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p. 203-216
MORTS. ÉLOGE HISTORIQUE DE M. LE MARQUIS DE MONTCALM.
Début :
Si l'on doit apprécier les hommes par les sacrifices qu'ils font à la société, [...]
Mots clefs :
Marquis de Montcalm, Sacrifices, Éloges, Vertu, Lieutenant général des armées du roi, Études, Littérature, Carrière militaire, Régiment, Ardeur , Talents, Amérique, Capitaine, Prodige, Campagnes militaires, Exploits, Gloire, Canada, Homme illustre
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texteReconnaissance textuelle : MORTS. ÉLOGE HISTORIQUE DE M. LE MARQUIS DE MONTCALM.
MORT S.
ÉLOGE HISTORIQUE
DEM.
LE MARQUIS DE MONTCALM.
SI
&
I l'on doit apprécier les hommes par les facrifices
qu'ils font à la fociété , & par les fervices
qu'ils lui rendent , qui jamais fut plus digne que
M. le Marquis de Montcalm de nos éloges & de
nos regrets ? Immoler fon repos à l'Etat , fe féparer
pour lui de rout ce qu'on a de plus cher
lui donner fon fang & fa vie , eft un devoir attaché
à la noble profeffion des armes , & ce dévoûment
héroïque eft la vertu des Guerriers de
tous les pays & de tous les temps . Mais cette
vertu reçoit un nouveau luftre des talens qui la
fecondent , & des circonftances qui l'éprouvent ;
& jamais elle n'a été ni plus éprouvée ni mieux
foutenue que dans le héros que nous pleurons.
LOUIS-JOSEPH , MARQUIS DE MONTCALMGOZON
DE SAINT VÉRAN , Seigneur de Gabriac
& c. Lieutenant - Général des Armées du Roi ,
Commandeur honoraire de l'Ordre Royal & Mi-
I vi
204 MERCURE
DE FRANCE.
litaire de Saint- Louis , commandant en Chef les :
Troupes Françoifes dans l'Amérique Septentrionale
, étoit né en 1712 d'une très- ancienne famille
de Rouergue . ( a )
le
Elève de M. Dumas , Inventeur du Bureau Typographique
, il ne fit pas moins d'honneur aux
leçons de ce Maître habile que Jeune Candiac
fon frere cader , mort à l'âge de ſept ans , & mis
au nombre des enfans célèbres . (b)
"
M. de Montcalm employa fes premieres années
à l'étude des Langues; & perfonne n'étoit.
plus verfé dans la Littérature Grecque & Latine.
La mémoire eft la nourrice de l'efprit , &
celle de M. de Montcalm étoit fi heureuſe , qu'il
n'oublioit rien de ce qu'il avoit appris une fois.
Il a confervé le goût de l'étude au milieu de
tous les travaux ; & parmi les agrémens de fa
retraite , il comptoit pour beaucoup l'efpérance
d'être reçu
à l'Académie des Belles- Lettres .
Il avoit fervi pendant dix fept ans dans le Régiment
de Hainault Infanterie , où il avoit été
fucceffivement Enfeigne , Lieutenant & Capitaine.
Il fut fait Colonel du Régiment d'Auxerrois
Infanterie , en. 1743 ; Brigadier des Armées du
Roi en 1747 ; Meſtre de Camp d'un nouveau
Régiment de Cavalerie de fon nom , en 1749 ;
a voit ( a ) Jean de Montcalm , l'un de fes ancêtres ,
éponfé Jeanne de Gozon , petite nièce du Grand Maître
Diodat de Gozon , vainqueur du dragon qui defoloit l'Iffs
de Rhodes.
( b ) Jean -Louis- Pierre - Elifabeth de Montcalm de Can
diac , né à Candiac le 7 Novembre 1739 , mort à Paris
le 8 Octobre 1726. Il avoit fait des progrès furprenans
dans les langues Hébraïque , Grecque & Latine , & acquis
des connoiffances prodigieufes pour fon âge. L'Auteur du Bureau typographique avoit fait fur lui la
première expérience de cette nouvelle méthode. Voyez le
Supplément de Moreri à l'Article CANDIA· C.
JANVIER. 1760. 205
Maréchal de Camp & Commandant des Troupes
Françoiles en Amérique , en 1756-3 Commandeur
par honneur de l'Ordre de Saint- Louis , en
175 ; & Lieutenant Général , en 1758 .
Dans les grades inférieurs il le diftingua par
une ardeur & une application fans relâche ; attentif
à recueillir dans chacun de ces emplois les
lumières & l'expérience qui leur font propres &
qui compofent par degrés le fyftême de l'Art
militaire.
Devenu Colonel ' , la connoiffance qu'on avoit
de fes talens & de fon activité , lui fit confier
dans toutes les occafions des commandemens
particuliers ; & il y foutine avec éclat la réputation
qu'il avoit acquife . Il reçut trois bleffures à
la bataille fous Plaifance , donnée le 13 Juin
1746 ; & comme il fe faifoit guérir à Montpellier
de deux coups de fabre à la tête , il apprit
que fon Régiment marchoit pour aller attaquer
le pofte de l'affiette où M. le Chevalier de Belleifle
fut tué. Il part , la tête enveloppée , & , fest
bleffures encore ouvertes , joint fon Corps , fe
trouve à l'attaque , & y reçoit deux coups de feu.
Mais c'eft en Amérique furtout que les qualités
de ce grand Capitaine ont paru dans tour
leur jour. C'est là qu'il a fait voir à quel degré
il réuniſſoit la bravoure du Soldat & la grandeur
d'ame du héros ; la prudence du confeil & l'activité
de l'exécution ; ce fang- froid que rien n'altére
, cette patience que rien ne rebute , & cette
réfolution courageule qui ofe répondre du fuccès
dans des circonftances où la timide (péculation
auroit à peine entrevu des refources. C'eft
là qu'au milieu des Sauvages dont il étoit devenu
le pere , on l'a vu fe plier à leur caractère
féroce , s'endurcir aux mêmes travaux , & fe reftreindre
aux mémes befoins , les apprivoiler par
200 MERCURE DE FRANCE.
la douceur, les attirer par la confiance, les attendrir
par tous les foins de l'humanité compâtiffante , &
faire dominer le refpect & l'amour fur des ames
également indociles au joug de l'obéiffance & au
frein de la difcipline militaire ( c) . C'est là que des
fatigues & des dangers fans nombre & inconnus en
Europe n'ontjamais rallenti fon zèle . Tantôt préfent
à des fpectacles dont l'idée feule fait frémir
la nature tantôt expofé à manquer de
tout , & fouvent à mourir de faim ; réduit pendant
onze mois à quatre onces de pain par
jour ; mangeant du cheval pour donner l'exem
ple , il fut le même dans tous les temps , fati
fait de tout endurer pour la caufe de la Patrie &
pour la gloire de fon Roi. C'eſt là qu'il a exécuté
des chofes prefque incroyables , & que nós
Ennemis eux- mêmes ont regardées comme des
prodiges ; qu'avec fix bataillons François & quelques
troupes de la Colonie , non feulement il a
fait tête à trente , quarante , cinquante mille
hommes , mais qu'il leur en a impofé partout , les
a vaincus , les a diffipés , jufqu'à la malheureufe
journée où vient de périr ce grand homme.
