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p. 5-6
L'EMBARRAS DES RICHESSES, CANTATILLE.
Début :
Nous possedons, Dieux de la terre ! [...]
Mots clefs :
Bonheur, Richesse, Embarras
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texteReconnaissance textuelle : L'EMBARRAS DES RICHESSES, CANTATILLE.
L'EMBARRAS DES RICHESSES,
CANTA TILL E.
Nous poffedons , Dieux de la rerre !
Vous , les tréfors , moi , les plaifirs :
A l'abondance je préfere
L'attente qui naît des défirs.
Plus vous nagez dans la richeffe ,
Moins vous goûtez la volupté
Vous êtes plongés dans l'yvreffe ,
J'en ai la pointe & la gaieté,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
De loin votre bonheur nous féduit, nous étonne ;
Il difparoît de près ; fitôt qu'on peut vous voir
L'ennui vous fuit partout , l'effroi vous environne:
Semblables à la feuille à la fin de l'Automne ,
Du faîte des grandeurs un vent vous fait décheoir :
Mon partage eft plus doux ; quand Iris me cou-
Des fleurs
ronne
que dans nos prés fans choix fa main
moiffonne ,
Je fuis Roi le matin , fûr de l'être le foir.
Au bord d'un ruiffeau qui murmure ,
J'éprouve un tranquille fommeil.
Je ne crains point qu'à mon réveil
Contre moi s'arme la nature.
D'elle & d'Iris je fuis la loi ,
Sur leurs dons mon bonheur fe fonde :
Le foleil luit pour tout le monde ,
Mon Iris ne vit que pour moi .
CANTA TILL E.
Nous poffedons , Dieux de la rerre !
Vous , les tréfors , moi , les plaifirs :
A l'abondance je préfere
L'attente qui naît des défirs.
Plus vous nagez dans la richeffe ,
Moins vous goûtez la volupté
Vous êtes plongés dans l'yvreffe ,
J'en ai la pointe & la gaieté,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
De loin votre bonheur nous féduit, nous étonne ;
Il difparoît de près ; fitôt qu'on peut vous voir
L'ennui vous fuit partout , l'effroi vous environne:
Semblables à la feuille à la fin de l'Automne ,
Du faîte des grandeurs un vent vous fait décheoir :
Mon partage eft plus doux ; quand Iris me cou-
Des fleurs
ronne
que dans nos prés fans choix fa main
moiffonne ,
Je fuis Roi le matin , fûr de l'être le foir.
Au bord d'un ruiffeau qui murmure ,
J'éprouve un tranquille fommeil.
Je ne crains point qu'à mon réveil
Contre moi s'arme la nature.
D'elle & d'Iris je fuis la loi ,
Sur leurs dons mon bonheur fe fonde :
Le foleil luit pour tout le monde ,
Mon Iris ne vit que pour moi .
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Résumé : L'EMBARRAS DES RICHESSES, CANTATILLE.
Le poème 'L'EMBARRAS DES RICHESSES' de Cantat Till E. met en lumière la contradiction entre l'abondance matérielle et le bonheur véritable. Le poète exprime une préférence pour l'attente des désirs plutôt que pour l'abondance, estimant que la richesse excessive empêche de savourer la volupté. Les riches, malgré leur ivresse, ne connaissent pas la véritable gaieté. Leur bonheur, admiré de loin, se transforme en ennui et en peur de près. Ils sont comparés à une feuille d'automne, délogée par le vent des grandeurs. En contraste, le poète se réjouit de sa condition plus douce, se comparant à un roi le matin et à un simple mortel le soir. Il trouve un sommeil tranquille au bord d'un ruisseau murmurant. Il ne craint ni la nature ni Iris, car son bonheur repose sur leurs dons. Le soleil luit pour tous, mais son Iris ne vit que pour lui.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 6-9
FABLE A un Ami qui veut se reléguer en Province, & prendre le parti du Couvent. L'ARBRISSEAU.
Début :
Tu vas quitter Paris, cher D***, & le cloître [...]
Mots clefs :
Arbrisseau, Couvent, Bonheur
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texteReconnaissance textuelle : FABLE A un Ami qui veut se reléguer en Province, & prendre le parti du Couvent. L'ARBRISSEAU.
FABLE
A un Ami qui veut fe reléguer en Province ;
prendre le parti du Couvent .
L'AR BRISSE A U.
Tuvas quitter Paris , cher D*** , & le cloftre U
A pour toi des appas que je ne puis connoître à
NOVEMBRE. 1755 7
Oui , pour t'en détourner mes foins font fuperflus.
Mais tu te flattes donc qu'en ton couvent reclus ,
Tu goûteras en paix les douceurs de la vie ;
Qu'un bonheur fans mêlange , exemt de toute
envie ,
Contentera tes voeux , remplira tes deffeins ,
Et fera fur toi feul lever des jours fereins ?
Cependant on le dit : la raifon d'ordinaire
N'habite pas longtems chez la gent folitaire.
Tel qui trop tôt du monde veut fortir ,
Souvent trop tard pourra s'en repentir.
J'avance pour preuve une fable ,
Rends- là pour toi moins applicable.
Un arbriffeau planté par la nature ,
Déja fort , & riche en verdure ,
Voyoit dans un jardin d'autres arbres rangés ,
Elagués avec art , très-bien fymétriſés :
Pourquoi , dit-il , fous les yeux d'un bon maître,
D'être foigné comme eux , n'ai-je pas le bonheur ?
Profiterois-je moins ? que fçait -on è mieux peutêtre.
Hélas ! un tronc touffu , des branches fans honneur
,
De la feve qui m'a fait naître
Vont épuifer tout le meilleur.
En lieu bien clos , à l'abri des tempêtes ,
Sans crainte ils élevent leurs têtes.
Sont-ils trop altérés ; on leur rend la fraîcheur :
Bref, à chaque maladie
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
En tout tems on rémédie.
Pour moi , je languis de maigreur ;
Les faifons , les vents , les chaleurs ,
Cent & cent maux me font à craindre ;
Oui , toujours le pauvre arbre alloit encor fe .....
plaindre ,
Des pores de l'écorce il couloit quelques pleurs :"
Le fort trompa bien ſon attente.
Chemin faifant , le voifin jardinier
Le voit , l'admire , & le tranfplante ,
L'arrofe , comme il faut , l'engraiffe de fumier.
Quinze jours écoulés , notre arbre avoit pris terre,
S'eftimant fort heureux . Il fallut le tailler.
De fes rameaux fourchus il ſe voit dépouiller ;
Et pour le redreffer , on lui livre la guerre :
Bientôt ce n'est plus qu'un tronc nu .
Il avoit defiré de tous fes maux le pire ;
Plein de regret il gémit , il foupire ,
Et maudit un bonheur qu'il n'avoit point connu .
Ami , tu fçais à quoi mon recit fe termine.
Le Monaftere eft ce verger charmant ,
Ou , fous la fage difcipline ,
Un béat vit tranquillement.
Il eft content , dis- tu : certes , je le veux croire ;
Dans fa condition on a mille agrémens.
Mais s'il l'a pris fans choix , la robe blanche ou
noire
Ne change point les fentimens.
Le tendre arbriffeau , c'eft toi- même ;
NOVEMBRE . 1755 .
Tu hais le monde , & tu fuis fes plaifirs :
Le froc te femble un bien fuprême.
Ah ! je t'arrête trop ; cours , vole à tes défirs.
Mais quand fous un dur eſclavage
Tu fentiras enfin gémir ta liberté ;
Quand une obéiffance aveugle & fans partage ,
Condamnera ta moindre volonté ;
Alors ..... mais je veux taire un trifte & vain préfage
;
Suis ta vocation : c'eft l'avis le plus fage.
Si Dieu te parle , il veut être écouté ;
Mais il ne parle pas , s'il n'eft bien confulté.
L'Abbé BOUCHE .
A un Ami qui veut fe reléguer en Province ;
prendre le parti du Couvent .
L'AR BRISSE A U.
Tuvas quitter Paris , cher D*** , & le cloftre U
A pour toi des appas que je ne puis connoître à
NOVEMBRE. 1755 7
Oui , pour t'en détourner mes foins font fuperflus.
Mais tu te flattes donc qu'en ton couvent reclus ,
Tu goûteras en paix les douceurs de la vie ;
Qu'un bonheur fans mêlange , exemt de toute
envie ,
Contentera tes voeux , remplira tes deffeins ,
Et fera fur toi feul lever des jours fereins ?
Cependant on le dit : la raifon d'ordinaire
N'habite pas longtems chez la gent folitaire.
Tel qui trop tôt du monde veut fortir ,
Souvent trop tard pourra s'en repentir.
J'avance pour preuve une fable ,
Rends- là pour toi moins applicable.
Un arbriffeau planté par la nature ,
Déja fort , & riche en verdure ,
Voyoit dans un jardin d'autres arbres rangés ,
Elagués avec art , très-bien fymétriſés :
Pourquoi , dit-il , fous les yeux d'un bon maître,
D'être foigné comme eux , n'ai-je pas le bonheur ?
Profiterois-je moins ? que fçait -on è mieux peutêtre.
Hélas ! un tronc touffu , des branches fans honneur
,
De la feve qui m'a fait naître
Vont épuifer tout le meilleur.
En lieu bien clos , à l'abri des tempêtes ,
Sans crainte ils élevent leurs têtes.
Sont-ils trop altérés ; on leur rend la fraîcheur :
Bref, à chaque maladie
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
En tout tems on rémédie.
Pour moi , je languis de maigreur ;
Les faifons , les vents , les chaleurs ,
Cent & cent maux me font à craindre ;
Oui , toujours le pauvre arbre alloit encor fe .....
plaindre ,
Des pores de l'écorce il couloit quelques pleurs :"
Le fort trompa bien ſon attente.
Chemin faifant , le voifin jardinier
Le voit , l'admire , & le tranfplante ,
L'arrofe , comme il faut , l'engraiffe de fumier.
Quinze jours écoulés , notre arbre avoit pris terre,
S'eftimant fort heureux . Il fallut le tailler.
De fes rameaux fourchus il ſe voit dépouiller ;
Et pour le redreffer , on lui livre la guerre :
Bientôt ce n'est plus qu'un tronc nu .
Il avoit defiré de tous fes maux le pire ;
Plein de regret il gémit , il foupire ,
Et maudit un bonheur qu'il n'avoit point connu .
Ami , tu fçais à quoi mon recit fe termine.
Le Monaftere eft ce verger charmant ,
Ou , fous la fage difcipline ,
Un béat vit tranquillement.
Il eft content , dis- tu : certes , je le veux croire ;
Dans fa condition on a mille agrémens.
Mais s'il l'a pris fans choix , la robe blanche ou
noire
Ne change point les fentimens.
Le tendre arbriffeau , c'eft toi- même ;
NOVEMBRE . 1755 .
Tu hais le monde , & tu fuis fes plaifirs :
Le froc te femble un bien fuprême.
Ah ! je t'arrête trop ; cours , vole à tes défirs.
Mais quand fous un dur eſclavage
Tu fentiras enfin gémir ta liberté ;
Quand une obéiffance aveugle & fans partage ,
Condamnera ta moindre volonté ;
Alors ..... mais je veux taire un trifte & vain préfage
;
Suis ta vocation : c'eft l'avis le plus fage.
Si Dieu te parle , il veut être écouté ;
Mais il ne parle pas , s'il n'eft bien confulté.
L'Abbé BOUCHE .
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Résumé : FABLE A un Ami qui veut se reléguer en Province, & prendre le parti du Couvent. L'ARBRISSEAU.
L'Abbé Bouche adresse une fable à un ami envisageant de quitter Paris pour entrer dans un couvent. Il utilise l'allégorie d'un arbrisseau envieux des arbres bien soignés dans un jardin voisin. Cet arbrisseau, après avoir été transplanté et taillé, regrette son sort. L'auteur compare cette situation à celle de son ami, qui pourrait regretter sa décision de rejoindre un couvent. Il souligne que la vie monastique, bien que paisible, ne modifie pas les sentiments et les aspirations d'une personne. L'auteur conseille à son ami de suivre sa véritable vocation, mais de bien réfléchir avant de prendre une telle décision.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 9-40
LES CHARMES DU CARACTERE. HISTOIRE VRAISEMBLABLE. SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE. Par Mademoiselle Plisson, de Chartres.
Début :
Montvilliers (c'est ainsi que s'appelle le Philosophe que voici) est riche [...]
Mots clefs :
Coeur, Homme, Esprit, Père, Ami, Amitié, Philosophe, Sentiment, Larmes, Âme, Tendresse, Amour, Raison, Réflexions, Naissance, Mère, Lettres, Douceur, Peine, Passion, Promenade, Promenade de province
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texteReconnaissance textuelle : LES CHARMES DU CARACTERE. HISTOIRE VRAISEMBLABLE. SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE. Par Mademoiselle Plisson, de Chartres.
LES CHARMES DU CARACTERE.
HISTOIRE VRAISEMBLABLE.
SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE.
Par Mademoiselle Pliffon , de Chartres.
M
Ontvilliers ( c'eft ainſi que s'appelle
le Philofophe que voici ) eft un riche
Gentilhomme
du voifinage , le plus heureux
& le plus digne de l'être . Un efprit
juſte , cultivé , folide ; une raiſon fupérieure
, éclairée , un coeur noble , généreux
délicat , fenfible ; une humeur douce , bienfaifante
; un extérieur ouvert , font des
qualités naturelles qui le font adorer de
A v
to MERCURE DE FRANCE.
tous ceux qui le connoiffent. Tranquille
poffeffeur d'un bien confidérable , d'une
époufe digne de lui , d'un ami véritable ,
il fent d'autant mieux les agrémens de fa
fituation qu'elle a été précédée des plus
triftes revers.
La perte de fa mere , qui mourut peu
de tems après fa naiffance , a été la premiere
& la fource de toutes fes infortunes
. Son pere , qui fe nommoit Dorneville
, après avoir donné une année à ſa
douleur , ou plutôt à la bienféance , fe
remaria à la fille d'un de fes amis. Elle
étoit aimable , mais peu avantagée de la
fortune. L'unique fruit de ce mariage fut
un fils . Sa naiffance , qui avoit été longtems
défirée , combla de joie les deux époux.
Montvilliers , qui avoit alors quatre à cinq
ans , devint bientôt
indifférent , & peu
après incommode. Il étoit naturellement
doux & timide . Sa belle- mere qui ne cherchoit
qu'à donner à fon pete de l'éloignement
pour lui , fit pailer fa douceur pour
ftupidité. Elle découvroit dans toutes les
actions le germe d'un caractere bas , &
même dangereux. Tantôt elle avoit remarqué
un trait de méchanceté noire, tantôt un
difcours qui prouvoit un mauvais coeur.Elle
avoit un foin particulier de le renvoyer avec
les domeftiques. Un d'eux à qui il fit pitié
NOVEMBRE. 1755 . 11
lui apprit à lire & à écrire affez paffablement.
Mais le pauvre garçon fut chaffé
pour avoir ofé dire que Montvilliers n'étoit
pas fi ftupide qu'on vouloit le faire
croire , & qu'il apprenoit fort bien tout
ce qu'on vouloit lui montrer.
*
Saraifon qui fe développoit , une noble
fierté que la naiffance inſpire , lui rendirent
bientôt infupportables les mépris
des valets qui vouloient plaire à Madame
Dorneville. La maifon paternelle lui
devint odieufe. Il paffoit les jours entiers
dans les bois , livré à la mélancolie & au
découragement. Accoutumé dès fa plust
tendre jeuneffe à fe regarder comme un
objet à charge , il fe haïffoit prefqu'autant
que le faifoit fa belle-mere. Tous fes fouhaits
ſe bornoient au fimple néceffaire . 11
ne défiroit que les moyens de couler une
vie paifible dans quelque lieu folitaire , &
loin du commerce des hommes dont il fe
croyoit incapable.
Ce fut ainfi que ce malheureux jeune
homme pafla les quinze premieres années
de fa vie , lorfqu'un jour , il fut rencontré
dans le bois où il avoit coutume de fe retirer
, par un militaire refpectable , plein de
candeur , de bon fens , & de probité.
Après avoir fervi honorablement fa parrie
pendant vingt-ans , ce digne guerrier s'é
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
toit retiré dans une de fes terres pour vivre.
avec lui -même , & chercher le bonheur ,
qu'il n'avoit pu trouver dans le tumulte
des armes & des paffions. L'étude de fon
propre coeur , la recherche de la fageffe ,
étoient fes occupations ; la phyfique expérimentale
fes amuſemens ; & le foulagement
des misérables fes plaifirs.
M. de Madinville ( c'eft le nom du militaire
devenu philofophe ) après avoir confidéré
quelque tems Montvilliers qui pleuroit
, s'avança vers lui , & le pria avec
beaucoup de douceur de lui apprendre le
fujet de fon affliction , en l'affurant que
s'il pouvoit le foulager , il le feroit de tout
fon coeur.
Le jeune homme qui croyoit être feul
fut effrayé de voir quelqu'un fi près de lui.
Son premier mouvement fut de fuir. Mais
M. de Madinville le retint & le preffa
encore plus fort de l'inftruire de la caufe
de fes larmes. Mes malheurs font fans remede
, répondit enfin Montvilliers : je
fuis un enfant difgracié de la nature ; elle
m'a refufé ce qu'elle accorde à tous les
autres hommes . Eh ! que vous a - t- elle refufé
, reprit l'officier , d'un air plein de bonté
? loin de vous plaindre d'elle , je ne vois
en vous que des fujets de la louer . Quoi ,
Monfieur , repartit le jeune homme avec
NOVEMBRE . 1755. 13
naïveté , ne voyez - vous pas que je manque
abfolument d'efprit ? mon air ... ma
figure , mes façons ... tout en moi ne vous
l'annonce- t- il pas ? Je vous affure , répondit
le Philofophe , que votre figure n'a rien
que de fort agréable . Mais , mon ami , qui
êtes-vous , & comment avez - vous été élevé
? Montvilliers lui fit le récit que je viens
de vous faire. J'ai entendu parler de vous
& de votre prétendue imbécillité , lui dit
alors le militaire , mais vous avez de l'intelligence
, & vous me paroiffez être d'un
fort bon caractere . Je veux cultiver ces qualités
naturelles , vous confoler , en un mot
vous rendre fervice . Je ne demeure qu'à
une lieue d'ici ; fi vous ne connoiffez pas
Madinville , vous n'aurez qu'à le demander,
tout le monde vous l'enfeignera .
Il faut avoir été auffi abandonné que
l'étoit Montvilliers , pour concevoir tout le
plaifir que lui fit cette rencontre. Il fe leva
le lendemain dès que le jour parut , & ne
pouvant commander à fon impatience , il
vole vers le feul homme qu'il eût jamais
trouvé fenfible à fes maux. Il le trouva occupé
à confidérer les beautés d'un parterre
enrichi de fleurs , dont la variété & le parfum
fatisfaifoient également la vue &
l'odorat. M. de Madinville fut charmé de
l'empreffement de Montvilliers , converfa
14 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup avec lui , fut content de fa pénétration
, & de fa docilité , & lui fit promettre
qu'il viendroit dîner chez lui deux
fois la femaine.
::
Je n'entreprendrai point , continua la
Silphide , de vous répéter tous les fages
difcours que notre philofophe tint à ce
jeune homme il lui fit connoître que
pour être heureux , trois chofes font néceffaires
; régler fon imagination , modérer
fes paffions , & cultiver fes goûts. Que
la paix de l'ame & la liberté d'efprit répandent
un vernis agréable fur tous les objets
qui nous environnent. Que la vertu
favorite du véritable philofophe , eft une
bienveillance univerfelle pour fes femblables
, un fentiment de tendreſſe & de compaffion
, qui parle continuellement en leur
faveur , & qui nous preffe de leur faire du
bien. Que cette aimable vertu eft la fource
des vrais plaifirs. Qu'on trouve en l'exerçant
, cette volupté fpirituelle , dont les
coeurs généreux & fenfibles fçavent feuls
connoître le prix . Montvilliers comprit fort
bien toutes ces vérités. Il fit plus , il les aima.
Son efprit femblable à une fleur que les
froids aquilons ont tenu longtems fermée
& qu'un rayon de foleil fait épanouir , fe
développa. Les fentimens vertueux que la
nature avoit mis dans fon coeur généreux ,
NOVEMBRE. 1755 .
promirent une abondante moiffon .
Le changement qui s'étoit fait en lui ,
vint bientôt aux oreilles de fon pere . Il
voulut en juger par lui - même. Accoutumé
à le craindre , Montvilliers répondit à
fes queſtions d'un air timide & embarraſſé.
Sa belle-mere toujours attentive à le deffervir
, fit paffer fon embarras pour aver
fion & M. Dorneville le crut d'autant plus
facilement , qu'il ne lui avoit pas donné
fujet de l'aimer. Il fe contenta de le traiter
avec un peu plus d'égards , mais fans ces
manieres ouvertes que produifent l'amitié
& la confiance . Sa belle- mere changea auffi
de conduite ; elle le combla de politeffes extérieures
, comme fi elle eût voulu réparer
par ces marques de confidération le mépris
qu'elle avoit fait de lui jufqu'alors. Mais,
au fond elle ne pouvoit penfer fans un extrême
chagrin, qu'étant l'aîné, il devoit hériter
de la plus confidérable partie des biens
de M. Dorneville , tandis que fon cher fils,
l'unique objet de fes complaifances , ne
feroit jamais qu'un gentilhomme malaiſé.
Cinq ou fix ans fe pafferent de cette forte.
Montvilliers qui recevoit tous les jours
de nouvelles preuves de la tendreffe de M.
de Madinville , ne mettoit point de bornes
àfa reconnoillance. Ce fentiment accompa
gné de l'amitié est toujours fuivi du plaifir.
Ce jeune homme n'en trouvoit point de
16 MERCURE DE FRANCE.
de plus grand que de donner des marques
fa fenfibilite à fon bienfaicteur.Tranquille
en apparence , il ne l'étoit cependant pas
dans la réalité. Son coeur , exceffivement
fenfible , ne pouvoit être rempli par l'amitié
, il lui falloit un fentiment d'une autre
efpece. Il fentoit depuis quelque tems en
lui - même un defir preffant , un vif befoin
d'aimer , qui n'eft pas la moins pénible de
toutes les fituations. L'amour lui demandoit
fon hommage
; mais trop éclairé fur
fes véritables intérêts pour fe livrer à ce
petit tyran fans réferve , il vouloit faire
fes conditions . Il comprit que les qualités
du coeur & de l'efprit , le rapport d'humeur
& de façon de penfer , étoient abfolument
néceffaires pour contracter un
attachement férieux & durable . Son imagination
vive travaillant fur cette idée
lui eut bientôt fabriqué une maîtreffe
imaginaire , qu'il chercha vainement à
réaliſer. Il étudia avec foin toutes les jeunes
perfonnes de R.... Cette étude ne fervit
qu'à lui faire connoître l'impoffibilité
de trouver une perfonne fi parfaite. Cependant
, le croiriez-vous ? il s'attacha à
cette chimere même en la reconnoiffant
pour telle : fon plus grand plaifir étoit de
s'en occuper ; il quittoit fouvent la lecture-
& les converfations les plus folides , pour
s'entretenir avec elle..
NOVEMBRE. 1755 17
Quelque confiance qu'il eût en M. de
Madinville , il n'avoit pas ofé lui faire
l'aveu de ces nouvelles difpofitions . Il connoiffoit
fa maladie ; mais en même tems il
la chériffoit , il lui trouvoit mille charmes,
& ç'auroit été le defobliger que d'en entreprendre
la guérifon . C'eft ce que fon ami
n'auroit pas manqué de faire. Un jour qu'il
fe promenoit feul , en faisant ces réflexions,
M. de Madinville vint l'aborder. J'ai fur
vous , mon cher Montvilliers , lui dit- il ,
après avoir parlé quelque tems de chofes
indifférentes, des vues que j'efpere que vous
approuverez. Rien n'eft comparable à l'a
mitié que j'ai pour vous , mais je veux que
des liens plus étroits nous uniffent. Je n'ai
qu'une niece ; j'ofe dire qu'elle eft digne
de vous par la folidité de fon efprit , la fupériorité
de fa raifon , la douceur de fon
caractere , enfin mille qualités eftimables
dont vous êtes en état de fentir tout le
A prix.
Montvilliers , qui n'avoit jamais entendu
parler que fon ami eût une niece , &
qui ne lui croyoit pas même ni de frere ni
de foeur , fut un peu furpris de ce difcours .
Sa réponſe cependant fut courte , polie &
fatisfaifante. Il lui demanda pourquoi il
ne lui avoit jamais parlé d'une perfonne
qui devoit fi fort l'intéreffer , les raifons
18
MERCURE DE
FRANCE.
qui m'en ont empêché , lui répondit fon
ami , m'obligent encore de vous cacher fon
nom & fa demeure. Mais avant que d'en
venir à
l'accompliffement de ce projet ,
ajouta-t- il , mon deffein eft de vous envoyer
paffer quelque tems à Paris. Avec
beaucoup de bon fens & d'efprit , il vous
manque une certaine politeffe de manieres,
une façon de vous préfenter qui prévient
en faveur d'un honnête homme . Parlez - en
à votre pere. Je me charge de faire la dépenfe
néceffaire pour ce voyage.
