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1
p. 218-264
HISTOIRE du Bacha de Damas.
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Si l'on remarque quelque difference considerable / Il est difficile de sçavoir positivement ce qui se [...]
Mots clefs :
Pacha , Damas, Sultan, Père, Femme, Sérail, Seigneur, Femme, Vizir, Mort, Yeux, Amour, Troupes, Empire, Esclaves, Maison, Armée, Juifs, Époux, Honneur, Hommes, Douleur, Audace, Mer, Larmes, Gloire, Vie
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texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE du Bacha de Damas.
HISTOIRE
du Bacha de Damas.
IL eſt ſi difficile de ſçavoir
poſitivement ce qui ſe
paffe dans cet Empire,qu'on
n'y demeſle ſouvent la veri.
té d'un fait , quelque éclatant
qu'il foit , que longtemps
aprés qu'il eſt arrivé.
Les nouvelles de l'Afie , &
celles de l'Europe entrent
confufément à Conftantinople
, où chacun les débite
1
A
GALANT . 219
au gré de ſes intereſts , le
Courier qui en eft chargé
les donne au grand Viſir ,le
grand Viſir au Sultan , & le
Sultanles enſevelit dans ſon
ſérail. Ainfije n'oſe encore
vous aſſeurer que les dernieres
circonstances de l'hiſtoire
que je vais vous écrire ,
foient telles qu'on les raconte
icy; mais je vous promets
que je ſeray exact à
vous detromper , ſi le temps
ou le haſard me detrompent.
Il y a quatrejours que me
promenant avec quelques
Tij
210 MFRCURE
qui
eſtrangers dans ma çaique,
fur le canal de la Mer noire,
un fameux Armenien ,
a fait toute la vie un grand
commerce d'eſclaves , me
conta à peu prés en ces
termes l'hiſtoire de Halil
Acor Bacha de Damas .
J'étois , me dit- il, un jour,
( & bien jeune alors ) à Baghlar
qui eſt un Port de
cette Mer , environ à so
lieuës d'icy lorſqu'un
* Sheieke de mes amis y arriva.
Je le priay de venir
* Predicateur Turc,
GALANT 227
loger dans le meſme * Caravanfarai
que moy. La Maifon
eſtoir alors pleine
d'hommes & de chevaux.
Le Sultan Mahomet IV. dont
le regne étoit plus tranqui
le qu'il n'avoit encore eſté,
&qu'il ne l'a eſté depuis ,
preſtoit dans ce temps au
Kan della Krimée dix
mille hommes de ſes troupes
pour les joindre à douze
mille Tartares de Budziack
& de Bialogrod , qu'il
deftinoit à quelque grande
entrepriſe. Les Janifſſaires ,
* Auberge Turque.
Tiij
222 MERCURE
3
1
les Spahis , & les Afiati
ques que le Grand Seigneur
envoyoit au Kan paffoient
alors par Baghlar où nous
eſtions . Un de ces Janiffai
res entr'autres natif de
* Chaplar en Bulgarie voulut
profiter de l'occaſion
de cette route pour mener
plus ſeurement chez luy
une belle fille qu'il avoit
epousée depuis un an à
Midia de Romanie, Nous:
la trouvâmes avec fon
mary dans le Caravanfarai
que nous avions choiſi
Ville maritime de la Mer noire.
GALANT. 223
২
lorſque nous yarrivame s .
Le hazard nous plaça auprés
d'eux , le Janiſſaire
m'en parut content , il aimoit
mieux voir à côté de
ſa femme , un Venerable
Sheieke qu'aucun de ſes camarades.
Nous ſoupâmes
cependant & nous nous
endormimes ſur la paille.
Une heure avant le jour
nous entendimes des cris
aigus qui nous réveillérent
comme tous les hoftes de
la maiſon ; la femme du
Janiſſaire que fon.Mary
n'avoit pas crue ſi proche
T iiij
224 MERCURE
de ſon terme venoit de
mettre un enfant au monde
, à coſté de mon Sheie
xe , qui ſe trouva fort ſcandaliſé
de cet accouchement.
Il ſe leva plein de
couroux , en diſant que ſes
habits étoient foülliés du
déſordre & des accidents
de cette avanture , néanmoins
la mortification &
l'embarras du Janiſſaire ,
les douleurs de ſa femme
& mes difcours l'addoucirent
; je luy perſuaday ( &
il le ſçavoit bien , ) qu'il
feroit lavé de cette tache
GALANT. 225
en lavant ſa robe & fa per
ſonne avant la premiere
priere. Je le menay au bain
qui eſtoit dans le Caravan
farai où il ſe fit toutes les
cerémonies de l'ablution
desTurcs.
Cependant je retournay
auprés du trifte Janiſſaire ,
&de ſa femme qui gemiſſoit
encore des reſtes ou du fouvenir
de fa douleur ; je lui
donnay tous les ſecours
que je pûs imaginer , on
attendant le retour de mon
Sheieke.
f
L'étoile la plus favorable
226 MERCURE
qui puiſſe veiller fur nos
jours , ne flatte pas les Mufulmans
d'une plus heureuſe
deſtinée qu'un Sheike,
ou un Emir * lorſqu'ils préfident
à la naiſſance de
leurs enfants. Celuy- cy revint
enfinà nous, prés d'une
heure après le lever du Soleil.
Et aprés avoir enviſagé
le Janiſſaire , ſa femme
& fon fils , d'un air tranſ
porté de l'excellence des
avantages qu'il avoit à leur
promettre , il leur prédit
ces choſes.
Prêtre Ture.
GALAND. 227
Letrés puiſſant trés mi
fericordieux Alla a jettéfur
vous & fur vostre fils des regards
bienfaisants le faim
Prophete efto fon meffager.
Il'a pitié de vous , & Sultan
Mahomet qui est agréable au
trés mifericordieux que le
faint Prophete oberit vous élevera
aux premiers honneurs de
fon Empire. Alla * ha Alla.
Tousoles affiftans felici
terent auffi toſt le Janiſſaire
fur la prédiction du Sheieke.
Cette nouvelle paſſa juf
qu'à fon Aga qui luy donna
d'abord de grandes mara
* Dieu. Dieu eſt Dicu.
228 MERCURE
4
ques de distinction. Enfin
le jour du départ des troupes
qui estoient à Bagblar
eſtant venu , il nous quitta
aprés nous avoir juré qu'il
n'oublieroitja mais les obli
gations qu'il nous avoit. N
nousa tenu parole , & c'eſt
de luy-meſme que j'ay appris
avec la ſuite de fa for
tune, une partiede l'hiſtoire
de ſon fils , que vous allez
entendre.
Dés que Zeinal ( c'eſt le
nom de ce Janiſſaire ) cut
remis ſa femme à Chaplar
entre les mains de fa mere,
GALANT. 229
il ne fongea plus qu'à verifier
l'oracle du Sheiere H
fitdans la Krimée des actions
éclatantes que ſon Aga fit
valoir autant qu'elles lemeritoient
aux yeux du Grand
Viſir Cuprogli , qui l'avança
en ſi peu de temps , qu'en
moins de fix ans il le fir
nommer par ſa Hauteffe
Bacha d'Albanie. Il remplit
cette grande place avec
beaucoup d'honneur pen.
dant pluſieurs années , enfin
aprés la dépoſition du
malheureux Sultan Mahomet
IV. Sitoſt que ſon frere
230 MERCURE
Sultan Soliman III . fut mon
té ſur le thrône, il voulut
à l'exemple de tous les au.
tres Bachas profiter desdefordres
de l'Empire pour
augmenter fon credit ; mais
il ſe broüilla malheureuſement
avec le fameux & redoutable
Osman Yeghen
dont le courage , la politi
que & l'audace firent trembler
Solyman juſques dans
fon ferail.
Zeinal s'étoit oppoſé aux
contributions qu'Yeghen *
Serafier de l'armée d'Hon-
* General des Armées du Grand Seigneur.
GALANT 238
grie , avoit tirez de la Ro
melie , & aux impoſitions
qu'il avoit miſes ſur tous les
Juifs & les Chrétiens qui
eſtoient à Theſſalonique ,
& qu'il avoit taxez à deux
Piaſtres par teſte. Il avoit
meſme envoyé un gros party
de Cavalerie qui avoit
taillé en piece les gens
qu'Yeghen avoit chargez de
lever ces impoſitions.
Le Grand Viſir Ismael
trembloit alors de peur
que le Serafkier ne vint à
Conſtantinople avec fon
armée , & qu'il ne le fit dé
232 MERCURE
pofer bien toſt , comme il
avoit déja fait déposer le
Grand Vifir Solyman fon
predeceſſeur. Yeghen qui
reconnut l'avantage qu'il
avoit fur ce foible Viſir ,
luy demanda la teſte de
Zeinal. Ifmael qui de fon
coſté cherchoit à l'ébloüir
par de fauſſes apparences ,
fut ravi de luy pouvoir faire
un ſacrifice dont il n'avoit
rien à apprehender ,
puiſqu'il ne le rendoit pas
plus fort , ainſi quoyque
Zeinalne fût coupable d'au .
cun crime , il le fit décapi-
: ter
GALAN 2338
ter publiquement , dans la
Cour du Serail devant la
porte du Divan.?
Cependant ſon fils Halil
Acor faiſoit alors les fonctions
de Capigibachi en Afie,
où il n'apprit la mort de
ſon pere que long - temps
aprés qu'elle fut arrivée.
Il y avoit affez d'affaires
en Hongrie pour exercer
ſon courage ; mais l'amour
produifit luy ſeul tous les
motifs de fon éloignement.
Il avoit vû par, hazard
dans le Serail de ſon pere
une belle fille de l'iſle de
Juin 1714.
V
234 MERCURE
Chypre que Zeinal deftinoir
au grand Seigneur , il en
devint éperduëment amoureux
, il mit dans ſes interêts
deux femmes qui la fervoient
, il ſéduifit deuxEu
nuques à force de preſents,
il profita de l'abſence de
ſon pere pour s'introduire
toutes les nuits dans ſon
Sérail , & enfin il engagea
cette belle fille à luy donner
les dernieres & les plus
fortes preuves de fa tendreſſe.
Plus flatée de l'efpoir
de poffeder le coeur
d'Halil que de la gloire
GALANT. 2:5
chimérique dont on repait
la vanité de celles qu'on
deſtine aux plaiſirs du
Grand Seigneur , elle avoit
conſenti que ſon Amant
l'enleva avec ſes deux femmes
& ſes deux Eunuques ,
elle estoit déja meſme affez
loin du Serail de Zeinal ,
lorſque ce Bacha revint
chez luy la nuit meſme
qu'on avoit priſe pour cet
enlevement. Maisheureu-
- ſement pour ces Amantsi!
n'entra que le lendemain
matin dans le quartier des
Femmes , où il apprit avec
Vij
236 MERCURE
tous les tranſports de la
plus violente fureur le defordre
de la nuit préceden
te. Il monta auffi - toſt à
Cheval , & de tous les côtez
il fit courir aprés fon
fils ; mais ſes ſoins & ſa diligence
furent inutiles. Halil
qui n'eſtoit pas ſi loin
qu'il le cherchoit , avoit eu
la précaution de s'affeurer
d'une Maiſon qu'un Me
decin Juif qui n'eſtoit pas
des amis de fon pere avoit
dans les montagnes. Il falloit
traverſer plus de deux
lieuës de defert avant d'y
/
GALANT. 237
arriver, & jamais Zeinal n'y
ſes amis , ny fes eſclaves
ne s'eſtoient aperceus que
fon fils connuſt ce Juif.
Halil auroit pû longtemps
profiter de la ſeureté
de cet azile , ſi les troubles
dont l'Empire eſtoit
agité , & fon courage ne
l'avoient pas preffé bien
toſt de facrifier ſon amour
à ſa gloire. Les larmes de
ſa femme , ny les prieres du
Juif qui luy promit enfin
d'en avoir foin juſqu'à la
mort , ne purent l'arreſter
davantage. Il ſe rendit à
138 MERCURE
Conſtantinople , où il fur
reconnu d'abord par un
des amis de fon Pere qui
le recommanda particulierement
au Grand Vifir Som
lyman , qui , en confideration
de l'audace , de l'efprit
, de la bonne mine de
ce Jeune homme , & du
mérite de Zeinal , luy donna
ſur le champune Com
pagnie de Spahis. Il cut ordre
d'aller ſervir en Afie ,
où en peu de temps ſa valeur
le fit parvenir à la
Charge de Capigibachi
qu'il exerça avec honneur
அ
1
GALANT. 239
juſqu'à la mort de ſon Pere .
Le Vifir Ismaël qui avoit
eu la lacheté de faire exé
cuter l'injuſte & cruel ar
reft qu'il avoit prononcé
contre Zeinal , futbien-toft
aprés la victime de fa for
bleſſe. Yeghen revint àConf
tantinople , aprés en avoir
fait chaffer honteuſement
ce Viſir , qui ne pût racheter
ſa vie qu'aux dépens de
toutes les richeſſes que fon
avarice infatiable luy avoit
fait amaſſer pendant fon
indigne miniftere. Halil y
fut rappellé en meſme
240 MERCURE
temps qu'Yeghen , avec les
troupes qui ſervoient en
Afie. Il fut auffi toft à la
maiſon de ce General àqui
il dit qu'il ne luy rendoit
cette viſite , que pour luy
demander raiſon du fang
de ſon pere qu'il avoit fait
repandre , Yeghen conſentit
àluy donner cette fatisface
tion dans une des plus fecrettes
chambres de fon
Serail , où aprés un com
bat aſſez long , Ils ſe blef
férent tous deux : cependant
Yeghen eut l'avantage;
mais il n'en abuſa pas , au
contraire
GALANT. 241
contraire , loin de fonger
à ſe défaire d'un ennemi
auſſi redoutable qu'Halil ,
Je love , luy dit- il , ton coursge
&j'approuve ton reffentiment
: il n'a tenu qu'à ton Pere
d'eftre toûjours mon amy , mais
il a voulu me perdre & je
l'ay perdu. Tu as Satisfait à
ton honneur , en eſſayant de le
vanger : Vois , & dis moy
maintenant ce que tu veux , &
ce que je puis pour toy. Halil
eftonné de la generoſité de
ce grand homme , luy répondit
, Yeghen je ne veux
maintenant,que m'efforcer d'ê-
Juin1714. X
242 MERCURE
tre auffi genereux que toy. Si tu
veux m'imiter , reprit- il ,facrifie
ta vangeance à mon amitié
que je t'offre , je vais ordonner
qu'on nous penſe de nos bleſſu
res , je prétends que tu ne
gueriffe des tiennes que dans
mon Serail. Il appelle auffitoſt
ſes Eſclaves qui menerent
fur le champ Halil
dans une chambre où ily
avoit deux lits qui n'étoient
ſeparez l'un de l'autre que
par un grand rideau de taffetas
couleur de feu qui
eſtoit directement au milieu
de la chambre dont les
GALANT 243
Croiſez qui estoient aux
deux extremitez avoient
vûë de chaque coſté ſur
les Jardins où ſe promenoient
tous les jours les
femmes & les enfants
d'Yeghen.
Dés qu'on eut arreſté
ſon ſang , & qu'il ſe fut
mis au lit , il vit entrer
dans ſa chambre le Medecin
Juif à qui il avoit confié
la belle Eſclave qu'il
avoit épousée dans ſa maifon
, aprés l'avoir enlevée
du Serail de ſon Pere. A
drianou , luy dit il auſſi toſt ,
X ij
244 MERCURE
moncher Adrianou que faítes
-vous icy ? Pourquoy
eftes vous maintenant à
Conftantinople , & dans
quel eſtat eſt ma femme ?
Je vous ay promis , reprit
le Juif , en ſoûpirant , d'avoir
ſoin de la malheureuſe
Adrabista juſqu'à ma mort.
Toutes mes précautions
n'ont pû prévenir les effets
de ſon déſeſpoir , elle eſt
à jamais perduë pour vous ,
& je ne ſuis point fâché
dans mon infortune que
les remedes que je viens
Fameuſe par les grandes avantures qu'elle
2euës depuis àRome , & que je conterayune
autre fois.
GALANT . 245
vous offrir par hazard me
preſentent à vos yeux , où
je ſuis prêt d'expier dans les
fupplices , le crime de ma
négligence où de mon
malheur. Contez moy donc
cette funeſte hiſtoire, lui dit
avec bonté , l'affligé Halil ,
& n'en épargnez aucune
circonstance à madouleur.
Il vous fouvient , reprit le
Juif, des efforts que fit Adra.
biſta , & des larmes qu'elle
répandit pour vous retenir
auprés d'elle ; vous n'avez
pas non plus oublié les
pleurs & les prieres que je
Xij
246 MERCURE
mis en uſage pour flechir
voſtre courage inhumain.
Une vertu cruelle & plus
forte que l'amour vous ravit
enfin ànosyeux.
Crois - tu , dés que vous
fuſtes parti , me dit Adrabista
, que les larmes & les
gemiſſements ſoient main
tenant les armes dont je
veux me ſervir pour mevenger
de la fureur ou de l'infidelité
de mon barbare époux
Non , Adrianou ,non.
je veux le ſuivre malgré luy
& malgré toy : ma taille
avantageuſe&mon audace
GALANT. 247
m'aideront ſuffisamment à
cacher ma foibleſſe & mon
ſexe; enfin jeveux courir les
meſmes haſards que luy,par
tout où l'entraiſnera cette
impitoyable gloire qui l'arrache
àmon amour. Je vou
lus d'abord flatter ſa dou
leur; mais malgré mes foins,
ma complaiſance criminel.
le,& mon aveuglement l'ont
précipitée dans le plus
grand des malheurs. Je luy
permis d'eſſayer le turban ,
& de mettre un fabre à ſon
coſté. Elle ſe plaiſoit quelquefois
dans cet équipage
X iiij
248 MERCURE
de guerre , d'autrefois jer
tant fon fabre & ſon turban
par terre , elle affectoit de
mépriſer ces inſtruments
qu'elle deſtinoit à ſa perte.
Enfin elle feignit de paroiftre
devantmoy conſolée de
voſtre abſence , & pendant
plusde fix ſemaines elle ne
me parla pas plus de vous ,
que ſi elle ne vous euſt jamais
connu. Cette indiffe
rence m'inquietta pour
yous , & je luy dis unjour ,
eſtes - vous Adrabista , cette
heroine qui deviez fi glo.
rieuſement ſignaler voſtre
GALANT. 249
du
tendreffe , en courant jufqu'au
fond de l'Afic aprés
un époux ſi digne de voſtre
amour. Non , Adrianou , me
dit elle , je ne ſuis plus cette
Adrabista que vous avez veue
capable des plus extravagants
emportements
monde.J'aime tousjoursHa
lil comme mon ſeigneur &
mon époux ; je ſens toutes
les rigueursde ſon abfence ;
mais le temps & mes reflexions
ont rendu ma douleur
plus modeſte;& il n'est point
de fi miferable coin fur la
terre , où je n'aime mieux
250 MERCURE
attendre ſes ordres , que
m'expoſer en le cherchant
auhafard de le deshonorer
enme deshonorant moymeſme.
Je creus qu'elle me par
loit de bonne foy , & dans
cette confiance je luy donnay
plus de liberté & d'authorité
dans ma maifon que
je n'y en avois moy-mefme.
Enfin il vint un jour un
exprés que le gouverneur de
la Valone m'envoya pour me
preſſer d'aller porter des re
medes à fon fils qui estoit à
l'extremité. Je fis auffi- toſt
GALANT. 251
part de la neceffité de ce
voyage à Adrabista , je la
priayde chercher à ſe defen
nuyer pendant mon abfence
, & je partis avec mon
guide. Mais jugez de ma
conſternation lorſqu'à mon
retour dans ma maiſon , on
me fit part des funeſtes nouvelles
que vous allez entendre.
Le lendemain de mon
départ Adrabista fit ſeller
trois chevaux qui reſtoient
dans mon écurie. Elle s'équippa
du ſabre & du turban
qu'elle avoit tant de
fois mépriſez en ma preſen;
252 MERCURE
cé, elle fit monter avec elle
ſes deux eunuques à cheval ,
elle dit à fes femmes qu'elle
alloit ſe promener dans les
vallées qui font au pied des
montagnes de la Locrida ,
elley fut en effet , mais elle
alla plus loin encore , elle
pouſſa juſqu'à Elbaffan , où
un party des troupes de
l'Empereur des Chreftiens
Farreſta . Elle demanda à
parler au General de l'armée
qui eftoit alors à Du
razzo où elle fut conduire,
&de qui elle fut receue avec
tous les égards deus à fon
GALANT . 253
fexe & à la beauté. Je yous
apprends maintenant d'épouventables
nouvelles
Halil ; mais vous ne ſçavez
pas encore le plus grand
de vos malheurs. J'ay appris
depuis quelque temps qu'elle
s'eſtoit faite Chreftienne .
C'en eſt aſſez , luy dit
Halil , fortez & ne vous repreſentez
jamais à mes
yeux, je ne ſçay ſi mavertu
ſuffiroit pour vous derober
à ma fureur.
Yeghen qui s'eſtoitjetté ſur
le lit qui eſtoit à l'autre ex.
tremite de la chambre,aprés
254 MERCURE
avoir entendu ce recit , ſe
fit approcher de l'inconfolable
Halil, à qui il dit tout
ce qu'il creut capable d'apporter
quelque foulagement
à ſa douleur. Enfin
aprés pluſieurs de ces dif
cours qui ne perfuadent
gueres les malheureux , amy,
luydit- il, jettez les yeux
fur mon jardin , & voyez fi
dans le grand nombre de
beautez qui s'y promenent ,
il n'y en aura pas une qui
puiſſe vous conſoler de la
perte de l'infidelle Adrabiſta.
Jevousdonnecellequevous
GALANT. 255
préfererez aux autres , quelque
chere qu'elle me puiſſe
eſtre. Je veux , luy répondit
Halil, à qui une propofition
fi flateuſe fit preſque oublier
toute ſon infortune
eſtre auſſi genereux que
vous , & n'écouter l'offre
magnifique que vous me
faites , que pour vous en remercier
: non , non, reprit
Yeghen, il n'en ſera que ce
qu'il me plaira ,&nous verrons
dés que vous ferez gueri
, ſi vous affecterez encore
d'eſtre , ou ſi vous ferez fincerement
auffi genereux
quemoy.
256 MERCURE
Au bout de quatre ou cinq
jours ils furent gueris tous
deux.Alors Veghenplus charmé
encore des vertus d'Halil,
lemenadans un cabiner
de ſon jardin , où à travers
une jalouſie il vit paſſertoutes
les femmes qui estoient
dans le ſérail de ce Bacha,
qui ne s'occupa pendant
cette reveuë qu'à examiner
la contenance d'Halil , &
qu'à luy demander ce qu'il
penſoit de chaque beauté
qui paſſoit au pied de la ba
luſtrade où ils eftoient.
Enfin aprés avoir longtemps
GALANT 25
1
temps confideré aſſez tranquillement
tout ce que l'Europe
& l'Afie avoient peuteſtre
de plus beau , il vitune
grande perſonne dont les
habits eſtoient couverts des
plus riches pierreries de l'O
rient , negligemment appuyée
fur deux eſclaves , &
dont les charmes divins of
Froient aux yeux un majel
tueux étalage des plusrates
merveilles du monde. Auffitoſt
il marqua d'un ſonpir le
prompt effet du pouvoir iné.
vitable de ſes attraits vainqueurs.
Qu'avez-vous , luy
Juin 1714. Y
258 MERCURE
dit àl'inſtant Yeghen , amy,
vous ſoupirez ?Ah,ſeigneur,
je me meurs , reprit Halil ,
qu'onm'ouvre àl'heuremeſ
me les portes de voſtre ſé.
rail,&ne m'expoſez pas davantage
aux traits d'unegenorofité
fi cruelle. Je vous
entends , reprit Yeghen ,
mais je ne veux pas conſentir
à vous laiſſer fortir
de mon Serail , que vous
n'ayez épousé celle de
toutes ces perſonnes qui
vous plaiſt davantage. Elles
font toutes mes femmes ,
àl'exception de la derniere
GALANT 259
qui eſt ma fille , recevez- là
de ma main mon fils , &
aimez moy toûjours.
Halil fe jetra fur le
champ aux pieds du Bacha
qui le releva dans le
moment , pour le conduire
à l'appartement de ſa fille ,
dont le même jour , il le
rendit l'heureux Epoux ; Il
prit enſuite uniquement
ſoin de ſa fortune , juſqu'à
ſa mort , qui arriva juſtement
, un mois aprés avoir
engagé le Sultan Solyman
à donner à ſon gendre le
Bachalik de Damas.
Yij
260 MERCURE
Halil a vécu depuis plus
de vingt ans avec tout l'é
clat & tous les honneurs.
dont puiſſent joüir les plus
Grands Seigneurs de l'Empire
Othoman . Mais il n'eſt
rien de fi fragile que le
bonheur des hommes , la
moindre jaloufic ou la
,
moindre eſperanceles
étourdit au milieu de leur
felicité , & il ſuffit qu'ils
ayent eſté tousjours heureux
, pour croire n'avoir
jamais d'infortune à redouter
: enyvré de leur gran
deur , leur Maiſtre ne de
GALANT . 261
vient à leurs yeux qu'un
mortel comme eux , fouvent
meſme ils prétendent
s'attirer & meriter plus
d'honneurs que leur Mail
tre
Le trés haut Sultan Achmet
àpréſent regnant , ſur la
nouvelle de la revolte du
Bacha de Bagdad , a fur le
champ envoyé aux Bachas
de Damas & d'Alep un
ordre exprés de marcher
avec toutes leurs troupes
contre ce rebelle ſujet. Sitoſt
que leur armée a eſté
en estat d'entrer en cam262
MERCURE
pagne , ils ont rencontre
attaqué &battu ce Bacha.
Le Sultan juſques-là a efté
fervi à merveille ; mais on
ajouſte qu'ébloüis appar
ramment de quelques projets
ambitieux dont on ne
ſçait encore ny le fond
ny les détails , & flattez
ſans doute de l'eſpoir
d'un ſuccez favorable , ces
deux Bachas ont entretenu
une intelligence criminelle
avec celuy de Bagdad.
Que le Bacha de
Damas a eſté convaincu de
ce crimepar des lettres qui
GALANT . 263
onteſté interceptées ,& qui
fot tombées entre les mains
du Grand Seigneur , qui a
dépeſché auſſi toſt l'ordre
ſuprême qui vient de coufter
la vie à cet infortuné
Bacha. Je ne ſçay pas encore
, files muets l'ont étranglé,
s'il a efté afſaſſiné , ou
ſi on luy a tranché la teſte ;
mais je ſçay bien que le
Sultan a prononcé l'arreſt
dont il eſt mort .
Dés que l'Armenien cuft
fini ſon recit , je le remerciay
de m'avoir appris tant
de particularitez de la vic
C
264 MERCURE
des trois Bachas Halil
Yeghen & Zeinal , & je le
priay de m'informer de
toutes les nouveautez qu'il
pourroit apprendre encore.
Il ne ſe paſſera rien dans
ce pays- cy qui vaille la peine
de vous eftre mandé
dont je ne vous faſſe pare
avec plaifir.
Je ſuis Mr. &c.
du Bacha de Damas.
IL eſt ſi difficile de ſçavoir
poſitivement ce qui ſe
paffe dans cet Empire,qu'on
n'y demeſle ſouvent la veri.
té d'un fait , quelque éclatant
qu'il foit , que longtemps
aprés qu'il eſt arrivé.
Les nouvelles de l'Afie , &
celles de l'Europe entrent
confufément à Conftantinople
, où chacun les débite
1
A
GALANT . 219
au gré de ſes intereſts , le
Courier qui en eft chargé
les donne au grand Viſir ,le
grand Viſir au Sultan , & le
Sultanles enſevelit dans ſon
ſérail. Ainfije n'oſe encore
vous aſſeurer que les dernieres
circonstances de l'hiſtoire
que je vais vous écrire ,
foient telles qu'on les raconte
icy; mais je vous promets
que je ſeray exact à
vous detromper , ſi le temps
ou le haſard me detrompent.
Il y a quatrejours que me
promenant avec quelques
Tij
210 MFRCURE
qui
eſtrangers dans ma çaique,
fur le canal de la Mer noire,
un fameux Armenien ,
a fait toute la vie un grand
commerce d'eſclaves , me
conta à peu prés en ces
termes l'hiſtoire de Halil
Acor Bacha de Damas .
J'étois , me dit- il, un jour,
( & bien jeune alors ) à Baghlar
qui eſt un Port de
cette Mer , environ à so
lieuës d'icy lorſqu'un
* Sheieke de mes amis y arriva.
Je le priay de venir
* Predicateur Turc,
GALANT 227
loger dans le meſme * Caravanfarai
que moy. La Maifon
eſtoir alors pleine
d'hommes & de chevaux.
Le Sultan Mahomet IV. dont
le regne étoit plus tranqui
le qu'il n'avoit encore eſté,
&qu'il ne l'a eſté depuis ,
preſtoit dans ce temps au
Kan della Krimée dix
mille hommes de ſes troupes
pour les joindre à douze
mille Tartares de Budziack
& de Bialogrod , qu'il
deftinoit à quelque grande
entrepriſe. Les Janifſſaires ,
* Auberge Turque.
Tiij
222 MERCURE
3
1
les Spahis , & les Afiati
ques que le Grand Seigneur
envoyoit au Kan paffoient
alors par Baghlar où nous
eſtions . Un de ces Janiffai
res entr'autres natif de
* Chaplar en Bulgarie voulut
profiter de l'occaſion
de cette route pour mener
plus ſeurement chez luy
une belle fille qu'il avoit
epousée depuis un an à
Midia de Romanie, Nous:
la trouvâmes avec fon
mary dans le Caravanfarai
que nous avions choiſi
Ville maritime de la Mer noire.
GALANT. 223
২
lorſque nous yarrivame s .
Le hazard nous plaça auprés
d'eux , le Janiſſaire
m'en parut content , il aimoit
mieux voir à côté de
ſa femme , un Venerable
Sheieke qu'aucun de ſes camarades.
Nous ſoupâmes
cependant & nous nous
endormimes ſur la paille.
Une heure avant le jour
nous entendimes des cris
aigus qui nous réveillérent
comme tous les hoftes de
la maiſon ; la femme du
Janiſſaire que fon.Mary
n'avoit pas crue ſi proche
T iiij
224 MERCURE
de ſon terme venoit de
mettre un enfant au monde
, à coſté de mon Sheie
xe , qui ſe trouva fort ſcandaliſé
de cet accouchement.
Il ſe leva plein de
couroux , en diſant que ſes
habits étoient foülliés du
déſordre & des accidents
de cette avanture , néanmoins
la mortification &
l'embarras du Janiſſaire ,
les douleurs de ſa femme
& mes difcours l'addoucirent
; je luy perſuaday ( &
il le ſçavoit bien , ) qu'il
feroit lavé de cette tache
GALANT. 225
en lavant ſa robe & fa per
ſonne avant la premiere
priere. Je le menay au bain
qui eſtoit dans le Caravan
farai où il ſe fit toutes les
cerémonies de l'ablution
desTurcs.
Cependant je retournay
auprés du trifte Janiſſaire ,
&de ſa femme qui gemiſſoit
encore des reſtes ou du fouvenir
de fa douleur ; je lui
donnay tous les ſecours
que je pûs imaginer , on
attendant le retour de mon
Sheieke.
f
L'étoile la plus favorable
226 MERCURE
qui puiſſe veiller fur nos
jours , ne flatte pas les Mufulmans
d'une plus heureuſe
deſtinée qu'un Sheike,
ou un Emir * lorſqu'ils préfident
à la naiſſance de
leurs enfants. Celuy- cy revint
enfinà nous, prés d'une
heure après le lever du Soleil.
Et aprés avoir enviſagé
le Janiſſaire , ſa femme
& fon fils , d'un air tranſ
porté de l'excellence des
avantages qu'il avoit à leur
promettre , il leur prédit
ces choſes.
Prêtre Ture.
GALAND. 227
Letrés puiſſant trés mi
fericordieux Alla a jettéfur
vous & fur vostre fils des regards
bienfaisants le faim
Prophete efto fon meffager.
Il'a pitié de vous , & Sultan
Mahomet qui est agréable au
trés mifericordieux que le
faint Prophete oberit vous élevera
aux premiers honneurs de
fon Empire. Alla * ha Alla.
Tousoles affiftans felici
terent auffi toſt le Janiſſaire
fur la prédiction du Sheieke.
Cette nouvelle paſſa juf
qu'à fon Aga qui luy donna
d'abord de grandes mara
* Dieu. Dieu eſt Dicu.
228 MERCURE
4
ques de distinction. Enfin
le jour du départ des troupes
qui estoient à Bagblar
eſtant venu , il nous quitta
aprés nous avoir juré qu'il
n'oublieroitja mais les obli
gations qu'il nous avoit. N
nousa tenu parole , & c'eſt
de luy-meſme que j'ay appris
avec la ſuite de fa for
tune, une partiede l'hiſtoire
de ſon fils , que vous allez
entendre.
Dés que Zeinal ( c'eſt le
nom de ce Janiſſaire ) cut
remis ſa femme à Chaplar
entre les mains de fa mere,
GALANT. 229
il ne fongea plus qu'à verifier
l'oracle du Sheiere H
fitdans la Krimée des actions
éclatantes que ſon Aga fit
valoir autant qu'elles lemeritoient
aux yeux du Grand
Viſir Cuprogli , qui l'avança
en ſi peu de temps , qu'en
moins de fix ans il le fir
nommer par ſa Hauteffe
Bacha d'Albanie. Il remplit
cette grande place avec
beaucoup d'honneur pen.
dant pluſieurs années , enfin
aprés la dépoſition du
malheureux Sultan Mahomet
IV. Sitoſt que ſon frere
230 MERCURE
Sultan Soliman III . fut mon
té ſur le thrône, il voulut
à l'exemple de tous les au.
tres Bachas profiter desdefordres
de l'Empire pour
augmenter fon credit ; mais
il ſe broüilla malheureuſement
avec le fameux & redoutable
Osman Yeghen
dont le courage , la politi
que & l'audace firent trembler
Solyman juſques dans
fon ferail.
Zeinal s'étoit oppoſé aux
contributions qu'Yeghen *
Serafier de l'armée d'Hon-
* General des Armées du Grand Seigneur.
GALANT 238
grie , avoit tirez de la Ro
melie , & aux impoſitions
qu'il avoit miſes ſur tous les
Juifs & les Chrétiens qui
eſtoient à Theſſalonique ,
& qu'il avoit taxez à deux
Piaſtres par teſte. Il avoit
meſme envoyé un gros party
de Cavalerie qui avoit
taillé en piece les gens
qu'Yeghen avoit chargez de
lever ces impoſitions.
Le Grand Viſir Ismael
trembloit alors de peur
que le Serafkier ne vint à
Conſtantinople avec fon
armée , & qu'il ne le fit dé
232 MERCURE
pofer bien toſt , comme il
avoit déja fait déposer le
Grand Vifir Solyman fon
predeceſſeur. Yeghen qui
reconnut l'avantage qu'il
avoit fur ce foible Viſir ,
luy demanda la teſte de
Zeinal. Ifmael qui de fon
coſté cherchoit à l'ébloüir
par de fauſſes apparences ,
fut ravi de luy pouvoir faire
un ſacrifice dont il n'avoit
rien à apprehender ,
puiſqu'il ne le rendoit pas
plus fort , ainſi quoyque
Zeinalne fût coupable d'au .
cun crime , il le fit décapi-
: ter
GALAN 2338
ter publiquement , dans la
Cour du Serail devant la
porte du Divan.?
Cependant ſon fils Halil
Acor faiſoit alors les fonctions
de Capigibachi en Afie,
où il n'apprit la mort de
ſon pere que long - temps
aprés qu'elle fut arrivée.
Il y avoit affez d'affaires
en Hongrie pour exercer
ſon courage ; mais l'amour
produifit luy ſeul tous les
motifs de fon éloignement.
Il avoit vû par, hazard
dans le Serail de ſon pere
une belle fille de l'iſle de
Juin 1714.
V
234 MERCURE
Chypre que Zeinal deftinoir
au grand Seigneur , il en
devint éperduëment amoureux
, il mit dans ſes interêts
deux femmes qui la fervoient
, il ſéduifit deuxEu
nuques à force de preſents,
il profita de l'abſence de
ſon pere pour s'introduire
toutes les nuits dans ſon
Sérail , & enfin il engagea
cette belle fille à luy donner
les dernieres & les plus
fortes preuves de fa tendreſſe.
Plus flatée de l'efpoir
de poffeder le coeur
d'Halil que de la gloire
GALANT. 2:5
chimérique dont on repait
la vanité de celles qu'on
deſtine aux plaiſirs du
Grand Seigneur , elle avoit
conſenti que ſon Amant
l'enleva avec ſes deux femmes
& ſes deux Eunuques ,
elle estoit déja meſme affez
loin du Serail de Zeinal ,
lorſque ce Bacha revint
chez luy la nuit meſme
qu'on avoit priſe pour cet
enlevement. Maisheureu-
- ſement pour ces Amantsi!
n'entra que le lendemain
matin dans le quartier des
Femmes , où il apprit avec
Vij
236 MERCURE
tous les tranſports de la
plus violente fureur le defordre
de la nuit préceden
te. Il monta auffi - toſt à
Cheval , & de tous les côtez
il fit courir aprés fon
fils ; mais ſes ſoins & ſa diligence
furent inutiles. Halil
qui n'eſtoit pas ſi loin
qu'il le cherchoit , avoit eu
la précaution de s'affeurer
d'une Maiſon qu'un Me
decin Juif qui n'eſtoit pas
des amis de fon pere avoit
dans les montagnes. Il falloit
traverſer plus de deux
lieuës de defert avant d'y
/
GALANT. 237
arriver, & jamais Zeinal n'y
ſes amis , ny fes eſclaves
ne s'eſtoient aperceus que
fon fils connuſt ce Juif.
Halil auroit pû longtemps
profiter de la ſeureté
de cet azile , ſi les troubles
dont l'Empire eſtoit
agité , & fon courage ne
l'avoient pas preffé bien
toſt de facrifier ſon amour
à ſa gloire. Les larmes de
ſa femme , ny les prieres du
Juif qui luy promit enfin
d'en avoir foin juſqu'à la
mort , ne purent l'arreſter
davantage. Il ſe rendit à
138 MERCURE
Conſtantinople , où il fur
reconnu d'abord par un
des amis de fon Pere qui
le recommanda particulierement
au Grand Vifir Som
lyman , qui , en confideration
de l'audace , de l'efprit
, de la bonne mine de
ce Jeune homme , & du
mérite de Zeinal , luy donna
ſur le champune Com
pagnie de Spahis. Il cut ordre
d'aller ſervir en Afie ,
où en peu de temps ſa valeur
le fit parvenir à la
Charge de Capigibachi
qu'il exerça avec honneur
அ
1
GALANT. 239
juſqu'à la mort de ſon Pere .
Le Vifir Ismaël qui avoit
eu la lacheté de faire exé
cuter l'injuſte & cruel ar
reft qu'il avoit prononcé
contre Zeinal , futbien-toft
aprés la victime de fa for
bleſſe. Yeghen revint àConf
tantinople , aprés en avoir
fait chaffer honteuſement
ce Viſir , qui ne pût racheter
ſa vie qu'aux dépens de
toutes les richeſſes que fon
avarice infatiable luy avoit
fait amaſſer pendant fon
indigne miniftere. Halil y
fut rappellé en meſme
240 MERCURE
temps qu'Yeghen , avec les
troupes qui ſervoient en
Afie. Il fut auffi toft à la
maiſon de ce General àqui
il dit qu'il ne luy rendoit
cette viſite , que pour luy
demander raiſon du fang
de ſon pere qu'il avoit fait
repandre , Yeghen conſentit
àluy donner cette fatisface
tion dans une des plus fecrettes
chambres de fon
Serail , où aprés un com
bat aſſez long , Ils ſe blef
férent tous deux : cependant
Yeghen eut l'avantage;
mais il n'en abuſa pas , au
contraire
GALANT. 241
contraire , loin de fonger
à ſe défaire d'un ennemi
auſſi redoutable qu'Halil ,
Je love , luy dit- il , ton coursge
&j'approuve ton reffentiment
: il n'a tenu qu'à ton Pere
d'eftre toûjours mon amy , mais
il a voulu me perdre & je
l'ay perdu. Tu as Satisfait à
ton honneur , en eſſayant de le
vanger : Vois , & dis moy
maintenant ce que tu veux , &
ce que je puis pour toy. Halil
eftonné de la generoſité de
ce grand homme , luy répondit
, Yeghen je ne veux
maintenant,que m'efforcer d'ê-
Juin1714. X
242 MERCURE
tre auffi genereux que toy. Si tu
veux m'imiter , reprit- il ,facrifie
ta vangeance à mon amitié
que je t'offre , je vais ordonner
qu'on nous penſe de nos bleſſu
res , je prétends que tu ne
gueriffe des tiennes que dans
mon Serail. Il appelle auffitoſt
ſes Eſclaves qui menerent
fur le champ Halil
dans une chambre où ily
avoit deux lits qui n'étoient
ſeparez l'un de l'autre que
par un grand rideau de taffetas
couleur de feu qui
eſtoit directement au milieu
de la chambre dont les
GALANT 243
Croiſez qui estoient aux
deux extremitez avoient
vûë de chaque coſté ſur
les Jardins où ſe promenoient
tous les jours les
femmes & les enfants
d'Yeghen.
Dés qu'on eut arreſté
ſon ſang , & qu'il ſe fut
mis au lit , il vit entrer
dans ſa chambre le Medecin
Juif à qui il avoit confié
la belle Eſclave qu'il
avoit épousée dans ſa maifon
, aprés l'avoir enlevée
du Serail de ſon Pere. A
drianou , luy dit il auſſi toſt ,
X ij
244 MERCURE
moncher Adrianou que faítes
-vous icy ? Pourquoy
eftes vous maintenant à
Conftantinople , & dans
quel eſtat eſt ma femme ?
Je vous ay promis , reprit
le Juif , en ſoûpirant , d'avoir
ſoin de la malheureuſe
Adrabista juſqu'à ma mort.
Toutes mes précautions
n'ont pû prévenir les effets
de ſon déſeſpoir , elle eſt
à jamais perduë pour vous ,
& je ne ſuis point fâché
dans mon infortune que
les remedes que je viens
Fameuſe par les grandes avantures qu'elle
2euës depuis àRome , & que je conterayune
autre fois.
GALANT . 245
vous offrir par hazard me
preſentent à vos yeux , où
je ſuis prêt d'expier dans les
fupplices , le crime de ma
négligence où de mon
malheur. Contez moy donc
cette funeſte hiſtoire, lui dit
avec bonté , l'affligé Halil ,
& n'en épargnez aucune
circonstance à madouleur.
Il vous fouvient , reprit le
Juif, des efforts que fit Adra.
biſta , & des larmes qu'elle
répandit pour vous retenir
auprés d'elle ; vous n'avez
pas non plus oublié les
pleurs & les prieres que je
Xij
246 MERCURE
mis en uſage pour flechir
voſtre courage inhumain.
Une vertu cruelle & plus
forte que l'amour vous ravit
enfin ànosyeux.
Crois - tu , dés que vous
fuſtes parti , me dit Adrabista
, que les larmes & les
gemiſſements ſoient main
tenant les armes dont je
veux me ſervir pour mevenger
de la fureur ou de l'infidelité
de mon barbare époux
Non , Adrianou ,non.
je veux le ſuivre malgré luy
& malgré toy : ma taille
avantageuſe&mon audace
GALANT. 247
m'aideront ſuffisamment à
cacher ma foibleſſe & mon
ſexe; enfin jeveux courir les
meſmes haſards que luy,par
tout où l'entraiſnera cette
impitoyable gloire qui l'arrache
àmon amour. Je vou
lus d'abord flatter ſa dou
leur; mais malgré mes foins,
ma complaiſance criminel.
le,& mon aveuglement l'ont
précipitée dans le plus
grand des malheurs. Je luy
permis d'eſſayer le turban ,
& de mettre un fabre à ſon
coſté. Elle ſe plaiſoit quelquefois
dans cet équipage
X iiij
248 MERCURE
de guerre , d'autrefois jer
tant fon fabre & ſon turban
par terre , elle affectoit de
mépriſer ces inſtruments
qu'elle deſtinoit à ſa perte.
Enfin elle feignit de paroiftre
devantmoy conſolée de
voſtre abſence , & pendant
plusde fix ſemaines elle ne
me parla pas plus de vous ,
que ſi elle ne vous euſt jamais
connu. Cette indiffe
rence m'inquietta pour
yous , & je luy dis unjour ,
eſtes - vous Adrabista , cette
heroine qui deviez fi glo.
rieuſement ſignaler voſtre
GALANT. 249
du
tendreffe , en courant jufqu'au
fond de l'Afic aprés
un époux ſi digne de voſtre
amour. Non , Adrianou , me
dit elle , je ne ſuis plus cette
Adrabista que vous avez veue
capable des plus extravagants
emportements
monde.J'aime tousjoursHa
lil comme mon ſeigneur &
mon époux ; je ſens toutes
les rigueursde ſon abfence ;
mais le temps & mes reflexions
ont rendu ma douleur
plus modeſte;& il n'est point
de fi miferable coin fur la
terre , où je n'aime mieux
250 MERCURE
attendre ſes ordres , que
m'expoſer en le cherchant
auhafard de le deshonorer
enme deshonorant moymeſme.
Je creus qu'elle me par
loit de bonne foy , & dans
cette confiance je luy donnay
plus de liberté & d'authorité
dans ma maifon que
je n'y en avois moy-mefme.
Enfin il vint un jour un
exprés que le gouverneur de
la Valone m'envoya pour me
preſſer d'aller porter des re
medes à fon fils qui estoit à
l'extremité. Je fis auffi- toſt
GALANT. 251
part de la neceffité de ce
voyage à Adrabista , je la
priayde chercher à ſe defen
nuyer pendant mon abfence
, & je partis avec mon
guide. Mais jugez de ma
conſternation lorſqu'à mon
retour dans ma maiſon , on
me fit part des funeſtes nouvelles
que vous allez entendre.
Le lendemain de mon
départ Adrabista fit ſeller
trois chevaux qui reſtoient
dans mon écurie. Elle s'équippa
du ſabre & du turban
qu'elle avoit tant de
fois mépriſez en ma preſen;
252 MERCURE
cé, elle fit monter avec elle
ſes deux eunuques à cheval ,
elle dit à fes femmes qu'elle
alloit ſe promener dans les
vallées qui font au pied des
montagnes de la Locrida ,
elley fut en effet , mais elle
alla plus loin encore , elle
pouſſa juſqu'à Elbaffan , où
un party des troupes de
l'Empereur des Chreftiens
Farreſta . Elle demanda à
parler au General de l'armée
qui eftoit alors à Du
razzo où elle fut conduire,
&de qui elle fut receue avec
tous les égards deus à fon
GALANT . 253
fexe & à la beauté. Je yous
apprends maintenant d'épouventables
nouvelles
Halil ; mais vous ne ſçavez
pas encore le plus grand
de vos malheurs. J'ay appris
depuis quelque temps qu'elle
s'eſtoit faite Chreftienne .
C'en eſt aſſez , luy dit
Halil , fortez & ne vous repreſentez
jamais à mes
yeux, je ne ſçay ſi mavertu
ſuffiroit pour vous derober
à ma fureur.
Yeghen qui s'eſtoitjetté ſur
le lit qui eſtoit à l'autre ex.
tremite de la chambre,aprés
254 MERCURE
avoir entendu ce recit , ſe
fit approcher de l'inconfolable
Halil, à qui il dit tout
ce qu'il creut capable d'apporter
quelque foulagement
à ſa douleur. Enfin
aprés pluſieurs de ces dif
cours qui ne perfuadent
gueres les malheureux , amy,
luydit- il, jettez les yeux
fur mon jardin , & voyez fi
dans le grand nombre de
beautez qui s'y promenent ,
il n'y en aura pas une qui
puiſſe vous conſoler de la
perte de l'infidelle Adrabiſta.
Jevousdonnecellequevous
GALANT. 255
préfererez aux autres , quelque
chere qu'elle me puiſſe
eſtre. Je veux , luy répondit
Halil, à qui une propofition
fi flateuſe fit preſque oublier
toute ſon infortune
eſtre auſſi genereux que
vous , & n'écouter l'offre
magnifique que vous me
faites , que pour vous en remercier
: non , non, reprit
Yeghen, il n'en ſera que ce
qu'il me plaira ,&nous verrons
dés que vous ferez gueri
, ſi vous affecterez encore
d'eſtre , ou ſi vous ferez fincerement
auffi genereux
quemoy.
256 MERCURE
Au bout de quatre ou cinq
jours ils furent gueris tous
deux.Alors Veghenplus charmé
encore des vertus d'Halil,
lemenadans un cabiner
de ſon jardin , où à travers
une jalouſie il vit paſſertoutes
les femmes qui estoient
dans le ſérail de ce Bacha,
qui ne s'occupa pendant
cette reveuë qu'à examiner
la contenance d'Halil , &
qu'à luy demander ce qu'il
penſoit de chaque beauté
qui paſſoit au pied de la ba
luſtrade où ils eftoient.
Enfin aprés avoir longtemps
GALANT 25
1
temps confideré aſſez tranquillement
tout ce que l'Europe
& l'Afie avoient peuteſtre
de plus beau , il vitune
grande perſonne dont les
habits eſtoient couverts des
plus riches pierreries de l'O
rient , negligemment appuyée
fur deux eſclaves , &
dont les charmes divins of
Froient aux yeux un majel
tueux étalage des plusrates
merveilles du monde. Auffitoſt
il marqua d'un ſonpir le
prompt effet du pouvoir iné.
vitable de ſes attraits vainqueurs.
Qu'avez-vous , luy
Juin 1714. Y
258 MERCURE
dit àl'inſtant Yeghen , amy,
vous ſoupirez ?Ah,ſeigneur,
je me meurs , reprit Halil ,
qu'onm'ouvre àl'heuremeſ
me les portes de voſtre ſé.
rail,&ne m'expoſez pas davantage
aux traits d'unegenorofité
fi cruelle. Je vous
entends , reprit Yeghen ,
mais je ne veux pas conſentir
à vous laiſſer fortir
de mon Serail , que vous
n'ayez épousé celle de
toutes ces perſonnes qui
vous plaiſt davantage. Elles
font toutes mes femmes ,
àl'exception de la derniere
GALANT 259
qui eſt ma fille , recevez- là
de ma main mon fils , &
aimez moy toûjours.
Halil fe jetra fur le
champ aux pieds du Bacha
qui le releva dans le
moment , pour le conduire
à l'appartement de ſa fille ,
dont le même jour , il le
rendit l'heureux Epoux ; Il
prit enſuite uniquement
ſoin de ſa fortune , juſqu'à
ſa mort , qui arriva juſtement
, un mois aprés avoir
engagé le Sultan Solyman
à donner à ſon gendre le
Bachalik de Damas.
Yij
260 MERCURE
Halil a vécu depuis plus
de vingt ans avec tout l'é
clat & tous les honneurs.
dont puiſſent joüir les plus
Grands Seigneurs de l'Empire
Othoman . Mais il n'eſt
rien de fi fragile que le
bonheur des hommes , la
moindre jaloufic ou la
,
moindre eſperanceles
étourdit au milieu de leur
felicité , & il ſuffit qu'ils
ayent eſté tousjours heureux
, pour croire n'avoir
jamais d'infortune à redouter
: enyvré de leur gran
deur , leur Maiſtre ne de
GALANT . 261
vient à leurs yeux qu'un
mortel comme eux , fouvent
meſme ils prétendent
s'attirer & meriter plus
d'honneurs que leur Mail
tre
Le trés haut Sultan Achmet
àpréſent regnant , ſur la
nouvelle de la revolte du
Bacha de Bagdad , a fur le
champ envoyé aux Bachas
de Damas & d'Alep un
ordre exprés de marcher
avec toutes leurs troupes
contre ce rebelle ſujet. Sitoſt
que leur armée a eſté
en estat d'entrer en cam262
MERCURE
pagne , ils ont rencontre
attaqué &battu ce Bacha.
Le Sultan juſques-là a efté
fervi à merveille ; mais on
ajouſte qu'ébloüis appar
ramment de quelques projets
ambitieux dont on ne
ſçait encore ny le fond
ny les détails , & flattez
ſans doute de l'eſpoir
d'un ſuccez favorable , ces
deux Bachas ont entretenu
une intelligence criminelle
avec celuy de Bagdad.
Que le Bacha de
Damas a eſté convaincu de
ce crimepar des lettres qui
GALANT . 263
onteſté interceptées ,& qui
fot tombées entre les mains
du Grand Seigneur , qui a
dépeſché auſſi toſt l'ordre
ſuprême qui vient de coufter
la vie à cet infortuné
Bacha. Je ne ſçay pas encore
, files muets l'ont étranglé,
s'il a efté afſaſſiné , ou
ſi on luy a tranché la teſte ;
mais je ſçay bien que le
Sultan a prononcé l'arreſt
dont il eſt mort .
Dés que l'Armenien cuft
fini ſon recit , je le remerciay
de m'avoir appris tant
de particularitez de la vic
C
264 MERCURE
des trois Bachas Halil
Yeghen & Zeinal , & je le
priay de m'informer de
toutes les nouveautez qu'il
pourroit apprendre encore.
Il ne ſe paſſera rien dans
ce pays- cy qui vaille la peine
de vous eftre mandé
dont je ne vous faſſe pare
avec plaifir.
Je ſuis Mr. &c.
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Résumé : HISTOIRE du Bacha de Damas.
Le texte narre l'histoire de Halil Acor Bacha de Damas, relatée par un Arménien ayant été impliqué dans le commerce d'esclaves. L'histoire commence à Baghlar, un port de la mer Noire, où un Janissaire nommé Zeinal, originaire de Bulgarie, réside avec sa femme enceinte. Un Sheik et l'Arménien les assistent lors de l'accouchement. Le Sheik prédit un avenir glorieux pour l'enfant, qui se réalise lorsque Zeinal devient Bacha d'Albanie. Cependant, Zeinal est exécuté sur ordre du Grand Visir Ismael, à la demande du général Osman Yeghen. Le fils de Zeinal, Halil, alors Capigibachi en Asie, apprend la mort de son père longtemps après. Halil, épris d'une esclave destinée au Sultan, l'enlève et se réfugie chez un médecin juif. Forcé de quitter sa cachette, Halil se rend à Constantinople où il est reconnu et rejoint les Spahis. Après la mort de son père, Halil affronte Yeghen en duel, mais est blessé. Yeghen, impressionné par le courage de Halil, lui offre son amitié. Halil apprend ensuite la mort de sa femme, Adrabista, des mains du médecin juif Adrianou. Le texte relate également l'histoire d'Adrabista, une femme juive et épouse de Halil. Désespérée par le départ de Halil, elle décide de le suivre déguisée en homme pour affronter les dangers qu'il rencontre. Elle cache sa douleur et son désir de le rejoindre, mais finit par révéler ses intentions à Adrianou, un confident. Malgré ses efforts pour la dissuader, Adrabista s'enfuit et rejoint les troupes chrétiennes, où elle se convertit au christianisme. De son côté, Halil, informé de la trahison d'Adrabista, est dévasté. Yeghen, un ami de Halil, tente de le consoler en lui offrant une de ses femmes. Halil, après une période de réflexion, choisit la fille de Yeghen et l'épouse. Il mène ensuite une vie prospère et honorable jusqu'à sa mort. Le texte se termine par la nouvelle de la rébellion du Bacha de Bagdad et de la trahison des Bachas de Damas et d'Alep, qui sont accusés de complicité. Le Bacha de Damas, Halil, est exécuté sur ordre du Sultan.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 682-697
SUITE des Troubles d'Egypte. Extrait d'une Lettre écrite du Caire le 30. Août 1729.
Début :
Au mois de Juin dernier, les Beys qui s'étoient retirez au Saïdy, dans [...]
Mots clefs :
Rebelles, Égypte, Le Caire, Troupes, Hommes, Pacha , Beys, Commandant
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texteReconnaissance textuelle : SUITE des Troubles d'Egypte. Extrait d'une Lettre écrite du Caire le 30. Août 1729.
SUITE des Troubles d'Egypte. Extrait
d'une Lettre écrite du Caire le 30.
Août 1729.
Aqui
U mois de Juin dernier , les Beys
qui s'étoient retirez au Saïdy , dans
la haute Egypte , lors de la deffaite totale
de Cherkes Mehemet Bey , arrivée en
1725. commencerent à donner des foupçons
aux Commandans du Païs , dont
Zulficar Bey eft le principal Chef , par
les intelligences qu'ils avoient dans la
Ville du Caire , ce qui fit redoubler les
attentions à chaffer ou à faire executer les
Rebelles qui reftoient dans la Ville ; ceux
qui purent éviter de perir par le Sabre
prirent le parti de s'aller joindre à ceux
de la haute Egypte , dont le nombre s'accrut
confiderablement ce qui donna
beaucoup d'inquiétude à nos Commandans
, & les détermina enfin à envoyer
un Corps de 3000. hommes pour tâcher
de les réduire , ou de les difperfer.
,
Ceux de la haute Egypte ne s'endormirent
pas de leur côté, ils s'étoient précautionnez
long- temps auparavant en fe
joignant aux Arabes , dont un des Beys.
Rebelles avoit époufé une Princeffe , fille
d'un des principaux Emirs de cette Nation,
AVRIL. 1730. 683
A
tion , ce qui leur donna le courage de
s'opposer au Corps de Troupes dont on
vient de parler. Le 5. Juillet dernier , co
Corps commença à fe mettre en marche.
Les Rebelles marcherent prefque en même
temps , ils fe rencontrerent bientôt ,
& camperent les uns devant les autres
fans coup ferir.
Quelquesjours après , Soliman Bey, Chef
des Rebelles , envoya dire à Ofman Bey ,
Commandant des Troupes du Caire , qu'il
n'étoit pas bien aife de combattre contre
Les freres , que la Religion Mufulmane ,
dont ils étoient tous , le lui deffendoit
ce qui ayant été pris par Ofman Bey pour
une marque de foibleffe , il fe détermina
au combat qui fut donné le 13. Juillet ,
mais il eut le malheur d'y fuccomber avec
le plus grand nombre des fiens , dont
plus de 350. pafferent du côté des Rebelles.
Dans la mêlée Soliman Bey atteignit
Ofman Bey d'un coup de Lance , &
s'en rendit enfuite bientôt le maître ; il
lui reprocha fes cruautez & les mauvaiſes
manieres que ceux de fon parti avoient
eues avec lui , après quoi il lui coupa luimême
la tête d'un coup de Sabre. Les
autres Beys & ceux qui font échapez
dont le nombre eft fort petit , font prefque
tous bleffez , celui des morts eft trèsconfiderable.
Cij Deux
684 MERCURE DE FRANCE
Deux jours après cette défaite , Cherkez
Mehemet Bey ,qui étoit fugitif depuis fa
déroute de 1725. rentra dans le Royaume
& joignit les Beys du Saïdy , ce qui a
beaucoup renforcé ce Parti ; ayant fait
cette jonction à la tête de 400. Maugre
bins ou Africains de Barbarie , ce renfort
fit prendre la réfolution aux Beys d'écrire
à ceux du Caire , qu'ils euffent à ne
plus envoyer de Troupes contre eux ,
étant bien réfolus d'aller au-devant pour
les combattre , ce qui obligea les Beys.
du Caire à prendre mieux leurs meſures,
ne doutant pas fur cette fierté qu'il n'y
eût dans la Ville quelqu'un qui les trahiffoit.
