LE TEMPLE DE LA PÉNITENCE.
Dans un antre profond , au milieu des déferts,
Loin du faſte des cours & des hommes pervers ,
S'éleve un vieux palais de ftructure fauvage ,
Préfentant à la vûe une effrayante image.
La crainte d'effuyer d'éternels châtimens
En fit pofer d'abord les premiers fondemens .
Pour la Divinité l'attache la plus pure
De ce trifte palais régla l'architecture.
L'auftere pénitence en proie à fes douleurs ;
Habite ce féjour de foupirs & de pleurs :
De là découle un fleuve infpirant les allarmes ,
Il eft formé de fang & groffi par les larmes .
Les remords font placés aux portes du palais ,
Ces cruels à punir ne ſe laſſent jamais.
La ferveur aux autels amene les victimes ,
Et fait couler le fang pour réparer les crimes.
Ciel ! quels horribles cris ont pénétré mes fens !
Tout retentit ici de funébres accens.
L'un pleure fes forfaits , l'autre par la fouffrance
Efpere racheter fa premiere innocence ;
Celui- ci , le jouet d'un monde féducteur ,
En déteste à jamais la funefte grandeur.
De différens états une foule timide
Y marche en frémiſfant , le repentir la guide
MA I. ∙1755. 37
A l'exemple d'un Roi ( a ) qu'admiroit Ifraël ,
Des Princes & des grands encenfent cet autel.
Charles ( b ) qui fut fameux dans la paix , dans la
guerre ,
Qui foumit à fes loix le Germain & l'tbere ,
Qui détruifit le Maure , & vainquit les François,
Qui remplit l'univers de fes heureux ſuccès ;
Du faîte de la gloire il fe plaît à defcendre ,
Dans ces murs pénitens il fe couvre de cendre .
Je vois fon diadême aux voûtes fufpendu ,
Et parmi les fujets le Prince confondu.
Mais quels font ces tyrans qu'en ces lieux on entraîne
?
La pénitence met ces monftres à la chaîne ;
Ils refpirent encore , à fes pieds terraffés ,
Les crimes que par- tout leur fureur a tracés .
A leurs traits odieux je connois, le caprice ,
La dure oppreffion , la fraude , l'injuſtice ;
Le jeûne & la priere y tiennent dans les fers ,
De mille affreux forfaits ces miniftres divers.
Si j'avance mes pas dans ces facrés portiques ,
Je vois diminuer les fpectacles tragiques.
L'eſpérance bientôt écartant les douleurs ,
Fait un féjour charmant de ce féjour d'horreurs ;
Les pleurs & les fanglots ne s'y font plus entendre
,
Quelques foupirs à peine échappent d'un coeur
tendre.
( a ) David.
(b ) Charles-Quint
38 MERCURE DE FRANCE.
Mais quel eft tout -à- coup cet objet merveilleux ,
Ce fantôme éclatant qui vient frapper mes yeux !
La gloire ! ... je la vois fur un char de lumiere
Des cieux en un moment traverfer la carriere .
Ce n'eft pas cette gloire idole des héros ,
Que la mort avec eux précipite aux tombeaux ;
C'eft de tous les plaifirs l'éternel affemblage ,
Et de toute vertu l'infaillible partage.
Vertueux pénitens , fon feu pur & facré
Répandra dans vos coeurs un plaifir ignoré ;
Partez ...& de vos fronts ôtez cette pouffiere ,
Dépouillez pour jamais le cilice & la haire
Séchez vos triftes pleurs , & ménagez ce fang
Que votre auftérité vous arrachoit du flanc ;
Et pour fixer enfin vos heureufes conquêtes ,
De lauriers immortels allez ceindre vos têtes .
Par M. Hefpel , Rhétoricien , au
College de Jéfuites de Lille en Flandres.
Le ton de ce poëme me paroît bon en
général : il y a de la vérité dans les images
, & de l'harmonie dans les vers . Je crois
qu'ils annoncent du talent , & qu'ils promettent
d'autant plus que l'auteur n'a que
feize ans on ne peut trop l'encourager ;
mais il faut l'avertir de ne point négliger
la rime ; celles de guerre & d'lbere qu'il a
employées , ne font point exactes.