Arrivé dans la Colonie en 1756 , il arrête par
fes bonnes difpofitions l'armée du Général Lou-
( c ) Il étoit venu à bout de les conduire fans leur donner
ni vin , ni eau - de - vie , ni même les chofes dont ils
avoient un befoin réel , & dont on manquoit à l'armée ;
mais il avoit le plus grand foin de leurs malades & de
leurs bleffés . Il connoît , difoient -ils , nos ufages & nos
manières comme s'il avoit été élevé au milieu de nos cabanes.
Loriqu'il reçut à Choueguen la nouvelle que le
Roi l'avoit honoré du Cordon rouge , ils vinrent le complimenter.
Nous fommes charmés ; lui dirent - ils , de la
grace que le grand Onowthio vient de t'accorder , parce
que nous fçavons qu'elle te caufe de la joie. Pour nous ,
nous ne t'en aimons ni ne t'en eftimons davantage , car
F'eft ta perfonne que nous eftimons & que nous aimons.
JANVIER 1760 . 207
don au lac Saint - Sacrement , laiffe des inftruce
tions au Chevalier de Lévi , Commandant en ?
fecond , revient à Montréal & marche rapidement
au lac Ontario , où il trouve trois bataillons
François & environ douze cens hommes de milices .
du pays. Avec cette petite armée qu'il allemble à
Frontenac, il court à Choueguen, y aborde fous le
feu de huit barques de dix , douze & vingt pièces
de canon que l'Anglois avoit fur ce lac , forme
un fiége , ouvre une tranchée , & enlève en cinq ,
jours les trois Forts de l'ennemi ( d ). Il y faic
dix-fept cens quarante-deux prifonniers , parmi
lefquels fe trouvoient quatre-vingt Officiers , &
deux Régimens de cette brave Infanterie Angloife.
qui avoit combattu à Fontenoy. Il rafe les Forts ,
revient à Montréal & retourne au lac Saint-Sacrement
avec les troupes victorieufes. Là il fait.
face de nouveau au Général Loudon qui eft obligé
de fe retirer à Albani , fans avoir ofé l'attaquer
malgré la fupériorité de fes forces . Il revint de
cette expédition à la fin de Novembre fur les
glaces , fouffrant depuis plus de deux mois unfroid
exceffif , & ayant parcouru depuis le mois
de Juin environ huit cens lieues de pays déferts.
C'eft ainfi que les François animés par fon exemple
ont fait la guerre en Amérique.
La campagne de 1757 ne fut pas moins furprenante
. M. de Montcalm réunit fes forces , confiftant
en fix bataillons de troupes régléesc , en
viron deux mille hommes de milice , & dix- huit
cens Sauvages de trente- deux Nations différen
tes , à la chute du lac Saint - Sacrement . Là il diviſe
fon armée en deux parties ; l'une marche
par terre , fe frayant une route à travers des
montagnes & dans des bois jufqu'alors incon
(d ) Le fort Ontario, le fort Chouëguen & le fort Georget
208 MERCURE DE FRANCE.
nus ; l'autre eſt embarquée fur le lac. Après
quatorze lieues de marche il entreprend de forcer
l'Ennemi retranché dans fon camp fous le
Fort Guillaume - Henry. Ce Fort eſt défendu par
une garnison de cinq cens hommes continuellement
rafraîchie par les troupes du camp : il l'attaque
, il le détruit , & s'il ne retint pas la garniton
prifonniere , ce ne fut que dans l'impoffibilité
où l'on étoit de la nourrir ( e ) . Peut- être
n'en feroit- il pas refté là s'il n'avoit été obligé
de renvoyer les Milices pour faire la récolte , &
de lailler partir les Sauvages dont quelques- uns
étoient venus de huit cent lieues uniquement
pour voir par eux-mêmes ce que la renommée
leur avoit appris de cet homme prodigieux.
Mais fi l'on ajoute à la circonftance du départ
des Sauvages & des Colons le défaut de munitions
de guerre & de bouché , l'extrême difficulté
du transport de tout ce qu'exige l'appareil
d'un fiége , à fix lieues de diftance , & à bras
d'hommes , avec une armée épuisée de fatigue,
& plus affoiblie encore par la mauvaiſe nourriture
, que penfera- t- on du reproche qu'on lui
fit alors de n'avoir pas marché du Fort Guillau
me au Fort Edouard ? Il fe vengea de fes Ennemis
en grand homme : il mit le comble à faréputation
dans la Campagne de 1758 , & les
accabla du poids de fa gloire.
La difette affreufe de l'Automne 1757 , qui
dura jufqu'a la fin du Printemps 1758 , mit la
Colonie à deux doigts de fa perte. M. de Montcalm
avoit reçu de France le fecours de deux
bataillons très-affoiblis par une maladie épidémi-,
que qui les avoit attaqués fur la iner, Les Anglois
( e ) Les habitans de Québec étoient alors réduits à un
quarteron de pain par jour ,
JANVIE R. 1760. 209
toujours infiniment fupérieurs en nombre & ea
moyens , avoient été renforcés de plufieurs régimens
envoyés d'Europe. Le Lord Loudon venoit
d'être rappellé pendant l'Hiver & remplacé par
le Général Abercromby. Celui-ci fait tous fes
préparatifs pour entrer de bonne heure en campa
gne & prévenir le Marquis de Montcalm . Retardé
par le défaut de vivres , le Général François ne
put mettre en mouvement qu'au mois de Juin
les huit bataillons affoiblis, les uns par les pertes de
la Campagne précédente , les autres par la maladie.
Ces bataillons ne formoient en total que trois
mille trois cens hommes. M. de Montcalm fe
porta avec cette poignée de monde fur la frontière
du Lac Saint - Sacrement ; le Général Anglois
marchoit à lui avec une armée de plus de vingtfept
mille hommes. Si M. de Montcalm étoit
battu , il n'avoit aucune retraite ; l'Ennemi pouvoit
s'avancer jufqu'a Montréal & couper en deux
la Colonie. Le Héros du canada prend dans cette
extrémité le feul parti qu'il y avoit à prendre. Il
reconnoit & choifit lui-même une polition avantageufe
fur les hauteurs de Carillon ; il y fait
tracer un retranchement en abattis , laiffe un
bataillon pour commencer l'ouvrage, & en même
temps pour garder le fort , fait avec fa petite-
Armée un mouvement audacieux , en fe portant
à quatre lieues en avant , envoie reconnoître &
reconnoît lui - même la marche de l'Ennemi ,
l'examine , le tâte , lui en impofe par fa conte
nance. Cette manoeuvre digne des plus grands
Maîtres rallentit l'ardeur de la multitude ennemie,&
occafionne dans fes mouvemens une lenteur
dont M. de Montcalm fçait tirer avantage.