Ils ne furent pas long- temps à décou
vrir que c'étoit le Pacha d'Egypte lui ,
même , qui abufant de l'autorité dont il
eft revêtu , favorifoit les Rebelles , furquoi
ils s'affemblerent & prirent la réſolution
de le deftituer , ce qu'ils executerent
de cette maniere le 19. Juillet. Tous
les Beys & autres Puiffances du Pays ,
s'étant affemblez à Carameidam , * ils
firent prier le Pacha d'y venir pour conferer
enfemble fur les moyens de faire
cefler les troubles caufez par les Rebel
les ; le Pacha fe rendit à l'Affemblée ;
mais il n'y fut pas plutôt arrivé qu'on
* La Place Noire lieu oùse font les Executions:
lui
AVRIL 1730. 683
lui déclara la réſolution qu'on venoit de
prendre de le deftituer , ce qui fut executé
fur le champ ; il n'en parut point ému ,
on croit même qu'il n'eft pas fâché de
cette deftitution dans les conjonctures prefentes
. Cependant le Pacha affectant toûtjours
un air tranquille , s'adreffa au Tefterdar
ou Tréforier General , préſent à
cette Aſſemblée , à qui il dit , c'eſt donc
à vous à être Kaimakan ou Lieutenant
General du Gouvernement , ce que celuicy
refufa. Alors Zulficar Bey , qui eſt tout
puiffant dans le Parti , dit qu'ils avoient
réfolu d'élire MehemetBey, fils deDervich
Bey pour Kaimakan,à quoi lePacha confentit
; il lui vétitleCaftant ouRobe d'honneur
& lui fit prefent d'une belle Vefte doublée
d'une riche Peau , après quoi le Pacha fe
retira dans la maifon qu'on lui avoit préparée
, où il doit refter fous bonne garde,
en attendant les ordres de la Porte ; il
a reçû depuis bien des mortifications
de la des Puiffances du Pays , jufqu'à
confentir qu'on coupât la tête à trois de
fes Gens , qui étoient ſuſpects au Parti
dominant.
part
Au refte , cette deftitution a fait un
grand changement dans le Pays , ceux.de
la Ville en paroiffent plus tranquilles ,
& ceux de la Campagne ne remuent plus
eependant les Beys d'ici préparent un
Ciij Corps
686 MERCURE DE FRANCE
Corps de 6000. hommes pour l'envoyer
contre les Rebelles , qu'on dit s'être
retranchez dans la haute Egypte , attendant
de pied ferme ceux qui doivent aller
les attaquer. On ne le pourra que par eau,
car nous fommes dans le temps de la
croiffance du Nil . Comme ces Comman
dans ont épuisé leurs fonds , & que pour
la continuation de la guerre , la folde des
6000. hommes & les autres dépenses , il
leur faut plus d'un million cinq cens mille
livres , ils tyrannifent le Peuple & taxent
tous les Marchands , ce qui fait crier hautement
contre leur Gouvernement.
Le 28. nous apprîmes qu'un Corps des
Rebelles s'étoit avancé jufqu'à deux journées
du Caire ; à cette nouvelle on s'affembla
& on confia les poftes du dehors
de la Ville à divers Seigneurs , qui avec
leurs Troupes , fe chargerent de les garder
, & comme on eft toûjouts perfuadé
que le Pacha favorife les Rebelles ,
on
alla lui ordonner de la part des Commandans
, de fortir de fa demeure pour
être conduit à la Prifon de Jofeph , fituée
dans le Château ; c'eft le lieu ordinaire
où l'on execute les Pachas lorsqu'il y a
des ordres de la Porte pour les faire mourir.
Le Pacha parut confterné, & dit qu'il
n'avoit rien fait qui méritât la mort , mais
que fi on devoit l'executer , il falloit
que
AVRIL 1730. 687
que ce fût à la porte de l'Hôtel des Jan- ,
niffaires , comme étant de leur Corps ; il
y fut conduit fur le chimp ; Zulficar Bey
ordonna qu'il y refteroit fous la garde..
d'un Bey ; dès que ce Bey fut arrivé à la
porte des Jannillaires pour y executer les ,
ordres de Zulficar , l'un des anciens Kia- :
hias ou Lieutenans des Janniffaires , fe
leva & dit en s'adreffant à tout le Corps ,
permettrez vous , mes freres , qu'on nous
faffe un tel affront , & ne fommes- nous
pas affez puiffants pour garder nous- mê- ,
mes un Pacha ; ces paroles prononcées :
avec force par un ancien Oficier du
Corps , firent une telle impreffion qu'on
envoya dire fur le champ au Bey de fe
retirer, ce que celui- cy nè fè fit pas dire .
deux fois.
qu'il
Le 29. Zulficar fit fortir toutes fes fem
mes de fa maiſon & tout ce qu'il avoit
de plus précieux , & fit travailler à des
affuts deCanon pour pouvoir monter ceux
avoit fait venir d'Alexandrie des
deux Barques Tripolines qu'il avoit confifquées
, & fait vendre à l'enchere , fur
ce que ceux de Tripoly avoient donné
retraite à Cherkez Mehemet Bey. On ne
put rien apprendre des Rebelles de tout
ce jour là , tous les poftes du dehors continuant
à être gardez .
Le 30. il partit d'ici un détachement
Ciiij de
688 MERCURE DE FRANCE
de 5oo. hommes , commandez par un
Bey , pour aller reconnoître les ennemis ,
qu'on affuroit n'être plus qu'à deux journées
d'ici , & en même- temps un autre
Bey alla fe pofter avec des Troupes &
des Canons fur une élévation qui commande
le Château & une partie de la
Ville ; les poftes continuerent à être exactement
gardez .
›
Le 31. il y eut une petite allarme aur
fujet des 5oo. hommes qu'on avoit envoyez
pour reconnoître les Ennemis , on
affuroit qu'ils avoient été battus & taillez
en pieces ; cependant on continua à envoyer
des Troupes & des Munitions aux
divers Officiers qui occupoient les dehors
de la Ville. Le même jour ceux- cy , peu
accoûtumez aux travaux de la guerre ,
envoyerent dire à Zulficar & à Youffep
Kiahia Officiers dans le Corps des
Azabs , qu'ils euffent à fortir du Caire ,
pour les venir joindre & aller enfemble
attaquer les Rebelles; ceux - cy répondirent
qu'ils ne pouvoient fortir que dans deux
ou trois jours ; on affure qu'ils fe méfient
de ceux qui ont fait cette demande , les
croyant d'intelligence avec les Rebelles .
Le premier Août , les 500. hommes en- ၂၁ ဝ .
voyez pour reconnoître les Ennemis ,
s'en retournerent épouvantez d'une ca-
* Azabs , Corps de Milice,
nonade
.
AVRIL 1730. 689
nonade dont ils furent régalez à leur approche
, ce qui les dérouta totalement.
Le même jour on vint affurer le Bey
Commandant , que les Rebelles n'avoient
tout au plus que 200. hommes de bonnes
Troupes , & 3. à 400. Arabes fort mal
équipez , ce qu'on prit grand foin de publier
pour donner du courage aux Troupes.
Le même jour il arriva au Caire un
Tartare , dépêché par un Aga de la Porte
, arrivé de Conftantinople à Damiette ,
qu'on difoit porteur de la confirmation
du Pacha deftitué. On ne voulut pas
permettre à ce Courier de voir le Pacha
toûjours prifonnier chez les Janniffaires;
le. Kiahia ou Lieutenant de ce Pacha
ayant demandé de pouvoir refter dans la
maifon qu'il occupoit auparavant , pour
avoir foin de fes femmes & de fa famille,
on le lui accorda , mais auffi - tôt qu'il y
fut entré , on lui donna des Gardes , de
forte que ce Lieutenant devint auffi
Prifonnier.
a;
Cependant l'Aga des Janniffaires , pour
calmer la Populace , fit crier par toute
la Ville que la paix & la tranquillité
étoient rétablies , qu'il n'y avoit plus rien
à craindre , & qu'on pouvoit ouvrir les
Boutiques. Mais on continua d'arrêter
tous les Bâtimens trouvez fur le Nil , pour
C v tranf
690 MERCURE DE FRANCE
tranfporter des Munitions de guerre &
de bouche à ceux qui font au bout du
vieux Caire , fur la même Riviere , pour
fervir à réduire les Rebelles.
,
Le 2. on envoya un Commandement à
Damiette pour y arrêter l'Aga , Porteur
de la confirmation du Pacha & les
6000. hommes deftinez pour aller at
taquer les Rebelles partirent. Le Procès
Verbal qu'on a coûtume de dreffer contre
le Pacha lorfqu'on le deftituë , pour envoyer
à la Porte , n'étoit pas encore fi
gné de toutes les Puiffances , mais il le
fut le 3. & on l'envoya à Conftantinople
on apprit ce jour là que les 6000. hommes
avoient fait une marche de 8. heures
confécutives , après quoi ils avoient
fait alte pour laiffer paffer les chaleurs
, & que les Rebelles attendoient
toujours de pied ferme. On apprit auffi
qu'il y avoit trois Beys du parti des Rebelles
dans la Ville , & on arrêta un homme
qui leur portoit des Provifions , mais
ayant fait inveftir la maifon indiquée ,
on ne les y trouva pas , ce qui inquiete
fort le Commandant, perfuadé qu'ils font
cachez dans cette grande Ville , où ils fomentent
les troubles .
Le 4. le bruit fe répandit que les Rebelles
en étoient venus aux mains avec
les 6000. hommes envoyez de la Ville
&
AVRIL 1730. 691
&
que ceux- cy
les avoient deffaits , &
on affure que Soliman Bey étoit mort les
armes à la main , & que Cherkes Mehemet
Bey avoit pris la fuite. Un Chef des
Arabes du parti de Zulficar , arriva en
même- temps & confirma cette nouvelle.
On crut au Caire qu'il apportoit la tête
de Soliman Bey & celle des fix autres
Grands de fon parti ; cet Arabe fut fort
bien reçû du Bey , qui lui fit prefent d'une
belle Peliffe de Samour , d'un Cheval
& d'un Village ; il fit diftribuer deux
poignées de Sequins aux Gens de fa fuite.
Sur cette nouvelle le Commandant rappella
le Bey qui étoit de garde fur la hauteur
qui domine le Château , lequel aban
donna auffi-tôt fon pofte & rentra dans
la Ville avec tous fes Gens. Le Peuple
plaignit extrémement le fort de Soliman
Bey , qui étoit adoré à cauſe de ſes bonnes
qualitez , & les Religieux Latins le
regretterent comme leur plus grand' Protecteur
dans le Pays .
Le 5. une partie des Troupes envoyées
contre les Rebelles rentra dans la Ville
avec quelques - uns des Commandans ; on
publia qu'il n'y avoit eu qu'un petit
choc , & que les Rebelles n'étant pas les:
plus forts , s'étoient retranchez entre deux
Montagnes qui les rendoient maîtres du
paffage , & on affura que Soliman Bey
692 MERCURE DE FRANCE
-1
& Cherkez étoient encore en vie & toujours
très-unis , que la prétenduë tête
qu'on avoit apportée de Soliman Bey ,
étoit celle de Marram Aly Bey , autre
Chef des Rebelles , lequel ayant eu fon
cheval tué fous lui , fut pris & eut la tête
coupée..
>
Le 6. les nouvelles varierent , on confirma
la mort de Soliman Bey , & la
deffaite des Rebelles
ajoûtant que
Cherkez Mehemet Bey , ayant été pourfuivi
, s'étoit refugié dans un Village avec
environ 400. hommes de Troupes ; làdeffus
Zulficar Bey fortit pour faire défiler
les Troupes qui étoient rentrées du
côté de ce Village pour l'inveftir & fe
rendre maître de Cherkez . Ce même jour
on amena Cara Muftapha , Chaoux des
Janniffaires , du parti des Rebelles , lequel
ayant été interrogé par le Bey Commandant
, ne daigna pas lui répondre .
Il fut conduit à l'Hôtel des Janniffaires
& interrogé par les Officiers de fon Corps,
il s'obſtina à ne vouloir rien déclarer
fur quoi on lui fit couper la tête .
Le 7. le Commandant fortit encore de
la Ville pour achever de faire repaffer la
Riviere aux Troupes commandées pour
prendre Cherkez , & en même- temps on
X fit voiturer des Munitions de guerre &
de bouche.
Le
AVRIL 1730. 693
Le 8. on continua d'affurer que SolimanBey
n'étoit pas mort, que dans la derniere
affaire qui s'eft paffée , une balle de
Moufquet ne lui avoit fait qu'éfleurer le
nez , & qu'il étoit toûjours avec Cherkez,
& en état de fe bien deffendre ; cependant
la politique des Commandans continuoit
de le faire paffer pour mort dans
le public , & l'autre Bey rencoigné dans
un Village , prêt à fe rendre ; ce qui eſt,
dit-on , bien different de la verité .
Le 9. on fit fortir le Pacha de l'Hôtel
des Janniffaires & on le renvoya dans fa
premiere maiſon , où il eft toûjours gardé ;
on continue de garder exactement les
Poftes du dedans de la Ville.
Le 10. on apprit que Cherkez s'étoit
retiré dans le Village de Manouri , fitué
dans la Behera , prefque au milieu du
chemin de Roffette à Alexandrie , &
qu'ayant fait alliance avec les Arabes de
cette Contrée , il s'étoit , pour ainfi dire ,
rendu le maître de cette Prefqu'Ifle , d'où
oncroyoit qu'il feroit difficile de le chaffer.
Le 11. le Bey Commandant , taxa toutes
les Boutiques de la Ville à un Sequin
chacune , ce qui doit lui rendre près de
vingt mille Sequins , outre cela il envoya
de temps - en-temps faire des emprunts
aux Habitans les plus aifez du Caire , ce
qui n'augmente pas la confiance , & na
link
694
MERCURE DE FRANCE
lui attire pas l'amitié du Peuple.
Le 12. on apprit que Cherkez & fes
amis avoient abandonné leurs poftes de
la Montagne , & qu'ils avoient parcouru
divers Villages de la Behere , qu'ils avoient
mis à contribution .
Le 13. Aly Bey , Commandant des Troupes
de la Ville , fut renforcé par un petit
Détachement que Zulficar lui envoya.
Ce même jour on fit la ceremonie accoûtumée
de couper le Nil, qui étoit venu
au point fixe de fa croiffance , depuis:
il a encore augmenté ; deforte que les
terres vont dans peu de temps être inondées
, ce qui pourra favorifer Cher
kez dans fa retraite , s'il a ce deffein- là.
>
Le 14. Cherkez Bey s'avança au Fioume,.
canton de la Behere , avec les Troupes
où , en chemin faifant , il fut , dit -on ,
attaqué par le Kiimakan d'un Village ,
qui lui tua une trentaine d'hommes : enfuite
de quoi il arriva au Fioume , où il
fe délaffi pendant deux jours fans être
inquieté de perfonne.
Le 15. Aly Bey envoya dire qu'il s'en
retournoit , ne fe fentant pas affez fort
pour attaquer Cherkez , qui , fuivant les
apparences , ne cherche qu'à fatiguer ceux
qui vont pour le combattre , & ce jour
là il commença d'entrer partie des Troupes
d'Aly Bey dans la Ville.
Lo
"AVRIL 1730.
695
Le 16. il arriva un Courier de la Mec
que, avec avis que la Caravane arrivetoit
dans une quinzaine de jours , il donna
auffi pour nouvelle que Mehemet Pacha
, cy-devant Pacha du Caire & preſentement
de Gedda , étoit mort à la Mecque
, en moins de trois jours , ce qu'on
affure être le motif du Voyage de Janem
Koaga à la Mecque , qui avoit , dit-on
ordre de la Porte, d'empoifonner ce Vizir.
Aly Bey arriva ce jour-là avec le refte de
fes Troupes , mais il campa dehors.
Le 17. on apprit que Cherkez Bey étoit
venu camper à deux journées du Caire
au même endroit où il avoit été ci -de-
,
vant battu , fur quoi Aly Bey envoya dire
qu'il ne vouloit plus entrer , mais qu'il
vouloit aller combattre Cherkez &
qu'on eut à lui envoyer des Troupes ; à
quoi on s'appliqua pendant toute la jour
née. On affure que la diverfion qu'avoit
fait Cherkez de courir vers Alexandrie
où les Troupes du Caire le fuivirent ,
n'étoit pas fans deffein , puifque Soliman
Bey qui avoit été bleffé dans la premiere:
Bataille s'étoit retiré dans un Village pour
fe faire guerir , & afin qu'on ne foupçonnât
rien de ce qui fe paffoit, Cherkez
avoit attiré bien loin les Troupes du Caire
& c.
· Le 18. le Kaïmakan fit appeller en plein
Divan
696 MERCURE DE FRANCE
Divan les Vizirs Aly & Uffein Qurb bigi
de Rofferte , aufquels il revêtit le Caftan
de Bey. Le Parti regnant a fait cependant
tout ce qu'il a pû pour remettre Dekir
Pacha en place ; mais celui- ci a remercié,
& delà , on conjecture avec fondement
que le Procès Verbal contre ce Pacha n'a
pas encore été envoyé à la Porte. Aly Bey
partit avec de nouvelles Troupes pour
aller combattre Cherkez ; mais on apprehende
l'inondation ne feconde pas
fon deffein. Zulficar Bey a mis la tête de
Cherkez Bey à prix , offrant de donner
dix mille fequins à ceux qui l'ameneront
en vie , & deux mille fequins à ceux qui
apporteront fa tête feulement.
que
J
Le 19. Uffein , un des nouveaux Beys,
fortit de la Ville avec 400. hommes de
Milice & alla camper hors du Vieux
Caire , fans qu'on ait fçû dans quel deffein
; les uns croyent que c'eft pour garder
les avenues , & les autres pour être
plus à portée de donner du fecours à Aly
Bey.
Le 20. on apprit que apprit que Cherkez avoit
décampé de l'endroit où il étoit , & qu'il
s'étoit mis en marche pour aller dans la
Haute Egypte , ce qui a fair refoudre Aly
Bey de s'en retourner . On affure que Cher
kez , en chemin faifant , arrête tous les
Batteaux qui tranfportent des grains au
1
Caire
AVRIL 1730. 697
Caire , & qu'il revend enfuite à fort bon
compte. Comme on ne parle en aucune
maniere plus de Soliman Bey , cela fait
croire qu'il eft effectivement mort . Uffein
Bey rentra ce jour là dans la Ville ; mais
les Troupes refterent dehors .
Le 21. les Beys & les autres Puiffances
de la Ville allerent complimenter les deux
nouveaux Beys , aufquels le Pacha n'a
pas voulu envoyer le Pavillon , fuivant
Fufage ; car quoique celui- ci foit deftitué,
il faut que le Pavillon leur foit envoyé
par
l'Homme direct du Grand - Seigneur.
On a réfolu d'envoyer les Kaïmakans dans
la Haute Egypte , chacun dans leur Village
, pour voir s'ils pourront y arriver
fans empêchement , après quoi le Bey ,
Gouverneur de cette Province , s'y rendra
auffi , mais fi au contraire les Kaïmakans
font obligés de s'en retourner , on
formera une nouvelle Thegeride ou Camp
volant pour réduire ceux qui s'oppofent.
à la tranquillité du Pays.
d'une Lettre écrite du Caire le 30.
Août 1729.
Aqui
U mois de Juin dernier , les Beys
qui s'étoient retirez au Saïdy , dans
la haute Egypte , lors de la deffaite totale
de Cherkes Mehemet Bey , arrivée en
1725. commencerent à donner des foupçons
aux Commandans du Païs , dont
Zulficar Bey eft le principal Chef , par
les intelligences qu'ils avoient dans la
Ville du Caire , ce qui fit redoubler les
attentions à chaffer ou à faire executer les
Rebelles qui reftoient dans la Ville ; ceux
qui purent éviter de perir par le Sabre
prirent le parti de s'aller joindre à ceux
de la haute Egypte , dont le nombre s'accrut
confiderablement ce qui donna
beaucoup d'inquiétude à nos Commandans
, & les détermina enfin à envoyer
un Corps de 3000. hommes pour tâcher
de les réduire , ou de les difperfer.
,
Ceux de la haute Egypte ne s'endormirent
pas de leur côté, ils s'étoient précautionnez
long- temps auparavant en fe
joignant aux Arabes , dont un des Beys.
Rebelles avoit époufé une Princeffe , fille
d'un des principaux Emirs de cette Nation,
AVRIL. 1730. 683
A
tion , ce qui leur donna le courage de
s'opposer au Corps de Troupes dont on
vient de parler. Le 5. Juillet dernier , co
Corps commença à fe mettre en marche.
Les Rebelles marcherent prefque en même
temps , ils fe rencontrerent bientôt ,
& camperent les uns devant les autres
fans coup ferir.
Quelquesjours après , Soliman Bey, Chef
des Rebelles , envoya dire à Ofman Bey ,
Commandant des Troupes du Caire , qu'il
n'étoit pas bien aife de combattre contre
Les freres , que la Religion Mufulmane ,
dont ils étoient tous , le lui deffendoit
ce qui ayant été pris par Ofman Bey pour
une marque de foibleffe , il fe détermina
au combat qui fut donné le 13. Juillet ,
mais il eut le malheur d'y fuccomber avec
le plus grand nombre des fiens , dont
plus de 350. pafferent du côté des Rebelles.
Dans la mêlée Soliman Bey atteignit
Ofman Bey d'un coup de Lance , &
s'en rendit enfuite bientôt le maître ; il
lui reprocha fes cruautez & les mauvaiſes
manieres que ceux de fon parti avoient
eues avec lui , après quoi il lui coupa luimême
la tête d'un coup de Sabre. Les
autres Beys & ceux qui font échapez
dont le nombre eft fort petit , font prefque
tous bleffez , celui des morts eft trèsconfiderable.
Cij Deux
684 MERCURE DE FRANCE
Deux jours après cette défaite , Cherkez
Mehemet Bey ,qui étoit fugitif depuis fa
déroute de 1725. rentra dans le Royaume
& joignit les Beys du Saïdy , ce qui a
beaucoup renforcé ce Parti ; ayant fait
cette jonction à la tête de 400. Maugre
bins ou Africains de Barbarie , ce renfort
fit prendre la réfolution aux Beys d'écrire
à ceux du Caire , qu'ils euffent à ne
plus envoyer de Troupes contre eux ,
étant bien réfolus d'aller au-devant pour
les combattre , ce qui obligea les Beys.
du Caire à prendre mieux leurs meſures,
ne doutant pas fur cette fierté qu'il n'y
eût dans la Ville quelqu'un qui les trahiffoit.
Ils ne furent pas long- temps à décou
vrir que c'étoit le Pacha d'Egypte lui ,
même , qui abufant de l'autorité dont il
eft revêtu , favorifoit les Rebelles , furquoi
ils s'affemblerent & prirent la réſolution
de le deftituer , ce qu'ils executerent
de cette maniere le 19. Juillet. Tous
les Beys & autres Puiffances du Pays ,
s'étant affemblez à Carameidam , * ils
firent prier le Pacha d'y venir pour conferer
enfemble fur les moyens de faire
cefler les troubles caufez par les Rebel
les ; le Pacha fe rendit à l'Affemblée ;
mais il n'y fut pas plutôt arrivé qu'on
* La Place Noire lieu oùse font les Executions:
lui
AVRIL 1730. 683
lui déclara la réſolution qu'on venoit de
prendre de le deftituer , ce qui fut executé
fur le champ ; il n'en parut point ému ,
on croit même qu'il n'eft pas fâché de
cette deftitution dans les conjonctures prefentes
. Cependant le Pacha affectant toûtjours
un air tranquille , s'adreffa au Tefterdar
ou Tréforier General , préſent à
cette Aſſemblée , à qui il dit , c'eſt donc
à vous à être Kaimakan ou Lieutenant
General du Gouvernement , ce que celuicy
refufa. Alors Zulficar Bey , qui eſt tout
puiffant dans le Parti , dit qu'ils avoient
réfolu d'élire MehemetBey, fils deDervich
Bey pour Kaimakan,à quoi lePacha confentit
; il lui vétitleCaftant ouRobe d'honneur
& lui fit prefent d'une belle Vefte doublée
d'une riche Peau , après quoi le Pacha fe
retira dans la maifon qu'on lui avoit préparée
, où il doit refter fous bonne garde,
en attendant les ordres de la Porte ; il
a reçû depuis bien des mortifications
de la des Puiffances du Pays , jufqu'à
confentir qu'on coupât la tête à trois de
fes Gens , qui étoient ſuſpects au Parti
dominant.
part
Au refte , cette deftitution a fait un
grand changement dans le Pays , ceux.de
la Ville en paroiffent plus tranquilles ,
& ceux de la Campagne ne remuent plus
eependant les Beys d'ici préparent un
Ciij Corps
686 MERCURE DE FRANCE
Corps de 6000. hommes pour l'envoyer
contre les Rebelles , qu'on dit s'être
retranchez dans la haute Egypte , attendant
de pied ferme ceux qui doivent aller
les attaquer. On ne le pourra que par eau,
car nous fommes dans le temps de la
croiffance du Nil . Comme ces Comman
dans ont épuisé leurs fonds , & que pour
la continuation de la guerre , la folde des
6000. hommes & les autres dépenses , il
leur faut plus d'un million cinq cens mille
livres , ils tyrannifent le Peuple & taxent
tous les Marchands , ce qui fait crier hautement
contre leur Gouvernement.
Le 28. nous apprîmes qu'un Corps des
Rebelles s'étoit avancé jufqu'à deux journées
du Caire ; à cette nouvelle on s'affembla
& on confia les poftes du dehors
de la Ville à divers Seigneurs , qui avec
leurs Troupes , fe chargerent de les garder
, & comme on eft toûjouts perfuadé
que le Pacha favorife les Rebelles ,
on
alla lui ordonner de la part des Commandans
, de fortir de fa demeure pour
être conduit à la Prifon de Jofeph , fituée
dans le Château ; c'eft le lieu ordinaire
où l'on execute les Pachas lorsqu'il y a
des ordres de la Porte pour les faire mourir.
Le Pacha parut confterné, & dit qu'il
n'avoit rien fait qui méritât la mort , mais
que fi on devoit l'executer , il falloit
que
AVRIL 1730. 687
que ce fût à la porte de l'Hôtel des Jan- ,
niffaires , comme étant de leur Corps ; il
y fut conduit fur le chimp ; Zulficar Bey
ordonna qu'il y refteroit fous la garde..
d'un Bey ; dès que ce Bey fut arrivé à la
porte des Jannillaires pour y executer les ,
ordres de Zulficar , l'un des anciens Kia- :
hias ou Lieutenans des Janniffaires , fe
leva & dit en s'adreffant à tout le Corps ,
permettrez vous , mes freres , qu'on nous
faffe un tel affront , & ne fommes- nous
pas affez puiffants pour garder nous- mê- ,
mes un Pacha ; ces paroles prononcées :
avec force par un ancien Oficier du
Corps , firent une telle impreffion qu'on
envoya dire fur le champ au Bey de fe
retirer, ce que celui- cy nè fè fit pas dire .
deux fois.
qu'il
Le 29. Zulficar fit fortir toutes fes fem
mes de fa maiſon & tout ce qu'il avoit
de plus précieux , & fit travailler à des
affuts deCanon pour pouvoir monter ceux
avoit fait venir d'Alexandrie des
deux Barques Tripolines qu'il avoit confifquées
, & fait vendre à l'enchere , fur
ce que ceux de Tripoly avoient donné
retraite à Cherkez Mehemet Bey. On ne
put rien apprendre des Rebelles de tout
ce jour là , tous les poftes du dehors continuant
à être gardez .
Le 30. il partit d'ici un détachement
Ciiij de
688 MERCURE DE FRANCE
de 5oo. hommes , commandez par un
Bey , pour aller reconnoître les ennemis ,
qu'on affuroit n'être plus qu'à deux journées
d'ici , & en même- temps un autre
Bey alla fe pofter avec des Troupes &
des Canons fur une élévation qui commande
le Château & une partie de la
Ville ; les poftes continuerent à être exactement
gardez .
›
Le 31. il y eut une petite allarme aur
fujet des 5oo. hommes qu'on avoit envoyez
pour reconnoître les Ennemis , on
affuroit qu'ils avoient été battus & taillez
en pieces ; cependant on continua à envoyer
des Troupes & des Munitions aux
divers Officiers qui occupoient les dehors
de la Ville. Le même jour ceux- cy , peu
accoûtumez aux travaux de la guerre ,
envoyerent dire à Zulficar & à Youffep
Kiahia Officiers dans le Corps des
Azabs , qu'ils euffent à fortir du Caire ,
pour les venir joindre & aller enfemble
attaquer les Rebelles; ceux - cy répondirent
qu'ils ne pouvoient fortir que dans deux
ou trois jours ; on affure qu'ils fe méfient
de ceux qui ont fait cette demande , les
croyant d'intelligence avec les Rebelles .
Le premier Août , les 500. hommes en- ၂၁ ဝ .
voyez pour reconnoître les Ennemis ,
s'en retournerent épouvantez d'une ca-
* Azabs , Corps de Milice,
nonade
.
AVRIL 1730. 689
nonade dont ils furent régalez à leur approche
, ce qui les dérouta totalement.
Le même jour on vint affurer le Bey
Commandant , que les Rebelles n'avoient
tout au plus que 200. hommes de bonnes
Troupes , & 3. à 400. Arabes fort mal
équipez , ce qu'on prit grand foin de publier
pour donner du courage aux Troupes.
Le même jour il arriva au Caire un
Tartare , dépêché par un Aga de la Porte
, arrivé de Conftantinople à Damiette ,
qu'on difoit porteur de la confirmation
du Pacha deftitué. On ne voulut pas
permettre à ce Courier de voir le Pacha
toûjours prifonnier chez les Janniffaires;
le. Kiahia ou Lieutenant de ce Pacha
ayant demandé de pouvoir refter dans la
maifon qu'il occupoit auparavant , pour
avoir foin de fes femmes & de fa famille,
on le lui accorda , mais auffi - tôt qu'il y
fut entré , on lui donna des Gardes , de
forte que ce Lieutenant devint auffi
Prifonnier.
a;
Cependant l'Aga des Janniffaires , pour
calmer la Populace , fit crier par toute
la Ville que la paix & la tranquillité
étoient rétablies , qu'il n'y avoit plus rien
à craindre , & qu'on pouvoit ouvrir les
Boutiques. Mais on continua d'arrêter
tous les Bâtimens trouvez fur le Nil , pour
C v tranf
690 MERCURE DE FRANCE
tranfporter des Munitions de guerre &
de bouche à ceux qui font au bout du
vieux Caire , fur la même Riviere , pour
fervir à réduire les Rebelles.
,
Le 2. on envoya un Commandement à
Damiette pour y arrêter l'Aga , Porteur
de la confirmation du Pacha & les
6000. hommes deftinez pour aller at
taquer les Rebelles partirent. Le Procès
Verbal qu'on a coûtume de dreffer contre
le Pacha lorfqu'on le deftituë , pour envoyer
à la Porte , n'étoit pas encore fi
gné de toutes les Puiffances , mais il le
fut le 3. & on l'envoya à Conftantinople
on apprit ce jour là que les 6000. hommes
avoient fait une marche de 8. heures
confécutives , après quoi ils avoient
fait alte pour laiffer paffer les chaleurs
, & que les Rebelles attendoient
toujours de pied ferme. On apprit auffi
qu'il y avoit trois Beys du parti des Rebelles
dans la Ville , & on arrêta un homme
qui leur portoit des Provifions , mais
ayant fait inveftir la maifon indiquée ,
on ne les y trouva pas , ce qui inquiete
fort le Commandant, perfuadé qu'ils font
cachez dans cette grande Ville , où ils fomentent
les troubles .
Le 4. le bruit fe répandit que les Rebelles
en étoient venus aux mains avec
les 6000. hommes envoyez de la Ville
&
AVRIL 1730. 691
&
que ceux- cy
les avoient deffaits , &
on affure que Soliman Bey étoit mort les
armes à la main , & que Cherkes Mehemet
Bey avoit pris la fuite. Un Chef des
Arabes du parti de Zulficar , arriva en
même- temps & confirma cette nouvelle.
On crut au Caire qu'il apportoit la tête
de Soliman Bey & celle des fix autres
Grands de fon parti ; cet Arabe fut fort
bien reçû du Bey , qui lui fit prefent d'une
belle Peliffe de Samour , d'un Cheval
& d'un Village ; il fit diftribuer deux
poignées de Sequins aux Gens de fa fuite.
Sur cette nouvelle le Commandant rappella
le Bey qui étoit de garde fur la hauteur
qui domine le Château , lequel aban
donna auffi-tôt fon pofte & rentra dans
la Ville avec tous fes Gens. Le Peuple
plaignit extrémement le fort de Soliman
Bey , qui étoit adoré à cauſe de ſes bonnes
qualitez , & les Religieux Latins le
regretterent comme leur plus grand' Protecteur
dans le Pays .
Le 5. une partie des Troupes envoyées
contre les Rebelles rentra dans la Ville
avec quelques - uns des Commandans ; on
publia qu'il n'y avoit eu qu'un petit
choc , & que les Rebelles n'étant pas les:
plus forts , s'étoient retranchez entre deux
Montagnes qui les rendoient maîtres du
paffage , & on affura que Soliman Bey
692 MERCURE DE FRANCE
-1
& Cherkez étoient encore en vie & toujours
très-unis , que la prétenduë tête
qu'on avoit apportée de Soliman Bey ,
étoit celle de Marram Aly Bey , autre
Chef des Rebelles , lequel ayant eu fon
cheval tué fous lui , fut pris & eut la tête
coupée..
>
Le 6. les nouvelles varierent , on confirma
la mort de Soliman Bey , & la
deffaite des Rebelles
ajoûtant que
Cherkez Mehemet Bey , ayant été pourfuivi
, s'étoit refugié dans un Village avec
environ 400. hommes de Troupes ; làdeffus
Zulficar Bey fortit pour faire défiler
les Troupes qui étoient rentrées du
côté de ce Village pour l'inveftir & fe
rendre maître de Cherkez . Ce même jour
on amena Cara Muftapha , Chaoux des
Janniffaires , du parti des Rebelles , lequel
ayant été interrogé par le Bey Commandant
, ne daigna pas lui répondre .
Il fut conduit à l'Hôtel des Janniffaires
& interrogé par les Officiers de fon Corps,
il s'obſtina à ne vouloir rien déclarer
fur quoi on lui fit couper la tête .
Le 7. le Commandant fortit encore de
la Ville pour achever de faire repaffer la
Riviere aux Troupes commandées pour
prendre Cherkez , & en même- temps on
X fit voiturer des Munitions de guerre &
de bouche.
Le
AVRIL 1730. 693
Le 8. on continua d'affurer que SolimanBey
n'étoit pas mort, que dans la derniere
affaire qui s'eft paffée , une balle de
Moufquet ne lui avoit fait qu'éfleurer le
nez , & qu'il étoit toûjours avec Cherkez,
& en état de fe bien deffendre ; cependant
la politique des Commandans continuoit
de le faire paffer pour mort dans
le public , & l'autre Bey rencoigné dans
un Village , prêt à fe rendre ; ce qui eſt,
dit-on , bien different de la verité .
Le 9. on fit fortir le Pacha de l'Hôtel
des Janniffaires & on le renvoya dans fa
premiere maiſon , où il eft toûjours gardé ;
on continue de garder exactement les
Poftes du dedans de la Ville.
Le 10. on apprit que Cherkez s'étoit
retiré dans le Village de Manouri , fitué
dans la Behera , prefque au milieu du
chemin de Roffette à Alexandrie , &
qu'ayant fait alliance avec les Arabes de
cette Contrée , il s'étoit , pour ainfi dire ,
rendu le maître de cette Prefqu'Ifle , d'où
oncroyoit qu'il feroit difficile de le chaffer.
Le 11. le Bey Commandant , taxa toutes
les Boutiques de la Ville à un Sequin
chacune , ce qui doit lui rendre près de
vingt mille Sequins , outre cela il envoya
de temps - en-temps faire des emprunts
aux Habitans les plus aifez du Caire , ce
qui n'augmente pas la confiance , & na
link
694
MERCURE DE FRANCE
lui attire pas l'amitié du Peuple.
Le 12. on apprit que Cherkez & fes
amis avoient abandonné leurs poftes de
la Montagne , & qu'ils avoient parcouru
divers Villages de la Behere , qu'ils avoient
mis à contribution .
Le 13. Aly Bey , Commandant des Troupes
de la Ville , fut renforcé par un petit
Détachement que Zulficar lui envoya.
Ce même jour on fit la ceremonie accoûtumée
de couper le Nil, qui étoit venu
au point fixe de fa croiffance , depuis:
il a encore augmenté ; deforte que les
terres vont dans peu de temps être inondées
, ce qui pourra favorifer Cher
kez dans fa retraite , s'il a ce deffein- là.
>
Le 14. Cherkez Bey s'avança au Fioume,.
canton de la Behere , avec les Troupes
où , en chemin faifant , il fut , dit -on ,
attaqué par le Kiimakan d'un Village ,
qui lui tua une trentaine d'hommes : enfuite
de quoi il arriva au Fioume , où il
fe délaffi pendant deux jours fans être
inquieté de perfonne.
Le 15. Aly Bey envoya dire qu'il s'en
retournoit , ne fe fentant pas affez fort
pour attaquer Cherkez , qui , fuivant les
apparences , ne cherche qu'à fatiguer ceux
qui vont pour le combattre , & ce jour
là il commença d'entrer partie des Troupes
d'Aly Bey dans la Ville.
Lo
"AVRIL 1730.
695
Le 16. il arriva un Courier de la Mec
que, avec avis que la Caravane arrivetoit
dans une quinzaine de jours , il donna
auffi pour nouvelle que Mehemet Pacha
, cy-devant Pacha du Caire & preſentement
de Gedda , étoit mort à la Mecque
, en moins de trois jours , ce qu'on
affure être le motif du Voyage de Janem
Koaga à la Mecque , qui avoit , dit-on
ordre de la Porte, d'empoifonner ce Vizir.
Aly Bey arriva ce jour-là avec le refte de
fes Troupes , mais il campa dehors.
Le 17. on apprit que Cherkez Bey étoit
venu camper à deux journées du Caire
au même endroit où il avoit été ci -de-
,
vant battu , fur quoi Aly Bey envoya dire
qu'il ne vouloit plus entrer , mais qu'il
vouloit aller combattre Cherkez &
qu'on eut à lui envoyer des Troupes ; à
quoi on s'appliqua pendant toute la jour
née. On affure que la diverfion qu'avoit
fait Cherkez de courir vers Alexandrie
où les Troupes du Caire le fuivirent ,
n'étoit pas fans deffein , puifque Soliman
Bey qui avoit été bleffé dans la premiere:
Bataille s'étoit retiré dans un Village pour
fe faire guerir , & afin qu'on ne foupçonnât
rien de ce qui fe paffoit, Cherkez
avoit attiré bien loin les Troupes du Caire
& c.
· Le 18. le Kaïmakan fit appeller en plein
Divan
696 MERCURE DE FRANCE
Divan les Vizirs Aly & Uffein Qurb bigi
de Rofferte , aufquels il revêtit le Caftan
de Bey. Le Parti regnant a fait cependant
tout ce qu'il a pû pour remettre Dekir
Pacha en place ; mais celui- ci a remercié,
& delà , on conjecture avec fondement
que le Procès Verbal contre ce Pacha n'a
pas encore été envoyé à la Porte. Aly Bey
partit avec de nouvelles Troupes pour
aller combattre Cherkez ; mais on apprehende
l'inondation ne feconde pas
fon deffein. Zulficar Bey a mis la tête de
Cherkez Bey à prix , offrant de donner
dix mille fequins à ceux qui l'ameneront
en vie , & deux mille fequins à ceux qui
apporteront fa tête feulement.
que
J
Le 19. Uffein , un des nouveaux Beys,
fortit de la Ville avec 400. hommes de
Milice & alla camper hors du Vieux
Caire , fans qu'on ait fçû dans quel deffein
; les uns croyent que c'eft pour garder
les avenues , & les autres pour être
plus à portée de donner du fecours à Aly
Bey.
Le 20. on apprit que apprit que Cherkez avoit
décampé de l'endroit où il étoit , & qu'il
s'étoit mis en marche pour aller dans la
Haute Egypte , ce qui a fair refoudre Aly
Bey de s'en retourner . On affure que Cher
kez , en chemin faifant , arrête tous les
Batteaux qui tranfportent des grains au
1
Caire
AVRIL 1730. 697
Caire , & qu'il revend enfuite à fort bon
compte. Comme on ne parle en aucune
maniere plus de Soliman Bey , cela fait
croire qu'il eft effectivement mort . Uffein
Bey rentra ce jour là dans la Ville ; mais
les Troupes refterent dehors .
Le 21. les Beys & les autres Puiffances
de la Ville allerent complimenter les deux
nouveaux Beys , aufquels le Pacha n'a
pas voulu envoyer le Pavillon , fuivant
Fufage ; car quoique celui- ci foit deftitué,
il faut que le Pavillon leur foit envoyé
par
l'Homme direct du Grand - Seigneur.
On a réfolu d'envoyer les Kaïmakans dans
la Haute Egypte , chacun dans leur Village
, pour voir s'ils pourront y arriver
fans empêchement , après quoi le Bey ,
Gouverneur de cette Province , s'y rendra
auffi , mais fi au contraire les Kaïmakans
font obligés de s'en retourner , on
formera une nouvelle Thegeride ou Camp
volant pour réduire ceux qui s'oppofent.
à la tranquillité du Pays.
Fermer
Résumé : SUITE des Troubles d'Egypte. Extrait d'une Lettre écrite du Caire le 30. Août 1729.
En août 1729, les beys retirés au Saïdy en Haute-Égypte, après la défaite de Cherkes Mehemet Bey en 1725, commencèrent à susciter des soupçons parmi les commandants du Caire, notamment Zulficar Bey. Les rebelles restants dans la ville furent soit chassés, soit exécutés, beaucoup rejoignant les rebelles en Haute-Égypte. En juillet 1730, un corps de 3 000 hommes fut envoyé pour les réduire, mais les rebelles, alliés aux Arabes, résistèrent. Le 13 juillet, après un refus de combat de Soliman Bey, chef des rebelles, une bataille éclata. Ofman Bey, commandant des troupes du Caire, fut tué par Soliman Bey, qui lui reprocha ses cruautés avant de lui couper la tête. Cette défaite renforça les rebelles avec le retour de Cherkes Mehemet Bey et un renfort de 400 Maugrebins. Les beys du Caire découvrirent que le Pacha d'Égypte favorisait les rebelles et le destituèrent le 19 juillet. Mehemet Bey, fils de Dervich Bey, fut nommé lieutenant général. Malgré cette destitution, les troubles continuèrent. Les beys préparèrent un corps de 6 000 hommes pour attaquer les rebelles retranchés en Haute-Égypte. Le Pacha, emprisonné, subissait des mortifications. Les commandants, manquant de fonds, tyrannisaient le peuple pour financer la guerre. Le 28 août, des rebelles approchèrent du Caire, renforçant les mesures de sécurité. Le Pacha fut transféré en prison, mais les Jannissaires refusèrent de le garder, le considérant comme l'un des leurs. Zulficar Bey renforça les défenses de la ville. Le 31 août, une alarme fut déclenchée par une attaque sur les éclaireurs. Les commandants continuèrent à envoyer des troupes et des munitions. Le 1er août, les éclaireurs revinrent épouvantés par une embuscade. Les nouvelles sur la situation des rebelles variaient, mais les commandants restaient vigilants. Le 5 août, une partie des troupes rentra au Caire, affirmant une résistance des rebelles. Le 6 août, la mort de Soliman Bey fut confirmée, et Cherkes Mehemet Bey se réfugia dans un village. Zulficar Bey préparait une nouvelle offensive. Du 6 au 21 avril 1730, plusieurs événements marquants se déroulèrent au Caire et dans ses environs. Cara Muftapha, un chef rebelle, fut exécuté après avoir refusé de répondre aux interrogatoires. Le commandant de la ville continua de renforcer les troupes et de préparer des munitions pour affronter Cherkez. Des rumeurs circulaient sur la mort de Soliman Bey, bien que la politique officielle le déclarât mort, des informations suggéraient qu'il était toujours en vie et prêt à se défendre. Cherkez se retira dans le village de Manouri, s'alliant avec les Arabes locaux pour contrôler la région. Le commandant de la ville imposa une taxe sur les boutiques et fit des emprunts auprès des habitants. Cherkez et ses alliés pillèrent divers villages de la Behere. Aly Bey, commandant des troupes, fut renforcé et participa à la cérémonie de la coupe du Nil. Cherkez attaqua le Fioume et se délasça sans être inquiété. Aly Bey, jugeant ses forces insuffisantes, décida de ne pas attaquer Cherkez. Un courrier de La Mecque annonça la mort de Mehemet Pacha et l'arrivée imminente de la caravane. Aly Bey et Uffein Qurb bigi furent nommés Beys, et Aly Bey partit combattre Cherkez, bien que l'inondation puisse entraver ses plans. Uffein sortit de la ville avec des milices, et Cherkez se déplaça vers la Haute Égypte, interrompant le transport de grains vers Le Caire. Les Beys et autres autorités complimentèrent les nouveaux Beys, et des préparatifs furent faits pour envoyer des Kaïmakans en Haute Égypte afin de rétablir l'ordre.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 371-376
RELATION de la Révolte arrivée à Tripoly de Syrie, contre Hibraim Pacha, Gouverneur de cette Ville, le 26. Octobre 1730. etc. Ecrite par M. le Maire, Consul de la Nation Françoise.
Début :
Le Pacha ayant été informé par Mustapha Bey son fils, [...]
Mots clefs :
Tripoli, Syrie, Pacha , Janissaires, Sérail, Justice, Gouverneur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RELATION de la Révolte arrivée à Tripoly de Syrie, contre Hibraim Pacha, Gouverneur de cette Ville, le 26. Octobre 1730. etc. Ecrite par M. le Maire, Consul de la Nation Françoise.
RELATION de la Ré volté arrivée
à Tripoly de Syrie , contre Hibraim
Pa ha Gouverneur de cette Ville le
26. Octobre 1730. etc. Ecrite par M.
le Maire , Consul de la Nation Françoise.
LBey
E Pacha ayant été informé par Mustapha
Bey son fils , qui commande à la Taquie
que les gens de la Montagne , informés de la Révolution
de Constantinople , s'étoient révoltez
contre lui , et qu'ils avoient fait main - basse sur
ceux qu'il avoit envoyés pour lever les droits dų
G. S. Le Bey voulant mettre les Païsans à la raison,
et n'ayant pas assez de Troupe à la Taquie
expedia icy à son pere un Courrier pour lui demander
du secours . Le Pacha donna aussi-tôt ses
ordres à l'Aga des Janissaires de faire marcher
200 hommes de cette milice à la Taquie , mais
les Janissaires n'ayant pas voulu marcher , le
Hij Corps
372 MERCURE DE FRANCE
Corps se souleva et entraîna avec lui beaucoup de
Soldats et de Populace . Ils al erent attaquer le
Serrail où étoit le Pacha , à grands coups de Fusil
, qui furent suivis d'une grêle de coups de pierres,
ce qui dura jusqu'à la nuit ; il n'y eut cependant
que 7 hommes de tués, de part et d'autre
et 3 de blessés .
Le lendemain 27 , les Rebelles allerent encore
attaquer le Pacha dans son Sérail ; pour les appaiser
, il promit de diminuer le prix de la viande,du
pain , du savon et generalement de toutes les denrées,
ce qui fut exécuté; mais cela ne les ayant pas
satisfais , ils ne discontinuerent point de tirer. Un
parti de quelques Janissaires se détacha de la
Troupe pour aller attaquer la Maison d'un des
principauxOfficiers du Pacha, appellé Cassen Aga,
ils la mirent au pillage , massacrerent cet Officier
'et couperent son corps par petits morceaux , avec
4 de ses domestiques qui s'étoient mis en deffense.
Ils allerent delà à la Maison d'Abdy- Aga, premier
Drogman du Pacha , qu'ils pillerent aussi ,
et étant revenus peu de temps après devant le Serrail
, ils demanderent que le Pacha fut déposé , et
voulurent l'obliger à passer dans le Château , jusques
à ce que les Ordres du G.S. fussent arrivez.
Il leur fit dire qu'il n'iroit point au Château sans
que les Puissances du Païs à leur tête , ne le forcassent
à y entrer.
La Populace lui demanda la tête d'Abdy-Aga
son Drogman pour l'avoir porté à tiranniser le
peuple. Le Pacha ayant fait quelque difficulté d'accorder
à leur demande , tous ses Officiers lui dirent
que s'il ne donnoit pas cette satisfaction aux
Rebelles , sa tête et la leur étoient dans un grand
danger. Le Pacha , à la persuasion de tout son
monde , et par la crainte de perdre la vie , fut le
premier à porter la Ganjarre ou Poignard sur l'es
tomach
FEVRIER. 1-31. 373
tomach de son Drogman. Les Soldats aussi - tôt
le percerent de mille coups et lui firent toute sorte
d'outrages. On le jetta par les Fenêtres du Serrail
et par le moyen d'une Corde passée à son col ,
il fut traîné tout nud par toutes les rues de Tripoly
et son corps jetté ensuite à la voirie.
> Le 28 le Frere du Drogman , ayant entendu
dire qu'on le ménaçoit , défit son Turban ,
n'ayant pas eu le temps de trouver une corde , et
par une Fenêtre du Château , se suspendit à ce
Turban , qui étant d'une Mousseline fine , ne put
résister ; il se rompit bras et jambes en tombant;
quelques Soldats Payant aperçu , coururent à lui
et l'acheverent à coups de Sabre.
Le Capigy qui est venu de Constantinople , de
Concert avec Sidy Ally , Cherif,un des Chefs de la
Justice, et Cader Aga, une autre Puissance, entre→
tiennent secretement la populace mutinée qui fait
une recherche exacte de tous ceux qui ont causé
des avanies par leurs mauvais conseils et qui
ont porté le Pacha à se faire partisan de toutes
sortes de inarchandises , et de denrées.
>
Le Pacha dit hier au Capigy , que si S. H. l'avoit
envoyê pour lui demander sa tête , qu'il
étoit prêt à la donner. Le Capigy lui répondit
qu'il n'avoit point cet ordre , et qu'il pouvoit
rester tranquille de ce côté-là ; mais qu'il ne répondoit
point de la mauvaise intention du peuple
, qui vouloit avoir raison de tous les Avanistes
, sans leur faire aucun quartier , et qu'on
cherchoit actuellement Abraham de Leon , Juif,
son Douanier , un des principaux ; sa maison fut
pillée hier totalement
on le chercha par
;
toute la ville pour le brûler devant la Maison
de la Justice ; mais ce Juif a pris la fuite dès le
comencement des desordres. Les Rebelles le
croyoient refugié dans quelque maison de Francs.
Hiij Les
974 MERCURE DE FRANCE
Les principales ereatures du Pacha qui se sen
toient coupables , ont aussi pris la fuite.
Il me fut rapporté par quelques Jannissaires ,
qu'on vouloit entrer dans les maisons des Fran
çois pour chercher le Juif , et qu'on viendroit .
d'abord à la Maison Consulaire pour me le demander.
t
Je fis dire au Corps des Jannissaires , qu'aucun
François se seroit bien gardé de refugier ce Juif
dans une pareille conjoncture , que c'étoit un
homme proscrit , et d'une Nation qu'on abhor→
roit depuis long- tems ; qu'ainsi il n'y avoit nulle
apparence qu'on lui eût donné azile ; que cependant
pour satisfaire la populace , si elle croyoit
absolument que ce Juif fut dans nos maisons
je me transportérois chez tous les Marchands
avec trois ou quatre personnes de leur troupe ,
pour faire la visite ; mais que si la Milice y ve
noit de force ouverte , je m'opposerois autant
qu'il seroit en mon pouvoir à cette violence , qui
pourroit avoir des suites fâcheuses pour tous les
habitans de la Ville. Cette Réponse leur fit faire
des Reflexions , et on nous laissa tranquilles.
Les Rebelles se transporterent au Makiamé ,
lieu où la Justice se rend ; ils y firent écrire un
Hoget ou Sentence pardevant le nouveau Cady ,
signé de tous les Chefs de la Justice , par lequel
il leur étoit permis de mettre à mort trois per
sonnes de consideration de la Maison du Pacha ,
par tout où ils pourroient les trouver , qui sont
P'Arby Caliby , son premier Secretaire , le Casanadac
, et Adheraman- Aga , Chef de la Justice ,
ce qui leur fut accordé sans difficulté . Ce jour
même , l'après- mid , ils massacrerent quelques
Avani ses, qu'i's traînerent ensuite tout nuds par
les rues : ces corps passerent dans notre quartier,
et nous firent horreur.
Le
FEVRIER.
1731. 375
Le 29 , le party des Rebelles ayant considerament
grossi , se présenta de nouveau devant le
Serrail , sur la nouvelle qu'ils apprirent que le
Pacha avoit demandé secretement main forte
aux deux Capitaines des Sultanes du G. S. qui
ont escorté le Convoy venu de Damiette en cette
Rade , pour se saisir de la personne de Sidy- Ally
Cherif , et de Cadec Aga , comme Chefs de la
Rebellion , pour les conduire à Constantinople ;
mais ces deux Capitaines n'en voulurent rien
faire , et chargerent le Pacha de justes reproches
sur sa mauvaise conduite envers le peuple
qu'il avoit cruellement maltraité , et tirannisé
depuis qu'il étoit dans le Gouvernement , ne
pouvant plus soutenir la misere où il l'avoit réduit
, et dont ils voyoient eux-mêmes la verité
ajoutant qu'ils trouvoient les habitans fondez
demander sa déposition.
Ces Capitaines n'eurent pas plutôt terminé
cette Conference qu'il s'atroupa près de sono,
hommes devant le Serrail , lesquels firent une
décharge de Mousqueterie , et braquerent en
même temps du canon sur l'appartement oa
étoit le Pacha. Ils tirerent cinq coups à boulets,
Ils n'étoient éloignez qu'à demy portée de pistolet
, ce qui fit une si grande breche à la muraille
qui separe le Serrail du Château , que le
Corps des Jannissaires y entra le sabre à la main,
Les Puissances s'y assemblerent à la requisition
de la populace , qui demanda que le Pacha ne se
mêlât plus duGouvernement,jusqu'à nouvel ordre
de la Porte , que Kader- Aga commanderoit pour
ce qui regarde le Commerce et la Police ; que le
Pacha retireroit les droits du G. S. et que Sidy-
Ally seroit Cady pour la Justice.
Le Bacha fut si ému de voir les seditieux si
près de lui , qu'il tomba évanoui . On le fit re-
Hiiij venir,
376 MERCURE DE FRANCE.
venir , et on le fit descendre dans une petite
Mosquée avec une échelle , pour le mettre à l'a
bry des insultes des troupes. Il fut poursuivi jusques
dans cet endroit-là , et Sidy-Mudy , notre
Chef des Messagers , lui sauva la vie. Il se mit à
la porte de la Mosquée , le mousqueton bandé ,
et empêcha les Jannissaires d'entrer , en lenr disant
, que s'ils tuoient le Pacha , ils seroient tous
sevérement punis de la Porte. Son Casanadac ou
Trésorier profita de ce tems- là pour prendre la
fuite. Il sortit lui quinziéme , à cheval , par une
petite porte du Serrail , le pistolet et le sabre à
la main , poussant leurs chevaux à toute bride ;
ils se firent jour à travers ceux qui pouvoient les
arrêter , et passerent du côté de la Marine. Le
Pacha fut conduit le soir dans la maison de ses
femmes, accompagné des Grands du pays, et sous
l'escorte de 60 Jannissaires , et des gens de sa
maison , sans qu'on osât tirer sur lui , ayant
promis au peuple de ne se plus mêler d'aucune
affaire ; ce qui luy fut confirmé aussi par les
Grands du pays. Tout est tranquil e depuis ee
temps-là . Les Jannissaires gardent les portes de
la Ville , pour arrêter ceux qui voudroient fuir. '
On assure que le Pacha a expedié des Couriers
de tous côtez , secretement , pour donner avis à
la Porte , au Pacha de Damas son pere , et à son
oncle , Pacha de Séyde , sur tout ce qui se passe.
L'opinion commune est que ces deux Pachas luy
envoyeront des troupes pour punir tous les Chefs
de cette Révolte ; ce qui me fait croire que les
troubles ne sont point encore finis.
à Tripoly de Syrie , contre Hibraim
Pa ha Gouverneur de cette Ville le
26. Octobre 1730. etc. Ecrite par M.
le Maire , Consul de la Nation Françoise.
LBey
E Pacha ayant été informé par Mustapha
Bey son fils , qui commande à la Taquie
que les gens de la Montagne , informés de la Révolution
de Constantinople , s'étoient révoltez
contre lui , et qu'ils avoient fait main - basse sur
ceux qu'il avoit envoyés pour lever les droits dų
G. S. Le Bey voulant mettre les Païsans à la raison,
et n'ayant pas assez de Troupe à la Taquie
expedia icy à son pere un Courrier pour lui demander
du secours . Le Pacha donna aussi-tôt ses
ordres à l'Aga des Janissaires de faire marcher
200 hommes de cette milice à la Taquie , mais
les Janissaires n'ayant pas voulu marcher , le
Hij Corps
372 MERCURE DE FRANCE
Corps se souleva et entraîna avec lui beaucoup de
Soldats et de Populace . Ils al erent attaquer le
Serrail où étoit le Pacha , à grands coups de Fusil
, qui furent suivis d'une grêle de coups de pierres,
ce qui dura jusqu'à la nuit ; il n'y eut cependant
que 7 hommes de tués, de part et d'autre
et 3 de blessés .
Le lendemain 27 , les Rebelles allerent encore
attaquer le Pacha dans son Sérail ; pour les appaiser
, il promit de diminuer le prix de la viande,du
pain , du savon et generalement de toutes les denrées,
ce qui fut exécuté; mais cela ne les ayant pas
satisfais , ils ne discontinuerent point de tirer. Un
parti de quelques Janissaires se détacha de la
Troupe pour aller attaquer la Maison d'un des
principauxOfficiers du Pacha, appellé Cassen Aga,
ils la mirent au pillage , massacrerent cet Officier
'et couperent son corps par petits morceaux , avec
4 de ses domestiques qui s'étoient mis en deffense.
Ils allerent delà à la Maison d'Abdy- Aga, premier
Drogman du Pacha , qu'ils pillerent aussi ,
et étant revenus peu de temps après devant le Serrail
, ils demanderent que le Pacha fut déposé , et
voulurent l'obliger à passer dans le Château , jusques
à ce que les Ordres du G.S. fussent arrivez.
Il leur fit dire qu'il n'iroit point au Château sans
que les Puissances du Païs à leur tête , ne le forcassent
à y entrer.
La Populace lui demanda la tête d'Abdy-Aga
son Drogman pour l'avoir porté à tiranniser le
peuple. Le Pacha ayant fait quelque difficulté d'accorder
à leur demande , tous ses Officiers lui dirent
que s'il ne donnoit pas cette satisfaction aux
Rebelles , sa tête et la leur étoient dans un grand
danger. Le Pacha , à la persuasion de tout son
monde , et par la crainte de perdre la vie , fut le
premier à porter la Ganjarre ou Poignard sur l'es
tomach
FEVRIER. 1-31. 373
tomach de son Drogman. Les Soldats aussi - tôt
le percerent de mille coups et lui firent toute sorte
d'outrages. On le jetta par les Fenêtres du Serrail
et par le moyen d'une Corde passée à son col ,
il fut traîné tout nud par toutes les rues de Tripoly
et son corps jetté ensuite à la voirie.
