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1
p. 319
QUESTION A DECIDER.
Début :
Si un Courtisan trompé dans ses [e]sperances, est plus à plaindre [...]
Mots clefs :
Questions, Amant, Courtisan, Infidélité, Prodigalité, Avarice
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texteReconnaissance textuelle : QUESTION A DECIDER.
QUESTIONS A DECIDER,
Si un Courtiſan trompé dans
fes fperances , eft plus à plaindre
qu'un Amant paffionné qui
ne peut toucher le coeur de la
Perfonne qu'il aime,
II.
Si l'infidelité d'une Maiftreffe
infidele, peut autorifer un Amant
trahy à eſtre indiſcret.
III.
Si la Prodigalité eft moins condamnable
que l'Avariće.
IV..
On demande l'origine des
Bombes.
Si un Courtiſan trompé dans
fes fperances , eft plus à plaindre
qu'un Amant paffionné qui
ne peut toucher le coeur de la
Perfonne qu'il aime,
II.
Si l'infidelité d'une Maiftreffe
infidele, peut autorifer un Amant
trahy à eſtre indiſcret.
III.
Si la Prodigalité eft moins condamnable
que l'Avariće.
IV..
On demande l'origine des
Bombes.
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2
p. 97-120
LETTRE DE GENES. Evenement singulier d'une mort arrivée au mois de Juin 1712.
Début :
UN riche Marchand, homme capricieux, ayant toujours été heureux dans [...]
Mots clefs :
Gênes, Mort, Marchand, Voyage, Perte, Peur, Avarice, Mariage, Départ, Femme, Caprice, Vaisseau, Chute, Séparation, Catastrophe
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE DE GENES. Evenement singulier d'une mort arrivée au mois de Juin 1712.
LETTRE DE GENES.
Evénement singulierd'une mort
arrivée au mois de Juin1712.
UN riche Marchand,
hône capricieux, ayant
toûjours été heureux
dans son commerce, avoit en tête que le premier voyage qu'il feroit
lui porteroit malheur
cependant il risquoitde
perdre une sommeconfiderable s'il nerctournoit
affzz-dc-bica poursupporter cette perte, &
dans. un moment où son
avarice l'emportoit fu*.
la peur qu'il s'étoit mise -
dans l'esprit
,
il se determina à partir quelquesjours aprés.
A la veille- de son départ la peur le reprit, Se
il se mit en-tête d'achever de se rendre amoureux d'une très- belle
personne, qu'il-avoit
vuë, afin que son amour
se joignant à sa peur,
l'avaricedevînt la moins
forte. En effetcet amour luireüssit, S6 devint si
violent, qu'ayant resolu
de ne plus s'exposer sur
mer, ilsemaria, pour fortifier sa resolution. Les
complaisances que sa
femme eut pour lui la
rendaient digne deson
attachement & n'ayant
nul su jet des'enplaindre,
un de Ces capricesle prit,
&ils'imaginaqu'ilman-
quoità son bonheur une
femme dont l'amourfust
à l'épreuved'une absence
de six mois. Il crutaussi
par cette absence se preparer un renouvellement de passion, dont il
croyoitavoir besoin, à
cause d'un refroidissement qu'il commençoit
à sentir. Sur ces entrefaites il reçut une lettre
de son correspondant
,
qui lui proposoit un bon
coup à faire,pourvu qu'-
il fist aux Indes un voyage de sept à huit mois.
L'occasion d'un vaisseau
&: d'un ami qui partoit,
le determinerent.
Jamais départ d'unmari ne fut plus sensible à
une femme: elle vouloit
absolument suivre son
mari dans ce voyage, &
en fit de si tend res instances, que son mari qui
changeoit souvent de
fantaisies, crut que l'épreuve d'un tel voyage é-
toit aussi feure pour l'amour d'une femmeque
celle de l'absence.Il pria
son ami deretarder quelques jours le départ du
navire dont il croitmaître :
mais l'ami n'employa ce peu de jours
qu'à s'opposer au départ
de la femme, & represensa au mari qu'il ne
devoit pas l'exposeraux
fatigues& aux perils de
la mer, pour le seul plaisir de contenter son ca-
price.Enfin le mari se
rendit, la femme obeïtJ
resta, & le navire partit.
L'ami ressentit en partant une joye & une
douleur qui avoient des
causes differentes,il étoit
devenu passionnément
amoureux de cette semme,dont la beautél'avoit
frapé d'abord. Les rendres adieux qu'elle fit à
son mari achevevent (tu
lecharmer.IlfalotJonc
quitter cequ'il aimoit,
voila sa dou leur: mais il
étoit honnête liomiiiç
bon ami, Ez il futravi
d'avoirempêché la femme de s'embarquerade
s'en separerpour tâcher
de l'ou blier.Mais commenteût-ilpû l'oublier?
sonmari ne luiparlait
d'aucrechose. Imaginezvousquel embarras étoit
le lien; son ami n'avoit
pas d'autre plaisir quecet
entretien, qui faisoit son
suplice par la contrainte
où il setrouvait. Elle fut
pousséeau point, quel'ami ne voulant pas absolument que le mari lui
parlât de sa femme, le
mari soupçonna la chose. Il n'étoit naturellement que capricieux,
& peu jaloux } & l'ami
setrouvant contraint de
luitoutavouer,lui dit en
même temps qu'il nedevoit pascraindre qu'ilrevît jamais sa femme, puis
qu'il avoit voulu de si
bonne foi s'en separer.En
effet des que le marieut
fait ses affaires, l'ami le
pressaderetournerseul à
Genes,&montaun autre
vaisseau qui venoit en
France,où il avoitenvie
de se venir établir,même
avant son avanture. Ainsi les deux amis se dirent
adieu pour toute la vie.
Le Marchand mari
fut plus song-temps sur
mer qu'ilnecroyoit, Se
battu d'une tempête,
fut contraint de relâcher à larade de. Il
fut contraint d'y sejourner quelques semaines. Cependant il prit
patience,n'ayant plus
qu'un petittrajet à faire
pour revoir sa chere
femme: mais un de ses
caprices le prit, & ce fut
le plus extravagant qu'il
eût eu de sa vie; car craignant de retrouversa
femme trop insensible au
plaisir de le revoir
,
il
voulue lui donner une
alarme: & voyant partir
de la rade où ilétoit un
vaisseauqu'il croyoit
suivrede prés, il chargea
quelqu'un de ce vaisseau
d'un paquet de lettres,
sans dire qui il étoit.
Dans ce paquet étoit une
lettre, qu'il fit écrire par
le Capitaine du vaisseau
oùil étoit, &: cette lettre
adressée à sa femme lui racontoit la mort de son
mari avec les plusten-
dres Ô£ les plus tocuhantes circonstances qu'il
put imaginer; &C pour
donner plusde certitude
àcette faussenouvelle,il
écrivit de sa main propre
unbillet., dont lescaracteres tremblans 6C mal
formez paroissoient d'un
homme mourant, & par
ce billet de cinq ou six lignes il témoignoit à sa
femme qu'étant prés de
quiter lavie,ilemployoit
ses dern iers momens à
lui direunéternel adieu.
Ce dernier caprice paroîtra peu vrai-semblable
: maisce n'est point
ici une avanture où il
s'agisse de vrai-semblance
,
puisque c'est une
simple relation- où l'on
n'a ajoûté aucune cir-q
confiance romanesque.
Ce mari imprudent
s'embarqua peu de jours
aprés, &£ eut trés-m-luvais tem ps,&des évé-
.nomen-s de mercontrai-
r€$àl'impatiencequ'ilavoit
devoirlaréussicedeson billet i car ib n'arriva à Gencs;
que 6. ou7.semainesaprès.
Ceuxquiporterentlalettrefirent aucontraire une
navigation trés-heureuse &
trés-prompte. La lettre fut
renduë àlafemme, quifut à
la mort pendant huitjours.
Il yavoitdéjalongtems
que IIyavoitdéjàlongtemsque
l'amiamoureux étoit arrivé
à Marseille, toûjours tourmentéde son amour; quand
se promenant sur le port,
il vit aborder un' vaisseau
Génois.Ils'informade ceux
quiétoient dedans sileMar-
chand son ami étoit de retour à Genes. Un de ceux à
qui il s'adressa lui dit qu'il
connoissoit sa veuve,& qu'il
l'avoit bissée dans une affliction qui faisoit craindre
pour sa vie.
:
Il seroit difficile d'exprimer les mouvemens divers
dont cet amant & ami fut
agité. Il fut 24. heures dans
uneagitation terrible, &
le lendemain se jetta dans
uiv vaisseau qui reparroit
pour Genes, & se rendit auprès de la veuve, dont il renouvella la douleur par son
arri-
arrivée. Enfinaprès avoir
pleuré quelques jours ensemble, il lui proposa de rétablir Ses affaires en l'épousant. N'ayant point encore
d'enfans de Son mari,& ayât
peu de bien par elle-même,
elle eût eu grand besoin de
se remarier si elle eûtétéveritablementveuve
; cependant l'interêt ne la toucha
point:mais ce Negociant-ci
étoit jeune,assezaimable.En
un mot il ne fut plus question pour elle que du temps
6c des bienseances
;
elle ne
pouvoit se resoudre à se re-
marier après un mois de
veuvage ou environ.Cependant leNegociantétoit obligé de s'en retourner promtement àMarseille.Elleprit
le parti de l'epousersecretement, de quitter Genes,&
d'allers'établir en France avec ce nouveau mari. Elle
n'avoit chez elle qu'unefervante, & une parente de fôn
mari,qui étoit trés-vieille&
trés-folle. Elleluilassatout
te qu'elle avoit, &avec sa
servante seule elle partitdipantàcettevieillequ'ellealloit se jetter dansunConvent;&ellealla 4e marier,
&s'embarquerensuite avec
son mari pour Marseille.
Quelques joursaprés le
premiermari arriva à Genes,&rencontra,avantque
d'entrerchez lui, quelques
amis & voisins, qui ayant vû
réellement sa femme deses-
,'perée & malade à la mort,
exagererentencore son desespoir, pour faire sa courà
son mari, qui courut fort alarméjusqu'à son logis,où
la vieille parente,aprés être
revenuë de la peur que le revenant lui causa, lui raconta d'abord le desespoir de
sa femme
3
6c lui dit ensuite
qu'étant sortie de chezelle,
pour s'aller jetter dans un
Convent, il étoit revenu un
bruit le lendemain que
quelques gens l'avoient vû
aller du côté de la mer, &
même que quelques autres
l'avoient vû s'y precipirer.
Lavieillefolle luiconfirma
ce dernier bruit, qui n'avoit
nul fondement que quelques préjugez de bonnes
femmes. Le mari fut déja
fort malade de ce premier
coup :
maisil ne sur au desespoir quecontre lui-même;&
aprés être un peu revenu à
lui,&avoirsuivideplusprés
les bruits differens qui couroient, il apprit feulement
qu'onl'avoit vû monter avec un homme pour Marseille. La douleur,la rage lui
donnerent une attaqueplus
vive que la premiere,&il fut
deux jours dans unesituation cruelle,sanssavoir quel
parti prendre. Enfin ayant
pris celui d'aller à Marseille
pour approfondir la chose,il
y
arriva dans un état pitoyablé, & ressemblant plûtôt à
un spectre qu'à un homme.
Il demanda,enarrivant,de
nouvelles de son ami, eiperant se conioler au moins
avec lui de son malheur, Se
qu'il lui aideroit à faire des
perquisitionsdecelui qui avoit enlevé sa femme à Gcmes. Il n'eut pas de peine à
trouver oùlogeoit sonami,
tkle hazard voulut que ceux
qui luienseignement son logisne lui parlerentpoint
qu'il eût une femme avec
lui, jusqu'à ce qu'il fut parvenu à la porte de sa chambre, que lui ouvrit un valet
nouveau des nouveaux mariez,qui le pria d'atendre un
moment, parce que lafemme de Monsieur étoitavec
lui.Le pauvre homme n'eut
d'abord aucun soupçon de la
verité:mais crutque son ami
Vétoit marié parraison3 on
pour oublier la femme; &.Çc
Croyant assez intime ami
pour encrersans ceremonie,
:&, troublé d'ailleurs par son
malheur, il pouffa la porte
sortement,&entra malgré
le valet dans une fécondé
chambre, où le mari & la
femme étoient tête à tête.
On ne peut pas exprimer
l'effet de cette apparition.
La femme prit son mari
pour un deterré,outre qu'il
en avoir assezl'air;la vue de
sa femme le rendit-immobi-
le comme un [peétre. La
femme tomba à la renverse,
& le revenant tomba un
moment après, ôc ne releva
de cette chute que peur languir quelques jours. Il pardonna en mourant à son ami
6c àsa femme, à qui illaissa
même une partie de son
bien.Ils furent si penetrés de
douleur l'un & raurre,qu'iIs
font encore à present enretraite chacun dans un Convent.On,¡}e sçait point combien durera cette separation
volontaire:maisils n'ont pas
eu un moment de santé depuis cette triste catastrofe
Evénement singulierd'une mort
arrivée au mois de Juin1712.
UN riche Marchand,
hône capricieux, ayant
toûjours été heureux
dans son commerce, avoit en tête que le premier voyage qu'il feroit
lui porteroit malheur
cependant il risquoitde
perdre une sommeconfiderable s'il nerctournoit
affzz-dc-bica poursupporter cette perte, &
dans. un moment où son
avarice l'emportoit fu*.
la peur qu'il s'étoit mise -
dans l'esprit
,
il se determina à partir quelquesjours aprés.
A la veille- de son départ la peur le reprit, Se
il se mit en-tête d'achever de se rendre amoureux d'une très- belle
personne, qu'il-avoit
vuë, afin que son amour
se joignant à sa peur,
l'avaricedevînt la moins
forte. En effetcet amour luireüssit, S6 devint si
violent, qu'ayant resolu
de ne plus s'exposer sur
mer, ilsemaria, pour fortifier sa resolution. Les
complaisances que sa
femme eut pour lui la
rendaient digne deson
attachement & n'ayant
nul su jet des'enplaindre,
un de Ces capricesle prit,
&ils'imaginaqu'ilman-
quoità son bonheur une
femme dont l'amourfust
à l'épreuved'une absence
de six mois. Il crutaussi
par cette absence se preparer un renouvellement de passion, dont il
croyoitavoir besoin, à
cause d'un refroidissement qu'il commençoit
à sentir. Sur ces entrefaites il reçut une lettre
de son correspondant
,
qui lui proposoit un bon
coup à faire,pourvu qu'-
il fist aux Indes un voyage de sept à huit mois.
L'occasion d'un vaisseau
&: d'un ami qui partoit,
le determinerent.
Jamais départ d'unmari ne fut plus sensible à
une femme: elle vouloit
absolument suivre son
mari dans ce voyage, &
en fit de si tend res instances, que son mari qui
changeoit souvent de
fantaisies, crut que l'épreuve d'un tel voyage é-
toit aussi feure pour l'amour d'une femmeque
celle de l'absence.Il pria
son ami deretarder quelques jours le départ du
navire dont il croitmaître :
mais l'ami n'employa ce peu de jours
qu'à s'opposer au départ
de la femme, & represensa au mari qu'il ne
devoit pas l'exposeraux
fatigues& aux perils de
la mer, pour le seul plaisir de contenter son ca-
price.Enfin le mari se
rendit, la femme obeïtJ
resta, & le navire partit.
L'ami ressentit en partant une joye & une
douleur qui avoient des
causes differentes,il étoit
devenu passionnément
amoureux de cette semme,dont la beautél'avoit
frapé d'abord. Les rendres adieux qu'elle fit à
son mari achevevent (tu
lecharmer.IlfalotJonc
quitter cequ'il aimoit,
voila sa dou leur: mais il
étoit honnête liomiiiç
bon ami, Ez il futravi
d'avoirempêché la femme de s'embarquerade
s'en separerpour tâcher
de l'ou blier.Mais commenteût-ilpû l'oublier?
sonmari ne luiparlait
d'aucrechose. Imaginezvousquel embarras étoit
le lien; son ami n'avoit
pas d'autre plaisir quecet
entretien, qui faisoit son
suplice par la contrainte
où il setrouvait. Elle fut
pousséeau point, quel'ami ne voulant pas absolument que le mari lui
parlât de sa femme, le
mari soupçonna la chose. Il n'étoit naturellement que capricieux,
& peu jaloux } & l'ami
setrouvant contraint de
luitoutavouer,lui dit en
même temps qu'il nedevoit pascraindre qu'ilrevît jamais sa femme, puis
qu'il avoit voulu de si
bonne foi s'en separer.En
effet des que le marieut
fait ses affaires, l'ami le
pressaderetournerseul à
Genes,&montaun autre
vaisseau qui venoit en
France,où il avoitenvie
de se venir établir,même
avant son avanture. Ainsi les deux amis se dirent
adieu pour toute la vie.
Le Marchand mari
fut plus song-temps sur
mer qu'ilnecroyoit, Se
battu d'une tempête,
fut contraint de relâcher à larade de. Il
fut contraint d'y sejourner quelques semaines. Cependant il prit
patience,n'ayant plus
qu'un petittrajet à faire
pour revoir sa chere
femme: mais un de ses
caprices le prit, & ce fut
le plus extravagant qu'il
eût eu de sa vie; car craignant de retrouversa
femme trop insensible au
plaisir de le revoir
,
il
voulue lui donner une
alarme: & voyant partir
de la rade où ilétoit un
vaisseauqu'il croyoit
suivrede prés, il chargea
quelqu'un de ce vaisseau
d'un paquet de lettres,
sans dire qui il étoit.
Dans ce paquet étoit une
lettre, qu'il fit écrire par
le Capitaine du vaisseau
oùil étoit, &: cette lettre
adressée à sa femme lui racontoit la mort de son
mari avec les plusten-
dres Ô£ les plus tocuhantes circonstances qu'il
put imaginer; &C pour
donner plusde certitude
àcette faussenouvelle,il
écrivit de sa main propre
unbillet., dont lescaracteres tremblans 6C mal
formez paroissoient d'un
homme mourant, & par
ce billet de cinq ou six lignes il témoignoit à sa
femme qu'étant prés de
quiter lavie,ilemployoit
ses dern iers momens à
lui direunéternel adieu.
Ce dernier caprice paroîtra peu vrai-semblable
: maisce n'est point
ici une avanture où il
s'agisse de vrai-semblance
,
puisque c'est une
simple relation- où l'on
n'a ajoûté aucune cir-q
confiance romanesque.
Ce mari imprudent
s'embarqua peu de jours
aprés, &£ eut trés-m-luvais tem ps,&des évé-
.nomen-s de mercontrai-
r€$àl'impatiencequ'ilavoit
devoirlaréussicedeson billet i car ib n'arriva à Gencs;
que 6. ou7.semainesaprès.
Ceuxquiporterentlalettrefirent aucontraire une
navigation trés-heureuse &
trés-prompte. La lettre fut
renduë àlafemme, quifut à
la mort pendant huitjours.
Il yavoitdéjalongtems
que IIyavoitdéjàlongtemsque
l'amiamoureux étoit arrivé
à Marseille, toûjours tourmentéde son amour; quand
se promenant sur le port,
il vit aborder un' vaisseau
Génois.Ils'informade ceux
quiétoient dedans sileMar-
chand son ami étoit de retour à Genes. Un de ceux à
qui il s'adressa lui dit qu'il
connoissoit sa veuve,& qu'il
l'avoit bissée dans une affliction qui faisoit craindre
pour sa vie.
:
Il seroit difficile d'exprimer les mouvemens divers
dont cet amant & ami fut
agité. Il fut 24. heures dans
uneagitation terrible, &
le lendemain se jetta dans
uiv vaisseau qui reparroit
pour Genes, & se rendit auprès de la veuve, dont il renouvella la douleur par son
arri-
arrivée. Enfinaprès avoir
pleuré quelques jours ensemble, il lui proposa de rétablir Ses affaires en l'épousant. N'ayant point encore
d'enfans de Son mari,& ayât
peu de bien par elle-même,
elle eût eu grand besoin de
se remarier si elle eûtétéveritablementveuve
; cependant l'interêt ne la toucha
point:mais ce Negociant-ci
étoit jeune,assezaimable.En
un mot il ne fut plus question pour elle que du temps
6c des bienseances
;
elle ne
pouvoit se resoudre à se re-
marier après un mois de
veuvage ou environ.Cependant leNegociantétoit obligé de s'en retourner promtement àMarseille.Elleprit
le parti de l'epousersecretement, de quitter Genes,&
d'allers'établir en France avec ce nouveau mari. Elle
n'avoit chez elle qu'unefervante, & une parente de fôn
mari,qui étoit trés-vieille&
trés-folle. Elleluilassatout
te qu'elle avoit, &avec sa
servante seule elle partitdipantàcettevieillequ'ellealloit se jetter dansunConvent;&ellealla 4e marier,
&s'embarquerensuite avec
son mari pour Marseille.
Quelques joursaprés le
premiermari arriva à Genes,&rencontra,avantque
d'entrerchez lui, quelques
amis & voisins, qui ayant vû
réellement sa femme deses-
,'perée & malade à la mort,
exagererentencore son desespoir, pour faire sa courà
son mari, qui courut fort alarméjusqu'à son logis,où
la vieille parente,aprés être
revenuë de la peur que le revenant lui causa, lui raconta d'abord le desespoir de
sa femme
3
6c lui dit ensuite
qu'étant sortie de chezelle,
pour s'aller jetter dans un
Convent, il étoit revenu un
bruit le lendemain que
quelques gens l'avoient vû
aller du côté de la mer, &
même que quelques autres
l'avoient vû s'y precipirer.
Lavieillefolle luiconfirma
ce dernier bruit, qui n'avoit
nul fondement que quelques préjugez de bonnes
femmes. Le mari fut déja
fort malade de ce premier
coup :
maisil ne sur au desespoir quecontre lui-même;&
aprés être un peu revenu à
lui,&avoirsuivideplusprés
les bruits differens qui couroient, il apprit feulement
qu'onl'avoit vû monter avec un homme pour Marseille. La douleur,la rage lui
donnerent une attaqueplus
vive que la premiere,&il fut
deux jours dans unesituation cruelle,sanssavoir quel
parti prendre. Enfin ayant
pris celui d'aller à Marseille
pour approfondir la chose,il
y
arriva dans un état pitoyablé, & ressemblant plûtôt à
un spectre qu'à un homme.
Il demanda,enarrivant,de
nouvelles de son ami, eiperant se conioler au moins
avec lui de son malheur, Se
qu'il lui aideroit à faire des
perquisitionsdecelui qui avoit enlevé sa femme à Gcmes. Il n'eut pas de peine à
trouver oùlogeoit sonami,
tkle hazard voulut que ceux
qui luienseignement son logisne lui parlerentpoint
qu'il eût une femme avec
lui, jusqu'à ce qu'il fut parvenu à la porte de sa chambre, que lui ouvrit un valet
nouveau des nouveaux mariez,qui le pria d'atendre un
moment, parce que lafemme de Monsieur étoitavec
lui.Le pauvre homme n'eut
d'abord aucun soupçon de la
verité:mais crutque son ami
Vétoit marié parraison3 on
pour oublier la femme; &.Çc
Croyant assez intime ami
pour encrersans ceremonie,
:&, troublé d'ailleurs par son
malheur, il pouffa la porte
sortement,&entra malgré
le valet dans une fécondé
chambre, où le mari & la
femme étoient tête à tête.
On ne peut pas exprimer
l'effet de cette apparition.
La femme prit son mari
pour un deterré,outre qu'il
en avoir assezl'air;la vue de
sa femme le rendit-immobi-
le comme un [peétre. La
femme tomba à la renverse,
& le revenant tomba un
moment après, ôc ne releva
de cette chute que peur languir quelques jours. Il pardonna en mourant à son ami
6c àsa femme, à qui illaissa
même une partie de son
bien.Ils furent si penetrés de
douleur l'un & raurre,qu'iIs
font encore à present enretraite chacun dans un Convent.On,¡}e sçait point combien durera cette separation
volontaire:maisils n'ont pas
eu un moment de santé depuis cette triste catastrofe
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Résumé : LETTRE DE GENES. Evenement singulier d'une mort arrivée au mois de Juin 1712.
La 'Lettre de Gênes' raconte une série d'événements survenus en juin 1712, impliquant un riche marchand superstitieux et son épouse. Le marchand, bien que craignant que son premier voyage maritime lui porte malheur, fut poussé par son avarice à partir. Pour renforcer sa résolution, il se rendit amoureux d'une belle personne qu'il épousa. Cependant, un caprice le poussa à tester la fidélité de son épouse en partant pour un voyage aux Indes, malgré les supplications de celle-ci de l'accompagner. Un ami du marchand, secrètement amoureux de son épouse, s'opposa à son départ et réussit à convaincre le marchand de laisser son épouse à terre. Le marchand partit seul et, après plusieurs semaines en mer, décida de faire croire à sa femme qu'il était mort en lui envoyant une lettre falsifiée. Cette lettre plongea l'épouse dans un désespoir profond. Pendant ce temps, l'ami amoureux, ayant appris la fausse nouvelle de la mort du marchand, se rendit à Gênes et épousa secrètement la veuve. Quelques jours plus tard, le marchand revint à Gênes et découvrit la trahison. Il se rendit à Marseille, où il trouva son ami et son épouse. La surprise et le choc le tuèrent. Avant de mourir, il pardonna à son ami et à son épouse, leur laissant une partie de sa fortune. Les deux coupables, rongés par la culpabilité, se retirèrent chacun dans un couvent.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 183-201
QUI RÉPOND paye. Avanture du Carnaval.
Début :
Un jeune Officier, plein de merite, trés-riche et trés-genereux, [...]
Mots clefs :
Aventure, Carnaval, Officier, Avarice, Traiteur, Santé, Logis, Café, Carrosse
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : QUI RÉPOND paye. Avanture du Carnaval.
QJJI REP 0 N D
paye.
AvMtmt du Carnaval. i uN jeune Officier;
plein de mérité, trés-riche
& très-genereux,
nais sujet à oublier les
parties de plaisir, parce
q1u'il en avoit trop à choi- sir,s'etant rencontre'ddepuis
quelques jours chez
une Dame de qualité,
quiregaloit plusieurs d
ses amies & de ses amis
fut prié de la fête par u
ami conlrnun" de cett
Dame&delui.Cetam
étoit aussijeune,riche, 8
avoit quelque mérité
mais il étoit d'une ava
rice qui n'auroit pas me
meété pardonnable à un
vieillard. Ce jeuneavar
étoit amoureux d'un
veuve, amie de la Da
me, qui donnoit souven
des foupers,& c'est pou
cela
cèla qu'il en avoit procuré
la connoissance à
celle qu'il aimoit beaucoup:
mais pas assez pour
se résoudre à lui donner
des cadeaux à ses dépens.
Toute son étude
étoit de; lui en procurer
:jui ne lui coûtassent
tien, Revenons au jeune
Pfhcier..,.. Iln'étoit pas
lâché de donner des repas
: mais il n'écoit pas
rien aised'être la dupe
le l'autre.lts étoient
tous deux du souper de
la Dame, & la bonne
chere qu'on y fit donna
occasion au jeune avare
de louer celle que le jeune
liberal faisoit ordinairement
à ses amis:
ensuite, pour l'engager
, L£.' dl\. 'J - a offrir a dîner a la com
pagnie dont sa maîtresse
étoit, il donna envie aux
Dames d'aller voir un
appartement que l'autre
avoit fait nouvellement
ajuster.Undîner dans
cet appartement fut offert
; &; le jour étant
pris, l'on se donna rendez-
vous chez la Dame
où l'on étoit, pour aller
tous ensemble au dîner
promis. Comme il y avoit
eu deux jours d'intervale,
le dîner fut oublié
par l'Officier: mais
il ne le fut pas par le
jeune avare, qui eut foin
de rassembler tous les
convives chez la Dame,
comme on en etoit convenu
,8c tous ensemble
furent de-,,tré's - bonne
heure, cest- à
-
dire dés
midi, pour voir à loisir
l'appartement & les nouveaux
ajustemens avant
l'heure du dîner. Chacun
monta en carosse,
& l'on se rendit à la maison
, où l'on ne trouva
qu'un laquais & sa cuisîniere
,
qui assurerent
que leur maître nevient
droit pas dîner chez luï
Quelques-uns de la com
pagnie rirent beaucoup
d'un pareil oubli; quelques
autres en furent fâchez
: Se le jeune ava- re, qui prenoitlibrement
& genereusement
son parti chez autrui,
dit à la compagnie qu'
elle ne s'embarassât pas,
& qu'il seroit les honneurs
de la maison de
son ami ; qu'on n'avait
qu'à voir l'appartement,
6c que le dîner viendroit
ensuite.Toute la
compagnie accepta ce
parti; car on connoissoit
le maître de la maison
pour homme qui eti.
tendoit raillerie, & qui
ne se fâcheroit pas qu'-
on l'eût puni de son oubli.
Le jeune avare fut
chez un grand Traiteur,
qui n'etoit pas loin de
là, dont se servoit fouT
vent son ami, & dont
il se servoit lui -mêtra
une fois par an quand il
y étoit forcé. Il cotai
manda un repas magni.
fique, qu'il répondit de
payer au Traiteur,en
casque celui qui le donnoit
ne le payât pas. Il
croyoit bien ne rien risquer,
8c comptoit fort
sur la generofîcé de son
ami.Ledîner fut préparé
, & porté dans l'appartement,
où l'on n'épargna
rienpour sebien
réjouir. La fanté de l'hâte
absent fut bûë plusieurs
fois, & l'on fit venir
violons & hautbois
pour danser jusqu'au
foir. Lemaîtredulogis
revint chez lui dans le
fort de laréjoüissance;
& comme il oublioit
parfaitement ce qu'il oublioit,
il fut trés-surpris
de trouver une espece de
noce dans sa maison , qu'il avoit laissée le matin
si tranquille : mais
dés qu'il vit la compagnie,
sa surprisesetourna
bientôten joye.Il
fit
sit de son mieux, & augmenta
le plaisirdes autres
, en le partageant de
bonne grace: mais il ne
laissa pas de méditer une
cfpece de vengeance de
celui qui avoit fait si librement
les honneurs de
chezlui.Il feignit d'avoir
une petite affaire pour
une demi - heure seulement;
aprés quoy ilrevint
chez lui passer encore
quelques heures,
& pria ensuitela compagnieque
la fête ceL;,
fât surlesneuf oudix
heures, de peur que les
violons dans un temps
decarnaval ne 14 atçii
rassent les masques. On
cessa donc de danser, &
l'h,ô,ce: proposa au jeune
avare de donner ducaffé
chez lui: ce qu'il acceptat
de bon coeur ; car il n'é-
£oit plus questionde souper
aprés un si grand repas,
& de plus, il se piquoit
d'avoir un offiçi.y|
quifaisoitle meilleur
caffé de Paris, S>C il prenoit
sa revanche encaffé
de tous les grands repas
qu'on lui donnoit.