Enchanté de ce
nouveau
témoignage
d'affection & de générofité ,
Montvilliers
remercia dans les termes les plus vifs fon
bienfaicteur . Il n'étoit
pourtant pas abfolument
fatisfait de la premiere partie de fon
difcours. Ce choix qu'il
paroiffoit lui faire
d'une épouſe fans fon aveu , lui fembla
tyrannique. Il ne put fouffrir de fe voir
privé de la liberté de chercher une perfonne
qui approchât de fon idée. Il imaginoit
dans cette
recherche mille plaifirs dont il
falloit fe détacher. Son coeur
murmura de
cette
contrainte ; elle lui parut infupportable
mais la raifon prenant enfin le deffus
, condamna ces
mouvemens . Elle lui
repréſenta
combien il étoit flatteur & avantageux
pour lui d'entrer dans la famille
d'un homme à qui il devoit tout , & le fit
NOVEMBRE. 1755. 19
convenir qu'en jugeant de l'avenir par le
paffé , fon bonheur dépendoit de fa docilité
pour les confeils de fon ami.
Ces réflexions le calmerent. Il ne fongea
plus qu'à s'occuper des préparatifs de
fon voyage ; ils ne furent pas longs . Les
quinze premiers jours de fon arrivée dans
la capitale furent employés à vifiter les édifices
publics , & à voir les perfonnes à qui
il étoit recommandé . Il fut à l'Académie
pour apprendre à monter à cheval & à
faire des armes ; il fe }; fit des connoiffances
de plufieurs jeunes gens de confidération ,
qui étoient fes compagnons d'exercices ,
& s'introduifit par leur moyen dans des
cercles diftingués . Avide de tout connoî
tre , de tout voir , il eut bientôt tout épui
fé. Son efprit folide ne s'accommoda pas
de la frivolité qui regne dans ce qu'on
appelle bonne compagnie, 11 fe contenta
dans fes momens de loifir , de fréquenter
les fpectacles , les promenades , & de cultiver
la connoiffance de quelques gens de
lettres que M. de Madinville lui avoit
procurée.
La diverfité & la nouveauté de tous ces
objets n'avoient pu guérir fon coeur. Il
avoir toujours le même goût pour fa maîtreffe
imaginaire , & les promenades folitaires
étoient fon amuſement favori. Un
20 MERCURE DE FRANCE.
jour qu'il fe promenoit dans les Tuilleries
, fa rêverie ne l'empêcha pas de remar .
quer une jeune demoifelle , dont la phifionomie
étoit un agréable mêlange de
douceur , de franchife , de modeftie , &
de raifon. Quel attrait pour Montvilliers !
il ne pouvoit fe laffer de la confidérer. Sa
préfence faifoit paffer jufqu'au fond de
fon coeur une douceur fecrette & inconnue.
Elle fortit de la promenade , il la
fuivit , & la vit monter dans un carroffe
bourgeois avec toute fa compagnie. Alors
fongeant qu'elle alloit lui échapper , il eut
recours à un de ces officieux meffagers dont
le Pont- neuf fourmille : il lui donna ordre
de fuivre ce carroffe , & de venir lui redire
en quel endroit il fe feroit arrêté. Environ
une demi - heure après , le courrier revint
hors d'haleine , & lui apprit que toute cette
compagnie étoit defcendue à une maiſon
de campagne fituée à B.....
. Montvilliers , qui connoiffoit une perfonne
dans ce lieu , fe promit d'y aller dès
le lendemain , efpérant revoir cette demoifelle
, peut-être venir à bout de lui parler ,
ou du moins apprendre qui elle étoit .
Rempli de ce projet , il alloit l'exécuter ,
quand un jeune homme de fes amis entra
dans fa chambre , & lui propofa de l'accompagner
, pour aller voir une de fes paNOVEMBRE.
1755 .
rentes , chez laquelle il y avoit bonne compagnie.
Il chercha d'abord quelque prétexte
pour le défendre , mais quand il eut
appris que cette parente demeuroit à B....
il ne fit plus difficulté de fuivre fon ami.
Il ne s'en repentit pas ; car la premiere perfonne
qu'il apperçut en entrant dans une
fort beile falle , fut cette jeune demoiſelle
qu'il avoit vu la veille aux Tuilleries.
Cette rencontre qui lui parut être d'un
favorable augure , le mit dans une fitua
tion d'efprit délicieufe. On fervit le dîner,
& Montvilliers fit fi bien qu'il fe trouva
placé auprès de celle qui poffédoit déja
toutes les affections. Il n'épargna ni galanteries
, ni politeffes , ni prévenances pour
lui faire connoître la fatisfaction qu'il en
reffentoit ; & il ne tint qu'à elle de reconnoître
dans fes manieres une vivacité qui
ne va point fans paffion. Auffi ne fut- elle
pas la derniere à s'en appercevoir : elle
avoit remarqué fon attention de la veille ,
& fa figure dès ce moment ne lui avoit
déplu . Elle lui apprit qu'elle étoit alors
chez une dame de fes amies , qu'elle devoit
y refter encore quinze jours , qu'elle demeuroit
ordinairement à Paris avec fon
pas
pere & fa mere , qu'elle aimoit beaucoup
la campagne , & qu'elle étoit charmée de
ce que fon pere venoit d'acquérir une terre
22 MERCURE DE FRANCE.
affez confidérable , proche de R.... où ils
comptoient aller bientôt demeurer . Quoi ,
Mademoiſelle , lui dit- il , feroit- il bien poffible
que nous devinffions voifins ? Comment
vous êtes de R ... lui demanda - t- elle à
fon tour ? Je n'en fuis pas directement
répondit- il , mais la demeure de mon pere,
qui s'appelle Dorneville , n'en eft éloignée
que d'une lieue. Eh bien , reprit- elle ,
notre terre eft entre Dorneville & Madinville
; connoiffez - vous le Seigneur de cette
derniere paroiffe ? Grand Dieu ! Si je le
connois , répondit-il avec vivacité , c'eſt
l'homme du monde à qui j'ai le plus d'obligation.
Mademoiſelle d'Arvieux , c'eft ainfi
que s'appelloit cette jeune perfonne , contente
de cette déclaration , ne s'ouvrit
davantage . Cependant le foleil prêt à ſe
coucher , obligea les deux amis de reprendre
la route de Paris . Montvilliers n'avoit
jamais vu de journée paffer avec tant de
rapidité avant que de partir , il demanda
la permiffion de revenir , qu'on lui accorda
fort poliment.
pas
Il ne fut pas plutôt forti d'auprès de
Mlle d'Arvieux , que rentrant en lui - même
, & faiſant réflexion fur tous fes mouvemens
, il fentit qu'il aimoit. Le fouvenir
de ce qu'il avoit promis à fon bienfaicteur
, vint auffi-tôt le troubler . Il fe fit
NOVEMBRE . 1755. 23
des reproches de fon peu de courage ; mais
peut- être je m'allarme mal- à- propos , continua-
t- il en lui -même ; c'eft un caprice ,
un goût paffager que Mlle d'Arvieux m'aidera
elle - même à détruire. Si je pouvois
connoître le fond de fon coeur , fa façon
de penfer , fans doute je cefferois de l'aimer.
Il s'en feroit peut-être dit davantage,
fi fon ami n'avoit interrompu fa revêrie ,
en la lui reprochant. " Tu es furement
» amoureux , lui dit -il d'un ton badin. Je
» t'ai vu un air bien animé auprès de Mlle
» d'Arvieux ; conviens- en de bonne foi.
Il n'eft pas bien difficile d'arracher un fecret
de cette nature. Montvilliers qui connoiffoit
la difcrétion de fon ami , lui
avoua fans beaucoup de peine un fentiment
dont il étoit trop rempli , pour n'avoir
pas befoin d'un confident : mais en
convenant que les charmes de cette Demoifelle
l'avoient touché , il ajouta que
comme il craignoit que le caractere ne répondît
pas aux graces extérieures , il fongeoit
aux moyens de connoître le fond de
fon coeur. Si ce n'eft que cela qui te fait
rêver , lui dit fon ami , il eft aifé de te
fatisfaire . Je connois une perfonne qui eſt
amie particuliere de Mlle d'Arvieux ; je
fçais qu'elles s'écrivent quand elles ne
peuvent le voir , & tu n'ignores pas qu'on
24 MERCURE DE FRANCE.
•
fe peint dans fes lettres fans même le vouloir
& fans croire le faire ; il ne s'agit que
d'avoir celles de Mlle d'Arvieux , & je les
poffede ; c'eſt un larcin que j'ai fait à cette
amie , qui eft auffi la mienne. Les voici ,
je te les confie .
Montvilliers , après avoir remercié fon
ami que fes affaires appelloient ailleurs ,
fe rendit chez lui chargé de ces importan
tes pieces. Il lut plufieurs de ces lettres qui
étoient autant de preuves de la délicateffe
& de la jufteffe d'efprit de Mlle d'Arvieux.
C'étoit un agréable variété de raiſon &
de badinage . Le ftyle en étoit pur , aiſé ,
naturel , fimple , élégant , & toujours convenable
au fujet mais quel plaifir pour
Montvilliers de voir le fentiment regner
dans toutes ces lettres , & de lire dans une
d'elles , qu'un amant pour lui plaire devoit
bien moins chercher à acquerir des
graces que des vertus ; qu'elle lui deman--
doit un fond de droiture inaltérable , un
amour de l'ordre & de l'humanité , une
délicateffe de probité , une folidité du jugement
, une bonté de coeur naturelle , une
élévation de fentimens , un amour éclairé
pour la religion , un humeur douce , indulgente
, bienfaifante.
De pareilles découvertes ne fervirent
point à guérir Montvilliers de fa paflion ..
Toutes
NOVEMBRE . 1755. 23
Toutes les vertus & les qualités que Mlle
d'Arvieux exigeoit d'un amant , étoient directement
les traits qui caracterifoient fa
maîtreffe idéale . Cette conformité d'idée.
l'enchanta. Voilà donc , dit- il avec tranf
port , ce tréfor précieux que je cherchois
fans efpérance de le trouver ; cette perfonne
fi parfaite que je regardois comme une
belle chimere , ouvrage de mon imagination
. Que ne puis - je voler dès ce moment à
Les pieds , lui découvrir mes fentimens , ma
façon de penfer, lui jurer que l'ayant aimée
fans la connoître, je continuerai de l'adorer
toute ma vie avec la plus exacte fidélité .
Huit jours fe pafferent fans que Montvilliers
qui voyoit fouvent fa maîtreffe ,
pût trouver le moyen de l'entretenir en
particulier , quelque défir qu'il en eût :
mais le neuvieme lui fut plus favorable.
Difpenfe - moi , je vous prie , continua la
Silphide , de vous redire les difcours que
ces deux amans fe tinrent ; il vous fuffira
de fçavoir qu'ils furent très - contens l'un
de l'autre , & que cet entretien redoubla
une paffion qui n'étoit déja que trop vive
pour leur repos.
Un jour que Montvilliers conduit par
le plaifir & le fentiment , étoit allé voir .
Mlle d'Arvieux , il fut furpris de trouver
auprès d'elle un homme âgé qu'il ne con- :
B
62: MERCURE DE FRANCE.
noifloit point. Il comprit bientôt aux
difcours qu'on tenoit , que ce vieillard
étoit le pere de fa maîtreffe , & qu'il venoit
dans le deffein de la remmener avec
lui. Ils fe leverent un inftant après pour.
fortir , & notre amant refté feul avec la
maîtreffe du logis , apprit d'elle que M.
d'Arvieux venoit annoncer à fa fille qu'un
jeune homme fort riche , nommé Frien-.
val , l'avoit demandée en mariage ; que ce
parti paroiffoit être du goût du pere.
Montvilliers interdit à cette nouvelle , pria
celle qui la lui apprenoit , de vouloir bien
l'aider de fes confeils. Il faut vous propofer
, lui dit-elle , vous faire connoître.
Hé ! Madame , voudra - t - on m'écouter ,
répondit il? M. d'Arvieux ne m'a jamais
vu ; vous êtes amie de fa femme , rendez-
moi ce fervice . Elle y confentit , &.
lui promit que dès le lendemain elle iroit
demander à dejeûner à Mme d'Arvieux :
Au reste , ajouta- t- elle , vous pouvez être
tranquille du côté de vôtre maîtreffe ;
quand elle feroit capable de vous faire.
une infidélité , ce ne feroit point en faveur
de ce rival , elle le connoît trop bien ;
& pour vous raffurer davantage , je vais
vous rendre fon portrait tel qu'elle me le
faifoit encore hier en nous promenant.
Frienval , continua cette Dame , eft un de
NOVEMBRE 1755. 27
•
ces hommes frivoles dont Paris eft inordé.
Amateur des plaifirs , fans être voluptueux
, efclave de la mode en raillant
ceux qui la fuivent avec trop de régulari
té , il agit au hazard . Ses principes varient
fuivant les occafions , ou plutôt il
n'en a aucun. Auffi fes démarches fontelles
toujours inconféquentes. S'il eft
exempt de vices effentiels , il le doit à fon
tempérament. Futile dans fes goûts , dans
fes recherches , dans fes travaux , fon occupation
journaliere eft de courir les fpectacles
, les caffés , les promenades , & de
fe mêler quelquefois parmi des gens qui
pour mieux trouver le bon ton , ont banni
le bon fens de leurs fociétés . Ses plus
férieufes démarches n'ont d'autre but
qu'un amufement paffager , & fon état
peut s'appeller une enfance continuée . Il
y a fort long- tems qu'il connoît Mlle d'Arvieux
, & qu'il en eft amoureux , comme
tous les gens de fon efpece , c'eft-à- dire
fans fe gêner. Mais loin de le payer d'aucun
retour elle n'a pas daigné faire la
moindre attention à fes galanteries. Trop
occupé pour réfléchir , fa légereté lui a
fauvé mille conféquences peu flateufes ,
qu'il devoit naturellement tirer. Il fe croit
aimé avec la même bonne foi qu'il fe
croit aimable ; fon mérite lui femble une
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
chofe , démontrée , & qu'on ne peut lut
difputer raisonnablement.
Le lendemain fut un jour heureux pour
Montvilliers. Son Ambaffadrice lui rapporta
qu'on vouloit bien fufpendre la conclufion
du mariage propofé , afin de le
connoître , & qu'on lui permettoit de fe
préfenter. Il ne fe le fit pas dire deux fois:
il courut chez M. d'Arvieux qui le reçut
affez bien pour lui faire efperer de l'être
encore mieux dans la fuite. Sa maîtreffe
lui apprit qu'ils partoient dès le lendemain
pour cette terre dont elle lui avoit
parlé ; il promit qu'il les fuivroit de près :
en effet il prit la route de fa patrie deux
jours après leur départ.
Depuis trois semaines que fa paffion
avoit commencé , il en avoit été fi occupé
qu'il avoit oublié d'écrite à M. de Madinville
. Il étoit déja à moitié chemin qu'il
fe demanda comment il alloit excufer auprès
de lui ce retour précipité. Il comprit
alors qu'il lui avoit manqué effentiellement
de plufieurs façons , & que fa conduite
lui méritoit l'odieux titre d'ingrat.
Mais fi ces réflexions lui firent craindre
le moment d'aborder fon bienfaicteur , des
mouvemens de tendreffe & de reconnoiffance
rien ne pouvoit altérer , lui fique
Fr.rent défirer de l'embraffer. Ces différens
1-
NOVEMBRE. 1755. 29
fentimens lui donnerent un air confus ,
embarraffé , mêlé d'attendriffement.
M. de Madinville qui avoit pour lui
l'affection la plus fincere , n'avoit point
fupporté fon abfence fans beaucoup de
peine & d'ennui . Charmé de fon retour
dont il fut inftruit par une autre voie , s'il
avoit fuivi les mouvemens de fon coeur ,
mille careffes auroient été la punition de
la faute que Montvilliers commettoit en
revenant fans lui demander fon agrément;
mais il voulut éprouver fi l'abfence ne
l'avoit point changé, & fi comblé des bienfaits
de l'amour , il feroit fenfible aux pertes
de l'amitié : il fe propofa donc de le
recevoir avec un air férieux & mécontent.
Montvilliers arrive , defcend de cheval ,
vole à la chambre de fon ami , qui en le
voyant joua fort bien la furpriſe . Quoi !
c'est vous , Montvilliers , lui dit - il , en
reculant quelques pas : oferois je vous demander
la caufe de ce prompt retour , &
pourquoi vous ne m'en avez point averti ?
J'efperois cependant que vous me feriez
cette grace.Montvilliers déconcerté par cet- "
te réception ne put répondre une feule
parole. Mais fes yeux interpretes de fon
ame , exprimoient affez fon trouble. M. de
Madinville fans faire femblant de s'en appercevoir
, ajouta : Au refte , je ne fuis
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
pas fâché de vous revoir ; vous avez pré
venu mon deffein ; j'allois vous écrire pour
vous engager à revenir , l'affaire dont je
vous ai parlé avant votre départ eft fort
avancée , il ne manque pour la conclure
que votre confentement. Ma niece fur le
bon témoignage que je lui ai rendu de
votre caractere , vous aime autant & plus
que moi - même. Mais je ne penfe pas ,
continua- t- il , que vous avez beſoin de
repos & de rafraîchiffement ; allez - en
prendre , nous nous expliquerons après.
Pénétré de l'air, froid & fec dont M.
de Madinville l'avoit reçu , qui lui avoit
ôté la liberté de lui témoigner la joie qu'il
avoit de le revoir , Montvilliers avoit befoin
de folitude pour mettre quelque
ordre à fes idées . Il fortit fans trop fçavoir
où il alloit , & s'arrêtant dans ce
bois où il avoit vu fon ami pour la premiere
fois , il fe repréſenta plus vivement
que jamais les obligations qu'il lui avoit.
Son ame , fon coeur , fon efprit , fes qualités
extérieures étoient le fruit de fes
foins ; fon amitié avoit toujours fait les
charmes de fa vie , il falloit y renoncer ,
ou fe réfoudre à ne jamais pofféder Mlle
d'Arvieux quelle cruelle alternative ! Il
falloit pourtant fe décider. Un fort honnête
homme de R .... qu'il avoit vu ſous
NOVEMBRE 1755 . 31
:
vent chez M. de Madinville , interrompit
ces réflexions accablantes . Après les premiers
complimens , il lui demanda ce qui
pouvoit caufer l'agitation où il le voyoit.
Montvilliers ne fit point de difficulté de
lui confier fon embarras . Il lui raconta le
projet de fon ami qu'il lui avoit communiqué
avant fon voyage , la naiffance &
la violence d'une paffion qu'il n'avoit pas
été le maître de ne point prendre , l'impoffibilité
où il fe trouvoit de la vaincre
la crainte exceffive de perdre un ami dont
il connoiffoit tout le prix , & fans lequel
il ne pouvoit efperer d'être heureux .
Ce récit que Montvilliers ne put faire
fans répandre des larmes , attendrit celui
qui l'écoutoit . Votre fituation eft très- embarraffante
; lui dit- il. Pour moi , je nè
vois pas d'autre parti que de déclarer naïvement
à M. de Madinville ce que vous
fouffrez. Il est généreux , il vous aime , &
ne voudra point vous défefperer . Ah !
fongez- vous , répondit- il , que cette déclaration
détruit un projet qui eft devenu
l'objet de fa complaifance ? Faites - vous.
attention qu'il a parlé de moi à fa niece ,
qu'il a fait naître dans fon ame une paffion
innocente ? Non , je n'aurai jamais la
hardieffe de la lui faire moi-même. Hé
bien voulez-vous que je lui en parle ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
demanda fon confident ? Je vais paffer
l'après-midi avec lui ; nous ferons feuls ,
je tâcherai de démêler ce qu'il penſe à votre
fujet .
Montvilliers ayant fait connoître qu'il
lui rendroit un grand fervice , le quitta ,
& prit le chemin qui conduifoit à Dorneville.
Il trouva fon pere en deuil de fa
belle mere ; il le reçut affez bien , & l'engagea
à fouper avec lui , & à occuper fon
ancien appartement.
Son Ambaffadeur eut fa vifite le lendemain
de fort bon matin. Il lui dit qu'il
n'avoit pas tiré de fa commiffion tout le
fruit qu'il en efperoit : que M. de Madinville
lui avoit dit qu'il n'avoit jamais prétendu
contraindre les inclinations de perfonne
au refte , ajouta- t-il , allez- le voir ,
expliquez- vous enfemble.
Montvilliers qui vouloit s'éclaircir à
quelque prix que ce fût , partit auffi -tôt ;
mais plus il approchoit de Madinville &
plus fon courage diminuoit. Il entre cependant
; on lui dit que fon ami étoit à fe
promener. Il va pour le joindre , il l'apperçoit
au bout d'une allée , le falue profondément
, cherche dans fes yeux ce qu'il
doit craindre ou efperer ; mais M. de
Madinville qui le vit , loin de continuer
affecta de , paffer d'un autre côté
NOVEMBRE. 1755. 33
i
pour éviter de le rencontrer.
Ce mouvement étoit plus expreffif
que tous les difcours du monde . Montvilliers
qui comprit ce qu'il vouloit dire ,
fur pénétré de l'affliction la plus vive . Il
fe jetta dans un bofquet voifin où il fe mit
à verfer des larmes ameres. Alors confidérant
ce qu'il avoit perdu , il prit la réfolution
de faire tout fon poffible pour le
recouvrer . M. de Madinville qui fe douta
de l'effet que fon dedain affecté auroit
produit , & qui ne vouloit pas abandonner
long - tems Montvilliers à fon défefpoir ,
vint comme par hafard dans l'endroit où
il étoit pour lui donner occafion de s'expliquer
, & feignit encore de vouloir fe
retirer. Cette nouvelle marque d'indifférence
outrageant la tendreffe de Montvilliers
, il fe leva avec un emportement de
douleur ; arrêtez , Monfieur , lui dit - il
d'une voix altérée : il eft cruel dans l'état
où vous me voyez , de m'accabler par de
nouveaux mépris . Ma préfence vous eft
odieufe ; vous me fuyez avec foin , tandis
que préfé par le fentiment , je vous cherche
pour vous dire que je fuis prêt de tout
facrifier à l'amitié . Oui , ajouta - t- il en
rédoublant fes larmes , difpofez de ma
main , de mes fentimens , de mon coeur ,
& rendez -moi la place que j'occupois dans
le vôtre. By
34 MERCURE DE FRANCE.
M. de Madinville charmé , ceffa de fe
contraindre , & ne craignit plus de laiſſer
voir fa joie & fon attendriffement . Il embraffe
Montvilliers , l'affure qu'il n'a pas
ceffé un inftant de l'aimer ; qu'il étoit
vrai que l'indifférence qu'il fembloit avoir
pour fon alliance , lui avoit fait beaucoup
de peine , parce qu'il la regardoit comme
une marque de la diminution de fon amitié
; que la fienne n'étant point bornée
il vouloit aufli être aimé fans réferve ;
qu'au refte il n'abuferoit point du pouvoir
abfolu qu'il venoit de lui donner fur
fa perfonne ; que la feule chofe qu'il exigeoit
de fa complaifance , étoit de voir
fa niece ; que fi après cette entrevue il
continuoit à penfer de la même façon ,
il pourroit le dire avec franchife , & fuivre
fon penchant.
Il finiffoit à peine de parler , qu'on vint
lui annoncer la vifite de fa niece . Repréfentez
- vous quel fut l'étonnement & la
joie de Montvilliers , lorfqu'entrant dans
une fale où l'on avoit coutume de recevoir
la compagnie , il apperçut Mlle d'Arvieux
qui étoit elle-même la niece de M.
de Madinville.
M. d'Arvieux , frere aîné de cet aimable
Philofophe , étoit un homme haut ,
emporté , violent ; ils avoient eu quelques
NOVEMBRE. 1755 . 35
différends enfemble , & M. de Madinville
fans conferver aucun reffentiment de fes
mauvais procédés , avoit jugé qu'il étoit de
fa prudence d'éviter tout commerce avec
un homme fi peu raifonnable. Comme M.
d'Arvieux étoit forti fort jeune de la province
fans y être revenu depuis , à peine
y connoiffoit - on fon nom ; Montvilliers
n'en avoit jamais entendu parler . Mlle
d'Arvieux avoit eu occafion de voir fon
oncle dans un voyage qu'il avoit fait à Paris
, & depuis ce tems elle entretenoit
avec lui un commerce de lettres à l'infçu
de fon pere. Comme elle fe fentoit du
penchant à aimer Montvilliers , elle fut
bien-aife avant que de s'engager plus avant ,
de demander l'avis de fon oncle , & ce
qu'elle devoit penfer de fon caractere .
L'étude des hommes lui avoit appris combien
il eft difficile de les connoître , & l'étude
d'elle-même combien on doit fe défier
de fes propres lumieres . Elle écrivit
donc dès le même jour , & reçut trois
jours après une réponse qui paffoit fes
efpérances , quoiqu'elles fuffent des plus
Alatteufes. Après lui avoir peint le coeur &
l'efprit de Montvilliers des plus belles couleurs
, M. de Madinville recommanda à
fa niece de continuer à lui faire un myftere
de leur parenté & de leur liaifon , afin
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
de voir comment il fe comporteroit dans
une conjoncture fi délicate .
pe-
Tout le monde fut bientôt d'accord.
