de Paul
des Ursins Duc de Bracciano,
ayeul de Madame la
Duchesse de Montmorency
: ainsil'on peut voir par
cette alliance, l'estime que
le Roy Louis XIII. d'heureuse
memoire,faifoic de
cetteMaison,puisqu'il faisoitépouserà
Monsieur le
Duc de Montmorency sa
parenteau troisiéme degré.
La féconde alliance des
trois ausquelles on s'est retranché
,
est celle de Charlote
Marguerite de Montmorency
,soeur & heritiere
de HenryII. Duc de
Montmorency mort sans
posterité
,
laquelle épousa
en 1609. Henry de Bourbon
II. du nom Prince de
Condé. Cette Princesse
aprés la , mort de son frere
, herita du Duché de
Montmorency, & de plusieurs
autres biens qui sont
entrez parcette alliance
dans laMaison de Condé.
La troisiéme alliance est
celle que fit François Henry
de Montmorency Duc
de Piney -
Luxembourg,
forti de la branche de Bouteville,
quiépousaen 1661.
Magdelaine- Charlotte-
Bonne-Therese de Clermont
Duchesse de Piney-
Luxembourg,fille de Charles-
Henry de C lermont-
Tonnerre, & de Marie de
Luxembourg Duchesse de
Piney
,
qui se défit de sa
Duché en mariant sa fille, àcondition que son époux
porteroit le nom & les Armes
de Luxembourg
,
luy
transmettant le droit de sa
Duché femelle, afin de
conserver le nom de cette
illustre Maison, qui a donné
plusieurs Empereurs
des Romains, des Roys de
Boheme, des Reines de
France, & à d'autres Couronnes
de l'Europe.
Ayant cy-dessus distingué
les alliances de la Maison
de Montmorency en
trois manieres. Premierement
, dans son commencement.
Secondement, depuis la separation de ses
deux grandes branches, &
en troisiéme lieu, en celle
que la branche de Laval a
euë depuis sa separation
d'avec celle de Montmorency.
J'en rapporte quatre
qui sont d'une tresgrande
îllustration. La premiereest
celle que Guy X.
Comte de Laval contracta
en 1347. avec Beatrix
fille d'Artus Duc de Bretagne
, &dont l'arriere petite
filleIsabeau de Laval
épousa Loüis de Bourbon
Comte de Vendôme. C'est
cette seconde alliance qui
doit aujourd'huy faire plus
de plaisir à la Maison de
Montmorency; puisque
c'est de cette Isabeau de
Laval que descend toute la
Maison Royalle de Bourbon,
estant la sixémeayeulle
paternelle de nostre
grand Monarque Loüis
XIV. à present regnant;
qui voit en cette presente
année 1711. son Throfne
affermi dans sa Maison
pour plusieursannées par
la naissance de ses arriere
petits fils Monseigneur le
Duc de Bretagne, &Monseigneur
le Duc d'Anjou,
&par cette alliance toutes
les Testes couronnées de
l'Europe qui regnent aujourd'huy
,
sont alliéesà la
Maison de Montmorency,
La troisiéme alliance
qui fait encore honneur à
cette Maison, c'estdevoir
René d'Anjou Roy de Na",
ples & de Jerusalem
,
qui
épousa Jeanne de Laval en
fecondes noces, mais cette
Reine n'en ayant point eu
d'enfans ,il n'est resté à sa
famille que le plaisir de
s'en souvenir.
La quatriéme & demiere
alliance est celle de
Charlotte d'Arragon fille
de Federic d'Arragon Roy
deNaples, qui fut femme
de Guy XVI. Comte de
Laval; ils eurent plusieurs
enfans, entre autres deux
filles, dont l'aisnée Catherine
de Laval épousa Claude
Sire de Rieux,qui porta
dans la Maison deColigny
le Comté de Laval,
qui a présl'excinction de
cette branche,est tombé
dans celle de sa soeur cadette
Anne de Laval qui
épousa François de la
Tremoille Vicomte de
Thouars,dont est descendu
Monsieur le Duc de la
Tremoille qui possedeaujourd'huy
le Comté de Laval,&
quiàcause de cette
alliance,faitses protcftations
à tous les Traitez de
Paix
,
où il envoye une
personne pour le reprefen"-
ccr , prétendant au Royaume
de Naples comme
heritier d'Anne de Laval
sa quatriéme ayeulle.
-
Sans s'attacher à toutes
les alliances souveraines
de cette illustre Maison,
je diray qu'il y en a quantité
d'autres tres conGderablesquiluy
sont alliées,
& le grand nombre de
Maisons qui y ont pris des
femmes, tient à honneur
d'en estre descendu
,
& se
font un plaisir d'arborer les;
Armes de Montmorency
dansleursalliances.
L'on voit parmy les 1
Grands Officiers du Royaume
de France plus de
Seigneurs de laMaison de
Montmorency que d'aucuneautreMaisons
l'on y
compte deux grands Senéchaux,
six Connestables,&
un Connestable d'Hibcrnie,
neufMaréchaux,quatre
Grands Amiraux, trois
Grands Maistres de la
Maison du Roy, trois
Grands Chambellans,deux
Grands Bouteillers ou Eschansons,
& deux Grands
Pannetiers.
Plusieurs Connestables,
& autres Grands Officiers
de France, sont sortis de
cette Maison tres illustre,
ouenontépousédesfilles,
outre que cette Maison a
aussi produit plusieursDucs
&DuchelTes.
Quoy que la vertu & la
Religion ayent tousjours
esté le partage des Seigneurs
de Montmorency
neanmoins l'on , en voit
tres peu qui ayent estérevestus
de Dignitez Ecclesiastiques;
l'on en voitcependant
un Archevesque
Duc de Reims, des Evesques
d'Orleans, & peu
d'autres.
ilsontencore l'honneur
d'avoir un Saint reconnu
par l'Eglise,donton revere
la memoire aux Vaux
de Cernay enBeauce,c'est
saint Thibaud de Mont-
-
morency Seigneur deMarly,
fils de Mathieu premier,
&
dAline d'Angleterre, lequel
se croisa en 1173. pour
le voyage de la Terre sainte.
A son retour il se fit
Religieux de l'Ordre de
Cisteaux, en l'Abbaye du
Val, puis ilfut Abbé des
Vaux de Cernay à quatre
lieuës de Versailles, entre
Chevreuse &: Ramboüillet,
où il mourut saintementvers
l'an 1189.
Enfin tant de grandeur
dans une Maisonfaitassez
connoistre que la valeur a
esté hereditaire dans l'âme
des Seigneurs de Montmorency,
& leur a tait meriter
tous ces honneurs,
pour avoir tousjours refpandu
leur fang pour la
deffensede leurs Roys, &
de leur patrie, s'estant tousjours
trouvez à la teste des
Armées qu'ils commandoient
en chef, où ils ont
fait paroistre leur courage
avec éclat au milieu des
plus grands perils.
Je n'en veux point un
plus grand exemple que
celuy d'Anne de Montmorency
Duc, Pair, Marechal
,
Connestable
, k,
Fi
Grand Maistre de France,
lequel aprèsavoirblanchi
fous le harnois militaire,
pour la deffenseduRoy,
& de la patrie, remporta
dans le tombeau la gloire
d'estre mort au lit d' honneur
,
puisque commandant
l'Armée Royalle à la
Bataille de saint Denis, il
y receut huit coups mortels
,
dont il mourut deux
jours aprés en son Hostel
de Montmorency à Paris,
estant âgé de prés de quatre
vingt ans, comblant
par ce moyen les derniers
jours de sa vie d'une fin
tres glorieuse, a prés avoir
servy cinq Roys, & après
avoir passé par tous les degrez
d'honneur, & s'estre
trouve à huitBatailles, en
ayant commandé quatre
en chef; aussi le Roy Charles
1X. voulant honorer la
memoire de ce grand Chef
de Guerre
,
ordonna que
sa Pompe funebre fust faite
en l'Eglise de Nostreme
de Paris,avec toute la
magnificencepossible, où
toutes les Cours souveraines
assisterent par ordre du
Roy. De là son corps fut
porté en l'Eglise de saint
Martin de Montmorency,
& son coeur en celle des
Celestins de Paris, où il
futmis dans un Caveau,
proche de celuy du Roy
HenryII. Il estoit bien
juste qu'un coeur quiavoit
esté aimé de son Prince,
& qui avoit eu part à ses
plus im portantes affaires,
fust après son trépas inhumé
proche de celuy qui
luy avoit fait tant d'honneur
durant sa vie,
Mr Chevillard vient de
mettre au jour une Carte
qui a pour Titre: Succession
Chronologique des Empereurs,
&des Impératrices d'Occident,
depuis Charlemagnejusqu'à
present.
On n'entreprend point
de rapporter dans cette
Carte les Empererus Romains,
ni les Empereurs
d'Orient, on s'est borné
à rapporter la Chronologie
des Empereurs, & des
Imperatrices d'Occident,
qui sont ceux qui ont regnéen
Europe depuis l'an
800. On commence par
Charlemagne que l'erreur
commune fait le restaurateur
de l'Empired'Occident
, quoyqu'il soit vray
qu'il estoitEmpereur avant
qu'il cust eHé reconnu tel
par les Romains estantEmpereur
par sa feule qualité
de Roy des François, l'Empire
d'Occident ou du
moins celuy des Gaules
ayant este cedé à Clovis en
508. & confirmé à ses petitsfils
par l'Empereur Justinien.
Il eftvrayque depuis
l'an875. on n'a reconnu
pour Empereurs que
ceux qui ont esté reconnus
tels par les Papes, que mesme
les Rois de Germanie;
& d'autres qui ont esté couronnezEmpereurs,
n'ayant
priscetitre, du moins jusqu'ausiecle
dernier, qu'après
ce couronnement, se
contentant, jusqu'à cette
ceremonie
,
de celuy de
Roy desR omains ou d'Empereurélu.
On met neanmoins
dans cette Carte
ceux que l'erreur publique
reconnoist pour Empereurs
ou qui ont ~estéélus
im Empereurs,
Empereurs
, par des partis,
pour les opposer à ceux
qui avoient esté légitimément
élûs,ilssont distinguez
par des Couronnes
differentes.
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Résumé : Discours nouveau sur l'origine, la Genealogie, & la Maison de Montmorency.
Le texte traite de la Maison de Montmorency, une des plus anciennes et illustres familles du Royaume de France, reconnue comme les premiers Barons Chrétiens avec le cri de guerre 'Dieu aide au premier Chrétien'. La révolution des siècles passés et la négligence des historiens ont obscurci les vieux titres et l'origine exacte de cette maison. André Duchesne est l'historien ayant le plus contribué à sa connaissance, retraçant sa postérité depuis Bouchard I, vivant en 954. Deux opinions principales existent sur son origine : la première attribue son origine à Lisbius, un noble gaulois converti par saint Denis, tandis que la seconde la rattache à Lisoie, un grand baron francique converti par saint Remy. La Maison de Montmorency a toujours revendiqué les qualités de premier Chrétien et de premier Baron Chrétien, marquant ainsi son ancienne et illustre origine. La succession depuis Lisbius ou Lisoie n'a pas pu être conservée jusqu'à nos jours. Duchesne commence l'histoire de cette Maison à Bouchard I, et Chevillard ajoute des ancêtres supplémentaires pour montrer les alliances illustres contractées par la famille. Les armes de la Maison de Montmorency ont évolué, passant d'une croix de gueules sur fond d'or à une croix cantonnée de seize aiglettes d'azur. La Maison s'est séparée en plusieurs branches, certaines éteintes, mais le nom de Montmorency a été conservé jusqu'à aujourd'hui. Les alliances de la Maison de Montmorency sont extrêmement prestigieuses, incluant des mariages avec des membres des familles royales de France, d'Angleterre, et d'autres maisons nobles. Les alliances plus récentes incluent des mariages avec des membres de la Maison de Condé et de la Maison de Luxembourg. La Maison de Montmorency compte de nombreux Grands Officiers du Royaume de France, tels que des Sénéchaux, Connétables, Maréchaux, Amiraux, Maîtres de la Maison du Roi, Chambellans, Bouteillers, et Pannetiers. Plusieurs membres ont également été Ducs et Duchesses. La famille a produit des dignitaires ecclésiastiques, dont un Archevêque Duc de Reims et des Évêques. Saint Thibaud de Montmorency, Seigneur de Marly, est un membre notable, ayant participé à la croisade et fondé l'abbaye des Vaux de Cernay. La valeur et le courage des Seigneurs de Montmorency sont soulignés, notamment à travers l'exemple d'Anne de Montmorency, Duc, Pair, Maréchal, Connétable et Grand Maître de France, qui mourut glorieusement après avoir commandé l'armée royale à la bataille de Saint-Denis. La mémoire de ce grand chef de guerre fut honorée par une pompe funèbre magnifiquement organisée par le roi Charles IX.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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28
p. 196-210
LA PRESENCE d'esprit, Avanture nouvelle.
Début :
Les plaintes soulagent ceux qui souffrent, & sur tout les [...]
Mots clefs :
Femme, Chambre, Garderobe, Aventure, Esprit, Homme, Bougie, Jalousie
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texteReconnaissance textuelle : LA PRESENCE d'esprit, Avanture nouvelle.
LAPESENCE
d'esprit, Avanture nouvelle.
Les plaintes soulagent
ceux qui souffrent, & sur
tout les Dames, quelques
unes même ne iônt pas
faschées que des maux legers leur servent de prétexteau plaisir de se plaindre ; mais les mîux de
l'esprit sont ceux que les
plaintes soulagent le plus.
:'
: Une Dame trés vertueuse estoittourmentée
par la jalousie de [on.mary, & n'avoit d'autreconsolationquecelle de s'en
plaindreàunveritable
amy qui n'estoit point
connu de son tnalY, &
qu'eue n'osoit luy faire
connoistre parce qu'il estoit assez jeune pour luy
donner de l'ombrage,
elle voyoit quelquefois
cet amy dans la chambre
d'une Demoisellequ'elle
avoit & qui estoit d'assez
bonne maison pour qu'elle l'a regardast plustost
comme une amie que
comme une femme à elle.
Cette Demoiselle « estoit
bien faite, Se le mary jaloux en devint amoureux. Un soir voulant
entrer dans sa chambre
il tourna la clef',.& s'aperçut qu'elle estoit fermée au verrouil
,
& dans
lemesme temps entendit
la voix d'un homme ;'.
-
*•
donc il fut allarmé sur le.
compte de la Demoiselle, mais aprés avoir un
peu pressé l'oreille qu'il
avoit trèsfine, comme
l'ont ord inairement les
jaloux, il entendit la voix
de sa fCfilineJ il fut. frappé d'un double coup, je
vous laisse à juger lequel
luy fut le plus rude: il
resva quelque temps au
party qu'il prendrait,ensuite il fermadoucemeat
la P&tc à double tour
,
afin que pas un des trois
ne pust sortir de la chambre
,
& prist le grand tour
pour aller gagner une
garderobe qui estoit de
l'autre costé de cette
chambre &qui dégageoit
un corridor, où il laissa
le flambeau qu'il tenoit
afin de se glisser sansmicre dans la garderobe,
&de pouvoirentendre
ce qui ledisoit entre l'amy la femme & la Demoiselle
,
à peine estoit il
entré-dans la garderobe,
que la femme qui s'en
aperceut feignantde
vouloirmoucher la bougie ;
réteignit avec les
mouchetes pour donner
le loisir à l'amyd'ouvrir
la porte doucement& de
se sauver,elle cria aussitost à la Demoiselle d'aller ralumer sa boucrie
pendant ce temps là l'amy ayant /- tenté vainement d'ouvrir la porte dit
tousbas à la femme qu'il
alloit tascher de se sauver
par la garderobe
,
parce
qu'apparammentle mary
estoitence momentdaus^
la chambre
,
ilsy estoient
en effet alors tous quatre
bien intriguez iàns, dire
mot,&marchant tous
sur la pointe du pied je
ne puis pas bien vous décrire la marthe de cette
scene nocturne QU; chacun tendoit à son but,
celuy du mary estoit de
si:; mettre en un endroit
d'où il pust voir sans ettre veu, car ilne s'estoit
point apperceuqu'ilestoit
découvert ;..-& la Demoiselle, pouis donner le loisir à sa maistresse & à l'amy de s'échapper, feignoit de battre le fusil en
un coinde la chambre, &
de vouloir rallumer la
bougie, ce que le mary
attendoit, s'estant porté
proche la.porte de sa
garderobe; A l'égard de
l'amy - il cherchoità taA
•
tons cette porte pour se
sauver, & ne la trouva
pas sitost que la femme
,
qui en mefrre tempstrouva par hasard le bras de
sonmary quelle prit pour
celuy de son ami; les
premières paroles qu'elle
luy dit tout basneroulerent par bonheur que -sur
des plaintes de la jalousie
de son mari
,
& ne marquerent aucun autrecommerce avec l'ami
,
parce
qu'eneffet je dois estre
persuade que toutes les
femmesdont on met les
avantures dans le Mercure,
sont dans la regle des
bonnesmœurs. Celle-cy
après aVOIr) comme j'ay
dit, fait quelques plaintes de son mari à ion mari
mesme qu'ellecroyoitson
ami, reconnut sa méprise, premierement parct
qu'il ne répondoit point,
&C de plus parce qu'il traversoit la garderobe & le
corridor plus lentement
*
qu'elle ne vouloir
, voulant entendre la confes
sion de sa femme le plus
longtemps qu'ilpourrait,
& craignant d'arriver à
l'endroit où il avoit lai/Té
la bougie, la femme s'ef
tantdonc apperceuë qu
elle parloità
sonmari,continua son discours avec
une presence d'esprit admirable
,
car elle fit succeder aux plaintes sur le
mari, une exhortation vive d'épouser le plustost
qu'il pourroit cette Demoifdie quiestoit de bonne maison ,&que s'il
tardoit davantage, ellene
pourroit se dispenser de
la mettre dehors parce
qu'elle feroit perduë si jamais son mari lerencontroitchez elle. Quand
elle en eut assez dit pour
se * disculper, elle feignit
dene s'appercevoir qu'en
ce moment de sa méprise
à la lueur de la bougie
dontils estoientproche.
alors elle fit un cri de furprise
,
où elle joignit enfuite des mouvemens de
colere si bien contrefaits
contre l'ami, que sans
donner le tempsau mari
de se reconnoistre ni de
répondre, elleprit le flam-
-
beau & courut comme
transportée de rage faire
millereprochesîux deux
amants prétendus qui
l'avoient exposée à une
pareille avanture , l'ami
-
qui avoit de l'esprit fut
0
d'abord
d'abordau fait, & se jettaaux pieds de la femme
ses lui demanda retardemens, pardon &pro-de
mit
l'épouser àla,dès Demoiselle lelende- de
main&del'emmeneren
Province
,
ce fut la le
coup de mailire, car le
mariamoureuxalarméde lapertedesamaiitrdïcr,.
en oublia tous les Coupçons contre sa femme, St lerestede la soirée fut
employé de la part du
mari à trouver sinement
les moyens de retarder ce
mariage, & de la part
de la femme a feindre de
vouloir le haster. Je n'ay
point sceu ce qui fut decidé
)
la femme justifiée
par sa presence d'esprit,
efl: le point unique que
ay voulu traiter, & par
consequent cette avanture doit finir parlà.
d'esprit, Avanture nouvelle.
Les plaintes soulagent
ceux qui souffrent, & sur
tout les Dames, quelques
unes même ne iônt pas
faschées que des maux legers leur servent de prétexteau plaisir de se plaindre ; mais les mîux de
l'esprit sont ceux que les
plaintes soulagent le plus.
:'
: Une Dame trés vertueuse estoittourmentée
par la jalousie de [on.mary, & n'avoit d'autreconsolationquecelle de s'en
plaindreàunveritable
amy qui n'estoit point
connu de son tnalY, &
qu'eue n'osoit luy faire
connoistre parce qu'il estoit assez jeune pour luy
donner de l'ombrage,
elle voyoit quelquefois
cet amy dans la chambre
d'une Demoisellequ'elle
avoit & qui estoit d'assez
bonne maison pour qu'elle l'a regardast plustost
comme une amie que
comme une femme à elle.
Cette Demoiselle « estoit
bien faite, Se le mary jaloux en devint amoureux. Un soir voulant
entrer dans sa chambre
il tourna la clef',.& s'aperçut qu'elle estoit fermée au verrouil
,
& dans
lemesme temps entendit
la voix d'un homme ;'.
-
*•
donc il fut allarmé sur le.
compte de la Demoiselle, mais aprés avoir un
peu pressé l'oreille qu'il
avoit trèsfine, comme
l'ont ord inairement les
jaloux, il entendit la voix
de sa fCfilineJ il fut. frappé d'un double coup, je
vous laisse à juger lequel
luy fut le plus rude: il
resva quelque temps au
party qu'il prendrait,ensuite il fermadoucemeat
la P&tc à double tour
,
afin que pas un des trois
ne pust sortir de la chambre
,
& prist le grand tour
pour aller gagner une
garderobe qui estoit de
l'autre costé de cette
chambre &qui dégageoit
un corridor, où il laissa
le flambeau qu'il tenoit
afin de se glisser sansmicre dans la garderobe,
&de pouvoirentendre
ce qui ledisoit entre l'amy la femme & la Demoiselle
,
à peine estoit il
entré-dans la garderobe,
que la femme qui s'en
aperceut feignantde
vouloirmoucher la bougie ;
réteignit avec les
mouchetes pour donner
le loisir à l'amyd'ouvrir
la porte doucement& de
se sauver,elle cria aussitost à la Demoiselle d'aller ralumer sa boucrie
pendant ce temps là l'amy ayant /- tenté vainement d'ouvrir la porte dit
tousbas à la femme qu'il
alloit tascher de se sauver
par la garderobe
,
parce
qu'apparammentle mary
estoitence momentdaus^
la chambre
,
ilsy estoient
en effet alors tous quatre
bien intriguez iàns, dire
mot,&marchant tous
sur la pointe du pied je
ne puis pas bien vous décrire la marthe de cette
scene nocturne QU; chacun tendoit à son but,
celuy du mary estoit de
si:; mettre en un endroit
d'où il pust voir sans ettre veu, car ilne s'estoit
point apperceuqu'ilestoit
découvert ;..-& la Demoiselle, pouis donner le loisir à sa maistresse & à l'amy de s'échapper, feignoit de battre le fusil en
un coinde la chambre, &
de vouloir rallumer la
bougie, ce que le mary
attendoit, s'estant porté
proche la.porte de sa
garderobe; A l'égard de
l'amy - il cherchoità taA
•
tons cette porte pour se
sauver, & ne la trouva
pas sitost que la femme
,
qui en mefrre tempstrouva par hasard le bras de
sonmary quelle prit pour
celuy de son ami; les
premières paroles qu'elle
luy dit tout basneroulerent par bonheur que -sur
des plaintes de la jalousie
de son mari
,
& ne marquerent aucun autrecommerce avec l'ami
,
parce
qu'eneffet je dois estre
persuade que toutes les
femmesdont on met les
avantures dans le Mercure,
sont dans la regle des
bonnesmœurs. Celle-cy
après aVOIr) comme j'ay
dit, fait quelques plaintes de son mari à ion mari
mesme qu'ellecroyoitson
ami, reconnut sa méprise, premierement parct
qu'il ne répondoit point,
&C de plus parce qu'il traversoit la garderobe & le
corridor plus lentement
*
qu'elle ne vouloir
, voulant entendre la confes
sion de sa femme le plus
longtemps qu'ilpourrait,
& craignant d'arriver à
l'endroit où il avoit lai/Té
la bougie, la femme s'ef
tantdonc apperceuë qu
elle parloità
sonmari,continua son discours avec
une presence d'esprit admirable
,
car elle fit succeder aux plaintes sur le
mari, une exhortation vive d'épouser le plustost
qu'il pourroit cette Demoifdie quiestoit de bonne maison ,&que s'il
tardoit davantage, ellene
pourroit se dispenser de
la mettre dehors parce
qu'elle feroit perduë si jamais son mari lerencontroitchez elle. Quand
elle en eut assez dit pour
se * disculper, elle feignit
dene s'appercevoir qu'en
ce moment de sa méprise
à la lueur de la bougie
dontils estoientproche.
alors elle fit un cri de furprise
,
où elle joignit enfuite des mouvemens de
colere si bien contrefaits
contre l'ami, que sans
donner le tempsau mari
de se reconnoistre ni de
répondre, elleprit le flam-
-
beau & courut comme
transportée de rage faire
millereprochesîux deux
amants prétendus qui
l'avoient exposée à une
pareille avanture , l'ami
-
qui avoit de l'esprit fut
0
d'abord
d'abordau fait, & se jettaaux pieds de la femme
ses lui demanda retardemens, pardon &pro-de
mit
l'épouser àla,dès Demoiselle lelende- de
main&del'emmeneren
Province
,
ce fut la le
coup de mailire, car le
mariamoureuxalarméde lapertedesamaiitrdïcr,.
en oublia tous les Coupçons contre sa femme, St lerestede la soirée fut
employé de la part du
mari à trouver sinement
les moyens de retarder ce
mariage, & de la part
de la femme a feindre de
vouloir le haster. Je n'ay
point sceu ce qui fut decidé
)
la femme justifiée
par sa presence d'esprit,
efl: le point unique que
ay voulu traiter, & par
consequent cette avanture doit finir parlà.
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Résumé : LA PRESENCE d'esprit, Avanture nouvelle.
Le texte relate une intrigue complexe impliquant une dame vertueuse et son mari jaloux. La dame, tourmentée par la jalousie de son mari, se confie à un ami secret qu'elle ne peut révéler à son époux en raison de son jeune âge. Un soir, le mari jaloux surprend des voix dans la chambre de la demoiselle, amie de sa femme. Il découvre alors que sa femme et son ami sont présents, ainsi que la demoiselle et son propre amant. Une scène confuse s'ensuit, où chacun tente de se sauver sans être découvert. La femme, feignant de vouloir rallumer une bougie, aide son ami à s'échapper. Elle reconnaît ensuite son mari et continue de parler pour se disculper, allant même jusqu'à exhorter son mari à épouser la demoiselle. Finalement, elle feint la colère contre les deux amants prétendus. L'ami, comprenant la situation, propose d'épouser la demoiselle sur-le-champ. Le mari, alarmé par cette perspective, passe le reste de la soirée à chercher des moyens de retarder le mariage, tandis que la femme feint de vouloir le hâter. L'histoire se termine par la justification de la femme grâce à sa présence d'esprit.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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29
p. 97-120
LETTRE DE GENES. Evenement singulier d'une mort arrivée au mois de Juin 1712.
Début :
UN riche Marchand, homme capricieux, ayant toujours été heureux dans [...]
Mots clefs :
Gênes, Mort, Marchand, Voyage, Perte, Peur, Avarice, Mariage, Départ, Femme, Caprice, Vaisseau, Chute, Séparation, Catastrophe
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE DE GENES. Evenement singulier d'une mort arrivée au mois de Juin 1712.
LETTRE DE GENES.
Evénement singulierd'une mort
arrivée au mois de Juin1712.
UN riche Marchand,
hône capricieux, ayant
toûjours été heureux
dans son commerce, avoit en tête que le premier voyage qu'il feroit
lui porteroit malheur
cependant il risquoitde
perdre une sommeconfiderable s'il nerctournoit
affzz-dc-bica poursupporter cette perte, &
dans. un moment où son
avarice l'emportoit fu*.
la peur qu'il s'étoit mise -
dans l'esprit
,
il se determina à partir quelquesjours aprés.
A la veille- de son départ la peur le reprit, Se
il se mit en-tête d'achever de se rendre amoureux d'une très- belle
personne, qu'il-avoit
vuë, afin que son amour
se joignant à sa peur,
l'avaricedevînt la moins
forte. En effetcet amour luireüssit, S6 devint si
violent, qu'ayant resolu
de ne plus s'exposer sur
mer, ilsemaria, pour fortifier sa resolution. Les
complaisances que sa
femme eut pour lui la
rendaient digne deson
attachement & n'ayant
nul su jet des'enplaindre,
un de Ces capricesle prit,
&ils'imaginaqu'ilman-
quoità son bonheur une
femme dont l'amourfust
à l'épreuved'une absence
de six mois. Il crutaussi
par cette absence se preparer un renouvellement de passion, dont il
croyoitavoir besoin, à
cause d'un refroidissement qu'il commençoit
à sentir. Sur ces entrefaites il reçut une lettre
de son correspondant
,
qui lui proposoit un bon
coup à faire,pourvu qu'-
il fist aux Indes un voyage de sept à huit mois.
L'occasion d'un vaisseau
&: d'un ami qui partoit,
le determinerent.
Jamais départ d'unmari ne fut plus sensible à
une femme: elle vouloit
absolument suivre son
mari dans ce voyage, &
en fit de si tend res instances, que son mari qui
changeoit souvent de
fantaisies, crut que l'épreuve d'un tel voyage é-
toit aussi feure pour l'amour d'une femmeque
celle de l'absence.Il pria
son ami deretarder quelques jours le départ du
navire dont il croitmaître :
mais l'ami n'employa ce peu de jours
qu'à s'opposer au départ
de la femme, & represensa au mari qu'il ne
devoit pas l'exposeraux
fatigues& aux perils de
la mer, pour le seul plaisir de contenter son ca-
price.Enfin le mari se
rendit, la femme obeïtJ
resta, & le navire partit.
L'ami ressentit en partant une joye & une
douleur qui avoient des
causes differentes,il étoit
devenu passionnément
amoureux de cette semme,dont la beautél'avoit
frapé d'abord. Les rendres adieux qu'elle fit à
son mari achevevent (tu
lecharmer.IlfalotJonc
quitter cequ'il aimoit,
voila sa dou leur: mais il
étoit honnête liomiiiç
bon ami, Ez il futravi
d'avoirempêché la femme de s'embarquerade
s'en separerpour tâcher
de l'ou blier.Mais commenteût-ilpû l'oublier?
sonmari ne luiparlait
d'aucrechose. Imaginezvousquel embarras étoit
le lien; son ami n'avoit
pas d'autre plaisir quecet
entretien, qui faisoit son
suplice par la contrainte
où il setrouvait. Elle fut
pousséeau point, quel'ami ne voulant pas absolument que le mari lui
parlât de sa femme, le
mari soupçonna la chose. Il n'étoit naturellement que capricieux,
& peu jaloux } & l'ami
setrouvant contraint de
luitoutavouer,lui dit en
même temps qu'il nedevoit pascraindre qu'ilrevît jamais sa femme, puis
qu'il avoit voulu de si
bonne foi s'en separer.En
effet des que le marieut
fait ses affaires, l'ami le
pressaderetournerseul à
Genes,&montaun autre
vaisseau qui venoit en
France,où il avoitenvie
de se venir établir,même
avant son avanture. Ainsi les deux amis se dirent
adieu pour toute la vie.
Le Marchand mari
fut plus song-temps sur
mer qu'ilnecroyoit, Se
battu d'une tempête,
fut contraint de relâcher à larade de. Il
fut contraint d'y sejourner quelques semaines. Cependant il prit
patience,n'ayant plus
qu'un petittrajet à faire
pour revoir sa chere
femme: mais un de ses
caprices le prit, & ce fut
le plus extravagant qu'il
eût eu de sa vie; car craignant de retrouversa
femme trop insensible au
plaisir de le revoir
,
il
voulue lui donner une
alarme: & voyant partir
de la rade où ilétoit un
vaisseauqu'il croyoit
suivrede prés, il chargea
quelqu'un de ce vaisseau
d'un paquet de lettres,
sans dire qui il étoit.
Dans ce paquet étoit une
lettre, qu'il fit écrire par
le Capitaine du vaisseau
oùil étoit, &: cette lettre
adressée à sa femme lui racontoit la mort de son
mari avec les plusten-
dres Ô£ les plus tocuhantes circonstances qu'il
put imaginer; &C pour
donner plusde certitude
àcette faussenouvelle,il
écrivit de sa main propre
unbillet., dont lescaracteres tremblans 6C mal
formez paroissoient d'un
homme mourant, & par
ce billet de cinq ou six lignes il témoignoit à sa
femme qu'étant prés de
quiter lavie,ilemployoit
ses dern iers momens à
lui direunéternel adieu.
Ce dernier caprice paroîtra peu vrai-semblable
: maisce n'est point
ici une avanture où il
s'agisse de vrai-semblance
,
puisque c'est une
simple relation- où l'on
n'a ajoûté aucune cir-q
confiance romanesque.
Ce mari imprudent
s'embarqua peu de jours
aprés, &£ eut trés-m-luvais tem ps,&des évé-
.nomen-s de mercontrai-
r€$àl'impatiencequ'ilavoit
devoirlaréussicedeson billet i car ib n'arriva à Gencs;
que 6. ou7.semainesaprès.
Ceuxquiporterentlalettrefirent aucontraire une
navigation trés-heureuse &
trés-prompte. La lettre fut
renduë àlafemme, quifut à
la mort pendant huitjours.
Il yavoitdéjalongtems
que IIyavoitdéjàlongtemsque
l'amiamoureux étoit arrivé
à Marseille, toûjours tourmentéde son amour; quand
se promenant sur le port,
il vit aborder un' vaisseau
Génois.Ils'informade ceux
quiétoient dedans sileMar-
chand son ami étoit de retour à Genes. Un de ceux à
qui il s'adressa lui dit qu'il
connoissoit sa veuve,& qu'il
l'avoit bissée dans une affliction qui faisoit craindre
pour sa vie.
:
Il seroit difficile d'exprimer les mouvemens divers
dont cet amant & ami fut
agité. Il fut 24. heures dans
uneagitation terrible, &
le lendemain se jetta dans
uiv vaisseau qui reparroit
pour Genes, & se rendit auprès de la veuve, dont il renouvella la douleur par son
arri-
arrivée. Enfinaprès avoir
pleuré quelques jours ensemble, il lui proposa de rétablir Ses affaires en l'épousant. N'ayant point encore
d'enfans de Son mari,& ayât
peu de bien par elle-même,
elle eût eu grand besoin de
se remarier si elle eûtétéveritablementveuve
; cependant l'interêt ne la toucha
point:mais ce Negociant-ci
étoit jeune,assezaimable.En
un mot il ne fut plus question pour elle que du temps
6c des bienseances
;
elle ne
pouvoit se resoudre à se re-
marier après un mois de
veuvage ou environ.Cependant leNegociantétoit obligé de s'en retourner promtement àMarseille.Elleprit
le parti de l'epousersecretement, de quitter Genes,&
d'allers'établir en France avec ce nouveau mari. Elle
n'avoit chez elle qu'unefervante, & une parente de fôn
mari,qui étoit trés-vieille&
trés-folle. Elleluilassatout
te qu'elle avoit, &avec sa
servante seule elle partitdipantàcettevieillequ'ellealloit se jetter dansunConvent;&ellealla 4e marier,
&s'embarquerensuite avec
son mari pour Marseille.
Quelques joursaprés le
premiermari arriva à Genes,&rencontra,avantque
d'entrerchez lui, quelques
amis & voisins, qui ayant vû
réellement sa femme deses-
,'perée & malade à la mort,
exagererentencore son desespoir, pour faire sa courà
son mari, qui courut fort alarméjusqu'à son logis,où
la vieille parente,aprés être
revenuë de la peur que le revenant lui causa, lui raconta d'abord le desespoir de
sa femme
3
6c lui dit ensuite
qu'étant sortie de chezelle,
pour s'aller jetter dans un
Convent, il étoit revenu un
bruit le lendemain que
quelques gens l'avoient vû
aller du côté de la mer, &
même que quelques autres
l'avoient vû s'y precipirer.
Lavieillefolle luiconfirma
ce dernier bruit, qui n'avoit
nul fondement que quelques préjugez de bonnes
femmes. Le mari fut déja
fort malade de ce premier
coup :
maisil ne sur au desespoir quecontre lui-même;&
aprés être un peu revenu à
lui,&avoirsuivideplusprés
les bruits differens qui couroient, il apprit feulement
qu'onl'avoit vû monter avec un homme pour Marseille. La douleur,la rage lui
donnerent une attaqueplus
vive que la premiere,&il fut
deux jours dans unesituation cruelle,sanssavoir quel
parti prendre. Enfin ayant
pris celui d'aller à Marseille
pour approfondir la chose,il
y
arriva dans un état pitoyablé, & ressemblant plûtôt à
un spectre qu'à un homme.
Il demanda,enarrivant,de
nouvelles de son ami, eiperant se conioler au moins
avec lui de son malheur, Se
qu'il lui aideroit à faire des
perquisitionsdecelui qui avoit enlevé sa femme à Gcmes. Il n'eut pas de peine à
trouver oùlogeoit sonami,
tkle hazard voulut que ceux
qui luienseignement son logisne lui parlerentpoint
qu'il eût une femme avec
lui, jusqu'à ce qu'il fut parvenu à la porte de sa chambre, que lui ouvrit un valet
nouveau des nouveaux mariez,qui le pria d'atendre un
moment, parce que lafemme de Monsieur étoitavec
lui.Le pauvre homme n'eut
d'abord aucun soupçon de la
verité:mais crutque son ami
Vétoit marié parraison3 on
pour oublier la femme; &.Çc
Croyant assez intime ami
pour encrersans ceremonie,
:&, troublé d'ailleurs par son
malheur, il pouffa la porte
sortement,&entra malgré
le valet dans une fécondé
chambre, où le mari & la
femme étoient tête à tête.
On ne peut pas exprimer
l'effet de cette apparition.
La femme prit son mari
pour un deterré,outre qu'il
en avoir assezl'air;la vue de
sa femme le rendit-immobi-
le comme un [peétre. La
femme tomba à la renverse,
& le revenant tomba un
moment après, ôc ne releva
de cette chute que peur languir quelques jours. Il pardonna en mourant à son ami
6c àsa femme, à qui illaissa
même une partie de son
bien.Ils furent si penetrés de
douleur l'un & raurre,qu'iIs
font encore à present enretraite chacun dans un Convent.On,¡}e sçait point combien durera cette separation
volontaire:maisils n'ont pas
eu un moment de santé depuis cette triste catastrofe
Evénement singulierd'une mort
arrivée au mois de Juin1712.
UN riche Marchand,
hône capricieux, ayant
toûjours été heureux
dans son commerce, avoit en tête que le premier voyage qu'il feroit
lui porteroit malheur
cependant il risquoitde
perdre une sommeconfiderable s'il nerctournoit
affzz-dc-bica poursupporter cette perte, &
dans. un moment où son
avarice l'emportoit fu*.
la peur qu'il s'étoit mise -
dans l'esprit
,
il se determina à partir quelquesjours aprés.
A la veille- de son départ la peur le reprit, Se
il se mit en-tête d'achever de se rendre amoureux d'une très- belle
personne, qu'il-avoit
vuë, afin que son amour
se joignant à sa peur,
l'avaricedevînt la moins
forte. En effetcet amour luireüssit, S6 devint si
violent, qu'ayant resolu
de ne plus s'exposer sur
mer, ilsemaria, pour fortifier sa resolution. Les
complaisances que sa
femme eut pour lui la
rendaient digne deson
attachement & n'ayant
nul su jet des'enplaindre,
un de Ces capricesle prit,
&ils'imaginaqu'ilman-
quoità son bonheur une
femme dont l'amourfust
à l'épreuved'une absence
de six mois. Il crutaussi
par cette absence se preparer un renouvellement de passion, dont il
croyoitavoir besoin, à
cause d'un refroidissement qu'il commençoit
à sentir. Sur ces entrefaites il reçut une lettre
de son correspondant
,
qui lui proposoit un bon
coup à faire,pourvu qu'-
il fist aux Indes un voyage de sept à huit mois.
L'occasion d'un vaisseau
&: d'un ami qui partoit,
le determinerent.
Jamais départ d'unmari ne fut plus sensible à
une femme: elle vouloit
absolument suivre son
mari dans ce voyage, &
en fit de si tend res instances, que son mari qui
changeoit souvent de
fantaisies, crut que l'épreuve d'un tel voyage é-
toit aussi feure pour l'amour d'une femmeque
celle de l'absence.Il pria
son ami deretarder quelques jours le départ du
navire dont il croitmaître :
mais l'ami n'employa ce peu de jours
qu'à s'opposer au départ
de la femme, & represensa au mari qu'il ne
devoit pas l'exposeraux
fatigues& aux perils de
la mer, pour le seul plaisir de contenter son ca-
price.Enfin le mari se
rendit, la femme obeïtJ
resta, & le navire partit.
L'ami ressentit en partant une joye & une
douleur qui avoient des
causes differentes,il étoit
devenu passionnément
amoureux de cette semme,dont la beautél'avoit
frapé d'abord. Les rendres adieux qu'elle fit à
son mari achevevent (tu
lecharmer.IlfalotJonc
quitter cequ'il aimoit,
voila sa dou leur: mais il
étoit honnête liomiiiç
bon ami, Ez il futravi
d'avoirempêché la femme de s'embarquerade
s'en separerpour tâcher
de l'ou blier.Mais commenteût-ilpû l'oublier?
sonmari ne luiparlait
d'aucrechose. Imaginezvousquel embarras étoit
le lien; son ami n'avoit
pas d'autre plaisir quecet
entretien, qui faisoit son
suplice par la contrainte
où il setrouvait. Elle fut
pousséeau point, quel'ami ne voulant pas absolument que le mari lui
parlât de sa femme, le
mari soupçonna la chose. Il n'étoit naturellement que capricieux,
& peu jaloux } & l'ami
setrouvant contraint de
luitoutavouer,lui dit en
même temps qu'il nedevoit pascraindre qu'ilrevît jamais sa femme, puis
qu'il avoit voulu de si
bonne foi s'en separer.En
effet des que le marieut
fait ses affaires, l'ami le
pressaderetournerseul à
Genes,&montaun autre
vaisseau qui venoit en
France,où il avoitenvie
de se venir établir,même
avant son avanture. Ainsi les deux amis se dirent
adieu pour toute la vie.
Le Marchand mari
fut plus song-temps sur
mer qu'ilnecroyoit, Se
battu d'une tempête,
fut contraint de relâcher à larade de. Il
fut contraint d'y sejourner quelques semaines. Cependant il prit
patience,n'ayant plus
qu'un petittrajet à faire
pour revoir sa chere
femme: mais un de ses
caprices le prit, & ce fut
le plus extravagant qu'il
eût eu de sa vie; car craignant de retrouversa
femme trop insensible au
plaisir de le revoir
,
il
voulue lui donner une
alarme: & voyant partir
de la rade où ilétoit un
vaisseauqu'il croyoit
suivrede prés, il chargea
quelqu'un de ce vaisseau
d'un paquet de lettres,
sans dire qui il étoit.
Dans ce paquet étoit une
lettre, qu'il fit écrire par
le Capitaine du vaisseau
oùil étoit, &: cette lettre
adressée à sa femme lui racontoit la mort de son
mari avec les plusten-
dres Ô£ les plus tocuhantes circonstances qu'il
put imaginer; &C pour
donner plusde certitude
àcette faussenouvelle,il
écrivit de sa main propre
unbillet., dont lescaracteres tremblans 6C mal
formez paroissoient d'un
homme mourant, & par
ce billet de cinq ou six lignes il témoignoit à sa
femme qu'étant prés de
quiter lavie,ilemployoit
ses dern iers momens à
lui direunéternel adieu.
Ce dernier caprice paroîtra peu vrai-semblable
: maisce n'est point
ici une avanture où il
s'agisse de vrai-semblance
,
puisque c'est une
simple relation- où l'on
n'a ajoûté aucune cir-q
confiance romanesque.
Ce mari imprudent
s'embarqua peu de jours
aprés, &£ eut trés-m-luvais tem ps,&des évé-
.nomen-s de mercontrai-
r€$àl'impatiencequ'ilavoit
devoirlaréussicedeson billet i car ib n'arriva à Gencs;
que 6. ou7.semainesaprès.
Ceuxquiporterentlalettrefirent aucontraire une
navigation trés-heureuse &
trés-prompte. La lettre fut
renduë àlafemme, quifut à
la mort pendant huitjours.
Il yavoitdéjalongtems
que IIyavoitdéjàlongtemsque
l'amiamoureux étoit arrivé
à Marseille, toûjours tourmentéde son amour; quand
se promenant sur le port,
il vit aborder un' vaisseau
Génois.Ils'informade ceux
quiétoient dedans sileMar-
chand son ami étoit de retour à Genes. Un de ceux à
qui il s'adressa lui dit qu'il
connoissoit sa veuve,& qu'il
l'avoit bissée dans une affliction qui faisoit craindre
pour sa vie.
:
Il seroit difficile d'exprimer les mouvemens divers
dont cet amant & ami fut
agité. Il fut 24. heures dans
uneagitation terrible, &
le lendemain se jetta dans
uiv vaisseau qui reparroit
pour Genes, & se rendit auprès de la veuve, dont il renouvella la douleur par son
arri-
arrivée. Enfinaprès avoir
pleuré quelques jours ensemble, il lui proposa de rétablir Ses affaires en l'épousant. N'ayant point encore
d'enfans de Son mari,& ayât
peu de bien par elle-même,
elle eût eu grand besoin de
se remarier si elle eûtétéveritablementveuve
; cependant l'interêt ne la toucha
point:mais ce Negociant-ci
étoit jeune,assezaimable.En
un mot il ne fut plus question pour elle que du temps
6c des bienseances
;
elle ne
pouvoit se resoudre à se re-
marier après un mois de
veuvage ou environ.Cependant leNegociantétoit obligé de s'en retourner promtement àMarseille.Elleprit
le parti de l'epousersecretement, de quitter Genes,&
d'allers'établir en France avec ce nouveau mari. Elle
n'avoit chez elle qu'unefervante, & une parente de fôn
mari,qui étoit trés-vieille&
trés-folle. Elleluilassatout
te qu'elle avoit, &avec sa
servante seule elle partitdipantàcettevieillequ'ellealloit se jetter dansunConvent;&ellealla 4e marier,
&s'embarquerensuite avec
son mari pour Marseille.
Quelques joursaprés le
premiermari arriva à Genes,&rencontra,avantque
d'entrerchez lui, quelques
amis & voisins, qui ayant vû
réellement sa femme deses-
,'perée & malade à la mort,
exagererentencore son desespoir, pour faire sa courà
son mari, qui courut fort alarméjusqu'à son logis,où
la vieille parente,aprés être
revenuë de la peur que le revenant lui causa, lui raconta d'abord le desespoir de
sa femme
3
6c lui dit ensuite
qu'étant sortie de chezelle,
pour s'aller jetter dans un
Convent, il étoit revenu un
bruit le lendemain que
quelques gens l'avoient vû
aller du côté de la mer, &
même que quelques autres
l'avoient vû s'y precipirer.
Lavieillefolle luiconfirma
ce dernier bruit, qui n'avoit
nul fondement que quelques préjugez de bonnes
femmes. Le mari fut déja
fort malade de ce premier
coup :
maisil ne sur au desespoir quecontre lui-même;&
aprés être un peu revenu à
lui,&avoirsuivideplusprés
les bruits differens qui couroient, il apprit feulement
qu'onl'avoit vû monter avec un homme pour Marseille. La douleur,la rage lui
donnerent une attaqueplus
vive que la premiere,&il fut
deux jours dans unesituation cruelle,sanssavoir quel
parti prendre. Enfin ayant
pris celui d'aller à Marseille
pour approfondir la chose,il
y
arriva dans un état pitoyablé, & ressemblant plûtôt à
un spectre qu'à un homme.
Il demanda,enarrivant,de
nouvelles de son ami, eiperant se conioler au moins
avec lui de son malheur, Se
qu'il lui aideroit à faire des
perquisitionsdecelui qui avoit enlevé sa femme à Gcmes. Il n'eut pas de peine à
trouver oùlogeoit sonami,
tkle hazard voulut que ceux
qui luienseignement son logisne lui parlerentpoint
qu'il eût une femme avec
lui, jusqu'à ce qu'il fut parvenu à la porte de sa chambre, que lui ouvrit un valet
nouveau des nouveaux mariez,qui le pria d'atendre un
moment, parce que lafemme de Monsieur étoitavec
lui.Le pauvre homme n'eut
d'abord aucun soupçon de la
verité:mais crutque son ami
Vétoit marié parraison3 on
pour oublier la femme; &.Çc
Croyant assez intime ami
pour encrersans ceremonie,
:&, troublé d'ailleurs par son
malheur, il pouffa la porte
sortement,&entra malgré
le valet dans une fécondé
chambre, où le mari & la
femme étoient tête à tête.
On ne peut pas exprimer
l'effet de cette apparition.
La femme prit son mari
pour un deterré,outre qu'il
en avoir assezl'air;la vue de
sa femme le rendit-immobi-
le comme un [peétre. La
femme tomba à la renverse,
& le revenant tomba un
moment après, ôc ne releva
de cette chute que peur languir quelques jours. Il pardonna en mourant à son ami
6c àsa femme, à qui illaissa
même une partie de son
bien.Ils furent si penetrés de
douleur l'un & raurre,qu'iIs
font encore à present enretraite chacun dans un Convent.On,¡}e sçait point combien durera cette separation
volontaire:maisils n'ont pas
eu un moment de santé depuis cette triste catastrofe
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Résumé : LETTRE DE GENES. Evenement singulier d'une mort arrivée au mois de Juin 1712.
La 'Lettre de Gênes' raconte une série d'événements survenus en juin 1712, impliquant un riche marchand superstitieux et son épouse. Le marchand, bien que craignant que son premier voyage maritime lui porte malheur, fut poussé par son avarice à partir. Pour renforcer sa résolution, il se rendit amoureux d'une belle personne qu'il épousa. Cependant, un caprice le poussa à tester la fidélité de son épouse en partant pour un voyage aux Indes, malgré les supplications de celle-ci de l'accompagner. Un ami du marchand, secrètement amoureux de son épouse, s'opposa à son départ et réussit à convaincre le marchand de laisser son épouse à terre. Le marchand partit seul et, après plusieurs semaines en mer, décida de faire croire à sa femme qu'il était mort en lui envoyant une lettre falsifiée. Cette lettre plongea l'épouse dans un désespoir profond. Pendant ce temps, l'ami amoureux, ayant appris la fausse nouvelle de la mort du marchand, se rendit à Gênes et épousa secrètement la veuve. Quelques jours plus tard, le marchand revint à Gênes et découvrit la trahison. Il se rendit à Marseille, où il trouva son ami et son épouse. La surprise et le choc le tuèrent. Avant de mourir, il pardonna à son ami et à son épouse, leur laissant une partie de sa fortune. Les deux coupables, rongés par la culpabilité, se retirèrent chacun dans un couvent.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
30
p. 121-168
SATIRE Contre les Maris. / SATIRE.
Début :
Non chere Eudoxe, non, je ne puis plus me taire, [...]
Mots clefs :
Maris, Époux, Femme, Amour, Coeur, Laquais, Victoire, Hôpital
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SATIRE Contre les Maris. / SATIRE.
SATIRE
Contre les Maris.
Preface.
Quelque chose que je
dise contre le Mariage,
mon dessein n'est pas d'en
détourner ceux qui y font
portez par une inclination
naturelle; mais feulement
de faire voir que les dégoûts
& les chagrinsqui c? en font presque infëparable
viennent pour l'ordinaire
plustost du costé des
Maris que de celuy des
Femmes. Contre le fentimens
de Mf Despreaux,
j'espere qu'en faveur de la
cause que j'entreprends,
on excusera les defauts qui
se trouveront dans cet ouvrage
: Je me flatte du
moins que les Dames se.
ront pourmoy;SeàFabry
d'une si illustre protection
je ne crains point les traits
de la Critique la plus envenance.
SATIRE.
Non chere Eudoxe, non,
je ne puis plus me
taire,
Jeveux te détourner d'une
Himen téméraire
D'autres filles sans toy
vendant leur liberté
Sechargeront du foin de
la posterité.
D'autres s'embarqueront
sans crainte du nau.
frage
Mais toj voyant téeueil
sans quitter le riruagc)
Tu riiraspointesclave af
servie à l'amour
Sous le joug d'un époux
t'engaglirsans retour
Ny d'unJervile usage approuvant
linjufiice
De tes biensy de ton coeur
luyfaire unsacrifice,
Abandonner ton ame à
milleJoins divers,
Et toy même à jamais
forger tes propresfers.
JSle t'imagines pAS que l'ardeur
de médire
f
Arme aujourd'huy fila
- main des traits de la
Satire9
Kîy que par un Censeur le
beauftxeoutragé
Ait bcfoin de mes Vers
pour en estre vangc
Ce Sexe plein d'attraits
sans secours & sans
âmes
Peut assez,f deffcndre auecses
propres charmes,
Et les traits d'un Critique
ajfoibli par les ans
Sont tomber deles mains
sansforce & languifi
sans:
Mon tjprit antre-foisenchanté
de ses rimes
Luy comptoit pour rvertus
sessatiriques crimes,
Et livroit avecjoye à ses
nobles fureurs3
Vn tas infortuné d'inflpides
Auteurs;
Maisje riay pu foujfrir
1 qu'une indiscrete veine
Le forçatmieux Athlete
a rentrer Atrl'arene.
Et que laissant en paix
tant de mauvais écrits
NouveauPredicateur il
vint en cheveuxgris
D'un esprit peu chrétien
blâmerde chastesflammes
Et par des Vers malins
nous faire horreur des
j,
femmes
Si l'Himen aprè1s fiy
trame tant de d'goujts,
On n'en doit imputer la
faute qu'auxépoux.
Lesfemmes font toujours
dinnocentesvicitmeç
Que des loix d'interejfJ:J
que defausses maximes
Immolentlâchementà des
Maristrompeurs..
On ne s'informeplus ny
durangnydesmoeurs
Crispin, roux & mancellU,
vient d'epoufir
Julie
Il eji du genre humain&
L'opprobre & lalie
On trouvcroit encore à
quelque vieuxpillter
Son dernier hahit verd
pendu cheXj lefripier:
ParJes concussions fatales
à la France
lia déjàvingtfois affrontélapotence
;
Mais cent rvafts d'argent
parent(es longs buffets
11 - jivecpeine unguèret traversi
[es guèrets
y
Que faut-il davantage?
aujourd'huy la richesse
Ne tient-elle pas lieu di
vertuy de nobleffi?
Et pourfaire un époux,
que voudroit-on déplus?
Que dixterres en Beauce9
avecvingt mil écus.
RegardeDorilas9 cet échape
d*Esope 0z ne peut discerner
quavec un Micro/cope;
Dontle corps de travers&
tefpritplus malfait
D'un Therfite à nos yeux
retracent leportrait
Que t'en emhle dis-moy?
penses-tu quunefille
Qui ria Û cet amant
qu'au travers d'une
grille
Et qui depuis dix Ans
NourrieàPortRoyal
A paffé du parloir dans le
lit nuptial;
Puis-je garderlongtemps
uneforcetendrefie
En faveur d'un Maryd'une
si rare especey
Quand la Cour&la Ville
presententàfis yeux
Desflots d'adorateurs qui
la mertte mieux.
MatsJe veux que du Ciel
une heureuje influence
Rassemble en ton époux
&mérité & naissance
Infortunéjoueur,ilperdra
tousfisbiens
Quun contrat malheureux
confond avec les
fitns
Entrons dans le Brelandy
ou s'arrête à la
porte
De laquais mal payel^Ja
maligne cohorte
Voy les cornets en l'airjettes
avec transport,
Quon veut rendre garend
des caprices du fort.
Voy ces pâlesJoueurs qui
pleinsd'extravagance
D'un destin insolent affronte
l'inconstance
Etsur trois des maudits
lisent l'arrêtfatal
Qui les condamne enfin
d'aller à l'Hôpital.
Pénétrons plus avant
voy cette table ronde
Autet que avarice éleva
dés lemonde
Ou tous les forceriez, fem*
blent avoir faitvoeu
Dese facnfierau noir demon
duJeu,
Vois-tu sur cette carte un
contrat difparotfire
Sur cet autre unChajieau
prêt à changerdemaître
Quelsoudain desespoirsaisit
le malheureux?
Qfuieavfieinntedr'aun
coupegorgeaffreux
MaisfuyonsfousJespieas
tous les parquets gemissent
Defermns tous nouveaux
les platfonds retentifsint
Et par lefort cruel d'une
fatalenuity
, De vOIr enfinGalet a
l'Hôpital reduit,
Sa femme cependant di
centfrayeurs atteinre
Boitchez,elle a longs traits
& le fiel & Cabfmte
Ou traînant aprèsJoy d'infortunete1ans
Va chercher un azjileauprès
desesparenss
Harpagon cftatteit de
, toutautrefolie,
Le Ciell'avantagead'une
femme accomplie
re-ç)utpmrsa dotplus 1 -, 7 , li} deûus^alafois ': — Quun balancier nenpeut
reformer ensix mois.