On remonta donc en
carosse, on arriva chez
lui sur lesdix heures.
Il descendit le premier,
& pensa tomber de son
haut,à l'ouverture de
sa porte,quandilvitsa
cour, sonsalon & son
jardin éclairez d'une itlumination.
Toute la
compagnie lui fie des
complimens de sa galanterie
:mais il étoit muet
d'étonnement; & ce sut
bien autrement, quand
il vit en entrant dans sa
sale une table servie superbement,
un busses
magnifiquement, orné
< ëC qu'il entendit un moment
apras les violon
dans son jardin. La si
tuation où il setrouvoit
ne se peut gueres bien
imaginer;car toutesle
Dames étoient surprises
de bonne foy de voir la
fête que cet avare leur
avoit preparée, & lui
n'avoit pas la force d'en
recevoir, ni d'en refuser
les complimens. Il prit
son homme un moment
en particulier
, & lui demanda
si c'étoit lui ou le
diable qui avoit préparé
cette fête sans son ordre.
La premiere réponse que
son homme lui fit fut
de luirire au nez;car il
s'étaitdéjà enyvré au
buffetv?&: fqn3 m?iftrc
ne put tcirerdeluid'autreréponse
que,Ne
'llOJfJ",fâchezpasMonsieur,
ilne vouf en coû-,
tera rien. Un autre valet
moinsyvre :lui-,c6hfirma
lamêmechose, en
lui disant Quiert effet il
îveiui en-cotîtcroicrien,
s'ilnevouloit.Ilseconsolaun
moment,dans
ecxetptleieqsupeerrcaentctee,é&ncsigemfiet.,
On lui dit qu'onavoit
raitapporter coût cela
chez lui par un hommes
quiétoit en effet un diablepour
les impromptu ;
que le Traiteur s'étoit
jointàcet homme, &
que l'amichez qui il avoit
dîné avoit répondue
à cesgens là du payementdetoutes
choses.
il salutealler rejoindre
les Dames;qui demandoientà
cor & à cri ce..¡
lui qui les regaloitsimagnifiquement.
On étoit
déja à table 5iI futcontraint
des'y mettre, plus
troublé&plusagité que
s'il eût eu chez luiàdej
voleurs. Enfin l'auteur
de ce regal éclaircitle
fait à forcede plaisanteries,
& commençaà
l'assurerqu'il neluien
coûteroit pas un
fouJ
puis qu'il avoitrépondu
de toute la dépense qui
se feroit chez lui: mais
lui dit-il un
moment
âpres•, vous avez aussi
promis de payer toute
la dépense de mon dîner,
si je ne la payois pas,
&je vous protc'fie que
si je paye vôtre souper,
dont j'ai répondu,vous
payerez mon dîner, qu'-
on nY'.a1 preparé que par
vos ordres, S£ rien n'est
plus juste: payeQ.
paye.
AvMtmt du Carnaval. i uN jeune Officier;
plein de mérité, trés-riche
& très-genereux,
nais sujet à oublier les
parties de plaisir, parce
q1u'il en avoit trop à choi- sir,s'etant rencontre'ddepuis
quelques jours chez
une Dame de qualité,
quiregaloit plusieurs d
ses amies & de ses amis
fut prié de la fête par u
ami conlrnun" de cett
Dame&delui.Cetam
étoit aussijeune,riche, 8
avoit quelque mérité
mais il étoit d'une ava
rice qui n'auroit pas me
meété pardonnable à un
vieillard. Ce jeuneavar
étoit amoureux d'un
veuve, amie de la Da
me, qui donnoit souven
des foupers,& c'est pou
cela
cèla qu'il en avoit procuré
la connoissance à
celle qu'il aimoit beaucoup:
mais pas assez pour
se résoudre à lui donner
des cadeaux à ses dépens.
Toute son étude
étoit de; lui en procurer
:jui ne lui coûtassent
tien, Revenons au jeune
Pfhcier..,.. Iln'étoit pas
lâché de donner des repas
: mais il n'écoit pas
rien aised'être la dupe
le l'autre.lts étoient
tous deux du souper de
la Dame, & la bonne
chere qu'on y fit donna
occasion au jeune avare
de louer celle que le jeune
liberal faisoit ordinairement
à ses amis:
ensuite, pour l'engager
, L£.' dl\. 'J - a offrir a dîner a la com
pagnie dont sa maîtresse
étoit, il donna envie aux
Dames d'aller voir un
appartement que l'autre
avoit fait nouvellement
ajuster.Undîner dans
cet appartement fut offert
; &; le jour étant
pris, l'on se donna rendez-
vous chez la Dame
où l'on étoit, pour aller
tous ensemble au dîner
promis. Comme il y avoit
eu deux jours d'intervale,
le dîner fut oublié
par l'Officier: mais
il ne le fut pas par le
jeune avare, qui eut foin
de rassembler tous les
convives chez la Dame,
comme on en etoit convenu
,8c tous ensemble
furent de-,,tré's - bonne
heure, cest- à
-
dire dés
midi, pour voir à loisir
l'appartement & les nouveaux
ajustemens avant
l'heure du dîner. Chacun
monta en carosse,
& l'on se rendit à la maison
, où l'on ne trouva
qu'un laquais & sa cuisîniere
,
qui assurerent
que leur maître nevient
droit pas dîner chez luï
Quelques-uns de la com
pagnie rirent beaucoup
d'un pareil oubli; quelques
autres en furent fâchez
: Se le jeune ava- re, qui prenoitlibrement
& genereusement
son parti chez autrui,
dit à la compagnie qu'
elle ne s'embarassât pas,
& qu'il seroit les honneurs
de la maison de
son ami ; qu'on n'avait
qu'à voir l'appartement,
6c que le dîner viendroit
ensuite.Toute la
compagnie accepta ce
parti; car on connoissoit
le maître de la maison
pour homme qui eti.
tendoit raillerie, & qui
ne se fâcheroit pas qu'-
on l'eût puni de son oubli.
Le jeune avare fut
chez un grand Traiteur,
qui n'etoit pas loin de
là, dont se servoit fouT
vent son ami, & dont
il se servoit lui -mêtra
une fois par an quand il
y étoit forcé. Il cotai
manda un repas magni.
fique, qu'il répondit de
payer au Traiteur,en
casque celui qui le donnoit
ne le payât pas. Il
croyoit bien ne rien risquer,
8c comptoit fort
sur la generofîcé de son
ami.Ledîner fut préparé
, & porté dans l'appartement,
où l'on n'épargna
rienpour sebien
réjouir. La fanté de l'hâte
absent fut bûë plusieurs
fois, & l'on fit venir
violons & hautbois
pour danser jusqu'au
foir. Lemaîtredulogis
revint chez lui dans le
fort de laréjoüissance;
& comme il oublioit
parfaitement ce qu'il oublioit,
il fut trés-surpris
de trouver une espece de
noce dans sa maison , qu'il avoit laissée le matin
si tranquille : mais
dés qu'il vit la compagnie,
sa surprisesetourna
bientôten joye.Il
fit
sit de son mieux, & augmenta
le plaisirdes autres
, en le partageant de
bonne grace: mais il ne
laissa pas de méditer une
cfpece de vengeance de
celui qui avoit fait si librement
les honneurs de
chezlui.Il feignit d'avoir
une petite affaire pour
une demi - heure seulement;
aprés quoy ilrevint
chez lui passer encore
quelques heures,
& pria ensuitela compagnieque
la fête ceL;,
fât surlesneuf oudix
heures, de peur que les
violons dans un temps
decarnaval ne 14 atçii
rassent les masques. On
cessa donc de danser, &
l'h,ô,ce: proposa au jeune
avare de donner ducaffé
chez lui: ce qu'il acceptat
de bon coeur ; car il n'é-
£oit plus questionde souper
aprés un si grand repas,
& de plus, il se piquoit
d'avoir un offiçi.y|
quifaisoitle meilleur
caffé de Paris, S>C il prenoit
sa revanche encaffé
de tous les grands repas
qu'on lui donnoit.
On remonta donc en
carosse, on arriva chez
lui sur lesdix heures.
Il descendit le premier,
& pensa tomber de son
haut,à l'ouverture de
sa porte,quandilvitsa
cour, sonsalon & son
jardin éclairez d'une itlumination.
Toute la
compagnie lui fie des
complimens de sa galanterie
:mais il étoit muet
d'étonnement; & ce sut
bien autrement, quand
il vit en entrant dans sa
sale une table servie superbement,
un busses
magnifiquement, orné
< ëC qu'il entendit un moment
apras les violon
dans son jardin. La si
tuation où il setrouvoit
ne se peut gueres bien
imaginer;car toutesle
Dames étoient surprises
de bonne foy de voir la
fête que cet avare leur
avoit preparée, & lui
n'avoit pas la force d'en
recevoir, ni d'en refuser
les complimens. Il prit
son homme un moment
en particulier
, & lui demanda
si c'étoit lui ou le
diable qui avoit préparé
cette fête sans son ordre.
La premiere réponse que
son homme lui fit fut
de luirire au nez;car il
s'étaitdéjà enyvré au
buffetv?&: fqn3 m?iftrc
ne put tcirerdeluid'autreréponse
que,Ne
'llOJfJ",fâchezpasMonsieur,
ilne vouf en coû-,
tera rien. Un autre valet
moinsyvre :lui-,c6hfirma
lamêmechose, en
lui disant Quiert effet il
îveiui en-cotîtcroicrien,
s'ilnevouloit.Ilseconsolaun
moment,dans
ecxetptleieqsupeerrcaentctee,é&ncsigemfiet.,
On lui dit qu'onavoit
raitapporter coût cela
chez lui par un hommes
quiétoit en effet un diablepour
les impromptu ;
que le Traiteur s'étoit
jointàcet homme, &
que l'amichez qui il avoit
dîné avoit répondue
à cesgens là du payementdetoutes
choses.
il salutealler rejoindre
les Dames;qui demandoientà
cor & à cri ce..¡
lui qui les regaloitsimagnifiquement.
On étoit
déja à table 5iI futcontraint
des'y mettre, plus
troublé&plusagité que
s'il eût eu chez luiàdej
voleurs. Enfin l'auteur
de ce regal éclaircitle
fait à forcede plaisanteries,
& commençaà
l'assurerqu'il neluien
coûteroit pas un
fouJ
puis qu'il avoitrépondu
de toute la dépense qui
se feroit chez lui: mais
lui dit-il un
moment
âpres•, vous avez aussi
promis de payer toute
la dépense de mon dîner,
si je ne la payois pas,
&je vous protc'fie que
si je paye vôtre souper,
dont j'ai répondu,vous
payerez mon dîner, qu'-
on nY'.a1 preparé que par
vos ordres, S£ rien n'est
plus juste: payeQ.
Fermer
Résumé : QUI RÉPOND paye. Avanture du Carnaval.
Le texte narre une histoire impliquant deux jeunes hommes, un officier généreux et un avare, ainsi qu'une dame de qualité et ses amis. L'officier, bien que riche et généreux, a tendance à oublier les engagements liés aux plaisirs. Lors d'une fête chez la dame, l'avare, amoureux d'une veuve amie de la dame, cherche à obtenir des cadeaux sans dépenser. Lors du souper, l'avare complimente les repas offerts par l'officier et propose une visite de son nouvel appartement, suivie d'un dîner. L'officier oublie le dîner, mais l'avare rassemble les convives et organise un repas somptueux chez un traiteur, comptant sur la générosité de l'officier pour payer. Lorsqu'ils arrivent à l'appartement, ils trouvent un festin préparé par l'avare. L'officier, surpris, se joint à la fête et décide de se venger. Il invite tout le monde chez lui pour le café, mais à leur arrivée, ils découvrent une table somptueusement dressée et des musiciens. L'avare, stupéfait, apprend que le traiteur et un ami ont organisé cette fête à ses frais. L'auteur du repas révèle finalement que l'avare avait promis de payer le dîner de l'officier s'il ne le faisait pas, et vice versa. Ainsi, les deux jeunes hommes se retrouvent à devoir payer chacun les dépenses de l'autre.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
4
p. 173-185
Trait d'Histoire Arabe.
Début :
Moutalaya, natif de Hayatamar, petite Ville proche de Medine, s'établit [...]
Mots clefs :
Calife, Amour, Moutalaya, Triomphe, Poète, Couronne, Poétique, Désirs, Avarice, Guérir, Philosophie, Arabe, Hattebé, Cruches
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Trait d'Histoire Arabe.
TraitctHiftoir: Arabe.
MOutalaya, natif de
Hayatamar., petite Ville
proche de Medine, s'établit
à Bagdad, où il se fit
vendeur de Craches, &
ensuite s'acquit beaucoup
de réputation par sa Poësie,
& sur tout par sa Filosofie.
On disoit de luy
qu'il cadençoit toutes les
avions comme les Vers,
& à cause de sa grande
moderation on l'appella
d'un mot Arabe qui signifioit
le Peseur de Desirs
Malgré cela il se rendit celebre
par son amour pour
Hattebé, maistresse du
Calife Almondi, ayant
obtenu du Calife permission
de faire un presènt
à Hattebé le jour d'une
Feste. Il prefenca à
Hattebéen presence
du Prince une haute
Piramide de carton, au
bas de laquelle estoit representé
le Calife avec sa
Maistresse, &du bas de la
Piramide en haut tournoie
en spirale une bande de
roseaux portez par de petits
Amours serpentant dé
bas en haut, où estoient
écrits des Vers, qui marquoienr
qne le Vendeur
de Cruches portoit ses de-
-
sirs -jut'qu-aux plaisirs de -
son Maistre
, & les Amours
tenoient des balances
rompuës fous leurs
pieds, marque que luy,
qu'on appelloit le Pesèur
de desirs , n'avait point
pesé ccluy qui le portoità
un si haut point. D'abord
le present fut pris pour
une idée poëtique, mais
Moutalaya tomba en langueur
& pensa mourir de
son amour : en forte que
le Calife en ayant pitié,
luy promit de luy faire
present de Hattebé. Sa parole
donnée, Hattebé se
jetta en pleurs aux pieds
du Calife pour nestre
point livrée à un homme
si laid,car Moutalaya l'é.
toit beaucoup. Le Calife
ne voulant pas retirer sa
parole, envoya chercher
le Poëteamoureux, & luy
dit: 0 toy qui pese tes
desirs, regarde Hattebé
d'un côté de la balance,
& de l'autre ce grand vase
d'argent, &,- choisis. Oh,
luy répondit le Poëte
,
ton vase pese moins pour
moy qu'une plume de l'asle
de l'Amour qui m'a
blessé. En même temps le
Calife ordonna qu'on jettât
à poignée de l'or dans
le vase, & dit au Poëte.
Avertis- moy quand le
poids sera égal à celuy de
ton amour. Moutalaya
qui comprit par la profusion
du Calife qu'il avoit
peine àluy donner Hattebé3
luy cria:Arreste
,
le
poids est trébuchant.
Alors le Calife qui avoit
beaucoup desprit luy
dit: Ajoûte- donc ducôté
d'Hattebé, qu'elle ne peut
se résoudre à t'aimer, ou
plutôt qu'elle te haïra si
tu l'exige de moy )
& par
cette circonstance
3 prens
le vase sans balancer.
Moutalaya rêva un lno.
ment, & dit au Calise:
Donne-moy trois mois de
temps pour peser ces deux
presens; & pour faire encore
division
y
donne-moy
encore un autre objet à
desirer
,
qui est celuy de
la Couronne Poëtique &
le Triomphe qui s'accorde
au premier Poète de dix
ans en dix ans.
Le Calife luy donna encore
ce choix & les trois
mois qu'illuy demandoit
pour le déterminer. Ces
trois mois écoulez, il dit
au Calife, qu'il avoit demandé
ce temps pour voir
si son amour ou la haine
de Hattebédiminuëroient.
Hattebé qui estoit
presente luy cria devant
le Calife, avec une faillie
sans reflelhir: Eh! croistu
que trois moisd'âge &
de langueur t'ayent embelli.
Non certes, répondit
le Poëte, mais ce que tu
me dis a diminué ta beauté
à mes yeux; ainsi je
n'ay plus à déliberer que
sur l'argent&la gloire; &
pour me déterminer
,
je
demande six mois.
Les six mois de délay
luy furent accordez, aprés
quoy il dit au Calife
qu'il avoit demandé un
délay double de l'autre,
parce qu'il falloit bien
plus de temps au Sage
pour se guerir de l'avarice
que de l'amour;mais
qu'efin il le quittoit de ses
richesses& les refusa.
Acceptez donc le triomphe
&la couronne Poëtique
, luy repliqua le CSlife.
Pour sçavoir si je l'accepteray
ou non , jetedemande
un an de delay.
En effet,lePoëteFilososefut
une année sans vouloir
accepter le Triomphe
& l'an écoulé, il vint &
dit au Calife que le Sage
se guerissoit en peu de
temps de l'amour comme
il avoit fait en trois mois,
qu'illuy avoit fallu le double
pour se guerir de l'avarice
, mais que la vanité,
& sur tout des Auteurs
, augmentant avec
l'âge plutôt que de diminuër,
c'estoit merveilles
qu'il n'eut demandé qu'un
an pour s'en guerir, mais
qu'il en estoit tellement
gueri qu'il refusoit la Couronne
& le Triomphe de
Poëte, parce qu'il en connoissoit
un au-dessus de
luy. Mais,continua-t-il,
quand on a renoncé aux
premiers honneurs de la
Poësie & qu'on se croit
inferieur à quelqu'un, il
ne faut plus faire de Vers ;
ainÍÏ je me retranche àma
Filosofie.
Le Calife luy répondit:
Vous aurez donc la Couronne
& le Triomphe
comme Filosofe, & je
vous tiens à present pour
leplus grand de tous ceux
qquueeJj'aayy)ajatmllaaislSccoonnnnuuss,,
& le Calife lecontraignit
à recevoir des honneurs
qu'il refusoit obstinement.
MOutalaya, natif de
Hayatamar., petite Ville
proche de Medine, s'établit
à Bagdad, où il se fit
vendeur de Craches, &
ensuite s'acquit beaucoup
de réputation par sa Poësie,
& sur tout par sa Filosofie.
On disoit de luy
qu'il cadençoit toutes les
avions comme les Vers,
& à cause de sa grande
moderation on l'appella
d'un mot Arabe qui signifioit
le Peseur de Desirs
Malgré cela il se rendit celebre
par son amour pour
Hattebé, maistresse du
Calife Almondi, ayant
obtenu du Calife permission
de faire un presènt
à Hattebé le jour d'une
Feste. Il prefenca à
Hattebéen presence
du Prince une haute
Piramide de carton, au
bas de laquelle estoit representé
le Calife avec sa
Maistresse, &du bas de la
Piramide en haut tournoie
en spirale une bande de
roseaux portez par de petits
Amours serpentant dé
bas en haut, où estoient
écrits des Vers, qui marquoienr
qne le Vendeur
de Cruches portoit ses de-
-
sirs -jut'qu-aux plaisirs de -
son Maistre
, & les Amours
tenoient des balances
rompuës fous leurs
pieds, marque que luy,
qu'on appelloit le Pesèur
de desirs , n'avait point
pesé ccluy qui le portoità
un si haut point. D'abord
le present fut pris pour
une idée poëtique, mais
Moutalaya tomba en langueur
& pensa mourir de
son amour : en forte que
le Calife en ayant pitié,
luy promit de luy faire
present de Hattebé. Sa parole
donnée, Hattebé se
jetta en pleurs aux pieds
du Calife pour nestre
point livrée à un homme
si laid,car Moutalaya l'é.
toit beaucoup. Le Calife
ne voulant pas retirer sa
parole, envoya chercher
le Poëteamoureux, & luy
dit: 0 toy qui pese tes
desirs, regarde Hattebé
d'un côté de la balance,
& de l'autre ce grand vase
d'argent, &,- choisis. Oh,
luy répondit le Poëte
,
ton vase pese moins pour
moy qu'une plume de l'asle
de l'Amour qui m'a
blessé. En même temps le
Calife ordonna qu'on jettât
à poignée de l'or dans
le vase, & dit au Poëte.
Avertis- moy quand le
poids sera égal à celuy de
ton amour. Moutalaya
qui comprit par la profusion
du Calife qu'il avoit
peine àluy donner Hattebé3
luy cria:Arreste
,
le
poids est trébuchant.
Alors le Calife qui avoit
beaucoup desprit luy
dit: Ajoûte- donc ducôté
d'Hattebé, qu'elle ne peut
se résoudre à t'aimer, ou
plutôt qu'elle te haïra si
tu l'exige de moy )
& par
cette circonstance
3 prens
le vase sans balancer.
Moutalaya rêva un lno.
ment, & dit au Calise:
Donne-moy trois mois de
temps pour peser ces deux
presens; & pour faire encore
division
y
donne-moy
encore un autre objet à
desirer
,
qui est celuy de
la Couronne Poëtique &
le Triomphe qui s'accorde
au premier Poète de dix
ans en dix ans.
Le Calife luy donna encore
ce choix & les trois
mois qu'illuy demandoit
pour le déterminer. Ces
trois mois écoulez, il dit
au Calife, qu'il avoit demandé
ce temps pour voir
si son amour ou la haine
de Hattebédiminuëroient.
Hattebé qui estoit
presente luy cria devant
le Calife, avec une faillie
sans reflelhir: Eh! croistu
que trois moisd'âge &
de langueur t'ayent embelli.
Non certes, répondit
le Poëte, mais ce que tu
me dis a diminué ta beauté
à mes yeux; ainsi je
n'ay plus à déliberer que
sur l'argent&la gloire; &
pour me déterminer
,
je
demande six mois.
Les six mois de délay
luy furent accordez, aprés
quoy il dit au Calife
qu'il avoit demandé un
délay double de l'autre,
parce qu'il falloit bien
plus de temps au Sage
pour se guerir de l'avarice
que de l'amour;mais
qu'efin il le quittoit de ses
richesses& les refusa.
Acceptez donc le triomphe
&la couronne Poëtique
, luy repliqua le CSlife.
Pour sçavoir si je l'accepteray
ou non , jetedemande
un an de delay.
En effet,lePoëteFilososefut
une année sans vouloir
accepter le Triomphe
& l'an écoulé, il vint &
dit au Calife que le Sage
se guerissoit en peu de
temps de l'amour comme
il avoit fait en trois mois,
qu'illuy avoit fallu le double
pour se guerir de l'avarice
, mais que la vanité,
& sur tout des Auteurs
, augmentant avec
l'âge plutôt que de diminuër,
c'estoit merveilles
qu'il n'eut demandé qu'un
an pour s'en guerir, mais
qu'il en estoit tellement
gueri qu'il refusoit la Couronne
& le Triomphe de
Poëte, parce qu'il en connoissoit
un au-dessus de
luy. Mais,continua-t-il,
quand on a renoncé aux
premiers honneurs de la
Poësie & qu'on se croit
inferieur à quelqu'un, il
ne faut plus faire de Vers ;
ainÍÏ je me retranche àma
Filosofie.
Le Calife luy répondit:
Vous aurez donc la Couronne
& le Triomphe
comme Filosofe, & je
vous tiens à present pour
leplus grand de tous ceux
qquueeJj'aayy)ajatmllaaislSccoonnnnuuss,,
& le Calife lecontraignit
à recevoir des honneurs
qu'il refusoit obstinement.
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Résumé : Trait d'Histoire Arabe.
Moutalaya, originaire de Hayatamar près de Médine, s'installa à Bagdad où il débuta comme vendeur de cruches. Il se distingua rapidement par sa poésie et sa philosophie, ce qui lui valut le surnom de 'Peseur de Désirs' en raison de sa modération. Il tomba amoureux de Hattebé, la maîtresse du calife Almondi, et obtint la permission de lui offrir un présent lors d'une fête. Il lui présenta une pyramide de carton symbolisant ses désirs et son amour pour elle. Le calife, impressionné par la poésie de Moutalaya, lui proposa de choisir entre Hattebé et un grand vase d'argent rempli d'or. Moutalaya refusa l'or, préférant l'amour. Le calife lui accorda alors trois mois pour réfléchir. Après ce délai, Moutalaya demanda six mois supplémentaires pour se guérir de l'avarice. Finalement, il refusa à la fois l'or et la couronne poétique, affirmant connaître un poète supérieur à lui. Le calife lui offrit alors la couronne et le triomphe en tant que philosophe, honneurs que Moutalaya accepta finalement.
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5
p. 1668-1669
ÉPITAPHE, D'UN AVARE.
Début :
Cy gît un homme peu chrétien [...]
Mots clefs :
Avarice, Gratis, Épitaphe
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texteReconnaissance textuelle : ÉPITAPHE, D'UN AVARE.
EPITA PHE ,
D'UN AVARE.
Par M. de Malerais de la Vigne.
CY gât un homme peu chrétien
Dont l'avarice étoit extrême
Le
JUILLET . 1731 . 1663
Le bien des autres fût le sien ,
Et jamais il ne prêta rien ,
Qu'au denier
même.
quatre ou cinq , fût-ce à son Pere
Mets l'oreille à sa Tombe, ô Passant , et fremis ;
Ses os s'entrefroissant font un affreux murmure,
Et semblent s'irriter que tu fasses lecture ,
De son Epitaphe gratis.
D'UN AVARE.
Par M. de Malerais de la Vigne.
CY gât un homme peu chrétien
Dont l'avarice étoit extrême
Le
JUILLET . 1731 . 1663
Le bien des autres fût le sien ,
Et jamais il ne prêta rien ,
Qu'au denier
même.
quatre ou cinq , fût-ce à son Pere
Mets l'oreille à sa Tombe, ô Passant , et fremis ;
Ses os s'entrefroissant font un affreux murmure,
Et semblent s'irriter que tu fasses lecture ,
De son Epitaphe gratis.
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6
p. 2804-2805
IMITATION de l'Ode d'Horace, qui commence par ces mots: Nullus argento color est, &c. A M. F. Avocat à Saint Sauveur-le-Vicomte.
Début :
Des métaux estimez qu'enserre [...]
Mots clefs :
Imitation, Argent, Avarice, Amour, Vertu, Bassesse, Horace
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texteReconnaissance textuelle : IMITATION de l'Ode d'Horace, qui commence par ces mots: Nullus argento color est, &c. A M. F. Avocat à Saint Sauveur-le-Vicomte.
IMITATION de l'Ode d'Horace ,
qui commence par ces mots : Nullus
argento color est , &c.
A M. F. Avocat à Saint Sauveur
le-Vicomte.
DEs métaux estimez qu'enserre
Le centre avare de la terre
Ennemi toujours déclaré ,
Crispe , l'argent aux yeux du Sage
Brille seulement par l'usage
Qu'en sçait faire un cœur moderé.
諾
Les cent voix de la Nymphe aîlée
Far tout vanteront Proculée ;
Et l'amour vraiment paternel ,
Qu'au fort des plus grandes miseres
En lui reconnurent ses freres ,
Rendra son honneur éternel.
Çelui , qui maître de son ame
En bannit l'avarice infâme ,
Fégne plus souverainement ,
Que si de ses loix redoutées ,
II. Vol. L'Eu
DECEMBRE. 1732 2805
L'Europe et l'Affrique domptées
Portoient le joug docilement.
Envain de la soif qui le presse ,
L'Hydropique en bûvant sans cesse
Espere calmer la rigueur ;
Il ne fera qu'aigrir ses peines ,
Tandis qu'il aura dans les veines
Le principe de sa langueur.
諾
Phraate est remis sur le Trône;
Mais de l'éclat qui l'environne
La vertu connoissant le prix .
Bien differente du vulgaire
Pour ce bonheur imaginaire
N'aurajamais que du mépris.
Libre d'une bassesse indigne ,
Et toujours intégre elle assigne
Les vrais honneurs , les premiers rangs
A ceux qui doüez de sagesse
Peuvent regarder la richesse
Avec des yeux indiférens.
F. M. F.
qui commence par ces mots : Nullus
argento color est , &c.
A M. F. Avocat à Saint Sauveur
le-Vicomte.
DEs métaux estimez qu'enserre
Le centre avare de la terre
Ennemi toujours déclaré ,
Crispe , l'argent aux yeux du Sage
Brille seulement par l'usage
Qu'en sçait faire un cœur moderé.
諾
Les cent voix de la Nymphe aîlée
Far tout vanteront Proculée ;
Et l'amour vraiment paternel ,
Qu'au fort des plus grandes miseres
En lui reconnurent ses freres ,
Rendra son honneur éternel.
Çelui , qui maître de son ame
En bannit l'avarice infâme ,
Fégne plus souverainement ,
Que si de ses loix redoutées ,
II. Vol. L'Eu
DECEMBRE. 1732 2805
L'Europe et l'Affrique domptées
Portoient le joug docilement.
Envain de la soif qui le presse ,
L'Hydropique en bûvant sans cesse
Espere calmer la rigueur ;
Il ne fera qu'aigrir ses peines ,
Tandis qu'il aura dans les veines
Le principe de sa langueur.
諾
Phraate est remis sur le Trône;
Mais de l'éclat qui l'environne
La vertu connoissant le prix .
Bien differente du vulgaire
Pour ce bonheur imaginaire
N'aurajamais que du mépris.
Libre d'une bassesse indigne ,
Et toujours intégre elle assigne
Les vrais honneurs , les premiers rangs
A ceux qui doüez de sagesse
Peuvent regarder la richesse
Avec des yeux indiférens.
F. M. F.
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Résumé : IMITATION de l'Ode d'Horace, qui commence par ces mots: Nullus argento color est, &c. A M. F. Avocat à Saint Sauveur-le-Vicomte.
Le texte est une imitation de l'Ode d'Horace dédiée à M. F., avocat à Saint-Sauveur-le-Vicomte. Il explore la valeur des métaux précieux et la sagesse dans leur usage. L'argent, bien que précieux, ne brille que par l'usage modéré qu'en fait un cœur sage. La vertu et l'amour paternel sont loués, comme dans le cas de Proculée, qui a montré un amour fraternel dans l'adversité. Le texte met en garde contre l'avarice, comparant l'hydropique qui boit sans cesse à celui qui cherche vainement à apaiser sa soif d'argent. Phraate, remis sur le trône, ne se laisse pas aveugler par l'éclat de sa position et connaît la véritable valeur de la vertu. La vertu, libre de toute bassesse, accorde les vrais honneurs à ceux qui, doués de sagesse, considèrent la richesse avec indifférence.
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7
p. 2387-2391
TRADUCTION du Testament de Pierre Pithou.