Ceci fe palloit le 6 Juillet 17 58. Il écrivit le
foir en ces termes à M. Doreil , Commillaire Or210
MERCURE DE FRANCE.
donnateur. Je n'ai que pour huit jours de vivres,
> point de Canadiens (f) , pas un feul Sauvage ;
> ils ne font point arrivés : j'ai affaire à une armée
i formidable ; malgré cela je ne défefpere de
> rien , j'ai de bonnes troupes. A la contenance
» de l'ennemi je vois qu'il tatonne ; fi , par fa
lenteur , il me donne le temps de gagner la
pofition que j'ai choifie fur les hauteurs de
» Carillon , & de m'y retrancher , je le battrai . ››
M. de Montcalmrfe replia dans la nuit du 6 au 7 ,
& fit faire à la hâte fon retranchement auquel
il travailla lui- même. L'abattis n'étoit pas encore
entierement achevé , lorfqu'il fut attaqué le 8-
Juillet par dix- huit mille hommes , avec la plus
grande valeur (g) . L'ennemi toujours repouffé
revient fept fois à la charge , où plutôt on combat
fept heures préfque fans relâche depuis` midi jufqu'à
la nuit : alors le découragement & l'effroi
s'emparent des Anglois ; & , cherchant leur falut
dans la fuite , il fe retirent l'efpace de douze lieues
jufques vers les ruines du fort George , laiffant
en chemin leurs bleffés , leurs vivres & leurs équi
pages. ( h)
Cettejournée à jamais glorieuſe pour la nation
(f) Quelques relations dífent qu'il avoit 1 5 ſauvages &
450 hommes , tant de la Colonie que de la marine , mais
que les fauvages abandonnèrent dans les montagnes le détachement
auquel ils fervoient de guide , & que les 450
hommes de la Colonie & de la marine demeurèrent postés
dans la plaine , & n'y furent point attaqués.
(g) M. le Chevalier de Lévi commandoit la droite de
notre armée , M. de Bourlamaque la gauche , M. de Montcalm
le centre.
(b) Le lendemain du combat , àla pointe du jour , M.
de Montcalm envoya M. le Chevalier de Lévi , fi digne de
fa confiance par fa valeur & fon habileté ; reconnoître ce
qu'étoit devenue l'armée Anglaife . Partout M de Léyi nẹ
trouva que les traces d'une fuite précipitée.
JANVIE R. 1760. 217
Françoife couta à l'ennemi , de fon aveu , fix
mille morts ou bleffés , dont trois mille cadavres
étoient au pied de l'abattis . Le Marquis de Montcalm
étoit partout ; fes difpofitions avoient préparé
la victoire , fon exemple la décida : ni les
Canadiens ni les Sauvages ne participèrent à
l'honneur de cette journée ; ils ne joignirent l'Armée
que cinq jours après. Les foldats , pendant
le combat crioient à chaque inftant : Vive le
Roi & notre Général ! C'elt cette confiance por-`
tée jufqu'à l'entoufiafme qui fait le fort des batail-'
les : une Armée eft presque toujours affurée de
vaincre quand elle le croit invincible , & l'opinion
qu'elle a d'elle-même dépend furtout de
l'idée qu'elle a de ſon Chef.
..
לכ
En écrivant au mêine M. Doreil , dù champ
de bataille à huit heures du foir , voici comment
s'exprimoit ce Vainqueur auffi modefte dans le
triomphe qu'intrépide dans le combat : » l'Armée
»& trop petite Armée du Roi vient de battre fes>
>> ennemis. Quelle journée pour la France ! Siv
» j'avois eu deux cens Sauvages pour fervir de
» tête à un détachement de mille hommes d'élite ,
>> dont j'aurois confié le commandement au
>> Chevalier de Lévi , il n'en feroit pas échappé
» beaucoup dans leur fuite . Ah ! quelles troupes ,
>> mon cher Doreil , que les nôtres ! je n'en ai
»jamais vu de pareilles : que n'étoient- elles à
Louifbourg » Cette lettre eft digne de M. de
Turenne comme l'action qui en eft le fujet.
Dans la relation qu'il envoya le lendemain à
M. le Marquis de Vaudreuil après avoir fait
l'éloge des troupes en général , celui de MM. de
Lévi , de Bourlamaque , Officiers fupérieurs &
de la plus grande diftinction , des Commandans
des Corps , & pour ainfi dire de chaque Officier
en particulier , il ajoutoit Pour moi je n'ai
λ
2
212 MERCURE DE FRANCE.
que le mérite de m'être trouvé Général de
aufli valeureuſes.
>> troupes
Il eut toujours la même attention de rendre à
chacun de fes Officiers la part qu'ils avoient à
fa gloire. J'ai lu dans une lettre qu'il écrivit du
Camp de Carillon le 28 Septembre . » M. le Che-
» valier de Lévi qui connoît très- bien cette fron-
» tière , y a fait les meilleures difpofitions du
» monde , & je les ai fuivies.
.
Il y a de lui une infinité de traits qui caractérifent
le patriote , le guerrier , l'homme jufte ,
vertueux & modefte ; mais la diſtance des lieux
ne m'a pas permis d'en recueillir les preuves 3
& comme je ne veux dire que la vérité , je n'ai
pas cru devoir m'en tenir à la tradition , qui s'altere
de bouche en bouche.
La conftance & la réfolution furent de toutes
fes vertus les plus éprouvées & les plus éclatanres
; mais elles n'avoient rien d'une présomption
aveugle ; & perfonne ne voyoit mieux que lui
les dangers qu'il alloit courir.
Il écrivoit de Montréal le 14 Avril 1759 , » Le
» nouveau Général Anglois Amherſt a de gran-
» des forces & de grands moyens , 22 bataillons
de troupes réglées , plus de 30000 hommes de
milices auffi les Anglois comptent attaquer
» le Canada par plufieurs endroits & l'envahir.
Nous avons fauvé cette Colonie l'année der-
> nière par un fuccès qui tient quafi du prodige.
Faut il en efpérer un pareil ? il faudra au
> moins le tenter. Quel dommage que nous
n'ayons pas un plus grand nombre d'auffi va-
>> leureux foldats ! » L'arrivée de l'Efcadre Angloife
, en mettant le comble aux dangers qui
menaçoient la Colonie , ne fit que redoubler le
courage & le zèle de fon défenſeur .
On n'eft que trop inftruit du détail du combat
JANVIER . 1760. 213
qui a précédé la prife de Québec , & dans lequel
a péri M. de Montcalm. Tous les effets qu'on
peut attendre de la prudence , de la valeur , de
l'activité d'un Général , avoient été employés
par celui- ci , foit pour défendre à l'Ennemi l'approche
de la Ville , foit pour conferver la communication
de l'armée avec les vailleaux qui
avoient remonté le fleuve , & où les vivres
étoient déposés.