> Le 28 le Frere du Drogman , ayant entendu
dire qu'on le ménaçoit , défit son Turban ,
n'ayant pas eu le temps de trouver une corde , et
par une Fenêtre du Château , se suspendit à ce
Turban , qui étant d'une Mousseline fine , ne put
résister ; il se rompit bras et jambes en tombant;
quelques Soldats Payant aperçu , coururent à lui
et l'acheverent à coups de Sabre.
Le Capigy qui est venu de Constantinople , de
Concert avec Sidy Ally , Cherif,un des Chefs de la
Justice, et Cader Aga, une autre Puissance, entre→
tiennent secretement la populace mutinée qui fait
une recherche exacte de tous ceux qui ont causé
des avanies par leurs mauvais conseils et qui
ont porté le Pacha à se faire partisan de toutes
sortes de inarchandises , et de denrées.
>
Le Pacha dit hier au Capigy , que si S. H. l'avoit
envoyê pour lui demander sa tête , qu'il
étoit prêt à la donner. Le Capigy lui répondit
qu'il n'avoit point cet ordre , et qu'il pouvoit
rester tranquille de ce côté-là ; mais qu'il ne répondoit
point de la mauvaise intention du peuple
, qui vouloit avoir raison de tous les Avanistes
, sans leur faire aucun quartier , et qu'on
cherchoit actuellement Abraham de Leon , Juif,
son Douanier , un des principaux ; sa maison fut
pillée hier totalement
on le chercha par
;
toute la ville pour le brûler devant la Maison
de la Justice ; mais ce Juif a pris la fuite dès le
comencement des desordres. Les Rebelles le
croyoient refugié dans quelque maison de Francs.
Hiij Les
974 MERCURE DE FRANCE
Les principales ereatures du Pacha qui se sen
toient coupables , ont aussi pris la fuite.
Il me fut rapporté par quelques Jannissaires ,
qu'on vouloit entrer dans les maisons des Fran
çois pour chercher le Juif , et qu'on viendroit .
d'abord à la Maison Consulaire pour me le demander.
t
Je fis dire au Corps des Jannissaires , qu'aucun
François se seroit bien gardé de refugier ce Juif
dans une pareille conjoncture , que c'étoit un
homme proscrit , et d'une Nation qu'on abhor→
roit depuis long- tems ; qu'ainsi il n'y avoit nulle
apparence qu'on lui eût donné azile ; que cependant
pour satisfaire la populace , si elle croyoit
absolument que ce Juif fut dans nos maisons
je me transportérois chez tous les Marchands
avec trois ou quatre personnes de leur troupe ,
pour faire la visite ; mais que si la Milice y ve
noit de force ouverte , je m'opposerois autant
qu'il seroit en mon pouvoir à cette violence , qui
pourroit avoir des suites fâcheuses pour tous les
habitans de la Ville. Cette Réponse leur fit faire
des Reflexions , et on nous laissa tranquilles.
Les Rebelles se transporterent au Makiamé ,
lieu où la Justice se rend ; ils y firent écrire un
Hoget ou Sentence pardevant le nouveau Cady ,
signé de tous les Chefs de la Justice , par lequel
il leur étoit permis de mettre à mort trois per
sonnes de consideration de la Maison du Pacha ,
par tout où ils pourroient les trouver , qui sont
P'Arby Caliby , son premier Secretaire , le Casanadac
, et Adheraman- Aga , Chef de la Justice ,
ce qui leur fut accordé sans difficulté . Ce jour
même , l'après- mid , ils massacrerent quelques
Avani ses, qu'i's traînerent ensuite tout nuds par
les rues : ces corps passerent dans notre quartier,
et nous firent horreur.
Le
FEVRIER.
1731. 375
Le 29 , le party des Rebelles ayant considerament
grossi , se présenta de nouveau devant le
Serrail , sur la nouvelle qu'ils apprirent que le
Pacha avoit demandé secretement main forte
aux deux Capitaines des Sultanes du G. S. qui
ont escorté le Convoy venu de Damiette en cette
Rade , pour se saisir de la personne de Sidy- Ally
Cherif , et de Cadec Aga , comme Chefs de la
Rebellion , pour les conduire à Constantinople ;
mais ces deux Capitaines n'en voulurent rien
faire , et chargerent le Pacha de justes reproches
sur sa mauvaise conduite envers le peuple
qu'il avoit cruellement maltraité , et tirannisé
depuis qu'il étoit dans le Gouvernement , ne
pouvant plus soutenir la misere où il l'avoit réduit
, et dont ils voyoient eux-mêmes la verité
ajoutant qu'ils trouvoient les habitans fondez
demander sa déposition.
Ces Capitaines n'eurent pas plutôt terminé
cette Conference qu'il s'atroupa près de sono,
hommes devant le Serrail , lesquels firent une
décharge de Mousqueterie , et braquerent en
même temps du canon sur l'appartement oa
étoit le Pacha. Ils tirerent cinq coups à boulets,
Ils n'étoient éloignez qu'à demy portée de pistolet
, ce qui fit une si grande breche à la muraille
qui separe le Serrail du Château , que le
Corps des Jannissaires y entra le sabre à la main,
Les Puissances s'y assemblerent à la requisition
de la populace , qui demanda que le Pacha ne se
mêlât plus duGouvernement,jusqu'à nouvel ordre
de la Porte , que Kader- Aga commanderoit pour
ce qui regarde le Commerce et la Police ; que le
Pacha retireroit les droits du G. S. et que Sidy-
Ally seroit Cady pour la Justice.
Le Bacha fut si ému de voir les seditieux si
près de lui , qu'il tomba évanoui . On le fit re-
Hiiij venir,
376 MERCURE DE FRANCE.
venir , et on le fit descendre dans une petite
Mosquée avec une échelle , pour le mettre à l'a
bry des insultes des troupes. Il fut poursuivi jusques
dans cet endroit-là , et Sidy-Mudy , notre
Chef des Messagers , lui sauva la vie. Il se mit à
la porte de la Mosquée , le mousqueton bandé ,
et empêcha les Jannissaires d'entrer , en lenr disant
, que s'ils tuoient le Pacha , ils seroient tous
sevérement punis de la Porte. Son Casanadac ou
Trésorier profita de ce tems- là pour prendre la
fuite. Il sortit lui quinziéme , à cheval , par une
petite porte du Serrail , le pistolet et le sabre à
la main , poussant leurs chevaux à toute bride ;
ils se firent jour à travers ceux qui pouvoient les
arrêter , et passerent du côté de la Marine. Le
Pacha fut conduit le soir dans la maison de ses
femmes, accompagné des Grands du pays, et sous
l'escorte de 60 Jannissaires , et des gens de sa
maison , sans qu'on osât tirer sur lui , ayant
promis au peuple de ne se plus mêler d'aucune
affaire ; ce qui luy fut confirmé aussi par les
Grands du pays. Tout est tranquil e depuis ee
temps-là . Les Jannissaires gardent les portes de
la Ville , pour arrêter ceux qui voudroient fuir. '
On assure que le Pacha a expedié des Couriers
de tous côtez , secretement , pour donner avis à
la Porte , au Pacha de Damas son pere , et à son
oncle , Pacha de Séyde , sur tout ce qui se passe.
L'opinion commune est que ces deux Pachas luy
envoyeront des troupes pour punir tous les Chefs
de cette Révolte ; ce qui me fait croire que les
troubles ne sont point encore finis.
Fermer
Résumé : RELATION de la Révolte arrivée à Tripoly de Syrie, contre Hibraim Pacha, Gouverneur de cette Ville, le 26. Octobre 1730. etc. Ecrite par M. le Maire, Consul de la Nation Françoise.
Le 26 octobre 1730, une révolte éclate à Tripoli de Syrie contre Ibrahim Pacha, gouverneur de la ville. Informé par son fils Mustapha Bey, Ibrahim Pacha apprend que les habitants des montagnes, inspirés par la révolution de Constantinople, se sont soulevés contre lui. Ne disposant pas de suffisamment de troupes, il demande des renforts à son père, qui ordonne à l'Aga des Janissaires d'envoyer 200 hommes. Cependant, les Janissaires refusent et se soulèvent, entraînant avec eux des soldats et la populace. Ils attaquent le Sérail où se trouve le Pacha, mais les pertes sont minimes. Le lendemain, les rebelles attaquent à nouveau le Sérail. Pour apaiser la foule, le Pacha promet de réduire les prix des denrées, mais cela ne suffit pas. Les rebelles pillent les maisons de deux officiers du Pacha, Cassen Aga et Abdy-Aga, et exigent la déposition du Pacha. Sous la pression, le Pacha accepte de sacrifier son Drogman, Abdy-Aga, qui est tué et traîné dans les rues. Le frère d'Abdy-Aga se suicide en apprenant la menace qui pèse sur lui. Les rebelles, soutenus par des figures influentes comme le Capigy et Sidy Ally Cherif, cherchent à éliminer les conseillers du Pacha accusés de tyrannie. Le Pacha affirme qu'il est prêt à se soumettre aux ordres de la Porte. Les rebelles massacrent plusieurs conseillers du Pacha et pillent la maison d'Abraham de Leon, un Juif douanier du Pacha, qui a pris la fuite. Le 29 octobre, les rebelles, renforcés, se présentent devant le Sérail après avoir appris que le Pacha avait demandé des renforts. Les Capitaines des Sultanes refusent d'intervenir et reprochent au Pacha sa mauvaise gestion. Les rebelles tirent sur le Sérail et entrent dans le bâtiment. Le Pacha est sauvé par Sidy-Mudy, un chef des messagers, et conduit dans la maison de ses femmes sous escorte. Depuis, la ville est calme, mais des troubles sont attendus avec l'arrivée de renforts des Pachas de Damas et de Séyde.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 1800-1804
TURQUIE ET PERSE.
Début :
Des Lettres de Constantinople confirment la Bataille donnée dans la Grande Armenie, [...]
Mots clefs :
Constantinople, Bataille, Arménie, Janissaires, Pacha , Persans
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : TURQUIE ET PERSE.
TURQUIE ET PERSE.
Es Lettres de Constantinople confirment
la Bataille donnée dans la Grande Armenie ,
entre les Persans et les Turcs , les premiers
avoient une armée plus nombreuse que les derniers
, mais ceux - cy ayant appris que leurs ennemis
venoient de recevoir plusieurs pieces d'Artillerie
, et qu'ils se preparoient à les venir atta
quer jugerent à propos de les prévenir : ce qu'ils
rent , si à l'improviste et avec tant de succès
qu'ils n'eurent pas beaucoup de peine à les renverser
JUILLET. 173г. 18ot
Werser , et à les obliger de passer la Riviere
d'Erach , où un nombre de Persans ont été noyés, -
cependant on ajoûte que ces derniers se rassembloient
de l'autre côté de cette Riviere pour tenter
une seconde Bataille : ce qui fait juger que
leur perte n'est pas aussi grande que les Turcs
l'ont publiée.
Ces Lettres ajoûtent qu'il y avoit souvent des
querelles entre les Janissaires et les Soldats de la
Marine que la charge de Capitan Pacha done
Cianum - Coggia avoit été revêtu par le nouveau
Sultan , avoit aussi été donnée depuis peur
au Pacha de Rettimo , et que le Mufti avoit été
deposé ; que le Pacha qui a gagné la derniere
Bataille en Perse , avoit renvoyé plusieurs Persans
prisonniers de guerre aprés leur avoir fait
couper le nez et les oreilles en représailles d'un
pareil traitement que le Roy de Perse fit l'année
derniere à quelques Tures qui étoient tombés.
entre ses mains Ces Lettres ne confirment point
que le Roy de Perse ait été noyé ; on assure
au contraire que ce Prince avoit rassemblé leg
restes de son Armée , et qu'il attendoit un renfort
considerable de troupes que le Grand Mogol
devoit lui envoyer.
On a appris par d'autres Lettres , que le Patriarche
des Grecs avoit été déposé pour avoir
voulu introduire des nouveautés dans les Eglises
de sa Communion.
Des Lettres d'Italie portent qu'on avoit veu ,
au commencement du mois dernier , la Flotte
du Grand Seigneur , à l'entrée du Golfe Adriatique.
Les dernieres Nouvelles venues par l'Italie ,
portent que depuis la révolution qui a mis le
nouveau Sultan sur le Tròne , on avoit fait perir
Hv tant
1802 MERCURE DE FRANCE
tant dans Constantinople qu'à Andrinople er
dans d'autres Villes , plus de 20000. personnes
coupçonnées de pouvoir exciter une nouvelle revolte
; qu'on avoit publié dans la Ville une Relation
de la victoire remportée contre les Persans
, mais qu'on commençoit à douter qu'elle
fut aussi complette qu'on la croyoit d'abord ,
parcequ'on continuoit de prendre des mesures
pour faire la paix avec le Roy de Perse.
t
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Smirne
le 30. May 1731..
aprenons par
des Lettres de Constan
Ntinople que nous avons reçues depuis deux
jours , comme le G. S. s'est porté à déposer CianumGoggia
de la Commission de Capitan Pacha,.
et à l'exiler à Retrin dans l'Isle de Candie ,.
malgré tous les services qu'il avoit rendus à Sa.
Hautesse depuis qu'il étoit en place ; on dit que
la disgrace de cet Amiral procede d'une part de:
la jalousie du Grand Visir, et de l'autre du Corps :
des Jannissaires , qui ne voyoient qu'avec peine
les services importans que les Leventis avoit rendus
au nouveau G.Ş. sous les ordres de Cianum .
Coggia.
;
Les Turcs ont publié en dernier lieu qu'ils .
avoient remporté une grande victoire en Perse
cependant bien des Lettres qui sont entre les
mains des Arméniens assurent le contraire , et.
marquent que les Persans continuent à repren
dre toutes les Places que les Turcs leur avoient
enlevées. Quoy-qu'll en soit , le G. S. fait lever
des Troupes par tout , pour les faire passer , à.
ce qu'on dit , en Perse ; mais les politiques pen
2 :
sent
JUILLET.
1731 1803
sent que la Cour Ottomane est d'accord avec
les Persans , et que l'Armée du G. S. pourroit
bien marcher ou contre les Moscovites , ou
contre les Imperiaux.
NOUVELLES DE PERSE , venuër
à Constantinople le 7. May 1731. Lettre
écrite de cette Ville le 15. du même
mois.
E Grand Vizir a reçu des Lettres de Perse
Lpar lesquelles onlui marque que Schah Tha
93
mas , qui avoit entrepris le Siege de Tauris
avoit été défait devant cette Place par les Trou
pes du G. S. Les particularitez que l'on rappor
te de cet événement sont , qu'Ali Pacha , Gou
verneur de Tauris , se voyant pressé par les
Assiegeants , avoit si bien ranimé le courage
des Assiegez par ses exhortations , à se retirer .
de l'espece de Prison où les ennemis les retenoient
dans l'enceinte de cette Ville , qu'étant
sorti à la tête de toute sa garnison , il étoit tombé
avec tant de furie sur les Persans , tandis que
d'un autre côté Rustan-Pacha , qui tenoit la
Campagne avec 4. ou sooo . hommes , étoit
aussi venu fondre sur eux , que l'armée Persa --~
ne avoit été mise en déroute ; que les Turcs
avoient fait un grand carnage ; et beaucoup de Prisonniers,
parmi lesquels il s'étoit trouvé quinze
Kans , ou Seigneurs , qu'on amenoit enchaînez al
Constantinople , et que cet echec avoit si fort dé !
rangé les affaires du Roy de Perse , qu'il s'étoit
déterminé à envoyer un Ambassadeur au Sul--
tan pour traiter d'une paix solide avec sa Hay--
H vj On
tesse.
1804
MERCURE
DE FRANCE
On ajoûte une circonstance au sujet de Rustan-
Pacha qui merite d'autant plus d'être ra
portée , qu'elle paroît n'avoir pas peu contribué
à la victoire que les Turcs viennent de
remporter.
Lorsque Patrona Mousloub , et les autres
Chefs de la grande Révolution , étoient tout
Puissans à Constantinople , ils y firent venir de
Bosnie ce même Rustan-Pacha, ils obtinrent qu'il
fut fait Visir à trois queues , et envoyé Seraskier
de l'Armée en Perse ; mais quelque tems
´aprés le massacre de ces Rebelles , la Porte envoya
un Capigi - Bachi à Rustan , pour lui demander
sa tête : ce Pacha au lieu d'obeir fit
arrêter le Capigi Bachi , et lui dit qu'à la vérité
le G. S. étoit le Maître de disposer de sa tête
mais que jugeant qu'il seroit plus utile et plus
honorable sa Hautesse , qu'il la perdit à son
service , il alloit chercher les occasions de la lui
sacrifier glorieusement , en combattant contre
les ennemis de l'Empire , ce qui a heureusement
reussi.
Es Lettres de Constantinople confirment
la Bataille donnée dans la Grande Armenie ,
entre les Persans et les Turcs , les premiers
avoient une armée plus nombreuse que les derniers
, mais ceux - cy ayant appris que leurs ennemis
venoient de recevoir plusieurs pieces d'Artillerie
, et qu'ils se preparoient à les venir atta
quer jugerent à propos de les prévenir : ce qu'ils
rent , si à l'improviste et avec tant de succès
qu'ils n'eurent pas beaucoup de peine à les renverser
JUILLET. 173г. 18ot
Werser , et à les obliger de passer la Riviere
d'Erach , où un nombre de Persans ont été noyés, -
cependant on ajoûte que ces derniers se rassembloient
de l'autre côté de cette Riviere pour tenter
une seconde Bataille : ce qui fait juger que
leur perte n'est pas aussi grande que les Turcs
l'ont publiée.
Ces Lettres ajoûtent qu'il y avoit souvent des
querelles entre les Janissaires et les Soldats de la
Marine que la charge de Capitan Pacha done
Cianum - Coggia avoit été revêtu par le nouveau
Sultan , avoit aussi été donnée depuis peur
au Pacha de Rettimo , et que le Mufti avoit été
deposé ; que le Pacha qui a gagné la derniere
Bataille en Perse , avoit renvoyé plusieurs Persans
prisonniers de guerre aprés leur avoir fait
couper le nez et les oreilles en représailles d'un
pareil traitement que le Roy de Perse fit l'année
derniere à quelques Tures qui étoient tombés.
entre ses mains Ces Lettres ne confirment point
que le Roy de Perse ait été noyé ; on assure
au contraire que ce Prince avoit rassemblé leg
restes de son Armée , et qu'il attendoit un renfort
considerable de troupes que le Grand Mogol
devoit lui envoyer.
On a appris par d'autres Lettres , que le Patriarche
des Grecs avoit été déposé pour avoir
voulu introduire des nouveautés dans les Eglises
de sa Communion.
Des Lettres d'Italie portent qu'on avoit veu ,
au commencement du mois dernier , la Flotte
du Grand Seigneur , à l'entrée du Golfe Adriatique.
Les dernieres Nouvelles venues par l'Italie ,
portent que depuis la révolution qui a mis le
nouveau Sultan sur le Tròne , on avoit fait perir
Hv tant
1802 MERCURE DE FRANCE
tant dans Constantinople qu'à Andrinople er
dans d'autres Villes , plus de 20000. personnes
coupçonnées de pouvoir exciter une nouvelle revolte
; qu'on avoit publié dans la Ville une Relation
de la victoire remportée contre les Persans
, mais qu'on commençoit à douter qu'elle
fut aussi complette qu'on la croyoit d'abord ,
parcequ'on continuoit de prendre des mesures
pour faire la paix avec le Roy de Perse.
t
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Smirne
le 30. May 1731..
aprenons par
des Lettres de Constan
Ntinople que nous avons reçues depuis deux
jours , comme le G. S. s'est porté à déposer CianumGoggia
de la Commission de Capitan Pacha,.
et à l'exiler à Retrin dans l'Isle de Candie ,.
malgré tous les services qu'il avoit rendus à Sa.
Hautesse depuis qu'il étoit en place ; on dit que
la disgrace de cet Amiral procede d'une part de:
la jalousie du Grand Visir, et de l'autre du Corps :
des Jannissaires , qui ne voyoient qu'avec peine
les services importans que les Leventis avoit rendus
au nouveau G.Ş. sous les ordres de Cianum .
Coggia.
;
Les Turcs ont publié en dernier lieu qu'ils .
avoient remporté une grande victoire en Perse
cependant bien des Lettres qui sont entre les
mains des Arméniens assurent le contraire , et.
marquent que les Persans continuent à repren
dre toutes les Places que les Turcs leur avoient
enlevées. Quoy-qu'll en soit , le G. S. fait lever
des Troupes par tout , pour les faire passer , à.
ce qu'on dit , en Perse ; mais les politiques pen
2 :
sent
JUILLET.
1731 1803
sent que la Cour Ottomane est d'accord avec
les Persans , et que l'Armée du G. S. pourroit
bien marcher ou contre les Moscovites , ou
contre les Imperiaux.
NOUVELLES DE PERSE , venuër
à Constantinople le 7. May 1731. Lettre
écrite de cette Ville le 15. du même
mois.
E Grand Vizir a reçu des Lettres de Perse
Lpar lesquelles onlui marque que Schah Tha
93
mas , qui avoit entrepris le Siege de Tauris
avoit été défait devant cette Place par les Trou
pes du G. S. Les particularitez que l'on rappor
te de cet événement sont , qu'Ali Pacha , Gou
verneur de Tauris , se voyant pressé par les
Assiegeants , avoit si bien ranimé le courage
des Assiegez par ses exhortations , à se retirer .
de l'espece de Prison où les ennemis les retenoient
dans l'enceinte de cette Ville , qu'étant
sorti à la tête de toute sa garnison , il étoit tombé
avec tant de furie sur les Persans , tandis que
d'un autre côté Rustan-Pacha , qui tenoit la
Campagne avec 4. ou sooo . hommes , étoit
aussi venu fondre sur eux , que l'armée Persa --~
ne avoit été mise en déroute ; que les Turcs
avoient fait un grand carnage ; et beaucoup de Prisonniers,
parmi lesquels il s'étoit trouvé quinze
Kans , ou Seigneurs , qu'on amenoit enchaînez al
Constantinople , et que cet echec avoit si fort dé !
rangé les affaires du Roy de Perse , qu'il s'étoit
déterminé à envoyer un Ambassadeur au Sul--
tan pour traiter d'une paix solide avec sa Hay--
H vj On
tesse.
1804
MERCURE
DE FRANCE
On ajoûte une circonstance au sujet de Rustan-
Pacha qui merite d'autant plus d'être ra
portée , qu'elle paroît n'avoir pas peu contribué
à la victoire que les Turcs viennent de
remporter.
Lorsque Patrona Mousloub , et les autres
Chefs de la grande Révolution , étoient tout
Puissans à Constantinople , ils y firent venir de
Bosnie ce même Rustan-Pacha, ils obtinrent qu'il
fut fait Visir à trois queues , et envoyé Seraskier
de l'Armée en Perse ; mais quelque tems
´aprés le massacre de ces Rebelles , la Porte envoya
un Capigi - Bachi à Rustan , pour lui demander
sa tête : ce Pacha au lieu d'obeir fit
arrêter le Capigi Bachi , et lui dit qu'à la vérité
le G. S. étoit le Maître de disposer de sa tête
mais que jugeant qu'il seroit plus utile et plus
honorable sa Hautesse , qu'il la perdit à son
service , il alloit chercher les occasions de la lui
sacrifier glorieusement , en combattant contre
les ennemis de l'Empire , ce qui a heureusement
reussi.
Fermer
Résumé : TURQUIE ET PERSE.
Au début du XVIIIe siècle, des conflits militaires et politiques ont opposé la Turquie et la Perse. En juillet 1730, une bataille en Grande Arménie a vu les Turcs, bien que moins nombreux, surprendre les Persans et les repousser au-delà de la rivière d'Erach, causant de lourdes pertes parmi les Persans. Cependant, ces derniers se préparaient à une contre-attaque, indiquant que leurs pertes n'étaient pas aussi sévères que les Turcs l'avaient annoncé. Des tensions internes au sein de l'armée turque ont été rapportées, notamment entre les Janissaires et les soldats de la marine. Le Capitain Pacha Cianum-Coggia a été démis de ses fonctions et exilé, et le Mufti a également été déposé. Les Turcs ont libéré des prisonniers persans après les avoir mutilés en représailles de traitements similaires subis par des Turcs l'année précédente. Le texte dément la rumeur selon laquelle le roi de Perse aurait été noyé et rapporte qu'il rassemble ses forces pour une nouvelle offensive, attendant des renforts du Grand Mogol. En Turquie, le patriarche des Grecs a été déposé pour avoir introduit des innovations dans les églises de sa communion. En Italie, la flotte ottomane a été signalée dans le golfe Adriatique. À Constantinople et Andrinople, des purges massives ont suivi l'accession au trône du nouveau sultan, avec plus de 20 000 personnes exécutées pour prévenir une rébellion. En Perse, le Grand Vizir a appris la défaite du Shah Tahmasp devant Tauris, grâce à l'intervention d'Ali Pacha et de Rustan-Pacha. Cette victoire a conduit à l'envoi d'un ambassadeur persan pour négocier la paix avec le sultan ottoman. Rustan-Pacha, qui avait refusé de se soumettre à un ordre d'exécution, a joué un rôle crucial dans cette victoire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 2429-2436
TURQUIE ET PERSE.
Début :
On a eu avis que le Pacha qui commande dans Erivan, avoit donné parole au Roy de Perse [...]
Mots clefs :
Pacha , Roi de Perse, Garnison, Shah, Siège
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : TURQUIE ET PERSE.
TURQUIE ET PERSE .
Orivan , avoit donné parole au Roy de Perse
Na eu avis que le Pacha qui commande dans
de se rendre prisonnier de Guerre avec toute sa
Garnison , qui est encore de 15000 hommes , si
dans dix jours il ne recevoit pas le secours qu'il
attendoit ; et on ajoûte que le Roy de Perse
avoit détaché de son armée , qui est devant Erivan
, 30000 hommes de Cavalerie , et qu'il les
avoit envoyez du côté de Bagdad , pour occuper
les passages par lesquels il pourroit arriver du
secours au Gouverneur de cette Place.
On a appris presque en même tems que ce détachement
de l'armée de Perse avoit taillé en
pieces le secours que le Pacha du Grand Caireenvoyoit
pour renforcer la Garnison de Bagdad..
Une autre Lettre de Constantinople , du 31
Juillet , porte que la Sultane Validé , qui protege
Djanum Codgea , a obtenu sa grace du Sultan
, qui lui a donné le Pachalik , ou Gouverne
ment en Chef de Rétimo, où sa Hautesse l'avoit
d'abord relegué. Le Kiaya ou Lieutenant et les
neveux de ce Pacha , qui avoient été arrêtez er
COL
2430 MERCURE DE FRANCE
Consignez sur une Galere , le même jour qu'on
lui ôta la Charge de Capitan Pacha , ont depuis
recouvré leur liberté , mais la confiscation qui
avoit été faite de tous ses biens , a subsisté au
profit du Trésor Imperial.
LETTRE écrite de Constantinople ,
le 26 Juin 1731 .
·
E vous ai écrit , Monsieur , le 17 Avril dérnier
, que les Ministres de la Porte avoient eu
Le bonheur de dissiper la seconde sédition arrivée
à Constantinople le jour de Pâques dernier ,
& qu'on étoit redevable de cette action de vigueur
à Djanum Codgea , qui avoit conduit toute
cette grande affaire , et qui par là affermissoit sur
le Trône le Sultan Mahmout son Maître , lequel
en reconnoissance d'un si grand service lui avoit
fait l'honneur de l'aller visiter à l'Arsenal ; honneur
que Codgea , qui n'étoit pas riche , avoit
( payé fort cher puisqu'il lui en coûta cent
bourses..
>
On auroit eru , sans doute , qu'après des services
si signalez , Djanum Codgea auroit joui
tranquillement du fruit de ses travaux : point
du tout. Ce nouveau Capitan Pacha , dans le
tems qu'il s'y attendoit le moins , fut enlevé de
P'Arcenal le 17 de May
, et conduit à la pointe du
Sérail pour y être etranglé à la vvuûeë du Sultan
son Maître , qui , pour être à portée de voir ce
tragique spectacle , étoit allé dans un Kiosque
qui est situé au bord de la Marine , avec la Ŝultane
Validé ( ou Reine Mere. )
Djanum Codgea y fut à peine arrivé que le-
Bostangi Bachi , chargé de l'exécution , lui ôta
sa Pelisse ou Robbe fourrée , lui disant de ne faire
aucun mouvement , parce que le G. S. qui étoit
present
OCTOBRE. 1737. 2431
present examinoit ses actions. Le Capitan Pacha
sans être intimidé par ce discours , se mit à crier
de toute sa force , suppliant son Maître de ne le
point faire mourir sans au moins l'entendre, ajoûtant
que cinquante ans de services , rendus à cer
Empire , et ceux qu'il venoit de rendre personnellement
à S.H. et son grand âge parloit en sa faveur;
que si nonobstant toutes ses considerations
il persistoit à vouloir le faire étrangler
il en étoit le maître ; mais qu'il réfléchît auparavant
qu'il alloit se baigner dans le d'un
sang
innocent , duquel il seroit obligé de rendre com-
-pte à Dieu , et que par cette action inhumaine il
flétriroit au commencement de son regne sa ré
putation , qu'il consideroit bien plus que sa vie.
Soit que ces discours eussent touché le Sultan ,
soit que la Validé s'interessât pour lui , le G. S.
ouvrit une des Fenêtres de son Kiosque , et fit signe
de la main qu'on ne lui ôta pas la vie , mais
qu'il fut conduit à la pointe de Calcedoine os
l'on attendroit ses ordres.
Alors le Bostangi Bachi lui remit sa Pelisse et
le fit embarquer dans son grand Canot, sans vouloir
souffrir qu'aucun de ses gens qui l'avoient.
suivi , l'accompagnât.
D
Cette Scene se passa sur les deux heures après
midi , et cinq heures après on vit passer une
Galere qui alla mouiller à la pointe de Calcedoine
; un Capigi Bachi alla prendre Djanum
Codgea et le fit embarquer sur la Galere , l'assurant
qu'il avoit ordre de le conduire à Retimo
lieu de son exil , et de mener à Constantinople
Abdicapadań, Pacha de Retimo, que le G.S.avoit
nommé Capitan Pacha à sa place. La Galere mit
à la voile à onze heures du soir , sans qu'on put
sçavoir si ce malheureux Codgea devoit être
étranglé , ou si effectivement on se contentoit de
l'exiler. Le
2432 MERCURE DE FRANCE
Le lendemain 18 May , on nomma le plus anclen
des Officiers de l'Arcenal par interim , pour
administrer les affaires de la Marine , et le Grand
Vizir envoya un de ses principaux Officiers au
Divan Kané , pour faire l'inventaire des effets de
Codgea , son Kiaya , de même que ses domestiques
les plus affidez , ils furent conduits prisonniers
sur differentes Galeres , où on leur a donné
plusieurs fois la question pour leur faire déclarer
où étoient les biens de leur Maître, mais quelque
recherche qu'on ait pu faire jusques à present,
il ne s'est trouvé que cinquante - huit bourses et
quelques Montres d'or, et d'autres bijoux de moindre
valeur.
Cinq ou six jours après on apprit que la Galere
avoit mouillé à Héraclée, et que dans le tems
que le Capigi Pachi se disposoit à faire mourir
Djanum Codgea , qui avoit même la corde au
col , il arriva encore un ordre du G. S. de ne le
pas faire , et que la Galere remit à la voile pour
aller à Candie , ou l'ordre portoit qu'il seroit
relégué dans la forteresse. On a depuis vû une
Lettre de D. Codgea , écrite de Venedos à son
neveu , par laquelle il lui marque à peu près les
mêmes choses , et le prie de dire à ses domestiques
, que s'il y en a quelqu'un qui veuille l'aller
joindre à Candie , il peut le faire en toute sureté.
Voici , au reste , les motifs dont on s'est servi
pour le perdre auprès du G. S. On a fait entendre
à S. H. que le grand armement que D. Codgea
venoit de faire, n'avoit pour
but que des vues
particulieres , et non pas la gloire de l'Empire ,
que le Capitan Pacha ne desiroit si ardemment de
sortir dans la Mer blanche que pour s'enfuir avec
la Flotte du G. S. et pour s'aller rendre maître
de quelques unes des Républiques de Barbarie,et s'y
établin
OCTOBRE. 1731. 2433
établir en toute souveraineté , comme il en avoit
déja fait l'entreprise en 1723. que les discours
qu'on lui avoit entendu tenir , qu'il ne se soucioit
plus des Ordres du G. S. lorsqu'il auroit
passé la pointe du Serail , marquoient assez qu'il
n'étoit pas un Sujet moins dangereux que les Rebelles
qu'on avoit exterminez ; qu'il avoit fait
bâtir des Cazernes et des Caffez du côté de l'Arcenal
, où il tenoit un nombre infini de Levantis
Qu Soldats de Marine armez , malgré les deffenses
du Sultan ; enfin que tant qu'il vivroit le
Corps des Janissaires qui étoit rentré de bonne
foy dans son devoir , seroit sensible à la méfiance
que le G. S. auroit euë par ses insinuations ,
& c.
Cette derniere raison , ou pour mieux dire la
satisfaction qu'on a voulu donner aux Janissaires
a le plus contribué à la disgrace de Djanum
Codgea , et rien ne le prouve plus que l'ordre du
Sultan donné le jour même qu'on enleva D.Codgea
, de raser toutes les Cazernes , ce qui fut
executé avec une espece de fureur. Il est bien
vrai que le Capitan Pacha , sur tout depuis la
dernière révolution , ne gardoit presque aucune
mesure dans ses discours. Il étoit , à l'entendre ,
le seul brave , le seul restaurateur de l'Empire ;
son Maître étoit un imbecile , et le Vizir peu
propre pour l'emploi qu'il faisoit , & c. ses amis
Lui representoient quelquefois les consequences de
ces discours ; mais au lieu d'en profiter il s'emportoit
contr'eux et faisoit encore pis : aussi
peut on dire que c'est l'intemperance de sa langue
qui l'a perdu.
Le Vizir étoit devenu par là son mortel ennemi,
quoiqu'ils se fussent juré une amitié de frere
étant ensemble à Lamecque. Le P. Ministre a
tou2434
MERCURE DE FRANCE
toujours dissimulé , et sous des caresses feintes
il cachoit le plus cruel poison. Par surcroît de
mal il se trouvoit auprès de Djánum Codgea
une infinité de flateurs qui le confirmoient dans la
folle opinion que jamais cet Empire n'avoit eu le
bonheur d'avoir une personne de son courage er
de sa réputation , et que le Vizir auprès de lui
n'étoit absolument rien ; le jour même de sa disgrace
il alla à la Porte pour recevoir des mains
du Vizir la Pélisse , dont on a coutume de revêtir
les Capitans Pachas , lorsqu'ils sortent à la
Mer. Le Vizir lui fit mille caresses , et lui dit entre
autres choses que comme il avoit rendu des
services signalez, les marques d'honneur devoient
être proportionnées , que le Sultan Mahmout ne
le consideroit pas comme un Bacha ordinaire ; et
que S. H. se proposoit de le revêtir elle - même
de la Pélisse. Djanum Codgea la reçut cependant
à l'Arcenal . Un instant aprés on l'envoya
chercher du Sérail , et au lieu de le revêtir de la
Robe d'honneur , le G. S. le disgracie , comme je
Pai dit.
Abdicapadan est attendu incessamment ici
On croit qu'on sera content de lui , il est for
doux et fort poli.
On a sçu que les Turcs avoient reçû Pagréable
nouvelle de la défaite de Parmée de Thamas
Schah , qui faisoit le Siége d'Erivan , et que plusieurs
Kams ou Seigneurs Persans , des plus distinguez
, avoient été fait prisonniers, et qu'on les
conduisoit à Constantinople pour les faire servir
à quelque grand Triomphe ; mais.ce grand nombre
de Prisonniers de marque , s'est enfin réduit à
un seul , qui arriva icy le 22 du mois passé ; il
fur dabord conduit a la Porte chez le Grand Vizir
qui le reçût asséz , bien et lui fit rendre quelques
OCTOBRE. 1731. 2135
Enes honneurs par son Kiaya. Ce Kam , nom.
mé Velikoulikam , étoit un des plus considerables
Seigneurs de Perse ; il avoit été fait
Kam du temps de Schah - Suleiman , pere de
Schah - Hussein , et sous le regne de ce dernier
Roy il avoit exercé la Charge d'Eatemad Doulet,
ou de G. V. Il commandoit en dernier lien
l'armée de Schah- Thamas, et par son courage er
par son attachement pour ce Prince ; il avoit un
peu rétabli ses affaires . C'étoit le plus cruel ennemi
que
les Turcs pussent jamais avoir ; aussi
le Sultan Mahmout lui fit trancher la tête , le 24
du mois passé dans la grande Place du Sérail .
Les Turcs sont , dit on , résolus de continuer
cette Guerre , et font des efforts extraordinaires.
On ajoute qu'il vient d'être donné un Fetfa ou
Ordre suprême de faire mourir tous les Persans
qui seront pris en guerre.
Schah Thamas a couru grand risque. Ce Prince
étoit en personne devant Erivan , mais le Kam
qui vient d'avoir la tête tranchée, se méfiant du
courage de ses Troupes , conseilla à son Maître
de se retirer dans un lieu nommé les trois Eglises
, ce qu'il fit , avec quelques -uns des siens , et
la veille de sa défaite il passa la Riviere , qui
n'est étoignée que de huit lieuës , ce qui fut sa
seureté.
Depuis ces avantages remportez par les Turcs ,
on dit que Schah Thamas a écrit à Achmet ,
Pacha de Babilonne, pour demander la paix ;mais
que la Porte a refusé toute ouverture d'accomtmodement,
et même qu'elle a fait arrêter les Ambassadeurs
Persans qui étoient partis d'icy il y a
trois mois. On ajoute qu'un nouvel Ambassadeur
, qui devoit se rendre à Constantinople , a
été arrêté à Icoram , et qu'après s'être saisi de
seo
2436 MERCURE DE FRANCE
ses dépêches, on la conduit en exil dans une dos
Isles de l'Archipel. Je suis , &c.
Orivan , avoit donné parole au Roy de Perse
Na eu avis que le Pacha qui commande dans
de se rendre prisonnier de Guerre avec toute sa
Garnison , qui est encore de 15000 hommes , si
dans dix jours il ne recevoit pas le secours qu'il
attendoit ; et on ajoûte que le Roy de Perse
avoit détaché de son armée , qui est devant Erivan
, 30000 hommes de Cavalerie , et qu'il les
avoit envoyez du côté de Bagdad , pour occuper
les passages par lesquels il pourroit arriver du
secours au Gouverneur de cette Place.
On a appris presque en même tems que ce détachement
de l'armée de Perse avoit taillé en
pieces le secours que le Pacha du Grand Caireenvoyoit
pour renforcer la Garnison de Bagdad..
Une autre Lettre de Constantinople , du 31
Juillet , porte que la Sultane Validé , qui protege
Djanum Codgea , a obtenu sa grace du Sultan
, qui lui a donné le Pachalik , ou Gouverne
ment en Chef de Rétimo, où sa Hautesse l'avoit
d'abord relegué. Le Kiaya ou Lieutenant et les
neveux de ce Pacha , qui avoient été arrêtez er
COL
2430 MERCURE DE FRANCE
Consignez sur une Galere , le même jour qu'on
lui ôta la Charge de Capitan Pacha , ont depuis
recouvré leur liberté , mais la confiscation qui
avoit été faite de tous ses biens , a subsisté au
profit du Trésor Imperial.
LETTRE écrite de Constantinople ,
le 26 Juin 1731 .
·
E vous ai écrit , Monsieur , le 17 Avril dérnier
, que les Ministres de la Porte avoient eu
Le bonheur de dissiper la seconde sédition arrivée
à Constantinople le jour de Pâques dernier ,
& qu'on étoit redevable de cette action de vigueur
à Djanum Codgea , qui avoit conduit toute
cette grande affaire , et qui par là affermissoit sur
le Trône le Sultan Mahmout son Maître , lequel
en reconnoissance d'un si grand service lui avoit
fait l'honneur de l'aller visiter à l'Arsenal ; honneur
que Codgea , qui n'étoit pas riche , avoit
( payé fort cher puisqu'il lui en coûta cent
bourses..
>
On auroit eru , sans doute , qu'après des services
si signalez , Djanum Codgea auroit joui
tranquillement du fruit de ses travaux : point
du tout. Ce nouveau Capitan Pacha , dans le
tems qu'il s'y attendoit le moins , fut enlevé de
P'Arcenal le 17 de May
, et conduit à la pointe du
Sérail pour y être etranglé à la vvuûeë du Sultan
son Maître , qui , pour être à portée de voir ce
tragique spectacle , étoit allé dans un Kiosque
qui est situé au bord de la Marine , avec la Ŝultane
Validé ( ou Reine Mere. )
Djanum Codgea y fut à peine arrivé que le-
Bostangi Bachi , chargé de l'exécution , lui ôta
sa Pelisse ou Robbe fourrée , lui disant de ne faire
aucun mouvement , parce que le G. S. qui étoit
present
OCTOBRE. 1737. 2431
present examinoit ses actions. Le Capitan Pacha
sans être intimidé par ce discours , se mit à crier
de toute sa force , suppliant son Maître de ne le
point faire mourir sans au moins l'entendre, ajoûtant
que cinquante ans de services , rendus à cer
Empire , et ceux qu'il venoit de rendre personnellement
à S.H. et son grand âge parloit en sa faveur;
que si nonobstant toutes ses considerations
il persistoit à vouloir le faire étrangler
il en étoit le maître ; mais qu'il réfléchît auparavant
qu'il alloit se baigner dans le d'un
sang
innocent , duquel il seroit obligé de rendre com-
-pte à Dieu , et que par cette action inhumaine il
flétriroit au commencement de son regne sa ré
putation , qu'il consideroit bien plus que sa vie.
Soit que ces discours eussent touché le Sultan ,
soit que la Validé s'interessât pour lui , le G. S.
ouvrit une des Fenêtres de son Kiosque , et fit signe
de la main qu'on ne lui ôta pas la vie , mais
qu'il fut conduit à la pointe de Calcedoine os
l'on attendroit ses ordres.
Alors le Bostangi Bachi lui remit sa Pelisse et
le fit embarquer dans son grand Canot, sans vouloir
souffrir qu'aucun de ses gens qui l'avoient.
suivi , l'accompagnât.
D
Cette Scene se passa sur les deux heures après
midi , et cinq heures après on vit passer une
Galere qui alla mouiller à la pointe de Calcedoine
; un Capigi Bachi alla prendre Djanum
Codgea et le fit embarquer sur la Galere , l'assurant
qu'il avoit ordre de le conduire à Retimo
lieu de son exil , et de mener à Constantinople
Abdicapadań, Pacha de Retimo, que le G.S.avoit
nommé Capitan Pacha à sa place. La Galere mit
à la voile à onze heures du soir , sans qu'on put
sçavoir si ce malheureux Codgea devoit être
étranglé , ou si effectivement on se contentoit de
l'exiler. Le
2432 MERCURE DE FRANCE
Le lendemain 18 May , on nomma le plus anclen
des Officiers de l'Arcenal par interim , pour
administrer les affaires de la Marine , et le Grand
Vizir envoya un de ses principaux Officiers au
Divan Kané , pour faire l'inventaire des effets de
Codgea , son Kiaya , de même que ses domestiques
les plus affidez , ils furent conduits prisonniers
sur differentes Galeres , où on leur a donné
plusieurs fois la question pour leur faire déclarer
où étoient les biens de leur Maître, mais quelque
recherche qu'on ait pu faire jusques à present,
il ne s'est trouvé que cinquante - huit bourses et
quelques Montres d'or, et d'autres bijoux de moindre
valeur.
Cinq ou six jours après on apprit que la Galere
avoit mouillé à Héraclée, et que dans le tems
que le Capigi Pachi se disposoit à faire mourir
Djanum Codgea , qui avoit même la corde au
col , il arriva encore un ordre du G. S. de ne le
pas faire , et que la Galere remit à la voile pour
aller à Candie , ou l'ordre portoit qu'il seroit
relégué dans la forteresse. On a depuis vû une
Lettre de D. Codgea , écrite de Venedos à son
neveu , par laquelle il lui marque à peu près les
mêmes choses , et le prie de dire à ses domestiques
, que s'il y en a quelqu'un qui veuille l'aller
joindre à Candie , il peut le faire en toute sureté.
Voici , au reste , les motifs dont on s'est servi
pour le perdre auprès du G. S. On a fait entendre
à S. H. que le grand armement que D. Codgea
venoit de faire, n'avoit pour
but que des vues
particulieres , et non pas la gloire de l'Empire ,
que le Capitan Pacha ne desiroit si ardemment de
sortir dans la Mer blanche que pour s'enfuir avec
la Flotte du G. S. et pour s'aller rendre maître
de quelques unes des Républiques de Barbarie,et s'y
établin
OCTOBRE. 1731. 2433
établir en toute souveraineté , comme il en avoit
déja fait l'entreprise en 1723. que les discours
qu'on lui avoit entendu tenir , qu'il ne se soucioit
plus des Ordres du G. S. lorsqu'il auroit
passé la pointe du Serail , marquoient assez qu'il
n'étoit pas un Sujet moins dangereux que les Rebelles
qu'on avoit exterminez ; qu'il avoit fait
bâtir des Cazernes et des Caffez du côté de l'Arcenal
, où il tenoit un nombre infini de Levantis
Qu Soldats de Marine armez , malgré les deffenses
du Sultan ; enfin que tant qu'il vivroit le
Corps des Janissaires qui étoit rentré de bonne
foy dans son devoir , seroit sensible à la méfiance
que le G. S. auroit euë par ses insinuations ,
& c.
Cette derniere raison , ou pour mieux dire la
satisfaction qu'on a voulu donner aux Janissaires
a le plus contribué à la disgrace de Djanum
Codgea , et rien ne le prouve plus que l'ordre du
Sultan donné le jour même qu'on enleva D.Codgea
, de raser toutes les Cazernes , ce qui fut
executé avec une espece de fureur. Il est bien
vrai que le Capitan Pacha , sur tout depuis la
dernière révolution , ne gardoit presque aucune
mesure dans ses discours. Il étoit , à l'entendre ,
le seul brave , le seul restaurateur de l'Empire ;
son Maître étoit un imbecile , et le Vizir peu
propre pour l'emploi qu'il faisoit , & c. ses amis
Lui representoient quelquefois les consequences de
ces discours ; mais au lieu d'en profiter il s'emportoit
contr'eux et faisoit encore pis : aussi
peut on dire que c'est l'intemperance de sa langue
qui l'a perdu.
Le Vizir étoit devenu par là son mortel ennemi,
quoiqu'ils se fussent juré une amitié de frere
étant ensemble à Lamecque. Le P. Ministre a
tou2434
MERCURE DE FRANCE
toujours dissimulé , et sous des caresses feintes
il cachoit le plus cruel poison. Par surcroît de
mal il se trouvoit auprès de Djánum Codgea
une infinité de flateurs qui le confirmoient dans la
folle opinion que jamais cet Empire n'avoit eu le
bonheur d'avoir une personne de son courage er
de sa réputation , et que le Vizir auprès de lui
n'étoit absolument rien ; le jour même de sa disgrace
il alla à la Porte pour recevoir des mains
du Vizir la Pélisse , dont on a coutume de revêtir
les Capitans Pachas , lorsqu'ils sortent à la
Mer. Le Vizir lui fit mille caresses , et lui dit entre
autres choses que comme il avoit rendu des
services signalez, les marques d'honneur devoient
être proportionnées , que le Sultan Mahmout ne
le consideroit pas comme un Bacha ordinaire ; et
que S. H. se proposoit de le revêtir elle - même
de la Pélisse. Djanum Codgea la reçut cependant
à l'Arcenal . Un instant aprés on l'envoya
chercher du Sérail , et au lieu de le revêtir de la
Robe d'honneur , le G. S. le disgracie , comme je
Pai dit.
Abdicapadan est attendu incessamment ici
On croit qu'on sera content de lui , il est for
doux et fort poli.
On a sçu que les Turcs avoient reçû Pagréable
nouvelle de la défaite de Parmée de Thamas
Schah , qui faisoit le Siége d'Erivan , et que plusieurs
Kams ou Seigneurs Persans , des plus distinguez
, avoient été fait prisonniers, et qu'on les
conduisoit à Constantinople pour les faire servir
à quelque grand Triomphe ; mais.ce grand nombre
de Prisonniers de marque , s'est enfin réduit à
un seul , qui arriva icy le 22 du mois passé ; il
fur dabord conduit a la Porte chez le Grand Vizir
qui le reçût asséz , bien et lui fit rendre quelques
OCTOBRE. 1731. 2135
Enes honneurs par son Kiaya. Ce Kam , nom.
mé Velikoulikam , étoit un des plus considerables
Seigneurs de Perse ; il avoit été fait
Kam du temps de Schah - Suleiman , pere de
Schah - Hussein , et sous le regne de ce dernier
Roy il avoit exercé la Charge d'Eatemad Doulet,
ou de G. V. Il commandoit en dernier lien
l'armée de Schah- Thamas, et par son courage er
par son attachement pour ce Prince ; il avoit un
peu rétabli ses affaires . C'étoit le plus cruel ennemi
que
les Turcs pussent jamais avoir ; aussi
le Sultan Mahmout lui fit trancher la tête , le 24
du mois passé dans la grande Place du Sérail .
Les Turcs sont , dit on , résolus de continuer
cette Guerre , et font des efforts extraordinaires.
On ajoute qu'il vient d'être donné un Fetfa ou
Ordre suprême de faire mourir tous les Persans
qui seront pris en guerre.
Schah Thamas a couru grand risque. Ce Prince
étoit en personne devant Erivan , mais le Kam
qui vient d'avoir la tête tranchée, se méfiant du
courage de ses Troupes , conseilla à son Maître
de se retirer dans un lieu nommé les trois Eglises
, ce qu'il fit , avec quelques -uns des siens , et
la veille de sa défaite il passa la Riviere , qui
n'est étoignée que de huit lieuës , ce qui fut sa
seureté.
Depuis ces avantages remportez par les Turcs ,
on dit que Schah Thamas a écrit à Achmet ,
Pacha de Babilonne, pour demander la paix ;mais
que la Porte a refusé toute ouverture d'accomtmodement,
et même qu'elle a fait arrêter les Ambassadeurs
Persans qui étoient partis d'icy il y a
trois mois. On ajoute qu'un nouvel Ambassadeur
, qui devoit se rendre à Constantinople , a
été arrêté à Icoram , et qu'après s'être saisi de
seo
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ses dépêches, on la conduit en exil dans une dos
Isles de l'Archipel. Je suis , &c.
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Résumé : TURQUIE ET PERSE.
Le texte décrit des événements militaires et politiques impliquant la Turquie et la Perse. En Turquie, Djanum Codgea, après avoir réprimé une sédition à Constantinople, est arrêté et condamné à mort par le Sultan Mahmout. Grâce à l'intervention de la Sultane Validé, sa peine est commuée en exil à Rétimo. Ses biens sont confisqués, mais ses proches sont libérés. En Perse, le gouverneur d'Erivan menace de se rendre si aucun secours n'arrive. Le roi de Perse envoie 30 000 cavaliers vers Bagdad pour bloquer les renforts turcs. Ces cavaliers attaquent et détruisent les secours envoyés par le Pacha du Grand Caire à Bagdad. À Constantinople, Abdicapadan est nommé nouveau Capitan Pacha. Les Turcs célèbrent la défaite de l'armée perse devant Erivan et exécutent un seigneur perse notable, Velikoulikam. La Turquie refuse les offres de paix du roi perse Schah Thamas et arrête les ambassadeurs perses.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 2642-2647
LETTRE écrite de Constantinople , ce 22.Juin 1731.
Début :
Le 18. du mois passé , on déposa le Mufti Mirza zade, vieillard, encore plus respectable [...]
Mots clefs :
Déposition, Mufti, Sentences de mort, Conspiration , Pacha , Flotte ottomane
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite de Constantinople , ce 22.Juin 1731.
LETTRE écrite de Constantinople , ce 226
Juin 1731.
E 18. du mois passé , on déposa le Mufti
Mirzazade,vieillard , encore plus respectable
par sa droiture , que par son grand âge.
On dit pour motif de sa déposition , qu'il ne
convenoit point au present Ministere › parte
qu'il étoit trop scrupuleux , et ne vouloit don-
* mer qu'avec connoissance de cause , les Ferfas ,
NOVEMBRE 1731. 2648
• Ou
u Sentences de mort , qu'on lui demandoit journellement
contre des personnes accusées
soupçonnées d'avoir trempé dans les deux dermieres
conspirations. Il n'a point été exilé come
me il arrive d'ordinaire aux Muftis qu'on dépose
, parce que dans les conjonctures presentes
, on a voulu menager les gens de Loi , qui
Pont en grande véneration , et il est resté dans
son Palais , où il jouit paisiblement de tous ses
biens. Son successeur se nomme Pasmadgi-
Zadé : c'est un Emir d'environ 40 ans qui a
beaucoup d'esprit , qui est Courtisan habile
et se prête avec complaisance à tout ce que
le G, S. et le G. V. exigent de lui .
Le même jour , Djanum- Codjca , Capitan-
Pacha > si celebre par ses adversités , et par les
services qu'il a rendus à ses Souverains pendant
plus de 40. années , sur- tour au nouveau Sultan ,
fut pareillement déposé. Comme depuis le mois
de Mars , il avoit fait partir à diverses fois , du
Port de Constantinople , quinze Vaisseaux de
Guerre , qui avoient leur rendez-vous aux Isles
de Sapience , et qu'il comptoit de les aller joindre
dans peu lui-même , avec trois autres Vaisseaux
et 8 ou 10 Galeres 1 sans qu'on aît pa
pénetrer le sujet d'un si grand armement en
temps de Paix ; le Public a attribué sa disgrace
au dessein qu'on prétend qu'il avoit formé de
passer en Barbarie avec la Flotte Ottomane
de s'y faire déclarer Bey de Tunis ou de Tripoli
mais peu de gens se persuadent qu'il eût
effectivement cette intention , et l'on croit avec
plus de vrai -semblance , que cer infortuné Capitan-
Pacha ne s'est attiré son malheur , que faute
d'avoir gardé assez de ménagemens pour les per
sonnes en place , et par l'extrême liberté avec
1
et
laquelle
2644 MERCURE DE FRANCE,
laquelle il déclamoit contre le Gouvernement
d'aujourd'hui.
>
>
1
On assure que l'ordre donné pour sa déposition
, portoit aussi celui de sa mort et qu'en
conséquence , lorsque le 18 May il se rendit à
la Porte , où le G. S, l'avoit mandé on renvoya
d'abord tous ceux qui l'avoient accompa
gné ; on le fit passer seul à la pointe du Serrail ,
où il devoit être étranglé , et où le Bostandgi
Bachi lui avoit même déja fait ôter sa Pelisse ;
mais que dans cette extremité , ayant apperçu
le Sultan dans un Kiosk , il s'étoit tourné vers
fui , le suppliant à très haute voix d'épargner le
peu de jours qui restoient à un Vieillard de 80
ans , qui lui avoit toujours été fidele , et qui ,
dans tant d'occasions avoit exposé sa vie pour
le service de Sa Hiutesse , et qu'alors le G. S
touché de compassion , avoit fait surseoir l'éécution.
>
, rap
Quo :qu'il en soit de ces circonstances
portées par plusieurs personnes dignes de foy ;
ce qu'il y a de certain , c'est que le même jour
de sa déposition , il fut embarqué à onze heures
du soir sur une Galere , sans aucun Domestique ,
et avec un Capigi- Pachi , qui l'a conduit à Retimo
où il doit rester jusqu'à nouvel ordre ;
que son Kiaja , et ses Neveux furent arrêtez dans
la journée , et consignez sur une Galere dans le
Port , et que tous ses biens qui ne se sont pas
trouvez considerables ont été confisquez au
Miry , ou Trésor Imperial.
>
>
Il ne paroit point encore de détail , sur lequel
on puisse compter , des deux grandes Victoires
que les Turcs disent avoir remportées en Perse
au mois d'Avril dernier , la premiere sous les
murs d'Erivan , que Schah-Thamas étoit vena
assieger
NOVEMBRE 1731
2645
assieger ; la seconde sur les bords du Kouchab ,
que l'on croit être l'Araxe , où ce Prince rallioit
les débris de son armée . On débite seulement en
gros que les Turcs ont battu les Persans dans ces
deux actions , et qu'ils y ont fait plusieurs Prisonniers
de conséquence , entr'autres , Veli- Kouli-
Kham , d'une des plus considerables familles
de Perse , et qui avoit été autrefois Grand- Visir
du vieux Schah - Ussein , Pere de Schah- Thamas.
Ce Seigneur arriva à Constantinople le 22 du
mois passé , sous la Garde d'Abdi- Pacha- Oglou ,
Salakor , ou Ecuyer Cavalcadour du G. S. 11
fut aussi-tôt consigné au Kiaja du G. V. qui le
reçut avec beaucoup de politesse , et lui témoi
gna de grands égards ; mais deux jours après ,
sans qu'on en ait bien sçû la raison , il eût la
tête tranchée. On le fit mettre à genoux au milieu
de la ruë , les mains liées derirere le dos
et le visage tourné , à découvert , vis - à - vis un
Kiosk du Serrail , où le G. S. étoit , et d'où il
fit signe de la main , au Boureau , de donner le
coup de la mort au Patient , qui la souffrit avec
beaucoup de fermeté. Ce Kham étoit un homme
de bonne mine , d'environ 60. ans , et il avoit
la réputation d'être aussi brave que spirituel .
→
Depuis cette Exécution , dont les Turcs mê
mes ont été touchez , on a résolu dans plusieurs
Conseils , qu'on à tenu sur les affaires de Perse ,
de continuer la Guerre avec vigueur contre
Schah- Thamas . On prétend même que deux
Pachas ont ordre , l'un d'aller faire le Siege de
Tauris , l'autre celui d'Ispaham , et l'on ajoute
que sur la nouvelle , que le Roy de Perse envoyoit
un Ambassadeur au G. S , la Porte l'ayoit
d'abord fait arrêter en chemin à Cogui ;
qu'ensuite on ayoit dépêché un Officier à ce Ministre
2646 MERCURE DE FRANCE
nistre , pour lui demander ses Lettres de creance
; que sur le réfus qu'il avoit fait de les remet
tre , ( alleguant qu'il avoit ordre de les presen
ter lui- même au Sultan , et au G. V. ) on les lui
avoit enlevées de force avec tous ses autres effets
et qu'on l'avoit conduit au Château de Tenedos
ou il étoit fort durement traité.
Ces jours passez , le Pain manqua à Constan
tinople , ce qui occasionna quelque émotion po
pulaire , qui fut cependant bien-tôt dissipée , par
les Corps de Garde distribuez dans les differens
quartiers de la Ville et par les ordres que le
G. V. donna aux Boulangers , de fournir , sous
peine de la vie , la quantité de Pain nécessaire
pour la substance du Peuple. Ce premier Ministre
alla faire lui-même la visite de plusieurs
Fours et Magazins , où il avoit été informé
qu'on cachoit du Bled et de la Farine , qu'il fit
délivrer à ceux des Boulangers qui n'en avoient
pas. Il fit partir en même temps tous les Bâti
mens qui se trouverent à Constantinople , pour
aller charger du Bled , tant sur les Côtes de la
Mer -Noire , que sur celles de la Mer-Blanche ;
et comme par la vérification qu'il fit faire de la
quantité qu'il y en avoit dans la Ville , il reconnut
qu'elle seroit bien-tôt consommée
qu'on pourroit en manquer totalement , pour
peu que les Bâtiments qui en étoient allé chercher
, fussent retenus par les Vents contraires
il ordonna que jusqu'à ce qu'ils eussent ramené
l'abondance par leur retour on mêleroit à l'avenir
, dans tout le Pain qui se paîtriroit
tiers d'Orge , avec un tiers de Millet et un tiers
de Froment. Ce commencement de disette a fait
renouveller les anciennes deffenses pour la sortie
des grains ; on a expedié des Agas , et d'autres
Officiers
et
Un
NOVEMBRE. 1731.2647.