Début :
Né dans un siecle corrompu et parmi des moeurs entierement perduës, [...]
Mots clefs :
Testament, Amis, Avarice, Justice, République, Guerres, Gens de bien, Ennemis, Religion
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texteReconnaissance textuelle : TRADUCTION du Testament de Pierre Pithou.
TRADUCTION du Testament de
Pierre Pithou.
N
E' dans un siecle corrompu et parmi
des moeurs entierement perduës
, j'ai conservé la bonne foy et la
droiture autant que j'ay pû.
J'ai chéri , j'ai cultivé mes amis avec
une affection entiere, J'ai été plus sensible
au plaisir de vaincre mes ennemis
par des bienfaits , ou de les laisser dans
l'indifference , qu'à celui de me venger.
Ma femme m'a tenu lieu d'un autre
C vj moi2388
MERCURE DE FRANCE
moi- même j'ai élevé mes enfans avec
indulgence ; j'ai agi avec mes Domesti
ques comme avec des hommes .
J'ai haï le vice , même dans mes plus
proches ; mais j'ai adoré la vertu jusques
dans les Etrangers et dans mes ennemis .
J'ai eu plus de soin de conserver que
d'augmenter mon bien .
Je n'ai point fait et n'ai point souffert
qu'il fût fait aux autres ce que je
n'aurois point voulu que l'on me fit.
Une grace injuste où difficilement ob
tenuë , m'a parû trop cherement achetée.
J'ai regardé la crapule et l'avarice
comme des Monstres détestables dans
tous les hommes , mais sur tout dans les
Ministres de l'Eglise et dans ceux de la
Justice.
Adolescent , jeune homme , homme
fait , j'ai toûjours déféré à la vieillesse .
J'ai aimé uniquement ma Patrie .
Le rang , les honneurs , la Magistra-.
ture , ont eu moins d'attraits pour moi
que le désir d'être occupé ; plus content
d'agir que de commander.
Bien que je ne fusse que Particulier ,
je me suis empressé à être utile au Public;
je l'ai préferé à tout, et j'ai crû que
le parti le plus sûr et le plus avantageux
étoit d'y demeurer attaché .
Ma
NOVEMBRE. 1733 2389
Ma plus chere envie a été de soutenir
et de réparer la République chancelante;
les nouveautez , les changemens , les renversemens
, ne m'ont jamais plû.
Une paix même injuste , ( que les gens
de bien soient de mon avis , ) est plus
avantageuse que les discordes et les
guerres
civiles.
J'ai vu ( a ) avec douleur la Religion ,
la pieté , profanées jusqu'au point de servir
de voile et de prétexte à l'avarice , à
l'ambition et au crime.
Curieux admirateur de la bonne Antiquité
, l'ayant étudiée avec soin , je l'ai
placée au- dessus de la Nouveauté.
J'ai évité , j'ai fui les vaines questions,
les disputes subtiles sur les matieres divines
, comme trop dangereuses.
J'ai connu par experience que la simplicité
accompagnée et comme enveloppée
de la prudence , réussit plus sûrement
et plus heureusement dans ses projets
, que l'artifice et le déguisement.
J'ai moins étudié l'Art de bien dire ,
que la Science qui apprend à juger sai
nement de tour.
(a) Pour l'intelligence de cet article et de quelques
autres, ilfaut se transporter dans les temps ausquels
Pithou vivoit , pendant les guerres de la Religion
et de la Ligue sous les Rois Charles IX. Henry III.
at Henry IV.
2390 MERCURE DE FRANCE
Loin de la foule ambitieuse , sans avarice
, sans envie , au milieu de plusieurs
amis , gens de bien et puissants , dans une
fortune assez commode , j'ai ressenti des
inquiétudes inconnues aux Particuliers .
Il est vrai que les affaires de la République
et celles de mes amis , me les attirerent
plus que les miennes propres.
J'ai compté pour les jours de ma vie
les plus agréables , ceux où j'ai servi le-
Public et mes amis.
Les maux présens m'ont parû plus aisez
à supporter que la vûë de ceux qui me
menaçoient. J'ai soutenu les dernieres
extrémitez avec plus de fermeté qu'un
état flotant et irrésolu .
Pour faire taire la censure la plus maligne,
et pour réprimer les traits plus violens,
j'ay éprouvé qu'il falloit être ferme,
constant , sincere , égal pour tous , dans
l'administration de la Justice .
Que les Loix plutôt que ma volonté ,
décident sur mes biens, quels qu'ils puissent
être après ma mort.
Je ne desire qu'une chose et je l'espere ,
c'est que ma femme , si remplie de vertu
et qui me fut si chere , ait pour nos enfans
les sentimens , les bontez et les mêmes
soins , dont elle m'a comblé pendant
ma vie.
Tes
NOVEMBRE. 1733. 2391
Tels ont été mes sentimens ; tel est le
témoignage de ma conscience ; demandant
en grace à ceux de la Posterité qui
le liront , de le recevoir avec bonté et
de l'interpréter dans un esprit aussi simple
et aussi droit que celui dont je l'ai
écrit.
Fait à Paris. par moi Pierre Pithou , en
l'année 1,87. le premier de Novembre ,
à pareil jour que celui de ma naissance .
Pierre Pithou.
N
E' dans un siecle corrompu et parmi
des moeurs entierement perduës
, j'ai conservé la bonne foy et la
droiture autant que j'ay pû.
J'ai chéri , j'ai cultivé mes amis avec
une affection entiere, J'ai été plus sensible
au plaisir de vaincre mes ennemis
par des bienfaits , ou de les laisser dans
l'indifference , qu'à celui de me venger.
Ma femme m'a tenu lieu d'un autre
C vj moi2388
MERCURE DE FRANCE
moi- même j'ai élevé mes enfans avec
indulgence ; j'ai agi avec mes Domesti
ques comme avec des hommes .
J'ai haï le vice , même dans mes plus
proches ; mais j'ai adoré la vertu jusques
dans les Etrangers et dans mes ennemis .
J'ai eu plus de soin de conserver que
d'augmenter mon bien .
Je n'ai point fait et n'ai point souffert
qu'il fût fait aux autres ce que je
n'aurois point voulu que l'on me fit.
Une grace injuste où difficilement ob
tenuë , m'a parû trop cherement achetée.
J'ai regardé la crapule et l'avarice
comme des Monstres détestables dans
tous les hommes , mais sur tout dans les
Ministres de l'Eglise et dans ceux de la
Justice.
Adolescent , jeune homme , homme
fait , j'ai toûjours déféré à la vieillesse .
J'ai aimé uniquement ma Patrie .
Le rang , les honneurs , la Magistra-.
ture , ont eu moins d'attraits pour moi
que le désir d'être occupé ; plus content
d'agir que de commander.
Bien que je ne fusse que Particulier ,
je me suis empressé à être utile au Public;
je l'ai préferé à tout, et j'ai crû que
le parti le plus sûr et le plus avantageux
étoit d'y demeurer attaché .
Ma
NOVEMBRE. 1733 2389
Ma plus chere envie a été de soutenir
et de réparer la République chancelante;
les nouveautez , les changemens , les renversemens
, ne m'ont jamais plû.
Une paix même injuste , ( que les gens
de bien soient de mon avis , ) est plus
avantageuse que les discordes et les
guerres
civiles.
J'ai vu ( a ) avec douleur la Religion ,
la pieté , profanées jusqu'au point de servir
de voile et de prétexte à l'avarice , à
l'ambition et au crime.
Curieux admirateur de la bonne Antiquité
, l'ayant étudiée avec soin , je l'ai
placée au- dessus de la Nouveauté.
J'ai évité , j'ai fui les vaines questions,
les disputes subtiles sur les matieres divines
, comme trop dangereuses.
J'ai connu par experience que la simplicité
accompagnée et comme enveloppée
de la prudence , réussit plus sûrement
et plus heureusement dans ses projets
, que l'artifice et le déguisement.
J'ai moins étudié l'Art de bien dire ,
que la Science qui apprend à juger sai
nement de tour.
(a) Pour l'intelligence de cet article et de quelques
autres, ilfaut se transporter dans les temps ausquels
Pithou vivoit , pendant les guerres de la Religion
et de la Ligue sous les Rois Charles IX. Henry III.
at Henry IV.
2390 MERCURE DE FRANCE
Loin de la foule ambitieuse , sans avarice
, sans envie , au milieu de plusieurs
amis , gens de bien et puissants , dans une
fortune assez commode , j'ai ressenti des
inquiétudes inconnues aux Particuliers .
Il est vrai que les affaires de la République
et celles de mes amis , me les attirerent
plus que les miennes propres.
J'ai compté pour les jours de ma vie
les plus agréables , ceux où j'ai servi le-
Public et mes amis.
Les maux présens m'ont parû plus aisez
à supporter que la vûë de ceux qui me
menaçoient. J'ai soutenu les dernieres
extrémitez avec plus de fermeté qu'un
état flotant et irrésolu .
Pour faire taire la censure la plus maligne,
et pour réprimer les traits plus violens,
j'ay éprouvé qu'il falloit être ferme,
constant , sincere , égal pour tous , dans
l'administration de la Justice .
Que les Loix plutôt que ma volonté ,
décident sur mes biens, quels qu'ils puissent
être après ma mort.
Je ne desire qu'une chose et je l'espere ,
c'est que ma femme , si remplie de vertu
et qui me fut si chere , ait pour nos enfans
les sentimens , les bontez et les mêmes
soins , dont elle m'a comblé pendant
ma vie.
Tes
NOVEMBRE. 1733. 2391
Tels ont été mes sentimens ; tel est le
témoignage de ma conscience ; demandant
en grace à ceux de la Posterité qui
le liront , de le recevoir avec bonté et
de l'interpréter dans un esprit aussi simple
et aussi droit que celui dont je l'ai
écrit.
Fait à Paris. par moi Pierre Pithou , en
l'année 1,87. le premier de Novembre ,
à pareil jour que celui de ma naissance .
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Résumé : TRADUCTION du Testament de Pierre Pithou.
Dans son testament, Pierre Pithou expose ses valeurs et principes de vie. Il affirme avoir maintenu la bonne foi et la droiture malgré un siècle corrompu. Il a chéri ses amis et préféré vaincre ses ennemis par des bienfaits plutôt que par la violence. Il a élevé ses enfants avec indulgence et a traité ses domestiques avec humanité. Pithou a haï le vice même chez ses proches et a admiré la vertu chez tous. Il a choisi de conserver son bien plutôt que de l'augmenter et a évité de faire ou de subir ce qu'il n'aurait pas voulu endurer. Il a méprisé la crapule et l'avarice, surtout chez les ministres de l'Église et de la justice. Il a toujours respecté la vieillesse et aimé sa patrie plus que les honneurs. Bien qu'étant un particulier, il s'est efforcé d'être utile au public et a soutenu la République chancelante. Il a été attristé par la profanation de la religion et a étudié la bonne antiquité avec soin. Pithou a évité les disputes subtiles sur les matières divines et a préféré la simplicité à l'artifice. Il a vécu sans avarice ni envie, mais avec des inquiétudes dues aux affaires de la République et de ses amis. Il souhaite que ses biens soient répartis selon les lois et que sa femme continue de prendre soin de leurs enfants avec les mêmes soins qu'elle lui a portés. Enfin, il demande à la postérité de recevoir son témoignage avec bonté et droiture.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 2808-2816
REFLEXIONS.
Début :
Selon ce proverbe plein de sens ; Non e degne di esser obedito, chi non ha [...]
Mots clefs :
Colère, Amis, Avarice, Réflexions, Amour, Juge, Monde
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
Elon ce proverbe plein de sens ; Non
e degne di esser obedito , chi non ha ·
modo di esser amato.
II. Vol. Gli
DECEMBRE. 1733. 2809
Gli amici falsi sono come l'ombra dell
borivolo , che se il tempo è soreno apparisce
, s'è nebulose s'asconde.
Dans quelque liaison qu'on soit avec
son ami , et quelque épreuve qu'on en
ait faite , il est toujours d'un homme
sage de se réserver un secret pour soimême.
Ama ut oditurus , odi ut amaturus ....
En amitié on ne commence guere sans
y penser , mais en amour on commence
toujours sans refléxion. Aussi tous les
commencemens de l'amour sont semblables
, mais les suites sont differentes.
Les retours de l'amitié sont difficiles ;
ceux de l'amour sont fort aisez .
Quand nos amis nous ont trompés , on
ne doit avoir que de l'indifference pour
eux ; mais on doit toujours de la sensibilité
à leurs malheurs.
Quand on sçait se faire des amis par
ses bienfaits plutôt que par son mérite ,
on est bien digne d'en avoir , mais on
n'en a pas pour cela.
Un bon coeur approuve autant la ma-
11. Vol. Cv xime
2810 MERCURE DE FRANCE
xime de ne haïr que comme pouvant
aimer un jour , qu'il déteste celle de
n'aimer que comme si un jour on devoit
haïr.
Amigo de todos y ninguno , tode es uno.
De amigo reconciliado , guarte del come
del Diablo.
Quien de todos es amigo , o es muy pobre,
• muy rico.
Il vaut mieux être juge entre ses ennemis
qu'entre ses amis , parce qu'étant
juge entre ses ennemis. , on est assuré
au moins de se faire un ami ; mais étant
juge entre ses amis , on est assuré de se
faire un ennemi et quelquefois plusieurs.
L'avarice est un mal si incurable , qu'il
semble que le temps et la mort même
ne peuvent rien sur sa tyrannie.
La prodigalité est un grand vice à la
verité , mais qui ne fait du mal qu'à
soi même et dont les autres se trouvent
bien. L'avarice est odieuse à tout le monde
, elle nuit à soi et aux autres . Nullum
etiam vitium tetrius avaritia , dit Ciceron,
I I. Vol.
pròligus
DECEMBRE. 1733. 2817
prodigus avaro esse melior videtur , quia
ipso multis , illiberalis nemini prodest , immo
nec sibi quidam utilis avaritia .
La prodigalité peut se guérir , mais
l'avarice est une maladie désesperée qui
croît avec l'âge.
Chaque passion a ses plaisirs , et quoi
qu'on regarde la vie d'un avaricieux comme
la plus miserable du monde, jusqueslà
qu'on croit que le plus grand mal qui
puisse lui arriver , c'est qu'il vive longtemps
; cependant le plaisir qu'il a de
posseder son argent , de le voir , de le
compter , d'y songer , lui tient lieu des
plus grandes joyes , et il n'y en a point
dans le monde auxquelles il fut si sensible.
L'Avare croit qu'il n'aura jamais assez
de biens ; son avidité pour ceux qu'il
n'a pas , lui ôte le moyen de jouir de
ceux qui sont en sa possession , et on
peut dire que les richesses le possedent
et qu'il ne les possede pas.
Un Avare ne fait du bien à personne ,
pas même à soy ; et il n'use pas plus
de ce qu'il a , comme de ce qu'il n'a pas.
Tam deest avaro quod habet , quam quod
non habet . Horat .
II. Vol
V ] L
2812 MERCURE DE FRANCE
L'avarice loüable est celle du temps ,
qu'on ne sçauroit trop ménager.
On est toujours très- étroitement attaché
à ce qu'on craint de perdre , et
à ce que les autres nous envient , en sorte
qu'on peut assurer qu'un Avare cesseroit
de l'être , s'il pouvoit se persuader
que personne ne lui envie ses richesses
et qu'il les possedera toujours ; l'inquiétude
nourrit l'amour qu'on a pour elles.
Non luget quisquis laudari , Gallia quarit ;
Ille dolet verè , qui sine teste dolet . Mart.
Les pleurs d'un heritier sont des ris
cachez sous un masque . Heredis fletus sub
persona risus est. Publ. Syrus.
Les disgraces et les infortunes nous
surprendroient moins si nous faisions reflexion
sur la condition de notre nature
et sur les miseres qui en sont inséparables.
On ne doit pas plus se desesperer dans
l'adversité , que se confier trop dans la
prosperité.
Quelque inégalité qui paroisse dans La
distribution des adversitez , Socrate as-
II. Vol. sure
DECEMBRE. 1733 2813
sure que si chacun apportoit toutes ses
peines pour être mises avec celles des
autres , et ensuite partagées entre tous
les hommes en parties égales , chacun
reprendroit bien vîte les siennes , sans
vouloir les partager.
Dans toutes les disgraces qui peuvent
arriver pendant la vie , le comble de
l'infortune c'est d'avoir été heureux . In
omni adversitate fortuna in felicissimum
genus est infortunii , fuisse foelicem. Boece ,
1. 2. de Consolat.
Les grandes afflictions sont muettes ,
et les petites parlent . Cura leves loquuntur
, ingentes stupent. Senec .
Le souvenir des plaisirs passez est d'un
foible secours aux afflictions présentes.
Toute affliction est supportable quand
on a du pain ; mais sans pain tout est
affliction.
Nous devons voir nos amis dans la
prosperité , lorsqu'ils nous en prient ;
mais quand la fortune leur est contraire
et qu'ils sont dans l'adversité , il faut
y courir sans attendre qu'on soit appellé.
II. Vol.
c'est
2814 MERCURE DE FRANCE
C'est l'ordinaire à ceux qui profitent
à la mort de quelqu'un de paroître toujours
les plus affligez. Nulli jactantius
mærent , quam qui maxime lætantur.
Il y a des douleurs que l'on sent davantage
quelque temps après qu'on a
commencé de les sentir , que lorsqu'on
les sent pour la premiere fois.
Nous avons beau nous piquer d'avoir
le coeur bon pour nos amis , nous ne
sentons leurs malheurs que legerement ,
du moins nous ne les sentons pas longtemps
; car presque toutes les douleurs
de compassion sont des douleurs passageres,
dont la moindre distraction soulage.
Il est mal- aisé que celui qui a le feu
en sa maison , porte de l'eau pour éteindre
l'embrasement de son voisin .
La colere est de toutes les passions la
plus dangereuse ; elle ne produit que de
méchants effets , et marque la foiblesse
de celui qu'elle possede ; car il se laisse
aller au torrent qui l'entraîne , sans voir
le précipice et sans consulrer sa raison
qui pourroit l'en détourner et l'en rendre
maître .
11. Vol. La
DECEMBRE. 1733. 2815
La raison ne veut pas toujours qu'on
trouve juste ce qui est veritablement
justę; mais la colere veut qu'on trouve
juste tout ce qu'elle estime juste.
Sono poco da temersi , coloro aquali la lingua
serve per ispada : la colera che isfoga
per la bocca , non isfoga par le mani.
Les invectives et les menaces sont presque
, toujours l'effet et la marque d'une
colere impuissante , qui d'ordinaire ne
diminuent pas la bonne opinion qu'on
a de ceux qu'on attaque.
Non teme il colerico , perche rimira l'oggetto
inquanto lo puo offendere ; non , -inquanto
puo essèr egli offeso.
ރ
La colere la plus aigre et la plus dange
reuse est celle qui sort d'un sujet dont
la vie est molle et effeminée , car les plus
foibles sont les plus susceptibles mouvemens
de cette passion. On le voit assez
dans les ignorans , les malades , les vieil
lards , les femmes et les enfans.
La colere fait toujours trouver nos
raisons meilleures qu'elles ne sont.
II. Vol.
On
2816 MERCURE DE FRANCE
On est presque toujours obligé de continuer
de sang froid , ce qu'on a commencé
en colere .
Elon ce proverbe plein de sens ; Non
e degne di esser obedito , chi non ha ·
modo di esser amato.
II. Vol. Gli
DECEMBRE. 1733. 2809
Gli amici falsi sono come l'ombra dell
borivolo , che se il tempo è soreno apparisce
, s'è nebulose s'asconde.
Dans quelque liaison qu'on soit avec
son ami , et quelque épreuve qu'on en
ait faite , il est toujours d'un homme
sage de se réserver un secret pour soimême.
Ama ut oditurus , odi ut amaturus ....
En amitié on ne commence guere sans
y penser , mais en amour on commence
toujours sans refléxion. Aussi tous les
commencemens de l'amour sont semblables
, mais les suites sont differentes.
Les retours de l'amitié sont difficiles ;
ceux de l'amour sont fort aisez .
Quand nos amis nous ont trompés , on
ne doit avoir que de l'indifference pour
eux ; mais on doit toujours de la sensibilité
à leurs malheurs.
Quand on sçait se faire des amis par
ses bienfaits plutôt que par son mérite ,
on est bien digne d'en avoir , mais on
n'en a pas pour cela.
Un bon coeur approuve autant la ma-
11. Vol. Cv xime
2810 MERCURE DE FRANCE
xime de ne haïr que comme pouvant
aimer un jour , qu'il déteste celle de
n'aimer que comme si un jour on devoit
haïr.
Amigo de todos y ninguno , tode es uno.
De amigo reconciliado , guarte del come
del Diablo.
Quien de todos es amigo , o es muy pobre,
• muy rico.
Il vaut mieux être juge entre ses ennemis
qu'entre ses amis , parce qu'étant
juge entre ses ennemis. , on est assuré
au moins de se faire un ami ; mais étant
juge entre ses amis , on est assuré de se
faire un ennemi et quelquefois plusieurs.
L'avarice est un mal si incurable , qu'il
semble que le temps et la mort même
ne peuvent rien sur sa tyrannie.
La prodigalité est un grand vice à la
verité , mais qui ne fait du mal qu'à
soi même et dont les autres se trouvent
bien. L'avarice est odieuse à tout le monde
, elle nuit à soi et aux autres . Nullum
etiam vitium tetrius avaritia , dit Ciceron,
I I. Vol.
pròligus
DECEMBRE. 1733. 2817
prodigus avaro esse melior videtur , quia
ipso multis , illiberalis nemini prodest , immo
nec sibi quidam utilis avaritia .
La prodigalité peut se guérir , mais
l'avarice est une maladie désesperée qui
croît avec l'âge.
Chaque passion a ses plaisirs , et quoi
qu'on regarde la vie d'un avaricieux comme
la plus miserable du monde, jusqueslà
qu'on croit que le plus grand mal qui
puisse lui arriver , c'est qu'il vive longtemps
; cependant le plaisir qu'il a de
posseder son argent , de le voir , de le
compter , d'y songer , lui tient lieu des
plus grandes joyes , et il n'y en a point
dans le monde auxquelles il fut si sensible.
L'Avare croit qu'il n'aura jamais assez
de biens ; son avidité pour ceux qu'il
n'a pas , lui ôte le moyen de jouir de
ceux qui sont en sa possession , et on
peut dire que les richesses le possedent
et qu'il ne les possede pas.
Un Avare ne fait du bien à personne ,
pas même à soy ; et il n'use pas plus
de ce qu'il a , comme de ce qu'il n'a pas.
Tam deest avaro quod habet , quam quod
non habet . Horat .
II. Vol
V ] L
2812 MERCURE DE FRANCE
L'avarice loüable est celle du temps ,
qu'on ne sçauroit trop ménager.
On est toujours très- étroitement attaché
à ce qu'on craint de perdre , et
à ce que les autres nous envient , en sorte
qu'on peut assurer qu'un Avare cesseroit
de l'être , s'il pouvoit se persuader
que personne ne lui envie ses richesses
et qu'il les possedera toujours ; l'inquiétude
nourrit l'amour qu'on a pour elles.
Non luget quisquis laudari , Gallia quarit ;
Ille dolet verè , qui sine teste dolet . Mart.
Les pleurs d'un heritier sont des ris
cachez sous un masque . Heredis fletus sub
persona risus est. Publ. Syrus.
Les disgraces et les infortunes nous
surprendroient moins si nous faisions reflexion
sur la condition de notre nature
et sur les miseres qui en sont inséparables.
On ne doit pas plus se desesperer dans
l'adversité , que se confier trop dans la
prosperité.
Quelque inégalité qui paroisse dans La
distribution des adversitez , Socrate as-
II. Vol. sure
DECEMBRE. 1733 2813
sure que si chacun apportoit toutes ses
peines pour être mises avec celles des
autres , et ensuite partagées entre tous
les hommes en parties égales , chacun
reprendroit bien vîte les siennes , sans
vouloir les partager.
Dans toutes les disgraces qui peuvent
arriver pendant la vie , le comble de
l'infortune c'est d'avoir été heureux . In
omni adversitate fortuna in felicissimum
genus est infortunii , fuisse foelicem. Boece ,
1. 2. de Consolat.
Les grandes afflictions sont muettes ,
et les petites parlent . Cura leves loquuntur
, ingentes stupent. Senec .
Le souvenir des plaisirs passez est d'un
foible secours aux afflictions présentes.
Toute affliction est supportable quand
on a du pain ; mais sans pain tout est
affliction.
Nous devons voir nos amis dans la
prosperité , lorsqu'ils nous en prient ;
mais quand la fortune leur est contraire
et qu'ils sont dans l'adversité , il faut
y courir sans attendre qu'on soit appellé.
II. Vol.
c'est
2814 MERCURE DE FRANCE
C'est l'ordinaire à ceux qui profitent
à la mort de quelqu'un de paroître toujours
les plus affligez. Nulli jactantius
mærent , quam qui maxime lætantur.
Il y a des douleurs que l'on sent davantage
quelque temps après qu'on a
commencé de les sentir , que lorsqu'on
les sent pour la premiere fois.
Nous avons beau nous piquer d'avoir
le coeur bon pour nos amis , nous ne
sentons leurs malheurs que legerement ,
du moins nous ne les sentons pas longtemps
; car presque toutes les douleurs
de compassion sont des douleurs passageres,
dont la moindre distraction soulage.
Il est mal- aisé que celui qui a le feu
en sa maison , porte de l'eau pour éteindre
l'embrasement de son voisin .
La colere est de toutes les passions la
plus dangereuse ; elle ne produit que de
méchants effets , et marque la foiblesse
de celui qu'elle possede ; car il se laisse
aller au torrent qui l'entraîne , sans voir
le précipice et sans consulrer sa raison
qui pourroit l'en détourner et l'en rendre
maître .
11. Vol. La
DECEMBRE. 1733. 2815
La raison ne veut pas toujours qu'on
trouve juste ce qui est veritablement
justę; mais la colere veut qu'on trouve
juste tout ce qu'elle estime juste.
Sono poco da temersi , coloro aquali la lingua
serve per ispada : la colera che isfoga
per la bocca , non isfoga par le mani.
Les invectives et les menaces sont presque
, toujours l'effet et la marque d'une
colere impuissante , qui d'ordinaire ne
diminuent pas la bonne opinion qu'on
a de ceux qu'on attaque.
Non teme il colerico , perche rimira l'oggetto
inquanto lo puo offendere ; non , -inquanto
puo essèr egli offeso.
ރ
La colere la plus aigre et la plus dange
reuse est celle qui sort d'un sujet dont
la vie est molle et effeminée , car les plus
foibles sont les plus susceptibles mouvemens
de cette passion. On le voit assez
dans les ignorans , les malades , les vieil
lards , les femmes et les enfans.
La colere fait toujours trouver nos
raisons meilleures qu'elles ne sont.
II. Vol.
On
2816 MERCURE DE FRANCE
On est presque toujours obligé de continuer
de sang froid , ce qu'on a commencé
en colere .
Fermer
Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore plusieurs thèmes, notamment l'amitié, l'amour, l'avarice, la prodigalité et la colère. Il commence par souligner l'importance de l'amitié et la prudence nécessaire dans les relations amicales, notant que les faux amis se révèlent seulement en période de difficulté. Il met en garde contre les dangers de l'amour sans réflexion et les différences entre les retours de l'amitié et de l'amour. L'avarice est décrite comme une maladie incurable qui nuit à la fois à l'avare et aux autres, tandis que la prodigalité, bien que vice, ne fait du mal qu'à soi-même. Le texte discute des plaisirs de l'avarice et l'attachement des avares à leurs richesses. Il aborde également les réactions aux malheurs et aux infortunes, soulignant l'importance de la réflexion sur la condition humaine et les misères inévitables. Le texte conseille de ne pas désespérer dans l'adversité ni se confier excessivement dans la prospérité. Il traite des afflictions, notant que les grandes douleurs sont muettes et que le souvenir des plaisirs passés est un faible secours. Enfin, il analyse la colère, la décrivant comme la passion la plus dangereuse, marquée par la faiblesse et l'absence de raison.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
9
p. 1791-1792
LOGOGRYPHE.
Début :
Qui rend l'homme inquiet et souvent plein deffroi, [...]
Mots clefs :
Avarice
10
p. 59-112
SUITE De l'Extrait de l'Histoire de Simonide, & du siecle où il a vécu, &c.
Début :
Nous avons rendu compte de la premiere partie de cet Ouvrage dans les [...]
Mots clefs :
Simonide, Auteur, Poète, Histoire, Prince, Règne, Témoignage, Carthaginois, Juifs, Sacrifices, Syracusains, Syracuse, Hippocrate, Écrivains, Guerre, Reine, Armée, Pythagore, Sacrifices humains, République, Ruines, Royauté, Nature, Hommes, Jéhovah, Coutume, Livres, Avarice, Habitants
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE De l'Extrait de l'Histoire de Simonide, & du siecle où il a vécu, &c.
SUIT E
De l'Extrait de l'Hiftoire de Simonide ;
& dufiecle où il a vécu , &c .
Ous avons rendu de la
Nmierepartie de cet Ouvrage dans les
Nouvelles du mois d'Octobre. Nous nous
engageâmes alors à donner l'Extrait de la
feconde pour le mois fuivant ; mais des raifons
particulieres nous ont mis dans le cas
de différer plus longtems que nous ne penfions
à remplir notre engagement. Quoiqu'il
en foit , nous y fatisfaifons aujourd'hui
; & nous allons parler de ce que contient
cette feconde partie , qui commence
par un expofé de la conduite que tint
Gelon après avoir triomphé des Carthaginois.
Pour peu que l'on veuille fe fouvenir
du titre de cette hiftoire , & de fon
objet , l'on ceffera d'être furpris de voir
difparoître Simonide pour quelque temps
de deffus la fcene . Il faut d'abord fçavoir
que les Carthaginois étoient entrés en con
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
fédération avec Xerxès qui les avoit attirés
dans fon parti , & étoit convenu avec eux
que tandis qu'il envahiroit la Grece , ils
feroient une irruption en Sicile & en Italie,
pour empêcher ceux qui habitoient ces
contrées de venir au fecours les uns des autres
. Ils choifirent pour Général Hamilcar
qui ayant affemblé une armée de trois cens
mille hommes , & équipé des vaiffeaux à
proportion pour le tranfport de fes troupes
, fit voile vers la Sicile . Il vint débarquer
à Panorme , un des Ports de cette Ifle,
& mit le fiege devant Himéré , ville maritime
du voisinage. Mais les chofes tournerent
au défavantage des Carthaginois
que défirent ceux de cette Ifle fous la conduite
de Gelon qui commandoit l'armée
qu'ils avoient levée à la nouvelle de cette
invafion fubite. Un gros de fa cavalerie
brûla la flotte d'Hamilcar qui fut tué dans
la mêlée ; cent cinquante mille hommes
demeurerent fur le champ de bataille : le
refte fut fait prifonnier & vendu comme
efclave . Une infcription en vers que l'opinion
commune attribue à Simonide , apprend
que Gelon fut aidé dans cette conjoncture
par fes trois freres , Hieron , Polyzele
& Thrafibule , qui contribuerent
par leur courage au fuccès de fes armes.