Sa femmefeflattait de la
douce esperance
De "voirfleurir chez., elle
une heureuseabondance,
ElIecroyait au moins que
deux ou trois amisj
Pourvoientfoir&matinà
sa tableeflreadmis
Mais Harpagon aride&
presqueDiaphane-
Par les jeûnes cruels auf
quels ilse condamne: Nereçoitpointd'amis aux
dépens de son pain
Toutse ressentcheijuy des
langueursde lafaim,
Si pour fournir aux frais
d'un hahit necefaim
Saffmmt-^lÙJ-\'mande
une somme Itgere3
Son vifoegesoudain pre%d
une autre couLfur,
Ses valets font en butte à
sa ma,uvaife humeur,
UAvarice bien-tft au
teint livide &blême,
Surfincoffre defer va taF
foir elle-même3
Pour ne le point ouvrir il
abondeenraisons
Ses hqtes sans payer ont
vidêfts massons
D'un vent,venu du Nord • d^maligne, influence
t
A motjjonésesfruits avec
Ion esperance,
Où de fougueux Torrens
inondansiesFallons,
Ont noyésans pitié thonnAeur
desye~sj fyi/lions,
uiinfitoujours rétif, rien
nefléchitson ame
Pour avoir un habit il
faudra quesafemme
jittende que la mort k
mettant au cercueil,
Luyfaffe enfin unfalutafr
re dueil.
Mais,pourquoy diraJtu9
cette injujtc querelle
Les époux font ilsfaitsftr
lemêmemodelie,
jilcipe nflejf-il pas exempt
deces dejfauts,
Que tu viens de tracer
dans tes piquans tableaux
D'accord, il efi bien fait,
genereux3 noble, {age,
Mats à se ruiner(On propre
honneur l'engage
Si-tost que la victoire un
laurier a la main
appellera Louis Jur les
rives du Rhin
Que des Zephirs nouveaux
les fecondes haleines
Feront verdir nos bois (;;'
refleurir nos plaines:
,Ses Muletsimportais bisarrementornez
Et d'un airain bruyant9
par tout environnez
Sous des tapis brode si
suivantalafile,
ut pas Majeftueux tra«
verseront la Ville.
Tout le peuple attentifAU
bruit deses Mulets
Verrapasserauloin,Surtous9
Fourgons" Vdlets,
Chevaux de main Fringans,
insultant a la
terre.,
Pompe digne en effet des
enfans de laguerre
Mais pour donner fef7
sir à ce noble embarras
Combien cbez, le Notaire
A-t-ilfait des contrats?
Lesjoyaux de sa femme
oonntteétteérmnitsseenn gage
jyunsomptueux buffet le
pompeux étalagé
Que du débris commun il nyapAugarentir.,
Rentre cheZlc Marchand
dont on l'a vu sortir.
Pour assembler unfond de
deux mtlle pi[tôles
Combien nouveau Prothée
at-jt joüé de rôles:
Combien a-t-il fait voir
que leplusfierguerrier
Elplus humble aujourd'huy
qu'un indigne
Vfùrler.
Ilpart, enfin, il mene avec
luy l'abondance
Tout le Camp se ressent de
sa nobU difence
Des Cutfmiers fameux
pour luy fournir des
mets,
Epuisentchaque jonr les
Aiers & les Forefis*
Quefait sa femme alors?
dans le fond d'un Vil,lage Ellevasansargentdepio^
rer
rerfin veuvage
Dans fis jardins defirts
promenersa douleur
Et des champs paresseux
exciter la lenteur.
On voit six mois apre's,
tout ce trainmagnifique
Reduit à la moitiérevenir,
faible étique,
On voit sur les chemins l'équipage
en lambeaux
Des mulets decharneZ, des
ombres de chevauxy
Qui dans ce tri(teétatri0.
fantpresqueparoifire
S'en vont droit au marché
chercher un autre maî*-
tre
Cependant auprintemps il
_faut recommencer, Ilfautsur nouveauxfrais
emprunter9 dépenfer,
Mais nous verrons bientofl
une ltfte cruelle
1)u trépas de l'époux apporter
la nouvelle,
Etpourpayer enfin de tris
tes creancIers,
Ilne laijje après luy qu'un
tas de vains lauriers.
Ilefid'autres Maris
volages) infidellts;
Fatigans damerets/Tirans
nez, des ruelles,
Qu'on voidmaigre l'Hymen
&ses facreZu
flambeaux
S'enrôler chaquejourfous
de nouveaux drapeaux9
Quid'un coeur plein de
feux à leur devoir
contraires
Encensent follement des
beautez, étrdngeres;
Le foin toujours pressant
de leurs galans exploits;
En vingt lieuxdijferends
les appelleà lafois.
Wgaton dans Paris
court à bride abbatué
Malheur à qUI pour lors
est à pied dans la rue
D'un & d'autres cojtezj,
les chevaux bondijjans
D'un déluge deboueinondent
loespassans,
Tout .fuit aux environs,
chacun cherche un aile
Avec plus de rviteifè il
traverse la Ville
Que les courftersp uireux
que l'on vid les pre.
miers,
Du combat de Nervvinde
apporter les lauriers;
Et qui de la victoire emprunterent
les ailes
Pour en donner au Roy les
premieres nouvelles.
De cet ernprejfement lefajet
inconnu
Quelejl-ilen effet?eh quoyi
l'ignores tu?
o 11 va fade amoureux de
theâtre en theâtre
Annoncer un habitdontil
est idolâtre
Dans le même moment on
le retrouve au Cours
Hors la filey au grand
trot ilyfait plu/leurs
tours,
Tout hors d'haleine enfin
il rentre aux Thmlleries,
Cherchantpartoutmatiere
à sesgalanteries,
Ilreçoit tous lesjours mille
tendres billets
Ses brasfontjufquati coude
cntouez., de portraitsy
On voit briller dans l'or9
des blondes& des brunes
Qtitl porte pour garends
de ses bonnesfortunes.
jîux yeux de son épouje il
en fait vanité
Il prétend qu'en dépit des
loix de l'équité
Safemme luy confcrve une
amour éternelle
Tandis qu'il aime ailleurs,
& court de belle en
belle.
D'autres amours en- cor.mais non d'un
tel dficours
Il ne meji pas permis de
prolonger le cours.
lAaplume se rifule a ma
timide rueine
Eut-on crû que leTibre
eutcoulédans la Seine
Etqu'il eut corrompu les
moeurs de nos François
Pour confoltr le Rhin de
leurs fameuxexploits.
Je voudrois bien Eudoxe
abregeant la matiere
Calmer ici ma bile &finir
ma carrure
Maispuis-jefàpprimer le
portrait d'unjaloux
Qui sans cesse agité d'un
mouvement peu doux
Et paré des dehors d'une
tendresse vaine
Aime, mais d'un amour
qui ressemble à la haine?
dlidor vientici s'offrir
à monpinceau
Ilejldesa moitié l'amant
& le bourreau
Partout illapourfuit>fans
cesseUlaquer,lie
Il nepeut la fuitterJ riy
demeurerprès d'elle,
L'erreur au double fronts
le devorant ennuy.
Lesfunefies Joubçons vollent
autour de luys
Ungejle indifférénd un regardsans
étude>
Va deIon coeurjaloux ai.
grlr l*inquiétude,
Sans cejjeilse consume en
projetsfuperjlus
Il voit3 il entend tout, il
en croit encor plus;
Ileflmalgré ses foins, &
fisconstantesveilLes
uéveugle avec centyeux,
Jouràaveccent oretlles.
Chaque objet de son coeur
vient arracher la.pAi
Marbres, bronzées, tableauxyportiers.
cocher,
laquais
Ceux même quaux de-
Jerts de Vardente Guinée
Le Soleil a couvert d'une
peau basanée9
Tout luy paroistamatitfatal
à son honneur
Il craint des héritiers de
plus d'une couleur.
Quun folâtre Zephir arvec
trop de licence
Des cheveux desafemme
ait détruit l'ordonnance
Sa mainsarme aussi-tost
dufer& dupoison
D'unprétendu rival il
veut tirerraisons
Si la crainte des loix fufpendfafrenefte,
Pour l'immoler centfois il
luy laisse la vies
Dans quelque vieux châ.
teau retraitedeshiboux
Dont quelque jour peutejfre
il deviendra jaloux
,
Il trame en exil comme
une criminelle
Et eour la tourmenter il
S'enferme avec elle,
Dans le Jauvage lieu des
vivans ignoré
D'un sosjé large & creux
doublement entouré
Cette tri(le rviéfime, affligét"
eperdue*
Sur les funefies bords croit
ejfredescendue,
Lorsque la parque enfin répondantà/
es voeux
Vient terminer le cours de
ses jours malheureux.
Nomme moysitupeux
quelquemary sans
vice
MaMust cft toute prête
a luy rendre jufttce,
Sera-ce Lijirlas? qui met
avec éclat
Safemme en un convent
par arrejf du Sénat
Et qui trois mois après devenu
doux &Jage
Celebre en un parloir un
fécond mariage.
Sera-ce Lifimon qui toûjours
lntete
Convoqueavecgrandbruit
toute la Facu/té?
Et sur son fort douteux
confiiltant Hipocrate
Fait qu'aux yeux du public
son deshonneur
éclate:
Quel champ!sije parlois
d'un époux furieux
Quiprofanantsans ceJft un
chef-d'oeuvre des cieux
Ofe dans les transports de
sa rage cruelle
Porter sursonépouse une
main criminelle.
Maisje te veux encore
ébaucher un tableau
Remontonssurla Scene&
tirons le rideau.
Dieux que vois-je en dépit
d'une épaifefumée
Que répand dans les airs
maintepipe allumée
Tarmy desflots de vin en
tous lieux répandu9
J'apperçois Trafimontsur
le ventre étendu;
Qui tout pâle& defait rejettefouslatable
Les rebuts odieux d'un repas
qui l'accables
Jlfait pour se lever des effortsviolens,
La terresedérobé à (es pas
chance/ans
De mortelles vapeurs fil
tesse encore peine
Sous de honteux debris de
nouveau le rentrainej
Ilretombe& bien-tojttau*
rore en ce redutt
Viendra nous découvrir
les excés de la nuit;
Bien-tost avec le jour
nous allons voir paroiifre
atre insolens laquais
aussi fMouas isqturee leur
Oui charmez, dans leur
coeur de ce honteuxfracas
Prés de sa femme au lit
le portentfous les bras.
Quelcharme! quelplaifïr!
pour cette trijlefemme
Defsvoir le temain de ce
fPeOaclt infâme
Defintir des vapeurs de
vin & de tabac,
QUexaleprès de foy, un
perfide efiomach.
Tufremis?toutefois dans
le Stecle où noussommes
Chere Eudoxe3voila commefontfaits
les hom-
Quelmérmietés:quelstitresfoapurvèsertaoiunts!
quels titrfsfluverains
Rendent donc les maris &
fifiers&sivains,
Osent-ils se flatter qu'un.
contratautentique>
Leur doine sur les coeurs
un pouvoir tirannique?
Pensent
-
ils que brutaux,
peu comptasans, fâcheux
:A.vares,neghgens, debauchez,,
ombrigeux,
PArez, du nom dépoux ih
ferontsursdeplaire,
du mépris d'un amani
fournis, tendre sincere,
Complaisant,libéral, qui
Jefait nuit &jour
Vnfointoûjours nouveau
de prouverson amour.
Non non, cestseflatter
d'une erreur condamnable
Etpoursefaire aimer, il
faut se rendre aimables
,
Aprés tous cesportraits
bien ou mal ébauchez:..,
Et tant d'autres encor
que jeriay pas tou- cbe
Jras-tu me traitant etennuyeux
pédagogue?
Des martirs de tHimen
grossîr le catalogue,
Non? dans un plein repos
arrête ton dessin,
Ctfi le premier des biens
de vivresans chagrin.
Si dans des vers pi
quansJuvenal enfurie
fait poejfcr pourfou ce.
luy qui semarie3
D'un esprit plus sènsé
concluons aujourd'huy
Que celle qui repoulé est
plus folle que luy.
J. L.D.L.
Contre les Maris.
Preface.
Quelque chose que je
dise contre le Mariage,
mon dessein n'est pas d'en
détourner ceux qui y font
portez par une inclination
naturelle; mais feulement
de faire voir que les dégoûts
& les chagrinsqui c? en font presque infëparable
viennent pour l'ordinaire
plustost du costé des
Maris que de celuy des
Femmes. Contre le fentimens
de Mf Despreaux,
j'espere qu'en faveur de la
cause que j'entreprends,
on excusera les defauts qui
se trouveront dans cet ouvrage
: Je me flatte du
moins que les Dames se.
ront pourmoy;SeàFabry
d'une si illustre protection
je ne crains point les traits
de la Critique la plus envenance.
SATIRE.
Non chere Eudoxe, non,
je ne puis plus me
taire,
Jeveux te détourner d'une
Himen téméraire
D'autres filles sans toy
vendant leur liberté
Sechargeront du foin de
la posterité.
D'autres s'embarqueront
sans crainte du nau.
frage
Mais toj voyant téeueil
sans quitter le riruagc)
Tu riiraspointesclave af
servie à l'amour
Sous le joug d'un époux
t'engaglirsans retour
Ny d'unJervile usage approuvant
linjufiice
De tes biensy de ton coeur
luyfaire unsacrifice,
Abandonner ton ame à
milleJoins divers,
Et toy même à jamais
forger tes propresfers.
JSle t'imagines pAS que l'ardeur
de médire
f
Arme aujourd'huy fila
- main des traits de la
Satire9
Kîy que par un Censeur le
beauftxeoutragé
Ait bcfoin de mes Vers
pour en estre vangc
Ce Sexe plein d'attraits
sans secours & sans
âmes
Peut assez,f deffcndre auecses
propres charmes,
Et les traits d'un Critique
ajfoibli par les ans
Sont tomber deles mains
sansforce & languifi
sans:
Mon tjprit antre-foisenchanté
de ses rimes
Luy comptoit pour rvertus
sessatiriques crimes,
Et livroit avecjoye à ses
nobles fureurs3
Vn tas infortuné d'inflpides
Auteurs;
Maisje riay pu foujfrir
1 qu'une indiscrete veine
Le forçatmieux Athlete
a rentrer Atrl'arene.
Et que laissant en paix
tant de mauvais écrits
NouveauPredicateur il
vint en cheveuxgris
D'un esprit peu chrétien
blâmerde chastesflammes
Et par des Vers malins
nous faire horreur des
j,
femmes
Si l'Himen aprè1s fiy
trame tant de d'goujts,
On n'en doit imputer la
faute qu'auxépoux.
Lesfemmes font toujours
dinnocentesvicitmeç
Que des loix d'interejfJ:J
que defausses maximes
Immolentlâchementà des
Maristrompeurs..
On ne s'informeplus ny
durangnydesmoeurs
Crispin, roux & mancellU,
vient d'epoufir
Julie
Il eji du genre humain&
L'opprobre & lalie
On trouvcroit encore à
quelque vieuxpillter
Son dernier hahit verd
pendu cheXj lefripier:
ParJes concussions fatales
à la France
lia déjàvingtfois affrontélapotence
;
Mais cent rvafts d'argent
parent(es longs buffets
11 - jivecpeine unguèret traversi
[es guèrets
y
Que faut-il davantage?
aujourd'huy la richesse
Ne tient-elle pas lieu di
vertuy de nobleffi?
Et pourfaire un époux,
que voudroit-on déplus?
Que dixterres en Beauce9
avecvingt mil écus.
RegardeDorilas9 cet échape
d*Esope 0z ne peut discerner
quavec un Micro/cope;
Dontle corps de travers&
tefpritplus malfait
D'un Therfite à nos yeux
retracent leportrait
Que t'en emhle dis-moy?
penses-tu quunefille
Qui ria Û cet amant
qu'au travers d'une
grille
Et qui depuis dix Ans
NourrieàPortRoyal
A paffé du parloir dans le
lit nuptial;
Puis-je garderlongtemps
uneforcetendrefie
En faveur d'un Maryd'une
si rare especey
Quand la Cour&la Ville
presententàfis yeux
Desflots d'adorateurs qui
la mertte mieux.
MatsJe veux que du Ciel
une heureuje influence
Rassemble en ton époux
&mérité & naissance
Infortunéjoueur,ilperdra
tousfisbiens
Quun contrat malheureux
confond avec les
fitns
Entrons dans le Brelandy
ou s'arrête à la
porte
De laquais mal payel^Ja
maligne cohorte
Voy les cornets en l'airjettes
avec transport,
Quon veut rendre garend
des caprices du fort.
Voy ces pâlesJoueurs qui
pleinsd'extravagance
D'un destin insolent affronte
l'inconstance
Etsur trois des maudits
lisent l'arrêtfatal
Qui les condamne enfin
d'aller à l'Hôpital.
Pénétrons plus avant
voy cette table ronde
Autet que avarice éleva
dés lemonde
Ou tous les forceriez, fem*
blent avoir faitvoeu
Dese facnfierau noir demon
duJeu,
Vois-tu sur cette carte un
contrat difparotfire
Sur cet autre unChajieau
prêt à changerdemaître
Quelsoudain desespoirsaisit
le malheureux?
Qfuieavfieinntedr'aun
coupegorgeaffreux
MaisfuyonsfousJespieas
tous les parquets gemissent
Defermns tous nouveaux
les platfonds retentifsint
Et par lefort cruel d'une
fatalenuity
, De vOIr enfinGalet a
l'Hôpital reduit,
Sa femme cependant di
centfrayeurs atteinre
Boitchez,elle a longs traits
& le fiel & Cabfmte
Ou traînant aprèsJoy d'infortunete1ans
Va chercher un azjileauprès
desesparenss
Harpagon cftatteit de
, toutautrefolie,
Le Ciell'avantagead'une
femme accomplie
re-ç)utpmrsa dotplus 1 -, 7 , li} deûus^alafois ': — Quun balancier nenpeut
reformer ensix mois.
Sa femmefeflattait de la
douce esperance
De "voirfleurir chez., elle
une heureuseabondance,
ElIecroyait au moins que
deux ou trois amisj
Pourvoientfoir&matinà
sa tableeflreadmis
Mais Harpagon aride&
presqueDiaphane-
Par les jeûnes cruels auf
quels ilse condamne: Nereçoitpointd'amis aux
dépens de son pain
Toutse ressentcheijuy des
langueursde lafaim,
Si pour fournir aux frais
d'un hahit necefaim
Saffmmt-^lÙJ-\'mande
une somme Itgere3
Son vifoegesoudain pre%d
une autre couLfur,
Ses valets font en butte à
sa ma,uvaife humeur,
UAvarice bien-tft au
teint livide &blême,
Surfincoffre defer va taF
foir elle-même3
Pour ne le point ouvrir il
abondeenraisons
Ses hqtes sans payer ont
vidêfts massons
D'un vent,venu du Nord • d^maligne, influence
t
A motjjonésesfruits avec
Ion esperance,
Où de fougueux Torrens
inondansiesFallons,
Ont noyésans pitié thonnAeur
desye~sj fyi/lions,
uiinfitoujours rétif, rien
nefléchitson ame
Pour avoir un habit il
faudra quesafemme
jittende que la mort k
mettant au cercueil,
Luyfaffe enfin unfalutafr
re dueil.
Mais,pourquoy diraJtu9
cette injujtc querelle
Les époux font ilsfaitsftr
lemêmemodelie,
jilcipe nflejf-il pas exempt
deces dejfauts,
Que tu viens de tracer
dans tes piquans tableaux
D'accord, il efi bien fait,
genereux3 noble, {age,
Mats à se ruiner(On propre
honneur l'engage
Si-tost que la victoire un
laurier a la main
appellera Louis Jur les
rives du Rhin
Que des Zephirs nouveaux
les fecondes haleines
Feront verdir nos bois (;;'
refleurir nos plaines:
,Ses Muletsimportais bisarrementornez
Et d'un airain bruyant9
par tout environnez
Sous des tapis brode si
suivantalafile,
ut pas Majeftueux tra«
verseront la Ville.
Tout le peuple attentifAU
bruit deses Mulets
Verrapasserauloin,Surtous9
Fourgons" Vdlets,
Chevaux de main Fringans,
insultant a la
terre.,
Pompe digne en effet des
enfans de laguerre
Mais pour donner fef7
sir à ce noble embarras
Combien cbez, le Notaire
A-t-ilfait des contrats?
Lesjoyaux de sa femme
oonntteétteérmnitsseenn gage
jyunsomptueux buffet le
pompeux étalagé
Que du débris commun il nyapAugarentir.,
Rentre cheZlc Marchand
dont on l'a vu sortir.
Pour assembler unfond de
deux mtlle pi[tôles
Combien nouveau Prothée
at-jt joüé de rôles:
Combien a-t-il fait voir
que leplusfierguerrier
Elplus humble aujourd'huy
qu'un indigne
Vfùrler.
Ilpart, enfin, il mene avec
luy l'abondance
Tout le Camp se ressent de
sa nobU difence
Des Cutfmiers fameux
pour luy fournir des
mets,
Epuisentchaque jonr les
Aiers & les Forefis*
Quefait sa femme alors?
dans le fond d'un Vil,lage Ellevasansargentdepio^
rer
rerfin veuvage
Dans fis jardins defirts
promenersa douleur
Et des champs paresseux
exciter la lenteur.
On voit six mois apre's,
tout ce trainmagnifique
Reduit à la moitiérevenir,
faible étique,
On voit sur les chemins l'équipage
en lambeaux
Des mulets decharneZ, des
ombres de chevauxy
Qui dans ce tri(teétatri0.
fantpresqueparoifire
S'en vont droit au marché
chercher un autre maî*-
tre
Cependant auprintemps il
_faut recommencer, Ilfautsur nouveauxfrais
emprunter9 dépenfer,
Mais nous verrons bientofl
une ltfte cruelle
1)u trépas de l'époux apporter
la nouvelle,
Etpourpayer enfin de tris
tes creancIers,
Ilne laijje après luy qu'un
tas de vains lauriers.
Ilefid'autres Maris
volages) infidellts;
Fatigans damerets/Tirans
nez, des ruelles,
Qu'on voidmaigre l'Hymen
&ses facreZu
flambeaux
S'enrôler chaquejourfous
de nouveaux drapeaux9
Quid'un coeur plein de
feux à leur devoir
contraires
Encensent follement des
beautez, étrdngeres;
Le foin toujours pressant
de leurs galans exploits;
En vingt lieuxdijferends
les appelleà lafois.
Wgaton dans Paris
court à bride abbatué
Malheur à qUI pour lors
est à pied dans la rue
D'un & d'autres cojtezj,
les chevaux bondijjans
D'un déluge deboueinondent
loespassans,
Tout .fuit aux environs,
chacun cherche un aile
Avec plus de rviteifè il
traverse la Ville
Que les courftersp uireux
que l'on vid les pre.
miers,
Du combat de Nervvinde
apporter les lauriers;
Et qui de la victoire emprunterent
les ailes
Pour en donner au Roy les
premieres nouvelles.
De cet ernprejfement lefajet
inconnu
Quelejl-ilen effet?eh quoyi
l'ignores tu?
o 11 va fade amoureux de
theâtre en theâtre
Annoncer un habitdontil
est idolâtre
Dans le même moment on
le retrouve au Cours
Hors la filey au grand
trot ilyfait plu/leurs
tours,
Tout hors d'haleine enfin
il rentre aux Thmlleries,
Cherchantpartoutmatiere
à sesgalanteries,
Ilreçoit tous lesjours mille
tendres billets
Ses brasfontjufquati coude
cntouez., de portraitsy
On voit briller dans l'or9
des blondes& des brunes
Qtitl porte pour garends
de ses bonnesfortunes.
jîux yeux de son épouje il
en fait vanité
Il prétend qu'en dépit des
loix de l'équité
Safemme luy confcrve une
amour éternelle
Tandis qu'il aime ailleurs,
& court de belle en
belle.
D'autres amours en- cor.mais non d'un
tel dficours
Il ne meji pas permis de
prolonger le cours.
lAaplume se rifule a ma
timide rueine
Eut-on crû que leTibre
eutcoulédans la Seine
Etqu'il eut corrompu les
moeurs de nos François
Pour confoltr le Rhin de
leurs fameuxexploits.
Je voudrois bien Eudoxe
abregeant la matiere
Calmer ici ma bile &finir
ma carrure
Maispuis-jefàpprimer le
portrait d'unjaloux
Qui sans cesse agité d'un
mouvement peu doux
Et paré des dehors d'une
tendresse vaine
Aime, mais d'un amour
qui ressemble à la haine?
dlidor vientici s'offrir
à monpinceau
Ilejldesa moitié l'amant
& le bourreau
Partout illapourfuit>fans
cesseUlaquer,lie
Il nepeut la fuitterJ riy
demeurerprès d'elle,
L'erreur au double fronts
le devorant ennuy.
Lesfunefies Joubçons vollent
autour de luys
Ungejle indifférénd un regardsans
étude>
Va deIon coeurjaloux ai.
grlr l*inquiétude,
Sans cejjeilse consume en
projetsfuperjlus
Il voit3 il entend tout, il
en croit encor plus;
Ileflmalgré ses foins, &
fisconstantesveilLes
uéveugle avec centyeux,
Jouràaveccent oretlles.
Chaque objet de son coeur
vient arracher la.pAi
Marbres, bronzées, tableauxyportiers.
cocher,
laquais
Ceux même quaux de-
Jerts de Vardente Guinée
Le Soleil a couvert d'une
peau basanée9
Tout luy paroistamatitfatal
à son honneur
Il craint des héritiers de
plus d'une couleur.
Quun folâtre Zephir arvec
trop de licence
Des cheveux desafemme
ait détruit l'ordonnance
Sa mainsarme aussi-tost
dufer& dupoison
D'unprétendu rival il
veut tirerraisons
Si la crainte des loix fufpendfafrenefte,
Pour l'immoler centfois il
luy laisse la vies
Dans quelque vieux châ.
teau retraitedeshiboux
Dont quelque jour peutejfre
il deviendra jaloux
,
Il trame en exil comme
une criminelle
Et eour la tourmenter il
S'enferme avec elle,
Dans le Jauvage lieu des
vivans ignoré
D'un sosjé large & creux
doublement entouré
Cette tri(le rviéfime, affligét"
eperdue*
Sur les funefies bords croit
ejfredescendue,
Lorsque la parque enfin répondantà/
es voeux
Vient terminer le cours de
ses jours malheureux.
Nomme moysitupeux
quelquemary sans
vice
MaMust cft toute prête
a luy rendre jufttce,
Sera-ce Lijirlas? qui met
avec éclat
Safemme en un convent
par arrejf du Sénat
Et qui trois mois après devenu
doux &Jage
Celebre en un parloir un
fécond mariage.
Sera-ce Lifimon qui toûjours
lntete
Convoqueavecgrandbruit
toute la Facu/té?
Et sur son fort douteux
confiiltant Hipocrate
Fait qu'aux yeux du public
son deshonneur
éclate:
Quel champ!sije parlois
d'un époux furieux
Quiprofanantsans ceJft un
chef-d'oeuvre des cieux
Ofe dans les transports de
sa rage cruelle
Porter sursonépouse une
main criminelle.
Maisje te veux encore
ébaucher un tableau
Remontonssurla Scene&
tirons le rideau.
Dieux que vois-je en dépit
d'une épaifefumée
Que répand dans les airs
maintepipe allumée
Tarmy desflots de vin en
tous lieux répandu9
J'apperçois Trafimontsur
le ventre étendu;
Qui tout pâle& defait rejettefouslatable
Les rebuts odieux d'un repas
qui l'accables
Jlfait pour se lever des effortsviolens,
La terresedérobé à (es pas
chance/ans
De mortelles vapeurs fil
tesse encore peine
Sous de honteux debris de
nouveau le rentrainej
Ilretombe& bien-tojttau*
rore en ce redutt
Viendra nous découvrir
les excés de la nuit;
Bien-tost avec le jour
nous allons voir paroiifre
atre insolens laquais
aussi fMouas isqturee leur
Oui charmez, dans leur
coeur de ce honteuxfracas
Prés de sa femme au lit
le portentfous les bras.
Quelcharme! quelplaifïr!
pour cette trijlefemme
Defsvoir le temain de ce
fPeOaclt infâme
Defintir des vapeurs de
vin & de tabac,
QUexaleprès de foy, un
perfide efiomach.
Tufremis?toutefois dans
le Stecle où noussommes
Chere Eudoxe3voila commefontfaits
les hom-
Quelmérmietés:quelstitresfoapurvèsertaoiunts!
quels titrfsfluverains
Rendent donc les maris &
fifiers&sivains,
Osent-ils se flatter qu'un.
contratautentique>
Leur doine sur les coeurs
un pouvoir tirannique?
Pensent
-
ils que brutaux,
peu comptasans, fâcheux
:A.vares,neghgens, debauchez,,
ombrigeux,
PArez, du nom dépoux ih
ferontsursdeplaire,
du mépris d'un amani
fournis, tendre sincere,
Complaisant,libéral, qui
Jefait nuit &jour
Vnfointoûjours nouveau
de prouverson amour.
Non non, cestseflatter
d'une erreur condamnable
Etpoursefaire aimer, il
faut se rendre aimables
,
Aprés tous cesportraits
bien ou mal ébauchez:..,
Et tant d'autres encor
que jeriay pas tou- cbe
Jras-tu me traitant etennuyeux
pédagogue?
Des martirs de tHimen
grossîr le catalogue,
Non? dans un plein repos
arrête ton dessin,
Ctfi le premier des biens
de vivresans chagrin.
Si dans des vers pi
quansJuvenal enfurie
fait poejfcr pourfou ce.
luy qui semarie3
D'un esprit plus sènsé
concluons aujourd'huy
Que celle qui repoulé est
plus folle que luy.
J. L.D.L.
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Résumé : SATIRE Contre les Maris. / SATIRE.
Le texte est une satire contre les maris, présentée sous forme de dialogue entre l'auteur et Eudoxe. L'auteur précise que son but n'est pas de dissuader ceux qui sont naturellement enclins au mariage, mais de montrer que les désagréments et les chagrins du mariage proviennent souvent des maris plutôt que des femmes. Il espère obtenir le soutien des dames pour éviter les critiques. La satire met en garde contre les dangers et les contraintes d'un mariage hâtif. Les femmes y sont décrites comme des victimes innocentes des lois et des maximes injustes qui les soumettent à des maris trompeurs. Le texte critique les maris, souvent pardonnés et soutenus par la société malgré leurs défauts. L'auteur illustre ses propos par divers exemples de maris avares, joueurs, volages ou jaloux, qui causent du malheur à leurs épouses. Il décrit des situations où les maris ruinent leur famille par leur avarice, leur passion pour le jeu ou leurs infidélités. La satire se termine par une réflexion sur la jalousie excessive et destructrice de certains maris, qui finissent par causer leur propre malheur et celui de leurs épouses. Le texte décrit également une scène tumultueuse et chaotique, où un homme, après des efforts violents, est submergé par des vapeurs mortelles et retombe dans un réduit. Le jour venu, des témoins découvriront les excès de la nuit, observant des comportements insolents et honteux. Un homme est porté près de sa femme, charmé par cette femme malgré le chaos. Le texte critique ensuite les comportements des maris et des pères, soulignant leurs défauts tels que la brutalité, la négligence, la débauche et l'ombrage. Il oppose ces comportements à ceux d'un amant sincère et complaisant, qui prouve constamment son amour. L'auteur conclut en affirmant que pour se faire aimer, il faut se rendre aimable. Il invite à éviter les portraits négatifs et à vivre dans le repos, rejetant les martyres du mariage. En référence à Juvenal, il conclut que celle qui repousse un homme est plus folle que lui. Le texte se termine par les initiales J. L.D.L.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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31
p. 172-179
LE MARY MALADE.
Début :
Malgré les soins des suppôts d'Esculape [...]
Mots clefs :
Mari, Malade, Lubin, Coquette, Thersite, Femme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE MARY MALADE.
LE MARY MALADE .
Malgré les foins des
Suppots d'Efculape
Davegémit, & fent des
maux affreux.
Sa femme en fouffre ; ils
craignent tous les deux,
Lui , qu'il n'en meure , elle,
qu'il n'en réchape.
Anne jeune femme
>
coquete .
Tu prêtois dés dix ans
l'oreille à la Fleurete.
GALANT. 173
Quoique tu fois encor dans
ta jeune faiſon ,
Life , on t'appelle avec
raifon,
Jeune femme , & vieille
Coquete.
La
A CELIE .
En te voyant , laide
Celie ,
peau de la couleur des
plumes d'un Corbeau ,
On te croiroit d'Ethiopie
,
Si tu n'avois
les dents plus
noires que lapeau
.
Piij
174 MERGURE
A la Coquete Alix .
Sur tous mes rivaux
voftre coeur ,
Alix , me cede la Victoire
:
Vous le jurez fur vostre
honneur ;
Sur ce ferment doit - on
vous croire
?
Le Parafite diligent.
Chez Therfite , Lubin
ce pauore Parafite ,
Aſouper étoit invité :
GALANT. 175.
Itpart dés le matin d'un
pasprécipité
Se rend au logis de Therfite
,
Et dit qu'il vient fouper :
Lubin ,
Dit Therfite , ce foir je
tiendray ma promeffe :
Lubin répond , la faim me
presse ,
·Faites - moifouper ce matin.
Sur le même
Lubin ce Parafite étrange
Piiij
276 MERCURE
Mange beaucoup , chacun
le voit :
Il boit encor plus qu'il ne
mange,
Et parle encore plus qu'il·
ne boit.
La voix horrible.
Quand par tes chants
Arcadiens
Ta voix ébranle - nos organes
,
Tu fais aboïer tous les
chiens ,
Et tu fais braire tous les
ânes.
GALANT. 177.
La douleur d'une veuve
toûjours fufpecte.
Artemife en pleurs , défolée,
Fait élever un Mauſolée
A l'époux dont fes yeux
regretent le trépas :
Mais à ce monument
que fa douleur lui
dreffe ?
La
vanité n'at-elle pas
Autant de part que la tendreffe
?
778 MERCURE
La beautéfans l'efprit n'eft
qu'un foible avantage.
! Quand une beauté que
l'on aime , C
N'a point d'enjouement ,
d'esprit ,
L'amour qu'on a, fut- il
·En
extrême ,
pew
nouit :
de tems s'éva
Le coeur eft bien - toft infidelle,
Ilfent le dégoût , & l'ennui
;
GALANT. 179
Et la raifon brife avec
lui
Les nauds qu'il a formé
fans elle.
Malgré les foins des
Suppots d'Efculape
Davegémit, & fent des
maux affreux.
Sa femme en fouffre ; ils
craignent tous les deux,
Lui , qu'il n'en meure , elle,
qu'il n'en réchape.
Anne jeune femme
>
coquete .
Tu prêtois dés dix ans
l'oreille à la Fleurete.
GALANT. 173
Quoique tu fois encor dans
ta jeune faiſon ,
Life , on t'appelle avec
raifon,
Jeune femme , & vieille
Coquete.
La
A CELIE .
En te voyant , laide
Celie ,
peau de la couleur des
plumes d'un Corbeau ,
On te croiroit d'Ethiopie
,
Si tu n'avois
les dents plus
noires que lapeau
.
Piij
174 MERGURE
A la Coquete Alix .
Sur tous mes rivaux
voftre coeur ,
Alix , me cede la Victoire
:
Vous le jurez fur vostre
honneur ;
Sur ce ferment doit - on
vous croire
?
Le Parafite diligent.
Chez Therfite , Lubin
ce pauore Parafite ,
Aſouper étoit invité :
GALANT. 175.
Itpart dés le matin d'un
pasprécipité
Se rend au logis de Therfite
,
Et dit qu'il vient fouper :
Lubin ,
Dit Therfite , ce foir je
tiendray ma promeffe :
Lubin répond , la faim me
presse ,
·Faites - moifouper ce matin.
Sur le même
Lubin ce Parafite étrange
Piiij
276 MERCURE
Mange beaucoup , chacun
le voit :
Il boit encor plus qu'il ne
mange,
Et parle encore plus qu'il·
ne boit.
La voix horrible.
Quand par tes chants
Arcadiens
Ta voix ébranle - nos organes
,
Tu fais aboïer tous les
chiens ,
Et tu fais braire tous les
ânes.
GALANT. 177.
La douleur d'une veuve
toûjours fufpecte.
Artemife en pleurs , défolée,
Fait élever un Mauſolée
A l'époux dont fes yeux
regretent le trépas :
Mais à ce monument
que fa douleur lui
dreffe ?
La
vanité n'at-elle pas
Autant de part que la tendreffe
?
778 MERCURE
La beautéfans l'efprit n'eft
qu'un foible avantage.
! Quand une beauté que
l'on aime , C
N'a point d'enjouement ,
d'esprit ,
L'amour qu'on a, fut- il
·En
extrême ,
pew
nouit :
de tems s'éva
Le coeur eft bien - toft infidelle,
Ilfent le dégoût , & l'ennui
;
GALANT. 179
Et la raifon brife avec
lui
Les nauds qu'il a formé
fans elle.
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Résumé : LE MARY MALADE.
Le texte décrit plusieurs scènes et personnages dans un style littéraire ancien. Un homme nommé Mary endure des souffrances malgré les soins médicaux, et sa femme, bien que coquette, partage ses peines. Alix, une jeune femme coquette, est courtisée par un galant. Lubin, un homme glouton et bavard, est invité à souper chez Thériste. Célie est critiquée pour sa laideur et la couleur de sa peau. Artémise, une veuve, érige un mausolée pour son époux défunt, mais sa vanité égale sa tendresse. Le texte souligne également que la beauté sans esprit est un faible avantage, car elle ne suffit pas à maintenir l'amour à long terme, le cœur étant sujet à l'infidélité et à l'ennui.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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32
p. 102-129
LIVRE NOUVEAU. Memoires de la Vie du Comte de Grammont, qui contient particulierement l'Histoire amoureuse de la Cour d'Angleterre, sous le regne de Charles II. Imprimez à Cologne.
Début :
Ce Livre doit faire plaisir à ceux qui aiment les [...]
Mots clefs :
Lettre, Nuit, Mari, Jardin, Porte, Nuit, Campagne, Jaloux, Femme, Angleterre, Chesterfield
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LIVRE NOUVEAU. Memoires de la Vie du Comte de Grammont, qui contient particulierement l'Histoire amoureuse de la Cour d'Angleterre, sous le regne de Charles II. Imprimez à Cologne.
LIVRE NOUVEAU.
Memoires de la Vie du Comte
de Grammont , qui contient
particulierement l'Hiftoire
amoureufe de la Cour d'Angleterre
, fous le regne
Charles II. Imprimez à Code
logne.
Ce Livre doit faire
plaifir à ceux qui aiment
les portraits vifs & naturels
, le ftile noble &
GALANT. 103
leger. Pour en donner
une idée , on a mis ici
une des avantures qu'il
contient.
Pour être au fait de
cette avanture détachée ,
il faut fçavoir que Madame
Chesterfield ayant
été foupçonnée mal à
propos d'une galanterie ,
& fon mari jaloux en
ayant fait confidence au
galant Hamilton qui en
• étoit
amoureux cet amant
, auffi jaloux
que
I iiij
104 MERCURE
le mari , lui confeilla
d'emmener fa femme à
la campagne
. C'eſt de
cette campagne
que Madame
de Chesterfield
écrit
à l'amoureux
& jaloux
Hamilton
la lettre
qui fuit.
Vous ferez auffifurpris de
cette lettre , que je la fus de
Fair impitoyable dont vous
vites mon départ. Je veux
croire que vous vous êtes imaginé
des raisons quijuftifioient
dans votre esprit un procedé
GALANT.
jos
fi peu concevable. Si vous êtes
encore dans la dureté de ces
fentimens , ce fera vous faire
plaifir , que de vous apprendre
ce que je fouffre dans la
plus affreufe des prifons . Tout
ce qu'une campagne a de plus
trifte dans cette faifon s'offre
par- tout à ma vûë. Affiegée
d'impenetrables bouës , dune
fenêtre je vois des rochers ,
de l'autre des precipices : mais
de quelque côté que je tourne
mes regards dans la maiſon ,
jy rencontre ceux d'un jaloux,
moins fupportables encore que
tes triftes objets qui m'envipar
106 MERCURE
ronnent . J'ajoûterois aux malbeurs
de ma vie celui de pa-.
roître criminelle
aux yeux
d'un
homme , qui devroit m'avoir
juftifiée contre les apparences
convaincantes, fi par une innocence
averée j'étois en droit
de me plaindre , ou de faire
des reproches. Mais comment
fe juftifier de fi loin ? & comment
fe flater que la defcription
d'un fejour épouvantable
ne vous empêchera pas de m'écouter
? Mais êtes- vous digne
que je le fouhaite ? Ciel !
que je vous haïrois , ſi je ne
vous aimois à la fureur. VeGALANT
107
nez donc me voir une feulė
fois , pour entendre ma juftification
; je fuis perfuadée
que fi vous me trouvez coupable
aprés cette vifite , ce ne
fera pas envers vous . Nôtre
Argus part demain pour un
procés , qui le retiendra huit
jours à Cheſter. Fe
le gagnera : mais je ſçai bien
qu'il ne tiendra qu'à vous
qu'il en perde un , qui lui tient
pour le moins autant au coeur
que celui qu'il va folliciter.
ne fçai s'il
Il y avoit dans cette lettre
de quoy faire donner
108 MERCURE
tête baiffée dans une avan
ture plus temeraire que
celle qu'on lui propoſoit ,
quoy qu'elle fût affez gaillarde.
Il ne voyoit pas trop
bien comment elle feroit
pour ſe juſtifier ; mais elle
l'affaroit qu'il feroit content
du voyage , & c'étoit
tout ce qu'il demandoit
pour lors.
Il avoit une parente au
prés de Madame de Chef.
terfield. Cette parente ,
qui l'avoit bien voulu fuivre
dans fon exil , étoit entrée
quelque peu dans leur
GALANT. 109
confidence. Ce fut par elle
qu'il reçut cette lettre, avec
toutes les inftructions neceffaires
fur fon départ &
fur fon arrivée. Dans ces
fortes d'expeditions le fet
cret eft neceffaire,du moins
1 avant que d'avoir mis l'avanture
à fin. Il prit la pof
te , & partit de nuit , animé
d'efperances fi tendres & fi
flateufes , qu'en moins de
rien , en comparaiſon du
temps & des chemins , il
eut fait cinquante mortelles
lieuës. A la derniere pof
te il renvoya difcretement
110 MERCURE
fon poftillon . Il n'étoit pas
encore jour ; & de peur des
rochers & des precipices ,
dont elle avoit fait mention
, il marchoit avec affez
de prudence pour un
homme amoureux.
Il evita done heureufement
tous les mauvais pas
& , fuivant fes inftructions ,
il mit pied à terre à certaine
petite cabane , qui joignoit
les murs du parc . Le lieu
n'étoit pas magnifique :
mais comme il avoit befoin
de repos, il y trouva ce qu'il
faloit pour cela. Il ne fe
GALANT. In
foucioit point de voir le
jour , & fe foucioit encore
moins d'en être vû ; c'eft
pourquoy s'etant renfermé
dans cette retraite obfcure,
il y dormit d'un profond
fommeil jufqu'à la moitié
du jour. Comme il ſentoit
une grande faim à fon ré
veil , il mangea fort & ferme
; & comme c'étoit
l'homme de la Cour le plus
e propre , & que la femme
d'Angleterre la plus propre
l'attendoit , il paffa le refte
de la journée à fe décraffer
, & à fe faire toutes les
112 MERCURE
preparations que le temps
& le lieu permettoient, fans
daigner ni mettre la tête un
moment dehors , ni faire
la moindre queftion à fes
hôtes. Enfin les ordres qu'il
attendoit avec
impatience
arriverent à l'entrée de la
nuit , par une espece de grifon
, qui lui fervant de guide
, aprés avoir erré pendant
une demi- heure dans
les boues d'un parc d'une
vafte étendue , le fit enfin
entrer dans un jardin , où
donnoit la porte d'une falle
baffe. Il fut pofté vis à vis
de
GALANT. 113
de cette porte , par laquelle
on devoir bientôt l'intro
duire dans des lieux plus:
agreables. Son guide lui
donna le bon foir la nuit .
fe ferma , mais la porte ne
s'ouvrit point.
1. On étoit à la fin de l'hy
ver ; cependant il fembloit
qu'on ne fûr qu'au commencement
du froid . Ilé.
toit croté juſques aux ge…]
noux , & fentoit que pour
peu qu'il prît encore l'air !
dans ce jardin, la gelée met
troit toute cette crore à fech
Ce commencement d'une
Avril
1714
- K
114
MERCURE
nuit fort âpre & fort obſcu
re eût été rude pour un au
tre: mais ce n'étoit rien pour
un homme qui fe flatoit
d'en paffer fi delicieufe
ment la fin. Il ne laiſſa pas
de s'étonner de tant de precautions
dans l'abfence du
mari . Son imagination
, que
mille tendres idées réchauf
foient , le foûtiac quelque
temps contre les cruautez
de l'impatience , & contre
les rigueurs du froid : mais
il la fentit peu à peu refroi
dir ; & deux heures , qui lui
parurent deux ficcles s'é
GALANT. 115
tant paffées fans qu'on lui
donnât le moindre figne de
vie ni de la porte , ni des fenêtres,
il ſe mit à faire quelques
raifonnemens en luimême
fur l'état prefent de
fes afaires , & fur le parti qu'il
yavoit à prendre dans cette
conjoncture. Si nousfrapions
à cette maudite porte, difoit il ;
I carencore eft-il plus honorable,
file malheur m'en veut, de perir
dans la maifon, que de mourir
de froid dans le jardin. Il
eft vrai, reprenoit,il , que ce
parti peut expofer une perfonne
, que quelque accident im
Kij
116 MERCURE
prévû met peut-être à l'heure
qu'il eft encore plus au defefpoir
que moy. Cette penſée
le munit de tout ce qu'il
pouvoit avoir de patience
& de fermeté contre les ennemis
qui le combattoient
.
Il fe mit à fe promener
à
grands pas , refolu d'attendre
le plus long temps qu'il
feroit poffible fans en mourir
la fin d'une avanture
qui commençoit
fi triſte
ment Tout cela fut inutile,
& , quelques mouvemens
qu'il fe donnât , envelopé
d'un gros manteau , l'enGALANT.
117
gourdiffement commençoit
à le faifir de tous cô.
tez, & le froid dominoit en
depit de tout ce que les empreffemens
de l'amour ont
de plus vif. Le jour n'étoit
pas loin ; & dans l'état où
la nuit l'avoit mís , jugeant
que ce feroit deformais inutilement
que cette porte enforcelée
s'ouvriroit , il re
gagna du mieux qu'il put
l'endroit d'où il étoit parti .
pour cette merveilleufe ex
pedition.
Il falut tous les fagots de
la petite maiſon pour le déc
118 MERCURE
geler. Plus il fongeoit à fon
avanture , plus les circonf
tances lui en paroiffoient ,
bizarres &
incomprehenſi-
,
bles. Mais loin de s'en prendre
à la charmante Chefterfield
, il avoit mille differentes
inquietudes pour elle.
Tantôt il s'amaginoit,
que fon mari pouvoit être
inopinément revenu ; tantôt
que quelque mal fubit
l'avoit faifie , enfin que quelque
obftacle s'étoit mal
heureulement mis à la traverfe
pour s'opposer à fon
bonheur ,juftement au fort
GALANT. 119
des bonnes
intentions qu'
on avoit pour lui. Mais
difoit- il , pourquoy m'avoir,
oublié dans ce maudit jardin ?
Quoy ! ne pas trouver un petit
moment pour mefaire au moins
quelque figne , puis qu'on ne
pouvoit ni me parler , ni me
recevoir ? Il ne fçavoir à laquelle
de ces conjectures
s'en tenir , ni que répondre
aux queftions qu'il s'étoit
faites mais comme il fe
flata que tout iroit mieux la
nuit fuivante , aprés avoir
fait vau de ne plus remertre
le pied dans ce malen
120 MERCURE
contreux jardin , il ordonna
qu'on l'avertît d'abord qu'-
on demanderoit
à lui parler
, fe coucha dans le plus
méchant lit du monde , &
ne laiffa pas de s'endormir
comme il eût fait dans le
meilleur. Il avoit compté
de n'être réveillé que par
quelque lettre , ou quelque
meffage de Madame de
Chesterfield : mais il n'avoit
pas dormi deux heures ,
qu'il le fut par un grand
bruit de cors & de chiens!
La chaumiere , qui lui fer
voit de retraite , touchoir ,
comGALANT.
121
me nous avons dit , les murailles
du parc. Il appella
fon hôte , pour fçavoir un
peu que diable c'étoit que
cette chaffe , qui fembloit
être au milieu de fa chambre
, tant le bruit augmentoit
en approchant. On lui
dit que c'étoit Monseigneur
qui couroit le lievre dans fon
parc. QuelMonfeigneur , ditil
tout étonné ? Monfeigneur
le Comte de Chesterfield , répondit
le payfan. Il fut fi
frapé de cette nouvelle ,
que dans fa premiere ſurprife
il mit la tête fous les
Avril 1714.
L
122 MERCURE
couvertures , croyant déja
le voir entrer avec tous fes
chiens. Mais dés qu'il fut
un peu revenu de fon étonnement
, il fe mit à maudire
les caprices de la fortune
, ne doutant pas que
le retour inopiné d'un ja
loux importun n'eût caufé
toutes les tribulations de la
nuit precedente.
Il n'y eut plus moyen de
fe rendormir aprés une telle
alarme. Il ſe leva , pour repaſſer
dans ſon eſprit tous .
les ftratagêmes qu'on a
coûtume d'employer pour
GALANT.
123
tromper , ou pour éloigner
un vilain mari , qui s'avifoit
de negliger fon procés pour
obfeder fa femme. Il achevoit
de s'habiller , & com- .
mençoit à queftionner ſon
hôte , lorfque le même grifon
qui l'avoit conduit au
jardin , lui rendit une lettre
, & difparut fans attendre
la réponſe . Cette lettre
étoit de fa parente , & voici
ce qu'elle contenoit .
Je fuis au defefpoir d'avoir
innocemment contribué à vous
attirer dans un licu où l'on ne
Lij
124 MERCURE
eût part :
vous fait venir que pour fe
・moquer de vous. Je m'étois opposée
au projet de ce voyage ,
quoique je fuffe perfuadée que
fa tendreffe feule y
mais elle vient de m'en defabufer.
Elle triomphe dans le
tour qu'elle vous a joué. Non
feulement fon mari n'a bougé
d'ici , mais il y refte par com-·
plaifance. Il la traite le mieux
du monde , c'est dans leur
raccommodement qu'elle afçû
que vous lui aviez confeillé de
la mener à la
t
campagne
. Elle
en a conçu tant de depit
d'averfion pour vous , que
de
GALANT. 125
la maniere dont elle m'en vient
de parler , fes reffentimens ne ..
font pas encorefatisfaits . Confolez-
vous de la haine d'une
creature dont le coeur ne meritoit
pas votre tendreffe . Partez
un plus longfejour ici ne
feroit que vous attirer quelque
nouvelle difgrace. Je n'y ref
terai pas long - temps . Je la
connois , Dieu merci. Je ne me
repens pas de la compaffion que
j'en ai d'abord enë : mais je
fuis dégoûtée d'un commerce
qui ne convient gueres à mon
humeur.
Liij
126 MERCURE
L'étonnement , la honte ,
le depit , & la fureur s'emparerent
de fon coeur áprés
cette lecture . Les menaces
enfuite , les invectives , &
les defirs de vengeance exciterent
tour à tour fon aigreur
& fes reſſentimens :
mais aprés y avoir bien
penſé , tout cela fe reduifit
à prendre doucement fon
petit cheval de pofte , pour
remporter à Londres un
bon rhume pardeffus les defirs
& les tendres empreffemens
qu'il en avoit ap
portez. Il s'éloigna de ces
GALANT . 127
5
perfides lieux avec un peu
plus de vîteffe qu'il n'y étoit
arrivé , quoy qu'il n'eût pas
à beaucoup prés la tête remplie
d'auffi agreables penfées.
Cependant quand il
fe crut hors de portée de
rencontrerMilord Chefterfield
& fa chaffe , il voulut
un peu fe retourner , pour
avoir au moins le plaifir de
voir la priſon où cette méchante
bête étoit renfermée
mais il fut bien furpris
de voir une trés belle
maiſon , fituée ſur le bord
d'une riviere , au milieu d'u-
:
Liiij
128 MERCURE
ne campagne la plus agreable
& la plus riante qu'on
pût voir. Au diable le precipice
, ou le rocher qu'il y
vit ; ils n'étoient que dans
la lettre de la perfide . Nouveau
fujet de reffentiment
& de confufion pour un
homme qui s'étoit crû fçavant
dans les rufes , auffi
bien que dans les foibleffes
du beau fexe , & qui ſe
voyoit la dupe d'une coquette
, qui fe raccommodoit
avec un époux pour
vanger d'un amant.
Il regagna la bonne ville,
fe
GALANT. 129
ل
prêt à foûtenir contre tous ,
qu'il faut être de bon nafe
fier à la ten- turel
pour
dreffe d'une femme qui
nous a déja trompez : mais
qu'il faut être fou pour courir
aprés.
Memoires de la Vie du Comte
de Grammont , qui contient
particulierement l'Hiftoire
amoureufe de la Cour d'Angleterre
, fous le regne
Charles II. Imprimez à Code
logne.
Ce Livre doit faire
plaifir à ceux qui aiment
les portraits vifs & naturels
, le ftile noble &
GALANT. 103
leger. Pour en donner
une idée , on a mis ici
une des avantures qu'il
contient.
Pour être au fait de
cette avanture détachée ,
il faut fçavoir que Madame
Chesterfield ayant
été foupçonnée mal à
propos d'une galanterie ,
& fon mari jaloux en
ayant fait confidence au
galant Hamilton qui en
• étoit
amoureux cet amant
, auffi jaloux
que
I iiij
104 MERCURE
le mari , lui confeilla
d'emmener fa femme à
la campagne
. C'eſt de
cette campagne
que Madame
de Chesterfield
écrit
à l'amoureux
& jaloux
Hamilton
la lettre
qui fuit.
Vous ferez auffifurpris de
cette lettre , que je la fus de
Fair impitoyable dont vous
vites mon départ. Je veux
croire que vous vous êtes imaginé
des raisons quijuftifioient
dans votre esprit un procedé
GALANT.
jos
fi peu concevable. Si vous êtes
encore dans la dureté de ces
fentimens , ce fera vous faire
plaifir , que de vous apprendre
ce que je fouffre dans la
plus affreufe des prifons . Tout
ce qu'une campagne a de plus
trifte dans cette faifon s'offre
par- tout à ma vûë. Affiegée
d'impenetrables bouës , dune
fenêtre je vois des rochers ,
de l'autre des precipices : mais
de quelque côté que je tourne
mes regards dans la maiſon ,
jy rencontre ceux d'un jaloux,
moins fupportables encore que
tes triftes objets qui m'envipar
106 MERCURE
ronnent . J'ajoûterois aux malbeurs
de ma vie celui de pa-.
roître criminelle
aux yeux
d'un
homme , qui devroit m'avoir
juftifiée contre les apparences
convaincantes, fi par une innocence
averée j'étois en droit
de me plaindre , ou de faire
des reproches. Mais comment
fe juftifier de fi loin ? & comment
fe flater que la defcription
d'un fejour épouvantable
ne vous empêchera pas de m'écouter
? Mais êtes- vous digne
que je le fouhaite ? Ciel !
que je vous haïrois , ſi je ne
vous aimois à la fureur. VeGALANT
107
nez donc me voir une feulė
fois , pour entendre ma juftification
; je fuis perfuadée
que fi vous me trouvez coupable
aprés cette vifite , ce ne
fera pas envers vous . Nôtre
Argus part demain pour un
procés , qui le retiendra huit
jours à Cheſter. Fe
le gagnera : mais je ſçai bien
qu'il ne tiendra qu'à vous
qu'il en perde un , qui lui tient
pour le moins autant au coeur
que celui qu'il va folliciter.
ne fçai s'il
Il y avoit dans cette lettre
de quoy faire donner
108 MERCURE
tête baiffée dans une avan
ture plus temeraire que
celle qu'on lui propoſoit ,
quoy qu'elle fût affez gaillarde.
Il ne voyoit pas trop
bien comment elle feroit
pour ſe juſtifier ; mais elle
l'affaroit qu'il feroit content
du voyage , & c'étoit
tout ce qu'il demandoit
pour lors.
Il avoit une parente au
prés de Madame de Chef.
terfield. Cette parente ,
qui l'avoit bien voulu fuivre
dans fon exil , étoit entrée
quelque peu dans leur
GALANT. 109
confidence. Ce fut par elle
qu'il reçut cette lettre, avec
toutes les inftructions neceffaires
fur fon départ &
fur fon arrivée. Dans ces
fortes d'expeditions le fet
cret eft neceffaire,du moins
1 avant que d'avoir mis l'avanture
à fin. Il prit la pof
te , & partit de nuit , animé
d'efperances fi tendres & fi
flateufes , qu'en moins de
rien , en comparaiſon du
temps & des chemins , il
eut fait cinquante mortelles
lieuës. A la derniere pof
te il renvoya difcretement
110 MERCURE
fon poftillon . Il n'étoit pas
encore jour ; & de peur des
rochers & des precipices ,
dont elle avoit fait mention
, il marchoit avec affez
de prudence pour un
homme amoureux.