Officiers , pour aller par tout les faire executer
à la rigueur , et il leur a été enjoint sur tout
d'empêcher que les Bâtimens des Européens ne
chargeassent de cette Denrée.
Le 19. de ce mois , Abdi- Pacha , qui , le jour
même de la déposition de Djanum Codjea , avoit
té nommé pour lui succeder arriva à Constantinople
vers les cinq heures du soir. C'est le
même qu'on connoissoit ci-devant sous le nom
Abdi-Capoudan , lorsqu'il n'étoit que Vice-
Amiral. Le second jour de la révolution , dans
laquelle Achmet III fut déposé , ce Sultan l'avoit
fait Capitan-Pacha ; mais quelques jours
aprés , le nouveau G. S. le dépouilla de cette
charge et l'envoya Pacha à Retimo , où il
étoit resté jusqu'à present , et l'on assure pour
certain ,, que Djanum- Codgea l'a relevé dans la
même qualité Sultan Mahmoud , qui , ce diton
, fait grace â celui-ci , s'étant contenté de
ne le condamner qu'à cet honorable exil.
•
Ce nouveau Capitan- Pacha en a parfaitemene
bien usé envers son Prédecesseur . Outre tous les
honneurs possibles qu'il lui a faits à son arrivée
à Retimo , il lui a laissé sa maison toute meu
blée une partie de ses Domestiques pour le
servir , et lui a donné l'argent dont il pourroit
avoir besoin. Il est revenu ici sur la même Ga❤
fere qui avoit transporté Djanum- Codjea, Avant
que d'entrer dans ce Port , on le débarqua près
du Serrail : il alla d'abord chez le G. V , qui
le révetit d'un Caftan , suivant l'usage , et le
conduisit chez le G. S. après quoi montant sur
la Galliote affectée aux Capitans- Pachas , il se
rendit à l'Arcenal , où il reçut les complimens
et les hommages des Officiers de la Marine
avec les honneurs usitez en pareille occasion .
Juin 1731.
E 18. du mois passé , on déposa le Mufti
Mirzazade,vieillard , encore plus respectable
par sa droiture , que par son grand âge.
On dit pour motif de sa déposition , qu'il ne
convenoit point au present Ministere › parte
qu'il étoit trop scrupuleux , et ne vouloit don-
* mer qu'avec connoissance de cause , les Ferfas ,
NOVEMBRE 1731. 2648
• Ou
u Sentences de mort , qu'on lui demandoit journellement
contre des personnes accusées
soupçonnées d'avoir trempé dans les deux dermieres
conspirations. Il n'a point été exilé come
me il arrive d'ordinaire aux Muftis qu'on dépose
, parce que dans les conjonctures presentes
, on a voulu menager les gens de Loi , qui
Pont en grande véneration , et il est resté dans
son Palais , où il jouit paisiblement de tous ses
biens. Son successeur se nomme Pasmadgi-
Zadé : c'est un Emir d'environ 40 ans qui a
beaucoup d'esprit , qui est Courtisan habile
et se prête avec complaisance à tout ce que
le G, S. et le G. V. exigent de lui .
Le même jour , Djanum- Codjca , Capitan-
Pacha > si celebre par ses adversités , et par les
services qu'il a rendus à ses Souverains pendant
plus de 40. années , sur- tour au nouveau Sultan ,
fut pareillement déposé. Comme depuis le mois
de Mars , il avoit fait partir à diverses fois , du
Port de Constantinople , quinze Vaisseaux de
Guerre , qui avoient leur rendez-vous aux Isles
de Sapience , et qu'il comptoit de les aller joindre
dans peu lui-même , avec trois autres Vaisseaux
et 8 ou 10 Galeres 1 sans qu'on aît pa
pénetrer le sujet d'un si grand armement en
temps de Paix ; le Public a attribué sa disgrace
au dessein qu'on prétend qu'il avoit formé de
passer en Barbarie avec la Flotte Ottomane
de s'y faire déclarer Bey de Tunis ou de Tripoli
mais peu de gens se persuadent qu'il eût
effectivement cette intention , et l'on croit avec
plus de vrai -semblance , que cer infortuné Capitan-
Pacha ne s'est attiré son malheur , que faute
d'avoir gardé assez de ménagemens pour les per
sonnes en place , et par l'extrême liberté avec
1
et
laquelle
2644 MERCURE DE FRANCE,
laquelle il déclamoit contre le Gouvernement
d'aujourd'hui.
>
>
1
On assure que l'ordre donné pour sa déposition
, portoit aussi celui de sa mort et qu'en
conséquence , lorsque le 18 May il se rendit à
la Porte , où le G. S, l'avoit mandé on renvoya
d'abord tous ceux qui l'avoient accompa
gné ; on le fit passer seul à la pointe du Serrail ,
où il devoit être étranglé , et où le Bostandgi
Bachi lui avoit même déja fait ôter sa Pelisse ;
mais que dans cette extremité , ayant apperçu
le Sultan dans un Kiosk , il s'étoit tourné vers
fui , le suppliant à très haute voix d'épargner le
peu de jours qui restoient à un Vieillard de 80
ans , qui lui avoit toujours été fidele , et qui ,
dans tant d'occasions avoit exposé sa vie pour
le service de Sa Hiutesse , et qu'alors le G. S
touché de compassion , avoit fait surseoir l'éécution.
>
, rap
Quo :qu'il en soit de ces circonstances
portées par plusieurs personnes dignes de foy ;
ce qu'il y a de certain , c'est que le même jour
de sa déposition , il fut embarqué à onze heures
du soir sur une Galere , sans aucun Domestique ,
et avec un Capigi- Pachi , qui l'a conduit à Retimo
où il doit rester jusqu'à nouvel ordre ;
que son Kiaja , et ses Neveux furent arrêtez dans
la journée , et consignez sur une Galere dans le
Port , et que tous ses biens qui ne se sont pas
trouvez considerables ont été confisquez au
Miry , ou Trésor Imperial.
>
>
Il ne paroit point encore de détail , sur lequel
on puisse compter , des deux grandes Victoires
que les Turcs disent avoir remportées en Perse
au mois d'Avril dernier , la premiere sous les
murs d'Erivan , que Schah-Thamas étoit vena
assieger
NOVEMBRE 1731
2645
assieger ; la seconde sur les bords du Kouchab ,
que l'on croit être l'Araxe , où ce Prince rallioit
les débris de son armée . On débite seulement en
gros que les Turcs ont battu les Persans dans ces
deux actions , et qu'ils y ont fait plusieurs Prisonniers
de conséquence , entr'autres , Veli- Kouli-
Kham , d'une des plus considerables familles
de Perse , et qui avoit été autrefois Grand- Visir
du vieux Schah - Ussein , Pere de Schah- Thamas.
Ce Seigneur arriva à Constantinople le 22 du
mois passé , sous la Garde d'Abdi- Pacha- Oglou ,
Salakor , ou Ecuyer Cavalcadour du G. S. 11
fut aussi-tôt consigné au Kiaja du G. V. qui le
reçut avec beaucoup de politesse , et lui témoi
gna de grands égards ; mais deux jours après ,
sans qu'on en ait bien sçû la raison , il eût la
tête tranchée. On le fit mettre à genoux au milieu
de la ruë , les mains liées derirere le dos
et le visage tourné , à découvert , vis - à - vis un
Kiosk du Serrail , où le G. S. étoit , et d'où il
fit signe de la main , au Boureau , de donner le
coup de la mort au Patient , qui la souffrit avec
beaucoup de fermeté. Ce Kham étoit un homme
de bonne mine , d'environ 60. ans , et il avoit
la réputation d'être aussi brave que spirituel .
→
Depuis cette Exécution , dont les Turcs mê
mes ont été touchez , on a résolu dans plusieurs
Conseils , qu'on à tenu sur les affaires de Perse ,
de continuer la Guerre avec vigueur contre
Schah- Thamas . On prétend même que deux
Pachas ont ordre , l'un d'aller faire le Siege de
Tauris , l'autre celui d'Ispaham , et l'on ajoute
que sur la nouvelle , que le Roy de Perse envoyoit
un Ambassadeur au G. S , la Porte l'ayoit
d'abord fait arrêter en chemin à Cogui ;
qu'ensuite on ayoit dépêché un Officier à ce Ministre
2646 MERCURE DE FRANCE
nistre , pour lui demander ses Lettres de creance
; que sur le réfus qu'il avoit fait de les remet
tre , ( alleguant qu'il avoit ordre de les presen
ter lui- même au Sultan , et au G. V. ) on les lui
avoit enlevées de force avec tous ses autres effets
et qu'on l'avoit conduit au Château de Tenedos
ou il étoit fort durement traité.
Ces jours passez , le Pain manqua à Constan
tinople , ce qui occasionna quelque émotion po
pulaire , qui fut cependant bien-tôt dissipée , par
les Corps de Garde distribuez dans les differens
quartiers de la Ville et par les ordres que le
G. V. donna aux Boulangers , de fournir , sous
peine de la vie , la quantité de Pain nécessaire
pour la substance du Peuple. Ce premier Ministre
alla faire lui-même la visite de plusieurs
Fours et Magazins , où il avoit été informé
qu'on cachoit du Bled et de la Farine , qu'il fit
délivrer à ceux des Boulangers qui n'en avoient
pas. Il fit partir en même temps tous les Bâti
mens qui se trouverent à Constantinople , pour
aller charger du Bled , tant sur les Côtes de la
Mer -Noire , que sur celles de la Mer-Blanche ;
et comme par la vérification qu'il fit faire de la
quantité qu'il y en avoit dans la Ville , il reconnut
qu'elle seroit bien-tôt consommée
qu'on pourroit en manquer totalement , pour
peu que les Bâtiments qui en étoient allé chercher
, fussent retenus par les Vents contraires
il ordonna que jusqu'à ce qu'ils eussent ramené
l'abondance par leur retour on mêleroit à l'avenir
, dans tout le Pain qui se paîtriroit
tiers d'Orge , avec un tiers de Millet et un tiers
de Froment. Ce commencement de disette a fait
renouveller les anciennes deffenses pour la sortie
des grains ; on a expedié des Agas , et d'autres
Officiers
et
Un
NOVEMBRE. 1731.2647.
Officiers , pour aller par tout les faire executer
à la rigueur , et il leur a été enjoint sur tout
d'empêcher que les Bâtimens des Européens ne
chargeassent de cette Denrée.
Le 19. de ce mois , Abdi- Pacha , qui , le jour
même de la déposition de Djanum Codjea , avoit
té nommé pour lui succeder arriva à Constantinople
vers les cinq heures du soir. C'est le
même qu'on connoissoit ci-devant sous le nom
Abdi-Capoudan , lorsqu'il n'étoit que Vice-
Amiral. Le second jour de la révolution , dans
laquelle Achmet III fut déposé , ce Sultan l'avoit
fait Capitan-Pacha ; mais quelques jours
aprés , le nouveau G. S. le dépouilla de cette
charge et l'envoya Pacha à Retimo , où il
étoit resté jusqu'à present , et l'on assure pour
certain ,, que Djanum- Codgea l'a relevé dans la
même qualité Sultan Mahmoud , qui , ce diton
, fait grace â celui-ci , s'étant contenté de
ne le condamner qu'à cet honorable exil.
•
Ce nouveau Capitan- Pacha en a parfaitemene
bien usé envers son Prédecesseur . Outre tous les
honneurs possibles qu'il lui a faits à son arrivée
à Retimo , il lui a laissé sa maison toute meu
blée une partie de ses Domestiques pour le
servir , et lui a donné l'argent dont il pourroit
avoir besoin. Il est revenu ici sur la même Ga❤
fere qui avoit transporté Djanum- Codjea, Avant
que d'entrer dans ce Port , on le débarqua près
du Serrail : il alla d'abord chez le G. V , qui
le révetit d'un Caftan , suivant l'usage , et le
conduisit chez le G. S. après quoi montant sur
la Galliote affectée aux Capitans- Pachas , il se
rendit à l'Arcenal , où il reçut les complimens
et les hommages des Officiers de la Marine
avec les honneurs usitez en pareille occasion .
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Résumé : LETTRE écrite de Constantinople , ce 22.Juin 1731.
En juin 1731, à Constantinople, le Mufti Mirzazade fut démis de ses fonctions en raison de son excès de scrupules dans l'émission de sentences de mort. Il fut remplacé par Pasmadgi-Zadé, un homme de 40 ans connu pour sa complaisance envers les autorités. Le même jour, Djanum-Codjca, Capitain-Pacha, fut également déposé pour son manque de ménagement envers les personnes en place et ses critiques ouvertes du gouvernement. Initialement condamné à mort, il fut exilé à Retimo, ses biens furent confisqués et ses proches arrêtés. En Perse, les Turcs revendiquèrent deux victoires contre les Persans en avril 1731. Parmi les prisonniers notables figurait Veli-Kouli-Kham, ancien Grand-Visir, exécuté peu après son arrivée à Constantinople. Les Turcs décidèrent de poursuivre la guerre contre le Shah Thamas et un ambassadeur perse fut arrêté et mal traité. À Constantinople, une pénurie de pain provoqua des troubles populaires, rapidement réprimés par les autorités. Le Grand Vizir ordonna des mesures pour assurer l'approvisionnement en blé et interdit l'exportation des grains. Le 19 novembre, Abdi-Pacha succéda à Djanum-Codjca comme Capitain-Pacha, après avoir été relevé de son exil à Retimo. Il traita son prédécesseur avec honneur et générosité.
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7
p. 2648-2653
RELATION de la conspiration découverte à Constantinople, le 1 Septembre 1731.
Début :
Depuis l'incendie du 21 Juillet dernier, où les Janissaires donnerent encore des marques [...]
Mots clefs :
Aga des Janissaires, Incendie, Révolte, Pacha , Persans
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RELATION de la conspiration découverte à Constantinople, le 1 Septembre 1731.
2648 MERCURE DE FRANCE
RELATION de la conspiration découverte
à Constantinople , le 1 Septembre 1731.
Epuis l'incendie du 21 Juillet dernier, où les
Janissaires donnerent encore des marques
de leur disposition à la révolte , on n'avoit eu aucun
indice qu'il se tramât rien contre le Gouvernement
cependant le 1 Septembre le ( 1 )
Dgebedgi Bachi vint avertir le G. V. qu'il s'étoit
formé une nouvelle conspiration à Constantinople,
et qu'elle devoit éclater le lendemain à la
pointe du jour.
·
1
Sur cet avis ce Ministre , qui ne put être informé
alors du nombre ni de la qualité des Rebelles
, se contenta de renforcer les Patrouilles pour
la nuit suivante , et d'augmenter considerablement
la garde , tant au Sérail , que chez lui , et
chez le Janissaice Aga. Celui- ci étant allé faire
sa ronde à l'ordinaire , rencontra à deux heures
de nuit, deux Dgebedgis bien armez , il les fit arrêter
, et sur leur air embarrassé et les réponses
qu'ils lui firent , îl les envoya chez le G. V.
Ce premier Ministre les ayant interrogez à son
tour , ils furent encore plus déconcertez , et jugeant
bien eux-mêmes , qu'après les défenses séveres
qui avoient été faites de marcher la nuit
avec des armes , il ne leur restoit aucun espoir
de se sauver , ils lui dirent franchement : Nous
sçavons bien , Seigneur , que c'est fait de notre
vie , mais avant que de mourir , nous voulons
vous déclarer tour. Nous sommes 1500 hommes
qui devions demain matin exciter une troisiéme
(1) C'est le Chef d'un Corps de Milice par.
ticuliere.
séditioni
NOVEMBRE. 1731. 2649
sédition , Nous avons vingt Etendarts , qui fuivis
chacun d'une bonne Troupe , se seroient répandus
par tous les quartiers de la Ville , et en
auroient fait soulever le Peuple . Le G. V. leur
ayant demandé , par quel motif ils avoient formé
un si noir dessein : Notre but , répondirentils
, étoit de nous faire une réputation dans le
monde , de nous enrichir et d'obliger notre Empereur
àfaire la paix avec nos freres les Persans,
et à faire la guerre aux Chrétiens . Quels
sont vos Chefs ? reprit le G. V. Ils repliquerent
qu'ils n'en connoissoient que six , qu'ils lui désignerent,
et qui leur avoient dit de ne s'embarrasser
de rien et de suivre seulement leurs ordres .
On envoya aussi-tôt du monde pour se saisir de
ces six Chefs. Ils n'étoient point alors chez eux ,
mais on y trouva beaucoup d'armes et plusieurs
Drapeaux , dont on s'empara. Ils furent ensuite
prix eux- mêmes , ainsi qu'un grand nombre de
jeurs complices avant la fin de la nuit . On alla en
même- tems prendre tous ceux qui furent accusez
ou soupçonnez , lesquels furent étranglez ou eurent
la tête coupée. On jetta les cadavres à la
Mer , et il y en eût quelques- uns exposez dans
les endroits les plus frequentez de Constantinople.
On dit que de ces 1500 Révoltez
, tous gens de
la lie du peuple , sans une seule personne
de marque, il y en avoit soo du Corps des Dgebed- gis , que la plus grande partie des autres étoit des Albanois
, et d'autres Gens , connus icy sous le nom general d'Arnautes
, qui avoient été chas- sez de Constantinople
après la seconde sédition , et qui y étoient rentrez successivement
, dégui- sez sous differens habits , et avec de grandes barbes
qu'ils s'étoient laissé croître pour être moins
H faci2650
MERCURE DE FRANCE
facilement reconnus ; le reste étoient des Janissaires
du Caire , dont il en est arrivé environ
4000 depuis peu , pour aller en Perse par la
Mer noire , et dont quelques- uns s'étoient débarquez
malgré les ordres prècis qu'on avoit
donnez , d'empêcher qu'aucun d'eux ne mit pied à
terre.
Comme ces derniers sont la plupart des déterminez
qui ne reconnoissent point de subordination
, qu'il y en avoit d'ailleurs cinq ou six
cent d'embarquez sur trois Bâtimens François ,
frétez à Aléxandrie, pour les transporter jusqu'ici
seulement , et qu'il est arrivé d'ailleurs d'autres
incidens inutiles à rapporter ; il n'a pas été possible
d'éviter qu'il ne s'en échapât journellement
plusieurs. Il y en eut même dix , qui la veille du
jour que la sédition devoit éclater, vinrent s'enyvrer
à Bey-Oglou , à l'extrémité de Péra. La Garde
qui est établie dans ce quartier , étant accourue
pour les saisir , ils se deffendirent si bien ,
qu'ils ne furent pris qu'après avoir blessé 1s
hommes, de plus de 150 , dont cette Garde étoit
composée.
Bien des gens assurent que les deux Dgebedgis
qui furent trouvez la nuit du 1 de ce mois
par le Janissaire Aga , lui ayant dit qu'ils avoient
quelque chose de conséquence à communiquer au
G. S. on les conduisit sur le champ au Serail ,
où ils déclarerent à S H. que tant qu'elle laisseroit
en place le G. V. et le Janissaire Aga , elle ne
devoit pas se flater d'être jamais tranquille sur le
Trône; que quant à eux , ils sçavoient bien qu'ils
n'avoient point de grace à esperer et qu'ils
étoient tout résignez à la mort , mais que ce seroit
sans cesse recommencer et que pour deux
hommes que l'on feroit mourir , il en renaîtroit
cinquante.
à
QuoiNOVEMBRE.
1731. 265!
"
Quoiqu'il en soit de ces differens rapports , il
est toujours certain que cette derniere conjuration
été découverte assez à temps pour la ayant
faire avorter il est à présumer que le G. V. l'a
entierement dissipée, par les promptes exécutions
qu'il a fait faire de tous ceux qu'on a pû surprendre,
qui y ont eu quelque part. Cela ne l'empûche
pas pourtant de prendre toutes les précautions
imaginables , pour prévenir de pareils complots
, et il a entr'autres donné de nouveaux ordres
d'arrêter généralement tous ceux qu'on trouveroit
la nuit dans les rues , en conséquence de
quoi le Topgi-Bachi , ou Chef des Canoniers ,
envoya lea de ce mois prier les Ministres qui
demeurent à Pera , d'ordonner aux Gens de leurs
Palais , à leurs Nationaux et à leurs Protegez
de se retirer de bonne - heure , et de ne sortir la
nuit , en cas de nécessité , qu'avec de la lumiere
et en compagnie d'un Janissaire.
Les Lettres de Constantinople , du ; et du 18
Septembre , portent qu'on continue toujours la
recherche et les exécutions des derniers Rebelles.
On avoit cru d'abord , comme il a été dit cidessus
, qu'il n'y avoit que de la Canaille parmi
cux ; mais on a découvert par les dépositions de
ceux qu'on a pris depuis , que cette conspiration
étoit d'une bien plus grande conséquence,puisque
beaucoup de gens de Loy en étoient les véritables
Chefs ; qu'ils s'étoient même distribuez dans
les différens quartiers de la Ville d'où devoient
partir les Etendarts , et qu'ils avoient si fort compté
sur le succès de leur entreprise , qu'ils étoient
déja convenu du partage, qu'ils se proposoient de
faire entr'eux , des principales Charges de l'Empire
Hij EX
2652 MERCURE DE FRANCE
EXTRAIT d'une Lettre de Constantinople
, écrite le 15 Septembre 1731 .
L s'est formé depuis pen un nouveau com-
Iplot de soulevement , dont les Chefs étoient
un Vizir , un Aga Albanois et quelques gens
de Loy ; ils avoient projetté de commencer la révolte
par le massacre du premier Vizir , universellement
abhorré à cause de sa cruauté et de
son avarice, Mais ce Ministre ayant pénétré leur
secret , donna des ordres avec tant de promptitude
que les Conjurez avant que d'avoir pu s'assembler
, furent partie taillez en pieces , et partie
traînez dans les Prisons ; tout le reste est en
fuite et entierement dissipé,
Le G. V. voyant cependant que cette tempête
menaçoit principalement sa tête , et voulant prévenir
ses ennemis cachez , presenta d'abord au
Sultan une liste d'environ 30 personnes , qui ,
comme créatures du gouvernement précédent
étoient censées être les Auteurs de la Rebellion
, prètendant de les faire transporter sur deux
Caleres , dans un exil éloigné , et d'en obtenir
Pordre du G. S.
Dans cette Liste il y avoit entr'autres noms
celui du Kislar-Agassi , lequel voyant le danger
qui le menaçoit , songea à le prévenir en perdant
son ennemi. Pour cet effet il gagna d'abord l'esprit
du G. S. par le moyen de la Sultane Validéş
il gagna aussi les Janissaires ; et par le conseil du
grand Trésorier et du Mufti , on demanda le rétablissement
de l'ancienne Coûtume , de tenir
deux Divans par semaine enfin à force d'intrigues
, la nuit du 10 du courant , le G. V. fut luimeme
embarqué sur la Galere qu'il avoit desti
néc
NOVEMBRE
1731. 2653-
1
Lee pour le transport de ses principaux ennemis ,
pour être conduit à Négrépont , en qualité de
Pacha de cette Province . Grace particuliere qu'il
doit à quelque reste de faveur auprès de la Reine
Mere , et du Sultan.
1 Le grand Sceau de l'Empire ôté au G. V. fut
donné le même temps à l'Aga des Janissaires, dé
claré par provision Caïmaran , jusqu'à l'arrivée
1 du sujet destiné à remplacer le Vizir déposé. On
parle fort de Issouf , Pacha de Silistrie , homme
septuagenaire , qui a été fort cher à Mustapha ,
Père du Sultan regnant.
Les Lettres d'Achmet , Pacha de Babilone, portent
qu'on s'est rendu maître de Chirmansach.
Cette nouvelle a été célébrée icy pendant trois
jours , au bruit du Canon ; mais on sçait que ce
poste avoit été abandonné par les Persans ; er on
est informé d'ailleurs que du côté d'Erivan , où
estle fort de la guerre , l'Armée d'Ali Pacha est
fort délabrée , tant par la désertion , que par les
maladies ; pendant que celle de Schach Thamas
est , dit- on , forte de 150000 combattans, qui se
trouvent campez sous le Canon de Tauris , dans
une situation avantageuse , et fortifiée d'une nom❤❤
breuse Artillerie.
D'autres Lettres marquent que deux Pachas
Turcs se sont jettez du côté des Persans , avec un
Corps de plus de 20000 hommes.La Porte ayant
été informée qu'ils entretenoient une secrete correspondance
avec les Ennemis , dépêcha des Capigis
pour apporter leurs têtes ; de quoi ayant
été avertis , ils ont pris le parti de se retirer tout
à-fait chez les Persans.
RELATION de la conspiration découverte
à Constantinople , le 1 Septembre 1731.
Epuis l'incendie du 21 Juillet dernier, où les
Janissaires donnerent encore des marques
de leur disposition à la révolte , on n'avoit eu aucun
indice qu'il se tramât rien contre le Gouvernement
cependant le 1 Septembre le ( 1 )
Dgebedgi Bachi vint avertir le G. V. qu'il s'étoit
formé une nouvelle conspiration à Constantinople,
et qu'elle devoit éclater le lendemain à la
pointe du jour.
·
1
Sur cet avis ce Ministre , qui ne put être informé
alors du nombre ni de la qualité des Rebelles
, se contenta de renforcer les Patrouilles pour
la nuit suivante , et d'augmenter considerablement
la garde , tant au Sérail , que chez lui , et
chez le Janissaice Aga. Celui- ci étant allé faire
sa ronde à l'ordinaire , rencontra à deux heures
de nuit, deux Dgebedgis bien armez , il les fit arrêter
, et sur leur air embarrassé et les réponses
qu'ils lui firent , îl les envoya chez le G. V.
Ce premier Ministre les ayant interrogez à son
tour , ils furent encore plus déconcertez , et jugeant
bien eux-mêmes , qu'après les défenses séveres
qui avoient été faites de marcher la nuit
avec des armes , il ne leur restoit aucun espoir
de se sauver , ils lui dirent franchement : Nous
sçavons bien , Seigneur , que c'est fait de notre
vie , mais avant que de mourir , nous voulons
vous déclarer tour. Nous sommes 1500 hommes
qui devions demain matin exciter une troisiéme
(1) C'est le Chef d'un Corps de Milice par.
ticuliere.
séditioni
NOVEMBRE. 1731. 2649
sédition , Nous avons vingt Etendarts , qui fuivis
chacun d'une bonne Troupe , se seroient répandus
par tous les quartiers de la Ville , et en
auroient fait soulever le Peuple . Le G. V. leur
ayant demandé , par quel motif ils avoient formé
un si noir dessein : Notre but , répondirentils
, étoit de nous faire une réputation dans le
monde , de nous enrichir et d'obliger notre Empereur
àfaire la paix avec nos freres les Persans,
et à faire la guerre aux Chrétiens . Quels
sont vos Chefs ? reprit le G. V. Ils repliquerent
qu'ils n'en connoissoient que six , qu'ils lui désignerent,
et qui leur avoient dit de ne s'embarrasser
de rien et de suivre seulement leurs ordres .
On envoya aussi-tôt du monde pour se saisir de
ces six Chefs. Ils n'étoient point alors chez eux ,
mais on y trouva beaucoup d'armes et plusieurs
Drapeaux , dont on s'empara. Ils furent ensuite
prix eux- mêmes , ainsi qu'un grand nombre de
jeurs complices avant la fin de la nuit . On alla en
même- tems prendre tous ceux qui furent accusez
ou soupçonnez , lesquels furent étranglez ou eurent
la tête coupée. On jetta les cadavres à la
Mer , et il y en eût quelques- uns exposez dans
les endroits les plus frequentez de Constantinople.
On dit que de ces 1500 Révoltez
, tous gens de
la lie du peuple , sans une seule personne
de marque, il y en avoit soo du Corps des Dgebed- gis , que la plus grande partie des autres étoit des Albanois
, et d'autres Gens , connus icy sous le nom general d'Arnautes
, qui avoient été chas- sez de Constantinople
après la seconde sédition , et qui y étoient rentrez successivement
, dégui- sez sous differens habits , et avec de grandes barbes
qu'ils s'étoient laissé croître pour être moins
H faci2650
MERCURE DE FRANCE
facilement reconnus ; le reste étoient des Janissaires
du Caire , dont il en est arrivé environ
4000 depuis peu , pour aller en Perse par la
Mer noire , et dont quelques- uns s'étoient débarquez
malgré les ordres prècis qu'on avoit
donnez , d'empêcher qu'aucun d'eux ne mit pied à
terre.
Comme ces derniers sont la plupart des déterminez
qui ne reconnoissent point de subordination
, qu'il y en avoit d'ailleurs cinq ou six
cent d'embarquez sur trois Bâtimens François ,
frétez à Aléxandrie, pour les transporter jusqu'ici
seulement , et qu'il est arrivé d'ailleurs d'autres
incidens inutiles à rapporter ; il n'a pas été possible
d'éviter qu'il ne s'en échapât journellement
plusieurs. Il y en eut même dix , qui la veille du
jour que la sédition devoit éclater, vinrent s'enyvrer
à Bey-Oglou , à l'extrémité de Péra. La Garde
qui est établie dans ce quartier , étant accourue
pour les saisir , ils se deffendirent si bien ,
qu'ils ne furent pris qu'après avoir blessé 1s
hommes, de plus de 150 , dont cette Garde étoit
composée.
Bien des gens assurent que les deux Dgebedgis
qui furent trouvez la nuit du 1 de ce mois
par le Janissaire Aga , lui ayant dit qu'ils avoient
quelque chose de conséquence à communiquer au
G. S. on les conduisit sur le champ au Serail ,
où ils déclarerent à S H. que tant qu'elle laisseroit
en place le G. V. et le Janissaire Aga , elle ne
devoit pas se flater d'être jamais tranquille sur le
Trône; que quant à eux , ils sçavoient bien qu'ils
n'avoient point de grace à esperer et qu'ils
étoient tout résignez à la mort , mais que ce seroit
sans cesse recommencer et que pour deux
hommes que l'on feroit mourir , il en renaîtroit
cinquante.
à
QuoiNOVEMBRE.
1731. 265!
"
Quoiqu'il en soit de ces differens rapports , il
est toujours certain que cette derniere conjuration
été découverte assez à temps pour la ayant
faire avorter il est à présumer que le G. V. l'a
entierement dissipée, par les promptes exécutions
qu'il a fait faire de tous ceux qu'on a pû surprendre,
qui y ont eu quelque part. Cela ne l'empûche
pas pourtant de prendre toutes les précautions
imaginables , pour prévenir de pareils complots
, et il a entr'autres donné de nouveaux ordres
d'arrêter généralement tous ceux qu'on trouveroit
la nuit dans les rues , en conséquence de
quoi le Topgi-Bachi , ou Chef des Canoniers ,
envoya lea de ce mois prier les Ministres qui
demeurent à Pera , d'ordonner aux Gens de leurs
Palais , à leurs Nationaux et à leurs Protegez
de se retirer de bonne - heure , et de ne sortir la
nuit , en cas de nécessité , qu'avec de la lumiere
et en compagnie d'un Janissaire.
Les Lettres de Constantinople , du ; et du 18
Septembre , portent qu'on continue toujours la
recherche et les exécutions des derniers Rebelles.
On avoit cru d'abord , comme il a été dit cidessus
, qu'il n'y avoit que de la Canaille parmi
cux ; mais on a découvert par les dépositions de
ceux qu'on a pris depuis , que cette conspiration
étoit d'une bien plus grande conséquence,puisque
beaucoup de gens de Loy en étoient les véritables
Chefs ; qu'ils s'étoient même distribuez dans
les différens quartiers de la Ville d'où devoient
partir les Etendarts , et qu'ils avoient si fort compté
sur le succès de leur entreprise , qu'ils étoient
déja convenu du partage, qu'ils se proposoient de
faire entr'eux , des principales Charges de l'Empire
Hij EX
2652 MERCURE DE FRANCE
EXTRAIT d'une Lettre de Constantinople
, écrite le 15 Septembre 1731 .
L s'est formé depuis pen un nouveau com-
Iplot de soulevement , dont les Chefs étoient
un Vizir , un Aga Albanois et quelques gens
de Loy ; ils avoient projetté de commencer la révolte
par le massacre du premier Vizir , universellement
abhorré à cause de sa cruauté et de
son avarice, Mais ce Ministre ayant pénétré leur
secret , donna des ordres avec tant de promptitude
que les Conjurez avant que d'avoir pu s'assembler
, furent partie taillez en pieces , et partie
traînez dans les Prisons ; tout le reste est en
fuite et entierement dissipé,
Le G. V. voyant cependant que cette tempête
menaçoit principalement sa tête , et voulant prévenir
ses ennemis cachez , presenta d'abord au
Sultan une liste d'environ 30 personnes , qui ,
comme créatures du gouvernement précédent
étoient censées être les Auteurs de la Rebellion
, prètendant de les faire transporter sur deux
Caleres , dans un exil éloigné , et d'en obtenir
Pordre du G. S.
Dans cette Liste il y avoit entr'autres noms
celui du Kislar-Agassi , lequel voyant le danger
qui le menaçoit , songea à le prévenir en perdant
son ennemi. Pour cet effet il gagna d'abord l'esprit
du G. S. par le moyen de la Sultane Validéş
il gagna aussi les Janissaires ; et par le conseil du
grand Trésorier et du Mufti , on demanda le rétablissement
de l'ancienne Coûtume , de tenir
deux Divans par semaine enfin à force d'intrigues
, la nuit du 10 du courant , le G. V. fut luimeme
embarqué sur la Galere qu'il avoit desti
néc
NOVEMBRE
1731. 2653-
1
Lee pour le transport de ses principaux ennemis ,
pour être conduit à Négrépont , en qualité de
Pacha de cette Province . Grace particuliere qu'il
doit à quelque reste de faveur auprès de la Reine
Mere , et du Sultan.
1 Le grand Sceau de l'Empire ôté au G. V. fut
donné le même temps à l'Aga des Janissaires, dé
claré par provision Caïmaran , jusqu'à l'arrivée
1 du sujet destiné à remplacer le Vizir déposé. On
parle fort de Issouf , Pacha de Silistrie , homme
septuagenaire , qui a été fort cher à Mustapha ,
Père du Sultan regnant.
Les Lettres d'Achmet , Pacha de Babilone, portent
qu'on s'est rendu maître de Chirmansach.
Cette nouvelle a été célébrée icy pendant trois
jours , au bruit du Canon ; mais on sçait que ce
poste avoit été abandonné par les Persans ; er on
est informé d'ailleurs que du côté d'Erivan , où
estle fort de la guerre , l'Armée d'Ali Pacha est
fort délabrée , tant par la désertion , que par les
maladies ; pendant que celle de Schach Thamas
est , dit- on , forte de 150000 combattans, qui se
trouvent campez sous le Canon de Tauris , dans
une situation avantageuse , et fortifiée d'une nom❤❤
breuse Artillerie.
D'autres Lettres marquent que deux Pachas
Turcs se sont jettez du côté des Persans , avec un
Corps de plus de 20000 hommes.La Porte ayant
été informée qu'ils entretenoient une secrete correspondance
avec les Ennemis , dépêcha des Capigis
pour apporter leurs têtes ; de quoi ayant
été avertis , ils ont pris le parti de se retirer tout
à-fait chez les Persans.
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Résumé : RELATION de la conspiration découverte à Constantinople, le 1 Septembre 1731.
En juillet 1731, un incendie à Constantinople révéla la disposition des Janissaires à la révolte. Le 1er septembre, le Dgebedgi Bachi informa le Grand Vizir d'une nouvelle conspiration prévue pour le lendemain. Le Grand Vizir, ignorant le nombre et la qualité des rebelles, renforça les patrouilles et la garde. Deux Dgebedgis armés furent arrêtés et avouèrent faire partie d'une conspiration impliquant 1500 hommes, 20 étendards, et un plan pour soulever le peuple. Leur objectif était de se faire une réputation, s'enrichir, et forcer l'Empereur à faire la paix avec les Persans et la guerre aux Chrétiens. Six chefs et de nombreux complices furent identifiés et arrêtés. Les rebelles étaient principalement des Janissaires du Caire et des Albanais récemment revenus à Constantinople. Des exécutions massives suivirent, et les cadavres furent jetés à la mer ou exposés. Malgré ces mesures, des incidents continuèrent, et le Grand Vizir prit des précautions supplémentaires pour prévenir de futurs complots. Une nouvelle conspiration impliquant un Vizir et des gens de loi fut également découverte et réprimée. Le Grand Vizir fut finalement exilé, et le Grand Sceau de l'Empire fut donné à l'Aga des Janissaires. Parallèlement, des nouvelles de la guerre contre les Persans mentionnaient des désertions et des maladies dans l'armée turque, ainsi que des défections de deux Pachas turcs.
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8
p. 380-382
TURQUIE ET PERSE.
Début :
Les Lettres de Constantinople du mois de Decembre portent, que [...]
Mots clefs :
Turquie, Perse, Guerre, Ministres, Pacha , Grand vizir
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : TURQUIE ET PERSE.
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUIE ET PERS E.
Es. Lettres de Constantinople du mois de De- du Traité
Paix , que les Ministres du Roy de Perse ont envoyé au Pacha de Babilone , a été communiqué
par le Gr Viz. aux autres Ministres du Serrail ,
et qu'on en a fait la lecture dans un Divan general, qui s'assembla le 12 de Decembre à cette occa- sion, et le bruit courtqu'on y a fait peu de changement. On assure que suivant ce projet , le G.
S. rendra les Provinces conquises sur la Perse ,
à l'exception de la Georgie et de l'ancienne Province de Babilone , que le Daghestan sera rendu
au Prince particu ier qui en est le Souverainet
qui est à Constantinople depuis 18. mois pour
solliciter cette restitution ; que les deux Puissances réunies par la Paix , joindront leurs forces
pour obliger les Moscovites à rendre tout le Pays
qu'ils ont conquis sur la Perse, mais qu'elles n'en
viendront à cette extremité qu'après avoir emplové les voyes de la négociation ; qu'en cas de
refus de la part de la Czarine , elles ne quitteront
les Armes qu'après avoir repris tout ce Pays , et
que les conquêtes qui se feront pendant cette
guerre , resteront à celle des deux Puissances qui les aura faites.
Од
FEVRIER. 1732. 381
On assure que le G. V. a fait remettre à quel
ques Ministres Etrangers un Memoire par lequel
il fait connoître la necessité de s'opposer à l'agrandissement des Moscovites et de quelle conse
quence il est pour l'Empire Ottoman de les éloi
gner des bords de la Mer Caspienne.
On continue de travailler à la construction de
plusieurs Vaisseaux de guerre du premier et du
second rang; on fait de grands Magazins de munitions de guerre et de bouche , et S. H. a envoyé ordre aux Pachas des Provinces Maritimes de lui fournir un certain nombre de Matelots et
de Bâtimens de transport.
Le G. S. se tient très- retiré dans le Serrail depuis trois mois , et il ne se fait voir que rarement ses Troupes et au Peuple , ce qui a donné lieu
à quelques murmures.
Les dernieres Lettres de Constantinople ne con
firment pas les bruits qui s'étoient répandus qu'on
y avoit arboré la Queue de Cheval et déclaré la
guerre aux Venitiens ; ona appris que Mehemet Effendi qui avoit été cy - devant envoyé du G. S. à la Cour de Vienne avoit été étranglé
Elles portent encore , que la Paix étoit
concluë entre les Turcs et les Persans ; que
par un des articles du Traité , les Villes de
Tauris et d'Erivan devoient être rendues au
Roy de Perse " et que les Pays conquis par les Persans du côté de l'ancienne Babilone seroient remis au G. S. à la charge de payer au
Roy de Perse six millions d'Asprès pour les frais
de la guerre.
Ces Lettres ajoutent que le 30. de Decembre
dernier , le Capitan Pacha avoit éré exilé en Candie ; que le lendemain , son Drogman , ou Interprete , avoit eu la tête tranchée dans l'une des Cours
382 MERCURE DE FRANCE
Cours du Serail , et que le G. Viz. avoit menacé
d'un pareil sort tous les Drogmans qui se mêleroient à l'avenir de quelque intrigue secrette , ce
..Ministre voulant qu'on ne s'adresse qu'à lui ou à
son Reys-Effendi.
TURQUIE ET PERS E.
Es. Lettres de Constantinople du mois de De- du Traité
Paix , que les Ministres du Roy de Perse ont envoyé au Pacha de Babilone , a été communiqué
par le Gr Viz. aux autres Ministres du Serrail ,
et qu'on en a fait la lecture dans un Divan general, qui s'assembla le 12 de Decembre à cette occa- sion, et le bruit courtqu'on y a fait peu de changement. On assure que suivant ce projet , le G.
S. rendra les Provinces conquises sur la Perse ,
à l'exception de la Georgie et de l'ancienne Province de Babilone , que le Daghestan sera rendu
au Prince particu ier qui en est le Souverainet
qui est à Constantinople depuis 18. mois pour
solliciter cette restitution ; que les deux Puissances réunies par la Paix , joindront leurs forces
pour obliger les Moscovites à rendre tout le Pays
qu'ils ont conquis sur la Perse, mais qu'elles n'en
viendront à cette extremité qu'après avoir emplové les voyes de la négociation ; qu'en cas de
refus de la part de la Czarine , elles ne quitteront
les Armes qu'après avoir repris tout ce Pays , et
que les conquêtes qui se feront pendant cette
guerre , resteront à celle des deux Puissances qui les aura faites.
Од
FEVRIER. 1732. 381
On assure que le G. V. a fait remettre à quel
ques Ministres Etrangers un Memoire par lequel
il fait connoître la necessité de s'opposer à l'agrandissement des Moscovites et de quelle conse
quence il est pour l'Empire Ottoman de les éloi
gner des bords de la Mer Caspienne.
On continue de travailler à la construction de
plusieurs Vaisseaux de guerre du premier et du
second rang; on fait de grands Magazins de munitions de guerre et de bouche , et S. H. a envoyé ordre aux Pachas des Provinces Maritimes de lui fournir un certain nombre de Matelots et
de Bâtimens de transport.
Le G. S. se tient très- retiré dans le Serrail depuis trois mois , et il ne se fait voir que rarement ses Troupes et au Peuple , ce qui a donné lieu
à quelques murmures.
Les dernieres Lettres de Constantinople ne con
firment pas les bruits qui s'étoient répandus qu'on
y avoit arboré la Queue de Cheval et déclaré la
guerre aux Venitiens ; ona appris que Mehemet Effendi qui avoit été cy - devant envoyé du G. S. à la Cour de Vienne avoit été étranglé
Elles portent encore , que la Paix étoit
concluë entre les Turcs et les Persans ; que
par un des articles du Traité , les Villes de
Tauris et d'Erivan devoient être rendues au
Roy de Perse " et que les Pays conquis par les Persans du côté de l'ancienne Babilone seroient remis au G. S. à la charge de payer au
Roy de Perse six millions d'Asprès pour les frais
de la guerre.
Ces Lettres ajoutent que le 30. de Decembre
dernier , le Capitan Pacha avoit éré exilé en Candie ; que le lendemain , son Drogman , ou Interprete , avoit eu la tête tranchée dans l'une des Cours
382 MERCURE DE FRANCE
Cours du Serail , et que le G. Viz. avoit menacé
d'un pareil sort tous les Drogmans qui se mêleroient à l'avenir de quelque intrigue secrette , ce
..Ministre voulant qu'on ne s'adresse qu'à lui ou à
son Reys-Effendi.
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Résumé : TURQUIE ET PERSE.
En 1732, un traité de paix entre la Turquie et la Perse a été communiqué aux ministres du Serrail à Constantinople. Ce traité prévoit la restitution des provinces conquises par la Turquie, sauf la Géorgie et l'ancienne province de Babylone. Le Daghestan sera rendu à son souverain, alors à Constantinople. Les deux puissances s'engagent à récupérer les territoires conquis par les Moscovites en Perse, par la négociation ou la force. Les conquêtes durant cette guerre reviendront à la puissance qui les aura réalisées. Le Grand Vizir a informé les ministres étrangers de la nécessité de contrer l'expansion des Moscovites et de les éloigner de la mer Caspienne. La Turquie intensifie ses préparatifs militaires en construisant des vaisseaux de guerre et en stockant des munitions. Le Grand Sultan se tient retiré depuis trois mois, suscitant des murmures. Les dernières lettres de Constantinople confirment la paix entre les Turcs et les Persans. Le traité stipule la restitution des villes de Tauris et d'Erivan au roi de Perse et le paiement de six millions d'Asprès pour les frais de guerre. Le Capitan Pacha a été exilé en Candie, et son interprète exécuté pour intrigues secrètes. Le Grand Vizir a menacé de punir sévèrement tout interprète impliqué dans des intrigues.
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9
p. 589-591
TURQUIE ET PERSE.
Début :
On apprend du Levant, que la derniere Bataille qui s' [...]
Mots clefs :
Perse, Pacha , Turquie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : TURQUIE ET PERSE.
TURQUIE ET PERSE.
ON
N apprend du Levant , que la derniere Bataille qui s'étoit donnée entre lesTurcs et les
Persans, près d'Amadan, avoit été très- sanglante;
H vj que
590 MERCURE DE FRANCE
que la perte avoit été égale de part et d'autre ,
mais que le Champ de bataille étoit demeuré aux
Turcs que cette Bataille avoit déterminé le Roy
de Perse à écouter les propositions qui lui avoient
été faites de la part du Grand- Seigneur , qu'on
attendoit incessamment la nouvelle de la signature
du Traité de Paix ou de Trévé , et qu'il paroissoit que S. H. avoit projetté quelque grande en- treprise , puisqu'elle continuoit de faire travailler
à des Armemens considerables par Mer et par
Terre.
Les Lettres reçues depuis de Constantinople ,
portent qu'on y avoit fait pendant trois jours
des Réjouissances publiques à l'occasion de la
cessation d'armes , dont le Pacha de Babylone est
convenu avec le Roy de Perse , pendant laquelle
on ne doute plus qu'on ne trouve les moyens
d'accommoder les differends des deux Nations . Le
bruit court même que les Préliminaires du Traité
de Paix que ce Pacha a envoyez , ont été approuvez par le G. S. et que S. H. les a renvoyez en
Perse après les avoir signez. Cette Paix a causé
tant dejoye aux Habitans de cette Capitale et aux
Janissaires , qu'ils ont perdu le souvenir de tout
ce qui s'est passé l'année derniere , et que jamais
on n'a vû à Constantinople des Réjouissances
plus complettes en tout genre , sans qu'il soit ar- rivé aucun désordre.
Le 4. de Janvier , on tint au Serrail un Divan
extraordinaire , à la fin duquel on donna la liberté à l'Ambassadeur du Roy de Perse , qu'on
tenoit prisonnier depuis plusieurs mois.
On continue sans interruption les travaux ordinaires de l'Arsenal , et la Flote qu'on équipe dans
le Port , sera en état de mettre à la voile dans
le commencement du mois de May prochain.
On
MARS. 17328 591
On assure que cette Flote est déja de 60. Sultanes
et de près de 80. Galeres.
Le G. S. a envoyé ses ordres aux Regens d'Alger, de Tripoli et de Tunis , de tenir prêts pour
le mêmetemps,les secours qu'elles doivent fournir
à S. H. en cas de guerre contre les Chrétiens.
Les Troupes qui arrivent des Provinces de
l'Empire, sont assez bien équipées , et on en fait
défiler la plus grande partie du côté de la Transilvanie ,où on publie que le G. S. aura cette an- née deux Armées considerables , sans compter
celle qui paroît destinée à servir contre les Moscovites en faveur du Roy de Perse.
On écrit de Barbarie , que les Troupes du Roy
de Maroc , Muley- Abdallah, avoient entierement défait les Arabes Rebelles de ce Royaume , qu'on
ne croyoit pas qu'ils pussent se remettre en cam- pagne , et que le Pacha de Tanger avoit reçû ordre d'assembler une armée considerable près de cette Ville.
ON
N apprend du Levant , que la derniere Bataille qui s'étoit donnée entre lesTurcs et les
Persans, près d'Amadan, avoit été très- sanglante;
H vj que
590 MERCURE DE FRANCE
que la perte avoit été égale de part et d'autre ,
mais que le Champ de bataille étoit demeuré aux
Turcs que cette Bataille avoit déterminé le Roy
de Perse à écouter les propositions qui lui avoient
été faites de la part du Grand- Seigneur , qu'on
attendoit incessamment la nouvelle de la signature
du Traité de Paix ou de Trévé , et qu'il paroissoit que S. H. avoit projetté quelque grande en- treprise , puisqu'elle continuoit de faire travailler
à des Armemens considerables par Mer et par
Terre.
Les Lettres reçues depuis de Constantinople ,
portent qu'on y avoit fait pendant trois jours
des Réjouissances publiques à l'occasion de la
cessation d'armes , dont le Pacha de Babylone est
convenu avec le Roy de Perse , pendant laquelle
on ne doute plus qu'on ne trouve les moyens
d'accommoder les differends des deux Nations . Le
bruit court même que les Préliminaires du Traité
de Paix que ce Pacha a envoyez , ont été approuvez par le G. S. et que S. H. les a renvoyez en
Perse après les avoir signez. Cette Paix a causé
tant dejoye aux Habitans de cette Capitale et aux
Janissaires , qu'ils ont perdu le souvenir de tout
ce qui s'est passé l'année derniere , et que jamais
on n'a vû à Constantinople des Réjouissances
plus complettes en tout genre , sans qu'il soit ar- rivé aucun désordre.
Le 4. de Janvier , on tint au Serrail un Divan
extraordinaire , à la fin duquel on donna la liberté à l'Ambassadeur du Roy de Perse , qu'on
tenoit prisonnier depuis plusieurs mois.
On continue sans interruption les travaux ordinaires de l'Arsenal , et la Flote qu'on équipe dans
le Port , sera en état de mettre à la voile dans
le commencement du mois de May prochain.
On
MARS. 17328 591
On assure que cette Flote est déja de 60. Sultanes
et de près de 80. Galeres.
Le G. S. a envoyé ses ordres aux Regens d'Alger, de Tripoli et de Tunis , de tenir prêts pour
le mêmetemps,les secours qu'elles doivent fournir
à S. H. en cas de guerre contre les Chrétiens.
Les Troupes qui arrivent des Provinces de
l'Empire, sont assez bien équipées , et on en fait
défiler la plus grande partie du côté de la Transilvanie ,où on publie que le G. S. aura cette an- née deux Armées considerables , sans compter
celle qui paroît destinée à servir contre les Moscovites en faveur du Roy de Perse.
On écrit de Barbarie , que les Troupes du Roy
de Maroc , Muley- Abdallah, avoient entierement défait les Arabes Rebelles de ce Royaume , qu'on
ne croyoit pas qu'ils pussent se remettre en cam- pagne , et que le Pacha de Tanger avoit reçû ordre d'assembler une armée considerable près de cette Ville.
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Résumé : TURQUIE ET PERSE.
Le texte décrit des événements militaires et diplomatiques entre la Turquie et la Perse. Une bataille près d'Amadan a opposé les Turcs et les Persans, entraînant des pertes égales. Les Turcs ont gardé le contrôle du champ de bataille, poussant le roi de Perse à considérer les propositions de paix du Grand Seigneur. À Constantinople, des réjouissances publiques ont marqué la fin des hostilités, et l'ambassadeur perse a été libéré. La flotte turque, composée de 60 navires et 80 galères, se prépare à prendre la mer en mai. Le Grand Seigneur a ordonné aux régences d'Alger, de Tripoli et de Tunis de se tenir prêtes à soutenir une éventuelle guerre contre les Chrétiens. Des troupes sont déployées en Transylvanie, et deux armées importantes sont prévues pour l'année. En Barbarie, les troupes du roi du Maroc ont vaincu des rebelles arabes, et le pacha de Tanger a reçu l'ordre de rassembler une armée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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10
p. 591-594
EXTRAIT d'une Lettre de Constantinople, écrite le 10. Novembre 1731.
Début :
Il y a quelques jours qu'il se répandit ici [...]
Mots clefs :
Constantinople, Pacha , Armée, Bataille
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre de Constantinople, écrite le 10. Novembre 1731.
EXTRAIT d'une Lettre de Constantinople , écrite le 10. Novembre 1731.
y a quelques jours qu'il se répandit ici un bruit que les Turcs avoient été battus par les
Troupes de Schah Thamas , du côté de Tauris ,
mais cette nouvelle , bien loin d'avoir été confir- mée, s'est trouvée entierement fausse , et inventée
sur ce qu'on avoit été un très long temps sans
recevoir des Lettres du Seraskier- Aly Pacha.
On a sçû depuis que ce qui avoit donné lieu à
ce bruit , est le mouvement de quelques Partis de
Milice Turque , qui s'étant soustraits à l'obéïssance du Seraskier , s'étoient déba ndez pour piller et saccager le Pays , ayant laissé ce Pacha avec trente
$92 MERCURE DE FRANCE
trente mille hommes seulement. Ce General s'é
tant retiré à quelques journées de Tauris , il for ma le blocus de cette Place, et ferma tous les passages pour empêcher qu'elle ne reçût aucun seCours , ce qui fait présumer qu'elle se rendra -
bientôt. Le Pacha même en a écrit en ces termes
à la Porte , ajoûtant que les Habitans étoient
fort portez à se rendre , ne voulant pas s'exposer
à être faits Esclaves , comme cela leur est déja arrivé.
On a reçû ici des nouvelles qu'on croit beau
coup plus certaines et plus favorables du Camp
près d'Hamadan. Les Lettres du 23. Septembre portent qu'Achmet - Pacha étant campé à six
lieues de cette Ville , eut avis que Schah- Thamas,
en personne, s'approchoit dans le dessein de l'at
taquer avec une armée de 60. mille hommes, 30%
Pieces de gros Canons , des Bombes et beaucoup
d'autre Artillerie , portée par des Chameaux ; que
sur cet avis ce Pacha suspendit l'attaque de la
Place, et qu'il fit marcher son Armée du côté des
Ennemis , que quand les deux Armées furent en
présence , Schah- Thamas envoya un Ambassadeur , lequel entra en conférence avec le Pacha ;
mais on fat surpris d'apprendre que dans le mê- metemps, non- seulement l'Armée Persanne avoir
continué sa marche , mais qu'elle avoit même
déja attaqué l'avant- Garde de l'Armée Othomane, et que plusieurs des principaux OfficiersTurcs avoient été tuez dans cette attaque. Ach,
met- Pacha , surpris d'un pareil procedé , en de→
manda la raison à l'Ambassadeur , lequel répondit que l'intention du Roy son Maître , étoit de continuer les hostilitez jusqu'à ce que le Pacha
eût signé les conditions du Traité qui avoit été
proposé par ie dernier Vizir Ibrahim ; sur quoiعا
MAR S. 173.2. 593-
Le Pacha ayant congedié l'Ambassadeur , il se
prépara sur le champ à livrer bataille. Le combat dura sept heures entieres , sçavoir deux heu
res avec l'Artillerie ou les Armes à feu , et cinq
heures le Sabre à la main ; les Turcs demeurerent enfin les maîtres du Champ de bataille , presque toute l'Infanterie Persanne étant demeurée
sur la place. Les Turcs se sont emparez de tout
le Bagage , des Munitions , de l'Artillerie et generalement de tout ce qui étoit dans le Camp des
Persans , sans avoir perdu que fort peu de monde.
On a trouvé parmi le butin sept Pieces de gros
Canons , qui avoient été transportez d'Ispaham ,
traînés chacune par so. Buffles , cinq autres Canons fabriquez à Chiras , d'un fort beau Bronze,
dont les Boulets étoient marquez du nom de
Schah Thamas. Après la Bataille , ce Prince s'est
retiré à Casbin avec une petite partie de sa Cavalerie , le reste s'étant dispersé.
Les mêmes Lettres portent que la nuit préce
dente , la plus grande partie de la Garnison:
d'Hamadan s'étoit jointe à l'Armée du Roy de
Perse , mais qu'après la victoire remportée par Achmet Pacha , la Forteresse de cette Place s'étoit rendue à discretion ; que le Pacha y étoit entré
en victorieux , et qu'ayant visité les Portes ,
ik
avoit trouvé cent pieces de Cañon , dont trente
avoient été apportées d'Hispaham pour la deffense
de la Place, les autres 70. y ayant été laissées
-l'année passées enfin qu'on avoit envoyé à Constantinople plusieurs Drapeaux et d'autres dépouilles qui passoient pour une marque assurée de l'entiere défaite des Persans. Si la saison n'eût pas
été si avancée , l'Armée auroit, dit- on, pû marcher sans obstacle vers Ispaham ; cependant cette Armée, après avoir suffisamment fortifié la Ci- ✨tadelle-
594 MERCURE DE FRANCE
tadelle d'Amadan , se trouve campée aux environs
de cette Ville , sans que l'on sçache encore où
elle hyvernera.
Malgré tant de mauvais succès de la part des
Persans , on souhaite ici la Paix , et si on ne peut
pas la conclure , la Porte prendra , dit-on , le
Parti de faire démolir toutes les Places Frontieres,
pour laisser entre les deux Empires un grand es- pace de Pays inhabité , qui servira de barriere aux
Etats du G. S, mais on ne sera bien éclairci sur
les résolutions que prendra la Cour Ottomane ,
qu'après le succès de mouvemens qui se font en- core du côté de Tauris.
Avant hier le Tefterdar ou le Grand-Trésorier,
fut fait Vizir à trois queues, et son Emploi de
Trésorier lui a été conservé ; il a reçû cet hon- neur par la faveur du nouveau Grand- Vizir , à
l'occasion des nouvelles agréables venuës d'Ha- madam.
Constantin Bey, fils de feu Nicolas Mauro
Cordato, qui avoit été dépouillé de la Principauté de Valaquie , après la mort de son pere , dans
le temps de la derniere Révolution , a été nomméavant hier de nouveau à cette Principauté par
la protection du même G. V. auprès de qui toute
la Famille des Cordato est en très -grande faveur.
Ali- Kalvoda , qui avoit joui de la Principauté
environ un an , a été déposé , et il y a apparence
qu'il sera mis en prison à son arrivée à Cons
tantinople. Sa personne est devenue suspecte parce qu'il avoit été élevé à cette Dignité par les
Chefs des Rebelles,
y a quelques jours qu'il se répandit ici un bruit que les Turcs avoient été battus par les
Troupes de Schah Thamas , du côté de Tauris ,
mais cette nouvelle , bien loin d'avoir été confir- mée, s'est trouvée entierement fausse , et inventée
sur ce qu'on avoit été un très long temps sans
recevoir des Lettres du Seraskier- Aly Pacha.
On a sçû depuis que ce qui avoit donné lieu à
ce bruit , est le mouvement de quelques Partis de
Milice Turque , qui s'étant soustraits à l'obéïssance du Seraskier , s'étoient déba ndez pour piller et saccager le Pays , ayant laissé ce Pacha avec trente
$92 MERCURE DE FRANCE
trente mille hommes seulement. Ce General s'é
tant retiré à quelques journées de Tauris , il for ma le blocus de cette Place, et ferma tous les passages pour empêcher qu'elle ne reçût aucun seCours , ce qui fait présumer qu'elle se rendra -
bientôt. Le Pacha même en a écrit en ces termes
à la Porte , ajoûtant que les Habitans étoient
fort portez à se rendre , ne voulant pas s'exposer
à être faits Esclaves , comme cela leur est déja arrivé.