Le bruit de cette défaite répandit l'allarme
DECEMBRE. 1755. 61 .
dans Carthage , & il ne fut malheureuſement
que trop confirmé par le petit nombre
de ceux qui avoient eu le bonheur de
fe fauver dans un efquif. Il jetta la confternation
dans l'efprit de fes habitans qui
appréhendoient déja que Gelon ufant de fa
victoire , ne portât à fon tour la guerre jufque
dans leurs murs. Ils députerent auffitôt
des Amballadeurs à Syracufe pour im-.
plorer la clémence du vainqueur , & le
folliciter par les plus vives inftances à procurer
la paix. La modération qui étoit naturelle
à Gelon , lui fit écouter leurs propofitions.
Il n'abufa point de la malheureufe
circonftance qui réduifoit les Carthaginois
à la néceflité de paffer par toutes
les conditions qu'il lui auroit plu de leur
impofer. Celles qu'il exigea ne démentirent
point l'équité de fon caractere . Il y
- en eut une entr'autres qui témoigne qu'il
étoit auffi attentif à remplir les devoirs de
l'humanité que ceux de grand Capitaine ;
deux qualités qui le rendoient d'autant
plus eftimable , qu'elles ne fe trouvent
pas toujours réunies. Avant que de foufcrire
à aucun accommodement avec les
Carthaginois , il voulut que l'abolition
des facrifices humains qu'ils faifoient à
leur dieu Saturne , entrât dans la conclufion
du traité de paix qu'il s'agiffoit de
62 MERCURE DE FRANCE.
ratifier. Il ne pouvoit fans doute concevoir
fans horreur qu'ils lui facrifiaffent
jufqu'à leurs propres enfans ; & qu'ils
fiffent de cette barbare coutume une pratique
religieufe qui armoit leurs mains
contre ce qu'ils avoient de plus cher au
monde . Tout engagé qu'étoit Gelon dans
les erreurs groffieres du Paganifme , il lui
fuffifoit de faire ufage de fa raifon guidée
par les lumieres naturelles , pour fe convaincre
qu'un femblable culte étoit nonfeulement
injurieux & contraire à l'inſtitution
des Loix Divines , mais répugnoit
même à l'idée qu'il eft convenable de ſe
former de la Divinité . En effet , de l'invoquer
de cette façon , c'étoit la croire altérée
du fang humain , & qui plus eft du
fang innocent. C'étoit par conféquent faire
plutôt un monftre qu'un Dieu dont on
anéantiffoit par - là les attributs les plus
effentiels , tels que la fouveraine bonté &
la fouveraine juftice , en un mot toutes les
perfections morales , en vertu defquelles
il ne doit vouloir que ce qui eft abfolument
digne de lui. Il falloit affurément
pouffer l'extravagance auffi loin que la
cruauté , pour s'imaginer que la colere
divine ne fût capable d'être appaifée que
par ces fortes de facrifices qui eurent cours
à Carthage & dans plufieurs autres conDECEMBRE
1755. 63
trées. Il y avoit dans cette ville un Temple
élevé à Saturne , où étoit ſa ſtatue d'airain
, dont la défcription qu'en donnent
Diodore de Sicile & Eufebe , reffemble
beaucoup à celle que des Ecrivains Juifs.
font de la ftatue de Moloch , cette fameufe
idole dont l'Ecriture parle en divers endroits
. On fçait qu'elle étoit l'objet du
culte des Ammonites & de quelques nations
voifines : de- là vient que la plupart
des Critiques font perfuadés que Saturne
& Moloch n'étoient qu'une même Divinité
, qui avoit été adorée fous des dénominations
différentes. Les perfonnes curieufes
de vérifier cette remarque , peuvent
confulter ce qu'ont écrit à ce fujet , Selden ,
Beyer , Voffius , Goodwin , les PP . Kircher
& Calmet qui font ceux aufquels on
renvoie pour s'inftruire de ces chofes. Les
facrifices humains paffent communément
pour avoir pris naiffance chez les Phéniciens
, dont les Carthaginois étoient une
colonie . Il n'eft donc pas furprenant que
ces derniers ayent marqué autant d'attachement
qu'ils en avoient pour un ufage
qu'ils tenoient d'origine , & qui s'étoit
introduit chez plufieurs peuples qui l'avoient
reçu d'eux , ou immédiatement des
Phéniciens , comme on le prouve par le
rapport d'une foule d'écrivains que l'on cite
64 MERCURE DE FRANCE.
pour garantir la vérité de ce fait. Un paffage
de Porphyre dont on produit les paroles
fondées fur le témoignage de Sanchoniaton
, apprend quelles étoient les circonftances
où ceux- ci offroient à Saturne
des facrifices fanglans . La maniere dont la
chofe eft atteftée par Sanchoniaton , montre
affez que le culte qu'on rendoit à cette
fauffe divinité étoit très ancien. On infifte
particulierement fur cet Auteur Phénicien
que Porphyre fait contemporain de Sémiramis
Reine d'Affyrie , & dit avoir approché
du tems où vivoit Moyfe. Il avoit
compofé une histoire des antiquités de
fon pays , qu'il avoit dédiée à Abibal , Roi
de Beryte fa patrie , & que Philon de Byblos
avoit traduite en Grec fous l'empire
d'Adrien . Il n'en refte plus qu'un fragment
qui nous a été confervé par Eufebe. Comme
l'efpece de Synchroniſme que le récit
de Porphyre tend à établir , fe trouve liée à
deux Époques incompatibles l'une avec
l'autre , & qui feroient par cela même plus
propres à le détruire qu'à le conftater , on
pourroit croire que la cenfure de Scaliger ,
de Voffius & de Bochart , n'eft pas dépourvue
de fondement , lorfqu'ils le qualifient
d'erreur groffiere , qu'ils jugent à propos
d'imputer au peu d'exactitude de Porphyre
en matiere de chronologie. Ils auroient
DECEMBRE . 1755 65
fans doute raifon , fi l'on entendoit par
Sémiramis la fameufe Reine d'Affyrie de
ce nom , qui fut femme de Ninus , & qui
gouverna avec beaucoup d'habileté let
royaume dont fon mari avoit été le Fondateur
, & dont il l'avoit laiffée en poffeffion
par fa mort. En effet , le regne de cette
Sémiramis eft antérieur de plus de Soo ans
à la prife de Troye ; date qui eft affurément
fort éloignée de confirmer la proximité
de tems que Porphyre met entre
cette Reine & Moyfe de qui la mort ne
précede la ruine de cette ville que d'environ
d'eux fiecles & demi , felon la chrono-'
logie du Texte Hébreu. Il faut avouer que
fi les chofes étoient fur le pied que le pren
nent les Sçavans modernes que nous avons
cités , la faute feroit fenfible : mais le devoir
d'un Critique étant d'interpréter ce'
que dit un Auteur dans le fens le plus favorable
, on faifit l'occafion qui s'offre naturellement
de juftifier Porphyre du reproche
qu'il s'eft attiré de leur part. On fait
donc voir qu'il ne s'agit point ici de la
Sémiramis dont nous venons de parler ,
mais d'une autre Reine d'Affyrie , qui a
porté le même nom , & qui eft venue plufieurs
fiecles après la premiere . Elle eft auffi
connue fous celui d'Atoffe , & elle eut
pour pere Beloch II . Roi d'Affyrie , qui'
66 MERCURE DE FRANCE.
l'affocia à l'Empire dans la douzieme année
de fon regne , & avec qui elle régna
conjointement treize ans. Eufebe qui nous
apprend qu'elle fut également appellée Sémiramis
, ne nous inftruit pas de la caufe
qui lui mérita un pareil furnom. Il y a
apparence que des traits de reffemblance
qu'elle put avoir dans les actions de fa vie
avec la Sémiramis femme de Ninus , que
fes grandes qualités & fes vices ont rendue
fi célebre dans l'Hiftoire , fuffirent
pour le lui faire donner . L'identité d'un
nom qui a été commun à deux Reines , qui
ont eu les mêmes Etats fous leur dépendance
, les aura fait confondre enfemble ;
en attribuant à l'une ce qui appartient à
l'autre. C'eft ce qui avoit été déja très - bien
rémarqué par Photius , qui a repris un ancien
Ecrivain dont il a extrait l'Ouvrage
pour être tombé dans une femblable confufion
. On traite incidemment cette queftion
de chronologie , que l'on éclaircit
par un calcul qui fert à prouver que le rapport
de Porphyre ne péche en aucune façon
contre l'ordre exact des temps. Les facrifices
humains ne cefferent que pour un
temps à Carthage . Quoique leur abolition
fit une partie eflentielle du traité que Gelon
avoit conclu avec ceux de cette République
, il femble pourtant qu'elle n'eut
DECEMBRE. 1755. 67
lieu qu'autant que ce Prince vécut depuis
ce traité. Ils les renouvellerent après fa
mort , qui vraisemblablement leur parut
une raifon fuffifante pour rompre l'engagement
qu'ils avoient contracté. C'est ce
que prouve évidemment une circonstance ,
où étant réduits au défefpoir par Agatocle
Tyran de Syracufe , qui les avoit battus ,
ils facrifierent à leur dieu Saturne deux
cens d'entre les fils de leurs plus illuftres
concitoyens , afin de fe le rendre propice.
Tertullien nous apprend que cette abominable
coutume fe perpétua en Afrique , &
dura publiquement jufqu'au temps du Proconfulat
de Tibere qui fit mettre en croix
les Prêtres auteurs d'une femblable impiété.
Il eft à propos de remarquer qu'il ne
faut pas confondre ce Tibere Proconful
d'Afrique avec l'Empereur du même nom,
lequel fut fucceffeur d'Augufte . Celui dont
il eft question , eft poftérieur à ce Prince
d'environ un fiecle , & ne doit avoir vécu
que fous Adrien qui l'avoit revêtu de la
dignité Proconfulaire. Cette remarque eft
fortifiée par le témoignage de Porphyre
, de Lactance & d'Eufebe , qui rappor
tent la ceffation des facrifices humains au
temps d'Adrien , fous le regne duquel
ils furent abolis dans prefque tous les
lieux où ils étoient en ufage. Au cas qu'on
68 MERCURE DE FRANCE.
fouhaite des preuves plus directes de ce
que nous venons de dire à ce fujer , on n'a
qu'à confulter Saumaiſe ( 1 ) Henri de Valois
( 2 ) , & le P. Pagi ( 3) , qui ont fait
l'obfervation dont nous parlons , & qui
ont très- bien difcuté ce point de critique.
Si le traitement rigoureux dont on avoit
ufé en Afrique envers les Prêtres qui
avoient prêté leur ministère à de pareils
crimes , fervit d'abord à intimider les autres
, il ne put pourtant pas réprimer leur
penchant pour ces fortes de facrifices qui
fe continuerent fecrétement dans la fuite ;
& cela fe pratiquoit ainfi au commencement
du troifieme fiecle , comme le témoigne
Tertullien qui écrivoit vers ce tempsla
fon Apologétique . La victoire que ceux
de la Sicile avoient remportée fur les Carthaginois
, avoit été le fruit de l'habileté
de Gelon , & de fon expérience dans l'art
de la guerre. Auffi avoit- elle contribué à
redoubler l'affection que les Syracufains
avoit pour lui. Il avoit fçu la mériter par
fon humeur populaire , & furtout par la
fagelle avec laquelle il fe conduifoit dans
l'adminiftration des affaires de la Républi-
( 1 ) Cl. Salmafi. Not. in Spartian. ( 2 ) Henric.
Valefi. Annotation . in oration . Eufeb. de Laudib.
Conftantin. pag. 287. ( 3) Pag . Critic, in Annal.
Baron. fub ann. c. 11. n . 14. p . 12 .
DECEMBRE 1755 . 69
que , qui ne pouvoit tomber en de meilleures
mains que les fiennes. Ces motifs
réunis concoururent à affermir l'autorité
dont il jouiffoir longtems avant la défaite
de la flotte des Carthaginois, Le ſervice
important qu'il venoit de rendre à ſa patrie
, trouva dans les Syracufains un peuple
reconnoiffant qui confentit à le payer
du facrifice de fa liberté , en lui déférant
alors la royauté. Quoique le pouvoir de
Gelon fût déja très- abfolu , il lui manquoit
encore la qualité de Roi pour le confirmers
ce n'eft pas qu'il n'eût pu l'ufurper , à
l'exemple de bien d'autres , s'il avoit eu
deffein d'employer comme eux les voies
de la force & de la violence pour l'acquérir
: mais content de gouverner à Syracufe
fous le nom de Généraliffime ou de Préteur
, il ne fe mit pas fort en peine d'afpirer
à un titre qui auroit fans doute indifpofé
les efprits , & lui auroit attiré l'indignation
de fes concitoyens , s'il eût ofé
le prendre fans leur aveu , & qui d'ailleurs
n'eût pas augmenté davantage fa puiffance.
Les traits fous lefquels on nous le repréfente
dans le rang où il fe vit élevé ,
font l'éloge de fon caractere ; ce Prince ,
bien loin d'affecter la pompe qui en paroît
inféparable , & d'abufer du pouvoir attaché
à fa nouvelle dignité , fembloit ne l'a
70 MERCURE DE FRANCE.
•
voir acceptée que pour obliger fes concitoyens
, & céder à leurs inftances réitérées
qui ne purent le diſpenſer de fe foumettre
à leur volonté. C'eft pourquoi il difoit
que l'intention des Syracuſains, en lui mettant
la couronne fur la tête , avoit été de
l'engager par une faveur auffi marquée à
protéger la juftice & l'innocence. Le foin
de maintenir entr'eux la paix & l'union , &
de gagner le coeur de fes fujets par fes manieres
affables & pleines d'humanité , faifoit
fon unique occupation . C'eft ainfi que
fes vertus lui frayerent le chemin du trône,
dont perfonne ne s'étoit vu en poffeffion
depuis la mort d'Archias fondateur de
Syracufe. Ce dernier étoit né à Corinthe
& iffu de la race des Bacchiades , famille
diftinguée & puiffante dans cette ville. Une
aventure finguliere que l'on pourra voir
détaillée dans l'ouvrage , l'ayant contraint
d'abandonner les lieux de fa naiſſance , il
fe retira en Sicile , où s'étant établi avec une
colonie de fes compatriotes qui l'avoient
fuivi , il bâtit Syracufe. Après y avoir
regné plufieurs années , il fut tué par un
jeune homme pour qui il avoit eu une
tendreffe criminelle , & dont il avoit abufé
dans l'enfance : le temps où tombe la
fondation de cette ville , forme une Epoque
affez curieufe pour mériter qu'on s'arDECEMBRE.
1755. 71
rête à la déterminer conformément à la
fupputation qui réfulte d'une particularité
que fourniffent les Marbres. On touche
auffi un mot de la grandeur de Syracufe ,
qui comprenoit dans fon enceinte quatre
villes voifines l'une de l'autre , & dont
Archias n'en compofa qu'une feule. La
forme de fon gouvernement éprouva du
changement depuis la mort de celui qui en
avoit jetté les fondemens. Les Syracufains
abolirent l'Etat Monarchique pour lui fubftituer
le Démocratique qui fe maintint
fort longtems. Hippocrate Tyran de Gele,
tenta dans la fuite de leur ravir la liberté.
Après avoir réduit divers Peuples de la
Sicile fous fon obéiffance , il tourna fes armes
contre les Syracufains qu'il défit auprès
du fleuve Elore. Ceux ci n'auroient
point évité la fervitude qui les ménaçoit ,
s'ils n'avoient été fecourus des Corinthiens
& des Corcyréens qui prirent leur défenfe,
à condition qu'ils céderoient à Hippocrate
la ville de Camarine qui avoit été jufqueslà
fous leur dépendance. Dans le temps
qu'Hippocrate continuoit à faire la guerre,
il mourut devant la ville d'Hybla . Gelon ,
dont les ancêtres avoient depuis bien des
années leur établiſſement dans Gele , &
defcendu du Sacrificateur Telinès , ayant
reçu d'Hippocrate le commandement de la
72 MERCURE DE FRANCE.
cavalerie s'étoit fignalé par fon courage
dans toutes ces occafions. Les Gelois las de
fe voir opprimés par la tyrannie , refuſerent
de reconnoître pour leurs Souverains
Euclide & Cléandre , les deux fils qu'Hippocrate
avoit laiffés. Gelon , fous prétexte
de réprimer la révolte des Gelois , envahit
la domination , & en priva les enfans
d'Hippocrate , dès qu'il eut fait rentrer les
rebelles dans leur devoir. Gelon ramena
enfuite de Cafmene dans Syracufe quelques
uns de fes habitans nommés Gamores
, qui en avoient été chaffés. Les Syracufains
qui le virent approcher , livrerent
en fon pouvoir leur ville & leurs perfonnes.
On ne fçauroit dire s'ils crurent qu'il
leur feroit plus avantageux d'agir de la
forte que de s'expofer aux maux que les
fuites d'un fiege ont coutume d'occafionner.
Ce qu'il y a de vrai , c'eſt que Gelon
devint maître abfolu de cette ville fans
qu'il lui en coutât le moindre combat . Il
abandonna la principauté de Gele à fon
frere Hieron , & fe réferva celle de Syracufe
qu'il peupla de nouveaux habitans ,
& qu'il rendit plus que jamais floriffante.
Une réflexion très - naturelle porte l'Auteur
à conclure que la conduite de Gelon
en cette circonftance dément le caractere
qu'on lui attribue. Il y auroit fans doute
de
DECEMBRE 1755. 73
pour
de l'injuftice à le juger fur cette feule
action ; qui , quoiqu'elle ne foit pas à la
vérité fort honorable à fa mémoire , ne
doit pourtant point influer fur le refte de
fa vie : au moins c'eſt ce qu'on eft en droit
d'inférer du témoignage des Ecrivains de
l'antiquité qui ont parlé de lui . Il paroît
feulement par- là que Gelon , tout vertueux
qu'on nous le dépeint d'ailleurs , ne fut
pas toujours exempt de la paffion de dominer
, qui le fit ufer de perfidie envers
les héritiers légitimes , en les dépouillant
de l'autorité fouveraine , & l'engagea dans
des pratiques criminelles fatisfaire
fon ambition. Comme les Anciens qui ont
déterminé le tems de fon regne , varient
confidérablement entr'eux , lorfqu'il s'agit
d'en conftater la durée , qu'ils étendent
plus ou moins , felon la fupputation à
laquelle ils s'attachent , on infifte conféquemment
fur les contradictions apparentes
qui naiffent de la différence de leur calcul
, & afin d'être en état de les concilier
on recherche la caufe qui a produit ces
variétés. Il fuffit pour la découvrir de
comparer exactement leur rapport ,
dont
la diverfité vient de ce que le commencement
de la domination de Gelon pouvant
fe fixer à différentes dates , cela à donné
lieu à la différente maniere d'en compter
II.Vol. Ꭰ
7 MERCURE DE FRANCE.
les années. Les uns ont daté l'Epoque de
fon regne, dumoment qu'il fut maître dans
Syracufe dont les habitans s'étoient foumis
à lui ; parce qu'il y avoit un pouvoir
prefque aufli abfolu que celui qui eft affecté
à la Royauté . Les autres qui ont niarqué
les chofes avec plus de précifion , re
l'ont commencé que depuis qu'il fut proclané
Roi , titre que lui mériterent l'importance
de fes fervices & fon dévouement
au bien de la République. Nous ferions
trop longs , s'il nous falloit entrer dans
le détail de preuves qui fervent à établir
la vérité de cette remarque que nous ne
faifons qu'indiquer. C'eft pourquoi nous
aimons mieux renvoyer les Lecteurs curieux
d'approfondir les matieres de cette
nature à l'ouvrage même , où il leur fera
plus facile de prendre une idée jufte &
précife des calculs qui accompagnent cette
difcuffion chronologique. Gelon mourut
après avoir gouverné Syracufe fept
ans , avec la qualité de Roi. Il laiffa pour
fon fucceffeur Hieron , le plus âgé de fes
deux freres qui reftoient. Il ordonna en
mourant , à Damareté fa femme & fille de
Theron Tyran d'Agrigente , d'époufer
Polyzele qui fut pourvu du commandement
de l'armée , que l'on avoit fans doute
foin de tenir toujours prête à marcher
DECEMBRE. 1755- 75
en cas que le peuple de Syracufe fût inquieté
par fes voifins , ou attaqué par
des nations étrangeres. Hieron parvenu
à jouir de la Royauté , fe comporta bien
différemment de fon prédéceffeur. Il hérita
du rang de fon frere , mais non pas
de fes vertus . Il étoit avare , violent &
auffi éloigné de la probité de Gelon que
de fa candeur. Son humeur cruelle &
fanguinaire n'auroit pas manqué d'exciter
un foulevement général parmi les Syracufains
, fi le fouvenir des bienfaits de Gelon
, dont la mémoire leur étoit par conféquent
très -chere n'eût été un motif
capable de les retenir. Les foupçons & la
défiance , vices inféparables d'une conduite
tyrannique , l'armerent contre fes propres
fujets , dont il craignoit les complots,
Il s'imagina que pour mettre fa vie en fureté
, la force feroit une voie moins douteufe
que leur affection qu'il auroit fallu
captiver. Il leva pour cet effet des troupes
mercenaires , & compofa fa garde de
foldats étrangers. Comme il s'apperçut de
l'attachement des Syracufains pour Polyzele
qu'ils cheriffoient autant qu'ils le
haïffoient , ce fut affez pour lui faire foupçonner
fon frere d'afpirer à la Royauté , &
pour lui rendre toutes fes démarches fufpectes.
Il ne vit plus en lui qu'un rival
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
dangereux , qu'il étoit de fon intérêt de
perdre. Un événement parut favorable à
les deffeins . Il s'agiffoit de prendre la défenfe
des Sybarites qui avoient imploré
fon fecours contre les Crotoniates, par qui
ils étoient affiégés . Il faifit cette occafion
de fe défaire de fon frere qui étant chargé
du commandement de l'armée , reçut ordre
de lui de les aller fecourir.
Il avoit , felon toutes les apparences ,
travaillé aux moyens de le faire périr dans
le combat . Au moins c'eft ce que crut
Polyzele qui , pénétrant fes intentions , &
connoiffant d'ailleurs fa jaloufie , refuſa
d'obeir. Hieron irrité de fe voir fruftré
dans fes projets , éclata en menaces. Polyzele
n'auroit certainement pas tardé à
éprouver les effets de fon reffentiment ,
s'il n'avoit pris le parti de s'en garantir
en fe refugiant à la Cour de Theron dont
il avoit épousé la fille . Il n'en fallut pas
davantage pour brouiller ces deux Princes
, qui auparavant étoient amis . Hieron
reclama Polyzele comme un rebelle qu'il
vouloit punir , & fut indigné de ce que le
Roi d'Agrigente lui donnoit une retraite
dans fes Etats. D'un autre côté , la violence
que l'on faifoit à Polyzele , touchoit
trop Theron pour ne pas l'engager à foutenir
la cauſe de ſon gendre , & à le déDECEMBRE.
1755, 77
fendre des injuftes pourfuites de fon frere.
On fe difpofoit déja de part & d'autre à
la guerre , lorfque Hieron tomba dangereufement
malade . Ce qu'il y a de fingulier
, c'eft que cette maladie toute fâcheufe
qu'elle devoit être pour ce Prince , lui
fut pourtant néceffaire , puifqu'elle occafionna
un changement dans fa perfonne ,
auquel on n'avoit pas lieu de s'attendre.
Pour adoucir l'ennui que lui caufoit la
longueur de fa convalefcence , il invita
par fes largeffes les plus fameux Poëtes de
fon tems à fe rendre auprès de lui . Il efperoit
trouver dans leurs entretiens un remede
à fes chagrins domeftiques. On peut
croire que Simonide , de qui Pindare luimême
avoit appris les principes de fon
art , ne fut pas oublié dans le nombre de
ceux qu'Hieron attira à fa Cour. Il fut celui
qui fçut le mieux s'infinuer dans l'efprit
de ce Prince , & obtenir fa confiance.
Ce Prince eut l'obligation au commerce
qu'il lia avec les Sçavans qu'il avoit
fait venir , d'avoir poli fes moeurs & orné
fon efprit qui étoit naturellement capable
des plus grandes chofes , mais qu'une
application continuelle aux exercices militaires
ne lui avoit pas permis jufques là
de cultiver. Il profita beaucoup dans les
fréquentes converfations qu'il avoit avec
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Simonide . Elles furent autant de leçons
qui lui infpirerent l'amour de la vertu , &
l'accoutumerent par dégrés à en remplir
les devoirs . Elles lui firent ouvrir les yeux
fur fes égaremens , & fentir toute l'injuftice
de la guerre qu'il alloit fe mettre fur
les bras . Les confeils de notre Poëte lui furent
d'une grande reffource pour tourner
les chofes vers la pacification . Voici de
quoi il eft queftion. Theron ayant donné
Thrafydée fon fils pour maître aux Himerens
, celui-ci rendit fa domination infupportable
par fon orgueil & par fes violences
, qui les contraignirent de fe foulever
contre lui . Ils n'oferent fe plaindre de fa
conduite à Theron , parce qu'ils craignirent
que l'oppreflion devînt encore plus
forte , en cas que le pere fe montrât juge
peu équitable dans la caufe de fon fils.
C'est pourquoi ils fe déterminerent à envoyer
des Députés à Hieron pour lui offrir
du fecours contre Theron , & lui déclarer
en même tems qu'ils fouhaitoient à l'avcnir
dépendre de lui . Cette conjoncture
fournir à Simonide les moyens de remettre
la paix entre les deux Princes , & de faire
l'office de médiateur. Ce fut par fes avis
que Hieron inftruifit le Roi d'Agrigente
du complot formé par les habitans d'Himere
, & l'avertit de prendre fes mesures
pour le faire avorter.
DECEMBRE. 1755. 79
La reconnoiffance de Theron fut égale
à la générosité du procedé d'Hieron , avec
qui il ne fongea plus qu'à fe réconcilier ,
& leurs démêlés mutuels furent dès- lors
pacifiés. Hieron , pour affermir davantage
cette union , époufa la foeur de ce Prince .
Il rendit fon amitié à Polyzele , & les deux
freres vécurent depuis en bonne intelligence.
« Hieron commença ( dit l'Auteur )
à facrifier fes intérêts au bien public. Il
38
ne s'occupa plus que du foin d'acquerir,
» à l'exemple de Gelon , par fes manieres
» affables & par fa clémence , le coeur &
» l'eftime de fes fujets . Ses libéralités qu'ils
» éprouverent dans la fuite , effacerent
» entierement de leur mémoire les traits
" d'avarice qu'ils avoient d'abord remar-
» qués en lui . Sa Cour devint l'afyle des
» fciences , par la protection qu'il accor-
» doit aux perfonnes qui les cultivoient
» avec fuccès. Il montroit plus d'ardeur à
» les prévenir par des récompenfes , que
» les autres n'en avoient à les obtenir.
و د
L'Auteur accompagne fon récit de cette
réflexion qui fe préfente naturellement .
» Comme il réjaillit autant de gloire fur
le Prince qui répand fes bienfaits , que
» fur le particulier qui les reçoit , com-
" bien de Souverains ne font un accueil
» favorable au mérite , peut - être moins
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
"3
» pour l'honorer , que pour fatisfaire euxmêmes
leur vanité ! Si l'on compare cet-
» te derniere conduite d'Hieron avec celle
qu'il avoit tenue en premier lieu , on
» fera furpris d'un contrafte auffi frappant.
Il devoit du moins avoir un fond de
» vertu ; car les fciences toutes feules ne
produifent point de pareils changemens.
» Elles perfectionnent à la vérité un heu-
» reux naturel ; mais il eft rare qu'elles
» réforment un coeur vicieux . >>
ود
Nous avons déja infinué quelque chofe
de l'avarice de Simonide . On peut affurer
qu'il n'y a point d'endroit où elle parut
plus à découvert qu'à la Cour d'Hieron .
Elle s'eft caractérisée jufques dans les reparties
qu'on lui attribue . Nous allons citer
quelques - unes de celles que l'on a recueillies.
On apprend d'Ariftote que la
femme d'Hieron ayant demandé à ce Poëte
, lequel étoit le plus à défirer , d'être riche
on fçavant ? il répondit , qu'il préferoit les
richeſſes , puisqu'on ne voyoit tous les jours
à la porte de riches que des fçavans . Hieron
avoit donné ordre qu'on lui fournît
chaque jour les provifions néceffaires pour
le faire vivre dans l'abondance , & Simonide
pouffoit l'épargne jufqu'à en vendre
la principale partie. Lorfqu'on voulut fçavoir
pourquoi il fe comportoit de la forte.
DECEMBRE. 1755. 81
C'est ( reprit- il auffi - tôt ) pour montrer en
public la magnificence du Prince , & ma
grande frugalité. Cette réponſe paroit à
M. Bayle un pauvre fubterfuge , & l'on
ne peut nier que fa remarque ne foit jufte.