On badina fur la fingularité de cette aventure
, & l'on finit par conclure que Montvilliers
demanderoit l'agrément de fon
re. Il y courut auffi- tôt , & l'ayant trouvé
feul dans fon cabinet , il alloit lui déclarer
le fujet de fa vifite : mais M. Dorneville
ne lui en laiſſa pas le loifir. J'ai jugé , lui
dit-il , qu'il étoit tems de vous établir , &
j'ai pour cela jetté les yeux fur Mlle de
F... Vous allez peut- être m'alléguer pour
vous en défendre , ajouta-t - il , je ne ſçais
quelle paffion romanefque que vous avez
prife à Paris pour une certaine perfonne
que je ne connois point . Mais fi vous voulez
que nous vivions bien enſemble , ne
m'en parlez jamais. Ne pourrai -je point ,
Monfieur , dit Montvilliers , fçavoir la
raifon ? .... Je n'ai de compte à rendre
à qui que ce foit , reprit le pere avec emportement
; en un mot , je fçais ce qu'il
vous faut. Mlle d'Arvieux n'eft point votre
fait , & je ne confentirai jamais à cette alliance
faites votre plan là- deffus . Il fortit
en difant ces mots. Montvilliers confterné
refta immobile : il ne pouvoit s'imaginer
pourquoi il paroiffoit avoir tant d'éloignement
pour un mariage convenable , & mêNOVEMBRE.
1755. 37
me avantageux . Sa maîtreffe étoit fille
unique , & M. d'Arvieux du côté de la
fortune & de la nobleffe ne le cédoit point
à M. Dorneville.
Driancourt , frere de Montvilliers , dont
j'ai rapporté la naiffance au commencement
de cette hiftoire , avoit pour lors
dix-huit àdix- neuf ans. Double, artificieux ,
adroit , flateur, il penfoit que le grand art
de vivre dans le monde étoit de faire des
dupes fans jamais le devenir , & de tout
facrifier à fon utilité . Son efprit élevé audeffus
des préjugés vulgaires ne reconnoiffoit
aucunes vertus , & tout ce que les
hommes appellent ainfi n'étoit , felon
lui , que des modifications de l'amourpropre
, qui eft dans le monde moral , ce
qu'eft l'attraction dans le monde phyfique ,
c'eft-à- dire la caufe de tout. Toutes les
actions , difoit - il , font indifférentes ,
puifqu'elles partent du même principe.
Il n'y a pas plus de mal à tromper fon
ami , à nier un dépôt , à inventer une calomnie
, qu'à rendre ſervice à fon voiſin ,
à combattre pour la défenfe de fa patrie ,
à foulager un homme dans fa mifere , ou
à faire toute autre action .
Driancourt avec ce joli fyftême , ne perdoit
point de vue le projet de fe délivrer
de fon frere , dont fa mere lui avoit fait
38 MERCURE DE FRANCE.
le
fentir mille fois la néceffité. Il crut que
moment de l'exécuter étoit arrivé. C'étoit
lui qui avoit inftruit M. Dorneville de la
paffion de Montvilliers pour Mlle d'Arvieux
, & qui en même tems avoit peint
cette Demoiſelle de couleurs peu avantageufes.
Depuis ce moment il ne ceffa de
rapporter à fon pere , dont il avoit toute la
confiance & la tendreffe , mille difcours
peu refpectueux , accompagnés de menaces
qu'il faifoit tenir à Montvilliers : enfin
il tourna fi bien l'efprit de ce vieillard foi
ble & crédule , qu'il le fit déterminer au
plus étrange parti.
L'on parloit beaucoup dans ce tems là
de ces colonies que l'on envoie en Amérique
, & qui fervent à purger l'Etat . Driancourt
ayant obtenu , non pourtant fans
quelque peine , le confentement de fon
pere , part pour D ..... trouve un vaiffeau
prêt à mettre à la voile chargé de plufieurs
miférables qui , fans être affez coupables
pour mériter la mort l'étoient cependant
affez pour faire fouhaiter à la fofociété
d'en être délivrée . Il parle au Capitaine
qui lui promit de le défaire de fon
frere , pourvu qu'il pût le lui livrer dans
deux jours. Il revint en diligence , & dès
la nuit fuivante , quatre hommes entrent
dans la chambre de Montvilliers, qui avoit
NOVEMBRE. 1755 . 39
continué de coucher chez fon pere depuis
fon retour de Paris , fe faififfent de lui ,
le contraignent de fe lever , le conduifent
à une chaiſe de pofte , l'obligent d'y monter
, d'où ils ne le firent defcendre que
pour le faire entrer dans le vaiffeau qui
partit peu de tems après .
Montvilliers qui avoit pris tout ce qui
venoit de lui arriver pour un rêve , ne
douta plus alors de la vérité . Enchaîné
deavec
plufieurs autres miférables , que
vint-il quand il fe repréfenta l'indignité
& la cruauté de fon pere , ce qu'il perdoit ,
ce qu'il alloit devenir ? Ces idées agirent
avec tant de violence fur fon efprit, qu'el
les y mirent un défordre inconcevable. Il
jugea qu'il n'avoit point d'autre reffource
dans cette extrêmité que la mort , & réfo
lut de fe laiffer mourir de faim. Il avoit
déja paffé deux jours fans prendre aucune
nourriture , mais le jeune Anglois que
voici , qui étoit pour lors compagnon de
fon infortune , comprit à fon extrême abattement
qu'il étoit plus malheureux que
coupable. Il entreprit de le confoler , il
lui préfenta quelque rafraîchiffemens qui
furent d'abord refufés ; il le preffa , il le
pria. Je ne doute pas , lui dit- il , que vous
ne foyez exceffivement à plaindre ; je veux
même croire que vous l'êtes autant que
40 MERCURE DE FRANCE
moi cependant il eft des maux encore
plus rédoutables que tous ceux que nous
éprouvons dans cette vie , & dont on fe
rend digne en entreprenant d'en borner
foi-même le cours . Peut - être le ciel qui ne
veut que vous éprouver pendant que vous
vous révoltez contre fes décrets , vous
prépare des fecours qui vous font inconnus.
Acceptez , je vous en conjure , ces
alimens que vous préfente un homme qui
s'intéreffe à votre vie.
Montvilliers qui n'avoit fait aucune
attention à tout ce qui l'environnoit , examina
celui qui lui parloit ainfi , remarqua
dans fon air quelque chofe de diftingué
& de prévenant ; il trouva quelque
douceur à l'entretenir. Il fe laiffa perfuader
, il lui raconta fon hiftoire ; & quand
il cut fini fon récit , il le preffa d'imiter
fa franchiſe , ce que le jeune Anglois fic
en ces termes :
Lafuite au prochain Mercure.
HISTOIRE VRAISEMBLABLE.
SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE.
Par Mademoiselle Pliffon , de Chartres.
M
Ontvilliers ( c'eft ainſi que s'appelle
le Philofophe que voici ) eft un riche
Gentilhomme
du voifinage , le plus heureux
& le plus digne de l'être . Un efprit
juſte , cultivé , folide ; une raiſon fupérieure
, éclairée , un coeur noble , généreux
délicat , fenfible ; une humeur douce , bienfaifante
; un extérieur ouvert , font des
qualités naturelles qui le font adorer de
A v
to MERCURE DE FRANCE.
tous ceux qui le connoiffent. Tranquille
poffeffeur d'un bien confidérable , d'une
époufe digne de lui , d'un ami véritable ,
il fent d'autant mieux les agrémens de fa
fituation qu'elle a été précédée des plus
triftes revers.
La perte de fa mere , qui mourut peu
de tems après fa naiffance , a été la premiere
& la fource de toutes fes infortunes
. Son pere , qui fe nommoit Dorneville
, après avoir donné une année à ſa
douleur , ou plutôt à la bienféance , fe
remaria à la fille d'un de fes amis. Elle
étoit aimable , mais peu avantagée de la
fortune. L'unique fruit de ce mariage fut
un fils . Sa naiffance , qui avoit été longtems
défirée , combla de joie les deux époux.
Montvilliers , qui avoit alors quatre à cinq
ans , devint bientôt
indifférent , & peu
après incommode. Il étoit naturellement
doux & timide . Sa belle- mere qui ne cherchoit
qu'à donner à fon pete de l'éloignement
pour lui , fit pailer fa douceur pour
ftupidité. Elle découvroit dans toutes les
actions le germe d'un caractere bas , &
même dangereux. Tantôt elle avoit remarqué
un trait de méchanceté noire, tantôt un
difcours qui prouvoit un mauvais coeur.Elle
avoit un foin particulier de le renvoyer avec
les domeftiques. Un d'eux à qui il fit pitié
NOVEMBRE. 1755 . 11
lui apprit à lire & à écrire affez paffablement.
Mais le pauvre garçon fut chaffé
pour avoir ofé dire que Montvilliers n'étoit
pas fi ftupide qu'on vouloit le faire
croire , & qu'il apprenoit fort bien tout
ce qu'on vouloit lui montrer.
*
Saraifon qui fe développoit , une noble
fierté que la naiffance inſpire , lui rendirent
bientôt infupportables les mépris
des valets qui vouloient plaire à Madame
Dorneville. La maifon paternelle lui
devint odieufe. Il paffoit les jours entiers
dans les bois , livré à la mélancolie & au
découragement. Accoutumé dès fa plust
tendre jeuneffe à fe regarder comme un
objet à charge , il fe haïffoit prefqu'autant
que le faifoit fa belle-mere. Tous fes fouhaits
ſe bornoient au fimple néceffaire . 11
ne défiroit que les moyens de couler une
vie paifible dans quelque lieu folitaire , &
loin du commerce des hommes dont il fe
croyoit incapable.
Ce fut ainfi que ce malheureux jeune
homme pafla les quinze premieres années
de fa vie , lorfqu'un jour , il fut rencontré
dans le bois où il avoit coutume de fe retirer
, par un militaire refpectable , plein de
candeur , de bon fens , & de probité.
Après avoir fervi honorablement fa parrie
pendant vingt-ans , ce digne guerrier s'é
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
toit retiré dans une de fes terres pour vivre.
avec lui -même , & chercher le bonheur ,
qu'il n'avoit pu trouver dans le tumulte
des armes & des paffions. L'étude de fon
propre coeur , la recherche de la fageffe ,
étoient fes occupations ; la phyfique expérimentale
fes amuſemens ; & le foulagement
des misérables fes plaifirs.
M. de Madinville ( c'eft le nom du militaire
devenu philofophe ) après avoir confidéré
quelque tems Montvilliers qui pleuroit
, s'avança vers lui , & le pria avec
beaucoup de douceur de lui apprendre le
fujet de fon affliction , en l'affurant que
s'il pouvoit le foulager , il le feroit de tout
fon coeur.
Le jeune homme qui croyoit être feul
fut effrayé de voir quelqu'un fi près de lui.
Son premier mouvement fut de fuir. Mais
M. de Madinville le retint & le preffa
encore plus fort de l'inftruire de la caufe
de fes larmes. Mes malheurs font fans remede
, répondit enfin Montvilliers : je
fuis un enfant difgracié de la nature ; elle
m'a refufé ce qu'elle accorde à tous les
autres hommes . Eh ! que vous a - t- elle refufé
, reprit l'officier , d'un air plein de bonté
? loin de vous plaindre d'elle , je ne vois
en vous que des fujets de la louer . Quoi ,
Monfieur , repartit le jeune homme avec
NOVEMBRE . 1755. 13
naïveté , ne voyez - vous pas que je manque
abfolument d'efprit ? mon air ... ma
figure , mes façons ... tout en moi ne vous
l'annonce- t- il pas ? Je vous affure , répondit
le Philofophe , que votre figure n'a rien
que de fort agréable . Mais , mon ami , qui
êtes-vous , & comment avez - vous été élevé
? Montvilliers lui fit le récit que je viens
de vous faire. J'ai entendu parler de vous
& de votre prétendue imbécillité , lui dit
alors le militaire , mais vous avez de l'intelligence
, & vous me paroiffez être d'un
fort bon caractere . Je veux cultiver ces qualités
naturelles , vous confoler , en un mot
vous rendre fervice . Je ne demeure qu'à
une lieue d'ici ; fi vous ne connoiffez pas
Madinville , vous n'aurez qu'à le demander,
tout le monde vous l'enfeignera .
Il faut avoir été auffi abandonné que
l'étoit Montvilliers , pour concevoir tout le
plaifir que lui fit cette rencontre. Il fe leva
le lendemain dès que le jour parut , & ne
pouvant commander à fon impatience , il
vole vers le feul homme qu'il eût jamais
trouvé fenfible à fes maux. Il le trouva occupé
à confidérer les beautés d'un parterre
enrichi de fleurs , dont la variété & le parfum
fatisfaifoient également la vue &
l'odorat. M. de Madinville fut charmé de
l'empreffement de Montvilliers , converfa
14 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup avec lui , fut content de fa pénétration
, & de fa docilité , & lui fit promettre
qu'il viendroit dîner chez lui deux
fois la femaine.
::
Je n'entreprendrai point , continua la
Silphide , de vous répéter tous les fages
difcours que notre philofophe tint à ce
jeune homme il lui fit connoître que
pour être heureux , trois chofes font néceffaires
; régler fon imagination , modérer
fes paffions , & cultiver fes goûts. Que
la paix de l'ame & la liberté d'efprit répandent
un vernis agréable fur tous les objets
qui nous environnent. Que la vertu
favorite du véritable philofophe , eft une
bienveillance univerfelle pour fes femblables
, un fentiment de tendreſſe & de compaffion
, qui parle continuellement en leur
faveur , & qui nous preffe de leur faire du
bien. Que cette aimable vertu eft la fource
des vrais plaifirs. Qu'on trouve en l'exerçant
, cette volupté fpirituelle , dont les
coeurs généreux & fenfibles fçavent feuls
connoître le prix . Montvilliers comprit fort
bien toutes ces vérités. Il fit plus , il les aima.
Son efprit femblable à une fleur que les
froids aquilons ont tenu longtems fermée
& qu'un rayon de foleil fait épanouir , fe
développa. Les fentimens vertueux que la
nature avoit mis dans fon coeur généreux ,
NOVEMBRE. 1755 .
promirent une abondante moiffon .
Le changement qui s'étoit fait en lui ,
vint bientôt aux oreilles de fon pere . Il
voulut en juger par lui - même. Accoutumé
à le craindre , Montvilliers répondit à
fes queſtions d'un air timide & embarraſſé.
Sa belle-mere toujours attentive à le deffervir
, fit paffer fon embarras pour aver
fion & M. Dorneville le crut d'autant plus
facilement , qu'il ne lui avoit pas donné
fujet de l'aimer. Il fe contenta de le traiter
avec un peu plus d'égards , mais fans ces
manieres ouvertes que produifent l'amitié
& la confiance . Sa belle- mere changea auffi
de conduite ; elle le combla de politeffes extérieures
, comme fi elle eût voulu réparer
par ces marques de confidération le mépris
qu'elle avoit fait de lui jufqu'alors. Mais,
au fond elle ne pouvoit penfer fans un extrême
chagrin, qu'étant l'aîné, il devoit hériter
de la plus confidérable partie des biens
de M. Dorneville , tandis que fon cher fils,
l'unique objet de fes complaifances , ne
feroit jamais qu'un gentilhomme malaiſé.
Cinq ou fix ans fe pafferent de cette forte.
Montvilliers qui recevoit tous les jours
de nouvelles preuves de la tendreffe de M.
de Madinville , ne mettoit point de bornes
àfa reconnoillance. Ce fentiment accompa
gné de l'amitié est toujours fuivi du plaifir.
Ce jeune homme n'en trouvoit point de
16 MERCURE DE FRANCE.
de plus grand que de donner des marques
fa fenfibilite à fon bienfaicteur.Tranquille
en apparence , il ne l'étoit cependant pas
dans la réalité. Son coeur , exceffivement
fenfible , ne pouvoit être rempli par l'amitié
, il lui falloit un fentiment d'une autre
efpece. Il fentoit depuis quelque tems en
lui - même un defir preffant , un vif befoin
d'aimer , qui n'eft pas la moins pénible de
toutes les fituations. L'amour lui demandoit
fon hommage
; mais trop éclairé fur
fes véritables intérêts pour fe livrer à ce
petit tyran fans réferve , il vouloit faire
fes conditions . Il comprit que les qualités
du coeur & de l'efprit , le rapport d'humeur
& de façon de penfer , étoient abfolument
néceffaires pour contracter un
attachement férieux & durable . Son imagination
vive travaillant fur cette idée
lui eut bientôt fabriqué une maîtreffe
imaginaire , qu'il chercha vainement à
réaliſer. Il étudia avec foin toutes les jeunes
perfonnes de R.... Cette étude ne fervit
qu'à lui faire connoître l'impoffibilité
de trouver une perfonne fi parfaite. Cependant
, le croiriez-vous ? il s'attacha à
cette chimere même en la reconnoiffant
pour telle : fon plus grand plaifir étoit de
s'en occuper ; il quittoit fouvent la lecture-
& les converfations les plus folides , pour
s'entretenir avec elle..
NOVEMBRE. 1755 17
Quelque confiance qu'il eût en M. de
Madinville , il n'avoit pas ofé lui faire
l'aveu de ces nouvelles difpofitions . Il connoiffoit
fa maladie ; mais en même tems il
la chériffoit , il lui trouvoit mille charmes,
& ç'auroit été le defobliger que d'en entreprendre
la guérifon . C'eft ce que fon ami
n'auroit pas manqué de faire. Un jour qu'il
fe promenoit feul , en faisant ces réflexions,
M. de Madinville vint l'aborder. J'ai fur
vous , mon cher Montvilliers , lui dit- il ,
après avoir parlé quelque tems de chofes
indifférentes, des vues que j'efpere que vous
approuverez. Rien n'eft comparable à l'a
mitié que j'ai pour vous , mais je veux que
des liens plus étroits nous uniffent. Je n'ai
qu'une niece ; j'ofe dire qu'elle eft digne
de vous par la folidité de fon efprit , la fupériorité
de fa raifon , la douceur de fon
caractere , enfin mille qualités eftimables
dont vous êtes en état de fentir tout le
A prix.
Montvilliers , qui n'avoit jamais entendu
parler que fon ami eût une niece , &
qui ne lui croyoit pas même ni de frere ni
de foeur , fut un peu furpris de ce difcours .
Sa réponſe cependant fut courte , polie &
fatisfaifante. Il lui demanda pourquoi il
ne lui avoit jamais parlé d'une perfonne
qui devoit fi fort l'intéreffer , les raifons
18
MERCURE DE
FRANCE.
qui m'en ont empêché , lui répondit fon
ami , m'obligent encore de vous cacher fon
nom & fa demeure. Mais avant que d'en
venir à
l'accompliffement de ce projet ,
ajouta-t- il , mon deffein eft de vous envoyer
paffer quelque tems à Paris. Avec
beaucoup de bon fens & d'efprit , il vous
manque une certaine politeffe de manieres,
une façon de vous préfenter qui prévient
en faveur d'un honnête homme . Parlez - en
à votre pere. Je me charge de faire la dépenfe
néceffaire pour ce voyage.
Enchanté de ce
nouveau
témoignage
d'affection & de générofité ,
Montvilliers
remercia dans les termes les plus vifs fon
bienfaicteur . Il n'étoit
pourtant pas abfolument
fatisfait de la premiere partie de fon
difcours. Ce choix qu'il
paroiffoit lui faire
d'une épouſe fans fon aveu , lui fembla
tyrannique. Il ne put fouffrir de fe voir
privé de la liberté de chercher une perfonne
qui approchât de fon idée. Il imaginoit
dans cette
recherche mille plaifirs dont il
falloit fe détacher. Son coeur
murmura de
cette
contrainte ; elle lui parut infupportable
mais la raifon prenant enfin le deffus
, condamna ces
mouvemens . Elle lui
repréſenta
combien il étoit flatteur & avantageux
pour lui d'entrer dans la famille
d'un homme à qui il devoit tout , & le fit
NOVEMBRE. 1755. 19
convenir qu'en jugeant de l'avenir par le
paffé , fon bonheur dépendoit de fa docilité
pour les confeils de fon ami.
Ces réflexions le calmerent. Il ne fongea
plus qu'à s'occuper des préparatifs de
fon voyage ; ils ne furent pas longs . Les
quinze premiers jours de fon arrivée dans
la capitale furent employés à vifiter les édifices
publics , & à voir les perfonnes à qui
il étoit recommandé . Il fut à l'Académie
pour apprendre à monter à cheval & à
faire des armes ; il fe }; fit des connoiffances
de plufieurs jeunes gens de confidération ,
qui étoient fes compagnons d'exercices ,
& s'introduifit par leur moyen dans des
cercles diftingués . Avide de tout connoî
tre , de tout voir , il eut bientôt tout épui
fé. Son efprit folide ne s'accommoda pas
de la frivolité qui regne dans ce qu'on
appelle bonne compagnie, 11 fe contenta
dans fes momens de loifir , de fréquenter
les fpectacles , les promenades , & de cultiver
la connoiffance de quelques gens de
lettres que M. de Madinville lui avoit
procurée.
La diverfité & la nouveauté de tous ces
objets n'avoient pu guérir fon coeur. Il
avoir toujours le même goût pour fa maîtreffe
imaginaire , & les promenades folitaires
étoient fon amuſement favori. Un
20 MERCURE DE FRANCE.
jour qu'il fe promenoit dans les Tuilleries
, fa rêverie ne l'empêcha pas de remar .
quer une jeune demoifelle , dont la phifionomie
étoit un agréable mêlange de
douceur , de franchife , de modeftie , &
de raifon. Quel attrait pour Montvilliers !
il ne pouvoit fe laffer de la confidérer. Sa
préfence faifoit paffer jufqu'au fond de
fon coeur une douceur fecrette & inconnue.
Elle fortit de la promenade , il la
fuivit , & la vit monter dans un carroffe
bourgeois avec toute fa compagnie. Alors
fongeant qu'elle alloit lui échapper , il eut
recours à un de ces officieux meffagers dont
le Pont- neuf fourmille : il lui donna ordre
de fuivre ce carroffe , & de venir lui redire
en quel endroit il fe feroit arrêté. Environ
une demi - heure après , le courrier revint
hors d'haleine , & lui apprit que toute cette
compagnie étoit defcendue à une maiſon
de campagne fituée à B.....
. Montvilliers , qui connoiffoit une perfonne
dans ce lieu , fe promit d'y aller dès
le lendemain , efpérant revoir cette demoifelle
, peut-être venir à bout de lui parler ,
ou du moins apprendre qui elle étoit .
Rempli de ce projet , il alloit l'exécuter ,
quand un jeune homme de fes amis entra
dans fa chambre , & lui propofa de l'accompagner
, pour aller voir une de fes paNOVEMBRE.
1755 .
rentes , chez laquelle il y avoit bonne compagnie.
Il chercha d'abord quelque prétexte
pour le défendre , mais quand il eut
appris que cette parente demeuroit à B....
il ne fit plus difficulté de fuivre fon ami.
Il ne s'en repentit pas ; car la premiere perfonne
qu'il apperçut en entrant dans une
fort beile falle , fut cette jeune demoiſelle
qu'il avoit vu la veille aux Tuilleries.
Cette rencontre qui lui parut être d'un
favorable augure , le mit dans une fitua
tion d'efprit délicieufe. On fervit le dîner,
& Montvilliers fit fi bien qu'il fe trouva
placé auprès de celle qui poffédoit déja
toutes les affections. Il n'épargna ni galanteries
, ni politeffes , ni prévenances pour
lui faire connoître la fatisfaction qu'il en
reffentoit ; & il ne tint qu'à elle de reconnoître
dans fes manieres une vivacité qui
ne va point fans paffion. Auffi ne fut- elle
pas la derniere à s'en appercevoir : elle
avoit remarqué fon attention de la veille ,
& fa figure dès ce moment ne lui avoit
déplu . Elle lui apprit qu'elle étoit alors
chez une dame de fes amies , qu'elle devoit
y refter encore quinze jours , qu'elle demeuroit
ordinairement à Paris avec fon
pas
pere & fa mere , qu'elle aimoit beaucoup
la campagne , & qu'elle étoit charmée de
ce que fon pere venoit d'acquérir une terre
22 MERCURE DE FRANCE.
affez confidérable , proche de R.... où ils
comptoient aller bientôt demeurer . Quoi ,
Mademoiſelle , lui dit- il , feroit- il bien poffible
que nous devinffions voifins ? Comment
vous êtes de R ... lui demanda - t- elle à
fon tour ? Je n'en fuis pas directement
répondit- il , mais la demeure de mon pere,
qui s'appelle Dorneville , n'en eft éloignée
que d'une lieue. Eh bien , reprit- elle ,
notre terre eft entre Dorneville & Madinville
; connoiffez - vous le Seigneur de cette
derniere paroiffe ? Grand Dieu ! Si je le
connois , répondit-il avec vivacité , c'eſt
l'homme du monde à qui j'ai le plus d'obligation.
Mademoiſelle d'Arvieux , c'eft ainfi
que s'appelloit cette jeune perfonne , contente
de cette déclaration , ne s'ouvrit
davantage . Cependant le foleil prêt à ſe
coucher , obligea les deux amis de reprendre
la route de Paris . Montvilliers n'avoit
jamais vu de journée paffer avec tant de
rapidité avant que de partir , il demanda
la permiffion de revenir , qu'on lui accorda
fort poliment.
pas
Il ne fut pas plutôt forti d'auprès de
Mlle d'Arvieux , que rentrant en lui - même
, & faiſant réflexion fur tous fes mouvemens
, il fentit qu'il aimoit. Le fouvenir
de ce qu'il avoit promis à fon bienfaicteur
, vint auffi-tôt le troubler . Il fe fit
NOVEMBRE . 1755. 23
des reproches de fon peu de courage ; mais
peut- être je m'allarme mal- à- propos , continua-
t- il en lui -même ; c'eft un caprice ,
un goût paffager que Mlle d'Arvieux m'aidera
elle - même à détruire. Si je pouvois
connoître le fond de fon coeur , fa façon
de penfer , fans doute je cefferois de l'aimer.