Il evita done heureufement
tous les mauvais pas
& , fuivant fes inftructions ,
il mit pied à terre à certaine
petite cabane , qui joignoit
les murs du parc . Le lieu
n'étoit pas magnifique :
mais comme il avoit befoin
de repos, il y trouva ce qu'il
faloit pour cela. Il ne fe
GALANT. In
foucioit point de voir le
jour , & fe foucioit encore
moins d'en être vû ; c'eft
pourquoy s'etant renfermé
dans cette retraite obfcure,
il y dormit d'un profond
fommeil jufqu'à la moitié
du jour. Comme il ſentoit
une grande faim à fon ré
veil , il mangea fort & ferme
; & comme c'étoit
l'homme de la Cour le plus
e propre , & que la femme
d'Angleterre la plus propre
l'attendoit , il paffa le refte
de la journée à fe décraffer
, & à fe faire toutes les
112 MERCURE
preparations que le temps
& le lieu permettoient, fans
daigner ni mettre la tête un
moment dehors , ni faire
la moindre queftion à fes
hôtes. Enfin les ordres qu'il
attendoit avec
impatience
arriverent à l'entrée de la
nuit , par une espece de grifon
, qui lui fervant de guide
, aprés avoir erré pendant
une demi- heure dans
les boues d'un parc d'une
vafte étendue , le fit enfin
entrer dans un jardin , où
donnoit la porte d'une falle
baffe. Il fut pofté vis à vis
de
GALANT. 113
de cette porte , par laquelle
on devoir bientôt l'intro
duire dans des lieux plus:
agreables. Son guide lui
donna le bon foir la nuit .
fe ferma , mais la porte ne
s'ouvrit point.
1. On étoit à la fin de l'hy
ver ; cependant il fembloit
qu'on ne fûr qu'au commencement
du froid . Ilé.
toit croté juſques aux ge…]
noux , & fentoit que pour
peu qu'il prît encore l'air !
dans ce jardin, la gelée met
troit toute cette crore à fech
Ce commencement d'une
Avril
1714
- K
114
MERCURE
nuit fort âpre & fort obſcu
re eût été rude pour un au
tre: mais ce n'étoit rien pour
un homme qui fe flatoit
d'en paffer fi delicieufe
ment la fin. Il ne laiſſa pas
de s'étonner de tant de precautions
dans l'abfence du
mari . Son imagination
, que
mille tendres idées réchauf
foient , le foûtiac quelque
temps contre les cruautez
de l'impatience , & contre
les rigueurs du froid : mais
il la fentit peu à peu refroi
dir ; & deux heures , qui lui
parurent deux ficcles s'é
GALANT. 115
tant paffées fans qu'on lui
donnât le moindre figne de
vie ni de la porte , ni des fenêtres,
il ſe mit à faire quelques
raifonnemens en luimême
fur l'état prefent de
fes afaires , & fur le parti qu'il
yavoit à prendre dans cette
conjoncture. Si nousfrapions
à cette maudite porte, difoit il ;
I carencore eft-il plus honorable,
file malheur m'en veut, de perir
dans la maifon, que de mourir
de froid dans le jardin. Il
eft vrai, reprenoit,il , que ce
parti peut expofer une perfonne
, que quelque accident im
Kij
116 MERCURE
prévû met peut-être à l'heure
qu'il eft encore plus au defefpoir
que moy. Cette penſée
le munit de tout ce qu'il
pouvoit avoir de patience
& de fermeté contre les ennemis
qui le combattoient
.
Il fe mit à fe promener
à
grands pas , refolu d'attendre
le plus long temps qu'il
feroit poffible fans en mourir
la fin d'une avanture
qui commençoit
fi triſte
ment Tout cela fut inutile,
& , quelques mouvemens
qu'il fe donnât , envelopé
d'un gros manteau , l'enGALANT.
117
gourdiffement commençoit
à le faifir de tous cô.
tez, & le froid dominoit en
depit de tout ce que les empreffemens
de l'amour ont
de plus vif. Le jour n'étoit
pas loin ; & dans l'état où
la nuit l'avoit mís , jugeant
que ce feroit deformais inutilement
que cette porte enforcelée
s'ouvriroit , il re
gagna du mieux qu'il put
l'endroit d'où il étoit parti .
pour cette merveilleufe ex
pedition.
Il falut tous les fagots de
la petite maiſon pour le déc
118 MERCURE
geler. Plus il fongeoit à fon
avanture , plus les circonf
tances lui en paroiffoient ,
bizarres &
incomprehenſi-
,
bles. Mais loin de s'en prendre
à la charmante Chefterfield
, il avoit mille differentes
inquietudes pour elle.
Tantôt il s'amaginoit,
que fon mari pouvoit être
inopinément revenu ; tantôt
que quelque mal fubit
l'avoit faifie , enfin que quelque
obftacle s'étoit mal
heureulement mis à la traverfe
pour s'opposer à fon
bonheur ,juftement au fort
GALANT. 119
des bonnes
intentions qu'
on avoit pour lui. Mais
difoit- il , pourquoy m'avoir,
oublié dans ce maudit jardin ?
Quoy ! ne pas trouver un petit
moment pour mefaire au moins
quelque figne , puis qu'on ne
pouvoit ni me parler , ni me
recevoir ? Il ne fçavoir à laquelle
de ces conjectures
s'en tenir , ni que répondre
aux queftions qu'il s'étoit
faites mais comme il fe
flata que tout iroit mieux la
nuit fuivante , aprés avoir
fait vau de ne plus remertre
le pied dans ce malen
120 MERCURE
contreux jardin , il ordonna
qu'on l'avertît d'abord qu'-
on demanderoit
à lui parler
, fe coucha dans le plus
méchant lit du monde , &
ne laiffa pas de s'endormir
comme il eût fait dans le
meilleur. Il avoit compté
de n'être réveillé que par
quelque lettre , ou quelque
meffage de Madame de
Chesterfield : mais il n'avoit
pas dormi deux heures ,
qu'il le fut par un grand
bruit de cors & de chiens!
La chaumiere , qui lui fer
voit de retraite , touchoir ,
comGALANT.
121
me nous avons dit , les murailles
du parc. Il appella
fon hôte , pour fçavoir un
peu que diable c'étoit que
cette chaffe , qui fembloit
être au milieu de fa chambre
, tant le bruit augmentoit
en approchant. On lui
dit que c'étoit Monseigneur
qui couroit le lievre dans fon
parc. QuelMonfeigneur , ditil
tout étonné ? Monfeigneur
le Comte de Chesterfield , répondit
le payfan. Il fut fi
frapé de cette nouvelle ,
que dans fa premiere ſurprife
il mit la tête fous les
Avril 1714.
L
122 MERCURE
couvertures , croyant déja
le voir entrer avec tous fes
chiens. Mais dés qu'il fut
un peu revenu de fon étonnement
, il fe mit à maudire
les caprices de la fortune
, ne doutant pas que
le retour inopiné d'un ja
loux importun n'eût caufé
toutes les tribulations de la
nuit precedente.
Il n'y eut plus moyen de
fe rendormir aprés une telle
alarme. Il ſe leva , pour repaſſer
dans ſon eſprit tous .
les ftratagêmes qu'on a
coûtume d'employer pour
GALANT.
123
tromper , ou pour éloigner
un vilain mari , qui s'avifoit
de negliger fon procés pour
obfeder fa femme. Il achevoit
de s'habiller , & com- .
mençoit à queftionner ſon
hôte , lorfque le même grifon
qui l'avoit conduit au
jardin , lui rendit une lettre
, & difparut fans attendre
la réponſe . Cette lettre
étoit de fa parente , & voici
ce qu'elle contenoit .
Je fuis au defefpoir d'avoir
innocemment contribué à vous
attirer dans un licu où l'on ne
Lij
124 MERCURE
eût part :
vous fait venir que pour fe
・moquer de vous. Je m'étois opposée
au projet de ce voyage ,
quoique je fuffe perfuadée que
fa tendreffe feule y
mais elle vient de m'en defabufer.
Elle triomphe dans le
tour qu'elle vous a joué. Non
feulement fon mari n'a bougé
d'ici , mais il y refte par com-·
plaifance. Il la traite le mieux
du monde , c'est dans leur
raccommodement qu'elle afçû
que vous lui aviez confeillé de
la mener à la
t
campagne
. Elle
en a conçu tant de depit
d'averfion pour vous , que
de
GALANT. 125
la maniere dont elle m'en vient
de parler , fes reffentimens ne ..
font pas encorefatisfaits . Confolez-
vous de la haine d'une
creature dont le coeur ne meritoit
pas votre tendreffe . Partez
un plus longfejour ici ne
feroit que vous attirer quelque
nouvelle difgrace. Je n'y ref
terai pas long - temps . Je la
connois , Dieu merci. Je ne me
repens pas de la compaffion que
j'en ai d'abord enë : mais je
fuis dégoûtée d'un commerce
qui ne convient gueres à mon
humeur.
Liij
126 MERCURE
L'étonnement , la honte ,
le depit , & la fureur s'emparerent
de fon coeur áprés
cette lecture . Les menaces
enfuite , les invectives , &
les defirs de vengeance exciterent
tour à tour fon aigreur
& fes reſſentimens :
mais aprés y avoir bien
penſé , tout cela fe reduifit
à prendre doucement fon
petit cheval de pofte , pour
remporter à Londres un
bon rhume pardeffus les defirs
& les tendres empreffemens
qu'il en avoit ap
portez. Il s'éloigna de ces
GALANT . 127
5
perfides lieux avec un peu
plus de vîteffe qu'il n'y étoit
arrivé , quoy qu'il n'eût pas
à beaucoup prés la tête remplie
d'auffi agreables penfées.
Cependant quand il
fe crut hors de portée de
rencontrerMilord Chefterfield
& fa chaffe , il voulut
un peu fe retourner , pour
avoir au moins le plaifir de
voir la priſon où cette méchante
bête étoit renfermée
mais il fut bien furpris
de voir une trés belle
maiſon , fituée ſur le bord
d'une riviere , au milieu d'u-
:
Liiij
128 MERCURE
ne campagne la plus agreable
& la plus riante qu'on
pût voir. Au diable le precipice
, ou le rocher qu'il y
vit ; ils n'étoient que dans
la lettre de la perfide . Nouveau
fujet de reffentiment
& de confufion pour un
homme qui s'étoit crû fçavant
dans les rufes , auffi
bien que dans les foibleffes
du beau fexe , & qui ſe
voyoit la dupe d'une coquette
, qui fe raccommodoit
avec un époux pour
vanger d'un amant.
Il regagna la bonne ville,
fe
GALANT. 129
ل
prêt à foûtenir contre tous ,
qu'il faut être de bon nafe
fier à la ten- turel
pour
dreffe d'une femme qui
nous a déja trompez : mais
qu'il faut être fou pour courir
aprés.
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Résumé : LIVRE NOUVEAU. Memoires de la Vie du Comte de Grammont, qui contient particulierement l'Histoire amoureuse de la Cour d'Angleterre, sous le regne de Charles II. Imprimez à Cologne.
Le texte extrait des 'Mémoires de la Vie du Comte de Grammont' relate une aventure amoureuse à la cour d'Angleterre sous le règne de Charles II. L'histoire se concentre sur Madame de Chesterfield, injustement soupçonnée d'infidélité par son mari jaloux. Ce dernier, influencé par Hamilton, un amant jaloux de Madame de Chesterfield, lui conseille de l'emmener à la campagne pour la surveiller. Madame de Chesterfield écrit à Hamilton une lettre désespérée, se décrivant prisonnière dans un lieu affreux, entouré de boues, de rochers et de précipices, et surveillée par son mari jaloux. Elle exprime son amour pour Hamilton et le supplie de venir la voir pour qu'elle puisse se justifier. Hamilton, malgré ses doutes, décide de se rendre à la campagne, guidé par une parente de Madame de Chesterfield. À son arrivée, Hamilton attend toute la nuit dans un jardin glacial, sans que la porte de la maison s'ouvre. Le matin, il retourne à sa retraite, perplexe et engourdi par le froid. Il est réveillé par la chasse du Comte de Chesterfield, ce qui le plonge dans la confusion. Il reçoit ensuite une lettre de sa parente, révélant que Madame de Chesterfield s'est moquée de lui et s'est réconciliée avec son mari. Hamilton, furieux et humilié, retourne à Londres. Il découvre alors que la maison de Madame de Chesterfield est en réalité belle et agréable, contrairement à la description de la lettre.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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33
p. 218-264
HISTOIRE du Bacha de Damas.
Début :
Si l'on remarque quelque difference considerable / Il est difficile de sçavoir positivement ce qui se [...]
Mots clefs :
Pacha , Damas, Sultan, Père, Femme, Sérail, Seigneur, Femme, Vizir, Mort, Yeux, Amour, Troupes, Empire, Esclaves, Maison, Armée, Juifs, Époux, Honneur, Hommes, Douleur, Audace, Mer, Larmes, Gloire, Vie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE du Bacha de Damas.
HISTOIRE
du Bacha de Damas.
IL eſt ſi difficile de ſçavoir
poſitivement ce qui ſe
paffe dans cet Empire,qu'on
n'y demeſle ſouvent la veri.
té d'un fait , quelque éclatant
qu'il foit , que longtemps
aprés qu'il eſt arrivé.
Les nouvelles de l'Afie , &
celles de l'Europe entrent
confufément à Conftantinople
, où chacun les débite
1
A
GALANT . 219
au gré de ſes intereſts , le
Courier qui en eft chargé
les donne au grand Viſir ,le
grand Viſir au Sultan , & le
Sultanles enſevelit dans ſon
ſérail. Ainfije n'oſe encore
vous aſſeurer que les dernieres
circonstances de l'hiſtoire
que je vais vous écrire ,
foient telles qu'on les raconte
icy; mais je vous promets
que je ſeray exact à
vous detromper , ſi le temps
ou le haſard me detrompent.
Il y a quatrejours que me
promenant avec quelques
Tij
210 MFRCURE
qui
eſtrangers dans ma çaique,
fur le canal de la Mer noire,
un fameux Armenien ,
a fait toute la vie un grand
commerce d'eſclaves , me
conta à peu prés en ces
termes l'hiſtoire de Halil
Acor Bacha de Damas .
J'étois , me dit- il, un jour,
( & bien jeune alors ) à Baghlar
qui eſt un Port de
cette Mer , environ à so
lieuës d'icy lorſqu'un
* Sheieke de mes amis y arriva.
Je le priay de venir
* Predicateur Turc,
GALANT 227
loger dans le meſme * Caravanfarai
que moy. La Maifon
eſtoir alors pleine
d'hommes & de chevaux.
Le Sultan Mahomet IV. dont
le regne étoit plus tranqui
le qu'il n'avoit encore eſté,
&qu'il ne l'a eſté depuis ,
preſtoit dans ce temps au
Kan della Krimée dix
mille hommes de ſes troupes
pour les joindre à douze
mille Tartares de Budziack
& de Bialogrod , qu'il
deftinoit à quelque grande
entrepriſe. Les Janifſſaires ,
* Auberge Turque.
Tiij
222 MERCURE
3
1
les Spahis , & les Afiati
ques que le Grand Seigneur
envoyoit au Kan paffoient
alors par Baghlar où nous
eſtions . Un de ces Janiffai
res entr'autres natif de
* Chaplar en Bulgarie voulut
profiter de l'occaſion
de cette route pour mener
plus ſeurement chez luy
une belle fille qu'il avoit
epousée depuis un an à
Midia de Romanie, Nous:
la trouvâmes avec fon
mary dans le Caravanfarai
que nous avions choiſi
Ville maritime de la Mer noire.
GALANT. 223
২
lorſque nous yarrivame s .
Le hazard nous plaça auprés
d'eux , le Janiſſaire
m'en parut content , il aimoit
mieux voir à côté de
ſa femme , un Venerable
Sheieke qu'aucun de ſes camarades.
Nous ſoupâmes
cependant & nous nous
endormimes ſur la paille.
Une heure avant le jour
nous entendimes des cris
aigus qui nous réveillérent
comme tous les hoftes de
la maiſon ; la femme du
Janiſſaire que fon.Mary
n'avoit pas crue ſi proche
T iiij
224 MERCURE
de ſon terme venoit de
mettre un enfant au monde
, à coſté de mon Sheie
xe , qui ſe trouva fort ſcandaliſé
de cet accouchement.
Il ſe leva plein de
couroux , en diſant que ſes
habits étoient foülliés du
déſordre & des accidents
de cette avanture , néanmoins
la mortification &
l'embarras du Janiſſaire ,
les douleurs de ſa femme
& mes difcours l'addoucirent
; je luy perſuaday ( &
il le ſçavoit bien , ) qu'il
feroit lavé de cette tache
GALANT. 225
en lavant ſa robe & fa per
ſonne avant la premiere
priere. Je le menay au bain
qui eſtoit dans le Caravan
farai où il ſe fit toutes les
cerémonies de l'ablution
desTurcs.
Cependant je retournay
auprés du trifte Janiſſaire ,
&de ſa femme qui gemiſſoit
encore des reſtes ou du fouvenir
de fa douleur ; je lui
donnay tous les ſecours
que je pûs imaginer , on
attendant le retour de mon
Sheieke.
f
L'étoile la plus favorable
226 MERCURE
qui puiſſe veiller fur nos
jours , ne flatte pas les Mufulmans
d'une plus heureuſe
deſtinée qu'un Sheike,
ou un Emir * lorſqu'ils préfident
à la naiſſance de
leurs enfants. Celuy- cy revint
enfinà nous, prés d'une
heure après le lever du Soleil.
Et aprés avoir enviſagé
le Janiſſaire , ſa femme
& fon fils , d'un air tranſ
porté de l'excellence des
avantages qu'il avoit à leur
promettre , il leur prédit
ces choſes.
Prêtre Ture.
GALAND. 227
Letrés puiſſant trés mi
fericordieux Alla a jettéfur
vous & fur vostre fils des regards
bienfaisants le faim
Prophete efto fon meffager.
Il'a pitié de vous , & Sultan
Mahomet qui est agréable au
trés mifericordieux que le
faint Prophete oberit vous élevera
aux premiers honneurs de
fon Empire. Alla * ha Alla.
Tousoles affiftans felici
terent auffi toſt le Janiſſaire
fur la prédiction du Sheieke.
Cette nouvelle paſſa juf
qu'à fon Aga qui luy donna
d'abord de grandes mara
* Dieu. Dieu eſt Dicu.
228 MERCURE
4
ques de distinction. Enfin
le jour du départ des troupes
qui estoient à Bagblar
eſtant venu , il nous quitta
aprés nous avoir juré qu'il
n'oublieroitja mais les obli
gations qu'il nous avoit. N
nousa tenu parole , & c'eſt
de luy-meſme que j'ay appris
avec la ſuite de fa for
tune, une partiede l'hiſtoire
de ſon fils , que vous allez
entendre.
Dés que Zeinal ( c'eſt le
nom de ce Janiſſaire ) cut
remis ſa femme à Chaplar
entre les mains de fa mere,
GALANT. 229
il ne fongea plus qu'à verifier
l'oracle du Sheiere H
fitdans la Krimée des actions
éclatantes que ſon Aga fit
valoir autant qu'elles lemeritoient
aux yeux du Grand
Viſir Cuprogli , qui l'avança
en ſi peu de temps , qu'en
moins de fix ans il le fir
nommer par ſa Hauteffe
Bacha d'Albanie. Il remplit
cette grande place avec
beaucoup d'honneur pen.
dant pluſieurs années , enfin
aprés la dépoſition du
malheureux Sultan Mahomet
IV. Sitoſt que ſon frere
230 MERCURE
Sultan Soliman III . fut mon
té ſur le thrône, il voulut
à l'exemple de tous les au.
tres Bachas profiter desdefordres
de l'Empire pour
augmenter fon credit ; mais
il ſe broüilla malheureuſement
avec le fameux & redoutable
Osman Yeghen
dont le courage , la politi
que & l'audace firent trembler
Solyman juſques dans
fon ferail.
Zeinal s'étoit oppoſé aux
contributions qu'Yeghen *
Serafier de l'armée d'Hon-
* General des Armées du Grand Seigneur.
GALANT 238
grie , avoit tirez de la Ro
melie , & aux impoſitions
qu'il avoit miſes ſur tous les
Juifs & les Chrétiens qui
eſtoient à Theſſalonique ,
& qu'il avoit taxez à deux
Piaſtres par teſte. Il avoit
meſme envoyé un gros party
de Cavalerie qui avoit
taillé en piece les gens
qu'Yeghen avoit chargez de
lever ces impoſitions.
Le Grand Viſir Ismael
trembloit alors de peur
que le Serafkier ne vint à
Conſtantinople avec fon
armée , & qu'il ne le fit dé
232 MERCURE
pofer bien toſt , comme il
avoit déja fait déposer le
Grand Vifir Solyman fon
predeceſſeur. Yeghen qui
reconnut l'avantage qu'il
avoit fur ce foible Viſir ,
luy demanda la teſte de
Zeinal. Ifmael qui de fon
coſté cherchoit à l'ébloüir
par de fauſſes apparences ,
fut ravi de luy pouvoir faire
un ſacrifice dont il n'avoit
rien à apprehender ,
puiſqu'il ne le rendoit pas
plus fort , ainſi quoyque
Zeinalne fût coupable d'au .
cun crime , il le fit décapi-
: ter
GALAN 2338
ter publiquement , dans la
Cour du Serail devant la
porte du Divan.?
Cependant ſon fils Halil
Acor faiſoit alors les fonctions
de Capigibachi en Afie,
où il n'apprit la mort de
ſon pere que long - temps
aprés qu'elle fut arrivée.
Il y avoit affez d'affaires
en Hongrie pour exercer
ſon courage ; mais l'amour
produifit luy ſeul tous les
motifs de fon éloignement.
Il avoit vû par, hazard
dans le Serail de ſon pere
une belle fille de l'iſle de
Juin 1714.
V
234 MERCURE
Chypre que Zeinal deftinoir
au grand Seigneur , il en
devint éperduëment amoureux
, il mit dans ſes interêts
deux femmes qui la fervoient
, il ſéduifit deuxEu
nuques à force de preſents,
il profita de l'abſence de
ſon pere pour s'introduire
toutes les nuits dans ſon
Sérail , & enfin il engagea
cette belle fille à luy donner
les dernieres & les plus
fortes preuves de fa tendreſſe.
Plus flatée de l'efpoir
de poffeder le coeur
d'Halil que de la gloire
GALANT. 2:5
chimérique dont on repait
la vanité de celles qu'on
deſtine aux plaiſirs du
Grand Seigneur , elle avoit
conſenti que ſon Amant
l'enleva avec ſes deux femmes
& ſes deux Eunuques ,
elle estoit déja meſme affez
loin du Serail de Zeinal ,
lorſque ce Bacha revint
chez luy la nuit meſme
qu'on avoit priſe pour cet
enlevement. Maisheureu-
- ſement pour ces Amantsi!
n'entra que le lendemain
matin dans le quartier des
Femmes , où il apprit avec
Vij
236 MERCURE
tous les tranſports de la
plus violente fureur le defordre
de la nuit préceden
te. Il monta auffi - toſt à
Cheval , & de tous les côtez
il fit courir aprés fon
fils ; mais ſes ſoins & ſa diligence
furent inutiles. Halil
qui n'eſtoit pas ſi loin
qu'il le cherchoit , avoit eu
la précaution de s'affeurer
d'une Maiſon qu'un Me
decin Juif qui n'eſtoit pas
des amis de fon pere avoit
dans les montagnes. Il falloit
traverſer plus de deux
lieuës de defert avant d'y
/
GALANT. 237
arriver, & jamais Zeinal n'y
ſes amis , ny fes eſclaves
ne s'eſtoient aperceus que
fon fils connuſt ce Juif.
Halil auroit pû longtemps
profiter de la ſeureté
de cet azile , ſi les troubles
dont l'Empire eſtoit
agité , & fon courage ne
l'avoient pas preffé bien
toſt de facrifier ſon amour
à ſa gloire. Les larmes de
ſa femme , ny les prieres du
Juif qui luy promit enfin
d'en avoir foin juſqu'à la
mort , ne purent l'arreſter
davantage. Il ſe rendit à
138 MERCURE
Conſtantinople , où il fur
reconnu d'abord par un
des amis de fon Pere qui
le recommanda particulierement
au Grand Vifir Som
lyman , qui , en confideration
de l'audace , de l'efprit
, de la bonne mine de
ce Jeune homme , & du
mérite de Zeinal , luy donna
ſur le champune Com
pagnie de Spahis. Il cut ordre
d'aller ſervir en Afie ,
où en peu de temps ſa valeur
le fit parvenir à la
Charge de Capigibachi
qu'il exerça avec honneur
அ
1
GALANT. 239
juſqu'à la mort de ſon Pere .
Le Vifir Ismaël qui avoit
eu la lacheté de faire exé
cuter l'injuſte & cruel ar
reft qu'il avoit prononcé
contre Zeinal , futbien-toft
aprés la victime de fa for
bleſſe. Yeghen revint àConf
tantinople , aprés en avoir
fait chaffer honteuſement
ce Viſir , qui ne pût racheter
ſa vie qu'aux dépens de
toutes les richeſſes que fon
avarice infatiable luy avoit
fait amaſſer pendant fon
indigne miniftere. Halil y
fut rappellé en meſme
240 MERCURE
temps qu'Yeghen , avec les
troupes qui ſervoient en
Afie. Il fut auffi toft à la
maiſon de ce General àqui
il dit qu'il ne luy rendoit
cette viſite , que pour luy
demander raiſon du fang
de ſon pere qu'il avoit fait
repandre , Yeghen conſentit
àluy donner cette fatisface
tion dans une des plus fecrettes
chambres de fon
Serail , où aprés un com
bat aſſez long , Ils ſe blef
férent tous deux : cependant
Yeghen eut l'avantage;
mais il n'en abuſa pas , au
contraire
GALANT. 241
contraire , loin de fonger
à ſe défaire d'un ennemi
auſſi redoutable qu'Halil ,
Je love , luy dit- il , ton coursge
&j'approuve ton reffentiment
: il n'a tenu qu'à ton Pere
d'eftre toûjours mon amy , mais
il a voulu me perdre & je
l'ay perdu. Tu as Satisfait à
ton honneur , en eſſayant de le
vanger : Vois , & dis moy
maintenant ce que tu veux , &
ce que je puis pour toy. Halil
eftonné de la generoſité de
ce grand homme , luy répondit
, Yeghen je ne veux
maintenant,que m'efforcer d'ê-
Juin1714. X
242 MERCURE
tre auffi genereux que toy. Si tu
veux m'imiter , reprit- il ,facrifie
ta vangeance à mon amitié
que je t'offre , je vais ordonner
qu'on nous penſe de nos bleſſu
res , je prétends que tu ne
gueriffe des tiennes que dans
mon Serail. Il appelle auffitoſt
ſes Eſclaves qui menerent
fur le champ Halil
dans une chambre où ily
avoit deux lits qui n'étoient
ſeparez l'un de l'autre que
par un grand rideau de taffetas
couleur de feu qui
eſtoit directement au milieu
de la chambre dont les
GALANT 243
Croiſez qui estoient aux
deux extremitez avoient
vûë de chaque coſté ſur
les Jardins où ſe promenoient
tous les jours les
femmes & les enfants
d'Yeghen.
Dés qu'on eut arreſté
ſon ſang , & qu'il ſe fut
mis au lit , il vit entrer
dans ſa chambre le Medecin
Juif à qui il avoit confié
la belle Eſclave qu'il
avoit épousée dans ſa maifon
, aprés l'avoir enlevée
du Serail de ſon Pere. A
drianou , luy dit il auſſi toſt ,
X ij
244 MERCURE
moncher Adrianou que faítes
-vous icy ? Pourquoy
eftes vous maintenant à
Conftantinople , & dans
quel eſtat eſt ma femme ?
Je vous ay promis , reprit
le Juif , en ſoûpirant , d'avoir
ſoin de la malheureuſe
Adrabista juſqu'à ma mort.
Toutes mes précautions
n'ont pû prévenir les effets
de ſon déſeſpoir , elle eſt
à jamais perduë pour vous ,
& je ne ſuis point fâché
dans mon infortune que
les remedes que je viens
Fameuſe par les grandes avantures qu'elle
2euës depuis àRome , & que je conterayune
autre fois.
GALANT . 245
vous offrir par hazard me
preſentent à vos yeux , où
je ſuis prêt d'expier dans les
fupplices , le crime de ma
négligence où de mon
malheur. Contez moy donc
cette funeſte hiſtoire, lui dit
avec bonté , l'affligé Halil ,
& n'en épargnez aucune
circonstance à madouleur.
Il vous fouvient , reprit le
Juif, des efforts que fit Adra.
biſta , & des larmes qu'elle
répandit pour vous retenir
auprés d'elle ; vous n'avez
pas non plus oublié les
pleurs & les prieres que je
Xij
246 MERCURE
mis en uſage pour flechir
voſtre courage inhumain.
Une vertu cruelle & plus
forte que l'amour vous ravit
enfin ànosyeux.
Crois - tu , dés que vous
fuſtes parti , me dit Adrabista
, que les larmes & les
gemiſſements ſoient main
tenant les armes dont je
veux me ſervir pour mevenger
de la fureur ou de l'infidelité
de mon barbare époux
Non , Adrianou ,non.
je veux le ſuivre malgré luy
& malgré toy : ma taille
avantageuſe&mon audace
GALANT. 247
m'aideront ſuffisamment à
cacher ma foibleſſe & mon
ſexe; enfin jeveux courir les
meſmes haſards que luy,par
tout où l'entraiſnera cette
impitoyable gloire qui l'arrache
àmon amour. Je vou
lus d'abord flatter ſa dou
leur; mais malgré mes foins,
ma complaiſance criminel.
le,& mon aveuglement l'ont
précipitée dans le plus
grand des malheurs. Je luy
permis d'eſſayer le turban ,
& de mettre un fabre à ſon
coſté. Elle ſe plaiſoit quelquefois
dans cet équipage
X iiij
248 MERCURE
de guerre , d'autrefois jer
tant fon fabre & ſon turban
par terre , elle affectoit de
mépriſer ces inſtruments
qu'elle deſtinoit à ſa perte.
Enfin elle feignit de paroiftre
devantmoy conſolée de
voſtre abſence , & pendant
plusde fix ſemaines elle ne
me parla pas plus de vous ,
que ſi elle ne vous euſt jamais
connu. Cette indiffe
rence m'inquietta pour
yous , & je luy dis unjour ,
eſtes - vous Adrabista , cette
heroine qui deviez fi glo.
rieuſement ſignaler voſtre
GALANT. 249
du
tendreffe , en courant jufqu'au
fond de l'Afic aprés
un époux ſi digne de voſtre
amour. Non , Adrianou , me
dit elle , je ne ſuis plus cette
Adrabista que vous avez veue
capable des plus extravagants
emportements
monde.J'aime tousjoursHa
lil comme mon ſeigneur &
mon époux ; je ſens toutes
les rigueursde ſon abfence ;
mais le temps & mes reflexions
ont rendu ma douleur
plus modeſte;& il n'est point
de fi miferable coin fur la
terre , où je n'aime mieux
250 MERCURE
attendre ſes ordres , que
m'expoſer en le cherchant
auhafard de le deshonorer
enme deshonorant moymeſme.
Je creus qu'elle me par
loit de bonne foy , & dans
cette confiance je luy donnay
plus de liberté & d'authorité
dans ma maifon que
je n'y en avois moy-mefme.
Enfin il vint un jour un
exprés que le gouverneur de
la Valone m'envoya pour me
preſſer d'aller porter des re
medes à fon fils qui estoit à
l'extremité. Je fis auffi- toſt
GALANT. 251
part de la neceffité de ce
voyage à Adrabista , je la
priayde chercher à ſe defen
nuyer pendant mon abfence
, & je partis avec mon
guide. Mais jugez de ma
conſternation lorſqu'à mon
retour dans ma maiſon , on
me fit part des funeſtes nouvelles
que vous allez entendre.
Le lendemain de mon
départ Adrabista fit ſeller
trois chevaux qui reſtoient
dans mon écurie. Elle s'équippa
du ſabre & du turban
qu'elle avoit tant de
fois mépriſez en ma preſen;
252 MERCURE
cé, elle fit monter avec elle
ſes deux eunuques à cheval ,
elle dit à fes femmes qu'elle
alloit ſe promener dans les
vallées qui font au pied des
montagnes de la Locrida ,
elley fut en effet , mais elle
alla plus loin encore , elle
pouſſa juſqu'à Elbaffan , où
un party des troupes de
l'Empereur des Chreftiens
Farreſta . Elle demanda à
parler au General de l'armée
qui eftoit alors à Du
razzo où elle fut conduire,
&de qui elle fut receue avec
tous les égards deus à fon
GALANT . 253
fexe & à la beauté. Je yous
apprends maintenant d'épouventables
nouvelles
Halil ; mais vous ne ſçavez
pas encore le plus grand
de vos malheurs. J'ay appris
depuis quelque temps qu'elle
s'eſtoit faite Chreftienne .
C'en eſt aſſez , luy dit
Halil , fortez & ne vous repreſentez
jamais à mes
yeux, je ne ſçay ſi mavertu
ſuffiroit pour vous derober
à ma fureur.
Yeghen qui s'eſtoitjetté ſur
le lit qui eſtoit à l'autre ex.
tremite de la chambre,aprés
254 MERCURE
avoir entendu ce recit , ſe
fit approcher de l'inconfolable
Halil, à qui il dit tout
ce qu'il creut capable d'apporter
quelque foulagement
à ſa douleur. Enfin
aprés pluſieurs de ces dif
cours qui ne perfuadent
gueres les malheureux , amy,
luydit- il, jettez les yeux
fur mon jardin , & voyez fi
dans le grand nombre de
beautez qui s'y promenent ,
il n'y en aura pas une qui
puiſſe vous conſoler de la
perte de l'infidelle Adrabiſta.
Jevousdonnecellequevous
GALANT. 255
préfererez aux autres , quelque
chere qu'elle me puiſſe
eſtre. Je veux , luy répondit
Halil, à qui une propofition
fi flateuſe fit preſque oublier
toute ſon infortune
eſtre auſſi genereux que
vous , & n'écouter l'offre
magnifique que vous me
faites , que pour vous en remercier
: non , non, reprit
Yeghen, il n'en ſera que ce
qu'il me plaira ,&nous verrons
dés que vous ferez gueri
, ſi vous affecterez encore
d'eſtre , ou ſi vous ferez fincerement
auffi genereux
quemoy.
256 MERCURE
Au bout de quatre ou cinq
jours ils furent gueris tous
deux.Alors Veghenplus charmé
encore des vertus d'Halil,
lemenadans un cabiner
de ſon jardin , où à travers
une jalouſie il vit paſſertoutes
les femmes qui estoient
dans le ſérail de ce Bacha,
qui ne s'occupa pendant
cette reveuë qu'à examiner
la contenance d'Halil , &
qu'à luy demander ce qu'il
penſoit de chaque beauté
qui paſſoit au pied de la ba
luſtrade où ils eftoient.
Enfin aprés avoir longtemps
GALANT 25
1
temps confideré aſſez tranquillement
tout ce que l'Europe
& l'Afie avoient peuteſtre
de plus beau , il vitune
grande perſonne dont les
habits eſtoient couverts des
plus riches pierreries de l'O
rient , negligemment appuyée
fur deux eſclaves , &
dont les charmes divins of
Froient aux yeux un majel
tueux étalage des plusrates
merveilles du monde. Auffitoſt
il marqua d'un ſonpir le
prompt effet du pouvoir iné.
vitable de ſes attraits vainqueurs.
Qu'avez-vous , luy
Juin 1714. Y
258 MERCURE
dit àl'inſtant Yeghen , amy,
vous ſoupirez ?Ah,ſeigneur,
je me meurs , reprit Halil ,
qu'onm'ouvre àl'heuremeſ
me les portes de voſtre ſé.
rail,&ne m'expoſez pas davantage
aux traits d'unegenorofité
fi cruelle. Je vous
entends , reprit Yeghen ,
mais je ne veux pas conſentir
à vous laiſſer fortir
de mon Serail , que vous
n'ayez épousé celle de
toutes ces perſonnes qui
vous plaiſt davantage. Elles
font toutes mes femmes ,
àl'exception de la derniere
GALANT 259
qui eſt ma fille , recevez- là
de ma main mon fils , &
aimez moy toûjours.
Halil fe jetra fur le
champ aux pieds du Bacha
qui le releva dans le
moment , pour le conduire
à l'appartement de ſa fille ,
dont le même jour , il le
rendit l'heureux Epoux ; Il
prit enſuite uniquement
ſoin de ſa fortune , juſqu'à
ſa mort , qui arriva juſtement
, un mois aprés avoir
engagé le Sultan Solyman
à donner à ſon gendre le
Bachalik de Damas.
Yij
260 MERCURE
Halil a vécu depuis plus
de vingt ans avec tout l'é
clat & tous les honneurs.
dont puiſſent joüir les plus
Grands Seigneurs de l'Empire
Othoman . Mais il n'eſt
rien de fi fragile que le
bonheur des hommes , la
moindre jaloufic ou la
,
moindre eſperanceles
étourdit au milieu de leur
felicité , & il ſuffit qu'ils
ayent eſté tousjours heureux
, pour croire n'avoir
jamais d'infortune à redouter
: enyvré de leur gran
deur , leur Maiſtre ne de
GALANT . 261
vient à leurs yeux qu'un
mortel comme eux , fouvent
meſme ils prétendent
s'attirer & meriter plus
d'honneurs que leur Mail
tre
Le trés haut Sultan Achmet
àpréſent regnant , ſur la
nouvelle de la revolte du
Bacha de Bagdad , a fur le
champ envoyé aux Bachas
de Damas & d'Alep un
ordre exprés de marcher
avec toutes leurs troupes
contre ce rebelle ſujet. Sitoſt
que leur armée a eſté
en estat d'entrer en cam262
MERCURE
pagne , ils ont rencontre
attaqué &battu ce Bacha.
Le Sultan juſques-là a efté
fervi à merveille ; mais on
ajouſte qu'ébloüis appar
ramment de quelques projets
ambitieux dont on ne
ſçait encore ny le fond
ny les détails , & flattez
ſans doute de l'eſpoir
d'un ſuccez favorable , ces
deux Bachas ont entretenu
une intelligence criminelle
avec celuy de Bagdad.
Que le Bacha de
Damas a eſté convaincu de
ce crimepar des lettres qui
GALANT . 263
onteſté interceptées ,& qui
fot tombées entre les mains
du Grand Seigneur , qui a
dépeſché auſſi toſt l'ordre
ſuprême qui vient de coufter
la vie à cet infortuné
Bacha. Je ne ſçay pas encore
, files muets l'ont étranglé,
s'il a efté afſaſſiné , ou
ſi on luy a tranché la teſte ;
mais je ſçay bien que le
Sultan a prononcé l'arreſt
dont il eſt mort .
Dés que l'Armenien cuft
fini ſon recit , je le remerciay
de m'avoir appris tant
de particularitez de la vic
C
264 MERCURE
des trois Bachas Halil
Yeghen & Zeinal , & je le
priay de m'informer de
toutes les nouveautez qu'il
pourroit apprendre encore.
Il ne ſe paſſera rien dans
ce pays- cy qui vaille la peine
de vous eftre mandé
dont je ne vous faſſe pare
avec plaifir.
Je ſuis Mr. &c.
du Bacha de Damas.
IL eſt ſi difficile de ſçavoir
poſitivement ce qui ſe
paffe dans cet Empire,qu'on
n'y demeſle ſouvent la veri.
té d'un fait , quelque éclatant
qu'il foit , que longtemps
aprés qu'il eſt arrivé.
Les nouvelles de l'Afie , &
celles de l'Europe entrent
confufément à Conftantinople
, où chacun les débite
1
A
GALANT . 219
au gré de ſes intereſts , le
Courier qui en eft chargé
les donne au grand Viſir ,le
grand Viſir au Sultan , & le
Sultanles enſevelit dans ſon
ſérail. Ainfije n'oſe encore
vous aſſeurer que les dernieres
circonstances de l'hiſtoire
que je vais vous écrire ,
foient telles qu'on les raconte
icy; mais je vous promets
que je ſeray exact à
vous detromper , ſi le temps
ou le haſard me detrompent.
Il y a quatrejours que me
promenant avec quelques
Tij
210 MFRCURE
qui
eſtrangers dans ma çaique,
fur le canal de la Mer noire,
un fameux Armenien ,
a fait toute la vie un grand
commerce d'eſclaves , me
conta à peu prés en ces
termes l'hiſtoire de Halil
Acor Bacha de Damas .
J'étois , me dit- il, un jour,
( & bien jeune alors ) à Baghlar
qui eſt un Port de
cette Mer , environ à so
lieuës d'icy lorſqu'un
* Sheieke de mes amis y arriva.
Je le priay de venir
* Predicateur Turc,
GALANT 227
loger dans le meſme * Caravanfarai
que moy. La Maifon
eſtoir alors pleine
d'hommes & de chevaux.
Le Sultan Mahomet IV. dont
le regne étoit plus tranqui
le qu'il n'avoit encore eſté,
&qu'il ne l'a eſté depuis ,
preſtoit dans ce temps au
Kan della Krimée dix
mille hommes de ſes troupes
pour les joindre à douze
mille Tartares de Budziack
& de Bialogrod , qu'il
deftinoit à quelque grande
entrepriſe. Les Janifſſaires ,
* Auberge Turque.
Tiij
222 MERCURE
3
1
les Spahis , & les Afiati
ques que le Grand Seigneur
envoyoit au Kan paffoient
alors par Baghlar où nous
eſtions . Un de ces Janiffai
res entr'autres natif de
* Chaplar en Bulgarie voulut
profiter de l'occaſion
de cette route pour mener
plus ſeurement chez luy
une belle fille qu'il avoit
epousée depuis un an à
Midia de Romanie, Nous:
la trouvâmes avec fon
mary dans le Caravanfarai
que nous avions choiſi
Ville maritime de la Mer noire.
GALANT. 223
২
lorſque nous yarrivame s .
Le hazard nous plaça auprés
d'eux , le Janiſſaire
m'en parut content , il aimoit
mieux voir à côté de
ſa femme , un Venerable
Sheieke qu'aucun de ſes camarades.
Nous ſoupâmes
cependant & nous nous
endormimes ſur la paille.
Une heure avant le jour
nous entendimes des cris
aigus qui nous réveillérent
comme tous les hoftes de
la maiſon ; la femme du
Janiſſaire que fon.Mary
n'avoit pas crue ſi proche
T iiij
224 MERCURE
de ſon terme venoit de
mettre un enfant au monde
, à coſté de mon Sheie
xe , qui ſe trouva fort ſcandaliſé
de cet accouchement.
Il ſe leva plein de
couroux , en diſant que ſes
habits étoient foülliés du
déſordre & des accidents
de cette avanture , néanmoins
la mortification &
l'embarras du Janiſſaire ,
les douleurs de ſa femme
& mes difcours l'addoucirent
; je luy perſuaday ( &
il le ſçavoit bien , ) qu'il
feroit lavé de cette tache
GALANT. 225
en lavant ſa robe & fa per
ſonne avant la premiere
priere. Je le menay au bain
qui eſtoit dans le Caravan
farai où il ſe fit toutes les
cerémonies de l'ablution
desTurcs.
Cependant je retournay
auprés du trifte Janiſſaire ,
&de ſa femme qui gemiſſoit
encore des reſtes ou du fouvenir
de fa douleur ; je lui
donnay tous les ſecours
que je pûs imaginer , on
attendant le retour de mon
Sheieke.
f
L'étoile la plus favorable
226 MERCURE
qui puiſſe veiller fur nos
jours , ne flatte pas les Mufulmans
d'une plus heureuſe
deſtinée qu'un Sheike,
ou un Emir * lorſqu'ils préfident
à la naiſſance de
leurs enfants. Celuy- cy revint
enfinà nous, prés d'une
heure après le lever du Soleil.
Et aprés avoir enviſagé
le Janiſſaire , ſa femme
& fon fils , d'un air tranſ
porté de l'excellence des
avantages qu'il avoit à leur
promettre , il leur prédit
ces choſes.
Prêtre Ture.
GALAND. 227
Letrés puiſſant trés mi
fericordieux Alla a jettéfur
vous & fur vostre fils des regards
bienfaisants le faim
Prophete efto fon meffager.
Il'a pitié de vous , & Sultan
Mahomet qui est agréable au
trés mifericordieux que le
faint Prophete oberit vous élevera
aux premiers honneurs de
fon Empire. Alla * ha Alla.
Tousoles affiftans felici
terent auffi toſt le Janiſſaire
fur la prédiction du Sheieke.
Cette nouvelle paſſa juf
qu'à fon Aga qui luy donna
d'abord de grandes mara
* Dieu. Dieu eſt Dicu.
228 MERCURE
4
ques de distinction. Enfin
le jour du départ des troupes
qui estoient à Bagblar
eſtant venu , il nous quitta
aprés nous avoir juré qu'il
n'oublieroitja mais les obli
gations qu'il nous avoit. N
nousa tenu parole , & c'eſt
de luy-meſme que j'ay appris
avec la ſuite de fa for
tune, une partiede l'hiſtoire
de ſon fils , que vous allez
entendre.
Dés que Zeinal ( c'eſt le
nom de ce Janiſſaire ) cut
remis ſa femme à Chaplar
entre les mains de fa mere,
GALANT. 229
il ne fongea plus qu'à verifier
l'oracle du Sheiere H
fitdans la Krimée des actions
éclatantes que ſon Aga fit
valoir autant qu'elles lemeritoient
aux yeux du Grand
Viſir Cuprogli , qui l'avança
en ſi peu de temps , qu'en
moins de fix ans il le fir
nommer par ſa Hauteffe
Bacha d'Albanie. Il remplit
cette grande place avec
beaucoup d'honneur pen.
dant pluſieurs années , enfin
aprés la dépoſition du
malheureux Sultan Mahomet
IV. Sitoſt que ſon frere
230 MERCURE
Sultan Soliman III . fut mon
té ſur le thrône, il voulut
à l'exemple de tous les au.
tres Bachas profiter desdefordres
de l'Empire pour
augmenter fon credit ; mais
il ſe broüilla malheureuſement
avec le fameux & redoutable
Osman Yeghen
dont le courage , la politi
que & l'audace firent trembler
Solyman juſques dans
fon ferail.
Zeinal s'étoit oppoſé aux
contributions qu'Yeghen *
Serafier de l'armée d'Hon-
* General des Armées du Grand Seigneur.
GALANT 238
grie , avoit tirez de la Ro
melie , & aux impoſitions
qu'il avoit miſes ſur tous les
Juifs & les Chrétiens qui
eſtoient à Theſſalonique ,
& qu'il avoit taxez à deux
Piaſtres par teſte. Il avoit
meſme envoyé un gros party
de Cavalerie qui avoit
taillé en piece les gens
qu'Yeghen avoit chargez de
lever ces impoſitions.
Le Grand Viſir Ismael
trembloit alors de peur
que le Serafkier ne vint à
Conſtantinople avec fon
armée , & qu'il ne le fit dé
232 MERCURE
pofer bien toſt , comme il
avoit déja fait déposer le
Grand Vifir Solyman fon
predeceſſeur. Yeghen qui
reconnut l'avantage qu'il
avoit fur ce foible Viſir ,
luy demanda la teſte de
Zeinal. Ifmael qui de fon
coſté cherchoit à l'ébloüir
par de fauſſes apparences ,
fut ravi de luy pouvoir faire
un ſacrifice dont il n'avoit
rien à apprehender ,
puiſqu'il ne le rendoit pas
plus fort , ainſi quoyque
Zeinalne fût coupable d'au .
cun crime , il le fit décapi-
: ter
GALAN 2338
ter publiquement , dans la
Cour du Serail devant la
porte du Divan.?
Cependant ſon fils Halil
Acor faiſoit alors les fonctions
de Capigibachi en Afie,
où il n'apprit la mort de
ſon pere que long - temps
aprés qu'elle fut arrivée.
Il y avoit affez d'affaires
en Hongrie pour exercer
ſon courage ; mais l'amour
produifit luy ſeul tous les
motifs de fon éloignement.
Il avoit vû par, hazard
dans le Serail de ſon pere
une belle fille de l'iſle de
Juin 1714.
V
234 MERCURE
Chypre que Zeinal deftinoir
au grand Seigneur , il en
devint éperduëment amoureux
, il mit dans ſes interêts
deux femmes qui la fervoient
, il ſéduifit deuxEu
nuques à force de preſents,
il profita de l'abſence de
ſon pere pour s'introduire
toutes les nuits dans ſon
Sérail , & enfin il engagea
cette belle fille à luy donner
les dernieres & les plus
fortes preuves de fa tendreſſe.
Plus flatée de l'efpoir
de poffeder le coeur
d'Halil que de la gloire
GALANT. 2:5
chimérique dont on repait
la vanité de celles qu'on
deſtine aux plaiſirs du
Grand Seigneur , elle avoit
conſenti que ſon Amant
l'enleva avec ſes deux femmes
& ſes deux Eunuques ,
elle estoit déja meſme affez
loin du Serail de Zeinal ,
lorſque ce Bacha revint
chez luy la nuit meſme
qu'on avoit priſe pour cet
enlevement. Maisheureu-
- ſement pour ces Amantsi!
n'entra que le lendemain
matin dans le quartier des
Femmes , où il apprit avec
Vij
236 MERCURE
tous les tranſports de la
plus violente fureur le defordre
de la nuit préceden
te. Il monta auffi - toſt à
Cheval , & de tous les côtez
il fit courir aprés fon
fils ; mais ſes ſoins & ſa diligence
furent inutiles. Halil
qui n'eſtoit pas ſi loin
qu'il le cherchoit , avoit eu
la précaution de s'affeurer
d'une Maiſon qu'un Me
decin Juif qui n'eſtoit pas
des amis de fon pere avoit
dans les montagnes. Il falloit
traverſer plus de deux
lieuës de defert avant d'y
/
GALANT. 237
arriver, & jamais Zeinal n'y
ſes amis , ny fes eſclaves
ne s'eſtoient aperceus que
fon fils connuſt ce Juif.
Halil auroit pû longtemps
profiter de la ſeureté
de cet azile , ſi les troubles
dont l'Empire eſtoit
agité , & fon courage ne
l'avoient pas preffé bien
toſt de facrifier ſon amour
à ſa gloire. Les larmes de
ſa femme , ny les prieres du
Juif qui luy promit enfin
d'en avoir foin juſqu'à la
mort , ne purent l'arreſter
davantage. Il ſe rendit à
138 MERCURE
Conſtantinople , où il fur
reconnu d'abord par un
des amis de fon Pere qui
le recommanda particulierement
au Grand Vifir Som
lyman , qui , en confideration
de l'audace , de l'efprit
, de la bonne mine de
ce Jeune homme , & du
mérite de Zeinal , luy donna
ſur le champune Com
pagnie de Spahis. Il cut ordre
d'aller ſervir en Afie ,
où en peu de temps ſa valeur
le fit parvenir à la
Charge de Capigibachi
qu'il exerça avec honneur
அ
1
GALANT. 239
juſqu'à la mort de ſon Pere .
Le Vifir Ismaël qui avoit
eu la lacheté de faire exé
cuter l'injuſte & cruel ar
reft qu'il avoit prononcé
contre Zeinal , futbien-toft
aprés la victime de fa for
bleſſe. Yeghen revint àConf
tantinople , aprés en avoir
fait chaffer honteuſement
ce Viſir , qui ne pût racheter
ſa vie qu'aux dépens de
toutes les richeſſes que fon
avarice infatiable luy avoit
fait amaſſer pendant fon
indigne miniftere. Halil y
fut rappellé en meſme
240 MERCURE
temps qu'Yeghen , avec les
troupes qui ſervoient en
Afie. Il fut auffi toft à la
maiſon de ce General àqui
il dit qu'il ne luy rendoit
cette viſite , que pour luy
demander raiſon du fang
de ſon pere qu'il avoit fait
repandre , Yeghen conſentit
àluy donner cette fatisface
tion dans une des plus fecrettes
chambres de fon
Serail , où aprés un com
bat aſſez long , Ils ſe blef
férent tous deux : cependant
Yeghen eut l'avantage;
mais il n'en abuſa pas , au
contraire
GALANT. 241
contraire , loin de fonger
à ſe défaire d'un ennemi
auſſi redoutable qu'Halil ,
Je love , luy dit- il , ton coursge
&j'approuve ton reffentiment
: il n'a tenu qu'à ton Pere
d'eftre toûjours mon amy , mais
il a voulu me perdre & je
l'ay perdu. Tu as Satisfait à
ton honneur , en eſſayant de le
vanger : Vois , & dis moy
maintenant ce que tu veux , &
ce que je puis pour toy. Halil
eftonné de la generoſité de
ce grand homme , luy répondit
, Yeghen je ne veux
maintenant,que m'efforcer d'ê-
Juin1714. X
242 MERCURE
tre auffi genereux que toy. Si tu
veux m'imiter , reprit- il ,facrifie
ta vangeance à mon amitié
que je t'offre , je vais ordonner
qu'on nous penſe de nos bleſſu
res , je prétends que tu ne
gueriffe des tiennes que dans
mon Serail. Il appelle auffitoſt
ſes Eſclaves qui menerent
fur le champ Halil
dans une chambre où ily
avoit deux lits qui n'étoient
ſeparez l'un de l'autre que
par un grand rideau de taffetas
couleur de feu qui
eſtoit directement au milieu
de la chambre dont les
GALANT 243
Croiſez qui estoient aux
deux extremitez avoient
vûë de chaque coſté ſur
les Jardins où ſe promenoient
tous les jours les
femmes & les enfants
d'Yeghen.
Dés qu'on eut arreſté
ſon ſang , & qu'il ſe fut
mis au lit , il vit entrer
dans ſa chambre le Medecin
Juif à qui il avoit confié
la belle Eſclave qu'il
avoit épousée dans ſa maifon
, aprés l'avoir enlevée
du Serail de ſon Pere. A
drianou , luy dit il auſſi toſt ,
X ij
244 MERCURE
moncher Adrianou que faítes
-vous icy ? Pourquoy
eftes vous maintenant à
Conftantinople , & dans
quel eſtat eſt ma femme ?
Je vous ay promis , reprit
le Juif , en ſoûpirant , d'avoir
ſoin de la malheureuſe
Adrabista juſqu'à ma mort.
Toutes mes précautions
n'ont pû prévenir les effets
de ſon déſeſpoir , elle eſt
à jamais perduë pour vous ,
& je ne ſuis point fâché
dans mon infortune que
les remedes que je viens
Fameuſe par les grandes avantures qu'elle
2euës depuis àRome , & que je conterayune
autre fois.
GALANT . 245
vous offrir par hazard me
preſentent à vos yeux , où
je ſuis prêt d'expier dans les
fupplices , le crime de ma
négligence où de mon
malheur. Contez moy donc
cette funeſte hiſtoire, lui dit
avec bonté , l'affligé Halil ,
& n'en épargnez aucune
circonstance à madouleur.
Il vous fouvient , reprit le
Juif, des efforts que fit Adra.
biſta , & des larmes qu'elle
répandit pour vous retenir
auprés d'elle ; vous n'avez
pas non plus oublié les
pleurs & les prieres que je
Xij
246 MERCURE
mis en uſage pour flechir
voſtre courage inhumain.
Une vertu cruelle & plus
forte que l'amour vous ravit
enfin ànosyeux.
Crois - tu , dés que vous
fuſtes parti , me dit Adrabista
, que les larmes & les
gemiſſements ſoient main
tenant les armes dont je
veux me ſervir pour mevenger
de la fureur ou de l'infidelité
de mon barbare époux
Non , Adrianou ,non.
je veux le ſuivre malgré luy
& malgré toy : ma taille
avantageuſe&mon audace
GALANT. 247
m'aideront ſuffisamment à
cacher ma foibleſſe & mon
ſexe; enfin jeveux courir les
meſmes haſards que luy,par
tout où l'entraiſnera cette
impitoyable gloire qui l'arrache
àmon amour. Je vou
lus d'abord flatter ſa dou
leur; mais malgré mes foins,
ma complaiſance criminel.
le,& mon aveuglement l'ont
précipitée dans le plus
grand des malheurs. Je luy
permis d'eſſayer le turban ,
& de mettre un fabre à ſon
coſté. Elle ſe plaiſoit quelquefois
dans cet équipage
X iiij
248 MERCURE
de guerre , d'autrefois jer
tant fon fabre & ſon turban
par terre , elle affectoit de
mépriſer ces inſtruments
qu'elle deſtinoit à ſa perte.