Le combat du 31 Juillet , où huit cens Grenadiers
Anglois refterent fur la place à l'attaque du
camp de Beauport qu'ils ne purent jamais forcer ,
quoique la gauche du camp qu'ils attaquoient
efit à foutenir en même temps le feu croiſé de
plus de 80 pièces d'artillerie ; ce combat , dis-je ,
prouve affez la bonté du pofte & l'intrépide réfolution
de celui qui le défendoit ( i ) .
La communication avec les vivres ne fut pas
moins courageufement défendue . Quatre fois
les Anglois tenterent de débarquer au- deffous de
Québec , & quatre fois M. de Bougainville chargé
du foin pénible & critique de couvrir quinze
lieues de pays avec une poignée de monde répandue
fur le rivage , les repouffe & les oblige
de s'éloigner , quoique toujours fupérieurs en
nombre , & foutenus par le feu des frégates qui
les protégeoient. Mais comment une Armée de
huit à neuf mille hommes répandue fur la rivé
d'un fleuve immenfe auroit - elle pu la rendre
inacceffible dans toute fon étendue à dix mille
hommes de troupes réglées , qui , au moyen d'une
flotte de vingt cinq vaiffeaux de guerre , de trente
(i) Je ne dois pas négliger de dire , à la gloire de M. le
Chevalier de Lévi , que c'etoit lui qui avoit demandé que
se camp , dont la gauche n'étoit d'abord appuyée qu'au
ruiffeau de Beauport , fût étendu juſqu'à la riviere de Montmorenci
, dont le paffage étoit plus difficile .
214 MERCURE DE FRANCE
frégates & d'environ cent quatre-vingt bâtimens
de tranfport , exécutoient fur le fleuve & à la faveur
de la marée & de la nuit , des mouvemens
continuels & rapides qu'il étoit impotlible à nos
troupes de terre de prévoir , d'obferver & de
fuivre? Ces infatigables troupes n'avoient , pas
aillé que de faire face partout , de défendre ce
rivage pendant plus de deux mois , prodige incroyable
de vigilance ( k) & d'activité , Torfqu'enfin
le 13 Septembre , tandis que M. de
Bougainville étoit occupé au Cap- rouge , trois
lieues au-deflus de Québec , par les démonftrations
d'une attaque , les Anglois furprirent &
forcerent pendant la nuit un pofte à demie lieue
de la Ville & s'y établirent avant le jour.
M. de Montcalm accourut du camp de Beauport
avec trois mille hommes ; il en trouva
fix mille de débarqués ; & plein de cette noble
ardeur qui avoit toujours décidé la victoire , il
réfolut de les attaquer avant qu'ils fuffent en
plus grand nombre. Dans cette action décifive &
meurtriere , il fut bleflé de deux coups de feu ;
& ce moment fatal fut le premier où la victoire
l'abandonna ( 1 ) . Quoique bleffé mortellement
il eut le courage de refter à cheval , & fit luianême
la retraite de l'armée fous les murailles
de Québec , ou plutôt fur les débris de ces murailles
que l'artillerie Angloife battoit fans relâche
( k ) Le détachement de M. de Bougainville avoit paſſé
trois mois au Bivouac .
( 2 ) Il est très - certain que M. de Bougainville ne fut
averti au Cap rouge du débarquement des Anglois qu'à
zeuf heures du matin , & qu'ayant plus de trois lieues de
chemin à faire , il ne put arriver fur le champ de bataille
qu'après la déroute. Il n'en fit pas moins bonne contenance
, & fa retraite comme fa conduite dans cette pénible
campagne , a justifié pleinement la confiance que M. de
Montcalm avoit en lui.
JAN VIER. 1760. LIS
د ر
depuis deux mois. Il entra dans cette Ville ruinée ,
donna les ordres à tout , fe fit panfer , interrogea
le Chirurgien ; & fur la réponſe , dit au Lieutenant
de Roi & au Commandant de Royal Rouffillon
, Meffieurs , je vous recommande de
ménager l'honneur de la France , & de tâcher
»que ma petite armée puiffe fe retirer cette nuit
» au delà de la riviere du Cap- rouge , pour joindre
le Corps aux ordres de M. de Bougainville
: pour moi je vais la paller avec Dieu , &
me préparer à la mort . Qu'on ne me parle
» plus d'autres chofes. » Il mourut en Héros le
lendemain 14 Septembre à cinq heures du matin,
& fut enterré fans fafte dans un trou de bombe ,
fépulture digne d'un homme qui avoit réfolu de
défendre le Canada ou de s'enfevelir fous fes
ruines ( m ).
Je n'ai eu qu'à raconter les faits dans toute
lear fimplicité , pour faire des talents & des vertus
militaires de M. le Marquis de Montcalm un
éloge peut-être unique. L'Hiftoire les atteftera ,
& la postérité aura peine à les croire ; mais la
Colonie qu'il a défendue , les Guerriers qu'il a
commandés (n ) , les ennemis qu'il a vaincus
tant de fois, en rendront d'éclatans témoignages ;
& ces mêmes Sauvages qu'il a étonnés par des
prodiges de conftance , de réfolution & de valeur
, montreront à leurs enfans dans leurs dé-
(m)Les Anglois lui ont rendu les mêmes honneurs funébres
qu'au Général Wolf tué dans le même combat .
( n) L'un d'eux écrit du Canada : » Je ne me confo-
" lerai jamais de la perte de mon Général ; qu'elle eft
grande & pour nous & pour ce pays & pour l'Etat !
,, C'étoit un bon Général , un Citoyen zélé , un ami folide ,
,, un Pere pour nous tous. Il a été enlevé au moment de
,, jouir du fruit d'une campagne que M. de Turenne n'au
défavouée. Tous les jours je le chercherai , &
tous les jours ma douleur fera plus vive,
23 roit
pas
216 MERCURE DE FRANCE.
ferts inhabités les traces de ce Guerrier qui les
menoit à la victoire , & les lieux où ils ont eu
la gloire de combattre & de vaincre avec lui .
C'elt furtout dans le coeur des François que M.
de Montcalm doit fe furvivre . Notre Nation
qu'on accufe d'oublier trop ailément les grands
hommes qu'elle a perdus , eft profondément
frappée de la mort de celui-ci , & lui donne les
plus juftes larmes.
ÉLOGE HISTORIQUE
DEM.
LE MARQUIS DE MONTCALM.
SI
&
I l'on doit apprécier les hommes par les facrifices
qu'ils font à la fociété , & par les fervices
qu'ils lui rendent , qui jamais fut plus digne que
M. le Marquis de Montcalm de nos éloges & de
nos regrets ? Immoler fon repos à l'Etat , fe féparer
pour lui de rout ce qu'on a de plus cher
lui donner fon fang & fa vie , eft un devoir attaché
à la noble profeffion des armes , & ce dévoûment
héroïque eft la vertu des Guerriers de
tous les pays & de tous les temps . Mais cette
vertu reçoit un nouveau luftre des talens qui la
fecondent , & des circonftances qui l'éprouvent ;
& jamais elle n'a été ni plus éprouvée ni mieux
foutenue que dans le héros que nous pleurons.