Il s'en feroit peut-être dit davantage,
fi fon ami n'avoit interrompu fa revêrie ,
en la lui reprochant. " Tu es furement
» amoureux , lui dit -il d'un ton badin. Je
» t'ai vu un air bien animé auprès de Mlle
» d'Arvieux ; conviens- en de bonne foi.
Il n'eft pas bien difficile d'arracher un fecret
de cette nature. Montvilliers qui connoiffoit
la difcrétion de fon ami , lui
avoua fans beaucoup de peine un fentiment
dont il étoit trop rempli , pour n'avoir
pas befoin d'un confident : mais en
convenant que les charmes de cette Demoifelle
l'avoient touché , il ajouta que
comme il craignoit que le caractere ne répondît
pas aux graces extérieures , il fongeoit
aux moyens de connoître le fond de
fon coeur. Si ce n'eft que cela qui te fait
rêver , lui dit fon ami , il eft aifé de te
fatisfaire . Je connois une perfonne qui eſt
amie particuliere de Mlle d'Arvieux ; je
fçais qu'elles s'écrivent quand elles ne
peuvent le voir , & tu n'ignores pas qu'on
24 MERCURE DE FRANCE.
•
fe peint dans fes lettres fans même le vouloir
& fans croire le faire ; il ne s'agit que
d'avoir celles de Mlle d'Arvieux , & je les
poffede ; c'eſt un larcin que j'ai fait à cette
amie , qui eft auffi la mienne. Les voici ,
je te les confie .
Montvilliers , après avoir remercié fon
ami que fes affaires appelloient ailleurs ,
fe rendit chez lui chargé de ces importan
tes pieces. Il lut plufieurs de ces lettres qui
étoient autant de preuves de la délicateffe
& de la jufteffe d'efprit de Mlle d'Arvieux.
C'étoit un agréable variété de raiſon &
de badinage . Le ftyle en étoit pur , aiſé ,
naturel , fimple , élégant , & toujours convenable
au fujet mais quel plaifir pour
Montvilliers de voir le fentiment regner
dans toutes ces lettres , & de lire dans une
d'elles , qu'un amant pour lui plaire devoit
bien moins chercher à acquerir des
graces que des vertus ; qu'elle lui deman--
doit un fond de droiture inaltérable , un
amour de l'ordre & de l'humanité , une
délicateffe de probité , une folidité du jugement
, une bonté de coeur naturelle , une
élévation de fentimens , un amour éclairé
pour la religion , un humeur douce , indulgente
, bienfaifante.
De pareilles découvertes ne fervirent
point à guérir Montvilliers de fa paflion ..
Toutes
NOVEMBRE . 1755. 23
Toutes les vertus & les qualités que Mlle
d'Arvieux exigeoit d'un amant , étoient directement
les traits qui caracterifoient fa
maîtreffe idéale . Cette conformité d'idée.
l'enchanta. Voilà donc , dit- il avec tranf
port , ce tréfor précieux que je cherchois
fans efpérance de le trouver ; cette perfonne
fi parfaite que je regardois comme une
belle chimere , ouvrage de mon imagination
. Que ne puis - je voler dès ce moment à
Les pieds , lui découvrir mes fentimens , ma
façon de penfer, lui jurer que l'ayant aimée
fans la connoître, je continuerai de l'adorer
toute ma vie avec la plus exacte fidélité .
Huit jours fe pafferent fans que Montvilliers
qui voyoit fouvent fa maîtreffe ,
pût trouver le moyen de l'entretenir en
particulier , quelque défir qu'il en eût :
mais le neuvieme lui fut plus favorable.
Difpenfe - moi , je vous prie , continua la
Silphide , de vous redire les difcours que
ces deux amans fe tinrent ; il vous fuffira
de fçavoir qu'ils furent très - contens l'un
de l'autre , & que cet entretien redoubla
une paffion qui n'étoit déja que trop vive
pour leur repos.
Un jour que Montvilliers conduit par
le plaifir & le fentiment , étoit allé voir .
Mlle d'Arvieux , il fut furpris de trouver
auprès d'elle un homme âgé qu'il ne con- :
B
62: MERCURE DE FRANCE.
noifloit point. Il comprit bientôt aux
difcours qu'on tenoit , que ce vieillard
étoit le pere de fa maîtreffe , & qu'il venoit
dans le deffein de la remmener avec
lui. Ils fe leverent un inftant après pour.
fortir , & notre amant refté feul avec la
maîtreffe du logis , apprit d'elle que M.
d'Arvieux venoit annoncer à fa fille qu'un
jeune homme fort riche , nommé Frien-.
val , l'avoit demandée en mariage ; que ce
parti paroiffoit être du goût du pere.
Montvilliers interdit à cette nouvelle , pria
celle qui la lui apprenoit , de vouloir bien
l'aider de fes confeils. Il faut vous propofer
, lui dit-elle , vous faire connoître.
Hé ! Madame , voudra - t - on m'écouter ,
répondit il? M. d'Arvieux ne m'a jamais
vu ; vous êtes amie de fa femme , rendez-
moi ce fervice . Elle y confentit , &.
lui promit que dès le lendemain elle iroit
demander à dejeûner à Mme d'Arvieux :
Au reste , ajouta- t- elle , vous pouvez être
tranquille du côté de vôtre maîtreffe ;
quand elle feroit capable de vous faire.
une infidélité , ce ne feroit point en faveur
de ce rival , elle le connoît trop bien ;
& pour vous raffurer davantage , je vais
vous rendre fon portrait tel qu'elle me le
faifoit encore hier en nous promenant.
Frienval , continua cette Dame , eft un de
NOVEMBRE 1755. 27
•
ces hommes frivoles dont Paris eft inordé.
Amateur des plaifirs , fans être voluptueux
, efclave de la mode en raillant
ceux qui la fuivent avec trop de régulari
té , il agit au hazard . Ses principes varient
fuivant les occafions , ou plutôt il
n'en a aucun. Auffi fes démarches fontelles
toujours inconféquentes. S'il eft
exempt de vices effentiels , il le doit à fon
tempérament. Futile dans fes goûts , dans
fes recherches , dans fes travaux , fon occupation
journaliere eft de courir les fpectacles
, les caffés , les promenades , & de
fe mêler quelquefois parmi des gens qui
pour mieux trouver le bon ton , ont banni
le bon fens de leurs fociétés . Ses plus
férieufes démarches n'ont d'autre but
qu'un amufement paffager , & fon état
peut s'appeller une enfance continuée . Il
y a fort long- tems qu'il connoît Mlle d'Arvieux
, & qu'il en eft amoureux , comme
tous les gens de fon efpece , c'eft-à- dire
fans fe gêner. Mais loin de le payer d'aucun
retour elle n'a pas daigné faire la
moindre attention à fes galanteries. Trop
occupé pour réfléchir , fa légereté lui a
fauvé mille conféquences peu flateufes ,
qu'il devoit naturellement tirer. Il fe croit
aimé avec la même bonne foi qu'il fe
croit aimable ; fon mérite lui femble une
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
chofe , démontrée , & qu'on ne peut lut
difputer raisonnablement.
Le lendemain fut un jour heureux pour
Montvilliers. Son Ambaffadrice lui rapporta
qu'on vouloit bien fufpendre la conclufion
du mariage propofé , afin de le
connoître , & qu'on lui permettoit de fe
préfenter. Il ne fe le fit pas dire deux fois:
il courut chez M. d'Arvieux qui le reçut
affez bien pour lui faire efperer de l'être
encore mieux dans la fuite. Sa maîtreffe
lui apprit qu'ils partoient dès le lendemain
pour cette terre dont elle lui avoit
parlé ; il promit qu'il les fuivroit de près :
en effet il prit la route de fa patrie deux
jours après leur départ.
Depuis trois semaines que fa paffion
avoit commencé , il en avoit été fi occupé
qu'il avoit oublié d'écrite à M. de Madinville
. Il étoit déja à moitié chemin qu'il
fe demanda comment il alloit excufer auprès
de lui ce retour précipité. Il comprit
alors qu'il lui avoit manqué effentiellement
de plufieurs façons , & que fa conduite
lui méritoit l'odieux titre d'ingrat.
Mais fi ces réflexions lui firent craindre
le moment d'aborder fon bienfaicteur , des
mouvemens de tendreffe & de reconnoiffance
rien ne pouvoit altérer , lui fique
Fr.rent défirer de l'embraffer. Ces différens
1-
NOVEMBRE. 1755. 29
fentimens lui donnerent un air confus ,
embarraffé , mêlé d'attendriffement.
M. de Madinville qui avoit pour lui
l'affection la plus fincere , n'avoit point
fupporté fon abfence fans beaucoup de
peine & d'ennui . Charmé de fon retour
dont il fut inftruit par une autre voie , s'il
avoit fuivi les mouvemens de fon coeur ,
mille careffes auroient été la punition de
la faute que Montvilliers commettoit en
revenant fans lui demander fon agrément;
mais il voulut éprouver fi l'abfence ne
l'avoit point changé, & fi comblé des bienfaits
de l'amour , il feroit fenfible aux pertes
de l'amitié : il fe propofa donc de le
recevoir avec un air férieux & mécontent.
Montvilliers arrive , defcend de cheval ,
vole à la chambre de fon ami , qui en le
voyant joua fort bien la furpriſe . Quoi !
c'est vous , Montvilliers , lui dit - il , en
reculant quelques pas : oferois je vous demander
la caufe de ce prompt retour , &
pourquoi vous ne m'en avez point averti ?
J'efperois cependant que vous me feriez
cette grace.Montvilliers déconcerté par cet- "
te réception ne put répondre une feule
parole. Mais fes yeux interpretes de fon
ame , exprimoient affez fon trouble. M. de
Madinville fans faire femblant de s'en appercevoir
, ajouta : Au refte , je ne fuis
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
pas fâché de vous revoir ; vous avez pré
venu mon deffein ; j'allois vous écrire pour
vous engager à revenir , l'affaire dont je
vous ai parlé avant votre départ eft fort
avancée , il ne manque pour la conclure
que votre confentement. Ma niece fur le
bon témoignage que je lui ai rendu de
votre caractere , vous aime autant & plus
que moi - même. Mais je ne penfe pas ,
continua- t- il , que vous avez beſoin de
repos & de rafraîchiffement ; allez - en
prendre , nous nous expliquerons après.
Pénétré de l'air, froid & fec dont M.
de Madinville l'avoit reçu , qui lui avoit
ôté la liberté de lui témoigner la joie qu'il
avoit de le revoir , Montvilliers avoit befoin
de folitude pour mettre quelque
ordre à fes idées . Il fortit fans trop fçavoir
où il alloit , & s'arrêtant dans ce
bois où il avoit vu fon ami pour la premiere
fois , il fe repréſenta plus vivement
que jamais les obligations qu'il lui avoit.
Son ame , fon coeur , fon efprit , fes qualités
extérieures étoient le fruit de fes
foins ; fon amitié avoit toujours fait les
charmes de fa vie , il falloit y renoncer ,
ou fe réfoudre à ne jamais pofféder Mlle
d'Arvieux quelle cruelle alternative ! Il
falloit pourtant fe décider. Un fort honnête
homme de R .... qu'il avoit vu ſous
NOVEMBRE 1755 . 31
:
vent chez M. de Madinville , interrompit
ces réflexions accablantes . Après les premiers
complimens , il lui demanda ce qui
pouvoit caufer l'agitation où il le voyoit.
Montvilliers ne fit point de difficulté de
lui confier fon embarras . Il lui raconta le
projet de fon ami qu'il lui avoit communiqué
avant fon voyage , la naiffance &
la violence d'une paffion qu'il n'avoit pas
été le maître de ne point prendre , l'impoffibilité
où il fe trouvoit de la vaincre
la crainte exceffive de perdre un ami dont
il connoiffoit tout le prix , & fans lequel
il ne pouvoit efperer d'être heureux .
Ce récit que Montvilliers ne put faire
fans répandre des larmes , attendrit celui
qui l'écoutoit . Votre fituation eft très- embarraffante
; lui dit- il. Pour moi , je nè
vois pas d'autre parti que de déclarer naïvement
à M. de Madinville ce que vous
fouffrez. Il est généreux , il vous aime , &
ne voudra point vous défefperer . Ah !
fongez- vous , répondit- il , que cette déclaration
détruit un projet qui eft devenu
l'objet de fa complaifance ? Faites - vous.
attention qu'il a parlé de moi à fa niece ,
qu'il a fait naître dans fon ame une paffion
innocente ? Non , je n'aurai jamais la
hardieffe de la lui faire moi-même. Hé
bien voulez-vous que je lui en parle ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
demanda fon confident ? Je vais paffer
l'après-midi avec lui ; nous ferons feuls ,
je tâcherai de démêler ce qu'il penſe à votre
fujet .
Montvilliers ayant fait connoître qu'il
lui rendroit un grand fervice , le quitta ,
& prit le chemin qui conduifoit à Dorneville.
Il trouva fon pere en deuil de fa
belle mere ; il le reçut affez bien , & l'engagea
à fouper avec lui , & à occuper fon
ancien appartement.
Son Ambaffadeur eut fa vifite le lendemain
de fort bon matin. Il lui dit qu'il
n'avoit pas tiré de fa commiffion tout le
fruit qu'il en efperoit : que M. de Madinville
lui avoit dit qu'il n'avoit jamais prétendu
contraindre les inclinations de perfonne
au refte , ajouta- t-il , allez- le voir ,
expliquez- vous enfemble.
Montvilliers qui vouloit s'éclaircir à
quelque prix que ce fût , partit auffi -tôt ;
mais plus il approchoit de Madinville &
plus fon courage diminuoit. Il entre cependant
; on lui dit que fon ami étoit à fe
promener. Il va pour le joindre , il l'apperçoit
au bout d'une allée , le falue profondément
, cherche dans fes yeux ce qu'il
doit craindre ou efperer ; mais M. de
Madinville qui le vit , loin de continuer
affecta de , paffer d'un autre côté
NOVEMBRE. 1755. 33
i
pour éviter de le rencontrer.
Ce mouvement étoit plus expreffif
que tous les difcours du monde . Montvilliers
qui comprit ce qu'il vouloit dire ,
fur pénétré de l'affliction la plus vive . Il
fe jetta dans un bofquet voifin où il fe mit
à verfer des larmes ameres. Alors confidérant
ce qu'il avoit perdu , il prit la réfolution
de faire tout fon poffible pour le
recouvrer . M. de Madinville qui fe douta
de l'effet que fon dedain affecté auroit
produit , & qui ne vouloit pas abandonner
long - tems Montvilliers à fon défefpoir ,
vint comme par hafard dans l'endroit où
il étoit pour lui donner occafion de s'expliquer
, & feignit encore de vouloir fe
retirer. Cette nouvelle marque d'indifférence
outrageant la tendreffe de Montvilliers
, il fe leva avec un emportement de
douleur ; arrêtez , Monfieur , lui dit - il
d'une voix altérée : il eft cruel dans l'état
où vous me voyez , de m'accabler par de
nouveaux mépris . Ma préfence vous eft
odieufe ; vous me fuyez avec foin , tandis
que préfé par le fentiment , je vous cherche
pour vous dire que je fuis prêt de tout
facrifier à l'amitié . Oui , ajouta - t- il en
rédoublant fes larmes , difpofez de ma
main , de mes fentimens , de mon coeur ,
& rendez -moi la place que j'occupois dans
le vôtre. By
34 MERCURE DE FRANCE.
M. de Madinville charmé , ceffa de fe
contraindre , & ne craignit plus de laiſſer
voir fa joie & fon attendriffement . Il embraffe
Montvilliers , l'affure qu'il n'a pas
ceffé un inftant de l'aimer ; qu'il étoit
vrai que l'indifférence qu'il fembloit avoir
pour fon alliance , lui avoit fait beaucoup
de peine , parce qu'il la regardoit comme
une marque de la diminution de fon amitié
; que la fienne n'étant point bornée
il vouloit aufli être aimé fans réferve ;
qu'au refte il n'abuferoit point du pouvoir
abfolu qu'il venoit de lui donner fur
fa perfonne ; que la feule chofe qu'il exigeoit
de fa complaifance , étoit de voir
fa niece ; que fi après cette entrevue il
continuoit à penfer de la même façon ,
il pourroit le dire avec franchife , & fuivre
fon penchant.
Il finiffoit à peine de parler , qu'on vint
lui annoncer la vifite de fa niece . Repréfentez
- vous quel fut l'étonnement & la
joie de Montvilliers , lorfqu'entrant dans
une fale où l'on avoit coutume de recevoir
la compagnie , il apperçut Mlle d'Arvieux
qui étoit elle-même la niece de M.
de Madinville.
M. d'Arvieux , frere aîné de cet aimable
Philofophe , étoit un homme haut ,
emporté , violent ; ils avoient eu quelques
NOVEMBRE. 1755 . 35
différends enfemble , & M. de Madinville
fans conferver aucun reffentiment de fes
mauvais procédés , avoit jugé qu'il étoit de
fa prudence d'éviter tout commerce avec
un homme fi peu raifonnable. Comme M.
d'Arvieux étoit forti fort jeune de la province
fans y être revenu depuis , à peine
y connoiffoit - on fon nom ; Montvilliers
n'en avoit jamais entendu parler . Mlle
d'Arvieux avoit eu occafion de voir fon
oncle dans un voyage qu'il avoit fait à Paris
, & depuis ce tems elle entretenoit
avec lui un commerce de lettres à l'infçu
de fon pere. Comme elle fe fentoit du
penchant à aimer Montvilliers , elle fut
bien-aife avant que de s'engager plus avant ,
de demander l'avis de fon oncle , & ce
qu'elle devoit penfer de fon caractere .
L'étude des hommes lui avoit appris combien
il eft difficile de les connoître , & l'étude
d'elle-même combien on doit fe défier
de fes propres lumieres . Elle écrivit
donc dès le même jour , & reçut trois
jours après une réponse qui paffoit fes
efpérances , quoiqu'elles fuffent des plus
Alatteufes. Après lui avoir peint le coeur &
l'efprit de Montvilliers des plus belles couleurs
, M. de Madinville recommanda à
fa niece de continuer à lui faire un myftere
de leur parenté & de leur liaifon , afin
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
de voir comment il fe comporteroit dans
une conjoncture fi délicate .
pe-
Tout le monde fut bientôt d'accord.
On badina fur la fingularité de cette aventure
, & l'on finit par conclure que Montvilliers
demanderoit l'agrément de fon
re. Il y courut auffi- tôt , & l'ayant trouvé
feul dans fon cabinet , il alloit lui déclarer
le fujet de fa vifite : mais M. Dorneville
ne lui en laiſſa pas le loifir. J'ai jugé , lui
dit-il , qu'il étoit tems de vous établir , &
j'ai pour cela jetté les yeux fur Mlle de
F... Vous allez peut- être m'alléguer pour
vous en défendre , ajouta-t - il , je ne ſçais
quelle paffion romanefque que vous avez
prife à Paris pour une certaine perfonne
que je ne connois point . Mais fi vous voulez
que nous vivions bien enſemble , ne
m'en parlez jamais. Ne pourrai -je point ,
Monfieur , dit Montvilliers , fçavoir la
raifon ? .... Je n'ai de compte à rendre
à qui que ce foit , reprit le pere avec emportement
; en un mot , je fçais ce qu'il
vous faut. Mlle d'Arvieux n'eft point votre
fait , & je ne confentirai jamais à cette alliance
faites votre plan là- deffus . Il fortit
en difant ces mots. Montvilliers confterné
refta immobile : il ne pouvoit s'imaginer
pourquoi il paroiffoit avoir tant d'éloignement
pour un mariage convenable , & mêNOVEMBRE.
1755. 37
me avantageux . Sa maîtreffe étoit fille
unique , & M. d'Arvieux du côté de la
fortune & de la nobleffe ne le cédoit point
à M. Dorneville.
Driancourt , frere de Montvilliers , dont
j'ai rapporté la naiffance au commencement
de cette hiftoire , avoit pour lors
dix-huit àdix- neuf ans. Double, artificieux ,
adroit , flateur, il penfoit que le grand art
de vivre dans le monde étoit de faire des
dupes fans jamais le devenir , & de tout
facrifier à fon utilité . Son efprit élevé audeffus
des préjugés vulgaires ne reconnoiffoit
aucunes vertus , & tout ce que les
hommes appellent ainfi n'étoit , felon
lui , que des modifications de l'amourpropre
, qui eft dans le monde moral , ce
qu'eft l'attraction dans le monde phyfique ,
c'eft-à- dire la caufe de tout. Toutes les
actions , difoit - il , font indifférentes ,
puifqu'elles partent du même principe.
Il n'y a pas plus de mal à tromper fon
ami , à nier un dépôt , à inventer une calomnie
, qu'à rendre ſervice à fon voiſin ,
à combattre pour la défenfe de fa patrie ,
à foulager un homme dans fa mifere , ou
à faire toute autre action .
Driancourt avec ce joli fyftême , ne perdoit
point de vue le projet de fe délivrer
de fon frere , dont fa mere lui avoit fait
38 MERCURE DE FRANCE.
le
fentir mille fois la néceffité. Il crut que
moment de l'exécuter étoit arrivé. C'étoit
lui qui avoit inftruit M. Dorneville de la
paffion de Montvilliers pour Mlle d'Arvieux
, & qui en même tems avoit peint
cette Demoiſelle de couleurs peu avantageufes.
Depuis ce moment il ne ceffa de
rapporter à fon pere , dont il avoit toute la
confiance & la tendreffe , mille difcours
peu refpectueux , accompagnés de menaces
qu'il faifoit tenir à Montvilliers : enfin
il tourna fi bien l'efprit de ce vieillard foi
ble & crédule , qu'il le fit déterminer au
plus étrange parti.
L'on parloit beaucoup dans ce tems là
de ces colonies que l'on envoie en Amérique
, & qui fervent à purger l'Etat . Driancourt
ayant obtenu , non pourtant fans
quelque peine , le confentement de fon
pere , part pour D ..... trouve un vaiffeau
prêt à mettre à la voile chargé de plufieurs
miférables qui , fans être affez coupables
pour mériter la mort l'étoient cependant
affez pour faire fouhaiter à la fofociété
d'en être délivrée . Il parle au Capitaine
qui lui promit de le défaire de fon
frere , pourvu qu'il pût le lui livrer dans
deux jours. Il revint en diligence , & dès
la nuit fuivante , quatre hommes entrent
dans la chambre de Montvilliers, qui avoit
NOVEMBRE. 1755 . 39
continué de coucher chez fon pere depuis
fon retour de Paris , fe faififfent de lui ,
le contraignent de fe lever , le conduifent
à une chaiſe de pofte , l'obligent d'y monter
, d'où ils ne le firent defcendre que
pour le faire entrer dans le vaiffeau qui
partit peu de tems après .
Montvilliers qui avoit pris tout ce qui
venoit de lui arriver pour un rêve , ne
douta plus alors de la vérité . Enchaîné
deavec
plufieurs autres miférables , que
vint-il quand il fe repréfenta l'indignité
& la cruauté de fon pere , ce qu'il perdoit ,
ce qu'il alloit devenir ? Ces idées agirent
avec tant de violence fur fon efprit, qu'el
les y mirent un défordre inconcevable. Il
jugea qu'il n'avoit point d'autre reffource
dans cette extrêmité que la mort , & réfo
lut de fe laiffer mourir de faim. Il avoit
déja paffé deux jours fans prendre aucune
nourriture , mais le jeune Anglois que
voici , qui étoit pour lors compagnon de
fon infortune , comprit à fon extrême abattement
qu'il étoit plus malheureux que
coupable. Il entreprit de le confoler , il
lui préfenta quelque rafraîchiffemens qui
furent d'abord refufés ; il le preffa , il le
pria. Je ne doute pas , lui dit- il , que vous
ne foyez exceffivement à plaindre ; je veux
même croire que vous l'êtes autant que
40 MERCURE DE FRANCE
moi cependant il eft des maux encore
plus rédoutables que tous ceux que nous
éprouvons dans cette vie , & dont on fe
rend digne en entreprenant d'en borner
foi-même le cours . Peut - être le ciel qui ne
veut que vous éprouver pendant que vous
vous révoltez contre fes décrets , vous
prépare des fecours qui vous font inconnus.
Acceptez , je vous en conjure , ces
alimens que vous préfente un homme qui
s'intéreffe à votre vie.
Montvilliers qui n'avoit fait aucune
attention à tout ce qui l'environnoit , examina
celui qui lui parloit ainfi , remarqua
dans fon air quelque chofe de diftingué
& de prévenant ; il trouva quelque
douceur à l'entretenir. Il fe laiffa perfuader
, il lui raconta fon hiftoire ; & quand
il cut fini fon récit , il le preffa d'imiter
fa franchiſe , ce que le jeune Anglois fic
en ces termes :
Lafuite au prochain Mercure.