Enfin elle feignit de paroiftre
devantmoy conſolée de
voſtre abſence , & pendant
plusde fix ſemaines elle ne
me parla pas plus de vous ,
que ſi elle ne vous euſt jamais
connu. Cette indiffe
rence m'inquietta pour
yous , & je luy dis unjour ,
eſtes - vous Adrabista , cette
heroine qui deviez fi glo.
rieuſement ſignaler voſtre
GALANT. 249
du
tendreffe , en courant jufqu'au
fond de l'Afic aprés
un époux ſi digne de voſtre
amour. Non , Adrianou , me
dit elle , je ne ſuis plus cette
Adrabista que vous avez veue
capable des plus extravagants
emportements
monde.J'aime tousjoursHa
lil comme mon ſeigneur &
mon époux ; je ſens toutes
les rigueursde ſon abfence ;
mais le temps & mes reflexions
ont rendu ma douleur
plus modeſte;& il n'est point
de fi miferable coin fur la
terre , où je n'aime mieux
250 MERCURE
attendre ſes ordres , que
m'expoſer en le cherchant
auhafard de le deshonorer
enme deshonorant moymeſme.
Je creus qu'elle me par
loit de bonne foy , & dans
cette confiance je luy donnay
plus de liberté & d'authorité
dans ma maifon que
je n'y en avois moy-mefme.
Enfin il vint un jour un
exprés que le gouverneur de
la Valone m'envoya pour me
preſſer d'aller porter des re
medes à fon fils qui estoit à
l'extremité. Je fis auffi- toſt
GALANT. 251
part de la neceffité de ce
voyage à Adrabista , je la
priayde chercher à ſe defen
nuyer pendant mon abfence
, & je partis avec mon
guide. Mais jugez de ma
conſternation lorſqu'à mon
retour dans ma maiſon , on
me fit part des funeſtes nouvelles
que vous allez entendre.
Le lendemain de mon
départ Adrabista fit ſeller
trois chevaux qui reſtoient
dans mon écurie. Elle s'équippa
du ſabre & du turban
qu'elle avoit tant de
fois mépriſez en ma preſen;
252 MERCURE
cé, elle fit monter avec elle
ſes deux eunuques à cheval ,
elle dit à fes femmes qu'elle
alloit ſe promener dans les
vallées qui font au pied des
montagnes de la Locrida ,
elley fut en effet , mais elle
alla plus loin encore , elle
pouſſa juſqu'à Elbaffan , où
un party des troupes de
l'Empereur des Chreftiens
Farreſta . Elle demanda à
parler au General de l'armée
qui eftoit alors à Du
razzo où elle fut conduire,
&de qui elle fut receue avec
tous les égards deus à fon
GALANT . 253
fexe & à la beauté. Je yous
apprends maintenant d'épouventables
nouvelles
Halil ; mais vous ne ſçavez
pas encore le plus grand
de vos malheurs. J'ay appris
depuis quelque temps qu'elle
s'eſtoit faite Chreftienne .
C'en eſt aſſez , luy dit
Halil , fortez & ne vous repreſentez
jamais à mes
yeux, je ne ſçay ſi mavertu
ſuffiroit pour vous derober
à ma fureur.
Yeghen qui s'eſtoitjetté ſur
le lit qui eſtoit à l'autre ex.
tremite de la chambre,aprés
254 MERCURE
avoir entendu ce recit , ſe
fit approcher de l'inconfolable
Halil, à qui il dit tout
ce qu'il creut capable d'apporter
quelque foulagement
à ſa douleur. Enfin
aprés pluſieurs de ces dif
cours qui ne perfuadent
gueres les malheureux , amy,
luydit- il, jettez les yeux
fur mon jardin , & voyez fi
dans le grand nombre de
beautez qui s'y promenent ,
il n'y en aura pas une qui
puiſſe vous conſoler de la
perte de l'infidelle Adrabiſta.
Jevousdonnecellequevous
GALANT. 255
préfererez aux autres , quelque
chere qu'elle me puiſſe
eſtre. Je veux , luy répondit
Halil, à qui une propofition
fi flateuſe fit preſque oublier
toute ſon infortune
eſtre auſſi genereux que
vous , & n'écouter l'offre
magnifique que vous me
faites , que pour vous en remercier
: non , non, reprit
Yeghen, il n'en ſera que ce
qu'il me plaira ,&nous verrons
dés que vous ferez gueri
, ſi vous affecterez encore
d'eſtre , ou ſi vous ferez fincerement
auffi genereux
quemoy.
256 MERCURE
Au bout de quatre ou cinq
jours ils furent gueris tous
deux.Alors Veghenplus charmé
encore des vertus d'Halil,
lemenadans un cabiner
de ſon jardin , où à travers
une jalouſie il vit paſſertoutes
les femmes qui estoient
dans le ſérail de ce Bacha,
qui ne s'occupa pendant
cette reveuë qu'à examiner
la contenance d'Halil , &
qu'à luy demander ce qu'il
penſoit de chaque beauté
qui paſſoit au pied de la ba
luſtrade où ils eftoient.
Enfin aprés avoir longtemps
GALANT 25
1
temps confideré aſſez tranquillement
tout ce que l'Europe
& l'Afie avoient peuteſtre
de plus beau , il vitune
grande perſonne dont les
habits eſtoient couverts des
plus riches pierreries de l'O
rient , negligemment appuyée
fur deux eſclaves , &
dont les charmes divins of
Froient aux yeux un majel
tueux étalage des plusrates
merveilles du monde. Auffitoſt
il marqua d'un ſonpir le
prompt effet du pouvoir iné.
vitable de ſes attraits vainqueurs.
Qu'avez-vous , luy
Juin 1714. Y
258 MERCURE
dit àl'inſtant Yeghen , amy,
vous ſoupirez ?Ah,ſeigneur,
je me meurs , reprit Halil ,
qu'onm'ouvre àl'heuremeſ
me les portes de voſtre ſé.
rail,&ne m'expoſez pas davantage
aux traits d'unegenorofité
fi cruelle. Je vous
entends , reprit Yeghen ,
mais je ne veux pas conſentir
à vous laiſſer fortir
de mon Serail , que vous
n'ayez épousé celle de
toutes ces perſonnes qui
vous plaiſt davantage. Elles
font toutes mes femmes ,
àl'exception de la derniere
GALANT 259
qui eſt ma fille , recevez- là
de ma main mon fils , &
aimez moy toûjours.
Halil fe jetra fur le
champ aux pieds du Bacha
qui le releva dans le
moment , pour le conduire
à l'appartement de ſa fille ,
dont le même jour , il le
rendit l'heureux Epoux ; Il
prit enſuite uniquement
ſoin de ſa fortune , juſqu'à
ſa mort , qui arriva juſtement
, un mois aprés avoir
engagé le Sultan Solyman
à donner à ſon gendre le
Bachalik de Damas.
Yij
260 MERCURE
Halil a vécu depuis plus
de vingt ans avec tout l'é
clat & tous les honneurs.
dont puiſſent joüir les plus
Grands Seigneurs de l'Empire
Othoman . Mais il n'eſt
rien de fi fragile que le
bonheur des hommes , la
moindre jaloufic ou la
,
moindre eſperanceles
étourdit au milieu de leur
felicité , & il ſuffit qu'ils
ayent eſté tousjours heureux
, pour croire n'avoir
jamais d'infortune à redouter
: enyvré de leur gran
deur , leur Maiſtre ne de
GALANT . 261
vient à leurs yeux qu'un
mortel comme eux , fouvent
meſme ils prétendent
s'attirer & meriter plus
d'honneurs que leur Mail
tre
Le trés haut Sultan Achmet
àpréſent regnant , ſur la
nouvelle de la revolte du
Bacha de Bagdad , a fur le
champ envoyé aux Bachas
de Damas & d'Alep un
ordre exprés de marcher
avec toutes leurs troupes
contre ce rebelle ſujet. Sitoſt
que leur armée a eſté
en estat d'entrer en cam262
MERCURE
pagne , ils ont rencontre
attaqué &battu ce Bacha.
Le Sultan juſques-là a efté
fervi à merveille ; mais on
ajouſte qu'ébloüis appar
ramment de quelques projets
ambitieux dont on ne
ſçait encore ny le fond
ny les détails , & flattez
ſans doute de l'eſpoir
d'un ſuccez favorable , ces
deux Bachas ont entretenu
une intelligence criminelle
avec celuy de Bagdad.
Que le Bacha de
Damas a eſté convaincu de
ce crimepar des lettres qui
GALANT . 263
onteſté interceptées ,& qui
fot tombées entre les mains
du Grand Seigneur , qui a
dépeſché auſſi toſt l'ordre
ſuprême qui vient de coufter
la vie à cet infortuné
Bacha. Je ne ſçay pas encore
, files muets l'ont étranglé,
s'il a efté afſaſſiné , ou
ſi on luy a tranché la teſte ;
mais je ſçay bien que le
Sultan a prononcé l'arreſt
dont il eſt mort .
Dés que l'Armenien cuft
fini ſon recit , je le remerciay
de m'avoir appris tant
de particularitez de la vic
C
264 MERCURE
des trois Bachas Halil
Yeghen & Zeinal , & je le
priay de m'informer de
toutes les nouveautez qu'il
pourroit apprendre encore.
Il ne ſe paſſera rien dans
ce pays- cy qui vaille la peine
de vous eftre mandé
dont je ne vous faſſe pare
avec plaifir.
Je ſuis Mr. &c.
Fermer
Résumé : HISTOIRE du Bacha de Damas.
Le texte narre l'histoire de Halil Acor Bacha de Damas, relatée par un Arménien ayant été impliqué dans le commerce d'esclaves. L'histoire commence à Baghlar, un port de la mer Noire, où un Janissaire nommé Zeinal, originaire de Bulgarie, réside avec sa femme enceinte. Un Sheik et l'Arménien les assistent lors de l'accouchement. Le Sheik prédit un avenir glorieux pour l'enfant, qui se réalise lorsque Zeinal devient Bacha d'Albanie. Cependant, Zeinal est exécuté sur ordre du Grand Visir Ismael, à la demande du général Osman Yeghen. Le fils de Zeinal, Halil, alors Capigibachi en Asie, apprend la mort de son père longtemps après. Halil, épris d'une esclave destinée au Sultan, l'enlève et se réfugie chez un médecin juif. Forcé de quitter sa cachette, Halil se rend à Constantinople où il est reconnu et rejoint les Spahis. Après la mort de son père, Halil affronte Yeghen en duel, mais est blessé. Yeghen, impressionné par le courage de Halil, lui offre son amitié. Halil apprend ensuite la mort de sa femme, Adrabista, des mains du médecin juif Adrianou. Le texte relate également l'histoire d'Adrabista, une femme juive et épouse de Halil. Désespérée par le départ de Halil, elle décide de le suivre déguisée en homme pour affronter les dangers qu'il rencontre. Elle cache sa douleur et son désir de le rejoindre, mais finit par révéler ses intentions à Adrianou, un confident. Malgré ses efforts pour la dissuader, Adrabista s'enfuit et rejoint les troupes chrétiennes, où elle se convertit au christianisme. De son côté, Halil, informé de la trahison d'Adrabista, est dévasté. Yeghen, un ami de Halil, tente de le consoler en lui offrant une de ses femmes. Halil, après une période de réflexion, choisit la fille de Yeghen et l'épouse. Il mène ensuite une vie prospère et honorable jusqu'à sa mort. Le texte se termine par la nouvelle de la rébellion du Bacha de Bagdad et de la trahison des Bachas de Damas et d'Alep, qui sont accusés de complicité. Le Bacha de Damas, Halil, est exécuté sur ordre du Sultan.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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34
p. 199-205
Copie d'une Lettre de Beauvais.
Début :
Vous venez, Monsieur, de nous donner pour Histoire, ce qu'on [...]
Mots clefs :
Femme, Mari, Enfant, Procès
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Copie d'une Lettre de Beauvais.
Copie d'une Lettre dfB-'tuïvais.
Vous venez,Mdnficur,
de nous donner pour HiftoU
re, cequ'onne peur regarder
que comme une agreable fiction
; quand on veut supposer
un Arrest ,ilfaut au moins
imaginer une questionfoûce*.
nable sur laquelle les Juges
ayentpûprononcer. L'Auto
theur de cette Nouvellecralante
nous prend-il pour des
Gruës ? Pour loüer un Tribunal
Supérieur,faut il déni*
grçr les JugesdeProvintc.!
Quelleasnerie seroit-ce que
d'appointer les Parties comme
contraires à verifier chacun
à leurs fins; le Mary
,
qu'un enfant né dans le septieme
mois de son mariage,
est son fils;& le Beau pere,
que sa fille n'a point estécruelle
; l'Enqueste seroit digne
d'allonger le chapitre de Rabelais,
où il est parlé de Dandin,
qui à cause de cet axiome
de Droit aléa judiciorum,mettoit
aux deux bouts d'une table
les productions des Parties
,&tiroir une chance pour
le Demandeur, &une pour le
Deffendeur. Vous me direz,
peut-estre, que lachose n'est
point sans exemple ; en Dauphiné
une femme accouche
après trois mois de mariage
d'unenfant qui avoit tous les
signes de vie; au Jugement
des Connoisseurs, il avoit au
moins neuf mois. Le Mary
ne peut se mettre en reste que
ce fruit fut un effet de la seule
imagination de sa femme, &
que Junon luy eust appris son
secret; c'estoit un ignorant qui
ne sçavoit point la Mythologie
: D'ailleurs il ne se croyoit
pas si habile pour un ouvrage
si avancé, il murmure illâctà.
te,comme il ne fc trouve
quetrop degens pour faire
enrager les autres,on luy insinue
qu'un certain Capitaine
a eu une accointance fort libre
avec sa femme,&qu'il
pourroic bien avoir humanisé
savertu; la femmeen cause
avoüe quelle n'a point voulu
chagriner cet Officier,&qu"»-
ellese seroit fait un fcrupulc
de l'éconduire, tant qu'il paroissoit
luy demander de bon
coeur ses bonnes grâces; le
Mary poursuit le Cavalier,il
avoüe franchement ce quis'est
passédans la chaleur de la conversation
;tout calcul fait, il
reconnoist que l'enfantest de
sa saqon ; ou au moins qu'il
n'y a pas nuy;par Arrest l'enfant
estadjugéau Capitaine..
Où trouveriez vousàpresent
un Petit Maistre qui voulûr avoüer
la dette, on auroit beau
s'écrier, ôtempora!ô mores! en
pareilcas on rejette volontiersle
fardeau sur son voisin;
tout sert en ménage,aussi les
Juges qui connoissent le train
du monde,n'ont garde d'ordonner
une pareille preuve
elleseroit illusoire,il faudroit
des témoins oculaires, & la
bonne foy est trop rare : mais
cc n'est paslàcequiôteà l'histoire
toute la vray- semblance,
c'estl'habileté prodigieuse du
mary & la bêtise inoüie dela
femme. Le mary plus penetrant
que cet Argonaute
,
qui
voyoit distinctement les objets
jusqu'au fonds de la mer, >
découvre dans lesein de sa
femme un enfant,qui àpeine a
la vie; ilcrie,il rempeste,comme
si la chose etoit démontr ée
ou palpable, & la femme a-
Vbüe ingenuëment les complaisances
outrées qu'elle a
cuës pour songalant : ou en
ttrroouuvvee--tt--oonnddeessii nneeuuvveess?? oouù
entrouve-t-on desiindiscrettes
?ne sçavent-elles pas tomberàpropos,&
manque t-on
de Medecins ou officieux ou
ignorans qui refusentleurs
suffrages à une supercherie
impenetrable aux plus avisez?
Appresteznous un Conte qui
soit mieux assaisonné, &ou
se trouve levrai
-
semblable.
L'Italien dit
,
se nom è veto,
è ben travato : cette histoire
n'est ny l'un ny l'autre. Je fuis,
Monsieur,tout à vous.
Vous venez,Mdnficur,
de nous donner pour HiftoU
re, cequ'onne peur regarder
que comme une agreable fiction
; quand on veut supposer
un Arrest ,ilfaut au moins
imaginer une questionfoûce*.
nable sur laquelle les Juges
ayentpûprononcer. L'Auto
theur de cette Nouvellecralante
nous prend-il pour des
Gruës ? Pour loüer un Tribunal
Supérieur,faut il déni*
grçr les JugesdeProvintc.!
Quelleasnerie seroit-ce que
d'appointer les Parties comme
contraires à verifier chacun
à leurs fins; le Mary
,
qu'un enfant né dans le septieme
mois de son mariage,
est son fils;& le Beau pere,
que sa fille n'a point estécruelle
; l'Enqueste seroit digne
d'allonger le chapitre de Rabelais,
où il est parlé de Dandin,
qui à cause de cet axiome
de Droit aléa judiciorum,mettoit
aux deux bouts d'une table
les productions des Parties
,&tiroir une chance pour
le Demandeur, &une pour le
Deffendeur. Vous me direz,
peut-estre, que lachose n'est
point sans exemple ; en Dauphiné
une femme accouche
après trois mois de mariage
d'unenfant qui avoit tous les
signes de vie; au Jugement
des Connoisseurs, il avoit au
moins neuf mois. Le Mary
ne peut se mettre en reste que
ce fruit fut un effet de la seule
imagination de sa femme, &
que Junon luy eust appris son
secret; c'estoit un ignorant qui
ne sçavoit point la Mythologie
: D'ailleurs il ne se croyoit
pas si habile pour un ouvrage
si avancé, il murmure illâctà.
te,comme il ne fc trouve
quetrop degens pour faire
enrager les autres,on luy insinue
qu'un certain Capitaine
a eu une accointance fort libre
avec sa femme,&qu'il
pourroic bien avoir humanisé
savertu; la femmeen cause
avoüe quelle n'a point voulu
chagriner cet Officier,&qu"»-
ellese seroit fait un fcrupulc
de l'éconduire, tant qu'il paroissoit
luy demander de bon
coeur ses bonnes grâces; le
Mary poursuit le Cavalier,il
avoüe franchement ce quis'est
passédans la chaleur de la conversation
;tout calcul fait, il
reconnoist que l'enfantest de
sa saqon ; ou au moins qu'il
n'y a pas nuy;par Arrest l'enfant
estadjugéau Capitaine..
Où trouveriez vousàpresent
un Petit Maistre qui voulûr avoüer
la dette, on auroit beau
s'écrier, ôtempora!ô mores! en
pareilcas on rejette volontiersle
fardeau sur son voisin;
tout sert en ménage,aussi les
Juges qui connoissent le train
du monde,n'ont garde d'ordonner
une pareille preuve
elleseroit illusoire,il faudroit
des témoins oculaires, & la
bonne foy est trop rare : mais
cc n'est paslàcequiôteà l'histoire
toute la vray- semblance,
c'estl'habileté prodigieuse du
mary & la bêtise inoüie dela
femme. Le mary plus penetrant
que cet Argonaute
,
qui
voyoit distinctement les objets
jusqu'au fonds de la mer, >
découvre dans lesein de sa
femme un enfant,qui àpeine a
la vie; ilcrie,il rempeste,comme
si la chose etoit démontr ée
ou palpable, & la femme a-
Vbüe ingenuëment les complaisances
outrées qu'elle a
cuës pour songalant : ou en
ttrroouuvvee--tt--oonnddeessii nneeuuvveess?? oouù
entrouve-t-on desiindiscrettes
?ne sçavent-elles pas tomberàpropos,&
manque t-on
de Medecins ou officieux ou
ignorans qui refusentleurs
suffrages à une supercherie
impenetrable aux plus avisez?
Appresteznous un Conte qui
soit mieux assaisonné, &ou
se trouve levrai
-
semblable.
L'Italien dit
,
se nom è veto,
è ben travato : cette histoire
n'est ny l'un ny l'autre. Je fuis,
Monsieur,tout à vous.
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Résumé : Copie d'une Lettre de Beauvais.
La lettre critique une nouvelle relatant une situation judiciaire improbable où un mari conteste la paternité d'un enfant né au septième mois de mariage, tandis que la belle-mère affirme le contraire. L'auteur compare cette situation à une anecdote du Dauphiné où une femme accouche après trois mois de mariage et accuse un capitaine d'être le père. Le capitaine finit par reconnaître sa paternité. L'auteur souligne l'absurdité de telles situations et la difficulté de prouver la paternité sans témoins oculaires. Il critique également la crédulité du mari et la légèreté de la femme. La lettre se conclut par une comparaison avec un proverbe italien, rejetant l'histoire comme ni vraie ni bien trouvée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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35
p. 267-280
Mariages. [titre d'après la table]
Début :
Le 26. du mois de Juillet dernier, Messire Guillaume Alexandre [...]
Mots clefs :
Dame, Marquis, Régiment, Roi, Colonnel, Président, Maréchal, Mariage, Parlement, Femme, Fille, Comte
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texteReconnaissance textuelle : Mariages. [titre d'après la table]
Le 2.6. du mois de Juillet
dernier, Messire Guillaume
Alexandre de Galard de
Bearn
,
Marquis de Brassac lé.
pousaDamoifcllc Luce FrançoisedeCotcntin
de Tourville,
fille unique deMlle Maréchal
de Tourville. Le mariage
s'est fait de l'agrément du
Roy & des Princes de. son
Sang qui leur ont fait l'honneur
d'en signer le Contrat.
S. A. S.Madame la Princesse,
assista à la celebration du mariage
,& Madame la Duchesse
de Vendosme mena la Mariée
à l'Eglise. Elle fit ensuite une
Festedigne de sa grandeur &
de sa magnisicence.
La Maison de Gallard eu
une des pius anciennes & des
plus illustres du Royaume
descenduë des Comtes de
Condomois. Elle a joint par
une alliance à son nom & à ses
armes, le nom & les armes
de la Maison de Bearn : Pierre
de Galard de Bearn étoit grand
Maistre des Ai balestriers fous
Philippe le Bel : plusieurs de
ses descendans ont esté Gouverneurs
de Xaintonge &
d'Augoumois : Jean de Galard
de Bearn, Comte de Brassacestoit
en 1640. Chevalier
de l'Ordre du S. Esprit, Gouverneur
de Lorraine, & Ambassadeur
du Roy àla Cour de
Rome, & Catherine de Sainte:
Maure sa femme,Dame
d honneur de la ReineMere.
La Maison de Cotentin de
Tourville,estaussi très.-ancienne&
tres illustre;Cezar de
Cotentin, Comte de Tourville,
Commandast au Siege;
dela Rochelle, sous sonEminence
Mr le Cardinal de Ri- 1
chelieu; il eut de Luce de la
Rochefoucault, entr'autres
enfans, Anne- Hilarion- de
Coreni in de Tourville, Chevalier
de Malthe,qui par les j
differentes batailles qu'il avoit *
données '& gagnées pour le
service du. Roy, est parvenu
aux dignitez de Maréchal u
Vice-Amiralde France; il a
eudeLoüise Françoised Himbercourt,
deux enfans,Loüis
Alexandre de Cotentin de
Tourville, Colonel d'un Regiment
de son nom, tué à
l'attaque des retranchemens
de Denain,&Luce-Françoise
de Cotentin de Tourville, qui
vient d'épouser Mr le Marquis
de Brassac.
Messire Pierre Gilbert de
Voisins,Maistre des Requêtes
Ordinaire de l'Hostel du
Roy, a épousé le 25. Juillet
Damoiselle de Fieubet,
soeur de Loüis Gaspard
de FieubetConseiller au Parlement,
& fille de Paul de
Ficuber, Seigneur de Launac..,
de Reveillon & de Beauregard
,
Maistre des Requestes,
& de Dame Angélique Mar,
guérite deFourey.
Mr de Voisins est frere de
Mr le Comtede Vilaines, Colonel
du Regiment de Medoc,
& fils de Messire Pierre
Gilbert, Seigneur deVoisins,
Président aux Enquestes du
Parlement de Paris, & de
Dame Françoise Dongois.
* CettefamilledeGilbert est,
ancienneàParis & descendde
Jean Gilbertsieur de Voisins.
: Correcteur desComptesmort
le 5. Janvier 1507.& enterré à S. Severin avec Jeanne Bri-
! nou sa femme; elle s'estalliée
aux familles de Bourdin, de
Viole,du Prat,de Larcher, l,&c.n-r't' f)"'t TP'••V "d- l:'
Pour celle de Ficubet elle
est originaire de Languedoc
,
& elle descend d'Arnaud Fieubet
qui fut fait Greffier des
Etats de Languedoc par la faveur
de M le Connestable
Henry deMontmorency. Elle
a donné un Président à Mortier
& un Premier Président
auParlement de Toulouse &,
trois Maistres des Requestes
donc l'un estoit Chancelier de
la ReinemereduRoy,&elle
s'est alliée aux familles de S.
Pol, de Maniban
,
& Dossunà~i Toulou se,& à celles de Nico-
Li , de Longuëil &de Castille ; àParis.
Messire Jacques de Monccaux
d' A ~uxi, Marquisd'Au- ,:
xi, ci devant Capitaine aux
Girdes, & Colonel du Régiment
Royal Comtois, fils
unique de Missire François de
Monceaux
,
créé Marquis
d'Auxi, parletresdu mois
de Septembre 1687. & de
Dame Marie Magdelaine Jabert
du Thil, sorti des anciens
Sires, & Bersd'Auxi en
Picardie, connus il y a plus de
500. ans, a épousé le 20e de
ce mois Damoiselle Marie-
MagdelainedelaGrangeTrianon,
sille du feu Messire Loüis
Armand de la Grange Trianon
, Baron Duplessis aux
Tournelles, Conseiller au
,
Grand Conseil, & de Dame
MargueriteMagdelaine Joly
d'Oudeil ; & petite fille de
Loüts de la GrangeTrianon,
Seigneur d'Aravilliers, de
Nandi de Marconville, Châtelain
de Renets en Touraine,
&-' Président de la seconde
Chambre des Requestes du
Palais, & de Dame Marguerite
Martineau. Mademoiselle
de la Grange Trianon est niece
de MessireCharlesde la
Grange Trianon Abbé de
Saint Severe, Chanoine de
Nôtre Dame * de Paris, &
ConseillerClercau Parlement
&de feuë Dame Marguerite
dela Grange u morte en 16 87;
veuve deFrançois de la TremoilleDuc
de Noirmontier.
, ;*-? ( Lafamille
dela Grange cft
t
une des plus considerablesde
} Paris, clle descend de Michel
(de laGrange Seigneur de
| Trianon, MàistredelaCham- I bre aux deniers
, & Prevôt
r_',' des Marchands de cette Ville
( dés l'an1466. & de Guille-
: mette deLongüeil, elle s'est
*alliée auxfamilles de Boucher,
*d'Orfôy, de Molé, deBailleul,
de Hercis, de Bragelonne, de
»
Fourcy, de Charon, de Menars,&
c. ici -rff
Monsieur le Marquis d'Auxi
quivient de se marier,cit
neveu de Messire Henri do
Monceaux d'Auxi, Comte
d'Hanvoille, cy-devant Colonel
du Regiment de Dragons
qui de son mariageavec Dame de Crequy
d Osseu n'a que deux filles, &
de Messire Jacques de Monceaux
d'Auxi, dit Monsieur
de la Bruiere cy devant Caps- j
taine dans le Regiment de
Champagne qui n'a aussi que
deux filles de
:
son mariage
avec Dame Marie Anne le Fé- j
vrc sa femme, Soeur de M. j
Hardouin U Fevre de Fonteray,
cy-devant-Gentilhomme de Mr
le Marquis deBonnac, Envoyé
Extraordinaire de France, O4
à present tres -digne Auteur
du nouveau Mercure Galant;
DameJeanne de Soufflas
Bisayeule de Monsieur le Niarquis
d'Auxi,étoit grande tante
de feu M le Maréchal Duc
l de Boufflers, & cette Maison
d'Auxi s'est alliée à celles de
: Craon, de Piqirgny,de Me-
: lun, de la Tremoille d'Estouteville
,
d'Enghien, de
#
Remburses, de Crevecoeur,
de Quesdes, de Trafigny,
,
de Saveufc, de Hangec, de
Villiersl'Isle-Adam,de la
Chaisede Vieux Pont,de la
Vieuville, d'O, de Tiercelin,
de Brosse, de Breauté. de Rochechoüar;
de Saint Simon
de Soyecourt&del'Ecendart
Bully.
dernier, Messire Guillaume
Alexandre de Galard de
Bearn
,
Marquis de Brassac lé.
pousaDamoifcllc Luce FrançoisedeCotcntin
de Tourville,
fille unique deMlle Maréchal
de Tourville. Le mariage
s'est fait de l'agrément du
Roy & des Princes de. son
Sang qui leur ont fait l'honneur
d'en signer le Contrat.
S. A. S.Madame la Princesse,
assista à la celebration du mariage
,& Madame la Duchesse
de Vendosme mena la Mariée
à l'Eglise. Elle fit ensuite une
Festedigne de sa grandeur &
de sa magnisicence.
La Maison de Gallard eu
une des pius anciennes & des
plus illustres du Royaume
descenduë des Comtes de
Condomois. Elle a joint par
une alliance à son nom & à ses
armes, le nom & les armes
de la Maison de Bearn : Pierre
de Galard de Bearn étoit grand
Maistre des Ai balestriers fous
Philippe le Bel : plusieurs de
ses descendans ont esté Gouverneurs
de Xaintonge &
d'Augoumois : Jean de Galard
de Bearn, Comte de Brassacestoit
en 1640. Chevalier
de l'Ordre du S. Esprit, Gouverneur
de Lorraine, & Ambassadeur
du Roy àla Cour de
Rome, & Catherine de Sainte:
Maure sa femme,Dame
d honneur de la ReineMere.
La Maison de Cotentin de
Tourville,estaussi très.-ancienne&
tres illustre;Cezar de
Cotentin, Comte de Tourville,
Commandast au Siege;
dela Rochelle, sous sonEminence
Mr le Cardinal de Ri- 1
chelieu; il eut de Luce de la
Rochefoucault, entr'autres
enfans, Anne- Hilarion- de
Coreni in de Tourville, Chevalier
de Malthe,qui par les j
differentes batailles qu'il avoit *
données '& gagnées pour le
service du. Roy, est parvenu
aux dignitez de Maréchal u
Vice-Amiralde France; il a
eudeLoüise Françoised Himbercourt,
deux enfans,Loüis
Alexandre de Cotentin de
Tourville, Colonel d'un Regiment
de son nom, tué à
l'attaque des retranchemens
de Denain,&Luce-Françoise
de Cotentin de Tourville, qui
vient d'épouser Mr le Marquis
de Brassac.
Messire Pierre Gilbert de
Voisins,Maistre des Requêtes
Ordinaire de l'Hostel du
Roy, a épousé le 25. Juillet
Damoiselle de Fieubet,
soeur de Loüis Gaspard
de FieubetConseiller au Parlement,
& fille de Paul de
Ficuber, Seigneur de Launac..,
de Reveillon & de Beauregard
,
Maistre des Requestes,
& de Dame Angélique Mar,
guérite deFourey.
Mr de Voisins est frere de
Mr le Comtede Vilaines, Colonel
du Regiment de Medoc,
& fils de Messire Pierre
Gilbert, Seigneur deVoisins,
Président aux Enquestes du
Parlement de Paris, & de
Dame Françoise Dongois.
* CettefamilledeGilbert est,
ancienneàParis & descendde
Jean Gilbertsieur de Voisins.
: Correcteur desComptesmort
le 5. Janvier 1507.& enterré à S. Severin avec Jeanne Bri-
! nou sa femme; elle s'estalliée
aux familles de Bourdin, de
Viole,du Prat,de Larcher, l,&c.n-r't' f)"'t TP'••V "d- l:'
Pour celle de Ficubet elle
est originaire de Languedoc
,
& elle descend d'Arnaud Fieubet
qui fut fait Greffier des
Etats de Languedoc par la faveur
de M le Connestable
Henry deMontmorency. Elle
a donné un Président à Mortier
& un Premier Président
auParlement de Toulouse &,
trois Maistres des Requestes
donc l'un estoit Chancelier de
la ReinemereduRoy,&elle
s'est alliée aux familles de S.
Pol, de Maniban
,
& Dossunà~i Toulou se,& à celles de Nico-
Li , de Longuëil &de Castille ; àParis.
Messire Jacques de Monccaux
d' A ~uxi, Marquisd'Au- ,:
xi, ci devant Capitaine aux
Girdes, & Colonel du Régiment
Royal Comtois, fils
unique de Missire François de
Monceaux
,
créé Marquis
d'Auxi, parletresdu mois
de Septembre 1687. & de
Dame Marie Magdelaine Jabert
du Thil, sorti des anciens
Sires, & Bersd'Auxi en
Picardie, connus il y a plus de
500. ans, a épousé le 20e de
ce mois Damoiselle Marie-
MagdelainedelaGrangeTrianon,
sille du feu Messire Loüis
Armand de la Grange Trianon
, Baron Duplessis aux
Tournelles, Conseiller au
,
Grand Conseil, & de Dame
MargueriteMagdelaine Joly
d'Oudeil ; & petite fille de
Loüts de la GrangeTrianon,
Seigneur d'Aravilliers, de
Nandi de Marconville, Châtelain
de Renets en Touraine,
&-' Président de la seconde
Chambre des Requestes du
Palais, & de Dame Marguerite
Martineau. Mademoiselle
de la Grange Trianon est niece
de MessireCharlesde la
Grange Trianon Abbé de
Saint Severe, Chanoine de
Nôtre Dame * de Paris, &
ConseillerClercau Parlement
&de feuë Dame Marguerite
dela Grange u morte en 16 87;
veuve deFrançois de la TremoilleDuc
de Noirmontier.
, ;*-? ( Lafamille
dela Grange cft
t
une des plus considerablesde
} Paris, clle descend de Michel
(de laGrange Seigneur de
| Trianon, MàistredelaCham- I bre aux deniers
, & Prevôt
r_',' des Marchands de cette Ville
( dés l'an1466. & de Guille-
: mette deLongüeil, elle s'est
*alliée auxfamilles de Boucher,
*d'Orfôy, de Molé, deBailleul,
de Hercis, de Bragelonne, de
»
Fourcy, de Charon, de Menars,&
c. ici -rff
Monsieur le Marquis d'Auxi
quivient de se marier,cit
neveu de Messire Henri do
Monceaux d'Auxi, Comte
d'Hanvoille, cy-devant Colonel
du Regiment de Dragons
qui de son mariageavec Dame de Crequy
d Osseu n'a que deux filles, &
de Messire Jacques de Monceaux
d'Auxi, dit Monsieur
de la Bruiere cy devant Caps- j
taine dans le Regiment de
Champagne qui n'a aussi que
deux filles de
:
son mariage
avec Dame Marie Anne le Fé- j
vrc sa femme, Soeur de M. j
Hardouin U Fevre de Fonteray,
cy-devant-Gentilhomme de Mr
le Marquis deBonnac, Envoyé
Extraordinaire de France, O4
à present tres -digne Auteur
du nouveau Mercure Galant;
DameJeanne de Soufflas
Bisayeule de Monsieur le Niarquis
d'Auxi,étoit grande tante
de feu M le Maréchal Duc
l de Boufflers, & cette Maison
d'Auxi s'est alliée à celles de
: Craon, de Piqirgny,de Me-
: lun, de la Tremoille d'Estouteville
,
d'Enghien, de
#
Remburses, de Crevecoeur,
de Quesdes, de Trafigny,
,
de Saveufc, de Hangec, de
Villiersl'Isle-Adam,de la
Chaisede Vieux Pont,de la
Vieuville, d'O, de Tiercelin,
de Brosse, de Breauté. de Rochechoüar;
de Saint Simon
de Soyecourt&del'Ecendart
Bully.
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Résumé : Mariages. [titre d'après la table]
Le 26 juillet dernier, Messire Guillaume Alexandre de Galard de Bearn, Marquis de Brassac, a épousé Damoiselle Luce Françoise de Cotentin de Tourville, fille unique de Mademoiselle Maréchal de Tourville. Le mariage a été approuvé par le Roi et les Princes de son Sang, qui ont signé le contrat. Madame la Princesse et Madame la Duchesse de Vendosme ont assisté à la célébration et à la fête qui a suivi. La Maison de Galard est l'une des plus anciennes et illustres du Royaume, descendant des Comtes de Condomois. Elle a été alliée à la Maison de Bearn. Plusieurs membres de cette famille ont occupé des postes prestigieux, tels que Gouverneur de Saintonge et d'Auvergne, Chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit, Gouverneur de Lorraine, et Ambassadeur du Roi à la Cour de Rome. La Maison de Cotentin de Tourville est également très ancienne et illustre. César de Cotentin, Comte de Tourville, a commandé au siège de La Rochelle sous le Cardinal de Richelieu. Son petit-fils, Anne-Hilarion de Cotentin de Tourville, a atteint les dignités de Maréchal et Vice-Amiral de France. Luce Françoise de Cotentin de Tourville, l'épouse du Marquis de Brassac, est la fille de Louise Françoise d'Himbercourt. Par ailleurs, Messire Pierre Gilbert de Voisins, Maître des Requêtes Ordinaire de l'Hostel du Roy, a épousé Damoiselle de Fieubet, sœur de Louis Gaspard de Fieubet, Conseiller au Parlement. La famille de Voisins est ancienne à Paris et descend de Jean Gilbert, Sieur de Voisins, Correcteur des Comptes. La famille de Fieubet est originaire de Languedoc et a donné plusieurs Maîtres des Requêtes. Enfin, Messire Jacques de Monceaux d'Auxi, Marquis d'Auxi, a épousé Damoiselle Marie-Magdelaine de la Grange Trianon. La famille de la Grange est l'une des plus considérables de Paris et s'est alliée à de nombreuses familles illustres.
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37
p. 373-374
VAUDEVILLE.
Début :
Maris, quand la peur d'avoir un Rival, [...]
Mots clefs :
Coutume, Femme, Coeur
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texteReconnaissance textuelle : VAUDEVILLE.
VAUDEVILLE.
MAris, quand la peur d'avoir un Rivai,'
Vous fait épier votre femme au Bal ,
O la folle coutume!
Vous croyez sauver l'bonneur conjugal}
C'est çe qui vous enrhume,
m
Lorsque dans les Bois , Amans langoureux,
Vous allez pousser des cris douloureux ,
O la sotte coûtume !
Par-là vous croyez devenir heureux,
C'est ce qui vous enrhume.
m
Vieillards amourçux, qui chez le Baigneur .
H ij Ch,erclica
174 MERCURE DE FRANCE,
Cherchez des attraits & de la fraîcheur ,
O la sotte coûtumç
JPar-U vous croyez prendre un jeune coeur î
C'est ce qui vous enrhume.
m '
Quand un Qffider pour vous en tient 14 ; *
Chez votre Notaire il dit qu'il ira ;
Belles , c'est fa coutume-
Vous courez d'abord , croyant qu'il viendra \
C'est ce qui vous enrhume.
m }'
Vous, qui vous flattez d'agir prudemment ,
En prenant pour femme un objet charmant ,
O la sotte coutume !
Vpus croyez l' avoir pour vous feulement i
C'est ce qui vous enrhume.
Quand un Opéra chez nous reu/fic , I
pt que chaque jour la foule grossit ,
Notre ardeur se rallume j
Quand les rangs font clairs, le froid nous fkifìr,
C'est ce qui nous enrhume,
* Le coeur>
On trouvera l'Air notté , p4ge 367.
MAris, quand la peur d'avoir un Rivai,'
Vous fait épier votre femme au Bal ,
O la folle coutume!
Vous croyez sauver l'bonneur conjugal}
C'est çe qui vous enrhume,
m
Lorsque dans les Bois , Amans langoureux,
Vous allez pousser des cris douloureux ,
O la sotte coûtume !
Par-là vous croyez devenir heureux,
C'est ce qui vous enrhume.
m
Vieillards amourçux, qui chez le Baigneur .
H ij Ch,erclica
174 MERCURE DE FRANCE,
Cherchez des attraits & de la fraîcheur ,
O la sotte coûtumç
JPar-U vous croyez prendre un jeune coeur î
C'est ce qui vous enrhume.
m '
Quand un Qffider pour vous en tient 14 ; *
Chez votre Notaire il dit qu'il ira ;
Belles , c'est fa coutume-
Vous courez d'abord , croyant qu'il viendra \
C'est ce qui vous enrhume.
m }'
Vous, qui vous flattez d'agir prudemment ,
En prenant pour femme un objet charmant ,
O la sotte coutume !
Vpus croyez l' avoir pour vous feulement i
C'est ce qui vous enrhume.
Quand un Opéra chez nous reu/fic , I
pt que chaque jour la foule grossit ,
Notre ardeur se rallume j
Quand les rangs font clairs, le froid nous fkifìr,
C'est ce qui nous enrhume,
* Le coeur>
On trouvera l'Air notté , p4ge 367.
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Résumé : VAUDEVILLE.
Le texte est un vaudeville qui critique diverses coutumes sociales et leurs conséquences. Il dénonce les maris jaloux qui surveillent leurs femmes lors des bals, croyant préserver leur honneur, mais finissent par tomber malades. De même, les amants qui expriment leur passion dans les bois et les vieillards cherchant la jeunesse chez les baigneurs tombent malades à cause de ces comportements. Les femmes qui se réjouissent de la visite d'un officier finissent par être déçues et tombent malades. Le texte critique aussi ceux qui se marient par prudence, pensant posséder leur épouse exclusivement, mais qui en souffrent. Il évoque également l'enthousiasme pour les opéras qui attire la foule, mais peut conduire à la maladie lorsque les salles se vident. Le texte se conclut par l'idée que ces coutumes finissent par 'enrhumer' ceux qui les suivent.
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38
p. 429-436
LETTRE écrite à l'Auteur du Mercure, au sujet de la Réponse à la Question proposée dans le Mercure de Juin, second volume, page 1359. laquelle Réponse est inserée dans le Mercure de Decembre, premier volume, page 2758.
Début :
On lût hier, Monsieur, dans une Compagne où j'étois, la Lettre que [...]
Mots clefs :
Haine, Mari, Femme, Vertueuse, Délicatesse, Coeur, Horreur, Passion
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite à l'Auteur du Mercure, au sujet de la Réponse à la Question proposée dans le Mercure de Juin, second volume, page 1359. laquelle Réponse est inserée dans le Mercure de Decembre, premier volume, page 2758.
LETTRE écrite à l'Auteur du Mercure
au fujet de la Réponse à la Question
propofée dans le Mercure de Juin , fecond
volume , page 1359. laquelle Ré
ponfe eft inferée dans le Mercure de Decembre
, premier volume , page 2758
IN lût hier , Monfieur , dans und
Compagne où j'étois , la Lettre que
vous avez mife au commencement de
votre Mercure du mois dernier , contenant
la Réponse à la Queftion propolée
dans le fecond volume de Juin ; fçavoir ,
Quelle est la femme la plus malheureuſe , ou
cellequi a un mari qu'elle bait, & dont elle eſt
aimée , ou celle qui a un mari qu'elle aime ,
dont elle est haie. La Compagnie étoit
nombreufe , on lût deux fois de fuite cette
Lettre toute entiere , & enfin il ne fe trouva
perfonne qui ne dît que l'Auteur avoit
rencontré jufte , chacun s'applaudit d'avoir
été de fon fentiment , & on anathéma
tifa d'une voix unanime tous ceux qui feroient
affez témeraires pour foutenir le
contraire. J'éprouvai en cette occaſion ,
comme j'avois fait en bien d'autres , avec
quelle facilité l'efprit François fe rend aux
apparences qui le frappent les premieres ,
A iiij
aycc
430 MERCURE DE FRANCE:
avec quelle impétuofité il s'y livre . Je
rêvois à cela, & jufqu'alors je n'avois rien
dit , tout le monde s'en apperçut à la fois, 2
& furpris de mon filence , on m'en demanda
la caufe . Quoi ! me dit une jeune
Dame qui a beaucoup de vivacité ; vous
balancez à vous déclarer pour nous ! feriez
- vous affez abftrait pour penſer autrement
, & ces raifonnemens ne vous
perfuadent- ils pas ? J'en admire comme
vous la délicateffe , lui répondis - je , mais
vous me permettrez , s'il vous plaît , de
n'en trouver bon rien de plus .
A ces mots je me vis fur les bras douze
ou treize perſonnes , & toutes auffi prevenuës
que je viens de vous le dire . On
m'accabla des repetitions de ce que contenoit
cette Lettre , & on me crut con
vaincu, parce qu'on ne me donnoit pas
le loifir de rien dire ; à la fin il me fut
permis de parler ; & lorfqu'on s'attendoit
à un aveu de ma défaite ; je vois bien ,
dis -je , que je tenterois en vain de vous
diffuader ici. Pour détruire vos préventions
il me faudroit plus que des raiſons ;
mais n'en parlons plus , Mercure vous
en donnera des nouvelles ; je fus pris au
mot & fifflé d'avance : c'eſt à vous , Monfieur
, à voir fi je le mérite , & en ce caslà
je vous crois affez de bonté pour ne
m'expofer point à l'être de nouveau .
Jc
MARS. 1730.
+37
}
Je dis donc que le malheur d'une femme
haïe d'un mari qu'elle aime , eft fans
comparaison plus grand que celui d'une
femme qui haït un mari dont elle eſt
aimée ; & voici en peu de mots ce qui me
le fait dire .
L'amour & la haine font deux extrêmes
auffi oppoſez dans leurs effets que dans
leurs principes ; mais les impreffions de
la premiere de ces paffions font bien plus
fenfibles que celles de la feconde . L'amour
eft enfant de la vertu , du mérite & des
appas ; la haine , fille du vice & des horreurs
celle- cy dans fon origine n'eft que
groffiereté ; l'origine de l'autre est toute
délicateffe ; la haine n'a dans les coeurs que
la place qu'elle y ufurpe , ils femblent
n'être faits que pour aimer ; dès- là une
ame s'abandonne bien plus naturellement
à des tranfpots de joye ou de douleur ,
qui ont pour principe une partie de fon
effence , qu'à des mouvemens dont elle
ne reçoit la caufe que malgré foi ;` delà ,
par une confequence neceffaire , elle goute
des douceurs bien plus grandes , en fatisfaifant
fon amour , que celles qu'elle
trouve , fi l'on peut parler ainfi , à fatisfaire
à fa haine.
Un coeur amoureux n'eft occupé que de
l'objet de fa tendreffe ; & comme l'amour
heureux l'eft infiniment , l'amour malheu
A v reux
432 MERCURE DE FRANCE:
•
reux l'eft fans mefure , formée à des fere
timens auffi vifs qu'ils font purs & nobles ,
une ame tendre & vertueufe goute &
reffent tout avec excès ; cette paffion , dans
un fexe qui en eft le plus fufceptible ,
porte plus loin encore les effets de fa délicateffe.
Un coeur au contraire que la haine tiranniſe
, loin de fe perpetuer l'image de
ce qu'il haft , ne voudroit s'en défaire
que pour ne plus le hair. J'avoue qu'il a
des momens d'horreur , mais cette horreur
groffiere ne fe fait pas fentir fi vivement
que les dépits d'un amour outragé;
a- t'il des intervalles,comme la cauſe de
fon mal lui eft étrangere , il s'en détache
plus facilement fans doute ; & d'ailleurs
dans fes temps les plus fâcheux , dans cette
horreur même , il trouve la funefte confolation
de penſer que bien-tôt peut- être
il les verra finir avec celui qui les caufe.
Quelle difference dans les chagrins amoureux
! ils ont des horreurs , mais d'autantplus
triftes , qu'elles font plus fubtiles &
penetrent plus avant , elles ne peuvent
fair qu'avec leur caufe ; & quand on s'abandonne
aux langueurs de cette paffion ,
on ne fe flatte pas que la caufe en puiffe
ceffer. Point de relâche, point d'efperance;
& quand on efpereroit , il eft conftant
que les feules impatiences feroient plus
fouffrir
MAR S.
433
1730 .
7
fouffrir que tout ce que la haine a de plus
affreux.
De-là je conclus que quand les chagrins
que donne la haine inveterée feroient actuellement
auffi vifs que ceux de l'amour
bleffé , il y auroit toûjours beaucoup de
difference , parce qu'on a la durée & la
continuité. Mais ce n'eft pas affez d'avoir
établi des principes , il faut les accommoder
à l'efpece dont il s'agit dans la
Queſtion propofée . Ce font deux femmes
également vertueuſes , qui éprouvent toutes
les deux les bizarreries d'un hymen
mal afforti . Cette qualité qu'on leur donne
, favorile extrémement ma theſe . La
haine de cette femme vertueufe ne pour
ta avoir pour principe qu'une antipathies
c'eft beaucoup , j'en conviens , mais
combien fon devoir & fa vertu ne lui
fourniront- ils pas de moyens d'en adoucir
les amertumes ? Elle n'aura rien à craindre
des tranfports qui portent aux extrémitez
funeftes ; le crime eft enfant du vice , &
le vice eft incompatible avec la vertu .
déja il faut retrancher, par rapport à elle,
bien des chofes que j'ai attribuées à la
haine , dans ce que j'en viens de dire . Je
veux que les complaifances de fon mari ,
fes empreffemens , fes careffes , lui donnent
quelque chofe de plus que des dégouts;
qu'il lui foit infupportable, elle ne
A vj poussa
434 MERCURE DE FRANCE:
pourra s'empêcher de convenir de l'in
juftice de fa haine , fa vertu lui fera faire
des efforts pour la furmonter , elle n'aura
à travailler que fur elle- même ; & fuppofé
qu'elle ne puiffe s'en rendre la maitreffe
, elle employera tout pour ne pas
penfer à fon mari , lorfqu'il ne lui fera
pas prefent ; & penfez- vous qu'il lui foit
impoffible d'avoir des momens tranquilles
? La focieté de fes amies qu'elle recherchera,
les amuſemens des Dames , tout
confpirera avec fa réfolution à diminuer
Les ennuis.
Je dis plus , enfin je fuppofe qu'elle
ne goûte aucun repos , qu'occupée de fon
deftin , elle s'en faffe une idée affreuſe ,
que fa vertu même & les efforts qu'elle
lui fait faire , lui foient à charge ( ce qui
ne peut être qu'une fuppofition dans l'hipotheſe
qui l'établit vertueufe ) du moins
la mort de fon mari n'aura pour elle rien
d'horrible , & elle pourra fe flatter d'y
voir terminer fes douleurs . Mais une femme
fage & vertueufe qui n'a à fe reprocher
que la haine injufte d'un mari qu'elle
adore , eft bien plus à plaindre ; elle fait
fon devoir en l'aimant , elle fatisfait à fa
vertu en n'aimant que lui , elle aime un
ingrat ; c'eft peu , il la méprife ; fi ce n'étoit
qu'indifference , elle efpereroit , mais
elle s'en flatteroit en yain : ces duretez
COD
MAR S. 17307 435
continuelles , ces infidelitez , ces avances
qui coutent tant au beau fexe , tant do
fois rejettées , ne lui en font que de trop fatales
& de trop certaines preuves. Point
d'apparence qu'elle ait un feul moment
de bien ; fa paffion qui fait une partie d'elle-
même ; la fuit par tout , elle tâcheroit
en vain de l'étouffer , elle veut , elle doit
la conferver. Elle fuit les converfations
à charge aux autres , elle eft infupportable
à foi - même , elle envie le fort de tout
ce qu'elle voit , jaloufe de tout , elle accufe
tout de fon malheur ; voit- elle fon
mari , c'eft alors que toute la cruauté de
fes mépris fe reprefente à fon coeur
elle eft dans une agitation mortelle ; l'amour,
la honte , le defefpoir la bourrellent
: quel état ! helas ! qui le croiroit que
ces momens fuffent les plus beaux de ceux
qu'elle paffe ! Cela n'eft que trop vrai , quel
ques tourmens qu'elle endure à la vûë de
fon mari , elle voudroit toûjours le voir; fi
elle ne le voit pas, mille reflexions affreuſes
lui donnent mille morts ; ingenieule à ſe
tourmenter, elle invente tous les jours quel
que fecret nouveau ; fes charmes diminuent
à mesure que le nombre augmente de fes
années , quel torrent de douleur ne puiſet'elle
pas dans cette cruelle penſée ? Si for
mari la detefte jeune , belle & vertueuſe
l'aimera -t'il dénuée d'attraits & avancée
CD
436 MERCURE DE FRANCE.
1
age ? Et puis quand il pourroit l'aimer
alors , comment accommoder cela avec
fa délicateffe ? que n'auroit- elle point à
fouffrir de fa fierté ! mais que deviendrat'elle
fi elle s'avife de fouiller dans l'avenir
? Elle croit découvrir dans chaque
inftant l'inftant fatal qui doit lui arracher
le cher objet de fes amours . Ici je laiſſe
à ceux qui aiment , le foin de fupléer à mes
expreffions ; tandis que les momens lui
paroiffent des ficcles , les années lui pa-
" roiffent des momens . Ses allarmes croiffent
tous les jours , elle n'y apperçoit
point de remede , elle ne ceffera d'être la
plus infortunée de toutes les femmes qu'ent
ceffant d'aimer , & elle ne ceffera d'aimer
qu'en ceffant de vivre. Telles font les re .
Alexions dont fon imagination bleffée fe
repaît ; Eft il un état qui approche de la
cruauté de celui-là ? Si on me prouve qu'il
puiffe y avoir une femme plus malheureufe
que celle qui eft haïe d'un mari qu'elle
aime , je confens volontiers que ce foit
celle qui eft aimée d'un mari qu'elle haït .
Il me feroit ailé de réfuter pied à pied tour
ce qu'on avance pour foutenir le fentiment
contraire , mais je ferois trop long ,
& d'ailleurs il eft bon de laiffer quelque
chofe à faire au difcernement des Lecteurs.
Je fuis , &c.
De Paris , ce 14. Janvier 1730.
au fujet de la Réponse à la Question
propofée dans le Mercure de Juin , fecond
volume , page 1359. laquelle Ré
ponfe eft inferée dans le Mercure de Decembre
, premier volume , page 2758
IN lût hier , Monfieur , dans und
Compagne où j'étois , la Lettre que
vous avez mife au commencement de
votre Mercure du mois dernier , contenant
la Réponse à la Queftion propolée
dans le fecond volume de Juin ; fçavoir ,
Quelle est la femme la plus malheureuſe , ou
cellequi a un mari qu'elle bait, & dont elle eſt
aimée , ou celle qui a un mari qu'elle aime ,
dont elle est haie. La Compagnie étoit
nombreufe , on lût deux fois de fuite cette
Lettre toute entiere , & enfin il ne fe trouva
perfonne qui ne dît que l'Auteur avoit
rencontré jufte , chacun s'applaudit d'avoir
été de fon fentiment , & on anathéma
tifa d'une voix unanime tous ceux qui feroient
affez témeraires pour foutenir le
contraire. J'éprouvai en cette occaſion ,
comme j'avois fait en bien d'autres , avec
quelle facilité l'efprit François fe rend aux
apparences qui le frappent les premieres ,
A iiij
aycc
430 MERCURE DE FRANCE:
avec quelle impétuofité il s'y livre . Je
rêvois à cela, & jufqu'alors je n'avois rien
dit , tout le monde s'en apperçut à la fois, 2
& furpris de mon filence , on m'en demanda
la caufe . Quoi ! me dit une jeune
Dame qui a beaucoup de vivacité ; vous
balancez à vous déclarer pour nous ! feriez
- vous affez abftrait pour penſer autrement
, & ces raifonnemens ne vous
perfuadent- ils pas ? J'en admire comme
vous la délicateffe , lui répondis - je , mais
vous me permettrez , s'il vous plaît , de
n'en trouver bon rien de plus .
A ces mots je me vis fur les bras douze
ou treize perſonnes , & toutes auffi prevenuës
que je viens de vous le dire . On
m'accabla des repetitions de ce que contenoit
cette Lettre , & on me crut con
vaincu, parce qu'on ne me donnoit pas
le loifir de rien dire ; à la fin il me fut
permis de parler ; & lorfqu'on s'attendoit
à un aveu de ma défaite ; je vois bien ,
dis -je , que je tenterois en vain de vous
diffuader ici. Pour détruire vos préventions
il me faudroit plus que des raiſons ;
mais n'en parlons plus , Mercure vous
en donnera des nouvelles ; je fus pris au
mot & fifflé d'avance : c'eſt à vous , Monfieur
, à voir fi je le mérite , & en ce caslà
je vous crois affez de bonté pour ne
m'expofer point à l'être de nouveau .
Jc
MARS. 1730.
+37
}
Je dis donc que le malheur d'une femme
haïe d'un mari qu'elle aime , eft fans
comparaison plus grand que celui d'une
femme qui haït un mari dont elle eſt
aimée ; & voici en peu de mots ce qui me
le fait dire .
L'amour & la haine font deux extrêmes
auffi oppoſez dans leurs effets que dans
leurs principes ; mais les impreffions de
la premiere de ces paffions font bien plus
fenfibles que celles de la feconde . L'amour
eft enfant de la vertu , du mérite & des
appas ; la haine , fille du vice & des horreurs
celle- cy dans fon origine n'eft que
groffiereté ; l'origine de l'autre est toute
délicateffe ; la haine n'a dans les coeurs que
la place qu'elle y ufurpe , ils femblent
n'être faits que pour aimer ; dès- là une
ame s'abandonne bien plus naturellement
à des tranfpots de joye ou de douleur ,
qui ont pour principe une partie de fon
effence , qu'à des mouvemens dont elle
ne reçoit la caufe que malgré foi ;` delà ,
par une confequence neceffaire , elle goute
des douceurs bien plus grandes , en fatisfaifant
fon amour , que celles qu'elle
trouve , fi l'on peut parler ainfi , à fatisfaire
à fa haine.