Mais c'eft affez l'ordinaire des Beaux-
Efprits de payer de traits ingénieux pour
excufer les défauts qui choquent en eux
& fur lefquels on les preffe de s'expliquer ,
quand ils n'ont point de bonnes raifons à
alléguer pour leur juftification. Toutes
les fois que l'avarice infatiable de ce Poëte
l'expofoit à des railleries & à des reproches
, il avoit fon excufe prête , en difant
, qu'il aimoit mieux enrichir fes ennemis
après fa mort , qu'avoir besoin de fes
amis pendant fa vie. Auffi n'étoit - il rien
moins que difpofé à écrire gratuitement :
c'eft ce qu'il fit fentir à un homme qui
l'avoit follicité à compofer des vers à fa
louange , en fe contentant de l'affurer qu'il
lui en auroit des obligations infinies. Une
pareille propofition fatisfit peu Simonide ,
qui lui répondit , qu'il avoit chez lui deux
caffettes , l'une pour les payemens qu'il exigeoit,
& l'autre pour les obligations qu'on pouvoit
lui avoir, que la premiere reftoit toujours
vuide , au lieu que celle- ci ne ceffoit jamais
d'être pleine. On conçoit aifément que fon
humeur intéreffée devoit rendre fa plume
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
fort venale . Ce qu'il y a de certain , c'est
qu'il a la réputation d'avoir été le premier
des Poëtes Grecs qui ayent mis les Mufes
à louage. On ne fçauroit difconvenir que
cette tache n'obfcurciffe la gloire qu'il s'eft
acquife par la beauté de fon génie. L'indigne
trafic qu'il faifoit de fes ouvrages
donna naiffance à un proverbe honteux à
fa mémoire . Il fuffifoit que des vers fuffent
vendus au plus offrant pour porter le nom
de vers de Simonide. Comme le mot grec
dont fe font fervis des Auteurs anciens ,
pour exprimer l'avarice de Simonide , reçoit
des acceptions différentes , felon l'ufage
auquel on l'applique , il a induit en
erreur Lilio Giraldi , qui à attaché à ce terme
une fignification contraire à fon analogie
, quelle que foit la racine d'où on
veuille le dériver , & dont , à plus forte
raifon , il ne peut être fufceptible dans
l'occafion où il fe trouve employé. C'eſt
ce qui eft fpécifié plus particuliérement
dans l'ouvrage auquel il faut recourir , fi
l'on fouhaite s'en inftruire. Nous ajouterons
encore à ce que nous venons de dire
de ce Poëte , une circonftance qui dévoile
entierement l'exceffive paffion qu'il avoit
de thefaurifer. Un Athlete vainqueur à la
courfe des Mules , ayant voulu l'engager
a célébrer la victoire , lui offroit une fomDECEMBRE.
1755 .
83
me trop modique
, Simonide
refufa de le
fatisfaire
fur fa demande
, fous prétexte
qu'il
à un homme
comme lui
conviendroit
peu
de louer des Mules . Mais l'autre ayant pre- pofé un prix raifonnable
, notre Poëte
confentit
à faire l'éloge de ces Mules, qu'il
qualifia de filles de chevaux
aux pieds légers, expreffion
emphatique
qui a été défapprouvée
avec juftice par des Critiques
. Nous ne croyons
pas devoir nous arrêter à une
autre repartie
à peu-près du même genre, qui lui eft attribuée
par Tzetzes
, Auteur
peu exact en fait de narration
hiftorique
, parce qu'elle porte fur une fuppofition
évidemment
fauffe qui rend fon récit fufpect
, pour ne rien dire de plus. Il faut
confulter
l'ouvrage
pour avoir une pleine
conviction
de ce que nous remarquons
à ce fujet. Simonide
poffeda jufqu'à la mort
les bonnes graces d'Hieron
, dans lefquelles
il étoit entré fort avant . Il ne fut point confideré
à la Cour comme
un homme
dont le talent confiftoit
uniquement
à faire
des vers , & à donner
quelques
leçons
de morale ; ce Prince le jugea capable
de l'aider de fes confeils
dans le gouverne- ment des affaires , & il eut lieu de s'en louer
dans plus d'une occafion
. Auffi s'ouvroitil
familiérement
à ce Poëte , dont il connoiffoit
la prudence
, & il ne faifoit au-
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
cune difficulté de lui communiquer fes
penfées les plus fecrétes. Les entretiens
qu'ils avoient enſemble là - deffus , ont fans
doute fourni à Xenophon le fujet d'un
Dialogue de fa façon , où les introduifant
l'un & l'autre pour interlocuteurs , il produit
lui-même fous ces noms empruntés ,
fes réflexions politiques. C'est une excellente
piece qui renferme un parallele entre
la condition des Rois & celle des Particuliers.
Comme Hieron avoit paffé par ces
deux états , cet ingénieux Ecrivain ne pouvoit
choifir perfonne qui fût censé être
mieux à portée que ce Prince d'en apprécier
les différences. La maniere dont il
fait parler Simonide , eft analogue au caractere
de ce Poëte qui foutient par la
folidité des avis qu'Hieron reçoit de lui ,
la réputation de fage qu'il a méritée
par l'honnêteté de fes moeurs : En effet ,
quelques légeres taches répandues fur fa
vie , que l'on devroit taxer plutôt de foibleffes
inféparables de l'humanité , ne
pourroient balancer toutes les belles qualités
que la nature lui avoit accordées , s'il
n'avoit témoigné dans fes actions un penchant
trop marqué pour l'avarice la plus
fordide , vice fi honteux qu'il fuffit lui
feul pour diminuer l'éclat des vertus qui
l'ont rendu d'ailleurs recommandable.
DECEMBRE. 1755 . 85
da ce
que
Les fréquentes converfations d'Hieron
& de Simonide ne rouloient point feulement
fur des matieres de pure politique ;
elles avoient encore pour objet l'examen
des queftions les plus philofophiques . C'eſt
ce qui paroît par la célebre réponſe que
notre Poëte fit à ce Prince , qui lui demanc'étoit
que Dien ? Il faut convenir
que la queftion étoit des plus épineufes ,
& par conféquent très- propre à embarraffer.
Auffi Simonide ne manqua pas de
prétexte pour juftifier l'impuiffance où il
fe voyoit d'y fatisfaire fur le champ , &
il obtint du tems pour y rêver plus à fon
aiſe. Le terme étant expiré , Hieron étonné
de tous les délais dont ce Poëte ufoit
pour éluder l'explication qu'on exigeoit
de lui , en voulut apprendre la caufe . Simonide
avoua ingénuement , que plus il
approfondiffoit la chofe , plus elle lui fembloit
difficile à réfoudre.
Si l'on inféroit de fa réponſe à Hieron ,
que ce Poëte avoit formé quelque doute
fur l'existence d'un Etre Suprême, ce feroit
non-feulement étendre la conclufion beaucoup
plus loin que ne l'eft la prémiffe ; mais
ce feroit déduire une conféquence trèsfauffe.
Car Simonide étoit fi peu porté à
nier qu'il y eût une Divinité , que jamais.
Poëte Payen n'a peut -être eu une perfuaS6
MERCURE DE FRANCE.
fion plus vive des effets de fa puiffance ;
c'est ce que témoignent affez les fragmens
qui nous reftent de fes Poélies , & principalement
quelques vers de lui , qui font
cités par Théophile d'Antioche . « Il y eft
dit , qu'il n'arrive aux hommes aucun
" mal inopiné : que Dieu fait en un feul
» moment changer de face à toutes chofes,
» & que perfonne ne fçauroit fe flatter
d'acquérir la vertu fans une affiftance
» particuliere de fa part ».
Simonide termina fa vie à l'âge de quatre
-vingt-dix ans , dont il paffa les trois
derniers à la Cour d'Hieron. Le tombeau
qu'on lui avoit élevé à Syracufe , fut dans
la fuite du temps démoli par un Général
des Agrigentins , appellé Phoenix , qui en
fit fervir les matériaux à la conftruction
d'une tour. On marque le temps dont fa
mort précede celle d'Hieron , & pour le
conftater d'une maniere préciſe , il a fallu
néceffairement fixer celui où tombe le
commencement & la fin du regne de cè
Prince , duquel on détermine conféquemment
la durée. On fent bien que tout celá
eft accompagné de détails chronologiques
dans lesquels nous évitons ici de nous engager
parce qu'ils n'intéreffent qu'un
très -petit nombre de Sçavans exercés à ce
genre d'étude. L'Auteur conduit plus loin
DECEMBRE. 1755. $7
que la mort de notre Poëte , le fil de fa
narration qui offre en raccourci l'hiftoire
de Syracufe . Il parcourt avec rapidité les
révolutions qui arriverent à cette République
depuis l'expulfion de Thrafybule
frere & fucceffeur d'Hieron , que fa conduite
violente avoit fait chaffer de Syra--
cufe , jufqu'au temps qu'elle éprouva le
fort ordinaire aux Villes que les Romain's
foumettoient
à leurs armes . Comme le récit
de ces chofes femble au premier coup
d'oeil ne tenir en aucune façon au plan général
de l'Ouvrage , on ne manquera pas
de le trouver abfolument hors d'oeuvre.
En tout cas , l'Auteur a prévenu lui-même
l'objection qui peut avoir lieu . «< Ayant ,
» dit-il , donné la plus grande partie de
» l'histoire de cette fameufe République ,
» que j'ai eu occafion de prendre dès fon
» origine , je me ferois reproché mon peu
» d'attention à procurer au Lecteur une
» entiere fatisfaction , fi je n'avois rendu
fon inftruction complette , en mettant
» devant fes yeux un précis de la fuite
» des affaires de Syracufe , jufqu'au temps
» qu'elle tomba au pouvoir des Romains ,
"
"
qui l'affujettirent à leur Empire. Je pen-
» fe avoir été d'autant plus fondé à le
faire , qu'un des derniers de ceux qui
ont gouverné defpotiquement en cette
Ville , étoit defcendu de Gélon , &
1
88 MERCURE DE FRANCE.
و ر
porté le nom d'Hieron , ainfi que le
» frere de ce Prince. Il marcha fi parfaite-
» tement fur les traces du premier , que
» de Préteur qu'il étoit auparavant à Sy-
» racufe , il s'ouvrit également par fes
» vertus un chemin à la royauté. Il eft
» furtout célebre par fes démêlés avec les
» Romains qui le défirent plus d'une fois :
» ce qui l'obligea de contracter avec eux
» une alliance dans laquelle il perfifta le
» refte de fes jours . Il étoit donc naturel
» de toucher légerement ce qui regarde ce
» Monarque de qui l'hiftoire ne doit pas
» être détachée de celle de fes Ancêtres ,
» dont il n'a point démenti les belles actions.
Enfin quand on trouveroit que
» la relation de ces chofes fort des bornes
» que mon principal fujet me prefcrivoit ,
» s'il réfulte pour le Lecteur quelque avan-
» tage de voir réunies dans un feul point de
» vue toutes les différentes révolutions
particulieres à l'état de cette Républi-
» que , depuis l'époque de fa fondation ,
jufqu'à celle de fa ruine ; c'eft lui feul
» qui fera mon apologie
"3
L'Auteur , après avoir fait l'hiftoire de
Simonide & celle de fon Siecle , paffe enfuite
au détail de fes Poéfies. Quoiqu'il en
eût compofé un grand nombre , il en refte
à peine des fragmens qui font comme des
débris échappés aux injures du temps. Ils
DECEMBRE. 1755 . 89
ont été recueillis par Fulvius Urfinus , &
en partie par Leo Allatius. Le premier les
a accompagnés de notes de fa façon . Il
n'eftfouvent parvenu jufqu'à nous que les
titres de plufieurs de ces Poéfies qui ont
tranfmis avec honneur le nom de Simonide
à la postérité. Les perfonnes curieufes
de les connoître , n'auront qu'à recourir
à la Bibliotheque Grecque du fçavant
M. Fabricius. Comme fon objet principal
eft d'y offrir une notice des ouvrages
des Auteurs Grecs , & d'y détailler les circonftances
qui en dépendent , il a dreffé
avec fon exactitude ordinaire un catalogue
de toutes les différentes fortes de Poëmes
qu'avoit écrits Simonide , autant qu'il
a pu en avoir connoiffance , en feuilletant
ceux d'entre les Anciens qui ont eu occafion
de les indiquer , lorfqu'ils ont cité des
vers de ce Poëte . On n'a pas cru devoir
s'arrêter dans cette Hiftoire à ces fortes de
détails , dont on ne tire d'autre fruit que
celui de fatisfaire fa curiofité. Ils peuvent
être fupportables en Latin , où l'on n'affecte
pas la même délicateffe qu'en notre Langue
, lorfqu'il s'agit de chofes auffi feches :
elles caufent de l'ennui & du dégout au
Lecteur François qui s'attend à des inftructions
plus folides. Quand on confidere la
perte de beaucoup de bons ouvrages que
90 MERCURE DE FRANCE.
le temps nous a ravis , tandis qu'il a épargné
tant de foibles productions qui , bien
loin d'être enviées , ne méritoient pas même
de voir le jour , on ne fçauroit s'empêcher
d'avouer que c'eft -là un de ces caprices du
fort qui prend plaifir à fe jouer de tous les
moyens que l'induftrie humaine peut imaginer
pour fe garantir de fes injuftices.
Si on demande à l'Auteur pourquoi il ne
s'eft point fait un devoir de traduire en
notre langue ces fragmens poétiques , ( car
quelques imparfaits que foient les morceaux
qu'ils renferment , ils ferviroient du
moins à donner une idée de la beauté du
génie de Simonide ) il répondra que la
défunion des parties qui forment l'enchaînement
du difcours , rend trop difparates les
chofes qui font énoncées dans les vers de
ce Poëte : comme elles n'ont aucune relation
les unes avec les autres , elles font par
cela même incapables d'offrir un fens fuivi
; « de forte que ce feroit , ( dit-il , ) per-
» dre fes peines , que d'expofer ces frag-
» mens en l'état actuel où ils font , fous
les yeux du Lecteur François qui aime
qu'on ne lui préfente que des idées bien
afforties , & parfaitement liées enſem-
» ble . On trouve dans un recueil qu'on
a fait de ces fragmens , deux pieces écrites
en vers ïambes , qui ont été mises à ce
DECEMBRE. 1755. 91
qu'il paroît , fur le compre de notre Simo
nide : c'eft ce qu'il y a de plus entier de
tout ce qui eft venu jufqu'à nous de fes
Poéfies. L'une roule fur le peu de durée de
la vie humaine , & l'autre eft une efpece
de fatyre ridicule contre les femmes , où
F'on ne produit que des injures groffieres
pour reprendre les défauts qu'on peut leur
reprocher. On y fait une application continuelle
des vices de ce fexe , aux diverfes
propriétés attachées à la nature des animaux
defquels on feint qu'il a été formé.
On y fuppofe que l'origine de l'ame des
femmes eft différente felon la diverfité de
leur humeur ; que l'ame des unes est tirée
d'un cheval , ou d'un renard , ou d'un finge
, 8 que celle des autres vient de la
terre & de la mer. Elien cite un vers qui
a rapport aux femmes qui aiment la parure.
On reconnoît difficilement Simonide
à ces traits qui font indignes de lui , &
affurément certe piece n'eft pas marquée
au coin qui caractérife communement fes
productions. Enfin il eft inconteſtable que
ces deux Poëmes n'appartiennent en aucune
maniere au Simonide dont on écrit
la vie; puifque les Anciens ne nous appren
nent point qu'il fe foit jamais exercé dans
ce genre de poéfie . Il les faut reftituer à
un autre Simonide qui a précédé le nôtre
92 MERCURE DE FRANCE.
de plus de deux fiecles. C'est lui qui doit
en être regardé comme le véritable auteur.
Il ne feroit pas étonnant que l'identité de
nom eût fait confondre enfemble ces deux
Poëtes , qui font du refte très- différens l'un
de l'autre. C'est ce que l'on confirme par
une preuve que fournit le témoignage des
Anciens qui ont pris foin de les diftinguer,
l'un , par la qualité de Poëte Lyrique , &
l'autre , par celle de Poëte Iambique. Celui
qui eft renommé dans l'antiquité par la
compofition de fes ïambes , étoit né à
Minoa , ville de l'ifle Amorgos. Suidas le
dit fils d'un certain Crinée qui ne nous
eft pas autrement connu . Ses travaux poétiques
ont eu le même fort que ceux de
notre Simonide. Il n'en fubfifte plus que
des fragmens qui confiftent uniquement
en ces deux poëmes dont nous venons de
parler , & en quelques vers détachés qui
nous ont été confervés par Athénée , Galien
, Clément d'Alexandrie & Stobée .
On recherche le temps où il vivoit ; &
comme une date que produit Suidas , conconcourt
à le déterminer par celle de la
ruine de Troye , l'Auteur piend de-là occafion
d'entrer dans un examen chronologique
des différentes Epoques que les Anciens
affignent à la prife de cette Ville.
Nous nous bornerons à en expofer ici le
DECEMBRE . 1755 . +3
"
"3
réſultat qu'il en donne lui - même dans fa
préface. Quelque foit le calcul auquel on
veuille s'attacher , « il eft conftant , (dit-il)
» que celui du LexicographeGrec eft fautif,
» à moins qu'on ne fubftitue dans fon
» texteune lettre numérale à l'autre , ainfi
que Voffius l'a parfaitement obfervé. Il
»y a d'autant plus d'apparence qu'il aura
fouffert en cela de l'inadvertance des
Copiftes qui font fujets à commettre de
» femblables mépriſes ; que la validité de
» la leçon qu'on propofe fe peut inférer
» d'un paffage formel qui fe tire de Tatien.
C'eft par-là feulement qu'on vient à bout
» de fauver la contradiction fenfible qui
» naîtroit de fon témoignage , & de celui
» de quelques - uns des Anciens , qui font
» ce Simonide contemporain d'Archiloque
, & par conféquent le renvoyent
» bien en- deça du fiecle où il le place.
» Comme il s'accorde à dire qu'Archilo-
» que fleuriffoit fous Gygès Roi de Lydie,
» dans la perfonne duquel commence la
» Dynaſtie des Mermnades , il s'enfuit de-
>> là que le temps du Simonide en queftion
»fe trouve étroitement lié à celui du regne
» de ce Prince & de fes fucceffeurs. C'eſt
pourquoi il réfulte des moyens que j'ai
employés pour fixer l'un par l'autre , une
» difcuffion qui m'a paru propre à répan-
"
39
94 MERCURE DE FRANCE.
» dre une nouvelle clarté fur la Chronolo-
» gie des Rois de Lydie ». Nous ajouterons
que la matiere eft affez importante
par elle-même pour fixer la curiofité des
Sçavans que leur propre expérience a mis
en état de fe convaincre de l'obſcurité qui
regne fur cette partie de l'Hiftoire ancienne.
La maniere avantageufe dont on nous
parle du Simonide fameux par fes productions
Lyriques , ne permet pas d'hésiter à
le placer au rang des meilleuts Poëtes de
l'Antiquité ce qu'on ne fçauroit dire
également de celui qui a écrit des vers
iambes. Il eft certain qu'il n'a pas joui de
la même célébrité , & que notre Simonide
l'emporte à tous égards fur l'autre. D'ailleurs
fon talent s'étendoit plus loin qu'à
faire des vers. C'est ce qu'on a été à portée
de voir plus d'une fois dans le cours
de cet Extrait. Cela paroît encore par l'invention
des quatre Lettres Grecques ( ou
,, » & , qui lui eft communément
attribuée. Il faut pourtant avouer qu'elle
lui eft conteſtée par quelques- uns qui en
font honneur à Epicharme né en Sicile .
Tzetzes balance même auquel des deux il
doit la rapporter , ou à notre Simonide ,
ou à Simonide le Samien qu'il dit être fils
d'un certain Amorgus. Il n'eft pas douteux
que ce dernier ne foit le même que
DECEMBRE. 1755.
95
le Poëte iambique de ce nom , à qui quelques
anciens Ecrivains donnent Samos
pour patrie , quoique le plus grand nombre
le faffe naître à Amorgos . Il n'eft pas
difficile de s'appercevoir de la méprife
grolliere de Tzetzes , qui transforme le
nom du lieu de la naiffance de ce Simonide
, en celui du pere de ce Poëte. On
n'infifte point fur cesLettres qui auroient
pu fournir le fujet d'une difcuffion , fi
Scaliger , Saumaife , Samuel Petit , Voffius
, Bochart , Ezéchiel Spanheim , Etienne
Morin , & le P. Montfaucon , n'avoient
déja épuifé tout ce que l'on peut produire
fur l'origine de l'Alphabeth Grec. On a
cru qu'il étoit plus à propos de renvoyer
à ces doctes Critiques , en citant au bas
de la page les endroits de leurs ouvrages ,
où ils ont traité cette matiere , que de redire
en gros des chofes qu'ils ont fi bien approfondies
en détail . Notre Simonide paffe
encore pour avoir ajouté une huitième
corde à la Lyre dont il fe propofa par- là
de perfectionner l'ufage , comme nous
l'apprenons expreffément de Pline . On
trouve parmi les fragmens de fes Poéfies
quelques vers qui ont été allégués par Platon
, Lucien , Athenée , Clément d'Alexandrie
, & Théodoret. Ils valent bien
la peine d'être cités pour leur fingularité.
96 MERCURE DE FRANCE.
Leur objet eft de définir quels font les biens
préférables de la vie. Voici ce qu'ils renferment.
« De tous les biens dont les hommes
peuvent jouir , le premier eft la fan-
»té , le fecond la beauté , le troiſieme les
richeffes amaffées fans fraude , & le
quatrieme la jeuneſſe qu'on paffe avec
» fes amis ».
22.
De tous les ouvrages que Simonide
avoit compofés , il n'y en a point afſurément
qui l'ait plus illuftré , & lui ait attiré
plus de louanges des Anciens , que ceux
qui portoient le titre de Threnes ou de
Lamentations. Ce font elles que Catulle
défigne par cette expreffion , mæftius lacrymis
Simonideis. Horace les a également en
vue , lorfqu'il dit pour repréfenter des
Mufes plaintives , Cea retractes munera
Nama. Son talent principal étoit d'émouvoir
la pitié ; & l'on peut affurer qu'il excelloit
dans le genre pathétique. Au moins
c'est l'aveu que fait Denys d'Halicarnaffe ,
qui le préfere à tous les Poëtes qui avoient
travaillé dans la même partie , après l'avoir
d'ailleurs regardé comme un modele
dans le choix des mots. La leçon de cet
endroit du Traité de l'Auteur Grec dont
on cite les paroles , eft d'autant plus défectueufe
, qu'elle forme un fens tout contraire
à celui que cet ancien Critique veut
exprimer.
DECEMBRE. 1755. 97
exprimer. Cela paroît avoir été occafionné
par la tranfpofition de deux mots qu'il s'agit
de remettre à la place qui leur eft propre
, pour réduire l'énoncé de la phraſe
grecque à un fens naturel & raifonnable.
C'est ce que l'Hiftorien a entrepris dans
une note dont le but est de rectifier ce paffage
qui a été étrangement altéré par l'inadvertence
des Copiftes. Le jugement que
Quintilien porte de Simonide confirme
celui de Denys d'Halicarnaffe , qui rapporte
un morceau d'une de ces Lamentations
de notre Poëte. Danaë déplorant fes malheurs
en faifoit le fujer . On fçait que fuivant
la fable , cette Princeffe infortunée
fut enfermée par l'ordre d'Acrifius fon
pere , dans un coffre d'airain avec l'enfant
qu'elle avoit mis au jour pour être jettée
dans la mer. Simonide fuppofe que dans
le temps qu'elle erroit au gré des vents &
des flots , elle parla en ces termes à Perfée.
" O mon fils , de combien de maux tà
» mere eft accablée . Tu te mets peu en
peine du fifflement des vents , & de l'im-
» pétuofité des vagues qui roulent fur ta
» tête : Ah ! fi tu pouvois connoître la
grandeur du péril qui nous menace , tu
prêterois fans doute l'oreille à mes dif-
» cours. Mais non . Dors, cher enfant , dors ,
je l'ordonne. Ainfi que lui, puiffiez- vous
"
"
11. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
éprouver le même calme , flots d'une
» mer agitée , & vous auffi mes maux dont
la mefure ne fçauroit être comblée » .
C'eft relativement à ce don d'attendrir
que Grotius a cru pouvoir lui comparer le
Prophéte Jéremie. Ces fortes de paralleles
qu'on établit entre des Ecrivains Sacrés
& des Auteurs Profanes , femblent avoir
d'abord quelque chofe de choquant : mais
pour peu qu'on veuille faire un moment
abstraction du caractere de prophéte qui
appartient à ce dernier , & qui par conféquent
le met hors de toute comparaifon
avec un Poëte Payen , il ne fera plus queftion
que de les envisager l'un & l'autre du
côté du mérite perfonnel . On ne pourra
s'empêcher pour lors de convenit que le
parallele ne foit jufte . En effet , on ne doit
pas ignorer que Jéremie ait réuni toutes
les qualités effentielles à la poéfie dans fes
Lamentations , qui offrent le tableau le plus
touchant de la défolation & de la ruine
de Jérutalem .
Simonide ne réuffiffoit pas moins dans
la peinture des images ; c'eft le témoignage
que lui rend Longin , ce célebre Critique
de l'antiquité , dont la déciſion eſt
d'un fi grand poids en pareil cas . Aucun
Poëte n'avoit , felon ce Rhéteur , décrit
plus vivement l'apparition d'Achille fur
DECEMBRE. 1755. 99
fon tombeau , dans le tems que les Grecs
fe préparoient à partir . Nous finirons par
dire que la douceur qui regnoit dans fes
vers ,l'avoit fait furnommer Melicerie , &
cependant il avoit employé en écrivant le-
Dialecte Dorique , qui paroît être le moins
fufceptible de cette douceur qui caractérifoit
fes Poéfies.
On a renvoyé à la fin de cette Hiſtoire
deux Remarques qui valent deux Differtations
: Quoiqu'elles ne femblent avoir
qu'une liaifon fort indirecte avec fon
plan , elles ne laiffent pas de fervir d'éclairciffement
à deux endroits de fon texte .
L'une eft deftinée à examiner fi le nom de
Jao cité dans un paffage de Porphyre que
l'on rapporte , eft le même que celui de
Jehovah ufité particuliérement chez les
Juifs pour défigner Dieu : A cet égard la
chofe eft hors de conteftation. Il s'agit
feulement de fçavoir laquelle de ces deux
différentes prononciations attachées à un
même nom , doit être réputée pour l'anciemne
, & par conféquent pour la véritable.
C'est une matiere qui a déja exercé
d'habiles Critiques , tels que Genebrard ,
Fuller , Louis Cappel , Drufius , Sixtinus
'Amama , Buxtorfe le fils , Gataker & Leufden.
Cette queftion entraîne néceffairement
dans une difcuffion grammaticale ,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
qui n'est à portée d'être bien entendue que
des perfonnes qui ont acquis quelque intelligence
de l'Hébreu . On a mis en un,
caractere lifible pour tout le monde les
paffages qu'on a été obligé de produire
dans cette Langue , & cela pour des motifs
que l'Auteur a eu foin d'expliquer dans
fa préface. Les Sçavans fe partagent fur
çet article. Les uns, comme Cappel, Walton
& M. Le Clerc fe déclarent pour la
prononciation de Jao ou Jauoh , & rejertent
celle de Jehovah , qu'ils difent n'avoir
prévalu que depuis la ponctuation de
la Maffore , d'après laquelle Galatin Ecriyain
du feizieme fiecle , a le premier introduit
parmi nous cette Leçon du nom de
Dieu , qui eft actuellement la feule accréditée
. Ils penfent être d'autant plus difpenfés
d'acquiefcer à l'autorité de la Maffore
, qu'ils la combattent par des raifons
que leur fournit la nouveauté de fon invention
, qui , felon la plupart d'entr'eux ,
ne remonte pas au - delà du fixieme fiecle ,
& dont quelques - uns reculent l'époque
jufqu'au onzieme. Il y en a d'autres au
contraire qui demeurent attachés à la Lede
Jehovah dont ils foutiennent la validité
, parce qu'elle leur paroît beaucoup
mieux conferver l'analogie de l'Hébreu ;
ils s'efforcent de la défendre contre toutes
çon
DECEMBRE. 1755. ioi
les objections qui peuvent avoir lieu , &
ils ne balancent pas à croire que les Grecs
à qui les Phéniciens avoient tranfmis ce
nom , ne l'ayent ainfi altéré par une maniere
défectueuse de le prononcer. Il faut
avouer qu'ils font valoir des argumens (pécieux
pour fortifier leur opinion : cependant
, comme ce n'eft point ici un fujer
qui foit capable de recevoir ce dégré de
certitude que communiquent des preuves
qui mettent l'état des chofes dans la derniere
évidence , on ne doit s'attendre qu'à de
fimples conjectures qui ont de part & d'autre
une égale probabilité : ainfi le parti le
plus fage eft de ne point décider affirmati
vement dans de pareilles matieres. En effet,
comment vouloir déterminer pofitivement
l'ancienne prononciation de ce nom , s'il
eft conftant par le témoignage de Philon
& de Jofephe , qu'elle avoit été interdite
aux Juifs avant que J. C. vînt au monde
. Le premier la reftreint aux bornes du
Sanctuaire , où les Prêtres , fpécialement
le fouverain Sacrificateur , avoient le privilege
exclufif de le prononcer tous les ans
le jour que fe célébroit la fête des Expiations
. Ce nom n'étant donc point d'ufage
hors du Sanctuaire , où la maniere de le
proférer fe maintenoit par tradition , &
la permiffion de le prononcer étant une
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
des prérogatives affectées à la Sacrificature
, elle n'a pas dû fubfifter plus long-tems
que le Temple , & la tradition de ce nom
s'eft affurément perdue à travers tant de
fiecles qui fe font écoulés depuis la ruine
de Jérufalem. Peut on après cela fe flatter
d'en fixer aujourd'hui la prononciation.Les
Docteurs Juifs poftérieurs à cet événement
ont encore encheri fur la vénération que
leurs ancêtres avoient pour ce nom de
Dieu , & fur l'idée qu'ils fe formoient de
fa fainteté qui le rendoit ineffable à leur
égard. Ceux qui font venus après , felon
leur louable coutume d'outrer les fentimens
de leurs peres , ont pouffé les chofes
fi loin que cette vénération eft dégénérée
en une fuperftition exceffive qui fe
perpétue chez cette nation . Des Rabbins
ont étrangement raffiné fur les propriétés de
ce nom , & fur l'analogie grammaticale de
trois de fes lettres , qu'ils difent réunir les
trois différentes manieres d'exifter qui
n'appartiennent qu'à Dieu . Quiconque
ofoit violer cette défenfe de proférer le
nom Jehovah étoit puni de mort , s'il falloit
croire tout ce qu'ils nous débitent
hardiment à ce fujer. Ils ont fait plus , ils
l'ont érigée en article de foi , & menacent
les infracteurs de l'exclufion de la
vie éternelle . Toutes les fois que le Texte
DECEMBRE. 1755. 103
,
Hébreu porte la Leçon de Jehovah , ils lui
fubftituent le nom Adonaï , & tantôt celui
d'Elohim , lorfqu'il arrive que le Jehovah
eft précédé d'Adonai , & alors ces deux
noms fe trouvent joints enſemble . Il leur
eft auffi ordinaire d'ufer de mots compofés
pour caracterifer ce nom ineffable
comme ceux de Schem Hammiouchad , ou
de Schem Hamphorafch , le nom propre de
Dieu , & de Schern Schel arba othioth , le
nom formé de quatre lettres. Quand on les
preffe de dire fur quoi ils fondent cette
interdiction , ils alléguent en leur faveur
des paffages de l'Exode & du Lévitique
dont ils détournent ou changent le fens
pour la pouvoir autorifer. Les paroles de
l'Ecriture qu'ils nous oppofent , ne fignifient
pourtant rien moins que ce qu'ils
veulent leur faire fignifier. Il n'en a pas
fallu davantage pour les expofer au reproche
de falfification , qui leur a été intenté
par
Galatin . On entre relativement à cet
objet dans quelques détails hiftoriques ,
qui pourront compenfer ce qu'il y a de
fec dans un travail de cette nature.