LOUIS-JOSEPH , MARQUIS DE MONTCALMGOZON
DE SAINT VÉRAN , Seigneur de Gabriac
& c. Lieutenant - Général des Armées du Roi ,
Commandeur honoraire de l'Ordre Royal & Mi-
I vi
204 MERCURE
DE FRANCE.
litaire de Saint- Louis , commandant en Chef les :
Troupes Françoifes dans l'Amérique Septentrionale
, étoit né en 1712 d'une très- ancienne famille
de Rouergue . ( a )
le
Elève de M. Dumas , Inventeur du Bureau Typographique
, il ne fit pas moins d'honneur aux
leçons de ce Maître habile que Jeune Candiac
fon frere cader , mort à l'âge de ſept ans , & mis
au nombre des enfans célèbres . (b)
"
M. de Montcalm employa fes premieres années
à l'étude des Langues; & perfonne n'étoit.
plus verfé dans la Littérature Grecque & Latine.
La mémoire eft la nourrice de l'efprit , &
celle de M. de Montcalm étoit fi heureuſe , qu'il
n'oublioit rien de ce qu'il avoit appris une fois.
Il a confervé le goût de l'étude au milieu de
tous les travaux ; & parmi les agrémens de fa
retraite , il comptoit pour beaucoup l'efpérance
d'être reçu
à l'Académie des Belles- Lettres .
Il avoit fervi pendant dix fept ans dans le Régiment
de Hainault Infanterie , où il avoit été
fucceffivement Enfeigne , Lieutenant & Capitaine.
Il fut fait Colonel du Régiment d'Auxerrois
Infanterie , en. 1743 ; Brigadier des Armées du
Roi en 1747 ; Meſtre de Camp d'un nouveau
Régiment de Cavalerie de fon nom , en 1749 ;
a voit ( a ) Jean de Montcalm , l'un de fes ancêtres ,
éponfé Jeanne de Gozon , petite nièce du Grand Maître
Diodat de Gozon , vainqueur du dragon qui defoloit l'Iffs
de Rhodes.
( b ) Jean -Louis- Pierre - Elifabeth de Montcalm de Can
diac , né à Candiac le 7 Novembre 1739 , mort à Paris
le 8 Octobre 1726. Il avoit fait des progrès furprenans
dans les langues Hébraïque , Grecque & Latine , & acquis
des connoiffances prodigieufes pour fon âge. L'Auteur du Bureau typographique avoit fait fur lui la
première expérience de cette nouvelle méthode. Voyez le
Supplément de Moreri à l'Article CANDIA· C.
JANVIER. 1760. 205
Maréchal de Camp & Commandant des Troupes
Françoiles en Amérique , en 1756-3 Commandeur
par honneur de l'Ordre de Saint- Louis , en
175 ; & Lieutenant Général , en 1758 .
Dans les grades inférieurs il le diftingua par
une ardeur & une application fans relâche ; attentif
à recueillir dans chacun de ces emplois les
lumières & l'expérience qui leur font propres &
qui compofent par degrés le fyftême de l'Art
militaire.
Devenu Colonel ' , la connoiffance qu'on avoit
de fes talens & de fon activité , lui fit confier
dans toutes les occafions des commandemens
particuliers ; & il y foutine avec éclat la réputation
qu'il avoit acquife . Il reçut trois bleffures à
la bataille fous Plaifance , donnée le 13 Juin
1746 ; & comme il fe faifoit guérir à Montpellier
de deux coups de fabre à la tête , il apprit
que fon Régiment marchoit pour aller attaquer
le pofte de l'affiette où M. le Chevalier de Belleifle
fut tué. Il part , la tête enveloppée , & , fest
bleffures encore ouvertes , joint fon Corps , fe
trouve à l'attaque , & y reçoit deux coups de feu.
Mais c'eft en Amérique furtout que les qualités
de ce grand Capitaine ont paru dans tour
leur jour. C'est là qu'il a fait voir à quel degré
il réuniſſoit la bravoure du Soldat & la grandeur
d'ame du héros ; la prudence du confeil & l'activité
de l'exécution ; ce fang- froid que rien n'altére
, cette patience que rien ne rebute , & cette
réfolution courageule qui ofe répondre du fuccès
dans des circonftances où la timide (péculation
auroit à peine entrevu des refources. C'eft
là qu'au milieu des Sauvages dont il étoit devenu
le pere , on l'a vu fe plier à leur caractère
féroce , s'endurcir aux mêmes travaux , & fe reftreindre
aux mémes befoins , les apprivoiler par
200 MERCURE DE FRANCE.
la douceur, les attirer par la confiance, les attendrir
par tous les foins de l'humanité compâtiffante , &
faire dominer le refpect & l'amour fur des ames
également indociles au joug de l'obéiffance & au
frein de la difcipline militaire ( c) . C'est là que des
fatigues & des dangers fans nombre & inconnus en
Europe n'ontjamais rallenti fon zèle . Tantôt préfent
à des fpectacles dont l'idée feule fait frémir
la nature tantôt expofé à manquer de
tout , & fouvent à mourir de faim ; réduit pendant
onze mois à quatre onces de pain par
jour ; mangeant du cheval pour donner l'exem
ple , il fut le même dans tous les temps , fati
fait de tout endurer pour la caufe de la Patrie &
pour la gloire de fon Roi. C'eſt là qu'il a exécuté
des chofes prefque incroyables , & que nós
Ennemis eux- mêmes ont regardées comme des
prodiges ; qu'avec fix bataillons François & quelques
troupes de la Colonie , non feulement il a
fait tête à trente , quarante , cinquante mille
hommes , mais qu'il leur en a impofé partout , les
a vaincus , les a diffipés , jufqu'à la malheureufe
journée où vient de périr ce grand homme.
Arrivé dans la Colonie en 1756 , il arrête par
fes bonnes difpofitions l'armée du Général Lou-
( c ) Il étoit venu à bout de les conduire fans leur donner
ni vin , ni eau - de - vie , ni même les chofes dont ils
avoient un befoin réel , & dont on manquoit à l'armée ;
mais il avoit le plus grand foin de leurs malades & de
leurs bleffés . Il connoît , difoient -ils , nos ufages & nos
manières comme s'il avoit été élevé au milieu de nos cabanes.
Loriqu'il reçut à Choueguen la nouvelle que le
Roi l'avoit honoré du Cordon rouge , ils vinrent le complimenter.
Nous fommes charmés ; lui dirent - ils , de la
grace que le grand Onowthio vient de t'accorder , parce
que nous fçavons qu'elle te caufe de la joie. Pour nous ,
nous ne t'en aimons ni ne t'en eftimons davantage , car
F'eft ta perfonne que nous eftimons & que nous aimons.
