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1
p. 22-48
LETTRE.
Début :
Un Particulier ayant fait divers Ouvrages sur les dernieres Actions / Je me souviens, Monsieur, que vous avez voulu me persuader [...]
Mots clefs :
Approbation, Louis, Univers, Sentiments, Roi, Combats, Grandeur, Lois, Héros, Fortune, Monarque, Sage, Ennemis, Ambassadeur, Mérite, Guerre, Éloge, Honneur, Campagne militaire, Espagne, Vainqueur, Prudence, Courage, États, Audace, Sentiments, Conquérant, Trêve, Souverain, Armes, Peuple, Bonheur, Devise, Éclat
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE.
Un Particulier ayant fait
divers Ouvrages ſur les dernieres
Actions de cet auguſte
Monarque , les a ramaffez
comme en un Recueil dans
cetteLettre qu'il m'aadreſſée.
5555 5552 55255522
LETTRE.
TE me souviens , Monfieur.
que vous avez voulu me perfuader
que j'avois merité quel
GALANT. 23
que approbation des bons Connoiffeurs
, lors que je dis ily a
quelques années.
On faitmal ce qu'on fait , onne
fait qu'une affaire,
Mais LOUIS partagé dans cent
emplois divers,
ةو
Sedonnant tout à tout , fait voir
al'Univers,
Et qu'il fait ce qu'il faut, &qu'il
ſçait bien le faire.
Vous avez mesme prétendu
que j'avois expliqué les fentimens
de tout ce qu'il y a d'hon .
nestesGens au monde en difant,
Que tous les noms des Grands
cedent au nom duRoy,
24 MERCURE
Les Cefars, les Cyrus, les Hectors,
les Achilles,
Ont eu moins de merite &donné
moins d'effroy,
Par cent Combats rendus, par
cent priſes de Villes .
Je vous ferois bien obligé , fi
vous vouliezfairesçavoir aupublic,
que je défie toute la Terrede
me difputer la verité de ceque je
vais dire.
SONNET
SVR LA GRANDEVR DV ROY.
L
OUIS eſt grand en tout ; il
regle les Finances,
Ilreforme les Loix, il fait fleurir
esArts , :
Mille
GALANT. 25
Mille Vaiſſeaux flottans,mille orguilleux
Rampars
Partagent tous les jours ſes ſoins,
& les dépenſes ;
Dans le particulier,dans les réjoüifſſances
Il eſt autant Heros , que dans le
champ deMars,
Findans leGabinet , ferme dans
leshazars,
Il fait plier ſous ſoy les plushautes
Puiſſances;
S2
Sa fortune répond par tout à
ſa valeur,
Par tout ſes grands exploits répondent
à fon coeur,
Ainſi que l'ont fait voir cent conqueſtes
de marque ;
Mars1685. C
1
26 MERCURE
52
Enfinnos Ennemis connoiffent
commemoy,
Que ſi tout 1 Univers ne vouloit
qu'unMonarque
Tout l'Univers devroit n'avoir
que luy pour Roy.
:
Je ſens bien que ce que je dis
là n'est rien de bon , mais il me
ſemble que c'est l'explication fincere
des pensées , qui doivent venir
naturellement à tous les Sages
qui ſont ſans paffion , & qui ont
du bon goust.
Ne croyez donc pas , Monſieur
, que ce soit une pure conje-
Eture ouseulement un effet de l'at(
GALANT: 27
tache desſentimens que j'ay pour
jeRoy qui m'afait dire :
Enfin nos Ennemis connoiffent
al commemoys, &c.
Vous en jugerez par une pefire
avanture que je vais vous
racontertelle qu'elle m'est arrivée
Je me rrauvay fur la route de
M'Ambassadeur d'Espagne
lors qu'ilse retiroit de France à
-pas comptez tant il marquoit
d'envie de n'en point fortir. Férois
chez une Perſonne de qualité
de merite , àl'heure qu'il luy
envoyaun de ses Gentilshommes
poursçavoir si elle se trouveroit
Cij
28 MERCURE
enétat de recevoirfa viſite. Com
me je vis par laréponse, queM
'Ambassadeur alloit venir , je
voulus luy faire place , mais la
Perſonne chez qui j'estois me
déclara , qu'elle vouloit abfo
lument que j'eusse part à cette
conversation , qui dura bien prés
de quatre heures. Vousne pouvezpas
douter, Monfieur, qu'on
neparlastd'Affaires d'Etat avec
un Ambassadeur,&que fa retraite
, & laGuerre qui nous menaçoitalors,
nefourniffent à l'en
tretien. Il nous dit cent chofes,qui
nous firent affezcomprendre qu'il
asust pas en de peine d'avoüer
1
GALANT. 29
nettement que le Roy estoit le plus
grand & le plus puiſſant Prince
du monde,s'il eustpu oublier qu'il
avoit un Maistre , &fe défaire
des préjugez Espagnols.
On doit neanmoins cette juſtice
à M l'Ambassadeur , que
fonbon sens &sa raiſon ne furentpoint
obscurcis par ces enteſtemens,
qui ſontſi ordinaires à ceux
deſa Nation. Il fu l'Eloge de la
France,des François, du Roy,
d'un air fort élevé, &qui marquoit
beaucoup de fincerité dans
ce qu'il diſoir ; mais dans les
loüanges qu'il donna àsa Ma
jesté , iln'oublia ny ce qu'il estoit
C iij
30 MERCURE
ny ce qu'il devoit à fon Prince.
Pretendant faire une galanterie
aux Dames , il dit qu'il vouloit
leur faire voir quelque chose de
fort beau.Il tira enfuite une riche
qui renfermoit Boëte, , diſoit-il,
lePortraitddee fa A
Ja MMaaiîttrreeffffee,qu'il
emporioit de France , & c'estoit
celuy du Roy , dont ſa Majesté
l'avoit honoré, & dont ilsefaifoit
en effet ungrandbonneur. La
Perſonne chez qui nous estions,
qui est fortfpirituelle,luy dit qu'il
devoit bien conferver ce gage,
qu'il fe feroit bien- toft en luy
une metamorphose furprenante,
parce qu'il estoit à croire que le
GALANT. 31
Portrait deSa Majesté ſe changeroit
en celuy de fon Maistre.
Aces paroles Ml'Ambassadeur
parut Espagnol , comme ſon devoir
l'y obligeoit. L'entretien
roula enfuite fur différentes matieres,
&fut longue & curieufe.
Je vous avovë , Monfieur,
que pendant tous les évenemens
de la derniere Campagne ,je me
ſuis toûjours ſouvenu des entretiens
de cét Ambaſſadeur. Ilnous
dit pofuivement qu'il y auroitdu
fang répandu; qu'il feroit difficile
d'arreſter les deſſeins du Roys
que ſes Ennemis ne pouvoient
C iiij
32 MERCURE
rien efperer que de l'inconstance
de la fortune ; & que l'Empire
&l'Espagne ne cherchoient qu'à
mettre leur bonneur à couvert,
en ne cedant pas sans avoir combattu.
Voila la Prophétie accomplie,&
nous en voyans la
té dans la diſpoſition des chofes
qui ſeſont paſſées la derniere année.
SONNET
Sur l'état des Affaires aprés la derniere
Campagne de France.
A
Lger encor fumat des Foudres
de la Guerre,
Vient ſe jetter aux pieds de fon
noble Vainqueur;
GALANT. 33
Et Gennes la ſuperbe eſt tremblante
de peur
Sous les éclats vengeurs de fon
bruyant tonnerre :
52
Luxembourg voit tomber ſes
hauts Ramparts par terre ,
Capd- e-Quiers attaqué ſe trouve
ſans vigueur;
La Hollande en Partis ralentit
fon ardeur
N'ayant pû ſoûlever les Peuples
d'Angleterre;
Se
Le Danemark amyreçoit nos
Etendars,
L'Empire ſe ménage & craint
tous les hazars,
L'Eſpagne plaint fes Forts qu'on
pille ou qu'on enleve;
34 MERCURE
52
Liége & Tréves foûmis ſçavent
faire leur Cour,
L'Europe attend la Paix en rece
vant laTréve,
Tout cedeau Grand LOUIS par
force ou par amour.
Je vois dans cette peinture tour
ce que l'Ambassadeur d'Espagne
craignoit , & tout ce que sa politique
luy faisoit prévoiravecchagrin.
Avoüez aprés cela , Monſieur,
que lafortune de LOUIS
le Grand doit eſtre bien conſtante
pour faire avec tant de bonheur
des choses fi admirables , puis que
tant de Heros , & tant de ſages
Monarques n'ont pu s'empescher
GALANT. 35
d'en eſtre abandonnez. Mais
avoüez aussi à mesme temps que
La prudence of le courage du Roy
font extraordinaires , puis qu'il
ſemble avoir réduit la Fortune
ſous les règles ,&s'estrefait une
methode de réüfſſiren tout.
Nepeut- on pas compter entre
fes bonnes fortunes la fecondité
de la Maiſon Royale ? Ce Fils
unique que le Ciel luy avoit laif-
Sé comme son premier don , plus
Il est grand , plus il nous faifoit
craindre. Vous voulûtes bien,
Monfieur, que mes pensées fufſent
celles de tous les honneſtes
Gensà la naiſſance de Monfei36
MERCURE
gneur le Duc de Bourgongne. Fo
voudrois à cette heure que vous
les engageaffiez à dire fur ta
naiſſance de Monseigneur leDuc
d'Anjou.
;
R
AURΟΥ.
SONNET.
Ecevez un Héros qui naiſt
de voſtre Race,
Grand LOUIS, deſormais le Ciel
veut tous les ans
Enrichir vos Etats de ſemblables
Préfens ,
Qui pourront mériter de remplir
voſtre place.
Se
Nous verrons de nos jours l'Allemagne
& la Thrace
GALANT 37
Ployer ſous les efforts du Pere&
des Enfans
Par tout dignes de Vous , & par
tour triomphans,
Detous nos Ennemis ils dompte.
-ront l'audace.
Se
t
Formez-les ſeulement dans l'Art
qui fait les Roys ,
Ils en apprendront plus par vos
nares Exploits, 29)
Qu'en lifant ce qu'ont fait lesFameux
de l'Histoire ;
22
'Et comme ils vous verront toujours
au- deffus d'eux ,
Chacun d'eux tâchera d'ateindre
àvoſtre gloire;
Mais nul n'y parviendra parmy
tous vos Neveux.
38 MERCURE
Ces ſentimens quifurentconceus
dans la joye qu'avoit toute
la France en celte rencontre
د. Se
produisent fort tard , mais ils ſeront
toûjours deſaiſon , ſi vous
voulez que ce foient des marques
éternelles de mon respect envers ce
Prince. Fay auſſi laissé paſſer le
temps où ces Bouts rimez estoient
àla mode. Cependant ce qu'ils
m'ont fait dire ne vieillira jamais
dans la memoire des Hommes,
puis que LOUIS le Grand aura
toûjours des admirateurs , qui
tomberont d'accord avecmoy de la
verité de mespensées.
GALANT. 39
CI
1.71.
I jamais Conquérant marcha
droit à la Glovre,
Sijamais Souverain mérita d'être
Roy,
- Si jamais Politique aux autres fit
la loy,
Sur tous les Concurrens LOUIS
ala victoire.
Se
Ses Faits feront paſſer pour Fable
fon Histoire, at
Apeine croira- t- on qu'ils foient
dignes defoy;
Les Siècles àvenir en ferontdans
L'effrey, pens
Et tout retentira du bruit de ſa
Mémoire,
52
رد
Lorsqu'on voudra former unHé.
ros achevé,
1
40 MERCURE
On en prendra les traits ſur ſon air
élevé,
Sur ſes Combats divers , ſur ſon
coeur intrépide.
Autrefois on l'eût mis au rang des
Immortels;
Et comme ſes hauts Faits effacent
ceux d'Alcide,
Alcideà fon Vainqueur euſt cedé
ſes Autels.
Vous trouverezpeut-estre quel
que conformité entre ce Sonnet,
un autre que vous avez publié.
Elle auroit efté plus grande
fi je ne l'avoisjamais veu. Je ne
fçay si l'autre a esté fait plûtoft
que le mien , mais je fuisſeur
3
GALANT. 41
que le mien n'a point esté fait fur
celuy-là. Ces Bouts rimeznauront
pas perdu tout- à-fait lagrace
de la nouveauté. Vous avez
dit il n'y a pas long-temps , qu'ils
estoient àla mode ,&lesujet n'en
est pas trop vieux.
SUR LA TREVE
que le Roy a faite.
Ο
N diſoit autrefois, Non licet
omnibus,
J'ofe le dire encore, & qui voudra
nolis'enfaches an và 120. "
LOUIS, de qui l'eſprit travaille
fans relâche,
Vient de faire luy feul quodnon
licet tribus .
Avril 1685, D
42 MERCURE
52
Nul d'entr'eux ne sçauroit parer
aux coups qu'il lache,
Parmy les Souverains il paroiſt un
Phoebus;
Il commande la Tréve , & vous
ſçavez quibus;
Tout ce qu'elle a de durpar avace
illeur mache.