On obferve que ce nom de Dieu n'a pas
été inconnu dans les premiers tems . aux
nations étrangeres , & furtout à celles qui
étoient voifines de la Judée . C'est ce qui
paroît confirmé par plufieurs exemples que
trop
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
par
Selden & M. Ferrand ont apportés , & qui
mettent ce fait hors de doute. Le Critique
Anglois & M. Huet foupçonnent même
que Pythagore pourroit avoir tiré l'idée
des propriétés mystérieuses de fa Quaternité
de celles que renferment les quatre
lettres qui conftituent le nom Jehovah. On
n'ignore pas que les Sectateurs du Philofophe
Grec , quand il s'agiffoit de fe lier
un ferment inviolable , juroient par cette
Quaternité à laquelle ils attribuoient toutes
les perfections , & qu'ils nommoient la
fource de vie , & le fondement de l'éternité,
Ils ne vouloient exprimer autre choſe parlà
que Dieu lui- même appellé par Pyihagore
le nombre des nombres . Ce Philofophe
paffe pour avoir emprunté des Juifs
plufieurs Dogmes " importans qu'il s'étoit
appropriés. C'est une circonftance dont la
vérité eft atteftée par Hermippus Hiftorien
Grec qui Heuriffoit du tems de Prolemée
Evergere, & par le Juif Ariftobule qui
vivoit à la Cour de Ptolemée Philometor,
Jofephe témoigne expreffément qu'il affecta
de fe montrer en bien des chofes zelé
imitateur des rites de fa nation . S. Ambroife
le fait même Juif d'origine : mais
on ne fçait où ce Pere de l'Eglife peut
avoir puifé cette particularité qui eft deftituée
de fondement . On reprend Lactan-
L
DECEMBRE . 1755. 105
ce d'avoir nié mal - à - propos que Pythagore
ait jamais eu aucun commerce avec les
Juifs , fans donner des raifons folides de
ce qu'il avançoit. On infifte particuliérement
fur fon voyage à Babylone , où il
s'offrit affez d'occafions qui mirent ce Phifofophe
à portée de s'entretenir avec plufieurs
d'entre ce peuple , dont une partie
y réfidoit encore pendant le féjour de Pythagore
en cette ville. Il y conféra fréquemment
avec les Mages dont il fçur fi
bien gagner l'amitié , qu'ils lui firent part
de leurs connoiffances , & l'initierent dans
leurs mysteres. Porphyre rapporte qu'il y
devint difciple d'un certain Zabratus ,
duquel il apprit tout ce qui concerne la
nature & les principes de l'univers . Il y a
eu dès les premiers tems du Chriftianif
me des Ecrivains qui fe font imaginés que
ce Zabratus ou Zaratus , & que Clement
d'Alexandrie appelle Nazaratus , étoit
le même que le Prophète Ezechiel , comme
le certifie ce Pere Grec qui écrivoit fur
la fin du fecond fiecle , & qui rejette
d'ailleurs l'opinion de ces gens là : néanmoins
Ménaffeh Ben - Ifraël , & quelques
autres , n'ont pas laiffé d'avoir une feniblable
penſée . Ce qu'il y a de plus éton -
nant , c'eft qu'un auffi habile homme que
l'étoit Selden , ait pu pencher vers ce fen-
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
timent d'autant plus infoutenable , qu'il
eft incompatible avec l'exacte chronologie.
C'eft ce qu'il n'a pas été fort difficile
de prouver. MM. Hyde & Prideaux ont entendu
par ce Zabratus le fameux Zoroaf
tre. Ils fe font fondés fur un paffage
d'Apulée qui veut que Pythagore ait été
difciple de ce Législateur des Mages ; ce
qui eft pourtant fujet à un grand nombre
de difficultés , comme de célebres Modernes
l'ont fuffifamment démontré . On
pourroit peut-être les lever , en fuppofant
deux perfonnages de ce nom qui auront
fleuri à différens tems l'un de l'autre , &
dont le premier aura été le fondateur de
la Secte des Mages, & le fecond le réformateur
de leur religion ; fuppofition que l'on
peut d'un côté appuyer fur le témoignage
des Hiftoriens Orientaux , qui font vivre
un Zoroastre fous le regne de Darius fils
d'Hyftafpe , & de l'autre fur le récit d'Agathias
qui avoue que de fon tems ( c'eſtà-
dire dans le fixieme fiecle ) les Perfans
étoient dans cette perfuafion . Au refte , ce
n'est là qu'une conjecture, qu'on fe contente
d'infinuer , & l'on laiffe à chacun
la liberté de penfer à cet égard ce qu'il
voudra. Quant à l'autre Differtation , elle
traite des moyens qu'il y a de concilier les
différences qui fe rencontrent entre les AnDECEMBRE.
1755. 107
ciens au fujet des dates qui tendent à
fixer , foit le commencement
ou la durée
du regne de divers Princes. Les regnes de
Prolemée Soter , de Seleucus Nicator , &
de l'Empereur Julien fourniffent les exemples
que l'on produit . On leur a joint encore
celui du regne de Dagobert I , fur la
date duquel les Hiftoriens varient , afin de
rendre la vérité de cette remarque plus
fenfible aux perfonnes qui fe font rendues
l'Hiftoire de France plus familiere que
l'Hiftoire Ancienne . Ces exemples réunis
fous un même point de vue , concourent
à confirmer tout ce qui a été dit
touchant la maniere d'accorder les différentes
Epoques d'où l'on a compté les années
de la fouveraineté deGelon à Syracufe.
L'ouvrage eft terminé par le Projet d'une
Hiftoire des Juifs à laquelle travaille l'Auteur
, & qu'il a annoncée dans fa préface.
Elle comprendra
l'expofition de toutes
les révolutions
qui font arrivées à ce peuple
dans l'Orient depuis la ruine de Jérufalem
jufqu'au douzieme fiecle , où l'établiffement
qu'il s'y étoit fait , fût entièrement
ruiné. Comme l'Auteur s'eft livré
aux Etudes Théologiques
qu'il a pris à tâche
de fortifier par l'intelligence
des Langues
Sçavantes, les recherches où elles l'ont
néceffairement
engagé , l'ont mis en état
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
d'affembler les matériaux qui ferviront à la
compofition de cet ouvrage, On le deftine
à éclaircir les points les plus embarraffés
de l'Histoire Judaïque , & à difcuter
quelques - uns des Rites & des Dogmes de
cette nation , furtout lorsqu'ils lui font
communs avec les Chretiens. On y parlera
auffi des cérémonies , & en général des
affaires de difcipline que l'Eglife peut avoir
empruntées de la Synagogue. Elles ont
routes deux , par rapport à leur Hiſtoire. ,
une influence d'autant plus réciproque que
l'une eft fortie de l'autre , & par conféquent
on ne fçauroit approfondir l'Hiftoire
de l'Eglife , qu'on ne foit en mêmetems
obligé d'approfondir celle des Juifs ,
qui lui eft intimément unie. On fe flatte
qu'on ne fera pas fâché de voir inferé ici
en entier ce Projet , qui fert à donner une
idée de la grandeur de l'entreprife , du
but
que l'on s'y propofe , & de la méthode
à laquelle on doit s'attacher dans l'exécution
: mais la longueur que comporte
déja cet extrait , eft une raifon plus que
fuffifante pour renvoyer la chofe au mois
prochain . Si l'on fe récrie fur l'étendue de
cette analyfe , qui paffe de beaucoup les
bornes dans lesquelles nous avons coutume
de refferrer nos extraits , nous répon
drons que comme cette hiftoire de SimoDECEMBRE.
1755 109
nide eft remplie d'un grand nombre de difcuffions,
qui , quoiqu'effentielles aux vues
dans lesquelles on l'a compofée, font pourtant
de nature à rebuter bien des Lecteurs
pour qui elles ont quelque chofe de trop
épineux , on a profité de la voie de ce
Journal pour mettre tout le monde à portée
de connoître les faits dont le récit entre
dans le plan de l'Hiftoire . Pour cet
effet , on a retracé ici dans le même ordre
qui a été obfervé dans fa marche les différens
traits de la vie de ce Poëre , avec les
événemens de fon tems qui y font liés , &
l'on n'a fait qu'indiquer fimplement les
détails chronologiques qui en conftituent
le fonds : Ainfi cette analyfe doit être confiderée
moins comme un extrait que comme
un abregé de l'Ouvrage.
Delaguene , Libraire - Imprimeur de
l'Académie Royale de Chirurgie , rue faint
Jacques , à l'Olivier d'or , diftribue un
Mémoire auffi nouveau par fon objet que
par fa publication . Il eft intitulé Témoi
gnage public rendu à M. Dibon , Chirurgien
ordinaire du Roi dans la Compagnie des
Cent Suiffes de la Garde du Corps de Sa
Majefte ; par Pierre Dedyn d'Anvers . On
ya joint les preuves de la Cure avec quel
ques Réflexions concernant M. de Torrès
110 MERCURE DE FRANCE.
par qui le Malade avoit été manqué. L'Avertiffement
qu'on a mis à la tête de ce
Mémoire , nous en fournira la notice.
« Cet écrit , dit - on , eft l'ouvrage d'un
» Malade jugé incurable par de célebres
» Praticiens, & qui , contre toute efpéran-
» ce , a été guéri radicalement par le re-
» mede de M. Dibon . C'eft une espece de
و د
.30
confeffion publique dictée par la recon-
>> noiffance ; une defcription vraie & naïve
» de la maladie de l'Auteur , & des mal-
» heureuſes épreuves par lefquelles il a
» paffé jufqu'à fa parfaite guérifon . On a
» cru devoir conferver fon langage & fon
ortographe , moitié Wallon , & moitié
François ils pourront amufer quelques
" Lecteurs. Mais on a traduit toute la
» piece pour
la faire entendre des autres ,
» & on a mis la verfion à côté du texte ,
» pour n'y pas laiffer foupçonner la plus
légere altération. Ce Mémoire eft fuivi
» des Certificats de Meffieurs Goulard Mé-
» decin ordinaire du Roi , Le Dran , Henriques
, Morand , & Hebrard , Maîtres
» en Chirurgie ».
""
On trouve chez le même Libraire un
autre écrit qui a pour titre : Lettre à M. de
Torrès ,fervant de réponse , &c. Cette Lettre
contient un témoignage pareil à celui
de Pierre Dedyn , & publié par un BourDECEMBRE
, 1755 .
geois de Paris dont le nom & la demeure
y font défignés. Nous ne prononçons rien
là- deffus. Comme fimples Hiftoriens nous
en laiffons le jugement aux Maîtres de
l'Art.
CATALOGUE DES ESTAMPES &
livres nouveaux d'Italie , la plupart de
Rome , qui fe trouvent chez N. Tilliard ,
quai des Auguftins. 1755.
CATALOGUE DE LIVRES DE PIETE ,
de morale & d'éducation ; livres d'hiftoire
, de belles lettres , fciences & arts ; livres
de droit & de finances , livres amufans
& de théatres , qui fe vendent à Paris
, chez Prault pere , quai de Gèvres ,
1755.
L'ENFANT GRAMMAIRIEN , ouvrage
qui contient des principes de grammaire
génerale , mis à la portée des enfans.
Une Grammaire latine , & une Méthode
françoife- latine , ou maniere de traduire
le françois en latin . A Blois , chez Pierre-
Paul Charles ; & fe vend à Paris , chez la
veuve Robinot , quai des grands Auguftins.
<
FRAGMENS CHOISIS d'éloquence , efpece
de Rhétorique moins en préceptes qu'en
112 MERCURE DE FRANCE.
exemples , également utile aux Gens de
lettres , & à tous ceux qui veulent fe former
à l'éloquence de la chaire , par M. de
Gerard de Benat , 2 vol . A Avignon , chez
Jofeph Payen , Imprimeur Libraire , place
S. Didier. A Marſeille , chez Jean Moffy ,
à la Combriere : & à Paris , chez Defaint
& Saillant , rue S. Jean de Beauvais.
Nous croyons que cette maniere d'écrire
fur l'éloquence , eft une des plus utiles.
Les exemples frappent bien plus , &
en conféquence perfuadent mieux que les
préceptes. Ceux ci ne peuvent même être
bien développés & bien fentis que par le
fecours des premiers. L'Auteur nous paroît
montrer du goût dans le choix , &
nous penfons que fon travail mérite des
louanges.
RAISON ou idée de la Poéfie Grecque ,
Latine & Italienne , ouvrage traduit de
l'Italien de Gravina , par M. Reguier. 2 vol .
petit in- 12 , à Paris , chez Lottin , rue S. Jacques
, au Coq ; & chez J. B. Defpilly , rue
S. Jacques , à la vieille Pofte.
De l'Extrait de l'Hiftoire de Simonide ;
& dufiecle où il a vécu , &c .
Ous avons rendu de la
Nmierepartie de cet Ouvrage dans les
Nouvelles du mois d'Octobre. Nous nous
engageâmes alors à donner l'Extrait de la
feconde pour le mois fuivant ; mais des raifons
particulieres nous ont mis dans le cas
de différer plus longtems que nous ne penfions
à remplir notre engagement. Quoiqu'il
en foit , nous y fatisfaifons aujourd'hui
; & nous allons parler de ce que contient
cette feconde partie , qui commence
par un expofé de la conduite que tint
Gelon après avoir triomphé des Carthaginois.
Pour peu que l'on veuille fe fouvenir
du titre de cette hiftoire , & de fon
objet , l'on ceffera d'être furpris de voir
difparoître Simonide pour quelque temps
de deffus la fcene . Il faut d'abord fçavoir
que les Carthaginois étoient entrés en con
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
fédération avec Xerxès qui les avoit attirés
dans fon parti , & étoit convenu avec eux
que tandis qu'il envahiroit la Grece , ils
feroient une irruption en Sicile & en Italie,
pour empêcher ceux qui habitoient ces
contrées de venir au fecours les uns des autres
. Ils choifirent pour Général Hamilcar
qui ayant affemblé une armée de trois cens
mille hommes , & équipé des vaiffeaux à
proportion pour le tranfport de fes troupes
, fit voile vers la Sicile . Il vint débarquer
à Panorme , un des Ports de cette Ifle,
& mit le fiege devant Himéré , ville maritime
du voisinage. Mais les chofes tournerent
au défavantage des Carthaginois
que défirent ceux de cette Ifle fous la conduite
de Gelon qui commandoit l'armée
qu'ils avoient levée à la nouvelle de cette
invafion fubite. Un gros de fa cavalerie
brûla la flotte d'Hamilcar qui fut tué dans
la mêlée ; cent cinquante mille hommes
demeurerent fur le champ de bataille : le
refte fut fait prifonnier & vendu comme
efclave . Une infcription en vers que l'opinion
commune attribue à Simonide , apprend
que Gelon fut aidé dans cette conjoncture
par fes trois freres , Hieron , Polyzele
& Thrafibule , qui contribuerent
par leur courage au fuccès de fes armes.
Le bruit de cette défaite répandit l'allarme
DECEMBRE. 1755. 61 .
dans Carthage , & il ne fut malheureuſement
que trop confirmé par le petit nombre
de ceux qui avoient eu le bonheur de
fe fauver dans un efquif. Il jetta la confternation
dans l'efprit de fes habitans qui
appréhendoient déja que Gelon ufant de fa
victoire , ne portât à fon tour la guerre jufque
dans leurs murs. Ils députerent auffitôt
des Amballadeurs à Syracufe pour im-.
plorer la clémence du vainqueur , & le
folliciter par les plus vives inftances à procurer
la paix. La modération qui étoit naturelle
à Gelon , lui fit écouter leurs propofitions.
Il n'abufa point de la malheureufe
circonftance qui réduifoit les Carthaginois
à la néceflité de paffer par toutes
les conditions qu'il lui auroit plu de leur
impofer. Celles qu'il exigea ne démentirent
point l'équité de fon caractere . Il y
- en eut une entr'autres qui témoigne qu'il
étoit auffi attentif à remplir les devoirs de
l'humanité que ceux de grand Capitaine ;
deux qualités qui le rendoient d'autant
plus eftimable , qu'elles ne fe trouvent
pas toujours réunies. Avant que de foufcrire
à aucun accommodement avec les
Carthaginois , il voulut que l'abolition
des facrifices humains qu'ils faifoient à
leur dieu Saturne , entrât dans la conclufion
du traité de paix qu'il s'agiffoit de
62 MERCURE DE FRANCE.
ratifier. Il ne pouvoit fans doute concevoir
fans horreur qu'ils lui facrifiaffent
jufqu'à leurs propres enfans ; & qu'ils
fiffent de cette barbare coutume une pratique
religieufe qui armoit leurs mains
contre ce qu'ils avoient de plus cher au
monde . Tout engagé qu'étoit Gelon dans
les erreurs groffieres du Paganifme , il lui
fuffifoit de faire ufage de fa raifon guidée
par les lumieres naturelles , pour fe convaincre
qu'un femblable culte étoit nonfeulement
injurieux & contraire à l'inſtitution
des Loix Divines , mais répugnoit
même à l'idée qu'il eft convenable de ſe
former de la Divinité . En effet , de l'invoquer
de cette façon , c'étoit la croire altérée
du fang humain , & qui plus eft du
fang innocent. C'étoit par conféquent faire
plutôt un monftre qu'un Dieu dont on
anéantiffoit par - là les attributs les plus
effentiels , tels que la fouveraine bonté &
la fouveraine juftice , en un mot toutes les
perfections morales , en vertu defquelles
il ne doit vouloir que ce qui eft abfolument
digne de lui. Il falloit affurément
pouffer l'extravagance auffi loin que la
cruauté , pour s'imaginer que la colere
divine ne fût capable d'être appaifée que
par ces fortes de facrifices qui eurent cours
à Carthage & dans plufieurs autres conDECEMBRE
1755. 63
trées. Il y avoit dans cette ville un Temple
élevé à Saturne , où étoit ſa ſtatue d'airain
, dont la défcription qu'en donnent
Diodore de Sicile & Eufebe , reffemble
beaucoup à celle que des Ecrivains Juifs.
font de la ftatue de Moloch , cette fameufe
idole dont l'Ecriture parle en divers endroits
. On fçait qu'elle étoit l'objet du
culte des Ammonites & de quelques nations
voifines : de- là vient que la plupart
des Critiques font perfuadés que Saturne
& Moloch n'étoient qu'une même Divinité
, qui avoit été adorée fous des dénominations
différentes. Les perfonnes curieufes
de vérifier cette remarque , peuvent
confulter ce qu'ont écrit à ce fujet , Selden ,
Beyer , Voffius , Goodwin , les PP . Kircher
& Calmet qui font ceux aufquels on
renvoie pour s'inftruire de ces chofes. Les
facrifices humains paffent communément
pour avoir pris naiffance chez les Phéniciens
, dont les Carthaginois étoient une
colonie . Il n'eft donc pas furprenant que
ces derniers ayent marqué autant d'attachement
qu'ils en avoient pour un ufage
qu'ils tenoient d'origine , & qui s'étoit
introduit chez plufieurs peuples qui l'avoient
reçu d'eux , ou immédiatement des
Phéniciens , comme on le prouve par le
rapport d'une foule d'écrivains que l'on cite
64 MERCURE DE FRANCE.
pour garantir la vérité de ce fait. Un paffage
de Porphyre dont on produit les paroles
fondées fur le témoignage de Sanchoniaton
, apprend quelles étoient les circonftances
où ceux- ci offroient à Saturne
des facrifices fanglans . La maniere dont la
chofe eft atteftée par Sanchoniaton , montre
affez que le culte qu'on rendoit à cette
fauffe divinité étoit très ancien. On infifte
particulierement fur cet Auteur Phénicien
que Porphyre fait contemporain de Sémiramis
Reine d'Affyrie , & dit avoir approché
du tems où vivoit Moyfe. Il avoit
compofé une histoire des antiquités de
fon pays , qu'il avoit dédiée à Abibal , Roi
de Beryte fa patrie , & que Philon de Byblos
avoit traduite en Grec fous l'empire
d'Adrien . Il n'en refte plus qu'un fragment
qui nous a été confervé par Eufebe. Comme
l'efpece de Synchroniſme que le récit
de Porphyre tend à établir , fe trouve liée à
deux Époques incompatibles l'une avec
l'autre , & qui feroient par cela même plus
propres à le détruire qu'à le conftater , on
pourroit croire que la cenfure de Scaliger ,
de Voffius & de Bochart , n'eft pas dépourvue
de fondement , lorfqu'ils le qualifient
d'erreur groffiere , qu'ils jugent à propos
d'imputer au peu d'exactitude de Porphyre
en matiere de chronologie. Ils auroient
DECEMBRE . 1755 65
fans doute raifon , fi l'on entendoit par
Sémiramis la fameufe Reine d'Affyrie de
ce nom , qui fut femme de Ninus , & qui
gouverna avec beaucoup d'habileté let
royaume dont fon mari avoit été le Fondateur
, & dont il l'avoit laiffée en poffeffion
par fa mort. En effet , le regne de cette
Sémiramis eft antérieur de plus de Soo ans
à la prife de Troye ; date qui eft affurément
fort éloignée de confirmer la proximité
de tems que Porphyre met entre
cette Reine & Moyfe de qui la mort ne
précede la ruine de cette ville que d'environ
d'eux fiecles & demi , felon la chrono-'
logie du Texte Hébreu. Il faut avouer que
fi les chofes étoient fur le pied que le pren
nent les Sçavans modernes que nous avons
cités , la faute feroit fenfible : mais le devoir
d'un Critique étant d'interpréter ce'
que dit un Auteur dans le fens le plus favorable
, on faifit l'occafion qui s'offre naturellement
de juftifier Porphyre du reproche
qu'il s'eft attiré de leur part. On fait
donc voir qu'il ne s'agit point ici de la
Sémiramis dont nous venons de parler ,
mais d'une autre Reine d'Affyrie , qui a
porté le même nom , & qui eft venue plufieurs
fiecles après la premiere . Elle eft auffi
connue fous celui d'Atoffe , & elle eut
pour pere Beloch II . Roi d'Affyrie , qui'
66 MERCURE DE FRANCE.
l'affocia à l'Empire dans la douzieme année
de fon regne , & avec qui elle régna
conjointement treize ans. Eufebe qui nous
apprend qu'elle fut également appellée Sémiramis
, ne nous inftruit pas de la caufe
qui lui mérita un pareil furnom. Il y a
apparence que des traits de reffemblance
qu'elle put avoir dans les actions de fa vie
avec la Sémiramis femme de Ninus , que
fes grandes qualités & fes vices ont rendue
fi célebre dans l'Hiftoire , fuffirent
pour le lui faire donner . L'identité d'un
nom qui a été commun à deux Reines , qui
ont eu les mêmes Etats fous leur dépendance
, les aura fait confondre enfemble ;
en attribuant à l'une ce qui appartient à
l'autre. C'eft ce qui avoit été déja très - bien
rémarqué par Photius , qui a repris un ancien
Ecrivain dont il a extrait l'Ouvrage
pour être tombé dans une femblable confufion
. On traite incidemment cette queftion
de chronologie , que l'on éclaircit
par un calcul qui fert à prouver que le rapport
de Porphyre ne péche en aucune façon
contre l'ordre exact des temps. Les facrifices
humains ne cefferent que pour un
temps à Carthage . Quoique leur abolition
fit une partie eflentielle du traité que Gelon
avoit conclu avec ceux de cette République
, il femble pourtant qu'elle n'eut
DECEMBRE. 1755. 67
lieu qu'autant que ce Prince vécut depuis
ce traité. Ils les renouvellerent après fa
mort , qui vraisemblablement leur parut
une raifon fuffifante pour rompre l'engagement
qu'ils avoient contracté. C'est ce
que prouve évidemment une circonstance ,
où étant réduits au défefpoir par Agatocle
Tyran de Syracufe , qui les avoit battus ,
ils facrifierent à leur dieu Saturne deux
cens d'entre les fils de leurs plus illuftres
concitoyens , afin de fe le rendre propice.
Tertullien nous apprend que cette abominable
coutume fe perpétua en Afrique , &
dura publiquement jufqu'au temps du Proconfulat
de Tibere qui fit mettre en croix
les Prêtres auteurs d'une femblable impiété.
Il eft à propos de remarquer qu'il ne
faut pas confondre ce Tibere Proconful
d'Afrique avec l'Empereur du même nom,
lequel fut fucceffeur d'Augufte . Celui dont
il eft question , eft poftérieur à ce Prince
d'environ un fiecle , & ne doit avoir vécu
que fous Adrien qui l'avoit revêtu de la
dignité Proconfulaire. Cette remarque eft
fortifiée par le témoignage de Porphyre
, de Lactance & d'Eufebe , qui rappor
tent la ceffation des facrifices humains au
temps d'Adrien , fous le regne duquel
ils furent abolis dans prefque tous les
lieux où ils étoient en ufage. Au cas qu'on
68 MERCURE DE FRANCE.
fouhaite des preuves plus directes de ce
que nous venons de dire à ce fujer , on n'a
qu'à confulter Saumaiſe ( 1 ) Henri de Valois
( 2 ) , & le P. Pagi ( 3) , qui ont fait
l'obfervation dont nous parlons , & qui
ont très- bien difcuté ce point de critique.
Si le traitement rigoureux dont on avoit
ufé en Afrique envers les Prêtres qui
avoient prêté leur ministère à de pareils
crimes , fervit d'abord à intimider les autres
, il ne put pourtant pas réprimer leur
penchant pour ces fortes de facrifices qui
fe continuerent fecrétement dans la fuite ;
& cela fe pratiquoit ainfi au commencement
du troifieme fiecle , comme le témoigne
Tertullien qui écrivoit vers ce tempsla
fon Apologétique . La victoire que ceux
de la Sicile avoient remportée fur les Carthaginois
, avoit été le fruit de l'habileté
de Gelon , & de fon expérience dans l'art
de la guerre. Auffi avoit- elle contribué à
redoubler l'affection que les Syracufains
avoit pour lui. Il avoit fçu la mériter par
fon humeur populaire , & furtout par la
fagelle avec laquelle il fe conduifoit dans
l'adminiftration des affaires de la Républi-
( 1 ) Cl. Salmafi. Not. in Spartian. ( 2 ) Henric.
Valefi. Annotation . in oration . Eufeb. de Laudib.
Conftantin. pag. 287. ( 3) Pag . Critic, in Annal.
Baron. fub ann. c. 11. n . 14. p . 12 .
DECEMBRE 1755 . 69
que , qui ne pouvoit tomber en de meilleures
mains que les fiennes. Ces motifs
réunis concoururent à affermir l'autorité
dont il jouiffoir longtems avant la défaite
de la flotte des Carthaginois, Le ſervice
important qu'il venoit de rendre à ſa patrie
, trouva dans les Syracufains un peuple
reconnoiffant qui confentit à le payer
du facrifice de fa liberté , en lui déférant
alors la royauté. Quoique le pouvoir de
Gelon fût déja très- abfolu , il lui manquoit
encore la qualité de Roi pour le confirmers
ce n'eft pas qu'il n'eût pu l'ufurper , à
l'exemple de bien d'autres , s'il avoit eu
deffein d'employer comme eux les voies
de la force & de la violence pour l'acquérir
: mais content de gouverner à Syracufe
fous le nom de Généraliffime ou de Préteur
, il ne fe mit pas fort en peine d'afpirer
à un titre qui auroit fans doute indifpofé
les efprits , & lui auroit attiré l'indignation
de fes concitoyens , s'il eût ofé
le prendre fans leur aveu , & qui d'ailleurs
n'eût pas augmenté davantage fa puiffance.
Les traits fous lefquels on nous le repréfente
dans le rang où il fe vit élevé ,
font l'éloge de fon caractere ; ce Prince ,
bien loin d'affecter la pompe qui en paroît
inféparable , & d'abufer du pouvoir attaché
à fa nouvelle dignité , fembloit ne l'a
70 MERCURE DE FRANCE.
•
voir acceptée que pour obliger fes concitoyens
, & céder à leurs inftances réitérées
qui ne purent le diſpenſer de fe foumettre
à leur volonté. C'eft pourquoi il difoit
que l'intention des Syracuſains, en lui mettant
la couronne fur la tête , avoit été de
l'engager par une faveur auffi marquée à
protéger la juftice & l'innocence. Le foin
de maintenir entr'eux la paix & l'union , &
de gagner le coeur de fes fujets par fes manieres
affables & pleines d'humanité , faifoit
fon unique occupation . C'eft ainfi que
fes vertus lui frayerent le chemin du trône,
dont perfonne ne s'étoit vu en poffeffion
depuis la mort d'Archias fondateur de
Syracufe. Ce dernier étoit né à Corinthe
& iffu de la race des Bacchiades , famille
diftinguée & puiffante dans cette ville. Une
aventure finguliere que l'on pourra voir
détaillée dans l'ouvrage , l'ayant contraint
d'abandonner les lieux de fa naiſſance , il
fe retira en Sicile , où s'étant établi avec une
colonie de fes compatriotes qui l'avoient
fuivi , il bâtit Syracufe. Après y avoir
regné plufieurs années , il fut tué par un
jeune homme pour qui il avoit eu une
tendreffe criminelle , & dont il avoit abufé
dans l'enfance : le temps où tombe la
fondation de cette ville , forme une Epoque
affez curieufe pour mériter qu'on s'arDECEMBRE.
1755. 71
rête à la déterminer conformément à la
fupputation qui réfulte d'une particularité
que fourniffent les Marbres. On touche
auffi un mot de la grandeur de Syracufe ,
qui comprenoit dans fon enceinte quatre
villes voifines l'une de l'autre , & dont
Archias n'en compofa qu'une feule. La
forme de fon gouvernement éprouva du
changement depuis la mort de celui qui en
avoit jetté les fondemens. Les Syracufains
abolirent l'Etat Monarchique pour lui fubftituer
le Démocratique qui fe maintint
fort longtems. Hippocrate Tyran de Gele,
tenta dans la fuite de leur ravir la liberté.