On a reçû ici des nouvelles qu'on croit beau
coup plus certaines et plus favorables du Camp
près d'Hamadan. Les Lettres du 23. Septembre portent qu'Achmet - Pacha étant campé à six
lieues de cette Ville , eut avis que Schah- Thamas,
en personne, s'approchoit dans le dessein de l'at
taquer avec une armée de 60. mille hommes, 30%
Pieces de gros Canons , des Bombes et beaucoup
d'autre Artillerie , portée par des Chameaux ; que
sur cet avis ce Pacha suspendit l'attaque de la
Place, et qu'il fit marcher son Armée du côté des
Ennemis , que quand les deux Armées furent en
présence , Schah- Thamas envoya un Ambassadeur , lequel entra en conférence avec le Pacha ;
mais on fat surpris d'apprendre que dans le mê- metemps, non- seulement l'Armée Persanne avoir
continué sa marche , mais qu'elle avoit même
déja attaqué l'avant- Garde de l'Armée Othomane, et que plusieurs des principaux OfficiersTurcs avoient été tuez dans cette attaque. Ach,
met- Pacha , surpris d'un pareil procedé , en de→
manda la raison à l'Ambassadeur , lequel répondit que l'intention du Roy son Maître , étoit de continuer les hostilitez jusqu'à ce que le Pacha
eût signé les conditions du Traité qui avoit été
proposé par ie dernier Vizir Ibrahim ; sur quoiعا
MAR S. 173.2. 593-
Le Pacha ayant congedié l'Ambassadeur , il se
prépara sur le champ à livrer bataille. Le combat dura sept heures entieres , sçavoir deux heu
res avec l'Artillerie ou les Armes à feu , et cinq
heures le Sabre à la main ; les Turcs demeurerent enfin les maîtres du Champ de bataille , presque toute l'Infanterie Persanne étant demeurée
sur la place. Les Turcs se sont emparez de tout
le Bagage , des Munitions , de l'Artillerie et generalement de tout ce qui étoit dans le Camp des
Persans , sans avoir perdu que fort peu de monde.
On a trouvé parmi le butin sept Pieces de gros
Canons , qui avoient été transportez d'Ispaham ,
traînés chacune par so. Buffles , cinq autres Canons fabriquez à Chiras , d'un fort beau Bronze,
dont les Boulets étoient marquez du nom de
Schah Thamas. Après la Bataille , ce Prince s'est
retiré à Casbin avec une petite partie de sa Cavalerie , le reste s'étant dispersé.
Les mêmes Lettres portent que la nuit préce
dente , la plus grande partie de la Garnison:
d'Hamadan s'étoit jointe à l'Armée du Roy de
Perse , mais qu'après la victoire remportée par Achmet Pacha , la Forteresse de cette Place s'étoit rendue à discretion ; que le Pacha y étoit entré
en victorieux , et qu'ayant visité les Portes ,
ik
avoit trouvé cent pieces de Cañon , dont trente
avoient été apportées d'Hispaham pour la deffense
de la Place, les autres 70. y ayant été laissées
-l'année passées enfin qu'on avoit envoyé à Constantinople plusieurs Drapeaux et d'autres dépouilles qui passoient pour une marque assurée de l'entiere défaite des Persans. Si la saison n'eût pas
été si avancée , l'Armée auroit, dit- on, pû marcher sans obstacle vers Ispaham ; cependant cette Armée, après avoir suffisamment fortifié la Ci- ✨tadelle-
594 MERCURE DE FRANCE
tadelle d'Amadan , se trouve campée aux environs
de cette Ville , sans que l'on sçache encore où
elle hyvernera.
Malgré tant de mauvais succès de la part des
Persans , on souhaite ici la Paix , et si on ne peut
pas la conclure , la Porte prendra , dit-on , le
Parti de faire démolir toutes les Places Frontieres,
pour laisser entre les deux Empires un grand es- pace de Pays inhabité , qui servira de barriere aux
Etats du G. S, mais on ne sera bien éclairci sur
les résolutions que prendra la Cour Ottomane ,
qu'après le succès de mouvemens qui se font en- core du côté de Tauris.
Avant hier le Tefterdar ou le Grand-Trésorier,
fut fait Vizir à trois queues, et son Emploi de
Trésorier lui a été conservé ; il a reçû cet hon- neur par la faveur du nouveau Grand- Vizir , à
l'occasion des nouvelles agréables venuës d'Ha- madam.
Constantin Bey, fils de feu Nicolas Mauro
Cordato, qui avoit été dépouillé de la Principauté de Valaquie , après la mort de son pere , dans
le temps de la derniere Révolution , a été nomméavant hier de nouveau à cette Principauté par
la protection du même G. V. auprès de qui toute
la Famille des Cordato est en très -grande faveur.
Ali- Kalvoda , qui avoit joui de la Principauté
environ un an , a été déposé , et il y a apparence
qu'il sera mis en prison à son arrivée à Cons
tantinople. Sa personne est devenue suspecte parce qu'il avoit été élevé à cette Dignité par les
Chefs des Rebelles,
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Résumé : EXTRAIT d'une Lettre de Constantinople, écrite le 10. Novembre 1731.
En novembre 1731, des rumeurs à Constantinople annonçaient une défaite turque face aux troupes du Schah Thamas près de Tauris, mais ces informations se révélèrent fausses. Le mouvement observé provenait de milices turques rebelles contre le Seraskier Aly Pacha, qui avait encerclé Tauris avec trente mille hommes. Des nouvelles plus précises provenaient du camp près d'Hamadan. Achmet Pacha, positionné à six lieues de la ville, apprit que Schah Thamas approchait avec une armée de 60 000 hommes et une artillerie importante. Après une tentative de négociation infructueuse, les Persans attaquèrent l'avant-garde turque. La bataille, qui dura sept heures, se solda par une victoire turque. Les Turcs capturèrent l'artillerie, les munitions et plusieurs drapeaux persans. Suite à cette victoire, Schah Thamas se retira à Casbin, et la forteresse d'Hamadan se rendit peu après. Achmet Pacha entra dans la ville en vainqueur, y découvrant cent pièces de canon. Malgré ces succès militaires, les Turcs souhaitaient la paix et envisageaient de démolir les places frontalières pour créer une zone tampon entre les empires. À Constantinople, plusieurs promotions et nominations eurent lieu. Le Tefterdar fut nommé Vizir, Constantin Bey fut rétabli dans la principauté de Valachie, et Ali-Kalvoda, suspecté de liens avec des rebelles, fut déposé et risquait d'être emprisonné.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 1212-1222
LETTRE écrite de Constantinople, le 6 et le 14 Mars 1732. contenant la suite des nouvelles de Turquie et de Perse.
Début :
La Victoire complete que les Turcs remporterent au mois de [...]
Mots clefs :
Turquie, Perse, Constantinople, Pacha , Tauris, Achmet, Empire, Sultan, Chah, Thamas
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite de Constantinople, le 6 et le 14 Mars 1732. contenant la suite des nouvelles de Turquie et de Perse.
ETTRE écrite de Constantinople , le
6 et le 14 Mars 1732. contenant la suite
des nouvelles de Turquie et de Perse.
LA
A Victoire complete que les Turcs rempor
terent au mois de Septembre dernier devant
Amadan , sur l'armée Persanne , où Chah- Tahmas étoit en personne , et la prise de cette Place
et de plusieurs autres, qui furent autant de suites
glorieuses de cette Victoire , avoient si considérablement diminué les forces de ce Prince , que
voulant prévenir la perte totale de ses Etats, dont
il étoit menacé, s'il continuoit la Guerre , il résolut de faire des tentatives auprès de ses Ennemispour en obtenir la paix. Il y eut d'abord des
propositions d'accommodement faites de sa part ,
a Achmet Pacha , Séraskier ou General de l'Armée Othomane , et Gouverneur de Babilonne
qui donnerent lieu le 20 Novembre suivant , à la
tenue d'un Conseil general , à la Porte , où l'on
examina plusieurs Lettres , qu'un Courier de ce
Pacha avoit apportées la veille. Il marquoit par
la sienne au G. V. que Chah - Tahmas lui avoit
écrit et envoyé l'Itimadil-deulet , c'est- à- dire ,
son premier Ministre , pour entrer en négociation,
Cette Lettre et trois autres du Roy de Perse ,
dont elle étoit accompagnée, l'une pour le G.S.
1. Vol. dans
JUIN. 1732. 1213
s laquelle Chah- Tahmas lui demandoit la
avec instance ; l'autre pour le G. V. et la
siéme pour Achmet Pacha ; ayant été lûës
présence de tous les gens,de Loy , des Chefs ,
Milices et des principaux Ministres ; et les
litions que ce Prince y proposoit , ayant été ées de toute l'assemblée , on convint unaement de les accepter ; et le Sultan, par l'avis
Mufti , dépêcha , en conséquence , un de ses aiers Officiers , avec des plein- pouvoirs pour
met Pacha , qui le rendoit le maître abde régler la paix , de la maniere qu'il le ju- it à propos ; lui faisant seulement observer
comme Chah-Tahmas n'avoit pas toujours
Fort religieux à exécuter les promesses qu'il
tcy devant faites à la Porte , il convenoit
conservât assez de Troupes sur les Frontiepour faire tête aux Persans , en cas de beCette précaution étoit d'autant plus raison-
, qu'on assure que Chah- Tahmas même,
la Lettre qu'il avoit écrite à Achmet Pacha,
conseilloit de la prendre , parce que ne se
ant pas assez-bien affermi sur le Thrône , il
gnoit de ne pouvoir pas également contenir
les Seigneurs Persans , dont il prévoyoit quelques- uns seroient capables de continuer hostilitez sans son consentement , et malgré
ordres les plus positifs.
ette résolution de la Porte s'étant divulguée,
indit une joïe universelle dans le public , er
cun se persuada , parce qu'il le souhaitoit ,
dès- lors on alloit mettre les Armes bas de
et d'autre. Cependant le 22 Decembre , au
nd étonnement du peuple , on entendit tirer
la pointe du jour le Canon du Sérail , ce qui
repeté à midi , l'après-dîné , et les deux jours
I. Vol. sui-
1214 MERCURE DE FRANCE
*suivans, aux mêmes heures, et l'on apprit qu'Ali
Pacha , Seraskier de la seconde Armée Turque ,
s'étoit emparé de l'importante Place de Tauris et
de tout son district. Un surcroît de Conquêtes si considérables mettant les affaires des Ottomans
en beaucoup meilleure situation qu'elles n'étoient
quand Chah Tahmas fit ses propositions de Paix , lé G. S. se crut en droit de ne la faire
qu'à des conditions plus avantageuses ; et se re- pentit d'avoir donné des pouvoirs trop étendus à
Achmet-Pacha , à la sollicitation du Mufti.
-
Sa Hautesse dépêcha aussi-tôt un Courrier à
ce Gouverneur , par lequel elle lui mandoit de
se prévaloir des nouveaux succès qu'avoient eu
ses Armes, et sur tout de ne se point relâcher
sur la possession des Province et Ville de Tauris , dans le Traité auquel il travailloit avec le
Roy de Perse ; mais le 7 du mois passé il arriva
deux Courriers , l'un de cette place , et l'autre de
Babilonne. Par celui- ci, Achmet- Pacha apprenoit,
qu'il ne pouvoit plus se flatter de conclure la
Paix , à moins que Tauris et ses dépendances ne fussent restituées aux Persans ; et par l'autre, AliPacha marquoit que si l'on rendoit Tauris à
Chah-Tahmas , il étoit à craindre , malgré le consentement qu'y donneroient les Officiers de
l'Armée , que la Soldatesque ne se portât à quel- que mutinerie.
Des circonstances si opposées , jetterent la
Porte dans un grand embarras. Le Sultan fit
convoquer sur le champ un Conseil general devant lui; et quand il fut assemblé , le G. V. pour
sonder les esprits , après avoir discuté la situation des affaires en Perse , demanda s'il falloit
faire la paix, ou non. Tous les avis se réunirent
d'abord pour l'affirmative ; mais quand il vint
I. Vol.
à
JUI N. 1732 1215
l'exposition des articles, dont le principal étoit la restitution de Tauris , chacun garda un profond silence ; ce que voyant le G. S. il dit aux
assistans , qu'il leur donnoitdeux jours pour refléchir murement sur une affaire de si grande
conséquence , et leur ordonna de venir ensuite
lui communiqner ce qu'ils en penseroient, en toute liberté.
Le 9 , le Conseil s'étant rassemblé , et la matiere ayant été de nouveau agitée , l'avis le plus
general fut , qu'il ne falloit faire la Paix qu'à
Gondition que Tauris resteroit à l'Empire Othoman , et que si Chah- Tahmas s'obstinoit à en
exiger la restitution , il valloit mieux continuer
la Guerre. Quoique ce ne fut pas le sentiment du G. V. il eut ordre de faire de nouveaux préparatifs de Guerre, et le G.S. dépêcha son ( a)Bach- Chokadar au Pacha de Babilonne , et un Offi
cier de confiance àAli- Pacha. Ces deux hommes,
sur les lumieres et la fidelité desquels le Sultan
se reposoit , furent expressément chargez de s'in- former avec soin du véritable état où étoient
les Armées Turques et Persannes , et de prendre
une connoissance exacte de toutes choses , parce
que Sa Hautesse avoit conçu de violens soup
gons contre Achmet Pacha , et qu'elle appréhendoit , comme on le lui avoit déja insinué , que ce Séraskier ne se fut laissé séduire par les présens
de Chah-Tahmas. En effet, ces soupçons paroissoient d'autant mieux fondez , qu'Achmet Pacha dans toutes les Lettres qui avoient précédé sa
derniere , bien loin de parler de rendre Tauris
aux Persans , avoit toujours mandé au contraire ,
qu'ils en passeroient par tout ce qu'on voudroit
( a )Maitre de la Garderobe.
1. Vol. exiger H
1216 MERCURE DE FRANCE
exiger d'eux ; et ce qui fit depuis encore présmer qu'il pouvoit y avoir quelque chose d'équivoque dans la négociation de ce Pacha, c'est que 23 de ce même mois un de ses Officiers arriva
à Constantinople avec la nouvelle que la Paix
étoit faite , et qu'il étoit convenu avec ChahTahmas de lui ceder les Ville et Province de
Tauris.
le
Le lendemain le Mufti Pasmadgi- Zadé, ressentit le premier effet que produisit certe nouvelles le G. S. piqué d'avoir , à sa persuasion ,
donné au Pacha de Babilonne des pleins pouvoirs
pour conclure et signer la Paix , le déposa et l'éxila (d'abord à Synope , Ville et Port de la Mer
noire ; ensuite ayant témoigné qu'il souhaiteroit .
de faire le pelerinage de la Mecque , Sa Hautesse y consentit , et lui fit pourtant donner un
Chiaoux pour le garder et le conduire jusqu'en Egypte ; mais cette nouveautéa yant blessé la délicatesse des Gens de Loy , ils intercederent si
puissamment en sa faveur auprês du G. V. que ce Ministre oubliant tous les sujets de mécontentemens que Pasmadgi- Zadé lui avoit donnez, lui.
ôta ce Garde, et le laissa librement partir avec son
Harem, ou maison de ses Femmes , et tous ses effets. On dit qu'il doit passer quelque temps à
la Mecque , et de là venir demeurer à Damas
dont il sera fait Moullah ou Juge en Chefpour
le reste de ses jours. Il est peu regrété , parce
que Damad- Zadé , ancien Cadilesker , qui l'a
remplacé, a toutes les qualitez qu'il faut pour s'attirer le respect , l'estime et l'amour du Public,
Le 25 , tous les Gens de Loy , et principaux
Seigneurs de l'Empire s'assemblerent à la Porte
shez le G. V, et allerent ensuite avec le nouI.Vol. Yeau
JUIN. 1732. 1217
reau Moufti chez le G. S. ou le Conseil se tint.
Après qu'on y eut fait lecture du Traité fait par
Achmet Pacha, plusieurs des premiers de l'assemblée suppliérent Sa Hautesse de vouloir bien
le ratifier , et sur tout Issac-Effendi , Cadiles ker
ou Juge suprême d'Asie , qui redoublant ses Ins
tances , representa avec force au Sultan , que s'il
désavoüoit un Traité qui n'avoit été conclu
qu'en vertu des pleins pouvoirs dont il avoit honoré le Pacha de Babilonne , on n'auroit plus de
foy à sa parole Imperiale ; et que d'ailleurs ,
tout bien considéré, une Paix solide avec la Perse,
après une Guerre si longue et si onéreuse, étoit
préférable à l'acquisition de cent Villes comme Tauris.
à sa
Le G. S. répondit que la ratification du Traité dont il s'agissoit , ne pressoit point encore
qu'il n'y avoit que peu de jours qu'il avoit dépêché son Bach- Chokadar à Achmet Pacha
pour lui signifier qu'il ne consentiroit jamais
faire la Paix qu'à condition que Tauris et ses dépendances resteroient à la Porte ; qu'après une
déclaration si précise , il ne convenoit pas
dignité de changer si-tôt de sentiment, et qu'il
êtoit dans celui d'attendre le retour des deux personnes qu'il avoit envoyées en Perse , avant que
de prendre , à cet égard , une résolution définitive. Cette réponse judicieuse, ayant fait impres- sion sur toute l'assemblée , personne n'insista
plus , et l'on se sépara sans rien conclure.
Le 1 Mars , le G. S. qui vouloit , à ce qu'on
présume , conférer avec le Mufti , sur le désordre arrivé la veille , lui envoya son premier
Asseki , et lui fit dire , avec une bonté qui fait
autant d'honneur à Sa Hautesse , qu'à ce venerable vieillard , qu'ayant à l'entretenir , et voulant
I. Vol.
Hij lui
1248 MERCURE DE FRANCE
lui épargner la peine de venir jusqu'au Serail , id
avoit fait la moitié du chemin , et qu'il le prioit
de vouloir bien se rendre à Aina , Serrail ou Serail des Miroirs , où il l'attendoit. Le Sultan fit
ordonner en même- temps au G. V. de convoquer pour le lendemain à la Porte les Officiers
les plus considerables des Troupes , et les Gens
de Loy , dont la capacité est le plus en réputation , pour former un grand Conseil en sa pré- sence , au sujet des affaires de Perse , et des Lertres qui venoient d'arriver de ce païs- là.
Cette Assemblée s'étant faite chez le G.V.après
la priere du midy , il s'y tint une courte confe-
'Lence , ensuite de laquelle on se rendit chez le
Sultan , où le Conseil dura deux heures. Voici
quel en fut le résultat : Une partie des Conseillers considerant les dommages infinis que la continuation de la Guerre pourroit apporter à l'Empire , opina qu'on ne pouvoit la terminer trop
tôt , et que sans s'opiniâtrer à vouloir conserver
tous les Païs conquis,il falloit approuver le Trai
té passé par Achmet Pacha , en y inserant les
dernieres conditions proposées par Chah - Tahmas ; le reste des Assistans soutint au contraire ,
qu'il falloit absolument rejetter l'article de la
restitution de Tauris , &c. parce que la possession de cette conquête renfermoit en quelque fa
çon de seul avantage de conséquence , qui put un
peu dedommager la Nation de tout ce qu'il lui
en avoit coûté , et justifier aux yeux de l'Univers la longue Guerre qu'elle avoit faite aux
chacun se fixant ainsi à son Persans: Si-bien que
opinion , l'Assemblée se séparoit déja sans être
convenue de rien , lorsque le G. V. s'approcha
du Sultan , et lui dit , que son zele pour les interêts de l'Empire; et en particulier pour celui
de I. Vol.
JUIN. 1732. 1219
de Sa Hautesse , ne lui permettoit pas de lui rient
déguiser de ce qu'il sçavoit,et de ce qu'il pensois
dans une conjoncture aussi délicate , que celle de faire la Paix , ou de continuer la Guerre ; que l'Asie étoit entierément ruinée que sans faire
mention de la quantité de Troupes qui péris
soient en Perse par la famine , et par les mala
dies , aucune des conquêtes qu'on y avoit faites , ne pouvoit produire un revenu suffisant à l'entretien des Garnisons qu'on seroit obligé d'y mertre ; qu'il étoit sorti du Tresor un argent im- mense en pure perte , la Porte n'en ayant retiré
aucun fruit ; qu'outre que par les raisons qu'il
venoit d'exposer , il n'y avoit point de meilleur parti à prendre que celui de confirmer la Paix faite par le Pacha de Babilonne , l'honneur et la
religion de Sa Hautesse y étoient particuliere- ment engagées , puisque ce Gouverneur n'avoit
agi qu'en consequence des pouvoirs sans limites ,
qu'elle lui avoit envoyez ; qu'enfin pour achever
de vaincre la répugnance qui paroissoit que Sa Hautesse avoit de ratifier ce Traité ; il la supplioit de considerer , que sur ce que les Troupes Othomanes n'avoient pas voulu évacuer Tauris
Ali Pacha marquoit par ses dernieres Lettres que Chah Tahmas offroit de payer â la Porte des
sommes considerables , pourvû qu'on lui rendic cette Place demantelée , avec ses dependances , et
que cette espece de tribut auquel ce Prince se sou- mettoit de lui-même , seroit aussi honorable et
plus utile à l'Empire, que la stérile gloire de pos- seder des Païs ruinez , dont on ne se priveroit
qu'en faveur d'une Paix qui étoit devenuë absolument necessaire par toute sorte d'endroits. Le G. S. touché de ce discours , fit rappeller
l'Aga des Janissaires , qui avoit déja quitté le
L. Vol. H iij Con-
1220 MERCURE DE FRANCE
Conseil , ainsi que plusieurs autres , er luj, dit
que voulant bien déferer au sentiment du Visir
il falloit qu'il fit partir le ( a) Tourmadgi-Bashi , pour aller joindre Achmet Pacha , et qu'il
dépêcha aussi un autre Officier de son Corps.
vers Ali-Pacha , qu'ils n'avoient qu'à venir pren
dre ses ordres qu'on alloit leur expedier.
Ces ordres , à ce qu'on rapporte , contenoient
en substance , que plusieurs Conseils ayant été
tenus en presence de Sa Hautesse , au sujet du
Traité conclu depuis peu entre Achmet- Pacha et le Roy de Perse , elle n'avoit pas d'abord voulu consentir à ce que Tauris et ses dépendances
fussent remises à ce Prince ; mais qu'à la priere
de tous les Grands de son Empire , et par complaisance pour ses peuples , qui désiroient la Paix,
elle se déterminoit enfin à se relâcher des droits
que lui donnoient ses Armes victorieuses ; c
qu'ainsi à l'arrivée de ses Commandemens , ong
eu à les faire lire en public , et à se mettre en
état d'y obéir , en retirant de la place de Tauris
et de son district toute l'Artillerie , et generalement toutes les Munitions , et tous les effets appartenans aux Garnisons , qui après la démolition de la Citadele de Tauris , sortiront de cette
Ville , et se retireront à Erivan jusqu'à nouvel
ordre , enjoignant à Achmet- Pacha de faire escorter ces Garnisons , afin qu'elles ne puissent
être insultées , ni souffrir aucun dommage sur
leur route de la part des Persans.
Le G. V. Topal Osman Pacha fût déposé
avant hier matin , 12 Mars , malgré tout son mé
(a ) C'est un des principaux Officiers des Janis
saires , qui est d'ailleurs comme le grand Vencur du Sultan.
I. Vol.
rite
JUIN. 1732, 1221
rite , et envoyé sur le champ à Cadi-Quevi, on
à Calcedoine , d'où il partit hier en poste avec
peu de monde, pourse rendre à Trebizonde, dont on lui a donné le Gouvernement ; le reste de ses
Gens s'est embarqué avec tous ses effets , pour
Faller joindre. On ne sçait pas bien encore la cause de sa disgrace , ni qui sera son Successeur,
En attendant Ali- Pacha Tetferdar, ou grand Tresorier , a été nommé Vekil , ou Délegué , pour
faire les fonctions de Grand Visir.
Quelques affaires de commerce ayant retardé
le départ du Bâtiment qui doit porter cette Lettre , je profite de cette prolongation ; pour ajoû
ter , aujourd'hui 14 Mars , encore quelques faits,
qui seront une nouvelle preuve de mon exacti- tude.
Le 3 Octobre , le Marquis de Villeneuve ,
Ambassadeur de France , eut sa premiere Audience du nouveau G. S. où les choses se passerent à l'ordinaire. Le 17 S. E. porta au G. V. les Lettres du Roy pour le Sultan et pour son Premier Ministre , à l'occasion de l'avenement de
S. Hautesse à l'Empire.
Le 21. le Commandement Imperial fut déli
vré , portant la permission de rebâtir les Monasteres et les Maisons des Religieux de Galata , qui
avoient été détruites par l'Incendie du 21. Juil- let ; non seulement ces Maisons sont solidement
rebâties et occupées à present , mais encore presque toutes celles des Particuliers que cet embra sement avoit consumées.
Le 30. Novembre, Chahim Mehemet , Capitan
Pacha , qui avoit été cy-devant Jannissaire- Aga,
et ensuite avoit fait les fonctions de G. V. par
interim, pendant 12..jours , depuis la déposition.
d'Ibrahim-Pacha , jusqu'à l'installation de Topal VI. Vol. Hiiij Osman
1222 MERCURE DE FRANCE
Osman Pacha , fut déposé et envoyé Pacha à la Cavée..
Le 31 Marabou Capitan , Capitaine du Port
de Constantinople , qui avoit fait les fonctions
de Capitan- Pacha depuis la déposition de Cháhim-Mehemet, fut élevé à cette dignité.
D'autres Lettres confirment la déposition du
G. V. et que le G. S..l'avoit fait conduire à Salonique , par un Détachement de Spahis , et que le Tetferdar de la Cour avoit été nommé pour
exercer cette Charge importante jusqu'à l'arrivée
du Bacha de Babylone , à qui elle est destinée.
Ces Lettres ajoûtent qu'il y avoit encore quel
ques Assemblées tumultueuses dans differens
quartiers de Constantinople, et qu'il y avoit beaucoup de mécontens dans l'Armée de Perse , qui
se plaignoient hautement de ce qu'on avoit promis de rendre la Ville de Tauris au Roy de Perse ;
que le Pacha qui y commande , avoit déclaré qu'il
n'en sortiroit qu'en vertu d'un ordre signé de la
main du G. S. et que S. H. avoit dû assembler
le grand Divan deux ou trois jours après le départ du Courier , pour déliberer sur les moyens
d'achever de rétablir la tranquillité dans l'interieur
de l'Empire.
On inande en dernier lieu de Constantinople
qu'on y avoit découvert une conspiration contre
le G. S. qu'on vouloit déposer pour mettre sur le
Trône le Sultan son oncle qui fut déposé l'année
derniere, et que S. H avoit fait punir de mort les
principaux Conjurez. On ajoute que le dernier
G. Visir déposé avoit été fait Pacha de Widin ,
et que le Pacha de Babylone , nommé pour le
remplacer , et qu'on attend incessamment , étoit fort aimé de la Milice et du Peuple.
6 et le 14 Mars 1732. contenant la suite
des nouvelles de Turquie et de Perse.
LA
A Victoire complete que les Turcs rempor
terent au mois de Septembre dernier devant
Amadan , sur l'armée Persanne , où Chah- Tahmas étoit en personne , et la prise de cette Place
et de plusieurs autres, qui furent autant de suites
glorieuses de cette Victoire , avoient si considérablement diminué les forces de ce Prince , que
voulant prévenir la perte totale de ses Etats, dont
il étoit menacé, s'il continuoit la Guerre , il résolut de faire des tentatives auprès de ses Ennemispour en obtenir la paix. Il y eut d'abord des
propositions d'accommodement faites de sa part ,
a Achmet Pacha , Séraskier ou General de l'Armée Othomane , et Gouverneur de Babilonne
qui donnerent lieu le 20 Novembre suivant , à la
tenue d'un Conseil general , à la Porte , où l'on
examina plusieurs Lettres , qu'un Courier de ce
Pacha avoit apportées la veille. Il marquoit par
la sienne au G. V. que Chah - Tahmas lui avoit
écrit et envoyé l'Itimadil-deulet , c'est- à- dire ,
son premier Ministre , pour entrer en négociation,
Cette Lettre et trois autres du Roy de Perse ,
dont elle étoit accompagnée, l'une pour le G.S.
1. Vol. dans
JUIN. 1732. 1213
s laquelle Chah- Tahmas lui demandoit la
avec instance ; l'autre pour le G. V. et la
siéme pour Achmet Pacha ; ayant été lûës
présence de tous les gens,de Loy , des Chefs ,
Milices et des principaux Ministres ; et les
litions que ce Prince y proposoit , ayant été ées de toute l'assemblée , on convint unaement de les accepter ; et le Sultan, par l'avis
Mufti , dépêcha , en conséquence , un de ses aiers Officiers , avec des plein- pouvoirs pour
met Pacha , qui le rendoit le maître abde régler la paix , de la maniere qu'il le ju- it à propos ; lui faisant seulement observer
comme Chah-Tahmas n'avoit pas toujours
Fort religieux à exécuter les promesses qu'il
tcy devant faites à la Porte , il convenoit
conservât assez de Troupes sur les Frontiepour faire tête aux Persans , en cas de beCette précaution étoit d'autant plus raison-
, qu'on assure que Chah- Tahmas même,
la Lettre qu'il avoit écrite à Achmet Pacha,
conseilloit de la prendre , parce que ne se
ant pas assez-bien affermi sur le Thrône , il
gnoit de ne pouvoir pas également contenir
les Seigneurs Persans , dont il prévoyoit quelques- uns seroient capables de continuer hostilitez sans son consentement , et malgré
ordres les plus positifs.
ette résolution de la Porte s'étant divulguée,
indit une joïe universelle dans le public , er
cun se persuada , parce qu'il le souhaitoit ,
dès- lors on alloit mettre les Armes bas de
et d'autre. Cependant le 22 Decembre , au
nd étonnement du peuple , on entendit tirer
la pointe du jour le Canon du Sérail , ce qui
repeté à midi , l'après-dîné , et les deux jours
I. Vol. sui-
1214 MERCURE DE FRANCE
*suivans, aux mêmes heures, et l'on apprit qu'Ali
Pacha , Seraskier de la seconde Armée Turque ,
s'étoit emparé de l'importante Place de Tauris et
de tout son district. Un surcroît de Conquêtes si considérables mettant les affaires des Ottomans
en beaucoup meilleure situation qu'elles n'étoient
quand Chah Tahmas fit ses propositions de Paix , lé G. S. se crut en droit de ne la faire
qu'à des conditions plus avantageuses ; et se re- pentit d'avoir donné des pouvoirs trop étendus à
Achmet-Pacha , à la sollicitation du Mufti.
-
Sa Hautesse dépêcha aussi-tôt un Courrier à
ce Gouverneur , par lequel elle lui mandoit de
se prévaloir des nouveaux succès qu'avoient eu
ses Armes, et sur tout de ne se point relâcher
sur la possession des Province et Ville de Tauris , dans le Traité auquel il travailloit avec le
Roy de Perse ; mais le 7 du mois passé il arriva
deux Courriers , l'un de cette place , et l'autre de
Babilonne. Par celui- ci, Achmet- Pacha apprenoit,
qu'il ne pouvoit plus se flatter de conclure la
Paix , à moins que Tauris et ses dépendances ne fussent restituées aux Persans ; et par l'autre, AliPacha marquoit que si l'on rendoit Tauris à
Chah-Tahmas , il étoit à craindre , malgré le consentement qu'y donneroient les Officiers de
l'Armée , que la Soldatesque ne se portât à quel- que mutinerie.
Des circonstances si opposées , jetterent la
Porte dans un grand embarras. Le Sultan fit
convoquer sur le champ un Conseil general devant lui; et quand il fut assemblé , le G. V. pour
sonder les esprits , après avoir discuté la situation des affaires en Perse , demanda s'il falloit
faire la paix, ou non. Tous les avis se réunirent
d'abord pour l'affirmative ; mais quand il vint
I. Vol.
à
JUI N. 1732 1215
l'exposition des articles, dont le principal étoit la restitution de Tauris , chacun garda un profond silence ; ce que voyant le G. S. il dit aux
assistans , qu'il leur donnoitdeux jours pour refléchir murement sur une affaire de si grande
conséquence , et leur ordonna de venir ensuite
lui communiqner ce qu'ils en penseroient, en toute liberté.
Le 9 , le Conseil s'étant rassemblé , et la matiere ayant été de nouveau agitée , l'avis le plus
general fut , qu'il ne falloit faire la Paix qu'à
Gondition que Tauris resteroit à l'Empire Othoman , et que si Chah- Tahmas s'obstinoit à en
exiger la restitution , il valloit mieux continuer
la Guerre. Quoique ce ne fut pas le sentiment du G. V. il eut ordre de faire de nouveaux préparatifs de Guerre, et le G.S. dépêcha son ( a)Bach- Chokadar au Pacha de Babilonne , et un Offi
cier de confiance àAli- Pacha. Ces deux hommes,
sur les lumieres et la fidelité desquels le Sultan
se reposoit , furent expressément chargez de s'in- former avec soin du véritable état où étoient
les Armées Turques et Persannes , et de prendre
une connoissance exacte de toutes choses , parce
que Sa Hautesse avoit conçu de violens soup
gons contre Achmet Pacha , et qu'elle appréhendoit , comme on le lui avoit déja insinué , que ce Séraskier ne se fut laissé séduire par les présens
de Chah-Tahmas. En effet, ces soupçons paroissoient d'autant mieux fondez , qu'Achmet Pacha dans toutes les Lettres qui avoient précédé sa
derniere , bien loin de parler de rendre Tauris
aux Persans , avoit toujours mandé au contraire ,
qu'ils en passeroient par tout ce qu'on voudroit
( a )Maitre de la Garderobe.
1. Vol. exiger H
1216 MERCURE DE FRANCE
exiger d'eux ; et ce qui fit depuis encore présmer qu'il pouvoit y avoir quelque chose d'équivoque dans la négociation de ce Pacha, c'est que 23 de ce même mois un de ses Officiers arriva
à Constantinople avec la nouvelle que la Paix
étoit faite , et qu'il étoit convenu avec ChahTahmas de lui ceder les Ville et Province de
Tauris.
le
Le lendemain le Mufti Pasmadgi- Zadé, ressentit le premier effet que produisit certe nouvelles le G. S. piqué d'avoir , à sa persuasion ,
donné au Pacha de Babilonne des pleins pouvoirs
pour conclure et signer la Paix , le déposa et l'éxila (d'abord à Synope , Ville et Port de la Mer
noire ; ensuite ayant témoigné qu'il souhaiteroit .
de faire le pelerinage de la Mecque , Sa Hautesse y consentit , et lui fit pourtant donner un
Chiaoux pour le garder et le conduire jusqu'en Egypte ; mais cette nouveautéa yant blessé la délicatesse des Gens de Loy , ils intercederent si
puissamment en sa faveur auprês du G. V. que ce Ministre oubliant tous les sujets de mécontentemens que Pasmadgi- Zadé lui avoit donnez, lui.
ôta ce Garde, et le laissa librement partir avec son
Harem, ou maison de ses Femmes , et tous ses effets. On dit qu'il doit passer quelque temps à
la Mecque , et de là venir demeurer à Damas
dont il sera fait Moullah ou Juge en Chefpour
le reste de ses jours. Il est peu regrété , parce
que Damad- Zadé , ancien Cadilesker , qui l'a
remplacé, a toutes les qualitez qu'il faut pour s'attirer le respect , l'estime et l'amour du Public,
Le 25 , tous les Gens de Loy , et principaux
Seigneurs de l'Empire s'assemblerent à la Porte
shez le G. V, et allerent ensuite avec le nouI.Vol. Yeau
JUIN. 1732. 1217
reau Moufti chez le G. S. ou le Conseil se tint.
Après qu'on y eut fait lecture du Traité fait par
Achmet Pacha, plusieurs des premiers de l'assemblée suppliérent Sa Hautesse de vouloir bien
le ratifier , et sur tout Issac-Effendi , Cadiles ker
ou Juge suprême d'Asie , qui redoublant ses Ins
tances , representa avec force au Sultan , que s'il
désavoüoit un Traité qui n'avoit été conclu
qu'en vertu des pleins pouvoirs dont il avoit honoré le Pacha de Babilonne , on n'auroit plus de
foy à sa parole Imperiale ; et que d'ailleurs ,
tout bien considéré, une Paix solide avec la Perse,
après une Guerre si longue et si onéreuse, étoit
préférable à l'acquisition de cent Villes comme Tauris.
à sa
Le G. S. répondit que la ratification du Traité dont il s'agissoit , ne pressoit point encore
qu'il n'y avoit que peu de jours qu'il avoit dépêché son Bach- Chokadar à Achmet Pacha
pour lui signifier qu'il ne consentiroit jamais
faire la Paix qu'à condition que Tauris et ses dépendances resteroient à la Porte ; qu'après une
déclaration si précise , il ne convenoit pas
dignité de changer si-tôt de sentiment, et qu'il
êtoit dans celui d'attendre le retour des deux personnes qu'il avoit envoyées en Perse , avant que
de prendre , à cet égard , une résolution définitive. Cette réponse judicieuse, ayant fait impres- sion sur toute l'assemblée , personne n'insista
plus , et l'on se sépara sans rien conclure.
Le 1 Mars , le G. S. qui vouloit , à ce qu'on
présume , conférer avec le Mufti , sur le désordre arrivé la veille , lui envoya son premier
Asseki , et lui fit dire , avec une bonté qui fait
autant d'honneur à Sa Hautesse , qu'à ce venerable vieillard , qu'ayant à l'entretenir , et voulant
I. Vol.
Hij lui
1248 MERCURE DE FRANCE
lui épargner la peine de venir jusqu'au Serail , id
avoit fait la moitié du chemin , et qu'il le prioit
de vouloir bien se rendre à Aina , Serrail ou Serail des Miroirs , où il l'attendoit. Le Sultan fit
ordonner en même- temps au G. V. de convoquer pour le lendemain à la Porte les Officiers
les plus considerables des Troupes , et les Gens
de Loy , dont la capacité est le plus en réputation , pour former un grand Conseil en sa pré- sence , au sujet des affaires de Perse , et des Lertres qui venoient d'arriver de ce païs- là.
Cette Assemblée s'étant faite chez le G.V.après
la priere du midy , il s'y tint une courte confe-
'Lence , ensuite de laquelle on se rendit chez le
Sultan , où le Conseil dura deux heures. Voici
quel en fut le résultat : Une partie des Conseillers considerant les dommages infinis que la continuation de la Guerre pourroit apporter à l'Empire , opina qu'on ne pouvoit la terminer trop
tôt , et que sans s'opiniâtrer à vouloir conserver
tous les Païs conquis,il falloit approuver le Trai
té passé par Achmet Pacha , en y inserant les
dernieres conditions proposées par Chah - Tahmas ; le reste des Assistans soutint au contraire ,
qu'il falloit absolument rejetter l'article de la
restitution de Tauris , &c. parce que la possession de cette conquête renfermoit en quelque fa
çon de seul avantage de conséquence , qui put un
peu dedommager la Nation de tout ce qu'il lui
en avoit coûté , et justifier aux yeux de l'Univers la longue Guerre qu'elle avoit faite aux
chacun se fixant ainsi à son Persans: Si-bien que
opinion , l'Assemblée se séparoit déja sans être
convenue de rien , lorsque le G. V. s'approcha
du Sultan , et lui dit , que son zele pour les interêts de l'Empire; et en particulier pour celui
de I. Vol.
JUIN. 1732. 1219
de Sa Hautesse , ne lui permettoit pas de lui rient
déguiser de ce qu'il sçavoit,et de ce qu'il pensois
dans une conjoncture aussi délicate , que celle de faire la Paix , ou de continuer la Guerre ; que l'Asie étoit entierément ruinée que sans faire
mention de la quantité de Troupes qui péris
soient en Perse par la famine , et par les mala
dies , aucune des conquêtes qu'on y avoit faites , ne pouvoit produire un revenu suffisant à l'entretien des Garnisons qu'on seroit obligé d'y mertre ; qu'il étoit sorti du Tresor un argent im- mense en pure perte , la Porte n'en ayant retiré
aucun fruit ; qu'outre que par les raisons qu'il
venoit d'exposer , il n'y avoit point de meilleur parti à prendre que celui de confirmer la Paix faite par le Pacha de Babilonne , l'honneur et la
religion de Sa Hautesse y étoient particuliere- ment engagées , puisque ce Gouverneur n'avoit
agi qu'en consequence des pouvoirs sans limites ,
qu'elle lui avoit envoyez ; qu'enfin pour achever
de vaincre la répugnance qui paroissoit que Sa Hautesse avoit de ratifier ce Traité ; il la supplioit de considerer , que sur ce que les Troupes Othomanes n'avoient pas voulu évacuer Tauris
Ali Pacha marquoit par ses dernieres Lettres que Chah Tahmas offroit de payer â la Porte des
sommes considerables , pourvû qu'on lui rendic cette Place demantelée , avec ses dependances , et
que cette espece de tribut auquel ce Prince se sou- mettoit de lui-même , seroit aussi honorable et
plus utile à l'Empire, que la stérile gloire de pos- seder des Païs ruinez , dont on ne se priveroit
qu'en faveur d'une Paix qui étoit devenuë absolument necessaire par toute sorte d'endroits. Le G. S. touché de ce discours , fit rappeller
l'Aga des Janissaires , qui avoit déja quitté le
L. Vol. H iij Con-
1220 MERCURE DE FRANCE
Conseil , ainsi que plusieurs autres , er luj, dit
que voulant bien déferer au sentiment du Visir
il falloit qu'il fit partir le ( a) Tourmadgi-Bashi , pour aller joindre Achmet Pacha , et qu'il
dépêcha aussi un autre Officier de son Corps.
vers Ali-Pacha , qu'ils n'avoient qu'à venir pren
dre ses ordres qu'on alloit leur expedier.
Ces ordres , à ce qu'on rapporte , contenoient
en substance , que plusieurs Conseils ayant été
tenus en presence de Sa Hautesse , au sujet du
Traité conclu depuis peu entre Achmet- Pacha et le Roy de Perse , elle n'avoit pas d'abord voulu consentir à ce que Tauris et ses dépendances
fussent remises à ce Prince ; mais qu'à la priere
de tous les Grands de son Empire , et par complaisance pour ses peuples , qui désiroient la Paix,
elle se déterminoit enfin à se relâcher des droits
que lui donnoient ses Armes victorieuses ; c
qu'ainsi à l'arrivée de ses Commandemens , ong
eu à les faire lire en public , et à se mettre en
état d'y obéir , en retirant de la place de Tauris
et de son district toute l'Artillerie , et generalement toutes les Munitions , et tous les effets appartenans aux Garnisons , qui après la démolition de la Citadele de Tauris , sortiront de cette
Ville , et se retireront à Erivan jusqu'à nouvel
ordre , enjoignant à Achmet- Pacha de faire escorter ces Garnisons , afin qu'elles ne puissent
être insultées , ni souffrir aucun dommage sur
leur route de la part des Persans.
Le G. V. Topal Osman Pacha fût déposé
avant hier matin , 12 Mars , malgré tout son mé
(a ) C'est un des principaux Officiers des Janis
saires , qui est d'ailleurs comme le grand Vencur du Sultan.
I. Vol.
rite
JUIN. 1732, 1221
rite , et envoyé sur le champ à Cadi-Quevi, on
à Calcedoine , d'où il partit hier en poste avec
peu de monde, pourse rendre à Trebizonde, dont on lui a donné le Gouvernement ; le reste de ses
Gens s'est embarqué avec tous ses effets , pour
Faller joindre. On ne sçait pas bien encore la cause de sa disgrace , ni qui sera son Successeur,
En attendant Ali- Pacha Tetferdar, ou grand Tresorier , a été nommé Vekil , ou Délegué , pour
faire les fonctions de Grand Visir.
Quelques affaires de commerce ayant retardé
le départ du Bâtiment qui doit porter cette Lettre , je profite de cette prolongation ; pour ajoû
ter , aujourd'hui 14 Mars , encore quelques faits,
qui seront une nouvelle preuve de mon exacti- tude.
Le 3 Octobre , le Marquis de Villeneuve ,
Ambassadeur de France , eut sa premiere Audience du nouveau G. S. où les choses se passerent à l'ordinaire. Le 17 S. E. porta au G. V. les Lettres du Roy pour le Sultan et pour son Premier Ministre , à l'occasion de l'avenement de
S. Hautesse à l'Empire.
Le 21. le Commandement Imperial fut déli
vré , portant la permission de rebâtir les Monasteres et les Maisons des Religieux de Galata , qui
avoient été détruites par l'Incendie du 21. Juil- let ; non seulement ces Maisons sont solidement
rebâties et occupées à present , mais encore presque toutes celles des Particuliers que cet embra sement avoit consumées.
Le 30. Novembre, Chahim Mehemet , Capitan
Pacha , qui avoit été cy-devant Jannissaire- Aga,
et ensuite avoit fait les fonctions de G. V. par
interim, pendant 12..jours , depuis la déposition.
d'Ibrahim-Pacha , jusqu'à l'installation de Topal VI. Vol. Hiiij Osman
1222 MERCURE DE FRANCE
Osman Pacha , fut déposé et envoyé Pacha à la Cavée..
Le 31 Marabou Capitan , Capitaine du Port
de Constantinople , qui avoit fait les fonctions
de Capitan- Pacha depuis la déposition de Cháhim-Mehemet, fut élevé à cette dignité.
D'autres Lettres confirment la déposition du
G. V. et que le G. S..l'avoit fait conduire à Salonique , par un Détachement de Spahis , et que le Tetferdar de la Cour avoit été nommé pour
exercer cette Charge importante jusqu'à l'arrivée
du Bacha de Babylone , à qui elle est destinée.
Ces Lettres ajoûtent qu'il y avoit encore quel
ques Assemblées tumultueuses dans differens
quartiers de Constantinople, et qu'il y avoit beaucoup de mécontens dans l'Armée de Perse , qui
se plaignoient hautement de ce qu'on avoit promis de rendre la Ville de Tauris au Roy de Perse ;
que le Pacha qui y commande , avoit déclaré qu'il
n'en sortiroit qu'en vertu d'un ordre signé de la
main du G. S. et que S. H. avoit dû assembler
le grand Divan deux ou trois jours après le départ du Courier , pour déliberer sur les moyens
d'achever de rétablir la tranquillité dans l'interieur
de l'Empire.
On inande en dernier lieu de Constantinople
qu'on y avoit découvert une conspiration contre
le G. S. qu'on vouloit déposer pour mettre sur le
Trône le Sultan son oncle qui fut déposé l'année
derniere, et que S. H avoit fait punir de mort les
principaux Conjurez. On ajoute que le dernier
G. Visir déposé avoit été fait Pacha de Widin ,
et que le Pacha de Babylone , nommé pour le
remplacer , et qu'on attend incessamment , étoit fort aimé de la Milice et du Peuple.
Fermer
Résumé : LETTRE écrite de Constantinople, le 6 et le 14 Mars 1732. contenant la suite des nouvelles de Turquie et de Perse.
En mars 1732, une lettre de Constantinople relate les événements en Turquie et en Perse. En septembre 1731, les Ottomans ont remporté une victoire décisive à Amadan contre les Perses, où le Chah Tahmas était présent. Cette victoire a permis la prise de plusieurs places fortes, affaiblissant les forces persanes. Pour éviter la perte totale de ses États, le Chah Tahmas a tenté de négocier la paix avec les Ottomans. Le 20 novembre, un conseil général à la Porte a examiné les propositions de paix du Chah, transmises par Achmet Pacha, le général de l'armée ottomane. Le Sultan a envoyé un officier avec des pleins pouvoirs pour négocier la paix, tout en maintenant des troupes aux frontières. Le 22 décembre, la prise de Tauris par Ali Pacha a renforcé la position ottomane, permettant au Sultan de durcir ses conditions de paix. Cependant, des courriers ont rapporté que la paix ne pouvait être conclue sans la restitution de Tauris aux Perses, plongeant la Porte dans l'embarras. Un conseil général a été convoqué et il a été décidé de continuer la guerre si Tauris n'était pas restitué. Le Sultan a envoyé des émissaires pour évaluer la situation des armées et les intentions d'Achmet Pacha, suspecté de trahison. Le 25 mars, une assemblée a demandé la ratification du traité de paix conclu par Achmet Pacha, mais le Sultan a préféré attendre le retour des émissaires. Le 1er mars, un grand conseil a discuté des affaires persanes. Les avis étaient partagés entre la nécessité de terminer la guerre et la volonté de conserver Tauris. Le Grand Vizir a convaincu le Sultan de ratifier le traité de paix, soulignant les ruines économiques et humaines causées par la guerre et l'honneur engagé par les pleins pouvoirs donnés à Achmet Pacha. Le texte mentionne également des troubles et des mécontentements dans l'armée perse et à Constantinople, ainsi qu'une conspiration contre le Grand Sultan, réprimée. Topal Osman Pacha, Grand Vizir, a été déposé le 12 mars et envoyé à Trebizonde. Ali-Pacha Tetferdar a été nommé Délegué pour exercer les fonctions de Grand Vizir en attendant un successeur. Le Marquis de Villeneuve, ambassadeur de France, a eu une audience avec le nouveau Grand Sultan le 3 octobre. Diverses décisions administratives ont été prises, comme la reconstruction des monastères à Galata et la déposition de Chahim Mehemet, ancien Capitain Pacha.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 2037-2045
LETTRE écrite de Constantinople le 12. Juillet 1732. Suite des affaires de Perse et de Turquie.
Début :
Précisément le même jour, Monsieur, c'est-à-dire, le huit du mois passé, que je vous [...]
Mots clefs :
Pacha , Constantinople, Perse, Turquie, Lettre, Sérasker
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite de Constantinople le 12. Juillet 1732. Suite des affaires de Perse et de Turquie.
LETTRE écrite de Constantinople le 12 .
Juillet 1732. Suite des affaires
de Perse et de Turquie.
Récisément le même jour , Monsieur , c'estPadise,etle du mois passé ,que je vous envoyai la Relation desConferences tenues àAmadan , au mois de Janvier dernier , entre les Plénipotentiaires de Perse et de Turquie , et dont le GV Résul-
2038 MERCURE DE FRANCE
Résultat servit de base au Traité de Paix qu'ils
signerent quelque- tems après , un Chokadar
d'Achmet , Pacha de Babilonne , arriva ici en
douze jours seulement , diligence extrême , qui
répondoit à l'importance des dépêches dont son
Maître l'avoit chargé , et par lesquelles ce Pacha
informoit la Porte , que Thamas Kouli- Khan
Eatemad- Doulet , ou premier Ministre du Roi
de Perse , après avoir remporté plusieurs victoires sur les Efghans ou Aghuans , qu'il avoit rencognez dans leurs Montagnes du Candahar, étoit
revenu en triomphe à Ispaham , qu'enflé de ses heureux succès , et se prévalant de ce qu'il a mis
en quelque façon Chah- Thamas sur le Trône de
ses Ancêtres , il avoit déclaré avec hauteur on arrivant , qu'il ne vouloit absolument point ratifier Traité honteux qu'on venoit de faire avec
les Turcs sans sa participation , prétendant qu'il
étoit en état d'en obtenir un plus honorable et
plus avantageux à la Perse , et qu'en conséquence ce Ministre lui avoit écrit , à lui Achmet , une
Lettre conçue à peu près en ces termes :
Vous qui êtes Pacha de Babilonné , nous vous
faisons sçavoir en premier lieu , que nous voulons
et prétendons être les maîtres d'aller en pleine liberté
et toutes les fois qu'il nous plaira , visiter les Tom- beaux de ⋆ l'Imam- Ali , de Gherbelai-Mahaladé,
de Mousa et d'Hussein. Secondement , que pour
faire nos pélerinages à ces faints Lieux avec la déAli , Gendre de Mahomet , Gherbelaï , fils de la fille de ce dernier ; Mousa et Hussein , fils
d'Ali , ont chacun leur Sépulture aux environs
de Babilonne , et tous ces Tombeaux font l'objet
de la plus profonde véneration des Persans.
cence
SEPTEMBRE. 1732. 2039
il tence , et les dispositions que notre Loi demande ,
faut auparavant que tous les Persans , qui ont été
pris dans la derniere guerre soient délivrez de leur
esclavage , et que comme le sang de nos autres freres, qui y ont peri fume encore , et crie vangeance
à leur Souverain , il faut aussi qu'il y en ait autant
de répandu des Sujets du G. S. que ceux-ci en ont
fait couler des Sujets du Roi de Perse. Nous sommes
bien-aises de vous faire part de nos sentimens , afin
que vous ne puissiez pas nous accuser de vous avoir
surpris,et que vous vous teniez sur vos gardes, Quant
à nous,nous nous préparons à aller bien- tôt à la tête de uotre Armée goûter la douceur de l'air que l'on respire dans les belles plaines de Bagdat , etfaire repaser nos Troupes fatiguées à l'ombre de ses murs.
A cette extraordinaire Lettre du premier Ministre de Perse , Achmet-Pacha en avoit joint
une autre de Baki- Pacha , Gouverneur de Kirman-cha , par laquelle ce dernier se plaignoit que contre la foi du Traité on avoit voulu le dépoüiller de son Gouvernement. Il faut sçavoir
pour entendre ceci , que depuis longues années ce Gouvernement est dans la famille de BakiPacha , et qu'à la sollicitation d'Achmet- Pacha
son Protecteur , on étoit convenu par un article
du dernier Traité de Paix , qu'il resteroit en place , quoiqu'il fut Turc et Sujet du G. S. et quoi
que Kirmancha rentrât sous la domination Per- mais que l'Edatemad- Donlet s'étant recrié
avec quelque raison contre cet article , dont l'exécution pourroit être pernicieuse à la Perse , et
ne voulant point garder de mesures avec les´
Turcs , avoit déposé de son autorité ce Gouver- neur , et lui avoit fait ordonner de remettre le
Commandement à un Persan qu'il envoyoit pour G vi
sane ,
le
2040 MERCURE DE FRANCE
le relever. Baki- Pacha écrivoit donc tout cela au
Seraskier- Achmet , et ajoûtoit , que non- seule- ment il avoit refusé l'entrée de la Ville au Successeur qu'on lui avoit envoyé , mais qu'il en
avoit fait fermer les portes , et qu'il étoit résolu
de s'y deffendre jusqu'à la derniere extrémité
avant que de ceder son poste à personne , que
d'ailleurs il pouvoit l'assurer qu'il y avoit plus
de 20000. hommes dans le Kirman , qui lui
étoient entierement dévoüez , et qu'il attendoit
ses ordres pour sçavoir de quelle maniere il devoit se comporter ; surquoi Acmet- Pacha lui *
avoit répondu , qu'il ne pouvoit lui en donner
aucun qu'il n'en eut reçû lui-même de la Porte
où il alloit mander tout ce qui se passoit.
La Porte aussi surprise qu'indignée des faux
prétextes et de l'air de fierté que prenoit ThamasKouli- Khan pour rompre une paix recente , que
les Persans avoient demandée , pour ainsi - dire à
genoux , et cela dans le tems qu'elle venoit de licencier une partie de ses Troupes , et de retirer
l'autre des Frontieres , la Porte , dis-je , se trouva comme elle se trouve encore dans un grand
embarras Cependant le Grand-Visir ayant convoqué pendant plusieurs jours des Assemblées
générales au Serrail pour décider sur le partî
qu'il y avoit à prendre dans une conjoncture si
délicate , et celui de la guerre ayant parû d'une
nécessité inévitable , l'opinion génerale fut de la
recommencer avec plus de . vigueur que jamais
et de ne la finir que pour la destruction des Persans , de la part desquels il ne falloit plus écouter aucune proposition.
On expédia en même- tems des Courriers à Topal- Osman , Pacha de Trebisonde , ci-devant Grand
>
SEPTEMBRE. 1732. 2041
Grand Vizir , et a d'autres Pachas pour leur
porter des ordres d'assembler à la hâte le plus
de Troupes qu'ils pourroient , et de passer en
toute diligence en Géorgie , afin de mettre à
couvert , s'il étoit possible , Ghendge , Tiflis
Erivan , &c. des entreprises du premier Minis- tre Persan ; et le G. S. donna le Commandement
de la nouvelle Armée à ce même Topal - Osman ,
comme le plus capable de faire tête à l'en- nemi.
En effet , tout le monde convient que le Sultan
ne pouvoit en cette occasion honorer personne
de sa confiance qui en fut plus digne que TopalOsman : outre que ce Pacha est d'une bravoure
et d'une expérience éprouvée par un grand nombre de campagnes et de belles actions , il doit
être animé de la plus terrible vangeance contre
les violateurs de la derniere paix , proprement
son ouvrage , et pour la conclusion de laquelle
on peut dire , qu'il s'étoit comme sacrifié luimême ; sans compter que , s'il y a jour à la renoüer , il sera encore plus propre que personne
à profiter des moyens que les circonstances pour- ront lui en offrir.
-La Porte appréhendant d'un autre côté , que
Thamas Kouli Khan ne tombe sur Bagdad avec
son Armée , que l'on dit être de 60000. hommes , et qu'il ne sempare de cette importante
Place , quoiqu'Achmet- Pacha ait mandé en s'y
renfermant , qu'il étoit en état de tenir trois
mois , des ordres ont été expédiez par tout l'Empire , pour envoyer à ce Gouverneur des secours
d'hommes et de munitions ; et afin de vaincre la
répugnance que les Soldats témoignent de retourner en Perse , on leur a augmenté à tous.
leur paye de quelques aspres.
Од
2042 MERCURE DE FRANCE
On ne peut pas encore sçavoir de quel succès
aura été suivi ce renouvellement de guerre ,
soit
pour les Turcs , soit pour les Persans ; mais un
bruit se répandit ici le même jour qu'on y
apprit la rupture de la paix , sçavoir que ChahThamas n'y avoit aucune part , ce bruit vient
de se confirmer par les dernieres dépêches
d'Achmet- Pacha , qu'un Tartare a remises à la Porte le 4. de ce mois.
Ce Seraskier en envoyant une Lettre que le
Roi de Perse lui avoit adressée pour le G. S.
mande que ce Prince lui en avoit aussi écrit une
par laquelle il l'assuroit qu'il étoit dans la ferme
intention d'éxécuter de sa part tous les articles
du Traité conclu depuis peu ; qu'il désavoüoit
en tout son premier Ministre , et que le regar- dant comme un Sajet qui s'étoit soustrait à l'obéissance de son Roi , il alloit non- seulement le
poursuivre , mais que dans l'incertitude , si le
sort favoriseroit ses armes , il prioit le G. S. de
se joindre à lui , pour employer leurs forces de
concert à réduire ce rebelle , et à faire rentrer
dans leur devoir les Troupes qu'il commande ;
ajoutant que l'histoire fournissoit assez d'éxemples que des Pachas avoient désolé l'Empire Ottoman par des révoltes contre leurs Empereurs que l'Eatemad- Doulet les imitoit aujourd'hui
mais qu'il esperoit que Sa Hautesse ayant égard à la malheureuse situation des affaires de Perse
maintiendroit dans son entier le dernier Traité
de Paix qu'ils avoient conclu ensemble par leurs
Plénipotentia.res respectifs , et duquel il protes- toit de nouveauqu'il ne vouloit s'écarter en rien.