Ils l'avalent enfin avec tous ſes
Item
Dans un profondreſpect ils chantent
Tuautem ,
Ravis de prévenir les effets de ſon
ire.
S&
Sidans le temps préſent ilsn'ont
pû dire amo,.
D
GALANT. 43
Peut- eftre qu'au futur ils auront
peine à lire
Ce qu'il leur fit figner currente
calamo.
Il n'y a point de Rimes ſi bi--
zarres &fi Burlesques, quon-nc
puiſſe remplir de quelque chose de
grandſur leſujet du Roy. Ilme:
femble donc qu'on pourroit bien
donner à celles- là encore un autre
tour presque fur la mesme ma
tiere..
SVR L'ENREGISTREMENT,,
&la Publication de la Tréve.
L
OUIS. le Conquérant fair
ſçavoir omnibus,
4
Qu'il annonce une Tréve, & qui
plaiſt,& qui fache;
C
Dij
44 MERCURE
Jamais de fes deſſeins en rien il ne
relâche,
Le coup qui le deſarme a fait la
loytribus.
52
Que s'il fuit les Combats , il ne
fuit point en Lache,
Dans le Meſtier de Mars il n'eſt
point E- Phoebus;
Ila du coeur,desGens,desArmes,
du quibus,
Et quand il faut donner, point la
Cire il ne mache.
52
Cependant il s'arreſte , il ſe modére,
item,
Sçachant bien comme il faut venir
au Tu autem,
Pour le bonheur public il com
mande àfon ire,
GALANT. 45
Se
Conjuguons- luy par coeur dans
tous les temps amo;
Et nos Neveux diront , lifant ce
qu'on va lire,
Que ce qu'il fit du Fer, il l'a fait
calamo.
Enfin , Monsieur, ily a treslong-
tempsquej'ayfait uneDevi
fepour le Roy ,furun deffein qui
aesté ſuſpendu. Si elle avoir esté
publiée dés ce temps-là, elle pourroit
paſſer à preſentpour une efpece
de Prophetie. Cesera pour
le moins une expreſſion allegorique
de ce que nous voyons. Le
corps de la Deviſe , c'eſtun Soleil
46 MERCURE
dansſon Zodiaque;l' Ame, cefont
ces paroles , Curro , fed tacito
motu. Si je ne craignois de choquer
les Maistres de l'Art, j'a
joûterois des Aſtronomes de toutes
lesNations , qui obferventle Søleil
avectoutes les fortes d'Inſtru--
mens dont on uſe pourcela. Ils ne
répondroient pas malà l'applica
tion que tous les Politiques de la
Terre donnent à penétrer la conduite
du Roy. Voicy l'explication :
de ma Deviſe.
'Univers attentif regarde ma
carriere,
Les eſprits appliquez à mefurer
moncours ,
! GALANT. 47
Obſervent avec ſoin mes tours&
mes détours :
Mais nul oeil ne peut voir ma rou.
te toute entiere ;.
८८
Mon éclat plus aux fiers fait
baiffer la paupiere ;
Mes differens afpects font les
nuits & les jour,
Tout languiroit fans moy , tour
attend mon fecours,
t
Etje porte par tout mes biens&
ma lumiere.
SS
Mille divers emplois partagent
mes momens,
Je ſuis toûjours reglé dans tous
mes mouvemens ,
On connoiſt mon pouvoir fur la
Terre & fur l'Onde.aranov
48 MERCURE
1
Jeme haſte; je cours; rien n'arreſtemes
pas,
J'acheveray bien-toſt le tour en
tier du Monde,
Ma démarche eſt cachée & l'on
ſçait où je vas .
Ilya affezlong-temps, Monfieur
, que je vous entretiens pour
me haſter de vous dire que je suis
vostre tres ,&c.
F. F. D. C. R. G.
divers Ouvrages ſur les dernieres
Actions de cet auguſte
Monarque , les a ramaffez
comme en un Recueil dans
cetteLettre qu'il m'aadreſſée.
5555 5552 55255522
LETTRE.
TE me souviens , Monfieur.
que vous avez voulu me perfuader
que j'avois merité quel
GALANT. 23
que approbation des bons Connoiffeurs
, lors que je dis ily a
quelques années.
On faitmal ce qu'on fait , onne
fait qu'une affaire,
Mais LOUIS partagé dans cent
emplois divers,
ةو
Sedonnant tout à tout , fait voir
al'Univers,
Et qu'il fait ce qu'il faut, &qu'il
ſçait bien le faire.
Vous avez mesme prétendu
que j'avois expliqué les fentimens
de tout ce qu'il y a d'hon .
nestesGens au monde en difant,
Que tous les noms des Grands
cedent au nom duRoy,
24 MERCURE
Les Cefars, les Cyrus, les Hectors,
les Achilles,
Ont eu moins de merite &donné
moins d'effroy,
Par cent Combats rendus, par
cent priſes de Villes .
Je vous ferois bien obligé , fi
vous vouliezfairesçavoir aupublic,
que je défie toute la Terrede
me difputer la verité de ceque je
vais dire.
SONNET
SVR LA GRANDEVR DV ROY.
L
OUIS eſt grand en tout ; il
regle les Finances,
Ilreforme les Loix, il fait fleurir
esArts , :
Mille
GALANT. 25
Mille Vaiſſeaux flottans,mille orguilleux
Rampars
Partagent tous les jours ſes ſoins,
& les dépenſes ;
Dans le particulier,dans les réjoüifſſances
Il eſt autant Heros , que dans le
champ deMars,
Findans leGabinet , ferme dans
leshazars,
Il fait plier ſous ſoy les plushautes
Puiſſances;
S2
Sa fortune répond par tout à
ſa valeur,
Par tout ſes grands exploits répondent
à fon coeur,
Ainſi que l'ont fait voir cent conqueſtes
de marque ;
Mars1685. C
1
26 MERCURE
52
Enfinnos Ennemis connoiffent
commemoy,
Que ſi tout 1 Univers ne vouloit
qu'unMonarque
Tout l'Univers devroit n'avoir
que luy pour Roy.
:
Je ſens bien que ce que je dis
là n'est rien de bon , mais il me
ſemble que c'est l'explication fincere
des pensées , qui doivent venir
naturellement à tous les Sages
qui ſont ſans paffion , & qui ont
du bon goust.
Ne croyez donc pas , Monſieur
, que ce soit une pure conje-
Eture ouseulement un effet de l'at(
GALANT: 27
tache desſentimens que j'ay pour
jeRoy qui m'afait dire :
Enfin nos Ennemis connoiffent
al commemoys, &c.
Vous en jugerez par une pefire
avanture que je vais vous
racontertelle qu'elle m'est arrivée
Je me rrauvay fur la route de
M'Ambassadeur d'Espagne
lors qu'ilse retiroit de France à
-pas comptez tant il marquoit
d'envie de n'en point fortir. Férois
chez une Perſonne de qualité
de merite , àl'heure qu'il luy
envoyaun de ses Gentilshommes
poursçavoir si elle se trouveroit
Cij
28 MERCURE
enétat de recevoirfa viſite. Com
me je vis par laréponse, queM
'Ambassadeur alloit venir , je
voulus luy faire place , mais la
Perſonne chez qui j'estois me
déclara , qu'elle vouloit abfo
lument que j'eusse part à cette
conversation , qui dura bien prés
de quatre heures. Vousne pouvezpas
douter, Monfieur, qu'on
neparlastd'Affaires d'Etat avec
un Ambassadeur,&que fa retraite
, & laGuerre qui nous menaçoitalors,
nefourniffent à l'en
tretien. Il nous dit cent chofes,qui
nous firent affezcomprendre qu'il
asust pas en de peine d'avoüer
1
GALANT. 29
nettement que le Roy estoit le plus
grand & le plus puiſſant Prince
du monde,s'il eustpu oublier qu'il
avoit un Maistre , &fe défaire
des préjugez Espagnols.
On doit neanmoins cette juſtice
à M l'Ambassadeur , que
fonbon sens &sa raiſon ne furentpoint
obscurcis par ces enteſtemens,
qui ſontſi ordinaires à ceux
deſa Nation. Il fu l'Eloge de la
France,des François, du Roy,
d'un air fort élevé, &qui marquoit
beaucoup de fincerité dans
ce qu'il diſoir ; mais dans les
loüanges qu'il donna àsa Ma
jesté , iln'oublia ny ce qu'il estoit
C iij
30 MERCURE
ny ce qu'il devoit à fon Prince.
Pretendant faire une galanterie
aux Dames , il dit qu'il vouloit
leur faire voir quelque chose de
fort beau.Il tira enfuite une riche
qui renfermoit Boëte, , diſoit-il,
lePortraitddee fa A
Ja MMaaiîttrreeffffee,qu'il
emporioit de France , & c'estoit
celuy du Roy , dont ſa Majesté
l'avoit honoré, & dont ilsefaifoit
en effet ungrandbonneur. La
Perſonne chez qui nous estions,
qui est fortfpirituelle,luy dit qu'il
devoit bien conferver ce gage,
qu'il fe feroit bien- toft en luy
une metamorphose furprenante,
parce qu'il estoit à croire que le
GALANT. 31
Portrait deSa Majesté ſe changeroit
en celuy de fon Maistre.
Aces paroles Ml'Ambassadeur
parut Espagnol , comme ſon devoir
l'y obligeoit. L'entretien
roula enfuite fur différentes matieres,
&fut longue & curieufe.
Je vous avovë , Monfieur,
que pendant tous les évenemens
de la derniere Campagne ,je me
ſuis toûjours ſouvenu des entretiens
de cét Ambaſſadeur. Ilnous
dit pofuivement qu'il y auroitdu
fang répandu; qu'il feroit difficile
d'arreſter les deſſeins du Roys
que ſes Ennemis ne pouvoient
C iiij
32 MERCURE
rien efperer que de l'inconstance
de la fortune ; & que l'Empire
&l'Espagne ne cherchoient qu'à
mettre leur bonneur à couvert,
en ne cedant pas sans avoir combattu.
Voila la Prophétie accomplie,&
nous en voyans la
té dans la diſpoſition des chofes
qui ſeſont paſſées la derniere année.
SONNET
Sur l'état des Affaires aprés la derniere
Campagne de France.
A
Lger encor fumat des Foudres
de la Guerre,
Vient ſe jetter aux pieds de fon
noble Vainqueur;
GALANT. 33
Et Gennes la ſuperbe eſt tremblante
de peur
Sous les éclats vengeurs de fon
bruyant tonnerre :
52
Luxembourg voit tomber ſes
hauts Ramparts par terre ,
Capd- e-Quiers attaqué ſe trouve
ſans vigueur;
La Hollande en Partis ralentit
fon ardeur
N'ayant pû ſoûlever les Peuples
d'Angleterre;
Se
Le Danemark amyreçoit nos
Etendars,
L'Empire ſe ménage & craint
tous les hazars,
L'Eſpagne plaint fes Forts qu'on
pille ou qu'on enleve;
34 MERCURE
52
Liége & Tréves foûmis ſçavent
faire leur Cour,
L'Europe attend la Paix en rece
vant laTréve,
Tout cedeau Grand LOUIS par
force ou par amour.
Je vois dans cette peinture tour
ce que l'Ambassadeur d'Espagne
craignoit , & tout ce que sa politique
luy faisoit prévoiravecchagrin.
Avoüez aprés cela , Monſieur,
que lafortune de LOUIS
le Grand doit eſtre bien conſtante
pour faire avec tant de bonheur
des choses fi admirables , puis que
tant de Heros , & tant de ſages
Monarques n'ont pu s'empescher
GALANT. 35
d'en eſtre abandonnez. Mais
avoüez aussi à mesme temps que
La prudence of le courage du Roy
font extraordinaires , puis qu'il
ſemble avoir réduit la Fortune
ſous les règles ,&s'estrefait une
methode de réüfſſiren tout.
Nepeut- on pas compter entre
fes bonnes fortunes la fecondité
de la Maiſon Royale ? Ce Fils
unique que le Ciel luy avoit laif-
Sé comme son premier don , plus
Il est grand , plus il nous faifoit
craindre. Vous voulûtes bien,
Monfieur, que mes pensées fufſent
celles de tous les honneſtes
Gensà la naiſſance de Monfei36
MERCURE
gneur le Duc de Bourgongne. Fo
voudrois à cette heure que vous
les engageaffiez à dire fur ta
naiſſance de Monseigneur leDuc
d'Anjou.
;
R
AURΟΥ.
SONNET.
Ecevez un Héros qui naiſt
de voſtre Race,
Grand LOUIS, deſormais le Ciel
veut tous les ans
Enrichir vos Etats de ſemblables
Préfens ,
Qui pourront mériter de remplir
voſtre place.
Se
Nous verrons de nos jours l'Allemagne
& la Thrace
GALANT 37
Ployer ſous les efforts du Pere&
des Enfans
Par tout dignes de Vous , & par
tour triomphans,
Detous nos Ennemis ils dompte.
-ront l'audace.