Fermer
Résumé : LES CHARMES DU CARACTERE. HISTOIRE VRAISEMBLABLE. SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE. Par Mademoiselle Plisson, de Chartres.
Le texte raconte l'histoire de Montvilliers, un gentilhomme issu d'une famille aisée, connu pour son caractère noble et généreux. Après la perte de sa mère à sa naissance, son père se remarie avec une femme aimable mais peu fortunée. À l'âge de quatre ou cinq ans, Montvilliers devient indifférent et incommodant pour sa belle-mère, qui le traite avec mépris et le considère comme stupide. Il passe ses journées dans les bois, mélancolique et découragé, se sentant comme une charge. À quinze ans, Montvilliers rencontre M. de Madinville, un militaire philosophe qui le prend sous son aile. Impressionné par l'intelligence et le caractère de Montvilliers, Madinville décide de l'aider à cultiver ses qualités naturelles. Montvilliers, touché par cette rencontre, se rend régulièrement chez Madinville, qui lui enseigne les principes de la philosophie et de la vertu. Ce changement attire l'attention de son père, mais sa belle-mère continue de le mépriser secrètement. Montvilliers, malgré son bonheur apparent, ressent un besoin d'amour et d'attachement. Il imagine une maîtresse parfaite mais ne la trouve pas parmi les jeunes femmes de sa connaissance. Un jour, M. de Madinville propose à Montvilliers d'épouser sa nièce, qu'il décrit comme ayant un esprit solide et un caractère doux. Montvilliers, bien que surpris, accepte après réflexion, voyant dans cette union un moyen de renforcer son lien avec son bienfaiteur. Madinville envoie Montvilliers à Paris pour perfectionner ses manières et ses compétences. À Paris, Montvilliers fréquente des cercles distingués et cultive ses intérêts intellectuels, tout en évitant la frivolité de la bonne société. Lors d'une promenade aux Tuileries, Montvilliers remarque une jeune demoiselle, Mlle d'Arvieux, dont la physionomie est un mélange agréable de douceur, de franchise, de modestie et de raison. Intrigué, il la suit et découvre qu'elle se rend dans une maison de campagne à B. Grâce à un ami, Montvilliers se rend également à cette maison et y rencontre Mlle d'Arvieux. Ils passent une journée ensemble, et Montvilliers est charmé par ses qualités. Il apprend qu'elle réside à Paris avec ses parents et qu'ils comptent bientôt s'installer à R., près de sa propre demeure familiale à Dorneville. Montvilliers est troublé par ses sentiments et se remémore sa promesse à M. de Madinville. Un ami lui montre des lettres de Mlle d'Arvieux, révélant ses vertus et ses qualités, qui correspondent à celles de la maîtresse idéale de Montvilliers. Après plusieurs jours, Montvilliers parvient à s'entretenir en privé avec Mlle d'Arvieux, renforçant ainsi sa passion. Cependant, il apprend qu'un certain Frienval, un homme riche et frivole, a demandé la main de Mlle d'Arvieux. Avec l'aide d'une amie de la famille, Montvilliers obtient la permission de se présenter à M. d'Arvieux, le père de Mlle d'Arvieux. Il se rend chez eux et promet de les suivre à R. Montvilliers réalise alors qu'il a négligé d'écrire à M. de Madinville et craint sa réaction. Malgré ses appréhensions, Montvilliers est déterminé à embrasser son bienfaiteur. M. de Madinville, bien que peiné par l'absence de Montvilliers, décide de le recevoir avec un air sérieux et mécontent pour tester sa fidélité. Montvilliers revient chez M. de Madinville, qui lui révèle que son projet d'alliance est avancé et que sa nièce, Mlle d'Arvieux, partage ses sentiments. Cependant, Montvilliers est troublé par la perspective de renoncer à cette alliance ou de perdre l'amitié de M. de Madinville. Il confie ses dilemmes à un honnête homme de R..., qui lui conseille de se confier à M. de Madinville. Montvilliers rencontre ensuite son père, M. Dorneville, qui lui annonce un projet de mariage avec Mlle de F..., ignorant les sentiments de Montvilliers pour Mlle d'Arvieux. Le frère de Montvilliers, Driancourt, jaloux et manipulateur, convainc M. Dorneville d'envoyer Montvilliers en Amérique. Montvilliers est enlevé et embarqué de force. À bord, un jeune Anglais tente de le réconforter, lui rappelant que des maux plus grands existent et que des secours pourraient encore survenir.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 41-46
TRADUCTION De l'Eté de M. l'Abbé Métastaze.
Début :
Des pleurs précieux de l'Aurore [...]
Mots clefs :
Bergère, Chaleur, Amour
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texteReconnaissance textuelle : TRADUCTION De l'Eté de M. l'Abbé Métastaze.
TRADUCTION
De l'Eté de M. l'Abbé Métaftaze.
DEs pleurs précieux de l'Aurore
Nos champs ne font plus pénétrés ;
brillantes couleurs de Flore ,
Njardins ne font plus parés.
L Eté , qu'un blond épic couronne ,
Amene déja la moiffon :
Et la chaleur qui l'environne ,
A terni l'éclat du
gazon.
#
L'air appéfanti nous accable ,
Sitôt que le foleil s'enfuit :
Son feu déposé dans le ſable ,
S'éleve & réchauffe la nuit.
Ces prez voifins d'une fontaine
N'ont plus de ruiffeau bienfaicteurs.
L'autan , fous fa brulante haleine ,
Voit plier la tige des fleurs.
42 MERCURE DE FRANCE:
Des nuages , la terre aride
Ne reçoit aucun aliment :
De leurs dons fa furface avide
Partout fe fillonne & fe fend.
L'arbre que le printems décore ,
N'a plus fa premiere verdeur :
Et le rayon qui le dévore .
Paroît y laiffer fa couleur.
Le faule ingrat fur le rivage ;
A ce ruiffeau qui le nourrit
Ceffant de porter fon ombrage ;
Le livre au chaud qui le tarit.
3
On voit ,fans en craindre l'outrage ,
Le moiffonneur , fous le foleil ,
Accablé du poids de l'ouvrage ,
Gouter la douceur du fommeil .
串
Près de lui la Bergere aimable ,
Courant d'un pas rapide & prompt ,
Ote d'une ma n fécourable
La fueur qui baigne fon front.
NOVEMBRE. 1755. 43
Nos guèrets couverts de pouffiere
Du timide gibier qui fuit
N'offrent plus la piste légere
A l'ennemi qui le pourfuit.
Vainement le chaffeur tourmente
Le chien bientôt las d'aboyer ;
Son haleine courte & fréquente
Paffe & repaffe à ſon gofier.
Ce taureau bondiffant fur l'herbe ,
Dont le Berger a vu l'ardeur,
Et qui furieux & fuperbe
Porta fa flamme dans fon coeur •
Cédant au chaud qui l'extenue ,
Mugit , fe couche lentement ,
Tandis que la géniffe émue
Répond à fon mugiffement.
8
Du roffignol , que rien n'égale ,
Quand les accens charment nos bois ,
Le fon aigu de la cigale
A remplacé la douce voix.
44 MERCURE DE FRANCE.
Le ferpent qui fe renouvelle ,
Siffle , épouvante les pafteurs ;
Fier , au rayon qui le décele ,
Il oppofe mille couleurs.
Au fond de l'élement humide
Qu'attiédit la chaleur du jour ,
Sous l'algue le poiffon timide ,
Cherche à tempérer fon féjour.
D'une faiſon auſſi terrible
Je fupporterois la rigueur ;
Si Life à mes foupirs fenfible ;
S'attendriffoit en ma faveur .
Qu'Amour aux déferts de Lybie ,
Ou dans les climats les plus froids ,
Me mene au gré de fon envie ,
J'y fuis heureux , fi je t'y vois.
Quoique la, cime en foit brulée ;
Ce mont , par fon dos recourbé
Par cette ombrageufe vallée )
A la chaleur eft dérobé,
NOVEMBRE. 1755. 45
De ce côteau coule une fource ,
Dont la chute épure fes eaux
Et qui partagée en la courſe ,
Se répand en mille ruiffeaux,
Jamais la Bergere n'y mene
L'importun troupeau qui la fuit ;
La lune y paroît incertaine ,
Foiblement le foleil y luit.
Qu'en ces beaux lieux la nuit nous trompe ;
Qu'elle nous preſſe de jouir ;
Et qu'aucun fouci n'interrompe
Le moment heureux du plaifir.
Pourquoi chercher dans le nuage
Du fombre & douteux avenir ;
Il n'eft qu'un tems pour le bel âge ,
Life , l'amour doit le remplir,
Si le Dieu du Pinde m'inſpire ,
Si l'amour m'affure ta foi ,
Que le fort contre mor confpire ,
Je l'attends fans aucun effroi.
46 MERCURE DE FRANCE.
Ni le luxe de la richeſſe ,
Ni le faux éclat de l'honneur ,
Ni les glaces de la vieilleffe
Ne changeront jamais mon coeur.
Tout courbé , la tête chenue ,
Mon luth fléchira fous mes doigts ;
A fa corde alors mal tendue
J'accorderai ma foible voix.
Je chercherai l'amour encore
Dans ces beaux yeux moins empreffés ;
Et fur cette main que j'adore ,
Mes froids baifers feront tracés,
Grands Dieux , qu'aucun trouble n'altere ,
De nos maux , paiſibles témoins ,
Souffrez que mon luth , ma Bergere ,
Soient toujours l'objet de mes foins.
#
i
Que pour nous la parque moitis dure ,
D'un long fil couvre ſon fuſeau ,
Life , d'une flamme auffi pure
Je brulerai jufqu'au tombeau.
Pallu , de Poitiers.
De l'Eté de M. l'Abbé Métaftaze.
DEs pleurs précieux de l'Aurore
Nos champs ne font plus pénétrés ;
brillantes couleurs de Flore ,
Njardins ne font plus parés.
L Eté , qu'un blond épic couronne ,
Amene déja la moiffon :
Et la chaleur qui l'environne ,
A terni l'éclat du
gazon.
#
L'air appéfanti nous accable ,
Sitôt que le foleil s'enfuit :
Son feu déposé dans le ſable ,
S'éleve & réchauffe la nuit.
Ces prez voifins d'une fontaine
N'ont plus de ruiffeau bienfaicteurs.
L'autan , fous fa brulante haleine ,
Voit plier la tige des fleurs.
42 MERCURE DE FRANCE:
Des nuages , la terre aride
Ne reçoit aucun aliment :
De leurs dons fa furface avide
Partout fe fillonne & fe fend.
L'arbre que le printems décore ,
N'a plus fa premiere verdeur :
Et le rayon qui le dévore .
Paroît y laiffer fa couleur.
Le faule ingrat fur le rivage ;
A ce ruiffeau qui le nourrit
Ceffant de porter fon ombrage ;
Le livre au chaud qui le tarit.
3
On voit ,fans en craindre l'outrage ,
Le moiffonneur , fous le foleil ,
Accablé du poids de l'ouvrage ,
Gouter la douceur du fommeil .
串
Près de lui la Bergere aimable ,
Courant d'un pas rapide & prompt ,
Ote d'une ma n fécourable
La fueur qui baigne fon front.
NOVEMBRE. 1755. 43
Nos guèrets couverts de pouffiere
Du timide gibier qui fuit
N'offrent plus la piste légere
A l'ennemi qui le pourfuit.
Vainement le chaffeur tourmente
Le chien bientôt las d'aboyer ;
Son haleine courte & fréquente
Paffe & repaffe à ſon gofier.
Ce taureau bondiffant fur l'herbe ,
Dont le Berger a vu l'ardeur,
Et qui furieux & fuperbe
Porta fa flamme dans fon coeur •
Cédant au chaud qui l'extenue ,
Mugit , fe couche lentement ,
Tandis que la géniffe émue
Répond à fon mugiffement.
8
Du roffignol , que rien n'égale ,
Quand les accens charment nos bois ,
Le fon aigu de la cigale
A remplacé la douce voix.
44 MERCURE DE FRANCE.
Le ferpent qui fe renouvelle ,
Siffle , épouvante les pafteurs ;
Fier , au rayon qui le décele ,
Il oppofe mille couleurs.
Au fond de l'élement humide
Qu'attiédit la chaleur du jour ,
Sous l'algue le poiffon timide ,
Cherche à tempérer fon féjour.
D'une faiſon auſſi terrible
Je fupporterois la rigueur ;
Si Life à mes foupirs fenfible ;
S'attendriffoit en ma faveur .
Qu'Amour aux déferts de Lybie ,
Ou dans les climats les plus froids ,
Me mene au gré de fon envie ,
J'y fuis heureux , fi je t'y vois.
Quoique la, cime en foit brulée ;
Ce mont , par fon dos recourbé
Par cette ombrageufe vallée )
A la chaleur eft dérobé,
NOVEMBRE. 1755. 45
De ce côteau coule une fource ,
Dont la chute épure fes eaux
Et qui partagée en la courſe ,
Se répand en mille ruiffeaux,
Jamais la Bergere n'y mene
L'importun troupeau qui la fuit ;
La lune y paroît incertaine ,
Foiblement le foleil y luit.
Qu'en ces beaux lieux la nuit nous trompe ;
Qu'elle nous preſſe de jouir ;
Et qu'aucun fouci n'interrompe
Le moment heureux du plaifir.
Pourquoi chercher dans le nuage
Du fombre & douteux avenir ;
Il n'eft qu'un tems pour le bel âge ,
Life , l'amour doit le remplir,
Si le Dieu du Pinde m'inſpire ,
Si l'amour m'affure ta foi ,
Que le fort contre mor confpire ,
Je l'attends fans aucun effroi.
46 MERCURE DE FRANCE.
Ni le luxe de la richeſſe ,
Ni le faux éclat de l'honneur ,
Ni les glaces de la vieilleffe
Ne changeront jamais mon coeur.
Tout courbé , la tête chenue ,
Mon luth fléchira fous mes doigts ;
A fa corde alors mal tendue
J'accorderai ma foible voix.
Je chercherai l'amour encore
Dans ces beaux yeux moins empreffés ;
Et fur cette main que j'adore ,
Mes froids baifers feront tracés,
Grands Dieux , qu'aucun trouble n'altere ,
De nos maux , paiſibles témoins ,
Souffrez que mon luth , ma Bergere ,
Soient toujours l'objet de mes foins.
#
i
Que pour nous la parque moitis dure ,
D'un long fil couvre ſon fuſeau ,
Life , d'une flamme auffi pure
Je brulerai jufqu'au tombeau.
Pallu , de Poitiers.
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Résumé : TRADUCTION De l'Eté de M. l'Abbé Métastaze.
Le poème 'Des pleurs précieux de l'Aurore' de l'Abbé Métafaze, publié dans le Mercure de France en novembre 1755, décrit les effets dévastateurs de la chaleur estivale sur la nature. Les champs et les jardins ont perdu leur éclat, et les arbres ont perdu leur verdure. La chaleur intense rend les nuits étouffantes et les sources d'eau sont taries. Les animaux, tels que les taureaux et les chiens, souffrent de la chaleur. Les bergers et les moissonneurs cherchent refuge dans le sommeil. Le poète exprime son amour inconditionnel pour une personne, affirmant qu'il serait heureux en sa compagnie même dans les conditions les plus difficiles. Il souhaite que son amour reste pur et constant jusqu'à la fin de sa vie, malgré les épreuves.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 47
PORTRAIT DE Mlle D... OU L'AMOUR GRAVEUR.
Début :
L'Amour est un enfant, mais l'amour sçait tout faire. [...]
Mots clefs :
Amour, Coeur, Graveur
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texteReconnaissance textuelle : PORTRAIT DE Mlle D... OU L'AMOUR GRAVEUR.
PORTRAIT DE Mlle D ...
O U
L'AMOUR GRAVEUR.
L'Amour eft un enfant , mais l'amour ſçait tout
faire.
Je fuis , dit-il un jour excellent Orateur ,
Bon Muficien , bon Peintre , bon rimeur ;
Un ſeul talent me manque , & c'eſt une miſere ;
Je n'ai jamais gravé : je veux être graveur.
L'Artiſte ingénieux prend une flèche , un coeur ,
Et d'une main délicate & légere ,
Il y deffine un front où regne la candeur ,
Un oeil vif & charmant où brille la douceur
Une bouche ſemblable à celle de fa mere.
L'amour dans ce qu'il fait ignore la lenteur.
L'ouvrage en peu de tems fut tel qu'il devoit
être ,
Et le petit deffinateur
Dit en s'applaudiffant : j'ai fait un coup de maî
tre !
Voilà le plus joli minois ,
L'air le plus fin , les plus beaux traits du monde ;
Mais feroit-ce une erreur ? & qu'est -ce que je vois?
C'eft le portrait de Life , & le coeur de L... ois !
Le pauvre coeur en tient ;la gravure eft profonde.
O U
L'AMOUR GRAVEUR.
L'Amour eft un enfant , mais l'amour ſçait tout
faire.
Je fuis , dit-il un jour excellent Orateur ,
Bon Muficien , bon Peintre , bon rimeur ;
Un ſeul talent me manque , & c'eſt une miſere ;
Je n'ai jamais gravé : je veux être graveur.
L'Artiſte ingénieux prend une flèche , un coeur ,
Et d'une main délicate & légere ,
Il y deffine un front où regne la candeur ,
Un oeil vif & charmant où brille la douceur
Une bouche ſemblable à celle de fa mere.
L'amour dans ce qu'il fait ignore la lenteur.
L'ouvrage en peu de tems fut tel qu'il devoit
être ,
Et le petit deffinateur
Dit en s'applaudiffant : j'ai fait un coup de maî
tre !
Voilà le plus joli minois ,
L'air le plus fin , les plus beaux traits du monde ;
Mais feroit-ce une erreur ? & qu'est -ce que je vois?
C'eft le portrait de Life , & le coeur de L... ois !
Le pauvre coeur en tient ;la gravure eft profonde.
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Résumé : PORTRAIT DE Mlle D... OU L'AMOUR GRAVEUR.
Le texte 'Portrait de Mlle D...' utilise la métaphore artistique pour décrire l'amour comme un enfant doué voulant maîtriser la gravure. Un artiste crée une gravure représentant Mlle de S..., mais l'amour découvre qu'elle touche le cœur de M. de L...ois.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 48
Le mauvais livre bien payé.
Début :
Le fait enfin n'est plus douteux ; [...]
Mots clefs :
Livre
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texteReconnaissance textuelle : Le mauvais livre bien payé.
Le mauvais livre bien payé.
LE fait enfin n'eft plus douteux ;
Par fois une mauvaiſe plante
Porte du fruit délicieux.
J'en ai la preuve fous les yeux ,
Puifque l'ouvrage de Dorante
A produit cent écus de rente.
LE fait enfin n'eft plus douteux ;
Par fois une mauvaiſe plante
Porte du fruit délicieux.
J'en ai la preuve fous les yeux ,
Puifque l'ouvrage de Dorante
A produit cent écus de rente.
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7
p. 48
VERS A Madame A*** Par M. Fromage, qui lui donnoit un Bal.
Début :
Des plus grands Rois j'estime peu la gloire, [...]
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texteReconnaissance textuelle : VERS A Madame A*** Par M. Fromage, qui lui donnoit un Bal.
VERS
A Madame A *** Par M. Fromage ,
qui lui donnoit un Bal.
DEs plus grands Rois j'eftime peu la gloire,
Ma royauté m'offre un fort plus charmant :
Belle Iris , avec vous ne regner qu'un moment ,
Yaut mieux que ces grandeurs d'éternelle mé
moire.
A Madame A *** Par M. Fromage ,
qui lui donnoit un Bal.
DEs plus grands Rois j'eftime peu la gloire,
Ma royauté m'offre un fort plus charmant :
Belle Iris , avec vous ne regner qu'un moment ,
Yaut mieux que ces grandeurs d'éternelle mé
moire.
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8
p. 49-54
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE, Au sujet du projet d'un nouveau Dictionnaire plus utile que tous les autres, inseré dans le Mercure du mois de Juillet de cette année.
Début :
MONSIEUR, il est bien douloureux pour toute la Nation Françoise qui [...]
Mots clefs :
Dictionnaire, Auteur, Goût, Promenade
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE, Au sujet du projet d'un nouveau Dictionnaire plus utile que tous les autres, inseré dans le Mercure du mois de Juillet de cette année.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Au fujet du projet d'un nouveau Dictionnaire
plus utile que tous les autres , inforé dans le
Mercure du mois de Juillet de cette année.
M
ONSIEUR , il eft bien douloureux
pour toute la Nation Françoife qui
fait à votre livre l'accueil le plus flatteur ,
de voir que vous y infériez journellement
une critique de fes moeurs , de fes goûts ,
de fes ufages , & de fes plaifirs ; la reconnoiffance
devroit au moins agir autant fur
vous , Monfieur , que l'amour de la patrie
le fait fur moi , je vais donc attaquer fans
ménagement l'homme de Province qui s'avife
de donner des projets de nouveaux
dictionnaires , & de s'ériger en Ariftarque
de ce qu'il y a de plus aimable dans Paris .
L'Auteur de la Lettre devroit être regardé
comme perturbateur des amufemens publics
, & comme contraire à la circulation
générale des efpeces , d'où naît l'abondance
dans un Etat.
Un Etranger , qui n'auroit pas de Paris
une idée jufte , croiroit avec raifon qu'il
n'y a pas deux perfonnes du monde en
état de parler bon fens ; il eft à croire ,
C
so MERCURE DE FRANCE.
Monfieur , que l'Auteur étoit lui - même
un élégant Provincial auquel il ne manquoit
plus que le poli de Paris , & qui étoit
venu pour le prendre dans les cercles des
géns comme il faut, c'est-à- dire , chez ceux ,
qu'il critique avec tant d'animofité .
paru-
Je conviendrai avec lui que notre maniere
de vivre differe en tout de celle de
nos peres , mais j'obferverai que nos peres
vivoient auffi différemment de nos ayeux ;
ces variations font l'ouvrage du tems, les fiécles
à venir en éprouveront de femblables .
Il me paroît tout fimple qu'une jeune
femme s'occupe de fes diamans, de fa
re , d'une partie de campagne , des fpectacles.
Veut- on que depuis 15 jufqu'à25 ans ,
elle foit occupée des affaires de fa maifon
pour fe donner des ridicules , ou qu'elle
paroille aimer fon mari pour le faire montrer
au doigt ? Non ; il faut fuivre le torrent
, l'ufage eft de s'amufer de ponpons ,
il faut le faire ; le bon ton veut qu'elles
aient des amans , elles font très - bien d'en
avoir ; il eft reçu de faire du jour la nuit ,
& de la nuit le jour , en dépit de la fanté ,
il faut encore en paffer par- là .
L'Auteur de la critique veut- il donc
réformer des chofes que l'ufage cimente encore
tous les jours à imagine-t- il qu'après la
lecture de fa lettre , tout va prendre une
NOVEMBRE. 1755. 51
nouvelle forme veut-il , dis-je , qu'un
jeune abbé fe prive des amuſemens d'un
homme de qualité ? croit- il que le jeune
magiftrat réformera une heure de toilette ,
fuira les fpectacles & les promenades ? a-t- il
pu fe perfuader que le jeune feigneur négligera
la tenue de fes chevaux , l'élégance
de fes habits , la gloire d'en avoir un
d'un goût nouveau , & celle d'enlever une
actrice au meilleur de fes amis en apparence?
Non ; c'eft perdre fon tems que de travailler
à la métamorphofe de tous ces Meffieurs.
On pourroit croire que je m'érige moimême
en critique ; il n'en eft rien . Le
goût changeant du François me paroît auffi
naturel que la conftance du Hollandois à
fumer fa pipe & à boire fa bierre . Je ne
trouve pas plus extraordinaire que l'on
coure une parodie , que de voir tout Londres
s'affembler pour un combat de coas ,
ou pour une courfe de chevaux ; j'aime autant
voir un jeune homme , afficher une
femme en la fuivant partout , qu'un Efpa
gnol paffer toutes les nuits , la guittare à la
main , fous les fenêtres de fa maîtreffe , &
je préfere l'humeur docile des maris François
, à la noire jaloufie des Italiens . * Le
goût changeant de la Nation ne trouble en
Les Italiens fe francifent tous les jours fur ce
-point.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
fien la tranquillité de l'Etat ; on ne voit
pas les partifans des culs de finges s'affembler
& recourir à l'autorité fuprême pour
demander le banniffement des cabriolets ;
chacun fe fait voiturer fuivant fon goût.
Le Philofophe préfére la défobligeante à la
diligence pour n'être pas dans la néceffité
de placer un ennuyeux à fes côtés : l'homme
à bonnes fortunes fait ufage du vis - àvis
, la voiture feule le caractériſe .
Pourquoi donc faire un crime à l'induftrie
des jolis riens qu'elle met au jour , s'il
fe trouve des gens de goût pour les payer ?
Eft - on en droit de trouver mauvais qu'un
homme fenfé faffe mettre fur fa voiture
un vernis de Martin , pendant qu'une fimple
peinture fuffiroit pour le voiturer auffi
commodément.
Je fuis convaincu , Monfieur , que l'Auteur
que je fronde , a été payé par les habitans
du Palais Royal , par le Suiffe ou la
Cafferiere des Tuilleries , pour tourner les
partifans du boulevard en ridicule , N'y at-
il pas de l'équité à laiffer jouir ceux qui
ont des maifons & des jardins fur cette
promenade , d'un avantage auffi inattendu?
cette même inconftance de la Nation
ne leur caufe-t- elle pas les plus vives allarmes,
parla certitude où ils font d'être délaiffés
avant peu, puifque la nouvelle place que
NOVEMBRE. 1755. 55
l'on fait aujourd'hui , affure au Cours un
regne plus brillant qu'aucun qu'il ait
déja eu ?