Malgré ces belles assûrances , et quoique d'autres avis portent , qu'effectivement Thamas-
>
Koali
SEPTEMBRE. 1732 2043 Kouli-Khan enorgueilli d'avoir subjugué le Candahar , fait mourir Acheraf , et extermine jusqu'au dernier de la race de ce fameux usurpateur,
abusoit du crédit qu'il s'étoit acquis en Perse , et
donnoit lieu de soupçonner par son humeur al- tiere et ambitieuse , qu'il songeoit à usurper la
Couronne de son Maître ; inalgré tout cela , dis-je , la bonne-foi des Persans est si fort
décriée , que bien des gens pensent ici , que c'est
un nouvel artifice , et que ce Prince d'intelligence avec son premier Ministre et avec quelques
Puissances voisines , ne cherche qu'à amuser les
Turcs , au moins à ralentir l'activite des mouvemens qu'ils se donnent , afin d'avoir le tems de
reprendre sur eux les pays qu'il leur a cedez par
la derniere paix , avant qu'ils ayent assemblé des forces suffisantes pour s'y opposer , ou pour se
préparer des voyes de raccommodement avec la
Porte , supposé qu'il échoue dans ses desseins
en rejettant sur l'Eatemaddoullet toute l'iniquité
de l'infraction du Traité. Je passe sous silence
beaucoup d'autres raisonnemens qui se font ici
sur les causes de cette infraction , en attendanţ
que le tems nous en ait dévoilé le mistere.
Bekir- Pacha , qui étoit Gouverneur de Cutaya,
ayant été nommé Capitan - Pacha , arriva ici
le 13 du mois passé , et fut instalé dans cette dignité avec les cérémonies ordinaires , Marabou ·
son Prédécesseur fut renvoyé chez lui. Le lendemain , ce nouveau Général de la Mer , épousa une
Sultane , sœur du G. S. régnant , et veuve du
G. V. Numan. Pacha , de la Famille des Cuperlis.
Les nouveaux mariez furent un peu troublez la
premiere nuit de leurs nôces par un incendie qui
arriva au Fauxbourg de Cassum-Pacha , et qui étant
2041 MERCURE DE FRANCE
étant dans le voisinage de l'Arcenal , obligea le
Pacha-Bekir , à quitter la couche nuptiale pour
aller donner du secours ; mais sa présence , ni
celle du G. V. ni même le G. S. qui vint jus
qu'au bord de la Mer , ne pûrent empêcher que
le feu ne consummât en peu de tems une centaine de maisons ou de boutiques , dont la plupart
étoient à peine rebâties depuis l'embrasement qui
détruisit une partie de ce Fauxbourg l'année
passée.
La nuit du 19 au 16. il y eut encore un autre
incendie aux environs : le feu prit dans l'Arcenal
même , chez le Tersana-Emini , ou Intendant
de la Marine ; son vaste Palais fut réduit en cendres avec tous ses meubles ; les Archives ; les
Registres , et les autres papiers de la Marine
dont on ne pût rien sauver du tout encore ce fut un grand bonheur que l'air se trouva calme: pour peu qu'il eut fait de vent , il auroit été
presqu'impossible de garantir des flammes tour
P'Arsenal , et les Vaisseaux du G. S. qui sont auprès.
Quoique Marabou , Capitan-Pacha déposé ,
soit généralement reconnu pour un bon homme,
ces deux incendies arrivez coup sur coup , firent
soupçonner que pour se vanger de sa déposition ,
il étoit complice des incendiaires ; car on trouva,
dit on , des matieres combustibles en plusieurs
endroits , mais on n'a pû découvrir aucun incendiaire. Quoiqu'il en soit , la Porte l'avoit éxilé
à Lemnos , et il y fut embarqué pour cet effer
sur une Galere ; cependant ses amis ayant intercedé fortement pour lui , et prouvé son innocence, on le renvoya dans sa maison pour la seconde fois , au bout de huit ou dix jours.
La
SEPTEMBRE. 1732. 2045
La peste , qui a fait beaucoup de ravages en
Sirie cette année- ci , s'est manifestée à Constantinople depuis le commencement de ce mois ,
d'où elle s'est répanduë à Galata , à Pera , et dans
les autres Fauxbourgs , et s'il en faut juger par
la Saison où elle commence , il est à craindre
qu'elle ne fasse de terribles progrès. Je suis , &c.
L
P. V. D.
Juillet 1732. Suite des affaires
de Perse et de Turquie.
Récisément le même jour , Monsieur , c'estPadise,etle du mois passé ,que je vous envoyai la Relation desConferences tenues àAmadan , au mois de Janvier dernier , entre les Plénipotentiaires de Perse et de Turquie , et dont le GV Résul-
2038 MERCURE DE FRANCE
Résultat servit de base au Traité de Paix qu'ils
signerent quelque- tems après , un Chokadar
d'Achmet , Pacha de Babilonne , arriva ici en
douze jours seulement , diligence extrême , qui
répondoit à l'importance des dépêches dont son
Maître l'avoit chargé , et par lesquelles ce Pacha
informoit la Porte , que Thamas Kouli- Khan
Eatemad- Doulet , ou premier Ministre du Roi
de Perse , après avoir remporté plusieurs victoires sur les Efghans ou Aghuans , qu'il avoit rencognez dans leurs Montagnes du Candahar, étoit
revenu en triomphe à Ispaham , qu'enflé de ses heureux succès , et se prévalant de ce qu'il a mis
en quelque façon Chah- Thamas sur le Trône de
ses Ancêtres , il avoit déclaré avec hauteur on arrivant , qu'il ne vouloit absolument point ratifier Traité honteux qu'on venoit de faire avec
les Turcs sans sa participation , prétendant qu'il
étoit en état d'en obtenir un plus honorable et
plus avantageux à la Perse , et qu'en conséquence ce Ministre lui avoit écrit , à lui Achmet , une
Lettre conçue à peu près en ces termes :
Vous qui êtes Pacha de Babilonné , nous vous
faisons sçavoir en premier lieu , que nous voulons
et prétendons être les maîtres d'aller en pleine liberté
et toutes les fois qu'il nous plaira , visiter les Tom- beaux de ⋆ l'Imam- Ali , de Gherbelai-Mahaladé,
de Mousa et d'Hussein. Secondement , que pour
faire nos pélerinages à ces faints Lieux avec la déAli , Gendre de Mahomet , Gherbelaï , fils de la fille de ce dernier ; Mousa et Hussein , fils
d'Ali , ont chacun leur Sépulture aux environs
de Babilonne , et tous ces Tombeaux font l'objet
de la plus profonde véneration des Persans.
cence
SEPTEMBRE. 1732. 2039
il tence , et les dispositions que notre Loi demande ,
faut auparavant que tous les Persans , qui ont été
pris dans la derniere guerre soient délivrez de leur
esclavage , et que comme le sang de nos autres freres, qui y ont peri fume encore , et crie vangeance
à leur Souverain , il faut aussi qu'il y en ait autant
de répandu des Sujets du G. S. que ceux-ci en ont
fait couler des Sujets du Roi de Perse. Nous sommes
bien-aises de vous faire part de nos sentimens , afin
que vous ne puissiez pas nous accuser de vous avoir
surpris,et que vous vous teniez sur vos gardes, Quant
à nous,nous nous préparons à aller bien- tôt à la tête de uotre Armée goûter la douceur de l'air que l'on respire dans les belles plaines de Bagdat , etfaire repaser nos Troupes fatiguées à l'ombre de ses murs.
A cette extraordinaire Lettre du premier Ministre de Perse , Achmet-Pacha en avoit joint
une autre de Baki- Pacha , Gouverneur de Kirman-cha , par laquelle ce dernier se plaignoit que contre la foi du Traité on avoit voulu le dépoüiller de son Gouvernement. Il faut sçavoir
pour entendre ceci , que depuis longues années ce Gouvernement est dans la famille de BakiPacha , et qu'à la sollicitation d'Achmet- Pacha
son Protecteur , on étoit convenu par un article
du dernier Traité de Paix , qu'il resteroit en place , quoiqu'il fut Turc et Sujet du G. S. et quoi
que Kirmancha rentrât sous la domination Per- mais que l'Edatemad- Donlet s'étant recrié
avec quelque raison contre cet article , dont l'exécution pourroit être pernicieuse à la Perse , et
ne voulant point garder de mesures avec les´
Turcs , avoit déposé de son autorité ce Gouver- neur , et lui avoit fait ordonner de remettre le
Commandement à un Persan qu'il envoyoit pour G vi
sane ,
le
2040 MERCURE DE FRANCE
le relever. Baki- Pacha écrivoit donc tout cela au
Seraskier- Achmet , et ajoûtoit , que non- seule- ment il avoit refusé l'entrée de la Ville au Successeur qu'on lui avoit envoyé , mais qu'il en
avoit fait fermer les portes , et qu'il étoit résolu
de s'y deffendre jusqu'à la derniere extrémité
avant que de ceder son poste à personne , que
d'ailleurs il pouvoit l'assurer qu'il y avoit plus
de 20000. hommes dans le Kirman , qui lui
étoient entierement dévoüez , et qu'il attendoit
ses ordres pour sçavoir de quelle maniere il devoit se comporter ; surquoi Acmet- Pacha lui *
avoit répondu , qu'il ne pouvoit lui en donner
aucun qu'il n'en eut reçû lui-même de la Porte
où il alloit mander tout ce qui se passoit.
La Porte aussi surprise qu'indignée des faux
prétextes et de l'air de fierté que prenoit ThamasKouli- Khan pour rompre une paix recente , que
les Persans avoient demandée , pour ainsi - dire à
genoux , et cela dans le tems qu'elle venoit de licencier une partie de ses Troupes , et de retirer
l'autre des Frontieres , la Porte , dis-je , se trouva comme elle se trouve encore dans un grand
embarras Cependant le Grand-Visir ayant convoqué pendant plusieurs jours des Assemblées
générales au Serrail pour décider sur le partî
qu'il y avoit à prendre dans une conjoncture si
délicate , et celui de la guerre ayant parû d'une
nécessité inévitable , l'opinion génerale fut de la
recommencer avec plus de . vigueur que jamais
et de ne la finir que pour la destruction des Persans , de la part desquels il ne falloit plus écouter aucune proposition.
On expédia en même- tems des Courriers à Topal- Osman , Pacha de Trebisonde , ci-devant Grand
>
SEPTEMBRE. 1732. 2041
Grand Vizir , et a d'autres Pachas pour leur
porter des ordres d'assembler à la hâte le plus
de Troupes qu'ils pourroient , et de passer en
toute diligence en Géorgie , afin de mettre à
couvert , s'il étoit possible , Ghendge , Tiflis
Erivan , &c. des entreprises du premier Minis- tre Persan ; et le G. S. donna le Commandement
de la nouvelle Armée à ce même Topal - Osman ,
comme le plus capable de faire tête à l'en- nemi.
En effet , tout le monde convient que le Sultan
ne pouvoit en cette occasion honorer personne
de sa confiance qui en fut plus digne que TopalOsman : outre que ce Pacha est d'une bravoure
et d'une expérience éprouvée par un grand nombre de campagnes et de belles actions , il doit
être animé de la plus terrible vangeance contre
les violateurs de la derniere paix , proprement
son ouvrage , et pour la conclusion de laquelle
on peut dire , qu'il s'étoit comme sacrifié luimême ; sans compter que , s'il y a jour à la renoüer , il sera encore plus propre que personne
à profiter des moyens que les circonstances pour- ront lui en offrir.
-La Porte appréhendant d'un autre côté , que
Thamas Kouli Khan ne tombe sur Bagdad avec
son Armée , que l'on dit être de 60000. hommes , et qu'il ne sempare de cette importante
Place , quoiqu'Achmet- Pacha ait mandé en s'y
renfermant , qu'il étoit en état de tenir trois
mois , des ordres ont été expédiez par tout l'Empire , pour envoyer à ce Gouverneur des secours
d'hommes et de munitions ; et afin de vaincre la
répugnance que les Soldats témoignent de retourner en Perse , on leur a augmenté à tous.
leur paye de quelques aspres.
Од
2042 MERCURE DE FRANCE
On ne peut pas encore sçavoir de quel succès
aura été suivi ce renouvellement de guerre ,
soit
pour les Turcs , soit pour les Persans ; mais un
bruit se répandit ici le même jour qu'on y
apprit la rupture de la paix , sçavoir que ChahThamas n'y avoit aucune part , ce bruit vient
de se confirmer par les dernieres dépêches
d'Achmet- Pacha , qu'un Tartare a remises à la Porte le 4. de ce mois.
Ce Seraskier en envoyant une Lettre que le
Roi de Perse lui avoit adressée pour le G. S.
mande que ce Prince lui en avoit aussi écrit une
par laquelle il l'assuroit qu'il étoit dans la ferme
intention d'éxécuter de sa part tous les articles
du Traité conclu depuis peu ; qu'il désavoüoit
en tout son premier Ministre , et que le regar- dant comme un Sajet qui s'étoit soustrait à l'obéissance de son Roi , il alloit non- seulement le
poursuivre , mais que dans l'incertitude , si le
sort favoriseroit ses armes , il prioit le G. S. de
se joindre à lui , pour employer leurs forces de
concert à réduire ce rebelle , et à faire rentrer
dans leur devoir les Troupes qu'il commande ;
ajoutant que l'histoire fournissoit assez d'éxemples que des Pachas avoient désolé l'Empire Ottoman par des révoltes contre leurs Empereurs que l'Eatemad- Doulet les imitoit aujourd'hui
mais qu'il esperoit que Sa Hautesse ayant égard à la malheureuse situation des affaires de Perse
maintiendroit dans son entier le dernier Traité
de Paix qu'ils avoient conclu ensemble par leurs
Plénipotentia.res respectifs , et duquel il protes- toit de nouveauqu'il ne vouloit s'écarter en rien.
Malgré ces belles assûrances , et quoique d'autres avis portent , qu'effectivement Thamas-
>
Koali
SEPTEMBRE. 1732 2043 Kouli-Khan enorgueilli d'avoir subjugué le Candahar , fait mourir Acheraf , et extermine jusqu'au dernier de la race de ce fameux usurpateur,
abusoit du crédit qu'il s'étoit acquis en Perse , et
donnoit lieu de soupçonner par son humeur al- tiere et ambitieuse , qu'il songeoit à usurper la
Couronne de son Maître ; inalgré tout cela , dis-je , la bonne-foi des Persans est si fort
décriée , que bien des gens pensent ici , que c'est
un nouvel artifice , et que ce Prince d'intelligence avec son premier Ministre et avec quelques
Puissances voisines , ne cherche qu'à amuser les
Turcs , au moins à ralentir l'activite des mouvemens qu'ils se donnent , afin d'avoir le tems de
reprendre sur eux les pays qu'il leur a cedez par
la derniere paix , avant qu'ils ayent assemblé des forces suffisantes pour s'y opposer , ou pour se
préparer des voyes de raccommodement avec la
Porte , supposé qu'il échoue dans ses desseins
en rejettant sur l'Eatemaddoullet toute l'iniquité
de l'infraction du Traité. Je passe sous silence
beaucoup d'autres raisonnemens qui se font ici
sur les causes de cette infraction , en attendanţ
que le tems nous en ait dévoilé le mistere.
Bekir- Pacha , qui étoit Gouverneur de Cutaya,
ayant été nommé Capitan - Pacha , arriva ici
le 13 du mois passé , et fut instalé dans cette dignité avec les cérémonies ordinaires , Marabou ·
son Prédécesseur fut renvoyé chez lui. Le lendemain , ce nouveau Général de la Mer , épousa une
Sultane , sœur du G. S. régnant , et veuve du
G. V. Numan. Pacha , de la Famille des Cuperlis.
Les nouveaux mariez furent un peu troublez la
premiere nuit de leurs nôces par un incendie qui
arriva au Fauxbourg de Cassum-Pacha , et qui étant
2041 MERCURE DE FRANCE
étant dans le voisinage de l'Arcenal , obligea le
Pacha-Bekir , à quitter la couche nuptiale pour
aller donner du secours ; mais sa présence , ni
celle du G. V. ni même le G. S. qui vint jus
qu'au bord de la Mer , ne pûrent empêcher que
le feu ne consummât en peu de tems une centaine de maisons ou de boutiques , dont la plupart
étoient à peine rebâties depuis l'embrasement qui
détruisit une partie de ce Fauxbourg l'année
passée.
La nuit du 19 au 16. il y eut encore un autre
incendie aux environs : le feu prit dans l'Arcenal
même , chez le Tersana-Emini , ou Intendant
de la Marine ; son vaste Palais fut réduit en cendres avec tous ses meubles ; les Archives ; les
Registres , et les autres papiers de la Marine
dont on ne pût rien sauver du tout encore ce fut un grand bonheur que l'air se trouva calme: pour peu qu'il eut fait de vent , il auroit été
presqu'impossible de garantir des flammes tour
P'Arsenal , et les Vaisseaux du G. S. qui sont auprès.
Quoique Marabou , Capitan-Pacha déposé ,
soit généralement reconnu pour un bon homme,
ces deux incendies arrivez coup sur coup , firent
soupçonner que pour se vanger de sa déposition ,
il étoit complice des incendiaires ; car on trouva,
dit on , des matieres combustibles en plusieurs
endroits , mais on n'a pû découvrir aucun incendiaire. Quoiqu'il en soit , la Porte l'avoit éxilé
à Lemnos , et il y fut embarqué pour cet effer
sur une Galere ; cependant ses amis ayant intercedé fortement pour lui , et prouvé son innocence, on le renvoya dans sa maison pour la seconde fois , au bout de huit ou dix jours.
La
SEPTEMBRE. 1732. 2045
La peste , qui a fait beaucoup de ravages en
Sirie cette année- ci , s'est manifestée à Constantinople depuis le commencement de ce mois ,
d'où elle s'est répanduë à Galata , à Pera , et dans
les autres Fauxbourgs , et s'il en faut juger par
la Saison où elle commence , il est à craindre
qu'elle ne fasse de terribles progrès. Je suis , &c.
L
P. V. D.
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Résumé : LETTRE écrite de Constantinople le 12. Juillet 1732. Suite des affaires de Perse et de Turquie.
En juillet 1732, des tensions émergent entre la Perse et la Turquie. Le 12 juillet, un messager informe la Porte ottomane que Thamas Kouli Khan, premier ministre du roi de Perse, refuse de ratifier le traité de paix récemment signé avec les Turcs après avoir vaincu les Efghans. Il exige la liberté de visite des tombeaux sacrés des imams Ali, Gherbelai, Mousa et Hussein, la libération des Persans capturés, et des représailles pour les pertes subies. Parallèlement, Baki Pacha, gouverneur de Kirmancha, se plaint d'avoir été déposé malgré les accords de paix. La Porte ottomane, surprise et indignée, décide de reprendre les hostilités. Topal Osman est nommé commandant de la nouvelle armée pour défendre les territoires menacés. Des renforts sont envoyés à Bagdad pour contrer une éventuelle attaque perse. Cependant, des rumeurs circulent que le roi de Perse désavoue son ministre et souhaite maintenir le traité de paix, bien que la bonne foi des Persans soit mise en doute. Par ailleurs, Bekir Pacha est nommé Capitan Pacha et épouse une sultane. Deux incendies surviennent à Constantinople, mais les responsables ne sont pas identifiés. La peste, qui a ravagé la Syrie, apparaît à Constantinople et menace de se propager.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
13
p. 2785-2797
LETTRE de M.... écrite à M. de ... Commandeur de l'Ordre de S. Jean de Jerusalem, au sujet d'un Livre nouveau intitulé: La Vie de Messire François Picquet, &c.
Début :
Le Livre dont vous me parlez, Monsieur, est également curieux et édifiant, [...]
Mots clefs :
Ordre de saint Jean de Jerusalem, Livre, Journal de Verdun, Doutes, François Picquet, Consulat, Alep, Pacha , Historien, Mosquée
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M.... écrite à M. de ... Commandeur de l'Ordre de S. Jean de Jerusalem, au sujet d'un Livre nouveau intitulé: La Vie de Messire François Picquet, &c.
LETTRE de M.... écrite à M. de...
Commandeur de l'Ordre de S. Jean de
Jerusalem , au sujet d'un Livre nouveau
intitulé : La Vie de Messire François Pic
quet , &c.
E Livre dont vous me parlez , Mon
Li ,
→
fiant , il mérite que vous le lisiez avec
attention dès que vous serez de retour de votre Campagne. Le peu que
vous en avez vû dans le petit Journal de Verdun , n'est pas , comme vous
dites , suffisant pour vous instruire ; il l'a
été seulement pour exciter votre curiosité et pour former quelques doutes , que
vous me chargez d'éclaircir , les Journaux Litteraires n'en ayant point encore
parlé.
Le premier de ces doutes roule sur ces
paroles du Journaliste , page 175. du
mois de Septembre. En 1662. M. Pičquet revint en Europe, sans renoncer au Consulat d'Alep , qu'ilfit exercerparM. Baron.
II. Vol. C
Ces iiij
2786 MERCURE DE FRANCE
Ces paroles font , sans doute , entendre
que M. Baron ne fut que le Substitut de
M. Picquet , et que celui- cy étant toûjours le maître du Consulat d'Alep , il y
commit une personne à sa dévotion, &c.
Votre interprétation est juste , Monsieur,
mais le fondement en est peu solide. Les
termes que je viens de rapporter sont
entierement du Journaliste;l'Historien de
M. Picquet ne parle point ainsi , et vous
avez eû grande raison de douter que
M. Baron , dont vous avez connu la famille , fort superieure à celle de M. Picquet , dont vous avez , dis- je , vû les Neveux se distinguer dans votre Ordre , ait
jamais été le Substitut d'un Consul d'Alep.
Mais comme je ne sçaurois bien remplir tout ce que vous exigez de moi au
sujet de ce nouveau Livre , sans le lire
attentivement d'un bout à l'autre , je ne
vous dis rien de plus ici sur cet article. L'occasion d'en parler reviendra à
la suite de mes Observations , que je soumets d'avance toutes à vos lumieres , ne
les ayant entreprises que pour vous obéïr,
et pour perfectionner un Ouvrage qui mérite l'attention de tous les gens de bien.
En voici d'abord le Titre. LA VIE de
Messire François Picquet , Consul de Franse et de Hollande à Alep ; ensuite Evêque
II. Vol. de
DECEMBRE 1732. 2787
de Cesarople,puis de Babylone, Vicaire Apos
tolique en Perse ; avec titre d'Ambassadeur
du Roy auprès du Roy de Perse , contenant
plusieurs évenemens curieux , arrivez dans
le temps de son Consulat et de son Episcopat, dans les Etats de Turquie et de Perse ,
et dans les Eglises des deux Empires.Divisée
en trois Livres , 1. vol. in 8. de 543. pages
sans la Préface et la Table. A Paris,
chez la Veuve Mergé , ruë S. Jacques ,
M. DCC. XXXII.
Une assez longue Préface contient d'abord l'Eloge de M. Picquet, lequel ne présente rien que de vrai, et de fort touchant.
Elle indique ensuite les sources où l'on a
puisé les Memoires qui ont servi à écrire
I'Histoire de sa vie. On distingue particulierement ici François Malaval , ce sçavant Aveugle de Marseille , qui avoit autrefois projetté de composer lui - même
cette Histoire , et qui a fourni des lumieres et des secours considerables pour l'exc
cution de celle dont il est question . Les
autres personnes qui ont concouru au
même dessein , sont aussi nommées avec
distinction dans la même Préface. X
LIVRE I. qui comprend les commencemens
de la vie de M. Picquet , l'Histoire de son
Consulat et divers evenemens concernant les
Eglises du Levant et de Turquie
II. Vol. Cv François
2738 MERCURE DE FRANCE
· François Piquet nâquit à Lyon le jour
de Pâques 12. Avfil 1626 ; il étoit fils de
Geofroy Picquet et d'Anne de Monery
l'un et l'autre d'une honnête et ancienne
Famille , que l'on mettoit au nombre des
Nobles de la ville de Lyon. L'Autheur
ajoute que Geofroy Picquet avoit été fort
riche , et qu'il passoit pour l'un des plus
considerables Banquiers de Lyon , qui
avoit le plus de crédit et de correspondances dans toutes les Places de l'Europe.
Je passe , Monsieur , les prémices de la
piété et les premieres études de ce serviteur de Dieu , qui avançoit à grands pas
dans la carriere de la vertu à mesure qu'il
croissoit en âge ; je passe aussi ses voyages
en divers endroits de l'Italie dont il vit les
principales Villes , et dont il ne revint à
Lyon que vers la fin de l'année 1650.
En 1652 le Consulat d'Alep , dont on
décrit ici l'importance et les avantages ,
étant venu à vacquer par la mort de M.
Bonin de Marseille , M. Picquet fut nommé par la Chambre du Commerce pour
remplir cette Charge , et la Cour approuva ce choix ,
Il s'embarqua à Marseille au mois de
Septembre de la même année , et après
avoir débarqué à Alexandrete il se rendit
à Alep au commencement de Decembre.
` II. Vol. On
DECEMBRE. 1732. 2789
On lui fit une Réception magnifique ;
tous les Consuls à la tête de leur Nation
vinrent le recevoir à l'entrée de la Ville ,
et le conduisirent jusqu'à son Palais &c.
Il faut passer ce terme , souvent employé
dans cette Histoire pour signifier la Mai son du Consul.
Il donna dabord toute son application
au rétablissement des affaires du Commerce, que la mauvaise foi des Marchands
et l'avarice insatiable des Gouverneurs
avoient fortdérangées. LePacha d'alors s'ap
pelloit Bichir , et non pas Bicier , comme
le nomme notre Autheur ; ses violences
et ses injustices l'avoient rendu fameux
dans l'Orient , et on parloit encore de lui
quand j'étois dans la Syrie. M. Picquet
vintcependantà bout de réprimer ses véxations ; il obtint des ordres précis de la
Porte , par lesquels il lui fut deffendu de
les continuer , et enjoint de donner une
entiere satisfaction au Consul de France ,
et de vivre desormais en bonne intelligence avec lui.
Divers incidens troublerent depuis cette
intelligence ; mais ils ne servirent qu'à
faire paroître la fermeté et la sagesse de
notre Consul qui eut toujours l'avantage
sur le Pacha , et maintint hautement les
droits et la gloire de la Nation.
II. Vol. C vj Je
2750 MERCURE DE FRANCE
Je ne puis m'empêcher , Monsieur, de
vous dire ici que le narré de l'un de ces
incidens est une espece d'énigme pour
moi , je ne sçai si vous en comprendrez
mieux le sens ? Voici de quoi il s'agit.
» Le courage de ce brave Consul parut
>> encore , dit notre Historien , lorsque son
>> Vice- Consul étant investi dans sa Maison , qui étoit à l'extrêmité d'un fau-
»bourg, par 500 Mores , il alla lui- même
»à son secours à la tête de 200 François ,
» et les chargea si vigoureusement , qu'ils
furent obligez de prendre la fuite , et de
»lui laisser la gloire d'avoir purgé la cam-
» pagne de tous ces brigands , à la grande
»confusion du Pacha , qui negligeoit un
»devoir si essentiel à sa charge &c.
Tout le monde sçait que le Consul d'Alep n'a point de Vice-Consul dans cette
même Ville ; il y seroit fort inutile. Il
n'est pas moins certain que la Syrie n'est
pas le pays des Mores : d'où seroient donc
venus ceux qui investirent la Maison en
question ? M. le Chevalier Monier , originaire d'Alep, que vous avez fort connu
à Paris chez le Cardinal de Noailles , qui
a lu tous des premiers cette vie de M. Picquet, m'a avoué qu'il n'avoit pas mieux
compris que moi l'endroit dont je viens
de parler.
II. Vol. Cependant
DECEMBRE. 1732. 2791
Cependant les affaires du Commerce set
rétablissant de jour en jour , les Droits du
Consulat grossirent à proportion , et M.
Picquet se fit en peu de tems un gros re- venu. Rien n'est plus édifiant que de voir
dans le Livre même le saint usage qu'il
sçut en faire , et le détail de ses grandes
aumônes , particulierement envers les Ecclésiastiques et les pauvres Eglises du pays.
Ce détail est suivi du recit de la révolte du Pacha d'Alep , contre lequel le Grand Vizir envoya Mortasa et non pas Mourthesar , son Lieutenant , avec un corps de
troupes pour les opposer à ce Rebelle , et
pour commander en sa place dans Alep ,
ce qui ayant été heureusement executé , le
nouveau Pacha donna plusieurs témoignages d'estime et de considération à M.
Picquet , jusqu'à faire pendre le Grand
Douannier devant la porte du Palais
de France , pour vanger les injures qu'il
avoit faites à la Nation dans l'exercice de sa Charge , du tems du Pacha rebelle.
Les Gouverneurs Turcs ne visitent jamais personne , et ils affectent surtout de
ne pas se mesurer avec les Consuls : c'est
beaucoup quand ils s'acquittent à leur
égard des bienseances reglées. Cependant
le nouveau Pacha prévenu d'estime et
II. Vol. d'une
2792 MERCURE DE FRANCE
d'une amitié particuliere pour M. Picquet
lui rendit une visite. Le Consulde son côté
répondit tout de son mieux à cet honneur
extraordinaire, il regala le Pacha, et quand
celui-cy montoit à cheval pour s'en retourner , étant survenu une grosse pluye , M.
Picquet lui fit présenter un très- beau Manteau d'écarlate de Venise , doublé de bro
card d'or.
Le Pacha revint encore quelques jours
aprés chez le Consul pour demander
ses conseils au sujet de l'Armée des Rebelles , qui étoit encore assemblée , et
suivoit la fortune de Bichir Pacha.
La bienfeance et les suites de cette affaire
engagerent M. Picquet de visiter à son
tour le Pacha , qui lui rendit de grands
honneurs accompagnez de quelques présens , sçavoir une veste de drap verd , couleur cherie des Mahometans , et interdite
aux Chrétiens dans le Levant , une Pelisse , ou Fourure de Chameau , et le plus
beau Cheval de son Ecurie richement harnaché. La Pelisse de Chameau vous fera
sans doute rire , c'est apparemment une
méprise que je voudrois bien rejetter sur
'Imprimeur, s'il étoit possible , quoiqu'elle ne soit pas marquée dans l'Errata. Vous
sçavez ce que c'est que le poil et le cuir
d'un Chrmeau dont on fait seulement des
II. Vol.
cribles
DECEMBRE. 1732. 2793
cribles et d'autres usages les plus grossiers
Cette visite fut suivie de quelqu'autres
où toute ceremónie étoit bannie ; elles se
passoient dans la nuit pour conferer des
moyens de reduire les Chefs des Rebelles
et de dissiper leur Armée. Le Pacha et le
Consul convinrent enfin d'un moyen qui
fut éxecuté de la maniere qui suit.
Un jour de vendredi , destiné chez les
Mahometans à l'Assemblée generale et
aux Prieres publiques dans la principale
Mosquée , dans le tems de la plus grande
application des Assistans , 12 Imans ou
Ministres de la Religion , pratiquez par
le Pacha , tomberent brusquement sur les
Chefs des Rebelles et leur couperent la
tête. Le Pacha sortit en même tems de la
Ville avec l'Etendart de la Loi , qui fut
incontinent suivi par les troupes rebelles ,
et la tranquillité se rétablit aussi- tôt. C'est
ainsi , dit notre Historien , que Mortasa
assisté des lumieres et du conseil de M.
Picquet , remporta sur Bichir et les compagnons de sa revolte une victoire &c.
Il se trompe au reste dans ce narré, lorsqu'en expliquant le terme d'Iman , il dit
que ce sont chez les Turcs une espece de
Prêtres qui exercent leurs fonctions hors
la ville. Les Imans sont employez dans les
grandes villes , comme dans les petites
II. Vol. -Mosquées
2794 MERCURE DE FRANCE
Mosquées , il y en a à sainte Sophie et
dans les autres Mosquées Royales de Cons
tantinople , et par tout où les Mahométans ont des Temples.
Cette sanglante Tragedie , qui augmenta la bonne intelligence entre le Pacha d'Alep et le Consul François , fut suivie peu de tems après d'un spectacle plus
agréable ; c'est la fameuse Comedie de Pastor
Fido , dont M. le Consul voulut régaler le
Pacha. On dressa un Théatre dans la Maison Consulaire : la décoration en étoit
magnifique et bien entendue , et la Piece
fut executée avec tant de succès par de
jeunes Marchands François , que le Pacha
leur fit offrir un présent de deux mille
Piastres , lequel ne fut point accepté. Le
Gouverneur fut charmé de cette Piece
surtout de la belle Symphonie dont chaque Scene étoit suivie. Il y a beaucoup
d'apparence que c'est tout ce que les Turcs
purent admirer.
>
Le Pacha voulut regaler à son tour le
Consul et laNationFrançoise d'uneComédie Turque , laquelle fut representée dans
son Serrail par les meilleurs Acteurs du
Pays , et qui parut , dit notre Autheur ,
avoir son agrément dans l'esprit de nos
François. Ceux- ci ne manquerent pas ,
sans doute , de complaisance ; car vous
II. Vol. n'ignorez
DECEMBR E. 1732 2795
n'ignorez pas , Monsieur , que les Turcs
n'ont ni regles, ni genie pour ces sortes de
spectacles ; témoin celui dont je crois de
vous avoir parlé , et où je me suis trouvé
un jour chez le Pacha de Damas , qui n'étoit rempli que de boufonneries , quelquefois assez grossieres , et dont la derniere Scene fut un bizarre travestissement
des Acteurs,qui parurent habillez à la Françoise avec des Perruques &c. ce qui augmenta les éclats de rire et combla le plaisir des Spectateurs.
C'est à cette occasion que le Pacha d'Alep offrit au vertueux Consul deux des
plus belles filles et des principales Familles Turques de la Ville , qui avoient assisté à cette Comédie , offre qui fut bien
loin rejettée , et sur laquelle le Consul
s'excusa , en faisant confidence au Pacha
du Vou qu'il avoit fait de quitter le
monde pour embrasser l'Etat Ecclesiastique , comme il l'éxecuta quelques années
après.
M. Picquet n'avoit alors que trente ans ,
ce qui acheva de lui gagner l'estime et
l'amitié du Gouverneur. C'est à peu près
dans ce même tems que la République
de Hollande le choisit pour son Consul à
Alep et dans ses dépendances : l'agrément
du Roi est ici sous-entendu.
II. Vol. J.
2796 MERCURE DE FRANCE
Je ne suivrai point notre Historien
dans tout ce qu'il ajoûte des differens
effets du zele de ce Consul , pour affermir
les Catholiques Orientaux dans la Foi , et
pour soumettre les Schismatiques à l'Eglise Romaine. Il eut une tendresse particuliere pour l'Eglise Maronite , toute
Catholique , du Mont Liban ; il faut voir
dans le Livre même tout ce qu'il a fait
pour cette Eglise , qui fut de son tems
extrêmement persecutée ; on ne peut rien
lire de plus édifiant ni de mieux touché.
L'article des Esclaves Chrétiens que le
pieux Consul soulageoit par ses aumônes , et dont il rompoit les fers quand il
le pouvoit , est encore de ce même caractere , on ne sçauroit le lire sans être
émû.
Je ne m'arrêterai point aussi à extraire
le détail de la disgrace qui survint au Pacha d'Alep , disgrace que l'Auteur attri
bue à l'étroite union qu'il avoit avec le
Consul François , laquelle donna de l'ombrage au G. S. et au G. Viz. M. Picquet
déplora le malheureux sort de son ami
qui fût conduit comme un criminel à
Constantinople ; » craignant que la gran-
» de liaison qu'il avoit eue avec ce Pacha
» ne lui fut¯nuisible ; parce que dans ce
» pays là on ne manque pas de se défaire
II. Vol.
D d'u-
DECEMBRE. 1732 2797
» d'une personne sans bruit ; it résolut de
» se retirer , mais le Seigneur , qui vou-
>> loit encore se servir de son ministere
» pour le bien des Pauvres et de la Reli-
» gion , lui fit differer de deux ans l'exe-
»cution de son dessein.
Je m'arrête ici , Monsieur , pour ne
point trop fatiguer votre attention , et
pour préparer dans une seconde Lettre
la suite de cet Extrait et de mes petites
Remarques. Je suis , &c.
Commandeur de l'Ordre de S. Jean de
Jerusalem , au sujet d'un Livre nouveau
intitulé : La Vie de Messire François Pic
quet , &c.
E Livre dont vous me parlez , Mon
Li ,
→
fiant , il mérite que vous le lisiez avec
attention dès que vous serez de retour de votre Campagne. Le peu que
vous en avez vû dans le petit Journal de Verdun , n'est pas , comme vous
dites , suffisant pour vous instruire ; il l'a
été seulement pour exciter votre curiosité et pour former quelques doutes , que
vous me chargez d'éclaircir , les Journaux Litteraires n'en ayant point encore
parlé.
Le premier de ces doutes roule sur ces
paroles du Journaliste , page 175. du
mois de Septembre. En 1662. M. Pičquet revint en Europe, sans renoncer au Consulat d'Alep , qu'ilfit exercerparM. Baron.
II. Vol. C
Ces iiij
2786 MERCURE DE FRANCE
Ces paroles font , sans doute , entendre
que M. Baron ne fut que le Substitut de
M. Picquet , et que celui- cy étant toûjours le maître du Consulat d'Alep , il y
commit une personne à sa dévotion, &c.
Votre interprétation est juste , Monsieur,
mais le fondement en est peu solide. Les
termes que je viens de rapporter sont
entierement du Journaliste;l'Historien de
M. Picquet ne parle point ainsi , et vous
avez eû grande raison de douter que
M. Baron , dont vous avez connu la famille , fort superieure à celle de M. Picquet , dont vous avez , dis- je , vû les Neveux se distinguer dans votre Ordre , ait
jamais été le Substitut d'un Consul d'Alep.
Mais comme je ne sçaurois bien remplir tout ce que vous exigez de moi au
sujet de ce nouveau Livre , sans le lire
attentivement d'un bout à l'autre , je ne
vous dis rien de plus ici sur cet article. L'occasion d'en parler reviendra à
la suite de mes Observations , que je soumets d'avance toutes à vos lumieres , ne
les ayant entreprises que pour vous obéïr,
et pour perfectionner un Ouvrage qui mérite l'attention de tous les gens de bien.
En voici d'abord le Titre. LA VIE de
Messire François Picquet , Consul de Franse et de Hollande à Alep ; ensuite Evêque
II. Vol. de
DECEMBRE 1732. 2787
de Cesarople,puis de Babylone, Vicaire Apos
tolique en Perse ; avec titre d'Ambassadeur
du Roy auprès du Roy de Perse , contenant
plusieurs évenemens curieux , arrivez dans
le temps de son Consulat et de son Episcopat, dans les Etats de Turquie et de Perse ,
et dans les Eglises des deux Empires.Divisée
en trois Livres , 1. vol. in 8. de 543. pages
sans la Préface et la Table. A Paris,
chez la Veuve Mergé , ruë S. Jacques ,
M. DCC. XXXII.
Une assez longue Préface contient d'abord l'Eloge de M. Picquet, lequel ne présente rien que de vrai, et de fort touchant.
Elle indique ensuite les sources où l'on a
puisé les Memoires qui ont servi à écrire
I'Histoire de sa vie. On distingue particulierement ici François Malaval , ce sçavant Aveugle de Marseille , qui avoit autrefois projetté de composer lui - même
cette Histoire , et qui a fourni des lumieres et des secours considerables pour l'exc
cution de celle dont il est question . Les
autres personnes qui ont concouru au
même dessein , sont aussi nommées avec
distinction dans la même Préface. X
LIVRE I. qui comprend les commencemens
de la vie de M. Picquet , l'Histoire de son
Consulat et divers evenemens concernant les
Eglises du Levant et de Turquie
II. Vol. Cv François
2738 MERCURE DE FRANCE
· François Piquet nâquit à Lyon le jour
de Pâques 12. Avfil 1626 ; il étoit fils de
Geofroy Picquet et d'Anne de Monery
l'un et l'autre d'une honnête et ancienne
Famille , que l'on mettoit au nombre des
Nobles de la ville de Lyon. L'Autheur
ajoute que Geofroy Picquet avoit été fort
riche , et qu'il passoit pour l'un des plus
considerables Banquiers de Lyon , qui
avoit le plus de crédit et de correspondances dans toutes les Places de l'Europe.
Je passe , Monsieur , les prémices de la
piété et les premieres études de ce serviteur de Dieu , qui avançoit à grands pas
dans la carriere de la vertu à mesure qu'il
croissoit en âge ; je passe aussi ses voyages
en divers endroits de l'Italie dont il vit les
principales Villes , et dont il ne revint à
Lyon que vers la fin de l'année 1650.
En 1652 le Consulat d'Alep , dont on
décrit ici l'importance et les avantages ,
étant venu à vacquer par la mort de M.
Bonin de Marseille , M. Picquet fut nommé par la Chambre du Commerce pour
remplir cette Charge , et la Cour approuva ce choix ,
Il s'embarqua à Marseille au mois de
Septembre de la même année , et après
avoir débarqué à Alexandrete il se rendit
à Alep au commencement de Decembre.
` II. Vol. On
DECEMBRE. 1732. 2789
On lui fit une Réception magnifique ;
tous les Consuls à la tête de leur Nation
vinrent le recevoir à l'entrée de la Ville ,
et le conduisirent jusqu'à son Palais &c.
Il faut passer ce terme , souvent employé
dans cette Histoire pour signifier la Mai son du Consul.
Il donna dabord toute son application
au rétablissement des affaires du Commerce, que la mauvaise foi des Marchands
et l'avarice insatiable des Gouverneurs
avoient fortdérangées. LePacha d'alors s'ap
pelloit Bichir , et non pas Bicier , comme
le nomme notre Autheur ; ses violences
et ses injustices l'avoient rendu fameux
dans l'Orient , et on parloit encore de lui
quand j'étois dans la Syrie. M. Picquet
vintcependantà bout de réprimer ses véxations ; il obtint des ordres précis de la
Porte , par lesquels il lui fut deffendu de
les continuer , et enjoint de donner une
entiere satisfaction au Consul de France ,
et de vivre desormais en bonne intelligence avec lui.
Divers incidens troublerent depuis cette
intelligence ; mais ils ne servirent qu'à
faire paroître la fermeté et la sagesse de
notre Consul qui eut toujours l'avantage
sur le Pacha , et maintint hautement les
droits et la gloire de la Nation.
II. Vol. C vj Je
2750 MERCURE DE FRANCE
Je ne puis m'empêcher , Monsieur, de
vous dire ici que le narré de l'un de ces
incidens est une espece d'énigme pour
moi , je ne sçai si vous en comprendrez
mieux le sens ? Voici de quoi il s'agit.
» Le courage de ce brave Consul parut
>> encore , dit notre Historien , lorsque son
>> Vice- Consul étant investi dans sa Maison , qui étoit à l'extrêmité d'un fau-
»bourg, par 500 Mores , il alla lui- même
»à son secours à la tête de 200 François ,
» et les chargea si vigoureusement , qu'ils
furent obligez de prendre la fuite , et de
»lui laisser la gloire d'avoir purgé la cam-
» pagne de tous ces brigands , à la grande
»confusion du Pacha , qui negligeoit un
»devoir si essentiel à sa charge &c.
Tout le monde sçait que le Consul d'Alep n'a point de Vice-Consul dans cette
même Ville ; il y seroit fort inutile. Il
n'est pas moins certain que la Syrie n'est
pas le pays des Mores : d'où seroient donc
venus ceux qui investirent la Maison en
question ? M. le Chevalier Monier , originaire d'Alep, que vous avez fort connu
à Paris chez le Cardinal de Noailles , qui
a lu tous des premiers cette vie de M. Picquet, m'a avoué qu'il n'avoit pas mieux
compris que moi l'endroit dont je viens
de parler.
II. Vol. Cependant
DECEMBRE. 1732. 2791
Cependant les affaires du Commerce set
rétablissant de jour en jour , les Droits du
Consulat grossirent à proportion , et M.
Picquet se fit en peu de tems un gros re- venu. Rien n'est plus édifiant que de voir
dans le Livre même le saint usage qu'il
sçut en faire , et le détail de ses grandes
aumônes , particulierement envers les Ecclésiastiques et les pauvres Eglises du pays.
Ce détail est suivi du recit de la révolte du Pacha d'Alep , contre lequel le Grand Vizir envoya Mortasa et non pas Mourthesar , son Lieutenant , avec un corps de
troupes pour les opposer à ce Rebelle , et
pour commander en sa place dans Alep ,
ce qui ayant été heureusement executé , le
nouveau Pacha donna plusieurs témoignages d'estime et de considération à M.
Picquet , jusqu'à faire pendre le Grand
Douannier devant la porte du Palais
de France , pour vanger les injures qu'il
avoit faites à la Nation dans l'exercice de sa Charge , du tems du Pacha rebelle.
Les Gouverneurs Turcs ne visitent jamais personne , et ils affectent surtout de
ne pas se mesurer avec les Consuls : c'est
beaucoup quand ils s'acquittent à leur
égard des bienseances reglées. Cependant
le nouveau Pacha prévenu d'estime et
II. Vol. d'une
2792 MERCURE DE FRANCE
d'une amitié particuliere pour M. Picquet
lui rendit une visite. Le Consulde son côté
répondit tout de son mieux à cet honneur
extraordinaire, il regala le Pacha, et quand
celui-cy montoit à cheval pour s'en retourner , étant survenu une grosse pluye , M.
Picquet lui fit présenter un très- beau Manteau d'écarlate de Venise , doublé de bro
card d'or.
Le Pacha revint encore quelques jours
aprés chez le Consul pour demander
ses conseils au sujet de l'Armée des Rebelles , qui étoit encore assemblée , et
suivoit la fortune de Bichir Pacha.
La bienfeance et les suites de cette affaire
engagerent M. Picquet de visiter à son
tour le Pacha , qui lui rendit de grands
honneurs accompagnez de quelques présens , sçavoir une veste de drap verd , couleur cherie des Mahometans , et interdite
aux Chrétiens dans le Levant , une Pelisse , ou Fourure de Chameau , et le plus
beau Cheval de son Ecurie richement harnaché. La Pelisse de Chameau vous fera
sans doute rire , c'est apparemment une
méprise que je voudrois bien rejetter sur
'Imprimeur, s'il étoit possible , quoiqu'elle ne soit pas marquée dans l'Errata. Vous
sçavez ce que c'est que le poil et le cuir
d'un Chrmeau dont on fait seulement des
II. Vol.
cribles
DECEMBRE. 1732. 2793
cribles et d'autres usages les plus grossiers
Cette visite fut suivie de quelqu'autres
où toute ceremónie étoit bannie ; elles se
passoient dans la nuit pour conferer des
moyens de reduire les Chefs des Rebelles
et de dissiper leur Armée. Le Pacha et le
Consul convinrent enfin d'un moyen qui
fut éxecuté de la maniere qui suit.
Un jour de vendredi , destiné chez les
Mahometans à l'Assemblée generale et
aux Prieres publiques dans la principale
Mosquée , dans le tems de la plus grande
application des Assistans , 12 Imans ou
Ministres de la Religion , pratiquez par
le Pacha , tomberent brusquement sur les
Chefs des Rebelles et leur couperent la
tête. Le Pacha sortit en même tems de la
Ville avec l'Etendart de la Loi , qui fut
incontinent suivi par les troupes rebelles ,
et la tranquillité se rétablit aussi- tôt. C'est
ainsi , dit notre Historien , que Mortasa
assisté des lumieres et du conseil de M.
Picquet , remporta sur Bichir et les compagnons de sa revolte une victoire &c.
Il se trompe au reste dans ce narré, lorsqu'en expliquant le terme d'Iman , il dit
que ce sont chez les Turcs une espece de
Prêtres qui exercent leurs fonctions hors
la ville. Les Imans sont employez dans les
grandes villes , comme dans les petites
II. Vol. -Mosquées
2794 MERCURE DE FRANCE
Mosquées , il y en a à sainte Sophie et
dans les autres Mosquées Royales de Cons
tantinople , et par tout où les Mahométans ont des Temples.
Cette sanglante Tragedie , qui augmenta la bonne intelligence entre le Pacha d'Alep et le Consul François , fut suivie peu de tems après d'un spectacle plus
agréable ; c'est la fameuse Comedie de Pastor
Fido , dont M. le Consul voulut régaler le
Pacha. On dressa un Théatre dans la Maison Consulaire : la décoration en étoit
magnifique et bien entendue , et la Piece
fut executée avec tant de succès par de
jeunes Marchands François , que le Pacha
leur fit offrir un présent de deux mille
Piastres , lequel ne fut point accepté. Le
Gouverneur fut charmé de cette Piece
surtout de la belle Symphonie dont chaque Scene étoit suivie. Il y a beaucoup
d'apparence que c'est tout ce que les Turcs
purent admirer.
>
Le Pacha voulut regaler à son tour le
Consul et laNationFrançoise d'uneComédie Turque , laquelle fut representée dans
son Serrail par les meilleurs Acteurs du
Pays , et qui parut , dit notre Autheur ,
avoir son agrément dans l'esprit de nos
François. Ceux- ci ne manquerent pas ,
sans doute , de complaisance ; car vous
II. Vol. n'ignorez
DECEMBR E. 1732 2795
n'ignorez pas , Monsieur , que les Turcs
n'ont ni regles, ni genie pour ces sortes de
spectacles ; témoin celui dont je crois de
vous avoir parlé , et où je me suis trouvé
un jour chez le Pacha de Damas , qui n'étoit rempli que de boufonneries , quelquefois assez grossieres , et dont la derniere Scene fut un bizarre travestissement
des Acteurs,qui parurent habillez à la Françoise avec des Perruques &c. ce qui augmenta les éclats de rire et combla le plaisir des Spectateurs.
C'est à cette occasion que le Pacha d'Alep offrit au vertueux Consul deux des
plus belles filles et des principales Familles Turques de la Ville , qui avoient assisté à cette Comédie , offre qui fut bien
loin rejettée , et sur laquelle le Consul
s'excusa , en faisant confidence au Pacha
du Vou qu'il avoit fait de quitter le
monde pour embrasser l'Etat Ecclesiastique , comme il l'éxecuta quelques années
après.
M. Picquet n'avoit alors que trente ans ,
ce qui acheva de lui gagner l'estime et
l'amitié du Gouverneur. C'est à peu près
dans ce même tems que la République
de Hollande le choisit pour son Consul à
Alep et dans ses dépendances : l'agrément
du Roi est ici sous-entendu.
II. Vol. J.
2796 MERCURE DE FRANCE
Je ne suivrai point notre Historien
dans tout ce qu'il ajoûte des differens
effets du zele de ce Consul , pour affermir
les Catholiques Orientaux dans la Foi , et
pour soumettre les Schismatiques à l'Eglise Romaine. Il eut une tendresse particuliere pour l'Eglise Maronite , toute
Catholique , du Mont Liban ; il faut voir
dans le Livre même tout ce qu'il a fait
pour cette Eglise , qui fut de son tems
extrêmement persecutée ; on ne peut rien
lire de plus édifiant ni de mieux touché.
L'article des Esclaves Chrétiens que le
pieux Consul soulageoit par ses aumônes , et dont il rompoit les fers quand il
le pouvoit , est encore de ce même caractere , on ne sçauroit le lire sans être
émû.
Je ne m'arrêterai point aussi à extraire
le détail de la disgrace qui survint au Pacha d'Alep , disgrace que l'Auteur attri
bue à l'étroite union qu'il avoit avec le
Consul François , laquelle donna de l'ombrage au G. S. et au G. Viz. M. Picquet
déplora le malheureux sort de son ami
qui fût conduit comme un criminel à
Constantinople ; » craignant que la gran-
» de liaison qu'il avoit eue avec ce Pacha
» ne lui fut¯nuisible ; parce que dans ce
» pays là on ne manque pas de se défaire
II. Vol.
D d'u-
DECEMBRE. 1732 2797
» d'une personne sans bruit ; it résolut de
» se retirer , mais le Seigneur , qui vou-
>> loit encore se servir de son ministere
» pour le bien des Pauvres et de la Reli-
» gion , lui fit differer de deux ans l'exe-
»cution de son dessein.
Je m'arrête ici , Monsieur , pour ne
point trop fatiguer votre attention , et
pour préparer dans une seconde Lettre
la suite de cet Extrait et de mes petites
Remarques. Je suis , &c.
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Résumé : LETTRE de M.... écrite à M. de ... Commandeur de l'Ordre de S. Jean de Jerusalem, au sujet d'un Livre nouveau intitulé: La Vie de Messire François Picquet, &c.
La lettre traite d'un livre intitulé 'La Vie de Messire François Picquet', qui mérite une lecture attentive. Elle répond à des doutes soulevés par un journal littéraire concernant le consulat d'Alep exercé par François Picquet et son substitut, M. Baron. La lettre précise que les termes du journal ne sont pas ceux de l'historien de Picquet et que la famille de M. Baron est plus distinguée que celle de Picquet. François Picquet, né à Lyon en 1626, fils de Geofroy Picquet, un banquier influent, fut nommé consul d'Alep en 1652 et arriva à Alep en décembre de la même année. Il rétablit les affaires commerciales perturbées par la mauvaise foi des marchands et l'avarice des gouverneurs. Picquet obtint des ordres de la Porte pour réprimer les vexations du Pacha Bichir et rétablir une bonne intelligence. Le livre relate divers événements, dont un incident où Picquet secourut son vice-consul attaqué par des brigands, bien que l'existence de ce vice-consul soit mise en doute. Les affaires commerciales se rétablirent, permettant à Picquet de faire des aumônes significatives. Le livre décrit également la répression d'une révolte du Pacha d'Alep, avec l'aide du lieutenant Mortasa, et les relations diplomatiques entre Picquet et le nouveau Pacha. Picquet organisa une représentation de la comédie 'Pastor Fido' pour le Pacha, suivie d'une comédie turque offerte par le Pacha. Picquet refusa l'offre du Pacha de lui donner deux jeunes filles turques, invoquant son vœu de se consacrer à l'état ecclésiastique. À l'époque des faits relatés, Picquet avait trente ans. Le texte mentionne également les actions et les honneurs reçus par Picquet, qui a gagné l'estime et l'amitié du gouverneur local. Il fut choisi par la République de Hollande comme consul à Alep et ses dépendances, avec l'agrément implicite du roi. Picquet montra un zèle particulier pour affermir les catholiques orientaux dans la foi et soumettre les schismatiques à l'Église romaine. Il manifesta une tendresse spéciale pour l'Église maronite du Mont Liban, qu'il soutint malgré les persécutions. Il aida également les esclaves chrétiens en leur offrant des aumônes et en les libérant quand cela était possible. La disgrâce du pacha d'Alep, attribuée à son étroite union avec Picquet, causa de l'ombre au Grand Seigneur et au Grand Vizir. Picquet craignit pour sa sécurité et envisagea de se retirer, mais il différa son départ de deux ans à la demande de Dieu, qui souhaitait encore se servir de son ministère pour le bien des pauvres et de la religion.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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14
p. 149-150
DE TURQUIE ET DE PERSE.
Début :
Les Lettres de Constantinople, portent que le Grand-Seigneur avoit fait remettre 3000. [...]
Mots clefs :
Constantinople, Pacha , Perse
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DE TURQUIE ET DE PERSE.
D_B T 1711041115 121‘ ne Pense, r
. l
Es Lettres de Constantinople, portent que le
LGrand- Seigneur avoiffait remettre gooo.
Bourses au Pacha de Bagdad qui commande son
Armée en Perse , et qu’on se préparait à faire
partir incessamment tous les secours dont ce Ge
neral peut avoir besoin pour sïopposcr aÏux de;
seins ambitieux de Thamas Kouli-Kart.
Par dïautres Lettres particulieres de la même
,Ville , on pprend que la Maladie contagieuse
rfétoit p; encore entrerement eesséc , malgré le _
froid dela saison ; qu’il y avoir eu âjanocoviclr,
petite Ville Maritime du Canal de la Met Noire,
_|m Incendie qui avoir çonsumé r5_o. Maisons ,
et que toute la Vlllt auroir été réduite en cendres,
si le Grand-vizir ne s’y fût pas rendu avec de;
OEroupes pour la secourir. ' i ‘
On apprend par les dernieres Lettres de Perse;
que Tiiamaslliouli-Kan, dontéPautoriË auâ
rnentoit tous es "ours avoir crit au an e
Gcorgie de lui fotirnir aiu plutôt soeo. homme‘.
de Cavalerie; que ce premier Ministre ne v<l>u_-,-,_
‘ ‘ ' ‘ .035
l
uo- MERCURE DE FRANCE
loir entendre parler d'aucun accommodations
avec la Porte , et qu’il avoir rejette’ avec beau
coup de hauteur des propositions que le Pacha
de Bagdarl lui avoir fait faire pour parvenir ai un
nouveau Traité de Paix entre les deux Puissances.
. l
Es Lettres de Constantinople, portent que le
LGrand- Seigneur avoiffait remettre gooo.
Bourses au Pacha de Bagdad qui commande son
Armée en Perse , et qu’on se préparait à faire
partir incessamment tous les secours dont ce Ge
neral peut avoir besoin pour sïopposcr aÏux de;
seins ambitieux de Thamas Kouli-Kart.
Par dïautres Lettres particulieres de la même
,Ville , on pprend que la Maladie contagieuse
rfétoit p; encore entrerement eesséc , malgré le _
froid dela saison ; qu’il y avoir eu âjanocoviclr,
petite Ville Maritime du Canal de la Met Noire,
_|m Incendie qui avoir çonsumé r5_o. Maisons ,
et que toute la Vlllt auroir été réduite en cendres,
si le Grand-vizir ne s’y fût pas rendu avec de;
OEroupes pour la secourir. ' i ‘
On apprend par les dernieres Lettres de Perse;
que Tiiamaslliouli-Kan, dontéPautoriË auâ
rnentoit tous es "ours avoir crit au an e
Gcorgie de lui fotirnir aiu plutôt soeo. homme‘.
de Cavalerie; que ce premier Ministre ne v<l>u_-,-,_
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l
uo- MERCURE DE FRANCE
loir entendre parler d'aucun accommodations
avec la Porte , et qu’il avoir rejette’ avec beau
coup de hauteur des propositions que le Pacha
de Bagdarl lui avoir fait faire pour parvenir ai un
nouveau Traité de Paix entre les deux Puissances.
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Résumé : DE TURQUIE ET DE PERSE.
Le Grand Seigneur a décidé d'accorder des bourses au Pacha de Bagdad pour renforcer sa résistance contre Thamas Kouli-Kan en Perse. Malgré le froid, une maladie contagieuse persiste. Un incendie a détruit 150 maisons à Janovic, une ville maritime du canal de la mer Noire, et le Grand-vizir a envoyé des troupes pour secourir la population. En Perse, Thamas Kouli-Kan a exigé des renforts de cavalerie de la Géorgie. Le premier ministre persan a refusé toute négociation avec la Porte et rejeté les propositions de paix du Pacha de Bagdad.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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15
p. 580-583
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Constantinople le 24. Janvier 1733. sur les affaires de Perse, &c.
Début :
Les Nouvelles qu'on a reçûës ici de Perse, il y a 15. jours, portent que Thamas Kouli-Kan [...]
Mots clefs :
Thamas Kouli-Kan, Constantinople, Prince, Pacha , Siège, Troupes
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre écrite de Constantinople le 24. Janvier 1733. sur les affaires de Perse, &c.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Cons
tantinople le 24. Janvier 1733. sur les
affaires de Perse , &c.
L
Es Nouvelles qu'on a reçûës ici de Perse , il y
a 15.jours, portent que Thamas Kouli-Kan
étant subitement arrivé à Kirmancha , avec une
Armée de 60. mille hommes , avoit fait couper,
la tête à Abdi- Baki , Pacha de cette Place , qu'il
sçavoit être attaché aux intérêts du G. S. et qui
n'avoit été conservé dans ce poste que par un
Article du dernier Traité de Paix , à la sollicitation
d'Achmet- Pacha de Babilonne , son Protecteur.