Se
t
Formez-les ſeulement dans l'Art
qui fait les Roys ,
Ils en apprendront plus par vos
nares Exploits, 29)
Qu'en lifant ce qu'ont fait lesFameux
de l'Histoire ;
22
'Et comme ils vous verront toujours
au- deffus d'eux ,
Chacun d'eux tâchera d'ateindre
àvoſtre gloire;
Mais nul n'y parviendra parmy
tous vos Neveux.
38 MERCURE
Ces ſentimens quifurentconceus
dans la joye qu'avoit toute
la France en celte rencontre
د. Se
produisent fort tard , mais ils ſeront
toûjours deſaiſon , ſi vous
voulez que ce foient des marques
éternelles de mon respect envers ce
Prince. Fay auſſi laissé paſſer le
temps où ces Bouts rimez estoient
àla mode. Cependant ce qu'ils
m'ont fait dire ne vieillira jamais
dans la memoire des Hommes,
puis que LOUIS le Grand aura
toûjours des admirateurs , qui
tomberont d'accord avecmoy de la
verité de mespensées.
GALANT. 39
CI
1.71.
I jamais Conquérant marcha
droit à la Glovre,
Sijamais Souverain mérita d'être
Roy,
- Si jamais Politique aux autres fit
la loy,
Sur tous les Concurrens LOUIS
ala victoire.
Se
Ses Faits feront paſſer pour Fable
fon Histoire, at
Apeine croira- t- on qu'ils foient
dignes defoy;
Les Siècles àvenir en ferontdans
L'effrey, pens
Et tout retentira du bruit de ſa
Mémoire,
52
رد
Lorsqu'on voudra former unHé.
ros achevé,
1
40 MERCURE
On en prendra les traits ſur ſon air
élevé,
Sur ſes Combats divers , ſur ſon
coeur intrépide.
Autrefois on l'eût mis au rang des
Immortels;
Et comme ſes hauts Faits effacent
ceux d'Alcide,
Alcideà fon Vainqueur euſt cedé
ſes Autels.
Vous trouverezpeut-estre quel
que conformité entre ce Sonnet,
un autre que vous avez publié.
Elle auroit efté plus grande
fi je ne l'avoisjamais veu. Je ne
fçay si l'autre a esté fait plûtoft
que le mien , mais je fuisſeur
3
GALANT. 41
que le mien n'a point esté fait fur
celuy-là. Ces Bouts rimeznauront
pas perdu tout- à-fait lagrace
de la nouveauté. Vous avez
dit il n'y a pas long-temps , qu'ils
estoient àla mode ,&lesujet n'en
est pas trop vieux.
SUR LA TREVE
que le Roy a faite.
Ο
N diſoit autrefois, Non licet
omnibus,
J'ofe le dire encore, & qui voudra
nolis'enfaches an và 120. "
LOUIS, de qui l'eſprit travaille
fans relâche,
Vient de faire luy feul quodnon
licet tribus .
Avril 1685, D
42 MERCURE
52
Nul d'entr'eux ne sçauroit parer
aux coups qu'il lache,
Parmy les Souverains il paroiſt un
Phoebus;
Il commande la Tréve , & vous
ſçavez quibus;
Tout ce qu'elle a de durpar avace
illeur mache.
Ils l'avalent enfin avec tous ſes
Item
Dans un profondreſpect ils chantent
Tuautem ,
Ravis de prévenir les effets de ſon
ire.
S&
Sidans le temps préſent ilsn'ont
pû dire amo,.
D
GALANT. 43
Peut- eftre qu'au futur ils auront
peine à lire
Ce qu'il leur fit figner currente
calamo.
Il n'y a point de Rimes ſi bi--
zarres &fi Burlesques, quon-nc
puiſſe remplir de quelque chose de
grandſur leſujet du Roy. Ilme:
femble donc qu'on pourroit bien
donner à celles- là encore un autre
tour presque fur la mesme ma
tiere..
SVR L'ENREGISTREMENT,,
&la Publication de la Tréve.
L
OUIS. le Conquérant fair
ſçavoir omnibus,
4
Qu'il annonce une Tréve, & qui
plaiſt,& qui fache;
C
Dij
44 MERCURE
Jamais de fes deſſeins en rien il ne
relâche,
Le coup qui le deſarme a fait la
loytribus.
52
Que s'il fuit les Combats , il ne
fuit point en Lache,
Dans le Meſtier de Mars il n'eſt
point E- Phoebus;
Ila du coeur,desGens,desArmes,
du quibus,
Et quand il faut donner, point la
Cire il ne mache.
52
Cependant il s'arreſte , il ſe modére,
item,
Sçachant bien comme il faut venir
au Tu autem,
Pour le bonheur public il com
mande àfon ire,
GALANT. 45
Se
Conjuguons- luy par coeur dans
tous les temps amo;
Et nos Neveux diront , lifant ce
qu'on va lire,
Que ce qu'il fit du Fer, il l'a fait
calamo.
Enfin , Monsieur, ily a treslong-
tempsquej'ayfait uneDevi
fepour le Roy ,furun deffein qui
aesté ſuſpendu. Si elle avoir esté
publiée dés ce temps-là, elle pourroit
paſſer à preſentpour une efpece
de Prophetie. Cesera pour
le moins une expreſſion allegorique
de ce que nous voyons. Le
corps de la Deviſe , c'eſtun Soleil
46 MERCURE
dansſon Zodiaque;l' Ame, cefont
ces paroles , Curro , fed tacito
motu. Si je ne craignois de choquer
les Maistres de l'Art, j'a
joûterois des Aſtronomes de toutes
lesNations , qui obferventle Søleil
avectoutes les fortes d'Inſtru--
mens dont on uſe pourcela. Ils ne
répondroient pas malà l'applica
tion que tous les Politiques de la
Terre donnent à penétrer la conduite
du Roy. Voicy l'explication :
de ma Deviſe.
'Univers attentif regarde ma
carriere,
Les eſprits appliquez à mefurer
moncours ,
! GALANT. 47
Obſervent avec ſoin mes tours&
mes détours :
Mais nul oeil ne peut voir ma rou.
te toute entiere ;.
८८
Mon éclat plus aux fiers fait
baiffer la paupiere ;
Mes differens afpects font les
nuits & les jour,
Tout languiroit fans moy , tour
attend mon fecours,
t
Etje porte par tout mes biens&
ma lumiere.
SS
Mille divers emplois partagent
mes momens,
Je ſuis toûjours reglé dans tous
mes mouvemens ,
On connoiſt mon pouvoir fur la
Terre & fur l'Onde.aranov
48 MERCURE
1
Jeme haſte; je cours; rien n'arreſtemes
pas,
J'acheveray bien-toſt le tour en
tier du Monde,
Ma démarche eſt cachée & l'on
ſçait où je vas .
Ilya affezlong-temps, Monfieur
, que je vous entretiens pour
me haſter de vous dire que je suis
vostre tres ,&c.
F. F. D. C. R. G.
Fermer
2
p. 218-264
HISTOIRE du Bacha de Damas.
Début :
Si l'on remarque quelque difference considerable / Il est difficile de sçavoir positivement ce qui se [...]
Mots clefs :
Pacha , Damas, Sultan, Père, Femme, Sérail, Seigneur, Femme, Vizir, Mort, Yeux, Amour, Troupes, Empire, Esclaves, Maison, Armée, Juifs, Époux, Honneur, Hommes, Douleur, Audace, Mer, Larmes, Gloire, Vie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE du Bacha de Damas.
HISTOIRE
du Bacha de Damas.
IL eſt ſi difficile de ſçavoir
poſitivement ce qui ſe
paffe dans cet Empire,qu'on
n'y demeſle ſouvent la veri.
té d'un fait , quelque éclatant
qu'il foit , que longtemps
aprés qu'il eſt arrivé.
Les nouvelles de l'Afie , &
celles de l'Europe entrent
confufément à Conftantinople
, où chacun les débite
1
A
GALANT . 219
au gré de ſes intereſts , le
Courier qui en eft chargé
les donne au grand Viſir ,le
grand Viſir au Sultan , & le
Sultanles enſevelit dans ſon
ſérail. Ainfije n'oſe encore
vous aſſeurer que les dernieres
circonstances de l'hiſtoire
que je vais vous écrire ,
foient telles qu'on les raconte
icy; mais je vous promets
que je ſeray exact à
vous detromper , ſi le temps
ou le haſard me detrompent.
Il y a quatrejours que me
promenant avec quelques
Tij
210 MFRCURE
qui
eſtrangers dans ma çaique,
fur le canal de la Mer noire,
un fameux Armenien ,
a fait toute la vie un grand
commerce d'eſclaves , me
conta à peu prés en ces
termes l'hiſtoire de Halil
Acor Bacha de Damas .
J'étois , me dit- il, un jour,
( & bien jeune alors ) à Baghlar
qui eſt un Port de
cette Mer , environ à so
lieuës d'icy lorſqu'un
* Sheieke de mes amis y arriva.
Je le priay de venir
* Predicateur Turc,
GALANT 227
loger dans le meſme * Caravanfarai
que moy. La Maifon
eſtoir alors pleine
d'hommes & de chevaux.
Le Sultan Mahomet IV. dont
le regne étoit plus tranqui
le qu'il n'avoit encore eſté,
&qu'il ne l'a eſté depuis ,
preſtoit dans ce temps au
Kan della Krimée dix
mille hommes de ſes troupes
pour les joindre à douze
mille Tartares de Budziack
& de Bialogrod , qu'il
deftinoit à quelque grande
entrepriſe. Les Janifſſaires ,
* Auberge Turque.
Tiij
222 MERCURE
3
1
les Spahis , & les Afiati
ques que le Grand Seigneur
envoyoit au Kan paffoient
alors par Baghlar où nous
eſtions . Un de ces Janiffai
res entr'autres natif de
* Chaplar en Bulgarie voulut
profiter de l'occaſion
de cette route pour mener
plus ſeurement chez luy
une belle fille qu'il avoit
epousée depuis un an à
Midia de Romanie, Nous:
la trouvâmes avec fon
mary dans le Caravanfarai
que nous avions choiſi
Ville maritime de la Mer noire.
GALANT. 223
২
lorſque nous yarrivame s .
Le hazard nous plaça auprés
d'eux , le Janiſſaire
m'en parut content , il aimoit
mieux voir à côté de
ſa femme , un Venerable
Sheieke qu'aucun de ſes camarades.
Nous ſoupâmes
cependant & nous nous
endormimes ſur la paille.
Une heure avant le jour
nous entendimes des cris
aigus qui nous réveillérent
comme tous les hoftes de
la maiſon ; la femme du
Janiſſaire que fon.Mary
n'avoit pas crue ſi proche
T iiij
224 MERCURE
de ſon terme venoit de
mettre un enfant au monde
, à coſté de mon Sheie
xe , qui ſe trouva fort ſcandaliſé
de cet accouchement.
Il ſe leva plein de
couroux , en diſant que ſes
habits étoient foülliés du
déſordre & des accidents
de cette avanture , néanmoins
la mortification &
l'embarras du Janiſſaire ,
les douleurs de ſa femme
& mes difcours l'addoucirent
; je luy perſuaday ( &
il le ſçavoit bien , ) qu'il
feroit lavé de cette tache
GALANT. 225
en lavant ſa robe & fa per
ſonne avant la premiere
priere. Je le menay au bain
qui eſtoit dans le Caravan
farai où il ſe fit toutes les
cerémonies de l'ablution
desTurcs.
Cependant je retournay
auprés du trifte Janiſſaire ,
&de ſa femme qui gemiſſoit
encore des reſtes ou du fouvenir
de fa douleur ; je lui
donnay tous les ſecours
que je pûs imaginer , on
attendant le retour de mon
Sheieke.
f
L'étoile la plus favorable
226 MERCURE
qui puiſſe veiller fur nos
jours , ne flatte pas les Mufulmans
d'une plus heureuſe
deſtinée qu'un Sheike,
ou un Emir * lorſqu'ils préfident
à la naiſſance de
leurs enfants. Celuy- cy revint
enfinà nous, prés d'une
heure après le lever du Soleil.
Et aprés avoir enviſagé
le Janiſſaire , ſa femme
& fon fils , d'un air tranſ
porté de l'excellence des
avantages qu'il avoit à leur
promettre , il leur prédit
ces choſes.
Prêtre Ture.
GALAND. 227
Letrés puiſſant trés mi
fericordieux Alla a jettéfur
vous & fur vostre fils des regards
bienfaisants le faim
Prophete efto fon meffager.
Il'a pitié de vous , & Sultan
Mahomet qui est agréable au
trés mifericordieux que le
faint Prophete oberit vous élevera
aux premiers honneurs de
fon Empire. Alla * ha Alla.
Tousoles affiftans felici
terent auffi toſt le Janiſſaire
fur la prédiction du Sheieke.
Cette nouvelle paſſa juf
qu'à fon Aga qui luy donna
d'abord de grandes mara
* Dieu. Dieu eſt Dicu.
228 MERCURE
4
ques de distinction. Enfin
le jour du départ des troupes
qui estoient à Bagblar
eſtant venu , il nous quitta
aprés nous avoir juré qu'il
n'oublieroitja mais les obli
gations qu'il nous avoit. N
nousa tenu parole , & c'eſt
de luy-meſme que j'ay appris
avec la ſuite de fa for
tune, une partiede l'hiſtoire
de ſon fils , que vous allez
entendre.