JANVIER 1760 . 207
don au lac Saint - Sacrement , laiffe des inftruce
tions au Chevalier de Lévi , Commandant en ?
fecond , revient à Montréal & marche rapidement
au lac Ontario , où il trouve trois bataillons
François & environ douze cens hommes de milices .
du pays. Avec cette petite armée qu'il allemble à
Frontenac, il court à Choueguen, y aborde fous le
feu de huit barques de dix , douze & vingt pièces
de canon que l'Anglois avoit fur ce lac , forme
un fiége , ouvre une tranchée , & enlève en cinq ,
jours les trois Forts de l'ennemi ( d ). Il y faic
dix-fept cens quarante-deux prifonniers , parmi
lefquels fe trouvoient quatre-vingt Officiers , &
deux Régimens de cette brave Infanterie Angloife.
qui avoit combattu à Fontenoy. Il rafe les Forts ,
revient à Montréal & retourne au lac Saint-Sacrement
avec les troupes victorieufes. Là il fait.
face de nouveau au Général Loudon qui eft obligé
de fe retirer à Albani , fans avoir ofé l'attaquer
malgré la fupériorité de fes forces . Il revint de
cette expédition à la fin de Novembre fur les
glaces , fouffrant depuis plus de deux mois unfroid
exceffif , & ayant parcouru depuis le mois
de Juin environ huit cens lieues de pays déferts.
C'eft ainfi que les François animés par fon exemple
ont fait la guerre en Amérique.
La campagne de 1757 ne fut pas moins furprenante
. M. de Montcalm réunit fes forces , confiftant
en fix bataillons de troupes régléesc , en
viron deux mille hommes de milice , & dix- huit
cens Sauvages de trente- deux Nations différen
tes , à la chute du lac Saint - Sacrement . Là il diviſe
fon armée en deux parties ; l'une marche
par terre , fe frayant une route à travers des
montagnes & dans des bois jufqu'alors incon
(d ) Le fort Ontario, le fort Chouëguen & le fort Georget
208 MERCURE DE FRANCE.
nus ; l'autre eſt embarquée fur le lac. Après
quatorze lieues de marche il entreprend de forcer
l'Ennemi retranché dans fon camp fous le
Fort Guillaume - Henry. Ce Fort eſt défendu par
une garnison de cinq cens hommes continuellement
rafraîchie par les troupes du camp : il l'attaque
, il le détruit , & s'il ne retint pas la garniton
prifonniere , ce ne fut que dans l'impoffibilité
où l'on étoit de la nourrir ( e ) . Peut- être
n'en feroit- il pas refté là s'il n'avoit été obligé
de renvoyer les Milices pour faire la récolte , &
de lailler partir les Sauvages dont quelques- uns
étoient venus de huit cent lieues uniquement
pour voir par eux-mêmes ce que la renommée
leur avoit appris de cet homme prodigieux.
Mais fi l'on ajoute à la circonftance du départ
des Sauvages & des Colons le défaut de munitions
de guerre & de bouché , l'extrême difficulté
du transport de tout ce qu'exige l'appareil
d'un fiége , à fix lieues de diftance , & à bras
d'hommes , avec une armée épuisée de fatigue,
& plus affoiblie encore par la mauvaiſe nourriture
, que penfera- t- on du reproche qu'on lui
fit alors de n'avoir pas marché du Fort Guillau
me au Fort Edouard ? Il fe vengea de fes Ennemis
en grand homme : il mit le comble à faréputation
dans la Campagne de 1758 , & les
accabla du poids de fa gloire.
La difette affreufe de l'Automne 1757 , qui
dura jufqu'a la fin du Printemps 1758 , mit la
Colonie à deux doigts de fa perte. M. de Montcalm
avoit reçu de France le fecours de deux
bataillons très-affoiblis par une maladie épidémi-,
que qui les avoit attaqués fur la iner, Les Anglois
( e ) Les habitans de Québec étoient alors réduits à un
quarteron de pain par jour ,
JANVIE R. 1760. 209
toujours infiniment fupérieurs en nombre & ea
moyens , avoient été renforcés de plufieurs régimens
envoyés d'Europe. Le Lord Loudon venoit
d'être rappellé pendant l'Hiver & remplacé par
le Général Abercromby. Celui-ci fait tous fes
préparatifs pour entrer de bonne heure en campa
gne & prévenir le Marquis de Montcalm . Retardé
par le défaut de vivres , le Général François ne
put mettre en mouvement qu'au mois de Juin
les huit bataillons affoiblis, les uns par les pertes de
la Campagne précédente , les autres par la maladie.
Ces bataillons ne formoient en total que trois
mille trois cens hommes. M. de Montcalm fe
porta avec cette poignée de monde fur la frontière
du Lac Saint - Sacrement ; le Général Anglois
marchoit à lui avec une armée de plus de vingtfept
mille hommes. Si M. de Montcalm étoit
battu , il n'avoit aucune retraite ; l'Ennemi pouvoit
s'avancer jufqu'a Montréal & couper en deux
la Colonie. Le Héros du canada prend dans cette
extrémité le feul parti qu'il y avoit à prendre. Il
reconnoit & choifit lui-même une polition avantageufe
fur les hauteurs de Carillon ; il y fait
tracer un retranchement en abattis , laiffe un
bataillon pour commencer l'ouvrage, & en même
temps pour garder le fort , fait avec fa petite-
Armée un mouvement audacieux , en fe portant
à quatre lieues en avant , envoie reconnoître &
reconnoît lui - même la marche de l'Ennemi ,
l'examine , le tâte , lui en impofe par fa conte
nance. Cette manoeuvre digne des plus grands
Maîtres rallentit l'ardeur de la multitude ennemie,&
occafionne dans fes mouvemens une lenteur
dont M. de Montcalm fçait tirer avantage.
Ceci fe palloit le 6 Juillet 17 58. Il écrivit le
foir en ces termes à M. Doreil , Commillaire Or210
MERCURE DE FRANCE.
donnateur. Je n'ai que pour huit jours de vivres,
> point de Canadiens (f) , pas un feul Sauvage ;
> ils ne font point arrivés : j'ai affaire à une armée
i formidable ; malgré cela je ne défefpere de
> rien , j'ai de bonnes troupes. A la contenance
» de l'ennemi je vois qu'il tatonne ; fi , par fa
lenteur , il me donne le temps de gagner la
pofition que j'ai choifie fur les hauteurs de
» Carillon , & de m'y retrancher , je le battrai . ››
M. de Montcalmrfe replia dans la nuit du 6 au 7 ,
& fit faire à la hâte fon retranchement auquel
il travailla lui- même. L'abattis n'étoit pas encore
entierement achevé , lorfqu'il fut attaqué le 8-
Juillet par dix- huit mille hommes , avec la plus
grande valeur (g) . L'ennemi toujours repouffé
revient fept fois à la charge , où plutôt on combat
fept heures préfque fans relâche depuis` midi jufqu'à
la nuit : alors le découragement & l'effroi
s'emparent des Anglois ; & , cherchant leur falut
dans la fuite , il fe retirent l'efpace de douze lieues
jufques vers les ruines du fort George , laiffant
en chemin leurs bleffés , leurs vivres & leurs équi
pages. ( h)
Cettejournée à jamais glorieuſe pour la nation
(f) Quelques relations dífent qu'il avoit 1 5 ſauvages &
450 hommes , tant de la Colonie que de la marine , mais
que les fauvages abandonnèrent dans les montagnes le détachement
auquel ils fervoient de guide , & que les 450
hommes de la Colonie & de la marine demeurèrent postés
dans la plaine , & n'y furent point attaqués.