C'eft à tort que l'Auteur attaque le boulevard
fur fon irrégularité ; il s'enfuivroit
donc de-là qu'on ne devroit jamais quitter
les Tuilleries ; l'on voit cependant tous
les jours préférer une promenade champêtre
, qui doit tous fes agrémens à la feule
nature , aux jardins délicieux de Verſailles .
Je pourrois , Monfieur , entreprendre
Papologie des bourgeoifes du Marais , en
difant que l'Auteur les connoît mal , s'il
attribue le reproche qu'il leur fait de refter
jufqu'à la nuit fermée , à la vanité de ne
vouloir pas paroître s'en retourner à pied :
il n'eft pas du tout ridicule en province ,
d'aller à la promenade de cette maniere ,
& d'en revenir de même ; & ce n'eft pas
une néceffité que les habitans du Marais
fuivent les ufages , & fe modelent fur
Paris.
L'Auteur paroît avoir d'affez heureuſes
difpofitions pour être nommé controlleur
des modes & ufages , des habits & coëffures
tant d'hommes que de femmes , des voitures
grandes , petites , & de toute espece
tombereaux , & c. Les fonctions de cette
place ne font pas plus difficiles à remplir ,
que celle du Fâcheux de Moliere qui folli-
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
citoit l'infpection de toutes les enfeignes ,
& le projet de fon nouveau dictionnaire ,
équivaut bien à celui de mettre toutes les
côtes du Royaume en ports de mer.
Je ne crains pas , Monfieur , que vous
refufiez d'inférer cette lettre dans votre
Mercure , c'eſt le moyen de vous diſculper
auprès des gens comme il faut , de faire
connoître la pureté de vos intentions , &
de vous attirer les remerciemens du public
élégant.
Quant à moi , dont la modeftie auroit
trop à fouffrir , fi mon nom étoit connu ,
je veux , en le taifant , m'éviter l'importunité
de la reconnoiffance générale.
J'ai l'honneur d'être , &c.
C. D.
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Au fujet du projet d'un nouveau Dictionnaire
plus utile que tous les autres , inforé dans le
Mercure du mois de Juillet de cette année.
M
ONSIEUR , il eft bien douloureux
pour toute la Nation Françoife qui
fait à votre livre l'accueil le plus flatteur ,
de voir que vous y infériez journellement
une critique de fes moeurs , de fes goûts ,
de fes ufages , & de fes plaifirs ; la reconnoiffance
devroit au moins agir autant fur
vous , Monfieur , que l'amour de la patrie
le fait fur moi , je vais donc attaquer fans
ménagement l'homme de Province qui s'avife
de donner des projets de nouveaux
dictionnaires , & de s'ériger en Ariftarque
de ce qu'il y a de plus aimable dans Paris .
L'Auteur de la Lettre devroit être regardé
comme perturbateur des amufemens publics
, & comme contraire à la circulation
générale des efpeces , d'où naît l'abondance
dans un Etat.
Un Etranger , qui n'auroit pas de Paris
une idée jufte , croiroit avec raifon qu'il
n'y a pas deux perfonnes du monde en
état de parler bon fens ; il eft à croire ,
C
so MERCURE DE FRANCE.
Monfieur , que l'Auteur étoit lui - même
un élégant Provincial auquel il ne manquoit
plus que le poli de Paris , & qui étoit
venu pour le prendre dans les cercles des
géns comme il faut, c'est-à- dire , chez ceux ,
qu'il critique avec tant d'animofité .
paru-
Je conviendrai avec lui que notre maniere
de vivre differe en tout de celle de
nos peres , mais j'obferverai que nos peres
vivoient auffi différemment de nos ayeux ;
ces variations font l'ouvrage du tems, les fiécles
à venir en éprouveront de femblables .
Il me paroît tout fimple qu'une jeune
femme s'occupe de fes diamans, de fa
re , d'une partie de campagne , des fpectacles.
Veut- on que depuis 15 jufqu'à25 ans ,
elle foit occupée des affaires de fa maifon
pour fe donner des ridicules , ou qu'elle
paroille aimer fon mari pour le faire montrer
au doigt ? Non ; il faut fuivre le torrent
, l'ufage eft de s'amufer de ponpons ,
il faut le faire ; le bon ton veut qu'elles
aient des amans , elles font très - bien d'en
avoir ; il eft reçu de faire du jour la nuit ,
& de la nuit le jour , en dépit de la fanté ,
il faut encore en paffer par- là .
L'Auteur de la critique veut- il donc
réformer des chofes que l'ufage cimente encore
tous les jours à imagine-t- il qu'après la
lecture de fa lettre , tout va prendre une
NOVEMBRE. 1755. 51
nouvelle forme veut-il , dis-je , qu'un
jeune abbé fe prive des amuſemens d'un
homme de qualité ? croit- il que le jeune
magiftrat réformera une heure de toilette ,
fuira les fpectacles & les promenades ? a-t- il
pu fe perfuader que le jeune feigneur négligera
la tenue de fes chevaux , l'élégance
de fes habits , la gloire d'en avoir un
d'un goût nouveau , & celle d'enlever une
actrice au meilleur de fes amis en apparence?
Non ; c'eft perdre fon tems que de travailler
à la métamorphofe de tous ces Meffieurs.
On pourroit croire que je m'érige moimême
en critique ; il n'en eft rien . Le
goût changeant du François me paroît auffi
naturel que la conftance du Hollandois à
fumer fa pipe & à boire fa bierre . Je ne
trouve pas plus extraordinaire que l'on
coure une parodie , que de voir tout Londres
s'affembler pour un combat de coas ,
ou pour une courfe de chevaux ; j'aime autant
voir un jeune homme , afficher une
femme en la fuivant partout , qu'un Efpa
gnol paffer toutes les nuits , la guittare à la
main , fous les fenêtres de fa maîtreffe , &
je préfere l'humeur docile des maris François
, à la noire jaloufie des Italiens . * Le
goût changeant de la Nation ne trouble en
Les Italiens fe francifent tous les jours fur ce
-point.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
fien la tranquillité de l'Etat ; on ne voit
pas les partifans des culs de finges s'affembler
& recourir à l'autorité fuprême pour
demander le banniffement des cabriolets ;
chacun fe fait voiturer fuivant fon goût.
Le Philofophe préfére la défobligeante à la
diligence pour n'être pas dans la néceffité
de placer un ennuyeux à fes côtés : l'homme
à bonnes fortunes fait ufage du vis - àvis
, la voiture feule le caractériſe .
Pourquoi donc faire un crime à l'induftrie
des jolis riens qu'elle met au jour , s'il
fe trouve des gens de goût pour les payer ?
Eft - on en droit de trouver mauvais qu'un
homme fenfé faffe mettre fur fa voiture
un vernis de Martin , pendant qu'une fimple
peinture fuffiroit pour le voiturer auffi
commodément.
Je fuis convaincu , Monfieur , que l'Auteur
que je fronde , a été payé par les habitans
du Palais Royal , par le Suiffe ou la
Cafferiere des Tuilleries , pour tourner les
partifans du boulevard en ridicule , N'y at-
il pas de l'équité à laiffer jouir ceux qui
ont des maifons & des jardins fur cette
promenade , d'un avantage auffi inattendu?
cette même inconftance de la Nation
ne leur caufe-t- elle pas les plus vives allarmes,
parla certitude où ils font d'être délaiffés
avant peu, puifque la nouvelle place que
NOVEMBRE. 1755. 55
l'on fait aujourd'hui , affure au Cours un
regne plus brillant qu'aucun qu'il ait
déja eu ?
C'eft à tort que l'Auteur attaque le boulevard
fur fon irrégularité ; il s'enfuivroit
donc de-là qu'on ne devroit jamais quitter
les Tuilleries ; l'on voit cependant tous
les jours préférer une promenade champêtre
, qui doit tous fes agrémens à la feule
nature , aux jardins délicieux de Verſailles .
Je pourrois , Monfieur , entreprendre
Papologie des bourgeoifes du Marais , en
difant que l'Auteur les connoît mal , s'il
attribue le reproche qu'il leur fait de refter
jufqu'à la nuit fermée , à la vanité de ne
vouloir pas paroître s'en retourner à pied :
il n'eft pas du tout ridicule en province ,
d'aller à la promenade de cette maniere ,
& d'en revenir de même ; & ce n'eft pas
une néceffité que les habitans du Marais
fuivent les ufages , & fe modelent fur
Paris.
L'Auteur paroît avoir d'affez heureuſes
difpofitions pour être nommé controlleur
des modes & ufages , des habits & coëffures
tant d'hommes que de femmes , des voitures
grandes , petites , & de toute espece
tombereaux , & c. Les fonctions de cette
place ne font pas plus difficiles à remplir ,
que celle du Fâcheux de Moliere qui folli-
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
citoit l'infpection de toutes les enfeignes ,
& le projet de fon nouveau dictionnaire ,
équivaut bien à celui de mettre toutes les
côtes du Royaume en ports de mer.
Je ne crains pas , Monfieur , que vous
refufiez d'inférer cette lettre dans votre
Mercure , c'eſt le moyen de vous diſculper
auprès des gens comme il faut , de faire
connoître la pureté de vos intentions , &
de vous attirer les remerciemens du public
élégant.
Quant à moi , dont la modeftie auroit
trop à fouffrir , fi mon nom étoit connu ,
je veux , en le taifant , m'éviter l'importunité
de la reconnoiffance générale.
J'ai l'honneur d'être , &c.
C. D.
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Résumé : LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE, Au sujet du projet d'un nouveau Dictionnaire plus utile que tous les autres, inseré dans le Mercure du mois de Juillet de cette année.
Une lettre critique un projet de nouveau dictionnaire présenté dans le Mercure de juillet. L'auteur de la lettre reproche à ce projet de critiquer les mœurs, goûts, usages et plaisirs de la Nation française, et d'entraver les amusements publics ainsi que la circulation des espèces, cruciale pour l'abondance dans un État. L'auteur de la lettre suggère que le critique pourrait être un élégant provincial installé à Paris pour adopter les manières parisiennes. Il reconnaît l'évolution des modes de vie au fil du temps, mais estime que les jeunes femmes doivent se consacrer à leurs loisirs et suivre les usages en vogue, tels que prendre des amants ou fréquenter les spectacles. Il considère que toute tentative de réformer ces habitudes est vaine, car elles sont solidement ancrées par l'usage. Il compare les goûts changeants des Français à la constance des Hollandais et trouve naturel que chaque nation ait ses propres divertissements. Il défend également l'industrie des 'jolis riens' et l'inconstance de la Nation, affirmant que cela ne perturbe pas la tranquillité de l'État. L'auteur accuse le critique d'avoir été rémunéré par les habitants du Palais Royal ou des Tuileries pour tourner en ridicule les partisans du boulevard. Il espère que sa lettre sera publiée dans le Mercure pour disculper l'auteur du projet et attirer les remerciements du public élégant, tout en restant anonyme pour éviter les importunités liées à la reconnaissance générale.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 54
L'ÉLOGE IMPARFAIT. Par M. de Beuvry.
Début :
Que vous êtes belle, parfaite ! [...]
Mots clefs :
Éloge
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'ÉLOGE IMPARFAIT. Par M. de Beuvry.
L'ÉLOGE
IMPARFAIT.
Que
Par M. de Beuvry.
Ue vous êtes belle , parfaite !
Difoit l'enfant Amour à fa mere Cypris ,
Avec un gracieux fouris ,
Un jour qu'il vint à fa toilette :
Quels yeux ! quelle bouche ! quel tein !
Que d'appas touchans ! le beau fein ....
Arrêtez , dit Venus , mon fils , foyez modefte ;
C'eſt à Mars de louer le refte.
IMPARFAIT.
Que
Par M. de Beuvry.
Ue vous êtes belle , parfaite !
Difoit l'enfant Amour à fa mere Cypris ,
Avec un gracieux fouris ,
Un jour qu'il vint à fa toilette :
Quels yeux ! quelle bouche ! quel tein !
Que d'appas touchans ! le beau fein ....
Arrêtez , dit Venus , mon fils , foyez modefte ;
C'eſt à Mars de louer le refte.
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10
p. 55-56
COUPLETS. Air : Loin de la Cour, loin de la guerre.
Début :
Ah ! que l'Amour est agréable, [...]
Mots clefs :
Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COUPLETS. Air : Loin de la Cour, loin de la guerre.
COUPLETS.
Air: Loin de la Cour , loin de la
AH ! que l'Amour eft agréable ,
Quand Bacchus en dicte les loix !
Il n'eft point d'esclaves à table ,
Tous les buveurs y font des Rois-
L'amant , de fon cruel martyre ,
Y perd le fâcheux ſouvenir ;
Et fi fon coeur encor foupire ,
C'eft de tendreffe & de plaifir.
Lorfque, la coupe en main , Fatime
Porte à la ronde une fanté ,
Sur fon front que la joie anime ,
Se peint la douce volupté ;
Son gefte eſt tendre & moins timide ,
Son fourire eft plus gracieux ,
Et des defirs le feu rapide
S'allume au feu de fes beaux yeux.
33
Jadis , au fein de l'onde amere ,
Près des bords heureux de Paphos ,
L'aimable Reine de Cythere
Naquit de l'écume des flots ;
guerre.
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
Mais de cette mouffe légere ,
Que forme un fumeux champenois ,
Nous voyons , Iris , dans ton verre ,
Naître l'amour lorfque tu bois.
Lemarie.
Air: Loin de la Cour , loin de la
AH ! que l'Amour eft agréable ,
Quand Bacchus en dicte les loix !
Il n'eft point d'esclaves à table ,
Tous les buveurs y font des Rois-
L'amant , de fon cruel martyre ,
Y perd le fâcheux ſouvenir ;
Et fi fon coeur encor foupire ,
C'eft de tendreffe & de plaifir.
Lorfque, la coupe en main , Fatime
Porte à la ronde une fanté ,
Sur fon front que la joie anime ,
Se peint la douce volupté ;
Son gefte eſt tendre & moins timide ,
Son fourire eft plus gracieux ,
Et des defirs le feu rapide
S'allume au feu de fes beaux yeux.
33
Jadis , au fein de l'onde amere ,
Près des bords heureux de Paphos ,
L'aimable Reine de Cythere
Naquit de l'écume des flots ;
guerre.
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
Mais de cette mouffe légere ,
Que forme un fumeux champenois ,
Nous voyons , Iris , dans ton verre ,
Naître l'amour lorfque tu bois.
Lemarie.
Fermer
Résumé : COUPLETS. Air : Loin de la Cour, loin de la guerre.
Le poème 'Couplets' célèbre l'amour et le vin. Bacchus guide les buveurs, transformés en rois, oubliant leurs souffrances. Fatime, avec une coupe, anime la scène de joie et de volupté. Vénus naît près de Paphos. L'amour dans le champagne est comparé à l'arc-en-ciel d'Iris.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 56-63
COPIE d'une lettre écrite par M. de Voltaire à M. Rousseau, de Genève, datée du 30 Août, 1755.
Début :
J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain : je vous [...]
Mots clefs :
Société, Hommes, Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Ignorance
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COPIE d'une lettre écrite par M. de Voltaire à M. Rousseau, de Genève, datée du 30 Août, 1755.
Nous inferons une feconde fois la lettre de
M. de Voltaire à M. Rouſſeau de Genève :
trois raifons nous y déterminent . 1º . Pour la
donner plus correcte. 2 ° . Pourl'accompagner
de notes , où l'on trouvera les corrections &·
les additions qui ont été faites à cette même
lettre , telle qu'elle paroît imprimée à la fuite
de l'Orphelin . On fera par là plus à portés
de comparer les deux leçons , & de juger
quelle eft la meilleure . 3. Nous la redonnons
pour la commodité du Lecteur , qui pourra
la parcourir fans changer de volume , avant
que de lire la réponse de M. Rouſſeau , que
nous allons y joindre , afin de ne rien laiſſer à
défirer fur ce sujet à la curiofité du public .
COPIE d'une lettre écrite par M. de Voltaire
à M. Rouffeau , de Genève , datée du
30 Août , 1755.
J'Ai :
'Ai
reçu , Monfieur
, votre
nouveau
livre
contre
le genre
humain
: je vous
en remercie
. Vous
plairez
aux hommes
à
qui vous
dites
leurs
vérités
, & vous
ne
NOVEMBRE. 1755. 57
les corrigerez pas. Vous peignez avec des
couleurs bien vraies les horreurs de la
fociété humaine , dont l'ignorance & la
foibleffe fe promettent tant de douceurs ,
On n'a jamais employé tant d'efprit à vou→
loir nous rendre bêtes.
Il prend envie de marcher à quatre
pattes , quand on lit votre ouvrage ; cependant
comme il y a plus de foixante ans
que j'en ai perdu l'habitude , je fens malheureufement
qu'il m'eft impoffible de la
reprendre , & je laiffe cette allure naturelle
à ceux qui en font plus dignes que vous
& moi. Je ne peux non plus m'embarquer
pour aller trouver les fauvages du
Canada , premierement , parce que les maladies
aufquelles je fuis condamné , me rendent
un médecin ( a ) d'Europe néceffaire ;
Secondement , parce que la guerre eft portée
dans ce païs - là ; & que les exemples
de nos nations ont rendu ces fauvages
prefque auffi méchans que nous . Je me
borne à être un fauvage paifible dans la
folitude que j'ai choifie auprès de votre
patrie , où vous devriez être ( b ).
•
(4) Il y a dans la copie imprimée chez Lam
bert ; me rétiennent auprès du plus grand Medecin
de l'Europe , & que je ne trouverois pas Les
mêmes fecours chez les Miflouris.
(b ) Qu yous êtes tant défiré.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
J'avoue avec vous que les Belles- Lettres
& les Sciences ont caufé quelquefois beaucoup
de mal. Les ennemis du Taffe firent
de fa vie un tiffu de malheurs. Ceux de
Galilée le firent gémir dans les priſons à
70 ans , pour avoir connu le mouvement
de la terre ; & ce qu'il y a de plus honteux
, c'eft qu'ils l'obligerent à fe rétracter.
: Dès que vos amis eurent commencé le
Dictionnaire Encyclopédique , ceux qui
oferent être leurs rivaux , les traiterent de
Déiftes , d'Athées & même de Janféniſtes .
Si j'ofois me compter parmi ceux dont les
travaux n'ont eu que la perfécution pour
récompenfe , je vous ferois voir une troupe
de miférables acharnés à me perdre , du
jour que je donnai la Tragédie d'Edipe ,
une bibliothéque de calomnies ridicules
imprimées contre moi ( c ) , un Prêtre ex-
(r) Un homme , qui m'avoit des obligations
affez connues , me payant de mon fervice par
vingt libelles ; un autre beaucoup plus coupable
encore , faifant imprimer mon propre ouvrage du
fiecle de Louis XIV. avec des notes dans lefquelles
l'ignorance la plus craffe vomit les plus infâmes
impoftures : un autre qui vend à un Libraire
quelques chapitres d'une prétendue hiſtoire univerfelle
fous mon nom , le Libraire affez avide
pour imprimer ce tiffu informe de bévues , de
fauffes dates , de faits & de noms eftropiés ; & enfin
des hommes affez injuftes pour m'imputer la
publication de cette raplodie.
NOVEMBRE. 1755 . 19
Jéfuite que j'avois fauvé du dernier fupplice
, me payant par des libelles diffamatoires
, du fervice que je lui avois rendu ;
un homme plus coupable encore , faifant
imprimer mon propre ouvrage du fiecle
de Louis XIV. avec des notes où la plus
craffe ignorance débite les impoftures les
plus effrontées , un autre qui vend à un
Libraire une prétendue hiftoire univerfelle
fous mon nom , & le Libraire affez
avide & affez fot pour imprimer ce tiffa
informe de bévues , de fauffes dattes , de
faits & de noms eftropiés ; & enfin des
hommes affez lâches & affez méchans pour
m'imputer certe rapfodie ; je vous ferois
voir la fociété infectée de ce nouveau genre
d'hommes inconnus à toute l'antiquité,
qui ne pouvant embraffer une profeffion
honnête , foit de laquais , foit de manoeuvre
, & fçachant malheureufement lire &
écrire , fe font courtiers de littérature , volent
des manufcrits , les défigurent & les
vendent.
(d ) Je pourrois me plaindre qu'une
plaifanterie faite il y a près de trente ans
(d) Je pourrois me plaindre que des fragmens
d'une plaifanterie faite il y a près de trente ans
fur le même fojet , que Chapelain eut la bêtife de
traiter férieufement , courent aujourd'hui le monde
par l'infidélité & l'ayarice de ces malheureux ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
ans fur le même fujet , que Chapelain eut
la bêtife de traiter férieufement , court
aujourd'hui le monde par l'infidélité &
l'avarice de ces malheureux qui l'ont défigurée
avec autant de fottife que
de mafice
, & qui , au bout de trente ans , vendent
partout cet ouvrage , lequel , certainement
, n'eft plus le mien , & qui eft
devenu le leur. J'ajouterois qu'en dernier
lieu , on a ofé fouiller dans les archives
les plus refpectables , & y voler une partie
des mémoires que j'y avois mis en dépôt
, lorsque j'étois hiftoriographe de France
, & qu'on a vendu à un Libraire de Paris
le fruit de mes travaux. Je vous peindrois
l'ingratitude , l'impofture & la rapine
me pourſuivant jufqu'aux pieds des Alpes
, & jufqu'au bord de mon tombeau (e) .
qui ont mêlé leurs groffieretés à ce badinage ,
qui en ont rempli les vuides avec autant de fottife
que de malice , & qui enfin au bout de trente ans,
vendent partout en manufcrit ce qui n'appartient
qu'à eux , & qui n'eft digne que d'eux. J'ajouterai
qu'en dernier lieu on a volé une partie des maté
riaux que j'avois raffemblés dans les archives publiques
, pour fervir à l'hiftoire de la guerre de
1741. lorfque j'étois hiftoriographe de France ;
qu'on a vendu à un Libraire ce fruit de mon travail
; qu'on fe faifit à l'envi de mon bien , comme
j'étois déja mort , & qu'on le dénature pour le
mettre à l'encan .
(e) Mais que concluerai-je de toutes ces tribuNOVEMBRE.
1755. 61
Mais , Monfieur , avouez auffi que ces
épines attachées à la littérature & à la
reputation , ne font que des fleurs en comparaifon
des maux qui , de tout tems , ont
inondé la terre .
Avouez que ni Cicéron , ni Lucrece ,
ni Virgile , ni Horace , ne furent les Aulations
? Que je ne dois pas me plaindre. Que
Pope , Deſcartes , Bayle , le Camoëns , & cent
autres ont effuié les mêmes injuftices , & de plus
grandes ; que cette deftinée eft celle de prefque
Tous ceux que l'amour des lettres a trop féduits .'
Avouez , en effet , que ce font là de ces petits
malheurs particuliers , dont à peine la fociété s'apperçoit.
Qu'importe au genre humain que quelques
frelons pillent le miel de quelques abeilles . Les
gens de lettres font grand bruit de toutes ces petites
querelles : le refte du monde les ignore , ou en rit.
De toutes les amertumes répandues fur la vie humaine
, ce font là les moins funeftes. Les épines .
attachées à la littérature & à un peu de réputation ,
ne font que des fleurs en comparaifon des autres
maux , qui de tout tems ont inondé la terre.
Avouez que ni Cicéron , ni Varron , ni Lucrece ,
ni Virgile, ni Horace , n'eurent la moindre part
aux profcriptions. Marius étoit un ignorant , le
barbare Sylla , le crapuleux Antoine , l'imbécile
Lépide , lífoient peu Platon & Sophocle ; & pour
ce tyran fans courage , Octave Cépias , furnommé
fi lâchement Augufte , il ne fut un déteftable
affaffin , que dans le tems où il fut privé de la fociété
des gens de lettres . Avouez que Pétrarque
& Bocace ne firent pas naître les troubles d'Italie.
Avouez que le badinage de Marot , &c.
62 MERCURE DE FRANCE.
teurs des profcriptions de Silla , de ce débauché
d'Antoine , de cet imbécile Lépide
, de ce tyran fans courage , Octave
Cépias furnommé fi lâchement Augufte.
Avouez que le badinage de Marot n'a
pas produit la faint Barthelemi , & que la
tragédie du Cid ne caufa pas lesguerres
de la fronde . Les grands crimes n'ont été
commis que par de célébres ignorans. Cel
qui fait & ce qui fera toujours de ce monde
une vallée de larmes , c'eſt l'infatiable
cupidité de l'indomptable orgueil des hom
mes , depuis Thamas - Koulikan qui ne
fçavoit pas lire , jufqu'à un commis de la
Douanne , qui ne fçait que chiffrer. Les
Lettres nourriffent l'ame , la rectifient
la confolent , & elles font même votre
gloire dans le tems que vous écrivez
contr'elles. Vous êtes comme Achille , qui
s'emporte contre la gloire , & comme le
P. Mallebranche dont l'imagination brillante
écrivoit.contre l'imagination (ƒ).