Dés que Zeinal ( c'eſt le
nom de ce Janiſſaire ) cut
remis ſa femme à Chaplar
entre les mains de fa mere,
GALANT. 229
il ne fongea plus qu'à verifier
l'oracle du Sheiere H
fitdans la Krimée des actions
éclatantes que ſon Aga fit
valoir autant qu'elles lemeritoient
aux yeux du Grand
Viſir Cuprogli , qui l'avança
en ſi peu de temps , qu'en
moins de fix ans il le fir
nommer par ſa Hauteffe
Bacha d'Albanie. Il remplit
cette grande place avec
beaucoup d'honneur pen.
dant pluſieurs années , enfin
aprés la dépoſition du
malheureux Sultan Mahomet
IV. Sitoſt que ſon frere
230 MERCURE
Sultan Soliman III . fut mon
té ſur le thrône, il voulut
à l'exemple de tous les au.
tres Bachas profiter desdefordres
de l'Empire pour
augmenter fon credit ; mais
il ſe broüilla malheureuſement
avec le fameux & redoutable
Osman Yeghen
dont le courage , la politi
que & l'audace firent trembler
Solyman juſques dans
fon ferail.
Zeinal s'étoit oppoſé aux
contributions qu'Yeghen *
Serafier de l'armée d'Hon-
* General des Armées du Grand Seigneur.
GALANT 238
grie , avoit tirez de la Ro
melie , & aux impoſitions
qu'il avoit miſes ſur tous les
Juifs & les Chrétiens qui
eſtoient à Theſſalonique ,
& qu'il avoit taxez à deux
Piaſtres par teſte. Il avoit
meſme envoyé un gros party
de Cavalerie qui avoit
taillé en piece les gens
qu'Yeghen avoit chargez de
lever ces impoſitions.
Le Grand Viſir Ismael
trembloit alors de peur
que le Serafkier ne vint à
Conſtantinople avec fon
armée , & qu'il ne le fit dé
232 MERCURE
pofer bien toſt , comme il
avoit déja fait déposer le
Grand Vifir Solyman fon
predeceſſeur. Yeghen qui
reconnut l'avantage qu'il
avoit fur ce foible Viſir ,
luy demanda la teſte de
Zeinal. Ifmael qui de fon
coſté cherchoit à l'ébloüir
par de fauſſes apparences ,
fut ravi de luy pouvoir faire
un ſacrifice dont il n'avoit
rien à apprehender ,
puiſqu'il ne le rendoit pas
plus fort , ainſi quoyque
Zeinalne fût coupable d'au .
cun crime , il le fit décapi-
: ter
GALAN 2338
ter publiquement , dans la
Cour du Serail devant la
porte du Divan.?
Cependant ſon fils Halil
Acor faiſoit alors les fonctions
de Capigibachi en Afie,
où il n'apprit la mort de
ſon pere que long - temps
aprés qu'elle fut arrivée.
Il y avoit affez d'affaires
en Hongrie pour exercer
ſon courage ; mais l'amour
produifit luy ſeul tous les
motifs de fon éloignement.
Il avoit vû par, hazard
dans le Serail de ſon pere
une belle fille de l'iſle de
Juin 1714.
V
234 MERCURE
Chypre que Zeinal deftinoir
au grand Seigneur , il en
devint éperduëment amoureux
, il mit dans ſes interêts
deux femmes qui la fervoient
, il ſéduifit deuxEu
nuques à force de preſents,
il profita de l'abſence de
ſon pere pour s'introduire
toutes les nuits dans ſon
Sérail , & enfin il engagea
cette belle fille à luy donner
les dernieres & les plus
fortes preuves de fa tendreſſe.
Plus flatée de l'efpoir
de poffeder le coeur
d'Halil que de la gloire
GALANT. 2:5
chimérique dont on repait
la vanité de celles qu'on
deſtine aux plaiſirs du
Grand Seigneur , elle avoit
conſenti que ſon Amant
l'enleva avec ſes deux femmes
& ſes deux Eunuques ,
elle estoit déja meſme affez
loin du Serail de Zeinal ,
lorſque ce Bacha revint
chez luy la nuit meſme
qu'on avoit priſe pour cet
enlevement. Maisheureu-
- ſement pour ces Amantsi!
n'entra que le lendemain
matin dans le quartier des
Femmes , où il apprit avec
Vij
236 MERCURE
tous les tranſports de la
plus violente fureur le defordre
de la nuit préceden
te. Il monta auffi - toſt à
Cheval , & de tous les côtez
il fit courir aprés fon
fils ; mais ſes ſoins & ſa diligence
furent inutiles. Halil
qui n'eſtoit pas ſi loin
qu'il le cherchoit , avoit eu
la précaution de s'affeurer
d'une Maiſon qu'un Me
decin Juif qui n'eſtoit pas
des amis de fon pere avoit
dans les montagnes. Il falloit
traverſer plus de deux
lieuës de defert avant d'y
/
GALANT. 237
arriver, & jamais Zeinal n'y
ſes amis , ny fes eſclaves
ne s'eſtoient aperceus que
fon fils connuſt ce Juif.
Halil auroit pû longtemps
profiter de la ſeureté
de cet azile , ſi les troubles
dont l'Empire eſtoit
agité , & fon courage ne
l'avoient pas preffé bien
toſt de facrifier ſon amour
à ſa gloire. Les larmes de
ſa femme , ny les prieres du
Juif qui luy promit enfin
d'en avoir foin juſqu'à la
mort , ne purent l'arreſter
davantage. Il ſe rendit à
138 MERCURE
Conſtantinople , où il fur
reconnu d'abord par un
des amis de fon Pere qui
le recommanda particulierement
au Grand Vifir Som
lyman , qui , en confideration
de l'audace , de l'efprit
, de la bonne mine de
ce Jeune homme , & du
mérite de Zeinal , luy donna
ſur le champune Com
pagnie de Spahis. Il cut ordre
d'aller ſervir en Afie ,
où en peu de temps ſa valeur
le fit parvenir à la
Charge de Capigibachi
qu'il exerça avec honneur
அ
1
GALANT. 239
juſqu'à la mort de ſon Pere .
Le Vifir Ismaël qui avoit
eu la lacheté de faire exé
cuter l'injuſte & cruel ar
reft qu'il avoit prononcé
contre Zeinal , futbien-toft
aprés la victime de fa for
bleſſe. Yeghen revint àConf
tantinople , aprés en avoir
fait chaffer honteuſement
ce Viſir , qui ne pût racheter
ſa vie qu'aux dépens de
toutes les richeſſes que fon
avarice infatiable luy avoit
fait amaſſer pendant fon
indigne miniftere. Halil y
fut rappellé en meſme
240 MERCURE
temps qu'Yeghen , avec les
troupes qui ſervoient en
Afie. Il fut auffi toft à la
maiſon de ce General àqui
il dit qu'il ne luy rendoit
cette viſite , que pour luy
demander raiſon du fang
de ſon pere qu'il avoit fait
repandre , Yeghen conſentit
àluy donner cette fatisface
tion dans une des plus fecrettes
chambres de fon
Serail , où aprés un com
bat aſſez long , Ils ſe blef
férent tous deux : cependant
Yeghen eut l'avantage;
mais il n'en abuſa pas , au
contraire
GALANT. 241
contraire , loin de fonger
à ſe défaire d'un ennemi
auſſi redoutable qu'Halil ,
Je love , luy dit- il , ton coursge
&j'approuve ton reffentiment
: il n'a tenu qu'à ton Pere
d'eftre toûjours mon amy , mais
il a voulu me perdre & je
l'ay perdu. Tu as Satisfait à
ton honneur , en eſſayant de le
vanger : Vois , & dis moy
maintenant ce que tu veux , &
ce que je puis pour toy. Halil
eftonné de la generoſité de
ce grand homme , luy répondit
, Yeghen je ne veux
maintenant,que m'efforcer d'ê-
Juin1714. X
242 MERCURE
tre auffi genereux que toy. Si tu
veux m'imiter , reprit- il ,facrifie
ta vangeance à mon amitié
que je t'offre , je vais ordonner
qu'on nous penſe de nos bleſſu
res , je prétends que tu ne
gueriffe des tiennes que dans
mon Serail. Il appelle auffitoſt
ſes Eſclaves qui menerent
fur le champ Halil
dans une chambre où ily
avoit deux lits qui n'étoient
ſeparez l'un de l'autre que
par un grand rideau de taffetas
couleur de feu qui
eſtoit directement au milieu
de la chambre dont les
GALANT 243
Croiſez qui estoient aux
deux extremitez avoient
vûë de chaque coſté ſur
les Jardins où ſe promenoient
tous les jours les
femmes & les enfants
d'Yeghen.
Dés qu'on eut arreſté
ſon ſang , & qu'il ſe fut
mis au lit , il vit entrer
dans ſa chambre le Medecin
Juif à qui il avoit confié
la belle Eſclave qu'il
avoit épousée dans ſa maifon
, aprés l'avoir enlevée
du Serail de ſon Pere. A
drianou , luy dit il auſſi toſt ,
X ij
244 MERCURE
moncher Adrianou que faítes
-vous icy ? Pourquoy
eftes vous maintenant à
Conftantinople , & dans
quel eſtat eſt ma femme ?
Je vous ay promis , reprit
le Juif , en ſoûpirant , d'avoir
ſoin de la malheureuſe
Adrabista juſqu'à ma mort.
Toutes mes précautions
n'ont pû prévenir les effets
de ſon déſeſpoir , elle eſt
à jamais perduë pour vous ,
& je ne ſuis point fâché
dans mon infortune que
les remedes que je viens
Fameuſe par les grandes avantures qu'elle
2euës depuis àRome , & que je conterayune
autre fois.
GALANT . 245
vous offrir par hazard me
preſentent à vos yeux , où
je ſuis prêt d'expier dans les
fupplices , le crime de ma
négligence où de mon
malheur. Contez moy donc
cette funeſte hiſtoire, lui dit
avec bonté , l'affligé Halil ,
& n'en épargnez aucune
circonstance à madouleur.
Il vous fouvient , reprit le
Juif, des efforts que fit Adra.
biſta , & des larmes qu'elle
répandit pour vous retenir
auprés d'elle ; vous n'avez
pas non plus oublié les
pleurs & les prieres que je
Xij
246 MERCURE
mis en uſage pour flechir
voſtre courage inhumain.
Une vertu cruelle & plus
forte que l'amour vous ravit
enfin ànosyeux.
Crois - tu , dés que vous
fuſtes parti , me dit Adrabista
, que les larmes & les
gemiſſements ſoient main
tenant les armes dont je
veux me ſervir pour mevenger
de la fureur ou de l'infidelité
de mon barbare époux
Non , Adrianou ,non.
je veux le ſuivre malgré luy
& malgré toy : ma taille
avantageuſe&mon audace
GALANT. 247
m'aideront ſuffisamment à
cacher ma foibleſſe & mon
ſexe; enfin jeveux courir les
meſmes haſards que luy,par
tout où l'entraiſnera cette
impitoyable gloire qui l'arrache
àmon amour. Je vou
lus d'abord flatter ſa dou
leur; mais malgré mes foins,
ma complaiſance criminel.
le,& mon aveuglement l'ont
précipitée dans le plus
grand des malheurs. Je luy
permis d'eſſayer le turban ,
& de mettre un fabre à ſon
coſté. Elle ſe plaiſoit quelquefois
dans cet équipage
X iiij
248 MERCURE
de guerre , d'autrefois jer
tant fon fabre & ſon turban
par terre , elle affectoit de
mépriſer ces inſtruments
qu'elle deſtinoit à ſa perte.
Enfin elle feignit de paroiftre
devantmoy conſolée de
voſtre abſence , & pendant
plusde fix ſemaines elle ne
me parla pas plus de vous ,
que ſi elle ne vous euſt jamais
connu. Cette indiffe
rence m'inquietta pour
yous , & je luy dis unjour ,
eſtes - vous Adrabista , cette
heroine qui deviez fi glo.
rieuſement ſignaler voſtre
GALANT. 249
du
tendreffe , en courant jufqu'au
fond de l'Afic aprés
un époux ſi digne de voſtre
amour. Non , Adrianou , me
dit elle , je ne ſuis plus cette
Adrabista que vous avez veue
capable des plus extravagants
emportements
monde.J'aime tousjoursHa
lil comme mon ſeigneur &
mon époux ; je ſens toutes
les rigueursde ſon abfence ;
mais le temps & mes reflexions
ont rendu ma douleur
plus modeſte;& il n'est point
de fi miferable coin fur la
terre , où je n'aime mieux
250 MERCURE
attendre ſes ordres , que
m'expoſer en le cherchant
auhafard de le deshonorer
enme deshonorant moymeſme.
Je creus qu'elle me par
loit de bonne foy , & dans
cette confiance je luy donnay
plus de liberté & d'authorité
dans ma maifon que
je n'y en avois moy-mefme.