On ajoute que Kouli- Kan , après avoir mis
dans cette Place un Gouverneur sur la fidelité
Juquel il pût compter , s'étoit avancé à grandes
journées vers Bagdad , dont on appréhendoit
qu'il ne voulût former le Siege , et dont il ravageoir
MARS: 1733. 581
"
geoit toutes les Campagnes voisines , aussi bien
que celles de Mossoul et du Diarbekir , ou ik
avoit envoyé de gros Détachemens .
La Porte a parû d'autant plus sensible à ces
nouvelles , que peu de temps avant qu'elles arri
vassent , le G. V. avoit reçu des Lettres d'Achmes
Pacha , par lesquelles celui- cy lui marquoit que
și Thamas -Kouli -Kan approchoit de Bagdad”, il
seroit obligé de s'y renfermer , ne pouvant en
aucune façon tenir la Campagne devant l'Armée
Persane , et n'ayant précisément que ce qu'il lui
falloit de Troupes pour soutenir le Siege.
Ces nouvelles , qui ont causé ici beaucoup d'al
tération dans les esprits , ont donné lieu à la
tenue d'un grand Conseil , composé de tous les
Ministres de la Porte et de beaucoup des plus
distinguez parmi les Gens de Loy.
Il y fut résolu d'envoyer incessamment trois
ou quatre mille Bourses aux Pachas qui com
mandent differens Corps de Troupes Ottomanes
en Perse , et des ordres plus pressans pour faire
marcher du côté de Bagdad , non seulement
tout ce qui se trouvoit de Gens de guerre en Asie,
mais encore une bonne partie de ceux qui étoient
en Europe.
·
Le Khan des Tartares a pareillement reçû des
ordres pour aller penetrer avec le plus de dili
gence qu'il lui seroit possible jusques dans le
eceur de la Perse , à la tête de 30. mille hommes
tandis que le Khan qui commande les Lesguis
Peuple du Degestan , doit y entrer d'un autre
côté avec tout ce qu'il pourra rassembler de for
ces ; moyennant tout cela les Turcs esperent faire
une assez puissante diversion , pour obliger
Chaque Bourse est de s00. Piastres.
H iij Kouli
82 MERCURE DE FRANCE
Kouli -Kan d'abandonner le projet d'assieger
Bagdad , et de courir à la deffense des propres
Etats de Perse , dont il a la Régence.
2. Malgré tous ces mouvemens , qui semblent
n'annoncer que la continuacion d'une guerre opiniâtre
, bien des gens prétendent qu'il y a des
propositions de Paix sur le tapis , et que la Czarine
pourroit bien en être la Médiatrice. ~
On n'entend plus parler de l'infortuné Schah-
Thamas ; on présume seulement qu'il est toujours
en vie et renfermé dans quelque Forteresse
au fond du Corassan. On ne dit rien non plus du
jeune Priuce son fils , que Thamas Kouli -Kan
avoit fait proclamer Roy de Perse.
Le Sultan déposé Achmet III . a perdu depuis
quelques mois quatre de ses Enfans ; deux Princes
et deux princesses ; la plus jeune de ces der
nieres étoit encore fille et mourut cet Eté au
vieux Serrail , les uns disent de la petite verole ,
les autres de la peste . L'autre Sultane étoit femme
d'Ali-Pacha , cy devant Nichandgi , sous le
Regne précedent . On l'appelloit la Sçavante et la
Sainte ; elle étoit si prévenue en faveur de sa Rcligion
, qu'elle avoit coûtume de dire qu'une
bonne Musulmane ne pouvoit parler avec des
Chrétiens ni même les regarder , sans commertre
un grand peché. Elle est morte de langueur
après une longue maladie.
Des deux Princes qui sont aussi morts, mais
dont le Public ignore la cause , l'un étoit Sultan
Suleiman âgé d'environ 25 ans , et l'Aîné de
tous les Enfans mâles d'Achmet. Il fut inhumé
le 12. Décembre dernier à la Mosquée dite la
Validé , ou de la Reine Mere, avec toute la pompe
due à sa naissance. L'autre Prince , qui étoit
le cinquième , et avoit 12, ou 13. ans , mourut
le
MARS. 1733- 583
le 27. du même mois et fut porté le lendemain
à la même Mosquée.
Du 16. Janvier.
P. V. D.
Il vient d'arriver deux Courriers de Perse ;.
qui ont apporté pour nouvelle que le Pacha de
Ghendgé avoit défait un Corps de trois mille
Persans , et que Thamas - Kouli -Kan , s'étoit retiré
des environs de Bagdad.
tantinople le 24. Janvier 1733. sur les
affaires de Perse , &c.
L
Es Nouvelles qu'on a reçûës ici de Perse , il y
a 15.jours, portent que Thamas Kouli-Kan
étant subitement arrivé à Kirmancha , avec une
Armée de 60. mille hommes , avoit fait couper,
la tête à Abdi- Baki , Pacha de cette Place , qu'il
sçavoit être attaché aux intérêts du G. S. et qui
n'avoit été conservé dans ce poste que par un
Article du dernier Traité de Paix , à la sollicitation
d'Achmet- Pacha de Babilonne , son Protecteur.
On ajoute que Kouli- Kan , après avoir mis
dans cette Place un Gouverneur sur la fidelité
Juquel il pût compter , s'étoit avancé à grandes
journées vers Bagdad , dont on appréhendoit
qu'il ne voulût former le Siege , et dont il ravageoir
MARS: 1733. 581
"
geoit toutes les Campagnes voisines , aussi bien
que celles de Mossoul et du Diarbekir , ou ik
avoit envoyé de gros Détachemens .
La Porte a parû d'autant plus sensible à ces
nouvelles , que peu de temps avant qu'elles arri
vassent , le G. V. avoit reçu des Lettres d'Achmes
Pacha , par lesquelles celui- cy lui marquoit que
și Thamas -Kouli -Kan approchoit de Bagdad”, il
seroit obligé de s'y renfermer , ne pouvant en
aucune façon tenir la Campagne devant l'Armée
Persane , et n'ayant précisément que ce qu'il lui
falloit de Troupes pour soutenir le Siege.
Ces nouvelles , qui ont causé ici beaucoup d'al
tération dans les esprits , ont donné lieu à la
tenue d'un grand Conseil , composé de tous les
Ministres de la Porte et de beaucoup des plus
distinguez parmi les Gens de Loy.
Il y fut résolu d'envoyer incessamment trois
ou quatre mille Bourses aux Pachas qui com
mandent differens Corps de Troupes Ottomanes
en Perse , et des ordres plus pressans pour faire
marcher du côté de Bagdad , non seulement
tout ce qui se trouvoit de Gens de guerre en Asie,
mais encore une bonne partie de ceux qui étoient
en Europe.
·
Le Khan des Tartares a pareillement reçû des
ordres pour aller penetrer avec le plus de dili
gence qu'il lui seroit possible jusques dans le
eceur de la Perse , à la tête de 30. mille hommes
tandis que le Khan qui commande les Lesguis
Peuple du Degestan , doit y entrer d'un autre
côté avec tout ce qu'il pourra rassembler de for
ces ; moyennant tout cela les Turcs esperent faire
une assez puissante diversion , pour obliger
Chaque Bourse est de s00. Piastres.
H iij Kouli
82 MERCURE DE FRANCE
Kouli -Kan d'abandonner le projet d'assieger
Bagdad , et de courir à la deffense des propres
Etats de Perse , dont il a la Régence.
2. Malgré tous ces mouvemens , qui semblent
n'annoncer que la continuacion d'une guerre opiniâtre
, bien des gens prétendent qu'il y a des
propositions de Paix sur le tapis , et que la Czarine
pourroit bien en être la Médiatrice. ~
On n'entend plus parler de l'infortuné Schah-
Thamas ; on présume seulement qu'il est toujours
en vie et renfermé dans quelque Forteresse
au fond du Corassan. On ne dit rien non plus du
jeune Priuce son fils , que Thamas Kouli -Kan
avoit fait proclamer Roy de Perse.
Le Sultan déposé Achmet III . a perdu depuis
quelques mois quatre de ses Enfans ; deux Princes
et deux princesses ; la plus jeune de ces der
nieres étoit encore fille et mourut cet Eté au
vieux Serrail , les uns disent de la petite verole ,
les autres de la peste . L'autre Sultane étoit femme
d'Ali-Pacha , cy devant Nichandgi , sous le
Regne précedent . On l'appelloit la Sçavante et la
Sainte ; elle étoit si prévenue en faveur de sa Rcligion
, qu'elle avoit coûtume de dire qu'une
bonne Musulmane ne pouvoit parler avec des
Chrétiens ni même les regarder , sans commertre
un grand peché. Elle est morte de langueur
après une longue maladie.
Des deux Princes qui sont aussi morts, mais
dont le Public ignore la cause , l'un étoit Sultan
Suleiman âgé d'environ 25 ans , et l'Aîné de
tous les Enfans mâles d'Achmet. Il fut inhumé
le 12. Décembre dernier à la Mosquée dite la
Validé , ou de la Reine Mere, avec toute la pompe
due à sa naissance. L'autre Prince , qui étoit
le cinquième , et avoit 12, ou 13. ans , mourut
le
MARS. 1733- 583
le 27. du même mois et fut porté le lendemain
à la même Mosquée.
Du 16. Janvier.
P. V. D.
Il vient d'arriver deux Courriers de Perse ;.
qui ont apporté pour nouvelle que le Pacha de
Ghendgé avoit défait un Corps de trois mille
Persans , et que Thamas - Kouli -Kan , s'étoit retiré
des environs de Bagdad.
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Résumé : EXTRAIT d'une Lettre écrite de Constantinople le 24. Janvier 1733. sur les affaires de Perse, &c.
En janvier 1733, Thamas Kouli-Kan, à la tête d'une armée de 60 000 hommes, a exécuté Abdi-Baki, Pacha de Kirmancha, et nommé un nouveau gouverneur. Il a ensuite avancé vers Bagdad, ravageant les campagnes voisines et envoyant des détachements à Mossoul et Diarbekir. La Porte ottomane, informée par Achmet-Pacha de Babilonne, a réagi en convoquant un grand conseil. Il a été décidé d'envoyer des subsides aux Pachas commandants des troupes ottomanes en Perse et d'ordonner le déplacement de troupes vers Bagdad, tant en Asie qu'en Europe. Les Tartares et les Lesguis devaient également pénétrer en Perse pour créer une diversion et obliger Kouli-Kan à abandonner son projet de siège de Bagdad. Malgré ces préparatifs militaires, des rumeurs évoquaient des propositions de paix, avec la Czarine comme possible médiatrice. L'ancien Shah Thamas était présumé toujours en vie, mais son fils, proclamé roi de Perse par Kouli-Kan, n'était plus mentionné. Par ailleurs, le sultan déposé Achmet III avait perdu quatre de ses enfants au cours des derniers mois, dont deux princes et deux princesses. Les causes de leurs décès variaient, allant de la variole à la peste.
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16
p. 1013-1017
A Constantinople, le 30. Mars 1733.
Début :
Les nouvelles de Perse sont toujours fort incertaines, et souvent celles qui se débitent le [...]
Mots clefs :
Constantinople, Pacha , Khan, Topal Osman Pacha, Perse, Ville, Armée, Thamas Kouli-Kan
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texteReconnaissance textuelle : A Constantinople, le 30. Mars 1733.
A Constantinople , le 30. Mars 1733 .
LE
Es nouvelles de Perse sont toujours fort in
certaines , et souvent celles qui se débitent le
matią sont contredites par d'autres qu'on répand'
le
TO14 MERCURE DE FRANCE
le soir. On assure depuis quelques jours , que
Mossoul n'a point été été saccagé par Thamas-
Kouli Kan , comme on l'avoit cy- devant publié.
On dit que sur les premiers bruits qu'il s'en approchoit
, les habitans les plus accommodez de
cette grande Ville avoient d'abord voulu s'enfuir
avec leurs meilleurs effets ; mais que d'un côté ,
Pincertitude de sçavoir où se mettre en sureté
dans un Pays ouvert et inondé de Soldats , et
de l'autre , les représentations , les cris et même
les menaces du peuple , au desespoir de se voir
abandonné, leur avoit fait changer d'avis ; qu'étant
dailleurs informez que le General Persan
n'avoit point de gros Canon à sa suite , ils avoient
tous pris le genereux parti , tant les riches , que
les pauvres , de se renfermer dans leur Ville et
d'en rétablir à la hâte la Forteresse et l'enceinte
presqu'entierement ruinées , à quoi tout le monde
, de tout âge , de tout sexe et de toute condition
avoit travaillé avec tant de zele et de diligence
, que Thamas- Kouli - Kan venant à paroître,
il avoit jugé cette Ville hors d'insulte et avoit
passé outre.
*
>
On ajoute que continuant ses courses rapides ,
dans lesquelles il ravage tout le pays par où il
passe, il étoit tombé tout à coup sur Kouch-Kalessi
, Fauxbourg de Bagdad , séparé de la Ville
par le Tigre , qu'il y avoit fait beaucoup de butin
et y avoit même trouvé un Canon d'une
grosseur prodigieuse , qu'Achmet - Pacha , Gouverneur
de Bagdad , n'avoit pas eu le temps de
retirer ; que comme cependant Thamas - Kouli-
Kouch- Kalessi , signifie en Arabe la Tour des
Oiseaux. C'étoit une Tour qu'il y avoit autrefois ,
dans ce Faubourg, d'où il a pris son nom.
Kan
MAY. 1733. 1015
Kan n'avoit d'autre Artillerie avec lui que quel-..
ques petites Pieces de campagne , portées sur des
chameaux, on présamoit que quant à présent il se
borneroit à tourner en blocus le siege qu'il avoit
paru vouloir former de cette Place , et qu'au surplus
quelque parti qu'il prît , Achmet- Pacha l'avoit
si bien pourvûë de tout , qu'elle étoit en état
de se soutenir long- temps.
Les Turcs ont eu quelques avantages depuis peu
du côté de Tauris , où ils se sont emparez de
deux petites Villes , à la deffense desquelles il a
péri quelques Persans ; et le G. S. résolu de faire
tous ses efforts cette année pour terminer par
quelque Evenement décisif , une guerre si longue
et si ruineuse , a ordonné à tous les Pachas qui
sont sur les Frontieres de Perse , d'y marcher en
diligence avec le plus de Troupes qu'ils pourront
rassembler. De pareils ordres ont été donnez
le 26. de ce mois à 12000 hommes qui partent
d'ici journellement par mer et par terre ; sçavoir,
8000. Jannissaires , commandez par le
Koul-Kiayasei , ou Lieutenans General de cette
Milice , et le reste Topgis et Dgebedgis , aussi
commandez par les Kiayas ou Lieutenant Generaux
de leurs Corps . Mais ce qui releve plus que
toute autre chose le courage des Turcs , c'est que
Topal Osman , Pacha , a été fait Seraskier et
avec une grande autorité , et que les gens de guerre
qui ont une entiere confiance en sa capacité et
en sa bravoure , marchent en Perse avec autant
de bonne volonté qu'ils montroient cy- devant de
* Il est remarquer
que le Jannissaire
Aga , le
Topgi
- Bachi
et le Dgebedgi
-Bachi
, qui sont les
Chefs
de ces trois Corps
, ne marchent
point à l'Armée,
que lorsque
le G.V. la commande
en personne
,
1016 MERCURE DE FRANCE
*
Y
tépugnance à y aller. Ainsi l'Armée Otomane devant
être de plus de 200 mille hommes bien
payez , au moyen des grandes sommes que Sa
Hautesse a fait tenir à Topal - Osman , on se flatte
que la Campagne qui va s'ouvrir sera féconde
en heureux succès . On compte même que cet
actif Séraskier doit avoir déja penetré dans le
Diarbekir.
Le Grand-Seigneur avoit pareillement ordonné
au Kan des Tartares de Crimée , d'envoyer
20 mille hommes de ses Troupes en Perse ; mais
comme, pour abreger considerablement leur rou
te , on étoit convenu de les faire passer sur les
Terres de la Czarine , M. Nepluef, Résident de
cette Princesse à Constantinople , en ayant eu
avis , s'y est formellement opposé , et a signifié
au Reis - Effendi , au nom de sa Souveraine , qu'el
le ne pourroit consentir à ce passage , et que si
l'on persistoit à le vouloir tenter , elle regarderoit
cette entreprise comme une déclaration de
guerre. On ne sçait pas encore la détermination
de la Porte sur ce refus , ni quel chemin prendront
les Tartares.
Outre le Commandement de l'Armée que le
G. S. a donné à Topal - Osman , avec un pouvoir
si absolu , qu'il est le Maitre de tous les Emplois
Militaires , et de distribuer des récompenses er
des pensions à qui il jugera à propos , S. H. l'a
fait Beylerbey d'Anatolie , et en même temps Pa
cha de Cutaya, ces deux dernieres Dignitez étant
toujours unies ; et pour lui marquer encore mieux
sa bienveillance , elle a fait aussi de nouveau le
gendre de ce General , Beylerbey de Romelie et
Pacha de Nisse , Dignitez qui vont pareillement
ensemble , et dont ce dernier avoit déja été revêtu
ey-devant sous le Visiriat de son beaupere.
M.
MAY. 1733. 1017
M. le Comte Sierakousky , envoyé Extraordi
naire de Pologne à la Cour Ottomane ,pour complimenter
le G. S. sur son avenement au Trône ,
et qui arriva à Constantinople le 6.de Novembre
dernier , en est parti le 14. du present mois de
Mars , sur la nouvelle qu'il y reçut le 28. Février .
de la mort du Roy Auguste. M. le Comte Staninsky
, neveu de ce Ministre , est resté ici en
qualité d'Agent , avec l'agrément de la Porte ,
qui lui a donné une Maison à Pera , et un Train
pour sa subsistance journaliere.
"
Djanum- Codja , auquel peu après sa derniere
déposition de la Charge de Capitan-Pacha , il y
a deux ans , on avoit donné le Pachalik de Le
pante , qui ne rapporte qu'environ 20. Bourses ,
a été nommé aujourd'hui à celui de Negrepont
qui produit 60. Bourses , et qui est toujours rempli
par un Visir à trois Queues. Il releve Abdoulla
Cuperly , cy - devant Pacha du Caire , que le
G. V. envoye servir en Perse sous les ordres de
Topal- Osman.
P. V. D.
LE
Es nouvelles de Perse sont toujours fort in
certaines , et souvent celles qui se débitent le
matią sont contredites par d'autres qu'on répand'
le
TO14 MERCURE DE FRANCE
le soir. On assure depuis quelques jours , que
Mossoul n'a point été été saccagé par Thamas-
Kouli Kan , comme on l'avoit cy- devant publié.
On dit que sur les premiers bruits qu'il s'en approchoit
, les habitans les plus accommodez de
cette grande Ville avoient d'abord voulu s'enfuir
avec leurs meilleurs effets ; mais que d'un côté ,
Pincertitude de sçavoir où se mettre en sureté
dans un Pays ouvert et inondé de Soldats , et
de l'autre , les représentations , les cris et même
les menaces du peuple , au desespoir de se voir
abandonné, leur avoit fait changer d'avis ; qu'étant
dailleurs informez que le General Persan
n'avoit point de gros Canon à sa suite , ils avoient
tous pris le genereux parti , tant les riches , que
les pauvres , de se renfermer dans leur Ville et
d'en rétablir à la hâte la Forteresse et l'enceinte
presqu'entierement ruinées , à quoi tout le monde
, de tout âge , de tout sexe et de toute condition
avoit travaillé avec tant de zele et de diligence
, que Thamas- Kouli - Kan venant à paroître,
il avoit jugé cette Ville hors d'insulte et avoit
passé outre.
*
>
On ajoute que continuant ses courses rapides ,
dans lesquelles il ravage tout le pays par où il
passe, il étoit tombé tout à coup sur Kouch-Kalessi
, Fauxbourg de Bagdad , séparé de la Ville
par le Tigre , qu'il y avoit fait beaucoup de butin
et y avoit même trouvé un Canon d'une
grosseur prodigieuse , qu'Achmet - Pacha , Gouverneur
de Bagdad , n'avoit pas eu le temps de
retirer ; que comme cependant Thamas - Kouli-
Kouch- Kalessi , signifie en Arabe la Tour des
Oiseaux. C'étoit une Tour qu'il y avoit autrefois ,
dans ce Faubourg, d'où il a pris son nom.
Kan
MAY. 1733. 1015
Kan n'avoit d'autre Artillerie avec lui que quel-..
ques petites Pieces de campagne , portées sur des
chameaux, on présamoit que quant à présent il se
borneroit à tourner en blocus le siege qu'il avoit
paru vouloir former de cette Place , et qu'au surplus
quelque parti qu'il prît , Achmet- Pacha l'avoit
si bien pourvûë de tout , qu'elle étoit en état
de se soutenir long- temps.
Les Turcs ont eu quelques avantages depuis peu
du côté de Tauris , où ils se sont emparez de
deux petites Villes , à la deffense desquelles il a
péri quelques Persans ; et le G. S. résolu de faire
tous ses efforts cette année pour terminer par
quelque Evenement décisif , une guerre si longue
et si ruineuse , a ordonné à tous les Pachas qui
sont sur les Frontieres de Perse , d'y marcher en
diligence avec le plus de Troupes qu'ils pourront
rassembler. De pareils ordres ont été donnez
le 26. de ce mois à 12000 hommes qui partent
d'ici journellement par mer et par terre ; sçavoir,
8000. Jannissaires , commandez par le
Koul-Kiayasei , ou Lieutenans General de cette
Milice , et le reste Topgis et Dgebedgis , aussi
commandez par les Kiayas ou Lieutenant Generaux
de leurs Corps . Mais ce qui releve plus que
toute autre chose le courage des Turcs , c'est que
Topal Osman , Pacha , a été fait Seraskier et
avec une grande autorité , et que les gens de guerre
qui ont une entiere confiance en sa capacité et
en sa bravoure , marchent en Perse avec autant
de bonne volonté qu'ils montroient cy- devant de
* Il est remarquer
que le Jannissaire
Aga , le
Topgi
- Bachi
et le Dgebedgi
-Bachi
, qui sont les
Chefs
de ces trois Corps
, ne marchent
point à l'Armée,
que lorsque
le G.V. la commande
en personne
,
1016 MERCURE DE FRANCE
*
Y
tépugnance à y aller. Ainsi l'Armée Otomane devant
être de plus de 200 mille hommes bien
payez , au moyen des grandes sommes que Sa
Hautesse a fait tenir à Topal - Osman , on se flatte
que la Campagne qui va s'ouvrir sera féconde
en heureux succès . On compte même que cet
actif Séraskier doit avoir déja penetré dans le
Diarbekir.
Le Grand-Seigneur avoit pareillement ordonné
au Kan des Tartares de Crimée , d'envoyer
20 mille hommes de ses Troupes en Perse ; mais
comme, pour abreger considerablement leur rou
te , on étoit convenu de les faire passer sur les
Terres de la Czarine , M. Nepluef, Résident de
cette Princesse à Constantinople , en ayant eu
avis , s'y est formellement opposé , et a signifié
au Reis - Effendi , au nom de sa Souveraine , qu'el
le ne pourroit consentir à ce passage , et que si
l'on persistoit à le vouloir tenter , elle regarderoit
cette entreprise comme une déclaration de
guerre. On ne sçait pas encore la détermination
de la Porte sur ce refus , ni quel chemin prendront
les Tartares.
Outre le Commandement de l'Armée que le
G. S. a donné à Topal - Osman , avec un pouvoir
si absolu , qu'il est le Maitre de tous les Emplois
Militaires , et de distribuer des récompenses er
des pensions à qui il jugera à propos , S. H. l'a
fait Beylerbey d'Anatolie , et en même temps Pa
cha de Cutaya, ces deux dernieres Dignitez étant
toujours unies ; et pour lui marquer encore mieux
sa bienveillance , elle a fait aussi de nouveau le
gendre de ce General , Beylerbey de Romelie et
Pacha de Nisse , Dignitez qui vont pareillement
ensemble , et dont ce dernier avoit déja été revêtu
ey-devant sous le Visiriat de son beaupere.
M.
MAY. 1733. 1017
M. le Comte Sierakousky , envoyé Extraordi
naire de Pologne à la Cour Ottomane ,pour complimenter
le G. S. sur son avenement au Trône ,
et qui arriva à Constantinople le 6.de Novembre
dernier , en est parti le 14. du present mois de
Mars , sur la nouvelle qu'il y reçut le 28. Février .
de la mort du Roy Auguste. M. le Comte Staninsky
, neveu de ce Ministre , est resté ici en
qualité d'Agent , avec l'agrément de la Porte ,
qui lui a donné une Maison à Pera , et un Train
pour sa subsistance journaliere.
"
Djanum- Codja , auquel peu après sa derniere
déposition de la Charge de Capitan-Pacha , il y
a deux ans , on avoit donné le Pachalik de Le
pante , qui ne rapporte qu'environ 20. Bourses ,
a été nommé aujourd'hui à celui de Negrepont
qui produit 60. Bourses , et qui est toujours rempli
par un Visir à trois Queues. Il releve Abdoulla
Cuperly , cy - devant Pacha du Caire , que le
G. V. envoye servir en Perse sous les ordres de
Topal- Osman.
P. V. D.
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Résumé : A Constantinople, le 30. Mars 1733.
Le 30 mars 1733, à Constantinople, les informations concernant la Perse restent floues. Contrairement à des rumeurs précédentes, Mossoul n'a pas été saccagée par Thamas-Kouli Kan. Les habitants de Mossoul, initialement prêts à fuir, ont choisi de rester et de renforcer les défenses de la ville après avoir appris que le général persan ne disposait pas d'artillerie lourde. Thamas-Kouli Kan, n'ayant pas pu prendre Mossoul, a poursuivi sa marche et a attaqué Kouch-Kalessi, un faubourg de Bagdad, où il a fait du butin et trouvé un canon. Les Turcs ont récemment pris deux petites villes près de Tauris et préparent une offensive majeure contre la Perse. Le Grand Seigneur a ordonné à tous les pachas des frontières persanes de rassembler leurs troupes. Une armée de plus de 200 000 hommes, commandée par Topal Osman Pacha, est en route vers la Perse. Le Grand Seigneur a également nommé Topal Osman Pacha Seraskier avec des pouvoirs étendus et l'a promu à plusieurs hautes dignités. Le comte Sierakousky, envoyé extraordinaire de Pologne, a quitté Constantinople après avoir appris la mort du roi Auguste. Djanum-Codja a été nommé pacha de Negrepont, remplaçant Abdoulla Cuperly, envoyé en Perse sous les ordres de Topal Osman Pacha.
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17
p. 1442-1443
De Constantinople, le 14 Mai 1733.
Début :
Les nouvelles de Perse varient toûjours ; les unes portent que le Blocus de Bagdad est [...]
Mots clefs :
Constantinople, Thamas Kouli-Kan, Pacha , Khan, Khans, Troupes, Armée, Perse
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : De Constantinople, le 14 Mai 1733.
D: Constantinople , le 14 Mai 1733-
Es nouvelles de Perse varient toûjours ; les
Lunes portent que le Blocus de Bagdad est
levé ; les autres , qu'il continue encore ; ce qui
se dit de plus generalement , c'est que la mésintelligence
s'est glissée dans l'Armée de Talimas-
Kouli Khan , les Khans et autres principaux
Officiers , ayant fort murmuré contre ce Génétal
, de ce qu'il s'obstinoit à perdre le temps
devant une Place , dont il n'étoit pas en état de
former le Siége , tandis que les Turcs ravagcoient
plusieurs Provinces de Perse,massacroient
Ieurs Sujets , et emmenoient leurs Femmes er
kurs Enfans en esclavage ; que sur les avis que
Achmet Pacha avoit eus de ces divisions , et que
Parmee Persanne devoit décamper , il avoit détaché
plusieurs Partis de sa Garnison , qui s'étant
joints à quelques Troupes d'un Prince Arabe
, son beau pere , avoient harcelé cette Armée
dans sa marche , par de continuelles Escarmouches
, dans lesquelles Tahmas-Kouli-Khan avoit
perdu beaucoup de monde ; enfin que Topal
Osman , Pacha , étoit parti depuis 25 jours du
Diarbekir, pour s'approcher de Bagdad, et combatre
les Persans , s'il en trouvoit l'occasion favorable
, et qu'il n'avoit pris avec lui que 40000
hommes , ayant laissé le reste de son Armée au
Camp , pour y recevoir les Troupes et les Munitions
qui devoient lui venir encore.
Curde-Demir, Pacha , qui commande du côté
II. Vol.
de
JUIN . 1733 1443
de Tiflis, et plusieurs autres Pachas qui l'avoient
joint avec leurs Troupes, ont fait des Incursions
dans les Campagnes de Tauris et d'Erivan , où ils
ont passé au fil de l'Epée beaucoup de Petits-
Corps de Persans, qui étoient postez en differens ·
endroits pour la garde du Pais. Tauris , Erivan ,
Roumié et plusieurs autres Villes ont été entiement
saccagés.
Les Sultans Fetih ou le Conquerant , et Islam
* Ghuirai , fils de Deulet Ghuirai , Khan de
Crimée , déposé , sont les Chefs des Tartares ,
qui ont été commandez pour pénétrer dans le
coeur de la Perse. Fetih , Sultan , l'aîné de ces
deux Princes , mande au Khan régnant , son
oncle , par sa Lettre , dattée du Mont - Caucase ,
et arrivée à Bacché - Saraï le 24 Avril , qu'ils se
sont frayez une route dans cette Montagne , qui
aboutit proche de Tiflis , et qui est éloignée de 6
lieuës de Kabarta , canton de la Circassie , que
les Moscovites prétendent leur appartenir ; que
ses Troupes et celles de son frere , au nombre de
30 à 40 mille hommes , marchent sur deux colonnes
, et se tiennent fort sur leur garde dans
la crainte d'être attaquées par des peuples inconnus
, habitans du Caucase , qu'elles trouvent
souvent dans leur
passage.
Djanum-Codja , qui avoit été nommé depuis
peu Pacha de Négrépont, vient d'être fait Pacha
de Candie, et Inspecteur Général des Armemens
du G. S. Les Commandans des Vaisseaux et les
Beys des Galeres , qui seront en Mer, iront prendre
ses ordres , et n'entreprendront rien que sur
ses avis.
* Islam, l'Ortodoxe.
Es nouvelles de Perse varient toûjours ; les
Lunes portent que le Blocus de Bagdad est
levé ; les autres , qu'il continue encore ; ce qui
se dit de plus generalement , c'est que la mésintelligence
s'est glissée dans l'Armée de Talimas-
Kouli Khan , les Khans et autres principaux
Officiers , ayant fort murmuré contre ce Génétal
, de ce qu'il s'obstinoit à perdre le temps
devant une Place , dont il n'étoit pas en état de
former le Siége , tandis que les Turcs ravagcoient
plusieurs Provinces de Perse,massacroient
Ieurs Sujets , et emmenoient leurs Femmes er
kurs Enfans en esclavage ; que sur les avis que
Achmet Pacha avoit eus de ces divisions , et que
Parmee Persanne devoit décamper , il avoit détaché
plusieurs Partis de sa Garnison , qui s'étant
joints à quelques Troupes d'un Prince Arabe
, son beau pere , avoient harcelé cette Armée
dans sa marche , par de continuelles Escarmouches
, dans lesquelles Tahmas-Kouli-Khan avoit
perdu beaucoup de monde ; enfin que Topal
Osman , Pacha , étoit parti depuis 25 jours du
Diarbekir, pour s'approcher de Bagdad, et combatre
les Persans , s'il en trouvoit l'occasion favorable
, et qu'il n'avoit pris avec lui que 40000
hommes , ayant laissé le reste de son Armée au
Camp , pour y recevoir les Troupes et les Munitions
qui devoient lui venir encore.
Curde-Demir, Pacha , qui commande du côté
II. Vol.
de
JUIN . 1733 1443
de Tiflis, et plusieurs autres Pachas qui l'avoient
joint avec leurs Troupes, ont fait des Incursions
dans les Campagnes de Tauris et d'Erivan , où ils
ont passé au fil de l'Epée beaucoup de Petits-
Corps de Persans, qui étoient postez en differens ·
endroits pour la garde du Pais. Tauris , Erivan ,
Roumié et plusieurs autres Villes ont été entiement
saccagés.
Les Sultans Fetih ou le Conquerant , et Islam
* Ghuirai , fils de Deulet Ghuirai , Khan de
Crimée , déposé , sont les Chefs des Tartares ,
qui ont été commandez pour pénétrer dans le
coeur de la Perse. Fetih , Sultan , l'aîné de ces
deux Princes , mande au Khan régnant , son
oncle , par sa Lettre , dattée du Mont - Caucase ,
et arrivée à Bacché - Saraï le 24 Avril , qu'ils se
sont frayez une route dans cette Montagne , qui
aboutit proche de Tiflis , et qui est éloignée de 6
lieuës de Kabarta , canton de la Circassie , que
les Moscovites prétendent leur appartenir ; que
ses Troupes et celles de son frere , au nombre de
30 à 40 mille hommes , marchent sur deux colonnes
, et se tiennent fort sur leur garde dans
la crainte d'être attaquées par des peuples inconnus
, habitans du Caucase , qu'elles trouvent
souvent dans leur
passage.
Djanum-Codja , qui avoit été nommé depuis
peu Pacha de Négrépont, vient d'être fait Pacha
de Candie, et Inspecteur Général des Armemens
du G. S. Les Commandans des Vaisseaux et les
Beys des Galeres , qui seront en Mer, iront prendre
ses ordres , et n'entreprendront rien que sur
ses avis.
* Islam, l'Ortodoxe.
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Résumé : De Constantinople, le 14 Mai 1733.
Le 14 mai 1733, les informations sur la situation en Perse sont contradictoires. Certaines sources affirment que le blocus de Bagdad est levé, tandis que d'autres indiquent qu'il persiste. Une discordance règne au sein de l'armée de Tahmas-Kouli Khan, critiqué pour avoir perdu du temps devant une place forte, permettant aux Turcs de ravager plusieurs provinces persanes et d'enlever des habitants. Achmet Pacha a envoyé des troupes harceler les Persans, causant des pertes à Tahmas-Kouli Khan. De plus, Topal Osman Pacha a quitté le Diarbekir avec 40 000 hommes pour se diriger vers Bagdad. Du côté de Tiflis, Curde-Demir Pacha et d'autres pachas ont mené des incursions en Tauris et Erivan, massacrant des Persans et saccageant plusieurs villes. Les sultans Fetih et Islam Ghuirai, fils de Deulet Ghuirai, khan de Crimée, ont été désignés pour pénétrer en Perse avec 30 à 40 000 hommes. Enfin, Djanum-Codja, nommé pacha de Candie, est devenu inspecteur général des armements du Grand Sultan, avec autorité sur les commandants des vaisseaux et les beys des galères.
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18
p. 1865-1868
De Constantinople le 8. Juillet 1733.
Début :
Depuis la Lettre, Monsieur, que je vous écrivis le 14. du mois de May dernier, où [...]
Mots clefs :
Pacha , Perse, Djanum-Codja, Topal Osman Pacha, Capitan pacha, Constantinople, Galères, Tartares
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : De Constantinople le 8. Juillet 1733.
De Constantinople le 8. Juillet 1733.
Depuisle Le du mois de May dernier ,
Epuis la Lettre , Monsieur , que je vous
ou
je vous mandois que plus de 30000. Tartares
s'acheminoient vers la Perse par une nouvelle
route qu'ils s'étoient faite à travers les Rochers
du Mont Caucase , on a eu plusieurs avis qui
portent que leur nombre s'étoit acru de moitié
en chemin , et qu'ils étoient arrivez dans le Daguestan
; qu'ils s'y étoient joints aux Lesghis,Sujets
du G.S. qui habitent une partie des Montagnes
dont toute cette Province est composée;que
ces deux Peuples devoient aller incessamment
savager ensemble les Frontieres de Perse de ce
côté-là , et que les Lesghis , de l'autre partie du
Daguestan , qui est sous la domination des Moscovites
s'étoient la plupart révoltez pour se
mettre sous celle de l'Empire Ottoman. On dou
te cependant encore ici de la certitude de ces
nouvelles , parce que l'Aga , qui est allé par
ordre de la Porte, accompagner les Tartares dans
leur marche , et qui est chargé d'en venir rendre
compte , ainsi que de leur arrivée en Perse , n'est
pas encore de retour à Constantinople.
J'ajouterai à l'occasion des Tartares , que de
puis quelques jours il en vient par troupes aux
"
H vj
environs
1866 MERCURE DE FRANCE
environs de cette Ville , où ils campent avec
leurs chevaux , dont chaque Tartare en a amené ,
cinq ou six avec lui , pour charger son butin . Ce
sont des Volontaires du Budgiak dans la Bessarabie
, commandez par des Mirzas , ou petits
Princes du Pays , qui sans ordre du Khan de la
Crimée ni de la Porte , se sont déterminez de
leur propre mouvement à aller chercher fortune
en Perse. On compte qu'ils seront sept ou huit
mille ; on les expedie ici à mesure qu'ils arrivent
après un séjour fort court , en leur donnant des
Lettres de recommandation et des ordres pour
les Pachas et autres Officiers du G. S. qui doivent
les secourir dans leur passage par terre en
Asie , et les employer où ils jugeront à propos.
On attend tous les jours de Perse , des nouvelles
d'une grande importance ; quant à present
il ne se peut rien dire de positif sur l'état où sont
les affaires des Turcs en ce Pays - là . On assure
seulement que Topal - Osman- Pacha , a dû partir
de Mossul avec une grosse Armée , munie de toute
sorte de provisions en abondance , le 19. de la
Lune de Muharem , ce qui revient au 3c . de Juin;
qu'il marchoit dans le dessein d'aller faire lever
le blocus de Bagdad , et de combattre Thamas
Kouli Khan , qui commande une Armée Persanne
, à la verité , fort superieure par le nombre
à celle des Turcs , mais fort inferieure pour
la bonté des Troupes.
Quoique Djanum- Codja ait été fait Capitan-
Pacha pour la troisième fois dès le · ƒ . May , il
n'arriva cependant ici que le 8. Juin , parce que
quelques jours avant qu'on lui rendît cette dignité
et qu'on le retirât de Lepante , dont il étoit
Pacha depuis sa derniere disgrace , il y a deux
ans , on l'avoit nommé Pacha de l'Isle de Negrepont
A O UST . 1733. 1867
grepont , et ensuite de celle de Candie , de sorte
qu'à peine fut-il arrivé à cette premiere Isle
qu'il eut ordre de passer en Candie , où deux
jours après son débarquement , il reçut de nouveaux
ordres pour venir incessamment à Constantinople
reprendre la Charge de Capitan-
Pacha.
Abdi-Capoudan est mort le 12. Juin ; c'étoit
un homme doux et fort raisonnable . De Capitaine
du Port qu'il étoit , quand la Révolution
de Constantinople arriva le 28. Septembre 1730.
le G. S. Achmet III . avant que d'être détrôné ,
le fit Capitan - Pacha , mais il ne resta en place
qu'environ un mois , et il fut envoyé Pacha à
Napoli de Romanie , d'où on l'avoit fait venirpour
exercer , par interim , les fonctions de Capitan-
Pacha , ce qu'il a fait quoiqu'accablé d'infirmitez
, depuis le 16. May jusqu'au jour que
Djanum -Codja est revenu en dernier lieu remplir
cette importante Charge.
Le 28. Juin , ce nouveau Capitan - Pacha fit ce
qu'on appelle ici sa Sortie , c'est - à- dire , qu'il
alla avec toutes les Galeres , saluer le G. S. qui .
étoit dans un Kiose ou Pavillon du Serrail , au
rez - de -chaussée , sur le bord de la Mer. Sa
Hautesse le fit revêtir , suivant la coûtume
d'une Félisse de Samour , et fit donner un Caftan
à chacun des Beys ou Capitaine des douze
Galeres qui avoient accompagné la Bastarde ,
que Djanum- Codja montoit , et qui est pour le
rang comme la Reale ou la Patrone en France.
Après quoi toutes ces Galeres ayant fait chacune
une décharge de son Artillerie en passant devant
le Kiosc du Sultan , elles allerent moüiller
le long du Canal de la Mer Noire , du côté
d'Europe , depuis l'entrée du Port jusqu'à Bechik-
Tach. Le
1868 MERCURE DE FRANCE
Le 2. de ce mois , Djanum - Codja est parti
avec 10. Galeres seulement , les trois autres qui
rentrerent dans le Port
ayant apparemment
une autre destination. On dit qu'il va visiter
les principales Isles de l'Archipel , et de - là pren
dre le commandement des Vaisseaux du G. S.
qui ont pris les devans en differens temps an
nombre de douze , qui doivent être joints par
les cinq Vaisseaux que les Algeriens ont sauvés
de leur nauffrage aux Isles de Mosconisy , et
par deux ou trois autres qu'on acheve d'armer
ici , et dont un a déja fait voile depuis le départ
de Djanum- Codja.
Le Sultan Hassan , fils du feu G. S. Mustapha
, frere du G. S. d'aujourd'hui , mourut le
3. de Juin dernier , jour de la Fête du petit Bairam
, d'une maladie , dont , comme il arrive
d'ordinaire à la mort de ses pareils, le Public n'a
pas été bien informé. On dit que ce Prince , qui
avoit environ 34. ans , étoit beau , grand et bien
fait. C'étoit le cadet de S. H. et l'aîné du Sultan
Soliman,qu'on dit être aussi fort aimable, et qui
est le dernier des Enfans de Mustapha détrôné
en 1703. Je suis , &c .
P. V. D.
Depuisle Le du mois de May dernier ,
Epuis la Lettre , Monsieur , que je vous
ou
je vous mandois que plus de 30000. Tartares
s'acheminoient vers la Perse par une nouvelle
route qu'ils s'étoient faite à travers les Rochers
du Mont Caucase , on a eu plusieurs avis qui
portent que leur nombre s'étoit acru de moitié
en chemin , et qu'ils étoient arrivez dans le Daguestan
; qu'ils s'y étoient joints aux Lesghis,Sujets
du G.S. qui habitent une partie des Montagnes
dont toute cette Province est composée;que
ces deux Peuples devoient aller incessamment
savager ensemble les Frontieres de Perse de ce
côté-là , et que les Lesghis , de l'autre partie du
Daguestan , qui est sous la domination des Moscovites
s'étoient la plupart révoltez pour se
mettre sous celle de l'Empire Ottoman. On dou
te cependant encore ici de la certitude de ces
nouvelles , parce que l'Aga , qui est allé par
ordre de la Porte, accompagner les Tartares dans
leur marche , et qui est chargé d'en venir rendre
compte , ainsi que de leur arrivée en Perse , n'est
pas encore de retour à Constantinople.
J'ajouterai à l'occasion des Tartares , que de
puis quelques jours il en vient par troupes aux
"
H vj
environs
1866 MERCURE DE FRANCE
environs de cette Ville , où ils campent avec
leurs chevaux , dont chaque Tartare en a amené ,
cinq ou six avec lui , pour charger son butin . Ce
sont des Volontaires du Budgiak dans la Bessarabie
, commandez par des Mirzas , ou petits
Princes du Pays , qui sans ordre du Khan de la
Crimée ni de la Porte , se sont déterminez de
leur propre mouvement à aller chercher fortune
en Perse. On compte qu'ils seront sept ou huit
mille ; on les expedie ici à mesure qu'ils arrivent
après un séjour fort court , en leur donnant des
Lettres de recommandation et des ordres pour
les Pachas et autres Officiers du G. S. qui doivent
les secourir dans leur passage par terre en
Asie , et les employer où ils jugeront à propos.
On attend tous les jours de Perse , des nouvelles
d'une grande importance ; quant à present
il ne se peut rien dire de positif sur l'état où sont
les affaires des Turcs en ce Pays - là . On assure
seulement que Topal - Osman- Pacha , a dû partir
de Mossul avec une grosse Armée , munie de toute
sorte de provisions en abondance , le 19. de la
Lune de Muharem , ce qui revient au 3c . de Juin;
qu'il marchoit dans le dessein d'aller faire lever
le blocus de Bagdad , et de combattre Thamas
Kouli Khan , qui commande une Armée Persanne
, à la verité , fort superieure par le nombre
à celle des Turcs , mais fort inferieure pour
la bonté des Troupes.
Quoique Djanum- Codja ait été fait Capitan-
Pacha pour la troisième fois dès le · ƒ . May , il
n'arriva cependant ici que le 8. Juin , parce que
quelques jours avant qu'on lui rendît cette dignité
et qu'on le retirât de Lepante , dont il étoit
Pacha depuis sa derniere disgrace , il y a deux
ans , on l'avoit nommé Pacha de l'Isle de Negrepont
A O UST . 1733. 1867
grepont , et ensuite de celle de Candie , de sorte
qu'à peine fut-il arrivé à cette premiere Isle
qu'il eut ordre de passer en Candie , où deux
jours après son débarquement , il reçut de nouveaux
ordres pour venir incessamment à Constantinople
reprendre la Charge de Capitan-
Pacha.
Abdi-Capoudan est mort le 12. Juin ; c'étoit
un homme doux et fort raisonnable . De Capitaine
du Port qu'il étoit , quand la Révolution
de Constantinople arriva le 28. Septembre 1730.
le G. S. Achmet III . avant que d'être détrôné ,
le fit Capitan - Pacha , mais il ne resta en place
qu'environ un mois , et il fut envoyé Pacha à
Napoli de Romanie , d'où on l'avoit fait venirpour
exercer , par interim , les fonctions de Capitan-
Pacha , ce qu'il a fait quoiqu'accablé d'infirmitez
, depuis le 16. May jusqu'au jour que
Djanum -Codja est revenu en dernier lieu remplir
cette importante Charge.
Le 28. Juin , ce nouveau Capitan - Pacha fit ce
qu'on appelle ici sa Sortie , c'est - à- dire , qu'il
alla avec toutes les Galeres , saluer le G. S. qui .
étoit dans un Kiose ou Pavillon du Serrail , au
rez - de -chaussée , sur le bord de la Mer. Sa
Hautesse le fit revêtir , suivant la coûtume
d'une Félisse de Samour , et fit donner un Caftan
à chacun des Beys ou Capitaine des douze
Galeres qui avoient accompagné la Bastarde ,
que Djanum- Codja montoit , et qui est pour le
rang comme la Reale ou la Patrone en France.
Après quoi toutes ces Galeres ayant fait chacune
une décharge de son Artillerie en passant devant
le Kiosc du Sultan , elles allerent moüiller
le long du Canal de la Mer Noire , du côté
d'Europe , depuis l'entrée du Port jusqu'à Bechik-
Tach. Le
1868 MERCURE DE FRANCE
Le 2. de ce mois , Djanum - Codja est parti
avec 10. Galeres seulement , les trois autres qui
rentrerent dans le Port
ayant apparemment
une autre destination. On dit qu'il va visiter
les principales Isles de l'Archipel , et de - là pren
dre le commandement des Vaisseaux du G. S.
qui ont pris les devans en differens temps an
nombre de douze , qui doivent être joints par
les cinq Vaisseaux que les Algeriens ont sauvés
de leur nauffrage aux Isles de Mosconisy , et
par deux ou trois autres qu'on acheve d'armer
ici , et dont un a déja fait voile depuis le départ
de Djanum- Codja.
Le Sultan Hassan , fils du feu G. S. Mustapha
, frere du G. S. d'aujourd'hui , mourut le
3. de Juin dernier , jour de la Fête du petit Bairam
, d'une maladie , dont , comme il arrive
d'ordinaire à la mort de ses pareils, le Public n'a
pas été bien informé. On dit que ce Prince , qui
avoit environ 34. ans , étoit beau , grand et bien
fait. C'étoit le cadet de S. H. et l'aîné du Sultan
Soliman,qu'on dit être aussi fort aimable, et qui
est le dernier des Enfans de Mustapha détrôné
en 1703. Je suis , &c .
P. V. D.
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Résumé : De Constantinople le 8. Juillet 1733.
Le 8 juillet 1733, des rapports indiquent que plus de 30 000 Tartares se dirigeaient vers la Perse en empruntant une nouvelle route à travers les rochers du Mont Caucase. Leur nombre aurait doublé en chemin, atteignant environ 60 000. Ils se sont alliés aux Lesghis du Daguestan, sujets du Sultan, pour attaquer les frontières persanes. Parallèlement, les Lesghis sous domination moscovite se sont révoltés pour se placer sous l'Empire Ottoman. Cependant, ces informations restent incertaines, car l'Aga envoyé pour accompagner les Tartares n'est pas encore revenu. Des Tartares volontaires du Budgiak en Bessarabie, commandés par des Mirzas, sont également arrivés à Constantinople. Ils sont environ 7 000 à 8 000 et ont été envoyés vers la Perse avec des lettres de recommandation et des ordres pour les Pachas. En Perse, Topal Osman Pacha a quitté Mossul avec une armée pour lever le blocus de Bagdad et combattre Thamas Kouli Khan, dont l'armée persane est plus nombreuse mais moins qualifiée. Djanum Codja a été nommé Capitain-Pacha pour la troisième fois le 1er mai et est arrivé à Constantinople le 8 juin. Abdi-Capoudan, ancien Capitain-Pacha, est décédé le 12 juin. Le 28 juin, Djanum Codja a effectué sa 'Sortie' avec les galères pour saluer le Sultan. Le Sultan Hassan, fils du défunt Mustapha et frère du Sultan actuel, est mort le 3 juin à l'âge de 34 ans. Djanum Codja est parti le 2 juillet avec 10 galères pour visiter les principales îles de l'Archipel et prendre le commandement des vaisseaux du Sultan.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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19
p. 73-96
LETTRE de M. D. L. C. à M. D. L. R. sur quelques particulartiez de la vie de Topal Osman Pacha, cy-devant Grand Visir de l'Empire Ottoman, et aujourd'hui Séraskier de l'Armée Turque en Perse. A Paris, ce 18 Janvier 1734.
Début :
Vous avez jugé, Monsieur, que dans les circonstances présentes où [...]
Mots clefs :
Topal Osman Pacha, Grand vizir, Arniaud, Pacha , Constantinople, Turcs, Malte, Capitaine, Empire, Fortune, Armée, Patron, Présents, Ordre, Esclavage, Sequins, Rançon, Esclave, Maître
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. D. L. C. à M. D. L. R. sur quelques particulartiez de la vie de Topal Osman Pacha, cy-devant Grand Visir de l'Empire Ottoman, et aujourd'hui Séraskier de l'Armée Turque en Perse. A Paris, ce 18 Janvier 1734.
LETTRE de M. D.L.C. à M. D.L.R.
sur quelques particularitez de la vie de
Topal Osman Pacha , cy-devant Grand
Visir de l'Empire Ottoman , et aujour
d'hui Séraskier de l'Armée Turque en
Perse . A Paris , ce 18 Janvier 1734.
V
Ous avez jugé , Monsieur , que
dans les circonstances présentes où
les affaires d'Asie ont plus de liaison que
jamais avec celles d'Europe , ce seroit
un objet interessant pour le Public , que
la
74 MERCURE DE FRANCE
la vie et les avantures de Topal Osman
qui jouë aujourd'hui un si grand rôle .
Je crois que l'Auteur de la Rela .
tion de la Révolution arrivée en 1730. à
Constantinople n'a pas abandonné le
dessein où je l'ai vu, d'écrire cette vie, véritablement
digne de la curiosité du Public
. Personne n'est plus capable que lui
de bien exécuter ce projet; et s'il est aussi
bien servi par ceux qui sont à portée de
lui procurer des Mémoires , que je le
connois exact et ami de la verité ; nous
verrons dans un même Ouvrage la singularité
du Roman , unie à la plus scru
puleuse fidelité dans les faits historiques.
En attendant , je me fais un vrai plaisir
, Monsieur , de vous faire part de
quelques traits de la vie du Général
Turc dont je suis exactement informé . Le
Sr Arniaud , celui-la même qui racheta
Topal Osman d'esclavage à Malte , il y
a environ trente- cinq ans , vint en 1732 .
à Constantinople avec son fils ,saluer son
ancien Esclave , devenu Grand Visir.J'ai
entendu plus d'une fois raconter au pete
et au Fils ce qu'ils sçavoient de son histoire.
Le Fils a même bien voulu , à ma
priere , mettre par écrit ce qu'il a pû s'en
rappeller, et m'en laisser le Mémoire que
je
JANVIER. 1734. 75
je conserve , écrit de sa main. Ce qui suit
est tiré de ce Mémoire. J'y ai joint
quelques circonstances que je lui ai entendu
conter , ou à son Pere, et j'ai ajouté
les faits dont j'ai eu connoissance
pendant mon séjour à Constantinople ,
concernant l'arrivée du Sr Arniaud , son
Audiance du Visir , la déposition de ce
Ministre , &c. tous faits qui se sont passez
presque sous mes yeux ; mais dont
je ne garantis cependant pas la verité
quelque attention que j'aye eu à consulter
les témoins oculaires autant que je
l'ai pû , et à ne rapporter icy que ce que
je trouve sur un Journal , écrit dans le
temps.
Osman avoit reçu dans le Sérail du
Grand Seigneur l'éducation qui n'étoit
autrefois destinée qu'aux Enfans de Tribut
, ( a ) Chrétiens de naissance . Les
Turcs ont depuis brigué ces Places pour
leurs propres Enfans , ensorte qu'aujour
d'hui presque tous les Eleves du Sérail
sont de race Turque .
En 1698 ou 99. à l'âge de 25 ans ou
environ, Osman Aga sortit du Sérail, où il
exerçoit l'emploi de (b) Martolos Bachi.
( a ) Voyez Ricaut, Etat présent de l'Empire Ot
toman.
(b ) Intendant des Voitures.
7
N
6 MERCURE DE FRANCE
Il étoit porteur d'un Ordre du Grand Sergneur
, et chargé d'une commission pour
aller remettre quelques Beys du Čaire
dans la possession de leurs biens , dont
ils avoient été destituez pendant ces troubles
qui sont si fréquents en Egypte. I
prit sa route par terre jusqu'à Seyde , où
pour éviter la rencontre des Arabes qui
infestoient le Païs , il fut obligé de s'embarquer
sur une ( a ) Saïque , qui passoit
à Damiette . Dans ce, court trajet la Saïque
fut malheureusement rencontrée par
une Barque Espagnole , armée en course
à Maïorque. Quoique la partie ne fut pas
égale , le désir de conserver leurs biens
et leur liberté , fit faire les derniers ef
fort aux Passagers et à l'équipage ; ils se
deffendirent en désesperez ; l'abordage
fut sanglant. Osman s'y signala par cette
intrépidité dont il a depuis donné des
preuves en tant de rencontres ; si la valeur
de tous eut été égale à la sienne
peut-être eussent ils évité l'esclavage . Enfin
il fallut céder au nombre . Osman
Aga , percé de coups , blessé dangereusement
au bras et à la cuisse , fut pris les
armes à la main . Le Corsaire , dont le Bâtiment
avoit souffert dans le combat
( a ) Sorte de Bâtiment de Levant , propre an
ransport des Marchandises,
soit
JANVIER . 1734.
77
soit qu'il eut besoin de se raccommoder ,
ou pour quelque autre raison , relâcha à
Malte .
-
Les marques de valeur qu'Osman avoit
données dans l'action, ou plutôt la déposition
que firent sans doute les autres Passagers
,qu'il étoit chargé d'une commission
secrete du Grand Seigneur , et l'espérance
d'en tirer une grosse rançon , le firent distinguer
parmi ses compagnons d'infortune;
cependant il n'étoit pas hors de danger
de ses blessures quand il arriva à Malte ;
celle de la Cuisse étoit la plus considérable
; il en est resté estropié ; et c'est delà
que lui est demeuré le nom ou le Sobriquet
de ( a ) Topal , suivant l'usage commun
des Turcs .
*
>
Aussi- tôt que le Corsaire fut entré dans
le Port , le Sr Vincent Arniaud dit
' Hardy , natif de Marseille , qui étoit
alors Capitaine de Port à Malte , se transporta
à bord du Bâtiment , suivant le devoir
de sa Charge. Il y vit le malheureux
Aga enchaîné , qui lui fit une proposision
bien singuliere,
Fais une belle action , lui dit Topal ,
rachette - moi , tu n'y perdras rien. Arniaud
surpris de la proposition , deman .
da au Capitaine Corsaire ce qu'il pré-
( a ) Boiteux,
ten8
MERCURE DE FRANCE
tendoit pour la rançon de cet Esclave. Il:
me faut mille Sequins ( a ) , répondit le
Corsaire . Arniaud se retournant vers
Osman , lui dit : Je te vois pour la premiere
fois de ma vie , je ne te connois
point , et tu me proposes de donner sur ,
ta parole mille Sequins pour ta rançon .
Nous faisons l'un et l'autre ce qu'il nous
convient de faire, reprit Osman . Quant à
moi je suis dans les fers , il est naturel
que je mette tout en usage pour obtenir
ma liberté ; pour toi , tu es en droit de te
défier de ma bonne foy ; je n'ai aucune
sureté à te donner que ma parole , et tu.
n'as aucune raison d'y conter ; cependant
si tu veux en courir les risques , je te le
répete encore , tu ne t'en repentiras pas.
Soit que l'air d'assurance , ou que la
Phisionomie du jeune Turc prévint Arniaud
en sa faveur, soit que la singularité
de l'avanture éloignât les soupçons qu'il.
auroit pû concevoir , le Capitaine de
Port sortit avec des dispositions favora
bles pour Topal Osman , et , ce qui est
peut être encore plus extraordinaire , la
réfléxion ne les détruisit pas.
Arniaud alla rendre compte au grand
( a ) Ily a plusieurs sortes de Sequins en Levant,
qui valent depuis six jusqu'à onze francs de notre
Monnoye.
MaîJANVIER.
1734. 79
Maître Perellos de ce qui concernoit son
ministere , revint à bord et convint de
600(a )Sequins Vénitiens avec le Corsaire,
pour le prix de la rançon de son Esclave ;
son nouveau Maître le fit aussi - tôt transporter
sur une Barque Françoise, à lui ар-
partenante,où il lui envoya un Médecin ,
un Chirurgien et tous les secours neces
saires.Osman se vit bien tôt hors de danger.
Il proposa alors à son bienfaicteur
d'écrire en Levant pour se faire rembourser
de ce qu'il lui devoit. Mais comblé
des bienfaits de son nouveau Patron , il
ne crut pas abuser de sa générosité en lui
demandant une nouvelle grace . C'étoit de
le renvoyer sur sa parole et de s'en remettre
pour le tout entierement à sa
bonne foy.
Arniaud ne fut pas genereux à demi
et rencherit encore sur la demande de son
Esclave ; après lui avoir fait toutes sortes
de bons traitemens , il lui donna cette
même Barque , sur laquelle il l'avoit fait
transporter, pour en disposer à sa volonté,
et se faire conduire où bon lui sembleroit.
Osman arrivé à Malte Esclave , et racheté
le jour même , en partit huit jours
après sur un Bâtiment à ses ordres . Le
(a ) Le Sequin Vénitien vaut aujourd'hui environ
11 liv. quelques sols, Monnoye de France.