M. Chappuis m'apprend que votre fan-
"
(f) Si quelqu'un doit fe plaindre des lettres
c'eft moi , puifque dans tous les tems & dans tous
les lieux ; elles ont fervi à me perfécuter. Mais il
faut les aimer malgré l'abus qu'on en fait , comme
il faut aimer la fociété , dont tant d'hommes
méchans corrompent les douceurs ; comme il
faut aimer fa patrie , quelques injuſtices qu'on
y effuye.
NOVEMBRE . 1755. 63
ré eft bien mauvaife ; il faudroit la venir
rétablir dans l'air natal , jouir de la liberté,
boire avec moi du lait de nos vaches &
brouter nos herbes.
Je fuis très- philofophiquement , & avec
la plus tendre eftime. &c.
M. de Voltaire à M. Rouſſeau de Genève :
trois raifons nous y déterminent . 1º . Pour la
donner plus correcte. 2 ° . Pourl'accompagner
de notes , où l'on trouvera les corrections &·
les additions qui ont été faites à cette même
lettre , telle qu'elle paroît imprimée à la fuite
de l'Orphelin . On fera par là plus à portés
de comparer les deux leçons , & de juger
quelle eft la meilleure . 3. Nous la redonnons
pour la commodité du Lecteur , qui pourra
la parcourir fans changer de volume , avant
que de lire la réponse de M. Rouſſeau , que
nous allons y joindre , afin de ne rien laiſſer à
défirer fur ce sujet à la curiofité du public .
COPIE d'une lettre écrite par M. de Voltaire
à M. Rouffeau , de Genève , datée du
30 Août , 1755.
J'Ai :
'Ai
reçu , Monfieur
, votre
nouveau
livre
contre
le genre
humain
: je vous
en remercie
. Vous
plairez
aux hommes
à
qui vous
dites
leurs
vérités
, & vous
ne
NOVEMBRE. 1755. 57
les corrigerez pas. Vous peignez avec des
couleurs bien vraies les horreurs de la
fociété humaine , dont l'ignorance & la
foibleffe fe promettent tant de douceurs ,
On n'a jamais employé tant d'efprit à vou→
loir nous rendre bêtes.
Il prend envie de marcher à quatre
pattes , quand on lit votre ouvrage ; cependant
comme il y a plus de foixante ans
que j'en ai perdu l'habitude , je fens malheureufement
qu'il m'eft impoffible de la
reprendre , & je laiffe cette allure naturelle
à ceux qui en font plus dignes que vous
& moi. Je ne peux non plus m'embarquer
pour aller trouver les fauvages du
Canada , premierement , parce que les maladies
aufquelles je fuis condamné , me rendent
un médecin ( a ) d'Europe néceffaire ;
Secondement , parce que la guerre eft portée
dans ce païs - là ; & que les exemples
de nos nations ont rendu ces fauvages
prefque auffi méchans que nous . Je me
borne à être un fauvage paifible dans la
folitude que j'ai choifie auprès de votre
patrie , où vous devriez être ( b ).
•
(4) Il y a dans la copie imprimée chez Lam
bert ; me rétiennent auprès du plus grand Medecin
de l'Europe , & que je ne trouverois pas Les
mêmes fecours chez les Miflouris.
(b ) Qu yous êtes tant défiré.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
J'avoue avec vous que les Belles- Lettres
& les Sciences ont caufé quelquefois beaucoup
de mal. Les ennemis du Taffe firent
de fa vie un tiffu de malheurs. Ceux de
Galilée le firent gémir dans les priſons à
70 ans , pour avoir connu le mouvement
de la terre ; & ce qu'il y a de plus honteux
, c'eft qu'ils l'obligerent à fe rétracter.
: Dès que vos amis eurent commencé le
Dictionnaire Encyclopédique , ceux qui
oferent être leurs rivaux , les traiterent de
Déiftes , d'Athées & même de Janféniſtes .
Si j'ofois me compter parmi ceux dont les
travaux n'ont eu que la perfécution pour
récompenfe , je vous ferois voir une troupe
de miférables acharnés à me perdre , du
jour que je donnai la Tragédie d'Edipe ,
une bibliothéque de calomnies ridicules
imprimées contre moi ( c ) , un Prêtre ex-
(r) Un homme , qui m'avoit des obligations
affez connues , me payant de mon fervice par
vingt libelles ; un autre beaucoup plus coupable
encore , faifant imprimer mon propre ouvrage du
fiecle de Louis XIV. avec des notes dans lefquelles
l'ignorance la plus craffe vomit les plus infâmes
impoftures : un autre qui vend à un Libraire
quelques chapitres d'une prétendue hiſtoire univerfelle
fous mon nom , le Libraire affez avide
pour imprimer ce tiffu informe de bévues , de
fauffes dates , de faits & de noms eftropiés ; & enfin
des hommes affez injuftes pour m'imputer la
publication de cette raplodie.
NOVEMBRE. 1755 . 19
Jéfuite que j'avois fauvé du dernier fupplice
, me payant par des libelles diffamatoires
, du fervice que je lui avois rendu ;
un homme plus coupable encore , faifant
imprimer mon propre ouvrage du fiecle
de Louis XIV. avec des notes où la plus
craffe ignorance débite les impoftures les
plus effrontées , un autre qui vend à un
Libraire une prétendue hiftoire univerfelle
fous mon nom , & le Libraire affez
avide & affez fot pour imprimer ce tiffa
informe de bévues , de fauffes dattes , de
faits & de noms eftropiés ; & enfin des
hommes affez lâches & affez méchans pour
m'imputer certe rapfodie ; je vous ferois
voir la fociété infectée de ce nouveau genre
d'hommes inconnus à toute l'antiquité,
qui ne pouvant embraffer une profeffion
honnête , foit de laquais , foit de manoeuvre
, & fçachant malheureufement lire &
écrire , fe font courtiers de littérature , volent
des manufcrits , les défigurent & les
vendent.
(d ) Je pourrois me plaindre qu'une
plaifanterie faite il y a près de trente ans
(d) Je pourrois me plaindre que des fragmens
d'une plaifanterie faite il y a près de trente ans
fur le même fojet , que Chapelain eut la bêtife de
traiter férieufement , courent aujourd'hui le monde
par l'infidélité & l'ayarice de ces malheureux ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
ans fur le même fujet , que Chapelain eut
la bêtife de traiter férieufement , court
aujourd'hui le monde par l'infidélité &
l'avarice de ces malheureux qui l'ont défigurée
avec autant de fottife que
de mafice
, & qui , au bout de trente ans , vendent
partout cet ouvrage , lequel , certainement
, n'eft plus le mien , & qui eft
devenu le leur. J'ajouterois qu'en dernier
lieu , on a ofé fouiller dans les archives
les plus refpectables , & y voler une partie
des mémoires que j'y avois mis en dépôt
, lorsque j'étois hiftoriographe de France
, & qu'on a vendu à un Libraire de Paris
le fruit de mes travaux. Je vous peindrois
l'ingratitude , l'impofture & la rapine
me pourſuivant jufqu'aux pieds des Alpes
, & jufqu'au bord de mon tombeau (e) .
qui ont mêlé leurs groffieretés à ce badinage ,
qui en ont rempli les vuides avec autant de fottife
que de malice , & qui enfin au bout de trente ans,
vendent partout en manufcrit ce qui n'appartient
qu'à eux , & qui n'eft digne que d'eux. J'ajouterai
qu'en dernier lieu on a volé une partie des maté
riaux que j'avois raffemblés dans les archives publiques
, pour fervir à l'hiftoire de la guerre de
1741. lorfque j'étois hiftoriographe de France ;
qu'on a vendu à un Libraire ce fruit de mon travail
; qu'on fe faifit à l'envi de mon bien , comme
j'étois déja mort , & qu'on le dénature pour le
mettre à l'encan .
(e) Mais que concluerai-je de toutes ces tribuNOVEMBRE.
1755. 61
Mais , Monfieur , avouez auffi que ces
épines attachées à la littérature & à la
reputation , ne font que des fleurs en comparaifon
des maux qui , de tout tems , ont
inondé la terre .
Avouez que ni Cicéron , ni Lucrece ,
ni Virgile , ni Horace , ne furent les Aulations
? Que je ne dois pas me plaindre. Que
Pope , Deſcartes , Bayle , le Camoëns , & cent
autres ont effuié les mêmes injuftices , & de plus
grandes ; que cette deftinée eft celle de prefque
Tous ceux que l'amour des lettres a trop féduits .'
Avouez , en effet , que ce font là de ces petits
malheurs particuliers , dont à peine la fociété s'apperçoit.
Qu'importe au genre humain que quelques
frelons pillent le miel de quelques abeilles . Les
gens de lettres font grand bruit de toutes ces petites
querelles : le refte du monde les ignore , ou en rit.
De toutes les amertumes répandues fur la vie humaine
, ce font là les moins funeftes. Les épines .
attachées à la littérature & à un peu de réputation ,
ne font que des fleurs en comparaifon des autres
maux , qui de tout tems ont inondé la terre.
Avouez que ni Cicéron , ni Varron , ni Lucrece ,
ni Virgile, ni Horace , n'eurent la moindre part
aux profcriptions. Marius étoit un ignorant , le
barbare Sylla , le crapuleux Antoine , l'imbécile
Lépide , lífoient peu Platon & Sophocle ; & pour
ce tyran fans courage , Octave Cépias , furnommé
fi lâchement Augufte , il ne fut un déteftable
affaffin , que dans le tems où il fut privé de la fociété
des gens de lettres . Avouez que Pétrarque
& Bocace ne firent pas naître les troubles d'Italie.
Avouez que le badinage de Marot , &c.
62 MERCURE DE FRANCE.
teurs des profcriptions de Silla , de ce débauché
d'Antoine , de cet imbécile Lépide
, de ce tyran fans courage , Octave
Cépias furnommé fi lâchement Augufte.
Avouez que le badinage de Marot n'a
pas produit la faint Barthelemi , & que la
tragédie du Cid ne caufa pas lesguerres
de la fronde . Les grands crimes n'ont été
commis que par de célébres ignorans. Cel
qui fait & ce qui fera toujours de ce monde
une vallée de larmes , c'eſt l'infatiable
cupidité de l'indomptable orgueil des hom
mes , depuis Thamas - Koulikan qui ne
fçavoit pas lire , jufqu'à un commis de la
Douanne , qui ne fçait que chiffrer. Les
Lettres nourriffent l'ame , la rectifient
la confolent , & elles font même votre
gloire dans le tems que vous écrivez
contr'elles. Vous êtes comme Achille , qui
s'emporte contre la gloire , & comme le
P. Mallebranche dont l'imagination brillante
écrivoit.contre l'imagination (ƒ).
M. Chappuis m'apprend que votre fan-
"
(f) Si quelqu'un doit fe plaindre des lettres
c'eft moi , puifque dans tous les tems & dans tous
les lieux ; elles ont fervi à me perfécuter. Mais il
faut les aimer malgré l'abus qu'on en fait , comme
il faut aimer la fociété , dont tant d'hommes
méchans corrompent les douceurs ; comme il
faut aimer fa patrie , quelques injuſtices qu'on
y effuye.
NOVEMBRE . 1755. 63
ré eft bien mauvaife ; il faudroit la venir
rétablir dans l'air natal , jouir de la liberté,
boire avec moi du lait de nos vaches &
brouter nos herbes.
Je fuis très- philofophiquement , & avec
la plus tendre eftime. &c.
Fermer
Résumé : COPIE d'une lettre écrite par M. de Voltaire à M. Rousseau, de Genève, datée du 30 Août, 1755.
Le texte présente une lettre de Voltaire à Rousseau, datée du 30 août 1755, republiée pour corriger des erreurs, ajouter des notes explicatives et offrir une lecture continue avant la réponse de Rousseau. Dans cette lettre, Voltaire exprime sa réception du livre de Rousseau, intitulé 'contre le genre humain'. Il reconnaît la vérité des horreurs de la société humaine décrites par Rousseau. Voltaire mentionne qu'il est impossible pour lui de revenir à un état plus naturel ou de vivre parmi les sauvages du Canada en raison de sa santé et des guerres. Il évoque également les persécutions subies par les intellectuels, y compris lui-même, et les calomnies dont il a été victime. Voltaire compare ces épreuves aux maux plus grands qui affligent l'humanité et conclut que les lettres, malgré les abus, nourrissent et consolent l'âme. Il exprime finalement son amour pour les lettres et la société, malgré leurs défauts.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
12
p. 63-68
Réponse de M. Rousseau à M. de Voltaire Septembre 1755.
Début :
C'est à moi, Monsieur, de vous remercier à tous égards. En vous offrant [...]
Mots clefs :
Hommes, Gloire, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Réponse de M. Rousseau à M. de Voltaire Septembre 1755.
Réponse de M. Rouſſeau à M. de Voltaire
Septembre 1755.
C
' Eft à moi , Monfieur, de vous remer .
cier à tous égards . En vous offrant
l'ébauche de mes triftes rêveries , je n'ai
point cru vous faire un préfent digne de
vous , mais m'acquitter d'un devoir , &
vous rendre un hommage que nous vous
devons tous comme à notre chef. Senfible
d'ailleurs à l'honneur que vous faites à ma
patrie , je partage la reconnoiffance de mes
citoyens , & j'efpere qu'elle ne fera qu'augmenter
encore , lorfqu'ils auront profité
des inftructions que vous pouvez leur donner.
Embelliffez l'afyle que vous avez
choiſi : éclairez un peuple digne de vos
leçons ; & vous qui fçavez fi bien peindre
les vertus & la liberté , apprenez - nous
à les chérir dans nos moeurs comme dans
vos écrits. Tout ce qui vous approche doit
apprendre de vous le chemin de la gloire
64 MERCURE DE FRANCE.
& de l'immortalité. Vous voyez que je
n'afpire pas à nous rétablir dans notre bêtife
, quoique je regrette beaucoup pour
ma part , le peu que j'en ai perdu . A votre
égard , Monfieur , ce retour feroit un mi- -
racle fi grand, qu'il n'appartient qu'à Dien
de le faire , & fi pernicieux qu'il n'appartient
qu'au diable de le vouloir. Ne tentez
donc pas de retomber à quatre pattes ,
perfonne au monde n'y réuffiroit moins
que vous. Vous nous redreffez trop bien
fur nos deux pieds pour ceffer de vous
tenir fur les vôtres . Je conviens de toutes
les difgraces qui pourfuivent les hommes
célébres dans la littérature . Je conviens
même de tous ces maux attachés à l'humanité
qui paroiffent indépendans de nos
vaines connoiffances. Les hommes ont ouvert
fur eux - mêmes tant de fources de
miferes , que quand le hazard en détourne
quelqu'une , ils n'en font guère plus
heureux . D'ailleurs , il y a dans le progrès
des chofes des liaifons cachées que
le vulgaire n'apperçoit pas , mais qui n'échapperont
point à l'oeil du Philofophe ,
quand il y voudra réfléchir. Ce n'eft ni
Terence , ni Ciceron , ni Virgile , ni Sénéque
, ni Tacite , qui ont produit les
crimes des Romains & les malheurs de
Rome; mais fans le poifon lent & fecret
NOVEMBRE. 1755. 65
qui corrompoit infenfiblement le plus vigoureux
gouvernement dont l'Hiftoire ait
fait mention , Cicéron , ni Lucréce , ni
Sallufte , ni tous les autres , n'euffent
point exifté ou n'euffent point écrit. Le
fiécle aimable de Lælius & de Térence
amenoit de loin le fiécle brillant d'Auguf
te & d'Horace , & enfin les fiécles horribles
de Senéque & de Néron , de Tacite
& de Domitien . Le goût des fciences &
des arts naît chez un peuple d'un vice intérieur
qu'il augmente bientôt à fon tour ;
& s'il eft vrai que tous les progrès humains
font pernicieux à l'efpece , ceux de
l'efprit & des connoiffances qui augmennotre
orgueil , & multiplient nos
égaremens , accélerent bientôt nos malheurs
: mais il vient un tems où elles font
néceffaires pour l'empêcher d'augmenter.
C'eft le fer qu'il faut laiffer dans la plaie ,
de peur que le bleffé n'expire en l'arrachant.
Quant à moi , fi j'avois fuivi ma
premiere vocation , & que je n'euffe ni
lu ni écrit , j'en aurois été fans doute plus
heureux cependant , fi les lettres étoient
maintenant anéanties , je ferois privé de
l'unique plaifir qui me refte. C'eft dans
leur fein que je me confole de tous mes
maux. C'eſt parmi leurs illuftres enfans
que je goûte les douceurs de l'amitié ,
66 MERCURE DE FRANCE.
que j'apprens à jouir de la vie , & à méprifer
la mort. Je leur dois le peu que je
fuis , je leur dois même l'honneur d'être
connu de vous. Mais confultons l'intérêt
dans nos affaires , & la vérité dans nos
écrits ; quoiqu'il faille des Philofophes ,
des Hiftoriens & des vrais Sçavans pour
éclairer le monde & conduire fes aveugles
habitans . Si le fage Memnon m'a dit
vrai , je ne connois rien de fi fou qu'un
peuple de Sages ; convenez-en , Monfieur .
S'il eft bon que de grands génies inftruifent
les hommes , il faut que le vulgaire
reçoive leurs inftructions ; fi chacun fe
mêle d'en donner , où feront ceux qui les
voudront recevoir ? Les boiteux , dit Montagne
, font mal- propres aux exercices du
corps ; & aux exercices de l'efprit , les ames
boiteufes ; mais en ce fiécle fçavant on ne
voit que boiteux vouloir apprendre à mar,
cher aux autres. Le peuple reçoit les écrits
des Sages pour les juger & non pour s'inftruire.
Jamais on ne vit tant de Dandins :
le théatre en fourmille , les caffés rétentiffent
de leurs fentences , les quais régorgent
de leurs écrits , & j'entens critiquer
l'Orphelin , parce qu'on l'applaudit , à
tel grimaud fi peu capable d'en voir les
défauts , qu'à peine en fent -il les beautés.
Recherchons la premiere fource de tous
NOVEMBRE. 1755 67
les défordres de la fociété , nous trouverons
que tous les maux des hommes leur
viennent plus de l'erreur que de l'ignorance
, & que ce que nous ne fçavons point
nous nuit beaucoup moins que ce que
nous croyons fçavoir. Or quel plus für
moyen de courir d'erreurs en erreurs , que
la fureur de fçavoir tout ? Si l'on n'eût pas
prétendu fçavoir que la terre ne tournoit
pas , on n'eût point puni Galilée pour avoir
dit qu'elle tournoit . Si les feuls Philofophes
en euffent réclamé le titre , l'Encyclopédie
n'eût point eu de perfécuteurs. Si cent
mirmidons n'afpiroient point à la gloire ,
vous jouiriez paiſiblement de la vôtre , ou
du moins vous n'auriez que des adverfaires
dignes de vous . Ne foyez donc point
furpris de fentir quelques épines inféparables
des fleurs qui couronnent les grands
talens. Les injures de vos ennemis font les
cortéges de votre gloire , comme les acclamations
fatyriques étoient ceux dont on
accabloit les Triomphateurs. C'est l'empreffement
que le public a pour tous vos
écrits , qui produit les vols dont vous vous
plaignez mais les falfifications n'y font
pas faciles ; car ni le fer ni le plomb ne
s'allient pas avec l'or. Permettez-moi de
vous le dire , par l'intérêt que je prends
à votre repos & à notre inftruction : mé68
MERCURE DE FRANCE.
prifez de vaines clameurs , par lefquelles
on cherche moins à vous faire du mal
qu'à vous détourner de bien faire. Plus on
Vous critiquera , plus vous devez vous
faire admirer ; un bon livre est une terrible
réponſe à de mauvaiſes injures . Eh !
qui oferoit vous attribuer des écrits que
vous n'aurez point faits , tant que vous ne
continuerez qu'à en faire d'inimitables ?
Je fuis fenfible à votre invitation ; & fi
cet hyver me laiffe en état d'aller au printems
habiter ma patrie , j'y profiterai de
vos bontés mais j'aime encore mieux
boire de l'eau de votre fontaine que du
lait de vos vaches ; & quant aux herbes
de votre verger, je crains bien de n'y trouver
que le lotos qui n'eft que la pâture des
bêtes , ou le moli qui empêche les hommes
de le devenir.
Je fuis de tout mon coeur , avec refpect ,
&c.
Septembre 1755.
C
' Eft à moi , Monfieur, de vous remer .
cier à tous égards . En vous offrant
l'ébauche de mes triftes rêveries , je n'ai
point cru vous faire un préfent digne de
vous , mais m'acquitter d'un devoir , &
vous rendre un hommage que nous vous
devons tous comme à notre chef. Senfible
d'ailleurs à l'honneur que vous faites à ma
patrie , je partage la reconnoiffance de mes
citoyens , & j'efpere qu'elle ne fera qu'augmenter
encore , lorfqu'ils auront profité
des inftructions que vous pouvez leur donner.
Embelliffez l'afyle que vous avez
choiſi : éclairez un peuple digne de vos
leçons ; & vous qui fçavez fi bien peindre
les vertus & la liberté , apprenez - nous
à les chérir dans nos moeurs comme dans
vos écrits. Tout ce qui vous approche doit
apprendre de vous le chemin de la gloire
64 MERCURE DE FRANCE.
& de l'immortalité. Vous voyez que je
n'afpire pas à nous rétablir dans notre bêtife
, quoique je regrette beaucoup pour
ma part , le peu que j'en ai perdu . A votre
égard , Monfieur , ce retour feroit un mi- -
racle fi grand, qu'il n'appartient qu'à Dien
de le faire , & fi pernicieux qu'il n'appartient
qu'au diable de le vouloir. Ne tentez
donc pas de retomber à quatre pattes ,
perfonne au monde n'y réuffiroit moins
que vous. Vous nous redreffez trop bien
fur nos deux pieds pour ceffer de vous
tenir fur les vôtres . Je conviens de toutes
les difgraces qui pourfuivent les hommes
célébres dans la littérature . Je conviens
même de tous ces maux attachés à l'humanité
qui paroiffent indépendans de nos
vaines connoiffances. Les hommes ont ouvert
fur eux - mêmes tant de fources de
miferes , que quand le hazard en détourne
quelqu'une , ils n'en font guère plus
heureux . D'ailleurs , il y a dans le progrès
des chofes des liaifons cachées que
le vulgaire n'apperçoit pas , mais qui n'échapperont
point à l'oeil du Philofophe ,
quand il y voudra réfléchir. Ce n'eft ni
Terence , ni Ciceron , ni Virgile , ni Sénéque
, ni Tacite , qui ont produit les
crimes des Romains & les malheurs de
Rome; mais fans le poifon lent & fecret
NOVEMBRE. 1755. 65
qui corrompoit infenfiblement le plus vigoureux
gouvernement dont l'Hiftoire ait
fait mention , Cicéron , ni Lucréce , ni
Sallufte , ni tous les autres , n'euffent
point exifté ou n'euffent point écrit. Le
fiécle aimable de Lælius & de Térence
amenoit de loin le fiécle brillant d'Auguf
te & d'Horace , & enfin les fiécles horribles
de Senéque & de Néron , de Tacite
& de Domitien . Le goût des fciences &
des arts naît chez un peuple d'un vice intérieur
qu'il augmente bientôt à fon tour ;
& s'il eft vrai que tous les progrès humains
font pernicieux à l'efpece , ceux de
l'efprit & des connoiffances qui augmennotre
orgueil , & multiplient nos
égaremens , accélerent bientôt nos malheurs
: mais il vient un tems où elles font
néceffaires pour l'empêcher d'augmenter.
C'eft le fer qu'il faut laiffer dans la plaie ,
de peur que le bleffé n'expire en l'arrachant.
Quant à moi , fi j'avois fuivi ma
premiere vocation , & que je n'euffe ni
lu ni écrit , j'en aurois été fans doute plus
heureux cependant , fi les lettres étoient
maintenant anéanties , je ferois privé de
l'unique plaifir qui me refte. C'eft dans
leur fein que je me confole de tous mes
maux. C'eſt parmi leurs illuftres enfans
que je goûte les douceurs de l'amitié ,
66 MERCURE DE FRANCE.
que j'apprens à jouir de la vie , & à méprifer
la mort. Je leur dois le peu que je
fuis , je leur dois même l'honneur d'être
connu de vous. Mais confultons l'intérêt
dans nos affaires , & la vérité dans nos
écrits ; quoiqu'il faille des Philofophes ,
des Hiftoriens & des vrais Sçavans pour
éclairer le monde & conduire fes aveugles
habitans . Si le fage Memnon m'a dit
vrai , je ne connois rien de fi fou qu'un
peuple de Sages ; convenez-en , Monfieur .
S'il eft bon que de grands génies inftruifent
les hommes , il faut que le vulgaire
reçoive leurs inftructions ; fi chacun fe
mêle d'en donner , où feront ceux qui les
voudront recevoir ? Les boiteux , dit Montagne
, font mal- propres aux exercices du
corps ; & aux exercices de l'efprit , les ames
boiteufes ; mais en ce fiécle fçavant on ne
voit que boiteux vouloir apprendre à mar,
cher aux autres. Le peuple reçoit les écrits
des Sages pour les juger & non pour s'inftruire.
Jamais on ne vit tant de Dandins :
le théatre en fourmille , les caffés rétentiffent
de leurs fentences , les quais régorgent
de leurs écrits , & j'entens critiquer
l'Orphelin , parce qu'on l'applaudit , à
tel grimaud fi peu capable d'en voir les
défauts , qu'à peine en fent -il les beautés.