Enfin il vint un jour un
exprés que le gouverneur de
la Valone m'envoya pour me
preſſer d'aller porter des re
medes à fon fils qui estoit à
l'extremité. Je fis auffi- toſt
GALANT. 251
part de la neceffité de ce
voyage à Adrabista , je la
priayde chercher à ſe defen
nuyer pendant mon abfence
, & je partis avec mon
guide. Mais jugez de ma
conſternation lorſqu'à mon
retour dans ma maiſon , on
me fit part des funeſtes nouvelles
que vous allez entendre.
Le lendemain de mon
départ Adrabista fit ſeller
trois chevaux qui reſtoient
dans mon écurie. Elle s'équippa
du ſabre & du turban
qu'elle avoit tant de
fois mépriſez en ma preſen;
252 MERCURE
cé, elle fit monter avec elle
ſes deux eunuques à cheval ,
elle dit à fes femmes qu'elle
alloit ſe promener dans les
vallées qui font au pied des
montagnes de la Locrida ,
elley fut en effet , mais elle
alla plus loin encore , elle
pouſſa juſqu'à Elbaffan , où
un party des troupes de
l'Empereur des Chreftiens
Farreſta . Elle demanda à
parler au General de l'armée
qui eftoit alors à Du
razzo où elle fut conduire,
&de qui elle fut receue avec
tous les égards deus à fon
GALANT . 253
fexe & à la beauté. Je yous
apprends maintenant d'épouventables
nouvelles
Halil ; mais vous ne ſçavez
pas encore le plus grand
de vos malheurs. J'ay appris
depuis quelque temps qu'elle
s'eſtoit faite Chreftienne .
C'en eſt aſſez , luy dit
Halil , fortez & ne vous repreſentez
jamais à mes
yeux, je ne ſçay ſi mavertu
ſuffiroit pour vous derober
à ma fureur.
Yeghen qui s'eſtoitjetté ſur
le lit qui eſtoit à l'autre ex.
tremite de la chambre,aprés
254 MERCURE
avoir entendu ce recit , ſe
fit approcher de l'inconfolable
Halil, à qui il dit tout
ce qu'il creut capable d'apporter
quelque foulagement
à ſa douleur. Enfin
aprés pluſieurs de ces dif
cours qui ne perfuadent
gueres les malheureux , amy,
luydit- il, jettez les yeux
fur mon jardin , & voyez fi
dans le grand nombre de
beautez qui s'y promenent ,
il n'y en aura pas une qui
puiſſe vous conſoler de la
perte de l'infidelle Adrabiſta.
Jevousdonnecellequevous
GALANT. 255
préfererez aux autres , quelque
chere qu'elle me puiſſe
eſtre. Je veux , luy répondit
Halil, à qui une propofition
fi flateuſe fit preſque oublier
toute ſon infortune
eſtre auſſi genereux que
vous , & n'écouter l'offre
magnifique que vous me
faites , que pour vous en remercier
: non , non, reprit
Yeghen, il n'en ſera que ce
qu'il me plaira ,&nous verrons
dés que vous ferez gueri
, ſi vous affecterez encore
d'eſtre , ou ſi vous ferez fincerement
auffi genereux
quemoy.
256 MERCURE
Au bout de quatre ou cinq
jours ils furent gueris tous
deux.Alors Veghenplus charmé
encore des vertus d'Halil,
lemenadans un cabiner
de ſon jardin , où à travers
une jalouſie il vit paſſertoutes
les femmes qui estoient
dans le ſérail de ce Bacha,
qui ne s'occupa pendant
cette reveuë qu'à examiner
la contenance d'Halil , &
qu'à luy demander ce qu'il
penſoit de chaque beauté
qui paſſoit au pied de la ba
luſtrade où ils eftoient.
Enfin aprés avoir longtemps
GALANT 25
1
temps confideré aſſez tranquillement
tout ce que l'Europe
& l'Afie avoient peuteſtre
de plus beau , il vitune
grande perſonne dont les
habits eſtoient couverts des
plus riches pierreries de l'O
rient , negligemment appuyée
fur deux eſclaves , &
dont les charmes divins of
Froient aux yeux un majel
tueux étalage des plusrates
merveilles du monde. Auffitoſt
il marqua d'un ſonpir le
prompt effet du pouvoir iné.
vitable de ſes attraits vainqueurs.
Qu'avez-vous , luy
Juin 1714. Y
258 MERCURE
dit àl'inſtant Yeghen , amy,
vous ſoupirez ?Ah,ſeigneur,
je me meurs , reprit Halil ,
qu'onm'ouvre àl'heuremeſ
me les portes de voſtre ſé.
rail,&ne m'expoſez pas davantage
aux traits d'unegenorofité
fi cruelle. Je vous
entends , reprit Yeghen ,
mais je ne veux pas conſentir
à vous laiſſer fortir
de mon Serail , que vous
n'ayez épousé celle de
toutes ces perſonnes qui
vous plaiſt davantage. Elles
font toutes mes femmes ,
àl'exception de la derniere
GALANT 259
qui eſt ma fille , recevez- là
de ma main mon fils , &
aimez moy toûjours.
Halil fe jetra fur le
champ aux pieds du Bacha
qui le releva dans le
moment , pour le conduire
à l'appartement de ſa fille ,
dont le même jour , il le
rendit l'heureux Epoux ; Il
prit enſuite uniquement
ſoin de ſa fortune , juſqu'à
ſa mort , qui arriva juſtement
, un mois aprés avoir
engagé le Sultan Solyman
à donner à ſon gendre le
Bachalik de Damas.
Yij
260 MERCURE
Halil a vécu depuis plus
de vingt ans avec tout l'é
clat & tous les honneurs.
dont puiſſent joüir les plus
Grands Seigneurs de l'Empire
Othoman . Mais il n'eſt
rien de fi fragile que le
bonheur des hommes , la
moindre jaloufic ou la
,
moindre eſperanceles
étourdit au milieu de leur
felicité , & il ſuffit qu'ils
ayent eſté tousjours heureux
, pour croire n'avoir
jamais d'infortune à redouter
: enyvré de leur gran
deur , leur Maiſtre ne de
GALANT . 261
vient à leurs yeux qu'un
mortel comme eux , fouvent
meſme ils prétendent
s'attirer & meriter plus
d'honneurs que leur Mail
tre
Le trés haut Sultan Achmet
àpréſent regnant , ſur la
nouvelle de la revolte du
Bacha de Bagdad , a fur le
champ envoyé aux Bachas
de Damas & d'Alep un
ordre exprés de marcher
avec toutes leurs troupes
contre ce rebelle ſujet. Sitoſt
que leur armée a eſté
en estat d'entrer en cam262
MERCURE
pagne , ils ont rencontre
attaqué &battu ce Bacha.
Le Sultan juſques-là a efté
fervi à merveille ; mais on
ajouſte qu'ébloüis appar
ramment de quelques projets
ambitieux dont on ne
ſçait encore ny le fond
ny les détails , & flattez
ſans doute de l'eſpoir
d'un ſuccez favorable , ces
deux Bachas ont entretenu
une intelligence criminelle
avec celuy de Bagdad.
Que le Bacha de
Damas a eſté convaincu de
ce crimepar des lettres qui
GALANT . 263
onteſté interceptées ,& qui
fot tombées entre les mains
du Grand Seigneur , qui a
dépeſché auſſi toſt l'ordre
ſuprême qui vient de coufter
la vie à cet infortuné
Bacha. Je ne ſçay pas encore
, files muets l'ont étranglé,
s'il a efté afſaſſiné , ou
ſi on luy a tranché la teſte ;
mais je ſçay bien que le
Sultan a prononcé l'arreſt
dont il eſt mort .
Dés que l'Armenien cuft
fini ſon recit , je le remerciay
de m'avoir appris tant
de particularitez de la vic
C
264 MERCURE
des trois Bachas Halil
Yeghen & Zeinal , & je le
priay de m'informer de
toutes les nouveautez qu'il
pourroit apprendre encore.
Il ne ſe paſſera rien dans
ce pays- cy qui vaille la peine
de vous eftre mandé
dont je ne vous faſſe pare
avec plaifir.
Je ſuis Mr. &c.
du Bacha de Damas.
IL eſt ſi difficile de ſçavoir
poſitivement ce qui ſe
paffe dans cet Empire,qu'on
n'y demeſle ſouvent la veri.
té d'un fait , quelque éclatant
qu'il foit , que longtemps
aprés qu'il eſt arrivé.
Les nouvelles de l'Afie , &
celles de l'Europe entrent
confufément à Conftantinople
, où chacun les débite
1
A
GALANT . 219
au gré de ſes intereſts , le
Courier qui en eft chargé
les donne au grand Viſir ,le
grand Viſir au Sultan , & le
Sultanles enſevelit dans ſon
ſérail. Ainfije n'oſe encore
vous aſſeurer que les dernieres
circonstances de l'hiſtoire
que je vais vous écrire ,
foient telles qu'on les raconte
icy; mais je vous promets
que je ſeray exact à
vous detromper , ſi le temps
ou le haſard me detrompent.
Il y a quatrejours que me
promenant avec quelques
Tij
210 MFRCURE
qui
eſtrangers dans ma çaique,
fur le canal de la Mer noire,
un fameux Armenien ,
a fait toute la vie un grand
commerce d'eſclaves , me
conta à peu prés en ces
termes l'hiſtoire de Halil
Acor Bacha de Damas .
J'étois , me dit- il, un jour,
( & bien jeune alors ) à Baghlar
qui eſt un Port de
cette Mer , environ à so
lieuës d'icy lorſqu'un
* Sheieke de mes amis y arriva.
Je le priay de venir
* Predicateur Turc,
GALANT 227
loger dans le meſme * Caravanfarai
que moy. La Maifon
eſtoir alors pleine
d'hommes & de chevaux.
Le Sultan Mahomet IV. dont
le regne étoit plus tranqui
le qu'il n'avoit encore eſté,
&qu'il ne l'a eſté depuis ,
preſtoit dans ce temps au
Kan della Krimée dix
mille hommes de ſes troupes
pour les joindre à douze
mille Tartares de Budziack
& de Bialogrod , qu'il
deftinoit à quelque grande
entrepriſe. Les Janifſſaires ,
* Auberge Turque.
Tiij
222 MERCURE
3
1
les Spahis , & les Afiati
ques que le Grand Seigneur
envoyoit au Kan paffoient
alors par Baghlar où nous
eſtions . Un de ces Janiffai
res entr'autres natif de
* Chaplar en Bulgarie voulut
profiter de l'occaſion
de cette route pour mener
plus ſeurement chez luy
une belle fille qu'il avoit
epousée depuis un an à
Midia de Romanie, Nous:
la trouvâmes avec fon
mary dans le Caravanfarai
que nous avions choiſi
Ville maritime de la Mer noire.
GALANT. 223
২
lorſque nous yarrivame s .
Le hazard nous plaça auprés
d'eux , le Janiſſaire
m'en parut content , il aimoit
mieux voir à côté de
ſa femme , un Venerable
Sheieke qu'aucun de ſes camarades.
Nous ſoupâmes
cependant & nous nous
endormimes ſur la paille.
Une heure avant le jour
nous entendimes des cris
aigus qui nous réveillérent
comme tous les hoftes de
la maiſon ; la femme du
Janiſſaire que fon.Mary
n'avoit pas crue ſi proche
T iiij
224 MERCURE
de ſon terme venoit de
mettre un enfant au monde
, à coſté de mon Sheie
xe , qui ſe trouva fort ſcandaliſé
de cet accouchement.
Il ſe leva plein de
couroux , en diſant que ſes
habits étoient foülliés du
déſordre & des accidents
de cette avanture , néanmoins
la mortification &
l'embarras du Janiſſaire ,
les douleurs de ſa femme
& mes difcours l'addoucirent
; je luy perſuaday ( &
il le ſçavoit bien , ) qu'il
feroit lavé de cette tache
GALANT. 225
en lavant ſa robe & fa per
ſonne avant la premiere
priere. Je le menay au bain
qui eſtoit dans le Caravan
farai où il ſe fit toutes les
cerémonies de l'ablution
desTurcs.
Cependant je retournay
auprés du trifte Janiſſaire ,
&de ſa femme qui gemiſſoit
encore des reſtes ou du fouvenir
de fa douleur ; je lui
donnay tous les ſecours
que je pûs imaginer , on
attendant le retour de mon
Sheieke.
f
L'étoile la plus favorable
226 MERCURE
qui puiſſe veiller fur nos
jours , ne flatte pas les Mufulmans
d'une plus heureuſe
deſtinée qu'un Sheike,
ou un Emir * lorſqu'ils préfident
à la naiſſance de
leurs enfants. Celuy- cy revint
enfinà nous, prés d'une
heure après le lever du Soleil.
Et aprés avoir enviſagé
le Janiſſaire , ſa femme
& fon fils , d'un air tranſ
porté de l'excellence des
avantages qu'il avoit à leur
promettre , il leur prédit
ces choſes.
Prêtre Ture.
GALAND. 227
Letrés puiſſant trés mi
fericordieux Alla a jettéfur
vous & fur vostre fils des regards
bienfaisants le faim
Prophete efto fon meffager.