Un coeur amoureux n'eft occupé que de
l'objet de fa tendreffe ; & comme l'amour
heureux l'eft infiniment , l'amour malheu
A v reux
432 MERCURE DE FRANCE:
•
reux l'eft fans mefure , formée à des fere
timens auffi vifs qu'ils font purs & nobles ,
une ame tendre & vertueufe goute &
reffent tout avec excès ; cette paffion , dans
un fexe qui en eft le plus fufceptible ,
porte plus loin encore les effets de fa délicateffe.
Un coeur au contraire que la haine tiranniſe
, loin de fe perpetuer l'image de
ce qu'il haft , ne voudroit s'en défaire
que pour ne plus le hair. J'avoue qu'il a
des momens d'horreur , mais cette horreur
groffiere ne fe fait pas fentir fi vivement
que les dépits d'un amour outragé;
a- t'il des intervalles,comme la cauſe de
fon mal lui eft étrangere , il s'en détache
plus facilement fans doute ; & d'ailleurs
dans fes temps les plus fâcheux , dans cette
horreur même , il trouve la funefte confolation
de penſer que bien-tôt peut- être
il les verra finir avec celui qui les caufe.
Quelle difference dans les chagrins amoureux
! ils ont des horreurs , mais d'autantplus
triftes , qu'elles font plus fubtiles &
penetrent plus avant , elles ne peuvent
fair qu'avec leur caufe ; & quand on s'abandonne
aux langueurs de cette paffion ,
on ne fe flatte pas que la caufe en puiffe
ceffer. Point de relâche, point d'efperance;
& quand on efpereroit , il eft conftant
que les feules impatiences feroient plus
fouffrir
MAR S.
433
1730 .
7
fouffrir que tout ce que la haine a de plus
affreux.
De-là je conclus que quand les chagrins
que donne la haine inveterée feroient actuellement
auffi vifs que ceux de l'amour
bleffé , il y auroit toûjours beaucoup de
difference , parce qu'on a la durée & la
continuité. Mais ce n'eft pas affez d'avoir
établi des principes , il faut les accommoder
à l'efpece dont il s'agit dans la
Queſtion propofée . Ce font deux femmes
également vertueuſes , qui éprouvent toutes
les deux les bizarreries d'un hymen
mal afforti . Cette qualité qu'on leur donne
, favorile extrémement ma theſe . La
haine de cette femme vertueufe ne pour
ta avoir pour principe qu'une antipathies
c'eft beaucoup , j'en conviens , mais
combien fon devoir & fa vertu ne lui
fourniront- ils pas de moyens d'en adoucir
les amertumes ? Elle n'aura rien à craindre
des tranfports qui portent aux extrémitez
funeftes ; le crime eft enfant du vice , &
le vice eft incompatible avec la vertu .
déja il faut retrancher, par rapport à elle,
bien des chofes que j'ai attribuées à la
haine , dans ce que j'en viens de dire . Je
veux que les complaifances de fon mari ,
fes empreffemens , fes careffes , lui donnent
quelque chofe de plus que des dégouts;
qu'il lui foit infupportable, elle ne
A vj poussa
434 MERCURE DE FRANCE:
pourra s'empêcher de convenir de l'in
juftice de fa haine , fa vertu lui fera faire
des efforts pour la furmonter , elle n'aura
à travailler que fur elle- même ; & fuppofé
qu'elle ne puiffe s'en rendre la maitreffe
, elle employera tout pour ne pas
penfer à fon mari , lorfqu'il ne lui fera
pas prefent ; & penfez- vous qu'il lui foit
impoffible d'avoir des momens tranquilles
? La focieté de fes amies qu'elle recherchera,
les amuſemens des Dames , tout
confpirera avec fa réfolution à diminuer
Les ennuis.
Je dis plus , enfin je fuppofe qu'elle
ne goûte aucun repos , qu'occupée de fon
deftin , elle s'en faffe une idée affreuſe ,
que fa vertu même & les efforts qu'elle
lui fait faire , lui foient à charge ( ce qui
ne peut être qu'une fuppofition dans l'hipotheſe
qui l'établit vertueufe ) du moins
la mort de fon mari n'aura pour elle rien
d'horrible , & elle pourra fe flatter d'y
voir terminer fes douleurs . Mais une femme
fage & vertueufe qui n'a à fe reprocher
que la haine injufte d'un mari qu'elle
adore , eft bien plus à plaindre ; elle fait
fon devoir en l'aimant , elle fatisfait à fa
vertu en n'aimant que lui , elle aime un
ingrat ; c'eft peu , il la méprife ; fi ce n'étoit
qu'indifference , elle efpereroit , mais
elle s'en flatteroit en yain : ces duretez
COD
MAR S. 17307 435
continuelles , ces infidelitez , ces avances
qui coutent tant au beau fexe , tant do
fois rejettées , ne lui en font que de trop fatales
& de trop certaines preuves. Point
d'apparence qu'elle ait un feul moment
de bien ; fa paffion qui fait une partie d'elle-
même ; la fuit par tout , elle tâcheroit
en vain de l'étouffer , elle veut , elle doit
la conferver. Elle fuit les converfations
à charge aux autres , elle eft infupportable
à foi - même , elle envie le fort de tout
ce qu'elle voit , jaloufe de tout , elle accufe
tout de fon malheur ; voit- elle fon
mari , c'eft alors que toute la cruauté de
fes mépris fe reprefente à fon coeur
elle eft dans une agitation mortelle ; l'amour,
la honte , le defefpoir la bourrellent
: quel état ! helas ! qui le croiroit que
ces momens fuffent les plus beaux de ceux
qu'elle paffe ! Cela n'eft que trop vrai , quel
ques tourmens qu'elle endure à la vûë de
fon mari , elle voudroit toûjours le voir; fi
elle ne le voit pas, mille reflexions affreuſes
lui donnent mille morts ; ingenieule à ſe
tourmenter, elle invente tous les jours quel
que fecret nouveau ; fes charmes diminuent
à mesure que le nombre augmente de fes
années , quel torrent de douleur ne puiſet'elle
pas dans cette cruelle penſée ? Si for
mari la detefte jeune , belle & vertueuſe
l'aimera -t'il dénuée d'attraits & avancée
CD
436 MERCURE DE FRANCE.
1
age ? Et puis quand il pourroit l'aimer
alors , comment accommoder cela avec
fa délicateffe ? que n'auroit- elle point à
fouffrir de fa fierté ! mais que deviendrat'elle
fi elle s'avife de fouiller dans l'avenir
? Elle croit découvrir dans chaque
inftant l'inftant fatal qui doit lui arracher
le cher objet de fes amours . Ici je laiſſe
à ceux qui aiment , le foin de fupléer à mes
expreffions ; tandis que les momens lui
paroiffent des ficcles , les années lui pa-
" roiffent des momens . Ses allarmes croiffent
tous les jours , elle n'y apperçoit
point de remede , elle ne ceffera d'être la
plus infortunée de toutes les femmes qu'ent
ceffant d'aimer , & elle ne ceffera d'aimer
qu'en ceffant de vivre. Telles font les re .
Alexions dont fon imagination bleffée fe
repaît ; Eft il un état qui approche de la
cruauté de celui-là ? Si on me prouve qu'il
puiffe y avoir une femme plus malheureufe
que celle qui eft haïe d'un mari qu'elle
aime , je confens volontiers que ce foit
celle qui eft aimée d'un mari qu'elle haït .
Il me feroit ailé de réfuter pied à pied tour
ce qu'on avance pour foutenir le fentiment
contraire , mais je ferois trop long ,
& d'ailleurs il eft bon de laiffer quelque
chofe à faire au difcernement des Lecteurs.
Je fuis , &c.
De Paris , ce 14. Janvier 1730.
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Résumé : LETTRE écrite à l'Auteur du Mercure, au sujet de la Réponse à la Question proposée dans le Mercure de Juin, second volume, page 1359. laquelle Réponse est inserée dans le Mercure de Decembre, premier volume, page 2758.
La lettre aborde une question posée dans le Mercure de Juin : 'Quelle est la femme la plus malheureuse, ou celle qui a un mari qu'elle hait et dont elle est aimée, ou celle qui a un mari qu'elle aime et dont elle est haïe ?' La réponse publiée dans le Mercure de Décembre conclut que la femme la plus malheureuse est celle qui aime un mari qui la hait. L'auteur de la lettre, ayant lu cette réponse en compagnie, observe que tout le monde approuve cette réponse. Interrogé sur son avis, il choisit d'abord de ne pas s'exprimer immédiatement, mais finit par déclarer que le malheur de la femme aimant un mari qui la hait est effectivement plus grand. Il explique que l'amour, étant une passion plus délicate et naturelle, cause des souffrances plus intenses et continues que la haine. Une femme vertueuse haïssant son mari peut trouver des moyens d'adoucir son malheur grâce à sa vertu, tandis qu'une femme aimant un mari ingrat souffre constamment, sans espoir de rédemption. La lettre se conclut par une réflexion sur l'état désespéré de cette dernière, dont les tourments sont incessants et sans remède apparent.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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39
p. 1028-1032
ELOGE de l'Humeur Capricieuse, par M...
Début :
Peut-être trouverez-vous étonnant, Monsieur, que j'entreprenne de [...]
Mots clefs :
Humeur capricieuse, Femme, Plaisirs, Caractère
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ELOGE de l'Humeur Capricieuse, par M...
LOGE de l'Humeur Capricieuse,
par M....
Eut-être trouverez- vous étonnant,
Monsieur , que j'entreprenne de fairol'éloge de l'humeur capricieuse. Ceprojet vous paroîtra nouveau,et ne manquera
pas de Critiques ; mais après plusieurs réAlexions sur les différens effets du caprice
dans toutes les actions de la vie , j'ai.reconnu qué cette humeur pouvoit former un
caractere qui se soutient également lors
qu'on l'a dans sa perfection. C'est aussi
de l'humeur parfaitement capricieuse
que je veux parler, non d'une humeur
foujours bourue , toujours brutale mais
de l'humeur inégale , tantôt gaye , tantôt
triste , quelquefois gracieuse et prévenante , quelquefois fiere et impolie.
,
La Femme me fournira plus aisément
un sujet convenable à mon dessein elle
a seule assez de vivacité assez de ce
feu céleste qui donne de l'élévation à
l'esprit , car il faut nécessairemt un
gérie audessus du commun pour être
capricieux ; il y a dans ce caractere un
merveilleux qui ne se dément jamais ,
et qui surprend toujours ; on peut donc
distinguer dans la femme deux espepeces
MA Y. 1732. 11029
·
6
mary
ces d'humeur capricieuses , l'une dans
le domestique , l'autre dans le monde. La
femme capricieuse dans le domestique est
alternativement en colere pour des bagatelles , tranquille et patiente pour des
choses essentielles ; tantôt elle a pour un
des airs de froideur et de hauteur
tantôt elle est soumise et empressée , et
l'accable de caresses ; elle se moque quelquefois des idées raisonnables qu'il à , et
est ingénieuse à lui déplaire ; quelquefois
elle est gracieuse, attirante;elle le prévient
sur tout un moment après elle le tourne en ridicule , le traite avec mépris , et.
par un changement inesperé elle lui donhe ensuite des marques d'une admiration,
et d'une estime particuliere.. Combien,
l'inconstance naturelle d'un mary n'est-elle point satisfaite avec un tel caractere. II,
a deux femmes dans une. La capricieuse
rend l'autre plus aimable en lui donnant
sans cesse la grace de la nouveauté; le caprice irrite les désirs d'un mary , le tient
entre l'esperance et la crainte , toujours
en suspens , toujours dans cette agitation,
qui empêche de tomber dans la tiedeur et
dans l'indolence; enfin il l'éxcite et le ranimeassez pour lui faireoublier ce qu'il peut
y avoir d'in ipide et d'ennuyeux dans la
longue habitude dumariage. Quel charme
I ÿj pour
1035 MERCURE DE FRANCE
pour un mary de trouver sa femme gaye
quand il craignoit de la trouver en coTere et de mauvaise humeur ! 11 est flaté
d'un bien auquel il ne s'attendoit pas ; il
s'en applaudit , il croit que c'est en sa faveur que s'est fait ce changement , et il
tombenécessairement d'accord en lui-même que les plaisirs ne sont sensibles qu'autant que le caprice en réveille le gout. La
Capricieuse dans le monde esttriste quand
les autres sont gayes , ou elle est gaye
avec tant d'excés qu'elle en déconcerte
les plus enjoüées : elle s'attache à certaines
personnes pendant deux ou trois jours ,
elle les voit d'un air d'amitié la plus sincere , et ne sçauroit les quitter : occupée
ensuite d'un nouvel objet , elle est un
mois sans leur parler , et loin de répondre à leurs honnêtetez et à leurs avances ,
elle les regarde comme si elle ne les avoit
jamais connuës ; elle est douce et flateuse
quelquefois , et quelquefois d'un commerce dur et rebutant : alors vous la verrez
ne pas même regarder ceux qui viennent
chez elle , ne les pas saluer , s'offenser des
politesses qu'on lui fera , prendre du
mauvais côté les choses qui ont deux faees ,se croire insultée quand elle ne l'est
point , et souffrir les choses les plus piquantes, sans s'en plaindre.
t
11
MAY 1732 1031
Il faut donc conclure par les agrémens
d'une femme capricieuse, que rien n'est si
charmant , rien n'est si aimable qu'une
femme parfaitement capricieuse. Pour
moi si le Ciel m'avoit destiné à passer
mes jours avec un aussi rare caractere , je
me croirois des mortels le plus fortunés
rien n'égaleroit la douceur d'une vie dont
les momens seroient si variez , que l'on
n'auroit le tems de s'affliger. pas
Personne n'ignore que ce qui nous tourmente le plus dans le monde , c'est la
Refléxion. On ne fait des reflexions que
quand on tombe dans l'indolence , et que
Poisiveté nous rend à nous- mêmes ; mais
avec une femme capricieuse est- il possible
de rentrer en soi - même? Ne nous occupe t'elle pas tous les instans de notre vie?
tantôt dans la crainte de la voir de mauvaise humeur , tantôt dans l'esperance de
la trouver gaye ; l'amour le plus parfait ,
la tendresse la plus vive pour une femme
"ordinaire , laisse encore du vuide dans le
cœur , et c'est ce vuide qui est trop souvent et si cruellement rempli par mille,
refléxions douloureuses qui naissent tantôt des dégoûts , tantôt des mouvemens.
de jalousie , et toûjours par l'inconstance.
On n'est point exposé à ces chagrins avec
une femme capricieuse ; aussi n'y auraI iij t'il
1032 MERCURE DE FRANCE
t'il jamais que le contraste perpetuel de
son humeur qui puisse remplir le cœur
de l'homme; c'est de cette source que
coule une source inépuisable de plaisirs ,
parce que comme il n'y a point de peines sans refléxions , de- même il n'y a que
des plaisirs où il n'y a point de peines
s'ils est donc vrai que ce soit dans le seul
commerce d'une femme capricieuse que
l'on trouve des plaisirs exempts de refléxions , conséquemment exempts de
peines ; il faut convenir que rien n'égale
le mérite d'une femme capricieuse , puisqu'il n'y a qu'elle qui puisse procurer.
P'homme des plaisirs solides et constans.
par M....
Eut-être trouverez- vous étonnant,
Monsieur , que j'entreprenne de fairol'éloge de l'humeur capricieuse. Ceprojet vous paroîtra nouveau,et ne manquera
pas de Critiques ; mais après plusieurs réAlexions sur les différens effets du caprice
dans toutes les actions de la vie , j'ai.reconnu qué cette humeur pouvoit former un
caractere qui se soutient également lors
qu'on l'a dans sa perfection. C'est aussi
de l'humeur parfaitement capricieuse
que je veux parler, non d'une humeur
foujours bourue , toujours brutale mais
de l'humeur inégale , tantôt gaye , tantôt
triste , quelquefois gracieuse et prévenante , quelquefois fiere et impolie.
,
La Femme me fournira plus aisément
un sujet convenable à mon dessein elle
a seule assez de vivacité assez de ce
feu céleste qui donne de l'élévation à
l'esprit , car il faut nécessairemt un
gérie audessus du commun pour être
capricieux ; il y a dans ce caractere un
merveilleux qui ne se dément jamais ,
et qui surprend toujours ; on peut donc
distinguer dans la femme deux espepeces
MA Y. 1732. 11029
·
6
mary
ces d'humeur capricieuses , l'une dans
le domestique , l'autre dans le monde. La
femme capricieuse dans le domestique est
alternativement en colere pour des bagatelles , tranquille et patiente pour des
choses essentielles ; tantôt elle a pour un
des airs de froideur et de hauteur
tantôt elle est soumise et empressée , et
l'accable de caresses ; elle se moque quelquefois des idées raisonnables qu'il à , et
est ingénieuse à lui déplaire ; quelquefois
elle est gracieuse, attirante;elle le prévient
sur tout un moment après elle le tourne en ridicule , le traite avec mépris , et.
par un changement inesperé elle lui donhe ensuite des marques d'une admiration,
et d'une estime particuliere.. Combien,
l'inconstance naturelle d'un mary n'est-elle point satisfaite avec un tel caractere. II,
a deux femmes dans une. La capricieuse
rend l'autre plus aimable en lui donnant
sans cesse la grace de la nouveauté; le caprice irrite les désirs d'un mary , le tient
entre l'esperance et la crainte , toujours
en suspens , toujours dans cette agitation,
qui empêche de tomber dans la tiedeur et
dans l'indolence; enfin il l'éxcite et le ranimeassez pour lui faireoublier ce qu'il peut
y avoir d'in ipide et d'ennuyeux dans la
longue habitude dumariage. Quel charme
I ÿj pour
1035 MERCURE DE FRANCE
pour un mary de trouver sa femme gaye
quand il craignoit de la trouver en coTere et de mauvaise humeur ! 11 est flaté
d'un bien auquel il ne s'attendoit pas ; il
s'en applaudit , il croit que c'est en sa faveur que s'est fait ce changement , et il
tombenécessairement d'accord en lui-même que les plaisirs ne sont sensibles qu'autant que le caprice en réveille le gout. La
Capricieuse dans le monde esttriste quand
les autres sont gayes , ou elle est gaye
avec tant d'excés qu'elle en déconcerte
les plus enjoüées : elle s'attache à certaines
personnes pendant deux ou trois jours ,
elle les voit d'un air d'amitié la plus sincere , et ne sçauroit les quitter : occupée
ensuite d'un nouvel objet , elle est un
mois sans leur parler , et loin de répondre à leurs honnêtetez et à leurs avances ,
elle les regarde comme si elle ne les avoit
jamais connuës ; elle est douce et flateuse
quelquefois , et quelquefois d'un commerce dur et rebutant : alors vous la verrez
ne pas même regarder ceux qui viennent
chez elle , ne les pas saluer , s'offenser des
politesses qu'on lui fera , prendre du
mauvais côté les choses qui ont deux faees ,se croire insultée quand elle ne l'est
point , et souffrir les choses les plus piquantes, sans s'en plaindre.
t
11
MAY 1732 1031
Il faut donc conclure par les agrémens
d'une femme capricieuse, que rien n'est si
charmant , rien n'est si aimable qu'une
femme parfaitement capricieuse. Pour
moi si le Ciel m'avoit destiné à passer
mes jours avec un aussi rare caractere , je
me croirois des mortels le plus fortunés
rien n'égaleroit la douceur d'une vie dont
les momens seroient si variez , que l'on
n'auroit le tems de s'affliger. pas
Personne n'ignore que ce qui nous tourmente le plus dans le monde , c'est la
Refléxion. On ne fait des reflexions que
quand on tombe dans l'indolence , et que
Poisiveté nous rend à nous- mêmes ; mais
avec une femme capricieuse est- il possible
de rentrer en soi - même? Ne nous occupe t'elle pas tous les instans de notre vie?
tantôt dans la crainte de la voir de mauvaise humeur , tantôt dans l'esperance de
la trouver gaye ; l'amour le plus parfait ,
la tendresse la plus vive pour une femme
"ordinaire , laisse encore du vuide dans le
cœur , et c'est ce vuide qui est trop souvent et si cruellement rempli par mille,
refléxions douloureuses qui naissent tantôt des dégoûts , tantôt des mouvemens.
de jalousie , et toûjours par l'inconstance.
On n'est point exposé à ces chagrins avec
une femme capricieuse ; aussi n'y auraI iij t'il
1032 MERCURE DE FRANCE
t'il jamais que le contraste perpetuel de
son humeur qui puisse remplir le cœur
de l'homme; c'est de cette source que
coule une source inépuisable de plaisirs ,
parce que comme il n'y a point de peines sans refléxions , de- même il n'y a que
des plaisirs où il n'y a point de peines
s'ils est donc vrai que ce soit dans le seul
commerce d'une femme capricieuse que
l'on trouve des plaisirs exempts de refléxions , conséquemment exempts de
peines ; il faut convenir que rien n'égale
le mérite d'une femme capricieuse , puisqu'il n'y a qu'elle qui puisse procurer.
P'homme des plaisirs solides et constans.
Fermer
Résumé : ELOGE de l'Humeur Capricieuse, par M...
Le texte 'Loge de l'Humeur Capricieuse' examine l'éloge de l'humeur capricieuse, un sujet susceptible de critiques. L'auteur distingue l'humeur capricieuse parfaite, qui alterne entre gaieté et tristesse, de l'humeur constamment brutale. Il considère la femme comme le modèle idéal de cette humeur, en raison de sa vivacité et de son esprit élevé. L'auteur identifie deux types de femmes capricieuses : celle du domaine domestique et celle du monde. La femme capricieuse à la maison est imprévisible, passant de la colère à la patience, de la froideur à la soumission. Elle satisfait l'inconstance naturelle de son mari en lui offrant une variété constante, évitant ainsi la monotonie du mariage. Dans le monde, elle est soit triste quand les autres sont gais, soit excessivement gaie, attachante un moment puis indifférente le suivant. L'auteur conclut que les agréments d'une femme capricieuse rendent la vie variée et exemptée de réflexions douloureuses. Une femme capricieuse occupe constamment l'esprit de son partenaire, alternant entre crainte et espoir, et évitant ainsi les chagrins liés à l'indolence et à la jalousie. Ainsi, le commerce avec une femme capricieuse procure des plaisirs solides et constants, exempts de peines.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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40
p. 2398-2399
LA CHENILLE ET LA FEMME, FABLE.
Début :
Chenille, effroyable animal, [...]
Mots clefs :
Chenille, Femme, Papillon, Toilette
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LA CHENILLE ET LA FEMME, FABLE.
{ LA CHENILLE ET LA FEMME
FABLE.
Henille , effroyable animal ,
Dont le voisinage importune ,
Qu'à nos arbres tu fais de mal !
'Ah! Dieux , je crois en sentir une.
La Chenille ayant entendu
Ce qu'une Femme disoit d'elle ,
Sans se fâcher a répondu :
Ma laideur n'est point éternelle ,
Bien-tôt changée en Papillon ,
J'aurai des couleurs admirables ;
Du blanc , du bleu , du vermillon ,
BE
NOVEMBRE. 1732 2399.
LADE
Et je serai des plus aimables. VILLE
BIBLIO
HEQUE
LYON
Plus d'une belle à ce qu'on dit,
Est de moi l'image complette ;
Chenille en sortanr de son lit ,
Papillon après sa toilette.
FABLE.
Henille , effroyable animal ,
Dont le voisinage importune ,
Qu'à nos arbres tu fais de mal !
'Ah! Dieux , je crois en sentir une.
La Chenille ayant entendu
Ce qu'une Femme disoit d'elle ,
Sans se fâcher a répondu :
Ma laideur n'est point éternelle ,
Bien-tôt changée en Papillon ,
J'aurai des couleurs admirables ;
Du blanc , du bleu , du vermillon ,
BE
NOVEMBRE. 1732 2399.
LADE
Et je serai des plus aimables. VILLE
BIBLIO
HEQUE
LYON
Plus d'une belle à ce qu'on dit,
Est de moi l'image complette ;
Chenille en sortanr de son lit ,
Papillon après sa toilette.
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Résumé : LA CHENILLE ET LA FEMME, FABLE.
La fable 'La Chenille et la Femme' présente une chenille critiquée par une femme pour sa laideur. La chenille répond qu'elle se transformera en papillon aux couleurs admirables. Elle compare ce processus à celui de certaines femmes qui se transforment après leur toilette.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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41
p. 249-258
EXPLICATION D'une Médaille de l'Empereur Hadrien.
Début :
On trouve communément dans Hadrien une Médaille de grand Bronze, [...]
Mots clefs :
Hadrien, Médaille, Hilaritas, Enfants, Femme, Aelius, Empire, Prince, Joie, Adoption
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXPLICATION D'une Médaille de l'Empereur Hadrien.
EXPLICATION
D'une Médaille de l'Empereur Hadrien.
N trouve communément dans Ha
drien une Médaille de grand Bronze
, où d'un côté est la tête de ce Prince ;
sans Couronne, avec HADRIANUS AUGUS
TUS pour Légende ; et dont le Revers est
chargé d'une femme debout , tenant de
la main droite une longue Palme , apd
Ciij puyés
250 MERCURE DE FRANCE
puyée contre terre , et de la main gauche
une Corne d'abondance ; à ses pieds sont
deux petites figures d'enfans ; la Légende
HILARITAS. P. R.Dans l'Exergue . cos. III .
et dans le Champ de la Médaille , s . c.
Tristan i et Angelloni 2 qui nous ont
donné cette Médaille , l'ont expliquée
diversement,
Le premier , fondé sur un Passage d'Artemidore
, où il est dit que les Palmes
veuës en songe sont des Pronostics
d'une heureuse fécondité , a cru que le
Senat en faisant frapper une Médaille à
Hadrien, avec la Déesse HILARITAS , dont
le Symbole ordinaire est une Palme, avoit
voulu marquer la joie du Peuple Romain
, dans l'esperance où tout l'Empire
étoit que Sabine , femme de ce Prince ,
lui donneroit des Heritiers. Les deux enfans
qu'on voit dans la Médaille , appuyent
ce sentiment ; mais comme cette
Médaille n'est pas du commencement
du Regne d'Hadrien , ce qui se reconnoit
par le titre uni d'HADRIANUS
AUGUSTUS , qu'on y lit , et par la Note
de son troisiéme Consulat pour peu
qu'on fasse d'attention à la maniere dont
1 Comment. Histor. pag. 480. du Tom. 1
La Historia Augusta , pag. 140. de l'Edit. de
Rome, 1631 .
Hadrien
FEVRIER. 1733. 257
Hadrien et Sabine vivoient ensemble , il
n'y a pas beaucoup d'apparence qu'on le
flatat sur ce sujet . Hadrien regardoit Sabine,
comme une femme fâcheuse 1 , dont
l'humeur lui étoit insupportable, et qu'îl
eut répudiée s'il n'eut été que simple particulier.
On prétend même que cette
Princesse ne mourut que du 2 Poison que
son mari lui fit donner. Elle de son côté
lui rendoit bien le change ; on en peut
juger par ce qu'elle disoit elle-même pu
bliquement : 3 Qu'elle avoit toujours fait
tous ses efforts pour n'avoir aucuns, enfans
de son mari , le fruit de pareils embrassemens
ne pouvant être que funeste à
l'Empire. Dans de pareilles conjoncttires
il n'y a pas lieu de croire que le Senat
ait voulu faire frapper une Médaille, qui ,
à l'expliquer comme fait Tristan , auroit
pu passer pour une Satire véritable , ou ,
qui du moins , n'auroit pas manqué d'ap
prêter à rire aux Courtisans assez enclins
déja à la raillerie.
Angelloni n'a gueres mieux réussi . Selon
lui , la Médaille est un monument
dia
I Uxorem etiam ut morosam et asperam
missurus , ut ipse dicebat , si privatusfuisset.Ælius
Spartian. in vita Hadriani .
2 Spartien.
3 Aurel. Victor,
Ciiij de
252 MERCURE DE FRANCE.
de la joie que tout Rome ressentit lorsqu'Hadrien
revint dans cette Ville , après
avoir parcouru toutes les Provinces de
l'Empire. Mais , 1 °.ce retour d'Hadrien est
marqué d'une maniere assez distincte sur
d'autres Médailles . ADVENTUS . AUG . ADVENTUI
AUG. ITALIA , pour ne pas en
chercher des monumens ailleurs . 2 °.Il est
difficile de trouver quelque rapport entre
ces Enfans , gravez sur la Médaille , et
l'arrivée d'un Prince. Angelloni a beau
dire que la joie étant plus particuliere
aux Enfans , on a pu par ce motif les representericy
: Come pure stanno i fanciulli
sempre allegri. Son explication est trop
generale ; et comme elle peut convenir à
tous les succès favorables , elle ne convient
à aucun en particulier.
Pour dire donc quelque chose de plus
précis , je ferai observer qu'HILARITAS ,
avec l'adjonction de P. R. Populi Romani,
ne se trouve que sur les Médailles d'Hadrien
, et sur celles d'Elius - César son
fils adoptif , avec néanmoins quelque
difference dans le Type . La Déesse HILARITAS
, sur les Médailles de ce dernier ,
portant une branche de quelque arbre
au lieu d'une Palme , et n'ayant point
d'Enfans à ses côtez . Cette différence, que
je tâcherai néanmoins d'expliquer , n'a
rapFEVRIER.
1733. 253
rapport qu'à quelques circonstances qui
ne font rien au motif qui a fait frapper
ces Médailles , que je crois toutes les
deux,avoir été pour l'adoption d'Ælius ; er
pour le prouver,je commence par la Médaille
de ce Prince , dont la connoissance
entraînera aisément celle de la Médaille
d'Hadrien.
Les fatigues qu'Hadrien avoit essuiées
dans ses longs voyages , sur tout mar
chant toujours la tête nue dans les saisons
même les plus rigoureuses de l'année
, affoiblirent extrêmement sa santé ;
il tomba dans une maladie , qui diminuant
tous les jours ses forces , le fit
. penser à se choisir un Successeur . Après
avoir jetté les yeux sur plusieurs , que sa
politique lui fit immoler ensuite , lorsque
sa maladie paroissoit moins dangeil
s'arrêta enfin sur Ceionius Com-
´modus , qu'il adoptat , le fit César et lui
changea son nom en celui d'Alius. Ce
dernier ne jouit pas long- temps de ces
écoulé une ne s'étant pas
année depuis son adoption jusqu'à sa
mort ; encore dans ce peu de temps futil
toujours si incommodé , qu'il ne put
pas même remercier Hadrien en plein
Sénat , de l'honneur qu'il lui avoit fait.
Dans un si court espace , ce Prince ma-
Cv Ladif
reuse ,
avantages ,
A
254 MERCURE DE FRANCE
ladif ne put gueres fournir de sujets qui
méritassent d'être consacrez sur les Monnoies.
Aussi toutes celles de ce Prince
ont - elles rapport à son adoption. Qu'y
voit-on en effet , sinon la bonne intelligence
du nouveau César , avec l'Empereur
? CONCORDIA. Son soin à rendre graces
aux Dieux de son élevation ? PIETAS.
TR. L'esperance que les Peuples avoient
conçue de lui , et le bonheur qu'ils attendoient
de son Regne , dans la Médaille
où ces deux Divinitez sont représentées ?
Enfin le Symbole de la Pannonie , Province
dont il avoit eu le Gouvernement,
et qui semble le féliciter sur son avenement
à l'Empire ? PANNONIA . Parmi toutes
ces Médailles , y en a- t-il quelqu'une
qui convienne mieux à son adoption , que
celle où la joie du Peuple Romain est
marquée : HILARITAS. P. R. Les largesses
qu'Hadrien fit à cette occasion au Peuple
et aux Soldats ; les Fêtes qu'il donna dans
le Cirque , en font foy. Dans ces Fêtes ,
dit Spartien , rien ne fut oublié de tout
ce qui pouvoit contribuer à la joie puplique
: Neque quicquam prætermissum quod
posset letitiam publicam frequentare.Ce Passage
semble fait pour la Médaille et fait
connoître , à n'en point douter , que le
motif qui la fit frappér , fut la joie de
tout
FEVRIER. 1733. 255
tout le Peuple Romain pour l'adoption
d'Elius, qui en assurant un Successeur à
l'Empire , assuroit en même temps la
Paix et la tranquillité de ce vaste Corps.
· La Médaille d'Ælius expliquée , celle
d'Hadrien se la trouve aussi; la même occasion
les a fait naître toutes deux , il ne s'a
git que de la difference qui se trouve dans
le Type dont je vais rendre raison .
Hadrien , à son avenement à l'Empire
après la mort de Trajan , fut obligé
avant même de se rendre à Rome,de
que
faire mourir quelques Personnages Consulaires.
Ces éxécutions , quoique justes et
necessaires , indisposerent extrêmement
cette Capitale contre lui. Aussi son premier
soin après s'être rendu au plutôt
dans cette Ville , fut de tâcher par toute
sorte de moyens de dissiper les mauvaises
impressions qu'on avoit conçûës. Pour cet
effet il fit de grandes liberalitez , et entr'autres
Spartien remarque , qu'il augmenta
les sommes que Trajan avoit assi
gnées aux Enfans. Pueris ac puellis quibus
etiam Trajanus alimenta detulerat incrementa
liberalitatis adjecit, Il y a beaucoup d'apparence
, que dans l'adoption d'Elius , où
l'on voit les mêmes Fêtes et les mêmes liberalitez
, Hadrien songea pareillement
aux Enfans , ces largesses étoient nous
Cvj velles
256 MERCURE DE FRANCE
velles , Trajan étoit le premier qui les eut
faites , et elles étoient trop agréables aut
peuple pour les negliger.
Quoi donc de plus naturel , que de fai
re paroître ces Enfans dans une Médaille
frappée pour conserver la mémoire de ces
largesses ? et s'ils ne paroissent point dans
la Médaille d'Ælius , c'est que les largesses
étant faites par Hadrien en vue de ce
Prince , c'étoit à Hadrien que toute la reconnoissance
devoit s'en rapporter ; mais
la joye du Peuple Romain pour l'adoption
d'Ælius éclatoit également en faveur
de ces deux Princes , et devoit par consé
quent paroître également sur les Monnoyes
de l'un et de l'autre , HILARItas.
P. R.
La difference d'un Rameau à une lon
gue palme on branche de quelque arbre ,
ne peut arrêter en aucune maniere ; l'un
et l'autre conviennent parfaitement à la
joye , ainsi qu'on le peut voir par ces
deux Vers , l'un de Rutilius et l'autre de
Juvenal :
Exornent virides communia gaudia Rami į
Ornentur postes , et grandi janua Lauro.
On peut me faire deux Objections aus
quelles je vais répondre.
La
FEVRIER. 1733. 257
La premiere est , qu'il se trouve une
Médaille de Lucille , femme d'Ælius , avec
HILARITAS au revers , qu'on ne peut expliquer
autrement qu'en la rapportant à
la fécondité de cette Princesse , ainsi qu'on
fait de toutes les Médailles des autres impératrices
où cette Legendè se rencontre.
Que l'explication de la Médaille de la
femme emporte l'explication de celle du
mari , et par une conséquence celle d'Hadrien
. Pour répondre à ce raisonnement ,
Outre le que PR qui donne aux Médailles
d'Hadrien et d'Elius quelque chose de
particulier et de relatif entr'elles , ne se
rencontre point sur celles de Lucille , les
Médailles qu'on nous donne pour être
de la femme d'Ælius , sont toutes de Lucille
, femme de L. Vere , ainsi qu'il est
aisé de s'en convaincre si l'on veut se
donner la peine de lire ce que j'ai écrit
sur ce sujet dans le Mercure du mois
d'Août dernier , ainsi l'Objection tombe
d'elle- même.
La seconde Objection est par rapport
à une Médaille d'Hadrien qu'on trouve
gravée dans Oiselius et dans Ant. Augustin
, où l'on voit sous la Legende HILARITAS
. P. R. une femme debout te
nant avec ses deux mains un voile qu'elle
a sur la tête. Ce Type ne peut avoir aus
cune
258 MERCURE DE FRÂNCE
cune convenance avec l'explication que
je donne. Il est vrai que ce revers est extraordinaire
, et que la figure qui y est
représentée , a beaucoup plus de rapport
avec la Pudeur ou la Pieté qu'avec la
Déesse de la Joye ; mais au lieu que cet
emblême peut avoir rapport à quelque
usage , quelque cerémonie qui se pratiquoit
dans les Fêtes publiques , et que
nous ignorons. Il me suffit que la Legende
HILARITAS. P. R. s'y rencontre, puisque
c'est cette joye universelle du Peuple
Romain que j'explique , et non pas toutes
les differentes manieres dont il se servoit
pour la représenter sur ses Monnoyes.
D. P.
A Orleans , ce & Novembre 1732.
D'une Médaille de l'Empereur Hadrien.
N trouve communément dans Ha
drien une Médaille de grand Bronze
, où d'un côté est la tête de ce Prince ;
sans Couronne, avec HADRIANUS AUGUS
TUS pour Légende ; et dont le Revers est
chargé d'une femme debout , tenant de
la main droite une longue Palme , apd
Ciij puyés
250 MERCURE DE FRANCE
puyée contre terre , et de la main gauche
une Corne d'abondance ; à ses pieds sont
deux petites figures d'enfans ; la Légende
HILARITAS. P. R.Dans l'Exergue . cos. III .
et dans le Champ de la Médaille , s . c.
Tristan i et Angelloni 2 qui nous ont
donné cette Médaille , l'ont expliquée
diversement,
Le premier , fondé sur un Passage d'Artemidore
, où il est dit que les Palmes
veuës en songe sont des Pronostics
d'une heureuse fécondité , a cru que le
Senat en faisant frapper une Médaille à
Hadrien, avec la Déesse HILARITAS , dont
le Symbole ordinaire est une Palme, avoit
voulu marquer la joie du Peuple Romain
, dans l'esperance où tout l'Empire
étoit que Sabine , femme de ce Prince ,
lui donneroit des Heritiers. Les deux enfans
qu'on voit dans la Médaille , appuyent
ce sentiment ; mais comme cette
Médaille n'est pas du commencement
du Regne d'Hadrien , ce qui se reconnoit
par le titre uni d'HADRIANUS
AUGUSTUS , qu'on y lit , et par la Note
de son troisiéme Consulat pour peu
qu'on fasse d'attention à la maniere dont
1 Comment. Histor. pag. 480. du Tom. 1
La Historia Augusta , pag. 140. de l'Edit. de
Rome, 1631 .
Hadrien
FEVRIER. 1733. 257
Hadrien et Sabine vivoient ensemble , il
n'y a pas beaucoup d'apparence qu'on le
flatat sur ce sujet . Hadrien regardoit Sabine,
comme une femme fâcheuse 1 , dont
l'humeur lui étoit insupportable, et qu'îl
eut répudiée s'il n'eut été que simple particulier.
On prétend même que cette
Princesse ne mourut que du 2 Poison que
son mari lui fit donner. Elle de son côté
lui rendoit bien le change ; on en peut
juger par ce qu'elle disoit elle-même pu
bliquement : 3 Qu'elle avoit toujours fait
tous ses efforts pour n'avoir aucuns, enfans
de son mari , le fruit de pareils embrassemens
ne pouvant être que funeste à
l'Empire. Dans de pareilles conjoncttires
il n'y a pas lieu de croire que le Senat
ait voulu faire frapper une Médaille, qui ,
à l'expliquer comme fait Tristan , auroit
pu passer pour une Satire véritable , ou ,
qui du moins , n'auroit pas manqué d'ap
prêter à rire aux Courtisans assez enclins
déja à la raillerie.
Angelloni n'a gueres mieux réussi . Selon
lui , la Médaille est un monument
dia
I Uxorem etiam ut morosam et asperam
missurus , ut ipse dicebat , si privatusfuisset.Ælius
Spartian. in vita Hadriani .
2 Spartien.
3 Aurel. Victor,
Ciiij de
252 MERCURE DE FRANCE.
de la joie que tout Rome ressentit lorsqu'Hadrien
revint dans cette Ville , après
avoir parcouru toutes les Provinces de
l'Empire. Mais , 1 °.ce retour d'Hadrien est
marqué d'une maniere assez distincte sur
d'autres Médailles . ADVENTUS . AUG . ADVENTUI
AUG. ITALIA , pour ne pas en
chercher des monumens ailleurs . 2 °.Il est
difficile de trouver quelque rapport entre
ces Enfans , gravez sur la Médaille , et
l'arrivée d'un Prince. Angelloni a beau
dire que la joie étant plus particuliere
aux Enfans , on a pu par ce motif les representericy
: Come pure stanno i fanciulli
sempre allegri. Son explication est trop
generale ; et comme elle peut convenir à
tous les succès favorables , elle ne convient
à aucun en particulier.
Pour dire donc quelque chose de plus
précis , je ferai observer qu'HILARITAS ,
avec l'adjonction de P. R. Populi Romani,
ne se trouve que sur les Médailles d'Hadrien
, et sur celles d'Elius - César son
fils adoptif , avec néanmoins quelque
difference dans le Type . La Déesse HILARITAS
, sur les Médailles de ce dernier ,
portant une branche de quelque arbre
au lieu d'une Palme , et n'ayant point
d'Enfans à ses côtez . Cette différence, que
je tâcherai néanmoins d'expliquer , n'a
rapFEVRIER.
1733. 253
rapport qu'à quelques circonstances qui
ne font rien au motif qui a fait frapper
ces Médailles , que je crois toutes les
deux,avoir été pour l'adoption d'Ælius ; er
pour le prouver,je commence par la Médaille
de ce Prince , dont la connoissance
entraînera aisément celle de la Médaille
d'Hadrien.
Les fatigues qu'Hadrien avoit essuiées
dans ses longs voyages , sur tout mar
chant toujours la tête nue dans les saisons
même les plus rigoureuses de l'année
, affoiblirent extrêmement sa santé ;
il tomba dans une maladie , qui diminuant
tous les jours ses forces , le fit
. penser à se choisir un Successeur . Après
avoir jetté les yeux sur plusieurs , que sa
politique lui fit immoler ensuite , lorsque
sa maladie paroissoit moins dangeil
s'arrêta enfin sur Ceionius Com-
´modus , qu'il adoptat , le fit César et lui
changea son nom en celui d'Alius. Ce
dernier ne jouit pas long- temps de ces
écoulé une ne s'étant pas
année depuis son adoption jusqu'à sa
mort ; encore dans ce peu de temps futil
toujours si incommodé , qu'il ne put
pas même remercier Hadrien en plein
Sénat , de l'honneur qu'il lui avoit fait.
Dans un si court espace , ce Prince ma-
Cv Ladif
reuse ,
avantages ,
A
254 MERCURE DE FRANCE
ladif ne put gueres fournir de sujets qui
méritassent d'être consacrez sur les Monnoies.
Aussi toutes celles de ce Prince
ont - elles rapport à son adoption. Qu'y
voit-on en effet , sinon la bonne intelligence
du nouveau César , avec l'Empereur
? CONCORDIA. Son soin à rendre graces
aux Dieux de son élevation ? PIETAS.
TR. L'esperance que les Peuples avoient
conçue de lui , et le bonheur qu'ils attendoient
de son Regne , dans la Médaille
où ces deux Divinitez sont représentées ?
Enfin le Symbole de la Pannonie , Province
dont il avoit eu le Gouvernement,
et qui semble le féliciter sur son avenement
à l'Empire ? PANNONIA . Parmi toutes
ces Médailles , y en a- t-il quelqu'une
qui convienne mieux à son adoption , que
celle où la joie du Peuple Romain est
marquée : HILARITAS. P. R. Les largesses
qu'Hadrien fit à cette occasion au Peuple
et aux Soldats ; les Fêtes qu'il donna dans
le Cirque , en font foy. Dans ces Fêtes ,
dit Spartien , rien ne fut oublié de tout
ce qui pouvoit contribuer à la joie puplique
: Neque quicquam prætermissum quod
posset letitiam publicam frequentare.Ce Passage
semble fait pour la Médaille et fait
connoître , à n'en point douter , que le
motif qui la fit frappér , fut la joie de
tout
FEVRIER. 1733. 255
tout le Peuple Romain pour l'adoption
d'Elius, qui en assurant un Successeur à
l'Empire , assuroit en même temps la
Paix et la tranquillité de ce vaste Corps.
· La Médaille d'Ælius expliquée , celle
d'Hadrien se la trouve aussi; la même occasion
les a fait naître toutes deux , il ne s'a
git que de la difference qui se trouve dans
le Type dont je vais rendre raison .
Hadrien , à son avenement à l'Empire
après la mort de Trajan , fut obligé
avant même de se rendre à Rome,de
que
faire mourir quelques Personnages Consulaires.
Ces éxécutions , quoique justes et
necessaires , indisposerent extrêmement
cette Capitale contre lui. Aussi son premier
soin après s'être rendu au plutôt
dans cette Ville , fut de tâcher par toute
sorte de moyens de dissiper les mauvaises
impressions qu'on avoit conçûës. Pour cet
effet il fit de grandes liberalitez , et entr'autres
Spartien remarque , qu'il augmenta
les sommes que Trajan avoit assi
gnées aux Enfans. Pueris ac puellis quibus
etiam Trajanus alimenta detulerat incrementa
liberalitatis adjecit, Il y a beaucoup d'apparence
, que dans l'adoption d'Elius , où
l'on voit les mêmes Fêtes et les mêmes liberalitez
, Hadrien songea pareillement
aux Enfans , ces largesses étoient nous
Cvj velles
256 MERCURE DE FRANCE
velles , Trajan étoit le premier qui les eut
faites , et elles étoient trop agréables aut
peuple pour les negliger.
Quoi donc de plus naturel , que de fai
re paroître ces Enfans dans une Médaille
frappée pour conserver la mémoire de ces
largesses ? et s'ils ne paroissent point dans
la Médaille d'Ælius , c'est que les largesses
étant faites par Hadrien en vue de ce
Prince , c'étoit à Hadrien que toute la reconnoissance
devoit s'en rapporter ; mais
la joye du Peuple Romain pour l'adoption
d'Ælius éclatoit également en faveur
de ces deux Princes , et devoit par consé
quent paroître également sur les Monnoyes
de l'un et de l'autre , HILARItas.
P. R.
La difference d'un Rameau à une lon
gue palme on branche de quelque arbre ,
ne peut arrêter en aucune maniere ; l'un
et l'autre conviennent parfaitement à la
joye , ainsi qu'on le peut voir par ces
deux Vers , l'un de Rutilius et l'autre de
Juvenal :
Exornent virides communia gaudia Rami į
Ornentur postes , et grandi janua Lauro.
On peut me faire deux Objections aus
quelles je vais répondre.
La
FEVRIER. 1733. 257
La premiere est , qu'il se trouve une
Médaille de Lucille , femme d'Ælius , avec
HILARITAS au revers , qu'on ne peut expliquer
autrement qu'en la rapportant à
la fécondité de cette Princesse , ainsi qu'on
fait de toutes les Médailles des autres impératrices
où cette Legendè se rencontre.
Que l'explication de la Médaille de la
femme emporte l'explication de celle du
mari , et par une conséquence celle d'Hadrien
. Pour répondre à ce raisonnement ,
Outre le que PR qui donne aux Médailles
d'Hadrien et d'Elius quelque chose de
particulier et de relatif entr'elles , ne se
rencontre point sur celles de Lucille , les
Médailles qu'on nous donne pour être
de la femme d'Ælius , sont toutes de Lucille
, femme de L. Vere , ainsi qu'il est
aisé de s'en convaincre si l'on veut se
donner la peine de lire ce que j'ai écrit
sur ce sujet dans le Mercure du mois
d'Août dernier , ainsi l'Objection tombe
d'elle- même.
La seconde Objection est par rapport
à une Médaille d'Hadrien qu'on trouve
gravée dans Oiselius et dans Ant. Augustin
, où l'on voit sous la Legende HILARITAS
. P. R. une femme debout te
nant avec ses deux mains un voile qu'elle
a sur la tête. Ce Type ne peut avoir aus
cune
258 MERCURE DE FRÂNCE
cune convenance avec l'explication que
je donne. Il est vrai que ce revers est extraordinaire
, et que la figure qui y est
représentée , a beaucoup plus de rapport
avec la Pudeur ou la Pieté qu'avec la
Déesse de la Joye ; mais au lieu que cet
emblême peut avoir rapport à quelque
usage , quelque cerémonie qui se pratiquoit
dans les Fêtes publiques , et que
nous ignorons. Il me suffit que la Legende
HILARITAS. P. R. s'y rencontre, puisque
c'est cette joye universelle du Peuple
Romain que j'explique , et non pas toutes
les differentes manieres dont il se servoit
pour la représenter sur ses Monnoyes.
D. P.
A Orleans , ce & Novembre 1732.
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Résumé : EXPLICATION D'une Médaille de l'Empereur Hadrien.
Le texte décrit une médaille de bronze de l'empereur Hadrien. Sur une face, la tête d'Hadrien est représentée sans couronne, accompagnée de la légende 'HADRIANUS AUGUSTUS'. Sur l'autre face, une femme debout tient une palme et une corne d'abondance, avec deux enfants à ses pieds. La légende indique 'HILARITAS P. R.' et 'cos. III' dans l'exergue, ainsi que 's. c.' dans le champ. Deux historiens, Tristan et Angelloni, ont proposé des interprétations différentes de cette médaille. Tristan suggère que la médaille célèbre la joie du peuple romain à l'idée que Sabine, femme d'Hadrien, pourrait donner des héritiers à l'empereur. Cependant, cette hypothèse est remise en question par les relations conflictuelles entre Hadrien et Sabine. Angelloni propose que la médaille commémore le retour d'Hadrien à Rome après ses voyages dans les provinces de l'Empire. Toutefois, cette interprétation est également contestée, notamment en raison de la présence des enfants sur la médaille, qui ne semble pas directement liée à un retour triomphal. L'auteur du texte avance une autre explication : la médaille célèbre l'adoption d'Ælius César, fils adoptif d'Hadrien. Cette adoption a suscité une grande joie parmi le peuple romain, car elle assurait la continuité de l'Empire et la paix. Les largesses et les fêtes organisées par Hadrien à cette occasion sont mentionnées comme des éléments de cette célébration. La présence des enfants sur la médaille est justifiée par les libéralités accordées aux enfants par Hadrien, une pratique initiée par Trajan et poursuivie par Hadrien pour renforcer la popularité de son fils adoptif.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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42
p. 1623
QUESTION.
Début :
La Femme peut-elle aller de pair avec l'Homme, tant par la force, que pour la solidité [...]
Mots clefs :
Femme, Homme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : QUESTION.
QUESTION.
La Femme peut-elle aller de pair avec l'Homme
, tant pour la force , que pour la solidité
d'esprit , aussi bien que pour les qualitez d'a
€oeur .
La Femme peut-elle aller de pair avec l'Homme
, tant pour la force , que pour la solidité
d'esprit , aussi bien que pour les qualitez d'a
€oeur .
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43
p. 1904-1917
SUITE de la Lettre de M. Clerot, Avocat au Parlement de Roüen, sur les avantages des Gens mariez en Normandie, &c. SECOND TEMPS.
Début :
Nos premiers Rois de la seconde Race, préparérent, sans y penser, [...]
Mots clefs :
Droit, Femme, Coutume, Normandie, Biens, Mariage, Enfant, Viduité, Saxons, Partie, Maris, Coutumes, Don, Usufruit, Lois, Peuples
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE de la Lettre de M. Clerot, Avocat au Parlement de Roüen, sur les avantages des Gens mariez en Normandie, &c. SECOND TEMPS.
SUITE de la Lettre de M. Clerot
Avocat au Parlement de Rouen , sur
les avantages des Gens mariez en Nor
mandie , &c.
N
SECOND TEMPS..
Os premiers Rois de la seconde
Race , préparérent , sans y penser ,
le changement que la foiblesse des derniers
Rois de cette même Race apporta
dans le Royaume . En effet , Charlemagne
ayant entrepris de dompter , et de
convertir les Saxons , en remplit les différentes
Provinces Les Lombards que ce
Prince mit au nombre de ses sujets , et
qui étoient Saxons d'origine , se répandirent
dans les principales Villes , sous
Louis le Débonnaire ; et les Normands
qui n'étoient autres que Saxons et Danois
, acheverent d'inonder le Royaume
de nouveaux habitans , sous Charles le
Chauve et Charles le Simple.
Il est aisé , Monsieur , de voir dans
l'Histoire , qu'au moins les Côtes Maritimes
, depuis l'extrêmité des Païs - bas,jusques
au fond de la Bretagne , furent
remplies de ces derniers Peuples ; en quoi
1
ils
SEPTEMBRE. 1733. 1905
ils ne firent que se mêler avec leurs an
ciens compatriotes , puisque beaucoup
de Saxons , dans la décadence de l'Empire
, s'étoient emparez de ces Côtes , au
point que notre Païs de Caux , de Ponthieu
, le Boulenois, et autres , en suivent
encore les Loix , que du temps de Grégoire
de Tours , les Habitans de notre
Basse -Normandie étoient encore appellez
Saxons Bayeusains , faisant , comme
je vous le prouverai , partie des Peuples
qui s'allierent aux François , sous le nom
de
Ripuariens , et qui avoient autrefois
porté celui d'Armoriques , c'est-à -dire
Habitans des bords de la Mer.
Ces Peuples avoient entr'eux le Droit
des Fiefs , sur l'origine duquel nos Auteurs
ont tant de peine à s'accorder. Les
Comtes du Palais , dont l'authorité et les
vuës tendoient à usurper la Couronne ,
embrasserent cette nouvelle maniére de
posséder , qui leur paroissoit propre à se
faire des créatures , et delà cette conversion
de Bénéfices en propriétez féodales
, d'où vient enfin la Maxime : Nulle
terre sans Seigneur. Voici comme Beaumanoir
en parle , sur les usages du Beauvoisis
: Vous jugerez par là de quelle maniére
cette maxime s'est introduite.Quand
li Sire , dit cet Auteur , voit aucun de ses
A iiij
SoW
1906 MERCURE DE FRANCE
* Sougiez tenir heritage desquiex il ne rend
nu lui Cens , Rentes ne Redevances, li Sire ,
i peutjetter les mains et tenir comme seu e
propres , car nus , selon notre Coutume , ne
peut pas tenir des Alués , et l'en appelle Al-
Jues ce que l'en tient sans nulle Redevance ,
nu lui ; et se li que s'aperçoit avant que nus
de ses Sougiés , que tel Alues soit tenu en sa
Comtée, il les peut penre comme siens ne n'en
est tenu à rendre ne à répondre à nus de ses
Sougiés, pourche que il est Sire de son Droit
et de tout che que il trouve en Aleux.
La fortune des Seigneurs , et même
des particuliers , devenant plus considérable
, nos Ducs , en embrassant les Loix
Françoises , voulurent que quantité de
biens , qui passoient aux femmes et aux
maris , selon les conventions , ou de la
Loy ou de leurs Contrats, ne fussent plus
possédez qu'à vie ; delà , cette Loy des
Saxons introduite dans le Païs de Caux ,
et qui accordoit la moitié des Conquêts
à la femme en propriété , fut réduite à
l'usufruit , n'ayant plus lieu que pour les
Maisons de Ville , appellées dans notre
vieille Coutume , Biens , in Borgagio ; et
pour les meubles ou effets mobiliers de la
succession : De eo quod vir et mulier simul
conquiserint , mediam portionem mulier acsipiat.
Delà , les Conquêts faits en Coutume
SEPTEMBRE. 1733. 1907
tume générale , qui , selon les Loix Ripuaires
, étoient pour la femme du tiers
en propriété, furent réduits à l'usufruit
sauf , comme nous venons de le dire , les
biens en Bourgage et les meubles , compris
anciennement ; ensemble , sous le
nom d'effets mobiliers , appellez , Catal
la , Catels , Chaptel , Chatels.
Delà le Droit de Viduité du mary ,
qui selon le Capitulaire de Dagobert ,
étoit la propriété des biens que laissoit la
femme , ne fut plus, qu'une possession à
vie : Delà enfin la Dot que les Maris
constituoient en faveur de leurs femmes,
comme ils le trouvoient bon, en donnant
des biens à perpétuité , et en tel nombre
qu'ils vouloient , fut fixée au tiers des
héritages et réduite à un usufruit. Notan
dum ergo est quod relicia in dotem debet
per consuetudinem Normania tertiam partem
totius feodi quod Maritus suus tempore Matrimonii
contracti dinoscitur possidere.
Examinez, Monsieur, le chapitre 102.
de notre ancienne Coutume , et vous y
verrez des exceptions singulières , entre
autres celle- cy : Natandum etiam est quod
nulla mulier Dotem reportabit defeodo Mariti
sui , si inter ipsos divortium fuerit cele
bratum licet pueri ex ipsis procreati hæreditatem
habeant et legitenti reputentur. Ille
A V enim
1908 MERCURE DE FRANCE
enim sola mulier dotanda est de mariti sui
feodo qua in morte cum eodem invenitur
Matrimonio copulata , si autem contracto
Matrimonio maritus decesserit ; nondum ipsis
in simul in eodem receptis cubiculo relictâ
de terrâ suâ nullam Dotempoterit reportare.