Après avoir réduit divers Peuples de la
Sicile fous fon obéiffance , il tourna fes armes
contre les Syracufains qu'il défit auprès
du fleuve Elore. Ceux ci n'auroient
point évité la fervitude qui les ménaçoit ,
s'ils n'avoient été fecourus des Corinthiens
& des Corcyréens qui prirent leur défenfe,
à condition qu'ils céderoient à Hippocrate
la ville de Camarine qui avoit été jufqueslà
fous leur dépendance. Dans le temps
qu'Hippocrate continuoit à faire la guerre,
il mourut devant la ville d'Hybla . Gelon ,
dont les ancêtres avoient depuis bien des
années leur établiſſement dans Gele , &
defcendu du Sacrificateur Telinès , ayant
reçu d'Hippocrate le commandement de la
72 MERCURE DE FRANCE.
cavalerie s'étoit fignalé par fon courage
dans toutes ces occafions. Les Gelois las de
fe voir opprimés par la tyrannie , refuſerent
de reconnoître pour leurs Souverains
Euclide & Cléandre , les deux fils qu'Hippocrate
avoit laiffés. Gelon , fous prétexte
de réprimer la révolte des Gelois , envahit
la domination , & en priva les enfans
d'Hippocrate , dès qu'il eut fait rentrer les
rebelles dans leur devoir. Gelon ramena
enfuite de Cafmene dans Syracufe quelques
uns de fes habitans nommés Gamores
, qui en avoient été chaffés. Les Syracufains
qui le virent approcher , livrerent
en fon pouvoir leur ville & leurs perfonnes.
On ne fçauroit dire s'ils crurent qu'il
leur feroit plus avantageux d'agir de la
forte que de s'expofer aux maux que les
fuites d'un fiege ont coutume d'occafionner.
Ce qu'il y a de vrai , c'eſt que Gelon
devint maître abfolu de cette ville fans
qu'il lui en coutât le moindre combat . Il
abandonna la principauté de Gele à fon
frere Hieron , & fe réferva celle de Syracufe
qu'il peupla de nouveaux habitans ,
& qu'il rendit plus que jamais floriffante.
Une réflexion très - naturelle porte l'Auteur
à conclure que la conduite de Gelon
en cette circonftance dément le caractere
qu'on lui attribue. Il y auroit fans doute
de
DECEMBRE 1755. 73
pour
de l'injuftice à le juger fur cette feule
action ; qui , quoiqu'elle ne foit pas à la
vérité fort honorable à fa mémoire , ne
doit pourtant point influer fur le refte de
fa vie : au moins c'eſt ce qu'on eft en droit
d'inférer du témoignage des Ecrivains de
l'antiquité qui ont parlé de lui . Il paroît
feulement par- là que Gelon , tout vertueux
qu'on nous le dépeint d'ailleurs , ne fut
pas toujours exempt de la paffion de dominer
, qui le fit ufer de perfidie envers
les héritiers légitimes , en les dépouillant
de l'autorité fouveraine , & l'engagea dans
des pratiques criminelles fatisfaire
fon ambition. Comme les Anciens qui ont
déterminé le tems de fon regne , varient
confidérablement entr'eux , lorfqu'il s'agit
d'en conftater la durée , qu'ils étendent
plus ou moins , felon la fupputation à
laquelle ils s'attachent , on infifte conféquemment
fur les contradictions apparentes
qui naiffent de la différence de leur calcul
, & afin d'être en état de les concilier
on recherche la caufe qui a produit ces
variétés. Il fuffit pour la découvrir de
comparer exactement leur rapport ,
dont
la diverfité vient de ce que le commencement
de la domination de Gelon pouvant
fe fixer à différentes dates , cela à donné
lieu à la différente maniere d'en compter
II.Vol. Ꭰ
7 MERCURE DE FRANCE.
les années. Les uns ont daté l'Epoque de
fon regne, dumoment qu'il fut maître dans
Syracufe dont les habitans s'étoient foumis
à lui ; parce qu'il y avoit un pouvoir
prefque aufli abfolu que celui qui eft affecté
à la Royauté . Les autres qui ont niarqué
les chofes avec plus de précifion , re
l'ont commencé que depuis qu'il fut proclané
Roi , titre que lui mériterent l'importance
de fes fervices & fon dévouement
au bien de la République. Nous ferions
trop longs , s'il nous falloit entrer dans
le détail de preuves qui fervent à établir
la vérité de cette remarque que nous ne
faifons qu'indiquer. C'eft pourquoi nous
aimons mieux renvoyer les Lecteurs curieux
d'approfondir les matieres de cette
nature à l'ouvrage même , où il leur fera
plus facile de prendre une idée jufte &
précife des calculs qui accompagnent cette
difcuffion chronologique. Gelon mourut
après avoir gouverné Syracufe fept
ans , avec la qualité de Roi. Il laiffa pour
fon fucceffeur Hieron , le plus âgé de fes
deux freres qui reftoient. Il ordonna en
mourant , à Damareté fa femme & fille de
Theron Tyran d'Agrigente , d'époufer
Polyzele qui fut pourvu du commandement
de l'armée , que l'on avoit fans doute
foin de tenir toujours prête à marcher
DECEMBRE. 1755- 75
en cas que le peuple de Syracufe fût inquieté
par fes voifins , ou attaqué par
des nations étrangeres. Hieron parvenu
à jouir de la Royauté , fe comporta bien
différemment de fon prédéceffeur. Il hérita
du rang de fon frere , mais non pas
de fes vertus . Il étoit avare , violent &
auffi éloigné de la probité de Gelon que
de fa candeur. Son humeur cruelle &
fanguinaire n'auroit pas manqué d'exciter
un foulevement général parmi les Syracufains
, fi le fouvenir des bienfaits de Gelon
, dont la mémoire leur étoit par conféquent
très -chere n'eût été un motif
capable de les retenir. Les foupçons & la
défiance , vices inféparables d'une conduite
tyrannique , l'armerent contre fes propres
fujets , dont il craignoit les complots,
Il s'imagina que pour mettre fa vie en fureté
, la force feroit une voie moins douteufe
que leur affection qu'il auroit fallu
captiver. Il leva pour cet effet des troupes
mercenaires , & compofa fa garde de
foldats étrangers. Comme il s'apperçut de
l'attachement des Syracufains pour Polyzele
qu'ils cheriffoient autant qu'ils le
haïffoient , ce fut affez pour lui faire foupçonner
fon frere d'afpirer à la Royauté , &
pour lui rendre toutes fes démarches fufpectes.
Il ne vit plus en lui qu'un rival
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
dangereux , qu'il étoit de fon intérêt de
perdre. Un événement parut favorable à
les deffeins . Il s'agiffoit de prendre la défenfe
des Sybarites qui avoient imploré
fon fecours contre les Crotoniates, par qui
ils étoient affiégés . Il faifit cette occafion
de fe défaire de fon frere qui étant chargé
du commandement de l'armée , reçut ordre
de lui de les aller fecourir.
Il avoit , felon toutes les apparences ,
travaillé aux moyens de le faire périr dans
le combat . Au moins c'eft ce que crut
Polyzele qui , pénétrant fes intentions , &
connoiffant d'ailleurs fa jaloufie , refuſa
d'obeir. Hieron irrité de fe voir fruftré
dans fes projets , éclata en menaces. Polyzele
n'auroit certainement pas tardé à
éprouver les effets de fon reffentiment ,
s'il n'avoit pris le parti de s'en garantir
en fe refugiant à la Cour de Theron dont
il avoit épousé la fille . Il n'en fallut pas
davantage pour brouiller ces deux Princes
, qui auparavant étoient amis . Hieron
reclama Polyzele comme un rebelle qu'il
vouloit punir , & fut indigné de ce que le
Roi d'Agrigente lui donnoit une retraite
dans fes Etats. D'un autre côté , la violence
que l'on faifoit à Polyzele , touchoit
trop Theron pour ne pas l'engager à foutenir
la cauſe de ſon gendre , & à le déDECEMBRE.
1755, 77
fendre des injuftes pourfuites de fon frere.
On fe difpofoit déja de part & d'autre à
la guerre , lorfque Hieron tomba dangereufement
malade . Ce qu'il y a de fingulier
, c'eft que cette maladie toute fâcheufe
qu'elle devoit être pour ce Prince , lui
fut pourtant néceffaire , puifqu'elle occafionna
un changement dans fa perfonne ,
auquel on n'avoit pas lieu de s'attendre.
Pour adoucir l'ennui que lui caufoit la
longueur de fa convalefcence , il invita
par fes largeffes les plus fameux Poëtes de
fon tems à fe rendre auprès de lui . Il efperoit
trouver dans leurs entretiens un remede
à fes chagrins domeftiques. On peut
croire que Simonide , de qui Pindare luimême
avoit appris les principes de fon
art , ne fut pas oublié dans le nombre de
ceux qu'Hieron attira à fa Cour. Il fut celui
qui fçut le mieux s'infinuer dans l'efprit
de ce Prince , & obtenir fa confiance.
Ce Prince eut l'obligation au commerce
qu'il lia avec les Sçavans qu'il avoit
fait venir , d'avoir poli fes moeurs & orné
fon efprit qui étoit naturellement capable
des plus grandes chofes , mais qu'une
application continuelle aux exercices militaires
ne lui avoit pas permis jufques là
de cultiver. Il profita beaucoup dans les
fréquentes converfations qu'il avoit avec
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Simonide . Elles furent autant de leçons
qui lui infpirerent l'amour de la vertu , &
l'accoutumerent par dégrés à en remplir
les devoirs . Elles lui firent ouvrir les yeux
fur fes égaremens , & fentir toute l'injuftice
de la guerre qu'il alloit fe mettre fur
les bras . Les confeils de notre Poëte lui furent
d'une grande reffource pour tourner
les chofes vers la pacification . Voici de
quoi il eft queftion. Theron ayant donné
Thrafydée fon fils pour maître aux Himerens
, celui-ci rendit fa domination infupportable
par fon orgueil & par fes violences
, qui les contraignirent de fe foulever
contre lui . Ils n'oferent fe plaindre de fa
conduite à Theron , parce qu'ils craignirent
que l'oppreflion devînt encore plus
forte , en cas que le pere fe montrât juge
peu équitable dans la caufe de fon fils.
C'est pourquoi ils fe déterminerent à envoyer
des Députés à Hieron pour lui offrir
du fecours contre Theron , & lui déclarer
en même tems qu'ils fouhaitoient à l'avcnir
dépendre de lui . Cette conjoncture
fournir à Simonide les moyens de remettre
la paix entre les deux Princes , & de faire
l'office de médiateur. Ce fut par fes avis
que Hieron inftruifit le Roi d'Agrigente
du complot formé par les habitans d'Himere
, & l'avertit de prendre fes mesures
pour le faire avorter.
DECEMBRE. 1755. 79
La reconnoiffance de Theron fut égale
à la générosité du procedé d'Hieron , avec
qui il ne fongea plus qu'à fe réconcilier ,
& leurs démêlés mutuels furent dès- lors
pacifiés. Hieron , pour affermir davantage
cette union , époufa la foeur de ce Prince .
Il rendit fon amitié à Polyzele , & les deux
freres vécurent depuis en bonne intelligence.
« Hieron commença ( dit l'Auteur )
à facrifier fes intérêts au bien public. Il
38
ne s'occupa plus que du foin d'acquerir,
» à l'exemple de Gelon , par fes manieres
» affables & par fa clémence , le coeur &
» l'eftime de fes fujets . Ses libéralités qu'ils
» éprouverent dans la fuite , effacerent
» entierement de leur mémoire les traits
" d'avarice qu'ils avoient d'abord remar-
» qués en lui . Sa Cour devint l'afyle des
» fciences , par la protection qu'il accor-
» doit aux perfonnes qui les cultivoient
» avec fuccès. Il montroit plus d'ardeur à
» les prévenir par des récompenfes , que
» les autres n'en avoient à les obtenir.
و د
L'Auteur accompagne fon récit de cette
réflexion qui fe préfente naturellement .
» Comme il réjaillit autant de gloire fur
le Prince qui répand fes bienfaits , que
» fur le particulier qui les reçoit , com-
" bien de Souverains ne font un accueil
» favorable au mérite , peut - être moins
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
"3
» pour l'honorer , que pour fatisfaire euxmêmes
leur vanité ! Si l'on compare cet-
» te derniere conduite d'Hieron avec celle
qu'il avoit tenue en premier lieu , on
» fera furpris d'un contrafte auffi frappant.
Il devoit du moins avoir un fond de
» vertu ; car les fciences toutes feules ne
produifent point de pareils changemens.
» Elles perfectionnent à la vérité un heu-
» reux naturel ; mais il eft rare qu'elles
» réforment un coeur vicieux . >>
ود
Nous avons déja infinué quelque chofe
de l'avarice de Simonide . On peut affurer
qu'il n'y a point d'endroit où elle parut
plus à découvert qu'à la Cour d'Hieron .
Elle s'eft caractérisée jufques dans les reparties
qu'on lui attribue . Nous allons citer
quelques - unes de celles que l'on a recueillies.
On apprend d'Ariftote que la
femme d'Hieron ayant demandé à ce Poëte
, lequel étoit le plus à défirer , d'être riche
on fçavant ? il répondit , qu'il préferoit les
richeſſes , puisqu'on ne voyoit tous les jours
à la porte de riches que des fçavans . Hieron
avoit donné ordre qu'on lui fournît
chaque jour les provifions néceffaires pour
le faire vivre dans l'abondance , & Simonide
pouffoit l'épargne jufqu'à en vendre
la principale partie. Lorfqu'on voulut fçavoir
pourquoi il fe comportoit de la forte.
DECEMBRE. 1755. 81
C'est ( reprit- il auffi - tôt ) pour montrer en
public la magnificence du Prince , & ma
grande frugalité. Cette réponſe paroit à
M. Bayle un pauvre fubterfuge , & l'on
ne peut nier que fa remarque ne foit jufte.
Mais c'eft affez l'ordinaire des Beaux-
Efprits de payer de traits ingénieux pour
excufer les défauts qui choquent en eux
& fur lefquels on les preffe de s'expliquer ,
quand ils n'ont point de bonnes raifons à
alléguer pour leur juftification. Toutes
les fois que l'avarice infatiable de ce Poëte
l'expofoit à des railleries & à des reproches
, il avoit fon excufe prête , en difant
, qu'il aimoit mieux enrichir fes ennemis
après fa mort , qu'avoir besoin de fes
amis pendant fa vie. Auffi n'étoit - il rien
moins que difpofé à écrire gratuitement :
c'eft ce qu'il fit fentir à un homme qui
l'avoit follicité à compofer des vers à fa
louange , en fe contentant de l'affurer qu'il
lui en auroit des obligations infinies. Une
pareille propofition fatisfit peu Simonide ,
qui lui répondit , qu'il avoit chez lui deux
caffettes , l'une pour les payemens qu'il exigeoit,
& l'autre pour les obligations qu'on pouvoit
lui avoir, que la premiere reftoit toujours
vuide , au lieu que celle- ci ne ceffoit jamais
d'être pleine. On conçoit aifément que fon
humeur intéreffée devoit rendre fa plume
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
fort venale . Ce qu'il y a de certain , c'est
qu'il a la réputation d'avoir été le premier
des Poëtes Grecs qui ayent mis les Mufes
à louage. On ne fçauroit difconvenir que
cette tache n'obfcurciffe la gloire qu'il s'eft
acquife par la beauté de fon génie. L'indigne
trafic qu'il faifoit de fes ouvrages
donna naiffance à un proverbe honteux à
fa mémoire . Il fuffifoit que des vers fuffent
vendus au plus offrant pour porter le nom
de vers de Simonide. Comme le mot grec
dont fe font fervis des Auteurs anciens ,
pour exprimer l'avarice de Simonide , reçoit
des acceptions différentes , felon l'ufage
auquel on l'applique , il a induit en
erreur Lilio Giraldi , qui à attaché à ce terme
une fignification contraire à fon analogie
, quelle que foit la racine d'où on
veuille le dériver , & dont , à plus forte
raifon , il ne peut être fufceptible dans
l'occafion où il fe trouve employé. C'eſt
ce qui eft fpécifié plus particuliérement
dans l'ouvrage auquel il faut recourir , fi
l'on fouhaite s'en inftruire. Nous ajouterons
encore à ce que nous venons de dire
de ce Poëte , une circonftance qui dévoile
entierement l'exceffive paffion qu'il avoit
de thefaurifer. Un Athlete vainqueur à la
courfe des Mules , ayant voulu l'engager
a célébrer la victoire , lui offroit une fomDECEMBRE.
1755 .
83
me trop modique
, Simonide
refufa de le
fatisfaire
fur fa demande
, fous prétexte
qu'il
à un homme
comme lui
conviendroit
peu
de louer des Mules . Mais l'autre ayant pre- pofé un prix raifonnable
, notre Poëte
confentit
à faire l'éloge de ces Mules, qu'il
qualifia de filles de chevaux
aux pieds légers, expreffion
emphatique
qui a été défapprouvée
avec juftice par des Critiques
. Nous ne croyons
pas devoir nous arrêter à une
autre repartie
à peu-près du même genre, qui lui eft attribuée
par Tzetzes
, Auteur
peu exact en fait de narration
hiftorique
, parce qu'elle porte fur une fuppofition
évidemment
fauffe qui rend fon récit fufpect
, pour ne rien dire de plus. Il faut
confulter
l'ouvrage
pour avoir une pleine
conviction
de ce que nous remarquons
à ce fujet. Simonide
poffeda jufqu'à la mort
les bonnes graces d'Hieron
, dans lefquelles
il étoit entré fort avant . Il ne fut point confideré
à la Cour comme
un homme
dont le talent confiftoit
uniquement
à faire
des vers , & à donner
quelques
leçons
de morale ; ce Prince le jugea capable
de l'aider de fes confeils
dans le gouverne- ment des affaires , & il eut lieu de s'en louer
dans plus d'une occafion
. Auffi s'ouvroitil
familiérement
à ce Poëte , dont il connoiffoit
la prudence
, & il ne faifoit au-
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
cune difficulté de lui communiquer fes
penfées les plus fecrétes. Les entretiens
qu'ils avoient enſemble là - deffus , ont fans
doute fourni à Xenophon le fujet d'un
Dialogue de fa façon , où les introduifant
l'un & l'autre pour interlocuteurs , il produit
lui-même fous ces noms empruntés ,
fes réflexions politiques. C'est une excellente
piece qui renferme un parallele entre
la condition des Rois & celle des Particuliers.
Comme Hieron avoit paffé par ces
deux états , cet ingénieux Ecrivain ne pouvoit
choifir perfonne qui fût censé être
mieux à portée que ce Prince d'en apprécier
les différences. La maniere dont il
fait parler Simonide , eft analogue au caractere
de ce Poëte qui foutient par la
folidité des avis qu'Hieron reçoit de lui ,
la réputation de fage qu'il a méritée
par l'honnêteté de fes moeurs : En effet ,
quelques légeres taches répandues fur fa
vie , que l'on devroit taxer plutôt de foibleffes
inféparables de l'humanité , ne
pourroient balancer toutes les belles qualités
que la nature lui avoit accordées , s'il
n'avoit témoigné dans fes actions un penchant
trop marqué pour l'avarice la plus
fordide , vice fi honteux qu'il fuffit lui
feul pour diminuer l'éclat des vertus qui
l'ont rendu d'ailleurs recommandable.
DECEMBRE. 1755 . 85
da ce
que
Les fréquentes converfations d'Hieron
& de Simonide ne rouloient point feulement
fur des matieres de pure politique ;
elles avoient encore pour objet l'examen
des queftions les plus philofophiques . C'eſt
ce qui paroît par la célebre réponſe que
notre Poëte fit à ce Prince , qui lui demanc'étoit
que Dien ? Il faut convenir
que la queftion étoit des plus épineufes ,
& par conféquent très- propre à embarraffer.
Auffi Simonide ne manqua pas de
prétexte pour juftifier l'impuiffance où il
fe voyoit d'y fatisfaire fur le champ , &
il obtint du tems pour y rêver plus à fon
aiſe. Le terme étant expiré , Hieron étonné
de tous les délais dont ce Poëte ufoit
pour éluder l'explication qu'on exigeoit
de lui , en voulut apprendre la caufe . Simonide
avoua ingénuement , que plus il
approfondiffoit la chofe , plus elle lui fembloit
difficile à réfoudre.
Si l'on inféroit de fa réponſe à Hieron ,
que ce Poëte avoit formé quelque doute
fur l'existence d'un Etre Suprême, ce feroit
non-feulement étendre la conclufion beaucoup
plus loin que ne l'eft la prémiffe ; mais
ce feroit déduire une conféquence trèsfauffe.
Car Simonide étoit fi peu porté à
nier qu'il y eût une Divinité , que jamais.
Poëte Payen n'a peut -être eu une perfuaS6
MERCURE DE FRANCE.
fion plus vive des effets de fa puiffance ;
c'est ce que témoignent affez les fragmens
qui nous reftent de fes Poélies , & principalement
quelques vers de lui , qui font
cités par Théophile d'Antioche . « Il y eft
dit , qu'il n'arrive aux hommes aucun
" mal inopiné : que Dieu fait en un feul
» moment changer de face à toutes chofes,
» & que perfonne ne fçauroit fe flatter
d'acquérir la vertu fans une affiftance
» particuliere de fa part ».
Simonide termina fa vie à l'âge de quatre
-vingt-dix ans , dont il paffa les trois
derniers à la Cour d'Hieron. Le tombeau
qu'on lui avoit élevé à Syracufe , fut dans
la fuite du temps démoli par un Général
des Agrigentins , appellé Phoenix , qui en
fit fervir les matériaux à la conftruction
d'une tour. On marque le temps dont fa
mort précede celle d'Hieron , & pour le
conftater d'une maniere préciſe , il a fallu
néceffairement fixer celui où tombe le
commencement & la fin du regne de cè
Prince , duquel on détermine conféquemment
la durée. On fent bien que tout celá
eft accompagné de détails chronologiques
dans lesquels nous évitons ici de nous engager
parce qu'ils n'intéreffent qu'un
très -petit nombre de Sçavans exercés à ce
genre d'étude. L'Auteur conduit plus loin
DECEMBRE. 1755. $7
que la mort de notre Poëte , le fil de fa
narration qui offre en raccourci l'hiftoire
de Syracufe . Il parcourt avec rapidité les
révolutions qui arriverent à cette République
depuis l'expulfion de Thrafybule
frere & fucceffeur d'Hieron , que fa conduite
violente avoit fait chaffer de Syra--
cufe , jufqu'au temps qu'elle éprouva le
fort ordinaire aux Villes que les Romain's
foumettoient
à leurs armes . Comme le récit
de ces chofes femble au premier coup
d'oeil ne tenir en aucune façon au plan général
de l'Ouvrage , on ne manquera pas
de le trouver abfolument hors d'oeuvre.
En tout cas , l'Auteur a prévenu lui-même
l'objection qui peut avoir lieu . «< Ayant ,
» dit-il , donné la plus grande partie de
» l'histoire de cette fameufe République ,
» que j'ai eu occafion de prendre dès fon
» origine , je me ferois reproché mon peu
» d'attention à procurer au Lecteur une
» entiere fatisfaction , fi je n'avois rendu
fon inftruction complette , en mettant
» devant fes yeux un précis de la fuite
» des affaires de Syracufe , jufqu'au temps
» qu'elle tomba au pouvoir des Romains ,
"
"
qui l'affujettirent à leur Empire. Je pen-
» fe avoir été d'autant plus fondé à le
faire , qu'un des derniers de ceux qui
ont gouverné defpotiquement en cette
Ville , étoit defcendu de Gélon , &
1
88 MERCURE DE FRANCE.
و ر
porté le nom d'Hieron , ainfi que le
» frere de ce Prince. Il marcha fi parfaite-
» tement fur les traces du premier , que
» de Préteur qu'il étoit auparavant à Sy-
» racufe , il s'ouvrit également par fes
» vertus un chemin à la royauté. Il eft
» furtout célebre par fes démêlés avec les
» Romains qui le défirent plus d'une fois :
» ce qui l'obligea de contracter avec eux
» une alliance dans laquelle il perfifta le
» refte de fes jours . Il étoit donc naturel
» de toucher légerement ce qui regarde ce
» Monarque de qui l'hiftoire ne doit pas
» être détachée de celle de fes Ancêtres ,
» dont il n'a point démenti les belles actions.
Enfin quand on trouveroit que
» la relation de ces chofes fort des bornes
» que mon principal fujet me prefcrivoit ,
» s'il réfulte pour le Lecteur quelque avan-
» tage de voir réunies dans un feul point de
» vue toutes les différentes révolutions
particulieres à l'état de cette Républi-
» que , depuis l'époque de fa fondation ,
jufqu'à celle de fa ruine ; c'eft lui feul
» qui fera mon apologie
"3
L'Auteur , après avoir fait l'hiftoire de
Simonide & celle de fon Siecle , paffe enfuite
au détail de fes Poéfies. Quoiqu'il en
eût compofé un grand nombre , il en refte
à peine des fragmens qui font comme des
débris échappés aux injures du temps. Ils
DECEMBRE. 1755 . 89
ont été recueillis par Fulvius Urfinus , &
en partie par Leo Allatius. Le premier les
a accompagnés de notes de fa façon . Il
n'eftfouvent parvenu jufqu'à nous que les
titres de plufieurs de ces Poéfies qui ont
tranfmis avec honneur le nom de Simonide
à la postérité. Les perfonnes curieufes
de les connoître , n'auront qu'à recourir
à la Bibliotheque Grecque du fçavant
M. Fabricius. Comme fon objet principal
eft d'y offrir une notice des ouvrages
des Auteurs Grecs , & d'y détailler les circonftances
qui en dépendent , il a dreffé
avec fon exactitude ordinaire un catalogue
de toutes les différentes fortes de Poëmes
qu'avoit écrits Simonide , autant qu'il
a pu en avoir connoiffance , en feuilletant
ceux d'entre les Anciens qui ont eu occafion
de les indiquer , lorfqu'ils ont cité des
vers de ce Poëte . On n'a pas cru devoir
s'arrêter dans cette Hiftoire à ces fortes de
détails , dont on ne tire d'autre fruit que
celui de fatisfaire fa curiofité. Ils peuvent
être fupportables en Latin , où l'on n'affecte
pas la même délicateffe qu'en notre Langue
, lorfqu'il s'agit de chofes auffi feches :
elles caufent de l'ennui & du dégout au
Lecteur François qui s'attend à des inftructions
plus folides. Quand on confidere la
perte de beaucoup de bons ouvrages que
90 MERCURE DE FRANCE.
le temps nous a ravis , tandis qu'il a épargné
tant de foibles productions qui , bien
loin d'être enviées , ne méritoient pas même
de voir le jour , on ne fçauroit s'empêcher
d'avouer que c'eft -là un de ces caprices du
fort qui prend plaifir à fe jouer de tous les
moyens que l'induftrie humaine peut imaginer
pour fe garantir de fes injuftices.
Si on demande à l'Auteur pourquoi il ne
s'eft point fait un devoir de traduire en
notre langue ces fragmens poétiques , ( car
quelques imparfaits que foient les morceaux
qu'ils renferment , ils ferviroient du
moins à donner une idée de la beauté du
génie de Simonide ) il répondra que la
défunion des parties qui forment l'enchaînement
du difcours , rend trop difparates les
chofes qui font énoncées dans les vers de
ce Poëte : comme elles n'ont aucune relation
les unes avec les autres , elles font par
cela même incapables d'offrir un fens fuivi
; « de forte que ce feroit , ( dit-il , ) per-
» dre fes peines , que d'expofer ces frag-
» mens en l'état actuel où ils font , fous
les yeux du Lecteur François qui aime
qu'on ne lui préfente que des idées bien
afforties , & parfaitement liées enſem-
» ble . On trouve dans un recueil qu'on
a fait de ces fragmens , deux pieces écrites
en vers ïambes , qui ont été mises à ce
DECEMBRE. 1755. 91
qu'il paroît , fur le compre de notre Simo
nide : c'eft ce qu'il y a de plus entier de
tout ce qui eft venu jufqu'à nous de fes
Poéfies. L'une roule fur le peu de durée de
la vie humaine , & l'autre eft une efpece
de fatyre ridicule contre les femmes , où
F'on ne produit que des injures groffieres
pour reprendre les défauts qu'on peut leur
reprocher. On y fait une application continuelle
des vices de ce fexe , aux diverfes
propriétés attachées à la nature des animaux
defquels on feint qu'il a été formé.
On y fuppofe que l'origine de l'ame des
femmes eft différente felon la diverfité de
leur humeur ; que l'ame des unes est tirée
d'un cheval , ou d'un renard , ou d'un finge
, 8 que celle des autres vient de la
terre & de la mer. Elien cite un vers qui
a rapport aux femmes qui aiment la parure.
On reconnoît difficilement Simonide
à ces traits qui font indignes de lui , &
affurément certe piece n'eft pas marquée
au coin qui caractérife communement fes
productions. Enfin il eft inconteſtable que
ces deux Poëmes n'appartiennent en aucune
maniere au Simonide dont on écrit
la vie; puifque les Anciens ne nous appren
nent point qu'il fe foit jamais exercé dans
ce genre de poéfie . Il les faut reftituer à
un autre Simonide qui a précédé le nôtre
92 MERCURE DE FRANCE.
de plus de deux fiecles. C'est lui qui doit
en être regardé comme le véritable auteur.
Il ne feroit pas étonnant que l'identité de
nom eût fait confondre enfemble ces deux
Poëtes , qui font du refte très- différens l'un
de l'autre. C'est ce que l'on confirme par
une preuve que fournit le témoignage des
Anciens qui ont pris foin de les diftinguer,
l'un , par la qualité de Poëte Lyrique , &
l'autre , par celle de Poëte Iambique. Celui
qui eft renommé dans l'antiquité par la
compofition de fes ïambes , étoit né à
Minoa , ville de l'ifle Amorgos. Suidas le
dit fils d'un certain Crinée qui ne nous
eft pas autrement connu . Ses travaux poétiques
ont eu le même fort que ceux de
notre Simonide. Il n'en fubfifte plus que
des fragmens qui confiftent uniquement
en ces deux poëmes dont nous venons de
parler , & en quelques vers détachés qui
nous ont été confervés par Athénée , Galien
, Clément d'Alexandrie & Stobée .
On recherche le temps où il vivoit ; &
comme une date que produit Suidas , conconcourt
à le déterminer par celle de la
ruine de Troye , l'Auteur piend de-là occafion
d'entrer dans un examen chronologique
des différentes Epoques que les Anciens
affignent à la prife de cette Ville.
Nous nous bornerons à en expofer ici le
DECEMBRE . 1755 . +3
"
"3
réſultat qu'il en donne lui - même dans fa
préface. Quelque foit le calcul auquel on
veuille s'attacher , « il eft conftant , (dit-il)
» que celui du LexicographeGrec eft fautif,
» à moins qu'on ne fubftitue dans fon
» texteune lettre numérale à l'autre , ainfi
que Voffius l'a parfaitement obfervé. Il
»y a d'autant plus d'apparence qu'il aura
fouffert en cela de l'inadvertance des
Copiftes qui font fujets à commettre de
» femblables mépriſes ; que la validité de
» la leçon qu'on propofe fe peut inférer
» d'un paffage formel qui fe tire de Tatien.