Il'a pitié de vous , & Sultan
Mahomet qui est agréable au
trés mifericordieux que le
faint Prophete oberit vous élevera
aux premiers honneurs de
fon Empire. Alla * ha Alla.
Tousoles affiftans felici
terent auffi toſt le Janiſſaire
fur la prédiction du Sheieke.
Cette nouvelle paſſa juf
qu'à fon Aga qui luy donna
d'abord de grandes mara
* Dieu. Dieu eſt Dicu.
228 MERCURE
4
ques de distinction. Enfin
le jour du départ des troupes
qui estoient à Bagblar
eſtant venu , il nous quitta
aprés nous avoir juré qu'il
n'oublieroitja mais les obli
gations qu'il nous avoit. N
nousa tenu parole , & c'eſt
de luy-meſme que j'ay appris
avec la ſuite de fa for
tune, une partiede l'hiſtoire
de ſon fils , que vous allez
entendre.
Dés que Zeinal ( c'eſt le
nom de ce Janiſſaire ) cut
remis ſa femme à Chaplar
entre les mains de fa mere,
GALANT. 229
il ne fongea plus qu'à verifier
l'oracle du Sheiere H
fitdans la Krimée des actions
éclatantes que ſon Aga fit
valoir autant qu'elles lemeritoient
aux yeux du Grand
Viſir Cuprogli , qui l'avança
en ſi peu de temps , qu'en
moins de fix ans il le fir
nommer par ſa Hauteffe
Bacha d'Albanie. Il remplit
cette grande place avec
beaucoup d'honneur pen.
dant pluſieurs années , enfin
aprés la dépoſition du
malheureux Sultan Mahomet
IV. Sitoſt que ſon frere
230 MERCURE
Sultan Soliman III . fut mon
té ſur le thrône, il voulut
à l'exemple de tous les au.
tres Bachas profiter desdefordres
de l'Empire pour
augmenter fon credit ; mais
il ſe broüilla malheureuſement
avec le fameux & redoutable
Osman Yeghen
dont le courage , la politi
que & l'audace firent trembler
Solyman juſques dans
fon ferail.
Zeinal s'étoit oppoſé aux
contributions qu'Yeghen *
Serafier de l'armée d'Hon-
* General des Armées du Grand Seigneur.
GALANT 238
grie , avoit tirez de la Ro
melie , & aux impoſitions
qu'il avoit miſes ſur tous les
Juifs & les Chrétiens qui
eſtoient à Theſſalonique ,
& qu'il avoit taxez à deux
Piaſtres par teſte. Il avoit
meſme envoyé un gros party
de Cavalerie qui avoit
taillé en piece les gens
qu'Yeghen avoit chargez de
lever ces impoſitions.
Le Grand Viſir Ismael
trembloit alors de peur
que le Serafkier ne vint à
Conſtantinople avec fon
armée , & qu'il ne le fit dé
232 MERCURE
pofer bien toſt , comme il
avoit déja fait déposer le
Grand Vifir Solyman fon
predeceſſeur. Yeghen qui
reconnut l'avantage qu'il
avoit fur ce foible Viſir ,
luy demanda la teſte de
Zeinal. Ifmael qui de fon
coſté cherchoit à l'ébloüir
par de fauſſes apparences ,
fut ravi de luy pouvoir faire
un ſacrifice dont il n'avoit
rien à apprehender ,
puiſqu'il ne le rendoit pas
plus fort , ainſi quoyque
Zeinalne fût coupable d'au .
cun crime , il le fit décapi-
: ter
GALAN 2338
ter publiquement , dans la
Cour du Serail devant la
porte du Divan.?
Cependant ſon fils Halil
Acor faiſoit alors les fonctions
de Capigibachi en Afie,
où il n'apprit la mort de
ſon pere que long - temps
aprés qu'elle fut arrivée.
Il y avoit affez d'affaires
en Hongrie pour exercer
ſon courage ; mais l'amour
produifit luy ſeul tous les
motifs de fon éloignement.
Il avoit vû par, hazard
dans le Serail de ſon pere
une belle fille de l'iſle de
Juin 1714.
V
234 MERCURE
Chypre que Zeinal deftinoir
au grand Seigneur , il en
devint éperduëment amoureux
, il mit dans ſes interêts
deux femmes qui la fervoient
, il ſéduifit deuxEu
nuques à force de preſents,
il profita de l'abſence de
ſon pere pour s'introduire
toutes les nuits dans ſon
Sérail , & enfin il engagea
cette belle fille à luy donner
les dernieres & les plus
fortes preuves de fa tendreſſe.
Plus flatée de l'efpoir
de poffeder le coeur
d'Halil que de la gloire
GALANT. 2:5
chimérique dont on repait
la vanité de celles qu'on
deſtine aux plaiſirs du
Grand Seigneur , elle avoit
conſenti que ſon Amant
l'enleva avec ſes deux femmes
& ſes deux Eunuques ,
elle estoit déja meſme affez
loin du Serail de Zeinal ,
lorſque ce Bacha revint
chez luy la nuit meſme
qu'on avoit priſe pour cet
enlevement. Maisheureu-
- ſement pour ces Amantsi!
n'entra que le lendemain
matin dans le quartier des
Femmes , où il apprit avec
Vij
236 MERCURE
tous les tranſports de la
plus violente fureur le defordre
de la nuit préceden
te. Il monta auffi - toſt à
Cheval , & de tous les côtez
il fit courir aprés fon
fils ; mais ſes ſoins & ſa diligence
furent inutiles. Halil
qui n'eſtoit pas ſi loin
qu'il le cherchoit , avoit eu
la précaution de s'affeurer
d'une Maiſon qu'un Me
decin Juif qui n'eſtoit pas
des amis de fon pere avoit
dans les montagnes. Il falloit
traverſer plus de deux
lieuës de defert avant d'y
/
GALANT. 237
arriver, & jamais Zeinal n'y
ſes amis , ny fes eſclaves
ne s'eſtoient aperceus que
fon fils connuſt ce Juif.
Halil auroit pû longtemps
profiter de la ſeureté
de cet azile , ſi les troubles
dont l'Empire eſtoit
agité , & fon courage ne
l'avoient pas preffé bien
toſt de facrifier ſon amour
à ſa gloire. Les larmes de
ſa femme , ny les prieres du
Juif qui luy promit enfin
d'en avoir foin juſqu'à la
mort , ne purent l'arreſter
davantage. Il ſe rendit à
138 MERCURE
Conſtantinople , où il fur
reconnu d'abord par un
des amis de fon Pere qui
le recommanda particulierement
au Grand Vifir Som
lyman , qui , en confideration
de l'audace , de l'efprit
, de la bonne mine de
ce Jeune homme , & du
mérite de Zeinal , luy donna
ſur le champune Com
pagnie de Spahis. Il cut ordre
d'aller ſervir en Afie ,
où en peu de temps ſa valeur
le fit parvenir à la
Charge de Capigibachi
qu'il exerça avec honneur
அ
1
GALANT. 239
juſqu'à la mort de ſon Pere .
Le Vifir Ismaël qui avoit
eu la lacheté de faire exé
cuter l'injuſte & cruel ar
reft qu'il avoit prononcé
contre Zeinal , futbien-toft
aprés la victime de fa for
bleſſe. Yeghen revint àConf
tantinople , aprés en avoir
fait chaffer honteuſement
ce Viſir , qui ne pût racheter
ſa vie qu'aux dépens de
toutes les richeſſes que fon
avarice infatiable luy avoit
fait amaſſer pendant fon
indigne miniftere. Halil y
fut rappellé en meſme
240 MERCURE
temps qu'Yeghen , avec les
troupes qui ſervoient en
Afie. Il fut auffi toft à la
maiſon de ce General àqui
il dit qu'il ne luy rendoit
cette viſite , que pour luy
demander raiſon du fang
de ſon pere qu'il avoit fait
repandre , Yeghen conſentit
àluy donner cette fatisface
tion dans une des plus fecrettes
chambres de fon
Serail , où aprés un com
bat aſſez long , Ils ſe blef
férent tous deux : cependant
Yeghen eut l'avantage;
mais il n'en abuſa pas , au
contraire
GALANT. 241
contraire , loin de fonger
à ſe défaire d'un ennemi
auſſi redoutable qu'Halil ,
Je love , luy dit- il , ton coursge
&j'approuve ton reffentiment
: il n'a tenu qu'à ton Pere
d'eftre toûjours mon amy , mais
il a voulu me perdre & je
l'ay perdu. Tu as Satisfait à
ton honneur , en eſſayant de le
vanger : Vois , & dis moy
maintenant ce que tu veux , &
ce que je puis pour toy. Halil
eftonné de la generoſité de
ce grand homme , luy répondit
, Yeghen je ne veux
maintenant,que m'efforcer d'ê-
Juin1714. X
242 MERCURE
tre auffi genereux que toy. Si tu
veux m'imiter , reprit- il ,facrifie
ta vangeance à mon amitié
que je t'offre , je vais ordonner
qu'on nous penſe de nos bleſſu
res , je prétends que tu ne
gueriffe des tiennes que dans
mon Serail. Il appelle auffitoſt
ſes Eſclaves qui menerent
fur le champ Halil
dans une chambre où ily
avoit deux lits qui n'étoient
ſeparez l'un de l'autre que
par un grand rideau de taffetas
couleur de feu qui
eſtoit directement au milieu
de la chambre dont les
GALANT 243
Croiſez qui estoient aux
deux extremitez avoient
vûë de chaque coſté ſur
les Jardins où ſe promenoient
tous les jours les
femmes & les enfants
d'Yeghen.
Dés qu'on eut arreſté
ſon ſang , & qu'il ſe fut
mis au lit , il vit entrer
dans ſa chambre le Medecin
Juif à qui il avoit confié
la belle Eſclave qu'il
avoit épousée dans ſa maifon
, aprés l'avoir enlevée
du Serail de ſon Pere. A
drianou , luy dit il auſſi toſt ,
X ij
244 MERCURE
moncher Adrianou que faítes
-vous icy ? Pourquoy
eftes vous maintenant à
Conftantinople , & dans
quel eſtat eſt ma femme ?
Je vous ay promis , reprit
le Juif , en ſoûpirant , d'avoir
ſoin de la malheureuſe
Adrabista juſqu'à ma mort.
Toutes mes précautions
n'ont pû prévenir les effets
de ſon déſeſpoir , elle eſt
à jamais perduë pour vous ,
& je ne ſuis point fâché
dans mon infortune que
les remedes que je viens
Fameuſe par les grandes avantures qu'elle
2euës depuis àRome , & que je conterayune
autre fois.
GALANT . 245
vous offrir par hazard me
preſentent à vos yeux , où
je ſuis prêt d'expier dans les
fupplices , le crime de ma
négligence où de mon
malheur. Contez moy donc
cette funeſte hiſtoire, lui dit
avec bonté , l'affligé Halil ,
& n'en épargnez aucune
circonstance à madouleur.
Il vous fouvient , reprit le
Juif, des efforts que fit Adra.
biſta , & des larmes qu'elle
répandit pour vous retenir
auprés d'elle ; vous n'avez
pas non plus oublié les
pleurs & les prieres que je
Xij
246 MERCURE
mis en uſage pour flechir
voſtre courage inhumain.
Une vertu cruelle & plus
forte que l'amour vous ravit
enfin ànosyeux.
Crois - tu , dés que vous
fuſtes parti , me dit Adrabista
, que les larmes & les
gemiſſements ſoient main
tenant les armes dont je
veux me ſervir pour mevenger
de la fureur ou de l'infidelité
de mon barbare époux
Non , Adrianou ,non.
je veux le ſuivre malgré luy
& malgré toy : ma taille
avantageuſe&mon audace
GALANT. 247
m'aideront ſuffisamment à
cacher ma foibleſſe & mon
ſexe; enfin jeveux courir les
meſmes haſards que luy,par
tout où l'entraiſnera cette
impitoyable gloire qui l'arrache
àmon amour. Je vou
lus d'abord flatter ſa dou
leur; mais malgré mes foins,
ma complaiſance criminel.
le,& mon aveuglement l'ont
précipitée dans le plus
grand des malheurs. Je luy
permis d'eſſayer le turban ,
& de mettre un fabre à ſon
coſté. Elle ſe plaiſoit quelquefois
dans cet équipage
X iiij
248 MERCURE
de guerre , d'autrefois jer
tant fon fabre & ſon turban
par terre , elle affectoit de
mépriſer ces inſtruments
qu'elle deſtinoit à ſa perte.