Je passe à notre Droit de Viduité , selon
le changement que nous y avons re
marqué.
Une preuve que ce changement est
l'ouvrage de nos premiers Ducs , c'est
que ce droit n'a été introduit en Angleterre
que dans sa restriction d'un Usufruit
; d'où vient que Litleton nous le
rapporte en ces termes : Si lo femme de
vie , le Baron tenra le Fié durant sa vie >
par la Ley d'Angleterre ; d'où vient que
dans le Liv. 2. ch . 58. du Livre appellé
Regiam Majestatem , attribué à David ,
premier Roy d'Ecosse , en 1153. ce droit
est particulierement borné à l'Usufruit :
Si idem vir uxorem suam super vixerit,
sive vixerit hæres , sive non ; illi verò pacificè
in vitâ suâ ,remanebit illa terra;post mortem
verò ejus ad hæredem , si vixerit, vel ad
donatorem vel ejus hæredem terra revertetur.
Dans cette Loy , vous trouverez ;
Monsieur, la preuve que c'est icy le Capitulaire
de Dagobert même , au change
ment près , dont nous venons de parler.
En
SEPTEMBRE . 1733. 1909
En effet , elle veut expressément comme
Capitulaire , que l'Enfant soit entendu
crier et pleurer entre les quatre murailles
: Cum terram aliquam cum uxore sua
quis acceperit in Maritagio et ex eodem haredem
habuerit auditum vel bruyantem inter
quatuorparietes. Ainsi Litleton dit qu'en
Angleterre , où ce droit est appellé Courtoisie
, on prétend qu'il ne peut être acquis
si l'Enfant n'a crié : Ascuns ont dit
que si ne sera tenant par le Curtesie , sinon
que l'Enfant qu'il ad par sa femme soit oye
arier ; car par le crie est prouvé que l'Enfant
né vifve. Ainsi Thomas Smith assure que
L'Enfant doit être vû remuer et entendu
pleurer : Clamando. Passons à présent aux
autres changemens qui ont été apportez
tant à ce Droit qu'aux autres Usages ens
France et en Normandie..
Il s'éleva parmi nous une difficulté ,
sçavoir si le Mari qui se remarioit , conservoit
les effets de ce droit ; il passa qu'il
falloit qu'il restât veuf ; C'est la décision
d'un Arrêt de l'Echiquier , tenu à Falai--
se , au terme de S. Michel , en l'àn 1210 ,
qui s'explique ainsi : Judicatum est quod
maritus qui habuit hæredes de uxore sua:
Maritagium tenebit ejus quandiu erit sine
uxore.
Une autre difficulté s'étoit élevée dans
A vj la:
1910 MERCURE DE FRANCE
le cas où la femme auroit eu un premier
mari ; il paroissoit rude de donner l'Usufruit
du bien de cette femme à un second
mari , tandis qu'elle pouvoit avoir des
enfans du premier : Cela fut terminé à
Paris , dans ce que nous appellons : Etablissemens
de France ; et en Normandie ,
par un Arrêt de l'Echiquier , tenu à Caën,
Pan 1241. au terme de Pâques. Voicy
d'abord comme parlent les Etablissemens,
liv . 1. ch. 11. Gentilhomme tient sa vie ce
que l'en l'y donne aporte de montier en mariage
après la mort de sa femme tout n'ayt
il hoir pour qu'il ait en hoir , qui ait crié
et bret se ainsi est que sa femme li ait été
donnée pucelle . Je ne sçai si cette Loy
exigeoit que les maris fissent paroître
comme chez les Juifs,les témoignages de
la virginité de leurs Epouses ; mais je sçai
que l'Arrêt , dont je viens de parler , ne
nous demande point de preuves si équi
voques ; qu'il se contente d'ordonner
que pour acquerir le droit de viduité il
faut la femme n'ait pas eu de premier
mari. Judicatum est quod si aliquis
bomo ceperit uxorem et non habuerit alterum
virum et habuit hæredes vivos aut mortuos
que
و
>
priùs decessum uxoris sua , tenebit omnem
bareditatem uxoris per totam vitam suam
quandiù vixerit sine uxore. Voilà quelques
SEPTEMBRE . 1733. 1911
ques changemens ; passons aux autres.
La découverte du Droit Justinien , faite
dans le milieu du 12 siécle, ayant porté les
François à embrasser avec chaleur l'étude
des Loix Romaines, il n'est pas croya
ble combien cette étude et l'abus qu'on
en fit , défigura le Droit Municipal : Je ne
vous dirai rien de moi - même ; voyez la
Dissertation que vous avez sur la recep
tion du Droit Civil en France ; voicy
comme elle s'explique : Les subtilitez du
Droit Romain ne servirent qu'à opprimer
la vérité et l'innocence , à faire la guerre
au bon sens et à faire triompher l'injustice
et le mensonge , à chasser peu à peu cette ancienne
probité et simplicité Gauloise , qui
faisoit la félicité des Peuples de France.
}
>
Si vous souhaités , Monsieur , un Auteur
moins suspect , vous pouvez voir
Pierre des Fontaines , Conseiller de saint
Louis et un des Maîtres du Parlement :
Voicy comme cet Auteur qui écrivoit
en 1250 , s'explique : Mais as Coutumes
ke nous avons me truit moult ébabys , purce
que les anchiennes Coutumes ke li prudommes
soloient tenir et usien sient moult anoïenties
, partie per bailliens et per prévos , ki
plus entendent à leur volenté faire, ké a user
des Coutumes, et partie per le volenté à ceux
qui plus sa herdene à leurs avis ke as faits
des
1912 MERCURE DE FRANCE
li
des anchiens ; partie plus par les Rices qui
ont soufiert et depouillés les poures et ores
sont le riches par les poures de pooste. Si ke
Pay's est à bien pres sans coutumes . Si ke
puis n'a pas avis d'ou de quatre ou de trois:
faits est ample de coutumes ki tiegnent , et de
cet al avient il a le fois ke cix en pert ki
gaagnierdent, car li avis est mult perilleux,
kne sient en Loix Ecritte ou Coutume.
éprouvée ; car nulle coutume n'est plus plé
niérement destintée comme de Droit faire si
comme le Loy dit..
Ainsi , pour ne point sortir de notre
espéce , ce que nous appellons la Dot des
femmes, fut nommé leur Douaire fixé en
France , par les chap. 14. des Etablissemens
, comme il avoit été en Normandie
, c'est- à- dire , au tiers à vie . Ce Douaire
dans quelque partie du Royaume a
changé , en conséquence de l'Ordonnance
rendue par Philippe Auguste , en 1214
qui le regle à la moitié également à vie,
sur les biens du mari.
Ce que nous appellions Maritagium ;.
Mariage de la femme , fut appellé Dot
à la maniere des Romains , et dans le cas
où ce mariage n'étoit qu'en deniers , on
le divisa chez nous en deux parties . La
premiere , que le mary assignoit sur un
certain fonds de son Patrimoine, et dont
la
SEPTEMBRE. 1733. 1913
la valeur étoit proportionnée , ce qui fuc
essentiellement la Dot ; et la seconde ,
qui teroit lieu du Present de nôces , .fait
au Mary par la femme ; ce qui fut véritablement
appellé le Don mobile , et qui
consistoit en si peu de chose , que notre
ancienne Coutume et notre nouvelle n'en
ont fait aucune disposition expresse.
Ce que nous appellons Osculagium , à
cause que dans les premiers temps la consommation
de tous les marchez se terminoit
par le Baiser , dont on faisoit
même mention dans la Chartre , appellée
pour cela Libellum Osculi , fut désigné
chez nous sous cette dénomination
Grecque et Latine , Paraphernaux. La cérémonie
du Baiser de paix devint un
Droit féodal , que les Seigneurs se reserverent
; d'où vient ce terme de droit
de Culage , exprimé par corruption , dans
les anciens Aveux , pour Osculage. Vous
sçavez que le Président de la Ferté a plusieurs
Vassaux dans sa Paroisse de Vibeuf,
qui lui doivent encore le droit de Culage.
Quant au droit de Viduité , observez ,
s'il vous plaît , que l'Auteur de notre
vieux Coutumier, peu fidele en plusieurs
articles , a crû pouvoir sur celui - ci retrancher
ce que les anciennes Loix ont
dit de la nécessité d'entendre l'Enfant
crier
1914 MERCURE DE FRANCE
crier , et qu'il ne s'est pas même expliqué
sur l'état de la femme avant son
mariage . Voici comme il parle : Cotiume
est en Normandie de pieça si ung homme
a eu Enfant qui ait été ney vif, jaçoit ce
qu'il ne vive , mais oulle la terre qu'il tenoit
de par sa femme au temps qu'elle mous
rût, lui remaindra tant comme il se tendra
de marier quand il sera mort , ou quand il
sera.marié , la terre qu'il tenoit par la raison
de la veuveté reviendra aux boirs à la femme
à qui elle devoit échoir de la mort.Vous
sçavez , sans doute, que le mot Pieça,a fait
tomber dans l'erreur tous ceux qui n'ont
pas cu le Texte Latin, où nous trouvons :
Consuetudo enim est in Normannia ex antiquitate
approbata.
-
Nous voyons que dans le temps de
Charles VI. le Droit de Viduité avoit en
core quelque vigueur en France, puisque
Bouteiller , Conseiller Maître du Parlement
, et qui vivoit sous le Regne de ce
Prince , nous assure en sa Somme Rurale
, que dans la Prevôté de Paris , à Orléans
, en Anjou et en Touraine , ce Droit
y étoit encore reçû : Sçachez , dit- il , que
Gentilhomme tient durant sa vie ce que don
né lui est en Mariage aporte de Montier
àl'Epousaille faite après la mort de sa femme,
j'açait que nuls enfans n'ait , mais que
beir
SEPTEMBRE . 1733. 1915
hoir maale ait eu qui ait eu vie sur terre et
que la femme l'y ait été donnée Pucelle ; car
Sveuve l'avoit prinse , ou notoirement diffamée
non Pucelle , le don ne tiendroit après
la mort d'icelle. Ce Droit , enfin , à l'exception
de la Normandie , s'est éteint en
France , et nous n'en voyons de vestiges
bien marquez que dans les Coûtumes aux
extrêmitez du Royaume , comme celle de
Bayonne , tit. 19. art. 12. et celle des
Bailliages de Lorraine , art . 12 , 14 et 17.
Ceux qui ont rédigé notre nouvelle
Coûtume , se sont icy attachez scrupu
leusement à l'ancienne , sans s'embarrasser
si l'Auteur a suivi les vrais principes
et en adoptant son erreur grossiere dans
le cas où la femme décédée a des enfans
d'un premier mariage ; ils ont ajoûté que
le mary non-seulement a le droit de viduité
sur les biens de sa femme , encore
bien qu'elle aye été veuve et mere, mais
que ce droit lui est acquis , an préjudice
des Enfans de saditte femme , de quelques
mariages qu'ils soient sortis.
Il ne me reste plus qu'à vous parler du
Don mobile; ce n'étoit encore en ces derniers
tems qu'un simple présent de nôces,
et qui ne consistoit qu'en quelques effets
mobiliers , si peu considérables , que ce
Droit même , comme nous venons de
l'ob1916
MERCURE DE FRANCE
l'observer , n'a pas mérité l'attention de
nos Rédacteurs ; voyons comment il est
devenu important :
D'abord les femmes qui n'ont apporté
en Dot que des héritages , ont fait présent
à leurs maris d'une certaine somme
en Don mobile , à prendre sur leurs immeubles
jusqu'à la concurrence du tiers.
Cela a causé des contestations ; mais les
Arrêts se sont enfin déclarez en faveur
des maris.
>
Ensuite certe Jurisprudence étant bien
affermie , on a fait des Contrats de mariage
, où la femme a donné en Don mobile
le tiers de ses Immeubles ; cela a encore
produit des contestations; mais enfin
les Arrêts ont encore décidé en faveur des
maris , et en 1666 , on en a fait un Reglement
, afin que cela ne formât plus de
difficulté.
Voilà , Monsieur , une partie de ce que
j'ai observé sur les avantages des gens
mariez en notre Province ; si-tôt que je
serai débarrassé de quelques affaires domestiques
, je vous ferai part , pour diversifier
les matieres , de quelques découvertes
singulieres sur notre Païs de Caux,
sur le Royaume d'Ivetot , les Comtez
d'Arques et d'Eu ; les Peuples de Yexmes
et de Bayeux . Je vous donnerai ausși
quelSEPTEMBRE.
1733. 1917
quelques observations sur plusieurs Dignitez
singulieres à la Normandie , et sur
les familles qui les ont possédées ; par
exemple , vous ne seriez peut - être pas
fâché de sçavoir ce que c'étoit que cette
Vicomté de Cotentin , dont étoit Vicomte
le Brave Néel , si fameux dans notre
Histoire; ce que c'est encore que le Titre
de Vidame de Normandie , possédé par
P'Illustre Maison d'Esneval . Je suis,Monsieur
, & c.
Avocat au Parlement de Rouen , sur
les avantages des Gens mariez en Nor
mandie , &c.
N
SECOND TEMPS..
Os premiers Rois de la seconde
Race , préparérent , sans y penser ,
le changement que la foiblesse des derniers
Rois de cette même Race apporta
dans le Royaume . En effet , Charlemagne
ayant entrepris de dompter , et de
convertir les Saxons , en remplit les différentes
Provinces Les Lombards que ce
Prince mit au nombre de ses sujets , et
qui étoient Saxons d'origine , se répandirent
dans les principales Villes , sous
Louis le Débonnaire ; et les Normands
qui n'étoient autres que Saxons et Danois
, acheverent d'inonder le Royaume
de nouveaux habitans , sous Charles le
Chauve et Charles le Simple.
Il est aisé , Monsieur , de voir dans
l'Histoire , qu'au moins les Côtes Maritimes
, depuis l'extrêmité des Païs - bas,jusques
au fond de la Bretagne , furent
remplies de ces derniers Peuples ; en quoi
1
ils
SEPTEMBRE. 1733. 1905
ils ne firent que se mêler avec leurs an
ciens compatriotes , puisque beaucoup
de Saxons , dans la décadence de l'Empire
, s'étoient emparez de ces Côtes , au
point que notre Païs de Caux , de Ponthieu
, le Boulenois, et autres , en suivent
encore les Loix , que du temps de Grégoire
de Tours , les Habitans de notre
Basse -Normandie étoient encore appellez
Saxons Bayeusains , faisant , comme
je vous le prouverai , partie des Peuples
qui s'allierent aux François , sous le nom
de
Ripuariens , et qui avoient autrefois
porté celui d'Armoriques , c'est-à -dire
Habitans des bords de la Mer.
Ces Peuples avoient entr'eux le Droit
des Fiefs , sur l'origine duquel nos Auteurs
ont tant de peine à s'accorder. Les
Comtes du Palais , dont l'authorité et les
vuës tendoient à usurper la Couronne ,
embrasserent cette nouvelle maniére de
posséder , qui leur paroissoit propre à se
faire des créatures , et delà cette conversion
de Bénéfices en propriétez féodales
, d'où vient enfin la Maxime : Nulle
terre sans Seigneur. Voici comme Beaumanoir
en parle , sur les usages du Beauvoisis
: Vous jugerez par là de quelle maniére
cette maxime s'est introduite.Quand
li Sire , dit cet Auteur , voit aucun de ses
A iiij
SoW
1906 MERCURE DE FRANCE
* Sougiez tenir heritage desquiex il ne rend
nu lui Cens , Rentes ne Redevances, li Sire ,
i peutjetter les mains et tenir comme seu e
propres , car nus , selon notre Coutume , ne
peut pas tenir des Alués , et l'en appelle Al-
Jues ce que l'en tient sans nulle Redevance ,
nu lui ; et se li que s'aperçoit avant que nus
de ses Sougiés , que tel Alues soit tenu en sa
Comtée, il les peut penre comme siens ne n'en
est tenu à rendre ne à répondre à nus de ses
Sougiés, pourche que il est Sire de son Droit
et de tout che que il trouve en Aleux.
La fortune des Seigneurs , et même
des particuliers , devenant plus considérable
, nos Ducs , en embrassant les Loix
Françoises , voulurent que quantité de
biens , qui passoient aux femmes et aux
maris , selon les conventions , ou de la
Loy ou de leurs Contrats, ne fussent plus
possédez qu'à vie ; delà , cette Loy des
Saxons introduite dans le Païs de Caux ,
et qui accordoit la moitié des Conquêts
à la femme en propriété , fut réduite à
l'usufruit , n'ayant plus lieu que pour les
Maisons de Ville , appellées dans notre
vieille Coutume , Biens , in Borgagio ; et
pour les meubles ou effets mobiliers de la
succession : De eo quod vir et mulier simul
conquiserint , mediam portionem mulier acsipiat.
Delà , les Conquêts faits en Coutume
SEPTEMBRE. 1733. 1907
tume générale , qui , selon les Loix Ripuaires
, étoient pour la femme du tiers
en propriété, furent réduits à l'usufruit
sauf , comme nous venons de le dire , les
biens en Bourgage et les meubles , compris
anciennement ; ensemble , sous le
nom d'effets mobiliers , appellez , Catal
la , Catels , Chaptel , Chatels.
Delà le Droit de Viduité du mary ,
qui selon le Capitulaire de Dagobert ,
étoit la propriété des biens que laissoit la
femme , ne fut plus, qu'une possession à
vie : Delà enfin la Dot que les Maris
constituoient en faveur de leurs femmes,
comme ils le trouvoient bon, en donnant
des biens à perpétuité , et en tel nombre
qu'ils vouloient , fut fixée au tiers des
héritages et réduite à un usufruit. Notan
dum ergo est quod relicia in dotem debet
per consuetudinem Normania tertiam partem
totius feodi quod Maritus suus tempore Matrimonii
contracti dinoscitur possidere.
Examinez, Monsieur, le chapitre 102.
de notre ancienne Coutume , et vous y
verrez des exceptions singulières , entre
autres celle- cy : Natandum etiam est quod
nulla mulier Dotem reportabit defeodo Mariti
sui , si inter ipsos divortium fuerit cele
bratum licet pueri ex ipsis procreati hæreditatem
habeant et legitenti reputentur. Ille
A V enim
1908 MERCURE DE FRANCE
enim sola mulier dotanda est de mariti sui
feodo qua in morte cum eodem invenitur
Matrimonio copulata , si autem contracto
Matrimonio maritus decesserit ; nondum ipsis
in simul in eodem receptis cubiculo relictâ
de terrâ suâ nullam Dotempoterit reportare.
Je passe à notre Droit de Viduité , selon
le changement que nous y avons re
marqué.
Une preuve que ce changement est
l'ouvrage de nos premiers Ducs , c'est
que ce droit n'a été introduit en Angleterre
que dans sa restriction d'un Usufruit
; d'où vient que Litleton nous le
rapporte en ces termes : Si lo femme de
vie , le Baron tenra le Fié durant sa vie >
par la Ley d'Angleterre ; d'où vient que
dans le Liv. 2. ch . 58. du Livre appellé
Regiam Majestatem , attribué à David ,
premier Roy d'Ecosse , en 1153. ce droit
est particulierement borné à l'Usufruit :
Si idem vir uxorem suam super vixerit,
sive vixerit hæres , sive non ; illi verò pacificè
in vitâ suâ ,remanebit illa terra;post mortem
verò ejus ad hæredem , si vixerit, vel ad
donatorem vel ejus hæredem terra revertetur.
Dans cette Loy , vous trouverez ;
Monsieur, la preuve que c'est icy le Capitulaire
de Dagobert même , au change
ment près , dont nous venons de parler.
En
SEPTEMBRE . 1733. 1909
En effet , elle veut expressément comme
Capitulaire , que l'Enfant soit entendu
crier et pleurer entre les quatre murailles
: Cum terram aliquam cum uxore sua
quis acceperit in Maritagio et ex eodem haredem
habuerit auditum vel bruyantem inter
quatuorparietes. Ainsi Litleton dit qu'en
Angleterre , où ce droit est appellé Courtoisie
, on prétend qu'il ne peut être acquis
si l'Enfant n'a crié : Ascuns ont dit
que si ne sera tenant par le Curtesie , sinon
que l'Enfant qu'il ad par sa femme soit oye
arier ; car par le crie est prouvé que l'Enfant
né vifve. Ainsi Thomas Smith assure que
L'Enfant doit être vû remuer et entendu
pleurer : Clamando. Passons à présent aux
autres changemens qui ont été apportez
tant à ce Droit qu'aux autres Usages ens
France et en Normandie..
Il s'éleva parmi nous une difficulté ,
sçavoir si le Mari qui se remarioit , conservoit
les effets de ce droit ; il passa qu'il
falloit qu'il restât veuf ; C'est la décision
d'un Arrêt de l'Echiquier , tenu à Falai--
se , au terme de S. Michel , en l'àn 1210 ,
qui s'explique ainsi : Judicatum est quod
maritus qui habuit hæredes de uxore sua:
Maritagium tenebit ejus quandiu erit sine
uxore.
Une autre difficulté s'étoit élevée dans
A vj la:
1910 MERCURE DE FRANCE
le cas où la femme auroit eu un premier
mari ; il paroissoit rude de donner l'Usufruit
du bien de cette femme à un second
mari , tandis qu'elle pouvoit avoir des
enfans du premier : Cela fut terminé à
Paris , dans ce que nous appellons : Etablissemens
de France ; et en Normandie ,
par un Arrêt de l'Echiquier , tenu à Caën,
Pan 1241. au terme de Pâques. Voicy
d'abord comme parlent les Etablissemens,
liv . 1. ch. 11. Gentilhomme tient sa vie ce
que l'en l'y donne aporte de montier en mariage
après la mort de sa femme tout n'ayt
il hoir pour qu'il ait en hoir , qui ait crié
et bret se ainsi est que sa femme li ait été
donnée pucelle . Je ne sçai si cette Loy
exigeoit que les maris fissent paroître
comme chez les Juifs,les témoignages de
la virginité de leurs Epouses ; mais je sçai
que l'Arrêt , dont je viens de parler , ne
nous demande point de preuves si équi
voques ; qu'il se contente d'ordonner
que pour acquerir le droit de viduité il
faut la femme n'ait pas eu de premier
mari. Judicatum est quod si aliquis
bomo ceperit uxorem et non habuerit alterum
virum et habuit hæredes vivos aut mortuos
que
و
>
priùs decessum uxoris sua , tenebit omnem
bareditatem uxoris per totam vitam suam
quandiù vixerit sine uxore. Voilà quelques
SEPTEMBRE . 1733. 1911
ques changemens ; passons aux autres.
La découverte du Droit Justinien , faite
dans le milieu du 12 siécle, ayant porté les
François à embrasser avec chaleur l'étude
des Loix Romaines, il n'est pas croya
ble combien cette étude et l'abus qu'on
en fit , défigura le Droit Municipal : Je ne
vous dirai rien de moi - même ; voyez la
Dissertation que vous avez sur la recep
tion du Droit Civil en France ; voicy
comme elle s'explique : Les subtilitez du
Droit Romain ne servirent qu'à opprimer
la vérité et l'innocence , à faire la guerre
au bon sens et à faire triompher l'injustice
et le mensonge , à chasser peu à peu cette ancienne
probité et simplicité Gauloise , qui
faisoit la félicité des Peuples de France.
}
>
Si vous souhaités , Monsieur , un Auteur
moins suspect , vous pouvez voir
Pierre des Fontaines , Conseiller de saint
Louis et un des Maîtres du Parlement :
Voicy comme cet Auteur qui écrivoit
en 1250 , s'explique : Mais as Coutumes
ke nous avons me truit moult ébabys , purce
que les anchiennes Coutumes ke li prudommes
soloient tenir et usien sient moult anoïenties
, partie per bailliens et per prévos , ki
plus entendent à leur volenté faire, ké a user
des Coutumes, et partie per le volenté à ceux
qui plus sa herdene à leurs avis ke as faits
des
1912 MERCURE DE FRANCE
li
des anchiens ; partie plus par les Rices qui
ont soufiert et depouillés les poures et ores
sont le riches par les poures de pooste. Si ke
Pay's est à bien pres sans coutumes . Si ke
puis n'a pas avis d'ou de quatre ou de trois:
faits est ample de coutumes ki tiegnent , et de
cet al avient il a le fois ke cix en pert ki
gaagnierdent, car li avis est mult perilleux,
kne sient en Loix Ecritte ou Coutume.
éprouvée ; car nulle coutume n'est plus plé
niérement destintée comme de Droit faire si
comme le Loy dit..
Ainsi , pour ne point sortir de notre
espéce , ce que nous appellons la Dot des
femmes, fut nommé leur Douaire fixé en
France , par les chap. 14. des Etablissemens
, comme il avoit été en Normandie
, c'est- à- dire , au tiers à vie . Ce Douaire
dans quelque partie du Royaume a
changé , en conséquence de l'Ordonnance
rendue par Philippe Auguste , en 1214
qui le regle à la moitié également à vie,
sur les biens du mari.
Ce que nous appellions Maritagium ;.
Mariage de la femme , fut appellé Dot
à la maniere des Romains , et dans le cas
où ce mariage n'étoit qu'en deniers , on
le divisa chez nous en deux parties . La
premiere , que le mary assignoit sur un
certain fonds de son Patrimoine, et dont
la
SEPTEMBRE. 1733. 1913
la valeur étoit proportionnée , ce qui fuc
essentiellement la Dot ; et la seconde ,
qui teroit lieu du Present de nôces , .fait
au Mary par la femme ; ce qui fut véritablement
appellé le Don mobile , et qui
consistoit en si peu de chose , que notre
ancienne Coutume et notre nouvelle n'en
ont fait aucune disposition expresse.
Ce que nous appellons Osculagium , à
cause que dans les premiers temps la consommation
de tous les marchez se terminoit
par le Baiser , dont on faisoit
même mention dans la Chartre , appellée
pour cela Libellum Osculi , fut désigné
chez nous sous cette dénomination
Grecque et Latine , Paraphernaux. La cérémonie
du Baiser de paix devint un
Droit féodal , que les Seigneurs se reserverent
; d'où vient ce terme de droit
de Culage , exprimé par corruption , dans
les anciens Aveux , pour Osculage. Vous
sçavez que le Président de la Ferté a plusieurs
Vassaux dans sa Paroisse de Vibeuf,
qui lui doivent encore le droit de Culage.
Quant au droit de Viduité , observez ,
s'il vous plaît , que l'Auteur de notre
vieux Coutumier, peu fidele en plusieurs
articles , a crû pouvoir sur celui - ci retrancher
ce que les anciennes Loix ont
dit de la nécessité d'entendre l'Enfant
crier
1914 MERCURE DE FRANCE
crier , et qu'il ne s'est pas même expliqué
sur l'état de la femme avant son
mariage . Voici comme il parle : Cotiume
est en Normandie de pieça si ung homme
a eu Enfant qui ait été ney vif, jaçoit ce
qu'il ne vive , mais oulle la terre qu'il tenoit
de par sa femme au temps qu'elle mous
rût, lui remaindra tant comme il se tendra
de marier quand il sera mort , ou quand il
sera.marié , la terre qu'il tenoit par la raison
de la veuveté reviendra aux boirs à la femme
à qui elle devoit échoir de la mort.Vous
sçavez , sans doute, que le mot Pieça,a fait
tomber dans l'erreur tous ceux qui n'ont
pas cu le Texte Latin, où nous trouvons :
Consuetudo enim est in Normannia ex antiquitate
approbata.
-
Nous voyons que dans le temps de
Charles VI. le Droit de Viduité avoit en
core quelque vigueur en France, puisque
Bouteiller , Conseiller Maître du Parlement
, et qui vivoit sous le Regne de ce
Prince , nous assure en sa Somme Rurale
, que dans la Prevôté de Paris , à Orléans
, en Anjou et en Touraine , ce Droit
y étoit encore reçû : Sçachez , dit- il , que
Gentilhomme tient durant sa vie ce que don
né lui est en Mariage aporte de Montier
àl'Epousaille faite après la mort de sa femme,
j'açait que nuls enfans n'ait , mais que
beir
SEPTEMBRE . 1733. 1915
hoir maale ait eu qui ait eu vie sur terre et
que la femme l'y ait été donnée Pucelle ; car
Sveuve l'avoit prinse , ou notoirement diffamée
non Pucelle , le don ne tiendroit après
la mort d'icelle. Ce Droit , enfin , à l'exception
de la Normandie , s'est éteint en
France , et nous n'en voyons de vestiges
bien marquez que dans les Coûtumes aux
extrêmitez du Royaume , comme celle de
Bayonne , tit. 19. art. 12. et celle des
Bailliages de Lorraine , art . 12 , 14 et 17.
Ceux qui ont rédigé notre nouvelle
Coûtume , se sont icy attachez scrupu
leusement à l'ancienne , sans s'embarrasser
si l'Auteur a suivi les vrais principes
et en adoptant son erreur grossiere dans
le cas où la femme décédée a des enfans
d'un premier mariage ; ils ont ajoûté que
le mary non-seulement a le droit de viduité
sur les biens de sa femme , encore
bien qu'elle aye été veuve et mere, mais
que ce droit lui est acquis , an préjudice
des Enfans de saditte femme , de quelques
mariages qu'ils soient sortis.
Il ne me reste plus qu'à vous parler du
Don mobile; ce n'étoit encore en ces derniers
tems qu'un simple présent de nôces,
et qui ne consistoit qu'en quelques effets
mobiliers , si peu considérables , que ce
Droit même , comme nous venons de
l'ob1916
MERCURE DE FRANCE
l'observer , n'a pas mérité l'attention de
nos Rédacteurs ; voyons comment il est
devenu important :
D'abord les femmes qui n'ont apporté
en Dot que des héritages , ont fait présent
à leurs maris d'une certaine somme
en Don mobile , à prendre sur leurs immeubles
jusqu'à la concurrence du tiers.
Cela a causé des contestations ; mais les
Arrêts se sont enfin déclarez en faveur
des maris.
>
Ensuite certe Jurisprudence étant bien
affermie , on a fait des Contrats de mariage
, où la femme a donné en Don mobile
le tiers de ses Immeubles ; cela a encore
produit des contestations; mais enfin
les Arrêts ont encore décidé en faveur des
maris , et en 1666 , on en a fait un Reglement
, afin que cela ne formât plus de
difficulté.
Voilà , Monsieur , une partie de ce que
j'ai observé sur les avantages des gens
mariez en notre Province ; si-tôt que je
serai débarrassé de quelques affaires domestiques
, je vous ferai part , pour diversifier
les matieres , de quelques découvertes
singulieres sur notre Païs de Caux,
sur le Royaume d'Ivetot , les Comtez
d'Arques et d'Eu ; les Peuples de Yexmes
et de Bayeux . Je vous donnerai ausși
quelSEPTEMBRE.
1733. 1917
quelques observations sur plusieurs Dignitez
singulieres à la Normandie , et sur
les familles qui les ont possédées ; par
exemple , vous ne seriez peut - être pas
fâché de sçavoir ce que c'étoit que cette
Vicomté de Cotentin , dont étoit Vicomte
le Brave Néel , si fameux dans notre
Histoire; ce que c'est encore que le Titre
de Vidame de Normandie , possédé par
P'Illustre Maison d'Esneval . Je suis,Monsieur
, & c.
Fermer
Résumé : SUITE de la Lettre de M. Clerot, Avocat au Parlement de Roüen, sur les avantages des Gens mariez en Normandie, &c. SECOND TEMPS.
Le texte explore les transformations juridiques et sociales en Normandie et en France, influencées par les migrations et les évolutions législatives. Les premiers rois de la seconde race, tels que Charlemagne, Louis le Débonnaire, Charles le Chauve et Charles le Simple, ont facilité l'installation de nouveaux peuples comme les Saxons, les Lombards et les Normands, qui ont introduit des droits féodaux et des coutumes modifiant les structures de propriété et de succession. Les comtes du Palais ont adopté le droit des fiefs pour créer des dépendances, aboutissant à la maxime 'Nulle terre sans Seigneur'. Les ducs normands ont adapté les lois franques, réduisant les droits des femmes sur les conquêtes et les dots. Par exemple, la loi saxonne accordant la moitié des conquêtes aux femmes a été réduite à l'usufruit, sauf pour les biens en bourgage et les meubles. Le droit de viduité, initialement une propriété, est devenu une possession à vie. La dot, autrefois constituée librement par les maris, a été fixée au tiers des héritages et réduite à un usufruit. Des arrêts et des coutumes, comme ceux de l'Échiquier de Normandie, ont précisé ces droits, notamment en exigeant que la femme n'ait pas eu de premier mari pour bénéficier de la viduité. La découverte du droit justinien au XIIe siècle a influencé les lois municipales, souvent au détriment des coutumes locales. Des auteurs comme Pierre des Fontaines ont critiqué cette évolution, soulignant la perte de la simplicité gauloise au profit de subtilités romaines. Le texte mentionne également des transformations dans les termes juridiques, comme la dot et le douaire, et des pratiques féodales telles que le droit de culage. En Normandie, le droit de viduité s'est éteint, sauf dans certaines coutumes aux extrémités du royaume, comme celles de Bayonne et des bailliages de Lorraine. Les rédacteurs de la nouvelle coutume ont adopté ce droit, même dans les cas où la femme décédée avait des enfants d'un premier mariage, au préjudice de ces enfants. Le don mobile, initialement un simple présent de noces, est devenu plus important avec le temps, les femmes apportant en dot des héritages et faisant présent à leurs maris d'une somme en don mobile, souvent le tiers de leurs immeubles. Des contestations ont surgi, mais les arrêts ont systématiquement décidé en faveur des maris, aboutissant à un règlement en 1666 pour éviter les difficultés.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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44
p. 882-888
LETTRE de M. Capperon, ancien Doyen de S. Maxent, à M. D. L. R. sur des Champignons formez dans l'estomach d'une Femme.
Début :
Je vous écris aujourd'hui, Monsieur, sur un effet assez singulier de la Nature, [...]
Mots clefs :
Estomac, Femme, Champignons, Eau, Grains, Pédicules, Graines, Liqueur, Vomissement, Ragoûts
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. Capperon, ancien Doyen de S. Maxent, à M. D. L. R. sur des Champignons formez dans l'estomach d'une Femme.
LETTRE de M. Capperon , ancien
Doyen de S. Maxent , à M. D. L. R.
sur des Champignons formez dans l'esi
tomach d'une Femme,
J
E vous écris aujourd'hui , Monsieur ;
sur un effet assez singulier de la Nature
, et qui mérite bien , à mon avis ,
d'être rendu public , tant à cause de la
rareté du fait , que par les consequences
qu'on en peut tirer, Une Femme d'honneur
et incapable de me tromper , âgét
d'environ soixante et dix ans , d'un temperament
flegmatique , me vint trouver
ces jours passez fort allarmée de ce qui
4ui étoit arrivé , pour m'en faire le récit,
et pour sçavoir ce que je pouvois penser
sur une chose aussi extraordinaire. Elle
me dit que depuis quelque temps elle
s'étoit trouvée fort incommodée de ventositez
, qui lui sortolent fréquemment
parhaut et par bas; qu'enfin lassée du mal
que
JIA
celá lui causoit , elle qrut que prenant
un peu d'eau - de- vie , cette liqueur
pourroit la soulager ; comme en effet, elle
ne l'eut pas plutôt avalée , qu'il lui prit
un grand vomissement , par le moyen
duquel
MAY. 1734
883
duquel elle rendit quantité de matieres
glaireuses , où il paroissoit plusieurs petits
corps bruns , diversement figurez ,
confondus et mêlez parmi ces glaires .
Revenue de la peine que ce vomissement
lui avoit causée , elle fut curieuse
de voir ce que c'étoit que ces petits corps
ainsi dispersez dans ce qu'elle avoit vomi
, et les ayant tirez les uns après les
autres , elle fut bien surprise de voir que
c'étoient quinze ou seize petits Champignons
, aussi exactement formez que
ceux qui croissent sur la terre ; les
les ayant
rangez sur un petit plat , elle me les fit
apporter un moment après qu'elle fut
venue chez moi. Quelques jours après
elle en jetta encore d'autres , qui me furent
pareillement apportez par la même
personne qui les lui avoit vû vomir.
Les ayant examinez à loisir et avec toute
l'attention possible , j'y en ai trouvé
particulierement un , dont la tête parfaitement
épanouie , a au moins un bon
pouce de largeur , et dont le pédicule
est long de dix lignes ; quelques autres
également épanouis , dont les têtes sont.
larges de dix à onze lignes , posées sur
des pédicules longs de cinq à six lignes ;
d'autres tant soit peu plus petits , dont
les uns sont ouverts et d'autres encore
Cij fer884
MERCURE DE FRANCE
fermez , ayant tous leurs têtes et leurs
pédicules. Il y en a un qui n'a même
que cinq lignes de hauteur , et dont
la tête ronde est fermée n'est large
que d'environ trois lignes , de couleur
plus noire que les autres ; car il est à
observer , que loin d'avoir la moindre
blancheur , ils sont tous très - bruns et
d'une contexture très - tendre. Je les ai
tous mis dans l'eau de vie , où je les conserve
pour les faire voir à ceux qui en
sont curieux .
Après cet exposé , Monsieur , il s'agit
de sçavoir d'où sont provenus ces Champignons
dans l'estomach de cette femme ;
comment ils ont pû y germer , y vege
ter et y croître . Pour bien connoître
cela , je lui demandai d'abord si dans la
la maison où elle demeure on n'y mangeoit
pas souvent des Champignons , et
si elle n'en avoit pas mangé comme les
autres , soit dans les ragoûts ou autrement
? Si elle n'avoit pas coûtume de
boire quelquefois de l'eau pendant le
jour ? Elle me répondit qu'il étoit vrai
qu'elle avoit mangé des Champignons
comme les autres ; que pendant le jour
elle buvoit quelquefois de l'eau avec
un peu de vin , et quelquefois même de
l'eau pure.
DeMAY.
1734 885
De- là j'ai conclu , que suivant toute
apparence , s'étant trouvé quelques graines
de Champignons dans l'eau qu'on
lui avoit donnée à boire , pour être res
tées imperceptibles dans quelque perit
endroit des vaisseaux où on les avoit
lavez , et que s'étant répandues ensuite
dans l'eau plus claire qu'on avoit mise
dans ces vaisseaux , c'étoit sans doute de
cette eau qu'on lui avoit donnée pour
boire , et où ces graines s'étoient trouvées
, et avec laquelle elles étoient tombées
dans son estomach. Je dis qu'il y
a plus lieu de croire que ça été par le
moyen de cette eau , plutôt qu'en mangeant
les Champignons mêmes cuits , apprêtez
et mêlangez dans des ragoûts et
des sausses ; la cuisson et le mêlange du
beure ou de graisse , ayant dû leur
ôter la disposition convenable qui leur
est nécessaire pour germer et vegeter.
On ne peut pas dire que cette Dame
a pû les manger et les avaler tels qu'ils
se sont trouvez dans son vomissement ;
car outre qu'on n'apprête pas les Champignons
pour les manger et pour les met
tre dans les ragouts avec leurs têtes toutes
épanouies , les pédicules y restant
attachez dans tout leur entier , c'est que
cette Dame n'auroit pas avalé ces Cham-
C iij pignons
886 MERCURE DE FRANCE
pignons ainsi entiers , sans leur avoir auparavant
donné le moindre coup de dent;
il faudroit pour cela qu'elle fût extrê
mement vorace , ce qui n'est pas.
Disons donc d'abord que dans l'estomach
, il se trouve une liqueur mucilagineuse
, qui s'y filtre par des ouvertures
qui représentent des especes de mamelons
, laquelle sert pour empêcher que
les choses trop âcres , trop picquantes et
trop corrosives qu'on peut avaler , n'irritent
fortement ce viscere ; et c'est cette.
liqueur mucilagineuse qui enduit le fond
de l'estomach , plus ou moins , selon que
le sang se trouve plus ou moins grossier
et visqueux dans certaines personnes.
Cela étant , il n'est pas surprenant que
des graines de Champignons, ayant été
avalées , elles se soient attachées à cette
matiere visqueuse , d'autant plus abon
dante dans l'estomach de cette Dame ;
qu'elle est d'un temperamment flegmatique
, dont le sang doit avoir moins de
volatilité à cause de son grand âge ; et
ces graines ainsi attachées et incorporées
dans cette matiere glaireuse , aidées par
la douce chaleur de l'estomach , s'y sont
suffisamment dilatées pour y pousser de
légeres racines et y vegeter de la manie
re dont on les voit.
C'est
MAY. 1734
887
-
C'est même ce qui n'est pas nouveau ,
puisqu'on voit dans les Observations de
Physique , imprimées en 1717. qu'un
Soldat à Coppenhague , ayant mangé
quelques grains d'avoine , ces grains lui
demeurerent pendant plusieurs mois dans
l'estomach , où ils lui causerent differentes
douleurs , jusqu'à ce qu'ayant pris
un remede vomitif , cela lui fit jetter
ces grains , lesquels avoient pris racine
et avoient germé comme en pleine terre,
ayant même poussé des feuilles , quoique
sans grains. C'est par le même moyen
qu'on a vû souvent des personnes vomir de
petites Grenouilles et d'autres Insectes ;
ce qu'on attribuoit souvent à sortilege ;
mais cela ne venoit que pour avoir bû
de quelque eau dormante , où s'étoient
trouvez des germes de ces animaux , lesquels
attachez aux matieres glaireuses
de l'estomach , et y ayant reçû l'impres
sion de la douce chaleur qui s'y trouve
accompagnée des parties salines et ter
restres de ces viscositez , avoient été di
latez , nourris et formez comme s'ils
avoient été dans l'eau ou dans la terre.
Enfin la conséquence naturelle qu'on
"S
* Ce Fait est rapporté par M. Bayle , dans ses
Nouvelles de la République des Lettres , mois de
Septembre 1685. page 1005.
C iiij peut
888 MERCURE DE FRANCE
peut tirer de l'état où ces Champignons
se sont trouvez à la sortie de l'estomach
où ils s'étoient formez , c'est de conclure
qu'ayant été trouvez entiers avec leurs
têtes et leurs pédicules qui y étoient attachez
, aussi tendres et aussi délicats
qu'ils sont , c'est une preuve certaine que
la digestion des aliments ne se fait pas
par la trituration causée par le simple
mouvement de l'estomach ; puisqu'il auroit
été impossible que ces petites plantes
eussent pû se former , s'étendre et
croître jusqu'au point où elles sont , sans
se trouver à la fin rompuës par pieces et
brisées , à cause de leur contexture si tendre
et si délicate . Je suis , Monsieur , & c..
A la Ville d'Eu le 14.
Avril
1734
Doyen de S. Maxent , à M. D. L. R.
sur des Champignons formez dans l'esi
tomach d'une Femme,
J
E vous écris aujourd'hui , Monsieur ;
sur un effet assez singulier de la Nature
, et qui mérite bien , à mon avis ,
d'être rendu public , tant à cause de la
rareté du fait , que par les consequences
qu'on en peut tirer, Une Femme d'honneur
et incapable de me tromper , âgét
d'environ soixante et dix ans , d'un temperament
flegmatique , me vint trouver
ces jours passez fort allarmée de ce qui
4ui étoit arrivé , pour m'en faire le récit,
et pour sçavoir ce que je pouvois penser
sur une chose aussi extraordinaire. Elle
me dit que depuis quelque temps elle
s'étoit trouvée fort incommodée de ventositez
, qui lui sortolent fréquemment
parhaut et par bas; qu'enfin lassée du mal
que
JIA
celá lui causoit , elle qrut que prenant
un peu d'eau - de- vie , cette liqueur
pourroit la soulager ; comme en effet, elle
ne l'eut pas plutôt avalée , qu'il lui prit
un grand vomissement , par le moyen
duquel
MAY. 1734
883
duquel elle rendit quantité de matieres
glaireuses , où il paroissoit plusieurs petits
corps bruns , diversement figurez ,
confondus et mêlez parmi ces glaires .
Revenue de la peine que ce vomissement
lui avoit causée , elle fut curieuse
de voir ce que c'étoit que ces petits corps
ainsi dispersez dans ce qu'elle avoit vomi
, et les ayant tirez les uns après les
autres , elle fut bien surprise de voir que
c'étoient quinze ou seize petits Champignons
, aussi exactement formez que
ceux qui croissent sur la terre ; les
les ayant
rangez sur un petit plat , elle me les fit
apporter un moment après qu'elle fut
venue chez moi. Quelques jours après
elle en jetta encore d'autres , qui me furent
pareillement apportez par la même
personne qui les lui avoit vû vomir.
Les ayant examinez à loisir et avec toute
l'attention possible , j'y en ai trouvé
particulierement un , dont la tête parfaitement
épanouie , a au moins un bon
pouce de largeur , et dont le pédicule
est long de dix lignes ; quelques autres
également épanouis , dont les têtes sont.
larges de dix à onze lignes , posées sur
des pédicules longs de cinq à six lignes ;
d'autres tant soit peu plus petits , dont
les uns sont ouverts et d'autres encore
Cij fer884
MERCURE DE FRANCE
fermez , ayant tous leurs têtes et leurs
pédicules. Il y en a un qui n'a même
que cinq lignes de hauteur , et dont
la tête ronde est fermée n'est large
que d'environ trois lignes , de couleur
plus noire que les autres ; car il est à
observer , que loin d'avoir la moindre
blancheur , ils sont tous très - bruns et
d'une contexture très - tendre. Je les ai
tous mis dans l'eau de vie , où je les conserve
pour les faire voir à ceux qui en
sont curieux .
Après cet exposé , Monsieur , il s'agit
de sçavoir d'où sont provenus ces Champignons
dans l'estomach de cette femme ;
comment ils ont pû y germer , y vege
ter et y croître . Pour bien connoître
cela , je lui demandai d'abord si dans la
la maison où elle demeure on n'y mangeoit
pas souvent des Champignons , et
si elle n'en avoit pas mangé comme les
autres , soit dans les ragoûts ou autrement
? Si elle n'avoit pas coûtume de
boire quelquefois de l'eau pendant le
jour ? Elle me répondit qu'il étoit vrai
qu'elle avoit mangé des Champignons
comme les autres ; que pendant le jour
elle buvoit quelquefois de l'eau avec
un peu de vin , et quelquefois même de
l'eau pure.
DeMAY.
1734 885
De- là j'ai conclu , que suivant toute
apparence , s'étant trouvé quelques graines
de Champignons dans l'eau qu'on
lui avoit donnée à boire , pour être res
tées imperceptibles dans quelque perit
endroit des vaisseaux où on les avoit
lavez , et que s'étant répandues ensuite
dans l'eau plus claire qu'on avoit mise
dans ces vaisseaux , c'étoit sans doute de
cette eau qu'on lui avoit donnée pour
boire , et où ces graines s'étoient trouvées
, et avec laquelle elles étoient tombées
dans son estomach. Je dis qu'il y
a plus lieu de croire que ça été par le
moyen de cette eau , plutôt qu'en mangeant
les Champignons mêmes cuits , apprêtez
et mêlangez dans des ragoûts et
des sausses ; la cuisson et le mêlange du
beure ou de graisse , ayant dû leur
ôter la disposition convenable qui leur
est nécessaire pour germer et vegeter.
On ne peut pas dire que cette Dame
a pû les manger et les avaler tels qu'ils
se sont trouvez dans son vomissement ;
car outre qu'on n'apprête pas les Champignons
pour les manger et pour les met
tre dans les ragouts avec leurs têtes toutes
épanouies , les pédicules y restant
attachez dans tout leur entier , c'est que
cette Dame n'auroit pas avalé ces Cham-
C iij pignons
886 MERCURE DE FRANCE
pignons ainsi entiers , sans leur avoir auparavant
donné le moindre coup de dent;
il faudroit pour cela qu'elle fût extrê
mement vorace , ce qui n'est pas.
Disons donc d'abord que dans l'estomach
, il se trouve une liqueur mucilagineuse
, qui s'y filtre par des ouvertures
qui représentent des especes de mamelons
, laquelle sert pour empêcher que
les choses trop âcres , trop picquantes et
trop corrosives qu'on peut avaler , n'irritent
fortement ce viscere ; et c'est cette.
liqueur mucilagineuse qui enduit le fond
de l'estomach , plus ou moins , selon que
le sang se trouve plus ou moins grossier
et visqueux dans certaines personnes.
Cela étant , il n'est pas surprenant que
des graines de Champignons, ayant été
avalées , elles se soient attachées à cette
matiere visqueuse , d'autant plus abon
dante dans l'estomach de cette Dame ;
qu'elle est d'un temperamment flegmatique
, dont le sang doit avoir moins de
volatilité à cause de son grand âge ; et
ces graines ainsi attachées et incorporées
dans cette matiere glaireuse , aidées par
la douce chaleur de l'estomach , s'y sont
suffisamment dilatées pour y pousser de
légeres racines et y vegeter de la manie
re dont on les voit.
C'est
MAY. 1734
887
-
C'est même ce qui n'est pas nouveau ,
puisqu'on voit dans les Observations de
Physique , imprimées en 1717. qu'un
Soldat à Coppenhague , ayant mangé
quelques grains d'avoine , ces grains lui
demeurerent pendant plusieurs mois dans
l'estomach , où ils lui causerent differentes
douleurs , jusqu'à ce qu'ayant pris
un remede vomitif , cela lui fit jetter
ces grains , lesquels avoient pris racine
et avoient germé comme en pleine terre,
ayant même poussé des feuilles , quoique
sans grains. C'est par le même moyen
qu'on a vû souvent des personnes vomir de
petites Grenouilles et d'autres Insectes ;
ce qu'on attribuoit souvent à sortilege ;
mais cela ne venoit que pour avoir bû
de quelque eau dormante , où s'étoient
trouvez des germes de ces animaux , lesquels
attachez aux matieres glaireuses
de l'estomach , et y ayant reçû l'impres
sion de la douce chaleur qui s'y trouve
accompagnée des parties salines et ter
restres de ces viscositez , avoient été di
latez , nourris et formez comme s'ils
avoient été dans l'eau ou dans la terre.
Enfin la conséquence naturelle qu'on
"S
* Ce Fait est rapporté par M. Bayle , dans ses
Nouvelles de la République des Lettres , mois de
Septembre 1685. page 1005.
C iiij peut
888 MERCURE DE FRANCE
peut tirer de l'état où ces Champignons
se sont trouvez à la sortie de l'estomach
où ils s'étoient formez , c'est de conclure
qu'ayant été trouvez entiers avec leurs
têtes et leurs pédicules qui y étoient attachez
, aussi tendres et aussi délicats
qu'ils sont , c'est une preuve certaine que
la digestion des aliments ne se fait pas
par la trituration causée par le simple
mouvement de l'estomach ; puisqu'il auroit
été impossible que ces petites plantes
eussent pû se former , s'étendre et
croître jusqu'au point où elles sont , sans
se trouver à la fin rompuës par pieces et
brisées , à cause de leur contexture si tendre
et si délicate . Je suis , Monsieur , & c..
A la Ville d'Eu le 14.
Avril
1734
Fermer
Résumé : LETTRE de M. Capperon, ancien Doyen de S. Maxent, à M. D. L. R. sur des Champignons formez dans l'estomach d'une Femme.
M. Capperon, ancien doyen de Saint-Maxent, a relaté un cas exceptionnel impliquant une femme de soixante-dix ans au tempérament flegmatique. Cette femme a vomi plusieurs petits champignons après avoir consommé de l'eau-de-vie pour soulager des flatulences. Les matières vomies contenaient des champignons parfaitement formés, au nombre de quinze ou seize, variant en taille et en état de développement. M. Capperon a examiné ces champignons et les a conservés dans de l'eau-de-vie pour les montrer à des personnes intéressées. Il a émis l'hypothèse que les graines de champignons, présentes dans l'eau qu'elle buvait, avaient germé dans son estomac grâce à la liqueur mucilagineuse qui tapisse cet organe. Cette liqueur, plus abondante chez les personnes au sang visqueux, aurait permis aux graines de s'attacher et de se développer grâce à la chaleur de l'estomac. Ce phénomène n'est pas isolé, car des cas similaires ont été observés, comme celui d'un soldat ayant vomi des grains d'avoine germés dans son estomac. M. Capperon en a déduit que la digestion ne se fait pas uniquement par la trituration des aliments, car les champignons sont sortis intacts et entiers.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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45
p. 1144-1145
RONDEAU.
Début :
Voir un Phenix n'est pas chose ordinaire, [...]
Mots clefs :
Voir, Phénix, Femme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RONDEAU.
RONDE A U.
Voir un Phenix'n'est pas chose ordinaire ↓
Maint grand Auteur en a pourtant écrit ;
Mais en ce point il paroît tant d'esprit ,
Que le Portrait m'en semble imaginaire.
Į Vol.
Pour
JUIN:
1141 1734.
Pour moi j'irois de Paris jusqu'au Caire ,
Du Monde entier je ferois le circuit
Si je croyois de mes soins pour tout fruit ,
Dans ces climâts nouveau Missionaire ,
Voir un Phénix .
Mais parlons mieux : sous ce rare animal ,
Ces anciens Clercs qui ne pensoient pas mal ,
Ont , selon moi , peint une femme sage .
Et c'est raison ; car qui sur Terre a vû
Femme fidelle et chaste en son ménage ,
Peut , à bon droit , se vanter d'avoir pû
Voir un Phénix .
Voir un Phenix'n'est pas chose ordinaire ↓
Maint grand Auteur en a pourtant écrit ;
Mais en ce point il paroît tant d'esprit ,
Que le Portrait m'en semble imaginaire.
Į Vol.
Pour
JUIN:
1141 1734.
Pour moi j'irois de Paris jusqu'au Caire ,
Du Monde entier je ferois le circuit
Si je croyois de mes soins pour tout fruit ,
Dans ces climâts nouveau Missionaire ,
Voir un Phénix .
Mais parlons mieux : sous ce rare animal ,
Ces anciens Clercs qui ne pensoient pas mal ,
Ont , selon moi , peint une femme sage .
Et c'est raison ; car qui sur Terre a vû
Femme fidelle et chaste en son ménage ,
Peut , à bon droit , se vanter d'avoir pû
Voir un Phénix .
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Résumé : RONDEAU.
Le texte explore la rareté et la symbolique du Phénix, une créature décrite de manière irréelle par plusieurs auteurs. L'auteur exprime son désir de voir un Phénix, tout en doutant de son existence. Il suggère que les anciens érudits parlaient en réalité d'une femme sage, fidèle et chaste, aussi rare que le Phénix.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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48
p. 18-35
LES REPUTATIONS mises au creuset.
Début :
Le monde est plein de réputations injustement acquises en mal comme [...]
Mots clefs :
Réputation, Roi, Reine, Femme, Dieux, Tantale, Taureau, Jupiter, Minos
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LES REPUTATIONS mises au creuset.
LES REPUTATIONS
miſes au creuset.
LE fi
E monde eſt ſi plein de réputations
injuftement acquifes en mal comme
en bien , qu'il me prend envie de les mettre
dans le creufet de la vérité , pour les
réduire à leur jufte valeur. Si j'allois faire
de toutes une exacte analyfe , qu'on verroit
d'étranges métamorphofes ! pour établir
les unes il faudroit détruire les autres.
Par cette opération , je rendrois les
coquins honnêtes gens , & les honnêtes
gens coquins ; je rendrois nombre d'honnêtes
femmes ...... je n'ofe achever ; l'univers
en feroit bouleverfé . Pour éviter ce
defordre , & laiffer le fiécle tel qu'il eft ,
je me borne dans mon fyftême à blanchir
les plus célébres réputations de l'antiquité
qu'un préjugé calomnieux a noircies , & à
démafquer par contre- coup plufieurs de celles
qu'un faux éclat a déguifées, & que l'obfcurité
des tems a rendues refpectables . Je
voudrois pouvoir réhabiliter toutes les modernes
qui en ont befoin , mais j'aurois trop
à faire , & la tâche eft trop difficile. Je laiffe
cet honneur aux écrivains qui voudront
JANVIER. 1755 . 19
l'entreprendre après moi ; je me contente
de leur frayer le chemin. Cet effai fuffira
pour faire voir combien on doit être lent
à croire , encore plus timide à décider fur
les réputations , & pour prouver que fouvent
elles font plutôt l'ouvrage du hazard
malin , ou de l'opinion aveugle , que celui
de la raifon éclairée ou de la vérité bien
approfondie : c'eſt où le pyrrhonifme eſt
d'obligation.
Le danger de fréquenter plus grand quefoi .
:
TANTAL E.
Tantale étoit Roi de Phrygie . Jamais
Prince n'a été plus fauffement noirci . Fils
de Jupiter , il étoit digne de fa naiſſance ;
il réuniffoit toutes les qualités du coeur &
de l'efprit aimable , bienfaiſant , & fi
agréable convive , que les Dieux l'admirent
à leur table ; il fut de toutes leurs parties
, & devint leur ami familier . Comme
il avoit le don de plaire & d'amufer , plufieurs
Déeffes lui voulurent du bien ; en
conféquence plufieurs Dieux lui voulurent
du mal. Son trop de mérite le brouilla
avec eux , & lui caufa de fi cruelles tracafferies
qu'il fut obligé de quitter l'Qlympe
, pour ne plus vivre que fur la terre.