(g) M. le Chevalier de Lévi commandoit la droite de
notre armée , M. de Bourlamaque la gauche , M. de Montcalm
le centre.
(b) Le lendemain du combat , àla pointe du jour , M.
de Montcalm envoya M. le Chevalier de Lévi , fi digne de
fa confiance par fa valeur & fon habileté ; reconnoître ce
qu'étoit devenue l'armée Anglaife . Partout M de Léyi nẹ
trouva que les traces d'une fuite précipitée.
JANVIE R. 1760. 217
Françoife couta à l'ennemi , de fon aveu , fix
mille morts ou bleffés , dont trois mille cadavres
étoient au pied de l'abattis . Le Marquis de Montcalm
étoit partout ; fes difpofitions avoient préparé
la victoire , fon exemple la décida : ni les
Canadiens ni les Sauvages ne participèrent à
l'honneur de cette journée ; ils ne joignirent l'Armée
que cinq jours après. Les foldats , pendant
le combat crioient à chaque inftant : Vive le
Roi & notre Général ! C'elt cette confiance por-`
tée jufqu'à l'entoufiafme qui fait le fort des batail-'
les : une Armée eft presque toujours affurée de
vaincre quand elle le croit invincible , & l'opinion
qu'elle a d'elle-même dépend furtout de
l'idée qu'elle a de ſon Chef.
..
לכ
En écrivant au mêine M. Doreil , dù champ
de bataille à huit heures du foir , voici comment
s'exprimoit ce Vainqueur auffi modefte dans le
triomphe qu'intrépide dans le combat : » l'Armée
»& trop petite Armée du Roi vient de battre fes>
>> ennemis. Quelle journée pour la France ! Siv
» j'avois eu deux cens Sauvages pour fervir de
» tête à un détachement de mille hommes d'élite ,
>> dont j'aurois confié le commandement au
>> Chevalier de Lévi , il n'en feroit pas échappé
» beaucoup dans leur fuite . Ah ! quelles troupes ,
>> mon cher Doreil , que les nôtres ! je n'en ai
»jamais vu de pareilles : que n'étoient- elles à
Louifbourg » Cette lettre eft digne de M. de
Turenne comme l'action qui en eft le fujet.
Dans la relation qu'il envoya le lendemain à
M. le Marquis de Vaudreuil après avoir fait
l'éloge des troupes en général , celui de MM. de
Lévi , de Bourlamaque , Officiers fupérieurs &
de la plus grande diftinction , des Commandans
des Corps , & pour ainfi dire de chaque Officier
en particulier , il ajoutoit Pour moi je n'ai
λ
2
212 MERCURE DE FRANCE.
que le mérite de m'être trouvé Général de
aufli valeureuſes.
>> troupes
Il eut toujours la même attention de rendre à
chacun de fes Officiers la part qu'ils avoient à
fa gloire. J'ai lu dans une lettre qu'il écrivit du
Camp de Carillon le 28 Septembre . » M. le Che-
» valier de Lévi qui connoît très- bien cette fron-
» tière , y a fait les meilleures difpofitions du
» monde , & je les ai fuivies.
.
Il y a de lui une infinité de traits qui caractérifent
le patriote , le guerrier , l'homme jufte ,
vertueux & modefte ; mais la diſtance des lieux
ne m'a pas permis d'en recueillir les preuves 3
& comme je ne veux dire que la vérité , je n'ai
pas cru devoir m'en tenir à la tradition , qui s'altere
de bouche en bouche.
La conftance & la réfolution furent de toutes
fes vertus les plus éprouvées & les plus éclatanres
; mais elles n'avoient rien d'une présomption
aveugle ; & perfonne ne voyoit mieux que lui
les dangers qu'il alloit courir.
Il écrivoit de Montréal le 14 Avril 1759 , » Le
» nouveau Général Anglois Amherſt a de gran-
» des forces & de grands moyens , 22 bataillons
de troupes réglées , plus de 30000 hommes de
milices auffi les Anglois comptent attaquer
» le Canada par plufieurs endroits & l'envahir.
Nous avons fauvé cette Colonie l'année der-
> nière par un fuccès qui tient quafi du prodige.
Faut il en efpérer un pareil ? il faudra au
> moins le tenter. Quel dommage que nous
n'ayons pas un plus grand nombre d'auffi va-
>> leureux foldats ! » L'arrivée de l'Efcadre Angloife
, en mettant le comble aux dangers qui
menaçoient la Colonie , ne fit que redoubler le
courage & le zèle de fon défenſeur .
On n'eft que trop inftruit du détail du combat
JANVIER . 1760. 213
qui a précédé la prife de Québec , & dans lequel
a péri M. de Montcalm. Tous les effets qu'on
peut attendre de la prudence , de la valeur , de
l'activité d'un Général , avoient été employés
par celui- ci , foit pour défendre à l'Ennemi l'approche
de la Ville , foit pour conferver la communication
de l'armée avec les vailleaux qui
avoient remonté le fleuve , & où les vivres
étoient déposés.
Le combat du 31 Juillet , où huit cens Grenadiers
Anglois refterent fur la place à l'attaque du
camp de Beauport qu'ils ne purent jamais forcer ,
quoique la gauche du camp qu'ils attaquoient
efit à foutenir en même temps le feu croiſé de
plus de 80 pièces d'artillerie ; ce combat , dis-je ,
prouve affez la bonté du pofte & l'intrépide réfolution
de celui qui le défendoit ( i ) .
La communication avec les vivres ne fut pas
moins courageufement défendue . Quatre fois
les Anglois tenterent de débarquer au- deffous de
Québec , & quatre fois M. de Bougainville chargé
du foin pénible & critique de couvrir quinze
lieues de pays avec une poignée de monde répandue
fur le rivage , les repouffe & les oblige
de s'éloigner , quoique toujours fupérieurs en
nombre , & foutenus par le feu des frégates qui
les protégeoient. Mais comment une Armée de
huit à neuf mille hommes répandue fur la rivé
d'un fleuve immenfe auroit - elle pu la rendre
inacceffible dans toute fon étendue à dix mille
hommes de troupes réglées , qui , au moyen d'une
flotte de vingt cinq vaiffeaux de guerre , de trente
(i) Je ne dois pas négliger de dire , à la gloire de M. le
Chevalier de Lévi , que c'etoit lui qui avoit demandé que
se camp , dont la gauche n'étoit d'abord appuyée qu'au
ruiffeau de Beauport , fût étendu juſqu'à la riviere de Montmorenci
, dont le paffage étoit plus difficile .