Enfin elle feignit de paroiftre
devantmoy conſolée de
voſtre abſence , & pendant
plusde fix ſemaines elle ne
me parla pas plus de vous ,
que ſi elle ne vous euſt jamais
connu. Cette indiffe
rence m'inquietta pour
yous , & je luy dis unjour ,
eſtes - vous Adrabista , cette
heroine qui deviez fi glo.
rieuſement ſignaler voſtre
GALANT. 249
du
tendreffe , en courant jufqu'au
fond de l'Afic aprés
un époux ſi digne de voſtre
amour. Non , Adrianou , me
dit elle , je ne ſuis plus cette
Adrabista que vous avez veue
capable des plus extravagants
emportements
monde.J'aime tousjoursHa
lil comme mon ſeigneur &
mon époux ; je ſens toutes
les rigueursde ſon abfence ;
mais le temps & mes reflexions
ont rendu ma douleur
plus modeſte;& il n'est point
de fi miferable coin fur la
terre , où je n'aime mieux
250 MERCURE
attendre ſes ordres , que
m'expoſer en le cherchant
auhafard de le deshonorer
enme deshonorant moymeſme.
Je creus qu'elle me par
loit de bonne foy , & dans
cette confiance je luy donnay
plus de liberté & d'authorité
dans ma maifon que
je n'y en avois moy-mefme.
Enfin il vint un jour un
exprés que le gouverneur de
la Valone m'envoya pour me
preſſer d'aller porter des re
medes à fon fils qui estoit à
l'extremité. Je fis auffi- toſt
GALANT. 251
part de la neceffité de ce
voyage à Adrabista , je la
priayde chercher à ſe defen
nuyer pendant mon abfence
, & je partis avec mon
guide. Mais jugez de ma
conſternation lorſqu'à mon
retour dans ma maiſon , on
me fit part des funeſtes nouvelles
que vous allez entendre.
Le lendemain de mon
départ Adrabista fit ſeller
trois chevaux qui reſtoient
dans mon écurie. Elle s'équippa
du ſabre & du turban
qu'elle avoit tant de
fois mépriſez en ma preſen;
252 MERCURE
cé, elle fit monter avec elle
ſes deux eunuques à cheval ,
elle dit à fes femmes qu'elle
alloit ſe promener dans les
vallées qui font au pied des
montagnes de la Locrida ,
elley fut en effet , mais elle
alla plus loin encore , elle
pouſſa juſqu'à Elbaffan , où
un party des troupes de
l'Empereur des Chreftiens
Farreſta . Elle demanda à
parler au General de l'armée
qui eftoit alors à Du
razzo où elle fut conduire,
&de qui elle fut receue avec
tous les égards deus à fon
GALANT . 253
fexe & à la beauté. Je yous
apprends maintenant d'épouventables
nouvelles
Halil ; mais vous ne ſçavez
pas encore le plus grand
de vos malheurs. J'ay appris
depuis quelque temps qu'elle
s'eſtoit faite Chreftienne .
C'en eſt aſſez , luy dit
Halil , fortez & ne vous repreſentez
jamais à mes
yeux, je ne ſçay ſi mavertu
ſuffiroit pour vous derober
à ma fureur.
Yeghen qui s'eſtoitjetté ſur
le lit qui eſtoit à l'autre ex.
tremite de la chambre,aprés
254 MERCURE
avoir entendu ce recit , ſe
fit approcher de l'inconfolable
Halil, à qui il dit tout
ce qu'il creut capable d'apporter
quelque foulagement
à ſa douleur. Enfin
aprés pluſieurs de ces dif
cours qui ne perfuadent
gueres les malheureux , amy,
luydit- il, jettez les yeux
fur mon jardin , & voyez fi
dans le grand nombre de
beautez qui s'y promenent ,
il n'y en aura pas une qui
puiſſe vous conſoler de la
perte de l'infidelle Adrabiſta.
Jevousdonnecellequevous
GALANT. 255
préfererez aux autres , quelque
chere qu'elle me puiſſe
eſtre. Je veux , luy répondit
Halil, à qui une propofition
fi flateuſe fit preſque oublier
toute ſon infortune
eſtre auſſi genereux que
vous , & n'écouter l'offre
magnifique que vous me
faites , que pour vous en remercier
: non , non, reprit
Yeghen, il n'en ſera que ce
qu'il me plaira ,&nous verrons
dés que vous ferez gueri
, ſi vous affecterez encore
d'eſtre , ou ſi vous ferez fincerement
auffi genereux
quemoy.
256 MERCURE
Au bout de quatre ou cinq
jours ils furent gueris tous
deux.Alors Veghenplus charmé
encore des vertus d'Halil,
lemenadans un cabiner
de ſon jardin , où à travers
une jalouſie il vit paſſertoutes
les femmes qui estoient
dans le ſérail de ce Bacha,
qui ne s'occupa pendant
cette reveuë qu'à examiner
la contenance d'Halil , &
qu'à luy demander ce qu'il
penſoit de chaque beauté
qui paſſoit au pied de la ba
luſtrade où ils eftoient.
Enfin aprés avoir longtemps
GALANT 25
1
temps confideré aſſez tranquillement
tout ce que l'Europe
& l'Afie avoient peuteſtre
de plus beau , il vitune
grande perſonne dont les
habits eſtoient couverts des
plus riches pierreries de l'O
rient , negligemment appuyée
fur deux eſclaves , &
dont les charmes divins of
Froient aux yeux un majel
tueux étalage des plusrates
merveilles du monde. Auffitoſt
il marqua d'un ſonpir le
prompt effet du pouvoir iné.
vitable de ſes attraits vainqueurs.
Qu'avez-vous , luy
Juin 1714. Y
258 MERCURE
dit àl'inſtant Yeghen , amy,
vous ſoupirez ?Ah,ſeigneur,
je me meurs , reprit Halil ,
qu'onm'ouvre àl'heuremeſ
me les portes de voſtre ſé.
rail,&ne m'expoſez pas davantage
aux traits d'unegenorofité
fi cruelle. Je vous
entends , reprit Yeghen ,
mais je ne veux pas conſentir
à vous laiſſer fortir
de mon Serail , que vous
n'ayez épousé celle de
toutes ces perſonnes qui
vous plaiſt davantage. Elles
font toutes mes femmes ,
àl'exception de la derniere
GALANT 259
qui eſt ma fille , recevez- là
de ma main mon fils , &
aimez moy toûjours.
Halil fe jetra fur le
champ aux pieds du Bacha
qui le releva dans le
moment , pour le conduire
à l'appartement de ſa fille ,
dont le même jour , il le
rendit l'heureux Epoux ; Il
prit enſuite uniquement
ſoin de ſa fortune , juſqu'à
ſa mort , qui arriva juſtement
, un mois aprés avoir
engagé le Sultan Solyman
à donner à ſon gendre le
Bachalik de Damas.
Yij
260 MERCURE
Halil a vécu depuis plus
de vingt ans avec tout l'é
clat & tous les honneurs.
dont puiſſent joüir les plus
Grands Seigneurs de l'Empire
Othoman . Mais il n'eſt
rien de fi fragile que le
bonheur des hommes , la
moindre jaloufic ou la
,
moindre eſperanceles
étourdit au milieu de leur
felicité , & il ſuffit qu'ils
ayent eſté tousjours heureux
, pour croire n'avoir
jamais d'infortune à redouter
: enyvré de leur gran
deur , leur Maiſtre ne de
GALANT . 261
vient à leurs yeux qu'un
mortel comme eux , fouvent
meſme ils prétendent
s'attirer & meriter plus
d'honneurs que leur Mail
tre
Le trés haut Sultan Achmet
àpréſent regnant , ſur la
nouvelle de la revolte du
Bacha de Bagdad , a fur le
champ envoyé aux Bachas
de Damas & d'Alep un
ordre exprés de marcher
avec toutes leurs troupes
contre ce rebelle ſujet. Sitoſt
que leur armée a eſté
en estat d'entrer en cam262
MERCURE
pagne , ils ont rencontre
attaqué &battu ce Bacha.
Le Sultan juſques-là a efté
fervi à merveille ; mais on
ajouſte qu'ébloüis appar
ramment de quelques projets
ambitieux dont on ne
ſçait encore ny le fond
ny les détails , & flattez
ſans doute de l'eſpoir
d'un ſuccez favorable , ces
deux Bachas ont entretenu
une intelligence criminelle
avec celuy de Bagdad.
Que le Bacha de
Damas a eſté convaincu de
ce crimepar des lettres qui
GALANT . 263
onteſté interceptées ,& qui
fot tombées entre les mains
du Grand Seigneur , qui a
dépeſché auſſi toſt l'ordre
ſuprême qui vient de coufter
la vie à cet infortuné
Bacha. Je ne ſçay pas encore
, files muets l'ont étranglé,
s'il a efté afſaſſiné , ou
ſi on luy a tranché la teſte ;
mais je ſçay bien que le
Sultan a prononcé l'arreſt
dont il eſt mort .
Dés que l'Armenien cuft
fini ſon recit , je le remerciay
de m'avoir appris tant
de particularitez de la vic
C
264 MERCURE
des trois Bachas Halil
Yeghen & Zeinal , & je le
priay de m'informer de
toutes les nouveautez qu'il
pourroit apprendre encore.
Il ne ſe paſſera rien dans
ce pays- cy qui vaille la peine
de vous eftre mandé
dont je ne vous faſſe pare
avec plaifir.
Je ſuis Mr. &c.
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Résumé : HISTOIRE du Bacha de Damas.
Le texte narre l'histoire de Halil Acor Bacha de Damas, relatée par un Arménien ayant été impliqué dans le commerce d'esclaves. L'histoire commence à Baghlar, un port de la mer Noire, où un Janissaire nommé Zeinal, originaire de Bulgarie, réside avec sa femme enceinte. Un Sheik et l'Arménien les assistent lors de l'accouchement. Le Sheik prédit un avenir glorieux pour l'enfant, qui se réalise lorsque Zeinal devient Bacha d'Albanie. Cependant, Zeinal est exécuté sur ordre du Grand Visir Ismael, à la demande du général Osman Yeghen. Le fils de Zeinal, Halil, alors Capigibachi en Asie, apprend la mort de son père longtemps après. Halil, épris d'une esclave destinée au Sultan, l'enlève et se réfugie chez un médecin juif. Forcé de quitter sa cachette, Halil se rend à Constantinople où il est reconnu et rejoint les Spahis. Après la mort de son père, Halil affronte Yeghen en duel, mais est blessé. Yeghen, impressionné par le courage de Halil, lui offre son amitié. Halil apprend ensuite la mort de sa femme, Adrabista, des mains du médecin juif Adrianou. Le texte relate également l'histoire d'Adrabista, une femme juive et épouse de Halil. Désespérée par le départ de Halil, elle décide de le suivre déguisée en homme pour affronter les dangers qu'il rencontre. Elle cache sa douleur et son désir de le rejoindre, mais finit par révéler ses intentions à Adrianou, un confident. Malgré ses efforts pour la dissuader, Adrabista s'enfuit et rejoint les troupes chrétiennes, où elle se convertit au christianisme. De son côté, Halil, informé de la trahison d'Adrabista, est dévasté. Yeghen, un ami de Halil, tente de le consoler en lui offrant une de ses femmes. Halil, après une période de réflexion, choisit la fille de Yeghen et l'épouse. Il mène ensuite une vie prospère et honorable jusqu'à sa mort. Le texte se termine par la nouvelle de la rébellion du Bacha de Bagdad et de la trahison des Bachas de Damas et d'Alep, qui sont accusés de complicité. Le Bacha de Damas, Halil, est exécuté sur ordre du Sultan.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 2952-2957
L'ALMANACH NANTOIS, NOUVELLE. Par Mlle. MALCRAIS DE LA VIGNE, du Croisic, en Bretagne.
Début :
Feu M*** jadis Libraire à Nantes, [...]
Mots clefs :
Almanach nantais, Libraire, Calculs astronomiques, Lessive, Audace, Barbare, Astrologue, Canicule
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texteReconnaissance textuelle : L'ALMANACH NANTOIS, NOUVELLE. Par Mlle. MALCRAIS DE LA VIGNE, du Croisic, en Bretagne.
L'ALMANACH NANTOIS ,
NOUVELLE..
Par Mlle. MALCRAIS DE LA VIGNE , dus:
Croisic , en Bretagne.
FEù M*** jadis Libraire à Nantes ,
Faisoit mouler un Almanach nouveau ,
Pär chacun an grande en étoit la vente ,
11 Vol . Non
DECEMBRE .
2953 1731.
Non sans raison , car l'ouvrage étoit beau.
Par quoi d'abord qu'il trottoit par les Villes ,
Les curieux des mains se l'arrachoient.
Les Quatre- temps , les Jeûnes , les Vigiles ,
Les jours fêtez à coup sûr s'y nichoient ;
Bien désignez en lettres italiques.
A leur ordo tous Gens Ecclésiastiques ,
Jà dédaignoient de croyance ajoûter ,
Par préférence its alloient consulter ,
Sire Almanach , Magister en rubriques.
Là se trouvoient calculs astronomiques ,
Le temps qu'il faut semer , ou transplanter
Choufleur , chou vert , concombre , pastenade ,
Bête , épinard , cerfeuil , persil , salade ,
Melon , raifort , ozeille , séléri ,
Nous expliquant en langage fleuri ,
Le mal , le bien que fait chaque légume ;
Mieux n'en.a sçu discourir l'Emeri ,
Ni Tournefort , en main docte volume.