20 MERCURE DE FRANCE.
*
Il y devint amoureux de Taigéte , fille
d'Atlas. L'hymen les unit , il l'en aima
davantage , & retrouva les Cieux avec
elle. Il jouir d'un bonheur d'autant plus
pur , qu'il ne fut plus occupé que du plaifir
de faire du bien aux hommes : il polit
leurs moeurs , & leur apprit doublement à
vivre , en leur enfeignant à mettre du goût
dans leurs amufemens & de la délicateffe
dans leurs feftins. A l'affaifonnement des
bons mots , il joignit celui des mets exquis
, & fut par un excès de bonté le premier
maître d'hôtel du genre humain . Les
Dieux en furent jaloux , & lui en firent
un crime ; ils l'accuferent d'avoir trahi
leurs fecrets , & d'avoir dérobé le nectar &
l'ambroifie , pour en faire part aux mortels.
C'étoit peu d'avoir châtié injuftement
Promethée , pour avoir donné la vie
à l'homme , en l'animant de leur efprit ,
ils voulurent encore punir avec moins de
raifon Tantale , de lui avoir appris l'art
d'en jouir. Je parle d'après Pindare. Ils le
précipiterent dans les enfers , pour une action
qui méritoit les Champs Elifées. Le
genre de fupplice eft d'ailleurs peu convenable.
Il eft condamné à manquer de tout
au milieu de l'abondance : la générofité fit
tout fon forfait , & fon châtiment eft la
Paufanias.
JANVIER. 21
1755 .
*
peine des avares. Les uns lui font fouffrir
cette tortute pour un chien perdu ; les
autres , pour juftifier la rigueur des Dieux ,
le chargent contre toute vraisemblance de
leur avoir fervi de gaieté de coeur les membres
de fon fils Pelops . Voici l'événement
qui a donné lieu à cette noire calomnie.
Les Dieux ennuyés de ne plus voir Tantale
, allerent un jour le vifiter. Le premier
objet qui frappa leur vûe fut le petit
Pelops , qui étoit encore enfant. Jupiter
dit à Tantale , foit pour mettre fon zéle
à l'épreuve , foit par mauvaiſe plaifanterie
, dont les Dieux font quelquefois trèscapables
; Prince , votre fils eft d'un embonpoint
charmant , vous nous obligerez
tous de nous le faire fervir à fouper. Tantale
prit la propofition pour une raillerie
& lui répondit , en courtifan adroit , qu'il
faifoit trop d'honneur à fon fils , & qu'il
n'avoit rien qui ne fût au fervice de leur
divinité. Pour mieux jouer l'obéiffance ,
il donna ordre qu'on faifit Pelops ; mais
les Déeffes s'y opoferent . Venus le prit
dans fes bras , & toutes à l'envi s'emprefferent
à le careffer , en difant que ce feroit
dommage de le rôtir , qu'il étoit le
plus bel enfant du monde , & qu'il pour-
* C'étoit un chien que Jupiter lui avoit confié
pour la garde de fon temple dans l'ifle de Crete,
22 MERCURE DE FRANCE.
roit un jour les fervir plus utilement . Cerès
le trouva fi potelé qu'elle lui fit un fuçon
à l'épaule , qui étoit blanche comme
l'yvoire.
Momus , le Dieu de la médiſance , empoifonna
cette avanture , peut-être pour
faire fa cour à Jupiter , car fouvent les plus
noirs fatyriques font les plus lâches adulareurs
; ils ne déchirent méchamment les
uns que pour flater plus baffement les autres.
Momus fuivant donc ce caractere ,
donna un tour affreux à la chofe ; il publia
que Tantale leur avoit offert fon fils à
manger pour éprouver leur puiffance ; mais
qu'ayant reconnu fon horrible perfidie , ils
s'étoient tous abftenus d'y toucher ; que
la feule Cérès , aveuglée par un appétit
defordonné , avoit dévoré l'épaule droite
de l'enfant , & que Jupiter lui en avoit
fubftitué une d'yvoire , en rajuftant tous
fes membres , & leur donnant une nouvelle
vie.
Cette fable prit généralement , tant il eft
vrai que le faux merveilleux , quelqu'abfurde
qu'il foit , trouve toujours plus de foi
parmi les hommes que la fimple vérité.
La fuperftition alla plus loin. Après la mort
de Pelops , elle divulgua que fon épaule
Pindare , Ode I.
JANVIER. 1755. 23
miraculeufe guériffoit plufieurs maux différens.
Un grand nombre de malades lui
rendirent un dévôt hommage , & peutêtre
que le hazard , ou le bonheur de quelques
guérifons fortuites fervit à établir.
cette croyance , qu'il parut juftifier.
Ce que j'ai appris d'un Mythologiſte
auffi profond que fenfé , c'eft que Tantale ,
depuis ce fatal repas , avoit encouru la
difgrace du maître du ciel , fon pere , par
une raiſon fecrete que j'ai trouvée trèsvraisemblable.
Jupiter toujours prompt à s'enflammer
pour les nouveaux objets qui s'offroient à
fes yeux , ne put voir Taigete , la femme
de Tantale , fans être touché de fes charmes
; c'étoit une taille célefte , une beauté
digne des Dieux. L'enjouement & la mo
deftie formoient en elle un mêlange enchanteur
qui la rendoit adorable. Elle faifoit
les honneurs du fouper que fon époux
donnoit à la troupe immortelle. En prenant
le nectar de fa main , le Roi de l'Olympe
s'enyvra d'un amour dont il eut d'autant
plus de peine à guérir qu'il ne pût parvenir
à le rendre heureux . L'aimable Reine
de Phrygie reçut le lendemain de fa part
un billet , qui exprimoit la paffion la plus
vive ; mais à peine eut-elle jetté les yeux
fur les premieres lignes , qu'elle le rendit
24 MERCURE DE FRANCE .
fon
à Mercure qui en étoit le porteur . Il eut
beau la preffer d'y répondre , elle lui dit
en riant qu'elle ne fçavoit pas écrire , &
qu'elle prenoit toujours fon mari pour
fecrétaire. Jupiter inftruit du mauvais fuccès
de fa lettre , eut recours aux métamorphofes
qui lui avoient fouvent réuffi , &
pour lefquelles il avoit un goût particulier.
Taigete avoit trois bêtes qu'elle aimoit
fingulierement ; un perroquet , un épagneul
, & un fapajou. Le fouverain des
Cieux prit d'abord la figure du premier , &
courut béqueter la Reine . Tantale qui revenoit
de la chaffe , entra dans ce moment ;
il écarta le perroquer pour embraffer fa
femme , qui lui rendit careffe pour careffe.
L'oifeau jaloux mordit fi fort l'oreille
du mari , qu'il lui en refta un morceau
dans fon bec. Tantale fit un cri , & Taigete
effrayée de voir couler le fang du Roi,
faifit le perroquet avec indignation : elle
alloit le livrer aux griffes d'un gros matou ,
qui brûloit de l'étrangler , quand l'oifeau
s'échappa , & prit l'effor par la fenêtre.
Trois jours après , Jupiter informé que
Tantale avoit quitté fa femme pour une
affaire importante qui demandoit fa préfence
ailleurs , revint auprès d'elle fous la
forme de l'épagneul . Il comptoit que fon
époux
JANVIER. 1755. 25
Epoux feroit obligé de découcher au moins
une nuit , car dans ce tems là les maris ,
même de Cour , ne faifoient jamais lit à
part. Taigete defefperoit elle -même du
retour du Roi : elle étoit prête à fe coucher
, & l'Epagneul impatient avoit déja
pris au lit la place de Tantale , quand ce
Prince arriva fort à propos. Le chien furieux
, fort de la couche royale , & abboye
contre lui de toutes fes forces . Le Roi ennuyé
de fes cris , lui donna un fi grand
coup de pied , que l'Epagneul oubliant
fon rolle de chien , jura en Dieu , qui parle
en maître. Tantale furpris de cette nouveauté
, ordonna qu'on le faisît pour éclaircir
ce prodige ; mais le chien prit la fuite
& difparut. Le Monarque du ciel jouant
de fon refte , s'établit pour la troifieme
fois chez la Reine en qualité de Sapajou .
Il l'amufa d'abord par cent jolis tours ;
mais s'émancipant par degrés , il fauta fur
l'épaule de fa maîtreffe , & l'ofa careffer
jufqu'à fortir des bornes de la décence . La
Reine fcandalifée , appella le Roi , & le
pria de punir fon finge comme il le méritoit.
Tantale s'armant d'un cordon de foie
fe mit en devoir de le châtier ; mais le
malin Sapajou le prévint , & le prit au
colet , de façon qu'il l'eût étouffé fi fa
.femme ne fût venue au fecours , & n'eût
B
26 MERCURE DE FRANCE .
ferré fortement le col de l'animal avec
le ruban qui lui fervoit d'attache , & qui
formoit un noeud coulant. Le Dieu finge
fe fentant étrangler à fon tour , lâcha prife
; mais tout fon amour pour la Reine
s'éteignit alors , il fe transforma en haine
contre le mari . Le Sapajou s'éclipfa , &
Jupiter parut dans tout l'appareil de fa colere
. Va , dit - il au malheureux Tantale ,
va fubir aux enfers le fupplice que je viens
d'éprouver à ta Cour. Sois toujours prêt
à poffeder , fans pouvoir jamais jouir ;
meurs éternellement de foif au fein des
caux , & de faim au milieu des fruits . A
ces mots , Jupiter remonte aux cieux ;
Tantale tombe dans le Tartare , & Taigete
expire de douleur. C'eft ainfi que ce Monarque
, auffi vertueux qu'infortuné , fut
châtié de la fidélité de fa femme & de la
liaifon intime qu'il eut avec les Dieux.
Cet exemple nous prouve combien il eft
dangereux de fréquenter plus grand que
foi. Pour agir prudemment , nous ne devons
jamais voir ni au - deffus ni au- deffous
de nous. Nos inférieurs nous puniffent
de notre familiarité , & nos fupérieurs
de nos fervices : notre réputation leur eft
foumife comme notre vie ; elle reçoit la
couleur qu'ils veulent lui donner dans le
monde , & dépend moins de notre vertu
JANVIER. 1755. 27
que de leur fantaifie , ou de leur paffion .
De là je conclus que nos égaux font la
feule compagnie qui convienne à notre fûtreté
; c'eſt parmi eux qu'il faut choisir nos
amis , ou du moins nos connoiffances , par
la rareté dont fe trouvent les premiers.
Les mots font plus de tort
chofes.
PASIPHA É.
que les
PASIPHAÉ , fille du Soleil , épouſa
Minos , Roi de Crete . Ce Prince fut un
grand homme de guerre , un bon Légiflateur
, mais un mauvais mari : il ne fe
montra pas tel d'abord. Comme fa femme
joignoit l'efprit à la beauté , & qu'il
en étoit amoureux , il vêcut affez bien avec
elle les premieres années de fon mariage ;
mais ce bonheur fut troublé par la mort tragique
d'Androgée * , fon fils aîné , qu'il
aimoit tendrement ; il l'avoit eu d'une premiere
femme. Ce jeune Prince en voyageant
dans l'Attique , y fut cruellement
affaffiné. La perte d'un fils adoré fit une
fi forte révolution dans fon ame , qu'elle
Plutarque , vie de Théfée.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
aigrit fon humeur , & changea fon caraçtere
: la nature en avoit fait un Roi jufte
la douleur en fit un tyran inflexible . Les
charmes de la Reine , loin d'adoucir fon
coeur , le rendirent plus farouche ; fon
amour dégénéra en jaloufie , & fa juſtice
en cruauté. Pour venger le meurtre d'Androgée
, il jura de porter la guerre dans
Athenes , & de punir une nation entiere
du crime de deux ou trois particuliers :
mais avant de remplir fon ferment , il inftitua
en l'honneur de fon fils , des jeux
funébres , qu'il fit enfuite célébrer tous les
ans. Les premiers prix furent remportés
par un Officier des plus diftingués de fa
Cour & de fon armée ; on l'appelloit Taurus
, ou Taureau , pour francifer fon nom.
C'étoit l'homme le plus fort de la Crere :
il étoit également adroit. Comme il s'étoit
fignalé dans les combats auffi bien que
dans les fêtes , le Roi en faifoit un cas
particulier. La Reine qui fut préfente à
ces jeux , ne conçut pas moins d'eftime
pour lui ; elle l'honora même d'un éloge
flateur , quand il s'approcha d'elle pour
recevoir de fa main le prix de la lutte &
de la courfe. La force , l'adreffe & la valeur
font trois qualités recommendables
auprès du beau fexe. Il eft vrai qu'elles
étoient un peu ternies en lui par une huJAN
VIE R. 1755 . 29
meur fiere & dure , pour ne pas dire
brutale ; mais c'eft l'ordinaire défaut des
gens robuftes : leur fang qui coule avec
impétuofité , ne leur permet guere d'être
polis. Un efprit doux & liant eft le partage
des complexions délicates , qui n'ont
pas la force de manquer d'égards , & qui
donnent le beau nom de fentiment à leur
foibleffe. Taurus étoit donc brufque , mais
effentiel. La Reine conféquemment n'avoit
pas tort d'être prévenue en fa faveur ;
elle y étoit autorifée par la confiance que
Minos avoit en lui . Ce Prince en donna
une preuve bien décifive en partant pour
aller lui- même faire en perfonne la guerre
aux Athéniens ; il l'établit Gouverneur de
Gnoffe , Capitale de fon Royaume , & remit
à fa garde ce qu'il avoit de plus cher ,
fon état & fa femme. Il lui recommenda
fur- tout de veiller fur la conduite de la
Reine , de doubler le nombre de fes Ar-.
gus , fous le prétexte d'augmenter fa Cour ,
& de ne lui laiffer qu'un efclavage honorable
.
Pafiphaé qui fe vit décemment prifonniere
, fe confola d'avoir pour furveillant
celui de fes Sujets qu'elle eftimoit le plus.
Elle employa tout fon art à le captiver luimême
: elle y réuffit. La rudeffe du plus
féroce s'adoucit à l'afpect de deux beaux .
:
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
yeux : ceux de la Reine étoient de ce nombre.
Le Taureau s'apprivoifa , & lui tine
compagnie. Un feul homme de la trempe
du Cretois fuffit pour amufer le loifir d'une
femme modefte , condamnée à la folitude.
Une conformité de goût fervit encore
à les unir d'une chaîne plus intime :
ils avoient tous deux une eftime particuliere
pour Dédale , & un amour de préfé
rence pour l'art qu'il profeffoit. Cet ingénieux
Méchanicien fat le Vaucanfon de
fon fiécle : il s'étoit déja rendu fameux à la
Cour de Crete par la conftruction du labyrinthe.
Ce furprenant édifice venoit d'être
fini par l'ordre de Minos. La Reine &
Taurus furent curieux d'en parcourir les
détours ; mais ils s'y perdirent de compagnie
, & fans le fecours de Dédale , ils
n'auroient jamais pû trouver le moyen d'en
fortir. Depuis ce moment , ils prirent tant
de goût pour les ouvrages de ce célébre
Artifte , qu'ils alloient tous les jours le voir
travailler à fon attelier. Supérieur dans fon
art , Dédale ne copioit que la Nature , &
'imitoit que les Dieux : il créoit à leur
exemple . Tantôt il animoit le marbre , tantôt
il faifoit parler le bronze , ou foupirer
le bois.
: Parmi différens chef- d'oeuvres , il conf
truifit un Taureau qui frappoit du pied la
JANVIER . 1755 . 31
terre , & refpiroit le feu : il lui donna pour
compagne une Geniffe fi parfaitement imitée
, que l'oeil s'y trompoit à la voir , elle
marchoit , elle broutoit , elle mugifloit
avec tant de vérité , qu'on la prenoit pour
une geniffe réelle. Le taureau s'enflamoit
à fa vûe , & beugloit à l'uniffon avec elle .
Pafiphaé étonnée de ce prodige , voulat
connoître le méchanifme qui l'opéroit.
Taurus eut la même curiofité . Dédale la
fatisfit ; il expofa à leurs regards l'intérieur
des deux machines , & pour leur en faire
mieux comprendre tout le jeu , il fit entrer
la Reine dans le corps de la geniffe ,
& fon Ecuyer dans le ventre du taureau .
Tous deux eurent à peine touché à un certain
fil , que la geniffe beugla , & que le
taureau lui répondit . Cette comédie les
amufa fi fort , qu'ils alloient chez Dédale
la jouer régulierement quatre fois par femaine.
Cette piéce finguliere dura fix mois,
qui fut tout le tems de l'abfence de Minos.
Ce Monarque revint triomphant des Athéniens.
Après les avoir vaincus , il les obligea
de lui envoyer en tribut fept jeunes
garçons & fept jeunes filles des plus no-
Bles familles d'Athenes , pour être enfermés
dans le labyrinthe.
La Reine accoucha trois mois après ; plu-
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
*
fieurs difent de deux jumeaux , dont l'un
reffembloit au Roi de Crete , & l'autre au
Gouverneur de Gnoffe ; mais un Auteur
digne de foi , affure qu'elle ne mit au jour
qu'un feul Prince , qui avoit le fourcil noir
de Minos , & les cheveux roux de Taurus .
J'ai fuivi cette opinion comme la plus vraifemblable.
Les perfifleurs de la Cour exercerent
leurs mauvaiſes plaifanteries fur
cette double reffemblance , & donnerent
au fils de la Reine le fobriquet de Minotaure
, qui lui eft toujours refté. Le Roi
le prit en averfion , & conçut contre fa
femme un foupçon qui la perdit fans retour
; fa fureur jaloufe en redoubla. Les
ennemis que Taurus s'étoit attiré par fa
brufquerie infolente , chargerent fon hif
toire des plus noires couleurs : ils la répandirent
dans le public , elle parvint jufqu'à
Minos. Il apprit , en frémiffant , les
vifites fréquentes de fon favori & de fa
femme chez Dédale ; la promenade du labyrinthe
, où ils s'étoient égarés , & l'aventure
merveilleufe du taureau & de la
geniffe. Minos outragé , ou qui crut l'ê
tre , fignala bientôt fa vengeance. Dédale
eut pour prifon le labyrinthe , dont il étoit
l'inventeur. Le Prince Minotaure fut en-
* Servius dans fon Commentaire fur Virgile,
JANVIER.. 1755 . 33
fermé dans le même cachot ; il y fut nourri
comme une bête féroce : Taurus partagea
fon fupplice . La Reine fut enfevelie dans
un autre fouterrein . Par un raffinement de
cruauté , elle fut condamnée à ne plus voic
le jour , fans perdre la vie . Dédale eut recours
à fon art , & trouva feul le moyen
de s'échapper. Le Prince crut en force : il
devint bientôt monftrueux par fa taille gigantefque
, & fa férocité répondit à fon
éducation . Il combattoit les malheureux
Athéniens qu'on envoyoit en Crete ; on
les livroit à fa rage ; ils périffoient fous fes
coups , ou mouroient de la main de Taurus
, qui fecondoit fa fureur . Les jeunes
Grecques languiffoient dans l'efclavage.
Heureufement pour elles , Théfée , que le
fort mit du nombre des captifs , vint rompre
leurs fers. Il attaqua le redoutable Minotaure
, tua Taurus avec lui , & délivra
par cette victoire fa patrie d'un tribut auſſi
deshonorant pour l'humanité que pour
elle ; mais il ternit cette belle action par
le rapt d'Ariane , qui lui avoit enfeigné le
le_rapt
fecret de fortir du labyrinthe , en l'armant
d'un fil qui lui fervit de guide. En reconnoiffance
d'un fi grand bienfait , il l'arracha
des bras paternels , pour l'abandonner
dans une ifle déferte . Voilà de nos
brillans héros qui font le bien par nécef-
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
fité , & le gâtent bientôt après par le mal
qu'ils font volontairement . Minos , ce Roi
cité pour fa fagelle , s'en écarta dans cette
occafion , & flétrit fa gloire par la vengeance
éclatante qu'il tira d'une aventure
qu'il devoit plûtôt étouffer dans un profond
filence. La renommée qui groffit , &
qui déguife tout , broda fur ce fond la
plus horrible fable . Elle publia que Pafiphaé
éprife d'amour pour un taureau ,
avoit eu recours à Dédale pour fatisfaire
fon effroyable paffion , & que cet Artiſte
complaifant avoit fabriqué le corps d'une
geniffe , où il avoit introduit la Reine ,
pour lui faciliter un affreux commerce.
Les plus grands Poëtes ont confacré cette
horreur. Minos en a été puni le premier ,
puifqu'il en a partagé la honte. Sa malheureufe
époufe a été la victime d'une
équivoque. Tant il eft vrai , que les femmes
, quand elles font choix d'un amant
ne fçauroient avoir trop d'égard au nom
qu'il porte ; cette attention eft pour elles
de conféquence. Il ne faut qu'un nom ri
dicule pour donner lieu à un conte extravagant
, ou à un vaudeville malin qui
les perd de réputation : l'exemple de Pafiphaé
doit les effrayer. Si le Cretois qu'elle
eftimoit , fe fût nommé autrement que
Taureau , fon aventure n'eût été qu'une
JAN VIE R. 1755. 35
galanterie d'ufage , ou qu'une foibleffe excufable
; on n'en eût point parlé. Ce qui
fait voir que les mots font plus de tort que
les chofes. Pour moi je trouve Minos le
plus coupable , & j'ai cru devoir cette
apologie à l'honneur de Pafiphaé. Elle n'étoit
pas d'une vertu tout-à fait fans reproche
, mais elle étoit du moins fage comme
la plupart des femmes le font , ou peuvent
l'être jelle étoit d'ailleurs eftimable
par plufieurs
belles qualités ,fur-tout elle aimoit les
arts & protegeoit les talens . Suppofé qu'elle
ait eu du goût pour un autre que fon mari ,
pourquoi tant fe récrier ? la chofe n'eft pas
fans exemple , & fa paffion , après tout ,
n'eft pas fortie de l'ordre commun. La fable
a outré fur fon fujet , elle en a fait un
monftre affreux : je ramene fon hiftoire à
la vraisemblance ; j'en fais une fenime ordinaire
.
On donnera la fuite dans le mois prochain,
fi cet effai eft du goût du public. On tourne
aujourd'hui la vérité en fable ; l'Auteur
mieux intentionné tâche de tourner la fable
en vérité.
miſes au creuset.
LE fi
E monde eſt ſi plein de réputations
injuftement acquifes en mal comme
en bien , qu'il me prend envie de les mettre
dans le creufet de la vérité , pour les
réduire à leur jufte valeur. Si j'allois faire
de toutes une exacte analyfe , qu'on verroit
d'étranges métamorphofes ! pour établir
les unes il faudroit détruire les autres.
Par cette opération , je rendrois les
coquins honnêtes gens , & les honnêtes
gens coquins ; je rendrois nombre d'honnêtes
femmes ...... je n'ofe achever ; l'univers
en feroit bouleverfé . Pour éviter ce
defordre , & laiffer le fiécle tel qu'il eft ,
je me borne dans mon fyftême à blanchir
les plus célébres réputations de l'antiquité
qu'un préjugé calomnieux a noircies , & à
démafquer par contre- coup plufieurs de celles
qu'un faux éclat a déguifées, & que l'obfcurité
des tems a rendues refpectables . Je
voudrois pouvoir réhabiliter toutes les modernes
qui en ont befoin , mais j'aurois trop
à faire , & la tâche eft trop difficile. Je laiffe
cet honneur aux écrivains qui voudront
JANVIER. 1755 . 19
l'entreprendre après moi ; je me contente
de leur frayer le chemin. Cet effai fuffira
pour faire voir combien on doit être lent
à croire , encore plus timide à décider fur
les réputations , & pour prouver que fouvent
elles font plutôt l'ouvrage du hazard
malin , ou de l'opinion aveugle , que celui
de la raifon éclairée ou de la vérité bien
approfondie : c'eſt où le pyrrhonifme eſt
d'obligation.
Le danger de fréquenter plus grand quefoi .
:
TANTAL E.
Tantale étoit Roi de Phrygie . Jamais
Prince n'a été plus fauffement noirci . Fils
de Jupiter , il étoit digne de fa naiſſance ;
il réuniffoit toutes les qualités du coeur &
de l'efprit aimable , bienfaiſant , & fi
agréable convive , que les Dieux l'admirent
à leur table ; il fut de toutes leurs parties
, & devint leur ami familier . Comme
il avoit le don de plaire & d'amufer , plufieurs
Déeffes lui voulurent du bien ; en
conféquence plufieurs Dieux lui voulurent
du mal. Son trop de mérite le brouilla
avec eux , & lui caufa de fi cruelles tracafferies
qu'il fut obligé de quitter l'Qlympe
, pour ne plus vivre que fur la terre.
20 MERCURE DE FRANCE.
*
Il y devint amoureux de Taigéte , fille
d'Atlas. L'hymen les unit , il l'en aima
davantage , & retrouva les Cieux avec
elle. Il jouir d'un bonheur d'autant plus
pur , qu'il ne fut plus occupé que du plaifir
de faire du bien aux hommes : il polit
leurs moeurs , & leur apprit doublement à
vivre , en leur enfeignant à mettre du goût
dans leurs amufemens & de la délicateffe
dans leurs feftins. A l'affaifonnement des
bons mots , il joignit celui des mets exquis
, & fut par un excès de bonté le premier
maître d'hôtel du genre humain . Les
Dieux en furent jaloux , & lui en firent
un crime ; ils l'accuferent d'avoir trahi
leurs fecrets , & d'avoir dérobé le nectar &
l'ambroifie , pour en faire part aux mortels.
C'étoit peu d'avoir châtié injuftement
Promethée , pour avoir donné la vie
à l'homme , en l'animant de leur efprit ,
ils voulurent encore punir avec moins de
raifon Tantale , de lui avoir appris l'art
d'en jouir. Je parle d'après Pindare. Ils le
précipiterent dans les enfers , pour une action
qui méritoit les Champs Elifées. Le
genre de fupplice eft d'ailleurs peu convenable.
Il eft condamné à manquer de tout
au milieu de l'abondance : la générofité fit
tout fon forfait , & fon châtiment eft la
Paufanias.
JANVIER. 21
1755 .
*
peine des avares. Les uns lui font fouffrir
cette tortute pour un chien perdu ; les
autres , pour juftifier la rigueur des Dieux ,
le chargent contre toute vraisemblance de
leur avoir fervi de gaieté de coeur les membres
de fon fils Pelops . Voici l'événement
qui a donné lieu à cette noire calomnie.
Les Dieux ennuyés de ne plus voir Tantale
, allerent un jour le vifiter. Le premier
objet qui frappa leur vûe fut le petit
Pelops , qui étoit encore enfant. Jupiter
dit à Tantale , foit pour mettre fon zéle
à l'épreuve , foit par mauvaiſe plaifanterie
, dont les Dieux font quelquefois trèscapables
; Prince , votre fils eft d'un embonpoint
charmant , vous nous obligerez
tous de nous le faire fervir à fouper. Tantale
prit la propofition pour une raillerie
& lui répondit , en courtifan adroit , qu'il
faifoit trop d'honneur à fon fils , & qu'il
n'avoit rien qui ne fût au fervice de leur
divinité. Pour mieux jouer l'obéiffance ,
il donna ordre qu'on faifit Pelops ; mais
les Déeffes s'y opoferent . Venus le prit
dans fes bras , & toutes à l'envi s'emprefferent
à le careffer , en difant que ce feroit
dommage de le rôtir , qu'il étoit le
plus bel enfant du monde , & qu'il pour-
* C'étoit un chien que Jupiter lui avoit confié
pour la garde de fon temple dans l'ifle de Crete,
22 MERCURE DE FRANCE.
roit un jour les fervir plus utilement . Cerès
le trouva fi potelé qu'elle lui fit un fuçon
à l'épaule , qui étoit blanche comme
l'yvoire.
Momus , le Dieu de la médiſance , empoifonna
cette avanture , peut-être pour
faire fa cour à Jupiter , car fouvent les plus
noirs fatyriques font les plus lâches adulareurs
; ils ne déchirent méchamment les
uns que pour flater plus baffement les autres.
Momus fuivant donc ce caractere ,
donna un tour affreux à la chofe ; il publia
que Tantale leur avoit offert fon fils à
manger pour éprouver leur puiffance ; mais
qu'ayant reconnu fon horrible perfidie , ils
s'étoient tous abftenus d'y toucher ; que
la feule Cérès , aveuglée par un appétit
defordonné , avoit dévoré l'épaule droite
de l'enfant , & que Jupiter lui en avoit
fubftitué une d'yvoire , en rajuftant tous
fes membres , & leur donnant une nouvelle
vie.
Cette fable prit généralement , tant il eft
vrai que le faux merveilleux , quelqu'abfurde
qu'il foit , trouve toujours plus de foi
parmi les hommes que la fimple vérité.
La fuperftition alla plus loin. Après la mort
de Pelops , elle divulgua que fon épaule
Pindare , Ode I.
JANVIER. 1755. 23
miraculeufe guériffoit plufieurs maux différens.
Un grand nombre de malades lui
rendirent un dévôt hommage , & peutêtre
que le hazard , ou le bonheur de quelques
guérifons fortuites fervit à établir.
cette croyance , qu'il parut juftifier.
Ce que j'ai appris d'un Mythologiſte
auffi profond que fenfé , c'eft que Tantale ,
depuis ce fatal repas , avoit encouru la
difgrace du maître du ciel , fon pere , par
une raiſon fecrete que j'ai trouvée trèsvraisemblable.
Jupiter toujours prompt à s'enflammer
pour les nouveaux objets qui s'offroient à
fes yeux , ne put voir Taigete , la femme
de Tantale , fans être touché de fes charmes
; c'étoit une taille célefte , une beauté
digne des Dieux. L'enjouement & la mo
deftie formoient en elle un mêlange enchanteur
qui la rendoit adorable. Elle faifoit
les honneurs du fouper que fon époux
donnoit à la troupe immortelle. En prenant
le nectar de fa main , le Roi de l'Olympe
s'enyvra d'un amour dont il eut d'autant
plus de peine à guérir qu'il ne pût parvenir
à le rendre heureux . L'aimable Reine
de Phrygie reçut le lendemain de fa part
un billet , qui exprimoit la paffion la plus
vive ; mais à peine eut-elle jetté les yeux
fur les premieres lignes , qu'elle le rendit
24 MERCURE DE FRANCE .
fon
à Mercure qui en étoit le porteur . Il eut
beau la preffer d'y répondre , elle lui dit
en riant qu'elle ne fçavoit pas écrire , &
qu'elle prenoit toujours fon mari pour
fecrétaire. Jupiter inftruit du mauvais fuccès
de fa lettre , eut recours aux métamorphofes
qui lui avoient fouvent réuffi , &
pour lefquelles il avoit un goût particulier.
Taigete avoit trois bêtes qu'elle aimoit
fingulierement ; un perroquet , un épagneul
, & un fapajou. Le fouverain des
Cieux prit d'abord la figure du premier , &
courut béqueter la Reine . Tantale qui revenoit
de la chaffe , entra dans ce moment ;
il écarta le perroquer pour embraffer fa
femme , qui lui rendit careffe pour careffe.
L'oifeau jaloux mordit fi fort l'oreille
du mari , qu'il lui en refta un morceau
dans fon bec. Tantale fit un cri , & Taigete
effrayée de voir couler le fang du Roi,
faifit le perroquet avec indignation : elle
alloit le livrer aux griffes d'un gros matou ,
qui brûloit de l'étrangler , quand l'oifeau
s'échappa , & prit l'effor par la fenêtre.
Trois jours après , Jupiter informé que
Tantale avoit quitté fa femme pour une
affaire importante qui demandoit fa préfence
ailleurs , revint auprès d'elle fous la
forme de l'épagneul . Il comptoit que fon
époux
JANVIER. 1755. 25
Epoux feroit obligé de découcher au moins
une nuit , car dans ce tems là les maris ,
même de Cour , ne faifoient jamais lit à
part. Taigete defefperoit elle -même du
retour du Roi : elle étoit prête à fe coucher
, & l'Epagneul impatient avoit déja
pris au lit la place de Tantale , quand ce
Prince arriva fort à propos. Le chien furieux
, fort de la couche royale , & abboye
contre lui de toutes fes forces . Le Roi ennuyé
de fes cris , lui donna un fi grand
coup de pied , que l'Epagneul oubliant
fon rolle de chien , jura en Dieu , qui parle
en maître. Tantale furpris de cette nouveauté
, ordonna qu'on le faisît pour éclaircir
ce prodige ; mais le chien prit la fuite
& difparut. Le Monarque du ciel jouant
de fon refte , s'établit pour la troifieme
fois chez la Reine en qualité de Sapajou .
Il l'amufa d'abord par cent jolis tours ;
mais s'émancipant par degrés , il fauta fur
l'épaule de fa maîtreffe , & l'ofa careffer
jufqu'à fortir des bornes de la décence . La
Reine fcandalifée , appella le Roi , & le
pria de punir fon finge comme il le méritoit.
Tantale s'armant d'un cordon de foie
fe mit en devoir de le châtier ; mais le
malin Sapajou le prévint , & le prit au
colet , de façon qu'il l'eût étouffé fi fa
.femme ne fût venue au fecours , & n'eût
B
26 MERCURE DE FRANCE .
ferré fortement le col de l'animal avec
le ruban qui lui fervoit d'attache , & qui
formoit un noeud coulant. Le Dieu finge
fe fentant étrangler à fon tour , lâcha prife
; mais tout fon amour pour la Reine
s'éteignit alors , il fe transforma en haine
contre le mari . Le Sapajou s'éclipfa , &
Jupiter parut dans tout l'appareil de fa colere
. Va , dit - il au malheureux Tantale ,
va fubir aux enfers le fupplice que je viens
d'éprouver à ta Cour. Sois toujours prêt
à poffeder , fans pouvoir jamais jouir ;
meurs éternellement de foif au fein des
caux , & de faim au milieu des fruits . A
ces mots , Jupiter remonte aux cieux ;
Tantale tombe dans le Tartare , & Taigete
expire de douleur. C'eft ainfi que ce Monarque
, auffi vertueux qu'infortuné , fut
châtié de la fidélité de fa femme & de la
liaifon intime qu'il eut avec les Dieux.
Cet exemple nous prouve combien il eft
dangereux de fréquenter plus grand que
foi. Pour agir prudemment , nous ne devons
jamais voir ni au - deffus ni au- deffous
de nous. Nos inférieurs nous puniffent
de notre familiarité , & nos fupérieurs
de nos fervices : notre réputation leur eft
foumife comme notre vie ; elle reçoit la
couleur qu'ils veulent lui donner dans le
monde , & dépend moins de notre vertu
JANVIER. 1755. 27
que de leur fantaifie , ou de leur paffion .
De là je conclus que nos égaux font la
feule compagnie qui convienne à notre fûtreté
; c'eſt parmi eux qu'il faut choisir nos
amis , ou du moins nos connoiffances , par
la rareté dont fe trouvent les premiers.
Les mots font plus de tort
chofes.
PASIPHA É.
que les
PASIPHAÉ , fille du Soleil , épouſa
Minos , Roi de Crete . Ce Prince fut un
grand homme de guerre , un bon Légiflateur
, mais un mauvais mari : il ne fe
montra pas tel d'abord. Comme fa femme
joignoit l'efprit à la beauté , & qu'il
en étoit amoureux , il vêcut affez bien avec
elle les premieres années de fon mariage ;
mais ce bonheur fut troublé par la mort tragique
d'Androgée * , fon fils aîné , qu'il
aimoit tendrement ; il l'avoit eu d'une premiere
femme. Ce jeune Prince en voyageant
dans l'Attique , y fut cruellement
affaffiné. La perte d'un fils adoré fit une
fi forte révolution dans fon ame , qu'elle
Plutarque , vie de Théfée.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
aigrit fon humeur , & changea fon caraçtere
: la nature en avoit fait un Roi jufte
la douleur en fit un tyran inflexible . Les
charmes de la Reine , loin d'adoucir fon
coeur , le rendirent plus farouche ; fon
amour dégénéra en jaloufie , & fa juſtice
en cruauté. Pour venger le meurtre d'Androgée
, il jura de porter la guerre dans
Athenes , & de punir une nation entiere
du crime de deux ou trois particuliers :
mais avant de remplir fon ferment , il inftitua
en l'honneur de fon fils , des jeux
funébres , qu'il fit enfuite célébrer tous les
ans. Les premiers prix furent remportés
par un Officier des plus diftingués de fa
Cour & de fon armée ; on l'appelloit Taurus
, ou Taureau , pour francifer fon nom.
C'étoit l'homme le plus fort de la Crere :
il étoit également adroit. Comme il s'étoit
fignalé dans les combats auffi bien que
dans les fêtes , le Roi en faifoit un cas
particulier. La Reine qui fut préfente à
ces jeux , ne conçut pas moins d'eftime
pour lui ; elle l'honora même d'un éloge
flateur , quand il s'approcha d'elle pour
recevoir de fa main le prix de la lutte &
de la courfe. La force , l'adreffe & la valeur
font trois qualités recommendables
auprès du beau fexe. Il eft vrai qu'elles
étoient un peu ternies en lui par une huJAN
VIE R. 1755 . 29
meur fiere & dure , pour ne pas dire
brutale ; mais c'eft l'ordinaire défaut des
gens robuftes : leur fang qui coule avec
impétuofité , ne leur permet guere d'être
polis. Un efprit doux & liant eft le partage
des complexions délicates , qui n'ont
pas la force de manquer d'égards , & qui
donnent le beau nom de fentiment à leur
foibleffe. Taurus étoit donc brufque , mais
effentiel. La Reine conféquemment n'avoit
pas tort d'être prévenue en fa faveur ;
elle y étoit autorifée par la confiance que
Minos avoit en lui . Ce Prince en donna
une preuve bien décifive en partant pour
aller lui- même faire en perfonne la guerre
aux Athéniens ; il l'établit Gouverneur de
Gnoffe , Capitale de fon Royaume , & remit
à fa garde ce qu'il avoit de plus cher ,
fon état & fa femme. Il lui recommenda
fur- tout de veiller fur la conduite de la
Reine , de doubler le nombre de fes Ar-.
gus , fous le prétexte d'augmenter fa Cour ,
& de ne lui laiffer qu'un efclavage honorable
.
Pafiphaé qui fe vit décemment prifonniere
, fe confola d'avoir pour furveillant
celui de fes Sujets qu'elle eftimoit le plus.
Elle employa tout fon art à le captiver luimême
: elle y réuffit. La rudeffe du plus
féroce s'adoucit à l'afpect de deux beaux .
:
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
yeux : ceux de la Reine étoient de ce nombre.
Le Taureau s'apprivoifa , & lui tine
compagnie. Un feul homme de la trempe
du Cretois fuffit pour amufer le loifir d'une
femme modefte , condamnée à la folitude.
Une conformité de goût fervit encore
à les unir d'une chaîne plus intime :
ils avoient tous deux une eftime particuliere
pour Dédale , & un amour de préfé
rence pour l'art qu'il profeffoit. Cet ingénieux
Méchanicien fat le Vaucanfon de
fon fiécle : il s'étoit déja rendu fameux à la
Cour de Crete par la conftruction du labyrinthe.
Ce furprenant édifice venoit d'être
fini par l'ordre de Minos. La Reine &
Taurus furent curieux d'en parcourir les
détours ; mais ils s'y perdirent de compagnie
, & fans le fecours de Dédale , ils
n'auroient jamais pû trouver le moyen d'en
fortir. Depuis ce moment , ils prirent tant
de goût pour les ouvrages de ce célébre
Artifte , qu'ils alloient tous les jours le voir
travailler à fon attelier. Supérieur dans fon
art , Dédale ne copioit que la Nature , &
'imitoit que les Dieux : il créoit à leur
exemple . Tantôt il animoit le marbre , tantôt
il faifoit parler le bronze , ou foupirer
le bois.
: Parmi différens chef- d'oeuvres , il conf
truifit un Taureau qui frappoit du pied la
JANVIER . 1755 . 31
terre , & refpiroit le feu : il lui donna pour
compagne une Geniffe fi parfaitement imitée
, que l'oeil s'y trompoit à la voir , elle
marchoit , elle broutoit , elle mugifloit
avec tant de vérité , qu'on la prenoit pour
une geniffe réelle. Le taureau s'enflamoit
à fa vûe , & beugloit à l'uniffon avec elle .
Pafiphaé étonnée de ce prodige , voulat
connoître le méchanifme qui l'opéroit.
Taurus eut la même curiofité . Dédale la
fatisfit ; il expofa à leurs regards l'intérieur
des deux machines , & pour leur en faire
mieux comprendre tout le jeu , il fit entrer
la Reine dans le corps de la geniffe ,
& fon Ecuyer dans le ventre du taureau .
Tous deux eurent à peine touché à un certain
fil , que la geniffe beugla , & que le
taureau lui répondit . Cette comédie les
amufa fi fort , qu'ils alloient chez Dédale
la jouer régulierement quatre fois par femaine.
Cette piéce finguliere dura fix mois,
qui fut tout le tems de l'abfence de Minos.
Ce Monarque revint triomphant des Athéniens.
Après les avoir vaincus , il les obligea
de lui envoyer en tribut fept jeunes
garçons & fept jeunes filles des plus no-
Bles familles d'Athenes , pour être enfermés
dans le labyrinthe.
La Reine accoucha trois mois après ; plu-
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
*
fieurs difent de deux jumeaux , dont l'un
reffembloit au Roi de Crete , & l'autre au
Gouverneur de Gnoffe ; mais un Auteur
digne de foi , affure qu'elle ne mit au jour
qu'un feul Prince , qui avoit le fourcil noir
de Minos , & les cheveux roux de Taurus .
J'ai fuivi cette opinion comme la plus vraifemblable.
Les perfifleurs de la Cour exercerent
leurs mauvaiſes plaifanteries fur
cette double reffemblance , & donnerent
au fils de la Reine le fobriquet de Minotaure
, qui lui eft toujours refté. Le Roi
le prit en averfion , & conçut contre fa
femme un foupçon qui la perdit fans retour
; fa fureur jaloufe en redoubla. Les
ennemis que Taurus s'étoit attiré par fa
brufquerie infolente , chargerent fon hif
toire des plus noires couleurs : ils la répandirent
dans le public , elle parvint jufqu'à
Minos. Il apprit , en frémiffant , les
vifites fréquentes de fon favori & de fa
femme chez Dédale ; la promenade du labyrinthe
, où ils s'étoient égarés , & l'aventure
merveilleufe du taureau & de la
geniffe. Minos outragé , ou qui crut l'ê
tre , fignala bientôt fa vengeance. Dédale
eut pour prifon le labyrinthe , dont il étoit
l'inventeur. Le Prince Minotaure fut en-
* Servius dans fon Commentaire fur Virgile,
JANVIER.. 1755 . 33
fermé dans le même cachot ; il y fut nourri
comme une bête féroce : Taurus partagea
fon fupplice . La Reine fut enfevelie dans
un autre fouterrein . Par un raffinement de
cruauté , elle fut condamnée à ne plus voic
le jour , fans perdre la vie . Dédale eut recours
à fon art , & trouva feul le moyen
de s'échapper. Le Prince crut en force : il
devint bientôt monftrueux par fa taille gigantefque
, & fa férocité répondit à fon
éducation . Il combattoit les malheureux
Athéniens qu'on envoyoit en Crete ; on
les livroit à fa rage ; ils périffoient fous fes
coups , ou mouroient de la main de Taurus
, qui fecondoit fa fureur . Les jeunes
Grecques languiffoient dans l'efclavage.
Heureufement pour elles , Théfée , que le
fort mit du nombre des captifs , vint rompre
leurs fers. Il attaqua le redoutable Minotaure
, tua Taurus avec lui , & délivra
par cette victoire fa patrie d'un tribut auſſi
deshonorant pour l'humanité que pour
elle ; mais il ternit cette belle action par
le rapt d'Ariane , qui lui avoit enfeigné le
le_rapt
fecret de fortir du labyrinthe , en l'armant
d'un fil qui lui fervit de guide. En reconnoiffance
d'un fi grand bienfait , il l'arracha
des bras paternels , pour l'abandonner
dans une ifle déferte . Voilà de nos
brillans héros qui font le bien par nécef-
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
fité , & le gâtent bientôt après par le mal
qu'ils font volontairement . Minos , ce Roi
cité pour fa fagelle , s'en écarta dans cette
occafion , & flétrit fa gloire par la vengeance
éclatante qu'il tira d'une aventure
qu'il devoit plûtôt étouffer dans un profond
filence. La renommée qui groffit , &
qui déguife tout , broda fur ce fond la
plus horrible fable . Elle publia que Pafiphaé
éprife d'amour pour un taureau ,
avoit eu recours à Dédale pour fatisfaire
fon effroyable paffion , & que cet Artiſte
complaifant avoit fabriqué le corps d'une
geniffe , où il avoit introduit la Reine ,
pour lui faciliter un affreux commerce.
Les plus grands Poëtes ont confacré cette
horreur. Minos en a été puni le premier ,
puifqu'il en a partagé la honte. Sa malheureufe
époufe a été la victime d'une
équivoque. Tant il eft vrai , que les femmes
, quand elles font choix d'un amant
ne fçauroient avoir trop d'égard au nom
qu'il porte ; cette attention eft pour elles
de conféquence. Il ne faut qu'un nom ri
dicule pour donner lieu à un conte extravagant
, ou à un vaudeville malin qui
les perd de réputation : l'exemple de Pafiphaé
doit les effrayer. Si le Cretois qu'elle
eftimoit , fe fût nommé autrement que
Taureau , fon aventure n'eût été qu'une
JAN VIE R. 1755. 35
galanterie d'ufage , ou qu'une foibleffe excufable
; on n'en eût point parlé. Ce qui
fait voir que les mots font plus de tort que
les chofes. Pour moi je trouve Minos le
plus coupable , & j'ai cru devoir cette
apologie à l'honneur de Pafiphaé. Elle n'étoit
pas d'une vertu tout-à fait fans reproche
, mais elle étoit du moins fage comme
la plupart des femmes le font , ou peuvent
l'être jelle étoit d'ailleurs eftimable
par plufieurs
belles qualités ,fur-tout elle aimoit les
arts & protegeoit les talens . Suppofé qu'elle
ait eu du goût pour un autre que fon mari ,
pourquoi tant fe récrier ? la chofe n'eft pas
fans exemple , & fa paffion , après tout ,
n'eft pas fortie de l'ordre commun. La fable
a outré fur fon fujet , elle en a fait un
monftre affreux : je ramene fon hiftoire à
la vraisemblance ; j'en fais une fenime ordinaire
.
On donnera la fuite dans le mois prochain,
fi cet effai eft du goût du public. On tourne
aujourd'hui la vérité en fable ; l'Auteur
mieux intentionné tâche de tourner la fable
en vérité.
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Résumé : LES REPUTATIONS mises au creuset.
Le texte 'Les Réputations mises au creuset' examine la nature trompeuse des réputations, tant positives que négatives, et propose de les analyser à la lumière de la vérité. L'auteur souhaite révéler les métamorphoses des réputations en les soumettant à une analyse exacte, ce qui pourrait bouleverser l'univers en rendant certains coquins honnêtes et certains honnêtes gens coquins. Pour éviter ce désordre, il se limite à réhabiliter les réputations antiques injustement noircies et à démystifier celles déguisées par un faux éclat. L'auteur illustre son propos par l'exemple de Tantale, roi de Phrygie, dont la réputation a été injustement ternie. Tantale, fils de Jupiter, était bienfaisant et agréable, admiré par les Dieux qui l'invitaient à leur table. Cependant, son trop grand mérite le brouilla avec eux, et il fut puni injustement. Les Dieux l'accusèrent d'avoir révélé leurs secrets et de leur avoir servi les membres de son fils Pelops. En réalité, Tantale avait refusé de sacrifier Pelops, qui fut sauvé par les Dieux. Cette calomnie fut propagée par Momus, le Dieu de la médisance. Tantale fut condamné à souffrir de la faim et de la soif au milieu de l'abondance, un supplice injustifié selon l'auteur. L'auteur conclut que les réputations sont souvent le fruit du hasard ou de l'opinion aveugle plutôt que de la raison éclairée. Il met en garde contre le danger de fréquenter des personnes plus puissantes que soi, car elles peuvent nuire à notre réputation. Le texte relate également l'histoire de Taurus, un homme robuste mais brutal, nommé gouverneur de Gnosse par le roi Minos. Taurus est chargé de surveiller la reine Paphos et d'augmenter sa cour. Paphos, prisonnière décente, utilise son art pour captiver Taurus, qui s'adoucit à sa vue. Ils partagent une passion commune pour Dédale, un ingénieux mécanicien célèbre pour le labyrinthe. Paphos et Taurus passent du temps avec Dédale, admirant ses œuvres, notamment un taureau et une génisse mécaniques. Intrigués par ces machines, ils jouent régulièrement une comédie où ils incarnent ces animaux. Pendant l'absence de Minos, Paphos accouche d'un enfant, le Minotaure, qui présente des traits de Minos et de Taurus. La cour moque l'enfant, surnommé Minotaure, et Minos, jaloux, accuse Paphos et Taurus d'adultère. Il condamne Dédale, le Minotaure et Taurus à des supplices, et Paphos à l'emprisonnement. Thésée, captif athénien, tue le Minotaure et Taurus, libérant ainsi Athènes du tribut imposé par Minos. La renommée déforme l'histoire, accusant Paphos d'avoir aimé un taureau, ce que l'auteur conteste, la défendant comme une femme ordinaire et estimable.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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49
p. 49-58
ADELAÏDE, OU LA FEMME MORTE D'AMOUR. Histoire singuliere, mais qui n'est pas moins vraie.
Début :
Cette aventure est arrivée en 1678, & paroîtra peut-être incroyable en 1755. [...]
Mots clefs :
Marquis, Marquise , Amour, Femme, Vertu, Fortune, Passion, Couvent
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texteReconnaissance textuelle : ADELAÏDE, OU LA FEMME MORTE D'AMOUR. Histoire singuliere, mais qui n'est pas moins vraie.
A DELAÏDE ,
OU LA FEMME MORTE D'AMOUR.
Hiftoirefinguliere , mais qui n'eft pas moins
C
vraie.
Ette aventure eſt arrivée en 1678 , &
paroîtra peut-être incroyable en 1755 .
Soixante- dix -fept ans ont fait de fi grands
changemens dans nos moeurs , que l'amour
conjugal , qui étoit alors refpecté ,
eft devenu aujourd'hui un ridicule ; il
paffe même pour une chimere , on n'y
croit plus. Cependant l'hiftoire d'Adelaïde
eft accompagnée de circonftances fi naturelles
, elle porte un caractere de vérité fi
frappant & fi naïf , qu'elle doit perfuader
l'efprit du plus incrédule , toute furprenante
qu'elle eft. Le lecteur en jugera : la
voici.
La Marquife de Ferval s'étant dégoûtée
du monde , fe retira en province dans une
de fes terrres , & ne s'y occupa que du
foin d'élever fa famille. Elle étoit veuve
d'un homme de qualité , qui n'avoit foutenu
fon rang que par les grands biens
qu'il tenoit d'elle. Il lui avoit laiffé une
fille de feize ans ; elle l'aimoit tendre-
C
so MERCURE DE FRANCE.
ment ; & comme elle vivoit ifolée , elle
fit deffein de mettre auprès d'elle une jeune
perfonne du même âge , pour lui tenir
compagnie. Elle n'eut pas beaucoup
de peine à faire ce choix le caractere
d'Adelaïde lui avoit plû. Cette aimable
fille voyoit fort fouvent la fienne , & la
Marquife de Ferval ne lui eut pas plutôr
témoigné l'envie qu'elle avoit de la retenir
, qu'elle eut tout lieu d'être fatisfaite
de fa complaifance. L'occafion étoit favorable
pour Adelaïde ; elle étoit orpheline :
comme elle ne tenoit de la fortune que
le titre de Demoifelle , elle trouvoit un
grand avantage à être reçue en qualité
d'amie , dans une maifon auffi diftinguée
que l'étoit celle de la Marquife. Elle y
étoit déja fort aimée , & fes manieres
honnêtes pour tous ceux avec qui elle avoit
à vivre , eurent bientôt achevé de lui
gagner
tous les coeurs. Ce qui lui avoit par
ticulierement acquis l'eftime de la Marquife,
c'étoit un fond de modeftie & de
vertu qu'on ne pouvoit affez admirer dans
une fi grande jeuneffe , & avec une beau-"
té dont toute autre auroit été vaine. Madame
de Ferval ne pouvoit mieux choifir
ni donner à fa fille un exemple plus digne
d'être fuivi. Mais en plaçant Adelaïde
auprès d'elle , elle n'avoit pas
fait at
JANVIER. 1755. SI
tention qu'elle avoit un fils , que ce
fils n'étoit pas d'un âge à demeurer infenfible
, & que l'expofer à voir à toute heute
une perfonne fi aimable , c'étoit en quelque
façon le livrer aux charmes les plus
dangereux qu'on pût avoir à craindre pour
lui. En effet , fi le jeune Marquis n'eût
d'abord que de la politeffe pour Adelaïde
il ne fut pas long- tems le maître de n'avoir
rien de plus fort.Quoiqu'il fut fouvent avec
fa foeur, il auroit voulu en être inféparable .
Adelaïde ne difoit rien qui ne lui femblât
dit de la meilleure grace du monde ; Adedaïde
ne faifoit rien qu'il n'approuvât ,.
& parmi les louanges qu'il lui donnoit , il
lui échappoit toujours quelque chofe qui
avoit affez de l'air d'une déclaration d'amour
. Adelaïde , de ſon côté , n'étoit pas
aveugle fur le mérite du jeune Ferval : il
lui paroiffoit digne de toute l'estime qu'elle
avoit pour lui ; & quand elle s'examinoit
un peu rigoureufement , elle fe trouvoit
des difpofitions fi favorables à faire plus
que l'eftimer , qu'elle n'étoit pas peu embarraffée
dans fes fentimens : mais fi elle
avoit de la peine à les régler , elle s'en
rendoit fi bien la maîtreffe , qu'il étoit impoffible
de les découvrir. Elle connoiffoit
la Marquife pour une femme impérieuſe ,
qui ayant apporté tout le bien qui étoit
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE,
dans cette maifon , formoit de grands projets
pour l'établiffement de fon fils , & lui
deftinoit un parti fort confidérable. Ainfi
quoiqu'elle fût d'une naiffance à ne pas
lui faire de deshonneur s'il l'aimoit affez
pour l'époufer , elle voyoit tant d'obſta
cles à ce deffein , qu'elle ne trouvoit point
de meilleur parti à prendre que celui de
ne point engager fon coeur. Cependant
elle tâcha inutilement de le défendre ; fon
penchant l'emporta fur fa raifon , & fi elle
oppofa quelque fierté aux premiers aveus
que le Marquis lui fit de fa tendreffe , ce
fut une fierté fi engageante , qu'elle ne l'éloigna
point de la réfolution qu'il avoit
prife de l'aimer éternellement . Elle évita
quelque tems toutes fortes de converfations
particulieres avec lui , mais elle ne put
empêcher que fes regards ne parlaffent : ils
lui expliquoient fi fortement fon amour ,
qu'il lui étoit impoffible de n'en être pas
perfuadée . Enfin le hazard voulut qu'il la
rencontrât feule un jour fous le berceau
d'un jardin , où elle s'abandonnoit quelquefois
à fes rêveries : elle interrompit les
premieres affurances qu'il lui réitéra de fa
paffion ; mais il la conjura fi férieufement
de l'écouter , qu'elle crut lui devoir cette
complaifance. Ce fut là qu'il lui peignit
tout ce qu'il fentoit pour elle , & qu'il
JANVIÉ R. 1755 . 53
l'affura de la maniere la plus touchante
que fi elle vouloit agréer fes foins , il feroit
fon unique félicité de la poffeffion de
fon coeur. Adelaiïde rougit , & s'étant remife
d'un premier trouble , qui donnoit
un nouvel éclat à fa beauté , elle lui dit
avec une modeftie charmante , que fi elle
étoit d'une fortune égale à la fienne , il
auroit tout lieu d'être fatisfait de fa ré
ponfe ; mais que dans l'état où fe trou
voient les chofes , elle ne voyoit pas qu'if
pût lui être permis de s'expliquer ; qu'elle
avoit trop
bonne opinion de lui , pour croi
re qu'il eût conçu des efpérances dont elle
dût avoir fujet de fe plaindre , & qu'elle ·
enviſageoit tant de malheurs pour lui dans
une paffion légitime , qu'elle croiroit ne
pas mériter les fentimens qu'il avoit pour
elle fi elle ne lui confeilloit de les étouf
fer ; qu'elle lui prêteroit tout le fecours
dont il pourroit avoir befoin pour le faire ,
& qu'elle éviteroit fa vûe avec tant de
foin , qu'il connoîtroit fi fon
que
peu de
fortune ne lui permettoit pas de prétendre
à fon amour , elle étoit digne au moins
qu'il lui confervât toute fon eftime.