Recherchons la premiere fource de tous
NOVEMBRE. 1755 67
les défordres de la fociété , nous trouverons
que tous les maux des hommes leur
viennent plus de l'erreur que de l'ignorance
, & que ce que nous ne fçavons point
nous nuit beaucoup moins que ce que
nous croyons fçavoir. Or quel plus für
moyen de courir d'erreurs en erreurs , que
la fureur de fçavoir tout ? Si l'on n'eût pas
prétendu fçavoir que la terre ne tournoit
pas , on n'eût point puni Galilée pour avoir
dit qu'elle tournoit . Si les feuls Philofophes
en euffent réclamé le titre , l'Encyclopédie
n'eût point eu de perfécuteurs. Si cent
mirmidons n'afpiroient point à la gloire ,
vous jouiriez paiſiblement de la vôtre , ou
du moins vous n'auriez que des adverfaires
dignes de vous . Ne foyez donc point
furpris de fentir quelques épines inféparables
des fleurs qui couronnent les grands
talens. Les injures de vos ennemis font les
cortéges de votre gloire , comme les acclamations
fatyriques étoient ceux dont on
accabloit les Triomphateurs. C'est l'empreffement
que le public a pour tous vos
écrits , qui produit les vols dont vous vous
plaignez mais les falfifications n'y font
pas faciles ; car ni le fer ni le plomb ne
s'allient pas avec l'or. Permettez-moi de
vous le dire , par l'intérêt que je prends
à votre repos & à notre inftruction : mé68
MERCURE DE FRANCE.
prifez de vaines clameurs , par lefquelles
on cherche moins à vous faire du mal
qu'à vous détourner de bien faire. Plus on
Vous critiquera , plus vous devez vous
faire admirer ; un bon livre est une terrible
réponſe à de mauvaiſes injures . Eh !
qui oferoit vous attribuer des écrits que
vous n'aurez point faits , tant que vous ne
continuerez qu'à en faire d'inimitables ?
Je fuis fenfible à votre invitation ; & fi
cet hyver me laiffe en état d'aller au printems
habiter ma patrie , j'y profiterai de
vos bontés mais j'aime encore mieux
boire de l'eau de votre fontaine que du
lait de vos vaches ; & quant aux herbes
de votre verger, je crains bien de n'y trouver
que le lotos qui n'eft que la pâture des
bêtes , ou le moli qui empêche les hommes
de le devenir.
Je fuis de tout mon coeur , avec refpect ,
&c.
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Résumé : Réponse de M. Rousseau à M. de Voltaire Septembre 1755.
En septembre 1755, Jean-Jacques Rousseau répond à Voltaire en exprimant sa gratitude pour l'honneur rendu à sa patrie. Rousseau reconnaît Voltaire comme un chef et un modèle, espérant que les citoyens bénéficient de ses enseignements. Il admire Voltaire pour sa capacité à illustrer les vertus et la liberté, et souhaite que Voltaire continue d'éclairer le peuple. Rousseau aborde les difficultés des hommes célèbres et les maux de l'humanité, soulignant que les progrès des sciences et des arts peuvent être pernicieux mais nécessaires. Il regrette de ne pas avoir suivi sa première vocation, mais trouve du réconfort dans les lettres. Rousseau admire les lettres pour les douceurs de l'amitié et la connaissance qu'elles apportent. Il discute de l'importance des philosophes, des historiens et des savants pour éclairer le monde, tout en reconnaissant les dangers de la prétention de savoir tout. Rousseau critique la société où chacun veut instruire les autres, menant à une prolifération d'erreurs. Il conclut en exhortant Voltaire à ne pas se laisser distraire par les critiques et à continuer à produire des œuvres admirables. Rousseau exprime son désir de profiter des bontés de Voltaire et conclut avec respect.
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13
p. 69-71
VERS DE M. DE *** Sur la mort de M. de Montesquieu, à M. de Secondat.
Début :
Digne fils d'un illustre pere, [...]
Mots clefs :
Montesquieu, Voltaire
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VERS DE M. DE *** Sur la mort de M. de Montesquieu, à M. de Secondat.
VERS DE M. DE ***
Sur la mort de M. de Montefquieu ,
à M. de Secondat ..
Digne fils d'un illuftre pere
Je viens avec toi le pleurer :
Les Dieux ont voulu retirer
Cette ame accordée à la terre
Pour l'embellir & l'éclairer.
Couronné par la main d'Aftrée ,
Dont il releva les autels ,
Montefquieu vit dans l'empirée .
Il voit fous fes pas immortels
Gronder , éclater fur nos têtes
Les vents , la foudre & les tempêtes ,
Effroi revéré des mortels .
Ses yeux contemplent l'harmonie
De ces globes prodigieux ,
Flottans fans nombre fous les cieux ' ;
Tandis qu'au prix de notre vie ,
Barbares ridiculement ;
Sur cette trifte fourmilliere ,
Nous difputons fuperbement
Un peu de boue & de pouffiere .
Hélas ! nous perdons la lumiere ,
Par qui nos yeux pouvoient s'ouvrir :
Ce fiècle de fer & de fange
70 MERCURE DE FRANCE.
N'étoit pas fait pour en jouir ;
Le ciel nous l'enleve & ſe venge !
Montefquieu vit l'opinion
Déchirer & bruler fon livre ;
Et la vaine & foible raiſon
Vanter fes leçons fans les fuivre.
Il porta jufques dans fes moeurs
Le fublime de fes idées ;
Forcé d'écraſer des Pygmées ,
Qui réuniffoient leur fureur ,
Par l'éclat de fon feu rapide.
Il confond leurs traits impofteurs :
Sur les bords célebres du Xante ,
Les Dieux que la fable nous vante ,
Combattirent moins noblement.
O peuple brillant & barbare ,
Quelle inconféquence bizarre
Signale ton aveuglement !
Ce Législateur , ce grand homme,
Que l'univers nous envia ,
Eût été Solon ou Numa
Jadis dans Athenes ou dans Rome ;
En France fimple citoyen
Digne de tout , il ne fut rien.
Des colonnes & des ſtatues
Autrefois l'auroient illuftré ;
Ses cendres reftent confondues
Dans celles d'un peuple ignoré.
Nos ayeux , leurs nobles exemples
NOVEMBRE . 1755 .
71
N'ont plus aujourd'hui de rivaux ;
La vertu chez eux eut des temples ,
Et n'a pas chez nous des tombeaux.
Mais les plus nobles fepultures
De marbre & d'airain périront ;
Des humains les races futures
Mille fois fe fuccéderont ;
Toujours nouveaux dans tous les âges
Montefquieu jamais ne mourra ;
Avec eux fon nom renaîtra ,
Et fes temples font fes ouvrages.
On a attribué ces vers à M. de Voltaire , mais
nous n'avons ofé les mettre fous fon nom , sans être
furs qu'ils fuffent de lui
Sur la mort de M. de Montefquieu ,
à M. de Secondat ..
Digne fils d'un illuftre pere
Je viens avec toi le pleurer :
Les Dieux ont voulu retirer
Cette ame accordée à la terre
Pour l'embellir & l'éclairer.
Couronné par la main d'Aftrée ,
Dont il releva les autels ,
Montefquieu vit dans l'empirée .
Il voit fous fes pas immortels
Gronder , éclater fur nos têtes
Les vents , la foudre & les tempêtes ,
Effroi revéré des mortels .
Ses yeux contemplent l'harmonie
De ces globes prodigieux ,
Flottans fans nombre fous les cieux ' ;
Tandis qu'au prix de notre vie ,
Barbares ridiculement ;
Sur cette trifte fourmilliere ,
Nous difputons fuperbement
Un peu de boue & de pouffiere .
Hélas ! nous perdons la lumiere ,
Par qui nos yeux pouvoient s'ouvrir :
Ce fiècle de fer & de fange
70 MERCURE DE FRANCE.
N'étoit pas fait pour en jouir ;
Le ciel nous l'enleve & ſe venge !
Montefquieu vit l'opinion
Déchirer & bruler fon livre ;
Et la vaine & foible raiſon
Vanter fes leçons fans les fuivre.
Il porta jufques dans fes moeurs
Le fublime de fes idées ;
Forcé d'écraſer des Pygmées ,
Qui réuniffoient leur fureur ,
Par l'éclat de fon feu rapide.
Il confond leurs traits impofteurs :
Sur les bords célebres du Xante ,
Les Dieux que la fable nous vante ,
Combattirent moins noblement.
O peuple brillant & barbare ,
Quelle inconféquence bizarre
Signale ton aveuglement !
Ce Législateur , ce grand homme,
Que l'univers nous envia ,
Eût été Solon ou Numa
Jadis dans Athenes ou dans Rome ;
En France fimple citoyen
Digne de tout , il ne fut rien.
Des colonnes & des ſtatues
Autrefois l'auroient illuftré ;
Ses cendres reftent confondues
Dans celles d'un peuple ignoré.
Nos ayeux , leurs nobles exemples
NOVEMBRE . 1755 .
71
N'ont plus aujourd'hui de rivaux ;
La vertu chez eux eut des temples ,
Et n'a pas chez nous des tombeaux.
Mais les plus nobles fepultures
De marbre & d'airain périront ;
Des humains les races futures
Mille fois fe fuccéderont ;
Toujours nouveaux dans tous les âges
Montefquieu jamais ne mourra ;
Avec eux fon nom renaîtra ,
Et fes temples font fes ouvrages.
On a attribué ces vers à M. de Voltaire , mais
nous n'avons ofé les mettre fous fon nom , sans être
furs qu'ils fuffent de lui
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Résumé : VERS DE M. DE *** Sur la mort de M. de Montesquieu, à M. de Secondat.
Le poème rend hommage à Monsieur de Montesquieu, exprimant une profonde tristesse face à sa perte. Montesquieu, doté d'une âme exceptionnelle et éclairée, est décrit comme couronné par les dieux et vivant désormais dans l'empyrée, observant les phénomènes naturels et l'harmonie des cieux. Le texte contraste cette vision avec l'aveuglement humain, préoccupé par des choses futiles. Montesquieu a subi des persécutions, son livre ayant été déchiré et brûlé par l'opinion publique. Malgré cela, il a maintenu la noblesse de ses idées et de ses actions. Le poème critique l'inconséquence du peuple, qui n'a pas su reconnaître la grandeur de Montesquieu, un législateur et un grand homme envié par l'univers. Il regrette que la France n'ait pas su rendre hommage à Montesquieu comme les anciens honoraient leurs grands hommes par des statues et des temples. Cependant, il conclut que les œuvres de Montesquieu survivront aux générations futures et que son nom renaîtra toujours avec elles. Les vers ont été attribués à Voltaire, bien que cette attribution ne soit pas confirmée.
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14
p. 71-73
LES RÊVES, FABLE.
Début :
Sultan Leopard., grand rêveur, [...]
Mots clefs :
Rêves, Animal, Léopard, Erreur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LES RÊVES, FABLE.
LES RÊVES ,
FABL E.
Sultan Leopard . , grand rêveur ,
Vouloit qu'en fon empire on reſpectât les fonges;
Et fi quelque indifcret les traitoit de menfonges ,
Il l'envoyoit là-bas faire le raiſonneur.
Ivre de fon pouvoir , rêvoit- il que la lune
Afon commandement avoit quitté les cieux ;
Sa vifion d'abord publiée en tous lieux ,
Devenoit une erreur communè .
Si le fommeil troublant cet animal fi vain ,
Lui peignoit Jupiter , comme lui fanguinaire ,
72 MERCURE DE FRANCE.
A fes fens , comme lui , ne mettant aucun frein ,
Dieu forcené , barbare
pere ,
Toujours prêt d'accabler des éclats du tonnerre
Les êtres fortis de fa main ;
Chaque animal devoit foudain
Trouver des crimes à la terre ,
Et fans comprendre en rien la divine colere ,
Trembler pour tout le genre humain.
Un jour qu'il goûta trop le nectar d'Idalie ,
Dans l'agitation d'une trifte infomnie ;
Morphée , en traits hideux , lui peignit le plaifir ,
Ce doux contre- poifon des peines de la vie.
Le lendemain , par fon Vifir ,
Il fut à fes fujets ordonné de haïr
Cet heureux don des Dieux , fur peine d'infamie ,
Et parce qu'il troubla fa Hauteffe endormie ,
D'en étouffer jufqu'au defir .
La nature irritée en vain prit fa défenſe :
Ce Monfeigneur Leopard- là ,
Certes dans l'Alcoran n'avoit pas lu cela.
On ne crut tant d'erreurs d'abord qu'en apparence
;
La peur dans les efprits glaçoit la vérité :
Mais enfin chaque jour quelque rêve adopté
Servant d'inftruction à la crédule enfance ,
Fut dans tous les cerveaux par le tems cimenté.
Bientôt ceux qu'on avoit bercés de ces chimeres
,
Les croyant par reſpect fur la foi de leurs peres ,
Prirent
NOVEMBRE. 1755.
73
Prirent les rêves creux d'un tyran redouté
Pour de vénérables myfteres :
Malheur à qui fe rit de leur fimplicité !
Ainfi dans l'univers l'erreur s'impatronife .
La force la fait recevoir ,
L'habitude accroit fon pouvoir ,
L'imbécillité l'éternife.
FABL E.
Sultan Leopard . , grand rêveur ,
Vouloit qu'en fon empire on reſpectât les fonges;
Et fi quelque indifcret les traitoit de menfonges ,
Il l'envoyoit là-bas faire le raiſonneur.
Ivre de fon pouvoir , rêvoit- il que la lune
Afon commandement avoit quitté les cieux ;
Sa vifion d'abord publiée en tous lieux ,
Devenoit une erreur communè .
Si le fommeil troublant cet animal fi vain ,
Lui peignoit Jupiter , comme lui fanguinaire ,
72 MERCURE DE FRANCE.
A fes fens , comme lui , ne mettant aucun frein ,
Dieu forcené , barbare
pere ,
Toujours prêt d'accabler des éclats du tonnerre
Les êtres fortis de fa main ;
Chaque animal devoit foudain
Trouver des crimes à la terre ,
Et fans comprendre en rien la divine colere ,
Trembler pour tout le genre humain.
Un jour qu'il goûta trop le nectar d'Idalie ,
Dans l'agitation d'une trifte infomnie ;
Morphée , en traits hideux , lui peignit le plaifir ,
Ce doux contre- poifon des peines de la vie.
Le lendemain , par fon Vifir ,
Il fut à fes fujets ordonné de haïr
Cet heureux don des Dieux , fur peine d'infamie ,
Et parce qu'il troubla fa Hauteffe endormie ,
D'en étouffer jufqu'au defir .
La nature irritée en vain prit fa défenſe :
Ce Monfeigneur Leopard- là ,
Certes dans l'Alcoran n'avoit pas lu cela.
On ne crut tant d'erreurs d'abord qu'en apparence
;
La peur dans les efprits glaçoit la vérité :
Mais enfin chaque jour quelque rêve adopté
Servant d'inftruction à la crédule enfance ,
Fut dans tous les cerveaux par le tems cimenté.
Bientôt ceux qu'on avoit bercés de ces chimeres
,
Les croyant par reſpect fur la foi de leurs peres ,
Prirent
NOVEMBRE. 1755.
73
Prirent les rêves creux d'un tyran redouté
Pour de vénérables myfteres :
Malheur à qui fe rit de leur fimplicité !
Ainfi dans l'univers l'erreur s'impatronife .
La force la fait recevoir ,
L'habitude accroit fon pouvoir ,
L'imbécillité l'éternife.
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Résumé : LES RÊVES, FABLE.
Le texte raconte l'histoire du Sultan Leopard, un souverain qui valorisait les rêves et punissait ceux qui les considéraient comme des mensonges. Il imaginait que la lune et Jupiter lui obéissaient et que chaque animal devait dénoncer les crimes sur Terre. Après avoir consommé du nectar, Morphée lui révéla que le plaisir pouvait atténuer les peines de la vie. Le lendemain, le Sultan ordonna à ses sujets de haïr ce don divin, sous peine de disgrâce. La nature protesta sans succès. Les erreurs du Sultan furent d'abord acceptées par peur, puis par habitude et crédulité. Ses rêves furent vénérés comme des mystères sacrés, et ceux qui se moquaient de cette croyance étaient maudits. Ainsi, l'erreur s'imposa grâce à la force, l'habitude et la crédulité.
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15
p. 73
BOUQUET. A Monseigneur le Duc de Gesvres, le jour de saint François, le 4 Octobre, 1755.
Début :
Seigneur, qui par bonté, voulûtes qu'à mon fils, [...]
Mots clefs :
Bouquet, Duc de Gesvres
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : BOUQUET. A Monseigneur le Duc de Gesvres, le jour de saint François, le 4 Octobre, 1755.
BOUQUET.
A Monfeigneur le Duc de Gefores , le joun
defaint François , le 4 Octobre , 1755.
Seigneur Eigneur , qui par bonté, voulûtes qu'à mon fils,'
Votre augufte nom fût tranfmis ,
Souffrez que, par mes mains , le jour de votre fête,
Il vous offre un bouquet avec un air foumis.
La chofe fera plus plus honnête ,
Que s'il venoit lui- même , & d'un ton enfantia
Bégayoit quelques mots à fon digne parrein .
Saint François que chacun révere ,
Nourrit un grand nombre d'enfans :
Votre bienfaifant caractere
Fait prefque vivre autant de gens.
Par Mme Bourette , du Caffe Allemand.
A Monfeigneur le Duc de Gefores , le joun
defaint François , le 4 Octobre , 1755.
Seigneur Eigneur , qui par bonté, voulûtes qu'à mon fils,'
Votre augufte nom fût tranfmis ,
Souffrez que, par mes mains , le jour de votre fête,
Il vous offre un bouquet avec un air foumis.
La chofe fera plus plus honnête ,
Que s'il venoit lui- même , & d'un ton enfantia
Bégayoit quelques mots à fon digne parrein .
Saint François que chacun révere ,
Nourrit un grand nombre d'enfans :
Votre bienfaifant caractere
Fait prefque vivre autant de gens.
Par Mme Bourette , du Caffe Allemand.
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Résumé : BOUQUET. A Monseigneur le Duc de Gesvres, le jour de saint François, le 4 Octobre, 1755.
Le 4 octobre 1755, François écrit à Monseigneur le Duc de Gefores pour le remercier d'avoir permis à son fils de porter son nom. À l'occasion de la fête du Duc, le fils offre un bouquet via son père. La lettre compare la bienfaisance du Duc à celle de Saint François. Signé Mme Bourette, du Café Allemand.
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16
p. 74
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du Mercure d'Octobre, [titre d'après la table]
Début :
Le mot de l'Enigme du Mercure d'Octobre est les Dez. Celui du Logogryphe, [...]
Mots clefs :
Dés, Escarmouche
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Mots de l'Enigme & du Logogryphe du Mercure d'Octobre, [titre d'après la table]
Le mot de l'Enigme du Mercure d'Oc-
E
> tobre eft les Dez. Celui du Logogryphe
Efcarmouche dans lequel on trouve Mars ,
Céfar , rufe , Rome , mouche , rofe , Hus
(Jean ) , Horace , Héros , Erafme , ac
E
> tobre eft les Dez. Celui du Logogryphe
Efcarmouche dans lequel on trouve Mars ,
Céfar , rufe , Rome , mouche , rofe , Hus
(Jean ) , Horace , Héros , Erafme , ac
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17
p. 74
ENIGME.
Début :
Six pieds, ami Lecteur, composent tout mon être, [...]
Mots clefs :
Énigme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ENIGME.
ENIGM E.
Six pieds , ami Lecteur , compoſent tout mon
être ,
Je fers à ton amuſement.
Tu me cherches avidemment ,
Et fouvent tu me vois longtems fans me coné
noître.
Par J. Rou ... fils aîné , de Rouen .
Six pieds , ami Lecteur , compoſent tout mon
être ,
Je fers à ton amuſement.
Tu me cherches avidemment ,
Et fouvent tu me vois longtems fans me coné
noître.
Par J. Rou ... fils aîné , de Rouen .
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18
p. 74-76
LOGOGRYPHE.
Début :
Sans moi, Lecteur, nul agrément, [...]
Mots clefs :
Lumière
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LOGOGRYPHE.
LOGOGRYPHE.
Sans moi, Lecteur , nul agrément ,
Nul plaifir , nul contentement ,
Adieu fafte pompeux , éclat , magnificence
Traits enchanteurs ',
Appas vainqueurs
Qui décorez l'aimable Hortenfe ,
NOVEMBRE. 1755. 75
Privés de mon fecours , vous êtes fans pouvoir.
Pour vous connoître il faut me voir.
Mais c'eft trop préluder. Parlons certain langage
Qu'entre Logogrypheurs on fçait être d'ufage :
De mes fept pieds mainte combinaiſon
Va te produire , ami , richeſſes à foifon.
Deux notes de muſique ;
Un élément fougueux ;
Le fond d'un grand vaiffeau bachique
Un cardinal fameux.
Une plante qui croit fouvent fur les murailles :
Certain oifeau parleur ;
Ce qu'après le bon fens cherche tout bon rimeur.
Ce qui mord , ronge acier , fer & férailles,
Un infecte ; un pronom ;
L'appui de ta maiſon ;
Une ville en Afie ,
Une autre en Normandie,
Du grand Romulus , le cadet .
La femme d'un mulet ;
Un mot latin qui veut dire homme ;
Celle qui nous a tous perdus pour une pomme.
Ce fruit tout noir , jadis tout blanc ,
Que Pyrame & Thiſbé teignirent de leur fang.
Un parfum arabique ;
Ce mal pire que la colique ,
Dont les rudes efforts
Dilloquent tout le corps.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
Ce qui ..... Mais alte -là. Tu me connois , fans
doute ?
Non ; non ! Oh , pour le coup , ami , tu ne vois
goutte.
Par M. L. E. à Pontoife , ce 13 Juillet
1755.
Sans moi, Lecteur , nul agrément ,
Nul plaifir , nul contentement ,
Adieu fafte pompeux , éclat , magnificence
Traits enchanteurs ',
Appas vainqueurs
Qui décorez l'aimable Hortenfe ,
NOVEMBRE. 1755. 75
Privés de mon fecours , vous êtes fans pouvoir.
Pour vous connoître il faut me voir.
Mais c'eft trop préluder. Parlons certain langage
Qu'entre Logogrypheurs on fçait être d'ufage :
De mes fept pieds mainte combinaiſon
Va te produire , ami , richeſſes à foifon.
Deux notes de muſique ;
Un élément fougueux ;
Le fond d'un grand vaiffeau bachique
Un cardinal fameux.
Une plante qui croit fouvent fur les murailles :
Certain oifeau parleur ;
Ce qu'après le bon fens cherche tout bon rimeur.
Ce qui mord , ronge acier , fer & férailles,
Un infecte ; un pronom ;
L'appui de ta maiſon ;
Une ville en Afie ,
Une autre en Normandie,
Du grand Romulus , le cadet .
La femme d'un mulet ;
Un mot latin qui veut dire homme ;
Celle qui nous a tous perdus pour une pomme.
Ce fruit tout noir , jadis tout blanc ,
Que Pyrame & Thiſbé teignirent de leur fang.
Un parfum arabique ;
Ce mal pire que la colique ,
Dont les rudes efforts
Dilloquent tout le corps.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
Ce qui ..... Mais alte -là. Tu me connois , fans
doute ?
Non ; non ! Oh , pour le coup , ami , tu ne vois
goutte.
Par M. L. E. à Pontoife , ce 13 Juillet
1755.
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19
p. 76
AIR A BOIRE. Récit de Basse-Taille.
Début :
De quel bruit effrayant retentissent les airs, [...]
Mots clefs :
Boire
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texteReconnaissance textuelle : AIR A BOIRE. Récit de Basse-Taille.
AIR A BOIRE.
Récit de Baffe-Taille .
De quel bruit effrayant retentiſſent les airs ;
Et quel affreux défordre étonne la nature ?
Allez-vous , dieux cruels ! par une loi trop dure ,
Dans fon premier cahos replonger l'Univers
Le Ciel gronde , les Vents nous déclarent la
guerre ;
L'éclair brille , fon feu nous va tous embrafer.
Arrête , Dieu vengeur , arrête ton tonnerre :
Sufpends le coup qui doit nous écrafer ;
Philis en ce moment me cede la victoire ,
Sa main verfe ce jus divin :
Accorde moi le temps de boire.
On boit.
Tonne , frappe : jai bu mon vin
De Marconville,
Récit de Baffe-Taille .
De quel bruit effrayant retentiſſent les airs ;
Et quel affreux défordre étonne la nature ?
Allez-vous , dieux cruels ! par une loi trop dure ,
Dans fon premier cahos replonger l'Univers
Le Ciel gronde , les Vents nous déclarent la
guerre ;
L'éclair brille , fon feu nous va tous embrafer.
Arrête , Dieu vengeur , arrête ton tonnerre :
Sufpends le coup qui doit nous écrafer ;
Philis en ce moment me cede la victoire ,
Sa main verfe ce jus divin :
Accorde moi le temps de boire.
On boit.
Tonne , frappe : jai bu mon vin
De Marconville,
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Résumé : AIR A BOIRE. Récit de Basse-Taille.
Le récit 'Baffe-Taille' décrit une tempête avec tonnerre, vents et éclairs. Le narrateur, après une victoire sur Philis, boit du vin et défie les dieux de continuer leur colère. Le texte mentionne 'De Marconville'.
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