P'uis prédisoit que quiconque en Janvier
Iroit nuds pieds., s'exposeroit au rhume
Et qu'en Eté , miracle singulier ,
Bien on pourroit selon ses justes notes ,
Phébus venant à se clarifier ,
L'après -midi quitter les Redingotes ,.
Şans crainte avoir d'en être mal mené.
La paroissoient les Marchez et les Foires ;
II. Vol. Les
2954 MERCURE DE FRANCE
Le tout étoit dûment assaisonné
De mots joyeux , de gaillardes histoires.
Tout ce pourtant n'étoit rien , comparé
Au bel endroit où M *** Prophete
Des temps futurs devenoit l'Interprete.
Car c'est un fait parmi nous assuré ,
Que le bon homme aidé de sa servante ,
Agée au moins de deux fois quarante ans ,
( Jaquette étoit le nom de la sçavante , }
Nous prédisoit la pluye et le beau temps ,
Le chaud , le froid , le calme , et la tourmentes-
On y croyoit à la Ville , au Hameau.
Advint qu'un soir avec sa chambriere ,
Embeguiné sous un bonnet de peau ,
Enveloppé dans un triple Manteau ,
Il s'en alla guetter dans la goutiere ,
Lunette en main , les aspects differens ,
Bon ou mauvais de tant d'Astres errans ,
S'étant promis qu'il eûr à la pipée ,
D'Endimion la maîtresse attrapée.
Après minuit , ses calculs disposez
Exactement , l'heure et le jour pesez ,
Dans son grenier il rentre en diligence ,
Et met le tout hardiment par écrit.
C'étoit à May pour lors d'entrer en danse :
Or ce beau mois , où tout pousse et fleurit ,
D'un bout à l'autre il le chargea de pluye..
II. Vol. Avec
DECEMBRE 1731. 2995.
Avec Jacquette ensuite il vérifie ,
Ce qu'il avoit composé sur ce mois.
Moliere ( De sa Servante on nous dit. que
Faisoit ainsi son Censeur autrefois )
A peine cût- il fait la lecture entiere ,
Qu'en un instant les mains sur les rognons ,
Voilà Jacquette invoquant les Démons ,
Pestant , jurant de la belle maniere ,
De son Toquet le devant est derriere ,
Sur son front sec par les ans labouré ,
Se dresse épars le reste bigarré
De sa blanchâtre et terrible criniere.
Sa large gueule , où sont au plus deux dents ,
Qui du Pain frais craindroient des accidents ,
Ne peut grincer , elle écume , et la rage
De la raison lui fait perdre l'usage
Sur son menton pointu , recoquillé ,
La barbe frise en bouquets séparée ,
D'un jaune obscur sa face est colorée ,
Son oeil profond de ses cils dépouillé
A dans son antre égaré sa prunelle ,
Sa gorge s'enfle , et Virgile cût sur elle ,
S'il eût vécu , pris un autre patron
De sa funeste et sanglante Alecton
Quand tout à coup sa voix dans l'air tonnante-
Du galetas fait trembler la charpente ;
Lors sécouant son Maître épouvanté ,
Nostradamus , en tous lieux si vanté ,
11. Vol.
n'est
2956 MERCURE DE FRANCE
N'est point l'Auteur de ta perfide race ,
Loup garou , chien , et tu suis mal la trace
Du vieux Tycho , de qui la parenté
Mal prétendue enfle à tort ton audace :
Mais tu nacquis , s'il le faut trancher net ,
Au fond d'un Bois d'une Ourse , et d'un Baudets
Quoi donc cruel .... mais voyez si la Grive
A mes discours à l'oreille attentive ::
Quoi Malotru ne te souvient - il pas ,
Qu'en Mai toûjours nous faisons la lessive
Sans qu'en tout l'an jamais autre la suive ?
Comment veux -tu que nos linges , nos draps ,
Puissent sécher ? Jarni , mort de ma vie ……...
Si nuit et jour tu fais tomber la pluye ?
Ah ! si du moins quatre jours de bon temps
S'y rencontroient ! mes voeux seroient contents.
Non , laisse-moi , barbare , je te quitte ;
Je vais ailleurs engager mon mérite.
Puis lui portant le poing sous le museau ;
Regarde un peu ma phisionomie ;
Vois-tu Medée , ensemble et Canidie.
Mais les vapeurs ont gripé mon cerveau ,
Je meurs , je tombe , et mon corps tout en cau ,
Fait à mon ame humer sa maladie ,
Et tristement déjà la congédie.
D'un tel courroux l'Astrologue est surpris ,
Son corps frissonne , et sa langue est gêlée .
II. Vol..
Ca
t
DECEMBRE. 1731 .
2957
Ce nonobstant rappellant ses esprits ,
Il est donc vrai , Prophetes mal- appris ,
Que pour vous seuls avez l'âme aveuglée ?
Témoin Cardan * et moi qui n'ai compris
L'effort prochain de cette Giboullée ,
Calme ton ire , aimable échevelée ;
Tais- toi , dit- il , j'ai tort , et cette fois
D'en convenir point n'aurai de scrupule.
Bien ai-je aussi le remede en mes doigts ;
Je vais adonc r'habiller tout ce mois ,
Et pour te plaire , et rendre l'erreur nulle ,
Je veux en May mettre la Canicule .
* Voyez le Dictionnaire de Bayle , au mot
Cardan.
NOUVELLE..
Par Mlle. MALCRAIS DE LA VIGNE , dus:
Croisic , en Bretagne.
FEù M*** jadis Libraire à Nantes ,
Faisoit mouler un Almanach nouveau ,
Pär chacun an grande en étoit la vente ,
11 Vol . Non
DECEMBRE .
2953 1731.
Non sans raison , car l'ouvrage étoit beau.
Par quoi d'abord qu'il trottoit par les Villes ,
Les curieux des mains se l'arrachoient.
Les Quatre- temps , les Jeûnes , les Vigiles ,
Les jours fêtez à coup sûr s'y nichoient ;
Bien désignez en lettres italiques.
A leur ordo tous Gens Ecclésiastiques ,
Jà dédaignoient de croyance ajoûter ,
Par préférence its alloient consulter ,
Sire Almanach , Magister en rubriques.
Là se trouvoient calculs astronomiques ,
Le temps qu'il faut semer , ou transplanter
Choufleur , chou vert , concombre , pastenade ,
Bête , épinard , cerfeuil , persil , salade ,
Melon , raifort , ozeille , séléri ,
Nous expliquant en langage fleuri ,
Le mal , le bien que fait chaque légume ;
Mieux n'en.a sçu discourir l'Emeri ,
Ni Tournefort , en main docte volume.
P'uis prédisoit que quiconque en Janvier
Iroit nuds pieds., s'exposeroit au rhume
Et qu'en Eté , miracle singulier ,
Bien on pourroit selon ses justes notes ,
Phébus venant à se clarifier ,
L'après -midi quitter les Redingotes ,.
Şans crainte avoir d'en être mal mené.
La paroissoient les Marchez et les Foires ;
II. Vol. Les
2954 MERCURE DE FRANCE
Le tout étoit dûment assaisonné
De mots joyeux , de gaillardes histoires.
Tout ce pourtant n'étoit rien , comparé
Au bel endroit où M *** Prophete
Des temps futurs devenoit l'Interprete.
Car c'est un fait parmi nous assuré ,
Que le bon homme aidé de sa servante ,
Agée au moins de deux fois quarante ans ,
( Jaquette étoit le nom de la sçavante , }
Nous prédisoit la pluye et le beau temps ,
Le chaud , le froid , le calme , et la tourmentes-
On y croyoit à la Ville , au Hameau.
Advint qu'un soir avec sa chambriere ,
Embeguiné sous un bonnet de peau ,
Enveloppé dans un triple Manteau ,
Il s'en alla guetter dans la goutiere ,
Lunette en main , les aspects differens ,
Bon ou mauvais de tant d'Astres errans ,
S'étant promis qu'il eûr à la pipée ,
D'Endimion la maîtresse attrapée.
Après minuit , ses calculs disposez
Exactement , l'heure et le jour pesez ,
Dans son grenier il rentre en diligence ,
Et met le tout hardiment par écrit.
C'étoit à May pour lors d'entrer en danse :
Or ce beau mois , où tout pousse et fleurit ,
D'un bout à l'autre il le chargea de pluye..
II. Vol. Avec
DECEMBRE 1731. 2995.
Avec Jacquette ensuite il vérifie ,
Ce qu'il avoit composé sur ce mois.
Moliere ( De sa Servante on nous dit. que
Faisoit ainsi son Censeur autrefois )
A peine cût- il fait la lecture entiere ,
Qu'en un instant les mains sur les rognons ,
Voilà Jacquette invoquant les Démons ,
Pestant , jurant de la belle maniere ,
De son Toquet le devant est derriere ,
Sur son front sec par les ans labouré ,
Se dresse épars le reste bigarré
De sa blanchâtre et terrible criniere.
Sa large gueule , où sont au plus deux dents ,
Qui du Pain frais craindroient des accidents ,
Ne peut grincer , elle écume , et la rage
De la raison lui fait perdre l'usage
Sur son menton pointu , recoquillé ,
La barbe frise en bouquets séparée ,
D'un jaune obscur sa face est colorée ,
Son oeil profond de ses cils dépouillé
A dans son antre égaré sa prunelle ,
Sa gorge s'enfle , et Virgile cût sur elle ,
S'il eût vécu , pris un autre patron
De sa funeste et sanglante Alecton
Quand tout à coup sa voix dans l'air tonnante-
Du galetas fait trembler la charpente ;
Lors sécouant son Maître épouvanté ,
Nostradamus , en tous lieux si vanté ,
11. Vol.
n'est
2956 MERCURE DE FRANCE
N'est point l'Auteur de ta perfide race ,
Loup garou , chien , et tu suis mal la trace
Du vieux Tycho , de qui la parenté
Mal prétendue enfle à tort ton audace :
Mais tu nacquis , s'il le faut trancher net ,
Au fond d'un Bois d'une Ourse , et d'un Baudets
Quoi donc cruel .... mais voyez si la Grive
A mes discours à l'oreille attentive ::
Quoi Malotru ne te souvient - il pas ,
Qu'en Mai toûjours nous faisons la lessive
Sans qu'en tout l'an jamais autre la suive ?
Comment veux -tu que nos linges , nos draps ,
Puissent sécher ? Jarni , mort de ma vie ……...
Si nuit et jour tu fais tomber la pluye ?
Ah ! si du moins quatre jours de bon temps
S'y rencontroient ! mes voeux seroient contents.
Non , laisse-moi , barbare , je te quitte ;
Je vais ailleurs engager mon mérite.
Puis lui portant le poing sous le museau ;
Regarde un peu ma phisionomie ;
Vois-tu Medée , ensemble et Canidie.
Mais les vapeurs ont gripé mon cerveau ,
Je meurs , je tombe , et mon corps tout en cau ,
Fait à mon ame humer sa maladie ,
Et tristement déjà la congédie.
D'un tel courroux l'Astrologue est surpris ,
Son corps frissonne , et sa langue est gêlée .
II. Vol..
Ca
t
DECEMBRE. 1731 .
2957
Ce nonobstant rappellant ses esprits ,
Il est donc vrai , Prophetes mal- appris ,
Que pour vous seuls avez l'âme aveuglée ?
Témoin Cardan * et moi qui n'ai compris
L'effort prochain de cette Giboullée ,
Calme ton ire , aimable échevelée ;
Tais- toi , dit- il , j'ai tort , et cette fois
D'en convenir point n'aurai de scrupule.
Bien ai-je aussi le remede en mes doigts ;
Je vais adonc r'habiller tout ce mois ,
Et pour te plaire , et rendre l'erreur nulle ,
Je veux en May mettre la Canicule .
* Voyez le Dictionnaire de Bayle , au mot
Cardan.
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Résumé : L'ALMANACH NANTOIS, NOUVELLE. Par Mlle. MALCRAIS DE LA VIGNE, du Croisic, en Bretagne.
L'Almanach Nantois, édité par Mlle Malcrais de La Vigne, était un ouvrage très prisé à Nantes. Chaque année, sa vente était significative grâce à la qualité de son contenu. L'almanach incluait les Quatre-Temps, les jours de jeûne, les vigiles et les jours fériés, tous clairement indiqués en lettres italiques. Les ecclésiastiques le préféraient pour ses rubriques précises. Il contenait également des calculs astronomiques et des conseils détaillés sur les meilleures périodes pour semer ou transplanter divers légumes. L'Almanach Nantois fournissait aussi des prédictions météorologiques, comme les risques de rhume en janvier ou la possibilité de se passer de redingote l'après-midi en été. Il listait également les marchés et les foires, agrémentés de mots joyeux et d'histoires amusantes. L'auteur de l'almanach, assisté de sa servante Jacquette, prédisait le temps avec une grande précision. Un soir, après avoir observé les astres, il prédit un mois de mai pluvieux. Jacquette, furieuse, invoqua les démons et jura, reprochant à son maître de ne pas tenir compte des habitudes locales, comme la lessive en mai. Elle exigea des jours de beau temps. Surpris par cette réaction, l'astrologue finit par céder et modifia sa prédiction pour inclure la canicule en mai.
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