C'eft par-là feulement qu'on vient à bout
» de fauver la contradiction fenfible qui
» naîtroit de fon témoignage , & de celui
» de quelques - uns des Anciens , qui font
» ce Simonide contemporain d'Archiloque
, & par conféquent le renvoyent
» bien en- deça du fiecle où il le place.
» Comme il s'accorde à dire qu'Archilo-
» que fleuriffoit fous Gygès Roi de Lydie,
» dans la perfonne duquel commence la
» Dynaſtie des Mermnades , il s'enfuit de-
>> là que le temps du Simonide en queftion
»fe trouve étroitement lié à celui du regne
» de ce Prince & de fes fucceffeurs. C'eſt
pourquoi il réfulte des moyens que j'ai
employés pour fixer l'un par l'autre , une
» difcuffion qui m'a paru propre à répan-
"
39
94 MERCURE DE FRANCE.
» dre une nouvelle clarté fur la Chronolo-
» gie des Rois de Lydie ». Nous ajouterons
que la matiere eft affez importante
par elle-même pour fixer la curiofité des
Sçavans que leur propre expérience a mis
en état de fe convaincre de l'obſcurité qui
regne fur cette partie de l'Hiftoire ancienne.
La maniere avantageufe dont on nous
parle du Simonide fameux par fes productions
Lyriques , ne permet pas d'hésiter à
le placer au rang des meilleuts Poëtes de
l'Antiquité ce qu'on ne fçauroit dire
également de celui qui a écrit des vers
iambes. Il eft certain qu'il n'a pas joui de
la même célébrité , & que notre Simonide
l'emporte à tous égards fur l'autre. D'ailleurs
fon talent s'étendoit plus loin qu'à
faire des vers. C'est ce qu'on a été à portée
de voir plus d'une fois dans le cours
de cet Extrait. Cela paroît encore par l'invention
des quatre Lettres Grecques ( ou
,, » & , qui lui eft communément
attribuée. Il faut pourtant avouer qu'elle
lui eft conteſtée par quelques- uns qui en
font honneur à Epicharme né en Sicile .
Tzetzes balance même auquel des deux il
doit la rapporter , ou à notre Simonide ,
ou à Simonide le Samien qu'il dit être fils
d'un certain Amorgus. Il n'eft pas douteux
que ce dernier ne foit le même que
DECEMBRE. 1755.
95
le Poëte iambique de ce nom , à qui quelques
anciens Ecrivains donnent Samos
pour patrie , quoique le plus grand nombre
le faffe naître à Amorgos . Il n'eft pas
difficile de s'appercevoir de la méprife
grolliere de Tzetzes , qui transforme le
nom du lieu de la naiffance de ce Simonide
, en celui du pere de ce Poëte. On
n'infifte point fur cesLettres qui auroient
pu fournir le fujet d'une difcuffion , fi
Scaliger , Saumaife , Samuel Petit , Voffius
, Bochart , Ezéchiel Spanheim , Etienne
Morin , & le P. Montfaucon , n'avoient
déja épuifé tout ce que l'on peut produire
fur l'origine de l'Alphabeth Grec. On a
cru qu'il étoit plus à propos de renvoyer
à ces doctes Critiques , en citant au bas
de la page les endroits de leurs ouvrages ,
où ils ont traité cette matiere , que de redire
en gros des chofes qu'ils ont fi bien approfondies
en détail . Notre Simonide paffe
encore pour avoir ajouté une huitième
corde à la Lyre dont il fe propofa par- là
de perfectionner l'ufage , comme nous
l'apprenons expreffément de Pline . On
trouve parmi les fragmens de fes Poéfies
quelques vers qui ont été allégués par Platon
, Lucien , Athenée , Clément d'Alexandrie
, & Théodoret. Ils valent bien
la peine d'être cités pour leur fingularité.
96 MERCURE DE FRANCE.
Leur objet eft de définir quels font les biens
préférables de la vie. Voici ce qu'ils renferment.
« De tous les biens dont les hommes
peuvent jouir , le premier eft la fan-
»té , le fecond la beauté , le troiſieme les
richeffes amaffées fans fraude , & le
quatrieme la jeuneſſe qu'on paffe avec
» fes amis ».
22.
De tous les ouvrages que Simonide
avoit compofés , il n'y en a point afſurément
qui l'ait plus illuftré , & lui ait attiré
plus de louanges des Anciens , que ceux
qui portoient le titre de Threnes ou de
Lamentations. Ce font elles que Catulle
défigne par cette expreffion , mæftius lacrymis
Simonideis. Horace les a également en
vue , lorfqu'il dit pour repréfenter des
Mufes plaintives , Cea retractes munera
Nama. Son talent principal étoit d'émouvoir
la pitié ; & l'on peut affurer qu'il excelloit
dans le genre pathétique. Au moins
c'est l'aveu que fait Denys d'Halicarnaffe ,
qui le préfere à tous les Poëtes qui avoient
travaillé dans la même partie , après l'avoir
d'ailleurs regardé comme un modele
dans le choix des mots. La leçon de cet
endroit du Traité de l'Auteur Grec dont
on cite les paroles , eft d'autant plus défectueufe
, qu'elle forme un fens tout contraire
à celui que cet ancien Critique veut
exprimer.
DECEMBRE. 1755. 97
exprimer. Cela paroît avoir été occafionné
par la tranfpofition de deux mots qu'il s'agit
de remettre à la place qui leur eft propre
, pour réduire l'énoncé de la phraſe
grecque à un fens naturel & raifonnable.
C'est ce que l'Hiftorien a entrepris dans
une note dont le but est de rectifier ce paffage
qui a été étrangement altéré par l'inadvertence
des Copiftes. Le jugement que
Quintilien porte de Simonide confirme
celui de Denys d'Halicarnaffe , qui rapporte
un morceau d'une de ces Lamentations
de notre Poëte. Danaë déplorant fes malheurs
en faifoit le fujer . On fçait que fuivant
la fable , cette Princeffe infortunée
fut enfermée par l'ordre d'Acrifius fon
pere , dans un coffre d'airain avec l'enfant
qu'elle avoit mis au jour pour être jettée
dans la mer. Simonide fuppofe que dans
le temps qu'elle erroit au gré des vents &
des flots , elle parla en ces termes à Perfée.
" O mon fils , de combien de maux tà
» mere eft accablée . Tu te mets peu en
peine du fifflement des vents , & de l'im-
» pétuofité des vagues qui roulent fur ta
» tête : Ah ! fi tu pouvois connoître la
grandeur du péril qui nous menace , tu
prêterois fans doute l'oreille à mes dif-
» cours. Mais non . Dors, cher enfant , dors ,
je l'ordonne. Ainfi que lui, puiffiez- vous
"
"
11. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
éprouver le même calme , flots d'une
» mer agitée , & vous auffi mes maux dont
la mefure ne fçauroit être comblée » .
C'eft relativement à ce don d'attendrir
que Grotius a cru pouvoir lui comparer le
Prophéte Jéremie. Ces fortes de paralleles
qu'on établit entre des Ecrivains Sacrés
& des Auteurs Profanes , femblent avoir
d'abord quelque chofe de choquant : mais
pour peu qu'on veuille faire un moment
abstraction du caractere de prophéte qui
appartient à ce dernier , & qui par conféquent
le met hors de toute comparaifon
avec un Poëte Payen , il ne fera plus queftion
que de les envisager l'un & l'autre du
côté du mérite perfonnel . On ne pourra
s'empêcher pour lors de convenit que le
parallele ne foit jufte . En effet , on ne doit
pas ignorer que Jéremie ait réuni toutes
les qualités effentielles à la poéfie dans fes
Lamentations , qui offrent le tableau le plus
touchant de la défolation & de la ruine
de Jérutalem .
Simonide ne réuffiffoit pas moins dans
la peinture des images ; c'eft le témoignage
que lui rend Longin , ce célebre Critique
de l'antiquité , dont la déciſion eſt
d'un fi grand poids en pareil cas . Aucun
Poëte n'avoit , felon ce Rhéteur , décrit
plus vivement l'apparition d'Achille fur
DECEMBRE. 1755. 99
fon tombeau , dans le tems que les Grecs
fe préparoient à partir . Nous finirons par
dire que la douceur qui regnoit dans fes
vers ,l'avoit fait furnommer Melicerie , &
cependant il avoit employé en écrivant le-
Dialecte Dorique , qui paroît être le moins
fufceptible de cette douceur qui caractérifoit
fes Poéfies.
On a renvoyé à la fin de cette Hiſtoire
deux Remarques qui valent deux Differtations
: Quoiqu'elles ne femblent avoir
qu'une liaifon fort indirecte avec fon
plan , elles ne laiffent pas de fervir d'éclairciffement
à deux endroits de fon texte .
L'une eft deftinée à examiner fi le nom de
Jao cité dans un paffage de Porphyre que
l'on rapporte , eft le même que celui de
Jehovah ufité particuliérement chez les
Juifs pour défigner Dieu : A cet égard la
chofe eft hors de conteftation. Il s'agit
feulement de fçavoir laquelle de ces deux
différentes prononciations attachées à un
même nom , doit être réputée pour l'anciemne
, & par conféquent pour la véritable.
C'est une matiere qui a déja exercé
d'habiles Critiques , tels que Genebrard ,
Fuller , Louis Cappel , Drufius , Sixtinus
'Amama , Buxtorfe le fils , Gataker & Leufden.
Cette queftion entraîne néceffairement
dans une difcuffion grammaticale ,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
qui n'est à portée d'être bien entendue que
des perfonnes qui ont acquis quelque intelligence
de l'Hébreu . On a mis en un,
caractere lifible pour tout le monde les
paffages qu'on a été obligé de produire
dans cette Langue , & cela pour des motifs
que l'Auteur a eu foin d'expliquer dans
fa préface. Les Sçavans fe partagent fur
çet article. Les uns, comme Cappel, Walton
& M. Le Clerc fe déclarent pour la
prononciation de Jao ou Jauoh , & rejertent
celle de Jehovah , qu'ils difent n'avoir
prévalu que depuis la ponctuation de
la Maffore , d'après laquelle Galatin Ecriyain
du feizieme fiecle , a le premier introduit
parmi nous cette Leçon du nom de
Dieu , qui eft actuellement la feule accréditée
. Ils penfent être d'autant plus difpenfés
d'acquiefcer à l'autorité de la Maffore
, qu'ils la combattent par des raifons
que leur fournit la nouveauté de fon invention
, qui , felon la plupart d'entr'eux ,
ne remonte pas au - delà du fixieme fiecle ,
& dont quelques - uns reculent l'époque
jufqu'au onzieme. Il y en a d'autres au
contraire qui demeurent attachés à la Lede
Jehovah dont ils foutiennent la validité
, parce qu'elle leur paroît beaucoup
mieux conferver l'analogie de l'Hébreu ;
ils s'efforcent de la défendre contre toutes
çon
DECEMBRE. 1755. ioi
les objections qui peuvent avoir lieu , &
ils ne balancent pas à croire que les Grecs
à qui les Phéniciens avoient tranfmis ce
nom , ne l'ayent ainfi altéré par une maniere
défectueuse de le prononcer. Il faut
avouer qu'ils font valoir des argumens (pécieux
pour fortifier leur opinion : cependant
, comme ce n'eft point ici un fujer
qui foit capable de recevoir ce dégré de
certitude que communiquent des preuves
qui mettent l'état des chofes dans la derniere
évidence , on ne doit s'attendre qu'à de
fimples conjectures qui ont de part & d'autre
une égale probabilité : ainfi le parti le
plus fage eft de ne point décider affirmati
vement dans de pareilles matieres. En effet,
comment vouloir déterminer pofitivement
l'ancienne prononciation de ce nom , s'il
eft conftant par le témoignage de Philon
& de Jofephe , qu'elle avoit été interdite
aux Juifs avant que J. C. vînt au monde
. Le premier la reftreint aux bornes du
Sanctuaire , où les Prêtres , fpécialement
le fouverain Sacrificateur , avoient le privilege
exclufif de le prononcer tous les ans
le jour que fe célébroit la fête des Expiations
. Ce nom n'étant donc point d'ufage
hors du Sanctuaire , où la maniere de le
proférer fe maintenoit par tradition , &
la permiffion de le prononcer étant une
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
des prérogatives affectées à la Sacrificature
, elle n'a pas dû fubfifter plus long-tems
que le Temple , & la tradition de ce nom
s'eft affurément perdue à travers tant de
fiecles qui fe font écoulés depuis la ruine
de Jérufalem. Peut on après cela fe flatter
d'en fixer aujourd'hui la prononciation.Les
Docteurs Juifs poftérieurs à cet événement
ont encore encheri fur la vénération que
leurs ancêtres avoient pour ce nom de
Dieu , & fur l'idée qu'ils fe formoient de
fa fainteté qui le rendoit ineffable à leur
égard. Ceux qui font venus après , felon
leur louable coutume d'outrer les fentimens
de leurs peres , ont pouffé les chofes
fi loin que cette vénération eft dégénérée
en une fuperftition exceffive qui fe
perpétue chez cette nation . Des Rabbins
ont étrangement raffiné fur les propriétés de
ce nom , & fur l'analogie grammaticale de
trois de fes lettres , qu'ils difent réunir les
trois différentes manieres d'exifter qui
n'appartiennent qu'à Dieu . Quiconque
ofoit violer cette défenfe de proférer le
nom Jehovah étoit puni de mort , s'il falloit
croire tout ce qu'ils nous débitent
hardiment à ce fujer. Ils ont fait plus , ils
l'ont érigée en article de foi , & menacent
les infracteurs de l'exclufion de la
vie éternelle . Toutes les fois que le Texte
DECEMBRE. 1755. 103
,
Hébreu porte la Leçon de Jehovah , ils lui
fubftituent le nom Adonaï , & tantôt celui
d'Elohim , lorfqu'il arrive que le Jehovah
eft précédé d'Adonai , & alors ces deux
noms fe trouvent joints enſemble . Il leur
eft auffi ordinaire d'ufer de mots compofés
pour caracterifer ce nom ineffable
comme ceux de Schem Hammiouchad , ou
de Schem Hamphorafch , le nom propre de
Dieu , & de Schern Schel arba othioth , le
nom formé de quatre lettres. Quand on les
preffe de dire fur quoi ils fondent cette
interdiction , ils alléguent en leur faveur
des paffages de l'Exode & du Lévitique
dont ils détournent ou changent le fens
pour la pouvoir autorifer. Les paroles de
l'Ecriture qu'ils nous oppofent , ne fignifient
pourtant rien moins que ce qu'ils
veulent leur faire fignifier. Il n'en a pas
fallu davantage pour les expofer au reproche
de falfification , qui leur a été intenté
par
Galatin . On entre relativement à cet
objet dans quelques détails hiftoriques ,
qui pourront compenfer ce qu'il y a de
fec dans un travail de cette nature.
On obferve que ce nom de Dieu n'a pas
été inconnu dans les premiers tems . aux
nations étrangeres , & furtout à celles qui
étoient voifines de la Judée . C'est ce qui
paroît confirmé par plufieurs exemples que
trop
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
par
Selden & M. Ferrand ont apportés , & qui
mettent ce fait hors de doute. Le Critique
Anglois & M. Huet foupçonnent même
que Pythagore pourroit avoir tiré l'idée
des propriétés mystérieuses de fa Quaternité
de celles que renferment les quatre
lettres qui conftituent le nom Jehovah. On
n'ignore pas que les Sectateurs du Philofophe
Grec , quand il s'agiffoit de fe lier
un ferment inviolable , juroient par cette
Quaternité à laquelle ils attribuoient toutes
les perfections , & qu'ils nommoient la
fource de vie , & le fondement de l'éternité,
Ils ne vouloient exprimer autre choſe parlà
que Dieu lui- même appellé par Pyihagore
le nombre des nombres . Ce Philofophe
paffe pour avoir emprunté des Juifs
plufieurs Dogmes " importans qu'il s'étoit
appropriés. C'est une circonftance dont la
vérité eft atteftée par Hermippus Hiftorien
Grec qui Heuriffoit du tems de Prolemée
Evergere, & par le Juif Ariftobule qui
vivoit à la Cour de Ptolemée Philometor,
Jofephe témoigne expreffément qu'il affecta
de fe montrer en bien des chofes zelé
imitateur des rites de fa nation . S. Ambroife
le fait même Juif d'origine : mais
on ne fçait où ce Pere de l'Eglife peut
avoir puifé cette particularité qui eft deftituée
de fondement . On reprend Lactan-
L
DECEMBRE . 1755. 105
ce d'avoir nié mal - à - propos que Pythagore
ait jamais eu aucun commerce avec les
Juifs , fans donner des raifons folides de
ce qu'il avançoit. On infifte particuliérement
fur fon voyage à Babylone , où il
s'offrit affez d'occafions qui mirent ce Phifofophe
à portée de s'entretenir avec plufieurs
d'entre ce peuple , dont une partie
y réfidoit encore pendant le féjour de Pythagore
en cette ville. Il y conféra fréquemment
avec les Mages dont il fçur fi
bien gagner l'amitié , qu'ils lui firent part
de leurs connoiffances , & l'initierent dans
leurs mysteres. Porphyre rapporte qu'il y
devint difciple d'un certain Zabratus ,
duquel il apprit tout ce qui concerne la
nature & les principes de l'univers . Il y a
eu dès les premiers tems du Chriftianif
me des Ecrivains qui fe font imaginés que
ce Zabratus ou Zaratus , & que Clement
d'Alexandrie appelle Nazaratus , étoit
le même que le Prophète Ezechiel , comme
le certifie ce Pere Grec qui écrivoit fur
la fin du fecond fiecle , & qui rejette
d'ailleurs l'opinion de ces gens là : néanmoins
Ménaffeh Ben - Ifraël , & quelques
autres , n'ont pas laiffé d'avoir une feniblable
penſée . Ce qu'il y a de plus éton -
nant , c'eft qu'un auffi habile homme que
l'étoit Selden , ait pu pencher vers ce fen-
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
timent d'autant plus infoutenable , qu'il
eft incompatible avec l'exacte chronologie.
C'eft ce qu'il n'a pas été fort difficile
de prouver. MM. Hyde & Prideaux ont entendu
par ce Zabratus le fameux Zoroaf
tre. Ils fe font fondés fur un paffage
d'Apulée qui veut que Pythagore ait été
difciple de ce Législateur des Mages ; ce
qui eft pourtant fujet à un grand nombre
de difficultés , comme de célebres Modernes
l'ont fuffifamment démontré . On
pourroit peut-être les lever , en fuppofant
deux perfonnages de ce nom qui auront
fleuri à différens tems l'un de l'autre , &
dont le premier aura été le fondateur de
la Secte des Mages, & le fecond le réformateur
de leur religion ; fuppofition que l'on
peut d'un côté appuyer fur le témoignage
des Hiftoriens Orientaux , qui font vivre
un Zoroastre fous le regne de Darius fils
d'Hyftafpe , & de l'autre fur le récit d'Agathias
qui avoue que de fon tems ( c'eſtà-
dire dans le fixieme fiecle ) les Perfans
étoient dans cette perfuafion . Au refte , ce
n'est là qu'une conjecture, qu'on fe contente
d'infinuer , & l'on laiffe à chacun
la liberté de penfer à cet égard ce qu'il
voudra. Quant à l'autre Differtation , elle
traite des moyens qu'il y a de concilier les
différences qui fe rencontrent entre les AnDECEMBRE.
1755. 107
ciens au fujet des dates qui tendent à
fixer , foit le commencement
ou la durée
du regne de divers Princes. Les regnes de
Prolemée Soter , de Seleucus Nicator , &
de l'Empereur Julien fourniffent les exemples
que l'on produit . On leur a joint encore
celui du regne de Dagobert I , fur la
date duquel les Hiftoriens varient , afin de
rendre la vérité de cette remarque plus
fenfible aux perfonnes qui fe font rendues
l'Hiftoire de France plus familiere que
l'Hiftoire Ancienne . Ces exemples réunis
fous un même point de vue , concourent
à confirmer tout ce qui a été dit
touchant la maniere d'accorder les différentes
Epoques d'où l'on a compté les années
de la fouveraineté deGelon à Syracufe.
L'ouvrage eft terminé par le Projet d'une
Hiftoire des Juifs à laquelle travaille l'Auteur
, & qu'il a annoncée dans fa préface.
Elle comprendra
l'expofition de toutes
les révolutions
qui font arrivées à ce peuple
dans l'Orient depuis la ruine de Jérufalem
jufqu'au douzieme fiecle , où l'établiffement
qu'il s'y étoit fait , fût entièrement
ruiné. Comme l'Auteur s'eft livré
aux Etudes Théologiques
qu'il a pris à tâche
de fortifier par l'intelligence
des Langues
Sçavantes, les recherches où elles l'ont
néceffairement
engagé , l'ont mis en état
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
d'affembler les matériaux qui ferviront à la
compofition de cet ouvrage, On le deftine
à éclaircir les points les plus embarraffés
de l'Histoire Judaïque , & à difcuter
quelques - uns des Rites & des Dogmes de
cette nation , furtout lorsqu'ils lui font
communs avec les Chretiens. On y parlera
auffi des cérémonies , & en général des
affaires de difcipline que l'Eglife peut avoir
empruntées de la Synagogue. Elles ont
routes deux , par rapport à leur Hiſtoire. ,
une influence d'autant plus réciproque que
l'une eft fortie de l'autre , & par conféquent
on ne fçauroit approfondir l'Hiftoire
de l'Eglife , qu'on ne foit en mêmetems
obligé d'approfondir celle des Juifs ,
qui lui eft intimément unie. On fe flatte
qu'on ne fera pas fâché de voir inferé ici
en entier ce Projet , qui fert à donner une
idée de la grandeur de l'entreprife , du
but
que l'on s'y propofe , & de la méthode
à laquelle on doit s'attacher dans l'exécution
: mais la longueur que comporte
déja cet extrait , eft une raifon plus que
fuffifante pour renvoyer la chofe au mois
prochain . Si l'on fe récrie fur l'étendue de
cette analyfe , qui paffe de beaucoup les
bornes dans lesquelles nous avons coutume
de refferrer nos extraits , nous répon
drons que comme cette hiftoire de SimoDECEMBRE.
1755 109
nide eft remplie d'un grand nombre de difcuffions,
qui , quoiqu'effentielles aux vues
dans lesquelles on l'a compofée, font pourtant
de nature à rebuter bien des Lecteurs
pour qui elles ont quelque chofe de trop
épineux , on a profité de la voie de ce
Journal pour mettre tout le monde à portée
de connoître les faits dont le récit entre
dans le plan de l'Hiftoire . Pour cet
effet , on a retracé ici dans le même ordre
qui a été obfervé dans fa marche les différens
traits de la vie de ce Poëre , avec les
événemens de fon tems qui y font liés , &
l'on n'a fait qu'indiquer fimplement les
détails chronologiques qui en conftituent
le fonds : Ainfi cette analyfe doit être confiderée
moins comme un extrait que comme
un abregé de l'Ouvrage.
Delaguene , Libraire - Imprimeur de
l'Académie Royale de Chirurgie , rue faint
Jacques , à l'Olivier d'or , diftribue un
Mémoire auffi nouveau par fon objet que
par fa publication . Il eft intitulé Témoi
gnage public rendu à M. Dibon , Chirurgien
ordinaire du Roi dans la Compagnie des
Cent Suiffes de la Garde du Corps de Sa
Majefte ; par Pierre Dedyn d'Anvers . On
ya joint les preuves de la Cure avec quel
ques Réflexions concernant M. de Torrès
110 MERCURE DE FRANCE.
par qui le Malade avoit été manqué. L'Avertiffement
qu'on a mis à la tête de ce
Mémoire , nous en fournira la notice.
« Cet écrit , dit - on , eft l'ouvrage d'un
» Malade jugé incurable par de célebres
» Praticiens, & qui , contre toute efpéran-
» ce , a été guéri radicalement par le re-
» mede de M. Dibon . C'eft une espece de
و د
.30
confeffion publique dictée par la recon-
>> noiffance ; une defcription vraie & naïve
» de la maladie de l'Auteur , & des mal-
» heureuſes épreuves par lefquelles il a
» paffé jufqu'à fa parfaite guérifon . On a
» cru devoir conferver fon langage & fon
ortographe , moitié Wallon , & moitié
François ils pourront amufer quelques
" Lecteurs. Mais on a traduit toute la
» piece pour
la faire entendre des autres ,
» & on a mis la verfion à côté du texte ,
» pour n'y pas laiffer foupçonner la plus
légere altération. Ce Mémoire eft fuivi
» des Certificats de Meffieurs Goulard Mé-
» decin ordinaire du Roi , Le Dran , Henriques
, Morand , & Hebrard , Maîtres
» en Chirurgie ».
""
On trouve chez le même Libraire un
autre écrit qui a pour titre : Lettre à M. de
Torrès ,fervant de réponse , &c. Cette Lettre
contient un témoignage pareil à celui
de Pierre Dedyn , & publié par un BourDECEMBRE
, 1755 .
geois de Paris dont le nom & la demeure
y font défignés. Nous ne prononçons rien
là- deffus. Comme fimples Hiftoriens nous
en laiffons le jugement aux Maîtres de
l'Art.
CATALOGUE DES ESTAMPES &
livres nouveaux d'Italie , la plupart de
Rome , qui fe trouvent chez N. Tilliard ,
quai des Auguftins. 1755.
CATALOGUE DE LIVRES DE PIETE ,
de morale & d'éducation ; livres d'hiftoire
, de belles lettres , fciences & arts ; livres
de droit & de finances , livres amufans
& de théatres , qui fe vendent à Paris
, chez Prault pere , quai de Gèvres ,
1755.
L'ENFANT GRAMMAIRIEN , ouvrage
qui contient des principes de grammaire
génerale , mis à la portée des enfans.
Une Grammaire latine , & une Méthode
françoife- latine , ou maniere de traduire
le françois en latin . A Blois , chez Pierre-
Paul Charles ; & fe vend à Paris , chez la
veuve Robinot , quai des grands Auguftins.
<
FRAGMENS CHOISIS d'éloquence , efpece
de Rhétorique moins en préceptes qu'en
112 MERCURE DE FRANCE.
exemples , également utile aux Gens de
lettres , & à tous ceux qui veulent fe former
à l'éloquence de la chaire , par M. de
Gerard de Benat , 2 vol . A Avignon , chez
Jofeph Payen , Imprimeur Libraire , place
S. Didier. A Marſeille , chez Jean Moffy ,
à la Combriere : & à Paris , chez Defaint
& Saillant , rue S. Jean de Beauvais.
Nous croyons que cette maniere d'écrire
fur l'éloquence , eft une des plus utiles.
Les exemples frappent bien plus , &
en conféquence perfuadent mieux que les
préceptes. Ceux ci ne peuvent même être
bien développés & bien fentis que par le
fecours des premiers. L'Auteur nous paroît
montrer du goût dans le choix , &
nous penfons que fon travail mérite des
louanges.
RAISON ou idée de la Poéfie Grecque ,
Latine & Italienne , ouvrage traduit de
l'Italien de Gravina , par M. Reguier. 2 vol .
petit in- 12 , à Paris , chez Lottin , rue S. Jacques
, au Coq ; & chez J. B. Defpilly , rue
S. Jacques , à la vieille Pofte.
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Résumé : SUITE De l'Extrait de l'Histoire de Simonide, & du siecle où il a vécu, &c.
Le texte présente un extrait de l'histoire de Simonide, se concentrant sur les événements après la victoire de Gelon sur les Carthaginois en Sicile. Gelon, aidé par ses frères Hieron, Polyzele et Thrasibule, défit les Carthaginois à Himère, détruisit leur flotte et captura de nombreux prisonniers. Cette victoire renforça son autorité à Syracuse, où il fut offert la royauté en reconnaissance de ses services. Bien que son pouvoir fût déjà absolu, cette offre officialisa son statut de roi. Les Carthaginois, alliés de Xerxès, avaient envahi la Sicile sous le commandement d'Hamilcar avec une armée de trois cents mille hommes. Après leur défaite, Carthage envoya des ambassadeurs à Syracuse pour négocier la paix. Gelon, connu pour sa modération, accepta les propositions de paix et imposa l'abolition des sacrifices humains à Saturne, une pratique barbare et contraire à l'humanité. Les sacrifices humains étaient une pratique ancienne attribuée aux Phéniciens, dont les Carthaginois étaient une colonie. Ces sacrifices persistaient à Carthage même après le traité avec Gelon et furent renouvelés après sa mort. Tertullien rapporte que ces sacrifices continuèrent secrètement jusqu'au temps de Tibère, proconsul d'Afrique sous Adrien. Le texte mentionne également la vie et les œuvres de Simonide, un poète grec, et sa relation avec le tyran Hieron de Syracuse. La cour de Hieron devint un centre des sciences grâce à sa protection des savants et des récompenses qu'il offrait. Simonide, connu pour son avarice, fut un favori de Hieron et jouit de sa protection malgré ses défauts. Il refusa souvent de travailler gratuitement et vendait ses poèmes, ce qui lui valut une réputation de poète mercenaire. Simonide était également conseiller de Hieron et participait à des discussions politiques et philosophiques. Il termina sa vie à la cour de Hieron et fut enterré à Syracuse. Le texte discute également de la chronologie et des époques attribuées à la prise de Troie, en se basant sur des témoignages anciens. Il souligne la supériorité du Simonide lyrique, connu pour ses threnes ou lamentations, qui ont ému la pitié et illustré son talent pathétique. Denys d'Halicarnaffe et Quintilien louent son choix des mots et son émotion. Le texte mentionne également des fragments de ses poèmes, cités par des auteurs anciens, et son invention supposée des quatre lettres grecques. Enfin, le texte traite d'une question grammaticale et historique concernant la prononciation du nom de Dieu en hébreu, débattue par plusieurs érudits. Cette question est complexe et nécessite une connaissance approfondie de l'hébreu. Les savants sont divisés sur la prononciation correcte, certains préférant 'Jao' ou 'Jauoh' et rejetant 'Jehovah', tandis que d'autres soutiennent 'Jehovah', arguant qu'elle conserve mieux l'analogie de l'hébreu. Le texte souligne que la prononciation exacte est difficile à déterminer, car elle était interdite aux Juifs avant la venue de Jésus-Christ et n'était connue que des prêtres dans le sanctuaire. Après la destruction du Temple, cette tradition s'est perdue.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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