Pa80
MERCURE DE FRANCE
Pavillon François le mettoit à l'abri
des Corsaires . Il arriva heureusement
à Damiette d'où il remonta le Nil jusqu'au
Caire . Le lendemain de son arrivée
il fit compter mille Sequins au Capitaine
au
de la Barque pour être remis à son libérateur,
il y joignit deux Pelisses ( a) dè la valeur
de soo piastres , ( b ) dont il fit présent
au Capitaine . Il exécuta la commission
du Grand Seigneur , repartit pour
en aller rendre compte, arriva à Constantinople
et fut lui - même le porteur de la
nouvelle de son Esclavage.
pas
à
La reconnoissance d'Osman ne se borna
ses premiers mouvements : pendant
plusieurs années de séjour qu'il fit du
côré de Larta en Albanie où ses emplois
l'appellerent, il continua d'en donner des
preuves à son bienfaicteur , et entretint
avec lui un commerce non interrompu
de lettres et de présents.
On peut même dire que sa reconnoissance
s'étendit sur toute la Nation Françoise
; puisque depuis son avanture il n'a
laissé échaper aucune rencontre où il n'ait
donné à tous les François , qui ont eu affaire
à lui, des marques d'une bienveillance
particuliere .
( a ) Robes Fourrées .
( b ) La Piastre courante du Levant , vaut aujourd'hui
3 livres quelques sols Monnoye de France.
Les
JANVIER 1734 81
Les occasions avoient manqué jusqu'a
lors à Osman de se faire connoître et de
pousser sa fortune . La Guerre s'étant depuis
declarée entre les Venitiens et les
Turcs , le Grand Visir Aly Pacha , qui
méditoit l'invasion de la Morée , assembla
son Armée dans le voisinage de
l'Isthme de Corinthe , qui joint la Morée
au continent et le seul passage qui
puisse donner entrée par terre dans cette
presqu'Isle.
>
Tous les differents corps de Troupes
qui devoient composer l'Armée Ottomane
, se rendirent de toutes les Provinces
de l'Empire au lieu et au jour marqués
le seul Cara Mustapha Pacha ,. qui commandoit
un Corps de trois mille hommes
, arriva trois jours trop tard au rendez-
vous de l'Armée : il lui en couta la
vie , le Visir lui ayant fait trancher la
tête.
Sur ces entrefaites , Topal-Osman brulant
du désir de se signaler , vint se présenter
au Visir à la tête de mille hommes
qu'il avoit levez et pris à sa solde sans
avoir reçu aucun ordre; et le jour destiné
à l'attaque du défilé du Pas de Corinthe ,
il s'offrit de marcher le premier, et se
chargea de forcer le passage avec sa troupe
; son offre fut acceptée. Peut être la
E terreur
82 MERCURE DE FRANCE
terreur et la consternation generale qui
s'étoient répandues à l'approche d'une
Armée formidable , ne laisserent- t'elle pas à
Topal-Osman tout le merite d'une victoi
re achetée cherement ; quoiqu'il en soit,il
força le défilé , et emporta d'emblée la
Ville de Corinthe. Il reçut du Grand
Visir pour récompense les deux queues
de Pacha , et tous les Equipages de l'infortuné
Cara Mustapha.
Osman ne resta pas en si beau chemin,
et les occasions ne manquant plus à son
courage , il se distingua par
de nouveaux
exploits dont le détail nous meneroit
trop loin. L'année suivante , au Siége de
Corfou il servit en second, et fit les fonctions
de Licutenant General.
Ce fut alors qu'il fit voir que sa prudence
égaloit sa valeur ; le Siége ayant
été abandonné , Osman demeura trois
jours devant la Place depuis le départ du
General , pour favoriser la retraite des
Troupes Ottomanes ; il donna les ordres
necessaires avec toute la présence d'esprit
possible , et ne se retira qu'après avoir mis
l'Armée en sûreté.
Il étoit tems qu'un homme de cette
trempe commandât à son tour ; adoré
des troupes , la voix publique l'appelloit
au Generalat ; mais plus il se distinguoit
entre
JANVIER 89 173 4.
entre ses pareils , plus il faisoit de jaloux ,
qui bientôt étoient autant d'ennemis.
Tel est , à la honte de l'humanité et en
tout Pays , l'effet ordinaire d'un merite
superieur , mais dont les conséquences ne
sont nulle part si dangereuses qu'en Turquic.
C'est à ce tems vrai-semblablement que
doit se raporter un évenement de la vie
d'Osman qui pensa le perdre , et dont
je ne retrouve qu'une note ; je l'ai entendu
raconter au Sr Arniaud fils , avec plusieurs
circonstances qui me sont échapées
; mais il est obmis dans le Mémoire
qu'il m'a laissé qui fut fait avec précipitation
et presque au moment de son départ.
,
se
Topal - Osman par des raisons qui ne
pouvoient que lui faire honneur
broüilla avec un Pacha plus puissant que
lui , peut-être avec ce même General
qu'il avoit si utilement remplacé au Siége
de Corfou . Sa tête fut proscrite et ses
biens confisquez : il fallut céder à l'orage,
il se déroba par la fuite à la fureur de son
ennemi ; déguisé et inconnu , abandonné
des siens , il se rendit à Salonique , où il
demeura caché quelque tems . Delà sous
l'habit et l'apparence d'un simple ( a ).
( a ) Soldat de Marine Turc.
E ij
Léventi
84 MERCURE DE FRANCE
Léventi , Il s'embarqua sur une Galere et
passa à Constantinople. Pendant qu'il
agissoit sous main , sans oser paroître , es
qu'il employoit ses amis pour obtenir sa
grace , son ennemi fut déposé. C'étoit le
plus grand obstacle à la justification
d'Osman : elle fut éclatante et solemnelle.
Il fut renvoyé dans la possession de tous
ses biens , et ce fut à peu près dans ce
tems qu'il fut nommé Seraskier ου
Generalissime en Morée.
›
Tous les Consuls étant venus le saluer
en cette qualité , il donna à la Nation
Françoise les témoignages les plus marquez
de bienvaillance et de protection .
chargea les Consuls François d'écrire à
Malte au Capitaine Arniaud , pour lui
faire part de sa nouvelle dignité , et le
prier de lui envoyer un de ses fils , dont
il se voyoit en état de faire la fortune.
Un des fils d'Arniaud , celui - la même
qui a fourni ces Mémoires , se rendit
effectivement en Morée ; et pendant deux
ou trois ans qu'il demeura auprès du
Seraskier, celui - ci, tant par les dons qu'il
lui fit , que par les facilitez et les avanta
ges qu'il lui procura pour son commerce,
le mit effectivement à portée de faire des
gains considérables dont les occasions furent
négligées par le jeune homme , alors
plus
JANVIER.
1734 83
plus occupé de ses plaisirs que du soin de
sa fortune.
Topal-Osman croissant en dignitez à
mesure que son mérite devenoit plus
connu , fut fait Pacha à trois queües , et
nommé Beglier-Bey de Romelie , un des
deux plus grands Gouvernements de
l'Empire , lequel par sa proximité de la
Frontiere de Hongrie est un poste encore
plus important.
་
En 1727. le Capitaine Arniaud , âgé
de soixante et sept ans , passa avec son
fils à Salonique , et alla voir le Beglier
Bey à Nysse où il faisoit sa résidence . Ils
en reçurent l'accueil le plus favorable et
le plus tendre ; il déposa en leur présen ,
ce le faste de sa dignité , les embrassa
leur fit servir le Sorbet et le Parfum , et
les fit asseoir sur le Sopha , faveur singuliere
de la part d'un Pacha du premier
ordre , sur tout quand elle est accordée à
un Chrétien. Il les combla d'honneurs et
de présents , et leur voyage leur valut
plus de 15000 livres. En prenant congé
du Pacha , son ancien Patron lui dit qu'il
esperoit bien avant que de mourir l'aller
saluer à Constantinople en qualité de
Grand Visir ; c'étoit plutôt alors un
souhait qu'une espérance , l'évenement
en a fait une prédiction.
E iij
Le
36 MERCURE DE FRANCE
Le Grand Visir Ibrahim Pacha après
avoir joüi douze ou treize ans tranquillement
d'une dignité jusques - là si orageuse,
périt cruellement comme tout le monde
sçait dans la Révolution de 1730. ( a )
En moins d'un an il eut trois successeurs.
Au mois de Septembre 1731 , Topal-
Osman fut appellé pour remplir à son
tour un poste dangereux par lui- même ,
et devenu plus délicat dans les circonstances
présentes . Il ignoroit encore quelle
place lui étoit destinée ; lorsqu'étant
en chemin pour se rendre à Constantinople
, il fit écrire à Malte par le Consul
Francois de Salonique et mander au Capitaine
Arniaud qu'il pouvoit lui et ses
enfans venir trouver Topal-Osman en
quelque lieu du monde que la fortune
l'appellât. Après son arrivée à Constantinople
il fit prier l'Ambassadeur de
France d'écrire de nouveau et d'inviter
son ancien Patron à le venir voir ; lui
recommandant de ne point perdre de
tems, parce qu'un Grand Visir pour l'ordinaire
ne demeuroit pas long- tems en
place.
Arniaud profita de l'avis ; il vint à
Constantinople avec son fils au mois de
( a ) Voyez le Supplement du Mercure d'Avri
1731
JanJANVIER.
1734 87
Janvier 1732. Aussi - tôt que le Visir fut
informé de leur arrivée , il leur envoya
un Officier de confiance , leur dire qu'il
leur donneroit Audiance le lendemain.
après midi. On pensoit qu'il les recevroit
en particulier , pour ne point commettre
sa dignité en faisant à des Chrétiens
un accueil qui pourroit indisposer les
Grands de la Porte , sur tout dans un
tems où la fermentation des esprits se
ressentoit encore des troubles de la derniere
Révolution. Les deux François se
rendirent le lendemain au Palais du Grand
Visir, à l'heure marquée, avec les présents
qu'ils lui avoient aportés de Malte, consistant
en plusieurs Caisses d'Oranges ,
Citrons , Bergamotes , &c. diverses sor
tes de Confitures , des Orangers chargez
de feuilles et de fleurs , des Serins dé
Canarie dont les Turcs sont fort curieux ,
et ce qui l'emportoit sur tout le reste ,
en douze Turcs rachetez de l'esclavage à
Malte.
Tous ces présents , par ordre du Visir ,
furent rangez et exposez à la vûë. Le
vieux Arniaud âgé de soixante et douze
ans , accompagné de son fils , fut introduit
devant le Grand Visir. Il les reçût
en présence des plus grands Officiers de
l'Empire , avec les témoignages de la plus
E iiij
tendre
38 MERCURE DE FRANCE
tendre affection . Vous voyez , dit - il , en
adressant la parole aux Turcs qui l'environnoient
, et leur montrant les Esclaves
rachetez, vous voyez vos freres qui jouissent
de la liberté après avoir langui dans
l'esclavage : ce François est leur libérareur
. J'ai été esclave comme eux
ajouta-t'il , j'étois chargé de chaînes
percé de coups , couvert de blessures ,
voilà celui qui m'a racheté , qui m'a sauvé
; voilà mon Patron : liberté , vie
fortune , je lui dois tout. Il a payé sans
e connoître mille Sequins pour ma rançon.
Il m'a renvoyé sur ma parole ; il m'a
donné un Vaisseau pour me conduire ou
je voudrois :où est,même le Musulman ,capable
d'une pareille action de génerosité?
Tous les assistants avoient les yeux tournez
sur le vieillard qui tenoit les mains
du Grand Visir embrassées .Tous les Officiers
de ce Ministre , tous les gens de sa
maison se disoient les uns aux autres
voilà l'Aga ( a ) le Patron du Visir; voilà
celui qui a racheté notre Maître.
Cinq ans auparavant Osman étant Pacha
de Nysse , n'avoit pas voulu permettre
que son ancien Patron lui baisât
la main. Devenu Grand- Visir , il souf-
( a ) Les Esclavos Tures appellens leur Maître
tum Aga.
frit
JANVIER 1734 89
frit cette marque de respect et de soumission
, et crut devoir en agir ainsi
sur tout en présence des Grands de l'Empire
, pour qui c'eût été une faveur ,
eux qui se trouvent honorez de baiser
le bas de la veste d'un Grand Visir , et
dont plusieurs même murmuroient en
secret de l'honneur que celui- cy faisoit
à de vils Ghiaours . (a)
,
Le Visir fit ensuite au Pere et au Fils
diverses questions sur l'état présent de leur
fortune et sur les pertes qu'ils avoien
essuyées dans leur commerce. Après avoir
écouté leurs réponses avec bonté , il répliqua
par une Sentence Arabe Allah-
Kerim , qui signifie à la lettre , Dleu est
liberal , et dans un sens plus étendu , la
Providence de Dieu est grande ; elle m'a
mis en état , ajoûta - t'il , d'adoucir votre
situation. Il fit ensuite devant eux la
destination de leurs présents , dont il
envoya sur le champ la plus grande partie
au Grand- Seigneur , à la Validé ¯ ( b)
et au Kislar- Agă, ( c)
Les deux François , comblez des cares-
(a) Ghiaours est un terme de mépris dont les
Tures se servent pour désigner ceux qui ne sont pas
Musulmans.
(b) Sultane Mere.
(c) Chef des Eunuques noirs.
E v se
90 MERCURE DE FRANCE
•
ses du Grand-Visir , prirent congé de lui.
Il avoit donné ordre de leur préparer
un Appartement dans son Palais ; il leur
fit quelques reproches en apprenant qu'ils
retournoient au Palais de France ; il chargea
l'Interprete de les recommander de
sa part à M. l'Ambassadeur , en le faisant
assurer qu'il lui auroit obligation
de tout ce qu'il feroit pour eux.
Il y a assurément de la grandeur d'ame
dans la peinture que Topal- Osman fit
de son Esclavage et dans l'aveu public
de son humiliation et des obligations
qu'il avoit à son Libérateur ; mais il faudroit
connoître le profond mépris et le
fond d'éloignement que les préjugez de
la Religion et de l'éducation inspirent
aux Turcs pour tout ce qui n'est point
Musulman , et en particulier pour les
Chrétiens , pour sentir toute la beauté
et la noblesse de cette action , qui se passa
aux yeux de toute sa Cour.
Le Fils du Visir reçut ensuite le Pere et le
Fils en particulier dans son Appartement,
où il ne garda aucunes mesures. Il les
embrassa l'un et l'autre, les traita avec la
même familiarité qu'avoit fait son Pere
étant Pacha de Nysse , et leur fit promettre
de le venir voir souvent.
Ils eurent peu de temps avant leur départ
JANVIER. 1734- 91
part une autre Audiance particuliere du
Visir , où ce Ministre n'ayant plus de
bienséance à observer , oublia son rang
pour ne plus se souvenir que de ce qu'il
devoit à son Bienfaicteur. Il lui avoit
déja fait rembourser liberalement la rançon
des douze Esclaves , et procuré le
payement d'une ancienne dette regardée
comme perdue. Il y ajoûta de nouveaux
présents en argent , et un Commandement
ou permission expresse pour faire
gratis à Salonique , un chargement de
bled , sur lequel il y avoit un profit à
faire d'autant plus considerable que ce
commerce étoit interdit aux Etrangers
depuis plusieurs années. Cette gratifica
tion montoit à plus de dix mille écus .
Le Visir , qui eût voulu mesurer sa libé
ralité sur sa reconnoissance , qui étoit'sans
bornes, leur fit entendre qu'il ne pouvoit
pas faire tout ce qu'il vouloit, et peut - être
n'en faisoit- il déja que trop aux yeux de
ceux qui ne jugent des actions d'un Ministre
que par leur interêt particulier.
Il fit ressouvenir Arniaud le fils de son
voyage en Morée , et du temps où il n'avoit
tenu qu'à lui de faire une grande
fortune par les occasions qu'il lui avoit
procurées. Il finit par leur dire qu'un
Pacha étoit le Maître dans son Gouverne
E vi
ment
92 MERCURE DE FRANCE
ment , mais qu'un Visir à Constantinople
avoit un plus grand Maître que lui .
Topal- Osman , par sa vigilance et sæ
fermeté, avoit remis l'abondance , le bon
ordre et la Police dans Constantinople ,
où depuis la Révolution jusqu'à son Ministere
, la licence et le desordre n'avoient
pû être réprimez , et où la disette
et la cherté des vivres étoient excessives.
Quoiqu'on lui ait reproché une trop
grande séverité, il est de fait qu'il n'a condamné
à mort même les plus vils et les plus
séditieux des mutins , que sur le Fetfa (a)
du Mufti. Peut-être dans les conjonctures
présentes un homme de ce caractére étoitil
nécessaire pour prévenir une nouvelle
révolte et rétablir la tranquillité publique;
ce qu'il y a de certain , et qui est bien à
son honneur , c'est qu'il fut regretté de
tous les gens de bien et des bons Citoyens,
lorsqu'il fut ôté de place au mois de
Mars 1732.
On ne sçut pas bien , du moins alors ,
les véritables motifs de sa déposition .
Un mois auparavant les bruits publics
l'avoient annoncée pour le temps précis
où elle arriva : elle avoit été précedée de
quelques jours par celle du Mufti , qui
(a) Sorte de consultation du Mufti , qui décide
suivant la Loy , de la peine duë au coupable.
avoit
JANVIER. 1734. 93
avoit opiné pour la Paix , ainsi que le
Visir dans le Conseil extraordinaire, tenu
depuis peu au sujet des affaires de Perse ;
l'un et l'autre avoient insisté fortement sur
la nécessité de ratifier le Traité conclu par
Achmet-Pacha , Gouverneur de Bagdad,
en vertu de son plein pouvoir. La déposition
de ces deux Ministres fut regardée
, avec raison , comme un mistere de
politique ; car il faut avouer que tout
ce qu'on en dit dans le temps ne passoit
pas la conjecture.
Topal - Osman , qui avoit dès longtemps
prévû ce revers , le soutint avec
la plus parfaite tranquillité. En sortant
du Serrail , après avoir remis le Sceau de
l'Empire , il trouva toutes ses Créatures
et tous les Gens de sa Maison abatus et
consternez : de quoi vous affligez - vous ,
leur dit - il , ne vous ai-je pas dit qu'un
Visir ne restoit pas long- temps en place ?
Toute mon inquiétude étoit de sçavoir
comment j'en sortirois ; grace à Dieu on
n'a rien à me reprocher ; le Sultan est satisfait
de mes services ; je pars tranquille.
et content.
Il donna ensuite ses ordres pour un
Sacrifice (a) d'actions de graces , distri-
(a) Cette coûtume est pratiquée parmi les Turcs
en certaines occasions , comme pour obtenir un heureux
succès , &c.
94 MERCURE DE FRANCE
bua de l'argent à ses Domestiques et leur
ordonna de se réjouir . Il se ressouvint
aussi dans ce moment de son Bienfaicteur
, en prévoyant le chagrin que cet
évenement lui causeroit. Qu'on lui dise
qu'il se console , ajoûta- t'il , je ne désespere
pas de le revoir encore , dites lui
qu'il me retrouvera toujours; qu'on écrive
à Salonique, que l'on soit exact à lui donner
la quantité de bled que j'ai ordonné ;
si j'apprends qu'il en manque une mesure
, je ferai voir que je ne suis pas mort. Il
donna quelques autres ordres concernant
ses affaires domestiques et partit pour Trébisonde
, dont il avoit été nommé Pacha.
Si la reconnoissance , toute naturelle
qu'elle est aux coeurs genereux, passe pour
une vertu rare sur tout chez les Grands , il
faut convenir qu'elle reçoit ici un nouvel
éclat par la circonstance et le moment
où Topal - Osman rappella le souvenir de
son Bienfaicteur.
Jamais déposition de Visir n'eut moins
Fair d'une disgrace ; il n'y a point d'exemple
qu'un Ministre disgracié ait été
traité avec autant d'égards et de distinction.
Le Grand- Seigneur lui fit dire de
laisser son fils à Constantinople et qu'il
en prendroit soin ; et quatre jours après
ce même fils eut l'honneur de présenter
JANVIER 1734 99
à Sa Hautesse le présent qui lui avoit été
destiné par son Pere , pour le jour de Bayram.
(a) Il consistoit en un Harnois de
Cheval, enrichi de Pierreries , estimé 50000
Piastres ; c'est ce que Topal Osman avoit
en partant expressément recommandé à
son fils ; quoique , n'étant plus en place ,
il eût pû se dispenser de faire le présent
qu'il avoit fait préparer en qualité
de Grand- Visir.
•
Peu de jours après il reçut sur sa route
de nouveaux ordres pour aller commander
en Perse , à la Place d'Ali Pacha´, qui
venoit d'être nommé Grand- Visir à la
sienne. Osman alla tranquillement relever
son Successeur au Visiriat , dans
le poste de Séraskier , où il a rendu depuis
deux ans à sa Patrie des services
peut- être plus importants qu'il n'auroit
pû faire , s'il fût demeuré Grand - Visir ,
puisque non-seulement il a trouvé le secret
de soutenir une guerre difficile dans
un Pays désert et ruiné , à quatre cent
lieues de la Capitale , le plus souvent dénué
des secours d'argent , d'hommes , de
vivres et de munitions ; mais encore qu'il
a remporté une victoire complette (b)
(a ) Fête solemnelle des Turcs , pendant laquelle
ils se font des présens .
(b) Le 19. Juillet 1733 •
en
96 MERCURE DE FRANCE
en bataille rangée sur un Ennemi ( a) digne
de lui , battu les Persans en trois rencontres
, (b) et humilié l'orgueil de leur
fier General .
sur quelques particularitez de la vie de
Topal Osman Pacha , cy-devant Grand
Visir de l'Empire Ottoman , et aujour
d'hui Séraskier de l'Armée Turque en
Perse . A Paris , ce 18 Janvier 1734.
V
Ous avez jugé , Monsieur , que
dans les circonstances présentes où
les affaires d'Asie ont plus de liaison que
jamais avec celles d'Europe , ce seroit
un objet interessant pour le Public , que
la
74 MERCURE DE FRANCE
la vie et les avantures de Topal Osman
qui jouë aujourd'hui un si grand rôle .
Je crois que l'Auteur de la Rela .
tion de la Révolution arrivée en 1730. à
Constantinople n'a pas abandonné le
dessein où je l'ai vu, d'écrire cette vie, véritablement
digne de la curiosité du Public
. Personne n'est plus capable que lui
de bien exécuter ce projet; et s'il est aussi
bien servi par ceux qui sont à portée de
lui procurer des Mémoires , que je le
connois exact et ami de la verité ; nous
verrons dans un même Ouvrage la singularité
du Roman , unie à la plus scru
puleuse fidelité dans les faits historiques.
En attendant , je me fais un vrai plaisir
, Monsieur , de vous faire part de
quelques traits de la vie du Général
Turc dont je suis exactement informé . Le
Sr Arniaud , celui-la même qui racheta
Topal Osman d'esclavage à Malte , il y
a environ trente- cinq ans , vint en 1732 .
à Constantinople avec son fils ,saluer son
ancien Esclave , devenu Grand Visir.J'ai
entendu plus d'une fois raconter au pete
et au Fils ce qu'ils sçavoient de son histoire.
Le Fils a même bien voulu , à ma
priere , mettre par écrit ce qu'il a pû s'en
rappeller, et m'en laisser le Mémoire que
je
JANVIER. 1734. 75
je conserve , écrit de sa main. Ce qui suit
est tiré de ce Mémoire. J'y ai joint
quelques circonstances que je lui ai entendu
conter , ou à son Pere, et j'ai ajouté
les faits dont j'ai eu connoissance
pendant mon séjour à Constantinople ,
concernant l'arrivée du Sr Arniaud , son
Audiance du Visir , la déposition de ce
Ministre , &c. tous faits qui se sont passez
presque sous mes yeux ; mais dont
je ne garantis cependant pas la verité
quelque attention que j'aye eu à consulter
les témoins oculaires autant que je
l'ai pû , et à ne rapporter icy que ce que
je trouve sur un Journal , écrit dans le
temps.
Osman avoit reçu dans le Sérail du
Grand Seigneur l'éducation qui n'étoit
autrefois destinée qu'aux Enfans de Tribut
, ( a ) Chrétiens de naissance . Les
Turcs ont depuis brigué ces Places pour
leurs propres Enfans , ensorte qu'aujour
d'hui presque tous les Eleves du Sérail
sont de race Turque .
En 1698 ou 99. à l'âge de 25 ans ou
environ, Osman Aga sortit du Sérail, où il
exerçoit l'emploi de (b) Martolos Bachi.
( a ) Voyez Ricaut, Etat présent de l'Empire Ot
toman.
(b ) Intendant des Voitures.
7
N
6 MERCURE DE FRANCE
Il étoit porteur d'un Ordre du Grand Sergneur
, et chargé d'une commission pour
aller remettre quelques Beys du Čaire
dans la possession de leurs biens , dont
ils avoient été destituez pendant ces troubles
qui sont si fréquents en Egypte. I
prit sa route par terre jusqu'à Seyde , où
pour éviter la rencontre des Arabes qui
infestoient le Païs , il fut obligé de s'embarquer
sur une ( a ) Saïque , qui passoit
à Damiette . Dans ce, court trajet la Saïque
fut malheureusement rencontrée par
une Barque Espagnole , armée en course
à Maïorque. Quoique la partie ne fut pas
égale , le désir de conserver leurs biens
et leur liberté , fit faire les derniers ef
fort aux Passagers et à l'équipage ; ils se
deffendirent en désesperez ; l'abordage
fut sanglant. Osman s'y signala par cette
intrépidité dont il a depuis donné des
preuves en tant de rencontres ; si la valeur
de tous eut été égale à la sienne
peut-être eussent ils évité l'esclavage . Enfin
il fallut céder au nombre . Osman
Aga , percé de coups , blessé dangereusement
au bras et à la cuisse , fut pris les
armes à la main . Le Corsaire , dont le Bâtiment
avoit souffert dans le combat
( a ) Sorte de Bâtiment de Levant , propre an
ransport des Marchandises,
soit
JANVIER . 1734.
77
soit qu'il eut besoin de se raccommoder ,
ou pour quelque autre raison , relâcha à
Malte .
-
Les marques de valeur qu'Osman avoit
données dans l'action, ou plutôt la déposition
que firent sans doute les autres Passagers
,qu'il étoit chargé d'une commission
secrete du Grand Seigneur , et l'espérance
d'en tirer une grosse rançon , le firent distinguer
parmi ses compagnons d'infortune;
cependant il n'étoit pas hors de danger
de ses blessures quand il arriva à Malte ;
celle de la Cuisse étoit la plus considérable
; il en est resté estropié ; et c'est delà
que lui est demeuré le nom ou le Sobriquet
de ( a ) Topal , suivant l'usage commun
des Turcs .
*
>
Aussi- tôt que le Corsaire fut entré dans
le Port , le Sr Vincent Arniaud dit
' Hardy , natif de Marseille , qui étoit
alors Capitaine de Port à Malte , se transporta
à bord du Bâtiment , suivant le devoir
de sa Charge. Il y vit le malheureux
Aga enchaîné , qui lui fit une proposision
bien singuliere,
Fais une belle action , lui dit Topal ,
rachette - moi , tu n'y perdras rien. Arniaud
surpris de la proposition , deman .
da au Capitaine Corsaire ce qu'il pré-
( a ) Boiteux,
ten8
MERCURE DE FRANCE
tendoit pour la rançon de cet Esclave. Il:
me faut mille Sequins ( a ) , répondit le
Corsaire . Arniaud se retournant vers
Osman , lui dit : Je te vois pour la premiere
fois de ma vie , je ne te connois
point , et tu me proposes de donner sur ,
ta parole mille Sequins pour ta rançon .
Nous faisons l'un et l'autre ce qu'il nous
convient de faire, reprit Osman . Quant à
moi je suis dans les fers , il est naturel
que je mette tout en usage pour obtenir
ma liberté ; pour toi , tu es en droit de te
défier de ma bonne foy ; je n'ai aucune
sureté à te donner que ma parole , et tu.
n'as aucune raison d'y conter ; cependant
si tu veux en courir les risques , je te le
répete encore , tu ne t'en repentiras pas.
Soit que l'air d'assurance , ou que la
Phisionomie du jeune Turc prévint Arniaud
en sa faveur, soit que la singularité
de l'avanture éloignât les soupçons qu'il.
auroit pû concevoir , le Capitaine de
Port sortit avec des dispositions favora
bles pour Topal Osman , et , ce qui est
peut être encore plus extraordinaire , la
réfléxion ne les détruisit pas.
Arniaud alla rendre compte au grand
( a ) Ily a plusieurs sortes de Sequins en Levant,
qui valent depuis six jusqu'à onze francs de notre
Monnoye.
MaîJANVIER.
1734. 79
Maître Perellos de ce qui concernoit son
ministere , revint à bord et convint de
600(a )Sequins Vénitiens avec le Corsaire,
pour le prix de la rançon de son Esclave ;
son nouveau Maître le fit aussi - tôt transporter
sur une Barque Françoise, à lui ар-
partenante,où il lui envoya un Médecin ,
un Chirurgien et tous les secours neces
saires.Osman se vit bien tôt hors de danger.
Il proposa alors à son bienfaicteur
d'écrire en Levant pour se faire rembourser
de ce qu'il lui devoit. Mais comblé
des bienfaits de son nouveau Patron , il
ne crut pas abuser de sa générosité en lui
demandant une nouvelle grace . C'étoit de
le renvoyer sur sa parole et de s'en remettre
pour le tout entierement à sa
bonne foy.
Arniaud ne fut pas genereux à demi
et rencherit encore sur la demande de son
Esclave ; après lui avoir fait toutes sortes
de bons traitemens , il lui donna cette
même Barque , sur laquelle il l'avoit fait
transporter, pour en disposer à sa volonté,
et se faire conduire où bon lui sembleroit.
Osman arrivé à Malte Esclave , et racheté
le jour même , en partit huit jours
après sur un Bâtiment à ses ordres . Le
(a ) Le Sequin Vénitien vaut aujourd'hui environ
11 liv. quelques sols, Monnoye de France.
Pa80
MERCURE DE FRANCE
Pavillon François le mettoit à l'abri
des Corsaires . Il arriva heureusement
à Damiette d'où il remonta le Nil jusqu'au
Caire . Le lendemain de son arrivée
il fit compter mille Sequins au Capitaine
au
de la Barque pour être remis à son libérateur,
il y joignit deux Pelisses ( a) dè la valeur
de soo piastres , ( b ) dont il fit présent
au Capitaine . Il exécuta la commission
du Grand Seigneur , repartit pour
en aller rendre compte, arriva à Constantinople
et fut lui - même le porteur de la
nouvelle de son Esclavage.
pas
à
La reconnoissance d'Osman ne se borna
ses premiers mouvements : pendant
plusieurs années de séjour qu'il fit du
côré de Larta en Albanie où ses emplois
l'appellerent, il continua d'en donner des
preuves à son bienfaicteur , et entretint
avec lui un commerce non interrompu
de lettres et de présents.
On peut même dire que sa reconnoissance
s'étendit sur toute la Nation Françoise
; puisque depuis son avanture il n'a
laissé échaper aucune rencontre où il n'ait
donné à tous les François , qui ont eu affaire
à lui, des marques d'une bienveillance
particuliere .
( a ) Robes Fourrées .
( b ) La Piastre courante du Levant , vaut aujourd'hui
3 livres quelques sols Monnoye de France.
Les
JANVIER 1734 81
Les occasions avoient manqué jusqu'a
lors à Osman de se faire connoître et de
pousser sa fortune . La Guerre s'étant depuis
declarée entre les Venitiens et les
Turcs , le Grand Visir Aly Pacha , qui
méditoit l'invasion de la Morée , assembla
son Armée dans le voisinage de
l'Isthme de Corinthe , qui joint la Morée
au continent et le seul passage qui
puisse donner entrée par terre dans cette
presqu'Isle.
>
Tous les differents corps de Troupes
qui devoient composer l'Armée Ottomane
, se rendirent de toutes les Provinces
de l'Empire au lieu et au jour marqués
le seul Cara Mustapha Pacha ,. qui commandoit
un Corps de trois mille hommes
, arriva trois jours trop tard au rendez-
vous de l'Armée : il lui en couta la
vie , le Visir lui ayant fait trancher la
tête.
Sur ces entrefaites , Topal-Osman brulant
du désir de se signaler , vint se présenter
au Visir à la tête de mille hommes
qu'il avoit levez et pris à sa solde sans
avoir reçu aucun ordre; et le jour destiné
à l'attaque du défilé du Pas de Corinthe ,
il s'offrit de marcher le premier, et se
chargea de forcer le passage avec sa troupe
; son offre fut acceptée. Peut être la
E terreur
82 MERCURE DE FRANCE
terreur et la consternation generale qui
s'étoient répandues à l'approche d'une
Armée formidable , ne laisserent- t'elle pas à
Topal-Osman tout le merite d'une victoi
re achetée cherement ; quoiqu'il en soit,il
força le défilé , et emporta d'emblée la
Ville de Corinthe. Il reçut du Grand
Visir pour récompense les deux queues
de Pacha , et tous les Equipages de l'infortuné
Cara Mustapha.
Osman ne resta pas en si beau chemin,
et les occasions ne manquant plus à son
courage , il se distingua par
de nouveaux
exploits dont le détail nous meneroit
trop loin. L'année suivante , au Siége de
Corfou il servit en second, et fit les fonctions
de Licutenant General.
Ce fut alors qu'il fit voir que sa prudence
égaloit sa valeur ; le Siége ayant
été abandonné , Osman demeura trois
jours devant la Place depuis le départ du
General , pour favoriser la retraite des
Troupes Ottomanes ; il donna les ordres
necessaires avec toute la présence d'esprit
possible , et ne se retira qu'après avoir mis
l'Armée en sûreté.
Il étoit tems qu'un homme de cette
trempe commandât à son tour ; adoré
des troupes , la voix publique l'appelloit
au Generalat ; mais plus il se distinguoit
entre
JANVIER 89 173 4.
entre ses pareils , plus il faisoit de jaloux ,
qui bientôt étoient autant d'ennemis.
Tel est , à la honte de l'humanité et en
tout Pays , l'effet ordinaire d'un merite
superieur , mais dont les conséquences ne
sont nulle part si dangereuses qu'en Turquic.
C'est à ce tems vrai-semblablement que
doit se raporter un évenement de la vie
d'Osman qui pensa le perdre , et dont
je ne retrouve qu'une note ; je l'ai entendu
raconter au Sr Arniaud fils , avec plusieurs
circonstances qui me sont échapées
; mais il est obmis dans le Mémoire
qu'il m'a laissé qui fut fait avec précipitation
et presque au moment de son départ.
,
se
Topal - Osman par des raisons qui ne
pouvoient que lui faire honneur
broüilla avec un Pacha plus puissant que
lui , peut-être avec ce même General
qu'il avoit si utilement remplacé au Siége
de Corfou . Sa tête fut proscrite et ses
biens confisquez : il fallut céder à l'orage,
il se déroba par la fuite à la fureur de son
ennemi ; déguisé et inconnu , abandonné
des siens , il se rendit à Salonique , où il
demeura caché quelque tems . Delà sous
l'habit et l'apparence d'un simple ( a ).
( a ) Soldat de Marine Turc.
E ij
Léventi
84 MERCURE DE FRANCE
Léventi , Il s'embarqua sur une Galere et
passa à Constantinople. Pendant qu'il
agissoit sous main , sans oser paroître , es
qu'il employoit ses amis pour obtenir sa
grace , son ennemi fut déposé. C'étoit le
plus grand obstacle à la justification
d'Osman : elle fut éclatante et solemnelle.
Il fut renvoyé dans la possession de tous
ses biens , et ce fut à peu près dans ce
tems qu'il fut nommé Seraskier ου
Generalissime en Morée.
›
Tous les Consuls étant venus le saluer
en cette qualité , il donna à la Nation
Françoise les témoignages les plus marquez
de bienvaillance et de protection .
chargea les Consuls François d'écrire à
Malte au Capitaine Arniaud , pour lui
faire part de sa nouvelle dignité , et le
prier de lui envoyer un de ses fils , dont
il se voyoit en état de faire la fortune.
Un des fils d'Arniaud , celui - la même
qui a fourni ces Mémoires , se rendit
effectivement en Morée ; et pendant deux
ou trois ans qu'il demeura auprès du
Seraskier, celui - ci, tant par les dons qu'il
lui fit , que par les facilitez et les avanta
ges qu'il lui procura pour son commerce,
le mit effectivement à portée de faire des
gains considérables dont les occasions furent
négligées par le jeune homme , alors
plus
JANVIER.
1734 83
plus occupé de ses plaisirs que du soin de
sa fortune.
Topal-Osman croissant en dignitez à
mesure que son mérite devenoit plus
connu , fut fait Pacha à trois queües , et
nommé Beglier-Bey de Romelie , un des
deux plus grands Gouvernements de
l'Empire , lequel par sa proximité de la
Frontiere de Hongrie est un poste encore
plus important.
་
En 1727. le Capitaine Arniaud , âgé
de soixante et sept ans , passa avec son
fils à Salonique , et alla voir le Beglier
Bey à Nysse où il faisoit sa résidence . Ils
en reçurent l'accueil le plus favorable et
le plus tendre ; il déposa en leur présen ,
ce le faste de sa dignité , les embrassa
leur fit servir le Sorbet et le Parfum , et
les fit asseoir sur le Sopha , faveur singuliere
de la part d'un Pacha du premier
ordre , sur tout quand elle est accordée à
un Chrétien. Il les combla d'honneurs et
de présents , et leur voyage leur valut
plus de 15000 livres. En prenant congé
du Pacha , son ancien Patron lui dit qu'il
esperoit bien avant que de mourir l'aller
saluer à Constantinople en qualité de
Grand Visir ; c'étoit plutôt alors un
souhait qu'une espérance , l'évenement
en a fait une prédiction.
E iij
Le
36 MERCURE DE FRANCE
Le Grand Visir Ibrahim Pacha après
avoir joüi douze ou treize ans tranquillement
d'une dignité jusques - là si orageuse,
périt cruellement comme tout le monde
sçait dans la Révolution de 1730. ( a )
En moins d'un an il eut trois successeurs.
Au mois de Septembre 1731 , Topal-
Osman fut appellé pour remplir à son
tour un poste dangereux par lui- même ,
et devenu plus délicat dans les circonstances
présentes . Il ignoroit encore quelle
place lui étoit destinée ; lorsqu'étant
en chemin pour se rendre à Constantinople
, il fit écrire à Malte par le Consul
Francois de Salonique et mander au Capitaine
Arniaud qu'il pouvoit lui et ses
enfans venir trouver Topal-Osman en
quelque lieu du monde que la fortune
l'appellât. Après son arrivée à Constantinople
il fit prier l'Ambassadeur de
France d'écrire de nouveau et d'inviter
son ancien Patron à le venir voir ; lui
recommandant de ne point perdre de
tems, parce qu'un Grand Visir pour l'ordinaire
ne demeuroit pas long- tems en
place.
Arniaud profita de l'avis ; il vint à
Constantinople avec son fils au mois de
( a ) Voyez le Supplement du Mercure d'Avri
1731
JanJANVIER.
1734 87
Janvier 1732. Aussi - tôt que le Visir fut
informé de leur arrivée , il leur envoya
un Officier de confiance , leur dire qu'il
leur donneroit Audiance le lendemain.
après midi. On pensoit qu'il les recevroit
en particulier , pour ne point commettre
sa dignité en faisant à des Chrétiens
un accueil qui pourroit indisposer les
Grands de la Porte , sur tout dans un
tems où la fermentation des esprits se
ressentoit encore des troubles de la derniere
Révolution. Les deux François se
rendirent le lendemain au Palais du Grand
Visir, à l'heure marquée, avec les présents
qu'ils lui avoient aportés de Malte, consistant
en plusieurs Caisses d'Oranges ,
Citrons , Bergamotes , &c. diverses sor
tes de Confitures , des Orangers chargez
de feuilles et de fleurs , des Serins dé
Canarie dont les Turcs sont fort curieux ,
et ce qui l'emportoit sur tout le reste ,
en douze Turcs rachetez de l'esclavage à
Malte.
Tous ces présents , par ordre du Visir ,
furent rangez et exposez à la vûë. Le
vieux Arniaud âgé de soixante et douze
ans , accompagné de son fils , fut introduit
devant le Grand Visir. Il les reçût
en présence des plus grands Officiers de
l'Empire , avec les témoignages de la plus
E iiij
tendre
38 MERCURE DE FRANCE
tendre affection . Vous voyez , dit - il , en
adressant la parole aux Turcs qui l'environnoient
, et leur montrant les Esclaves
rachetez, vous voyez vos freres qui jouissent
de la liberté après avoir langui dans
l'esclavage : ce François est leur libérareur
. J'ai été esclave comme eux
ajouta-t'il , j'étois chargé de chaînes
percé de coups , couvert de blessures ,
voilà celui qui m'a racheté , qui m'a sauvé
; voilà mon Patron : liberté , vie
fortune , je lui dois tout. Il a payé sans
e connoître mille Sequins pour ma rançon.
Il m'a renvoyé sur ma parole ; il m'a
donné un Vaisseau pour me conduire ou
je voudrois :où est,même le Musulman ,capable
d'une pareille action de génerosité?
Tous les assistants avoient les yeux tournez
sur le vieillard qui tenoit les mains
du Grand Visir embrassées .Tous les Officiers
de ce Ministre , tous les gens de sa
maison se disoient les uns aux autres
voilà l'Aga ( a ) le Patron du Visir; voilà
celui qui a racheté notre Maître.
Cinq ans auparavant Osman étant Pacha
de Nysse , n'avoit pas voulu permettre
que son ancien Patron lui baisât
la main. Devenu Grand- Visir , il souf-
( a ) Les Esclavos Tures appellens leur Maître
tum Aga.
frit
JANVIER 1734 89
frit cette marque de respect et de soumission
, et crut devoir en agir ainsi
sur tout en présence des Grands de l'Empire
, pour qui c'eût été une faveur ,
eux qui se trouvent honorez de baiser
le bas de la veste d'un Grand Visir , et
dont plusieurs même murmuroient en
secret de l'honneur que celui- cy faisoit
à de vils Ghiaours . (a)
,
Le Visir fit ensuite au Pere et au Fils
diverses questions sur l'état présent de leur
fortune et sur les pertes qu'ils avoien
essuyées dans leur commerce. Après avoir
écouté leurs réponses avec bonté , il répliqua
par une Sentence Arabe Allah-
Kerim , qui signifie à la lettre , Dleu est
liberal , et dans un sens plus étendu , la
Providence de Dieu est grande ; elle m'a
mis en état , ajoûta - t'il , d'adoucir votre
situation. Il fit ensuite devant eux la
destination de leurs présents , dont il
envoya sur le champ la plus grande partie
au Grand- Seigneur , à la Validé ¯ ( b)
et au Kislar- Agă, ( c)
Les deux François , comblez des cares-
(a) Ghiaours est un terme de mépris dont les
Tures se servent pour désigner ceux qui ne sont pas
Musulmans.
(b) Sultane Mere.
(c) Chef des Eunuques noirs.
E v se
90 MERCURE DE FRANCE
•
ses du Grand-Visir , prirent congé de lui.
Il avoit donné ordre de leur préparer
un Appartement dans son Palais ; il leur
fit quelques reproches en apprenant qu'ils
retournoient au Palais de France ; il chargea
l'Interprete de les recommander de
sa part à M. l'Ambassadeur , en le faisant
assurer qu'il lui auroit obligation
de tout ce qu'il feroit pour eux.
Il y a assurément de la grandeur d'ame
dans la peinture que Topal- Osman fit
de son Esclavage et dans l'aveu public
de son humiliation et des obligations
qu'il avoit à son Libérateur ; mais il faudroit
connoître le profond mépris et le
fond d'éloignement que les préjugez de
la Religion et de l'éducation inspirent
aux Turcs pour tout ce qui n'est point
Musulman , et en particulier pour les
Chrétiens , pour sentir toute la beauté
et la noblesse de cette action , qui se passa
aux yeux de toute sa Cour.
Le Fils du Visir reçut ensuite le Pere et le
Fils en particulier dans son Appartement,
où il ne garda aucunes mesures. Il les
embrassa l'un et l'autre, les traita avec la
même familiarité qu'avoit fait son Pere
étant Pacha de Nysse , et leur fit promettre
de le venir voir souvent.
Ils eurent peu de temps avant leur départ
JANVIER. 1734- 91
part une autre Audiance particuliere du
Visir , où ce Ministre n'ayant plus de
bienséance à observer , oublia son rang
pour ne plus se souvenir que de ce qu'il
devoit à son Bienfaicteur. Il lui avoit
déja fait rembourser liberalement la rançon
des douze Esclaves , et procuré le
payement d'une ancienne dette regardée
comme perdue. Il y ajoûta de nouveaux
présents en argent , et un Commandement
ou permission expresse pour faire
gratis à Salonique , un chargement de
bled , sur lequel il y avoit un profit à
faire d'autant plus considerable que ce
commerce étoit interdit aux Etrangers
depuis plusieurs années. Cette gratifica
tion montoit à plus de dix mille écus .
Le Visir , qui eût voulu mesurer sa libé
ralité sur sa reconnoissance , qui étoit'sans
bornes, leur fit entendre qu'il ne pouvoit
pas faire tout ce qu'il vouloit, et peut - être
n'en faisoit- il déja que trop aux yeux de
ceux qui ne jugent des actions d'un Ministre
que par leur interêt particulier.
Il fit ressouvenir Arniaud le fils de son
voyage en Morée , et du temps où il n'avoit
tenu qu'à lui de faire une grande
fortune par les occasions qu'il lui avoit
procurées. Il finit par leur dire qu'un
Pacha étoit le Maître dans son Gouverne
E vi
ment
92 MERCURE DE FRANCE
ment , mais qu'un Visir à Constantinople
avoit un plus grand Maître que lui .
Topal- Osman , par sa vigilance et sæ
fermeté, avoit remis l'abondance , le bon
ordre et la Police dans Constantinople ,
où depuis la Révolution jusqu'à son Ministere
, la licence et le desordre n'avoient
pû être réprimez , et où la disette
et la cherté des vivres étoient excessives.
Quoiqu'on lui ait reproché une trop
grande séverité, il est de fait qu'il n'a condamné
à mort même les plus vils et les plus
séditieux des mutins , que sur le Fetfa (a)
du Mufti. Peut-être dans les conjonctures
présentes un homme de ce caractére étoitil
nécessaire pour prévenir une nouvelle
révolte et rétablir la tranquillité publique;
ce qu'il y a de certain , et qui est bien à
son honneur , c'est qu'il fut regretté de
tous les gens de bien et des bons Citoyens,
lorsqu'il fut ôté de place au mois de
Mars 1732.
On ne sçut pas bien , du moins alors ,
les véritables motifs de sa déposition .
Un mois auparavant les bruits publics
l'avoient annoncée pour le temps précis
où elle arriva : elle avoit été précedée de
quelques jours par celle du Mufti , qui
(a) Sorte de consultation du Mufti , qui décide
suivant la Loy , de la peine duë au coupable.
avoit
JANVIER. 1734. 93
avoit opiné pour la Paix , ainsi que le
Visir dans le Conseil extraordinaire, tenu
depuis peu au sujet des affaires de Perse ;
l'un et l'autre avoient insisté fortement sur
la nécessité de ratifier le Traité conclu par
Achmet-Pacha , Gouverneur de Bagdad,
en vertu de son plein pouvoir. La déposition
de ces deux Ministres fut regardée
, avec raison , comme un mistere de
politique ; car il faut avouer que tout
ce qu'on en dit dans le temps ne passoit
pas la conjecture.
Topal - Osman , qui avoit dès longtemps
prévû ce revers , le soutint avec
la plus parfaite tranquillité. En sortant
du Serrail , après avoir remis le Sceau de
l'Empire , il trouva toutes ses Créatures
et tous les Gens de sa Maison abatus et
consternez : de quoi vous affligez - vous ,
leur dit - il , ne vous ai-je pas dit qu'un
Visir ne restoit pas long- temps en place ?
Toute mon inquiétude étoit de sçavoir
comment j'en sortirois ; grace à Dieu on
n'a rien à me reprocher ; le Sultan est satisfait
de mes services ; je pars tranquille.
et content.
Il donna ensuite ses ordres pour un
Sacrifice (a) d'actions de graces , distri-
(a) Cette coûtume est pratiquée parmi les Turcs
en certaines occasions , comme pour obtenir un heureux
succès , &c.
94 MERCURE DE FRANCE
bua de l'argent à ses Domestiques et leur
ordonna de se réjouir . Il se ressouvint
aussi dans ce moment de son Bienfaicteur
, en prévoyant le chagrin que cet
évenement lui causeroit. Qu'on lui dise
qu'il se console , ajoûta- t'il , je ne désespere
pas de le revoir encore , dites lui
qu'il me retrouvera toujours; qu'on écrive
à Salonique, que l'on soit exact à lui donner
la quantité de bled que j'ai ordonné ;
si j'apprends qu'il en manque une mesure
, je ferai voir que je ne suis pas mort. Il
donna quelques autres ordres concernant
ses affaires domestiques et partit pour Trébisonde
, dont il avoit été nommé Pacha.
Si la reconnoissance , toute naturelle
qu'elle est aux coeurs genereux, passe pour
une vertu rare sur tout chez les Grands , il
faut convenir qu'elle reçoit ici un nouvel
éclat par la circonstance et le moment
où Topal - Osman rappella le souvenir de
son Bienfaicteur.
Jamais déposition de Visir n'eut moins
Fair d'une disgrace ; il n'y a point d'exemple
qu'un Ministre disgracié ait été
traité avec autant d'égards et de distinction.
Le Grand- Seigneur lui fit dire de
laisser son fils à Constantinople et qu'il
en prendroit soin ; et quatre jours après
ce même fils eut l'honneur de présenter
JANVIER 1734 99
à Sa Hautesse le présent qui lui avoit été
destiné par son Pere , pour le jour de Bayram.
(a) Il consistoit en un Harnois de
Cheval, enrichi de Pierreries , estimé 50000
Piastres ; c'est ce que Topal Osman avoit
en partant expressément recommandé à
son fils ; quoique , n'étant plus en place ,
il eût pû se dispenser de faire le présent
qu'il avoit fait préparer en qualité
de Grand- Visir.
•
Peu de jours après il reçut sur sa route
de nouveaux ordres pour aller commander
en Perse , à la Place d'Ali Pacha´, qui
venoit d'être nommé Grand- Visir à la
sienne. Osman alla tranquillement relever
son Successeur au Visiriat , dans
le poste de Séraskier , où il a rendu depuis
deux ans à sa Patrie des services
peut- être plus importants qu'il n'auroit
pû faire , s'il fût demeuré Grand - Visir ,
puisque non-seulement il a trouvé le secret
de soutenir une guerre difficile dans
un Pays désert et ruiné , à quatre cent
lieues de la Capitale , le plus souvent dénué
des secours d'argent , d'hommes , de
vivres et de munitions ; mais encore qu'il
a remporté une victoire complette (b)
(a ) Fête solemnelle des Turcs , pendant laquelle
ils se font des présens .
(b) Le 19. Juillet 1733 •
en
96 MERCURE DE FRANCE
en bataille rangée sur un Ennemi ( a) digne
de lui , battu les Persans en trois rencontres
, (b) et humilié l'orgueil de leur
fier General .
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Résumé : LETTRE de M. D. L. C. à M. D. L. R. sur quelques particulartiez de la vie de Topal Osman Pacha, cy-devant Grand Visir de l'Empire Ottoman, et aujourd'hui Séraskier de l'Armée Turque en Perse. A Paris, ce 18 Janvier 1734.
La lettre de M. D.L.C. à M. D.L.R., datée du 18 janvier 1734, décrit la vie de Topal Osman Pacha, ancien Grand Visir de l'Empire Ottoman et alors Séraskier de l'Armée Turque en Perse. L'auteur souligne l'importance de partager les aventures de Topal Osman en raison des liens croissants entre les affaires d'Asie et d'Europe. Il mentionne un projet de biographie qui allierait la singularité du roman à la fidélité historique. Topal Osman avait été racheté de l'esclavage à Malte par M. Arniaud environ trente-cinq ans auparavant. En 1732, Arniaud et son fils rencontrèrent Topal Osman à Constantinople. Le fils d'Arniaud avait rédigé un mémoire sur l'histoire de Topal Osman, que l'auteur conserve. Topal Osman avait reçu une éducation au Sérail du Grand Seigneur, destinée aux enfants chrétiens. En 1698 ou 1699, à l'âge de 25 ans, il exerçait la fonction de Martolos Bachi et fut chargé d'une mission en Égypte. Lors de son retour, il fut capturé par des corsaires espagnols et blessé. Racheté par Arniaud, il fut soigné et renvoyé en Égypte, où il remboursa sa rançon et offrit des présents à son bienfaiteur. Topal Osman se distingua lors de la guerre contre les Vénitiens, notamment en forçant le passage du défilé de Corinthe et en participant au siège de Corfou. Ses succès lui valurent des récompenses et le respect des troupes, mais aussi des jaloux et des ennemis, menant à une proscription temporaire. Il dut se cacher et fut finalement réhabilité, devenant Séraskier en Morée. En 1727, Arniaud et son fils se rendirent à Salonique et furent reçus favorablement par Topal Osman, alors Pacha de Nysse. En 1731, Topal Osman devint Grand Visir et invita Arniaud et son fils à Constantinople. Ils furent accueillis avec honneur et générosité, Topal Osman exprimant publiquement sa gratitude envers Arniaud. Malgré sa déposition en mars 1732, Topal Osman continua de montrer sa reconnaissance envers Arniaud. Avant de quitter son poste de Grand Visir, Topal Osman avait préparé un cheval orné de pierreries, estimé à 50 000 piastres, qu'il recommanda à son fils. Il reçut ensuite de nouveaux ordres pour commander en Perse, succédant à Ali Pacha. Durant ses deux années à ce poste, il rendit des services significatifs à sa patrie, notamment en soutenant une guerre difficile dans une région désertique et ruinée. Il remporta une victoire complète le 19 juillet 1733, battant les Persans en trois rencontres et humiliant leur général.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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20
p. 179-180
De VIENNE, le 20 Septembre.
Début :
Selon les nouvelles de Constantinople, la révolte du Pacha d'Iconium [...]
Mots clefs :
Révolte, Pacha , Grand seigneur, Fêtes, Mariage, Comte, Concert, Repas, Bal, Procession, Commémorations, Siège, Nominations
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : De VIENNE, le 20 Septembre.
De VIENNE , le 20 Septembre."
SELON
ELON les nouvelles de Conftantinople , la révolte
du Pacha d'Iconium commence à donner de
l'inquiétude au Divan. Ce Pacha , à la tête de
quinze mille hommes , s'eft mis en marche de fon
Gouvernement vers cette Capitale . On prétend
que le Grand-Seigneur la fait allurer de la grâce
s'il rentroit dans fon devoir ; mais on ne croit pas
que ce Rebelle fe laiffe prendre à ce piege , & il
faudra employer la force pour le foumettre .
Les fêtes préparées pour le mariage de l'Archi-
Duc Jofeph avec l'Infante Ifabelle , viennent de
commencer. La nouvelle de la conclufion de ce
mariage fut apportée le 14 de ce mois , par le
Comte de Kaunitz-Rittberg , Chambellan de leurs
Majeftés Impériales , fils aîné du Comte de ce
nom , Chancelier de Cour & d'Etat ; la Cour ſe
mit , à cette occafion , en grand gala pour trois
jours , & leurs Majeftés Impériales furent compli
mentées par les Ambaffadeurs & les Miniftres,
étrangers , ainfi que par la haute Nobleffe. Elles
dînerent enfuite en Public avec les Archiducs Jofeph
, Charles & Léopold , quatre des Archidscheffes
, & avec le Prince Charles & la Princeffe
Charlotte de Lorraine. On exécuta un beau Concert
pendant le repas. Le foir , il y eur un bal paré
qui fut fuivi d'un grand fouper. Le matin , Leurs
Majeftés Impériales , accompagnées de l'Archiduc
Jofeph , avoient affifté à la Proceffion qui fe fait
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
annnellement , en mémoire de la levée du Siége
de cette Capitale , par les Turcs en 1683. L'Artillerie
des remparts fit une triple falve , à chacune
defquelles la Garniſon répondit par le feu de fa
Moufquetterie.
Le Comte de Palfi , Général d'Infanterie , fut
déclaré, le même jour, Capitaine de la Compagnie
des Gardes du Corps , formée par le Royaume de
Hongrie, pour
la Garde de l'Archiduc & de l'Archiduchelle
.
On a reçu
de Parme , le détail fuivant des cérémonies
qui ont été faites , à l'occafion du Mariage
de l'Archiduc Jofeph avec l'Infante Ifabelle.
SELON
ELON les nouvelles de Conftantinople , la révolte
du Pacha d'Iconium commence à donner de
l'inquiétude au Divan. Ce Pacha , à la tête de
quinze mille hommes , s'eft mis en marche de fon
Gouvernement vers cette Capitale . On prétend
que le Grand-Seigneur la fait allurer de la grâce
s'il rentroit dans fon devoir ; mais on ne croit pas
que ce Rebelle fe laiffe prendre à ce piege , & il
faudra employer la force pour le foumettre .
Les fêtes préparées pour le mariage de l'Archi-
Duc Jofeph avec l'Infante Ifabelle , viennent de
commencer. La nouvelle de la conclufion de ce
mariage fut apportée le 14 de ce mois , par le
Comte de Kaunitz-Rittberg , Chambellan de leurs
Majeftés Impériales , fils aîné du Comte de ce
nom , Chancelier de Cour & d'Etat ; la Cour ſe
mit , à cette occafion , en grand gala pour trois
jours , & leurs Majeftés Impériales furent compli
mentées par les Ambaffadeurs & les Miniftres,
étrangers , ainfi que par la haute Nobleffe. Elles
dînerent enfuite en Public avec les Archiducs Jofeph
, Charles & Léopold , quatre des Archidscheffes
, & avec le Prince Charles & la Princeffe
Charlotte de Lorraine. On exécuta un beau Concert
pendant le repas. Le foir , il y eur un bal paré
qui fut fuivi d'un grand fouper. Le matin , Leurs
Majeftés Impériales , accompagnées de l'Archiduc
Jofeph , avoient affifté à la Proceffion qui fe fait
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
annnellement , en mémoire de la levée du Siége
de cette Capitale , par les Turcs en 1683. L'Artillerie
des remparts fit une triple falve , à chacune
defquelles la Garniſon répondit par le feu de fa
Moufquetterie.
Le Comte de Palfi , Général d'Infanterie , fut
déclaré, le même jour, Capitaine de la Compagnie
des Gardes du Corps , formée par le Royaume de
Hongrie, pour
la Garde de l'Archiduc & de l'Archiduchelle
.
On a reçu
de Parme , le détail fuivant des cérémonies
qui ont été faites , à l'occafion du Mariage
de l'Archiduc Jofeph avec l'Infante Ifabelle.
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Résumé : De VIENNE, le 20 Septembre.
Le 20 septembre, des nouvelles de Constantinople signalent une révolte du Pacha d'Iconium, qui inquiète le Divan. À la tête de quinze mille hommes, ce Pacha avance vers la capitale. Le Grand-Seigneur lui propose la grâce s'il se soumet, mais son acceptation est incertaine, rendant une intervention militaire possible. À Vienne, les festivités pour le mariage de l'Archiduc Joseph avec l'Infante Isabelle ont débuté. La nouvelle du mariage a été annoncée le 14 septembre par le Comte de Kaunitz-Rittberg. La cour s'est mise en grand gala pendant trois jours, avec des compliments des ambassadeurs, ministres étrangers et haute noblesse. Un dîner public, un concert et un bal ont suivi. Le matin, les Majestés Impériales ont assisté à une procession commémorant la levée du siège de Vienne par les Turcs en 1683. Le Comte de Palfi a été nommé Capitaine de la Compagnie des Gardes du Corps hongrois pour la garde de l'Archiduc et de l'Archiduchesse. Des détails des cérémonies du mariage à Parme ont également été reçus.
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