Tant de vertu fut pour le Marquis un
nouveau fujet d'engagement. Il parla de
mariage , pria Adelaïde de lui laiſſer ménager
l'efprit de fa mere , & fe fépara
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
d'elle fr charmé , qu'il n'y eut jamais unë
paffion plus violente. Il fit ce qu'il lui avoit
promis , & rendit des devoirs fi refpectueux
& fi complaifans à la Marquife , qu'il
ne defefpéra pas d'obtenir fon confentement.
Adelaïde ne fut pas moins ponctuelle
à tenir la parole ; elle prit foin d'éviter
le Marquis , & tâcha de lui faire quit,
terun deffein dont elle voyoit le fuccès horsd'apparence
. Mais leur destinée étoit de s'aimer
; & comme un fort amour ne peut être
long- tems fecret , la Marquife , qui s'en
apperçut , fit quelques railleries à fon fils.
II
prit la chofe au férieux ; mais dès qu'il
eut commencé à exagérer le mérite d'Adelaïde
, elle prévint la déclaration qu'il fe
préparoit à lui faire , par des défenfes fi
abfolues d'avoir jamais aucune penſée pour
elle , qu'il vit bien qu'il n'étoit pas encore
tems de s'expliquer . Elle fit plus. La campagne
alloit s'ouvrir ; le Marquis étoit dans
les Moufquetaires , elle ne lui donna qu'un
jour pour partir : il fallut céder.
Son pere n'avoit pas laiffé de quoi Latiffaire
fes créanciers , & il ne pouvoit efperer
de bien que par elle : il partit après
avoir conjuré Adelaïde de l'aimer toujours
, & l'avoir affurée d'une fidélité inviolable
.
Pendant fon abfence , un Gentilhom
JAN VIÉR. 1755 55
me voifin devient amoureux d'Adelaïde ;
il fe déclare à la Marquife qui , pour
mettre fon fils hors de peril , promet un
préfent de nôce confidérable , & conclut
l'affaire. Le jeune Ferval en eft averti. On
entroit en quartier d'hyver. Il prend la
pofte , & arrive dans le tems qu'on preffoit
fa maîtreffe de prendre jour. Il fe
jette aux pieds de fa mere , la conjure de
ne pas le mettre au defeſpoir , & ne lus
cache plus le deffein qu'il a d'époufer Adelaïde.
La Marquife éclate contre lui. La
foumiffion de fon fils ne peut la fléchir ,
& cette brouillerie fait tant d'éclat , que le
Gentilhomme qui apprend l'amour réciproque
du Marquis & d'Adelaide , retire
fa parole , & rompt le mariage arrêté. Cetre
rupture acheve d'irriter la Marquife. Elle
défend fa maifon à Adelaïde , & toutes
les prieres du Marquis ne peuvent rien
obtenir. Il eft caufe de la difgrace de ce
qu'il aime , & il ſe réfout à la réparer. Il
l'épouſe , malgré toutes les menaces de fa
mere. Elle l'apprend , le deshérite , & jure
de ne lui pardonner jamais . Un enfant naît
de ce mariage ; on le porte à la Marquife.
Point de pitié ; elle demeure inexorable ,
& pour comble de malheur ils perdent ce
précieux gage de leur amour. Ils paffent
trois ou quatre années prefqu'abandonnés
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
de tout le monde , & ne fubfiftant qu'avec
peine ; ils font réduits enfin à la néceffité
de fe féparer. Le Marquis en fait la
propofition à fa femme . Elle n'a pas moins
de courage que de fageffe , & confent à
s'enfermer dans un Cloître , comme il ſe
détermine à entrer dans un Couvent. I
vend quelques bijoux qui lui reftent , &
en donne l'argent à fa chere Adelaïde. Elle
va trouver une Abbeffe , auffi recommendable
par fa vertu que par fa naiffance .
Elle eft reçue , on lui donne le voile , &
cette cérémonie n'eft pas plutôt faite , que
le Marquis fe rend à Paris , & renonçant
pour jamais au monde , prend l'habit dans
un Ordre très- auftere .
La fortune n'étoit pas encore laffe de
perfécuter Adelaide. Quelques filles du
Monaftere qu'elle avoit choifi , apprennent
fon hiftoire ; & foit envie ou malignité ,
elles cabalent avec tant d'adreffe , qu'elles
trouvent des raifons plaufibles pour
lui faire donner l'exclufion : elle a beau verfer
des larmes , elle eft obligée de fortir .
Une Religieufe de ce Couvent touchée
de fon état , lui donne des legres de recommendation
pour fon pere , qui étoit
Officier d'une Princeffe . Elle part , vient à
Paris ; & pendant que cet Officier lui fait
chercher un lieu de retraite pour toute
JANVIER. 1755. 57
fa vie , elle envoye avertir le Marquis de
fon arrivée , & lui fait demander une heure
pour lui parler. La nouvelle difgrace d'Adelaïde
eft un coup fenfible pour lui . Ik
F'aime toujours , il craint l'entretien qu'elle
fouhaite , & la fait prier de lui vouloir
épargner une vûe qui ne peut qu'être pré-;
judiciable au repos de l'un & de l'autre.
Adelaïde , quoique détachée du monde ,
ne l'eft point affez d'un mari qu'elle a tant
aimé , pour n'être point touchée de ce refis
; il ne fert qu'à augmenter l'envie
qu'elle a de le voir.
Elle va au Couvent , entre d'abord dans
P'Eglife , & le premier objet qui la frappe, eſt
le Marquis fon époux , occupé à un exercice
pieux avec toute fa Communauté . Cet
habit de pénitence la touche ; elle fe montre
, il la voit , il baiffe les yeux , & quelque
effort qu'elle faffé pour attirer les regards
, il n'en tourne plus aucun fur elle
Quoiqu'elle pénétre le motif de la violence
qu'il fe fait , elle y trouve quelquechofe
de fi cruel , qu'elle en eft faifie de la
plus vive douleur. Elle tombe évanouie ;
on l'emporte , elle ne revient à elle que
pour demander fon cher Ferval. On court
l'avertir que fa femme eft mourante . Son
Supérieur lui ordonne de la venir confo--
ler ; & elle expire par la force de fon fai-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
fiffement , avant qu'il fe foit rendu auprès
d'elle .
Toute la vertu du Marquis ne fuffic
point pour retenir les larmes que fa tendreffe
l'oblige de donner à cette mort. Ce
premier mouvement eft fuivi d'une rêve
rie profonde , qui le rend quelque tems
immobile. Il revient enfin à lui -même , &
après avoir remercié ceux qui ont pris foin
de fa chere Adelaïde , il fe retire dans fon:
Couvent , où à force d'auftérités , il tâche
de reparer ce que fa paffion quoique
légitime , peut avoir eu de trop violent
OU LA FEMME MORTE D'AMOUR.
Hiftoirefinguliere , mais qui n'eft pas moins
C
vraie.
Ette aventure eſt arrivée en 1678 , &
paroîtra peut-être incroyable en 1755 .
Soixante- dix -fept ans ont fait de fi grands
changemens dans nos moeurs , que l'amour
conjugal , qui étoit alors refpecté ,
eft devenu aujourd'hui un ridicule ; il
paffe même pour une chimere , on n'y
croit plus. Cependant l'hiftoire d'Adelaïde
eft accompagnée de circonftances fi naturelles
, elle porte un caractere de vérité fi
frappant & fi naïf , qu'elle doit perfuader
l'efprit du plus incrédule , toute furprenante
qu'elle eft. Le lecteur en jugera : la
voici.
La Marquife de Ferval s'étant dégoûtée
du monde , fe retira en province dans une
de fes terrres , & ne s'y occupa que du
foin d'élever fa famille. Elle étoit veuve
d'un homme de qualité , qui n'avoit foutenu
fon rang que par les grands biens
qu'il tenoit d'elle. Il lui avoit laiffé une
fille de feize ans ; elle l'aimoit tendre-
C
so MERCURE DE FRANCE.
ment ; & comme elle vivoit ifolée , elle
fit deffein de mettre auprès d'elle une jeune
perfonne du même âge , pour lui tenir
compagnie. Elle n'eut pas beaucoup
de peine à faire ce choix le caractere
d'Adelaïde lui avoit plû. Cette aimable
fille voyoit fort fouvent la fienne , & la
Marquife de Ferval ne lui eut pas plutôr
témoigné l'envie qu'elle avoit de la retenir
, qu'elle eut tout lieu d'être fatisfaite
de fa complaifance. L'occafion étoit favorable
pour Adelaïde ; elle étoit orpheline :
comme elle ne tenoit de la fortune que
le titre de Demoifelle , elle trouvoit un
grand avantage à être reçue en qualité
d'amie , dans une maifon auffi diftinguée
que l'étoit celle de la Marquife. Elle y
étoit déja fort aimée , & fes manieres
honnêtes pour tous ceux avec qui elle avoit
à vivre , eurent bientôt achevé de lui
gagner
tous les coeurs. Ce qui lui avoit par
ticulierement acquis l'eftime de la Marquife,
c'étoit un fond de modeftie & de
vertu qu'on ne pouvoit affez admirer dans
une fi grande jeuneffe , & avec une beau-"
té dont toute autre auroit été vaine. Madame
de Ferval ne pouvoit mieux choifir
ni donner à fa fille un exemple plus digne
d'être fuivi. Mais en plaçant Adelaïde
auprès d'elle , elle n'avoit pas
fait at
JANVIER. 1755. SI
tention qu'elle avoit un fils , que ce
fils n'étoit pas d'un âge à demeurer infenfible
, & que l'expofer à voir à toute heute
une perfonne fi aimable , c'étoit en quelque
façon le livrer aux charmes les plus
dangereux qu'on pût avoir à craindre pour
lui. En effet , fi le jeune Marquis n'eût
d'abord que de la politeffe pour Adelaïde
il ne fut pas long- tems le maître de n'avoir
rien de plus fort.Quoiqu'il fut fouvent avec
fa foeur, il auroit voulu en être inféparable .
Adelaïde ne difoit rien qui ne lui femblât
dit de la meilleure grace du monde ; Adedaïde
ne faifoit rien qu'il n'approuvât ,.
& parmi les louanges qu'il lui donnoit , il
lui échappoit toujours quelque chofe qui
avoit affez de l'air d'une déclaration d'amour
. Adelaïde , de ſon côté , n'étoit pas
aveugle fur le mérite du jeune Ferval : il
lui paroiffoit digne de toute l'estime qu'elle
avoit pour lui ; & quand elle s'examinoit
un peu rigoureufement , elle fe trouvoit
des difpofitions fi favorables à faire plus
que l'eftimer , qu'elle n'étoit pas peu embarraffée
dans fes fentimens : mais fi elle
avoit de la peine à les régler , elle s'en
rendoit fi bien la maîtreffe , qu'il étoit impoffible
de les découvrir. Elle connoiffoit
la Marquife pour une femme impérieuſe ,
qui ayant apporté tout le bien qui étoit
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE,
dans cette maifon , formoit de grands projets
pour l'établiffement de fon fils , & lui
deftinoit un parti fort confidérable. Ainfi
quoiqu'elle fût d'une naiffance à ne pas
lui faire de deshonneur s'il l'aimoit affez
pour l'époufer , elle voyoit tant d'obſta
cles à ce deffein , qu'elle ne trouvoit point
de meilleur parti à prendre que celui de
ne point engager fon coeur. Cependant
elle tâcha inutilement de le défendre ; fon
penchant l'emporta fur fa raifon , & fi elle
oppofa quelque fierté aux premiers aveus
que le Marquis lui fit de fa tendreffe , ce
fut une fierté fi engageante , qu'elle ne l'éloigna
point de la réfolution qu'il avoit
prife de l'aimer éternellement . Elle évita
quelque tems toutes fortes de converfations
particulieres avec lui , mais elle ne put
empêcher que fes regards ne parlaffent : ils
lui expliquoient fi fortement fon amour ,
qu'il lui étoit impoffible de n'en être pas
perfuadée . Enfin le hazard voulut qu'il la
rencontrât feule un jour fous le berceau
d'un jardin , où elle s'abandonnoit quelquefois
à fes rêveries : elle interrompit les
premieres affurances qu'il lui réitéra de fa
paffion ; mais il la conjura fi férieufement
de l'écouter , qu'elle crut lui devoir cette
complaifance. Ce fut là qu'il lui peignit
tout ce qu'il fentoit pour elle , & qu'il
JANVIÉ R. 1755 . 53
l'affura de la maniere la plus touchante
que fi elle vouloit agréer fes foins , il feroit
fon unique félicité de la poffeffion de
fon coeur. Adelaiïde rougit , & s'étant remife
d'un premier trouble , qui donnoit
un nouvel éclat à fa beauté , elle lui dit
avec une modeftie charmante , que fi elle
étoit d'une fortune égale à la fienne , il
auroit tout lieu d'être fatisfait de fa ré
ponfe ; mais que dans l'état où fe trou
voient les chofes , elle ne voyoit pas qu'if
pût lui être permis de s'expliquer ; qu'elle
avoit trop
bonne opinion de lui , pour croi
re qu'il eût conçu des efpérances dont elle
dût avoir fujet de fe plaindre , & qu'elle ·
enviſageoit tant de malheurs pour lui dans
une paffion légitime , qu'elle croiroit ne
pas mériter les fentimens qu'il avoit pour
elle fi elle ne lui confeilloit de les étouf
fer ; qu'elle lui prêteroit tout le fecours
dont il pourroit avoir befoin pour le faire ,
& qu'elle éviteroit fa vûe avec tant de
foin , qu'il connoîtroit fi fon
que
peu de
fortune ne lui permettoit pas de prétendre
à fon amour , elle étoit digne au moins
qu'il lui confervât toute fon eftime.
Tant de vertu fut pour le Marquis un
nouveau fujet d'engagement. Il parla de
mariage , pria Adelaïde de lui laiſſer ménager
l'efprit de fa mere , & fe fépara
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
d'elle fr charmé , qu'il n'y eut jamais unë
paffion plus violente. Il fit ce qu'il lui avoit
promis , & rendit des devoirs fi refpectueux
& fi complaifans à la Marquife , qu'il
ne defefpéra pas d'obtenir fon confentement.
Adelaïde ne fut pas moins ponctuelle
à tenir la parole ; elle prit foin d'éviter
le Marquis , & tâcha de lui faire quit,
terun deffein dont elle voyoit le fuccès horsd'apparence
. Mais leur destinée étoit de s'aimer
; & comme un fort amour ne peut être
long- tems fecret , la Marquife , qui s'en
apperçut , fit quelques railleries à fon fils.
II
prit la chofe au férieux ; mais dès qu'il
eut commencé à exagérer le mérite d'Adelaïde
, elle prévint la déclaration qu'il fe
préparoit à lui faire , par des défenfes fi
abfolues d'avoir jamais aucune penſée pour
elle , qu'il vit bien qu'il n'étoit pas encore
tems de s'expliquer . Elle fit plus. La campagne
alloit s'ouvrir ; le Marquis étoit dans
les Moufquetaires , elle ne lui donna qu'un
jour pour partir : il fallut céder.
Son pere n'avoit pas laiffé de quoi Latiffaire
fes créanciers , & il ne pouvoit efperer
de bien que par elle : il partit après
avoir conjuré Adelaïde de l'aimer toujours
, & l'avoir affurée d'une fidélité inviolable
.
Pendant fon abfence , un Gentilhom
JAN VIÉR. 1755 55
me voifin devient amoureux d'Adelaïde ;
il fe déclare à la Marquife qui , pour
mettre fon fils hors de peril , promet un
préfent de nôce confidérable , & conclut
l'affaire. Le jeune Ferval en eft averti. On
entroit en quartier d'hyver. Il prend la
pofte , & arrive dans le tems qu'on preffoit
fa maîtreffe de prendre jour. Il fe
jette aux pieds de fa mere , la conjure de
ne pas le mettre au defeſpoir , & ne lus
cache plus le deffein qu'il a d'époufer Adelaïde.
La Marquife éclate contre lui. La
foumiffion de fon fils ne peut la fléchir ,
& cette brouillerie fait tant d'éclat , que le
Gentilhomme qui apprend l'amour réciproque
du Marquis & d'Adelaide , retire
fa parole , & rompt le mariage arrêté. Cetre
rupture acheve d'irriter la Marquife. Elle
défend fa maifon à Adelaïde , & toutes
les prieres du Marquis ne peuvent rien
obtenir. Il eft caufe de la difgrace de ce
qu'il aime , & il ſe réfout à la réparer. Il
l'épouſe , malgré toutes les menaces de fa
mere. Elle l'apprend , le deshérite , & jure
de ne lui pardonner jamais . Un enfant naît
de ce mariage ; on le porte à la Marquife.
Point de pitié ; elle demeure inexorable ,
& pour comble de malheur ils perdent ce
précieux gage de leur amour. Ils paffent
trois ou quatre années prefqu'abandonnés
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
de tout le monde , & ne fubfiftant qu'avec
peine ; ils font réduits enfin à la néceffité
de fe féparer. Le Marquis en fait la
propofition à fa femme . Elle n'a pas moins
de courage que de fageffe , & confent à
s'enfermer dans un Cloître , comme il ſe
détermine à entrer dans un Couvent. I
vend quelques bijoux qui lui reftent , &
en donne l'argent à fa chere Adelaïde. Elle
va trouver une Abbeffe , auffi recommendable
par fa vertu que par fa naiffance .
Elle eft reçue , on lui donne le voile , &
cette cérémonie n'eft pas plutôt faite , que
le Marquis fe rend à Paris , & renonçant
pour jamais au monde , prend l'habit dans
un Ordre très- auftere .
La fortune n'étoit pas encore laffe de
perfécuter Adelaide. Quelques filles du
Monaftere qu'elle avoit choifi , apprennent
fon hiftoire ; & foit envie ou malignité ,
elles cabalent avec tant d'adreffe , qu'elles
trouvent des raifons plaufibles pour
lui faire donner l'exclufion : elle a beau verfer
des larmes , elle eft obligée de fortir .
Une Religieufe de ce Couvent touchée
de fon état , lui donne des legres de recommendation
pour fon pere , qui étoit
Officier d'une Princeffe . Elle part , vient à
Paris ; & pendant que cet Officier lui fait
chercher un lieu de retraite pour toute
JANVIER. 1755. 57
fa vie , elle envoye avertir le Marquis de
fon arrivée , & lui fait demander une heure
pour lui parler. La nouvelle difgrace d'Adelaïde
eft un coup fenfible pour lui . Ik
F'aime toujours , il craint l'entretien qu'elle
fouhaite , & la fait prier de lui vouloir
épargner une vûe qui ne peut qu'être pré-;
judiciable au repos de l'un & de l'autre.
Adelaïde , quoique détachée du monde ,
ne l'eft point affez d'un mari qu'elle a tant
aimé , pour n'être point touchée de ce refis
; il ne fert qu'à augmenter l'envie
qu'elle a de le voir.
Elle va au Couvent , entre d'abord dans
P'Eglife , & le premier objet qui la frappe, eſt
le Marquis fon époux , occupé à un exercice
pieux avec toute fa Communauté . Cet
habit de pénitence la touche ; elle fe montre
, il la voit , il baiffe les yeux , & quelque
effort qu'elle faffé pour attirer les regards
, il n'en tourne plus aucun fur elle
Quoiqu'elle pénétre le motif de la violence
qu'il fe fait , elle y trouve quelquechofe
de fi cruel , qu'elle en eft faifie de la
plus vive douleur. Elle tombe évanouie ;
on l'emporte , elle ne revient à elle que
pour demander fon cher Ferval. On court
l'avertir que fa femme eft mourante . Son
Supérieur lui ordonne de la venir confo--
ler ; & elle expire par la force de fon fai-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
fiffement , avant qu'il fe foit rendu auprès
d'elle .
Toute la vertu du Marquis ne fuffic
point pour retenir les larmes que fa tendreffe
l'oblige de donner à cette mort. Ce
premier mouvement eft fuivi d'une rêve
rie profonde , qui le rend quelque tems
immobile. Il revient enfin à lui -même , &
après avoir remercié ceux qui ont pris foin
de fa chere Adelaïde , il fe retire dans fon:
Couvent , où à force d'auftérités , il tâche
de reparer ce que fa paffion quoique
légitime , peut avoir eu de trop violent
Fermer
Résumé : ADELAÏDE, OU LA FEMME MORTE D'AMOUR. Histoire singuliere, mais qui n'est pas moins vraie.
En 1678, Adélaïde devient la compagne de la fille de la marquise de Ferval. Elle est appréciée pour sa modestie et sa vertu. Le fils de la marquise, le jeune marquis de Ferval, tombe amoureux d'Adélaïde. Bien que les sentiments soient réciproques, Adélaïde hésite à s'engager en raison de la différence de fortune entre eux. Le marquis, persistant, parle de mariage. La marquise, opposée à cette union, force son fils à partir. Pendant son absence, elle arrange un mariage pour Adélaïde avec un gentilhomme voisin. À son retour, le marquis révèle son amour à sa mère, qui refuse catégoriquement. Le gentilhomme annule le mariage, et la marquise chasse Adélaïde. Malgré l'opposition de sa mère, le marquis épouse Adélaïde, qui les déshérite. Ils vivent dans la pauvreté et finissent par se séparer. Adélaïde entre dans un couvent, tandis que le marquis rejoint un ordre austère. Exclue du couvent, Adélaïde cherche à voir le marquis, mais il refuse. Elle meurt de chagrin en le voyant prier dans l'église du couvent. Le marquis, malgré sa douleur, continue sa vie de pénitence.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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50
p. 9-20
IL EUT RAISON. CONTE MORAL.
Début :
C'etoit un homme sensé qu'Azema. Il ne vouloit point se marier, parce qu'il [...]
Mots clefs :
Homme, Femme, Mariage, Veuve, Bonheur, Génie, Esprit, Mari
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texteReconnaissance textuelle : IL EUT RAISON. CONTE MORAL.
IL EUT RAISON.
C
CONTE MORA L.
' Etoit un homme fenfé qu'Azema . Il
ne vouloit point fe marier, parce qu'il
fçavoit qu'on trompe tous les maris , & il
fe maria. On lui propofa deux partis ; l'un
étoit une jeune beauté qu'il aimoit , & qui
lui eût été fidele : l'autre étoit une veuve ,
qui lui étoit indifférente , & qui ne l'étoit
pas pour tout le monde. C'eft ce qu'on lui
fit connoître clairement. Cette derniere
fut l'objet de fon choix , & il eut raiſon .
Ceci a l'air d'un paradoxe , cela va devenir
une démonftration . Irene , mere d'Azema
, fe fentant près de fa derniere heure,
fit venir fon Génie de confiance , & lui tint
ce difcours fenfé : prenez foin , je vous prie ,
de l'éducation d'Azema , appliquez vous
à lui rendre l'efprit jufte , qu'il voye les
chofes comme elles font ; rien n'eft plus
difficile , il eft jeune. Qu'il ait les erreurs de
fon âge , pour en fentir le faux ; qu'il fréquente
les femmes , qu'il ne foit pas méchant
; on doit fe former l'efprit avec leurs
agrémens , excufer leurs défauts , & profiter
de leurs foibleffes.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Lorfqu'il aura vû le monde , & qu'il en
fera dégoûté , qu'il finiffe par fe marier ,
afin d'avoir une maifon qui foit l'afyle
d'une compagnie choifie . Le bonheur d'un
jeune homime, c'eft d'être toujours avec les
autres ; le bonheur d'un homme raiſonnable
, c'eft d'être fouvent avec foi-même.
Il est bien plus doux de recevoir fes amis ,
d'aller voir fes connoiffances . L'amitié
eft la volupté de l'âge mur.
que
Irene expira après avoir dit tant de belles
chofes. Elle n'avoit rien de mieux à
faire. Il y auroit une grande mortalité , fi
l'on ceffoit de vivre lorfqu'on n'a rien de
bon à dire.
Le Génie attendit qu'Azema eut quinze
ans , & lui parla ainſi : on m'a recommandé
de vous rendre prudent.Pour le devenir,
il faut faire des fottifes ; vous ne croiricz
peut- être pas que pour cela on a quelquefois
befoin de confeils ; je préfume cependant
que vous pourrez vous en paffer ; je vous
laiffe jufqu'à ce que vous ne fçachiez plus
quel parti prendre ; je ne vous abandonne
pas pour long-tems. Azema fe confondit
en remercimens fort plats , fort mal tournés.
Je ne vous ai pas recommandé , interrompit
le Génie , de dire des fottifes ,
mais d'en faire. Agiffez toujours , & toutes
les fois que vous voudrez parler , ayez
l'attention de vous taire.
FEVRIER. 1755 I[ .
par
Après ces mots il difparut. Azema , livré
à lui- même , voulut fe donner l'air de
refléchir aux fautes qu'il commettroit
préférence ; on ne peut les choifir qu'en
les connoiffant , & ce font de ces connoiffances
qui ne s'acquierent qu'en chemin
faifant. D'ailleurs un jeune homme
avantageux ne fait des fottifes qu'en cherchant
à s'en garantir . Il avoit une préfomption
qui promettoit beaucoup ; un
air capable eft prefque toujours l'étiquette
du contraire . Son début fut brillant ; il
étoit d'une ancienne nobleffe , fans pouvoir
cependant dire un homme de ma maifon.
Il ne diftingua pas cette nuance , il
dédaigna les vertus fimples & obfcures d'un
bon Gentilhomme , & préféra les vices
éclatans d'un grand Seigneur. Il eut un
équipage de chiens courans , grand nombre
de chevaux , plufieurs carroffes , des
coureurs , trois cuifiniers , beaucoup de
maîtreffes , & point d'amis. Il paffoit fa
vie à tâcher de s'amufer ; mais fes occupations
n'étoient que le réfultat de fon defoeuvrement.
Le fonds de fon bien s'évanouit en peu
de tems ; il éprouva qu'un homme de
condition né riche ne fait jamais qu'un
homme de qualité fort pauvre. Il fe trouva
ruinéfans avoir feulement effleuré le plai-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
fir , & vit trop tard que le bonheur s'obtient
& ne s'achete point.
Preffé par fes créanciers , trompé par fes
maîtreffes , délaiffé par fes parafites , il
s'écria , au deſeſpoir ! je ne fçais plus que
faire. Il entendit une voix aërienne , qui
prononça ces mots : Gagne bien des fontanges.
Voilà une jolie reffource , dit Azema ,
je n'aurois pas cru que pour rétablir mes
affaires , il fallût m'adreffer à Mlle Duchapt
. L'abfurdité de ce confeil le plongea
dans la rêverie . Il marcha long-tems fans
s'en appercevoir ; la nuit le furprit. Il fe
trouva dans un bois . Il fuivit une route ;
cette route le conduifit à un palais . Il fe préfenta
à la grille. Elle étoit gardée par un
Suiffe qui avoit un baudrier tout garni de
pompons ; & quoique Suiffe il portoit fous
ce baudrier une crevée de fontanges . Cet
ajuſtement en impofa à Azema . Monfieur ,
lui dit- il , j'ai fans doute l'honneur de parler
au Génie du fiécle . Mon ami , lui répartit
le Suiffe , vous ne vous connoiffez
pas en Génies ; j'appartiens à la Fée aux
Fontanges . Ah ! voilà ma femme , reprit
vivement Azema. Il s'agit de fçavoir fi
vous ferez fon homme , répondit froide-,
ment le Suiffe : je vais vous remettre entre
les mains de fon Ecuyer. L'Ecuyer le re-.
garda fans dire un mot , l'examina trèsFEVRIER
. 1755. 13
férieufement , & ne proféra que ces paroles
, il faut voir , prenons l'aune de Madame.
Il alla chercher une grande canne ,
mefura Azema , & dit d'un ton de protection
cela fe peut . Alors il le quitta , revint
un inſtant après , introduifit Azema
dans un appartement fuperbe , & l'y laiſſa ,
en lui repétant : Gagnez bien des fontanges .
Il fut un bon quart d'heure fans croire
qu'il fût avec quelqu'un . Il entendit enfuite
une voix grêle , qui crioit du fond d'un
grand lit ,Roufcha , Roufcha . Cette Roufcha
parut en difant , que plaît- il à Madame ?
Cet étranger , répondit la Fée. Tirez mes
rideaux ; eh mais vraiment , pourfuivit- elle,
ce jeune homme eft affez bien . Retirezvous
, Roufcha , j'ai des confeils à lui demander.
Roufcha fe retira en difant à Azema :
Gagnez bien desfontanges . Azemia , en voyant
la Fée fur fon féant , fut pénétré de refpect
, & demeura immobile. Jeune homme,
approchez -vous donc , dit la Fée : le jeune
homme recula. Qu'eſt - ce que c'eſt donc
continue la Fée , que ce petit garçon là qui
eft timide , & qui ne fait point de cas duruban
? En achevant cette phrafe , elle étala
aux yeux d'Azema un couvre-pied brodé
de fontanges , qui étoient faites de diamans.
Ah , Madame , s'écria-t- il , le beau
14 MERCURE DE FRANCE.
couvre-pied ! Eft- il de votre goût , dit la
Fée ? penfez - vous qu'il vous tiendroit
chaud Je ne demande pas mieux que de
vous le céder ; mais vous ne pouvez l'avoir
qu'en détail . J'en détacherai une fontange
à chaque trait d'efprit de votre part. Comment
, reprit vivement Azema , il ne faut
que de cela ? je vais vous enlever toutes
vos fontanges : je puis vous affurer , répartit
la Fée , que je ne les regretterai pas.
Il eft vrai , pourfuivit - elle , que je fais
difficile .
que
On fervit le fouper à côté du lit de la
Fée. Azema fe roua pour avoir de l'efprit.
Epigrammes , jeux de mots , méchancetés ,
chofes libres , anecdotes, rien ne fut oublié,
& rien ne prit ; il avança même que Nicomede
étoit une tragédie héroï- comique , fans
la Fée fe mît en devoir de lui donner
la plus petite fontange. Elle mangeoit
beaucoup , & ne difoit pas un mot . Elle fit
deffervir , & dit à Azema , mon cher enfant
, eft ce là ce qu'on appelle de l'efprit
dans le monde ? Oui , Madame , répondit
Azema : eh bien , reprit la Fée , mes fontanges
ne feront pas pour vous . Azema lui
propofa de les jouer au trictrac ; la Fée y
confentit. Il joua d'un fi grand bonheur ,
qu'il en gagna beaucoup rapidement , tant
il est vrai qu'on fait plutôt fortune
par le
FEVRIER . 1755. 15
jeu que par l'efprit : mais tout à coup la
chance tourna , il alloit tout reperdre. La
Fée en eut pitié , & lui dit , demeurons- en
là ; j'attens ce foir quelqu'un dont le bonheur
eft moins rapide , mais plus foutenu .
Croyez-moi , quittez ce Palais ; tirez parti
de vos fontanges , & ne les perdez pas
fur-tout comme vous les avez gagnées.
Azema profita de l'avis , vendit fes pierreries
, retira fes terres , reparut dans le
monde , & fe mit en bonne compagnie .
On a beau la tourner en ridicule , ce n'eft
que là qu'on apprend à penfer . Il eut même
le bonheur d'y devenir amoureux d'une
femme raifonnable. Dès cet inftant il
abjura tous fes faux airs ; il tâcha de mettre
à leur place des perfections . Il vit que
pour triompher d'elle , il falloit l'attendrir
& non pas la réduire ; l'un eft plus difficile
que l'autre. Une femme fenfée eft toujours
en garde contre la féduction , il n'y a que
l'eftime dont elle ne fe défie pas : elle s'abandonne
au charme de fon impreffion ,
fans en prévoir les conféquences , & fouvent
fe livre à l'amour en croyant ne fuivre
que la raifon.
Voilà ce qui fait les vraies paffions. La
volupté naît du principe qui les a fait naî
tre , & le plaifir de voir qu'on ne s'eft
trompé , garantit toujours leur durée.
pas
16 MERCURE DE FRANCE.
propo-
Azema , dans fon yvreffe , defiroit que
l'Hymen l'unît à un objet fi eftimable ;
mais il eut affez de fentiment pour n'en
rien faire . On ne doit point fonger au mariage
par refpect pour l'amour ; l'autorité
de l'un découvre trop les myfteres de l'autre
Sa maîtreffe en étoit fi perfuadée ,
qu'elle fut la premiere un jour à lui
fer plufieurs partis. Elle lui fit envifager
qu'à un certain âge il eft de la décence
de fe marier , pourvû que l'on ne foit
point amoureux de fa femme. Il étoit fenfé
, mais il étoit peureux . Effrayé de l'ennui
qui affiége un vieux garçon & des
dangers que court un vieux mari , il s'écria
, ô mon Génie tutélaire , m'abandonnerez-
vous ! Le Génie parur , & lui dit :
que me veux - tu ? Me marierai - je , reprit
Azema ? Sans doute , répondit le
Génie. Oui ; mais , pourfuivit l'autre en
tremblant , ferai - je ? ..... Suis moi , interrompit
le Génie , je vais voir fitu fçais
prendre ton parti . Dans l'inftant il le tranfporta
dans un palais rempli des plus jolies
femmes.
La vivacité de leur efprit augmentoit
encore celle de leur beauté : elles ne parloient
point d'amour en foupirant , elles
ne prononçoient fon nom qu'en riant. La
Gaieté étoit toujours occupée à recevoir
FEVRIER. 1755. 17
des fleurs de leurs mains pour en former
les chaînes de leurs amans. Quoique mariées
, elles avoient l'air content ; mais les
maris n'avoient pas le même uniforme ; ils
faifoient aller la maifon , & n'y paroiffoient
point : on prioit en leur nom , mais on n'y
juroit pas ; & lorfque par hazard ils vouloient
fe mettre de quelque fouper , ils y
faifoient la figure la plus trifte ; ils étoient
environnés des ris , & paroiffoient avoir
toujours envie de pleurer. Ils reffembloient
à ces efclaves Chinois , qui portent des
tymbales fur leurs épaules , & fur leſquelles
on bat la marche du plaifir , fans les y
faire participer. Azema trouva ce lieu fort
amufant. Il y eut même une Coquette qui
l'auroit époufé , pour en faire un repréfentant.
Il demanda du tems , & confulta le
Génie . Je vois ce que vous craignez , lui
dit fon protecteur , & je dois vous raffurer
en vous apprenant que c'eft ici le féjour
de la fidélité. Les amans y font en titre
, & n'y font jamais en charge ; les femmes
y font fages , avec l'apparence du dérangement
, & les maris n'y ont que l'air
de la fottife. C'eft donc le pays des dupes ,
reprit Azema c'eft fon vrai nom , répartit
le Génie : vifitons en un autre. Il le conduifit
dans une ville voifine , & le préfenta
dans une maifon où il fe raffembloit
18 MERCURE DE FRANCE.
des gens aimables , qui prévenoient ceux
qu'ils ne connoiffoient pas , & qui n'aimoient
que ceux qu'ils eftimoient. Un efprit
liant , des moeurs douces , une ame fimple
& fenfible caracterifoient la maîtreffe
de cette maifon. Elle étoit amoureuſe fans
ceffer un feul inftant d'être décente & honnête.
Polie avec fes connoiffances , gaie
avec fa fociété , pleine de confiance , d'égards
& d'attentions pour fon mari , elle
le confultoit moins par befoin quepar refpect
pour elle même ; elle avoit foin de
n'inviter que gens qui lui convinffent autant
qu'à elle ; elle vouloit qu'il fut fûr
quand il lui prenoit envie de rentrer chez
lui , d'y être fêté comme un ami aimable ,
qui arrive fans qu'on s'en foit flaté.
Elle étoit perfuadée avec raifon , que le
peu de cas qu'on fait d'un mari n'eft ja
mais qu'aux dépens de fa femme , & qu'on
ne doit fa confidération qu'à celui de qui
l'on tient fon état.
Azema fut enchanté du ton qui regnoit
dans cette maifon ; il y fit connoiffance
avec une veuve qu'il eftima , fans aucun
fentiment plus tendre.
Le Génie le mena dans plufieurs autres
fociétés , dont la premiere étoit l'image. Je
fuis bien fûr , lui dit Azema , que de toutes
ces femmes là il n'y en a pas une qui ne
FEVRIER. 1755. 19
foit fidele à fon mari. Vous vous trompez
, répliqua le Génie , il n'y en a pas une
feule qui n'ait fon affaire arrangée . Il eſt
aifé de rendre un amant heureux fans que
cela prenne fur le bonheur d'un époux ;
il ne s'agit que de refpecter l'opinion . Une
femme étourdie fait plus de tort à fon mari
qu'une femme fenfée & tendre .
Azema tomba dans la méditation , s'en
tira comme d'un profond fommeil , & parla
ainfi Et vous dites , Monfieur , qu'il
faut abfolument me marier. Oui , fans
doute , répondit le Génie , le garçon le plus
aimable , quand il eft vieux , doit fonger
à s'amufer & à fe garantir d'être incommode.
En prenant une femme , il remplit ces
deux objets ; à un certain âge on ne peut
plus joindre le plaifir , mais il y a toujours
des moyens fürs de l'attirer chez foi :
l'homme qui a été le plus recherché dans
fa jeuneffe ne vit qu'un certain tems fur
fa réputation on le fupporte , mais il attrifte
, la gaieté des autres fe trouve enveloppée
dans fes infirmités. Si au contraire
il rient une bonne maiſon , on ſe fait un
devoir d'aller lui rendre des refpects ; & fa
femme , lorfqu'elle eft aimable , devient
un voile couleur de rofe qui couvre ſa
caducité.
Me voilà déterminé , s'écria Azema , je
20 MERCURE DE FRANCE.
veux me marier , & je vais peut - être vous
étonner. Si j'époufe cette Coquette que
j'ai trouvée dans le palais des dupes , elle
me fera fidele , mais on n'en croira rien ,
& pour lors on m'accablera de brocards.
Souvent un mari paffe pour une bête ,
moins parce qu'il manque d'efprit que
parce qu'il joue le rolle d'un fot .
Si je m'unis à cette veuve que j'aiconnue
ici , elle aura un amant , je l'avoue ; mais
cet amant fera un galant homme , qui fera
digne d'être mon ami . Il aura des égards
pour moi , & j'en tirerai peut- être un meilleur
parti que ma femme même.
Tel fut le raifonnement d'Azema . En
conféquence il fe propofa à la veuve , fut
accepté , & l'époufa . Il eut raison.
C
CONTE MORA L.
' Etoit un homme fenfé qu'Azema . Il
ne vouloit point fe marier, parce qu'il
fçavoit qu'on trompe tous les maris , & il
fe maria. On lui propofa deux partis ; l'un
étoit une jeune beauté qu'il aimoit , & qui
lui eût été fidele : l'autre étoit une veuve ,
qui lui étoit indifférente , & qui ne l'étoit
pas pour tout le monde. C'eft ce qu'on lui
fit connoître clairement. Cette derniere
fut l'objet de fon choix , & il eut raiſon .
Ceci a l'air d'un paradoxe , cela va devenir
une démonftration . Irene , mere d'Azema
, fe fentant près de fa derniere heure,
fit venir fon Génie de confiance , & lui tint
ce difcours fenfé : prenez foin , je vous prie ,
de l'éducation d'Azema , appliquez vous
à lui rendre l'efprit jufte , qu'il voye les
chofes comme elles font ; rien n'eft plus
difficile , il eft jeune. Qu'il ait les erreurs de
fon âge , pour en fentir le faux ; qu'il fréquente
les femmes , qu'il ne foit pas méchant
; on doit fe former l'efprit avec leurs
agrémens , excufer leurs défauts , & profiter
de leurs foibleffes.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Lorfqu'il aura vû le monde , & qu'il en
fera dégoûté , qu'il finiffe par fe marier ,
afin d'avoir une maifon qui foit l'afyle
d'une compagnie choifie . Le bonheur d'un
jeune homime, c'eft d'être toujours avec les
autres ; le bonheur d'un homme raiſonnable
, c'eft d'être fouvent avec foi-même.
Il est bien plus doux de recevoir fes amis ,
d'aller voir fes connoiffances . L'amitié
eft la volupté de l'âge mur.
que
Irene expira après avoir dit tant de belles
chofes. Elle n'avoit rien de mieux à
faire. Il y auroit une grande mortalité , fi
l'on ceffoit de vivre lorfqu'on n'a rien de
bon à dire.
Le Génie attendit qu'Azema eut quinze
ans , & lui parla ainſi : on m'a recommandé
de vous rendre prudent.Pour le devenir,
il faut faire des fottifes ; vous ne croiricz
peut- être pas que pour cela on a quelquefois
befoin de confeils ; je préfume cependant
que vous pourrez vous en paffer ; je vous
laiffe jufqu'à ce que vous ne fçachiez plus
quel parti prendre ; je ne vous abandonne
pas pour long-tems. Azema fe confondit
en remercimens fort plats , fort mal tournés.
Je ne vous ai pas recommandé , interrompit
le Génie , de dire des fottifes ,
mais d'en faire. Agiffez toujours , & toutes
les fois que vous voudrez parler , ayez
l'attention de vous taire.
FEVRIER. 1755 I[ .
par
Après ces mots il difparut. Azema , livré
à lui- même , voulut fe donner l'air de
refléchir aux fautes qu'il commettroit
préférence ; on ne peut les choifir qu'en
les connoiffant , & ce font de ces connoiffances
qui ne s'acquierent qu'en chemin
faifant. D'ailleurs un jeune homme
avantageux ne fait des fottifes qu'en cherchant
à s'en garantir . Il avoit une préfomption
qui promettoit beaucoup ; un
air capable eft prefque toujours l'étiquette
du contraire . Son début fut brillant ; il
étoit d'une ancienne nobleffe , fans pouvoir
cependant dire un homme de ma maifon.
Il ne diftingua pas cette nuance , il
dédaigna les vertus fimples & obfcures d'un
bon Gentilhomme , & préféra les vices
éclatans d'un grand Seigneur. Il eut un
équipage de chiens courans , grand nombre
de chevaux , plufieurs carroffes , des
coureurs , trois cuifiniers , beaucoup de
maîtreffes , & point d'amis. Il paffoit fa
vie à tâcher de s'amufer ; mais fes occupations
n'étoient que le réfultat de fon defoeuvrement.
Le fonds de fon bien s'évanouit en peu
de tems ; il éprouva qu'un homme de
condition né riche ne fait jamais qu'un
homme de qualité fort pauvre. Il fe trouva
ruinéfans avoir feulement effleuré le plai-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
fir , & vit trop tard que le bonheur s'obtient
& ne s'achete point.
Preffé par fes créanciers , trompé par fes
maîtreffes , délaiffé par fes parafites , il
s'écria , au deſeſpoir ! je ne fçais plus que
faire. Il entendit une voix aërienne , qui
prononça ces mots : Gagne bien des fontanges.
Voilà une jolie reffource , dit Azema ,
je n'aurois pas cru que pour rétablir mes
affaires , il fallût m'adreffer à Mlle Duchapt
. L'abfurdité de ce confeil le plongea
dans la rêverie . Il marcha long-tems fans
s'en appercevoir ; la nuit le furprit. Il fe
trouva dans un bois . Il fuivit une route ;
cette route le conduifit à un palais . Il fe préfenta
à la grille. Elle étoit gardée par un
Suiffe qui avoit un baudrier tout garni de
pompons ; & quoique Suiffe il portoit fous
ce baudrier une crevée de fontanges . Cet
ajuſtement en impofa à Azema . Monfieur ,
lui dit- il , j'ai fans doute l'honneur de parler
au Génie du fiécle . Mon ami , lui répartit
le Suiffe , vous ne vous connoiffez
pas en Génies ; j'appartiens à la Fée aux
Fontanges . Ah ! voilà ma femme , reprit
vivement Azema. Il s'agit de fçavoir fi
vous ferez fon homme , répondit froide-,
ment le Suiffe : je vais vous remettre entre
les mains de fon Ecuyer. L'Ecuyer le re-.
garda fans dire un mot , l'examina trèsFEVRIER
. 1755. 13
férieufement , & ne proféra que ces paroles
, il faut voir , prenons l'aune de Madame.
Il alla chercher une grande canne ,
mefura Azema , & dit d'un ton de protection
cela fe peut . Alors il le quitta , revint
un inſtant après , introduifit Azema
dans un appartement fuperbe , & l'y laiſſa ,
en lui repétant : Gagnez bien des fontanges .
Il fut un bon quart d'heure fans croire
qu'il fût avec quelqu'un . Il entendit enfuite
une voix grêle , qui crioit du fond d'un
grand lit ,Roufcha , Roufcha . Cette Roufcha
parut en difant , que plaît- il à Madame ?
Cet étranger , répondit la Fée. Tirez mes
rideaux ; eh mais vraiment , pourfuivit- elle,
ce jeune homme eft affez bien . Retirezvous
, Roufcha , j'ai des confeils à lui demander.
Roufcha fe retira en difant à Azema :
Gagnez bien desfontanges . Azemia , en voyant
la Fée fur fon féant , fut pénétré de refpect
, & demeura immobile. Jeune homme,
approchez -vous donc , dit la Fée : le jeune
homme recula. Qu'eſt - ce que c'eſt donc
continue la Fée , que ce petit garçon là qui
eft timide , & qui ne fait point de cas duruban
? En achevant cette phrafe , elle étala
aux yeux d'Azema un couvre-pied brodé
de fontanges , qui étoient faites de diamans.
Ah , Madame , s'écria-t- il , le beau
14 MERCURE DE FRANCE.
couvre-pied ! Eft- il de votre goût , dit la
Fée ? penfez - vous qu'il vous tiendroit
chaud Je ne demande pas mieux que de
vous le céder ; mais vous ne pouvez l'avoir
qu'en détail . J'en détacherai une fontange
à chaque trait d'efprit de votre part. Comment
, reprit vivement Azema , il ne faut
que de cela ? je vais vous enlever toutes
vos fontanges : je puis vous affurer , répartit
la Fée , que je ne les regretterai pas.
Il eft vrai , pourfuivit - elle , que je fais
difficile .
que
On fervit le fouper à côté du lit de la
Fée. Azema fe roua pour avoir de l'efprit.
Epigrammes , jeux de mots , méchancetés ,
chofes libres , anecdotes, rien ne fut oublié,
& rien ne prit ; il avança même que Nicomede
étoit une tragédie héroï- comique , fans
la Fée fe mît en devoir de lui donner
la plus petite fontange. Elle mangeoit
beaucoup , & ne difoit pas un mot . Elle fit
deffervir , & dit à Azema , mon cher enfant
, eft ce là ce qu'on appelle de l'efprit
dans le monde ? Oui , Madame , répondit
Azema : eh bien , reprit la Fée , mes fontanges
ne feront pas pour vous . Azema lui
propofa de les jouer au trictrac ; la Fée y
confentit. Il joua d'un fi grand bonheur ,
qu'il en gagna beaucoup rapidement , tant
il est vrai qu'on fait plutôt fortune
par le
FEVRIER . 1755. 15
jeu que par l'efprit : mais tout à coup la
chance tourna , il alloit tout reperdre. La
Fée en eut pitié , & lui dit , demeurons- en
là ; j'attens ce foir quelqu'un dont le bonheur
eft moins rapide , mais plus foutenu .
Croyez-moi , quittez ce Palais ; tirez parti
de vos fontanges , & ne les perdez pas
fur-tout comme vous les avez gagnées.
Azema profita de l'avis , vendit fes pierreries
, retira fes terres , reparut dans le
monde , & fe mit en bonne compagnie .
On a beau la tourner en ridicule , ce n'eft
que là qu'on apprend à penfer . Il eut même
le bonheur d'y devenir amoureux d'une
femme raifonnable. Dès cet inftant il
abjura tous fes faux airs ; il tâcha de mettre
à leur place des perfections . Il vit que
pour triompher d'elle , il falloit l'attendrir
& non pas la réduire ; l'un eft plus difficile
que l'autre. Une femme fenfée eft toujours
en garde contre la féduction , il n'y a que
l'eftime dont elle ne fe défie pas : elle s'abandonne
au charme de fon impreffion ,
fans en prévoir les conféquences , & fouvent
fe livre à l'amour en croyant ne fuivre
que la raifon.
Voilà ce qui fait les vraies paffions. La
volupté naît du principe qui les a fait naî
tre , & le plaifir de voir qu'on ne s'eft
trompé , garantit toujours leur durée.
pas
16 MERCURE DE FRANCE.
propo-
Azema , dans fon yvreffe , defiroit que
l'Hymen l'unît à un objet fi eftimable ;
mais il eut affez de fentiment pour n'en
rien faire . On ne doit point fonger au mariage
par refpect pour l'amour ; l'autorité
de l'un découvre trop les myfteres de l'autre
Sa maîtreffe en étoit fi perfuadée ,
qu'elle fut la premiere un jour à lui
fer plufieurs partis. Elle lui fit envifager
qu'à un certain âge il eft de la décence
de fe marier , pourvû que l'on ne foit
point amoureux de fa femme. Il étoit fenfé
, mais il étoit peureux . Effrayé de l'ennui
qui affiége un vieux garçon & des
dangers que court un vieux mari , il s'écria
, ô mon Génie tutélaire , m'abandonnerez-
vous ! Le Génie parur , & lui dit :
que me veux - tu ? Me marierai - je , reprit
Azema ? Sans doute , répondit le
Génie. Oui ; mais , pourfuivit l'autre en
tremblant , ferai - je ? ..... Suis moi , interrompit
le Génie , je vais voir fitu fçais
prendre ton parti . Dans l'inftant il le tranfporta
dans un palais rempli des plus jolies
femmes.
La vivacité de leur efprit augmentoit
encore celle de leur beauté : elles ne parloient
point d'amour en foupirant , elles
ne prononçoient fon nom qu'en riant. La
Gaieté étoit toujours occupée à recevoir
FEVRIER. 1755. 17
des fleurs de leurs mains pour en former
les chaînes de leurs amans. Quoique mariées
, elles avoient l'air content ; mais les
maris n'avoient pas le même uniforme ; ils
faifoient aller la maifon , & n'y paroiffoient
point : on prioit en leur nom , mais on n'y
juroit pas ; & lorfque par hazard ils vouloient
fe mettre de quelque fouper , ils y
faifoient la figure la plus trifte ; ils étoient
environnés des ris , & paroiffoient avoir
toujours envie de pleurer. Ils reffembloient
à ces efclaves Chinois , qui portent des
tymbales fur leurs épaules , & fur leſquelles
on bat la marche du plaifir , fans les y
faire participer. Azema trouva ce lieu fort
amufant. Il y eut même une Coquette qui
l'auroit époufé , pour en faire un repréfentant.
Il demanda du tems , & confulta le
Génie . Je vois ce que vous craignez , lui
dit fon protecteur , & je dois vous raffurer
en vous apprenant que c'eft ici le féjour
de la fidélité. Les amans y font en titre
, & n'y font jamais en charge ; les femmes
y font fages , avec l'apparence du dérangement
, & les maris n'y ont que l'air
de la fottife. C'eft donc le pays des dupes ,
reprit Azema c'eft fon vrai nom , répartit
le Génie : vifitons en un autre. Il le conduifit
dans une ville voifine , & le préfenta
dans une maifon où il fe raffembloit
18 MERCURE DE FRANCE.
des gens aimables , qui prévenoient ceux
qu'ils ne connoiffoient pas , & qui n'aimoient
que ceux qu'ils eftimoient. Un efprit
liant , des moeurs douces , une ame fimple
& fenfible caracterifoient la maîtreffe
de cette maifon. Elle étoit amoureuſe fans
ceffer un feul inftant d'être décente & honnête.
Polie avec fes connoiffances , gaie
avec fa fociété , pleine de confiance , d'égards
& d'attentions pour fon mari , elle
le confultoit moins par befoin quepar refpect
pour elle même ; elle avoit foin de
n'inviter que gens qui lui convinffent autant
qu'à elle ; elle vouloit qu'il fut fûr
quand il lui prenoit envie de rentrer chez
lui , d'y être fêté comme un ami aimable ,
qui arrive fans qu'on s'en foit flaté.
Elle étoit perfuadée avec raifon , que le
peu de cas qu'on fait d'un mari n'eft ja
mais qu'aux dépens de fa femme , & qu'on
ne doit fa confidération qu'à celui de qui
l'on tient fon état.
Azema fut enchanté du ton qui regnoit
dans cette maifon ; il y fit connoiffance
avec une veuve qu'il eftima , fans aucun
fentiment plus tendre.
Le Génie le mena dans plufieurs autres
fociétés , dont la premiere étoit l'image. Je
fuis bien fûr , lui dit Azema , que de toutes
ces femmes là il n'y en a pas une qui ne
FEVRIER. 1755. 19
foit fidele à fon mari. Vous vous trompez
, répliqua le Génie , il n'y en a pas une
feule qui n'ait fon affaire arrangée . Il eſt
aifé de rendre un amant heureux fans que
cela prenne fur le bonheur d'un époux ;
il ne s'agit que de refpecter l'opinion . Une
femme étourdie fait plus de tort à fon mari
qu'une femme fenfée & tendre .
Azema tomba dans la méditation , s'en
tira comme d'un profond fommeil , & parla
ainfi Et vous dites , Monfieur , qu'il
faut abfolument me marier. Oui , fans
doute , répondit le Génie , le garçon le plus
aimable , quand il eft vieux , doit fonger
à s'amufer & à fe garantir d'être incommode.
En prenant une femme , il remplit ces
deux objets ; à un certain âge on ne peut
plus joindre le plaifir , mais il y a toujours
des moyens fürs de l'attirer chez foi :
l'homme qui a été le plus recherché dans
fa jeuneffe ne vit qu'un certain tems fur
fa réputation on le fupporte , mais il attrifte
, la gaieté des autres fe trouve enveloppée
dans fes infirmités. Si au contraire
il rient une bonne maiſon , on ſe fait un
devoir d'aller lui rendre des refpects ; & fa
femme , lorfqu'elle eft aimable , devient
un voile couleur de rofe qui couvre ſa
caducité.
Me voilà déterminé , s'écria Azema , je
20 MERCURE DE FRANCE.
veux me marier , & je vais peut - être vous
étonner. Si j'époufe cette Coquette que
j'ai trouvée dans le palais des dupes , elle
me fera fidele , mais on n'en croira rien ,
& pour lors on m'accablera de brocards.
Souvent un mari paffe pour une bête ,
moins parce qu'il manque d'efprit que
parce qu'il joue le rolle d'un fot .
Si je m'unis à cette veuve que j'aiconnue
ici , elle aura un amant , je l'avoue ; mais
cet amant fera un galant homme , qui fera
digne d'être mon ami . Il aura des égards
pour moi , & j'en tirerai peut- être un meilleur
parti que ma femme même.
Tel fut le raifonnement d'Azema . En
conféquence il fe propofa à la veuve , fut
accepté , & l'époufa . Il eut raison.
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Résumé : IL EUT RAISON. CONTE MORAL.
Le texte relate les choix matrimoniaux de deux hommes, Mora L. et Azema. Mora L., initialement réticent au mariage par peur de l'infidélité, finit par épouser une veuve indifférente plutôt qu'une jeune beauté fidèle, une décision jugée sage. Avant de mourir, la mère d'Azema, Irene, charge un Génie de veiller à l'éducation de son fils. Elle lui recommande de fréquenter les femmes, de se former l'esprit avec leurs agréments et de se marier après avoir vu le monde. Azema, laissé à lui-même, commet des erreurs en cherchant à éviter les sottises. Il dilapide sa fortune et se retrouve ruiné. Un Génie lui conseille de 'gagner bien des fontanges'. Azema rencontre la Fée aux Fontanges, qui lui propose de gagner des diamants en échange de traits d'esprit. Après plusieurs échecs, il réussit finalement au trictrac et reçoit des conseils pour quitter le palais et se mettre en bonne compagnie. Azema tombe amoureux d'une femme raisonnable et abandonne ses faux airs. Il réfléchit sur le mariage et consulte à nouveau le Génie. Ce dernier lui montre deux types de mariages : l'un où les femmes sont gaies mais les maris tristes, et l'autre où les femmes sont aimables et respectueuses de leurs maris. Azema préfère le second modèle et choisit d'épouser une veuve estimable, malgré la peur de l'ennui et des dangers du mariage. Le Génie le rassure en lui montrant que la fidélité et le respect mutuel sont possibles. Azema décide de se marier pour atteindre deux objectifs : le plaisir et l'attrait social. Avec l'âge, le plaisir peut disparaître, mais les moyens d'attirer les gens chez soi restent. Un homme autrefois populaire peut voir sa réputation décliner et devenir un fardeau pour les autres. Cependant, si l'homme possède une bonne maison, les gens se sentent obligés de lui rendre visite par respect, et une femme aimable peut masquer sa vieillesse. Azema envisage deux options : une coquette ou une veuve. Il craint que la coquette ne soit fidèle mais que cela ne soit pas cru, ce qui le ferait passer pour un sot. En revanche, il pense que la veuve aura un amant, mais cet amant sera un galant homme et pourrait même devenir son ami, lui montrant plus de respect que sa femme. Azema choisit donc de se marier avec la veuve, qui accepte sa proposition, une décision jugée judicieuse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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