214 MERCURE DE FRANCE
frégates & d'environ cent quatre-vingt bâtimens
de tranfport , exécutoient fur le fleuve & à la faveur
de la marée & de la nuit , des mouvemens
continuels & rapides qu'il étoit impotlible à nos
troupes de terre de prévoir , d'obferver & de
fuivre? Ces infatigables troupes n'avoient , pas
aillé que de faire face partout , de défendre ce
rivage pendant plus de deux mois , prodige incroyable
de vigilance ( k) & d'activité , Torfqu'enfin
le 13 Septembre , tandis que M. de
Bougainville étoit occupé au Cap- rouge , trois
lieues au-deflus de Québec , par les démonftrations
d'une attaque , les Anglois furprirent &
forcerent pendant la nuit un pofte à demie lieue
de la Ville & s'y établirent avant le jour.
M. de Montcalm accourut du camp de Beauport
avec trois mille hommes ; il en trouva
fix mille de débarqués ; & plein de cette noble
ardeur qui avoit toujours décidé la victoire , il
réfolut de les attaquer avant qu'ils fuffent en
plus grand nombre. Dans cette action décifive &
meurtriere , il fut bleflé de deux coups de feu ;
& ce moment fatal fut le premier où la victoire
l'abandonna ( 1 ) . Quoique bleffé mortellement
il eut le courage de refter à cheval , & fit luianême
la retraite de l'armée fous les murailles
de Québec , ou plutôt fur les débris de ces murailles
que l'artillerie Angloife battoit fans relâche
( k ) Le détachement de M. de Bougainville avoit paſſé
trois mois au Bivouac .
( 2 ) Il est très - certain que M. de Bougainville ne fut
averti au Cap rouge du débarquement des Anglois qu'à
zeuf heures du matin , & qu'ayant plus de trois lieues de
chemin à faire , il ne put arriver fur le champ de bataille
qu'après la déroute. Il n'en fit pas moins bonne contenance
, & fa retraite comme fa conduite dans cette pénible
campagne , a justifié pleinement la confiance que M. de
Montcalm avoit en lui.
JAN VIER. 1760. LIS
د ر
depuis deux mois. Il entra dans cette Ville ruinée ,
donna les ordres à tout , fe fit panfer , interrogea
le Chirurgien ; & fur la réponſe , dit au Lieutenant
de Roi & au Commandant de Royal Rouffillon
, Meffieurs , je vous recommande de
ménager l'honneur de la France , & de tâcher
»que ma petite armée puiffe fe retirer cette nuit
» au delà de la riviere du Cap- rouge , pour joindre
le Corps aux ordres de M. de Bougainville
: pour moi je vais la paller avec Dieu , &
me préparer à la mort . Qu'on ne me parle
» plus d'autres chofes. » Il mourut en Héros le
lendemain 14 Septembre à cinq heures du matin,
& fut enterré fans fafte dans un trou de bombe ,
fépulture digne d'un homme qui avoit réfolu de
défendre le Canada ou de s'enfevelir fous fes
ruines ( m ).
Je n'ai eu qu'à raconter les faits dans toute
lear fimplicité , pour faire des talents & des vertus
militaires de M. le Marquis de Montcalm un
éloge peut-être unique. L'Hiftoire les atteftera ,
& la postérité aura peine à les croire ; mais la
Colonie qu'il a défendue , les Guerriers qu'il a
commandés (n ) , les ennemis qu'il a vaincus
tant de fois, en rendront d'éclatans témoignages ;
& ces mêmes Sauvages qu'il a étonnés par des
prodiges de conftance , de réfolution & de valeur
, montreront à leurs enfans dans leurs dé-
(m)Les Anglois lui ont rendu les mêmes honneurs funébres
qu'au Général Wolf tué dans le même combat .
( n) L'un d'eux écrit du Canada : » Je ne me confo-
" lerai jamais de la perte de mon Général ; qu'elle eft
grande & pour nous & pour ce pays & pour l'Etat !
,, C'étoit un bon Général , un Citoyen zélé , un ami folide ,
,, un Pere pour nous tous. Il a été enlevé au moment de
,, jouir du fruit d'une campagne que M. de Turenne n'au
défavouée. Tous les jours je le chercherai , &
tous les jours ma douleur fera plus vive,
23 roit
pas
216 MERCURE DE FRANCE.
ferts inhabités les traces de ce Guerrier qui les
menoit à la victoire , & les lieux où ils ont eu
la gloire de combattre & de vaincre avec lui .
C'elt furtout dans le coeur des François que M.
de Montcalm doit fe furvivre . Notre Nation
qu'on accufe d'oublier trop ailément les grands
hommes qu'elle a perdus , eft profondément
frappée de la mort de celui-ci , & lui donne les
plus juftes larmes.
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Résumé : MORTS. ÉLOGE HISTORIQUE DE M. LE MARQUIS DE MONTCALM.
Le Marquis de Montcalm, né en 1712, fut un militaire français distingué pour son dévouement et ses sacrifices pour l'État. Il débuta sa carrière au Régiment de Hainault Infanterie et gravit les échelons jusqu'à devenir Lieutenant-Général des Armées du Roi et commandant en chef des troupes françaises en Amérique septentrionale. Montcalm était également un érudit, maîtrisant les langues grecque et latine, et conservant un goût pour l'étude tout au long de sa carrière. Montcalm servit avec distinction dans plusieurs campagnes en Europe et en Amérique. En Amérique, il montra une bravoure exceptionnelle, une grande prudence et une résolution courageuse, menant des troupes françaises et des alliés autochtones contre des forces ennemies supérieures en nombre. Ses campagnes, notamment autour du lac Saint-Sacrement et du fort Carillon, furent marquées par des victoires stratégiques et des manœuvres audacieuses. En 1759-1760, Montcalm et ses troupes, sous les ordres de Lévi et Bourlamaque, remportèrent une victoire significative contre les forces ennemies. La bataille coûta à l'ennemi environ six mille morts ou blessés, avec trois mille cadavres près de l'abattis. Les Canadiens et les Sauvages ne participèrent pas à cette victoire, rejoignant l'armée cinq jours plus tard. Les soldats crièrent 'Vive le Roi et notre Général!' durant le combat, reflétant leur confiance en Montcalm. Montcalm écrivit à Doreil pour exprimer sa satisfaction de la victoire et regretta de ne pas avoir plus de troupes pour poursuivre l'ennemi. Il loua également ses officiers et soldats, soulignant leur valeur et leur discipline. Dans une lettre à Vaudreuil, il attribua la victoire aux dispositions prises et à l'exemple donné par lui-même. La défense de Québec contre les forces anglaises fut marquée par des combats acharnés pour protéger les vivres et les communications. Montcalm fut blessé mortellement lors d'une bataille décisive près de Québec et mourut le 14 septembre 1760. Ses dernières paroles furent de recommander à ses officiers de préserver l'honneur de la France. Les ennemis et les alliés de Montcalm témoignèrent de ses talents militaires et de ses vertus.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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